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ASSOCIATION FRANÇAISE
POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCE
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21! SESSION
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ASSOCIATION
FRANÇAISE
POUK
L'AVANCEMENT DES SCIENCES
l'ne table des malières est jointe à chacun des volumes du Compte
Kendu des travaux de l'Association Française en 1892.
Une table analytique générale par ordre alphabétique termine la
2"^" partie ; dans cette table, les nombres qui sont placés après la lettre p
se rapportent aux pages de a l""'' partie, ceux placés après l'astérisque 1
se rappoi'tent aux pages de la ±""' partie.
IMPRIMEKIE CHAIX, RI K BERGERE. 20. PARIS. — 23688-1(1-92.
ASSOCIATION
FRANÇAISE
♦j
POUR L'AVANCEMENT DES SCIENCES
FUSIONNEE AVEC
L'ASSOCIATION SCIENTIFIQUE DE FRANCE
{Fondée par Le Verrier en 1864)
Reconnues d'utilité publique
COMPTE RENDU DE LA 21" SESSION
PAU
1 e © 2
NOTES ET EXTRAITS
LIBRARY
NEW VO«îK
BOTaNJCAL
GARDE N
PABIS
AU SECRÉTARIAT DE L'ASSOCIATION
28, rue Serpente (Hôtel des Sociétés savantes)
Et chkz m. g. JMASSON, Lickaire de l'Académie de Médeclnk
120, boulevard Saint-Germain.
1893
ASSOCIAÏION FPiAXCALSE XnTcm.
ubratry
JEW VORl
iOTANiCA
QARDEN
POUR
L'AVANCEMENT DES SCIENCES
NOTES ET EXTRAITS
M. Ed. COLII&NOIÎ
Inspecteur général des Ponts et Chaussées, à Paris
REMARQUES SUR LE CHOC DIRECT DE DEUX CORPS ELASTIQUES
— Séance du 16 septembre 1892 — .'
1
Avant d'aborder la question que nous avons en vue, nous rappellerons
les formules du choc direct de deux corps élastiques.
Supposons deux sphères, de masse m et m', animées des vitesses v et v'
suivant une seule et même droite. Le choc a lieu. Appelons iv et w' les
vitesses qu'auront ces mêmes sphères après le choc. On exprimera que la
vitesse du centre de gravité n'est pas altérée par le choc; que, de plus, les
forces vives sont conservées, lorsqu'on attribue aux deux corps une élas-
ticité parfaite. On a de cette manière deux équations, dont il est aisé de
déduire les vitesses finales w et w'.
On simplifie la solution en rapportant le mouvement à des axes de direc-
2 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE. GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
lion constante menés par le centre de gravité des deux masses. La vitesse u
de ce centre de gravité est donnée par l'équation
7nv -{- m'v'
Au lieu d'opérer sur les vitesses absolues v, v', iv, te', considérons les
vitesses relatives
On sait que la résultante des quantités de mouvement relatives est tou-
jours égale à zéro ; et que le théorème des forces vives s'applique aussi
bien au mouvement relatif qu'au mouvement absolu. On aura donc les
trois relations
(-2) ini\ + m'v\ =^ 0,
(3) mH\-\-m'iv\^0,
On tire des équations (2) et (3)
u\ tc^
Ul t'i
l^"\
on en déduit
V,
et si l'on pose
valeurs qui, substituées dans l'équation (4), donnent immédiatement
Par conséquent, X est égal k -\- i ou à — 1.
On ne peut faire X = + 1' sans quoi les vitesses des mobiles reste-
raient les mêmes, tandis que le choc a dû les modifier. Il faut donc poser
X = — 1, ce qui conduit aux équations
Wl =: — t'i, iv'^ =^ — V'^.
Les vitesses relatives changent de sens en conservant leurs valeurs
absolues. Si de là on revient aux vitesses absolues, on trouve pour les
vitesses finales
(o) ^f; = 2w — i\ ir' = 2a — v',
conformément au résultat connu.
i:i).
COLLIGMJ.N. — SLi; LE CHOC DllUXT DE DEUX COUPS ÉLASTIQUES 3
FiG. I.
II
-Nous appliquerons cette solution générale à quelques problèmes parti-
culiers.
Supposons que deux points matériels, de masse m et m', mobiles sur
une même droite OX (ftg. 1), soient soumis chacun à une allraction éma-
nant du centre fixe 0, pro-
portionnelle à la masse du
point et à sa distance au
point 0. Si l'on appelle x
et x' les distances des deux
points mobiles au centre 0,
ces dislances portant leur si-
gne, l'attraction exercée par
le centre fixe sur .le point m
sera représentée par le pro-
duit — mM^x; et l'attraction
sur l'autre point par le pro-
duit — iii'm'^x'. Le facteur w
est une quantité constante, homogène à une vitesse angulaire, de telle
sorte que le produit là'^x soit homogène à une accélération.
Nous supposerons que le point m parte du repos au point A, à une dis-
tance OA =: a ^u point 0. Son mouvement pourra être considéré comme
celui de la projection sur le diamètre OX d'un point directeur a, qui par-
courrait la circonférence décrite de 0 comme centre avec OA pour rayon,
avec une vitesse angulaire uniforme a>. De même le mouvement du point
m' est identique à celui de la projection sur OX du point b, qui parcour-
rait avec la même vitesse angulaire w la circonférence décrite du point 0
comme centre avec OB pour rayon. Et si les deux points mobiles partent
simultanément des points A et B, les deux points directeurs a et 6 seront
constamment situés sur un même rayon OP, animé de la vitesse w autour du
centre 0. Dans ces conditions, les deux points mobiles arrivent à la fois au
point 0, et le choc a lieu. Les vitesses simultanées des deux mobiles sont
égales en valeur absolue au produit de m par les ordonnées am, bm' des
deux points directeurs. En arrivant en 0, ces \itesses sont donc propor-
tionnelles aux ordonnées Oa, 0,3, c'est-à-dire aux rayons a et 6 des deux
cercles. Le centre de gravité G des deux points a un mouvement identique
à celui de la projection du point g, parcourant uniformément la circon-
férence de rayon OG; à l'instant oh le choc a lieu, la vitesse u du centre
de gravité est donc proportionnelle à Oy. Comme le choc n'altère pas le
mouvement du centre de gravité, le point directeur g continuera à par-
4 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GKODÉSIE ET MÉCANIQUE
■courir avec la même vitesse w le cercle OyC; tandis que les vitesses
i-elalives des deux points par rapport à leur centre de gravité, représentées
sur la ligure par les différences av, py» changent de sens, ce qui revient à
relourner bout pour bout la droite afi, en la faisant pivoter autour du point
lixe y. En définitive, le choc amènera le point directeur a de a en a', et le
point directeur 6 de [3 en 8' ; après quoi la loi du mouvement des deux-
points se retrouve la même qu'auparavant. Le mouvement de m sera
réglé par celui d'un point décrivant la circonférence de rayon Ox'; la
limite de l'excursion du point m vers la gauche sera donc le point A'.
De même le point m' sera dirigé par un point parcourant uniformément
la circonférence p'B'p", décrite de 0 comme centre avec 08' pour rayon;
le point B' est la limite extrême de son excursion. On peut observer qu'on
a A'B' — AB.
Un second choc a lieu au point 0, quand les deux points, après leur
excursion aux points A' et B', reviennent au centre avec des vitesses pro-
portionnelles aux ordonnées Oa" et 0,8". Le mouvement du centre do gra-
vité n'est pas altéré; mais les vitesses relatives changeant, la droite a"i3"
doit être retournée bout pour bout autour du point y', ce qui ramène les
points a" et ,8'" sur les circonférences de rayon OA et OB, que les points
directeurs décrivaient d'abord. Les deux points m et m' reprennent donc
les vitesses qu'ils avaient à leur premier passage au point 0. mais dirigées
on sens inverse, de sorln quils retournent dans le même temps à leurs
points de départ primitifs, A et B. Le mouvement des deux points est
donc une oscillation de A en A' pour le premier, de B en B' pour le second,
avec changement brusque de vitesse au passage du point 0.
Si l'on pose OG = c, OA' =: a', OB' -- 6', on aura
ma -4- ni'b
c = -,
m -\- m
a' = lc— a,
b' = <ic — b;
la vitesse du point m au passage du centre 0 variera alternativement
de coa à coa', puis de — toa' à — coa; celle du point nt' variera de même
de Mb à Mb' et de — Mb' à — oib.
Dans le cas particulier où l'on aurait 6 = 0, et m =: m', on aurait
a' =i 0 et b' = a. Il y aurait échange de vitesse entre les deux points au
moment où ils se choquent au point 0.
III
Le mouvement d'un point pesant qui glisse sans frottement sur la
cycloïde est, sur la courbe, la reproduction du mouvement que nous
venons de considérer sur la ligne droite.
KD. COI.l.ir.MiN. srf\ LK CHOC DIRECT DE DEUX COUPS ÉLASTIQIKS 5
Soit COC (fig. 2) une cycloïde, ayant pour base l'horizontale CC;
0 est le point le plus bas de la courbe. L'équation de la courbe entre
l'arc s mesuré à partir
du point 0 et l'or-
donnée (/ rapportée à
la tangente OX est
.s" = 8Ry,
R étant le rayon du
cercle générateur. On
sait que la durée de
l'oscillation entière d'un point pesant assujetti à glisser sans frottement
sur la courbe, est indépendante de la longueur de l'arc parcouru, et qu'on
a pour cette durée
/ 4R
9
quel que soit le point de départ du point mobile.
Supposons qu'on abandonne à la fois deux pomts matériels, de masse
m et m', aux points A et B sur la courbe. Ils arriveront ensemble au point 0
T
au bout du temps -^ et le choc aura lieu. Le point w, parti du point A,
Là
aura pour vitesse u = — \/±g J>^\ le point m', parti de B, aura
pour vitesse v' = — s/'ig >< RR- Appelons a et h les arcs OA et OB.
mesurés sur la courbe. On aura
V
-Va'
c'est-à-dire
et
-a
2T
2T
de sorte que l'on retrouvera les conditions mêmes du problème précédent
en posant o> =: ^— •
Par conséquent, le point m, après le choc, remontera en un point A'
de la cycloïde défini par l'arc OA' =: a'; le point m' remontera en un
point B' défini par l'arc OB' — 6' ; et les deux points parviendront si-
multanément aux points A' et B' à cause du tautochronisme de la courbe.
0 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Des points A' et B', où ils arrivent sans vitesse, ils retomberont simul-
tanément au point 0, où ils se choqueront pour la seconde fois ; et ce
second choc les fera remonter, l'un en A, l'autre en B, c'est-à-dire à
leurs points primitifs de départ; de sorte que leur mouvement sera une
excursion de A en A' et de A' en A pour l'un, de B en B' et de B' en E
pour l'autre, avec choc mutuel des deux points à leur passage au
point 0.
L'arc A'B' est égal à l'arc AB.
De plus, si l'on détermine les positions G et G' des centres de gravité
des deux masses m et m! dans la position AB, puis dans la position A'B',
ces deux points G et G' seront à la même hauteur, et la droite GG' sera
horizontale. En effet, le produit {mg -\- m'g) >< GS représente le tra-
vail moteur de la pesanteur sur les deux corps m et m' tombant ensemble
de A et B en 0; de même {mg -\- m'g) >< G'S' est, au signe près, le
travail résistant de la pesanteur lorsque les deux masses, après le choc,
remontent simultanément du point 0 aux points A' et B'. Puisqu'il n'y a
pas de perte de force vive par suite du choc, d'après notre hypothèse de
l'élasticité parfaite, les deux travaux doivent être égaux. Donc
GS = G'S'.
Le cas particulier où le point m' serait primitivement placé au point le
plus bas de la courbe, et sans vitesse, mérite d'être examiné séparément.
On aurait alors
r'
r^^^
C
6 = 0,
-^_, G^
^^^
ma
O 1
m -j- »'
a' ='2c — a,
b'= 2 c.
S'
D S P'
Fia. 3.
P
X
Supposons que m
soit moindre que w';
{
alors c sera moindre que - a, et a sera négatif; le point m rétrogradera
après le choc en A', pendant que le point m' , parti du repos, remontera
en B' à la distance curviligne OB' = 2c. Au second choc, les deux corps
se retrouveront en présence en 0 ; mais là le corps m' perdra toute sa
vitesse et restera en repos, pendant que le corps m remonte en A et en
redescend, c'est-à-dire pendant une durée égale à T; de sorte que, .dans ce
cas particulier, le point m. descend de A en 0, remonte de 0 en A',
redescend en 0, puis remonte en A, et ainsi de suite alternativement.
Pour le point m', il monte en B', puis redescend en 0, pendant
KT). COLLIGNON. — PIÎOBLE.MES SIR LES f.ORPS FLOTTANTS /
T
deux périodes égales chacune à -; après quoi il stationne au point 0
pendant le temps T.
On a encore arc OA = arc A'B' et GS = G'S'.
Enfin, si l'on a m = m', les stationnements au point 0 sont alternatifs
pour les deux points, et l'on retrouve l'expérience connue des cours de
physique, où l'on opère sur deux boules d'ivoire égales, formant pendule
circulaire.
Les résultats obtenus pour lacycloïde s'étendent approximativement aux
autres courbes symétriques par rapport à la verticale Ot/, et notamment
à la circonférence; mais il faut alors que les arcs a, b, soient très petits,
sans quoi la courbe n'est plus tautochrone, et les chocs peuvent n'avoir
plus lieu au point 0. Il y a exception lorsque l'on a à la fois b = 0 et
VI = m' ; car alors chaque point a à parcourir des arcs égaux de part
et d'autre du point le plus bas, pendant que l'autre l'attend au point 0 ;
de sorte que les chocs ont encore lieu en ce point.
M. Ed. COLLI&IOI
Inspecteur général des Ponts et Chaussées, à Paris.
PROBLEMES SUR LES CORPS FLOTTANTS
— Séance du 16 septembre 1892 —
On sait que, lorsqu'un corps solide flotte à la surface d'un liquide,
l'équilibre du corps exige qu'il y ait égalité entre le poids du corps et le
poids du liquide déplacé, et que les centres de gravité du corps et du
liquide déplacé soient sur une même verticale. D'un autre côté, la stabilité
de l'équilibre est assurée si la fonction 1 — a\ est positive; V représente
le déplacement, a la distance du centre de carène au centre de gravité du
corps, comptée positivement en descendant à partir du centre de gravité,
et I le plus petit des moments d'inertie de la section de flottaison par
rapport à une droite menée dans son plan par son centre de gravité.
La valeur positive de la différence I — aS mesure on quelque sorte le
degré de stabilité du corps.
Si l'on appelle S la section à la flottaison, h la profondeur moyenne
8 MATHÉMATIQUES. ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
de l'immersion, c'est-à-dire une hauteur telle que l'on ait V — S/«, p le
rayon de giration correspondant au moment d'inertie I, on a identi-
quement
I — aV = Sfc^ — ah).
Sous cette forme, on reconnaît qu'à égalité du volume V, c'est-à-dire
à égalité du poids total du corps flottant, si l'on donne la densité du
liquide, la slabililé croît en général à mesure que la section S augmente;
car l'augmentation de S accroît le premier facteur; elle entraîne en outre
une augmentation du rayon de giration p, en même temps qu'une di-
minution de la profondeur moyenne h, et de la distance a des deux
centres de gravité.
Nous nous proposerons, dans cette note, de résoudre quelques problèmes
sur la différence I — a\, considérée à un point de vue géométrique.
Nous chercherons quelle forme il convient d'attribuer au corps flottant
pour que cette différence soit constante à quelque profondeur que le
corps soit immergé, soit que le corps flottant devienne plus lourd ou
plus léger, soit qu'on le fasse flotter successivement à la surface de
liquides de densités diff'érentes. Nous supposerons toujours que le centre
de gravité du corps occupe dans ce système matériel une position connue
d'avance. Rien n'exige, d'ailleurs, que le corps flottant soit homogène, et
nous pouvons faire sur la distribution des densités entre ses différentes
parties telle hypothèse qui sera nécessaire pour amener le centre de gra-
vité dans la position que nous lui attribuons.
Considérons le corps dans sa position d'équi-
_^ X libre (fig. ■/).
i Soit G son centre de gravité; par ce point nous
f' ferons passer trois axes rectangulaires, l'un GZ ver-
i iM tical, les deux autres GX, G Y horizontaux :
0 le centre de carène, ou centre de gravité du
volume liquide déplacé, qui est situé sur la verti-
à' cale GZ du point G, à la distance GO = s ;
MN le niveau du liquide, déterminant dans le
corps la section de flottaison ;
V le volume immergé, compris entre le plan MN
et un autre plan horizontal A A.', mené par le point le plus bas du corps
flottant ;
l la distance GA;
z la distance GM ;
S l'aire de la section faite dans le corps flottant par le plan MN, ou
plus généralement l'aire de la section faite dans le corps flottant par un
plan MN mené à la cote z au-dessous du point G ;
ÉD. COLLin.XdN. — PliOlîl.KMKS Slli LES ColU'S FLOTTAMS 9
p le plus petit des rayons de giration de la section S par rapport aux
droites menées dans son plan par son centre de gravité. Nous admettrons
que le centre de gravité de cette section S soit situé sur l'axe GZ, et que
la droite par rapport à laquelle le moment d'inertie est le plus petit, soit
une parallèle à la droite GY, ce qui suppose : 1° que, dans toutes les
sections horizontales, l'ellipse centrale d'inertie soit orientée de la même
manière; 2^ que la droite GY a été menée dans le plan YGX parallèlement
au pelit axe de l'ellipse centrale de toutes ces sections.
L'aire S sera liée à la variable z par une équation
qui dépend de la forme extérieure du corps.
Le moment d'inertie I est égal à Sp\ Le produit aV représente la
somme des moments par rapport au plan YGX des volumes élémen-
taires Sch dans lesquels on peut décomposer le solide entre les plans MiX
et AA'; on a donc
rtV = / Szdz.
De la condition qu'on s'impose
I _ aV = H,
H désignant une constante, on tire, en différentiant,
(1) dl = d{a\) = — Szdz,
équation qui contient la solution cherchée. Pour aller plus loin, il est
nécessaire de faire quelque hypothèse sur la forme du corps flottant.
L — Nous supposerons d'abord que les sections horizontales aux diffé-
rentes cotes ^ soient toutes semblables et semblablement placées le long
de l'axe GZ. S'il en est ainsi, il y aura un rapport constant entre l'aire S
de la section et le carré f' du rayon de giration, qui joue dans les
diverses sections le rôle de ligne homologue. On aura donc, en appelant À
un rapport constant,
S = Xp%
et par suite
I = Àc\
dl = iXfdp.
L'équation (2j devient
MpHp + l^/-.dz = 0.
Elle se réduit à
4p(/p -f- zdz = 0
10 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
par la suppression du facteur }vp^ et par conséquent on a, en intégrant,
1
2p2 -f - ^2 _ constante — 2p^,
en appelant p^ le rayon de giration de la section faite par le plan XGY,
pour :; = 0. On a, en définitive,
(2) f' = Pl-ï ^'-
De cette équation, nous tirerons la valeur de la constante H := I — aV.
On a en efTet
1
4 '
S = XI p,-
1
^'■1 P; - 7 ^
--.rx^»-i-)— {^^'^'-t)^
donc enfin
I — aV = H = X( p2 _ 1
(p^-ï/^M-^^'
en appelant Ij le moment d'inertie et pi le rayon de giration de la
section inférieure du corps, pour z = l. On trouve H = Ii, ce qui
doit être, puisque la différence I — a\ se réduit à Ij à la base du
corps, lorsque le volume V est égal à zéro.
Lorsque le corps se termine inférieurement par un point unique, on a,
par conséquent, Ij = 0 et H = 0. L'équilibre est alors indifférent,
quelle que soit l'immersion, à l'égard de tout déplacement angulaire
autour d'une parallèle à l'axe GY. L'équilibre est stable par rapport à
tout autre déplacement.
Revenons au cas général ofi H a une valeur positive quelconque.
On peut démontrer que, dans ce cas, la coupe du corps par le plan XGZ
est une ellipse.
En effet, appelons x l'ordonnée de la surface dans le plan y = 0,
correspondant à une valeur déterminée de s. A cette hauteur, nous
avons pour la section horizontale un certain rayon de giration p, qui
a avec la dimension x un rapport déterminé, à cause de la similitude
admise. Soit donc p = [ix, p. désignant un nombre constant. Si l'on
remplace p par cette valeur dans l'équation (2), on obtient pour l'équa-
tion de la coupe cherchée
(3) p^^^:=p2_l ^
4
Kl). COLLIGNON. — PROBLÈMES SLU l.KS CORI'S FLOTTANTS 14
r
■ce qui représente une ellipse, dont les demi-axes sont - suivant GX,
et 2sp suivant GZ.
Appliquons ces considérations à l'ellipsoïde homogène dont la surface
a pour équation
7.2 1/2 -2
^2 ^ ,^2 n- ^2
La condition relative à l'homothétie des sections horizontales est satis-
faite d'elle-même. L'origine est d'ailleurs le centre de gravité du corps.
Nous supposerons m < », pour que le rayon de giration corresponde
dans chaque section à l'axe de l'ellipse parallèle à GY. Pour une ellipse
dont le demi petit axe est x, le rayon de giration par rapport à l'autre
X 1
axe est égal à. - ; donc a = ^ ; et l'équation de la coupe par le
plan XGZ est par suite
1 1 1
4 4 ' 0 4
ce qui représente un cercle de rayon m. Pour que ce cercle appartienne
à la surface donnée, il faut et il suffit que l'on ait m = l, ou que
l'ellipsoïde soit de révolution autour de l'axe GY. Il est aisé de le vérifier.
On a, en effet, en faisant les opérations,
T.m7i ' "■"'^'^'^
I - aV = ^- (m^ - l'^)\\ - -^
fonction indépendante de z lorsque l'on a m=l; elle se réduit alors
à zéro, ce qui doit être, puisque la coupe horizontale de la surface à son
point le plus bas se réduit à un point.
Étant donné un corps flottant, dont le poids total soit P, et dont G soit
le centre de gravité, si ce corps est dans un état d'équilibre indifférent,
pour une immersion déterminée, on pourra toujours rendre l'équilibre
stable, en enlevant du corps par un plan horizontal une tranche du volume
immergé, sous les conditions suivantes :
1° Le plan sécant doit être tel que les centres de gravité des deux
tranches du volume immergé qu'il sépare, soient tous deux situés sur la
verticale GZ;
2° Le poids total P doit être diminué du poids du liquide correspondant
au volume de la tranche supprimée;
3<» Enfin les poids des parties conservées pour le corps doivent être
réglés de telle sorte, que le point G reste le centre de gravité de leur
ensemble, comme avant la suppression.
12 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Dans ces conditions, le plan de flottaison reste le même, et I conserve
sa valeur. On peut, d'ailleurs, remplacer le moment a\ par la somme
a,Vi + o^V.,, en appelant Vi et V^ les deux volumes séparés par le plan
sécant, et a,, a., les distances de leurs centres de gravité au plan XGY.
On a alors
l — a\ — \ — OiVi — a^Y, ^^ 0,
par hypothèse, et par conséquent
I — a,\\
flaV,,
différence positive, qui assure la stabilité du corps lorsque le volume
déplacé est réduit à la tranche conservée Yj .
Prenons pour exemple l'ellipsoïde de révolution examiné tout à l'heure,
lequel est en équilibre indifférent quel que soit
son degré d'immersion. Supprimons à la partie
inférieure le segment compris au-dessous du plan
horizontal MM' (fm. 2); et, pour maintenir le
centre de gravité au point G, enlevons aussi au
corps le segment mN/n', symétrique de MCiM'
par rapport au plan horizontal (W. Le solide
ellipsoïdal compris entre les deux plans mm\
MM', sera en équilibre stable à quelque profon-
deur qu'il s'enfonce dans le liquide, et la valeur
de la constante H sera le moment d'inertie de la section inférieure MM'.
Il est aisé de le vérifier par le calcul direct de la fonction I — aV.
II. — Nous supposerons, en second lieu, que les sections horizontales
soient, non plus semblables, mais affines, c'est-à-dire, que l'on puisse
passer de l'une à l'autre en amplifiant dans un certain rapport les dimen-
sions parallèles à Taxe GX, et dans un autre rapport les dimensions pa-
rallèles à l'axe GY. Rapportons toutes les sections à celle qui est contenue
dans le plan XGY. Soit S^ l'aire et I^ le moment d'inertie de cette sec-
tion. Nous supposerons toujours que les variations des dimensions con-
servent pour toutes les sections horizontales le parallélisme du grand axe
de l'ellipse centrale d'inertie avec l'axe GX; que, de plus, la section S^ ait
son centre de gravité au point G, ce qui fixe pour toutes les autres le
centre de gravité sur l'axe GZ.
Soit a le coefficient d'amplification des dimensions parallèles à GX;
p le coefficient analogue applicable aux dimensions parallèles à GY.
Ces nombres a et p sont des fonctions de z qui restent à déterminer.
On aura
S^S^Xû'P,
1 = I, X «'?,
ÉD. COLLIGNON, — l'UOBLÈMES SUR LES CORPS FLOTTANTS 13
et réquation I — aV = H, devient, par la diti'érentiation,
(4) I,^(a^fi) + S„ >< :Lpdz = 0.
Comme nous n'avous qu'une équation pour lier ensemble les trois
variables a, } et c-, nous pouvons imposer à ces variables une relation
arbitraire. Dans tous les cas on doit avoir, pour z -{), x = \ et
[i — i, pour qu'on retrouve l'aire S^, et le moment d'inertie I^ dans la
section du plan XGY.
Posons
en désignant par y une fonction arbitraire. Il viendra, en substituant
dans l'équation (4),
ou bien, en divisant par P'j,(p)
équation où les variables ;3 et - sont séparées, et qui est par conséquent
toujours intégrable par quadrature, dès que l'on se donne la fonction 9.
Faisons, par exemple, a = p'\ L'équation différentielle devient
ou bien
dont l'équation intégrale est
-^^K.^ +^V - .2n ^«'
en déterminant la constante arbitraire de manière que l'on ait ^ — 1
pour ^ = 0. Et comme a = ^", a sera déterminé par l'équation
qui montre que les coupes du corps par des plans parallèles au plan ver-
tical XGZ sont toutes des ellipses. La solution est contenue dans la double
égalité
(5)
« = ?" = s/'-.3;rTïrf
14 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
l'' Si l'on fait n = l, cela revient à poser oc = [3, et l'on retombe sur
l'hypothèse où toutes les sections horizontales sont semblables.
2° On peut se proposer de trouver comment doit varier a lorsque B est
constant. 11 est facile de traiter la question directement; mais la solution
est contenue dans l'équation (5). Il suffit d'observer qu'alors on a cons-
tamment [3 =r 1, et que l'équation a = p", avec a variable, suppose
n infini. On aura donc
v/'-^i-
3" Si, au contraire, on veut que a soit constant et égal à 1, et [B va-
riable, il faut faire n = 0, et alors l'équation (5) laisse p indéterminé.
Mais l'équation différentielle d'où l'on tire l'équation (o) devient alors
ce qui donne, en intégrant,
Km + 1 s„.- = 0,
en prenant la constante nulle pour que z =^ 0 donne [3 =: 1. On en
déduit alors
On voit ici que ,3 décroît très rapidement à mesure que z augmente.
Il faudra limiter le corps à une profondeur telle, que le grand axe de
l'ellipse centrale d'inertie des sections horizontales soit partout parallèle
à l'axe GX.
4° Supposons enfin n =^ — 1, ce qui revient à admettre que les
aires de toutes les sections horizontales soient équivalentes. Il viendra
^'
a r= - =z i / \
'^ V Pi
Prenons pour exemple particulier le corps qui a pour coupe, par le
plan horizontal XGZ, un rectangle ABCD ; soit AB = 2m, BC = 2/<.
On aura pour le rayon de giration de cette section, où l'on suppose
"' T •
m <, », p^ — — p. Les équations des coupes faites dans le corps par les
v/3
plans XGZ et YGZ sont alors
/] 3? ,
x = mK/ l = /m^ — 3vS
V m^
ÉD. COLLIG.XO.N. — PROBLEMES SUR LES COUPS FLOTTANTS
lo
m
équation d'une ellipse qui a pour demi-axes m suivant GX et — sui-
vant GZ ; et
y = nX.
mn
v''
3z2 \/ m"" — 3z'
m'
équation d'une courbe du quatrième ordre, qui a pour axes les droites
G"^' et GZ, et qui a pour asymptotes les droites s =
m
v/3
iv
f .
7
t
B
ik
"1
i '^i
/
K
i i H'
i i G
1 /
Z
G
■s
X
i i H
Pj
i "'"
'p
E'
1
/
/
M G
c.\\
:
F' i
C
Pi
iE X
*■
Z
F
P2
FiG. 3. — ABCD, rectangle donné; — EFE'F', coupe par le plan prin-
cipal XGZ; — LHK.L'H'K'. coupe par le plan principal YGZ ; —
PP', QQ'> asymptotes de la section ; — ka, B6, Ce, I)d, hyperboles
constituant la projection sur le plan horizontal des cylindres
construits sur les deux coupes.
Les deux cylindres définis par chacune de ces équations se coupent
suivant des courbes qui ont pour projections sur le plan XGY les deux
hyperboles équilalères représentées par la double équation
xy ^± mn,
et qui passent par les sommets du rectangle donné (ftg. 3).
En coupant ce solide par deux plans horizontaux P^, P.^ équidistants
du plan moyen, et compris entre les deux asymptotes PP', QQ', on assu-
rera au corps la stabilité, quel que soit son degré d'immersion dans le
liquide.
16 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MECAMQUE
III. — \ous chercherons, en dernier lieu, quelle est la surface de révo-
lution à axe vertical, qui assure au solide qu'elle
renferme une stabilité déterminée à toute hauteur
(fia- V-
Soit AB le rayon r^ du parallèle inférieur de la
surface, BiNC la méridienne, que nous définirons
par la relation entre le rayon r du parallèle et la
hauteur s mesurée sur la verticale AZ.
Le centre de gravité (1 du corps est supposé
connu d'avance; il est situé sur l'axe de révolution
à la hauteur AG = A au-dessus du parallèle infé-
rieur.
Soit MN le plan de flottaison. Cherchons la hau-
teur J; = AO du contre de carène 0 au-dessus du même plan. Nous
aurons
dz
Jo
et a = h — ».
Le volume V du déplacement est d'ailleurs l'intégrale
Jo
et le moment d'inertie de la section MN est - Tir'*.
Donc
4
= 4 "-•'"
h —
ih i 'r-dz- -f - f'r-z.dz = H,
vfo Jo
H désignant une quantité constante. Telle est l'équation de la méridienne.
Différentions, pour faire disparaître les signes / , puis divisons par izr\
11 viendra
rdr — hds -j- zdz = 0,
ce qui donne
r^ — -Ihz -\- z"^ -^ constante.
F. niTTKii. — fka.m;.<»is viètk, inventeur de l'algèbre modeuxe 17
On doit avoir r --= r^ lorsque ^ =r 0. La constante est donc égale
à r'I, et l'équation de la méridienne est en définitive
r-2 _ 2hz 4- z' = r'
I ij
La courbe est un cercle, qui a pour centre le point r — 0, z h.
c'est-à-dire le point G.
Le solide cherché est donc un segment de sphère, mais il faut que le
centre de gravité de ce segment soit au centre même de la sphère com-
plète, ce qui exige, ou bien que la densité du corps soit variable suivant
une loi déterminée, ou bien qu'on enlève à la partie supérieure un seg-
ment Cba, symétrique de celui que le plan AB retranche à la sphère à
la partie inférieure.
Si l'on prenait la sphère entière, en supposant le corps flottant homo-
gène, la différence I — d\ serait partout nulle, et l'équilibre serait
indifférent.
M. Frédéric RITTER
Ingénieur en clief des Ponts et Chaussées, à Pau.
FRANÇOIS VIETE, INVENTEUR DE L'ALGEBRE MODERNE
(esquisse biographique)
— Séance du 16 septembre 189! —
En 1847 François Arago s'adressait à mon ami Benjamin Fillon,
l'éminent archéologue de Fontenay-le-Comte et lui demandait s'il possé-
dait quelques documents sur François Yiète ; il ajoutait : « Il est honteux
qu'aucun savant ne se soit attaché jusqu'à ce moment à écrire la vie de
Viète. » L'intention de l'illustre secrétaire perpétuel dé l'Académie des
Sciences était sans doute de consacrer au grand géomètre du Poitou
une de ses remarquables notices ; mais, à ce moment, les documents
faisaient défaut et quelque temps après, Arago, mêlé aux événements
politiques, ne songea plus à donner suite à son projet. Il n'est pas dou-
teux, s'il avait vécu dans le temps présent où l'on est si prodigué de
statues, que, honteux de ne voir dressée sur une des places de la capitale
2*
18 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
du monde civilisé l'image de l'inventeur de l'Algèbre moderne, de l'homme
de génie qui a eu, sans contredit, l'influence la plus décisive sur les
immenses progrès accomplis d(^puis trois siècles dans les sciences mathé-
matic[ues et dans leurs applications, il aurait fait payer par la France ce
tribut de reconnaissance envers un de ses plus illustres enfants. C'est
pour libérer de cette dette, la postérité oublieuse, que j'ai entrepris, il y a
longues années, d'écrire la vie, jusqu'à ce jour ignorée, du grand géo-
mètre, alors que les hasards de ma carrière administrative m'avaient appelé
pendant quelque temps dans sa ville natale et que je lisais cliaquo jour
son nom inscrit sur une plaque en tôle au coin d'un quai désert;
c'était le seul hommage rendu par ses compatriotes inconscients, à un
homme de génie dont la place est marquée entre Archimède, Descartes,
Newton et autres grands inventeurs dans les sciences mathématiques.
Mais pour connaître l'homme, il fallait connaître son œuvre, et c'est pour
arriver à ce résultat que j'ai occupé le peu de loisirs que me laissaient
mes fonctions publiques à traduire les œuvres complètes de François
Viète et à recueillir les documents épars qui m'ont permis de reconstituer
cette grande figure dont je vais tracer ici une légère esquisse,
François Viète, sieur de la Bigotière, est né, en 1540, à Fontenay-le-
Comte, alors capitale du Petit-Poitou. Son grand-père, originaire de La
Rochelle, était venu s'établir marchand à Poussais, près Fontenay. Son
père, Etienne Viète, était procureur au siège de cette ville et notaire du
Busseau ; par sa femme, il était cousin de Barnabe Brisson, premier pré-
sident du Parlement pendant la Ligue.
Après de fortes études chez les Cordeliers, François Viète en lo58, se
rendit à l'École de Droit de Poitiers, d'où il revint, à la fin de l'année
1539 bachelier et licencié es droit, occuper au barreau de sa ville natale
une place où il fut immédiatement remarqué ; malgré ses premiers succès,
la profession d'avocat, ne répondant pas aux aspirations d'un esprit de
cette trempe, il acceptait en 1S64, l'offre d'Antoinette d'Aubeterre. dame
de Soubise, d'entrer dans sa maison en qualité de secrétaire de son mari,
Jean de Parthenay-l' Archevêque, l'un des principaux chefs du parti
calviniste et l'adversaire le plus redouté de la famille de Guise ; mais
avant de s'établir au manoir du Parc de Soubise, près Mouchamps, il
accompagna Jean de Parthenay à Lyon pour y recueillir les éléments de
son premier écrit, le récit du siège de Lyon, soutenu en 1563 par
Soubise contre les armées du roi.
.Vu Parc de Soubise le jeune secrétaire s'attacha à Catherine de Parthe-
nay, demoiselle de Soubise alors âgée de onze ans et qui montrait pour
les mathématiques une aptitude rare ; il lui enseigna les sciences et les
lettres et ne contribua pas peu à en faire une des femmes les plus remar-
quables de son temps, qui conserva toujours pour son maître en l'en-
F. RITTER. FRANÇOIS VIÈTE, INVENTEUR DE l'aLGÈBRE MODERNE 19
coiirageant dans ses travaux mathénialiques. la plus profonde cl la plus
affectueuse admiration. Il avait composé pour son élève quelques petits
traités écrits en latin, qui ont péri en 1793 dans le stupide auto-da-fé des
archives do la maison de Rohan-Soubise; seul, un petit traité de Géogra
phie et de Cosmographie nous a été conservé par une traduction publiée
en 1643. Passionné pour l'étude de l'astronomie et reconnaissant que
VAlmageste de Ptolémée ne répondait plus aux besoins des astronomes,
il entreprit de composer sur le même plan un traité nouveau sous le
titre de : Harmonicum cœleste ; mais, avant toutes choses, s'imposait la
réforme de la Trigonométrie et la construction de tables plus étendues et
plus commodes que celles alors en usage. Il consacra à ce laborieux travail
ses rares loisirs et une partie de ses nuits et il composa le Canon niathe-
maticus, recueil de tables trigonométriques où, pour la première fois, on
trouve en regard sur le même feuillet, pour un rayon égal à 100.000, la
valeur des six lignes trigonométriques, de minute en minute ; et faisant
suite au Canon, le Liber inspectionum, véritable aide-mémoire, qui ren-
ferme, non seulement des tableaux donnant, pour la Trigonométrie sphé-
rique et ivctiligne, sous forme de proportions, la valeur de l'un des
éléments d'un triangle en fonction des deux autres, mais encore de
nombreux résultats numériques pour la pratique de l'Arithmétique et de
la Géométrie.
La mort de Jean de Parthenay arrivée en 1566, n'apporta d'abord
aucun changement dans la situation de François Viète; mais la dame
de Soubise, dans sa hâte de perpétuer le nom de sa maison, avait marié
en 1568, sa fille Catherine à peine âgée de quinze ans, à un gentilhomme
breton, Charles de Quellenec, baron du Pont qui ne put s'accommoder
du caractère autoritaire de sa belle-mère; d'où une rupture à la suite de
laquelle la dame de Soubise se retira avec sa maison à La Rochelle au
moment où Jeanne d'Albret, avec son fds Henri de Navarre, avait réuni
en congrès les principaux chefs calvinistes ; c'est de cette époque que
datent les relations de François Viète avec la famille d'Albret et avec le
jeune roi de Navarre dont plus tard, lorsqu'il fut élevé au trône de France,
il devint un des plus intimés et des plus fidèles conseillers.
François Viète en 1570, avait trente ans ; conscient de sa valeur per-
sonnelle, il se sentait né pour une situation autre que celle qu'il occupait
dans la maison de Soubise ; son objectif était d'obtenir une charge dans
la magistrature suprême et de faire imprimer son premier ouvrage. Une
circonstance favorable à ses aspirations ne tarda pas à se présenter ; la
dame de Soubise, trompée dans son impatience de devenir grand'mère,
avait engagé sa fille dans un scandaleux procès en nullité de mariage que
François Viète avec son sens droit, ne pouvait pas approuver ; dans ces
conditions, il résigna ses fonctions de secrétaire et reprenant sa robe
20 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
d'avocat, il alla s'établir à Paris; là seulement, grâce à ses relations,
il pouvait obtenir la charge qu'il ambitionnait et trouver un imprimeur
assez hardi et assez habile pour vaincre les difficultés de l'impression du
Canon matliémaliqw.
Son séjour à Paris fut de quatre années, mais il n'en resta pas moins
fidèle à s:i ville natale qu'il allait visiter fréquemment et où il faisait
partie de l'Assemblée urbaine. A Paris, il fut promptement en relations
avec les hommes qui dans le gouvernement, dans le barreau, dans les
sciences et les lettres, occupaient les situations les plus élevées ; il s'y
rencontrait souvent avec son élève chérie dont le triste procès allait
se terminer d'une manière tragique, par la mort du baron du Pont,
massacré dans la cour du Louvre pendant la Saint-Barthélcmy; avec
Jeanne d'Albret, Henri de Navarre et Françoise de Rohan, dame de la
Garnache, nièce de l'une et cousine de l'autre, dont il était devenu, pen-
dant son séjour au Parc de Soubise, l'ami et le conseiller dans les procès
(ju'elle poursuivait, déjà depuis plusieurs années, contre le duc de Ne-
mours, qui, après lui avoir promis mariage en 1366 et l'avoir rendue
mère, avait refusé d'exécuter ses promesses et avait épousé la séduisante
Anne de Ferrare, veuve du duc de Guise. Il s'occupait de cette grave
affaire et de l'impression de son livre par Jean iMettayer, imprimeur du
roi, lorsqu'en 1573 il fut nommé conseiller au Parlement ^e Bretagne,
où il ne fut installé qu'en lo74, quelques mois avant l'avènement du roi
Henri III. Cette nomination établit que François Yiète, contrairement à
l'assertion de quelques écrivains protestants, appartenait à la religion
catholique dont les membres du Parlement devaient faire profession pu-
bhque au moment de leur installation ; il était d'ailleurs, comme bien
d'autres à cette époque si tourmentée, un sceptique en matière de religion,
et cette inditierence explique- comment, ayant vécu dans un foyer calvi-
niste aussi ardent que le Parc de Soubise, il n'avait pas abjuré la reli-
gion dans laquelle il avait été élevé.
Henri 111 que les historiens nous montrent, malgré son indolence et ses
vices, si habile ù juger les hommes, avait été à même, par sa tante Jeanne
d'Albret et sa cousine Françoise de Rohan, de connaître François Viète,
d'apprécier sa rare capacité et sa haute intelligence pour mener à bonne
fin les affaires les plus difficiles. Monté sur le trône, il le chargea immé-
diatement de missions délicates et confidentielles; aussi ne paraissait-il
que rarement au Parlement de Bretagne où sa présence était obligatoire
pendant la session semestrielle, d'où remontrances et suspension de traite-
ment, toujours annulées par la production de lettres patentes du roi auto-
risant François Viète à ne pas faire son service. Ces missions étaient le
plus souvent politiques, mais quelques-unes intéressaient plus particu-
lièrement le roi qui avait pour Françoise de Rohan une grande affection.
F. RITTER. — FRANÇOIS VIÈTR, INVENTEUR DE l'aLGÈBRE MODERNE 21
Aussi François Viète fut-il pour la dame de la Garnache un puissant auxi-
liaire pour triompher en 1575, de la résistance de la dame de Soubise
au mariage de Catlierine de Parthenay avec René de Rohan, frère de
Françoise. Les poursuites acharnées, de juridiction en juridiction, jus-
qu'en cour de Rome, de Françoise de Rohtin contre son indigne séduc-
teur troublaient la quiétude d'Henri RI ; François Yiète, pour mettre un
terme à une affaire aussi difficile et aussi délicate, trouva la plus habile
et la plus incroyable transaction, toute à l'avantage de son amie et le
roi, par lettres patentes, l'imposa aux deux parties.
En récompense des services rendus et pour mettre un terme à sa situa-
tion fausse au Parlement de Bretagne, Henri Hl attacha François Viète
à sa personne en le nommant en 1580, Maître des requêtes de l'hôtel
du roi.
Depuis qu'il était entré dans la haute magistrature, chargé de missions
qui le tenaient le plus souvent éloigné de Paris, il ne lui avait plus été
possible de surveiller l'impression de son livre et de stimuler l'ardeur des
ouvriers rebutés par un travail aussi ardu qu'insolite ; enfin, huit ans
après avoir été mis sous presse, le Canon mathématique sortit, en 1579,
des ateliers de Jean Mettayer.
Malgré ses occupations pour le service du roi qui lui prenaient tout son
temps, François Viète trouvait cependant quelques instants â donner aux
mathémaliques ; il leur consacrait une partie de ses nuits. « Telle était,
dit de Thou, la profondeur de ses méditations qu'on le vit souvent rester
trois jours entiers, assis à sa table de travail complètement absorbé par
ses recherches, sans autre sommeil que celui qu'il prenait la tète ap-
puyée sur le coude et sans autre nourriture pour soutenir la nature,
que celle qu'il prenait sans changer de position. »
En substituant dans la Trigonométrie, aux règles énoncées en langage
ordinaire et en toutes lettres, des tableaux présentant à première vue sous
forme de proportions, l'élément inconnu d'un triangle et les trois élé-
ments donnés, représentés d'une manière générale par les lettres toujours
les mêmes, placées aux angles du triangle, François Viète l'avait dotée
de véritables formules générales ; et, par une de ces inspirations dont les
grands génies sont seuls capables, ou peut-être même par de longues
méditations sur les ouvrages de Diophante et de Cardan, après avoir
reconnu combien était défectueuse leur Algèbre dans laquelle l'inconnue
seule de l'équation était représentée par un symbole alphabétique, mais
oij toutes les opérations effectuées au moment même où elles se pré-
sentaient ne laissaient aucune trace dans la composition de la valeur de
l'inconnue, il créa l'Algèbre nouvelle, en représentant tous les éléments
d'une question, connus ou inconnus, par des lettres de l'alphabet, les
opérations à effectuer sur elles par des signes et enfin le résultat par une
22 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MECANIQUE
formule, dans laquelle il suffisait, si la même question était posée avec
des données différentes, de les substituer pour obtenir immédiatement
le nouveau résultat demandé ; par cette conception féconde, il aff'ran-
chissait en même temps l'Algèbre de la nécessité de faire reposer ses
principes sur des considérations géométriques.
Une circonstance heureuse pour la science procura à François Viète les
loisirs nécessaires pour donner un corps à l'Algèbre nouvelle. En 1583 les
Guise étaient tout-puissants auprès de Catherine de Médicis et peu à peu
ils obtenaient de la faiblesse du roi l'éloignement de ses plus fidèles ser-
viteurs ; François Viète, qui avait toujours été pour eux un adversaire re-
douté, était du nombre ; en 158o, il fut relevé de ses fonctions de Maître
des requêtes. Retiré tantôt à Fontenay, tantôt à Beauvoir-sur-Mer. auprès
de Françoise de Rohan, il composa pendant ses quatre années de retraite
son Art analytique ou Algèbre nouvelle. Quelques-unes des parties de cette
œuvre magistrale étaient terminées, mais d'autres n'étaient qu'ébauchées,
lorsqu'il fut en 1589, rappelé à Tours par Henri III chassé de Paris par la
Ligue. Dès son arrivée le roi mit immédiatement à contribution sa rare
sagacité; les ennemis de l'extérieur entretenaient avec ceux de l'inté-
rieur une correspondance en chiffres qui avait mis en défaut les déchif-
freurs officiels ; malgré la complication des chiffres, François Viète en
trouva les clefs et, pendant plusieurs années les projets cachés dans ces
dépêches étant dévoilés et déjoués, le roi fut dénoncé à Rome comme
ayant eu recours à la magie et à la nécromancie.
La ville de Tours devenue momentanément la capitale du royaume,
renfermait dans son sein non seulement les hommes politiques, mais en-
core les savants et les lettrés obligés de fuir le séjour de Paris. François
Viète dont la réputation n'était plus à faire, s'y trouva immédiatement
très entouré; comme son service auprès du roi ne lui permettait pas de ré-
pondre à tous ceux qui demandaient à être initiés à son Algèbre nouvelle,
il avait chargé de ce soin quelques élèves formés à son école ; sollicité
de toutes parts de publier quelques-uns de ses ouvrages, il fit imprimer,
de 1591 à 1593, ceux de ses traités qui étaient terminés; mais, sauf un
seul, celui de la Résolution numérique des équations publié en 1600, les
autres, dont quelques-uns incomplets, ne virent le jour qu'après sa mort;
plusieurs de ses ouvrages, notamment V Harmonicum cœleste, ont été
perdus.
Cependant, la renommée du grand géomètre avait eu le don d'exciter
la bile de Joseph Scaliger qui, s'étant arrogé le titre de Prince des
érudits, prétendait au pouvoir absolu dans le domaine des sciences et des
lettres; il sentait son prestige sérieusement menacé. Réfugié dans un
château non loin de Tours, il résolut de frapper un grand coup en an-
nonçant urbi et orbi qu'il avait trouvé la quadrature exacte du cercle et la
1', RITTER. — FRANÇOIS VIÈTE, INVENTEUR DE l'aLGÈBRE M0DE:RNE 23
construction rigoureuse de ces fameux problèmes, réputés jusqu'alors in-
solubles ; il proposait en même temps à François Viète un dédit de mille
écus dor au profit de celui qui démontrerait l'erreur de l'autre. Provoqué
à une discussion publique à Tours, Scaliger se déroba ; le grand géomètre,
dans une suite de conférences ouvertes en lo90, démontra l'absurdité des
propositions du Prince des érudits et exposa un grand nombre de ques-
tions difficiles, alors à l'ordre du jour. Ces conférences furent imprimées
en 1,^93.
Scaliger, devenu impossible en France, avait été occuper une chaire
à l'Université de Leyde d'où il lança contre son adversaire, en lo94, le
trait du Parthe sous la forme d'un livre dans lequel il cherchait à dé-
montrer ses absurdes et ridicules élucubrations ; François Viète lui ré-
pondit immédiatement en 159o, par quelques pages, oii, sans le nommer,
il lui administrait ce que l'on appelle vulgairement une volée de bois vert.
Au mois de mars 1594, Henri de Navarre devenu roi de France, en-
trait à Paris et appelait François Viète à faire partie de son Conseil privé ;
un jour qu'il avait emmené l'ambassadeur de Hollande en villégiature
à Fontainebleau, celui-ci prétendit que la France n'avait pas un seul
géomètre, puisqu'il n'en figurait aucun dans le défi adressé par Adrien
Romain aux mathématiciens du monde entier. « Si, si, répondit Henri IV,
j'en ai un, et un très excellent ; que l'on aille quérir M. Viète. » Celui-ci
avait suivi le roi à Fontainebleau ; il arrive, l'ambassadeur lui présente
le défi qu'il avait fait chercher, le grand géomètre se retire dans l'embra-
sure d'une fenêtre et, quelques instants après, il en donne la solution au
diplomate émerveillé. Le défi était présenté sous la forme d'une équation
du 45" degré; mais, en réalité, c'était une énigme qu'il fallait deviner.
François Viète avait immédiatement résolu la question, non en devin,
mais en géomètre, au moyen de la formule générale de la division des
angles dont il avait depuis longtemps pénétré le mystère. En envoyant,
le lendemain, au géomètre belge non une seule solution de son problème,
mais vingt-deux autres, il lui proposa à son tour le problème d'Apollo-
nius, dont la solution était perdue : Mener un cercle tangent, à trois cercles
donnés. Adrien Romain ne put le résoudre qu'au moyen de l'intersection
de deux hyperboles; François Viète lui envoya alors la solution par la
règle et le compas de tous les problèmes des contacts des droites et des
cercles et ce sont ses constructions qui ont été depuis lors textuellement
reproduites par tous les auteurs jusqu'à ces derniers temps, où Gergonne
leur a appliqué la méthode plus élégante, mais plus difficile, du centre
radical et des axes de similitude.
Au reçu de cet opuscule remarquable, Adrien Romain qui occupait
la chaire de mathématiques à Wurtzbourg, transporté d'admiration, laisse
toutes ses occupations, monte à cheval, accourt à Paris et de là à Fon-
24 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
lenay, où il rencontre enfin François Viète ; il se jette dans ses bras et
reste un long mois avec lui ; puis il retourne en Allemagne défrayé par
le grand géomètre de toutes ses dépenses jusqu'à la frontière.
C'était en 159.S ; François Viète dont la santé était profondément al-
térée par l'excès du travail, avait été envoyé par le roi se reposer et res-
pirer l'air natal, chargé d'une mission délicate et qui n'exigeait pas un
grand travail. Les Suisses au service de la France demandaient de l'ar-
gent ; après les avoir, suivant sa coutume, payé de belles paroles, le
Béarnais dut enfin s'exécuter et à cet effet il eut recours à un de ces
expédients que l'on rencontre à toutes les époques de notre histoire : une
ordonnance du roi prescrivit la transformation de tous les offices de no-
taires, tabellions et gardes-notes en offices de notaires royaux. Cette
mesure qui frisait la spoliation, puisque les intéressés étaient obligés de
racheter leurs offices, souleva de leur part une vive opposition. Pour la
calmer, Henri IV envoya ses plus fidèles et ses plus habiles conseillers
pour négocier avec les notaires. Enfin, après deux ans de luttes, intervint
une transaction; les notaires se soumirent et les Suisses furent payés.
Rentré à Paris vers la fin de l'année 1599, François Viète avait repris
son service auprès du roi, mais ses derniers jours furent troublés par
une aigre et violente polémique où, il faut l'avouer avec regret, il avait
tort et dans la forme et dans le fond.
Grégoire XIII avait soumis à l'examen de tous les princes, de toutes les
Académies, de tous les savants du monde chrétien, en sollicitant leur avis,
un projet de réforme du calendrier Julien, imaginé par un médecin de
Vérone, Louis Lilio et rédigé, après la mort imprévue de son auteur,
par Clavius, de la Compagnie de Jésus. N'ayant reçu aucune observation,
le Souverain I^ontife l'avait promulgué en 1582. La réforme n'avait
d'ailleurs d'autre but que de faire osciller la fête de Pâques entre l'équi-
noxe du printemps et le 25 avril, alors que, d'après les règles anciennes,
elle rétrogradait chaque année de plus en plus en s'éloignant du 2:2 mars.
Lui reprocher de ne pas faire correspondre rigoureusement la date de la
fête de Pâques à celle de la pleine lune équinoxiale, était un reproche
sans portée; le nouveau calendrier donnait une solution satisfaisante:
c'était ce que l'on s'était proposé dans une question qui, en définitive,
était de comput ecclésiastique et non d'astronomie pure.
En travaillant dans sa retraite à son Harmonicum cœleste, François Viète
avait repris cette question du calendrier et il avait cru trouver une
réforme plus exacte que celle adoptée, depuis plusieurs années déjà, par
la plupart des nations catholiques; mais, comme depuis l'affaire des
dépêches secrètes, il était fort mal vu à Rome, il attendit l'avènement au
trône pontifical de Clément VIII, qu'il avait connu cardinal Aldobrandini,
alors qu'il négociait avec le roi Henri IV, pour lui adresser son nouveau
C.-A. LAISANT. — REMARQUES SUR LES COURBES UNICURSALES Z£)
projet de réforme, convaincu que, par la seule autorité de son nom, il
allait être immédiatement adopté sans examen. Il n'en fut pas ainsi; le
Souverain Pontife renvoya le mémoire et le calendrier de François Yiète
à une commission dont Clavius était le rapporteur. Impatienté de n'avoir
pas de réponse pour ainsi dire courrier par courrier, Yiète s'en prit au
laborieux jésuite de Bamberg, ô\Âi une correspondance très aigre du
côté de Viète, très calme de la part de Clavius. La mort du grand géo-
mètre le 26 février 4603, mit fin à cette polémique, d'où François Viète
ne serait pas sorti avec les honneurs de la guerre.
Épuisé par le travail et par la maladie, François Viète, en décembre 1602,
avait demandé de résigner les fonctions qu'il occupait auprès du roi et
Henri IV, faisant droit à sa requête, avait ordonné, en raison de ses ser-
vices éminents, de lui compter « une honneste gratification. » Elle dut lui
arriver m extremis, ce qui explique comment on trouva sous son chevet
une somme de vingt mille écus.
A ses derniers moments, il avait toujours présents les intérêts de son
pays et, quelques jours avant sa mort qu'il sentait |)rochaine, il rédigea
d'une main ferme une instruction sur le déchiffrement des écritures
secrètes; c'est le dernier écrit de ce grand génie, de ce grand citoyen.
François Viète avait été marié ; on n'en sait pas davantage. Il laissa une
fille orpheline, Suzanne Viète, qui mourut en 1618, comme le constatent
les registres de l'église Notre-Dame de Paris.
Le nom de Viète n'est pas éteint; il s'est perpétué par la descendance
de son frère, Nicolas Viète, sieur de la Mothe de Monzeuil, avocat et con-
seiller en l'élection de Fonlenay. Il est porté aujourd'hui par M. Gaston
Viète de la Rivagerie, officier de cavalerie, et par son frère Roger-Hya-
cUithe, arrière-petits-neveux de l'illustre géomètre Monge.
M. C.-A. LAISAIT
Docteur es sciences, à Paris.
QUELQUES REiVIARQUES SUR LES COURBES UNICURSALES
— Séance du 16 septembre 1892 —
1. — Équipollence générale. — On sait qu'on désigne sous le nom d'uni-
cursale une courbe dont les coordonnées rectilignes peuvent s'exprimer
rationnellement en fonctions d'un paramètre variable réel t. Lorsqu'il
26 MATHÉMATIQUES, ASTKOXOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
s'agit des courbes planes, les seules dont nous voulions nous occuper dans
ces remarques, il s'ensuit qu'une courbe unicursale est représentée par le
système des deux équations
II) X = — 1 ij ^ — — - '
en supposant que l'on donne à t toutes les valeurs réelles de — go à -j- ^ •
Le calcul des équipoUences se prête d'une façon naturelle à l'étude de
ces courbes. Si nous appelons, en effet, Z le point variable de la courbe,
0 l'angle des axes coordonnés, et si nous prenons l'axe des x pour origine
des inclinîiisons, il s'ensuit que OZ = z = a; -j- ys", ou
Dans cette relation, /"(/) représente une fonction entière, mais imaginaire
en général, du paramètre variable réel t; (f{t) représente une fonction
réelle entière du même paramètre. Mais si nous considérons l'équipoUence
générale
(3) z -. /W
sans aucune restriction sur la nature des fonctions entières /'et 9, la courbe
représentée par cette équipoUence n'en est pas moins unicursale. Il suffit,
pour le reconnaître, de multiplier les deux termes par la fonction conjuguée
de 9, ce qui donnera au dénominateur une fonction réelle, et ce qui fera,
par conséquent, rentrer la forme (3) dans la forme particulière (2).
Suivant les cas, nous pourrons donc supposer que le dénominateur -^(t)
est une fonction réelle ou imaginaire.
11 y a lieu tout d'abord de faire une observation importante. Si dans les
équations (1) nous venons à remplacer t par une fonction rationnelle quel-
conque d'un nouveau paramètre t', le résultat de l'élimination de t' entre
les deux équations sera le même que celui de l'élimination de /. Il semble
donc que la courbe restera la même. Cela n'est pas vrai cependant d'une
manière complète; en voici la preuve ^ar un exemple bien simple. Soient
X =: al -\- b, ij ^= ciyt -\- b^
les équations d'une droite. Posons t = l"^. Nous avons :
X = al"^ + ^> y = ^1^'" ~\- ^1
et il saute aux yeux que les points qu'on peut obtenir sont ceux d'une
semi-droite, et non plus de la droite tout entière. En outre, chacun des
C.-A. LAISAM. — liËMARQUES SUR LES COURBES UMCURSALES 27
points de cette semi-droite est obtenu deux fois, par les deux valeurs difîé-
rentes -\- t', — /'.
Bien que la première droite comprenne la semi-droite en question, il est
certain qu'on ne saurait confondre sans inconvénient deux faits géomé-
triques présentant une ditîérence aussi notable.
En réalité, lequipollence générale (3) d'une courbe unicursale représente
non seulement une courbe, mais, si nous considérons t comme un temps,
le mouvement d'un point mobile sur cette courbe. Ce mouvement peut s'ac-
complir, soit sur la trajectoire entière, soit sur une portion seulement de la
trajectoire. Il faut donc étudier une unicursale d'après son équipollence (S)
ou le système d'équations (1) correspondant, et se garder d'effectuer un
changement de variable sur le paramètre arbitraire t.
Il est toutefois un cas particulier où le changement de paramètre ne sau-
rait introduire dans la courbe aucune modification : c'est celui où à chaque
valeur de / correspond une seule valeur de t', et réciproquement. Alors, en
effet, toute valeur réelle donnée une fois à t sera atteinte une fois par /', et
par conséquent tout point Z obtenu par la variation de t sera obtenu éga-
lement par la variation de t'. Les paramètres t et t' sont liés dans ce cas
par une équation de la forme ait' -\- bt -\- et' -\- d -.= 0.
2. — Degré d'une courbe unicursale. — Toute courbe unicursale est algé-
brique, et il est facile d'en déterminer le degré. Pour cela, supposons réelle
la fonction o(t) dans l'équipollence (3) et représentons par m = am -|- b
l'équipollence d'une droite quelconque. Un point commun à l'unicursale
et à la droite sera donné par la relation
:=-^ XU -\- B.
Mais si nous décomposons tous les coefficients du polynôme f{t) suivant
les deux directions a et b, nous pouvons donner à ce polynôme la forme
Ag{t) -{- Bh{t) ; de telle sorte que nous avons
Ag{t) -f Bh{t) = AU'^[t) -f B0{t),
équipollence qui équivaut au système d'équations
g{t) = U'fit), h(t) = -iit).
Les degrés de g(t) et h{t) sont égaux, en général, à celui de f{t). Donc les
deux équations seront d'un degré égal au plus grand de ceux def{t) et <f(t),
c'est-à-dire à celui de f(t) -\- '^(t), ou m. La seconde donnera m valeurs
M de t, soit réelles, soit imaginaires; et de la première on tirera un pareil
B nombre de valeurs de u. La droite coupe donc la courbe en m points ; et
28 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCAiNIQUE
par conséquent le degré de la courbe unicursale (3) est celui du polynôme
Dans rexcmple du numéro précédenl, nous avions v. --^ At -\- u, équipol
lence qui représente une droite; et l'équipolience z = a/- -[- « tlt)it être
considérée comme représentant une courbe du second degré, d'après ce
que nous venons de dire. C'est qu'en effet l'intersection de cette ligne avec
une droite quelconque donne toujours deux points, confondus en un seul;
si bien qu'on doit considérer la ligne i-^Af^ -\-v, comme un cas particulier
de la courbe z = a/* -f ci -|- c, où c deviendrait nul; or, il est facile de
voir (jue cette dernière représente une parabole.
Si l'équipolience d'une courbe unicursale est donnée sous la forme
fit)
/. - — :, sans que 9 soit une fonction réelle, on déterminera le degré,
?(0
en décomposant 9 en deux facteurs : l'un correspondant à tous les fac-
teurs binômes provenant des racines réelles ou des racines imaginaires
conjuguées, l'autre aux racines imaginaires non conjuguées; on a alors
cp(/) = o,(/).9j(^). Pour rendre réel le dénominateur, il suffira de multiplier
les deux termes de . ' — par cj o^f/), puisque <pi(/) est réel; Donc, appe-
?l(0?2</)
lant m le degré de /*, [i.^ celui de 91, \j.^ celui de 9^, nous aurons dans la
nouvelle fraction m -j- \>..^ pour le degré du numérateur et jji, -j- t[i.^ pour
celui du dénominateur. C'est le plus grand de ces deux nombres qui don-
nera le degré de la courbe. Il est évident, p-i -\- [j.^ étant le degré a de 9(^j,
qu'on peut dire encore que, pour avoir le degré de la courbe, il suffit
d'ajouter à celui de /'(/) -\- (^(t) le nombre des racines imaginaires non
conjuguées de l'équation 9(/) =: 0.
3. — Première discussion d'une courbe unicursale. — L'équipolience
d'une courbe unicursale étant mise sous la forme générale (3), appelons
a, b, c . . . les racines réelles, et a, b, c . . . les racines imaginaires de
l'équation f{t) = 0; puis a', //, c'. . . les racines réelles, et a', b' g' . . . les
racines imaginaires de l'équation (^(t) = 0.
L'équipolience devient alors
__ , (t — a)(t — b)...{t — \){t — b) . . .
{t — a')[t — b').,.{t — A'){t — b')
Le coefficient k, étant constant, na pour effet que d'imprimer à la courbe
une rotation et un changement d'échelle, c'est-à-dire de la transformer en
une courbe semblable par rapport à l'origine prise pour centre de similitude.
On peut donc le supprimer sans rien particulariser, et l'on a l'équipolience
, ^ '^ — an^ -b)...[t- x)(t — B) ... ^ fit)
(t — a'){t — b'}...{l — A'){i — n')...^^{t)'
C.-A. LAISA.NT. REMARQUES SUR LES COURBES UMCURSALES 29
Pour toutes les valeurs a, b, . . . données à t, z s'annule; par suite, la
courbe passe par l'origine autant de fois; elle y passe en outre pour
/ -^ ±: 00 , si le degré du numérateur est inférieur à celui du dénominateur.
L'origine est donc un point multiple dont l'ordre de multiplicité est égal
au nombre des racines a, b, c, . . . ou à ce nombre augmenté d'une unité,
suivant que le degré de f{t) n'est pas ou est inférieur à celui de 9(/).
De même, les racines réelles a', b', c' . . . correspondent à autant de
valeurs infinies pour z. Si le degré de f{t) est supérieur à celui de oil), la
valeur / ^ riz oo donne en outre pour Z un point à l'infini. On a donc le
nombre des branches infinies de la courbe, par la considération du nombre
des racines a', b' . . . Il faut seulement remarquer que les deux valeurs
± oc donnent en général deux branches infinies, dans le sens géométrique
du mot, si le degré de f{t) est plus grand que celui de o(t).
Les branches infinies étant déterminées, ainsi que le rôle de l'origine au
point de vue de la multiplicité, on peut construire géométriquement la
courbe, point par point, d'une façon simple. Si, en effet, on désigne par
Oa, 06, . . . Oa', 06' ... les racines réelles a, 6, . . . a', b' ,. . . et par OA, . . .
OA'. . . les racines imaginaires a, . . . a', . . ., en appelant T un point va-
riable sur l'origine des inclinaisons, depuis — x jusqu'à -|- oc , on aura
flT.6T...AT.BT...
a'T.6'T...A'T.BT
expression dont la construction est très facile et donne un point Z pour
chaque position du point ï.
4, — Tangente; poàaire. — La tangente à la courbez =r — s'obtiendra
. dz nt)o{t) - fity^'d) . .',,.,
en formant 1 expression — - ; i • '-i ' *î^* représente la vitesse,
rfz
si l'on regarde t comme un temps. La courbe Zj = — , appelée hodographe
du mouvement, peut être assez commode dans certains cas pour cette
détermination de la tangente. L'hodographe est évidemment aussi une
unicursale.
La podaire relative à l'origine s'obtient, comme l'on sait, en décompo-
f^z , ^ , . , , • X . dz
sant le rapport z : — sous la forme m -+- u.i et en écrivant v = la — .
'-^ dt dt
La podaire d'une unicursale est donc aussi une unicursale.
dz
o. — Asijmpioles. — En examinant l'expression — et regardant vers
quelle direction elle tend lorsque t tend vers une valeur qui rend z de gran-
deur infinie, on a la direction asymptotique de la branche infinie corres-
30 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
pondanle. Pour dûterminer l'asymptote elle-même, le mieux est peut-être,
en général, de prendre le point correspondant de la podaire. Si ce point
est à distance finie, on a immédiatement l'asymptote; s'il s'éloigne à
l'infini, la branche considérée est parabolique.
(3. — Centre de courbure ; développée. — On sait qu'en posant
d^7. dz i d'/j
— '-:--= /-(-/./, le rayon de courbure ZR est ZR =7 — . L'équipollence
dl' dl ^ ^ Idl ^ ^
de la développée est donc
, i d'A
R =
et il s'ensuit que la développée d'une unicursale est aussi une unicursale.
7. — Courbes unicursales parement pat^aboliquefi. — Les unicursales
les plus simples à étudier sont évidemment celles oii le dénominateur cp(/)
disparaît, c'est-à-dire dont l'équipollence est de la forme
z = c,r + c,r-' + ...+c„_,i + c,,.
Elles ne présentent que deux branches infinies, correspondant aux
valeurs ±: oc de f. Si m est pair, ces deux branches ont même direction.
Si m est impair, elles ont des directions opposées. Ces deux branches sont
paraboliques ; car si nous décomposons tous les coefficients, sauf les
deux premiers, suivant les directions c^, Ci, nous pouvons écrire
z = c„(r + .,r-' + ...) + c,(r-' + ?,r-^ +,..).
La direction asymptotique des branches paraboliques est celle de c^ ; et
le coefficient de Ci tendatit vers l'infini, il en résulte que les seules
asymptotes possibles s'éloignent à l'infini.
On remarquera, d'ailleurs, que cette démonstration s'étend au cas où
plusieurs des coefficients Cj, c^, ... viendraient à s'annuler. Il suffirait de
décomposer suivant c^ et c , en appelant c le premier coefficient qui ne
s'annule pas.
En transportant l'origine en un point de la courbe, on peut toujours
supposer nul le terme c,,^. Les unicursales que nous considérons, et qu'on
peut appeler purement paraboliques, peuvent alors être engendrées par
la méthode cinématique que voici : Concevom, sur m droites rayonnantes,
0X1, 0X2, ... OX^, des points mobiles Xi, Xj, ... X^^^, animés de mouve-
ments tels que l'espace parcouru soit projwrtionnel au temps, au carré du
temps , ... à la m" puissance du temps. Le centre de gravité de ces m points
décrira une unicursale purement parabolique.
Il est clair que la direction asymptotique sera celle de la droite OX,,^.
C.-A. LAISA.NT. — liE.MARQLKS SLK I.KS COURBES UNICURSALES 31
8. — Génération géométrique ou cinématique des unicursales quel-
conques. — z =z --— étant l'équipoUence d'une unicursale quelconque,
considérons les deux unicursales purement paraboliques z^ = f{t), i^ = o{t).
OZ
On aOZ=:OK. ~. Donc Zj, Z, étant deux points correspondants de
deux unicursales purement paraboliques, et K un point fixe, on aura un
point quelconque Z de i'unicursale (Z) en formant le triangle OKZ direc-
tement semblable à OZ^Zi,
Les points correspondants à linfîni de {Z^) (ZJ donneront un point à
distance finie si le degré de (Z^) est le même que celui de (ZJ, l'origine
si le degré de (Z,) est inférieur à celui de (Z^) et un point à l'infini si le
degré de (Z,) est supérieur à celui de (Z^).
A chaque passage à l'origiiie de la courbe (Z^) correspond un point à
l'origine de I'unicursale (Z). A chaque passage à l'origine de la courbe (Z^)
correspond un point à l'infini de I'unicursale (Zj.
Lorsque le dénominateur ^{t) n'admet pas de facteurs multiples, l'uni-
•cursale z = — — peut être engendrée d'une façon assez simple par un
procédé cinématique. Si, en effet, on suppose le degré de f{t) supérieur
à celui de z>(t), et si on effectue la division de f{t) par o{t), puis la décom-
position de la fraction restante en fractions simples, on aura, si l'on
conserve les notations du n" 3 :
Le premier terme correspond à une unicursale purement parabolique ;
1'
les termes > , . . . représentent, pris isolément, des mouvements rec-
tilignes où l'espace est inversement proportionnel au temps écoulé à
p
partir d'une origine déterminée ; enfin, les termes — ' — -, .... représentent
t — A
des mouvements circulaires, transformés par inversion de mouvements
rectilignes uniformes. Si l'on prend le centre de gravité de tous les mo-
biles animés des mouvements en question, ce centre décrira I'unicursale
demandée.
Il est clair que les directions asymptotiques seront données :
1" Par celle de I'unicursale purement parabolique ■l>{t) ;
2° Par 1', y, ...
9. — Transformation des unicwsales. — Une unicursale peut être
considérée, au point de vue géométrique, comme une transformée de la
32 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
droite origine des inclinaisons, décrite par l'extrémité du paramètre t,
quand celui-ci varie de — go à -f- 20 .
Au lieu de l'origine des inclinaisons, on peut prendre une autre droite
quelconque, et supposer que l'extrémité du paramètre t décrit cette droite.
On a alors
.-M
Mais l'extrémité de la variable t décrivant une droite donnée, on a
aussi / - M/' -f N, en appelant / un paramètre réel. Donc
^ "~ ç(Mr + N) ^ cp,(0 '
Les degrés des fonctions entières t\, cpi seront respectivement les mêmes
que ceux des fonctions f, tp. Il suit de là que lorsqu'on suppose que Tex-
trémilé du paramètre t décrit une droite quelconque, au lieu de supposer
ce paramètre réel, on a toujours une unicursale, en général de même
degré.
11 y a plus ; s'il existe, entre les deux paramètres /, t' la relation
i^lt' _|_ jj^ _|_ cf -|- b = 0, et si nous supposons que l'extrémité de la va-
riable t décrive une droite, on sait que l'extrémité de /' décrit une cir-
ct' + D ^ .
conférence. Or, comme t = — —r-^, — , on aura encore une traction
kt -\- B
rationnelle en t' après la substitution, et, à moins d'exception, le degré
ne sera pas altéré. Donc, une unicursale étant donnée, si l'on suppose que
le paramètre, au lieu d'être réel, varie de telle sorte que son extrémité dé-
crive une circonférence, on aura encore une unicursale, en général de même
degî'é.
Il est d'ailleurs à peu près évident que si l'extrémité du paramètre t dé-
crit une courbe unicursale quelconque, l'équipollence z = représentera
o{t)
encore une unicursale (*).
f {t')
En effet, si l'on pose t = , le paramètre t' étant réel, on aura
z = f\-^—-r)'- ?(— *— r K ce qui donnera toujours une fonction rationnelle
en r.
iO. — Courbes bicursales. — On peut définir une unicursale une
courbe pour laquelle la variable z est donnée par l'équipollence
uz -f- v = 0,
(*) Je (lois cette intéressante remarque à M. Râteau, ingénieur des mines, qui assis/ait au Congrès
de Pau.
C.-A. LAISANT. — REMARQUES SUR LES COURBES UMCURSALES 33
u et V étant des fonctions entières d'un certain paramètre t, que l'on
suppose réel.
Si l'on considère, par extension, les courbes dont l'équipollence est
de la forme
uz'^ -f vz -f- w = 0,
u, V, w étant des fonctions entières du paramètre réel t, elles fourniront
une classe intéressante de courbes algébriques, dont la construction sera
relativement facile, puisqu'on aura chaque couple de valeurs de z répon-
dant à une valeur de t par une équipollencc du second degré. On peut
donner à ces courbes, par analogie, le nom de bicursales.
De même qu'on démontre très facilement que toutes les coniques sont
des unicursales, on établira, d'une façon analogue, que toutes les cubiques
sont des bicursales. Rappelons qu'il suffît, pour cela, de prendre l'origine
sur la courbe, et de poser - =t, ij eix étant les coordonnées cartésiennes
d'un point de la courbe.
On verrait comme ci-dessus qu'en supposant que l'extrémité du para-
mètre / décrive une droite ou une circonférence, au lieu de supposer ce
paramètre réel, on a encore une bicursale.
Un cas particulier intéressant est celui où la fonction v"' — 4u\v est le
carré parfait d'une fonction entière r. L'équipollence de la courbe peut,
en effet, s'écrire alors
(2uz -f. V — r) (2ux + V -)- r; = 0,
et Ton voit que la bicursale se décompose en ce cas en deux unicursales
que l'on peut étudier séparément.
H. — Le trifoliwn. — On pourrait appliquer à de nombreux exemples
les considérations qui précèdent, notamment en ce qui concerne les
cubiques et les quartiques. Pour nous borner, nous nous contenterons ici
d'ajouter quelques brèves remarques sur une courbe très intéressante, le
trifolium, qui a été étudiée par plusieurs auteurs, et surtout par MM. Bro-
card et de Longchamps, dans d'intéressants mémoires.
Le trifolium est une quartique unicursale à point triple, limitée de
toutes parts. Cette seule définition permet d'en trouver l'équipollence
générale z =: — -. H faut, en effet, que les fonctions /' et 9 ne surpassent
pas le 4« degré. L'équation f{t) — 0 doit avoir trois racines réelles ; appe_
lons-les a, b, c, et soit a la racine imaginaire, en supposant que /" atteigne
le 4« degré. L'équation -^(t) = 0 ne peut avoir aucune racine réelle, puis -
qu'il n'y a pas de branche infinie. Soient a', b', c', d' ses quatre racines.
3*
34 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
1 i « «,> sMrnassp ms le 4*^ degré, elles doivent être
Pour que la courbe ne sjrpasse pais le t e . , ^ ,
, . j «'^ct à riirp niip r' — ci a', d' "- Cl B . Eii resumc,
conjuguées deux a deux, c est-a-dire que c — tj a , u j
f{t) = L{t- a)it -b)(t- c){t - A),
<p(0 = M a - A')(< - CJA')(/ - B')(^ - CJB'),
(/_fl)(i-- 6)(; — c)(^ — Aj
et '■ = '' {t—x'){t — cjx')it — l^'){t — C]y^')
Par exemple, l'équation polaire
p = h cos (a + w) cos 2w,
donnée par M. de Longchamps pour le trifolium oblique, correspond, en
posant t = tg 03, à l'équipoUence
_ {t sin a — cos a) (t^ — i){ti + 1)
{t — COtg a)(^ — i)(^ -]-i)(t — i)
= ih sin a TjTZrrÏY
Elle rentre dans notre équipollence générale des trifoliums, en posant
a = COtg a, 6 = 1, c i^r — 1, A rz. i, a' = b' : i, K = Hl siu a.
Cette équipollence du trifolium oblique se simplifie, en supprimant le
facteur commun t — i, et en écrivant cotg a = k; elle devient alors
• ., . (t — k)it—]){t ^i)
^^"^^'^'"^ (t^ + m + h —
Les deux termes de la fraction rationnelle sont alors du 3'' degré
en / ; mais la courbe n'en est pas moins du 4« degré, parce que la racine
— i du dénominateur n"est pas accompagnée de sa conjuguée.
Dans l'équipoUence du trifolium général, aussi bien que dans celle du
trifolium oblique, nous pouvons, sans altérer la forme de la courbe, ne
pas tenir compte du coefficient constant, qui n'influe que sur la simili-
tude, et nous avons alors
^ (t — a)(t—b){t — c){t — A)
^ ^ ^ {t- A',)(t — Cj A') {t — n'){t - Cj B'j '
(1) z- jjrzfjy.
La direction de z = OZ est dans cette dernière courbe celle de t — i.
Par conséquent, les directions des trois tangentes à l'origine sont celles
C.-A. LAISANT. — REMARQUES SUR LES COURRES UNICURSALES 35
de 1 — i, — 1 — i\\ l -\- i, k — i. Dans le trifolium général, ce sont celles
de a — X, h — a, c — a.
Le trifolium régulier, qui a pour équation polaire p = cos 3aj, donne
l'équipollence
{t" + ir
1 1
Les valeurs de t qui annulent z sont x; , — ^ » -=, et il en résulte que
\/3 V^
les trois tangentes à l'origine ont pour directions l'origine des inclinai-
sons, et les droites 1 -|- ^V^» 1 — W^i c'est-à-dire trois droites également
inclinées les unes sur les autres.
Lorsque deux des racines a, h, c deviennent égales, l'une des trois
boucles du trifolium général disparaît, et on a alors un folium double.
L'équipollence (1) du trifolium général peut se simplifier, tout en con-
servant l'origine au point triple, par une transformation très simple,
consistant à écrire
(a — è)cO -\- a(b — c)
~ [a — 6)0 -f (6 — c) *
Il est évident qu'aux trois valeurs a, b, c données à t correspondent
respectivement pour 0 les valeurs 0, 1, x) , et il en résulte qu'à un fac-
teur constant près, que nous pouvons toujours supprimer comme plus
haut, l'équipollence (1 1 devient
6(0 — i)(0 — a)
(6 — a') (0 — cj a') ((i — R'j (6 — cj b')
Naturellement, les lettres a, a', r' ne représentent plus les mêmes élé-
ments que dans l'équipollence (1).
Les tangentes à l'origine sont alors dirigées suivant lorigine des incli-
naisons et les droites a et 1 — a.
Nous ne voulons pas pousser plus loin l'étude des propriétés de ces
courbes que nous avons simplement indiquées, en terminant, à titre
d'exemples.
36 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
M. Emile LEMOOE
Ancien Élève de l'École Polytechnique, à Paris.
LA GÉOMÉTROGRAPHIE OU L'ART DES CONSTRUCTIONS GÉOMÉTRIQUES
— Séance du 16 septembre 1892 —
INTRODUCTION
Le iiK^moire que nous présentons à la \^^ Section peut sembler, à pi-emière
vue, contenir une partie des résultats que nous avons déjà donnés en 1888 au
Congrès d'Oran; mais, dans les parties de sujet commun, il n'est ni la repro-
duction ni même le complément de ce mémoire; il le corrige, et cependant le
mémoire d'Oran est exact au point de vue que nous envisagions; en effet, nous
venions d'avoir l'idée générale de la mesure de la simplicité dans les sciences
mathématiques, raisonnements et constructions; nous y avions développé l'ap-
plication à l'évaluation de la simplicité des constructions faites avec la règle et le
compas, en partant des constructions séculairement classiques adoptées comme
constructions fondamentales et nous avions appliqué notre méthode à l'évalua-
tion de leur simplicité, afin que l'on puisse adopter les symboles de ces construc-
tions pour évaluer la simplicité des solutions d'un problème quelconque. Ce
but, nous l'avons rempli en ce qui concerne les solutions classiques examinées.
Nous étions loin de soupçonner que ces constructions fondamentales étaient
pour ainsi dire toutes à réformer et à réduire, même les plus simples, comme
celle de : mener par un point donné une parallèle à une droite donnée, de sorte
qu'il faut les reprendre pour donner une base réelle aux applications de notre
théorie; c'est cette étude que nous donnons aujourd'liui en y ajoutant la notion,
|)lus importante encore que celle de la simplicité, de rexactitude des r(jns-
tructions. Dans le mémoire d'Oran, quelques-unes des construction d'applica-
tion, comme, par exemple : mener la bissectrice d'un angle dont on ne peut
prolonger les côtés jusqu'au sommet, ne sont pas les plus simples, et ce sont les
plus simples que j"aui-ais dû rechercher, mais je n'étais pas encore habitué au
maniement de la méthode qui est beaucoup plus délicate à appliquer sans
erreur que /"ex^mne simplicité de son exposition ne peut le faire pressentir:
je prenais instinctivement pour types les constructions les plus simples à
exprimer comme étant les plus simples à tracer, sans avoir encore remarqué
qu"il n'y avait aucun rapport entre cette simplicité d'expression et la simplicité
réelle de l'exécution; en dehors de ces remarques, tout ce qu'il y a de général
dans le mémoire d'Oran reste exact et nous y renvoyons pour celles des géné-
ralités qui y sont exprimées et que nous n'aurions pas répétées ici.
É. LEMOI.NP:. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 37
EXPOSITION DE LA THÉORIE DE LA SLMPLICITÉ
ET DE L'EXACTITUDE
Une construction exécutée avec la règle et le compas ne comporte que
les opérations élémentaires suivantes :
Mettre le bord de la règle en coïncidence avec un point .op. : (Ri).
Tracer la ligne droite op. : (R2).
Mettre une pointe du compas en un point déterminé . . . op. : (CJ.
Mettre une pointe du compas en un point indéterminé d'une ligne. . .
op. : (CJ.
Tracer la circonférence op. : (C3).
(Op. : est l'abrégé du mot opération, i
Nous ne tenons pas compte de la longueur tracée des lignes.
Si l'on trace, par exemple, un petit arc ou le cercle entier, c'est tou-
jours C3 ; toujours R2 pour une portion quelconque de droite tracée.
Toute construction est donc finalement représent-^^e par :
Op. : /iRi + /.,R, + //iiCi + m.,C, + /«3C3.
Nous appelons coefficient de simplicité, ou plus brièvement Simplicité
de la construction, le nombre l^ -\- 1.^ -\- m^ -\- m^-\- m.^, et coefficient
d'exactitude, ou plus brièvement Exactitude de la construction, le nombre
U + "^1 + ^2-> parce que l'on voit facilement que, en réalité, l'exactitude
dépend des opérations préparatoires l^, m^, m.^ et non des opérations de
tracé; 1^ est le nombre de droites tracées, m.^ le nombre des cercles (*).
Pour abréger l'écriture, au lieu d'écrire : la circonférence qui a 0 pour
centre, et la longueur AB ou la longueur R pour rayon, nous écrirons :
0(ABj ou 0(Rj.
Nous ferons ici une remarque importante qui s'applique toutes les fois
que la notion générale de nombre intervient dans un problème de Géo-
métrographie, c'est que la question sort alors du domaine de la Géomé-
trographie pure et qu'il s'y mêle de l'arithmologie, comme on le verra
dans la suite de ce travail. Ainsi : Diviser une droite dans le rapport
de deux longueurs données est un problème de Géometrographie pure,
et : Diviser une droite dans le rapport de deux nombres m et n donnés
n'est point du tout dans le même cas ; il n'y a môme pas de méthode
générale purement graphique pour faire le plus simplement possible cette
(*> Nous n'avons pas été sans voir que la simplicité et lexuclilude d'une opération varient dans
le même sens que l'inverse des nombres que nous nommons : coefficient de simplicité et coefficient
d'exactitude; mais comme il n'y a aucune confusion possible et que ce ne sont que, des noms, nous
avons préféré des dénominations rappelant le but à atteindre à celles de coefficient de complication
et de coefficient d'inextictiliide plus logiques certainement.
38 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
division ; il faut étudier chaque cas particulier en ayant égard à la ques-
tion qui a fourni ces nombres. En pratique, on la ramène au cas des
longueurs en prenant sur une règle divisée des longueurs proportion-
nelles aux nombres donnés, et l'on doit faire le plus souvent ainsi, mais
en sachant bien que l'on sort de la Géométrogrophie pure qui n'autorise
l'usage que de la règle et du compas. Pour ramener la question à la
Géométrographie pure, il faudrait porter sur une ligne m -(- n fois une
longueur quelconque, etc., et cela éloignerait trop de la construction que
l'on fait pratiquement. Encore si porter m -{- n fois une longueur sur
une droite de façon à marquer les divisions m, et m -j- n est facile,
quoique long et peu pratique, il n'est nullement commode, peut-être
pas possible, d'indiquer le moyen de marquer ces divisions le plus sim-
plement possible par une méthode générale. La question revient au pro-
blème : Étant donnée une longueur, trouver une droite m fois plus longue.
Porter la longueur m fois à la suite d'elle-même sur une droite est une
solution, mais non la plus simple. En étudiant le problème, on est conduit
à une question d'arithmologie tout à fait analogue à la suivante, qui
semble fort difTicile : Combien faut-il effectuer de multiplications, au moins,
pour calculer A"", le nombre A étant donné?
La question de la multiplication de la droite par un nombre aurait,
du reste, à la rigueur, exigé un nouveau symbole pour représenter l'opé-
ration, qui consiste à fixer sur une hgne donnée la pointe d'un compas,
lorsque l'autre pointe est fixée; mais, à cause de la nature mixte des
problèmes où l'on en ferait usage et surtout parce que l'on s'éloignerait
trop de ce que l'on fait pratiquement, nous ne nous sommes pas arrêté
à cette considération.
Il est un point qui mérite aussi quelques mots d'explications, lesquelles
répondront à une objection que je m'étais faite à l'origine et qui doit
venir à l'esprit de ceux qui examinent notre méthode. Est-il légitime de
supposer identiques les opérations Cj, Cj, C3, Ri, R^, pour composer le
coefficient de simplicité et le coefficient d'exactitude? Non, évidemment,
s'il s'agissait dans la Géométrograjjhie d'une mesure absolue. Mais ce
n'est nullement le cas, et j'assimile ces opérations parce qu'elles sont
élémentaires, c'est-à-dire indécomposables en d'autres plus simples, et
que, spéculativement, elles ne sont ni plus simples ni moins simples les
tines que les autres. On peut ne pas faire cette assimilation du reste, en se
contentant du symbole complet. Le mot de mesure ne peut pas être exact
avec le sens habituel de ce mot qui s'applique à la comparaison d'une gran-
deur avec une unité de même nature; une construction n'est pas une gran-
deur et elle s'exécute au moyen d'opérations élémentaires irréductibles entre
elles. Si j'emploie l'expression mesure, c'est que je trouve qu'elle s'appliquç
mieux au but poursuivi que le mot général de comparaison.
)
É. LKMOIXE. LA GÉOMÉTROGRAPHIE 39
La rigueur absolue conduirait, dans beaucoup de cas, à rejeter toute
comparaison de simplicité relative de deux constructions. En effet, com-
ment apprécier rigoureusement si la construction 0C3 est plus ou moins
simple que 0OR2, puisque les unités C3 et R.^ sont par essence de nature
différente ; mais, en réfléchissant et aussi en pratiquant un peu la Géomé-
trographie, on reconnaîtra que les assimilations sont admissibles dans
l'ordre d'exactitude des tracés eux-mêmes; en effet, nous traçons des
lignes et la ligne n'a pas de dimensions, nous plaçons des points et le
point ne peut être marqué. En somme, notre méthode donne un critérium
spéculatif qui a des applications pratiques, et avant elle il n'en existait
pas. Ce que nous faisons n'est pas une mesure, c'est une comparaison
avec cinq unités distinctes : Rj, Rj, C^, Cj, C3, et l'on ne peut dire d'une
façon absolue que la construction A est plus simple que la construc-
tion R, que lorsque les coefficients de toutes les unités sont respecti-
vement plus petits dans A que dans R, cas très fréquent
APPLICATIONS
I. — Tracer une droite quelconque op. : (Rj).
IL — Tracer une droite par un point donné op. : (Rj -j- Rj).
IIL — Tracer une droite par deux points donnés. . . op. : ('2Ri -|- R^).
IV. — Tracer un cercle quelconque op. : (C3).
V. — Tracer un cercle quelconque dont le centime est donné, op. : (Ci-j-Cg).
VI. — Prendre avec le compas une longueur donnée AR . . op. : (2Ci),
car c'est mettre l'une des pointes en A, l'autre en R (*).
VIL — Porter sur une ligne donnée, à partir d'un point indéterminé de
cette ligne ou à partir d'un point déterminé, la longueur comprise entre
les branches du compas :
Op. : (C2 -f C3) ou op. : (C^ + C3).
(*) Il est clair que, pour mettre la première pointe en A, l'opération n'est pas la même que œlle faite
■en maintenant cette première pointe en A, et conduisant la seconde sur B, nous les désignons cepen-
dant toutes deux par G, ; nous ne croyons pas qu'il y ait un inconvénient à cela, parce que nous
ne faisons qu'une théorie idéale des opérations. Ainsi nous supposons, puisque nous ne nous occupons
pas de la question, que toutes les lignes de la figure se coupent dans les limites de l'épure, qu'il
est indifférent que ces lignes se coupent sous un angle très aigu, etc., de sorte qu'il nous paraît
fort suffisant de désigner par le symbole Ci l'opération générale qui consiste à mettre sur un point
une des pointes du compas; nous reviendrons sur ce sujet dans le cours de ce travail. Du reste, le
lecteur qui, après réllexion, ne partagerait pas notre avis, n'aurait qu'à désigner par C/ l'opération
qui consiste à mettre en un point donné la pointe mobile du compas, l'autre étant maintenue fixe.
De même, puisque nous appelons Rj l'opération qui consiste à mettre le bord de la règle en con-
tact avec un point, il est évident, à la façon dont elle s'exécute, que l'opération qui consiste à
mettre le bord de la règle en coïncidence avec deux points donnés, n'est pas exactement deux fois
l'opération R,, et Ion pourrait aussi désigner parR, -|- R/ l'opération qui consiste à faire passer le
bord; de la règle par deux points; mais si l'on pratique un peu la Géométrographie, je crois que
l'on arrivera, comme moi, à reconnaître que cette distinction serait une complication inutile.
Nous aurions pu peut-être aussi assimiler les opérations Ci et Cj et ne garder pour elles deux
qu'un même symbole Ci, mais nous ne l'avons pas fait parce que si théoriquement R, et R/ se con-
fondent effectivement. Ci et Cj sont théoriquement différents; Cj se présente du reste beaucoup plus
rarement que les autres symboles et en général avec un très petit coefficient.
40 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
VllI. — Porter une longueur donnée (à prendre avec le compas) sur une
ligne donnée à partir d'un point indéterminé de cette ligne ou à partir
d'un point déterminé de cette ligne :
Op. : (2Ci + C, 4- C3) ou op. : {SC, + C3).
Remarques. — Lorsqu'on a à porter n fois une même longueur M
sur une droite à la suite l'une de l'autre de A en B, de B en C, etc., la
construction doit être interprétée de deux façons et l'on choisira celle
qui convient au cas où l'on se trouve.
1° Les points de division intermédiaires ne doivent pas être marqués.
On prendra M entre les branches du compas (qui, dans la pratique,
sera alors à pointes sèches), op. : (âCJ ; on portera cette longueur de A
en B; on comptera : op. : (C^ -|- CJ ou op. : (2Ci) suivant que A sera
indéterminé sur la droite ou déterminé, et non: op. : (Cj-l-Cg) ou
op. : (Cl -|- C3), parce que, laissant une pointe en B, on passera en C
où l'on comptera : op. : (CJ ; puis laissant une pointe en C, on passera
en D en comptant : op. : (Cj, etc.; on aura enfin :
Op. : (« + 2)Ci + C, ou op. : (n + 3)Ci.
Nous résumons donc en op. : (Cj) les deux opérations (Cg -|~ ^i),
parce qu'elles se font ici d'un seul coup, mais ce n'est pas tout à fait l'opé-
ration (CJ telle que nous l'avons définie, l'assimilation nous paraît justi-
fiable eu égard à la question et elle évite la création d'un symbole spécial
à ce cas particulier;
2° On marque tous les points de division intermédiaires en reportant
chaque fois la pointe sèche au nouveau point marqué, etc. ; il n'y a rien
à dire de spécial et le symbole est :
Op. : [(n + 1)C, + C, + nCj ou op. : [[n + 2]C, + nC,].
IX. — Tracer un cercle quelconque passant par deux points X et B.
Je décris les deux circonférences A(AC), B(AC) de même rayon quel-
AB
conque, mais AC étant plus grand que -^; je trace C(AC)
op. : f3Ci + 3C3).
X. — Placer un point C à égale distance indéterminée de deux points
donnés A et B :
Op. : (2Ci + 2C3).
É. LEMOIXE. — LA GÉOMÉTROGRÀPHIE 41
XI. — Pa7' un point donné B sur une droite BC, tracer une seconde droite
qui fasse avec la première un angle égal à un angle donné DAE (*).
Je trace le cercle A(AE) de rayon quelconque qui coupe AD en D, AC
en E op. : (Cl 4- C3) ;
puis le cercle B(AE) qui coupe BC en F op. : (C^ -|- C3).
Je prends avec le compas la longueur DE, puis je trace le cercle F(DE).
op. : (3Ci + C3),
qui coupe B(AE) en H.
Je trace BH op. : f2Ri + R;).
Symbole de l'opération totale : op. : (2Ri -|- Rg -|- 5Ci -|- SCg); sim-
plicité 11; exactitude 7; 1 droite, 3 cercles (*'•';.
XII. — Connaissant les angles y-ef^ (dont j'appelle aussi a. et ^ les sommets)
d'un triangle, construira le tt^oisième y.
Je trace une droite quelconque AB op. : (R2).
Je trace d'un rayon quelconque R les trois circonférences a(Rj, p(R),
0(R), 0 étant un point quelconque de AB . . op. : (2Ci -|- C^ + 3C3);
soit B le point où 0(Rj coupe AB.
Je prends la longueur de la corde CD que a intercepte sur a(R) et je la
porte en E à partir de B sur OfR) op. : (SC^ -(- C3).
Je prends la longueur de la corde FG que p intercepte sur ri(R) et je
la porte en H à partir de E (dans le sens BEj sur 0(R). op. : (BCj -|- C3).
Je trace OH op. : (SRi + R^),
l'angle HOA, A étant sur AB de l'autre côté de 0 que B, est l'angle
cherché.
Op. : (2Ri + 2R., + 8C, + 6C3); simplicité 18; exactitude 10; 2 droites,
0 cercles (***j.
(*) Nous supposons toujours, dans nos conslruclions types, que la feuille sur laquelle on les exécute
ne contient que les données.
Ces données sont à part et Ion n'exécute pas la construction sur l'une d'elles, sauf quand cela
résulte de la question. Ainsi, si je veux construire une quatrième proportionnelle à trois lignes
données, je suppose que les trois longueurs sont à pnrl sur la feuille et qu'on ne fait pas la cons-
truction sur l'une d'elles. Si, au contraire, on cherche le centre de gravité d'un triangle donné, il est
clair que l'on opère sur le triangle, et il en est ainsi le plus souvent quand on applique notre
théorie à un problème déterminé ; les constructions types employées se simplifient alors en raison
des opérations qui se trouvent faites, que l'on n'a pas à compter par conséquent.
(**) Quand nous n'expliquons pas les constructions, ce sont les constructions classiques données de
tout temps dans les géométries; nous les avons prises alors dans le Traité de Géométrie de MM. Rouché
et DE COMBEROussE, Gi= édition.
(***! Je ferai remarquer ici que dans mon mémoire du Congrès d'Oran, 1S88, p. S-2, j'avais mala-
droitement dirigé cette construction à laquelle j'attribuais le symbole
op. : (4R, + 3R2 + IOC1 + 6C3) ;
en effet, j'avais tracé inutilement la droite que j'appelle ici OE et j'avais tracé en deux fois les
circonférences qui me donnaient l'angle BOE := a puis l'angle EOH = p, c'est-à-dire que j'avais fait
inutilement: op. : (2R1 -|- R2 + ^Cj). Une remarque analogue s'applique à plusieurs constructions
de ce même mémoire d'Oran et il n'est point étonnant qu'il en soit ainsi, car si la théorie de la
simplicité était faite, je ne savais pas encore l'appliquer. C'est pour cela, ainsi que je le dis
dans l'introduction, que je donne de nouveau les symboles des opérations fondamentales en les
l
42 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
XIII. — Construire un triangle connaissant un côté a et les deux angles
xoy, x'o'y' adjacents au côté a.
Je trace une droite BC et sur cette droite, à partir d'un point quel-
conque B, je prends BC = a op. : (B2 -f- 20^ + Cj + C3).
Je trace o(BC) o'(BC) C(BC) op. : (3Ci + SCg).
Sur o(BC) je prends la corde xij interceptée par l'angle xoy et je la
transporte à partir de C en C sur B(BC) qui a été tracée pour avoir C ;
je prends de même sur o'(BC) la corde x'xj' et je la transporte à partir
de BenB' sur C(BC) op. : (6C1 + -2C3).
Je joins CB', BC op. : (4R, + 2R,),
qui se coupent en A.
ABC est le triangle cherché.
En tout : op. : (4Ri -\- .SR^ + HC^ + C, + 6C3) ; simplicité 2o ; exac-
titude 16 ; 3 droites, 6 cercles.
Il est clair que si l'on fait la construction soit sur le côté donné, soit
en prenant l'un des angles donnés comme angle du triangle cherché, le
symbole de la construction sera plus simple.
Dans le premier cas, on n'aura pas besoin de prendre la longueur a,
ni de tracer une droite, ni de reporter a sur cette droite, et les cercles
tracés de 0, 0', C comme centres, le seront avec un rayon quelconque R,
mais il faudra tracer en plus B(R); le symbole sera donc :
Op. : (4R,-f2R, -^lOCi + eCa),
et, dans le second cas :
Op. : (2R, -h R. + 8C1 -f 4C3).
XIV. — Constt^uire un triangle ABC, connaissant le côté AB = c,
le côté AC = h et l'angle BAC = xoy.
Je trace une droite quelconque op. : (R^).
A partir d'un point A quelconque sur cette droite, je prends
AC = 6 op. : (2Ci + C, + C3).
simplifiant s'il y a lieu, et aussi parce que, étant loin de me douter alors que, à peu près toutes
les constructions fondamentales données depuis Eudide dans les Géométries élémentaires étaient
trop compliquées; quelquefois un peu, quelquefois de moitié; cette répétition apparente me permet
de donner des constructions plus simples qui doivent devenir logiquement les constructions clas-
siques. Il est étonnant que des questions didactiques aussi simples, placées au commencement de la
Géométrie, étaient insuffisamment étudiées après tant de générations; aussi lorsque le hasard me
conduisit à faire cette remarque, je fus très surpris, mais je me l'expliquai, parce que les géomètres,
n'ayant pas de critérium à ce sujet, ne se sont occupés que de la simplicité de l'expression, de la
liaison évidente d'un théorème avec une construction qu'ils indiquaient sans qu'ils aient systémati-
quement porté leur attention sur la partie pratique de l'exécution, et sur les conditions raisonnées
de sa simplicité.
Par exemple, dans un énoncé : joindre les pôles de deux droites, est aussi rapide à dire et forme
une phrase aussi simple que -.joindre un point donné au sommet d'un angle, et, le compas à la
main, c'est fort différent, puisqu'il faut d'abord construire les pôles, etc.
É. LEMOINE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 43
Je trace o(AC) op. : (Ci + C3).
Je prends xy et je trace C{xy) qui coupe A(AC) en B'. . op. : (3Ci -f C,) ;
je trace AB' op. ; (2Bi-f-R»)-
Je prends la longueur c que je porte en AB sur AB'. . op. : (3Ci + C3) ;
je trace CB op. : (âBj + B,).
Symbole : op. : (4B, + 3R, + 9C, + C. + iCs); simplicité 21; exac-
titude 14; 3 droites, 4 cercles,
XV. — Construire un triangle connaissant deux côtés a, et h et V angle B
opposé à l'un d'eux.
On trouve pour les deux solutions, quand la solution est possible :
Op. : (6R, + 4R, + 9Gi + C, + 4C3) ; simplicité 24 ; exactitude 16 ;
4 droites, 4 cercles.
XVI. — Construire un triangle connaissant les trois côtés.
On trouve : op. : (4Ri + 3R, -f- 8C1 + C, + 3C3); simplicité 19; exac-
titude 12; 3 droites et 3 cercles.
XVII. — Par un point A pris hoi's d'une droite BC, mener une parallèle
à cette droite.
La méthode classique donne :
Op. : (2Ri + Bj + oCi -j- 3C^); simplicité H; exactitude 7; 1 droite,
3 cercles (*).
Mais en voici deux qui donnent des résultats plus simples et qui m'ont
été indiquées par M. Tarry (Gaston) :
1° Par A je fais passer un cercle coupant BC en B et en C
op. : (Cl +C3).
Je prends BA et je trace le cercle CfBA) qui coupe le premier cercle
en D et je joins AD op. : rSRi -f R^ + 3Ci + 3C3).
Symbole : op. : (2Ri + R,, + 4Ci +2C3) ; simplicité 9 ; exactitude 6 ;
1 droite, 2 cercles.
2° Je construis un losange ABCD :
Op. : (2Ri 4- 2R2 + 3Ci -f 3C3) ; simplicité 9 ; exactitude S ; 1 droite,
3 cercles.
(•) Je profite de l'occasion pour faire une remarque ne se rapportant d'ailleurs pas directement
à notre sujet. On sait que la construction s'opère ainsi : on décrit un cercle C(CB), un cercle B(CB),
un cercle B(AC) qui coupe C(CB) en deux points D et D'; CD est parallèle à AB. .l'ai cherché le
lieu de D' quand le rayon varie. On trouve immédiatement qu'il a pour équation : ? = . C étant
le pôle, CD l'axe polaire, l la distance de C à AB,
sm —
2
44 MATHÉMATIUUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Remarque. — Ces simplifications sont importantes à cause de la fré-
quence de cette construction dans les épures.
3" Cas oii la droite BC, non tracée, est donnée par deux points B et C.
Je prends BC, je trace A(BC) op. : (3Ci + C,).
Je prends AB, je trace CfAB) op. : (3Ci + C,).
Ces deux cercles se coupent en D, je trace AD . . . op. : (2Ri -f Rj.
Symbole : op. : {tK, -\- R., + 6Ci + 2Cjj ; simplicité il ; exactitude 8;
1 droite, 2 cercles.
XVIII. — Tracer une perpendiculaire en son milieu à une droite limitée
par deux points ou placer le milieu d'une longueur donnée .
Symbole : op. : (2R, + R, + ^Ci + 2C,) ; simplicité 7 ; exactitude 4;
1 droite, 2 cercles.
XVIIF'^ — Placer le point symétrique A' d'un point A par rapport à une
droite donnée BC.
De deux points quelconques B, C, de BC, je décris les cercles B(BA)
C(CA) qui se coupent en A' :
Op. : {iC^ -\- 2C., + 2C3):, simplicité 6; exactitude 4; 2 cercles.
On peut aussi décrire A(R) qui coupe BC en B et en C ; décrire B(AB),
C(AB) qui se coupent en A' :
Op. : (3Ci + 3C3) ; simplicité 6 ; exactitude 3; 3 cercles.
Si la droite BC non tracée était donnée par deux points B et C, le sym-
bole serait :
Op. : (4C, + 2C3).
XIX. — D'écrire un cercle sur une droite donnée AB comme diamètre.
On prend le milieu 0 de AB. . . . op. : (i2Ri + R, + 20^ + 2C3).
On prend la longueur OA, puis on décrit 0(0A). . op. : (2Ci + C3).
Symbole : op. : (2Ri -j- Rjj + 4Ci -j- SCj) ; simplicité 10 ; exactitude 6;
1 droite, 3 cercles.
XX. — Tracer par un point C une perpendiculaire à une droite AB.
1° Le point C est hors de la droite.
Méthode classique.
a) Symbole : op. : (2Rj + R., + SC^ -j- 3C3) ; simplicité 9; exacti-
tude o; 1 droite, 3 cercles.
É. LEMOINE. — LA GKOMÉTROGRAPHIE 45
Autre méthode.
b) B étant un point quelconque de AB je décris B(BCj qui coupe AB
en A op. : (C, + Cl +C3).
Je prends AC et je décris A(AC) qui coupe B(BC) en C, je trace CC .
op. : (2R, + R, + 2C, + C,).
Symbole total : op. : m, + R^ + 3C, + C, +2C3;; simplicité 9;
exactitude 6 ; 1 droite, 2 cercles.
2° Le point C est sur AB.
Méthode classique.
a) Même symbole et mêmes opérations élémentaires que si C est hors
de la droite; la méthode suivante est un peu plus simple.
b) Je place une pointe en un point arbitraire quelconque 0 hors de
AB; je place l'autre pointe en C et je décris la circonférence 0(0C) qui
coupe aussi AB en A ; je trace AO qui coupe 0(0C; qw C .
op. : r-2Rj + R, 4- C, + C3).
Je trace ce op. : (2R, -[- R,;.
Symbole : op. : (4R, + 2R2 -{- Ci + C3); simplicité 8; exactitude o;
2 droites, 1 cercle.
Remarque. — Cette méthode h que l'on donne classiquement pour le
cas où la droite AB ne peut être prolongée au delà de A est plus simple
que la méthode a générale classique donnée lorsque C est quelconque
sur AB ; b doit donc être toujours employée et il n'y a pas à séparer le
cas où C tombe en A, A étant l'extrémité de AB lorsque cette position
est imposée par les dimensions de l'épure.
Si l'on veut élever une perpendiculaire quelconque à AB, on a alors :
Symbole : op. : (4Ri -f- 2R2 + Cj; simplicité 7; exactitude 4;
2 droites, 1 cercle.
On peut aussi, par A et R, points quelconques de AB, tracer deux
cercles quelconques; ils se coupent suivant une perpendiculaire à AB.
Op. : (2Ri -f- R, + 2C, + 2C3) ; simplicité 7 ; exactitude 4 ; 1 droite,
2 cercles.
Si l'on veut élever une pei^pendiculaire quelconque à une droite (non
tracée) donnée par deux points A et B, on décrit A (Rj, B (R'i ; R et R' étant
quelconques, l'intersection de ces deux cercles résout la question.
Op. : (2Ri + R, + 2Ci +2C3J ; simplicité 7; exactitude 4; 1 droite,
2 cercles.
Abaisser d'un point C extérieur à une droite (non tracée) donnée par
deux points A et B, une perpendiculaire sur sa direction.
On mène A(ACj, B(BC) l'intersection de ces deux cercles est la per-
pendiculaire cherchée.
46 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Op. : (2Ri + R2 + iCi + 2C3) ; simplicité 9 ; exactitude 6 ; 1 droite,.
2 cercles.
Remarque I. — Si l'on veut mener la perpendiculaire en A à une droite
AR non tracée et donnée par deux points A et R, il faut faire ainsi :
Tracer R(R), A(R) d'un même rayon R quelconque se coupant en C,
puis C(R) passant en A et R, tracer RC qui coupe C(R) en C et tracer
AC.
Op. : (4R^ -|- 2R2 + 3Ci + 3C3) ; simplicité 12 ; exactitude?; 2 droites,.
3 cercles.
Il est assez curieux de remarquer que lorsque la droite est donnée par
deux points A et R, il est plus simple de lui mener une perpendiculaire
par un point quelconque que par l'un des points donnés.
Remarque IL — Lorsque, dans une construction, on aura à élever des
perpendiculaires en n points A, R, C, D... donnés de droites données
L, M, N, P. . . il y a avantag-e, si n > S, à opérer ainsi :
Je mène une première perpendiculaire en A à M par une opération dont
la simplicité est 8 (voir XX, 9." b).
Je décris de tous les points donnés comme centres des circonférences
de même rayon ; simplicité 2n.
Je prends sur la circonférence tracée en A la corde du quadrant ; sim-
plicité 2.
Je la reporte sur toutes les autres circonférences et, par leur moyen, je
trace les perpendiculaires; simplicité 5 (n — 1).
Donc elles seront tracées par une opération de simplicité 5 + 7w, au
lieu de Sn que donnerait la construction générale. 11 y aura donc avan-
tage à la prendre si :
5 + 7n < 8« ou o < n.
XXI. — Décrire une circonférence passant par trois points donnés.
Op. : (4Ri -f 2R2 + SCi + 4C3) ; simplicité 15 ; exactitude 9; 2 droites,
4 cercles.
XXII. — Diviser un angle donné en deux parties égales.
Op. : (2Ri + R2 + 3Ci + 3C3); simplicité 9 ; exactitude 5 ; 4 droites,
3 cercles.
Si l'angle donné RÂC est déterminé par son sommet A et par deux
points R et C appartenant chacun à l'un des côtés de l'angle à diviser, le
symbole de la construction se trouverait augmenté du tracé des deux
droites AR, AC ; mais on peut économiser quelque chose et n'en tracer
qu'une en opérant comme il suit :
É. LEMOLNE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 47
Je trace AB op. : (2Ri -|- R^).
Je décris A(AC) qui coupe AB en C dans le sens AB. . .op. : (2Ci -f- C3).
Puis je décris C(AC), C'(AC) qui se coupent en D, et je trace AD. . .
op. :(2R, + R, + 2Ci + 2C3J.
AD est la bissectrice de l'angle BAC.
En tout : op. : (4Ri + 2R, + 40^ + 3C3) ; simplicité 13; exactitude 8;
2 droites, 3 cercles.
XXIII. — Divise?- un arc donné en deux parties égales.
Op. : (2Ri + R, + 2Ci + 2C3) ; simplicité 7 ; exactitude 4 ; 1 droite,
2 cercles.
Quand nous donnons un cercle ou un arc de cercle, nous supposons
toujours, comme dans cette construction, que le centre en est placé, s'il ne
l'était pas on le placerait par la construction dont le symbole est ... .
op. : (4R, + 2R, + 3C, + 3C3 )
sur la réalisation de laquelle il n'y a pas besoin d'insister.
XXIV. — Tracer la bissectrice de Vangle formé par deux droites AB, CD,
qu'on ne peut pas prolonger jusqu'à leur point d'intersection X (*;.
D'un point A quelconque de AB, je trace (R étant quelconque) A(R)
qui coupe CD en C et AB en B ; je trace C(R) qui coupe CD en D
op. : fCi + C, + 2C3I.
B et D étant tous deux du même côté de AC.
Je trace B(R) qui coupe C(R) en J, D(R) qui coupe A(R) en I
op. : (2C1+2C3)
Je trace AJ, CI op. : r4Ri + 2Rj.
Ces deux droites se coupent en M, point de la bissectrice cherchée.
Je trace un cercle quelconque M(R'; qui coupe AB en H, CD en G. . .
op. : (Cl + C3).
G et H étant les points d'intersection tels que GX = HX.
Je prends un point quelconque M' à égale distance de G et de H ; je
trace MM' op. : (2Ri + R, + 2C, + 2C3).
Op. : 6R1 + 3R, + 6Ci + C, + 7C,) ; simplicité 23; exactitude 13;
3 droites, 7 cercles.
11 y a un grand nombre de solutions simples du même problème qui
peuvent être utiles; mais je ne donne que celle-ci, qui est la plus simple
que j'aie trouvée, afin de ne pas développer outre mesure notre mémoire.
Cette observation s'applique à beaucoup d'autres problèmes traités ici.
(*) J'ai donné dans le mémoire d'Oran déjà cité, une solution de ce problème beaucoup plus
compliquée graphiquement ; je n'avais pas encore l'esprit exercé a chercher les simplifications gra-
phiques pour elles-mêmes, ainsi que je l'ai déjà dit.
48 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE. GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
M est soit le centre du cercle inscrit au triangle AGX, soit celui du cercle
ex-inscrit au même triangle tangent au côté AG, suivant que D et B sont
d'un côté ou d'un autre de AG (qu'il ne faut pas tracer). J'aurais pu
continuer la construction en cherchant le centre y. de celui des deux
cercles tangents qui n'est pas M; mais la construction eût été un peu plus
compliquée, ainsi qu'il est facile de le voir.
XXV. — Tracer par un point A pris sur une circonférence de centre 0
une tangente à la circonférence.
La solution classique est un peu trop compliquée, elle donne :
Op. : (6Ri -f- 3R2 -f- G, + C3); simpHcité 11; exactitude 7; 3 droites,
1 cercle.
En voici une préférable :
Je trace A(AO) qui coupe OiOA) en B, je trace B(BA) qui coupe A(AO)
en G, je trace G(CA) qui coupe B(BAj en D, je trace AD.
Op. : (2R, -f- Rj + 4G, + 3G,,); simplicité 10; exactitude 6; 1 droite,
3 cercles.
XXVI. — Tracer d'un point extérieur A les deux tangentes à un cercle
donné de centre 0 (*i.
1° Je trace un diamètre quelconque GOD op. : (Ri -(-f'-i*-
Je prends OA et je décris G(OA), D(OA) se coupant en E, op. : (iGj -j- 2G3).
Je prends EO et je décris A(EO) qui coupe la circonférence donnée en G
et en H. op. : (3G, +G3).
Je trace AG, AH op. : (4Ri + m^).
Op. : (5Ri4-3R2 + 7Gi + 3G,5i; simplicité 18; exactitude 12; 3 droites,
3 cercles.
2° Je trace la sécante quelconque ABG (B entre A et G); je trace
G(GA) op. : (R, -f- R, + ±C, + C3).
Sur BC je prends BD = GA, D étant de l'autre côté de B que G; je
trace D(GA) qui coupe G(GAj en K op. : (2Gi + 2C,).
Il est facile de voir que AK est la moyenne [proportionnelle entre AB
et AG . Je décris A(AK) qui coupe la circonférence donnée en I et I'; je
trace AI, AI' op. : (4R, + 2B, + 2Gi + G,,)
qui sont les tangentes cherchées.
Op. : (5R, 4-3R, + 6C, +4G3) ; simplicité 18; exactitude 11;
3 droites, 4 cercles.
(*) La solution claBsique qui consiste à décrire une circonfi'Tenee sur OA comme diamètre, etc.,
donne le symbole : op. : (8Ri r AR2 — ''•Ci t- 3C3). Dans mon mémoire d'uran, j'avais mis :
op. : (6K, -'- 3R; + iCj - 3C3). Seulement, j'avais oublié de compter la droite OA qu'il faut tracer.
Les deux solutions que je donne ici sont un peu plus simples que cette solution classique.
É. LEMOINE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 49
XX VII. — Inscrire un cercle dans un triangle donné ABC.
Qu'il s'agisse d'un cercle inscrit ou d'un cercle ex-inscrit, la mé-
thode classique par les bissectrices des angles du triangle conduit au
symbole :
Op. : (6Ri-j-3R, + IIC1 -l-lOCg); simplicité 30; exactitude 17;
3 droites, 10 cercles.
Si l'on voulait tracer les trois autres cercles tangents, on aurait en plus
à ajouter : op. : (12Ri -}- OR^ + l^Ci -|- I3C3). En tout, par conséquent :
Op.:(18Ri-{-9R,-f-27Ci + 23C3);
simplicité 77 ; exactitude 45 ; 18 droi-
tes, 23 cercles.
Voici une solution plus simple,
mais qui ne se présenterait certes
point à l'esprit si l'on ne dirigeait
point l'attention vers la recherche
systématique de la simplicité de la
construction (fîg. 1).
J'appelle P, Q, R les points de
contact du cercle inscrit sur BC, CA,
AB et 0 le centre de ce cercle.
Sur BA, dans le sens BA, je prends
AD = AC; sur B A, dans le sens BA,
je prends BE == BC op. : ( 4Ci + 2C3).
Je décris A(DEi qui coupe AB en R' (R' est dans le sens ABi, et AC
en Q' (Q' est dans le sens AC) op. : (3Ci -f C3) ;
il est évident que AR = AQ = '" ^ ~" ^ et que, par suite, R et Q sont
les milieux de AR' et de AQ'; 0 est donc le centre du cercle circonscrit
au triangle AQ'R'.
Je trace R'(DE) qui coupe A(DE) en deux points; en joignant ces
points, j'ai un lieu de 0 op. : (2Ri -f- R^ -j- ^ + C3I.
Je trace Q'(DEj qui coupe A(DE) en deux points; en joignant ces points,
j'ai un autre lieu de 0 op. : (2Ri -|- R^ -}- d -f- Cg).
Je décris 0(0R) qui est le cercle cherché op. : (2Ci-f-C3'i.
Op. : (4Ri H- 2R, + ilC^ -j- 6C3) ; simplicité 23; exactitude lo ;
2 droites, 6 cercles.
En appliquant la transformation continue (voir A. F., Congrès de Mar-
seille, 1891), on arrive immédiatement à la construction qu'il faudrait
faire pour tracer un cercle ex-inscrit ; elle a le même symbole que celle
du tracé du cercle ex-inscrit.
4*
oO MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Si l'on veut tracer les quatre cercles tangents, il vaut mieux commencer
par les trois cercles ex-inscrits et finir par le cercle inscrit en joignant
AO^,.BO,„ etc.
On a :
Op.: (I8R1 -f 9R., -f 26Ci + I3C3); simplicité 66; exactitude 44;
9 droites, 13 cercles.
XXYIII. — Construire sur une droite donnée AB un segment capable
d'un angle donné ECD.
La méthode classique, conduite sans lignes inutiles, donne :
Op. : (6R1 + 3R, + lOCi + 7C3) ; simplicité 26 ; exactitude 16 ;
3 droites, 7 cercles.
Voici une construction
plus simple (fig. 2) :
Je trace Ai ABj, B(AB)
qui se coupent en P et en Q
. . . op. : (3Ci + 2C3) .
Je trace C(AB) qui coupe
CD en D, CE en E; je
prends F sur C(AB) tel que
arc EF = arc ED . . . .
. . . op. : aCi-f^iCg).
.Je prends D sur A(AB)tel
que arc BI*D = arc DEF ;
je trace BD, PQ se coupant en 0; je trace 0(0A)
op.: (iR^-f2R, + oCi + 2C3,
et l'on a le segment cherché :
Op. : (4Ri + 2R., + llCi + 6C3) ; simplicité 23; exactitude 15;
2 droites, 6 cercles.
XXIX. — Construire les tangentes communes à deux circonférences
données 0 et 0'.
PREMIÈRE MÉTHODE
Premier cas. — Les deux circonférences sont extérieures (*j, il y a
quatre tangentes communes; soit 0 la plus grande des deux circonfé-
rences.
Fig. 2.
(*) Pour éviter les erreurs et faciliter la formation du symbole d'une opération, j'écris ordinaire-
ment, de la façon dont je le fais dans cette première méthode, les symboles des opérations com-
posantes.
É. LEMOINE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE
51
Je trace 00'
00' coupe la circonférence 0 en A et la
circonférence 0' en A', A et A' étant entre les
points 0 et 0'. Je prends A'O' que je porte de
part et d'autre de A en B' et B", B' étant
porté vers le sens AO
Je trace 0(OB'j, 0(0B")
Je prends le milieu (o de 00'
Je décris (o(coO) qui coupe O(OB') en I et J
et 0(OB")en Ii et J,
01 et OJ coupent 0(0A i en 1' et J' . . . .
OIi etOJj coupent 0(0A) enl'i et J', . . . .
Je trace les perpendiculaires à 01' et à 01,'
menées respectivement par 1' et par l'i ; elles
coupent 00' en V et Vj
Je trace VJ', V^j;
Ri
R,
c,
c.
c.
2
1
3
1
4
2
1
2
2
2
1
4
"2
\
9
8
i
2
2
24
2
1^2
13
8
Op. : (24Ri + 12R, + 13Ci + 8C3) ; simplicité 37; exactitude 37;
12 droites, 8 cercles.
Si l'on n'a à tracer que les deux tangentes communes extérieures ou les
deux intérieures, on aura seulement :
Op.: {12Ri + 6R2+ lOC, + 6C3) ; simplicité 34; exactitude 22;
6 droites, 6 cercles.
Deuxième cas. — Los circonférences se coupent; il n'y a que les deux
tangentes extérieures.
On trouve :
Op. : (14Ri -1- 7R2 -f lOCi + 'JCg,) ; simplicité 37; exactitude 24;
7 droites, 6 cercles.
Troisième cas. — Les circonférences se touchent extérieurement.
On trouve :
Op. : (I6R1 -f 8R, + 12c, -f 8C3) : simplicité 44 ; exactitude 28 ;
8 droites, 8 cercles.
Remarquons qu'il faut placer B" en même temps que l'on place B' parce
que B' et B" serviront alors pour mener la perpendiculaire en AetOA qui
est une des tangentes.
Quatrième cas. — Les circonférences se touchent intérieurement.
On trace 00' et l'on mène en A la perpendiculaire à OA :
52 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Op. : (6Ri + 3R, + C, -f ^'2); simplicité il ; exactitude 7 ; 3 droites,
1 cercle.
DEUXIÈME MÉTHODE
Premier cas. — Les deux circonférences sont extérieures l'une à l'autre
(fig. 3).
FiG. 3.
Je trace 00' op. : (2Ri + R^).
Aux notations de la première méthode, j'ajoute celles-ci :
J'appelle Aj et A'^ les seconds points d'intersection de 00' avec les deux
circonférences 0 et 0'.
Je prends sur le cercle 0 les points a et aj tels que AO = Aa = A^a^ .
op. : ("2Ci + C3).
a et «j sont placés de part et d'autre de 00'; je prends sur le cercle 0'
un point a' du même côté de 00' que a et tel que A',0':= A[a'; je trace aa'
qui coupe 00' en V et ol^o.' qui coupe 00' en Vj
op. :(4R, + 2R, + 2C, + C3).
Il me suffit maintenant de mener de V et de V^ les tangentes soit à 0,
soit à 0' au moyen de l'une des deux solutions indiquées par la cons-
truction XXVI, et de remarquer qu'il faut en diminuer les symboles de
op. : (Ri -\- Rj), puisque nous pouvons nous servir dans la première,
comme diamètre quelconque du diamètre 00' déjà tracé, et dans la seconde
également de 00' comme de la sécante quelconque qu'il faut mener ; en
adoptant la première construction, on a :
Op. : (liRi + 'îRa + I8C1 + 8C3); simplicité 48; exactitude 32;
7 droites, 8 cercles.
En adoptant la seconde :
Op. : (14Ri + 7R, 4- I6C1 + IOC3) ; simplicité 48; exactitude 30;
7 droites, 10 cercles.
É. LEMOINE, — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 53
Si l'on n'a à tracer que deux tangentes communes, soit extérieures, soit
intérieures, on aura seulement :
Op. : (8Ri + 4R, -f- llCi + SC3J ; simplicité 28; exactitude 19;
4 droites, o cercles.
Deuxième cas. — Les circonférences se coupent.
En employant la première construction du n° XXVI, on trouve :
Op. : (8Ri + 4R2 + llCi + 5C3) ; simplicité 28 ; exactitude 19 ;
4 droites, 5 cercles.
En employant la deuxième construction, on trouve :
Op. : (8R1 + 4R, + lOCi H- 6C3) ; simplicité 28 ; exactitude 18 ;
4 droites, 6 cercles.
Troisième cas. — Les circonférences se touchent extérieurement.
En employant la première construction :
Op. : (14Ri + 7R, + 13Ci + TCg) ; simplicité il ; exactitude 27 ;
" droites, 7 cercles.
En employant la deuxième construction :
Op. : (14Ri + 7R, 4- 12Ci -f 8C3) ; simplicité 41; exactitude 26;
7 droites, 8 cercles.
Quatrième cas. — Les deux circonférences se touchent intérieurement,
comme dans la première méthode.
XXX. — Construire une droite CD qui soit n fois une longueur donnée AB':
1° sans marquer les divisions intermédiaires; 2° en marquant les divisions.
En se reportant à VIII, on trouve :
i" Op. : [R, + (n + 2)C, + Cj.
2° Op. : [R, + (n + ijC, + C, -f nC,].
Pour certaines valeurs de n, on peut avoir des constructions particuUères
plus simples.
XXXI. — Construire une droite CD qui soit la n'"« partie d'une droite
donnée AB.
Je trace deux droites quelconques OH, OL op. : (2R2).
Je porte AB en OH op. : (3Ci -f C3).
Sur OL je prends la longueur OL égale à w fois une ouverture de compas
quelconque et j'en marque les deux dernières divisions K et L . . . .
op. : (2Ci + nCg).
54 MATUKMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Par K je mène une parallèle à LH (sans tracer LHj
op.: (2R, 4- R, + 6C. + 2C3)
qui coupe OH en G; GH est la longueur cherchée.
Op. : [m, + 3R, + llCi + (n + SjCa].
Simplicité 19 +n; exactitude w -|- 10 (les C3 de OL comptent évidem-
ment ici, sauf l'avant-dernier, pour estimer l'exactitude); 3 droites, (n -|- 3j
cercles .
Remarque. — Pour certaines valeurs de n: 2,3, 4, 2p, etc. par exemple,
on peut trouver des constructions particulières plus simples.
XXXII. — Divise?' une droite AR en p parties proportionnelles à des
droites données Uj, n.^, ... n .
Je mène par R une droite RX op. : (Rj + R^) ;
Je prends sur RX, RXj = n^\ NjxN^ = n.^, . . . N ,N = w . . .
op. : [^(3Ci + C3)].
Je trace AN^ op.: (2Ri + R.,).
En chacun des points N ,, iN„_^, . . . Xj, je fais avec N R des angles
égauxà RNpA, op.: [2(;j — 1)R, + (jo — 1)R,+ (2p-f l)C, + (2/) — IjC^J.
Op. : [(ip + l)Ri + <> + 1,)R. + i5p + IjCi + (3yj - ijCj; simpli-
cité lljo -f 2' exactitude 7j9 + 2; (j? + 1) droites, (3jj — Ij cercles.
Remarque. — Si les parties n,, w^, ... n étaient trop petites ou trop
grandes pour être employées directement, on les rendrait toutes À fois
plus grandes ou 1 fois plus petites, ce que nous savons faire par les opéra-
tions XXX ou XXXI, et l'on calculerait facilement le symbole, lequel serait
alors plus compliqué.
Si plusieurs des parties Wj, w^, ... n ^ sont égales sans qu'elles le soient
toutes, et que l'on ait plusieurs compas (*), le symbole général se sim-
plifie.
(*) Nous supposons toujours, si Ton ne prévient du contraire, que l'on ne se sert que d'un seul
compas ; mais il y a des opérations où il est avantageux d'en avoir plusieurs ; cela arrive si, ayant
pris avec le compas une certaine longueur, on a encore besoin de celte même longueur dans la suite
de la co nstruction après avoir été obligé de déranger l'ouverture du compas pour prendre une autre
longueur; chaque fois que l'on n'est pas obligé de faire ce changement d'ouverture, on gagne :
op. : (2C1) . Remarquons encore que si la construction se déduit du raisonnement géométrique, l'ordre
des constructions n'a pas besoin de suivre l'ordre de ce raisonnement. Ainsi, si le raisonnement
montre à diverses parties de son développement, que l'on a à construire plusieurs cercles de même
rayon dont les centres sont déjà fixés lorsque l'on construit le premier, il faudra évidemment les
décrire tous pendant que l'on a ce rayon dans l'ouverture du compas, etc. ; aussi est-il nécessaire,
pour toute construction faite avec soin, de l'étudier à l'avance dans son ensemble, d'en faire l'étude
par une sorte de croquis raisonné pour arriver le plus simplement possible au résultat cherché ; il y
a un or< véritable des constructions géométriques dont on ne s'est jamais systématiquement préoc-
cupé ; le géomètre, comme je l'ai di'jàfait remarquer, dit aussi simplement: « Je prends la polaire de A
par rap port au cercle 0 » qu'il dit : « Je joins les deux points A et B » et la chose exécutée est
bien différente. Le géomètre cherche la simplicité delà plirase, de la déduction, de l'idée , si l'énoncé
de la conslruction qu'il indique est simple, il dit : « La construction est simple » ; c'est de cette sim-
plicité d ont on s'est exclusivement occupé jusqu'ici. L'art de la conslruction géométrique ou Géométro-
graphie se place à un tout autre point de vue.
E. LEMOINE.
LA GEOMETROGRAPHIE
00
XXXIII. — Construire la quatrième proportionnelle X à trois droites
N . P
données 31, N, P : X = -— -- >
M
ou : Diviser une longueur P proportionnellement à deux longueurs données
M et N.
Voici la construction classique :
a) Je trace deux droites qui se coupent en A op.: (2Rj).
Sur un des côtés et dans le même sens, je prends AB = M; AD = N;
puis sur l'autre côté AC ^ P op.: (9C1 + 3C3).
Puis, par D une parallèle à BC, je mène cette parallèle (sans tracer BCj
par l'opération op.: (2Ri -1- Rj -)- 6C1 -f- SCjj.
J'ai ainsi :
Op.: (2Ri 4- 3R, + 13Ci -f- 0C3) ; simplicité 2o; exactitude 17;
3 droites, 5 cercles.
Remarquons même que si j'avais tiré BC, comme l'indiquent toutes
les constructions classiques, j'aurais eu le symbole un peu plus compli-
qué (quoique en employant la méthode simplifiée, voir XVII, pour mener
par un point D une parallèle à une droite BC) suivant :
Op. : (4Ri -f- 4R5i -f l'^Ci -j- ^Cj! ; simplicité 26; exactitude 17;
4 droites, 5 cercles.
Mais il y a d'autres constructions quHl faut employer de préférence parce
qu'elles sont plus simples.
°/
:^"
b) Je trace (fig. 4) une
droite quelconque
. ^ op. : (R,).
Je prends sur cette droite
RA=:N; RB = P . . . .
. .op.:(5Ci+C, + 2C3J.
Je construis un cercle pas-
sant par les points A et B ;
je construis R(M) qui coupe
en C le cercle passant par A
et B op.: (6C, + 4G3).
.Je trace la droite RCD (D sur le cercle passant par A et B)
op.: (2Ri+R,).
Op.: (2Ri -|- 2R, + IIC^ -f C, -j- 6C3); simplicité 22; exactitude 14;
2 droites, 6 cercles.
c) Je trace (fig. S) une circonférence d'un rayon plus grand que la moitié
de la plus grande des trois lignes M, N, P op.: (Cj).
Je prends à partir d'un poiat quelconque R de cette circonférence des
Fig. 4.
/
/
/ /
— -— Vb
-;'^"
36 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCAMQUE
cordes RA , RB, RC égales respectivement à N, P, M, op . : (8Ci + C^ + SCg).
A et B étant de part et d'autre de R, je trace AB . op. : (2Ri -f- R^).
Je prends sur la circonférence passant
par A, B, C AE = BC, E et C étant du
même côté de AB. . . op. : (8Ci -|- C3).
Je trace RE qui coupe AB en H . . .
op. : (2R, + R,).
RH est X, car les deux triangles ARH,
CRB sont semblables, etc.
Op. : (4Ri + 2R, + HC, + C, + 5C3);
F,g g, simplicité 23; exactitude 16; 2 droites,
5 cercles.
Les constructions que nous indiquons dans tout ce travail sont géné-
rales, à moins que nous n'avertissions du contraire, c'est-à-dire qu'elles
peuvent toujours s'appliquer avec n'importe quelles données, et cela est
indispensable pour l'étude générale de la simplicité d'une question donnée,
puisque ce sont des constructions fondamentales d'où l'on part pour éta-
blir le symbole d'une construction à efTectuer. Ainsi, par les constructions
N . V
a, h, c, quels que soient M, N, P, la quatrième proportionnelle peut
se construire. Il y a quelquefois des constructions plus simples que celles
que nous venons de donner, mais alors elles ne sont pas générales; par
N . P
exemple, pour tracer la quatrième proportionnelle ? on peut opérer
ainsi lorsque "S et P sont plus petits que 2M (voir Journal de Vuibert,
1881-82, p. 58).
d) Je trace d'un point quelconque 0 le cercle 0(M); d'un point quel-
conque R du cercle, je trace R(N) qui coupe 0(M) en A
« op.: (4C, + C, + 2C3).
Je trace A(P) qui coupe 0(M) en B (R, A, B étant dans le même sens);
je trace B(P) qui coupe R(N) en A et en A'.
AA' est la quatrième proportionnelle cherchée. . .op.: (5Ci -|- 2Cj).
Op.: (8C1 -f- C2 -|- 4C3); simplicité 13; exactitude 9; 4 cercles.
Il y en a beaucoup d'autres du même genre (voir, par exemple. Journal
de Vuibert, 1881-82 p. 59j. Cette dernière est aussi indiquée dans Ma-
thesis, 1892, p. I08, mais sans que l'on y ait fait observer son défaut de
généralité.
Il est, du reste, fort intéressant de connaître les principales constructions
non générales des problèmes fondamentaux de la construction, parce
qu'on doit les appliquer à l'occasion, et aussi de connaître les solutions
générales moins simples que celles que nous donnons ici, parce que,
quand certaines lignes sont déjà tracées sur la figure, elles peuvent
É. LEMOINE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 57
devenir les plus simples; mais avant de les accepter pour établir le
symbole d'une construction, il faut : pour les premières, examiner si les
conditions restrictives qu'elles exigent sont remplies; pour les secondes,
si leur emploi simplifie effectivement la construction.
XXXIV. — Construire la troisième proportionnelle X :=
M
Si, dans les constructions du problème XXXIII, on suppose N = P, on
aura la construction cherchée.
La construction a) donnera . . . .op.: (4Ri -{- iR^ + lOCj + 4C3);
b) .) . . op. : (2R, + 2R, + OC^ + C, + 6C3),
par une modification facile, en remplaçant le cercle passant en A et
en R par un cercle tangent çn A à RA, puisque A et R se confondent.
c) donnera op : (iR^ + 2R, + oCi + C, + SC.,).
Il suffira de prendre sur le cercle tracé au commencement de la cons-
truction, corde RA = corde RR = N , A et R étant pris de part et d'autre
de R, de prendre corde RC = M, de tracer RC qui coupera AR en H,
RH est la longueur cherchée (*).
d) Construction non généi^ale puisqu'elle exige 2N -< M ; on trouve . .
op. : (6C, + C, + 4C3J.
La plus simple construction générale que je connaisse de la troisième
proportionnelle X = — , dérivée de XXXIII, se déduit donc de c par le
symbole :
Op.: (4R, + 2R, + oCi + C^ + SCg) ; simplicité 15 ; exactitude 10;
2 droites, 3 cercles.
Si Von a .• N <; 2M, en voici encore une fort simple :
Je trace R(M), R est quelconque op.: (2Ct -f C3).
A étant quelconque sur R(M), je trace A(N) . .op.: (2Ci + Cjj -f C3).
Je trace RD qui coupe A(N) en G . . . . . . . . op..- (2Ri -f- ^^2)^
on a CD = X.
Op.: (2Ri + R2 + 4Ci -4- C, + 2C3); simplicité 10; exactitude 7;
1 droite, 2 cercles.
XXXIV'"'. — Dam un triangle ARC, construire les longueurs :
6* c^ c' a' a* b^ bc ca ab
— , — , —, —, — , — , — , — _ , — .
aabbccabc
La construction pour ciiacune d'elles est plus simple que les construc-
tions générales XXXIII et XXXIV, parce qu'elle est exécutée dans un
triangle tracé.
{*) Cette construction donne le théorème suivant : Si dans un trkmyle ARC on mène du point A la
perpendiculaire au nn/on OR du cercle circonscril à ARC, celte perpendicuUnve coupera le côU; CR en un
point H el l'on aura AR2 r= RH . RC. ■
58 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Je fais l'angle BAK = C, K étant sur BC dans le sens BC.
On a : AK r^ — , BK =^^= - •
a a
Op.: (2Bi + R, + 5Ci + 3C3).
En faisant l'angle CAH = B, H étant dans le sens CB, on aurait de
hr fe*
même AH = - = AK ; CH = - •
a a
On utilise fréquemment cette construction dans la géométrie du
triangle.
XXXV. — Construire la moyenne propoi'tionnelle entre deux droites données
M et N, X'^ = M . N.
Employons d'abord les deux solutions classiques, cependant en faisant
les économies possibles de tracé que suggèrent notre méthode.
La première fondée sur la proposition :
Dans un triangle rectangle, la perpendiculaire abaissée du sommet de
V angle droit sur V hypoténuse est moyenne proportionnelle entrée les deux
segments de F hypoténuse;
La seconde sur :
La longueur de la tangente menée d'un point A à un cercle est moyenne
'proportionnelle entre les distances du point A aux points B e^ C oit une
sécante menée par A coupe le cercle.
a) Je trace une ligne AB sur laquelle je prends AB = M, BC = N. .
op.:(R, +5C, + C, + 2C3),
soit AB >• BC. Je décris un cercle sur AC comme diamètre en utilisant
pour prendre le milieu 0 de AC la circonférence A(Mj tracée pour avoir B,
ce qui fait une économie de op.: (Ci -|- C3), il reste
op.: (2Ri + R, + 3Ci + 2C3).
Au point B, j'élève une perpendiculaire sur AC qui coupe 0(0C)
en D; je l'obtiens par le symbole . . . op.: (SRj -|- R^ -|- 2Ci -f 2C3),
si j'ai eu soin, en traçant B(1N) pour placer C, de marquer le second
point C où B(N) coupe AC. DB est la moyenne proportionnelle cherchée.
Op. : (4Ri + 3R2 + lOCi + C2 + 6C3); simplicité 24; exactitude 15;
3 droites, 6 cercles.
h) Je trace une ligne AB sur laquelle je prends AC = N, AB =: M. . .
". op.: (R, + 5Ci+C. + 2C3).
Je décris sur CB comme diamètre une circonférence en utilisant pour
trouver le milieu de CB la circonférence A(M) tracée pour trouver B; soit
0 le milieu de CB op.: (2Ri + R, + 3Ci + 2C3).
Sur AO comme diamètre, je décris une circonférence qui coupe 0(0C)
enD op.: (2Ri + R, + 4Ci + 3C3).
É. LEMOIM:. — LA GÉOMÉTROGRAPHIK 59
AD, qu'on n'a pas besoin de tracer, est la moyenne proportionnelle
cherchée.
Op. : (4Ri + 3R, + 12C, + C, + IC,) ; simplicité 27 ; exactitude 17;
3 droites, 7 cercles.
Note, — Si j'emploie deux compas, je puis économiser op.: (Ci -|- Cjj
en me servant, pour trouver le milieu de AO, de la circonférence A(AB),
et l'on aurait :
Op. : (4Ri + 3R, + IIC^ + C, + 6C3); simplicité ±6; exactitude 16 ,
3 droites, 6 cercles.
Ce qui montre que, au point de vue graphique, contrairement à l'obser-
vation faite généralement, les deux solutions classiques a et 6 sont bien
près d'être équivalentes (voir Rouché et de Comberousse, Traité de Géo-
métrie, l""*" partie, p. 152); elles sont d'ailleurs toutes deux très mauvake.s,
quoique nous les ayions simplifiées par des économies de lignes. Voici la
meilleure que je connaisse :
c) Soit toujours M la plus grande des deux lignes M et N, je trace une
droite AB quelconque op.: (R.j.
Je trace A(M;, A étant un point quelconque sur AB, op.: (2Ci -f-C.^ + Cj).
A(Mj coupe AB en B; je trace B(]N) qui coupe BA en C entre B et A;
je trace C(N) qui coupe B(N) en P et Q op.: (4Ci + 2C3).
Je trace PQ qui coupe A(M) en H op.: (2Ri + ^2)-
BH est la droite cherchée.
Op. : (2Ri + 2R, + fiC^ + C, + 3C3); simplicité 14 ; exactitude 9;
2 droites, 3 cercles.
Cj) On peut aussi opérer ainsi :
D'un point quelconque C je trace C(Mj.
Je trace un rayon quelconque CR qui coupe C(Mj en B
op. : (Ri + R, + 2Ci + C,).
Je décris B(N) qui coupe BC en K, entre B et C ; je trace K(N) qui coupe
B(N)enP et en Q op. : aC, + 2C3).
Je trace PQ qui coupe C(M) en A op. : (2Ri + R^).
AK ou AB est la moyenne proportionnelle cherchée, car les deux
triangles isocèles ACB, BAK sont semblables et ont AR côté commun.
Op. : (3Ri + 2R, + 6C1 + 3C3); simplicité 14 ; exactitude 9; 2 droites,
3 cercles.
On ne peut dire que cette méthode de construire une moyenne pro-
portionnelle soit foncièrement nouvelle, car, à une très légère modifica-
tion graphique près, qui donne 14 au lieu de 15 comme simplicité, on
la trouve (A^, A., 1857, p. 125), sous le nom de M. Edm.-Aug. Gouz-ij.
de Lausanne, mais énoncée sans commentaire qui en fasse ressortir
l'extrême simplicité.
Son symbole, en exécutant l'opération dans l'ordre où l'énoncé de
k
60 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
M. Gouzy l'indique, est : op. : (K^ -\- SCj -\- C.^ -f- SCg), ce qui est la
moitié de ce que serait l'opération classique exécutée, comme on le fait
ordinairement, sans les simplifications que nous avons faites, suggérées
par l'idée systématique de simplification. On n'avait du reste aucun cri-
térium positif de la simplicité ; depuis quelques années on a signalé cette
construction dans les journaux de l'enseignement et quelques professeurs
l'ont indiquée dans leurs cours, toutefois sans dire qu'elle devait rem-
placer les constructions a et b.
Je ne suis pas familiarisé avec les méthodes de la statique graphique,
mais je crois que la théorie de la Simplicité et de l'Exactitude des cons-
tructions y trouvera une large application. (C'est aussi la construction de
M. Gouzy qui se trouve indiquée dans les Leçons de Statique graphique
de M. ^. Favaro, traduction Terrier, deuxième partie, p. 68, 1885.)
Voici deux autres solutions simples — moins simples cependant que
c ou Cj — du même problème :
M
d) Je trace (fig. 6) un cercle quelconque d'un rayon OB tel que OB >> -;t
et j'y trace la corde BC égale à M. . . op. : (2Ri + R^ + 2C, -f C, + 2C3).
Sur BC je prends BK = N ; K étant
\/^ entre B et C . . . op. : (3Ci -f C3).
/ \ De K j'abaisse une perpendiculaire
. \ sur OB, sans que OB soit tracé, en
'/'i I me servant du cercle B(N) déjà tracé
/ '' ,' pour avoir k
/' ... op. : m, + R, ■■{- 2C, + Ce).
c\ ^.-,r.-.-.*-''-- -/B (vette perpendiculaire coupe en A
le cercle 0(0B).
"■~^--.,_ _,--'''' AB est la moyenne proportionnelle
^ „ cherchée.
Fig. 6.
Op.:(4R, + 2R,-f7C, + C,-f4C3);
simplicité 18 ; exactitude 12.; 2 droites, 4 cercles.
di) On peut aussi tracer BK = N comme corde d'un cercle de rayon
suffisant et de centre 0 quelconque. . op. : (2Ri -f- R^ -|- 2Ci -f- 2C3).
Puis prendre BC = M ; C étant sur BK dans le sens BK
op. : (3Ci + C3).
Puis de C abaisser, sans tracer OB, une perpendiculaire sur OB qui
coupe le cercle 0(0B) en A op. : 2Ri + R^ -(- 2C, + C3).
AB est la droite cherchée parce que les deux triangles BCA, BKA sont
semblables et onl le côté BA commun.
d) et c?i) ont le même symbole.
e) Je signalerai encore la construction élégante que vient d'indiquer
M. Lém Colette (Mathesis, p. 192, 1892).
É. LEMOLNE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 61
Je trace (fîg. 7) un cercle quelconque 0(0A), OA étant plus grand
que M.
De A, point quelconque de ce cercle comme centre, je trace A(M) qui
coupe 0(0 A) en B et en C, puis A(N)
qui coupe 0(0A) en F et en G; les "T\"
points F, B, C, G se succédant dans / \
cet ordre, F, B, C, G
op. : 5C, + C, + 3C3). \V g/
Traçons AB, AC qui rencontrent P^n^ / 0 \ y-' \
A(N) en D et en E ; puis DE "^^-V-dV-" -,->É:"""r'*
op. :(6R, -I-3R,) x\/ \/y
qui rencontre 0(0A) en M ; AM est la ^/V-- -'^'^^^
moyenne cherchée.
Op.:(6Bi + 3R, + 5C, + C, + 3C3):
simplicité 18 ; exactitude 12 ; 3 droites, 3 cercles.
XXXVI. — Divise?' une droite AB en moyenne et extrême raison.
a) Par la méthode classique :
Je prends le milieu oj de AB et j'élève en B une perpendiculaire à AB. .
op. :(4R,+2R, + 4C, 4-4C3).
Sur la perpendiculaire à AB menée en B, je prends Bco = BO et je trace
i)(BO) op. : (3Ci + 2C3).
Je trace Aw qui coupe oj(BO) en deux points l etm, l étant entre A et oj
op. : {m, + Rj.
Je trace A(A/) qui coupe AB en M entre A et B . . .op. : (2Ci -|- C3).
AM et BM sont les segments cherchés.
Op. : (6R1 -|- 3R2 + 9Ci -]- 7C3); simplicité 2o ; exactitude lo; 3 droites,
7 cercles.
6) Voici un moyen qui m'a été indiqué par le général Parmentier, mais
le symbole en est un peu plus compliqué.
J'élève en B une perpendiculaire à AB et je prends sur elle BC = 2AB,
la bissectrice de l'angle CAB coupe BC enD; je prends sur BA, BM = BD;
M est le point cherché.
c) La construction suivante est la plus simple que je connaisse ; elle
s'appuie sur ce théorème : Si la longueur de la tangente menée du point M
à un cercle est égale à la longueur d'une corde AB de ce cercle, corde pas-
sant par M, MA et MB sont les plus grands segments (additifs ou sous trac-
tifs) de AB divisée en moyenne et extrême raison (M, B, A se succédant dans
cet ordre).
Je décris (fg. 8) A(AB), B(ABj qui se coupent en C et C ; je décris
C(AB) op. : (4Ci +3C3).
(O
62 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCAMQUE
Je mène par A Ja tangente à C(.\lî), pour cela je décris C'(AB) qui coupe
B(AB) en D et je trace AD op. : i2Ri + R, + C, +C3).
^ C'est la tangente cherchée, elle
^ — „, \ coupe A(AI{) en E.
Je décris C(CEj
^
^^,. / op. : (2C, + C,)
'■ ~ ^\~-~ ■' quj coupe BA en M. Comme la
^ ,_ j^ ; / tangente menée de M à C(AB) a
M^K ^>!<^ i'' '~^i-? même longueur que AE, et par
/' '* / ~ suite que AB, AM est la longueur
du plus grand segment de AB
divisé additivement en moyenne
\>.;-:'' et extrême raison.
Je décris donc A(AM) qui me
"^' ^' donne sur AB le point de divi-
sion cherché P op. : (2C, + C3I.
En tout : op. : (2Ri -|- U,^ -|- (iC, -\- (iC.,); simplicité 18 ; exactitude II :
1 droite, 6 cercles.
Remarque. — Cette construction est beaucoup plus simple que la cons-
truction classique, cependant il peut sembler, en regardant la figure 8,
qu'elle soit plus compliquée ; cette a|)parcnce tient à ce que, dans la
figure 8, nous avons tracé toiUe>i les lignes dont on se sert, tandis que,
pour la figure classique, qu'on est habitué à voir, on dit simplement : je
mène en B une perpendiculaire à AB, je porte sur cette perpendiculaire
une longueur égale à la moitié de AB, etc., mais on ne trace sur la
figure aucune des lignes auxiliaires nécessaires à ces opérations ; si on
les trace toutes, la plus grande complication du procédé classique saute
immédiatement à l'œil ; une remarque analogue s'appliquerait à presque
toutes les questions que nous traitons dans ce mémoire.
XXXVII. — Tracer par un point P une droite passant par le point de
rencontre de deux droites données que l'on ne peut prolonger Jusque-là.
Ce problème a reçu un très grand nombre de solutions. Voici celle
dont le symbole est le plus simple parmi celles que je connais :
Soient AA'A", BB'B", les deux droites données :
Je mène deux droites quelconques A'B', A"B" se coupant en I, puis
une autre droite lAB quelconque, mais passant en I. .op. : (Rj -|- 3R,J.
Je trace PA' et PB' qui coupent AIR respectivement en E et en F; puis
A"E et B"F qui se coupent en P' op. : (8R1 + 4R,).
Je trace PP' qui est la droite cherchée op. : (2Ri -|-R.).
Op. : (lIRi "|- 8R2) ; simplicité 19; exactitude 11 ; 8 droites.
K. LEMOINE. — LA GÉOMKTROGRAPHIE 63
XXXVIII. — Placer le point A' réciproque du point donné A par rapport
à un cercle donné de rayon R et de centre 0.
Deux cas à examiner :
1« 0A>?.
2
Je trace A(AO) qui coupe 0(R) en B et eu C.
Je trace B(Rj, C(R) qui se coupent en 0 et en A .
A' est le point cherché.
Op. : (oCi -f- 3C3); simplicité 8; exactitude 5; 3 cercles.
2" OA < 2R.
Je irace OA ; je trace A(R) qui coupe 0(R; en H
op. : r2R, + R, +3(:, + C3J.
Je trace R(R) qui coupe 0(R) en D et D' ; je trace DD' qui coupe OA
en A' op. : (2R, + R, + C, + il,).
En tout : op. : (4Ri + 2R, + 4Ci + 2C3) ; simplicité 12 ; exacti-
tude 8 ; 2 cercles, 2 droites.
Ainsi, dans la recherche du symbole général d'une construction, c'est ce
dernier symbole qu'il faudra adopter pour compter la recherche du réci-
proque d'un point A par rapport à un cercle de rayon R, s'il ne résulte
T»
pas des données générales que OA >> — •
là
Voici une construction qui s'applique aussi quel que soit A, mais elle
est un peu plus compliquée.
Je trace un cercle de centre A coupant le cercle donné en B et en C.
Je trace AB, AC qui coupent le cercle donné en B' et en C
op. : i4Rt -f 2R, -|- Ci + C,).
Je trace B'C, C'B qui se coupent en A' op. : ikW^ -\- 2R.j.
Op. : (8R1 -|- 4R2 + Cl — C3;; simplicité 14 ; exactitude 9; 4 droites,
1 cercle.
XXXIX. — Tracer la polaire d'un point A par rapport à une circonférence
de centre 0 et de rayon R.
aj Par A je mène deux droites quelconques : la première coupant la
circonférence en B et B', la seconde en C et C . . . op. : ("IW^ -j- !2R.^).
Je trace B'C et BC se coupant en D, et [iC, CB' se coupant en E.
Je trace ED, c'est la polaire cherchée.
Op. : (12R, -\- 'Riji; simplicité 19; exaclitude 12; 7 droites.
64 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE. GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
b) Je peux aussi, D étant marqué comme précédemment, abaisser une
perpendiculaire de D sur OA (sans tracer OA)
op. : (2R, + R, + 4C, + 2C3).
En tout : op. : (8R1 +5R2 + 4C1 + 2C3); simplicité 19; exactitude 12;
5 droites, 2 cercles.
Je n'ai pu trouver de construction générale de la polaire d'un point
donné A par rapport à un cercle qui soit plus simple que ces deux-là.
C'est par erreur que j'indique 15 comme Simplicité, dans ma note de
■D
Mathesis, 1888, page 222. Je n'avais pas remarqué le cas qm 0A<;— •
Il y a un grand nombre de constructions pm^ticuliéres du même problème.
r>
c) Construction non générale applicable dans le cas où l'on a : OA > -^ •
Je décris A(OA) qui coupe le cercle donné en B et en C.
Je décris B(R), C(R) qui se coupent en A' réciproque de A
\ . . op. : (5Ci + 3C3).
Je trace OC qui coupe C(R) en D; je trace DA'. . . op. : {iR^ -\- 2R2) ;
c'est la polaire cherchée.
Op. : (4Ri + 2R, + 5Ci + 3C3); simplicité 14; exactitude 9; 2 droites,
3 cercles.
Si A est extérieur au cercle donné, on peut aussi tracer un cercle sur OA
comme diamètre; l'intersection des deux cercles est la polaire cherchée; le
symbole est alors :
Op. : (6R1 + 3R2 + 4Ci + 3C3); simplicité 16 ; exactitude 10 ; 3 droites,
3 cercles.
XL. — Placer le pôle L d'une droite XY par rapport à une circonférence
donnée de centre 0 et de rayon R.
Deux cas à considérer :
1° XY coupe le cercle 0(R) en M et en N.
Je mène la tangente en M au cercle 0(Rj (voir construction XXV i. . .
^ op. : (m, + R, + 4C, + 3C3).
Je trace le cercle N(R) qui coupe en 0' le cercle M(R) tracé pour avoir
la tangente en M . op. : (Ci + Cg).
Je trace 00' op. : (2Ri + R,) ;
00' coupe la tangente en M au pôle cherché L.
Op. : (4Ri + 2R, + SC^ -j- 4C3) ; simplicité 15 ; exactitude 9; 2 droites,
4 cercles.
2° XY ne coupe pas le cercle 0(R). (Cette solution s'applique même si
XY coupe le cercle 0(R) pourvu que la distance de 0 à XY soit supé-
. R
rieure a —
2
K. LEMOIXK, LA GKOMÉTROGRAPHIE 65
De 0 j'abaisse sur XY une perpendiculaire dont le pied sur XY est F et
qui coupe 0(R) en K du même côté de 0 que F. . . . .
• OP- : (2Ri + R. + 3C, + 3C3).
Je décris F(FO) qui coupe OiR) en H ; je décris H(R) qui coupe OF en L
op. : (4C, + 2C3).
L est le pôle cherché ; car les deux triangles isocèles semblables OFH,
OHL ont le côté commun OH, donc OH^ ou R^ = OL.OF.
Op. : (2Ri + R, 4- 7Ci + 0C3J ; simplicité lo ; exactitude 9 ; 1 droite,
S cercles.
Ces deux cas constituent par leur ensemble une construction générale
de simplicité lo, car si Tune n'est pas applicable, l'autre l'est.
Il y a encore un grand nombre de constructions générales pour le même
problème, mais je n'en connais pas d'aussi simples que les deux que je
donne ici.
XLI. — Tracer F axe radical de deux circonférences données 0(R), O'(R').
Je trace deux circonférences : co(c), 0/(0') qui coupent chacune les deux
circonférences données, etc.
Op. : (lORi + oR, + ±C,); simplicité 17; exactitude 10; 5 droites,
2 cercles.
Si les circonférences se touchent, le symbole si! réduit à celui de la tan-
gente au point de contact op. : (2Ri + R, -f- 4Ci -}- 3C3).
Si elles se coupent, à op. : (2R 4- R )
XLII. — Placer le centre radical de trois circonférences Rj, R^, R^,
a) Ri, R,, R3 sont extérieures l'une à l'autre, ou bien l'une, R3, par
exemple, est tangente à l'une seulement des deux premières.
On trace les deux circonférences oj(p), w'(p') du problème précédent de
façon qu'elles coupent les trois circonférences données ; on trouve :
Op. : (I6R1 + 8R, -f- 2C3).
b) Rj et R, sont extérieures et R3 touche R^ et R,, ou elles se touchent
deux à deux.
Je trace cofp) seulement; au moyen de cofpj, je construis un point M, de
i'axe radical de R^ et R3 ; je joins K^ au point de contact Li de Rj et
de R3. Li étant placé en traçant 0^ O3. , . . op. : (SR^ + m.^ -f C3).
De même, je construis un point K, de l'axe radical de R, et R3 et je
joins K^ au point de contact L^ de R, et de R, . . . op.: (6R, + 3Rj.
En tout : Op. : MfîR, -f- 8R, -f C3).
c) Ri, Rj se coupent, R3 est extérieur.
66 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Je trace ojfpj, o/(p'); je détermine l'axe radical de R^ et de R3 ou de R.,
et de R3 qui coupe l'intersection de Ri et de R, au point cherché.
Op.: (16Ri + 8R, + -2C3J.
d) Ri, Ra se coupent, R3 touche l'une des deux premières ou toutes
les deux.
Je ne trace que w(p) et je détermine avec cette circonférence l'axe
radical de deux circonférences se touchant :
Op. : (8R1 + 4R, + C3J.
e) Rj, Rj, R3 se coupent deux à deux :
Op.: (4Ri + 2R,).
XLIII. — Placer un point M dominé par ses coordonnées cartésiennes x, y
relatives à deux axes donnés ox, oy.
Je prends Ok — x sur l'axe des a^ op. : (3Ci -f C3).
Je prends OB = y sur l'axe des ?/ op. : (3Ci + C3).
Je décris A(y) op. : (C3 + C3).
Puis, reprenant x entre les branches du compas, je décris B(ic)
op.: f3C, + C3).
A(?/) et B(ic) se coupent en M :
Op. : (lOGi -f 4C3) ; simplicité 14 ; exactitude 10 ; 4 cercles.
Si je me sers de deux compas, je n'ai pas à reprendre x, mais à me
servir du premier; j'économise ainsi 2Ci et j'ai seulement:
Op. : (8C1 + 4C3J (*j.
XLIV. — Placer les centres de similitude V et V, de deux
circonférences 0(Rj, 0'(R'j.
En se reportant à la construction XXIK (deuxième méthode), on voit
que ces points se déterminent par le symbole :
(♦) Cette question est l'une (le celles que j'ai déjà traitées (Congrès d'Oran, 18S8, p. 92, conslruc-
lion XXW, et Bulletin de la Soc. muth. de France, t. XVI, 1887-88, p. 163); mais, quelque simple
qu'elle soit, j'avais donné un symbole trop compliqué, parce que j'avais adopté une autre construc-
tion usuelle, aussi simple que celle-ci à exprimer ; mon attention n'étant pas alors fixée comme
maintenant sur les dilférences qui existent entre les diverses constructions fondamentales, j'avais
choisi et évalué la première construction classique qui m'était venue à l'esprit, la regardant, sans
examen, comme équivalente aux autres ; il y a des erreurs analogues dans beaucoup des constructions
que j'ai données jusqu'ici. Celles de ce mémoire senties plus simples ryue/ot/)« trouver, mais elles ne
sont fixées, comme les plus simples effectivement, que tant que les géomètres n'en auront pas
trouvé de préférables. C'est un petit travail expérimental qui sera fait très rapidement, parles uns el
par les autres, si la question intéresse. Il y a deux ans, j'ai eu à ce sujet une assez longue corres-
pondance avec M. G. Tarri/ et je saisis celte occasion de le remercier, car un grand nombre des
simi)lif)cations que j'ai faites ici m'ont été indiquées par lui dans celle correspondance.
K. LEMOLNE. — LA GÉOMÉTKOGRAI'HIE 67
Op. : (6Ri + 3R, + 4C, -}- 2C3) ; simplicité 15 ; exactitude 10 ;
3 droites, 2 cercles.
Un seul des deux centres se déterminerait par :
Op. : (4R, + 21Î, + 4C, + 2C,j.
XLV. — Tracer les quatre axes de similitude de trois circonférences
données 0(R), O'fR'j, 0"(R"j.
a) En déterminant les centres de similitude par la construction pré-
cédente, remarquant qu'il n'y a besoin que de placer les quatre centres
de similitude de 0(R) et 0"(R"j, de 0'(R'j et de 0"(R"j, que O'O n'est
pas utile à tracer, on a le symbole:
Op.: (20Ri + lOR, + lOCi + 6C3) ; simplicité 46; exactitude 30;
10 droites, 6 cercles.
6) On peut opérer un peu plus simplement.
Je trace 00', O'O", 00" op. : {<o\\, + 3Rj.
Par 0" je mène une parallèle à 00' . op. : (2Ri + R, + 4Ci + 2C3) ;
dans 0' et 0" et dans 0 et 0" j'ai des diamètres parallèles.
J'ai donc les quatre centres de similitude par. . . op. : fSRi -|~ ^^^2)»
et les quatre axes alors par op. : fHRi -}- 4R.j,
En tout : op. : (2m, + 12R, + 4C, + 2C3) ; simplicité 42 ; exactitude 28 ;
12 droites, 4 cercles.
XLYI. — Deux points A ei B étant placés sur une droite, placer le conjugué
harmonique C d'un point donné C, par rapport à A et à B.
Je trace une droite quelconque CDE passant par C, puis deux droites
quelconques passant par A : l'une qui coupe CD en D, l'autre qui coupe
la même droite en E op. : i^W^ -j- SRaj.
Je trace DR, EB op. : (4Ri + 2Hj.
DR coupe AE en F, EB coupe AD en G, je trace FG qui coupe AB
en C op. : (2Ri + Rj.
En tout : op. : (OR, -{- 6R2); simplicité I0; exactitude 9; 6 droites.
Nous venons de donner, dans ce qui précède, les principales construc-
tions, c'est-à-dire celles que l'on rencontre le plus souvent pour exécuter
une solution; aussi, avec leurs symboles, tout calculés ici, il sera facile et
court de trouver le symbole total d'une construction quelconque; notons
que ces symboles fondamentaux ne devront jamais être employés sans
examen; ils pourront, le plus souvent, être simplifiés par les circonstances
particulières de l'épure que l'on exécute, à cause des lignes déjà tra-
cées, etc.
68 MATIIKMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Nous allons compléter cette étude par quelques applications prises un
peu au hasard et par quelques remarques qui î^ermettront de comprendre
mieux l'esprit et, je l'espère, l'utilité de notre méthode.
XLVII. — Les deux extrémités k et ^ du côté d'un carré étant jMcées,
placer les deux autres sommets C et D.
Je décris (fig. 9) A(AB), B(AB) qui se coupent en K; je décris K(AB)
qui coupe B(AB) en (î
_ _d/ \ op. : (4Ci + 3C3).
^^'■^^-.^ K,--" 1-~-~-~^^ I Je trace AG qui coupe A(AB
'''N / ^^^ en I. .... op. : (2Ki + B,).
\ /^ / "■ Je trace K(KI) qui coupe B(AB)
^,J<i^ / en C et A(AB) en D
, ^,.. \ / ....;.. op. : (2C, + C,).
N^î^.-'-''' i y En tout :
'^r^-- -je" Op. : ( 2Bi + B, + GC, + ^C,) ;
simplicité 13 : exactitudes ; J droite,
FiG. 9. 1 J ' '
4 cercles.
Nous tenons cette construction simple de M, Eugène Catalan, qui nous
a dit l'avoir trouvée en 1847.
En ajoutant le symbole : op. : (6B1 -|- SB,), elle pourrait servir à
construire le carré ABCD sur une base donnée, à très peu près aussi sim-
plement que par la construction ordinaire qui peut se faire — en la con-
duisant convenablement — par le symbole :
Op. : (eBi-f-SR^ + lCi-f-oCg); simplicité 21; exactitude 16; 3 droites,
5 cercles.
Par tout ce qui précède, on voit déjà qu'il y a bien un véritable art
des constructions géométriques, que nous appelons la Géométrographie,
qui, quoique n'ayant point été remarqué jusqu'ici, repose sur des prin-
cipes d'une simplicité extrême; son importance lient, non principalement
au temps qu'en le pratiquant, on peut gagner dans la construction d'une
figure, ce qui, à certain point de vue, est un détail, mais surtout à l'exac-
titude plus grande qu'il permet d'atteindre en réduisant au minimum le
nombre des opérations à efîectuer. Enfin, il présente l'avantage d'être un
critérium pour juger de la simplicité d'une construction. Le besoin de ce
critérium sera démontré quand on remarquera que la plupart des cons-
tructions célèbres par leur simplicité et leur élégance ne sont pas ordinai-
rement les plus simples à construire qui soient connues. On les a cru
simples parce qu'elles s'énonçaient simplement en faisant image et se
retenaient sans difficulté; nous citerons, par exemple, la célèbre construc-
tion de M. Chastes, pour placer les axes (en grandeur et en position) d'une
ellipse dont deux diamètres conjugués sont placés en grandeur et en
É. L1:MÛ1NK. LA GKOMKTIiOGUAI'HIE 69
position; elle n'est pas la plus simple à construire, il s'en faut; l'on en
connaissait de plus simples... sans que l'on s'en doutât.
XLVIII. — Voici cette construction telle qu'elle est donnée dans
V Aperçu historique, note 2o; j'y ajoute les lettres nécessaires à l'intelli-
gence de ce que nous avons à dire.
a) Par l'extrémité A d'un des deux demi-diamètres conjugués donnés,
on mène une droite perpendiculaire au second diamètre OB
op.: ("2R, + R, + 3C,-f3a3);
on porte sur cette perpendiculaire, à partir du point A, deux segments
AC, AD égaux à ce second diamètre op. : (3Ci + C3);
on joint le centre 0 aux points C et D op. : (4Kj-|-2R2);
on divise en deux parties égales, par deux nouvelles droites, l'angle COD
et son supplément op. : i4Ri -f 2R.j + ^Cj + -^Cj).
Ces deux nouvelles droites seront en direction les deux axes principaux
de l'ellipse. La somme des deux premières droites OC et OD, sera le
grand axe de l'ellipse, leur différence sera égale au plus petit.
Le géomètre s'arrête là, ayant indiqué des constructions dont le sym-
bole est op.: (lORi 4- 5R, + lOCi + 8C3).
Mais voici ce qui reste à faire au constructeur pour fixer les axes à leur
place, en grandeur :
Tracer le cercle 0(ODj qui coupe OC en deux points E et F de façon à
avoir la longueur CE du petit axe et la longueur CF du grand axe ....
op. : (2C, + C3).
Diviser CE et CF en deux parties égales, ce qui, puisqu'elles ont C pour
extrémité commune, peut se faire par. op. : (iRj -|- 2R2 + 3Ci 4" SCg).
Prendre les demi-longueurs ainsi déterminées des axes et les porter cha-
cune sur l'axe convenable, choix très simple à faire, mais dont le géo-
mètre ne parle pas op. : (6C1-J-2C3).
Quand il s'est arrêté, il restait donc à construire
op. : (IRi -}- 2R, -f llCi + 6G3),
c'esl-à-dire un peu plus des deux tiers de ce qui était indiqué.
La construction totale, économiquement menée d'après nos principes, se
résume par le symbole :
Op. : (14Ri -f 7R, -j- SIC^ -f LiCj; simplicité 06; exactitude 3o;
7 droites, 14 cercles.
Il est clair qu'une des choses qui compUque l'application, à la construc-
tion particulière dont il s'agit, de l'élégant théorème du maître, c'est que
ce sont les axes qui sont trouvés par lui, et qu'il faut les demi-axes pour
la construction, puis il faut encore reporter leurs longueurs en position
sur OC et sur OD ; c'est un détail pour le géomètre spéculatif, mais point
pour celui qui trace l'épure.
70 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Nous nous proposons quelque jour de comparer les très nombreuses
solutions qui ont été données du même problème afin de déterminer
quelle est la plus simple, et de faire le même travail pour divers pro-
blèmes célèbres; en attendant, nous donnerons, de ce même problème,
une solution due à M. Mannheim, qui est beaucoup plus simple que la
solution classique de Chasles et qui se trouve dans les A'. A., 1878, p. 529.
b) Soient om, on les deux diamètres conjugués donnés.
De m j'abaisse une perpendiculaire 7nd sur on (d étant sur on), je porte
sur cette perpendiculaire (dans le sens dm) me = no
op. : m, + K, + 6Ci + 4C3).
Sur oe comme diamètre, je trace une circonférence dont le centre est i
et je trace im qui coupe cette circonférence en c et en ^
op. : im, + 3R, + 4Ci + 4C3).
Je trace oc. og, ce sont les axes en position . . . . op. : ( iRi -\- 'âR^).
Les distances me et mg (que je n'ai pas besoin de tracer) sont les lon-
gueurs des demi-axes.
.fe porte les longueurs me, mg sur les directions respectives des axes
qu'elles représentent et ces axes se trouvent placés aussi en grandeur. .
op. : (6C1 + 2C3).
En tout : op. : (12Ri -f 6R, + I6C1 + 90,,) ; simplicité 43 ; exacti-
tude 28; 6 droites, 9 cercles.
M. Mannheim n'ifvait pas indiqué, non plus, dans l'article cité, quelle
était celle des deux droites oc et og qui était le grand axe; mais il a
complété la solution (voir N. A., -1889, p. 329) en montrant que la direc-
tion du grand axe est celle de la droite qui joint 0 à celui des deux points
c ou ^ qui limite la longueur du petit axe.
Cette solution complète est la plus simple de celles du même problème
dont nous avons évalué la simplicité, mais rien ne prouve qu'il n'y en ait
pas ou que l'on n'en trouve pas de plus simples encore.
Nous avons dit plus haut que l'art des constructions géométriques ou
Géoméf rographie reposdiït &UT des principes de la plus extrême simplicité;
la digression à propos des constructions de MM. Chasles et Mannheim nous
a fait différer l'énoncé de ces principes; les voici :
1° Da7is chaque construction, ne tracer aucune ligne inutile, c'est-à-dire
employer, quand on le jjeut, soit les lignes tracées de la figure donnée, soit
celles déjà tracées dans le cours de la construction.
Corollaire : tracer, quand cela se peut, tous les cercles d'une ouver-
ture de compas prise lorsque leurs centres sont placés, quoique le tracé de
ces cercles ne se présente que plus tard dans le développement logique
de la solution ; il faut donc, ainsi que nous l'avons déjà dit, que l'on fasse
l'étude préalable de la question par une sorte de croquis raisonné de la
construction.
É. LEMOINE. — LA GÉOMÉTROGRAPHIE 71
â" Choisir celles des solutions d'un même problème dont l'ensemble des
constructions conduit au symbole le plus simple.
3" Examiner, dans chaque problème, tous les cas particuliers de don-
nées qui peuvent se présenter et simplifier alors le symbole général pour
ces cas particuliers.
Cette discussion dans les problèmes un peu complexes, comme, par
exemple, le problème d'Apollonius icercles tangents à trois cercles donnés)
est fort délicate, et c'est le meilleur exercice de sagacité et de discussion
que l'on puisse proposer aux élèves.
4° Dans la recherche du symbole général d'une construction, n'employer
que des constructions générales, à moins que l'on démontre qu'une solution
particulière s'applique toujours au problème que l'on examine.
Ainsi, par exemple, si dans une construction générale il y a à tracer les
polaires de points par rapport à des cercles, il faudra adopter, pour le
symbole général du tracé de ces polaires soit a, soit b de la construc-
tion XXXIX, et non c qui est plus simple, mais ne s'applique que si la
distance du pôle au centre est plus grande que la moitié du rayon; à
moins, bien évidemment, que l'on ne démontre que cette circonstance
se présente toujours dans le problème général que l'on étudie.
o° Pour une construction effectuée avec des données particulières, profiter
de toutes les constructions particulières plus simples que les constj'uctions
générales qui peuvent s'appliquer dans le cas où l'on se trouve.
Il y a évidemment à faire une étude générale de procédés pour arriver
à des constructions simples; rien n'est encore fait à ce point de vue, nous
allons seulement donner ici un exemple pour faire comprendre claire-
ment notre pensée.
Examinons les deux problèmes : Prendre une droite n fois plus grande
ou une droite n fois plus petite qu'une droite donnée BC ; n étant supposé
entier.
Les constructions XXX et XXXI sont assez compliquées et surtout
donnent lieu à une grande probabilité d'erreur lorsque n est un peu considé-
rable ; il y a donc lieu de chercher si l'on ne peut trouver d'autre mode
de constructions dérivant des propriétés de certaines fig-ures ou des valeurs
du nombre n et qui donneraient un meilleur résultat pratique.
Supposons, par exemple, que nous ayions à tracer une droite qui soit
1 1
le -7- de BC et, en même temps, une droite qui soit le — de BC. Par la
10 lo
1
construction XXXI je construis B,Ci qui soit le - de BC
o
op.: (2B, +2R, + llCi + 13C,,),
1
et pour avoir le — de BC, je n'ai qu'à diviser BjCj au point N' entre Bj et Ci
7-2
de façon que
MATHÉMATIQUES. ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
\C 1 BC
' — • ]\'C, sera — - • Je peux, pour diviser BjCi dans le
1 o
BiN 2'
rapi)ort de I à 2. employer le procédé suivant plus simple que le procédé
général donné pour diviser une droite donnée dans un rapport donné.
Par Bi je mène une droite quelconque BjA' et sur B^A' je marque un
point quelconque M' en prenant ByW = M'A'
op. : (B, -f B, + C,+C, + C3j;
je, prends le symétrique A" de A' par rapport à C^ et je trace A"M' qui
coupe BiGi en ]\' op. : (4R, + 3R, + 2Ci + C3).
En tout : op. : (oRi + 3R, -f 3Ci + C, + 2C3) pour diviser Bfi, en N'
1 1
dans le rapport de 2 à i. J aurai ainsi obtenu le 7- et le — de BC par le
symbole :
Op. : (7Ri + SB., + UGi + C, + I0C3); simplicité 42 ; exactitude 22;
5 droites, 15 cercles.
Je prends BC entre les branches du compas et A
étant un point quelconque;
je trace AiBC) (ftg. 10) ;
puis d'un point C quelconque
de A(BC;, je trace C'(BCj
qui coupe A(BC; en B', et
je trace B'C qui coupe C'(BC)
en D, puis AC, AB', op. :
,GK,+3R,+2C,+C,+2C3).
Je place le milieu H de AC
et le milieu E de AB'. . .
op. : (2R, + R, -f 2C, + C3)
l-IG. 1(1.
en me servant des cercles A(BCi, C'iBC) pour avoir H, et décrivant A(AH)
pour avoir E, je trace ED coupant AC en F ; HD coupant B' en G ;
ED, GF qui se coupent en I : T)I qui coupe .\B' en K. AC en L
op.: (lOBi +oB.j;
on a KG r= -i BC, KE = ^ BC.
En tout : op. : (I8R1 4- 9R, + 4Ci + C, + SCg i ; simplicité 3o ; exac-
titude 23 : 9 droites, 3 cercles.
Soit M le point où GF coupe B'C .
11 est évident que cette figure donne bien d'autres divisions de BC,
par exemple : HF ^ GE
IH^^BC; MC
0
lE = FC
-^BC;
LA = ^ BC: LC = l BC; LH ^ i BC; MB'
7 < 14
Dp
BC ; FG == -= ;
V
/3
É. LKMOINK. LA r.KOMKTHUGKAl'IUK 73
HG = V BC: 1)H = ^-^ hC: DF = ^ BC: EF = ^^ BC ;
U ^ 'j b
DE = 14^ BC : KL = ^^ BC ; GI =^ IF == -^ BC, etc.. etc.
9
2v3
On voit que si, au lieu de prendre CD = BC, on prenait CD - m . BC
im étant entier ou fractionnaire», on aurait pour toutes les lignes, dont
nous venons de donner les longueurs pour le cas particulier de »j = 1,
des longueurs différentes très variées dont on pourra profiter pour cons-
truire les longueurs des formes :
/.BC. i-BC, ^.BC, L^BC. ^.BC,
/ n m n
l, ut, n étant des nombres entiers.
C'est une étude à faire pour chaque cas et qui n'est point sans présenter
certaines difficultés. Létude pourrait être faite pour le cas plus général où
le triangle AB'C ne serait plus équilatéral. Je constniis un triangle ABC
dont les côtés BC, C'A, B'A sont / . BC, m . BC. n .BC: je prends D sur
B'C tel que CD' = d . BC : je prends sur B'A, B'E = p .BC et sur
C'A, C'H = q . BC, et je mène les mêmes droites que précédemment avec
les mêmes notations et je calcule les longueurs HF, FC, etc., etc.; il me
semble que l'on pourra toujours choisir, et même dune infinité de façons,
les nombres entiers/, m. n,d, p, q, de manière à obtenir, parmi les l^n-
gueurs HF. FC, etc., toutes les expressions des formes:
^ . BC. -
-■■\\/'v ^^'
T., 8, V. 0 étant des nombres entiers.
A cette question d'analyse indéterminée, assez imprévue à propos de
notre sujet et que je crois très difficile et fort intéressante par elle-même sans
que je puisse l'étudier en détail, s'en rattachent une foule d'autres comme
les suivantes : Parmi les nombres 1, m, n, d, p, q, combien peuvent être
choisis arbitrairement pour que Fon puisse déterminer les autres de façon
que lune des quantités HF, FC, etc., ail une valeur donnée, ou encore :
Étanl donné un triangle AB'C dont les côtés sont des nombres entiers,
peut-on toujours trouver une transversale DEF qui divise les côtés du triangle
en segments qui soient des nombres entiers, ou à quelles conditions le pro-
blème est-il possible? On ramène immédiatement, par le théorème de Méné-
laiis, cette dernière question à celle-ci : a, b, c élan/ des nombres entiers,
l'équation ayz — bzx — cxy -|- bcx — cay — abz -{- abc = 0. a-t-elle
toujours [jour x, y, z des solutions entières, positives ou négatives, dont au-
cune n'est zéro ?
74 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
La nouvelle géométrie du triangle rend encore plus évident combien il
est indispensable de s'occuper systématiquement de l'art des constructions,
car tout ce qui se rapporte à elle en fait de construction revient en dernière
analyse à la construction des points remarquables, c'est-à-dire de ceux dont
les coordonnées normales (*) présentent, exprimés en fonction des éléments
du triangle, une symétrie tournante.
Or, chaque propriété trouvée pour un point, donne une construction de
ce point plus ou moins simple, plus ou moins directe; il est donc néces-
saire de classer ces constructions, de présenter la plus simple pour
déterminer chaque point remarquable étudié dans cette géométrie et de
connaître les principales constructions parmi les autres moins simples,
mais qui pourront devenir fréquemment les plus simples dans tels ou tels
tracés d'ensemble.
7 M
A ^ ' ■
FlG. 11.
Le premier problème à résoudre dans la géométrie du triangle où les
diverses coordonnées employées doivent se traduire pour les solutions
graphiques en coordonnées normales est le suivant :
XLIX. — Placer un point M dont on connaît les coordonnées normales
proportionnelles 1, m, n, par rapport au tî'iangle de référence ABC.
Je suppose que /, m, n sont des droites (autrement il faudrait déterminer
d'abord des droites proportionnelles à ces quantités, nous en donnons plus
loin un exemple).
a) Je trace (fig. 11) trois perpendiculaires, une à chaque côté, en
(*) Je dis normales à l'exclusion de harycenlriques, parce que ces ileinières sont des coordonnées
1res utiles à la sp(^culation géométrique, mais se prêtent mai a la ronstrurlion directe qui n'utilise
immédiatement que des droites et des cercles et non des poids ou des surfaces.
^v
É. LEMOINE. — L.V GÉOMÉTROGRAPHIE /O
décrivant des sommets trois cercles d'un même rayon suffisant, mais
quelconque. Les intersections de ces cercles deux à deux donnent les trois
médiatrices, il est évident que les rayons des trois cercles n'ont pas besoin
d'être égaux pour tracer des perpendiculaires qui ne seraient pas les mé-
diatrices, mais c'est plus commode. . . op. : (6Ri -{- SR, -{- 3Ci -\- 3C3).
Sur chaque côté du triangle, BC par exemple, je prends le pied A' de
la perpendiculaire menée à ce côté et je détermine le sommet Ai opposé
à A' d'un carré A'aAia^ de côté l dont les côtés seraient dirigés suivant
A'B et la perpendiculaire à A'B menée en A'.
Je trace Aja^, j'ai ainsi fait . . . . op. : 3 [2Ri + R., + 5Ci + 3C3].
Les trois lignes A^ai, B^B^, C^y^ déterminent un triangle A.,BX, homothé-
tique à ABC ; le centre d'homothétie que j'obtiens par. . op. : (iRi + ^R.,),
est le point M cherché.
Symbole de l'opération totale : op. : (I6R1 + 8R, + I8C1 + I-2C3) ;
simplicité 54 ; exactitude 34; 8 droites, 12 cercles.
Nous avons traité la même question (Bulletin de la Soc. math., 1888,
p. 163), en nous appuyant sur le même principe géométrique (c'est-à-dire
que le point M appartient au lieu des points dont le rapport des distances
à BC et à CA est —, etc.) ;
m
Nous trouvions pour symbole : op. : (34Ri 4' ^'^î + l^C^ + '^^3) ;
smiplicité 71 ; exactitude 47 ; 17 droites, 7 cercles.
Cette construction est moins simple que la précédente ; de plus, dans
l'article cité, nous n'en avions pas même tiré le meilleur parti possible.
Je ferai remarquer à ce propos qu'il ne nous vient pas à l'idée que nous
fixons ici les symboles fondamentaux de Vart de la construction géomé-
trique, comme si nous donnions les constructions définitivement les plus
simples, car :
1" Un autre géomètre pourra trouver une meilleure interprétation
graphique de la solution que nous avons adoptée ;
2° Il pourra imaginer une autre solution conduisant à un meilleur
résultat; disons même que les constructions ne pourront jamais être
théoriquement fixées, puisqu'il n'y a aucun critérium pour reconnaître si
une solution est la plus simple qu'il soit possible et si elle est conduite
graphiquement le mieux possible; mais pratiquement la chose sera bientôt
faite quand les géomètres auront dirigé leur attention sur un sujet aussi
clair et aussi nettement défini ; il suffira d'enregistrer cbaque perfection-
nement, l'on aura rapidement les résultats effectivement définitifs.
b) Les coordonnées normales 1, m, n sont des coordonnées normales abso-
lues et Von en connaît deux, 1 et m par exemple:
1° Je prends / op. : (SCJ.
Je décris C(/) et je mène les deux perpendiculaires en C à CA et
76 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
à CB op.: (4R, + 2R, + 3C, +5C3).
Je prends m que je porte dans le sens convenable en Cjx sur la per-
pendiculaire à Câ ; ce transport n'a pas besoin d'être fait pour l qui se
trouve placé sur le cercle C(/) op- • (3Ci -|- C3).
Par les extrémités ainsi obtenues de / et de m, je mène des perpendicu-
laires aux droites qui joignent ces extrémités à C (XX 2° 6)
op. : (8R, -f 4R, + 2C, + 2C,3).
Elle se coupent au point cherché.
Op. : (12R, 4- 6R, + 12Ci + 8C3); simplicité 38; exactitude 24; 6 droites,
8 cercles.
2° Je trace un cercle passant par C au moyen duquel je trace les deux
perpendiculaires à CB et à CA menées en C (XX 2" b, en économisant
Cl + Cg puisqu'un seul cercle suffit) ... op. (8R1 + ^^i + Ci -)- C3).
Sur ces perpendiculaires, je place dans le sens convenable les coor-
données l et m op. : (OC^ -\- 2C3),
et, comme dans la construction précédente, je trace par les extrémités
ainsi obtenues des perpendiculaires aux droites qui joignent ces extrémités
à C op. : (8R. + 4H, + 2Ci + 2C3).
Op. : (1 6R, + 8 R2 + 9Ci + SC3) ; simpUcilé 38 ; exactitude 2o ; 8 droites,
o cercles.
Chaque point remarquable peut évidemment se construire quand on a
l'expression de ses coordonnées normales, mais cette construction est tou-
jours beaucoup plus compliquée que d'autres qui se déduisent des pro-
priétés du point. xNous allons en donner quelques exemples.
L. — Placer le centre de gravité d'un triangle ABC.
111
Les coordonnées du centre de gravité étant -, -7, -, pour trouver, sans
° abc
avoir égard aux propriétés de ce point, des longueurs proportionnelles à
ces quantités, le plus simple serait de les multiplier par a\ ce qui donnerait :
a' «-
«, — r ' — '
a^ , a-'
de construire : b = — — c = — ,
b • c
ce qui donnerait (construction XXXIV) une simplicité 30 et de construire
le point correspondant par la construction XLIX. En tout une sim-
plicité 84.
Voici d'autres moyens, seuls pratiques, déduits des propriétés du triangle :
É. LK.MOI.M;. — LA (iÉUMÉTUOGUAI^HlK 77
a) On utilise la propriété suivante : Si A' et B' sont les milieux de BC
et de CA, AA' et BB' se coupent au centre de gravité.
Op. : (8B, -f-i'^'^ + SCi -j-^Cjj; simplicité 18; exactitude 11; 4 droites;
3 cercles.
b) On utilise la propriété suivante :
Si l'on construit un parallélogramme CABA", AA' passe par le centre
de gravité.
Je décris les cercles B(CA) et A(CB qui se coupent en C op . : i GC, + 2Cj) .
Je trace C'B qui coupe B(CA en A' op. : i2Bi-[-R:).
Je trace CC, AA' qui se coupent au point cherché. . op. : (4Ri-|-B;).
Op. : [6^1 -f-3R, -f-^Ci -{-^2C,); simplicité 17 ; exactitude 12 ; 3 droites,
2 cercles.
C'est la construction la plus simple que nous connaissions pour avoir
le centre de gravité.
LI. — Placer le point de Lemoine K d'un triangle ABC.
Ses coordonnées normales étant immédiatement données par les côtés
du triangle, il serait placé par la construction XLIX; mais il se construit
d'un très grand nombre de façons plus simples, nous en avons étudié
six (qui pourraient, du reste, être mieux conduites que nous ne l'avons
fait alors). (Voir/. E., 1889, p. 34.)
Je donne ici seulement la plus simple :
Sur AC je prends AC = AB op. : (2Ci -(- C3);
puislaissantlapointeen A, jeprendssur AB, AB' = AC, op. : (Cj -[~ C3).
Je décris la circonférence C'(AC) dont le rayon est entre les branches
du compas op. : (Ci -|- Cj).
Je reprends la longueur AB et je décris B'(ABj. . . op. : (3Ci -f- Cj).
C'(AC) et B'(AB) se coupent en A'.
Je trace la symédiane AA' qui contient le point K. . op.: {^iK^ -f-R:).
Je trace l'autre symédiane BB' en faisant une économie de Cl
op. : (2Ri + R, + ^2Ci -f 3C3).
En tout : op. : (4Ri-f-2R2-j-13Ci -f 8C3); simplicité 27; exactitude 17 ;
2 droites, 8 cercles.
Si j'avais deux compas, je pourrais économiser. . . op.: (4Ci -j- C3)
et j'aurais pour symbole :
Op. : (4Ri -f 2R2 + 9Ci -f 7R,); simplicité 22; exactitude 13;
2 droites, 7 cercles.
On voit par ce qui précède que : Con peut tracer une symédiane par le
symbole :
Op. : (2Ri -}- R2 + "Cl + 4C3); simplicité 14 ; exactitude 9 ; 1 droite,
4 cercles.
78 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
LU. — Tfcicer la droite de Lemoine.
Je fais en A et en B, de l'autre côté de AB que le point C, les angles
BAA', ABB' égaux à C.
A' étant sur CB, B' sur CA, je trace A'B', c'est la droite cherchée.
Op. : (GRi + 3R2 4-6C1 4- 4C,); simplicité 19 ; exactitude 12 ; 3 droites;
4 cercles.
Un cas très intéressant, mais aussi beaucoup plus délicat que le problème
de trouver une construction déterminée le plus simplement possible, se
présentera très souvent dans la géométrie du triangle : c'est de comijiner
une construction qui donne le moyen le plus simple de trouver, dans un
même ensemble de constructions, plusieurs résultats dont on a également
besoin. Si le lecteur veut s'exercer à quelques cas simples, il verra rapi-
dement, s'il en doute encore, qu'il y a un a7't véritablement nouveau
des constructions géométriques. Cette recherche exige que l'on possède à
fond la géométrie du triangle, que l'on ait une grande présence d'esprit
pour choisir les constructions quand on fera le croquis de sa construc-
tion, et beaucoup de réflexion.
Il arrivera souvent que la combinaison des constructions les plus simples
pour chaque résultat isolé ne donnera pas du tout le résultat le plus
simple cherché, qui s'obtiendra par des voies différentes. Le problème se
complique rapidement et présente souvent des diflicultés que n'aurait pu
faire prévoir la théorie si simple de l'art des constructions.
Nous allons en donner brièvement un exemple des plus élémentaires.
Lin. — Placer le centre de gravité et le point de Lemoine d'un triangle ABC
en une même construction.
L'addition des constructions Ll et LU nous donnerait un symbole de
simplicité 43 qui se simplifierait évidemment un peu en utilisant dans les
constructions les cercles de même rayon a, b ou c, que l'on peut tracer
pour une des constructions et qui serviraient à l'autre lorsque leur centre
se trouverait placé sur l'épure au moment où l'on aurait la longueur conve-
nable entre les branches du compas, mais il est facile de prévoir que le
compte total dépasserait 32, car au moment où nous placerions K nous
aurions au moins 26 (puisque c'est le nombre que nous considérons comme
donné par la construction la plus simple de K;, et il resterait à trouver le
barycentre, ce qui exigerait au moins le tracé de deux droites ou six opé-
rations élémentaires, car aucune médiane n'a été tracée dans la construc-
tion de K. Les lignes qui précèdent ne sont pas une démonstration rigou-
reuse que 32 serait dépassé, mais elles le montrent suffisamment.
Nous allons donner une construction qui place ces deux points par le
symbole :
É. LEMUIM:. — l.V GKOMÉTUOGKM'HIE 79"
Op. : (12Ri + GRo + 9Ci -|- 0C3); simplicité 32 ; exactitude 21 ;
6 droites, o cercles.
Je trace les trois cercles A(Rj, R(R), C(R) de même rayon R suflisant
pour qu'ils se coupent deux à deux op. : (3G, -j- SCj).
Au moyen de deux de leurs intersections, je place les milieux A' et B'
deBCetdeCA op.: (4Ri+2R,).
Je trace AA', BB', ce qui place le barycentre . . .op. : (4Ri -{- 2R2).
Je prends sur les arcs de A(R) et de B(R) compris entre les côtés des
angles A et B du triangle les arcs qui placent les points où les arcs sont
coupés par les symédianes de A et de B (on sait que les médianes et les
symédianes d'un même angle, symétriques par rapport à la bissectrice de
cet angle, font des angles respectivement égaux avec les côtés de
l'angle • ... op. : (6C, + 2C3);
Et enfin je trace les symédianes de A et de B, ce qui place le
point K op. : (4Bi + 2R,).
Les lecteurs pourront s'exercer à la construction la plus simple pour
obtenir dans un même ensemble :
Le pont de concours des hauteurs, le centre de gravité, le point de
Lemoine ;
Le centre du cercle inscrit et celui du cercle circonscrit ;
Le point de Nagel et le point de Gergonne, etc., etc.
LIV. — Placer un point de Brocard.
Le point direct w par exemple, tel que ojAC = wCB = wBA.
Je m'appuierai sur la construction de l'angle de B)'ocard donnée par
M. Brocard {A. F., Congrès d'Alger, 1881, 10, p. 146).
Je décris les trois cercles d'un même rayon R quelconque, A(R), B(Rjr
C(R) op. : (3C, + 3C3).
Par A je mène la parallèle X'AX à BC en faisant au moyen d'arcs égaux
pris sur les cercles A(R) et C( R ), l'angle CAX' = ACB ...
• . op. : (2R, + R. + 3C, +C3).
Je fais en B (de l'autre côté de AB que le point c) l'angle ABX = ACB
op.: (2R, + R, + C, + C3).
Je trace CX op. : (2Ri + R^).
ex contient w et XCB est l'angle de Brocard.
Au moyen de l'arc qu'il intercepte sur C(R), je trace, en le reportant
sur B(R), etc., la droite Boj op. : (2R, -f- R, + 3C, -f C3).
et j'ai le point to par le symbole :
Op. : (8R1 + 4R, + lOC^ + 6C3); simplicité 28; exactitude 18;
4 droites, 6 cercles.
80 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
LV. — Placer les deux points de Brocard to et o/.
Ayant fait les mêmes constructions que précédemment, je trace deux des
droites Ao)', Bo/, Cw', au moyen de deux des circonférences A(R), B(R),
C(R) et de la corde de l'arc (que j'ai dans le compas) intercepté sur l'une
d'elles par l'angle de Brocard op. : (4Ri + 2R, + IC, + 20,).
J'ai donc placé les deux points de Brocard par une construction dont le
symbole est :
Op. : (12Ri + 6R2 + 12Ci + 8C,); simplicité 38; exactitude 24;
6 droites, 8 cercles.
Ce sont les constructions les plus simples pour obtenir les points de
Brocard, ... jusqu'à ce qu'on en ait indiqué de plus simples, s'il y en a.
L\ I. — Placer le point de Steiner.
Je me sers de la proposition suivante {Mathesis, 1889, p. 69, dans l'article
qui est la reproduction traduite du chapitre de : A Sequel to the first six
books of the Euclide, par M. J. Casey, 5*^ édition).
Des sommets A, B, C du triangle comm,e centres avec des rayons respec-
tifs a, b, c, je décris des cercles qui se coupent deux à deux sur le cercle
circonscîit en X^, B,, Ci, ; BC et BjC^ se coupent en A^; AA^ coupe le cercle
circonscrit au point de Steiner.
Je trace A(BC), B(CA), C(AB) qui se coupent deux à deux en Ai, Bi.Cj
op. : (9Ci -i- 3C3).
Je trace BiCiqui coupe BC en A2,puis je trouve AA2, op. : (41{i -f- 2R2).
Je trace CiAj qui coupe AC en B^, puis je trace BB^, op. : (4Ri + 2R.j.
AA2 et EB^ se coupent au point de Steiner qui est ainsi donné par le
symbole :
Op. : (8Bi + 4R, + 9Ci + 3C3); simplicité 24; exactitude 17; 4 droites,
3 cercles.
LVII. — Placer le point de Tarry.
Je trace le cercle circonscrit .... op. : (4Ri -|- SR^ + 5Ci + -iCg).
Je trace le cercle A(BC) qui coupe le cercle circonscrit en Bj et Ci . . .
■ op. : (3Ci + C3).
Je trace BiCi qui coupe BC en A2, je trace AA.^ qui coupe le cercle cir-
conscrit au point R de Steiner op. : (4Ri -f 2RJ.
Je trace le diamètre RO du cercle circonscrit op. : (2Ri -{- R^);
l'extrémité opposée à R est le point de Tarry.
Op. : (lORi -f oR, -}- 8C1 4- 5C3); simplicité 28; exactitude 18; 5 droites,
5 cercles.
de A' sur AB et sur AC ; on aura A^ A^ = - •
K. I.KMOI.XK. LA GÉCt.MÉTliOGKAPHIK 81
Remarquons que lorsque l'on place ainsi le point de Tarry, le point de
Steiner se trouve préalablement placé par le symbole
op. : (8R, + 4R, + 8C, + SC^),
symbole simple, mais cependant un peu moins que celui que nous venons
de donner.
S 2S
LVIII. — Construire la longueur — ou ~ dans un triannle.
Il R "^
Soit A' le pied de la hauteur abaissée de A surBC; A^ et A^' les projections
S
R
L'intersection de B(BA) et de C(CA) donnera Aj symétrique de A par
rapport à BC; traçons AAi ; on aura A'. . op. : (âRi -{- R^ -f 40^ + SC,).
L'intersection de B(BA') et de A(AA') donnera A^'^ symétrique de A'
par rapport à AB; traçons A'A^^, qui coupera AB en A^'
op. ; (2R, + R, + 4C, + 2C3).
On aura de même A^ par op. : (2Ri -f- R., -j- 4Ci -f 2C3),
S
et A^A^ (qu'il n'est pas besoin de tracer), c'est-à-dire — est obtenu par:
Op. : (6R, -I- m, + 12Ci + 6C3); simplicité '27; exactitude 18;
3 droites, 6 cercles.
2S '^S
Si l'on remarque que A' A'^ = —, on s'aperçoit que ^ peut être
Il R
g
construit plus simplement que - ; en efïet, je construis A' comme précé-
demment par . op. : (2Ri -f R^ + 4Ci -\- 2C3),
puis A^ç et A'.j, en opérant ainsi :
Je construis A(AA'j, puis B(BA') qui coupe A(AA'j en A^^,, puis C(CA')
qui coupe A(AA'j en A',,, op. : (60^ + SCg).
En tout : op. : (±]X, -f R, + lOCi + SC3) ; simplicité 18; exactitude 12;
i droite, 5 cercles.
Je ne donne cette construction LVIII que comme exemple très simple
des remarques que peut susciter l'application d'une construction, et aussi
pour montrer l'utilité qu'il y a à conserver dans la mémoire, ou de noter
la valeur d'un assez grand nombre d'éléments du triangle, afin d'abréger,
à l'occasion, les constructions.
c- • » • S ^^/l
Si je n avais pas utilisé la valeur de A[A^, je n'aurais construit j; ~ -^^
R 2R
que par un symbole beaucoup plus compliqué; il aurait fallu par exemple:
mener la hauteur partant de A, construire le cercle circonscrit pour
6*
82 MATIIÉM.VTIQIJES, ASTRONOMIK, Cl'lODKSIK KT MÉCANIQUE
avoir le dianiMro rayon 2I{, t'iiliii, cluMclicr la qiuilriùine proporlionndle
entre IIC, la liaiileur, et ïiH.
S
Dans noire pronnùre conslriiction de -, au heu de mener les perpen-
diculaires (le A SIM' WC, de A' sur AU el sur AC en plaçant leurs symé-
triques, j'aurais \n\ iMuployer la construclion classique W a, et j'aurais
obtenu la Hj-ne j- par le symbole : op. : (6K, + '^^^2 + 9C, -f Î^C,.,), de
même siuqtlii'ilc, mais exigeant plus de li^Mies; remarquons, du reste,
2S
que je n'aiiiais pu alors construire —aussi simplement que je l'ai fait.
Ll\. — Placer le point de (Iergonnk d'un des cercles tangents
(lu.r trois cnti^s d'un triniif/le.
La construction indiquée (.4. h\, Congrès de Paris, 1881), p. 213, § 7)
donne :
Op. : (lOli, + rjR, -f 9C, 4- ^U:,); simplicité 27; exactitude 19;
5 droites, 3 cercles,
pour placer un seul point, et :
Op. : (22K, 4- nu, + 9C, + SC,); sim])licité io; exactitude 31;
11 droites, 3 cercles,
pour les placer tous les quatre.
LX. — Placer le centre de gravité 1 du périmètre.
Je me sers de la première construction inili(]uée (^1. P., Congrès de
Paris, 1889, p. 20o, § 5).
Je trace B(a); puis A(a), qui coupe AC en p dans le sens de AC et AH
en Y dans le sens de AB op. : (3C, -|- 2C3).
Je prends le milieu y' de By et le milieu [i' de C[B au moyen des trois
nouveaux cercles y(«), C(a), ^(a), puiscjue B(rt) est déjà, tracé
op. ; (IR, -f- 2R, + 3C, -f 3C3).
Je trace C(Ct3') qui coupe CB en (3, dans le sens CB et B(By') qui coupe BC
en Yi dans le sens BC op. : (4Ci -j- 2CJ.
Enfin, je trace p'^,, y'y, qui se coupent en 1 . . . op. : (4Ri -}- 2BJ.
En tout: op. : (8B1 -|- 4B, -[- lOC, + 7C3); simplicité 29; exactitude 18;
4 droites, 7 cercles.
Par transformation continue en A, on placerait d'une fa(;on analogue
h -\- c c — a b — a
le pomt — ■ — > — ; — j
abc
É. LEMOI.NE. I,A GÉOMÉTROGRAPHIE 83
LXI. — Placer le point de Nagel : , etc.
a
Soit al^ f^ c.
Je trace \(a) qui coupe AC en p dans le sens AC et AB en y dans le
s«nsAB op. : (3C, +C,).
Je trace C(C8j qui coupe CB en .S, dans le sens CB et B^ B-.'j qui coupe
BC en Y, dans le sens BC op. : (4C, + 2Cj).
Je trace y^^ et vv^ qui se coupent en point de Nagel, op. : (4Bi -f- 2B,).
Op. : (4R, + 2B, + 7C, +3C31; simplicité \Q; exactitude 11 ; 2 droites,
3 cercles.
On vérifie facilement cette construction du point de Xagel, parce que
les équations de }}^ et de w, sont respectivement :
a-x — b'^y -f- cz\a — èi = 0,
— a-x + hy(c — a) -\- ez = 0,
droites qui se coupent au point de Nagel.
On placerait par une construction analogue déduite de la précédente
par transformation continue en A, en B et en C, les transformés continus :
P P — '^ P — ^
' — 7— • ; etc.. du point de NaqeL
a 0 o "^
T vir D/ / • , ^ a^j^ + a*c^ — b^c-
LMi. — Placer le point <ï> : ■ .
etc.
>'ous avons fréquemment rencontré ce point ivoir ./. E., 1883, pro-
blème VU, p.nS; A. F., Congrès de Grenoble. 188o, § 2, p. 28; 4 F.,
Congrès de Toulouse, § 2, 3, 4% p. 23, etc. j ; c'est aussi, comme nous
l'avons montré, le centre radical des trois cercles de Neuberg. «I» est le
point où se coupent les deux brocardiennes de la droite de Lemoine par
rapport à la droite de l'infini.
-Nous le construirons en partant de la propriété suivante :
Si A' e.Ht la symétrique de A par rapport au milieu de BC, A, le pied de
la sy médiane partant de A, A'A, passe en <^.
Je place A' et C comme il suit :
Je prends AC; je trace la parallèle à AC menée par B en traçant un
losange dont le côté ait pour longueur AC, qui s'appuie sur la droite AC,
en ayant un sommet en B, les points A' et C sont ainsi placés par les
intersections de cette parallèle et du cercle BiACi qui a servi à la tracer
op. : <-2Rj + R, -j-oC, + 3C3I
Ceci exige que j'aie choisi pour B un sommet tel que AC soit plus grand
que la hauteur partant de B. Au moyen des cercles CiCC), AfAA'i, je
8i MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
prends sur les arcs qu'ils comprennent entre les côtés des angles C et A
les symétriques C" et A" de C et de A', par rapport aux bissectrices des
angles C et A, C" et A" sont sur les symédianes partant de C et de A.
Ces syinédianes coupent AB et CB en Cl et A,
op.: (4R, + 2B, + 10Ci+4C3j.
Je trace C'Ci, A'Ai op.: (4R, + !2R j.
Ces droites se coupent au point •!> obtenu ainsi par le symbole :
Op. : (lORi + 0R2 + loCi + 7C3J; simplicité 37; exactitude 2o;
5 droites, 7 cercles.
^i b'^c^
LXIII. — Placer le pobii W : , etc.
a
Ce point s'est aussi très souvent présenté à nous. {N. A., 1885, § 1,
n° 4, p. 204; i. F., Congrès de Limoges, 1890, p. 124; Congrès de Mar-
seille. 1891, p. 15o, n° 18; voir, à propos de ce dernier refert, le renvoi
indiqué à la construction b donnée plus loin, du problème qui nous
occupe.)
Je vais d'abord placer ce point en me servant des valeurs de ses coor-
données, je donnerai ensuite une autre méthode plus simple.
a) Pour réduire les coordonnées données de W à des lignes, je les divi-
serai toutes trois par une même quantité qui devra être le produit de
deux lignes. .Je choisis le produit bc de deux côtés du triangle, ce qui
me paraît permettre les plus grandes réductions possibles dans la construc-
fa' a bc\ /b^ a^ c\
tion ; ces coordonnées peuvent alors s écrire : I U ( - — T" I ) '
c* a"" 6^
a* c'^ b"^ à^ bc
, _ , — , —
b b c c a
abréger, j'appelle respectivement /j, Z,^, /3, Z^, /j.
On pourrait faire pour cela cinq fois la construction XXXIV*"*, mais
il y a des économies possibles.
i" Je n'ai, pour les cinq constructions, à tracer que trois cercles ayant
pour centres A, B, C, en les prenant d'un même rayon; cela économisera :
op. : (7C, + 7C3).
a- c*
2° Pour avoir -7-5-7-» j'ai à faire les angles A et G en B;
b b •' °
» — ? — » » » A et B en C ;
c c
» — » » l'angle C ou l'angle B en A.
fSe reporter au détail de la construction citée.)
Je ne prendrai donc entre les branches du compas qu'une fois la corde,
Il faut donc construire d'abord les lignes —■, — > —-, — > — que, pour
K. LEMOINE. — I-.V C.ÉOMÉTROGRAPHIK 85
correspondant, dans les trois cercles tracés, aux angles A, B, C, puisque
ces cercles sont tracés et que je pourrai alors utiliser, pour les constructions
des angles, la corde d'un angle au moment où je l'aurai dans les branches
du compas; j'économiserai parla: op. : (4Ci).
/ a
J'ai ramené ainsi la solution à construire le pomt : Ui - — U
(k — ^ r) ' (^2 — ^4 - ) ' n'ayant encore fait que o[2Ri + R2 + ^Ci -\- 30^]
_7C^_7C3-4Cj,ou op.: [iORi + 5R, + l^C, + 8C3].
,, , « , c b
Pour prendre les trois quatrièmes proportionnelles /i •- 5 h-f h'-'
I
que j'appelle >.i, )>2» ^3' j'opère ainsi :
Comtruction de 1. ou\.-- :
c
Je porte AB en CL sur CB dans le sens CB . . . .op. : (3Ci -f C3).
Je porte l^ en CL' sur CA dans le sens CA . . . . op. : (SC^ -\- C3) ;
puis je mènerai par B une parallèle à LL' (sans tracer LL'}, construc-
tion XVIL
I .a
3° Cette parallèle coupera CA en L" et CL" sera — ou Àj
op. : (2R. + R, + 6C, + 2C3).
c
Comtmction de X, ou\.-- :
' b
Par L', je mène une parallèle à AL fsans tracer AL)
.op. : r2R,+R, + 6C, +2C3),
qui coupe CB en N; CX sera 1^.
Construction de 1.^ ou I4 • - :
Je porle l^ sur CB en CP dans la direction CB. . .op. : {3Ci 4- C3).
Par P, je mène une parallèle à LA (sans tracer LA)
....'. op. : (2R, + R. + 6C1 + 2C3),
qui coupe CA en P'; CP' sera X3.
J'ai maintenant à construire les trois longueurs À; — 4, /g — l^, l„ — X,.
Ce que je fais en portant /^ sur Xj, X,^ sur ^3, A3 sur l, dans le sens
convenable par op. : ^BCi -j- 3C3),
et j'ai enfin trois longueurs \k^, ;j.,^, 1x3 par le symbole
op. : ( i6R, + 8R, + SOCj + 2OC3).
Il ne me restera plus, pour placer W, qu'à faire la construction XLIX
du point dont les coordonnées normales proportionnelles sont : ;xi, [j..,, [j-^,
et je l'aurai obtenu par le symbole total :
Op. : (32Hi + IGR, + OSC^ + 32C3); simplicité 148; exactitude 100;
16 droites, 32 cercles.
86 MATHÉMATIQUES, ASTROiNOMlK, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
b) Je m'appuierai, pour effectuer la seconde construction, sur le moyen
de construire le point V^ : x'x.iy';:, — z'y,), etc., connaissant les points
M' : x', y\ z' et M, : x„ y„ z^, moyen que j'ai donné au Congrès de Mar-
seille, A. F., 1891, p. 15o, n" 13 (*).
On voit que, si M' et M^ sont les points de Brocard, Yi est le point
W : , etc., dont nous nous occupons.
a
Je place les points de Brocard W et M^ par la construction LIV. . .
op. : (12R, + 6R, + 12C, + 8C3),
Comme, dans cette construction, je n'ai tracé que deux des droites
AM', BM', CM' et deux des droites AM^, BM^, CM^, je trace les deux
autres, qui me sont nécessaires ici op. : (4Ri -f" -ï^i)-
Je place le point appelé a (loco citato) op. : (4Ri -j- 2R2),
et je trace la droite Aa, qui contient W et la droite B?, qui contient
aussi W op- • (8R. + ■^^■2)'
W se trouve alors placé au moyen du symbole :
Op. : ("28Ri + 14R, + 12Ci + SC,;; simplicité 62; exactitude 40;
14 droites, 8 cercles.
Et rien ne dit, naturellement, qu'en s'appuyant sur d'autres propriétés
du point W, on ne trouverait pas mieux.
J'ai traité cette question surtout pour donner un exemple de la façon
de discuter les problèmes de construction; j'ajouterai que les constructions
tirées des théorèmes de la géométrie du triangle (comme la construction b
de ce point W) sont, pour ainsi dire, toujours beaucoup plus simples
que celles qui sont déduites simplement de la valeur des coordonnées du
point à construire, quelque soin que l'on mette d'ailleurs, comme je l'ai
fait ici, à économiser les constructions en profitant de toutes les simpli-
fications que la nature des données suggère.
Toutes ces remarques très simples qui se font vite et facilement dès
que l'on a un peu l'habitude de construire avec nos principes sont, comme
l'on voit, fort longues et assez fastidieuses à détailler, à cause même de
leur degré d'évidence; en suivant ce mémoire, un crayon à la main, on
verra qu'il se lit sans aucun effort et que presque partout la pensée du
lecteur suivra immédiatement ou même devancera notre exposition, car
les connaissances nécessitées par la théorie proprement dite de Vart des
constructions se bornent aux trois premiers livres de la Géométrie de
Legendre.
J'ai répété quelquefois diverses observations ; je ne l'ai pas fait sans
intention, car le sujet traité étant nouveau, j'ai cru bon d'insister ainsi
(*) A l'endroit cité, il y a quelques mots sautés à l'impression: page 153, ligne i, en remontant, il
a'' — Ij'-c-
faut, après points de Brocard, ajouter : V, est le pomt , etc.
K. LEMOINE. LA GÉOMÉTROGRAPHIE 87
sur certains détails lorsqu'ils se présentaient à plusieurs endroits d'une
façon naturelle, afin de ne pas obliger le lecteur à se souvenir de tout
ce qui avait été dit précédemment.
Nous n'avons pas eu pour but, dans l'étude de la Simplicité et de l'Exac-
titude des constructions, de créer quelque chose qui correspondît exactement
aux cas de la pratique ; nous croyons, du reste, la chose impossible pour
beaucoup de raisons : par exemple, on ne peut que compter également,
dans une théorie quelconque, l'intersection de deux droites, quelles
qu'elles soient, l'intersection d'un cercle et d'une droite, etc., et si, dans
une épure, l'une des droites est tout entière hors du papier, si le cercle
a un rayon considérable, si les deux droites coïncident presque, etc., etc.,
les opérations sont, en réalité, quelquefois impraticables, quelquefois
fort ditficiles; aussi l'appréciation de toutes les combinaisons diverses
qui peuvent se présenter de cette façon échappe bien évidemment à toute
mesure. De ce que nos mesures ne correspondent pas à la réalité immé-
diate, on ne peut conclure à la stérilité de la méthode, pas plus que — si
parva licet componere magnis — on ne peut dire de la mécanique ration-
nelle qu'elle est inutile parce qu'elle ne correspond point à la pratique.
Du reste, rien que ce travail, où sont simplifiées effectivement par notre
méthode les constructions fondamentales, séculairement admises, de la
géométrie, suffit pour établir son utilité, car il est difficile de croire que
si l'attention des géomètres avait été attirée de ce côté, ils eussent mis
comme à plaisir, de toute antiquité, dans les traités didactiques, des types
de construction compliqués, s'ils avaient pensé qu'il en existât de plus
simples.
Nous avons fait les hypothèses suivantes ;
Tous les cercles sont également faciles à tracer.
Toutes les droites sont également faciles à tracer.
C'est-à-dire que nous opérons sur une feuille infinie et que la grandeur
des compas et des règles est illimitée.
C'est dans le même esprit que nous avons raisonné pour donner le
même symbole C^ à l'opération qui consiste à mettre la pointe d'un compas
en un point A lorsqu'une des pointes est hbre et à l'opération qui
consiste à mettre la seconde pointe du compas en un point A lorsque la
première est maintenue en un autre point B, — opération que l'on fait
pour prendre, entre les branches du compas, la distance qui sépare les
deux points A et B. — Nous n'avons considéré que ceci : dans les deux
cas nous faisons coïncider une pointe avec un point déterminé, ne nous
occupant pas de la manœuvre à laquelle l'instrument nous oblige pour
cela ; on peut remarquer, du reste, que si la manœuvre est différente
effectivement, le soin à mettre pour faire les deux opérations est le même,
si l'on veut obtenir la plus grande exactitude possible. Dans une pareille
88 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
théorie, l'on se trouvera toujours entre la spéculation pure et les faits,
puisqu'il n'y a pas de représentation réelle du point, ce que nous consi-
dérons comme tel, étant une petite surface, soit sur l'épure, soit à la pointe
du compas, etc.
Il pourrait encore sembler nécessaire de tenir compte du nombre de fois
que la construction oblige cà changer d'instruments en quittant le compas
pour reprendre la règle et réciproquement ; on emploierait pour cela un
nouveau symbole, — la chose serait, du reste, facile — mais elle nous semble
superflue et ne se trouve pas dans le point de vue où nous nous sommes
placés; d'abord, ce changement d'instrument n'est ni une opération de pré-
paration Ri, Cl, C,, ni une opération de tracé R^, C3 qui importe au résultat ;
ensuite l'idée qui la ferait admettre, c'est le désir de tenir compte du
temps et nous ne considérons pas directement cet élément. Nous disons
que la construction A est plus simple que la construction B si A exige
moins d'opérations élémentaires théoriques que la construction B, voilà
tout.
Les positions des données amènent en pratique des impossibilités ou des
complications de tracés pour résoudre les difficultés, alors le temps serait
évidemment un élément à considérer, mais nous croyons impossible de
le faire théoriquement ; on peut objecter aussi que le temps employé à
l'étude prélim.inaire de la construction à exécuter compense celui qu'on
gagnerait à exécuter l'épure sans tant de recherches, mais d'abord un
peu d'exercice rend cet examen rapide et, surtout, nous ne considérons
pas le temps, mais nous avons en vue l'exactitude de l'épure qui est évidem-
ment d'autant plus grande qu'il y a moins d'opérations à effectuer, puisque
chacune d'elles entraîne une erreur (*).
C'est toujours en suivant la même idée théorique que nous avons
adopte l'hypothèse que les opérations élémentaires Rj, Rg. C,, C2, C3 étaient
égales pour former le coefficient de simplicité, nous les considérons comme
des éléments et une opération de simplicité n est une opération qui exige
n opérations élémentaires.
Il serait facile d'imaginer des moyens qui sembleraient évaluer les
rapports de la durée des opérations élémentaires en faisant exécuter en
même temps plusieurs constructions déterminées, par des ensembles de
bons dessinateurs, lesquels répéteraient m fois la même construction, de
marquer le temps et de déduire de là, en prenant les coefficients de Ri,
(*) A propos de l'influence du nombre des opérations sur l'exactitude finale du résultat, noussigna-
lerons une question qui nous semble fort intéressante, mais que nous n'avons pas poursuivie, parce
que sa solution dépend de spéculations avec lesquelles nous ne sommes pas très familiarisés.
J'appelle E l'erreur m(jyenne probable que l'on fait sur cbaque opération élémentaire, E,j l'erreur
probable finale d'une construction dont la simplicité est n. Cela posé, quelle est la valeur probable
E„
de — si un même résultat est recherché par deux solutions qui exigent respectivement n et n' opé-
rations élémentaires, c'est-à-dire dont les coefficients de simplicil(' sont n et n'?
K. LEMOl.NE. LA GÉOMÉTROGRAPHIE 89
Rj, etc. comme inconnues, des équations qui permettraient de déterminer
leurs rapports de durée ; mais en y réfléchissant un peu, l'on voit que
l'on n'aurait ainsi que des valeurs s'appliquant aux circonstances parti-
culières des épures adoptées pour faire cette expérience, et nullement à la
pratique générale ; la chose peut avoir cependant un intérêt de curiosité,
quoique nous ne fassions pas intervenir directement le temps dans Vcri
de la construction géométrique, et nous avons le projet de la mettre à exé-
cution, si nous trouvons des circonstances favorables pour cela.
J'ai déjà dit que les géomètres n'avaient jusqu'ici cherché que la sim^
plicité spéculative du raisonnement et de l'expression, qu'ils n'ont pas
paru soupçonner que la simplicité de la construction réelle était tout
autre.
Cela vient évidemment de ce que les géomètres construisent peu en
général, et Vart de la construction n'a pas eu jusqu'ici de place dans la
géométrie : 1" parce que les géomètres spéculatifs ne s'en sont jamais
occupé ; 2° parce que les dessinateurs de profession n'ont en général que
très peu besoin de ces subtilités dans les constructions usuelles de leur
métier; qu'ils doivent avoir l'esprit plus apphqué à la pratique propre-
ment dite qu'à des recherches théoriques (cependant utilisables par eux
et qu'ils ont adopté, sans examen et tout naturellement, les constructions
indiquées de tout temps par les géomètres dans les livres didactiques qu'ils
ont entre les mains.
Il n'est point surprenant que la simplicité du raisonnement spéculatif
ne corresponde pas très fréquemment à la simplicité de la construction :
i° Parce que le lexique géométrique permet de condenser souvent en
un mot des opérations très complexes ;
2° Parce que le raisonnement est libre de toute entrave, tandis que la
construction est assujettie à se servir de certains instruments déterminés,
la règle et le compas (-), au moyen desquels il faut que tout s'exécute.
Lorsque l'idée nous est venue de nous occuper de ces questions, nous
avions songé d'abord à une autre représentation des constructions, dont
nous allons dire quelques mots.
Avec une règle on ne peut faire autre chose, pour une construction, que :
Tracer une droite quelconque op. : (oj ;
Tracer une droite passant par un point donné op. : (cj ;
Tracer une droite passant par deux points donnés op.: (03).
Et, avec un compas, que : prendre entre les branches du compas la dis-
tance de deux points op. : (y ).
Reporter cette distance sur une ligne donnée :
(*) Nous n'avons pas considéré ici Téquerre parce qu'on ne remploie pas dans les construction.s nul
doivent être très exactes; mais, ainsi que nous l'avons montré (A. F., (1888, Congrès dOran, p. 9
et ailleurs), il est l'acile d'évaluer le symbole des opérations où Ton emploierait cet instrument.
90 MATHK.MATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Soit à partir d'un point quelconque ^ . . . op.: (y^).
Soit à partir d'un point donné op.: (y',').
Tracer un cercle d'un centre quelconque op.: (y.J.
Tracer un cercle d'un centre donné .op.: (y'g).
Tout tracé fait avec ces instruments peut donc être représenté par un
symbole de la forme :
A(pO + B(p,) + C(p3) + D(y,) + E(y;) + F(y;') + G(y,) + H(y;).
Nous y avons renoncé assez vite :
Parce que cette représentation est trop compliquée;
Parce que ces diverses opérations sont trop ditférentes entre elles pour
qu'on puisse les assimiler à aucun point de vue ;
Parce que la plupart des symboles qu'elle admet se composent d'opé-
rations irréductibles qu'il vaut mieux prendre pour points de départ;
Parce qu'elle ne met pas en évidence les opérations de préparation
Cl, Co, Ri et ne s'occupe que des tracés ;
Parce que l'on ne peut se placer à un point de vue aussi rationnel que
celui que nous avons adopté dans ce qui précède ;
Parce qu'elle ne donne pas la notion de l'évaluation de l'Exactitude,
et que, malgré le détail dans lequel elle semble entrer, elle vaut moins
que la représentation qui se conlenterait de dire : il faut pour ce tracé
tant de droites, tant de cercles.
Je désire avoir bien montré par ce mémoire qu'il existe un art des
constructions géométriques qui a ses règles propres, son élégance, sa
grande valeur didactique d'exercice de discussion, et enfin son application
pratique.
Comme achèvement des idées émises dans le mémoire du Congrès
d'Oran déjà cité, il resterait à refaire la géométrie en mettant toutes les
propositions sous la forme classique du syllogisme. Nous croyons même
que c'est la partie la plus importante du sujet, — dont ce qui précède n'est
qu'une application particulière, — parce que c'est le seul moyen démettre
en évidence et hors de contestation toutes les notions élémentaires irré-
ductibles ou axiomes expérimentaux qui servent de fondement à la
géométrie et qui sont, en somme, toujours discutés dès que l'on s'en
occupe philosophiquement; nous regrettons de ne pouvoir nous mettre,
au moins actuellement, à cette étude qui est d'un intérêt de premier ordre,
à notre avis.
J'ai dit dans le cours du travail que je viens de soumettre à votre
appréciation : Les géomètres ne se sont jamais occupé des constructions
jusqu'à leur exécution matérielle finale. Il est certain que, à la lecture de
cette phrase, il viendra à l'esprit des géomètres une protestation contre
cette assertion : mais, au contraire, c'est le but final des théorèmes et l'on
E.
LEMODiE. — LA GÉOMÉTROGR.\PHIE 91
s'en préoccupe toujours. Je ne doute pas quu cette réflexion ne soit faite,
car elle n'a jamais manqué d'être la réponse à mon affirmation quand je
la produisais en conversation. Je ne crois pas pouvoir mieux la réfuter
et prouver ma thèse qu'en citant ici (avec l'assentiment des géomètres mis
en cause), deux faits typiques :
Au mois de novembre 1891, j'avais, à une séance de la Société mathé-
matique, parlé de mes idées sur ïart des constructions géométriques, et je
causais de ce sujet avec M. Mannheim, en sortant.
Je suis Taxi de pouvoir citer M. Mannheim à cette occasion, car, pas un
géomètre n'a mieux que lui — avec une préoccupation évidente — donné
élégamment, sur les sujets qui l'ont occupé : surface de l'onde, rayons
de courbure, \'is à filets triangulaires, construction des axes dune ellipse
connaissant deux diamètres conjugués, mémoire d'optique géométrique,
géométrie cinématique, et dans ses cours à l'École Polytechnique, etc.. des
constructions finales claires et simplement exprimées.
Voici des lambeaux de notre conversation se rapportant à l'objet que
j'ai en vue :
Moi. — « ... Le géomètre appelle simple une construction synthétisée
» en quelques mots du vocabulaire géométrique ; mais, le compas à la
» main, la plus simple de deux constructions n'est pas celle qui s'ex-
i> plique avec le moins de mots; ainsi, pour la construction du pro-
» blême d'Apollonius, dont je parlais ce soir, il faut, dans la solution de
» Bobillier et Gergonne, trouver le centre radical des trois circonférences,
» ce qui exige le tracé de deux axes radicaux, etc., et il est nécessaire,
» pour savoir si la solution de Bobillier et Gergonne est la plus simple à
» tracer, de s'occuper d'abord de chercher les tracés les plus simples
» qu'elle comporte, celui de l'axe radical de deux circonférences, etc.. »
i>I. 3Iannheim. — «... Il y a plusieurs moyens très simples : je citerai,
y à première vue, la propriété de l'axe radical de passer par les milieux
» des longueurs comprises sur les tangentes communes entre les deux
» cercles... »
Le Géomètre avait raison ; pour lui, dans ses spéculations, quand on
donne deux cercles, les tangentes communes sont données, les milieux
des segments aussi, etc. ; il s'en sert dans ses raisonnements et en tire
ses énoncés de construction ; il s'arrête, sa tâche est finie dès qu'il a
ramené la question à des constructions géométriques élémentaires.
Mais le Constructeur ?
Examinons ce qu'il aurait à faire pour tracer ainsi l'axe radical, les
deux cercles tout seuls étant sur l'épure ; nous supposerons les deux cir-
conférences extérieures .
1° Tracer deux des tangentes communes aux deux cercles ;
2° Placer les points de contact ;
92 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
3° Prendre les deux milieux de la distance qui sépare les points de
contact ;
4° Enfin, joindre ces deux milieux.
Ce qui, en prenant la construction XIX, première méthode (la plus
simple dans ce cas), et en conduisant toute la construction économique-
ment, suivant nos principes, donne :
Op. : (18Ri + 9R, + 19Ci -f- I2C3); simplicité 58 (soit 58 opérations
élémentaires); exactitude 37 ; 9 droites, 12 cercles.
Et la méthode que nous avons employée (construction XLI), pour tracer
l'axe radical n'exige que :
Op. : (lORi -f- ^1^2 + 2C3); simplicité 17 (soit 17 opérations élémen-
taires); exactitude 10; 5 droites, 3 cercles.
Elle est plus de trois fois plus simple à tracer.
11 est évident que ces considérations ne seront qu'un jeu pour les
géomètres, dès que leur attention sera portée sur ce point; ainsi, ayant
fait voir à M. Mmmheim, dans la suite de notre causerie, que la cons-
truction qu'il avait citée, à première vue, comme simple était fort com-
pliquée, je fus amené à dire : « Eh bien! quel est, à votre avis, la construc-
tion la plus simple du point de Lemoine?» 11 ne répondit plus sur-le-champ
comme la première fois, mais il m'envoya, dès le lendemain matin, une
construction du point de Lemoine qui était la même que celle que je regar-
dais comme la plus simple ot que je donne ici (construction LU).
Voici le second fait que je veux citer.
En rédigeant le texte relatif à la construction LV de ce mémoire, pour
placer les points de Brocard, j'eus l'idée d'écrire à mon ami M. Brocard
en lui demandant de m'envoyer celle des constructions de ces points qu'il
croyait la plus simple, afin de la comparer avec celle que ma méthode
m'avait fait choisir.
Je copie le passage y relatif de sa réponse.
« Pour la détermination des points oj, w', il me semble que la cons-
» truction la plus rapide est la suivante, réduite au minimum de lignes.
» Soit ABC le triangle; tracer le cercle circonscrit; tracer les trois tan-
» gentes BC, CB', C'AB'; joindre BB', CC qui se coupent au point K
>■> de Lemoine. Décrire le cercle Zqui a pour diamètre la droite OK (0 contre
)) du cercle circonscrit); mener par A la droite EAD parallèle à BC; elle
» coupe BC en E, CB' en D; joindre DB, EC qui se coupent en Aj sur le
« cercle Z; les secondes intersections de ces droites DB, EC avec Z sont
» les points w et w'. »
Analysons cette construction en l'exécutant à la lettre, mais en prenant
cependant les constructions réduites de ce mémoire.
1° Je trace le cercle circonscrit (voir construction XXI)
op.: (4Ri + 2R,-f oC, + -iC3).
!■;. LKMOINE. LA GÉOMÉTROGRAIMIIK 93
2° Je trace les trois tangentes en A, en B et en C (voir construction XXV).
op. :(6Hi + 3R, + 12Ci-[-9C,).
3" Je joins BB', ce op. : (4Ri -f 2R,).
4° Je trace le cercle OK (construction XIX)
op. : (2R, -f R, + 4C,-f-3C3).
5° Je mène par A une parallèle à BC (construction XVII) en me servant
de la construction 1° et en remarquant que le cercle circonscrit déjà tracé
me permet une économie de op. : (Ci-f-Ca). op. : 2Ri-|-2R2+ 3Ci + Cg).
6° Je joins DB, EC op. : (4R, + 2R,).
En lout : op. : (22R, + ilR, + 24C, + 170,) ; simplicité 74; exac-
titude 46; 11 droites, 17 cercles.
Notre construction LV donne : simplicité 38; exactitude 24; 6 droites,
8 cercles.
Et cependant, si M. Brocard avait eu l'attention attirée sur le point de
la construction effectuée, il n'aurait pu songer qu'à la solution que nous
avons développée, car elle est, en principe, de lui. (A. F., 1881, Congrès
d'Alger, 10, p. 14(3.)
Je dois ajouter qu'en appliquant complètement notre méthode l'on peut
réduire de quelques unités le symbole de la construction qu'il nous a
envoyée; en efîet, pour tracer les trois tangentes en A, en B et en C, l'on
peut faire en A l'angle B'AC == B en utilisant les cercles de même rayon
décrits de A, B, C dans le tracé du cercle circonscrit.
On les a ainsi par op. : (GRi + 3R, -f 9Ci -f SCg).
Pour mener la parallèle en A à BC, on peut se servir des mêmes cercles
et gagner encore deux opérations élémentaires en faisant angle EAB = C,
pendant que l'on a la longueur de la corde de l'arc correspondant à C
dans le compas, pour tracer l'angle B'^^C.
On a alors cette parallèle par op. : (2Ri -f R^ + Ci + C^).
Les points w et o/ eussent ainsi été donnés par :
Op. : (18Ri + 9R, + IQCi + IIC3); simplicité 37; exactitude 37;
9 droites, H cercles.
Je n'ai pas fait ces simplifications parce qu'elles dérivent trop de l'esprit
de la méthode que nous venons d'exposer pour croire qu'un géomètre,
quelque habile qu'il soit, construisant une figure com7ne tout le monde le
fait jusqu'ici, eût eu la pensée de les introduire; mais, même ainsi simpli-
fiée, la construction reste beaucoup trop compliquée.
J'ai cité deux exemples qui me paraissent caractéristiques.
A duobus discete omnes.
Je crois que tout ce que nous venons d'exposer présente la Géométro-
graphie comme un corps de doctrine à peu près complet en ce qui concerne
la géométrie de la droite et du cercle telle que l'entendaient les Grecs,
mais il reste deux applications à faire en détail au point de vue moderne :
94 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
1° L'application à la géométrie descriptive en ajoutant l'usage de l'équerre
et d'un nouveau symbole d'opération élémentaire y relatif.
2° L'application à la statique graphique qui, outre l'équerre, admettra
l'usage de règles divisées pour éviter les difficultés provenant des ques-
tions d'arithmologie introduites par l'idée de nombre, difficultés que nous
avons signalées précédemment, par exemple: au sujet de la division d'une
longueur donnée en parties proportionnelles à des nombres donnés ou au
sujet de la construction d'une longueur qui soit m fois une longueur
donnée.
Mon ami M. Maurice iVOcagne, qui a eu l'obligeance de présenter ce
mémoire à la Section de Mathématiques, m'a écrit à son sujet une lettre
aimable dont j'extrais les lignes suivantes : «... Je crois qu'au point de
» vue de la spéculation pure, une solution pouvant se résumer dans un
» langage plus bref sera toujours préférée à une autre, quand bien même
» celle-ci serait plus simple au sens absolu que vous donnez à ce mort;
» il faut bien remarquer, en effet, que la plupart des constructions indi-
» quées en géométrie pure, sont destinées à n'être jamais réalisées effec-
» tivement, telles sont les contructions de centre de courbure pour les
» coYirbes autres que les courbes usuelles; il vaut mieux, dès lors,
» qu'elles s'expriment sous une forme plus concise, plus élégante, plutôt
» que de se traduire par une opération graphique plus expéditive. Cela
» est loin, d'ailleurs, de supprimer l'intérêt qui s'attache aux ingénieuses
« considérations que vous avez développées ; celles-ci trouvent, en etlet,
» un vaste champ d'application dans la géométrie pratique et notamment
» dans la géométrie descriptive. L'art de dresser les épures a tout à ga-
» gner à s'inspirer de. vos méthodes... Je vous fais part de ces réflexions
» que j'ai émises à nos collègues de la 1*'' Section, pour que vous puis-
» siez y répondre... »
Je remercie doublement M. d'Ocagne, et d'avoir présenté pour moi ce
travail, et de m'avoir écrit ces lignes; mais je n'ai pas à répondre,
en ce qui concerne son observation, car je suis tout à fait du même avis
que lui et je n'ai point eu l'idée de faire ou de dire quelque chose qui en
impliquât un autre ; je vais seulement profiter de l'occasion pour bien,
spécifier mon but. Je ne m'étonne nullement que ce but ne soit pas res-
sorti pour M. d'Ocagne d'une lecture de ce long mémoire, qui n'avait
pu être approfondie puisque je le lui ai remis la veille de son départ
pour Pau, et je crains surtout d'ailleurs de ne pas avoir suffisamment
mis ce but en relief.
Je ne m'occupe point de l'exposition de la géométrie; pour chaque
question, plus elle sera concise, élégante, etc., mieux cela vaudra, c'est
évident, et il n'y a rien à changer à l'idéal de perfection que le géo-
mètre doit poursuivre; je vise autre chose, car, à côté de la solution
K. I,I:M01>E. — I,\ GKOMÉTKOGKAPHIE 9o
spéculative d'une question, il y a la construction cfTectuée de cette solu-
tion, et la façon de réaliser les constructions constitue une branche par-
ticulière de la connaissance, un art dont on ne s'est jamais occupé; c'est
de lui seul dont il s'agit dans mon travail.
Je n'y prétends même pas suivre exactement la construction réelle,
puisque je prends pour hypothèse que les instruments et la feuille d'épuré
ont toutes les dimensions possibles jusqu'à l'infini, que les positions rela-
tives des données sont indifférentes, etc. C'est la construction rationnelle
que j'analyse; on ne peut, je crois, analyser d'une façon générale la cons-
truction réelle, puisque l'exécution d'une même construction est ou facile
ou pratiquement impossible suivant les grandeurs ou les positions des
données. Ainsi il est souvent facile de placer les intersections d'une droite
et d'un cercle, il sulïït de les tracer sur l'épure; mais si !e cercle a
100 mètres de rayon, comment fera-t-on?
Nous ne pouvons donc suivre la construction réellement effectuée, mais
il est clair cependant que de deux constructions d'un même problème,
évaluées toutes deux par notre méthode, celle pour laquelle on aura le
plus petit nombre d'opérations élémentaires à exécuter, sera par essence
la plus simple et que, toutes choses égales d'ailleurs, c'est elle qu'il fau-
drait rationnellement mettre en pratique plutôt que celle qui exige un
plus grand nombre d'opérations pour sa réalisation; dans le cas, très fré-
quent, où l'on compare deux constructions et que, dans l'une d'elles, tous
les coefficients de Rp R2, C^, C2, Cg sont respectivement au plus égaux
aux coefficients de l'autre, la chose n'est même pas susceptible d'être
discutée.
Il est un seul point de la lettre de M. cVOcagne sur lequel nous ne
sommes peut-être pas d'accord, c'est lorsqu'il dit que les constructions
géométriques ne sont, au fond, que spéculatives, c'est-à-dire qu'on ne les
exécute jamais. C'était vrai pour les Grecs ; s'ils traçaient des figures en
croquis sur le sable, la chose servait simplement à aider le raisonnement,
mais ce n'était pas de la construction. Cela explique qu'eux, si affinés, si
ingénieux dans leurs spéculations géométriques, n'aient point eu l'idée de
la Géométrographie qui n'avait pas d'objet puisqu'ils ne faisaient pas
d épures (*) ; nous disons, nous, une construction faite au moyen de la règle
et du compas, les Grecs disaient une solution possible avec la droite et le
cercle, notre expression indique les instruments de la construction, la
leur, les données spéculatives. L'idée si simple et si naturelle de la Géomé-
(* I Les Grecs ne faisaient pas d'épurés même pour leurs constructions d'édifices; c'est du moins l'avis
des savants qui se sont spécialement occupé de la question, de M. Choisy, par exemple, dont on
connaît les beaux travaux sur l'architectuie grecque ; toutes les dimensions étaient détermini'es par
le calcul; du reste, eussent-ils fait quelques croquis sur le sol, sur des parois de muraille, etc.,
que cel.i n'avait que peu de rapport avec nos épures et ne pouvait faire, chez eux, naître l'idée d'un
art propre de la construction géométrique.
96 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
trographie n'est pas née plus tôt, précisément parce que la géométrie
nous vient des Grecs, que nous avons naturellement suivi leurs traces,
adopté leurs méthodes, développé leurs conceptions, etc., sans imaginer
qu'à la base il se trouvait un détail auquel ils ne devaient pas avoir songé,
puisque son objet : la construction géométrique etléctive, n'existait pas
pour eux. Aujourd'hui, la Géométrographie s'impose, au contraire, car l'on
utilise pratiquement beaucoup de constructions géométriques et des plus
délicates dans les ateliers de précision, pour les machines, etc., etc. Je dois
dire d'ailleurs que ce point de vue utilitaire ne m'a pas conduit, j'ai pensé
simplement que, puisque l'on croit utile de donner des constructions qui
puissent être effectuées avec la règle et le compas, il fallait les donner les
plus simples possibles et indiquer aussi les moyens généraux de construire
le plus simplement. Montrer d'une façon complète que l'on exécute réel-
lement et de divers côtés, dans un but pratique, des tracés géométriques
d'origine spéculative, et qu'il y a même des géomètres amenés à en exé-
cuter pour leurs recherches, m'entraînerait trop loin, mais je veux cepen-
dant citer quelques exemples à l'appui de mon affirmation.
1° Au courant d'une recherche, on a souvent la présomption d'un théo-
rème ; la démonstration de son exactitude ou de son inexactitude peut
conduire soit à de très longs calculs, soit à des études d'autant plus
ennuyeuses à tenter qu'elles sont faites en pure perte si la présomp-
tion n'est pas exacte ; beaucoup de géomètres trouvent donc commode
d'économiser le temps en faisant d'abord une vérification pratique par
le trait, c'est-à-dire une construction dont le résultat ne démontrera
rien, bien évidemment, mais indiquera, ordinairement, si l'idée doit
être poursuivie ou abandonnée; j'ai eu moi-même assez souvent recours
à ce procédé.
2° Je citerai ensuite un petit travail de M. Laisant : Constructions gra-
phiques de nombres transcendants, inséré dans le livre publié à l'occasion
du centenaire de la Société philomatique, en 1888, qui obligeait à une
construction délicate pour laquelle il a dû s'adresser à un habile dessi-
nateur .
3° Des résultats spéculatifs importants ont même été découverts par le
seul moyen de constructions graphiques et démontrés postérieurement;
pourquoi les essais préalables seraient-ils impuissants entre les mains
du géomètre, quand l'arithmologue en fait un moyen ordinaire d'arriver
à la probabilité ou à la fausseté du théorème qu'il a en vue? Voici, du
reste, un cas que je cite avec détails parce que je le crois peu connu.
M. Dunesme, ancien élève de l'École des Beaux-Arts, architecte, maître
de dessin graphique à l'École normale et au ci-devant Lycée Napoléon,
mort il y a une vingtaine d'années, a découvert, le compas à la main de
très curieuses propositions ; je signale les suivantes parmi celles qu'il
K. LEMOINE. — LA GKOMÉTROGRAPHIE 97
a communiquées à l'Institut et qui sont maintenant des théorèmes
courants :
a) Toute courbe C est l'ombre d'une surface de révolution S (éclairée,
par des rayons parallèles; sur un plan perpendiculaire à l'axe de S ;
La développée de C est l'ombre d'un conoide ayant pour axe l'axe
de S, pour plan directeur le plan perpendiculaire à cet axe et pour di-
rectrice l'ombre propre de S.
b) Si l'on fait tourner une conique autour d'un axe parallèle à un
axe de figure, elle engendre une surface de révolution dont V ombre propre
projetée sur un plan perpendiculaire àVaace est une conchoide de conique.
c) Si l'on fait tourner une sinusoïde autour de la ligne des centres,
elle engendre une surface de révolution S ; si l'on éclaire cette surface pa/r
des rayons à 4o°, l'omhi'e propre de S projetée sur un plan jjerpendicu-
laire à l'axe se compose de deux cercles ; l'ombre portée sur le plan per-
pendiculaire à l'axe est une cycloïde.
M. Dunesme faisait avec un soin méticuleux des épures admirables,
déterminant les Rj et les Ci à la loupe, etc.; je tiens ces détails de mon
camarade H. Laurent, examinateur d'entrée à l'École polytechnique;
M. Dunesme était un proche parent de sa mère.
4° M. d'Ocagne lui-même a — très légèrement — ressenti l'influence de
la Géométrographie. Vers la fin de 1891, à une séance de la Société
mathématique, il nous parla d'un problème de construction géométrique
inspiré par les études de son service actuel (le iSivellement général de la
France), et en indiqua une solution; le même jour, j'exposai à ce propos
un résumé succinct des études que je faisais pour évaluer la simplicité et
l'exactitude des constructions géométriques. A une séance suivante M. Lai-
sant apporta, du même problème, une solution plus simple, et M. d'Ocagne
une modification de la première qui semblait, cependant, évidemment
moins simple à construire que celle de M. Laisant et l'était effectivement,
comme le démontrait ma méthode de comparaison. M. d'Ocagne revint
ensuite sur la même question, car il fit présenter à l'Académie des
Sciences, par M. Bouquet de la Grye, une nouvelle solution qu'il croyait,
à tort, plus simple, sans doute parce qu'elle s'énonçait plus brièvement
et qu'il n'avait point d'autre critérium.
Ayant l'intention de rédiger, comme application de ma méthode, une
note que je présenterai prochainement à la Société mathématique et dans
laquelle je comparerai toutes ces solutions du même problème au point de
vue de la simplicité et de l'exactitude de la construction, j'ai demandé à
M. dOcagne quelques détails et, dans sa réponse, il m'a envoyé une der-
nière solution que je viens d'examiner et qui, celle-là, est la plus simple
de toutes. .Je crois bien que, sans l'idée de Géométrographie, ce problème
n'eût point été traité aussi à fond, car tout géomètre qui n'aurait point eu
7*
98 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
cette préoccupation nouvelle aurait été satisfait de la première solution.
Cet exemple montre de plus que, même quand on a l'attention attirée
sur la simplicité des constructions, on ne peut pas, sans notre méthode,
juger quelles sont les plus simples, car M. d'Ocagne avait évidemment
cru que la solution présentée à l'Académie était plus simple que celle
qu'il avait exposée d'abord à la Soc. Math., et c'est le contraire qui a
lieu de la façon la plus absolue.
Sauf cette légère restriction, je ne puis que souscrire à ce qu'a dit
M. d'Ocagne, choses que j'ai, du reste, voulu indiquer en plusieurs
endroits du présent mémoire.
Il est un point qui mérite aussi quelques mots d'explications, lesquelles
répondront à une objection que je m'étais faite à l'origine et qui doit, tout
d'abord, se présenter à l'esprit de ceux qui examinent notre méthode.
Est-il légitime de supposer identiques les opérations : C,, C,, Cj, Ri,R:, dans
la composition des coefficients de Simplicité et d'Exactitude? Non, évidem-
ment, s'il s'agissait, dans la Géométrographie, d'une sorte de métrage
absolu ; mais ce n'est nullement le cas, et si j'assimile ces opérations, c'est
parce qu'elles sont élémentaires, c'est-à-dire indécomposables en d'autres
plus simples et que, spéculativement^ elles ne sont ni plus simples ni
moins simples l'une que l'autre. Le mot mesure ne peut donc pas être
rigoureusement introduit, avec le sens qu'il a habituellement, puisqu'il
s'applique à la comparaison d'une grandeur avec une autre grandeur de
même nature prise pour unité ; une construction n'est pas une grandeur
et elle s'exécute au moyen d'opérations élémentaires irréductibles entre
elles. Si j'emploie l'expression : mesures de la simplicité, etc., c'est dans
un sens imagé, parce que je trouve qu'il convient mieux à mon but que le
mot général : comparaison. Exiger la rigueur absolue ici est impossible et
serait absurde, car elle conduirait à rejeter même toute comparaison entre
les simplicités pratiques de certaines constructions ; comment, en effet,,
apprécier rigoureusement si la construction 20, est plus ou moins simple
que SOR;, puisque les unités Cj et R, sont différentes. En réfléchissant un
peu à l'essence de la question et en pratiquant la Géométrographie, on re-
connaîtra, je pense, comme nous, que nos assimilations sont admissibles
dans l'ordre d'exactitude spéculative où les tracés géométriques le sont
eux-mêmes, car nous disons : je trace une ligne, je place un point, et ni
la ligne ni le point n'ont d'existence objective. Il y a, du reste, des cas très
fréquents où même ces scrupules théoriques n'auraient point à s'appliquer;
ainsi la construction dont le symbole est : op. : (4Ri -{- 2R,-j- 8 Cj -|- 3Cj
est, à quelque point de vue que l'on se place, moins simple spéculative-
ment que celle dont le symbole est : op. : (2Ri -[- R, -f- 5Ci -f-Cj), puisque
les coefficients de toutes les opérations élémentaires, qui sont en réalité
les unités indépendantes de notre évaluation, sont plus petits dans la
É. LEMOINE. — L.V GKOMÉTROGRAPHIE 99
seconde que dans la première; ce cas se présente, par exemple, dans le
problème de M. d'Ocagnc, problème dont nous venons de parler ; enfin
notre méthode donne, en tous cas, un critérium spéculatif plus ou moins
parfait dont nous avons déjà montré dans ce mémoire des résultats pra-
tiques incontestables; avant elle, il n'existait aucun critérium.
RÉSUMÉ ANALYTIQUE PAR ORDRE DE MATIÈRES
Introduction.
Exposition de la théorie de la Simplicité et de V Exactitude.
Applications :
1. — Tracer une droite quelconque.
II. — Tracer une droite par un point donné.
III. — Tracer une droite par deux points donnés.
IV. — Tracer un cercle quelconque.
V. — Tracer un cercle quelconque dont le centre est donné.
VI. — Prendre avec le compas une longueur donnée.
VII. — Porter sur une ligne une longueur prise.
VIII. — Porter sur une ligne une longueur donnée.
IX. — Tracer un cercle passant par deux points A et B.
X. — Placer un point à égale distance de deux points donnés.
XI. — Par un point donné sur une droite, tracer une seconde droite qui fasse
avec la première un angle égal à un angle donné.
XII. — Connaissant deux angles d'un triangle, construire le troisième.
XIII. — Construire un triangle, connaissant un côté et les deux angles adjacents.
XIV. — Construire un triangle, connaissant deux côtés et Fangle compris.
XV. — Construire un triangle, connaissant deux côtés et l'angle opposé à l'un
d'eux.
XVI. — Construire un triangle, connaissant les trois côtés.
XVII. — Par un point pris hors d'une droite, mener une parallèle à cette droite.
XVIII. — Tracer une perpendiculaire en son milieu, à une droite limitée par deux
points, et placer le milieu d'une longueur tracée.
XVIII bis. — Placer le point symétrique A' d'un point A par rapport à une droite
donnée BC.
XIX. — Décrire un cercle sur une droite donnée comme diamètre.
XX. — Tracer par un point C une perpendiculaire à une droite AB.
XXI. — Décrire une circonférence passant par trois points donnés.
XXII. — Diviser un angle donné en deux parties égales.
XXIII. — Diviser un arc donné en deux parties égales.
XXIV. — Tracer la bissectrice de l'angle formé par deux droites qu'on ne peut
prolonger jusqu'à leur intersection.
XXV. — Tracer par un point A d'une circonférence une tangente à cette circon-
férence.
XXVI. — Tracer d'un point extérieur les deux tangentes à une circonférence de
centre 0.
XXVII. — Inscrire un cercle dans un triangle donné.
XXVIII. — Construire sur une droite donnée un segment capable d'un angle donné.
XXIX. — Construire les tangentes communes à deux cercles donnés.
XXX. — Construire une droite qui soit n fois une longueur donnée.
XXXI. — Construire une droite qui soit la n''"" partie d'une longueur donnée,
XXXII. — Diviser une droite en p parties proportionnelles à des droites données.
XXXIII. — Construire la quatrième proportionnelle à trois droites données.
100 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
N'
XXXIV. — Construire la troisième proportionnelle X — — •
Ij-i ,.ï p-2 f,2 f,2 If. i)ç ca ah
XXXIV 5/s. — Dans un triangle ABC, construire — » -?— »— '~'~' ~'"r' — '
" aabuccaoc
XXXV. — Construire la moyenne proportionnelle entre deux droites données.
XXXVI. — Diviser une droite en moyenne et extrêma raison.
XXXVII. — Tracer par un point donné une droite passant par le point de rencontre
de deux droites données que l'on ne peut prolonger jusque-là.
XXXVIII. — Placer le point réciproque d'un point donné, par rapport à un cercle
donné.
XXXIX. — Tracer la polaire d'un point donné, par rapport à une circonférence
donnée.
XL. — Placer le pûle d'une droite donnée, par rapport à une circonférence
donnée.
XLI. — Tracer l'axe radical de deux circonférences.
XLll. — Placer le centre radical de trois circonférences.
XLIII. — Placer un point donné par ses coordonnées cartésiennes relatives à deux
arcs donnés.
XLIV. — Placer les centres de similitude de deux circonférences données.
XLV. — Tracer les axes de similitude de trois circonférences données.
XLVI. — Étant donnés deux points A et B sur une droite, placer le conjugué
harmonique G' d'un point donné C par rapport à A et à B.
XLVII. — Les deux extrémités A et B du côté d'un carré étant placées, placer les
deux autres sommets.
XLVIII. — Placer les axes d'une ellipse dont on donne, placés, deux diamètres con-
jugués.
Principes de l'art de la construction géométrique.
XLIX. — Placer un point M dont on connaît : 1° les coordonnées normales propor-
tionnelles l, m, n par rapport à un triangle de référence; 2° deux
coordonnées normales absolues.
L. — Placer le centre de gravité d'un triangle.
LI. — Placer le point de Lemoine d'un triangle.
LU. — Tracer la droite de Lemoine.
LUI. — Placer le centre de gravité et le point de Lemoine d'un triangle en
une même construction.
LIV. — Placer un point de Brocard.
LV. — Placer les deux points de Brocard.
LVI. — Placer le point de Steiner.
LVII. — Placer le point de Tarry.
S 2S
LVIll. — Construire la longueur rr ou ^ dans un triangle.
K n
LIX. — Placer le point de Gergonne d'un des cercles tangents aux trois côtés
d'un triangle.
LX. — Placer le centre de gravité du périmètre.
p — a
LXI. — Placer le point de Nagel : etc.
a
a^b^ 4- a^c^ — 6V
LXIl. — Placer le pomt <I> : , etc.
(I
a'> b'^c-
LXIII. — Placer le point VV : ■> etc.
a
■Observations diverses sur Vart des eonxiriirlions (jéomélriques.
Note complémentaire.
É. LEMOINE. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 101
M. 1 LEMOIIE
Ancien Élève de l'École Polytechnique, à Paris.
RÉSULTATS ET THÉORÈMES DIVERS CONCERNANT LA GEOMETRIE DU TRIANGLE, ETC.
— Héanre du 16 septembre 1892 —
I. — Sur quelques groupes de trois cercles.
1. — Soient M^, M^, M^. trois cercles passant respectivement par les
sommets B et C, C et A, A et B du triangle de référence. Leurs équa-
tions en coordonnées normales sont :
^ayz + ^^ax = 0.
Un trouve facilement que /es paramètres A, B, C sont proportionnels
aux coordonnées du centre radical M des trois cercles.
A un même centre radical M(a, fi, y) correspondent une infinité de
groupes de cercles M^,, M,^, M^, représentés par les équations :
y «y-^ +^yax = 0, y 0//3 + ^^y ax = 0,
2"^^ + ^,2""^"^^'
dans lesquels À désigne un paramètre variable d'un groupe à l'autre.
Pour trouver les coordonnées du centre et le rayon du cercle M^, nous
passons aux coordonnées cartésiennes en prenant pour axes des X et des Y
CA, CB; les formules de transformation sont :
a; = X sin C, y = ^ sin C,
. z = ^S — «'^— % ^ 2R sin A sin B - X sin A - Y sin B.
102 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
La nouvelle équation du cercle M,, sera :
X^ 4- 2XY cos C + Y^ — x(a - ^) — "^(b - ^ " 7f "= ^•
On en déduit que les coordonnées normales du centre sont propor-
tionnelles à :
C cos A — cos B, C cos B — cos A, 1 + C cos C,
et que le rayon est donné par :
'^ 1 _^ C'^ -f 2C cos C
Pc
R^
(2)
2. — Cela posé, si les cercles M^^, M^, M^ ont même rayon p, on a
0,^(i _ l!\ _^ 2).a cos A + X^ rir 0,
P^(l - Q + "-^^ cos B + À^ = 0,
T^(l — ^^ + 2ÀY cos C + À^ = 0. ]
L'élimination de p et X entre ces égalités conduit à l'équation
(3)
a^ a cos A 1
'^^ P cos B 1
y^ Y cos C 1
0,
ou :
y a(p — Y^) COS A = 0.
(4)
(S)
Donc, si trois circonférences de même rayon passent cJiacune par deux
sommets différents du triangle de référence, leur centre radical décrit une
cubique représentée par l'équation (o).
Si l'on divise les lignes du déterminant (4) par a. S, y, il vient:
1 ,
a - cos A
a
1
3 - cos B
1
Y - cos C
Y
=zO.
On en déduit que la cubique (5) est le lieu des couples de points inverses
situés en ligne droite avec le centre 0 du cercle circonscrit au triangle de
K. LEMOINE. GKOMKTRIE DU TRIANGLE 103
référence; c'est donc le lieu des foyers des coniques inscrites au triangle ABC
et dont Vaxe focal passe par 0 (*).
3. — (**) Soient M^, M^, M^ les symétriques des cercles M^, M^, M^ par
rapport aux côtés BG, CA, AB; M' leur centre radical. Si leurs équa-
tions sont :
^ay- + x^^'^ = ^' 2""^^ + B^2
ax
0,
2^'^^" + él
ax
0,
A et A' sont les deux racines de l'équation :
1 + A'^ + 2A cos A
ou
A-4 1 - j^ j + 2A cos A + 1 = 0,
qui correspondent à une même valeur de p^. On a donc cette relation
indépendante de p^ :
1 J
— I = — 2 cos \
A ^ A' -«-us^-^.
Semblablement
11 11
^ + 37=^-2cosB, --f____2cosC.
Si l'on introduit les coordonnées absolues des points M et M^, ces con-
ditions prennent la forme :
1 1
^ + — , = — 2 cos A,
/a A a
1 1
— + —-, = — -i cos B,
X3 ' X'3'
1 1
-+ — .= - 2 COS G.
Éliminons entre ces relations les paramètres X et X'; il vient
1 1
(6)
cos A
a X
1
1
cos B
i
P'
1
1
f
cos G
Y
Y
0.
Cî)
(•) Au sujet de cette cubique, voir J. S., 1889, p. 263, et 1890, p. 63.
(**) Comparer Nieuw Archief von Wiskunde ; deel. VII, p. 78, article de M. Vanden Bertj.
104 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
De celle équation, on conclut le théorème suivant:
// existe une infinité de groupes de trois cercles M,^, M^, M^ passant respec-
tivement jtar B et C, C et A, k et B, et ayant un centre radical donné M
(c'est-à-dire se coupant deux à deux sur les droites MA, MB, MC) : le centre
radical W^de trois cercles M'^, M^, M^, symétriques jiar rapport à BC, CA,
AB (le trois cercles de l'un de ces groupes, décrit une conique représentée par
C équation (7).
Celte conique passe par A, B, C, M; c'est une hyperbole équilatère, car
l'équalion (7) admet la solution :
\ \ 1
a : |3 : Y ^^
cos A cos B cos i\
de sorte que la courbe passe par l'orthocenlre H de AIC
L'équalion (7) exprime que les inverses des points M, M' sont en ligne
droite avec le centre 0 du cercle ABC. Par suite, si M- désigne l'inverse
de M. Vhyperhole (7) est la transformée par inversion triangulaire du dia-
mètre OM. (lu cercle ABC.
Toutefois, si M est l'orlhocentre 11, l'équation (7) devient une identité;
mais, si l'on remonte aux égalités (6j, on voit que M' coïncide aussi avec H.
De là, un théorème assez curieux.
4. — Le groupe des cercles M^,, M^,, M^ qui a pour centre radical le
point M comprend, comme cas particulier, les cercles BCM, CAM, ABM.
Les cercles M^, M.^, M^ qui leur correspondent, j)assent aussi par un
même point M , appelé \(i jumeau de M (*).
Les coordonnées de M résulleut des égalités (6). A cet eiïet, cherchons
d'abord la valeur de A en exprimant que les cercles {1') passent par le
point (a, [3, Y), ce qui donne :
X =
y/'h
On trouve ensuite
1111 1 1
-, : 1 : i, :^ ^ + 2 cos A : - + 2 cos B : - + 2 cos C;
a p Y /.a Ap Ay
donc:
a' : p' : y'
Val^Y — 2acosA^aa V^/^^j,, _2,3cos B Vaa V^,8y — SycdsC V^a
(•) Pour une i_Hude des points jumeaux, nuus ivuvuyoïis à un article de M. Schuule, dans le bulletin
de Darboiix, 1882.
K. LEMOINK. — GKOMKTRIE DU TRIANGLE lOo
Les deux faisceaux M(ABCj, .M^(ABC) étant inversement égaux (par
suite homograpliiquesj, les intersections A, H, C des couples de rayons
homologues sont sur une conique passant par M et M-, et ayant pour
centre le milieu de MM (car si l'on transporte les deux faisceaux paral-
lèlement de manière à intervertir les sommets M et M , les nouvelles
intersections des rayons homologues appartiennent à la même conique).
Autrement dit, MM est un diamètre de l'hyperbole (7).
Les inverses des points jumeaux M, M sont, comme on le sait, deux
points tripolairement associés, c'est-à-dire décrivant harmoniqucmcnt un
diamètre de la circonférence ARC.
5. — Si nous prenons pour M le centre de gravité de ABC, son inverse
sera le point de Lemoine K. Le point tripolairement associé à K, point
que nous désignons par T, est à l'intersection de la droite OK avec la
droite de Lemoine. Les coordonnées de T sont:
a(2«- — b^ — c'), etc..
et l'on a OT : KT = - cotg'^ (o, m étant l'angle de Brocard.
Le jumeau du barycentre est l'inverse de T; ses coordonnées sont
donc:
1
a[%i-' — f' — C-) " ' "
Le jumeau du centre 0 du cercle circonscrit a pour coordonnées:
sin 2A sin 2P. sin 2C
siu 3A sin 3B ' sin 3C
Le jumeau de l'orthocentre H est un point quelconque du cercle cir-
conscrit au triangle de référence.
Le point de Aa</e/ (coordonnées normales ^^ , etc.; a pour jumeau
le point dont les coordonnées sont : -^ , etc.
2y; — 'Sa
6. — Proposons-nous de trouver trois cercles M^,, M^, M^.. passant res-
pectivement par B et C, C et A, A et B, et se coupant orthogonalement
deux à deux. Soient m^^. œ,^, m^ leurs centres, et p^^, p^, p^ leurs rayons;
soient aussi À, u, v les angles oj^JJC, oj^CA, (o^AB comptés comme positifs
ou comme négatifs suivant qu'ils sont extérieurs ou intérieurs au triangle.
On a les égalités de condition :
C + a-f pz.:!"-
A 4- ^i + V =
_ id,-^
B -f V + a :_ 1"^
d'où:
1
a+ 3 + Y r^^ droit;
106 MATHÉMATIQUES, ASTROxNOMTE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
par suite : a = A — 45°, p = H — 45«, y := C — 45°
__ a b c
^"^ ~ 2 cos (A — 45°) ' ^* ^ 2 cos f B — 45°) ' ^'- ~ 2 cos (C — 45°) *
7. — Considérons maintenant trois cercles N^,, N^, N^ passant respecti
vement par un sommet A, B ou C du triangle de référence. On peut les
représenter par les équations :
^ayz + m,y + ^,z)^ax = 0,
Vfl.î/5 4- (L^x 4" ^2^)2«^ ^- ^'
^aijz + (L,a; + M^ijj'^ax :^ 0.
Les coordonnées du centre radical vérifient les équations :
M,y + Ni^ = L,z + N,.- =z L,z + M,r/.
Pour que les circonférences N^,, N,^ se coupent sur le côté AB, on
doit avoir :
Mia + L,6 4- c == 0.
De même, la condition pour que les cercles N^ et M^ se coupent sur BC,
<est: N.ô + MgC + a =r 0.
Enfin les cercles N^, N,^ se coupent sur CA si :
LgC -|- N,rt -\- b= 0.
II. — Sur les points complémentaires.
8. — Soient x, y, z les coordonnées normales d'un point M, prenons le
point œmplémentaire normal de M M^ : 7j -\- z, z -\- x, x -]- y,
.le point complémentaire deM^. . M^:^x-\-y-\~z, x-^'iy-\-z,x-\-y-\- 2z,
Les coordonnées de M„„ sont :
|(2^»-i 4- l)a. + i (2^"- i)y + i (2-- l)z,
! (2-^n_ 1)^ ^ 2 ^^,„_, ^ ^j^ _^ 1 j2,„_ ^^j^^^
^(2^"_ 1)^ + 1 (2'^«_ 4)^ + I (2'—^ -h 1).'.
K. LEMOINE. — GKOMÉTRIK DU TRIANGLE i07
Les coordonnées de M^ni^ sont :
l (2-- 1)^ + î (-2-'+' +i)l/ + l (2^"+' + ih
l (r-"+' + \)x + l (^2-- 1)^ + 1 (2^"+^ + 1)--,
i (2^"+^ + 1).. + î (2^"+^ + i)y + ? (2^'^- 1)..
M. Vigarié (Mathesis, t. VII, 1887, p. 8) s'est occupé de la même
question, sans indiquer l'expression qui donne les coordonnées de M .
Remarque. — Les valeurs des coefficients de x, y, z qui entrent daiu
une coordonnée de Mp sont les ternies de la (p — if"" réduite de la fracdion
continue : —
9
1 + -
2
1-f -
Tous les points Mp se trouvent sur la droite : V ;(// — :;) — 0 qui joint
le point M au centre du cercle inscrit.
Les réduites successives de la fraction continue considérée sont :
2 2 6 10 20
î' 3' H' ïï' 21' '^'■'
et l'on voit facilement par ce qui précède que la réduite de rang 2/; — 1 est ;
^(2^^-l)+l
et que la réduite de rang 2^9 est :
9. — Les dénominateurs de ces réduites se retrouvent encore dans une
question toute différente que voici :
Soit ABC un triangle; AiBiC, le triangle formé par les points de con-
tact Al, Bj, Cl du cercle inscrit à ABC; A^B^Cj le triangle formé par les
points de contact X^, Bj, C2 du cercle inscrit à AiBjCj; A^BsCg, etc. Ou
108 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
demande d'exprimer en fonction de A, B. Ç, et de rv la valeur des angles
du ti'iangle ^^^JC^.
On trouvera facilement que les angles du triangle A B^ C^^., seront
donnés par les expressions :
;r ^ ^ A 3 ""^ ^ ^ B
■71 » 71
(£ip—\ <^p—{ 2''^~^ 2"^'^~
3' ^ C
7:
û)2/)— I û)2p— 1 '
et l«es angles du triangle A B.,pC par les expressions :
3^ , A 3^ ,1^
— TT H 1 — 71 -\ 1
i^ip ' 2"^P '2,^P '±^P
- + — ;
•expressions dans lesquelles la suitedes coefficients de xestl, l,3,o, ll,etc.,
■ce qui donne bien, à partir du deuxième coefficient, la suite des déno-
minateurs des réduites de la fraction continue considérée précédemment.
On voit que, à la limite, ces droites font entre elles, deux à deux, un
angle de 60°. (Voir, au sujet de ces dernières questions, une étude très
complète et très intéressante de M. Collignon, A. F., Congrès d'Oran, 1888.
p. 4 et suivantes.)
III. — Sur QUELQUES DISTANCES DE POINTS.
10. — La distance de lorthocenlre H à l'axe antiorthique est (en
1 7,2 _j_ ^,2 4p^2
appelant d la distance Oo, d^ la distance Oo^,) : ^
r /• . , » , . „ ■ 1 ■ 1 p'* 4- ro
La distance de lorthocenlre a taxe an itort nique est: -, - — ^ — ;
111
d'où, par transformation continue en A, la distance du point : » -
abc
1 {p — af — r ,0^^
à la droite — x A- ii A- :^ -^ {) est : - • ;
^ -^ ^ 6 d„
É. LEMOINE. — DU TRIA.NGLE GÉOMÉTRIE 109
Dans tout ce travail nous posons o := 4R -]- r, B^^ r= 4R — r , etc.
La distance du centre 0 du cercle circonscrit à l'axe antiorthiquc est :
—^ — ; par transformation continue en A, on a les distances de H et
de 0 à la droite — x -\- y -{- z ^= Q ; elles sont :
1 (p - a)' + r„ - 4R« R(R - ,■„)
^ ^ ~^.
La distance du point de Lemol\e à l'axe antiorthlque est ■ ^— ^,
mM
d'où, par transformation continue en A, celle du point : — a, b, c à la
, ., , , ^ abc( ij — a)
droite — X -\- y -\- z. = 0 est : ^, , m^ = a' + 6^ 4- c^
m^d^^ ' '
11. — La distance D de la droite de Lemoine à sa parallèle la droite
qui joint les points de Brocard est donnée par : D
nVm* — ;-{n*
La distance du centre du cercle circonscrit 0 à la droite de Lemoine,
R^ni*
est donnée par la formule : D'* =r .
4fm'* — 3n*)
Cette distance, multipliée par la distance du centre du ceîxle circonscrit
à un point de Brocard, e^^ égale à R^ cos (o.
La distance D du point de Lemoine à la droite de Lemolne est donnée
ii4RS^
par la formule : D = ^ • n* = b^c'^ -j- c'a' -f- a'b^.
m'Yin* — 3n*
12. — Z étant le milieu de la distance qui joint les points de Brocard,
on a :
=^ R^r4 sin* w -f sin- w -|- 4
(Voir A. F., Congrès de Marseille, 1891, ligne 4, en remontant.)
13, — Soient d, d^, d^, d^ les distances oO, o^fi, n^O, o^O.
Soient:
d', d[^, d^, d'^ k's dislauces des points o, o^^, o^, o,. à l'axe aiiliorlliiiiiie x-\-y -\- zz=0,
^^'i' ^ia'^'iô' f^'ic » » à la droite — x-\- y-\- z = 0,
^^2' f^2a' ^26' ^2c » » » X — y-{-Z = 0,
^^'3' ^^3a' ^36' ^30 » » X-\-lJ — Z = 0.
-"';=9R'
m' R'^m*
"2 + in^ ^"''-
- 9n')
— '^i. cotg OJ.
110 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
On a : '
d .d' 3R/'
; d.d'„ =
i^^a;
rf.^; - R/-,;
f/ . (/; ^
d^. d\ ^ Rr
; da- d\a ^
3Rr„;
^a-^;.— R'V
da-d'u.=
d^.d',— Rr
d,' <a =
-Rn,;
dfd'ih^ 3Rr^;
db-d'ic =
d,..d'^ Rr;
<fc- ^C, -
-R'-a;
«^c-'^afc- R^'^;
de- <c =
Rr,.
-Rr,.
-Rr,.
3Rr,..
14. — Le triangle formé par le centre du cercle circonscnt 0, par le
'point de Nagel N et par le point de Gergonne X a pour surface :
— (b — c)(c — a)(a — b)
R + r
2/-0
Par transformation continue en A. (Voir A. F., Congrès de Marseille,
1891, p. 118), on voit que le triangle ON^X^ (N^ et X, étant les trans-
formés continus en A de N et de X) a pour surface :
(b — ç)(a 4- b}(a + c)
K — r
2r 0
au
15. — La distance D entre les deux points :
p — c p
a
et
h p — c p — a
b
abc
est donnée par In formule :
(Voir A. F., Congrès de Nancy, 188(3, p. 87;
D^ = -— (3^ — 3p^)
p^
Ces points sont les brocardiens du point de Gergonne ; par transformation
continue en A, on voit que la distance D^^ entre les deux points :
p — b p p — c p — c p — b
, , et 5 r :
abc a b
4,.2
p
- est donnée par :
c
ip — a)
Il ne serait peut-être pas commode d'arriver à ce dernier résultat sans
la transformation continue (ni même à celui dont il dérivej sans les for-
mules entre les éléments du triangle sur lesquelles j'ai appelé l'attention
dans presque tous les mémoires que j'ai présentés à V Association française
pendant ces dernières années.
É. LEMOINK. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 111
16. — Si, pa?' le point invet^se du point de Gergonne, on mène l'antipa-
rallèle à un côté, la surface du triangle formé par cette antiparaUéle et
les deux autres côtés est la même pour les trois côtés et éaale à : •
^ (R + Vf
La transformation continue montre que le même tliéorème a lieu poul-
ies transformés continus de l'inverse du point de Gergonne ; la surface est
SR^
IV, — Triangles triorthologiques ; un exemple de triangles a la fois
TRIORTHOLOGIQUES ET TRIHOMOLOGIQUES.
17. — Si les triangles ARC, A'R'C sont triorthologiques par permuta-
tion circulaire (Voir Congrès de Limoges, 1890, p. 111) et que les centres
d'orthologie soient o,, o^, O3, les triangles ARC, OiO^Og sont également ortho-
logiques et les centres d'orthologie sont A', R', C.
18. — Soit un triangle équilatéral ARC, de chaque sommet comme centre :
on décrit trois cercles de rayons Rj, R^, R3 (les trois cercles sont décrits
à chaque sommet j, désignant par la notation o(R) la circonférence de
centre 0 et de rayon R; on cherche les centres radicaux L, M, N des trois
groupes A(Rij, R(Rj, CfRaj; A(R,), RiRj), C(R,); A(R3), R(Rj), C(R,j.
1° ARC ef LM>' sont trihomologiques et triorthologiques par permutation
circulaire.
2" Appelons Oi, o^, o, respectivement les centres d'homologie de ARC,
L>L\; ARCMNL; ARC,ALM; ml ml, m^ les quantités a•^—2R^'+R^+R^^
o-' + Rf — 2R^ + R^, a' + Rf + R^ — 2R:^, qui sont les coordonnées
de L; celles de M sont : m'I, m^, m^; celles de N : m^, m^ ml.
Les coordonnées de o^, o.^, O3 sont :
111 111 111
m:/ m'i m'i ml m'i mi' ml' ///^ ' mf.
"a "c "'0 "'c "'h ""a '"b
Les trois centres d'homologie et les trois centres d'orthologie de ARC el
de L>L\ forment deux triangles èquilatéraux inscrits à un même cercle
dont le centre est le centre du cercle circonscrit à ARC; leurs côtés sont
perpendiculaires deux à deux.
3° Les triangles ARC, O1O2O3 sont trihomologiques par permutation cir-
culaire. Si Von appelle o\, 0^, 0'^ les centres d'homologie de ARC, o^o^o^;
ARC, O2O3O1; ARC, 030,02, les coordonnées de oj, o^, 0'^ sont: m^, m^, m^;
K^ '«a' '"6 5 "^6' ^c' *'^aj c'est-à-dirc que o\, o^, O3 se confondent avec L.
ÎN, iM. Ce sont des points permutiens. (Poulain, Principes de la Nouvelle
Géométrie du triangle, p. 2S.)
112 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
V. — Sur quelques coniques.
19. — La co)nque inscrite Vfa"^ — bc)i /'- — 0 passe par les points
, (a^ — bc)- ^
de Bkocauu; son point de Gergo^ne a pour cooraoïinees , etc.
20. — La conique inscrite qui a pour point de Gergonne le point de
Steiner est une parabole (puisque le point de Steiner appartient au cercle
circonscrit). Elle touche la droite de Lemoine au point : a^(b^ — c^),
b-^(c-^ — a'^j, c'^(a^ — b'-j.
Son équation est : / v/a(b-' — c'^)x = 0 ;
.son fo!/er, le poiyit : 57^.' ^^^^-^^ '^F^^ 'P°'''^ '"""^'"^ "^^ '^''''
proque du point de Steinei'); il est sur la droite 7 a^(b^ cos B — c^ cos G) = 0.
21. — La parabole inscrite tangente à l'axe antiorthique x-\-i/'}- z -^^0,
a pour équation : N^y/aCb — c)x=l),
1
son point c?e Gergonne est : —-. , etc.
^ a(b — c)
Le point de contact avec l'axe antiorthique est a(b — c), etc., inverse de
son point de Gergonne.
Le foyer de cette parabole est le point ^, etc.
22. — La conique inscrite qui touche la droite de Lemoine et l'axe
antiorthique
1
1° A pour point de Gergonne : , etc.
2° Elle touche l'axe antiorthique à l'infini et celui-ci est une asymptote
de la courbe.
3° Le centre (c — bj(p — a), etc. est sur le cercle circonscrit.
4° Elle touche la droite de Lemoine au point a'^(b — c). etc.
5° La seconde asymptote a pour équation : \ = 0 .
6° Cette hyperbole a pour équation: ^^\/(b — c) x = 0.
23. — Voici un théorème presque évident, mais qui sert souvent dans
la géométrie du triangle pour démontrer que six droites sont tangentes
à une conique ou que six points sont sur une conique.
É. LEMOINE. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 113
Si les six points ^coordonnées normales ou coordonnées barycenlriques)
L,. Mj, Xi; Le, Mfi, N^ sont sur une conique, les six droites :
Ux-{-M,ij-[-^,z = 0; M + M«?/ + N6^=:0
sont tangentes à une conique et réciproquement.
Exemple: Les quatre droites \^7 a? =::0 et leurs trois transformées
continues en A, en B et en C sont tangentes à l'ellipse inscrite de
Steiner (ce sont les tangentes communes à cette ellipse et au cercle des
neuf points et l'on sait que, aux points de contact de ces tangentes avec
le cercle des neuf points, elles sont aussi tangentes aux quatre cercles tan-
gents aux trois côtés du triangle).
abc
On en conclut que le point : ? ^ 7 et ses trois trans-
^ b — ce — a a — b
a b c
formés continus en A, en B, en C : r ? 1 — » , — ; — . etc., sont
c — 0 c -\- a b -f- a
sur une conique circonscrite.
On vérifiera que cette conique est le cercle circonscrit.
24. — On sait ivoir Xouv. Corresp. Mathém., 1877, p. ol) que si
x\ y', z' ; x" . y", z" sont les coordonnées normales de deux points M', M",
les droites AM', BM', CM'; AM", BM", CM" coupant les côtés aux six
points : A', B', C ; A", B", C", ces six points sont sur la conique :
Cela posé, cette conique est une ellipse, une hyperbole ou une parabole, sui-
vant que la quantité :
^a^x'-x"-^(y'=." - z'y'r
- ^'^bcy'z.y^^'iix'!/" + y'x")(x'z" + zx") + 2x'x"(y'z" + z'y")]
est plus petite que zéro, plus grande que zéro, ou nulle.
Si M' et M" sont le barycentre et le point de Lemoine, la conique a pour
m'" -|- a^
centre le point — — , etc. déjà rencontré (voir A. F., Congrès de Mar-
seille, 1891, p. 149, et J. S., 1888, p. 2o0j. Ce point est sur la droite qui
joint le barycentre et le point de Lemoine.
25. • — Soient x, y, z les coordonnées normales d'un point M;
X, Y, Z ses coordonnées tripolaires.
On sait que les minima de ax^ -f- by'^ + cz- et de aX'^ -f- 6Y- + cZ'^
8*
I
114 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
qui sont respectivement 2.Sr et 4.RS ont lieu en même temps pour le
centre du cercle inscrit. (Boutin, /. E., 1891, p. 159.)
La transformation continue en A montre que les minima de
— ax^ -\- hif -\- cz'^ et de — aX^ -j- bT^ -f" c7J qui sont respectivement
égaux à 2Sr^ et à 4RS ont lieu en même temps pour le point o^.
Le lieu des points M tels que ; ax^ + bif + cz-'^ = C" est une ellipse de centre o.
» » —ax-'-\-bif-}-cz^ = 0^ — — 0^.
» . » aX^-|-6Y'^-|-cZ'^ = C'^ est un cercle de centre 0.
» » —aX''-{-bY^-\-cZ-' = C"^ — — o„.
26. — Si un point M appartient à la conique circonscrite qui passe par
le point de Lemoine et par le centre de gravité, la droite harmoniquement
associée au point M est parallèle à la droite de Lemoine.
27. — Une parabole dont le piaramètre p est donné, passe par deux
points fixes A e^ B dont la distance est c. Le lieu du pôle de AB par rapport
à toutes ces paraboles est la courbe représentée par l'équation :
P = 2^ sin^ c,
l'origine 0 étant le milieu de AB et l'axe polaire étant OB.
L aire de cette courbe est ——— •
lop^
Dans un triangle ABC, les paramètres des trois paraboles de Artzt sont
inversement proportionnelles aux cubes des médianes.
28. — A e^ A' sont les extrémités du grand axe d'une ellipse. Sur A A' je
décris une circonférence ; par A je mène la droite AK'H qui coupe l'ellipse
en K', la circonférence en H.
Soit K le point du cercle tel que KK' soit perpendiculaire à AA',
H' — de l'ellipse — HH' — — AA',
K, K', H, H' étant tous les quatre d'un même côté de AA' ; alors :
1° Les trois points A', H', K sont en ligne droite,
2° Le lieu du point I où se rencontrent AH et A'K est l'ellipse:
aif -\- 6a;* = a^b.
On a un théorème analogue si A et A' sont les extrémités du petit axe.
29. — Soient les cinq ellipses :
(1) a'^y^ -{• b^x^ = a^b\
(2) (a^ + bHYY + ami + l^x^ = b''{i + l)Ha'' + bHy,
(3) [a-' — bHyif -f a''b\l — Ifx'' = b\i — Ij^a'' — bHy,
(4) 0.^6^(1 + l)Hf + {b-' + aHfx^ = a'^(l + Ifib'' + aHy,
(5) a^b^i — l)Y + (6' — aHyx^ = a\[ — lf{b^ — aHy,
et M un point de (1).
K. LEMOINE. — GÉOMÉTRIE 1>U TRIANGLE 113
1° Si la normale en M à V ellipse (1) coupe F axe des x en K et V ellipse (2)
( ' M
en (j, les points K, M, G se succédant dans cet ordre, on a : -7-r = 1.
Mh.
Le symétrique G' de G par rapport à M sera sur l'ellipse (3). Si \ = -,
(2) et (3) seront respectivement des cercles de rayons a -j- b et a — b.
2° Si la normale en M à (1) coupe l'axe des y en Kj et l'ellipse (4) en G^,
C M
G, étant dans le sens K,M, on aura: -^ = 1.
* ' MKi
Le symétrique G'^ de G, par rapport à M sera sur l'ellipse (5).
S< 1 = - (4) et (o) seront respectivement des cercles de rayons a -|- b
et a. — b.
30. — On donne une conique C de centre o et une droite L; par un
jioint A de L on mène une tangente à la conique, soit K le point oii le dia-
mètre conjugué de oA coupe cette tangente. Le lieu de K est une conique C
uya?it avec C pour diamètre commun en grandeur et en position le dia-
mètre conjugué de L et pour ce diamètre même direction de cordes conjuguées.
■Si G se compose de deux droites et que l'on appelle M e/ N les points ow L
coupe C, et ^ le milieu de MN, le lieu se compose des deux droites parallèles
à oa menées par M et par N.
Si l'équation de C est : aHf ± b^x^ q= a'^b^ = 0 et celle de L : ^ -|- ^ = 1,
celle de C' est nH''[aHf ± b'-x^ i^ a'^b^] — [a'^nij ziz bHxY = 0, en prenant
en môme temps tous les signes supérieurs ou tous les signes inférieurs
dans les équations de C et de C
Si L est une tangente à C, le lieu se compose de L et de la tangente
à C parallèle à L ; comme le montrent immédiatement les considérations
géométriques les plus simples. »
YI. — Nouvelles remarques sur la transformation continue.
31. — On appelle première conique et deuxième conique de Simmons
{Companion to the iveekly problem papei 3 , 1888, ch. viii, pp. 163-167;
Mémoire sur le tétraèdre, Neuberg, pp. 44 et 5o) les coniques inscrites
dont les équations sont > \/x sin (60 -f- A) = 0 et ^ \/x rAn (A — 60) ■-:— 0.
Les foyers sont, pour la première, le premier centre isogone: sin (A-)-60),
1
etc., et le premier centre isodynamique: -. , etc., et, pour la
seconde, le second centre isogone : sin (A — 60j, etc., et le second
116 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE. GÉODÉSIE El MÉCANIQUE
centre isodynamique: - — —,- etc. Les points: sin (A -|- 60), etc.,
sin (A — bO)
et sin (A — 60), etc., sont aussi, respectivement, le point de Gergoniie de
la première et le point de Gergoime de la seconde. Cela posé, il est facile
de voir que leurs centres respectifs sont les points : bc -\- aR\/3 et
br — aï{\/'6, tous deux sur la droite qui joint le point de Lemoine au
barycentre.
Remarquons que le point : sin (A + t)0), etc., se transforme en
sin (A — 00), etc., lorsque l'on fait la transformation continue, soit en A,
soit en li, soit eu C; d'une façon plus générale, le point : P sin A -)- Qcos A,
P' sin B -h Q' cos B, P" sin C + Q" cos C, P, P', P", Q, Q', Q" étant des
constantes, se transforme eu P sin A — Q cos A, P' sin B — Q' cos B,
P" sin C — Q" cos G, que l'on fasse la transformation continue soit en A,
soit en B, soit en C; le fait est très curieux et nous ^ne savons point
si nous avons ainsi la formule générale des coordonnées des points pour
lesquelles il se produit.
La transformation continue appliquée aux formules, aux théorèmes, aux
équations, les divise donc en quatre catégories :
1° La transformation continue en A, en B, en C reproduit le théorème
ou la formule.
„ , abc
Exemple :
sin A sin B sin C
^" La transformation continue en A, en B, en C donne des résultats
différents de la formule primitive et différents entre eux.
Exemple : ■ ^ar^r^ — 2So
donne : ar^^r^ + brr,^ + en;. = 2So^,,
Ces deux premiers cas sont de beaucoup les plus fréquents.
3" Une des transformations reproduit la formule, les deux autres la
changent, mais de même façon toutes les deux.
Exemple : La formule aiy^ = S(r^ -j- r^) se reproduit par transforma-
tion en A, par transformation en B ou en C; elle donne : mr^ = S(y; — /■).
Je nai pas rencontré de cas où une des transformations reproduisant la
formule, les deux autres la changent chacune différemment.
4° Les trois transformations en A, en B et en C donnent toutes les trois
un même résultat différent de la formule ou du théorème primitif.
K. LEMOl.NE. — r.KOMÉTRIE DU TRIANGLE 117
Exemple: La conique inscrite qui a pour équation / , y/a; sin (A -\-60)=^0
a l'un de ses foyers — le premier centre isogone — pour point de Gergonne:
c'est la première conique de Simmom.
Les trois transformations continues donnent : La conique irisante qui a
pour équation ^V-^" sin (A — (JOj ^ 0 a /'un de ses foijers — le deuxième
centre isogone — pour point de Gergonne: c'est la deuxième conique de
Simmons.
Ajoutons aux théorèmes déjà donnés ailleurs sur la transformation
continue :
Si un point M est le foyer ou le sommet d'une conique L, le point M. trans-
formé continu en A de M sera le foyer ou le sommet de L^ transformé de L.
VII. — Quelques propriétés relatives a des cercles remarquarles
DU plan d'un triangle.
32. — Le centre du cercle de Brocard, qui est aussi le centre du pre-
mier cercle de Le.moine, est sur la droite :
^x{b^ — c^) cos (A + 0)) = 0
qui contient le centre de gravité et le point : «^ cos A, etc.
Les coordonnées normales du centre du cercle de Brocard peuvent se
mettre sous la forme : a[n^ — (a^ — 6^c^)l, etc.
33. — Les droites:
b cos Cx -\- c cos k . !j -\- a cos B . ^ = 0
c cos B . a; -f- a cos C . y -\- b cos A . ;; ^O
sont parallèles au diamètre OK du cercle de Brocard et à égale distance
de ce diamètre.
La distance D de ce diamètre à chacune d'elles est donnée par :
•TÎ2C2
1)2 ^^
m'* — '6n^
34. — La droite de Simson du point de Steiner a pour équation :
2aHb' — c')
— — — X =0»
cos (A -f- w)
35. — Étant donné un triangle ABC, il y a trois cercles tangents entre
H8 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCAMQUE
eiix deux à deux qui touchent respectivement le cercle circonscrit en k, B, C
et lui sont intérieurs; les points de contact de ces cercles deux à deux sont
sur les cercles (/'Apollomus de ABC et ils y sont tangents à ces cercles ;
si leurs centres sont respectivement lo,^, w,,, w^, les deux triangles ABC,
"a'^b^c ^^^ ^^* droite de Lemoine pour axe d'ho)nologie; le rayon Am.^du
2RS
cercle tangent en A au cercle circonscrit est : — — ; — ^^ •
^ a^ + 2S5 ■
Il y a aussi trois cercles tangents entre eux deux à deux qui touchent
respectivement le cercle circonscrit en A, B, Cet lui sont extérieurs; les
points de contact de ces cercles deux à deux sont sur les cercles A' Apol-
lonius de ABC auxquels ces cercles sont tangents ; si leurs centres sont
respectivement w^'^, w'^, co^, les deux triangles ABC, o/^^to^w^ ont la droite
de Lemoine pour axe d'homologie ; le rayon Ao)^ du cercle tangent en A
au cercle circonscrit est : tt; •
a^ — 2S
Cependant si la hauteur correspondant au plus petit côté, cpar exemple,
est plus grande que ce côté, ces trois derniers cercles ne sont pas à l'exté-
rieur du cercle circonscrit; celui qui passe par C contient le cercle
circonscrit, mais les deux autres lui sont extérieurs.
Si la hauteur correspondant au plus petit côté c est égale à ce côté,
le cercle passant par C devient la tangente en C au cercle circonscrit.
36. — Si H est V orthocentre ; v, v.^, v,., v^, le point de Nagel et ses
transformés continus en A, en B et en C, Vaxe radical des cercles décrits
sur Hvj^ et Hv^ comme diamètre a pour équation :
x{b — C) cos A — yb cos C -\- zc cos C = 0.
Par transformation continue en B, j'aurai: Vaxe radical des cercles
décrits sur Hv et Hv^ comme diamètre a pour équation :
— x{b -(- c) cos A -|- yb cos B -|- c^ cos C = 0.
Le cercle décrit sur Hv comme diamètre est le cercle étudié très com-
plètement par M. Fuhrmann. (Voir Mathesis, 1890, p. 105.)
La transformation continue donne, ainsi que je l'ai montré, les cercles
décrits sur Hv^, Hv^, Hv^ comme diamètres, lesquels jouissent de propriétés
analogues à celles du cercle décrit sur Hv comme diamètre.
37. — Vaxe radical du cercle de Brocard et du deuxième cercle de
Lemoine a pour équation :
1
^2 I ,.. _ 3^2
'■ a; = 0«
a
É. LEMOINE. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 119
38. — L'axe radical du premier cercle de Lemoine et du second cercle
de Lemoi.ne (*) a pour équation :
2^^(6-2 _|_ c-^ _ 2a2) ^ 0,
il passe par le point de Lemoine ; le premier cercle de Lemoine coupe donc
le second cercle de Lemoine suivant un diamètre.
Si y. est l'angle sous lequel ces deux cercles se coupent et m l'angle de
Brocard, on a : cos a ^ '2 sin w.
39. —Le carré de la corde interceptée sur BC par le cercle de Brocard
a'Ha'* — Wc'^)
est : — ^ ;
m*
Le cercle de Brocard ne coupe jamais les trois côtés à la fois. Il en
coupe deux : si, supposant a > 6 > c, on a : 6^ > 2ac, ce sont alors les côtés
CA et BC qu'il coupe ; si a* > 26c et 6* > 2ac, il coupe BC seulement.
En résumé, le cercle de Bi^ocard :
Ou coupe le plus grand côté seul ; il peut lui être tangent ;
Ou coupe les deux plus grands; il peut couper le plus grand et être tan-
gent au second ;
Ou ne coupe aucun côté.
40 . —La conique Aa;'- + ^if + C::^ + ^yz + Ezx + Fa;;/ — 0 inter-
cepte sur le côté BC du triangle de référence un segment dont le carré est :
a-b^c\J)^ — 4BC)
[Bf^ + C6'- — UbcY '
cette conique touche le côté BC si l'on a D- — 4BC := 0.
Si, en même temps que D'- — 4BC = 0, m a : Bc^ + C6^ — Dbc — 0,
la conique est représentée par : x{kx + Es -|- ¥y) -{- ^^{hy ±: czY =: 0
et coupe BC en son milieu en un point double, c'est-à-dire qu'elle y est
tangente à BC. ou bien qu'elle a BC pour asymptote.
VIII. — Bemarques diverses.
41. — Le point : — , etc., est le point oit se coupent les deux bro-
a
Gardiennes de la droite de Lemoine (coordonnées normales) par rapport à
la droite de l'infini {A.F., 1886, Congrès de Nancy, p. 85.)
(*) Je rappelle les définitions de ces deux cercles :
Si par le point de Lemoine on mène des parallèles aux côtés, ces parallèle? coupent les côtés en
six points qui appartiennent au premier cercle de Lemoine.
Si par le point de Lemoine on mène des antiparallèles aux trois côtés, chaque antiparallèle à un
côté coupa les deux autres côtés en deux points ; les six points ainsi obtenus sont sur le second
■cercle de Lemoine,
120 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCAMQUE
l
Le point: -, etc., est le point où se coupent les deux brocar-
diennes de la droite de Brocard par rapport à la droite de l'infini.
Le point : , etc., est le j)oint où se coupent :
cl
1° Les deux brocardiennes de la dnoite de Lemoine par rapport à l'axe
antiorthique ;
2° Les deux brocardiennes de l'axe antioj^thique : x -{- y -\- z ^^ 0 par
rapport à la droite de l'infini.
42. — La di^oite qui joint les points brocardiens par rapport à une
droite donnée L (voir A.F., Congrès de Grenoble, 1885, p. 26), d'unpointU
coupe L au même point que la polaire ttnlinéaire de M. Cas particulier :
la droite de Lemoine et la droite qui joint les points de Brocard sont pa-
rallèles.
1
43. — Soit M le point dont les coordonnées normales sont : 7, etc.,
^ a cos A
AM, BM, CM coupent BC, CA, AB en A', B', C ; si l'on fait le triangle
isocèle CAj^A', A^ étant sur CA et Aj^C étant égal à A,,A' et le triangle
isocèle BA^A', A^. étant sur BA et A^B étant égal à A^.A', on aura :
AX = A B '-"^
'»+'■
44. — Soient ABC un triangle, H V orthocentre :
1° La polaire trilinéaire de M est perpendiculaire à MH, n M appartient
à la cubique :
2.=
by{a -}- c cos B) — cz{a -\- b cos C)
0;
2° La polaire trilinéaire de M est parallèle à MH, si M appartient à la
cubique: Qabcxyz =^ ^^abœg{ax -\- by)
équation qu'on peut écrire :
Qabcxyz = (bcyz -\- cazx -\- abxy)(ax -}- by -\- cz).
45. — Soit un triangle ABC, par un point M de son plan, je mène des
parallèles à ses côtés :
La parallèle à BC coupe AC en A^, AB en A^,
r- f
:■.-:>
)) » CA « BA en B^,, BC en B,.,
;) ù AB » CB en C^, CA en C,^.
Cela posé '.
É. LEMOINE. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 121
Si M est sur la droite oG ou : ^a(b — c)x = 0, on a :
AC, + BA, + CB, = AB, + BC, + CA,.
Si M est sur la droite ; VcLr(b -[- c) = 0, on a :
AB, + AC, + BC, + BA, + CA, + CB, = 0.
Si M est sur la droite : Va(p — a)a; = 0, on a :
B.C, + C,\, + A,B, = p.
Si M est sur f hyperbole équilatére : y a'^.r^(b^ — c^) = 0, qui passe par
les centres des cercles tangents aux trois côtés, par le barycentre et a
pour centre le point de Steiner, on a :
cb; + ba; + Ac; := ca; + bc; + ab; •
Si M est sur le cercle conjugué de ABC : Vaj;"^ cos A = 0, on a :
ab; + AC; + BC^, + ba^ + ca; + cb; = b,c; + CA + a,b;.
Nous avons vu (./. E., 1884, p. 30) que :
âc:+bâ; + cb: et' âb; + bc; + câ:
sont minima respectivement pour le point direct : -, etc., et pour le point
rétrograde de Brocard.
C&l -\- ^fil + BC,5 est minimum pour le barycentre.
q}{\)'^ 4- c^) b^c"^
46. — Le point <î> : — — — — , etc. (voir A. F., Congrès de
cl
Grenoble, 1885, § 2, 3, p. 28) est sur la droite : ^ii'{h' — c^jx -^-- 0, qui
1
contient le centre de gravite et le point —, etc.
47. — Si un point M est tel que la somme de ses coordonnées normales
absolues égale la somme des coordonnées normales de son inverse W,
M et W appartiennent à la cubique circonscrite V(b — c)x(y'' — -■'') — 0.
122 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
a^ — bc,
48. — Le point qui a pour coordonnées normales : etc. , est
à V intersection des deux droites : V£ur(b + c) = O.^axfb — c) = 0.
La première passe par le point a(b — cj, etc., de Vaxe antiorthique et
2Mr le point à l'infini: , etc.; la seconde passe par le centre du
cercle inscrit o, par le centre de gravité du périmètre G^^ et par le point ©
dont les coordonnées sont : a(b -f- c), etc.
On a: —^= — ^ ,„ ^ ■ •
49. — Soit ABC un triangle, A'B'C le triangle formé par les pieds des
hauteurs ; le cercle inscrit à A'B'C touche B'C, C'A', A'B' en a, [i, y. Les
trois droites Aa, B,3, Cy se coupent au point dont les coordonnées sont :
a tg A, b tg B, c tg C.
Si l'on veut placer ce point, on trouve qu'il faut placer l'orthocentre
de ABC centre du cercle inscrit de A'B'C. op : {AR^ + 2R, + GC^ + 6C3) ;
tracer deux des côtés du triangle A'B'C, A'B', A'C par exemple, ce qui
exige qu'on trace la troisième hauteur, op : (6R1 -{- SR.^) ; déterminer les
points de contact y et [B sur A'B', A'C du cercle inscrit à A'B'C, ce qui
se fait en abaissant de l'orthocentre des perpendiculaires sur ces côtés,
op : (4Ri 4- 2R, -j- 5Ci + SC3) ; enfin tracer Bp, Cy, op : (4Ri + 2R,) ;
on a donc le symbole, op . ÇlT". + OR, + IIC^ -f- IIC3).
Simplicité 49; exactitude 29 ; 9 droites. 11 cercles.
(b — c)fc — a)(a — b)
L'aire du triangle NXK est : —
L'aire du triangle NXG est :
Z6
(b — c)(c — a)(a — b)
33
K est le point de Lemoine, N est le point de Nagel, a le point de
Gergonne.
Les distances du point K et du centre de gravité G à la droite NX sont
dans le rapport de 'S à 2.
Par transformation continue en A, on déduit les aires des triangles dont
les sommets sont N^, \^, K ^ et N^^, \, G„ on en déduit aussi que les dis-
tances du point I\, et du point G, à la droite \X^j sont dans le rapport de
111
3 à Î2 ; K et G„ sont les transformés continus en A : — a, b, c; » t ' -
abc
du point de Lemoine K et du centre de gravité G.
Le triangle qui a pour sommets N, X et l'orthocentre H a pour surface :
; (^ — <')('■ — a)(a — b) .
É. LEMOIXE. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 123
Par transformation continue en A, on voit que le triangle N^,X^,H a pour
surface : — r- {b — c){c + a){h + a).
1 1 1
Le triangle qui a pour sommets a% b"*, c''; — 'rr, • — : ^f ^^ Point de Le-
cl D' C
S(b-^ — c-;(c'- — a^jfa'- — b'^j
Moi.NE a pour surface : — 7-7— ^ ,- . ., ;-; tttt^ •
'' ' 4(p^ — ro) [(p^ — roj2 — 4S^]
On en déduit immédiatement, par transformation continue en A, celle
du triangle dont les sommets sont :
111
— a\b\c^\ ^'T^'-rî —a, b.c.
«•' ¥ C-*
111
Le triangle qui a pour sommets les points: a\ h\ c^ ; -7 j'r^'-^' ^^ ^^
3. L) C
Sfb^ — c^j(c'^ — a"-)fa'^ — b^)( p- — rS 1
ban/centre a pour surface : Krr~^ ^r: vfcTi "
"^ ^ ' 3[(p^ — ro)* — ibS^j
On en déduit immédiatement, par transformation continue en A, celle
du triangle qui a pour sommets :
111 111
— aKoKc^; ^Ti'l' '/
a^ ¥ c^ a b c
50. — Soit A' un poiut situé du même côté de BC que A et tel que A'IiC =^ A ; A'CB = B.
)) B' » » CA .) B » B'CA = B ; B'AC = C.
,) C .) )) AB » C » C'AB = C ; C'BA =^ A.
Les trois droites XX', BB', CC concourent au point V :
1 1 1
a(a^ — b"-} ' b{b' — c') ' cic"- — b^-} '
De même, soit X" un point situé, du même côté de BC que A et tel
que A"CB = A ; A"BC = C ; soit B", etc., les trois droites XX", BB", CC"
concourent au point \ y :
1 1 1
a(a' — 6''') ' b{b^ — C) ' de'' — a'')
La droite qui joint les deux points V et Vi a pour équation :
a
y » 3.
0.
Si A'^, B^, C^ sont les symétriques de A', B', C respectivemeut par rapporta BC, CA, AB ;
a;', b;, c; » ' » a", b", c" « » »
AA^, BB'^, CC^ concourent au point rétrogimde -, etc., de Brocard ;
AA" BB" ce; » » direct -, etc., »
124 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Le milieu de la droite qui joint les deux points V et Vi a pour coor-
données -, etc., c'est le centre de l'hyperbole de Kiepert.
51. — a). —J'ai donné au Congrès de Marseille, 1891, p. 13o, une con-
struction assez simple pour placer le point I : p — a,p — b, p — c. Le
théorème suivant, dû à M. Boutin (./. E., 1891, p. 223) en donne une con-
truction un peu plus simple au point de vue des opérations de préparation,
c'est-à-dire de l'exactitude. Si K, o, o^^, Oj,, o^, A', B', C sont le point de
Lemoine, les centres des cercles tangents aux trois côtés et les milieux des
côtés du triangle ABC, les droites o^A', Oj^B', o^.C', oK concourent en \.
Il suffira de tracer o^^A', o^B'.
Je détermine A' et B' au moyen des trois circonférences A{R), B(R), C(R),
R étant quelconque, etc., op. : (4Ri -f- âR.^ -J- 3Ci -|- SCj).
Au moyen de ces trois circonférences, etc., je trace les droites o^^Co^^, Ao^^
Bo^, op. : (6Ri + 3R, -\- 6Ci -j-GCa) ; puis je trace o,, A'.o^B' : op : (4Ri 4-2R j;
en tout : op. : (14Ri -f- TR^ + 9Ci -j- 9C3); simplicité 38 ; exactitude 23 ;
7 droites, 9 cercles.
Le symbole A(R) représente une circonférence de centre A et de rayon R.
b). — Le point de Tarry est sur la droite qui joint le centre de gravité
au centre du cercle de Brocard, droite dont Péquation est :
yaxic' cos C — b' cos B) = 0.
c). — Si un point M a pour coordonnées normales : x, y, z, les équations
des côtés B'C, C'A', A'B' de son triangle podaire sont :
— X(i/ -f- z cos A)(s -\- y cos A) -j- Y( ;-[-// cos X){x -\- z eus B)
-j- Z(y -\~ z cos A)(a; -f" 1/ cos C) = 0, etc.
d). — Si M est un point de la cubique qui a pour équation :
xyz{b'' — c^)(c^ — a^){a^ — ¥) -f- abc \a^yz{by — cz) cos A = 0,
et que l'on appelle M^, M^^, M^ les points où AM, BM, C.U coupent les mé-
diatrices de BC, CA, AB, les points M.^, Mj^, M^ sont en ligne droite.
Cette cubique passe par les sommets, les milieux des côtés, par le centre
du cercle circonscrit et y est tangente aux trois médiatrices.
e). La droite : Xx -|- By -|- C^ — 0, contient les quatre points :
(B-Cj, fC-Aj., (A-B),
(B + G), (C - A), - (A + Bj,
- (B -f C), (C + A), (A - B),
(B - C), - (C + A), (A + B).
É. LEMOINE. GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 125
Cette remarque évidente sert souvent dans la géométrie du triangle.
f). s/ A', B', C et A", B", C" sont respectivement les sommets du
triangle pcdal du point de Tarry et du point de Steiner, B'C, B"C" se
coupent en Ai et AAi passe par le point de Lemoine. (Voir Congrès de
Marseille, 1891. p. 1S5, n° 13.)
g). — Soit >I et W deux points d'une conique ; par M et W je mène deux
faisceaux de n droites parallèles qui coupent la conique : le premier en
A, B, C, D. . . . le second en A', B', C, D' . . .
Les deux jtobjgones ABCD . . ., A'BT/D' ... ont même surface.
h). — Si deux tangentes parallèles à une conique dont les foyers sont
F et F' coupent une autre tangente quelconque à cette conique en P et Q et
que le quadrilatère FF'PQ soit inscriptible à un cercle, les deux tangentes
parallèles sont les tangentes aux extrémités de l'axe focal. Si les deux
tangentes parallèles sont quelconques et que T soit le point oii la tangente
PQ coupe l'axe focal, le produit TP . TQ est de la forme : b* . K ou K ne
dépend que de la direction des tangentes et ou h' est le carré du demi-axe
non focal.
Si l'axe focal varie de grandeur ainsi que la direction des tangentes
parallèles, l'axe focal restant fixe ainsi que la direction PQ et le produit
TP.TQ, le lieu de P et de Q est une hyperbole équilatère qui a pour
asymptotes les axes des coniques.
i)_ — S/ A' et B' sont les points de contact du cercle inscrit sur BC
et sur CA ; A" le pôle de la perpendiculaire à BC, par rapport au
cercle de centre C et qui passe par A' et B', menée par le point de contact
sur BC du cercle ex-inscrit o^ ; B" le pôle de la perpendiculaire à AC,
par rapport au même cercle, menée par le point de contact du cercle
ex-inscrit o^.
1° Les deux cercles décrits sur A'A"e^B'B" coinme diamètres se coupent,
se touchent, ou ne se coupent pas suivant que l'on a :
a -f 6 > 3c ; a + 6 — 3c ; a -[- 6 < 3c.
2" Ces deux cercles sont respectivement les transformés par polaires
réciproques par rapport au cercle de centre C et de rayon CB' = CA' de
l'hyperbole de foyers B e< C passant en A et de l'hijperbole de foyers A et C
passant en B.
j), _ Par un point M je mène rantiparallèlc à BC qui coupe AC et AB en A^., A,^,
» ,) CA » BA et BC en B^, B„
» ■ » AB » CB et CA en C^, C^^.
Le point M pour lequel on a:
AA, + AA, = BB^, + BB, = CC, + CC„
126 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
est situé sur la droite qui joint le point de Lemoine au centre du cercle
circonscrit et il a pour coordonnées ; a -]- "^P cos A, etc.
, , , ^r. ^b + c)(c + a)fa + b)
La somme constante est : zK -n — . ^ c *
k). — Soit un triangle ABC, ti^ouver un point M tel que si par M on
mène des parallèles aux trois côtés, la somme des inverses des segments
que M forme sur cette parallèie (segments compris entre M et les côtés)
soit la même.
On trouve le point dont les coordonnées normales sont :
1
ab -f- ac — oc
1). — co est l'angle de Brocard d'un triangle, <p l'angle tel que :
tg A + tg B + tg C = tg ?
On a toujours :
12 tg <p cotg 3(0 — 3 tg > cotg ^oj — 54 tg 9 cotg to + 12 tg > + 81 < 0.
m). — Si Von prend par rapport à la droite de F infini, les points brocar-
diens direct et rétrogade (voir Congrès de Grenoble, 1883, p. 27, ligne 5,
en remontant) de tous les points de la droite de Vinfini, ils sont sur la
conique circonscrite de Steiner,
n). — Soit un triangle ABC et trois circonférences de rayons 1, m, n
et de centres A, B, C ; si M est un des deux points tels que les puissances
de M par rapport à ces trois cercles soient respectivement proportionnelles
à a*, b'*, c^ et que nous appelions X, Y, Z les côtés du triangle podaire
de M, on aura :
X^ — l^ sin^ A = Y^ — ni^ sin^ B = 7J — n'' s'm' C.
On en conclut que les triangles podaires des centres isodynamiques sont
de's triangles équilatéraux. (Sghoute, Verslagen en mededeelingen, de l'Aca-
démie d'Amsterdam, série 3, tome III, p. 89.)
o). — Dans un triangle ABC considérons le cercle symétrique, par rap-
port à la médiatrice BC, du cercle (/'Apollonius ayant son centre sur BC,
et les deux autres cercles analogues.
On sait que si le t?'iangle ABC est acutangle, les trois cercles symétriques
des cercles c?' Apollonius se coupent en deux points réels qu'on appelle les
centres isologiques {J . E., 1892, p. 70). Soient 3 leur distance et d la distance
du centre du cercle circonscrit et de Vorthocentre.
On aura : .
8R'^m^
d'
On sait d'ailleurs que d^ = 9R^
cos A cos B cos C
É. LEMOLNE. — GÉOMÉTRIE DU TRIANGLE 127
Les centres isologiques sont sur la droite d'Euler GH.
Les centres des trois cercles d'Apollonius sont sur la droite de Lemoine :
ceux des trois cercles symétriques par rapport aux médiatrices sont sur la
droite de Longchamps : \ a^ir := 0.
Ces deux droites se coupent au point : ¥ — c-, c'^ — a^ a"~ — b^.
La distance D des centres isodynamiques (points où se coupent les cercles
d'Apollonius) est donnée par la formule : D^ = — ^^ —^ •
Le rapprochement de cette formule avec celle du n° 33 esta noter.
Si un angle du triangle égale 120", les cercles d'Apollonius ont un de
leurs points communs sur le côté opposé.
R, m^, n^ désignent, comme d'ordinaire, le rayon du cercle ABC:
a^ _{-, fy^ -\- c\ h'-e -\- c'a'' + a'^bK
p). Soit un triangle ABC ; si l'on a : b^ -|- c^ ^ a(b -\- c) (ce qui suppose
A <^ 90), la droite joignant un sommet de la base BC au point de con-
tact du cercle inscrit sur le côté opposé et la droite Joignant l'autre sommet
de la base au point de contact du cercle ex-inscrit qui est tangent au
côté opposé, se coupent sur la médiane partant de A, et si l'on joint un
sommet B au point de contact sur AC du cercle ex-inscrit qui touche AB, et
le sommet C au point de contact sur AB du cercle ex-inscrit qui touche AC,
ces deux droites se coupent sur la symédiane partant de A. laquelle coupe^C
au point de contact du cercle inscrit.
q). — Étant donné un triangle isocèle, on peut toujours trisecter avec
la règle et le compas l'angle que forme un des côtés égaux avec ïantipa-
rallèle à ce côté.
Étant donné un triangle ABC, trouver dans son plan un point o tel que
si Co coupe AB en C et que Bo coupe AC en B', on ait :
1« Angle ACC = angle ABB' ;
2° Angle B'oC ou C'oB = a fois angle ACC.
Le problème est résoluble avec la règle et le compas si X est de la
forme : 2" — 2.
IX. — De la division de la circonférence en sept parties égales.
52. — Si dans un triangle ABC on a : A =: 2B, on aura aussi :
«2 — h{b -f C) (i) {J. E., 1883, quest. 116, M. Antomari.)
128 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Si on a en même temps : B = 2C, on aura donc aussi : 6^ = c{c 4-«)(2)
et les angles A, B, C seront : 4 . -^ > 2.-;:r-' „
180 ^ 480 180
7
Le problème sera résolu si l'on construit le triangle ABC.
Supposons c =: 1 et éliminons alors b entre (1) et (2), le résultat est :
a' — 2a^ — a + 1 = 0.
Cette équation a ses trois racines réelles, l'une négative entre — 1 et 0 ne
peut convenir, l'autre entre 0 et 1 ne convient pas non plus puisque a'^ c
et que c = i ; l'autre entre 2 et 3.
On calcule qu'elle est: a = 2,250. . . l'équation (2) devient b^ = 3,2o0. . .
d'où 6 = 1,80... ; c = 1.
X. — Construction des points [j. et '/ dont les coordonnées
NORMALES SONT :
x' t z--' x"^ II'- z-'-'
-, ^, - et —, ■-^, — .
X ij z œ y z
53 . — Soient M et M' les points qui ont pour cordonnées x, y, z ;
x', y' , z' et ABC le triangle de référence.
J'appelle E^, F^ les points où MA coupent respectivement BxM', CM'
» E^, F^ » MB » » CM', AM'
» E^, F,. » MC » » AM', BM'
J'appelle M^^ le point où se coupent BF^, CE^,
» 31^ » .) CFj, AEj
» M, » « AF., BE.
Les trois droites AM^, BMj^, CM^ se coupent en ^j..
Si l'on traite M' par rapport à M, comme on vient de traiter M par
rapport à M' en mettant pour cette seconde construction les mêmes
lettres que pour la première, mais accentuées, il est clair que : les trois
droites AM^, BM'j^, CM'^ se couperont en fx'.
Pour exécuter cette construction, il faut :
Tracer les six droites AM, BM, CM ; AM', BM', CM' . op : {itK, + GRJ
Placer M^ par deux droites partant de B et de C . . op : (4Ri -f- ^Rj)
» M^ » » C » A . . op : (4Ri + 2R,)
Tracer AM^, BM^ qui se coupent en p. op : (4Ri -)- 2R2)
[X est donc placé par op : (24Ri -\- 12R2)
Pour avoir M^ une nouvelle droite suffira op : (2Rj^ -|- Ra)
Ainsi que pour avoir M^^ op : (2Ri + RJ
Enfin \>.' s'obtiendra en traçant AM^, BM;; op : (4Ri -f 2R2)
É. LEMOIiNE. — GÉOMÉTRIE DU TIUAN'GLE 129
[j. et a' seront donc placés par op : (32Ki + 16K.^i lorsque M et M' sont
placés.
L'équation de ua' est : y.rx'iy'^z'^ — zh/'^fz = 0,
par conséquent [xa' se tracerait par le symbole, op : (34Ri -[- i7Rj.
En prenant pour M et M' difTérents points remarquables, on a pour y.
et a' et pour u.\t.' des constructions relativement simples de points et de
droites qu'il serait quelquefois fort long de fixer ou de tracer autrement.
Si M est le barycentre, a est le réciproque de M' ; a' est le point : ax'',
bij'-, cz'\
Si M et M' sont le barycentre et le point de Lemoine. [>. et ;J^' sont les
1
points si souvent rencontrés ^, etc., et a^ etc.
Si iM et M' sont le point x, y, z et son réciproque, ,u. et ,a' sont les deux
points réciproques a'^x^, etc., et , etc.
a^x'-'
Si M est le centre de gravité M^M', 3I^M', M^M' sont respectivement paral-
lèles à BC, CA, AB.
111
Si M et M' sont deux points inverses x, y, z ; -, -, ~ , kl ei 'j.' sont les
X y z ' '
1 1 1
deux points inverses x^, y-\ z'^ : — , — . — .
Si M et M' sont le point de Lemoine et le centre du cercle inscrit, ix et [x
sont les points a% 6% c^ et le barycentre.
Si M est le point .2 , y, z et M' un des quatre points : x' , //', :;' ou l'un de
ses trois associés : — x', y', z'; x', — y', z'; x', y', — z', u' sera le même
point, fx donnera quatre points associés.
Si l'on traite a et y.' comme on a traité M et M' on aura deux poiiUs fx , </
» ^, et ij.^ ^ » » » ^^, ,^;^
etc., l'on aura ainsi la série de points :
M et M', ;x et y.' ; a^ et y-'^ . . . ;% et i\. Les coordonnées de ix^^ seront :
;i— 1
(
X
- , etc.
(1-1
I
x'^ '
Celles de jx^j seront
,(^:
;i-l
— I
, etc.
9*
130
MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
XI. — Formules dans le triangle.
Ajoutons encore quelques formules à celles que nous avons données
aux Congrès précédents de l'Association française et dans Mathesis, 1892,
p. 81, etc.. avec leurs transformées continues en A lorsqu'elles en ont.
54.1. 2
a cos^ A := rr^
V
m'
3(R + Vf' + R'-' — p-'
a cos'^ A -j- 6 cos- B -|- c cos- C
p — a
3(R-rJ + R'^-(p
2. ^a\^^'^pm\-{-n
— ao + bl^ + cly =^ 2(p — aj(2R — r^]
3. _2«(?-„ — /')(°„ — ^0 = '^P^P" + ^' — lORr) ;
- «('a - 0(^^ + '■'') + K'-r + nO(^^c + ''a)
+ <r, + r J(o, + r,) = lip - a)[ip ~ af + r; + lOU/J .
4. 2a(r,-r)(r^-r)=4RS;
mpip' -j- r' — \mr);
ail
■ 2
('•/. - '-y + (''c - '
<'-.-rr„)j(r,+rjM-(r„-r)'^j^-4R(p-r/)[(;,-a)'^+r^Hl2Rr^
yy^fR — r)
r„ cos'^ A = c
R^
— r cos- A -|- r^ cos- B -j- r^ cos- C = o^^ -f
7. Vôc/-^^ cos A ^= /-(op- — 0^);
(P — a)H^ + rj
R'
bcr, cos A — car^ cos B — baVi^ cos C = r^j ^(p — af-
s
8. 2^a cos'^ A = —
(2R 4- r)-' + R'^ — p'
_S
R'
(2K—r^y + lV--(p — af
— (1 — 4 cos A cos B cos Cj.
li. LK.Mulm;,
GKOMKTRIE DU TRIANGLK
131
9. cos B -f cos C ~^^, d'où, par transl'orniatioii coiiliuup eu B ou eu C :
m
cos B — cos C
''c - ''l,
2K
Or
cr^ =
(b — c)/)-' (h — c)7\r
b'c
\ 1 . c;-, + br^ = f^ (a + r,) = (p - «)(o + r J ;
^h + cr^ .= yj^V:^^ _ r).
il. bc-^ 2pa = (a + c)(a + b), d'où, par transformation en A :
bc — ±\p — a)a = (a — c)(a — b)
et, par transformation en B ou en C :
bc — ±p — c)a = (C — aX.a + b).
2«« = 2(p'^ — ro r^ -f 24S'^[2B'^ — f p^— ro)]
= m^ — Sm^n'^ -f Za^H"".
13.
14. 6-5 cos B — c^' cos C =
c- — b-
2a bc
C' -\-b' — a-(b- -f- c^j
c^ — 6'^
a
n- cos ('A -)- wj
lo
16. yjr2« - yj) = r^r^^ -f- ;.^;., _ ;.^,.^,
et, par transformation continue en A, en B et en C :
P" — «' = '•''/. + ''^,. + ^'/.^'c ; (P — b)[a-i- (p — C)]
= 'c'a -f '•'•. — '■>:■ ; ' y^ — c)[a + (/; — b}] = r^r^ + ;v^, — rr,^.
17. a'^r^ -f b-'i-f^ — ch'^, = 4Rp[(7j — c) — c cos A cos B],
et, par transformation continue en A :
aV — b-r^ + c^r,^ — 4K('p — a)[(p — b) ~ c cos A cos B].
18. y a^ cos- A := /»" —
4K^
Je ne veux pas terminer sans remercier U.Neuberg de toute sa complai-
sance, des nombreux renseignements, des multiples indications que je lui
dois, qui, entre autres choses, ont transformé le n° I : Sur quelques groupes
de trois cercles.
132 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE. GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Abréviations employées daîis le cours du Mémoire :
A. F. = Association française pour l'avancement des sciences.
.T. E. = Journal de Mathématiques élémentaires, publié sous la direction de .M. de
Longcliamps.
,]. S. -= Journal de Mathématiques spéciales, publié sous la direction de M. de
Longchainps.
ERRATA
AU MÉMOIRE DU CONGRÈS DE LIMOGES, 1890, § 3, 13, P. 127.
Dans les coordonnées des quatre points communs aux deux coniques inscrites, il faut
mettre L, M, N ; V, W, N' au lieu de A, B, C ; A' B' C.
ERRATA
Al- MÉMOIRE DU CONGRÈS DE MARSEILLE, 189J.
Page 2 lignes 7, 8, 9, 17 ; remplacer a par n.
9, en remontant; au lieu de x', y', z', lire .;', //', :' .
12 ; la dernière lettre de la ligne doit être C et non B.
2 ; le dénominateur doit être élevé au carré.
11, en remontant ; au lieu de : inscrit, lisez : circonscrit.
4, en leiiiontant; au lieu de : Z, lisez : Z, et ajoutez : Z, étant le cenijc du
cercle de Rrocarrl .
18 » 6 ; la première égalité de la ligne doit être :
»
4
;j
»
10
S
»
11
»
J>
12
»
s
16
a
0 g' =\
»
28
»
1)
36
0
»
38
»
»
38
y
a
39
»
»
39
»
»
39
))
(/) - ar- -r- 5/-=^ -r lGKr„
9; au lieu de x\ y, z, lisez: x', if , z'.
8; au lieu de : A', B', C, lisez : A', B', C.
1 et 4, en remontant; au lieu de .M, lisez: JI,.
3, en remontant ; après Vi est le point, ajoutez : , etc.. ou le puinl.
1 et 5; au lieu de M, lisez: M,.
2 ; effacez le barj centre et le point de.
3 ; effacez Lemoine.
M. aaston TÂURY
Inspecteur des Contributions diverses, à .\Igcr.
FIGURATION DES SOL'JTIONS IMAGINAIRES RENCONTRÉES EN GÉOMÉTRIE ORDINAIRE *;
— Séance du 17 septembre 1892 —
192. — Ces prétendus êtres de raison qu'on qualifie d'imaginaires sont
parfaitement réels, et la géométrie possède le pouvoir de [les peindre à
ri.magipation sous des formes sensibles.
{V Voir C. R. du Congrès de Marseille, 2" partie, page 90.
G. TAURY. — SULITIONS IMAf.I.NAIHKS UN GÉOMKTRIK OHDLXAIUK 133
Le mot imaginaire devrait disparaître du langage scientifique. Mais,
pour nous conformer à l'usage, nous conserverons cette appellation ; ce
qui ne présente aucun inconvénient, pourvu qu'on s'entende.
La Géométrie pure, telle qu'on l'a conçue jusqu'cà ce jour, est essentiel-
lement restrictive, parce que son champ d'action est limité au réel.
De là, dans ses investigations, une timidité qui a toujours entravé sa
marche en avant. Un peu de hardiesse va lui permettre d'étendre sa
puissance sur le monde de l'imaginaire.
L'être primordial qui engendre tous les êtres de la Géométrie, c'est-
à-dire le point, n'a pas encore reçu sa véritable définition. Cependant, on
a coutume de dire que le point réel est un cas particulier du point ima-
ginaire, ce qui revient à admettre qu'il existe une définition plus géné-
rale du point, embrassant à la fois le point imaginaire, demeuré invi-
sible jusqu'à ce jour, et le point réel, le seul qui se soit montré aux yeux
des géomètres.
Quand la Géométrie ordinaire, que j'appellerai restrictive par compa-
raison avec la Géométrie générale, répond en langage algébrique par une
solution imaginaire à la question qui lui est posée, nous sommes préve-
nus, par cela même, que la demande formulée renferme une impos-
sibilité.
A la suite de longues études, j'ai acquis la conviction inébranlable que
la cause unique de cette impossibiUté résidait dans notre exigence à vou-
loir que la solution exacte satisfasse, par surcroît, à une condition parti-
culière, toujours la même, et dont la nature nous échappait.
Ce qui se passe dans cette circonstance extraordinaire, où l'Homme et
le Sphinx de l'imaginaire se trouvent face à face, mérite de fixer au plus
haut degré l'attention du penseur qui veut étudier les lois et la marche
du raisonnement.
Les lignes suivantes, que j'extrais de l'ouvrage de Vallès (Des fonnes
imaginaires en Algèbre, tome I, page 52), en substituant seulement le
mot Géométrie à celui d'Algèbre, décrivent avec la plus parfaite exacti-
tude la situation, telle du moins qu'elle m'est apparue :
« Il est intéressant d'étudier comment, dans ce cas, la réaction de la
» Géométrie cherche à se mettre en équilibre avec l'action égarée de
» notre intelligence ; comment elle se maintient dans le vrai, alors que
» nous voulons l'entraîner dans le faux: comment, du moins, elle refuse
» de nous suivre dans cette voie, et par quels moyens, toujours logique
» et toujours utile, tout en nous disant que nous l'avons frappée d'im-
') puissance, elle nous indique en quoi consiste l'erreur que nous n'avions
» pas même soupçonnée. »
Après dix années de méditation consacrées à rechercher la nature de
cette erreur, j'ai été amené à la conclusion suivante :
134 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
L'interprétation des solutions imaginaires en Géométrie ne peut être
obtenue qu'à la condition d'admettre la définition ci-après du point, que
j'ai adoptée.
En Géométrie générale, on appelle point l'être produit par l'union de
deux points de la Géométrie ordinaire, que Ton considère dans un ordre
déterminé, afin de les distinguer l'un de l'autre comme s'ils étaient appe-
lés à jouer un rôle difTérent dans cette création.
Cette trinité est le dogme sur lequel repose la Géométrie générale.
Les deux composantes du couple dont procède le nouvel être présentent
deux états difTérents, suivant que leurs positions sont séparées ou super-
posées.
(juand les composantes sont séparées, on a la figuration du point dont
on pressentait l'existence en le désignant sous le nom d'imaginaire.
Le point imaginaire était une âme sans corps; nous lui donnons un
corps pour le présenter dans le monde géométrique.
Dans le cas, infiniment particulier, oii les composantes sont superpo-
sées ou confondues, on a l'image du point réel.
Ainsi, tout point réel est nécessairement double.
Cette conclusion, si étrange qu'elle puisse paraître, est imposée par la
force même des choses.
Pour doter la Géométrie pure d'une puissance comparable à celle de
l'Algèbre, il fallait encore découvrir les véritables définitions de la ligne
droite, de la distance et de l'angle, éléments constitutifs de la science de
l'étendue.
Ces définitions ont été données dans mon premier Mémoire de Géo-
métrie générale, présenté au Congrès de Paris en 1889 et publié dans le
compte rendu de la session.
De nombreuses expériences m'ont confirmé dans la croyance que j'ai eu
la fortune de rencontrer la voie de la vérité.
Ma Géométrie générale anéantit le fantôme de l'imaginaire. Désormais,
toutes les solutions dites imaginaires pourront être représentées par des
images visibles.
Je serais heureux si l'exemple suivant, choisi parmi les solutions ima-
ginaires qui se prêtent à une figuration simple, pouvait faire naître chez
les amis de la vérité le désir de lire mes Mémoires de Géométrie gé-
nérale.
Dans le Journal de Mathémaliques de M. de Longchamps, j'ai proposé
en 1889 le problème suivant, dont la solution a été donnée dans le nu-
méro du mois de septembre 1892.
Quatre trains se meuvent sur des voies rectilignes avec des vitesses
uniformes. On connaît leurs positions à deux instants différents.
On demande de tracer une cinquième voie rectiligne qui puisse être
G. T.VrUtV. S(tLl TID.NS IMAGINAIRES £.\ GKUMÉÏKIK 0HDI.\A1UE 135
parcourue par un train d'un mouvement uniforme, de telle sorte que les
quatre premiers trains paraissent immobiles aux A'oyageurs du cinquième.
Ce problème est du second degré et, par conséquent, peut comporter
des solutions imaginaires.
En vertu des définitions nouvelles, données par la Géométrie générale,
le problème doit être posé sous cette forme :
Ouatre couples de trains confondus, AA, BB, CC, DD, se meuvent en
ligne droite avec des vitesses uniformes.
On demande de trouver deux voies rectilignes qui puissent être parcou-
rues avec des vitesses uniformes par deux trains P et P', de telle sorte
qu'à tout instant la ligne droite de (iéométrie générale qui passe par le
point PP' et l'un quelconque AA des quatre autres points mobiles con-
serve la même direction.
Pour que la droite mobile PP'AA de Géométrie générale conserve une
direction fixe, il faut et il suffit que le rapport des distances PA et P'A
demeure constant et que la bissectrice de l'angle variable PAP' ait une
direction fixe. (Voir pour la démonstration mon Mémoire de 1889. j
En conséquence de ce qui précède, j'affirme sans aucune hésitation que,
dans le problème primitif, la solution imaginaire présentée par la Géo-
métrie restrictive doit être interprétée comme il suit :
11 existe toujours deux trains réels qui se meuvent sur des lignes
droites avec des vitesses uniformes, de telle sorte qu'à tout instant du
mouvement : 1" les distances de ces deux trains à chacun des quatre
premiers soient respectivement dans des rapports constants ; 2° les bis-
sectrices des angles sous lesquels on voit ces deux trains de chacun des
quatre premiers conservent des directions fixes.
Cela est évident en Géométrie générale.
Quand les deux trains du couple sont constamment confondus en un
seul, et alors seulement, la Géométrie restrictive donne une solution
réelle.
On voit par cet exemple typique que la Géométrie restrictive, en pré-
sentant une solution imaginaire, nous prévient bien que la demande for-
mulée renferme une impossibilité.
Et cette impossibilité tient uniquement, non seulement dans le problème
qui nous occupe, mais toujours, à ce que nous exigeons que les deux
composantes du point demeurent superposées.
C'est en cela que, suivant l'expression de Vallès, consiste l'erreur que
nous n'avions pas même soupçonnée.
Dans l'espace réel oîi Descartes a construit les axes de sa Géométrie
analytique, toutes les places paraissent marquées d'avance pour les points
réels, dont les coordonnées sont déterminées à l'aide de nombres positifs
et négatifs.
136 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
On a été porté à croire qu'il n'en restait aucune pour les points ima-
ginaires, et, ne sachant où mettre ces êtres dont l'existence s'afTirmait
de plus en plus, on a imaginé l'hyperespace pour les y loger.
Dans ces limbes, ils ont attendu la venue d'une Géométrie générale,
qui leur a donné un corps pour leur permettre de pénétrer dans l'espace
où nous vivons.
Le spectre de l'imaginaire a disparu, et avec lui son habitation : Ihy-
perespace.
M. COCCOZ
Commandant d'Artillerie en retraite, à Paris.
DES CARRÉS DE 8 ET DE 9, MAGIQUES AUX DEUX PREMIERS DEGRES
DES CARRÉS DE MÊMES BASES EN NOMBRES TRIANGULAIRES
— Séance du 17 septembre 1892 —
La question des figures magiques, dont les mathématiciens les plus
éminents s'occupèrent avec ardeur à la fin du xvii'^ et au commencement
du xviii^ siècle, s'est enrichie tout récemment de procédés au moyen
desquels on a résolu des problèmes (*) de ce genre plus compliqués que
celui des enceintes, qui fut, par l'intermédiaire du P. Mersenne, l'objet
d'une active correspondance entre les illustres Fermât et Frenicle.
La recherche des carrés de 8 et de 9 de base, magiques aux deux pre-
miers degrés, a été précédée par d'autres. Toutes ont eu pour point de
départ un triangle équilatéral de neuf chiffres inséré dans un volume de
la Nouvelle Coj'respondance mathémathique qui nous fut communiqué par
notre ami Edouard Lucas.
Les quatre nombres de tel côté que l'on veut considérer
4 3 de ce triangle ont pour somme 20, et l'addition de ces
9 7 mêmes nombres élevés à la deuxième puissance donne pour
^ ^ *^ ^ total 126.
On fit bientôt après, avec dix-huit, puis avec vingt-sept éléments,
(*) Voir l'Appendice à lu lin du Mémoire.
COCCOZ. — DES CAHUÉS MAGIQUES 13"
une quanlité considérable de triangles satisfaisant à de semblables condi-
tions. Le 19 novembre 1888, un mémoire sur les égalités à deux degrés
fut présenté à l'Académie des Sciences par son auteur, M. le général Fro-
lov, et le Journal de Mathématiques élémentaires traita le même sujet dans
ses numéros d'août et de septembre 1889.
Ces divers travaux firent naître l'idée de former à deux constantes :
1° Des enceintes magiques ;
2" Des cercles de même rayon se coupant deux à deux, leurs circon-
férences étant divisées en parties égales avec des nombres à chaque
point de division et d'intersection ;
3" Des ensembles de lignes formant des figures géométriques comme
il y en a, mais sans double égalité, dans le chapitre Das magische Po-
lygon, du traité d'Hermann SchetTer.
Carré de 8 de base. — M. Savard a le premier arrangé soixante-quatre
nombres en un carré magique au premier degré et semi-magique au
second ; mais, c'est M. PfetTerniann qui, avant tout autre, a construit
un carré de 8 parfaitement magique à deux degrés, et quelques mois
après un de 9 réunissant les mêmes conditions. Ces carrés ont été pu-
bliés par les soins de M. Feisthamel le 6 décembre 1890 et le ^ll juin 1891.
On se rendra compte des difficultés que présentait la construction de
tels carrés en cherchant, parmi les formules connues et les notations
dues à Joseph Sauveur, celles qui pourraient aider à résoudre ce nouveau
genre de problèmes, et aussi, en considérant que les combinaisons de
huit nombres donnant la double égalité 260 et 11.180 dépassent 30.000
suivant une première approximation de M. Rilly, qui en a déjà cal-
culé 23.136.
La marche à suivre pour obtenir avec des nombres consécutifs un
carré de 8 comporte trois opérations :
1° Avec les soixante-quatre nombres former huit lignes, chacune de
huit éléments, dont la somme soit 260; faire les permutations de chiffres
nécessaires pour, sans altérer cette première égalité, en trouver une se
conde 11.180 par l'addition des nombres élevés à leur deuxième puissance.
Cette opération terminée, on a ce que nous appelons un générateur.
2° Composer un second générateur ayant les mêmes qualités que le
premier, et pouvant se conjuguer avec lui pour faire un semi-magique.
3° Par des changements de place des lignes entières, amener en dia-
gonales les nombres qui, en dotant celles-ci de la double égalité, rendent
le carré tout à fait magique.
Générateur. — Pour former chaque générateur, nous procédons par
couples égaux, et par leurs complémentaires, en nous réglant, pour com-
mencer, sur les deux rangées supérieures d'un échiquier dont les cases
seraient numérotées.
188 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Nous obtenons les cinq groupements suivants :
260 et 17 49 81 113 ^260
16 SO 82 112:^260
15 51 83 111 =3 260
13 53 85 109^^260
9 57 89 105 = 260
La première décomposition est des plus simples : il faut écrire les
nombres suivant la marche que les Grecs appelaient boustrophédon.
|0
17
49
81
113
- : 260
2"
18
48
80
114
- 2(30
;-i°
19
47
79
115
^ 260
-4"
21
45
77
117
= 260
5°
25
41
73
121
.= 260
Z*^"" groupement.
A
B
(
A
D
0
8
9
24 25
40
41
56
4
7
10
23 26
39
42
55
58
12
6
11
22 27
38
43
54
59
24
5
12
21 28
37
44
53
60
40
4
13
20 29
36
45
52
61
60
3
14
19 30
35
46
51
62
84
2
15
18 31
34
47
50
63
12
1
id
17 32
33
48
49
64
On a évidemment des horizontales égales, puisqu'elles se composent
toutes des couples 17 49, 81 113 — 260.
Il s'agit de leur donner la double égalité. Dans chaque colonne les
premiers nombres inscrits sont consécutifs, de la forme n et w + 1
ayant pour somme de leurs carrés 2n(n -|- 1) -f- 1. Les deux suivants
(/i — 1) et {il -\- 1) ont pour somme de leurs carrés 2n(M -|- 1) -|- ^»
quantité qui surpasse de quatre unités le résultat précédent.
En comparant ainsi chaque couple avec le premier inscrit, on trouve
les différences mises en marge du tableau. En place des nombres 0, 4,
12, 24, etc., etc., marquant des différences, on aurait pu mettre plus
simplemenl : 0, 1, 3, 6, 10, 15, 21, 28, c'est-à-dire les sept premiers
nombres triangulaires précédés de zéro. Ces différences formant une
somme 336 pour les huit couples d'une colonne, les horizontales seront
égales au second degré toutes les fois que les quatre couples de chacune
d'elles présenteront des différences ayant pour somme
336
4
= 168
En représentant chaque couple par la lettre placée en tête de sa
COCCOZ. — DES CAItUÉS MAGIQUES 139
colonne avec Je chiffre en marge pour indice, on composera des lignes
à deux constantes telles^ que les suivantes (*):
Ah.
Au2
As4
As,
A64
B40
B,2
Beo
Bc„
r.,., J)^ cVst-à-diriî (a) 1 16 20 29 38 43 55 58 i^
t:,' L),,, » (h) 1 16 20 29 39 42 54 59 '^
C40 \h « (c) 1 16 22 27 36 45 55 58 ^1
C04 D„ » fdj 2 15 18 31 40 41 56 57 [=:
r.„ \\, » l'e} 2 15 19 30 37 44 56 57 1=1
C, \\, » (f) 2 15 19 30 38 43 54 59 IH
260
11180
260
11180
260
11180
260
11180
260
11180
260
11180
Ou abrège les recherches par l'emploi des termes complémentaires.
Ainsi, ou déduit immédiatement des six lignes ci-dessus :
fa') 7 10 22 27 36 45 49 64
(c'} 7 10 20 29 38 43 49 64
i'e') 8 9 21 28 35 46 50 63
7/J 6 11 23 26 36 45 49 64
(d') 8 9 24 25 34 47 50 63
(f) 6 11 22 27 35 46 50 63
Les autres groupements ne comportent chacun que quatre lignes.
A
D
A'
B'
\y
T groupement.
0
7 9
24 26
40 42
55 57
8 10
23 25
39 41
56 58
16
5 11
22 28
38 44
53 59
6 12
21 27
37 43
54 60
30
3 13
20 30
36 16
51 61
4 14
19 29
35 45
52 62
48
1 15
18 32
34 48
49 63
2 16
17 31
33 47
50 64
S'^ groupement.
0
6 9
24 27
40 43
54 57
8 11
22 25
38 41
56 59
8
5 10
23 28
39 44
53 58
7 12
21 26
37 42
55 60
56
2 13
20 31
36 47
50 61
4 15
18 29
3i 45
52 63
80
1 14
19 32
35 43
49 62
3 16
17 30
33 46
51 64
groupement .
0
4 9
24 29
40 45
52 57
8 13
20 25
36 41
56 61
12
3 10
23 30
39 46
51 58
7 14
19 26
35 42
55 62
28
2 11
22 31
38 47
50 59
6 15
18 27
34 43
54 63
48
1 12
21 32
37 48
49 60
5 16
17 28
33 44
53 64
o^ groupement.
0
4
5
28 29
44 45
52 53
12 13
20 21
36 37
60 61
4
3
6
27 30
43 46
51 54
11 14
19 22
35 38
59 62
12
2
7
26 31
42 47
50 55
10 15
18 23
34 39
58 63
24
1
8
25 32
41 48
49 56
9 16
17 24
33 40
57 64
(*) Dans les numéros précités du Journal de Mathématiques élémentaires, le signe
employé pour exprimer une douljle égalité.
a été
140 MATHÉMATIQUES, ASTROxNOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
A laide de deux des cinq tableaux, on trouvera les lignes de deux
générateurs. Supposons les suivants d"' et 5'- groupements) :
Gi'nérateur doniiaiil, les horizontales.
Gént'raleiir ilomi;mt les verlirnle^.
1
16
22
27
39
42
52
61
4
13
23
26
38
43
49
64
2
15
21
28
40
41
51
62
o
14
24
25
37
44
50
63
5
12
18
31
35
46
56
57
8
9
19
30
34
47
53
60
6
11
17
32
36
45
55
58
7
10
20
29
33
48
54
59
1
10
2
9
3
12
4
11
8
15
7
16
6
13
5
14
28
19
27
20
26
17
25
18
29
22
30
21
31
24
32
23
43
36
44
35
41
34
42
33
46
37
45
38
48
39
47
40
50
57
49
58
52
59
51
60
55
64
56
63
53
62
54
61
Ces deux générateurs peuvent se conjuguer : la première horizontale
et la première verticale n'ont d'autre terme commun que l'unité et, en
outre, 22 et 43 sont leurs seuls termes qui se complètent pour donner
64-f-l- Il en est d'ailleurs de même des autres lignes ayant un
terme conmiun, par exemple : 2, 13, 21, 28, 40, 41, 51, 62, et 2, "i,
27, 30, 44, 4o, 49, 56; le terme commun est 2 et leurs seuls complé-
mentaires sont 21 et 44.
Après avoir arrangé dans le générateur dont les horizontales sont
exactes les nombres de manière que les verticales soient composées
comme celles de l'autre générateur, on aura un semi-magique auquel on
donnera une disposition telle qu'il soit formé de seize petits carrés dans
chacun desquels on trouve 130 exprimé en quatre nombres par 65
et 65 (fig. 5), ou par 64 et 66, 63 et 67, 61 et 69, 57 et 73, 49 et 81.
ou 33 et 97 (*) (fig. 7).
(*) On peut se dispenser de faire cet arrangement par Oo 60; mais il ji'est pas inutile de l'essayer
quand on désire former les diagonales avec d'autres couples, parce que, en cas de non-réussite des
16 petits carrés i)ar la décomposition de 130 que l'on a choisie, il n'y a pas de diagonales corres-
pondantes.
Le semi-magique figure 7 a ses carrés par 37 73. On pourrait les faire par 61 69 et aussi par .'il fiii.
Dans le premier cas, on a les quadrangles
dans le second
et dans le troisième
53
2'.
/.
33
3i
62
42
11
34
3
23
34
12
41
61
32
n
1',
V>
5o
.il
41
10
20
63
^'7
6
32
2S
^2
33
;i9
A 7
l'r
2
3.Ï
30
63
31
1S
33
/.
16
4:;
20
49
61
32
COCCdZ. — DES CARRES MAGIQUES
141
FiG. ii. — Semi-magique.
A A' B B' C C D D'
FiG. 7.
Semi-magiquc.
1
22
27
16
52
39
42 61
43
64
49
38
26
13
4 23
-16
l.j
2
21
41
62
51 '.U
50
37
44
63
3
24
25 14
46
07
56
35
31
12
5 18
8
19
3(1
9
53
3'.
47 60
55
36
45
58
6
17
32 U
29
10
7
2(»
48
59
54 33
c
c'
d
d'
1
58
36
27
53
14
24 47
15
53
46
21
59
4
26 33
22
45
55
16
34
25
3 (iO
28
35
57
2
48
23
13 54
40
31
5
62
20
43
49 10
42
17
II
52
30
37
63 8
51
12
18
41
7
64
38 29
61
6
32
.'.9
9
50
44 19
Diagonales. — En consultant une liste facile à établir des combinai-
sons de quatre couples qui donnent la constante 11.180. on trouvera
celles dont les termes disposés magiquement se prêtent aux change-
ments de position des lignes qui amènent ces termes suivant l'une des
diagonales. Il est évident que les colonnes du semi-magique (voir fig. 5)
étant interverties suivant D, C, B, A, A', B', C, D', les nombres 3 (32,
16 49, 18 4", 29 36 de l'une de ces combinaisons seront placés en
seconde diagonale, et qu'en mettant les rangées horizontales par c, h,
a, d, d', a\ b', c', o 60, 10 55, 24 41, 27 38, qui forment quatre qua-
drangles avec les précédents, pourront être pris pour la première diago-
nale (voir fig. 6).
Fig. 6.
— Magique.
D
C
B A
A' B' C
D'
5
31
56 46
57 35 12
18
c
51
41
2 28
15 21 62
40
b
42
52
27 1
22 16 39
61
a
32
60
45 55
36 58 17
U
d
54
48
7 29
10 20 59
33
d'
4
26
49 43
64 38 13
23
b'
25
3
4'. 50
37 63 24
14
c'
47
53
30 8
19 9 34
60
d'
Fig. s. — .Magique.
/
16
38
52
26
41
1
23
61
27
49
39
13
64
22
4
42
2
44
62
24
37
15
25
51
21
63
41
3
50
28
14
40
58
20
6
48
29
55
33
U
45
7
17
59
10
36
54
32
56
30
12
34
19
57
47
5
35
9
31
53
8
46
60
18
Deux autres combinaisons également par 6o 6o, 3 62, 16 49, 18 4",
29 36 et 4 61, lo oO, 17 48 et 30 3o conviennent aussi ; elles se con-
juguent avec oelles déjà indiquées. Il en résulte que si on les désigne
142 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
par a, [3, Y' 2: 01^ S'Ura six paires de diagonales, a[i, ay, aS, py, jio, yo,
qui pourront être adaptées à ce carré.
On. sait qu'un carré de 8 de base se transforme de cent quatre-vingt-
douze manières quand on déplace simultanément des bandes et des
colonnes également distantes du milieu. En supposant qu'il ne soit pas
possible de lui donner d'autres diagonales que celles par 65 65, le carré
(fuj. 6) est déjà susceptible de 6 X 19^ = l-lo2 solutions. Il en serait
de même du carré (flg. 8) auquel six paires de diagonales conviennent
également.
Cette multiplicité des diagonales, ainsi que les transformations par
échanges de groupes égaux, qu'il faut chercher pour les découvrir, s'op-
pose à la détermination exacte, a prio?'i, du nombre de carrés de 8 à
deux degrés que l'on peut construire par la méthode dont nous venons de
faire un exposé succinct. Tout ce qu'il est permis d'alfirmer, c'est que les
lignes, au nombre de trente, qui comprennent l'unité se conjuguent
cent vingt fois deux à deux, d'oii 120 carrés donnant lieu chacun à
192 solutions dérivées, c'est-à-dire 23.040 carrés différents, sans compter
les solutions en quantité assurément considérable dues aux changements
de diagonales.
CARRÉ DE 9 DE BASE MAGIQUE AUX DEUX PREMIERS DEGRÉS
Carré de 9, — Le carré de 81 éléments consécutifs se fait aussij par
deux générateurs qui se conjuguent pour former un semi-magique que
l'on dote ensuite de bonnes diagonales.
Avec la suite naturelle de 1 à 81, les constantes sont, au premier degré,
369 et, au second, 20.049.
A.vec les vingt-sept nombres dont se composent les trois premières
lignes d'un carré naturel, on forme une bande qui comprend trois petits
carrés magiques auxquels on donne la même orientation.
2
7
6
11 16 15
20 25 24
9
5
1
18 14 10
27 23 19
4
3
8
13 12 17
4 3 8
En transportant ensuite dans chaque carré deux horizontales prises
aux autres carrés, on rend égales les neuf lignes verticales.
Chaque verticale est alors formée de termes dont la somme est 42,
l'ensemble en comprend quatre paires qui présentent chacune une double
égalité et une dans la composition de laquelle entre la moyenne de 1 à 27,
c'est-à-dire 14.
COCCOZ. l)i:s C.VUKKS MAGIQUES
h r (I d' !■' 1/
143
(/ /// (I
2 7 6
11 16 15
20 25 24
18 14 10
27 23 19
9 5 1
22 21 26
4 3 8
13 12 17
Dans le tableau ci-dessus, qui présente le résultat des opérations que
nous venons d'énoncer, les lignes désignées par les mêmes lettres jouissent
de la double égalité, leurs éléments se complétant à 27 -|- 1 — 28 (*).
En agissant de même avec les nombres de 28 à 5i- des 3°. 4'' et
o'' lignes, puis avec ceux de 5o à 81 des trois dernières ligîies du carré
naturel, on arrive à des résultats analogues, savoir : deux bandes à ver-
ticales égales, des couples de ces verticales à double égalité et une ligne
où se trouve la moyenne qui pour la seconde bande est 41, et pour la
troisième bande est 68. Il ne reste, pour avoir un générateur, qu'à faire
avec les verticales partielles des verticales entières dont les nombres
élevés au carré aient pour somme 20.049.
Générateur n" i.
",
m,
«;
fc,
'■i
'',
<
(■'
1
1
2
7
6
11
J6
15
20
25
2i
18
14
10
27
23
19
9
5
1
22
21
26
4
3
8
13
12
17
42
m..
"o
"',
lu
c.
cU
u:.
(/:
c:
34
33
29
43
42
38
52
51
47
41
37
45
50
46
54
32
28
36
48
53
49
30
35
51
39
44
40
2.5
"o
(1
1
'" ,,
/^3
'-i
(!,
h'
.1
(/;
60
56
61
69
65
70
78
74
79
64
72
68
73
81
77
55
63
59
80
76
75
62
58
57
71
67
66
204
(*) Voici une autre répartilion des tronçons d'horizontales qui doniiL' l'égalité des verticales de la
|u-emière bande, et, en procédant d'une manière analogue, l'égalité dans les autres bandes.
Il
r
b
//
r
n'
(/
m
d'
2
i
6
11
15
i:;
20
2:i
21
27
r.i
19
9
o
1
18
14
1(1
13
12
17
22
21
2 G
l>
■i
S
144 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Ce tableau, en même temps qu'il montre une composition de générateur,
fait prévoir les variations qu'on peut lui appliquer, les lettres (jui, dans
une bande, ne difîèrent que par l'accent, indiquant les tiers de colonnes
qu'on peut faire permuter.
Pour faciliter la vérification de ce générateur auquel nous donnons
le n° 1, et aussi la construction d'autres générateurs en partant des mêmes
bases, voici les valeurs au second degré des différents groupes ternaires
employés :
«t
= a\
=.812
«, — 0,;" 5.267
«3
6,
=.866
6^ = b\ = 5.249
\
^i
t
= 794
c, — c^ — 5.105
c.
ds
=^^;
= 650
d.^ = d; = 5.321
^3
m.
— 686
m, ■= 5.141
61 =
c„ =
dl
m.
14.096
13.934
14.150
14.078
13.970
Nous ne pouvons produire, dans une note qui doit être succincte, les
cent quatre générateurs obtenus en orientant autrement les petits carrés
ou bien en changeant de place dans une même bande les verticales qui
peuvent se permuter. Nous mentionnerons seulement que, partagés en
(juatre classes, ceux de la seconde se font en groupant, pour former les
bandes, les lignes 1'''', 4" et 7*= du carré naturel, puis les 2% 5® et 8% et
enfin les 3°, 6^ et 9^ Ce qui fait qu'une bonne ligne de générateur,
au lieu d'être décomposée au premier degré en 4,2 -|- 123 -|- ^04 = 369,
l'est en 96+123 = 150.
La troisième classe se fait en groupant, non les horizontales, comme
Générateur n° .'■.
2
7
6
11
16
15
20
25 24
27
23
19
9
5
1
18
14 10
42
13
12
17
22
21
26
4
3 8
33
29
34
42
38
43
51
47 52
46
54
50
28
36
32
37
45 41
44
40
39
53
49
48
35
31 30
123
61
60
56
70
69
65
79
78 74
77
73
81
59
55
63
68
64 72
65
71
67
75
80
76
57
62 58
COCCOZ. — DES CARRÉS MAGIQLKS 145
nous l'avons indiqué, en établissant le générateur n" 4, mais les verti-
cales l'«. 2% 3^et 4% ù% 6^ 7% 8% 9% d'où résulte la décomposition de la
constante 369 en 114 -f- 123 -j- 132. La quatrième classe groupe les
verticales 1", 4% 7«; 2% 5% 8«; 3% 6«, 9% comme sont groupées les
horizontales de la deuxième classe ; la décomposition est par
120 + 123 + 120 = 369.
En supposant que nous ayons choisi pour horizontales d'un semi-
magique les verticales du générateur n° 1, celui qui occupe le qua-
trième rang dans le travail de M. Pfeffermann en donnerait les ver-
ticales .
SemiTinagique engendré par les générateurs a» i et n» 4.
1
2
18
22
34
41
48
60
64
80
27
4
11
50
30
43
73
62
69
* 13
20
9
39
52
32
71
78
55
* 33
37
53
56
72
76
7
14
21
46
35
42
81
58
65
23
3
16
44
51
28
67
74
63
12
25
5
61
68
75
6
10
26
29
45
49
77
57
70
19
8
15
54
31.
38
66
79
59
17
24
1
40
47
36
En se reportant à ce que nous avons expliqué au sujet de la cons-
truction des semi-magiques de 8, on aura facilement celui de 9 produit
des générateurs n° 1 et n° 4.
Diagonales. — Les lignes de deux générateurs n" 6 et n° 7 faits en
donnant une autre orientation aux petits carrés de 9 éléments dont
se composent les bandes donneront les diagonales. Veut-on placer 41
dans la cellule centrale, l'un des générateurs a dans la ligne où se
trouve ce chiffre : 6, 16, 20, 28, 54, 62, 66, 76 ; dans l'autre, 4, 12,
26, 36, 46, o6, 70, 78 sont aussi dans la ligne dont fait partie ce
même chiffre 41. Et, de plus, ces nombres sont en quadrangles.
4 62
56 76
46 16
28 12
20 78
6 2G
66 36
70 54
Voici les deux générateurs 6 et 7 qui, en outre, se peuvent conjui."uer
10*
146 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
pour engendrer un semi-magique qui, lui, emprunterait ses diagonales
aux générateurs n" 1 et n° 4.
Générateur n» 6.
4-)
23
204
4 9
2
13
18
11
22
27
20
21 23
25
3
5
7
12
14
16
17 10
15
26
19
24
8
1
6
29 31
3<}
38
40
44
47
49
54
52 48
50
34
30
32
43
39
41
42 44
37
51
53
46
33
35
28
63 06
58
72
65
67
81
74
76
77 79
75
59
61
57
68
70
66
64 69
71
73
78
80
55
60
62
Génér;Ueur ii" 7.
42
123
204
4
9
2
13
18
11
22
27 20
12
14
16
21
23
25
3
5 7
26
19
24
8
1
()
17
10 15
36
29
31
45
38
40
54
47 49
41
43
39
50
52
48
32
34 30
46
51
53
28
33
35
37
42 44
56
58
63
65
67
72
74
76 81
70
66
68
79
75
77
61
57 59
78
80
73
60
62
55
69
71 64
Si l'on mettait tout autre nombre dans la cellule centrale, on opére-
rait comme ci-dessus, de sorte que les cent quatre générateurs composés
jusqu'à ce jour donnent lieu à 48 + 36 -f 36 -f 36 = lo6 carrés types,
susceptibles de recevoir chacun quatre-vingt-un nombres différents au
centre; ce qui fait 12.636 carrés transformables par le déplacement
simultané des rangées et des colonnes également distantes du centre.
Soit un total de -2.i26.il2 dans lequel ne sont pas comprises les varia-
COCCOZ. — DES CARRÉS MAGIQUES 147
lions provenant d'échanges possibles, dans certains cas, entre des groupes
ternaires de même valeur.
A l'article suivant nous donnons un carré appartenant à la 4" classe,
le dernier de la collection (n° lo6),' avec l'unité dans la cellule cen-
trale.
sans
CARRE MAGIQUE A NOMBRES TRIANGULAIRES
n{ii -1-1) n^ii,
La tormuie — ^^ — _ _^ d un nombre triangulaire montre,
qu'il soit nécessaire de le démontrer, qu'un carié étant fait aux deux
l)remiers degrés, on en aura immédiatement un à nombres triangulaires
si l'on substitue, dans chaque cellule, au chiffre qui l'occupe le trian-
2 H- 4 3 4- t»
gulaire correspondant : à 1, 1; à 2, — ^ = S;h 3, —~^= 6; à 23,
23 -1- o29 ^„,
= 2/6, etc., etc., etc.
Par exemple, les trois lignes principales du carré suivant qui est
magique aux deux degrés, seraient composées en nombres triangulaires
comme nous l'indiquons plus bas (*) :
40 1-2 71 73 23 30 29 7 24
55 48 5 16 38 15 80 49 63
25 6 47 31 62 81 14 64 39
12 41 10 60 52 74 58 54 8
36 26 76 21 1 32 43 69 65
78 56 34 45 67 17 19 3 50
77 46 57 2 51 61 18 44 13
11 70 42 53 9 22 75 59 28
35 4 27 68 66 37 33 20 79
La somme des quatre-vingt-un premiers nombres triangulaires est
91.881 dont le neuvième est 10.209. C'est ce chiffre que l'on obtiendrait
en faisant la somme des nombres triangulaires substitués à ceux d'une
(*) M. Feisthamel, l'amateur le mieux renseigné et le plus connu de tous les polygraphistes et
TMiseurs de c;irrés, a eu l'obligeance de publier dans divers journaux, notamment le Siècle et ta France,
issitot qu'ils lui ont été communiqués, les carrés à deux degrés faits par les trois ou quatre per-
-onnes qui réussissent à en composer de réellement magiques.
148 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
ligne quelconque du carré ci-contre qui est le dernier de la collection de
M. Pfeffermann (15G).
1'^ horizonfale
820
2628
2556
2701
276
465
435
28
300:
= 10.209
1'° verticale
820
1540
325
78
666
3081
3003
66
630
= 10.209
1'° diagonale
820
117G
1128
183U
1
153
171
1770
3100 -
= 10.209
et ainsi des autres lignes.
APPENDICE
1. — Comme exemple de ces sortes de |)roblèmes, la figure 1 représente ua triangle
composé avec la suite naturelle de 1 à 18 et dont les constantes sont 69 et 871, la figure 2
un carré de 5 de base dont l'enceinte a pour constantes 65 et 1007, la figure 3 un carré
de 7 dont Fcnceinte a pour constantes 175 et 5415.
Les lignes de la figure 4 sont les développements d'autant de circonférences. On
trouve les constantes 205 et 5537 en additionnant les nombres placés sur chaque circon-
férence en des points de division ou d'intersection (ces derniers sont ceux qui sont
répétés).
l'iG. 1.
G
1 3
8 4
9 11
16 13
17 14
12 2 5 7 10 15 18
FIG. 2.
7
21
8
17
22
11
5
14
2.3
2
16
1
13
25
10
6
15
24
3
12
20
19
18
9
4
FiG. 3.
8
15
5
28
31
37
40
26
35
4
6
47
39
29
17
9
27
34
14
41
33
30
43
12
25
38
7
20
32
48
36
16
23
2
18
49
24
21
44
:}
11
46
1
42
45
22
19
13
10
FiG. /,.
I li 8 20 21 25 .32 36 M 37
I 19 8 12 22 13 28 29 33 'lU
27 30 34 12 7 13 24 2 17 39
35 38 26 4 31 10 24 5 17 15
9 18 26 6 31 16 23 36 3 37
Constantes =: 205 5537
M. IliOl.OV. — SUR LES RÉSIDUS QUADRATIQUKS 149
M, Michel EROLOV
à Genève.
SUR LES RÉSIDUS QUADRATIQUES
— Séance du 17 septembre 1892 —
i . — Dans ses Disquisitiones fuithmeticœ, Gauss appela résidus quadra-
tiques du module m les restes que l'on obtient en divisant par un nombre
quelconque m une suite de carrés consécutifs \ , 4, 9, 10 ... Il appela
non-résidus quadratiques tous les autres nombres, inférieurs à m, qui ne
se trouvent pas parmi ces restes.
La considération des résidus quadratiques révèle quelques propriétés
des nombres qui pourraient servir à la détermination de leurs facteurs
premiers.
m — 1
On sait que pour ut premier il y a — ^ — résidus et autant de non-
résidus, et que tous ces nombres sont distincts les uns des autres.
C'est là une des propriétés caractéristiques des nombres premiers.
Dans ce cas, comme l'a fait voir Gauss, le produit d'un nombre quel-
conque de résidus et de non-résidus est résidu ou non-résidu, selon que
les non-résidus sont en nombre pair ou impair.
On peut obtenir avec deux résidus quelconques, autres que l'unité, tous
les aulres résidus d'un module, par la multiplication des résidus connus,
sans recourir à la division des carrés.
Par exemple, tous les six résidus du module 13 peuvent être obtenus
avec deux résidus 4 et 9. En effet, leur produit 36 donne le résidu 10;
le produit de 4 et de 10 donne le résidu 1 ; celui de 9 et de 10 donne 12
et celui de 10 et de 12 donne 3. Tous les autres produits donneront
les mêmes résidus. Cette propriété n'appartient également qu'aux résidus
des nombres premiers.
2. — Si l'on numérote les résidus en marchant à rebours, le premier
résidu, correspondant au carré ( — ;^ — j sera égal, pour m de la forme
4/i -I- 1, à (m — h), et, pour m de la forme 4/i — 1 , à h, et le r/'"*^ résidu
150 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
sera égal, dans le premier cas, à (m — A + (f — q) et, dans le second,
à {h-\-q-'-q).
Donc la différence du {q + i)'"' et du ç"" résidu sera égale à 2g. Il
en résulte une règle très simple pour déterminer rapidement tous les
résidus, en commençant par le dernier : en l'augmentant de 2, on obtien
l'avant-dernier résidu ; en ajoutant à celui-ci 4, on obtient le résidu sui-
vant, et en continuant à ajouter 6, 8, 12, 14, etc., on obtient l'un après
l'autre tous les résidus.
Ces formules sont identiques à celles auxquelles Euler est parvenu ,
selon Legendre, par voie d'induction (art. 179 et 180 de VEssai sur la
Théorie des nombres, par Legendre, 1808). Cependant les facteurs pre-
miers des résidus quadratiques ne sont pas toujours résidus. Par exemple,
pour m=: 13, on a parmi les résidus le nombre 10, sans avoir ses fac-
teurs premiers 2 et 5; pour m — 43, on a 6, 21, 38, 35, sans avoir leurs
facteurs premiers 2, 3, o, 7, 19 (*).
3. — Pour m premier ou composé de la forme ïh — 1, il existe une
relation très simple entre les — y-^ premiers résidus et les — r — derniers
résidus, pris dans l'ordre inverse : après avoir trouvé les premiers cl
le résidu du milieu, on obtient les derniers, en renversant l'ordre des
premiers et en les augmentant respectivement de 1, 2, 3, 4, o ... Par
exemple, pour /« := i3, les dix premiers résidus sont :
1. 4, 9, 16, 2o, 36, 6. 21, 38, 14
et le résidu du milieu est 35.
Augmentons 14 de 1, 38 de 2, 21 de 3, 6 de 4, 36 de o, 25 de 6,
16 de 7, 9 de 8, 4 de 9 et 1 de 10, et nous aurons les dix derniers
résidus
15, 40, 24, 10, 41, 31. 23, 17, 13, 11.
C'est facile à démontrer, car pour m = 4A — 1, le carré du milieu est
(m A- 1\'^
égal à ( — j — j = h"^ et la différence de deux carrés également éloignés de
/^n 4- 1 X'-*
ce dernier et se trouvant à la distance 2/ l'un de l'autre, étant 1 — y f- / 1
— y- 1\ -; nd-\-l, il est évident que la différence des résidus
correspondants sera égale à / ou à la demi-différence des racines de deux
carrés, et que c'est la quantité dont il faudra augmenter un résidu de la
(*) Voir la Table des résidus à la fin de ce Mémoire.
M. FKOLOV. SUR LKS RÉSIDUS QUADRATIQUES lol
première moitié de la période, pour obtenir le résidu correspondant de sa
seconde moitié.
Si m premier ou composé est de la forme ih -\- \, on obtient les
derniers résidus en augmentant les — - — premiers résidus de
i 4
quantités
2/i + 1, th + 2, 2// + H . . . 3/î— 1, 3/t.
Par exemple, pour w= 41. après avoir écrit les dix premiers résidus
1, 4, 9, 16, 2o, 36, 8, 23, 40, 18,
augmentons 18 de 21, [40 de 22. 23 de 23, 8 de 24, 36 de 2o, 2o de 26,
16 de 27, 9 de 28, 4 de 29, 1 de 30, et nous aurons les dix derniers
résidus
39, 21, o, 32, 20, 10, 2, 37, 33, 31.
En etïet, la différence de deux carrés également éloignés du milieu de
la période étant égale à
(4/<+ !)(/— 1) + 2// +/ = m{l — \) +2/i +/,
la différence des résidus sera égale à ^h -{-l (*).
//( — 1
4. — Pour m premier de la forme 4/i -|- 1 , tous les — - — résidus se
m — 1 , , . , , . - -
répartissent en — - — couples de résidus complémentaires, dont la somme
est égale km.
Il est aisé de se convaincre que deux résidus de cette espèce corres-
pondent à deux carrés dont la somme est égale à m. ou à son multiple,
car en nommant ces résidus r et R et les carrés correspondants a;'^ et y^,
on aura a;^ = r, et i/^ = R (Mod. m.)
En additionnant ces congruences, il viendra x"- -\- if ^ r -\- 'K (Mod. m)
et en posant r -j- R = m, af- -\- \f 0 ( >! > 1. m . — G r.n n e tout nambre
premier de la forme 4/i-|- \ est une somme de deux carrés, on peut poser
m=:a^ -\-b'^, et en multipliant les deux racines a et 6 successivement par
2, 3, 4 . . . A-, on aura des sommes de deux carrés (2a)'' -j- (^Jf, (3a)'^
-\- (36)% {kaf + (46)"^ . . . {ka)'^ -\~ (kbf, toutes multiples de m, qui corres-
pondront à autant de couples de résidus complémentaires. Si ka, kb dé-
passent m, on aura soin de les diviser par ce module et de les remplacer
(*) On obtient aussi, dans ce cas, les derniers résidus, en diminuant le I — ; — I le résidu de 1,
le 1 1 de 2. le I — -; — I de 3, et ainsi de suite.
132 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
ffl \
par des restes, et si ces derniers dépassent — - — , de les remplacer par leur
compléments km.
29 — 1
Par exemple, pour m ^ 29, on doit avoir — - — =r 7 couples de rési-
dus complémentaires et autant de couples de carrés. On a d'abord
(1) 2^ + 5^ = 29
En multipliant les racines 2 et 5 successivement par 2, 3, i, •>, on
trouve les sommes suivantes, toutes multiples de 29 :
(2) 4^ + 10^
(3) G^ + 15^ = Q' + (29 — lo)'^ = 6'^ + 14'^;
(4) 8'^ + 20^ = 8^ + (29 — 20)'^ :r_r 8^ + 9-;
(5) 12^ + 30-^ = 'l^'^ + (-'^O - -^^y =^12' + 1^
2
et en divisant i)ar 2 les racines (i et 14 de la somme (3), on a :
(6) 3^ + 7'^
Enfin, en multipliant les racines de cette somme par 6, on aura :
(7) 18-^ + 42^ = (29 — 18)'^ + (42 — 29)'^ := 11^ -f 13-.
Voilà tous les sept couples de carrés, chacun desquels correspond à un
couple de résidus complémentaires; par exemple, les carrés 11- -{- 13-'
correspondent aux résidus o et 24.
Les nombres premiers de la forme ih — 1 n'étant pas des sommes de
deux carrés, n'ont jamais de résidus complémentaires.
Quant aux nombres composés, il en est autrement.
Pour un nombre composé m de la forme 4/t + 1? 'es résidus ne se
fil 'I
répartissent en — - — couples complémentaires que si m ne contient que
des facteurs de cette forme et est égal à une somme de deux carrés,
comme 65 = 16 + ^^, 221 — 25 -|- 198, etc. Mais, si m est composé
exclusivement de facteurs de la forme \h — 1, comme 21, 77, etc., il
n'y a pas de résidus complémentaires.
Par contre, pour les nombres composés de la forme 4/i — 1, conte-
nant des facteurs premiers de la forme 4/t -j- 1 , on rencontre des résidus
complémentaires : par exemple, pour ni — lo, on a le couple 0 et 9 ;
pour m = 87, on a les couples 6 et 81, 9 et 78, 24 et 63, etc.
5. — Signalons encore quelques autres dissemblances entre les résidus
des nombres composés et ceux des nombres premiers.
III — 1
D'abord, pour tout nombre composé m, il y a toujours moins de — - —
M. FKOLON . — SLR LKS IIKSIDUS QUADRATIQUKS 153
résidus distincts l'iiii de l'autre, et il existe toujours quelques résidus
égaux. Cette reproduction de résidus suivant une période indique précisé-
ment que le module m est un nombre composé.
En efTet, posons x^ = r et ij"^ = r (Mod. m).
En retranchant la dernière conyruence de la première, nous aurons
j;2 — if 13:: (^x -f- II) U — 1/) = 0) (Mod. m). Chacun des nombre x et y
m
étant moindre que — , leur somme {x -\- y) et leur différence {x — y) sont
inférieures à m. Jl en résulte que /// est nécessairement le produit des fac-
teurs de ces deux quantités {x -|- y) et {x — ij), et, par conséquent, il est
un nombre composé. Il s'ensuit encore que la distance {x — y), qui sépare
deux résidus égaux, a toujours un diviseur commun avec le module ut.
Par exemple, pour m = 77 = 7 x 11, on a les résidus suivants :
1, 4, 9, 16, 25, 36, 49, 64, 4, 23, 44, 67, 15, 42, 71, 2o, 58, 16, 53,
15, 56, 22, 67, 37, 9, 60, 36, 14, 71, 53, 37, 23, 11, 1, 70, 64, 60, 58.
On remarque que la distance entre deux résidus 4 est égale à 7, que celle
des résidus 23 est égale à 22, que celle des résidus 58 est égale à 21, et
que tous ces nombres ont des diviseurs communs avec 77.
En second lieu, les lois de Gauss, qui lient entre eux les résidus de tout
nombre premier n'existent pas pour des nombres composés. Ainsi, pour
ces derniers, les résidus ne sont pas toujours des produits de deux autres
résidus ; par exemple, pour tu = 15 on n'obtient ni 1 ni 4 par la multipli-
cation de deux autres résidus. Parfois un résidu est'le produit de lui-
même par un autre résidu; tel est pour tn - 15 le résidu 10 qui, étant
multiplié par 4, donne 10. Il arrive encore que le produit d'un résidu
par un non-résidu est égal à zéro, ou que le produit de deux non-résidus
est non-résidu. Ainsi, pour in = 15, en multipliant le résidu 10 par le
non-résidu 3, on a 30=^- 0 (Mod. m); en multipliant les non-résidus 2
et 7, on obtient le non-résidu 14.
6. — Nous présenterons maintenant quelques théorèmes sur les résidus,
des nombres composés, qui ont rapport à la détermination de leurs
facteurs premiers.
Théorème I. — Les différences des résidus d'un nombre composé N et
des résidus correspondants de l'un de ses facteurs d sont divisibles par
ce facteur, et, réciproquement, un nombre N sera divisible par un autre
nombre d, si les différences de leurs résidus correspondants sont divisibles
par ce dernier.
En effet, si l'on a simultanément :
x^ = K (Mod. N) et N = 0 (Mod. d),
on aura aussi a;'* = R (Mod. d),
154 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
et si l'on a en même temps :
x"' = r (Mod. (/),
il viendra : R — r^O (Mod. d) ;
c'est-à-dire que la différence des résidus correspondants de N et de d est
divisible par d.
Ainsi, en écrivant une suite de résidus de 77 :
1. 4, 9, 16, 2o, 36, 49, 64, 4, 23, 44, 67. 15 . . .
et au-dessous celle de résidus de 7 ;
1, 4, 2, 2, 4, 1, 0, 1, 4, 2, 2, 4, 1 ...
ou aura les difîérences :
7, 14, 21, 35, 49, 63, 0, 21, 42, 63, 14 . . .
toutes divisibles par 7.
Pour appliquer ce théorème à la recherche des facteurs premiers d'un
nombre N, il suffit de trouver un seul résidu R de ce nombre, donné par
la division d'un carré n'^ par ce nombre. Posons :
R = n'- — N et r ^ n' — Cd
où d est un facteur premier, C son coefficient et r son résidu corres-
pondant au résidu R de N.
Alors on aura :
N = Cd — (R — r),
et si (R — r) est divisible par d, X le sera aussi.
Par exemple, pour déterminer les facteurs de N = 2263 =: 48- — 41,
où 41 est le 48'"^ résidu de ce nombre, essayons le facteur 7. Le 48'"" ré-
sidu de 7 est égal k son (49 — 48) == 1®"' résidu, qui est 1 ; on a
41 — l =: 40, nombre non divisible par 7 ; donc 7 n'est pas un facteur
de 2263. Essayons 11; le 48"^*' résidu de ce facteur est le môme que son
48 — 44 = 4""^ résidu, égal à 5; on a 41 — 5 -- 36, nombre non divi-
sible par 11; donc 2263 n'a pas ce facteur. Après avoir essayé, de la
même manière, les facteurs 13, 17, 19, 23 et 29, nous arriverons à 31,
dont le 48"'^ résidu est le même que son 48 — 31 = 17""= résidu égal à
son 31 — 17 =: 14'"'' résidu qui est 10; on a 41 — 10 = 31, donc 31
divise 2263.
7. — Théorème II. — Les différences des résidus également éloignés
de deux résidus égaux sont divisibles par des facteurs du module.
M. FKOLOV. — SUK I.KS KKSIDUS QUADRATIQUES lo5
En effet, prenons deux résidus égaux R et r, correspondant aux carrés
x'^ et y% et encore deux résidus Rj et Rj situés des deux côtés de R à
la distance / de celui-ci, et deux autres résidus r, et r.^ situés de la
même manière relativement à r. On aura les quatre congruences sui-
vantes :
{^x — lf=K,; {x + iy^K,- {ij — if = r,; iy + iy' = r, fMod. N).
En retranchant les deux dernières des deux premières, il viendra :
4- 2/ fa; + y\ = R, — r, ; + ±1 [x — y) ~ R, — r, ) ^ '
En nommant d^ le facteur commun de N et de {x — /y), et d.^ celui
de N et de [x -j- y), on aura quatre nouvelles congruences :
Ri — r, = 0 ; R, — r, = 0 (Mod. d,),
R, — r, = 0 ; R, — y.^ = 0 (Mod. d.^,
qui expriment que chacune des quatre différences de résidus est divisible
par un des facteurs du module.
Par exemple, prenons dans la période de 77 deux résidus égaux à lo.
Les deux résidus situés à deux pas du premier résidu lo sont 44 et 71,
et les deux résidus situés à la même distance du deuxième résidu 13
sont 16 et 22 ; les dilférences 44 — 1(3 = 28 et 71 — 22 =; 49 sont
divisibles par 7, et les différences 44 — 22 = 22 et 71 — 16 =- 55 sont
divisibles par 11, 7 et 11 étant facteurs de 77.
8. — Avant d'aller plus loin, remarquons que, dans une période directe
d'un nombre premier ou composé, il y a d'abord une portion formée de
résidus carrés 1, 4, 9... impairs et pairs, qui se succèdent entre eux, en
augmentant graduellement jusqu'à l'arrivée d'un résidu de même parité
que le précédent et moindre que lui, et nous dirons qu'il y a là un
saut; puis quelques résidus pairs et impairs se succèdent de nouveau
jusqu'au second saut, caractérisé aussi par deux résidus contigus de
même parité, et ainsi de suite. Si nous représentons un résidu R par
la formule R := a-'^ — CN, dans laquelle C est le coefficient du nombre N,
c'est-à-dire le quotient de la division du carré x"^ par N, il est clair qu'à
chaque saut le coefiîcient C croît d'une unité. En prenant un second
résidu /• ~ y^ — cN et en le retranchant du premier, on aura la diffé-
rence de ces résidus \\ — r z=. x'^ — y'^ — (C — c)N, dans laquelle la
différence (C — c) désignera le nombre de sauts entre les résidus R et r.
Par exemple, dans la période du nombre 77 (art. 5), les sauts sont
situés entre 64 et 4, 71 et 25, 58 et 16, 53 et 15, 36 et 22, 67 et 37, 37
et 9, etc., et les résidus \, 4, 9... 64 et les résidus 15, 42 et 71 sont
séparés par deux sauts, les résidus 23 et 56 par quatre sauts, etc.
156 MATHÉMATIQUES, ASTROA'OMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Théorème III. — Si la différence de deux résidus, situes l'un de l'autre
à la distance égale à un nombre premier l et séparés par un nombre de
sauts moindre que /, mais plus grand que zéro, est divisible par /, ce der-
nier est le facteur du module.
En effet, en reprenant la formule que nous venons d'établir :
R — r = a;^ — .?/2 — (C — c)N ^ (a; + ij){x — y) — (C — c)N,
nous voyons que l = x — y, et comme nous avons supposé que R — r
est divisible par ce nombre et que le nombre de sauts (C — c) est plus
petit que /, il en résulte que / doit diviser le module N.
Par exemple, dans la période de 17, les résidus 9 et 23, situés à la
distance égale à 7, et séparés d'un saut, donnent la différence 14 divisible
par 7, donc ce dernier divise 77 ; les résidus 36 et lo situés à la même
distance 7, et séparés de deux sauts, donnent la différence 21 aussi divi-
sible par 7, etc.
9. — Théorème IV. — Si l'on prend deux résidus consécutifs R, et R.^
d'un nombre N et si, en les divisant par un facteur premier m, on obtient
les restes /\ et r.^ , qile l'on trouve, l'un à côté de l'autre parmi les résidus
de ce facteur, ce dernier divisera le nombre N.
En effet, soient x'^ et {x zt 1)^ deux carrés consécutifs qui, étant divisés
par N, donnent les résidus Rj et Rj; ainsi on aura :
Ri r= d-^ — N et R^ ~ (a? ± 1)^ — N.
D'après la supposition de l'énoncé du théorème, on a aussi :
Rj ^ 9\ et R2 ^ y-j (Mod. m)
et en nommant y^ et (y ± ]y les carrés consécutifs qui donnent, pour
le module m, les résidus ?•, et r.^ , on aura encore :
y^ = Vi et y dr l)'^ = r.^ (Mod. m).
On en déduit successivement :
n = x^ — y- N ^ (x zh 1)'^ - (y ± Ij'^
x:iz7ji = 0
(Mod. m).
(•* + !j) ou (x — y) étant ainsi multiple de m, x^ — y^ — - N le sera éga-
lement, c. Q. F. D.
Par exemple, prenons N = 91.471, on aura Ri = 303^ — 91.471 =338
et R2 = 301-^ — 91.471 = 945. Pour s'assurer si ce nombre 91.471 est
divisible par "23, divisons par ce facteur les résidus 338 et 9io, et nous
obtiendrons les restes 1(5 et ^ qui se trouvent, l'un à côté de l'autre,
parmi les résidus de 23. Donc, ce dernier est facteur de 91.471.
10. — Tout nombre peut être mis sous la forme N = n^ — 7' ; il est
M. KKOLO\. sri! I.KS UKSIDIS Ql'ADK ATIUIKS loT
évident qu'un nombre ne peut être divisible que par des facteurs pre-
miers m, qui contiennent parmi leurs résidus le nombre r, ou, si ce der-
nier surpasse m, le reste de la division de r par m.
Ainsi, les nombres de la forme n- — it peuvent être divisibles par
il, 13, 23, 37, 47. . ., mais non par Ij, 7, 17, lU, 31 ... de sorte qu'il est
inutile de les diviser par ces derniers facteurs. Il s'ensuit que la con-
naissance des résidus des facteurs premiers permettra d'exclure environ
la moitié de leur nombre et d'abréger d'autant les essais de la division.
Nous joignons à ce Mémoire la table des résidus des nombres premiers
de 3 à 97, qui peut faciliter sensiblement la décomposition des nombres
en leurs facteurs premiers, car la grande majorité des nombres composés
contient ces facteurs.
Théorème V. — En écrivant un nombre N sous la forme N =:: n-' — r,
si l'on trouve un nombre t, tel que la différence (n — /) ou la somme
m -{- t) ait un diviseur commun d avec l'une des différences (/• — P) ou
(/2 — r), ce diviseur commun divisera le nombre N.
En effet, si (n — t) ou (n + t) est multiple de d, (n^ — r-) le sera aussi.
Si, en outre, la différence (/• — f) est multiple de d, en la retranchant de
(n'^ _ /"-), on aura n- — r := N aussi multiple de d. Si cest [f' — r) qui
est multiple de d, en l'ajoutant à (»' — r^), on aura encore w^ — r = ^
multiple de d, c. q. f. d.
Pour appliquer ce théorème à la recherche des facteurs d'un nombre N,
il faut diminuer ou augmenter n successivement de 1, 2, 3, 4, 5. . ., en
retranchant simultanément du résidu r les carrés de ces nombres 1, 4,
9, 16, 25. . ., jusqu'à ce que l'on tombe sur deux nombres ayant un divi-
seur commun. Les exemples suivants suffiront pour expliquer cette
méthode :
1. — Prenons N = 9379 = 97^ — 30, n =: 97, r = 30.
n-t = m,9o, 94, 93, 92, 91, 90, 89, 88, 87, 8(3, 85, 8i, 83.
n^t = 98, 99, 100, 101. 102, 103. lOi, 105. 10(i. 107, 108, 109, liO, 111.
I 30 — 1 30 — 4 30 — 9 30 — 16 30 — 25
\ 29 26 21 14 5
) 30 _ 30 49 — 30 64 — 30 81 — 30 100 — 30
^(''-^''^\ u 19 34 51 70
121-30 144 — 30 169 — 30 196 — 30.
«Il 114 139 166
Les nombres 83 et 1(36 ont le conmiun diviseur 83, par conséquent ce
dernier divisera 9379.
2. — Prenons N — 12.361 — 112* -- 183, n — 112, r == 183; mais.
158 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
pour abréger, au lieu de retrancher les carrés, retranchons les nombres
impairs 1, 3, 5, 7...
n—t-^ IH. 110, 109, 108, 107, 106, 105, 104, 103, 102, 101,
100, 99, 98, 97, 96, 95, 94.
aJrt= 11"^^ lli' 11^' 11<'>' '^1^' 11^' 11^' 1"^<^' 121' 1'^-' 1^'^'
124, 123, 126, 127, 128, 129, 130.
±,;. _r-) ^ 182. 179, 174, 167, 158, 147, 134, 119, 10^2, 83, 62,
.SÇ)^ U, —13, —42, —73, —106, —141.
Les nombres 94 et 141 ont le commun diviseur 47, qui divisera néces-
sairement 12.361.
Cette méthode paraît être plus expéditive que l'ancienne méthode
d'Eratosthène.
TABLE DES RÉSIDUS QUADRATIQUES.
3 1.
3 1, 4.
7 1, 4, 2.
11 1, 4, 9, 5, 3.
13 1, 4, 9, 3, 12, 10.
17 l, 4, 9, 16, 8, 2, lo, 13.
19 1, 4, 9, 16, 6, 17, 11, 7, o.
Plus loin, les résidus carrés ne seront pas écrits.
23 2, 13, 3, 18, 12, 8, 6.
29 7, 20, 6, 23, 13, 5, 28, 24, 22.
^31 S, 18, 2, 19, 7, 28, 20, 14, 10, 8.
37 12, 27, 7, 26, 10, 33, 21, H, 3, 34, 30, 28.
41 8, 23, 40, 18, 39, 21, 3, 32, 20, 10, 2, 37, 33, 31.
43 6, 21, 38, 14, 35, 15, 40, 24, 10, 41, 31, 23, 17, 13, 11.
47 2, 17, 34, 6, 27, 3, 28, 8, 37, 21, 7, 42, 32, 24, 18, 14, 12.
nS 11, 28, 47, 13, 38, 10, 37, 13, 44, 24, 6, 43, 29, 17, 7, 52, 46, 42,
iO.
69 5, 22, 41, 3, 26, 51, 19, 48, 20, 53, 29, 7, 46, 28, 12, 57, 45, 33,
27, 21, 17, 15.
61 3, 20, 39, 60, 22, 47, 13, 42, 12, 45, 19, 56, 34, 14, 57, 41, 27, 15,
5, 58, 52, 48, 46.
67 14, 33, 54, 10, 35, 62, 24, 35, 21, 56, 26, 65, 39, 15, 60, 40, 22, 6,
39, 47, 37, 29, 23, 19, 17.
71 10, 29, 50, 2, 27, 54, 12, 43, 5, 40, 6, 45, 15, 38, 32, 8, 37, 37,
19, 3, 60, 48, 38, 30, 24, 20, 18.
73 8, 27, 48, 71, 23, 50, 6, 37, 70, 32, 69, 35, 3, 46, 18, 65, 41, 19,
72, 54, 38, 24, 12, 2, 67, 61, 37, 53.
79 2, 21, 42, 65, 11, 38, 67, 19, 52, 8, 45, 5, 46, 10, 35^ 23, 72, 44,
18, 73, 51, 31, 13, 76, 62, 30, 40, 32, 26, 22, 20.
83 17, 38, 61, 3, 30, 59, 7, 40, 75, 29, 68, 26, 69, 31, 78, 44, 12, 65,
37, 11, 70, 48, 28, 10, 77, 63, 51, 41, 33, 27, 23, 21.
BIERENS DE HAAN . CORRESPONDANCK ET OEUVRES DE C. HUYGENS 159
80 11, 32, m, 80, 18, 47, 78, 22, 57, 5, 44, 85, 39, 84, 42, 2, 53, 17,
72, 40, 10, 71, 45, 21, 88, 68, 50, 34, 20, 8, 87, 79, 73, 69, 67.
97 3, 24, 47, 72, 2, 31, 62, 95, 33, 70, 12, 53, 96, 44, 91, 43, 94, 50,
8, 65, 27, 88, 54, 22, 89, 61, 35, M, 86, 66, 48, 32, 18, 6, 93, 85,
79, 75, 73.
M. BIEEEIS DE HAAÎÎ
Professeur à l'Univcrsitt^ de Leyde.
RENSEIGNEMENTS SUR L'EDITION DE LA CORRESPONDANCE ET DES ŒUVRES
DE CHR. HUYGENS (*)
— Séance du 19 septembre 1892 —
En octobre 1882, l'Académie royale des sciences à Amsterdam institua
une Commission de dix membres pour l'édition de la correspondance et
des œuvres de Christian Huygens : à D. Bierens de Haan, le président,
principalement furent confiés l'arrangement et la rédaction de la corres-
pondance, qui bientôt fut portée à environ 2.700 lettres, tant écrites par
notre savant qu'adressées à lui, avec encore un certain nombre de lettres
qui se trouvèrent auprès de ces lettres, ou qui semblèrent nécessaires
pour éclaircir la correspondance proprement dite. Depuis, la Société
hollandaise des sciences à Harlem a entrepris de faire imprimer à ses
frais le résultat de nos recherches : il en a paru quatre tomes, le cin-
quième est en cours de publication, contiendra les années 1664 et 166o
et portera le nombre des lettres au delà de 1.500. Nous comptons qu'il
faudra neuf tomes in-quarto pour la correspondance : puis viendront les
ouvrages tant imprimés déjà qu'inédits.
Dans votre Congrès de Paris, en 1889, j'ai eu l'honneur de vous donner
quelques résultats pour les deux premiers volumes. Permettez-moi de les
compléter maintenant pour les tomes I à IV.
Le tome troisième comprend la correspondance de 1660 et 1661 et
contient 245 lettres et 24 dans un supplément; le quatrième tome comprend
les années 1662 et 1663, et contient 250 lettres et encore o dans le sup-
plément. Par suite, ces deux tomes contiennent 495 lettres et 29 dans les
suppléments, ce qui, avec les lettres des deux premiers volumes, donne
le total de 1.197 lettres et 67 dans les suppléments, ensemble 1.264 lettres.
Passons maintenant aux tables des personnes qui ont écrit à Huygens
C) Voir Comptes rendus du Congrès de Paris (1S89), 2° partie, p. 233.
160 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ETT MÉCANIQUE
OU qui ont reçu des lettres de celui-ci. Outre celles-ci, on trouve dans le
tome m 63 lettres et dans le tome IV 29 lettres qui n'appartiennent pas
à une de ces catégories. Elles font, avec les 110 de même nature qui se
trouvent dans les deux premiers tomes, une série de 202 lettres. Elles se
trouvèrent parmi la correspondance proprement dite, comme appendices,
ou bien nous les avons introduites comme étant nécessaires pour la bien
comprendre. Et nous savons que cette addition de lettres si intéressantes
pour notre but a reçu l'approbation des personnes qui se sont intéressées
à notre travail.
Les tables qui suivent ici sont arrangées de la même manière qu'aupa-
ravant, en 1889. La deuxième colonne donne le nom de la personne ; la
troisième, le nombre de lettres que Huygens lui a écrites; la quatrième,
le nombre des lettres écrites par elles à Huygens. Là, où ces colonnes
portent toutes deux un chifTre, il y a eu correspondance et la première
colonne en donne le nombre, somme des nombres des deux dernières
colonnes. Observons que la table III, qui regarde les tomes I à IV, ne
contient pas seulement dans sa première colonne les sommes des nombres
que l'on trouve dans les tables I et II de ma note de 1889, et des tables I
et II que l'on trouve ici; puisque parfois il y a correspondance dans cette
table III, où il n'y en avait pas dans les tables I et IL
Table I. Tome III.
CORRESPONDANTS de H. à H.
A. Boddens » 1
23 Ism. Boulliau 10 13
R. Bo,yle » 1
C. Brunetti » 4
H. Bruno » 2
J. Buot » 1
5 P. de Carcavy 3 2
A. Cellarius 1 »
Chanut » 1
19 J. Chapelain 5 14
A. Colvius » 1
C. Dati 1
Ph. Doublel » 3
P. de Fermât » 2
B. de Frenicle de Bessv. . » 2
4 Du Gast ' . . 1 3
4 Gregorius à St.-Vincentio . 1 3
P. Guisony » 4
10 N. Heinsius 4 6
8 J. Hevelius 4 4
19 Constantijn Huygens frère. 9 10
Lodewijk Huygens .... 12 »
G.-A. Kiiiner à Lôwenthurn » 1
10 Leopoldo de Medicis ... 5 5
21 R. Moray 6 15
Cl. Mylon « 1
M. -A. Neuraeus » 1
H. Oldenburg y> 2
Marianne Petit 1 »
P. Petit "^ 2
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CORRESPONDANTS de H. à H.
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3 D. Rembrandtsz van Nierop 2
M.-A. Ricci 1
C.-C. Rumphius 1
6 Fr. van Schooten .... ; 4
G. SchoU »
R.-F. de Sluse »
R. Southwell »
3 H. Stevin 1
3 A. Tacquet 2
10 M. Thèvenot 5
J. van Vliel »
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12
Table II. Tome IV.
CORRESPONDANTS de H. à H.
A. Auzout » 2
Ism. Boulliau 1 7
W. Brereton » 1
\V. Brouncker » 1
A. Bruce » 3
P, de Carcavy » 1
J. Cliapelain ....... 2 2
V. Conrart » 1
Ph. Doublet « 3
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BIEUEXS DE HAAN. — CORRESPONDANCE ET OEUVRES DE C. HUYGENS 161
CORRESPONDANTS de H. à H. CORRESPONDANTS de H. à H.
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P. de Fermât. ......
G. van Gutschhoven. . . .
10 N. lleinsius
4 J. Hevelius
Th. Hobbes..
40 Constantijn Huygens, frère.
62 Lodowijk Huygens . . . .
ISusanna Huygens
2 Leopoldo de Medicis . . .
H.-L.-H. de Monmor . . .
37 R. Moray
H. Oldeuburg
10 P. Petit
4 Is. de la Peyrère
M.-A. Ricci
8 R.-F. de Sluse
S. de Sorbière
5 M. Thévenot
J. van Vliet
J. de Witt
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Table Ul. Tomes I-IV.
CORRESPO.NDANTS de H. à H.
M. -H. van Andel 1 »
A. Auzout » 1
Fr. Aynscom 1 »
D. van Baerle 1 i-
3 E. Bartbolin 1 2
6 Ch. Bellair 2 4
A. de Bie 2 »
4 A. Boddens 1 3
76 Ism. Boulliau 30 46
R. Boyle » 1
W. Brereton » 4
W. Brouncker » 3
A. Bruce » 3
6 C. Brunetti 1 5
12 H. Bruno 4 8
.J. Buot » 1
J. van der Burch 1 »
Calthof 1 »
23 P. de Carcavy 11 12
A. Cellarius 1 »
2 A. -G. de Chambonnière . . 1 1
Chanut » 1
55 J. Chapelain 17 38
11 A. Colvius 5 6
N. Colvius » 1
2 B. Conradus 1 1
V. Conrart » 3
L. van Coppenol 1 »
S. Coster » 1
C. Dati 1 »
Ph. Doublet » 6
A. Duyck 1 "
J. Elsevier 1 »
2 Etats-Généraux 1 1
Etats de Hollande et de
West-Frise 1 »
P. van der Faes » 1
P. de Fermât s> 3
B. de Frenicle de Bessy. . » 2
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Th. Gobert 1 i,
J. Golius 2 B
31 Gregorius à St.-Vincentio . 15 16
P. Guisony » 4
10 G. van Gutschoven .... 6 4
22 N. Heinsius 9 13
2 G. Hesius 1 i
H. van Heuraet » 2
22 J. Hevelius 10 12
Th. Hobbes 2 »
2 G.-B. Hodierna 1 1
2 J. Hudde 1 1
14 Constantijn Huygens, père. 8 6
103 Constantijn Huygens, frère. 58 45
bl Lodewijk Huygens .... 80 1
Philips Huygens » 2
Susanna Huygens » 2
S. -C. Kechelius à Hollen-
stein 1 »
23 G.-A. Kinnerà Lowenthurn 10 13
D. van Leyden van Leeuwtn 1 »
5 D. Lipstorp 3 2
13 Leopoldo de Medicis ... 7 6
18 M. Mersenne 8 10
T.-B. Mocchi 2 »
4 H.-L.-H. de Monmor ... 1 3
H. du Mont 1 B
58 R. Morav 24 34
23 Cl. Mylon 8 15
M.-A. Neuraeus » 1
Lady Newcastle » 1
H. Oldenburg » 3
Chr. Otter » 1
4 R. Paget 1 3
6 Bl. Pascal 1 5
Marianne Petit 1 »
21 P. Petit 4 17
4 Is. de la Peyrère 1 3
W. Pieck 1 »
J. Reeves y> 2
6 D. Rembrandtsz van Nierop 4 2
M"" van Renesse 1 »
2 M.-A. Ricci 1 1
10 G. -P. de Roberval .... 6 4
C.-C. Rumphius 1 »
3 A -A. de Sarasa 2 1
118 Fr. van Schooten 63 55
G. Schott » 1
D. Seghers 6 »
78 R.-F. de Sluse 24 54
S. de Sorbière » 1
R. Southwell » 1
J. Stampioen » 1
3 H. Stevin 1 2
12 A. Tacquet 6 6
Tassin 2 »
15 M. Thévenot 6 9
8 J. van Vliet 1 7
J. de Vogelaer 1 »
J. van Vondel » 2
23 J. Wallis 11 12
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162 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Maintenant on peut donner une statistique des lettres qui n'ont pas
eu de réponse de part et d'autre, et du nombre des personnes avec les-
quelles Huygens était en correspondance.
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164 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Pans le cours de ces années 1637-1663, on remarque beaucoup de chan-
gement parmi les correspondants. D'abord (tome 1) ce sont le père
Mersenne, Kinner à Lowenthurn, le Père Gregorius à Sanct-Vincentio
(ces deux derniers restent en relation avec Huygens encore en 1665),
Frans van Schooten, qui meurt en 1661. Dans le tome II commence la
correspondance avec R.-F. de Sluse, qui est d'abord très vive et après
devint intermittente, avec Ism. Boulliau, qui cesse dans le tome IV, à
cause du voyage et plus tard de la résidence de Chr. Huygens à Paris,
avec J. Chapelain, qui reste très vive en 1665 encore, durant les prépa-
ratifs de l'appel du roi Louis XIV pour attirer Huygens à Paris. Au
tome III, Huygens a une correspondance suivie avec R. Moray, plus tard
(tome V) avec H. Oldenburg par rapport aux expériences de la Société
royale de Londres. On y trouve la correspondance de N. Heinsius et de
J. Hevelius ; cette dernière disparaît avec le tome V. La correspondance
de P. Petit (tome IV) est principalement de son côté, et a rapport aux
horloges et aux télescopes. On y trouve M. Thévenot et A. Auzout pour
la première fois.
Ce serait hors de propos de vouloir donner ici une analyse détaillée
du contenu de ces lettres, seulement j'en glanerai quelques points.
Huygens était déjà à l'âge de dix-sept ans un expérimentateur indé-
pendant, et le resta toute sa vie : il procédait d'une expérience à l'autre,
avant que de formuler ses découvertes, que l'on trouve indiquées dans ses
Adversaires par le mot « Euryka » ; mais, dès lors, il soutint son opi-
nion contre celles d'autrui, et les observations et expériences ultérieures
lui donnaient généralement raison.
Dans sa correspondance avec M. Mersenne, il démontre qu'une corde
pendue « ne fait point une parabole, et quelle doit être la pression sur
une corde mathématique ou sans gravité pour en faire une » (lettres 14,
20, 21, 22) et Mersenne déclara ensuite que « Huygens s'est surpassé
lui-même » (lettre 14). Mersenne traite encore avec lui des centres de
percussion (lettres 23, 2o, 30), de la portée de canon, sur laquelle Mer-
senne avait fait des expériences lors de son séjour aux Pays-Bas (lettres
38, 40, 41, 42, 48, 49), de l'enflure d'une vessie dans le vide (lettre 49) ;
outre de divers autres sujets.
Huygens fut le premier qui présenta ses objections contre la quadrature
du cercle du Père Gregorius à Sanct-Vincentio, ce qui donna lieu à une
longue correspondance (lettres 173, 175, 178, 186) entre ces deux savants,
dans laquelle les controversistes ne dépassèrent jamais les bornes de la
politesse, et en sortirent toujours bons amis. A cette discussion se mêlèrent
A. Tacquet (lettres 137, 139, 142), Kinner à Lowenthurn (lettres 167, 171,
172, 174, 176, 177, 184, 188) et Xav. Aynscom (lettre 338).
Avec Gregorius à Sanct-Vincentio et Kinner à Lowenthurn, il eut
BIERENS DE HAAN . — CORRESPONDANCE ET OEUVRES DE C. HUYGENS 16o
encore une correspondance (lettres 100, 101, 102, 105, J06, 146, 160,
167) sur les corps qui surnagent à un liquide; un sujet dont il a traité
plusieurs fois.
Dans cette correspondance avec Kinner à Lôwenthurn (lettres 162,
172, 176, 177), on trouve encore une polémique sur la réfraction dans
une goutte d'eau.
Une autre correspondance avec G. van Gutschoven (lettres 135, 153)
nous donne la construction exacte des foyers principaux d'une lentille
sphérique, et une détermination exacte de l'indice de réfraction de l'eau
en l'air, en faisant usage de l'angle sous lequel on voit le rayon de l'arc-
en-ciel.
Avec Ism. Boulliau, il traite de divers sujets d'astronomie et encore
d'un horoscope que celui-ci tirerait de bonne foi pour une princesse
(lettres 692, 696, 704, 706, 707, 708, 711, 714, 716, 718, 719, 721, 724,
733, 920).
Pierre de Carcavy lui sert d'intermédiaire savant et utile pour des
questions d'analyse des nombres avec P. de Fermât, le célèbre savant
de Toulouse (lettres 372, 651, 699, 700, 727, 755, 756, 848), sujet au-
quel Huygens ne prend qu'un médiocre intérêt; et avec Bl. Pascal à
l'occasion du Problème de la Roulette (lettres 584, 585).
La correspondance très détaillée avec J. Chapelain contient toutes
sortes de sujets à Tordre du jour, et finira au tome V avec les mesures
pour faire appeler Huygens à Paris par l'intermédiaire de Colbert.
Je n'insisterai pas sur la correspondance avec l'intendant des forte-
resses P. Petit (que Huygens désigne quelquefois par le surnom de sei-
gneur du Portail), qui importune souvent l'inventeur de l'horloge et des
télescopes, mais qui, en revanche, se signale comme hôte hospitalier et
agréable, — ni sur celle avec Robert Moray et Heinrich Oldcnburg qui
lui fournissent des nouvelles intéressantes sur tout ce qui se fait dans
la Société royale de Londres, — ni sur celles avec John Wallis, qui traite
de sujets intéressants d'analyse et de géométrie, — pour passer aux deux
sujets qui, comme un fil coniinu, traversent toute cette correspondance :
l'invention des horloges, la perfection des lunettes et la découverte de
l'anneau de Saturne.
Chr. Huygens, aidé de son frère Constantijn, commença déjà en 1652
(lettre 135 à G. van Gutschoven) à s'appliquer à mouler et à polir de
bonnes lentilles afin de produire de bonnes lunettes. Il continua toujours
d'améliorer cette construction et parvint à une telle aptitude que les
verres de ses mains qui existent encore, peuvent être considérés comme
excellents.
C'est à l'aide de ses lunettes perfectionnées qu'il découvrit la lune et
l'anneau de Saturne ; dans une lettre à Col vins (lettre 217), on trouve le
466 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
premier dessin de cet anneau. 11 en donne une théorie qu'il pût maintenir
en général, nonobstant les objections et les théories différentes des sa-
vants anglais et français.
Quant à son « Horologium » à pendule qui date du 25 décembre 1636,
et dont une année plus tard il dressa un exemplaire au clocher de
Scheveningue, il y ajouta ses lames cycloïdales et ne cessait de les rendre
plus parfaites et propres à l'usage maritime ; son but, dans ce dernier
sens, étant le problème de la longitude sur mer, il y travailla avec Alex.
Bruce, le comte de Kincardin, ce qui donna lieu à des questions de
jalousie. Mais il y eut encore nombre de compétiteurs post facto dont il
écrit (lettre 722) : « C'est une chose estrange que personne devant moy
n'ait parlé de ces horloges, et qu'à ceste heure il s'en découvre tant
d'autres autheurs ». Mais il surgit un opposant plus formidable pour la
réputation de notre savant ; le prince Leopoldo de Médicis voulut main-
tenir la priorité pour Galileo Galilei. Nous avons pu rassembler toutes
les pièces du procès dans le supplément du tome III, outre les lettres 707
et 712, de Boulliau, qui se trouvent dans la correspondance elle-même.
Ism. Boulliau (lettre 609'') prend le parti de Huygens contre le prince
Leopoldo, et celui-ci (lettre 621") retira loyalement son accusation de
plagiat. Mais les documents eux-mêmes démontrent à l'évidence que
Galilei ne peut entrer en lice avec Huygens dans cette occasion.
J'ose espérer que ces remarques et indications, trop superficielles, pour-
ront amener quelqu'un de mes auditeurs à l'étude de cette correspon-
dance si intéressante de tous côtés, et j'ose prédire qu'il ne se plaindra
pas de peine perdue.
M. Eodolplie aïïIMiEAES
Officier du Génie, à Lisbonne,
SUR L'ÉVALUATION DE CERTAINES AIRES CONIQUES
— Séance du 19 septembre 1892 —
1. — Si rf, a et [3 désignent respectivement la longueur SD {^g. 1),
l'angle SED, et le demi-angle au sommet d'un cône de révolution, et
si l'on pose :
cos (a -|- p) . sin p
k
sin (a + 2J3)
R. GUnURAES. — ÉVALUATION DE CERTAINES AIRES CONIQUES 167
on aura pour la transformée d'une section plane quelconque faite dans ce
cône (*) :
d
P
ou :
1 — ±k sin-
d
2 sin ^
(1 — k) -\- k cos
to
sin ^
(1)
Si a -f- 2p < -rt, la section est une
ellipse, et les valeurs du coefficient k
seront respectivement :
FlG. 1.
4 > /t > 0
A-<0
si
si
SI
- + ?>!
+ ?-
Quand on fait a = 0 ou tt, la section primitive est parabolique et A' = ^ *
Alors la relation (1) devient
(2)
d
P =
cos
(J>
2 sin p
Si a -f 2^ > TT, la section sera une hyperbole et les valeurs du coeffi-
cient k seront respectivement :
\ /**)
1>A;>2 si a + p<7r
i>/c>0 si a + p>7r
A- = 1 si a + ;i = TT.
Dans ce dernier cas, la relation (1) devient :
d
cos
0)
sin i
(3)
(*) Voyez notre note sur la Transformée des seclions planes du cône de révolution, insérée dans te
Journal de Longchamps.
(**) si a = - et ? = -? on a k — -
2 3 2
168 MATHÉMATIQUES, ASTRO>OMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
2. — Cela posé, proposons-nous d'obtenir des expressions représenta-
tives de l'aire conique comprise entre le sommet du cône et le plan de la
section. Elle est équivalente à l'aire celle qui se trouve limitée par la
transformée de la section et par les génératrices extrêmes SA et SB, for-
mant entre elles un angle w , et elle est représentée par l'expression très
connue :
1 r '
8 = 2/ p'^"^ w
3. — Considérons à part les trois espèces de sections :
1" Section elliptique
Si, dans (4) on remplace p par sa valeur (1), et si l'on fait l'intégration,
on trouvera ;
1 cP ^2(1-/.-)
S=Q-1 7, <-=.arcl(
2 i-^J.k]^\-<tk
k siii ( _!il )
^ ^ \2 sin 3/
(1 - A') + /icos
\siii .3/
(o)
L'égalité de l'arc AB et de la circonférence de la base donne, en dési-
gnant par / et B la génératrice et le rayon de la base :
p
d'Où: -—^ = -^ = 27:.
R sm [3
La formule (5) devient alors :
izdH\ — k)
(1 — 2A-). \/i — '2k
et si l'on remplace k par sa valeur (1), il en résulte :
sin (a -)-
S =: -KCl" .
4-;3).cosr^ /su^(7.+2;i) ^^^
sin a y sin a
71
relation qui a lieu pour a -f- ^ > ou << ;^.
R. GUIMARÂES. — SUR l'ÉVALUATION DE CERTAINES AIRES CONIQUES 169
■JT
Si a -[- ? ^ g' "^"^ ^ évidemment p = cl, et la section est circulaire.
Là
Remarques. I. — Si 3 = y, on a
4
1
S = Q ~^^ • V^cotang a (sin a -f- cos a).
(A,)
II. — Si l'on fait dans (A), î' = ;^, il vient
S = 7:rf^ cos ^a . \i cos 2(3
(A,)
formule qui exprime la surface comprise entre le sommet et le plan MP
TT
III. — Si l'on fait a -|- 23 = -, on aura
S = ^d\
cos
20
cos ''p . v/cos 2,3
(A3)
qui représente la surface comprise entre le sommet
et le plan MN.
2" Section parabolique
FiG. 2.
Quand la section est parabolique, la surface comprise entre le plan
sécant et le sommet est infinie. Cherchons la surface limitée par le plan
sécant et un plan perpendiculaire à l'axe, ou encore celle qui est déter-
minée par le plan de la section DLQ et le plan SLQ (fig. 3).
Si l'on remplace p dans (4) par sa valeur (2), il vient :
2
f cko
ou
S =
d^
d
0)
co
2 sin fi
Fir,. 3.
suivant que co — 0/ est supérieur ou inférieur à w', angle formé, sur le
170 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
plan de la planification, par les génératrices SL et SA. En développant, on
trouve, si l'on remarque que :
w«
2 sin [3
/
± -— tans: , t^—. —
6 ^ \2 sin 3
TT,
seC
co
,2 sin p
+ 2
(B)
Remarque, — Si l'intersection QL du plan sécant avec celui de la
base passe par le centre 0 de cette base, on a :
1 X sin p
M l = - -K W OU (0 —
2
2
d'Où
2
3'^ Section hyperbolique
Comme ci-dessus, cherchons la surface comprise entre le plan sécant
MNQ et le plan SNQ (fig. 4).
On a:
Wp— 0>
do)
(1 — k)-{-kcos
O)
sin p
fto
('-'•)+''■ ««Kii^)
FlG. A.
fo^ — w
Si a -f- P <C ''^j d'où 1 — ^• > A-, il vient :
d^
2A--1 V/2A--1
1_/, , / l^v/2/c-l.tang(^)
log' '
k sin
l-v/2/.--l.lang(^^_^p
w
+
siii 3
(l-k) +km{ -
^ - \siiip
co
R. GUIMARÂES. — SUR L'ÉVALUATION DE CERTAINES AIRES CONIQUES 171
Remarque. — Si rintersection du plan sécant avec celui de la base passe
par le centre 0, on a :
1 Co' TC
M . l = -T.R ou - — - ~ -;
2 sin'p 2'
d'où :
S =
cl''
.+ log
2k-l]i-k ' y/2A_l
v/2A- -1+1
v/2A;— 1— 1
v/2A-- 1
Si a -j- |3 > TU, ou 1 — k <^ k, il résulte une expression très sem-
blable à (3).
Si a -|- P = "J^» p est exprimé par la formule (3), et il vient :
ce qui donne pour résultat :
S = — rf' tans
w
sin p
7C
Comme Wj (fig. 5) est toujours supérieur à -, on a
tang (Oj = tang
w
sin i3
)<o
et l'expression précédente est toujours
positive.
Si Wj ■< -, il faut faire l'intégration entre
les limites 0 et w'.
3
Remarque. — Si l'on fait w. ^ -t-t:, on a :
4
0)7 = CO.R = - 71 R.
4
d'où
et par suite :
co
TT,
sin p 4 '
Fig. 5.
172 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
M. L. LECORÎfTJ
Ingénieur des Mines, Maître de Conférences à la Faculté des Sciences, à Caen.
SUR LES SURFACES D'ÉGALE INCIDENCE
— Séance du 19 septembre 1892 —
On peut appeler, d'une manière générale, surface d'égale incidence
une surface qui rencontre sous un angle constant donné une famille de
courbes données. La recherche d'une pareille surface se ramène à l'inté-
gration de l'équation aux dérivées partielles du premier ordre :
(1) {ap -\-bq — cY — li^(p^ -f q--\-i) = 0
dans laquelle a, b, c désignent, pour un point quelconque {x, y, z) de
l'espace, les cosinus directeurs de la tangente à la courbe qui passe en ce
point, et K, le sinus de l'angle constant donné. Il y a généralement une
infinité de surfaces réelles répondant à cette équation. Lorsque K converge
vers l'unité, les surfaces d'égale incidence tendent à devenir des surfaces
trajectoires orthogonales ; mais l'on sait qu'un faisceau de courbes rem-
plissant l'espace ne peut, en général, être coupé orthogonalement par
des surfaces réelles. De là une sorte de paradoxe, que, dans un autre
travail (Bulletin des Sciences mathématiques), j'ai essayé d'expliquer. J'ai
montré que, pour des valeurs de K assez voisines de l'unité, chaque sur-
face d'égale incidence est formée par une suite de nappes dont chacune
est imaginaire, sauf à l'intérieur d'un contour fermé qui joue le rôle
d'une arête de rebroussement. L'aire de la facette réelle ainsi déterminée
tend vers zéro à mesure que K se rapproche de l'unité, de telle façon
qu'à la limite les parties réelles de la surface se réduisent à des lignes
ou à des points isolés. Ces résultats sont établis dans l'hypothèse où le
faisceau de courbes considéré n'admet pas de trajectoires orthogonales.
Bien d'autres questions peuvent être posées à propos des surfaces d'é-
gale incidence. Dans ce qui suit, je me propose surtout de déterminer
la nature des surfaces d'égale incidence relatives à un système de lignes
droites issues d'un même point A, et je m'appuierai pour cela sur des
considérations géométriques d'une grande simplicité.
L. LECORNU. SUR LE3 SURFACES d'ÉGALE INCIDENCE 173
D'abord, il est clair que les courbes d'intersection d'une pareille sur-
face par les sphères qui ont leur centre au point A sont des lignes de
courbure de cette surface : car les sphères coupent la surface sous un
angle constant. Le second système de lignes de courbure est constitué
par les trajectoires orthogonales des précédentes. Le long de l'une de ces
lignes, les normales à la surface engendrent une surface développable dont
les plans tangents sont perpendiculaires aux lignes de courbure sphérique
et passent conséquemment par le point A. La développable ne peut donc
être qu'un plan ou un cône. Si c'est un cône, les normales à la surface
cherchée passent toutes par le point A, ce qui exige que l'angle d'incidence
soit droit, et que la surface d'égale incidence se réduise à une sphère.
Dans tout autre cas, le second système de lignes de courbure est consti-
tué par des courbes planes qui rencontrent sous un même angle cons-
tant les rayons vecteurs issus du point A, c'est-à-dire par des spirales
logarithmiques égales, admettant ce point pour pôle commun. En ré-
sumé, la surface est décrite par une spirale logarithmique dont le plan
roule sur un cône fixe arbitraire, de sommet A ; c'est un cas particulier
des surfaces de Monge, à lignes de courbure planes et superposables.
Les formules d'Olinde Rodrigues fournissent une vérification de ce
résultat. En désignant par R l'un des rayons de courbure principaux
au point x, y, -, par p le rayon vecteur, par a, p, y les cosinus directeurs
de la normale, on a les relations :
da. d[3 dy 1
dx di/ dz R
«A" + Py + y- = Kp,
X' + y' + ^' = ?'-
On tire de là
ou bien :
1
- {xdx -[- ydij -\- zdz) = Kc?p ,
R
rfp(p — KR) = 0.
La solution rfp = 0 correspond aux lignes de courbure sphériques,
La solution R = p correspond aux lignes de courbure spirales.
Il est facile d'exprimer les coordonnées x, y, z d'un point quelconque
de la surface en fonction de deux paramètres arbitraires, correspondant
aux deux systèmes de lignes de courbure. A cet effet, désignons par l une
valeur particulière du rayon vecteur et considérons la ligne de courbure (C)
située sur la sphère de rayon /. On peut évidemment considérer la surface
174 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
comme engendrée par une spirale logarithmique invariable dont le pôle
reste en A, dont un point décrit (C) et dont le plan est constamment nor-
mal à cette ligne. Soit M un point quelconque de la surface, soit m le point
oij son rayon vecteur, de longueur p, rencontre la sphère de rayon / et soit m'
le point oîi la spirale qui passe par M rencontre la ligne directrice (C). Con-
sidérons, sur la sphère de rayon /, un système de coordonnées polaires 6, «p
dont l'origine P appartienne à l'axe des z positifs. La ligne (C) est repré-
sentée par une équation (2) /"(O, <?) = 0 qu'on doit supposer connue. Au
moyen de cette équation, on commencera par calculer l'angle w que forme,
au point m', de coordonnées 6, 9, la normale sphérique à la courbe (C)
avec le rayon vecteur sphérique 0, issu du point P. A l'aide du triangle
sphérique Pm'm, on pourra alors calculer les coordonnées 6^ et <pi du point m
en fonction : 1° des coordonnées 6, ^ du point m'; 2° de l'angle w déter-
miné comme il vient d'être dit; 3° du côté mm' = l^. Comme y est lié à 0
par l'équation (2j, on voit que ôj et «p^ seront des fonctions des deux variables
indépendantes 6 et jx. Si Ton passe ensuite du point m de la sphère au point M
de la surface donnée, il faut substituer au rayon vecteur / le rayon vecteur
p =1 /e\/i— K\ Finalement les coordonnées cartésiennes résulteront des for-
mules :
/ ic = p sin ôi cos (pi,
(3) ] ï/ = P sin 61 sin cpi ,
( z ^ 0 cos Oi ,
dans lesquelles p, 91, ôj sont des fonctions connues de 0 et de p.. Le sys-
tème (3) qui dépend de la fonction arbitraire f, introduite par l'équation (2) ,
représente l'intégrale générale de l'équation :
ijp^ + qy- ^Y - i^'ip'' + q' + ^)i^' + r + ^') = o.
On connaît la propriété remarquable que possède la spirale logarithmique
de se reproduire par une foule de transformations. La surface qui nous
occupe jouit, dans l'espace, de propriétés analogues. Par exemple :
La podaire du pôle A, les transformées par homothéde ou par rayons
vecteurs réciproques à partir du pôle A sont des surfaces de môme nature.
La surface des centres de courbure principaux (enveloppe des normales)
se compose du cône de roulement, associé à une surface d'égale incidence,
homothétique à la première.
Les rayons issus du pôle A et réfléchis ou réfractés par une surface d'é-
gale incidence se trouvent, après cette opération, normaux à une surface
d'égale incidence, homothétique à la première, etc.
Remarquons encore que si l'on décompose la surface en une suite de
L. LECORNU. — SUR LES SURFACES d'ÉGALE INCIDENCE 175
fuseaux séparés par des lignes de courbure spirales de telle manière que
deux lignes consécutives quelconques forment entre elles le même angle
infiniment petit, tous ces fuseaux peuvent être regardés comme semblables
entre eux.
Sans insister davantage pour l'instant sur les surfaces d'égale incidence
relatives aux rayons vecteurs issus d'un même point, supposons que le
pôle s'éloigne à l'infini. Les spirales logarithmiques deviennent des lignes
droites, les cônes de roulement se transforment en cylindre, et finale-
ment les surfaces d'égale incidence se réduisent à des surfaces d'égale
pente. Au sujet de ces dernières, je me bornerai à signaler un cas parti-
culier, qui me paraît assez intéressant.
Supposons qu'on cherche une surface d'égale pente telle que les seg-
ments interceptés sur les génératrices par deux plans fixes, verticaux et
rectangulaires, aient une longueur constante /. Adoptons ces deux plans
pour plans des zx, zy et prenons pour, plan des œi/, un plan horizontal
provisoirement quelconque.
Soient : x = az -\- p
y = bz -\-q
les équations de l'une des génératrices. La surface devant être dévelop-
pable, on a d'abord la relation :
(4) dpdh — dqcla = 0.
Soient respectivement x,, z^ et y^, z^ les coordonnées des traces de la
génératrice sur les deux plans zox zoy.
Les paramètres j> et q ont pour valeurs : — az^, — bz^.
La relation (4) peut donc s'écrire :
(3) b.da.dzy — a.db.dz., + {z, — z.,) da.db = 0.
En écrivant que la génératrice forme un angle constant i avec la ver-
ticale, on trouve :
(6) a^-\-b' = tgH,
d'où : "c?a -\- bdb = 0.
Enfin, pour que le segment compris entre les deux traces possède une
longueur constante /, on doit avoir :
ou bien :
(7) {z■^ - ::■.)' (a' + à' + 1) = l'
d'où ' '^i ~~" '^2 '~~~ cos i
176 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
et par suite : dz^ — dz^ =: 0.
L'équation (5) devient alors :
(a^ -f~ f^^)dzi = al cos i da
l cosi
ou : «-1 = — ; — r^ ada,
tg h
d'où l'on tire, en appelant C une constante d'intégration :
Icosi
' 2 tg H ^
On aura ensuite :
/ 6'' 1\
z, = z^ — lcost = lcosi \ç- ^-^. — 2 j + ^•
Plaçons l'origine des coordonnées de telle façon que C devienne égal
, Z cos z' , . , ,
a — : — . Il vient alors
l cos i / a'^ _[^\
2 Vtg H
/ cos i / 6^ 1
^^~ 2~lt^i + ^.
Clierchons les courbes d'intersection de la surface par les plans zox,
zoy. On a : Xi=:- o(:5i — z^ = al cos i ;
l cos i ( ^i , ^\
De même : y^ = h{z^ — ^i) = — bl cos i,
l cos i ( y-i i\
Il suit de là que la génératrice mobile est assujettie à s'appuyer sur
deux paraboles égales, situées dans les plans zox, zoy. Les paramètres de
ces paraboles ont pour valeur commune : / sin i tg i. Les axes coïncident
avec oz et sont dirigés en sens contraire. La distance des sommets est
l cos i
égale à — - — ^ c'est-à-dire à la moitié de la projection du segment cons-
tant l sur l'axe des z.
La projection du segment l sur le plan xoy est constante et égale à
l sin i. Elle enveloppe donc l'hypocycloïde à quatre rebroussements :
2 2 2
a;^ -|- 2/^ = {l sin if. L'arête de rebroussement de la surface d'égale pente
K. RITTEU. l'algèbre .NOUVELLE DE FRANÇOIS VIÈTE 177
est une hélice tracée sur le cylindre qui a pour base cette hypocycloïde.
Il est à noter que les deux paraboles ne correspondent à des parties
réelles de la surface que pour les arcs qui se projettent à l'intérieur de
rhypoQjVcloïde. Le reste de chaque parabole joue le rôle d'une ligne isolée,
intersection de deux nappes imaginaires. Il est, du reste, évident que, si
l'on cherche à déterminer une surface d'égale pente par la* condition de
rencontrer le plan des z-x suivant une parabole à axe vertical, la partie
réelle de la surface ne saurait admettre pour trace cette parabole tout
entière : dès que la tangente à la parabole forme avec l'axe des x\in angle
égal ou supérieur à l'inclinaison supposée du plan tangent sur le plan
horizontal, on ne peut mener par cette tangente aucun plan réel répon-
dant à la question.
Des circonstances analogues se produisent nécessairement, ainsi que je
l'ai fait voir dans la note précitée, chaque fois que Ton étudie les sur-
faces d'égale incidence relatives à une congruence de droites ou de
courbes non normales à une famille de surfaces (au moins quand l'angle
d'incidence difTère assez peu d'un angle droit). Dans le cas où la con-
gruence admet des surfaces trajectoires orthogonales, on ne peut rien
affirmer a priori. On sait toutefois que les surfaces d'égale pente, par
cela même qu'elles sont développables, possèdent nécessairement des
arêtes de rebroussement.
M. E. EITTEE.
Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, en retraite, à l'an.
L'ALGÈBRE NOUVELLE DE FRANÇOIS VIÈTE
— Séance du 19 septembre 1892 —
L'algèbre enseignée en Europe dès le xiii® siècle par Léonard de Pise,
d'après les écrits des Arabes qui avaient emprunté cette science aux
Grecs, se réduisait à la résolution d'un petit nombre de questions condui-
sant à des équations qui ne dépassaient pas le second degré; les principes
dont on faisait usage pour découvrir les inconnues étaient fondés sur des
considérations purement géométriques où les quantités étaient représentées
•J2*
178 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
par des lignes droites; dans les calculs l'inconnue était seule désignée
par un symbole, les données étaient toujours des nombres; la langue de
cette science n'existait pas. C'est la première époque de l'algèbre, algèbre
exclusivement numérique.
François Viète, en introduisant dans l'algèbre l'usage des lettres pour
désigner les quantités connues aussi bien que celles inconnues, fit faire à la
science un pas de géant; il créait l'algèbre moderne; mais il ne faut pas
croire que son oîuvre se soit bornée à cette invention ; elle comprend la
création de la science tout entière; comme il a rejeté, à l'exemple des
al"ébristes venus avant lui, les quantités négatives et celles imaginaires,
toute son algèbre repose sur la considération des seules quantités et
racines positives .
Rapidement complétée et perfectionnée par l'introduction dans l'algèbre
des quantités négatives et imaginaires, l'œuvre de François Viète et
môme son nom sont tombés dans l'oubli, quoique à chaque page, dans
nos Traités d'algèbre, se trouve la trace des procédés imaginés par le
grand géomètre.
Cette algèbre, presque inconnue de François Viète, je vais, dans un
rapide exposé, la faire passer sous vos yeux.
François Viète définit l'Art analytique ou Algèbre nouvelle « la science
de bien trouver en mathématiques », et il la considère comme composée
de trois parties : la Zététique ou mise en équation des problèmes; laPoris-
tique ou démonstration des théorèmes ; l'Exégétique ou résolution numé-
rique des équations. 11 fait reposer toute la science sur le principe des
homogènes qui exige que dans toute équation, tous les termes soient
de même dimension, c'est-à-dire que chaque terme soit composé par le
produit du même nombre de facteurs connus ou inconnus du premier
degré.
Il représente les inconnues par les lettres majuscules voyelles A, E, U,
et les quantités connues par les consonnes B, C, D...; les puissances de
l'inconnue par la môme lettre avec un indice formé par l'addition des
exposants des puissances : quad.; carré; cub. cube, il obtient ainsi la suite:
A, A q, A c, A qq, A qc, A ce, etc.
pour X x"" x^ x^ x^ x^
mais, pour conserver dans les équations le principe de l'homogénéité, il
adopte pour les données une série avec des indices correspondant à
chaque puissance, plan, solide, piano-plan, piano-solide, solido-solide.
B, B pi, B sol, B pl.-pl, B pl.-sol, B sol. -sol.
Les signes des opérations dont il fait usage sont : pour l'addition -j-;
pour la soustraction — , lorsque le terme à soustraire est le plus petit.
F. lilTTER. t/aLGÈBRE NOUVELLE DE FRANÇOIS VIÈTE 179
= , 7ninus incertum, lorsqu'il ignore lequel des deux termes est le plus
petit; pour la multiplication, la particule in entre les deux facteurs; pour
la division, la barre séparative des termes à diviser; pour l'extraction des
racines, R ou /, suivi de l'indice de la racine à extraire.
Dans les applications numériques, l'homogénéité disparaissant, l'in-
connue et ses puissances sont représentées simplement par les indices
lA^ \Q, IC, iQQ, \QC, iCC.
Ainsi, avec ces notations, on aura pour l'équation du 3« degré exprimée
en signes algébriques :
A c -f- B k A q + C pi in A. œq D q in F
x^ -\- px"^ -\- qx =z S
Et dans les applications numériques :
16' + 10C> +14A^œql22
X' 4- lOx^ 4- 14a; = 122
Après avoir exposé les règles des quatre opérations fondamentales de
l'arithmétique en algèbre, il donne les règles générales pour la réduction
des équations à la forme canonique, c'est-à-dire à une équation ordonnée
suivant les puissances croissantes ou décroissantes de l'inconnue, de telle
sorte que la puissance la plus élevée ait pour coefficient l'unité et que le
terme connu, formant le second membre de l'équation, soit positif.
François Viète applique ensuite les principes poeés dans cette introduc-
tion (rsagoge)àla formation d'un certain nombre de formules usuelles :les
propositions énoncées sous forme géométrique dans les 2** et 9*^ Éléments
d'Euclide; la loi de formation d'une suite de quantités en proportion
continue et celle pour l'insertion d'un nombre quelconque de moyens
proportionnels entre A™ et B'" ; la loi de formation des puissances succes-
sives de la somme et de la différence de deux quantités; la formation du
type (A -f B)"* -f D (A -|- B)'"'" qui lui servira plus tard pour la résolution
numérique des équations ; enfin il donne les formules des trois côtés du
triangle rectangle en nombres, A^ -f B% A'* — B% 4AB, et, faisant suc-
cessivement l'angle à la base du triangle double, triple, etc., il obtient la
formule générale de sin mx et de cos mx en fonction de sin x et de cos x,
formule attribuée à Moivre et qui appartient à François Viète.
A la suite de ces formules f.Voto priores), Viète donne les cinq livres des
Zétetiques, recueil de problèmes généraux déterminés et indéterminés sur
les nombres, les carrés, les cubes et les triangles rectangles en nombres.
On y trouve résolues d'une manière générale les questions les plus diffi-
ciles des Arithmétiques de Diophante et l'on peut mesurer la distance
énorme qui sépare les procédés du géomètre français de ceux du géo-
■180 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
mètre grec. Ainsi, par exemple, quand Diophante propose de trouver trois
nonlbres tels qu'en les multipliant deux à deux et en ajoutant 12 à chacun
des produits, les sommes soient des carrés, il trouve pour ces nombres 2,1
l
et -: tandis que François Vièle prenant pour nombre donné b trouve les
8
trois nombres demandés, au moyen de formules en fonction de trois
indéterminées f, g, h et obtient ainsi une infinité de solutions. La Réso-
lution numérique des équations fait suite aux Zététiques ; il y arrive par
un procédé analogue à l'extraction de la racine d'un degré quelconque
d'un nombre donné. Il l'applique à dix-sept types _d'équations trinômes
jusqu'au sixième degré inclusivement. Sa méthode est générale, mais elle
devient de plus en plus laborieuse à mesure que le degré de l'équation
s'élève et que le nombre des termes devient plus grand. Les types sur
lesquels François Viète opère n'ont généralement qu'une seule racine
positive ; toutefois il donne le moyen pour l'équation du troisième
degré, lorsqu'elle a deux racines positives, de les trouver l'une après
l'autre. Lorsque les racines ne sont pas commensurables, François
Viète les trouve par approximation ; à cet effet, il transforme l'équa-
tion en une autre dont les racines sont dix fois, cent fois, mille fois
plus fortes, et après avoir trouvé la racine de cette équation, il la divise
par 10, par 100, par 1.000, par la séparation de la partie entière delà
partie décimale.
Les deux parties de son algèbre qui suivent la Résolution numérique
des équations renferment la Théorie générale des équations. La première
est consacrée à l'examen de la constitution intime des équations ; mais
cet examen est limité, sauf dans quelque cas où il s'applique aux équa-
tions d'un degré quelconque, aux équations trinômes du second et du
troisième degré, ayant une ou deux racines positives, aux relations qui
existent entre les racines, le coctlicient et le terme connu de l'équation.
Pour le cas irréductible, il fait connaître qu'il ne peut être résolu
qu'au moyen de la résolution des deux triangles isocèles dans lesquels
l'angle du premier est le triple de celui du second.
La majeure partie de ce traité est consacrée à la transformation des
équations d'un degré quelconque par altération de la racine. Les algé-
bristes venus après François Viète n'ont pas beaucoup ajouté aux règles
établies par lui.
Dans la seconde partie de la Théorie des équations, le grand géomètre
donne les règles pour corriger les vices de forme des équations et les ra-
mener à la forme canonique, en faisant disparaître un terme d'une
équation, en transformant une équation dont les racines sont fraction-
naires en une équation dont les racines sont entières ; en transformant une
équation d'un type que l'on ne sait pas résoudre numériquement en une
F. RITTEU. l'algèbre NOUVELLE DE FRANÇOIS VIÈTE 181
équation que l'on peut résoudre, en débarrassant une équation de ses
coefficients fractionnaires ou irrationnels.
Il passe ensuite à la résolution générale de l'équation du troisième et
du quatrième degré, résolution purement algébrique, qui le conduit pour
la première à la formule de Cardan, pour la seconde à la réduite du troi-
sième degré ; les formules générales qu'il donne au nombre de trois, pour
chaque degré, débarrassent l'algèbre des treize cas de VArs magna de Car-
dan pour le troisième degré, et des quarante-trois cas de Bombelli pour le
quatrième degré.
Cette partie de l'Algèbre de François Viète se termine par un grand
nombre de formules de la racine d'une équation du troisième degré, lors-
qu'il existe entre le coefficient et le nombre connu certaines relations ; je
, ne citerai que le théorème que François Viète énonce, mais seulement pour
le cas oîi toutes les racines d'une équation sont positives, de la composition
d ucoefficient et du terme connu, avec les racines de l'équation.
A l'Algèbre de François Viète se rattachent quelques applications, qui
lui ont fait attribuer l'application de l'algèbre à la géométrie.
Les Arabes et les algébristes anciens de l'Europe occidentale ont ap-
pliqué dès l'origine, l'algèbre à la résolution des problèmes de géométrie,
lorsque l'équation finale ne dépassait pas le second degré. Après l'avoir
résolue, ils construisaient la valeur de l'inconnue par le triangle rectangle.
Dans un de ses traités accessoires, François Viète montre comment on
peut construire directement avec la règle et le compas, les racines des
équations carrées et bicarrées sans résoudre l'équation, au moyen de ses
coefficients.
Dans un autre traité, il montre que lorsque la résolution d'un problème
conduit à une équation du troisième ou du quatrième degré, la résolution
ne peut plus être obtenue avec la règle et le compas, mais par une cons-
truction qui se réduit à inscrire une droite passant par un point donné
et d'une longueur donnée, soit
entre deux droites, soit entre
une droite et un cercle, soit
entre deux cercles donnés.
Nous citerons, de ce traité,
l'application que fait François
Viète des théorèmes qu'il dé-
montre, à la résolution du cas
irréductible.
Soit EBD un angle donné, si du point B, comme centre avec un
rayon BE quelconque, on trace un cercle et si on prolonge le diamètre DBC,
si, du point E, avec une règle mobile, on mène la ligne EF de manière
que FG, segment extérieur, soit égal à BE, l'angle EFA sera le tiers de
182 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
l'angle EBA, et l'on aura la relation, BA étant la base du triangle isocèle
BEA, FB^ — 3BC^FB = BC.BÂ^ relation qui correspond à l'équation
du troisième degré du type x^ — 'èp'^x = pq"^ qui comprend le cas irré-
ductible, dont on peut trouver par la trigonométrie la racine positive en
faisant BD r= cos a = -f-, d'où x ^= p cos -.
%p ^ 3
L'étude des différents théorèmes de ce livre qui conduisent aux diffé-
rents types de l'équation du troisième degré et l'application qu'il en fait
à un certain nombre de problèmes de géométrie, tels que celui des deux
moyennes proportionnelles, de la duplication du cube, etc., etc., permettent
l'interprétation géométrique des racines négatives, comme pour les racines
de l'équation du deuxième degré ; mais ces considérations me conduiraient
trop loin.
Telle est dans son ensemble, l'Algèbre de François Viète; en étudiant
cette œuvre considérable d'où est sortie l'algèbre moderne, on est étonné
que son inventeur n'ait pas été un mathématicien de profession, mais un
Maître des requêtes de l'Hôtel du roi. « Ego, écrit-il à Adrien Bomain,
qui me Mathematicum non profiteor, sed quem si quando vacat, délectant
mathematica studia. » « Moi, qui ne fais pas profession de mathématicien,
mais qui, lorsque j'en ai le temps, fais des mathématiques mes plus
chères études. »
M. FONTES
SUR LA DIVISION ARITHMÉTIQUE
(POSSIBILITÉ DE LA SUPPRESSION DE CETTE OPÉRATION)
J'ai présenté à l'Académie des Sciences, Inscriptions et Belles-Lettres de
Toulouse, dans sa séance du 2 juin 1892, un théorème sur la division
arithmétique dont je me suis réservé de développer les conséquences.
Ce sont ces conséquences que je viens exposer ici, en même temps
qu'une démonstration plus simple, tirée des congruences, du théorème
en question, que je scinderai en deux.
FONTES. — SUR LA DIVISION ARITHMÉTIQUE 183
Théorème I.
On peut toujours réduire la recherche du reste de la division d'un
nombre entier quelconque N par un autre M à la même question pour un
autre A, plus petit que lui, formé de ses éléments et dont le nombre des
chiffres, indépendant de N, ne dépend que de M.
En effet, soit iB la base du système de numération dans lequel sont
écrits N et M, ce dernier étant supposé premier avec S- On peut toujours
trouver, de différentes manières, deux entiers positifs y? et m (m <^ M) et
un entier de signe quelconque q, plus petit que -^ en valeur absolue,
tels que : J9 X M = ^0'" — q
ce que je puis écrire sous forme de congruence :
^"' = q (Mod. M)
Cela posé, soient a, b, c, . . . e, f,g, . . . i, j, k, . . . r, s,t,... les chiffres
significatifs de N, de telle sorte que dans le système de base fB, ce nombre
s'écrirait . . . tsr . . . kji . . , gfe . . . cba. Si je décompose N en tranches
de m chiffres en commençant par la droite, je pourrai écrire :
N = . . . + (. .tsr) X (^"*r + (. -m X M" + (. .gfe)
Cela posé, je considère une fonction f{x) composée avec x comme N l'est
avec 5^"*, c'est-à-dire la fonction
f(x)= ... + (..ts,^)Xoc' + {..kij)Xx' + (.'9fe}Xx'+{..cba)Xx''
de telle façon que [[gf") = N.
D'après un théorème connu, la congruence (1) a comme conséquence la
congruence : /"(iB"') = fiq) (Mod. M)
ou mieux :
(2) N = f{q) (Mod. M)
qui nous démontre le théorème énoncé, à savoir que le reste de la divi-
sion de N par M est le même que celui de la division par M d'un nombre A
composé avec q comme N l'est avec S"* de telle sorte que :
A = . . .J^{.Jsr)y< q^ + (. .kji)-Xq'-{-i. .gfé)X. Q' + {• •cba)-Xq'
q pouvant d'ailleurs recevoir un signe quelconque. Comme ce dernier
M
nombre est toujours <^— en valeur absolue on aura toujours A •< N. En
184 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
outre, si A contenait plus de m coffres, on pourrait le décomposer comme
il a été fait pour N et après un nombre très limité n d'opérations le rem-
placer par un autre nombre a"'~'^ jouissant de la même propriété, ce
qui complète le théorème énoncé.
Je ferai remarquer qu'en faisant t^ = iO et M successivement égal à
3, 9, 7, 11 et 13, on retrouve tous les critériums de divisibilité exposés
dans les traités d'arithmétique (*).
Théorème II.
La suite des calculs nécessaires pour obtenir A permet de calculer le
quotient de M par M sans effectuer d'autre division arithmétique que celle
d'un nombre de m chiffres par ce nombre, m étant << M et indépendant
de N.
En effet, la congruence (2) nous apprend que N — A est toujours divi-
sible par M. L'autre facteur peut être facilement mis en évidence.
En effet, on a toujours, pour p. entier :
LB'
r
D'où, en observant que fB"' — g = ;> X M :
Dès lors, en groupant convenablement les termes de la différence
fU'^)-f('j) ou N-A,
qui sont tous de la forme ( . . . z-xy) X { (sfY — q^ \ o" est conduit à écrire
cette différence sous la forme schématique suivante :
(3) N-A=MxpX/
+ (..fsr)X90
X
(fB"f+
+ {..kji)Xq''
+ {.Jsr)Xq'
X(5î") +
+ (gfe) :<q'
+ {..kji) Xq'
+ {.Jsr)>Cq''
X
{srf.
(*) L'observation ci-dessus est faite sans préjudice du beau travail de M. Perrin sur les caractères
de divisibilité (Congrès de Paris, 1890), notre but n'étant pas ici, surtout, de fournir un caractère
simple et pratique de divisibilité, mais de calculer le quotient sans division.
1» En faisant M = ii et m =2 on trouve g = + 1. De là se déduit immédiatement un critérium
peut-être plus simple que le procédé classique et, dans tous les cas, dispensant de l'emploi des
nombres négatifs, [)our reconnaître si un nombre est divisible paru.
2» Si on observe que 7 X 14 = 10" — 2, on est conduit pour 7 à un critérium qui, bien qu'exi-
geant quelques multiplications par 2, est plus simple que le critérium classique si N n'est pas très
grand. En tout cas, il est applicable au nombre 49 et permet de reconnaître immédiatement si un
nombre de trois chiffres est divisible par 7.
FONTES. SUR LA DIVISION ARITHMÉTIQUE 185
OÙ le second facteur différent de M est mis aussi clairement que possible
en évidence.
Le calcul des coefficients des puissances sruccessives de:fB"* dans la paren-
thèse peut s'effectuer assez facilement si on commence par la plus élevée,
c'est-à-dire par la tranche de gauche du nombre proposé, chaque coeffi-
cient pouvant se déduire du précédent en le multipliant par q"" pris avec
son signe et en ajoutant à ce produit la tranche suivante de m chiffres non
encore employée, qu'on rencontre immédiatement en s'avançant vers la
droite. A se déduit lui-même du dernier coefficient de la parenthèse par le
même procédé.
Gomme la multiplication par iB" se réduit à écrire [x zéros à la suite
du multiplicande, on voit que les colonnes du schéma (3) sont pour ainsi
dire disposées à l'avance pour les calculs, au moins quand q est positif.
Ayant fait voir qu'on peut toujours ramener A à un autre nombre a'"~^'
de m chiffres seulement jouissant des mêmes propriétés, la deuxième pro-
position énoncée se trouve ainsi justifiée.
Le procédé de division auquel conduisent, pour ainsi dire d'elles-
mêmes, les considérations ci-dessus exposées est très simple quand M est
module d'une congruence à ± 1 f ) ou à un nombre q très petit. Voici,
en regard, deux exemples de divisions (**), l'une par 09 (99 = 10^ — 1),
l'autre par 37 (37 X 2"? = 10^ - 1) :
DIVISION PAR 99
DIVISION PAR 61
Dividende : 23 54 56
78
Dividende
: 2 343 565
627
23 54
56
2 343
565
23
54
23
2
343
2
1
11
2
13 reste.
1
537
1
23 78 35
quotient
2 345 911
27
16 421 377
46 918 22
538 (reliquat, à
diviser par 37,
de trois chiffres
seulement.)
63 339 597 quotient partiel.
Le procédé appliqué au diviseur 37 me conduit au nombre A = 538
que le théorème qui va suivre me permettra de diviser sans effectuer de
division arithmétique.
(•) Je ne m'occupe plus ici que de numération décimale.
(**) Je ne donne pas ici d'exemi)le de la division type, celle par 9, dont le lecteur restituera
aisément le schéma sur le vu de celle par 99, le principe de la division par 9, que j'avais trouvée il
y a quelques années, se trouvant, à mon insu, dans l'ouvrage de M. Lucas sur la théorie des nombres,
mais sans la disposition schématique que j'indique ici.
186 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Comme exemple où q est différent de l'unité, je prendrai une division
par 499. Ici, j'observe que 499 X 2 == 10^ — 2. Je disposerai mes cal-
culs comme suit :
2 X2=^4....
(343+ 4)X2 = 694..
+ 694) X2 = 2518.
(2+ 1)X2 = 6....
Dividende 2 343 565
627
4 000
000
694
000
2
1
518
145
6
131 reste.
2 348 262
2
4 696 524 quotient.
Le calcul se fait assez rapidement, car il n'est pas nécessaire d'écrire
deux fois les produits 4, 694, 2318 et 6.
Les calculs sont un peu plus compliqués quand 10'"^ est congru à un
nombre négatif; j'en donnerai plus loin un exemple.
Le problème de la suppression de la division se trouve ainsi théori-
quement résolu par le théorème II, car on peut toujours trouver un
nombre m < M tel que 10'" = + 1 (Mod. M). Mais l'intérêt des nos opé-
rations deviendrait illusoire si m était très grand, quoique plus petit
M
même que -^. Il est plus commode de se contenter d'une petite valeur
de q si cela est possible.
Le problème de la division peut être complètement résolu sur le reli-
quat de m chiffres qui provient de l'emploi de q au lieu de ±: 1, au
moyen du théorème que je vais exposer ci-après et qui fournit le moyen
de ramener la division du nombre de m chiffres à une autre plus facile.
Théorème III
Soient N, M, S, trois entiers positifs, tels que N > M et que S ■< N — M.
On peut toujours obtenir le quotient et le reste de la division de N par M
par une série de divisions par M -j- S.
En effet, soient B et C le quotient et le reste de la division de N par
M -}- S, soient B -{- ^ et y le quotient et le reste de la division de N
par M; nous aurons :
N = B(M + S) +C;
N = (B + p)M-f y;
d'où • BS + C = pM + y ;
ce qui nous apprend que le reste de la division de N par M est le même
que le reste de la division de BS -|- C par le même nombre. En faisant
B(M +S) + C;
B'(M + S) + C';
B"(!VI+S) + C";
FONTES. — SUR LA DIVISION ARITHMÉTIQUE 187
cette seconde opération, qui nous donnera un quotient plus petit que la
première (car BS + C est plus petit que N de BM), puis une autre, et ainsi
de suite, nous serons certains d'arriver au résultat sans avoir exécuté
aucune division par M, ce qui sera très simple si nous avons su conve-
nablement déterminer S, qui est arbitraire.
Voici, du reste, comment on peut diriger le calcul :
On fait d'abord une première
opération, qui donne N :
Puis une seconde B'S + C :
Puis une troisième B'S-|-C' -
Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'on
arrive à un nombre B"~^S + C""^ = B " (M -f- S) + C ;
y<M+S B^"^S + C^"^ = +T.
On aura alors, en additionnant :
N 3= (B + B' + B" + . . . + B^"-^^ + B'"^)M + y (*).
On obtient ainsi le quotient et le reste cherchés.
Je vais montrer par un exemple comment une division compliquée
peut être ainsi remplacée par un petit nombre de divisions faciles.
Soit à diviser N = 2 334 257 83o par M = 598. Ici, je fais S = 2
pour avoir M + S = 600 (diviseur très facile); j'aurai ainsi successive-
ment :
N = 2 334 2o7 83o
3 890 429 X 2 + 435
12 968 X 2 -1- 483
44x2-1- 29
N =r
3 890 429
12 968
44
390 344
quotient
X 600 -f- 435
+ 483
4- 29
117 reste.
Comme deuxième application, je donnerai la terminaison de la division
par 37, commencée à la suite du théorème II, qui se réduit à diviser le
reliquat de trois chiffres 538 par 37. Ici, je poserai S = 3, pour n'avoir
plus qu'une division par 4 à effectuer. J'aurai alors :
538
13 X 3 + 18
1 X3 + 17
13
1
U
X 40 -h 18
-1-17
-f- 20 reste.
quolionl.
(*) Y sera en général le reste; mais il pourra être intermédiaire entre M et M + S. Dans ce cas,
la parenthèse doit être augmentée d'une unité, et le reste est ^ — M.
188 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Le quotient complet cherche est donc: 63 339 507 + 14 = 63 339 611,
et le reste 20.
On voit combien ces calculs sont simples. Ils le seraient davantage si
on pouvait faire S = 1 {*).
Quoi qu'il en soit, le présent théorème résout, au moins théorique-
ment, d'une manière complète, le problème de la suppression complète
de la division arithmétique. 11 est à remarquer que si l'on fait M = 9,
S = 1, on retombe assez aisément sur le procédé de division par 9 qu'on
peut déduire des théorèmes précédents.
IV. — Conséquences et applications de ce qui précède.
Nous avons terminé, au point de vue théorique, notre étude, dont la
conséquence logique serait celle de la congruence 10'" ^ </ (Mod. M) ; mais
cette dernière nous entraînerait bien au delà des limites de notre sujet.
Nous n'avons pas à nous dissimuler que, dans beaucoup de cas, le
procédé que nous avons esquissé pour éviter la division arithmétique
pourrait devenir plus compliqué que cette opération elle-même, surtout si
nous voulions obtenir le reste exact.
Mais il n'en sera pas de même si nous voulons simplement calculer
avec des décimales, de façon à obtenir les quotients de la division, à une
unité près, d'un ordre donné. Dans ce cas, il nous suffira de faire suivre
le dividende d'autant de tranches de m zéros que nous jugerons conve-
nable. Nous supprimerons ainsi les difficultés afférentes à la recherche du
reste, les plus grandes que présente notre théorie, et nous aurons rem-
placé la division (opération fort compliquée en elle-même et qui ne nous
paraît simple que par la grande habitude que nous en avons), par des
additions, des soustractions et des multiplications.
Nous prendrons pour exemple un calcul d'intérêts au moyen d'une
balance des nombres, en supposant l'année de 365 jours, opération assez
compliquée pour qu'on recule devant elle dans la pratique, où l'on ne
compte généralement l'année que pour 360 jours.
Si nous remarquons d'abord que 365 = 73 X 5, nous voyons qu'il
conviendra d'abord de diviser le taux de l'intérêt par 5 dans la multipli-
cation de la balance des nombres par ce taux (ce qui sera généralement
très simple, le nombre qui l'exprime étant presque toujours divisible
par 5). La division par 73 s'effectuera ensuite en faisant usage de cette
remarque que :
437 X 73 = 10* -f- 1 r
(*) M. Lucas donne, dans son ouvrage sur la théorie des nombres, un procédé abrégé de division
par 19 différent de celui qui précède et qui peut être généralisé.
FOXTÈS. SLll LA. DIVISION ARITHMKTIQL'i: 189-
Nous nous servirons dès lors du schéma du théorème II, en faisant
m = A 7 = — 1, p — 137
Supposons que la balance des nombres, multipliée par le cinquième du
taux de l'intérêt ait donné 32743. Si nous voulons avoir les centimes
exacts, nous observerons que 137 >< 0,000 001 < 0,001 . Par suite; nous
ferons suivre le nombre proposé d'une seule tranche de quatre zéros.
Le calcul pourra dès lors être disposé comme suit :
3 2745 0000
3
3 2743 0003 somme des termes positifs.
3 2743 » » négatifs.
3 2741 73
/
31
3 2741 73
.9822 ol
2291 87
4 4836 11
Nous appliquons, pour la multiplication par 137, la règle d'Oughtred.
Le quotient est 448 fr. 56 c. avec les centimes exacts.
La seule petite difficulté qui puisse se présenter est le placement de la
virgule. Elle n'est pas insurmontable {^').
On voit, par cet exemple, le parti qu'on peut tirer de ce mode de
calcul quand on a besoin, soit de calculer ou de vérifier un grand nombre
de divisions par le même nombre, soit de calculer des barèmes, la divi-
sion arithmétique étant par elle-même, l'opération qui offre le plus de
chances d'erreurs.
Je m'abstiens, pour ne pas allonger indéfiniment ce petit travail, de
fournir d'autres exemples, d'autant plus volontiers que je ne prétends
nullement imposer une manière plutôt qu'une autre de disposer les
chiffres aux calculateurs de profession.
(*) Dans l'espèce, si le nombre des chiffres du dividende eût été très grand, on aurait pu faire appel,
au lieu de la congruence iO^ =— ^ (Mod. 73), à la congruence 10» = + 1 (Mod- "'3), qu'on obtient
en élevant la première au carré, ce qui eut dispensé de l'emploi des nombres négatifs, mais alors on
aurait eu pour multiplicateur, au lieu de 137, un nombre de 7 chiffres, le produits^ X il X101 X137.
190 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
M. E.EO]fTAII"EAÏÏ
Ancien Officier de marine, à Limoges.
SUR LA DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES EN ÉQUILIBRE D'ÉLASTICITÉ
— Séance du 20 septembre i892 —
1. — Je me propose d'intégrer les équations aux dérivées partielles
fxA^u + (X + 1.) ^ = 0, i.^^v + a + j.) ^ = 0,
' ' a-
auxquelles doivent satisfaire les composantes de déformation u, v, iv d'un
corps isotrope pour qu'il soit en équilibre d'élasticité, lorsqu'on suppose
qu'il n'y a pas de forces extérieures appliquées à la masse du corps. Le
problème général où cette restriction n'a pas lieu se ramène aisément,
comme on le sait, au cas particulier dont il s'agit. Dans ces conditions,
la question la plus simple à laquelle donnent lieu les équations (1) est de
déterminer les composantes de déformation u, v, w^pour tous les points du
corps élastique lorsqu'elles sont données à sa surface; c'est celle dont
je vais m'occuper presque exclusivement.
Soit qi = fi{x, y, z) = 0, l'équation en coordonnées rectangulaires de
la surface du corps élastique ; si on passe au système de coordonnées cur-
vilignes orthogonales q^, q^, q^ défini par les égalités :
(2) q, = f^{x, y, z), q^ =z f^(x, y, z), q, = ^x, y, z),
on déduira des égalités :
_ X -f [X dp _ 1 + \>- dp
^ 2(X4-2[x)dx;' ^ i-TJ .T- '
E. FONTANEAU. — SUR LA DFFORMATION DES CORPS ISOTROPES
qui satisfont généralement aux équations (1), les suivantes :
191
(4)
1 -\- a dp dx ,^ , , dv ,_ , dz.
2(x -f -2.a I dq, dq, * (/Yi ^Çi
1 -\- <j. dp
2(À + 2a I dq^
dx , , dy ,_ , dz
— - Q, — M » + -^ ( Q, — v) — -T- IV,
d(h dq^ dq^
À + a dp dx , , du .^ dz
^2(À + 2y,i rf7,3 rfg3 c^f/3 dq, '
si, pour simplifier, on pose
(5)
rfa; , dv , dz
dq, dqy dq^
M
dx , dy , dz
dq^ dq^ dq..
dx , du , dz
dq^ dq, dq.
on aura encore par les égalités (4) les trois équations de condition
dx dQi dx f/Q, dy dQ^ dy dQ^
dq^ dq.^ dq^ dq^ dq^ dq.^
j dx (/Qj dx f/Gi dy r/Q,
^ dqy dqs dq.^ dq^ rf(/i dq.^
dx diii dx dQ.1 dy dQ^
dqs dq^ dq^ dq^ dq^ dq., dq^ dq.^
dfh
dq,
dy
dq.
dù^
dq,
dy
f/Q,
dh
dq^
dh
dq-i
dN
dq^
m
dqv'
dN
dq,'
dM ,
d(h
2. — D'après cela, je considère d'abord séparément les deux dernières
équations (4) et celle des équations (6j de condition qui en résulte. Si,
conformément à la théorie des coordonnées curvilignes, on pose :
0)
S+(S)v(ê)=M, (ê)v(|;+(ê
hi
(
dx ) \dy J \dz J
hl
et que l'on désigne par a^, b^, q les angles que la normale en x, y, 5 à la
surface dont l'équation est ^i = 0 fait avec les axes des x, des y et des z,
on aura, par une transformation facile :
(8) Q
i
div
dy
dv
dz
+ 6i
du
dz
dw'
dx
+ c,
dv
dx
du
dy.
\
192 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE^ GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
et on pourra mettre la troisième équation de condition (6) sous la forme
suivante :
(9)
a,
dy
dQ,
+ *.
dQ,
dy .
dv'
dz^
+ ^1
~du du
dz d.i
1
+ Ci
'dv
dx
du
•dy_
Dans cette égalité, qui aurait pu être immédiatement écrite en vertu des
relations :
dw dv dCî^
(lOj — = -^
dy dz dz
du dw _ dLi , d V du rfQ, _ r/Q,
ds dx dz dx dy dx dy
le second membre est l'expression du double de la composante de rotation
normale à la surface du corps élastique et le premier membre montre
comment cette composante dépend des fonctions potentielles û^, Q.^, CI3.
On peut aussi substituer aux deux dernières équations (4) les suivantes :
(À + l^)
du dx'yLQ.
dij., dq.,\dq^
1 I
dx
d(h
y X
dy
dq.
dQ,)
dq-i]
+ (X + 3-;. )
dji dx dy dx
dq^ dq,^ dq., dq^
dy
dy d\i dy dli
dq^ dq., dq^ dq^_
+ 2(X + 2;.
(ii;
dq-i
di/ ,T
^1 + ':>^ + 1^-)
+ 0^ + NyQ = 0
\
du
+ 2(X + %J.)
dx
\l dq., dq.,
dy dx dy dx
jlq^ dq, dq, dq^
dq.,
dQ.,
+ ^
dq.,
Q, + (À + I.
X
dy
dQ.J
dx
dq^ ~ dq.,\dq,^
dx f/K dx rfR
dq., dq, _
dq., dq, dq.i dq..
et pour les termes tout connus de ces équations, on obtient, par une trans-
formation semblable à celle dont il vient d'être question :
2a + 2a)
dq, ' dq^ '
(12)
hj\.
2(X -[- [xj
^20+^
iLjL,
[c,u — a,w] + il + aiyQ,
Cl y — h,w] — (X + ;j.)a;0.
dx ^, dx ,,
— N — — M
dq^ dq.
E. FONTANE.VU. — SUR LA DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES 193
Enfin, on a les relations suivantes :
dy d\i
+
(13)
+
dij dK
dq-i dq.^
' dij dz
jki.dq^
dx d\i
dq^ dq.,
' dx dz dx di
dq-i dq.:^
dy dz
dq., dq,\d
dx dK
dqz dq.^
dy dx dy dx~\dK
.dq.i dq^ dq^ dq^jdx
dli
1
dq.j, dq^ dq^ dq^\dz
dli
dy dx
dÇi dq^
1
■ dK
Cl a
dli
'dz
h^ha
dx
dy dx IdK
dq^dq,]dy
dK dli
dy ' dz
3. — La troisième équation (6) est une conséquence des deux dernières
équations (4) et ne donne pas une condition nouvelle qu'aient à vérifier
les trois inconnues Q,, Q^ et K. On pourra donc prendre à volonté l'une
de ces fonctions, Q^ par Q3, par exemple, et K en résultera sans difficulté
par de simples quadratures. Mais si l'on peut ainsi satisfaire d'une infinité
de manières aux deux dernières équations (4), il faut vérifier la première
et la difficulté de la question consiste à diriger le calcul de manière qu'on
puisse atteindre ce résultat.
Dans ce but, je suppose qu'on ait obtenu pour Q^, Q^ et K un système
de fonctions propre à vérifier les équations dont il s'agit. Comme ces équa-
tions sont linéaires, il est clair que, pour avoir toutes les solutions dont
elles sont susceptibles, il suffit d'ajouter au système connu la solution
générale des équations homogènes que donne la suppression des termes
tout connus. D'après cela, j'admets qu'en faisant usage du principe de
Derichlet et de la fonction de Green, ou par tout autre procédé, on ait
déterminé les fonctions potentielles d'espace qui correspondent aux fonc-
tions déterminées pour la surface par le calcul indiqué et, pour simplifier,
je les désigne encore par Q^, Q, et K. Prenant ensuite U, V, W pour les
expressions inconnues des composantes de déformation à déterminer pour
tous les points du corps élastique, je pose :
U = Qi-
to,
X+u. d
(14) l V = Q,^ + or,-^^^^-[^(Q,+
W
■^^±^^-^1^^^
et je déduis de ces formules les équations analogues à celles qui viennent
dêtre considérées. Comme U, V, W doivent, par hypothèse, se changer à
13*
194 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
la surface du corps élastique, respectivement en u, v, w, on aura pour
résultat du calcul, après avoir efTacé ce qui se détruit :
(^ + !^)
\ r ch/ dx
f/o)j
+
dy dx dy dx'
dq^ dqs dqs dq^
(15)
(^ + I-)
dii dx
dq,
doi
dx diildoi.
y- — X ■
dq^ dq^jdqs
dy dk dji dk
dq-idq^ dq^dqs_
0,
. dqa
Iq,] dq
+
dx du
C?w„
+(X+3i.)
dy dx dy dx
jlq^ dq.;, dqs dq.,_
'>\-{-Q^-\-i^)
_ dq^ dq.,]dq.,
dx dk dx dk'
dq^dq^ dq,dq.,
= 0,
dx rftoj dx diû^ dy dw^ dy dw^ „
dqs dq., dq^ dq^ "^ dq^ dq^ dq^ dq^
Quant aux équations (4), si, pour simplifier on pose :
X+ix
2(X+2f.)
(16) \ - d^ *-
_ dQ^ d\i . dx.^ \ "o n
dq,
dq, dq, dq.
dy_
dq.
dx ,
dq.
, dz dx ^ , dy . dz ^ _^
dq, dq, dq, dq.
dx dy . dz dx dy , ^^ v _ /^
dq^ dq^ ' ' dq^ dq^ dq, dq,
relations d'où on déduit immédiatement, pour la détermination de ç, -/i, C:
(17)
dx
,2 dy
, dz
h\ ^ H, •/] =r li\ -^ H, X, = h\~^;
dq, "' ■' "' dq, ' ' dq,
elles donneront comme résultat de la même substitution :
2(X + 2jx)
ddi, dw^ dk dx , dy
dx . ^ , dy dz
dq, dq, dq.
>. + IX
(18)
2(X + 2(.)
X + [x
dw, do)
x-^-\-y
1>{l + 2;x)
X
dq.
do\
dk dx dy '
1 — \~ :ï — r T- ^'^1 + x" "^2
dq., dq^ dq^ dq.
dx dy
dq., dq,
di-o, . dk . dx
_ dq,
...... ^.. „„ dy
dq, dq, dq^
dx dy
-1— ^h + -r- «ï-
dq, dq.
dq,
OJ,
E. FO?{TANEAU. — SUR LA DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES 19o
On voit que ces nouvelles équations correspondent à un problème qui
ne diffère du problème d'abord posé que par les conditions :
(19)
M = 0, N = 0,
auxquelles il y a lieu maintenant de satisfaire, la quantité L pouvant d'ail-
leurs être quelconque. La signification géométrique de ces conditions est
très simple; car, en vertu des relations (8) et (12), on voit que la compo-
sante de rotation normale à la surface du corps doit être alors nulle pour
tous les points de cette surface et que si l'équilibre d'élasticité venait à être
rompu, le déplacement d'un quelconque de ces points se ferait suivant la
normale. Réciproquement, lorsque cette dernière condition est satisfaite, il
en résulte en vertu des égalités (12) ;
M = 0, N = 0, et par suite
dq^ dqs
0.
4. — Pour arriver à la solution complète du problème proposé, il suffit
donc d'intégrer les équations (18) auxquelles on peut ajouter les suivantes
qui en résultent immédiatement, ou bien encore se déduisent en vertu des
relations (19) des équations (6) :
dx d
(O,
m { ir
dqi dq^
dx d(ù.
dx dojj dy d
Wo
dy d
co„
dq^ dqs
dx doy,
dq^ dqy dq^ dq^
dx d^i dy d(i}^
dqs dq^ dq^ dq^
dx rftoj dy doy^
~ + XT'
dq^
dq,
dy
dq.
do)^
dq.
dy
ddi^
dq^ dq^ dq., dq.^ dq^ dq^ dq^ dq^
rfH
dq^
d^
dq^
= 0,
où H a la même signification que dans les égalités (16) et (17).
De ces équations on déduit ;
dy(.m_
dq^ dq-i
dx rfH
dqz dq^
dy dU
dqs dq^
dx dH
dq.^ dqs
dx dy dx dy 1 d
dq., dq^ dqs dqjdq^
'- +
dx dy
dx dy
dqi dq
3J
di)}^
dq.
+
d
(û.
dx dy dx dy
Jqidq^ dq.idqy\dq^
' dx dy
Mi d<ïs
dx dy
dq-i dq^
dqi
dx dy
dqs dqi
dx dy
dqi dgs.
dw^
dq.,
dx dy
V dx dy
\dqi dq^ dq^ dq^_
Iq^ '
196 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
et en ayant égard à l'identité :
(21)
' dx d]!
dq^ dq,
+
dx dy'
dq, dq^,
dx dy
-+
dx dji
dqi dq^ dq^ dq^
dx dy dx dy'
dq^ dq^ dq^ dq.^^
yz 1
dz
dq^
_ dq^ "~ hjiji^ '
on aura pour déterminer les quotients difîérentiels de w^ etw^ par rapport à
(22)
d
doi.j,
dz
7 = hjijh
dx (/H dy d\\
_dq^ dq^ dq^ dq^
dx dW dx c/H'
dq^ dq^ dq^ dq^
D'ailleurs, les équations (18 supposent les suivantes :
(23)
OJ,
OJ,
2(X + 2u) dx
2(X + 2.a) di
X + ij. d
2(X 4- 2ix) Jz
Xi» y + y «2 + f^]>
et il résulte de la dernière
(24)
X
f/Wj
(/.
7 + y
d
(0„
:(X + Î.)
dy
dx'
X- î/ -7—
m
Iq,
dz
dy
dx
y-, — ^-r-
— 2(X + 2f.)!;
Les formules (22) et (24) font connaître à la surface du corps élastique
les quotients difîérentiels par rapport à z de o>i, w^ et k et comme il s'agit
de fonctions potentielles, on pourra les déterminer pour tous les points du
corps; j'admets que ce calcul ait été effectué.
Parmi les équations qui doivent être vérifiées, je considère maintenant
les deux premières équations (15) ; on peut, en revenant aux coordonnées
rectangulaires, le mettre sous la forme suivante :
(>^+I-)
dz
dq.
dis). , dio.
X- — [-y-
d
to,
dx
dy
dz
dx dy , dz
X- — ^y-r~-\-z-—
dq, dq.
dz
(25)
-(^ + 3îx) — co, + (X + .a)
dq,
dz dk
dq, dx
doi.
dz
dx dk
dq, dz_
0,
,, 1 . , dz
t/c
d
to„
d
Wo
x-
dx
dy
dz
dz
(^ + 3!^)^^-^.! + (^ + I^)
dx , dy , dz
x- — \-y-r--{-z-—
dq, dq, dq,
' dz dk dy dkl
dq, dy dq, dzj
d
0J„
dz
E. FO?«TANE.VU. — SUR LA DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES 197
et en remplaçant
d.
(/(Oj rfw^
dk
dz ' dz d.
et — par leurs expressions (22) et (24) :
«91
X
do)^
dx
do^i
ddi^ dk
+ y^ + ^-^ +
:{l + lK)hihJls
dij
d:.
J'dq^ dq,.
dy ' ~ dz ' dx
dy dH dy dii
— (X + 3ii.)(0i
dq^ dqs dq^ dq^
+y
dx
dq.
dx dH dx dM
dq^ dqs dqs dq^
- ^^ + 2^) S ^.
d:
dqy
(^ + 1-)
dwj , day^
., , C?o)2 , dk
dx '^ dy ^ dz ' dy
— (X + 3fx)t02
' dx ^dz'
dq^ dqi
dx dE dx f/H
f/^3 dq^ dq^ dq^
2(X + 2,)^C.
dv
dq.
dy dK dy rfH
dq^dq^ dq^dq^_
Ainsi on aura à la surface du corps élastique, en fonction des données
<Ju problème les expressions, des quantités :
et (X + \).
do). , d(û. , doi. , dk
dx ' "^ dy
rfto» , dM„ ,
dz ' dx
dx
dy
dz
- (X -|- 3[x)(o^
- (X + 3iJ.)Q„
et comme ce sont des fonctions potentielles, on pourra les déterminer pour
tous les points du corps; soit donc, en considérant wi, œ^, et k comme des
fonctions potentielles d'espace :
(> + î-)
(26)
do). , do). doy. dk
d'où il résulte :
dx
disi.
dy
doi.
, ^^., , dwn dk
dx ^ "^ dy dz dy
(27)
(X+3[x)a)i — (X + fx)
(X + 3îxK-(X+^.)
do3. , dk
^~i — H7-
dx dx
— (X -f- 3,a)co, r=i — IIi,
— (X -|- 3|x)a)2 = — lia;
diù, , dot,
T+y-
y-
dti)^ dk
dy dy_
substituant ces expressions dans les formules (23), il vient
d(x>y dwy
~d^'^y~dy
n, + (X + ix)
n, + (X -f ^)
lis
doi
= 2(X + 2..)^ + (X + |x)y
d
0J„
(/;
'-+xp
; dx
dx
2(X + 2^a)-o + (X + ^.)x -^ ;
198 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
par suite :
(X + [^)
(28)
ch
n, — 2(À + 2:x)^ + (X + .a
doii
dlÙy
dx dy _
- n, + 2(x + %ij.rq - a + y.)s
d:
1z
X
et on pourra déduire de l'une ou l'autre de ces égalités l'expression générale
de ^ _^. soit donc, pour tous les points du corps élastique :
dx dy
(29)
d
(0„
do)^
dx dy
On aura, par les égalités (27) et (23) :
R.
(X + 3{x)a)i — (X + [J;
diti. . dui., , dk
dx ' dx dx
n^ - (X + [x)
(30)
dz
-yR
2(X + 2îx)^,
(X + 3iJ.yo, - (X + î..)
doi
do), , c?co„ dk
x^ + y-jT + :77.
= n,
(X + [-)
(/^
dy
— xn
dy dy
2(X + 2u)-ri
f/wj C?(
w„
Si on substitue dans ces relations les valeurs obtenues pour — et -^,
on en conclura les expressions de l et de r, pour tous les points du corps
et î: résultera par la même substitution de la troisième formule (23).
On peut d'ailleurs observer que la quantité R résulte aussi plus simple-
ment de la formule :
(31) -
dx do)^ dy f/ojj dz
dqi dz dqy dz dq^
d
0>„
dx
dy _
= 0,
qui n'est autre chose que la dernière des relations (20) mise sous une autre
forme.
5. _ Par ce qui précède, on voit que l'intégration des équations aux
dérivées partielles de la déformation des corps isotropes en équilibre d'élas-
ticité, lorsqu'on a pour données les déplacements u, v, w à la surface du
corps élastique, peut être effectuée par une application de la méthode
usitée pour déterminer les conditions de l'équilibre calorifique, ou de l'at-
traction des corps dont l'action mutuelle s'exerce en raison inverse du
E. FONTANE-Vr. — SLR I.A DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES 199
carré de la distance. Cette proposition n'est démontrée que si la surface du
corps considéré appartient à un groupe de surfaces orthogonales; mais il
est à croire qu'on pourrait aussi l'appliquer à une surface quelconque, en
prenant pour système de coordonnées curvilignes une série de surfaces de
niveau parmi lesquelles soit comprise la surface du corps et les deux
groupes de surfaces qui coupent orthogonalement chacune de celles dont
se compose la première série. (Abbé Aoust, Analyse infinitésimale des
courbes dans l'espace, p. 547; Mathieu, Théorie du potentiel, i"" partie,
ch. IV, p. 103.)
Ce résultat ne paraît pas sans importance pour la théorie de l'équilibre
dès corps élastiques ; mais, au point de vue de l'application, il est à
craindre qu'on ne puisse en faire usage à raison d'une ditriculté spéciale.
Il est, en général, impossible d'obtenir par l'observation les composantes
de déformation u, v, iv à la surface; car, outre la difficulté de les déter-
miner en rapportant à sa forme primitive les modifications subies par la
surface du corps élastique, le calcul suppose infiniment petites ces quan-
tités et, si on avait un moyen quelconque de les mesurer directement, il
est à craindre que les erreurs d'observation ne fussent du même ordre
de grandeur que les quantités elles-mêmes.
C'est sans doute à cause de cette difficulté que les fondateurs de la
théorie des corps élastiques ont préféré prendre pour données à la surface
du corps, non plus les composantes de déformation u, v, te. mais les
composantes suivant les axes des coordonnées rectangulaires de la force
extérieure appliquée en chaque point de la surface d'oîi résulte la dé-
formation du corps élastique et le maintien de son équilibre. On peut,
au moins dans certains cas, arriver à la solution de ce problème nou-
veau, par la méthode précédente en s'appuyant sur une proposition que
j'ai démontrée dans les Nouvelles Annales de Mathématiques.
Si on désigne par F, G, H les composantes de la pression ou traction
rapportée à l'unité de surface qui agit en un point quelconque {x, y, z)
d'un corps en équilibre d'élasticité sur l'élément d'aire normal au rayon
vecteur p, ces composantes devront, comme on le sait, vérifier les égalités:
l Fp = X6a; -f 2[xnw -f 1\>.{y?z — -=2),
(32) \ Gp = mj + 2iJ.nv + 'l'jJzpi — xp,),
Ho = Uz -^ 2^niv -{- 2u.{xp^— yp^).
ou pi. p,, p3
désignent les composantes de la rotation élémentaire et n le
degré des fonctions m, v, iv supposées homogènes. Or, il est aisé de
s'assurer et c'est la proposition dont il s'agit que si, pour simplifier, on
désigne les premiers membres de ces égalités par ?, /, •]/ respectivement,
200 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
ces fonctions devront, en vertu des formules (1), véritîer les trois équations
aux dérivées partielles :
(33)
(3^ + 2a) A> + 2(X + !.)(n - 2) ^ =r. 0,
(3X + 2ix)A^^ + 2(X + i.)(n _ 2) ^ = 0,
m + 2i.)AV, + 2(X + a) {71 _ 2) ^ ^ 0,
dz
où T est une quantité définie par l'égalité
(34)
On a d'ailleurs :
-|+| + l = <3^ + ^^)«-
(34)
bis
dy
dz
d'\>
dx
d<]^
dz
dx
dy
1
3X + 2[j.
X
L dy
dz dx
-y-dz
dx
SI + 2;j. l dz " dx
1
dz
dx_
Ix
dx
y n(*
3X + 2a L dx dy_
+ 2[x(îi — l)p„
+ Mn - l)p
+ 2jx(n — l)p3,
25
où, comme dans les relations précédentes on admet toujours que 9, -f , /
sont des fonctions homogènes du même degré n.
De là résulte cette conséquence : il suffit, pour assurer l'équilibre
d'élasticité d'un corps isotrope dont les coefficients d'élasticité A et [x
sont connus, des forces F, G, H définies par les égalités (32) et agissant
à la surface du corps. Il en est donc de ces forces comme de celles
qui seraient appliquées, comme on le suppose d'habitude, aux éléments
superficiels du corps élastique pour le maintien de son équilibre inté-
rieur. Ni l'un ni l'autre des systèmes de forces dont il est ici question
ne peut se déduire aisément des forces effectives que l'élasticité met en
jeu aux points de contact des corps. Il semble cependant que cette
détermination serait moins facile pour le système sur lequel je crois
devoir appeler l'attention que pour celui dont on suppose habituellement
la connaissance.
Pour ce motif, je me bornerai à indiquer la méthode d'intégration
qui résulte du théorème énoncé pour le cas où le corps élastique est
une enveloppe sphérique dont le centre est à l'origine des coordonnées
rectangulaires, parce qu'alors les deux systèmes de forces extérieures
dont il vient d'être question se confondent en un seul.
E. FONTANEAU. — SUR LA DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES 201
6. — On satisfait généralement aux équations (32) en posant :
2(X + iJ.)n — X — 2fx dz
ou ûi, ^2 désignent des fonctions potentielles homogènes de degré n
et K une fonction potentielle homogène du degré n -\- i.
Conformément à cette hypothèse, 9, '\>, y ne peuvent être que des
fonctions homogènes du degré w, ce que, d'ailleurs, on ne peut constater
a priori par les données.
Mais, pour traiter d'abord ce cas simple, j'admettrai que l'on sait
d'avance tel devoir être le résultat du calcul. Si on passe des coordon-
nées rectangulaires aux coordonnées polaires en posant :
(36) a? =: p sin 8 cos v ?/ r:^ p sin 8 sin u ^ = p cos S
on n'aura qu'à faire l'application des formules démontrées plus haut en
y remplaçant X -f ;x par 2(X -f jx) {n — 2), X + 2;ji par 2(X + [x)7z — X — 2[x,
enfin X -f- Sfx par 2(X + ix)n + 2X. D'après cela, il vient par les équa-
tions (4), les suivantes :
(X + [x)(n— 2) dp
2(X 4- fx)n — X — 2;x J^
=1 sin 0 cos f (Qj — 9) + sin 0 sin v (û^ — •]/) — cos 5;(
(X + ^)(n-2) dp
(3") { 2(X -f- ix)ii — X — 2(x f/8
= p cos 8 cos v{Qi - o) -\- p cos 8 sin v (Q^ — ']>)-{-? sin ^x
X -f t^) (n — 2) dp
2(X + [j.)n — X — 2[x dS
z= — p sin 3 sin v{Qi — 9) + P sin û cos viQ^ — '}),
et, suivant la méthode employée, il y aura d'abord à chercher une solu-
tion particulière des deux dernières, auxqueUes il faut ajouter la suivante :
— p sin 8 sin u -1^ p cos 8 cos v ^ p sin o cos v ——
^ do dv ^ dà
^^^^ ^ , . di\ dN f/M
— p cos 8 sin V -3— = -^ -7—
' dv dà dv
41
202 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
en posant :
/3gv i N = — p sin s sin Dcp -|- p sin o cos v]»
) M = p cos Vù cos 9 -[- p cos 8 sin V'\> — p sin 3/.
On peut substituer à cette dernière équation celle-ci :
dQ
clQ^
(40)
-^ i7 + yiri + ^
d
d:
dQ,
dx
X
+ y
d'^ d/
dz dx
+
m,
d'\i d'^
dx dy
dy
d'Y
dont les deux membres se réduisent chacun à une fonction potentielle,
et par conséquent la quantité :
1
(41)
r sin 0
dû
dW
dv
d(f) cos 0 f/cp
= Sm V -ri- : r COS V V"
dù sm 0 dv
d<l cos ô . d'I dy
-+- cos V -r- : sm v -~ -{- -r:
do sm ô dv dv
on désignant par r le rayon de la surface du corps, devra être une fonc-
tion sphérique d'ordre n. On cherchera la fonction potentielle d'espace
correspondante et pour Qj, Qg deux fonctions potentielles homogènes
propres à vérifier l'équation (40). Enfin, on déterminera K pour la sur-
face de la sphère au moyen des deux dernières équations (37) et on en
déduira la fonction potentielle, homogène et du degré n -f- 1, qui corres-
pond à cette valeur de K.
7. — Après avoir ainsi déterminé un système de trois fonctions poten-
tielles Qj, Q^, K, on posera, conformément aux formules du n° 3 :
H
X-ffx)(?i — 2) d
- [xa, -f yQ, -\- K]
(42) { " 2(X 4- [x)n — À — 2 p. dp
sia 0 cos v(Qi — 9) — sin 0 sin v{Q^ — ■];) -|- cos 3;^,
i = sin 8 cos vE -q = sin 8 sin vR ^ := cos 8H
et les équations à intégrer deviendront :
/ (x_|_^)(,j_2)-[a;(Oi + 7/a>, + /.•]
: [2(X-1- }x)n — X — 2;j.] [sin 3 cos y (wj — ;) + sin 3 sin u(w2 — -q) — cos ZQ ,
(X + [x)(n — 2) - [XLO, + yo,, -f /.■]
(43)
= [2(X -f- |x)n — X
2a] [r cos 0 cos fcoi -j- r cos 8 sin voi^],
d
dv
[Xi»^ + yto, + k]
[2(X + ij.)n — A — 2{ji] [ — r sin 8 sin voi^ -\-r sin 8 cos via^].
E. FOXTAKEAU. — SUR L.V DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES
On en déduit, d'après les formules (22) :
(44)
"rfj
du)^
dz
1
7' SUl 0
— 1
r sin 0
, . f/H . , (/H
cos s sin V sin ô cos v — -
dv dû
... rfH , ^ dW
sin 8 sin V \- cos o cos v — —
ao au
203
égalités dont les seconds membres devront être dans le cas actuel des
fonctions sphériques d'ordre n — 1 et il sera facile d'en déduire les
valeurs des premiers membres pour tous les points du corps élastique.
Ayant ainsi déterminé ces deux fonctions potentielles on en déduira
-j T- en faisant usage de l'équation (31) et on pourra môme obtenir
—, — r- au moyen de la formule :
dx dy "^
(4oj
-f
dx ^ dy ~J l
d^oy^ f/^o)^ rf^coj
dxdy dz"^ dx'^
d'^oi^
(/'-03i d'
0),
dxdy dy'^ dz"^
dx
dy-V
rf\Oi
f/^co„
+ T.
dzdx dzdij
dz
qui suppose seulement que w^ et w^ soient des fonctions potentielles.
Les trois fonctions l, r^, K doivent vérifier les équations aux dérivées
partielles :
(46)
(3X + 2a)A^; + 2( À -f- y.) (n — 2)-—=0,
dx
(SX + 2îx)A-r. + 2(À + y.)(n^2) ~ = 0,
(3a + 2a)A^^ + 2(X + y.) (« — 2)
dz
0,
où T est donné par l'égalité
rf; , cZ-fj , rfC
(^^) ^ = ;^ + ;7;^ + t: =
3X + 2a
dx dy dz 2(1 -\- ij.)n — a — 2a
da? dy
Ainsi, on connaît d'une part, à la surface du corps élastique, les quan-
tités ;, Tj, l et par suite des calculs qui précèdent pour tous ses points
A*;, A^Y), A"^^, et la question à résoudre se trouve ainsi ramenée à un pro-
blème dont la solution dépend du théorème de Green et de la fonction à
laquelle on a donné le nom de cet illustre géomètre.
On peut, d'ailleurs, continuer l'application de la méthode telle qu'elle
est exposée dans ce qui précède et on arrivera ainsi à déterminer, pour
tous les points de l'enveloppe sphérique, les quantités ;, v], Ç ; après quoi
204 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
on obtiendra les valeurs correspondantes de u, v, iv en faisant usage des
formules (32), (33) et (34).
Ce mode d'intégration des équations (46) se trouve en défaut dans le
cas particulier oîi l'on a :
2(X + [jL)n — X — 2fx = 0,
c'est-à-dire où le degré commun d'homogénéité des fonctions l, -q, Ç est
égal à :
W . 2(X-fix)-^ 2(X + a*
Mais alors on a :
(48) 3X-f2[x-[-2(X4-[jL)(n — 2) = 0
et les équations à intégrer se réduisent à :
dr dr . „^ dr
(49) A.Ç=^ A',=^ A'C=^.
où, en vertu de l'égalité (34), t désigne encore une fonction potentielle.
Par suite, on aura:
(50) Ç = |'+^l . -1=1^ + ^2 ^==^^ + ^3'
où Qj, ^2» ^^3 désignent trois fonctions potentielles, et comme le degré
commun d'homogénéité des fonctions ç, t), l, est connu, on aura à la sur-
face de la sphère :
dl _ X-f 2[x l d^ __ X -f 2ix Yi cK _ X-f2p C
(^*) Jç ~ 2(X + [x) p f/p ~ 2(X -f i^j p rfp ~ 2(X + [X) p '
ce qui permettra de calculer t et d'obtenir, pour tous les points du corps,
d'abord cette quantité, puis les trois fonctions potentielles Q.^, Q.^, Q,^; après
quoi, on aura par les égalités (oO) les expressions générales de l, -/], (^.
8. — Dans le cas où les quantités 9, «j'» X seraient quelconques, la
méthode pourrait encore être appliquée conformément aux principes qui
précèdent. La quantité:
1
/■ sin 8
•^_ (M
do dv
peut alors être développée en une série convergente de fonctions sphériques,
et pour chacune de ces fonctions, on aura à déterminer les fonctions poten-
E. FONTANEAU. — SUR LA DÉFORMATION DES CORPS ISOTROPES 205
tielles correspondantes et prendre ensuite, pour les expressions générales
de Qi, Q^, la somme des solutions obtenues. Des deux dernières équa-
tions (37), on déduira ensuite les différentes valeurs de :
(l + ^) {,1 - 2)
2(A 4- ^)ii — À ~ 2[x
P,
et de p, ce qui permettra d'obtenir K par une somme de résultats partiels,
comme on a fait pour Q^, Qa-
Après cela, on pourra calculer H, conformément à son expression déduite
de la première des égalités (16), en y remplaçant X -f- !-«• et X -f- 2[j(. respec-
tivement par 2(X -}- [J-) (n — 2) et 2(X -f jjt.)n — X — 2(x et former les équa-
tions :
(S2)
(X4-aXn-2,) d
Lu. Clù
^ ^ 2(X -h \^)n - X
sin 8 cos i)(ojj — ^) + sin 5 sin v(a)2 — •/;) — cos oS;.
^ r cos 0 cos vto^ -j- r cos ô sin vl.^^.
(X + [x)(n
z: [^'^i + y^'z + '^-J
2(X + ij.)n — X — 2iJ, (/y
= — r sin 8 sin f Wj — r sin 8 cos î;(C2.
De ces équations on déduira, comme plus haut, les expressions de — — ^ et
dz
dio„ . d(jy„ diOf doi, , dii)„ ^
-7— et puis celles de -^ ~ et — — H — r-^. Ces expressions se rédui-
dz dx dy dx dy
ront sur la surface à des séries de fonctions sphériques et, pour chacun des
termes de ces séries, on pourra calculer les seconds termes des premiers
nombres des équations (46), ce qui permettra de déterminer les expres-
sions générales de ;, -/i, C en faisant usage du théorème de Green.
On peut aussi suivre le procédé employé au n*' 4, et déterminer d'abord
dix
— en faisant usage de la formule (24) qui, dans le cas actuel, devient :
(*3)
2à %i
X-f ,a)(n — 2) dk^
2!x d::
-2
2(X 4- ij.)n — X
(X + ;..) {n '- 2
2(X + {x)/i — X — 27.
-?,
où on peut considérer le premier terme du second membre comme une
fonction parfaitement déterminée et connue qui, sur la surface du corps
206 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉGANIQUE
élastique, se décompose en une série convergente de fonctions sphériques.
Après cela on obtiendra, d'une manière analogue, les expressions
désignées par U^, U.^ et, en faisant usage des formules correspondantes
aux égalités (30) et de la formule (53), on aura sous forme de séries les
expressions générales de c, '/;, ^.
D'après une observation faite plus haut, on pourrait craindre que le
calcul ne fût en défaut dans le cas oîi la relation (48) aurait lieu. Mais
cette objection ne peut être faite si on admet, conformément à l'usage
généralement adopté, que tous les développements en séries de fonc-
tions sphériques peuvent s'effectuer en fonctions sphériques d'ordres
entiers.
En résumé, on voit que cette méthode dépend des mêmes principes
que la méthode exposée par MM. Thomson et Tait dans leur savant
Traité de Philosophie naturelle ; mais on doit la considérer comme plus
simple, en ce qu'elle évite l'emploi de calculs à effectuer sur des fonctions
dont le degré d'homogénéité n'est jamais parfaitement défini.
La proposition qui résulte de ce travail peut être généralisée d'une
manière très simple. Il suffit, pour cela, d'observer que des équations :
u
Q,
{l) {v=a,-
w
A-\- IJ.
2(X -1- 2,u)
^ "h [^
2(X -1- 2p.)
X -|- fX
2(X + 2,.)
dp dq^ dp dq^ dp dq^
dq^ dx dq^ dx dq^ dx_
' dp dqi dp dq^ dp dq,^
_dq^ dy dq^ dy "•" dq^ dy
dp dpi dp dp 2, dp dg^
jlq^ dz dq^ dz dq^ dz ^
on conclut, pour un système quelconque, orthogonal ou non, de coor-
données curvilignes, les formules :
"2(X + 2;..)
dp
dq^
dp _ 2(X -{- 2;ji)
dq,
dp
dq.
i^) il^ =
X + fx Idq^
dx
X -|- [J"- idq
dx ,
("i
2(X + 2;.)
dx ,
X + [/. \dq.
, , dii ,^ , dz
N , f^V ,. X dz
10
Si, en effet, après avoir conservé à qi, q^, q^^) hi, h^, h, leur signi-
E. FOiNTAJNEAU. SUR LA DÉFORMATION DES COHl'S ISOTROPES 207
fication générale, on désigne par n^, n^, n.^ les normales respectives aux
trois surfaces q et que l'on pose pour simplifier :
dx ' di/ dz
(3)
|(a.-„) + |(a.-„;-%„ = A.
è(û,-«, + :^(Q,-«)-^» = A.
dx
dz
dz
on aura par les équations (1)
dp
dp
h\ -— -\- hji^ cos (rii, n^) \- hJi^co& (n^, n^) — -
dp 2(X+2[x)
dq,
dp.,
dp .dp
(4) { h.JiiCOs{n^,ni)- \-ht- \-h^hs cos {n^,n^)
dqi - dq^
dp
dq^ X -|- [A
dq^ X + [j.
Al,
A21
dp , ^^dp 2(X+2^)
h.Jii cos (n^, n^)- \-h^h.,cos{n^, n^)- [- A^ -7—=:
dq^
dq^ ^dqs a -\- [/.
Désignant ensuite par D le déterminant de ces équations et ayant égard
aux égalités :
dx , , , , . dx , , , , , dx dq^
^'^ ^ + ^^''^ '^' ^^- ''^^ ^ + ''^^'^ '^' ^^'^' ^^^ ^ =^ rf^ '
,^,, / , , , . dx . j2 dx , ^ , , . dx dq^
(3) { KK cos («„ „.) 5^ + A, _ + h,K cos („„„.)_ = _,
, (/a; , , , , . dx , ^^ dx dq^
h A cos K, n,) - + M. cos K, ^,) _ + /,3 _ = —,
et à celles qu'on en déduit en y substituant à x, successivement y et z.
on obtient :
,^ , dp ^ 2(X + 2t.) j_
^^ ^ d^i X + a 'D
Al hji^ cos (Wi, n^ hji^ cos (n^, Wg)
A., hl h^ha cos (n^, Wg)
A3 /«g/îj cos (ng, n^) ^^3
d'oîi il résulte immédiatement par les propriétés connues des détermi-
nants la première des formules (2) ; les autres se démontreraient de la
même manière.
D'après cela, il suffirait, pour déterminer les expressions générales de
u, V, w, de connaître leurs quotients différentiels par rapport à q^, </g sur
la surface ç^ = 0, car on pourrait alors faire disparaître des deux der-
nières équations (2) les termes tout connus et résoudre les trois équations
résultantes par la méthode employée.
208 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
M. E. EITTEU
Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, en retraite, à Pau.
LA TRIGONOMETRIE DE FRANÇOIS VIETE
— Séance du 20 septembre 1892 —
L'invention de l'algèbre moderne n'est pas le seul titre de François
Viète à la reconnaissance de la postérité : il en a acquis un autre par ses
travaux sur la trigonométrie ; cependant les services qu'il a rendus sous ce
rapport au monde savant sont peu connus, quoique l'illustre astronome
Delambre, qui fait autorité en pareille matière, lui ait consacré un chapitre
important dans son Histowe de V Astronomie : « De tous les auteurs,
dit-il, qui ont écrit sur la trigonométrie, Viète est, sans contredit, celui
qui a montré le plus de génie, qui a fait les choses les plus difficiles et, en
même temps, les plus utiles... Peu de personnes et nous-même avons
longtemps ignoré les services éminents qu'il a rendus à la trigonométrie.
Nous pouvons donc réclamer pour "Viète le système complet de trigono-
métrie que suivent encore aujourd'hui les astronomes. »
Un rapide exposé de quelques-uns des perfectionnements qu'il a ap-
portés à la trigonométrie feront connaître une partie des services rendus
à la science par le grand géomètre.
Le premier, il a affranchi la trigonométrie de ses énoncés prolixes en
présentant sous forme de tableaux, véritables formules, les relations
entre les éléments connus et inconnus d'un triangle plan ou sphérique.
C'est lui qui a le plus contribué par ses formules, à propager l'usage des
tangentes et des sécantes, imaginées par Rheticus et dont l'invention a
été attribuée à tort pour les premières, à Rheinhold, en ISol ; pour les
secondes, à Maurolycus en iooS.
François Viète a, le premier, construit une table commode donnant en
regard les unes des autres la valeur des six lignes trigonométriques, de
minute en minute, pour un rayon égal à 100.000.
La construction de la table des sinus en était encore, sauf quelques
perfectionnements par les Arabes, aux procédés de Ptolémée pour la cons-
truction de sa table des Cordes.
F. RITTER. LA TRIGONOMÉTRIE DE FRANÇOIS VIÈTE 209
François Yiète ramena la recherche du sinus fondamental de une minute
à celle de la longueur de la circonférence par la méthode des bissections
successives donnée par Archimède.
Il établit d'abord que si P et P' sont les périmètres de deux polygones
réguliers inscrits d'un nombre de côtés égal à î\, si A est l'angle inscrit
dans le cercle dont le diamètre D = 2R correspondant au côté du poly-
gone, on a : ^
P
- /\V' coséc \\ . I> _ /Wœïg
En prenant pour point de départ le triangle équilatéral dans lequel
1
cos A = -, il calcule pour chacun des polygones obtenus par les bissec-
tions successives, par des formules, qui n'exigent qu'une seule division,
une seule extraction de racine carrée, de simples additions et soustractions,
les valeurs de coséc ^A et de cotang ^A pal- excès et par défaut.
Après dix-sept opérations il arrive aux polygones de 393.316 côtés et
il obtient pour la circonférence du cercle ayant un rayon égal à 100.000 :
314 lo9 '^'■'■> 36
Cette valeur est donnée avec cinq décimales qu'il écrit en caractères
plus petits et qu'il souligne, ou, en d'autres parties de son livre, qu'il
sépare par un petit trait vertical, premier exemple de la numération des
fractions décimales attribuée à d'autres venus après lui et qui lui appar-
tient en propre.
Pour la valeur du sinus de une minute, il s'arrête au polygone de
6.144 côtés et il obtient ainsi :
sin 1' = 29 0^3 819 :i9
avec sept décimales.
Pour la construction de ses tables, il emploie des formules expéditives
parmi lesquelles je citerai :
sin (60° + A) = sin A + sin (60° — A)
tang (45° -\- -\ =i 2 tang A -f tang (4o° — Ç\
séc A = I tang ^45° + ^) + ^ tang (^45° - fj
210 MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE, GÉODÉSIE ET MÉCANIQUE
Pour la résolution des triangles, je citerai encore :
1
''S sin A -j- sin B
r~ ir ~ sin A — sin B
tang^(A-B)
Le Canon mathématique avec le Livre des inspections, comprenant : le
premier, la table des lignes trigonométriques avec quelques tables acces-
soires; le second, les formules pour la résolution des triangles plans
et sphériques avec un grand nombre de résultats numériques calculés tous
avec plusieurs décimales, fut publié en 1579.
Pendant l'impression de son livre qui avait duré huit ans, François
Viète avait jeté les bases de l'Algèbre nouvelle et en 1589, il avait cons-
truit l'édifice tout entier et il avait ainsi trouvé le moyen de résoudre les
équations générales du premier degré à plusieurs inconnues. Appliquant
sa méthode à la seule formule de trigonométrie sphérique relative au
triangle sphérique quelconque donnée par Albategni cà la fin du ix'^ siècle,
qui permet de trouver les angles A, B, C, lorsque l'on connaît les côtés
a, 6, c :
cos a = cos b . ces c^ -|- si"^ ^ • ^^^ ^^ • ^^^ ^
il trouva la formule qui donne les côtés, en fonction des angles :
cos A + cos B . cos D = sin B . sin D . cos A
et toutes les autres fonnules de la trigonométrie sphérique qui permettent
de résoudre un triangle quelconque sans être obligé de le décomposer
en deux triangles rectangles.
Par la comparaison des nouvelles formules ainsi obtenues, il fut conduit
à découvrir les propriétés du triangle sphérique polaire ou supplémen-
taire qu'il désigne sous le nom de triangle réciproque et à en faire usage
lorsqu'il y a avantage à y recourir. Cette invention lui a été contestée
par Delambre qui a été induit en erreur par une faute d'impression
dans les figures du texte, erreur dans laquelle il ne serait pas tombé
s'il s'était reporté au calcul qui se trouve au bas de la page.
A la Trigonométrie de François Viète se rattache son traité des Sections
angulaires. C'est un recueil de formules qui donnent sin nx et cos nx
en fonction de sin x et de cos x, et tang nx en fonction de tang x.
Les coefficients, dans ces formules, sont facilement déterminés par des
additions successives des nombres figurés de diff'érents ordres. Il en est
F. UITTER. — LA TRIGONOMÉTRIE DE FRANÇOIS VIÈTE 211
de même dans la formule qui donne la corde C de l'arc simple en
fonction de la corde C,^ de l'arc multiple nA :
„ n _., n(n — 3) ,_,. mn — 4)(n — 5j _g
^ "~ ï ^ + 1.2 ^ TO ^ + = ^-^
que nous traduisons avec nos signes modernes. François Viète a fait
plusieurs applications de ses formules, entre autres celle pour trouver
la somme des cordes des arcs croissant en progression arithmétique,
partant de l'extrémité d'un diamètre en fonction de la première et de
la dernière de ces cordes.
Nous avons dit, dans l'exposé de l'Algèbre de François Viète, qu'il avait
donné le moyen de résoudre numériquement les équations et de trouver
la racine positive de ces équations avec un degré quelconque d'approxi-
mation exprimé en fractions décimales. La corde de l'arc du cinquième
et la corde du tiers d'un arc sont données par les formules :
corde ^a — 5 corde ^a -f- S corde a = corde Sa
3 corde a — corde ^a =z corde 3a
Il cherche, au moyen de ces relations, le sinus fondamental de une
minute. Par la division du rayon en moyenne et extrême raison, il trouve
la corde de l'arc de 36°, et par une quintusection au moyen de la pre-
mière des équations ci-dessus, la corde de l'arc 7" 12' = 2 sin 3" 36'; au
moyen de la trisection de la corde de l'arc de (30" égale au rayon, il
obtient la corde de 20°. et par une nouvelle trisection, la corde de 6° A(f
égale à 2 sin 3° 20'. Au moyen de ces sinus, il calcule cos 3° 36' et
cos 3° 20', et il trouve le sinus de leur différence ou sin 16'; enfin, par
des bissections successives, il arrive au sinus de une minute.
Je m'arrête ici dans ce rapide exposé, omettant un grand nombre de
faits intéressants ; mais il suffit pour montrer que si François Viète a été
l'inventeur de l'algèbre moderne, il a été également le réformateur de la
trigonométrie ancienne.
212
GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
M. BEEIIS
Ingénieur des Ponts et Chaussf'es, à Mont-dê-Marsan.
RACCORDEMENT PARABOLIQUE ENTRE DEUX ARCS DE CERCLE CONTIGUS
DE MÊME SENS
— Séance du 20 septembre i892 —
I
On connaît la parabole du 3« degré étudiée par Nordling (Ann. P. et
Ch., 1867) pour le raccordement d'un alignement droit et d'une courbe
circulaire de chemin de fer.
L'équation de cette parabole, qui s'étend
moitié sur l'alignement, moitié sur la
courbe, est :
y
6P
1
FlG. 1.
la courbure — en chaque point étant sensi-
K
blement proportionnelle au développement
.11
de Tare, ou pratiquement à l'abscisse — =: -x.
Noi'dling a remarqué que de B en A la parabole s'écarte autant de l'arc
de cercle déplacé, que de 0 en F elle s'écarte de sa base OFX (ftg. /j.
Il
Je conclus de cette remarque qu'en négligeant l'inclinaison toujours
faible des éléments de l'arc de cercle, et par suite la convergence des
rayons, l'équation de la portion BC de la parabole, les abscisses étant
prises le long du cercle déplacé BA, de B en A, et les ordonnées étant
comptées normalement à l'arc, c'est-à-dire dans le plan vertical des profils
en travers, n'est autre que
y =
X''
BEHNIS. — RACCOUDEMEM PARABOLIQUE ExNTRE DEUX ARCS DE CERCLE 213
L'erreur relative, nulle pour l'ordonnée maxima AC, atteint au
maximum 1 0/0; c'est dire qu'elle est
en valeur absolue négligeable.
De là un procédé très simple de cal-
culer le déplacement latéral dans la ré-
gion AB.
On peut remarquer qu'en vertu de la
généralité de la démonstration faite par
Nordling, l'équation y
6P
,./B
représente
FiG. 2.
également l'équation de la parabole de
raccordement par rapport à l'arc de cercle au delà du 'point de tangence
dans la région BD (fig. 2).
III
Nordling a traité également le problème du raccordement parabolique
doublement osculateur de deux courbes circulaires de même sens, mais
la solution qu'il en donne est très com-
pliquée.
Voici la solution pratique très simple
qui résulte des observations ci-dessus :
Soient deux arcs de cercle de rayon R
et R' (R' < R) tangents en F'(fig. 3). Les
arcs déplacés viendraient en AB, A'B'.
Pour les raccorder par une parabole
osculatrice, je considère tout simplement
l'arc de la parabole ci-dessus, compris
entre les points où les rayons sont R
et R'.
En vertu de l'observation précitée et
sous les réserves précédemment indi-
quées, l'équation de cette parabole par rapport aux deux cercles n'est
autre que
Fig. 3.
Dans le cas où R devient infini, on retombe, comme on devait s'y
attendre, dans la parabole générale.
214 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
M. BEEÎTIS
Ingénieur des Ponts et Chaussées, à Mont-de-Marsan.
SUR LES FONDATIONS A AIR COMPRIMÉ AVEC CHAMBRE EN MAÇONNERIE
SUR ROUET
— Séance du 20 septembre 1892 —
I
Dans les Annales des Ponts et Chaussées (1883), M. Séjourné a rendu
compte du système de fondations à air comprimé avec chambre en maçon-
nerie sur rouet, qu'il a appliqué à l'important viaduc de Marmande
(ligne de Marmande à Mont-de-Marsan.)
Il a fait ressortir ses avantages : économie de fer, bourrage plus parfait
sous le plafond, partant massif inférieur plus homogène, enfin prix de
revient par mètre cube notablement moins élevé, et il a conclu en expri-
mant très catégoriquement sa préférence pour ce système sur le système
ordinaire avec chambre de travail en métal.
Il
J'ai fait exécuter sept fondations de ce type pour les grands ponts à la
traversée de l'Adour, sur la ligne de Condom à Riscle, et il m'a paru que
les conclusions de M. Séjourné étaient sans doute trop générales et que
son assertion sur le prix de revient définitif demandait, par suite d'une
équivoque, à être rectifiée.
Dans le système en question :
1*" Le montage d'une chambre est une opération compliquée exigeant
la présence successive des riveurs, charpentiers, calfateurs et maçons; elle
demande un mois (au lieu de quinze jours) ; puis il faut laisser les maçon-
neries un mois au séchage, d'où gêne possible dans certaines conditions,
notamment au voisinage d'une rivière torrentielle;
2" La descente sur vérins exige un matériel plus puissant et est beau-
coup plus scabreuse;
3° Le peu de hauteur du couteau est une gêne sérieuse pour l'enlève-
ment des obstacles;
A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 215
4° Le périmètre étant plus fort, la descente est plus difficile; d'autre
part, le vide de la chambre de travail relevant le centre de gravité, la
descente est moins régulière; enfin la forme elliptique du massif pro-
voque des girations, autour d'un axe vertical, très
gênantes pour l'implantation (observées à Riscle);
5° Le système ne se prête pas aux descentes brus-
ques, parfois inévitables;
6° Le massif inférieur est sur une grande hauteur
hétérogène et la répartition des pressions sur une
section horizontale s'y fait d'une façon inconnue ;
7° Enfin, si le prix de revient par mètre cube est
en effet de 10 francs environ moins élevé, il n'est
pas la mesure de l'économie du système, en raison
du cube parasite résultant pour la fondation de la forme elliptique de
plus petite section entourant la base du fût, forme motivée par la néces-
sité de résister aux poussées latérales du terrain.
En ramenant la section des fondations de Riscle à la section des cais-
sons du type ordinaire employés à Saint-Sever pour la traversée de la
même rivière l'Adour, sur la ligne de Mont-de-Marsan à Saint-Sever, le
prix de revient par mètre cube utile se relève de o4 fr. 74 c. à 63 fr. 91 c.
L'économie apparente peut donc n'être qu'une illusion.
M. le Colonel A. LATJSSELAT
Directeur du Conservatoire des Arts et Métiers, à Paris.
HISTORIQUE DS L'APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS
— Séance du 2/ septembre 1892 —
Mes chers collègues,
Je vous demande pardon de vous avoir dérangés de vos travaux pour
venir voir ici la lanterne magique, mais le sujet que j'ai demandé de
traiter devant vos trois Sections réunies, quoiqu'il soit déjà bien ancien,
n'est peut-être pas, en France, aussi populaire qu'il le mérite.
J'ai donc pensé qu'il pourrait être à propos, alors qu'il nous revient de
216 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
l'étranger des symptômes multipliés de l'importance qu'on lui accorde,
d'appeler l'attention des géomètres, des ingénieurs civils et militaires,
des géographes et des voyageurs scientifiques, sur une méthode appelée
à leur rendre les plus grands services, qui en a rendu déjà à quelques-uns
d'entre eux, mais qu'il est devenu indispensable de vulgariser, dans un
intérêt à la fois scientifique, pratique et patriotique.
J'aurais pu inviter aussi la Section de Géologie, car vous avez vu hier,
pendant la brillante conférence de M. Trutat, quel parti ont déjà su tirer
de la photographie nos savants et intrépides explorateurs des Pyrénées.
Je vous montrerai, dans quelques instants, que d'autres ont fait de même
dans les Alpes, et je pourrais ajouter dans tous les pays pittoresques,
dans toutes les parties du monde ; le terrain est donc bien préparé de ce
côté.
Les topographes se montrent également, en général, fort bien disposés
presque partout ; seuls, nos topographes officiels, qui ont à leur disposition
de bonnes vieilles méthodes (i), sont demeurés réfractaires jusqu'à pré-
sent ; mais le mouvement qui se dessine et s'accentue chaque jour ne '
tardera pas à prendre des proportions qui finiront par triompher de
toutes les résistances et par les entrahier comme les autres.
Il y a, toutefois, lieu de craindre pour eux que, faute de s'y être pris à
temps pour le diriger, ils en soient réduits à voir des gens, mal préparés
à ce rôle, chercher à les remplacer et compromettre un succès qui eût
été assuré entre leurs mains.
Quant aux ingénieurs, il y a longtemps qu'ils ont recours à l.a photo-
graphie, mais seulement pour dresser, en quelque sorte, les procès-
verbaux de l'état d'avancement de leurs travaux, pour mettre en évidence
les moyens de construction, les engins qu'ils emploient, pour conserver
le souvenir de leurs chantiers, et quelquefois aussi, malheureusement,
pour représenter les accidents qui ont compromis l'existence de leurs tra-
vaux, ou même les résultats de quelque grande catastrophe.
Je devrais citer, dans le môme ordre d'idées, les architectes, les météo-
rologistes et même les hygiénistes que j'aurais dû également convier,
car les uns ont à relever, dans certains cas, nombreux aux États-Unis
où ce service fonctionne merveilleusement, les désastres produits par les
tornados, et les autres auraient un grand intérêt à provoquer la construc-
tion des cartes hypsométriques des grandes villes et des grandes agglo-
mérations, pour y étudier les questions de drainage et d'assainissement.
Puisque j'en trouve l'occasion, je dirai, à ce propos, que, dès 1851,
l'année de la première Exposition universelle, pendant un voyage de deux
ou trois mois en Angleterre, je fus très frappé de trouver, dans plusieurs
(1) Très précieuses et qui vont sans cesse en se perfectionnant, mais qui ne doivent pas en
empêcher d'autres de leur succéder en partie, ou, pour mieux dire, de les aider, de les compléter.
A. L.VUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 217
des villes que je visitais, des plans recouverts de courbes de niveau entre les
mains de médecins et de pharmaciens, membres des Conseils d'hygiène,
qui les avaient fait exécuter, souvent à leurs frais, et les appréciaient
fort. Il y a déjà bien longtemps de cela, et je ne sache pas que cet exemple
ait été beaucoup suivi chez nous.
Par contre, j'ai le plaisir de voir aujourd'hui, au nombre de mes
auditeurs, un délégué du ministre de la Marine, et j'en suis doublement
heureux, d'abord parce que la méthode dont j'ai à vous entretenir est née
à la mer, sur un bâtiment français, bien avant l'invention de la photo-
graphie, et ensuite parce que ce dernier art s'est plié, depuis un certain
temps, aux conditions si difficiles dans lesquelles se trouvent habituelle-
ment les marins et les ingénieurs hydrographes pour lever et construire
leurs plans et leurs cartes, ce qui pourra singuhèrement simplifier leur
besogne (1).
. Avant de vous montrer les documents que j'ai préparés, voulez- vous
me permettre une digression, qui sera aussi une entrée en matières.
En 1846 — veuillez bien retenir cette date, — j'avais été chargé d'étudier
la frontière des Pyrénées occidentales et le projet d'une forteresse des-
tinée à surveiller la nouvelle route de Bayonne à Pampelune. Les recon-
naissances que je fis sur toute la frontière, dans le département des
Basses-Pyrénées et dans une partie du département des Hautes-Pyrénées,
me donnèrent l'occasion de faire des croquis de paysage qui me furent
très utiles pour me rappeler ce que j'avais vu, quand j'eus à rendre
compte de ma mission.
Quant au lever de la position militaire de Cambo, par les méthodes
régulières les plus expéditives que je connusse, il ne me prit pas moins
de deux campagnes, pour l.oOO hectares au plus, si bien que l'avant-
projet d'une double tète de pont sur la Nive, présenté en septembre 1848
arriva trop tard, les événements de cette époque ayant attiré l'attention
ailleurs. On jugeait, en effet, que le danger immédiat n'était pas du côté
des Pyrénées et, au lieu de nous protéger nous-mêmes sur un point qui
était et qui est resté l'un des plus faibles de nos frontières, on tourna les
yeux du côté des Alpes, avec la généreuse pensée d'aller, au besoin, au
secours de l'Italie. J'ignore si la question a été remise à l'étude, mais je
souhaite vivement qu'elle ne soit pas négligée, car, je le répète, aucune
frontière n'est plus mauvaise que celle de nos Pyrénées occidentales.
Il faut bien croire que mes travaux topographiques avaient été appré-
(1) Je n'ai pas voulu faire allusion à l'application, si simple d'ailleurs, dans des circonstances
favorables, de la photographie au cadastre. Je n'aurais pu que faire observer, à propos d'une com-
munication écrite, lue le matin même à la Section de Géographie (et déjà parue dans le numéro de
la Reviie scientijlque du 20 août 1892), que son auteur avait omis de dire qu'il avait emprunté à des
publications faites depuis longtemps le principe delà méthode dont il veut faire usage, en essayant,
au contraire, de donner le change par l'introduction de raffinements graphiques matériels sans portée
sérieuse et plus gênants qu'utiles.
218 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
ciés, puisque, indépendamment des lettres d'éloges qu'ils m'avaient valu
de la part du ministre, je fus appelé à Paris et attaché, au Comité des
fortifications, au Service des cartes et plans. Eh bien, je n'hésite pas à
dire qu'aujourd'hui le lever de la position de Cambo, qui devrait être
beaucoup plus étendu qu'à l'époque dont je parle, pourrait être exécuté
avec une exactitude très suffisante en beaucoup moins de temps, et que
l'économie porterait principalement sur celui qu'il y aurait à passer sur
le terrain.
J'ajoute que mes reconnaissances sur la frontière eussent été infiniment
plus complètes, plus instructives et plus exactes que celles qu'il m'était
permis de faire, en parcourant le pays plus lentement que ne le font
aujourd'hui les touristes les moins pressés (i).
Je n'aurais peut-être pas autant insisté sur ce sujet, si nous n'étions
pas précisément dans les Pyrénées, où je me suis avisé, dans ma jeunesse,
de songer à chercher des méthodes topographiques plus rapides que
celles qui étaient en usage et qui sont encore les mêmes aujourd'hui, à
quelques modifications près dans la construction des appareils.
Le but à atteindre se trouvant suffisamment défini, si je ne me trompe,
examinons par quelle voie on y est parvenu.
J'ai, dans ma bibliothèque d'astronomie, un vieux poème latin de
Manilius, qui renferme quelques excellents aphorismes, au nombre des-
quels se trouve le suivant, que Montaigne n'a pas dédaigné de lui em-
prunter, et que j'ai pris moi-même pour épigraphe dans deux circonstances
oîi j'avais besoin de le recommander aux autres :
Per varias usus artem experientia fecit,
Exemplo monsirante viam.
Je n'ai jamais manqué, pour ma part, de rendre justice aux inventeurs
qui m'ont précédé, mais je trouve tout à fait naturel de souhaiter que
ceux qui sont venus après moi en fassent autant. Or, il me serait par
trop facile de prouver que plusieurs d'entre eux se sont dispensés de ce
soin, mais passons.
C'est à l'illustre hydrographe français Beautemps-Beaupré qu'appartient
l'idée féconde d'utiliser les vues pittoresques pour lever les plans. Cette
invention date exactement d'un siècle, car elle fut faite pendant la cam-
pagne de d'Entrecasteaux à la recherche de La Pérouse, de 1791 à 1794.
Il est bon de rappeler qu'avant Beautemps-Beaupré, les ingénieurs
hydrographes employaient déjà des vues de côtes, mais uniquement pour
se diriger dans les passes et entrer dans les ports.
(1) Peu de jours après la date de cette conférence, je recevais une brochure de M. le comte de
Saint-Saud, intitulée: Conlribulion à la carie des Pyrénées espagnoles, dans laquelle j'ai vu avec
plaisir que l'auteur avait commencé à se servir de ses photographies pour évaluer des angles. Je suis
bien stir qu'il continuera et ira plus loin.
A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AL LEVER DES PLANS 219
L'invention du cercle à réflexion de Borda, qui permettait de mesurer
successivement un grand nombre d'angles sans revenir au zéro de la
graduation, comme il fallait faire auparavant avec le sextant, fît penser
à Beautemps-Beaupré que ces vues de côtes, prises partout où cela serait
nécessaire, pourraient servir de registres d'angles, et le succès de la
méthode absolument nouvelle fondée sur cette simple remarque ne se fit
pas attendre.
L'ouvrage que le savant ingénieur publia en 1808, et qui fut réédité
en 18H, était sans doute connu des hydrographes et des marins de tous
les pays, mais il resta à peu près ignoré, pendant quarante ans, de^
topographes et des voyageurs scientifiques, et je ne crois pas m'aven-
turer en disant que, même dans la marine, il y avait bien peu d'opéra-
teurs qui voulussent s'astreindre à dessiner des vues de côtes pour y
marquer les mesures angulaires assez multipliées que comportait le pro-
cédé de Beautemps-Beaupré, qui lavait pourtant pratiqué lui-même et
enseigné pendant un demi-siècle.
Quoi qu'il en soit, en 184(), à propos d'un voyage effectué en Abyssinie
par deux officiers d'état-major, MM. Galinier et Ferret, Beautemps-Beaupré,
alors membre de l'Académie des Sciences, se plaignit, d'une manière
générale, de ce que les itinéraires relevés par les voyageurs n'étaient
pas accompagnés de vues développées sous forme de panoramas, qui
préviendraient, disait-il avec grande raison, les erreurs si fréquentes occa-
sionnées par l'ignorance des guides, et qui pourraient être consultés utile-
ment dans tous les temps.
Arago, chargé du rapport sur les travaux d'exploration de MM. Galinier
et Ferret, mentionna cette recommandation expresse, et l'on pourrait
dire prophétique, de son confrère. Ce rapport fut publié sous forme de
notice dans V Annuaire du Bureau des longitudes pour 1846.
Vous vous souvenez que c'était précisément à cette date que j'exécu-
tais mes reconnaissances dans les Pyrénées, et vous ne serez pas surpris
que la lecture de la notice d' Arago m'ait beaucoup frappé.
Je commençai par me procurer le traité de Beautemps-Beaupré, et je
reconnus aussitôt le parti que l'on pouvait tirer de la méthode qui s'y
trouvait exposée en quelques lignes, mais de façon à ne laisser aucun
doute sur son efficacité. Je ne saurais mieux faire que de vous lire le
passage de cet ouvrage, qui en contient pour ainsi dire toute la philo-
sophie :
« Après avoir adopté, dit Beautemps-Beaupré, le cercle à réflexion
pour mesurer les distances angulaires des points remarquables des côtes,
et avoir reconnu la possibihté d'observer, au même instant, un très grand
nombre d'angles, je jugeai qu'il fallait encore chercher le moyen le plus
sûr et le plus facile de désigner les positions auxquelles appartenaient ces
220 GÉiNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
angles, soit qu'ils fussent pris d'une station à la mer ou d'une station à
terre.
» L'emploi des lettres de l'alphabet et des chiffres pour désigner les
objets qui n'avaient point encore de noms conduisait, il est vrai, au but
qu'il fallait s'efforcer d'atteindre ; mais, en se bornant à ce moyen, l'on
s'exposait à commettre des erreurs d'autant plus graves qu'il n'y avait
pas à espérer de vérification,
» Je crois avoir trouvé la manière (Véviter ces erreurs en faisant, a chaque
STATION, UNE VUE DE COTE OÙ uon Seulement on indique par des lettres
ou des chiffres les objets les plus remarquables, mais où l'on écrit les
mesures des angles observés, ainsi que les gisements des pointes relevées
les unes par les autres, l'estime des distances, etc.
» Cette manière d'opérer, que j'ai constamment suivie, m'a procuré
l'avantage d'avoir toujours sous les yeux, en construisant mes cartes, les
objets tels qu'ils s'étaient présentés lors des relèvements, et bien souvent
elle a servi à me faire reconnaître des erreurs qui s'étaient glissées dans
les observations (1) ».
L'ouvrage de Beautemps-Beaupré contient un grand nombre de planches
dont je me contenterai de vous montrer quelques spécimens pour les vues
développées en panoramas, sur lesquelles sont inscrits les angles mesurés,
mais je lui emprunterai aussi la carte de l'archipel de Santa-Cruz, levée
en quelques jours, en mai 1793, comparée, sur la même feuille, par l'au-
teur, avec celle qu'avait dressée le capitaine anglais Carteret, en 1768,
au moyen des relèvements à la boussole. On ne saurait, en effet, donner
une démonstration plus frappante de la supériorité de la nouvelle méthode
et des propriétés admirables des vues pittoresques, qui sont des témoins
irrécusables en même temps que des guides faciles à consulter.
Je n'avais guère besoin, pour ma part, d'être convaincu, et je parvien-
drais difficilement à exprimer la satisfaction que j'éprouvai en voyant
réalisée une idée qui m'avait traversé l'esprit, mais à laquelle je n'avais
pas encore donné toute l'attention nécessaire.
J'essayai aussitôt de l'appliquer en esquissant des croquis sur lesquels
j'inscrivais des angles mesurés ou évalués par un procédé analogue à
celui qu'emploient les artistes pour la mise en place des objets qu'ils ont
devant les yeux, et je me souviens d'avoir, en 1848, pris des vues, fort
médiocrement dessinées d'ailleurs, ici même, dans cette riante vallée
d'Ossau que nous devons parcourir la semaine prochaine.
Découragé, tout d'abord, par mon insuffisance artistique, je cherchai à
y suppléer en recourant à un instrument que j'avais heureusement eu
déjà entre les mains, la chambre claire de Wollaston. Un officier supé-
(1) Méthode pour la levée et la construction des caries et des plans hydrographiques. Imprimerie
impériale, 1808 et 18H.
A. LAUSSEDAT. APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS S'a!
rieur du génie, le commandant, depuis colonel Leblanc, pratiquait, à
cette éDoque, la méthode de Beautemps-Beaupré, qu'il enseigna môme à
l'École polytechnique, en 1848 ; mais il éprouvait les mêmes difficultés
que moi, et quand je lui montrai, en 1849 et I80O, les résultats que
j'obtenais avec la chambre claire, il m'encouragea beaucoup à les pour-
suivre, s'apercevant bien qu'il y avait là un puissant élément de succès
et de progrès.
Permettez-moi de vous dire qu'en elTet l'introduction d'un instrument
de dessin susceptible de précision transformait, tout d'un coup, la
méthode de Beautemps-Beaupré, en la rendant à la fois plus complète,
plus sûre et plus rigoureuse, et en dispensant l'opérateur de mesurer les
angles, en plus ou moins grand nombre.
Laissez-moi ajouter que la méthode 'photographique se trouvait vir-
tuellement créée, car il n'y a, au fond, aucune différence entre deux
perspectives prises, l'une avec la chambre claire et l'autre avec une
chambre obscure, dans des conditions géométriques identiques. La première
est nécessairement moins détaillée, moins complète, mais tout ce qu'on y
a figuré se retrouve à la même place sur l'autre. Les mesures que l'on
peut prendre sur chacune d'elles sont les mêmes, pour peu que le dessi-
nateur qui a employé la chambre claire ait opéré avec soin.
Je dois m'arrêter sur ce mot de mesures, car la nouveauté du procédé
que j'ai proposé le premier, comparé à celui de Beautemps-Beaupré, con-
siste précisément en ce qu'il n'y a plus d'angles à lire, à inscrire et plus
tard à rapporter sur les plans. Les angles ne se mesurent donc pas, à
proprement parler ; on les trace immédiatement, comme je le montrerai
tout à l'heure, et les constructions graphiques se trouvent ainsi à l'abri
de toutes les erreurs de lecture et de transcription.
Je devais présenter cette observation capitale, dès à présent, sauf à
fournir la preuve de ce que j'avance, en vous montrant les résultats
auxquels je suis parvenu depuis I80O, c'est-à-dire dès que j'eus apporté
à la construction et à la disposition de la chambre claire de Wollaston
les perfectionnements nécessaires pour la transformer en un instrument
de précision.
Les documents que j'ai réunis pour faciliter ma tâche, et qui vont être
projetés par M. Molteni (1), ont été classés, aussi méthodiquement que
possible, dans cinq catégories.
Tout d'abord, puisqu'il s'agissait de l'historique d'un art qui vient
après tant d'autres, auxquels il a recours, je devais commencer par rap-
peler les définitions relatives k celui qui vient en tête, je veux dire à la
perspective conique ou centrale, en me servant de figures élémentaires,
(I) Les dessins et les épreuves projetés par M . Molteni étaient au nombre de 90; nous ne pourrons
donner ici qu"un choix très limité des figures les plus essentielles à l'intelligence du texte.
GENIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
puis VOUS montrer les premiers appareils employés depuis le xvi^ siècle
l)Our mettre en perspective des personnages, des objets usuels, des monu-
ments et même des paysages ; viennent ensuite des exemples de construc-
tion, des perspectives de monuments à l'aide de plans et d'élévations,
d'après les règles déjà anciennes du trait perspectif; et voici aussitôt,
FiG. \. — Chambre claire de WoUaston perfectionnée.
inversement, le moyen de restituer, suivant les mêmes règles, des plans
d'édifices d'après leurs perspectives. Cet ensemble forme, en quelque
sorte, un chapitre préliminaire indispensable pour ceux qui ont besoin
d'être initiés, et je ne crois pas avoir abusé de leur patience en remettant
ces figures et ces dessins sous les yeux de ceux de mes auditeurs qui les
connaissaient déjà.
La seconde série de projections comprend les spécimens des travaux
A. LAUSSEDAT. APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 223
de Beaulemps-Beaupré et de quelques-uns de ses successeurs, c'est-à-dire
des vues de côtes dessinées à main levée et portant l'indication des angles
mesurés avec le cercle à réflexion (ou, si l'on opère à terre, avec le théo-
dolite) et, de plus, la carte de l'archipel de Santa-Cruz dressée, en 1793,
par Beaulemps-Beaupré, rapprochée de celle du même archipel dressée,
en 1768, par le navigateur anglais Carteret, compagnon de Wallis.
Vous vous souvenez de ce que j'ai déjà conclu de cette comparaison en
faveur de la méthode de Beau temps-Beaupré, et vous voyez que j'avais
raison (1).
Dans la troisième série, après la chambre claire de Wollaston perfec-
tionnée (fig. 1} (un petit niveau supprimé sur cette figure suffit pour lui
FiG. 2. — Perspective d'un édifice dessinée à la chambre claire.
Principe général de riconométrie.
donner le caractère et les propriétés d'un instrument de précision), je
vais mettre sous vos yeux quelques résultats fondamentaux sur lesquels
je ne saurais trop appeler votre attention.
Sur le tableau vertical de la figure 2, qui représente une vue du quar-
tier Panthemont, rue de Bellechasse, vous reconnaissez la ligne d'ho-
rizon LH et le point principal P de la perspective, le point de vue étant
en 0. La chambre claire qui se compose d'un prisme, dont deux des
faces produisent l'effet de miroirs à réflexion totale, ramène la vue sur
un tableau horizontal oîi il est aisé de la dessiner. La ligne d'horizon LH
(1) Nous regrettons beaucoup de ne pas pouvoir reproduire quelques vues de côtes et les deux
cartes de l'archipel de Santa-Cruz ; on les trouverait, au besoin, dans l'ouvrage de Beaulemps-
Beaupré.
224 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
et le point principal s'y déterminent rapidement, ainsi que la distance OP
du point de vue au tableau, et l'on a alors tous les élémenl.s géométriques
nécessaires pour obtenir, sur le dessin, les angles des rayons visuels réduits
à l'horizon et les hauteurs apparentes de chacun des points de la perspec-
tive. Pour tracer (et non mesurer) les premiers, il suffit de rabattre le
point de vue 0 en 0,., de projeter les différents points que l'on veut
considérer sur la ligne d'horizon, et de joindre ces projections au
point 0,,.
La figure 3 est une réduction redressée, à l'échelle de 1/iO du dessin
exécuté avec la chambre claire dis-
posée au-dessus de la planchette, avec
une dislance du point de vue au ta-
bleau OP de 30 centimètres, distance
ordinaire de la vue distincte. En com-
parant les angles réduits à l'horizon
fi'O^b', rt'0,.c', etc., tracés, comme
ou vient de l'expliquer, avec ceux que
l'on mesurait directement au moyen
d'un cercle divisé et d'une alidade (on
s'est servi pour cela d'un excellent
instrument de la brigade topogra-
phiquej, les différences à peine sen-
sibles ont été de l'ordre des erreurs
de lecture. 11 en a été de même des
hauteurs apparentes.
Cette expérience était déjà très concluante, mais celle qui a été faite
en combinant deux perspectives, et qui est représentée sur la figure 4,
l'est encore davantage.
On y reconnaît aisément le plan de l'un des côtés du fort deVincennes
comprenant le donjon, construit au moyen de deux vues toujours des-
sinées à la chambre claire. La distance AB des deux points de vue ou
la base ayant été mesurée avec soin, les deux vues aa (1) et bb ont été
orientées très simplement et très sûrement au moyen des angles que la
direction de la base faisait alternativement avec celle d'un point remar-
quable du paysage, par exemple du paratonnerre du donjon (et ces deux
angles ont été eux-mêmes évalués, tracés à l'aide de la chambre claire).
D'un troisième point de vue C, on a pris également une vue ce dont la
ligne d'horizon seule est tracée sur la figure, et l'on a pu ainsi se pro-
curer des moyens de vérification. Mais cette épreuve a été superflue, car,
après avoir déterminé un grand nombre de points du plan par les inter-
(1) La vue aa est relevée en a'a' sur lu figure pour éviter la confusion qui résulterait de l'entre-
croisement des deux images.
p-,g_ 3. _ Redressement de la figure 2.
A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 225
sections des rayons visuels projetés horizonlalement et correspondant
aux deux vues aa et bb, on a posé sur le dessin un calque du plan du
fort de Vincenues pris à la direction des fortifications et exécuté à la
;>-^
3
•a
c
o
e
o
a
c
a
3
a
bl,
même échelle par les méthodes dites rigoureuses, et l'on a constaté la
coïncidence exacte des points du calque et du dessin.
Ce dernier était donc tout aussi rigoureux que l'autre, et le problème
de la restitution des plans topographiques par des perspectives était défini-
tivement résolu. Cette expérience a été répétée avec le même succès, en
1850, sur l'un des fronts du mont Valérien (voir le Mémorial de l'officier
13*
226 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
du génie, n° 16, année 18o4) et, en 1831, en présence du rapporteur scien-
tifique du Comité des fortifications, M. le capitaine A\x génie Laurent,
sur l'un des fronts du fort de Bicêtre.
Je demande à tous les gens de bonne foi si j'ai le droit de croire que
ces résultats ouvraient une ère nouvelle à l'art des reconnaissances et
même à la topographie régulière, et j'invite ceux qui continueraient à
prétendre que la méthode généralement employée aujourd'hui en métro-
photographie n'a pas été inaugurée en France à apporter des preuves
aussi nettes que celles que je donne ici et qui sont puisées dans des
recueils imprimés dont les dates sont faciles à vérifier : Mémorial fn" 16j
de l'officier du génie, 1854 ; Comptes rendus de VAcadém^ie des Sciences,
1860; Magasin pittoresque, année 1861.
Tout ce que nous avons vu jusqu'à présent se rapporte à la planimé-
Irie, et j'ajoute, avant d'aller plus loin, que la méthode s'applique éga-
lement bien aux levers à grande ou à petite échelle.
Mais je ne m'en suis pas tenu là, et j'ai voulu voir si le nivellement
par courbes horizontales ne pourrait pas être effectué aussi facilement.
L'expérience a été faite, dès 18d1, en Angleterre, aux environs d'une
grande ville, et elle a pleinement réussi, comme on peut s'en rendre
compte sur le plan nivelé déduit des trois perspectives que je vous montre.
Je ne saurais trop insister, encore à ce propos, sur ce que les vues
géométriquement exactes sont des documents irrécusables qui permettent
de faire les vérifications que l'on désire en tout temps. Il y a quarante
ans passés que ces documents ont été recueillis ; eh bien, sauf les dégra-
dations des falaises par l'action des vagues et les nouveaux travaux d'art
qui ont pu être exécutés sur le terrain, il est certain que les vues, qui
sont la représentation fidèle de ce qui existait alors, ne s'éloignent guère
de ce qui existe encore aujourd'hui (1).
Beautemps-Beaupré n'avait pas eu à s'occuper du nivellement, et les
résultats que vous venez de voir sont les premiers de ce genre qui aient
été obtenus ; il doit donc encore m'être permis de dire qu'après avoir
donné la solution complète de la restitution des plans topographiques,
j'ai indiqué aussi le moyen le plus simple d'effectuer le nivellement à
l'aide des vues pittoresques, et je l'ai appliqué aussitôt, joignant l'exemple
au précepte, ce que négligent trop souvent ceux qui proposent des nou-
veautés, avant de s'être bien assurés qu'elles peuvent passer dans la pra-
tique et faire faire un véritable progrès à l'art qu'ils ont en vue.
Je ne quitterai pas la chambre claire avant d'avoir mis sous vos yeux
des spécimens de dessins agrandis qu'elle permet d'exécuter facilement
(1) Les difTérences que l'on constaterait pourraient, d'un autre coté, servir à en contrôler la date:
par exemple, la disparition de certains édifices, ]"état d'avancement de grands travaux publics ; et ce
cas se présente justement sur les vues dont il s'agit.
A. T.AUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 227
quand on l'associe à une lunette terrestre d'un grossissement convenable.
Voici d'abord l'appareil (fig. 5) et voici le sommet du donjon de Vin-
cennes dessiné en I80O (fig. 6), de l'une des stations d'où ont été prises
les vues de la figure 4, la station B, En comparant les deux figures, on
aura une idée des avantages que procure l'agrandissement de certains
détails, dont les dimensions réelles étant souvent connues peuvent servir
d'échelles ou de stadias pour évaluer les distances.
Nous avons fait un très grand usage de ce procédé pendant le siège de
Paris par les Allemands, et il nous a permis de relever avec beaucoup de
Fig.
Emploi combiné de la chambre claire et de la lunette terrestre.
précision les travaux d'attaque de l'ennemi, au fur et à mesure qu'il les
exécutait.
J'avais omis, comme dans d'autres cas, de donner un nom à cet appa-
reil, lorsqu'en 1868, il fut réinventé par une autre personne qui l'appela
Téléiconographe. Ce mot ne me plaisait pas plus que le procédé de Fau-
teur, et mon droit étant parfaitement établi par deux publications très
antérieures, le Mémorial de l'officier du génie de 18o4 et le Magasin pit-
toresque de 1861 (1) d'oîi est extraite la figure 6, je l'ai baptisé à mon
(1) Je saisis cette occasion pour remercier MM. Jouvet et C'°, éditeurs du Magasin pittoresque, d'avoir
bien voulu me prêter les clich^'S des figures 1, 2, i, 4 et 6 ; MM. Masson, éditeurs, et G. Tissandier,
directeur de lu Nature, de m'avoir prêté celui de la figure 5* et MM. Gauthier-Villars et fils, ceux des
ligures 7 et 8.
228 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
tour et il s'appelle plus justement et plus euphoniquement à la fois Télé-
métrographe.
Les vues dessinées au télémétrographe, par champs de lunette succes-
sifs, qui vont être projetées actuellement, proviennent de la collection de
celles qui ont été exécutées pendant le siège ; vous pouvez en constater le
très grand intérêt.
Vous savez, sans doute, qu'aujourd'hui la Tcléphotographie, d'abord
appliquée à l'étude des astres qu'elle continue à rendre si attrayante et si
fructueuse, a commencé à rendre des services analogurs à ceux qui sont
Fio. 6. — Donjon de Vincennes agrandi au moyen du tulémdtrographe.
dus au télémétrographe ; plusieurs officiers, entre autres MM. les com-
mandants Fribourg et Allotte de La Fiiye, en France, M. Paul Nadar aussi,
ont obtenu déjà de très remarquables résultats qui en font présager de
plus importants encore (1).
J'arrive à la quatrième série des projections qui se rapportent toutes à
la métrophotographie.
Avant de projeter les vues photographiées et les plans qu'elles ont
(1) Une merveilleuse épreuve du mont Blanc vu de Genève (70 kilomètres), obtenue par M. Bois-
sonaz. avec un téléobjectif de M. Dallmeyer, a éié récemment montrée et offerte par M. Janssen à la
Société française de photographie. M. Boissonaz a bien voulu, à ma demande, en offrir un exem-
plaire la galerie de photographie du Conservatoire des Arts et Métiers où elle est exposée depuis
quelques jours (Janvier i^po).
A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 229
servi à construire par la méthode si simple que vous connaissez bien à
présent, je voudrais pouvoir vous montrer la première chambre obscure
très modeste, acquise sur les crédits du Comité des fortifications en 1832,
que j'avais munie de moyens de calage, d'un niveau et d'une petite bous-
sole et qui a servi de transition entre la chambre claire et les appareils
actuels beaucoup plus perfectionnés ; mais j'ignore ce qu'elle est devenue,
m'en étant séparé en I806. Tout ce que j'en puis dire, c'est qu'elle nous
a servi, à mon camarade, le capitaine Karth, depuis colonel, et à moi, à
faire de très utiles essais de restitution de plans, d'après des vues d'un
FiG. 7. — Chambre obscure photographique.
champ à la vérité fort restreint. Il fallait faire mieux, en profitant des
perfectionnements apportés à la construction des appareils, et surtout des
objectifs, et aux procédés photographiques. C'est ce à quoi je me suis
appliqué pendant plusieurs années.
Je franchis la période des tâtonnements pour arriver à la date de 1858,
où je pus entreprendre, chez l'excellent artiste Brunner, l'exécution du
projet de ce que j'appelais une chambre obscure photographique et que
les étrangers, venus beaucoup plus tard, ont appelé le théodolite photo-
graphique. Chambre obscure ou théodolite, je vous montre ce premier
modèle (fi g. 7).
Je ne crois pas avoir besoin de faire la nomenclature des organes géo-
230 GÉME CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
désiques, très reconnaissables sur la figure, ni d'indiquer la série des
opérations à faire pour la mise en station de celte chambre solide, de forme
invaîiable et à foyer constant. L'analogie de l'appareil avec un théodolite
m'en dispense. Je ne décrirai pas davantage les précautions prises pour
que la ligne d'horizon et le point principal pussent être immédiatement
tracés sur les épreuves, ni enfin le moyen très direct (retrouvé depuis
par d'autres) employé pour déterminer la distance focale. Je vous rappelle
que ce sont là les trois éléments essentiels qui m'ont servi, quand je
faisais usage des vues dessinées à la chambre claire et qu'il fallait simple-
ment retrouver sur les images photographiées, pour opérer de même. Le
Mémorial (n° 17) de l'officier du génie, qui parut tardivement, en 1864
(dix ans après le n° 16), contient d'ailleurs tous les détails que l'on pour-
rait désirer pour se rendre compte de ce qu'était cet appareil et du degré
de précision qu'il comportait. Les premiers résultats obtenus furent sou-
mis à l'Académie des Sciences en 1859, et le rapport de MM. Daussy et
Laugier fut des plus favorables et des plus concluants. (Comptes rendus
des séances de l'Académie des Sciences, 1860, t. L.)
Je vous montre actuellement un petit plan du village de Bue, près
Versailles, exécuté avec huit vues sur coUodion humide prises, en deux
ou trois heures, en mai 1861, devant les officiers de la division du génie
de la garde impériale. La réduction de ce plan à l'échelle de 1/2000 me
demanda deux jours et parut convaincre tout le monde, à cette époque,
de la simplicité et de l'efficacité de la méthode.
La métrophotographie ou, comme nous nous contentions de l'appeler,
l'application de la photographie au lever des plans, allait entrer dès lors
dans sa phase la plus active, je pourrais dire la plus brillante, dans le
corps du génie.
Après de nouvelles expériences faites par les officiers de la division de
la garde et dans les écoles régimentaires, peut-être même à l'École d'ap-
plication de Metz, le Comité des fortifications' chargeait, en 1863, M. le
capitaine Javary de poursuivre ces expériences sous son patronage et
sous ma direction.
Je vais faire défiler devant vous quelques spécimens des épreuves
prises par cet officier distingué dans les conditions de précision que vous
connaissez et rattachés à des triangulations ou à des cheminements, et, à
leur suite, les plans que ces épreuves ont servi à construire, presque tous,
l'échelle de 1/3000 et certaines reconnaissances à l'échelle de 10.000.
autour de Paris, dans les Alpes du Dauphiné et de la Savoie, aux envi-
rons de Toulon, en Alsace et dans les Vosges, enfin pendant le siège de
Paris. Certains auteurs étrangers sont portés à croire que nous nous van-
tons quand nous réclamons la priorité d'une invention dont l'utilité
s'affirme partout aujourd'hui. Je ne puis que répéter ce que j'ai dit plus
A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 231
haut : que l'on nous apporte des travaux comme ceux que nous sommes
en état de montrer, avec leurs dates authentiques, comme le plan de
Bue, comme celui de Grenoble qui a été présenté en 1864 à l'Académie des
Sciences, comme celui de Faverges qui a figuré, pendant des mois, à
l'Exposition universelle de 1867, où il a été vu et étudié par tout le
monde, comme celui de Sainte-Marie-aux-^Mines, levé avant la guerre
nécessairement, et qui a été publié dans le Mémorial de l'officier du génie,
etc., et nous reconnaîtrons le droit de ceux qui les produiront. Mais
nous sommes, dès à présent, autorisés cà penser que cette démonstration
ne sera pas faite, car on ne la trouve nulle part dans les nombreuses
publications allemandes, anglaises, américaines, autrichiennes et italiennes
qui nous sont parvenues sur l'art nouveau dont il s'agit (1). La vérité,
qu'il faut bien reconnaître, en ce qui nous concerne, c'est que le Service
du génie, en dépit des expériences poursuivies avec un plein succès pen-
dant huit ans, de 1863 à 1871, par le capitaine Javary, s'est désintéressé,
sans qu'on en ait connu le motif, de cette méthode, fort maladroite-
ment, et précisément au moment où les Allemands, et un peu plus tard
les Italiens, s'en emparaient.
Alors, assez naturellement du reste, ceux qui s'avisaient de l'adopter,
tout en reconnaissant, pour la plupart, que nous étions pour quelque
chose, et même pour beaucoup, dans l'invention, ont conclu de cet abandon
de la méthode que nous n'avions pas su en tirer tout le parti dont elle
était susceptible. D'autres, mal renseignés ou moins scrupuleux, nous ont
tout simplement mis de côté et sont allés chercher des noms de savants
et d'inventeurs qui n'ont jamais essayé de résoudre le problème ou qui en
ont donné, après nous, des solutions inadmissibles dont ceux-là mêmes
qui les mettaient en avant se sont bien gardés de faire usage .
Aussi, quand deux de nos compatriotes, M. Gustave Le Bon et M. le
commandant Legros, ont publié des articles ou des ouvrages dans lesquels
ils nous rendaient justice, cela a surpris les uns et gêné les autres. Les
explications sont donc devenues nécessaires de ma part et je les ai don-
nées; je viens de les reproduire devant vous, et nous en sommes là. Mais
si j'ai énergiquement maintenu notre droit, je n'ai pas voulu non plus
méconnaître les efforts faits dans les autres pays et le mérite de ceux à
qui ils sont dus. J'ai donc cherché à me procurer les nombreuses publi-
cations faites à l'étranger (2), dans le but de rendre à chacun ce qui lui
(1) Cetartai'lé désigné sous un si grand nombre d'appellations «lue l'on n'a que 1 embarras du
choix : Photogrammelric, Bildinesskunst, photofjrapltische Messkuiist, Messhiid- Verfahren, en Allemagne
et en Autriche ; fololopografîa, en Italie. Nous nous sommes encore décid(iS à le baptiser nous-mème
et nous avons adopté le nom d'iconométrie, en général, et de métrophotorjmphie. quand les images sont
photographiées.
(2) J'ai été aidé, dans cette recherche, avec un rare dévouement, par M. le commandant Legros,
à qui j'adresse ici mes vifs remerciements. Le prince Roland Bonaparte m'a signalé, de son coté, un
traité publié au Canada sous le litre suivant : Photographie surveying, etc. By E. Deville, survejor
232 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
appartient, en même temps que de contribuer de nouveau, chez nous,
en les signalant à l'attention publique, à la propagande qui se fait partout,
en ce moment, en faveur de la photogi^aphie appliquée à l'art de lever les
plans.
Je vais faire projeter la série des appareils construits depuis 1865 jus-
qu'en 1892 en Allemagne, en Autriche et en Italie, et qui sont désignés
sous les noms de théodolites photographiques ou de photothéodolites.
Je les montre dans l'ordre où ils paraissent avoir été imaginés et réalisés.
Voici, en Allemagne, ceux de MM. Meydenbauer, Vogel, Jordan, Koppe;
en Autriche, ceux de M. Werner et de l'ingénieur en chef des chemins
de fer de l'État, M. Pollack.
Enfin, en Italie, celui de M, Paganini Pio, ingénieur géographe de
l'Institut géographique italien .
Je n'ai pas pu me procurer encore de spécimens un peu importants
des cartes ou des plans obtenus par les Allemands, soit chez eux, soit à
la suite de voyages d'exploration, comme ceux qu'ont exécutés M. Jordan
qui accompagnait Rohlf, en Lybie, en 1873-1874, M. Stolze, en Perse,
en 1878, etc. Voici, toutefois, des photographies prises dans le Harz et
quelques planches tirées de l'ouvrage de M. Koppe, publié en 1889, à
Weimar, et qui démontrent que notre méthode est employée chez nos
voisins exactement dans tous ses détails, en y ajoutant même un appareil
scientifique dont elle peut se dispenser. Voici maintenant un fragment
très intéressant de la carte des Alpes entreprise, depuis bientôt quinze
ans, sous la direction du général Ferrero, par M. Paganini Pio. Ce frag-
ment représente le massif le plus élevé des Alpes italiennes (// gran Para-
diso, dans les Alpes graïes), dont la cime atteint 4.061 mètres d'alti-
tude. La carte est exécutée à l'échelle de 1/50.000, avec des courbes de
niveau équidistantes de 50 mètres. Je vous montre, d'un autre côté, des
vues photographiées d'une netteté remarquable qui ont servi à la cons-
truction de cette carte, et je ne saurais trop applaudir à de tels résultats,
qui font beaucoup d'honneur au directeur de l'Institut géographique
italien, en même temps qu'à l'habile ingénieur qui les a obtenus.
Je ne peux pas vous montrer de spécimens des travaux de M. l'ingé-
nieur en chef Pollack ; mais il y a, au Champ de Mars, en ce moment
même, à l'Exposition universelle de photographie, des vues et des cartes
très intéressantes qui représentent encore des régions alpestres dans
gênerai of Canada, Ottawa, 1889, que j'ai fait récemment venir d'Amérique. M. Deville, dans sa pré-
face, présente un historique très exact du sujet et reconnaît expressément que j'ai été le premier à
donner, dans le Mémorial de l'officier du génie, un exposé complet de la méthode. « His work, dit-il
en parlant de mon mémoire, was sa complète Ihal liltle lias been added ta il siiice. » M. E. Deville vient
de m'envoyer quatorze feuilles d'uneadmirable carte à l'échelle de 1/40.000 de la région des Montagnes
Rocheuses traversée par le chemin de fer Pacifique-Canadien. Cette carte, sur laquelle le relief du
terrain, qui atteint 3. SOO mètres, est figuré par des sections horizontales de lOO p. en lOO p. (30°",5),
est entièrement construite à l'aide de photographies. (Janvier 1893). Avis aux sceptiques
A. LAUSSEDAT. APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 233
lesquelles tout autre procédé que celui du lever photographique présente-
rait des difïïcultés insurmontables et entraînerait de grandes pertes de
temps, sans permettre jamais d'atteindre à autant d'exactitude (l).
Les comphments que j'adresse ici à nos émules étrangers et auxquels,
j'en suis sûr, vous vous associerez, ne doivent pas vous faire oublier ce
que nous avons fait nous-mêmes, et, en particulier, les travaux de mon
excellent collaborateur M. le capitaine (aujourd'hui commandant) Javary,
qui, en huit ans, n'a pas levé moins de 72.000 hectares de terrain, la
plus grande partie à l'échelle de I/o. 000, avec des courbes de niveau à
l'équidistance de 5 mètres.
En ce qui concerne les instruments, si vous vous souvenez du premier
modèle de chambre obscure photographique qui a servi aux expériences
commencées en 1859 (fig. 7), et si vous pouviez le rapprocher, par la
pensée, de tous ceux qui sont venus après lui et que je vous ai montrés
en nommant leurs auteurs, vous reconnaîtriez la parfaite analogie qui
existe entre eux, au point de vue du choix et de la disposition générale
des organes qui accompagnent la chambre obscure. Assurément, il y a
des détails de construction fort différents, qui tiennent autant aux habi-
tudes des artistes qu'à la manière de voir des auteurs, mais il s'agit tou-
jours de photographies donnant des perspectives coniques sur tableaux
plans, et l'on n'y trouve ni perspectives projetées sur des surfaces sphé-
riques ou cylindriques, ni perspectives rayonnantes produisant des ana-
morphoses, comme celles qui ont été proposées par divers inventeurs et
que la pratique a toujours fait rejeter.
Vous avez sans doute remarqué plus particulièrement deux photothéodo-
lites dont l'axe optique de l'objectif peut être incliné au-desssus ou
au-dessous de l'horizon, celui de M. Koppe et celui de M. Paganini Pio.
Le premier est construit entièrement comme un instrument géodésique
universel, dans lequel la lunette centrale est remplacée par une chambre
obscure, et M. Koppe applique, en effet, les méthodes géodésiques les
plus élevées à toutes les mesures qu'il effectue avec les organes puissants
de son appareil et même celles qu'il prend sur ses photographies. Nous
n'avons eu et n'aurons jamais cette ambition de tout réunir dans le
même appareil, et nous considérons celui de M. Koppe comme trop délicat
pour devoir être recommandé.
Le second, celui de M. Paganini Pio, est de la même famille, quoique
d'une construction dilîérente. Tous les deux peuvent donner des photo-
graphies sur des tableaux inclinés à l'horizon, qui doivent être traités à
part, quand on en vient à construire les plans.
(1) Dans son remarquable ouvrage, M. E. Deville, en annonçant que la photographie était employée
au Canada, comme en Italie, à la construction de la carte des contrées accidentées, ajoutait mélanco-
liquement : « Jn France, where it originated, it lias been complelely abandoned, al leat ost£nsibily . »
234 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
Je ne veux vous signaler que cette particularité, qui n'existe pas dans
les autres photo théodolites, mais qui se présente, avec tous les appareils
que l'on peut avoir besoin exceptionnellement d'incliner. Tel est le cas,
par exemple, quand on fait de la photographie en ballon, et deux de nos
jeunes compatriotes, M. Arthur Batut d'abord, à la Bruguière (Tarn), et
M. Wenk, à Reims, l'ont rencontré, quand ils se sont avisés, très spiri-
tuellement, d'accrocher une chambre obscure à un cerf- volant, au moyen
duquel ils ont obtenu de très curieuses photographies à vol d'oiseau. J'ai
donné, pour la transformation de ces vues sur tableaux plans inclinés,
une solution purement géométrique, facile à appliquer et qui peut beau-
FiG. 8. — Pholothéodolite.
coup aider à faire concourir de telles vues h des reconnaissances rapides,
notamment en campagne.
Je vais vous montrer quelques belles photographies prises en ballon, et
d'autres à l'aide du cerf-volant, en commençant par celle qui a été obtenue
la première, en 1858, par Nadar, dont beaucoup d'autres, et son fils
Paul en particulier, ont perpétué la tradition en France. Je suis bien
obligé de vous faire remarquer que ce sont des Français qui, encore dans
ces de-ux cas, ont été les initiateurs.
Pour en finir avec les instruments, je mets sous vos yeux le dernier
modèle que j'ai fait construire et qui ne diffère pas essentiellement du
premier, mais dans lequel cependant j'ai mis à profit l'expérience de
A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 235
M. Javary, les grands perfectionnements apportés à la construction des
objectifs et les avantages qu'offre l'emploi de l'aluminium (fiy. 8).
Vous pouvez remarquer que les organes géodésiques de cet appareil
sont exactement les mêmes que ceux du premier que je vous ai montré
par projection (fîg. 7) et qui date de trente-cinq ans.
Au lieu de donner un mouvement de bascule à la chambre obscure, ce
qui conduit à avoir des perspectives sur tableaux inclinés, vous voyez
que j'ai adopté la glissière verticale qui permet d'élever ou d'abaisser
l'axe optique de l'objectif, et de découvrir, dans un sens ou dans l'autre, le
terrain qui n'était pas compris dans le champ normal. Ce dispositif, très
répandu aujourd'hui, en particulier pour le cas où l'on est obligé de se
rapprocher d'un édifice, a été employé depuis longtemps par M. Javary.
C'est aussi cet officier qui m'a donné l'idée de séparer, au besoin, la
chambre obscure des organes géodésiques pour faire servir ces derniers
à la triangulation préalable, sans emporter un poids mort inutile.
Enfin, l'emploi de l'aluminium, en allégeant l'appareil, m'a permis de
supprimer le contrepoids que j'avais été obligé de placer sur le côté opposé
de la chambre, et que vous avez remarqué sans doute aussi sur le très
bel instrument de M. Pollack. J'ai pu me contenter, en effet, pour équi-
librer le système, d'un déclinatoire analogue à ceux qui font partie du
tachéomètre, et l'on en peut faire le même usage.
Enfin, et ce point vaut la peine d'être expliqué, certains étrangers nous
ont reproché d'avoir employé des objectifs d'un champ trop limité, et ont
été jusqu'à se faire un mérite d'avoir adopté ceux qui en donnaient
un plus considérable. J'ai déjà répondu ailleurs à cette mauvaise chicane,
en faisant remarquer que, si nous n'avions pas employé tout d'abord des
objectifs grands angulaires, c'était tout simplement parce qu'ils n'étaient
pas inventés. Loin de nous pouvoir faire un reproche de cet inconvé-
nient, on aurait dû réfléchir que c'était la meilleure preuve de l'anté-
riorité de nos travaux.
Quant aux si grands avantages que l'on prétend trouver à l'accrois-
sement indéfini du champ de l'objectif, il faut beaucoup en rabattre
dans la pratique, et il me serait facile, si nous en avions le temps, de
vous montrer que les champs de 90° et de 120° sont inadmissibles et
gênants. C'est aussi l'un des motifs, et non le seul, qui ont fait échouer
les appareils panoramiques. Il va sans dire que nous nous sommes
toujours tenus au courant des progrès de la construction des objectifs,
et M. Javary a employé, au fur et à mesure de leur apparition, les
meilleurs que l'on connaissait. Seulement, nous n'avons jamais voulu
dépasser l'amplitude de 45° pour la facilité de nos constructions.
Je ne crois pas avoir besoin d'insister sur les détails d'exécution de cet
appareil facilement démontable et décomposable qui, sans présenter les
236 GÉNIE CIVIL ET MILITAIRE, NAVIGATION
inconvénients du soufflet, peut se réduire à un assez petit volume. J'ai
dit, un peu plus haut, qu'une part du mérite des appareils nouveaux
désignés sous le nom général de photothéodolites revenait aux construc-
teurs Braun, Reineike, Stegemann, etc., de Berhn ; Salmoiraghi, de
Milan ; Lechner, R.-A, Goldmann, de Vienne, etc.
Je me fais un devoir, de mon côté, après avoir rappelé que le premier
modèle dont j'ai fait le projet a été exécuté par l'habile artiste Brunner, de
reconnaître que celui que vous voyez, et qui joint l'élégance à la soli-
dité, a été construit à Paris, chez MM. Ducretet et Lejeune, dont la col-
laboration m'a été très précieuse.
Tel qu'il est, notre photothéodolite peut être mis entre les mains de
presque tous les opérateurs, mais nous chercherons encore à réaliser un
modèle un peu moins volumineux et moins coûteux pour les explorateurs
qui ne peuvent pas trop alléger leur bagage (1). Je ne saurais résister à la
tentation d'exprimer le regret qu'un grand nombre de voyageurs scienti-
fiques négligent de se munir, comme l'a fait si ingénieusement M. Le Bon,
de quelques accessoires essentiels pour mettre leurs appareils en station,
de manière à se procurer, sur leurs épreuves, indépendamment de la dis-
tance focale de l'appareil, déterminée une fois pour toutes, le tracé de la
ligne d'horizon et celui du point principal, enfin l'orientation de chacune
de ces épreuves relativement aux lignes de cheminement que tous ceux
qui prétendent à la qualification de géographes ne manquent pas de
relever pour tracer leur itinéraire (2).
Je m'arrête, sans avoir la prétention d'avoir entièrement atteint mon
but et développé ma thèse, mais avec l'espoir de vous avoir ébranlés
et peut-être convaincus.
Je terminerai par la cinquième série de projections que je vous ai
annoncées et qui vous dédommageront de l'aridité de la plus grande partie
de cette conférence. Cette série s'adresse plus particulièrement aux ingé-
nieurs et aux géologues, et elle fait suite, pour ainsi dire, à celles que
M. Trutat vous a si bien expliquées hier, en vous parlant des Pyrénées.
Voici d'abord un certain nombre de vues prises dans toutes les parties
des Alpes, françaises, suisses, italiennes et autrichiennes, de 18o8 à 1868,
par M. A. Civiale, qui est à la fois un ingénieur, un géologue et un géo-
graphe, et dont l'œuvre considérable exécutée à ses frais et dans des condi-
tions beaucoup moins favorables qu'aujourd'hui, est remarquable à tous
(1) Nos habiles et courageux explorateurs du continent africain sont les meilleurs guides à suivre
dans le choix du format a adopter. M. Marcel IVlonnier, de la mission Binger, qui a rapporté des
centaines de vues saillantes, s'est servi de plaques 9-13 qui ont été amplifiées sans aucune é-formalion
et sur lesquelles on opérerait alors presque aussi rigoureusement que sur des originaux de plus grand
format.
(2) Le nombre des photographies rapportées, depuis quelques années, par les explorateurs, est
pour ainsi dire incalculable; ne voit-on pas combien il serait précieux, pour la cartographie, de
donner à ces documents le caractère de registre d'angles que Beautemps-Beaupré avait si bien
pressenti ?
A. LAUSSEDAT. — APPLICATION DE LA PHOTOGRAPHIE AU LEVER DES PLANS 237
les titres. Vous pouvez voir que les photographies qu'il obtenait sur papier
ciré sec ne le cèdent en rien aux plus belles de celles qu'obtiennent
actuellement les Italiens ou de celles que vous a montrées M. Trutat.
Voici maintenant les magnifiques photographies exécutées en Amérique
sous la direction du major Powell, dans les Montagnes Rocheuses, dans
le Colorado, dans le Yellow-Stone, et qui sont destinées à accompagner la
carte topographique et géologique des États-Unis. J'ai pris la liberté, en
passant à Washington, en 1886, de recommander au major Powell, qui
est l'un des hommes les plus dévoués à la science que je connaisse, de
donner aux photographies, qu'il continue à faire exécuter, le sacrement
qui les transformerait si facilement en éléments de mesure.
D ne me reste plus, mes chers collègues, qu'à m'excuser de la longueur
de cette communication et à vous remercier de votre patiente et bienveil-
lante attention (1).
Depuis que cette conférence a été publiée dans la Revue scientifique, j'ai reçu, par
Tentremise de mon collègue, M. É. Levasseur, une notice extraite du Questionnaire du
premier Congrès géographique italien dont l'auteur est l'ingénieur Paganini Pio. Après
avoir rendu compte des travaux de photographie entrepris en Italie et des siens en parti-
culier, enfin du jugement porté sur eux par les étrangers, M. Paganini Pio se plaint de
ce que les Français semblent les ignorer, le commandant Laussedat excepté. Mais si mes
éloges le touchent sans l'étonner, il n'en est pas de même de mes prétentions à la prio-
rité et il met en doute ce que j'ai dit dans le Paris-Photographe de son compatriote
Porro, qui aurait connu mes travaux avant de songer à appliquer la photographie au
lever des plans.
J'ai une réponse bien simple à faire à cette suspicion de ma bonne foi. Porro était à
Paris en 1854, quand mon mémoire très détaillé sur la méthode générale de la transfor-
mation des perspectives a été publié. Je pourrais ajouter que je le voyais fréquemment
et que j'ai eu l'occasion de lui rendre un sei'vice signalé ; mais M. Paganini Pio n'est pas
obligé de croire cette dernière affirmation et je ne dois invoquer que la date irrécusable
de 1854. Or, c'est à celle de 1855 seulement que les panégyristes de Porro font remonter
(1) Je recevais, tout récemment, d'un commissionnaire en librairie de Francfort, un nouvel
ouvrage sur la photogrammétrie la) de ^f. Franz SchifTner, professeur à l'École royale de niar.ne
de Pola, intitulé: Die photographische Messkuiist, et édité en 1S02 à Halle, très documenté et très
intéressant, malgré quelques vieilles redites empruntées à des brochures sans consistance (dont
quelques-unes avaient même le caractère de réclame) et quelques inadvertances qui disparaitront
sans doute dans une nouvelle édition.
Dans une sorte de posl-scriptum, l'auteur, après avoir considéré l'apparition des livres que
.M. Le Bon et le commandant Legros ont publiés dans ces derniers temps, comme une sorte de
renaissance de la métropholographie en France, dit qu'il ressortirait de ce qu'ils exposent, à
propos de l'iovenlion de cet art, qu'elle n'appartiendrait pas à M. Meydenbauer, comme on est
disposé à le croire en Allemagne (à quelques importantes exceptions près, aurait-il pu ajouter),
mais à .M. Laussedat. Il rappelle aussi que j'ai établi moi-même mon droit ae priorité dans le
Paris-Photo gniplie de P. Nadar, et il termine en disant qu'il appartient à M. .Meydenbauer de s'ex-
pliquer à son tour.
Ou je me trompe fort, ou l'habile directeur-fondateur de l'Institut photogrammétrique de Berlin,
dont le mérite, indépendant de la qualité de découvreur, ne parait contesté par personne, ne
cherchera pas à me contredire, pour peu qu'il prenne la peine de consulter les publications
imprimées que j'ai citées et que l'on doit trouver à Berlin. (Xote postérieure à la conférence.)
l'ai II e\iste déjà luute une bibliographie consacrée au uuuvtl art : en allemand, en anglais, en français et en
itaben. j
238 PHYSIQUE
ses premières études sur une chambre obscure sphérique dont ils ne se sont pas avisés de
se servir, préférant recourir à la chambre obscure topographique dont j'ai donné le pre-
mier modèle et aux photographies sur tableaux plans, comme l'ont fait tous ceux qui ont
entrepris des opérations sérieuses, M. Paganini Pio comme les autres. L'habile ingénieur
a terminé sa notice en rappelant qu'il a appartenu à la marine royale et que, pendant
deux ans (1874-1875), il a été chargé, à bord du pyroscaphe Tripoli, des vues et descrip-
tions de côtes, phares et sémaphores, destinées à la construction des cartes marines et des
portulans. Il part de là, en se récriant sur la difficulté de bien dessiner les vues, pour
conseiller d'utiliser la photographie qui fournira des vues exactes et servira à résoudre
les problèmes qui intéressent l'hydrographie.
Il me semblait impossible, en lisant ce passage, que M. Paganini Pio ne connût pas
l'ouvrage de Beauteraps-Beaupré et qu'il pût hésiter à admettre les titres de notre pays à
l'invention fondamentale, même alors qu'il fit des difficultés en ce qui me concerne. Je me
disposais donc simplement à lui faire connaître les essais de l'amiral ]\Iiot, en 1863, pour
appliquer la photographie à la reconnaissance des côtes, en le renvoyant au fac-similé de
la vue photographiée de l'une des Bei-mudes que j'ai publié dans le compte rendu de ma
conférence du 28 février dernier (1).
Mais ma surprise a été grande, en découvrant, dans un article du même auteur, intitulé
la Fototopografia in Italia, inséré dans la Bivista maritima de juin 1889 (Roma, Tipo-
grafia del Senato), le passage suivant qui fait rêver :
(Il vient de citer après moi beaucoup d'autres personnes qui se sont plus ou moins
occupées de la question.)
« Beautetnps-Beaupré ed altri aumentarono la pléiade di distinti Francesi che irat-
tarono di fototopografia. »
En vérité, il faut tirer l'échelle, car si l'intention est bonne, et l'on n'en saurait douter,
que doit-on pensar de l'érudition de l'ingénieur hydrographe et photo topographe qui
écrit ainsi l'histoire?
M. Pierre LE SAGE
Docteur es sciences. Préparateur à la Faculté des Sciences de Rennes.
ÉVAPORATION COMPARÉE DES SOLUTIONS DE NaCl, DE KCl ET DE L'EAU PURE
— Séance du il septembre 1892. —
Depuis quelque temps, j'étudie l'influence, sur les plantes, de certains
sels dont je cherche à connaître autant que possible les diverses propriétés.
C'est ainsi que j'ai été amené à me demander comment se conduisent,
au point de vue de l'évaporation, les solutions de KCl et de NaCl que
j'emploie en arrosages ou dans les liqueurs qui servent de substratum
(i) Annales du Comei-vatoire des Arts el Métiers (2°'^ série, tome IV. Paris, Gauthier-Villars et fils,
1892J.
p. LESAGE. — ÉVAPORATIOX DES èOLUTIONS DE NaCl ET KCl 239
aux végétaux que je cultive. J'ai dû faire plusieurs expériences où je met-
tais à évaporer, dans les mêmes conditions, de l'eau pure et des solutions
des deux sels, prises à la même concentration, le plus souvent à 2,o 0/0.
Des différences très appréciables se faisant attendre, j'ai eu recours à des
solutions plus concentrées de KaCl, l'une à 10 0/0, l'autre à 20 0/0,
dont j'ai suivi l'évaporation parallèlement à celle de l'eau pure dans des
cristallisoirs de mêmes dimensions. Je n'ai pas tardé à observer des diffé-
rences notables. J'ai donc suivi attentivement les expériences déjà instal-
lées ainsi que d'autres destinées à vérifier les premières. Je désire présenter
les résultats généraux qui découlent de ces nombreuses expériences.
Pour cela, étudions les deux séries d'expériences qui rendent le mieux
ces résultats.
La première comprend trois cristallisoirs de 7o millimètres de diamètre,
3o millimètres de hauteur, bien calibrés et contenant au début 110 cen-
timètres cubes d'eau pure, de solution à 10 0/0 ou à 20 0/0 de NaCl.
Ces cristallisoirs ont été placés les uns à côté des autres, dans une salle
fermée où je ne pénétrais que pour faire les observations, vers 6 heures
du soir ; les conditions de température et d'humidité de l'air restaient les
mêmes pour les trois termes de comparaison. J'ai mesuré, tous les deux
jours, les hauteurs des liquides au moyen d'une bande de papier divisée
en demi-millimètres et collée au préalable verticalement sur chaque cris-
tallisoir ; je pouvais ainsi apprécier des différences à un quart de milli-
mètre près. Je dois dire, à ce sujet, que les observations répétées, nom-
breuses, suppléent suffisamment aux légères erreurs de chacune dans la
suite d'un phénomène qui ne se produit que lentement et dont, en
somme, je ne désire posséder que l'allure générale. En retranchant de la
hauteur primitive la hauteur observée, j'avais la hauteur d'eau évaporée
depuis le commencement de l'expérience jusqu'au jour de l'observation ;
les nombres ainsi obtenus, multipliés par 4 pour rendre le dessin plus
clair, ont fourni les ordonnées de la figure 1, les abscisses mesurant les
temps avec le jour pour unité. Un thermomètre placé au voisinage me
permettait de relever les températures. Pendant les vingt-trois jours que
dura l'expérience, le maximum de température a été de 26 degrés et noté
le dixième jour ; le minimum, de 19 degrés, a été noté le deuxième jour.
La figure 1 indique ces températures; j'ai réduit le nombre de jours pour
ne pas comphquer inutilement celte figure et, d'ailleurs, sans altérer
l'allure générale du phénomène.
On voit que l'eau pure (courbe C) s'évapore plus rapidement que les
solutions salines et que, de celles-ci, la solution contenant, au début,
10 0/0 de NaCl (B), laisse évaporer, toutes conditions égales d'ailleurs,
plus d'eau que celle qui renfermait 20 0/0 de NaCl (A). La tempéra-
ture, en s'élevant, augmente l'évaporation ainsi que le montre surtout la
240 PHYSIQUE
ligne OC qui devrait être droite, à température constante, puisqu'elle
appartient k l'eau pure, et dont les inflexions correspondent assez bien
aux variations de cette température. Ceci ne modifie pas suffisamment la
marche de l'expérience pour masquer les différences essentielles.
Par suite de l'évaporation, les solutions salines se concentrent de plus
en plus ; celle qui contenait 20 0/0 de NaCl arrive bientôt à saturation
et du sel se dépose. La même chose se produit vers le quinzième jour
pour la dissolution contenant 10 0/0 de NaCl au commencement de
l'expérience. La courbe B, à partir de cette époque, tend à devenir parai-
' '
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29
F.ff.l.
F.
'S-
lèle à A. Le sel, en grimpant le long des parois des cristallisoirs, ne me
permit plus de mesurer exactement la quantité d'eau évaporée; mais le
résultat obtenu était suffisamment net.
Un autre point est établi par la seconde série d'expériences. J'avais pris
la même disposition que précédemment et les cristallisoirs avaient reçu
100 centimètres cubes des hqueurs : eau pure, solution de KCl à 2,5 0/0,
solution de NaCl à 2,5 0/0. Les observations, faites comme dans le pre-
mier cas, sont traduites par les courbes représentées dans la figure 2 où
l'échelle est la même que celle de la figure 1 ; ces courbes appartiennent :
A. au NaCl ; B, au KCl et C, à l'eau pure.
Tout en respectant l'allure générale, mais pour ne pas embrouiller la
p. LESAGE. — ÉVAPORATION DES SOLUTIONS DE NaCl ET KCl 241
figure, j'ai pris seulement les observations de six en six jours. La tem-
pérature a varié pendant l'expérience de 17 à 24 degrés; le minimum
correspondant au huitième jour, le maximum au dix-huitième. Les
nombres inscrits en haut de la figure donnent les températures. J'ai dû
m'arrêter après vingt-quatre jours parce que, au voisinage du fond, le
cristallisoir contenant l'eau pure ne permettait plus des observations assez
rigoureuses. Après ce temps, les solutions salines avaient une concentra-
tion d'environ 9 0/0 pour le NaCl et 11 0/0 pour le KCl. C'est ce qui
explique sur la figure 2 les faibles déviations qui, pour l'eau pure et le
NaCl, sont de l'ordre do^ celles que présente la figure 1 tout à fait au début.
On reconnaît encore la prédominance de l'évaporation de l'eau pure
sur celle des solutions salines. Mais, en plus, la solution du KCl s'évapore
plus rapidement que celle du NaCl.
Ce dernier point est encore appuyé par une autre expérience faite avec
les mêmes solutions mises à évaporer, pendant quatre mois, dans des
éprouvettes à pied de 2o millimètres de diamètre, loO millimètres de hau-
teur et graduées comme les cristallisoirs. Après ce temps, les hauteurs
d'eau évaporée diffèrent de 5 millimètres et la plus grande est celle du KCl.
En résumé, toutes choses égales d'ailleurs et dans les limites de mes
expériences :
1° U eau pure s'évapore plus rapidement que les .solutions de KCl et de NaCl;
4° Les dissolutions de KCl ont, à même concentration, une vitesse d'éva-
poration plus grande que celles de NaCl.
Ces résultats sont confirmés par l'étude des tensions de vapeur des
solutions salines. En effet, d'après les expériences de Babo et de Wûllner,
on sait « que la tension de la vapeur dégagée par une dissolution saline
est inférieure à la tension de la vapeur d'eau, à température égale » (1).
Dans les tableaux que fournit Wtillner (2) et où il donne la diminution
de tension de vapeur sur celle de l'eau pure, des dissolutions de KCl et
de NaCI, à la même température et pour des concentrations égales, on
trouve d'une façon continue des nombres plus élevés pour le NaCl que
pour le KCl. Ceci veut dire que la tension de vapeur des solutions de
NaCl est plus faible que celle des solutions de KCl, à température égale et
pour les mêmes concentrations.
Ces données permettaient de prévoir ce que j'ai tiré de mes expériences.
Cependant j'ai cru utile de faire ces expériences dont les résultats de-
vaient être suffisamment vérifiés pour m'autoriser à les appliquer aux
recherches que j'ai entreprises. C'est encore ce qui m'engage à les publier.
(i) Cours de physique de Jamin, 4" édilion, t. II, p. 231.
(2) WÙLLNER, Versuche uber die Spunnkraft des W'asserdampfes ans ivhserhjen Salzlôsungen. (Ann.
de l'orjgendorjf, 1S58, l. CIII, p. 3^2 et 543.)
16*
242
PHYSIQUE
M. IZAElî
Professeur au Lycée de Clermoat-Ferrand.
MODIFICATION DE L'APPAREIL A EXCENTRIQUES DE LISSAJOUS POUR LA COMPOSITION
DE DEUX MOUVEMENTS VIBRATOIRES RECTANGULAIRES
— Séance du n septembre 1892 —
L" appareil classique en question ne permet que la composition des Vi-
brations de même période. Par l'emploi des profils sinusoïdaux, je l'ai
transformé de façon à le faire servir à la démonstration générale.
A et B, disques à profil sinusoïdal du même nombre de dents, montés
sur le même axe qu'une manivelle met en rotation. A est fixé sur l'axe
définitivement, B peut recevoir des positions variables grâce au bouton
de serrage S circulant dans la rigole circulaire R. On fait ainsi varier la
phase à volonté.
Les lentilles sont attachées aux extrémités des bras D et D' mobiles au-
tour de G et C, la ligne ce' passant par l'axe de rotation. Ces bras por-
tent chacun un galet qui appuie constamment sur le profil correspondant,
IZARN. — MÉCANISME DES ONDES STATIONN AIRES 243
grâce à des caoutchoucs ou à des ressorts à boudin que l'on tend plus
ou moins, au moyen des clefs F F', afin d'empêcher tout sautillement.
Ces galets sont distants des points C et C d'une quantité égale au rayon
des disques.
Au système des disques AB on peut très rapidement substituer un
autre système, dans lequel les nombres de dents soient dans les rap-
ports 1/2, 1/3, 2/3, 3/4, ..., etc., et obtenir ainsi toutes les figures
connues. Il suffît pour cela de retirer les deux clefs, de rabattre en dehors
les deux bras et de soulever deux petits tourniquets qui appuient sur
l'axe en avant et en arrière. La même manivelle sert pour tous les couples
de disques.
Les disques étant assez grands, on peut obtenir un déplacement suffi-
sant des centres des lentilles, tout en ne donnant aux dents du profil
qu'une très faible profondeur, et atténuer ainsi, autant qu'on le désire,
la résistance au mouvement.
M. IZAEIf
Professeur au Lycée de Clermont-Ferraiid.
APPAREIL DÉMONTRANT LE MÉCANISME DES ONDES STATIONNAIRES
— Séance du •/? septembre 1892 —
Cet appareil est destiné à rendre tangible le mécanisme des ondes
statiounaires aux personnes peu familières avec l'interférence des ondes
lumineuses, et à leur permettre en particulier de se rendre compte du
procédé de M. Lippmann pour la photographie des couleurs. Il peut
servir naturellement aussi à faciliter la compréhension du même phéno-
mène en acoustique, et il montre d'une façon frappante les alternatives
de condensation et de dilatation aux points nodaux.
Voici le schéma du dispositif adopté :
Deux règles A, B, ù profil sinusoïdal (I), peuvent se déplacer dans le
sens de leur longueur, et le mouvement de l'une, A, en avant (rayon
direct), entraîne, par un mécanisme quelconque facile à concevoir, celui
de l'autre, B, en arrière (rayon réfléchi).
2ii PHYSIQUE
Contre les profils de ces règles s'appuient constamment, grâce à des res-
sorts (non figurés), des couples équidislants et aussi nombreux qu'on le
voudra et que le comportent les longueurs des règles, de petites ba-
guettes rr à roulettes. On a représenté seulement deux de ces couples
dans la figure I.
La figure Ip, qui est une coupe passant par la ligne MM', montre que
o
c
les extrémités antérieures des deux baguettes d'un même couple servent
d'attache aux deux sommets opposés d'un parallélogramme articulé, dont
les deux autres sommets, munis d'anneaux a, a', laissent passer libre-
ment une tige armée d'une boule P, tige qui, se recourbant en dessous,
peut glisser dans une gaine g.
La figure Ij„ représente le même couple lorsque les deux règles occu-
pent les positions relatives qu'indiquent les lignes poinlillées, et elle rend
visible que, quelles que soient ces positions relatives, la boule B doit
CH. FÉRY. — SUR UN NOUVEAU RÉFRACTOMÈTUE 245
rester immobile, le mouvement n'ayant pour effet que de déformer le
parallélogramme ; les baguettes s'avancent toujours en effet l'une vers
l'autre ou s'écartent l'une de l'autre de la même quantité en même temps.
Les figures L et I^,, se rapportent à ce qui se produit pour un couple
de baguettes situé à une distance du précédent égale à un quart de lon-
gueur d'ondulation, et représentent une coupe faite suivant la ligne KK'.
Ici on voit que le mouvement, au lieu de déterminer la déformation du
parallélogramme correspondant, se borne à le transporter latéralement à
droite et à gauche alternativement, la tige de la boule Q glissant alors
dans la gaine g.
Ces explications sont suffisantes pour établir que, par le fait de la com-
binaison des mouvements inverses des deux règles, les boules (qui repré-
sentent les molécules d'éther) seront alternativement toujours en repos
ou toujours en oscillation (nœuds et ventres fixes).
En déplaçant originairement l'une des règles par rapport à l'autre
d'une quantité quelconque, on observe l'effet produit par un changement
quelconque de la phase, par exemple celui d'une demi-longueur d'onde
qui accompagne le phénomène de la réflexion.
Dans l'appareil réel, les règles sont remplacées par deux rubans d'acier
sans fin, mis en mouvement par une manivelle et un engrenage conique, ce
qui permet, au lieu d'un mouvement intermittent, d'obtenir un mou-
vement continu, comme si les deux règles ci-dessus étaient indéfiniment
prolongées.
M. Ch. TÉRT
Préparateur à l'École municipale de Physique et de Cliimie, à Paris,
SUR UN NOUVEAU REFRACTOMETRE
— Séance du 19 leptemln-e 1892 —
I, — On a signalé depuis longtemps l'importance de la détermination
des indices de réfraction des corps et en particulier des liquides; l'indice
est en effet une caractéristique de la matière au môme titre que la densité,
le pouvoir rotatoire, etc., etc.
Dans ces dernières années, l'attention des chimistes s'est portée plus
■^46 PHYSIQUE
particulièrement de ce côté, et Gladstone, Date, Landolt, Wiillner, Haagen
et d'autres savants sont arrivés à des lois simples permettant de faire,
au moyen des indices, une véritable analyse optique des composés
organiques.
A un point de vue moins élevé, mais très intéressant également, la
détermination de cet élément peut, dans un grand nombre de cas, donner
des indications précieuses sur la pureté des corps et déceler les falsifica-
tions auxquelles un grand nombre de produits commerciaux sont soumis.
Si Ton considère que, pour une même substance, les corps frauduleux
sont généralement connus et peu nombreux, on peut, jusqu'à un certain
point, apprécier la quantité du falsifiant.
Enfin, le chimiste trouvera dans la détermination des indices, un pro-
cédé rapide de dosage des solutions au moyen de tables dressées dans ce
but; la détermination do l'indice est en effet plus rapide, plus exacte et
demande beaucoup moins de liquide que la mesure de la densité.
Diverses opérations industrielles pourront aussi être conduites sûre-
ment par des mesures successives de l'indice, l'achèvement d'une réac-
tion étant indiqué par une variation brusque dans la réfraction du liquide,
ainsi que l'auteur a pu le constater.
Il est certain que, pour ces divers emplois, il ne faut pas songer à la
méthode classique du prisme à liquides et du goniomètre, trop longue et
d'un maniement assez délicat.
Aussi plusieurs appareils d'un emploi plus facile ont-ils été imaginés ;
mais bien que la plupart reposent sur des principes très ingénieux, aucun
ne remplit encore les conditions multiples exigées. Un tel appareil doit
en effet être rapide, sensible, ne nécessiter l'application d'aucune formule,
et surtout ne demander aucun réglage ni manipulation délicate influant
sur l'exactitude du résultat; enfin ce résultat doit être exprimé en indices,
sin i
c'est-à-dire donner par une simple lecture le rapport - — , seul comparable
aux chiffres obtenus par d'autres expérimentateurs.
C'est cette lacune que j'ai cru combler en imaginant l'appareil que je
vais décrire.
II. — Le principe sur lequel repose mon appareil est très simple : il
consiste à annuler par un prisme solide d'angle variable et d'indice cons-
tant, la déviation imprimée à un rayon lumineux par un prisme creux
d'angle fixe rempli du liquide dont on veut déterminer l'indice.
L'angle que devra avoir le prisme solide permettra d'évaluer l'indice
inconnu du corps à étudier.
En effet, si nous prenons des angles prismatiques assez petits pour que
la formule approchée i
. . . - r=z n
r
247
CII. FERY. — SUR U\ NOUVEAU REFRACTOMETRE
soit applicable, quand un rayon ayant traversé l'ensemble des deux prismes
sortira parallèle à sa direction d'incidence, nous pourrons écrire :
[n
l)a = (x-i)-
(1)
égalité dans laquelle n est l'indice du prisme à angle variable, -3- l'angle
du prisme à liquide, ce qui permet de tirer x — i; x étant l'indice du
liquide inconnu, connaissant l'angle a du prisme variable.
Ce dernier prisme est constitué par
une bande de verre découpée radiale-
ment dans une lentille; dans une telle
lame l'angle varie d'une manière conti-
nue du centre optique de la lentille où
il est nul, jusqu'aux bords où il a une
valeur déterminée.
Il serait dilTicile de mesurer en chaque
point l'angle que forme le plan tangent à
la surface courbe avec la face plane; il
est plus facile de l'évaluer en fonction
de la distance qui sépare le point con-
sidéré du centre optique de la lentille.
Considérons donc une lentille plan convexe (forme employée dans l'ap-
pareil) (fig. 1). On voit que l'on a :
FlG. I .
sm a ::=
K'
d distance du point considéré à l'axe optique ;
R rayon de courbe.
Les angles ayant été supposés assez petits, on peut écrire
d
à ce degré d'approximation l'angle est donc proportionnel à la distance d
et l'égalité (1) devient :
d'où :
en posant
a; — 1 = K X c^
(3)
248 PHYSIQUE
La simple mesure du déplacement qu'il aura fallu donner à la lentille
pour compenser la déviation due au prisme
liquide permettra donc d'évaluer l'indice.
III. — Pour réaliser ces conditions d'une
manière commode, les deux faces d'un
prisme à liquides d'angle assez petit, ont
été constituées par deux lames de glace
identiques, planes à l'intérieur et convexes
extérieurement.
L'emploi des deux lames identiques
évite le déplacement latéral qui se pro-
duirait dans un système dissymétrique.
Quand la cuve est vide, le rayon sor-
tant sans déviation passe par les centres optiques 0 et 0' des deux len-
tilles (fig. 2), car en ce point l'angle a est nul, devant satisfaire à la relation :
FiG.
#
(n — 1) X 0 = (1
0-^
l'indice de l'air étant pris pour unité.
Si l'on introduit un liquide dans le prisme, le rayon qui passait pri-
mitivement en B est dévié en B', mais on pourra trouver un autre point
de la cuve, C par exemple, où la relation soit satisfaite. La distance des
deux points 0 et C donne donc {x — 1).
Fig. 3.
Description de l'appareil. — L'appareil a été construit par M. Pellin,
à Paris. La figure 3 est une vue d'ensemble qui permet d'en saisir le
fonctionnement mécanique.
CH. FÉRY. — SUR UN NOUVEAU RÉFRACTOMÈTRE 249
La lumière monochromatique sodée provenant d'un brûleur D tombe
sur la fente du collimateur B; cette fent(^ qui est large, porte un réticule
vertical. L'ensemble de la fente et du réticule peut être légèrement dé-
placé pour le réglage de l'appareil, par une vis visible sur la figure.
Les rayons sortant du collimateur tombent sur la cuve et sont reçus
ensuite dans une lunette ordinaire à réticules disposés en croix de Saint-
André.
La cuve est portée par une plate-forme en verre noir et se déplace sui-
vant sa longueur, perpendiculairement à l'axe optique de l'appareil, au
moyen d'un bouton moleté placé au-dessous de la lunette.
Dans son mouvement rectiligne, la glissière portant la cuve entraîne
un vernier V qui se déplace devant une graduation fixe E donnant direc-
tement les deux premières décimales de {x — 1), le vernier au - donne
les millièmes. Chaque centième d'indice est représenté par un millimètre
environ sur la graduation de l'appareil de laboratoire.
IV. — Réglage cle Vappareil et mesure. — La cuve étant vide, on place
le vernier au zéro, puis on met au point le réticule en croix de la lunette,
au moyen de l'oculaire ; le réticule vertical de la fente est mis au point
à son tour par le tirage de la lunette, puis on l'amène sur le croisement
des fils de l'oculaire, au moyen de la vis de réglage du collimateur et
sans toucher au vernier qui doit marquer zéro quand la cuve est vide.
Si le réglage de la lunette est bien fait, le réticule se trouvera dans
le plan focal de la lunette et ne se déplacera pas par rapport au réticule
de la fente pour de légers mouvements de l'œil à l'oculaire.
De ce réglage préalable dépend beaucoup l'exactitude des mesures ; il
est d'ailleurs très facile à faire et on n'aura plus à y toucher pendant
toute une série de déterminations, si l'on a soin de replacer toujours bien
exactement la cuve contre ses butées, ce qui est facilité par le ressort R.
On met le liquide dans la cuve, l'image du réticule du collimateur dis-
paraît; on agit alors sur le bouton qui déplace la cuve et, ayant retrouvé
l'image du réticule, on rétablit la coïncidence; il ne reste plus qu'à lire
directement sur l'échelle la valeur {x — \) du liquide employé.
Il n'est pas nécessaire d'emplir la cuve complètement, il est même bon
de ne pas le faire, pour se laisser la facilité de vérifier le zéro pendant la
mesure. Dans ce cas, l'image du réticule du collimateur ne disparaît pas,
mais s'atfaiblit seulement.
La cuve peut contenir 15 centimètres cubes environ; une épaisseur de
liquide de quelques millimètres représentant 2 centimètres cubes est suf-
fisante pour voir le réticule de la fente et faire une bonne mesure ; d'ail-
leurs, la hauteur du liquide dans la cuve n'influe nullement sur le résultat.
Cette propriété de l'appareil est très précieuse dans le cas des liquides
rares dont on n'a qu'un petit échantillon.
250 PHYSIQUE
V. — Mesure de l'indice pour d'autres raies. — Tout ce qui précède se
rapporte aux mesures d'indice par rapport à la raie sodée pour laquelle
(n I)
la constante K de l'appareil 2 — -rr — est faite égale à l'unité.
An
Si on change la radiation employée, la constante renfermant n (indice
de la matière des lentilles) variera également.
Il est facile de calculer la nouvelle constante, mais on peut aussi la
déterminer expérimentalement au moyen d'un liquide dont l'indice est
connu pour la radiation employée et à la température de l'expérience.
Cette nouvelle valeur de K est d'ailleurs toujours très voisine de l'unité.
La constante pour le sodium étant 1, voici quelles seraient les va-
leurs de K pour d'autres radiations; ces chiffres se rapportent au crown
ordinaire employé en optique et à la glace de Saint-Gobain, il sont été
calculés d'après les indices de ces matières, mesurés par M. J.-B. Baille.
RAIES B C D fo F G H
Glace de Saint-Gobain . 0,992 0,994 1,000 1,007 1,0H 1,022 1,033
Crown de Feil 0,996 0,997 1,000 1,007 1,013 1,023 1,032
Après une réparation de la cuve, ou dans le cas de remplacement de
cette partie de l'appareil, il est bon de vérifier la constante au moyen
d'un liquide d'indice connu. L'eau est très convenable pour cet objet,
son indice est bien déterminé et varie très peu avec la température, de
sorte qu'une erreur sur ce facteur ne donne qu'une variation très faible
de la constante.
Dans le cas où la cuve ne renferme pas le centre optique des lentilles,
ce qui donne une plus grande sensibilité pour une même longueur de
cuve, il faut faire deux déterminations avec des liquides d'indice connu,
dans les conditions de l'expérience.
VL — L'appareil peut se prêter également à la mesure des indices des
prismes solides, dont il n'est pas besoin de connaître l'angle ; la seule
condition est que l'angle du prisme ne soit pas supérieur à celui de
la cuve.
La détermination comporte deux lectures à l'appareil :
1° Dans ce cas le prisme est supporté par une pince P à l'intérieur de
la cuve (cette pince est ajoutée à l'appareil ordinaire), l'angle tourné vers
le sommet de cette dernière, on mesure comme dans le cas des liquides
le déplacement nécessaire pour ramener l'image du réticule vertical au
croisement des réticules de l'oculaire. Soit G ce déplacement;
2" On verse dans la cuve un liquide dans lequel le cristal est insoluble
et dont on connaît l'indice. Soit / la nouvelle lecture.
CH. FÉRV. SUR UN NOUVEAU RÉFRACTOMÈTRE 251
Supposons, pour plus de généralité, que la constante ne soit pas l'unité
et qu'on ait pour le liquide d'indice N employé une déviation
K/ = (N — 1)
l = nombre lu sur l'échelle de l'appareil ;
soient enfin A l'angle de la cuve et a celui du cristal à mesurer (ces
quantités disparaissent dans le calcul).
La première lecture qui donne lieu au déplacement C doit satisfaire à
l'égalité :
CK = «(^)
X étant l'indice inconnu du cristal. — La deuxième mesure donne :.
Enfm le liquide seul a donné une déviation telle que :
IK = (N — 1).
En éliminant (N — 1), A, a, entre ces trois égalités, on trouve :
IC
X — l =
t — < C + /.)
et simplement : X — 1 = ,^ . ^ tt--, si la constante est 1.
^ ^ — [C + (iN — 1)J
VIL — Formule exacte de Vappareil. — Il est intéressant de connaître
l'erreur due à l'emploi de la formule approchée pour différentes valeurs
de l'angle A de la cuve.
Calculons donc le déplacement qu'il faut donner à une cuve d'angle A
et constituée par une matière d'indice n, pour annuler la déviation due à
un liquide d'indice x.
Ce déplacement est d = R sin a, en appelant R le rayon de la face
courbe.
Il faut donc déterminer Tanglc a.
La cuve étant symétrique de part et d'autre de la bissectrice de l'angle
intérieur, il nous suffit d'étudier la marche du rayon dans une moitié de
l'appareil.
En remplaçant la sphère par son plan tangent au point considéré, le
problème revient à trouver l'angle a d'un prisme d'indice n qui, accolé à
\
un prisme d'angle -^ et d'indice x, détruit sa déviation.
232 . PHYSIQUE
Le rayon FG étant normal à la bissectrice OM (fig. 4), le prisme à
liquide donne :
X
n
sin(- + a
sin
9
La déviation 3 du rayon au point H devant être la même que celle
produite en G, on peut écrire pour le prisme solide :
\^
1—
FiG. 4.
n
sin (a - -^
sm I a — — — 0
En éliminant S entre ces deux équations et
tirant a on trouve :
A
{x — 1) sin
tga
^-
. A A
v} — «■■' sm* — — cos —
qui, combinée à d = R sin a, donne le déplacement correspondant à
l'indice x.
Voici le résultat du calcul, dans lequel on a pris :
A
— 15°
n
= 1,52
R
= 39'='"84
Erreur
X — 1
d
[x — 1) - d
(X - 1) - d -
0,0000
0,0000
0,0000
+ 0,0007
0,1000
0,0996
- 0,0004
-r 0,0003
0,2000
0,1989
— 0,0011
- 0,0004
((,3000
0,2993
- 0,0007
0,0000
0,4000
0,3996
— 0,0004
-f- 0,0003
0,5000
0,5000
0,0000
4- 0,0007
0,6000
0,5997
— 0,0003
+ 0,0004
0,7000
0,6996
- 0,0004
+ 0,0003
On voit que l'erreur est toujours dans le même sens (3"^ colonne) et
aussi que cette erreur est nulle pour un liquide de même indice que celui
des lentilles. En effet, à ce moment l'angle a doit être égal à -^ et la cuve
CH. FÉRY. — SUR LN NOUVEAU RÉFRACTOMÈTRE
devient une lame homogène à faces parallèles, traversée perpendiculaire-
ment par le rayon.
La détermination pratique de la constante se faisant avec de l'eau dis-
tillée, l'erreur est alors représentée par les chiffres de la dernière colonne
du tableau, e représentant la distance séparant le centre optique de la
cuve de l'axe optique de l'instrument, quand l'appareil est au zéro.
Les erreurs sont dans ce cas plus faibles, étant tantôt positives, tantôt
négatives, il y a comme dans la colonne (x — 1) — d deux points où
l'erreur est nulle : pour un indice de 1,15 environ et pour 1,33.
YllI. — Si dans la formule :
O* rr —
{x — 1) sm —
,g a -
—
i / * A A
\/ n- — x^ sin^ -r- — cos —
2 2
nous faisons A très petit, nous retrouvons la formule approchée (1) indi-
quée précédemment :
n — 1
Si nous remarquons que, pour un angle de lo° pris comme exemple
dans le calcul numérique, les erreurs (x — 1) — d -\- z sont inférieures
à 0,001, nous voyons qu'on peut obtenir d aussi voisin de (x — 1) qu'on
le désire.
Pour une même valeur de A, la sensibilité de l'appareil ne dépend que
de la longueur de la cuve, et le rayon de courbure de la sphère des len-
tilles devra croître proportionnellement, car, pour de mêmes limites, la
valeur de a sera la même et on aura :
d d'
ï^ = ï^, = sma;
pour des applications particulières on peut n'augmenter que le rayon de
courbure en limitant la cuve à la région utilisée. L'erreur dans ce cas
sera même moins forte entre les limites considérées, et on pourra aug-
menter la sensibilité en agissant sur A.
M. Pellin, à qui est confiée la construction de l'appareil, exécute des
cuves de toutes les sensibilités et fonctionnant entre des limites quel-
conques.
Dans tous les cas, la graduation est telle que les lectures donnent dii'ec-
tement l'indice du liquide mesuré.
2o4 PHYSIQUE
Le calcul numérique pris pour exemple se rapporte à l'appareil cou-
rant de laboratoire mesurant tous les indices entre 1,33 et 1,70; le dépla-
cement de la cuve est d'environ 1 millimètre pour une unité de la
deuxième décimale. Le vernier au ^ permet d'apprécier ^ et, avec un peu
d'habitude.
10.0000
M. A. PICÏÏE
Président de la Commission météorologique des Basses-Pyrénées, à Pau.
L'ÉLECTROPHORE A ROTATION
— Séance du SI septembre 4892 --
Quoique, en qualité de simple amateur je sois fort indigne de prendre
part à vos travaux, permettez-moi de vous montrer l'électrophore à rota-
lion que j'ai inventé à Pau, en décembre I860.
Cet appareil a son importance, puisqu'il a devancé la machine Bertsch,
et servi de point de départ à la machine Carré, aujourd'hui répandue
dans tous les cabinets de physique.
Les circonstances de cette invention sont, d'ailleurs, assez singulières.
Retenu l'hiver au coin du feu par la maladie, je m'amusais à sécher des
feuilles de papier, à les frotter avec la main ou avec une brosse à habits,
et à observer les étincelles qu'on en tire et surtout les phénomènes cu-
rieux d'adhérence qu'offrent des bandes superposées, après qu'on a frotté
la bande supérieure.
En entrecroisant quatre bandes et laissant dépasser leurs bouts, deux à
deux, je pouvais suspendre un kilogramme à l'extrémité inférieure de
ces bandes, fortifiée par un petit morceau de carton collé.
En tendant sur deux cerceaux des feuilles de papier bulle, en brossant
le papier du cerceau le plus grand posé sur un tapis, et en plaçant à l'in-
térieur le cerceau le plus petit, dont le papier portait au centre une de
ces feuilles d'étain qui enveloppent les chocolats, j'avais obtenu un élec-
trophore, qui me donnait étincelle négative, puis positive, quand je sou-
levais obliquement le petit cerceau, ou que je l'abaissais de nouveau.
Ou bien encore, je plaçais mon grand cerceau électrisé sur les bras
A. PICHE. — l'ÉLECTROPHORE A ROTATION 2oO
d'un fauteuil et tenant le petit cerceau à faible distance, j'avais les deux
sortes d'étincelles, selon que j'approchais ou que j'éloignais ce dernier, et
même quand je le déplaçais latéralement.
J'en étais là de ces expériences amusantes, quand je lus dans le Cons-
titutionnel un article de M. de Parville racontant les merveilles de la ma-
chine de Holtz, qu'il avait vu fonctionner chez Ruhmkorfï, et qu'il don-
nait comme mystérieuse et inexplicable.
Mais l'explication est fort simple, me dis-je, c'est un électrophore à
rotation et je puis en faire un plus simple encore, immédiatement. Au
lieu de déplacer latéralement mes cerceaux par un mouvement de va-et-
vient, je n'ai qu'à faire tourner un disque de papier, dont la partie su-
périeure sera polarisée par une bande de papier électrisé, et à recueillir
les deux électricités du disque par deux pointes placées derrière lui, l'une
en haut, l'autre en bas ; si mes pointes sont reliées à des conducteurs
isolés, dont les extrémités rapprochées se termineront par des boules de
métal, il jaillira entre elles de petites étincelles formant ruban de feu.
Aussitôt dit, aussitôt fait ; je découpe un disque de fort papier bulle,
je le pique avec trois épingles, sur un bouchon percé dans son axe et
enfilé au bout d'un vieux tube barométrique assez épais. Je place le tube
sur les barreaux inférieurs d'une chaise, le disque de papier tourné vers
le foyer et j'appuie l'extrémité libre du tube contre une grosse bûche
dressée, afin d'empêcher mon tube d'osciller en long. J'avais ainsi un
disque de matière non conductrice, pouvant tourner sur son axe, sous
l'action de la paume de la main passée légèrement sur le tube.
Je prends un autre tube de verre, je le plante verticalement dans un
bouchon fixé sur une planchette formant pied. J'enroule, au milieu du
tube et en haut, deux spirales de fil de fer, dont une des extrémités, ap-
pointie, devait servir à recueillir les électricités contraires du disque, tandis
que l'autre extrémité, recourbée, armée des petites boules de cuivre (que
j'avais dévissées de mes pelle et pincette), formait les deux pôles entre
lesquels j'espérais voir jaillir les étincelles. Je place ce récepteur der-
rière mon disque.
Puis j 'électrisé fortement une bande de papier bien desséché ; la tenant de
la main gauche, je la présente en face de la moitié supérieure du disque,
qui la sépare ainsi de la pointe supérieure, tandis que de la main droite
je fais tourner rapidement l'axe du disque.
Aussitôt je vois jaillir, entre les boules de cuivre, une série d'étin-
celles de un millimètre ; j'avais trouvé l'électrophore à rotation sous sa
forme la plus simple.
J'ai cru devoir vous raconter cette expérience primitive, Messieurs,
parce qu'elle montre comment, en matière d'invention, on peut tirer
parti des premiers objets qu'on a sous la main.
236 PHYSIQUE
C'est ainsi qu'en jouant avec des tubes de verre, j'ai inventé, en 1872,
l'évaporomètre, si répandu aujourd'liui ; et qu'en m'amusant avec un
pulvérisateur, j'ai pu faire ces curieuses expériences sur les vents plon-
geants et ascendants, qui ont été présentées au Congrès de Toulouse
en 1887, et reproduites dans le Cosmos.
Je vous fais grâce des modifications successives apportées à ma ma-
chine et me borne à vous la présenter sous sa dernière forme, encore
inédite.
Quoique grossièrement construite, quoique la cage en bois empêche
une forte tension, je parviens à tirer d'un simple disque de papier par-
chemin séché à l'aide d'un fer à repasser, ou placé devant le feu, des
étincelles sinueuses de 5 centimètres, qui offrent tous les caractères
lumineux et bruyants d'un petit éclair.
Je suis persuadé que si la cage, le disque et la plaque à frotter, source
d'électricité, étaient en ébonite ou en celluloïd, on obtiendrait 10 centi-
mètres d'étincelles, avec un disque de 3o centimètres de diamètre.
Dans l'état actuel, la cage est une boîte rectangulaire de 40 centimètres
de hauteur, sur 32 de largeur et 15 d'épaisseur ; et le disque n'a que
2o centimètres de diamètre.
L'une des grandes faces porte à l'extérieur le mécanisme de rotation,
tandis que l'autre, ouverte et entourée d'une rainure, permet de placer
devant le disque soit une plaque de caoutchouc durci, soit même une
plaque de Holtz avec ses fenêtres et ses armatures.
La face supérieure (une des deux faces les plus petites du parallôlipipède)
est traversée par les conducteurs, bien isolés dans des colonnes d'ébonite,
qui portent les tiges à glissement armées de boules, entre lesquelles
jaillissent les étincelles, et dont on règle l'écart à volonté.
Cette forme est très commode et très avantageuse, en ce que, sous
un petit volume, on a tout sous la main et sous les yeux.
On tourne la manivelle de la main droite, pendant qu'on bat, de
temps en temps, la plaque de caoutchouc durci, avec une peau de chat
ou un foulard de soie, pour lui restituer sa tension électrique ; et la face
supérieure sert de petite table pour disposer les expériences qu'on peut
varier à l'infini, en changeant disques, boules ou pointes, en interposant
ou non des condensateurs, en faisant éclater les étincelles dans l'air ou
dans des gaz plus ou moins raréfiés, sur l'eau ou dans l'eau.
Les étincelles jaillissent sous les yeux, à bonne hauteur, et on peut les
étudier tout à son aise.
J'estime que cette machine, bien construite, serait plus démonstrative
que celle de Carré et qu'elle permettrait de faire un plus grand nombre
d 'expériences c
Enfin, si on veut se contenter d'étincelles de 5 centimètres, on pour-
L. BEDOUT. — COMPTEUR DENSI-VOLUMÉTKIQUE 257
rait la construire à si bas prix (dix francs au plus) qu'on pourrait en
doter nos écoles primaires, où tend de plus en plus à s'introduire l'ensei-
gnement scientifique par l'aspect.
Je me ferais, du reste, un plaisir d'envoyer des dessins précis à tout
constructeur qui voudrait reproduire cette machine électrique, qui est le
véritable type de l'électrophore à rotation.
M. Louis BEDOUT
à Cazaubon (Gers).
COMPTEUR DENSI-VOLUMÉTRIQUE
~ Séance du 17 septembre {892 —
I. — Jusqu'à ce jour, la science française n'avait pas établi de compteur
à alcool. Nous étions tributaires des constructeurs étrangers, principale-
ment des Allemands ou des Autrichiens.
Siemens, Dolainski, Veiser et Beschorner ont fait divers compteurs,
peu variables les uns des autres, et qui tous ont, d'ailleurs, des inconvé-
nients graves qui les ont fait écarter par l'industrie française. L'alcoomètre
métallique de Siemens n'a pas la sensibilité suffisante pour arriver à des
données mathématiquement exactes; le compteur Dolainski n'enre-^istre
lui, que le volume apparent, sans se préoccuper de la densité et de la
température. Ce sont les seuls usités.
Le compteur à alcool que j'ai l'honneur de vous décrire a subi déjà,
avec succès, des épreuves rigoureuses d'essai devant une commission
déléguée par le Ministère des Finances chez mon constructeur, 3L\L Ri-
chard frères, de Paris.
Ce compteur a pour but de mesurer automatiquement le volume d'alcool
coulant à l'éprouvette et de fournir les éléments pour déterminer la
quantité d'alcool pur produit par un alambic de distillation.
Pour cela, il donne les trois éléments essentiels : le volume la densité
et la température moyennes de l'alcool à sa sortie du serpentin.
Il s'adapte à l'origine du serpentin et se compose extérieurement d'une
caisse métallique rectangulaire de dimensions variables.
17-
258 CHIMIE
n. — Description. — Le compteur se compose de trois parties prin-
cipales (fig. 1 et ^j :
1° Un réservoir distributeur E dans lequel l'orifice plombé du serpen-
tin I déverse l'alcool ;
Fig. I. — Coupe.
2" Une balance Roberval ou Déranger, dont les deux plateaux sont
surmontés de deux vases A et B avec leurs accessoires ;
Fig. 2. — Plan.
•3* Un bassin T parfaitement isole dans l'intérieur de la boîte pour
éviter les chocs qui pourraient en modifier la contenance, soigneusement
déterminée à l'aide d'échelles fixes et que nous appellerons totalisateur.
Le réservoir distributeur E, à fond incliné vers le tuyau de sortie, est
FlG. 3
L. BEDOUT. COMPTEUR DENSI-VOLUMÉTRIQUE 259
mis en communication avec le serpentin par un tube d'amenée I muni
de brides boulonnées, susceptibles d'être scellées extérieurement au plomb
pour éviter l'introduction de substances étrangères aux pro-
duits de la distillation. L'alcool du réservoir E sort dans
le filtre D dans lequel il dépose, au moyen de tamis dis-
posés à sa partie supérieure, les parcelles solides que la
distillation a pu entraîner, et de là passe dans le vase A.
Ce vase, soigneusement jaugé, contiendra, par exemple,
dix litres. Les deux plateaux A et B, vides avec leurs ac-
cessoires, devront s'équilibrer de la façon la plus exacte.
Dès que le vase A est plein et que le liquide atteint l'ori-
fice du tuyau t, l'excédent de ce liquide s'écoule dans le plateau-vase B.
Lorsque la même quantité d'alcool est passée dans le vase B, celui-ci
s'abaisse et instantanément le coup brusque et simultané du taquet e
sur la partie gauche du fléau précipite le marteau M sur le taquet e' situé
à droite du couteau. Entraîné par ce poids supplémentaire, le plateau B
déverse précipitamment son contenu dans le récipient entomioir G qui le
conduit daus le fût.
Pendant que le plateau s'incline, le vase i reçoit le jet et le restitue
pour la prochaine pesée au plateau B qui se redresse sous le poids du
liquide resté dans le vase A toujours plein. Le plateau B, relevé, reprend
à l'aide du galet g butant sur le point fixe x aidé de son contrepoids.
Le marteau M, mobile sur son centre, fixé au support de la balance,
rencontre chaque fois qu'il s'abaisse une tige qui actionne un mouvement
d'horlogerie chargé d'enregistrer le nombre de fois que le plateau B se
vide, c'est-à-dire le nombre de pesées, dans notre espèce, de dix litres
chacune.
Le vase B est soutenu par une tige en fourche faisant corps avec le
bras droit f de la balance. Les deux bras de cette fourche sont réunis par
un axe entouré d'un manchon appartenant au vase B et participant à
son mouvement de renversement d'environ un angle de 4o degrés. Dans
cet axe, f est pratiqué un récipient rigoureusement jaugé, appelé chambre
de jauge, d'une contenance, dans notrg espèce, d'un
centilitre. Cette chambre (fm. 4] est mise en com-
munication avec le liquide du vase B par une ou-
verture pratiquée dans le manchon ; elle est pleine
au moment où le plateau bascule. En tournant de
43 degrés par rapport à l'horizon, ledit plateau B,
solidaire du manchon, ferme par celui-ci sa com-
munication avec la chambre qui, d'autre part, vient communiquer
avec le bec d'écoulement solidaire du manchon mobile. Des trous d'air
pratiqués dans le manchon permettent au liquide qui y est contenu de
ir
FlG. i.
260 CHIMIE
s'évacuer dans l'entonnoir, d'où il s'écoule par un tube dans le totali-
sateur T. Le centilitre de liquide, pris comme jauge, a la température,
la densité et le degré moyens des dix litres déversés simultanément par
le plateau B, dont il faisait partie intégrante.
Le totalisateur est un réservoir T jaugé à l'aide d'une échelle fixe qui
facilite la lecture à travers une plaque de verre placée sur la face du
compteur, au-dessous du mouvement d'horlogerie. Ce réservoir, d'une
contenance de vingt Utres, toujours dans notre espèce, renferme un
alcoomètre et un thermomètre à maxima. Dans son tuyau d'amenée est
disposé un clapet pour empêcher l'évaporation par le vide de l'alcool
contenu.
L'alcoomètre et le thermomètre combinés donnent le degré d'ensemble
des vingt litres, ayant été empruntés par quantités constantes de un cen-
tilitre à toutes les fractions de dix litres. Ce degré sera le même que celui
des vingt mille litres pesés. Si nous supposons le degré à 68, l'alambic
aura distillé 20.000 X 68 = 13.600 d'alcool pur.
Le mouvement d'horlogerie qui enregistre par dix litres le passage du
liquide devra accuser aussi vingt mille litres. On peut donc dire que ce
compteur se contrôle lui-même et conserve un témoin fidèle des opéra-
tions.
On observera que le fonctionnement de ce compteur n'est pas lié aux
quantités prises comme exemple, et que la capacité des vases A et B est
essentiellement variable. Cette capacité peut être augmentée ou diminuée
à volonté ; il en est de même pour la chambre de jauge. Il suffît, pour
arriver à des calculs sincères, de connaître le rapport entre la capacité de
la chambre de jauge et celle du plateau-vase A.
Enfin, l'appareil est complété par une double enveloppe métallique
parant aux chocs qui pourraient altérer les contenances ou le bon fonc-
tionnement. Tout danger d'explosion à l'endroit des gaz alcooliques pro-
venant de la distillation est évité par des grillages métalliques convena-
blement disposés dans l'enveloppe à doubles parois de la boîte pour éviter
l'introduction de substances étrangères à la distillation.
Des regards sont ménagés dans l'enveloppe pour suivre l'opération, et
des portes scellées donnent accès aux organes actifs dans le cas oii cela
serait nécessaire.
Tel est l'appareil que j'appellerai compteur à volume constant et à poids
variable.
Il est possible de le transformer en un compteur à poids constant el à
volume variable. Pour cela, il suffira de remplacer le vase-tare A par un
poids déterminé, dans notre espèce, dix kilogrammes par exemple. A la
suite d'une série de pesées, à la fin de la distillation, nous aurons par
le cadran le poids de l'alcool, par le totalisateur la densité moyenne.
H. HFRRENS. ALMADEN. SES MINES DE MERCURE 261
Il nous sera donc facile de connaître le volume de la distillation en al-
cool pur.
III. — Utilité de l'appareil. — Je ne m'étendrai pas sur les utilités du
compteur. Elles sont multiples.
En adaptant à un rectifîcateur industriel un compteur à l'entrée de la
chaudière et un second compteur à la sortie du serpentin, on arrive à
calculer exactement la perte de distillation.
Un industriel veut établir son prix de revient. Il prend un poids déter-
miné de matière première : betteraves, grains, pommes de terre, topi-
nambours, etc., etc. Le produit de sa distillation lui sera rigoureusement
donné par le compteur.
Enfin, son utilité la plus considérable résulterait certainement de son
application par l'État à tous les alambics ambulants ou fixes. I^s agents
de la Régie auraient en lui un aide sûr pour réprimer efficacement la
fraude chez les bouilleurs, propriétaires ou industriels. Un exercice plus
sévère, sans augmentation du personnel, serait son principal avantage.
M. ïï'^ BERREIS
Chimiste, à Gracia-Barcelone (Espagne).
ALMADEN. — SES MINES DE MERCURE ET SES DIVERS SYSTEMES DE REDUCTION
DU MINERAI
— Séance du 17 septembre t892 —
Les mines d'Almaden sont remarquables par leur antiquité et par la
richesse et l'abondance de leurs mines. Le système d'exploitation remonte
au siècle dernier, et, depuis lors les changements réalisés dans la manière
de traiter le minerai de mercure sont de peu d'importance, attendu qu'on
suit encore le système que Saavedra Barba imagina au Pérou en 1633,
lequel fut importé en Espagne par Bustamante en 1646, et dont il existe
vingt-deux exemplaires qui fonctionnent àAlmaden, sans qu'on ait trouvé
le moyen de le remplacer avantageusement, bien que plusieurs essais et
le bon vouloir n'aient pas fait défaut.
En 1806, on établit les fours de chambres qui se communiquent entre
elles comme dans l'appareil de Woolf et qui reçoivent une charge de
262 CHIMIE
vingt-quatre tonnes. La disposition générale fut copiée des appareils em-
ployés aux mines d'Idria (Aulriche) qui étaient et sont encore propriété
de l'État. Ces fours portent le nom d'Idria à cause de leur origine ; l'opé-
ration réductrice dure huit jours ; et s'ils continuent de fonctionner, ce
n'est certes pas à cause de leur mérite sur les fours Bustamante.
Il y a de cela une douzaine d'années, on construisit des fours à réver-
bère dans le but de distiller les minerais menus dont l'encombrement
était énorme, mais on dut les démolir à cause de leurs mauvaises condi-
tions ; ils furent remplacés par une paire de fours Livermoore qui furent
importés de Californie. Ils sont manœuvres par une quarantaine d'enfants,
qui sont exposés à bien des misères par suite de cet appareil malsain,
dont les pertes sont considérables.
Dans ces conditions, on a décidé d'essayer un nouveau système de
FIG. 1
réduction inventé parBerrens. Le ministre des Finances espagnol a ordonné
qu'on fît, aux frais de l'État, des essais comparatifs, entre ce four nouveau
et ceux qui sont employés en Espagne. Deux fours de Bustamante furent
choisis, parmi les meilleurs, pour les essais comparatifs.
Leur traitement est intermittent, le combustible est très énergique,
houille et coke, l'opération dure quatre jours. — Le nettoyage est très
pénible pour l'ouvrier ; il se fait sans eau, avec le balai à sec. —Les pertes
sont en raison de la température, c'est elle qui est le facteur réfrigérant,
et lorsqu'elle atteint 25 degrés centigrades au 15 mai, on plie bagage,
on éteint les feux, qu'on rallume le 15 octobre suivant. On évite ainsi
des pertes considérables qui dépassent 50 0/0, les scories sortent nettes de
tout métal ; ce résultat s'obtient par l'emploi exagéré de la houille ou du
coke, mais les pertes sont plus considérables, bien que les minerais traités
soient plus riches qu'autrefois, parce qu'à mesure qu'on approfondit l'ex-
ploitation le minerai est plus riche et plus abondant.
H. nEHHKNS. ALMADE.N. SKS MINES DE MEUClJflE 263
Le système Berrens est automatique et sa marche est continue, attendu
que le remplacement d'un four par un autre sur le foyer ne dure que
quelques minutes. Ce four mobile F (fig. 1 et 2), placé sur deux essieux
munis de quatre roues en fonte, se compose d'un cylindre en tôle garni
intérieurement de briques réfractaires. II contient une tonne de minerai
qui repose sur une grille en terre également réfractaire. Le foyer oiî le feu
est permanent est construit entre deux rails articulés sur lesquels le
véhicule susnommé vient se placer et colloquer le cylindre préalablement
chargé de sa tonne de minerai. On lute le joint avec de la terre réfractaire,
pendaut qu'on ajuste de la même façon un tube en tôle H au chapiteau qui
couvre le cylindre. Ce tube communique avec une chambre de transmis-
sion qui reçoit le premier jet des gaz et vapeurs qui proviennent du four.
Elle semble être au même niveau que le four, mais le sol est plus bas et
incliné, afin que le mercure qui s'y condense puisse s'écouler dans un tube
placé à son extrémité.
Ce tube, qui met en communication la dite chambre avec l'appareil
condenseur qui se trouve à 10 ou 12 mètres plus bas, a une longueur
relative et son diamètre est de 35 centimètres ; il est en ciment et établi
sur une assise, en fer très solide ; il joue un rôle très important dans
l'appareil condenseur, c'est par lui que le refroidissement des gaz ou
vapeurs qui circulent dans son intérieur s'effectue. Il opère de la même
façon que le col d'une cornue qui refroidit d'autant plus les vapeurs qui
partent d'un liquide en ébullition, que celui-ci (le col) est placé plus ver-
ticalement. Dans l'appareil Berrens, la chaleur, en vertu de ce principe,
ne descend pas, elle se perd, d'autant plus que les vapeurs mercurielles, en
sortant du four, suivent constamment une pente descendante.
L'appareil condenseur (fig. 3, 4 et 5) se compose de vingt-cinq compar-
timents ; la capacité de chacun
d'eux est de o à 600 litres, ils sont
formés de deux cônes soudés à
leur base avec du ciment; le cône
supérieur est en tôle et celui d'en
bas est construit en ciment dans
la terre, la communication entre
eux se fait par les cônes inférieurs
et ils se ramifient dans un quadri-
latère plein d'eau qui se renouvelle
et qui couvre les cônes en tôle ;
la pointe ou le sommet des cônes inférieurs se confond avec des rigoles en
pente pleines d'eau qui reçoivent le mercure condensé et qui le déversent
dans un puits récepteur M dont l'eau qui le remplit est à niveau de celle
des rigoles. On peut extraire le mercure du puits (qui se trouve clôturé
Fig. 3. — Plan de l'appareil condenseur.
264 CHIMIE
et fermé à clef) sans arrêter la marche des opérations ; celles-ci ne s'in-
terrompent que lorsqu'on doit faire le nettoyage de l'appareil : alors on
enlève les cônes en tôle, on ouvre la chambre de transmission et
avec de l'eau projetée et des balais on fait écouler le métal et les suies
vers le puits; ce travail se pratique sans aucune incommodité pour
l'ouvrier.
FiG. /.. — Coupe suivant AB.
Le tirage se fait au moyen d'un piston aspirateur et refouleur 0, qui est
rais en mouvement par une machine à vapeur P, la marché de ce piston
n'a pas dépassé quatre-vingts oscillations par minute, et la feuille d'or
qu'on a plusieurs fois présentée à la sortie des gaz qui soulèvent les cla-
pets de l'aspiraieur n'a jamais été salie de la moindre tache de mer-
cure; il faut dire aussi que les vapeurs, avant d'arriver à la machine
FiG. 5. — Coupe suivant CD.
aspirante, étaient obligées de traverser deux caisses remplies de charbon
végétal.
La fournée d'une tonne de minerai dure cinq heures, mais en augmen-
tant la vitesse du tirage, on pourra arriver à une diminution d'une
heure.
Quant aux pertes, la Commission scientifique dit dans son rapport
(fol. 11) qu'elles furent celles que les scories manifestèrent, et qu'on
peut évaluer à i/2 0/00, et elle ajoute qu'en réalité on ne peut constater
d'autres pertes.
H. BERREXS. ALMADEN. — SES MINES DE MERCURE 26o
Le four Berrens se recommande surtout par son coté hygiénique : toutes
les opérations, charge, décharge, nettoyage etc., se font en plein air; l'ou-
vrier est donc à l'abri de toute intoxication.
Les essais comparatifs ont été faits de la façon la plus correcte ; pour
ce qui regarde le four Berrens, au dire de la Commission technique qui
fut investie, par décret royal émané du Ministère des Finances, de facultés
suffisantes .pour établir et constater la marche des fours et le résultat
obtenu. Elle voulut que les minerais qu'on distillerait fussent exactement
ceux-là qu'on distille tous les jours, dont le litre moyen est de 11.60 0/0
(fol. 14 du Rapport), et que le rendement qu'on obtiendrait dans les fours
(système Bustamente) San Carlos et San Sébastian, qui sont considérés
comme les meilleurs de l'établissement, ne servirait de base comparable
qu'autant qu'il concordât avec la moyenne du mercure obtenu dans les
cinq années antérieures.
Le four Berrens donna un rendement de 12 0/0 de mercure ; les fours
San Carlos et San Sébastian donnèrent 12,33 0/0. Ce rendement en plus
surprit au premier abord la Commission, parce qu'elle avait constaté que
la feuille d'or placée à l'orifice de l'appareil Berrens n'avait pas présenté
à la vue la moindre tache de mercure, tandis que dans les fours opposés,
elle en avait été salie complètement; mais elle trouva bientôt la cause
de cette différence. Elle constata que les scories pesaient 83 kilos de
plus que ce qu'elles devaient peser, que le rendement en mercure
était de 35 kilos de plus que celui qu'on devait obtenir, et, de plus, elle
trouva 112 kilos de suies (dont le titre ordinaire est de 70 0/0) en plus
de ce qu'on obtient ordinairement. La Commission, dans son rapport
(fol. 16), dit avec raison « que ces données contradictoires entre elles ne
peuvent s'expliquer facilement » ; et, se renfermant dans l'indication du
décret royal, elle porta son attention sur les rendements de tous les
fours dans les cinq années antérieures, qui sont :
1886-87 1887-88 1888-89 1889-90 1890-91
Moyenne de la production . . . 9,47 9,28 9,12 8,74 8,29
soit en moyenne 8,98 0/0 de mercure ; et si on ajoute le rendement
moyen des deux fours San Carlos et San Sébastian obtenu dans les essais
comparatifs, qui est de 12,33 0/0, nous aurons une moyenne de 9,54 0/0.
Or, comme par le nouveau système, d'après le rapport de la Commission,
on a extrait de 6,000 kilos minerai le 12 0/0 de mercure, on peut dire
avec certitude qu'il y a un avantage en faveur du four Berrens de 2,46
par chaque 9,54, soit un 2o,70 0/0 sur l'ensemble, ce qui représente
266 CHIMIE
le quart en plus de la production d'une campagne réglementaire de
sept mois, qui est à peu près de 50.000 bouteilles contenant chacune
34 kil. 500 gr. ; soit 12.500 bouteilles en plus à 8 £. st. = 100.000 £.
Telles sont les conclusions qu'on peut tirer du Rapport que MM. D. Justo
Egozcue, D. Grégoire de la Régnera, inspecteurs généraux des mines, et
D. Daniel de Cortâzar, ingénieur en chef des mines, ont présenté au
ministre des Finances en janvier 1892, à Madrid. — Ce qui domine dans
ce document, c'est l'esprit de droiture et de justice. — Ces messieurs de
la Commission, en partant pour Airaaden, doutaient et ne croyaient pas
à une perfection si complète du nouveau four ; — et c'est avec une
profonde réserve qu'ils ont fait mention de certaines irrégularités inten-
tionnelles de la part de MM. les ingénieurs d'Almaden. Ils auraient voulu
trouver chez leurs collègues de meilleures dispositions pour faciliter leur
mandat. Quoi qu'il en soit, en faisant la part de conditions évidemment
erronées, comme ils disent, « le nouveau procédé se présente quand
même avec avantage sur tout ce qu'on a obtenu jusqu'à ce jour, avec des
circonstances très intéressantes « . La Commission s'est noblement conduite ;
elle aurait pu prouver, par les chiffres qui lui ont été fournis par la direc-
tion d'Almaden elle-même, que le rendement des fours est de plus en
plus déplorable. En effet, si nous consultons le tableau du mercure obtenu
pendant les cinq dernières années, on voit que le tant pour cent du
rendement diminue chaque année, alors que la teneur du minerai traité
s'enrichit tous les ans, à mesure que son extraction se fait plus profon-
dément, comme cela est démontré dans plusieurs documents.
Ce fait anormal s'explique de la sorte ; MM. les ingénieurs d'Almaden,
pour faire cesser les clameurs qui se répandaient sur les pertes énormes
que tout le monde constatait en examinant les scories riches encore de
métal, eurent l'idée d'employer des combustibles très énergiques pour
la réduction du minerai et de faire durer celle-ci vingt-quatre heures de
plus qu'auparavant. Par ce moyen empirique, les pertes furent plus consi-
dérables, mais les scories furent nettes de tout métal, et ces messieurs
en annonçant qu'ils avaient perfectionné leurs appareils : Voyez nos
scories, dirent-ils, elles sont propres. Mais cette façon d'agir, qui pro-
duit à l'État trois ou quatre millions de francs de perte, pourra bien être
perçue par le nouveau ministre des Finances.
E. BLANC. — SUR UN MODE PARTICULIER DE CUISSON DES BRIQUES
267
M. Edouard BLAIC
à Paris.
SUR UN MODE PARTICULIER DE CUISSON DES BRIQUES, USITÉ DANS CERTAINES
PARTIES DE L'ASIE CENTRALE
Séance du 20 septembre 4892
Au cours du voyage d'exploration que nous avons fait en Asie, pendant
les années 1890 et 1891, nous avons eu l'occasion d'observer un curieux
procédé employé par les indigènes de certains pays pour la fabrication des
Galerie d'accès du combustible
FiG. 1. — Plan d'un four à briques système Tarantchi.
briques. Ce procédé, très simple et peu coûteux, présente des avantages
considérables au point de vue des applications, et il donne lieu en même
temps à la constatation de phénomènes chimiques intéressants en eux-
mêmes et dont les réactions sont encore à déterminer.
Ce mode de cuisson des briques est employé dans la partie occidentale
de la Mongolie, ainsi que dans la Dzoungarie, dans une partie du bassin de
rili, et notamment par les peuplades qui portent les noms de Dounganes
-et de Tarantchis (1).
(1) On appelle Dounganes des populations de race chinoise, pratiquant la religion musulmane, parlant
chinois, et qui se sont établies dans la Dzoungarie, principalement pour y former des colonies agricoles.
Les Tarantchis sont des populations de race turco-mongole, habitant la même région, pratiquant la
même religion, mais parlant un idiome dérivé du djaggataï, et qui ont été subjuguées parles Chinois.
268
CHIMIE
Ces peuples, qui habitent la partie septentrionale et nord-ouest de l'Em-
pire chinois, c'est-à-dire les frontières de Sibérie, vivent sous un climat
qui est souvent très chaud en été, mais qui est surtout extrêmement froid
en hiver. Par conséquent, leurs constructions doivent être faites avec des
matériaux très résistants au point de vue des variations de température.
Les variations atmosphériques, dans ces contrées, sont d'autant plus sen-
sibles qu'elles sont extrêmement brusques et atteignent souvent une très
grande amplitude dans une période de temps fort courte. L'automne et
surtout le printemps présentent des alternances de gelée et de dégel plu-
sieurs fois répétées, accompagnées de variations hygrométriques considé-
rables. Les écarts de température à l'ombre peuvent dépasser 40 degrés
FiG. 2. — Coupe verticale suivant AB.
dans les vingt-quatre heures (1). En tenant compte de l'action directe du
soleil sur les surfaces qu'il frappe, dans une atmosphère très peu chargée
d'humidité, l'écart diurne peut être de 60 degrés (de — 15" à -|- 45°).
L'écart extrême dans la température annuelle est de plus de 120 degrés
(de — o0° à -f- 70°).
Dans de pareilles conditions, où presque toutes les roches naturelles se
désagrègent, on conçoit que bien peu de matériaux de construction soient
capables de résister, et les briques cuites par le procédé ordinaire s'al-
tèrent et s'effritent avec une très grande rapidité. Au contraire, les briques
préparées par le procédé que nous allons indiquer, bien que faites avec la
M) Au mois de février 1891, après une période de froid très rigoureux qui a duré jusqu'au a,
nous avons observé, le 2o, à Merw, une température qui, en quelques heures, s'est élevée de-}- 1° à
-(-26° à l'ombre. Le lendemain matin, 26 février, la température est retombée subitement à — 10°,
et ce changement a été accompagné d'une tempête de neige qui a duré pendant .trois jours, et à
la suite de laquelle la température est redescendue, pendant huit jours, jusqu'aux environs de
— 15", pour remonter ensuite rapidement, mais non pas encore d'une façon délinitive. Ces oscilla-
tions se sont répétées plusieurs fois avant l'établissement de la belle saison.
BLANC. — SUR UN MODE PARTICULIER DE CUISSON DES BRIQUES
269
même argile que les autres, résistent parfaitement aux intempéries et
présentent, en outre, une dureté et une cohésion tout à fait remarquables.
Ce résultat est obtenu simplement par l'action de la vapeur d'eau.
Le procédé dont il s'agit est intéressant à deux points de vue :
4° Avec des argiles de qualité médiocre, à peu de frais, et au moyen
d'appareils d'une grande simplicité, il permet d'obtenir des matériaux
présentant des qualités de résistance et de solidité tout à fait supé-
rieures ;
2° Son principe repose sur des réactions chimiques nouvelles pour
nous, ou du moins dont l'application n'a pas encore été faite et qu'il est
intéressant d'expliquer.
FiG. 3. — Coupe verticale suivant CD.
Description de l'appareil. — La disposition de l'appareil est la suivante :
Le four a la forme d'un cylindre vertical surmonté d'un dôme. Générale-
ment, pour plus d'économie dans la construction ainsi que pour diminuer
la perte de chaleur, la plus grande partie de la portion cylindrique (les
deux tiers environ de la hauteur) est creusée dans la terre. Le dôme est
au-dessus du sol : il est construit simplement en argile et son épaisseur
à la base est aussi considérable que possible (généralement quatre archines,
soit 2'",80); il s'amincit vers le sommet. Ce dôme, habituellement en
plein cintre, est percé à sa partie supérieure d'un trou assez large, qui
reste ouvert pendant toute la première partie de la cuisson et "qui sert à
l'échappement de la fumée et des gaz.
Pour fixer les idées, nous indiquerons les dimensions que l'on donne le
plus fréquemment à l'un de ces fours, dont le plan et la coupe sont repré-
sentés dans les figures 1, 2 et 3. On peut donner à la partie cylindrique
6 mètres de diamètre intérieur et une hauteur de 4 mètres, dont 3 mètres
au-dessous du niveau du sol et 1 mètre au-dessus. Le trou ouvert au som-
270 CHIMIE
met du dôme peut avoir 1™,50 de diamètre au début de l'opération. Au
niveau du sol est pratiquée dans la partie latérale du dôme une galerie
étroite qui sert à y introduire et à en extraire les briques : cette galerie est
bouchée pendant la cuisson. Une partie de la sole horizontale qui forme
le fond du trou est constituée par une grille faite de briques non juxta-
posées, et sous cette grille se trouve une chambre servant de foyer et où
Ton introduit le combustible par une galerie inclinée qui s'ouvre au
dehors. Trois évents ou cheminées d'appel, d'environ 2o centimètres de
Fia. 4. — Vue extérieure d'un fuur (d'après une photographie faite par M. Paul Nadar (i).
diamètre, prennent naissance à l'intérieur du four, tout à fait au bas de sa
paroi verticale, et vont s'ouvrir à l'extérieur dans le haut du dôme. Au
début de l'opération, leurs orifices supérieurs sont hermétiquement bou-
chés avec de l'argile.
Marche de l'opération. — Les briques sont placées par séries verticales
dont le plan est en éventail, de manière à rayonner autour de la partie dé
la sole qui est à claire-voie, et sous laquelle est allumé le feu. Ces briques
sont fort grosses : elles n'ont pas moins de O"",!! dans leur plus petite
(1) Le four dont l'élévation est représentée ci-dessus d'après une photographie faite sur place, n'est
pas construit tout à fait sur le plan qui vient d'être décrit. Il est non pas rond, mais quadrangu-
laire. Dans ce cas, les cheminées sont au nombre de quatre au lieu de trois, et elles sont placées
dans les tours qui renforcent les angles. Mais la forme ronde est la plus typique et la plus employée.
C'est en même temps la plus simple et celle qui donne les meilleurs résultats au point de vue de la
cuisson des briques. Le système et le mode de fonctionnement sont d'ailleurs identiques.
É. ULANC. SIR UN MODE PARTICULIER DE CUISSON DES RRIQUES 271
épaisseur, ce qui leur donne 0°S225 de largeur et 0'",46 de longueur. Des
briques aussi épaisses auraient peine à cuire jusqu'au centre par les procé-
dés ordinaires, et il serait même impossible de leur donner un degré de
cuisson homogène dans toute leur épaisseur. Un four comme celui qui
vient d'être décrit peut contenir environ 7.000 briques de cette grosseur.
On ne les accumule pas tout à fait jusqu'au haut du dôme, de manière
à réserver une chambre au sommet de celui-ci.
Les briques étant ainsi disposées, on allume le feu et on le pousse sans
interruption pendant trois jours et demi ou quatre jours. La quantité de
combustible dépensée pendant ce temps pour une fournée est de trente-
cinq charges de chameau pesant 7.000 kilogrammes (à 200''- l'une). Le
combustible employé est une plante annuelle et assez fortement lignifiée,
ïalhagi camelorum, dont la valeur calorifique est assez considérable (7.000'''
de cette plante séchée représentent environ 23.800.000 calories). Le troi-
sième jour, on rétrécit peu à peu l'ouverture supérieure du dôme avec des
mottes d'argile mouillée, jusqu'à ce qu'elle n'ait plus que 0"',80 à 1 mètre
au plus de diamètre; puis après avoir laissé tomber la flamme, on bouche
hermétiquement l'ouverture avec une couverture de feutre trempée dans
l'eau. On charge cette couverture avec du sable, de manière à lui faire
fonner une sorte de poche oîi l'on verse constamment de l'eau. En même
temps, on débouche les trois évents latéraux et l'on ranime le feu que l'on
entretient très activement pendant quatre jours. Le tirage qui se faisait de
bas en haut se fait alors de haut en bas ; il doit donc subir un retourne-
ment pendant lequel la vapeur d'eau qui s'est répandue dans le four à tra-
vers la paroi de feutre, subit une surchaufl'e et atteint une pression plus
forte que la pression atmosphérique.
C'est sans doute cet excès de chaleur et de pression qui donne lieu aux
réactions chimiques caractéristiques de cette opération. Par la disposition
qui vient d'être indiquée, on donne au four une portion de paroi filtrante
qui émet sans cesse vers l'intérieur de la vapeur d'eau. Cette vapeur d'eau
passe de haut en bas à travers la masse des briques chauffées au rouge et
leur fait subir une transformation moléculaire particulière.
Par suite de cette réaction, les briques qui, à la fin du troisième jour,
étaient d'un rouge clair et d'une consistance médiocre, acquièrent une
couleur gris foncé uniforme; leur structure prend une apparence poreuse;
elles deviennent très sonores et d'une grande dureté; leur cassure est
nette et à vives arêtes, mais sans être vitreuse. Elles prennent, en somme,
l'apparence de certaines roches trachytiques. Il est probable qu'en effet
il se forme, sous l'action de la vapeur d'eau, une sorte de trachyte
artificiel.
La quantité de combustible dépensée pendant la seconde période de
cuisson est, pour une fournée, de quarante-cinq charges de chameau pe-
272 CHIMIE
sant 9.000 kilogrammes. Le combustible est le même qui a été indiqué
ci-dessus (branches d'alhagl camelorum).
Composition des matériaux employés à la fabi'ication des briques . — L'ar-
gile employée pour la fabrication de ces briques est généralement du lôss
ordinaire; cependant lorsqu'elles sont fabriquées dans des localités situées
sur les grands cônes de déjection qui s'étalent au pied des chaînes de mon-
tagnes avoisinant la frontière sibérienne, comme les Monts Tian-Chan par
exemple, elles sont faites avec des argiles d'alluvion provenant de la désa-
grégation des roches qui constituent la charpente de ces montagnes . Ces
roches sont assez variées; cependant elles appartiennent le plus souvent à
la famille des diorites ou à celle des serpentines ; ou bien encore ce sont
des roches amorphes, compactes, de couleur foncée et qui paraissent être
des argiles métamorphisées. Toutes ces substances, ainsi que les alluvions
qui en dérivent, contiennent par conséquent des sihcates d'alumine, de
magnésie, de chaux et de fer.
Nous n'entreprenons pas de donner ici la formule des réactions qui se
produisent dans cette fabrication. Nous ne pourrions le faire que d'une
façon hypothétique, et nous espérons que cette formule pourra être déter-
minée d'une façon plus certaine (lorsque le laboratoire de l'École des Ponts
et Chaussées, auquel nous avons transmis un échantillon rapporté par
nous, en aura fait l'analyse). Cependant on peut présumer, a priori, qu'il
se produit de l'oxyde salin, c'est-à-dire qu'une partie de l'oxyde de fer
contenu dans l'argile des briques se suroxyde sous l'influence de la vapeur
d'eau, aux dépens de l'autre partie du même oxyde, qui devient basique, et
qu'elle forme avec celle-ci, en présence de l'alumine et concurremment avec
d'autres bases contenues dans l'argile, un sel qui peut être un ferrosoferrate.
Applicatio7i de ce procédé aux constructions hydrauliques de Meriv. —
Nous avons observé pour la première fois la fabrication qui vient d'être
indiquée dans la partie septentrionale de la Kachgarie, c'est-à-dire dans la
région qui avoisine Kouldja. Nous avons vu ensuite des briques qui avaient
été cuites par ce procédé, dans les murailles ou dans les ruines des divers
édifices de la môme contrée. Mais nous avons plus tard constaté de nou-
veau l'emploi de ce procédé aux environs de Mer w, dans la Transcaspienne,
où il a été récemment introduit. Les ouvriers dounganes et tarantchis, au
nombre de près de deux mille, qui, après avoir quitté la Chine à la suite
de persécutions politiques et religieuses, ont trouvé un refuge sur le terri-
toire russe, et ont été enrôlés pour travailler aux ouvrages de barrage et
d'irrigation entrepris depuis peu sur le Mourg-ab, ont apporté avec eux la
connaissance de ce procédé. Celui-ci a été mis à profit avec un grand succès
et avec une grande perspicacité par les ingénieurs chargés de ces travaux
d'art, M. Paklewski et M. Sawitcha, dont le premier avait eu l'occasion
déjà auparavant d'observer ce système dans le district de Kouldja.
SIELR. MÉTÉOIIOLOGIE DU DÉPARTEMENT DES DEUX-SÊVRES 273
Dans la localité dont il s'ayit, c'est-à-dire au Yieux-Merv, l'argile em-
ployée est de l'argile d'alluvion provenant du cône de déjection du xMourg-ab.
qui apporte dans la plaine des matériaux empruntés aux montagnes d'Af-
ghanistan, c'est-à-dire à la chaîne du Paropamise, dont la constitution
géologique est à peu près la même que celle des montagnes dont il a été
question ci-dessus (1 ).
L'échantillon de brique que nous avons l'honneur de présenter à l'appui
de la présente note est fabriqué avec cette matière. On peut voir combien
l'épaisseur en est forte et la cassure tranchante. La surface est rugueuse
et fait très bien prise avec le mortier. En outre, le poids de cette matière
est remarquablement faible, ce qui est un avantage très notable dans les
constructions. Les briques ordinaires fabriquées dans la même localité
avec la même argile sont d'un rouge un peu blanchâtre; elles s'émiet-
tent facilement, et lorsqu'elles ont une épaisseur aussi forte que l'échan-
tillon en question, elles ont une consistance très inégale dans leurs di-
verses parties.
Nous pensons qu'il y aurait quelque intérêt à faire connaître cette fabri-
cation, dont les résultats ont pour eux l'épreuve de l'expérience dans des
conditions climatériques particulièrement rigoureuses, et nous crovons
qu'elle pourrait rendre des services en France, surtout pour l'exécution des
ouvrages d'art qui doivent braver les intempéries extrêmes, ainsi que dans
les grands travaux publics.
M. SIEÏÏE
Professeur au Lvcée de Niort.
MÉTÉOROLOGIE DU DÉPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES
ET DE LA RÉGION DU SUD-OUEST
— Séance du 16 septembre 1892 —
Depuis douze ans que j'ai l'honneur de remplir les fonctions de secré-
taire de la Commission des Deux-Sèvres, j'ai recueilli, sur les conditions
météorologiques du département, une série d'observations résumées dans
la présente communication.
i\) Ce sont les terrains de transition qui domiufnl : l'axe de la chaîne est de nature granitique,
sur les versants se trouvent des placages de roches métamorphiques.
18*
214 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
Je n'ai point assurément la prétention d'offrir un travail complet;
néanmoins je le considère comme ayant un réel intérêt pour la science
qui nous occupe. En effet, si un résumé semblable était fait dans chaque
département, le Bureau central, qui reçoit toutes nos communications,
pourrait peut-être en extraire des matériaux utiles pour arriver à la dé-
termination des lois qui régissent les phénomènes atmosphériques. La
connaissance de ces lois, encore inconnues, doit être le but de tous les
météorologistes qui ont accepté la mission de créer la Science du temps.
Pour donner à mon travail toute la clarté possible, j'ai laissé de côté
les détails, c'est-à-dire l'étude des phénomènes irréguliers, pour ne m'oc-
cuper que de ceux qui se reproduisent le plus fréquemment. Je me suis
principalement inspiré de la pensée du grand promoteur des études mé-
téorologiques en France, Leverrier. On sait, en effet, que l'illustre astro-
nome, directeur de l'Observatoire en 1863, recommandait, dans sa cir-
culaire aux Commissions météorologiques des départements, « de laisser
de côté les considérations théoriques, pour s'occuper de la statistique des
phénomènes ».
Au point de vue météorologique, le département des Deux-Sèvres ap-
partient au climat girondin, qui comprend tout le territoire situé entre
la Loire, les Pyrénées et l'Atlantique. Sa constitution géologique le fait
diviser en trois régions : la Gàtine, la Plaine et le Marais.
La Gàtine occupe le nord et une partie du centre. La Plaine occupe une
portion du centre, le sud et le sud- est. Le Marais commence à quelques
kilomètres au sud-ouest de Niort, et occupe une partie assez étroite de
la vallée de la Basse-Sèvre.
Une chaîne de collines, dirigées du nord-est au sud-ouest, forment le pla-
teau de Gàtine, de chaque côté duquel sont les bassins de la Sèvre-Nan-
taise, au nord, et de la Sèvre-Niortaise, au sud. Les sommets les plus
élevés de ce plateau : Saint-Martin-du-Fouilloux et l'Absie, ont une alti-
tude de 272 mètres.
Je ne m'arrêterai pas à l'examen des conditions météorologiques par-
ticulières à chaque bassin : il me suffira de faire remarquer que le bassin
de la Sèvre-Nantaise a un sous-sol granitique ou schisteux, tandis que
celui de la Sèvre-Niortaise est en partie composé de terrain jurassique.
La nature du sous-sol ayant une influence incontestable sur les phéno-
mènes météorologiques, en particulier sur la température, on comprend
qu'il existe une différence sensible entre la météorologie générale des
deux bassins. On a remarqué que des brouillards locaux se montrent
dans le bassin nord, tandis que la plaine jouit d'un brillant soleil, ou
réciproquement.
Dans l'étude qui va suivre, je ne me suis occupé que des phénomènes se
rapportant à la météorologie de l'ensemble du département.
SIEUR. — MÉTÉOROLOGIE DU DÉPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES 275
I. — Du RÉGIME DES VENTS.
])e\i\ courants gazeux dominent sur notre département : '1° les vents
du nord-est, qui se rattachent au courant polaire ; ils sont secs et froids;
2° les vents du sud-ouest, qui dérivent du courant équatorial ; ils sont
ordinairement humides et chauds. Ces deux courants, à peu près ré"-u-
liers, ont pour caractère une certaine stabilité. On a pu remarquer, en
effet, qu'un vent sud-ouest ou nord-est bien établi persiste pendant un
long espace de temps. Ils alternent entre eux. Tous les vents ayant une
direction intermédiaire sont de courte durée. Chaque saison a ses vents
dominants : en été, nous avons parfois le vent chaud et même brûlant
du sud-est, que quelques-uns de nos collègues, dans la Commission dé-
partementale, considèrent comme la continuation du sirocco. (Il nous
paraît difïïcile d'admettre que le célèbre courant africain franchisse la
Méditerranée et les monts d'Espagne pour arriver jusqu'à nous.)
En règle générale, le vent dominant du département est celui du sud-
ouest. Les moins stables sont ceux du sud et du nord, qui ne tiennent
que quelques heures, rarement un ou deux jours.
Quelques-uns des vents qui nous visitent sont parfois violents et
soufilent en tempête : tel est le cas pour ceux du sud-ouest et de l'ouest,
quand ils forment la continuation d'une bourrasque venue de l'Atlantique.
Très rarement nos vents tournent au cyclone ; cependant, le cas se pro-
duit parfois, principalement dans le nord du département, aux environs
de la ville d'Argenton-Château. L'observateur de cette localité nous a
signalé trois trombes en dix ans.
Les bourrasques venant de l'Atlantique ont toujours une action plus ou
moins considérable sur la force et la direction des vents qui dominent
non seulement dans notre département, mais encore sur ceux de la
Vendée, de la Loire-Inférieure, du Maine-et-Loire et de la Charente-
Inférieure, qui se confondent avec les courants des Deux-Sèvres.
IL — De la TEMPÉRATURE.
Au point de vue thermique, le département des Deux-Sèvres, ne renfer-
mant point de montagnes et se trouvant près des côtes, doit avoir un
climat tempéré. Le bassin nord a une moyenne thermométrique infé-
rieure de 1° à celle du bassin sud. Je vais donner les températures s'ap-
pliquant à la station de Niort, f[ui correspond sensiblement à la movennc
générale départementale .
Nous possédons les relevés thermométriques de Niort depuis 1802 ; ils
sont consignés dans un livre du docteur Guillemeau. Le brave docteur a
276 MÉTÉOROLOGIE £T PHYSIQUE DU GLOBE
oublié de nous dire à quelle heure il faisait ses observations, quel genre
de thermomètre il employait et comment il était installé. Il nous a laissé
un amalgame de chiffres disposés sans ordre et desquels je n'ai pu tirer
que ces deux indications. Si l'on en croit Guillemeau, le maximum
absolu de température, de 1802 à 1841, s'est produit le 22 juillet 182o;
ce jour-là, le thermomètre du docteur monta à 4i'\ Le minimum ab-
solu, pendant la même période, — 17°, a été noté le 27 décembre 1829.
Je ne sais quel degré de confiance nous pouvons accorder à ces deux
extrêmes.
Dans ses études, la Commission des Deux-Sèvres a admis la division
de l'année étabhe dans le bassin de la Seine, en saison chaude et saison
froide. La première comprend les mois d'avril, mai, juin, juillet, août,
septembre et octobre ; la seconde est fournie par les mois de novembre,
décembre, janvier, février et mars.
La moyenne thermométrique de la saison chaude, calculée pour la pé-
riode 1878-1890, est de lfj°,5 ; la moyenne de la saison froide est de 5°,8 ;
soit une moyenne générale annuelle de 10", (3, que je considère comme
constituant la normale.
De 1878-1892, l'été le plus chaud a eu pour moyenne 16",! : c'est le
chiffre obtenu en 1878 et en 1886. L'hiver le plus rigoureux a été celui
de 1887-1888, dont la moyenne a été 4°,2, c'est-à-dire inférieure de
plus de 1° à la normale.
Les mois de juillet et août ont pour moyennes 19°,2 et 19°, 3. Le mois
de janvier est le plus froid de l'année, avec la moyenne 3", 6.
L'examen des chiffres ci-dessus montre que l'écart est peu considérable
entre les moyennes d'été et d'hiver. C'est là le propre d'un climat tem-
péré. Nous avons remarqué que toutes les fois que la température maxima
atteint ou dépasse 32", en été bien entendu, il se produit un changement
de temps en quelque sorte instantané. Un orage se montre immédiate-
ment. De même quand, en hiver, le thermomètre minima descend à — 12",
il y a un changement de temps prochain. Ce sont là deux observations
personnelles sur lesquelles j'ai eu occasion d'appeler l'attention de la
Commission départementale, et qui m'ont paru bonnes à être signalées au
Congrès .
En dehors de la température de l'atmosphère, je me suis occupé de
celle des sources qui alimentent le déparlement. Il résulte de mes re-
cherches que les eaux qui jaillissent du calcaire sont plus chaudes que
celles qui ont traversé le granit ou le schiste. J'ai trouvé pour moyenne
de trente-cinq sources, 11°, 1 ; la plus froide ayant 8°,2 et la plus
chaude 13". J'ai pu contrôler dans les Deux- Sèvres l'assertion de
M. Renou, qui nous dit que la température maximum des sources se ma-
nifeste k l'automne. Je ne dis rien de la composition chimique des eaux;
SIEUR. — MÉTÉOROLOGIE DU DÉPARTEMENT DES DEUX-SÈVRES 217
cette question est du domaine de la chimie ; elle fera l'objet d'une étude
qui ne peut trouver place dans la statistique purement météorologique
qui m'occupe en ce moment.
III. — De i,a pluie.
Les vents du sud-ouest apportent chaque année une certaine quantité
de pluie qui tombe sur la plaine ; les nuages bas et pluvieux ne fran-
chissent pas lahgnede faîtes dont j'ai parlé plus haut; aussi le versant
sud-ouest du plateau qui essuie ces vents reçoit-il plus d'eau que le ver-
sant nord-est. Le rapporteur de la Commission des pluies a remarqué
que la quantité de pluie tombée sur une localité voisine de la ligne de
faîtes est proportionnelle à la pente du versant. Les stations de Mazières
en Gàtine et de l'Absie occupant les sommets à altitude maximum, four-
nissent chaque année le maximum pluviom.étrique. Le minimum de
chute se trouve aux environs de Thouars, à Belleville.
La Commission départementale ne possède que depuis dix ans les
relevés de cinquante-deux stations, tandis que, pour la station de Niort,
les documents à ce sujet remontent à l'année 1862.
Voici la moyenne pluviométrique à Mort pour chaque mois :
Janvier, 71 millimètres; février, o2 millimètres; mars, o9 millimètres;
avril, 60 millimètres ; mai, 63 millimètres ; juin, 60 millimètres ; juillet,
53 millimètres ; août, 49 millimètres ; septembre, 67 millimètres ; octobre,
97 millimètres ; novembre, 84 millimètres ; décembre, 7o millimètres ;
soit une moyenne annuelle de 780 millimètres. L'année la plus pluvieuse
de 1862-1890 a été 1883, qui a fourni 1.096 millimètres, et la plus sèche,
1869, qui n'a donné que 573 millimètres. Si nous faisons la moyenne des
jours de pluie dans l'année, nous trouvons 15o à l6o. On a pu remarquer
que 1881, tout en ne comptant que 141 jours de pluie, a donné 723 mil-
limètres d'eau ; l'année 1872, avec 214 jours, a fourni 1.013 millimètres.
En somme, on voit qu'au point de vue pluviométrique comme au
point de vue thermique, notre département n'est point un climat excessif
La pluie et le beau temps se succèdent assez régulièrement pour favo-
riser la végétation. L'année 1892 fera époque par sa longue période
sèche qui comprend le printemps et l'été. La neige ne tombe abondam-
ment que dans les arrondissements de Bressuire et Parthenay. A peine
fait-elle une apparition chaque année dans la plaine sur laquelle elle ne
séjourne que très rarement.
IV. — Des ORAGES.
La Commission météorologique des Deux-Sèvres ne possède que depuis
cinq ans des documents précis sur la formation et la marche des orages.
278 MÉTÉOROLOGIt: ET PHYSIQUE DU GLOBE
Ces dernières années, notre honorable colir3gue Barillier-Bcaupré dresse
des cartes qui sont le plus bel ornement du Bulletin départemental.
L'examen de ces cartes dressées avec un soin minutieux, montre que la
route suivie le plus fréquemment par nos orages est sud-ouest-nord-est.
Quelques-uns, venant du Maine-et-Loire et s'arrètant sur les arrondisse-
ments de Parthenay et Bressuire, nous viennent du nord-ouest et s'a-
vancent dans la direction sud-est.
Le voisinage de la mer fait que les orages des Deux-Sèvres sont moins
nombreux et moins violents que ceux qui frappent les départements du
centre. Le tableau suivant indique les journées orageuses dans la période
1887-189 L En 1887, il y a eu 65 jours d'orage; en 1888, on compte
48 jours ; 33 en 1889; 43 en 1890 et 30 en 1891 ; soit, au total, ^219 pen-
dant les cinq années.
I^es mois de juin, juillet et août sont ceux où se produit le maximum
d'orages, mai et septembre viennent ensuite.
Nous ne considérons pas comme orageuse la journée où l'on a entendu
le bruit d'un coup de tonnerre dans le lointain. Ordinairement, nous appe-
lons orageuse la journée qui a vu former plusieurs orages en divers points
du département. On peut remarquer que, dans nos contrées de l'ouest,
les orages sont multiples et simultanés ; un orage est rarement isolé ; ils
ont une tendance à souffler par séries ; ils se succèdent à intervalles rap-
prochés en suivant la même trajectoire ou au moins suivant des directions
parallèles. J'ai pu observer qu'un grand nombre d'orages n'ont pas une
trajectoire nettement déterminée : après être restés quelque temps sta-
lionnaires, on les voit se diviser en deux ou trois tronçons. C'est le cas
pour tous les orages locaux qui paraissent suivre les vallées. En ce qui
concerne les orages à grande trajectoire, ils prennent naissance dans le
golfe de Gascogne, franchissent tout le département du sud au nord et
ne sont point arrêtés par les collines de la Gàtine. Cette seconde catégorie
d'orages est moins fréquente que la première ; elle paraît également moins
redoutable pour les récoltes, elle ne laisse tomber de la grêle que très
rarement. C'est principalement aux orages locaux, croyons-nous, qu'il
faut attribuer les nombreuses chutes de foudre qui causent les incendies
des habitations ou des meules de foin et de paille. Dans les Deux-Sèvres
on a signalé trente-trois accidents graves causés par la foudre en 1889 :
incendies, arbres brisés, personnes frappées, etc. En moyenne, deux ou
trois personnes sont tuées chaque année.
Les périodes orageuses sont caractérisées par une baisse barométrique
très accentuée et une élévation de température subite dans une atmo-
sphère humide. En hiver, on a remarqué quelques orages assez violents
accompagnés de grésil, ce qui semblerait justifier la théorie de Spring
sur l'origine de ces phénomènes grandioses. On sait que le savant pro-
I,_ j K(1N. — PROJET d'observatoire RÉGIONAL DE LA TOUR MONCADE 279
fesseur belge considère l'électricité des nuages orageux comme produite
par la congélation des gouttelettes d'eau.
\ _ Sur la durée de l'insolation, a Niort, pendant l'année 1891.
Depuis le l^'' janvier 1891, la Commission des Deux-Sèvres possède un
héliographe Campbell qu'elle a installé à Niort. Nous espérons tirer
quelque conclusion pratique des indications fournies par cet instrument.
Un de nos collègues attribue au grand éclairement solaire de 1892 la
bonne qualité du blé. L'intluence de la lumière, dit-il, sur la végétation
du blé dans nos campagnes est peut-être aussi importante que celle de
la chaleur. Nous aurons à examiner ce qu'il y a de fondé dans cette
assertion. En attendant, voici le relevé des indications fournies par notre
héliographe pendant l'année 1891 :
Du l*""' janvier au 31 décembre, nous avons eu, à Niort, 33 jours pen-
dant lesquels le ciel est resté sans nuage et 62 pendant lesquels le soleil
a été complètement caché. Le reste de l'année a présenté des alternances
de soleil et de nuages.
Le mois de juin a fourni le maximum d'insolation, 268 h. 17m., août
et juillet viennent après avec 2o4 h. 10 m. et 238 h. o m. C'est le mois
de février qui a fourni le déficit minimum d'insolation, 138 h. 10 m.;
le déficit maximum, 289 h. lo m., a été noté en mai.
Si le soleil n'eût pas été caché par les nuages, il aurait brillé à Niort
pendant 4.467 h. 8 m. ; il ne s'est montré que pendant 1.988 h. 38 m.,
accusant ainsi un déficit total de 2.478 h. 30 m.
M. Henry LÉOI
Président de la Sociuté do Climatologie pyrénéenne, à Pau.
PROJET D'OBSERVATOIRE RÉGIONAL DE LA TOUR MONCADE, A ORTHEZ
— Séance du 16 septembre 1892 —
La météorologie, bien longtemps réduite à des observations dont les
déductions étaient négligées, commençait à se développer avec le concours
du Bureau central météorologique de Paris, qui, dès 1864, sous la puis-
sante initiative de M. Le Verrier, établissait, grâce à l'aide de l'électricité,
Je grand réseau européen d'observations météorologiques, en vue des
280 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
avertissements de tempêtes pour les marins. Il se fondait alors des postes
d'observations dans toutes les écoles normales du territoire et l'on insti-
tuait dans chaque département des Commissions météorologiques chargées
de réunir tout ce qui. dans leur rayon particulier, avait trait aux phéno-
mènes de l'air.
Mais, jusqu'à un moment donné, rien n'était régulier et les observations
livrées à des observateurs sans méthode et sans contrôle, commencées et
suspendues, ne pouvaient former un champ d'exploration utile. Elles n'en
propageaient pas moins l'idée, et le goût du baromètre et du thermomètre
alla en grandissant, surtout lorsque, des études et des comparaisons faites,
on en vint à établir sur des bases à peu près solides la grande science de
la prévision du temps, aujourd'hui à l'ordre du jour de toutes les nations
civilisées préoccupées du temps à venir.
Quant à la climatologie, cette autre science appliquée, découlant de
la météorologie, elle n'était pas encore, pour ainsi dire, née. Elle était à
l'état théorique, embrassant l'étude de toutes les causes qui caractérisent
les divers climats, et par suite les diverses régions de la surface du globe;
mais elle n'avait en soi rien de pratique dans ce qui avait trait aux
modifications apportées dans l'organisme humain par l'influence des cli-
mats et l'on n'en avait point déterminé tout ce qui devait la rattacher
aux règles déjà connues de l'hygiène publique et privée.
Et cependant l'influence des climats sur les êtres vivants était connue
de la plus haute antiquité.
Aristote et Platon l'avaient signalée. Hippocrate lui avait consacré de
nombreux développements.
A la tradition et aux enseignements de la- logique, Arétée, Asclépiade,
Temison et Colse avaient ajouté le témoignage de Texpérience.
Le philosophe avait recherché les causes des différences qui existent
dans la constitution, le caractère, les mœurs, la manière d'être des
peuples ; le médecin avait trouvé dans l'action des climats sur l'homme
des moyens efficaces pour guérir certaines maladies. Philosophes et méde-
cins constataient la puissance et la généralité de cette ressource thérapeu-
tique; car telle est la liaison intime qui existe entre la vie morale et la
vie physique que toute diversion opérée sur la première réagit de toute
nécessité sur la seconde.
Le Congrès de climatologie et d'hydrologie qui s'est tenu à Biarritz,
le 1" octobre 1886, a été la consécration de la climatologie. Ces assises,
qui ont emprunté une "importance presque solennelle au concours de tous
les savants arrivés des divers pays d'Europe et d'Amérique, ont posé sur
des bases sérieuses la science des climats à peine ébauchée quoique depuis
longtemps énoncée en principe.
Toutefois, afin d'arriver à la propagation des idées que le Congrès avait
H. LKON. — PROJET d'oBSERVATOIUE RÉGIONAL DE LA TOUR MONCADE 281
soulevées, il fallait une société qui, grâce à une action continue, intelli-
gente et contrôlée, s'imposât la mission de poursuivre l'œuvre au delà
de ses débuts.
C'est ainsi qu'était née, s'installant à Bayonne, comme un point plus
indépendant dans la région du sud-ouest, la Société de climatologie pyré-
néenne, groupant toutes les forces vives de la contrée et dirigeant sous un
même drapeau les météorologistes du sud-ouest, depuis Arcachon et Biar-
ritz jusqu'à Bagnères-de-Bigorre, dans le but de discuter les questions
d'hygiène et de mettre en relief les stations climatériques qui pouvaient
être utiles en vue du bien-être de la vie et dans la recherche de la santé,
au moyen d'observations que la météorologie locale pouvait favoriser.
Elle vit donc arriver successivement, à son appel, avec leurs observa-
tions :
Arcachon : Société scientifique, D"" Hameau. — Bayonne : Société de
climatologie, E. Ragon. — Biarritz : Biarritz Association, Ch. Sébic. —
BiGORRE : Société Ramond, D-" Gandy. — Cambo : Établissement thermal,
D-- Juanchuto. — Dax : Société Borda, D^ Bourretère. — Pau : Observa-
toire particulier, A. Piche. — Salies : Établissement thermal, Saint-Guily.
Et pendant quatre ans ces observatoires ont envoyé à la Société de
climatologie pyrénéenne leurs observations journalières qui sont devenues,
dans le lîuUetin de cette Société, l'objet d'un tableau mensuel comparatif
avec les observations parallèles de Paris pris comme terme du nord et
de Nice pris comme terme de la région méditerranéenne, auquel s'ajou-
taient, comme complément, des résumés trimestriels et annuels.
Ces observations qui, toutefois, il faut le dire, n'avaient pas la perfection
que l'on aurait voulu leur reconnaître, établissaient d'une façon suffisam-
ment scientifique le climat de la région et venaient en aide aux écrivains
qui se donnent pour mission de placer la chmatologie au service de la
médication nouvelle, celle de l'utilisation de la nature par la vie au grand
air, pour le soulagement ou la guérison des maladies nombreuses qui, sous
• le nom d'états de santé, entravent trop souvent l'exercice naturel de
l'existence.
Et pendant que cette évolution de la météorologie se faisait, alors que
naissait l'émission du principe de la climatologie comme science appliquée,
un passionné de la météorologie, un vrai bénédictin, retiré à Saint-Martin-
de-Hinx, dans un coin du département des Landes, avoisinant le rayon
maritime du golfe de Gascogne, à 20 kilomètres de Bayonne et sur un
plateau à 100 mètres d'altitude, M. Cartier, enfermé dans son champ,
avait créé pour lui seul, sans aucune subvention ni assistance quelconque,
sans autre but que celui d'observer et de noter, un observatoire que l'on
peut qualifier de premier ordre, réunissant tous les instruments qui
servaient à inscrire les phénomènes de l'air. Ses observations, qui datent
282 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
de 1864, se sont continuées jusqu'à sa mort pendant vingt-six ans,
recueillies sans interruption, avec un dévouement, un soin et une exactitude
remarquables, publiées d'abord dans un grand nombre de brochures,
groupées ensuite régulièrement sous forme de courbes auxquelles ont été
joints des résumés mensuels depuis 1878.
Cette série peut être considérée comme une des meilleures qui existent,
établissant avec des pièces immuables les fluctuations du climat de la
région pyrénéenne.
Mais M. Cartier a cessé d'exister et le travail qu'il avait commencé est
interrompu et ne se poursuivra plus. Les essais d'union des météorolo-
gistes de la contrée n'ont pu avoir de suites : les perfectionnements que l'on
attendait dans l'installation des observatoires ne se sont pas produits,
les observateurs ont mis des négligences qui empêchaient la régularité des
publications ; il y avait parfois des lacunes, et souvent il aurait fallu
suppléer à des chiffres non établis afin de rendre complets les résumés
dont la publication avait son importance. Tout reposait sur une seule tête
dont les loisirs seuls pouvaient èlre employés à une œuvre semblable qui,
pour être continuée, devait atteindre une certaine perfection, afin de se
montrer avec une autorité incontestable .
Dans de telles conditions, il a paru convenable de réédifier sur des bases
nouvelles ce qui avait été démoli par les circonstances, et un nouveau
projet d'observatoire régional a surgi, relevant de ses cendres non éteintes
l'observatoire scientifique de M. Carlier et poursuivant l'œuvre pratique
de la Société de climatologie pyrénéenne, dont le drapeau arboré existait
toujours chez son président, M. Henry Léon.
Mais, pour énoncer ce projet, nous ne saurions faire mieux que de
reproduire sur cette question l'extrait du rapport de M. A. Piche, sur la
météorologie dans le département des Basses-Pyrénées :
« A la mort de M. Carlier, dit M- Piche, sa veuve offrit à l'État l'obser-
» yatoire de Saint-Martin-de-Hinx, instruments et propriété, à la condition
» que la longue et belle série d'observations faite par son mari serait
» continuée.
■)•> Le Bureau central étudia la question de savoir si cette proposition
» devait être acceptée.
» Après examen, il conclut à la négative, probablement par défaut
» d'élasticité dans son budget, peut-être aussi parce que Saint-Martin-
» de-Hinx, quoique près de Bayonne, est un point d'accès peu aisé et
)) n'offrirait aucune ressource aux savants chargés d'y passer leur vie
» (à moins d'en faire un pénitencier météorologique).
» Chagriné de voir cette série interrompue et cette belle collection
« d'instruments inutilisée, M. Léon, dont l'esprit est toujours en quête
» d'améliorer les observations de la région, s'est dit :
„_ , ,.-ox. PROJET d'OBSERVATOIUE liÉGIOXAL PK I.V TOUR MONCADE 283
» Devons-nous demander à M"'« Carlier de nous donner les instruments
» de son mari, pour fonder, sous son nom, un observatoire à Bayonne,
» Biarritz, Dax ou Pau? iNon, car toutes observations faites dans ces sta-
» tions hivernales ou balnéaires seront toujours soupçonnées de partialité.
» Mettons plutôt l'observatoire Carlier à Orthez, à la tour Moncade.
» Nous établirons ainsi, de façon indiscutable, le climat du sud-ouest
» et nos stations en bénéficieront, bien plus que si l'observatoire était
» dans l'une des cités.
» M. Léon me communiqua cette idée, que je combattis tout d'abord ;
» la réflexion m'amena cependant à la partager.
» Orthez est bien situé, au nord du département, à distance assez grande
» de la mer et des montagnes ; la tour Moncade se dresse sur le sommet
» d'un coteau à pentes douces. L'observatoire qu'on y établirait, relié
» optiquement et par télégraphe et téléphone à l'observatoire du Pic du
» Midi, ainsi qu'à un troisième point qui pourrait être le jardin Massy,
» de Tarbes, otîrirait une triangulation météorologique merveilleuse, sur-
» tout pour l'étude des nuages, si intéressante, mais si difficile.
» L'observatoire du Pic n'aura toute sa valeur que quand il sera com-
» piété par deux postes bien situés au pied de la chaîne, en avant de
» laquelle il se dresse.
» Au point de vue climatologique, l'observatoire d'Orthez nous ferait
» connaître les conditions atmosphériques de cette région, si belle et si
» intéressante du sud-ouest, dont le climat est vraiment spécial par sa
» douceur et son absence de vent. Enfin, les chefs de la station d'Orthez
9 vivifieraient tous les postes de la région, en contrôlant les instruments,
» inspectant les installations, en centralisant les documents et en les
» publiant.
» Cela rentrait d'ailleurs dans le plan d'organisation départementale
» soumis autrefois au Bureau central par notre Commission météorolo-
» gique.
» En effet, tant qu'il n'y aura pas dans chaque département un minimum
» de service officiel, assuré par des ^.gents rétribués, les commissions
» météorologiques vogueront à l'aventure, sans direction, sans esprit de
» de suite, sans concert.
» Assurez ce minimum de service, elles reprendront leur activité féconde
» et donneront des travaux d'une véritable valeur.
» J'encourageai donc M. Léon dans son idée et l'engageai à la trans-
» former en projet à soumettre à M. Planté, maire d'Orthez.
» Celui-ci, archéologue distingué, esprit ouvert et accueillant, vit aussitôt
» dans ce projet une occasion favorable de conserver, restaurer et utiliser
» le vieux donjon de Gaston Phœbus et promit son concours ie plus
» empressé.
284 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
» Le conseil municipal d'Orthez, sur la proposition de son chef, prenait,
» à la date du 12 février dernier, une délibération des plus favorables ;
» l'affaire est soumise au conseil général et suit son cours. Peut-être
» aboutira-t-elle au moment du Congrès? »
Aujourd'hui, avec la réorganisation de la Société pyrénéenne de climato-
logie, la création de l'observatoire d'Orthez est décidée; le maire d'Orthez
s'est mis en rapport avec le ministre pour la restauration de la tour
Moncade, classée parmi les bâtiments historiques ; un plan a été fait avec
tous les aménagements que comporte un observatoire. Trois étages et la
terrasse renfermeront les ateliers de réparation des instruments et le loge-
ment du gardien, la salle des archives et de la bibliothèque, la salle des
instruments qui n'ont pas besoin d'une exposition à l'air, la terrasse pour
tout ce qui constitue les observations à l'air libre. Les alentours seront
disposés en jardin, et une esplanade sera formée pour placer l'abri Renou,
pour les observations des instruments qu'il comporte.
Nous venons donc, au nom de la Société jnjvénéenne de climatologie, au
nom de M""^ veuve Carlier, au nom de la ville d'Orthez, au nom du dépar-
tement des Basses-Pyrénées et de la région tout entière du sud-ouest,
solliciter de V Association française pour l'avancement des sciences, réunie
en Congrès à Pau, de vouloir bien appuyer de son autorité le projet de
fondation de l'observatoire régional de la tour Moncade, à Orthez, reconnu
comme utile et complémentaire des grands observatoires établis.
M. Alfred AIGOT
Docteur es sciences, Météorologiste titulaire au Bureau central météorologique de France, ^ Paris.
SUR L'ÉTUDE DES NUAGES PAR LA PHOTOGRAPHIE
— Séance du 16 septembre 1892 —
L'étude des nuages est une des parties les plus intéressantes de la météo-
rologie. Leurs mouvements et leurs formes sont en relation certaine avec
les variations du temps et permettent souvent de les annoncer longtemps à
l'avance. D'autre part, la détermination de la hauteur et de la vitesse ab-
solue des nuages est le seul moyen que nous possédions, en dehors des
A. ANGOT. — SUR l'ÉTUDE DES NUAGES PAR LA l'IIOTOGRAPHIE 285
ascensions aérostatiques, pour connaître la direction et la vitesse des cou-
rants supérieurs de l'atmosphère.
Mais cette étude offre les plus grandes difficultés ; il est impossible, en
effet, de décrire l'aspect des nuages d'une façon assez précise pour qu'on
puisse s'en faire une idée même approchée. Le dessin est également im-
puissant à saisir ces apparences si complexes et si rapidement variables.
L'emploi de la photographie s'impose donc d'une manière absolue pour
fixer l'aspect exact du ciel à un moment donné.
Cet emploi est aussi très avantageux quand on veut déterminer la posi-
tion absolue des nuages dans l'espace. Pour faire cette détermination, on
mesure d'ordinaire simultanément au théodolite^ de deux stations suffisam-
ment éloignées, l'azimuth et la hauteur du même point d'un nuage ; on en
déduit, par les méthodes ordinaires de triangulation, la hauteur de ce
point au-dessus du sol et sa distance aux deux stations. En répétant la
même opération quelque temps après et comparant les deux positions succes-
sives occupées par ce point, on calcule aisément la direction et la vitesse du
mouvement de translation dont le nuage est animé. Cette méthode, simple
en théorie, présente dans l'application de grandes difficultés. Les deux
stations doivent être reliées par le téléphone, pour que les observateurs
puissent s'entendre sur le point exact du nuage qu'il convient d'observer;
cette entente est généralement malaisée et il peut souvent subsister quel-
ques doutes sur l'identité des points visés. En tous cas, l'opération est
longue et ne peut pas être répétée rapidement pour plusieurs points, ce
qui serait cependant indispensable; ce n'est, en effet, qu'en mesurant
presque au même instant la hauteur et la vitesse de différents points
d'un même nuage et comparant les résultats, qu'on peut apprécier le
degré d'exactitude des mesures et obtenir une moyenne méritant quelque
confiance.
L'emploi de la photographie présente, dans ce cas encore, des avantages
évidents. En photographiant simultanément de deux stations suffisamment
éloignées la même région du ciel, on obtient d'un seul coup l'image exacte
de tous les nuages que cette région comprend. On peut ensuite effectuer à
loisir sur ces plaques toutes les mesures nécessaires d'azimuth et de hau-
teur et pour autant de points que l'on veut, en prenant tous ceux qui
peuvent être identifiés d'une manière certaine sur les deux épreuves.
Toutes les fois qu'on a des nuages sombres sur un fond bleu ou blanc,
la méthode photographique ne présente aucune difficulté. On opère avec
des plaques quelconques au gélatino-bromure d'argent et avec un obtu-
rateur permettant d'obtenir des poses très courtes, entre un dixième et un
centième de seconde ou même moins. Après trois ou quatre essais, on
saura immédiatement quelle vitesse convient le mieux pour l'objectif et les
plaques que l'on emploie, ainsi que pour le degré de clarté du ciel.
286 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
J'estime qu'il est préférable, dans le doute, d'avoir plutôt un léger excès
qu'un défaut de pose. Si, après développement et fixage l'épreuve paraît
un peu trop posée, on la ramènera facilement au point voulu en la plon-
geant dans un bain d'hyposulfite de soude de 0 0/0 à 10 0/0, dans le-
quel on ajoute progressivement quelques gouttes d'une solution saturée
de prussiate rouge de potasse, faite peu de temps avant l'emploi. L'image
se ronge peu à peu dans ce bain, plus ou moins vite, selon la quantité
de prussiate; on suivra la diminution d'intensité avec soin; on retirera
la plaque un peu avant d'être arrivé au point voulu et on lavera ensuite
abondamment. Par ce moyen, on peut toujours tirer un bon parti de
plaques un peu trop posées, et l'on obtient, à mon avis, de meilleurs ré-
sultats qu'avec des épreuves trop peu posées qu'on essaierait ensuite de
renforcer par les procédés ordinaires.
On ne rencontre de réelles difiîcultôs que pour photographier des
nuages blancs, surtout légers, comme les cirrus et cirro-cumulus, se dé-
tachant sur un ciel bleu clair. On sait, en eiïet, que, sur les plaques ordi-
naires, le bleu agit à peu près comme le blanc, de sorte qu'on n'obtient
sur le cliché qu'un ciel uniforme ou présentant des apparences de nuages
trop faibles pour permettre des mesures et surtout des reproductions po-
sitives. Il n'y a qu'un moyen, c'est de chercher à éteindre l'action photo-
génique de la lumière du ciel, tout en conservant à celle des nuages une
intensité suffisante. On peut y arriver de plusieurs manières.
La plus simple consiste à interposer sur le trajet des rayons un écran
coloré en jaune ; la lumière bleue du ciel contenant peu ou point de
rayons de cette couleur est arrêtée presque complètement si l'écran est
suffisamment foncé ; au contraire, les nuages agissent sur la plaque sen-
sible parleur lumière jaune et produisent une impression. C'est ce procédé
qui a été employé le premier. M. Hildebrandsson, d'Upsal, a obtenu ainsi
d'assez belles épreuves : il prenait comme écran une cuve de verre à
faces parallèles contenant une dissolution de gomme-gutte additionnée
d'un peu de sulfate de quinine. Seulement, comme les plaques ordinaires
ne sont que très peu sensibles aux rayons jaunes, il faut poser très
longtemps ou employer des plaques préparées d'une façon spéciale, de
manière à augmenter leur sensibilité pour les rayons moyens du spectre
solaire. C'est ce moyen que paraît avoir aussi employé M. Garnier, de
Boulogne-sur-Seine, qui a obtenu les plus belles photographies que j'aie
vues jusqu'à ce jour. Malheureusement, M. Garnier n'a pas publié son
procédé, sous le prétexte que les tours de main auxquels il a recours sont
trop compliqués pour pouvoir être décrits d'une manière précise et appli-
qués par d'autres que par lui.
Un autre moyen, qui a permis à M. Riggenbach, professeur à l'Univer-
sité de Bâle, d'obtenir de très belles épreuves, consiste à profiter de ce que
A. A.NGOT. — SUR l'ÉTUDE DES NUAGES PAR LA PHOTOGRAPHIE 287
la lumière bleue du ciel est partiellemenl polarisée, surtout à 90 degrés du
soleil, tandis que celle des nuages ne présente pas trace de polarisation.
En regardant le ciel à travers un analyseur, que l'on tourne d'une façon
convenable, on éteint donc une partie notable des rayons émis par le ciel
bleu, sans diminuer proportionnellement l'intensité des nuages; le con-
traste est augmenté et l'on peut obtenir des épreuves de nuages très belles.
Comme analyseur on place devant l'objectif soit un prisme de Nicol, soit
une glace noire inclinée sur l'axe optique de l'objectif, d'un angle égal à
l'angle de polarisation totale, et portée par une monture qui lui permet
de tourner autour de cet axe. L'inconvénient de cette méthode est, qu'elle
n'est pas générale, le degré de polarisation de la lumière bleue du ciel
variant beaucoup suivant la direction. De plus, on ne peut guère employer
le JNicol, qui diminue trop le champ, et la glace noire placée devant
l'objectif rend l'orientation de l'appareil assez difficile. Toutefois, ce pro-
cédé peut rendre de grands services ; il a donné, entre les mains de
M. Riggenbach, de très beaux résultats, surtout quand on opère, comme
l'a fait ce savant, au sommet de hautes montagnes où le ciel est toujours
beaucoup plus foncé, ce qui augmente déjà beaucoup la différence entre les
actions photogéniques du ciel et des nuages.
Un dernier procédé qui a été également employé par M. Riggenbach
est le suivant : On n'emploie aucun artifice spécial et on photographie
simplement le ciel, mais avec un diaphragme assez petit et une durée de
pose assez courte pour que presque rien ne vienne au développement et
qu'on aperçoive seulement, après tixage, une image des nuages extrême-
ment faible, à peine apparente ; on emploie alors un renforcement
énergique. Celui qui a donné les meilleurs résultats à l'auteur est le
renforcement au mercure et au sel de Schlippe (sulfo-antimonite de
sodium). Ce renforcement s'effectue de la manière suivante : la plaque,
fixée et lavée comme d'ordinaire, est plongée quelques minutes dans une
dissolution à 1 1/2 0/0 de bichlorure de mercure, lavée abondamment,
puis immergée dans une dissolution à 2 0/0 de sel de Schlippe, où on la
laisse assez longtemps pour qu'il ne reste plus aucune place blanche sur
l'envers de la plaque. On termine par un bon lavage. Ce procédé, qui
peut donner parfois de bons résultats, ne me paraît pas absolument recom-
mandable; il est, en tous cas, très dangereux. Le sel de Schlippe est, en
effet, d'une conservation difficile et l'on risque le plus souvent de gâter
complètement ses clichés en les renforçant.
Grâce à une subvention qu'a bien voulu m'accorder V Association fran-
çaise jiour l'avancement des sciences, j'ai pu faire depuis quelques mois
de nombreux essais de photographies de nuages, et je crois que le pro-
cédé le plus sûr et en môme temps le plus simple est encore le premier,
c'est-à-dire l'emploi décrans colorés, à condition de se servir en même
288 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
temps de plaques convenables. Le plus commode de tous les écrans est
certainement un verre jaune de couleur convenable ; mais comme il faut
de nombreux essais pour trouver la meilleure sorte de verre, je crois qu'il
vaut mieux recourir aux écrans liquides, dont la composition peut toujours
être reproduite identiquement la môme. Le liquide dont je fne sers cons-
tamment est le suivant, que m'a indiqué i>L Léon Vidal, mais qui a été,
je crois, employé pour la première fois par le docteur Neuhaus :
Sulfate de cuivre 175 grammes.
Bichromate de potasse 17 —
Acide sulfurique 5 centigrammes.
Eau SOO grammes.
On peut, du reste, augmenter ou diminuer à volonté la quantité d'eau
suivant l'intensité de la teinte que l'on veut obtenir.
Ce liquide est renfermé dans une petite cuve fermée par des glaces paral-
lèles et que l'on peut fabriquer soi-même ou se procurer facilement chez
tous les fabricants d'instruments d'optique. On place cette cuve contre
l'objectif, soit en avant, soit en arrière, suivant que cela paraît plus com-
mode. Les cuves que j'emploie ont de G à 7 millimètres d'épaisseur inté-
rieure. Concurremment avec ce li(|uide, il convient de se servir, comme
plaques sensibles, de celles que fabrique la maison Lumière et qu'elle
désigne sous le nom de plaques orthochromaliques sensibles au jaune et
au vert. Ces plaques se trouvent couramment dans le commerce et sont
très employées pour faire des épreuves de paysages.
Les photographies que je présente, en même temps que cette note, ont
été obtenues par ce procédé avec un petit objectif grand-angulaire de
Prazmovvski, de 15 centimètres de foyer et de 7 millimètres d'ouverture.
Avec cet objectif, ancien et peu lumineux, il suilit d'une durée de pose
de 0%5 à 0%8, suivant le degré d'éclairement des nuages. Tous les procédés
de développement conviennent : sulfate de fer et oxalate de potasse,
hydroquinone, paramidophénol ; mais il est bon d'ajouter toujours un
peu de bromure de potassium, ce qui retarde le développement, mais
donne des images plus denses. D'une manière générale, il vaut mieux
ne pas employer un développateur très rapide, et on se tiendra plutôt
un peu en dessous qu'en dessus de la durée de pose convenable, assez
près cependant de celle-ci pour n'avoir pas besoin de renforcement. Les
clichés faibles se prêtent mieux, en effet, aux mesures que les clichés
trop intenses, et on peut en tirer des positifs très convenables à l'ombre
et sous le papier dioptrique. Je citerai, par exemple, l'épreuve de cirro-
stratus obtenue le 13 août 1892, à 3 heures du soir (15'' 0'" 7'j. Bien que
ce nuage fût très léger et le ciel un peu laiteux, ce qui a donné un cliché
A. ANGOT. ^ — SUR l'ÉTUDE DES MAGES PAR LA PHOTOGRAPHIE 289
très faible, le positif, tiré à l'ombre sous le papier dioptrique, est très
satisfaisant.
Dans toutes ces épreuves, qui comprennent de préférence les nuages
'les plus difficiles à photographier, cirrus et cirro-stratus, on a poussé
intentionnellement le tirage assez loin, de manière à montrer que l'on
peut obtenir beaucoup de contrastes : un ciel très noir et des nuages très
blancs. Il est bon d'ajouter que toutes les photographies ont été faites
près de l'horizon, au Bureau central météorologique, dans l'intérieur de
Paris, c'est-à-dire dans des conditions atmosphériques peu favorables. Les
résultats seraient certainement bien meilleurs si l'on opérait dans de bonnes
conditions, à la campagne, ou mieux encore sur les montagnes.
Je me propose de continuer ces recherches et d'essayer, au moyen de
la photographie, de mesurer la hauteur et la vitesse des nuages. Le but
de la présente communication a été surtout de faire connaître aux ama-
teurs de photographie, si nombreux aujourd'hui, qu'il existe des procédés
simples et sûrs pour réussir les photographies de nuages. J'espère que
cela pourra en décider quelques-uns à se lancer dans cette voie et que
nous pourrons bientôt réunir en France une collection de photographies
de nuages qui ne laissera rien à envier à celles que l'on réunit en ce
moment dans les observatoires de l'étranger.
Légende des planches î et II.
•pl. I. — 31 mai 1892, à 3 h. 26 m. du soir.
Cirrus et cumulus au sud. Les cirrus venaient sensiblement du sud ; ils ont pré-
cédé un orage qui a éclaté le soir même à 7 heures.
Pl. II. — 29 août 1892, à 3 h. 43 m. du soir.
Cirrus et cumulus au nord-ouest. Les cirrus venaient sensiblement du sud-ouest;
beau temps.
'Ces deux photographies ont été faites avec un objectif grand-angulaire de Prai-
mowski,de 14 cenlimètres de foyer, derrière lequel était placée une cuve con-
tenant la dissolution de bichromate de potasse et de sulfate de cuivre. On a
«mplojé des plaques orthochromatiques Lumière ; durée de pose, 0',8.
l'J'
^290 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
M. le F &AILT
Bagnères-de-Bigorre.
QUATRE ANNÉES D'OBSERVATIONS A BAGNERES-DE-BIGORRE
— Séance du i7 septembre 1892 —
La station météorologique de Bagnères-de-Bigorre, dont la création
remonte au Congrès d'hydrologie et de climatologie de Biarritz (1886), a
commencé à fonctionner à la suite du Congrès de V Association française
de Toulouse (1887).
En résumant les observations prises depuis le 1" décembre 1887 jus-
qu'au 31 août 1892, on obtient les résultats suivants :
Pression 6arome^/-içMe. — Moyenne générale : 715'""M0.
(L'altitude de la station est de 550 mètres.)
Les chifïres extrêmes observés ont été : pour le minimum, 686'"'",70, le
19 février 1892 ; pour le maximum, 730'»'",50, le 8 janvier 1888.
Le minimum du 19 février est tout à fait exceptionnel. Les minima
des années précédentes oscillent entre 691,2 (1888) et 697,0 (1891).
Cette baisse extraordinaire a fait l'objet d'une communication à la SocieVé
de Météorologie (mai 1892).
Il est à remarquer que les pressions et les dépressions extrêmes se pro-
duisent pendant les quatre mois de l'hiver, de décembre à mars, et que
les moyennes les plus basses s'observent en mars et avril, époque de pré-
dilection des bourrasques.
Températwe. — Moyenne générale : 10°,5.
Les moyennes déduites d'observations antérieures, prises avec moins de
précision, donnaient des chiffres plus élevés.
Le mois d'octobre est celui dont la moyenne se rapproche le plus de la
moyenne annuelle.
Le mois de janvier donne la moyenne la plus basse : 3°, 5.
Les mois de juillet et d'août, les moyennes les plus hautes : 17^21
et 17°,99.
La température la plus basse a été de — 15°, le 18 janvier 1891.
La température la plus haute a été de 37°, le 16 août 1892. Ce maxi-
]num est absolument exceptionnel.
H. LÉON. UN SANATORIUM DANS LES PYRÉNÉKS 291
Le thermomètre, déduction faite de ces deux chiffres, se tient entre
— 13°,8 (1890) et 32°.06 (août 1890).
Nébulosité. — Moyenne générale : 6,23.
Humidité relative. — Moyenne générale : 70,4.
Les moyennes les plus basses sont données par le mois de mars (notre
mois le plus venteux), 6i,2, et par le mois de décembre, 65,3.
Les moyennes les plus fortes sont données par les mois de juillet et
d'août, 73,1 et 72,2.
Les plus fortes sécheresses ont été observées de décembre à février : 14,
en décembre 1888 ; 19, en décembre 1889; 16, en janvier 1890 ; 8 (!) en
février 1891.
Pluviométrie. — Moyenne générale annuelle : 1.360 millimètres.
Les années extrêmes ont été : l'année 18!^8, qui a donné 1131 milli-
mètres et l'année 1889, qui a donné 1573 millimètres.
Les mois les plus secs sont les mois de décembre, février, septembre
janvier (décembre étant le plus sec). Les mois les plus pluvieux sont les
mois d'août, mai, juin.
Comme chiffres extrêmes, nous relevons un minimum de ^°"'\i en fé-
vrier 1891 ; et un maximum de 294°»'", 2 en février 1889.
II tombe plus d'eau la nuit que le jour, dans la proportion de 1/5.
Note. — Le principal intérêt de la station météorologique de Bagnères-
de-Bigorre consiste dans sa proximité de l'observatoire du Pic du Midi,,
avec une différence d'altitude de 2,327 mètres.
M. Henry LE 01
Président de la Société de Climatologie pyrénéenne, à Bayonne.
UN SANATORIUM DANS LES PYRÉNÉES. BAGNÈRES-DE-BIGORRE
ET LA FONTAINE DES FÉES
— Séarire du 17 septembre 1892 —
Il y a quelques années encore, le traitement par l'air n'avait pas été
élevé à l'état de principe. L'art de respirer pour le soulagement ou la
guérison de certaines maladies n'était pas mis en pratique et si, dans
les livres bien anciens, on en trouvait les indications, ces livres étaient
METEOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GL013E
trop recouverts de la poussière du temps pour qu'on aille en ouvrir
les feuillets. Parfois donc, les médecins vous envoyaient, dans certains
états de faiblesse anémique, au bord de la mer ou dans la montagne,
mais ils ne vous traçaient pas les règles d'une vie au grand air, selon
l'état morbide de votre santé.
Il n'en est plus ainsi maintenant et, parmi les traitements à appliquer,
le traitement par l'air occupe une grande place. Il en est découlé la science
de la climatologie, nécessaire à l'appréciation et à l'application pratique
de toutes les stations qui, en France comme à l'étranger, se sont suc-
cessivement fondées, formant, à côté des réseaux des stations thermales,
le réseau des stations climatiques.
Toutefois, les médecins n'en avaient pas formulé la théorie et quand,
il y a quelques années, nous avancions dans quelques articles, sous le
titre : La Médication par l'air^ les avantages de la vie au grand air dans
certaines des stations du sud-ouest pyrénéen, nous étions pour ainsi
dire des premiers.
Il a fallu qu'un médecin suédois, le docteur Detweiller, basant sur ce
principe le traitement des tuberculeux à Falkenstein, près de Francfort-
sur-le-Mein, tout en y joignant celui de la suralimentation, surtout par
la viande et le lait, et de la gymnastique pulmonaire, vînt synthétiser,
pour ainsi dire, ces éléments divers en une méthode sévère. Et cette
méthode, dont il a été fait grand bruit dans ces derniers temps, est venue
réveiller l'esprit de la médecine qui, et elle a eu raison, ne veut plus
rester en arrière dans la propagation des traitements de la phtisie par
l'air, et par analogie de tous ces états maladifs qui ont pour base la
faiblesse du tempérament.
De là on est donc parti, soit en France, soit à l'étranger, pour établir
les différents degrés de l'aérothérapie et l'on a aifiché des stations clima-
liques qui se sont divisées en maritimes et montagneuses, et ensuite
créer des sanatoi'ia, construisant des établissements appelant les ma-
lades et les soignant selon des règles méthodiques.
C'est ainsi qu'avec de nombreuses stations climatiques se sont peu
à peu établis en France les sanatoria marins de Berck-sur-Mer, Arca-
chon et Cap-Breton sur l'Océan ; Banyuls sur la Méditerranée, et aussi
le sanatorium de montagne du Vernet, dans les Pyrénées-Orientales, au
Ganigou, placé à 650 mètres d'altitude.
Mais les Pyrénées du sud-ouest n'ont pas encore admis ce dernier
ordre d'idées, et cependant où pourrait- on mieux, que dans certaines
situations privilégiées de ces montagnes, fonder des sanatoria qui béné-
ficieraient de tout ce qu'offrent déjà de salutaire les stations qui y ont
été installées. Et dans le nombre de ces stations, nous signalerons
Bagnères-de-Bigorre.
H. LÉON. UN SANATORIUM DANS LES PYRÉNÉES 293
Bagnères-de-Bigorre ne doit pas seulement sa renommée à la variété
de ses nombreuses sources d'eaux thermales, ayant chacune son caractère
spécial et particulier, dont l'application dirigée avec intelligence a fait
de cette ville une des grandes stations pyrénéennes; il se dislingue
encore par sa situation exceptionnelle au milieu d'une large vallée qu'en-
tourent des coteaux étages, aux sites riants et pittoresques, et des mon-
tagnes successives, d'altitudes diverses, se profilant . jusqu'aux: pics élev
de la grande chaîne, dont les massifs principaux apparaissent au loin
avec leurs cimes rocailleuses et leurs glaciers de neige. Et entre les
dWers contreforts s'ouvrent des vallées plus petites, plus étroites, cul-
tivées et boisées suivant la direction des pentes, d'oîi s'écoulent des
eaux vives et murmurantes, descendant torrentueuses, favorisant la ver-
dure et la végétation et portant partout l'air et la fraîcheur, donnant
ainsi à l'atmosphère un caractère de pureté. On peut donc dire que
Bagnères-de-Bigorre est aussi une station d'aérolhérapie, car on vient s'y
poser pour y respirer uniquement, et la valeur de son climat va chaque
jour en s'affîrmant.
Mais l'impulsion qu'elle mérite dans ce sens nouveau de la médication
par l'air ne lui a pas encore été donnée. On n'a pas profité de la
réclame que pouvait lui faire son climat, privilégié par sa fraîcheur en
été, modéré dans ses températures en hiver, pour y disposer des ins-
tallations appropriées, susceptibles d'appeler les malades et les engageant
à venir se soulager ou se guérir dans les maux qui les atteignent. Et
cependant la médecine y trouverait un aide, car, impuissante trop sou-
vent, elle ne peut modifier l'organisme sans ce grand pharmacien du
monde, la nature, qui a su, dans certains lieux et surtout fi Bigorre,
doser avec un soin tout particulier la véritable nourriture de nos pou-
mons, apportant par là une régénération dans notre sang et renforçant
nos organes atïaiblis.
La routine seule s'est poursuivie à Bigorre, laissant simplement aux
mœurs qui, en se modifiant, ont réclamé plus d'aise et de confort, le
soin de provoquer des logements mieux compris, plus exposés aux
faveurs de l'air et du soleil, au milieu de jardins ombragés et fleuris.
Le moment serait aujourd'hui venu d'aller plus loin dans le progrès de
l'art de vivre et de fonder des établissements qui serviraient à la mise
en pratique des théories préconisées depuis quelques années, pour la
recherche de la santé et la guérison des maladies oii un air léger, un
air pur est nécessaire.
Autour de Bigorre, une situation se présente d'elle-même pour y poser
un de ces établissements, c'est celle de la Fontaine des Fées. Non loin
de la ville, sur le parcours d'une des excursions les plus fréquentées par
son accès facile, le Bedat, avec une route déjtà tracée au milieu d'om-
294 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
brages qui, par les fontaines ferrugineuses, contournent le Montaliouet,
se trouve, dans le vallon qui sépare cette petite montagne de celle du
Bedat, une déclivité en pente douce, placée pour ainsi dire tout exprès
pour être le centre d'une oasis oîi s'élèverait un hôtel construit selon
les règles nouvelles du confort et de l'hygiène. A 4.000 mètres de la
ville, par les. sinuosités de la route, à 220 mètres à vol d'oiseau au-
dessus des maisons et de l'établissement des thermes, à 770 mètres d'al-
titude au-dessus de la mer, il pourrait y être favorisé un plateau dont
l'exposition serait parfaitement en rapport avec les conditions réclamées
pour un établissement sanitaire. Placé au sud-sud-est, par sa position
naturelle, garanti du sud et du sud-ouest par le Bedat, de l'ouest et du
nord par le Montaliouet, il recevrait par-devant les rayons tournants
du soleil et serait abrité par derrière des vents souvent violents et
désagréables qui apportent le mauvais temps ou provoquent le froid.
Comme pittoresque, il n'est pas de site plus ravissant. A côté se trouve
avec sa forêt naissante et conmie un paravent de verdure, le Bedat au
haut duquel plane, sur le mamelon pointu, la statue de la vierge protec-
trice du Bedat; en suivant à gauche, dans le bas, la route du fond de la
vallée à côté de laquelle se dessine le cours du torrent de l'Adour ; sur la
droite, les coteaux riants de la vallée de Campan se poursuivant jusqu'aux
hautes montagnes et laissant de côté la Monné, le Mont-Aigu et le Pic du
Midi, cachés par le Bedat, comme le doigt mis devant l'œil cacherait un
objet cent fois plus grand que lui ; au loin et au-dessus l'Arbison avec
ses cimes dentelées; plus loin encore les montagnes aux glaciers perma-
nents qui sont plus immédiatement le fond de tableau de la vallée de
Ludion, aperçue du col d'Aspin, indiquant les sommets élevés du lac d'Oo,
du port de Vénasque et de la Maladetta.
Puis devant, comme un promontoire élevé au-dessus de la vallée, le
massif de Lhéris au casque de pierre, entouré de ses pics dont les verts
pâturages sont entrecoupés de bosquets de sapins aux nuances noirâtres.
Et descendant sur la gauche, avec leur rangée d'arbres méthodiquement
espacés et se dessinant à travers les clartés du ciel, les pentes douces
des Palomières dont les coteaux s'abaissent de plus en plus et vont se
mêler aux vallonnements successifs de la plaine qui se perd peu à peu
dans l'immensité de l'espace pour se confondre à l'iiorizon avec l'im-
mensité de la voûte céleste.
Pour égayer le tableau, coquettement groupés au milieu du tapis cultivé
de la vallée, avec leurs maisons aux murs blancs et aux toits d'ardoise,
les villages d'Asté et de Gerde; se rapprochant de Bagnères, le château de
Pinse, placé comme un ornement dans le cadre riant du paysage; enfin
les maisons de la ville vues de haut, dispersées avec leurs rues et leurs
places, au milieu desquelles dominent les tours de l'horloge et de l'église.
H. LÉON. UN SANATORIUM DANS LES PYUÉNÉES 295
C'est ce point de vue changeant suivant les clartés du jour, agrandi
ou rétréci par les nébulosités de l'atmosphère, embelli par les rayons du
soleil ou rembruni par les tristesses d'un ciel pleia de nuages, que l'on
aurait constamment devant soi, avec de l'air se renouvelant en brise
légère, matin et soir, conformément au régime des courants atmosphériques
que subit la vallée, avec un espace que l'œil embrasse dans une étendue
qui n'a de borne que le lointain des montagnes et celui de la plaine.
Le moral, comme le physique, y trouverait ses remèdes, car la sédation y
serait grande pour l'élément nerveux qui fait souvent partie de la disposition
morbide de l'homme. Le corps y recevrait tout ce qui naîtrait des con-
ditions favorables de respiration dans lesquelles il vivrait et s'y régénérerait
par l'excitation qui serait la conséquence de la nourriture aériforme dont
il serait, malgré lui, rassasié.
Par un effet spécial de la configuration des vallonnements au centre
desquels s'échappe le ruisseau de la Fontaine des Fées, la route, qui les
contourne dans leurs divers replis, se trouverait horizontale avec un par-
cours qui pourrait être de près de L500 mètres, formant ainsi une pro-
menade où le malade agirait sans fatigue sous les ombrages touffus
du Montaliouet et du Bedat, entre lesquels un plateau, s'ouvrant dans
l'échancrure qui s'est faite à l'ouest, permettrait un terre-plein vaste et
également ombragé.
La végétation, qui forme les ombrages du Montaliouet et du Bedat,
se compose d'arbres, partie à feuilles caduques, partie à feuillage persis-
tant, offrant par cette variété les avantages de l'ombrage en été, sans en
exclure, en hiver, l'influence bienfaisante des rayons du soleil. Les diverses
essences qui dominent sont : d'un côté, les châtaigniers, les chênes, les
hêtres, les bouleaux; de l'autre, les sapins, les pins maritimes, les pins
sylvestres et les mélèzes. Ces dernières essences viennent, à certains mo-
ments, mêler leur senteur résineuse à la pureté de l'air.
De cette route horizontale se détachent, soit en avant, soit en arrière
de la Fontaine des Fées, des sentiers bien tracés qui s'élèvent ou qui
descendent, s'entrecroisent en lacets pour aboutir plus directement à
Bagnères ou au sommet du Bedat.
Il n'a pas été fait d'observations météorologiques sur le climat particu-
llier du vallon de la Fontaine des Fées, comparativement avec celui de
Bagnères-de-Bigorre; mais l'expérience de ceux qui aux diverses saisons
de l'année y ont été ou y ont séjourné, fait croire qu'il pourrait être tout
à l'avantage d'une station sanitaire, car son exposition au soleil, les abris
naturels dont il est entouré, sa hauteur moyenne au-dessous du Bedat.
semblent y avoir favorisé une température qui, pendant la journée médi-
cale, serait aussi modérée et peut-être plus que celle de Bagnères.
Ne participant qu'indirectement et pour en recevoir seulement les avan-
296 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
lages, du grand courant qui de la plaine va à la montagne, ce vallon béné-
ficierait en hiver de la situation exceptionnelle que sa position climatérique
a faite, profitant en été de l'altitude dont il jouit, et qui, avec l'espace au-
dessus de la vallée, amène le calme de l'air joint au calme de la nature.
Les nuages qui descendent des montagnes ne font que frôler le liant du
Bedat et ils s'arrêtent même au vallon de la Fontaine des Fées, laissant
l'atmosphère libre de l'humidité qu'ils apportent. La neige, quand elle
tombe, se répand en couche épaisse tout autour, mais elle fond sur les pentes
ensoleillées du vallon, aux premiers rayons du soleil qui succèdent vite
aux intempéries, chassant avec la sécheresse de l'air l'humidité du sol.
On pourrait reprocher à la Fontaine des Fées son peu d'altitude, les
théories qui ont été faites jusqu'à ce jour pour l'amélioration de certaines
affections morbides, et surtout pour la guérison des maladies de poitrine,
portant toutes sur les grandes altitudes. Mais ne sont-ce pas des théories
nouvelles et par suite sujettes à erreur? Ne reviendra-t-on pas, avec quelque
raison, sur l'avantage des altitudes moyennes, parce qu'avec les facilités
d'accès, on y trouvera des températures moins extrêmes et plus douces
qui n'exclueront pas la pureté de l'air, élément essentiel du traitement?
Et, dans ce cas, Bagnères-de-Bigorre pourrait devenir, dans le vallon
de la Fontaine des Fées, l'objet d'un établissement type qui, aux avan-
tages du climat et de l'air, réunirait ceux qu'il peut tirer de la médication
déjà utilisée des eaux sulfureuses de Labassère et arsenicales de Salies,
justement appréciées pour les maladies des voies respiratoires et la recons-
titution de l'organisme affaibli. Il pourrait en être fait, en la transportant
avec toutes les précautions voulues, une buvette spéciale pour les malades
qui en auraient besoin.
M. AVoqU PICÏÏE
Président de la Commission météorologique des Basses-Pyrénées, à Pau.
LE DEPERDITOMETRE
Séance du i7 septembre 1892
Ce nouvel appareil de physique n'est pas, comme le thermomètre, un
instrument météorologique, mais un instrument climatométrique.
Le thermomètre, en effet, peut bien mesurer l'état de vibration ther-
mique d'un milieu, par rapport à l'état vibratoire de l'eau distillée qui se
A. PICHE. I.E nÉPEUDnOMKTlîK 297
congèle et qui bout ; mais il ne donne aucune idée, même approchée, de
la sensation de chaleur ou de froid, éprouvée, dans ce milieu, par le
corps de l'homme, qui, vous le savez, se maintient toujours à 37 degrés.
En Sibérie, le thermomètre marque, parfois, 4o degrés au-dessous
de zéro et notre long-voyageur, M. le comte Russell, vous dira que,
malgré cette température extraordinairement basse, on n'éprouve pas de
sensation pénible, désagréable, si l'air est en repos; bien plus, on se met
aisément en nage, si on monte la moindre colline exposée aux rayons du
soleil.
Au contraire, que l'air soit un peu vif et humide, on se sent glacé, on a
les oreilles coupées, suivant l'expression vulgaire, avec o degrés au-dessus
de zéro, soit avec une température de 50 degrés plus élevée que dans le
cas précédent.
Le thermomètre n'indique donc, en aucune façon, la sensation calorique
qu'un homme bien portant (a fortiori un malade) éprouve dans une station
d'hiver ; et dire que la moyenne température hivernale, à Pau, n'est que
de 6°, 33, tandis qu'elle est de 7'^,9 à Biarritz, c'est absolument comme si
l'on ne disait rien, au point de vue climatologique.
Cette manière de voir ne m'est nullement personnelle, et c'est avec
plaisir que j'ai trouvé, dans le volume préparatoire du Congrès de Pau,
cette citation du célèbre D"" Louis :
« Ici se présente naturellement cette remarque vulgaire, que le même
» degré du thermomètre n'est pas toujours accompagné, bien s'en faut,
» du même sentiment de chaleur ou de froid ; que, dans une même jour-
» née, dans un même lieu, par une même température, on peut avoir
» alternativement froid et chaud, suivant qu'il y a du vent ou qu'il n'y
» en a pas. — D'où la possibilité d'avoir froid à Rome et chaud à Pau, par
» le même degré du thermomètre. »
C'est sous l'impression de ces idées que j'ai imaginé mon nouvel appa-
reil qui, mieux que le thermomètre, donnerait la valeur de la thermalité
d'un climat.
Comme il mesure la quantité de calories que l'air ambiant enlève, dans
un temps donné, à un vase évaporant, en faisant connaître la quantité de
calories qu'il faut produire pour maintenir ce vase à la température du
corps humain, dans un milieu donné, je l'avais d'abord appelé un calori-
soustractomètre. Le mot étant quelque peu long et désagréable à l'oreille,
je vous propose, sauf meilleur avis de votre part, de l'appeler déperdito-
mètre. Il donnerait, en effet, la mesure de la déperdition de chaleur que
le corps humain subit dans un certain milieu, en mesurant le gaz (ou l'al-
cool) brûlé, en douze ou vingt-quatre heures, pour maintenir l'équilibre
thermique de l'eau contenue dans le vase poreux ; équilibre sans cesse
troublé par la soustraction de calorique, que lui enlève l'air ambiant, et
:â98 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
qui varie sous l'action principale de cinq facteurs : la pression de l'air, sa
température, son agitation, son humidité et sa tension électrique.
L'appareil pourrait être ainsi établi ; je dis : pourrait, car, hélas ! il
n'existe encore que dans mon cerveau, à l'état un peu vague de projet
élaboré.
En voici, cependant, le dessin fait à l'intention du Congrès :
Comme vous le voyez, l'appareil se compose d'un vase poreux A. (qu'il
LEGENDE :
A. Vase poreux rempli d'eau distillée.
B. Soubassement contenant un bec de gaz.
C. Tube gradué mesurant l'eau évaporée.
D. Tube pour l'issue de l'air chaud.
E. Tube à boule plein de mercure.
F. Globule de mercure régulateur.
G. Gazomètre à cloche graduée.
H. Tube pour remplir le gazomètre.
rr. Robinets.
conviendrait peut-être de revêtir d'une membrane animale pour se rap-
procher des conditions de la peau), vase fermé, plein d'eau distillée, sur-
monté d'un tube gradué pour l'introduction de l'eau C, et pour mesurer la
quantité d'eau évaporée d'une observation à l'autre.
Ce vase monté sur un soubassement B, dans lequel brûle un petit bec de
gaz, destiné à maintenir la température de l'eau à 37 degrés, est traversé
par un tube droit, ou contourné en spirale D, pour la sortie du gaz comburé.
Il contient enfin un thermomètre plein de mercure E, dont la tige, re-
courbée à angle droit, à sa sortie du vase, plonge sa pointe effilée dans un
pli, ou coude, que forme le tube amenant le gaz au brûleur.
A. PICHK. — LE DÉPERDITOMÈTRE 299
Ce coude contient ainsi un globule de mercure F, qui l'obstrue partielle-
ment, et qui laisse passer plus ou moins de gaz, selon que l'eau du vase,
trop froide ou trop chaude, contracte ou dilate le mercure du thermo-
mètre.
Ce régulateur fort simple, que j'ai trouvé sans le chercher (tant il est
vrai que les idées nous viennent sans y songer), pourrait être remplacé
par un des régulateurs construits par M. Wiesnegg, pour étuves d'expé-
riences physiologiques, régulateurs que je ne connaissais pas alors et qu'un
chimiste ami m'a, depuis, fait connaître.
Un petit gazomètre G, relié au tube coudé, fournirait le combustible et,
par la graduation de sa cloche, donnerait la mesure du gaz brûlé.
On pourrait aussi plus simplement chauffer à l'alcool et peser l'alcool
dépensé.
Du reste, Messieurs, je n'ai pas pris de brevet; je vous livre l'idée pour
ce qu'elle vaut; M. Teisserenc de Bort, à qui je la communiquais par
lettre, me répondait que, lui aussi, avait eu cette idée ; peut-être même
en avions-nous causé au Congrès de Biarritz, de douce mémoire. Peu
importe la priorité de l'idée; honneur et gloire à qui la réalisera le
premier.
Car c'est peu de concevoir une idée nouvelle ; le mérite, c'est de vaincre
les difficultés qui s'opposent à sa réalisation ; c'est de la rendre pratique,
utile, bienfaisante, acceptable ; c'est de la faire triompher !
Supposons-la réalisée ; vous prenez deux appareils semblables, vous
les placez dans les mêmes conditions ; ils doivent marcher également.
S'ils présente^t une légère différence, faites pour l'un d'eux une table
de correction ; puis portez l'un h Biarritz ou à Nice, laissez l'autre à Pau,
mettez-les sous l'abri Renou, et j'affirme à l'avance que, bien que, l'hiver,
le thermomètre donne à Pau une moyenne inférieure de 3 degrés à celle
de Biarritz ou de Nice, le déperditomètre brûlera dans ces stations plus
de gaz que dans la cité paloise.
C'est ce qu'il fallait démontrer !
Si je ne craignais de me faire accuser par mes concitoyens de faire une
réclame indirecte pour des stations rivales, en résumant ma thèse en un
mot d'apparence trop paradoxale, je dirais que le déperditomètre est un
instrument qui a pour but de prouver de façon irréfutable qu'à Pau un
malade a chaud, même quand il y fait froid... au thermomètre.
On reprochera au nouvel instrument d'être un peu compliqué. Peut-
être pourrait-on trouver mieux : suspendre, par exemple, sous les abris
météorologiques des deux localités à comparer, une cage renfermant un
moineau de santé robuste et égale et peser, chaque jour, ce qu'il aurait
bu et mangé.
Deux écureuils comparables et comparés vaudraient peut-être mieux
300 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
encore ; car on pourrait mesurer leur travail giratoire à l'aide d'un comp-
teur adapté à la roue de leur cage.
Le comble serait enfin — risum teneatis amici? — de trouver deux ser-
gents de ville, d'égale humeur, qui consentissent à se prêter pendant trois
mois à l'expérience ! !
Cherchez, Messieurs, vous trouverez; mais surtout, expérimentez !
M. E. MEÎfDEZ
Membre de la Commission météorologique des Basses-Pyrénées, à Pau.
SUR LES REMOUS ATMOSPHÉRIQUES
Séance du 17 septeinbre 1892
FAITS D OBSERVATION
Nous avons pu observer souvent de ces remous atmosphériques sou-
levant des tourbillons de poussière, sable, feuilles, etc., etc. Cet effet
d'ascension, comme d'aspiration, est très net; mais un examen attentif
nous fît voir toujours qu'il ne s'agit là que d'un seul des côtés du phéno-
mène.
Si une partie des objets entraînés avait bien une direction ascendante,
une autre partie de ces objets était au contraire portée vers le sol. H
paraissait exister deux courants : l'un ascendant, l'autre plongeant.
En réalité, et ainsi que nous avons pu le constater, les poussières et
autres objets prenaient en tourbillonnant dans les spires du remous, des
directions alternativement plongeantes et ascendantes, sous des angles
variés, selon les cas. De là les deux effets d'ascension et de chute que nous
avions observés.
Le remous nous apparut alors tel qu'il est, selon nous, constitué.
E. MENDEZ.
SIR LES REMOUS ATMOSPHERIQUES
301
II
TRAJECTOIRE DÉCRITE PAR LA VEINE d'aIR CONSTITUANT UN REMOUS. — DIVI-
SION DE CES REMOUS EN SECTEURS A COURANTS OU VENTS PLONGEANTS,
RASANTS ET ASCENDANTS.
Dans un remous, l'air qui le forme, animé d'un mouvement tourbil-
lonnaire dont le point de départ est situé à une hauteur variable selon les
remous, parvient soit seulement jusqu'à une zone de moindre altitude,
soit jusqu'au sol.
Ce mouvement n'est pas plongeant sur toute son étendue. L'angle initial
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FIG. 1,
Veine d'air constituant un remous : a, projection ; b, développement. Section de cette
veine par un plan passant par la ligne d'axe.
sous lequel s'enfonce la veine d'air constituant le remous se ferme pro-
gressivement jusqu'à se réduire à zéro. A partir de ce moment la veine
prend une direction ascendante. Elle rebondit pour ainsi dire, pendant
quelque temps, et atteint un point supérieur au delà duquel elle rebrousse
chemin vers la terre. La première spire supérieure du remous est décrite.
La suivante commence pour passer par les mêmes phases que celles
que nous venons d'indiquer, et ainsi de suite sur toute la hauteur du
remous, qui peut être formé par un nombre indéterminé de spires.
Nous avons tracé l'allure générale du phénomène en ABCDEK... (fig. 1, a),
dans le cône théorique RMS, d'un remous. En développant sur un plan
cette courbe, on obtient une ligne sinueuse, analogue à A'B'C'D'E'K'...
(fig. 1, b).
302 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
Chacune des spires d'un remous est composée ainsi de deux parties:
l'une dans laquelle le mouvement giratoire, c'est-à-dire le vent, est
plongeant; l'autre dans laquelle ce mouvement est ascendant; ces deux
parties étant raccordées entre elles, aux points de rebroussement supé-
rieur et inférieur par deux arcs de faible étendue relative, où la trajec-
toire passe par des instants pendant lesquels sa tangente est parallèle au
plan de l'horizon, c'est-à-dire où il ne règne que des vents rasants ou
sensiblement rasants (fig. 2 et /, b.)
S.S.E
FiG. 2. — Figure Ihéoriqiie d'un remous vu d'un point situé sur un plan
passant par l'axe et les aires où soufflent les vents de S.-S.-E.
La même disposition existe symétriquement dans toutes les spires du
remous. Le conoïde qui le constitue est ainsi divisé sur toute sa hauteur,
en quatre secteurs déterminés par les surfaces-limites où le mouvement
giratoire prend les diverses directions plongeante, rasante et ascendante
dont il est successivement animé dans chaque spire du remous, et ayant
toutes un lieu commun, l'axe du tourbillon, qui est la ligne d'intersec-
tion entre elles de toutes ces surfaces (fig. 2).
Dans l'un de ces secteurs, et sur toute la hauteur du remous, ne
régnent que des vents plongeants. Il n'existe que des vents ascendants
dans un autre de ces secteurs, ces deux régions étant séparées entre elles
par une troisième de faible importance relative, formée par les deux
secteurs restants, et dans lest[uels on ne trouve que des vents rasants ou
sensiblement rasants (fig. 2).
E. MENDEZ. SIR LES REMOUS ATMOSPHÉRIQUES 303^
III
DE QUELQUES EFFETS DIVERS QUE PEUT PRODUIRE
UN REMOUS ATMOSPHÉRIQUE
La veine d'air constituant un remous et qui est animée du mouvement
dont nous venons d'indiquer les principales lignes, peut rencontrer sur
son passage des matières qu'elle entraîne avec elle.
Ainsi qu'il arrive pour certaines trombes par exemple, ces matières
peuvent être puisées dans le nuage au milieu duquel le ou les cycles
supérieurs du tourbillon évoluent quelquefois. La vapeur condensée
constituant le nuage est saisie et entraînée vers le sol par le remous,
dans lequel elle suit tout le parcours de la trajectoire que la veine d'air
constituant ce remous décrit elle-même. Cette vapeur condensée peut
rester en cet état, et demeurer visible sur toute la hauteur du phénomène,
ou être résorbée, disparaître à des altitudes variées, selon les variations
de température qui peuvent se produire et se produisent entre les
diverses régions du tourbillon. De là, quelques-uns des aspects que pré-
sentent ces météores.
A l'inverse de ce que nous venons de dire au sujet des matières trans-
portées par le remous des hauteurs de l'atmosphère vers la terre, ce même
remous peut, lorsqu'il atteint le sol ou une nappe d'eau, y puiser par
certaines régions de sa troncature inférieure des objets qu'il conduit
jusques et y compris sa spire terminale supérieure, et qui rendent égale-
ment visibles sa forme, ses évolutions et sa marche.
Considérons un lieu situé dans le secteur des vents ascendants (fig. 2).
Les objets tels que poussière, sable, eau, et tous autres beaucoup plus
lourds et d'un volume considérable, selon l'énergie du mouvement gira-
toire, seront entraînés et prendront une direction ascendante sous un
angle variable selon le remous.
Une partie de ces objets suivra avec le vent la trajectoire hélicoïdale,
et après y avoir franchi le secteur des vents rasants au point de rebrousse-
ment supérieur de la spire, s'engagera dans le secteur des vents ])]on-
geants, pour revenir à son point de départ ou dans les environs, en
ayant parcouru ainsi toute la spire inférieure du remous, et avoir atteint
pendant ce trajet une hauteur plus ou moins grande dans l'atmosphère
selon l'amplitude des pas de Thélice.
Mais une autre partie de ces objets, portée par le mouvement dans le
voisinage ou, plutôt, sur la limite elle-même de la spire immédiatement
304 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
supérieure, pourra être saisie par celle-ci et entraînée dans cette nou-
velle spire, OÙ se produiront les phénomènes identiques à ceux que nous
venons d'indiquer pour la spire inférieure.
Les matières que le remous enlève par sa troncature inférieure pourront
être portées ainsi successivement, dans toutes les spires de ce remous,
et tourbillonner avec et dans ces spires, sur toute la hauteur du météore
qui semblera être un phénomène d'aspiration du sol vers les hauteurs de
l'atmosphère.
Dans les secteurs à vents rasants, les objets qui y auront été portés,
soit par les vents ascendants, soit à leur retour vers le sol par les vents
plongeants, auront des routes parallèles au plan de l'horizon, situées à
toutes les altitudes possibles, dans toute la hauteur du remous. Mais ces
routes auront entre elles des directions diamétralement opposées, selon
qu'elles appartiendront aux zones de rebroussement inférieur ou supérieur
des spires de l'hélice (fig. 2).
Enfin, dans le secteur des vents plongeants, l'effet constaté sera une
précipitation vers le sol sous des angles variés, selon les remous.
Si le remous est de faible envergure et de faible hauteur, comme, par
exemple, certaines trombes ; que l'on puisse l'embrasser d'un coup d'œil ;
qu'en outre ce remous se présente en situation convenable pour que la
zone de séparation des deux secteurs ascendant et plongeant passe par
l'œil de l'observateur, celui-ci verra simultanément dans le fût du
météore, deux courants juxtaposés : l'un ascendant, l'autre plongeant.
Il verra l'un des deux seulement de ces courants, si les conditions
que nous venons d'indiquer ne sont pas remplies. Selon le poste d'ob-
servation, la trombe sera alors, pour l'observateur, ascendante ou des-
cendante.
Rappelons que l'aire occupée par la troncature inférieure d'un remous
est quelquefois réduite, pour ainsi dire, à un point; que l'étendue de
«ette aire peut varier entre des limites très éloignées, ainsi que l'énergie
giratoire de ces remous, leurs envergures supérieures, la hauteur verti-
cale qu'ils occupent, et les distances qu'ils franchissent dans leur mouve-
ment de translation.
Un remous aérien qui est, dans son résultat final, un phénomène
plongeant des hauteurs de l'atmosphère vers le sol, peut donc pro-
duire tous les effets divers d'aspiration, d'arrachement, de compres-
sion, d'écrasement, de torsion, de rupture, d'enlèvement jusqu'à des
hauteurs plus ou moins fortes de l'atmosphère, de transport à des
distances qui peuvent être considérables et dans toutes les directions
possibles.
E. MENDEZ. SUR LES REMOUS ATMOSPHÉRIQUES 303
IV
DÉTERMINATION APPROXIMATIVE DES AIRES SUR LESQUELLES SONT TOUJOURS
SITUÉS LES POINTS DE RERROUSSEMENT INFÉRIEUR ET SUPÉRIEUR DANS LES
SPIRES d'un grand REMOUS ATMOSPHÉRIQUE. — CLASSEMENT DES DIVERS
VENTS DE CES REMOUS, EN VENTS PLONGEANTS. ASCENDANTS ET RASANTS.
Les grands remous évoluent dans des couches atmosphériques qui
atteignent souvent une très grande puissance et au iniHeu desquelles la
pression augmente dans de fortes proportions, à mesure qu'on se rap-
proche du sol. Le mobile gazeux qui traverse ces couches et qui constitue
le remous est soumis à ces diverses pressions : de là, dans ce mobile,
des réductions de volume lorsque, dans son mouvement, il se dirige
vers la terre; des expansions au contraire, lorsqu'il s'en éloigne.
Dans la figure 1, b, nous avons tracé approximativement les variations
que subit ainsi la veine d'air constituant le remous lorsque, dans son
mouvement, elle s'enfonce et s'élève alternativement dans l'atmosphère
en décrivant les diverses spires superposées du remous. En de sem-
blables conditions, l'élévation progressive de la température dans le mobile
y accompagne tout mouvement plongeant ; au contraire, la décroissance
de la température y est liée à tout mouvement ascendant, et, dans les
mouvements horizontaux, le thermomètre demeure à un degré sensible-
ment constant.
De là, les écarts dé température souvent considérables que l'on note
entre les diverses aires d'un mouvement giratoire, c'est-à-dire entre les
divers vents d'un même remous.
Ce que nous venons de dire a pour conséquence que, dans un remous
dont les spires affectent des couches suffisamment puissantes de l'atmo-
sphère, les points de rebroussement de la trajectoire décrite par l'air
constituant le remous sont précisément désignés par ceux où l'on
constate les points de rebroussement de la colonne thermométrique.
Il est d'observation courante que la température croît dans un mouve-
ment giratoire, de l'aire du vent du nord à celle du vent du sud, en
passant par l'aire du vent d'ouest; qu'elle décroît au contraire, de l'aire
du vent du sud à celle du vent du nord, en passant par l'aire du vent
d'est.
Les points de rebroussement dans les spires de l'hélice se trouvent
donc : celui supérieur, sur l'aire du vent du nord ou dans son voisinage ;
celui inférieur, au point opposé, sur l'aire environ du vent du sud.
Nous n'avons pu faire des observations assez nombreuses et assez
20*
306 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
précises pour fixer les limites exactes des zones dans lesquelles se trouvent
ces points de rebroussement. S'il nous était permis d'émettre une opinion
basée sur quelques constatations, nous fixerions volontiers le point de
rebroussement supérieur très près de l'aire du NNE, peut-être en ce
point lui-même, et le point de rebroussement inférieur très près et
peut-être sur l'aire elle-même du SSE.
Il résulterait de là que dans les spires d'un mouvement giratoire, les
vents ascendants couvrent une aire totale moins étendue que celle cou-
verte par les vents plongeants (flg. 2).
Les vents évoluant dans un remous doivent donc être classés en :
1° Vents plongeants : ceux d'entre NNE et SSE, en passant par celui d'O.
2° Vents ascendants : ceux d'entre SSE et NNE, en passant par celui d'E.
3" Vents rasants :
o) Vent de NNE, et quelques-uns de ses voisins immédiats: point de
rebroussement supérieur de la trajectoire, dans chaque spire.
b) Vent de SSE et quelques-uns de ses voisins immédiats : point de
rebroussement inférieur (fig. 2 et 1, b).
Il est entendu que nous nous plaçons dans le cas de remous évoluant
dans l'hémisphère nord. Pcnir l'hémisphère austral, il y aurait lieu d'opérer
les transpositions que l'on connaît.
DES TEMPÉRATURES ET DES VITESSES RELATIVES DES VENTS, EVOLUANT
A DES ALTITUDES DIVERSES, DANS UN REMOUS.
Nous venons de voir les variations de température que présente la veine
•d'air constituant un remous, en décrivant une quelconque des spires
de ce remous.
D'un autre côté, cette veine, en parcourant les diverses spires de
l'hélice, s'enfonce davantage dans des couches atmosphériques de plus
•en plus rapprochées du sol, au milieu desquelles la pression est de plus
en plus forte et où, par conséquent, de plus en plus comprimée, elle
acquiert plus de chaleur.
En prenant deux points symétriques quelconques dans deux spires
d'un remous, c'est-à-dire deux points où régnent des vents de direction
égale dans ces spires, la température sera plus élevée au point situé sur
ia spire inférieure qu'au point symétrique sur la spire supérieure
(fig, 3).
En d'autres termes, les vents semblables régnant dans toutes les
spires d'un remous sont, entre eux, à des températures relatives d'autant
E. MENDEZ. — SUR LES REMOUS ATMOSPHÉIUQUES 307
plus élevées que ces vents appartiennent à des spires de l'hélice plus
rapprochées du sol, ou inversement (flg. 3).
Les variations de volume et les phénomènes connexes de variation de
température que nous venons d'indiquer dans la veine constituant un
remous ont pour facteur principal la résistance du milieu dans lequel
cette veine pénètre et évolue. Cette résistance exerce en même temps
l'autre action habituelle qui a pour effet de ralentir le mouvement.
La vitesse d'une molécule d'air, c'est-à-dire la vitesse du vent, décroît
sur toute l'étendue de la trajectoire décrite dans un remous, depuis le
N.O.
< f " ^* »— » T* *-*-
)e Spire inférieure >
~ Direction du
.^jnouvement
detrai^slation
du remous.
Déueloppement- jrcr an pian, de, la trajectoire de, l 'air daru- cCeu-x. spires ca/urecutuies
d'un remous atmosphérique- anim^ d'un maïuiemeniy de- iranshiUon,. ,
Graphique, de, l'inlensilâ' ralaUve- des- vents- £aij> divers points de- la- tryecUivre-.
Or-aphique- des de<p^ relaii/s de tempêraiicre' .
KlG. 3.
moment où cette molécule reçoit sou impulsion initiale dans les hauteurs
de l'atmosphère jusqu'à celui où elle atteint le sol.
Lorsque le remous est animé d'un mouvement de translation, la vitesse
de la veine d'air qui le constitue passe par les accélérations et les ralentis-
sements que l'on sait. Le maximum qui se produit alors dans chacune
des spires du remous, et qui s'étend environ de l'aire du NO à celle du
SO, n'est pas constant sur toute l'étendue de cette zone. — L'aire du NO,
dans une quelconque des spires d'un remous, est située à une plus jurande
altitude que celle du SO. Ce dernier vent est donc, toutes autres causes
•égales d'ailleurs, d'intensité moindre que le vent NO [fig. 3).
En résumé, tous les vents semblables régnant dans les diverses spires
d'un remous sont animés de vitesses relatives d'autant plus grandes qu'ils
appartiennent à des spires situées à une plus grande altitude, ou inver-
sement [fig. 3).
308 MÉTKOROLllGIE KT PHYSIQUE DU GLOBE
En rapprochant cette proposition de celle que nous avons émise précé-
demment sur les températures, on peut conclure qu'étant donnés dans
un remous deux vents semblables quelconques, le rapport entre leurs
vitesses est inverse à celui qui existe entre leurs températures (fig. 3).
VI
VEXTS SUPERPOSÉS SELON LA NORMALE A UN POINT DU SOL AU-DESSUS DUQUEL
PASSE UN REMOUS ATMOSPHÉRIQUE.
Un remous est composé de spires superposées en nombre variable selon
les cas, et de diamètres décroissants, en se rapprochant du sol.
Si l'axe est normal au plan de l'horizon, la veine d'air qui constitue le
remous décrira dans l'espace une route qui, pour l'observateur situé à
la surface du sol, sera une courbe en spirale ayant pour centre le point
où. l'axe vient rencontrer la terre.
Sur toute l'étendue d'un quelconque des rayons vecteurs de cette courbe,
le mouvement giratoire sera de direction égale, ou sensiblement. En d'au-
tres termes, les vents superposés normalement sur toute la hauteur du
remous seront tous de direction identique.
11 n'en est plus de même si l'axe est incliné sur le plan de l'horizon,
et cela nous a paru être un cas très fréquent.
La trajectoire décrite par l'air dans le remous se projettera alors, pour
l'observateur, en une courbe à boucles moins ou plus ouvertes, selon l'in-
clinaison plus ou moins forte de l'axe et les envergures relatives des spires.
Ces diverses spires présenteront ainsi au même instant, au zénith de
l'observateur, certaines de leurs régions dans lesquelles le mouvement
giratoire pourra n'être pas de direction semblable. En d'autres termes, les
vents régnant à diverses altitudes, au zénith, pourront être de directions
variées.
Il se produira ainsi un grand nombre de cas, selon lesquels ces direc-
tions pourront faire entre elles tous les angles compris entre zéroetlSOde-
grés, c'est-à-dire entre la limite où les vents superposés selon la normale
sont identiques et celle où ils sont diamétralement opposés.
Sur le passage d'un assez grand nombre de remous, nous avons noté
jusqu'à trois vents divergents au zénith. Enfin nous avons, il nous semble,
observé de ces vents divergents dus à la superposition de spires de deux
remous marchant à courte distance l'un de l'autre.
Dans les notes tout à fait sommaires que nous venons de transcrire, sur
cette question, nous n'avons eu, bien entendu, que le simple désir de la
mentionner.
E. MENDEZ. SLU LES REMOIS AT.MOSl'HÉHlULES 309
VII
TRANSPORTS D AIR EFFECTUÉS PAR LES REMOUS ATMOSPHÉRIQUES.
DES MAXLMA ET MIMMA DE TEMPÉRATURE OBSERVÉS A LA SURFACE DU SOL
PENDANT LE PASSAGE d'uN REMOUS
De la constitution d'un remous, il résuite qu'un tleuve d'air plus ou
moins puissant, selon l'importance du remous, s'écoule vers le sol pendant
la durée du phénomène ; ce fleuve a sa source dans les hauteurs de l'at-
mosphère où le remous prend naissance, et son embouchure à la tron-
cature inférieure de ce remous. Sur toute la périphérie du conoïde, le frot-
tement retient à diverses altitudes une partie de l'air qui y circule. Cette
partie doit être considérée comme très faible, relativement à la masse que
le courant charrie vers le sol, et qu'il y dépose sur tout le parcours de la
trajectoire décrite par le remous dans son mouvement de translation.
rsous verrons bientôt qu'une notable partie de ce courant est en outre
alimentée par de l'air puisé à des altitudes encore plus grandes que celles,
quelles qu'elles soient, auxquelles évoluent les cycles terminaux supé-
rieurs des remous.
La masse d'air circulant dans ces météores, et portée vers le sol par
eux, est donc puisée dans des régions de l'atmosphère où peuvent régner
de basses températures relatives, variables selon l'altitude de ces régions
et les saisons.
Les maxima et minima de température observés à la surface du sol, sur
le passage d'un remous, ont donc pour facteurs, entre autres : les saisons
et la hauteur verticale occupée par le remous dans l'atmosphère.
VIII
SUR UN MOUVEMENT TOURBILLONNAIRE PLONGEANT
SITUÉ AU-DESSUS DES REMOUS, LES ACCOMPAGNANT DANS LEUR MARCHE
ET PRODUIT PAR EUX.
Au moment où se forme un remous, la couche atmosphérique au
milieu de laquelle il prend naissance subit une dénivellation, qui la trans-
forme en un cône creux dont le sommet est dirigé vers la terre. Il se pro-
duit ainsi un vide qui est comblé par un afllux d'air venant de régions
situées au-dessus du cycle supérieur du remous. Partie de cet afflux ainsi
appelé est entraînée dans le mouvement de giration du remous et portée
310 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
vers le sol. Delà, pour ainsi parler, une aspiration constante, exercée
par le remous et puisant dans les régions situées au-dessus de lui d'im-
portantes masses d'air.
Celles-ci se dirigent vers le remous en suivant des trajectoires courbes
Qffrant dans leur ensemble une allure tourbillonnante, et dont le point de
convergence est situé dans la direction du centre du cycle terminal supé-
rieur du remous (fig. 4).
ci.
Fig. i. — Figuro théorique d'un remous et du mouvement tourbillonnaire
secondaire situé au-dessus de lui.
Un mouvement giratoire plongeant domine donc les remous atmo-
sphériques, les alimente d'une partie de l'air qu'ils charrient vers le sol,
les accompagne dans leur mouvement de translation et est produit par
eux.
L'axe de ce mouvement secondaire est perpendiculaire au plan moyen
de la spire supérieure terminale du remous. Il est par conséquent d'autant
plus incliné sur l'horizon, que le plan moyen de la spire supérieure du
remous a lui-même une inclinaison plus forte sur ce même horizon
(fig. 4).
Pour l'observateur situé à la surface du sol, le phénomène présentera
K. MENDEZ. SUR LES REMOUS ATMOSPHÉRIQUES 311
dans son ensemble la disposition de sa projection horizontale, indiquée
dans la figure 4. Les deux zones terminales supérieures du remous et du
mouvement tourbillonnaire secondaire seront limitées par deux courbes,
ONESO et O'NE'SO', formées sensiblement des mêmes éléments géo-
métriques, mais débordant l'une sur l'autre d'une quantité NESE'N d'au-
tant plus étendue que l'axe du mouvement giratoire secondaire est plus
incliné sur l'horizon.
Dans une quelconque des spires d'un remous atmosphérique, le point
de rebroussement supérieur est situé environ sur l'aire du vent du nord, et
le rebroussement inférieur sur celle environ du vent du sud. Étant donnée
la manière d'évoluer des remous dans l'hémisphère nord, les rebrousse-
ments sont donc placés au point de vue de leur orientation : celui supé-
rieur — aire vent du nord — dans les régions occidentales du remous, et
celui inférieur — aire vent du sud — dans les régions orientales.
Dans un remous atmosphérique évoluant dans l'hémisphère nord, le
plan moyen d'une quelconque de ses spires est donc incliné sur l'horizon
des régions occidentales de ce remous vers ses régions orientales. D'un
autre côté, on peut considérer en général, que la trajectoire moyenne de
translation des remous qui abordent l'Europe a une direction moyenne
de l'ouest vers l'est. C'est donc, dans la grande généralité des cas, par un
point du segment NESE'N (fig. 4), que les remous atmosphériques abor-
dent l'Europe occidentale.
Plus loin, nous tirerons de ces faits quelques conséquences.
Nous venons d'indiquer, telle que nous pensons qu'elle existe, l'allure
générale et la constitution normale du mouvement tourbillonnaire secon-
daire dominant un remous atmosphérique, et produit par ce remous. Nous
ajouterons que, par l'observation de nuages dont nous parlerons tout à
l'heure, nous avons constaté que dans ce mouvement secondaire, il se pro-
duit fréquemment des remous locaux et de faible envergure relative.
IX
HALOS ET AUTRES PHÉNOMÈiNES DE DIFFRACTION ET DE DÉCOMPOSITION DE LA
LUMIÈRE. PRÉCURSEURS DES REMOUS ATMOSPHÉRIQUES, — CIRRHI. — CIRRHO-
CUMULI. — NUAGES MOUTONNÉS. FILES DE NUAGES, PARALLÈLES ET DIVER-
GENTES. — STRATUS DES HAUTES ALTITUDES.
Dès qu'un remous est formé, il se produit donc, au-dessus de lui et
vers lui, un appel de l'air situé à des altitudes beaucoup plus considé-
rables que celle, quelle qu'elle soit, à laquelle évolue le cycle terminal
supérieur de ce remous.
312 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
L'air mis ainsi en marche et puisé jusqu'à de très grandes altitudes,
peut être et est souvent à de très basses températures. Les filets de cet
air froid pénétrant dans des couches inférieures de température plus
élevée, y condensent la vapeur qui s'y trouve, et même — ce qui est le
cas, il semble, le plus fréquent — la congèlent sur leur passage, en fines
aiguilles de glace, formant comme une poussière entraînée par l'appel
d'air qui lui a donné naissance et qui la transporte vers le remous.
Toute la partie supérieure ABCD (fig. 4) couronnant le mouvement
tourbillonnaire secondaire, contient celte poussière de particules glacées.
Au milieu d'elles se produisent les halos et certains autres phénomènes
de diffraction et de décomposition de la lumière de la lune ou du soleil.
Remarquons ici que partie de cette région se projette précisément dans
le segment NESE'N (fig. 4) dont nous parlions dans le chapitre pré-
cédent, et que ce segment commence à passer au zénith avant, quelque-
fois bien avant, que la baisse du baromètre n'ait débuté, c'est-à-dire
avant que, dans le mouvement de translation du remous, la limite SEN
(fig. 4) n'arrive au zénith. Les halos, etc., peuvent donc se produire
aux approches des remous et apparaître bien avant que la baisse du baro-
mètre ait pu prévenir de l'arrivée de ces remous, dont ils sont ainsi les
précurseurs.
Dans leur mouvement convergent, les aiguilles de glace se rapprochent
de plus en plus les unes des autres, à mesure qu'elles plongent davan-
tage dans l'atmosphère. Des groupements de ces aiguilles se font plus
denses en certains points que sur d'autres. Elles se réunissent en faisceaux
plus ou moins allongés, de diamètres plus ou moins grands, et devien-
nent alors visibles.
Ces faisceaux sont rectilignes ou courbes selon l'étendue qu'ils occupent
sur la trajectoire qu'ils parcourent, et selon la courbure plus ou moins
forte de cette trajectoire. Enfin, ainsi que ces trajectoires, ils peuvent
être orientés dans toutes les directions possibles. Tous forment avec le
plan de l'horizon un angle variable, c'est-à-dire que tous plongent obli-
quement dans l'atmosphère. Ces faisceaux constituent les cirrhi, sous les
formes purement filamenteuses, plus ou moins denses, que ces nuages
affectent.
C'est en cet état que nous nommerons le deuxième stade, que, dans
leur mouvement plongeant, les aiguilles de glace apparaissent dans les
régions avoisinant le zénith de la limite SEN (fig. 4), périphérie du
cycle terminal supérieur du remous. Leur venue coïncide ainsi, à très
peu de chose près, avec le début de la baisse du baromètre.
Nous parlions tout à l'heure, en en donnant selon nous la cause, des
diverses orientations et des courbures que l'on peut remarquer dans les
cirrhi. Ces orientations et ces courbures peuvent être dues également aux
E. MENDEZ. SUR LES UEMOLS ATMOSPHÉRIQUES 343
remous d'ordre troisième qui naissent fréquemment dans le mouvement
tourbillonnaire secondaire. Ces remous tertiaires entraînent les cirrhi
dans leurs spires. C'est ainsi que l'on peut voir de ces nuages placés à
diverses altitudes et se coupant, au zénith, sous tous les angles possibles.
Dans d'autres circonstances, nous avons observé de ces cirrhi, d'une
étendue suffisante en longueur, se projetant au zénith en une courbe
sensiblement circulaire et dessinant ainsi la spire du remous tertiaire
qui les entraînait dans son évolution.
Après avoir franchi la zone où les aiguilles de glace, en se groupant,
forment les cirrhi, ces aiguilles, poursuivant leur route, pénètrent de plus
en plus profondément dans l'atmosphère. Elles y rencontrent des couches
dont la température est de plus en plus élevée, ou, si l'on veut, de moins
en moins basse.
La pointe inférieure des faisceaux cirrhi est celle qui subit la première,
dans ces nuages, la transformation due à cette influence. Cette partie se
transforme en eau et quelques instants de chute, après, en vapeur. Celle-ci,
par sa force ascensionnelle, rebrousse chemin et se condense presque
aussitôt formée, du moins en grande partie, car ce rebroussement s'ef-
fectue à la limite, pour ainsi parler, où soit la température, soit le point
de saturation, admettent l'état de vapeur.
11 se forme ainsi, à l'extrémité inférieure du cirrhus, comme un sphé-
roïde plus ou moins régulier, analogue au sphéroïde de fumée que pro-
duit une fusée lorsqu'elle éclate.
Ce troisième stade constitue les cirrho-cumuli. Isolés et en petit nombre
dans le ciel, ils se trouvent en général à de grandes altitudes encore
dans les régions CDFG (fig. 4) du mouvement tourbillonnaire secondaire.
Au-dessous de cette région, le mouvement convergent rapprochant
davantage entre eux les faisceaux -cirrhi, ceux-ci se groupent de plus en
plus et, par suite, les sphéroïdes de vapeur condensée qui peuvent se
former à leurs parties inférieures se groupent eux-mêmes. Ces sphéroïdes
constituent alors les nuages dits moutonnés, à éléments, c'est-à-dire à
cumuli plus ou moins grands, plus ou moins menus.
Dans un grand nombre de cas, ces éléments ne sont pas disposés au
hasard. Ils se présentent, au contraire, en files parallèles plus ou moins
rapprochées entre elles. Cela est surtout très net et très fréquent lors-
qu'on examine le nuage à un moment pas très éloigné de celui de sa
formation. Supposons que la pointe inférieure des faisceaux cirrhi
pénètre dans une couche qui, en outre des conditions hygrométriques
ou de température dont nous parlons plus haut, soit animée d'un mou-
vement de translation ; qu'il y règne, en un mot, un vent quelconque.
Les sphéroïdes de vapeur formés par les afflux successifs d'aiguilles de
glace plongeantes seront immédiatement entraînés, à mesure de leur for-
314 MÉTÉOUOLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
mation, par le courant, autrement dit, le vent dont ils suivront la direc-
tion. Chaque cirrhus fournira ainsi une file de sphéroïdes et toutes ces
files seront dans le lit du même vent, c'est-à-dire qu'elles seront toutes
parallèles entre elles. Si les faisceaux cirrhi ont entre eux un écartement
suffisant, l'aspect moutonné du nuage disparaît entièrement pour faire
place à une autre disposition : celle de files ou bourrelets parallèles séparés
par de larges bandes sereines.
La perspective rend ces files divergentes si le nuage a une étendue
suflîsante. Elles semblent alors jaillir toutes d'un unique point radiant.
Les nuages moutonnés sont situés dans la région FGKM (fig. 4) du
mouvement tourbillonnaire secondaire. Ceux de ces nuages présentant
la disposition en files parallèles peuvent être formés, à diverses altitudes,
par des courants régnant dans ces hauteurs de l'atmosphère. Ils sont
alors, en général, de faible étendue ou du moins, l'éloignement les fait
paraître tels. Mais ils se forment surtout, et dans de grandes propor-
tions, dans les régions inférieures du mouvement tourbillonnaire secon-
daire, où ils peuvent être en contact avec les vents évoluant à la surface
du cycle supérieur terminal du remous et où les faisceaux cirrhi arrivent
groupés en plus grand nombre.
Que ces cirrhi soient alors assez rapprochés les uns des autres, ou que
l'afflux d'aiguilles de glace qui les constitue augmente progressivement le
volume des sphéroïdes de vapeur condensée, ces sphéroïdes se pénètrent
réciproquement. Les canaux sereins des nuages moutonnés disparaissent,
sont comblés. Il en résulte une nappe continue. Elle constitue le stratus
qui est dans ce cas, et n'est d'ailleurs jamais, à ces altitudes, que le
second stade, plus ou moins prochain, du nuage moutonné.
Enfin, sous les diverses formes qu'il peut affecter, et dont nous venons
d'examiner quelques-unes, selon nous principales et auxquelles toutes
les autres peuvent se rattacher, l'afflux aqueux balayé par le mouve-
ment tourbillonnaire secondaire, arrive h la limite KM (fig. 4). Il s'y
trouve en contact avec la spire supérieure terminale du remous et peut
être saisi par elle.
X
ORDRE DANS LEQUEL DÉFILENT AU ZÉNITH LES DIVERSES CATÉGORIES DE NUAGES
APPARTENANT AU MOUVEMENT TOURBILLONNAIRE SECONDAIRE, ET LEURS SU-
PERPOSITIONS POSSIBLES SELON LA NORMALE, PENDANT LES APPROCHES, LE
PASSAGE ET LA DISPARITION d'uN REMOUS ATMOSPHÉRIQUE.
Le conoïde constituant le mouvement tourbillonnaire secondaire domi-
nant un remous peut donc être considéré comme divisé par plusieurs
sections menées, selon des plans perpendiculaires, à son axe, donnant cha-
E. MENDEZ. — SUR LES REMOUS ATMOSPHÉRIQUES 315
cune d'elles des régions tronc-coniques A'B'C'D', D'C'E'K', R'E'M'L'..., etc,
(fig. 5) de diamètres décroissants à mesure qu'elles se rapprochent du
1,
y777777777?777777777777
Périphérie du cycle supérieur
du remous, limite sur laquelle
débute la baisse du banomètre.
FiG. 0.
sommet 0' du cône auxquelles elles appartiennent, c'est-à-dire à mesure
qu'elles sont plus près du remous .
La première de ces régions A'B'C'D' [fig. S), celle qui est située à la
plus grande altitude, ne contient que des aiguilles de glace, un essaim
316 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
plus OU moins dense, mais invisibles, au milieu desquelles peuvent se
manifester les phénomènes de diffraction et de décomposition de la
lumière de la lune ou du soleil, précurseurs des remous.
Dans la région suivante, D'G'E'K', se trouvent les cirrhi filamenteux.
La troisième, K'E'M'L', contient les cirrho-cumuli épars; la quatrième,
L'3rN'P', les nuages moutonnés et ceux en files ou bourrelet s parallèles ;
enfin, la cinquième, P'N'O', les stratus.
Pour l'observateur situé à'ia surface du sol, ces diverses régions super-
posées débordent les unes sur les autres, et ces anneaux débordants sont
limités par des courbes ABA", DCD", KEK", etc. {fig. ë), inscrites les
unes dans les autres, disposées autour du point 0, sommet du conoïde
constituant le tourbillon secondaire, et d'autant plus excentriques par
rapport à ce point et entre elles, que l'axe de ce tourbillon est.plus incliné
sur le plan de l'horizon.
Ces anneaux défilent successivement au zénith pendant la marche du
remous. Successivement aussi, ils y présentent les nuages de formes
distinctes et caractéristiques des régions tronc-coniques auxquelles ces
anneaux appartiennent.
Ainsi passent d'abord les poussières d'aiguilles de glace, ensuite et
successivement apparaissent les cirrhi filamenteux, les cirrho-cumuli, les
nuages moutonnés ou ceux en files ou bourrelets parallèles, et enfin les
stratus.
A mesure que le remous approche, les diverses régions tronc-coniques
du mouvement tourbillonnaire secondaire arrivent et se superposent au
zénith. Avec elles arrivent aussi les catégories de nuages qu'elles con-
tiennent. On verra ainsi ces diverses formes de nuages, superposées selon
la normale, en nombre d'autant plus grand que, dans la marche du
remous, les régions circonvoisines du point 0 (fig. 5) arrivent plus près
du zénith.
Au delà, et à mesure que le remous s'éloigne, les phénomènes que
nous venons d'indiquer se reproduisent symétriquement. Le nombre
des diverses catégories de nuages décroît progressivement au zénith,
d'où elles disparaissaient successivement en ordre inverse à celui de leur
arrivée.
Au point 0 lui-même et autour de lui, à une distance variable selon
les remous, s'ouvre l'embouchure inférieure de la gaine a^yo (fig. 5),
située sur le prolongement de celle analogue du calme central qui existe
dans le remous. Autour de cette gaine, et sans y pénétrer, évolue le
mouvement tourbillonnaire secondaire ; elle est libre de nuages.
La figure 5 permet de se rendre compte aisément, pour chacune des
régions arrivant ainsi successivement au zénith, de la nature et du mode
de superposition des diverses formes de nuages qu'elles peuvent contenir.
J. HICHAllD. — NOUVEAUX APPAREILS ENREGISTREURS 317
En fait, ces formes n'y existent pas toutes toujours. Elles peuvent se
produire, et se produisent quelquefois, sans passer par un ou même
des stades intermédiaires. Selon les remous, il y a ainsi des lacunes.
11 n'est pas besoin, d'ailleurs, de faire remarquer que si, dans un
remous, tous lés types sont représentés, on doit, pour les voir défiler
tous, être placé sur la route du centre du météore ou dans le voisinage du
parcours de cette trajectoire. Ailleurs, on traversera des segments plus
ou moins étendus, ne contenant que la série plus ou moins complète.
Au passage d'un remous, et dans les éclaircies que laissent quelquefois
entre eux les nuages inférieurs charriés dans les spires de ce remous, on
aperçoit ainsi défiler au-dessus de lui, et selon le mode que nous avons
indiqué, les nuages appartenant au mouvement tourbillonnaire secon-
daire. Mais, tôt après qu'apparaissent les grands cumuli des vents de
NNO-N à NNE, les larges espaces que laissent entre eux ces cumuli
sont sereins, à moins qu'un nouveau remous suivant à courte distance,
ne montre son avant-garde de cirrhi. Le fait se produit souvent.
A ne parler que du remous qui s'éloigne et sous lequel l'observateur se
trouve encore, cet observateur y est placé alors, en effet, dans le segment
TVRZT (fig. 3), au zénith duquel le mouvement tourbillonnaire secon-
daire a achevé de passer, où il n'existe plus, et n'y a laissé, s'il en a
même laissé pour quelques instants encore, que les très rares et derniers
éléments de son arrière-garde.
M. J. RICHARD
Constructeur d'instruments de précision, à Paris.
NOUVEAUX APPAREILS ENREGISTREURS
— Séance du 17 septemlire 1892 —
Thermomètre enregistreur donnant le 100^ de degré. — Ce thermo-
mètre est fondé, comme tous les thermomètres de notre fabrication, sur
le principe des tubes à section elliptique dits « de Bourdon » roulés en
hélice et remplis d'alcool, mais dans lequel l'accouplement est fait au
318 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
moyen d'un système tout à fait nouveau qui permet à l'organe moteur
d'utiliser le maximum de force disponible en supprimant tous les frotte-
ments ayant lieu dans la transmission du mouvement au style par les
renvois de leviers ordinaires, ce qui permet de conserver au thermomètre
des indications absolument proportionnelles dans une limite de 110 degrés.
Il est bien évident que, dans la pratique, on n'a jamais besoin d'une exac-
titude pareille dans une limite aussi étendue, aussi le cylindre ne permet-il
d'enregistrer que 15 degrés. La hauteur du cylindre étant de 16 centimètres,
chaque degré est représenté par une hauteur de 10 millimètres dont le
centième, 1/10® de millimètre, représentant le 100* de degré est déjà très
appréciable à l'œil. Un de ces appareils a été demandé par une mission
au pôle Sud, et comme il devait traverser la mer Rouge, il fallait que les
indications puissent varier de — 10 à -j- 40 degrés centigrades. A cet effet, le
tube Ihermométrique était monté sur un bâti circulaire muni d'une vis
tangentielle qui permettait de ramener le style vers le milieu du cylindre
lorsque l'on prévoyait que les écarts de température pouvaient dépasser
la limite du papier.
Ces appareils sont surtout destinés aux locaux où sont installés des
appareils de haute précision et où la variation thermométrique, si faible
qu'elle soit, est importante à connaître.
La rapidité de mise au point est considérable ; elle est due à la grande
surface en contact avec l'atmosphère comparativement avec le volume du
liquide. En effet, la partie thermométrique étant composée d'un long
ruban de métal creux dont la section intérieure est de moins d'un milli-
mètre, il s'ensuit qu'aucun thermomètre en verre ne peut se mettre
aussi rapidement en équilibre avec la température.
Au sujet de l'enregistrement en général des variations de tous les phé-
nomènes, on ne saurait trop appuyer sur l'importance de l'enregistrement
par tracé continu . On a cherché à discréditer ce mode d'inscription pour
mettre en lumière des systèmes à pointage qui certainement sont la plus
mauvaise chose du monde, puisqu'ils laissent passer continuellement les
variations les plus intéressantes sans les inscrire et que forcément les
maxima et les minima ne sont jamais enregistrés exactement. La courbe
qui en résulte est une sorte de tracé moyen qui n'indique absolument
rien. Ce moyen, du reste, qui a été employé pour la construction des
premiers enregistreurs est depuis longtemps tombé en désuétude ; il était
encore compréhensible quand on n'avait pas le moyen d'écrire sans frot-
tement, mais aujourd'hui que, grâce à notre plume, l'inscription ne de-
mande aucune force, cette méthode doit fatalement disparaître. De plus,
dans ces soi-disant enregistreurs, on est obligé d'emprunter la plus grande
partie de la force du mouvement d'horlogerie pour faire mouvoir le mar-
teau pointeur. 11 s'ensuit que le réglage s'en trouve profondément altéré
J. RICHARD. NOUVEAUX APPAREILS ENREGISTREURS 31
€t quand, par suite d'usure ou de poussière, il se produit le moindre
grippement, l'appareil s'arrête tout à fait. Puis il arrive souvent, lorsque
le marteau frappe sur le godet pointeur, qu'il déplace ce dernier à droite
ou à gauche, marquant ainsi des points absolument faux et qui n'ont
que faire au milieu de la courbe. Au contraire, avec le tracé continu
aucun de ces accidents à craindre, tout est indiqué et toutes les sinuosités
accusées sont vraies. Laisserait-on même le cylindre s'arrêter par défaut
<le remontage que la plume continuerait à inscrire indiquant encore le
maxima et le minima de la période d'arrêt.
Thermomèti'e enregistreur petit modèle pour Vetwegistrement continu de la
iempérature dans les soutes à poudre, à charbon, etc. — Il est de la plus
haute importance d'être renseigné sur les écarts de température qui se
produisent dans les soutes en général. Les thermomètres à maxima et
minima ne donnent jamais que peu de résultats sujets à des erreurs pro-
FiG. 1. — Thermomètre enregistreur.
venant du déplacement des index par suite des vibrations des navires.
Aussi avons-nous construit un enregistreur qui, par son faible volume,
160 millimètres de long sur 123 millimètres de hauteur et 93 millimètres
•d'épaisseur, ainsi que son bon marché et son excellent fonctionnement,
trouvera certainement sa place dans toutes les soutes à poudre, la collec-
tion des courbes étant la meilleure garantie de surveillance aussi bien
pour le capitaine que pour celui qui est chargé de vérifier les tempé-
ratures (fig. /j.
Scrutateur électrique ou Indicateur instantané et à distance du point
d'un appareil à cadran. — On a souvent besoin de connaître à distance
■et en un seul endroit l'indication d'un ou plusieurs appareils placés dans
•des locaux divers. Nous avons construit à cet effet notre scrutateur qui
résoud ce problème avec une entière satisfaction. L'appareil se compose
d'un ou plusieurs postes transmetteurs réunis chacun par un fil élec-
trique au poste récepteur ; il suffit de mettre ce dernier en communi-
<;ation avec le fil du poste transmetteur au moyen d'une fiche et d'appuyer
320 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
sur un bouton pour qu'aussitôt le récepteur indique le même point que
l'appareil transmetteur. Quand on lâche le bouton, l'aiguille du récepteur
revient immédiatement au zéro. Cet appareil est d'une grande simplicité
de fonctionnement et sa construction particulièrement robuste permet de
le placer sans danger dans les mains les moins expérimentées. Il est
surtout indispensable dans les locaux chauffés à la vapeur ou à l'air chaud
en ce sens qu'il permet au chauffeur de prendre sans se déranger la tem-
pérature des pièces à chauffer et par suite d'en opérer le réglage. Cet
FiG. 2. — Scrutateur électrique.
appareil peut s'adapter à n'importe quel appareil à cadran, thermomètre,
hygromètre, manomètre, niveau d'eau, etc. (fig. 2).
Transmetteur électrique d'ordres à dislance. — La transmission des
ordres à distance a toujours présenté de grandes difTicultés et tous les
systèmes employés jusqu'à ce jour ont toujours présenté de nombreux
défauts qui les ont fait rejeter pour employer des systèmes à ficelles.
Nous sommes toutefois parvenus à construire un modèle qui donne
d'excellents résultats et dont le fonctionnement n'est sujet à aucun aléa
en raison même de sa simplicité et de sa solidité. Cet appareil comporte
deux postes identiques reliés au moyen de trois fils électriques ; les indi-
cations se font indifféremment dans les deux sens, il suffit de tourner la
manivelle placée au bas de l'appareil pour amener l'aiguille extérieure sur
J. lUC.HARD. — NOUVEAUX APPABEILS ENREGISTREURS ' 321
l'ordre à donner ; aussitôt une sonnette électrique avertit le mécanicien
qu'un ordre est donné et l'aiguille contrôle de son appareil lui indique
l'ordre transmis ; à son tour, au moyen
de la manivelle, il amène l'aiguille exté-
rieure en face de l'ordre donné et l'ai-
guille centrale du premier poste vient
se placer de môme sur l'ordre transmis.
La sonnerie cesse alors de sonner et
la personne qui a transmis l'ordre est
ainsi certaine d'avoir été comprise. Les
vitesses de transmission peuvent être
très rapides et permettent d'envoyer
plusieurs ordres par seconde.
Dynamomètres enregistreurs et Enre-
gistreurs électriques de la vitesse des
bateaux. — L'étude théorique et expéri-
mentale de la résistance des carènes de
navires a donné lieu à des travaux nom-
breux. Mais la méthode qui est le plus
généralement admise aujourd'hui con-
siste à aborder directement l'étude ex-
périmentale sur les navires eux-mêmes,
en enregistrant soigneusement les divers éléments de la résistance totale.
Lorsque, en novembre 1889, M. le ministre chargea M. de Mas, ingé-
FlG. 3.
Uynamomètre.
iiHiiiii iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiilMMiiffliâ
FiG. 4. — Manomètre eniegistieur pour dyiiauioinèliu.
nieur en chef des Ponts et Chaussées, d'étudier la résistance des diverses
formes de bateaux employés par la navigation fluviale au transport des
marchandises, les expériences devant porter sur l'effort de traction aux
322 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
différentes vitesses, il était nécessaire d'avoir un dynamomètre enregis-
treur pour mesurer l'effort, et un enregistreur très précis de la vitesse
du bateau. Cette vitesse ne devait pas dépasser un maximum de quatre
à cinq mètres par seconde, et devait être mesurée à moins d'un centi-
mètre près. Chargés de la construction de ces appareils, nous avons plei-
nement réussi à donner entière satisfaction à tous les points de vue
(ftg. 3 et 4).
Le dynamomètre proprement dit était construit pour mesurer des efforts
pouvant atteindre jusqu'à douze
tonnes. Il se compose en principe
d'une cuvette circulaire creusée dans
un bloc d'acier; cette cuvette est
remplie de liquide et fermée par une
membrane en caoutchouc sur laquelle
s'appuie un piston d'un diamètre
connu ; il est bien évident que si un
effort quelconque comprime le li-
quide, la pression par centimètre carré
à lintérieur de la cuvette égalera
^ effort en kilog. . ,
P zir ; r^ — en centime-
suriace du piston
très carrés. Si nous relions la cuvette
avec un manomètre enregistreur, le
style de ce dernier se déplacera donc
en fonction de l'effort. L'expérience
a, du resle, pleinement confirmé la
théorie, car au tarage cet instrument
a été reconnu exact à moins de 1 U/0
près. Ajoutons que le grand avantage
de ce système de dynamomètre est
sa légèreté et son faible volume qui
permettent de le transporter facile-
ment et de l'installer dans toutes les
positions. Ses adaptations sont nombreuses ; il trouve notamment sa place
sur les grues d'embarquement en permettant de lire instantanément le
poids des colis embarqués.
L'enregistreur de la vitesse (fig. 5) se composait de deux parties :
1° d'un moulinet spécial tournant proportionnellement à la vitesse
du bateau et envoyant des contacts électriques à un cinémographe ou
enregistreur de la vitesse absolue. L'emploi d'un moulinet pour la me-
sure de la vitesse n'est pas nouveau, mais tous ceux employés jusqu'à
ce jour étaient fort grossiers et n'ont donné que des résultats vagues et
riG. 5. — Jlouliiiet.
J. RICHARD.
NOUVEAUX APPAREILS ENREGISTREURS
323
toujours fort entachés d'erreur. Le moulinet que nous avons employé
était fbrmé par une hélice à six ailes en aluminium de 32 centimètres
de diamètre, le pas étant d'un mètre exactement, ce moulinet faisait juste
un tour pour un mètre de chemin parcouru; un tarage minutieux fait
I ni. ij. — ■ Ciiiémoyraphe.
par les soins des Ponts et Chaussées a prouvé la parfaite proportionnalité
des indications de ce moulinet.
Le cinémographe était le même que celui que nous employons pour
mesurer la vitesse directe du vent eu mètres par seconde. Tout le monde
a vu fonctionner cet appareil à l'Exposition et peut le voir encore au
mg.
Cinémographe (vue arrière).
Bureau central météorologique de France, où il enregistre continuellement,
depuis trois ans, la vitesse du vent prise en haut de la tour Eifl'el (fuj. 6 et 7).
Loch di/l'érentiel pneumatique enregistrant continuellement la vites.se des
navires en mer (Système du D' Haro). — Avoir un bon loch indiquant et
enregistrant continuellement la vitesse du navire est certainement le rêve
de tout commandant. Depuis longtemps cette question est à l'étude ot
324
MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
n'a jamais été résolue parfaitement. On a construit bien des systèmes
basés sur le tube de Pitot ou sur les hélices, mais tous avaient des défauts.
Les systèmes pneumatiques, en eau douce, donnaient quelques résultats;
mais en mer, avec le roulis et le tangage, aucune lecture n'était possible.
Les systèmes à hélice aux grandes vitesses sortent de l'eau, bondissent sur
la lame, et là encore les résultats sont erronés. Nous sommes arrivés, après
de longues recherches, et sur les indications de M. le D' Haro, à cons-
truire un système qui pare à tous ces inconvénients, qui est d'une solidité
à toute épreuve et d'une installation rapide et simple.
L'appareil se compose en principe d'un sys-
tème de deux ballons en caoutchouc, enfermés
dans un tube de métal ouvert à une extré-
mité et séparés par une cloison; le tube de
métal est fixé contre une des parois du navire,
à une profondeur telle que le roulis le plus
fort ne puisse le faire sortir de l'eau. L'extré-
mité ouverte du tube de métal est tournée vers
l'avant du navire, l'autre extrémité renfermant
le second ballon de caoutchouc est percée à sa
surface normale de plusieurs trous. Les deux
ballons de caoutchouc sont chacun en commu-
nication au moyen de tubes souples, avec un
système enregistreur et différentiel de tubes
Bourdon tel que, pour une pression égale sur
chaque ballon, l'aiguille de l'enregistreur reste
à zéro ; il est bien évident que, dans ce cas,
quel que soit le degré d'enfoncement des deux
ballons, l'aiguille de l'enregistreur restera à
zéro, et par suite ni le roulis ni le tangage
n'influenceront l'appareil. Mais, en marchant,
la vitesse du navire va déterminer une pression sur le ballon placé en avant
sans influencer le ballon d'arrière; or, il est bien évident que cette pres-
sion est fonction de la vitesse, donc l'enregistreur n'indiquant que cette
pression n'indiquera que la vitesse relative. On voit de suite l'avantage
de ce système. L'application des ballons de caoutchouc a de plus l'avan-
tage d'empêcher l'air de se dissoudre dans l'eau, ainsi qu'il arrive dans
les tubes de Pitot et autres. Les ballons sont protégés par une grille; de
plus, les tubes qui relient ces ballons avec l'appareil enregistreur étant
hermétiquement clos, en supposant une avarie, le pis qu'il puisse arriver,
c'est le remplacement des ballons, aucune voie d'eau n'étant possible.
Hjjdromètre ou IncUcaleur de niveau d'eau. — Notre hydromètre est
incomparablement supérieur à celui à cloche inventé par Decoudun.
FiG. 8. — Cloche d'hydromt'tre.
J. RICHARD. — NOUVEAUX APPAREILS ENREGISTREURS 32o
Dans notre système, la cloche (fig. 8) se trouve, au contraire, fermée en
dessous et percée de trous tout autour, et un récipient de caoutchouc
subit la pression de leau. L'avantage est celui-ci, que l'air ne pouvant être
dissous par l'eau, ni être faussé par la condensation dans le tube, puisque
c'est de l'air sec qui se trouve dans le ballon, ni sortir par suite de la
différence dans la pression atmosphérique de la cloche, on n'est plus
obligé de remettre l'appareil enregistreur ou à cadran continuellement au
point. Nous avons des appareils installés depuis trois années qui n'ont
demandé aucune réparation et dans lesquels le point est resté absolument
stable. Cet appareil sert pour le sondage ainsi que pour le relèvement
rapide du relief du fond d'un port de mer. Il sufTit, en effet, de traîner
le récipient par le moyen d'une corde, quelle que soit l'inclinaison du
Fig. 9. — Manomètre enregistreur pour hydromètre.
tube par rapport au bateau, il n'y aura que la hauteur d'eau qui sera
enregistrée. Nous établissons même un dispositif qui permet de faire
tourner le cylindre enregistreur proportionnellement au chemin par-
couru (f((j. 9).
Thermomètre fronde. — L'emploi d'un thermomètre ordinaire que l'on
fait tourner à la main au bout d'une ficelle est certainement le moyen le
plus simple, mais aussi le plus dangereux pour la conservation dudit ther-
momètre, car la corde casse au bout de peu de temps ou bien, dans son
mouvement de rotation, le thermomètre rencontre un objet quelconque ;
dans les deux cas naturellement il se brise. Cette petite opération finit en
somme par revenir fort cher. Pour remédier à cet état de chose, nous
avons été amenés à construire un support de thermomètre qui, se mon-
tant sur moulinet à engrenages, est mù à la main par une petite manivelle
qui permet d'imprimer au thermomètre un mouvement de rotation aussi
826 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
rapide que l'on désire et sans aucun danger de casse. La disposition est
telle que l'on peut disposer deux thermomètres parallèlement, ce qui
donne la facilité de prendre la température des thermomètres humides
et secs donnant le point psychrométrique et par suite le point d'humidité.
Ajoutons que tout l'appareil, y compris les deux thermomètres, se place
dans un élégant écrin de la grosseur d'un fort portefeuille permettant de
l'emporter sans gêne aux divers endroits où le point doit être relevé.
M. a. POTJCHET
Professeur au Muséum d'Histoire naturelle, à Paris.
SUR LES EAUX VERTES ET BLEUES OBSERVÉES AU COURS DU VOYAGE
DE « LA MANCHE !>
— Séance du 49 septembre 189S —
On sait que la couleur des eaux de la mer est tantôt verte ou tantôt
bleue, en dehors de toutes conditions spéciales d'éclairage, de fond et d'agi-
tation. Celles-ci peuvent modifier, dans certains cas et dans une certaine
mesure, cette coloration, mais on peut toujours se mettre en dehors de leur
influence. La couleur bleue ou verte de l'eau de mer est une des propriétés
qui lui sont propres, aussi bien que le degré de salure, la température, etc..
Il est à peine nécessaire de rappeler qu'il ne s'agit pas ici des apparences
infiniment variables de la surface de la mer, mais de la couleur de l'eau
vue sous une épaisseur suffisante, dans les conditions favorables à ce genre
d'observations.
L'appréciation juste de la couleur de la mer, observée en route, exige
évidemment une certaine habitude de l'œil, mais qu'il est aisé d'acquérir.
J'en ai fait tout particulièrement l'épreuve au cours de la dernière cam-
pagne de l'aviso-transport la Manche, à Jan Mayen et au Spitzberg, sous
les ordres du commandant Bienaimé. Ayant appelé, sur un sujet qui me
préoccupe depuis 1887 (1), l'attention de M. le lieutenant de vaisseau de
Carfort, chargé à bord des observations météorologiques, entourés l'un et
l'autre d'officiers qui prirent aussitôt intérêt à un genre d'observations
H) Voyez La couleur des eaux de la mer et les pêches au filet fin. (Association française. Toulouse,.
1887. Compte rendu, 2« partie, p. 590.) — Les eaux vertes de l'Océan (Soc. de BioL, nov. 1887).
SLR LES EAUX VERTES ET BLEUES
327
G. POUCHET. --
nouveau pour eux, nous sommes vite arrivés à une uniformité suffisante
dans l'appréciation de la couleur de la mer. preuve de la base objective
de nos constatations.
Je dois dire, tout d'abord, que l'échelle chromatique de M. Forel, qui
est peut-être d'un usage pratique pour les lacs alpestres, ne nous a été,
à la mer, d'aucun secours (1). Je suis arrivé à cette conviction qu'il est
indispensable de s'en tenir, dans l'observation de la couleur de la mer, à
un nombre restreint de qualifications (2; et je me suis arrêté à trois seu-
lement, sans plus : vert, bleu, intermédiaire.
(1) Tout au moins conviendrait-il que les liquides colorés de l'échelle Forel fussent renfermés
dans des fioles à parois parallèles pour empêcher les effets de réflexion extérieure et intérieure dus
à la forme cylindrique.
(2) Je donnerai comme exemple des confusions où l'on tombe forcément en voulant trop préciser,
le tableau suivant des observations que j'avais prié un ingénieur, M. Ebelot, de recueillir au cours
d'un voyage du Havre à La Plata, dans l'automne de 1888 :
DATE
POSITION
COULEUR
11 sept.
12 sept.
13 sept.
Idem.
à 2 li.ap. midi.
U sept.
15 sept.
16 sept.
17 sept.
18 sept.
19 sept.
21 sept.
22 sept.
23 sept.
24 sept.
25 sept.
26 sept.
27 sept.
28 sept.
29 sept.
30 sept.
1<" oct.
2 oct.
3 oct.
4 oct.
5 oct.
41° 38' -N.
37» 43' N,
33° 58'.
30° Cl'.
Santa-Cruz de
Ténériffe.
Environ 21°.
13° 31'.
9° 59'.
6" 32'.
2° 59' N.
0° 59' S.
5» 04'.
8° 52'.
12° 51'.
16° 46'.
20° 09.
23° 38'.
26» 57'.
Lat.: 29» 44'. \
JLong.: 50° ll'O.^
1 Lat.: 33» 53'. /
Long.: 59° 33'. (
Vert.
Bleu cham-
bord.
Bleu tournesol
ou bleu marin.
Bleu ardoise.
B'eu.
Bleu.
Bleu.
OBSERVATIONS
Les longitudes ne sont pas indiquées, sauf à par-
tir du 50" degré de Long, occid. La route s'est
effectuée directement du Havre à TénéritTe et de
Ténériffe au largo de la province de Rio Grande
da Sol.
L'eau est déclarée verte, à l'unanimité.
\ L'expression est choisie par M°° E. Ciel pur
I sur mer moutonnée.
/ La nuance a été désignée ainsi par divers pas-
sagers : M. E., bleu glauque ; M""» E., bleu marin ;
le docteur du bord, bleu indigo ;M.L., bleu rabattu
de noir ou bleu tournesol ; M"= G., bleu acier.
Ciel couvert, mer plate.
Vert.
Bleu.
Vert.
Bleu.
Bleu.
Bleu.
Bleu.
Bleu.
Bleu.
Bleu.
Bleu.
Bleu.
Bleu.
Bleu.
Bleu.
Bleu.
Vert.
Le bleu de la mer, le long du bord, est un peu
i changé, il est devenu bleu ardoise. En allant à terre
on la voit passer au vert. Au retour, au moment
'du flot, l'eau, autour du navire, est franchement
. verte. On retrouve le bleu en prenant le large.
( Vers le soir, bleue. On est sur de hauts fonds, à
( proximité du banc où se perdit la Méduse.
Entre les îles du Cap-Vert et la côte.
On noiera la couleur verte sur les bancs de
allant du navire à terre dans la baie de Santa
( Dans la matinée, en vue du cap Saint-Tomé, au
(nord du cap Frio, teinte verdàtre.
La sonde accuse 57 mètres.
\ Le navire entre dans les eaux jaunâtres de La
/ Plata.
la Méduse et le changement de couleur sensible en
■Cruz de Ténériffe. Quant au nombie des dénomma-
328 MÉTÉOROLOGIK ET PHYSIQUE DU GLOBE
M. de Carfort avait adopté quatre termes : vert, olive, ardoise, bleu ;
les deux termes moyens correspondant à des nuances se rapprochant
davantage soit du vert, soit du bleu. Cette distinction ne me paraît pas
nécessaire et il est d'ailleurs évident qu'en passant d'une localité verte à
une localité bleue, ce qui peut avoir lieu très vite (1) si la marche du
navire est un peu rapide, il deviendra très difficile de reconnaître où la
nuance olive fait place à la nuance ardoise et réciproquement. Je crois
donc les trois termes que je propose — vert, intermédiaire, bleu — suffi-
sants et c'est eux que j'ai adoptés au cours des observations attentivement
poursuivies pendant le voyage de la Manche de Leith à .Tan Mayen. de
Jan Mayen au Spitzberg, et du Spilzberg à Tromsue. J'ai continué les
mêmes observations sur la côte de Norwège jusqu'à Drontheim.
La Manche, au cours de ce voyage, a traversé cinq localités bleues
nettement accusées et j'entends par là où la mer était aussi bleue que
la Méditerranée. Elle a également rencontré des localités vertes et enfin
a navigué, pendant la plus grande partie du temps, sur des eaux de cou-
leur intermédiaire.
Voici, d'ailleurs, le relevé de mes observations : .
Sur la côte d'Ecosse, comme toujours dans la mer du Nord, l'eau est
verte.
Le 22 juillet. — 10 heures et demie du matin, l'eau est nettement bleue (2),
le ciel est gris, c'est-à-dire que l'observation est faite dans les conditions les
plus favorables. — Midi : Latitude, CA° 03' N. Longitude, 2° 0 (3). — A midi
et demi, l'eau est plutôt verte (4).
Le 23 juillet. — l*osilion à midi: Latitude, 64° 12'. Longitude, 1° IS' 0. —
Vers 4 heures de raprès-midi, l'eau est verte (5). — Vers 6 heures, l'eau est
lions employées par M. Ebclot, il est, en somme, des plus restreints. Au cours du voyage de la Gazelle
ivoy. t. II, Berlin, 188S, p. 4), la coloratiun de la mer fut enregistn^e journellement d'après les
Impressions subjectives du Captlicut. Bendemann. Or, on ne relève pas moins de vingt dénominations
CTiployéi'S par lui et il suffit de les énumérer pour montrer do quel faible secours elles sont pour
des comparaisons ultérieures. On remarquera que la qualification <x entfiirbt » indique toujours un
virage au vert. « Azurblau. — Tiefblau. — Dunl<ell)lau. — Hellblau. — Etwas entgefàrbt, grunlich.
» — Enlfarbt grunblau. — Grijnblau. — Blaugrau. — Schmutzig-grun. — Schwarzgrun. — Blau. —
» Dunkelblau elwas enlfarbt. — Grùnlichblau, leicbt entfârbt. — Hellblau etwas enllarbt. — Dun-
» kelblau-grun. — Dunkelgriin-blau. — Tiefblau etwas enlfarbt. — Schwartzlich griJnblau. —
» Blau leicht entfârbt. — Enlfarbt blau. » Cet exemple suffit, croyons-nous, à montrer la nécessité
do recourir aune classification beaucoup plus simple, tout à fait simple.
(1) Nous ne parlons pas des passages subits d'une couleur à fautre, comme dans la limite orientale
du Courant du Golfe.
(2) Le commandant Bienaimé m'informe qu'à 9 heures elle était plus bleue encore.
(3) Nous sommes donc encore par le travers des Shetland, à 30 milles d'elles et à 130 milles
environ de la côte de Norwège.
(4)Jerapporleen note le résultat sommairedes pèches au filet fin qui ont été faites dans les eaux tra-
versées. Le 22 juillet, pendant qu'on marche à la voile, une pêche au filet fin est pratiqui'^e en puisant
de l'eau à la mer, de l'avant du navire, au moyen de seaux : Ceratium tripes, Peridimum divergens
très abondants ; Rhizosolenia, Ceratium furca ; Dinophysis rares ; Méduses, Appendiculaircs, Copédodes
rares. Dans cette pèche, les Peridinium dominent ; c'est, en somme, une pèche essentiellement végé-
tale, une pêche d'eaux verles.
(o) Deux pêches au filet fin ont été faites. La première, comme la veille, au moyen de seaux, à
l'avant. Le procédé est essentiellement défectueux. Même en se plaçant dans les meilleures condi-
tions on pêche des détritus du navire (fragments de laine colorée, elc.) et surtout des filaments du
cordage auquel est suspendu le seau. Cette pèche donne moins de Ceratium et de Peridinium diver-
G. POLCHET. SUR LES F.AIX VERTES ET BLELES 3'29
bleue. — L'observation est très précise, faite par un ciel qui se maintient gris,
c'est-à-dire dans les meilleures con<litions. Le point oîi se produit le change-
ment d'eau verte en eau bleue est situé par 64° 30' latitude et 1° 35' longi-
tude 0. — A 7 heures l'eau est encore un peu bleue sous le ciel gi'is ; à
8 heures et demie, l'eau revient au vert sans être franchement verte.
Le 2i juillet. — Vers 6 heures et demie et 7 heures du matin, l'eau a nette-
ment viré au vert. Elle est intermédiaire, mais plutôt verte. — Je note à 9 heures :
« presque verte ». — Position à midi : Latitude. Gtj" 47'. Longitude. 2° 13' (J (1).
Le 2o juillet. — A midi la position est : Latitude, 69° '.0'. Longitude, o° 40' 0.
— Vers 9 heures du soir, l'eau semble un peu virer au bleu (2).
Le 26 juillet.— Au matin, leau est verte ; à 8 heures et demie, elle devient un
peu bleuâtre. — Position à midi : Latitude 70° 20'. Longitude o» 30' 0. (3).
Le 21 juillet. — Nous sommes au mouillage de Marie Muss (4).
Le 28 juillet. — A l heure et demie, au sud de Jan Mayen, la mer est
un peu bleuâtre ; à o heures et quart, devant le Phare, la mer est redevenue
verte (o).
Le 29 juillet. — A 9 heures, la mer est très faiblement bleuâtre. — A midi,
l'eau est bleue. Latitude 7l« 38'. Longitude 5° 17' 0. Elle l'est encore à 4 heures
trois quarts. — A 6 h. oo m., la mer est un peu bleue; à 8 heures trois quarts,
de même.
Le 30 juilld. — A midi, l'eau est toujours bleuâtre. Latitude 73° 37'. Longi-
tude I044' E. — A 1 heure, la mer est nettement bleue; à 4 heures, elle l'est
encore, mais peut-être plus faiblement. — A 8 heures du soir, la mer est
encore bleue ; elle va peut-être virer ; elle me paraît, en tous cas, moins bleue.
Le 31 juillet. — De minuit â 4 heures, l'ofiicier de quart, M. Exelmans, a vu
passer un baril, un tronc d'arbre, un orque. — A 6 heures du matin, l'eau
est verte. — A 11 heures, l'eau est verte. — Position à midi : Latitude 73° 13'.
Longitude 6° 44' E. — A 4 heures, l'eau est entre vert et bleu. — A 9 heures
l'eau est toujours bleuâtre (G).
. Le i^" août. — A 1 heure du matin, eau bleuâtre. — A 3 heures et demie,
dans le Bell Sund, elle est d'un vert sale.
gens que la veille ; Per. divergens est plus abondant que Ceralium. On trouve, en outre, des Globigérines,
des Calanus. — Une seconde pêche est faite vers J, heures pendant que le navire a stoppé, avec lappareil
Biétrix muni de son bateau. Elle est faite à quelques mètres de profondeur. Le dépôt est ronge par
l'abondance des Copédodes, On trouve Peridinium diverycns, de couleur rose très rabattue, quelques
Ceralium Iripos, grands Coscmod'SCHs; des Globigérines ; des Sagitta, etc.. La pêche est essentiel-
lement animale. Pendant qu'on fait ceUe pêche je vois passer un fragment de fucus.
(1) Une pêche est faite à la pompe : Cera(i»m <c/pos qui parait ici l'être dominant ; C. fusus: Peri-
dinium divergens de coloration rouge plus accentuée qu'hier; Chetocerus; très rares Hhizosotenia ;
quelques Radiolaires petits; quelques Coscinodiscus ; Lamellibranches. En faisant la pêche, je vois
passer deux fragments de fucus plus grands que celui de la veille.
(2) Dans une p^che au filet fin, je trouve des Sphaerozoaires.
(3) Pèche au filet fin faite avec les seaux. Celte pêche est exclusivement végétale : Ccscmcd-scus .-
Polijcysline/i ; Chetnceras : Navicules : Bhizosohnia ; débiis végétaux; quelques œufs de poissons
pélagiques; pas de Copépodes. Le soir, une pêche est faite en vue de Jan Mayen, avec l'appareil
Biétrix. Elle est également essentiellement végétale. Le dépit est jaune, mais plus fin que celui
que j'ai décrit dans les eaux des Feroe. Schizonema en abondance; Tetraspora ; Chetocerus i Diato-
mées; Navicules; quelques Tintinnidés; un seul Copédode.
(4) Une pèche au filet fin donne les mêmes résultats que celle de la veille au soir.
(o) Une pèche au filet fin est pratiquée devant la Grande lagune. Elle est essentiellement végétale :
Riiizosoknia ; Diatomées nombreuses (beaucoup sont enkystées); quelques Peridinium tripos; Radio-
laires; Globigorines; œufs de Copédodes et de poissons; un Pluleus.
(6) Le matin, une pêchi a été faite au moyen de la pompe : Sphserozaires ; Chetocerus; Cosn-
nodincus; Rhizosolenia ; Diatomées (plusieurs enkystées) ; gros Gijmnodinium vert; petit /»roto/)cri-
dinium; Appendiruhuies ; Copêpoies. Malgré la présence de ceux-ci en assez grand nombre, la
pêche peut être regardée comme essentiellement végétale. — Le même jour on constate la très
grande abondance de Tetraapora Poucheti.
330 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
Le 4 août. — A 9 heures, devant le cap Lyell, l'eau est verte. — A 9 h. 3S m.,
à la sortie du Bell-Sund, elle tend à bleuir. — A 12 h. 33 m., l'eau est très
•faiblement bleue. — A 2 heures, l'eau est verte, nous sommes dans l'Isfjord (1).
Le 10 août. — Mouillage d'Advent Bay : autour du navire, l'eau est bleuâtre;
de l'autre côté d'Advent Bay, elle est nettement verte (2).
Le 41 août. — A 11 heures, par le travers du cap Staraschine, la mer est
verte. — A 12 h. 10 m., en avant de l'entrée de risfjord, elle est bleuâtre. —
A 1 h. 5 m., très bleue. — A4 heures, on ne trouve pas de Tetraspora (3). —
A 6 heures, mer bleue, très peu de Tetraspora. — A 7 heures, eau moins bleue,
un peu verdâtre.
Le 12 août. — A 2 heures et demie du matin, d'après l'officier de quart,
M. Exelmans, nous aurions traversé une localité d'eau verte. Puis l'eau est rede-
venue bleuâtre. — A 7 heures et demie, en face du cap Lyell, nous la retrou-
vons verte.
Le 45 août. — A 9 h. 20 m., en face du glacier de Scott, l'eau est verte. —
A 10 h. 50 m., elle a une tendance à bleuir, elle est cependant plutôt verte.
— A midi, l'eau est bleue. Latitude : 77° 33'. Longitude : 11° 17' E. — A 3 heures,
on ne trouve pas de Tetraspora. — A 3 h. 40 m., eau très bleue; il fait calme.
Le 46 août. — A 6 h. 55 m., mauvais temps. Eau intermédiaire, plutôt verte,
Tetraspora abondants. — A 10 h. 45 m., eau verte. — A midi, position estimée :
Latitude : 75° 45'. Longitude : 11° 31' E. — A 12 h. 40 m., eau intermédiaire,
plutôt verte (4). — A 2 heures, eau plutôt verte. — A 8 heures et demie du soir,
eau bleue. Latitude : 75° 03'. Longitude : 13* 02' E. Le commandant me dit que
peu de temps après l'eau est devenue verte (5).
Le 11 aovt. — A 6 heures, eau verte. — A 6 h. 50 m., eau intermédiaire,
plutôt verte. — A 10 h. 50 m., eau verte. — Position à midi : Latitude : 73° 17'.
Longitude : 14° 47' E. — A 2 heures, eau intermédiaire plutôt bleue (6). —
~ A 6 heures, eau intermédiaire, plutôt bleue (7). — A 9 heures, eau inter-
médiaire, plutôt bleue (8).
Le 18 août. — A 4 h. 35 m., mer bleue, beau temps (9). — A 6 h. 30 m.,
eau verte. — A 7 h. 40 m., eau verte (10). — A 9 h. 30 m., eau verte; très beau
temps (11).— A midi : Latitude : 71° 35'. Longitude 17° 30' E. — A 1 h. 15 m.,
eau verte. — A 1 h. 50 m., eau verte (12).
(1) Le 6 août, dans Sassen Bay, une pêche au filet fin donne Peridinium divergent ; Cop^podes;
Appendiculaires: Gastéropodes; Lamellibranches; pas d'algues; une grande Sagilla; Tintinnidé très
long ; un seul Ceratium tripos. La pêche est essentiellement animale. — Comp. Pouchet, Sur la faune
pélagique du iJijrefjord. {Complcs rendus Acad. des Sciences, 25 janvier 1892.)
(2) Comparez l'observation dans la baie de Sanla-Cruz de TénérifTe, ci-dessus, p. 327, note 2. —
Une pêche au filet fin, dans Advent Bay, a donné : Peridinium divergens ; Gymnodinium puivisculus,
et surtout un Cakmus (finmarchus ?) rencontré en abondance dans d'autres pèches.
(3) Les Tetraspora Poucheti sont observés simplement dans un tiers de litre environ d'eau de mer
puisée du bord avec les précautions nécessaires pour détruire le moins possible de ces organismes,
et placée dans une cuve à glaces parallèles.
(4) Tetraspora extrêmement abondants. On en compte plus de vingt dans un tiers de litre d'eau.
(5) Pendant qu'on prend à cette place des températures de fond, une pêche au filet fin est effec-
tuée: Tetraspora exlrèmemenl àhondànls; Rhizûsolenia en nombre dominant; Ceratium tripos ; nres
Peridinium divergens, Globigérincs. La pêche, malgré de nombreux Copédodes et des Tintinnidés,
est essentiellement végétale.
(6) On ne trouve pas de Tetraspora.
(7) On ne trouve pas de Telrasjyora.
(8) On ne trouve pas de Tetraspora.
(9) On no trouve pas de Tetraspora.
(10) On ne trouve pas de Tetraspora.
(11j On ne trouve pas de Tetraspora.
(12) On ne trouve pas de Tetraspora.
G. POl'CHET. SUR LES EAVX VERTES ET RLEUES 331
Les indications qui précèdent sont relevées sur notre carnet d'observa-
tions. M. de Carfort, de son côté, a noté également les couleurs de la
mer sur son journal météorologique en se servant de sa nomenclature
à quatre termes. Nos deux relevés se superposent sensiblement (1).
Nous ne pouvions malheureusement, en raison de la route du navire,
ne repassant pas par les mêmes lieux, établir — sauf en ce qui concerne
la côte et les fjords du Spitzberg — la forme et l'étendue des localités
bleues que nous avons traversées ("2). Nous nous bornerons, en consé-
quence, aux remarques suivantes :
La première localité bleue s'est offerte à nous très bas par le travers
des Shetland, entre ces îles et la côte de Norvvège. Puis en montant vers
le nord, la Manche a rencontré successivement trois autres localités
bleues. Scoresby, dont l'attention s'est portée sur presque tous les pro-
blèmes d'Océanographie qui nous préoccupent aujourd'hui, note la fré-
quence des eaux bleues sur le méridien de Greenwich; or, les quatre
localités bleues dont nous parlons ont précisément été rencontrées par
la Manche sur le méridien de Greenwich.
Deux localités nettement bleues ont été traversées de Jan Mayen au
(I) Les indications du livre météorologique de M. de Carfort sont les suivantes :
20 juillet. — 4 heures du soir, verte ; 6 heures, verte.
il juillet. — 10 heures du matin, verte. — Midi : Latitude : 38» 32'. Longitude : 3° 24' 0.— 2 heures
du soir, verte ; 6 heures, olive. ,
22 juillet. — 10 heures du matin, bleu ardoise. — Midi, olive ardoise : Latitude : 61° 03 . Longi-
tude : 2° 0. — 2 heures du soir, olive ardoise; 6 heures, olive.
23 juillet. —8 heures du matin, vert; 10 heures, olive. — Midi : Latitude : 64° 12'. Longitude :
^o^5' 0. — 2 heures du soir, vert olive ; 6 heures, ardoise opaque; 8 heures, verte.
2i juillet. — 6 heures du matin, gris olive ; 10 heures, olive. — Midi : Latitude : 66° 47'. Longitude :
2» 13' 0. — 2 heures du soir, olive ; 6 heures, vert olive. ^
25 juillet. — 2 heures du matin, vert olive ; 10 heures, vert olive. — Midi : Latitude : 68° ol . Lon-
gitude ; 3° 40' 0. — 2 heures du soir, vert olive; 6 heures, vert olive. ^
26 juillet. — 10 heures du matin, gris olive. — Midi : Latitude : 70° 31'. Longitude : 6° 40 0. —
6 heures du soir, gris olive.
27 juillet. — Baie Marie Muss. — 6 heures du soir, gris olive.
28 juillet. — Sud de Jan Mayen. — 2 heures du soir, bleu ardoise ; 6 heures, verte. ^
29 juillet. — 10 heures du matin, bleu ardoise. — Midi : Latitude : 71° 38'. Longitude : 3° 17 0. —
2 heures du soir, ardoise ; 6 heures, ardoise ; 10 heures, ardoise. ^
30 juillet. — 6 heures du matin, ardoise ; 10 heures, bleu ardoise. — Midi : Latitude : 73° 37 . Lon-
"itude ■ 1° 44' E. — 2 heures du soir, ardoise ; 6 heures, ardoise.
3/ j»i«e<. —1 heure du matin, vert; io heures, olive. — Midi : Latitude : 73° 13 . Longitude:
go 44' E. — 2 heures du soir, bleu ardoise; 6 heures, ardoise; 10 heures, bleu ardoise.
1" août. — Dans Bell Sund, vert clair.
6 août. — Dans Sassen Bay, verte.
12 août. — Sortie de l'Isfjord. — 10 heures du matin, verte; midi, ardoise ; 2 heures du soir, bleu
ardoise; 4 heures, ardoise; 6 heures, ardoise; 10 heures, olive.
42 août. — Baie de la Recherche. — 10 heures du matin, vert laiteux.
13 août. — 10 heures du matin, vert olive. .
iS août. —Midi : Latitude : 77° 33'. Longitude: 11°n'E. — 2 heures du soir, bleu ardoise;
fi heures olive
16 août. - Midi : Latitude : 75° 43'. Longitude : 11° 31' E. - 2 heures du soir, olive; 6 heures, olive,
17 août. — 4 heures du matin, olive. — Midi : Latitude : 73° 17'. Longitude : 14° 47 E. - 2 heures
du soir, ardoise; 6 heures, olive. , , a cr,;,-
18 août. — 10 heures du matin, bleue. — Midi : En vue des cotes de Norvège. - 2 heures du son.
verte; 6 heures, verte. „rôfé
(2) Il était évidemment possible, d'après noire carte, d'en relier plusieurs ; il nous a Paru pre e-
rable de ne point forcer l'observation en traçant des limites peut-être Particulièrement variables
dans l'ucèan Glacial, entre les eaux bleues et vertes, et qui échappent par cela même a tout contrôle
ultérieur.
332 MKl'KOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
Spitzberg et deux autres du Spitzberg au nord de la Norwège. Peut-être
ces quatre localités bleues doivent-elles être considérées comme faisant
partie de deux bandes bleues considérables étendues de l'est à l'ouest. En
particulier, la première rencontrée au départ de Jan Mayen et la dernière
rencontrée en approchant de la Norwège se sont trouvées exactement
sur le même parallèle par 72° de latitude N. (4).
De Jan Mayen au Spitzberg, les localités nettement vertes ont été, en
somme, plus rares que les bleues. Nous en trouvons une vers la pointe
orientale de Jan Mayen ; une en allant au Spitzberg, l'autre en revenant,
toutes deux entre 75° et 76° de latitude, et pouvant être considérées
comme appartenant h une même zone verle étendue en latitude. Enfin,
une autre localité verte s'est montrée dans le sud-ouest de l'Ile de l'Ours
par 73° 30' de latitude N.
En approchant de la côte de Norwège, nous avons trouvé l'eau verte
que j'ai pu suivre le long de la côte jusqu'à Drontheim.
Autour de Jan Mayen, sauf la localité verte signalée plus haut, la mer
a présenté une coloration intermédiaire.
La couleur de la mer sur la côte et dans les fjords du Spitzberg nous a
offert une particularité intéressante. La Manche a visité Bell Sund et
Isfjord. Elle s'est avancée sur la côte jusque vers le milieu de Prince
Charles Foreland. Or, nous avons toujours trouvé, soit avant d'entrer
dans les deux fjords, soit en en sortant, la mer bleue. Dans les deux fjords,
la mer, au contraire, s'est toujours montrée à nous verte {^).
Il n'est pas douteux que, dans l'Océan Glacial en particulier, les limites
et l'étendue des localités bleues varient selon les années et peut-être
même plus fréquemment (3).
On a proposé de nombreuses explications de cette différence de colo-
ration que présentent les eaux de la mer. Il convient toutefois de dis-
tinguer ici la cause efficiente des circonstances concomitantes qui peuvent
l'accompagner dans un certain nombre ou même dans la plupart des cas.
Nous rangeons dans cette dernière catégorie les influences de la tem-
(1) Cette limite des eaux bleues et vertes dans le sens des parallèles, qu'on pourrait rapprocher
dfi celle des eaux vertes et bleues de l'Atlantique tempéré, mérite peut-être de fixer l'attention.
(2) En 1888, M. Ch. Rabot, qui avait, à ma demande, porté son attention sur la couleur de la mer
au Groenland, m'écrivait: a M. le professeur... en allant pendant la seconde quinzaine de juillet, la
B mer est restée verte de la côte d'Ecosse au 21° de longitude 0. de Greenwich, où nous trouvons
» les premières eaux bleues... Au retour, autour du cap Farewell, eaux bleues. Du 'H ° de longitude 0.
» de Greenwich au 12° 30', eau verte... Dans les fjords de la cèle occidentale du Groenland, l'eau
» était verte. » Nansen signale de même la mer bleue sur la ente orientale du Groenland : « De notic
» tente nous pouvions contemiiler la mer poussant vers l'horizon ses petites vagues bleues... »
(3) Dès le départ de la_,Manche, au mois d'avril, pour l'Islande, j'avais signalé aux olficiers l'in-
térêt des observations de la couleur des eaux. Le 4 mai, M. le D' Couteaud m'écrivait rie Rei-
kjavik : « Nous avons constaté que la mer, depuis les Feroë jusqu'à la cote sud dislande, était
j> d'une belle couleur bleucj » Même en admettant que l'expression ait été exagérée et que la
couleur de la mer fut simplement intermédiaire, le fait n'en était pas moins intéressant. En effet,
l'année précédente, 1891, en faisant, du 5 au u juillet, la route Granton, les Feroé, Reikiavik, et
du 22 au 30 août la route inverse, j'avais nettement constaté la couleur verte de la mer sur tout
ce parcours.
G. POUCHET. — SUR LKS EAUX VERTES ET BLEUES 333
pérafure et de la salure. Les eaux équinoxiales sont à la fois plus
denses et plus chaudes que les eaux des hautes latitudes. Elles sont
bleues, mais on se rond compte de suite que ni la température, ni le
degré de salure, ni la profondeur ne sont les conditions immédiatement
déterminantes de la couleur, puisque des eaux vertes peuvent se ren-
contrer sous les tropiques (1) et que, d'autre part, les localités bleues
sont fréquentes dans les mers septentrionales. Si les eaux moins profondes
paraissent être généralement vertes (2), on n'oubliera pas que l'eau est
verte sur toute la largeur de l'Atlantique tempéré vers le oO'^ degré de
latitude (3).
On n'oubliera pas, d'ailleurs, que les mêmes différences de coloration
des eaux se retrouvent dans les lacs (4), ce qui suflit à faire écarter
l'hypotlièse d'une intervention de la salure, à laquelle M. Spring attribue
cependant un rôle important.
On est ainsi conduit à rechercher, en dehors des facteurs qui viennent
d'être signalés, l'origine de la couleur verte des eaux, la couleur bleue
paraissant être la couleur naturelle de l'eau pure (o).
Scoresby d'abord, puis Robert Brown (18G7), ont les premiers compris
que la couleur des eaux de l'Océan — et nous pourrions ajouter celle de
la plupart des eaux terrestres — dépend directement de certains phéno-
mènes biologiques. Ils se trompèrent seulement en croyant que la pré-
sence ou l'absence de certains êtres vivants, animaux ou végétaux, pro-
duisait les couleurs observées. 11 est facile de s'assurer que l'eau est
bleue ou verte indépendamment de tout être vivant, même microsco-
pique, en suspension.
(1) Rappelons l'eau verte signalée p. 327, note 2, sur les bancs de la Méduse et en rade de Sanla-Cruz
de Ténéiille. Signalons encore une localité verte observée par Schlemitz, au cours du voyage d.e
la Gazelle. Le 23 août, par o" de latitude S. et 9° de longitude 0. de Greenwich, l'eau devint
verdàtre de bleue qu'elle était. On remarqua en même temps un abaissement delà densité. Voyez
Natarforscher, t. VIII, p. 59, cité par W. Spring.
(2) Fjords du Spitzberg, du Gioénland, rade de Santa-Cruz de Ténériffe, bancs sur lesquels s'est
perdue la Méduse (voyez ci-dessus, p. 327, note 2), mer du Nord, Manche, etc.
(3) M. 0. Krummel, au cours du voyage de la Gazelle, donne pour limite inférieure des eaux
vertes de l'Atlantique tempéré le A0° degré de latitude. Voyez Geograph. Jahrbuch, 1892, p. 9 et suiv.
— J'ai indiqué et ligure dans la carte que j'ai donnée pour l'été de 1887 cette limite par Ai" lati-
tude N. vers la cote d'Europe et 41° 30' du côié de l'Amérique. Voyez La couleur des eaux de la
mer el les pèches au filet fin (Ass. /•'jdnf ..Toulouse, 1887, t. II, p. 596, et carte.) Je faisais remarquer
dès cette époque que cette limite coïncidait assez bien avec celle des eau.\ de densité i,0270.
(4) M. Forel (Arch. des Sa. Phijs. et Nat., t. XXI, p. 270) indique comme ayant des eaux bleues :
les lacs Léman, de Garde, de Lucel, de Kandersleg, l'Achensee et enfin le lac d'Annecy. Pour ce
dernier, je doi-; dire qu'au cours d'un voyage fait à Annecy au mois d'avril, dans le but même d'ob-
sener la couleur du lac, j'ai constaté que ses eaux étaient nettement vertes.
(3) On trouvera un excellent résumé des travaux sur la couleur de l'eau dans l'importante étude
de VV. Spring ; De la couleur des eaux [Ciel et Terre, 3" année, n» 24; 4' année, n» i. Bulletin de
l'Acad. des Se. de Bruxelles, janvier 1883. Rev. scient., 1883, t. XXXI, p. 16I). — Nous ne saurions,
d'ailleurs, partager les vues de M. W. Spring sur l't.rigine de la couleur jaune qui viendrait se com-
biner à la couleur bleue naturelle de l'eau pour donner les eaux vertes; cette couleur jaune déri-
verait, d'après M. W. Spring, d'un précipité naissant de sels incolores (carbonate de chaux, de
magnésie, silice, silicate d'alumine) dû à une trop faible quantité d'acide carbonique pour la com-
plète dissolution des carbonates ou à une insuilisance de chlorure de sodium pour la précipitation
du silicate d'alumine.
334 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOP.E
Partant de ce fait d'observation que l'eau pure est bleue (1), j'ai admis
depuis 1887 (2) que la couleur verte des eaux devait être attribuée à la
combinaison de cette couleur bleue avec la couleur jaune d'un principe
d'origine organique qui s'y trouvait mélangé. J'admis de plus que ce
principe était la phycophœine soluble dans l'eau et dont MUIardet a
montré la singulière fixité (3).
Depuis les observations de Robert Brovvn on est unanime à reconnaître
que les végétaux monocellulaires flottants sont, d'une manière générale,
répandus en beaucoup plus grande abondance dans les eaux froides,
c'est-à-dire dans les eaux vertes (4). Il n'est pas douteux que cette quan-
tité prodigieuse d'algues, abandonne sans cesse une notable quantité de
phycophœine à l'eau de mer. J'ai insisté ailleurs (5) sur le caractère très
particulier des pêches au filet fin dans les eaux des Feroë. Le même carac-
tère essentiellement végétal du plankton s'est retrouvé autour de Jan
May en.
Dans les fjords du Spitzberg cependant, malgré l'eau verte, le plankton
s'est présenté à nous comme presque exclusivement animal (6). Mais on
remarquera que si les fucus ne poussent pas dans ces fjords au niveau
des marées, on peut voir les bas-fonds tapissés partout de Laminaires.
Les goémons fixés joueront ici, en abandonnant leur phycophœine, le
même rôle que les algues pélagiques pour la haute mer.
Peut-être pourrait-on expliquer la grande zone verte de l'Atlantique,
tempérée par la présence des Sargasses qui flottent, il est vrai, en partie
dans l'eau bleue, mais en déf)assent notablement la limite au nord et
qui laisseraient écouler en se détruisant leur phycophœine dans le sens
du déplacement des eaux vers le nord-est.
En tous cas, une question très importante resterait à résoudre : la
couleur de l'eau des parties profondes de l'Atlantique.
En partant de cette hypothèse que l'eau verte résulte de la présence
(1) Voyez W. Spring.
(2) Voyez mes diverses communications de 1887, Assoc. française, Toulouse, et ii'oc. de Biuloyie.
Cf. ci-dessus, p. 327, note 2.
(3) Il sullit, pour l'obtenir, de triturer àesfucnst dans l'eau et de filtrer. M. Forel a supposé (1889, .4n'/t.
des Sc.phijs. elnal.) que c'était l'eau des tourbières chargée d'acide humiquequi apportait le com-
posant jaune. Si cette e.xplication, à la rigueur, peut s'appliquer à certains lacs, elle ne saurait être
étendue à l'Océan pour plusieurs raisons. La couleur de ces eaux de tourbières est d'un jaune forte-
ment rabattu. On navigue sur cette eau dans certains fjords de Norvvège. On peut citer en parti-
culier le Kanenfjord. On retrouve les mêmes eaux au fond de certaines petites baies des Feroë. Mais
ce sont là des phénomènes essentiellement limités. On ne peut songer à attribuer au Saint-Laurent
l'apport du principe jaune qui donnerait naissance à la grande zone verte de l'Atlantique tempéré,
plus qu'on ne saurait, d'autre part, admettre une inllueuce des rivières de Norwège et d'Europe
agissant à contre-courant. Il est à noter, en effet, que les autres grands fleuves atlantiques (iMississipi,
Amazone, Niger), se déversent dans des eaux bleues et n'en modifient point la coloration dès que les
particules solides, qu'ils tiennent en suspension, se sont précipitées.
(4)M.O. Kriiramel signale lui-même l'abondance des Diatomées dans l'eau intermédiaire (blaulich-
griin.) du courant sud é(|uiLlorial (G<kigr. Jahrbuch, ts92, p. 9 et suivantes.) L'auteur ajoute cette
remarque à un passage des Pelerm. Miiheil. 1889, qu'il transcrit jiour le resteà peu près textuellement.
(5) Voyez Sur la jloi e pélagique du Xaahôfjord. (Comptes rendus, \\ janvier 1892.)
(6) Comp. PoucHET, Sur la faune pélagique du Dyrefjord. {Comptes rendus, 25 janvier 1892.)
G. POUCHET, SI R LES EMX VERTES ?:T BI.KLES 83d
d'une certaine quantité de phycophœine en dissolution dans l'eau naturel-
lement bleue, on pouvait se demander s'il ne serait pas possible d'éli-
miner celle-là et de rendre à celle-ci sa couleur naturelle. Quelques faits
sembleraient indiquer qu'on doit y parvenir (1).
Je ne puis indiquer ici que le résultat d'une expérience préliminaire
réalisée dans le laboratoire de Concarneau, et basée sur ce fait que le
noir animal décolore les solutions de phycophœine. La seule partie de
l'appareil instrumental nécessaire, dont je disposais, était un tube de
o mètres mesurant o centimètres de diamètre environ, muni à l'intérieur
de cinq diaphragmes circulaires et aux extrémités de deux glaces paral-
lèles. L'eau de la baie de Concarneau, convenablement fdtrée, observée
dans ces conditions sur un écran blanc, bien éclairé, à l'autre extrémité
du tube, est parfaitement transparente et d'un vert intense.
Plusieurs essais ont été faits ; je ne relaterai que les deux suivants :
1° De l'eau de la baie, passée sar un filtre de papier pour la débarrasser
des matières en suspension, est lentement filtrée une seconde fois à tra-
vers une couche de 5 à 6 centimètres de noir animal en poudre fine;
2° De l'eau de la baie, après avoir été débarrassée de même des matières
€n suspension, est laissée vingt heures environ au contact de noir
animal réduit en poudre.
Ces eaux de mer sont essayées dans le tube et donnent exactement la
même impression que l'eau distillée du commerce et que l'eau de source,
impression très bien indiquée par W. Spring. Si elles n'étaient point
bleues, elles avaient du moins subi une décoloration considérable que
l'observateur le moins prévenu pouvait constater à première vue (2).
Le temps, les appareils et les matériaux nécessaires nous manquaient
pour pousser plus loin ces recherches. L'expérience que nous rappoi'tons
démontre, en tous cas, que la coloration verte des eaux de la mer dépend
au moins pour une grande partie de la présence d'une substance que l'on
peut directement lui enlever par des moyens appropriés, et qui jouit
— comme la phycophœine — de la propriété d'être retenue par le noir
animal.
(() U. Sainle-Claire Ueville (Ann. de Chimie, t. XXIII, I8i8, p. 32; trouva que les eaux bleues
des lacs de la Suisse et du Jura, évaporées, donnaieiil des résidus incolores; tandis que les eaux
vertes, celles du Doubs et du Rhin, donnaient une quanliié de matière organique assez forte,
teignant ca jaune les sels d'evaporali'in. On peut yjouler que le précipité obtenu par l'action du
bichloruie de mercure sur les solutions de phycopliœine est de même jaune. On reconnaît au
microscope la présence d'un dépôt pulvérulent jaune (phycophœine?;.
(2) L'eau qui a séjourné sur le noir animal en particulier est déclarée par une personne surve-
nant au moment de l'expérience, dune nuance •■'■ entre veit et bleu ».
330 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
M. Léon TEISSEEEITC DE BOET
Météorologiste au Bureau central météorologique de Fiance, à Paris.
SUR LA THÉORIE DES MOUVEMENTo TOURBILLONNAIRES
— Séance du i7 septembre 1892 —
Le mécanisme des tourbillons qui se produisent, soit dans l'eau, soit
dans l'air, a été beaucoup élucide par les diverses expériences de Weyher,
Colladon, etc., faites dans ces dernières années ; aussi peut-on essayer
aujourd'hui d'en esquisser la théorie.
Le premier principe sur lequel il faut s'appuyer, c'est que dans tous
ces tourbillons le mouvement centripète ne se produit que lorsque les
surfaces isobares sont plus déprimées que les surfaces de niveau dyna-
miques.
De môme tout mouvement dans le sens vertical est dû à ce que la
variation de pression suivant la verticale n'est pas celle qui correspond à
la densité du fluide au repos. Dans l'air les variations dans la loi de
décroissance de la pression barométrique sont sensibles et intimement
liées à l'écoulement du fluide aux extrémités du tourbillon.
On peut produire expérimentalement toute une classe de tourbillons par
des différences de vitesses entre les parties du fluide considéré, soit qu'on
entraine directement le fluide comme dans les expériences de Weyher,
soit qu'on l'actionne par des courants voisins de vitesses différentes,
comme on en voit produire des tourbillons près des piles de ponts.
Le tourbillon le plus simple que nous connaissions est celui qu'on
produit en faisant tourner autour de son axe un vase cylindrique rempli
d'eau ; après quelques instants, si le mouvement est très régulier, l'eau
tourne avec le vase d'un mouvement uniforme du haut en bas, la vitesse
angulaire est réglée par celle du vase et constante pour toutes les parties
du liquide.
L'eau à sa partie supérieure est déprimée et sa surface libre est formée
par une surface de niveau dynamique, c'est-à-dire une surface perpendi-
culaire à la résultante de la gravité et de l'effet centrifuge dû à l'inertie
du fluide en rotation.
Si on arrête le vase on voit bientôt l'eau se ralentir dans la partie infé-
rieure qui frotte sur le fond du vase, la diminution de vitesse angulaire
L. TEISSEREXC DE BORT. — THÉORIE DES MOUVEMENTS TOURBlLLOî<NAlRES 337
a pour résultat de changer la forme des surfaces de niveau dynamiques
dans les parties inférieures du vase où elles deviennent moins déprimées.
Mais la transmission verticale des pressions continuant à se faire comme
précédemment, les isobares ont gardé la même forme et sont ainsi plus
creusées que les surfaces de niveau dynamiques. Il en résulte pour la partie
inférieure que le fluide est poussé de la périphérie vers l'axe parce que les
différences de pression qui existent dans le sens horizontal ne sont plus
équilibrées par l'effet centrifuge comme lorsque les courbures des iso-
bares et des surfaces de niveau dynamiques se confondent.
L'afflux de fluide vers l'axe a pour résultat d'augmenter la pression
dans les régions inférieures et de déterminer ainsi un mouvement ascen-
sionnel d'une certaine masse du liquide qui comble partiellement la
dépression existant dans les couches supérieures. Cette dépression dimi-
nuant, les isobares tendent à se rapprocher en bas de la forme des surfaces
de niveau dynamiques et l'afflux vers l'axe diminue, il s'arrête complè-
tement lorsque la vitesse de rotation est devenue uniforme dans tout le
liquide, ce qui, dans le cas présent, n'arrive que par l'arrêt de tout
mouvement. En faisant tourner régulièrement le vase qui sert d'enve-
loppe au fluide on maintient le tourbillon d'une façon permanente sans
mouvement dans le sens vertical.
On peut aussi entretenir le mouvement ascendant central en faisant
arriver par la partie inférieure du vase en rotation de l'eau qui, n'étant
pas animée d'un mouvement rotatoire comme celle du vase, afflue forcé-
ment vers l'axe en même temps qu'elle est poussée vers la partie supé-
rieure par la diflérence de pression verticale qui existe entre les couches
inférieures, oii il y a afflux, et les couches supérieures où l'eau se déverse
lorsque le vase est assez plein pour que la surface libre du liquide aftleure
à ses parois.
On arrive donc à constituer ainsi un tourbillon dont le mouvement est
du au frottement des parois du vase, et dans lequel l'afflux par la base de
liquide en repos relatif produit et maintient la différence de vitesse de
rotation entre les régions inférieures et la partie supérieure qui est néces-
saire au mouvement ascensionnel du fluide.
Lorsqu'on opère dans un milieu libre pouvant être pratiquement consi-
déré comme indéfini, on peut produire un mouvement tourbillonnaire du
même genre en imprimant à une masse de fluide un mouvement de
rotation autour d'un axe, au moyen d'un anneau vide tournant rapide-
ment autour de son centre ou au moyen d'un moulinet à palettes.
C'est le mécanisme employé pour réaliser les intéressantes expériences
de M. VVeyher et celles de M. Colladon.
Le mouvement de rotation imprimé au fluide au voisinage du moulinet
se transmet aux masses voisines situées dessous et dessus, pendant que
338 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
le fluide est rejeté latéralement en vertu de l'action de la force centrifuge,
qui n'est pas équilibrée par une différence de pression suffisante entre
le fluide en repos et le centre du tourbillon.
Dans les tourbillons aériens de Weyher, à mesure qu'on s'écarte des
tranches où se meut le moulinet, la vitesse angulaire transmise par le frot-
tement du fluide sur lui-même diminue, tandis que la différence de pres-
sion entre le centre du tourbillon et le fluide extérieur reste à peu près
constante ; on arrive ainsi à une zone où les isobares sont parallèles aux
surfaces de niveau dynamiques, dans laquelle, par conséquent, l'effet cen-
trifuge est équilibré par la différence de pression vers l'axe. En sécar-
tant encore plus, on atteint une région où la vitesse de rotation, dimi-
nuant de plus en plus, les isobares sont beaucoup plus concaves que les
surfaces de niveau dynamiques, et où il y a mouvement du fluide vers
l'axe en même temps que mouvement de rotation.
L'afflux vers l'axe diminue la concavité des isobares et détruit ainsi
l'équilibre vertical entre les régions inférieures et la partie supérieure du
tourbillon (c'est-à-dire que la décroissance de pression ne suit plus la
loi statique, mais est plus rapide qu'elle ne devrait être eu égard à la den-
sité de l'air), ce qui détermine le mouvement ascendant du fluide.
Comme on le voit, on reconstitue ainsi un tourbillon identique au
précédent, seulement le mode de communication du mouvement rotatoire
est différent, il est dû au déplacement du fluide par les palettes du mou-
linet à la partie supérieure et à l'entraînement des masses voisines par le
frottement du fluide en mouvement sur le fluide en repos.
Dans l'un comme dans l'autre de ces tourbillons, le mouvement de
rotation détermine une dénivellation des surfaces de niveau dynamiques
et par conséquent une expulsion du fluide en mouvement par la péri-
phérie, là où se trouve la vitesse maxima.
Cette dénivellation des surfaces de niveau entraîne la production d'une
dépression vers l'axe et il y a mouvement vers la périphérie, là où la
dépression est inférieure à la dénivellation des surfaces de niveau, mou-
vement circulaire là où les isobares sont parallèles aux surfaces de niveau
dynamiques, et mouvement vers l'axe là où les isobares sont plus dépri-
mées que les surfaces de niveau.
Les tourbillons formés dans un milieu libre sont plus ou moins coniques,
la partie la plus évasée étant voisine de la zone motrice, ce qui tient à ce
que le mouvement gyratoire des couches inférieures est entretenu par
le frottement des couches supérieures; comme d'ailleurs le tourbillon
frotte sur le milieu fluide qui l'entoure, la plus grande vitesse angulaire
se trouve toujours à une certaine distance des bords du tourbillon et sur
des diamètres de plus en plus petits, à mesure qu'on s'éloigne des
tranches motrices, soit en montant, soit en descendant.
L. TEISSERE.NC DE BORT. — THÉORIE DES MOUVEMENTS TOURBILLOXNAIRES 339
Tourbillom par dépression. — Quand on produit un tourbillon en
laissant écouler un fluide par un orifice inférieur, comme c'est le cas
dans les tourbillons qui se produisent par des écluses et dans le tourbillon
observé par M. CoUadon sur le barrage du Rhône, à Genève, ce phé-
nomème présente bien toujours la forme conique, mais la partie resserrée
est tournée vers la région où se produisent les plus grandes vitesses.
Ces tourbillons forment une classe spéciale et la source de leur énergie
réside dans la dépression produite par l'écoulement du fluide, naturel-
lement sous l'influence de la pesanteur ou artificiellement sous l'influence
d'une asj)iration par un orifice. Le mouvement gyratoire est une consé-
quence des inégalités de vitesses produites dans le fluide qui s'écoule au
lieu d'être la cause même du tourbillon et la cause de la dépression.
L'importance du tourbillon est donc réglée par l'intensité de la dépres-
sion ('pour le cas du vase percé d'un orifice, la valeur de la dépression
dépend surtout de la hauteur du liquide au-dessus de l'orifice) et les di-
mensions de l'orifice, qui sert à l'écoulement. Dans les autres tourbillons,
au contraire, c'est la vitesse de gyration qui produit la dépression, la-
quelle détermine ensuite le mouvement suivant l'axe. Dans le tourbillon
formé par dépression, le fluide tend toujours à se rapprocher de l'axe,
parce que la dépression est partout supérieure à la déformation des sur-
faces de niveau dynamiques.
Si cette dernière condition n'était plus satisfaite la composante verticale
du mouvement serait annulée et le tourbillon s'évanouirait. En effet, la
vitesse de rotation croît dans un tourbillon de ce genre à mesure qu'on se
rapproche de l'orifice, parce que le fluide se rapproche de l'axe, il en
résulte que la dépression des surfaces de niveau dynamiques augmente à
mesure qu'on se rapproche de l'orifice d'écoulement et avec elle la
dépression barométrique traduite par la courbure des isobares, sans que
jamais elle puisse être moindre que celle des surfaces de niveau, sous
peine de voir le fluide s'échapper latéralement, au lieu de gagner l'ori-
fice.
Dans tous ces tourbillons, il y a toujours transport du fluide vers le
siège de la cause motrice et non émission du fluide en mouvement de
la cause motrice vers les régions calmes, comme le voudraient les théories
dans lesquelles un système moteur supérieur fait pénétrer des spires des-
cendantes de fluide au milieu d'une atmosphère plus ou moins tranquille ;
cette dernière forme de tourbillon n'a encore jamais été réalisée dans les
expériences et paraît d'ailleurs incompatible avec l'existence du frottement,
parce que : 1° le mouvement descendant ne peut être produit que par
un excès de pression dans les régions supérieures qui est incompatible avec
l'aspiration latérale qui produit les gyrations motrices du tourbillon ;
2° le mouvement de concentration du fluide vers la partie inférieure du
340 MÉTÉOROLOGIE ET PHYSIQUE DU GLOBE
tourbillon exige que la dépression des isobares soit plus grande que celle
des surfaces de niveau; or celle dépression des isobares étant produite par
la transmission des pressions d'en haut ne saurait être supérieure à celle
des tranches de fluide placées au-dessus, il faut donc de toute nécessité
admettre que les surfaces de niveau dynamiques sont moins déprimées en
bas qu'en haut, ce qui est incompatible avec l'augmentation de vitesse
de gyration produite par la diminution du rayon de la trajectoire de
l'air, augmentation d'énergie actuelle qui a été invoquée pour expliquer
les effets violents des trombes et des cyclones .
J'ajouterai que dans un tourbillon descendant de ce genre l'air à la
partie inférieure ne peut s'écouler que vers l'intérieur du tourbillon où il
produirait alors un mouvement ascendant marqué, ou vers l'extérieur ; et
dans ce dernier cas on doit, si tumultueux que soit le mouvement, retrou-
ver la trace de vents divergents, ce que l'observation ne montre pas pour
ime portion un peu étendue de l'aire occupée par un tourbillon atmo-
sphérique.
Ces réserves formulées sur la possibilité de l'existence de tourbillons
descendants mus par la partie supérieure (et qui s'appliqueraient dans
leurs généralités à la possibilité de réaliser des tourbillons ascendants
mus par la partie inférieure), je reprends l'étude comparée des tourbillons
produits expérimentalement et de ceux qui s'observent dans la nature.
On observe souvent que lorsque deux courants de vitesses ditiérentes
ou de directions non concordantes prennent contact l'un avec l'autre, il se
produit un tourbillon.
Ce dernier mode de création des tourbillons est particulièrement diffi-
cile à réaliser dans l'air, mais on le produit assez facilement dans l'eau.
Cependant M. Weyher est parvenu, en faisant soutïler dans l'air calme une
large buse produisant un courant d'air en nappe, à créer des différences
de vitesses qui déterminent la formation d'un tourbillon ascendant. Dans
la nature il semble que ce soit par des différences de vitesse que se pro-
duisent les tourbillons aériens.
Le mécanisme des mouvements de l'air dans la zone génératrice des
tourbillons a été peu étudié jusqu'ici. Cependant M. Lasne, dans un mé-
moire sur la théorie des mouvements tourbillonnaires, a indiqué quelle
doit être la marche de l'air dans cette zone; mais si je suis d'accord
avec lui sur le sens du mouvement de l'air, je ne saurais le suivre pour
ce qui lient à la cause de la répartition des pressions et à la transmission
de haut en bas des vitesses par frottement. Cette circonstance influe
assez sur l'ensemble de la théorie du tourbillon pour que je sois obligé
d'en faire un exposé très différent sur plusieurs points essentiels de celle
qui a été donnée par M. Lasne.
Il est hors de doute que les courants généraux latéraux étant les moteurs
L. TEIï^SERENC DE BORT. — THÉORIE DES MOUVEMENTS TOURBILLON-NAIRES 341
du système, à l'origine dans une tranche de la zone génératrice, la vitesse
linéaire maxima doit se trouver à la périphérie là où l'air est entraîné
par le courant latéral. Deux hypothèses se présentent : ou bien la vitesse
angulaire de cette sorte de disque aérien est uniforme et alors la dépression
des surfaces de niveau dynamique est une simple fonction du rayon et de
la vitesse périphérique, ou bien la vitess'e angulaire décroît à l'intérieur à
cause de l'inertie de l'air qui se présente pour remplacer celui qui a été
entraîné par le courant.
La première hypothèse, si les surfaces isobares ont une courbure
voisine de celle qui résulterait de la rotation de la masse fluide sur
elle-même, n'est pas conciliable avec le mouvement centrifuge de l'air
dans la zone supérieure, mouvement indispensable à l'existence même du
tourbillon, parce que l'air qui diverge, perdant de la vitesse à mesure
que le rayon de courbure augmente, ne pourrait remonter la pente des
isobares, puisque sa vitesse serait toujours inférieure à celle qui est
nécessaire pour faire équilibre suivant le rayon à la pression barométrique.
Il faudrait nécessairement admettre que les isobares sont moins dépri-
mées que les surfaces de niveau dynamiques. De plus, à moins de sup-
poser des vitesses périphériques énormes, si on prend pour point de départ
cette hypothèse que la vitesse linéaire en chaque point est voisine de celle
qui correspond à la vitesse angulaire constante, on trouve, dès qu'on
s'approche du centre du tourbillon, des vitesses si faibles qu'elles corres-
pondent à des gradients très petits. Ainsi, pour des vitesses assez consi-
dérables des courants supérieurs, les dépressions barométriques seraient
beaucoup moindres que celles de la nature et ne pourraient engendrer
les vents violents que nous observons près du sol.
M. Lasne admet que la vitesse linéaire ne croit pas avec le rayon,
mais qu'en partant du centre, où elle est nulle, elle passe par un maxi-
mum pour décroître ensuite. Cette hypothèse, qui est assez satisfaisante
pour expliquer la forme des isobares inférieures et la relation qui lie les
diverses vitesses entre elles, laisse tout à fait dans l'ombre le mode de
transmission du mouvement du courant générateur à la masse aérienne
qui forme la tranche aérienne supérieure en rotation. On ne comprend
pas bien, en effet, comment les courants moteurs périphériques peuvent
engendrer par frottement des vitesses supérieures à leur propre vitesse.
Au contraire, si les vitesses centrales sont dues, comme nous le pensons,
surtout à l'accélération centripète éprouvée par l'air dans la partie conver-
gente du tourbillon, on comprend qu'elles puissent être supérieures à
celles des courants généraux.
Si l'on prend en considération ce fait établi que dans un tourbillon se
produisant dans un milieu où il y a frottement, les vitesses qui seraient
obtenues par le frottement de l'air sur l'air décroissent forcément de haut
342 MÉTÉOROLOGIK ET PHYSIQUE DU GLOIîE
en bas, c'est-à-dire depuis les tranches motrices jusqu'au niveau du sol,
en sorte qu'il s'établit, comme nous l'avons vu déjà, un mouvement centri-
pète inférieur et un mouvement divergent supérieur avec une zone inter-
médiaire où le fluide tourne circulairement en montant, on reconnaît qu'en
vertu de la loi des aires il y a accélération des vitesses de la périplif-rie
vers le centre dans la région c^triprte et qu'ainsi l'air qui arrive en haut
a dans les parties centrales une vitesse plus considérable que celui qui
s'élève tout autour. 11 en résulte que l'air arrive à la zone supérieure
avec des vitesses assez grandes pour pouvoir remonter la pente des iso-
bares en vertu de l'effet centrifuge et qu'ainsi une dépression baromé-
trique assez forte peut subsister en haut sans que le mouvement centri-
fuge soit arrêté.
L'intensité de la dépression barométrique ne dépend plus directement
de la vitesse de gyration à la périphérie comme dans le tourbillon circu-
laire parfait qu'on produit dans un vase qui tourne, mais de la raréfac-
tion produite par l'aspiration latérale due à l'entraînement de l'air par les
courants généraux. Sans vouloir entrer ici dans le détail d'ailleurs fort
difficile à préciser des relations qui lient la vitesse périphérique à l'inten-
sité de l'aspiration, on conçoit que l'entraînement périphérique de l'air se
produisant sur une très grande surface par rapport à celle de la partie
centrale de tourbillon, il y ait baisse de pression en ce point; d'ailleurs
tout l'air qui est ainsi enlevé au tourbillon doit passer par la partie res-
serrée du tourbillon là où l'air tourne circulairement, on conçoit donc que
lorsque le diamètre de cette section est très petit comparé à celui de la
tranche motrice, la valeur de la dépression du baromètre soit considérable.
Le tourbillon ainsi formé n'est autre qu'un système physique, aspirant
l'air par sa périphérie à la partie supérieure et produisant ainsi un cou-
rant ascendant, lequel détermine des vents convergents inférieurs qui se
transforment en vents circulaires lorsque leur vitesse de rotation est dans
une certaine relation avec la dépression des isobares et qui se changent
plus haut en vents divergents en tourbillonnant et vont augmenter les
courants latéraux aspirateurs en se confondant avec eux.
Il est probable que, dans la nature, il existe des tourbillons dans les-
quels la vitesse la plus grande à la partie supérieure se trouve à la péri-
phérie; mais on peut penser que, dans les grands cyclones, il n'en est pas
ainsi. A cause de leur rayon étendu, on arriverait à la périphérie à des
vitesses énormes. En efîet, le vent qui souffle dans une tempête atteint sou-
vent (dans la région située en dedans de la moitié du tourbillon) 30 mètres
à la tour Eiffel. Or, en s'élevant entre 300 mètres et 6 à 8 kilomètres, où
les cirrus indiquent le mouvement divergent, l'observation des vitesses
des nuages montre que les vitesses sont au moins triplées, en sorte qu'on
arriverait facilement à des vitesses de plusieurs centaines de mètres pour
G. COTTEAU. — LA FAMILLE DES CIDARIDÉES A l'ÉPOQUE ÉOCÈXE 343
le courant supérieur périphérique, tandis que les vitesses des cirrus ne
dépassent guère 100 mètres.
En résumé, les tourbillons atmosphériques participent à la fois du tour-
billon formé dans un vase en rotation et du tourbillon par dépression,
et la théorie dont je viens d'indiquer les grands traits, tout en se basant
sur les propriétés mécaniques des mouvements tourbillonnaires reconnues
par l'expérience, permet de rendre compte des phénomènes observés dans
les tourbillons de la nature comme je l'indiquerai ultérieurement.
M. &. COTTEAU
Correspondant de l'Institut, à Paris.
LA FAMILLE DES CIDARIDÉES A L'ÉPOQUE EUGENE
— Séance du 16 septembre 1892 —
L'année dernière, au Congrès de Marseille, j'ai présenté quelque considé-
rations générales sur le groupe des Clypéastroïdes éocènes, dont je venais
de terminer la description dans la Paléontologie française. Depuis cette
époque, j'ai commencé l'étude des Échinides réguliers éocènes. Je viens
d'achever la description des genres et des espèces de la famille des Cida-
ridées, et j'ai pensé qu'il serait intéressant de vous faire connaître le
résultat de mes recherches. La famille des Cidaridées est la plus ancienne
des Échinides et se montre pour la première fois dans les mers du trias et
du terrain carbonifère ; elle poursuit son évolution à toutes les périodes
des terrains jurassique, crétacé et tertiaire, et existe encore dans les mers
actuelles, sous les latitudes les plus diverses.
Dans le terrain éocène, la famille des Cidaridées est représentée par
trois genres : Cidaris, Klein ; Rhabdocidaris, Desor, et Porocidaris, Desur.
Le genre Cidans, tel que nous avons cru devoir le circonscrire, est
parfaitement caractérisé par sa forme subcirculaire, déprimée en dessus et
en dessous; par ses aires ambulacraires étroites, plus ou moins flexueuses;
par ses pores disposés en séries linéaires, non conjugués par un sillon
et non séparés par une bande saillante ; par ses tubercules interambu-
344 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
lacraires gros, scrobiculés, pourvus ou non de crénelures, perforés ou
imperforés ; par son péristome non entamé, recouvert d'une membrane
écailleuse visible chez les espèces vivantes et sur laquelle se prolongent
les zones porifères.
Les auteurs ont établi, au détriment du genre Cidaris, plusieurs genres
ou sous-genres, qui peuvent être excellents pour la distinction des espèces,
mais qui ne nous paraissent pas suffisants pour les séparer du type. Du
reste, la plupart de ces coupes secondaires, à l'exception du Cidark
Verneuilli, dont M. Pom.el a fait le Dorocidaris VerneuiUi, n'existent pas
à l'époque éocène, et nous n'avons pas à nous en occuper ici .
Le genre Cidaris renferme, dans le terrain éocène de la France, vingt-
trois espèces, dont nous avons décrit le test ou les radioles :
Cidaris sabaratensis, Cotteau.
— nummulitica, Sismoiiita.
— Grossoîivrei, Cotteau.
— Pomeli, Cotteau.
— crateriformis, Guinbel.
— liautevUlensisi, Cotteau.
— TaramellH (Taramellii, Cotteau.
— attenuata, Cotteau.
— Lorioli, Cotteau.
— Oosteri, Laube.
— spinigera, Dames,
— Beloni, Agassiz.
Cidaris subularis, d'Arehiac.
— subscrratu, d'Arehiac.
— inlcrlincala, d'Arehiac.
— svbcylindrica, d'Arehiac.
— striatogrmiosa, d'Ai'chiac.
— ariciilaris, d'Arehiac.
— prionata, Agassiz.
— subprionata, Rouault.
— seminota, Sorignet.
— gervaisiana, Sorignet.
— matrotiensis, de Loriot.
Nous n'avons que quatre espèces dont nous connaissons le test; les
dix-neuf autres ne sont représentées que par leurs radioles ; mais ces
radioles sont tellement bien caractérisés que nous avons tout lieu de
croire qu'ils constituent des espèces particulières. Ces espèces, du reste,
étaient en grande partie déjà et depuis longtemps connues. Presque tous
nos radioles proviennent de Biarritz ; ils avaient été, en 1847 et en 1850,
décrits et figurés par d'Arehiac (1),- d'après des échanlillons recueillis par
Pratt et déposés à l'École des Mines. Grâce à l'obligeance de M. Douvillé,
nous avons pu étudier ces types précieux, bien que souvent à l'état de
fragments. Nous les avons comparés aux exemplaires plus nombreux et
plus complets rencontrés depuis dans cette localité si riche. Après avoir
discuté les espèces, nous en avons supprimé quelques-unes et nous avons
caractérisé d'une manière plus nette et plus précise celles que nous
avons cru devoir conserver.
A la suite des vingt-trois espèces recueillies en France, nous avons
(1) D'Archiac, Deso'iplion des fossiles des environs de Bayonne. (Mérn. Soc. Géol. de France
2= série, t. Il, -I8A6.) — D'Archiac, Description des fossiles du groupe nummulilique (Méin. Soc. Géol.
de France, 2° série, t. III, 1850.)
G. COTTEAU. — L.V FAMILLE DES CIDARIDÉES A l'ÉPOQUE ÈOCÈXE 345
donné la diagnose de tous les Cidaris éocènes signalés dans d'autres
contrées, au nombre de vingt-deux :
Cidaris mesjriliin. V. de Loriol.
— Mayeri, P. de Loriol.
— hungarica, Pavay.
— cervicornis, Scbaiirotli.
— spclicicnsis, Dames.
— Snmpicri, Taramelli.
— infratertiarius, Quenstod.
— veronensis, Quensted.
— Vincenfi, Cotlean.
— poreseadienais, Koch.
— Bietzi, KoL'h.
Cidaris Yilanovà, Coîtean.
— striofa, Hutton.
— Verneuilii, d'Archinc.
— hafnen^is, d'Arcliiae.
— Mortoni, Conrad.
— Janvfi, Fritsch.
— longicoliis, Fritsch.
— acanthica, Fritsch.
— lacrymuJn, Duncan et Staden.
— ovipnra, Ihincaii et. Staden.
— excelsa, Duncan et Staden.
Sur ces vingt-deux espèces, treize ont été déterminées à l'aide de leur
test et neuf seulement à l'aide de leurs radioles. Ces vingt-deux espèces,
étrangères à la France, élèvent à quarante-cinq le nombre des Cidaris
éocènes que nous connaissons. Parmi les radioles, quelques-uns, couverts
d'épines plus ou moins fortes, appartiennent probablement au genre
Rhabdocidaris. Nous ne pourrons avoir de certitude que lorsque ces
radioles auront été trouvés adhérents au test. Nous avons préféré, quant
à présent, laisser ces espèces douteuses parmi les Cidaris, où elles ont
été placées dans l'origine.
II. — Le genre Rhabdoddains, Desor, se distingue des Cidaris, dont il a été
démembré en 1837, par ses pores ambulacraires unis par un sillon sub-
flexueux et, lorsque le sillon fait défaut, par les paires de pores que
sépare transversalement un bourrelet saillant. Ce genre forme deux
groupes : Le premier comprend des espèces en général de grande taille,
remarquables par leurs tubercules fortement crénelés et perforés, par leurs
pores ambulacraires allongés, unis par un sillon subflexueux; chaque
paire de pores séparée, en outre, par un bourrelet saillant. Ce sont ces
espèces, pour la plupart jurassiques, qui ont servi de type au genre. Le
second groupe renferme des espèces de taille ordinairement plus petite :
les zones porifères sont moins larges, les pores ambulacraires sont moins
arrondis, moins allongés, moins écartés, plus arrondis et le sillon sub-
flexueux qui devrait les unir fait le plus souvent défaut ; le bourrelet qui
sépare les paires de pores persiste seul et forme alors le caractère essen-
tiel, pour ainsi dire unique, qui sépare les Rhabdocidaris des Cidaris.
Les espèces de ce second groupe, qu'elles aient les tubercules crénelés
comme ceux du /?, Pouechi, ou lisses comme ceux du Rh. Blanchefi.
sont assurément très voisines des véritables Cidaris auxquels quelques
auteurs ont cru devoir les réunir. Mais alors il faudrait rapporter
également aux Cidaris les Rhabdocidaris jurassiques du premier groupe,
346 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
et cependant quelques espèces ont un faciès bien particulier. Nous avons
préféré maintenir dans la méthode le genre Rhahdocidans, tel que nous
venons de le circonscrire.
Les deux espèces rencontrées dans le terrain eocène de la France ap-
partiennent au second groupe; la première a été recueillie, à la fois, dans
le terrain éocène moyen et le terrain éocène supérieur.
Rhabdocidaris Pouechi, Cotteau.
Rhabdocidaris Blancheti, Cotteau.
Chez le R. Pouechi, les tubercules sont fortement crénelés, ils sont
lisses chez le R. Blancheti.
Hait espèces de Rhabdocidaris ont été signalées en dehors de la France.
Rhabdocidaris pseudo-juraxsica, Laube.
— mezzoana (Laube), Cotteau.
— Itala (Laube), P. de LorioL
— Loveni, Cotteau.
Rhabdocidaris Zittcli, P. de Loriol.
— fianifco^/ Dunkan et Sladen.
— sindensis, Dunkan et Sladen .
— Navillei, Cotteau.
Ces espèces élèvent à dix le nombre des Rhabdocidaris que nous
connaissons.
III. — A la suite des Rhabdocidaris, nous plaçons le genre Porocidaris,
qui s'en distingue nettement par les sillons profonds et poriformes qui
rayonnent le plus souvent au milieu des scrobicules et ne se retrouvent
chez aucun autre Echinide. Les Porocidaris sont, en outre, caractérsés
par les cloisons épaisses qui marquent, à l'intérieur du test, la suture de
certaines plaques interambulacraires, et surtout parla forme toute particu-
lière de leurs radioles.
Deux espèces éocènes de France appartiennent à ce genre :
Porocidaris psewdoserroto (Cotteau), Dames, | Porocidaris Schmideli (Munster) Desor.
La première de ces espèces se rencontre à la fois dans l'éocène moyen
et l'éocène supérieur ; la seconde espèce paraît propre à l'éocène supérieur.
Michelin, sous le nom de P. tuberosa {Bull. Soc. géol. de France,
2« série, t. XVII, p. Ii6, pi. Il, fig. 1 , a b c d, 18o9) signale un très petit
radiole recueilli à Issy, près Paris, et qui présente au premier aspect, par
sa dentelure marginale, quelques-uns des caractères des radioles des Poro-
cidaris. Mais ce radiole est un peu roulé et ne parait pas suffisant pour
démontrer dans le bassin parisien l'existence du genre Porocidaris.
Aux deux espèces éocènes de la France, il y a lieu d'en joindre une
troisième provenant de l'Inde,
Porocidaris anomala, Duncan et Sladen.
É. RIVIÈRE. — AGE DES SQUELETTES HUMAINS DE MENTON 347
Le genre Porocidaris se montre, pour la première fois, à l'époque
éocène. Il est représenté dans les mers actuelles par une espèce : Poroci-
daris purpurata Wyville, qui, suivant M. de Loriol, est très voisine du
Porocidaris Schmidlei.
Les sillons poriformes sont remplacés par une série de petites im-
pressions servant de points d'attache aux muscles moteurs des radioles.
La famille des Cvlaridées compte à l'époque éocène cinquante-huit re-
présentants. Une seule espèce, C. Belone, s'est rencontrée dans le calcaire
grossier des environs de Paris. Quatorze espèces proviennent des falaises
de Biarritz dans lesquelles les Échinides sont si abondants.
M. É. UIYIÈEE
SUR L'AGE DES SQUELETTES HUMAINS DES GROTTES DES BAOUSSÉ-ROUSSÉ,
EN ITALIE, DITES GROTTES DE MENTON
— Séance du 17 septembre 1892 —
I
Au mois de février dernier, trois nouveaux squelettes humains ont été
découverts, absolument par hasard, dans l'une des grottes des Baoussé-
Roussé, surnommée la Barma grande.
De cette découverte, faite à la suite de fouilles entreprises au mépris
de tous mes droits de propriété, découverte contre laquelle j'ai protesté
dès le premier jour et je ne cesserai de protester jusqu'à ce que jus-
tice me soit rendue, la grotte ayant été acquise par moi, ainsi que deux
autres grottes voisines, en 1872, par acte notarié passé au consulat
français de Ventimiglia (Italie), tant de choses erronées ont été dites
ou écrites, tant d'inexactitudes ont été commises — quelques-unes sciem-
ment — sur l'époque à laquelle appartiennent les différents squelettes
trouvés aux Baoussé- Rousse depuis vingt ans, que je suis obligé de
traiter à fond, une bonne et dernière fois pour toutes, je l'espère, cette
question, afin de n'y plus revenir.
348 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
II
C'est en 1869 que j'ai pénétré pour la première fois dans ces grottes;
c'est en 1870 que j'ai commencé à les explorer, aussi méthodiquement
que possible, et je crois pouvoir ajouter aussi scientifiquement que pos-
sible, n'ayant d'autre but que d'en faire l'étude complète, d'en écrire
l'histoire, sans aucun parti pris, sans idée préconçue, enfin, n'ayant
d'autre mobile que la recherche de la vérité.
Je ne reviendrai pas sur la description de ces grottes, au nombre de
neuf, situées toutes à côté les unes des autres, sur le territoire italien, à
quelques centaines de mètres de la frontière française, au bord de la
Méditerranée. Je ne ferai pas de nouveau, non plus, l'iiistorique des
fouilles dont elles ont été l'objet avant mes propres recherches, et que
j'ai eu le soin de publier aussi complet que possible, tenant tout particu-
lièrement à laisser à chacun ce qui lui appartient (1) ; je me bornerai seu-
lement à rappeler que les sept premières — en les numérotant de l'ouest
à l'est — ont été habitées par l'homme préhistorique et que je les ai
explorées toutes, plus ou moins profondément, la septième exceptée. J'ai
même entièrement vidé la sixièm.e, qui, le jour où j'y ai commencé mes
recherches, était vierge de toutes fouilles, de telle sorte qu'il m'a été
permis d'en écrire l'histoire complète.
Les fouilles que j'y ai pratiquées ont toujours été faites par couches
de ':25 centimètres, depuis l'entrée de la grotte jusqu'au fond, en ayant
soin de laisser contre l'une des parois de la grotte que j'étudiais une
petite épaisseur de ce milieu, comme témoin de la nature du gisement.
De plus, toute la terre a été criblée, de façon qu'aucun des plus petits
objets qu'elle renfermait ne put m'échapper. C'est à ces soins que j'ai dû
de recueillir, entre autres pièces, des mandibules de chauves-souris par
exemple, des phalanges de petits oiseaux, etc.; c'est à ces soins que j'ai
dû de pouvoir constater que tout ce que cette grotte renfermait appar-
tient à wm seule et même époque géologique, et, pour le dire tout de suite,
à la fin de l'époque quaternaire, et que les hommes dont les restes ont
été découverts et la faune dont les débris y ont été trouvés étaient
contemporains, le gisement n'ayant jamais subi le moindre i-emaniement.
Et ce que je dis pour cette sixième grotte, je crois être en droit de le
dire pour les cinq autres, qui, dans les fouilles que j'y ai faites, m'ont
donné des documents semblables à ceux de la sixième grotte, du moins
dans la masse de terre que j'ai enlevée, ayant procédé de la même
façon et avec les mêmes soins pour chacune d'elles.
(I) É. Rivière, De VAntiquitc de l'homme dans les Alpes- Maritimes, p. 6-U. (1 vol. gr. in-i".
Paris, 1887.)
É. RIVIKRK. — AGE DES SQUELETTES HUMAINS DE MENTON 349
J'ai pu ainsi étudier l'homme, sa vie et ses coutumes, depuis son arrivée
aux Baoussé-Roussé jusqu'à sa disparition de la localité.
En effet, dans la sixième grotte, les premiers foyers d'habitation de ces
peuplades, c'est-à-dire les foyers les plus inférieurs, reposaient sur le
banc coquillier déposé par la mer, lequel portait les traces de l'action du
feu. J'ai même trouvé, en certains points, des ossements d'animaux brisés
de main d'homme et des pierres taillées, de la cendre et des matières
charbonneuses, intimement soudés aux coquilles elles-mêmes déposées
par les Ilots ; le tout témoignait ainsi du séjour en cet endroit des hommes
des Baoussé-Roussé peu après la formation du dépôt coquillier.
Or, à partir de ce niveau le plus inférieur jusqu'à la surface du sol de
cette grotte, absolument vierge de toutes fouilles, je le répète, le jour où
pour la première fois j'ai commencé à l'explorer, tous les objets recueillis
m'ont donné une faune constamment semblable, non seulement pour
cette grotte, et qu'il s'agisse de la partie supérieure, de la partie moyenne
ou de la partie inférieure, mais encore absolument semblable à celle des
autres grottes. Partout et toujours j'ai trouvé les mêmes animaux.
J'y ai trouvé également des squelettes humains appartenant à la même
race que les squelettes des cavernes voisines, présentant les mêmes par-
ticularités ostéologiques, enfin démontrant, par les conditions dans les-
quelles ils ont été découverts, des rites funéraires absolument semblables,
tout en restant aussi distincts sur certains points, lorsqu'il s'agissait d'a-
dultes, de ceux qui ont été appliqués aux enfants.
Enfin, l'industrie n'a présenté de différences que dans les foyers infé-
rieurs, où la matière première qui a servi à ces peuplades pour fabriquer
les^outils et les instruments de pierre, dont elles avaient journellement
besoin, n'est plus la même et où la taille de ceux-ci varie également.
En effet si, depuis la surface du sol jusqu'à la profondeur de 3", 75, je
n'ai rencontré que des silex taillés de diverses espèces et de diverses cou-
leurs (silex proprement dits, jaspes, clialcédoines, etc.), silex solutréens
et magdaléniens, auxquels se mêlaient quelques rares pointes mous-
tériennes ; si, à cette profondeur, j'ai commencé à recueillir, et sur une
épaisseur très peu considérable (quelques centimètres seulement), avec des
silex taillés, quelques grès taillés, par contre, au-dessous de cette couche,
j'ai rencontré exclusivement des grès accompagnés de quelques calcaires
— ceux-ci en petit nombre. Ces grès présentaient des dimensions beau-
coup plus grandes et affectaient de préférence le type moustérien.
Ces dilferences dans la grandeur des instruments ne tiennent qu'à la
roche à laquelle l'homme des Baoussé-Roussé empruntait la matière
première, laquelle lui permettait de donner à ses outils les dimensions
qu'il voulait, tandis que les gisements d'où il tirait les silex desquels il
détachait les éclats qu'il convertissait ensuite en outils ou instruments de
3o0 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
toutes natures (grattoirs, lames, pointes, pointerolles, etc.) ne lui four-
nissaient, sauf de très rares exceptions, que des matériaux de faibles di-
mensions. De là seulement, je le répète, les différences de grandeur que
j ai constamment observées entre le silex et le grès taillé.
Quant à la forme moustérienne des instruments trouvés dans les cou-
ches inférieures, et à peu près exclusivement réservée aux gi'ès taillés,
je le répète, et que je n'ai constatée que très rarement sur les silex,
c'est-à-dire au-dessus des foyers à grès, serait-elle, aux Baoussé-Koussé,
la caractéristique d'une époque archaïque différente? Je ne saurais me
prononcer à cet égard en toute certitude. Ce que je puis dire, c'est que
l'âge géologique est le môme dans toute la caverne, la faune des couches
les plus superficielles étant absolument identique avec celle des couches
les plus inférieures, et qu'il n'y a aucune démarcation dans les foyers
depuis la surface de la grotte jusqu'au sous-sol, c'est-à-dire jusqu'au banc
coquillier sur lequel l'homme est venu demeurer, banc coquillier — j'ai
omis tout à l'heure de le dire — qui se prolongeait jusque dans la
partie la plus profonde de la grotte.
J'ajoute encore, car je tiens plus que jamais à bien préciser les faits,
que si les habitants des Baoussé-Roussé ont commencé, dès leur arrivée
dans la région, à se servir de grès pour fabriquer leurs premiers outils,
c'est parce que n'ayant pas sous la main le silex dont ils auraient eu
besoin, ils se sont adressés aux roches les plus voisines. Mais, dès le jour
où ils ont découvert des gisements renfermant ce silex, ils ont aussitôt
abandonné la roche qu'ils avaient primitivement utilisée, i)our ne plus
tailler et fabriquer que des armes en silex, de beaucoup préférables aux
grès, même siliceux, par leur résistance plus grande au bris résultant
d'un usage journalier, et cela malgré leurs dimensions plus petites. Le
silex leur offrait également un autre avantage, celui du plaisir des yeux,
par la variété et la beauté des couleurs.
Et puisque je parle de l'industrie, je dois ici une mention spéciale
aux objets en os que j'ai trouvés dans les grottes de Menton. Le nombre
de ceux dont l'authenticité, comme pièces travaillées et finies par la main
de l'homme préhistorique et non comme simplement préparées ou ébau-
chées, ne saurait être douteuse est des plus petits, puisque, pour les six
cavernes, il arrive à peine au chiffre d'une centaine. Mais tous, un seul
excepté (1), appartiennent à l'époque paléolithique, industriellement par-
lant, qu'ils proviennent des foyers à silex ou des foyers à grès taillés.
Ceci dit touchant l'industrie, dont j'ai recueilli les produits aux Baoussé-
(•I) Il s'agit de la portion basilaire d'un bois de Cervidé, dont j'ai fait don, en 1872, au Musée
du Saint-Germain en Laye, et qui est creusée inégalement et très peu profondément dans la partie
reposant sur le merrain et porte, sur une partie de son bord externe, une série de petits coups. Cette
pièce a été trouvée à 10 ou ib centimètres de profondeur, dans la quatrième grotte.
É. RIVIÈRK. — agi: des SQUELETTES HUMAINS DE MENTON 3ol
Roussé, et réservant la question des dents et des coquilles percées, dont
je parlerai tout à l'heure en même temps que des squelettes humains,
j'aborde maintenant la question de la faune.
Le nombre des restes d'animaux (des Vertébrés) que j'ai trouvés dans
les six grottes des Baoussé-Roussé est réellement inouï, il n'est pas moindre
de huit cent mille. Je puis d'autant mieux l'ailirmer énergiquement qu'ils
ont été comptés un à un. Cette masse énorme, je ne l'ai obtenue que
grâce au nombre d'années que j 'ai consacrées à fouiller ces grottes et —
qu'il me soit permis de le dire — aux précautions que j'ai prises pour
qu'il ne fût rien perdu, pièces bonnes ou mauvaises, entières ou brisées
et notamment au criblage de la terre des foyers, pour les os des plus
petites bêtes.
De plus, cette faune n'est pas importante seulement par la quantité de
débris (os, dents, bois) qui la représentent, mais elle l'est encore par le
chiffre des diverses espèces animales qu'elle renferme, puisqu'il s'élève à
cent onze Vertébrés : soit soixante Mammifères, deux Reptiles, qua-
rante-deux Oiseaux et sept Poissons ; elle lest surtout parce qu'elle fixe
d'une façon certaine l'âge des grottes des Baoussé-Roussé.
Les premiers comprennent :
a. — Des Chéiroptères (Cliauves-souris) ;
h. — Des Insectivores (Hérisson et Taupe) :
c. — Des Carnivores (Ours, Blaireau, Canidés, Glouton, Mustéliens, Putois,
Loutre, Hyènes, Lion ou Grand Chat des cavernes, Pantlière, Lynx, jieut-étre
même le (Felis machairodus) (I).
d. — Des Rongeurs (Marmottes, xMurins, Arvicola de plusieurs espèces, Castor,
Lièvre, Lapin).
e. — Un Proboscidien (Élépliant indéterminé).
/'. — Des Pachydermes { Rhinocéros tichorhinus, divers Équidés, plusieurs
Suiiiens).
g. — Des Ruminants (Élan, Cerf du Canada, Cerf élaphe, Chevi'euil, Cerf de
Corse, Daim, Antilope, Chèvre primitive (2), Bœufs).
h. — Des Cétacés (Delphinus et Balœna).
Cette faune de Mammifères bien réellement quaternaire, ainsi que le
démontre, sans aucune contestation possible, la présence de certaines es-
pèces animales, notamment du Rhinocéros tichorhinus (dont j'ai trouvé
dents et ossements à diverses profondeurs), du Felis spelœa. de YHyœna
spelœa, de VUrsus spelœus, etc., je ne l'ai pas, seul, déterminée, mais
j'ai tenu à ce que plusieurs de mes maîtres du Muséum d'histoire natu-
relle de Paris voulussent bien vérifier mes déterminations, les priant
(1) D'après une dent canine déterminée, en 1871, par M. le professeur Albert Gaudry .
(2^ Capra primigenia déterminée, en 1872, par Paul Gervais sur les nombreuses pièces osseuses
el dentaires que je lui ai remises.
3o2 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
aussi de m'aider de leurs bienveillants conseils dans les cas douteux ou
diffi elles.
Je demande à mes Collègues la permission d'insister, car on s'est plu
à écrire tout récemment, entre autres choses erronées, que j'avais « con-
fondu la faune de toutes les grottes, en y ajoutant, ce qui est plus grave,
les débris recueillis dans un repaire plus ancien, la grotte de Grimaldi,
voisine, mais en dehors des Baoussé-Roussé ». Non seulement je proteste
contre une affirmation aussi inexacte, mais je lui donne un formel dé-
menti, et je le fais preuves en mains, je le fais avec le volume même
de notre Association de l'année 1878. Au Congrès de Paris, en effet, j'ai
eu l'honneur de lire devant vous, mes chers Collègues, dans la séance
du 29 août 1878, un travail portant pour titre : Grotte de Grimaldi en
Italie, et pour sous-titre — il suffirait à lui seul pour démontrer l'inexac-
titude de l'assertion contre laquelle je proteste de toutes mes forces —
Comparaison de la faune de cette grotte avec celle des cavernes des
Baoussé-Roussé, dites Grottes de Menton.
Or, dans ce travail, non seulement j'ai donné, sous forme de tableau,
la nomenclature complète des espèces animales qui constituent la faune
de la grotte à ossements de Grimaldi, mettant en regard de chacune
d'elles les espèces similaires ou différentes trouvées dans les cavernes des
Baoussé-Roussé habitées par l'homme quaternaire, mais j'ai cru « decoir
.siqnaler tout spécialement à votive attention les particularités qui diffé-
rencient ou rapprochent ces deux faunes l'une de l'autre » (1). De plus,
j'ai fait accompagner mon travail de deux planches (-2) reproduisant,
o-randeur naturelle, les principales espèces animales caractérisant 1 âge
de la "Totte de Grimaldi, parmi lesquelles je citerai, comme différant le
plus de celles des Baoussé-Roussé, VElephas meridlonalis, le Rhinocéros
leptorhinus, VHippopotamus major.
Enfin je terminai ma communication de 1878 par ces lignes que je
ne puis me dispenser de répéter aujourd'hui, car elles sont la confirma-
tion la plus absolue de ma parfaite véracité : « Ici finit ce que j'avais
à dire sur les faunes comparées de la grotte de Grimaldi et des cavernes
des Baoussé-Roussé ou grottes de Menton, faunes dont les caractères
principaux paraissent différencier nettement, au point de vue paléonlo-
(1) Association française pour l'avancement des sciences, Congrès de Paris, 1878.
(2) Elles sont absolument différentes de celle que l'ou a invoquée contre moi, quoiqu'elle porte
en toutes lettres Faune des Grottes de Menton. Celle-ci accompagne le mémoire quej'ai lu en I87U
au Conurés intemationui des sciences (f'ogniphiqties et qui a paru dans le compte rendu dudit Con-
grès Elle li"ure également ^planche XVi; dans mon livre sur l'Antiquité de l'homme dans les Alpcs-
'Maritimes itvre dont 1 auteur des attaques, dont je viens d'être l'objet, faisait, en 1887, dans sou
journal l'Homme, un éloge tel qu'il le considérait alors - quantum mulalus ab iWo — comme « un
modèle de monographie locale ^ (t. IV, p. 341), ajoutant que « javais tiré tout le parti possible
(les fouilles et recherches que j'avais opérées... et que surtout, pour ce qui concerne la faune, je
l'avais étudiée avec le plus grand soin ». llinsiste même, car quelques pages pUs loin (p. 343}, il.
dit de nouveau a que j'ai traité avec le plus grand soin ce qui concerne la faune ».
É. RIVIÈRE. — AGK DES SQUELETTES HUMAINS DE MEiNTOiN 353
logique, l'âge de ces dépôts. Les premiers, ceux de Grimaldi, formés par
les eaux, appartiennent soit au commencement de la période quater-
naire, soit à la fin de l'époque pliocène, c'est-à-dire immédiatement
après les marnes subapennines, parmi lesquelles je citerai celles de Biot,
près d'Antibes (France) et celles de Castel-d'Appio, près de Yentimiglia
(Italie), que j'ai fait connaître le premier, en 1872, dans mon Rapport
sur la paléontologie des Alpes-Maritimes (1) et que j'ai plus particulière-
ment étudiées dans la communication que j'ai faite, en 1879, au Congrès
de Montpellier (2). Les dépôts des grottes de Menton, au contraire, en-
tièrement formés par les hommes, dont j'ai retrouvé les restes — sque-
lettes entiers ou ossements épars — et les produits de l'industrie (silex,
grès et os taillés), appartiennent à cette période de l'époque quaternaire,
où le Rhinocéros tichorhinus, ÏUrsus spelœus, etc., en un mot, les
grandes espèces animales tendent à disparaître. Ainsi, du moins, pensai-je
pouvoir expliquer le petit nombre des pièces osseuses et dentaires de ces
animaux que j'ai trouvées dans les grottes de Menton. »
Quant aux Oiseaux, aux Reptiles et aux Poissons, j'ai également signalé
les différences existant entre les grottes des Baoussé-Roussé et celle de
Grimaldi, différences telles que, dans les premières, les Oiseaux sont si
nombreux que c'est par milliers que j'ai recueilli leurs ossements, tandis
que la grotte de Grimaldi ne m'a donné qu'une seule pièce, un humérus
de Gallinacé. Ces différences sont telles encore que, dans cette dernière, je
n'ai pas trouvé la moindre trace d'un Reptile ni d'un Poisson, alors que
les grottes des Baoussé-Roussé m'ont donné les restes de deux espèces de
Reptiles (Rana et Rufo) et de sept espèces de Poissons (Cténoïdes,
Cycloïdes et Plagiostomes).
Enfin, il n'est pas jusqu'aux invertébrés pour lesquels « la grotte de
Grimaldi », ainsi que je l'ai fait soigneusement remarquer aussi dans mon
mémoire de 1878, « forme le contraste le plus frappant avec les cavernes
des Baoussé-Roussé, où la faune des Mollusques est l'une des plus riches
que l'on ait jamais signalées dans les grottes habitées par l'homme,
puisque j'y ai recueilli plus de quarante mille coquilles marines et ter-
restres — marines surtout — appartenant à cent soixante-dix espèces
difterentes », tandis que, dans la grotte de Grimaldi, « les Invertébrés
sont représentés seulement par deux coquilles terrestres, appartenant
toutes deux à la même espèce, à V Hélix Niciensis ».
Je m'arrête ici, mes cliers collègues, convaincu d'avoir démontré avec
la plus complète évidence combien est erronée l'assertion consistant à
insinuer que j'ai ajouté à la faune des Baoussé-Roussé « les débris re-
(1)É. Rivière, Rapport au Ministre sur la Paléontologie des Alpes- Maritimes (Archives des Missions
tcienlifiques du Ministère de l' Instruction publique, 3" série, 1. 1, Paris, 1873).
(2) Association française pour l'avancement des sciences. Congrès de Montpellier. Année 1879.
23*
354 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
cueillis dans un repaire plus ancien, la grotte de Grimaldi ». Il me serait
éo'alement facile de réfuter toutes les autres inexactitudes ou insinua-
tions du même article, en contradiction absolue avec ce que son auteur
écrivait il y a cinq ans à peine ; mais ce serait abuser de votre bien-
veillante attention — ah uno disce omnes; — il me suftit, je pense, de
protester énergiquement contre elles.
Il me reste donc, avant de finir cette communication, à vous dire
quelques mots, si vous le voulez bien, des nouveaux squelettes trouvés
dans une des grottes des Baoussé-Roussé au mois de février dernier.
Je serai bref et m'abstiendrai, pour aujourd'hui, de vous faire l'his-
torique de cette découverte, me réservant de vous en faire connaître
l'an prochain, s'il y a lieu, tous les incidents, si invraisemblables
qu'ils soient. Je me bornerai à dire que ces squelettes, au nombre de
trois, sont ceux — pour deux d'entre eux — d'un vieillard et d'un
adolescent (1).
Ils ont été trouvés à 18 mètres environ de l'entrée de la cinquième
grotte des Baoussé-Roussé, dite Barma grande, profonde de 3l"\50,
avant la destruction partielle, dont elle a été indûment l'objet. Ils étaient
couchés côte à côte, en travers de la grotte, la tête appuyée, pour ainsi dire
contre la paroi Est, tandis que les squelettes, au nombre de six, trois
adultes et trois enfants, que j'ai découverts en 1872, 1873 et 187o, dans les
o-rottes voisines, étaient tous situés, dans le sens même de la grotte, mais
les uns la tête regardant l'entrée, les autres, le fond.
Le premier squelette, celui qui a été trouvé le 7 février 1892, et le
troisième, celui qui est le plus éloigné de l'entrée de la grotte, étant les
seuls à peu près mis à découvert, le 2 mars 189^2, de la terre qui les
recouvrait, sont aussi les seuls dont je puis encore parler. Le premier est
celui d'un vieillard, le troisième paraît être celui d'un adolescent, d'un
sujet de dix-huit ans environ, du moins d'après les premières constata-
tions que j'ai pu faire. En effet, certaines parties du squelette n'avaient
pas encore atteint leur parfait développement, les épiphyses de certains
os longs n'étaient pas encore soudées à la diaphyse, quand l'individu a
succombé, enfin, la dernière dent molaire ou dent de sagesse était encore
dans son alvéole.
Les individus, dont ces squelettes sont les restes, appartiennent bien
à la race des Hommes fossiles de Menton ou race de Cro-Magnon, dans
laquelle MM. de Quatrefages et Hamy les ont classés dans les Cra7iia
ethnka. Ils en représentent d'ailleurs la plupart des caractères et notam-
ment la même forme du crâne, c'est-à-dire une dolichocéphalie accusée,
(t) Autant, du moins, que j'ai pu à grand'peine m'en assurer, pendant le cours do la Mission
scientifique gratuite, dont j'ai été chargé par le Ministère de l'inslructiun publique, par arrêté en date
du 3 mars dernier, pour en faire l'étude.
É. RIVIÈRE, AGE DES SQUELETTES HUMAINS DE MENTON 3o5
ainsi que la forme rectangulaire des orbites si particulière aux Hommes
de Menton. Ils sont aussi de grande taille.
Toutes les pièces osseuses de ces trois squelettes, sans exception, pré-
sentent, comme dans les précédentes découvertes, cette coloration rouge
si curieuse, parsemée de points brillants, due au fer oligiste en poudre
transformé en peroxyde de fer, dont les cadavres — mais ceux des adultes
et des adolescents seulement — ont dû être recouverts aussitôt après la
mort des individus.
FiG. 1. — Vertèbres de poisson, percées, destinées à former des colliers
ou des bracelets (3/4 de grandeur naturelle).
Bien que ces squelettes ne fussent pas alors encore dégagés complè-
tement, cependant j'ai pu constater sur eux la présence de certaines pa-
rures consistant en colliers formés non seulement de coquillages marins
percés d'un trou pour être enfilés (1) et de dents canines de cerf, également
percées, comme sur les squelettes d'adultes précédemment trouvés, mais
encore d'un assez grand nombre de vertèbres de poissons appartenant
pour la plupart aux genres Salmo et Trutta (Saumon et Truite) (fig. 7j.
Jusqu'à présent, j'avais bien trouvé çà et là, dans les grottes des
Baoussé-Roussé, des vertèbres percées de poissons des mêmes espèces.
H) Ces coquillages sont presque tous de petites Nassa nerilea.
3o6 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
J'avais bien découvert, certain jour, dans la quatrième grotte (Barma
dou cavillou), à 7'°,90 de profondeur, c'est-à-dire à l'",3o au-dessous du
premier squelette humain d'adulte, une sorte de cachette renfermant,
avec 7.868 coquilles marines, dont 857 percées de main d'homme,
49 vertèbres de poisson également perforées intentionnellement pour
servir de parures et rougies aussi (coquilles et vertèbres) par le peroxyde
de fer. Mais je n'avais jamais constaté la présence d'aucune de ces ver-
tèbres sur les squelettes de 1872, 1873 et 1875. Tous ces coquillages,
toutes ces dents, toutes ces vertèbres de poissons, percés, présentent la
même teinte rouge que les ossements humains, fait que j'ai autrefois
signalé, l'ayant également constaté sur chacun des squelettes d'adultes
que j'ai trouvés dans les mêmes grottes.
Je dois ajouter que deux autres coquillages, deux Cyprées, étaient placés,
m'a-t-on dit, sur les tibias du vieillard, l'une à droite, l'autre à gauche,
au niveau du tiers inférieur de l'os.
Quant aux armes ou outils trouvés en contact immédiat avec les sque-
lettes, ils consistent simplement en mh silex taillé mesurant 17 centimètres
de longueur sur 0°',Û51 de largeur. Il était posé derrière la tête du
vieillard, contre l'occipital, du moins d'après ce que l'on m'a dit, car la
pièce ayant été enlevée avec les crânes du vieillard et du jeune homme,
je n'ai pas pu constater le fait (1).
J'ai vu aussi un objet en os ou mieux en bois de cerf, assez bizarre,
ayant la forme d'un double ovoïde et dont la surface présente de nom-
breuses stries assez irrégulières et irrégulièrement espacées.
Le peu de temps qu'il m'a été donné de l'examiner ne me permet pas
de garantir l'authenticité de la pièce. Je la garantis d'autant moins que
j'ai constaté depuis lors, avec M. G. d'Ault du Mesnil, qui est venu
expressément, sur ma demande, de Cannes à Menton, le 20 mars, pour
en témoigner au besoin, que de nombreux objets en os fabriqués
tout récemment avaient été vendus par le carrier, auteur de la décou-
verte des squelettes, à différentes personnes, comme des pendeloques
réellement préhistoriques, notamment à M. le baron Bruiningk, désireux
de les offrir au Musée de Riga, et qui m'a remis deux de ces pende-
loques (fig. 2 et 3). Or, ces pièces, je l'affu-me hautement ici, sont abso-
lument fausses. Il en est de même de certain fragment d'os long dont
la perforation est également des plus récentes, comme j'ai pu m'en
assurer, et dont le même individu trafique chaque jour, ainsi qu'un de
ses ouvriers, auquel je l'ai acheté, bien que le sachant faux, et ce en
(1) Un autre silex, également de très grande dimension, avait été, disait-on, découvert auprès de
l'un des deux autres squelettes. D'apri's M. Saige, archiviste de la Principauté de Monaco, le fait
serait faux, ce silex ayant été trouvé depuis plusieurs années par le carrier qui a découvert les sque-
lettes et vu par M. Saige, à cette époque, entre ses mains, c'est-à-dirç vers 1883.
FiG. 2 et 3. — Pendeloques en os
(Pièces fausses, 4/5 de grandeur
naturelle).
É. RIVIÈRE. — AGE DES SQUELETTES HUMAINS DE MENTON 3o7
présence de M. G. d'Ault du Mesnil. Et je suis si loin d'être seul, av«c
celui-ci, à considérer ces diverses pendeloques comme fausses, que les
membres de la Société d'Anthropologie de Paris auxquels je les ai mon-
trées, dans la séance du 16 juin dernier, ont été unanimes à en recon-
naître avec moi la modernité. 11 en est
de même de notre collègue, M. Emile Car-
tailhac, à qui je les ai fait voir aussi hier
et pour qui cette modernité ne fait pas
non plus le moindre doute.
J'ajouterai encore que plusieurs dents
canines de cerf, faisant partie, dit-on, des
colliers trouvés avec les squelettes, sont
également pourvues de stries dont, jusqu'à
plus ample examen, je ne saurais afifirmer
non plus l'antiquité.
Un mot encore, mes chers collègues,
si vous le voulez bien, avant de finir, car je ne puis taire certaine sur-
prise. C'est de voir M. Verneau, aide-naturaliste au Muséum et professeur
d'anthropologie de la ville de Paris, acquérir une série de ces pende-
loques comme des pièces vraies, les indiquer comme telles, contre toute
évidence, dans ses communications, notamment à l'Académie des Inscrip-
tions, où son travail a été présenté par M. le D'' Hamy, professeur
d'anthropologie au Muséum et membre de l'Institut, qui, lui aussi, les
regarde comme préhistoriques, malgré leur aspect faux si facilement
reconnaissable. C'est de voir aussi M, Verneau s'appuyer, en partie tout
au moins, sur ces pièces mêmes pour déclarer que les squelettes hu-
mains des Baoussé-Roussé sont néolithiques et non quaternaires, comme
je l'ai dit dès le jour de ma première découverte, il y a vingt ans, en
1872, et comme je l'ai constamment soutenu depuis cette époque,
preuves en mains. Ce que j'ai dit alors, je le maintiens aujourd'hui plus
que jamais si possible, n'en déplaise à mes contradicteurs, et ce, avec
les savants les plus éminents et les plus compétents, parmi lesquels j'ai
le droit de citer — pour ne dire que quelques noms — A. de Uuatre-
fages, Broca, Paul Gervais, Lyell, MM. Albert Gaudry, Pengelly, le
marquis de Nadaillac, Ernest d'Acy, etc.
Si donc je m'étais trompé, comme MM. Hamy et Verneau le prétendent,
— ce que, jusqu'à preuves sérieuses contraires, je conteste absolument, —
je l'aurais fait, en tous cas, en bonne compagnie. Néanmoins je serais
tout prêt à confesser mon erreur, s'il en était ainsi. Mais, prenant des
objets faux pour des pièces vraies, des pendeloques modernes fabriquées
tout récemment pour des bijoux préhistoriques, ils me forcent à leur
dénier toute compétence pour la démontrer. Je dis <' preuves sérieuses,
358 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
M. Verneau n'ayant fait aucune fouille aux Baoussé-Roussé, et pour cause,
mais s'étant contenté de voir les grottes, de mesurer les squelettes et
d'emporter des débris d'animaux sans aucune valeur scientifique. Ces
débris, il ne les a même pas recueillis sur place, mais ils lui ont été
confiés par un carrier naturellement ignorant, dont les recherches, pra-
tiquées sans aucune méthode, sans aucun soin, n'ont jamais eu pour
but que le lucre, que de vendre au plus offrant ce qu'il trouvait, ce
qu'il fabriquait ou ce qui sortait peut-être d'une de ces fabriques de
faux comme il en existe malheureusement tant en Italie, en France, en
Angleterre, etc., et que connaissent bien tous les anthropologistes (l).
Tels sont les faits sur lesquels j'ai cru devoir appeler votre attention,,
mes chers collègues, afin de prouver de nouveau, devant vous, que les
hommes des Baoussé-Roussé sont absolument quaternaires, c'est-à-dire
contemporains des animaux dont j'ai trouvé les restes dans ces mêmes-
grottes.
M. Emile BELLOC
à Paris.
ÉTUDE SUR L'ORIGINE, LA FORMATION ET LE COMBLEMENT DES LACS
DANS LES PYRÉNÉES
— Séance du i7 septembre i892 —
L'étude fort intéressante, mais encore très controversée, de l'origine et
de la formation des lacs supérieurs de montagne, date à peine d'une
trentaine d'années.
C'est en 1859 que l'éminent géologue anglais Ramsay publia une étude
de laquelle il résulte que les lacs des Iles Britanniques et des Alpes
doivent leur creusement à l'action érosive des glaciers. Précédemment,
(I) Je sais que M. Verneau a fait, le 7 juillet dernier, malgré ma lettre de protestation en date du 6
du même mois, à la Société d'Anthropologie, dont je fais partie, une communication sur les dé-
couvertes de février et que cette communication doit figurer dans les Mémoires de la Société,
J'attendrai, pour y répondre, si je le trouve utile, qu'elle ait paru, me bornant pour aujourd'hui à
faire à son sujet les plus expresses réserves.
É. BELLOC. — COMBLEMENT DES LACS DANS LES PYRÉNÉES 3o9
la même opinion avait été formulée par le professeur américain Dana
pour expliquer la formation des fjords dans les régions du nord.
Un an plus tard, dans une note géologique relative à Palazzolo et au
lac d'Iseo, M. G. de Mortillet affirmait sa nouvelle théorie de l'affouille-
ment glaciaire, et, cette même année, Desor, en cela d'accord avec Escher
de la Linth, s'efforça de démontrer que la présence des glaciers avait
exercé une action conservatrice directe sur les cuvettes lacustres.
Trois écoles, dont les théories paraissent bien tranchées, venaient donc
de se former.
Ramsay rallia à ses idées un certain nombre d'adeptes parmi lesquels
il faut d'abord citer Tyndall, qui, non content de faire siennes les opinions
du maître et de ses disciples, les élargit jusqu'à attribuer à l'action
glaciaire le creusement des lacs et aussi celui des vallées.
Les principaux partisans de l'érosion glaciaire furent, d'abord, le
D'' Croll, A. et J. Geikie, le D"" Bôhm, et le professeur A. Peuck, de l'Uni-
versité de Vienne, lequel publia, en 1882, un travail remarquable sur les
terrains erratiques et l'origine glaciaire des lacs d'Animer et de Wurm, en
Bavière ; et en 1883 un mémoire assez étendu sur la période glaciaire dans
les Pyrénées.
M. G. de 3Iortillet et M. Gastaldi, tout en admettant les idées de
Ramsay, affirmèrent de nouveau leur doctrine de l'afTouillement glaciaire
lors de la publication de leur carte des anciens glaciers du versant italien
des Alpes,
Quant à la troisième école, dévouée aux idées de Desor, c'est-à-dire à
la conservation des cuvettes lacustres par la glace, si elle groupa des
savants de premier ordre et des géologues tels que Ch. Martins, Favre,
Omboni, Escher, Bail, Heim, Viollet-le-Duc, Charles Grad, deMojsisovics,
Jeanbernat, etc., elle n'a pas été, non plus que les deux autres, exempte
de critiques ; comme l'a démontré clairement M. l'ingénieur en chef
Bayssellance, en attribuant au passage des glaciers, la formation de
certaines petites plaines de l'intérieur des massifs montagneux et l'arase-
ment des fissures profondes, « situées sur un point de- la longueur d'une
gorge. »
A côté de ces écoles rivales et quelque peu intransigeantes, — dont
aucune n'a pu faire prévaloir ses doctrines jusqu'ici, — on voit des
glaciairistes de haute valeur, tel que M. A. Faisan, par exemple, sans
être des adversaires irréconciliables de l'un ou de l'autre système, les
admettre toutes, mais dans une mesure très restreinte, comme nous le
faisons nous-même.
L'étude scientifique, méthodique et raisonnée, des phénomènes gla-
ciaires actuels nous apprendra dans l'avenir la valeur relative de ces
savantes théories. En attendant, loin d avoir la prétention d'apporter ici
jB-éasiitar Hii'Crm£Tf!f le TPéstaaè tees saocmcl àfi* •:• - ^-"TœfflBra
ap cgms de? Tf.cb£!rcfafis îtmuMliKai amayiélW -^ r , ^. . _.. — . isrami
nombre fl'ianiée&-
Ayaut jffiLTCDiim Tnmrttes ^^ 3£s weffBis iftampri*; @t f^jwgwigfts as ia
chidne jTOrénèeraïf-, «1 fiKploré avec Ife fftiB grami soiii, â iraii& «fl ausirn-
mmil^ '£'iime ^lamâe girécisiaiL, iks fnàiiaiiiraAes 3%@Ù!iii? IkansinES >âe ces
monta^mâiv. l'ad jm i^soiEBfliir snr ^itace urne <qmatàlsê' «te ifeumniHiib ^^
fiait JmjiiirBiiile de se in^onrgr adJnemailL Ste fist «sbsbMë; iiff'iidteraialtiknis
iK; àégaat pour mai la oau^àdban qsst, •&ms ites fN^msuKes^ JT^aii^iiie âeç
laof siçiériein^ dant le? sfinîki ^antiocmfsiiHr dfsaflhniffimieiilBttein^^
dorf^ fiii place, «si cantenifiarMDe st 'd^pandante «te Ik feitiiiMlliMm (tes
vklléfif gm te TflHfermfmL
Lnraqii CIL a ^ra^ikirt a-ttentoraiiiHiit les jréçiaij* iacnalirBfe àML. de ?i6BO-
^àfliDfc. d Ardidaii. dïJateiiii, <& Penticosa. d^Oasaoi, de la partiÊ a^ptla»-
tacmak- dE CariitL, otf ., on l'actiaŒi glaciaire a laàsaé de? tmiSES iramaF-
gnatjif» de *ffi farce ^ de sa jmiaraame. il «emkile inipcHHflMle qc un •fi^nàt
iifni jiTévBim n'^warconre pa? tm nrtédBrtfinifmt ik fMBl iiiHigniifmite
qm jtfmi Te'^^remr ans fmnifmi- gliiciei^ gnantoc creiEiflmBilt <âe mes lacs
antuek.
An Itfîii d'iâtre iàat é. watt canse Tirirgiip-, toamme le w^sideiit les <dâfei>-
iffims &; JfsrrsioL .placiaJPB. JViricme des lacs de Tn<iiiitBggne est TnriHqpte.
lies infiufiiirîfis très dififersirtfis ^sm te mibeiL, Ik pesitliuni «éoîicajMpœ^
te accidente nroCTafihignes-nn ^flinciçiie«i- ont jïresidé a Iknir j&nmaÉBDU.
(j^iffiigiies iraifiiDples xapides vf/nl cairfinDfîr rietif cipinifiB..
Selan la docîmie de Hamfapr el dn IF l^^nck^ la ifcnrot OTfsnre d nn
-ckciflr dfviail âtre jûns conaidtaBiiie vais k partie monnamie oi ^-
gui «fin point le jrtns t'ilewt. à caise fe 3 adacni de ik peaoïfcBii: i ■•- «-^i
de œ piàucipe, te la» te ptns x'astes fit te ijitas pmffinufe AwîEaifiii^ ^
rencontrer <î&ns le iias des vallées inferieiiPïs. Mais •su "caftJI aorn ' .;.
preuve do conkraiK- «t âuiiif k ionmic poagoe te wénteffite -
ikcnstres des Pjrénées «ont cantinmées erntrr !1 .f<ï)ft fit ±.6UI) ^
{lidtiiude.
C'-£Sl aiiei ffie iï'mi troirw tes ikis asseoit ime ^s^sB^Séist ^>esp:mm
i3f) liectaF^ ismiiue te lae 'Qm^^gnniD ^i^s&s^^swa^ «iiine à :SLl^îB métrs
(â'altitnde, non Ioib de jtniitt imflnniBnit de îk •dhiâne^ snr te ipeveas mm-
âismal de jnamif cenferal deikAikftEltk; te tkc«teitœBiei(i«iBée d'JLrBn>,
attitote 1.271» mètres — jfeut-Sfte te gih» égarai «tes PçnîaiweB, — ^fit «m
vnsB\ J^âtaL dfil Sœ; ii.â(i(i mâkFis «faittlliite ^ 7f) HnÉkasis de sdf-
Kx"
•":v4:•^
O
1^;. liKLLOC. — COMBI-KMENT DES LACS DANS LES 1'YRI^;NÉES 361
face (I ); I»' lac Lanoux (Pyrénées-Orientales) (iiii s'étend sur une longueur
(le trois kilomètres et occupe une superficie d'à peu près 1 10 hectares,
à une hauteur de 2. loi métrés. Le
lac Caïllaouas, moins j^rand (jue le ^ f -g
hanoux, mérite encore dètre cité à
cause de sa profondeur qui atteint
101 mètres, bien que son plan de
surface soit à la cote 2,10o mètres ;
attendu que le lac de Séculéje (Oô),
placé à ()0o mètres plus bas, dépasse
;\ peine iu mètres de profondeur et
39 hectares de superficie.
Parmi les lacs environnant le mas-
sif de iNéouvieille, le lac d'Orédon
(1.809 mètres d'altitude, cote fournie
|)ar M. l'ingénieur en chef .F. Fontes)
donne à nos objections un appui bien
remarquable. Cette superbe nappe
d'eau, qui reçoit le lidji plein des
lacs d'Aumar (altitude 2.202 mètres),
d'Auber (altitude 2.100 mètres), des
Laqueltes (l.!>l)n mètres environ),
de Lostallat (altitude 2.172 mètres),
de Cap-de-F.ong (altitude 2.120 mè-
tres), est moins vaste et moins pro- g, ^fe^^- ,/ 26
fond que ce dernier, qui le domine
de 2.*)1 mètres ; et cependant les tra-
vaux d'endiguement ont relevé son
niveau de 2"'", 70 centimètres.
La coupe géologique ci - contre s ^- -jf.-.-t:
(^9- ^}-> passant par les lacs étages de
la région d'Oô, fera ressortir plus net-
tement encore la part très minime
que l'eau, ;i l'état de congélation, a
pu prendre au creusement de ces
excavations lacustres.
Celte coupe, orientée sud-nord, part
de la frontière franco-espagnole (alti-
UJ
.■•.■•.».•
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(ti Les liaiiles vallw< de lAran rciifennenl un noinbie considérable de lacs mentionnés pour ia
pretiiit>re fois par MM. Maurice Gourdon et le D' Jeanbernat. M. F. Scbrader, dans sa belle carte du
versant espagnol pyréntjen (feuille 5), en indique plus de 120, « sans compter les milliers de minus-
cales nappes deau qui brillent de toutes parts au milieu des rochers » (F. Schhadbr.)
362 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
tude 3.060 mètres) pour aboutir au village d'Oô (altitude 934 mètres).
La partie la plus élevée est couverte actuellement par le glacier crevassé
du Ceil-de-la-Baque, dernier débris de l'ancien glacier quaternaire qui,
d'après M, Piette, atteignait 860 mètres de puissance à son point de
jonction avec celui de la Pique, c'est-à-dire entre Cazarilh et Bagnères-
de-Luchon. Plus bas, au village de Cierp, le glacier de la Pique se
soudait à celui de la Garonne, lequel, après avoir encore englobé la
branche descendue de la vallée de Barousse, recevait le produit de tous
les affluents glacés de la vallée d'Aure, et finalement couvrait d'une
immense nappe de glace les plaines de Lannemezan, de Montréjau et de
Sainl-Gaudens.
L'examen géologique de cette coupe montre d'abord un puissant
massif granitique, entremêlé par place de grands cristaux d'orthose et de
débris de gneiss empâtés dans la masse ; il s'étend sur une longueur de
quatre kilomètres, depuis le Ceil-de-la-Baque jusqu'au bord méridional
du lac d'Espïnngo.
Ce granité porphyroïde, étudié d'abord par Charpentier, ensuite par
les professeurs Leymerie, F. Garrigou, L. Mallada et J. Caralp, n'existe pas
seulement à cet endroit, je l'ai également vu en place, du moins à peu
près semblable, à la Maladetta, au Maupas, au Couaïrat, à Montarqué, à
Espijoles, à Clarabide, etc. Du plateau d'Espïnngo, le terrain cambrien
— schistes micacés, gneiss schistoïdes, schistes maclifères et à stauro-
tides, schistes satinés contenant çà et là du quartz enfumé et constituant
les parois abruptes du vaste entonnoir au fond duquel se trouve le lac
d'Oô — s'étend jusqu'au bas du grand escarpement qui sépare le bassin
d'Oô proprement dit de celui d'Astau, où commence le terrain silurien
composé d'abord de schiste argileux noirâtre, de schiste carburé, et plus
bas, en se rapprochant du village d'Oô, de schistes ardoisiers, de
calschistes, etc.
Cette succession de terrains, dont je ne donne ici qu'une liste très
incomplète, montre néanmoins que les lacs glacés du Portillon-d'Oô
(altitude 2.6o0 mètres), le lac glacé d'Oô (altitude 2.670 mètres), le lac
d'Era couma-era-Abeca (altitude 2.360 mètres), — aux trois quarts comblé
par les avalanches, — le lac Saounzat (altitude 1.960 mètres), le lac
d'Espïnngo (altitude 1.375 mètres), et le lac d'Oô ou de Séculèje (alti-
tude 1.500 mètres), sont formés aux dépens des roches massives ou des
roches schisteuses, dures et fissiles.
En un mot, on passe graduellement du granité au cambrien, du cam-
brien au silurien, et du silurien au dévonien, représenté aux environs
du village d'Oô par des calschistes grisâtres et des schistes feuilletés,
facilement clivables, relativement tendres et peu consistants.
Ici donc, mieux que partout ailleurs, les conditions paraissaient favo-
É. BELLOC. — COMBLEMENT DES LACS DANS LES PYRÉNÉES 363
rables pour confirmer les doctrines de l'érosion et de l'affouillement
glaciaire. Or, les faits eux-mêmes vont nous renseigner à cet égard.
En partant du vieux pont d'Oô, pour remonter le cours du torrent,
nous voyons que la Neste serpente, pendant plus de trois kilomètres, au
fond d'une vallée étroite qui n'acquiert une certaine largeur qu'au point
de réunion des Nestes-d'Oô, de Medassoles et d'Eskierry, c'est-à-dire aux
Granges-d'Astau. Cet accident orographique, insignifiant en apparence,
prend ici, au contraire, une importance capitale. En effet, si l'on adoptait
la théorie de Ramsay, de Tyndall et de Penck, il serait difTicile d'expliquer
comment un glacier aurait été capable de creuser en plein granité, à
une très faible distance de son point d'origine, des excavations lacustres
comme celles du bassin supérieur, en respectant, dans la même roche,
des affleurements de mille mètres d'étendue ; comment ce glacier aurait
eu le pouvoir de tailler des à-pics formidables comme les parois gigan-
tesques qui dominent les régions glacées du Portillon et d'Oô, de
Saounzat et d'Espïnngo ; d'évider au milieu des terrains cambrions un
cirque immense, en découpant une falaise de trois cents mètres de haut
et creusant à sa base un abîme de plusieurs centaines de mètres de' pro-
fondeur, comme a dû être celui du lac de Séculèje dans les temps
anciens ; et comment ce même fleuve de glace, parvenu à onze kilomètres
de son point d'origine, accru de tous les affluents rencontrés sur sa route
et des précipitations météoriques recueillies à sa surface, — ce qui devait
lui donner une force érosive infiniment plus considérable qu'au début de
sa course, — a été impuissant à se creuser un lit suffisamment large, dans
des terrains friables et délitables tels que ceux que nous voyons affleurer
dans ces parages.
On ne peut objecter que ce glacier ne renfermait pas dans son sein
les éléments actifs de l'érosion ; car, à part le poids incalculable de la
croûte glacée, il transportait une quantité prodigieuse de blocs de granité
porphyroïde, de gneiss, de schistes gneissiques, etc., provenant de la
démolition des montagnes qui forment le bassin supérieur, puisque, à
([uelques centaines de mètres plus loin, il a abandonné sur ses flancs
des milliers de blocs erratiques. Ces blocs, minutieusement étudiés dans
tous leurs détails, par le directeur du Muséum d'histoire naturelle de Tou-
louse, M. le D"- E. Trutat, avec le concours de M. Maurice Gourdon,
constituent, à l'heure actuelle, la célèbre moraine de Garin de Larboust.
En résumé, si le creusement des bassins ouverts dans des roches dures
était dû exclusivement à l'activité glaciaire, cette activité se fût aussi bien
exercée sur les saillies qu'au centre des cavités ; et, en admettant des
parties plus résistantes en certains points, l'érosion eût laissé sur ces
proéminences des sillons profonds au lieu de les avoir simplement striées
et polies.
364 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
*
* *
V Etude des causes actuelles en géologie, à laquelle le savant professeur
Stanislas Meunier a consacré un travail spécial des plus intéressants, les
récentes et très nombreuses observations faites sur les variations pério-
diques des glaciers français, par le prince Roland Bonaparte, les études
plus anciennes et fort instructives de M. E. Trutat sur les glaciers de
la Maladetta, pour comparer leur marche à celle des glaciers des Alpes,
et la plupart des recherches effectuées par les géologues et les glaciairistes,
démontrent péremptoirement que, quand le terrain est mis à nu par
l'effet du retrait d'un glacier, il ne présente aucune trace de creusement ;
au contraire, par le dépôt de la moraine frontale, il se trouve exhaussé.
L'action érosive du glacier est indéniable, et chaque fois que celui-ci
rencontre un terrain meuble ou facilement affouillable, elle peut être
considérable. Mais elle est forcément très bornée en présence des roches
dures et compactes, et les effets d'érosion produits dans ce cas par l'eau
à l'état de congélation ne sauraient être comparables au pouvoir désagré-
geant de l'eau en mouvement et à l'état liquide.
Pour se convaincre de cette vérité, il suffît de se transporter à l'origine
de l'une quelconque des vallées pyrénéennes terminées par un glacier,
tel que celui de Crabioules, par exemple. Ici le contraste est frappant.
Depuis le parc d'Enfer jusqu'à l'endroit où se trouve actuellement l'hôtel-
lerie de la vallée du Lys, le glacier a été incapable de creuser, dans le fond
de la gorge, un passage suffisamment spacieux pour le contenir, tandis
que les eaux provenant de ce même glacier ont usé et coupé à pic des
masses rocheuses compactes, comme à la rue d'Enfer, ou des cascades,
et des gouffres, comme ceux que les baigneurs de Ludion vont admirer en
foule dans cette magnifique région.
La force vive de l'eau, accrue par les débris rocheux qu'elle entraîne,
est capable de donner aux cassures terrestres des proportions considérables
et d'ouvrir des gorges superbes comme celles des Eaux-Chaudes, de Luz,
de Gavarnie, de Cauterets ou du Pont-d'Espagne, qui mettent bien en
évidence les effets irrésistibles des eaux fougueuses en présence d'obstacles
solides leur barrant le chemin.
Dans l'état actuel de nos connaissances, aucun phénomène glaciaire
n'est capable de nous fournir des preuves irrécusables de son pouvoir
érosif, comme le font journellement sous nos yeux les eaux torrentielles ;
ce qui ne veut pas dire, toutefois, que les torrents soient les seuls agents
auxquels on puisse attribuer la création des lacs supérieurs de montagnes.
Le relief de notre globe n'a pu se modeler sans que la croûte terrestre
f:. BELLOC. — COMBLEMENT DES LACS DANS LES PYRÉNÉES 363
éprouvât des contractions violentes et sans qu'il en résultât des disloca-
tions, des plissements et des cassures innombrables. Et, comme le dit
M. A. de Lapparent, dans son Traité de géologie, d'une si admirable clarté
de style, « les fentes dont les parois se sont tapissées de matières minérales
et celles à travers lesquelles a eu lieu l'injection des roches éruptives
attestent que l'écorce terrestre a subi, à bien des reprises, des effets méca-
niques capables d'en déterminer la rupture » .
C'est le long de ces fentes ou lignes de rupture que les granits et les
gneiss ont surgi, en même temps qu'à côté se produisaient des ploie-
ments, des bossellements et des redressements verticaux à la base des-
quels, semblables à des voûtes privées tout à coup de leurs points d'appui,
le sol s'affaissait et produisait par cela même des cavités plus ou moins
considérables que les eaux n'ont pas tardé à envahir.
Cette « combinaison forcée des abaissements et des soulèvements de
l'écorce terrestre qui se plisse pour rester toujours appuyée sur un noyau
intérieur dont le volume diminue en raison du refroidissement » comme
le dit en termes excellents M. le D'' F. Garrigou, dans sa Monographie de
Bagnéres-de-Luchon, ne fournit-elle pas la meilleure preuve de l'origine
que nous attribuons aux lacs de montagnes ?
Élie de Beaumont n'assignait d'autre cause à la formation des lacs
des Vosges que les écroulements produits dans les cavités, situées à l'in-
térieur des montagnes. Cependant, il est fort probable que les excava-
tions lacustres n'atteignirent pas du premier coup ni les dimensions, ni
la profondeur qu'elles ont acquises par la suite.
D'un autre côté, les remarquables expériences de sir Jams Hall, de
M. Alphonse Favre, et les études synthétiques de géologie expérimen-
tale, plus récentes, plus nombreuses et plus variées de notre éminent
compatriote M. Daubrée, sur les cassures terrestres, nous révèlent la
marche des phénomènes qui ont dû présider à la formation du relief de
notre planète. « Les cassures de divers ordres de grandeur, dit M. Daubrée,
depuis de simples leptoclases jusqu'aux paraclases qui s'étendent hori-
zontalement sur des dizaines et même des centaines de kilomètres, et
pénètrent jusqu'à des profondeurs inconnues, réduisent l'écorce terrestre
en une sorte de craquelé dont les fragments sont préparés pour une dé-
molition. »
Préparée pour une démolition, l'écorce terrestre devait l'être en effet ;
aussi est-il aisé de comprendre avec quelle puissance l'action dynamique
des courants torrentiels a dû s'exercer sur d'anciens accidents orogra-
phiques aussi bien disposés. Les masses rocheuses parfois tranchées
comme un trait de burin, selon la comparaison pittoresque et exacte de
M. F. Schrader, dont on connaît les remarquables travaux ; les failles conver-
ties en ravins profonds, agrandies et déblayées, sont devenues des gorges
366 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
gigantesques que les dislocations postérieures ont encore façonnées, puis
transformées en vallées admirables, telles que celles d'Ordesa, de Niscle
ou d' Arasas, au pied du JVIont-Perdu, vallées comparables, d'après M. E. de
Margerie, à un coin du Colorado égaré au milieu des Pyrénées.
Parmi les systèmes d'investigation scientifique, l'un des plus sûrs, —
bien que ce ne soit pas l'avis de tous les savants, — et le meilleur peut-
être, est encore celui qui consiste à procéder du connu à l'inconnu.
Partant de ce principe, en voyant la force érosive des petits cours d'eau
et des cascades de l'époque actuelle, on peut se faire aisément une idée de
la puissance développée par les cataractes des anciennes périodes géolo-
giques. Il a sutTi qu'un petit ruisseau, tel que le Rummel, se trouvât en-
présence d'un de ces fendillements terrestres pour creuser un profond
ravin comme celui de Constantine. A plus forte raison, lorsque la force
hydraulique se trouve centuplée.
Par exemple, l'émissaire du lac Érié, le Niagara, après avoir précipité
ses eaux d'une hauteur de 30 mètres, et creusé un gouffre actuellement
insondable, au pied des chutes célèbres que tout le monde connaît, s'est
ouvert un passage de 11 kilomètres de longueur, avec des parois de
72 mètres de hauteur, en moyenne, avant d'atteindre Queenstown et le
lac Ontario.
Au nombre des autres agents d'érosion, qui concouren' directement à
la transformation du relief terrestre, il faut citer en première ligne l'action
chimique des eaux d'infiltration.
L'eau de pluie, renfermant 2,40 0/0 d'acide carbonique, selon les cal-
culs de Péligot; exerce une action directe sur les éléments silicates et
feldspathiques entrant dans la constitution d'un certain nombre de roches.
Cette action chimique est particulièrement appréciable aux environs du
Maupas, dans le massif pyrénéen qui limite le département de la Haute-
Garonne, sur les crêtes de séparation du val d'Arougé et des Gours-Blancs,
dans la région de Clarabide, d'Ardiden, d'Estom, de Gaube, de Penticosa,
et une infinité d'autres contrées où l'on voit des blocs granitiques, ayant
perdu leur dureté primitive, rongés par places et transformés en une es-
pèce de matière arénacée, que les montagnards, dans leur langage imagé,
désignent sous le nom caractéristique de roches pourries.
* *
En résumé, l'origine et la formation des bassins lacustres de mon-
tagnes, ouverts dans les roches vives, sont dues à trois causes principales :
1° aux accidents orograpliiques résultant des dislocations de la croûte
terrestre ; 2^ à l'action dynamique de l'élément liquide en mouvement ;
É. BELLOC. COMBLEMKNT DES L.VCS DANS LES PYRÉNÉES 367
3° aux transformations produites sur les masses rocheuses par l'action
chimique des eaux d'infiltration.
En outre, les recherches méthodiques que j'ai entreprises depuis un
certain nombre d'années, et plusieurs milliers de sondages que j'ai exé-
cutés dans les principaux lacs des Pyrénées, m'ont amené à formuler
les conclusions suivantes : La profondeur des lacs de montagnes, ouverts
dans la roche dure en place, est en raison de la hauteur et de la verticalité
des pentes qui circonscrivent leur périmètre.
Les lacs de Pouchergues, de Caïllaouas, de Gregonio (Querigûena
d'après l'ingénieur espagnol J. Mallada), etc., sont de véritables gouffres
ouverts au fond de vastes entonnoirs ; et le plus grand, en même temps
que le plus élevé des lacs en série du Port de Venasque (altitude 2.300 mè-
tres environ) que nous avons tout récemment visité, avec mon ami
M. Charles Bannelier, offre encore un exemple saisissant de ce phénomène.
Ceci explique pourquoi, — étant donné que les pentes des montagnes
se redressent dans le voisinage des sommets, — la plupart des lacs pyré-
néens se rencontrent au-dessus de la zone habitable et vers la partie la
plus élevée de la chaîne.
*
* *
En dehors des accidents orographiques produits par les contractions de
la couche terrestre et les forces dynamiques extérieures qui modifient
sans cesse son relief, d'autres causes accidentelles ont aussi concouru à
la formation de certains lacs de montagnes.
Les éruptions volcaniques qui ont occasionné la formation des lacs de
cratères, comme ceux de l'Auvergne, des îles Açores, etc., n'ont pas
laissé, dans les Pyrénées, des traces assez nettes pour qu'on ait pu les
constater, jusqu'à présent du moins.
Quant aux barrages temporaires provoqués par les éboulements et les
transports glaciaires ou torrentiels, qui sont capables, à un moment
donné, d'accumuler sur un certain point d'énormes masses de débris
rocheux, de limon et de matières arénacées, ils sont au contraire assez
fréquents vers la partie basse des montagnes. Lorsque ces endiguements,
qui peuvent entraver le cours des ruisseaux ou empêcher le libre écou-
lement des eaux pluviales, proviennent exclusivement de l'action glaciaire,
comme à Lourdes ou à Barbazan, on est convenu de les appeler des lacs
morainiques. Ils sont quelque peu en dehors du thème de cette étude qui
comprend surtout les lacs supérieurs de montagne. Je me réserve d'y
revenir plus longuement à une autre occasion.
368 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
* *
Après avoir essayé d'expliquer l'origine et la formation des lacs pyré-
néens, il me reste à faire connaître le causes déterminantes de leur com-
blement et de leur extinction finale; mais, auparavant, je parlerai très
brièvement de la conservation des lacs par la glace.
Si les opinions de Desor, d'Escher et de A. Favre, contrairement à
celles de Ramsay, Dana, Tyndall, A. Penck, de Mortillet et Gastaldi, ont
été adoptées par des hommes tels que Bail, Lyell, Rutimayer, Murchisson,
Heim, Omboni, E. Reclus, Ch. Martins, VioUet-le-Duc, Ch. Grad, de Lap-
parent, Chantre, Faisan, Credner, Mojsisovics, Jeanbernat, etc., cela tient
surtout au côté séduisant de la théorie nouvelle, d'autant plus que l'hypo-
thèse d'une calotte de glace préservant les dépressions naturelles du sol
contre l'envahissement des dépôts détritiques n'a rien d'improbable, dans
certains cas particuliers, au contraire.
Mais ce serait une grave erreur de vouloir généraliser une théorie
comme celle de la protection tutélaire des cuvettes lacustres par la glace,
ou celle de l'affouillement glaciaire; car, malgré tout, les faits matériels
observés parlent plus haut que les conceptions originales des savants géo-
logues qui les ont inventées, si ingénieuses qu'elles soient.
A la vérité, il faut reconnaître que ces éminents naturalistes n'avaient
que des données fort restreintes sur la topographie et la géologie sous-
lacustres et que les moyens d'investigation de la plupart d'entre eux ne
dépassaient pas le plan de surface des eaux.
A part les travaux remarquables de M. le professeur A. Forel, sur le
lac Léman, le lac des Quatre-Cantons, etc., quelques sondages exécutés
par Ch. Grad dans les lacs des Vosges, et un certain nombre d'autres
observations isolées, peu de personnes s'étaient données d'une manière
exclusive à l'étude méthodique des lois qui régissent les phénomènes sous-
lacustres.
Depuis quelques années, de nombreux documents hydrographiques ont
été recueillis et coordonnés avec le plus grand soin. Des recherches sous-
lacustres considérables et scientifiquement conduites ont été entreprises
par les ingénieurs du Bureau topographique fédéral suisse, sous la haute
direction de M. fingénieur Hôrnlimann. M. le professeur J. Thoulet, de la
Faculté des sciences de Nancy, le savant initiateur de V Océanographie en
France, nous a fait connaître les lacs des Vosges. M. l'ingénieur des Ponts
et Chaussées A. Delebecque, a sondé et étudié les lacs de la Haute-
Savoie, de l'Ain, de l'Isère, du Dauphiné, etc., et dressé les cartes de ces
fonds submergés qui serviront à compléter la carte du nivellement de la
É. BELLOC. — COMBLEMENT DES LACS DANS LES PYRÉNÉES 369
France dans ces régions. M. le D'" Ant. Magnin a recueilli de nom-
breux documents sur la topographie, le caractère des eaux, la faune
et surtout la flore des lacs du Jura. Enfin, en ce qui me concerne,
je consacre chaque année plusieurs mois à l'étude des phénomènes la-
custres, notamment dans la chaîne des Pyrénées (1). Le champ d'obser-
vation est vaste et fertile; malgré l'étendue et les difficultés matérielles
de la tâche entreprise, j'espère la mener à bien, si mes forces me le
permettent.
Ces travaux, entrepris simultanément pour ainsi dire et sur plusieurs
points à la fois, ont fourni des résultats importants, dont quelques
hommes spéciaux ont déjà su tirer profit pour la science.
A l'aide de mes propres observations, j'ai pu contrôler la valeur
de certaines doctrines glaciaires et me convaincre de la fragilité des bases
sur lesquelles reposent, par exemple, les théories relatives à la conser-
vation des lacs par la glace, que M. Bayssellance a déjà vivement com-
battues.
Un ensemble de faits très précis et soigneusement étudiés, dont je vais
donner des exemples, m'a permis de reconnaître que : la force vive des
anciens glaciers, loin d'avoir approfondi ou protégé les cuvettes lacustres,
avait été, au contraire, un instrument actif de comblement, toutes les fois
que les courants de glace s'étaient heurtés à des affleurements abrupts de
roches dures en place.
Le lac d'Estom (vallée de Lutour, tributaire de celle de Cauterets),
dans lequel j'ai pu relever des profils en tous sens, grâce aux nombreux
sondages que j'y ai pratiqués, 148 points par 10.000 mètres carrés, me
servira à montrer par quels moyens ces comblements glaciaires s'accom-
plissent.
Si, à l'aide d'une courbe continue, on joint les différents points de
sondage se trouvant sur un même plan, dans une direction déterminée,
on obtient le profil du relief sous-lacustre, c'est-à-dire une section qui
montre clairement les mouvements altimétriques du sol submergé. C'est
ce que j'ai fait pour le lac d'Estom, dont la figure 2 ci-après représente la
coupe longitudinale (2) AF, orientée sud-nord, c'est-à-dire dans le sens
de la pente naturelle de l'écoulement des eaux.
Cette coupe nous fait voir d'abord, entre A et B, un delta sous-lacustre
(1) Pour ces études, je me sers d'un modèle réduit et facilement transportable jusqu'au som-
met des plus hautes montagnes, de l'appareil à fil d'acier — sondeur É. Belloc — que j'ai eu
l'honneur de présenter l'an dernier au Congrès de Marseille. Le grand modèle que S. A. S. le
prince Albert l" de Monaco a fait construire pour son nouveau yacht à vapeur, la Princes<!e Alice,
a été également adopté par l'École des Ponts et Chaussr-es de Paris, par la faculté de Nancy et le
Bureau topographique fédéral suisse, qui l'emploie actuellement pour sonder les lacs de l'Engadine.
C'est ce sondeur que M. l'ingénieur A. Delebecque, M. l'ingénieur HOrnlImann, M. J. Tlioulet, ainsi
que M. le baron Jules de Guerne emploient également pour leurs recherches.
(2) La longueur de la coupe ci-après — exécutée primitivement d'après une échelle unique —
ma contiaint d'adopter deux échelles différentes pour pcrmeure a'intercaler cette figure dans le texte.
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GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
dû en grande partie au transport gla-
ciaire, et composé de débris rocheux
et de matières meubles; une plaine
centrale BC, presque horizontale,
formée d'alluvions légères et d'un
dépôt vaseux excessivement fin, à l'ex-
trémité de laquelle commence une
série d'ondulations CDE, d'inégale
hauteur et s'élevant progressivement
jusqu'au seuil émergeant F, formé
par un énorme affleurement de gra-
nité en place. En examinant de près
ces petits monticules CDE. on voit
qu'ils sont constitués par des quar-
tiers anguleux de roche, entassés les
uns sur les autres, selon des lignes
un peu incurvées, et perpendicu-
laires au grand axe de la cavité,
ce qui leur donne une certaine res-
semblance avec d'énormes vagues
pétrifiées.
A première vue, on pourrait être
tenté de croire que ces blocs de pierre
proviennent directement de la démo-
lition des pentes voisines, ou qu'ils
ont été entraînés jusque-là par des
avalanches. iMais il suffit d'un simple
examen des coupes menées par le
travers du lac, pour revenir promp-
tement sur cette impression. En effet,
les cônes de déjection qui s'engouf-
frent dans le lac montrent que les
demi-cercles concentriques A A (fig. 3),
dont ils sont formés, ont leur partie
convexe tournée vers l'intérieur de la
dépression, c'est-à-dire qu'ils sont
tangents aux plans longitudinaux du
bassin, et non point parallèles aux
plans transversaux ou incurvés vers
l'extérieur, comme le sont les ondu-
lations CDE, dont la partie convexe
regarde le rivage. Ces coupes mon-
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É. BELLOC. COMBLEMENT DES LACS DANS LES l'YRÉXÉES 371
tre'nt encore que les matériaux lourds et volumineux, entraînés par les ava-
lanches, au sein de la nappe liquide, ne dépassent pas une zone qui est
bien loin d'atteindre le milieu du lac.
Ce point écarté, il reste à voir si le barrage lui-même n'a pas fourni
les éléments de ces dépôts. Ici, nous nous trouvons encore en présence
de preuves matérielles indiscutables. Si ces talus ondulés eussent été
formés aux dépens du barrage, les arrachements des débris rocheux qui
les composent seraient visibles, car ils n'auraient pu se produire qu'après
le retrait du glacier, puisque la cavité était pleine de glace, et que celle-ci
les eût empêchés d'y pénétrer.
Or, dans ce cas la partie émergeante du seuil granitique du lac, dépas-
FiG. 3. — Lac d'Estom (.Hautes-Pyrénées .
Plan schématique des dépôts détritiques sous-lacustres. — Échelle
sant à peine de quelques mètres le niveau actuel du plan de surface
des eaux, n'eût pas conservé intactes ces belles surfaces moutonnées, polies
et striées, encore très nettement visibles aujourd'hui.
D'autre part, en admettant même — ce qui est improbable — que l'émis-
saire des lacs supérieurs d'Estom-Soubiran ait charrié jusqu'au lac infé-
rieur d'Estom les blocs anguleux qui forment son delta, ce transport
n'aurait pu dépasser le point B ; parce que l'action locomotrice du cou-
rant aqueux étant progressivement amortie, au contact de la masse
liquide immobile contre laquelle il venait brusquement se heurter, ce
courant n'aurait plus eu assez de force pour tenir en suspension ces lourds
débris rocheux et les transporter au delà de la plaine centrale BC, où
ils se trouvent actuellement entassés.
Toutes ces hypothèses étant donc écartées, l'action glaciaire seule
372
GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
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peut nous permettre d'expliquer
la formation de ces curieuses
ondulations.
Lorsqu'un glacier rencontre
sur sa route une dépression
lacustre, si les parois de cette
dépression ont peu d'inclinai-
son, la glace, en raison de sa
plasticité, et la pression aidant,
remonte la pente et parvient à
la franchir aisément, en l'éro-
dant plus ou moins. Mais si le
seuil est solide et fortement re-
dressé, ce qui est la règle géné-
rale pour les lacs supérieurs, le
courant glacé se comporte d'une
manière toute différente.
Supposons un bassin comme
celui du lac d'Estom, occupé par
un glacier, tel que l'indique la
figure schématique ci-contre.
Par suite de la fusion de sa face
inférieure et du mouvement de
translation oblique qui l'anime,
la masse glacée subit deux mou-
vements descendants bien dis-
tincts : l'un vertical, l'autre obli-
que ( 1 ) . Obéissant en même temps
à cette double action propulsive,
un bloc tombé accidentellement
(I) La vitesse de ces deux mouvements est
loin d'être uniforme dans toute l¥paisseur
d'un même glacier. Celte vitesse dépend de
plusieurs causes : i» de la plasticité de la
glace, 2° de la pente du terrain, 3° des frot-
tements et des pressions exercées par le fond
et les parois latérales sur lesquelles s'appuie
la masse glacée.
De ce qui précède, il résulte que la région
supérieure et médiane d'un glacier, étant ani-
mée d'un mouvement plus rapide que la
surface inférieure ou la périphérie, la trajec-
toire d'un bloc rocheux A (fig. 4), par exemple,
ne suivra pas exactement l'hypoténuse d'un
triangle rectangle, et que ce bloc tournant
constamment sur lui-même pendant le trajet,
aura perdu sa vitesse initiale et changé com-
plètement de position, en atteignant son point
d'atterrissement A''.
É. BELLOC. — COMBLEMENT DES LACS DANS LES PYRÉNÉES 373
à la surface du glacier, occupera successivement les positions A, A^ A%
A^ A* (/îg. 4), qui le rapprocheront de plus en plus de la surface
inférieure A*, où il abandonnera définitivement la masse glacée pour
tomber sur le sol. Le bloc B suivra la même trajectoire, et, lorsqu'il
atteindra le point B^ il se détachera et atterrira à son tour. Mais les choses
se passeront tout différemment pour le bloc C. Celui-ci, quoique étant
entraîné au-dessous du plan de surface de l'obstacle rocheux, se trouvant
encore incorporé dans la glace, subira des effets de pression tels, dans
le voisinage de la masse rocheuse qui obstrue le passage du glacier,
qu'ils l'obligeront à remonter vers la partie supérieure C% qu'il franchira
en C^
Ceci montre clairement, je crois, que si une partie des matériaux
un peu volumineux, charriés par le glacier et incorporés dans sa masse,
arrive à franchir sans encombre les obstacles qui ralentissent la marche
de celui-ci, une autre partie, au contraire, et non pas la moins importante,
est déposée à la base de l'affleurement, où elle forme des amoncellements
d'une grande étendue.
Cet exemple, que je pourrais multiplier facilement, démontre péremp-
toirement, qu'aii lieu d'avoir cireuse ou même simplement protégé les exca-
vations lacustres, les glaciers les ont directement comblées.
*
* *
D'autres cas de comblement, encore plus curieux, m'ont été révélés
au cours de mes recherches ; les causes qui les ont produits sont multiples
et un grand nombre d'entre elles n'étaient point ignorées des anciens
pyrénéens tels que Ramond, Pasumot, Dralet, etc., qui en parlent dans
leurs écrits.
A une époque voisine de la nôtre (1874), le D^ Jeanbernat leur consacra
un chapitre spécial dans son beau travail sur les lacs pyrénéens.
Enfin, en 1887, M. J. Vallot publia également une notice très intéres-
sante sur le comblement des lacs des environs de Cauterets.
L'étude spéciale des comblements lacustres, dont je m'occupe depuis
une dizaine d'années environ, exige l'emploi de méthodes rigoureuses pour
recueillir les observations et les matériaux destinés à ce genre de recher-
ches, que je vais résumer très succinctement.
Vers le milieu de novembre et le commencement de décembre, lorsque
les surfaces lacustres commencent à se congeler et que le flanc des
montagnes se recouvre d'un épais manteau de neige, poudreuse ou
floconneuse, selon le degré de violence des rafales qui la distribuent,
comme l'a fort bien remarqué M. Lourde-Rocheblave, la neige s'accumule
374 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
dans les anfractuosités des pentes jusqu'au moment où, sollicitée par
son propre poids, elle est précipitée au pied des escarpements qui bordent
les nappes glacées; elle s'entasse sur certains points sous forme de cônes
neigeux à axe oblique, dont le sommet s'appuie directement sur le flanc
de la montagne et la base s'étale en demi-cercle sur le plan de surface des
eaux solidifiées.
Tant que la neige demeure à l'état floconneux ou poudreux, elle est
mobile et obéit à la moindre impulsion de l'air ; dans cet état, elle se
comporte comme le sable fin de nos plages marines ou du désert du
Sahara. Une partie, rejetée par le vent vers les cimes, tourbillonne et
remonte le long des pentes avant d'avoir touché le sol, jusqu'à ce qu'elle
rencontre une couche d'air immobile, ou que son propre poids l'oblige
à retomber ; l'autre, glissant sur le sol même, vient former à la base
du cône neigeux à axe oblique, un amoncellement qui grossit sans
cesse.
Sous l'action combinée du regel et de la pression exercée par sa propre
masse, la neige se tasse, et, de poudreuse et floconneuse qu'elle était,
elle devient moins molle, grenue, résistante, et ne tarde pas à se trans-
former en névé.
Dans cet état, les avalanches peuvent facilement glisser sur son pour-
tour sans la pénétrer; et, lorsque les vents du sud et la chaleur du
printemps fondront partiellement les neiges des crêtes, et que les préci-
pitations météoriques entraîneront les matières détritiques, ces matériaux
n'auront aucune peine à s'accumuler à la base des cônes de névé autour
desquels ils formeront une espèce de ceinture rocheuse plus ou moins
épaisse.
Frappée plus directement par les vents et les rayons solaires, la neige
qui recouvre la partie élevée des pentes fond la première. Plus tard, la
croûte glacée du lac, cédant à la poussée simultanée des courants
liquides qui l'envahissent, et des vents chauds qui la disloquent, craque
de toutes parts, se fendille et s'effondre. Alors, privés de leur support
provisoire, les éléments constituant la ceinture rocheuse qui entourait le
cône de névé, coulent à pic et viennent former au fond du lac des talus
immergés, séparés du rivage par une dépression en forme d'entonnoir,
que les avalanches postérieures finiront par combler à leur tour, car ces
talus dépassent très rarement la zone littorale.
Les lacs d'Oô, de Caïllaouas, d'Auber, de Cap-de-Long, d'Oncet,
d'Estom, de Naguille, etc., off'rent des exemples caractéristiques de ces
phénomènes curieux en même temps que fort intéressants pour l'étude,
encore peu pratiquée, des causes multiples des comblements dans les lacs
de montagnes.
Parmi ces causes, quelques-unes exercent leur action lentement, insen-
É. BELLOC. — COMBLEMENT DES LACS DANS LES PYRÉNÉES S75
siblement, en déposant sans cesse au fond des eaux les matières alluviales
ou limoneuses longtemps tenues en suspension. D'autres, rapides et
imprévues, au contraire, amoncellent brusquement, sur un point déter-
miné, une quantité considérable de matières solides, qui provoquent tôt
ou tard l'émergence des talus, comblent les dépressions coniques, et
finissent, à la longue, par modifier le contour des rivages.
Un spécimen remarquable de ce genre d'accident est celui que l'on
voit sur la rive gauche du lac Caïllaouas, entre le torrent qui débouche
du glacier des Gours-Blancs et du Ceil-de-la-Baque, et l'entrée de la gorge
sauvage de Clarabide, dans laquelle les eaux du lac bondissent et se préci-
pitent avec un effroyable fracas. Là se trouve un formidable couloir d'ava-
lanche, par lequel dévalent, de la montagne de Courtaou, — sur la pente
opposée de laquelle se trouve le lac de Pouchergues, — d'énormes blocs de
granit, qui viennent, lorsque la surface du lac est glacée, s'entasser en
forme de talus, analogues à ceux dont il a été question plus haut, lequel
€st actuellement relié à la terre ferme par sa partie sud-est. Ce monticule
pierreux émerge en moyenne de 8 mètres au-dessus de la nappe liquide.
Sa longueur est d'environ 17 mètres, sa largeur moyenne de 2 mètres au
sommet et de 10 mètres à fleur d'eau. Son versant méridional est séparé
du rivage par une dépression ovoïdale, en forme d'entonnoir, qui mesure
SO mètres de largeur, 50 mètres de longueur et 5™, 45 de profondeur.
On comprend aisément que, dans de telles conditions et dans l'état actuel
de nos connaissances, en présence de phénomènes intermittents différant
considérablement dans leur mode de reproduction, on soit embarrassé pour
formuler une loi générale.
Cependant, en faisant la synthèse d'une très grande quantité d'obser-
vations, on peut dire que : les lacs de montagims présentent des différences
caractéristiques qui les distinguent nettement des lacs de plaines.
, Les lacs de montagnes, surtout les lacs supérieurs, sont généralement
de foime irrégulière, et leurs parois, plus ou moins redressées, montrent
des pentes latérales asymétriques.
Les lacs de plaines, plus réguliers de contours, ont une structure plus
simple, et leurs pentes latérales sont à peu près symétriques.
Une section transversale passant par le milieu du lac d'Estom (fig. 5),
fournira un exemple très net de la configuration d'un lac de montagne et
de l'asymétrie des parois opposées.
Du point A, rive droite, au point B, l'inclinaison assez régulière du
talus prolonge en quelque sorte le flanc de la montagne. Du point B au
point C règne une plaine centrale horizontale, commune à tous les lacs.
Si, prenant le profil en sens inverse, nous partons du point G, rive
gauche, nous voyons des parois lacustres infiniment plus tourmentées et
irrégulières, montrant d'abord un vallonnement prononcé en forme d'en-
376
GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
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tonnoir, dont la paroi G, plonge brus-
quement sous un angle de 4o degrés
jusqu'au point F, qu'elle atteint à
4'",6o de profondeur, et à 5 mètres
de distance du bord, [ci la pente
s'adoucit jusqu'au point le plus bas E :
profondeur o''\42; distance, 10 mè-
tres du bord. Puis elle se relève sous
un angle variable de S à 16 degrés ;
s'arrondit en efïleurant presque la
surface du lac, au point B : distance
horizontale de la rive gauche, 36 mè-
tres, et finalement s'enfonce sous un
angle variant de 21 à 32 degrés,
jusqu'à la rencontre du plafond cen-
tral CB, qu'elle rencontre à 95 mètres
de la rive droite.
Cette protubérance sous-lacustre
CDE, formée d'un amas rocheux,
mesure 76 mètres de corde et 15°\40
de flèche, se trouve donc séparée du
rivage par une excavation conique
analogue à celle du lac CaïUaouas, et
dont la base a 35 mètres de diamètre.
C'est surtout par les bords que le
comblement se produit.
Dans les lacs, fort peu nombreux
du reste, de la région sous-pyré-
néenne, on retrouve, comme dans les
lacs supérieurs, une plaine centrale
sensiblement unie et des talus à faible
pente, aboutissant à une sorte de pla-
teau à peine incliné et recouvert
d'une mince couche d'eau qu'on
appelle zone littorale. La zone litto-
rale est la partie la plus tourmentée ;
elle est alternativement recouverte
par l'eau ou mise à sec, érodée par
le mouvement des vagues ou ense-
velie sous une épaisse couche de
végétations lacustres formées de Ca-
rex, Juncus, Sci?yus, Potamogeton,
É. BELLOC, — COMBLEMENT DES LACS DANS LES PYRÉNÉES 377
Nuphar, etc., qui, comme au lac de Barbazan et de Saint-Pé-d'Ardet,
défendent l'approche de la partie médiane. Ces lacs sont principalement
comblés par les matières alluviales et les apports détritiques charriés
par les eaux pluviales.
En terminant, je tiens à signaler deux phénomènes peu communs.
L'un est visible à la partie méridionale du puissant massif de Carlitt,
vaste désert pierreux, désolé et sauvage, parsemé de nappes liquides qui
reluisent au soleil comme autant de diamants jetés pêle-mêle aux quatre
coins de l'immense moraine ; vu du sommet du Carlitt, ce spectacle est
un des plus grandioses qu'offrent les Pyrénées. Au milieu de ces lacs on
distingue l'étang de Las Dougnes, qui, se trouvant exactement placé sur
la ligne de partage des eaux, a deux émissaires, l'un à l'est, qui va grossir
la rivière de la Tet, l'autre à l'ouest dont les eaux descendent à Agous-
trine et au Rio-Segre, affluent de l'Èbre.
L'autre phénomène, observé au lac de Lourdes (Hautes-Pyrénées), est
dû à l'action glaciaire. La digue formée de blocs accumulés et de ma-
tières détritiques abandonnées par le front de l'ancien glacier d'Argelès,
est tellement résistante que les eaux ont été impuissantes à la renverser
pour se frayer un passage, ce qui les oblige à rechercher une issue en
amont pour rejoindre le gave de Pau.
Ces anomalies hydrographiques ne sont pas cependant uniques dans
leur genre. Entre le plateau de Langres et le Ballon de Servance, dans
les Vosges, une petite nappe lacustre déverse à la fois ses eaux dans la
Saône et dans la Moselle.
Dans la même contrée et dans la Haute-Italie, les lacs de Gérardmer,
d"Orta et de Côme, semblables en cela à celui de Lourdes, ont aussi un
déversoir à contre-pente.
Ces exemples constituent du reste des exceptions très rares, aussi bien
dans les Vosges et les Alpes que dans les Pyrénées.
•378 GÉOLOGIE ET MINERALOGIE
M. Emile EIYIÈRE
à Paris.
DÉTERMINATION PAR L'ANALYSE CHIMIQUE DE LA CONTEMPORANÉITÉ OU DE LA NON-
CONTEMPORANÉITÉ DES OSSEMENTS HUMAINS ET DES OSSEMENTS D'ANIMAUX
TROUVÉS DANS UN MÊME GISEMENT.
— Séance du 20 septembre 1892 —
Le 28 août 1882, au Congrès de la Rochelle, j'appelais l'aitention de
la Section de Géologie sur les sablières quaternaires de Billancourt, que
M. Albert Gaudry — qui les avait visitées avec moi quelques semaines
auparavant — considérait, d'après la faune que j'y avais rencontrée,
comme appartenant à la quatrième phase des temps quaternaires ou
phase tempérée et correspondant au diluvium des bas niveaux de Gre-
nelle et de Levallois-Perret. Or, c'est dans ces bas niveaux que M. Martin
et M. Reboux avaient recueilli, entre autres animaux, le Mammouth, le
Rhinocéros à narines cloisonnées et le Renne. La faune, en effet, dont
j'avais trouvé les restes de 1875 à 1882, était également caractérisée sur-
tout par la présence de VElephas primigenius, du Rhinocéros tichorhinus
(dont j'avais trouvé, moi-même, en place un maxillaire inférieur gauche
avec ses quatre dents molaires), du Cervus megaceros, du Tarandus ran-
gifer, du Bos primigenius, etc.
Puis, je terminais ma communication par cette phrase que je crois
devoir rappeler aujourd'hui, en raison de l'hypothèse que j'émettais alors
avec la conviction qu'elle se réaliserait plus ou moins tôt, hypothèse qui
vient de recevoir, il y a six semaines à peine, la plus complète confir-
mation des recherches d'un savant bien connu, M. Adolphe Carnot, pro-
fesseur à l'École supérieure des Mines :
« Avant de terminer, disais-je^ je dois signaler encore des ossements
humains réprésentés ;
» 1° Par un crâne de femme et son maxillaire inférieur ;
» 2° Par les deux fémurs droit et gauche, probablement du même
sujet, et mesurant 0'°,40 de longueur ;
» 3° Par les deux tibias, droit et gauche, du même individu également,
longs de O'",3oo ;
» 4" Enfin par une mâchoire inférieure d'homme, plus épaisse que celle
■de la femme.
» Ces divers ossements m'ont été remis comme ayant été trouvés dans
l'une des grandes sablières qui avoisinent de très près la Seine, entre la
K. RIVIÈRE. — DES OSSEMENTS HUMAINS ET DES OSSEMENTS d'aNIMAUX 379
berge du côté droit et l'avenue des Moulineaux. Ils proviennent de deux
individus de même race que l'homme dont les restes, trouvés dans une
sablière de Grenelle, ont été donnés par M. Martin au Muséum.
» Mais je ne dois pas omettre de dire ici, tout en voulant garder
encore une certaine réserve, du moins jusqu'à plus ample information,
que l'aspect extérieur de ces ossements, ainsi que leur conlexture, leur
densité, en un mot tous leurs caractères physiques, absolument différents
de ceux des ossements d'animaux, sans aucune exception, — trouvés dans
les sablières de Billancourt — sont pour moi l'indice d'une ancienneté cer-
tainement moindre que celle de ces derniers.
» Enfin, j'ajoutais que ce fait, pour M. Albert Gaudry comme pour
moi, n'était pas unique et que l'hypothèse que j'émettais pourrait tout
aussi bien s'appliquer au crâne humain du musée Carnavalet, indiqué
comme provenant des sablières de Grenelle, qu'aux autres ossements hu-
mains de même origine, les uns et les autres présentant les mêmes diffé-
rences d'aspect et de texture que ceux de Billancourt. »
Cette hypothèse de la non-contemporanéité des ossements humains et
des os d'animaux de Billancourt fut vivement combattue par plusieurs
membres du Congrès, notamment par mon regretté maître, M. de Quatre-
fages. Néanmoins, convaincu du fait que je soutenais, je persistai dans
l'opinion que j'avais émise, et, poursuivant, les années suivantes, mes
recherches sur le même sujet, j'adressai à l'Académie des Sciences, le 12 oc-
tobre 1885, un pli cacheté, dont je me réservai de demander l'ouverture le
jour où les nouvelles études que je comptais entreprendre sur la compo-
sition chimique d'un grand nombre d'ossements humains et d'os d'ani-
maux, provenant d'autres localités et de gisements divers et un peu de
toutes les époques, me fourniraient la preuve absolue du fait que j'avais
soutenu. Malheureusement si les circonstances, en me refusant jusqu'à
présent le laboratoire dont vingt membres de l'Académie des Sciences
m'ont fait l'honneur, le 26 mars 1887, de demander au ministre de l'Ins-
truction publique .la création, ne m'ont pas encore permis d'entreprendre
•ce long travail, par contre, j'ai eu la bonne fortune de voir un professeur
■de l'École des Mines, M. Adolphe Carnot, s'occuper, en partie du moins,
de la même question, dans ses recherches sur la présence du fluor et son
dosage dans les ossements fossiles et modernes. En effet, M. Carnot étant
venu me demander certains ossements pour en faire l'analyse chimique,
j'ai mis immédiatement mes collections à sa disposition et notamment
■des pièces osseuses provenant des sablières de Billancourt.
Or, je suis heureux de pouvoir annoncer à la Section de Géologie que
les résultats de ses recherches confirment absolument la thèse que j'avais
soutenue en 1882 d'abord, en 1885 ensuite, à savoir que, par exemple,
dans le cas de doute sur la contemporanéité d'un squelette humain et
380 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
d'une faune trouvés dans un même gisement, l'analyse chimique permettra
le plus souvent de trancher la question.
En efifet, non seulement la lettre que M. Carnot m'a adressée le 29 juillet
dernier s'exprime ainsi : « L'analyse comparée des os de Billancourt est
absolument favorable à la cause que vous avez soutenue »; mais encore sa
communication à l'Académie des Sciences dans la séance du 16 du mois
dernier (16 août 189i2), entrant dans les détails de l'analyse chimique,
montre, par les chiffres suivants, les différences de composition des os
fossiles et du tibia humain provenant de Billancourt.
os d'animaux tibia humain
Matière organique 12,81 19,65
Peroxyde de fer 0,21 3,06
Acide carbonique 6,06 6,15
Acide phosphorique 34,20 28,72
Fluor 1,43 0,17
La conclusion du travail de M. Carnot est la suivante : « Il ressort de
là clairement que l'os humain, ne renfermant que la proportion de fluor
normalement contenue dans les os modernes, tandis que les os d'animaux
quaternaires en contiennent de sept à neuf fois plus, n'est pas du même
âge que ces derniers et n'a été introduit qu'à une époque beaucoup plus
récente dans les graviers anciens de la Seine (1). »
Quant au pli cacheté, dont je vous ai parlé tout à l'heure, et dont j'a
demandé l'ouverture à l'Académie des Sciences il y a huit jours, dans la
séance du 12 de ce mois, veuillez me permettre de vous en donner lec-
ture avant de terminer :
Après avoir cité le passage de ma communication de 1882, que je vous
ai rappelé tout à l'heure, je me suis exprimé ainsi :
« Depuis lors (1882) j'ai poursuivi mes recherches dans les sablières
quaternaires soit de Paris, soit des environs, et les autres ossements
humains, qui m'ont été remis ou communiqués comme provenant de ces
sablières, n'ont fait que me confirmer dans l'opinion exprimée à la Ro-
chelle, car partout et toujours, ces ossements ont une physionomie
absolument différente, sous tous les rapports, des ossements d'animaux
trouvés au même niveau et de tous sans aucune exception, à quelque espèce
animale qu'ils appartiennent.
» Ces ossements humains sont donc à mes yeux d'une antiquité beau-
coup moins reculée et je crois même pouvoir affirmer dès maintenant que,
dans les endroits où la contemporanéité de l'homme, en tant qu'ossements,
avec les animaux quaternaires des sablières de Paris ou des environs a
été soutenue, elle n'existe pas. Ce n'est pas, loin de là, que je veuille nier
en quoi que ce soit l'existence de l'homme quaternaire ; la présence incontes-
(1) Comptes rendus de l'Académie des Sciences, séance du 16 août 1892.
É. RIVIÈRE. — DES OSSEMENTS HUMAINS ET DES OSSEMENTS d'aNIMAUX 381
table de silex taillés dans ces sablières et au même niveau que les restes
des espèces animales, telles que YElephas primigenius ou VElephas anti-
quus, le Rhinocéros Merckil ou le Rhinocéros tichorhinus, etc., serait là pour
me donner un démenti formel.
» Mais si l'homme de ces gisements existe certainement, en tant qu'in-
dustrie, son squelette, par contre, ne me paraît pas encore avoir été
trouvé et toutes les découvertes de Grenelle, Clichy, Billancourt, etc., ne
me semblent pas des découvertes d'hommes réellement fossiles, mais bien
d'os humains postérieurs à l'époque quaternaire.
» C'est d'ailleurs ce que j'espère pouvoir démontrer, d'ici à quelque
temps, d'une façon positive par les études que je vais entreprendre. Il
s'agit d'une longue série d'analyses chimiques comparatives de tous les
échantillons qu'il me sera possible de prélever sur des ossements humains
et sur des os d'animaux d'époques et de gisements divers.
» Mon intention est donc d'étudier successivement le même os long tel,
par exemple, que l'humérus, le fémur ou le tibia de l'homme et d'un
mammifère toujours le même, ainsi qu'un os du crâne de l'un et de l'autre,
provenant tous deux d'un même milieu, au point de vue de la composition
chimique, de la densité, etc. J'étudierai ainsi les mêmes os, à l'état frais
d'abord, puis enfouis depuis quelques siècles dans le même milieu, puis
à l'époque mérovingienne, à l'époque romaine, ensuite dans les temps
néolithiques, enfin aux époques géologiques (grottes, brèches osseuses,
sablières) .
» Les résultats que j'obtiendrai me donneront-ils raison? Je le crois
fermement ; en tout cas, je suis prêt à reconnaître mon erreur, si je me
suis trompé, entreprenant ces recherches absolument sans aucun parti pris,
sans aucun autre mobile que la passion du vrai et le désir d'apporter, si
possible, quelque document nouveau à l'histoire de la paléontologie humaine.
» Ces nouvelles études, je les entreprendrai sous les bienveillants aus-
pices de M. Alphonse Milne-Edwards qui m'a fait connaîlre, ces jours
derniers, celles qu'il a lui-même faites il y a vingt-cinq ans (1), et qui
m'a indiqué aussi celles de Delesse que j'ignorais également ( "2). »
Telle est la teneur du pli cacheté que j'ai adressé à l'Académie le
8 octobre 1885 et dont elle a bien voulu accepter le dépôt dans la séance
du 12 du même mois.
En résumé, il paraît donc aujourd'hui démontré, conformément à la
thèse que j'ai soutenue depuis 1882 :
i° Que les ossements humains de Billancourt sont beaucoup plus ré-
cents que les restes de la faune quaternaire provenant du même gisement;
(1) A. Milne-Edwards, Éludes chimiques et physiologiques sur les os (Annales des Sciences naturelles,
t. XIII, p. 113. Paris, 1S60.)
(î) Delesse, Annales des Mines, t. XVIII, 1860, et i vol. Paris, 1861.
382 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
2° Que l'analyso chimique permet le plus souvent, en cas de doute, de
résoudre le problème de la contemporanéité ou de la nou-conlemporanéité
d'ossements trouvés dans le même milieu.
J'ajoute, en terminant, que l'analyse chimique des ossements me paraît
appelée aussi à pouvoir rendre peut-être certains services en médecine
légale, en permettant de reconnaître l'époque à laquelle un cadavre aura
été inhumé, tout en tenant compte, bien entendu, de la nature du sol où il
aura été trouvé.
J'espère d'ailleurs apporter l'an prochain à la Section de Géologie de
nouveaux faits, soit que M. Ad. Carnot veuille bien continuer ses recherches
sur les pièces osseuses que j'ai trouvées dans divers gisements, soit que,
à son défaut, j'entreprenne à mon tour d'en faire l'analyse chimique
comme j'en ai toujours la ferme intention.
MM. EETT et DÏÏBÂLEI
à Mont-de-.Marsan.
SUR LA PROTUBÉRANCE CRETACEE DE SAINT-SEVER
— Séance du 20 septembre 1892 —
La protubérance de Saint-Sever est la plus importante des protubé-
rances crétacées de l'Aquitaine. On peut en effet la poursuivre de Buanes
à Saint-Aubin, dans le sens de son orientation (E. S. E.— 0. N. 0) qui est
sensiblement parallèle à la chaîne des Pyrénées, sur une longueur d'en-
viron 24 kilomètres, sa largeur pouvant atteindre 5 kilomètres, et elle
recouvre, en totalité ou en partie, le territoire de dix-huit communes
(Buanes, Fargues, Vielle, Sarraziet, Montsoué, Saint-Sever, Eyres, Coudures,
Sainte-Colombe, Horsarrieu, Dûmes, Audignon, Banos, Montant, Doazit,
Maylis, Saint-Aubin et Hauriet). Aussi ne devait-elle pas échapper aux
observateurs qui ont étudié en détail cette intéressante région.
En 1824, Ami Boue, dans son Mémoire géologique sur le sud-ouest
de la France (1), indique le terrain crétacé (craie chloritée) au N. de
Coudures, à Aires (lisez Eyres), sous la forme d'une craie chloritée durcie,
verte ou bleuâtre, surmontée de couches crayeuses riches en silex.
(I) in Annales Se. nat. V s., t. III, p. 239.
REYT ET DUBALEN. — SUR LA PROTUBÉRANCE CRÉTACÉE DE SAINT-SEVER 383
En 1847, Delbos (1) signale à Arcet, Audignon et Boulin des dolomies
qu'il rapporte, avec doute il est vrai, à la base des terrains nummu-
litiques.
En 18o3, MM. Crouzet et de Freycinet(2) n'hésitent pas à classer ces
dolomies dans la division supérieure (craie dolomilique) de leur craie
silici/ere, la division inférieure de cette cvdÀe, on craie silicif ère propre-
ment dite, étant du reste accusée aux environs de Saint- Sever par de
nombreux silex qui jonchent le sol.
L'année suivante, Delbos i3) fait descendre les dolomies d'Arcet au
niveau des calcaires d'Orthez, dans la division inférieure (calcaires et
schistes noirs) de la formation crétacée du bassin de l'Adour. La craie
supérieure ou à Ananchijtes est représentée à Audignon où il a recueilli
VO. Matheroniana,
En 1873 et 1874, MM. Jacquot et Raulin publient leur Carte géologique
et agi'onomique du département des Landes à l'échelle de ~^^, ainsi que
la première partie de la Statistique géologique et agronomique de ce
département. Pour ces auteurs, toutes les assises crétacées de la protubé-
rance appartiennent à la cy^aie blanche; une teinte jaune indique suffi-
samment sur leur carte cette uniformité de composition.
Quelques années plus tard, et principalement en 1880, M. Hébert fait
connaître le résultat de ses études sur la Craie supérieure des Pyrénées (4).
Le savant professeur classe comme suit les assises crétacées du bombe-
ment de Saint-Sever :
TuRONiEN SUPÉRIEUR. — Calcalres à silex et Ananchytes Beaumonti.
Sénonien SUPÉRIEUR. — Calcairc blanc compact avec Radiolites lumhricalis.
p. . . ( Calcaires marneux à Fem(^/îews;esLe|/men>f, O./wenaica,
UANIEN INFERIEUR. \ , /-,. , ,- ^ i •. . ,
( larva, (Jtostoma jJOnticum, Orbitotdes gensacica, etc.
Le Cénomanien existe-t-il peut-être au centre de ce bombement, comme
tendrait à le démontrer un exemplaire d'Holectgpus excisus, Desor,
espèce du Cénomanien supérieur, trouvé à Mailloc et envoyé à l'auteur
par M. Dubalen.
En 1888, paraît la deuxième partie de la Statistique géologique et agro-
nomique du département des Landes, presque entièrement rédigée par
M. Jacquot. Cet observateur reconnaît dans la protubérance de Saint-
Sever les étages cénomanien, twonien, sénonien et danien.
(1) Notice géologique sur les lerrains du bassin de l'Adour, in Bull. Soc. géol. France,'!' s., t. IV, p. 712.
(2) Élude géologique sur le bassin de VAdour, i"'» partie formation crétacée), in Annales des Mines,
5"= s., t. IV, p. 361.
(3) Essai d'une desrription géologique du bassin de l'Adour, in Mém. Soc. Sa. phys. et nat. de
Bordeaux, t. I, p. 265.
(4) Voyez surtout : Recherches sur la Craie supérieure du versant septentrional des Pyrénées, in
Comptes rendus .4c. Se. (1880), p. 7A4.
Le terrain crétacé des Pyrénées, 2" partie (Terrain crétacé supérieur;, in Bull. Soc. géol. France,
3« s., t. IX, p. 62.
384 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
L'étage cénomanien, visible seulement dans le fond de la vallée d'Au-
dignon, est composé de calcaires dolomitiques et de calcaires compacts ne
renfermant que des huîtres indéterminables et le Rqdiolites triangulatns ?
L'étage turonien qui lui succède est particulièrement net dans les
carrières de Jouansalle, où il est caractérisé par RadioUtes lumhricalis.
La dolomie de Labadie en face de l'église d'Audignon, est subordonnée
à cet étage dont elle formerait le couronnement.
Le Sénonien consiste en une alternance de calcaires marneux et de
marnes sableuses. De nombreux silex sont répandus dans la masse et les
fossiles habituels sont : Echinocorys vulgaris, Jnoceramus Goldfusianus,
Janira quinquecostata.
Le Danien débute par des marnes et des calcaires à Hemipneustes
pyrenaicus, Leymerici, 0. pyrenaica, et se termine par. des dolomies et
des marbres qui, en raison de leur position au sommet de la forma-
tion crétacée, sont assimilables aux assises garumniennes de la Haute-
Garonne.
Quelques mois après cette publication (janvier 1889), M. Jacquot nous
donne la feuille de Mont -de-Marsan (1) au bas de laquelle est la partie la
plus importante du pointement crétacé de Saint-Sever. Quatre teintes
indiquent les quatre étages de la formation crétacée supérieure. L'étage
cénomanien y occupe une place beaucoup plus importante que ne l'avait
supposé précédemment l'auteur (2).
En 1890, M. L. Reyt (3) signale à Buret-Maçon (Audignon) et à La-
bouyrie (Eyres) un horizon très fossilifère (0. flabellata, biauriculata,
Terebratula biplicata, etc.) de l'étage cénomanien, et constate la présence
de dolomies garumniennes, avec nombreuses formes tertiaires, sur le
revers S. de la ride crétacée de Saint-Sever, territoire de Montsoué.
Les explorations entreprises par nous en août 1891, poursuivies en
novembre et aux mois d'avril et d'août de cette année, nous ont donné
les résultats consignés dans le tableau ci-joint qui résume la succession
des assises crétacées de la protubérance.
Le Crétacé inférieur (Gaultj, méconnu jusqu'à ce jour, occupe une
place importante dans la protubérance ; il se présente sous la forme de
marnes avec alternances fréquentes de bancs calcaires ou siliceux, —
Hamites cf. rotundus, Sow. (4), bélemnites, etc., à la base, — échinides,
nombreux acéphales et gastéropodes à la partie supérieure, que sur-
montent des dolomies à grandes janires, Toucasia, etc.
(1) Carte géologique de la France au 1/80.000.
(2) \o\r Stalisliquegéol. elmiron. du déparleme.nt des Landes, p. 318.
3} In Actes Soc. Linn. de Bordeaux, s» s., t. IV, p. 275, et Procès-verbaux des séances de la
Soc. Linn. de Bordeaux, p. 77.
(4) Nous avons déterminé nos espèces au Laboratoire de géologie de la Faculté des Sciences de
Bordeaux, dirigé par M. le professeur Fallût, dont l'autorité est bien connue.
REYT ET DUBALEN. — SUR I.V PUOTl nÉUANCE CRÉTACKK DE SAINT-SEVER 385
Les calcaires cénomaniens à Caprinella triangulmns et les marnes à
0. flabellata, biauriculata, etc., qui leur sont étroitement liées, des-
sinent une bande limitant au S. le noyau formé par les marnes et les
dolomies ci-dessus mentionnées. Étroite dans sa partie occidentale où
l'inclinaison des couches peut atteindre 80% cette bande s'élargit consi-
dérablement vers son extrémité orientale où les strates accusent un pro-
longement faible, variant de 10 à 15°.
L'étage turonien n'était connu qu'à .Jouansalle et Larrey ; nous l'avons
retrouvé bien développé dans la vallée du Gabas, des environs du Moulin
de Marrin à Pémarie, en face du bourg d'Eyres. Il présente même ici
une assise que nous n'avons observée nulle part ailleurs, des Calcaires
marneux avec Inocérames, Oslrea, Cardium, qui, par leur position entre
les Calcaires à Badiolites himbricaliii -du Turonien supérieur et les Marnes
cénomaniennes à 0. flabellata, biauriculata, Terebratula biplicata, doivent
être regardés comme représentant le Turonien inférieur (Ligérien, Coq.).
L'étage sénonien, d'Orb., joue un rôle important dans la protubérance.
Dans sa partie inférieure et sa partie moyenne, peu exploitées, nous avons
reconnu deux horizons intéressants : Marnes à Micraster coranguinum de
Pémarie, — Calcaires marneux à Echinocorys Heberti il) du Caoup et de
Lacoumette .
L'étage garumnien qui termine la série comprend : à la base des
Dolomies et brèches dolomitiques, à la partie supérieure des Calcaires
compacts ou marmoréens et des brèches calcaires. Ces roches, considérées
jusqu'à présent comme à peu près azoïques, peuvent, dès maintenant,
grâce à de patientes et laborieuses recherches, compter parmi les plus
riches en espèces de la protubérance. La plupart de ces espèces, sinon
leur totalité, étant nouvelles, ce n'est que par la place qu'occupent ces
assises, entre les marnes et les calcaires- à Hemipneustes p/jrenaicus et
Orbitoïdes du Sénonien supérieur et les calcaires à Operculines (Operculina
Heberti) de l'étage suessonien. qu'il est permis de les paralléliser aux
couches garumniennes de la Haute-Garonne, dont la faune est entière-
ment différente, mais qui occupent exactement la même position strati-
graphique (2).
Une faille principale, se maintenant constamment au N. et à une faible
distance de la ligne anticlinale, court de l'E. vers l'O. du voisinage de
Puzacq (au N.-E. de Fargues) aux sources de la Peyradère à Saint-Aubin,
par la vallée du Pichegarie, Haut-d'Audignon, Pilo, s'incurvant légère-
ment pour aboutir aux sources de Marseillon, puis reprenant son allure
(1) Cet horizon avait été déjà signalé par M. HL-berl. {Comptes rendus de l'Académie des Sciences,
1880, p. T,i.) . „
(2) La série garumnienne typique d'Auzas est en effet comprise entre le Calcaire nanUin a «emi/)-
neusles, sur lequel est bàli ce bourg, et l'horizon à Operculina Heberti qui succède immédiatement
aux Calcaires crayeux à Micraster tercensis du Tuco.
25*
386 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
vers rO. par la source d'Haouriei, Higué et Laflou. Elle met les assises
sénoniennes du revers N. en contact avec les couches albiennes, céno-
maniennes, turoniennes et sénoniennes qui, après s'être voûtées suivant
la ligne anticlinale, plongent vers le S. sous un angle exceptionnellement
supérieur à 15° (l). A l'extrémité 0. de la protubérance, à Long, les
assises garumniennes du revers N. viennent buter à la faille, qui traverse
ici la vallée de la Gouaougue. contre les couches du même âge ou les
premiers sédiments suessoniens.
Une faille secondaire, greffée sur la précédente suivant le cours du
Pichegarie, au-dessous de Baron, se dirige vers les sources d'Arcet par
le four à chaux de Reguillem, le Moulin de Marseillon et Larrivière au S.
de Banos (2). Elle émet à l'E. de Jouancoste une bifurcation qui chemine
obliquement vers Meignos pour s'infléchir brusquement vers l'O., dans
la direction de Toulouzette. C'est entre ce bras et la faille secondaire
d'Arcet, prolongée vers l'O., que paraît s'être produit le plus grand affais-
sement de la région.
Les eaux pluviales qui tombent sur le revers N. de la protubérance
sont naturellement absorbées par ces fractures qui se gorgent encore des
eaux que leur abandonnent les rivières et les ruisseaux qui les traversent
et dont le cours peut, en quelques points, se confondre avec leur direction.
Ces failles forment ainsi un système de canaux souterrains dont les
eaux jailliront dès qu'elles rencontreront sur leur route quelque obstacle
s'opposant à un écoulement régulier, ou une issue insuffisante pour per-
mettre à la masse d'aller plus en avant.
Les remarquables sources de Marseillon, la Peyradère et Arcet n'ont
pas d'autre origine (3), et on ne peut plus les regarder, avec M. Jac-
quot (4), comme le résultat du jeu naturel de nappes artésiennes dans
les assises supérieures du terrain crétacé.
Les considérations qui précèdent nous paraissent avoir une grande
importance relativement a la question des eaux jaillissantes dans la région
comprise entre la protubérance de Saint-Sever au S. et l'alignement
crétacé Roquefort-Saint-Julien-Colègne au J\., au centre de laquelle est
bâtie la ville de Monl-de-Marsan, car elles tendraient à démontrer que,
s'il existe des eaux artésiennes dans la région ci-dessus délimitée, elles ne
peuvent venir de la protuljôrance crétacée de Saint-Sever sur laquelle
cependant, avant un examen approfondi, le géologue pourrait être tenté
de concevoir les meilleures espérances.
(1) Ce n'esl, que vers l'extrémité occidentale de la protubérance qu'on remarque des inclinaisons
beaucoup plus importantes (70 et 80°).
(2) Celle faille doit évidemment se poursuivre vers l'O.
(3) Les dépressions en face desquelles bouillonnent ces sources et l'état fragmentaire des roches
d'oïl elles sortent semblent favoriser la venue au jour de ces eaux.
(4) Voyez surtout Statistique géologique et agronomique du département des Liimie^, p.iT'i.
REYT ET DUU.VLE.N. — SUR LA PROTLBÉRANCE CRÉTACÉE DE SAIXT-SEVER 387
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388
GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
M. Joseph EOÏÏSSEL
Professeur au Collège de Cosne.
SUR LE PRIMAIRE DE CAMPAGNA-DE-SAULT
Séance du 27 septembre 1892 —
Dans les environs de Campagna-de-Sault existe une importante for-
mation primaire disposée en plis anticlinaux (fig. 1 , 2 et 3).
Ouest
Sud
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\^tiiixentt de
Nord
\ Lamj^agiui' ■
eT Triais
Granité
On'y observe :
1. Schistes ardoisiers avec lentilles de calcaire et de poudingue.
2. Schistes noirs avec lentilles de calcaire à (^rthocères,du Silurien supérieur.
3. Calcaire à goniatites et schistes.
4. Dolomie, calcaire et schistes.
o. Schistes avec lentilles de calcaire amygdalin et de calcaire à Orthocères.
0. Schistes et poudingues.
Les schistes ardoisiers 1 représentent le, Silurien moyen, autrement dit
Ordovicien ou Armoricain; car, en certains points des Pyrénées, ils en
renferment la faune caractéristique.
Us alternent, à l'ardoisière de Campagna, avec de puissantes lentilles de
.1. ROUSSEL. — SUR LK PRIMAIRK DK CAMPAGNA-DE-SAULT 389
calcaire et de poudingue à galets de schiste, de quartz et de gneiss (le
granité n'y est point représenté).
L'étage 2 est fossilifère. On y trouve principalement : Orthoceras
Bohemicum, Cardiola interrwpta et Scijphocrinus elegaiis.
Les plus beaux fossiles sont sur le sentier qui longe la rive gauche du
ruisseau de Carapagna, en amont du village, près de l'ardoisière.
Le calcaire à goniatites 3 existe à ce niveau, dans les Pyrénées, en un
grand nombre de points : c'est un fait nouveau.
A Campagna, ce calcaire est bien caractérisé, dans le pli cl, sur le bord
de l'Aude et sur le chemin de Campagna à Fontanes. A 200 mètres au
sud du pic coté 1861 mètres, situé à l'ouest de celui d'Ourthizet, il est
sous forme de lentilles qui alternent avec des schistes.
L'étage 4 n'a pas une composition constante. Tantôt il se présente sous
la forme d'une dolomie noire à l'air et rude au toucher. Tantôt cette dolo-
mie passe à des schistes qu'on a de la peine à distinguer de ceux du
Silurien; car, comme ceux-ci, ils renferment des lentilles de calcaire et de
poudingue à galets de schiste et de quartz. Les dolomies et les calcaires
sont très développés sur les bords de l'Aude; mais on les voit passer, par
degrés, au schiste, lorsqu'on s'avance du côté de l'ouest; de telle sorte
qu'à Campagna, sur la rive droite du ruisseau, il n'en reste, dans l'aile
sud du pli d, que quelques lentilles pour servir de repère. Dans l'aile
nord de la ride, la dolomie se prolonge jusqu'à la rivière de Rebenty.
Les dolomies et les calcaires se remplissent de tiges d'encrines et de
fénestelles, notamment sur le chemin de Fontanes, à l'ardoisière, au
pic d'Ourthizet, au pic coté 1861 mètres, etc. Cet étage 4 représente pro-
bablement le Dévonien supérieur.
L'étage S, que j'attribue au Carbonifère, renferme de très importantes
lentilles de calcaire à goniatites et quelques lentilles de calcaire à Ortho-
cères. Ces derniers fossiles sont ordinairement empâtés et frustes.
Cependant, il existe un point où l'on peut les reconnaître; on le trouve
en suivant le sentier de la rive gauche du ruisseau de Campagna, à partir
du continent de ce ruisseau et de l'Aude, quelques pas après avoir passé
la vieille masure qui existe en ce point. Il renferme des poudingues par
endroits, notamment à Fontanes.
Les schistes 6 sont ceux qui, dans les Pyrénées, constituent la plus
grande partie du Carbonifère. Ils sont, le plus souvent, accompagnés de
poudingues à galets de schiste, de quartz et de gneiss.
Sur les bords de l'Aude, les étages 3, 4, a et 6 sont seuls visibles dans les
plis c et d. Pour trouver les étages 1 et 2, il faut aller jusqu'à Campagna.
En ce lieu, les couches dévoniennes sont fortement déviées, les plis
s'élargissent et le Silurien apparaît en masses puissantes sous le Dévonien.
390 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
M. M. &OÏÏIIDOI
Conservateur du Musée pyrénéen de Bagnères-de-Luchon.
LE MUSÉE PYRÉNÉEN DE BAGNÈRES-DE-LUCHON
— Séance du 2i septembre 1892 —
Notre époque a le goût des collections. On aime à voir, réunies et clas-
sées scientifiquement, les productions naturelles du globe. Collections
publiques ou privées, il en existe un grand nombre et partout. Luchon,
cette station thermale admirablement située au milieu de la haute chaîne
et privilégiée entre toutes, ne pouvait rester à l'écart du mouvement
général. Aussi a-t-elle son Musée, peu important encore, il est vrai, mais
qui n'en renferme pas moins déjà des choses intéressantes et uniques
pour la chaîne des Pyrénées, encore si peu connue, au point de vue géo-
logique principalement.
Au premier étage de l'aile gauche du Casino sont réunis les collections
et les plans en relief formant le Musée Lézat, ou Musée pyrénéen de Luchon.
Parmi les étrangers, baigneurs ou touristes qui, tous les ans, pendant
les beaux jours, affluent dans nos murs et vont rendre visite à l'œuvre du
regretté ingénieur Toussaint Lézat, bien peu de personnes sans doute en
connaissent l'historique et l'origine.
Il y a une quarantaine d'années environ, Lézat, qui s'occupait alors de
botanique, accomplissait la première ascension du grand pic Quairat
(3.059 mètres) au-dessus des glaciers de la vallée du Lys. Panorama d'une
beauté tellement captivante et si particulière que c'est en l'admirant, par
une belle journée d'été, que Lézat conçut le projet audacieux pour l'époque,
qu'il a si vaillamment exécuté depuis, de faire le plan en relief des mon-
tagnes de la Haute-Garonne. Chose difïïcile alors. A l'époque en effet où
il se mit à l'œuvre, les cartes de l'État-major n'étaient pas encore faites.
Il dut y suppléer et relever lui-même toute la région. Malgré les diffi-
cultés sans nombre qui, à chaque instant, dans une région aussi tour-
mentée, surgissaient sous ses pas, il ne douta jamais de la réussite. Aussi,
quels ne furent pas sa joie et son légitime orgueil, le jour où il mit la der-
nière main à ce remarquable travail!
Il représente une superficie de 25 kilomètres de large, sur 57 et demi
de long ; il est à l'échelle de j^, et forme un rectangle de S'^jSO sur
S'^jTS centimètres.
M. GOrUDON. — LE MUSKE l'YRÉXÉEN DE BAGNÈRES-DE-LUCHON 391
Les hauteurs, au contraire, sont un peu plus que doublées, pour conser-
ver à l'œil les illusions auxquelles nous nous laissons entraîner à l'aspect
des montagnes. Huit années ont été employées à sa confection, et les
dix-sept tables ou morceaux qui composent ce relief ont tour à tour été
portés à dos d'homme par ses guides, et les détails modelés par Lézat sur
le terrain même, après avoir fixé tous les points importants mathémati-
quement, à la boussole ou au graphomètre. Il n'est pas nécessaire, je sup-
pose, d'insister plus longuement sur la valeur et l'importance de l'œuvre
de l'éminent ingénieur : l'exactitude et la vérité de ses plans en relief
sont connues de tous ceux qui s'occupent de montagnes. Jamais on n'a
mieux rendu la physionomie pittoresque de nos Pyrénées.
Autour de cette œuvre capitale sont groupés les plans en relief des Pyrénées
centrales au -^^j^, de l'Aran à la vallée d'Aspe, celui des galeries souterraines
de l'établissement thermal, celui du cirque de Gavarnie et du vieux Luchon.
D'un autre côté, il convient de faire remarquer que, par sa position unique
au centre des Pyrénées de France, à proximité de celles de l'Espagne,
Luchon est un centre extrêmement important, au point de vue de la litho-
logie pyrénéenne : toutes les espèces de roches et de minéraux se trouvent
pour ainsi dire représentées dans ses montagnes. De vastes champs d'é-
tudes et de recherches y sont ouverts aux savants. Si l'exploration de ces
régions alpestres présente des difficultés, parfois même des dangers, le
naturaliste, quelles que soient ses études favorites, est toujours largement
dédommagé de ses fatigues par d'abondantes et intéressantes récoltes.
Pendant longtemps on regarda les Pyrénées centrales comme dénuées
de fossiles, surtout dans les terrains anciens. Grave erreur, dont le temps
et les recherches persévérantes devaient avoir raison tôt ou tard. Déjà,
\L Leymerie avait indiqué quelques gîtes fossilifères dans nos montagnes.
C'était un commencement. Au cours de mes excursions alpines, j'ai eu
la bonne fortune de découvrir bon nombre de nouveaux gisements fort
importants pour la détermination de l'âge des terrains anciens. Je signa-
lerai entre autres, sur le versant français, les gisements siluriens de Mon-
tauban-de Luchon, de Cazaril-Laspènes, de Montmajou et du Hont de
Barbât. Ceux de Bourg-d'Oueil, de Jurvielle, de Génost, des Honts des
Bicoulous, de Bern, de Cathervielle appartiennent au dévonien. Ces trois
derniers nous ont fourni une abondante et très précieuse série de Trilo-
bites, niveau à peu près inconnu jusqu'alors dans les Pyrénées.
En Aragon, les empreintes fossiles du plan des Étangs (base de la Mala-
detta) ont permis de rapporter enfin avec certitude au houiller moyen les
grauw^ackes micacées, du val de l'Essera, dont l'âge était si discuté. J'en
dois la détermination à M. R. Zeiller. Il fallait toute l'habileté de ce
paléontologiste pour nommer exactement ces débris assez frustes pour la
plupart. Non loin de là nous mettions la main sur des fossiles dévonien
392
GEOLOGIE ET MINERALOGIE
au pic d'Aguas-Passas, et précédemment les orthocères de la tusse des
Posets venaient fixer l'âge de cette partie du val d'Astos de Vénasque.
Grâce aux encouragements et aux conseils de mes savants collègues et
maîtres MM. de Lapparent, Ch. Barrois, de Saporta, j'ai continué mes re-
cherches. MM. Barrois et de Saporta ont bien voulu accepter la tâche difficile
d'étudier la plus grande partie de mes fossiles; et, dans ces derniers temps,
j'ai eu la satisfaction de voir plusieurs de nos localités devenir classiques.
Je ne saurais également passer sous silence M. G. Cotteau, le savant pa-
léontologiste auquel je dois l'étude très complète de la riche faune échi-
nitique de la Pobla de Roda (Aragon), absolument inconnue jusqu'alors.
Tous les ans, pendant les beaux jours principalement, le pays de Luchon
est visité non seulement par de nombreux savants, mais aussi par des
étudiants en vacances qui s'intéressent à ces questions et demandent à
voir les richesses naturelles de nos montagnes. Malheureusement, les col-
lections commencées par l'ingénieur Lézat, et auxquelles nous avons
ajouté une certaine quantité de spécimens, sont encore peu nombreuses
et mériteraient cependant d'être augmentées. Mais les ressources budgé-
taires ont fait jusqu'à présent défaut, et, malgré toute notre bonne volonté,
il n'a pas encore été possible de donner aux séries déjà commencées
toute l'importance qu'elles comporteraient. Rien, cependant, ne serait plus
facile que de faire récolter dans chacune des localités que nous venons
d'énumérer et dans bien d'autres. Mais, pour cela, il serait nécessaire que
le Musée de Luchon eût à sa disposition un budget régulier. Si nous ne
nous faisons pas illusion, les séries du Musée prendraient une importance
telle, que tout géologue, désireux de se rendre compte de la composition
des Pyrénées, serait obligé de venir de prime abord consulter les col-
lections du Musée de Bagnères-de-Luchon.
M. A. BiaOT
chargé ilc cours ;'i la Faculté des Sciences de Caen.
SUR LES TRIGCNIES JURASSIQUES DE NORMANDIE
— Séance du Si septembre 1892
Le genre Trigonia est représenté dans les assises jurassiques de Nor-
mandie par quarante-quatre espèces dont la plupart sont nouvelles ou
mal connues. Dans un travail que nous venons de terminer, nous avons
A. BIGOT. — SUR LES TRIGOMES JURASSIQUES DE .NORMANDIE 393
entrepris la revision de ces espèces, commencée par E.-E. Deslongchamps,
que la mort a empêché d'achever cette étude.
Nous avons laissé de côté les espèces portlandiennes du pays de Bray,'
bien connues grâce aux travaux de MM. de Loriol, Munier-Chalmas et
Pellat.
Les Trigonies jurassiques trouvées jusqu'ici en Normandie appartien-
nent à cinq sections : Costalœ, Undulatœ, Scmi-lœves, Scaplioideœ,
Clavellatœ.
La section des Costatœ comprend dix-neuf espèces, qui sont les sui-
vantes :
1. Triqonia bella, Lycelt, des calcaires à 4. Murchisonœ (Bajocien inlerieur).
2. T. Feuguerollensis, n. sp., du même niveau.
3. T. costata, Sow., des couches à A. subfurcatus (Bajocien supérieur). Cette
espèce, type de la section des Costatœ, est citée dans tout le Jurassique. Le type
de Sowerby provient de l'oolithe inférieure d'Angleterre et on doit restreindre
le nom de Tr. costata à l'espèce conforme aux figures données par Lycett.
4. T. lineolata, Agass., des couches à il. subfurcatus.
o. T. tenuicosta, Lycett, id.
6. T. angustula, E.-E. Desl. mss.. id.
7. T. bipartita, n. sp., id.
8. T. zonatai?) Agass. 1840 (= T. interlœvigata, Quenst., 1838;, des couches
à A. fuscus (Bathonien inférieur).
9. T. pullus, Sow., 182G (= T. Cassiope, d'Orb., 1849), des couches à .4. aspi-
doides (Bath. supérieur).
10. T. Langrunensis, E.-E. Desl., mss., des couches à A. aspidoides (Bath.
supérieur).
11. T. striatissima, E.-E. Desl., mss., des couches à A. aspidoides (Bath.
supérieur).
12. T. RanvilUana, E.-E. Desl., mss., des couches à A. aspidoides (Bath.
supérieur).
13. T. Castor, d'Orb. (= T. Cassiope, auct. non d'Orb.), des couches à
A. aspidoides (Bath. supérieur).
14. T. crista-galli, E.-E. Desl., mss., des couches à .4. aspidoides (Batli.
supérieur).
15. T. elongata, Sow., 1825 (= T. cardissa, Agass., 1840), des couches à
A. macrocephalus (Callovien) et cordalus (Villersien).
16. T. Œhlrrti, n. sp. (= T. Bachelieri, auct. non d'Orb.), des couches à
A. macrocephalus (Callovien).
17. T. Meriani, Agass., du Villersien.
18. T. Glosensis, n. sp., des couches à T. fironm (Argovien).
19. T. papillata, Agass., des couches à T. Bronni et du Ptérocérien.
La section des G/a6/-œ, d'Agassiz, doit être subdivisée en trois sections:
1« Semi-lœves, type T. Lingonemis, Dumortier, du Lias moyen ; autres
espèces: T. Beesleyam, Lyc, du Bajocien; T. Eudesi, n. sp., du Batho-
nien. — Répartition : Jurassique inférieur (Lias, Bajocien, Bathonien i.
394 GÉOLOGIE ET MINÉRALOGIE
Cette section comprend des espèces à aréa étroite, assez bien délimitée,
généralement lisse, quelquefois ornée de côtes obliques, sans carène
interne, médiane ou marginale, à écusson bien délimité. Les flancs sont
lisses, sauf dans le jeune âge; dans l'adulte, ils présentent du côté anté-
rieur des côtes nombreuses, serrées, parallèles au bord palléal.
2° Gibbosœ, type T. Gibbosa, Sow., du Porllandien ; autres espèces:
T. Actœon, Mun.-Ch.; T. Edmundi,Mun.-Ch.; T. Oustaleti, Mun.-Ch.;
T. More H, Mun.-Ch.; T. Curmnntensis , de Loriol, du Jurassique supé-
rieur; T. Otnedensis, Lyc, de l'Infra-Lias d'Espagne. — Répartition: une
espèce dans l'Infra-Lias d'Espagne ; maximum dans le Jurassique supé-
rieur (Kimméridien et Portlandien). Les espèces de cette section sont
subarrondies, les crochets sont rapprochés de la ligne médiane ; l'aréa
étroite ne présente que des stries transverses ; sa séparation en deux
moitiés est généralement peu accentuée, marquée par un sillon et non
par une carène ; la carène marginale est absente ou presque effacée. Les
flancs sont quelquefois lisses, séparés par un sillon oblique, plus ou
moins marqué, en deux parties inégales, l'antérieure très large, la posté-
rieure très étroite. Les côtes qui ornent généralement les flancs sont
normalement ^wôercM^ewses; elles sont limitées à la partie antérieure des
flancs et s'arrêtent au sillon qui la sépare de la partie postérieure ; leur
direction est tantôt parallèle, tantôt fortement oblique au bord palléal .
3" Excentricœ, type: T. excentrica, Sow., du Cénomanien (= T. afji-
nis, Sow.); autres espèces: T. Boloniemis. de Loriol, du Kimméridien;
T. lœviuscula, Lyc. du Cénomanien. — Répartition : Jurassique supé-
rieur (Kimméridien) et Crétacé (Cénomanien). Les quelques espèces de cette
section que nous connaissons se distinguent des Gibbosœ par leur forme
plus allongée, leur aréa lisse, se confondant avec l'écusson, l'absence de
toute séparation entre l'aréa étroite et les flancs; les côtes qui ne sont
jamais tuberculeuses sont parallèles au bord palléal et traversent toute
la largeur des flancs, ne disparaissant que sur l'aréa qu'elles traversent
même dans le jeune âge.
Une seule de ces sections, celle des Semi-lœves, est représentée dans
les couches à A. aspidoides (Bathonien supérieur) de Normandie par une
espèce nouvelle, T. Eudesi.
Le groupe des Undulatœ est restreint aux espèces dans lesquelles les
ornements des flancs, côtes ou rangées de- tubercules, présentent dans
leur trajet une déviation brusque, produisant un angle dont le sommet
est dirigé vers le bord palléal. Ce groupe des Undulatœ est représenté
dans le Bathonien supérieur de Normandie par trois espèces :
21. T. Clytia, d'Orb.
22. T. detrita, Terq. et Jourdy.
23. T. Eugenii, n. sp.
A. BIGOT. — SUR LES TRIGONIES JURASSIQUES DE NORMANDIE 395
Dans le groupe des Scaphoideœ, restreint dans les limites proposées par
M. Choffat, se rangent:
24. T. Bathonica, Lycett, du Bathonien supérieur.
25. T. Bergeroni, n. sp., id.
26. T. Baijlei, Dollf., du Ptérocérien.
Dans la section des Clcwellatœ nous faisons rentrer, comme l'a proposé
M. Choffat, un certain nombre d'espèces, telles que la T. Painei, Lycett,
T. flecta, Morr. et Lycett, que l'on classe parfois dans les Undulatœ.
Ainsi comprises, les Clcwellatœ normandes fournissent dix-huit espèces
qui sont :
27. T. striata, Sow., des couches à A. Miircliisonœ.
28. T. formosa, Lycett, id.
29. T. Moutierensis, Lyc, des couches à A. subfurcatus.
30. r. flecta, Morr. et Lyc, du lîathonien supérieur.
Ces quatre espèces sont remarquables par leur forme subquadraugu-
laire, le développement de leur aréa, leurs rangées de tubercules très
serrées, des crêtes transversales situées entre les rangées de tubercules du
côté antérieur :
31. T. Adeli, n. sp., du Bajocien supérieur.
32. T. Painei, Lycett, du Bathonien moyen, forme intermédiaire entre les
Clavellatœ et les Undulatœ.
33. T. Scarburgensis, Lycett, du CaUovien inférieur, espèce qui existe dans
le « Cornbrash » d'Angleterre.
34. T. Bizeti, n. sp., du CaUovien inférieur.
33. T. Heberti, n. sp. (=: T. davellala, Héb. non Park. Sow.), à laquelle nous
donnons un nom nouveau dans l'impossibilité absolue où se sont trouvés les
auteurs de savoir ù ([uelle espèce doit être attribué le nom de davellata.
La T. Heberti est une espèce du Villersien.
36. T. perlata, Agassiz, du même niveau.
37. T. Woodwardi, Lycett, des couclies à Nud. scAitaius (Oxfordien sup.).
38. T. Bronni, Agass., des sables et grès coralliens et de l'Astartien.
39. T. Morieri, n. sp., des couches à N. scutatus.
40. T. Fisdieri, n. sp., id.
41. T. Jarryi, n. sp., id.
42. T. Kerfornei, n. sp., des calcaires coralliens.
43. T. Choffati, n. sp. (= T. muricata, auct. non Goldf.). Cette espèce, très
commune dans le Ptérocérien, est unanimement rapportée à T. muricata,
Goldf., dont le type est de Torre-Vedras (Portugal) ; M. Choffat ayant publié
une nombreuse série de figures de l'espèce de Goldfuss, d'après des échantillons
provenant des couches à Pholadomya Protêt du Portugal, il est facile de se con-
vaincre que la Trigonie du Havre et de Criquebeuf n'a aucun rai)port avec la
r. muricata ; nous assignons à l'espèce du Ptérocérien de Normandie le nom de
r. Choffati.
396
BOTANIQUE
Ai. T. Pellali, Miin.-Ch. Le type de cette espèce est du Portlandien moyen.
M. de Loriol la cite dans le Virgulien de la Haute-Marne ; sa présence bien
constatée au Havre et à Villerviile fait descendre l'époque de son apparition
jusqu'au Ptérocérien.
Toutes les espèces que nous venons de signaler seront figurées dans
notre travail, accompagné de dix planches in-4°.
M. Gaston BOIJIIER
Professeur à la Sorbonne, ;i Paris
LA FLORE DES PYRENEES COMPARÉE A CELLE DES ALPES FRANÇAISES
— Séance du 16 septembre IS92 —
Ayant fait des excursions botaniques, presque tous les ans, dans les
Alpes et les Pyrénées, de 1869 à 1891, j'y ai noté en un grand nombre
de points la distribution relative des espèces. Des voyages botaniques en
Scandinavie, en Suisse, dans les Alpes autrichiennes et dans les Carpathes,
m'ont permis de comparer cette distribution avec celle des plantes de
ces autres parties montagneuses de l'Europe. La question de la comparai-
son entre la flore des Pyrénées et celle des Alpes ayant été posée cette
année au Congrès de Pau, je saisis cette occasion pour exposer les résul-
tats principaux d'un travail que je prépare depuis longtemps sur ce sujet.
Ce n'est pas en superposant deux catalogues de plantes, l'un des Alpes
françaises et l'autre des Pyrénées, ni en mettant en regard le nombre des
espèces de chaque famille dans les deux flores, que l'on pourra avoir des
résultats complets et intéressants. Ainsi que je l'ai fait remarquer déjà
dans d'autres travaux, il faut observer la distribution relative de toutes les
plantes et ce sont même souvent les espèces les plus répandues qui four-
nissent les résultats les plus remarquables. Il va sans dire que la nature
géologique du sol, son exposition, et le climat général de la région, sont
partout à considérer. Mais il n'y a pas que les observations qui puissent
jouer un rôle dans cette étude comparative. Les expériences de culture
que l'on peut faire, soit en semant ou plantant les végétaux des Pyrénées
dans les Alpes ou réciproquement, soit en cultivant les mêmes espèces à
des altitudes différentes, peuvent servir à élucider certains faits que l'ob-
G. BONNIER. — FLORES DES PYRÉNÉES ET DES ALPES 39"
servation seule ne permet pas de comprendre. J'ai fait quelques essais
de cultures expérimentales tantôt dans de petits champs spéciaux, tantôt
en difîérents points de la réj^ion alpine ou de la région subalpine.
C'est le résumé des résultats que fournissent à la fois les observations
comparées et les cultures expérimentales, que je présente aujourd'hui au
Congrès .
LES DIVERSES REGIONS BOTANIQUES DANS LES ALPES ET DANS LES PYRÉNÉES
Il faut d'abord mettre à part la fraction des Alpes françaises et les parties
des Pyrénées qui sont comprises dans la région méditerranéenne ou dans
la région de l'Ouest. Dans les Alpes, le Pin maritime et le Pin d'Alep,
ainsi que la culture de l'Olivier, caractérisent suffisamment la région
méditerranéenne. Il en est de même dans les Pyrénées Orientales, où l'on
peut la considérer aussi comme caractérisée par le Chêne-liège, qui s'a-
vance jusqu'à Prades, Céret et même non loin de Montlouis.
La région occidentale, qui s'étend depuis le golfe de Gascogne jusqu'à
Tardets et Saint-Jean-Pied-de-Port, est caractérisée par le Chêne Tauzin (1)
ou, plus près de la mer, par le Chêne occidental. Une Bruyère, leDaboecia
poli fol ia, est aussi presque exclusive à cette région. Ces deux régions mises
à part, le reste de la flore des Pyrénées et des Alpes présente des caractères
communs si frappants qu'on ne saurait en déterminer les régions que
par les zones d'altitude relative. Ce sont, d'une manière générale :
1° La zone inférieure des montagnes, qu'on a appelée aussi zone des
vallées profondes ou zone des cultures, et qu'on pourrait nommer le plus
souvent zone des chênes. Le Quercus Bobur y est, en effet, répandu d'une
manière générale. Parmi les arbres, c'est aussi dans cette zone qu'on
trouve l'Aulne glutineux, le Peuplier noir, le Saule Marsault, le Saule
blanc et le Noisetier, arbres qui ne dépassent presque jamais la limite
inférieure des forêts de sapins. On peut citer parmi les espèces très ré-
pandues, limitées à cette zone à la fois dans les Alpes et dans les Pyré-
nées, les plantes suivantes :
Helleborus fœlidus, Prunus spinosa, Crotœgus Oxtjacantha, Amelanchier vulgaris,
Carlina acaulis, Scrofularia canina, Globularia nudicaulis, Buxus sempervirens et
Melica nebrodensis.
2° La zone subalpine, dont le Sapin blanc (Abies pectinata) est l'arbre
commun aux Alpes et aux Pyrénées le plus caractéristique, s'étend au-des-
sus de la région précédente jusqu'à la base des hauts pâturages alpins.
(1) Il faut excepter le petit cantonnement de Quercus Tozza qu'on trouve aux environs de Mont-
louis et dont je parlerai plus loin.
398 BOTANIQUE
C'est là que dominent le Hêtre, le Bouleau et le Pin silvestre, ainsi que
le Sureau à grappes, le Sorbier des oiseleurs, le Cerisier à grappes et
l'Orme des montagnes. On ne trouve presque plus de cultures dans cette
zone, sauf quelques rares champs de pommes de terre ou d'orge. Parfois
la zone subalpine ne peut être déterminée au moyen des arbres précé-
dents lorsqu'elle est occupée exclusivement par des prairies ou par des
rochers qui relient, en apparence d'une manière insensible, la zone infé-
rieure à la zone alpine ; c'est ce qui se produit souvent sur les versants
très abrupts ou sur ceux qui sont exposés au sud. On doit alors avoir
recours à d'autres espèces caractéristiques, qui se trouvent aussi dans les
forêts de Sapins, et parmi lesquelles on peut citer les suivantes :
Aconitum Lycoctonum, Géranium silvaticum, Epilobium spicatum, Spirœa Arun-
cus Astrantia major, Prenanthes purpurea, Cirsium monspessulanum, Campanula
palula et Veronica urticœfolia.
3° La zone alpine inférieure, qui comprend les hauts pâturages des
Alpes et qui est ordinairement caractérisée par les Rhododendrons et la
variété alpine du Genévrier. On y trouve aussi le INerprun des Alpes, le
Cotoneaster et le Chèvrefeuille des Alpes.
Tous ces arbustes sont peu élevés, plus ou moins rabougris et souvent
aplatis sur le sol. On peut citer en outre, parmi les très nombreuses plantes
caractéristiques de cette zone les espèces suivantes, communes aux Alpes
et aux Pyrénées :
Anémone alpina, Cardamine resedifolia. Silène acaulis, Trifolium alpinim, Dryas
octopetala, Alchimilla alpina, Sdxi.fraga oppositifolia, Homogyne alpina, Vuccinium
uliginosum, Primula farinosa, Pedicularis verticillala, Plantago alpina, Nigritella
angusiifolia, Juncus irifidus, Carex sempervirens, Festuca Halleri, Poa alpina et
Allosorus crispus.
4° La zone alpine supérieure, qu'on nomme aussi quelquefois zone gla-
ciale et qui s'étend à la base de la région des neiges perpétuelles, attei-
gnant parfois même jusqu'au sommet des plus hauts pics.
Cette zone est souvent difficile à limiter par rapport à la précédente:
aussi les réunit-on parfois toutes les deux simplement sous le nom général
de zone alpine.
Il n'y a plus d'arbres ni d'arbustes dans cette zone, et l'espèce qui la
caractérise le mieux, à la fois dans les deux chaînes de montagnes, est
le Ranunculus glacialis. On peut citer encore, parmi les plantes très ré-
pandues, les espèces suivantes :
Braba frigida, Cherleria sedoides, Arenaria ciliata, Artemisia nmlellina, Erige-
ron uniflorus, Androsace pubescens, Gregoria vitaliana, Luzula spicata, Poa laxa
et Oreochloa disticlia.
G. BONNIEK. — FLORES DES PYRÉNÉES ET DES VLPES 399
II
VARIATIONS DANS LA DISTRIBUTION DES PLANTES TRÈS RÉPANDUES
Les plantes dominantes, formant pour ainsi dire le fond de la végéta-
tion, peuvent être distribuées d'une manière différente dans les deux
chaînes de monta£:;nes, ou même, très répandues dans l'une d'elles et faire
complètement défaut dans l'autre.
Dans la région méditerranéenne, le Pin d'Alep, qui existe dans les
parties basses des Alpes-Maritimes, manque totalement dans les Pyrénées.
Les plantes caractéristiques de la région occidentale, telles que le Chêne
Tauzin et le Chêne occidental, si répandus dans une partie des Basses-
Pyrénées, n'existent pas, au contraire, dans les Alpes.
En dehors de ces deux régions, passons successivement en revue les
diverses zones d'altitude relative que nous avons caractérisées précé-
demment. Dans la zone inférieure des montagnes, on peut tout d'abord
signaler le Charme, comme une espèce intéressante par sa distribution.
II est très commun dans toute la chaîne des Alpes françaises, sauf dans
le sud-est. Sa limite méridionale et occidentale passe par Saint-Gervais,
Bourg-Saint-Maurice, Saint-Jean-de-Maurienne, le Bourg-d'Oisans, le sud
de Vizille et le Vercors.
Dans les Pyrénées, au contraire, le Charme est presque inconnu : on
en trouve seulement un certain nombre de pieds localisés aux environs
de Foix, de Bagnères-de-Bigorre et de Saint-Jean-Pied-de-Port.
Le Buis, si répandu dans un certain nombre de vallées des Pyrénées,
où il devient même parfois presque exclusif, est au contraire peu répandu
dans les Alpes, où on le trouve rarement en abondance, comme cela se
produit au nord de Voreppe par exemple.
Le Rumex scutatwi, limité dans la région inférieure des Pyrénées, où
il est extrêmement abondant, a dans les Alpes françaises une distribution
toute autre. On l'y rencontre abondamment dans la région subalpine, et
souvent même dans la région alpine, comme dans les Alpes de Savoie.
Les différences sont encore plus grandes dans la distribution des plantes
dominantes de la zone subalpine.
Sauf YAbies peclinata et le Pinus silvestris, on peut dire que les
forêts de Conifères caractéristiques de la région des sapins sont cons-
tituées par des espèces différentes dans la chaîne des Alpes et dans celle
des Pyrénées.
L'Epicéa (Picea excelsa) est répandu dans toute la chaîne des Alpes et
c'est cet arbre qui y forme le plus souvent les forêts de sapins. II est tel-
lement disséminé dans toutes les régions des Alpes, qu'on peut dire que
la carte de sa distribution, depuis les Alpes de Nice jusqu'au lac de
400 BOTANIQUE
Genève, y représente l'étendue de la zone subalpine. Cette espèce si ca-
ractéristique fait complètement défaut dans les Pyrénées. C'est à peine si
Lapeyrouse a pu le comprendre parmi les végétaux pyrénéens, grâce aux
quelques pieds qui ont été rencontrés à la base de la Maladetta. L'admi-
nistration forestière a tenté, sans succès, par exemple aux environs de
Guchen, d'introduire l'Epicéa dans les forêts des Pyrénées.
Remarquons, à ce propos, que le fait général de l'absence de l'Epicéa
dans les Pyrénées semble fort peu connu.
La flore de Grenier et Godron l'indique à tort comme existant
dans les Pyrénées au même titre que dans les Alpes, et cette erreur est
précisée d'une manière particulière dans le récent atlas de M. Drude. Cet
auteur représente en détail la limite de l'extension de l'Epicéa, limite qui
englobe tout le Plateau central, où cet arbre n'existe pas, et comprend
toute la région pyrénéenne, où nous avons vu qu'il fait également défaut.
On ne peut s'expliquer une semblable erreur, marquant les contours dé-
taillés de la distribution d'une espèce qui n'existe pas, que par une con-
fusion avec une autre espèce. Ne serait-ce pas simplement la synonymie
des Conifères qui en fournirait l'explication, et n'a-t-on pas pris le Sapin
blanc {Abies pccf.mata DC = Pinus Picea L.) avec l'Epicéa (Abies ex-
celsa DC = Pmus Picea Duroi (nonL) = Pinus Abies L = Picea excelsa) ?
Le Mélèze (Larix eui-opœa), quoique moins répandu que l'Epicéa, cons-
titue d'importantes forêts dans les Alpes françaises, surtout dans la partie
orientale. La limite occidentale dans les Alpes passe à peu près par
Saint-Jean-de-Maurienne, le Dauphin, la Mure, Veynes, Digne, Castellane
et Puget-Théniers. Cet arbre manque absolument dans les Pyrénées.
Le Pin silvestre, y compris le Pinus uncinata, est répandu, presque
partout dans les Alpes, et si on ne tient pas compte des endroits où il a
été planté, on ne le trouve dans les Pyrénées que dans la partie tout à fait
orientale, dans les vallées d'Arreau et de Luchon, et dans la région située
au sud de Lourdes. La lutte pour l'existence paraît s'être établie entre cet
arbre et les autres d'une manière assez différente dans les deux chaînes.
Tandis qu'en Dauphiné on le rencontre à l'état spontané, souv» nt très
répandu dans la région inférieure des montagnes, dans les Pyrénées il
grimpe, au contraire, jusque dans la région alpine, bien au-dessus des
forêts de sapins, comme aux environs du lac d'Orrédon ou encore dans
les parties hautes de Moudang et du Uioumayou.
L'If (T'ixus baccata), cette Conifère qui semble actuellement en voie
de disparition et dont on n'a guère signalé que quelques pieds isolés dans
la partie méridionale des Alpes, constitue ennore quelques groupes boisés
importants dans les Pyrénées, dans la foret d'Irati ou encore entre Ga-
varnie et Panticosa.
Le Hêtre est, avec le Sapin blanc, l'espèce qui est la plus uniforme-
G. IJO.NMKll. — hL(llU:S Di;S l'VltK.NEES ET DES ALl'ES 4U 1
ment répandue dans la zone subalpine des deux chaînes de montagnes.
11 ne fait défaut dans les Alpes qu'aux environs d'Aiguilles, de Brianr-on
et de Modane. Dans les Pyrénées, il ne manque qu'au sud de Montlouis,
dans un cantonnement où il est exactement remplacé par le Chêne Tau-
zin. C'est là un exemple très net de remplacement d'espèce.
Parmi les espèces herbacées très répandues, on peut de même signaler
les quelques exemples qui suivent :
C'est ainsi que le Meconopsis cambrica, si répanrJu dans les endroits
humides ou ombreux de la zone subalpine des Pyrénées, et Vlris xij-
phioides, si fréquent dans beaucoup de prairies pyrénéennes, ou encoi'e le
Ramondia, dont les rosettes violacées abondent sur les rochers, sont dos
plantes inconnues dans la flore des Alpes.
Inversement, on peut citer dans les Alpes les Achillca dentifera et /y/(/-
croplujlla, Hieracium Jacquini. Campanula rhotiiboidalis, Gentiana asc/e-
piadea et de nombreuses autres plantes subalpines qui n'existent pas
dans les Pyrénées.
Dans la partie inférieure de la zone alpine des Pyrénées, certaines
plantes remplacent très souvent le Rhododendron. 11 suffit de voyager
une seule fois dans cette chaîne de montagnes pour être frappé par l'as-
pect de ces immenses étendues de Fougère-Aigle (Pteris aquilina) ou de
Bruyère (CaUuna vulyaris) qui couvrent la base de la zone alpine sur de
très grandes surfaces au-dessus des derniers sapins.
La Fougère-Aigle, dans les Alpes, bien loin de s'étendre ainsi dans la
région alpine, n'atteint même pas la base de la région subalpine. Lors-
qu'elle y est représentée, ses limites sont à peu près celle du Chêne. Quant
à la Bruyère, beaucoup moins fréquente dans les Alpes que dans les Py-
rénées, elle ne s'y élève que rarement à de hautes altitudes.
Le Rhododendron, qui se trouve ainsi lutter contre ces deux espèces
dans les Pyrénées, paraît parfois rejeté à des altitudes relatives moindres,
et on l'y rencontre souvent en abondance dans les forêts de sapins ; tandis
que, dans les Alpes, sauf en certains points de la chaîne du mont Blanc,
cet arbuste délimite ordinairement une sous-zone très nette.
Parmi les espèces herbacées de la région alpine, on peut prendre comme
exemple de distribution inégale le Teucrium pjjrenaicwn, rare dans les
Alpes et si comnmn dans les Pyrénées, où il descend jusque dans les
vallées profondes; ou encore Vllypericiim nummularium, comnmn sur
tous les rochers humides de la région alpine inférieure pyrénéenne, et bien
moins répandu dans les Alpes, où sa distribution en altitude est différente.
Il y a des pâturages ou des rochers de la région alpine pyrénéenne qui
sont couverts de très nombreuses espèces de Saxifrages inconnues dans
les Alpes (Saxifraga geranioides, S. ascendens, S. capitata, S. ajugœfolia,
S. longifolia, S. arctioides, etc.), tandis que, au contraire, bien des espèces
-26*
402 BOTANIQUE
du genre Androsace {A. helvelica, A. imbricata, A. lactea, A. obtusifolia,
A. septentrionalis, A. Chaixii, etc.), couvrent de leurs rosettes toufiues
beaucoup de rochers et de pâturages alpins dans les Alpes, et font défaut
dans les Pyrénées.
III
ESPÈCES QUI SE COHUESPONDENT DANS LES ALPES ET DANS LES PYRÉNÉES
Je viens de citer dans les genres Saxifraga et Androsace les espèces
spéciales aux Alpes et les espèces spéciales aux Pyrénées. Certaines de ces
plantes peuvent être considérées comme se remplaçant l'une l'autre dans
les deux chaînes de montagnes. En comparant les végétaux voisins qui ont
une distribution assez analogue, on peut mettre en regard les plantes des
Alpes françaises et celles des Pyrénées qu'on peut regarder comme corres-
pondantes :
ALPKS
Alijssmn flexicaule.
A. hulimifolium.
Viola calcarata.
Géranium aconitifolium .
G. argentemn.
Vicia sdvatica.
Potenlilla nitida.
P. frifjida.
Erynijiuin alpinum.
E. Spina-alba.
Galiam helvetictun .
G. mcgalospcrnium, etc.
Asperula longiflora.
Vuleriana ttiberosa .
Scnccio galliciis.
( 'irsiuin spinosissimum.
Bhapunticum helenifoliuni.
Genliana havurica.
G. pKiKitdu.
Veronica Allionii.
Pedicularis incariiala.
P. fasciculata.
P. gyroflexa.
Rumex arifoliiis.
Bulbocodium vernum.
Fritillaria delphinensis.
Lilium croceum.
Carex pauciflora .
PYRENEES
Alyssum Lapegrousianum.
A. pyrenaicum.
Viola corntda.
Géranium pratense.
G. cinereum.
Vicia pyrenaica.
PotentiUa alchimilloidcs.
P. pyrenaica.
Eryngiwn Bourgati.
Galiam cœspilosam.
G. cumeterrliizon, etc.
Asperula hirta.
V(dcriana globulariœfolia.
Senecio adon idifulius .
Carduas cariinoides.
Rhaponticum cynaroides.
Genliana pyrenaica.
G . Buiseri .
Veronica nummularin.
Veronica Ponœ.
Pedicularis pyrenaica.
P. comosa.
Rumex amplexicaulis.
Merendera Bulbocodiu m .
Fritillaria pyrenaica.
Lilium pijrenaicuin.
Carex pyrenaica.
A côté de ces espèces correspondantes, on pourrait mettre en regard
un très grand nombre de formes, les unes des Alpes, les autres des
G. BO.NMER. — FLORES DES PYRÉNÉES ET DES ALPES 403
Pyrénées, mais qui ne sont ordinairement considérées que comme des
variétés. 11 n'y a même parfois que de simples variations entre la plante
de l'une et de l'autre chaîne de montagnes. C'est ainsi que VAconiluni
pyrenaicum n'est qu'une forme de VA. Lijcoctonum, ou encore que V Adonis
pyrenalca, récemment découvert par M. Reverchon dans les Alpes-Mari-
times, se distingue de la plante pyrénéenne par quelques caractères tout
à fait secondaires. On pourrait citer plusieurs centaines d'exemples ana-
logues .
Si l'on considère les plantes correspondantes comme ayant une ori-
gine commune, ces variations prennent un intérêt très grand, et parmi
les espèces citées plus haut, celles appartenant aux genres Galium, Vale-
riana, Fritillaria ou Carex, sont certainement très voisines. Leurs diffé-'
rences. plus grandes que celles de simples variétés, sont cependant bien
moins grandes que celles qui séparent les autres espèces mises en regard.
D'ailleurs, la lutte pour l'existence peut s'établir aussi entre espèces
appartenant à des genres très différents. C'est ainsi que le botaniste qui
vient des Alpes, habitué à trouver sur les rochers certaines espèces telles
que ï Hedysarum obscurum, le Lepidium rotundifoUum, etc., est étonné,
en parcourant les Pyrénées, de voir à leur place le Reseda glauca, le Pa-
ronychia polygonifolia, etc. Toutefois, la liste précédente garde son inté-
rêt, car elle met en regard des formes très comparables qui sont chacune
exclusives à la chaîne de montagnes à laquelle elles appartiennent.
IV
EXPÉRIENCES DE CULTURES
Le climat de la chaîne des Pyrénées n'étant pas tout à fait le même
au point de vue de la distribution des pluies et de la température, on
peut se demander si les conditions actuelles de milieu n'agiraient pas
dune manière différente sur une même plante donnée. J'ai comparé,
dans ce but, les résultats obtenus dans les cultures expérimentales éta-
blies comparativement à diverses altitudes dans les Alpes et dans les
Pyrénées. La plupart des plantes ainsi cultivées étaient des plantes de
plaine qui tolèrent toutes les altitudes et qu'on trouve jusque dans la
région alpine supérieure, telles que : Lolus corniculalus, Taraxacum
Dens-leonis, Thymus Sevpyllum, Rubus idœus, Achillea Mille folium, Ranun-
culus acîis^ etc., etc. (Ij.
A des altitudes où la somme des températures pendant la saison est
sensiblement la même, les modifications internes et externes, anato-
(\) Voyez G. BCUNMER, Cultures expérimenlales dans les Alpes et ki Pyrénées {Revue générale de
Botanique, 1890, p. 313).
404 BOTANIQUE
iniques et physiologiques, se sont produites d'une manière très analogue.
On ne saurait donc chercher dans l'influence actuelle du milieu physique
la cause des difl"érences observées, différences qui d'ailleurs, il faut bien
le dire, sont beaucoup moins nombreuses que les ressemblances.
Dans un autre ordre d'idées, on peut se demander si des graines de
plantes transportées de l'une des chaînes dans l'autre, et venant tomber
au milieu de la végétation déjà établie, installeront facilement de nou-
velles espèces. Autrement dit, s'il était possible d'imaginer que l'on
brassât ensemble toutes les graines des plantes des Alpes avec celles des
Pyrénées, et que l'on put faire tomber ce mélange sur les deux chaînes
de montagnes recouvertes de leur végétation actuelle, les deux flores
seraient-elles rapidement uniformisées?
Les expériences suivantes semblent prouver que non. J'ai essayé, en
plusieurs points des Alpes, de naturaliser par semis, sans toucher au sol,
des plantes spéciales aux Pyrénées et qui y poussent dans des endroits
absolument analogues. J'ai essayé réciproquement de semer, en certains
points de la chaîne des Pyrénées, des plantes similaires spéciales aux
Alpes. Ni dans l'un, ni dans l'autre cas, les quelques plantes qui ont
germé ou même fleuri n'ont pris d'extension sérieuse. Elles paraissent
toutes refoulées par la végétation déjà établie, et la naturalisation d'au-
cune d'elles ne semble certaine.
C'est ainsi que le Viola cornuta, semé près d'un chalet abandonné dans
les Alpes vers 2.000 mètres d'altitude, s'est localisé dans un terrain où ne
se trouvaient pas de plantes alpines et n'a pas pu prospérer dans les
prairies alpines voisines où poussait en abondance le Viola calcaraia.
J'ai échoué plus encore dans les essais de naturalisation du Vicia pyre-
naica, du Carduus carlinoides, du Veronica nummularia et, à des altitudes
d'environ 700 mètres, du Senecio adonidifolius. Réciproquement, les semis
de graines de Galium helveticuni, de Cirsium spinosisdmum et de Lilium
croceum n'ont donné dans les Pyrénées que quelques plantes germant,
celles de la seconde espèce ayant seules donné des fleurs.
Ces résultats négatifs s'expliquent assez bien lorsqu'on réfléchit, d'une
part, que presque partout le sol est déjà préalablement occupé par les
rhizomes et les racines des plantes indigènes, et, d'autre part, que ces
plantes étant toutes vivaces, leur germination se fait le plus souvent dans
des conditions difliciles (1).
Ainsi donc, quand bien même des graines, dans le même milieu
actuel, tomberaient à la fois sur les deux chaînes de montagnes, elles
[il Pour meure en évidence ce dernier point, j'ai semé en différents endroits des Alpes et des
Ipyrénées, à des altitudes ne dépassant pos l.SOO mètres, des plantes annuelles ou bisannuelles
leUcs que : Echium vulgare, Verbctscum Thapsiis, Arenaria serpulUfolia, Poa annua, etc.; et ces
plantes, depuis 188A, se sont assez bien développées en certains endroits, en se reproduisant par
graines chaque année.
G. BONNIER. — FLORES DES PYRÉNÉES ET DES ALPES 40à
auraient à compter avec la lutte pour l'existence qui s'établirait entre
elles et les espèces déjà établies. On peut prévoir que le plus grand
nombre d'entre elles succomberaient dans celte lutte.
CONCLUSIONS
Il résulte de tout ce qui précède que la chaîne des Alpes et la chaîne
des Pyrénées présentent à leurs diverses altitudes des conditions actuelles
de milieu physique qu'on peut considérer comme identiques ; mais, qu a
côté d'un grand nombre de plantes qui offrent les mêmes caractères, il
s'en trouve beaucoup qui sont différentes; et, fait plus important encore
à noter, que les espèces identiques se distribuent souvent, dans chacune
des deux chaînes, d'une manière qui n'est pas la même.
Isolées, dans un terrain préalablement déblayé de toute culture et
convenablement sarclé chaque année, les mêmes plantes subissent dans
les deux groupes de montagnes, les mêmes modifications. Mais, placées
en lutte avec les espèces indigènes, elles s'y comportent différomment et
sont inégalement refoulées par les espèces déjà établies.
Bien que l'origine de la chaîne des Alpes soit tout autre que celle de
la chaîne des Pyrénées, la géologie nous apprend qu'à l'époque gla-
ciaire une communication a dû s'établir pendant longtemps entre les deux
chaînes. Si donc cette jonction et les conditions actuelles du milieu peu-
vent expliquer les similitudes qu'on observe entre les deux flores, ce ne
serait qu'à l'histoire différente de la lutte pour l'exi'stence dans les Alpes
et dans les Pyrénées qu'on pourrait attribuer la cause des différences. On
comprend facilement, en effet, que les espèces qui avaient été repoussées
en dehors de l'extension des glaces ont dû, en remontant peu à peu sur
ces montagnes corrodées par les érosions glaciaires, se trouver placées
pour la lutte, de part et d'autre, dans des conditions différentes.
Si l'on consulte les documents paléontologiques, on voit d'ailleurs que
les formes végétales ont bien peu varié depuis l'époque glaciaire, et que
c'est surtout leur distribution qui a été profondément modifiée.
D'après ce qui vient d'être dit, il ne serait donc même pas nécessaire
de supposer qu'il s'est créé depuis l'époque glaciaire des espèces pyré-
néennes de premier ordre, ou des espèces nouvelles spéciales aux Alpes.
Tout en admettant qu'il a pu. se produire, depuis cette époque relative-
ment récente, des changements dans les formes ou les variétés, les
conditions dans lesquelles ont dû s'établir les deux flores suffisent pour
faire comprendre comment elles ont pu se distribuer d'une manière assez
différente dans deux milieux presque identiques.
406
BOTANIQUE
MM. COSTAIfTIÏ et DUFOÏÏR
Maître de Conférences Dirertenr-adjoint du Laboraloire de Biologie
à rÉcole Normale supérieure, à Paris. de Fontainebleau (1).
OBSERVATIONS SUR |,A MOLE, CHAMPIGNON PARASITE DU CHAMPIGNON DE COUCHE
— Séance du 16 seplemhre IS92 —
Dans les carrières des environs de Paris, où il est l'objet d'une culture
en grand, le champignon de couche est fréquemment attaqué par une
maladie à laquelle les champignonnistes donnent le nom de mo/Ie. Tel est
le nom que nous avons employé dans une Note présentée à l'Académie
des Sciences (2).
M. Prillieux (3) a fait remarquer, avec juste raison, que les champignons
attaqués ne sont pas mous, et il pense que l'orthographe véritable doit
être mole, faisant dériver ce nom du latin mole.s, masse, les échantillons
malades ayant souvent, comme nous le verrons plus loin, l'aspect d'une
masse informe.
Diverses recherches bibliographiques nous ont conduit à admettre
comme très vraisemblable cette étymologie, mais à écrire ce mot môle,
seul mot qui soit dans les dictionnaires i\).
La maladie peut affecter les champignons de deux façons bien différentes.
Dans un premier cas, le champignon n'est que peu altéré dans sa
forme; on y distingue bien différenciés, pied, chapeau et lames. Celles-ci,
cependant, au lieu d'être droites, sont irrégulièrement ondulées, et à leur
surface on voit des fdaments blanchâtres qui appartiennent au parasite.
Ajoutons que la déformation peut être plus grande ; par exemple, le cha-
peau est plus irrégulier et parfois développé d'un côté seulement; le
pied est généralement plus épais et plus court.
(1) Ce travail a été fait au Laboratoire des recherches de Botanique do l'Kcole Normale supérieure
et au Laboratoire de Biologie végétale de Fontainebleau.
(2) CosTAMn' et DrFoi R, La Molle, maladie du chfiinpignon de couclie (Comptes rendus do l'Aca-
démie des Sciences, séance du 29 février 1892).
(3) Prii.ueux, Champignons ds coaclm nUaques par le Mycogone rofsea. (Bulletin de la Société Myco-
logique de France, t. vJlL p. 24. Bull, de la Soc. hot. 1892, p. 1-'i6.)
(4) Chacun connaît le sens que possède ce mot quand il est masculin : un môle est une jetée cons-
truite à l'entrée d'un porl. Au féminin, il a plusieurs sens peu connus et tout à fait spéciaux. Un de
ces sens est le suivant : sorte de masse informe que rejettent parfois les femmes. C'est ce sens qui
rappelle le mieux certains échantillons malades dont nous allons parler.
COSTANTIN ET DUFOUR. — OBSEUVATIOXS SUR LA MOLE -407
L'éludo microscopique de ce parasite des feuillets montre que l'on a
affaire à un Verticillium. L'appareil fructifère est formé d'un filament
central qui porte des séries de rameaux secondaires disposés en verticilles
et formant à leur extrémité un capitule de spores. Ces spores sont inco-
lores, lisses, cylindriques, arrondies aux deux extrémités. Unicellulaires
quand elles sont jeunes, elles acquièrent tardivement une cloison trans-
versale. Attirons l'attention sur ce fait qu'elles sont assez grandes; elles
mesurent 8 à 20 \x sur 3 a à 3,5.
Telle est la forme fructifère qui se produit au début de la maladie.
Plus tard, à cette forme sporifère s'en vient joindre une seconde. Çà et
là, à l'extrémité des ramifications se forment des spores bicellulaires
sphériques, à membrane épaisse, brunâtre, hérissée de verrues. Cette
forme fructifère est un Mycogone. Elle apparaît en très grande abondance
sur le pied et le chapeau. La coexistence des deux sortes de spores sur des
filaments en continuité les uns avec les autres ne laisse aucun doute sur
l'identité spécifique de ces deux formes.
Mais la maladie présente souvent un tout autre aspect. Le champignon
est alors complètement déformé : le chapeau est à peine développé, le pied
a l'aspect d'une masse bosselée, irrégulière, les lames existent à peine,
et enfin, dans les cas extrêmes de déformation, aucune partie du champi-
gnon ne peut plus être distinguée; il ne reste plus qu'une masse assez
semblable extérieurement à un Scléroderme et à laquelle convient spécia-
lement le nom de môle.
Sur les échantillons de ce deuxième type la maladie se révèle par une
teinte gris rosé dans les endroits occupés par le parasite. Si l'on soumet
à l'examen microscopique la moisissure produisant ces résultats, on
reconnaît encore un Verticillium. Mais celui-ci ne ressemble pas au Verli-
cillmm dont il a été parlé plus haut. Ses filaments sont beaucoup plus
grêles, ses ramifications plus courtes, ses spores beaucoup plus petites et
toujours unicellulaires. Elles ne mesurent que 4 [j. sur 2 jx.
De plus, en général, avec cette forme, pas trace de Mjjcogone.
On pourrait inférer de là qu'il s'agit de deux champignons diffé-
rents, produisant des déformations différentes. Disons de suite qu'il
n'en est rien, (^cs deux formes sont, il est vrai, le plus souvent, entiè-
rement distinctes, de sorte que quand l'on rencontre l'une, l'autre
n'existe pas.
Cependant, sur un échantillon extrêmement déformé, qui présentait au
plus haut degré les caractères extérieurs de la seconde forme de la
maladie, nous avons constaté, en continuité certaine, les filaments de la
première forme et les filaments de la seconde. L'étude microscopique a
précisé ces données en montrant toutes les transitions possibles entre le
Verticillium à petites spores et le Verticillium à grandes spores, la coexis-
4-08 BOTANIQUE
lence de ces deux formes d'arbuscules fructifères partant de filaments
mycéliens communs, et en outre l'existence du Mycogone.
11 ne saurait donc y avoir de doute. Il nous est difficile de préciser
dans quelles conditions se constituent les diverses formes fructifères, mais
elles appartiennent à une môme espèce.
La forme la plus dangereuse est le Verticillium à petites spores : il
produit des déformations bien plus considérables et l'immense quantité
de ses spores en rend la propagation très rapide.
Quel nom donner au champignon qui produit la môle ? Les Mycogone
dont il se rapproche le plus sont les M. cervina et rosea. Plus voisin de
M. cervina par sa couleur fauve il en diffère par les dimensions de ses
spores ; le M, cervina, d'ailleurs, n'a jamais été observé que sur des
Discomycètes. D'autre part, le parasite dont nous nous occupons ne possède
ni des spores de même dimension, ni la même couleur que le M. rosea.
Ce champignon nous semble donc être une espèce distincte. On sait que
Tulasne a induit de ses recherches que certains Mycogone doivent être
des formes fructifères (chlamydospores) d'Ascom ycètes du genre Hypomyces.
M. Cornu a affirmé que le Mycogone rosea appartenait à un Melanospora.
M. Magnus(l), qui a observé ce parasite du PmlUota, a supposé qu'il
appartenait à un Hypomyces, qu'il a appelé H. perniciosus. Nous pouvons
donc le désigner sous le nom de J/j/co^o«ejoermc/osa, laissant complètement
ouverte la question de savoir s'il existe ou non un Hypomyces perniciosus.
Les diverses formes fructifères du M. perniciosa sont faciles à obtenir
en cultures artificielles, sur fragments de pommes de terre, de carottes,
de navets, de champignons de couche.
En semant le Verticillium à grandes spores ou le Mycogone, on repro-
duit cette forme associée au Mycogone ou bien le Mycogone seul. En
semant le Verlicillium à petites spores, on n'obtient que lui. Nous ne sommes
pas parvenus à trouver les conditions dans lesquelles apparaît telle ou
telle forme fructifère, soit dans les carrières, soit dans les cultures sur
milieux stérilisés.
L'aspect des cultures est très différent suivant les spores que l'on a
semées. Avec le Verticillium à petites spores, la culture est toujours blanche,
elle se présente comme un gazon touffu, dense, ou bien comme une
croûte mince, sèche, lisse d'abord, puis irrégulièrement plissée. Avec
le Mycogone ou le Verticillium à grandes spores, la culture, blanche au
début, prend une teinte fauve de plus en plus foncée, et elle est consti-
tuée par un feutrage beaucoup moins serré.
(1) Voir Versnininhtng deutscher Natiirforscher tit}d Aertze in Wie^hndeiu 18S7.
/
COSTANTIN ET DUFOl'R. — OBSERVATIONS SUR I.A MOLE 409
La môle est une cause de pertes très sérieuses, car elle existe chez tous
les champignonnistes. La valeur de la production annuelle des champi-
gnons dans les environs de Paris est d'une douzaine de millions. Or, la
récolte est diminuée d'un dixième à un quart environ par suite de cette
maladie; la perte subie est donc comprise entre un et trois millions. Et
encore nous ne parlons pas de grandes épidémies; on a vu parfois dans
des carrières entières, la récolte totalement perdue.
La môle se montre peu ou môme pas du tout dans une carrière nou-
vellement employée à la culture de champignons de couche; mais, au
bout d'un petit nombre de cultures, la maladie s'étend de plus en plus et
habituellement les champignonnistes finissent par abandonner pendant
plusieurs aimées les carrières où la maladie acquiert une trop grande
intensité. Après ce long intervalle, toutes les spores ayant sans doute péri,
la carrière devient de nouveau apte à fournir des récoltes rémunératrices.
Y aurait-il des moyens de combattre la maladie ? Nous avons essayé
une série d'antiseptiques pour voir quel effet ils auraient sur les spores
du champignon : le sulfate de cuivre, l'acide borique, le bisulfite de chaux,
le lysol, l'acide sulfureux.
Nous avons opéré de trois façons différentes : 1" par immersion; 2° par
pulvérisation; 3" par fumigation.
Méthode par immersion. — Une culture artificielle du champignon est
entièrement immergée dans le liquide antiseptique. Une précaution à
prendre dans ce cas est d'agiter la culture dans le liquide afin d'être bien
sûr qu'elle est intégralement mouillée. Il va sans dire qu'avant l'im-
mersion on a fait des semis témoins au moyen de cette culture afin de
s'assurer que les spores y étaient bien vivantes. Au bout de un, deux, trois
jours, on fait des semis de la culture immergée et l'on voit après com-
bien de temps d'immersion les spores sont tuées.
Ce procédé fournit des résultats intéressants. Voici quelques données
relatives à divers antiseptiques employés. Une inmiersion de vingt-quatre
heures dans l'acide borique à 2 et 3 0/0, dans le sulfate de cuivre à 2
et à 3 0/0 ne tue pas les spores, ni do Verlicillium, ni de Mi/cogone.
Une immersion de six jours dans l'acide borique à 3 0/0, dans le sulfate
de cuivre à 1, o 0/0 est également inefficace. Mais si l'on a employé une
solution de ce dernier sel à 2 ou à 3 0/0 on n'obtient plus aucun dévelop-
pement. Le lysol a été employé aux doses de 1/2, 1,2 et 4 0/0. Cet anti-
septique paraît plus énergique que les précédents, car des semis faits au
moyen de spores prises sur une culture immergée pendant quarante-huit
heures n'ont fourni aucun développement. Une solution, même très
étendue de lysol, 1/2 0/0, fait donc périr les spores.
410 BOTANIQUE
Méthode par pulvérisation. — Au moyen d'un pulvérisateur, on projette,
en très fines gouttelettes, le liquide expérimenté sur une culture. Le
liquide s'est évaporé au bout d'un certain temps; on fait, soit à ce mo-
ment, soit plus tard, des semis au moyen de la culture. Si l'on obtient
un développement, c'est qu'il reste des spores vivantes, que l'effet de
l'opération a été sinon nul, au moins incomplet. On refait une seconde
pulvérisation, puis un second semis. On voit alors si toutes les spores
ont, cette fois, été tuées. S'il n'en est pas ainsi, on refait une troisième
opération et ainsi de suite.
D'une façon générale, on peut dire qu'avec les liquides employés, l'effet
de ces pulvérisations est fort incomplet. Il est vraisemblable que le li-
quide s'évaporant assez vite, son action n'a qu'une durée trop courte
pour être meurtrière ; de plus, les cultures sont beaucoup moins impré-
gnées de liquide que quand on emploie la première méthode. Une
pulvérisation ne mouille pas nécessairement intégralement la culture.
Des spores échappent à l'antiseptique. Cependant cela ne veut pas dire
qu'une telle méthode ne puisse pas être utile : un grand nombre de
spores périssent et le développement du parasite est beaucoup entravé.
Nous avons obtenu de très bons rési^ltats à la suite d'une seule
pulvérisation au bisulfite de chaux (à l'état liquide et au degré de
concentration sous lequel on le rencontre chez les fabricants de produits
chimiques).
L'acide borique nous a, d'ailleurs, fourni des résultats nets. Après deux
pulvérisations d'acide borique à 2 et 3 0/0, on n'obtient pas de déve-
loppement. Dans ce cas, l'action de l'acide se combine avec la dessiccation
pour entraver le développement des spores.
. L'acide borique, par sa présence, doit empêcher la germination des
spores, car en semant des spores vivantes de Verticillium ou de Mi/cor/one
sur une pomme de terre plongeant par sa base dans une solution bori-
quée à 2 et 3 0/0, on n'obtient aucune trace de développement. En opé-
rant, au contraire, d'après ce procédé avec du sulfate de cuivre, on voit
les deux formes du parasite se développer très bien, au moins au sommet
de la pomme de terre, sur la partie la plus éloignée du liquide.
Par cette méthode, le lysol a fourni des résultats différents suivant le
degré de concentration de la solution. Deux pulvérisations successives au
lysol à 1 0/0 sont insullisantes pour tuer toutes les spores d'une culture.
Elles suffisent à 2 et 3 0/0.
Dans la pratique, il ne saurait être question d'immerger les meules;
l'opération est tout simplement impossible. Mais une ou deux pulvérisations
au lysol ou à l'acide borique, alors que la maladie commence à appa-
raître, avant qu'elle n'ait acquis un grand développement, rendraient
des services certains.
COSTAMTIN ET DUFOUR. — OBSERVATIONS SUR LA MOLE 411
3° Méthode par fumigations. — Un autre antiseptique employé a été
Vacirle sulfureux. L'action de cet acide est extrêmement énergique. Dans
une salle hermétiquement close d'environ 90 mètres cubes, nous avons
brûlé 30 grammes de soufre par mètre cube. Çà et là, dans la pièce,
étaient des tubes de culture, les uns ouverts, les autres restant fermés par
leurs tampons de coton. Au bout de vingt-quatre heures, la pièce a été
ouverte, et des semis ont été faits au moyen des tubes mis en expé-
rience. Toutes les spores avaient été tuées; aucun semis n'a fourni le cham-
pignon; et cela même pour les tubes restés bouchés au coton. Le gaz-
sulfureux pénètre donc avec la plus grande facilité dans ces tubes pour
y exercer son effet.
Ce résultat est très important, car les courants d'air qui se produisent
dans une carrière à cause de l'aération habituelle, du passage des ou-
vriers, etc., disséminent les spores de toutes parts, sur les parois de la car-
rière, par exemple. Plus tard, un autre courant d'air les fait tomber sur
la meule dont elles produisent la contamination. Les pulvérisations dont
nous avons parlé plus haut ne peuvent être faites sur toutes les parois
d'une carrière. Au contraire, le gaz sulfureux pénétrera avec la plus
grande facilité dans les moindres interstices où peuvent être logées des
spores et les détruira.
Mais l'emploi de cet acide ne peut être conseillé que dans des con-
ditions bien déterminées. On ne s'avisera évidemment pas de pro-
duire du gaz sulfureux dans une carrière en pleine production, où la
maladie commence à peine à se montrer; on obtiendrait comme ré-
sultat la destruction du champignon de couche.
Mais quand une épidémie est bien déclarée, que le champignonniste
est dans l'intention d'abandonner sa carrière pour un temps plus ou moins
long, alors qu'il emploie un remède radical, qu'il enlève tout ce qui a
servi à la culture, fumier, terre à gopter, etc., et qu'il purifie complète-
ment sa carrière par l'acide sulfureux. La dépense n'est pas bien grande ;
une fois l'opération terminée, l'aération chasse complètement le gaz, et
de suite on peut réutiliser cette carrière.
Quant au gaz, on le produira en brûlant du soufre.
Sur des plateaux de fonte, disposés de distance en distance, on place du
soufre de façon à en avoir environ 300 à 600 grammes par 10 mètres cubes;
on ajoute un peu d'alcool à ce soufre, et l'on allume d'abord, les plateaux
les plus rapprochés du fond de la carrière et successivement les autres, à
mesure que, pour sortir, l'on se rapproche de l'ouverture. Tout a été
préparé d'avance pour que la fermeture se fasse rapidement. Au bout do
vingt-quatre heures, quarante-huit au plus, l'opération est terminée. On
rouvre la carrière, on procède à l'aération, et quand l'odeur a totale-
ment disparu, la carrière est susceptible de servir de nouveau.
412 BOTANIQUE
Ajoutons que diverses précautions devraient être prises, d'une manière
constante, pour éviter les chances de dissémination des spores.
L'ouvrier chargé de ramasser les môles — et il devrait y en avoir un
chargé spécialement de cette fonction — devrait se laver les mains très
fréquemment avec de l'eau boriquée à 2 0/0 ou 3 0/0, avec du lysol à
1 0/0 ou avec du bisulfite de chaux. Les môles devraient être enlevées
immédiatement et ne jamais séjourner sur les meules ou dans les sen-
tiers de la carrière.
Les ouvriers qui entrent dans une carrière, que l'on commence à ex-
ploiter devraient avoir par-dessus leurs habits des vêtements de toile
sortant de chez le blanchisseur, des souliers ou des chaussons spéciaux
pour chaque carrière; les patrons devraient exiger d'eux le lavage de
leurs mains avec les solutions précédentes.
A l'aide de l'acide sulfureux qui purifiera la carrière, et à l'aide des
précautions précédentes qui réduiront d'une manière notable les causes
de contamination nouvelle, on diminuera certainement, dans une pro-
portion considérable, le nombre des champignons atteints par la maladie,
et par cela même, les pertes matérielles; les frais, relativement faibles,
occasionnés par l'emploi de l'acide sulfureux et des divers liquides indi-
qués précédemment, seront ainsi largement compensés.
M. Emile BELLOC
à Paris.
APERÇU GÉNÉRAL DE LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES PYRÉNÉES
— Séance du 17 septembre 1892 —
Malgré le noml»re relativement considérable do bassins lacustres ren-
fermés dans la chaîne des Pyrénées, les plantes, surtout les algues micros-
copiques, vivant au sein des eaux, ont été complètement négligées par les
botanistes qui ont décrit la flore de ce beau pays.
Il est vrai de dire que l'étude des lacs pyrénéens offre souvent des dif-
cnltés sérieuses, et qu'elle exige, de la part des observateurs, des aptitudes
physiques toutes particulières, la majeure partie des cuvettes lacustres étant
reléguées entre 1 .800 et "2.700 mètres d'altitude, dans des régions inhospita-
lières et par conséquent au-dessus de la zone habitée. De plus, un outillage
spécial, encombrant, dispendieux et fort difficile à transporter au milieu
É. BKLLUC. — LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES PYKÉNÉES 413
des vallées sauvages et désolées où ces lacs sont ouverts, est indispen-
sable à quiconque désire se livrer à l'étude de ces végétations aquatiques.
De nombreuses explorations personnelles, faites régulièrement chaque
année à travers ces montagnes, m'ont permis d'accumuler une foule de
documents précieux, dont le dépouillement a fourni les résultats que je
vais exposer dans ce mémoire.
Les lacs supérieurs renferment généralement un très petit nombre d'es-
pèces de plantes phanérogames. Celles que l'on rencontre le plus commu-
nément dans les eaux profondes des lacs granitiques appartiennent aux
genres Sparcjanium, Utricidaria, ou bien à la famille des Ranunculacées.
Les Muscinées semblent plus abondantes, les Characées ne s'élèvent guère
au-dessus de la zone moyenne, et ce sont les Spirogyvées, les Desmidiées,
et surtout les Diatomées qui fournissent l'appoint le plus considérable de
la flore lacustre ou marécageuse de la haute région pyrénéenne.
Parmi les phanérogames, certains groupes préfèrent la partie inférieure
de la chaîne ; je citerai : les Nymphéacées, les Myriophyllacées, les Pota-
mogétacées, les Juncacées, les Cyperacées ; et parmi les algues : les Con-
juguées, les Conf'ervacées, les Characées et les Diatomées.
Généralement un certain nombre de ces végétations émergent, en partie,
au-dessus des eaux, forment, dans la portion littorale des lacs inférieurs,
des zones bien délimitées, composées d'abord de Phragmites, puis ensuite
le Scirpus, auxquels succèdent souvent les Nymphéa, les Potamogeton,
et plus avant, en allant vers le centre de la nappe lacustre, les Myriophyl-
lum, les Chara et les Nitella, sur lesquels les Desmidiées et les Diatomées
vivent en abondance.
Lorsque les dépressions lacustres ont une faible profondeur et que leurs
pentes latérales sont peu inclinées et recouvertes d'une épaisse couche de
limon, il se forme autour des bords intérieurs de ces dépressions une
zone mal délimitée, périodiquement découverte ou recouverte par les
eaux, selon les saisons et l'abondance plus ou moins grande des préci-
pitations météoriques. Dans cette zone, les Carex croissent parfois en
très grand nombre, mélangés aux Sphagnum, aux Mousses aquatiques ei
à quelques autres plantes (1) que j'ai cru devoir également faire figurer
dans la liste ci-dessous, en ayant soin chaque fois de signaler leur habitat.
A l'inspection de ces végétations lacustres, énumérées plus loin, on est
frappé de la rareté, — dans nos montagnes, — de certaines espèces telles
(\) Quelques plantes phanérogames, lelles que lihamnus catharlicus |iar exemple, ne figurent ici
qu'à litre de simple renseignement; je les mentionne néanmoins puisqu'elles sont citées par cer-
tains auteurs, qui les ont recueillies, probablement, dans celle zone alteinativement découverte ou
submergée, dont il vient d'être question, ou bien dans le voisinage immédiat des lacs. Cette expli-
cation suffira, je pense, pour dégager ma responsabilité, car les botanistes les discerneront aisément
des plantes exclusivement aquatiques.
414 BOTANIQUE
que : Isoetes lacuslrk, hoetes Brochoni (Molelay), Isoetes echinospora,
Subularia aqualica, Pohjtrichum strictum et Dicranum Schmderi, rencon-
trées seulement jusqu'ici dans la partie orientale de la chaîne pyrénéenne,
sauf Vhoetes lacudris, accidenlellement signalé dans la vallée d'Aran.
La configuration topographique et la nature géologique du sol jouent un
très grand rôle dans la distribution géographique des plantes aquatiques.
La composition chimique et la transparence des eaux exercent une
action directe et très importante sur leur mode de reproduction, tandis
qu'elles paraissent être beaucoup moins sensibles à l'inlluence de l'al-
titude.
Pour fixer les idées sur l'ensemble de ces végétations, je vais énumérer
successivement les Phanérogames, les Cryptogames vasculaires, les Mus-
cinées et les Algues microscopiques, qui vivent au sein des lacs pyrénéens.
PHANÉROGAMES
RANUNCULACÉES (1)
nanunculus tricophyllus, Chaix. ) Ces trois espèces se rencontrent assez
— flamula, L. [ fréquemment sur les bords marécageux
— lingua, L. ) des étangs.
Caltha palustris, L. Commune dans les eaux peu profondes.
NYMPHÉACÉES
Nymphéa Alba,, L. ) ^^^^^^ j^^ j^^.^ ^^^.^ ^^^^ iuférieures.
Nuphar httcum, bni. )
— pumilum, Sm. l'eu commune.
CRUCU'ÈRES
Subularia aquafica, L. Estany Llarch (Pyr.-Or ).
Roripa nastartioides, Sp. Eaux peu profondes de la région inférieure et mojenne
DROCÉRACÉES
Drocera rolundifolia, L. Lac d"Oô. Lac Bleu (sur les bords).
RHAMiNACÉES
Rhamilus catharlicus, L. Le D'' Jeanbeniat cite cette espèce sans indicatiou
d'habitat. (Voir la note l, page 413. j
MYRIOPHYLLACÉES ("2)
Myriophylluin spicalum, L. Très abondante dans les pièces d'eau des vallées
inférieures et moyennes.
HIPPUaiCACÉES
Hippuris vulgaris, L. Étangs et mares des basses vallées.
(1) Le nom des espèces qui n'ont pas été recueilles par moi esl toujours suivi du nom de celui
qui les a sisnalées.
Pour cetle étude, j'ai cru devoir suivre l'ordre inverse de la classification adoptée par M. Van
Tieghem dans son Traité de Botanique, alin de rejeter à la fin de cette notice Fembranchement des
THALLOPHYTES, et surtout la famille des Diatomées, de beaucoup la plus importante et la plus
nombreuse parmi celles qui compusent la flore lacustre pyrénéenne.
(2) M. L. Molelay a trouvé « quelques rares brins de Myrioplujllum allerniflomm », dans un
« bourrelet d'Isoètes desséchés et roulés, entourant l'eau du lac » de Naguilles (Ariège).
É. BELLOC. — LA VÉGÉTATION LACLSTKE DANS LES PYRÉNÉES 415
CALLITHRICHACÉES
Callitliriche hamulata, Ktz. (Jeanbernat et Tiinbal-Lagrave).
CÉRATOPHVLLACÉES
Ceratophijllum demersum, L. Lacs et étangs de la zone intérieure.
OMBELLIFÈRES
OEnanlhe /'istulosa, L. Lac de Lourdes, lac de Saiut-Pé-d"Ardet, lac de Barbazau.
Siuin angudifolium, L. {Berula angustifolia, Koch) (Lapeyrouse). (Voir la note 1,
page 41 i.)
Helosciadium nodilloruiu, K. ) „ i- j i u n '
„ , , , • , \ Eaux peu protondes des basses vallées.
Hydrcoiyle viUgaris, L. )
Astrantia ininur, L. Lac d'Albe (Philippe), rare. (Voir la note 1, page 414.)
MÉNVANTUACÉES
Menyanthes trifoliata, L. Lacs d'Escoubous (Lapcyroitsc).
UTRICULARIÉES
Ulrieularia vulgaris, L. Lac marécageux d'Estagnaou. Lac de CaïUaoulas.
[M. Hariot] (1).
POLYGONACÉES
Polggonum amphibium, L. Lac marécageux d'Estaguaou.
— minus, Huds. Lac de Gaube (Philippe). (Voir la note 1, page 414.)
ALISMACÉES
Âlisma ranunculoides. L. Bords des étangs.
— plantago, L. .Mêmes localités.
TRIGLOCHLN AGEES
ScheuchzerUi palustris, L. Je n'ai pas rencontré cette espèce au lac d'Espïungo,
où elle a été signalée par Lapeyrouse.
POTAMOGÉTACÉES
Putamogelon hclcwpJnjUus, D. C. Lacs et marais 'de la région intérieure. Elle
est abondante à l'Estagnaou de Saint-Béat, où
Zetterstedt l'indique sous le nom de P. graniineus,L.
— nalaits, L. Lacs de la région basse.
— densus, L. Très abondante, de même que P. pusilus, dans les marais
de Salles et de Juzet (Bagnères-de-Luchonj.
— crispus, L., mêmes localités que le P. natans.
— pusilus. L., mêmes localités que le P. densus.
TYPHACÉEâ
Typlia angustifolia, L. Marécages.
Sparganiun natans, L. ( Lacs de la haute région. Lac noir de Prat-Long. Lac
— minimum ( d'Espïnngo. Lac d'Estom. Lac de Zaraguela.
— Bordera, Focke. — Lac de Trémouze (sic). (Récolté par Bordère).
(Ex. Hariot).
(1) Le nom de M. Hariot mis entre [ ] indique les espèces que cet obligeant et très distingué
naturaliste a bien voulu revoir ou déterminer; je suis lieureux de lui adresser ici tous mes remer-
ciements.
41(3 BOTANIQUE
JUN'CACÉES
Juncus effums, L., commune dans les vallées basses.
— glaucus, Ehrh. Région inférieure.
— arcticus, Wild. Très rare. Zelterstedt le signale « au bord d'un petit
lac, entre Rencluse et les glaciers de la Maladetta » (sic).
— filiformis, l. Lac de Zaraguela. Lac d'Espïnngo. Lacs d'Aygues-Cluses
(Lap.). Lac d'Iîstom (J. Vallot). Cette espèce est très rare-
ment abondante.
— supinus, Mœnch. Lac de Gaube (Philippe).
— lamprocarpus, Ehrh. Lacs d'Estom-Soubiran. Lacs du port de Vénasque
(Zett.).
— obtusifîorus, Ehrh. Marécages.
— alpinus, Viil. Région moyenne. Lac de Gaube.
Liizula spadica, D. G. Assez commune dans les lieux submergés des hautes
vallées .
— pediformis, U. G. Gette espèce est commune dans les prairies humides de
la région moyenne; cependant M. J. Valiot l'a trouvée dans
la région glacée d'Ardiden, et Picot de Lapeyrousela signale
au lac d'Escoubous.
CYPÉRACÉES
Cypenis funcus, L. Flaques d'eau des basses vallées et marais de la plaine.
— longus, L. Marécages.
— badius, Desf. (Jeanbernat et Timbal-Lagrave, sans indication d'habitat.).
— flavescens, L. même habitat que le C. fuscus.
Cladiuin Mariscus, R. Rr. (Jeanbernat et Timbal-Lagrave).
Rhynchospora fusca, R. et Sch. Partie marécageuse des nappes lacustres infé-
rieures.
Heleocharis paluslris, R. Rr. Lac d'Estagnaou. Lac d'Espïnngo. Lac d'Escoubous.
Scirpun cœspUosus, L. Plus marécageuse que lacustre. Lac Rleu. Lac d'Es-
coubous.
— paucijlorus, Liglhf. Marais. Assez rare.
— lacuslris, L. Très abondant dans la zone Uttorale de certains lacs, comme
à celui de Lourdes.
Eriophoruni anguslifolium, Rolh. Haute région, Néouvieille. i Bords
— latifoliuiii, Hopp. Région inférieure et moyenne. ) marécageux
— vaginuium, L. Lac d'Escoubous. ) des
— capilalum, L. Lac d'Espïnngo. Lac de Zaraguela. ( naftpes lacustres.
Carex leporina, L. Aux bords de quelques lacs supérieurs. Environs du lac
d'Ilhéou (J. Vallot).
— maxima, Scop. ( Aux bords des lacs.
— vesicaria, L. ( — Lac de Zaraguela.
— ampullacea, Good. Bords des lacs de la région haute et moyenne. Zel-
terstedt donne cette espèce comme habitant un petit lac
« entre Rencluse et le glacier de la Maladetta » (sic).
— pseudo-cyperus, L. Marais.
GRAMINÉES
Phragmites communis, Trin. Cette espèce forme, avec le Scirpus lacuslris, une
large ceinture intérieure dans la zone littorale de la plu-
part des lacs de la région sous-pyrénéenne.
K. BELLOC. LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES l'YUÉ.N'ÉES 41"
CRYPTOGAMES VASCULAIRES
ÉQUISÉTACÉES
Equisetum variegatum, Schleich. Bords des lacs supérieurs. Lac des Barans.
Lac Bleu.
ISOETACÉES
Isoetes lacustris. L. (l). ) , j.» j c . xi .
^ ,„, [ Lac d Aude. Estang-Llarch.
— echmospora, Dur. (2). )
— Brochoni, Motelay (2). Lac Lanoux. Lac de Naguille.
MUSCINÉES
SPHAGNACÉES
Spliagnuin cymbifolium, Ehr. j On les trouve plus particulièrement dans les
— rigidum, Sclip. / marais tourbeux, les mouiltères, ainsi que
— Girgetihsonii, Ru^sow. > dans la petite et la grande Bouillouse(Pyré-
— acutifoHum, Ehr. i nées-Orientales). (D'après une note ma-
— intermeiium , Haffner. ,' nuscrile du D"" .Teanbernat.)
En général, les Spha'ujnes sont peu abondantes dans les lacs et les
étangs marécageux de la chaîne pyrénéenne. On sait, du reste, que c'est
à peine si on en compte une quinzaine d'espèces pour toute l'Europe, et
même, d'après ^I. E. Husnot {Sphagnologia Europœa, 1882). « pour ceux
qui ne veulent pas admettre le transformisme (quoique ce genre soit un
de ceux qui prouvent le mieux cette théorie) et qui ne considèrent
comme espèce que les formes qui ne se rattachent pas à d'autres plus
intermédiaires, le nombre des espèces ne doit pas être plus d'une dizaine. »
Les Sphaignes vivent, avec quelques mousses aquatiques (Fontinalis anti-
pt/retica), sur les bords des dépressions lacustres: dans cette partie excen-
trique de la zone littorale, alternativement submergée et recouverte par
les eaux, mais toujours humide, dont il a déjà été question; cependant
on les rencontre beaucoup plus fréquemment dans les parties tourbeuses
ou marécageuses des cuvettes lacustres envahies par la végétation.
Quoique les Sphaignes, comme un grand nombre d'autres Muscinées,
soient pour ainsi dire en dehors du champ de cette étude, j'ai cru cepen-
dant devoir les mentionner, afin de donner une idée plus complète sur
la flore de certains bassins lacustres, en partie comblés par les matières
alluviales ou encombrés par les plantes aquatiques. Parmi ces bassins,
il faut citer le lac de Lourdes (Hautes-Pyrénées), les lacs de Barbazan, de
Saint-Pé-d'Ârdet et d'Estagnaou. dans la Haute-Garonne; les lacs du
désert de Carlitt et la grande Bouillouse (vaste cuvette lacustre de plus
(I; VIsoeles lacustris a été récolté en grande abondance, dit M. Motelay, dans les lacs de Lanoux
et de Rouzet, par M. M. Marcailhou d'Aymeric.
(2) Pendant rimiiression de la présente notice, j'ai reçu, par l'obligeant intermédiaire de .M. di-
Luetkens, un intéressant mémoire de M. L. Molclay sur la découverte et la Défininon de Vlsoetes
Brochoni, (\m -. avait déjà été récolté, au mois dejuini8G2, au lac d'Aude ;Pyrénées-OrienUilesi par
M. S. de Salve (Herb. Motelay) et confondu jusqu'à ces jours-ci avec 1"/. echinospora ». (L. Motelay.
27*
418 BOTANIQUE
de 100 hectares, dont la végétation aquatique s'est emparée), dans les
Pyrénées-Orientales; et enfin les nombreuses mouillères du haut bassin
de l'Aude, du Capsir, du Llaurenti et de la Cerdagne.
MOUSSES
DICRANUM
Dicranum pellucidum, Hedw. Bords du lac de Lourdes.
— palustre, Lap. {D. Bonjeani, de Nol.). — Lac de Lourdes. Lacs comblés,
actuellement marécageux, du Capsir et de la Cerdagne.
Schraderii, Sch. Lac d'Aude. Rare dans les Pyrénées (Jeanbernat et
F. Renauld.)
CAMPYLOPUS
Campijlopus flexuosus Bréd. ) ^^^ ^^ lourdes.
— fragilis, B. E. )
FISSIDENS
Fissidens adiantoides, Hedw. Lac de Lourdes. Lac de Barbazan.
BARBULA
Barbula fragilis. Étangs marécageux de la Cerdagne et du Capsir. Rare (Jean-
bernat et Renauld).
— Brebissonii, Brid. Zone littorale marécageuse du lac de Lourdes.
BUYUM
Bryum pseudotriquetrum, Schw. Bords marécageux des étangs de la région
inférieure.
MINIUM
Minium affine, Schw. ) n, , , , . • u„^^„
" , [ Marécages de la région basse.
— punctatum, L. )
AULACOMNIUM
Aulacomnium palustre, Schw. Partie marécageuse des lacs inférieurs.
POLYTRICUM
Polytricum sexangulare, Sp. Lacs d'Oô (Spruce et Zetterstedt).
— striclum, Menz. Marécages de la zone inférieure.
FONTINALIS
Fontinalis antipyretica, L. [Hariol]. Je l'ai recueillie en très grande abondance
dans le lac d'Espinngo, où elle forme une couronne
flottante sur le bord intérieur de la cuvette.
LESKEA
Leskea mutabilis. Lac d'Espïnngo.
CLIMACIUM
Climacium dendroides, Web. Lac de Lourdes (Renauld, in Boulay).
É. BELLOC. — LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES PYRÉNÉES 419
HYPNUM
Htjpnum nitens, Schreb. {Camptotlwcium nilens, de Sch.) Lac de Lourdes.
— inliferum, R. Spr. Lac de Lourdes.
— elodes, Schr. Même habitat que les deux espèces précédentes.
— stellatum, Schr. ) , • .
, o 1 Lieux marecaoeux.
— polygamum, Scnp. ) °
— /luitans, L. Dans presque tous les (Hangs de la région basse et moyenne.
— adunciim, Hedw. Mouillères et lacs marécageux du Capsir et de la
Cerdagne.
— oernicosum, Lind. J ,, ,
, o (Jeanbernat.)
— revolvens, S\v. ) ^ '
— commutalum, Hedw. Estagnaou, Juzet. Saint-Pé-d'Ardet. Lourdes.
— giganteum, Schp. Lourdes (Renauld, in Boulay).
— stramineum, Dicks (Jeanbernat et Renauld),
— loreuin, L. ) r i t . t^
, . , t-u [ Lac de Lourdes (Renauld, in Boulay).
— breviroslrum, Ehr. ) ^ •"
— arcticum. Lac Caïllaouas, sur les parois rocheuses de la rive droite, où
je l'ai récolté (1).
ALGUES
11 n'a encore été publié, à ma connaissance, aucune étude algologique
relative aux végétations exclusivement lacustres des Pyrénées. Cela tient,
évidemment, à ce que les moyens d'investigation ont fait défaut aux
savants naturalistes qui ont dirigé leurs recherches vers ces montagnes.
Parmi les principaux botanistes qui se sont occupé des Algues pyré-
néennes, il faut citer : W. Smith (Notes of an escursion to the Pyrénées in
search of Dinlomacese, 1838); Soubeiran (Essai sur la matière organisée
des sources sulfureuses des Pyrénées, 1858); Ripart {Notice sur les Algues
récoltées pendant la session de la Société botanique, dans les Pyrénées, 1868);
E. Guinard (plusieurs mémoires très intéressants sur les Diatomées); Paul
Petit, Liste des Diatomées récoltées à l'ascension de la Rhune (Bulletin de la
Société botanique, 1880); H. Peragallo (Les Diatomées du midi de la France,
1884), {Liste des Diatomées françaises, dans les Diatomées, par le D'" J. Pel-
letan, 1888-89); D. .José Antonio Dosset y Monzon (Datos para la sinopsis
de las Diatomeas de Aragon, 1888); .1. Conière (Diatomées du bassin sous-
pyrénéen, 18!t2); Fr. Gay, Algues de Bagnères-de-Bigorre (Bulletin de la
Société botanique de France, 1891).
En ce qui me concerne personnellement, j'ai donné une étude détaillée
(avec figures) sur les Diatomées de Luchon et des Pyrénées centrales, dans
le volume offert par la ville de Luchon aux membres du Congrès de Tou-
louse, en 1887. Depuis, ni'étant livré plus particulièrement à l'étude des
plantes lacustres, j'ai consigné les premiers résultats fournis par mes
i.l) L'Hupnum arcticum n'avait pas oiicirc élô signalé dans les Pyrénées par les biiuiogues.
420 BOTAJNIQUE
recherches, dans une brochure intitulée : les Diatomées des lacs du haut
Larboust, région d'Oô ( Pyrénées centrales ) , Paris, 1890.
Plusieurs naturalistes ont bien voulu m'envoyer des préparations mi-
croscopiques ou des matériaux bruts provenant des Pyrénées ; quoique la
majeure partie de ces matériaux eussent été récoltés hors des cuvettes
lacustres ils m'ont néanmoins été utiles comme renseignements. Je
citerai seulement, parmi ces obligeants confrères, MM. Certes, D'' F. Gar-
rigou, E. Trutat, Ch. Fabre, J. Brun (de Genève), D^ Leuduger-Fortmorel,
Paul Petit, J. Comère, de Coincy, Maurice Gourdon, D'' P. Racine, et
enfin le D'' Dosset y Monzon, qui a joint à l'envoi de documents inté-
ressants, une fort belle série de photographies microscopiques.
Au cours de mes explorations, j'ai recueilli un grand nombre d'Algues
filamenteuses Confervacées et Spirogi/rées ; entre autres, Spirogyra parti-
calis (espèce créée par le professeur Cleve, d'Upsala); Zijgnema cru-
cialum, Lynghya nigra? {LdiC Ca:il\<ionsis) [Hariot]. Malheureusement, les
caractères spécifiques indispensables pour permettre une détermination
exacte, manquant à la plupart des échantillons, je m'abstiendrai d'en
donner la liste, en cette circonstance.
Les Characées et les Nitellées occupent une place importante dans la
partie profonde des lacs de Lourdes, de Harbazan, de Saint-Pé-d'Ardet, etc.
Dans plusieurs lacs de la région moyenne ou inférieure, les Chara fra-
gilis et les Nitella translucens couvrent par place flac d'Oô) le sol sous-
lacuslre d'une épaisse couche de végétation.
Parmi les autres groupes composant la classe des Algues, la tribu des
Desmidiées (fam. des Conjugués), et surtout la famille des Diatomées,
m'ont fourni les matériaux d'étude les plus abondants et les plus remar-
quables.
En raison de leur extrême petitesse, qui les rend facilement transpor-
tables par les vents, les eaux torrentielles, ainsi que par les oiseaux
aquatiques — voir : Jules de Guerne, Excursions zoologiques dans les lies
de Fayal et le San-Miguel (Açores), Paris, 1888, — il est presque impos-
sible de limiter l'ère de dispersion des différentes espèces de Desmidiées et
de Diatomées, comme on le fait généralement pour un grand nombre de
plantes terrestres. Il faut donc se borner à indiquer leur habitat en obser-
vant, par exemple, que les Desmidiées préfèrent les lieux humides, maré-
cageux ou tourbeux, les étangs et les lacs peu profonds; tandis que les
Diatomées, au contraire, recherchent les eaux limpides et calmes, les
plantes aquatiques flottantes, les fonds vaseux et les corps submergés.
Les lacs de Lourdes, de Saint-Pé-d"Ardet, d'Estagnaou (lorsqu'il n'est
pas desséché), de même que celui de la Couma-era-Abeca, les bords
marécageux et le fond des lacs d'Oô, d'Orédon, de Cap-de-Long, d'Au-
bert et d'Aumar, les lacs et les étangs du Llaurenti et du Capsir, ainsi
K. HELLOC. — I.A VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES PYRÉNÉES 121
que ceux de l'Aran et du versant espagnol, renferment une immense
quantité de Desmidiées et de Diatomées.
Pour dresser un catalogue complet de ces végétations microscopiques,
il faudrait pouvoir les observer sur place et les récolter à différentes
époques de l'année, c'cst-k-dire dans leurs divers états végétatifs; mais,
la chose n'étant pas toujours possible, je me bornerai donc, pour le
moment, à ne donner la liste des Desmidiées ci-dessous qu'à titre \)X0-
visoire.
DESMIDIEES
Micrasterias denticulata, Bréb.
— conferta, Lund.
— radiosa, Ag.
Euastrum elcgans, Kutz.
— didelta, Ralfs.
— verrucûsum, Ehr.
Stauraslrum dejectum, Bréb.
— ûikiei, Ralfs.
— hystrix. Ralfs.
— pivœtulatum, Bréb.
— aller iians, Bréb.
— tricorne, Bréb.
• — arcualum. Nordst.
— gracile, Ralfs.
— vestitum, Ralfs.
— verlicillatum, Archer.
— arliston, Ehr.
— margaritaceum, Meneg.
— tetracerum, Ralfs.
Peniuin digitus, Bréb.
Penium trunralum, Kutz.
Xantidium fasciculatum, Ehr.
— spinulosum. Brun.
Cosmarium quadratum, Ralfs.
— pyramidatum, Bréb.
— calcareuin. W.
— latum, Bréb.
— marijaritiferum, Turpin.
— reniforme, Av.
— punctulatum , Bréb.
— botritis, Meneghini.
— calatum, Ralfs.
— ornatum, Ralfs.
— orbiculatum, Ralfs.
Docidium coronatum, Bréb.
— clavatum, Kutz.
— nodulosum, Bréb.
Sphœrosoma filiforme, Ehr.
Desmidium Swartzii, Ralfs.
— quadrangulalum, Ralfs.
Tenant à ne mentionner que les individus provenant de mes récoltes
personnelles, cette liste ne représente, par cela même, qu'une fraction
des diverses espèces de Desmidiées v'wdiiïi au scindes eaux pyrénéennes.
Pour clore ce résumé très succinct, en attendant mieux, je signalerai
une Desmidiée du genre Closlerium, — inconnue pour moi lorsque je l'ai
recueillie au lac de Saint-Pé-d'Ardet, — mélangée à diverses espèces de
Cosmarium. Récemment, ayant reçu de AI. F. Gay une note très intéres-
sante sur les Algues de Bagnêres-de-Bigorre (1891), j'y ai trouvé la
description d'une espèce nouvelle, le Closterium affine, F. Gay, que je
crois pouvoir assimiler au type de Saint-Pé-d'Ardet; malheureusement,
mes récoltes un peu anciennes et en partie détériorées par un trop long
séjour dans l'alcool, ne me permettent pas d'afhrmer que cette espèce
soit absolument semblable à celle découverte par M. F. Gay en 1890.
422
BOTANIQUE
DIATOMÉES
Les sondages et dragages fort nombreux que je pratique chaque année
dans les lacs pyrénéens ont mis en ma possession des documents consi-
dérables qu'il eût été impossible de se procurer autrement (1).
Pour résumer la florule diatomique des principales régions lacustres
des Pyrénées, j'ai pris comme exemple trent-sept lacs. Le tableau ci-
après fera connaître cette flore qui, dans l'état actuel de mes recherches,
se compose de 31 genres et 213 espèces ou variétés, dont voici l'énu-
mération :
fces
Tar.
7
»
i
>•)
2
\
2
»
1
1
2
1
S
1
2
1
ACHNANTES
ACHNANTIDIUM
ÂMPHORA
Campylodiscus
Ceratoneis
cocco.neis
Cyclotella
Cymatopleura
Cymbella 16
Denticula . 5
Diatoma 4
DlATOMELLA 1
Epithemia 7
EUNOTIA 1
Fragilaria 6
gompiionema , 10 m
A reporter. ... 72 13
1
2
1
Espi'Cfs Tar.
Report 72 13
HiMANTIDIUM 7 »
Mastogloia 1 »
Melosira 6 1
Meridion 1 1
Navicula 37 16
NiTZSCHIA 10 )'
Odontidium 2 2
Pleurosigma 2 »
Rhoicosphenia 1 »
Stauroneis 8 1
surirella 10 2
Synedra 11 3
Tabellaria 2 »
Tetracyclus 2 »
Triblionella 2 »
Total 174 39
Total général.
Espèces.
Variétés.
174
39
= 213.
Les genres les mieux représentés dans le tableau précédent sont donc
les Naviculées, les Cymbellées, les Sytiedrées, les Surirellées, les Nitz-
schiées et les Gomphonemées.
Le nombre des espèces différentes ne préjuge rien quant à l'abondance
des individus. Les Cyclotelles, par exemple, qui fournissent seulement
cinq espèces et une variété, tapissent le fond d'un grand nombre de
cuvettes lacustres; à elles seules, elles entrent pour les deux tiers environ
(1) M. le baron Jules de Guerne et M. Jules Richard, qui ont bien voulu examiner le produit de
mes pêches pélagiques au filet fin, ont fait à la Section de Zoologie, d'après ces matériaux, une
communication particulièrement intéressante sur la faune microscopique des lacs pyrénéens.
É. BELLOC. — LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LKS PYRÉNÉES 423
dans l'innombrable quantité de Diatomées vivant à la surface du dépôt
vaseux du lac d'Oô. L'espèce la plus répandue dans ce dépôt, la Cyclo-
tella Bodanica, présente cette particularité curieuse que : le professeur
J. Brun, de Genève, l'ayant recueillie à la surface du lac Léman, la con-
sidère naturellement comme pélagique, tandis que je l'ai trouvée pul-
lulant sur la vase ramenée par la drague des profondeurs du lac d'Oô. Le
type d'Oô est, à peu de chose près, semblable à celui du lac do Genève,
publié par MM. Tempère et H. Peragallo dans les Diatomées de France.
Parmi les lacs qui ont donné le plus grand nombre d'individus, il faut
citer d'abord celui d'Oô, dans lequel j'avais déjà récolté H 5 espèces
différentes de Diatomées, chiffre qui s'élève actuellement au total de
131 espèces, par suite de nouvelles recherches entreprises depuis. Le lac
d'Espïnngo, tributaire de celui d'Oô, en a fourni 75; celui de Lourdes 57;
Saint-Pé-d'Ardet 53, et Orédon 48.
Le petit lac de Saounzat (altitude 1.962 mètresj et le bassin aux trois
quarts comblé à'era-couma-et'a-Abeca (la coume de l'Évéque) (altitude
2.200 mètres) renferment aussi des Desmidiées et des Diatomées fort
belles, malgré la température sibérienne qui règne en ces lieux durant
plus des deux tiers de l'année.
Au nombre des espèces les plus répandues, je dois signaler : Ceratoneis
Arcus, abondant à Caïllaouas et dans presque tous les lacs supérieurs;
Navicula nobilis, Nav. rhyncocephala, Nav. radiosa, N. vindis, Nitzschia
minutissima, Nit:;. palea, Surirella hiseriala, Synedra UJna et ses nom-
breuses variétés, Triblionella acuminata, etc.
Les plus rares sont : Melosira grenulata, Navicula binodis, Nav. legu-
men et sa variété decrescens , Nav. thermalis (que j'ai recueillie à
2.845 mètres de hauteur, non loin du lac glacé d'Oôj, et enfin, pour clore
cette énumération et ne pas dépasser les limites qui me sont assignées,
je mentionnerai, en terminant, le Tetracyclus Braunii, récolté par M. le
D'' Leuduger-Fortmorel aux cascades d'Enfer (vallée du Lys), et retrouvé
depuis, par moi, à la fontaine du lac Noir de Prat-Long.
En résumé, la flore algologique des bassins lacustres pyrénéens est
incomparablement plus riche en espèces que la flore phanérogamique.
De nouvelles recherches pourront peut-être ajouter quelques noms de
plantes à ceux déjà cités au cours de ce travail, mais j'ai la conviction
que ces additions seront peu nombreuses; dans tous les cas, malgré sa
brièveté, j'espère que la présente notice et le tableau détaillé de la distri-
bution géographique des Diatomées qui va suivre (1), suffiront pour donner
une idée générale exacte de l'état actuel de la végétation lacustre dans
les Pyrénées.
(I) Pour la légende explicative de ce tableau, voir page /,32.
TABLEAU de la distribution géographique de!
1 2 .3 4 5 6 7 X !) ]0 11
1 AcHNANTES deliccitulum, Ktz
eXlllS, Ktz :•: -|: •• ^. '.
3 — gibberula, CI "] '". '", ^^ ^.^ l ] ^ ' ''''
4 — lanceolata, Bréb , ,
•5 — microcephalum, Klz
6 — ininutissima, Ehr ....!..
7 — trinode, E
8 AcHNANTiDiiM flexellum, Bréb ".'.*.""'
9 A.MPHORA ovalis, Ktz ,. • v • • . . * .
itJ — — var. qracilis, Ehr
11 — pedtculus
12 Campylodiscls costatm, Ehr "'
1^ — hibcrnicus, Ehr ^
l-i Ceratoneis arcus, Ehr ] * " ' '
^^ — — var, amphioxys, Rab c . '.. T
16 CoccoNEis pediculus, Ehr "'
17 — placent iila, Ehr . . . T " " ' ' * ■■'■ ••
18 Gyclotella bodanica, Eul * ' "
19 — comta, Ehr . ,* . .' .' .' * J.
20 — — var. afiinis \ '"[ [
21 — — var. radiosa
22 — Kutzingiana , Ther .....
23 — operculata, Ktz '" ]
24 Cymatopleura elliptica, Bréb. ...
û)|" :■:
-^ — — var. constncta, Gru.
26 — Solea, Bréb ^ [ [ '''■
27 Cymrella affinis, K " ' '' ■"'
28 — œqualis, Sm '" ' " * ' * " "-
29 — amphicephala, Nœg , , [ ]
30 — cœspitosum, Ktz .,. ,' " "" '
31 — — var. venlricosa ', ' '
32 — — var. pediculus
33 Cistula •••:.:••
34 — cuspidata, Ktz. .
35 — — var. alpestris, Brun
36 — cymbiformis, Ktz
37 — delicatula, Ktz ••••::::::
38 — Ehrenbergii, Ktz "■ ' *
39 — gastroides, Ktz "^ [
^0 — gracilis, Ehr
'*! — — var. Lœvis
42 — lanceolata, Ehr , * [ '''
'43 — maculata, Ktz T ! . =!=•*■•::;
44 — inicrocephala, Grun
45 — turgida, Grég
46 — ventricosa, Ktz ^_ [
47 Denticula eleqans, Ktz. * * '
48 — fngida, Ktz , ,
49 — inflata, Sm •...•• ,. .
50 — obtusa, W. Sm " .' .* .' ,'. ." .,' .' * ' '''' [ ] ]
51 — tennis, Ktz " '" •••:::*
52 DiATOMA Ehrenbergii, Ktz
53 — elongatum, Ag
54 — tenue, Ag. ...
[ATOMÉES dans quelques lacs des Pyrénées.
13 14 15 Ifi 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37
1 • ^ 4. • • • • • • ;!; • k • ;|; • • î-t • • ;': • • * • •
2 • :ic ;!; . - • • *.!; • :[; :i: ^.; • • :|; :K • :î: •
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■426 BOTANIQUE
12 3456789 10 1
55 DiATOMA vulgare, Bory * h- • ■••*•* m:
56 DiATOMELLA Bdlfourina, Grév
57 Epithemia Argus, Ktz .,. .
58 — constricta , Bréb .,.
59 — gibba, Ehr .!::!: . . . . ,<:
60 — — var. venir icosa, Ktz
61 — granulata, Ehr ^
62 — ocellata, Ehr .,. .^.
63 — turgida , Ktz .,. ^
64 — zébra, Ehr ^
65 EuNOTiA lunaris, Bréb
66 — — var. bilunaris .,..
67 — — var. exisa, Grun
68 Fragilaria capucina, Lism . .^ . .^ ^. . ,,. .,. .
69 — — var. acuta, E. , .,.
70 — conslruens, Ehr .,.
71 — contracta, Shum .,, ... ... .;, .,. . . .,. ^. .
72 — Harrisonii (Sm.) Grun
73 — mutabilis , Grun .,. .j. . . . ^. ^ ^^ . ^
74 — virescens, Ralfs
75 GoMPHONEMA acuminalum, Ehr
76 — capitatum, Ehr ^
77 — constrictum, Ehr .,..,. ^. ^.
78 — dichotomum , Ktz , .^
79 — geminatum, Ag .,.
80 — intricatum, Ktz .....,,.
81 — olivaceum, Ehr . . .
82 — subclavatum, Grun
83 — tenelluin, Ktz .,. ,,
84 — vibrio, E ,
85 Hi.MANTHiDiUM arcus, Ehr '. .^
86 — bidens, W. Sm
87 — diodon, Ehr
88 — gracile, Ehr ^^
89 — majus, Sm
90 — pectinale, Ktz ]
91 — polf/odon, Ehr ,.
92 Mastogloia Smithii, Thw ^ .,.
93 Melosira arcnaria, Moore '.
94 — crenulata, Ktz ,.
95 — distans, Ehr
96 — — var. nivalis, Sm
97 — granulata, Ehr
98 — orichalcea, Mertens
99 — varians, Moore ,.,.,,.
100 Meridion circulare, Ag T . !
101 Navicula acuta, Sm
102 — affims, Ehr ^. . . l . . '. '. l '.
103 — ambigua, Ehr '.
104 — amphigomphus, Ehr
105 — amphirhynchus , G ,.
106 — amphisbœna, Bor}^
107 — appendiculata. Ktz .|. . ^. .^
108 — — var. exilis
*
K. BELLOC. — LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES PYRÉNÉES 427
13 14 15 16 17 18 1!) 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37
"*■'" BOTAMQUK
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 m
109 Navicula bacillum, Vhv ,
110 — binodis, Sm
111 — borealis, Elir '", . * . \ * ]
112 — crassinervia, Bréb ^
113 — cryptocephala , W. Sm ,. '". ^
114 — cuspidata, Ktz ^ .
'^^ — — var. alpeslris, Brun
116 — dkephala, Ktz
117 — eUiptica, Ktz ' .'
iio — — var. mmutissima . ,
119 — firma, Ktz • , '
120 — gibba, Ehr ^ . ï '.'.'..'... ,
121 — — var. brevistriata , Gruii
122 — gracilis, Ktz?
123 — iridis, Ehr . . . i
124 — legumen, Elir '[
12o — — var. decrescens [
126 — Hmosa, Ktz
1^^ — — var. alpina, Brun
128 — major, Ktz ..^ ^ [ . * ' ' ,
129 — mesolepta, Ehr [ .,. . . . "
1^0 — — var. jiivalis, Ehr '.
^'^l — — var. nodosa, Ehr
132 — — var.? "[ "] . . . \ \ \ \ \ .]
133 — — var. alpina. Brun
134 — minutissima, Rab '
135 — neglecta, Bréb 1 . ! ! T !
136 — mutica, Ktz "]
137 — iwbilis, Ehr
138 — oculata, Bréb ^ "
139 — patula, Ktz [
140 — pmilla, Klz 7
141 — radiosa, Ktz .,. . ... 'l , ^
142 — rhyncocephala, Klz. . . \ .,. "] 1 .,. ]" .,. "
143 — seriaus, Ktz ^ . ^ . T T . T ï
144 — stauroptera, Grun
^^^ — — var. gracilis, Grun
146 — subcapitata, var. paucistriata, Grun
1^7 — _ var. acuta, Grun
148 — thermalis
149 — tumida, W. Sm
150 — viridis, Ktz ,,.. T ,,..,.! !
1^1 — — var. acuminata, Sm
1^2 — — var. commutata, Grun
^^3 — — var. hemiptera, Brun ,.
154 — viridula, Ktz ] ,,
155 — vulgare, Heib '. . . I .,. . ] . "] '[
156 NiTZSCHiA «c/cMterîs, Sm '".'", [ ', [ ' [
157 — amphyoxis, W. Sm ^,
158 — Brebissonii, W. Sm , "]
159 — communis, Rab . .
160 — conslricta, Ktz g
161 — linearis, Sm.
162 — minutissima, Sm.
(
l':. BELLOC. LA \ KGKTATIO.N LACUSTRE DA.NS LES PYRÉNÉES i29
^13 14 15 16 17 18 11) 20 21 22 2:5 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37
* • *
'fi
■V
"^30 BOTANIQUE
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 t:
163 NiTZSCHiA pa/ea, Ktz
164 — sigmoidea, Bréb
16o — therrhalis, Auessw " ''
166 Odontidium anceps, Ktz .....'..'*'
167 — — var. ■' 7 . . 1 [
168 — hyemalle, Lingb
169 — — var. mesodon, Brun.
170 Pleurosigma acuminatum, Grun
171 — attenuatiim, W. Sm
172 Rhoicosphenia curvata, Gr.
173 Stauroneis amphicephala, Klz
174 — anceps, Ehr
175 — — var. elliptica, Ktz. . .
176 — Cohnii, Hilse
177 — gracUis, S m
178 — legumen, Ehr
179 — phenicenteron . Ehr
180 — plalystoma, Ehr
181 — truncata, Ralfs '.
182 SuRiRELLA angusta, Klz "
183 — biseriala, Bréb ! ... I •-.:••
184 — — var. alpestris • • i ! T . T . . ' '
185 — — var. linearis, Bréb. .
186 — constricla, Sm . . '
187 — gracilis, Grun . '
188 — Norvegica, Heul -f- ' -f
189 — ovalis, Bréb
190 — ouata, Ktz
191 - robiista, Ehr .........' ^ '
192 — spiralis, Klz
193 — splendida, Ehi-
194 Synedra acus, Ktz '" * ' ' * - • *
195 — acuta, Ehr
196 — affinis, Ktz
197 — biceps, Sm ' ' " ' ^ •
198 — capitata, Ehr
199 — gracilis, Ktz , •:.:•.;::•:
200 — lanceolata, Ktz
201 — longissima, Sm ... • •
202 — minutissima, Sm
203 — u'.na, Ehr ^ " [ .!..!..!..', i ] ' ' * *
204 — — var. amphirhyncus, Ehr " " I ] .„,!** '^
205 — — var. œqualis, Ktz '[ . . '.' 'f ^^' '' '|'
206 — — var. splendens, Rab '"_... '. ' ' '
207 — — undulala, Sm "
208 Tabellaria fem-stra, Klz
209 — flacculosa, Ag
210 Tetracyclus Braunii, Grun !!!!'**'
2il — lacuslris, Ralfs. . . .'
212 Triblionella acuminata, Sm
213 — angustala, Sm ^j^ .,^ „^ ']" '''. .', \ \ * ] "
Les espèces énumérées dans ce tableau - qui résume I-état de la florule dialomiqne des lacs des Pvrén.'
plantes aquatiques flottant au milieu des eaux ou dans la zone littorale; 3» des rochers moussus qui bord
K. BELLOC. — LA VÉGÉTATION LACUSTRE DANS LES PYRÉNÉES 431
14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 2_8 29 30 31^ 32 33 34 :îô 36 37
;•: * *
*
vnnpnt • 10 rtos vases de fonds rapportées par la drague; 2» des récoltes faites sur les
,;?;aVet'e°n gSVd; to'srcofpsl part^e^ubmergés sur lesquels elles s'attachent.
432 BOTANIQUE
Légende du tableau de la distribution géographique des Diatomées.
d'ordre. Altitudes. Noms des localités. Noms des régions.
1 2105 Lac d'Aude (Pyi-éuèes-Orientales) .
2 2160 Estang Llarch id.
3 1970 Lac de Pradeilles id.
4 2005 Grande et Petite Bouilloiise id.
5 2154 Lac Lanoux id.
6 1854 Lac de Naguille . (Ariège).
7 1670 Lac du Garbet id.
8 2300 (?) Étang Blanc id.
9 1390 Étang de Lhers id.
10 420 (?) Lac de Barbazan (Haute-Garonne).
11 698 Lac de Saint-Pé-d'Ardet . .- id.
12 2325 Lac du Port-de-Venasque id.
13 1960 Lac Vert id.
14 1500 Lac d'Oô id.
15 1875 Lac d'Espïnngo id.
16 2200 Lac d'era-couma-era-Abéca (en partie comblé) id.
17 2295 Lac des Gourgouttes id.
18 2165 Lac de Caillaouas , . . . (Hautes-Pyrénées).
19 2165 Lac de Pouchergues id.
20 1869 Lac d'Orédon id.
21 2120 Lac de Cap-de-Long id.
22 2160 Lac d'Aubert id.
23 2215 Lac d'Aumar id.
2i 1782 Lac d'Estom id.
25 1743 Lac de Gaube id.
26 422 Lac de Lourdes id.
27 2238 Lac d'Oncet id.
28 1968 Lac Bleu id.
29 1964 Lac d'Artouste (Basses-Pyrénées).
30 2267 Lac de Miguelou id.
31 2120 Lac d Usious id.
32 2000 (?j Lac d'Isahe id.
33 2385 Lac des Barrancs (Espagne).
34 1671 Lac de Panticosa id.
35 2354 Lac de Brasato id.
36 2235 Lac de Zaraguela id.
37 2657 Lac Gregonio id.
K. GAIN. INFLUENCE DE l'hLMIDITÉ DU SOI, SUR LA VÉGÉTATION 433
M. Edmond GAII
au Laboratoire de Biologie végétale de Fontainebleau.
INFLUENCE DE L'HUMIDITÉ DU SOL SUR LA VÉGÉTATION
— Séuice du 17 septembre 189i —
L'observation a montré, depuis longtemps déjà, que l'humidité est un
puissant facteur de variations des végétaux. C'est un fait bien connu que
les années humides ont une influence considérable sur les productions agri-
coles, et la répartition habituelle des pluies sur une région permet de
réussir certaines cultures dans des endroits où d'autres cultures ne don-
neraient que des résultats très médiocres.
Il est donc intéressant de rechercher expérimentalement quelle part
revient à l'humidité du sol sur les difiérences nombreuses observées cou-
ramment pendant les années humides.
L'humidité de l'air il;, définie par l'état hygrométrique et la quantité de
vapeur d'eau contenue dans l'atmosphère, accompagne presque toujours
l'humidité du sol, car si le nombre de jours de pluie est considérable
dans une contrée, l'air y est souvent dans des conditions de grande
humidité, mais l'influence de l'air agit séparément et simultanément
avec l'humidité du sol pour produire des effets qui peuvent être en
sens contraire.
On ne pouvait être dans de meilleures conditions, pour saisir l'influence
isolée de l'humidité du sol, que cette année où l'été a été très sec.
DISPOSITION EXPERIMENTALE
Les cultures ont été faites soit dans des pots, soit en pleine terre.
Dans le second cas, sur un sol bien homogène de sable de Fontaine-
bleau, installé dans le jardin d'expériences du Laboratoire de Biologie
végétale, bien nivelé d'avance pour éviter l'écoulement superficiel, der
(1) BONXiEK et Flahailt, Modification des véyétaux suivant les conditions physiques du milieu.
28*
434 BOTANIQUE
carrés de :2 mètres de côté ont été tracés, distants de oO centimètres. Ils ont
été répartis en trois régions:
I. Douze carrés dits très humides ;
IF. Douze carrés dits humides ;
III. Douze carrés ayant un sol très sec.
L'eau reçue pendant la végétation sur chacune des régions se compose :
1" D'une constante donnée par la pluie et mesurée au pluviomètre;
2° Des différents arrosages, ordonnés de façon à obtenir dans les sols une
teneur en eau déterminée. Les sols, au début, contenaient, au 20 mai, 5 0/(1
d'eau. Le sable étant par excellence sec et perméable, les carrés secs se sont
trouvés rester, malgré quelques rares pluies, à 6 0/0 d'eau, descendant
quelquefois à 3,o 0/0, ainsi qu'il résulte de dosages faits de temps à
autre en prélevant un échantillon à un décimètre de profondeur et en le
desséchant à Tétuve à 105-110 degrés. Les sols humides sont restés à
10 ou 12 0/0, et les sols très humides à 12 ou io 0/0 d'eau.
Dans les sols humides, les racines des plantes avaient donc une propor-
tion d'eau qui était double de celle des sols secs.
La capacité du sol pour l'eau, établie d'après la méthode de Schûbler (1)
était de 18 à 20 0/0. Mais, outre qu'une saturation complète n'aurait pas
donné de bons résultats, cette saturation pour le cas du sable n'est pas
possible à réaliser à cause de sa grande perméabilité ; des arrosages fré-
quents ont pu maintenir les sols très humides à un taux qui, suivant la
température et l'évaporation, variait de 12 à lo 0/0.
Nous ne chercherons pas dans ce travail à expliquer le mode d'action
de l'humidité. L'humidité modifie la physiologie de tous les membres
de la plante (2) et agit en outre sur les propriétés physiques et sur la
composition chimique des sols (3), c'est dire combien les différences
d'humidité pourront retentir sur la végétation.
Nous examinerons l'influence de l'humidité :
1° Sur l'évolution de la plante ;
2° Sur l'organisation de la plante adulte une fois celle-ci arrivée à ma-
turité (portant des graines).
Dans la première partie, nous étudierons les principaux stades de
végétation. Dans la deuxième, se rangeront les modifications qui se sont
produites au point de vue :
1"^ De la morphologie externe ;
2° De la morphologie interne ;
3° Des produits élaborés (le premier chapitre seul fera l'objet de ce
travail).
i|) Encyclopédie chimique, Chimie agricole.
(o) Wolliiy, Kreiisler, Vesque, Deliérain.
(3) ScHLŒSiNR, Absorption de l'ammoniaque par les sols.
K. GAIN. INFLURNC.E DK I.'hLMIDITK DU SOL SUR LA VÉGKTATIO.N 43o
11 est admis dans la pratique agricole que certaines plantes réussissent
mieux dans un terrain sec, tandis que d'autres bénéficient d'un sol humide.
Les cultures que j'ai faites vérifient ce point et m'autorisent à diviser les
plantes, en plantes adaptées naturellement à la sécheresse et souffrant
d'une humidité relative, et en plantes adaptées à l'humidité et souffrant
d'une sécheresse relative.
Entre ces deux groupes se placent des plantes indifférentes au point
de vue de l'habitat, et qui sont d'un accommodement facile avec des
taux d'humidité variables. Ces plantes, soumises à l'expérience, peuvent
donner des différences considérables dans leur organisation suivant qu'on
les force à vivre dans un sol sec ou dans un sol humide.
Pour ce qui est des plantes des deux premières catégories, si on les
enlève aux sols où elles ont l'habitude de vivre, on observera des chan-
gements très divers : les unes ne pourront pas supporter une variation
bien grande dans le taux d'humidité, les autres résisteront au nouvel
habitat en modifiant leur structure.
Il existe donc, a piHori, un certain optimum d'humidité pour chaque
plante ; il y a aussi un optimum pour chaque organe.
L'optimum important au point de vue pratique varie suivant le résultat
qu'on cherche à obtenir. Il est clair, par exemple, que pour un fourrage
l'optimum à rechercher devra être celui qui donne des organes aériens les
plus développés possibles, tandis que pour un tubercule, ce sera celui qui
favorise le développement des organes souterrains.
La question du développement maximum de l'organe utilisé subit une
grave restriction par suite de ce fait que quelquefois la quantité du produit
nuit à sa qualité. L'étude approfondie de l'influence de l'humidité sur
les produits élaborés par la plante a donc une importance capitale au
point de vue pratique.
PREMIÈRE PARTIE. — ÉVOLUTIOM DU VÉGÉTAL
Germination. — Les résultats signalés ici ont été obtenus dans des
expériences faites sur le haricot semé en pots dans quatre sols de diffé-
rentes natures et à trois degrés d'humidité, variables suivant la capa-
eité de chaque sol pour l'eau.
On peut en tirer les conclusions suivantes :
1" Une terre saturée d'eau (1) produit un gonflement rapide des
graines, mais la germination est généralement entravée totalement.
Dans un sol perméable (sable) ou léger (terre de bruyère), quelques
(1) Une terre est dite satun^e quaml son hygroscopicité est satisfaite et que les intervalli"^ aii'il-
laires contiennent lo plus d'eau possible.
l
436 BOTANIQUE
graines peuvent cependant arriver à germer, grâce à l'air qui reste adhé-
rent aux particules terreuses ou organiques.
La principale entrave de la germination en terre saturée résulte donc
du défaut d'aération de la terre. Cette action néfaste n'en reste pas moins
imputable indirectement à l'excès d'humidité.
2° Un sol à demi-saturation (I) favorise beaucoup la germination.
3° Un sol sec, où on place assez d'eau pour gonfler les graines, mais où
on n'entretient pas l'humidité qui diminue à mesure de Févaporation,
<lonne une germination presque aussi rapide qu'en terre demi-saturée ;
mais la croissance est considérablement ralentie par le manque d'eau.
Le ralentissement de la croissance produit par une sécheresse relative du
sol est mis en évidence par le tableau suivant qui donne une observation
(faite trois jours après le semis) sur la longueur de la jeune pousse :
SOL SEC
.-p 0 0
SOL
THES HtMillK
15 0 0
IMI.IKNCE
HE l'hlmuuté
Moyenne
Moyenne
Moyenne
Sable de Fontainebleau , .
/,.gmm
^2"""
\ Quadruple
' la ci'oissance
Terre de bruyère ....
6-8
12-15°""
^ 1 )ouble
/ la croissance
4'' L'observation de la germination dans les sols argileux et calcaires
permet de conclure que l'action de l'humidité, bien que se manifestant
dans le même sens, est variable suivant le sol considéré. Les conditions
nécessaires à la germination étant multiples, si l'humidité entrave l'une
d'elles immédiatement le résultat est compliqué par cette action indirecte.
C'est ainsi que le pouvoir d'imbibition, l'hygroscopicité, Févaporation,
variant avec la constitution physique (ïi) et chimique des sols, un certain
taux d'humidité peut produire dans la croissance une accélération très
variable suivant les sols.
C'est, du reste, ce qu'indique le tableau précédent.
Le sable humide donne une pousse quatre fois plus grande que le sable
sec, et la terre de bruyère humide donne seulement une pousse deux fois
|)lus grande que la même terre sèche (5 à 6 0/0).
o° Les cotylédons ou feuilles séminales sont beaucoup plus vite absorbés
et se flétrissent plus tôt dans un sol sec que dans un sol humide. (Expé-
riences sur le Lupinus albus, Phaseolus vulgaris, Polijgonum fagopyrum.
Dans les sols très humides, c'est-à-dire maintenus à trois quarts de satu-
(1) Si on donne à une terre moitié de Teau nécessaire ;'i la saturation, les plantes ont moins de
•noitié d'eau à leur disposition, car le pouvoir hygroscopique de la terre est tout entier satisfait
somme dans une terre saturée.
(2) WoLNY, Recherches sur les propriétés physiques des sols tassés et meubles.
r:. GAIN. — IM'M F.Nri-: DK l/urMTOTTK DU SOI- SFR 1,A VKOKTATION 437
ration, et cela pour des plantes vivant en général dans des sols ayant
X 0/0 d'eau, on observe que les cotylédons restent très verts, turgescents,
et subsistent pendant une grande partie de la végétation.
Tige et feuillaison. — 1" La tige s'accroît beaucoup plus vite dans les
terres humides.
Après un mois de végétation, le Pohjgonum fagopyvum avait une tige
ayant les longueurs suivantes :
Sol très humide = 180 millimètres.
Sol humide =;^ 110 »
Sol sec = 60 »
Douze jours après (!2 juillet), alors que la végétation était en pleine
activité, j'ai observé comme longueur moyenne des tiges :
ESPÈCES TRÈS HUMIDE SOL HUMllJE SOL SKC
Polygoniun fagopyrwn 700°"" 490"'" 300"""
Avenu sativa 320 280 130
Medirago sativa 80 5U 2">
Onobrychis sativa 160 130 110
Papaver setigerum 250 170 8(t
2° L'influence de l'humidité sur la croissance de la tige est d'autant
plus forte que la plante est plus jeune. Si nous examinons, en effet, le
sarrasin dans les tableaux précédents, nous trouvons que :
Au 20 juin S,„ = 3 S, S„ . | S, S,„ . |? S„.
Au 2 juillet .... S,„ ==2,3S^ g^ ^ |_ Sg S,„ :^ — S„
La jeune plante a des tissus très aqueux et sa croissance bénéflcie d'une
grande turgescence permanente. A mesure que les tissus sont plus âgés,
l'action de l'humidité diminue d'importance.
Pendant le début de la période de feuillaison, on voit que l'humidité
est d'une grande importance pour la bonne venue de la plante, puisque
Sarrasin,,, 2,33 Sarrasin
Avoine,,, - 2.46 Avoine^^
Luzerne^,, ~ 3,2 Luzerne^^
Pavot^,, ^-3,12Pavot^,
c'est-à-dire une différence de longueur variant du double au triple.
438 BOTANIQUE
Aussitôt que les fleurs apparaissent, la croissance est presque nulle,
ou du moins se trouve considérablement diminuée. Ainsi, à la date du
lo août, les trois plants de sarrasin sont fleuris depuis trente-cinq jours.
L'influence de l'humidité a été de moins en moins accentuée. S^„ a fleuri
un peu avant S^ et les difl'érences de longueur se sont atténuées. Les
tiges ont comme hauteur moyenne :
S,„ = II0-I2O"' S„ r HO-llS*^» S = 100'='".
TH H
ESPECES
TRÈS HUMIDE
HLMIbE
SE
115-120'-
nO-115^"'
100'
130
125
80
75
60
55
35
30
25
Poiygonum fagopyrum fleuri.
Avena saliva fleuri
Brassica napus oleracca. . .
Phascolus vulgaris fleuri. . .
Pour les plantes ci-dessus, le sol très humide a donné des tiges plus
grandes que dans le sol humide, et celui-ci des tiges plus grandes que
dans le sol sec.
Il n'en a pas été de même pour toutes les espèces étudiées. Ce sont
celles pour lesquelles l'optimum d'humidité est inférieur à TH. Au début
de leur végétation, ces plantes s'étaient développées comme les autres ;
puis une fois la feuillaison bien développée, la plante du sol humide n'a
pas tardé à prendre le dessus, tandis que celle du sol TH semblait souffrir
de l'excès d'eau en ralentissant sa croissance en longueur au profit de sa
croissance en diamètre (Papaver). Au 15 août, nous observons :
ESPÈCES TH U s
Papaver seligerum fleuri. .
Holianthus tuberasus. . . .
Solarium tuberosum fruct.
Medicago saliva fl
Onobrychis saliva fl. . . .
Pour le sainfoin, nous le voyons profiler beaucoup du sol sec. C'est une
de ces espèces plus spécialement adaptées à la sécheresse.
La luzerne du sol sec s'est trouvée dans des conditions spéciales. La
sécheresse a été pernicieuse à la levée des jeunes pousses et il s'est trouvé
que les pieds ont été environ vingt fois moins nombreux dans le sol sec
que dans chacun des deux autres. Pour une plante épuisante comme la
luzerne, il n'est donc pas étonnant (devant le défaut de concurrence vitale
9b""
110cm
80<
120
125
95
75-80
80-90
50-60
45
20
40
20
20
30
K. GAIN. lNFLUKNf:K DK 1,'hUMIDITÉ DU SOL SUH l.A VKC.ÉTATION 439
pour les racines) que les tiges soient arrivées à une taille de 40 centi-
mètres, alors qu'en sol humide elles n'ont que 20 centimètres.
La conclusion à tirer, c'est que la luzerne profite beaucoup de l'humi-
dité, même assez forte, et que les terres perméables sont en général peu
propices à cette plante.
L'objection qui se pose pour la luzerne des sols secs ne s'est retrouvée
dans aucune autre de mes cultures. Au début, les pousses étaient très
clairsemées, en général dans les sols secs; mais c'était un simple retard
dans la levée.
Le 18 juin, vingt-huit jours après le semis, j'ai évalué approximative-
ment le nombre de pieds dans chaque carré. J'ai obtenu :
lU
Avena sativa 3n 2n n (1)
Polygonum fa^opyrum 4 « 2 n n
Onobrycliis sativa 5n 4n 2n
Medicago sativa b n 4 n n
Brassica napus 9n 3n n
Daucus carota 8n 4n 'in
Phascolus vulgaris n n n
Solarium tuberosum n n n
Helianthus tuberosus « n «
Dix jours après, le nombre des pieds était sensiblement le même pour
chaque série de trois plants.
La luzerne seule du sol sec est restée telle, tandis que celle des deux
autres sols donnait de nouvelles pousses : L^„ = 20«, L^ = 20n,
Lj, = n.
Le tableau de la page 440 donne la comparaison des trois états de déve7
loppement du sarrasin pour deux pieds de taille moyenne pris dans ies
trois carrés le 2 juillet.
En examinant les résultats, on peut conclure :
1" Que, pour une longueur de tige donnée, la ramification (constituée
par les pétioles des feuilles et les rameaux) est beaucoup plus grande en
sol sec qu'en sol humide;
2" La forme de la plante est donc beaucoup moins élancée et plus large
en sol sec;
3° Les fleurs apparaissent plus bas le long de la tige en sol humide.
(1) Le nombre n est différent pour chaque plante.
440
BOTANIQUE
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r:. GAIN. — iNFi-iEMi; ni: l'humiditk du sol suit i.v végktation 441
4° Leiitre-nœud qui a la longueur maximum est :
Le 1*^% en sol très humide (à partir de la base) ;
Le 2*', en sol humide ;
Le 3% en sol sec.
On peut donc dire, en rapprochant ce fait de celui qui a été constaté
pour les cotylédons, que la vitalité des tissus placés vers la base de la
plante est entretenue plus longtemps en sol iiumide qu'en sol sec.
L'entre-n(éud inférieur par où doivent passer tous les principes absorbés
dans le sol, bénéficie du passage surabondant de substances nutritives et
de la turgescence produite par l'humidité. Nous pouvons remarquer que
le pétiole qui a le maximum de longueur est dans les trois cas celui qui
s'insère sur l'entre-nœud maximum. La feuille la plus grande de chacun
des pieds est celle qui possède !e pétiole qui est inséré sur le deuxième
entre-nœud qui suit l'entre-nœud maximum.
Les parties les plus développées sont donc plus bas sur la tige en sol
humide qu'en sol sec.
Au moment où cette observation a été faite, le sarrasin était fleuri
dans les trois carrés. Au 25 août, alors que la fructification était à peu
près complète, les mêmes différences s'observent, seulement elles sont un
peu atténuées.
Au point de vue du développement des feuilles, si on considère des
types moyens au 20 juin (après un mois de végétation), on trouve pour le
sarrasin :
S^ possède deux feuilles ayant 9"^'"^ de surface ;
S„ » trois feuilles ayant 18'='"'^ de surface ;
S^„ » quatre feuilles ayant 22^'"'^ de surface.
Si nous considérons les pieds, très rares du reste, qui ont une taille
maximum dans chaque carré, nous observons :
Sg=r 27«'"^
S^„ :--:= 103-"^
La ramification et le développement du limbe des feuilles sont donc très
favorisés par l'humidité. On comprend facilement, après avoir constaté
une telle inégalité dans le développement, combien les plantes sont dans
des conditions différentes pour l'assimilation et la transpiration. A partir
de ce moment, l'influence de l'humidité ne pourra qu'accentuer la grande
accélération qui s'était produite au début de la végétation. Il s'ensuivra
une augmentation dans la ramification et dans les dimensions de tous les
organes, et comme la plupart du temps il arrive que la plante a par-
442 BOTANIQUE
couru son cycle évolutif plus tôt que dans un sol sec, il en résulte que la
floraison arrive aussi plus tôt.
Du reste, c'est un fait signalé par les auteurs (1), qu'on peut hâter la
floraison en forçant la plante à produire deux générations de branches la
même année. L'humidité, en produisant une ramification surabondante,
joue un rôle analogue.
Il convient de remarquer ici que nous supposons l'air sec comme il
l'a été pendant cette saison, où les pluies ont été rares et où l'hygro-
mètre enregistreur a indiqué des moyennes basses. L'air humide, en
eflet, retarde la floraison et agit de son côté ; c'est ce qui explique cette
opinion courante que dans un sol sec la floraison arrive beaucoup plus
tôt ; c'est qu'on a l'habitude de comparer les plantes qui se développent
dans une saison humide ou sous châssis dont l'air est saturé par l'arro-
sage, et non pas seulement dans un sol humide, ce qui est tout différent.
Ceci a pour conclusion pratique, dans la petite culture intensive, par
une saison sèche, que les arrosages, en favorisant d'une façon considé-
rable le développement foliaire, ne retardent pas sensiblement la floraison
et peuvent même la hâter dans la plupart des cas.
Flo?-aison. — Sénebier (2) remarque avec raison que les plantes prêtes
à fleurir ont besoin d'une quantité d'eau plus considérable qu'aupara-
vant, et que l'humidité accélère l'épanouissement.
Je suis arrivé à la même conclusion dans mes cultures. Par un été très
chaud comme celui de cette année, les plantes des terrains humides, et
très humides ont presque toutes fleuri avant celles des sols secs.
TRÈS HUMIDE HLMIDE SEC
Ouverture Épanouisse- Ouverture Épanouisse- Ouverture Épanoiiisse-
iles ment fies nient îles nient
bourgeons iK'S bourgeons des bourgeons «les
floraux fleurs floraux Heurs floraux fleurs
Avenasativa. . . . 17 juillet. 26 jaillet. 18 juillet. 28 juillet. 19 juillet. 28 juillet.
Potrjgonum fagopij-
» 20 juin. » 21 juin. » 22 juin.
30 juillet. 9 août. 14 aoiJt. 20 aotil. 11 août. 19 août.
26 juillet. 10 août. 28 juillet. 2 août. 27 juillet. 7 aoiit.
14 aoiit. 19 aoijt. » » i> »
2 juillet. e juillet. l'-- juillet. 6 juillet. 3 juillet. 7 juillet.
rum
Medicago saliva .
Papaver setigerum
Delphiniuni . . .
Phaseolus vulgaris
L'examen de ce tableau fait voir que:
1*> En général, les plantes des sols secs ont été les dernières à ouvrir
leurs bourgeons floraux.
2° En général, elles ont été les dernières à fleurir.
(1) Van TiEGHEM, Traité de Botanique, p. 914 (188*).
ti) Sitit^BiER, Physiologie végékile.
K. GAIN. — INFLUENCE DE l'hI'MIDITÉ DU SOL î^l'U LA VÉGÉTATION 443
H*" Le temps qui sépare l'ouverture des bourgeons de l'épanouissement
est beaucoup plus long en sol sec qu'en sol humide.
4" Il y a un optimum d'humidité pour la floraison de certaines plantes.
Le pavot a montré des bourgeons floraux presque en même temps dans
les trois régions, mais la floraison est apparue en sol humide cinq jours
avant d'apparaître en sol sec.
Le 12 août, on trouvait dans les carrés d'œillette:
TH — 4 capsules de pavot et 3 fleurs épanouies.
Hr=:60 » 17 »
5
Tll
12 août 3
17 août 11
18 août \i
19 août 14
■20 août 13
-23 août 10
17
5
21
8
10
9
8
17
5
li
4
7
Au 30 août, le nombre des capsules de pavot était
TH = 120 environ ;
H:r=130;
8 = 70;
ce qui permet de conclure :
o° Que le nombre des fleurs est favorisé dans de grandes proportions
par l'humidité.
En suivant la floraison du pavot, j'ai pu constater:
6" Les fleurs des sols secs conservent le calice à leur sommet plus long-
temps qu'en sol humide.
7° Les fleurs qui se sont épanouies au lever du soleil sont, à 9 heures
du matin, beaucoup plus étalées dans le sol sec que dans les sols très
humide et humide.
8" Les corolles épanouies en même temps dans les sols sec et très
humide subsistent un peu plus en sol très humide ;
9" Quand les corolles tombent en sol sec, les étamines sont encore et
restent attachées sous l'ovaire, ce qui indique une chute prématurée de la
corolle.
10" A la chute de la corolle, les fruits sont petits dans le sol sec et
de volume presque double dans le sol humide. Dans le sol très humide,
les fruits sont moyens entre les deux, ce qui paraît indiquer que:
11" La floraison arrive en sol humide à un stade plus opportun de la
444 BOTANIQUE
végétation, alors que les réserves sont assez abondantes pour gonfler le
fruit de substances nutritives. En sol sec, au contraire, la Heur apparaît
plus tard, hésite à s'ouvrir et tombe avant d'avoir un fruit bien conformé.
Au point de vue pratique, ce qui importe, c'est le rendement définitif
de la plante. Pour le pavot, c'est l'observation de la quantité et l'analyse
des graines qui me donneront le véritable optimum à rechercher.
Pour la floraison, l'optimum en air sec est représenté par un sol ana-
logue à mon sol humide (12 0/0 pendant toute la végétation sur sable).
Il est à prévoir que l'optimum définitif, celui des graines, sera le sol très
humide; car, dans ce carré, les pieds sont beaucoup plus vigoureux en
épaisseur et le nombre de têtes arrive finalement à un chiffre voisin de
celui de la récolte sur sol humide ;
12° J'ai pu me rendre compte, en outre, par des incisions comparées
faites dans les parois des capsules, que le latex est beaucoup plus riche
en substances de réserve en sol très humide. Celui de sol humide est un
peu plus aqueux, et en sol sec, le latex est très aqueux.
Pour terminer les quelques observations précédentes faites sur quelques
espèces et qu'il ne faudrait généraliser qu'avec réserve, nous examine-
rons en deux mots comment s'est comportée la racine.
Racine. — C'est un fait bien connu que l'humidité développe le chevelu
des racines. En sol sec (sarrasin), la racine est nettement pivotante. On
observe un pivot de 18 à 20 centimètres de longueur présentant des rami-
fications peu nombreuses et seulement au voisinage du collet effectif de
la racine. Ces ramifications sont clairsemées et perpendiculaires au pivot;
quelques-unes (quatre ou cinq), ont 1 millimètre de diamètre à leur nais-
sance.
En sol humide, on trouve un pivot de o centimètres se terminant par
trois ou quatre radicelles assez fortes orientées suivant la pesanteur. Le
long du pivot naissent de nombreuses radicelles ramiliées et enchevêtrées.
En sol très humide, un pivot de 3 centimètres se terminant par une
fourche, et le tout entouré par un enchevêtrement de radicelles fines et
très nombreuses.
CONCLUSIONS GÉNÉRALES
1° L'action de l'humidité du sol sur une plante est très variable suivant
l'habitat ordinaire de cette plante. Il y a un optimum d'humidité pour
chaque plante et chaque organe.
2" Une humidité relative du sol produit, dès le commencement de la
germination, une accélération considérable dans la croissance.
3" L'humidité favorise l'accroissement, et cette influence est d'autant
plus forte que la plante est plus jeune.
L. GÉ.NEAlî liK. LAMAKLlKliK. Dl' « CO.NOPODIU.M DKMDVnM )) KKCII 4i5
4" La forme de la plante est plus élancée en sol humide qu'en sol sec ;
la ramification et le développement du limbe des feuilles est très favorisée
par l'humidité.
5" Le développement foliaire, qui est exagéré en sol humide, ne retarde
pas sensiblement la floraison et l'humidité peut même accélérer la flo-
raison.
6" Dans un air sec, la floraison et la fructification ne s'effectuent norma-
lement que si la plante dispose d'un sol humide.
Les observations précédentes ne font que laisser entrevoir l'influence
importante de l'humidité du sol. C'est dans l'étude anatomique et physio-
logique des divers membres de la plante que les résultats trouvés sont
les plus curieux. Ces diverses parties seront étudiées ultérieurement (1).
M. L. &EIEÂÏÏ DE LAMAELIEUE
au Laboratoire de Biologie végi-lale de Fontainebleau.
SUR LE DEVELOPPEMENT DU " CONOPODIUM DENUDATUM KOCH
— Séance du 17 septembre 1892 —
Dans une note présentée au Congrès de Marseille (2), j'ai montré que la
plantule du Bunium Buihocastanum L., bien que très anormale au
premier aspect, peut se rattacher par une suite d'intermédiaires au type
général que présente la majorité des Ombellifères, et que son cotylédon,
unique en apparence, résulte probablement de la concrescence de deux
cotylédons en un seul. Ce n'est donc pas un des cotylédons qui disparaît
par avortement, comme le veulent la plupart des auteurs, entre autres
Th. Irmisch (3; et Hegelmaier f4).
(1) Ce travail a été fait au Laboratoire de Biologie végétale de Fontainebleau, sous la direction de
M. Gaston BONNIKR.
(2) Sur Iti germinittion de (juelqitei Omhtlli fères, f.ls^w. française pour l'avancement des sciences.
Séance du 19 sept. 1891. Marseille).
(Z) Th. Irmisch, Bcilruge zur vergleiclienden Morpholoi/ie der Pflanzen : Carum Bidhocattanum und
Chœrophijtlum bulbositm nach ihrer Keimung. Halle, 1862.
(4) llKOELMAïKii, Ytrgleichvide Uniersuchungen ùber Enlwicklung dikolyledover Keime. Stuttgart,
1878, p. 138 et seq.
446 BflTANiyUE
L'insuilisance des matériaux que j'avais à cette époque entre les mains
ne m'avait pas permis d'être plus affîrmatif; de plus, l'origine du bour-
geon qui donne naissance à la tige fructifère restait tout à fait obscure.
Depuis lors, j'ai eu l'occasion d'étudier complètement la germination et le
développement d'une autre Ombellifère, le Conopodium denudatum, Koch,
qui présente les mêmes particularités que le B. Bulbocastanum et cette
étude me permet aujourd'hui d'apporter de nouveaux arguments en
faveur de mon opinion.
Hegelmaier, qui a étudié l'embryon de plusieurs Conopodium (C. capilli-
folium Boiss., C. subcarneum Boiss., C. Bourgœi Coss.) a trouvé que ces
embryons, comme celui du B. Bulbocastanum, étaient munis d'un seul
cotylédon bien développé, portant à sa base une petite protubérance.
Il était probable dès lors que l'on devait retrouver chez le Conopodium
denudatum les mêmes particularités anatomiques. C'est ce que j'ai pu
observer, et le développement de cette espèce s'est montré, presque sous
tous les rapports, semblable à celui du Bunium déjà décrit.
Morphologie externe. — La plantule du C. denudatum présente extérieu-
rement un organe foliaire, étroit, lancéolé, qui s'amincit vers le bas en
un pétiole arrondi du côté correspondant à la face inférieure et plan sur
la face supérieure. Cette dernière partie du pétiole est colorée en vert
comme le limbe lui-même, et présente de nombreux stomates qui devien-
nent rares vers le bas et disparaissent complètement dans la portion qui
vient ensuite. Le limbe et le pétiole sont les seules parties qui émergent
du sol. Presque au niveau de la terre, le pétiole est légèrement rougeâtre:
cette coloration est due à un pigment répandu dans les cellules épider-
miques, et on la retrouve souvent dans la partie inférieure de l'axe hypo-
cotylé des autres Ombellifères.
La région du pétiole qui est dans la terre a une forme absolument
cylindrique et est décolorée; les stomates disparaissent dans cette région.
Cette portion blanchâtre ne dépasse guère un centimètre en longueur :
elle est nettement limitée vers le bas par une brusque diminution du
diamètre. Ce cyljndre plus étroit présente tous les caractères extérieurs
d'une racine : sa couleur est grise et sa surface est couverte de débris
de poils absorbants flétris. Si l'on prend une plantule et qu'on la plonge
pendant une demi-minute environ dans le brun Bismarck ou le vert
d'iode, puis qu'on la lave dans l'eau pure, la partie mince absorbe forte-
ment le réactif, tandis que la portion blanchâtre reste incolore, ce qui
montre bien que la nature de l'assise externe n'est pas la même dans les
deux régions.
La partie amincie présente donc extérieurement tous les caractères d'une
racine; de plus elle porte des ramifications latérales qui ont l'aspect de
radicelles.
L. GKNKAU DK LVM.VRLlKltK. DU « (ONOPODRM DEINUDATLM » KOCH 447
Après huit jours environ de végétation, la racine offre vers son tiers
inférieur un léger renflement, d'abord lancéolé, puis sphérique, qui est
un petit tubercule ; ce renflement ne diff'ère extérieurement du reste de
la racine que par son diamètre plus fort.
Sur la partie supérieure du tubercule, près du point d'insertion du
filament qui sert de support au cotylédon, se montre bientôt un bourgeon
qui donne naissance successivement à plusieurs feuilles, puis, l'année
suivante, à une tige florifère. La position de ce bourgeon correspond à
la face supérieure de l'organe cotylédonaire.
Morphologie interne. — Si l'on étudie la morphologie interne de la
plantule du C. denudotum. on voit que toute la région couverte de poils
absorbants présente la structure primaire d'une racine, structure absolu-
ment identique à celle de toutes les autres Ombellifères. On y voit, en
effet, deux faisceaux du bois primaire opposés, et à vaisseaux unisériés,
alternant avec les deux faisceaux du liber primaire. Le cylindre central
est entouré d'un péricycle creusé de deux arcs sécréteurs, formés chacun
d'un nombre impair de canaux. Viennent ensuite un endoderme à
épaississements nettement subérifiés, et une écorce peu développée à
l'extérieur de laquelle se voit l'assise pilifère.
Quelle que soit donc la caractéristique que l'on admette pour la racine,
assise pilifère ou structure pi'imaire interne, cette portion de la plantule
U satisfait de tous points.
Dans la partie supérieure de la racine, c'est-à-dire au point où s'effectue
le changement de diamètre, une série de coupes transversales montre
que les deux faisceaux libéro-ligneux passent intégralement dans le pétiole
du cotylédon, en subissant assez brusquement les modifications néces-
saires pour prendre la forme caractéristique de la structure de tige. Dans
chaque faisceau ligneux primaire, on voit en effet les vaisseaux, d'abord
unisériés, augmenter en nombre et se disposer en massif semi-circulaire;
les vaisseaux les plus âgés (spirales), d'externes qu'ils étaient, deviennent
internes, et sont entourés de tous les côtés par des vaisseaux plus jeunes
(annelésj ; puis la masse totale du bois se scinde en deux portions égales
suivant un plan qui correspond au plan médian des faisceaux du bois
primaire de la racine; de sorte que les deux faisceaux primaires de la tige
alternent avec les faisceaux ligneux de la racine. Chacun d'eux doit donc
être considéré comme formé de deux moitiés, prise chacune à un faisceau
primaire différent de la racine. Les faisceaux primaires du liber conti-
nuent leur course rectiligne et se trouvent ainsi tout naturellement accolés
au bois.
Presque aussitôt, et un peu plus haut, les faisceaux libéro-ligneux ces-
sent d'être diamétralement opposés, car ils subissent une légère dévia-
tion et prennent dans leur ensemble la forme d'un V dont le liber occupe
448 BOTANIQUE
l'extrémité des branches. Ainsi la si/métrie par rapport à un axe dispa-
raît pour faire place à la symétrie par rapport à un plan. Cette nouvelle
région est celle du pétiole proprement dit : extérieurement elle est co-
lorée en vert. Vers l'extrémité inférieure du limbe cotylédonaire, les deux
faisceaux libéro-ligneux se confondent en un seul.
Il n'y a donc qu'un axe hypocotylé très court qui est presque réduit à
la zone de passage de structure de la racine à celle de la tige, cette zone
de passage se trouvant dans toutes les Ombellifères à la partie supé-
rieure de l'axe hypocotylé.
Jusqu'ici, il n'a pas été question de la gemmule; il est impossible d'en
trouver la moindre trace dans la portion extra-radicale de la plantule, à
moins qu'on ne veuille lui attribuer la légère protubérance indiquée par
Hegelmaier à la base de l'unique cotylédon développé, mais que cet auteur
considère comme le second cotylédon avorté. Quoi qu'il en soit, cet organe
ne subit aucun développement postérieur. Le bourgeon du tubercule ne
saurait être considéré comme la gemmule ; sa position sur une racine et
son origine interne s'opposent à une telle interprétation. 1/ n'y a donc pas.
de gemmule normalement développée.
J'arrive maintenant au développement du tubercule. Au début, il ne
présente pas une structure différente de celle du reste de la racine, qui est
la structure primaire normale. Plus tard, toute la racine, à l'exception du
tubercule, disparaît sans ofïrir de développement secondaire. Mais le
tubercule persiste et s'accroît beaucoup ; son écorce s'exfolie rapidement
et il reste constitué par le cylindre central, qu'une assise de liège protège.
Quand le tubercule a atteint un demi-centimètre de diamètre, le bour-
geon se développe beaucoup. 11 soulève et déchire la couche de liège
d'origine endodermique, ce qui montre bien qu'il est endogène. Sa base
forme une petite masse conique allant se réunir très obliquement au
cylindre central du tubercule. Au point de jonction, sur une coupe trans-
versale, on voit que le faisceau du bois primaire de la racine situé de ce
côté fait défaut. 11 y a donc, d'une part, un faisceau du bois primaire de
la racine, à croissance centripète, flanqué de chaque côté de deux ou trois
faisceaux du bois secondaire à vaisseaux presque unisériés ; puis, à l'en-
droit que devrait occuper le deuxième faisceau du bois primaire,. se trouve
un demi-cercle de parenchyme médullaire entouré de trois ou quatre
faisceaux appartenant au bourgeon, s'arrêtant à une zone de cambium de
l'autre côté de laquelle se trouvent autant de faisceaux du liber. 11 y a
ainsi, à ce niveau, situés côte à côte, un demi-cylindre central de racine el
un demi-cylindre central de tige. Les deux cambiums, quoique formant
des arcs égaux, ne sont pas en continuité par leurs extrémités.
Ceci se passe dans la portion supérieure du tubercule ; mais dans la
portion inférieure, au-dessous du point de jonclion du bourgeon, la
L. GrâEAl" ItE LA>IAI!l.Il":i!i:. — DU « CONOPODIUM DENUDATUM » KOCII 449
structure de la racine persiste avec une modification singulière. Les
deux faisceaux du liber primaire, au lieu d'être repoussés tout à lait à
la périphérie contre le liège, comme cela arrive dans les autres Omhelli-
fères, restent à mi-distance du liège et du cambium. Un peu plus bas, on
voit que ce dernier ne forme plus un cercle régulier ; mais, eu lace de
chaque faisceau du liber, il décrit une courbe rentrante. Ces échancrures
du cambium deviennent de plus en plus profondes à mesure que l'on
descend, puis elles se referment en englobant chacune un faisceau du liber
primaire. Le cambium est alors scindé en trois portions : 1" un cambium
général circulaire, ou plus généralement elliptique, produisant normale-
ment du bois à la face interne et du liber à la face externe; 2° deux petits
cercles cambiaux situés à l'intérieur du premier, produisant du liber à
l'intérieur et du bois à l'extérieur. Les faisceaux ligneux produits par les
deux systèmes cambiaux sont opposés dos à dos.
Si l'on descend encore le long de l'axe du tubercule, on voit le cam-
bium reprendre les différentes formes par lesquelles il est passé, mais
en sens inverse; il recouvre finalement son aspect normal. Cette struc-
ture singulière se conserve à l'état adulte. Je l'ai retrouvée dans deux
autres espèces d'Ombellifères, le Conopodium variabile Miègeville, et le
Bunium alpinum Waldst. et Rit.
En résumé, la plan Iule c?« Conopodium denudatum^e compose : 1° d'une
racine à structure primaire normale; '2° d'une zone de passage représen-
tant un axe hijpocolylé réduit; 3" d'un organe coti/lédonaire formé par la
concrescence de deux cotylédons en un seul, et admettant à son intérieur la
totalité du système vasculaire de la racine.
Il n'y a pas de gemmule normalement développée.
Le bourgeon du tubercule est d'origine interne et naif sur une poî^tion
radicale.
Le tubercule est dû à un accroissement du cylindre central secondaire
d'une portion de la racine. Dans sa partie supérieure, il présente en partie
la structure d'une tige par suite du développement du bourgeon adventif.
Dans sa partie inférieure, il a la structure d'une racine, mais modifiée
d'une manière toute particulière (1).
(1) ce travail a été fait au Laboratoire de Biologie végétale de Fontainebleau, dirigé par M. Gaston
BO>NIER.
29='
450 BOTANIQUE
M. A. O&EE
:i Courdemanche (Sarthe).
ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE L'INFLUENCE EXERCÉE PAR LE SOL HUMIDE
SUR LA TIGE ET LES FEUILLES
— Séiince du 49 xeplembre i892 —
Beaucoup de faits relatifs à l'influence de l'humidité du sol sur la
morphologie des plantes ont été cités depuis longtemps, mais en général
on ne s'est pas attaché à déterminer exactement les conditions où se
trouvaient les plantes observées. Si bien que ce qui est souvent rapporté à
l'humidité seule peut aussi bien Têtre à une condition de milieu en
rapport avec l'humidité, à une faible intensité lumineuse, par exemple.
Pour étudier l'action de l'humidité, j'ai donc cultivé, pour chaque plante
jnise en expérience, deux lots, l'un de sol sec, l'autre de sol très humide;
toutes les autres conditions, intensité lumineuse, état hygrométrique, cha-
leur, composition du sol, étant identiques pour les deux lots. Actuelle-
ment, les résultats sont connus pour deux espèces : Lampsana communis
et Sonchus asper.
Je ne compare les plantes que lorsqu'elles ont atteint leur entier déve-
loppement, c'est-à dire après la fructification. Un des principaux effets de
l'humidité du sol est de changer la durée des différentes périodes de
végétation ; il se trouve qu'ainsi, à un moment donné du développement,
alors qu'un tissu a acquis toute sa croissance en sol sec, il est à peine
ébauché en sol humide. Après la fructification, cette différence n'a plus
lieu et les plantes sont comparables.
Lampsana communis. — En sol humide, les plantes sont beaucoup plus
grandes (deux à trois fois). Le nombre des entre-nœuds augmente et,
par suite, celui des teuilles de la tige ; les rameaux se développent beau-
coup : ils portent de m à 100 capitules de fleurs, tandis qu'en sol sec ils
avortent presque complètement et la plante n'a plus que 7 ou 8 capitules
de fleurs.
La longueur do tige étant prise pour unité, les entre-nœuds supérieurs
sont relativement plus longs en sol humide qu'en sol sec, tandis que le
contraire a lieu pour les entre-nœuds inférieurs. En grandeur absolue,
ils sont toujours plus grands en sol humide qu'en sol sec pour des
régions correspondantes. L'absence de ramification en sol sec donne à
A. OGEn. — INFLUENCE DU SOL HUMIDE SUR LA TIGE ET LIS FEUILLES 4o l
la plante un aspect différent de celle de sol humide ; la plante de sol sec
forme comme un épi allongé terminé par un petit corymbe; la plante
de sol humide, au contraire, représente une grappe très largement déve-
loppée, dont chaque rameau est lui-même une grappe de corymbes.
La tige peut se diviser en deux régions : l'une, supérieure, glabre;
lautre, inférieure, velue. En sol humide, la région glabre est proportion-
nellement plus développée qu'en sol sec. La tige n'est pas exactement
cylindrique; l'arête inférieure du pétiole de chaque feuille se prolonge sur
la tige en y formant une arête longitudinale ; ces arêtes longitudinales,
peu sensibles en sol sec, sont relativement beaucoup plus développées en
sol humide.
Feuilles. — En grandeur absolue, les feuilles sont plus grandes en sol
humide qu'en sol sec, mais les feuilles ne sont pas qu'amplifiées, elles
ont aussi changé de forme. Alors qu'en sol sec les feuilles diminuent
constamment de longueur de la base au sommet, en sol humide la
longueur reste constante pour toutes les feuilles, moyennes. La largeur
change également. Sous l'influence d'une grande humidité du sol,
l'accroissement en longueur est plus grand que l'accroissement en largeur
pour les feuilles supérieures ; c'est le contraire qui a lieu pour les feuilles
inférieures. Normalement, les feuilles inférieures sont lyrées, les feuilles
moyennes pétiolées et simples, et les supérieures sessiles. En sol humide,
les expansions latérales du pétiole des feuilles lyrées se développent
beaucoup ; elles s'atrophient et tendent à disparaître en sol sec. Les
feuilles moyennes ont leur limbe plus tronqué vers la base en sol sec
qu'en sol humide. Le nombre des nervures principales ne varie pas
sensiblement dans les deux cas, de même que le nombre de dents ; il en
résulte qu'en sol humide, où le limbe est plus grand, le bord semble
moins denté. Enfin, la feuille des plantes de sol sec est beaucoup plus
résistante, plus velue ; elle se fane difficilement, tandis que celle de sol
humide se flétrit dès que la plante est arrachée du sol. La couleur verte de
la feuille est plus foncée en sol sec qu'en sol humide ; la feuille tend
d'ailleurs beaucoup plus à se mettre perpendiculairement à la direction
|)rincipale des rayons lumineux pour les plantes de sol sec que pour celles
de sol humide.
Morphologie interne. — Les tissus ne conservent pas le même rapport
d'épaisseur dans les deux cas. En grandeur absolue^ sauf l'écorce, tous
les tissus augmentent d'épaisseur en sol humide, mais l'accroissement
n'est pas proportionnel. Nul pour l'écorce, il est le plus grand pour la
moelle et surtout pour les formations secondaires ligneuses, et très peu
accentué pour le stéréome médullaire. La cavité centrale augmente, alors
qu'elle peut manquer en sol sec. Le nombre des vaisseaux est également
augmenté.
452 BOTANIQUK
Les éléments des tissus changent également de forme. Toutes les cel-
lules, sauf celles de l'êcorce sont agrandies en sol humide, mais l'épais-
seur de la paroi ne suit pas nécessairement cet agrandissement : il ne lui
est proportionnel que pour les tissus de soutien; pour les autres cellules
l'épaisseur est sensiblement la même dans les deux cas. Les cellules des
tissus de soutien sont plus différenciées en sol humide ; elles se détachent
plus facilement les unes des autres sous l'influence d'une pression sur
la coupe. L'épiderme de la feuille a ses cellules beaucoup plus grandes et
plus ondulées en sol humide.
SoNCHus AsPER. — De même que pour les Lampsanes, les plantes de sol
humide sont beaucoup plus développées que celles de sol sec (trois à
quatre fois), mais ici la floraison est retardée en sol sec. La ramification
est très développée en sol humide; les rameaux dépassent de beaucoup le
sommet de la tige sans que cependant la plante devienne très large à
cause du géotropisme oblique négatif très prononcé de ces rameaux; ils
portent beaucoup de fleurs. En sol sec, la ramification est à peu près nulle,
la plante est nettement pauciflore : deux ou trois fleurs au plus.
L'aspect diffère : en sol sec les feuilles ont une tendance à se mettre en
rosette par suite du peu de développement des entre-nœuds inférieurs,
tandis que les feuilles caulinaires deviennent bractéiformes ; la tige prend
ainsi l'aspect d'un pédoncule floral. En sol humide, au contraire, la ro-
sette basilaire tend à disparaître par suite de l'allongement des entre-
nœuds, les feuilles supérieures ne sont pas bractéiformes et, toutes pro-
portions gardées, la tige semble largement feuillée depuis le sommet
jusqu'à la base.
La tige, glabre dans les deux cas, porte, surtout aux entre-nœuds
moyens, des arêtes longitudinales qui ne sont que le prolongement de l'a-
rête inférieure du pétiole. En sol très humide, ces arêtes deviennent de
véritables ailes de deux à trois millimètres de largeur, tandis qu'en sol
sec, ces arêtes sont très peu développées et à peine visibles.
Feuilles. — L'accroissement de grandeur des feuilles en sol humide est
beaucoup plus fort vers la partie supérieure que vers la partie inférieure
de la tige. La forme est encore changée. Normalement les feuilles cau-
linaires sont embrassantes. Les auricules deviennent considérables en sol
humide et le limbe tend à s'aplanir, tandis qu'en sol sec il est toujours
plus fortement ondulé sur les bords avec des auricules très réduites. Les
dents sont atténuées en sol humide et la feuille est un peu moins rude,
mais sous ce rapport la différence avec la feuille de sol sec n'est jamais
aussi grande que celle qu'on obtiendrait par une différence dans l'éclai-
rage. Enfin la couleur verte est atténuée également en sol humide.
Morphologie interne. — L'accroissement du diamètre de la tige n'est pas
proportionnel à l'accroissement en longueur, mais ici il y a beaucoup
A. C.VRAVEX-CACHIN . — LES PLANTES NOUVELLES DU TAILN ( 187i-1891) 453
moins de différence que pour le Lampsane. Tous les tissus augmentent
d'épaisseur en sol humide, mais l'accroissement n'est pas proportionnel.
Peu développé pour l'écorce, il l'est davantage pour le stéréome cortical,
encore plus pour le stéréome médullaire, mais surtout pour la moelle et
pour les formations secondaires ligneuses de la base. La cavité centrale
est également très agrandie.
Les cellules de tous les tissus sont agrandies sous l'intluence de l'humi-
dité du sol, mais l'agrandissement n'est pas proportionnel. A peu près
nui pour les cellules de l'écorce, il atteint son maximum dans la moelle,
ie parenchyme des feuilles et dans les vaisseaux (qui augmentent en
nombre); l'épaisseur de la paroi n'augmente pas, sauf un peu pour les
tissus de soutien. Enfin l'épiderme de la feuille a des cellules très agran-
dies, à parois beaucoup plus ondulées en sol humide qu'en sol sec.
M. Alfred CAEAYEN-CACHO
Lauréat de l'Institut, à Salvafjnac (Tarn).
LES PLANTES NOUVELLES DU TAPN ri874-l89n
— Séance du 49 septembre 189i —
Depuis l'année 1874, date de l'arrivée des régiments d'artillerie dans
la ville de Castres, qui a coïncidé avec l'introduction des céréales étran-
gères, nous avons rencontré, principalement aux environs de celte ville,
à la gare, aux baraquements, au champ de tir du Causse d'Augmontel,
enfin à Murât, plusieurs plantes nouvelles dont nous allons donner la
liste :
Année 1873, — Gare de Castres.
Nasturtiastrum ruderale (G. et M.) Chrysanthemum segetum (L.).
Melilotus parviflora (Desf.). Echiuin pjantagineum (L.j.
Année 1876. — Gare de Castres.
Rœmaria hybrida (D. C). Urtica pilulifera (L.).
Glaucium corniculatum (Scop.). Verbascum sinuatum (L.).
Erysimum perfoliatum (Crantz). Carthanius linctorius (L.j.
4o4
BOTANIQUE
Année 1877. — Gare de Castres.
Trifolium'purpureum (D. C).
Ganielina sylvestris (Waltz.J
Dianlhus caryophyllus (L.).
Année 1877. — '■ Lautrec.
Tulipa ocLilus-solis (St-Am.).
Année 1878. — Gare de Castres.
Phalaris canariensis (L.).
Année 1879. — Castres, à la Tuilerie-Neuve.
Lactuca ramossissima (Gr. et God.)
Année 1880. — Augmontel et gare de Castres.
Delphinium pubescens (D. C).
Papaver dubium (L.).
— hybridum (L.).
Glaucium corniculatum (Curf,).
Brassicaria erucastrum (G. et M.).
Rapistrum orientale (D. C?).
Reseda alba (L.).
Silène muscipula (L.).
— dichotoma (L.).
Medicago scutellata (Ail.).
— pentacycla (D. C).
Trifolium resupinatum (L.).
— stellatum (L.j,
Meiilotus sulcata (Desf.).
— parviflora (Desf.).
Lathyrus ochrus (D. C).
Buplerum protactum (Link et Hoff.).
Galium parisiense (L.),
et G.),
Centaurea hybrida (AU.).
— microplilon (G.
— paniculata (L.).
Scabiosa hybrida (AU.).
Cota tinctoria (Gay.).
Anacyclus Valentinus (L.).
Achillea ageratum (L.).
^ tomentosa (L.).
Chrysanthemum coronaiium (L
Senecio Gallicus (Will.).
Hedypnois cretica (Will.U
Anchusa sempervirens (L.).
Salvia sclarea (L.).
Leonurus cardiaca (L.).
Phalaris nodosa (L.).
Sorghum Helepense (Pers.).
Polypogon Mouspeliensis (Desf.)
Briza maxima.
Année 1881. — Castres, Baraquements et Augmontel.
Hibiscus roseus (L.).
Lavatera trimestris (L.).
Malope malacoïdes (L.),
Medicago scutellata (AU.).
— pentacycla (D. G,
Trifolium resupinatum (L.
Meiilotus sulcata (Desf.).
Scorpiurus subvillosa (L.).
Lathyrus ochrus (D.-C.).
Knautia hybrida (Coult.).
Centaurea melitensis (L.).
Cota tinctoria (L.).
Anacyclus Valentinus (L.).
AchUlea tomentosa (L.).
AchiUea nobilis (L.).
Chrysanthemum Myconis (L.).
Hedypnois cretica (Willd.).
Campanula rapunculoides (L.).
Polygala comosa (Schlk.).
Heliotropium supinum (L.).
Marrubium supinum (L.).
Andropogon halepensis (Sibth.).
A. CARAVEN-CACHIN. — LKS PLANTES NOUVELLES DU TAliN (1874-1891) 4oO
Année 1882. — Castres et Augmontel.
Sisymbriuni columnfc (Jacq.)- Onobrychis caput-galli (Lain.).
Lavatera punctata (L.)- Senecio gallicus (Chaix).
Trixago apula (Stew.). Phalaris paradoxa (L.).
Année 1882. — Castres à la Gare.
Berteroa incana (D. C). Medicago marginata (Willd.).
Camelina dentata (Pers.). Buphlalmum salicifoliuni (L.).
Silène dichotuma (L.). Agroslis spica-venti (L.).
Année 1883. — Castres à la Gare.
Brassica asperitblia (Lam.). Anacyclus radiatus-type (Lois).
Erucastrum Pollichii (G. et God.). Vulpina ligustica ^Linck).
Trigonella corniculala (L.).
Année 1884. — Bords du Tarn.
Sisymbrium polyceratum (L.). lloubieva niultifida (M.-T.). Plante
Paspalum vaginatum (Ùw.). signalée à Sorèze, depuis plus de
Solidago glabra (Desf.). cinquante ans. Se trouve très com-
munément sur les rives sablon-
neuses du Tarn.
Sporobolus arenarius (.1. Duval) (1).
Année 1883. — Saint-Urcisse (Tarn).
.îlnothera rosea (Ait.). Plante qui se reproduit à Saint-Urcisse depuis plus de
quarante-cinq ans.
Année 1885. — Murai (Tarn).
Arabis muralis (Bertol.). Saponaria ocymoides (L.).
Lepidiura heterophyllum (Benth.).
Année 1886. — Murât.
Camelina dentata (Pers.). Hutchinsia procumbens (Dest.).
Année 1887. — Murât.
Tritblium nigrescens (Viv.). Cotoneaster tomenlosa (Linde).
Potentilla micrantha (Bam.).
Année 1888. — Murât.
Saxil'raga hypnoides (L.).
Année 1889. — Murât.
Amelanchier vulgaris (Mcench.).
Année 1890. — Murât.
Solidago glabra (Uesf.). Lappa intermedia (Behb.i.
Valeriana hypnoides (L.).
(1) CeUe plante a été signalée par M. .1. i;ei, professeur ;i Saint-Sulpicc (T;nii .
4o0 lîOTAMQUE
Année 1891. — Murât.
Genista cruciala (L.). Luzula Di\ea (1). C).
Odontites rubra (Pers.). Equisetum sylvalicum (L.).
Juncus filiformis (L.).
Nous avons encore rencontré le Lychnis coronaria (D. C.) à Roque-
courbe, sur les bords du Viaur et à Salvagnac ; le Colchicum longifolium
(Cast.) au Sidobre, C'est le Colchicum Castrense de M. Larembergue .
Le Difora radian>i (Bieb) est le Bifora tesliculata (D. C.j de M. de
Martrin-Donos ; de même que la Centaiirea paniculata (L.) a été étiquetée
sous le nom de Centaurea polijcephala (Jord.), par M. de Martrin-Donos.
Enfin, la Fritillaria pijrenaïca (L.) a disparu du bois de Gaïx, en 1870,
par suite des écobuages.
Nous ne pensons pas que ces plantes, qui viennent fausser la flore
indigène, s'acclimatent dans notre département, car il n'est guère possible
que toutes ces espèces végétales résistent à notre climat, éminemment
variable, à cause du voisinage dos montagnes. Nous savons, du reste,
(juc Gouan sema aux environs de Montpellier, d'après une note inédite
de De Candolle et comme ses propres listes de semis en font foi, plus
de 800 plantes qui ont disparu, tant sont difficiles les naturalisations.
Ajoutons à cela que nos inconscients agriculteurs tenaient peu compte
de la géographie botanique et répandaient partout au hasard des graines
qui provenaient de pays sans analogie avec le nôtre. Cependant, il nous
a paru intéressant, pour les botanistes à venir, de signaler le résultat
de nos recherches et de consigner les espèces végétales qui ont été intro-
duites dans nos contrées par les avoines et les blés étrangers.
M. Constant HOÏÏLBEET
Professeur au Collège irKvrnu.
SUR LA VALEUR SYSTÉMATIQUE DU BOIS SECONDAIRE
— Séance du 19 ■ieplembre I8!)i —
On sait depuis longtemps, et les recherches récentes de M. le
D'' Miiller (1), en Allemagne, ont encore confirmé ce fait, que les
(i) D'' J.-C. Mulleu, Erlaulcrnler Text zu dein Atlas (1er Ilolzslructur durgeatelll in Micropho-
tographien. Halle, 18S8. .
Ci HOCLHEItT. SUR I. V VALEUU SYSTKMATIUUK Di: UDlS SKCONDAIUK 4o7
bois d'une môme famille possèdent, en général, une structure analogue.
L'ouvrage le plus complet sur ce sujet est celui de M. H. Solereder (1),
public à Munich en 1883. Dans la seconde partie de cet ouvrage (Spe-
cieller Teil), aussi remarquable par le nombre des faits observés que par
la précision des détails anatomiques, l'auteur passe en revue les carac-
tères du bois dans toutes les familles de Dicotylédones qui comprennent
des représentants ligneux, mais malheureusement il se borne à la simple
constatation des faits, et très rarement — ainsi que M. Van Tieghem
l'a constaté lui-même dans son intéressante étude sur les Mémécylées (2j
— il tire de ses observations quelques considérations générales relatives
à la systématique des plantes.
Cette disposition particulière d'un travail si important nous a paru
regrettable, c'est pourquoi nous avons entrepris de revoir ce sujet si
riche et si peu étudié jusqu'à présent.
I. — D'après nous, le bois secondaire offre des caractères de premier
ordre pour la classification : par sa constitution chimique, par sa posi-
tion mémo à l'intérieur de la tige, il est susceptible de résister, plus
que tout autre tissu, aux influences modificatrices du milieu.
Certes, dans diverses circonstances, le bois peut se réduire ; il peut
même disparaître à peu près complètement, ainsi qu'on l'observe dans
certaines plantes aquatiques (Elodea): mais, dans les cas où il est bien
développé, il se prêle mal aux exigences de l'adaptation ; il doit donc
conserver dans sa structure les caractères les plus essentiels de l'espèce,
ceux qui peuvent, par conséquent, être le plus fidèlement transmis par
voie de descendance.
Voici, à l'appui de cette manière de voir, un certain nombre de faits
qui nous ont paru très concluants.
Tout d'abord, nous devons dire que c'est l'agencement relatif des élé-
ments du bois qui constitue le caractère fondamental de ce tissu au point
de vue taxinomique ; c'est cet agencement relatif, généralement inva-
riable dans chaque famille, que nous avons désigné sous le nom de
plan lir/iieux.
Cette expression permet de caractériser d'un mot la structure du bois
dans un groupe donné, et c'est ainsi, par exemple, qu'on peut rap-
procher les Mi/ricacées des Protéacées, en disant que les premières pos-
sèdent le plan ligneux des Persoonia.
Et, en effet, quand tous les organes extérieurs, les feuilles, la tige
elle-même prise dans son ensemble, peuvent être profondément modifiés
(1) D' H. SoLiiREDEiî, i'eher den syslemalischen W'erl der llolzstruclitr hci den Dicotijledonen.
.■Muiichen, iSS'6.
(2) Vas Tieohem, Sur lu structure et Je^ 'j/Jinilés des Mémécylées, p. 26 Ann. des Sciences nul.,
•' st'rie, t. XIII, 1889).
458 ■ BOTANIQUE
par les conditions extérieures, le Bois secondaire se retrouve toujours
avec sou plan ligneux invariable.
Nous ne voulons pas dire cependant que le bois ne subira pas, dans
une certaine mesure et pour une espèce donnée, l'influence du milieu;
tout le monde sait que dans les stations humides sa structure est plus
lâche que dans les stations sèches, mais il ne faut pas oublier que ces
variations, dont l'amplitude est fort limitée, ne portent que sur les dimen-
sions absolues des éléments, sur le diamètre des vaisseaux et des fibres,
sur l'épaisseur de leurs parois : dans aucun cas, V agencement 7'elaiif de
ces éléments ncst troublé, d'où invariabilité complète du j)lO'>i ligneux.
II. — Certaines familles nous offrent des exemples fort nets de ce fait.
En premier lieu, nous citerons les Protéacées, qui doivent précisément
leur nom à la variété infinie de leurs formes ; pour ne pas sortir d'un
même genre, n'y a-t-il pas, au point de vue du port et de l'aspect exté-
rieur, une différence considérable entre le Grevillea acanthifolia et le
Grevillea robusta ? Et cependant le bois secondaire de ces deux espèces
n'accuse pas de différences bien appréciables ; il en est de même dans
le groupe des Banksia.
Chez les Chénopodiacées, n'est-il pas remarquable de rencontrer des
espèces adaptées à la sécheresse du désert (Salso/a orborescens, Haloxylon
ammodemlro»), possédant un bois très xérophilc, il est vrai, mais iden-
tiquement construit sur le même plan que celui des espèces européennes ;
l'adaptation, on le voit très clairement ici, n'a porté que sur les élé-
ments ligneux, elle n'a rien changé à leur agencement relatif.
Chez les Cupuliféres, ne serait-il pas, à première vue, raisonnable de
supposer qu'aux difiérences extérieures qui existent, par exemple, entre
notre Quercus peduncidata et le Quercus ilex, dussent aussi correspondre
des différences concordantes dans la structure du bois secondaire? En
réalité, on peut dire qu'il n'en est rien et que, malgré de nombreuses
variations d'aspect et de port, le bois, dans la vaste série des Chênes,
offre la plus remarquable uniformité de structure.
Dans les Bosacées, il y a certes d'assez grandes différences extérieures
entre une Spirée et un Pi^unier; ici encore cependant, le bois secondaire
n'a pas suivi les variations morphologiques et, au point oîi en sont mes
recherches, j'ai constaté que toute la famille possède le même plan ligneux.
Enfin une remarque semblable peut être faite pour le groupe hétéro-
gène de Saxifragées, puisqu'on retrouve jusque dans les Platanes (1) la
structure ligneuse des Hamamélidées.
A ce premier ordre de faits on peut en ajouter un second dont la
valeur n'est pas moindre.
(I) M. Bâillon Considère la série des Platanes « comme re|)résent;uit le type arborescent le plus
réduit des Saxifragées ». (Hùt. des Piaules, III, p. 400.;
C. HOULBERT. SLIÎ L.V VALEl |5 SYSTÉMATIQUE DU BOTS SKCONDAIKI-; 451)
III. — On a remarqué que les végétaux fossiles, au moins dans la
grande majorité des cas, nous montrent des formes très voisines des
espèces vivantes, mais non absolument identiques ; on aurait pu s'attendre
à trouver également, dans les débris ligneux fossiles, des variations du
môme ordre ; il n'en est rien : les bois de l'époque tertiaire — et nous
avons eu l'occasion d'en examiner un grand nombre — ne se distinguent
en fien de ceux de l'époque actuelle.
Il faut donc admettre, d'après ce qui précède, que, de tous les caractères
auatomiques, c'est le bois secondaire qui présente les plus généraux et les
plus fixes.
IV. — Si maintenant nous descendons de ces caractères généraux,
c'est-à-dire de ce plan ligneux invariable, aux variations apportées par les
conditions de milieu, et qui ne portent, comme nous l'avons dit précédem-
ment, que sur les éléments cellulaires, nous trouvons une seconde série
de caractères génériques ou spécifiques qui, pour une valeur moindre
que les premiers, n'en sont pas moins très importants au point de vue de
la classiliation .
.\ous arrivons ainsi, par une analyse attentive du corps ligneux, à pos-
séder, avec les seuls caractères du bois, un système méthodique de
classification qu'aucun autre tissu, pris isolément, n'est capable de
fournir au même degré.
Nous pouvons résumer ainsi qu'il suit les deux ordres de caractères
fournis par le tissu ligneux en coupe transversale.
PREMIER 0R1>RE.
Aspect du bois pris dcais son ensemble.
(Plan ligneux.
1° Aspect, l'orme et dimensions relatives
des fibres et des vaisseaux .
2° Distribution des vaisseaux au milieu
des fibres.
'■]" Présence ou absence du parenchyme
ligneux.
4° Nombre et forme des rayons médul-
laires.
Nota. — Ces caractères ne doivent jamais
être considérés isolément ; c'est leur en-
semble qui donne au bois de chaque essence
ligneuse son faciès particulier.
DEUXIEME OBnRE.
Aspect des éléments du boit contidérés
isolément.
i" Épaississement de la paroi des vais-
seaux et des fibres.
/ Absolue.
2» Dimensions \ Relative i ceux de priii-
des vaisseaux : ) temps comparés à ceux
\ d'automne, par exemple!.
3" Distribution relative du parenchyme
ligneux.
4° Coloration des vaisseaux, des rayons
médullaires du parenchyme ligneux et des
fibres.
5° Dimensions absolues des rayons et
des fibres.
6° Ornementation de la paroi des élé-
ments ligneux.
7" Présence ou absence de cristaux dans
les éléments du bois.
Nota. — Ces caractères peuvent être
considérés séparément ; ils sont, en général,
indépendants les uns des autres.
460 BOTANIQUE
Les coupes longitudinales, radiales et tangentielles. donnent aussi un
certain nombre de caractères qui complètent ou précisent les observa-
tions qu'on peut faire sur la coupe transversale.
En résumé, parmi les caractères anatomiques qui peuvent être appliqués
à la classification, les plus généraux et les plus fixes sont ceux qui .sont
fournis par l'agencement relatif des éléments du iîois secondaire i plan
LIGNEUX I.
On tivuvc également dans le bois secondaire des caractères de second
ordre qui suffisent, le plus souvent, à définir les genres et quelquefois même
les espèces.
Nota. — Ces considérations sont celles que nous avons appliquées à
une étude complète du bois des Apétales, dont la publication aura lieu
prochainement.
M. Edouard ÏÏECKEL
Prufesseuv ;"i lu Fnciilli' des ScieiH'L'S di' MarsuiUe.
SUR UN CERATONIA SILIQUA L. A FLEURS UNIQUEMENT HERMAPHRODITES
ET A ÉTAMINES SESSILES BRACHYSTÉMONES
— Séance du iH septembre. IS92 —
J'ai rencontré, il y a quelques jours, en pleine floraison sur les pentes
de la colline du Castellet (Var), près d'une chapelle en ruine dédiée à
saint Côme, et bien exposé au soleil du Midi, un pied de caroubier très
ancien qui m'a présenté une condition florale très intéressante, digne
d'être décrite, si elle ne l'a été déjà, ce dont je doute un peu après les
recherches bibliographiques absolument vaines auxquelles je me suis
livré pour en trouver trace. Ce végétal, très âgé, si l'on tient compte des
marques évidentes de vétusté dont son tronc porte le témoignage, aurait
été apporté là, avant la Révolution, par le prêtre qui bâtit la chapelle de
Saint-Côme et planté dans le jardin du presbytère oîi il est encore plein
de vie. Il n'est donc pas spontané. Son pied principal, qui a formé quatre
gros rameaux de la grosseur de la cuisse d'un homme, est atteint de
gangrène sèche et ne vit que par l'écorce.
K. IlECIvEL. SL'Ii IN « Ci:iiAT(tM\ SlI.K.tUV !.. » 4(31
Ce caroubier me lut sij^ualé, dès mon arrivée au Caslelet, comme lleu-
rissanl chaque année et mûrissant en abonrlance de gros fruits de
dix centimètres de long et de trois de large, bien sucrés et agréables; les
enfants du pays, auxquels les propriétaires les livrent, en font leurs délices
à l'époque de la récolte. Malgré cet état llorissanl, il a gelé plusieurs fois
durant les années exceptionnellement froides, mais il a repris du pied et
linalement constitue aujourd'hui un fort bel arbre très touffu et d'un déve-
loppement peu commun dans nos pays H). Par ses graines, il a donné
quelques rejetons, disséminés dans les jardins du (iastellet, et qui, quoique
âgés de quinze ans déjà, n'ont pas fleuri encore. Je serai heureux de voir
ultérieurement si la singularité florale que je vais décrire s'est transmise
y)ar les graines à ces rejetons : le fait méritera d'être noté, N'oici cette
disposition florale si étrange et encore inconnue, je crois. On sait que,
dans le caroubier, les fleurs sont polygames ou dloïques et que la fleur
hermaphrodite présente cinq étamines à filels filiformes, insérées hors
l'iG. I. — Floiir di' «ïirmiliicr hpi-inaplirodili
iioiinal à longues éliiiiiiiies.
FiG. 2. — Coupe lonj.'i(udiiialt.' de la même fleur.
du disque ; que les élamiiies sont versatiles, jaunes, à anthères bilocu-
laires introrses (fig. 1 et 2). Ici rien de ce genre.
Le végétal tout entier (j'en ai examiné, un jour durant, les innombrables
grappes une à une) porte uniquement des fleurs hermaphrodites dont
les anthères, dépourvues de tout fdet, sont sessiles et affixées sur les bords
du disque, encapuchonnées dans le sépale auquel elles sont opposées.
Leur couleur est lie de vin, comme celle des sépales ; cette couleur est
même un peu plus foncée dans les anthères que dans les sépales (fig. 3
et i).
Dans ces conditions, étant donnée la distance qui sépare le stigmate
des anthères, on serait porté à admettre que la fécondation est irréali-
(1) Il n'existe guère, à ma connaissance, dans la riigion Est du Var (qui confine aux Bouches-du-
Khône), où j'ai observé le caroubier qui fait l'objet de celte note, qu'un autre végétal semblable, au
village d'Ollioules, près de Toulon. Il est moins beau et malgré l'excellente disposition de cette
localité, réputée par ses primeurs en (leurs et en fruits, il a gelé à plusieurs reprises dans le cours
de son existence. Tous les autres caroubiers que j'ai visités soigneusement depuis Toulon jusqu'à
Marseille sont màlcs ou hermaphrodites brachystémones: c'est ce qui me porte à croire que l'état que
je décris a été considéré par les descripteurs comme l'état femelle avec traces d'étamines avortées.
Ces étamines sont cependant fécondes, et quoique plus petites, remplies, comme les anthères nor-
males, d'un pollen normal.
462 BOTANigri-:
sable, si le fait de Fapparition annuelle de nombreuse gousses mûres
sucrées et bien développées ne protestait contre cette supposition. D'un
autre côté, il n'y a d'arbre essentiellement mâle qu'à plus de 12 kilo-
mètres en pays montagneux, ce qui exclut l'idée de fécondation par le
vent. Mais, en y regardant de plus près, on remarque qu'au moment de
la déhiscence des anthères, moment qu'il est facile de reconnaître à l'odeur
spermatique bien connue dans d'autres plantes, que répandent les fleurs,
les jeunes carpelles d'une même inflorescence, d'abord tous verticaux, se
déjeltent vers le bas de la grappe, s'incurvent quelquefois latéralement
(fîg. 5) et finalement rapprochent leur stigmate, devenu à ce moment
FlG. 3.
FiG. /,.
FiG.
FlG. 3. — Fli'uv hermaphrodite à étamines sessiles.
FiG. i. — Coupe longitudinale de la fleur hermaphrodite à éluminos sessiles du
caroubier de Saint-Côme.
FiG. o. — Portion d'une grappe de fleurs du caroubier de Sainl-Côme, montrant
le déjettement du pistil [lour se porter vers les étamines d'une fleur
voisine (fécondation croisi'C entre les fleurs d'un même pied).
propre à l'imprégnation, vers les fleurs inférieures ou latéralesdans la même
grappe, de manière à être très près des anthères d'une fleur voisine. C'est
donc le pollen étranger à la fleur qui en féconde l'organe femelle et cette
adaptation semble être réalisée contre l'autofécondation, forme d'impré-
gnation qui, dans la variété des dispositions florales particulières à cette
espèce, n'est assurée que par la fleur hermaphrodite (1), puisque l'état
dioïque et la condition mâle et femelle sur le même pied (polygamie) sont
absolument contraires à ce processus.
A part ces singularités, ni le pollen ni la structure du stigmate ne
m'ont rien offert qui ne soit de l'ordre normal . Je ne vois aucune expli-
cation à donner à cette anomalie, mais elle méritait certainement d'être
enregistrée pour montrer la plasticité de la fleur dans l'espèce qui nous
occupe et ajouter un exemple nouveau aux adaptations florales si bien
(1) On remarquera que, dans un végétal, la forme hermaphrodite ordinaire ne porte aucune
atteinte à la descendance par l'autofécondation qu'elle réalise, puisque les fleurs mâles et femelles
voisines portées sur le même pied assurent de leur côté la fécondation croisée.
SAMRUf.. UELATIOXS KNTRE LKS FORMF.S VÉGÉTALES ET LE CLIMAT 4()8
étudiées par Ch. Darwin dans son livre intitulé : Les différentes formes de
fleurs, dont j'ai donné la traduction française. Il semble, en s'en rappor-
tant aux cas relatés par le savant philosophe anglais, dans le livre sus-
indiqué, qu'on pourrait considérer la forme de fleur à étamines sessiles
du Ceratonia comme comparable à celle qu'il a appelée dolychostylée dans
les Primula et qui se traduit, en somme, par une diminution très sensible de
la longueur du ftlet. Ici, cette diminution est à son maximum. Dans les
deux cas, l'autofécondation est impossible, et la fécondation croisée se
trouve assurée chez le Primula par l'intervention des insectes ; chez les
Ceratonia, une adaptation nouvelle est intervenue, c'est l'inclinaison de
l'ovaire sur son pédicule. Cette adaptation existe, du reste, aussi sur la
fleur hermaphrodite normale.
M. SAMBÏÏC
Professeur suppléante l'École de Médecine il'Alger.
SUR LES RELATIONS ENTRE LES FORMES VÉGÉTALES ET LE CLIMAT
— Séance du 19 septembre i892 —
La question de l'influence du milieu sur les êtres vivants se pose néces-
sairement quand on aborde le problème de l'origine des espèces. On sait,
en eff"et, que les doctrines transformistes admettent toutes, pour expliquer
l'évolution des espèces, une sorte de pression du milieu ambiant, le mot
milieu étant pris ici dans son sens le plus général ; ce serait le milieu
vivant qui agirait dans l'hypothèse de Darwin, le milieu inanimé et pure-
ment physique dans celle de Lamarck. Aujourd'hui que cette dernière
hypothèse est reprise par un certain nombre de naturalistes, il peut être
utile de rechercher dans quelle mesure l'action des agents physiques
peut modifier un être vivant; d'autant plus que cette étude peut être,
jusqu'à un certain point, abordée à l'aide de l'expérimentation directe
du laboratoire.
Dans cet ordre d'idées, il nous a semblé intéressant de rapprocher
464 liOTAMULE
certains faits, observés par nous au Sénégal, d'expériences récentes dues
à M. Aimable Lotlielier. La flore du vSénégal est caractérisée par la fré-
quence des piquants chez les espèces qui la composent : c'est là un fait
que nous avions signalé incidemment dans notre thèse sur la flore et la
matière médicale de la Sénégambie, et ce fait nous avait paru devoir se
rattacher à la constitution climatérique de la région. Nous admettions que
la transformation en piquants d'un grand nombre d'organes foliacés devait
avoir pour but de diminuer la surface d'évaporation de la plante sous un
ciel qui, pendant huit mois de l'année, est fréquemment balayé par mi
vent sec et chaud analogue au sirocco de l'Algérie. Depuis l'apparition
de notre travail, des recherches de laboratoire, effectuées par M. Aimable
Lothelier, nous semblent démontrer nettement que l'abondance des piquants
est sous la dépendance directe du climat de la région sénégalaise. Ce savant
a démontré, en effet, que l'air sec aussi bien que la lumière vive favori-
sent le développement des piquants. Or, ce sont là les conditions qui se
trouvent réunies, pendant la plus grande partie de l'année, dans les
plaines qui s'étendent entre le Sénégal et la Gambie. Les pluies sont
entièrement concentrées dans une courte saison de trois à quatre mois,
et, pendant le reste de l'année, sous un soleil ardent, l'atmosphère est à
chaque instant balayée par un vent d'est, desséché et échauffé à l'excès
par suite de son long parcours sur les terres brûlantes d'Afrique. Voilà
bien réunies les conditions de sécheresse et d'insolation qui, d'après
M. Lothelier, provoquent la formation des piquants; et nous nous
expliquons ainsi l'aspect que présente la flore sénégalaise.
11 n'est donc point douteux que l'abondance des piquants dans les
végétaux du Sénégal ne soit une conséquence nécessaire de la constitution
climatérique. Ainsi se trouve vérifiée, dans un cas particulier, par les
résultats concordants de l'observation et de l'expérimentation, l'influence
du milieu physique sur les formes végétales. Mais il ne faut pas se
dissimuler qu'ici les modifications qui nous occupent sont de peu d'im-
portance. Que, par exemple, des feuilles ou des stipules se transforment
en piquants, il n'y a là qu'une variation d'ordre tout à fait secondaire
qui n'altère en rien le plan général de l'espèce. Aussi ne voulons-nous
pas donner à nos observations plus de portée qu'il ne convient. Nous
voulons simplement nous borner à faire remarquer comment, à la lumière
des expériences de M. Lothelier, on aperçoit clairement, dans un exemple
particulier, un lien qui paraît indéniable entre le climat d'un pays et cer-
tains traits caractéristiques de sa flore.
L. DANIEL. — SUU LA GREFFE DES PLANTES EN GERMINATION 465
M. Lucien DAÎ^IEL
Professeur au Collège de Chàteau-Gontier.
SUR LA GREFFE DES PLANTES EN GERMINATION H
— Séance du 21 septembre iS92 —
L'on sait depuis longtemps qu'une des conditions indispensables pour
la réussite d'une greffe, c'est de mettre en contact des tissus vivants. II
semble dès lors que plus les tissus sont jeunes, plus on a de chances
d'obtenir la reprise.
Je ftie suis proposé d'étudier ce qui se passerait si l'on essayait de
greffer l'une sur l'autre deux plantes assez développées pour permettre
l'exécution matérielle de la greffe, mais cependant aussi jeunes que pos-
sible. En un mol, j'ai greffé des plantes en voie de germination.
Mes essais ont porté, d'une part, sur des plantes ligneuses (Marronnier,
Châtaignier, Chêne, Fiêne, Poirier, etc.)-; de l'autre, sur des plantes her-
bacées (Pois, Haricot, Fève, Soleil, Tagetes, etc.). Ces greffes ont fort
bien réussi, mais comme elles exigent plus de soins que les greffes or-
dinaires, j'indiquerai brièvement comment je procède.
Manière d'opérer. — Je greffe soit en approche, soit en fente. Ce
dernier mode est préférable parce qu'il évite le sevrage, opération qui
fatigue toujours les greffes quand il ne les fait pas périr. On ne doit
employer le premier que quand l'exécution matérielle du second est
impossible. On facilite la greffe en approche en semant les graines deux
par deux; les planlules poussent alors côte à côte et il est facile de les
amener en contact sans les briser.
Il va de soi que les plantules hliformes se prêtent très difficilement à la
greffe, même en approche.
La reprise est certaine si l'on opère à l'étouffée, et la soudure des plus
rapides. Ainsi j'ai semé sur couches en avril des Haricots, des Pois et des
Fèves. Les graines avaient germé le troisième jour; les plantules étaient
suffisamment avancées pour être greffées le cinquième ou sixième jour.
Sept jours plus tard, les tissus de cicatrisation étaient déjà apparus et la
(1) Mus recherches ont élé faites à Chàtcdu-GoiUier el au Luboratoiro de Biologie végétale de
Fontainebleau, sous la direction de M. G. Bonnior.
30*
466 BOTANIQUE
reprise assurée. Ces greffes ont, du reste, fort bien supporté la mise en
pleine terre quelque temps après.
Enfin, il est bon de greffer autant que possible des plantules arrivées au
même degré de développement. Ce n'est évidemment pas la date du semis
qu'il faut considérer, puisque les plantes germent avec des rapidités très
inégales. En règle générale, j'opère avant la chute des cotylédons.
Résultats obtenus. — Les plantules du Haricot, du Pois, de la Fève,
du Soleil, etc., se prêtant très facilement à la greffe en fente à cause
de leur taille, j'ai tout d'abord opéré sur ces plantes, qui offrent un
intérêt pratique immédiat en leur qualité de plantes alimentaires ou
ornementales.
J ai greffé :
1° Des Haricots flageolets nains sur des Haricots flageolets à rames et
sur des Haricots de Soissons blancs ;
2° Des flageolets à rames sur des flageolets nains ;
3° Le flageolet hùtif d'Étampes sur le Haricot d'Espagne ;
4° Des petits Pois très nains et des Pois ridés sur la Fève de marais ;
5° Le Carthame sur le Soleil ;
6° Le Tagetes signata pumila sur le Tageles patula.
Toutes ces greffes ont bien réussi et les greffons portent actuellement,
soit des fleurs, soit des fruits.
Elles présentent toutes ce phénomène remarquable que les greffons sont
restés au moins moitié plus petits que les témoins non greffes.
L'étude du contenu des cellules fournit plusieurs résultats intéressants.
Au bout de quinze jours environ après la greffe des plantules, on
observe dans les cellules du greffon une grande quantité d'amidon, dont
les proportions s'accroissent avec l'âge de la greffe. Les Haricots non
greffés ont aussi quelques grains d'amidon, mais en petite quantité tou-
jours, et il apparaît plus tard.
Cette abondante production d'amidon est certainement due à la greffe,
car j'ai constaté dans une plante bien éloignée des Légumineuses, le
Lis blanc, des phénomènes du même genre, plus caractéristiques encore.
J'avais greffé des tiges jeunes de Lis. La reprise s'était effectuée dans
d'assez bonnes conditions pour que le greffon ait pu vivre six semaines
sans se dessécher. La soudure était telle que l'on ne pouvait enlever le
greffon sans déchirures. Malheureusement, tous mes Lis furent envahis
à ce moment par VUromyces Erijlh^onii (DC) Passer., et les tiges, greffées
ou non, commencèrent à perdre leurs feuilles. J'avais sept greffes sur
des pieds différents. Tous les greffons, sans exception, contenaient de
l'amidon en aussi grande abondance que dans les écailles du bulbe, quand
les tiges non greffées n'en présentaient pas trace, non plus que les tiges-
sujets.
F. HEIM. — CAS DE PRÉFLORAISON ANOR-MALE CHEZ LES COQUELICOTS 467
Conclusions. — 1" La greffe des plantules est possible, soit en
approche, soit en fente. Elle réussit très facilement dam les arbres et les
plantes herbacées à graines de forte taille (diverses Légumineuses,
Soleil, etc.).
2"* Dans les g?'effes faites ainsi dans les plantes herbacées (Composées,
Légumineuses), le greffon reste toujours bien plus petit que s'il n'avait pas
été greffé, que la plante soit naine ou non.
3° La greffe accélère le passage du greffon à l'état de vie latente, et pro-
voque la formation plus rapide de ses réserves (amidon dans le Lis et les
Légumineuses alimentaires).
M. E. HEIM
Docteur es sciences. Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Paris.
SUR QUELQUES CAS DE PRÉFLORAISON ANORMALE CHEZ LES COQUELICOTS
— Séance du. 21 septembre fS92 —
Les végétaux, pas plus que les corps non organisés, ne peuvent se sous-
traire aux lois générales de la mécanique.
Nous voulons, dans cette note, montrer que des raisons, d'ordre pure-
ment mécanique, suffisent parfaitement à donner l'explication du mode
d'imbrication de certaines pièces périanthiques.
Commençons par quelques cas, portant sur le Papaver bracteatum.
La fleur normale est construite sur le type 3, et possède à la corolle
deux verticilles alternes ; les pièces des trois verticilles périanthiques offrant
d'ailleurs, dans la préfloraison, le mode d'imbrication habituel aux ver-
ticilles Irimères : une pièce totalement recouvrante, une autre totalement
recouverte, et la troisième mi-partie recouvrante et mi-partie recouverte.
(Voyez fig. 'I .)
Une des fleurs anormales, par nous examinées, se présentait avec un
seul verticille à la corolle, l'imbrication des deux verticilles présents res-
tant d'ailleurs normale. Les deux autres off'raient cinq pièces au calice
et cinq à la corolle. (Fig. 1.)
468 BOTANIQUE
Dire que ces fleurs, au lieu d'être construites sur le type 3, le sont sur
le type 3, est une explication peu satisfaisante pour l'esprit ; d'ailleurs,
fait singulier, les pièces de la corolle sont su-
perposées à celles du calice. Comment ces
pièces, qui naissent normalement sur le récep-
tacle, en face des intervalles laissés libres par
les pièces du verticille précédent, c'est-à-dire
au point de pression minima, peuvent-elles
échapper aux lois mécaniques, par suite abso-
lues de la phyllotaxie '?
En réalité, elles ne s'y soustraient point, et
l'anomalie s'explique aisément.
Désignons les pièces du calice par les lettres
A, B, C (l'ordre alphabétique indiquant l'ordre
d'apparition respectif). (Voy. fig. 2 et 3.)
Si B se dédouble en deux lobes b et b', b' situé sur la spirale d'inser-
tion plus près du centre de la fleur viendra insinuer l'un de ses bords
sous la face interne de A, tandis que Faulre, glissant sur le bord adjacent
de b, se placera au-dessous de lui. C se dédouble également en deux
pièces c et c' ; c' s'insinuera au-dessous de A, de la même façon que b'
au-dessous de b. Quant à c, étant, sur la spirale, plus près du centre que 6,
il s'insinue au-dessous. D'où passage au type quinconcial, par raison
purement mécanique; le même phénomène se reproduit sur la corolle.
Les pièces de la corolle, avons-nous dit, sont superposées aux pièces
du calice ; le fait s'explique de lui-même : les trois mamelons primitifs
Fm 2
F,g3
de la corolle (a, [i, y,) sont bien nés, en face des intervalles des mame-
lons calicinaux ; mais, par suite de la tripartition de [3, les pièces issues
de fi se sont repoussées tangentiellement, et superposées à b, c et c';
a non dédouble est reste à sa place primitive, mais b' s'est tardivement
F. HEIM. — CAS DE PRÉFLORAISON ANORMALE CHEZ LES COQUELICOTS 469
superposé à lui. Entîn y a été repoussé en face de A, par la pression de
la pièce adjacente, issue de 8. Ce dernier fait provient de ce que, dans
une grande portion de leur longueur, les pièces issues de [3, ainsi que y,
sont unies ensemble ; évidemment, elles ont été soulevées, après leur
naissance, par un bourrelet semi-circulaire sous-jacent ; la corolle est
donc à demi gamopétale (1).
Voici maintenant un cas relatif au coquelicot des champs (Papaver
rhœas) :•
Le nombre des pièces du périanthe est normal. 11 y a, lors de Fanthèse,
une pièce externe entièrement recouvrante, et deux
pièces 2 et 2', mi-partie recouvrantes, mi-partie
recouvertes et une pièce 1', s'afTrontant par ses
bords aux bords des pièces 2 et 2' ; en un mot,
l'imbrication de 1' par rapport à ses voisines est
une imbrication valvaire rédupliquée, (Voir fig. 4.)
Ce cas tératologique semble, au premier abord,
inexplicable. Cependant, il s'explique parfaitement, Piq l^.
par des considérations purement mécaniques, comme
précédemment. Dans cette fleur, le réceptacle est dissymétrique : d'un
côté, il est atteint d'une hypertrophie dont la cause nous échappe,
mais qui est des plus accentuées, et cette hypertrophié porte sur le
côté où s'insère la pièce à préfloraison anormale. Suivons par la
pensée l'évolution de cette pièce. Elle naît sur un cycle plus interne que
les pièces 2 et 2' ; lors donc que ces dernières atteignent une notable lar-
geur, elles devraient normalement être recouvertes par la pièce externe 1',
dont le développement en largeur est plus avancé. Mais l'hypertrophie
du réceptacle a eu pour résultat de surélever, au-dessus du niveau de
la pièce 1, la pièce 1', et de la sorte cette pièce 1' s'insère, au point de
vue mécanique, sur un cycle plus élevé, c'est-à-dire plus rapproché de
l'axe que la pièce 1. Il en résulte que les pièces 2 et 2' (non gênées dans
leur développement tangenliel par la pièce 1' insérée au-dessus d'elles)
croissent librement en dehors. Les pièces, à leur partie inférieure, ne se
gênent pas, car leur largeur est faible; mais, à la partie supérieure, elles
tendent à occuper, dans le bouton, une largeur plus considérable que
les bractées ne le leur permettent ; elles vont donc glisser les unes sur
les autres: delà, imbrication. 1', dans son développement, vient buter,
contre le bord, déployé librement en dehors, des pièces 2 et 2' ; ces pièces
ayant acquis une consistance égale à la sienne, pièces externes et pièces
(I) Les figures 2 et 3 sont respectivement symétriques par rapport au plan antéro-postérieur
d'orientation, au moins en ce qui regarde le calice. La raison rie ce fait est simple : dans l'une de
ces fleurs, le sens d'enroulement de la spirale génératrice des pièces appendiculaires implantées sur
le réceptacle, est dextrorse, tandis que dans l'autre, elle est sinistrorse. Quant aux corolles, le dédou-
blement des pièces initiales a porté, dans chacune des fleurs, sur des pièces d'ordre différent.
470 , BOTANIQUE
internes subissent le même déplacement, et se déjettent toutes en dehors.
D'où passage de la préfloraison imbriquée à la prétloraison valvaire.
Ici, les faits tératologiques ne sont pas à négliger, car de leur étude
ressort, d'une manière évidente, la généralité des lois phyllotaxiques :
apparition des mamelons initiaux aux points de pression minima, et refou-
lement ultérieur, par les parties voisines, si le libre développement de
ces parties est incompatible avec l'espace dont elles disposent.
Devant une explication mécanique aussi satisfaisante de cas d'imbri-
cation, au premier abord fort embarrassants, ne peut-on espérer voir s'ex-
pliquer aussi simplement, et par des raisons de même ordre, tous les
cas variés d'imbrication des différentes pièces florales, à forme lamel-
leuse ?
M. r. HEIM
Docteur es sciences, Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Paris.
SUR UN TYPE NOUVEAU DE DIPTÉROCARPACÉES « RETINODENDROPSIS ASPERA »
— Séance du 21 septembre 1892 —
L'herbier de Kew contient une intéressante Diptérocarpacée de Bornéo
(yVoods n° 24), qui avait été rapportée avec doute, il est vrai, au genre
Vateria. Nous avons pu, grâce à l'obligeance de M. Baker, en faire une
étude approfondie. En l'absence de la fleur et de l'embryon, il semblait
assez difficile de déterminer sa place dans tel ou tel groupe. Pouvait-on
même, avec sûreté, la rapporter à la famille des Diptérocarpacées ?
L'étude anatomique, complétée par quelques caractères organographiques,
généralement réputés insignifiants : nervation, forme et dimensions des
sépales, permet cependant d'arriver à des conclusions précises.
Commençons par une analyse détaillée, tant organographique qu'ana-
tomique (PL IV).
Caractères organographiques. — La tige est entièremeat couverte, du moins
sur les plus jeunes entre-nœuds, de poils groupés en pinceaux, et rudes ; de là
l'aspect rugueux de la plante, qui justifle le nom spécifique que nous lui
attribuons.
K. HI-IM. — SUR UN TYPE NOUVEAU DR DTPTÉROCARPACÉES 171
Le pétiole est court, également verruqueux et hispide, à face supérieure
d'abord faiblement concave, puis franchement convexe, et devenant même
fortement saillante, au niveau du limbe. Ce dernier est obovale, faiblement
acuminé, légèrement obcordé à la base. Les nervures sont obliques sur le rachis,
raccordées, sur le bord de la feuille, par un court trajet curviligne, saillantes
en dessous. Dans leurs intervalles se trouve un fin réseau de nervures ténues.
De chaque côté de la feuille, on voit deux stipules, ovales, allongées, coriaces
et persistantes, d'assez grandes dimensions.
La /leur est inconnue.
Les fruits, par nous examinés, se trouvaient dépourvus d'embryon. Ils ont une
forme obconique surbaissée; ils se trouvent surmontés d'un léger acumen ; le
péricarpe est glabre, et parcouru par trois sillons longitudinaux méridiens, qui
doivent correspondre aux futurs sillons de déhiscence. Les sépales persistants,
^t accrus autour du fruit, forment cinq ailes peu développées. Ils sont inégaux,
ovales, aigus, horizoataux près de leur insertion ; puis relevés et courbés
légèrement vers le fruit. On peut, dans l'intérieur du fruit, trouver les débris
de trois loges ovariennes, dont deux avortées, et comprimées par le développe-
ment des deux autres. Chacune de ces loges renferme deux ovules descendants,
anatropes, à micropyle aigu, extérieur et supérieur. C'est bien là la forme
constante des ovules des Diptérocarpacées. Ces ovules sont insérés sur un pro-
longement fibreux de l'axe réceptaculaire, et qui n'est autre que l'axe placen-
taire, refoulé sur un des côtés du fruit, par l'accroissement de lunique loge
fertile. La chose se passe ainsi dans tous les types les plus variés de Diptéro-
carpacées.
Caractères anatomiques. — Tige. — Son épidémie est, presque sur toute la
surface, prolongé en pinceaux de poils, unicellulaires. aigus, à cavité étroite.
Sur un entre-nœud âgé de deux ans, cet épiderme n'adhère plus que par places,
et se trouve exfolié par une couche subéreuse sous-jacente, comprenant un petit
nombre d'assises.
La zone corticale est occupée par un parenchyme assez régulier, dont les
éléments conservent des parois minces, légèrement épaissies aux poinis de
contact des éléments voisins; à mesure que l'on s'approche du centre, les
dimensions de ces cellules parenchymateuses augmentent, et l'ensemble du
tissu perd un peu de sa régularité. La zone dite péricyclique ne se distingue ici
par aucun caractère, de la zone corticale, le péricycle n'existe pas, en tant
qu'assise distincte, ou, si l'on veut se payer de mots, le péricycle est virtuel.
Peut-être faudrait-il, d'ailleurs, étendre celte notion à l'ensemble du groupe
des Diptérocarpacées, car les petits îlots fibreux, presque constants dans tous
les types, à la périphérie du cylindre central, mériteraient peut-être d'être
considérés comme la couche la plus externe, par suite la plus âgée, du liber
stratifié et fibreux. Une étude histogénétique, capable de trancher la question,
est difficile à entreprendre, sur des plantes mal représentées dans les herbiers.
La question est d'ailleurs d'importance minime au point de vue systématique.
Le liber est statifié, et les couches de tubes criblés, et de parenchyme libérien,
alternent avec des zones fibreuses concentriques (chaque zone correspond à
une année d'accroissement). Le bois est assez pauvre en vaisseaux, riche en
éléments parenchymateux, sclérifiés, et en fibres scléreuses.
Les rayons médullaires sont nombreux, formés de trois ou quatre assises
radiales, d'éléments non sclérifiés, mais à parois épaisses. Le pourtour de la
moelle est occupé par un parenchyme, à éléments beaucoup plus petits que
472 BOTANIQUE
ceux du centre, et dont l'ensemble l'orme un étui médullaire, où se trouvent
plongés des canaux sécréteurs, en nombre variable suivant le niveau de la
coupe. 11 est facile de constater ici, comme dans nombre de Diptérocarpacées,
que les canaux sont plongés en pleine moelle et n'affectent aucun rapport,
quant à leur distribution, avec les faisceaux fibro-vasculaires. Trois faisceaux
se rendent au pétiole, l'un médian et deux latéraux, tous trois munis d'un
canal. Ils parcourent tous une longueur un peu moindre que la moitié de
l'enlre-nœud. Les deux faisceaux latéraux sortent du cylindre central, à quel-
ques millimètres de distance, et un peu au-dessous du faisceau médian. Cette
différence de niveau, quant aux points d'émergence des faisceaux, est générale
dans la famille, et réduite ici au minimum. Les stipules sont dépourvues de
canaux sécréteurs, et n'empruntent que quelques vaisseaux aux faisceaux laté-
raux pétiolaires correspondants. Les faisceaux stipulaires ne naissent donc pas
directement, dans les Diptérocarpacées, du cylindre central, comme on l'a dit,
mais sont une dépendance des faisceaux pétiolaires. Ce fait conduirait à faire
considérer les stipules comme des dépendances de la feuille, comrne les deux
lobes latéraux, avortés, d'un triphyllôme, si l'on se hasardait,— méthode assez
dangereuse, en somme, ^ à trancher par l'étude des faisceaux, les questions
d'ordre morphologique.
Le pétiole montre sur une coupe : un épidémie persistant, prolongé en nom-
breuses touffes de poils, identiques à ceux de la tige; au-dessous, un parenchyme
quelque peu serré finit par devenir irrégulier, à mesure que l'on se rapproche
du centre ; quelques-uns des éléments de ce parenchyme ont leur paroi épaissie
et quelque peu lignifiée, ils jouent le rôle d'éléments de soutien. Le péricycle
se compose dllots de fibres lignifiées, formant des arcs presque continus, à
mesure que Ton se rapproche du limbe. Les mêmes îlots libreux se retrouvent
au dos des faisceaux internes, et même dans le liber des faisceaux supérieurs.
Les vaisseaux du bois sont séparés par un parenchyme, à parois épaissies, mais
non lignifiées. La même structure se retrouve sur les arcs fasciculaires internes,
séparés les uns des autres par un parenchyme homogène. Au dos du premier
arc interne, on trouve quelques amas lenticulaires de liber mou, séparés du
liber propre des faisceaux de l'arc, par les fibres péricycliques. Ces amas libé-
riens sont enchâssés dans une ceinture continue de parenchyme lignifié.
L'aaatomie comparée nous donne la signification de ces îlots. Dans les Retino-
dendron types, tels que R. Moiuccanum Heim, le premier arc interne se replie
sur lui-même, et on a deux arcs à disposition inverse, tous deux munis de
faisceaux libéro-ligneux, et dont les deux assises péricycliques sont confluentes.
Ici, cette disposition est atténuée, et l'arc à disposition inverse est réduit, quant
au bois, à des éléments purement parenchymateux, et non vasculaires.
L'initiale est obelliptique, aplatie et concave vers le haut. L'arc fasciculaire
externe, béant vers le haut, se compose de neuf faisceaux, cintrés et saillants,
quelque peu disjoints, chacun muni d'un canal d'un notable diamètre. Des
faisceaux internes, disjoints, commencent à s'orienter suivant un arc, concen-
trique au premier, et possédant un seul canal médian. Une double boucle
fasciculaire couronne le tout, et comble, en partie, l'ouverture de l'arc externe.
Le pétiole étant très court, la médiane diffère peu de l'initiale. La caractéristique,
obquadrangulaire, est renflée en son milieu supérieur. Il faut noter, qu'à ce
niveau, le parenchyme corticaL surtout dans les portions attenant au limbe,
est véritablement bourré d'éléments scléreux de soutien. La courbe fasciculaire
externe comprend à ce niveau douze canaux, et elle se ferme presque com-
F. HKI.M. — SUR UX TYPE NOUVEAU DE DIPTÉROCARPACKES '(73
plètement vers le liaut. Il existe trois arcs internes, un peu fragmentés, com-
prenant : l'inférieur trois canaux, le moyen un seul, et le supérieur, le plus
irrégulier, deux. La structure est à peu près la même, au milieu de la nervure
médiane, mais le nombre des canaux de la courbe externe y est réduit à onze ;
l'arc moyen comprend sept canaux, et il existe deux petits arcs supérieurs,
dont le plus élevé comprend quatre canaux.
La feuille comprend, entre deux épidémies à parois un peu onduleuses, un
parenchyme supérieur, formé d'une seule assise palissadique, et un mésophylle
entièrement parenchymateux, quelque peu stratifié vers le bas, avec des
màcies, et quelques cellules scléreuses. dans la portion du limbe avoisinant
la nervure médiane. Les nervures sont dépourvues de canaux, même les plus
grosses. Elles sont logées dans des piliers de soutien, qui s'étendent entre les
deux faces de la feuille, et sont formés d'éléments, à parois épaisses et lignifiées,
sauf aux deux extrémités. Les plus Unes nervures sont enchâssées dans un
simple massif de cellules, à parois épaissies, mais non ligniliées, massif isolé au
milieu du mésophylle.
Le péricarpe est médiocrement épais. Son épiderme est exfolié presque en
totalité; là où il persiste, on le voit prolongé rà et là, en bouquets de poils.
L'assise subéreuse, qui le plus souvent existe, lorsque le fruit est privé de son
épiderme, fait ici défaut. Ce péricarpe est entièrement formé d'un parenchyme,
à parois minces, onduleuses, à éléments allongés tangentiellement sur les deux
faces interne et externe. De larges poches sécrétrices sont éparses dans la por-
tion interne de ce parenchyme, en dedans de nombreuses trachées. Dans la
portion externe se trouvent des îlots, à éléments larges, lignifiés faiblement,
et à parois relativement minces. Notons, enfin, que tous les parenchymes,
tant de la tige, que du pétiole et du péricarpe, sont gorgés d'une matière tan-
nique d'un brun rougeàtre.
Affinités. — Avec ces données, nous sommes en mesure de discuter
les affinités de la plante.
Tout d'abord, c'est bien une Diptérocarpacée. Nous avons, l'an passé,
au congrès de Marseille (Mémoire sur le genre Leitneria), exposé les
caractères généraux, tant organographiques qu'anatomiques , de cette
famille, et nous l'avons fait à nouveau, avec tous les détails possibles,
dans nos « Recherches sur les Diptérocarpacées » . En comparant tous
les caractères de notre plante, avec ceux attribués d'une façon générale
à la famille, on voit que le moindre doute ne peut subsister à cet égard.
Nous allons voir, de plus, que ce type ne rentre naturellement dans
aucun des groupes jusqu'ici établis, ce qui nécessitera l'établissement
d'un genre nouveau, ou du moins d'une section de genre très impor-
tante.
Le fruit rappelle bien par sa forme, les sillons de déhiscencc, la consis-
tance des sépales, le fruit des Retinodendron. Mais chez ces derniers, le
péricarpe est très épais, les sépales également, et réfléchis vers la base
au lieu d'être relevés; de plus, ils sont parfaitement égaux, tandis que,
dans notre type, l'inégalité est grande. L'embryon indique sûrement les
474 BOTANIQUE
affinités dans tout le groupe des Diptérocarpacées; mais, en son absence,
on peut faire appel à la comparaison des autres caractères.
Dans les Relinodendron types, les stipules sont bien développées, mais
caduques ; ici, elles sont de même forme, mais persistantes. Notre type
se distingue aussi des Retinodendron par son aspect rugeux ; ceux-ci
possèdent, en effet, les mêmes poils en pinceaux, distribués en abondance
sur la tige et le pétiole, mais ces poils sont plus courts et presque soyeux.
L'assise subéreuse, exfoliant de bonne heure l'épiderme de la tige, la
moelle à section obovale, avec nombreux canaux périphériques, de dia-
mètre inégal, quelques-uns larges, les trois faisceaux foliaires corticaux
indivis, sont autant de caractères permettant de classer la plante dans la
série des Vaticées. La forme de la feuille, et la nervation parlent dans le
même sens. Une fois incorporé dans cette tribu, notre fruit se distingue
immédiatement, par ses sépales charnus et relevés, de celui des Isauxis
vrais, à sépales réfléchis et scarieux; aucune comparaison n'est à établir
avec le fruit des Pachijnocarpus. Les Vatica Zollingeriana, Lamponga,
obscura, qui constitueront pour nous des groupes distincts, s'en écartent
à première vue par la forme du fruit, et même par la feuille, au moins
pour ce qui est de ce dernier. La plante que nous avons, appelée provi-
soirement Yatica Sarawakensis et qui, quand elle pourra être sérieusement
analysée, sera probablement le type d'un groupe distinct, cette plante
se rapproche de notre type, par l'aspect verruqueux du pétiole, par les
stipules et la forme de la feuille; mais elle s'en écarte par ses sépales
réfléchis et scarieux, et peut-être par son inflorescence si particulière (Voir
Rech. sur les Dipt., p. 110); nous n'avons malheureusement pu étudier
l'anatomie du pétiole de cette dernière espèce. Cette étude nous donne-
rait sans doute des résultats, relativement aux affinités des deux plantes.
Cette affinité encore douteuse, mise de côté, la seule affinité réelle reste
avec les Retinodendron types (pour les caractères de ce genre, voir Rech.
sur les Dipt., p. 104). Notre Vaticée s'en distinguera cependant, au point
de vue anatomique, par l'absence d'hypoderme inférieur stratifié, dans la
feuille, par le pétiole convexe dans le haut, ainsi que la nervure médiane,
et par l'absence d'un double arc fasciculaire interne, à vaisseaux ligneux,
bien développés vers le haut et vers le bas. Remarquons, à ce propos,
que la présence des îlots lenticulaires libériens au dos de l'arc interne,
que l'on peut considérer cemme une ébauche du double arc, à disposi-
tion inverse des Retinodendron, est un caractère, au premier abord, de peu
de valeur, il indique cependant une affinité réelle. Il est incontestable
que, lorsque l'on conclut, relativement aux aflinités, d'après l'ensemble
des caractères, tous les caractères, même peu importants en apparence,
peuvent servir à des conclusions précises et concordantes. De plus, dans
notre type, les canaux sont moins larges, il y a trois arcs internes dans
F. HEIM. — SUR UN TYPE NOUVEAU DE DIPTÉROCARPACl'îES 475
la nervure médiane, et deux petits arcs nets, superposés à la caractéris-
tique ; les deux arcs pétiolaires les plus internes remplacent les trois
massifs fibro-vasculaires, que Ion trouve dans les Betinodendron .
Le péricarpe des Vaticées est entièrement parenchymateux, parcouru
en tous sens de nervures, accompagnées de canaux; le péricarpe de
notre plante s'écarte de ce type, par la localisation nette des nervures et
des lacunes sécrétrices, en une zone distincte, par la présence d'amas
scléreux, au milieu du parenchyme homogène, et par l'absence d'une
assise subéreuse externe. Ce type ne présente aucun caractère organo-
graphique des vrais Vatcria, que nous avons réduits à deux espèces,
types chacune d'une section distincte; il n'a plus d'aflinités avec l'impor-
tante série des Stémonoporées, que nous avons distraites de ce chaos,
que les auteurs appelaient du nom de Vateria.
De la comparaison de tous les caractères accessibles, nous pouvons
conclure. Notre plante est une Diptérocarpacée-Vaticée, ses affmités sont
incontestablement avec les Retinodendron, et peut-être avec notre Vatica-
Saraivokensis, mais elle ne peut rentrer naturellement dans ce genre,
dont l'écarté une partie de ses caractères, tant organographiques qu'ana-
lomiques. Nous devons donc la placer dans un groupe particulier, que
nous distinguerons sous le nom de Retinodendropsis. Ce groupe mérite-t-il
d'être élevé à la hauteur de genre, ou seulement de rentrer dans le
genre Retinodendron, à titre de section fort importante? Ce n'est qu'après
une étude minutieuse de toutes les espèces de ce genre peu connu, qu'il
sera possible de se prononcer définitivement. D'ailleurs, genre ou section
de genre, qu'importe? Le but suprême de la botanique systématique
n'est-il pas de trouver tous les intermédiaires, entre les types tout
d'abord les plus distincts, c'est-à-dire de détruire, en somme, les limites
génériques forcément artificielles? Pour l'instant, la seule tâche d'un
botaniste est de distinguer sûrement ce qui mérite de l'être; c'est de
l'établissement des difTérences, c'est-à-dire de l'analyse, que résultera la
connaissance parfaite des affmités, c'est-à-dire la synthèse.
Explication de la planche IV.
'e"^
Figure 1. — C. transversale de la tige i entre-nœud âgé de deux ans).
2. _ Pétiole initial, figure schématique.
3. — Pétiole caractéristique id.
4. — Nervure médiane id.
5. — C. transversale du pétiole ^au niveau de la caractéristique) (coupe de a
partie médiane inférieure jusqu'au premier arc interne).
6. — C. transversale de la feuille (à gauche, portion attenant au limbe).
476 BOTANIQUE
Figure 7. — C. transversale du péricarpe.
A droite de la planche, la coupe en série d'un entre-nœud. Les coupes où se trouvent
les détails caractéristiques de la course des faisceaux sont seules représentées. Les numéros
indiquent les numéros d'ordre des coupes débitées dans un entre-nœud, et, par suite, le
niveau.
a. Fit,'ure schématique d'un entre-nœud montrant la course des faisceaux pétiolaires.
M. E. MESIARD
Préparateur au Laboratoire de Botanique de la Faculté des Sciences de Paris.
RECHERCHES SUR LA FALSIFICATION DE L'ESSEIMCE DE SANTAL (i;
— Séance du 2i septembre IS92 —
L'essence de santal, aujourd'hui universellement employée en thérapeu-
tique, se falsifie fréquemment, dans le commerce, avec de l'essence de
cubèbe, de copahu, de térébenthine, ou mieux encore avec de l'essence de
cèdre que l'on obtient par la distillation des rognures de bois servant à
fabriquer les crayons.
Dans ces conditions, l'eSsence de santal perd de sa valeur curative et
elle peut même devenir préjudiciable à la santé des malades.
A l'aide de quelques réactions fort simples, on peut s'assurer de la pureté
d'une essence de santal.
L'acide sulfurique pur, employé dans des conditions déterminées, donne
naissance à des phénomènes de coloration et à des phénomènes de modi-
fication moléculaire qui renseignent très sûrement sur le degré de pureté
du produit examiné.
Les réactions se font, soit dans un verre de montre, soit à l'aide d'un
dispositif fort simple, facile à se procurer, et que je décrirai plus loin.
PREMIER PROCÉDÉ
On met dans le verre de montre 2 à 3 centigrammes de l'essence à
examiner; on y ajoute une goutte de réactif et l'on mélange intimement
les deux substances.
(1) Ces recherches ont été faites au Laboratoire de Botanique de la Sorbonne, sous la bienveillante
direction de M. Gaston Bonnier.
E. MESNARD. — SUR LA FALSIFICATION DE l'eSSENCE DE SANTAL 477
/" Action de Vacide sulfurique pur sur les essences pures.
Essence de santal. — Il se produit de suite un liquide visqueux rou-
geâtre qui devient brun très foncé et se transforme rapidement en une
masse résineuse solidifiée, adhérant fortement au verre. Si l'on attend au
plus une heure, la masse résineuse prend une coloration gris-bleu très
clair; elle deviendrait grisâtre, d'aspect poussiéreux, au bout d'un temps
plus long.
Essence de cèdî'C. — Le liquide est jaune verdâtre et ne se soUdifie pas.
Au bout de quelques minutes de repos, le liquide de plus en plus foncé en
couleur se rassemble au fond du verre de montre, tandis qu'il s'entoure
d'une auréole rose peu colorée. L'auréole s'affaiblit peu à peu et devient
trouble.
Essence de cubébe. — Le liquide est jaune rougeàtre et ne se solidifie
pas. Par le repos, le liquide rassemblé devient pourpre et l'auréole qui
l'entoure, d'abord purpurine, passe au violet.
Essence de copahu. — Le liquide est jaune rougeàtre et ne se solidifie
pas. L'auréole est purpurine; le liquide rassemblé est jaune serin.
Essence de térébenthine. — Le liquide très transparent prend une teinte
éosine et ne se solidifie pas. L'action de l'acide sulfurique fait dégager
une odeur désagréable très caractéristique,
2'^ Aciion de l acide sulfurique ordinaire pur sur des mélanges d'essence
de santal pure avec l'une quelconque des essences ci-dessus indiquées.
L'essence étrangère est :
Essence de cèdre. — Le liquide est jaune rougeàtre et devient plus ou
moins pâteux, mais il ne se solidifie pas. Par transparence, on observe
toujours sur les bords de la masse résineuse des taches huileuses trans-
parentes colorées eu jaune clair. Si, avec le temps, la masse finit par
adhérer au verre, elle conserve toujours une teinte ocreuse qui diffère
totalement de la coloration gris-bleu prise par l'essence de santal.
Essence de cubébe. — Le liquide est jaune rougeàtre et ne se solidifie
pas, quoique devenant souvent très pâteux. En vieillissant, la résine con-
serve toujours une coloration jaune-brun très foncée qui n'a rien de commun
avec la teinte gris clair du santal.
Essence de copahu. — Le mélange est boueux et blanchâtre. Il ne se
solidifie pas.
Essence de térébenthine. — Le liquide se colore en jaune rougeàtre.
L'odeur bien caractéristique, due à l'action de l'acide sulfurique, fait faci-
lement reconnaître la fraude.
Ces réactions permettent de déceler un dixième d'essence étrangère
dans les mélanges, ce qui est suffisant en pratique.
478 BOTANIQUE
SECOND PROCÉDÉ
Pour mettre en évidence l'adhérence au verre de la matière résineuse
formée par l'acide sulfurique, nous proposons le dispositif suivant qui
permet de faire une véritable analyse de l'essence de santal. On suspend
au-dessous de l'un des plateaux d'une balance sensible une petite tige de
verre dont l'extrémité a été aplatie en forme de tête de clou ; on règle
l'équilibre pour que cette extrémité vienne toucher un plan de verre
dépoli placé au-dessous sur la planchette de la balance.
On verse 2 à 3 centigrammes de l'essence à essayer et l'on y ajoute, à
l'aide d'une baguette de verre, une petite goutte d'acide sulfurique pur
bouilh. On mélange très rapidement. Cela fait, on applique la tête du
clou de verre sur la préparation de telle façon qu'elle soit bien verticale
et l'on attend environ dix minutes. Au bout de ce temps, on mesure par
des poids placés dans l'autre plateau de la balance la valeur de l'effort à
produire pour obtenir l'arrachement du clou d'épreuve.
Les poids obtenus, sont comme on va le voir, très différents suivant que
l'essence est pure ou qu'elle est additionnée d'essence étrangère.
Mais pour obtenir de bons résultats, il est nécessaire de prendre de
grandes précautions contre l'humidité de l'air. L'acide sulfurique est sus-
ceptible, en effet, d'absorber une très grande quantité d'eau.
Ainsi par les jours de grande pluie et de complète saturation de l'air,
on voit apparaître sur la préparation une quantité notable d'eau qui
affaiblit considérablement l'adhérence.
Pour obvier à cet inconvénient, on peut, d'une part, ajouter à l'essence
avant l'action du réactif une petite pincée de poudre d'amidon très fine-
ment pulvérisée qui absorbe l'excès de liquide, et, d'autre part, il est bon
d'entourer la préparation et le clou d'épreuve d'une petite cloche à douille
dont le bord inférieur est retroussé de manière à constituer une rigole
annulaire dans laquelle on met une substance desséchante. Le clou
d'épreuve passe par la douille de la cloche.
En prenant ainsi les précautions nécessaires et pour un clou de surface
déterminée (un cercle de 9 millimètres de diamètre dans mes expériences),
on trouve les résultats suivants :
SANTAL CÈDRE CUBÈBE COPAHU TÉRÉBENTHINE
Essence pure 100 à 140s' 2 à 3s-- 2 à Ss' 5 à lOs' 2 à Ss--
50 0/0 d'esseuce étrangère 10 à 12 8 à 10 20 à 25 10 à 12
30 0/0 id. 15 à 20 10 à 12 30 à 40 15 à 20
20 0/0 id, 20 à 25 15 à 20 40 à 50 20 à 30
10 0/0 id. 30 à 40 25 à 30 60 à 80 30 à 40
Ce tableau montre qu'il y a une différence énorme entre les poids
nécessaires pour détruire l'adhérence dans le cas du santal pur et dans
D"" D, CLOS. — LE CALICE OU LE PÉRLVNTHE SIMPLE ET l'oVAIRE LNFÈRE 479
le cas des mélanges avec les autres essences et que même il est possible
d'évaluer, avec une approximation suffisante pour la pratique, la propor-
tion de ce mélange.
Dans cet examen de l'essence de santal, il est bon d'opérer comparati-
vement avec des essences types d'une pureté certaine. Je me suis servi,
dans ces essais, du santal de la maison E. Pinaud, du santal E. Petit, du
santal Coudray et de quelques autres.
En résumé, il est facile, par l'emploi de l'acide sulfurique ordinaire
pur, de reconnaître si une essence de santal est pure ou si elle est
mélangée avec une autre essence. Dans le premier cas, le réactif donne
un liquide visqueux qui devieat pâteux et se transforme rapidement en
une masse solide adhérant fortement au verre. Cette masse est facile à
reconnaître à sa couleur gris-bleu clair ou grisâtre et à l'aspect poussié-
reux qu'elle prend en vieillissant.
Dans le second cas, la masse résineuse ne se solidifie pas entièrement,
adhère très peu au verre, et conserve toujours une teinte foncée avec un
éclat brillant très distinct.
Enfin, il est possible, par l'emploi du clou d'épreuve, d'évaluer approxi-
mativement avec des poids la proportion d'un mélange d'essence étrangère
et d'essence de santal.
M. le F D. CLOS
Correspondant de l'Institut, à Toulouse.
LE CALICE OU LE PERIANTHE SIMPLE ET L'OVAIRE INFERE
— Séance du 2/ septembre 1892 —
Que de discussions n'a pas soulevées la nature de l'ovaire infère! Sou-
dure des sépales avec ses parois, telle a été la doctrine acceptée et à peu
près universellement professée en morphologie et en phytographie jus-
qu'au delà du milieu de notre siècle. Battue depuis lors bien des fois en
brèche, elle n'en rallie pas moins encore de nombreux partisans. Aussi
convient-il de mettre à profit tout ce qui peut jeter quelque jour sur la
question et contribuer à dissiper les doutes. Quels sont dans le groupe
4b.O BOTANIQUE
des In féro variés les genres ou les espèces caractérisés par une ressem-
blance frappante, aux dimensions près, entre les feuilles ou les stipules
d'une part, les sépales chez les Dipérianthés ou les pièces des périgones
simples d'autre part : voilà, je crois, un des premiers résultats à constater.
Les nombreux exemples de cette nature énumérés dans les quelques pages
qui suivent sont un premier essai destiné à provoquer d'autres recherches
dans cette voie.
A. — Monopétales.
Campanulacées. — Nombreuses sont les espèces du genre Campanula
où les sépales reproduisent exactement la forme des feuilles supérieures
ou des bractées. Telles les C.palula, cœspitosa. rotundifolia, cenisia, les
C. Herminii ei erinoides [Boiss. Esp.A. 120j, obliqua (Jacq., Schœnbr.,
t. 336) : bractées et sépales sont linéaires dans les C. excisa (Rchb., Icon.
bot., t. lo9), tenuifolia (Waldst. et Kit. fJungr., II, t. 154); également
dentés chez les C. lactiflora, algida, A/phonsi, fui gens, ramidosa (Wight,
Icon., IV, tt. 1177-1178;, alala (Desf., Allant., t. 50).
Dans le C. Erinus les sépales ne diffèrent que par leur bord entier des
bractées qui parfois se montrent aussi entières.
On peut constater dans ce genre que tantôt la feuille passe par une mo-
dification lente et graduée à la bractée et celle-ci au sépale {C. isophylla,
Rchb. Icon. bot., t. 202), et que tantôt la feuille, conservant son carac-
tère jusqu'au sommet de la tige, n'a point de rapports avec les bractées
(les C. carpathica, gloinerata, foliosa, elliptica).
J'ai vu une fleur de C. Médium, dont l'ovaire, surmonté de verticilles à
sept parties, portait sur ses parois un sous-sépale (1), naissant d'une
des nervures saillantes de ses parois, cas si fréquent chez les Specularia;
et, de son côté, Weddell déclare avoir cueilli dans les serres de Londres
une Campanule dont l'ovaire portait de nombreuses feuilles (in Bull.
Soc. bot. de Fr., V, 209).
Dans les Adenophora denticulala. marsupiifolia, coronopifolia, les sé-
pales sont denticulés comme les feuilles et les bractées chez le premier,
linéaires entiers comme celles-ci chez les deux autres (Rchb., Icon. pi.
exot., t. II, pi. 15, 23).
Le Codonopsis ovata est figuré avec les sépales et les feuilles également
ovales (Royle, Illustr., t. 69, f. 3).
La nature foliaire des sépales n'est pas moins évidente chez les Wahlen-
bergia, ces organes étant linéaires et entiers comme les feuilles supé-
rieures chez W. lobelioides (Âlph. DC. Monogr., pi, 17), ou dentelés
(l)Nom que j'ai proposé jadis pour les écailles appendiculaires qui, chez certaines plantes, les
Cereus par exemple, naissent sur les parois extérieures de l'ovaire, n'étant par leur position ni
bractées ni sépales, mais intermédiaires entre eux.
1)1 j) ,1 os. L1-: CALICE OU LE PKlîLVNTHE SIMPLE ET l'oVAIRE INFÈHE 481
comme elles (W. foliosa. IbicL, pi. 14); la formation des sépales par
les bradées se dévoile manifestement aussi chez W. agrestis ( Wight,
Icon., iïTé) et W. cervicina {cervicina campanuloides, Del., FI. Egi/p., VII,
t, 5, f. 2).
Le Merciera brevifolia et le Microdon depî-essum ont feuilles et sépales
linéaires (Deless . , Icon. sel., II, tt. 16 et 17).
Le Microdon glomeratum a ses deux bractées et ses sépales linéaires
comme les feuilles basilaires et terminales, les moyennes étant linéaires
lancéolées (Alph. DC, Monogr. des Campan., t. 19). Et cette même res-
semblance entre les feuilles supérieures, les bractées et les sépales est
également frappante chez Prismatocarpus paniculatus ilbid., t. 20); mais
dans Symplujandra cretica [Ibid., t. 8j, les feuilles de la tige et de la
grappe sont serretées, les pédoncules portant des bractées qui reproduisent
les sépales.
Enfin, le Phyteuma Mlchelii a ses feuilles supérieures très petites et
conformes aux sépales. (Rehb., Icon. crit., t. 348), et les bractées du
P. lanceolata (CoroU. de Tourn., t. 24) ressemblent aussi beaucoup aux
éléments calicinaux de cette espèce.
Un des genres les plus singuliers de cette famille des Carapanulacées
est bien le genre C ampanumœa qm, indépendamment de l'ovaire, infère
dans une partie des espèces, semi-infère dans d'autres, offre dans le
C. parvijlora, décrit et figuré par Griffith [Notulœ, pars IV, p. 277,
t. 441 f. 1 ), sous le nom de Cyclocodon distans, l'ovaire surmonté de la
corolle, mais surmontant le calice infère, qui lui forme comme une sorte
d'involucre tétraphylle.
La tribu des Cyphiées de la famille des Campanulacées, d'après Ben-
tham et M. D. Hooker, comprend trois genres dont deux ont incontestable-
ment leurs sépales de nature foliaire, du moins dans quelques espèces,
telles le Cyphocarpus rigrescens, dont la figure donnée par Cl. Gay (Flora
chiL, t. :jO) et par Schniziein (Icon.), montre la ressemblance de la feuille
au sépale. Il en est ainsi du Cyphia persicifolia qui, d'après la figure que
l'on doit à Harvey (T/ies. cap., t. lo9), a ses sépales lancéolés, sinués,
dentés comme les feuilles, tandis que le C. corylifolia (Ibid., t. 161),
dont les feuilles se modifient en bractées, offre la presque identité de
celles-ci avec les sépales.
LoBÉLiACÉES. — Le genre Lohelia est très intéressant cà étudier, quant
aux modifications du calice, dans les nombreuses figures données par
Cavanilles des espèces de Lobélie. Les bractées sont semblables aux
sépales, linéaires-subulées comme eux dans le Lobe lia gruina (Icon., t. 51 1 ^;
et il en est de même du L. andropogon (t. 515), où les pédoncules axil-
1 aires portent deux bractées sépaliformes très différentes des feuilles; et
du L. dentala (t. 522), où les feuilles supérieures, disposées par paires
3i*
482 BOTANIQUE
séparées par de longs entre-nœuds, sont linéaires comme les sépales des
fleurs portées sur de longs pédoncules nés à l'aisselle de ces feuilles ; et
chez le L. decurrens (t. 521), les sépales se montrent dentés comme elles;
même conformité des sépales et des feuilles linéaires-subulées chez le
L. divaricata (Hooker et Arn., Bot. Beech., t. 67) et dans \eL. physaloides
(Hook., Icon., t. 5o6).
La ressemblance des sépales et des feuilles est encore des plus évi-
dentes dans le Laurentia arabidea (Deless., Icon., Y, 14) ; et le Monolepis
debilisilbid., t. 8) montre les feuilles de la tige s'atténuant insensible-
ment pour passer aux sépales.
Les bractées du Cyanea Grimesiana (Gaudich., U?'an., t. 75) ne dif-
fèrent pas non plus des sépales, lancéolées-ondulées comme eux.
RuBiAGÉES. — Il est un genre où le calice offre d'espèce à espèce les
variations les plus étranges (1), étant, ou à peu près, nul (les Gaillonia
incana ei Bruguierii, Jaub. et Sp., ///. tt., 76 et 77), ou à petites dents
(G. Oliverii, t. 74), ou à divisions foliiformes lancéolées (les G. eriantha
et cruciandloides, Ibid., tt. 78 et 81), et même en large disque étoile
{G. hymenostephana, i. 79).
Une telle variabilité dans l'apparence du calice de ce genre ne permet
pas de lui attribuer une signification déterminée, si ce n'est pour le
G. eriantha aux cinq sépales conformes aux bractées qui les accom-
pagnent, les stipules de celles-ci étant presque avortées. Les sépales repro-
duisent exactement la forme des feuilles chez les Cruckshanksia glacialis
(Pœpp . , Endl . , fig. in Weddell, Expéd. Castelnau, t. L), et Montana
(Clos, in Cl. Gay, Flor. chiL).
RuBiACÉEs. — Il va de soi que, comme celle des feuilles, la présence
de calices stipulaires couronnant l'ovaire infère témoigne de la nature
axile de ce dernier.
Nombreux sont les représentants de cette famille où se manifeste une
extrême ressemblance entre les stipules bractéales et les dents calicinales,
tels : Posoqueria longiflora (Aubl., Guian., t. 51, et Lamk., Illustr.,
t. 163), Sabicea cinerea (Lamk., Illustr., t. 165), Conosiphon aureum et
Exostemma maynense (Pœpp. et Hendl., Nov. Gen. et Spec, tt. 23.3-?37),
Solenandra ixoroides (Hoock., f. Icon., t. 1150), et ce dernier auteur
et Bentham donnent aux espèces du genre Leptactinia d'amples stipules
et un calice cinq partîtes à lobes subfoliacés (Gêner., II, 86).
Enfin, dans quelques représentants de ce vaste groupe (Howardia,
Mussœnda, Calycophyllum, Creaghia, etc.), une ou deux dents du calice
prennent seules un développement foliiforme, et l'unique dent qui soit
dans ce cas chez le Macrocnemum coccineum figuré par Vahl {Symb. bot.,
(1) Comme chez Gcrardia.
D'' D. CLOS. — LE CALICE OU LE PÉRIANTHE SIMPLE ET l'oVAIRE INFÈRE 483
t. 29), a toutes les apparences de la feuille sans préjudice du pétiole.
Vaccimées. — Le Vacciniurn Grifjîthianum a ses sépales ovales dentés
comme les feuilles (Wight,/co?2., t, 1192), et ceux des V. Malacca (t. 1186),
affine (t. 1190) et Domanum {t. H 91) sont acuminés comme elles.
B. — Polypétales.
Loasées. — Les sépales diiLoasa coronata, figurés par Weddell (E.rpèd.
de Casteln., Il, '^4), sont pinnatifides et les feuilles bipinnatifides ; et la
ressemblance entre ces deux sortes d'organes se retrouve chez VHuido-
bria chilensis (Y. CI. Gay, Flora chilena, t. 26); tandis que les sépales
dentés du Caiophora laler'itia rappellent ses feuilles supérieures pinnati-
fides, et que ceux du Loasa multifida paraissent représenter les lobes foliaires
de l'espèce {Ibid., 1. 27).
i^e fruit d'un Mentzelia est figuré par Le Maout et Decaisne {Traité gén.
de Bot., p. 279), avec des sous-sépales pinnatifides sur ses parois.
Mésembrianthémées. — Cette famille, notable surtout par le genre Me-
sembrianthemum, offre dans les nombreuses espèces de celui-ci la plus
irréfutable démonstration de cette thèse, que les prétendues divisions cab-
cinales représentent à elles seules tout le calice, étant assez fréquemment,
à part les dimensions, en tout semblables à la feuille. Les collections
vivantes de ces plantes ne sont pas rares ; mais le botaniste qui voudra
se former une opinion motivée à cet égard n'a qu'à parcourir la belle
monographie de ce genre due au prince Salm-Dyck ; dans plus de la moi-
tié des espèces il retrouvera, au moins dans les deux ou trois sépales exté-
rieurs, quelquefois dans tous, les caractères de la feuille. Je ne citerai du
long relevé que j'ai fait h cet égard qu'un petit nombre d'exemples :
1" les feuilles sont-elles planes et membreuses {M. pomeridianum, § 6o.
f. 1) (1), concaves {M. concavum, § 62, f. o), spatulées (M. crystallo-
phanes), les sépales sont foliacés, concaves, spatules (laciniis calycinis,
spathulatis, obtusis) ; 2° les M. scalpratum, fragrans, grandiflorum (§ 8,
f. 1-2-3) ont les sépales élargis comme les feuilles, mais très courts;
3° dans un troisième groupe, très riche en formes, les sépales sont caré-
nés ou triquètres, du moins les extérieurs, comme les feuilles (les M. per-
foliatum, § 33, f. 1 ; (vquilaterale, § 19, f. 1) ; quelquefois même ces
sépales sont à la fois carénés et denticulés comme les feuilles {M. uncinel-
laium, § 33, f. 4, M. murinum, § 35, f. 4) ; 4° ailleurs, ils sont ou tur-
gides comme les feuilles (M. Lehmanni, § 42, f. 1), ou couverts, comme
elles, de petits tubercules [M. echinatum, § 53, f. 2), ou cylindriques en
boudin et terminés par une houppe de poils (les M. barbatum, bulbo-
(1) Voir aussi dans Jacquin, Icon. rar. II, it. 488-489, la ressemblance des feuille.* aux sépales
dans celte espèce et dans M. cuneifolium .
484 BOTANIQUE
sum., stellatum, densum, § o2, ff. 1-3-5-6) ; 5^ dans les Dombreuses espèces
aux feuilles longues, cylindriques ou demi-cylindriques {les M. sulcatum,
umbelliflorum, flexuosum, § 44, ff. i, 6, 7j les sépales extérieurs repro-
duisent ce caractère surtout chez le M. pugionifonne dont la description
comprend : « calycis laciniis semicylindraceis valde elongatis suba-quali-
bus » ; et Salm-Dyck écrit aussi : « laciniis duabus foliiformibus » à pro-
pos des M. uncinalum, § 33, f. 3, et lacsrum, !:j 21, f. 1 ; « subfoliifor-
mibus )•> à propos du M. Ecklonis, § 49, f. 5. Linné avait déjà cité le
barhatum comme exemple de la formation foliaire du calice (1).
PoMACÉES. — Le calice supère y est tantôt stipulaire, notamment dans
Cydonia vulgaris, les Craiœgus coccinea et nigra, où, indépendamment
de la conformité d'aspect, sépales et stipules sont bordés de glandes sli-
pitées ; tantôt foliaire, car j'ai vu sur une fleur de néflier et M. Gravis
a figuré sur des ovaires de poiriers les sépales remplacés par des feuilles
(in Mém. Soc. roy. bot. de Belg., XVI, t. 5).
Myrtacées. — Dans le Myrlus mucronata les sépales sont mucronés
comme les feuilles et ressemblent aux feuilles basilaires (préfeuilles des
rameaux), et dans le Mircia reticulala on peut suivre le passage des
bractées aux sépales.
Saxifragées. — Si dans nombre d'espèces de Saxifrages appartenant au
groupe des Palminerves, les feuilles, conformément à ce qui a lieu pour
la plupart des plantes munies d'appendices foliaires de cette forme,
n'offrent aucun passage des radicales en rosette aux caulinaires minus-
cules et sessiles, d'autres dévoilent manifestement les rapports des feuilles
aux sépales ; les deux se montrent ou bicuspidés {Saxifraga fîagellaris
Ledeb., Russ., t. 321 ; S. bicuspidata D. Hook., Flor. anlaîxl., t. 97), ou
denticulés (-S. spinulosa Royl., Illustr. t., 50). linéaires-subulées et hispides
comme les bractées (.S. /e/2e//a Jacq., Coll. III, t. 17.)
Quant aux espèces du genre ou sous-genre Bergenia, ayant, comme les
Crucifères, une inflorescence de partition, elles sont par cela même dé-
pourvues, comme elles, de bractées.
OExoTHÉRÉES. — Les Jiissiœa elegans et myrtifolia (in S'-Hil. Bras.,
tt. 131 et 132) offrent à la base de l'ovaire deux bractées semblables aux
sépales.
Ceux du Prieurea senegalensis (DC, Mém. fam. Onagr., t. 2) ne dif-
fèrent des feuilles de l'espèce que par de moindres dimensions.
Ces mêmes analogies se retrouvent dans plusieurs représentants de la
tribu des Épilobiées : ainsi les sépales sont ovales, lancéolés comme les
feuilles supérieures dans Boisduvalia Tocornali (Gay, ChiL, t. 24), linéaires
comme elles dans Gayophyton humile et Godetia gayana {Ibid., tt. 22
(1) a Calijris foliota apice barbala, œque àc folia plantœ, demonslrant Periantbii orlum. » (Species
Plant., 2' éd., 6U1.)
D"" D. CLOS. — LE CALICE OÙ LE PÉRL\NTHE SIMPLE ET l"0VAIUE INFÈRE 485
et 23), linéaires comme les bractées supérieures dans C/arAm pulchella
(Rchb., Icoii.exot., t. 211).
Quant aux OKnothera, les sépales et les feuilles supérieures de VOE. fe-
nuifo/ia sont également linéaires subulées (Cavan., Icon., t. 397), mais ou
ne trouve aucune analogie entre ces deux sortes d'organes chez d'autres
espèces de ce genre. Même observation pour les Epilohium, YE. vosmari-
nifolinm Haenk., ayant, contrairement à beaucoup d'autres congénères,
les sépales identiques aux feuilles supérieures. (Rchb. Icon. bot., 341).
J'ajoute que M. M. -T. Maters a l'ait figurer une chloranthie d'Jî. hirsulum
où les quatre sépales avaient pris et la forme et la nervation et les dents
des feuilles de cette espèce [Ver/et. Teratol., p. 273, f. loO).
CucuRBiTACÉEs. — Les Icoms Flovce Indiœ orientale de Wight montrent,
tome If, tab. o07, un pied de Cucurhila maxima où l'ovaire des fleurs
femelles porte pour calice cinq sépales foliacés, pétioles, obovés, dentés.
Bégoniacées. — « L'hypothèse que les lobes floraux sont des stipules
soudées me paraît la plus probable », a écrit M. Alph. de Candolle (in
Annal. Se. nat., 4® sér., XI); et avant lui, J.-B. Agardh, concluant d'après
le mode de développement, avait comparé les verticilles de la fleur des
Bégonias à des bractées, c'est-à-dire à des stipules (Theor. System.
Plant., 94).
Ombellifères. — On constate dans ce groupe de grandes Variations en
ce qui concerne le calice : nul dans un grand nombre de genres, repré-
senté chez d'autres (O^/^an^^ej par des dents persistantes et alternipétales,
il prend ailleurs plus de développement (Erynghim, Sanicula), repro-
duisant dans le Lagoecia la forme des bractées et accusant manifeste-
ment dans ce cas sa nature foliaire. Dans les Molopospermum il est aussi
à trois dents foliacées. Quelques genres ont les sépales colorés et péta-
loïdes, tels le Xant/wsia, où ils sont grands, ovales ou en cœur, curieux
surtout dans leLeucolœna ou Xanthosia peltigera figuré par Hooker {Icon.,
t. 43), où l'ovaire porte tout autour cinq écailles pcltées. considérées par
le botaniste anglais comme les sépales — « Lobis calycinis peltatis » —
nonobstant cette restriction : « To which I know nolhing similar in lie
whole order of Umbellifera' ». A citer encore Y Hermua pclaloides, où ils
ont été pris par Sonders pour des pétales, et VAzorella dichopelala. où ils
sont plus grands que les pétales. Dans V Holienackeria le calice est stipité,
une sorte de col surmontant l'ovaire, et celui de VH. polyodon a dix dents
à la lin subspinescentes.
lieux genres voisins l'un de l'autre, Aircma, Bifora, se distinguent par
la présence de cinq dents calycinales chez le premier et leur absence chez
le second. Deux sections du genre Liguslicum ont des sépales qui man-
quent dans la troisième, dont un des caractères est : « calycis margo
obsolelus ». Le genre Tordyiium e9,t ainsi décrit à cet égard : « (>'alycis
486 BOTANIQUE
dentés plus minus conspicui, nunc irregulariter elongati vel minimi, vel
obsoleti (Benth. et Hook, Geu. L, 924)»; enfin, M. Maximowicz a nommé
Pimpinella calycina une espèce différant de toutes les autres espèces
asépales du genre par les dents lancéolées, rigides et persistantes du calice
qui couronnent un gros fruit subdidyme {Diagn. pL, Decas, XV).
En 1870, M. Sieler déclarait erronée la signification de calice primor-
dial assignée à celui des Ombellifères, car on voit apparaître après sa
formation d'autres verticilles en dehors et au-dessous de lui ; c'est plutôt,
à son sens, un verticille staminal, premier-né sur le réceptacle (in Bot.
Zeit., n°s 23 et 24, anal, in BulL Soc. bot. de Fr., XIX, Rev. bibl., 173).
A la place de cette interprétation que rien ne semble justifier, ne
peut-on pas voir dans les sépales de la plupart des Ombellifères, quand
ils existent, des rudiments de gaines ?
C. — Dicotylédones monopérianthées
La nature du périantlie supère, chez un certain nombre de Dicotylé-
dones monopérianthées, paraît devoir se dévoiler principalement dans
les genres riches en espèces et où cet organe est le plus varié de forme.
Nul ne réunit peut-être ces deux conditions au même degré que le genre
Aristoloche. In 1864, M. P. Ducliartre, traitant, dans le XVP volume
(l'"^ partie), du Prodromus de DeCandolle, de la famille des Aristolochiées,
comptait plus de cent soixante-dix espèces d'Aristoloches au périanthe
développé tantôt en long, tantôt en surface, en traçant ainsi la carac-
téristique :
« Calyx nunc regularis trilobus, nunc et seepius irregularis et tune forma
varius, tubo sœpius super apicem ovarii iafïatus in utriculum genitalia inclu-
dentem, inde plus miuusve productus, tandem expansus in limbum uni-seu
bilabiatum aut periphericum, persistons vel marcescenti-deciduus (p. 421). »
La comparaison des diagnoses détaillées dues à ce savant et celle
d'un certain nombre de figures d'espèces reproduites dans des ouvrages
de phytographie illustrés semblaient, a priori, en l'absence de grandes
collections spéciales, pouvoir fournir quelques indications en dehors de
toute idée préconçue.
Un seul fait a parfois suffi à dévoiler la nature de tel ou tel organe.
Jai pu relever dans les matériaux signalés vingl-trois espèces environ où
la ressemblance entre la feuille et la languette (ou une des deux lan-
guettes) du périanthe est telle qu'elle entraîne, au moins pour elles, la
conséquence d'identité d'origine, comme il ressort, si je ne m'abuse, des
deux sortes de documents qui suivent.
Voici d'abord un assez grand nombre de cas de concordance que je
D"" D. CLOS. — LE CALICE OU LE PÉRIANTHE SIMPLE ET l'oVAIRE INFÈRE 487
relève dans les diagnoses données par M. Duchartre entre la forme des
feuilles et celle du périanthe.
A. Sellowiana, p. 438 : Foliis deltoideis acuminatis. — Labio basi lato del-
toideo ;
A . Karwinskii, p. 442 : F. subreniformi-cordatis, vel deltoideo-cordatis.
— L. deltoideo-cordato ;
A. truncata, p. 454 : F. elongato-deltoideo-cordatis. — L. ovato subcordato ;
.4. lutescens, p. 461 : F. deltoideo-cordatis, acutis. — L. lato-cordato acu-
minato ;
A. cordigera, p. 455 : F. ovato-cordatis. — L. magno cordato subhastato;
A. pilosa, p. 434 : F. ovato-cordatis. — L. ovato;
A. gibbosa, p. 439 : F. subreclangulo-cordalis acuminatis. — L. ovato-
subcordato acuto ;
A. grandiflora, p. 472 : F. cordatis. — L. cordato;
A. fœtens, p. 472 : F. subrotundo-cordatis. — L. suborbiculari-cordato;
A. auricularia, p. 483 : F. ovato-cordatis. — L. subrotundo-cordato ;
A. gigantea, p. 474 : F. subrotundo-cordatis. — L. ovato... basi cordato;
A. inllata, p. 43S : F. ovato-cordatis. — L. ovato-subcordato acuto;
.4. fimbriata, p. io4 : F. orbiculari-cordatis. — L. orbiculari-cordato (voir
la figui'e non moins démonstrative donnée par Chamisso in Linncfa, VII,
table VI, f. 2).
A. cynanchifolia , p. 433 : F. elongato-delt(.tideis. — L. elongato ; analogie
confirmée par la figure de la table 51 du Flora brasiliensis, de Martius ;
A. Chamissonis, p. 462 : F. ovato-lanceolatis acutis. — L. ovato-lanceolato
acutissimo ;
A. longiflom, p. 441 : F. linearibus, paucioribus oblongo-lanceolatis.
— L. lanceolato acutissimo ;
A. cordiflora, p. 474 : F. cordatis acuminatis. — L. cordiformi obtuso mucro-
nulato.
Empruntons d'autres preuves aux ouvrages de botanique illustrés :
Feuille et périanthe sont figurés :
Cordiformes dans VArist. glauca Desf., Flora allant., 250, et A. floribunda,
in l'Horticulteur français, d'Hérincq, 1869, ad p. 200;
Ovales dans A. cretica Desf., Choix des PI. de Tourn., VII;
Oblongs dans A. oblongata Jacq., Horl. Schœnbr., II, 183;
Lancéolés dansai, lanceolata Wight, Icon. PL Ind., V, 1858;
Étroits-allongés, languette de forme intermédiaire à celles des feuilles de
r^. angustifolia et de sa variété longifolia, figurés par Chumisso in Linnœa, VII,
t. V. f. 2;
Rémformes, A. brasiliensis, in Engler, 33" livr. du Flora brasiliensis, de Martius,
p. 263 (une des deux lèvres du périanthe).
488 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
MM. DE lABIAS et SÂBEAZÈS
Agrégé à la Faculté' de Médecine de Bordeaux. Interne des Hôpitaux de Bordeaux.
LA PILAIRE DU SANG DES GRENOUILLES. — DECOUVERTE DU WALE
— Séance du 16 septembre i892 —
L'histoire des filaires parasites des animaux et de l'homme n'est pas
encore entièrement faite. Le mâle reste inconnu chez la plupart des espèces
décrites (1), et, lorsqu'il a été découvert, on n'a pu se rendre un compte
exact du lieu où se fait l'accouplement. Le cycle biologique, établi par
Manson pour la filaire du sang de l'homme et par Fedchenko pour la fi-
laire de Médine, doit être recherché pour les autres filaires. Bien des points
méritent également d'être élucidés relativement à l'habitat et aux condi-
tions d'existence. Pénétrés de cette pensée que les mœurs de ces néma-
todes ne varient sans doute pas beaucoup d'une espèce à l'autre, nous
avons abordé l'étude de la filariose de la grenouille avec l'espoir d'en
dégager quelques interprétations d'une portée générale pour les parasites
de ce groupe. Nous avons l'honneur de communiquer le résultat de nos
premières recherches au Congrès de l'Association française pour l'avan-
cement des sciences.
Historique. — Les embryons de la filaire du sang des grenouilles ont élé vus,
comme les embryons de la filaire du sang de l'homme, avant le parasite adulte.
Ils ont élé découverts, en 1841^ par Valentin qui les rencontra dans les vais-
seaux de la membrane interdigitale de la grenouille commune (Rana esculenta) (1).
D'après cet auteur, les parasites entraînés à une certaine distance par le
torrent circulatoire, finissent par s'arrêter instinctivement dans les organes qui
leur conviennent le mieux pour y établir leur domicile et de préférence dans
le tube digestif (anguiUula intestinalis) ; ils y pénètrent à travers la paroi des
vaisseaux. Leur bouche serait munie, en effet, d'organes propres à effectuer
cette pénétration ; celle-ci serait en outre favorisée par la forme et l'élasticité
de ces animaux ; d'autre part, la fragilité des parois vasculaires aiderait au
passage.
Ces données de Valentin sont purement hypothétiques. L'auteur attribue bien
(I) MM. Railliet et Moussu viennent de découvrir le mâle dans un cas de filariose de l'àne. (Société
de Biologie. Séance du 18 juin i892.)
DE NABIAS ET SABRAZÈS. — LA FILAIRE DU SANG DES GRENOUILLES 489
à tort lin appareil buccal perforateur à des embryons dont la structure,
comme nous le verrons, est des plus rudimenlaires.
A la même époque, Cari Vogt (1). examinant au microscope la membrane
nictitaute d'une grenouille qui venait d'être tuée, observe, avec étonnement
dans les vaisseaux de cette membrane encore remplie de sang, puis dans
tout le système circulatoire, de petits vers animés de mouvements rapides.
Plus tard, il retrouve des vers semblables dans le sang de plusieurs grenouilles.
Vogt admet que ces embryons de filaire circulent dans l'organisme pendant un
certain temps; ils s'arrêtent finalement dans les viscères, s'y enkystent,
achèvent leur développement et arrivent à maturité sexuelle. Ils tombent alors
dans la cavité abdominale et donnent naissance à des embryons qui passent
dans les gros vaisseaux pour recommencer le même cycle.
Cette évolution ne concorde guère avec ce que l'on sait de la migration des
helminthes de cet ordre, chez lesquels l'embryon passe par un hôte intermé-
diaire avant de prendre la forme adulte chez l'hôte définitif. Elle a déjà été
contestée par Chaussât, dès 1850, dans sa thèse sur les Hématozoaires. D'un
autre côté, les kystes vermineux de Cari Vogt contenant des filaires semblables
à celles du sang, n'ont pas été revus par Vulpian qui étudia la filaire de la
grenouille en 1854 (2). Nos recherches dans ce sens ont été également infruc-
tueuses; nous n'avons rencontré que des kystes sanguins à psorospermies
appendus aux parois de l'intestin.
Les observations de Vulpian nous ont appris que chez les grenouilles dont le
sang renferme des hématozoaires filiformes ou anguUlules, il existe toujours dans
la cavité générale, au milieu des gros vaisseaux de la base du cœur, des filaires
femelles adultes, enroulées sur elles-mêmes, contenant un nombre incalculable
d'embryons vivants semblables aux jeunes nématodes en circulation dans le
sang.
Telle est, croyons-nous, l'histoire actuelle de la filaire du sang de la
grenouille. Nous pouvons montrer aujourd'hui, non seulement la femelle
adulte et les embryons, mais encore le mâle que nous avons découvert.
Fréquence. — C'est du mois de juin dernier que datent nos recherches.
Sur cent grenouilles communes apportées au Laboratoire, nous n'en
avons pas trouvé une seule qui fût dépourvue de filaires. Quelques gre-
nouilles rousses (Rana Temporaria) qui avaient été prises dans le même
étang que les précédentes, ne faisaient pas exception à la règle. Vulpian
avait examiné au point de vue de la filariose quarante-deux grenouilles
communes et il avait rencontré ces parasites sur huit d'entre elles. Cette
filaire semble donc être très fréquente.
Habitat. — Vulpian pensait que l'habitat de la filaire adulte était la
région des gros vaisseaux au voisinage du cœur ; il l'avait trouvée une
fois seulement dans les muscles sous-hyoïdicns. Après avoir minutieu-
sement disséqué plus de cent grenouilles, nous pouvons dire que le véri-
table habitat de ces animalcules est le tissu conjonctif sous-cutané et
(l)Carl Vogt, Miiller's Ai-chiv, n"' 2 ('t 3. p, 189. 18 '.2. ^ „ c. n- i ,ilk'
(2) VULPIAN, Noie sur les hëmatozoain'S liliformes de la grenouille commune. (C. H. Soc. moi. ics.,
p. 23.)
490 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
intermusculaire, principalement de la région sous-hyoïdienne et des
cuisses. Chez une grenouille qui présente des embryons dans le sang, il
suffît d'inciser la peau et de regarder attentivement la région hyoïdienne
mise à découvert ; on y voit souvent par transparence, dans le tissu con-
jonctif et à la surface des muscles, de petits paquets de vers blanchâtres
ressemblant à un gros fil blanc enroulé ; ce sont des filaires adultes.
Dès qu'on les touche, elles se meuvent et se déplacent. Si ce premier exa-
men était infructueux, il suffirait d'écarter les faisceaux musculaires, et,
dans leurs interstices, on aurait de grandes chances de les trouver encore.
— Pareille recherche doit être faite au niveau des cuisses en séparant les
divers muscles principalement près des gros vaisseaux.
Dans les cas les plus favorables, il nous a été facile de retirer d'une
même grenouille jusqu'à six et huit filaires (1). Généralement ce sont des
femelles, mais parfois on trouve un mâle à côté d'elles ; il se distingue
immédiatement par sa minceur, sa petite taille et l'enroulement en spi-
rale de son extrémité postérieure.
Lieu de l'accouplement. — Plusieurs fois nous avons vu le mâle adhérer
à la femelle dans l'attitude de la copulation. La fécondation, saisie en
quelque sorte sur le vif, se produit dans le tissu conjonctif de l'hôte et
il doit en être vraisemblablement ainsi pour toutes les filaires. Le tissu
conjonctif paraît être une étape de prédilection pour ces parasites (2). Ils
peuvent envahir secondairement les appareils circulatoire ou lympha-
tique.
Une filaire trouvée par nous dans un vaisseau des organes génito-uri-
naires avait, selon toute vraisemblance, habité, comme ses semblables,
antérieurement à sa migration, le tissu conjonctif intermusculaire ou
sous-cutané.
Pénétration des embryons dans le sang. — Tant que les filaires adultes
ne sont pas contenues dans les systèmes sanguin ou lymphatique, on
ne sait par quel mécanisme les embryons pénétrent dans le sang. N'y
sont-ils pas déversés k la faveur d'effractions vasculaires minimes pro-
duites par les filaires adultes qui se nourrissent de sang, ainsi qu'en
témoigne l'examen de leur tube digestif bourré de globules? Les em-
bryons profiteraient d'autant plus facilement de ces solutions de conti-
nuité dans la paroi des capillaires que leur orifice de sortie, la vulve,
(1) Lewis et Manson ont cherché à guérir le scrotum éléphantiasique en détruisant sur place la
filaire adulte. Si le nombre des filaires chez l'homme est plus considérable qu'on ne pense, il ne
sera pas toujours facile de lutter par ce moyen contre l'infection filarienne.
(a) Nous sommes tenté de faire un rapprochement entre la filaire du sang de la grenouille et la
filaire de Médine. Le mâle de cette dernière est encore inconnu, et l'on se demande même si l'ac-
couplement se fait dans le monde extérieur, dans le corps du cyclope qui sert d'hôte intermédiaire
aux embryons ou dans le tube digestif de l'homme. Nous ne serions pas étonnés qu'on trouvât un
jour le mâle de cette filaire dans le tissu conjonctif sous-cutané ou intermusculaire et que ce fiit
là le véritable lieu de l'accouplement. Les recherches récentes de MM. Railliet et Moussu sur la
(ilaire hémorragique du cheval et de l'âne viennent encore à l'appui de ces idées.
DE NABIAS ET SABRAZÈS. — LA FILAIRE DU SANG DKS GRENOUILLES 491
est au voisinage immédiat de la bouche et de l'appareil perforateur dont
celle-ci est armée (fig. /). C'est là un fait intéressant qui demande à être
vérifié, mais qui paraît dans tous les cas extrêmement vrai-
semblable.
Voici maintenant une diagnose sommaire de la femelle, du
mâle et des embryons de la filaire des grenouilles.
Femelle. — Les dimensions des femelles sont variables ; leur
longueur oscille entre vingl-cinq et trente et un millimètres.
Elles ont moins d'un millimètre d'épaisseur. Leur corps est
blanchâtre, cylindrique, s'effilant à peine aux deux bouts.
L'extrémité céphalique représente un cône au sommet duquel s'ouvre
la bouche par un petit orifice circulaire. Au voisinage de celui-ci, on
voit quatre saillies chitineuses, réfringentes, qui affectent la forme dé
dents minuscules acérées à l'extrémité libre comme des épines de rosier;
elles mesurent 8 jx de largeur à leur base et 12 <j. en longueur; elles
émergent de 8 ;j. environ au-dessus de la cuticule (fig. ■/). L'extrémité
postérieure, atténuée en pointe mousse, présente sur la face ventrale
l'orifice anal. L'organisation générale de cet helminthe est semblable à
celle des autres filaires. La cuticule n'est pas striée transversalement.
Dans les préparations à la glycérine, on observe facilement une striation
longitudinale manifeste et très régulière ; les stries sont séparées par
des intervalles de 12 ;j.. Sur des coupes transversales, on ne distingue ni
ligne médio-dorsale, ni ligne médio-ventrale, ni champs latéraux ; les
fibres musculaires, très courtes et du type cœlomiaire, forment une
couche continue. La cavité du corps est remplie par le tube digestif et
les organes génitaux .
Tube digestif. — A la bouche fait suite un œsophage assez court,
entouré, vers le tiers postérieur, par l'anneau nerveux. Cet œsophage,
cylindrique, à paroi musculaire épaisse, débouche dans un intestin im-
médiatement très large, à parois minces et tranchant par sa coloration
jaune sur le système génital qui l'entoure. Il parcourt la longueur du corps
sans décrire de sinuosités. A quelque distance de l'extrémité caudale, il
se termine par un court rectum sur la face ventrale.
L'immersion dans l'eau facilite l'observation du tube digestif qui appa-
raît alors très nettement avec une coloration foncée; à l'état normal, il
est rempli de globules sanguins.
Système génital . — La femelle possède deux ovaires qui se replient
un grand nombre de fois autour du tube digestif et se dilatent en deux
oviductes et utérus qui se réunissent en un canal commun pour former
le vagin. Celui-ci, très étroit, est long de 432 ;x environ; il aboutit à
la vulve, orifice saillant placé au voisinage immédiat de la bouche (800 f*).
Les tubes génitaux sont remplis d'œufs et d'embryons à tous les stades
492 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
de leur développement; les plus développés ressemblent à ceux qui cir-
culent dans le sang.
Mâle. — Le mâle, plus petit et plus grêle que la femelle, mesure huit
à neuf millimètres de longueur sur moins d'un quart de millimètre d'é-
paisseur. Il est cylindrique, d'aspect blanchâtre, enroulé en spirale à sa
partie postérieure. Les téguments, l'appareil buccal, le tube
digestif, ne se différencient pas de ceux de la femelle.
Le système génital se compose d'un tube testiculaire en-
roulé autour de l'appareil digestif et rempli de spermatozoïdes
du même type que ceux de ï Ascaris megalocephala. Ce tube
débouche dans une vésicule séminale qui longe l'intestin
terminal et aboutit, comme ce dernier, au cloaque dans le-
quel font saillie deux spicules. Ceux-ci ont des dimensions
inégales; le plus long aSOOjji.; le plus petit 460 [j.; sur quelques prépa-
rations, ils pointent à l'extérieur (fig. 2). Autour de lorifice cloacal sont
disposées des papilles qu'il nous a été impossible de compter.
Vitalité. — Extraite de la grenouille, la filaire adulte ne tarde pas à
succomber si on la place à l'air libre. Nous avons essayé de la faire vivre
dans une solution composée de 1 0/0 de chlorure de sodium et de 1 0/0
de carbonate de soude, milieu favorable à certains nématodes. Les hlaires
sont d'abord très mobiles et très vivaces en apparence dans ce liquide ;
mais, au bout d'une demi-heure, leur vitalité s'épuise et elles ne tardent
pas à périr. En revanche, nous avons pu en observer qui étaient encore
vivantes à l'ouverture de grenouilles mortes depuis vingt-quatre heures.
Embryons. — Quand on les étudie dans le sang, les embryons sont
de petits vers agiles, blanchâtres, analogues aux embryons de la filaire
du sang de l'homme, mais un peu moins longs et relativement plus
épais. On peut les conserver vivants, en goutte de sang suspendue, [)en-
dant plus de cinq jours. Ils se placent parfois à côté les uns des autres
et restent ainsi dans l'immobilité pendant quelques minutes. Puis, les
mouvements reparaissent petit à petit, s'accentuent progressivement et
les embryons se séparent. Quand ils sont dans ce stade de repos, on voit
facilement que leur corps présente une gaine cuticulaire qui peut se plisser
et s'efFiler, surtout dans la région céphalique, tandis que la masse centrale
offre un aspect uniformément granulé. Diverses expériences nous ont
permis de nous assurer que ces embryons ne résistent pas à la dessiccation.
Pour mettre en évidence leur structure, il est indispensable de les
colorer. La méthode que nous recommandons nous a déjà permis d'étu-
dier les embryons de la filaire du sang de l'homme (1). Nous l'avons
exposée dans un précédent travail, aussi la résumons-nous en quelques
(1) De Nabias et Sabrazès, Sur les Embryons de la filaire du sauf/ chez l'homme. (Soc de BioL,
21 mai 1892.)
FiG. 3.
DK NABIAS ET SABRAZES. — LA PILAIRE DU SANG DES GRENOUILLES 493
mots ; les lamelles enduites de sang riches en embryons sont fixées par
les vapeurs d'acide osniique, traitées par le carmin borate de Gibbos et
l'alcool chlorhydrique, lavées à grande eau et colorées par une solution
aqueuse de bleu de méthylène. On monte dans le baume. Les embryons
sont, par cette méthode, vivement colorés en bleu, tandis que la cuticule
qui forme l'étui transparent sur le vivant présente des reflets roses. A
l'examen microscopique, on remarque que ces embryons, dont la lon-
gueur est de 70 <x et l'épaisseur maxima de
4 p., ne présentent pas de trace de tube digestif,
ni d'appareil perforateur, comme l'admettait Va-
lentin. ni de système reproducteur: il n'existe '^^\^3^f^rf','.^f
encore aucune différenciation. Ils sont constitués '^ ®^^(s^l3*\® 'Sa,
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très petites cellules à noyau bien coloré par le
bleu de méthylène, formant ain.-ii un boudin
cylindrique dans les légions médiane et antérieure et s'effîlant progressi-
vement vers l'extrémité caudale (fig. 3).
En résumé, les grenouilles sont fréquemment infectées de fîlariose. On
trouve des filaires adultes, qui peuvent être au nombre de six à huit
chez un même hôte, dans le tissu conjonctif sous-cutané et intermus-
culaire, plus rarement dans les vaisseaux. Leur appareil buccal est armé
de quatre saillies chitineuses très acérées, qui permettent sans doute aux
filaires de faire des solutions de continuité dans la paroi des vaisseaux
pour y puiser le sang dont elles se nourrissent. En outre, les solutions de
continuité pourraient favoriser peut-être le passage direct des embryons
dans l'appareil circulatoire. Les mâles, jusqu'à présent inconnus, sont
moins nombreux et plus petits que les femelles; ils ont pour habitat de
prédilection, comme ces dernières, le tissu conjonctif où se fait l'accou-
plement. Les embryons qui sont en circulation dans le sang ont une
structure des plus rudimentaires comme le montrent les colorations au
bleu de méthylène. Ils peuvent vivre dans le sang, en goutte suspendue,
pendant cinq à six jours, mais ils ne résistent pas à la dessiccation.
Disons enfin, en terminant, que selon toute probabilité, les embryons
passent par un hôte intermédiaire; nous pensons qu'il faudra chercher
cet hôte parmi les animaux qui vivent dans les mares aux grenouilles :
les investigations que nous avons faites dans ce sens ne nous ont pas
encore donné de résultats.
494 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
M. aeorges EOCHÉ
à Paris.
SUR LA DÉCRUDESCENCE DES RENDEMENTS DE LA GRANDE PÊCHE DU « POISSON
FRAIS » AU LARGE DE NOS COTES DU SUD-OUEST
— Séance du 16 septembre i892 —
A la suite des désastres successifs éprouvés par la population côtière du
golfe de Gascogne, en raison des irrégularités d'arrivages de Ja sardine,
la pêche du poisson frais a acquis une importance toujours grandissante
que justifie aussi simplement le facile écoulement de ses produits.
Les armements à la pêche au grand chalut se sont donc multipliés
dans les différents ports de notre littoral ; depuis quelques années même,
leur valeur s'est singulièrement accrue. Par le nombre des bâtiments
qu'elle emploie, le capital qu'elle fait fructifier, la population maritime
qu'elle fait vivre, cette branche de nos pêcheries nationales constitue
une considérable industrie.
I
Mais voici que, avec insistance, les chalutiers se plaignent de l'appau-
vrissement zoologique des fonds sur lesquels ils traînent leurs engins.
Déjà, il leur faut renoncer à travailler à de faibles profondeurs et gagner
le large. Leur métier devient ainsi plus dangereux encore que par le
passé et moins rémunérateur aussi, en raison des pertes de temps qu'occa-
sionnent les allées et venues des lieux de pêche aux ports de ventes,
les difficultés plus grandes du travail en haute mer et la richesse compa-
rativement moins considérable des fonds du large par rapport à ceux de
la côte.
On a proposé divers moyens pour pallier ce fâcheux état de choses,
en se basant sur les réclamations formulées par les pêcheurs. Mais
à quelles causes attribuer cet appauvrissement de nos eaux marines?
— Dans la Manche, comme dans le golfe de Gascogne, les chalutiers
affirment que les frayères du littoral sont dévastées par les pêcheurs de
G. ROCHE. — DÉCRUDESCENCE DU RENDEMENT DE LA GRANDE l'ÈCHE 49o
crevettes dont les engins sonl promenés dans les estuaires et les baies
côtières où les poissons de fonds viennent se reproduire et passer les
premiers stades de leur développement. Ils disent aussi que l'extension
de la pèche au grand chalut qui bouleverse les fonds marins ne saurait
subsister longtemps faute des éléments nécessaires à son exercice. A bref
délai, croient-ils, les eaux marines seront stérilisées.
On a pensé, d'autre part, à une modification des conditions physiques,
chimiques et dynamiques du milieu océanique. Mais, à la vérité, bien
que, d'une façon certaine, la biologie des poissons comestibles — et con-
séquemment leur pèche — soit liée intimement aux influences cosmiques
du milieu où ils vivent et dont ils vivent, nos connaissances spéciales sont
sur ce point si obscures que nous ne pouvons qu'émettre des conjec-
tures en pareille matière.
C'est, en somme, une étude entière à entreprendre que d'établir les
relations des poissons comestibles avec le milieu ambiant, problème dont
presque tous les termes nous manquent, puisque nous ne connaissons
d'une façon précise ni les courants superficiels ou profonds, ni les degrés
de salure, ni la distribution des températures dans la masse des eaux
qui recouvrent notre plateau continental, et que nous ne savons pas
non plus exactement les espèces zoologiques que pâturent plus spécialement
les poissons comestibles, et dont la distribution sur les fonds océaniques
règle celle de ces poissons eux-mêmes.
Notre ignorance est presque aussi grande en ce qui touche les migrations
périodiques ou irrégulières de ceux-ci, du moins en ce qui concerne les
causes de ces montées ou de ces migrations.
Or, il arrive que si, d'une part, en raison de l'intérêt économique pré-
senté par la pêche du poisson frais, on est porté à encourager les per-
fectionnements apportés à cette industrie, sa réglementation, d'autre part,
n'est pas édifiable scientifiquement aujourd'hui. On se trouve ainsi amené
à laisser pratiquer la pêche au chalut suivant les coutumes et les intérêts
immédiats de la population maritime de nos divers quartiers : interdisant
en une région ce qui est permis dans la région voisine, tolérant ici
ce qui ne l'est pas là, suivant que les pêcheurs du quartier se livrent
plus spécialement à la récolte de la crevette, ou à celle de la sardine, ou
à celle du poisson frais.
Pour se rendre compte aussi de la valeur exacte des réclamations for-
mulées par les chalutiers, il est d'abord nécessaire de savoir les condi-
tions précises de leur travail coutumier, les engins qu'ils emploient, les
régions qu'ils exploitent, les animaux qu'ils recueillent et les conditions
économiques ou industrielles de leur métier. Il faut aussi recourir aux
statistiques des rendements de la pêche au grand chalut, de façon à juger
des quantités relatives de poissons capturés depuis nombre d'années, et à
496 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
voir dans quelle proportion ces rendements variables infirment ou confir-
ment les assertions des pêcheurs. — Or, cette dernière documentation
est assez difficile à bien conduire et ne peut guère se baser sur les sta-
tistiques officielles.
Cependant le tableau des rendements mensuels, semestriels ou annuels
de la pêche au chalut, à défaut de renseignements scientifiques plus précis,
peut nous fournir de bien utiles indications sur le régime de beaucoup
d'espèces comestibles. Au point de vue de l'histoire naturelle de ces
êtres, comme au point de vue de leur intérêt économique, nous pouvons
obtenir de précieux documents et tirer d'utiles pronostics de l'examen des
quantités relatives qu'on en a capturées durant une assez longue période
de temps.
Au cours d'une récente mission, j'ai consacré tous mes efforts à étudier
sérieusement les conditions modernes du chalutage sur nos côtes de
l'ouest; et j'ai résumé toutes les connaissances pratiques et théoriques
que j'ai pu acquérir sur cette industrie, aussi bien dans cette mission
même que dans une précédente, en un mémoire intitulé : Etude géné-
rale sur la pêche au grand chalut dans le golfe de Gascogne (1).
Je veux maintenant développer plus spécialement, ici, un point de ce
travail et envisager la question de l'appauvrissement de nos sols de
pêche, en me basant sur les documents personnels que j'ai recueillis et
que j'ai soumis à un contrôle sérieux, ayant acquis quelque peu l'expé-
rience de la pêche en partageant la vie des pêcheurs, aux diverses
époques de l'année.
II
Il est diflicile, cependant, de se procurer les éléments dun pareil
travail.
Les pêcheurs de notre côte n'inscrivent pas, après chaque sortie, le nombre
exact des animaux d'espèces différentes qu'ils ont capturés. Sur leurs
livres ils relèvent seulement la valeur du produit de leur travail; mais
celte valeur ne signifie rien au point de vue spécial d'une statistique de
rendements, puisque son montant (pour une même quantité de poisson;
est variable suivant le port de vente, l'époque de l'année, les jours de la
semaine. (C'est ainsi, par exemple, que dans les poissonneries du littoral,
le prix d'une pêche peut varier du simple au double et même au triple
suivant que cette vente a lieu le vendredi ou le mercredi.)
Il est donc impossible en tout état de cause, de se servir, de la valeur
marchande des poissons capturés pour dresser un tableau de leur pro-
(1) Pari?, 1892. Masson, l'dileur. Annales des Sciences naturelles, t. XV, p. i à 85.
G. ROCIIÉ. — DÉCRUDESCENCE DU RENDEMENT DE LA GUAiNDE PÈCHE 497
diiclion. Aux mois de mars et avril dernier, dans les difFérents ports
d'armements pour la pèche au grand chalut que j'ai visités, il m'a été
à peu près impossible de recueillir d'utiles renseignements à ce sujet.
Cependant, M. Johnston, l'éminent directeur de la Société des Pêcheries
de l'Océan (à Arcachon), m'ayant autorisé à consulter, avec l'aide bien-
veillante de M. Delon, administrateur de la Société, les registres qu'elle
fait tenir au courant, depuis vingt-cinq années bientôt, j'ai pu faire un
relevé précis du rendement de cette Compagnie, depuis 1868. On peut,
je crois, considérer le tableau que j'ai dressé comme reproduisant fidèle-
ment la production des eaux marines au large de nos côtes du sud-ouest.
Le chalutage à vapeur, en effet, tel qu'il est pratiqué par les navires
arcachonnais, s'exerce sur une considérable étendue au large de nos côtes
landaises et girondines ; son travail est, en somme, régulier et, de plus,
il ne s'exerce jamais en deçà de quarante brasses de profondeur.
Or, la Société des Pêcheries de l'Océan relève jour par jour le nombre
des animaux capturés par ses vapeurs . En divisant le nombre des pois-
sons, d'une espèce déterminée, péchés annuellement par le chiffre des
jours de travail, on obtient la quantité moyenne des animaux de cette
espèce recueillis par périodes de vingt-quatre heures durant cette année.
Cette opération, répétée pour les espèces les plus importantes et pour
toutes les années comprises entre 1868 et 1891, nous permet de dessiner
un diagramme où les temps (les années) seront portés sur l'axe des
abscisses et les quantités proportionnelles sur les ordonnées.
Malgré tout, cette représentation graphique est soumise à quelques
causes d'erreurs. C'est ainsi que le poisson peut être abondant sans que
les engins le puissent capturer (en raison du gros temps ou de toute autre
cause du même ordre),. Il se peut faire aussi, surtout en ce qui concerne
les poissons migrateurs, que leurs bancs, bien que nombreux et serrés
dans le golfe de Gascogne, ne soient cependant pas découverts par les
chalutiers. Ce sont là cependant des hypothèses qui perdent beaucoup de
leur valeur lorsque, au lieu de dresser le tableau de la production pour
une faible période de temps, on l'établit pour près d'un quart de siècle,
Dans cette représentation des variations du rendement de la pêche au
grand chalut, il serait intéressant, toutefois, de pouvoir expliquer les irré-
gularités des productions annuelles proportionnelles. Pour ce faire, il
se faudrait livrer évidemment à une analyse approfondie des pêches
mensuelles, journalières même, en consultant, concurremment, les rensei-
gnements météorologiques fournis par les registres des sémaphores. Bien
que ce doive être là un travail fort pénible et bien peu attrayant tout
d'abord, je crois qu'il nous pourrait fournir d'utiles indications sur les
pêches des années écoulées et, partant, de précieux pronostics poui' celles
de l'avenir.
32*
498 ' ZOOLOGIE, AiNATOWlE, PHYSIOLOGIE
En somme, les cinq vapeurs de la Société des Pêcheries de l'Océan
travaillant environ 250 jours par année (exception faite des relâches et des
périodes de réparation), durant vingt heures, avec une vitesse moyenne de
deux nœuds et demi à l'heure, chalutent annuellement sur une surface
de 140.000 hectares. Ils font ainsi à peu près le même travail que vingt
chalutiers à voiles de Groix ou des Sables-d'Olonne qui ne pratiquent
la même pèche que durant l'hiver et dont les irrégularités de production
et les difficultés de manœuvres sont beaucoup plus grandes.
Voyons maintenant quels sont les résultats que nous fournit l'examen
des graphiques tracés d'après les rendements proportionnels des vapeurs
arcachonnais .
Ces graphiques dressés pour des poissons sédentaires, tels que la Sole,
la Barbue, le Turbot, les Trigles, les Rajides, etc., ou pour des migrateurs
comme le Merlu, le Surmulet, nous parlent dans des sens différents, sui-
vant qu'il s'agit de l'une ou de l'autre de ces espèces comestibles.
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Le fait qui nous frappe tout d'abord, en examinant ces graphiques, est
la diminution très nette du chiffre des poissons capturés appartenant à
des espèces sédentaires.
Pour le Canthère gris (Cantharus griseus) ou Ghnset, on est même ar-
rivé, depuis plus de dix ans, à ne capturer que quelques individus assez
hasardeusement, alors qu'en 1869 on en prenait six par pèche de vingt-
quatre heures (fig. 1).
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Les Rajidés et les Triglidés présentent une décrudescence tout aussi
frappante; encore faut-il tenir compte ici qu'autrelbis beaucoup de ces
G. ROCHE. — DÉCRUDESCEXCE DU RENDEMENT DE I.A GRANDE ri-.ClIE 499
animaux étaient rejetés à la mer aussitôt qu'ils étaient capturés, en raison
de leur faible valeur marchande, tandis que, de nos jours, on conserve
soigneusement tous ceux que ramène le chalut, par suite de l'impor-
tance qu'a acquis le commerce du poisson frais.
J'ai dressé aussi le tableau de la production du Pagel commun, de la
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Daurade, du Zée forgeron, du Carrelet. En ce qui concerne le Carrelet
et la Daurade, la décrudescence est inaniftste (fig. 2).
Le Zée n'a pas sensiblement diminué. Il n'en est pas de même pour le
Turbot et la Barbue qui, depuis quelques années, se font beaucoup plus
rares que par le passé, de même que la Sole dont la vente présente une si
haute importance commerciale et qui fait en somme le fond de la pêche
au grand chalut. Pour cette espèce, la décrudescence du rendement est
500 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
d'autant plus frappante qu'aujourd'hui on comprend sous le nom de sole
le Microchirus variegatus qui était à peine récolté autrefois.
A l'heure actuelle enfin, si le chifîre des Baudroies, des Squatines et
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des autres squales paraît augmenter dans d'assez fortes proportions, c'est
que pour eux encore il est fait un échange commercial que l'on dédai-
gnait jadis.
Le Merlu et le Surmulet^ par contre, nous présentent un graphique
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beaucoup plus consolant. Nous avons, en effet, un tableau de leurs ren-
dements qui nous les montre comme soumis toujours à de fort grandes
irrégularités d'arrivages. Leurs décrudescences momentanées ne sauraient
donc, dans l'avenir, nous inquiéter par trop, leurs montées ou leurs
G. ROCHE. — DÉCRUDESCENCE DU RENDEMENT DE LA GRANDE PÈCHE 501
migrations étant soumises à des causes qui échappent jusqu'ici à notre
analyse; il est regrettable, pourtant, que nos pêcheurs ne puissent être
renseignés d'une façon précise sur le réfjime de ces animaux ; mais pour
eux, du moins, n'avons-nous pas des raisons de craindre que leur es-
pèce soit en voie d'extinction, dans nos eaux marines, comme il nous
faut le constater pour certaines espèces sédentaires.
Dans ces graphiques, certaines irrégularités sont assez peu explicables au
premier aspect. En ce qui concerne la Barbue, par exemple, on est un
peu surpris de constater des poussées de produclion — si je puis m'expri-
mer ainsi — comme celles de 1881-1882 (1 1. Mais il faut se rappeler que
le sol de notre plateau continental est semé de pâturages sous-marins
où se localisent plus particulièrement certaines espèces comestibles de
poissons.
Alors que les hasards du chalutage en haute mer amènent les pêcheurs
à travailler sur ces fonds, ils recueillent une plus abondante récolte d'a-
nimaux du groupe spécial qui affectionne ces fonds (en raison de la na-
ture des espèces zoologiques que ses représentants y peuvent pâturer) que
dans les autres parties de la masse profonde des eaux.
Les chalutiers exploitent donc ces terrains de pêche qu'ils ont décou-
verts, ils les exploitent jusqu'à leur épuisement, pour aller plus tard à la
recherche de nouveaux sols inexplorés pai le chalut et plus fertiles en
poissons.
Je ne veux retenir de ces faits que la conclusion suivante : « N'y au-
rait-il pas intérêt à déterminer exactement ces cantonnements, de façon à
en ménager l'exploitation régulière? »
Une autre observation que nous fournit l'inspection des graphiques de
la Barbue et du Twbot est que leur pêche est plus fructueuse en été
qu'en hiver. Et ceci nous confirme un point d'histoire naturelle qui
n'est pas dépourvu d'intérêt, car ce fait nous montre que ces deux pleu-
ronectes affectionnent plus particulièrement les fonds situés en deçà de
quarante-cinq brasses de profondeur. Durant l'été, les vapeurs arcachon-
nais travaillent, en effet, plus spécialement par trente-cinq à quarante-
(1) celte recrudescence du rendement du turbot et de la barbue correspond àla surproduction de la
sole (voir graphique de cette espèce;. Je me demande donc si cette élévation du rendement numé-
rique des animaux capturés do ces trois espèces ne tient pas à ce que, durant une période plus longue
que les autres années, les chalutiers arcachonnais ont travaillé, en 1881-1882, plus près de terre
qu'ils n'ont l'habitude de le faire. , .
Les pleuronectes sont, je l'ai dit, plus abondants à terre qu au large, ils sont p us petits auss.. Les
courbes que j'ai tracées ne nous donnent que ks valeurs numériques relatives des animaux péchés;
or, il est bien évident qu'ici il faudrait pouvoir comparer aussi les poids rdatifs. Mais, étant donné
que le turbot et la barbue se trouvent rarement au delà de cinquante brasses de profondeur et ass.z
fréquemment en deçà de quarante brasses, je suis porté à croire que les chalutiers Q" '"'i;;;';"»
la diminution relative de la sole en 1880 par rapport aux rendements antérieurs, presque touJour^
décroissants depuis 1870, se sont rapprochés de la côte (par trente brasses peut-être) ^^^^^ ■
Aujourd'hui, et depuis longtemps du reste, la Société interdit formellernent ase> P^ «"?,*;*^^".
vaiUer à moins de quarante-cinq brasses, comme au début de son exploitation. - La décrudes
cence de l'espèce est frappante.
SOâ ZOOLOGIE. ANATOMIE, PHYSIOLOGIf)
cinq brasses, tandis que, pendant l'hiver, ils vont beaucoup plus au lar^e
par cinquante-cinq à soixante-dix brasses, à la recherche du merlu.
Une observation attentive des graphiques des Rajides, des Squatines,
du Griset, du Surmulet, du Merlu, des Trlglidés, nous amène à une con-
clusion opposée; en été, ces animaux sont capturés en moindres quantités
qu'en hiver, soit que, comme pour le Merlu, ils quittent nos eaux en cette
saison, soit qu'ils montent alors dans la masse liquide comme le Sur-
mulet et beaucoup de Trigles, soit enfin qu'ils se rapprochent tout à
fait de la côte comme les Rajides, par de faibles profondeurs où la
Société des Pêcheries de l'Océan interdit à ses vapeurs de travailler.
A la côte encore, la Sole est beaucoup plus abondante qu'au large, mais
elle est beaucoup plus jeune, plus petite. A quarante brasses, la taille la
plus commune qu'elle présente est de 25 à 28 centimètres, pour un poids
de 2S0 à 300 grammes. Plus à terre, sa dimension et son poids sont
plus faibles, au large ils sont plus considérables. .Je ne parle, bien entendu,
ici que de la partie de notre plateau continental, dévalant au large de
nos côtes du sud-ouest; car dans les parties plus septentrionales du golfe de
Gascogne, les animaux sont de taille relativement plus grande à de plus
faibles profondeurs.
Dans le procès des causes de destruction des espèces comestibles de
poissons, il semble que l'on doive éliminer le chalutage pratiqué au
large par les bateaux de fort tonnage. En examinant les graphiques des
espèces qui se reproduisent à la côte, on voit s'infléchir nettement leur
courbe de rendement, depuis vingt-cinq ans. Si nous comparons, par
exemple, le graphique du Rousseau à celui du Zée forgeron (deux ani-
maux qui ne sont jamais péchés en grandes quantités, il est vrai, mais
qui sont de bonne vente et que l'on conserve quand on les capture), nous
voyons que la production du premier a notablement diminué, alors
qu'elle est restée sensiblement la même pour le second.
Or, celui-ci se reproduit en haute mer et celui-là vient frayer à la côte.
Il est incontestable que le chalutage pratiqué au large ou à terre est un
procède de pêche fort destructeur ; mais combien sont plus graves les
inconvénients de ce dernier, qui s'exerce toute l'année, avec des engins
à petites mailles dans les embouchures des rivières, les baies, les herbiers
où viennent pondre et se développer la majeure partie des poissons
comestibles (1).
Je ne saurais insister ici sur les causes présumées de la décrudescence
suivie des rendements de la pêche au grand chalut, causes qui méritent
une étude toute spéciale. Je ne dirai rien non plus, malgré le grand in-
(1) M. le professeur Gianl ;i publié à ce sujet en collfibor:itioii avec M. Roiissin, cominissiiire de
marine, un remarquable rappoil (Journal officiel, 21 mai 1889), où il a montré Jiettement l'influence
lâcheuse des dragues à chevrellus au point de vue de l'avenir de l'industrie même qui les emploie.
K. BORDAGi:. — MYOLOGIE DES CRUSTACÉS DÉCAPODES S03
lérêt qu'elles ollrent, des recherches de M. Guillard (de Lorienl) sur les
débouchés possibles que peuvent offrir, à l'activité de nos pêcheurs, les
fonds situés par plus de quatre-vingts brasses, au large du golfe de Gas-
cogne. Je ne puis que me borner, en ce moment, à la constatation de
l'infériorité relative actuelle des rendements de la grande pêche du poisson
frais, après avoir discuté la valeur des documents qui nous amènent à
cette conclusion. Ce mémoire n'avait pas d'autre but.
M. Edmond BOE,DÂ(}E
l'réparati'ur au IMiiséum dHistoiie naturelle, à Paris.
MYOLOGIE DES CRUSTACES DECAPODES EN GÉNÉRAL ET COMPARAISON DU
SYSTÈME MUSCULAIRE DES THALASSINIOÉS ET DE CELUI DES ANOMOURES
— Scana- du 16 seplrnihrc 1892 —
D'une façon générale, la myologie des Crustacés a été très peu étudiée.
Cuvier avait cependant déjà constaté que, chez le homard, les muscles
de l'abdomen ou de la queue sont très développés et leur ensemble très
compliqué. 11 en avait même comparé certaines parties (les deux faisceaux
de muscles extenseurs profonds situés de part et d'autre de la ligne mé-
diane du corps) à une sorte de corde tordue (ces faisceaux ont absolument
le même aspect chez l'écrevisse et le néphrops).
Plus tard. H. Milne-Edvvards. dans son Histoire des Crustacts, ùecrixW
d'une façon très complète les muscles de la queue du homard.
Chez le néphrops, l'écrevisse, on trouve, comme chez le homard, ces
muscles abdominaux très développés; ce qui se comprend très bien, car
la locomotion s'effectue surtout grâce aux mouvements de l'abdomen et
de la nageoire caudale, — mouvements exécutés à l'aide des muscles
en question.
Chez tous ces animaux, la masse musculaire abdominale a absolument
l'aspect d'une natte ou ti^esse à structure tellement compliquée que
H. Milne-Edwards lui-même en déclare l'étude extrêmement diflicile.
Dans cette tresse, il y a à distinguer : 1" des muscles droits; 2" des muscles
obliques; 3° des muscles centraux; 4" des muscles transverses : \q tout
^•^^^ /.()(>i.ti(;ii:, .\\ATo:\iii:. imiysioi.ocii-
coiistituanl la inasso des imisclos nécliissours profonds <|ui s'ins^renl, ainsi
que los nuiscKs llôchissenrs suporlicit^ls sur la partie inlVM'iourt^ ou venlralo
(les annoanx abdominaux. Il (>xisteaussi dos nuisolos extenseurs divisés en
'^iiperficie/s et profonds qui s'insèreni à la parlie
supérieure ou dorsale des anneaux ahdoniinaux.
L'ensemble de ees nmseles est lro|» eonqiliijué
pour (]U(^ nous puissions songer à en donner
ici une deseriplion détaillée. Ces nuiseles va-
rient (lu reste d'un iienre à l'autre. c\ nous
renvoyons à Touvrage de H. Milne-Kdwards sur
les erustaeés. où Vow trouvera pour le homard
uiu^ excellente description de Ja tresse abdo-
minale.
Les uuiscles qui partent île la portion anté-
ri(>uiv de l'elle tresse abdominale n'avaient pas
encore été étudiés, ils soni noiiibnuix cl il n'v a
pas lieu non plus de les décrire dans cette t'tude
sommaire'. Oisons cependant qu'ils viennent s'at-
tacher en avant, en des points nondtnnix. sur
des(''minences apparlenani au sipielette eéphalo-
thoracique si compliqué chc/ la plupart des
décapodes.
Après avoir donné ees détails succincts sur
les dillieulfés i^ue présente l'élude de la myo-
logie des erustacé's supérieurs, nous aborderons
directement le point qui nous intéresse, c'est-à-
dire la eom[)araison du système musculaire des
thalassinidés et de celui des anomoures.
Les tlialassiiiidi's sont des décapodes ma-
croures (]ui vivent dans des galeries ei'eusées
(lan< \r sable de la mer. Chez tnix, les nmseles
abdominaux ont beaucoup ptn-du de leur im-
juirtanee: ils sont moins iionilireux, el il n'y a jilus ici, à proprement
jxirler, de véritable tresse abdominale.
Chez les Cal/iaiia-^scs, les muscles de l'abdomen alVeetent la tbrmc» de
chevrons ou Ac V à, pointe incomplète, allant d'un anneau à l'autre (voir
(ig. I Y), entre les branches de deux Y consécutifs existent des muscles
intermé^diaires formés par des fibres (m, inK fig. /'. provt^nant de cha-
cune des branches consécutives (6, c) du Y incomplet. En avant, deux
muscles longitudinaux ayant des fibres i-ommunes avec les faisci^aux 7n/»
se détachent du premier am\eau abdominal et vieiment s'attaehiT sur le
squelette eôphalolhoraeique (voir /îp'. /, a,a).
l'ii;. 1. — i,De.ini-sclu'inatiquc.)
Syslt'ino niiisciihilri' do la
Cdllianasso.
E. liOliDAGK. — MV0J.O(ilE DKS CHISTACKI? DKCAPODES 30S
Chez les Géhies, nous constatons une modificalioii. Ici, Il-s muscles on
chevrons, allant d'un anneau à l'anneau suivant forment un V à pointe
complète. Cette pointe est situéesur la ligne- médiane du corps (fig. 2, Vj.
JJe plus, d(! chaque côté du corps, un muscle longitudinal d) passe sous
rens(;mble des muscles en chevrons, envoie quelques fibres à chacun
d'eux, ainsi que quelques fibres aux parois latérales Hi- iliaque anneau
abdominal. En avant, trois paires de muscles longitudi-
naux (a, V, 0, fifj. 2) se détachent de la masse muscu-
laire abdominale et vieiment s'attacher au squelette
céphalolhoracique.
Chez les Axies, enfin, la musculature est à peu près
la môme dans ses traits généraux, sauf quelques petites
complications que nous exposerons dans un travail ultf'--
rieur.
On peut dire que le système musculaire des Thalas-
sinidés — celui des Gébies surtout — est intermédiaire
entre celui des Macroures et celui des Paguriens qui
sont des Anomoures; c'est-à-dire font partie d'un ordre
de Crustacés décapodes intermédiaire entre celui des
Macroures et celui des Brachyures.
Ce groupe des Paguriens est absolument isolé dans
l'ordre des Anomoures et forme une sorte de cul-de-
sac. Les animaux qui le composent sont surtout remar-
quables par l'asymétrie qui existe presque toujours
entre les deux moitiés de leur corps (2). Ils sont, le
plus souvent, logés dans des coquilles de Mollusques
gastéropodes s'enroulant à droite (coquilles dextres),
et alors, les pattes antérieures ou pinces du côté droit
sont beaucoup plus grandes et plus grosses que celles
du côté gauche; d'ailleurs, l'abdomen prend nécessai-
rement la forme d'un tortillon plus ou moins allongé.
Des pattes abdominales impaires témoignent encore de
l'asymétrie extérieure du corps. Cette asymétrie existe encore à l'inté-
rieur du corps et en particulier pour le système musculaire. Les muscles
abdominaux sont encore disposés en forme de V, comme chez les Tha-
lassinidés; mais ils sont ici très rapprochés et en contact les uns avec les
autres. Ceux qui occupent la moitié droite du corps sont plus développés
.1
y;
i:z.^
■ Ho. 2. — Deriii-
sch<;matique.;
Système musculaire de
la Gébie les antennes
sont coup^y.
i) En réalité, ce muscle longitudinal n'est pas simple et il serait pios exact de considérer là une
succession de plusieurs faisceaux musculaires il, li allant de Tune des branches d'une paire de
muscles en V à la branche correspondante de la paire de muscles en V suivante, tout en fournissant
des fibres qui viennent s'attacher aux parois du corps.
(2) Les espèces enroulées dans des coquilles de Gastérop^xles sont toujours plus ou moins asymé-
triques. Celles qui se creusent des cavités dans le sol ou dans le boi-, consenent leur symélne.
o06 ZOOLOGIi;, ANATOMIE, PHYSIOLOGIK
que ceux qui en occupent la moitié gauche. Sous Ja masse formée par
l'ensemble de ces muscles en chevrons passent, comme chez les Gébies,
des muscles longitudinaux de pari et d'autre de la ligne médiane abdo-
minale. Ces muscles longitudinaux envoient encore des fibres aux bran-
ches des muscles en chevrons et aux parois latérales des anneaux abdo-
minaux ; mais, ici, ils sont complètement cachés.
A la partie inférieure et antérieure de l'abdomen des Paguriens logés
dans une coquille, comme le Bernard-l'Hermite, par exemple, on trouve
un bourrelet transversal faisant une saillie externe assez prononcée. Il
est formé par un repli du tégument dans lequel pénètrent et viennent
se terminer des fibres musculaires provenant de la masse abdominale et
constituant ce que l'on peut appeler le muscle columel taire, — muscle, ou
plutôt bourrelet musculaire qui, en se déplaçant sur la columelle de la
coquille de Gastéropode. permet au Pagure de remuer son abdomen par
un mouvement de glissement.
Mais si les Paguriens forment un groupe absolument à part, il est
cependant d'autres Anomoures qui présentent des formes de passage des
Macroures aux Brachyures : ce sont les Galathées et les Porcellanes (le
système musculaire de ces derniers peut aussi se rapprocher de celui des
Thalassinidés).
Les Galathées et les Munida présentent encore une tresse musculaire
abdominale très développée, mais la partie antérieure des muscles céphalo-
thoraciques forme, de chaque côté du corps, de forts piliers inclinés
déjà semblables (quoiqu'en nombre inférieur^ à ceux que l'on trouve
chez un Brachyure, chez un crabe, par exemple.
Chez les Porcellanes, on ne trouve plus de tresse musculaire abdomi-
nale. Les muscles abdominaux se réduisent à de simples fibres rappelant
beaucoup celles que l'on trouve chez les crabes. Ces fibres ne sont guère
bien apparentes que chez les femelles, qui ont l'abdomen plus développé
que celui des mâles. Ici, en effet, comme chez les Brachyures, l'abdo-
men est très rudimentaire et replié sous le céphalothorax.
Dans la présente note, nous avons eu seulement l'intention d'indiquer
rapidement et superficiellement les difficultés et aussi l'intérêt que pré-
sente l'étude du système musculaire des Crustacés. Nous nous proposons
d'étudier à fond cette question dans une série de notes ultérieures.
.1. GALBE. — DU SOI. ANIMAL. — SOL 1>E LA POII.E ItOMESTIUUE 50"
M. J. &AÏÏBE (du Gers)
à Paris.
OU SOL ANIMAL. - SOL DE LA POULE DOMESTIQUE. — AMENDEMENTS
— .Séance du 19 septembre 1892 —
I
Dans un mémoire présenté à l'Académie des Sciences le 9 mai de cette
année, intitulé : Du Sol animal, nous avons désigné sous l'expression sol
animal, par analogie avec le sol vérjétal, la réunion de toutes les dom.i-
nantes minérales du corps de l'honnne et des animaux.
Si. dans la définition du sol animal, nous n'avons pas fait intervenir
l'azote, c'est parce que nous avons reconnu l'azote comme absolument
impuissant sans le secours de la matière minérale, et qu'en outre, la
fréquence de l'azote dans les aliments en général nous dispensait de le
considérer comme un terme imprévu de notre définition.
Nous ne voulons ni mineraliser la nutrition ni donner à la matière
minérale plus d'importance qu'elle n'en a réellement, mais lui laisser l'im-
portance convenable, et cette importance est considérable.
Nous avons montré, à l'aide de nombreuses analyses d), <[ue l'on
pouvait se renseigner sur la valeur réelle du sol humain en analysant les
urines et que la rotation de la matière minérale dans le corps de la femme
pendant la grossesse était instructive, intéressante, qu'il était nécessaire
de la connaître.
Nous avions pensé, et l'expérience a prouvé, que la connaissance du
sol animal permettait d'améliorer les produits de la conception, consé-
quemment tl'améliorer les races.
Nous avons choisi la poule domestique « Crèvecœur » comme sujet de
nos dernières recherches, parce que chez elle nous pouvions analyser sépa-
rément les modes divers de son évolution : l'œuf, le poussin à terme, la
poule adulte et féconde.
Une poule, bonne pondeuse (Crèvecœur), âgée de dix-huit à vingt mois,
(1 ) Du Sol animal (loco cUalo).
0»%0399 0/00
06',70935 0/00
0?^0.428 —
06%40322 —
1?%498 —
le%5183 —
l;r^8178 —
le',9368 —
0-^92
Os',92 —
S08 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
pesant en moyenne 2 kilogrammes, donne à l'analyse les bases suivantes :
Chaux ISb'-jT.j 0/00
Magnésie 11 ^^OO —
Potasse 0s%5715 —
Soude Is'-jOSl —
Silice Oe',296 —
Fer Os',663 —
Manganèse 0s'',0596 —
Un œuf frais, pesant en moyenne 64 rammes, donne à l'analyse les
bases suivantes :
JAUNE BLANC TOTAL
Magnésie ...... Oe',66945 0/00
Chaux 0s%36042 —
Potasse Os',0203 —
Soude 0s--,119 —
Soufre
Phospiiore.
Fer.
Nous voyons, au moyen de ces analyses, que la magnésie et la soude
sont les dominantes, la chaux et la potasse les sous-dominantes minérales
de l'œuf; nous voyons également que la magnésie et la chaux sont les
dominantes du jaune, de la cellule mère ; que la soude et la potasse sont
les dominantes du blanc, de l'aliment de l'être futur. La dichotomie des
bases terreuses et alcalines est si nette, si tranchée, si générale, qu'il serait
absurde de ne point admettre une relation directe entre la forme de la
matière protéique et la nature de l'élément minéral qui la supporte.
Les métalloïdes sont aussi catégoriquement répartis que les métaux : le
phosphore dans le jaune, le soufre dans le blanc.
Le spermatozoïde est magnésien (Ch. Robin, Alb. Robin et Gaube) ; la
vésicule de Graaf, l'ovule sont magnésiens (Gaube) ; le pollen est magné-
sien (Gaube); la graine est magnésienne; le jaune de l'œuf est magnésien;
la cellule nerveuse est magnésienne (Alb. Robin et Gaube) ; le magnésium
parait être le métal de l'activité vitale dans ce que la vie a de plus pré-
cieux et de plus élevé: la multiplication de l'espèce et la sensation (1).
Cette considération de physiologie générale se provoquait elle-même à
la suite des analyses de l'œuf.
A mesure que nous avançons, notre doctrine s'affirme : la matière pro-
téique vivante, tributaire de la matière minérale, appuie sa modalité sur
un élément minéral déterminé et sur la valeur biochimique de cet élément.
H) Voir les analyses de coivfiin humiiin et île cerveau de inoiituii, in Gazette médicale de Purin,
n° 26j m)i (Albuininaturie mw/iicsiennej, J. Galbe (du Gers).
J. GALBE. — DU SOL AiNIMAL. — SOL DE LA POULE DOMESTIQUE o09
II
Les êtres qui, en l'état, paraissent normalement constitués, ont-ils
atteint l'extrême limite de leur développement? Sont-ils perfectibles dans
leurs milieux actuels? Sont-ils susceptibles d'acquérir des qualités nouvelles
par un amendement raisonné du sol qui leur est propre ?
Le type parfait dans l'espèce n'existe pas ; du* moins nous ne le connais-
sons pas; la limite du développement ne nous paraît point atteinte chez
les êtres vivants et les milieux actuels ne nous semblent pas hostiles à
la perfectibilité de l'être ; au contraire, la science peut ajouter aux qualités
de résistance et de vitalité de l'être achevé et introduire des qualités
nouvelles dans l'être en voie d'évolution.
Avant de commencer les expériences sur le sol de la poule, il était
indispensable de mesurer la valeur du mouvement d'assimilation chez elle.
L'analyse nous ayant enseigné que la magnésie et la chaux étaient les
dominantes minérales du jaune d'œuf, nous avons cherché une matière
colorante fixe combinée à la chaux et à la magnésie et que nous puissions
retrouver facilement dans le jaune.
Nous avons pilé des carapaces de crustacés cuits que nous avons mélan-
gées en grande abondance avec la nourriture de plusieurs poules pendant
la ponte. Au bout de six jours les jaunes des œufs étaient complètement
rouges, tandis que les blancs conservaient leur couleur ordinaire.
Un aliment minéral parcourt donc en six jours, chez la poule, le cycle
complet de sa destinée; après six jours il est vivant, il détient virtuellement
la vie.
Consécutivement, nous soumettons dans une volière aérée, spacieuse,
carrelée, sablée, recouverte de paille en certains points, munie de per-
choirs, de nids, cinq poules Crèvecœur, de belle venue et un coq de même
variété, au régime suivant :
Sarrasin et petit blé pour toute nourriture; eau. JXous mouillons complè-
tement le grain avec la solution suivante :
Chlorure de calcium pur. . 25 grammes.
Chlorure de magnésium . . 20 —
Chlorure de potassium. . . 1 —
Chlorure de sodium .... 5 —
Eau distillée 1000 —
Chaque poule absorbe, chaque jour, en sus de la matière minérale
contenue dans les aliments, 2«'-,1246 de matière minérale, soit : ls',0416o
de chlorure de calcium ; 0'°',833 de chlorure de magnésium; 0s'-,04i6o de
chlorure de potassium ; 0s%2083 de chlorure de sodium, sans compter le
fer, car la nourriture était offerte dans des vases de fer.
olO
ZOOLOGIE, ANATOMIK, PHYSIOLOGIE
111
Poids moyen des œufs avant l'amendement (les poules étaient nourries
avec de l'avoine, du petit blé, du sarrasin, des épluchures de ménage) :
64^% 66.
Poids moyen des œufs après quinze jours d'amendement : 65^^7o.
Poids moyen des diverses parties de l'œuf avant l'amendement :
.(aune. . . 18e%22
lîlanc. . . 38ï%44
(;o(iuille. . Si'SOO
Poids moyen des diverses parties de l'œuf aprAs l'amendement :
Jaune 20e%07
Blanc 37^--,G8
Co(|uiIlo Sfc^OO
Seul, le jaune de l'œuf a augmenté de poids.
OElufs après amendements :
lAUNE
Chaux . . .
. 0"%568784 0/OU
Magnésie . .
. 1"',494 -
Potasse . .
. 0sM»00579 —
Soude . . .
. 0«--,0056(J9 —
Oain : Chaux . .
. 0"',2083(i4 —
Magnésie .
. Oi.-'-,7ïJ45.j —
Perte : Potasse .
. 0«S019721 -
Soude. . . .
. Os',11334 -
BLANC
Potasse 0i^%5634 0/00
Soude 2s',52 —
Gain : Soude 0s--,7022 —
Perte: Potasse 0^^9346 —
Matière minérale de l'œuf, non compris le soufre, le phosphore et le fer,
avant l'amendement :
4g'-,5676 0/00
Matière minérale de l'œuf, non compris le soufre, le phosphore et le 1er,
après l'amendement :
o»', 15-2423 0/00
IV
Poussins nés d'œufs tout venant, âgés de 0 jour.
Poids muyen 35ï',50
Chaux 3s'-,634 0/00
Magnésie 3e%l85 —
Potasse 0^', 03637 —
Soude Of, 03795 —
.1. GAUBE. — DU SOL ANIMAL. — SOL DE LA POULE DOMESTIQUE 511
Le poussin qui vient de naître est, comme le jaune de l'œul', riche de
«baux et de magnésie ; il est même dix fois plus riche de chaux et de
magnésie que le jaune de l'œuf.
La coquille de l'œuf se compose d'albumino-carbonates de chaux et de
magnésie fournissant à l'analyse des quantités presque égales d'albumine
sèche et de matière minérale, soit 1^''',666 0/00 d'albumine précipitable
par l'acide azotique et l8',993 de matière minérale, conformément à la
loi que nous avons établie sur la constitution des albuminates : plus les
combinaisons minérales avec lesquelles l'albumine est liée sont solubles,
moins elles entraînent d'albumine : et, réciproquemenl , moins les combinai-
sons minérales avec lesquelles l'albumine est liée sont solubles, plus elles
entraînent d'albumine il). De l'Albuminaturie carbonatée. II, Société de
Biolof/ie, ~ mai 1892).
C'est donc à la coquille que le poussin emprunte le surcroît de chaux
el de magnésie que l'analyse décèle ; ainsi s'explique la grande friabilité
■de la coquille de l'œuf après la naissance du poussin, par la disparition
de la combinaison albumino-minérale. La résorption de la matière mi-
néro-protéique de la coquille en augmente la perméabilité et facilite la
respiration ooniue du poussin, phénomène constaté et démontré par
^eoffroy-Saint-Hilaire.
V
Poussins nés d'œufs pondus par des poules amendées depuis quatre
semaines :
Poids moyen dos poussins nés d'œufs amendés Aôf.SO
Poids moyen des poussins nés d'œufs témoins sans amendement. 445', 70
. \) L'albuininate ili^ fer est C(im|)Osé de :
l'er n.oA
Albumine 0.80
Eau 0.16
1.00
Soit 0,80 0/0 (lalbuniine pour Inllmminale de fer ; o.3:j 0/0 dalbuniine pour l'albumino-phosphate
•de cliau.x ; 0, 1666 0/0 d'albumine pour lalbumino-carbonate de eliaux et o,89 0/0 à peine dalbumine
pour l'albiunino-carbonate de soude, ele.
Nos expériences nous permettent d'ajouter, aux oliservalions précédentes, les faits suivants :
y» Tous les albuminates métalliques sont di/alisables ;
2" Tous tes iilhumiiuites méliilliqucs sont des jnolo-sels ;
3" Les iilbuminules (liffusibles sont les irais nlhnmiuates ;
i'> La (lifl'nsion dei albuminates mctalliques i-sl en rapport avec la valeur bio-ehimique du mélcd albu-
mino-conjuijué ;
5» Les lilbuminates, en général, sont des mélanges de jiroloxijdes, de peroxi/des, de corps halogènes,
etc., de synlonines, d'albumine pure, etc., mais skiii.i: i..\ lomhinaison Ai.nuMiiNn-MÉTAi.Lioui: rsT niAi.Y-
SABLK.
512 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
Relation du poids des œufs avec le poids des poussins
Œuf amendé. .
Poussin ....
Œuf témoin . .
Poussin ....
Poids 64 grammes. | ^g .a^^^es.
— 48 — i
Poids 66 grammes. / g,
- 45 - \ "
Poussins nés d'œufs amendés, âgés de 0 jour.
Poids moyen 455', 50
Cliaux 3e',49248 0/00
Magnésie ls%80 —
Potasse 08%9264 —
Soude 1»"%27 —
Matière minérale de l'œuf avant l'amendement, non compris le soufre,
le phosphore et le fer :
4s%o6761 0/00.
Matière minérale de l'œuf après l'amendement, non compris le soufre, le
phosphore et le fer :
3s% 152423 0/00.
Soit : 5s'-,152428 — 4s%56767 = 0°'-,58i-753 0/00.
Matière minérale de poussins tout-venant :
6s%8933^2 0/00.
Matière minérale de poussins amendés :
7s'-,48888 0/00.
Soit : 7s'-,48888 — rr'-,89332 = 0s'-,59536 0/00.
Les poussins nés des œ.ufs amendés sont plus lourds, plus vivaces,
plus beaux; leur duvet est plus soyeux, plus brillant; leurs couleurs
sont plus vives,
La magnésie et la chaux ont été employées : en partie, à la reconsti-
tution du sol de la poule toujours allégé par la ponte ; en partie, à la
constitution du jaune de l'œuf. La potasse et la soude dont le sol de la
poule est moins dépouillé par la ponte sont utilisées par le poussin, et
la rotation qui s'établit à la fin de l'amendement entre les bases terreuses
et alcalines est remarquable en ce qu'elle se rapproche de la rotation qui
s'établit dans le sol de la femme et du fœtus conséquemment, pendant
la grossesse. (J. Gaube, du Gers, Du Sol animal) (Comp. rend., loco cit.).
Que voyons-nous dans les œufs amendés après quinze jours d'amen-
J. GAUBE. — DU SOL ANIMAL. — SOL DE LA POULE DOMESTIQUE 513
•dément? La magnésie, la chaux, la soude augmentent; la potasse dimi-
nue ; puis, au bout de quatre semaines, la poule étant saturée, les diffé-
rentes parties de l'œuf s'équilibrent, et nous obtenons un poussin plus
parfait, chez lequel la matière minérale est non seulement plus dense que
chez le poussin non amendé, mais encore tout différemment distribuée.
Le poussin amendé se rapproche, par sa constitution minérale, des
nouveau-nés, plus élevés que lui dans la série animale, chez lesquels la
soude et la potasse (Bunge, Zeitschrift fur Biologie, t. IX), tendent à se
rapprocher au moment de la naissance pour diverger ensuite.
La chaux, la soude, la potasse et la magnésie (je classe ces bases selon
leur valeur pondérale dans l'organisme et non point selon leur impor-
tance biologique, essentiellement variable), combinées avec le chlore, le
phosphore, le soufre, le carbone, sont les ouvrières magistrales qui façon-
nent la matière protéique sans pouvoir rompre toutefois la forme spéci-
fique, du moins aucune expérience ne nous autorise à le dire, bien que
nous ne soyons pas éloigné de croire que de tous les milieux, le milieu
minéral soit un de ceux qui puissent concourir le plus efficacement à
la sélection et à la transformation des espèces ; en effet, la matière miné-
rale n'occupe pas toujours la même place dans le schème des albumi-
noïdes vivantes (1).
Nous n'avons rien dit du fer parce qu'il n'est pas, malgré les appa-
rences, un des éléments indispensables de la vie. Les hémoglobines sont
ferreuses, manganeuses, cuivreuses, etc., mais — et nous y insistons — la
chaux, la soude, la potasse et la magnésie sont les éléments minéraux
adéquats à toute vie normale.
VI
Il y a seize ans, c'est-à-dire hier, on ignorait encore le mécanisme au
moyen duquel les plantes fixaient tout leur azote. Berthelot, Schlœsing
et Milntz, Hellriegel et Wilfarth, Munro, Warington, Nobbe, Lawes et
Gilbert, auxquels l'agronomie doit tant, Schlœsing fils et Laurent, ont
successivement démontré que l'azote libre était fixé par les plantes grâce
à l'action d'un micro-organisme et que ce micro-organisme (Nobbe) était
particulier, au moins chez les légumineuses, à chaque espèce végétale.
Nous ferons remarquer de suite que le milieu minéral est particulier aussi
à chaque espèce végétale. Une cellule vivante entraînée dans un milieu
minéral propre peut fixer de l'azote libre chez les plantes.
Une cellule vivante, la cellule lymphoïde, peut accumuler de l'azote
(K Voia- : Annales de l'JnsliliU Pmleur, 1890, Win igradsky ; Uevue scientifique, t. L; Frankland.
33*
514 ZOOLOGIE. ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
organique chez ranimai, azote que d'autres cellules utiliseront au gré de
leurs besoins, selon leurs aptitudes fonctionnelles.
La première condition pour que l'azote libre devienne utile, c'est qu'il
soit combiné, minéralisé, assimilable.
La première condition pour que l'azote organique devienne utile, c'est
que la matière azotée soit soluble , dialysable, assimilable. Or, c'est ici
qu'apparaît l'idée d'amendement; certaines combinaisons minérales ont
la double propriété de favoriser la dissolution et la diffusion de l'azote
libre et de l'azote organique, les bases terreuses, par exemple ; mais au
nombre et en tête de ces combinaisons minérales se trouvent les chlorures
terreux et alcalins dans la solution naturelle desquels, l'eau de mer,
s'agite la vie la plus puissante et la plus variée qui existe sur notre
globe
Nous désignerons sous le nom d'amendement, paraphrasant la défini-
tion de M. P. -P. Dehérain {Traité de Chimie afp'icole, p. 615), les subs-
tances capables de rendre assimilables les principes alimentaires qui
restent inutilisés dans les conditions ordinaires de l'assimilation.
La solution tétra-chlorurée que nous avons fait absorber à nos poules
a une réaction légèrement alcaline ; elle dissout un tiers de plus d'albu-
mine que l'eau distillée ; la pepsine en solution chlorhydrique peptonise
un tiers de plus d'albumine dans la solution tétra-chlorurée que dans l'eau
distillée.
Cette solution est donc bien un amendement dans le sens strict de la
définition que nous en avons donnée ; elle est favorable à l'assimilation
puisque le poids de l'œuf augmente, puisque le poussin est plus lourd,
plus vigoureux, plus beau.
CONCLUSIONS
[, — Nous avons appelé Sol animal, la réunion de toutes les domi-
nantes minérales du corps de l'homme et des animaux, considérant l'azote
comme impuissant sans le secours de la matière minérale.
II. — La magnésie et la soude sont les dominantes, la chaux et la
potasse les sous-dominantes minérales de l'œuf de poule.
in. — La magnésie est la dominante, la chaux la sous-dominante miné-
rale du jaune de l'œuf.
La soude est la dominante, la potasse la sous-dominante minérale du
blanc de l'œuf.
Le phosphore appartient exclusivement au jaune; le soufre appartient
exclusivement au blanc de l'œuf.
IV. — La dichotomie des métaux et des métalloïdes dans l'œuf est une
J. GAUBK. DU SOL ANIMAL. SOL DE LA POULE DOMESTIQUE 515
nouvelle preuve de la relation directe qui existe entre la forme de la ma-
tière protéique et la nature de l'élément minéral qui la supporte (1).
V. — Un aliment minéral est intégré, vilalisé au bout de six jours
chez la poule.
M. — Les poules soumises à un amendement tétra-chloruré (chlorure
de calcium, chlorure de magnésium, chlorure de sodium, chlorure de
potassium), pondent des œufs dont le jaune est plus lourd que le jaune
des œufs ordinaires ; lo poids de la magnésie et de la chaux augmente
dans le jaune.
VII. — Le poussin, en naissant, contient plus de chaux et de magnésie
que l'œuf ; le poussin emprunte cet excès de chaux et de magnésie à la
coquille, qui est en partie composée d'un albumino-carhonate de chaux (2)
et de magnésie soluble.
VUL — Les corps désignés sous le nom à' albuminates sont des com-
posés complexes contenant en petite (juantité la combinaison albumino-
métallique qui est toujours à l'état de proto-sel, qui est toujours soluble.
L\. — Les œufs pondus par des poules amendées gagnent 0,584753 0/Ot»
de matière minérale sur les œufs ordinaires.
Les poussins nés des œufs amendés gagnent 0,59556 0/00 de matière
minérale sur les poussins nés d'œufs ordinaires.
X. — Les poussins nés des (eufs amendés sont plus lourds, plus vivaces,
plus beaux ; leur duvet est plus soyeux, plus brillant ; leurs couleurs sont
plus vives.
XL — La rotation qui s'établit entre les bases terreuses et les bases
alcalines chez le poussin amendé est remanjuable et rapproche le poussin,
par sa constitution minérale, des nouveau-nés plus élevés que lui dans
la série animale.
XIL — Nous désignons sous le nom d'amendements, les substances
capables de rendre assimilables les principes alimentaires qui restent inu-
tilisés dans les conditions ordinaires de l'assimilation.
XIII. — La solution tétra-chlorurée est un amendement dans le sens
strict de notre définition : elle est favorable à l'assimilation puisque le
[>oids de l'œuf augmente, puisque le poussin est plus lourd, plus vigou-
reux, plus beau.
1 1 ) Nulle pari on ne rencontre d'albumine vivante sans subslratum minéral, et c'est dans cette miné-
nilisatiim «le l'albiiniine que rt'<ifle le sr>/ de l'être vivant. 'J. Gaibe, du Gers), Its Sciences biologiques.
p. :t6'i, 12'- livraison, .
(2) Voir: Société de Biologie, anm'es IS91-U2 ; De l' Albnminalurie .
516 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
M. Emile BELLOC
à Paris.
UTILISATION DES CUVETTES LACUSTRES PYRÉNÉENNES POUR LA PISCICULTURE
— Séance du 19 septembre 4892 —
La culture méthodique des eaux est pour ainsi dire ignorée dans la
région pyrénéenne. Cependant, comme toutes les questions relatives à
l'alimentation publique, la mise en valeur des nombreuses cuvettes la-
custres renfermées dans ces montagnes intéresse trop directement les popu-
lations rurales, pour que cette question capitale reste plus longtemps dans
l'oubli.
La terre, parfois, est une mère ingrate dans les contrées montagneuses,
et celui qui la cultive et lui prodigue ses soins sait par expérience qu'il
n'est pas toujours récompensé de son pénible labeur. Mal pais, dit l'Es-
pagnol habitant le revers méridional des Pyrénées ; Maoua terra, s'écrie
le cultivateur du versant septentrional, lorsqu'il compare son champ
enfoui sous une couche épaisse de neige, durant une grande partie
de l'année, aux plaines fertiles d'où il tire la plus grande partie de sa
subsistance.
En négligeant ce grand problème économique de la mise en produc-
tion des masses d'eau qui couvrent leurs territoires, les municipalités
sont coupables à tous égards. Non seulement elles privent leurs conci-
toyens d'un produit naturel et d'un aliment éminemment sain, dont les
qualités nutritives leur rendraient les plus grands services ; mais encore'
elles renoncent bénévolement à un profit assuré qui augmenterait le
revenu communal dans de notables proportions.
Au point de vue social et utilitaire, la pisciculture, ou plutôt Vaqui-
culture, nom sous lequel cette science pratique devrait être exclusivement
désignée, mériterait d'occuper le premier rang parmi les industries ali-
mentaires, car c'est peut-être la seule dont les produits n'aient pas encore
été atteints par les falsifications et les altérations si communes et si
habiles à notre époque.
L'art d'élever le poisson n'est pas de date récente. Lés peuples de l'an-
tiquité l'ont pratiqué avec succès; et, sans remonter aussi loin, il est
É. lîELLOC. — UTILISATION DES CUVETTES LACUSTRES PYRÉNÉENNES 517
avéré que la fécondation arlificiellc a été découverte au xiv'' siècle,
par un moine français du nom de Pichou, vivant à l'abbaye de Rémon,
dans la Cùte-d'Or. Vers le milieu du xviii'^ siècle, le naturaliste Jacobi,
reprenant la méthode inventée par le moine français, l'étudia sous toutes
ses formes, avec la persévérance obstinée et le soin minutieux des détails
qui caractérisent les gens de sa race.
Une assez longue période de tàtonuements et d'essais suivit les impor-
tantes expériences de Jacobi. En Europe, comme en Amérique, on s'oc-
cupa du repeuplement des eaux vives et des étangs ; mais ce ditîicile
problème paraît avoir été définitivement résolu, d'une façon pratique, par
un modeste pêcheur vosgien nommé Rémy, qui ignorait certainement
les études savantes faites avant lui. C'est seulement à partir de ce moment
qu'a commencé réellement l'application méthodique et raisonnée de la
culture de l'eau (1).
Depuis cette époque, l'Aquiculture a fait de grands progrès, et, parmi
les nations voisines de la nôtre, la Suisse est, actuellement, une de celles
où l'exploitation aquicole est le mieux comprise et donne les meilleurs
résultats. De 1881 i^i 4888, le chiffre total des établissements piscicoles
s'est élevé progressivement de vingt-cinq à soixante-onze, et pour la seule
année 1888 le nombre d'alevins éclos dans soixante-neuf de ces établis-
sements a élé de 12.201.987 (S);
D'après les dernières statistiques que le gouvernement fédéral suisse a
bien voulu directement me communiquer, il résulte que, sur 18.542 œufs
déposés dans les bassins des divers établissements de pisciculture, en 1890,
on a etfectué, sous contrôle officiel, la mise en pleine eau de 12.090.313
alevins, d'espèces différentes, parmi lesquels les truites figurent pour le
chiffre considérable de 3.076.253.
Durant la période de 1890-91. le nombre total des établissements de
pisciculture, en Suisse, étant de 90, le canton de Berne a mis en culture,
dans les vingt établissements qu'il possède, 2.089.300 œufs, qui ont pro-
duit 1,588.570 alevins.
Le canton le plus favorisé pendant celte même période a été celui de
Lucerne qui, avec 3.654.G99 œufs cultivés dans sept établissements seu-
lement, a fourni 3.058.655 alevins.
Après Berne, les cantons d'Argovie et de Vaud possèdent le plus grand
nombre d'établissements piscicoles ; ils en ont chacun respectivement seize
et onze, dont le produit a été de 1.810.900 éclosions pour 2.451.000 œufs
(1) Pour les renseifjnenienls techniques, qui ne sauraient trouver ici leur place, on pourra con-
sulter les ouvrages allemands et fram.-ais pulili.'S sur ce sujet, entre autres ceux du professeur
Coste, et l'élude très intéressante de M. Casimir Landes, sur V Aquiculture Imp. Douladoure-Pnvat,
1890, Toulouse^.
(2) Ces chiilres mont été fournis par YI-:tuJc des Lici suisses, de M. J. Thoulet, qui les a relevés
dans les documents officiels.
SI 8 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
incubés, et de 741.230 alevins éclos pour 1.003.100 œufs livrés à l'in-
cubation.
Ces chiffres ont leur éloquence et, sans prétendre à des résultats immi'-
diats aussi brillants, je suis persuadé qu'avant peu l'Aquiculture deviendra
prospère dans les Pyrénées, si les établissements sont installés avec mé-
thode et économie.
Actuellement la vie animale est aux trois quarts anéantie dans les eaux
pyrénéennes, et il est facile de prévoir l'époque prochaine où le poisson
disparaîtra des lacs et des cours d'eau, si l'autorité supérieure ne prend
pas, à bref délai, des mesures énergiques pour arrêter les déprédations des
malfaiteurs. Les engins prohibés ne suffisent plus à la stupide fureur de
destruction des braconniers qui, sûrs de l'impunité ou à peu près, et
sans se préoccuper des désastres qu'ils occasionnent, ne craignent pas de
mettre en œuvre les substances toxiques les plus violentes et même les
matières explosives pour s'emparer du poisson. Et, chose triste à dire,
c'est parfois sous l'œil extraordinairement indulgent des hommes officiel-
lement chargés de faire respecter la loi, que se passent ces faits déplo-
rables à tous égards. La répression énergique des délits et l'observation
rigoureuse des règlements de pêche s'imposent donc avant tout.
A l'époque du frai, le braconnage fluviatile ou lacustre devient un véri-
table crime, puisque le pécheur détruit, en une seule fois, des milliards
d'individus avant leur naissance. Du reste, son méfait est sans profit pour
lui, car, à ce moment-là, les œufs utilisant pour leur formation la plus
grande partie des matières grasses et de l'acide oléophosphorique qui
colore la chair des poissons, surtout celle des truites saumonées,
l'animal a perdu sa coloration et sa saveur, et n'a plus de valeur
marchande.
Quoique l'homme soit souvent cruel et impitoyable envers certaines
espèces d'animaux, il n'est pas toujours leur plus redoutable ennemi, et
dans la plupart des cas même, ce sont les individus de leur propre race
qui leur livrent les plus rudes combats.
Si nous considérons les poissons d'eau douce, par exemple, nous les
voyons exposés à tous les dangers, depuis l'état embryonnaire jusqu'à la
mort, sans autre arme défensive que leur agilité. Aussi les générations
nouvelles sont-elles constamment exposées à de véritables hécatombes. Si
l'on ajoute à cela que certaines espèces, telles que les truites, ne prennent
aucun soin de leurs œufs, qu'elles déposent simplement le long des
zones littorales, dans des endroits tranquilles, creux et peu profonds, on
(îomprendra aisément combien il est urgent de soustraire les jeunes sal-
mones à la voracité de leurs congénères, pendant l'époque la plus critique
de leur existence.
Au moment de l'éclosion, le corps de l'animal est tellement grêle et
K. BELLOC. — ITILISATION DES CUVETTES LACUSTRES PYRÉNÉENNES ol9
6a vésicule ombilicale si fortement développée au dehors, que le malheu-
reux petit être, couché sur le tlanc et incapable de se mouvoir, devient
très facilement la proie de ses nombreux ennemis. Plus tard, lorsque la
substance jaune de la vésicule abdominale est en partie résorbée, le jeune
alevin, devenu plus agile, est mieux à même de se défendre ; cependant,
en cet état moyen de développement, les espèces carnassières qui le
guettent en dévorent une très grande quantité. Les pêcheurs pyrénéens
n'ignorent pas ces détails ; aussi ont-ils la conviction qu'une truite de
grande dimension détruit plus de poissons qu'une loutre de taille
ordinaire.
Quelques tentatives d'empoissonnement ont bien été faites dans certaines
parties de la région pyrénéenne, mais ce sont là des faits isolés et qui
sont restés sans conséquence, n'ayant rien de commun avec les méthodes
perfectionnées appliquées actuellement à la production et à l'élevage
raisonné du poisson comestible. L'industrie aquicole trouverait dans ce
pays des ressources considérables et un champ d'exploitation absokmient
neuf. Et comme ces établissements, créés à peu de frais, fonctiormeraient
surtout pendant l'hiver, la main-d'ceuvre étant à très bas prix à cette
■époque de l'année dans les montagnes, le succès serait certain.
La plupart des cuvettes lacustres pyrénéennes se prêteraient très bien
à la culture du poisson, puisque, dans un grand nombre d'entre elles,
la truite se multiplie et se développe admirablement. Leurs eaux pures
et limpides renferment, non seulement les matières chimiques néces-
saires à la formation du squelette de ces animaux, mais encore une
innombrable quantité d'animalcules propres à leur nourriture.
Ramond de Carbonnière, l'éminent explorateur, avait signal»^ trois
i^spèces de truites dans les lacs des Pyrénées. La truite commune (Trutta
fario, Sieb.), la truite saumonée {Trutta argentea, Val.) et la truite des
Alpes ou truite noire (Salmo alpiiius, Ginel). Actuellement on n'admet
plus qu'une seule espèce de ivmie {Trutta fario) avec des variétés pré-
sentant divers degrés de coloration. Quoi qu'il en soit, mes observations
personnelles maintes fois répétées, particulièrement au lac d'Oô, m'ayant
révélé un fait physiologique très curieux, je vais le faire connaître, car il
n'a encore été relaté nulle part.
Les filets de pêche tendus le soir dans la partie littorale du lac et
relevés chaque matin ramènent deux sortes de truites dont la manière
d'être et l'aspect extérieur diffèrent complètement. Les unes, dont le corps
et la tête sont allongés, ont le museau effilé. Leur peau, parsemée de
520 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
petits points rouges, est d'un blanc-gris argenté et très clair à la partie
abdominale ; elle passe au gris sombre vers l'arête dorsale. Lorsqu'un
de ces individus se sent pris au piège, il se débat désespérément, et la
violence de ses mouvements est telle que souvent les mailles du filet qui l'en-
serrent pénètrent dans sa chair. Malgré cette position critique, il est rare
qu'il ne soit pas encore vivant au moment où on le retire de l'eau. — Les
autres, au contraire, dont la tête est plus courte et le corps plus ramassé,
sont d'une couleur gris verdâtre, et leur peau, où les points rouges sont
très vifs et beaucoup plus nombreux que dans l'espèce précédente, est
tachée de noir de l'extrémité du museau au bout de la queue. Rarement
j'ai vu la tête de ceux-ci engagée de plus de deux ou trois centimètres
dans le tramail qui le retient prisonnier, et plus rarement encore, j'ai pu
recueillir l'animal vivant.
Il y a là, ce me semble, un fait physiologique remarquable; et, en
admettant que ces deux êtres appartiennent à la même espèce, il faut
reconnaître que la force de résistance à l'asphyxie est infiniment plus-
considérable chez l'un que chez l'autre (1).
La truite se rencontre à peu près dans tous les lacs pyrénéens, jusqu'à
une altitude voisine de 2.400 mètres, mais il est plus rare d'y trouver
d'énormes anguilles à 1.764 mètres de hauteur, comme l'a remarqué
le D'' Jeanbernat au lac de Balcère.
La faune lacustre des Pyrénées n'est pas encore définitivement connue.
Ramond, Ch. des Moulins, Philippe, D. Dupuy, N. Boubée, E. S. Fros-
sard, le D^ Jeanbernat, le général de Nansouty et le D' P. Fischer (2)
en ont parlé incidemment dans leurs écrits, et M. P. Fagot lui a consacré,,
dans le Bulletin de la Société d'Histoire naturelle de Toulouse (p. 29, 1883),
une note dont le but principal est de retracer l'histoire de la Salamandre
aquatique, observée dans le lac d'Oncet par Ramond, et qu'il désigne sous
le nom de Megapterna pyrenaica (Euproctus).
D'après ces recherches déjà un peu anciennes, cette faune se rédui-
rait à : une espèce de poisson, deux espèces de batraciens, une espèce
d'insecte, trois espèces de , mollusques et une espèce de ver nématode.
A cette liste très incomplète, que des recherches ultérieures modifieront
certainement, il faut ajouter :
1° Un batracien non encore signalé en France, Rana Iberica, Boulenger,
découvert par moi au lac d'Aubert (Hautes-Pyrénées). [Jusqu'à nouvel
a) L'étude de la disposition du squelette de ces vertébrés permettra peut-être de tirer des con-
clusions plus caractéristiques.
Dans le but d'élucider aut.mt que possible la question, j'avais eu recours au bon vonloir de M. Sartor,
maire actuel delà commune doô et fermier du lac de ce nom, pour obtenir quelques échantillons
de sa pèche. L'envoi fut obligeamment fait, mais de fâcheuses circonstances l'ont empêché d'ar-
river jusqu'à moi.
(2) P. Fischer, Faune malacologique de la vallée de Cauterets (2« supplément) (Journal de Conchy-
liologie, vol, 26. -18781.
É. BELLOC. — UTILISATION DES CUVETTES LACUSTRES PYRÉNÉENNES o2l
ordre ce nom est donné sous toute réserve, les échantillons soumis à
l'examen de xVIM. Parâtre et RoUinat étant en mauvais état de conserva-
tion lorsqu'ils sont parvenus entre leurs mains];
2° Le Desman des Pyrénées (Myogale pyixnaica) (1) ;
3° La loutre commune (Lutra vulgaris, L.) ;
4° Une sangsue {Hœmopis sanguisur/a (Bergman, nec Moquin-Tandon;,
déterminée par le D' R. Blanchard, qui prépare une grande monographie
des Hirudinées.
Abstraction faite des lacs de la zone sous-montagneuse — Lourdes,
Saint-Pé-d'Ardet, Barbazan, etc. — renfermant la plupart des espèces de
poissons, de reptiles, de batraciens et d'insectes, vivant habituellement
dans les eaux de la plaine, la faune lacustre pyrénéenne se compose
actuellement de :
. , .,., ( Mno(iale pxirenaica (Desman des Pvrénôcs).
Deux espèces de mammiteres. \ , / , . -,
( Lutra vulgaris, L.
ÎRana temporaria, L., var. Cajîigonîca, Boubée.
— Iberica, Boulanger.
Megapterna pyrenaica, Fagot (Ewprodits, Gêné).
Une espèce de poisson Trutta fario, Sieb.
Une espèce d'insecte Dislicus circumflexus, Fabric.
Une espèce d'hirudinées . . . Hœmopis sanguisuga, Bergman.
Une espèce de ver néniatode . Gordius aquaticus, L.
[ Lhmiœa limosa, var. glacialis, Dupuy.
i Ancyhis fluviatilis, Miill., var. Capuloides,
] Porro .
Quatre espèces de mollusques. Pisidum Cazertanurn, Poli, var. lenticularis,
Norm .
— — Poli, var. pulchella,
Jenyns.
Enfin, la faune microscopique est aussi largement représentée dans les
eaux pyrénéennes comme l'ont établi tout récemment, et pour la première
fois, les études de M. le baron Jules de Guerne, ancien président de la
Société zoologique de France, et de M. le D' Jules Richard, qui ont bien
voulu se charger d'examiner les pêches au filet fin que j'ai faites dans
un assez grand nombre de lacs supérieurs. Leur travail — dont les résul-
tats ont fourni la matière d'une note spéciale contenue dans le présent
volume, p. 526 — a révélé des richesses microscopiques abondantes
inconnues jusqu'ici dans les Pyrénées, composées d'Entomostracées, de
Rotifères et de Protozoaires, dont les jeunes poissons en général et les
truites en particulier sont très friands.
En terminant, je dirai que" la création de l'Aquiculture s'impose falale-
M) Eiifiènc TRiTAT, Essai sut f histoire naturelle du Desmandes Pyrénées. Toulouse, imp. Edouard
Privât, 1891.
OlZ ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
ment à l'heure actuelle, sous peine de voir se produire avant peu le
dépeuplement complet des torrents et des lacs pyrénéens.
Celte question primordiale, qui touche directement au bien-être de nos
populations montagnardes si dignes d'intérêt, a été portée l'an dernier
devant le Conseil général des Hautes-Pyrénées. Nous croyons savoir qu(î
le Service hydraulique agricole, sous la direction de M. l'ingénieur eu
chef J. Fontes, a déjà mis à l'étude un projet d'établissement aquicolc
destiné à la région d'Orédon ; espérons que la réalisation de ce projet,
utilitaire au premier chef, ne se fera pas longtemps attendre et ne sera
que le prélude d'une mise en culture générale de lacs et rivières de nos
montagnes. Alors nos collègues — trouvant l'aquiculture en pleine activité
quand l'Association française se réunira de nouveau dans les Pyrénées
— pourront dire avec Franklin : « Tout homme qui pêche tire de l'eau
une pièce de monnaie, et si le filet ramené sur le rivage est gorgé de butin,
il procure au pêcheur un véritable trésor. »
L. BOÏÏTAIf
Ooctour ('S sciences, !\lailrc de Conférences à la Facultr ries Sciences de Paris
SUR LE DEVELOPPEMENT DE L'HALIOTIDE ET SUR L'UTILITÉ DU SCAPHANDRE
DANS LES RECHERCHES ZOOLOGIQUES
— Séance du 19 septembre iSHi —
L'an dernier, pendant un voyage dans la mer Rouge, j'eus la bonne
fortune de recueillir les formes jeunes du Parmophore. Je désirais com-
pléter mes observations en étudiant en même temps le développement de
l'Haliotide et du Troche.
J'écrivis en conséquence à M. de Lacaze-Duthiers pour lui demander
l'autorisation de travailler dans le beau laboratoire qu'il a fondé à
Banyuls-sur-Mer.
Si le mois d'aoïlt est favorable à l'étude que je voulais entreprendre,
il l'est cependant beaucoup moins au point de vue de l'organisation
même du laboratoire qui ne doit fonctionner, en temps normal, que le
printemps et l'hiver.
I,. BOUTAN. SUn LE DKVKI.OPPE.ME.M bE l/llAl.IOTlDE o28
.Mais, en raison de l'utilité du travail que j'avais en vue et malgré tous
les inconvénients et toutes les dépenses qu'entraîne l'armement spécial
d'un bateau à une époque inaccoutumée, M. de Lacaze-Duthiers mit
libéralement à ma disposition les ressources de cette belle station mari-
time; et, grâce à son intervention, je pus efîectucr dans de bonnes
<-onditions le travail projeté. A l'aide du scaphandre qui appartient au
laboratoire de Banyuls, j'ai eu le moyen d'explorer à mon aise le fond
de la mer et d'étudier sur place les jeunes Gastéropodes aux diverses
phases de leur développement. C'est sur ce jnodr d'invi'stigation assez
original que je désire appeler aujourd'hui l'attention de mes collègues du
Congrès.
Le laboratoire Arago possède un scaphandre des mieux organisés et un
patron tout à fait au courant de la manœuvre de l'appareil. Sans courir
l(^ moindre danger, j'ai donc pu descendre, à plusieurs reprises, dans la
rade de Port-Vendres, aux endroits qui me paraissaient permettre une
abondante récolte des jeunes gastéropodes à étudier.
Cette descente au fond de la mer est plus effrayante en apparence qu'en
réalité. Quand on s'est habitué au vêtement un peu lourd qui vous enve-
loppe de toutes parts, quand on fait abstraction du grondement de l'air
mis en vibration par la pompe, on circule avec une extrême facilité, du
moins dans les profondeurs moyeimes de sept à huit mètres.
Le spectacle qu'on a sous les yeux est des plus captivants : si l'on se
trouve dans les environs des Zostères, on aperçoit de grandes prairies
submergées aux longues herbes toutes inclinées dans le même sens par
le courant. Au-dessus de ces grandes herbes, circulent sans défiance des
bandes de poissons qui s'arrêtent (:a et là pour pâturer.
En poursuivant la promenade, on rencontre des roches coupées à pic,
véritables escarpements qui rappellent les coupes rocheuses que l'on
observe en certains points de nos montagnes.
Un p«'u plus loin, apparaissent des amoncellements de pierres et de
lochers sous lesquels grouille toute une faune d'êtres vivants. Le poulpe,
avec ses longs bras garnis de ventouses, vit à l'alTùt sous quelque roche
<'n surplomb et trouve, pour se nourrir, des milliers de irabes et d'autres
<rustacés.
("est sous la face inférieure des pierres de moyenne grosseur que je
trouvais le plus abondamment les haliotides adultes et leurs larves.
Les hommes placés sur le bateau surveillaient mes mouvements à travers
leau merveilleusement transparente de la Méditerranée et laissaient couler
à pic une drague dans les environs de l'endroit où je travaillais.
Ma besogne consistait à choisir les pierres qui me paraissaient favo-
rables, à les entasser dans le fdet de la drague que les matelots hissaient
l'nsuite sur le pont pour me permettre, une fois remonté, de uw livrera
o24 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
une étude plus minutieuse. Grâce à ce procédé, j'ai pu recueillir les maté-
riaux qui m'étaient nécessaires et arriver à une étude à peu près complète
du développement de l'Haliolide. Les résultats de cette étude seront
exposés dans un mémoire ultérieur.
Ce développement offre, du reste, un grand nombre de points communs
avec celui de la fissurelle et du Parmopliore que j'ai décrit dans des
mémoires publiés antérieurement.
Quand on place, au moment favorable, une certaine quantité d'haiiotides
adultes, mâles et femelles, dans un aquarium, on peut étudier leur repro-
duction à loisir. L'eau ne tarde pas à devenir d'un blanc laiteux et cette
couleur tient au nombre immense de Spermatozoïdes que les mâles mettent
en liberté pour assurer la fécondation. Ils lancent la semence sous la
forme d'un liquide blanchâtre, par le quatrième ou le cinquième trou de
la coquille; et cette projection est si forte et si abondante qu'en choisissant
un animal placé près de la surface de l'eau on peut recueillir une partie
du jet dans un verre de montre situé à fleur d'eau.
Cette énorme quantité de Spermatozoïdes mélangés au liquide ambiant
semble exciter les femelles et les amène ('galinnent à pondre.
Les œufs, d'un beau vert, sont à peine visibles à l'œil nu. Au rnomenii
de leur projection en masse au dehors de la cavité branchiale, ils sont
dispersés sous forme de jet comme la semence du mâle; et comme ils ne-
sont pas agglutinés en forme de ponte, ils ne tardent pas à se disséminer
dans l'eau, entraînés vers le fond ou emportés par le courant.
Dans un pareil milieu, la fécondation est rapide; si l'on observe sous
le microscope un œuf d'Haliotide dans ces conditions, on voit que sa péri-
phérie est protégée par une coque épaisse, mais qu'à l'un des pôles cette
coque est perforée par un micropyle en forme de goulot de bouteille.
Les Spermatozoïdes viennent se heurter contre la coque sans pouvoir
la traverser. Il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus. Un petit nombre
seulement pénétrent par le micropyle et arrivent à l'œuf.
La segmentation totale et régulière s'effectue plus vile que chez les Fissu-
relles; et nous conduit à une gastrula par épibolie qui se munit de cils
vibratiles. Je n'insisterai pas sur ces premiers stades du développement
qui me forceraient à répéter une description que j'ai déjà donnée pour
d'autres Aspidobranches et j'arrive immédiatement au stade gastrula.
Si l'on examine la larve en voie de formation, on voit la bouche primi-
tive se fermer complètement : une couronne ciliaire apparaît au pôle
opposé et une invagination coquilliére se produit.
Nous arrivons au stade veligère : l'invagination coquilliére donne nais-
sance à une coquille nettement enroulée; la jeune Haliotide prend la
forme typique de la larve du Gastéropode. A l'aide d'un voile muni de
longs cils, elle tourbillonne dans l'eau avec une extrême rapidité; enfin.
L. BOUTAN. — SUR LE DÉVELOPPEMENT DE l'hALIOTIDE o2o
le pied muni d'un opercule permet la fermeture complète de la coquille
larvaire. '
A ce stade il serait fort difficile de savoir que l'on a affaire à une larve
d'Haliotide, de Fissurelle, de Parmophore ou de Troche si l'on n'avait
suivi l'œuf depuis son développement initial.
Cependant, chez Tllaliotide et le Troche, le voile est un peu moins
développé que chez la Fissurelle. Que devient cette larve franchement
enroulée de l'Haliotide?
Le développement direct n'a pu me renseigner à ce sujet, car il m'a
toujours été impossible de conduire la larve en voie de formation jusqu'à
l'état adulte.
Cependant, grâce aux récoltes efîectuées à l'aide du scaphandre, j'ai
pu me rendre compte des transformations ultérieures.
La coquille larvaire enroulée ne disparaît pas complètement ; et c'est
elle qui se modifie progressivement pour donner naissance à la coquille,
en forme d'oreille, de l'adulte.
Le péristome s"élargit énormément et le tortillon, restant slationnaire,
devient relativement de moins en moins important.
Par suite de la formation de deux lobes dans la portion antérieure du
manteau d'organe formateur de la coquille), une première échancrure se
produit en avant.
Cette échancrure ne tarde pas à s'oblitérer dans sa partie antérieure
par suite du rapprochement, dans la partie correspondante, des lobes du
manteau.
Le premier trou est ainsi constitué. Le second, ainsi que les suivants, se
creuse par le même mécanisme : écartements et rapprochements suc-
cessifs de ces deux lobes du manteau.
J'arrêterai là ces détails sur le développement de l'Haliotide, sur lequel
quelques points de détail sont encore à élucider; et je me contenterai de
faire observer, comme conclusion à cette note, que dans les différents Aspi-
dobranches dont nous avons étudié le développement, on constate, quelle
que soit la forme définitive de l'adulte, la présence à l'origine de stades
presque identiques qui conduisent, par des étapes succcessives, aux formes
définitives symétriques ou asymétriques.
Le parallélisme entre l'ontogénie et la phylogénie paraît donc aussi
nettement établi que possible dans ces formes intéressantes d'Aspido-
branches.
o2o ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
MM. Jules DE &ÏÏERIE et Jules EICHARD
Il Pans.
SUR LA FAUNE PÉLAGIQUE DE QUELQUES LACS DES HAUTES-PYRÉNÉES
— Séance du 49 sc/ilcmlire IS92 —
Les lacs des Hautes-Pyrénées, généralement difficiles d'accès, ont été
fort peu explorés au point de vue zoologique. On y connaît quelques
Poissons, des Batraciens et des Mollusques (1). Ces derniers, malgré les
recherches assidues de plusieurs nalurahstes, parmi lesquels il convient
de citer de Saulcy, Debcaux, Dupuy, Fischer, Fagot, ne sont représentés
dans les lacs que par trois espèces: Limnœa limosa, Lin., var. : glacial is,
Dupuy; Ancylus fluviatilis, Mul., var. : capuloidcs, Porro; Pisidium caser-
tanum. Poli, var. : lenticularis, >iorm. et var. : pulchella, Jenyns (2). Ce
sont des types littoraux; l'usage d'une embarcation permettant l'emploi
de la drague au milieu même des lacs amènera sans doute la découverte
de quelques autres formes, notamment de petits bivalves. Cela est arrivé
dans un grand nombre de lacs élevés des Alpes (3). Avec ces Mollusques,
la drague ramènera d'ailleurs certainement nombre d'animaux particuliers
à la faune profonde, des Crustacés et des Vers entre autres. Enfin, les
(1) Dans uiio noie fort intôressanto sur ïutili/talion des cuvettes lacuxlrei^ pyrénéennes pour la insc'i-
rulliire (Association française pour l'avancement des sciences, Congns de I'au>, il. ICniile Belloc a
résumé tout ce que l'on sait de la faune des lacs pyrénéens.
(•>) Voici les localités où ces Mollusques ont été recueillis :
( Lacd'Oncel, altitude 2.238 mètres.
/.imnœa i)mo.s((, Lin., var. : .'//acîV//(S, Dupuy. . . . / Lac d'Escoubous. — 2.0j(i —
f Lac de Gaube. — i.7f<s —
i Lac de Gaube. — 1.7SX —
.WiC(/?HS /?ii(vV/<!7/.s, Mull., var. : crtpjtZoiites, Porro . ^ Lac d'Estom, — 1.782 —
Pisidium Cfiserlaninn, ^oW, yaw: lenticularis, 'i^Qvm. l.ac d'Oncet, — 2.23s —
— — var. : pu/cAeWa, Jenyns Lac de Gaube, — 1.788 —
(Fischer, Faune malacologiiiue de lu callée de Cauterel» (2= supplénicnl). ./o»)7i. rfc Co??.c/M//i'o%ie,
vol. 26, 1878.)
(3) Voir, sur l'ensembie de la l'aune de ces lacs, les travaux de hnliof et de Zschokke: sur les Pisi-
dium en particulier, ceux de dessin.
J. DE GUEUNE ET J. lilCIlAKD. SUK LA l VUNE PÉLAGIQUE 527
êtres pélagiques dont la récolte s'opère dans de mauvaises conditions sur
les rives, ne seront bien connus qu'à la suite de longues recherches
méthodiquement poursuivies en bateau.
Quoi qu'il en soit, nous devons savoir beaucoup do gré à M. Emile
Belloc d'avoir recueilli les premiers documents sur la faune pélagique
des lacs pyrénéens. C'est, en effet, par ce zélé naturaliste que nous ont
été remis les matériaux de cette note. Aucune des espèces énumérées
dans le tableau ci-joint nest signalée jusqu'à ce jour dans les Pyrénées;
l'altitude des lacs où elles vivent rend leur station particulièrement inté-
ressante. Plusieurs d'entre elles : Daphuia loiigispina, Leydig, Asplanchna
hi'Ivetica, Notholca. Imhof, longispina, Kellicott, suffisent déjà à montrer
que les lacs des Hautes-Pyrénées présentent, au point de vue de la faune
pélagique, des caractères communs avec les faunes vivant sur toute l'éten-
due de l'hémisphèrf nord, dans des conditions analogues de tompériiture,
sans même tenir compte de l'altitude. Il existe toutefois, dans les lacs
d'Aubert, de Lostallat et d'Orédon, un Copépode remarquable. Diap(omus
huiniatus, Lilljeborg, connu seulement jusqu'ici, soit dans l'extrême nord
de l'Europe, au niveau de la mer, sur la côte de l'Océan glacial, ou bien
sur les hautes montagnes. La distribution géographique de ce Crustacé,
quelle que soit la manière dont il a pu être disséminé, paraît donc avoir
pour facteur principal la température.
Voici quelques données sur les lacs explorés par M. Emile Belloc et
dont la plupart nous sont communiquées par lui.
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i septembre IS90.
Auiiiar — • •
2.2L^
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Caïllaoïias — . .
2.165
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81 août 1S92.
Cap (le Long —
2.12(1
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!■'■■ .septembre 1S90.
Es loin —
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Fin août l«»l.
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1°' septembre IS!»0.
Lourdes —
422
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Aoiit-septcmbre IHOL
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1 .500
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Orétlon Hairtes-Pyrênécs) . . .
I.S6»
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' 19 août 1892.
St-Pé-rt'Ardet (Haute-Garonne
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0-28
ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
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VILLOT. — ÉTUDE d'aNATOMIE COMPARÉE SUR LES MERMIS ET LES GORDIUS 529
M, A. YILLOT
à Grenoble.
ÉTUDE D'ANATOMIE COMPARÉE SUR LES MERMIS ET LES GORDIUS
— Séance du 21 septembre i892 —
Les Mermis sont des Némathelminthes qui, en raison de leurs formes
extérieures et de leur genre de vie, soit à l'élat libre, soit à l'état para-
site, ressemblent beaucoup aux Gordius et ont été pendant longtemps
confondus avec eux. C'est à Dujardin (1) que revient le mérite d'avoir,
le premier, nettement distingué ces deux genres et montré combien ils
diffèrent, en réalité, par leur organisation ; et toutes les recherches dont
les Gordius ont été l'objet dans ces vingt dernières années n'ont fait que
rendre de plus en plus tranchée et de plus en plus profonde la séparation
de ces deux types. L'ordre des Gordiacés, dans lequel von Siebold réu-
nissait les Mermis et les Gordius, a disparu de la nomenclature. Les
Gordius constituent maintenant à eux seuls, dans la sous-classe des
Némathelminthes, l'ordre des Gordiens. Quant aux Mermis, ils ont fait
retour à l'ordre des JNématoïdes et ne forment plus dans cet ordre qu'une
-simple famille.
Mais il n'a pas été possible, jusqu'ici, d'établir une comparaison com-
plète et détaillée entre les Mermis et les Gordius, en raison même de l'im-
perfection de nos connaissances sur la structure des uns et des autres.
Aussi m'a-t-il paru nécessaire, après avoir terminé mes recherches sur
les Gordius C2), de reprendre l'étude des Mermis. Je me propjose, dans la
présente Note, d'élucider quelques parties de l'anatomie de ces derniers,
et de les comparer, à ce point de vue, avec les Gordius.
I
Il existe chez les Mermis, comme chez les Gordius, deux cuticules.
L'externe, désignée par Dujardin et Meissner sous le nom d'épiderme,
représente la cuticule primitive, celle de l'embryon. C'est une membrane
{\) Mémoire sur la structure nnatomique des Garlius et d'un autre helminthe, le Mermis, qu'on a
confondu avec eux {Annales des Sciences naturelles zool., 2" série, t. XVIII, p. U2), is42.
(i) L'Evolution des Gordius (Ann. des Se. nat. zool., 7° série, t. XI, art. n» 7, pL XIV-XVI; <89l.
34*
530 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
très mince, normalement lisse, dans laquelle on ne peut découvrir qu'avec
beaucoup de difficulté des traces de différenciation fibrillaire. L'interne
représente la cuticule propre des individus adultes et se fait remarquer
par sa grande épaisseur. On y distingue deux parties : l'une superficielle,
qui correspond à la couche fibreuse de Du jardin et de Meissner ; l'autre
profonde, qui correspond au tube cartilagineux de Dujardin et au chorion
de Meissner. Ces deux parties de la cuticule interne sont en réalité de
même nature et ne diffèrent que par leur degré de développement. La
partie superficielle, dont la structure fibrillaire est très évidente, est la
plus ancienne ; la partie profonde, dont la structure fibrillaire n'est
qu'ébauchée, est constituée par les couches de formation récente.
Les deux cuticules, celle de l'embryon comme celle qui caractérise l'état
adulte, appartiennent au tissu élastique, et n'ont rien à voir avec les
formations épidermiques.
II
On trouve chez les Mermis, comme chez les Gordius, sous les deux
cuticules des individus adultes, une couche de structure encore aujourd'hui
très controversée, à laquelle on a donné, en raison de ses connexions avec
les tégumentS; le nom de couche sous-cutanée ou hypodermique. Cethypo-
derme représente le feuillet ectodermique du blastoderme de ces vers, et
joue dans leur évolution un rôle très important. Les cellules embryon-
naires qui constituent primitivement l'hypoderme des Mermis et des
Gordius ont tout d'abord pour fonction de sécréter la substance fonda-
mentale des deux cuticules, et méritent par conséquent, à juste titre, le
nom de cellules chilinogènes. Mais ces éléments cellulaires représentent
aussi, ainsi que je le soutiens depuis longtemps, de véritables névroblastes ;
car c'est à leurs dépens, et par voie de simple différenciation histolo-
gique, que se forment tous les éléments du sytème nerveux de ces vers.
La sécrétion qui produit les deux cuticules a son siège dans le noyau de la
cellule hypodermique, qui se transforme pour cela en une vésicule, au sein
de laquelle s'élabore la substance chitinogène. Quant au protoplasme de la
cellule hypodermique, il passe à l'état fibrillaire et constitue les fibres
nerveuses.
Cette double évolution de l'hypoderme s'effectue chez les Mermis dans
des conditions particulièrement favorables à l'observation, car on peut
en suivre toutes les phases chez les individus adultes.
L'hypoderme des Mermis est représenté par une couche périphérique,
très mince, située entre la cuticule interne et le système musculaire, et par
six bourrelets longitudinaux (Lângsiviilste), logés dans les intervalles des
six bandes musculaires. Ces six bourrelets hypodermiques se répartissent
VII.I.OT. — ÉTUDE D ANATOMIE COMPARÉE SUR LES MERMIS ET LES GORDIUS 531
de la manière suivante : un dorsal et un ventral, deux ventro-latéraux et
deux dorso-latéraux.
Les deux bourrelets dorso-latéraux sont les plus volumineux et en même
temps ceux dont les éléments primitifs se sont le moins modifiés. Ces
bourrelets hypodermiques sont constitués par des séries de grosses cellules,
serrées les unes contre les autres, et qui prennent, par suite de leur com-
pression réciproque, une forme polyédrique. Le nom de « Zellschlauche »,
que Meissner donne à ces bourrelets dorso-latéraux, dans sa description
du Mermis nigrescens et du Mermis albicans, est l'expression parfaitement
exacte de leur structure. Les cellules qui les constituent ne sont pas toutes
d'égale grandeur. Les plus volumineuses sont celles qui se trouvent situées
sur les bords de chaque bourrelet dorso-latéral. Ce sont d'énormes cellules,
de forme conique, ayant 0'"'",040 de large sur 0'"'",060 de haut. Les unes
et les autres ont, d'ailleurs, le même aspect, la môme structure, et se
comportent de la même manière avec les réactifs colorants. Elles possèdent
toutes un gros noyau vésiculeux, et un protoplasme déjà différencié en
fibrilles. Meissner considère ces cellules comme des éléments de sécrétion
et donne aux bourrelets qu'elles constituent le nom d'organes sécréteurs
(Secretionsorgatie). Cette manière de voir est certainement l'expression de
la réalité. Les gros noyaux vésiculeux de ces cellules hypodermiques sont
en effet, comme nous Pavons reconnu le premier, de véritables organes
sécréteurs. Nous avons déjà dit que c'est à leur intérieur que s'élabore la
substance chitinogène qui forme la matrice des deux cuticules. On peut
donc supposer que ces cellules des bourrelets dorso-latéraux continuent,
pendant toute la vie du ver, à sécréter de la substance chitinogène et à aug-
menter ainsi l'épaisseur de la cuticule interne. Meissner a signalé, chez le
Mermis albicans et le Mermis nigrescens, des bourrelets longitudinaux de
la cuticule interne (Seitlichen Lângswulste des Coriums), dont l'existence
peut très bien s'expliquer ainsi. Ces cellules hypodermiques doivent aussi
sécréter le liquide qui est éliminé par les deux vaisseaux excréteurs qui
parcourent les bourrelets dorso-latéraux et viennent s'ouvrir par deux ori-
fices situés dans la région céphalique. Mais si la nature glandulaire de ces
grosses cellules hypodermiques nous paraît démontrée, ce serait, je crois,
une grave erreur que de vouloir borner à ce rôle d'élément sécréteur leur
interprétation physiologique. Je considère les éléments fibrillaires qui
représentent le protoplasme de ces cellules comme des fibres nerveuses en
voie de formation. Ces cellules hypodermiques sont, en réalité, des cellules
embryonnaires, dont les parties constituantes se différencient et évoluent
dans deux directions différentes.
Tous les doutes que l'on pourrait conserver sur la nature nerveuse de ces
éléments fibrillaires disparaissent lorsqu'on passe à l'examen des bourrelets
ventro-latéraux, qui représentent incontestablement des cordons nerveux
532 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
(Nervenstraiige) . Ces bourrelets, en effet, sont constitués par un lacis de
fibrilles, qui forment par leur ensemble trois faisceaux longitudinaux,
parfaitement comparables aux trois faisceaux de fibrilles longitudinales du
cordon ventral des Gordius. Le système nerveux splanchnique, décrit par
Meissner (Ij et von Linstow Ci), ne représente autre chose qu'un dévelop-
pement particulier des éléments fibrillaires des bourrelets ventro-latéraux.
Or, si l'on admet (ce qui n'est plus contesté aujourd'hui) la nature ner-
veuse des faisceaux splanchniques, on ne peut refuser d'admettre aussi la
nature nerveuse des éléments fibrillaires des bourrelets hypodermiques.
La couche hypodermique qui recouvre les bandes musculaires se trouve
réduite à son minimum d'épaisseur (3). Elle se présente sous la forme
d'une membrane extrêmement fine qui, dans les dissections, reste ordi-
nairement adhérente aux fibres musculaires. Cette membrane, d'appa-
rence granuleuse, se montre, lorsqu'on l'examine avec de forts gros-
sissements, entièrement composée de fibrilles dont la direction coupe
à angle droit celle des fibres musculaires. Or, il est facile de voir
que ces éléments fibrillaires de l'hypoderme sont tous en rapport de
continuité avec les fibrilles des cellules des bourrelets hypodermiques.
Leurs rapports avec les fibrilles des bourrelets ventro-latéraux sont parti-
culièrement évidents ; ce qui met leur nature nerveuse hors de doute. Il
n'y a plus trace de la structure cellulaire des éléments embryonnaires qui
constituaient primitivement cette couche hypodermique. Les noyaux,
après avoir sécrété la substance fondamentale des deux cuticules, ont
complètement disparu. Il n'est plus resté, pour représenter les cellules
primitives, que leur protoplasme, qui s'est différencié en éléments ner-
veux. Cette couche périphérique de l'hypoderme des Mermis correspond
à la couche périphérique de l'hypoderme des Gordius; mais il y a cette
différence que, chez les Gordius, cette partie de l'hypoderme a conservé
ses noyaux chitinogènes et des traces de sa structure cellulaire primitive.
III
De même que les Gordius, les Mermis sont des vers qui ne peuvent
arriver à l'état adulte qu'après avoir séjourné dans le corps d'autres ani-
maux, qui leur fournissent les matières nutritives dont ils ont besoin
(1) Beitrâge zitr Analomie und Physiologie von Mermis albicans (Zeitschr. fur Wissensch. ZooL,
Bd. V, Taf. I, lig. 1 1, 1833-I8.'>4. — Bcitriige zur Analomie und Physiologie der Gordiaceen {Zeilschr.
fur Wissensch. ZooL, Bd. VII, Taf. I. fig. I. u. 6), 18:i;i-185fi.
(2) BemerKungen ùber Mermis {Archio fiir miliroskop. Analomie, Bd.XXXLV, p. 394-395 ; Taf. XXII,
fig. A-3 U.7), IS9I.
(3) Caraerano, qui a décrit et figuré cette couche hypodermique chez le Mermis albicans, la rattache
à tort à la cuticule. {Osservasioni intorno alla slruUura dclt integumenlo di alcuni Nem,atelminli,
p. 13, fig. 10'. -1889.
TII.LOÏ. — ÉTUDE d'aNATOMIE COMPARÉE SUR LES MERMIS ET LES GORDIUS o33
pour se développer. Ils vivent à l'état parasite dans la cavité abdominale
des insectes et se nourrissent de leur corps adipeux. L'amas cellulaire que
l'on désigne sous ce nom n'est, en effet, qu'un dépôt de substances ali-
mentaires, de diverse nature, mises en réserve pour servir au développe-
ment de l'insecte. L'Helminthe les trouve toutes préparées et les utilise
pour son propre développement. Mais nos vers parasites ne se bornent
pas à demander à d'autres organismes l'aliment nécessaire à l'entretien
de leur vie ; ils se font aussi, aux dépens de leurs hôtes, des réserves ali-
mentaires, qui leur permettront d'acquérir des organes génitaux et de
vivre à l'état libre, lorsque viendra le moment de leur reproduction.
Les Mermis et les Gordius sont également soumis à cette double néces-
sité de leur évolution ; mais ces conditions nécessaires se trouvent réa-
lisées chez les uns et les autres d'une manière bien différente.
Les Gordius sont des vers parenchymateux. Ils possèdent un véritable
corps cellulaire (Zc/lkorper), qui se forme aux dépens des cellules méso-
dermiques. Ces éléments cellulaires, qui sont fort petits chez l'embryon,
prennent chez la larve un rapide accroissement. Sous l'influence de
l'abondante nourriture que le ver parasite trouve chez son hôte, ces
cellules grossissent beaucoup et se remplissent de graisse. Ce corps cel-
lulaire, en se développant, refoule l'intestin, dont le diamètre se réduit de
plus en plus, jusqu'au moment où il cesse tout à fait de fonctionner.
iMais, ainsi que je l'ai montré, l'intestin qui a cessé de remplir ses fonc-
tions de nutrition est suppléé par le parenchyme. Ce sont les cellules du
parenchyme qui fournissent aux organes génitaux et à leurs produits, en
voie de développement, les matières nutritives, riches en éléments grais-
seux, qui leur sont nécessaires. Aussi voit-on le parenchyme disparaître
peu à peu et finir même par tomber complètement en dégénérescence,
lorsque le ver arrive à l'état de maturité sexuelle.
Chez les Mermis, les choses se passent tout autrement. La partie de leur
mésoderme qui ne se différencie pas en fibrilles musculaires, ne prend
aucun développement chez la larve et reste à l'état de très petits élé-
ments cellulaires, qui remplissent tout l'espace compris entre les bandes
musculaires, le système nerveux splanchnique et l'intestin. Ce Ze/lkorper
rudimenlaire a été récemment désigné par le docteur von Linstow (1) sous
le nom de « hyaline fein granulirte Schicht. » Mais il est bien évident
que ces très petits éléments cellulaires ne peuvent jouer chez ies Mermis
aucun rôle spécial de nutrition. On ne saurait donc y voir, au point de
vue physiologique, l'équivalent du parenchyme des Gordius. C'est l'in-
testin qui, chez les Mermis, supplée le parenchyme, insuffisamment déve-
loppé, et sert de réservoir nutritif. I*our remplir cette fonction, l'intestin
(i) BemeiliiUKjen iiher Mermis lAicliiv fur nukroskop. Avutomie, Bd. XWIV, fig. 3-0, gi. 1890.
S34 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
devait naturellement subir d'importantes modifications. Il était nécessaire,
en effet, que les matières nutritives introduites par la bouche ne pussent,
après avoir traversé l'œsophage, s'échapper au dehors, et qu'elles fussent
retenues par l'intestin. Aussi n'observe-t-on, chez les Mermis, ni rectum
ni orifice anal. Leur intestin a été transformé en une sorte de sac, dans
lequel viennent s'emmagasiner et s'accumuler les globules graisseux que
le ver parasite puise dans le corps adipeux de son hôte. L'intestin des
Mermis devient ainsi, à mesure qu'il se remplit d'éléments graisseux, de
plus en plus volumineux. Il en résulte en même temps un amincisse-
ment très notable de sa paroi. On y distingue cependant encore une
cuticule externe, une sorte de réseau protoplasmique et de gros noyaux
vésiculeux, derniers restes des cellules endothéliales qui constituaient pri-
mitivement la paroi de l'intestin. Ce « Feltkorperschiauch », dont nous
venons d'indiquer à grands traits la structure, représente à lui seul, lors-
qu'on l'examine en coupe transversale, plus des trois quarts du diamètre
de la larve des Mermis. Mais il subit ensuite, comme le parenchyme des
Gordius, une réduction proportionnelle au développement des organes
génitaux, et fait place aux produits de la génération, qui se sont formés à
ses dépens.
Il n'existe entre le « Feltkorpej'schlauch » des Mermis et le ^( Zellkor-
per » des Gordius qu'une simple analogie physiologique. Ce sont des parties
essentiellement différentes au point de vue morphologique. Le contenu
du « FettkbrperschloMch » ne représente point des cellules adipeuses,
mais bien de simples globules graisseux ; et la paroi de ce sac à graisse
n'est autre chose que la paroi même de l'intestin, distendue et modifiée
pour remplir cette fonction spéciale. Le docteur von Liustow (1) n'est donc
point dans le vrai lorsqu'il résume son opinion à ce sujet de la manière
suivante : « Als Darm scheint der Zellkorper zu funktioniren. » C'est
précisément l'inverse qu'il aurait dû dire. L'intestin joue, chez les Mermis,
le rôle physiologique qui est attribué au parenchyme chez les Gordius.
(1) Weilere Beobachtungen an Gordius lolosaniis und Mermis (Archiv jur mikroskop. Anaiumie,
Bd. XXXVII, p. 248), 1891.
DOLLFCS. — DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES ISOPODES TERRESTRES o3S
M. DOLLEÏÏS
Directeur de la Feuille des Jeunes Xaluralistes, à Paris.
SUR LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES ISOPODES TERRESTRES DANS LA REGION
DES BASSES-PYRÉNÉES
— Séance du 31 septembre 189i —
Le département des Basses-Pyrénées et, en général, la région des Pyrénées
occidentales n'est pas très riche en Isopodes terrestres ; mais ce pays
offre certaines particularités intéressantes au point de vue de la dispersion
des espèces, et notamment une division très nette en trois zones fau-
niques qui ne présente nulle part, en France, des caractères aussi précis :
la zone littorale ; la zone moyenne, comprenant les plaines et les hau-
teurs jusque vers 1.000 ou 1.200 mètres; et la zone des hautes mon-
tagnes, où les Cloportes peuvent vivre jusque vers 2.^00 mètres d'altitude.
La première de ces zones, que l'on pourrait aussi appeler zone mari-
time, comprend les Isopodes du bord de la mer, plages ou falaises, et
ne doit pas être confondue avec les zones marines, qui comprennent
des espèces aquatiques, tandis que celles qui nous occupent sont entière-
ment terrestres. — Il est même très rare que ces Cloportes vivent dans
des endroits susceptibles d'être recouverts par le flot. — Les espèces qui
vivent dans cette zone sont, les unes purement océaniques, les autres,
plus nombreuses, à la fois méditerranéennes et océaniques ; aucune d'elles
n'appartient en propre à la région qui nous occupe. — Le Cloporte
océanique par excellence est le Ligia oceanica, vulgairement pou de
mer; il est très commun dans les endroits pierreux et rocheux de ces côtes,
notamment à Saint- Jean-de-Luz, sous les pierres, à l'embouchure de la
Nivelle, où les çf atteignent une très grande taille, car il y a, à ce point
de vue, une différence très notable entre les deux sexes. — Le Ligia
oceanica mérite bien son nom : il se trouve, en effet, tout le long des
côtes de l'Océan, depuis le nord de l'Europe jusqu'à Tanger, où il est
commun, — et on ne l'a jamais trouvé sur les bords de la Méditerranée,
où il est remplacé, dès les côtes de l'Kspagne du sud-est. par le Ligia
italica. — Ces deux espèces paraissent tout à fait exclusives l'une de
l'autre.
•536 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
Le Metoponoi'thrus cmgendus, espèce rare partout, vit à l'embouchure
des petits cours d'eau, sous les pierres, depuis l'Irlande d'où d a été décrit
par Kinahan, jusqu'à l'Espagne. — J'en ai rencontré un assez grand
nombre d'exemplaires à l'embouchure du petit ruisseau d'Hendaye, localité
extrêmement riche et que je recommande aux personnes qui auraient
l'occasion de la visiter ; on y trouve en abondance des mollusques appar-
tenant, si je ne me trompe, au G. Moitessiera, etc., et des vers parmi
lesquels une planaire probablement nouvelle.
Les espèces à la fois méditerranéennes et océaniques sont tout d'abord
Philoscia Couchii, trouvée à l'embouchure de l'Adour, sous les pierres
aux allées marines de Bayonne. C'est un bien curieux Isopode, extrême-
ment commun aux bords de la Méditerranée et qui se retrouve par-ci par-là
et d'une façon très irrégulière, jusqu'au Havre, à l'embouchure de la
Somme, en Hollande et en Irlande. — Cette Philoscie offre, au point de
vue morphologique, un phénomène bien curieux, car il semble passager,
c'est un élargissement, chez certains mâles, du propodite de la deuxième
paire de péréiopodes ou pattes thoraciques. La grande majorité des mâles,
même adultes, ne présentent pas ce dimorphisme, et c'est tout à fait
exceptionnellement que je l'ai rencontré chez certains individus. — Par
contre, il paraît plus fréquent chez certaines espèces du même genre,
appartenant à la faune américaine ; je viens d'en décrire un exemple chez
une espèce du Venezuela recueillie par M. E. Simon, et j'en ai figuré un
autre encore plus frappant chez une Pliiloscia des îles américaines du
Pacifique dont l'examen m'a été confié avec celui des Isopodes terrestres
du « Challenger ». Dans ce dernier cas, ce n'est plus la première, mais
bien la quatrième paire de péréiopodes qui présente cet élargissement du
propodite; celui-ci prend absolument la forme d'un disque; mais, de
même que pour Philoscia Couchii, tous les ^ adultes ne sont pas dimor-
phes. — Une autre Philoscia, celle-ci tout à fait normale, la Philoscia
elongata, peut aussi être rattachée à la faune littorale, au moins dans la
région du sud-ouest, où elle ne quitte pas les bords immédiats de la
mer, à Saint- Jean-de-Luz (embouchure de la Nivellej et Biarritz. —
Toutefois, dans la Méditerranée, elle est beaucoup moins littorale, et elle
paraît même remonter le long des grands fleuves jusqu'à une grande
distance, car je l'ai trouvée, d'une part, à Toulouse, aux bords de la
Garonne, et, de l'autre, à Saragosse, aux bords de l'Ebre, — toujours sous
les pierres.
En quittant un peu les Basses-Pyrénées pour longer les dunes des
Landes, on aurait quelque chance de rencontrer Tylos Lalreillei, espèce
littorale de la Méditerranée, très intéressante au point de vue morpholo-
gique, car elle forme le type d'une famille distincte, et qui a été signalée
sur quelques points des côtes de la Gascogne et jusqu'au Croisic. — Enfin,
DOLLFUS. — DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES ISOPODES TERRESTRES 53"
les dunes landaises offrent aussi une variété bien marquée du Porcellio
scaber que je viens de décrire dans la Feuille des Jeunes Naluralisles,
SOUS le nom de var. ai^enaria; elle a un port très particulier, des mou-
vements lents, et présente une coloration jaunâtre absolument pareille à
celle des Nebria et Phaleria qui vivent dans les mêmes conditions. C'est
un fait de mimétisme sur lequel j'appelle votre attention.
Si nous passons maintenant à la zone moyenne, qui, ainsi que je l'ai
dit, comprend les plaines et les hauteurs de moins de \ .200 mètres, nous
trouvons la faune habituelle de toute la France tempérée, avec prédomi-
nance de certaines formes et présence d'un petit nombre d'espèces spé-
ciales. Citons rapidement :
Aî-maclillidium vulgare, l'espèce la plus commune dans toute la France.
A. nasatuin, beaucoup plus rare ailleurs ; on la rencontre assez fré-
quemment dans l'ouest de la France, et dans tout le pays basque, elle est
plus répandue môme que l'^l. vulgave \ on peut la considérer comme
caractéristique de cette région.
Porcellio scaber.
Porcellio politus, pour laquelle je fais la même observation que pour
V ArmadilUdium nasatum ; elle se trouve cependant plutôt dans les en-
droits un peu humides et boisés, surtout aux environs de Saint-Jean -de-
Luz, d'Ascain, de Sare et dans toute la vallée de la Nive.
Porcellio lœvis, — espèce ubiquiste. — J'ai déjà eu l'occasion d'insister
sur la dispersion de cette espèce, évidemment méditerranéenne d'origine,
car on la trouve partout dans le bassin méditerranéen, dans les lieux in-
cultes aussi bien que dans le voisinage des habitations, et qui par contre
ne quitte plus l'homme, dès qu'elle sort de cette région, — et pourtant elle
s'est répandue dans le monde entier, ce qui lui a valu plus de vingt-
quatre noms différents, car, a priori, il était difTiciie d'admettre que l'es-
pèce de Naples ou de Jérusalem fût la même que celle de Zacatecas au
iMexique ou de Honolulu. — Le iMetoponorthrus pruinosus que nous trou-
vons aussi près des maisons dans différents points du Béarn et du pays
basque, est dans le même cas que lœvi^.
Philoscia muscorum, commun partout sous les mousses et les feuilles
mortes.
Oniscus muraiim, qui a une forme un peu particulière dans l'Ouest et
le Sud-Ouest où il est plus étroit, plus petit et plus foncé que dans le
reste de la France.
Oniscus Simoni, espèce tout à fait spéciale aux Pyrénées occiden-
tales, et d'autant plus intéressante que c'est la seule du genre qui ait été
décrite en dehors de l'O. murarius que je viens de citer. — L'O. Simoni
est petit, d'aspect terreux et fortement granuleux. — Nous l'avons ren-
contrée, M. Eugène Simon et moi, dans les localités suivantes : Biarritz,
o38 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
Saint-Jean de-Luz, Cambo, Ascain, Hendaye, Vera en .Navarre, Bigorre.
Trichoniscus vividus, charmanle petite espèce de couleur pourpre trou-
vée à Saint- Jean-de-Luz, Cambô, Fontarabie, Lourdes, Cauterets, Bigorre,
elle vit sous la mousse et les pierres.
Trichoniscus pusillus, de moitié plus petite encore ; je viens de la trou-
ver sur les coteaux de Gélos, sous la mousse et précédemment je l'avais
rencontrée à Tardets près de Mauléon.
Il n'y a qu'une seule espèce myrmécophile, c'est le Platyarthus Hojf-
mannseggi, commune dans toute la France ; nous sommes loin ici de la
richesse du bassin méditerranéen en cloportes commensaux des fourmis.
Les habitats spéciaux, non encore explorés dans cette région, nous
offriraient certainement Porcellio dilatatus dans les caves; Trichonicus ca-
vernicola, dans les grottes. — C'est un petit cloporte blanc qui a déjà été
signalé par M. Simon aux grottes Brichot et Rienfoucaud et à la Cueva
de Orobe, en Espagne.
Il ne faudrait pas non plus négliger de rechercher les petites espèces
hypogées, car, en outre des Haplophthalmus que l'on rencontre dans le
Nord, ces espèces, toujours très rares, pourraient donner lieu à des dé-
couvertes importantes comme en a fait mon collaborateur 31. Aubert,
à Marseille. (V. Aubert et Dollfus, Cloportes de Marseille, in Bull. Soc. Et.
Scient., Paris, 1890).
Il ne me reste plus qu'à dire un mot de la l'aune des Hautes mon-
tagnes ; je ne l'ai point encore visitée dans le département même, ce
n'est donc que par analogie avec les P\ rénées centrales que je citerai les
les noms suivants, car il est plus que probable que l'on rencontrera toutes
ces espèces dans la région : Armadillidium piclum, abondant sur la
mousse (du côté de Luchon), jusqu'à 2.000 mètres. Porcellio montanus,
sous les pierres, également dans les montagnes de Luchon. Porcellio pyre-
nœus de la vallée de Salanques, dans les Pyrénées espagnoles, espèce
nouvelle dont la description vient de paraître dans une étude sur les Iso-
podes d'Espagne. (V. Soc. Hist. Nat. Madrid, 1892.} Enfin, un Metoponor-
thrus, non encore décrit et qui semble très commun, tout autour de Cau-
terets, vers loOO mètres d'altitude, sous les pierres et les pièces de bois.
Vous voyez que, pour la faune isopodique des Hautes-Pyrénées, il y a
encore beaucoup à faire. Avis à ceux qui auront l'occasion d'y faire des
récoltes. Je recommande surtout de soulever les pierres, ia mousse et
les pièces de bois pourri; on y trouvera sûrement du nouveau.
A. MALAQIIN. — l'aBSORPTION ET l'eXCRÉTION CHEZ LES SYLLIDIENS o39
M. A. MALAQÏÏIÎf
Préparateur à la Faculté des Sciences de Lille.
REMARQUES SUR L'ABSORPTION ET L'EXCRÉTION CHEZ LES SYLLIDIENS
— Séance du 2t septembre 189i —
La conformation de la trompe des Syllidiens permet à ces Annélides
d'absorber, en même temps que leurs aliments, une certaine quantité
d'eau ; on peut même dire qu'il leur est impossible de ne pas en intro-
duire pendant cet acte. La région antérieure de la trompe, ou trompe
phar^-ngienne, forme, en effet, un tube droit, ou contourné, qui est
tapissé par une chitine épaisse, de sorte que cette portion cylindrique
•est toujours largement béante.
Lorsque les Syllidiens veulent avaler des aliments, soit des Bryozoaires
{Vesicularia, Bugula, Gemellaria, Memhranipora, etc.), ou des Hydraires
{Sertularia, Hydralmania, etc.), soit de petits animaux, soit de la vase
fine, ils projettent vivement leur trompe. L'extrémité antérieure de celle-ci
est terminée par un cercle de papilles où aboutissent souvent des glandes
spéciales, et forme presque ventouse. En même temps, un puissant organe
musculeux en forme de tonnelet, le proventricule, ou gésier, se dilate et,
faisant oiTice de pompe aspirante, attire les aliments avec une certaine
quantité d'eau. A la dilatation brusque de cet organe fait suite une systole
progressive qui envoie les aliments dans la région faisant suite au gésier :
le ventricule dans certains cas, l'intestin antérieur si le ventricule fait défaut
ou est rudimentaire. Un sphincter, situé dans la région antérieure de ce
gésier, empêche le retour des aliments en avant ; il en existe de même
un à sou extrémité postérieure.
Celte irrigation est cependant moins grande en réalité qu'en apparence,
car il est fréquent de voir un mouvement inverse se produire. L'animal
rejette alors l'eau qu'il a absorbée : ce phénomène est surtout très frap-
pant lorsque le Syllidien rejette des bulles d'air.
Les aliments arrivent donc rapidement dans l'intestin antérieur et de là
dans l'intestin moyen des deux régions constituant linteslin hépatique
dv Claparède. Il n'existe pourtant pas de glandes proprement dites dans
celte portion du tube digestif. La structure des parois intestinales y est en
S40 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOf.IE
effet des plus simples : une seule couche épithéliale revêtue immédiate-
ment par l'endothélium péritonéal.
Ce sont les cellules épithéliales qui sont chargées, tout à la fois, de
produire une sécrétion capable de transformer et d'élaborer les aliments,
puis d'absorber les produits de cette élaboration. Le mécanisme de la
sécrétion est le même que celui qui a été déjà reconnu chez un certain
nombre d'autres animaux. Au sein même des cellules, on voit naître des-
sphères liquides, hyalines, qui grossissent, distendent les cellules, les font
s'ouvrir par leur surface libre; ces petites sphères ou boules de sécrétion
tombent alors dans l'intestin. Il est à noter que ces cellules, au sein des-
quelles se produisent ces phénomènes, sont des cellules ciliées.
Dans certains cas (Aulo/ytus, Myrianida, Sijllis, etc.), la production de
ces boules se fait uniformément sur toute la paroi intestinale; dans d'au-
tres cas (Haplosyllis hamata), elle se fait particulièrement sur un bourrelet
ou renflement ventral de la paroi. Dans le genre Ëusi/llis, la production
de ces boules est d'une activité extraordinaire ; la lumière intestinale en
est constamment remplie. Les coupes montrent un épithélium formé de
bulles serrées les unes contre les autres sur plusieurs rangées, c'est, en un
mot, un épithélium boursouflé, spumeux. Claparède signale des faits ana-
logues chez Telepsavus costarum.
Au moment où les boules de sécrétion arrivent dans la lumière intestinale
elles sont homogènes, de couleur légèrement jaunâtre. Leurs dimensions
varient chez Syllis hyalina, où je les ai surtout étudiées, de 8 à 16 p.
de diamètre. Leur consistance est assez grande pour ne pas diffluer
dans l'intestin, et, d'un autre côté, elle est assez liquide pour que deux
boules de faibles dimensions, se rencontrant, puissent se fusionner en
une seule. Ce sont, en résumé, des gouttes d'apparence huileuse ; leur
nature chimique les rapproche aussi des huiles et des graisses; lorsqu'on les-
traite, en effet, par l'acide osmique, elles se teignent immédiatement en
noir intense. Au point de vue de leur formation, dans certains cas
(Autolytus longe fet'iens, Myrianida), j'ai vu ces boules encore dans l'épi-
thélium se teinter sous l'action des colorants ; dans d'autres (Eusyllis)
elles paraissent être franchement des excréta de cellules.
L'action de ces boules de sécrétion sur les aliments, en rendant ceux-ci
absorbables, donne en même temps naissance à des produits non
assimilables, qui se présentent sous l'aspect de petites concrétions ou
sphérules de 1/2 ,u. à 1 y. de diamètre. Chez Eusyllis ces concrétions
apparaissent sur les boules de sécrétion sur lesquelles elles se fixent
superficiellement. Puis elles se rassemblent en amas qui forment des
taches noirâtres si fréquentes dans l'intestin des Eusyllis et Odontosyllis.
La Syllis hyalina présente des phénomènes différents. Les concrétions
prennent naissance à l'intérieur même de la boule de sécrétion. Au fui:
A. MALAQUIN. — l'aBSORPTION ET l'eXCRÉTION CHEZ LES SYLLIDIENS S41
et à mesure que cette dernière s'épuise, elle se remplit de concnHions, et
au bout d'un certain temps, il arrive que la boule primitivement homo-
gène et huileuse, est formée de petites sphérules qui lui donnent un aspect
framboise ou moruliforme. Cette masse gagne peu à peu Tintestin posté-
rieur grâce au mouvement des cils vibratiles de l'épithélium. Ces boules,
ainsi transformées, présentent des mouvements propres. On peut y dis-
tinguer deux sortes de mouvements : 1" un de rotation saccadé de la
boule; 2° un mouvement interne des sphérules qui roulent sur elles-
mêmes ; mouvement qui cesse quand ces sphérules sont devenues trop
nombreuses. Bien avant l'arrivée de ces boules dans l'intestin postérieur,
elles se dissocient et les sphérules deviennent libres : les unes isolées, les
autres associées par deux ou par trois; do là elles sont rejetées par l'anus.
Quant à la nature chimique de ces sphérules, elle est urinaire, comme
nous allons le voir. L'intestin postérieur de S. hyalina et, en général, la
région correspondante des autres Syllidiens, est d'une couleur jaune,
quelquefois intense (Odontcsrjllis), ce qui lui a fait donner le nom d'intestin
urinaire par Claparède. Les cellules épithéliales de cette partie de l'intestin
sont fortement ciliées et ne sont pas sécrétantes. Sur les deux côtes, on
constate la présence, dans l'intérieur même des parois, de concrétions
sphériques ; ces concrétions sont franchement urinaires. Si on les traite,
en etîet, successivement par l'ammoniaque et par l'acide acétique glacial,
il se constitue des cristaux d'urates, les uns ayant la forme caractéristique,
les autres allongés en aiguilles ou présentant des macles variées. Quant à
l'origine de ces concrétions, elle s'explique facilement. Ce sont les sphé-
rules dont il a été question plus haut; au point de vue de l'aspect, il
y a entre ces productions beaucoup d'analogie. En coupe transversale, on
remarque que ces sphérules sont logées dans deux sillons latéraux, non
ciliés, des parois de l'intestin; ce sont les sphérules urinaires produites
dans l'intestin antérieur et moyen qui s'y sont accumulées et y sont arrêtées.
Profitant de la facilité avec laquelle les Syllidiens avalent de l'eau, nous
avons essayé de leur faire absorber de l'eau colorée arlificiellenienl,
nous inspirant en cela des recherches de Kowalesky sur les organes excré-
teurs. Ces expériences ont pour but de reconnaître les points d'absorptioi
du tube digestif et la voie par laquelle sont excrétés les produits non
assimilables.
Les colorants employés ont été: la fuchsine acide, le carmin ammo-
niacal, le carmin d'indigo et le tournesol bleu broyé ; les deux premiers
sont ceux qui réussissent le mieux.
Les Syllidiens absorbent la fuchsine avec une très grande facilité. Fait
1
o42 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
général, ce colorant imprègne toutes les parties chitineusés avec une très-
grande rapidité. C'est ainsi que la trompe pharyngienne est vivement
colorée en rouge, le revêtement chitineux qui la tapisse s'imprégnant tout
entier ; il en est de même de deux pièces chitineusés du proventricule.
Les soies elles-mêmes se colorent rapidement jusqu'à leur extrémité
interne. Les parois du proventricule et du ventricule ne se colorent pas,
car l'eau n'y séjourne guère. Les parois des cœcumsdu ventricule (glandes
en T), lorsqu'ils existent, sont gonflées par l'eau colorée où nagenl
quelques boules de sécrétion (1) ; ces parois sont légèrement teintées en
rouge. Il en est de même d'une toute petite portion de l'intestin attenant
au ventricule, quand l'animal a séjourné assez longtemps dans le liquide
coloré (cinq à six jours). Ni l'intestin antérieur, ni l'intestin moyen, qui
sont plus particulièrement les régions sécrétantes, ne se colorent. Au
contraire, l'intestin postérieur est vivement coloré, dans les points mêmes
où nous avons signalé la présence des concrétions urinaires.
Le carmin ammoniacal donne des résultats à peu près semblables ; il a
cet avantage, en outre, de passer avec facilité dans le liquide des vais-
seaux sanguins, de sorte que j'ai pu ainsi observer des détails de la cir-
culation que la transparence complète du sang rendait fort difficiles à voir.
Le rôle des néphridies, d'après ces expériences, est peu actif. Les
organes segmentaires, chez les Syllidiens, sont en effet des plus rudimen-
taires. Ils constituent, dans l'état ordinaire, un canal étroit, courbé en arc.
dont l'extrémité antérieure interne est engagée dans le dissépiment et
s'ouvre dans le segment précédent, tandis que l'ouverture externe, posté-
rieure, vient s'ouvrir sur la face ventrale du pied dans le voisinage du
cirre ventral. Les parois en sont presque toujours incolores, quelquefois
légèrement jaunâtres et renferment, mais en petite quantité, des concré-
tions sphériques analogues aux concrétions urinaires. Par la fuchsine, les
parois néphridiennes se colorent légèrement en rouge ; le carmin ammo-
niacal absorbé également par le tube digestif les colore de la même façon.
Cependant dans une expérience faite sur un Aufolytus (A. longeferiens),
l'excrétion du carmin avait été si considérable que l'ouverture externe de
la néphridie était colorée en rouge intense. On apercevait très facilement,
en examinant l'annélide par la face ventrale, deux points rouges situés sur
les côtés de chaque segment dans les régions moyenne et postérieure.
Le carmin d'indigo et le tournesol m'ont donné des résultats moins
satisfaisants. Les cœcums, dans l'absorption du tournesol, se sont teintés
légèrement en rose ; toutes les régions des téguments, où les glandes
(1) A ce propos je dois dire que l'épithélium cilié de ces cœcums est identique comme structure
à celui de l'intestin antérieur, et qu'il peut produire des boules de sécrétion. Si ces cœcums ne
méritent pas le nom de glandes, ils ne méritent pas le nom et n'ont pas la fonction que leur a
attribué Eisig (vessies natatoires, Schivimblasen) . De Saint-Joseph a déjà, d'ailleurs émis des doutes
sur l'assertion d'Eisig.
BIEThlX. DE LA MATIÈRE VIVANTE EXISTANT A LA SURFACE DE I.A MEIl o43
étaient en plus grande abondance, étaient colorées en rose ; la réaction
du produit de ces glandes est donc légèrement acide.
Que pouvons-nous conclure des faits exposés dans la première partie de
cette Note et des résultats obtenus par les injections artificielles? C'est,
d'abord, que si l'intestin antérieur et moyen est très sécrétant, l'intestin pos-
térieur ne l'est presque pas ou pas du tout; celui-ci renferme, au contraire,
dans deux replis de ses parois des produits nuisibles destinés à être rejetés.
L'absorption du carmin et de la fuchsine est évidente. Les colorants
passent dans l'organisme par le liquide sanguin, ce qui est peu important
vu le faible développement du système vasculaire, et surtout par le liquide
de la cavité générale, puisque ces produits sont repris par les néphridies
et même rejetés au dehors. Or, le seul point franchement coloré du tube
digestif est l'intestin postérieur. C'est là que se rencontrent les cellules les
plus jeunes, c'est-à-dire les plus perméalables aux phénomènes osmotiques.
L'intestin postérieur paraît donc être surtout le siège de l'absorption
des matières élaborées dans l'intestin antérieur et moyen. En même
temps, il serait un organe d'arrêt, un filtre en quelque sorte, pour les
produits non assimilables : ce qui explique que la fuchsine et les autres
colorants, de même que dans certains cas les urates (concrétions de la
Syllis hyalina) y sont arrêtés et s'y condensent. Les néphridies, elles,
sont surtout chargées de débarrasser le liquide de la cavité générale des
produits brûlés dans l'organisme (urates, petites concrétions des parois
néphridiennes) et aussi des produits inutiles (ex. : les colorants absorbés).
Leur rôle est, en tout cas, peu actif à cause de leur faible développement.
M. BIÉTHIX
SUR UN NOUVEL ESSAI DE MESURE DE LA QUANTITÉ DE MATIERE VIVANTE EXISTANT
A LA SURFACE DE LA MER
— Séaiice. du 21 septembre 189S
Un intérêt particulier s'est attaché, depuis les recherches récentes d'un
certain nombre d'observateurs, à l'évaluation de la proportion de formes
vivantes microscopiques (animales et végétales) qui existent dans les
couches superficielles de la mer. Sous l'impulsion de M. le professeur
544 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
Pouchet, des études de cet ordre ont été poursuivies dès l'été de 1888
dans son laboratoire de Concarneau ; quelques résultats que j'avais obte-.
nus à cette époque sur la question ont été consignés dans une note an-
nexée au rapport de M. Pouchet sur le fonctionnement du laboratoire
de Concarneau pour l'année 1888 (1). La technique suivie dans cette
étude était défectueuse en beaucoup de points et ne permettait d'arriver
qu'à des évaluations numériques très approximatives. Ayant repris cet
été, sur le conseil de M. Pouchet, les mêmes recherches, je me suis
efforcé de donner au mode opératoire une précision plus grande qui
permît d'estimer avec plus d'exactitude que précédemment la valeur
quantitative des pêches de surface.
Le filet à main, par le fait de sa construction et de son maniement,
laissait place à trop d'incertitudes et d'irrégularités. Celui dont je me
sers actuellement est construit de la manière suivante : un bâtis en bois,
rectangulaire, de 1 mètre de long sur 0^,05 de large, sert de flotteur à
tout l'appareil et maintient celui-ci dans une position fixe par rapport à
riG. 1.
la surface de l'eau (fig. 1 et 2). Il est lesté de plomb à l'avant, de lièges
à l'arrière, de manière à demeurer horizontal pendant la traction. Eu
arrière et en dessous est fixé à charnières un cadre (A) carré en bois,
dont les dimensions intérieures sont exactement de 0"\bO (2).
Ce cadre est maintenu perpendiculaire à la surface du bâtis par deux
tirants en fer (BB'j fixés à une extrémité et, de l'autre, adaptés au
cadre au moyen de goupilles. Sur le pourtour du cadre est clouée une
poche de toile (C) en forme de tronc de cône, de 1 mètre de long et de
0™,23 de diamètre à son sommet ouvert. Le pourtour de cette ouverture
est garni d'un cercle en bois (D) avec rainure interne destinée à porter
le cercle en laiton du filet de gaze (E) . Le filet-tamis est fait avec la soie
à bluter ordinairement employée (maille de 80 .a de côté environ) ; il
mesure 0"\4o de profondeur et 0'",20 de diamètre à son ouverture. J'ai
reconnu que cette poche est suffisante pour tamiser toute l'eau qui passe,
sous une faible vitesse, dans l'entonnoir en toile. En outre, pour éviter
(1) Voir aussi Journal de l'Analomie el de la Phijsiol., 1S89, n" .',.
(2) J'ai été amené à rendre cette partie mobile sur le bâtis pour permettre une manœuvre plus
facile de l'appareil, en dehors de la pèciie.
BIÉTRIX. — DE LA MATIÈRE VIVANTE EXISTANT A LA SURFACE DE LA MER
que les matières recueillies ne s'arrêtent sur l'armature intérieure lU),
une manche cylindrique en toile (F) est fixée sur la paroi de l'enton-
noir, à une certaine distance au-devant de l'orifice du filet fin et son
extrémité flottante plonge d'autre part dans celui-ci de quelques centi-
mètres ; le produit de la pêche glisse ainsi sans arrêt sur la paroi de
toile jusqu'au tamis. Ce dispositif a en outre l'avantage de former sou-
pape et d'empêcher, dans certains cas, le reflux des matières déjà tami-
sées. L'indépendance du filet fin est indispensable pour sa facile ma-
nœuvre, lorsque la pèche est terminée, et pour le nettoyage nécessaire à
sa conservation; pendant la pèche, il est maintenu sur le cadre au
moyen de deux taquets.
La pêche s'opère de la manière suivante : au point choisi pour lobser-
vation, on mouille un grappin dont la corde est reliée d'autre part à une
forte bouée. On fixe sur celle-ci l'extrémité d'une ligne de 200 mètres
assez forte pour haler ensuite l'embarcation et le filet. La ligne est
mmiie, de brasse en brasse, de
flottes de liège qui la maiutien-
nent étendue sur l'eau. Elle est
allongée « sous le vent » et, lors-
qu'elle est sulfisamment tendue,
le filet est rais à la mer : on
commence à haler doucement, à
la main, l'embarcation, en même
temps que le filet qui la suit at-
taché à l'extrémité d'une gatïé ;
celle-ci maintient l'appareil à une distance de l'",oO à 2 mètres du bord ;
de plus, une amarre frappée sur l'arrière du filet et tenue à la main sert
à rectifier sa marche et à le maintenir dans une position parallèle à l'axe
de l'embarcation. La vitesse doit être très faible, suffisante seulement
pour maintenir gonflée la poche de soie (avec notre appareil une vitesse
de 10 à 12 mètres par minute était la plus favorable).
Le halage terminé et le filet fin retiré, le reste des opérations a lieu
comme je l'indiquais dans ma précédente note. Les dépôts fixés à l'acide
osmique et précipités sont évalués au bout de quelques jours (quinze en-
viron) par le poids d'eau distillée occupant le même volume.
On conçoit que, par ce procédé, les opérations répétées chaque jour
présentent une fixité assez grande. D'autre part, on peut considérer que,
sous la faible vitesse utilisée, le filet a tamisé un volume d'eau égal au
produit de la surface d'ouverture du cadre (soit un quart de mètre carré)
par la longueur de la ligne, c'est-à-dire un volume de oO mètres cubes,
volume qui donne une proportion de matières suffisante pour une facile
mesure.
3o*
Fie. 2.
546 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
Pour laisser à ce procédé plus de rigueur, il faut apporter aux données
qu'il fournit une correction assez sensible, et variable pour chaque expé-
rience, correction ayant trait aux changements que fait éprouver à la
masse d'eau tamisée l'existence de courants côtiers ; ces courants n'ont
rien de fixe et varient en direction et en vitesse (1) avec les phénomènes
qui modifient l'état de la mer (en premier lieu le mouvement de la marée).
Aussi, chaque fois, a-t-on pris aussi exactement que possible, au moyen
d'un flotteur et d'un loch, observation de la direction et de la vitesse du
courant. Les valeurs des pèches sont corrigées en conséquence (2).
Ajoutons que, chaque jour, des observations météorologiques précises
ont accompagné la pêche. 11 a été tenu surtout grand compte des varia-
tions de température de l'eau. L'état de la mer est ici facteur négligeable,
car la pêche avec l'appareil décrit plus haut ne peut s'effectuer que par
un temps calme et sur des eaux à peine agitées.
Si les causes d'erreur forcément attachées à de semblables recherches
ne sont pas évitées par ce procédé, du moins il permet de les réduire
sensiblement. En valeur absolue, les chiffres trouvés ne sauraient être
considérés comme incontestables ; mais on obtient ainsi une assez exacte
comparaison des pêches entre elles et, partant, un aperçu plus juste des
variations de la richesse en matière vivante des eaux superficielles de la
mer.
Au point de vue des résultats, cette série d'observations me paraît
concorder avec ce que j'avais noté en 1888. Les formes dominantes ne
changent pas et se retrouvent vers les mêmes époques. Les grandes va-
riations quantitatives constatées antérieurement d'un jour à l'autre se
dessinent encore très nettement ici et la précision plus grande apportée à
la pêche et aux mesures permet d'accorder à ce résultat plus d'attention.
En outre on se rend mieux compte de la décroissance progressive qui
s'effectue avec la marche de la saison et de la chute sensible et assez
brusque que subit cette population pélagique microscopique vers la fin
d'août et le commencement de septembre.
(1) Vitesse que j'ai troavée varier de i^jSO à io mètres par minute, au même point.
(2) N. B. — Les conditions particulières où ont été faites ces recherches exigeaient que la pèche
eût lieu à faible distance du rivage. Le point choisi, qui a toujours été le même pour cette série
de mesures, est à environ non mètres de la côte la plus voisine, à l'entrée de la baie de Concarneau.
Si l'on pouvait opérer au large, on éviterait cette cause d'erreur provenant de l'existence des courants
ou du moins elle pourrait devenir négligeable.
Au début, le point choisi était l'une des balises qui marquent le chenal d'entrée, dans d€s eaux
de 9 à 10 mètres de fond. Mais le mouvement incessant des nombreux bateaux qui f(int en cette saison
la pêche de la sardine nous a obligés à nous nipprocher du rivage et de nous établir dans une zone
oii l'existence de roches et la profondeur de l'eau (3 à 3 mètres) nous assuraient la tranquillité
nécessaire.
ED.-F. HONNORAT-BASTIDE. — CICI.NDÉLIDES DKS BASSES-ALPES o47
M. Ed.-E. HOINOEAT-BÂSTIBE
à Di^ne.
CICINDELIDES DES BASSES-ALPES
— Séance du 2/ septembre 489i —
Les espèces de Cicindèles qui habitent les Basses- Alpos ne sont pas
nombreuses. Nous en donnons la liste en faisant connaître leur habitat,
car notre sol n'est pas partout le même, nos vallées n'ont pas toutes les
mêmes conditions climatériques, de même que nos montagnes sont plus
ou moins élevées.
\° Cicindela campestris, Linn. — Cette espèce est très commune à
toutes les altitudes, dans toutes nos vallées et montagnes secondaires.
On rencontre ces insectes à peu près toute l'année; ils ne disparaissent
que pendant deux mois et demi, depuis la mi-novembre jusqu'à la fin
janvier, et encore, durant ce laps de temps, il n'est pas rare de voir les
individus qui ont pu résister au froid sortir de leur retraite et se mon-
trer dans les endroits bien exposés au soleil. Mais c'est surtout en mars,
avril et mai. quelquefois même en février, que ces insectes pullulent
réellement, sur nos coteaux arides et ensoleillés, ainsi que dans nos
champs à terrain sec et très meuble, ces dernières conditions étant in-
dispensables à la larve, qui a besoin d'un sol très léger et surtout à
l'abri de l'humidité pour y creuser son terrier.
On peut dire que le nombre de ces Cicindèles diminue au fur et à
mesure que les chaleurs augmentent; pendant l'été, elles deviennent frès
rares, si ce n'est sur les hautes montagnes, où on peut espérer les ren-
■contrer, durant cette saison ; mais elles reparaissent vers le mois de sep-
tembre ou d'octobre.
A Digne, ainsi que dans bon nombre d'autres localités, il existe une
variété de Cicindela campestris. Celte variété, de mêmes dimensions que le
type, au lieu d'avoir, comme chez celui-ci, les élytres d'un bleu clair
avec taches blanches, les a d'un bleu noirâtre plus ou moins Umk-î' avec
548 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
les taches grisâtres, se confondant presque dans la teinte générale de
l'insecte.
Le vrai type nous a toujours paru moins commun que sa variété ;
nous n'avons capturé le premier que jusqu'à l'altitude de 1.000 mètres,
tandis que nous avons pu prendre l'autre espèce sur des montagnes de
pJus de l.oOO mètres de hauteur.
Que ce soit dans les basses ou sur les hautes altitudes, il faut voir courir
et voleter au soleil la Cidndela campestris qui, par la richesse de son
coloris et l'élégance de ses formes, ne craint pas la comparaison avec les
plus brillants spécimens d'insectes exotiques. Tout le monde connaît la
légèreté et la vivacité de ce Coléoptère, qui rendent sa capture fort diffi-
cile lorsqu'on n'a pas avec soi le secours d'un filet.
2° Cicindela flexuosa, F. — Cette espèce n'existe pas dans la vallée
de la Bléone, mais elle n'est pas rare aux environs de Sisteron, dans la
vallée de la Durance, où on la rencontre dans les sables laissés par
les eaux dans le lit de cette rivière. Nous en avons reçu plusieurs
exemplaires capturés dans celte localité par M. Henri Coulomb, phar-
macien.
3" Cicindela riparia, Dej. — Cette variété delà Cicindela hyhrida, Linn.
est fort commune à Digne, où elle parait remplacer le type, mais elle ne
se trouve pas partout. On la rencontre surtout au fond des vallées, sur
quelques flancs de coteau, rarement sur les grandes hauteurs, car nous ne
l'avons jamais trouvée sur les montagnes d'une haute altitude. Mais dans
les vallées, dans les endroits à sol uni ou peu accidenté, sablonneux,
exposé aux rayons solaires les plus intenses, dépourvu de végétation ou
recouvert seulement de menus herbages lui permettant de se montrer à
nu çà et là, on voit cette Cicindèle se poser souvent à terre. C'est ainsi
qu'à Digne on rencontre cet insecte dans les graviers de la Bléone, des-
Eaux-Chaudes ou du torrent de Mouirouès, sur les routes et chemins, de
même que sur la place du Tampinet, conquise il y a déjà longtemps sur
le lit de la Bléone (1). Nous l'avons vue encore sur le coteau des Hautes-
Sièyes, dans le vallon de Saint- Véran. A Blégiers (vallée de la Bléone),.
nous avons capturé quelques exemplaires de cette Cicindèle sur la route"
de Prads. Nous avons pris aussi cette espèce au-dessus du village de
Draix, à 1.300 mètres d'altitude, sur le chemin muletier qui conduit de
Digne à ïhorame, sur le versant nord de la montagne des Dourbes,.
connue en cet endroit sous le nom de montagne de Couar. Nous l'avons
enfin capturée encore sur le même chemin, tout près du col de la Cine,^
vers 1.500 mètres d'altitude, entre la montagne du Cheval -Blanc
(2.323 mètres j et celle des Dourbes. C'est là le point le plus élevé où nous
(1) Cette espèce est commune aussi à Sisteron où M. H. Coulomb l'a recueillie dans les sables du
lit de la Durance et sur les chemins. (Note ajoutée pendant l'impi-ession.)
ED. -F. HONNORAT-BASTIDE. -^ CICINDÉLIDES DES BASSES-ALPES 549
ayons rencontré la Cicindela riparia, Dej., dans nos nomlireuses chasses
aux Coléoptères faites durant un grand nombre d'années sur nos hautes
montagnes bas-alpines. Mais nous ajouterons que nous avons ren-
contré ces deux dernières Cicindèles sur un chemin pierreux, tracé au
milieu de terrains dénudés, à pente raide, et brûlé par le soleil.
On voit que comme la Cicindela campestris, la Cicindela riparia s'élève
assez haut en altitude dans les Basses-Alpes. Mais nous ferons remarquer
que, pour que ce mot d'altitude ait une signification réellement exacte, il
faut que l'on tienne compte,, non seulement de la hauteur au-dessus du
niveau de la mer du lieu dont on parle, ainsi que de la latitude, mais
encore de la bonne ou mauvaise exposition de ce lieu au soleil, à la pluie
et aux vents. Il est donc possible que des insectes trouvent dans des lieux
élevés, mais bien exposés, des conditions de climat identiques à celles
de régions moins haut placées, mais moins bien abritées.
Les deux Cicindela riparia provenant de Draix et du col de la Ci ne
ont la teinte générale d'un beau noir terne, même les taches, qui sont très
foncées, teinte qui diffère beaucoup des types des basses altitudes. Mais
peut-être cette différence dans la coloration tient-elle aux individus à
couleurs déjà passées.
La. Cicindela riparia para.\t \ers les mois de mai, juin et juillet, alors
que la campestris ne se montre plus que rarement. On n'en voit plus en
août que de rares individus aux couleurs flétries, mais elle reparaît en
automne vers les mois de septembre et d'octobre.
La Cicindela riparia est difficile à capturer, même avec un filet. On
peut, en effet, prendre avec la main les Cicindela Germamca, litterata,
qui ne font guère que courir ou voleter au soleil, sur le sol, ainsi que la
Cicindela campestris qui, quoique volant bien, se laisse cependant appro-
cher de près. Mais il n'en est pas de même de la riparia qui se tient
toujours à distance et rarement à portée du filet.
Pour chasser fructueusement la Cicindela riparia, on doit avoir soin
de ne sortir que par un temps tout à fait serein, car, comme les Papil-
lons, les Cicindèles disparaissent comme par enchantement, surtout l'es-
pèce en question, lorsque le moindre nuage voile le soleil.
On prend la Cicindela riparia beaucoup plus facilement en automne
qu'au printemps, car durant l'arrière-saison ces insectes sont engourdis
parle froid, à moins qu'on ne les rencontre par une journée de forte
chaleur, ce qui n'est, du reste, pas rare sous notre ciel méditerranéen,
surtout en octobre et novembre.
La Cicindela riparia a toujours sa teinte générale d'un beau noir mat ;
ses taches blanches seules varient; elles sont d'un beau blanc chez les
individus frais, d'un blanc terni, sale, passant au noir chez les individus
défraîchis.
550 ZOOLOGIE, AXATOMIE, PHYSIOLOGIE
4° Cicindela montana, Charp. — Celte variété de la Cicindela hybrida^
Linn., a été signalée dans la vallée de Barcelonnelte par M. Bellier de la
Chavignerie (1). Les exemplaires de Cicindela riparia très foncés que
nous avons dit avoir capturés à Draix et à la Cine pourraient bien se rap-
porter à cette variété curieuse des régions élevées.
5" Cicindela chloris. Dej. — La Cicindela chloris est une espèce des hautes
altitudes. Dans les Basses-Alpes, on ne la trouve pas, des côtés sud et
sud-ouest, en dessous de Digne, même sur les plus hautes montagnes.
Nous n'avons jamais rencontré cette espèce à Cousson (1.511 mètres), ni à
Siron (1.6o3 mètres), tout près de Digne, non plus, au sud des Basses-
Alpes, sur la chaîne de Serre de Mont-Denier (1.708 mètres), près Mous-
tiers, toutes montagnes que nous avons parcourues assez souvent pour
l'y rencontrer si elle y existait. Nous ne l'avons pas aperçue sur la mon-
tagne des Bourbes (1.751 mètres), à l'est de Digne, pas même, dans la
même direction, sur les pentes des pics de Cueuyon (1.897 mètres) et de
Couar (1.989 mètres). Elle doit certainement exister sur la montagne de
Blayeul (2.100 mètres), au nord-est de Digne; mais néanmoins, dans une
ascension que nous y avons faite le 14 juin 1891, nous ne l'y avons pas
trouvée, peut-être parce que c'était un peu tôt, ou qu'il faisait du vent.
L'habitat de cette espèce le plus à proximité de Digne est la montagne du
Cheval-Blanc (2.323 mètres), qui forme un long soulèvement couronné
de mamelons gazonnés formant dos d'âne, situés à une altitude supé-
rieure à 2.300 mètres. Sur cette montagne, la Cicindela chloris est très
commune, et durant les mois de juillet et d'août, si le temps est favo-
rable et le vent pas trop fort sur ces hauteurs, on est toujours certain d'en
prendre de nombreux exemplaires.
Il est à remarquer que cette espèce ne se tient qu'au sommet de la
montagne. Nous avons bien souvent parcouru les flancs de ce soulèvement
en suivant le chemin de Thorame par le col de la Cine. Ni à la Cine,
vers 1.510 mètres d'altitude, ni sur le reste du chemin, qui atteint cepen-
dant 1.617 mètres sur le versant ouest du Cheval-Blanc, nous n'avons
jamais rencontré cette belle espèce, qui ne paraît se plaire que dans les
régions élevées. Ce qui nous a toujours étonné, c'est que, alors qu'elle
est si commune sur cette même montagne du Cheval-Blanc, nous ne
l'ayons jamais vue sur les sommets situés en face, du côté de Digne, par
exemple ceux de Cluchemet (1.779 mètres) et de Cueuyon (1.897 mètres),
bien que ces massifs soient très voisins du Cheval-Blanc, puisqu'ils vien-
nent s'y souder et n'en sont séparés que par un col, et. qu'ils atteignent
une altitude supérieure à la hauteur, où, dans la vallée de Barcelonnette,
nous avons aperçu quantité de Cicindela chloris.
(1) Bei.lier de la Chavignkhie, Observations sur les Lépidopllres des Basses-Alpes. (Ann. delaSoc.^
entom de France, 3'= série tome IV, 1856, p. 22-i
ED. -F. HOXNORAT-BASTIDE. — CICIM»ÉL1DES DES BASSES-ALPES 351
Mais, par contre, cette magnifique espèce est très commune sur tous
les sommets des hautes montagnes des Basses-Alpes situés en deçà de la
montagne du Cheval-Blanc, aussi bien du côté du nord que du côté de
l'est. Nous l'avons signalée sur la montagne des Vachères, vallée de la
Bléone, aux près d'Achau, de 1.900 à 2.000 mètres d'altitude, en face de
la belle forêt de Faillefeu (1). Au col de Chalufy, entre les sommets de
Boule (2.393 mètres) et de Denjuan (2.404 mètres), vers 2.000 mètres
d'altitude. M""* Honnorat a pu y chasser, le 1"' juillet 1889, de nombreux
exemplaires de Cicindela chloris, qui voletaient sur le sol à chaque
éclaircie du soleil, car le ciel était nuageux et l'orage grondait en face
et non loin de nous, sur les sommets de la Sèche (2.823 mètres) et des
Trois-Évèchés (2.828, 2.838 et 2.927 mètres).
Cette espèce n'habite pas exclusivement les hauts sommets de nos
montagnes. Nous l'avons vue aussi courir et voleter au soleil, en juillet
1878, au fond de la vallée du Bachelard, sur les sables et graviers du
torrent, en face de Mourjuan, avant d'arriver à Villard-d'Abbas, près
Fours, vers 1780 mètres d'altitude.
La Cicindela chloris avait été signalée depuis longtemps dans la vallée
de Barcelonnette, sans indication d'endroit précis, par M. Bellier de la
Chavignerie (2).
La Cicindela chloris est d'un beau vert, à taches d'un blanc jaunâtre,
qui se ternissent chez les individus défraîchis.
6° Cicindela litterata, Sulz. — La Cicindela litterata est une espèce très
commune dans les environs de Digne, mais son habitat se réduit aux
terrains d'alluvions sablonneuses, récentes et humides, des torrents et
rivières, ainsi qu'aux berges des canaux, tous endroits fréquentés égale-
ment par la Cicindela Germanica, avec laquelle elle a certaines ressem-
blances comme teintes et comme dimensions.
Il y a déjà longtemps, on ferma, en le reconstruisant, deux arches du
pont jeté sur la Bléone, à Digne ; il se forma immédiatement, en amont
de ces arches, une alluvion qui, en hiver et lors des crues de la rivière,
était recouverte d'eau et qui, en été, se trouvait à sec, à l'exception de
quelques grandes flaques d'eaux presque stagnantes, dans lesquelles les
batraciens chanteurs et les couleuvres aquatiques se réfugiaient en nombre.
Un jour que nous allions en cet endroit pour y chasser la couleuvre vipé-
rine, nous aperçûmes, courant sur la vase, de petites Cicindèles qui se
rapportaient à l'espèce litterata, Sulz (Liujdunensis, Dej.). Tout heureux
de notre trouvaille, nous nous mîmes à la recherche de ces Cicindèles,
(11 En. -F. Honnorat-Bastidk, Promenade enlomoîogique dans les forets de Faillefeu et de Charges,
à Prads. {Bull, de la Soc. scient, et litt. des Basses-. Vlpes, loiiic II, p. 75 j
(2; Deli.ikr de la Chavignerie, ()bservations sur les Lépidoptères des Basses- Alpes . (Ami. delà Soc.
cntom. de France, 3"= série, tome IV, 1S5G, p. 22.)
S52 ZOOLOGIE, ANATOMIE, l'HYSIOF.OGIE
dont nous pûmes capturer un grand nombre. Durant quelques années,
nous fûmes obligé de cesser notre chasse au môme endroit, les eaux
ayant recouvert le terrain en question ; mais une fois ce terrain presque
complètement colmaté et abandonné en partie par les eaux, il nous fut
permis de recommencer nos recherches, et nous nous empressions d'aller
voir si ces jolies bêtes se retrouvaient au même endroit. Malheureuse-
ment le sol, recouvert d'osiers, de joncs et autres plantes aquatiques qui
formaient des fourrés impénétrables, n'était favorable que sur quelques
points seulement aux évolutions de ces Cicindèles. Néanmoins, notre
espoir ne fut pas déçu, car, quoique le terrain fût encore tout humide,
imprégné comme il l'était par les eaux du canal de colmatage, dont les
ramilications le parcouraient en tous sens, de nombreux exemplaires de
Cicindela Utterata couraient et voletaient sur le sol, sur lequel nous avions
de la peine à tenir sans enfoncer. C'est sur des espaces isolés et de
quelques mètres d'étendue seulement que nous avons pu nous livrer à
la recherche des Cicindèles en question, assez communes pour qu'en
quelques jours nous ayons pu en capturer un très grand nombre. Mais
ces insectes ayant disparu peu à peu, nous dûmes bientôt cesser nos
chasses. Depuis lors, le terrain en question a été complètement livré à la
culture, et les jolies Cicindèles en ont disparu.
On trouve plus particulièrement et même exclusivement cette espèce
à. Digne, dans laBléone et dans les torrents qui se jettent dans celle-ci,
mais seulement dans les endroits humides du lit de ces cours d'eau,
c'est-à-dire dans les parties de graviers recouvertes de terre ou de sables
humides récemment abandonnées par les eaux. Dans les endroits pré-
sentant ces conditions, qui semblent indispensables à l'existence de ces
Cicindèles, nous avons pu souvent capturer des exemplaires de l'espèce en
question dans des oseraies du quartier de Saint-Lazare, sur la rive gauche
de la Bléone, aux environs de Digne.
La Cicindela Utterata avait été désignée depuis longtemps à M. Bellier
de la Chavignerie par un autre entomologiste, M. Pujade, comme habi-
tant la vallée de Mouirouès, en face de la propriété Yvan, aujourd'hui
Builly, à l'est de Digne. Mais nous croyons que le même Coléoptère est
plus facile à prendre, surtout en plus grand nombre, dans le lit de la
Bléone, et plus particulièrement aux environs du moulin des Sièyes, en
amont du torrent de Saint-Véran, au quartier du They.
Cette espèce a été recueillie dans la vallée de la Durance, à Sisteron, par
M. Henri Coulon.
La Cicindela Utterata commence à se montrer à la même époque que
la Cicindela Germanica, et disparaît aussi en même temps que celle-ci ;
mais quoiqu'on la rencontre toujours en compagnie de cette dernière'
dans les terrains vaseux et tout récemment abandonnés par les eaux, on
ED -F. HONNOHAT-BASTIDE. — CICINDÉLIDES DES BASSES-ALPES 5o3
ne la trouve jamais dans les champs, même très humides, fréquentés
cependant par Ja Germanica. Nous n'avons pu, en effet, jusqu'à présent,
cajjturer la Cicindela litterata en dehors des alluvions et graviers
humides et vaseux, que sur la berge d'un canal et près de terrains où ne
croissaient que des joncs, lesquels annonçaient que l'eau existait en abon-
dance et à peu de profondeur, au quartier du They.
La Cicindela litterata paraît, dans les environs de Digne, vers le mois
de juin, et elle continue à se montrer jusqu'à la fin août et même jus-
qu'au commencement de septembre. C'est une des plus petites espèces el
est très dithcile à capturer, soit à cause de la vivacité de ses mouvements,
soit parce que ses dimensions ne permettent pas, dans les déplacements
rapides du bel insecte, de le suivre au vol. 11 est, par suite, très difficile
de prendre des quantités de ce Coléoptère, à moins que l'on ne se soit
familiarisé depuis longtemps avec la manière de se déplacer et de voleter
do cette Cicindèlc.
Dans les Basses-Alpes, la Cicindela litterata atteint 9 millimètres de
longueur : c'est la plus petite de nos espèces.
7° Cicindela Germanica, Linn. — Dans les environs de Digne, la Cicindela
Germanica est très commune, mais seulement dans le fond des vallées,
jamais sur les hauteurs. Elle se tient toujours dans les terrains d'alluvion,
partout où le sol est humide. On la rencontre fréquemment dans les
champs de blé, dans les prés, sur les bords des chemins, sur les berges
des canaux, notamment à la Sôbe, au They et aux Sièyes , etc. Ayant
parlé autrefois incidemment, dans la Feuille des Jeunes Naturalistes
(VII'' année, numéro du 1^'' décembre 1876, p. ^2), à propos de la Cicin-
dela campeslris, de la facuHé qu'a la Cicindela Germanica de ne fréquen-
ter que les terrains généralement humides, une vraie polémique eut lieu
à ce sujet, à propos de l'habitat de celte espèce, que les uns assuraient
habiter les endroits secs et ensoleillés, d'autres les terrains humides seu-
lement (1).
A Digne, la Cicindela Germanica se trouve communément, en effet,
dans les champs de blé, mais seulement dans ceux qui existent au fond
des vallées, car c'est vainement que nous avons essayé depuis longtemps
de rencontrer la Cicindèle en question sur les hauteurs ou sur leurs ver-
sants, pas même sur nos coteaux, toujours fréquentés par les Cicindela
campestris et riparia. Mais les champs de blé qui se trouvent au fond de
nos vallées sont généralement humides, comme, du reste, tous nos ter-
rains alluviens de formation récente, jusqu'au moment de la moisson,
c'est-à-dire de la fin juin au commencement de juillet, et c'est à celte
(11 Voir Feuille des Jeunes Xatiiralisles .• VII' annexe, n» 83 du i<=' stplembre 1877, note de M. Baillot;
VHP année, n° 86 du i<"- décembre 1877, note de M. L. Gavoy ; n° 87 du 1" janvier 1878, note de
M. Baillot; n° 88 du i»"- février 1878, note de M. A. Martin.
o54 ZOOLOGIE, ANATOMIE, PHYSIOLOGIE
époque, alors que le sol n'a pas été encore complètement desséché par
le soleil, que ces Cicindélides se rencontrent le plus souvent.
Mais quoique l'on trouve ces insectes assez abondamment dans les
champs de blé, on les rencontre aussi, et en bien plus grand nombre,
dans les prés, où les herbes épaisses favorisent singulièrement l'humi-
dité du sol. Une année, entre autres, sur une surface de quelques mètres
carrés, dans un pré fauché récemment, situé non loin de la Bléone, au
quartier des Sièyes, nous avons pu, dans une heure de temps, capturer
plus de quatre-vingts exemplaires de Cicindela Germanica, tandis qu'au-
paravant, dans les champs de blé dont le sol était presque à sec et sur
des chemins les avoisinant, dans le même espace de temps et sur une
surface bien plus grande, nous prenions seulement quelques-uns de ces
insectes. Or, ces Cicindèles ne s'éloignant que très peu du sol sur lequel
elles ont suivi leurs diverses transformations, on ne peut dire qu'elles
aient quitté les champs de blé situés beaucoup plus loin, pour venir
s'établir au milieu des herbes et sur la terre humide du pré dont nous
avons parlé.
Au reste, bien que, dans nos alluvions mêmes, nos champs de blé soient
parfois assez secs, en juillet et août, on ne saurait les comparer aux
champs brûlés par le soleil qui existent sur les versants et sur les pla-
teaux de nos coteaux et montagnes secondaires, fréquentés par d'autres
Cicindélides, et sur lesquels, comme nous l'avons dit, la Cicindela Ger-
manica ne se trouve jamais.
Nous ne pouvons donc que maintenir ce que nous avions déjà avancé,
c'est-à-dire que dans les environs de Digne, la Cicindela Germanica ne se
rencontre généralement que dans les terrains humides. D'autres Cicindèles
possèdent aussi, et à un plus haut degré que chez la Cicindela Germanica^
la faculté de vivre au milieu de terrains humides, comme on l'a vu à
propos de la Cicindela litterata, Sulz.
Nous avons capturé à Digne, au quartier du They, une variété de
Cicindela Germanica à élytres d'un beau bleu foncé, presque noir. Cette
variété est très rare dans nos environs.
LE CHANOINE INCHAUSPÉ. LE PEUPLE BASQIE 5D'>
M. le Chanoine lîfCHAïïSPE
à Abensc-dc-Haut, par Tardi-ls fBasses-Pyrénées .
LE PEUPLE BASQUE, SA LANGUE, SON ORIGINE
— SéiiDce (lit 16 septembre 1892 —
r
On a beaucoup écrit, depuis un demi-siècle, sur le peuple Basque, sur sa
langue et son origine ; et néanmoins l'Association française pour l'avan-
cement des sciences a jugé utile de poser la Question Basque à discuter au
Congrès qu'elle a tenu à Pau cette année 1892. C'est qu'en effet les
nombreux écrits qui ont été publiés de nos jours, au lieu d'élucider cette
question, n'ont fait que l'obscurcir, accumuler des nuages et jeter l'incer-
titude dans les esprits.
En venant répondre à l'appel qu'on a daigné faire à notre concours à
ce sujets nous n'avons pas la prétention de produire des documents nou-
veaux ; nous voulons seulement tâcher de dégager ceux qui sont déjà
connus des nuages dont on les a enveloppés, et faire en sorte de dé-
couvrir la lumière qu'ils sont susceptibles d'apporter à la solution des
questions proposées.
Avant d'aborder la question de Vorigine et de l'histoire des Basques, il
nous semble naturel d'examiner leur langue, objet de la curiosité des
savants, et qui fait des Basques un peuple à part dans le monde.
§ I. — La langue BASQUE.
On a divisé les langues qui se parlent dans les diverses parties du globe
en trois grandes familles : la famille Sémitique, la famille Aryenne et la
famille Touranienne; et, parmi les langues parlées dans ces trois groupes,
on distingue les langues isolantes, les agglutinantes et les flexionnelles.
On trouve à la langue basque des analogies avec toutes et avec chacune
des langues appartenant aux diverses familles et aux diverses catégories.
Ainsi on a observé, pour la terminologie, que le sanscrit appelle comme
le basque : la lumière, arghia ; le feu, sou ; le père, ata ou aita ; la
5o6 ANTHROPOLOGIE
mère, ama ; — que le samoyède appelle le soleil, eguia ou el.ia ; le teu,
sou; le pré, soror, en basque, sof^o ; le blanc, z-yr, en basque, ^wri; —
que l'estlîonien appelle le raisin, masis, le basque, màtsa ; — le mongol,
la forêt, oy, le basque oyait ; — le turc, la boue, ballsik, le basque, balsa ;
la prune aril;, le basque, a?'ana ; — que le japonais appelle le maître,
noushi, le basque, nausi; le seigneur, donno, le basque, jaon; seulement
bakkarri, le basque, bakharik.
La plupart des termes dont les linguistes ont fait le rapprochement
sont loin de présenter la même identité dans le radical, et ces rappro-
chements ont peu de valeur aux yeux des esprits sérieux. D'ailleurs, on
trouve de ces sortes d'analogies dans les vocabulaires de toutes les langues;
on en trouve entre le sanscrit et l'hébreu, entre les langues touraniennes
et les langues aryennes.
L'élément grammatical constitue principalement, pour les linguistes, la
base qui doit servir à établir les degrés de parenté et la classification
des langues ; et, sous ce rapport encore, on a signalé des analogies entre le
basque et diverses langues.
Ainsi la multiplicité des modes et des temps du verbe rapprocherait
le basque du sanscrit, tandis qu'elle l'éloignerait beaucoup de l'hébreu
qui n'a que deux temps et deux modes.
Le système postpositif, suivi par le basque dans la déclinaison, donne à
cette langue de l'affmité avec les langues ou rai -al laïques qui ont des suffixes
çasuels comme le basque. Le nominatif pluriel est désigné par la dési-
nence k en basque, et c'est aussi le signe du pluriel en lapon, en hongrois
et en vogoule.
Une autre analogie entre la langue basque et les langues oural-altaïques
et aussi certains idiomes de l'Amérique du Nord, c'est l'existence d'une
conjugaison objective, c'est-à-dire qui emlirasse dans le même mot :
l'indication du sujet, du régime, du pluriel et du singulier. Mais, malgré
ces analogies, la supériorité du basque, dit le prince Lucien Bonaparte,
est immense sur ces divers idiomes ; non seulement quant au nombre et
à la variété des formes objectives, mais aussi quant à leur clarté logique
et à leur usage. — Lorsqu'on compare le basque avec les langues des
aborigènes de l'Amérique, dit encore i\L Jehan de Saint-Clavier, il est
impossible de ne pas apercevoir V immense différence qui existe entre
ces langues. Tous les idiomes américains sont dépourvus des verbes
auxiliaires être et avoir, et ils ne peuvent exprimer abstractivement les
idées qui nous sont communiquées par ces deux verbes, tandis que ces
deux auxiliaires sont tout dans le basque.
En effet, lorsqu'on examine la merveilleuse flexibilité du verbe basque,
la richesse de ses formes, les grandes proportions de son architecture;
l'unité, la simplicité et la régularité qui ont présidé à son admirable char-
LE CHANOINE INCHAUSPÉ. — LE PEUPLE BASQUE Oo7
pente, on ne peut s'empêcher de dire avec M. Jehan de Saint-Clavier :
elle n'a pas sa pareille dans le monde (Dict. Ung.).
L'identité de certains termes et les analogies que l'on découvre entre le
basque et les autres langues, comme entre les idiomes des trois grandes
familles, prouvent qu'ils sortent tous primitivement d'une source com-
mune; en effet, l'étude approfondie de la philologie comparée conduit à
l'unité du langage : c'est l'opinion de Max Muller et de tous les esprits
sérieux.
La création, l'unité de la race humaine, la révélation du langage et,
par conséquent, son unité primitive sont des vérités intimement liées
ensemble, que la saine philosophie a toujours proclamées et que les
progrès des sciences humaines confirment chaque jour.
L'erreur de beaucoup de libres-penseurs de notre temps est de vouloir
faire du langage une invention humaine. L'homme, comme tous les
autres êtres, a été créé dans l'état de perfection propre à la dignité de sa
nature. Il a été créé pensant et par conséquent parlant, car l'intelligence
sans la parole est un flambeau éteint dans l'àme humaine. Supposer que
l'homme s'est traîné peu à peu, par l'onomatopée, par des sons inarticulés,
à tous les degrés de perfectionnement du langage, c'est philosophiquement
la plus absurde des hypothèses.
L'homme, en communication avec son semblable au moyen de la parole,
a pu inventer des termes de convention pour désigner diverses choses,
des inventions de l'art et de l'industrie ; et ces termes, les diverses langues
peuvent les emprunter les unes aux autres ; mais l'expression des sen-
timents, de la pensée et de la volonté ; et le verbe qui indique les
modes, les temps des actions extérieures et intérieures, ne viennent pas
de l'homme ; ils viennent du Créateur qui a fait l'homme parfait dans son
genre, comme chacun des autres êtres de la création.
§ [[. — Le V0CABULAn\E BASQUE.
Quoique le basque, comme toutes les autres langues, par sa constitution
et ses analogies, se rattache à une origine commune, néanmoins il est
incontestable que le basque se distingue de toutes les langues connues
par son vocabulaire et sa structure grammaticale, autant que les langues
des trois grandes familles se distinguent entre elles ; et que sa termino-
logie, comme sa grammaire, en font une langue à part.
En eff'et, presque tous les termes usuels lui sont propres ; ainsi on dit :
guizon pour homme ; emazte, femme ; haur, enfant ; semé, fils ; alhaba,
fille , anaye, frère; arreba, sœur par rapport au frère ; ahizpa par rapport
à la sœur ; buru, tète ; belar, froiit ; beyui, œil ; sudur, nez ; beharri,
Oo8 ANTHROPOLOGIE
■oreille; aho, bouche; mihi, langue; lepho, cou; sorhalda, épaule;
boulhar, poitrine; besso, bras; escu, main; sahel, ventre; guerri, reins;
ister et azpi, cuisse; zankho, jambe; oin, pied; erhi, doigt; hour ou ur
eau; lur, terre; /<arn, pierre; aitz, roc; belhar, herbe; euri, pluie;
elhur, neige; odei et /ieû?oè, nuage, etc., etc. Zelu et ^erw, ciel, a dû être
substitué, lors de l'introduction du christianisme, au vrai mot basque qui
désignait le ciel: ce mot est oz, oza. Il est conservé dans divers mots
composés, tels que ozadar, arc-en-ciel : oz, ciel, et adar, corne, arc;
ûzantza, tonnerre: oz, ciel, azantza, bruit; ozkarbi, ciel serein: oz, ciel,
et garbi, pur; on dit, dans le même sens, ozai^giii : oz, ciel, et arguL
clair ; et ozargitara, à la clarté du ciel.
Les noms des nombres sont également particuliers au basque : il
compte par dix : bat, un ; bi, deux ; hirour, trois ; laur, quatre ; bost,
cinq; sei, six; zazpi, sept; zortzi, huit; bedei-atzi, neuf; hamar, à\x.
Après hamar on y ajoute bi, hirour, laur, bost, etc., pour désigner douze,
treize, quatorze, etc. ; on dit : hamabi, hamahirour, hamalaur, etc. Mais
nous devons signaler ici une particularité très singulière et très intéres-
sante : pour exprimer onze, au lieu de dire hamahXT, dix-un, on dit
/iawiEKA et cela dans tous les dialectes.
Oîi les Basques sont-ils allés prendre cet eka à la place de bat, pour
l'ajouter à hamar, dix, et désigner le nombre onze? Il est évidemment
primitif, puisqu'il se trouve dans tous les dialectes ; et il ne peut être
emprunté qu'au sanscrit eka, un, ou à l'hébreu inN ekhad, un. Les
Basques durent, sans doute, emporter ce mot de la confusion de Babel
avec les mots makila. bpD, le bâton, et zaku, ^1^ , le sac, et certains
autres termes que beaucoup de langues ont conservés avec la même
signification et le même radical que l'hébreu et le basque.
On a prétendu que le vocabulaire basque était très pauvre ; que les
mots purement basques avaient un caractère tout matériel et que cette
langue manquait de termes pour les idées abstraites et spirituelles. Cer-
tains philologues darwiniens, contrariés dans leurs théories évolutionnistes
par la perfection d'une langue parlée seulement par un petit peuple qu'ils
considèrent comme très arriéré et non encore civilisé, parce qu'à leurs
yeux il est trop religieux ; certains philologues, dis-je, ont même osé
écrire que le verbe être n'existait pas en basque ; et cela afin de discré-
diter, de rabaisser cette langue et de l'assimiler aux idiomes des sauvages
du nord de l'Amérique.
La langue basque a emprunté beaucoup de mots au latin, surtout pour
exprimer les termes de l'enseignement chrétien ; elle emprunte encore
aux langues voisines, soit des termes pour exprimer les nouvelles inven-
tions, soit même trop souvent pour rendre les idées qui auraient dans le
basque des termes équivalents au français et à l'espagnol ; mais le fond de
LE CHANOINE LNCHAUSPÉ. — LE PEUPLE BASQUE 559
la terminologie usuelle reste immuable et riche et le môme dans tous les
dialectes ; et dire que son vocabulaire a un caractère purement matériel
et manque de termes pour les idées abstraites et spirituelles, est une atïir-
mation aussi fausse que la négation de l'existence du verbe être dans cette
langue.
Nous ferons observer d'abord que la langue basque, outre la déclinai-
son démonstrative singulière et plurielle, possède une déclinaison indé-
finie pour envisager et exprimer les choses d'une manière abstraite. Il
nous suffira de signaler un certain nombre de termes pour montrer l'er-
reur de ceux qui ont prétendu que le vocabulaire basque est purement
matériel. Notons, par exemple : eg-w/a, la vérité ; guezurra, le mensonge;
zuhurra, le sage ; erhoa. le fou : — ijogoa, l'intelligence ; — nahia. la
volonté; — ahala, le pouvoir; — beharra, le besom ; — gvdizia, le
désir; irritsa, l'ardent désir ; — aihoa, l'aspiration; — ona, le bon ; gais-
/oa, le méchant ; aiherra, le vindicatif; bekliaitza, le jaloux; — jakiii,
savoir; ikhas, apprendre; sinhets, croire; ouste, opiner; /«a//e, aimer;
higuin, hugu, haïr ; hastio, détester ; orhoit, souvenir ; ahatz, oublier ,
ezagut, connaître, etc., etc.
Nous pourrions allonger beaucoup cette liste, mais elle nous paraît
suffisante pour montrer le mal fondé des détracteurs de la langue basque.
Toutes les langues subissent des modifications et des altérations avec le
temps ; mais, sous ce rapport encore, on doit admirer la stabilité de la
langue basque et sa nature vraiment granitique.
On en trouve une preuve dans les cinquante et quelques mots basques
rapportés par Marineus Siculus dans son ouvrage De las cosas memorabiles
de Espana, imprimé en 1530. Ils sont empruntés au biscayen et ils sont
aujourd'hui les mêmes, non seulement en Biscaye, mais même dans la
Soûle qui est si éloignée de la Biscaye et n'a point de rapport avec cette
province.
Nous avons une preuve bien plus frappante de la consistance et de
l'antiquité du basque dans les noms des instruments tranchants dont
l'homme a dû faire usage dès l'origine. Ces noms sont empruntés au roc
ou silex, en basque aitz, atclta; et ils nous reportent à l'âge de la
pierre.
Le premier instrument est celui par lequel l'homme a ouvert et tra-
vaillé la terre, la pioche. Or, la pioche, en basque, s'appelle aitzurra, mot
composé de aitz, roc, et ii7Ta, déchirer, pierre à déchirer. Le second ins-
trument qui lui a été nécessaire est la hache pour couper le bois; or, la
hache s'appelle aizkora, composé de a/7^, pierre, et gora, élevé, haut;
pierre élevée sur un manche. Le couteau s'appelle aizttoa, celte dénomi-
nation est conservée dans le dialecte de Koncal. Aizttoa veut dire petite
pierre, la désinence ttoa s'applique en basque à tous les termes comme
o60 ANTHROPOLOGIE
diminutif; guizonlloa, petit homme ; etchettoa, petite maison. Les ciseaux
s'appellent aizturrak, composé de aizttoa, petit couteau, Qiurra, déchirer^
petit couteau ou petite pierre à déchirer. 11 est probable que, dans le
principe, le diminutif aizttoa avait son générateur atza ou atcha pour
signifier coutelas, sabre ; mais il n'existe plus dans aucune province
basque. On a vainement cherché l'étymologie de hache dans diverses
langues ; n'est-elle pas dans le altza ou atcha basque, comme l'étymo-
logie de ascia, cognée en latin et en italien ?
§ III. — Système grammatical de la langue basque
Quant au système grammatical, aucune langue ne peut entrer en com-
paraison avec la langue basque.
Elle n'a qu'une déclinaison, mais elle embrasse dans la variété de ces
désinences ou sulfixes, toutes les modifications, toutes les relations dont
un terme est susceptible, et qui sont exprimées dans la plupart des autres
langues par des prépositions et des articles.
Elle a le singulier, le pluriel et l'indéfini. L'indéfini considère les per-
sonnes et les choses d'une manière abstraite et dans un sens générai.
Sa forme est seule employée pour les noms propres des personnes et les
noms de villes. Le radical des substantifs et adjectifs reste invariable ;
quoique la plupart des postpositions ou suffixes n'aient pas une significa-
tion propre ; cette invariabilité du radical fait que la déclinaison basque
doit être considérée comme agglutinante.
Mais il n'en est pas de même de la conjugaison; celle-ci est éminem-
ment flexionnelle. Car ici le radical subit une infinité de modifications \.
souvent même il disparaît totalement ; en sorte qu'il est difficile de sou-
tenir qu'il y ait, à proprement parler, un radical dans la conjugaison
basque.
Le basque n'a qu'une seule conjugaison, ou, pour parler plus exacte-
ment, il en a deux, l'une pour la voix intransitive et pour exprimer le
verbe être, et l'autre pour la voix transitive et pour exprimer le verbe
avoir. Tous les mots appelés verbes par analogie ne sont en basque que
des substantifs et adjectifs verbaux, se déclinant comme tous les autres
substantifs ou adjectifs, à l'indéfini, au défini, au singulier et au plurieL
Ils ne peuvent revêtir le caractère verbal qu'ils ont dans les autres langues^
qu'en s'unissant aux formes de la conjugaison unique : du verbe être, pour
exprimer l'état du sujet, ou une action reçue ou réfléchie ; du verbe avoir,
pour exprimer une action exercée sur une personne ou une chose autre
que le sujet.
D'ailleurs tous les substantifs ou adjectifs, de quelque nature qu'ils
LE CHANOINE, INCHAUSPÉ. — LE PEUPLE BASQUE 561
soient, peuvent se conjuguer en basque en s'unissant aux verbes être ou
avoir ; et aussi toutes les formes positives du verbe peuvent se décliner.
Mmiguizon, homme; /?am,- pierre ; hour, eau; on, bon; etc., peuvent
prendre la forme verbale et se conjuguer ; on dit : guizontzen da, il
devient homme ; guizontu da, il est devenu homme ; harntu da, il s'est
pétrifié, effrayé ; hourtzen da, il se fond ; ontu da, il est devenu bon, etc.
Le verbe basque possède des modes inconnus aux autres langues;
aucune n'indique les temps avec autant de précision. Il exprime dans ses
flexions le sujet, le régime direct et le régime indirect ; le pluriel et le
singulier ; il a une désinence indéfinie, et une désinence familière et res-
pectueuse pour exprimer la qualité de la personne à qui l'on parle. Et
toutes ces modifications se font d'après une loi si simple, si régulière et
si uniforme que les enfants, dès l'âge de sept à huit ans, les expriment
de la manière la plus correcte, s'ils n'ont appris que le basque.
]Nous croyons utile, pour démontrer l'erreur de ceux qui ont contesté au
basque la possession du verbe êtt^e, de donner ici un tableau indiquant les
différences de la voix transitive et intransitive, ou autrement du verbe
ét?'e et du verbe avoir. On y verra en même temps l'identité des lois sui-
vies pour le développement des deux voix ou des deux verbes :
Voix Iran sitiTe : AVOIR
INDICATIF
PRÉSENT
Du, il a ; eraaiten du, il donne ;
Eman du, il a donné ;
Emanen du, il donnera.
PASSÉ
Zian ou zuen, il avait ;
Kmaiten zian ou zuen, il donnait;
Kman zian, il avait donné ;
Emanen zian, il aurait donné.
FUTUR
Duke, il aura ;
Emaiten duke, il donnera (actuellement) ;
EmaD duke, il aura donné.
CONDITIOiNXEL
PRÉSENT
Luke, il aurait (actuellement);
Emaiten lukc, il donnerait (actuellement) ;
Eman luke, il aurait donné (présentement i.
PASSÉ
Ziikian, il aurait eu ;
Eman zukian, il aurait donné (dans le passé).
Voix intransitive : ÊTRE
INDICATIF
PRÉSENT
Da, il est ; joaiten da, il va ;
Joan da, il est allé ou parti ;
Joanen da, il partira ou il ira.
PASSÉ
Zen, il était;
Joaiten zen, il allait;
Joan zen, il était parti ;
Joanen zen, il serait allé ou parti;
FUTUR
Date ou dateke, il sera ;
Joaiten date, il sera en partance ;
Joan date, il sera parti.
CONDITIONNEL
PRÉSENT
Lizate ou Uzateke, il serait ;
Joaiten lizale (aski ussui, il irait assez sou-
Joan lizateke, il serait déjà parti, [vent;
PASSÉ
Zatekian, il aurait été;
Joan zatekian, il serait allé.
36*
S62
POTENTIEL
Dezake et diroke, il peut (faire).
PRÉSENT
Eman dezake, il peut donner.
PASSÉ .
Eman zezakian, il pouvait donner.
IMPÉRATIF
Beza, di'zahi, qu'il fasse ;
Diala, qu'il ait;
Eman heza ou dezala, qu'il donne.
SUBJONCTIF
PRÉSENT
Dezan; eman dezan, qu'il donne.
PASSÉ
Eman zezan et lezan, qu'il donnât.
SUPPOSITIF POTENTIEL
Badeza ; eman badeza, s'il peut donner.
PRÉSENT
Balv, s'il avait (actuellement);
Eman bulu, s'il avait donné.
FUTUR
Baleza ; eman baleza, s'il donnait (in futuro i
VOTIF
PRÉSENT ET FUTUR
Aileza, plût à Dieu qu'il fît !
Aileza eman, plût à Dieu qu'il donnât !
PASSÉ
Ailu eman, plût à Dieu qu'il eût donné!
ANTHROPOLOGIE
POTENTIEL
Daile etdaiteke, il peut (être).
PRÉSENT
Jean daiteke, il peut aller.
PASSÉ
Joan zatekian, il pouvait aller.
IMPÉRATIF
Bcdi, den, dadila, biz, qu'il soit ;
Joan bedi, qu'il s'en aille (ou joan dadila).
SUBJONCTIF
PRÉSENT
Dadin, joan ; dadin, qu'il aille.
PASSÉ
Zedin ou ledin, qu'il allât.
SUPPOSITIF POTENTIEL
Badadi ; joan badadi, s'il peut aller.
PRÉSENT
Balitz, s'il était (actuellement) ;
Joan balitz, s'il était parti.
FUTUR
Baledi; ioanbaledi, s'il allait (in futuro).
VOTIF
PRÉSENT ET FUTUR
Ailedi, plût à Dieu qu'il fût!
Ailedi ioan, plût à Dieu qu'il partît !
PASSÉ
Ailitz joan, plût à Dieu qu'il fût parti 1
Dans emaiten du el jomlen da, les deux substantifs verbaux sont au cas inessif et se traduisent lit-
téralement : il a en donation, il est en partance ; le nominatif est emaile, donation, et joaite. départ.
Eman et joan sont des adjectifs au nominatif, et signifient donné t_'\ parti.
Emnnen e\. joanen sont, les génitifs de Joan et eman; on emploie indifféremment pour le futur le
génitif possessif en en ou le génitif relatif en co ; on dit : erorico da ou erorirenhia, il tombera j
hartuco du ou harturen du, il prendra.
Nous avons dit que toutes les formes positives de la conjugaison basque
se déclinent : ainsi da fait dena, celui qui est ; denaren, denari, denaz-, etc.;
zen, il était, fait zena, celui qui était; dateke fait datekena, celui qui sera ;
lizaleke, lizatekena; daiteke, dailekena; — du, il a. fait duena, ou diana;
zian, zkina, zianaren, etc.; dezake, desakena.
Il restecait beaucoup à dire po ur faire connaître la richesse du basque et
LE CHANOmE INCHAUSPÉ. — LE PEUPLE BASQUE 563
son admirable mécanisme ; mais nous pensons en avoir dit assez pour
donner l'idée vraie de cette langue aux esprits non prévenus et pour les
convaincre de la fausseté des appréciations de ses détracteurs.
§ IV. — EUSKARA ET EuSKALDUNAC.
IVous trouvons opportun d'ajouter un mot sur la dénomination que les
Basques donnent à leur langue et à leur nationalité. Les Basques de toutes
les provinces espagnoles et françaises appellent leur langue Euskay-a, et
eux-mêmes ils s'appellent tous Euskaldunac. Les Basques espagnols ap-
pellent la langue castillane erdara. Ara veut dire modulation, manière,
langage, Erdara, erdi-ai^a signifie langage du milieu ou mi-langage,
média modulatio. Euskara signifie langage des Eusques, nom d'oîi déri-
vent très probablement les noms de Vascons et de Basques, Eusko-ara
ou Eusikoen ara ; on sait que le génitif, en basque, se place avant le mot
qui le régit. Euskaldunac, pour Euskaradunac, veut dire ceux qui ont la
langue Euskara, qui parlent Euskara.
L'étymologie de Euskara paraît naturellement provenir de eusi, esi, lié,
attaché; et ainsi euskara, eusien ara ou eusikoen ara, signifie laîigagc des
confédérés, des tribus liées, unies. Tous les Basques espagnols et les plus
anciens écrivains basques, tels que Liçar?'ague, Etchepare, Axular, de
Tarlas, écrivent Euskara, et non point Eskuara. Toujours est-il que cette
dénomination commune que se donnent les Basques de toutes les provinces
est une preuve du lien de fraternité qui les unit et qui a dû toujours exis-
ter entre eux. Aussi voyons-nous souvent les historiens anciens donner les
noms de Vascons ou de Cantabres aux diverses populations du nord de
l'Espagne.
§ V. — Le BASQUE A ÉTÉ LA LANGUE DES PREMIERS HABITANTS DE l'EsPAGNE.
C'est l'opinion de la plupart des historiens d'Espagne que la langue
basque a dû être celle des premiers colons qui ont occupé leur pays.
Mariana, au livre P"", chap. v de son Histoire de l'Espagne, dit que les
Cantabres seuls conservent cette langue rude et barbare, différente de
toutes les autres et qui était autrefois, croit-on, commune à toute l'Espagne,
« Sofi Cantabri linguam hactenus retinuerunt rudem et barbaram, a reliquiis
omnibus diâcrepantem et totius olim Hispaniœ communem, ut fertur, et antiquis-
siniam. Gens agresti rudique ingenio quae plantarum instar translata, monta-
nis inaccessa locis, externi imperii jugum, vel nunquam penitus admisit, vel
excussit quamprimum; atque apud earn, cum antiqua libertate; vcterem gentis
atque communem Provenciœ scrmonem conservatum fuisse fide non caret. »
S64 ' ANTHROPOLOGIE
Joseph Scaliger, qui connaissait la langue basque mieux que Mariana,
pense, comme lui, qu'antérieurement à l'invasion des Romains, c'était la
langue de l'Espagne. Elle est très douce, dit-il, et très suave, et elle n'a
rien de barbare et de strident. Voici ses paroles dans son traité De lin-
guis Hispanorum :
« Hispani, regionem in qua illa dialectus locum habet, generali nomine Vas-
cuensa vocant. Mhil barbari aut stridoris aut anhelilus habet, IcHissima est et
suavissima ; est que sine dubio vetustissima, et ante tempora Romanoruni illis fini-
bus in usu erat . »
On sait que la tactique des Romains pour s'assujettir et s'assimiler les
peuples vaincus était de leur imposer leurs lois et leur langue. Saint Au-
gustin fait connaître ce système du peuple conquérant du monde dans
son livre De la Cité de Dieu, chap. xix :
« Data est opéra ut civitas imperiosa, non solum jugum, vcrum etiaui Hii-
guam suam per speciem societatis imponeret. »
C'est ainsi que Strabon nous apprend que les Turdétans en vinrent à
oublier leur langue antique, à prendre avec la langue latine toutes, les
mœurs des Romains et à donner des noms nouveaux aux villes de leur
province.
« Turdetani, maxime qui ad Bœtim sunt plane Romanos mores assumpserunt,
ne sermonis quidein vernaculi memores... »
Le même Strabon, parlant de ces mêmes Turdétans, nous dit qu'ils
étaient, avant la conquête des Romains, les plus lettrés des Ibères; (ju'ils
avaient une grammaire, des écrits historiques d'une grande antiquité,
des poèmes et des lois écrits en vers remontant à six mille ans.
So<pt'OTaToi osçerâî^OVTai twV lê-^pwv oùxoi xai Ypa[A,u.a-'./.Yj ypwvTai xal t7^ç, TraÀa'.xç
[j(.VYj[x-<]Ç 'é^CuT'. 1% Q\)'['^^'l\L\kiX'ztx.'x.OL\.-K0\-r^}x(x.'xa,y..OL\ voaou; sfXfAÉipOuç éçax'.cyiXtwv
sTwv, tôç ©aaf xai oE aXXoi o 'lê'^peç yi^MVza.'. vpatxtji,aT'.x"^, où p.ia îôéa oùoè yàp
^XcÔTT-ri [Si'fx. (Strab., Geog., L. III.) Quant aux 6.000 ans, Xénophon nous
apprend que les années des Ibères étaient de quatre mois, ce qui réduit
les 6.000 ans à 2.000.
Cette antique langue nationale des Turdétans était-elle la langue
basque? Nous croyons que les écrits des anciens et les noms primitifs
des villes de cette province le prouvent d'une manière évidente.
Sénèque vivait dans le même siècle que Strabon ; il était né à Cor-
doue, chez les Turdétans. Quoique l'invasion romaine eût déjà fait perdre
l'usage de la langue antique de son pays, les écrits dont parle Strabon
LE CH.VXOINE IXCHALSPK. — LE PEUPLE BASQUE ?>6o
devaient encore subsister, et un lettré tel que Sénèque ne pouvait pas
manquer de les connaître et de connaître la langue dans laquelle ils étaient
écrits. Or, dans la lettre ou plutôt le livre sur la Consolation écrit par ce
grand philosophe et adressé à sa mère Helvia, de l'île de Corse, où il
était relégué par Néron, il dit : Les Espagnols aussi ont eu émigré en Corse,
ce qui apparaît par la similitude des mœurs et des coutumes ; les Corses
ont une coiffure et des chaussures semblables à celles des Cantabres,
comme aussi certaines locutions, car ils ont perdu le fond de leur langage
national par le contact avec les Grecs et les Ligures. « In eam (insulam
Corsicam) transierunt et Hispani quod ex similitudine ri tus apparet. Ea-
dem enim tegumenta capitum, idemque genus calceamenti quod Canta-
6m est, ut vevba quœdam; nam totus sermo conversatione Grœcorum
Ligurumque a patrio descivit. » Les Espagnols qui allèrent s'établir dans
l'île de Corse n'étaient certainement pas les Cantabres, qui vivaient au
nord-ouest de l'Espagne, mais les Ibères de l'orient de la Péninsule, de la
côte de la Méditerranée ; or, ils avaient conservé des mots de leur ancienne
langue nationale patrii sermonis, et cette langue était celle des Cantabres
(quod Cantabris est, ut verba quœdam). Ce n'était donc point la langue
Celte comme quelqu'un l'a prétendu, ni la langue grecque, ni la langue
phénicienne, ni la langue romaine : c'était la langue des Cantabres,
autrefois la langue des Espagnols qui avaient émigré en Corse.
Pausanias dit que les Ibères émigrèrent aussi en Sardaigne et fondèrent
la ville de Nora, ainsi appelée du nom du chef ibérien Norax.
Strabon nous apprend que les Ibères occupaient tout le sud de la Gaule
depuis le Rhône : Antiquitus Iberiœ nomine intellectum fuit quiquid est
extra Rhodanum ; et que, parmi eux, les Aquitains étaient tout à fait
différents des Gaulois et par leur langue et par leur stature corpo-
relle, ressemblant en cela plutôt aux Espagnols qu'aux Gaulois : Aquitani
cœterorum Gallorum plane différentes non lingua modo sed corporibus.
Il répète plus loin, dans le livre III de la Géographie, la même assertion,
semblant vouloir appuyer sur ce fait : ut simpliciter dicam Aquitani reli-
quiis Gallis, cum corporum constitutione, tuin lingua differunt, magisque
'sunt hispanorum similes.
Cette langue des Ibères aquitains, différente tout à fait de la langue
des autres Gaulois et semblable à celle des Espagnols, ne pouvait pas être
la langue des Celtes, puisque les Gaels-Celtes occupaient presque toute la
Gaule ; moins encore celle des Grecs, puisqu'elle ressemblait plutôt à la
langue des Espagnols, magis Hispanorum : c'était donc la langue des Can-
tabres, qui était aussi celle des Espagnols émigrés autrefois en Corse,
selon le témoignage de Sénèque. Du reste, si la langue basque n'était pas
l'antique langue des Espagnols, comment expliquerait-on son existence ?
d'où pourrait-elle provenir ?
566
ANTHROPOLOGIE
§ VI. — Les Ibères d'Espagne
Il y a des écrivains modernes qui ont contesté la légitimité du nom
d'iBÈRE s donné aux anciens peuples d'Espagne ; mais, pour prouver une
thèse aussi audacieuse, il faudrait détruire tous les écrits des géographes
et des écrivains de l'antiquité.
Nous avons vu que Strabon appelle Ibères les Turdétans, Kr^ooi, et il
les qualifie les plus savants des Ibères, SocpojxaToi Ttov Ig-^p(->v.
Pausanias, parlant des Espagnols, dit que les Ibères s'établirent dans la
Sardaigne.
Denys l'Africain, dans son livre De situ or6?>, appelle les populations de
l'Espagne les races magnanimes des Ibères : Iberorum magnanimœ gentes,
dederat quels nomen Iberus.
Isidore de Séville, au livre II des Etym., dit : Hispani ab Ibero amne
prîmum vocati Iberi. Solinus, in Polihis. Iberus amnis toti Hispani.e
nomen dédit.
S. Jérôme, au chapitre 27 d'Ézech. : Hispani ab Ibero /lumine Iberorlm
VOCabulo NUNCUPANTUR.
Diodore de Sicile, dans le livre V de sa Bibliothèque historique, parle
de l'invasion des Celtes en Espagne, de leurs luttes avec les Ibères, de
l'alliance définitive conclue avec eux ; et il dit que le nom de Celt ibères
vient de la fusion de ces deux nations dans une partie de la Péninsule.
Martial, qui était Aragonais d'origine, dit que lui et ses compatriotes
étaient issus des Celtes et des Ibères :
Nos Celtis genitos et ex Iberis.
Nostrse nomina duriora terrœ
Grato non pudeat referre versu.
(L. IV. Epigr. 5S.)
Lucain, au livre IV de la Pharsale, parle de l'invasion des Celtes et de
leur union avec les Ibères.
Profusique a gente vetusta Gallorum
Celtai miscentes nomen Iberis.
Le poète Prudence, Vascon, né à Calahorra au iv*^ siècle, donne une
commune nationalité au Vascon et à l'Ibère.
Nos Vasco Iberus dividit binis remotos Alpibus.
(Hvmn. II de Coronis.)
I.E CHANOINE INCHALSPÉ. — LE PEUPLE BASQUE 367
Pline, dans son Histoire naturelle, livre 111, rapporte, d'après Marcus
Varron, que les Ibères vinrent d'abord en Espagne, puis les Perses, les
Phéniciens, les Celtes et les Carthaginois: In universam hispaniatn Marcus
Varro pervenisse Iberos, et Persas et Phœnices, Celtasque et Pœnos tradit.
Hécatée de Milet (Fragm. des Hist. grecs, tom. I, Didot) mentionne
plusieurs populations et villes d'Espagne, particulièrement de la Bétique,
^t il les qualifie, ou race des Ibères, ou ville des Ibères, eOvoa lêYipwv -jroXtç
lêripcûv.
Nous pensons que ces citations sont plus que suffisantes pour prouver
que les historiens et les géographes de l'antiquité ont appelé Ibères les
anciens habitants de l'Espagne.
§ Vil. — Les Ibères étaient Basques
Les Ibères ont été les premiers habitants de l'Espagne, et les monuments
historiques ainsi que les noms anciens des villes et des populations de
la Péninsule prouvent que leur langue n'était autre que la langue basque.
Sénèque, né dans la Bétique, à l'époque où cette province était sous la
domination romaine et avait déjà adopté la langue et les mœurs des
Romains, nous apprend, comme nous l'avons déjà rapporté, que les
Tbères ^valent émigré en Corse et qu'ils avaient encore de son temps
conservé des coutumes et des termes de leur nationalité espagnole et que
■ces locutions appartenaient à la langue des Cantabres et non plus des
Turdétans, ce qui prouve qu'il considérerait cette langue des Cantabres
■comme étant la langue des Espagnols émigrés autrefois en Corse.
La langue des Ibères aquitains, que Strabon nous dit être entièrement
différente de celle des Gaulois, et ressemblant plutôt à celle des Espagnols,
ne pouvait être que la langue basque parlée par les Ibères.
Le même Strabon nous dit que les Turdétans avaient un langage diffé-
rent des peuples voisins, qui étaient les Celtibères ; des monuments écrits
dans leur langue et remontant à une haute antiquité. Sénèque, qui vivait
au même siècle que Strabon, devait nécessairement connaître ces monu-
ments primitifs de sa patrie. Jeune encore il était allé s'établir à Rome,
et n'avait pu aller apprendre le basque dans la Cantabrie, mais il avait
dû l'apprendre dans la lecture des antiques monuments de son pays;
et lorsqu'il parle à sa mère des Espagnols qui durent autrefois émigrer eu
Corse et qu'il a reconnus à leur costume et à leur langage, il a soin de
spécifier que ce sont le langage et le costume conservés chez les Cantabres,
quoique à ces émigrants il donne la qualification générale d'Espagnols.
Ce qui prouve qu'il considérait cette langue comme étant autrefois la
■langue générale du pays, sermo patrius, comme il s'exprime lui-même.
568 ANTHROPOLOGIE
Il est regrettable que la domination despotique des Romains ait fait dis-
paraître les monuments littéraires de l'antique Espagne. Mais, à défaut de
ces écrits, nous avons les noms anciens des peuplades et des villes, et ces
dénominations, qui ont la plupart un caractère évidemment basque, ne peu-
vent laisser de doute sur la langue du peuple qui les a formées et occupées.
Quoique les écrivains grecs et latins aient beaucoup déformé et altéré
ces noms, et que les Romains les aient changés, il y en a un nombre
très considérable qui ont conservé leur physionomie basque et trouvent
dans cette langue leur étymologie naturelle.
Tels sont: Iliberri, Villeneuve : ili, ville, etberri, neuve. — Bilbili, deux
villes réunies : bil, réuni; bi, deux; ili ville. — Ilerdi, ville du milieu: ili,
ville ; erdi, milieu. — Iligor, ville haute : ili, et gora haut. — Ilidot^, ville
aride: ///, et idor, sec. — Irun, bonne ville: m, ville; on et oun, bon. —
Ilumberri, bonne ville neuve : ili on, berri neuf. — Ilurci, ville d'eau:
urci, aqueux. — Urgel, affluent d'eau : ui', eau; ghel ou hel, arrivée, af-
fluent. — Urghi, source d'eau. — Urso, lieu aqueux. — Urbieta, lieu de
deux eaux. — Iluro, ville d'eau. — Urbiaca, lieu de deux eaux. — Biturri:
bi, deux, et iturri, source, lieu de deux sources. — Turriaga et Iturriaga,
abondance de sources; la désinence aga signifie abondance. — Aitzerrl,
pays pierreux : oitz, pierre, roc; erri, pays. — Aizturi, pays rocailleux et
aqueux. — Urdaitz, pays d'eau et de rocs. — Aiztighi et Aiziighieta,
ville sur une cime rocailleuse. — Mendicola, demeure ou gîte de la mon-
tagne, la même que Mendiculeia, dans la Tarraconaise . — Baleari ou Abalari,
fronde; frondeur, habile à manier la fronde, à lancer le trait : de abala,
abalari, frondeur. Baléares ateli missu ajjpellati, dit Tite-Live, les Grecs
les appelaient rup.v/3T£ç, qui signifie frondeurs, comme abalari en basque.
Que la langue basque ait été la langue des Ibères, premiers habitants
de l'Espagne, il semble que le doute ne soit pas permis; trop de preuves
appuient ce sentiment qui est celui des historiens les plus graves et des
savants dont l'érudition et le jugement méritent le plus de créance. Nous
ajouterons que cette thèse est confirmée par la numismatique ibérienne.
La lecture des inscriptions de las medallas desconocidas, donnée par
M. Roudart, parait la plus fondée, parce que son alphabet et sa lecture
nous donnent les noms connus des peuplades et des villes de l'antique
Espagne; et la plupart de ces noms s'expliquent parla langue basque,
ainsi que leurs désinences en coen et en, qui est un génitif pluriel : Iliba-
ricoKTi, celui des Ilibariens; HilibetuicoEîi,ce\m des Hilibétiens; comme on
dirait EspanacoEti, celui des Espagnols; ErromacoEîi, celui des Romains;
BetamezEîi, celui ou celle des Retamesens; comme nous disons BiarnesEn
GascoinE^, celui des Réarnais, des Gascons. La terminaison itz de plu-
sieurs de ces médailles est également commune au basque; nous avons
Garriz, Ustaritz, Izturitz. Riarritz, etc.
LE CHANOINE INCHAUSPÉ. — LE PEUPLE BASQUE 569
sj VIII. — Origlne des Ibères ou des premiers habitants de l'Espagne.
Il nous reste à rechercher d'où provenaient les Ibères ou Basques, pre-
miers habitants de l'Espagne.
La croyance traditionnelle des Basques est qu'ils descendent de Tubal,
fils de Japhet ; ils considèrent leur antique étendard Lauhuru "f (quatre
têtes ou bouts) comme étant le souvenir de cette origine, ce signe ^
étant la première lettre du nom de ce petit-fils de Noé. Porté comme un
trophée à Rome par César- Auguste, après sa campagne contre les Can-
tabres {Cantabro sera domito catenà, Horat lib., IV, od. xii), il fut appelé
Labarum qui est une altération de la dénomination basque Lauburu. Il
devint l'étendard chrétien après l'apparition de la croix à Constantin et
sa victoire contre Maxence.
La plupart des historiens et annalistes d'Espagne soutiennent cette
croyance que Tubal ou son fils Tarsis et leurs descendants ont été les pre-
miers habitants de l'Espagne.
Josèphe, au livre P'", ch. vu, des Antiquités judaïques, dit que Japhet eut
sept fils et que ceux-ci occupèrent, en Asie, les pays qui s'étendent des
monts Taurus et Aman jusqu'au fleuve Tanaïs, aujourd'hui appelé le Don;
qu'en Europe, ils s'étendirent jusqu'à Gades (Cadix), et qu'ainsi Tobel
fonda les Tobaliens que l'on appelle à présent Ibériens : KaToixiC^'- Se y.ai
0o6y)Xoç Ooê'/jXo'jç O'.Ttvcç £V TOt; vuv Iê-/ip£ç xaXouvxat.
Des écrivains modernes, qui ne veulent pas reconnaître aux premiers
habitants de l'Espagne ajjpelés Ibériens une si grande antiquité, prétendent
que, dans ce membre de phrase, Josèphe parle des Ibères Caucasiens.
Mais, pour soutenir ce sentiment, il faut faire une violence déraisonnable
au texte de Josèphe. L'historien juif dit d'abord que les fils de Japhet
occupèrent, en Asie, le pays qui s'étend des monts Taurus et Aman au
fleuve Tanaïs; et, parlant ensuite de l'Europe, il dit qu'ils vinrent, c'est-
à-dire que quelques-uns des sept fils de Japhet vinrent en Europe et s'éten-
dirent jusqu'à Gades ou Cadix, et que c'est ainsi que Tobel fonda les To-
baliens; x.aTC'.xt^£t os xar, fonda ainsi. Ces termes xaicxt^et os xa-. ne peu-
vent se rapporter évidemment qu'aux fils de Japhet, qui passèrent en
Europe, allèrent jusqu'à Cadix et fondèrent ainsi les Tobaliens appelés
aujourd'hui Ibères. Cette interprétation de l'historien Josèphe est incon-
testable; et, d'ailleurs, il resterait aux contradicteurs à nous apprendre
quel serait le fils de Japhet, autre que Tubal, qui suivant Josèphe, aurait
pénétré jusqu'à Cadix.
Saint Jérôme, dans ses Traditions Hébraïques (ca.p. x, Genesis), confirme
l'interprétation du texte de Josèphe. Japhet, dit-il, eut sept fils qui occu-
pèrent la terre, en Asie depuis les monts Aman et Taurus jusqu'au fleuve
570 ANTHROPOLOGIE
Taiiaïs, et. en Europe jusqu'à Gades. Gomer, ajoute-t-il, fut le père des
Galates; Medai,des Modes; Ja van, des Ioniens, qui sont les Grecs; etTubal,
des Ibères, qui sont les Espagnols. Japhet filio Noe nati sunt septem filii
qui possederunt terram in Asia ab Amano et Tauro... ad jhivium Tanaïm ;
in Europa vero usque ad Gadira, nomina et locis et gentibus rclinquentes.
Sunt autem Gomei- Galatœ; Magog Scitœ, Medai Medi, Tubal Iberi qui et
Hispani, a quibus Celtiberi, licet quidam et Italos suspicantur.
Isidore de Séville, au livre XI des Étymologies, reproduit le texte de
saint Jérôme. Il est très probable que Tubal ou ses enfants occupèrent
aussi l'Italie en même temps ([ue l'Espagne et peut-être auparavant. Ils
étaient nomades, ils recherchaient naturellement les contrées les plus
favorisées de la nature, et ils purent très bien s'arrêter en Italie avant de
pénétrer en Espagne. Roderic de Tolède le donne à entendre dans son
livre De rébus hispaniœ (lib. I, c. ni), où il dit :
Filii Tubal, diversis provinciis peragratis curiositate pervigili, occidentis ultima
petierunt; qui in Hispaniam venientes, et Pyrenei juga primitus habitantes in
populos excrevere et primo Cetubales sunt vocati, quasi cœtus Tubal. »
Tostat d'Avila, plus connu sous le nom d'Abulensis, et sur la tombe
duquel on a écrit ce vers : Hic stupor est mundi qui scibile discutit omne,
attribue également à Tubal le peuplement de l'Espagne : Tubal a quo
Hispani ; iste sedem posuit in descensu montis Pyrenœi apud locum qui
dicitur Pompilona. Deinde cuni islise multip/icassent in multos populos, ad
plana Hispaniœ se extenderunt.
Tous les grands historiens de l'Espagne, Garibay, Florian, Ocampo,
Mariana, Henao, Moret, Ferreras, soutiennent l'opinion que l'Espagne a
été peuplée, dans le principe, par les enfants de Tubal; et les contra-
dicteurs n'ont produit aucun argument qui détruise, qui affaiblisse même
les preuves sur lesquelles ils fondent leur sentiment et leur récit.
§ IX. — Traditions populaires chez les Basques
L'alphabet particulier et les légendes des médailles Ibériennes témoignent
que les Ibères écrivaient et devaient avoir des monuments écrits. D'ailleurs,
Strabon nous l'aflirme en disant que les Turdétans étaient les plus lettrés
des Ibères et que tous avaient une grammaire. Les révolutions successives
qui ont bouleversé l'Espagne, les invasions des Celtes, des Carthaginois,
des Romains, des Visigoths et surtout des Sarrasins ont fait disparaître
tous les monuments littéraires des Ibères.
Les Basques, noble et énergique débris de ces premiers maîtres de l'Es-
pagne, ont conservé, avec la pureté de leur sang, leur admirable langue,
monument précieux qui, par l'ampleur et la perfection de son système
grammatical, par les caractères d'antiquité de son vocabulaire particulier,
LE CHANOINE INCHAUSPK. — LE PEUPLE BASQUE 571
fait l'admiration des savants. Ils ont aussi conservé la tradition qu'ils
sont les descendants de Tubal, tradition rappelée par le Lauburu "f , leur
ancien étendard.
Les légendes et récits populaires n'ont aucun intérêt historique actuel-
lement chez les Basques ; ce sont des contes que l'on récite aux enfants
dans les veillées d'hiver. Ils ont été publiés en grande partie par M. Cer-
quant, inspecteur de l'Académie de Bordeaux.
Il existe un nombre assez considérable de chansons qui sont très remar-
quables par la délicatesse des sentiments et par la beauté des airs. Un
amateur, M. Bordes, en a fait une collection qui sera, nous l'espérons,
prochainement publiée.
Les Pastorales, jouées de temps immémorial dans la Soûle, ofîrent un
certain intérêt en ce qu'elles donnent une idée des représentations théâ-
trales des Mystères au moyen âge, et qu'elles rappellent les guerres contre
les Sarrasins.
Comme dans les Mystères français, il y a toujours la lutte du bien contre
le mal ; l'intervention de Dieu, des anges et des saints d'un côté, et de
l'autre celle des diables et de leurs suppôts. Mais il y a ceci de particulier
dans les Pastorales basques que le parti des bons est toujours appelé celui
des chrétiens et le parti des méchants celui des Turcs; quels que soient
les sujets des Pastorales, qu'ils appartiennent à l'Ancien Testament ou à
l'histoire moderne. Il y a toujours force combats dans lesquels le triomphe
finit par rester aux chrétiens. Le rôle des diables est très actif contre les
bons et en faveur des Sarrasins. Le but principal de ces Pastorales a été
évidemment, dans l'origine, d'entretenir les sentiments de la foi, en
même temps que la haine des Sarrasins et l'ardeur pour les combattre.
§ X. — Monothéisme des Basques
Une des preuves de l'invariable constance de caractère des Basques et
«ne de leurs gloires, c'est que jamais ils n'ont. été idolâtres et qu'ils ont
toujours adoré un Dieu unique. Les Romains, ne trouvant parmi eux
ni temples ni idoles, crurent d'abord qu'ils n'avaient aucune croyance
dans les divinités, nihil de DUs sentire ; mais ils se détrompèrent bientôt
envoyant que tous les mois, à la pleine lune, toutes les familles basques
se mettaient en fête pour honorer un Dieu innomé, passant toute la nuit
à chanter et à danser en son honneur: innominatum quetndam Deum, noctu
in plenilimio cum totis familiis, choreas ducendo, totam noctem festam
agendo, venerabantur. (Strabo, Géogr., t. III.)
J'ai dit que le monothéisme des Basques est un témoignage de la cons-
tance de caractère de ce peuple, parce que ce n'est point le polythéisme
qui a été la première religion des peuples, comme certains esprits se
572 ANTHROPOLOGIE
l'imaginent. Le polythéisme, a dit Max Muller, est une déviation du mo-
nothéisme et l'étude approfondie des religions comparées conduit au
monothéisme. L'illustre égyptologue de Rougé dit que les inscriptions
granitiques des temples de l'Egypte établissent la croyance des Égyptiens
en un seul Dieu. Mariette dit la même chose ; au sommet du Panthéon
égyptien plane un Dieu unique, Créateur. M. Lenormand dit également
qu'en pénétrant au delà du polythéisme grossier, qui sert de base aux
superstitions populaires, on retrouve la notion de l'unité de Dieu.
L'Ibère basque a la gloire de s'être préservé de la déviation universelle
et d'avoir conservé, avec sa langue, la notion d'un Dieu unique, du Jaon-
GoicoA, le Seigneur d'en haut, qui est ÏIAO des peuples aux écrits cunéi-
formes ; le TV et nln"* qui, avec les points voyelles ainsi disposés, doit
se prononcer Ihaoh, lAO, et qui est le nom ineffable de Dieu pour les
Hébreux. 7A0 a été et est toujours le cri de joie et le cri de guerre des
Basques, et c'est l'invocation de la Divinité.
Le prince Louis-Lucien Bonaparte ayant écrit que les Basques de la
vallée de Roncal appelaient la lune goicoa, un des détracteurs des gloires
des Basques s'est emparé de cette révélation, en a fait le synonyme de
Jaon-Goicoa et en a conclu que les Basques avaient été adorateurs de la
lune ; on comprend que c'est peu sérieux ; mais le plus fâcheux pour
l'auteur de cette curieuse découverte, c'est que les Roncalais n'appellent
point la lune goicoa, comme le prince avait cru entendre, mais gaicoa,
celle de la nuit, la lumière de la nuit : de gai, nuit, en roncalais.
Quelques écrivains, se fondant sur la légende de saint Amand de Maës-
tricht, qui est dit avoir apporté chez les Vascons des Pyrénées la lumière
de l'Évangile, en ont conclu qu'ils étaient jusqu'alors idolâtres; c'est une
opinion absolument erronée. Saint Amand vivait au vii^ siècle et les
Vascons qu'il vint évangéliser étaient ceux qui, fatigués par les vexations
des Visigoths, avaient franchi les Pyrénées et étaient venus s'établir sur
le territoire français à la fin du vi« siècle. Or, l'histoire ecclésiastique
et profane d'Espagne fait foi qu'à cette époque la religion chrétienne
était établie dans toute l'étendue de l'Espagne, et que les Vascons, en lut-
tant contre les Visigoths ariens, défendaient leur foi en même temps que
leur indépendance. Depuis leur invasion, constamment harcelés par les
armées des rois de France qui voulaient les chasser de leurs terres, ils
vivaient les armes à la main, sans prêtres et sans moyens de pratiquer
leur religion, jusqu'à ce qu'après de longues luttes, ils eussent détruit,
dans la vallée de Soûle, l'armée française commandée par Bladaste (1)^
Ayant alors recouvré la paix, ils furent évangélisés par Saint Amand, mais
point retirés des ténèbres de l'idolâtrie.
(1) Greg. Tiir. Hist. Fran, 1. VI, c. 12. — Fredegarii Cliron., c. 78, anno 636.
le comte de charencey. — affinités de la langue basque 573
Conclusion
La langue basque a un vocabulaire particulier pour les termes usuels
de la vie matérielle et pour l'expression des pensées et des sentiments.
Elle a une déclinaison unique et une conjugaison unique qui, dans leurs
développements, renferment toutes les complications de sa syntaxe. Sa
terminologie particulière et son système grammatical font de cette langue
basque une langue à part dans le monde.
Elle a été la langue des premiers habitants de l'Espagne que les histo-
riens et géographes de l'antiquité ont appelés les Ibères.
Les Basques actuels sont les descendants et les restes de ces Ibères par
le sang et par le langage.
Les Ibères, appelés aussi Tobaliens et Cétubaliens, étaient les descendants
de Tubal, fils de Japhet.
La vérité de ces thèses est appuyée sur les faits, sur l'autorité des histo-
riens les plus graves et sur les monuments de l'antiquité ; et les déné-
gations sans preuves des adversaires ne suffisent pas pour l'ébranler.
M. le Comte DE CÏÏAEEITCEY
à Paris.
DES AFFINITÉS DE LA LANGUE BASQUE AVEC DIVERS IDIOMES DES DEUX CONTINENTS
— Séance du 16 sepleinbre 1892 —
Les hypothèses les plus contradictoires ont été émises relativement aux
origines de la langue basque. On a voulu successivement rattacher cet
idiome si différent de ceux qui l'entourent, aux souches sémitique, cel-
tique ou finno-ougrienne.
■ Le fait est que l'Euskarien n'a de commun avec les langues apparte-
nant aux familles en question, qu'un petit nombre de mots visiblement
empruntés à une époque plus ou moins récente. C'est, du reste, une
question que nous n'avons point à examiner ici.
En définitive, il existe trois groupes linguistiques dont l'aire géogra-
phique s'étend sur les rives opposées de l'Atlantique et qui paraissent
offrir entre eux de ces similitudes que n'expliquerait guère le seul ha-
374
ANTHROPOLOGIE
sard : nous voulons parler de l'Euskara ou basque, des dialectes kabyles
du nord de l'Afrique et des dialectes de soucbe algique parlés jadis
depuis les rives du Saint-Laurent jusqu'aux Montagnes Rocheuses.
Entre ces trois familles linguistiques, une ressemblance phonétique des
plus étroites se manifeste spécialement pour les pronoms, et surtout les
pronoms personnels, c'est-à-dire la partie du discours la plus immuable,
celle qui résiste le plus à l'action du temps et des mélanges de races. On
en pourra juger par le tableau suivant :
.lE. MOI
TU, TOI
IL, LLI
ai
ce
n
H
w
-aï
/ Dialecte de Bougie.
Nek.
Ketch (féminin&em).
Nettsa (tem. iiett-
sath).
Zouaoua
Nekh.
Ketch (féminin /ce/c).
Netsa (fémiain not-
sath).
Chellouii (du Maroc).
/
Nek.
Kaï.
Netta, nétham.
Zénaga
Nika, nek.
Koitk (fém. koum).
Nenta{im. nenlal).
Kéloui (d'Asben).
Nekh {in ou im,
de moi, mien).
Kai.
Netsa.
Ghaouïa
Nctch.
Chek.
Netsa.
DIALECTES ALGIQUES
/
Pénobscot. . . .
Nin.
Kil.
Nekham.
Lénàpé
Ni, n\
Ki, k\
Nekha, nékhama.
Chippevvay . . .
Nin, n\ nind (de-
vant une voyelle).
Ki, kin, kid (devant
une voyelle).
Win (o préflxe).
Cri
Ni, nint, n\ nt.
Ki, k (devant o, kit
dev. une autre voy.).
Wi, 0, ot.
Piéganiw (dialecte
du Pied-Noir) .
N', nt.
A", ki, kita.
A, aœ.
Algonkin ....
Ni, nind, n.
Ki, kit.
Wich (o possessif).
S i
Basque
iVi(n//c, forme aciive).
Hi,hik]ioviTki,kik.
Hau, il, le, — on,
OHcA-, celui-ci,—
a, article final.
Le k final, signe de l'actif en basque, se trouve partie intégrante du
pronom dans les dialectes berbers.
LE COMTE DE CHARENCEY. — AFFINITÉS QE LA LANGUE BASQUE o75
rs'y aurait-il pas une parenté à établir entre le in, « moi, mien » du
Kélouï et le possessif ene du Basque qui a le même sens? Il est vrai que
cette forme paraît manquer dans les autres dialectes Berbcrs.
On a tout lieu de croire que le hi, hik « toi » du Basque est pour une
forme primitive ki, kik, très rapprochée par suite de la forme Zenaga,
laquelle est certainement archaïque. En effet, la gutturale explosive
manifeste, en Euskarien, une tendance très marquée à se transformer
en h lorsqu'elle est initiale. C'est ainsi que le vieux Gaulois carracoa
« pierre », d'oii l'Irlandais carraig, le Gallois carrek, le Breton kat'rek,
« écueil, rocher » est devenu harri chez les montagnards pyrénéens.
Ainsi encore, le prince Louis-Lucien Bonaparte a signalé dans le dialecte
de Roncal, si primitif au point de vue phonétique, le maintien des formes
pronominales démonstratives kaur, kori, kwa, lesquelles sont devenues,
dans les autres cantons du pays basque, haur, hori, hura.
On remarquera que, pour la troisième personne du singulier, les dia-
lectes algiques et berbers ont plus d'affinité entre eux qu'ils n'en offrent
avec le Basque. Ce dernier idiome ne possède point de terme que nous
puissions rapprocher du nétham des Chellouks, non plus que du nékhauia
des Lénâpes. Ce fait que dans le premier des dialectes en question, le
pronom a un th pour lettre médiale, tandis que dans le second, il pos-
sède un kh, sans doute plus archaïque, ne saurait nous empêcher de
constater son identité originelle.
Ajoutons que le démonstratif a « celui-ci » du Bifféen. du Beni-Mena-
cer (dialectes berbers) et de l'Hadendoa (dialecte chamitique de la vallée
du Nil) ne semble pas différer substantiellement du a « il, lui » du
Piéganiw. Nous hésiterions toutefois à en rapprocher le a, article final
du Basque dont la forme primitive aurait, dit-on, été ar.
Nous ne saurions nous empêcher de signaler en passant et sans atta-
cher à ce détail plus d'importance qu'il ne convient, l'identité phonétique
absolue du ivin « il » duChippeway avec le démonstratif Rifféen ouin, ivin
« celui-ci ». Conviendrait-il d'en rapprocher le on (forme active onek)
(i celui, celui-ci » de l'Euskara?
Ainsi que l'on devait s'y attendre, les coïncidences sont moins frap-
pantes entre les pronoms pluriels qu'entre ceux du singulier dans les
dialectes dont nous nous occupons en ce moment. Nous sera-t-il permis,
toutefois, de signaler l'emploi de la gutturale initiale aussi bien dans le
pronom pluriel de la première personne en Basque, gu, guk « nous » que
dans le pronom inclusif des dialectes algiques, par exemple : en Pénobscot
kilou, en Lénâpé kiluna « moi et toi, nous et vous ».
Dans les langues canadiennes, le signe du pluriel pronominal consiste
d'ordinaire dans la nasale précédée et parfois suivie de voyelles; ainsi l'on a
en lénàpé nekhamon « ils, eux » d'un singulier nekliam « il, lui ». N'est-ce
o76 ANTHROPOLOGIE
pas tout à fait le procédé berber, mais seulement appliqué au nom aussi
bien qu'au pronom? Exemple : Kabyle duDjurdjura, irgouzoï « hommes »,
du singulier ergaz; — en Chellouk, idan, a. chiens », du singulier aïdi;
— en Zouaoua, netheni « eux » pour netseni, du singulier 7ie/sa, « il » ;
— en Mzabite, chetchouin « vous »; de chetch « tu, toi », etc., etc.
Le Basque ainsi que les dialectes algiques difTère des idiomes berbers par
l'absence à peu près absolue de suffixes possessifs, surtout avec le subs-
tantif, mais il possède quelque chose qui s'en rapproche beaucoup : nous
voulons parler des traitements verbaux. On entend par ce terme certaines
désinences ajoutées au verbe et variables suivant la personne à laquelle
on s'adresse. Ainsi, l'Euskara dit duzu « je t'ai » au traitement respec-
tueux; dun « je t'ai », mais parlant à une personne du sexe féminin, etc.
Or, le traitement de la deuxième personne du singulier se trouve, en
basque, marqué par un k final, dans lequel on s'accorde à reconnaître une
abréviation du Jd, kik ou hi, hik « tu, toi ». Il faudra donc employer la
forme duk « j'ai » en s'adressant à une personne du sexe masculin que
l'on veut traiter sur un pied de parfaite égalité. Précisément, les dialectes
berbers emploieront, eux aussi, cette même finale k, tirée du pronom de la
deuxième personne kik ou kek pour rendre nos possessifs ton, tu, tes. Ainsi
le Zénaga dit temchkintek « ta femme » ; ougrenk « tes enfants », etc., etc.
Pourra-t-on, je le demande, regarder une pareille coïncidence comme
purement fortuite?
Ajoutons que le savant abbé Cuoq, si expert en matière de linguistique
américaine, a fait ressortir la ressemblance existante entre certaines dési-
nences marquant le pronom régime dans les verbes sémitiques et les
pronoms correspondants de l'Algonkin. Par exemple : dans le Syriaque
sahakhtani « tu m'as abandonné », la finale ni qui marque la première
personne du singulier n'est pas autre chose que le ni « je, moi » des dia-
lectes indiens. Comparez de même la finale o « le, lui » du Sémitique
Qetalo « occidit-eum » au o préfixe possessif marquant la troisième per-
sonne du singulier en Algonkin. Toutefois, nous ne voulons pas suivre
davantage le docte missionnaire sur un pareil terrain. Bornons-nous
aujourd'hui à étudier les traces d'une antique parenté qui se peuvent re-
trouver entre les langues des deux rives de l'Atlantique. On n'examinera
point ici les affinités beaucoup plus lointaines qu'elles peuvent offrir avec
le groupe sémitique et on laissera à d'autres l'honneur de trancher la
question de savoir si le Kabyle, le vieil Égyptien, le Tamachek doivent
ou non être considérés comme des frères plus ou moins éloignés de l'Arabe
et de l'Hébreu.
Sans doute, la théorie de la formation du pronom chez les peuples ber-
bers offre encore bien des points obscurs. Toutefois, un fait paraît rester
dorénavant acquis à la science, c'est que, sous ce rapport, les dialectes des
LE COMTE DE CHARENCEY. — AFFINITÉS DE LA LANGUE BASQUE 517
aborigènes du nord de l'Afrique se rapprochent plus peut-être de ceux
dont il vient d'être question plus haut que le Sanscrit ne se rapproche du
Français ou le Persan de l'Anglais.
Un point des plus importants à signaler nous semble être le suivant :
M. l'abbé Cuoq remarque la rareté de l'adjectif en Algonkin et dans les
idiomes congénères. Presque toujours il se trouve remplacé par une sorte
de verbe à un état spécial de sa conjugaison. Le même phénomène reparait,
mais sur une plus vaste échelle encore, dans la plupart, sinon la totalilé
des langues berbères. Chez elles, l'adjectif n'existe guère et c'est une vraie
forme verbale qui en tient lieu. Ainsi, lorsque le Beni-Menaccr dit sen
laouâref d'izdaden, d'iziraren « deux baguettes minces, longues », le
membre de phrase se devrait littéralement rendre en français par « deux
baguettes étant minces, étant longues )). Etîectivement, le d prosthétique
constitue un signe parlicipiel et marque plutôt l'état que la qualité.
Rien, à notre avis, de plus propre à faire ressortir le génie des races
dont nous nous occupons en ce moment. Chacune des principales fractions
de l'espèce humaine semble avoir eu sa façon spéciale de comprendre le
langage. Les peuples de l'extrême Orient, avec leur monosyllabisme, leurs
radicaux invariables, se sont montrés rebelles à la conception des caté-
gories grammaticales. En revanche, les dialectes agglomérants de l'Asie
boréale et centrale constituent ce que l'on pourrait appeler les Imigues
participielles. Leur verbe lui-même n'est autre chose qu'un véritable
participe. Ainsi, en Turk, sever signifie à la fois « aimant » et « il aime »;
severim « amo » se rendra littéralement par « meum amans, mea actio
amandi ». Nous réserverions volontiers le nom de langues verbales ou
conjugatives à l'Algonkin, au Lénâpé et autres jargons de la même
famille. Effectivement, ils manifestent une tendance habituelle à donner
aux diverses parties du discours des marques de temps et de modes. Il en
devait, sans doute, primitivement être de même pour les dialectes kabyles
et la meilleure preuve que l'on en puisse offrir, c'est qu'aujourd'hui
encore, ils naient pu parvenir à se créer des adjectifs proprement dits.
Sans doute, le Basque se montre, à cet égard, plus avancé. Cela ne
tiendrait-il pas simplement à l'influence tant de fois séculaire exercée sur
lui par les langues d'origine indo-européenne?
Une autre particularité des dialecies kabyles et que l'on rencontre
également en Basque et en Algonkin consiste dans la suffixation au verbe
du pronom direct régime. Nous trouvons, par exemple, en Tamachek,
serzck « je t'habille », de serz « habiller », et teserzek i tu t'habilles »
(au masculin) ; teserzet « tu t'habilles » (au féminin); en Soussien, inman
« ils dirent »; inmanas « ils leur dirent »; irrzik « il te tuera » et au sub-
jonctif atlienri « afin qu'il le tue ». En Beni-Menacer, l'on a hennas, innas
« il dit à lui, il lui dit »; innasen « il dit à eux, il leur dit »; thouadbitk
37*
578 ANTHROPOLOGIE
« répondit à lui, lui répondit ». Citons des exemples du même phé-
nomène, par exemple, dans le Basque, Yateii didak « je te les mange »;
l'Algonkin, ni saldhigon « je suis aimé par cela ». l'Iroquois, waiatawenri
« il me le dit ». — Remarquons, à ce propos, que l'emploi des pro-
cédés en question est encore plus accusé dans ces trois derniers idiomes,
puisqu'ils suffixent jusqu'à deux régimes pronominaux à la fois, ce que
ne ferait guère le Kabyle ni le Tamachek. Du reste, cette suffixation
du pronom régime existe également, nous l'avons vu dans les dialectes
sémitiques et dans certains idiomes ougro-finnois. Citons, par exemple,
le Morduin palasa « je l'embrasse »; palasamak « tu m'embrasses »,
etc., du radical palan « embrasser ». On en retrouverait quelques
exemples jusque dans les dialectes néo-latins : ainsi, en Italien, datemelo
« donnez-le-moi »; à rivederla ce à revoir »; sentirsi morir a se sentir
mourir ». Aussi n'aurions-nous pas attaché beaucoup d'importance à
l'existence du procédé en question au sein des dialectes berbers, s'il ne
constituait un trait de similitude à ajouter à beaucoup d'autres, entre
les langues faisant l'objet du présent travail.
Occupons-nous maintenant d'une façon spéciale des rapports à établir
entre l'Euskara et les dialectes du Nouveau-Monde. Humboldt avait déjà
signalé la physionomie pour ainsi dire américaine de l'idiome basque. Il
y voyait, du reste, simplement la preuve que toutes ces races qui les parlent
avaient atteint un degré de culture à peu près équivalent au moment où leurs
langues s'étaient constituées. Qu'il nous soit permis de ne pas partager la
façon de voir de l'illustre savant. Les coutumes, les mœurs d'un peuple
sont, en grande partie du moins, la résultante de son état de civilisation.
La structure de son idiome n'en dépend guère plus que l'ensemble de
ses traits physiques. C'est d'abord affaire de race. Le genre de vie des
Australiens rappelle, à bien des égards, celui des tribus les moins avancées
du Nouveau-Monde. Est-ce que leurs jargons offrent le moindre rapport,
même dans leurs traits les plus généraux, avec ceux des Fuégiens ou des
Indiens des Pampas? Aryas et Sémites primitifs. Turcs et Hottentots cons-
tituaient tous des populations adonnées à la vie pastorale et cependant
les uns parlaient des dialectes purement agglomérants, les autres des
langues à flexion. Si donc l'Euskara offre des ressemblances typiques avec
le Chippeway ou le Lénâpé, nous aurons quelque droit, a priori et jusqu'à
preuve du contraire, d'y voir un indice de parenté ethnographique. Voici
le tableau résumé de ces affinités grammaticales.
1° Procédé par élimination
Son emploi semble très familier à un grand nombre de dialectes du
Nouveau-Monde, spécialement à ceux des familles algique et mohawk-
huronne ; il consiste dans la suppression complète ou partielle du radical
LE COMTE DE CHARENCEY. — AFFINITÉS DE LA LANGUE BASQUE o79
de l'un ou plusieurs dos éléments d'un mot composé. Le Délaware, par
exemple, dira : piUipe «jeune homme, enfant », de pilsitt « Castus » et
Lénàpé (Rad. fen) « homo», d'où pilawetschisch o adolescent », pilaweUt
« petit garçon ».
Nous aurons en Mohégan, /,itagischgou/< « espèce de serpent qui ne
sort que la nuit », de kitamen « craindre », gischouh « soleil » et
aschgoulx « serpent », Rac. aschg : en Cri, kiséyiniiv « vieillard «, litté-
ralement « homme bon, parfait », de iyiniw, « homo » et kiséw « bon,
miséricordieux »; — en Algonkin, nabésiin c chien mâle », pour nabé-asim,
littéralement « masculus canis >); — enfin, en Iroquois, le nom du Dieu
Taroniawagon, le ciel personnifié, littéralement « celui qui embrasse le
firmament de ses deux mains », apparaît formé des éléments suivants :
1° Kianaicakon « tenir avec les mains », en composition réduit à wakon
ou wagon ;
2" Karonhia a ciel», auquel sa fusion avec le verbe fait perdre son k
initial, et enfin :
3" Le t, signe de dualité, lequel pourrait bien n'être qu'une contraction
de tékéni « deux ».
De son côté, le Sioux ou Dakotah nous offrira des composés tels que
le suivant, hoglianmna « sentir le poisson », de hoghan « piscis » et omna
«olere». Enfin, les dialectes canadiens en arrivent jusqu'à fabriquer des
membres de phrase entiers au moyen de l'élimination des radicaux.
Citons, par exemple, le Délaware nadhollnen (( amenez-nous le canot », de
naten, « amener, apporter », amochol « canot, bateau » et delà finale 7ieen,
désinence transitive marquant le pronom de la première personne.
Sans pousser les choses à. ce point, le Rasque fait, lui aussi, grand usage
du procédé par élimination. On a lieu de penser qu'aux temps primitifs,
il devait, à cet égard, se rapprocher bien davantage du Lénâpé et de
l'Algonkin. Aujourd'hui encore, beaucoup de ses composés sont obtenus
en faisant disparaître la racine ou tout au moins la voyelle initiale du
deuxième composant. Citons, par exemple, egun «jour» pour ekhidun
littéralement « possesseur du soleil », de ekhl « soleil » et dun « qui a, qui
possède ». Hawide « petit frère, petite sœur », littéralement « enfant sem-
blable», de kide «similis» et haiw « puer». Sogitea « regarder », litté-
ralement « faire regard », de so «regard » et egi « faire ». Astezken
« mercredi », littéralement « dernier de Vaste ou période de trois jours »,
de as/e et azken « ultimus », etc., etc. Inutile, sans doute, de multiplier
les exemples qui seraient innombrables. Une des causes principales de
l'adoption d'un pareil artifice lexicographique doit sans doute être cher-
chée dans cette particularité que le Rasque et les dialectes algiques ne
semblent, à l'origine, avoir possédé qu'un nombre fort restreint de radi-
caux, et faisaient beaucoup plus volontiers usage de composés que de
580 ANTHROPOLOGIE
dérivés. Ainsi, en Basque, l'on a ema/rume, littéralement «donné enfant»
pour «femme »; hi/largi, littéralement « lumière du mois », pour «lune»;
en Délaware amangamanscliquiminchi « chêne à larges feuilles », litté-
ralement « arbre du fruit à coques aux grandes mains », c'est-k-dire « aux
larges feuilles», deanmngi « magnus », naschk «manus», kin ou quim
« fruit à coque », et enfin, achpausi « tronc d'arbre », ici réduit à nchi ou
inschi. Le seul moyen de prévenir la formidable longueur de certains mots
devait visiblement être de sacrifier le plus possible d'éléments radicaux.
Sans doute, l'on rencontrera des cas de formations analogues dans des
idiomes appartenant aux familles les plus diverses. Citons, par exemple,
les mots latins malo pour via gis volo ; nolo pour non volo ; le grec zôgreô
« prendre vivant» pour zôo?i agreô ; les formes allemandes, heim « chez »
pour hei dem ; zum « vers » pour zur dem ; — japonaises, konata « moi »,
littéralement « ce côté-ci » pour kono kata ; anata « toi », littéralement
« ce côté-là » pour ano kata; sonata « lui», littéralement « ce côté là-bas»
pour sono kata, etc., etc. Nous n'en avons pas moins le droit déconsidérer
ce mode de formation, comme caractéristique aussi bien du Basque que
des dialectes du Nouveau-Monde^ parce que, chez eux, il joue un rôle
infiniment plus considérable que partout ailleurs. En définitive, tous les
procédés grammaticaux ou lexicographiques se retrouvent plus ou moins
développés dans une foule d'idiomes en réalité très dissemblables. Ce qui
constitue leur importance au point de vue de la classification linguistique,
c'est la manière dont on les emploie. Nous regardons à bon droit le
déplacement et la métamorphose des voyelles comme un trait essentiel des
dialectes sémitiques. Citons à ce propos l'arabe kataba « scripsit» et koutiba
« scriptum fuit » ; l'hébreu qatal « il a tué » ; qotel « meurtrier » et qtol
« occidens ». Cependant, nous trouverions quelque chose d'un peu ana-
logue à tout ceci, même dans nos langues indo-européennes. Est-ce que
la voyelle ne varie pas dans les formes allemandes stehlen « voler »,
gestohlen « volé » et ich stahf « je volai » ? Le déplacement voyellaire
n'existe-t-il pas bien accusé dans le grec eôrga, aoriste de Rezô « faire » ?
Mais il y a cette différence essentielle à signaler entre les deux groupes
d'idiomes, qu'en allemand ces mutations phonétiques sont en quelque
sorte accidentelles et pourraient disparaître sans que la structure même
de la langue en fût changée. Aussi, par exemple, la forme partiel pielle
verdrehen tend-elle de plus en plus à se substituer à verdroht « menacé».
Au contraire, l'arabe et l'hébreu ne sauraient cesser de les appliquer,
sans que leur système grammatical n'en fût tout entier bouleversé.
2° EncapsulatioiX.
C'est le procédé en vertu duquel le mot principal s'entr'ouvre,pour ainsi
dire, de manière que l'on puisse lui intercaler un terme régi. C'est
LE COMTE DE CHARENCEY. — AFFINITÉS DE LA LANGUE BASQUE 381
ce que nous rencontrons, par exemple, dans l'Algonkin ni sakitawakina
« je te tiens par l'oreille », de ni « ego », sakina « tenere » et ntawakeng
« peraurem »; — dans l'Iroquois shunquétas « un homme »,de shétas « un »
et unqué, ongwe « homme »; — dans le Maya du \ ucutsin, amehenobex c vos
fils », pour aex « vestri » et mehenoh « filii ». Ce mode de formation des
mots, qui imprime un cachet original aux dialectes du Nouveau-Monde et
semble être chez eux d'un emploi courant, n'existe plus guère en basque
que pour certaines formes verbales, telles que zitzaidan « il m'était, je
l'avais », au traitement respecteux. Ce terme est pour zitan zu, mais ce
dernier monosyllabe, qui correspond au vous singulier du français, a fini
par se trouver en quelque sorte incorporé dans le verbe précédent. Sans
aucun doute, ce procédé, qui jadis a vécu, en basque, de sa vie propre,
se trouve aujourd'hui cristallisé et reste comme dernier vestige d'une
phase linguistique disparue. Ajoutons, par parenthèse, que l'influence
euskarienne continue peut-être à se faire sentir dans certaines formes
espagnoles, telles que les suivantes : honesta y gallardamente , où une
seule et même désinence s'applique aux deux adverbes qui se suivent.
3° Emploi du pronom comme simple catégorie grammaticale
Nous ne prétendons nullement que le pronom ne se présente par-
fois, dans les dialectes du Nouveau-Monde, à l'état de partie du discours
isolée. Toutefois, ce qu'il y a de remarquable, par exemple, aussi bien
en Algonkin qu'en Huron, c'est que le substantif, tout comme le verbe,
ne se puisse guère montrer sans être revêtu d'un affîxe ou d'un suffixe
pronominal. Ainsi, en Algonkin, le mot och «père» ne sera jamais
employé seul. Il en sera de même en Cri pour le mot kosis « fils » qui,
pris isolément, constituerait une sorte de barbarisme, tandis que les formes
mtosis « mon fils», kikosis «ton fils» sont parfaitement correctes. Ces
langues peu amies de l'abstraction admettent bien que l'on puisse dire
<( mon père, mon fils », mais non .pas « père, fils » d'une façon générale.
Aussi, les missionnaires qui voulurent traduire en Iroquois le Gloria patri
furent-ils obligés de le rendre à peu près de la façon suivante : « Gloire
à notre père et à son fils et à /ewr Saint-Esprit » . Un vestige de cette façon
archaïque de comprendre les choses se manifeste encore en Euskara, du
moins pour la conjugaison. Le pronom régime ne saurait être détaché du
verbe transitif et les expressions yaten dut ogia signifient littéralement
« je le mange, le pain » et non pas « je mange le pain ». Cette dernière
forme resterait absolument intraduisible en Basque. Si vous dites à un
Labourdin ou à un Guipuzcoan parlant français : « As-tu fermé la porte »,
il vous répondra à peu près infailliblement: « J'ai fermé » et non pas
« Je l'ai fermée », tant il est habitué à l'idée que le régime pronominal et
le verbe demeurent indissolublement unis.
582 anthropologie
4*^ Des conjugaisons nominale et adjective.
Nous avons déjà parlé de la tendance qu'ont les dialectes du Nouveau-
Monde à donner des signes de temps et de mode, même aux noms, aux
adjectifs et aux particules, autrement dit à les traiter comme des verbes
et à les soumettre à la conjugaison. Ainsi, le Quiche fera une sorte de
verbe d'état du qualificatif utz « bon » et dira oh utz oher « nous avons
été bons », littéralement « nos boni olim. » Du radical apak « porteur»,
le Péruvien formera apasca, littéralement c porteur passé, celui qui a
porté rt ; apascay « celui qui a été mon porteur, qui m'a porté » ; apanca
ou apana « porteur à venir, celui qui doit porter». De même, en Guarani,
térangua « village détruit, qui a cessé d'exister » et térai-ama « village
à créer, qui existera plus tard ». En Lénâpé, une simple désinence suf-
fira à transformer en verbe ou participe le composé kitchimanitou « Dieu»,
littéralement «le grand esprit», et l'on aura par exemple : kikitchima-
nitouiyan, « toi étant le grand esprit, toi qui es le grand esprit ».
Peut-être le Basque nous offrira-t-il quelque chose d'assez semblable,
par exemple dans des formes telles que emaztegaï « fiancée » , littérale-
ment « femme future », dans l'emploi de la désinence te ou tze qui s'em-
ploie également pour former des noms et des verbes; exemple : sagarlze
«pommier», de ^a^ar « pomme » ; lagunlze «accompagner», de lagun
«compagnon, ami». Au reste, cette confusion entre les formes du nom
et celles du verbe semble assez générale dans tous les idiomes demeurés
à un degré inférieur de développement.
5° Du verbe et de son traitement
Le système de conjugaison en Euskara, comme dans une foule de
langues américaines, spécialement dans celles du groupe algique, repose
sur la distinction à établir entre le traitement du verbe transitif et celui
du verbe intransitif. Par exemple, l'Algonkin, le Chippeway ne conju-
guent transitivement que le verbe actif suivi d'un régime direct et consi-
dèrent comme intransitifs, non seulement les neutres et les passifs, mais
encore les actifs eux-mêmes, toutes les fois qu'ils ne sont point accom-
pagnés du régime en question. Du reste, les affixes diffèrent pour chacune
des deux conjugaisons ; ainsi, l'Algonkin traite la forme ni sakidjike
« j'aime » in abslracto intransitivement tout comme pikocka « c'est cassé »
ou kickowe « il se tait », et cela par opposition à ni sakiha « je
l'aime »; de même en Quiche, ca nulogoh « je l'aime », littéralement
« nunc meum-amare » et quinlogon «j'aime », littéralement « nunc ego-
amare » ou « amans ».
LE COMTE DE CHARENCEY. — AFFIMTÉS DE LA LANGUE BASQUE 583
L'Euskara admet aussi cette distinction et ne s'éloigne des dialectes
américains que par un point tout à fait secondaire, c'est-à-dire que, chez
lui, l'actif est toujours traité transitivement, puisqu'on ne peut le séparer,
nous l'avons déjà vu, du pronom régime. Nul doute, d'ailleurs, que ce
dernier phénomène ne se soit produit à une époque relativement récente
et, primitivement, le système de conjugaison du Basque devait être iden-
tique à celui du Quiche ou de l'Algonkin. Quoi qu'il en soit, l'intransitifse
trouve marqué en Basque par la préfixation du pronom personnel, si le
verbe est contracté, ou par l'emploi de l'auxiliaire être, s'il est composé ;
exemple : nabila « je marche », de ni « ego » et ibil « venire, ire»;
ethorten naiz «je viens », littéralement « in adventu sum», du radical
ethor « venire » et de niz ou r\aiz « sum ». Ajoutons, par parenthèse,
que ce verbe iz « être » dont l'origine a été si diversement expliquée,
pourrait bien n'être autre chose que le latin esse. Il est fort douteux qu'à
l'origine, le Basque possédât un verbe substantif. Aujourd'hui encore, les
dialectes canadiens en sont dépourvus et l'on ne saurait rendre textuel-
lement, en Algonkin ou en Iroquois, la phrase biblique « Je suis celui
qui suis » ; pour le passif, on aura maithatu naiz, traduction littérale du
français « je suis aimé ». Vraisemblablement, ce procédé qui consiste à
employer le participe passé avec être a été emprunté aux dialectes néo-
latins, et l'on a tout lieu de penser qu'il a remplacé un autre mode de
formation véritablement indigène, mais aujourd'hui tout à fait tombé en
oubli.
Quant au transitif, le Basque l'indiquera par l'intercalation du radical
vjerbal dans l'auxiliaire « avoir» quand le verbe est contracté; exemple :
dakil « je le vois », de yaki « scire » et dut « habeo ». Ce dernier mot est
lui-même formé de da « est», hau « hoc » et t, signe de la première
personne du singulier, littéralement « est hoc mihi, habeo». Au contraire,
on juxtaposera le participe à ce même auxiliaire avoir, lorsque l'on a
affaire à un transitif composé, exemple : yakiten dut «je le sais», littéra-
lement « in scientiâ, in scito habeo». Ajoutons que les linguistes sont
d'accord à regarder la conjugaison dite contractée comme plus ancienne
que la composée. Ceci ne serait peut-être pas tout à fait exact et Ton
aurait quelque lieu de les croire contemporaines ; seulement, l'emploi
des verbes auxiliaires, lui, pourrait bien n'être pas primitif du tout. Vrai-
semblablement, le basque l'a emprunté aux dialectes néo-latins, mais en
lui donnant plus d'extension que ne l'ont fait ces derniers.
Ce qui est certain, c'est que dans les dialectes algiques, nous rencon-
trons le pronom préfixe employé comme sujet du verbe et marque du
possessif pour le nom; au contraire, le même pronom suflixé sert, par
exemple en Lénâpé, à former une sorte de conjugaison substantive. On
en pourra juger par le tableau suivant :
584
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LE COMTE DE CHARENCEY. — AFFIMTÉS DE LA LANGUE BASQUE 58o
Nous n'avons pas h revenir ici sur la similitude des radicaux prono-
minaux en Basque et dans les dialectes algiques. Il en a déjà été sufTi-
samment question plus haut. Signalons seulement l'identité presque
absolue de certains pronoms suftixes. C'est la dentale finale qui, en Eus-
kara comme en Lénâpé, indique la première personne du singulier ; la gut-
turale qui caractérise la deuxième personne du même nombre. Enfm, nous
retrouvons encore la gutturale à la première personne du pluriel. S'il était
permis de se lancer dans le domaine des hypothèses, nous supposerions
volontiers que dans la langue primitive dont sont issus le Basque et le
Lénâpé, il existait trois types de conjugaisons : le transitif, l'intransitif
et celui des noms verbisés ; les deux premiers étaient marqués par l'emploi
du pronom préiîxe ; le dernier, caractérisé par le suffixe pronominal, cor-
respondait à certains égards aux désinences possessives des idiomes cha-
mitiques et ougro-finnois. L'Euskara n'a point conservé l'usage de ce
traitement nomino- verbal, mais il aura utilisé le matériel servant à le
former pour constituer sa conjugaison transitive.
L'histoire de la linguistique ne nous offre-t-elle pas maint exemple
d'un pareil phénomène ? Combien de fois n'a-t-on pas vu des procédés
grammaticaux changer d'emploi et appelés, pour ainsi dire, à de nou-
velles fonctions.
Un autre caractère commun au Basque et à beaucoup d'autres dialectes
du Nouveau-Monde, c'est la multiplicité des modes verbaux. La plupart
des relations indiquées dans nos langues indo-européennes et sémitiques
au mioyen de conjonctions, e sont chez elles par de simples préfixes,
infixés ou désinences attachées au verbe. L'on peut citer, par exemple,
les formes euskariennes nizalarik « tandis que je suis » ; nizalakoz « parce
que je suis » ; nizano c jusqu'à ce que je sois » ; balitza « s'il était,
plût à Dieu qu'il fût ». Ces finales, d'ailleurs, se confondent le plus souvent
avec les simples postpositions. Nous trouverons également en Chippeway,
nondôman ou ginondôman « si j'entends, lorsque j'entends »; pa/,itéoseg
« si vous me frappez », par opposition à ki pakitéog « vous me frappez ».
Certaines ressemblances formelles peuvent peut-être même être signa-
lées entre les divers idiomes faisant l'objet de la présente étude. Ainsi
le pronom sujet est souvent postposé à la troisième personne, tandis
qu'on le préfixe aux deux précédents.
Le Chippeway nous offre, par exemple, nind ikkit « je dis » ; kid ikkit
« tu dis ». par opposition à ikkito « il dit ». De même en Euskara, niz
(( je suis » ; hiz « tu es » ; mais da « il est », pour un primitif isa. '
Signalons, en outre, le mode de former l'imparfait. L'Algonkin et les
dialectes congénères l'obtiennent en ajoutant au présent une syllabe ban,
dont le sens propre est celui de « mort, défunt » ; exemple : ni sakihahan
« je l'aimais », littéralement « ego amo in defuncto », de ni sakiha
S86 ANTHROPOLOGIE
« j'aime » ; de même que Sabieban « défunt Xavier » , de Sabie
« Xavier ». Il semble qu'il en soit de même en Basque, nintzan ou
ninizen « j'étais », ainsi que l'a démontré le prince Louis-Lucien Bo-
naparte, est pour une forme plus ancienne, nintza ou nintze.
Mais ce nintze, nintz-a doit, sans aucun doute, être décomposé en
niz ze, niz za. En effet, le n est parfois euphonique devant un z ou
un tz, comme dans phuntzel « pucelle » ; d'un autre côté, cette finale ze
ne doit-elle pas être considérée comme substantiellement identique à
zen « feu, défunt », comme dans ertorzen « feu le recteur, le curé »?
Or, il y a bien lieu de croire que la forme primitive de ce mot était
effectivement ze.
Si notre hypothèse relative à l'origine de la finale de l'imparfait se
trouve, comme nous en sommes convaincus, conforme à la réalité des
faits, il sera évident que zen ou ze «il était », littéralement « defunctum »,
constitue la troisième personne de ce temps, à l'exclusion de tout affixe
pronominal; point de contact curieux entre le basque et une foule de
langues du Nouveau-Monde, môme en dehors du groupe algique. Don-
nons comme exemple le Groënlandais angékog « grand » et « il est
grand »; le Mexicain tlapia « gardien » et « il garde » ; le Quiche tziban
« écrivant » ou « il écrit » ; l'Algonkin sakidjiké « il aime », par oppo-
sition à ni sakidjiké «j'aime ». Toutefois, nous n'attribuerons pas trop
d'importance à ce caractère, parce qu'il se retrouve dans d'autres dialectes
appartenant à des souches bien différentes ; citons, par exemple, le Turk
dur, dyr, « faciens, facit » ; l'arabe qatala « il a tué », où n'existe aucun
signe de pronom.
Peut-être encore, mais cette opinion ne doit être émise que sous toute
réserve, conviendrait- il de rapprocher la particule gi ou ki, — indice du
parfait chez les peuples canadiens ; exemple, en chippeway, nind ikkit
« je dis » et nin gi ikkit « j'ai dit ». — de la particule ki du basque, par
exemple dans idiki, « morceau de bœuf», de idi « bœuf ». Ajoutons
que cette syllabe pourrait bien n'être qu'une abréviation de kin « avec».
11 est assez intéressant de voir la gutturale suivie d'une voyelle pleine
marquer le futur aussi bien dans les dialectes algiques qu'en Basque.
Ainsi l'on a en Chippeway ningonondom ou ninganomlom «j'entendrai »,
par opposition à ninondom « j'entends » ; en Algonkin, okawabaman « il
le verra », et owabaman « il le voit ». De même, le Basque nous offrira
yango dut « je le mangerai », par opposition à yaten dol « je le mange »,
yan dot « je le mangeai ».
Enfin, le k, signe du futur, reparaît encore dans les formes duke « il
aura » ; nuke « il m'aura », par opposition à dut « j'ai ». Ajoutons tou-
tefois que nous n'oserions trop insister sur ce point, car le sens propre
de la particule ko ou go en Basque est celui d'un prolatif ; il correspond
LE COMTE DE CHARENCEY. — AFFINITÉS DE LA LANGUE BASQUE 387
à nos prépositions « pour, à » ; yango dot se traduira donc littéralement
« pro manducato liabeo, pro manducatione habeo ». L'on aurait, pa r
suite, quelque lieu de se demander s'il ne constitue pas simplement un
emprunt fait aux langues celtiques. On a en Irlandais E^'iii yo braigh
« Ireland for ever ».
G" Des suffixes augmentatifs, péjoratifs et diminutifs
Le Basque offre ceci de commun avec les dialectes canadiens que ce
genre de suffixes s'y ajoute non seulement à tous les noms et adjectifs
sans exception, mais encore aux verbes. De là, les formes Euska-
riennes gizontto « bon petit homme », gizonni « cher petit homme »,
giz-onago « plus homme », gizonche « un peu homme », gizonchago
« un peu plus homme », gizonchagotto « un petit peu plus homme », de
gizon « homo », tout aussi bien que ikustenago dot « je le vois trop »
de ikhusten dot « je le vois ».
De même, en Délaware, la finale diminutive tit s'ajoute à tous les subs-
tantifs et sans doute même à tous les verbes. Ainsi l'on aura tcholentit
« petit oiseau », tcholenlitak a petits oiseaux », de tcholens ;< avis ». Nous
trouvons enfin, en Chippeway, la forme verbale miwasisinaban « c'était
un peu beau » .
7° De quelques autres points de contact entre l'euskara
et les dialectes canadiens
Signalons tout d'abord l'emploi de la postposition qui remplace celui
de la préposition indo-européenne et sémitique. Ajoutons toutefois qu'il
en est de même exactement pour les dialectes ougro-fînnois, turko-mon-
gols et dravidiens du sud de l'Inde, lesquels n'ont, sans doute, rien de
commun avec les langues américaines.
Faut-il rapprocher les pluriels en ak du Basque (gizonak, homines, de
gizon, homo) des finales plurielles en g ou A: qui caractérisent le genre
animé dans les dialectes algiques ? Ainsi en Abénaki sipsissak « oiseaux ».
de sipsis « oiseau » ; — en Msissachussei ivosketopaog « homines» de woske-
tom « homo ». Mais il en est de même en Magyar. Ex. : atyak « patres »
de atija « pater ». Or ce dialecte appartient à la famille ougro-finnoise.
Nous n'entrerons pas ici dans la comparaison des éléments Icxicogra-
phiques du Basque et des dialectes américains ; l'étude de cette question si
intéressante mais si ardue mériterait bien de faire l'objet d'un travail
spécial. Renonçons donc pour le moment à rapprocher les termes eus-
kariens aita, « père », anaïa « frères », ora « chien », ozkeii « dernier ».
esku « main », hm «quatre », bortz «cinq», okhitu « vieux, usé », su,
chu « feu », des termes correspondants: Cri, otta « patcr »; Algonkin,
588 ANTHROPOLOGIE
kânis « frater »; Narangansett, Aroum « canis »; Algonkin, chkoué
« ultimus » ; Shawano, neshka « manus » ; Canadien, rau « quatuor « ;
Sankhikhan, parénach « quinque » ; Algonkin, kété, et Chippeway, kitis
« antiquus, pristinus »; Montagnais, choutou, et Skoffîe, chkoutou; « ignis ».
Toutes ces analogies, pour offrir une valeur scientifique sérieuse, demande-
raient à être appuyées sur des lois phonétiques nettement déterminées.
Par exemple, il nous sera permis de faire remarquer que le système de
numération du Basque, comme celui du Berber et des langues améri-
caines semble avoir, à l'origine, été quinaire. Aujourd'hui, encore, certains
dialectes kabyles, tout comme le Mexicain, disent cinq-un pour siœ, cinq-
deux pour sept et ainsi de suite. D'autre part, en Euskara, tous les
noms de nombre supérieurs à cinq apparaissent caractérisés par une
finale vraisemblablement dérivative / ou tsi dont les précédents sont dé-
pourvus. Enfin, dans les dialectes algiques, les termes numéraux de six
à neuf inclusivement dérivent visiblement des unités inférieures. Par
exemple, le Minsi formera nishoush « sept », de nisha o deux »; le
Montagnais donne nestash « huit », de nest « trois ». Ceci nous autorise-
rait peut-être à établir une parenté entre le Zénaga nchinan ou nchickan
« deux » et les formes nishish, nitchich, nisha, qui, en Montagnais, Skof-
fie et Minsi indiquent le même nombre. Le n initial aura fait tomber
la sifflante ou chuintante qui suit. D'ailleurs, les autres dialectes berbers
ont tous conservé la forme primitive sin ou sen. Quant au n, on ne sau-
rait guère douter qu'il ne constitue une lettre purement adventice. Nous
lui voyons souvent jouer ce rôle dans les dialectes canadiens. C'est ainsi
que le Skoffîe pagsok « un » devient ngouté en Minsi et nekôte en Illinois.
Mais il est temps de clore ce trop long mémoire et de nous résumer.
Les affinités qui se manifestent entre le Basque et le Berber, d'une part,
et, de l'autre, les dialectes canadiens ne semblent guère de celles que peut
produire le pur hasard et la façon la plus satisfaisante de les expliquer
consiste, sans aucun doute, à rattacher toutes ces langues à un ancêtre com-
mun, disparu depuis bien des siècles. L'antiquité prodigieuse à laquelle
remonte la dispersion des peuples qui les parlent nous rend compte des
différences énormes qu'elles présentent au point de vue du lexique. Ajou-
tez à tout ceci l'influence exercée sur les dialectes berbers par le Punique
et l'Arabe, celle du Gaulois et des idiomes latins sur le Basque.
Que les deux rives opposées de l'Atlantique aient été peuplées dès l'ori-
gine, par des peuples de même race, cela n'offre rien de bien étonnant, si
l'on admet avec plusieurs géologues et naturalistes contemporains l'exis-
tence, pendant l'époque glaciaire, d'Une langue de terre unissant le nord
de l'Europe à l'Amérique orientale. Au reste, tout nous porte à faire déri-
ver d'une source commune l'ensemble des dialectes du Nouveau-Monde
étudiés jusqu'à ce jour. Il se passe pour eux ce qui a lieu pour les langues
GUILBEAU. — l'eSKAL-HERRIA OU PAYS BASQUE 580
sibériennes et tartares : elles offrent, en quelque sorte, une physionomie
commune, ont à peu près la même syntaxe, leurs pronoms présentent de
frappantes analogies. Le dictionnaire, il est vrai, diffère prodigieusement
de groupe à groupe ; mais ne convient-il pas de voir là simplement la
preuve que leur séparation remonte très haut dans le cours des âges ?
Peut-être quelques érudits se refuseront-ils obstinément à admettre la
possibilité d'une parenté quelconque à établir entre leZouaouaou leTama-
chek, qui sont des idiomes à flexion et le Basque ou l'Algonkin, lesquels
n'ont pas dépassé, assure-t-on, le stage de l'agglomération. Est-ce que les
dialectes de l'Iénisséi, chez lesquels se manifeste un système de flexion
quelque peu comparable à celui des idiomes sémitiques, ne présentent
pas une étroite affmité avec le Coréen et l'Aïno, essentiellement agglomé-
rants ? N'a-t on pas des motifs sérieux de rapprocher les dialectes cauca-
siens si voisins de la flexion du Chinois et du Tibétain, types des langues
isolantes? En définitive, il en est du linguiste qui prétend juger de ce
qui s'est passé à l'origine des temps par ce qui se produit aujourd'hui
comme du géologue désireux de nous expliquer la constitution de l'inté-
rieur du globe. Ils ne peuvent avoir qu'une seule certitude, c'est que les
choses se sont produites tout autrement qu'ils ne l'imaginent.
M. &ÏÏILBEATJ
à Saint-Jean-de-Luz.
L'ESKAL-HERRIA OU PAYS BASQUE — HISTORIQUE ET LINGUISTIQUE
— Séance du 16 septembre 1892 —
Frappé de la marche rapide avec laquelle la langue basque disparaît
sur certains points du sol ibérique, et voulant laisser à ceux qui viendront
après nous un document autiientique constatant cet envahissement du
pays basque par les langues hétérogènes, nous avons dressé une carte du
Pays Basque sur laquelle nous avons indiqué, par des lignes, des zones et
des couleurs spéciales. les différentes contrées où ;
i" La langue basque est encore Tidiome courant, usuel, dominant des
habitants.
o90 ANTHROPOLOGIE
2" La langue erdarienne (i) a remplacé en grande partie l'idiome
basque, c'est-à-dire le langage primitif des indigènes, que les vieux seuls
parlent encore, mais qui tend à disparaître complètement du territoire
qu'ils habitent.
3" Les habitants, jadis Basques, parlaient la langue basque, laquelle
de nos jours y est complètement inconnue.
On voit, par ce qui précède, que nous avons établi sur notre carte
trois zones distinctes :
1*^ La zone vraie et purement basque ;
'2° La zone mixte ;
3° La zone jadis basque, aujourd'hui complètement erdarienne.
La tâche entreprise par nous ne nous paraissait pas bien ingrate au
début, et nous étions loin de penser que nous rencontrerions tant de dif-
ficultés pour mener à bonne fin notre travail. Nous ne connaissions de
la question que ce que le regretté D"" Broca a dit dans sa brochure et sa
carte linguistique qui l'accompagne ; mais, comptant sur quelques amis
dévoués pour contrôler notre travail et la connaissance personnelle d'une
portion du pays basque, nous nous élançâmes résolument à travers les
obstacles avec l'espoir de combler une lacune et d'ajouter peut-être à notre
tour une pierre de plus au monument historique de l'antique Ibérie.
Entrons maintenant sans autre préambule dans quelques détails et sui-
vons la ligne noire de notre carte, cette ligne qui sépare la première zone
de la deuxième, c'est-à-dire celle qui limite la zone vraie et purement
basque et où la langue basque est parlée couramment par les habitants.
La deuxième et la troisième zone, teintées en lilas foncé et clair, nous
indiqueront, par la gradation de la couleur, le territoire plus ou moins
perdu par la langue basque.
ESPAGNE
BISCAVt; — ALAVA NAVAUIŒ — GUIPUZCOA
BISCAYE
En Biscaye, le Nervion a arrêté longtemps l'irruption castillane, et, de
nos jours, c'est à peine si quelques villages, assis sur la rive droite de ce
fleuve, ont élé envahis par la langue castillane, chassant l'idiome basque
devant elle.
Bilbao n'a pas résisté à cette marche en avant de la langue espagnole.
Peu de personnes, en effet, parlent aujourd'hui dans cette ville la langue
primitive du territoire basque.
Le grand commerce que fait cette cité y a attiré tant d'étrangers, de
(U Erdarienne, erdara : le Basque nomme ainsi loute langue étrangère el non basque.
GUILBEAU. l'eSKAL-HERRIA OU PAYS BASQUE 591
nationalités si différentes, qu'elle a perdu de nos jours jusqu'à sa vieille
physionomie ibérienne et l'idiome basque.
Le district de Balmaseda, sis au sud-ouest de la Biscaye et formant un
territoire connu sous le nom de « las Encartaciones », a complètement
perdu la langue basque. On peut en dire autant des vallées et contrées
de: Orduna, Abaudo, Arcentales, Arracundia, Baracaldo, Galdames,
Oordejuela, Guenes, Miravalles, Musquiz, Portugalete, San Salvador, San-
turce, Sestao, Sopuesto, Trucios, Zollo et Zalla, dont la population, y
compris celle de Balmaseda, est d'environ 30.000 habitants, sur lesquels
on trouve à peine 2.000 Basques, et encore ce sont quelques vieux qui
parlent quelquefois la langue des ancêtres.
Toutefois, à Baracaldo, il y a environ trente ans, on parlait couram-
ment Tidiome basque, et il y a quelques années, les vieux disaient l'avoir
parlé dans leur enfance à Galdames et Guenes.
Dans le reste de la Biscaye, la population parle la langue basque, et
sur environ 183.098 habitants, il y en a 28.000 qui ne parlent pas le
basque. Si on ajoute à cela 6.000 étrangers environ, on aura 149.098 ha-
bitants parlant l'idiome basque dans toute la province.
ALAVA
La langue usuelle de l'Alava est la langue castillane, à l'exception tou-
tefois des Ayuntamientos d'Aramayona (qui est totalement basque), de
Cigoitia et de Villaréal : ces deux derniers sont aussi Basques, mais d'une
manière moins générale.
En effet, à Aramayona, sur 2.428 habitants, 2.370 parlent la langue
basque.
A Cigoitia, sur 1.763 habitants, 1.100 seulement la parlent.
Enfin, à Villaréal, sur 2.000 habitants, 1.500 parlent encore l'idiome
basque.
La province de l'Alava n'a pas été protégée par l'Ebre, comme la Bis-
€aye l'a été par le Nervion, et l'envahissement de la langue castillane ne
paraît s'être arrêté sur le territoire Alavais que devant les massifs et les
sierras de San Adrian et Elguea, le puerto d'Arlaban et la pena de Gorbea,
remparts élevés par la nature et qui séparent l'Alava de la Biscaye et du
Guipuzcoa.
Vittoria, capitale de la province d'Alava, portait, en 1181, le nom de
Gasteiz, dénomination basque qui indique son origine ibérienne.
Au xvn'^ siècle, déjà, les habitants des sierras de Encia, Orbasa, Loquiz,
Isquiz, des vallées d'Arana, Campezu, Contrasta, Penacerrada et la Rioya
avaient complètement perdu la langue basque.
Au commencement du xvni<^ siècle, à Nanclares et au sud de Vit-
592 ANTHROPOLOGIR
toria, à deux lieues et demie de la Castille, on parlait encore basque.
A la même époque, la Ribéra Alla, Berguenda, Saliuas, Valdegobia
avaient perdu l'idiome basque.
Enfin, depuis le commencement de ce siècle, les vallées d'Ayala et
Oquendo assistent à l'agonie de la langue basque qui disparaît insensi-
blement. Seul, â Llodio encore, le basque est parlé couramment par les
habitants, qui luttent contre l'irruption de la langue castillane.
D'après la dernière statistique provinciale, il y a à peine, en Alava,
12.000 Basques sur une population de près de 94.94o habitants. Ces chiffres
prouvent surabondamment que, dans cette province, l'envahissement cas-
tillan a fait des progrès meurtriers et irréparal)les.
NAVARRE
En Navarre, le territoire perdu par la langue basque est considérable.
Il peut être évalué à plus du tiers de la surface primitivement occupée par
elle depuis moins de deux siècles. Au commencement de ce siècle, à Estella
en Basque, Ithurriza, Puente la Reyna en Basque, Garesa, Obanos, où les
maisons portent des noms et des appellations basques, et dans les envi-
rons de ces villes, la langue basque était la langue courante des habitants.
A Tafalla et même Olite, l'idiome basque a été anciennement parlé.
Il y a environ un siècle, dans les vallées de Orba, Izagaoudoa, Ibar-
goiti, la partie sud de Songuida, Guesalaz, la partie sud de Echauri, la
langue basque avait complètement disparu. Il en était de même de la
vallée d'Anso qui, jadis basque, ne l'est plus, ainsi que du territoire
compris entre l'Ezca, affluent de l'Aragon, le Roncal, les rivières Salazar
et Irati, où la langue castillane a détrôné entièrement l'idiome basque,
qui ne se conserve et ne se maintient en Navarre dans son intégrité que
dans les vallées de Roncal, Salazar, Aezcoa, Bastan, et les trois villages
d'Echalar, Urdas et Zugaramurdy (placés entre les Pyrénées et le Bastan),
Bidasoa, Burrunda, Araquil et tout le territoire compris entre lesdites
vallées et une ligne courbe située au sud de la Cordillère de Velate, à peu
près perpendiculairement, partant du pic San Donato et passant à cinq
ou six kilomètres au nord de Pampelune et de Aoiz.
A Arlazcotz, Izu et les environs situés à l'ouest de Pampelune, les
paysans et les ouvriers nés au milieu de ce siècle parlent encore entre
eux l'idiome basque, mais c'est tout. Çà et là, dans quelques villages ou
hameaux, on rencontre bien quelques vieux aux cheveux blancs parlant
ou comprenant le basque, mais c'est l'exception.
Enfin, constatons que pour la Navarre, les montagnes d'Urbasa et d'Andia
ont arrêté la pénétration du castillan plus avant. Mais c'est évidemment
un temps d'arrêt plus ou moins long qui, fatalement, aura un terme.
GUILBEAU. — l'eSKAL-HERRIA OU PAYS BASQUE 393
Pampelune, capitale de la Navarre, en basque Iruùa, est une ville où
la langue basque n'est parlée que par une infime minorité ; c'est le cas
de Bilbao et un peu aussi celui de San Sébastian en Guipuzcoa.
GLIPUZCOA
Le Guipuzcoa, enclavé entre la mer, la Biscaye, l'Alava, la Navarre, le
pays basque français et protégé, par conséquent, par eux, conserve sur tout
son territoire la langue basque dans toute son intégrité et sa pureté.
Seules quelques villes ; Saint-Sébastien, Iron et peut-être Tolosa un peu
aussi, voient de jour en jour les jeunes générations déserter la langue
maternelle pour parler le castillan. A cela près, on peut dire que le Gui-
puzcoa est essentiellement basque, et par la langue, et par ses mœurs, et
par la tradition. Il est, du reste, cité comme tel par les auteurs si nom-
breux qui l'ont visité et qui ont écrit des pages si belles sur les indigènes
de la province qui représentent, encore de nos jours, le vrai type des
descendants des anciens Ibères, souche incontestable du peuple euskarien.
FRANCE
LABOLRD — BASSE-NAVARRE — SOULE
Pour le peuple basque français, nous avons conservé l'ancienne divi-
sion par districts, qui étaient au nombre de trois, savoir : le Labourd, la
Basse-Navarre et la Soûle, lesquels forment aujourd'hui les arrondisse-
ments de Bayonne et de Mauléon.
La Basse-Navarre, à son tour, était divisée en trois communautés
appelées :
l*' Le pays de Mixe, au nord ;
2° Le pays de Cize, au sud ;
3° La communauté d'Ostabaret, au centre.
L'arrondissement de Bayonne comprend l'ancien district du Labourd
et quelques communes de la Basse-Navarre qui sont du sud au nord :
Meharin, Saint-Esteben, Saint-Martin, Isturitz, Ayherre et Bardos, situées
sur la limite des deux districts précités.
La Soûle et la Basse-Navarre ont formé l'arrondissement de Mauléon.
Il y a lieu d'observer encore ici qu'une commune, celle de Montory, vil-
lage béarnais qui ne faisait pas partie de la Soûle, a été incorporée dans
l'arrondissement de Mauléon, tandis qu'Esquiule, village basque et de
l'ancienne Soûle, Ta été dans l'arrondissement d'Oloron. Esquiule est la
seule commune basque dudit arrondissement.
La ligne basque limitant la première zone a peu varié sur le territoire
français, et les changements survenus sont très légers. A peine quelques
hameaux msignifiants, où jadis l'unanimité des habitants parlaient la
38*
594 ANTHROPOLOGIE
langue basque, ont vu le patois gascon faire son apparition. Mais cet enva-
hissement est tellement insignifiant qu'il n'y a pas lieu de s'y arrêter. C'est
pour ce motif que nous n'avons pas établi en France, sur notre carte, la
deuxième et la troisième zone, qui n'ont pas leur raison d'être, attendu
que le Basque conserve toujours en maître le territoire primitivement
occupé par lui sur le sol français.
Nous avons indiqué, sur notre carte, les montagnes, fleuves, rivières
et cours d'eau du territoire basque qui ont une certaine importance au
point de vue lopographique, historique ou linguistique, ainsi que les villes,
villages et agglomérations importants et les hameaux et bourgades les
plus connus.
En jetant un coup d'œil sur l'Eskal-Herria, on voit l'ensemble du pays
basque, tant français qu'espagnol, traversé par la cordillère des Pyrénées
et limité par le Nervion, l'Èbre avec ses aflluents et les sierras d'Urbasa
en Espagne, l'Adour et le gave d'Oloron en France.
Ce cercle, vrai il y a quelques années, se rétrécit tous les jours et tout
fait craindre qu'il ne diminue encore rapidement sous la poussée cons-
tante du flot erdarien.
Avant de terminer cette esquisse, nous croyons devoir dire un mot sur
les causes :
1° De la disparition si rapide de la langue basque en Alava, en Navarre,
et un peu aussi en Biscaye ;
2° De la conservation de la langue basque sur le territoire français.
ESPAGNE
CAUSES DE LA DISPARITION DE LA LANGUE BASQUE DANS LES PROVINCES
DE l'aL VVA, DE LA NAVARRE ET DE LA BISCAYE
Le gouvernement espagnol avait un intérêt politique réel, capital, à faire
disparaître certaines traditions et certains privilèges « fueros » qui em-
pêchaient, dans les provinces basques, l'établissement de l'égalité natio-
nale. L'absorption de l'élément basque lui était nécessaire pour assimiler
ces provinces aux autres provinces de l'Espagne. 11 est incontestable que
la langue basque était, à son point de vue, un sérieux obstacle à celte
unilication, à cette transformation poursuivie par lui. Il a donc tout fait
pour que l'invasion castillane triomphât dans les provinces vascongades.
Il y a longs jours qu'il avait décrété l'obligation de la langue espagnole
dans toutes les écoles du royaume. Le catéchisme même s'apprend en
castillan depuis longtemps dans les écoles du pays basque espagnol, malgré
la résistance platonique du clergé.
D'un autre côté, la pénétration de la langue castillane dans le pays
basque espagnol a été aussi favorisée par la facilité de la langue espa-
GUILBEAU. — l'eSKAL-JIERIUA OU PAYS BASQUE gtJo
gnole qui s'apprend sans professeur et se parle sans grandes difficultés.
Les centres populeux, industriels et commerçants; comme Bilbao, Pam-
pelune, Yiltoria, etc., ont fait tache d'huile autour d'eux.
Demain, ce sera le tour de Saint-Sébastien, Iron, Tolosa, etc., où l'élé-
ment castillan et les fonctionnaires, pour la plupart étrangers au pays,
feront perdre à ces dernières villes, avec leur cachet d'originalité ibé-
rienne, la langue que leurs enfants ont murmurée sur les genoux de leurs
mères.
FRANCE
CAUSES DE LA CONSERVATION DE L.V LANGUE BASQUE
SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS
La difficulté de la langue française, jointe à la fréquentation assez irré-
gulière des écoles dans le pays basque français, a empêché l'envahisse-
ment de ce dernier par la langue française et a beaucoup contribué à la
conservation de l'idiome basque sur presque tout le territoire primitive-
ment occupé par lui sur le territoire français. D'un autre côté, une répu-
gnance quasi innée] du paysan basque pour le patois gascon a été aussi
un facteur puissant pour empéclier la pénétration de ce dernier dans les
hameaux limitrophes du pays basque. Enfin, le clergé basque a aussi puis-
samment contribué en France à la conservation de la langue euskarienne,
des mœurs et des coutumes basques.
Les populations basco-françaises sont, en général, très jalouses de leur
langue maternelle, et dans certaines familles instruites, on tient à honneur
de la conserver religieusement et de lui prolonger l'existence. L'unité
politique et administrative existe en France depuis un siècle, et le
Basque, tout en servant sa patrie d'adoption, a conservé ses us, coutumes
et les traditions ibériennes au milieu de ses belles montagnes.
LANGUE BASQUE
La langue basque, parlée par le petit peuple qui habite les vallées et
les versants septentrionaux et méridionaux des Pyrénées occidentales,
possède quatre dialectes bien distincts : le guipuzcoan et le biscayen en
Espagne ; le labourdin et le Souletin en France.
Nous négligeons ce que certains philologues désignent par sous-dia-
lectes ou dialectes mixtes. En effet, toutes ces nuances. appartiennent à
la même langue, au même idiome. C'est le même mécanisme qui préside
dans chaque dialecte à toutes les combinaisons synthétiques. Si le gui-
puzcoan a son cachet respectueux, poétique et quelquefois fleuri, le
labourdin possède au plus haut degré la vigueur, la gravité et l'élévation
du genre biblique.
S96 ANTHROPOLOGIE
Les dialectes euskariens ne sont que les branches du même tronc
basque, à racines séculaires qui se perdent dans la nuit des temps et dont
les rameaux ombragent les secrets et les arcanes d'un passé mystérieux
et impénétrable.
Quelques années encore, quelques siècles au plus, et l'idiome basque,
ce monument aussi ancien que le monde, ne sera qu'une ruine imposante
que les savants de l'avenir fouilleront et scruteront pour lui arracher les
secrets de sa belle structure et de sa richesse onomatopéique. Sa décli-
naison si simple et à déterminatives si variées, ainsi que sa conjugaison
si remarquable par ses désinences et ses contractions euphoniques, suffi-
raient à elles seules à immortaliser tout un peuple, dont la genèse sera
longtemps encore l'objet des méditations et des recherches des philosophes
et des philologues modernes.
' Saluons-le avec respect avant qu'il ne disparaisse, emportant dans son
tombeau le secret de l'origine d'un peuple jadis si puissant, si fier, et
toujours si indépendant que les Romains eux-mêmes, dans leurs grands
jours de victoire, n'ont pu soumettre à leurs lois.
POPULATION BASQUE — RECENSEMENT
Le dénombrement de la population basque, fait trois fois depuis moins
de cinquante ans sur divers points du pays basque et par des auteurs
différents et impartiaux, est loin de concorder. Nous donnons ici ces
divers recensements sans commentaires :
En 1857. — Francisque Michel, dans son Pays Basque, ouvrage remar-
quable à plus d'un titre, donne un total de 83o.000 Basques, soit:
Pour l'Espagne .... 700.000
Pour la France .... 35.000
En 1867. — Dix ans après, un autre recensement, relaté dans l'ou-
vrage de Ladislao de Yelasco, donne :
Pour l'Espagne .... 491.098
Pour la France .... 80.000
Enfin, en 1875. — Lagrèze, un érudit bien connu dans le monde
savant, donne, dans son ouvrage la Navarre française :
Pour l'Espagne .... 4i0.000
Pour la France .... 116.000
En Espagne comme en France, des amis dévoués nous ont accordé
leur concours le plus efficace et nous dirons même le plus désintéressé
pour la confection de notre carte du pays basque historique et linguistique.
A. DUMONT. — XATALITK DES BASQUES DE BAÏGORRY o97
Nous leur adressons ici le témoignage de notre reconnaissance pour
leur précieuse collaboration. Sans eux, cette carte n'aurait jamais vu
le jour. Grâce à eux, elle a paru et elle vivra longtemps, nous l'espérons
du moins.
M. Arsène DÏÏMONT
Membre de la Société d'Anthropologie de Paris.
NATALITE DES BASQUES DE BAÏGORRY
— Séance du 16 septembre iS92 —
La 11® Section du Congrès de Pau avait mis à son ordre du jour la
question basque avec les divisions suivantes :
i° Histoire et origine du peuple basque;
2° Ses caractères anthropologiques ;
3° Son langage ;
4° Ses traditions populaires ou folklore.
Ce programme omettait la démographie.
Cependant c'est par la démographie que l'anthropologie se relie à la so-
ciologie scientifique à laquelle elle sert de base, par elle seule qu'elle prend
jour sur l'avenir. Par la portée sociale des faits qu'elle met en lumière
et les grands problèmes qu'elle contribue à résoudre, elle en forme le
complément indispensable. Sans elle, l'anthropologie ne pourrait parvenir
à cette utilité pratique qui est le point d'aboutissement de toute science.
Quelle que soit la collectivité humaine dont on entreprend l'étude, ja-
mais on n'en aura une connaissance entière, si l'on ne joint à celle de
son passé, celle de son état actuel, de son organisation familiale, de sa
natalité, de sa mortalité, de sa tendance à l'émigration. Ainsi seulement
on peut mesurer sa vitalité, présager son avenir, et — point encore plus
important — déterminer ce qui, dans les particularités de son état social,
doit être éliminé comme nuisible ou mérite d'être proposé aux peuples
comme un modèle à imiter.
Des collections de crânes et d'ossements jusqu'à la sphère vibrante de
l'activité politique, du silence des cavernes préhistoriques jusqu'au seuil
des Chambres législatives s'étend le domaine de l'anthropologie, et, quelque
vaste qu'il soit, nul ne peut le restreindre sans le mutiler indûment.
Au point de vue démographique, d'ailleurs, les Basques donnent lieu à
quelques questions particulièrement intéressantes.
*598 ANTHROPOLOGIE
On sait qu'ils présentent avec les populations qui les entourent, notam-
ment avec les Béarnais et la plupart des habitants des Hautes-Pyrénées,
une grande analogie sous presque tous les rapports. La forme du crâne,
la coupe du visage, l'expression de la physionomie, le costume et la coif-
fure sont à peu près les mêmes. Tous les membres du Congrès ont pu
remarquer que, parmi les nombreuses marchandes de fruits et de légumes
rassemblées chaque matin aux halles de Pau, rien n'était plus difficile
de distinguer une femme basque d'une béarnaise. L'on reconnaît aisé-
ment deux types : l'un brachycéphale au nez concave, l'autre dolichocé-
phale au nez busqué. Ce dernier semble plus spécial à la région; mais
tous deux se rencontrent pareillement chez les Basques et chez les Béar-
nais. Des deux parts, mêmes traits fins et même teint mat, même taille
svelte et maigre, même démarche élégante, mêmes membres un peu
grêles, même coussinet posé sur la tête pour porter les fardeaux, môme
foulard enroulé autour du chignon, mêmes cheveux ondes tout à fait
noirs ou très bruns, mêmes dents petites et bien rangées. Aux regards
exercés d'un habitant du pays, un Basque se distingue seulement par
une démarche un peu plus lente; son alimentation comprend un peu plus
de viande fraîche ou salée.
La seule différence profonde est celle du langage. Entre le béarnais,
qui se range parmi les patois néo-latins, et le basque, qui est un idiome
agglutinant, il existe un abîme. Le basque est un îlot entouré de mers
sans fond. On s'en aperçoit dès qu'on ouvre les registres de l'état civil.
Pour le démographe habitué k voir passer sous ses yeux tous les noms
propres de la France, chaque province est caractérisée par une euphonie
particulière qui parle à l'imagination un langage différent. L'impression
d'étrangeté laissée par les noms basques est incomparable.
La prédominance des lettres r, h ei g produit des sons qui font songer
au raclement d'une baguette sur un treillage. Je cite au hasard : Har-
guindiguy, Minaberrigaray, Mendilaharxu, Irigoïs, Incangarat, Etche-
churry, Estebera, Etchégoïnborda, Etchémendibéhère que je relève dans
la commune d'Ossès; Irioïsbéhère, Indaburu, Dihursubéhère, Etchépare,
Jaxaldibéhère, Landaburu, Oronos, Oxoby, Ourrancariet, à Baïgorry ;
Itcaïna, Bastanchurry, Inchauspé, Ihitçaglie, Saraïberry, Ithurburu, Apes-
teguy, Etchébarren, Urquillux, Arambide, Caldubéhère, Erreca, Espondu,
Sasoïnchar, à Urepel ; et dans les autres communes : Chutchurru, Carri-
caburu, Anchordoguy, Castanchoa, Dalhagarray, Erramuspé, Harismendy,
Ithurhalde, Gxandaburu, Sacodiabéhère, Oxoteguy, Anchartéchahar, An-
choarena et Laharrague. Nous sommes hors non seulement du monde
latin, mais du monde aryen.
Il est extrêmement rare de rencontrer sur les registres de l'état civil
un nom qui n'ait pas la physionomie de ceux-ci. Le pays basque est un
A. DUMONT. — NATALITÉ DES BASQUES DE BAÏGOnUY 599
pays d'émigration, il ne reçoit pas, ou du moins notre canton ne reçoit
pas d'immigrants non Basques. Il offre une grande variété de noms,
mais presque tous lui sont spéciaux. Au reste, si l'on fait abstraction de
la langue et de l'onomatologie qui en découle, la série des similitudes
entre Basques et Béarnais recommence.
Au point de vue social, elle est complète. Les uns et les autres sont
■également soumis à l'influence cléricale. Los Basques le sont seulement un
peu plus, vivant dans une ignorance plus profonde et plus invétérée. Les
fueros basques et les fors de Béarn sont des institutions présentant la plus
grande analogie. Enfin, chez les Basques, les Béarnais, comme dans les
Hautes-Pyrénées, une minorité importante de la population vit sous un ré-
gime particulier de la famille connu sous la dénomination de famille-souche.
Cette institution, un peu plus fréquente chez les Basques, y régirait
2o 0/0 environ de la population. Ses avantages et ses inconvénients sont
particulièrement intéressants à connaître, et c'est à l'analyse démogra-
phique qu'il appartient de les déterminer.
« Dans la famille-souche, dit Le Play, qui l'a si amplement décrite et
vantée, les parents associent à leur autorité celui de leurs enfants adultes
■qu'ils jugent le plus apte à pratiquer, de concert avec eux, puis à continuer
après leur mort, l'œuvre de la famille. Pour lui faire accepter une vie de
dépendance et de devoir, et le retenir près d'eux, ils l'instituent, à l'époque
de son mariage, héritier du foyer et de l'atelier. Ils placent, d'ailleurs, au
premier rang des devoirs imposés à leur associé l'obligation d'élever les
plus jeunes enfants, de leur donner une éducation en rapport avec la
condition de la famille, enfin de les doter et de les établir selon leur
goût en les dispensant de tout devoir positif envers la maison-souche.
<t Dans le cas oîi l'héritier meurt sans enfants, la veuve, si elle ne se
remarie pas, continue à jouir dans la maison du bien-être assuré à tous
les membres célibataires de la famille. Sur le vœu exprimé par la com-
munauté, les membres établis hors du foyer n'hésitent jamais, dans ce
même cas, à quitter des situations plus avantageuses pour remplir les
devoirs de l'héritier.
» Le testament du père est la loi suprême de la famille pendant le cours
■de chaque génération. Il est habituellement dressé en même temps que
le contrat de mariage de l'héritier...
» Prise au moment où l'héritier se marie, la famille-souche comprend
en général dix-huit personnes : l'héritier et sa femme âgés de vingt-cinq
et de vingt ans ; le père et la mère mariés depuis vingt-sept ans, âgés
de cinquante-deux et de quarante-sept ans ; un aïeul âgé de quatre-vingts
ans ; deux parents célibataires, frères ou sœurs du père de famille ; neuf
enfants dont l'aîné se rapproche par son âge de l'héritier, dont le plus
jeune est en bas âge et parfois à la mamelle ; enfin, deux domestiques.
600 ANTHROPOLOGIE
placés dans la famille par des amis qui ne peuvent employer chez eux
tous leurs bras ou qui veulent assurer à leurs enfants un bon apprentis-
sage. Les mères, pendant une période de vingt-cinq ans, mettent quelque-
fois au monde jusqu'à vingt enfants; mais dans les conditions moyennes
de fécondité et de mortalité le nombre des survivants n'excède guère dix
lors de l'avènement et du mariage du nouvel héritier.
« Pendant le quart de siècle qui s'écoule entre deux institutions d'hé-
ritier, la famille comble les vides produits dans son sein par la mort ou
l'émigration, établit au dehors cinq jeunes gens... distribue sous forme
de dots une somme à peu près égale à la valeur vénale du domaine. »
En dépit du code civil, cette organisation de la famille s'est maintenue
jusqu'aujourd'hui. La pression de l'opinion publique a été plus forte que
l'intérêt individuel. Dans beaucoup de villages, c'est un déshonneur que
de demander le partage égal et les enfants renoncent à leur droit par
crainte du blâme universel.
Le Play voyait dans la famille-souche une panacée sociale, le type idéal
de la famille, un moyen terme entre la famille patriarcale et la famille
instable ; c'était, à ses yeux, l'institution par excellence des peuples séden-
taires et surtout elle garantissait la fécondité de la race.
Cette appréciation, acceptée sans hésiter par l'école de Le Play,
répétée à satiété par les publications .religieuses et réactionnaires, de-
mandait à être vérifiée. Elle le méritait d'autant plus qu'à l'heure
actuelle, la faiblesse toujours plus grande de la natalité française met
en péril l'avenir de la nation, et que, d'autre part, elle ne semble pas,
a priori, dépourvue de toute vraisemblance. Étant donné que l'abaissement
de la natalité française provient de l'effort excessif et mal compris de
l'individu vers son développement personnel, il n'était pas impossible que
des institutions familiales moins individualistes que les nôtres laissassent
subsister une natalité plus considérable.
La famille-souche des Basques, en effet, loin d'anticiper sur l'avenir,
n'est en réalité, comme leur langue elle-même, qu'un vestige d'un très loin-
tain passé. Souvent encore aujourd'hui, « c'est l'héritière qui fait entrer
son mari sous le nom de gendre dans la maison natale dont il prend le
nom et à laquelle il apporte une dot, dite sa légitime. » Quelque chose
d'analogue avait déjà été signalé chez les Cantabres par Strabon. « Chez
eux, dit-il, ce sont les maris qui apportent une dot à leur femme et ce sont
les filles qui héritent de leurs parents et qui se chargent du soin d'établir
leurs frères. De pareils usages annoncent le pouvoir dont le sexe y jouit,
ce qui, ajoute-t-il fort justement, n'est guère un signe de civilisation. »
Le même auteur a signalé l'usage bizarre de la couvade chez les Ibères
et il y a deux siècles on en trouve encore des traces chez lès Béarnais.
Ces deux faits s'éclairent l'un l'autre : couvade et famille-souche ne
A. DU.MONT. — NATALITÉ DES BASQUES DE BAÏGOBRY 601
sont autre chose que des vestiges du matriarcat. Or, le matriarcat est au-
jourd'hui classé à sa vraie place dans la série des formes de la famille.
Les trois grandes étapes ont été le clan communautaire, la famille mater-
nelle et le patriarcat. « La direction générale de l'évolution de la famille
dans l'humanité est évidente, dit M. Letourneau (1), elle va d'un com-
munisme plus ou moins complet, du clan où tout était solidaire, à la
famille et à l'individu ayant leurs intérêts propres et aussi distincts qu'il
se peut de ceux des autres familles et des autres individus. »
Sur ce point donc il ne peut plus subsister un doute : la famille-souche
est un reste de la barbarie du passé ; mais ce problème résolu, celui de son
influence bienfaisante sur la fécondité humaine subsiste en entier. Les
civilisations arriérées sont très compatibles avec une natalité élevée.
L'effort d'une race vers son développement en nombre est généralement
en raison inverse de l'effort de l'individu vers son développement per-
sonnel, soit en valeur, soit en jouissances. Les populations pauvres du
Finistère ou des environs de Dunkerque, les pauvres ouvriers des manu-
factures de Lillebonne, les prolétaires de Belleville, les paysans russes,
quelque différents qu'ils soient sous tous rapports, ont cela de commun
qu'ils sont rivés dans une condition inférieure, sans espoir d'en sortir, et
tous ceux qui sont dans ce cas présentent généralement une natalité con-
sidérable. 11 eût donc paru assez naturel, bien que la natalité de l'en-
semble du département des Basses-Pyrénées fût connue comme assez
médiocre, d'en supposer une plus élevée chez les Basques, puisqu'ils
vivent, comme les Bas-Bretons et les Flamands, séparés de la civilisation
centrale, et que leuréloignement, leur ignorance, leur cléricalisme et leur
langue forment un obstacle à peu près infranchissable à la communica-
tion des idées et des aspirations modernes.
C'est dans le but de voir ce qu'il en était que je résolus d'étudier le
canton de Saint-Étienne-de-Baïgorry. Je le choisis parce que ses habitants
me semblaient devoir, en raison de leur situation au cœur du pays basque
et au milieu des montagnes, de leur vie presque exclusivement agricole
ou pastorale, être les plus Basques des Basques et présenter toutes les parti-
cularités de cette race avec leur maximum d'intensité. De toutes parts, j'ai
reçu l'assurance que je ne m'étais pas trompé.
Le canton de Saint-Étienne-de-Baïgorry forme un territoire rectangu-
laire borné sur les trois cinquièmes de son pourtour, à l'ouest, au sud et
dans la moitié sud de son côté oriental, par la frontière espagnole. Dans
sa partie nord et est, il est limité par les cantons français d'Espeletle,
d'Iholdy et de Saint- Jean-Pied-de-Port. En France, comme en Espagne,
il ne confine qu'à des populations parlant la langue basque. Les commu-
(H) Letourneau, L'£yo^t<«on de la famille, 1 vol. in. 8° de la Bibliothf-que anthropologique.
602 ANTHROPOLOGIE
nications sont d'ailleurs relativement difficiles avec l'Espagne, dont il est
séparé par des forêts et une chaîne de montagnes atteignant déjà, au
pic de LaurigTia, une altitude de 1.21" mètres.
Le canton comprend actuellement 9.764 habitants et dix communes,
dont quatre dans la vallée de la Nive des Aldudes. Urepel, la plus méri-
dionale et la plus élevée, est située à 370 mètres d'altitude. Au-dessous se
rencontrent Aldudes, Banca et Saint-Etienne-de-Baïgorry. Quatre sont
situées sur la route de Baïgorry à Saint-Jean-Pied-de-Port ; ce sont
Anhaux et Irouléguy, puis Ascara et Lasse dans la vallée de la Nive.
Plus au nord, c'est-à-dire à une niveau inférieur, se trouvent Bidarray
sur la Nive et Ossès en plaine à 150 mètres seulement d'altitude.
Le tableau A ci-contre résume l'état démographique de ces communes
pendant la décade 1873-1882. L'absence ou la destruction d'une partie
des documents nécessaires n'a pas permis de faire un travail aussi com-
plet qu'il eût été désirable. Les tableaux annuels du mouvement de la po-
pulation étant restés à la sous-préfecture de Mauléon, il n'a pas été possible
de calculer la proportion des naissances naturelles pour le canton. On a
pu le faire seulement pour l'arrondissement entier, grâce aux tableaux réca-
pitulatifs heureusement conservés dans les bureaux de la préfecture depuis
1867. Cette circonstance a permis, en outre, de calculer l'émigration de cet
arrondissement presque entièrement basque depuis cette date jusqu'en
1891, c'est-à-dire pendant un quart de siècle. On y a joint la natalité, la
nuptialité et la mortalité . et l'on a formé de la sorte le tableau B, qui
complète et confirme le tableau A.
Les recensements ayant été détruits (1) ou égarés aux archives de Pau,
j'ai dû relever sans le contrôler le chiffre de la population dans les
annuaires. Les états récapitulatifs ayant subi le sort des listes nominatives,
il a été impossible d'établir la répartition de la population par âge et par
état civil et par conséquent le rapport des mariages aux mariables. Ce
rapport, indispensable pour la discussion de la nuptialité, a été emprunté
aux calculs de M. Bertillon père, concernant le département entier, pen-
dant la décade 1856-1865. De la sorte, le département et l'arrondissement
suppléant le canton, il a été possible de construire un travail qui, l)ien
qu'irrégulier en lui-même, aboutit à des conclusions certaines. La simili-
tude du canton avec l'arrondisement et le département sous le rapport de
la nuptialité, de la natalité et de la mortalité, est très grande ; elle permet
d'en supposer une égale dans la proportion des naissances naturelles et
de la répartition de la population en mariés et en célibataires.
(1) Une circulaire du ministre de l'Instruction publique, en date du 12 aoùl 1887, autorise les
archivistes des départements à détruire au bout de six ans, comme papiers inutiles (l), les tableaux
dressés dans les mairies pour les recensements quinquennaux. — Le Confirès de Pau, dans sa
séance générale du 22 septembre, a, sur ma proposition, émis un vœu invitant le ministre compé-
tent à abroger cette mesure désastreuse.
A. DIMONT. — NATALITÉ DES BASQUES DE BAÏGOBRY
603
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604 ANTHROPOLOGIE
l" Perte de population. — Le canton de Baïgorry, d'après les annuaires
du département, comptait 12.852 habitants en 1831 et 13.471 en 1841.
C'est le point culminant de la population dans ce canton. Depuis lors,
elle n'a cessé de décroître de cinq ans en cinq ans et lors du dernier recen-
sement, elle n'était plus que de 9.704 habitants. Elle n'avait donc di-
minué, en cinquante ans, de 3.707 habitants, soit un peu plus d'un
quart. Cette dépopulation, toute considérable qu'elle soit, est fréquemment
dépassée dans les communes rurales. C'est ainsi que nous avons rencontré
à l'autre extrémité de la France des communes, telles que Saint-Germain-
des-Vaux et Omonville-la-Petite (Manche), qui ont perdu dans le même
laps de temps plus de moitié de leur population.
Si l'on examine le tableau B, on voit que, dans l'arrondissement entier,
la dépopulation n'a commencé que cinq ans plus tard, à partir de 1846.
Elle y a été, du reste, un peu moins considérable puisqu'elle n'a pas enlevé
tout à fait, pendant ces quarante-cinq ans, le quart de la population.
Il est à remarquer que la dépopulation se ralentit. Elle était plus ra-
pide antérieurement à 1866 que depuis cette date jusqu'aujourd'hui. Ce
ralentissement est surtout sensible pour l'arrondissement qui, de 1846 à
1866, en vingt ans, avait perdu 11.071 habitants, tandis que de 1872 à
1891, en dix-neuf ans, il n'en a perdu que 2.185.
Si l'on compare entre elles les communes du canton, l'on voit qu'elles
présentent de grandes différences. De 1872 à 1891, l'une d'elles, Bidarray,
a gagné 36 habitants ; deux sont restées stationnaires ; mais deux autres,
Banca et Urepel, ont perdu chacune à peu près 150 habitants.
2° Émigration. — La cause de la dépopulation dans le canton, comme
dans l'arrondissement, est uniquement l'émigration ; car les naissances
dépassent notablement les décès.
Ainsi, en dix ans, de 1873 à 1882, le canton de Baïgorry a présenté un
excès de 431 naissances. Cet excès s'est produit dans toutes les communes
sans exception. Dans la période à peu près correspondante de neuf années
écoulées entre les deux recensements de 1872 et de 1881, la perte de popu-
lation a été de 230 habitants. C'est donc un total de 661 émigrants au
moins en dix ans, plus un nombre égal au chiffre inconnu des immi-
grants.
Dans l'arrondissement entier, de 1867 à 1890, l'excès des naissances
sur les décès a été de 8.799. Si nous y ajoutons l'excès des naissances de
1891, qui s'est élevé à 318, nous obtenons pour ces vingt-cinq dernières
années un excès total de 9.117 naissances, et l'arrondissement de Mauléon
eût dû s'accroître d'autant. Mais, comme sa population a diminué, nous
l'avons vu, de 5.990 habitants entre 1866 et 1891, il faut conclure que
l'émigration a enlevé, en vingt-cinq ans, 15.107 individus, soit un peu
plus du quart de la population initiale, ce qui est vraiment énorme.
A. DUMOM". — NATALITÉ DES BASQUES DE BAÏGORRY 605
Cette émigration n'est certes pas unique en France par son intensité ;
mais elle attire davantage ^'attention du public parce que, au lieu d'être
centripète, comme par exemple l'émigration normande, elle est centrifuge,
profile pour la plus grande part à l'étranger et, comme on sait, au Mexique
et à l'Amérique du Sud.
3° Natalité. — La natalité du canton de Baïgorry, bien que supérieure
à la moyenne française, est assez médiocre.
Elle oscille, selon les communes, entre 21,0 et 29,8 naissances an-
nuelles pour 1000 habitants. Ascara et Ossès sont dans le premier cas,
Bidarray dans le second. Aldudes atteint 38,4 ; Banca ofïre encore 2o,4 et
Urepel 2o,2. Mais dans toutes les autres communes, la natalité est faible.
L'ensemble du canton présente 24,7 naissances pour 1000 habitants.
Dans l'arrondissement entier, la natalité est un peu plus élevée sans
être forte : 25,8 pendant les dix dernières années ; 27,0 pendant la décade
antérieure et 24,5 seulement pendant les quatre années précédentes. La
prétendue fécondité de la race basque est une fable,
4° Causes immédiates de l'état de la natalité. — L'état de la natalité est
toujours déterminé par trois facteurs qu'il est avantageux d'étudier sépa-
rément : ce sont la proportion des mariages, la proportion des enfants
légitimes aux mariages et les naissances naturelles.
5" Nuptialité. — La nuptialité multipliée par le nombre des naissances
pour un mariage — naissances naturelles comprises — doit toujours
redonner la natalité.
La nuptialité dans toutes les communes du canton de Baïgorry est re-
marquable par son extrême faiblesse. Dans une seule d'entre elles, Bidarray,
elle atteint le chiffre de 6,6; dans quatre, elle reste inférieure à 5 et même
dans l'une d'elles, Anhaux, elle descend à 3,6. C'est la plus faible nup-
tialité que j'aie jamais rencontrée en France. Pour l'ensemble du canton,
la nuptialité est de 5,1.
Pour l'arrondissement entier, la nuptialité a été un peu moins misé-
rable. Elle a même atteint 7,3 pendant la décade 1871-1880, grâce à la
fréquence anormale et absolument inexpliquable des mariages pendant
les quatre années 1873, 1874, 1875 et 1876. Pendant ces deux dernières
surtout, le nombre des mariages figurant au tableau du mouvement de la
population a été exactement deux fois plus considérable que dans les
années suivantes, ce qui ferait soupçonner une erreur dans ce document
administratif, si, dans ces mêmes années, le nombre des naissances ne
dépassait considérablement, lui aussi, le niveau normal.
De 1867 à 1870 la nuptialité de l'arrondissement avait été de 5,3 et,
dans la dernière décade, elle est retombée à 5,4, ce qui la rapproche
beaucoup de la moyenne de notre canton et la place à un niveau extrê-
mement bas qui est certainement le véritable^
C06 ANTHROPOLOGIE
6° Nombre de naissances pour un mariage. — Presque toujours, lorsque
le nombre des mariages est très petit, le nombre des naissances pour un
mariage est très élevé.
C'est un fait qui frappe vivement lorsque l'on étudie les communes à
faible nuptialité du canton de Paimpol (Côtes-du-Nordj ou les communes
à nuptialité très variable du canton de Beaumont-Hague (Manche). Ce
phénomène se produit ici d'une manière très marquée ; la nuptialité est
très faible et le nombre des naissances pour un mariage très fort. Sur nos
dix communes, une seule présente un nombre de naissances pour un
mariage inférieur à 4 ; sept ont de 4 à 5 ; deux ont de 5 à 6, et une,
Anhaux, atteint 6,5. La moyenne du canton est de 4,8.
Dans l'arrondissement entier, le nombre des naissances pour un ma-
riage est un peu moins considérable. Il est de 3,7 seulement pendant la
décade 1871-1880, chiffre suspect ; mais pendant la période qui précède
comme pendant celle qui suit, il est de 4,6 et de 4,7, ce qui le rapproche
beaucoup de la moyenne du canton de Baïgorry.
Ces chiffres contiennent, il est vrai, des naissances naturelles, inconvé-
nient inévitable en ce qui concerne le canton, mais évitable pour l'arron-
dissement entier. Là, le nombre des naissances légitimes pour un mariage
est respectivement pour les trois périodes étudiées, de 4,1, 3,4 et 4,3,
chiffres qui dépassent très sensiblement la moyenne française ; mais sont,
à leur tour, fortement dépassés dans certains cantons bretons et notamment
dans celui de Callac.
7° Natalité naturelle. — La proportion des naissances naturelles n'a
pu être établie pour le canton faute des documents indispensables. Pour
l'arrondissement entier, elle a été pendant les trois périodes étudiées
de 8,4, de 7,2 et 7,9, c'est-à-dire à peu près égale à la moyenne française
générale. Mais cette moyenne est moitié moindre pour les populations
rurales et, d'autre part, l'arrondissement de Mauléon n'a pas de popula-
tion urbaine, la sous-préfecture elle-même n'étant rien de plus qu'un
gros bourg. La natalité naturelle de l'arrondissement se trouve donc
deux fois plus élevée que parmi les autres populations rurales de France.
Cette proportion, toutefois, n'a rien d'extraordinaire. Il est facile de trou-
ver des campagnes où elle est quatre ou cinq fois plus forte, dépassant le
tiers et s'élevant presque à la moitié du chiffre des naissances de toute
nature.
^° Mortalité. — La mortalité est au-dessous delà moyenne française dans
l'arrondissement de Mauléon. Elle est remarquablement constante, de 20,3
pendant la première période, de 20,4 pendant la seconde et de 19,9 seu-
lement pendant la dernière.
Dans l'ensemble de notre canton, elle est encore un peu plus faible
puisqu'elle n'est que de 19, o. Elle ne présente pas de différences très
A. DLMONT. — NATALITÉ DES BASQUES DE BAÏGORRY 607
considérables d'une commune à l'autre. Celle où elle atteint son maximum
Urepel, dans les montagnes, présente 21,2 décès annuels pour 1000 habi-
tants. La petite commune dAscara n'en offre que 17,3 et Banca, com-
mune possédant un millier d'habitants pendant la décade que nous étu-
dions, n'en accuse que 16,o.
Si satisfaisant que soit ce chiffre, il est cependant facile de trouver des
exemples de mortalité moindre encore. La commune de Cissac, canton de
Paulliac, dans la partie la plus riche du Bordelais, n'offre que 1o,3 décès
pour 1000 habitants, pendant la décade 1873-1882. Dans le riche canton
de Saiute-Livrade (Lot-et-Garonne), on a vu la mortalité descendre pen-
dant la période 18o3-1862 à 14,8 dans la commune du Temple; à 13,3
dans la commune d'Allés, et enfin à 12,2 dans la grande commune de
Sainte-Livrade. Ce chiffre est celui de la moindre mortalité que j'aie ja-
mais rencontrée et je pense qu"il n'en a jamais été signalé de plus faible.
Mais le canton de Sainte-Livrade, où la misère est à peu près inconnue et
la petite propriété très répandue, n'avait dès cette époque qu'une natalité
minime, se tenant aux environs de 15 naissances pour 1000 habitants.
Dans le canton de Baïgorry, où la natalité dépasse encore la moyenne
française et qui passe pour pauvre et arriéré, cette faiblesse de la morta-
lité est un phénomène beaucoup plus inattendu.
3" Excès des naissances sur les décès. — L'excès des naissances sur les
décès : de 431 en dix ans pour le canton, est satisfaisant. La différence
entre la mortalité et la natalité, de o,2 au profit de cette dernière, est bien
supérieure à celle qui existe actuellement pour la France entière. Dans la
commune de Bidarray, celle qui présente sous tous les rapports le meilleur
état démographique, cet excès atteint 9,2 et à Banca 8,9. Ailleurs il est
beaucoup plus faible ; mais nulle part le niveau de la mortalité n'atteint
celui de la natalité.
Du reste, l'écart entre la natalité et la mortalité est encore plus consi-
dérable dans l'ensemble de l'arrondissement : pendant les deux dernières
décades, il y atteint 6,6 et 6,0.
Tel est, dans ses traits essentiels, l'état démographique du canton de
Baïgorry. Par la médiocrité de sa natalité et la faiblesse de sa mortalité, il
présente bien plutôt la physionomie des cantons de plaine jouissant depuis
longtemps d'une aisance à peu près universelle et tendant à la vie bour-
geoise que des cantons arriérés de la Bretagne bretonnante ou de la Flandre
flamingante, dans lesquels natalité et mortalité sont en général extrême-
ment élevées.
Au contraire, par l'état des facteurs de sa natalité, c'est-à-dire par le
très petit nombre de ses mariages et leur grande fécondité, il présente
un aspect, qui, sans lui être absolument spécial, est cependant beaucoup
plus rare et mérite un examen attentif.
608 ANTHROPOLOGIE
Il ne faut pas croire que la faiblesse de la natalité française soit par-
tout et toujours un effet du trop petit nombre d'enfants par mariage et
de la volonté des époux de n'en avoir pas plus. Il en est ainsi le plus
souvent en France, mate non toujours. Dans beaucoup de cantons et de
communes, la faiblesse de la natalité tient au trop petit nombre des
mariages et à la volonté des jeunes gens de n'en pas contracter davantage.
Au lieu de ne faire, comme il arrive trop souvent, de la question de
la natalité qu'une seule bouchée, il faut toujours commencer par se de-
mander au({uel de ses deux facteurs elle doit son état. Des deux facteurs,
en effet, il y en a toujours un qui est dominant: s'il augmente, la natalité
croît presque proportionnellement; s"il diminue, elle a tendance à décroître
dans la même mesure. Ainsi, par exemple, dans le canton de Fouesnant
(Finistère) la haute natalité que l'on observe tient à l'élévation de la nup-
tialité qui varie généralement de 9 à 10, tandis que le nombre des nais-
sances pour un mariage n'a rien d'exceptionnel. Inversement, dans le
canton de Callac (Côtes-du-I\ord), la haute natalité tient au nombre très
élevé des enfants pour un mariage, qui, dans six communes sur onze,
varie entre 6 et 6,4.
Dans les communes du canton de Saint-Etienne-de-Baïgorry, la natalité
générale est sous la dépendance de la nuptialité. Ses effets sont atténués
par le nombre des naissances pour un mariage qui tend à varier en sens
inverse; mais elle n'en reste pas moins prépondérante. Ainsi les deux
communes qui présentent la plus forte nuptialité, Bidarray et Aldudes,
sont aussi celles qui offrent la plus haute natalité.
Le nombre des naissances pour un mariage, déduction faite pour le
canton comme pour l'arrondissement, de huit naissances naturelles pour
cent naissances de toute nature, est encore dans l'ensemble du canton, de
4,4, chiffre très supérieur à la moyenne française. Si donc la natalité est
faible, la raison en est exclusivement dans la faiblesse vraiment phéno-
ménale de la nuptialité. Dès lors, le problème se trouve déplacé. Ce ne
sont plus ici les causes de l'abaissement de la natalité que nous avons
à chercher, ce sont celles de la faiblesse de la nuptialité.
Au reste, ce n'est pas seulement dans le canton de Baïgorry que la
nuptialité est faible. INous venons de voir qu'elle est à peine un peu plus
élevée dans l'arrondissement de Mauléon, et ce caractère démographique
s'étend aux deux départements des Basses et des Hautes-Pyrénées. Ils ont
actuellement la plus basse nuptialité de toute la France.
Causes de la faiblesse de la nuptialité chez les Basques. — On peut allé-
guer trois causes qui vraisemblablement concourent toutes trois, dans des
proportions variables, à amener ce phénomène. Ce sont : 1° l'émigration
des adultes, 2" l'influence ecclésiatique et 3° la famille-souche.
On sait que les départements qui reçoivent beaucoup d'émigrants
A. DUMONT. — .NATALITÉ DES BASQUES DE BAÏGORRY 609
adultes présentent en conséquence une nuptialité pour 1000 habitants
considérable. La Seine, par exemple, dépasse beaucoup sous ce rapport
la moyenne française, bien qu'il soit suffisamment établi d'ailleurs, par
le rapport du nombre des mariages au nombre des sujets aptes à le
contracter, que le goût de la population parisienne pour l'union conjugale
est en réalité assez médiocre.
Inversement on conçoit qu'un département, arrondissement ou canton
d'où les adultes émigrent ne puisse avoir que médiocrement de mariages
pour 1000 habitants, alors même que la propension de la population ma-
riable pour le mariage y serait assez forte. Or le département des Basses-
Pyrénées et en particulier l'arrondissement de Mauléon exportent beau-
coup d'émigrants. On comprend donc que cette circonstance ait été donnée
comme une explication suffisante.
En réalité, elle ne l'est nullement. J'ai souvent rencontré des populations
où l'émigration était aussi active et qui n'en avaient pas moins une
nuptialité ordinaire. L'explication de ce fait est que, dans les collecti-
vités à natalité faible, le groupe d'âge de dix à quinze ans n'est jamais très
considérable; que, parmi les émigrants, il y a toujours une certaine
quantité d'enfants, ce qui atTaiblit encore leur proportion et rend, par
contre, la proportion des adultes plus grande; enfin que, parmi ceux-ci,
quelques-uns se marient avant d'émigrer ou reviennent quelquefois se
marier dans leur pays natal.
Quoi qu'il en soit de cette considération, la démographie possède plu-
sieurs moyens de vérifier si l'abaissement de la nuptialité tient au défaut
de mariables ou à leur peu d'empressement à se marier. Un moyen di-
rect consiste à calculer le rapport des mariages aux seuls mariables pré-
sents dans le pays ; un moyen indirect arrive au même but en recherchant
la proportion des célibataires ayant dépassé l'âge auquel on se marie le
plus communément. Ces calculs, faute des recensements, n'ont pu être faits
pour le canton ni pour l'arrondissement, mais nous en possédons les
résultats pour le département entier. Or, ils établissent que les mariables
se marient très peu.
Pendant la période I806-I860, où l'émigration, plus considérable
qu'aujourd'hui même, faisait de grands vides dans la population, il ne
se mariait annuellement, dans les Basses -Pyrénées, que 44 femmes
sur 1000 mariables de quinze à cinquante ans, contre 66 dans l'en-
semble de la France. La nuptialité des femmes de ce département est
donc précisément d'un tiers inférieure à la moyenne nationale. Elle
le classe le deuxième par ordre de faiblesse, tandis que le département
limitrophe des Hautes-Pyrénées, encore plus mal placé sous ce rapport,
se classe au premier rang. Sur 1000 hommes mariables de dix-huit à
soixante ans, il ne s'en marie chaque année que 48 dans les Basses-
39*
610 A-NTHROPOLOGIE
Pyrénées contre 61 dans l'ensemble de la France et 45 seulement dans
les Hautes-Pyrénées. Ces deux départements viennent sous le rapport de la
nuptialité masculine de dix- huit à soixante ans: le premier, au sixième
rang et l'autre au troisième.
Comme cette façon d'évaluer la nuptialité ne lient compte que des
présents, elle exclut la cause émigration, trop facilement admise par
quelques auteurs.
D'ailleurs, non seulement hommes et femmes se marient peu, mais les
uns et les autres se marient tard ou très tard, fréquemment au delà de
trente-cinq ans pour les femmes, au delà de quarante ans pour les hommes.
Cette nuptialité si faible, ces mariages si tardifs sont un effet de l'in-
fluence ecclésiastique et de l'organisation de la famille-souche.
Dans le pays basque, comme dans le Béarn, le clergé s'efforce de tenir
les deux sexes aussi séparés que possible. Les Basques dansent encore ;
mais seuls, tous les hommes ensemble. Si l'on joue quelque mystère à
la mode du moyen âge, les acteurs sont tous hommes ou toutes femmes ;
mais jamais les hommes et les femmes ne peuvent jouer ensemble en
remplissant les rôles qui conviennent à leur sexe respectif.
Il est à remarquer que partout où existent les danses de village, les ma-
riages sont jeunes et fréquents. C'est le cas dans les communes rurales
de l'ile de Ré ; c'est le cas également dans le canton de Fouesnant (Finis-
tère), où les fouleries d'aires tiennent lieu de danses et où l'on dit cou-
ramment « année de pommes, année de mariages. » C'est le cas dans
beaucoup d'autres cantons et l'on peut ajouter que, contrairement à une
opinion habilement propagée, les naissances naturelles y sont rares. Mais
les danses publiques arrachent les jeunes gens et surtout les jeunes filles
à la domination du clergé, aussi les combat- il avec acharnement. A ses
yeux, l'amour est une souillure, les réunions joyeuses une cause à peu
près infaillible de péché. J'ai eu l'occasion d'observer de nombreux can-
tons où il est parvenu à détruire les bals publics. Presque toujours, il en
est résulté une augmentation de l'ivrognerie et des naissances naturelles,
ou une diminution de la nuptiaUlé.
Ainsi, par exemple, dans les communes purement agricoles du canton
de Paimpol, les petits cultivateurs sont entièrement sous le joug du clergé-
Nulle part la vie n'est plus triste ; les femmes y semblent honteuses
d'elles-mêmes, ayant pour seule distraction le soin des tombeaux et la
vue des ossuaires. Nulle occasion d'expansion, point de fêtes réunissant
les deux sexes; « plus d'amour, partant plus de joie. » Aussi se marie-t-on
très tard et très peu. Dans les communes de Ploubazianec, Yvias et Kerfot
notamment, la nuptialité descend fréquemment à 6 et même 5,4 mariages
par an pour 1000 habitants.
Chez les Basques, l'influence ecclésiastique, en raison de la profonde
A. DUMONT. — NATALITÉ DES BASQUES DE BAÏGORRY 611
ignorance du peuple et de sa tendance au mysticisme, n'est pas moindre
que chez les paysans de Paimpol. Ils observent non seulement le maigre
du vendredi ; mais encore, par surcroît de zèle, celui du samedi et du
carême que depuis longtemps les prêtres ne leur prescrivent plus.
Examinant la répartition des mariages par mois dans l'arrondissement
de Mauléou, on est frappé des bizarreries qu'elle présente. Plus d'uii tiers,
près de la moitié se fout en janvier et février. Novembre, puis avril sont
ensuite les mois où l'on se marie le plus. Au contraire, eu mai, juillet
et aoàt, il y a peu de mariages. Mais en mars, et surtout en décembre,
il n'y en a pour ainsi dire point.
Informations prises, il paraît que le clergé se refuse à peu près abso-
lument à célébrer des mariages pendant ces deux mois, à cause du carême
et de l'avent. Il refuse aussi presque toujours de marier le vendredi, le
samedi, les quatre-temps et les vigiles des fêtes. On m'alïirme que tous
les mariages célébrés en mars ont lieu le 19, jour de Saint- Joseph.
Le fait que la population entière se plie à de telles exigences donne la
mesure de l'influence ecclésiastique et l'on sait suffisamment que partout
où elle est ainsi souveraine, la nuptiaUté diminue. M. Bertillou père a étabU
depuis longtemps, à propos de la Belgique, que plus il y a de couvents dans
une province, moins la population laïque y présente de mariages.
Une seconde cause de faiblesse pour la nuptialité est évidemment l'or-
ganisation delà famille, qui, en attribuant tous les biens à l'un des enfants,
tend à retenir les autres dans le céhbat, par la crainte de déchoir, de
tomber au rang de domestique ou de journalier.
Les eflfets de ces deux causes se superposent et finissent par entraîner
la plus basse nuptialité qui ait jamais été constatée sur le sol français. IJ
est possible que ce soit à elles qu'il faille attribuer aussi la grande fécon-
dité des mariages.
Tout se tient et s'enchaîne dans le déterminisme des phénomènes démo-
graphiques. Le grand nombre des célibataires, corollaire de la faible
nuptialité, entraîne l'élévation de la natalité naturelle, et d'autre part la
grande fécondité des mariages rend inévitable l'énorme émigration que
nous avons constatée.
Tous les i)ays où le nombre des naissances pour un mariage est très
considérable, comme l'Angleterre, l'Allemagne, le canton de Callac dans
les Côtes-du-Nord, sont des pays d'émigration. On émigré, en ce cas, non
par la séduction d'un idéal social plus élevé, mais par nécessité. Ce n'est
pas que le pays manque de débouchés, c'est que la maison n'offre plus
assez de place pour tous. Le foyer qui a protégé l'enfance n'est plus
qu'un lieu d'oppression pour l'adulte ; il y étouffe, dans l'alternative d'y
demeurer à perpétuité célibataire ou de s'établir dans le voisinage, mais
dans une condition inférieure à celle de sa famille. Alors il fuit au loin.
612 ANTHROPOLOGIE
sans avouer le motif, mais en réalité par besoin d'indépendance et d'air
libre autant que par l'espoir de la fortune.
Conclusion. — Des écrivains étrangers aux études démographiques ont
souvent écrit, dans l'intention d'en faire honneur, soit à la famille-souche,
soit à l'influence religieuse, que la natalité des Basques était considérable.
Ils avaient observé qu'un certain nombre de ménages avaient beaucoup
d'enfants et cela leur suffisait. Ils oubliaient de s'informer de la nuptiahté.
Le Play, qui était mathématicien, est inexcusable d'être tombé dans une
telle erreur. Son exemple prouve l'inconvénient d'écrire sur une matière
sans connaître la science spéciale dont elle fait l'objet. S'il eût eu l'heu-
reuse inspiration de faire la démographie des communes au sein des-
quelles se meuvent les familles dont il a écrit la monographie, ces cons-
ciencieuses études eussent certainement tiré de là une portée sociale et
une valeur scientifique fort supérieures. Il se fût aperçu, en outre, que
l'organisation de la famille, qu'il propose comme un modèle, n'a pas le
mérite qu'il lui prête d'assurer la fécondité de la race. Pour remédier à
l'abaissement de notre natalité, c'est bien loin de là qu'il faut chercher.
J'ai traité ailleurs ce sujet que je ne puis aborder ici incidemment.
Nous bornant donc, quant à présent, aux conclusions négatives de
l'analyse qui précède, nous dirons : 1'' ni la famille-souche ni l'influence
religieuse n'entraînent une forte natalité ; 2° elles concourent pour déter-
miner une monstrueuse faiblesse de la nuptialité ; 3° si elles tendent —
ce qui est possible, bien que restant à prouver — à accroître la fécon-
dité des mariages, par contre elles ont pour effet indirect d'augmenter le
nombre des naissances naturelles et de rendre à peu près inévitable l'émi-
gration d'une partie de ces enfants, qui, sans être trop nombreux pour
leur pays, le sont trop pour leur famille. Cette émigration, qui offre quel-
ques avantages dans les États à forte natalité, est chez nous nuisible sous
tous les rapports.
\,e patriotisme local et l'esprit réactionnaire ont vanté sans mesure
famille-souche, influence ecclésiastique et langue basque. Ces trois élé-
ments d'une culture sociale arriérée ont cela de commun qu'ils font
obstacle à la circulation des produits et des idées, qu'ils entravent le
développement des individus, paralysent leur activité économique, poli-
tique et intellectuelle. Tous trois sont en voie de décroissance spontanée,
bien que trop lente. C'est un mouvement dont on doit se réjouir et qu'il
faut activer par de bonnes lois et de sages mesures administratives.
BOSTEAUX-I'ARIS. — RÉSULTATS DE FOUILLES AUX ENVIRONS DE REIMS 613
M. BOSTEAÏÏX-PÂEIS
Maire à Cern;iy-les-Reims.
RESULTATS DE FOUILLES AUX ENVIRONS DE REIMS
— Séances des 17 et 19 septembre i892 —
Découverte d'une tombe a char gauloise a la source de la Congé
A Epoye (Marne)
Le 28 février 1892, je dirigeai intentionnellement mes recherches sur
le territoire delà commune d'Epoye; après avoir exploré les abords d'une
source appelée la Congé d'Epoye, je fixai mes recherches principalement
sur un petit promontoire qui domine presque perpendiculairement de
30 mètres l'endroit d'où la source sort de terre; la plate-forme de ce
promontoire a servi d'assise à un clan à l'époque gauloise, à en juger
par les nombreux foyers que l'on rencontre en sondant le sol. Au point
culminant de ce plateau, à 130 mètres au sud des bords de la source, je
rencontrai par le sondage un cercle concentrique ayant 12 mètres de dia-
mètre formé par un fossé creusé dans la craie, ayant 1 mètre de largeur
sur 0^,60 de profondeur ; au milieu de ce cercle se trouvait un terrain
mouvant ayant 2 mètres de largeur sur 2 mètres de longueur, ce qui
me donna de suite à supposer être en présence d'une tombe gauloise
qui n'était pas ordinaire, cette tombe était orientée du nord-ouest au
sud-est.
Ayant commencé la fouille immédiatement, quelle fut ma surprise de
rencontrer le frontal d'un squelette à 0'",30 de profondeur; à l'",20, j'ar-
rivai au fond du centre de la fosse et je constatai être en présence d'une
tombe à char, ayant de chaque côté du milieu de la fosse, où reposait le
squelette, deux petites fosses parallèles au côté du terre-plein, ayant cha-
cune 1 mètre de long, O'",o0 de large sur 0'",40 de profondeur et dans
l'une desquelles je retrouvai une goupille d'essieu.
La partie supérieure du corps du squelette n'existait plus, cette tombe
avait été violée jusqu'à la ceinture, les premiers fouilleurs avaient enlevé
le char et probablement le casque et les parures de ce chef gaulois. Mais
M% ANTETROPOLOGIE
à partir de la ceinture, tout était resté intact; le mobilier restant se com-
posait, le long de la cuisse droite :
1° D'une épée avec son fourreau en fer, accompagnée de trois glands en
bronze près de la poignée, ces glands provenaient probablement de la
dragonne, quelques appliques en bronze se trouvaient aussi près de a
poignée ;
2° Un long couteau de chasse de 0'",45 de long ayant encore son manche
en corne de cerf orné de dessins;
3° Un petit vase à boire à bord droit ;
4° Un hanap en forme de poire, en terre noire, de facture très fine ;
5° Un cratère de forme élancée en belle terre noire, orné de dessins-
linéaires creux, peints en violet et bleu;
6° Une jatte en terre noire.
Au côté gauche, contre la paroi, une grande mesure à grain ornée de
dessins en feuilles de fougères; ce vase était brisé par la pression. Près
de la cuisse gauche, un petit poignard avec son manche, huit lances et
javelots en fer, avec douille et sans douille et d'autres petits instruments.
Aux pieds deux ferrons de lacets en bronze, quatre grands vases de
formes diverses avec ornementations et un mors de bride de cheval.
Le crâne de ce guerrier gaulois est très étroit, le front plat et fuyant à
partir des arcades sourcilières; ce type était purement dolichocéphale. Je
tiens ce frontal, ainsi que la partie inférieure du corps, à la disposition de
la Société d'Anthropologie.
A un kilomètre et demi de cette tombe à char, vers l'ouest, se trouvait
celle de Berru, découverte au lieu dit le Terrage par M. Gavet de Berru ;
cette tombe a été l'objet d'un rapport fait par M. A. de Barthélémy à la
Société des Antiquaires de France, et son mobilier est un des plus riches
du musée de Saint-Germain.
A un kilomètre à l'est de notre tombe à char de la Congé existe encore
près du village d'Epoye, un tumulus surmonté d'une croix. Ce tumulus a
été fouillé en 187o par MM. Lelaurain et Gavet; au centre de ce tumulus
a été également trouvée une tombe à char, et tout autour du monticule
furent fouillées des sépultures appartenant aux époques gauloise, gallo-
romaine et franque.
Ce tumulus, qui existe encore et qui recouvrait une tombe à char,
prouve bien que toutes ces tombes, qui étaient entourées d'un fossé en
cercle, étaient recouvertes d'un tumulus, et c'est par ce motif que toutes
ces sépultures se trouvaient ainsi indiquées sans recherches aux enva-
hisseurs du pays aux époques franque et mérovingienne, lesquels les
fouillèrent en partie pour en extraire les parures et s'en servir eux-
mêmes.
BOSTEAUX-PARIS. — RÉSULTATS DE FOUILLES AUX ENVIRONS DE REIMS 61o
MOBILIER d'une INCINÉRATION DE LA FIN DE l'iN DÉPENDANCE GAULOISE
(Figurine et monnaies] découvert à Cerna y-les-Reims .
Le 28 novembre 1891, au territoire de Cernay-les- Reims, au lieu dit le
Mont de Nogent, en pratiquant des fouilles dans un sol argileux pour en
extraire des pierres siliceuses, un coup de pioche mettait h découvert à
la surface du sol, sous une touffe de genévrier, une petite cavité creusée
dans l'argile et remplie de sable dans lequel se trouvaient les débris de
deux vases brisés dont l'un avait contenu les cendres d'une incinération
comprenant encore quelques débris d'os calcinés mêlés à la cendre. L'autre
riG. I cl i.
vase, brisé également, contenait une petite figurine en bronze, cinq pièces
de monnaie gauloise, un bracelet en bronze, brisé en plusieurs morceaux,
une rouelle gauloise à deux branches croisées, un anneau en bronze et des
morceaux de fer oxydés dans lesquels sont incrustée de petits anneaux de
bronze .
Cette intéressante trouvaille a ceci de particulier, c'est qu'on y rencontre
les premiers signes de la religiosité à l'époque gauloise représentée par une
figurine en bronze associée à une rouelle gauloise à usage de monnaie;
ces divers indices peuvent aider à fixer sérieusement les usages de cette
époque très reculée.
Cette petite figurine de bronze comprend la tète, surmontée de deux
cornes dont les extrémités qui sont cassées sembleraient s 'être trouvées
raccordées pour former un anneau ; au lieu d'un buste, cette tète se trouve
supportée par une lamelle (fig. / et 2).
616 ANTHROPOLOGIE
La facture d'art de cette petite tête, qui est d'une belle patine verte, est
d'art purement gaulois, au front fuyant; les yeux et la bouche sont tracés
au burin avec le même style que les figures qui existent sur certains tor-
ques de la belle époque gauloise.
Les cinq pièces de monnaie sont du type dit Catalaunien, représen-
tant : d'un côté l'hercule en marche et de l'autre le taureau cornupète.
La petite figurine semblerait représenter le dieu gaulois Cernunos, tels
que des bas-reliefs qui ont été trouvés à Notre-Dame de Paris, et à Reims
dans le bas-relief gaulois trouvé dans la rue de la Prison et qui se trouve
actuellement à l'hôtel de ville ; cette divinité ornée de corne représente
l'abondance par ses attributs.
Cette sépulture appartiendrait au dernier siècle de l'indépendance gau-
loise; au reste, la facture de l'objet, l'incinération et l'usage de la monnaie
en sont trois preuves convaincantes.
Les endroits sur lesquels on rencontre des incinérations de cette époque
portent souvent le nom de Bouveret; l'endroit sur lequel j'ai trouvé cette
sépulture s'appelle aussi les Beuvrai ou les BefTrai.
Nouvelles fouilles du cimetière gaulois de Witry-les-Relms.
Le cimetière gaulois de Witry-les-Reims, déjà tant de fois exploré
depuis une vingtaine d'années, vient encore de nous donner quelques
pièces admirables de fart gaulois marnien.
Le 15 février 1892 les sondages me donnaient une nouvelle sépulture dont
le squelette portait au bras gauche un bracelet en bronze ; un vase en
poterie noire entre les deux jambes, plus une assiette à bord droit accom-
pagnée d'un autre vase, se trouvaient près de la cuisse droite.
Le 28 février suivant, d'autres fouilles, continuées par MM. Boucton-
Bosteaux et A. Bourin, dans des jardins clos avoisinant le cimetière
exploré, mirent à découvert trois autres tombes dont le mobilier se
composait des objets ci-après :
Première tombe. — Le squelette de la première tombe avait été enterré
avec un collier composé de grains d'ambre percés de trous, de petites
boules en terre cuite, un petit anneau en bronze et une petite
figurine (flg. 3) en matière brune ressemblant beaucoup à de
l'ambre, les yeux et les sourcils sont en émail blanc incrustés
dans la pâte, elle porte sur le haut du front une espèce de
diadème de couleur jaune dont les frisures étaient aussi in-
crustées de grains blancs et au sommet de la tête était un
anneau pour pouvoir passer un fil qui devait suspendre cette tête audit
collier, le bras droit portait un bracelet en bronze orné de spirales en
relief, trois vases en terre étaient à ses pieds.
BOSTEALX-PARIS. — RÉSULTATS DE FOUILLES AUX ENVIRONS DE REIMS CI 7
La deuxième tombe comprenait comme mobilier de parure, un torque
à tampons orné de dessins triangulaires et de spirales, une fibule en fer,
un couteau en fer, cinq vases brisés et un petit gobelet en terre cuite
conservé intact.
La troisième tombe donnait un turque en bronze arlistement ciselé et
un vase.
Les ossements de ces trois squelettes sont trouvés trop détériorés pour
pouvoir être conservés.
Tous ces objets sont de la belle époque de l'indépendance gauloise, et ce
qu'il y a de curieux, c'est cette petite figurine, ce fétiche porté par le collier
de perles ; ceci serait encore un signe de culte ou religiosité analogue à la
petite figurine en bronze de la tombe gauloise incinérée de Cernay.
Fouilles de la Tomelle St-Pierre a Cauroy-les-Machault (Ardenxes)
Dans la partie sud du département des Ardennes, principalement dans
le canton de Machault, il existe sur certains plateaux dominant la contrée
des lieuxdits portant la dénomination de Tomelle :àSaint-Etienne-à-Arne,
il y a la Tomelle et la Tomelle des Bourrées; à Cauroy-les-Machault, il
y a la Tomelle Jean, la Tomelle Jean-Petit et la Tomelle Saint-Pierre.
L'origine de cette appellation provient de ce que, anciennement, dans
ces endroits, qui sont presque tous éloignés des villages actuels, se trou-
vaient des buttes artificielles assez élevées et toujours placées aux points
culminants de la contrée afin de pouvoir découvrir au loin. Ces buttes
ont-elles été élevées pour un motif ayant trait à la défense du pays ou
pour toute autre cause? Presque toutes ces buttes artificielles ont disparu
depuis longtemps, le sol ayant été nivelé par la charrue. Néanmoins il
en existe encore une à Cauroy-les-Machault, appelée la Tomelle Saint-
Pierre ; elle est située à la cote 176 de la carte de l'État-Major, à égale
distance dans le milieu du triangle formé par les trois communes de
Cauroy, Machault et Saint-Etienne-à-Arne .
Ce tumulus mesure encore 16 mètres de diamètre sur 2"',o0 d'épais-
seur au milieu, au-dessus du niveau du sol; voulant savoir ce qu'elle
contenait, je pratiquai à ce tumulus une tranchée en croix ; cette fouille
ne me révéla rien, le sol naturel se trouvant sous la butte artificielle.
L'idée me prit de faire des sondages autour de cette tomelle ; bien m'en
prit, car je ne tardai pas h. rencontrer à la base de cette bulle, vers l'est,
un terrain mouvant dont je commençai la fouille immédiatement ; après
un travail assez difficile dans une excavation en forme de puits {fîg. 4),
j'arrivai au ferme à 3'",o0 de profondeur ; j'étais tombé par la voûte dans
une antichambre sur laquelle donnaient quatre ouvertures orientées aux
quatre points cardinaux ; ces ouvertures donnaient accès à deux cellules et
618
ANTHROPOLOGIE
à deux souterrains ; l'entrée de Ja cellule du côté sud avait 0'"45 de largeur
sur O'^jGO de hauteur et l^'oO de longueur, le sol de cette niche se trouvant
de 0'",40 en contre-bas du sol du vestibule.
La cellule du côté nord avait 0'",52 de largeur d'entrée, O'^.GO de hau-
teur, l'",50 de longueur et un mètre de largeur au fond.
L'entrée du souterrain du côté ouest avait 0'",89 de largeur sur 0"',60 de
hauteur; ce couloir, qui a 12 mètres de longueur, va en contournant vers
le sud jusque vers le centre de la Tomelle : c'était le refuge. Il nous reste
encore à dégager la quatrième ouverture qui donne sur le palier par la
voûte duquel nous sommes descendus ; l'entrée de ce quatrième souterrain
a 0™,75 de largeur ; cette pièce étant dégagée doit nous donner accès à
Nord
Ouest
l'ouverture de la descente qui se prolonge peut-être assez loin dans la
plaine.
La question reste toujours de savoir pour quel motif ces buttes artifi-
cielles et ces souterrains ont été créés, par qui et à quelle époque; ayant
continué mes sondages aux alentours de cette butte, je rencontrai à 83 mè-
tres au sud du centre de la tomelle, un fossé rempli formant un quadri-
latère de IS mètres de côté traversé par le chemin de Saint-Pi erre-à-Arne
à Machault et dans ce carré se trouvaient deux sépultures dont je relevai les
squelettes sans aucun objet pouvant donner quelques indices sur l'époque
de leurs inhumations, excepté quelques clous de sandales; ce seul indice
nous donnerait à supposer des sépultures de l'époque gallo-romaine.
Ces buttes paraîtraient être des postes d'observations isolés dont les
souterrains servaient de refuge aux gardiens.
D'' FR. POMMEROL. — LES PENDELOQUES ET LES COLLIERS AMULETTES G19
M. le F François POMMETIOL
à Gerzat rPuy-de-Dôme).
LES PENDELOQUES ET LES COLLIERS AMULETTES
— Séance du 2/ xeptemhre I89i —
L'amulette est un objet que l'on porte sur la personne ou le vête-
ment et auquel on attribue un pouvoir surnaturel. Il est percé d'un
ou plusieurs trous qui permettent de le fixer à un lien suspenseur. Par-
fois l'amulette est unique ; d'autres fois plusieurs sont attachés ensemble
et forment des colliers, des anneaux, des bracelets. Parmi les spécimens
préhistoriques, il n'est pas toujours facile de distinguer l'amulette de la
simple parure. Quand l'objet est seul, quand il est fait d'une substance
commune, comme le bois, l'os, la corne, ou d'une substance pour laquelle
on éprouve une répulsion naturelle, comme les ossements humains, on
peut supposer que cet objet est un amulette. Néanmoins la distinction
n'est pas toujours chose facile : on conçoit, en effet, que l'amulette peut
servir de parure, et la parure d'amulette.
Aux temps quaternaires allant du chelléen au moustérien, on ne cons-
tate que rarement la pendeloque, si même elle existe; les sentiments
rudimentaires de l'art et de la religiosité ne paraissent pas encore s'ôlre
développés. Ce n'est qu'à l'époque suivante ou magdalénienne qu'on
rencontre dans les cavernes et les abris des objets pouvant être consi-
dérés comme amulettes et qui sont ordinairement des dents, des coquilles,
des fragments d'os et d'ivoire percés.
A l'époque néolithique, les idées religieuses semblent prendre un cer-
tain essor. On conserve les morts dans des chambres de pierre et des
cavernes ; on fait la tréipanation sur le vivant, et sur les crânes trépanés
on détache après la mort des rondelles osseuses qui, percées d'un Irou
seront portées 'sur la personne. D'autres ossements humains, tels que
l'omoplate, la clavicule, le pisiforme, ont été trouvés roonis d'un trou
de suspension. Ce sont là de véritables amulettes comme l'ont démontré
Prunières (1), Broca (2), Pruner-bey (3), de Mortillet (4).
(1) Bull. Soc. Anthrop. Paris ; 1874, p. 18:5-189. — Assov. franc., fS-fi, p. r.7n.
(2) Bull. Soc. Anthrop., Paris ; p. -iss-soa.
(3) Ibid, 1867, p. 681.
(4) Rev. d'Anlh., 1S86, n» 4. — Assoc. franc., 1876, p. 368.
620 ANTHROPOLOGIE
Aux âges suivants, duran les civilisations du bronze, d'Hallstat et du
fer, au temps des tumulus comme à l'époque gauloise, la pendeloque
joue un grand rôle dans le costume. On voit apparaître les perles
d'ambre et de terre émaillée que l'on trouve jusqu'à l'époque des inva-
sions barbares dans les cimetières francs (1) et mérovingiens (^).
A l'époque romaine, les représentations phalliques étaient fréquem-
ment portées en pendeloques; il en était de même des monnaies impé-
riales. Ce dernier usage s'est conservé jusqu'à nos jours ; on l'a cons-
taté chez des paysans d'Auvergne (3).
C'est le culte de l'effigie impériale qui, sans doute, adonné naissance
à nos médailles chrétiennes qui sont portées comme de véritables amu-
lettes. Dans le Limousin, la femme fait bénir à sa messe de mariage des
pièces de monnaie qu'elle devra toujours conserver. Et la superstition
actuelle de posséder un sou percé pour porter bonheur se rattache sûre-
ment à l'ancien culte des empereurs.
Les sauvages modernes ont grande confiance dans la vertu des amu-
lettes. Les naturels du Congo (4) et des Iles de l'Amirauté (5) ont des
colliers de dents de sanglier ; les Negrilos de l'île Luçon (6), les sauvages
de l'Equateur, les Aztèques (5) portent aux bras et aux jambes des pen-
deloques de cristal de roche, de jaspe, d'ambre, d'onyx. Les naturels
des îlesAndaman, les Tasmaniens, les Sioux-Dakotahs (7) se parent de
colliers faits d'ossements humains, et spécialement de phalanges d'enfant.
Ce sont de précieux talismans contre les maladies, les esprits méchants,
les fièvres et les douleurs. L'amulette finit donc par devenir un véri-
table remède surnaturel : ainsi la néphrite au moyen âge passait pour
guérir les affections calculeuses des reins.
Les colliers amulettes ne sont pas rares parmi nos populations rurales.
En Bretagne, ils portent le nom de Gougag Pateren (8); ils ont parfois
des perles en pierres de serpent (9). Dans les Flandres, des colliers, des
bracelets, servent à se préserver des mauvaises influences (10). Les mon-
tagnards de l'Auvergne possèdent aussi de vieux colliers auxquels ils
attribuent des vertus miraculeuses. M. Bertrand, ancien conseiller général
du canton de Tauves, a bien voulu nous montrer et nous permettre
d'étudier un certain nombre de ces colliers, qu'il avait recueillis dans les
villages des environs. «Je les ai trouvés, nous a-t-il dit, tantôt à l'état
(1) Mat. pour l'Hist. de Vhomme, 1886, p. 032.
(2) L'Homme., |887, p. 178.
(3) Assoc. franc., 1876, p. 569.
(4) Rev. scient., 3 juillet 1886, .p. 23.
(5) Collect. du Musée du Trocadéro.
16) Bev. scient., 8 août iks7, p. 233.
(7) L'Homme, 1887, p. 200-202.
(8) Bev. nrch., décembre 1865, p. 433-437. — Mater. 1866. p. 217.
(9) Bull. Soc. Anlhr., Paris, 18S7, p. 290.
(10) L'Anthropologie, 1800, p. 614.
D' FR. POMMEROL. — LES PENDELOQUES ET LES COLLIERS AMULETTES 621
complet, tantôt par grains isolés. Ils gisent presque oubliés dans le fond
d'un vieux tiroir. On croit cependant qu'ils possèdent un réel pouvoir,
aussi fait-on de sérieuses difficultés pour s'en dessaisir. Les ancêtres
tenaient autrefois à honneur de s'en orner dans les circonstances solen-
nelles de la vie. »
Ces colliers sont formés par la réunion de quinze à vingt perles enfi-
lées comme des grains de chapelet, sur une chaîne de laiton. Les perles
ont la dimension d'une olive, d'une noisette, d'un pois : elles sont
exactement forées. Elles sont généralement d'ambre jaune ou rouge, et
aplaties aux deux extrémités de l'axe. Le plus souvent elles sont mal
taillées, mal polies, et parfois presque brutes. Il est aussi des grains en
silex agate, en jaspe, en jayet, en cristal de roche et en une pierre
d'apparence granitique. D'autres sont en corail, en verre, en une pierre
rougeâtre veinée de blanc. La plupart sont taillés à facettes, mais il en
est qui sont à côtes longitudinales, et d'autres en forme d'olive polie et
allongée. Les grains de jayet sont généralement de forme sphérique. On
observe aussi de grosses perles olivaires en pâte ou verre émaillé, d'une
couleur bleu pâle. Elles sont régulières et parfaitement polies; quelques-
unes cependant sont d'apparence assez grossière.
L'opercule aplati d'une coquille, ayant la forme d'un œil, est enchâssé
dans une garniture d'argent à bords dentelés. Cet opercule, quand il
n'est pas serti, sert, dans les campagnes d'Auvergne, à expulser les corps
étrangers de l'œil ; et, pour cela, on l'introduit entre le globe et la pau-
pière. Cette coquille est appelée la pierre de la maille. Elle paraît être
la même que celle que les Italiens désignent sous le nom d'oeil de sainte
Lucie, et qui appartient, suivant Belucci, à une espèce de Trochus (1).
Nous devons rapprocher de ce talisman Vœil d'Osiris, amulette de verre
qui s'est porté à Paris ('2), que les Égyptiens nomment oudja, et qui se
fabrique encore à Hébron (3).
Outre la pierre de la maille qui sert à combattre les maladies de l'œil,
les grains ou les pendeloques en agate ou en jaspe rouge sont connus
des paysans sous le nom de pierre du sang. Elles sont employées à
rétablir les écoulements naturels du sang, et guérir les maladies où ce
liquide semble ayoir une certaine influence. Sur un des colliers de Tauves
se trouve une pendeloque de 4 centimètres de long sur 3 centimètres
de large, en forme de cœur allongé, en jaspe rouge, et montée en argent.
C'est là une superbe pierre du sang. Les grains de quartz d'aspect lai-
(1) Catalogue d'une collection d'amulettes italiennes envoyées à l'Exposition universelle de Paris ;
1889, Pérouse, in-s».
Revue dis Trad. pnp.; 1890, p. 21 3, 21 G.
(2) Ibid., 1888, p. 332.
(3) Pbrrot, Hiat. de l'Art, t. III, p. 733.
6^2 ANTHROPOLOGIE
teux sont dits pierres du lait. On les porte pour guérir les engorgements
du sein et faciliter la venue du lait (1).
Ces grains présentent une surface craquelée par l'usure ; ils doivent être
très anciens et avoir une vertu en rapport avec leur âge. Quelques grains
d'agate ont la forme de cylindres allongés et de petit diamètre. Un
grain de forme ovoïde présente un canal garni d'un revêtement de cuivre
ou de laiton où passe la chaîne de suspension.
Enfin, signalons une perle, irrégulièrement circulaire, et en forme de
disque aplati. Elle a un centimètre de diamètre ; le trou de suspension
est foré près du bord . Elle est très polie par suite d'usure et faite d'une
roche talqueuse à veines brunes et bleues, tachetée de points brunâtres.
Tels sont les colliers et les amulettes du canton de Tauves, en pleine
montagne du Mont-Dore, là où les vieilles coutumes et les vieilles tradi^
tions se sont conservées presque intactes jusqu'à nos jours. Il en est de
même dans les montagnes du Cantal; et M. Delort nous a entretenus
autrefois des pierres de la maille, du lait et du sang que l'on observe
encore dans la région de Saint-Flour.
On trouve chez certains pharmaciens des colliers amulettes appelés
colliers de dentition, dont on orne le cou des enfants qui mettent les
dents. Ils sont parfois composés de grains d'ambre ou de succin, mais
d'autres fois ils comprennent un certain nombre de pendeloques en os
taillées en forme de canines de chien ou de loup ; ils sont, dit-on, sou-
verains contre les convulsions qui accompagnent la sortie des dents. Les
colliers en gousses d'ail servent aussi à préserver des convulsions causées
par la dentition ou par la présence des vers intestinaux (2). C'est sans
doute parce que la gousse d'ail a la forme d'une canine de carnassier
qu'elle est employée comme amulette.
Ainsi, bien des usages, bien des pratiques populaires existant encore,
trouvent une explication naturelle par l'étude comparée des objets pré-
historiques. Ces usages ne sont autres que des survivances, des supers-
titions des anciens âges.
(1) Les colliers faits avec dés bouchons de liège ont une propriété contraire ; ils font disparaître le
lait quand la mère ne veut ou ne peut nourrir.
Sur la pieire du sang et la pierre du lait en Italie. V. Rev. Trud. pop., 1890, p, 220; Belucci. —
Op. cit.
(2) Cette pratique existe non seulement en Auvergne, mais encore en Bretagne. (Rev. Trad. pop.,
1892, p. 600.)
F. DOUMERGUE. — LA GROTTE DU CIEL OUVERT, A ÔHAN 623
M. r. LOÏÏMEEGÏÏE
Professeur au Lycée d'Oran.
LA GROTTE DU CIEL OUVERT, A ORAN
— iséance du H septembre 189i —
Cette grotte se trouve sur le versant est des Planteurs. Elle est située
au sommet et sur le versant gauche du ravin de la carrière de l'usine à
gaz. Pour s'y rendre, on prend le chemin qui part du Château-d'Eau et
remonte le ravin Raz-el-Aïn. On ne tarde pas à arriver au pied du plan
incliné de la carrière précitée. Cent pas plus loin, on prend, à droite, le
chemin de la carrière. Près de l'entrée de celle-ci, on quitte le chemin
pour prendre, à gauche, le sentier qui s'engage dans le ravin. Pour arriver
à la grotte, il n'y a qu'à suivre le fond du ravin, sinon on risquerait
fort de la chercher trop longtemps.
Topographiquement la grotte du Ciel ouvert est située dans le deuxième
ravin à l'ouest de la tour xMaussion et à 500 mètres de ce point géodé-
sique. Son altitude est d'environ 300 mètres. Son ouverture regarde le
midi.
Cette grotte est creusée dans un promontoire rocheux qui a environ
20 mètres de longueur, 12 mètres de largeur et o à 0 mètres de hau-
teur au sud et à l'ouest. Elle se compose d'un boyau et d'une chambre.
Le boyau a environ \0 mètres de longueur jusqu'à la chambre et une
largeur moyenne de 1"',80. L'entrée, de forme ogivale, a 2'", 10 de hau-
teur et 2 mètres de largeur. Le boyau se rétrécit à deux mètres de l'ou-
verture et sur une longueur de 1"',20. Il reprend ensuite sa largeur nor-
male. Sauf dans cet étranglement, on peut se tenir debout dans tout le
reste du boyau. La hauteur du plafond varie de 2 à 4 mètres. A la sortie
de l'étranglement, on aperçoit le ciel ouvert dont le plafond est percé.
Cette ouverture a plus d'un mètre de diamètre et s'évase vers l'extérieur.
Un profond sillon creusé dans le roc y conduit les eaux de pluie.
A dix mètres de l'entrée, le boyau est joint à la chambre par un court
embranchement. II se continue ensuite dans la roche vive pour finir trois
mètres plus loin.
La chambre est à peu près circulaire. Elle a un di;i mètre moyen de
624 ANTHROPOLOGIE
6 mètres. La voûte est basse et l'on ne peut guère se tenir debout qu'au
centre. Elle est à peu près obscure. Quelques rayons de lumière y arri-
vent, dans la matinée, par deux petites ouvertures dont la voûte est
percée. Ces petites lucarnes, de forme ovale, ont à peine 0'",10 et 0",20
de grand diamètre.
*
* *
Passons maintenant à l'étude de la grotte.
La chambre n'est pas encore entièrement fouillée. Nous n'en dirons
rien. Nous n'y avons d'ailleurs trouvé que des ossements d'animaux
actuels.
Le boyau a été complètement vidé. C'est du résultat des fouilles que
nous allons vous entretenir.
Les couches étaient au nombre de trois et identiques à celles de toutes
les grottes des environs d'Oran.
L'inférieure, d'épaisseur très variable (0'",10 à 0",30), était formée par
un terreau calcaire jaunâtre, détritus de la roche helvétienne dans laquelle
est creusée la grotte. L'âge de cette couche ne peut encore être déter-
miné.
La moyenne, d'une épaisseur de 0™,60, était formée d'un terreau noir
mêlé, par places, de cendres. Elle renfermait une grande quantité de
grosses pierres qui ont rendu les fouilles très pénibles. Cette couche, que
l'on retrouve dans toutes les grottes d'Oran, commence à être bien con-
nue. Elle appartient probablement à la période néolithique.
La supérieure, moderne, n'avait que quelques centimètres d'épaisseur;
elle ne nous a présenté aucun intérêt.
FAUNE
Comme toujours, la couche inférieure nous a offert d'assez nombreux
débris d'os indéterminables. Toutefois nous avons été assez heureux pour
en retirer :
1° Une mâchoire inférieure, des dents séparées et deux noyaux osseux
de la gazelle dorcade ;
2° Un fragment de noyau osseux d'antilope ;
3° Deux prémolaires inférieures de lait d'un hos.
Nous n'avons pu y trouver aucun reste d'industrie.
La couche moyenne était bien plus riche. Les principaux vertébrés
signalés dans la grotte des Troglodytes par MM. Pallary et Tommasini
(Congrès de Marseille, 1891) y étaient représentés. Nous devons toutefois
signaler l'absence du grand bœuf.
F. DOUMERGUE. — LA GROTTE DU CIEL OUVERT, A ORAN 623
M. Pomel, qui a étudié le produit de nos fouilles, y a reconnu, en outre,
trois espèces fort intéressantes.
T, — Une antilope nouvelle que notre vénéré maître décrira plus tard. Cette
espèce était de grande taille. Elle est représentée :
i° Par une superbe paire de cornes (noyaux) ;
2" Par deux portions de mâchoire inférieure: l'une avec six molaires, l'autre
avec cinq ;
3° Par une portion de mâchoire supérieure avec quatre molaires ;
4° Par les deux têtes d'un tibia ;
5" Par une tète inférieure d'humérus.
M. Pomel croit que cette espèce est figurée sur les rochers de la région des
Ksours.
II. — Antilope Maupasi, Pomel, représentée par une portion de mâchoire
inférieure avec les quatre dernières molaires. Cette espèce n'était connue, jus-
qu'à présent, que des grottes des environs d'Alger.
III. — Struthio camelus, L. Cette espèce est représentée :
1° Par un crâne en assez mauvais état;
2«* Par une tête inférieure de tibia ;
3° Par deux têtes inférieures de tarses, n'appartenant pas au même individu;
4" Par une première phalange brisée.
M. Pallary, qui a fouillé deux fois la grotte avec nous, en a aussi retiré une
tête inférieure de fémur.
Jusqu'ici on avait constaté, dans toutes les grottes, la présence en abon-
dance de fragments d'oeufs d'autruche. Ces débris n'étaient pas sufQsants
pour affirmer que cet oiseau avait vécu sur place. Les œufs auraient pu
être obtenus par voie d'échange. La présence des os réduit aujourd'hui
cette supposition à néant.
L'autruche a donc vécu sur le littoral.
Nous devons ajouter que M. Pomel, qui a revu depuis les collections
de M. Pallary provenant des autres grottes d'Oran, y a trouvé des osse-
ments du grand coureur. Avec les restes de ces trois espèces, nous avons
recueilli aussi une molaire supérieure et un métatarsien de chien. Nous
n'oserions pourtant affirmer que ces deux pièces ont été retirées de la
couche moyenne. Peut-être proviennent-elles de la supérieure. Toutefois
nous ferons remarquer que la présence de plusieurs espèces de chiens a
été constatée par M. Pomel dans les grottes des environs d'Alger (1). Il
n'y a donc rien d'extraordinaire à ce qu'on le trouve à Oran.
Nous fouillons actuellement une grotte qui nous a fourni les dents de
trois ou quatre chiens.
Malheureusement nous ne pouvons, pour le moment du moins, élucider
(i) MM. Pallary et Tommasini (in Bull. Congrès de Marseille, p. 645) disent ne pas avoir trouvé le
chien dans les gisements quaternaires algériens et que probablement il nexislait pas aux époques
anciennes.
40*
^26 ANTHROPOLOGIE
la question, la grotte paraissant avoir été remaniée. La continuation des
fouilles nous permettra peut-être d'être plus précis.
Mais revenons à la grotte du Ciel ouvert. Avec les restes importants
que nous venons de signaler, nous avons encore trouvé :
Bos primigenius, var. mauretanims, Thomas, représenté par trois mo-
laires inférieures.
A citer encore quelques dents d'Equus... de sanglier, de porc -épie, de
gazelle de montagne, deux mâchoires de hétnsson, les phalanges et les
griffes d'un grand rapace, enfin de nombreux restes de ruminants insuffi-
sants pour être déterminés.
Le mouton et la chèvre se sont montrés dans toute la couche moyenne.
Rares en bas, ils étaient plus communs dans les parties supérieures et
abondaient dans la couche moderne.
La couche moderne renfermait des restes de mouton, de chèvre, de
bœuf, d'âne, de rats, d'oiseaux, de bufo viridis.
PRÉSENCE DE L HOMME
Quoique nous n'ayons pas trouvé des ossements humains dans le
boyau de la grotte, la contemporanéité de l'homme avec les animaux
que nous venons de citer n'est pas douteuse. Elle est démontrée :
1° Par les os, qui sont tous fendus ou brisés dans le but d'en extraire la
moelle ;
2° Par les cendres, dans lesquelles on trouve les restes des grands
animaux ;
30 Par les autres détritus de l'alimentation de l'homme;
40 Par les silex taillés et les haches polies ;
50 Par les fragments de poteries;
6° Par quelques autres objets manifestement travaillés par l'homme.
Les détritus de l'alimentation se composaient d'os et d'escargots. Ces
derniers surtout abondaient. Les poches des parois en étaient remplies; on
les trouvait par centaines. Ces poches étaient probablement des réserves.
Toutes les espèces trouvées vivent encore aux alentours de la grotte. Les
coquilles marines n'étaient représentées que par de rares patelles,
quelques trochus et une turritelle. Les moules manquaient. Cette absence
est à noter, car dans la plupart des grottes d'Oran ces mollusques abondent.
Les silex étaient relativement peu nombreux. Ils ne nous ont guère
offert que de grossiers fragments, de petite dimension, taillés à grands
éclats sur une seule face, sans forme définie.
A signaler la présence de quelques rares lames peu retouchées et de
deux ébauches de pointes.
Ces dernières, longues de 3 et 5 centimètres, sont épaisses et taillées
F. DOUMERGUE. — LA GROTTE DU CIEL OUVERT, A ORAN 627
sur les deux faces ; elles sont en silex couleur de cire vierge. Cette espèce
de silex se rencontre ici rarement.
Toute classification de ces silex est impossible.
On ne peut avancer qu'une seule chose : c'est que la couche moyenne
paraît appartenir à la période néolithique. Les haches polies y sont rares et
les pointes de flèche encore plus rares. Ces instruments, produits d'une
industrie avancée, ne sont peut-être pas aussi anciens que les couches
qui les renferment.
Dans toutes les grottes, la couche moyenne est tout simplement sur-
montée d'une couche moderne formée toujours de déjections de ruminants
domestiques. On ne l'a pas encore trouvée recouverte d'une couche stalag-
mitique. Rien ne prouve donc que les couches moyennes étudiées
jusqu'ici n'ont pas été remaniées. Nous avons même de fortes présomp-
tions pour croire qu'elles l'ont été. Quant à l'assimilation de la couche
inférieure avec celle du Moustier, elle est encore bien plus problématique.
Pour notre part, nous croyons qu'elle n'appartient pas à la période quater-
naire. Quelques éclats ne peuvent servir en aucune façon à caractériser
une période géologique. Elle n'appartient pas non plus à l'époque roben-
hausienne. M. Tardy {Congrès de Marseille, l*^"" vol., p. 2G0), qui la classe
dans le campinien, nous paraît fortement présumer la vérité. Nous nous
empressons d'ajouter que, pour le moment, l'assimilation des couches
des grottes d'Oran à celles des grottes de l'Europe centrale n'est que
relative. Le jour où la chronologie pourra être suffisamment établie, ces
couches devront recevoir des dénominations différentes. D'ailleurs, cette
opinion n'est pas de nous. Elle fut émise par M. Cartailliac lors du
Congrès d'Oran. Depuis, M. Carrière la soutient en toute occasion. Nous
l'avons acceptée, car nos observations n'ont fait que la confirmer.
Cette digression nous a encore fait oublier la grotte du Ciel ouvert.
Avec les silex nous avons trouvé deux haches. Elles étaient placées côte
à côte dans une poche de la paroi du rocher, à quelques centimètres au--
dessous de la surface et dans la partie supérieure de la coucfie moyenne.
L'une, en forme de boudiu, est en grès rose. Elle a 0"',128 de lon-
gueur et 0'",034 de diamètre.
Le tranchant a 0"',03o de corde et 0'",(JOG de flèche. La crosse est ré-
trécie. La hache a une face légèrement aplatie sur laquell(3 elle peut repo-
ser d'aplomb. La face opposée, la supérieure, est légèrement cintrée.
Toute la surface est piquetée, sauf le tranchant qui est poli.
L'autre hache, de forme commune, à section elliptique, est en schiste
gréseux de Santa-Cruz.
Elle est polie sur toute sa surface. Elle a 0"',13 de longueur, 0"',0o de
largeur au milieu et 0"\042 de grande épaisseur. La corde du tranchant
est de O'",047, la flèche de O^SOOQ. Les bords sont amincis et arrondis.
G28 ANTHROPOLOGIE
Ces deux haches sont intéressantes en ce qu'elles sont faites de roches
autres que la diorite avec laquelle sont faites presque toutes les haches
trouvées à Oran. Celle en schiste gréseux est remarquable en ce que la
roch(î est très tendre. Elle pouvait donc s'ébrécher au moindre choc sur
un corps dur. Les deux haches ont, d'ailleurs, le tranchant intact;
peut-être n'ont-elles pas servi. Seule celle en schiste est détériorée sur
une face par l'action de l'humidité.
Les débris de poteries, qui étaient assez communs, ne nous ont offert
qu'un morceau intéressant. C'est un fond de vase de forme conique sem-
blable à celui des amphores.
Les restes du travail de l'os manquaient ou à peu près.
La grotte recevant l'eau en abondance par le ciel ouvert, le terreau était
très humide. Aussi il nous a été impossible d'en retirer un seul outil en-
tier en os poli. A peine quelques fragments.
Citons pourtant un objet fait d'un morceau de tibia de carnassier et
non poli.
Cet objet, dont on voit le croquis ci-contre, est de forme triangulaire,
à pointe fortement émoussée. Il porte près de l'extrémité,
r^ sur le bord droit, deux entailles faites au moyen d'une scie.
I "f^ Cet objet ressemble un peu à celui que MM . Siret ont décrit
et figuré dans leur ouvrage sur l'Espagne (1), et qu'ils soup-
çonnent être une idole. Notre idole serait tout simplement
inachevée.
Nous croyons que l'objet que nous signalons était plutôt
un petit registre de comptes.
A signaler encore un morceau de poterie irrégulièrement circulaire de
0™,05 de diamètre et 0'",008 d'épaisseur.
Les faces sont parallèles et paraissent avoir été égalisées par le frotte-
ment. Cette rondelle est percée au centre d'un trou de 0'",006 de dia-
mètre. Quel était l'usage de cet objet? Était-ce un peson de fuseau?
Tels sont les résultats des fouilles qu'il nous a paru intéressant de
vous soumettre.
Tous les ossements et tous les objets que nous avons retirés de la
grotte du Ciel ouvert font partie des collections du Musée d'Oran dont
les richesses préhistoriques augmentent tous les jours.
(1) Les premiers âges du Métal dans le tud-esl de l'Espagne. Résumé, p. 20, pi. II, fig. 19.
D'" L. MANOL'VRIER. — CERVEAU d'lN INDIGÈNE DES ILES MARQUISES 629
M. le W L. MÂIfOÏÏYRIEE
Prof, ù l'École d'Anthropologie, à Paris.
DESCRIPTION OU CERVEAU D'UN INDIGÈNE DES ILES MARQUISES
— Séance du SI septembre i892 —
C'est M. Je U"" H. Gros, médecin de deuxième classe de Ja marine, qui
a fait don à la Société d'Anthropologie du cerveau décrit dans le présent
travail. Ce cerveau est celui d'un homme adulte nommé Petorio, origi-
naire des îles 3Iarquises, qui était employé comme chauffeur sur un navire
français, et qui mourut à l'hôpital de Papeete (Tahiti), d'une dysenterie
aiguë, le 12 mars 1891.
M. le D"" Gros recueillit le cerveau dans un vase en fer-blanc rempli
d'alcool et put ainsi le transporter en France, où il a bien voulu me le
confier, au laboratoire d'Anthropologie de l'école des Hautes Études, et me
laisser le soin d'en faire la description. Il m'a remis, en outre, quelques
notes recueillies par lui à la salle d'autopsie et desquelles j'extrais les
renseignements suivants :
Petorio avait une taille de 1°\"2 (mesurée à l'autopsie). Il était très
amaigri au moment de sa mort, mais il avait dû être très fortement
musclé.
Il portait sur les membres supérieurs des inscriptions tatouées : puacian,
teluaraiali, onitope, hou, kekua kueke kao, Petorio, — opeke hupa ekipine.
Diamètre antéro-postérieur maximum de la tête 180; transverse maxi-
mum loO ; indice céphalique 83,3.
Largeur bizygomatiquc 14-2 ; bicaronculaire 30 ; bigoniaque 112.
Longueur de la clavicule loO ; distance des épines iliaques :218 ; des
deux trochanters 280; longueur totale du pied 230.
Congestion méningée intense. Membranes adhérentes au cerveau au
niveau de la scissure de Rolando. En ce point, se trouvait un îlot unique
de tubercules. Écoulement assez abondant de liquide séreux.
Poids total de Veticéphale avec la pie-mère 1 .3o0 grammes.
DESCRIPTION DU CERVEAU
On voit que le poids encéphalique, mesuré par M. le D-" H. Gros, est
un peu inférieur à la moyenne des Parisiens malgré la stature élevée de
630 ANTHROPOLOGIE
Petorio. Il est bon d'observer que ce poids encéphalique était également
un peu inférieur à la moyenne des Polynésiens, car il correspond, d'après
le coefficient (X 1- l^J indiqué par moi dans un autre mémoire (1) à
une capacité crânienne de 1.5o2 centimètres cubes, alors que les 110 crânes
polynésiens que j'ai cubés ont donné une moyenne de 1.587 (2) en
rapport avec la taille exceptionnelle de cette race. Mais la taille de Petorio
étant inférieure de plusieurs centimètres à la taille moyenne des Marqui-
siens, on peut admettre qu'il était sensiblement aussi bien partagé que la
moyenne de ses compatriotes sous le rapport du poids de l'encéphale.
C'est là un fait bon à noter, à défaut d'autres susceptibles de nous ren-
seigner sur la normalité de Petorio par rapport à ses congénères, car si
cet homme eût été inférieur sous le rapport du poids cérébral, on serait
en droit de soupçonner que l'infériorité morphologique de son cerveau
était un fait aussi purement personnel, ce qui contribuerait certainement
beaucoup à affaiblir la signification ethnographique et anthropologique du
cas de notre cerveau polynésien jusqu'à présent unique.
Après dix-neuf mois de séjour dans l'alcool, l'encéphale a été divisé et
exposé à l'air libre pendant vingt-quatre heures, après quoi j'ai obtenu les
poids suivants :
Hémisphère droit 3S5 gr. ) ^
^ , oo- 692 grammes.
— gauche . .... 66 i )
Cervelet 84
Protubérance et bulbe 19
Total de l'encéphale 795 grammes.
Il ressort de ces chiffres que l'encéphale a perdu dans l'alcool les
412 millièmes de son poids et que l'hémisphère droit était sensiblement
plus lourd que le gauche. La comparaison des autres poids ne donnerait,
je crois, que des résultats trop sujets à caution.
La forme générale du cerveau a dû être altérée un peu par le séjour
dans l'alcool et aussi par une compression subie dans le sens antéro-pos-
térieur. La courbure très forte de la ligne sagittale me paraît cependant
naturelle et conforme à la forte courbure de la voûte crânienne dans le
type polynésien.
J'ai pu mesurer sur la ligne médiane les dimensions suivantes, en sui-
vant la pratique déjà adoptée dans mon étude sur le cerveau de Véron (3j.
(1) L. Manouvrier. Mém. sur l'interprétation de la quantité dans l'encéphale. (Mém. de la Soc.
d'Anihr. de Paris, 2° s., t. III.)
(2) Ibidem.
(3) Étude sur le cerveau d'Eugène Véron et sur une formation fronto-limbique. (Bull, de la Soc.
d'Anihr. de Paris, 1892.)
D'" L. MANOL'VRIER. — CERVEAU d'lN INDIGÈNE DES ILES MARQUISES 631
Je dois avouer pourtant que la correspondance des mesures sur des cer-
veaux différents est dilTicile à établir et un peu douteuse, en ce qui con-
cerne les limites de la région frontale sur le bord sagittal. Ce sont là de
simples essais sur la valeur desquels on ne saurait être fixé avant de les
avoir appliqués à un assez grand nombre de cerveaux.
Projections :
Droite. Gauche.
A. Longueur totale en projection 138'"» 139°"°
A'. Largeur de chaque hémisphère 60 62
B. Longueur du corps calleux 62 61
C. Projection du lobe frontal en avant des corps calleux. 26 25
D. Projection en arrière des corps calleux 50 52
Rapports
Chez E. Véron.
De A'à A = 100 87.7 80.1
De B à A = 100 44.2 46.4
De C à A :^ 100 18.7 19.2
De D à A = 100 36.6 34.6
Le premier de ces rapports n'est autre chose que l'indice « cépha-
lique « du cerveau.
Le rapport B à A indique Fétendue relative du corps calleux.
Le rapport C k A indique l'étendue relative du lobe frontal en avant
du corps calleux. Ce rapport est plus élevé chez E. Véron que chez le
Marquisien, bien que le corps calleux soit moins long chez ce dernier.
L'excédent de longueur relative du corps calleux chez Véron est tout
entier aux dépens de la projection rétro-calleuse, comme l'indique le
rapport D k A.
Dans le calcul de ces différents rapports, j'ai pris une moyenne entre
les mesures du côté droit et du côté gauche quand ces mesures différaient
entre elles. Au cas où ces rapports donneraient des résultats défini-
tivement signilicatifs, il y aurait lieu de les calculer séparément pour
chaque hémisphère.
Courbe médiane antéro-postérieure.
Droite Gauche
o. De l'extrémité postérieure du sillon olfactif à la termi-
naison du premier sillon frontal 50 47
h . Du dernier point à la rencontre du sillon pré-rolandique. l U 128
c. Du sillon pré-rolandique à la scissure sous-frontale. . . 44 31
d. Longueur du lobule quadrilatère
e. De la scissure occipitale au pôle occipital ^V
T. Total de la courbe médiane _^2ji
23 23
45
632 ANTHROPOLOGIE
Rapports de chaque partie à r=100.
a.
b.
c.
d.
e.
MARQUISIEN
E.
VÉRON
Droite
Gauche
Droite
Gauche
17.9
17.2
20.9
23.0
39.7
46.7
37.5
33.0
15.7
11.3
10.9
12.4
8.2
8.3
13.3
12.5
18.2
16.4
17.2
18.9
On peut trouver peu satisfaisant de voir la longueur relative du lobe
frontal plus faible chez Véron que chez un Polynésien remarquable par
la simplicité de son cerveau, comme on le verra plus loin. ,
Ce fait conduirait à mettre en doute la parfaite homologie physiolo-
gique de la portion cérébrale envisagée ci-dessus ; mais il est permis de
supposer que cette supériorité du Polynésien constituait une compensa-
tion partielle à l'infériorité de son lobe frontal sous, d'autres rapports.
La supériorité relative du lobule ovalaire et surtout l'infériorité du
lobule quadrilatère chez le Polynésien sont, au contraire, exprimées par les
chiffres ci-dessus d'une façon tout à fait conforme à l'apparence générale
des deux cerveaux et aux données physiologiques généralement admises.
Pour exprimer numériquement le développement relatif du lobe frontal
mesuré, non plus sur son bord sagittal, mais à sa partie inférieure qui
paraît avoir acquis chez l'homme l'agrandissement le plus marqué, j'ai
mesuré la largeur (i) de chaque lobe frontal au niveau de la partie
moyenne de la branche ascendante de la scissure de Sylvius, sur le pli
postérieur du cap de la troisième frontale, et j'ai comparé cette largeur
à la largeur maxima (o) du cerveau.
En outre, j'ai mesuré au ruban la distance (F) du bord sagittal anté-
rieur au sillon pré-rolandique, au niveau de la portion moyenne du pied
de la troisième frontale, et j'ai comparé cette dimension au reste (P) de
la courbe horizontale allant du sillon pré-rolandique au point le plus
reculé du bord sagittal du lobe occipital. Voici les résultats de cette double
comparaison en prenant les moyennes des deux hémisphères.
Largeur i ..::.. .
Largeur o
Rapport de t à 0 i:= 100.
Courbe antérieure F . .
Courbe postérieure P. .
Rapport de F à P =:: 100
Jlarquisien
Véron
49
50
61
61
80.3
81.9
67
72
131
131
51.1
54.9
D*^ L. MAXOUVRIER. — CERVEAU d'uN INDIGÈNE DES ILES MARQUISES 633
La dernière de ces comparaisons me paraît avoir le plus d'importance
parce que, dans l'évolution progressive du lobe frontal, c'est la portion
inférieure de ce lobe dont l'agrandissement a été le plus considérable.
Or, la courbe antérieure F mesure cette portion précisément.
Dislance du pôle temporal au pôle occipital en suivant la concavité du
lobe temporal : droite lOo, gauche Uo.
Courbe transversale perpendiculaire à la portion moyenne de la scis-
sure de Sylvius :
Droite Gauche
a. Partie sus-Sylvienne 77 78
b. Partie temporale 105 115
Rapport dea à 6 = 100 73.3 67.8
Chez E. Véron, ce rapport était : Droite, 86,9; gauche, 89,0, c'est-à-
dire que la courbe frontale transversale était relativement beaucoup plus
développée que chez notre Polynésien; cela résultait à la fois de la su-
périorité de la première courbe et de l'infériorité de la seconde. En même
temps, la distance du pôle temporal au pôle occipital était inférieure chez
Véron (lOO'"""), bien que la longueur totale des hémisphères fût très
supérieure chez lui : loi et lo6 millimètres.
Je m'abstiendrai de conclusions sur ces différentes mesures jusqu'à ce
que j'aie eu le loisir de les comparer sur un nombre suffisant de cer-
veaux.
Au point de vue de la grandeur des différents lobes, le cerveau de
notre Marquisien présente plusieurs caractères appréciables sans le secours
des instruments et saisissables sur les figures ci-jointes qui sont des
projections dessinées à l'aide du stéréographe de Broca. On peut voir, par
exemple, que la grande étendue du lobe frontal à sa partie supérieure,
indiquée plus haut par ses mesures comparées à celles du cerveau de
Véron, n'est pas" un fait purement artificiel dû au défaut de précision des
points de repère. En effet, la scissure de Rolando est très oblique dans
sa moitié supérieure. Elle se termine bien en arrière du genou du corps
calleux sur l'hémisphère droit.
On peut aussi remarquer la situation très élevée de la scissure de Syl-
vius, autrement dit la place énorme occupée par le lobe temporal sur la
projection latérale des hémisphères, surtout dans l'hémisphère droit, et,
sur la face interne, l'étroitesse du lobule quadrilatère.
SILLONS ET CIRCONVOLUTIONS.
Un fait très intéressant apparaît à première vue : c'est la grande sim-
plicité du plissement de ce cerveau. Elle n'est pas beaucoup moindre
que celle du cerveau schématique de Broca et il n'y a pas une seule
634 ANTHROPOLOGIE
région des deux hémisplières qui présente un degré de complication mé-
ritant d'être appelé un degré moyen.
L'exactitude des figures ci-jointes me dispensera d'une description
détaillée .
Face externe.
A droite, il y a communication entre la portion ascendante de la
FlG. 1.
scissure de Sylvius et le sillon post-rolandique, par suite de l'obliquité
singulière de la portion inférieure de ce dernier sillon.
FiG. 2.
Il y a aussi communication du deuxième sillon frontal, transversalement
dirigé, avec la scissure de Sylvius.
A gauche, la scissure de Rolando se prolonge jusqu'à la scissure de Syl-
vius. Mais en écartant largement les lèvres de cette dernière scissure, on
D"" L. MANOUVRIER. — CERVEAU d'uN INDIGÈNE DES ILES MARQUISES 63o
aperçoit dans la profondeur le pli anastomotique unissant les deux circon-
volutions ascendantes.
Du même côté, le sillon interpariétal communique avec le sillon post-
rolandique et avec la scissure occipitale.
Lobe frontal. — Le principal sillon longitudinal de ce lobe paraît divi-
ser la deuxième circonvolution frontale ; c'est un cas très favorable à
l'opinion suivant laquelle la division primaire du lobe frontal occupe
cette place, opinion adoptée par mon collègue M. Hervé (1), d'autant plus
qu'il s'agit d'un cerveau dont le plissement général est d'une simplicité
rare.
Chez notre Marquisien, en effet, il existe, sur le lobe frontal gauche,
un premier sillon frontal bien marqué et continu, mais qui s'arrête au
niveau de la courbure antérieure du front. A partir de ce niveau il est
remplacé par un profond sillon plus externe qui fait manifestement suite
à un sillon supérieur appartenant à la deuxième frontale et qui descend
jusqu'à l'étage orbitaire où il s'infléchit brusquement vers le bord sagittal.
Quant au deuxième sillon frontal classique, il n'existe pas. Il est rem-
placé par plusieurs incisures courtes et transversales qui n'établissent pas
une délimitation marquée entre la deuxième frontale et la troisième. La
première frontale est rattachée à la frontale ascendante par deux racines
a et 6 (fig. 2), situées près du bord sagittal.
La deuxième frontale nait de la partie la plus inférieure de la frontale
ascendante par une large racine qui occupe la place ordinaire du pied de
la circonvolution de Broca. Il en est de même sur le lobe droit où le pli n
(fig. 1) appartiendrait à la deuxième circonvolution et non à la première,
d'ailleurs assez large.
En somme, il existe sur ce cerveau et des deux côtés, un grand sillon
médio-frontal laissant au-dessus et au-dessous de lui deux larges circon-
volutions : la supérieure incomplètement divisée par un sillon longitudi-
nal, l'inférieure divisée plus incomplètement encore par des incisures
transversales, à tel point que tous les plis de la troisième frontale se
confondent en dedans avec les plis de la deuxième.
La Circonvolution de Broca est donc très imparfaitement délimitée, ce
qui contribue à donner au lobe frontal un caractère vraiment grossier
et primitif.
Cette circonvolution est d'ailleurs réduite à sa plus simple expression.
A gauche, son pied ne s'attache point à la frontale ascendante, si ce
n'est dans la profondeur de la scissure de Sylvius, et elle n'arrive à appa-
raître à la surface externe du cerveau qu'à un centimètre au-dessus de
cette scissure. Le caf est divisé par une incisure qui appartient eu grande
(1) La circonvolution de Broca. l\\it%e. Paris 1888.
636
ANTHROPOLOGIE
partie à la deuxième frontale. En avant du cap, il n'y a plus qu'un seul
pli très court appartenant à la troisième frontale qui disparaît ainsi
brusquement vers le pôle frontal.
A droite, la disposition est la même, si ce n'est que la partie inférieure
du pied n'est point cachée comme à gauche, et que ce pied est plus
mince.
Circonvolutions ascendantes. — La frontale est large à droite. Les sil-
lons pré-rolandique et post-rolandique sont très marqués.
/ifi /'Marquises
FiG. 3.
Circonvolutions pariétales. — Simples comme les autres. Le pli courbe,
à droite, est très peu développé.
Circonvolutions occipitales. — Également peu compliquées. Leur con-
tinuité avec les circonvolutions temporales est assez difficile à suivre, à
cause des interruptions, d'ailleurs fréquentes en général. A gauche, le
.sillon parallèle, interrompu au niveau du lobule pariétal inférieur, est
continué par un sillon qui coupe presque entièrement la première tem-
porale à sa partie supérieure. Cette coupure transversale semble avoir
pour homologue, à droite, une rainure.
Le pli de passage pariéto-occipital supérieur manque à gauche.
Circonvolutions temporales. — La première est coupée, à droite, vers
sa partie moyenne, par un sillon transversal peu profond. — La deuxième
D"" L. MANOUVRIER. — CERVEAU d'un INDIGÈNE DES ILES MARQUISES 637
est remarquable par sa largeur sur les deux hémisphères, et surtout à
droite. — La troisième est large. ~ La quatrième n'en est distincte
qu'en arrière.
Le lobe temporal est vaste, mais simple comme tous les autres.
Face interne.
La simplicité des différents lobes est plus frappante encore sur cette
face que sur la face extprne.
L'étage orbitaire du lobe frontal est élevé.
La première frontale ou frontale interne est assez large à droite, et il
n'existe pas, de ce côté, de sillon intra-limbique. A gauche, la circonvo-
lution frontale est très étroite, encore moins divisée qu'à droite, et le lobe
FiG. 4.
du corps calleux atteint, au contraire, une grande largeur. Il présente
deux incisures longitudinales du genre de celles dont j'ai étudié la signi-
fication dans un autre travail (1).
La scissure sous-frontale, à gauche, est ininterrompue. Il n'y a pas de
pli de passage préovalaire. — A droite, elle est interrompue deux fois.
Des deux côtés cette scissure va s'éloignant du bord sagittal à mesure
qu'elle se rapproche du lobule ovalaire.
Le lobule est très étendu sur les deux hémisphères.
Le lobule quadrilatère, est, au contraire, très étroit et divisé par une
seule incisure transversale dans toute sa largeur. La scissure sous-parié-
lale est bien marquée et longue, c'est-à-dire que le lobule quadrilatère
devient large au voisinage du lobe limbique.
(1) Élude sur le cerveau d'Eugène Véron et sur une formation fronlo-limhique .
638 ANTHROPOLOGIE
A gauche, la scissure calcarine rejoint incomplètement la scissure occipi-
tale, autrement dit : le pli de passage cunéo-limbique est presque super-
ficiel.
A droite, la scissure calcarine est complètement interrompue, avant sa
rencontre avec la scissure occipitale, par un pli superficiel qui n'est pas
le pli cunéo-Iimbique, mais bien un pU anastomotique unissant les deux
dernières circonvolutions occipitales.
Enfin, le bord supérieur de la circonvolution de l'Hippocampe est
entamé par l'incisure limbique de Broca, sur l'un et l'autre hémisphères.
Telles sont les principaux faits à noter sur ce cerveau polynésien
remarquable, on le voit, par divers caractères d'infériorité et surtout par
son degré de simplicité qui le place bien au-dessous de la moyenne des
FIG.
Européens. Il ne suffit pas, évidemment, à établir des conclusions ethni-
ques, car il est très possible qu'il soit inférieur aussi à la moyenne de la
race polynésienne. Cette hypothèse me parait même très vraisemblable
en raison de la supériorité très sensible de la plupart des autres cer-
veaux de sauvages de diverses provenances que j'ai pu examiner.
Outre les particularités intéressantes indiquées ci-dessus, concernant les
divisions du lobe frontal, la simplicité de la circonvolution de Broca, la
grandeur relative des différents lobes, l'exiguïté du lobule quadrila-
tère, etc., etc., il me paraît important d'observer que sur ce cerveau
inférieur l'infériorité du plissement porte à la fois sur toutes les régions,
bien que notre Polynésien fût robuste et de haute taille. C'est un fait de
plus à ajouter à ceux qui tendent à démontrer que les régions cérébrales
dites motrices n'en sont pas moins pour cela des régions intellectuelles.
Les unes peuvent présider plus particulièrement que les autres à des
D'' MAGITOT. — SUR UNE VARIÉTÉ DE CAGOTS DES PYRÉNÉES 639
mouvements, mais les incitations motrices parties de ces centres moteurs
eux-mêmes sont des phénomènes intellectuels et sont consécutives à
d'autres phénomènes intellectuels prochains ou éloignés dont )a com-
plexité se lie à une complexité du plissement cérébral que l'on observe
chez les hommes bien doués intellectuellement, sur les régions motrices
elles-mêmes et sur tous les lobes du cerveau. C'est pourquoi le cerveau
de notre Polynésien, qui était celui d'un homme robuste, mais proba-
blement d'intelligence médiocre, n'est pas moins simple dans les régions
(intellectuellement; motrices que dans la région frontale.
M. le F MAGITOT
Membre de l'Académie de Médecine, à Paris.
SUR UNE VARIÉTÉ DE CAGOTS DES PYRÉNÉES
— Séance du 21 septembre IS9i —
Pendant un assez long séjour que je viens de faire dans la région des
Pyrénées et en particulier dans le pays de Béarn, je fus frappé de ren-
contrer un certain nombre d'individus présentant des dispositions toutes
particulières des mains, des pieds et du système pileux.
Ces individus appartenaient soit à une même famille, soit à deux fa-
milles issues d'une même souche originaire; les dispositions qu'ils pré-
sentaient s'étaient transmises par voie d'hérédité avec des caractères à
peu près identiques et ils constituaient dans le point spécial où ils furent
rencontrés, c'est-à-dire le canton de Salies -de-Béarn, un groupe de popu-
lations auquel les gens du pays donnaient communément le nom àccagots.
En quoi consistent les dispositions qu'ils présentent?
Le voici :
Ixs ongles des mains et des pieds sont déformés. Au lieu de recouvrir
la face dorsale de la dernière phalange et de l'orteil, ils sont arqués en
demi-cercle, se séparant ainsi de la matrice de l'ongle à leur extrémité,
et formant une cavité demi-circulaire remplie de détritus de diverses
sortes.
Dans une autre catégorie, l'extrémité unguéale ne s'est pas seulement
640 ANTHROPOLOGIE
séparée de la matrice sous-jacente, elle s'est brisée et présente alors une
échancrure semi-lunaire remplie également des mêmes détritus.
Toutefois, la substance même de l'ongle paraît normale; il n'y a ni
fissure dans la continuité, ni plaques blanchâtres, ni taches d'aucune sorte.
L'ono-le a sa couleur à peu près ordinaire ; sa consistance semble toute-
fois amoindrie, ce qui explique la fracture du bord terminal, brisé sans
doute pendant les efforts de certaines professions manuelles.
Les deux formes, la forme arquée et la forme en échancrure, se re-
trouvent, d'ailleurs, tantôt sur le même individu, tantôt sur des indi-
vidus difïérents. Ce sont deux sous-variétés accidentelles ou profession-
nelles. La recherche d'un bacille n'a donné jusqu'à présent aucun
résultat.
En même temps que cette disposition unguéale, nous observons qu'au
pourtour de l'ongle, l'épiderme présente des fissures en rayons diver-
gents, partant de la matrice pour s'étendre jusqu'au niveau de la pulpe
des doigts; ces fissures sont peu profondes, ne dépassant pas la surface
du derme, mais assez sensibles au contact. En outre, pendant la saison
d'hiver, elles sont très douloureuses ; elles s'ouvrent, deviennent san-
guinolentes, s'ulcèrent même, suppurent et obligent les individus à se
garnir de chiffons les extrémités des doigts.
Les substances qui emplissent la cavité sous-unguéale paraissent être
formées de débris épithéliaux mélangés à des matières les plus diverses.
Chez les individus qui se tiennent proprement, ce qui est fort rare, cet
amas de matières est blanchâtre ou grisâtre. Chez les individus mal-
propres, c'est une masse noirâtre dans laquelle on voit s'agiter parfois
quelques parasites vermiculaires à la présence desquels les gens attribuent
leur difformité.
Pour ce qui regarde le reste de la main ou des pieds, il est normal.
Aucune déformation ni des phalanges, ni du carpe ou du tarse, pas de
nodosités, pas de plaques anesthésiques. La sensibilité est égale sur tous
les points ; pas de chapelets ganglionnaires, aucun changement de cou-
leur ou d'aspect à la peau. En un mot, la difformité noccupe que la ré-
gion unguéale et consiste dans une incurvation de l'ongle. Les gens du
pays donnent à cette disposition un nom pittoresque et exact : ce sont,
disent-ils en patois, des ouncles de carcoils ou ongles en colimaçon.
Cette première constatation faite au sujet des ongles, nous poursui-
vîmes l'enquête sur le reste du corps. Nous reconnûmes alors que le sys-
tème pileux était frappé d'une réduction plus ou moins notable dans la
quantité. Les cheveux sont rares, clairsemés et d'une finesse toute par-
ticulière ; ils sont, en général, roussâtres. Ainsi une femme d'une qua-
rantaine d'années présentait les cheveux d'un enfant nouveau-né. Son
cuir chevelu se voyait au travers d'une maigre couche de poils. Les
D"" MAGITOT. — SUR UNE VARIÉTÉ DE CAGOTS DES PYRÉNÉES 641
autres régiuns du corps, aisselles, pubis, étaient également couvertes de
poils rares. Un homme adulte, aux ongles déformés, était sans barbe et
avec les poils de la tête el du corps raréfiés, ainsi que nous venons de le
dire.
Nous interrogeâmes alors le système dentaire, dont les perturbations
dans l'ordre tératologique accompagnent assez souvent, comme on sait,
celles du système pileux. Nous ne pûmes retrouver aucune anomalie
particulière. Les individus présentaient, il est vrai, des altérations par-
fois fort avancées dues à la carie très fréquente en ces régions; mais
d'anomalies de nombre, d'éruption ou d'autres variétés, point.
L'altération unguéale et pileuse appartient donc exclusivement au sys-
tème épidermique, c'est une malformation des tissus ectodermiques.
Telle est la désignation sous laquelle il convenait provisoirement de la
classer.
Les autres parties du corps étaient dépoui-vues de toute lésion morpho-
logique quelconque; aucune région aneslhésiée ou hyperesthésiée, pas de
chapelets ganglionnaires sur aucune région du corps; aucune modifica-
tion du lobule de l'oreille, qui était normal et libre, fait assez intéressant
entre autres, car, ainsi que nous le verrons, il a été invoqué comme
caractère unique chez les cagots des Pyrénées.
En interrogeant toutefois certaines personnes capables de nous ren-
seigner, les médecins, par exemple, nous apprîmes qu'on avait signalé
dans quelques communes des environs des individus qui, en outre de la
déformation des doigts, présentaient certaines courbures ou rétractions
anormales des phalanges et quelques plaques cutanées anesthésiées.
M. Lajard aurait même retrouvé dans un village voisin de Salies, à An-
drein, chez une cagote, un cas parfaitement caractérisé de maladie de
Morvan (\).
Plusieurs médecins ont noté, en outre, la fréquence des panaris chez
les individus ainsi déformés; puis la perte de la dernière phalange et
plus souvent des abcès et des ulcérations dans la région péri-uuguéale.
Cette description des caractères observés dans cette catégorie de cagots
nous conduit à indiquer le nombre et la répartition des individus
affectés.
Or, nos observations ont porté sur deux familles, toutes deux origi-
naires de Salies-de-Béarn ou des environs et issues, d'ailleurs, d'une
souche commune. Elles représentent donc, en réalité, une seule famille.
C'est à elle .que nous avons emprunté les moulages que nous plaçons
sous les yeux du Congrès et qui ont, d'ailleurs, été reproduits par le
dessin.
(\) Lajard, Comptes rendus de la Soc. de Biologie, 1892, p. 787.
41*
642 ANTHROPOLOGIE
Nous allons les commenter en indiquant ainsi la généalogie des deux
familles.
Le moulage n° 1 a été pris chez une fille de quarante-sept ans, Ma-
rie C..., native de Salies-dc-Béarn.
Les ongles des mains sont arqués en demi-cercle, soulevés à l'extré-
mité ; c'est le type des « ouncles de carcoils ». Au-dessous de l'ongle, la
matrice, privée sur ce point delà protection de l'ongle, est recouverte de
masses noirâtres, débris d'épithélium mélangés à une foule de matières
ou saletés accidentelles. Tout autour de l'ongle, l'épiderme est fendillé,
fissuré, ce qui donne une certaine sensibilité à la région. De plus,
Tir,. 1. — Marie C..., quaraale-sept ans, cagote de Salies-de-Béarn.
Marie C... nous apprend que, pendant l'hiver, les fissures s'ouvrent, de-
viennent saignantes, ou même suppurent, causant d'assez vives douleurs,
et l'obligent à garnir ses doigts de pansements .
Aux pieds, la disposition des ongles est identique, sauf cependant les
deux ongles des gros orteils, qui sont presque de forme normale. En
outre de la disposition des ongles, les cheveux sont rares, clairsemés et
roussâtres. Aucune autre tare ou signe quelconque. Lobule de l'oreille
normal.
Dans les ascendants de Marie C... nous trouvons :
1° Son père, qui était cagot et présentait, dit-elle, les mêmes altéra-
tions ; il était sans barbe ;
2° Sa mère, qui était normale.
Marie C..., qui n'est point mariée, a une sœur et deux frères.
U"" MAGITOT. — SUR UNE VARIÉTÉ DE CAGOTS DES PYRÉNÉES 64.H
Tableau généalogique de Maine C.
Père cagot. — Mère normale.
Marie C..., cagote,
fille sans enfants.
Amélie C..., cagote, mariée à
S..., normal.
lils, fille, fils, fille,
8 ans, 10 ans, 16 ans, 14 ans,
normal, cagote. normal. cagote.
FiG. 2. — Éloïse L..., cinquante ans, cagote de Salies-de-Béarn.
Sa sœur Amélie présente identiquement les mêmes dispositions que
Marie ; mariée à S..., qui est normal, elle a eu quatre enfants, deux filles
et deux garçons : les deux filles, âgées de dix à quatorze ans, ont les ongles
déformés ; les deux fils, huit et seize ans, sont normaux.
Les deux frères de .Marie C... sont tout à fait normaux.
La deuxième famille de cagots observée par nous se compose de :
1" Éloïse L..., cinquante ans, qui présente les dispositions unguéales
du moulage et du dessin n" 2. Le bord libre des ongles, au lieu d'être
recourbé et entier, s'est brisé, formant une sorte d'échancrure semi-
lunaire, découvrant en ce point la matrice de l'ongle recouverte, comme
dans le cas précédent, de débris épithéliaux et de matières diverses.
L'épiderme est fissuré, fendillé comme dans le cas précédent, et donne
également lieu, l'hiver, à des douleurs et à quelques plaies sui>purantes.
64i ANTHROPOLOGIE
Les cheveux, chez Éloïse, sont rares. La taille, le teint, la forme du
crâne, ne présentent rien de particulier. On n'observe aucune tare ou
disposition quelconque, le lobule de l'oreille est normal.
Les ascendants d'Éloïse se composent de :
1° Sa mère, âgée aujourd'hui de soixante- quatre ans, et tout à fait
normale ;
2° Son père, mort depuis quelques années, et présentant les ongles
identiques à sa fille.
Éloïse L... est fille unique.
Mariée il y a vingt ans à V..., tout à fait normal, eile a trois enfants
vivants :
l** Un fils, André, âgé de dix- sept ans ; ongles déformés, cheveux
rares ;
2° Une fille, Marie, âgée de seize ans, très bien conformée, tout à fait
normale ;
3° Une fille, Lucie, âgée de douze ans, avec les ongles déformés ; les
cheveux sont très rares.
Voici, du reste, la généalogie résumée d'Éloïse L... :
Pierre L,.., cagot; ongles déformés, cheveux rares, pas de barbe,
Jeanne L..., normale.
I
Éloïse L..., cagote, fille unique, mariée à V..., homme normal;
elle eut trois enfants.
André, Marie, Lucie,
17 ans, 16 ans, 12 ans,
cagot. normale. cagote.
Quelques renseignements puisés dans cette dernière famille nous appri-
rent qu'un cousin germain de Marie était cagot comme elle, et qu'il avait
dix frères et sœurs, dont cinq étaient déformés comme lui, et cinq autres
normaux.
Si nous résumons les faits ci-dessus, nous arrivons aux résultats sui-
vants : '
Sur un nombre de vingt-cinq individus, appartenant à une même famille
cagote, avec intervention d'éléments normaux, par suile de deux mariages,
quatorze ont présenté la disposition dite cagote àes ongles et des cheveux,
et onze étaient normaux.
L'altération que nous avons décrite est donc transmissible par voie
d'hérédité ; elle ne l'est pas fatalement, ce qui est dû peut-être à cette
circonstance que dans les familles que nous avons observées, il y avait
un facteur cagot et un normal.
D"" MAGITOT. — SUR UNE VARIÉTÉ DE CAGOTS DES PYRÉNÉES 64o
Nous sommes, du reste, sans documents sur les résultats de l'union de
deux cagots entre eux, n'ayant pas rencontré ce cas particulier.
Nous n'avons pas davantage d'exemples de reproduction, par atavisme,
de la disposition cagote que nous avons décrite, et par atavisme, nous
entendons le fait de la naissance d'un individu cagot, porteur de la lésion,
bien qu'issu de deux facteurs normaux.
Quoi qu'il en soit, l'existence d'un groupe d'individus consanguins et
classés sous le nom de cagots repose sur un nombre considérable d'obser-
vations ; car si nous tenions compte des renseignements fournis par tel
ou tel sujet sur ses parents plus ou moins éloignés, nous parviendrions
aisément à un nombre de quarante à cinquante individus frappés de la
déformation décrite.
Maintenant, il convient d'aborder un autre problème.
Qu'entend-on par cagot?
La désignation de cagot, agoi, kakou, cassot, ou l'une quelconque des
innombrables dénominations analogues, s'adresse, d'une manière géné-
rale en France, à un groupe de population ou à une famille de parias,
à une race maudite, à des réprouvés de l'humanité.
Considérés dans l'histoire, les cagots ont été incontestablement affligés,
soit d'une tare héréditaire, soit d'une affection transmissible et contagieuse
et forcés, par suite, de vivre isolément, en hostilité permanente, au milieu
de populations auxquelles il leur était interdit de se mêler, et con-
damnés, en outre, aux prescriptions les plus humiliantes et les plus
méprisantes.
Telle peut être, ou plutôt telle pourrait être la définition de cagot jus-
qu'à la fin du xvni« siècle, envisagé en particulier dans la région des
Pyrénées et, détail remarquable, la seule catégorie d'individus auxquels
la tradition réserve ce nom aujourd'hui est précisément celle qui présente
les dispositions que nous avons décriles.
Hors de là, le nom de cagot n'est attribué à personne et nulle distinction
sociale ne permet aujourd'hui de le reconnaître. Nous dirons même que
le groupe de famille que nous avons observé et décrit, bien que désigné
communément sous le nom de cagot, n'est réellement plus l'objet d'au-
cune réprobation publique. Ces pauvres gens excitent, il est vrai, une cer-
taine mais très faible répulsion, qui ne s'adresse plus à la caste, mais à
l'individu déformé exclusivement.
Le tableau que nous donnions tout à l'heure du cagot du moyen âge
est donc singulièrement atténué aujourd'hui, si atténué même que
dans beaucoup de localités où l'on interroge les habitants sur l'existence
actuelle de cagots, on répond par la négative : il n'y a plus de cagots.
C'est ainsi que le professeur Bouchard (de Bordeaux), dans sa commu-
nication sur les cagots, est arrivé à cette conclusion que, à l'époque
646 ANTHROPOLOGIE
actuelle, les cagots ne se distinguent par aucun signe particulier des
populations ambiantes, si ce n'est toutefois par un caractère auquel, à
défaut d'autres, M. Bouchard attribue une certaine valeur : nous voulons
parler de l'adhérence de l'oreille à la peau et l'absence du lobule (1).
Ce n'était pas la première fois que ce signe particulier avait été invoqué
pour caractériser les cagots. Le D'' Guyon, qui voyait en eux un descen-
dant des Goths (caas Goth, chien de Goth), avait fait de cette disposition
de l'oreille un caractère ethnique (2).
Cette interprétation n'est pas soutenable, et l'absence de lobule de
l'oreille est simplement une disposition qui se présente dans toutes les
races et est purement accidentelle.
Mais si les cagots ne présentent aucun signe distinctif, seraient-ils donc
les descendants de quelques races d'invasion, les Goths ou les Sarrasins?
L'hypothèse de leur origine gothique s'appuie sur leur désignation
môme, mais c'est à peu près là le seul argument, et il ne résiste guère à
cette considération, que, si les cagots descendaient des Goths, ils en auraient
du moins gardé quelques caractères ethniques, et qu'en outre on ne s'ex-
pliquerait pas la réprobation et l'ostracisme sous lesquels ils ont été main-
tenus pendant des siècles (3).
Il faut, en outre, tenir compte d'une remarque fort juste de M, La-
gneau (4), qui observe que les Goths n'avaient point inspiré la moindre
répulsion au milieu des populations envahies, puisque celles-ci leur avaient
emprunté certaines de leurs lois et de leurs coutumes.
D'un autre côté, l'hypothèse de l'origine sarrasine ne résiste pas aux
mêmes raisonnements. Elle se trouve d'ailleurs surtout indiquée dans les
poèmes et chants populaires (5).
Invoquera-t-on une parenté entre les cagots et les goitreux ou avec les
idiots? De telles idées ne se soutiennent pas. Ni les goitreux ni les idiots
n'ont inspiré la répulsion qui frappe les cagots.
Il faut chercher une autre explication, car, en définitive, si à l'époque
actuelle et de l'aveu de la plupart des auteurs, on ne saurait distinguer
les cagots des individus au milieu desquels ils vivent (6), il n'est pas
moins évident qu'ils ont dû, aux temps écoulés, en différer singuUère-
(\) Voir Comptes rendus du Congrès de Pau, ^'■^ partie, p. 2i3.
(2) Comptes rendus de VAcadémie des Sciences, 12, 19 septembre 1842.
Voir aussi quelques poésies locales faisant allusion à ce mémo signe. Frais'CISOue Michel, Les
Baces maudites de France cl d'Espagne ; Varis, I8'i7, t. II, p. 136.
(3) Palassou, Mémoire pour servir à l'histoire naturelle rfes Pyrénées et des pays adjacents ; Pa.u,
1813, p. 317-389.
(A) Voyez article « Cagot », in Dictionnaire encyclopédique des Sciences médicales.
(o) Voir Francisque Michel, loc. cit., t. Il, p. 139.
(6) C'est ainsi que la plupart des auteurs modernes formulent des conclusions tendant à n'accor-
der aucun signe physique distinctif à cette caste et cherchent vainement dans les considérations
ethniques et dans les traditions historiques la raison de l'infériorité sociale des cagots, infériorité
qui, il faut bien le dire, s'efface progressivement tous les jours.
D"" MAGITOT. — SUR UNE VARIÉTÉ DE CAGOTS DES PYRÉNÉES 641
ment pour justifier la situation sociale qu'ils occupaient, la haine, le
mépris et l'aversion qu'ils inspiraient, la crainte et l'horreur qui s'atta-
chaient à leur contact et toutes les mesures sociales et légales qui les
accablaient.
Cherchons ces différences, et si nous reconnaissons aujourd'hui qu'elles
sont singulièrement effacées, remontons, au moyen des documents histo-
riques et des traditions locales, assez haut dans l'histoire du passé pour
nous permettre de reconstituer l'identité complète du cagot.
Il n'est pas nécessaire de poursuivre longtemps cette enquête sans ren-
contrer la lumière.
Pour ne parler que de la région pyrénéenne où, vers les x® et xi^ siècles,
les cagots étaient très répandus, dans toute la région des Pyrénées on
trouve, dans les documents historiques, que le pays, dès avant les croi-
sades, était ravagé par la lèpre, et que la maladie, un peu atténuée par
le temps, éprouvait à chaque retour de la Terre sainte une certaine recru-
descence. Ainsi Gaston IV de Béarn avait ramené d'Orient plusieurs
lépreux ; la maladie reprit alors une nouvelle intensité.
C'est de cette époque que date la série des édits ou fors de la Navarre
et du Béarn relatifs aux lépreux.
Ces édits et prescriptions édictaient des mesures non seulement pour
venir en aide aux malheureux malades, mais surtout pour réaliser leur
isolement du reste de la population. C'est ainsi qu'on les obligeait à
porter sur leur vêtement un signe particulier, la marque en rouge d'un
pied d'oie ou de canard.
D'autres édits de 1606 et 1610 leur interdisent de toucher à la farine
et aux diverses substances alimentaires : ils ne pouvaient être ni meu-
niers, ni boulangers, ni éleveurs de bétail ; on leur permettait seulement
d'élever un cochon. Les seules professions qui leur fussent permises
étaient celles de cordier, de charpentier, de menuisier. Dans la vie pu-
blique ils ne pouvaient se mêler à la population dans aucune cérémonie
ou fête ; ils n'entraient à l'église que par une porte spéciale, la « porte
des cagots ». Ils devaient se tenir pendant les offices dans un enclos
particulier, avec un bénitier exclusif. Dans les processions religieuses,
ils occupaient toujours un rang à part, et si on leur tendait l'eau bé-
nite, c'était au bout d'un bâton il).
Telle était la destinée des cagots en Béarn.
Si, d'autre part, nous mentionnons que dans le Béarn il y avait dès
le xni'' siècle trois hôpitaux de lépreux et qu'en outre chaque village con-
tenait deux ou trois cabanes spéciales et isolées, destinées aux individus
moins malades ou seulement suspects;
(1) Voyez D"- Rochas, Les Parias de France el d'Espagne. Paris, iî>7(j.
648 ANTHROPOLOGIE
Enfin, si nous ajoutons à ces considérations une preuve tirée de
l'étymoJogie , nous constaterons que le terme cagot est dérivé de cacou
ou caguou, qui veut dire ladre, terme celto-breton désignant les descen-
dants des lépreux ;
Ainsi se trouvera établie l'identité absolue des deux termes cagots et
lépreux, identité historique qui se prolonge du x" siècle par exemple
jusque vers la fin du xvn'' siècle.
A cette dernière date, un phénomène se produisit, ou pour mieux dire
s'était produit depuis un certain nombre d'années : la lèpre, ne recevant
plus d'aliment, abandonnée à elle-même, s'est progressivement amoin-
drie, atténuée. Les préjugés attachés à la caste se sont dissipés non
complètement, il est vrai, car on en retrouve quelques traces à l'heure
actuelle ; les léproseries se sont fermées et passèrent à l'état de souvenirs
historiques. Les descendants des anciens parias purent se mêler aux po-
pulations ambiantes ; ils furent admis aux rôles et aux droits des autres
habitants, et c'est ainsi que le voyageur ou le touriste qui parcourt ces
régions autrefois ravagées par la lèpre, cherche vainement quels carac-
tères pourraient faire discerner les descendants qu'ils ont laissés des
autres peuples qui les entourent.
Voilà donc ce qui explique que des savants comme le professeur Bou-
chard, de Bordeaux, ne trouvaient d'autre caractère distinctif des cagots que
l'absence du lobule de l'oreille (1) et que le D'' Guilbeau, de Saint-Jean-
de-Luz, cherche leur origine dans l'invasion gothique (2).
D'une façon générale, tous les auteurs qui depuis deux siècles environ
ont cherché le lépreux d'autrefois dans le cagot actuel ne l'ont point re-
trouvé et se sont par suite égarés sur l'interprétation du mot cagots dans
une foule de considérations où se confondent à l'envie les hypothèses
ethniques, les rapprochements avec les goitreux, les crétins, les idiots et
tous les déshérités que la tradition populaire range aujourd'hui encore
au rang de parias.
C'est ainsi que Rochas s'écrie dans un passage de son remarquable
travail :
« Il n'y a plus de cagots, mais seulement des descendants de cagots. »
C'est sur cette assertion que nous nous arrêterons avant de terminer
cette étude :
Non, il n'y a plus de cagots, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de lépreux
au sens exact du mot, mais à l'observateur attentif qui explore une ré-
gion autrefois ravagée par cette maladie, se révèle l'existence de vestiges
du mal ancien.
(1) Association française pour l'avancement des sciences : Congrès de Pau, 1892, Section d'Anthropo-
logie, séance du 17 septembre.
(2) Les Agots du pays basque; Bayonne, 1S78.
É. PIETTE. — PHASES SUCCESSIVES DE LA CIVILISATIOX DANS LE MIDI 649
C'est la trace de cette survivance de la lèpre en Béarn que M. Zambaco
avait d'ailleurs soupçonnée (1) et que nous croyons avoir retrouvée, de
même que notre collègue l'a rencontrée en Bretagne, ot comme on la ren-
contrera sans doute dans tous les pays d'Europe où la tradition historique
mentionne l'existence de la lèpre à l'état endémique.
Conclusions. — 1° Les altérations des extrémités des doigts, des ongles
et du système pileux observées dans le pays de Béarn seraient des ma-
nifestations lépreuses ;
2" Elles représenteraient les lésions les plus atténuées, les plus effacées
et comme les traces ultimes de la maladie ;
3" Elles établiraient la survivance de la lèpre jusqu'à l'époque actuelle
dans la région pyrénéenne ;
4" Les preuves de l'exactitude de cette interprétation reposent à la fois
sur l'histoire de la lèpre, ie mécanisme de ses atténuations par le temps
et sur les documents historiques, étymologiques et philologiques, ainsi
que sur les traditions locales.
M. Edouard PIETTE '■
Juge honoraire, à Rumigny (Ardennes).
PHASES SUCCESSIVES DE LA CIVILISATION PENDANT L'AGE DU RENNE, DANS LE MIDI
DE LA FRANCE ET NOTAMMENT SUR LA RIVE GAUCHE DE L'ARISE GROTTE DU MAS
D'AZIL .
— Séance du 29 septembre 4892 —
Je nomme glyptique (de yXuTr-o;, ouvrage de ciselure, de sculpture,
de gravure) la succession des temps pendant lesquels l'homme, sortant de
la barbarie primitive, apprit à tailler l'os avec le silex, inventa une foule
(U Voyez : Voyages chez les Lépreux; Paris, 1S9I. — Les Lépreux de la Bretagne en 1892. — Bul-
lelin de l'Aaidémie de Médecine, 23 août I892.
(2) Il semblerait résulter du Compte rendu de l'excursion de Brassempouy publie par M. Magitot
tC R. du Congrès de Pau, \" vol., p. 2oO) qu'il avait été convenu avec le propriétaire de la grotte,
M. le comte de Puud^inx, que les objets de grand intérêt et d'une certaine valeur découverts pendant
les fouilles de l'Association appartiendraient aux musées de la région. C'est une erreur: M. de Pou-
denx, qui a une belle collectioa préliislorique, a toujours entendu, au contraire, se réserver les gra-
vures et les sculptures.
Il semblerait également résulter du même Compte rendu que M. Pielte avait, (juclques jours après
le Congrès, ouvert une polémique dont la presse locale avait retenti pendant plusieurs semaines.
C'est encore une erreur : Si M. Piette, dans des conversations particulières, a condamné des agisse-
ments que M. Magitot a flétris publiquement, il n'a soulevé aucune polémique. Pendant le Congres,
d'ailleurs, la presse locale s'est bornée à rendre compte très succinctement des séances des Sections
et, après sa clôture, les journaux n'ont publié aucun article sur Brassempouy.
650 ANTHROPOLOGIE
d'instruments ingénieux et s'adonna aux arts de la sculpture et de la
gravure. Ce mot est une définition. Il est préférable à celui de magda-
lénien mis en usage par M. de Mortillet : les conglomérats fouillés dans
la grotte de la Madelaine ne représentent pas toutes les phases de la pé-
riode glyptique.
Cette période, qui embrasse toute la série des derniers temps de l'ère
quaternaire primitive écoulés depuis la formation des assises de Solutré,
comprend deux époques bien distinctes dans le midi de la France : celle
des amoncellements équidiens, où prédominent les ossements de chevaux,
et celle des amas cervidiens où les ossements de renne et de cerf com-
mun (Cervus elaphus) forment la masse principale du conglomérat.
Ces deux époques diffèrent à la fois par leur faune, leur climat et leur
industrie. La première est celle de la sculpture ; la seconde, pendant
laquelle on sculptait encore, fut surtout celle de la gravure ; c'est pen-
dant sa durée que furent inventés l'aiguille et le harpon.
Au début des temps équidiens, le lion et la panthère, hôtes des chaudes
régions, vivaient encore dans le pays de Gaule. On en a recueilli des
débris au Mas d'Azil, à Lourdes et à Brassempouy. Ces espèces paraissent
s'être éteintes avant l'époque cervidienne. Il en a été probablement de
même du Rhinocéros tichormus, dont on ne trouve les vestiges que dans
les gisements de la plaine et des plateaux. Le mammouth a duré plus
longtemps. 11 n'a disparu qu'au seuil des temps modernes.
Au commencement de la période glyptique, le renne ne prospérait que
dans le voisinage des montagnes. La plaine, favorable aux lourds élé-
phants, était trop ensoleillée pour lui ; et dans les pays assez voisins des
rivages pour que l'influence du climat maritime s'y fît sentir, il faisait
parfois complètement défaut. C'est ainsi qu'à Brassempouy, dont j'ai
désigné les abris à l'Association française comme assez riches pour être
le but d'une intéressante excursion, l'absence ou plutôt la rareté de cet
animal a forcé l'homme des premiers temps équidiens à sculpter l'ivoire
au lieu du bois de renne. De là, dans ce gisement, un type particulier
d'industrie : le type éburnéen. Dans cette station humaine, il y a eu trois
sortes de foyers successifs qu'il ne faut pas confondre :
1° Les foyers contemporains de ceux de Solutré, avec belles pointes de
sagaie, les premiers en date ;
2" Ceux du début de la période glyptique, avec silex magdaléniens et
industrie éburnéenne;
3" Ceux plus récents dans lesquels on trouve des sculptures et des ins-
truments en bois de renne.
Il résulte de là qu'au début de l'époque équidienne, le climat du midi
de la France était tempéré et même assez chaud pour que le renne n'y
prospérât pas dans la plaine et la désertât. Il était alors relégué au pied
É. PIETTE. — PHASES SUCCESSIVES DE LA CIVILISATION DANS LE MIDI 651
des montagnes, dans les plateaux et les hautes vallées éloignées des
rivages. Peu à peu l'atmosphère se refroidit et l'aire d'habitation de cet
animal s'agrandit ; il put descendre même en été dans les pays de col-
lines basses et dans les vastes plaines.
Le climat fut sec sans excès pendant toute la durée de l'époque équi-
dienne, et le froid augmenta progressivement jusqu'à l'avènement des
temps cervidiens. Mais, au début de l'époque glyptique, la température
avait été assez clémente pour que l'homme ait habité souvent en dehors
des cavernes. A Brassempouy, pendant les temps éburnéens, il avait
adossé ses maisons de bois ou ses tentes de peaux à un petit escarpement
du coteau, comme il l'avait fait en tant d'endroits à l'époque de Solutré.
Pendant la dernière partie de la période quaternaire primitive, le climat
a été très rigoureux dans le midi de la France, au voisinage des Pyrénées,
mais nullement sec, contrairement à ce que l'on a enseigné jusqu'à pré-
sent. Dès le commencement de l'époque cervidienne, l'atmosphère se
chargea d'humidité froide. Il y eut des frimas, des neiges abondantes,
puis des averses glaciales, des pluies continues et des inondations pen-
dant une longue série d'années. Ce fut le temps où la chouette harfang,
la grue primitive, l'eider et les canards des régions boréales affluèrent
dans notre pays, où les chevaux firent place au renne dont les palettes
savent creuser la neige pour y découvrir les lichens dont il fait sa nour-
riture. L'humidité finit par triompher de la rigueur du climat ; alors les
neiges se fondirent ; le renne devint plus rare, remplacé par notre cerf
commun ; puis sous l'influence d'une humidité croissante et d'une tem-
pérature plus douce, il souffrit et disparut. Le mammouth s'éteignit
presque en même temps que lui. L'heure des temps quaternaires modernes
avait sonné.
La succession des assises sur la rive gauche de l'Arise, dans la grotte du
Mas d'Azil, ne peut laisser aucun doute sur la réalité de cette époque
neigeuse et pluvieuse ; elle raconte en traits lumineux l'histoire des der-
niers temps glaciaires.
J'ai constaté, dans la plus grande des tranchées que j'ai fait faire au Mas
d'Azil, sur la rive gauche de la rivière, la série de bas en haut des couches
superposées dont voici la description :
Sur le calcaire formant l'aire de la grotte, entre des blocs anguleux qui
semblent provenir de la voûte, sont des traces de foyers avec charbons, sur
lesquels repose une couche de terre graveleuse, jaunâtre, à éléments grossiers et
anguleux, renfermant quelques os brisés et des pierrailles éparses, assez nom-
breuses, provenant de la colline. Cette couche a 0™,90 d'épaisseur.
0m^25. — Lit de pierres détachées de la voûte, faisant défaut en quelques
i^'ndroits et ne couvrant le sol que par place. 11 est incliné vers le nord.
ûm,3i. _ Terre graveleuse semblable à celle qui est à la base des dépôts.
652 ANTHROPOLOGIE
Oi^jSS. — Couche noire archéologique, formée de terre argileuse compacte à
cléments grossiers, renfermant du gravier, du sable, des pierres détachées de
la voûte, des os fracturés, mais non roulés, des plaquettes de gré micacé sur
lesquelles on a fait du feu, du charbon, des silex taillés, des instruments en os
cassés, parmi lesquels on remarque des aiguilles et des harpons à fût cylin-
drique. Cette assise paraît avoir été remaniée sur place par les eaux débordées.
Ses éléments n'ont certainement pas subi un long transport. En la suivant
à quelques mètres vers l'est, dans une autre tranchée, on en trouve un petit
îlot qui semble intact. Les aiguilles n'y sont pas même brisées. Elle date de
l'époque élaphienne, quoiqu'elle renferme des vestiges de renne assez abon-
dants.
1™,50. — Limon jaune, sableux, schistoïde, plongeant vers le nord-est, se
composant d'éléments très fins, semblables à ceux du loess, auquel il semble
avoir pris la majeure partie de ses éléments. Il se délite en minces feuillets
composés, à la base, de grains de peroxyde de fer et de calcaire, et, à la partie
supérieure, de fin limon. C'est un dépôt fluviatile.
0™,30, — Lit de pierres et limon graveleux, rempli de pierrailles détachées
de la voûte, d'ossements brisés, de silex taillés et d'instruments souvent entiers.
C'est le reste d'une assise archéologique remaniée en cet endroit par les eaux.
Lorsqu'on en suit le prolongement au sud et à l'est, on la voit affleurer intacte
à quelques mètres de la plus grande tranchée. Là elle a été protégée contre le
courant de la rivière débordée par une avancée de la roche à l'entrée de la
grotte. En cet endroit elle a 0,75 d'épaisseur. Les outils les plus fragiles y sont
restés entiers. Les gravures y sont nombreuses ; mais on n'y trouve pas de
sculptures. Les ossements de renne y sont rares; les aiguilles ne sont plus
faites en bois de ce ccrvidé, mais en esquilles d'os : aussi ont-elles un fût aplati
au lieu d'un fût cylindrique comme celles des premiers temps de l'époque cer-
vidienne. Les harpons en bois de renne sont encore en usage. On en trouve
quelques-uns en bois de Cervus elaphus, mais ils sont à fût cylindrique ou
à carène et n'ont pas la forme de ceux de l'époque subséquente. On ren-
contre aussi quelques autres outils en bois de cerf, notamment de gros polis-
soirs. Cette assise est la dernière de l'époque glyptique ; elle contient des
ossements de Cervus elaphus très nombreux, de chevreuil, de bouquetin, de
chamois, de bœuf primitif, de cheval, d'ours, de sanglier, de renard, de loup,
de lynx, de lièvre. Parmi les instruments de forme magdalénienne, on re-
marque de petits grattoirs ronds et de fins silex taillés en lame de canif,
précurseurs des temps nouveaux.
0'",10. — Limon jaune, schistoïde, se délitant en minces feuillets qui ont
en moyenne un demi-millimètre d'épaisseur et sont fomiiés de fins éléments à
leur partie supérieure et de grains plus grossiers à leur partie inférieure. De
minces lits sableux ou de fin gravier sont intercalés dans la masse. Ce limon
disparaît presque complètement dans les endroits où la couche archéologique
dont la description précède est intacte ; son épaisseur est plus grande là où elle
est ravinée; il atteint jusqu'à l™,2i5 de puissance quand elle a été lavée, re-
maniée et enlevée en partie.
0"»,65. — Assise rougeàtre, renfermant des amas de peroxyde de fer, de
grosses pierres tombées de la voûte, des cendres du charbon, des ossements
brisés de cerf commun, de chevreuil, de bouquetin, de chamois, de bœuf pri-
mitif, de cheval, d'ours commun, de porc, de blaireau, de chat sauvage, de
castor, d'oiseaux divers, de truites, de brochets, de cyprins, de grenouilles,
É. PIETTE. — PHASES SUCCESSIVES DE LA CIVILISATION DANS LE MIDI 6.")3
des silex taillés, de nombreux harpons en bois de cerf, perfores et aplatis, des
galets peints en grande abondance, des poinçons, des colliers en dents de cerf
percées et des traces d'herbe ou de litière. Le renne n'y a laissé aucun vestige.
J'y ai rencontré des sépultures de squelettes inhumés après avoir été décharm-s
au silex et colorés en rouge au moyen du peroxyde de fer. Les silex sont
presque tous de forme magdalénienne. On recueille parmi eux de ces pelits
grattoirs ronds et de ces outils en lame de canif déjà signalés dans la dernière
couche cervidienne et que Ton trouve encore dans les cendres à escargots,
0'",60. — Cendres rubanées de blanc, de rouge et de gris, contenant des
lits lenticulaires d'Hélix nemoralis. On y trouve des ossements de cerf, de bœuf,
de cheval, de porc, des silex travaillés, des poinçons, des spatules, des racloirs
polis, des polissoirs en grès, des noyaux de cerise et de prune, des coquilles de
noisette et de noix.
O'^jSS. — Amas de pierrailles tombées de la voiîte contenant des haches
polies et des débris de vases néolithiques. En se prolongeant au nord, il se
transforme en une couche argileuse, noirâtre, contenant des os de porc, de bœuf,
de chèvre, de mouton, de cerf, des silex taillés, des colliers et des amulettes en
albâtre, des épingles en os, des poinçons, des spatules, des flèches barbelées en
silex et des flèches en os avec douilles. En un endroit, un las de terre à poterie
intercalé dans l'assise prouve qu'il y a eu là un atelier de céramique. En un
autre endroit, il y avait une cachette de fondeur avec bracelets de bronze, ex-
trémité de sceptre ou de bâton, culot et moule à fibules. Dans la partie supé-
rieure de l'assise, il y avait quelques parcelles de bronze et des débris de vases
de l'époque calceutique.
1 mètre. — Lit de pierrailles tombées de la voûte, contetiant des débris de
yases gaulois et même de poterie vernissée. En se prolongeant vers le nord, il
se transforme en une couche argileuse, noirâtre, séparée de la précédente par
des blocailles, dans laquelle on trouve du fer et des os de cerf, de porc, de
mouton.
Cette coupe est pleine d'enseignements. Aux dernières assises de l'âge
du renne que l'on peut décrire sans crainte de les confondre avec des
amas sous-jacents, puisqu'elles sont isolées, succèdent une couche ren-
fermant les plus anciennes peintures que l'on connaisse, dans laquelle il
n'y a plus de débris de renne et pas encore de pierre polie, puis des
cendres à escargots renfermant les premiers essais de polissage, et enfin
les vestiges laissés par les civilisations modernes depuis l'époque néoli-
thique jusqu'à nos jours. Mais ce qui est le plus instructif, ce qui jette
un jom- nouveau sur le climat de la fin des temps quaternaires, c'est la
succession des minces lits de limon schistoïde entre les dernières assises
de l'âge du renne. J'ai compté plus de huit cents de ces lits ; chacun
d'eux correspond à une inondation ou à une recrudescence dans une
inondation ; et les crues étaient considérables, comme l'atteste l'altitude
à laquelle ces limons se sont déposés. Il y a donc eu incontestablement
à la fin de l'âge du renne, une époque de grande humidité, de pluies
torrentielles, de fonte de neiges, de puissantes inondations. C'est à cette
époque que les glaciers déjà très réduits au commencement de la période
go4 ANTHROPOLOGIE
glyptique ont reculé définitivement vers le sommet des montagnes jusque
dans leurs limites actuelles.
Les abris de Brassempouy et la grotte du Mas d'Azil éclairent d'un
jour nouveau le commencement et la fin de l'époque glyptique. Ces
stations se complètent l'une l'autre et retracent en traits lumineux les
phases des sociétés humaines sous notre ciel pendant la dernière partie
des temps quaternaires primitifs. Elles seront minutieusement décrites
avec leur faune, leur outillage et leurs objets d'art dans mon ouvrage :
Les Pyrénées pendant l'âge du renne.
M. le F R. COLLI&lfOIf
Médecin major, à Cherbourg.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE ANTHROPOLOGIQUE DES POPULATIONS FRANÇAISES
(CHARENTE, CORRÈZE, CREUSE, DORDOGNE, HAUTE-VIENNE)
— Séance du SI septembre 1892 —
L'Association française pour l'avancement des sciences a bien voulu
nous accorder une subvention en vue de poursuivre des recherches
anthropologiques sur les populations françaises. Nous venons lui apporter
le résumé très condensé des résultats acquis dans notre campagne
de 1892.
Sur notre demande, M. le médecin inspecteur Dujardin-Beaumetz,
directeur du service de santé au Ministère de la Guerre, désireux de favo-
riser ces études, avait consenti à nous attacher cette année au conseil
de revision de la Dordogne. C'est pour nous une dette de reconnaissance
de lui apporter ici publiquement nos remerciements et d'annoncer à la
Section que dans la suite toutes facilités nous seront données, encore
grâce à lui, pour étudier d'autres régions. Qu'il nous soit permis en même
temps d'exprimer ici notre gratitude à tous ceux qui, militaires ou civils,
ont à l'envi facilité notre tâche, nous aidant de leurs conseils, de leur
compétence spéciale ou de leur appui moral pendant cette tournée scien-
tifique. Trop nombreux pour être tous nommés, nous leur adresserons un
merci collectif seulement; mais nous serions coupable de ne pas citer
nominalement M. le général de Launay, commandant le XIP corps
d'armée; M. Fournier, préfet de la Dordogne (1); M. Delahousse, directeur
(1) Depuis que ces lignes sont écrites, M. Fournier est mort, prématurément enlevé à l'affection de
tous ceux qui l'ont connu. C'est avec un profond sentiment de tristesse que nous rendons ici hom-
mage à sa mémoire.
D"" R. COLLIGXON. — ÉTUDE DES POPULATIOiSS FRANÇAISES G.j5
du service de santé du XIl^ corps d'armée, et enfin nos collègues, MM. les
médecins-majors Montané, Renaut, Lartigue, Chrisly et Médieux pour
l'aide directe qu'ils ont bien voulu nous donner.
Ce travail comprendra l'étude des cinq départements qui forment le
Xll" corps d'armée. Dans la Dordogne, que nous avons parcourue canton
par canton, il portera sur l'ensemble du contingent. Dans les quatre
autres départements, nous n'avons pu qu'aller de garnison en garnison
mesurer les soldats dans les casernes. Nous y avons cependant réuni
vingt observations en moyenne pour chacun des 110 cantons qui les com-
posent, sans parler des mesures de taille qui ont été relevées par nos
collègues cités plus haut sur l'ensemble des conscrits de la Charente, de
la Corrèze et de la Haute-Vienne (classe 1891;.
Les mesures recueillies sont les suivantes :
l'' Pour la Dordogne : La taille, la couleur des yeux et des cheveux.
la forme de la courbure du nez notées sur 3.916 sujets (tout le contingent),
Sur 40 sujets par canton (1.880 au total), les facteurs de l'indice nasal,
hauteur et largeur du nez. Sur 20 sujets par canton (940 au total), les
trois diamètres crâniens, antéro-postérieur maximum, transversal maxi-
mum et vertical, la largeur bizygomatique de la face, sa hauteur propre-
ment dite (ophryon à menton) et enfin la hauteur totale de la tête du
vertex au menton en projection.
Il va sans dire que pour chacun des mesurés on notait à part le lieu
de naissance, la taille, la couleur, la forme du nez et enfin les infirmités
ou les particularités physiques qui pouvaient exister.
Ajoutons qu'accessoirement nous avons relevé sur les listes de recrute-
ment des dix années précédentes (classes 1881 à 1890) toutes les causes
d'ajournement ou d'exemption, canton par canton, de manière à pouvoir
non seulement dresser pour chacun de ceux-ci une statistique de géogra-
phie médicale et par suite les comparer les uns aux autres, mais aussi
rechercher si certaines infirmités sont en relation avec la race, avec le
sol ou avec les facteurs sociaux et enfin créer une sorte de moyenne
fixe qui permît une étude comparative du contingent de 1892 et de ceux
qui l'ont précédé. Celui-ci présente, en effet, ce grand intérêt démogra-
phique d'être la génération conçue en 1871, pendant et immédiatement
après la guerre, et de refléter directement les modifications que la mor-
talité ou les misères endurées k cette époque par les survivants ont pu
imprimer à la population du département.
Nous ne pouvons que signaler ici cette partie toute spéciale de nos
recherches, faute d'avoir eu encore le temps de coordonner tous les docu-
ments réunis qui, ne l'oublions pas, portent sur plus de 48.000 indi-
vidus.
2° Pour les quatre autres départements que nous n'avons pu parcourir
6o6 ANTHROPOLOGIE
en détail, nous n'aurons que les caractères suivants relevés sur 20 sujets
par canton (1) (2.200 sujets environ) : les facteurs des indices céphalique
et nasal, la couleur des yeux et des cheveux, la forme de la courbure
du nez et la taille, enfin, sur tout le continrent la taille individuelle de tous
les appelés de la classe de 1891.
Les mesures adoptées dans ce travail, toutes empruntées aux méthodes
françaises, font partie d'un programme plus étendu qu'avec le patronage
de la Société d' Anthvpologie de Paris, nous avons cru devoir recom-
mander au choix des anthropologistes de toutes nations qui voudraient
entreprendre des recherches sur le vivant au cours des opérations de
recrutement. Nous ne dirons donc rien ni du Manuel opératoire, ni de la
mise en œuvre des matériaux, l'un et l'autre ne présentant rien de
particulier, et nous passerons immédiatement à l'examen des résultats
obtenus.
La région étudiée présentait pour l'anthropologiste un intérêt tout
spécial. D'abord, elle n'avait jamais été l'objet de recherches détaillées
sérieuses. En outre, il résultait des faits acquis que trois des départements
qui la composaient, Dordogne, Charente et Haute-Vienne, se distinguaient
par un indice céphalique extrêmement dolichocéphale par rapport k
l'ensemble de la population française (Ind. moyen de 79), alors que les
régions occupées par la race blonde (Kymris de Broca, race de Hallstadt)
si dolichocéphale pourtant, telles que le Nord, le Pas-de-Calais ou la Nor-
mandie n'avaient que des indices de 80, 81, 82 ou 83 (Collignonj. D'autre
part, ces départements étaient classés les derniers en ce qui concerne la
taille, tant par le petit nombre relatif des hommes de haute stature que
par la quantité considérable des exemptés pour défaut de taille (Boudin,
Broca). Enfin, les cartes de répartition de la couleur (Topinard) les
rangaient (sauf la Creuse) dans la région brune modérée.
En raison de leur proximité de l'Auvergne on avait primitivement at-
tribué cette faiblesse de taille à l'influence prépondérante de la race cel-
tique (Broca), petite, brune et brachycéphale ; mais cette opinion avait
reçu un coup mortel lorsqu'il avait été établi par nous que la masse de
la population était dolichocéphale. Il en résultait donc une inconnue
à dégager et c'est ce qui nous avait engagé à porter nos recherches de
ce côté.
Celles ci nous montreront que le problème est horriblement complexe et
que, bien loin de n'avoir affaire qu'à une race peu croisée, nous sommes,
au contraire, em^résence d'une population profondément mélangée, avec
ceci de particulier que ce mélange, au lieu de porter sur deux races,
(1) Militaires en activité de service. Dans la Creuse, la série de vingt n'a pu être atteinte partout
et j'ai dû çà et là fusionner les cautous deux à deux. Pour ce départcmeut, la taille des conscrits
nie manque.
h^ U. COLLIGNON, — ÉTLDK DES POPULATIONS FRANÇAISES 6o~
comme en Bretagne ou dans le nord de la France, porte sur trois, sinon
sur quatre et que nous avons à opérer sur le champ clos où sont venues
se heurter toutes les races dont l'union a lait la France moderne. Leur
fusion s'est effectuée très irrégulièrement suivant les caprices de l'histoire
ou d'après les conditions topographiques locales. Dans telle vallée, la pré-
dominance reste à l'une, dans la vallée voisine à l'autre; ailleurs, des
types mixtes se sont établis ; un peu plus loin les races ataviques persis-
tent sous le flot des envahisseurs et sur certains points avec une fréquence
relative suffisante non seulement pour les reconnaître à l'œil chez les indi-
vidus, mais même pour influencer les moyennes et pour permettre d'ar-
river à déterminer leur aire de répartition par l'étude minutieuse de cer-
tains caractères évalués en chiffres, tels que la série des indices faciaux ou
celle des indices verticaux du crâne et de la tête.
Malheureusement les limites qui nous sont assignées ici ne permettent
guère d'entrer dans les détails de discussion nécessaires ; nous nous borne-
rons à tracer les grandes lignes de l'ethnographie de la région en priant
le lecteur que le sujet intéresserait de vouloir bien se reporter au mémoire
m extenso qui sera publié ultérieurement dans les bulletins de la Société
d'Anthropologie de Paris.
Le premier caractère à étudier ici, car il prime tout par son importance,
est l'indice céphalique. Sa répartition cantonale, reproduite plus loin
(carte I, PL V) trace immédiatement une limite nette entre deux groupes
chés de population : l'un manifestement brachycéphale, l'autre d'une doli-
chocéphalie excessive par rapport à ce qu'on est habitué à trouver en
France, même dans les départements flamands ou normands. L'écart
porte sur 12 unités dans les moyennes, de Champagnac-de-Belair (Dor-
dogne) qui a 76,8 d'indice céphalique, à Larche et à Sainl-Privat (Cor-
rèze) dont la brachycéphalie s'élève à 87,3 et 87,4.
En France, notre moyenne relevée sur 8.700 sujets est de 83, o7. Si nous
traçons sur la carte du XII" corps d'armée une ligne de séparation entre
les indices de 82 et ceux de 83, nous lui voyons remonter en la suivant
exactement la rive méridionale de la Dordogne, puis celle de la Vézère
jusqu'à rentrée de cette rivière en Corrèze. Dès lors elle suit strictement
la frontière des deux départements (c'est-à-dire l'ancienne limite du Péri-
gord et du bas Limousin, des Pétrocorii et des Leraovicesj, puis sépare
la Haute-Yienne de la Corrè/c jusqu'à la hauteur du point où la Vienne
pénètre dans ce département et remonte au nord en suivant la ligne
de faite qui sépare les bassins de la Creuse et du Cher. Les brachycéphales
purs sont tous au sud et à l'est de cette ligne, à l'exception d'une petite
enclave de quatre cantons près de Bcllac (Haute-Vienne) et du canton
voisin de Chabanais (Charente), relié d'ailleurs au centre secondaire de
Beilac par l'indice 82,9 du canton intermédiaire de Coufolens.
42*
(358 ANTHROPOLOGIE
Les dolichocéphales (j'appelle ainsi les indices inférieurs à 80,0) forment
à leur tour deux groupes compacts, comprenant: l'un, toutes les vallées
des premiers atlluents de droite de la Dordogne (Isle, Dronneet leurs sous-
affluents), c'est-à-dire le véritable Périgord, puis la partie sud de la Cha-
rente à peu près jusqu'à la rive gauche delaTardoire ; l'autre, Limoges (1)
et les sept cantons qui l'environnent. Le reste du pays forme une sorte
de zone mixte, à propos de laquelle on remarquera seulement que les in-
dices de 82 dominent dans l'est de la Creuse et ceux de 80 et de 81 dans
la Charente, c'est-à-dire les premiers près de la région brachycéphale, les
derniers près des contrées dolichocéphales .
Nous avons décrit avec précision cette répartition parce qu'elle nous
permet dès maintenant de nous considérer comme éclairés sur l'ethnogra-
phie de toute une partie du territoire étudié, toute la zone brachycéphale.
Il est incontestable que c'est la race celtique de Broca avec tous ses ca-
ractères, si bien décrits par le maître, à laquelle nous avons affaire. Dire
qu'elle est pure, évidemment non ; partout, et c'est dans l'Europe entière
une de ses caractéristiques, elle est profondément imprégnée d'éléments
blonds, au nord de la région surtout (Creuse, nord de la Corrèze), en rai-
son du voisinage de populations contenant manifestement une importante
proportion de sang blond ; au sud de la Dordogne, au contraire, l'adjonc-
tion des dolichocéphales bruns lui imprime sur certains points un cachet
spécial ; mais ce sont là des modifications de détail qui n'ôtent rien à
l'évidence de cette constatation. Reste donc à rechercher si nous trouverons
même unité de race chez les dolichocéphales.
Il suffit d'avoir parcouru le pays pour dire: non. Deux races au moins,
dolichocéphales toutes deux, sont en présence : l'une blonde et l'autre
brune. L'examen des cartes de la couleur vient du reste de le prouver.
L'insuffisance des documents recueillis sur cette question, sauf en Dor-
dogne, nous a contraint à réunir les cantons trois par trois pour obtenir
des moyennes présentant quelque stabilité. L'unité de répartition se trou-
vant ainsi plus grande, certains rapports doivent fatalement être masqués
et les cartes n'ofïrent pas une netteté de rapports comparable à celle de
l'indice céphalique. Il en ressort pourtant au premier coup d'œil que la
proportion des blonds est au maximum dans la Creuse et aux environs de
Limoges ainsi que dans le nord de la Charente. En Dordogne on en peut
suivre une traînée qui, partant de Limoges et de Saint-Yrieix, vient se
répandre sur les plateaux boisés qui séparent la vallée de l'Isle de celle de
la Dordogne et s'accuse surtout dans les cantons de Thenon, Saint-Pierre-
de-Chignac, Vergt, Villamblard et Laforce. Enfin, dans la Charente, les
environs de Confolens (bruns et brachycéphales) étant mis à part, les
(1) Ai-je besoin de dire que j'ai éliminé tous les individus affectés de déformations crâniennes.
D"" R. COLLIGNON. — ÉTUDE DES POPULATIONS FRANÇAISES 639
blonds nombreux au nord semblent décroître graduellement en allant vers
le sud et le sud-ouest. Les bruns, inversement, dominent dans toute la
Corrèze, dans le Sarladais et le Bergeracois (brachycéphales tous trois),
dans les vallées périgourdines de l'Isle et de la Dronne (dolichocéphales
bruns). Des centres secondaires se montrent aux environs de Cognac, de
Confolens et de Bellac, de Guéret, de Boussac et de Bourganeuf.
Enfin les cheveux noirs, très rares dans la région blonde (sauf près de
Guéret), et même en Corrèze où leur total ne dépasse jamais 6,7 0/0,
deviennent très fréquents en Dordogne, surtout au sud-ouest du départe-
ment où ils affectent sur certains points 27 0/0 de l'ensemble du contin-
gent (Saint-Aulaye, Villefranehe de Longchapt, etc.) Tous les cantons de la
région pauvre et marécageuse qui porte le nom de La Double sont dans
€6 cas, phénomène important, car la pauvreté de ce pays et son climat
malsain en font ce que j'ai appelé un « refuge de vaincus » et par suite
ont pu et même dû le préserver relativement des conquêtes et des colo-
nisations. Nous aurons donc chance d'y retrouver les représentants des
plus vieilles races du pays, des Périgourdins primitifs et dès maintenant
il faut noter cette fréquence insolite des cheveux noirs et, ajoutons-le,
des peaux brunes dans cette région .
Ne pouvant multiplier à l'infini les cartes, nous donnerons comme
exemple de la répartition de la couleur celle des quatorze cartes que nous
avons établies qui peut être considérée comme la synthèse de toutes. Elle
a été dressée en ramenant tous les nombres cantonaux à cent, puis en addi-
tionnant d'une part tous les yeux et tous les cheveux foncés, noirs compris,
de l'autre tous les yeux bleus et les cheveux blonds et roux réunis, en
divisant ces deux totaux par deux et en calculant l'excès des uns sur les
autres (carte II). Certes, elle ne remplace par les autres pour les détails;
mais dans les grandes lignes c'est celle qui résume le plus exactement la
-situation.
Quelques chiffres aideront d'ailleurs à fixer les idées.
DEPARTEMENTS
Haute-Vienne . .
Creuse
Charente ....
Corrèze
Dordogne ....
Hojenae des 9 départements.
PROPORTION 0/0 DES
Y EUX
liliMisirlairs
3tj,T
34,7
33,8
29,3
3i,2
33,7
louc^s
24,6
23,3
23,6
23,3
23,6
23,7
CHEVRUX
blniidstriMiiL
21,8
21,9
17,2
15,4
15.0
18,3
liriiiisi noirs
49,6
53,9
57,6
58,4
6G,3
CHEVEUX
noirs seuls
5,2
6,1
5,8
3,8
12,1
6,6
DEMI-SOMME
des yeux
et des clieveux
ctairs
29,2
28,3
25,5
22,3
24,6
26,0
foncés
37,1
38,6
40,6
40,9"
45.0
40.
EXCES
des
foncés
sur les
clairs
7,9
10,3
15.1
18.6
20.4
li.4
660 ANTHROPOLOGIE
On voit par le tableau ci-joint que, dans la région étudiée, les cheveux
foncés dominent, même dans les départements les plus blonds, et qu'en ce
qui concerne les yeux, les teintes claires, tout en étant plus fréquentes
que les teintes nettement foncées, sont pourtant en minorité par rapport
aux tons moyens.
Faisant application de ces données au problème posé plus haut, nous
pourrons conclure que nous avons affaire à deux races dolichocéphales
au moins: l'une, blonde, en minorité là même où elle est la plus nom-
breuse, se cantonnerait dans le Haut-Limousin et dans la Marche, ayant
pour centre les environs de Limoges et s'y reliant dans l'est avec une
poussée parallèle de blonds qui remonterait la vallée du Cher; l'autre,
brune ou noire de cheveux et comprenant peut-être deux types spéciaux,
serait propre au Périgord et au sud du département de la Charente.
Des croisements multiples sont intervenus entre ces races, créant des
'types mixtes locaux, tels que les brachycéphales fréquemment blonds
des environs d'Aubusson ou que les dolichocéphales mixtes du plateau
de Vergt et de Savignac-les-Églises (Dordognej, etc. Notons seulement
que presque toute la zone à indices céphaliques intermédiaires, dont nous
parlions plus haut (hidices de 80 à 82,9), est surtout formée d'un mé-
lange de blonds et de brachycéphales. Elle se rapproche ainsi, tant par
la couleur que par la forme crânienne, des autres parties de la France
où le même croisement s'est opéré et, pour prendre des départements
analogues au point de vue du chiffre de l'indice, de nos départements
réputés très hjmriques, tels que : Nord, 80,4 — Pas-de-Calais, 80,4 —
Calvados, 81,6 — Manche, 83,1, etc., avec cette différence pourtant que
ceux-ci sont infiniment plus riches en cheveux blonds et en yeux bleus.
La taille, avons-nous dit, a été mesurée sur l'ensemble du contingent,
sauf dans la Creuse, qui par suite d'un malentendu regrettable devra
rester en blanc sur nos cartes jusqu'à nouvel ordre. Nous avons dressé
diverses cartes de la répartition de cet important caractère : taille
moyenne par canton; proportion 0/0 des hautes statures (l'",70 et plus),
des petites tailles (moins de 1"%60), des ajournés pour défaut de taille
(moins de l'",o4), enfin des très petites tailles (moins de 1°\50).
Toutes concordent dans l'ensemble, sinon dans les détails. Aussi ne
reproduirons-nous ici que la plus importante : la taille moyenne (Carte III),
Sur toutes on voit s'accuser un vaste îlot de petites tailles qui, partant
des hauteurs comprises dans la boucle de la Charente, entre celle-ci et la
Tardoire, couvre les monts du Limousin juste à la limite de la Haute-
Yienne et de la Dordogne et vient se relier à l'est aux plateaux de Gen-
tioux et de Millevaches. Des îlots détachés accusent çà et là une dimi-
nution de stature dans le reste de la région, notamment dans le montueux
et sauvage Sarladais, ainsi que sur les plateaux qui séparent les vallées
D'' R. COLLIGNON. ÉTL'DE DES POPULATIONS F HANÇAISES 661
en éventail du Périgord proprement dit, ou les bassins de la Charente
et de la Dordogne.
Sur certains points la diminution de la stature est excessive : Cantons
de Saint-Mathieu (Haute-Vienne), d'Uzerche, de Vigeois (Corrèze), taille
moyenne l™,o68 — l'",o91 — l'",o94. Tout autour de ceux-ci les
moyennes n'atteignent que les chiffres fort bas de 4'",60 et l'",61. Inver-
sement, sur d'autres points tels que Eygurande (Corrèze), Le Dorai (Haute-
Vienne) ou Villefagnan (Charente), on obtient les chiffres très élevés de
l'",667 — 1",664 — l"',6o6, etc.
Nous sommes bien ici, instruits par ce qui précède, obligés d'accepter
la brutalité des faits. La race n'est pas seule en jeu dans cette incroyable
diminution de la stature. En effet, comparons les uns aux autres les
six cantons extrêmes susdits :
CANTONS
INDICF.
oc'phaliqiie
INDICE
NASAL
TAILLE
MOYKNNE
l'RorimrioN o/u i>ks
TAILLES
supiTifurcs
inférieures
à l°',60
iiiferieiires
à r',:;o
S'-Matilicii cH*«-Vicnnc)
81,8
71.0
I"<5(i8
l.i
67.6
8,8
Uzerclie (Corrèze) . . .
81,2
()9,8
1,591
3,8
54,7
1,!^
Vigeois (Corrèze) . . .
81,6
71.5
l,59i
5,7
i8,0
2,9
Eygurande (Corrèze). .
8V,4
09.9
1,607
i0,5
13,5
0
Le Dorât (H"^-Vienne) .
83,8
66,6
1,601
26,8
9,8
0
Villefagnan (Charente).
80,5
69,0
1,6.50
31.1
20,0
0
On voit que hautes et faibles statures s'associent à des indices cépha-
liques sensiblement égaux, en moyenne 83,5 et 82,9, et il suffira de
regarder les cartes de la couleur pour voir que, si Uzerche et Vigeois sont
dans la région modérément brune, Saint-Mathieu est dans la blonde et
qu'inversement, Villefagnan et Eygurande étant blonds. Le Dorât est
plutôt brun.
Comment expliquer ces faits insolites? J'entends bien qu'on va de suite
tenter de réveiller la fameuse question des terrains granitiques et cal-
caires. Laissons-lui dormir son dernier sommeil; car si notre zone de
petites tailles est bien en pays granitique ou schisteux, non seulement
elle déborde largement celui-ci pour envahir les terrains calcaires (juras-
sique, crétacé et tertiaire), mais en outre c'est sur ces mêmes terrains
schisteux ou granitiques que nous rencontrons les hautes tailles d'Eygu-
rande, du Dorât et des environs de Limoges, ce qui, d'ailleurs, ne fait que
confirmer les observations qu'il nous a été donné de faire tant en Bre-
662 ANTHROPOLOGIE
tagne (régions de Dinan l"\65, de Lannion l'",61) qu'en Normandie^
notamment dans le Cotentin, ce bloc de schistes et de granit si fertile
pourtant en beaux hommes.
Nous sommes donc conduit à attribuer cet abaissement de la taille auT
facteurs sociaux, c'est-à-dire à la misère, à l'insuffisance de nourriture,
indéniables dans ces pays montagneux et pauvres, où les châtaignes font
encore la base de l'alimentation et oîi la dégénérescence organique s'ac-
cuse non seulement par le rabougrissement de la race, mais encore par
le nombre considérable de tares physiques qu'elle présente. Un seul
exemple suffira à le prouver; dans certains de ces cantons, les conseils
de revision ont à éliminer pour infirmités le double au moins de jeunes
gens que dans les cantons riches.
En Dordogne (je n'ai pas, on s'en souvient, de renseignements médi-
caux pour les autres départements), prenons deux des cantons de notre
zone de faibles tailles, qui d'ailleurs ne sont pas les plus déshérités sous
ce rapport, ceux de Jumilhac-le-Grand et de La Noaille, et comparons-les
à deux cantons jouissant d'une moyenne de taille élevée :
Jumilhac-le-Grand . .
La Noaille
TAILLE
M 0 r E N N E
AJOURiNÉS ET EXEMPTÉS POUU
INDICE
CÉPHALIQUE
\
DÉFAUT
de taille o/O
INFIRMITÉS
0 0
l™60i
1,6K
15.4
15,6
42,6
41,3
79,9
81,4
Issigeac
Sigoulès
1,611
1,653
6,4
0
27,4
29,9
84,4
82,0
Les chiffres parlent d'eux-mêmes et notre conclusion sera que, seule, la
misère est en jeu dans le phénomème que nous étudions, constatation
qui tranche un des problèmes les plus ardus de l'ethnographie française.
Est-ce à dire que la race n'ait pas elle aussi sa part d'influence en ce
cas? Évidemment si, et, en soumettant à une analyse minutieuse les
chiffres obtenus, nous arriverions sans peine à la mettre en lumière;
mais cette discussion nous entraînerait trop loin ici : disons uniquement
que dans son ensemble la race dolichocéphale brune est, toutes conditions
sociales égales d'ailleurs, plus petite que les deux autres.
L'étude de la face n'a pu être faite en détail que dans la Dordogne.
Parmi les recherches qui s'y rapportent, seul l'indice nasal a été pris^
pour les cinq départements. Sa répartition m'avait de prime abord fort
embarrassé (carte IV). Pour l'expliquer, il faut remarquer :
D'' R. COLLIGNO.X. — ÉTL'DE DKS POPULATIONS FUANÇ.USES 663
1° Que toute la région réellement brachycéphale du sud et de l'est est
mésorrhinienne (indices de 69, 70 et 71), comme c'est la règle;
2" Qu'en sus, il existe une vaste bande d'indices de 70 à 72 franche-
ment mésorrhiniens, qui recouvre très sensiblement toute la région que
nous avons vue précédemment occupée par les petites tailles (ligne de
faîte entre les bassins de la Dordogne, de la Charente et de la Vienne). Il
y a là deux phénomènes connexes, dont jadis j'avais d'avance donné la
loi en disant que : « Pour une même race l'indice nasal varie avec la taille :
leptorrhinien chez les sujets grands, mésorrhinien chez les petits». Au-
trement dit, cet indice est dans une large limite sous la dépendance des
lois de croissance du corps; si celui-ci est très grand, le squelette entier
participe à l'allongement et la face s'allonge, surtout dans sa région
moyenne, c'est-à-dire dans la région nasale; or si l'on songe qu'un milli-
mètre d'augmentation dans la longueur du nez rend l'indice plus élevé
de deux unités en moyenne, on comprendra facilement que 1 énorme
abaissement de la taille qui existe dans cette région doive se traduire par
une exagération de la mésorrhinie. 11 y a donc U une sorte de contre-
coup assez inattendu du facteur « misère », qui rend l'interprétation
ethnographique de ce caractère fort ardue en ce cas. Il reste cependant
certain que, celui-ci mis à part, les races dolichocéphales sont leptor-
rhiniennes et la race brachycéphale mésorrhinienne; mais nous n'oserions
en tirer aucune conclusion au sujet de la répartition des types.
Plus intéressantes en revanche sont l'étude du visage et celle de la face
proprement dite. Les mesures prises sur la tête en dehors des précédentes
étaient : les hauteurs : 1° du crâne (vertex à centre du trou auditif) : 2° de
la tête totale (vertex à menton) ; 3° de la face proprement dite (ophryon
à menton), et enfin la largeur bizygomatique. Nous avons pu à l'aide de
ces données établir divers indices ou rapports les uns déjà usités, d'autres
nouveaux, mais qui tous, grâce à la méthode graphique des cartes de
répartition, nous ont donné des résultats aussi imprévus qu'encourageants.
C'est ainsi que nous avons étudié le crâne dans ses trois dimensions
tant à l'aide de l'indice céphalique classique, que des deux indices verti-
caux: hauteur (vertex à trou auditif) comparée: 1° à la longueur ; 2° à la
largeur, de manière à apprécier le développement en hauteur du crâne.
Ces indices, le premier surtout, ont classé d'abord nettement les cantons
en deux groupes tranchés, exactement comme l'avait fait l'indice cépha-
lique, puis en outre, et la région brachycéphale mise à part, ils nous ont
révélé chez les dolichocéphales l'existence d'un vaste îlot très compact
recouvrant toute la partie de la vallée de l'Isle située en aval de Péri-
gueux, dans lequel une platycéphalie relative s'unit à la dolichocéphalie
(voir cartes V et VI, PL VI). Ce fait très important vient corroborer ce
que nous pouvions déjà soupçonner par suite de la fréquence relative des
664 ANTHROPOLOGIE
cheveux noirs dans la région (voir plus haut) et tend à nous prouver une
dualité de race parmi les populations que jusqu'ici nous avions appelées,
en bloc, les dolichocéphales bruns.
L'étude de l'indice antérieur total du visage • '^vg'^ma iquc x ioo ^^^
" H'' totale antérieure de la tête
venue encore confirmer cette opinion en nous montrant que dans cette
même vallée de l'Isle la tête était dans son ensemble plus basse et la face
plus large que chez les dolichocéphales bruns également, qui l'avoisinent
au nord et au sud (carie VII).
L'indice facial proprement dit donne au contraire des résultats bien
moins satisfaisants. C'est du reste, à mon avis, un rapport d'un intérêt
médiocre sur le vivant, en raison surtout de la difficulté qu'on éprouve
à déterminer l'ophryon avec une précision rigoureuse. Cependant, lui
aussi, après avoir séparé nettement les brachycéphales (indices de 96 à 101)
de l'ensemble des dolichocéphales, crée chez ces derniers deux groupes,
l'un de faces longues (indices de 92 à9o) et l'autre de faces larges (indices
de 96 à 99). La région de la Double, la vallée de la basse Isle et le
Nontronais se rangent dans cette catégorie.
Restent trois indices :
Le pariéto-vertical total de la tête • ranb\ersa max. x too j'jj^^jçg latéral
'^ h"' lotale antér. de la lete
j , ,», D. antt'ro-post. max. X 100 ,1 • ., ,• D. lîizygomatiquex 100
de la tête , . . , — - — , , ... — etleparieto-zygomatique— — ^-^^ ~, '
h' totale antér. de la tête ^ "^° 1 D. transversal niax.
qui tous trois modèlent leur répartition sur celle de l'indice céphalique,
montrant une fois de plus, par leur coïncidence, que les caractères tirés
de l'étude du crâne et de la tète, peu influençables par les facteurs sociaux
et par la taille, sont les véritables bases des recherches ethnographiques.
Disons en passant que l'indice pariéto-zygoma tique, qui, sous une autre
forme, n'est que l'angle pariéto-zygomatique de M. de Quatrefages, se prête,
lorsqu'on en fait l'étude approfondie, à d'intéressantes considérations, un
peu longues à exposer cependant, sur la morphologie crânio-faciale des
dolichocéphales, et que, d'autre part, l'indice latéral de la tête vient con-
firmer une fois de plus l'écrasement de la face qui se rencontre dans la
Double et dans la vallée de l'Isle.
Aurai-je besoin d'insister sur l'importance de ces constatations ? Une
race très dolichocéphale, légèrement platycéphale, très brune d'yeux, de
cheveux et de peau, douée en outre d'une face large et basse, n'a pas en
Périgord besoin d'aller bien loin pour retrouver à Laugerie et à Cro-
Magnon ses ancêtres directs.
Dans les étroites limites qui nous sont assignées ici, nous n'avons pu
qu'ébaucher les grandes lignes de notre travail et nous avons dû suppri-
mer tous les chiffres : les cartes suppléeront d'aiUeurs dans une large me-
sure aux lacunes du texte ; toutes les moyennes y sont portées et les diffé-
rences de teinte en accuseront mieux les écarts que les tableaux les plus
P, DELMAS. LE SANATOUIUM TIIEUMAL DE DAX 603
criblés de chiffres et de pour cent ; d'ailleurs, comment s'y reconnaître
autrement lorsqu'on se trouve en présence de loi unités anthropologiques,
chefs-lieux de canton en général profondément inconnus et dont on ne
peut à la lecture apprécier exactement les rapports topographiques ? Nous
pensons cependant que, si abrégé qu'il soit, cet exposé aura son intérêt
et démontrera celui qu'aurait une étude semblable étendue à la France
entière. Ce serait un gros travail ; en attendant, désireux d'y apporter
tout notre concours, nous nous efTorcerons de le poursuivre d'année en
année, et dès maintenant nous pouvons annoncer à nos collègues qu'en
1893 nous espérons pouvoir porter nos recherches sur la région basque
(Basses et Hautes-Pyrénées) et peut-être, si la chose est possible, sur les
trois autres départements du XVIII'"^ corps d'armée : Landes, Gironde et
Charente-Inférieure, de manière à relier en un tout le travail accompli
dans les deux campagnes de 1892 et 1893.
M. Paul DELMAS
Inspecteur du service hydrolhérapique de l'hôpital Saint-André, à Bordeaux.
LE SANATORIUM THER^IAL DE DAX
Séance du 16 septembre IS92
I
Le cri d'alarme poussé depuis quelques années sur les ravages do la
Tuberculose, sous toutes ses formes, retentit à nos oreilles. Affection
meurtrière entre toutes, elle attaque l'enfance dès le berceau et menace
de faucher dans sa fleur la société tout entière.
Le premier Congrès de la Tuberculose, dû à l'initiative d'un illustre
chirurgien, M. Verneuil, a été comme une révélation de ce qu'il y avait
ci, faire, mais aussi de tout ce qu'on pouvait faire d'efficace pour la
combattre.
Dans la préface du remarquable ouvrage du docteur Charles Leroux
sur l'œuvre nationale des hôpitaux marins, M. Verneuil fait ressortir le
666 SCIENCES MÉDICALES
point essentiel suivant : a. Si la Tuberculose menace tout le monde, à
son début, ses formes souvent assez bénignes, superficielles, limitées,
dites chirurgicales sont curables, dans la proportion inespérée de
75 0/0, par un séjour plus ou moins prolongé au bord de la mer » (1).
Mais, tous les enfants atteints de Tuberculose sont-ils justiciables de
cette médication, hygiénique avant tout? Tout au moins ces enfants le
sont-ils toujours dans des conditions pratiques ?
Nous ne le pensons pas.
D'après les statistiques, il est démontré que le séjour dans les sanatoria
et hôpitaux marins est en moyenne de 423 jours (2). Comme à l'heure
présente l'œuvre nationale des hôpitaux marins ne dispose que de
1.800 lits environ, on voit qu'elle ne .peut soigner annuellement que
1.600 enfants, lymphatiques, scrofuleux ou rachitiques. Ce chiffre est
bien infime, si on le compare aux milliers d'enfants plus ou moins voués
à la Tuberculose.
Dans ces conditions, nous nous sommes demandé si, à côté de l'œuvre
des sanatoria et des hôpitaux marins, il n'y aurait pas lieu de pour-
suivre la création àe sanatoria d'un autre ordre qui, par l' intensité rapide
de leur médicalion, pourraient préparer favorablement aux sanatoria et
aux hôpitaux marins la clientèle si nombreuse des petits tuberculeux
gravement atteints.
En France, la nature a été prodigue pour nous doter de sources mi-
nérales nombreuses, comme elle nous a donné une étendue considérable
de côtes aux climats variés.
Bien des sources minérales peuvent à bon droit revendiquer le mérite
de combattre efficacement les diverses manifestations de la Tubercu-
lose.
Par leur mode d'action et par leurs procédés d'application, la théra-
peutique des eaux minérales, toute différente de celle des bains de mer
et du climat marin, peut être qualifiée d'intensive. Par conséquent, leur
usage doit être court, comme leur énergie, et soumis à la plus grande
surveillance.
Avec elles, possibilité d'aborder le traitement des tuberculeux graves
qui seraient une très lourde charge pour les sanatoria et les hôpitaux
marins; et, le faisant dans un temps relativement court, d'en soigner
un grand nombre, avec des installations hospitalières restreintes.
Sur ce principe repose la création et le mode de fonctionnement du
Sanatoi'ium thermal de Dax fondé en 1888 dans les circonstances sui-
vantes :
(1) Charles Leroux, l'Assistance maritime des enfants et les hôpitaux marins. Paris, 1892, p. 6.
(2) Charles Leroux, loc. cit. p. 32.
p. DELMAS. — LE SANATORIUM THERMAL DE DAX 66"
En 188", l'Administration des hôpitaux de Bordeaux avait envoyé à
Salies-de-Béarn un groupe d'enfants lymphatiques ou scrofuleux. Ces
enfants avaient été installés dans une maison particulière.
Les résultats obtenus furent satisfaisants.
L'année suivante l'Administration voulut envoyer une nouvelle escouade
d'enfants plus nombreux. Ne pouvant y réussir, elle fit appel à notre
concours .
Notre idée première fut : 1° de créer aux Thermes de Dax une instal-
lation spéciale pour le traitement salin de ces petits malades ; 2° de de-
mander à M. le Maire de Dax de les recevoir à l'hôpital de la ville.
Cette proposition n'ayant pas été agréée, le 11 juillet suivant, nous
recevions de M. le secrétaire général des hospices de Bordeaux, une
lettre pressante, nous demandant de recevoir les enfants soit dans les
Thermes, soit dans une de leurs dépendances.
Nous nous mîmes à l'œuvre aussitôt. Un des bâtiments, situé dans un
jardin annexe de celui de l'établissement, fut choisi. Les murs étant en
partie élevés, il fut possible en huit semaines, sur nos indications, de
faire dresser les plans par M. Sanguinet, architecte, d'arrêter les devis et
d'exécuter une construction légère et solide. Le o septembre suivant, met-
tant à profit la présence aux Thermes de M. Proust, l'éminent inspecteur
des services sanitaires, nous avions l'honneur d'inaugurer sous ses aus-
pices le Sanatorium de Dax, en présence des chirurgiens et médecins de
l'hôpital des enfants de Bordeaux.
II
TOPOGRAPHIE. — PLAN. — EXPOSITION.
L'édifice est placé en bordure sur le boulevard de la Marine et dans
le jardin des dépendances des Thermes, dont l'étendue est de 1.000 mètres
carrés environ. Il forme un rectangle dont les deux faces principales
sont orientées à l'ouest sur le boulevard, à l'est sur le jardin. .
Ces deux façades sont protégées des ardeurs du soleil par les arbres
environnants.
Les logements sont disposés au premier étage. Au-dessous, se -trou-
vent un grand chais à bois, des magasins et un vestibule-abri, où les
enfants peuvent se réfugier en cas de pluie, et prendre leur repas du soir,
dans les grands jours d'été.
On accède aux appartements par un escalier et une galerie longeant la
construction à l'est. Elle sert pour prendre l'air aux plus infirmes. Recou-
G68 SCIENCES MÉDICALES
verte d'une toiture en verre opaque, elle leur permet d'en jouir en tout
temps,
A l'intérieur, le bâtiment a une longueur de 18'",20 et une largeur de
4"\70. Cet espace a été divisé en cinq pièces d'égale largeur, soit 3'",G0
pour chacune.
La hauteur du plafond est limitée à 3'",10, hauteur réduite. Elle était
imposée par le genre et la rapidité de la construction, mais corrigée par
les dispositions prises pour aérer énergiquement chaque pièce.
En effet, le corps de bâtiment est simple. Tout en se communiquant
entre elles pour faciliter la surveillance et le service, les pièces sont indé-
pendantes. Chacune a accès par une porte s'ouvrant sur la galerie exté-
rieure. A l'opposé de celle-ci, une fenêtre. L'une et l'autre pourvues
d'impostes mobiles, allant jusqu'au -plafond. Dans ces conditions, les
deux ouvertures se faisant face, la ventilation supérieure est bien assurée
par les impostes, et elle se fait là, où, précisément, entraînés par la
légèreté de l'air échauffé, s'établit de préférence la zone dangereuse
des germes pathogènes.
Sous les croisées, au niveau du plancher, se trouve une prise d'air
extérieure ayant 0",30 de hauteur sur 0'",40 de largeur; son opercule,
s'ouvrant de bas en haut, oblige l'air frais à raser le plancher avant de
s'élever et de s'échapper par les impostes.
Inutile d'ajouter que fenêtres et portes étant ouvertes, une ventilation
énergique et rapide assure une aération complète des appartements.
Si, fatigué pour une cause quelconque, ou trop infirme, un enfant est
obligé de garder le lit dans la journée, on peut continuer la ventilation
par les impostes et la prise d'air froid du plancher, portes et fenêtres res-
tant fermées, car les lits, étant placés aux quatre angles des pièces, se
trouvent en dehors de la colonne principale d'air animée d'une vitesse
sensible.
Ces lits sont en fer avec sommiers à lames, et ressort en cuivre, sans
garniture, ni étoffe, du système de Viguier fils de Marseille. Un matelas
de laine, une toile de protection en caoutchouc, un oreiller, une chaise
au pied du lit et un lavabo, à tiroir, pour serrer les effets, complètent
l'ameublement sommaire de chaque pièce.
En adoptant, comme hauteur, la dimension ordinaire de nos habitations
et en disséminant les malades par petites chambrées de cjuatre lits, il en
résulte la possibilité de réduire d'un bon tiers les dépenses de la cons-
truction.
Quoi de plus logique ! l'enfant d'un sanatorium n'y réside guère que la
nuit, de même que, dans un appartement privé, la chambre n'est guère
occupée que pendant cette période des vingt-quatre heures.
Le Sanatorium thermal de Dax, avec son mobilier et son appareil de
1>. DELMAS. — LE SANATORIUM THERMAL DE DAX G69
chaufTage et de ventilation pour l'hiver a coûté 8.000 francs, soit 500 francs
par lit. Ce prix est presque inférieur de moitié à celui de l'hôpital modèle
de M. Charles Leroux, dont les 280 lits reviendraient à 930 francs chacun.
Il est vrai, hàtons-nous d'ajouter, que nous ne faisons pas entrer en ligne
de compte ni l'installation balnéaire, ni les services généraux fournis par
les Thermes eux-mêmes, ni la valeur du terrain occupé.
L'impression de la Commission du Conseil de surveillance de l'Assis-
tance publique de Paris, recueillie pendant son voyage en avril dernier
aux diverses stations thermales ou maritimes, susceptibles de recevoir les
petits malades rachitiques et scrofuleux, a été la suivante, traduite par
son savant rapporteur le D'' Millard de l'hôpital Beaujon : « Dax ménageait
à la Commission une surprise favorable... Disons tout de suite que la
Commission tout entière a été très favorablement impressionnée par
les richesses balnéaires qu'on lui a montrées et qu'elle ne soupçonnait
pas, mais aussi par le petit Sanatorium bien agencé qui pourrait être
mis immédiatement à sa disposition (i). »
Puis le savant rapporteur rappelle l'initiative prise par Larauza père et
nous dès 1874 (et même, pourrions-nous ajouter, dès 1872j pour l'emploi
combiné des eaux mères de la saline de Dax, avec les eaux et les boues
minérales chaudes de la station.
m
DISCIPLINE. — NOURRITURE. — EXERCICE. — INSTALLATION RALNÉAIRE
Discipline. — Nourriture. — Annexé à un hôtel thermal de premier
ordre, les petits pensionnaires du Sanatorium de Dax bénéficient de ce
voisinage, surtout au point de vue de l'alimentation. Inutile d'insister sur
ce point.
Les enfants se lèvent de 6 heures et demie à 8 heures, et se couchent
de 7 à 8 heures suivant les saisons. Aussitôt habillés, ils prennent un
premier déjeuner au lait, ou au chocolat, ou une soupe. Puis, ils descen-
dent au jardin et se livrent à divers jeux jusqu'à 10 heures et demie,
heure des bains et douches.
A midi, dîner composé d'un rôti ou d'un ragoût de viande, légume,
dessert et vin pour boisson. L'après-midi est réservée pour la promenade
et un deuxième traitement balnéaire prescrit à quelques-uns. Les moins
U) Admiuislralion générale de l'Assistance publique de Paris. — Couseil de surveillance. —Com-
mission des stations tliermales et maritimes. — Arcachon.— Cap-Bretou.— Banyuls.— Uax. — sulies-
de-Béarn. — Pau. — Saiut-Jean-de-Luz.
Rapport présenté, au nom de la Commission, par M. le D» Millard, 30 juin 1892, p. 9.
MM. Emile Ferry, Navarre, Risler, Millard; rapporteur, D' Millard (loc. cit.), p. lo.
670 SCIENCES MÉDICALES
ingambes restent dans le jardin; ceux repris d'accidents aigus reposent
sur leur lit.
A 6 heures, souper, avec menu analogue à celui du dîner.
Le coucher a lieu peu après le repas.
Installation balnéaire. — Celle-ci a été organisée dans une des salles de
l'établissement thermal. Elle renferme sept baignoires spéciales dont cinq
en bois; deux douches en jet et en pomme d'arrosoir.
Toutes les autres salles des Thermes sont également à la disposition de
ces petits malades. Ils accèdent à l'établissement par un corridor faisant
suite à un tunnel traversant la rue.
Pendant les trois premières années, le traitement balnéaire a eu pour
base exclusive l'emploi des eaux mères des salines de Dax, combiné avec
celui des eaux et des boues minérales chaudes de la station.
En 1891, sous l'influence de M. Milliès-Lacroix, maire de Dax, une Com-
pagnie locale, Dax-Salin-Thermal, s'est créée pour la construction d'un
établissement salin et d'un casino aux proportions monumentales, afin
d'exploiter à la fois les eaux mères et les eaux salées de Dax.
Depuis lors, nous recevons nous-mêmes ces deux catégories d'eaux
salines.
Exercice. — Quelques appareils rudimentaires de gymnastique et di-
vers jeux permettent aux enfants les plus ingambes de se livrer à un
exercice salutaire dans le jardin des dépendances, lequel leur est exclusi-
vement réservé.
IV
FONCTIONNEMENT. — DURÉE DU SÉJOUR. — THÉRAPEUTIQUE.
Créé en 1888 et en 1890, mis à la disposition du service des Enfants
assistés du département de la Gironde, le Sanatorium de Dax a pu ré-
pondre jusqu'à ce jour à toutes les demandes. Il reçoit les enfants accom-
pagnés d'une infirmière chargée de les surveiller, de les panser, conduire
au bain et à la promenade. Le prix de journée est fixé à 2 fr. 50 cent.
En 1888, la durée du séjour fut limitée à vingt jours, sauf pour une
enfant, qui, venue après les autres, resta au Sanatorium pendant deux
mois.
Il fut aisément démontré qu'un traitement salin de vingt jours était
absolument insuffisant.
Les années suivantes, la durée fut portée successivement à trente,
trente et un, trente-sept, quarante et quarante-trois jours. Cette dernière
p. DELMAS. — LE SANATORIUM THERMAL DE DAX 071
limite de quarante-trois jours n'a pas encore été dépassée. Pour la majo-
rité, la chose eût été inutile. ISéanmoins, plusieurs enfants auraient
retiré un avantage certain à faire un séjour de deux mois; mais à la
condition de scinder en deux ou trois séries le nombre total des séances
balnéaires par des intervalies.de quatre à huit jours de repos.
Les médecins des Thermes appelés à soigner ces enfants, plus particu-
lièrement aujourd'hui le D"" A. Larauza, ont constaté que le traitement
salin à forte dose tel qu'il est pratiqué à Dax, soit de lo à 40 0/0 d'eaux
mères, ou d'eau salée, dans l'eau minérale chaude de Dax, provoque rapide-
ment des effets de saturation. Dès les premiers jours, il y a augmentation
d'une suppuration de meilleur aloi et retour momentané à l'état aigu. —
C'est de l'action substitutive au premier chef.
Quoi qu'il en soit, la saturation obtenue, l'enfant est fatigué et ne retire
plus aucun bénéfice de la médication, malgré tous les ménagements pris
pour retarder ce point limite. En un mot, il est saturé — salé, dirions-nous
volontiers, comme notre savant confrère M. Charles Leroux.
La clinique thérapeutique des trois premières années porte sur 49 ma-
lades. — Elle offre un intérêt tout particulier en raison de ce que pareille
expérience sur le traitement salin, avec l'emploi exclusif des eaux mères
d'une saline, mélangées à une eau minérale sulfatée, mixte, hyperther-
male, ne paraît pas avoir été fait.
Depuis 1891 on a pu employer également l'eau salée des salines de
Dax et étalilir ainsi un nouveau procédé de comparaison.
STATISTIQUE MEDICALE
Les résultats thérapeutiques sont fort satisfaisants, et cependant infé-
rieurs à ceux du remarquable hôpital de Berck-sur-Mer, pour les raisons
suivantes :
l'' La clinique du Sanatorium de Dax a pour base principale des cas
toujours plus ou moins graves de scrofule et de tuberculose confirmés.
"l" Les traitements ont été trop courts, et chez plusieurs malades il eût
fallu un deuxième traitement salin, sinon plus, pour achever la cure (1).
Ces réserves faites, voici les chiffres recueillis sur 109 malades pour les
cinq années écoulées :
(1) Dans les Ospizii marini de l'Italie, les enfants ne font qu'une saison de quarante-cinq jours,
mais ils la répètent jusqu'à sept années consécutives. — Van Merris, la Scrofule et les bains de
mer, p. 66. — Paris, J.-B. Baillière et fils, 1886.
67-2
SCIENCES MEDICALES
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p. DELMAS. — LE SA.NAT0H1U.M THERMAL DE DAX 673
Dans ce tableau, les malades classés comme très fortement améliorés et
fortement améliorés étaient des candidats à une guérison procliaine ou
imminente, mais non encore effectuée à leur départ du Sanatorium. Ils
représentent, avec les malades guéris, une proportion de 40 0/0.
Ceux classés comme simplement améliorés devaient faire encore une
ou deux saisons au moins pour rentrer dans les catégories précédentes.
Ils sont au nombre de 30 0/0.. Ceux classés comme légèrement améliorés
étaient des malades moins guérissables, et ceux n'ayant rien obtenu repré-
sentent une proportion de 4 0/0.
Des J09 enfants, le plus jeune, un garçon, avait trois ans, et le plus
âgé, une fille, dix-huit ans et demi. Ce dernier chiffre est exceptionnel,
le Sanatorium de Dax étant réservé à des enfants ayant au moins trois ans
et au plus quinze.
L'âge moyen de tous ces enfants a été de :
En 1888 de 10 ans 2.
En 1889 de il — o.
En 1890 de 11 — o.
En 1891 de 11 —
En 1892 de 10 — 2.
La moyenne des cinq années s'est élevée, pour les o3 garçons, à
ilix ans ; pour les 56 filles, à onze ans deux mois, et, pour les deux sexes
réunis, à dix ans et demi.
Le tableau suivant donne l'accroissement du poids, la diminution,
l'état stationnaire de 108 enfants.
Les enfants ont été pesés à l'arrivée et au dépari; 82 sur 108 avaient
gagné 0'',300 à 6 kilogrammes, et, en moyenne, l'',446 en 33 jours 06,
durée moyenne du séjour. Chez 20 'enfants, le poids était le même et
S enfants avaient perdu de 0'',o00 à 1 kilogramme.
Les moyennes du tableau ci-dessous ont pour base :
1° Les 83 enfants dont le poids avait augmenté ;
2" En y comprenant les 2o enfants dont le poids était resté station-
naire ou avait diminué.
43*
674
SCIENCES MEDICALES
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P, DELMAS. — LE SANATORIUM THERMAL DE DAX 675
11 est admis que le poids d'un enfant bien portant, ayant de six à
quatorze ans, s'accroît en moyenne par mois de loO grammes (1).
D'après cette base, on obtient les résultats comparatifs suivants pour
les 83 enfants ayant gagné en. poids et pour les 108 enfants formant le
chiffre total.
Troisième Tableau.
ANNÉES
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7
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8
11
5
11
12
10
11
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0'-,810
1S335
l'',230
2^232
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ik,127
OS 150
OS 150
OS 150
■ OS 150
OS 150
OS 159
OS 150
OS 150
OS 150
+ 10 lois.
+ 5
+ 8.5
+ -
+ U,8
+ 6,7
+ 5,2
+ 10
+ 7,5
1S.755
OS 540
1S200
OS 900
2S232
OS 795
OS 669
OS 937
OS. 700
os 150
OS 150
OS 150
OS 150
OS 150
OS 15©
OS 150
OS 150
OS 150
+ 10 fois.
+ 3,5
— 8
+ 0
+ ii,s
+ 5,1
+ 4,4
+ 6,2
+ 4,6
5 années
1S260
»
OS 150
+ 8,4
OS 960
OS150
+ 6,4
3
9 convois
Il résulte du tableau ci-dessus que, sur 83 enfants, l'accroissement par
mois a dépassé la normale au minimum cinq fois et au maximum
dix fois ; et sur 108 enfants, ce minimum a été encore de trois fois et
demie et le maximum dix fois; la moyenne a été de six fois 4 dixièmes.
Autrement dire, les enfants du Sanatorium de Dax ont gagné en moyenne
près de 1 kilogramme par mois.
Le classement des malades est donné dans le tableau suivant :
(1) D^ Armaing.^ud, Œuvre de l'enseignemenl de l'hygiène et des sanatoria et hospices maritimes
n» 11890, p. 7.
6" 6
SCIENCES MEDICALES
Quatrième tableau.
Classement des 109 malades reçus au Sanatorium thermal de Dax.
Pour 108 enfants — de 1888 au mois d'août 1892 (cinq années)
Durée du séjour de 20 à i3 jours. En moyenne, par enfant, 33,66
(sauf un, deux mois.)
DIAGNOSTIC
Anémie rebelle
L.vniphatisme accusé . .
Rachitisme
Scrofulose
Tuberculose généralisée.
Tuberculose pulmonaire
Pleurésie chronique. . .
Péritonilc tuberculeuse .
ArUiropathie tuberculeuse
Spina venlosa
Mal de Pott
Adénites et scrofulides suppur
Ostéites et adénites^uppurées
Résections. — Arthroxesis .
Coxalgies suppurées.— Fistules
Tumeur blanche du genou .
Hydarthrose chron. du genou
Arthrite, puis ankylose id.
Ankylosetraumatique du coude
Synovite rhumatismale
Rhumatismeart. clir. Insuff. mitralc
Id. musculaire chron
Ophtalmie. — Kératite scrof
Laryngite et Pharyngite chron
Chorée chronique
Paralysie infantile. .....
Atrophie musculaire, partielle
Double pied bot opéré. . . .
Incontinence d'urine ....
NOMBRE
15
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2
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1
2
1
2
8
14
13
5
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p. DELMAS. — LE SANATOUILM THERMAL DE DAX 677
Le Sanatorium de Dax, pourvu de 16 et bientôt de 20 lits, conserve les
enfants en moyenne pendant trente-cinq à quarante jours, et peut en rece-
voir ICO par an en séparant chaque envoi par sept à huit jours de repos,
pour procéder à la réfection totale de la literie et à une appropriation
énergique des chambres.
La durée moyenne du séjour des enfants au bord de la mer est, d'après
la statistique actuelle, de quatre cent vingt-trois jours (1). Par un traite-
ment joréa/a6/e dans un Sanatorium thermal, nul doute que cette moyenne
ne fût abaissée considérablement.
Mais, en l'absence de statistique comparative à l'appui, nous n'insis-
terons pas sur ce point, malgré toute son importance.
Qu'on nous permette seulement de le résumer dans la formule sui-
vante :
_ A l'aide d'un traitement thermal intensif, ramener rapidement les petits
scrofuleux et tuberculeux confirmés à de smples candidats à la tuberculose,
justiciables, surtout alors, des sanatoria et hôpitaux marins.
Telle est, au point de vue économique, la meilleure manière de résoudre
cette question capitale, à l'ordre du jour dans tous les pays : régénération
de l'espèce, en guérissant ou en protégeant l'enfant voué à la tubercu-
lose, héréditaire ou acquise.
CONCLUSIONS
1° Aux stations des eaux minérales, la méthode thérapeutique intensive
et rapide, pour traiter opportunément les diverses manifestations de la
tuberculose grave ou confirmée, surtout dans ses manifestations locales.
2° Aux sanatoria et aux hôpitaux marins, la thérapeutique progressive
pour sauver les candidats à la tuberculose, pour achever les cures ther-
males, et plus encore, pour prévenir les rechutes, en transformant l'orga-
nisme lui-même, par un séjour prolongé, au bord de la mer.
3° 1) est à désirer que, à l'exemple de Dax, on crée dans les princi-
pales stations thermales des Pyrénées et des autres régions hydrologiques
de la France, des sanatoria thermaux pour seconder l'œuvre nationale
de l'assistance maritime des enfants par les hôpitaux marins.
(1) Ch. Leroux, toc. cit., p. 32.
678
SCIENCES MEDICALES
M. A. LAEAUZA
Médecin des Thermes de Dax.
DE LA MÉDICATION SALINE A DAX (CLINIQUE HOSPITALIERE)
— Séance du 16 septembre 1892 —
Depuis cinq ans, l'Assistance publique de Bordeaux et le Service dé -
parlementai de la Gironde ont adressé au Sanatorium des Thermes de
Dax, pour être soumis à un traitement salin, des enfants atteints d'acci-
dents divers de lymphatisme, de scrofule et de rachitisme.
En effet, indépendamment de ses eaux minérales sulfatées calciques et
de ses boues végéto-minérales hyper thermales auxquelles Dax doit son
antique renommée, la station possède encore deux agents thérapeutiques
précieux : des eaux salées et des eaux mères.
Ces eaux salées et ces eaux mères, provenant de l'exploitation des
vastes gisements salifères dont l'étendue en longueur et en largeur est
encore ignorée, présentent une composition chimique qui a les plus
grandes analogies avec les eaux salées et les eaux mères de notre remar-
quable voisine, Salies-de-Béarn.
Les analyses faites pour V Annuaire officiel des Eaux minérales de
France, par M. Wilm, l'éminent professeur de la Faculté des Sciences de
Lille, ont donné les résultats suivants :
Analyses comparées des eaux de Dax et de Salies (Bayaa).
Chlorures
Bromures
lodures
Sulfates
Carbonates
Silice, alumine et matières
organiques
Total par litre. . . .
EAUX SALEES
DAX
soos^se:
Traces
Traces
10s%33î
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sioe^egs
SALIES (I)
2478',770
Os',161
Traces
05',341
0f,945
256s'-,2Û0
EAUX MÈRES A 30»
DAX
315B%774
Traces
74ê'-,408
396s'-,807
SALIES
312s%864
îOs',313
0»-,010
548\700
3778'-,887
(1) L'eau salée de Salies (Oraas) contient sois^os? de sels divers par litre.
A. LARAUZA. — DE LA MÉDICATIOiN SALINE A PAX G79
A Salies, comme d'ailleurs dans la plupart des stations chlorurées
sodiques fortes, les eaux salées font la base du traitement thermal, et
les eaux mères, c'est-à-dire les eaux résiduaires résultant de la fabrication
du sel, ne servent que d'appoint ou de complément. On ne les a
employées jusqu'à ce jour que pour pallier les effets parfois trop exci-
tants des eaux salées, et, dans ce cas, la dose de 30 litres par bain est
rarement dépassée.
Mais les eaux mères ont-elles réellement les propriétés sédatives qu'on
leur attribue généralement? La chose est possible, lorsqu'on les emploie
à si petites doses; mais, à des doses plus élevées, notre clinique thermale
nous a démontré que leur action générale et surtout leur action topique
était plutôt excitante.. Ce dernier fait, d'ailleurs, n'avait pas échappé à la
sagacité de Gubler, qui, dans ses leçons sur le traitement hydrialique des
maladies chroniques, s'exprimait ainsi, en parlant du traitement du
lymphatisme et de la scrofule : « Au reste, l'action topique des eaux chlo-
rurées sodiques fortes est encore généralement augmentée par l'addition
■des eaux mères des salines dont on met à tort les effets thérapeutiques sur
le compte d'une proportion insignifiante d'iodures et de bromures alcalins
ou terreux. »
Dans un travail que nous avons présenté, l'an dernier, à la Société
d'Hydrologie médicale de Paris, nous avons fait connaître les effets
physiologiques et thérapeutiques des eaux mères de Dax, et nous avons
établi par des faits chniques que leur action était excitante, en même
temps que tonique et reconstituante. Nous ne reviendrons pas, aujourd'hui,
•sur ce point; cela nous entraînerait trop loin et dépasserait notre but.
Pour le même motif, nous ne parlerons pas non plus des effets physiolo-
giques et thérapeutiques des eaux salées de Dax. Ces dernières, d'ailleurs,
possèdent les mêmes propriétés que les eaux salées de Salies, ce qui n'est
guère surprenant, puisque leur composition chimique est pour ainsi dire
analogue.
Dans cette courte communication, nous allons surtout nous attacher à
faire ressortir les résultats obtenus chez les petits malades que nous avons
«u à soigner pendant ces cinq dernières années, et à donner quelques
indications thérapeutiques précises sur l'efficacité des eaux salées et des
eaux mères de Dax, employées concurremment avec les eaux minérales, et
parfois avec les boues, dans le lymphatisme et la tuberculose infantiles.
Disons tout d'abord que les 109 petits malades qui nous ont été adressés
n'ont pas tous suivi le même mode de traitement.
Pendant trois années consécutives (1888, 1889, 1890), les enfants ont
•été traités par des bains d'eau minérale additionnée d'eaux mères seules.
En 1891, nous avons employé les bains d'eau minérale additionnée
d'eau salée seule.
680 SCIENCES MÉDICALES
Enfin, en 1892, nous avons expérimenté un traitement mixte, en
employant les bains d'eau minérale additionnée tantôt d'eau salée, tantôt
d'eaux mères.
La durée du traitement n'a pas non plus été la même pour tous ces
malades : elle a été de vingt jours seulement en 1888, de trente-sept jours
en 1889, de trente et un à trente-sept jours en 1890, de trente jours en
1891 et 1892. Une seule malade est restée en traitement pendant près
de deux mois.
La quantité d'eaux mères ou d'eau salée mélangée à l'eau minérale a
varié suivant les lésions et l'âge des malades. Mais, d'une façon générale,
nous avons toujours commencé le traitement par de petites doses que
nous avons ensuite augmentées progressivement. ,
Dans un bain d'une capacité utilisable de 200 litres, la dose minîma d'eau
salée ou d'eaux mères a été de 30 litres pour 170 litres d'eau minérale, et
la dose maxima de 70 litres pour 130 litres d'eau minérale, soit donc au
minimum 15 0/0 et au maximum 35 0/0 d'eau salée ou d'eaux mères.
Avant de parler des résultats thérapeutiques obtenus par ces divers
modes de traitement, nous nous permettrons d'attirer l'attention de nos
savants confrères sur les deux points suivants :
1° Les vastes gisements salifères de Dax, exploités par les Salines, ne
donnent pas moins de sept à hait mille tonnes de sel par an. On peut
juger par ce chiffre de la quantité d'eau salée et d'eaux mères qui peuvent
être employées pour les besoins médicaux.
2° De plus, dans notre station, la haute température des eaux thermales
(60° centigrades) permet d'administrer les eaux salées et les eaux mères,
sans qu'on doive avoir recours à des moyens de chautfage artificiels.
C'est là un précieux avantage que notre station possède sur les stations
similaires, car, aux propriétés des eaux salées et des eaux mères viennent
s'ajouter celles de l'eau minérale elle-même.
Les cinquante petits malades auxquels nous avons prescrit des bains
d'eau minérale additionnée d'eaux mères seules ont presque tous retiré
un bénéfice sérieux de leur traitement, en ce sens que leur état local
ou leur état général a toujours été plus ou moins amélioré. Sur ces cin-
quante cas, nous avons constaté quatre guérisons, huit améliorations très
fortes, quinze améliorations fortes et vingt-huit améliorations simples.
La plupart de ces malades étaient atteints d'adénites chroniques,
d'ostéites, de mal de Pott, d'accidents articulaires divers, de nature tuber-
culeuse, comme on pourra le voir dans le tableau ci-après où nous avons
mentionné, avec le diagnostic, les résultats obtenus.
A. LARAUZA. — DE LA MÉDICATION SALINE A DAX 681
RÉSULTATS
DIAGNOSTIC NOMBRE G. T. F. A. F. A. A. (1)
»
Coxalgies suppurées 3 » 2 1
Adénites scrofuleuses 7 r> 1 3 3
Mal de Pott 5 » » 1 4
Scrofulose généralisée .... 5 » » 1 4
Ostéites tuberculeuses .... 6 1 1 i 2
Ostéo-arthrites tuberculeuses .431»»
Abcès froid 1 » » 1
Péritonite tuberculeuse. ... 1 » 1 » »
Anémie 3 » 1 1 1
Lymphatisine 7 » » 3 4
Ankylose 2 » 1 1 »
Spina ventosa 1 » » 1 »
Hydarthrose chronique. ... 1 » » 1 »
Paralysie infantile 1 » » 1 »
Ophtalmie chronique 1 » »
Rachitisme 2 » »
TOtacx 50
»
1
1
1
17
21
rSous passerons sous silence les observations détaillées, mais nous tenons
cependant à en résumer quelques-unes prises comme types.
Dans les deux premiers cas, il s'agit de deux jeunes garçons âgés de
sept et huit ans, qui avaient subi la résection du coude pour ostéo-
arthrite fongueuse. A leur arrivée au sanatorium de Dax, on constatait
la présence de trajets fistuleux multiples et l'abolition complète des mou-
vements des deux articulations du coude. Après avoir pris trente bains
minéraux additionnés d'eaux mères, ces deux petits malades partirent de
Dax presque complètement guéris.
Ces deux observations, remarquables au point de vue du résultat
obtenu dans un espace de temps relativement court, ont été l'objet du
rapport suivant, adressé, en 1890, par M. le professeur agrégé Piéchaud
à M. le président de la Commission administrative des hôpitaux de
Bordeaux :
« Parmi les enfants de mon service envoyés en 1889 au sanatorium de Dax,
deux méritent surtout d'être sérieusement examinés. Ce sont deux garçons
âgés de sept et huit ans, opérés de résection du coude pour osléo-arthrite
fougueuse.
j> Les autres malades, très scrofuleux, porteurs de scrofulides multiples,
ont été entièrement améliorés; mais les résultats ne sauraient être sufTisants
après une seule saison pour qu'il en soit question dans ce rapport.
» Quand les deux opérés sont partis pour Dax, ils étaient en voie de guéri-
son, "mais ils portaient encore des trajets fistuleux et la persistance d'un peu
de douleur et de gonflement faisait craindre un retour offensif de leur tuber-
(1) G., giiérison ; T.F.A., trôs forte amélioration ; F. A., forte amélioration; A., ami^lioration simple.
682 SCIENCES MÉDICALES
culose locale. Dès leur retour, je constatai que la cicatrisation était enfin obte-
nue, que le gonflement et la douleur avaient disparu et que les mouvements
volontaires avaient gagné en force et en amplitude.
» Ces malades ont été suivis avec soin depuis cette époque et aujourd'hui
nous pouvons les considérer comme définitivement guéris, car non seulement
les fongosités ne se sont plus reproduites, mais la fonction du membre est
restée complète. »
L'observation suivante, que nous allons résumer en quelques mots,
représente un type dans lequel l'emploi simultané des applications locales
de boucH et des bains d'eaux mères donne le plus souvent les meilleurs
résultats. — Il s'agit d'un jeune garçon, âgé de dix ans, atteint d'une
ankylose presque complète du coude gauche, consécutive à une fracture
du condyle de l'humérus mal consolidée ; les mouvements de flexion et
d'extension du coude sont très limités, et le malade est dans l'impossibi-
lité absolue de soulever avec son bras un poids même minime. Après
avoir pris trente-deux bains d'eaux mères et huit applications locales de
boues, suivies de douches chaudes, en pomme d'arrosoir, localisées sur
l'articulation, le malade peut porter avec son bras gauche un poids de
5 kilogrammes; de plus, les mouvements de flexion et d'extension se font
avec la plus grande facilité.
Parmi les aff"ections plutôt médicales que chirurgicales, nous citerons
le cas d'une petite malade, âgée de douze ans, atteinte de péritonite tuber-
culeuse, au sujet de laquelle M. le docteur Rondot, médecin des hôpitaux,
a adressé, en 1890, à M. le président de la Commission des hospices de
Bordeaux, un rapport ainsi conçu :
« Parmi les cas de mon service envoyés à Dax, en 1889, l'un m'a paru suf-
fisamment probant pour mériter une mention spéciale et pour corroborer les
remarques si judicieuses qu'avait présentées mon collègue et ami le docteur
Piéchaud, sur l'efficacité du séjour à Dax dans le traitement des tuberculoses
chirurgicales infantiles.
» La petite .Jeanne S... est, en effet, un bel exemple des ressources que peut
offrir cette cure thermale dans une des localisations les plus fréquentes du
bacille tuberculeux chez les enfants.
» 11 s'agissait, dans ce cas, d'une péritonite tuberculeuse nettement carac-
térisée et qui s'accompagnait d'une légère pleuro-pneumonie des deux som-
mets. Après deux mois de séjour à l'hôpital (du 3 avril au 6 juin 1889). les
symptômes pulmonaires avaient disparw, en même temps que les phénomèiies
abdominaux s'étaient amendés sous l'influence de l'absorption continue du
tannin avec l'application d'une pommade iodoforniée sur le ventre. Mais l'état
général laissait à désirer, les forces restaient chancelantes et les sueurs noc-
turnes, bien diminuées, n'avaient pas entièrement disparu.
» Le séjour à Dax me parut alors indiqué et le bénéfice qu'en retira cette
jeune malade fut de tous points remarquable, car, à son retour, un examen
complet corrobora tous les détails que le docteur Larauza me fit parvenir à
une date ultérieure.
A. LARAUZA. — DE LA MÉDICATION SALINE A DAX 683
» Je pus m'assurer, en effet, qu'avec l'amélioration de l'état général et des
fonctions digestives coïncidaient la disparition des masses ganglionnaires indu-
rées et une diminution du volume de l'abdomen telle qu'on pouvait le consi-
dérer comme à peu près revenu à la normale. Ahx symptômes d'une anémie
profonde succédait une coloration rosée des joues et des muqueuses; la marche
était devenue facile et la malade courait sans l'aligne, alors que le moindre
effort occasionnait, à son arrivée à Dax, une lassitude qui la rendait complè-
tement apathique. Aucun symptôme insolite n'existait du côté de l'appareil
cardio-pulmonaire.
» Le traitement, parfaitement supporté et très habilement gradué, avait
consisté dans l'emploi de trente-quatre bains minéraux additionnés de 40,
puis de oO litres d'eaux mères, à 34° centigrades, et d'une durée de vingt à
trente minutes.
» Deux faits bien évidents, dit en terminant notre très distingué confrère,
ressortent de cette observation : c'est, d'une part, la rétrocession des lésions
abdominales; de l'autre, l'amélioration de l'état général qui donnerait à penser
que les eaux mères de Dax possèdent une double modalité curative, s'exerçant
aussi bien sur les lésions d'origine bacillaire, qu'elles enrayent, que sur l'en-
semble des processus organiques de nutrition au ralentissement de laquelle
^lles semblent s'opposer dans une très large mesure. »
A partir de 1891, nous avons eu à notre disposition les eaux salées de
Dax et nous les avons employées concurremment avec leurs eaux mères.
Les résultats de cette médication (bains minéraux additionnés d'eau
■salée seule) ont été analogues à ceux obtenus chez notre célèbre voisine
Salies. Et comme cette médication a été l'objet de travaux aussi nom-
breux qu'intéressants de la part de nos collègues de cette station, nous
«erons brefs sur cette seconde partie de notre clinique. Nous nous bor-
nerons à donner le tableau suivant, dans lequel nos lecteurs trouveront
mentionnés, avec les diagnostics, les résultats obtenus chez les vingt-huit
petits malades traités pendant trente jours par celte méthode.
DIAGNOSTIC
Rachitisme
Serofulose généralisée. .
Adénites tuberculeuses .
Tuberculoses osseuses. .
Fistules ostéopathiques .
Tumeurs blanches. . . .
Mal de Pott
Coxalgie
Paralysie infantile . . .
Chorée
Anémie
Laryngite chronique . .
Rhumatisme musculaire.
Totaux .
G
RESULTAT;
F. A
XOMIÎRE
T.F.A
A
4
a
»
1
3
6
»
»
1
5
3
»
»
2
1
2
»
s
1
1
1
i>
s
1
»
3
»
»
1
2
2
»
s
»
2
1
»
»
»
1
1
»
»
»
t
1
»
»
»
1
2
»
»
»
2
J
1
»
»
1
1
28
»
]»
8
'20
684 SCIENCES MÉDICALES
Avant de tirer nos conclusions sur ces deux premières parties de notre
clinique, nous tenons à faire brièvement connaître les résultats obtenus,,
cette année, chez les petits scrofuleux que nous avons traités, pendant un
mois, par l'emploi simultané des bains d'eau salée et des bains d'eaux
mères.
Cette troisième partie de notre clinique comprend trente-deux cas qui
se décomposent de la façon suivante :
RESUL'
T.F.A
TATS
DIAGNOSTIC
NOMBRE
G
F. A
A
M.E
Scrofulose
5
»
»
2
3
»
Adénites scrofuleuses . . .
3
»
s
2
1
»
Ostéites tuberculeuses . .
5
»
»
3
2
»
Spina ventosa
1
»
»
1
»
»
ilal de Pott
2
»
1
»
1
»
Rachitisme
9
»
1
1
7
»
Kératite scrofuleuse . . .
1
»
»
j>
1
»
Anémie
3
1
B
3
»
»
Tuberculose pulmonaire .
4
Pleurésie chronique . . .
1
»
»
2
»
1
Pharyngite chronique . .
1
»
}1
1
»
))
Totaux
32
»
2
10
18
2
Comme on le voit, les résultats obtenus chez ces divers petits malades-
sont un peu différents suivant que nous avons eu recours exclusivement
aux bains d'eaux mères, aux bains d'eau salée, ou à l'emploi combiné
de ces deux agents et, dans certains cas, aux applications locales de
boues.
D'après les faits cliniques observés, les eaux mères de Dax, employées
exclusivement, nous semblent avoir agi de la façon la plus efficace chez
les petits malades porteurs d'affections scrofuleuses ou tuberculeuses
locales, ayant pour la plupart nécessité des opérations chirurgicales, sans
tendance à la réparation, chez lesquels la vitalité des tissus et les échanges
nutritifs avaient besoin d'être stimulés, et qui réclamaient en quelque
sorte un coup de fouet thérapeutique.
En effet, les eaux mères de Dax produisent surtout d'excellents résul-
tats dans les caries, les ostéites, les ostéo-arthrites tubeixuleuses, à la
condition cependant que la période inflammatoire soit passée et qu'il n'y
ait plus de fièvre.
C'est donc principalement à la période d'état ou à la période de suppu-
ration, lorsque l'organisme affaibli a besoin d'être fortifié, que les eaux
mères de Dax doivent être prescrites. Elles répondent, en effet, à la
double indication de l'état général et de l'état local. Au fur et à mesure
que, sous l'influence des bains d'eaux mères, s'améliore l'état général,
A. LARAUZA. — DE LA MÉDICATION SALINE A DAX G8o
les suppurations se tarissent, les trajets fistuleux s'oblitèrent, les fongo-
sités disparaissent.
Après les maladies des os et des articulations, les affections qui nous
ont paru retirer les meilleurs effets de l'emploi des eaux mères sont les
adénites chroniques et les abcès froids.
Les eaux salées de Dax nous ont donné des résultats analogues à ceux
signalés par nos confrères de Salies dans les diverses manifestations de la
tuberculose; maij elles ne nous ont pas cependant paru avoir une action
aussi bien déterminée ou tout au moins aussi rapide que les eaux mères
dans les affections tuberculeuses des os.
La combinaison de ces deux agents thérapeutiques ne nous a pas paru
non plus augmenter la valeur intrinsèque des eaux mères dans les tuber-
culoses locales, principalement dans celles qui ont eu pour siège le périoste
et le tissu osseux.
Les boues végéto-minérales de Dax, employées sous forme d'applica-
tions partielles, nous ont rendu les plus grands services dans les ostéo-
arthrites. En pareils cas, nous avons obtenu tout à la fois une action
simultanée locale et générale des plus énergiques que les eaux salées et
les eaux mères employées seules eussent été impuissantes ou tout au
moins trop longues à nous donner. De là, la rapidité de certains résultats
avec des traitements relativement courts.
CONCLUSIONS
Il y a lieu de distinguer soigneusement les effets des eaux mères et
des eaux salées de Dax, employées seules ou simultanément, cl, dans
certains cas, secondées par les applications locales de boues hyperther-
males :
1" Aux premières conviendront les tuberculoses locales, principalement
les tuberculoses osseuses ayant réclamé ou non une intervention chirur-
gicale préalable.
2° Nous réserverons de préférence l'emploi des eaux salées au lympha-
lisme, à l'anémie et à la scrofulose sans détermination localisée.
3° Les applications locales de boues végéto-minérales, employées
simultanément avec les eaux salées et les eaux mères de Dax, rendront
les plus grands services dans les manifestations articulaires de la tuber-
culose.
En procédant ainsi, on obtiendra, dans une catégorie de maladies de
l'enfance caractérisées par la lenteur de leur évolution et leur tendance à
la chronicité, des résultats plus certains et plus rapides : ce qui doit avant
tout préoccuper le praticien.
683 bClEiNCES MÉDICALES
M. A. MOULOIîaïïET
Professeur à l'École de Médecine d'Amiens.
FRACTURE DE JAMBE CHEZ UNE HYSTÉRIQUE— PSEUDARTHROSE — SUTURE OSSEUSE
GUÉRISON
Séance du 16 septembre 1892
Obs. — F. L., vingt-quatre ans, fermière, habituée aux gros travaux des cliamps,
est une grande fille très forte, lourde, grasse. En tomlmnt d'une ciiarrette, elle se
fracture la jambe droite et la clavicule droite. Son médecin place le bras dans une
écharpe de Mayor, la jambe dans un appareil silicate. Au bout de vingt-cinq
jours la clavicule est consolidée sans déformation très apparente, mais au bout
de six semaines la jambe n'est pas solide et on la i-eplace pendant un mois dans
un appareil silicate. Au bout de ce temps pas de consolidation. On laisse la
malade couchée et la jambe libre pendant une quinzaine de jours, puis troi-
sième application d'appareil sans résultat.
Je vois la malade dix. mois api^ès son accident. Elle marche avec des béquilles.
Pas de troubles de nutrition apparents dans la jambe malade, pas de défor-
mation. La fracture siège au niveau du tiers inférieur du tibia. Il est facile de
s'assurer qu'il n'y a point de consolidation ni de trace de cal osseux. La mobilité
des fragments est apparente, mais assez limitée par le péroné qui est intact
ou qui, s'il a été fracturé, s'est consolidé. Je fais de nouveau appliquer pendant
trois mois un appareil immobilisateur et je donne tous les jours deux grammes
de phosphate de chaux à la malade. Pas de modification et quatorze mois après
la fracture, août 1890, je me décide à faire la suture osseuse.
Longue incision sur le tibia ; les extrémités osseuses sont exactement et
parfaitement en contact sans interposition de muscles ni de tendons. En
ouvrant la fracture, enveloppée d'une gaine fibreuse, mon bistouri fait sourdre
deux gouttes de liquide synovial. 11 s'agit d'une fracture oblique en bas et en
dehors. Les extrémités fragmentaires sont fibreuses, recouvertes de synovie :
c'est une véritable pseudarthrose. Le canal médullaire est rempli par un bou-
chon de tissu spongieux. Je résèque les deux fragments jusqu'à l'extrémité des
biseaux et fais ainsi une perte de substance de trois à quatre centimètres ; la
section des deux bouts osseux eet horizontale. Je découvre le péroné par une
incision externe el je le trouve incurvé à convexité en dehors. Cette convexité a
été sans doute provoquée par le poids de la malade essayant de marcher sur
une jambe non consolidée. Il paraît normal et n'a point dû être fracturé ; j'en
résèque une longueur égale à la perte de substance faite sur le tibia pour pou-
voir affronter les fragments. Je réunis les deux extrémités tibiales bien affrontées
avec deux gros fils de catgut et les extrémités du péroné avec un lil de catgut.
Réunion des parties molles aux crins de Florence, deux drains de sûreté : l'un
A. MOULONGUET. — FRACTURE DE JAMBE CHEZ UNE HYSTERIQUE 687
sur la face externe, l'autre sur la face interne. Pansement antiseptique. Immo-
bilisation dans un appareil plâtré, le tout recouvert d'ouate et placé dans une
gouttière eu fil de fer. Suites opératoires des plus simples, sans fièvre ni sup-
puration ; au bout de quinze jours, on enlève les crins et les drains. L'immo-
bilisation est maintenue pendaHt trois mois, d'une façon consécutive, sans résultat.
Puis massage, électricité, repos au lit sans appareil ; l'état général de la malade
est florissant, elle prend un embonpoint considérable, mais pas de cal, pas de
consolidation.
En juillet 1891, c'est-à-dire onze mois plus tard, je me décide à intervenir de
nouveau. Je trouve les fi-agments du tibia en contact, entourés de tissu fibreux ;
les extrémités sont effilées, le canal médullaire rempli de tissu spongieux. Je
débarrasse les extrémités fragmentaires de leur tissu fibreux, je les avive en
perdant le moins de substance possible et je les affronte après les avoir taillées
encore horizontalement. Je les suture celte fois non plus aux fils de catgut,
mais avec deux gros fils d'argent perdus. Quant au péroné il n'y avait pas trace
de consolidation entre les fragments. Le bout supérieur était effilé, le bout
inférieur s'était aminci et résorbé en partie ; il était réduit à une partie de la
malléole externe, et je ne songeai mémo pas à jeter un fil de suture sur ce petit
fragment; je me bornai donc à aviver les surfaces osseuses du péroné. Kéunion
immédiate des parties molles, un seul drain dans la partie déclive. Suites
opératoires parfaites. L'appareil plâtré reste trois mois en place. La consolida-
tion était obtenue. La malade marchait au bout de cinq mois avec un raccour-
cissement de quatre centimètres, il est vrai. Sa jambe était solide et guérie,
enfin elle pouvait reprendre sa vie ordinaire. Les mouvements étaient conservés
dans l'articulation du genou, mais très limités dans l'articulation du cou-de-
picd.
Je me permets d'attirer votre attention sur les quelques points intéres-
sants que présente cette observation. D'emblée, en même temps, la
malade se casse la jambe et la clavicule. La clavicule se consolide nor-
malement, la jambe non. Et cependant, il s'agissait d'une fracture sans
déplacement avec un péroné faisant attelle; il n'y avait point d'interi)o-
sition de tissus entre les fragments, pas d'esquilles, et je crois pouvoir
affirmer que le premier appareil silicate avait été bien appliqué et qu'on
avait obtenu une immobilisation parfaite. La malade n'était ni syphili-
tique, ni diabétique, ni albuniinurique, ni phosplialurique; elle était jeune
et son état général excellent. Ma première opération avait été absolument
négative, et plutôt nuisible, puisque j'avais sectionné un péroné intact et
que la suture des deux fragments ne s'était point faite. Enfin, ma se-
conde opération a donné un excellent résultat, sans autre modification au
manuel opératoire que de remplacer la suture aux fils de catgut par la
suture perdue aux fils d'argent.
Je tiens surtout à signaler une seconde particularité que des faits nou-
veaux pourront un jour bien mettre en lumière. J'ai dit que ma malade
ne présentait aucune des tares organiques qu'on s'accorde à reconnaître
capables d'empêcher la consohdation des fractures : pas de syphilis, pas
688 SCIENCES MÉDICALES
de diabète, pas d'albuminurie, pas de phosphaturie. Je n'avais point songé
à examiner son système nerveux et j'affirme que les apparences ne pou-
vaient pas me mettre sur la voie de cet examen. Le hasard seul me
servit.
Le soir du jour où j'avais pratiqué ma deuxième opération, la malade
eut une attaque violente d'hystérie suivie d'une contracture persistante des
muscles fléchisseurs de la main et de l'avant-bras gauche. L'interne de
garde, inquiet, me fit demander. La suggestion à l'état de veille et quel-
ques frictions sur les extenseurs rétablirent immédiatement Tintégrité des
mouvements dans le membre contracture. Les jours suivants, il nous fut
facile de nous assurer que la malade présentait les stigmates suivants de
l'hystérie : hémianesthésie sensitive et sensorielle gauche, rétrécissement
du champ visuel, abolition du réflexe pharyngien et elle avait déjà eu
des attaques antérieures.
Peut-on faire jouer un rôle à l'hystérie dans la non-consolidation des
fractures? Le fait me parait très possible en songeant aux troubles pro-
fonds et variés de nutrition qu'on observe chez ces malades. Dans l'ob-
servation actuelle, il me paraît impossible d'invoquer une autre cause.
On peut, il est vrai, ne voir là qu'une simple coïncidence; mais j'avoue
aimer mieux établir entre ces deux faits — hystérie et pseudarthrose — une
relation de cause à effet plutôt que d'avoir recours à une prétendue dis-
position, à une idiosyncrasie, — à la non-consolidation. J'estime donc que,
dans des cas analogues et lorsqu'il ne sera point possible de déterminer
la cause de la non-consolidation, il faudra examiner avec grand soin
l'état du système nerveux.
M. rEREAT
à Evreux.
ACTION DE L'EAU DU NEUBOURG DAIMS LE TRAITEMENT DES DIABÉTIQUES
— Séance du i6 septembre /892 —
La petite ville du Neubourg, située dans le département de l'Eure,
est bâtie sur un plateau d'une très grande étendue qui porte le nom de
Campagne du Neubourg. Nous sommes là en plein terrain secondaire.
FERRAY. — l'eau DU NEUBOURG DANS LE TRAlTEiMENT DES DIABÉTIQUES 689
Le puils au fond duquel jaillil la source en question est situé au
point inférieur d'un pli de terrain, à environ 10 à 12 mètres en
eontre-bas des altitudes voisines, soit 130 mètres au-dessus du niveau
de la mer.
Depuis la surface du sol où le forage a été pratiqué jusqu'à une pro-
fondeur de 32 mètres, on rencontre successivement :
1° Une couche de terre arable l'",50
2° Argile rouge 4'", »
3° La même argile, mélangée de silex et de sable ocreux. . 2™, «
4° Marne blanche, prenant une teinte de plus en plus grise à
mesure que la profondeur augmente ; de même la dureté de la
roche va s'accroissant 18"', »
5" Même roche dure, mêlée de veine d'argiles vertes, de
sables verts imperméables 4'", »
Total 32"SoO
L'examen de cette eau a fait l'objet d'un long et consciencieux travail
présenté à l'Académie des Sciences, le 14 octobre 1861, par M. Jacquelain,
préparateur de chimie à l'École centrale des Arts et Manufactures.
Des analyses nombreuses ont été faites, notamment en 18o8; celles-ci
ont porté sur des eaux puisées les 15-22 janvier, 12 octobre et 12 dé-
cembre, s
La composition en principes fixes est la suivante :
Chlorure de ijotas^^iuiu Os^OOOô
Phosphate de chaux 06--,0128
Alumine et oxyde de fer Os'-,(I200
Silice 0^-,0140
Sulfate de chaux 0"--,0348
Chlorure de magnésium Us^OSSS
Nitrate de magnésie Os-'jOST.S
Carbonate de chaux 06',721U
Dans des analyses récentes que nous avons faites nous-même, nous
avons trouvé que l'eau du Neubourg renferme l^%2o d'oxygène; nous
devons dire dès maintenant que la présence de cette quantité d'oxygène
n'est pas constante.
Si nous comparons le volume d'oxygène contenu à celui que l'on
rencontre ordinairement dans les diverses eaux, nous pourrons constater
que l'eau du Neubourg est la plus riche.
44*
690 SCIENCES MÉDICALES
En effet :
1° En ce qui concerne les eaux courantes, nous avons :
Le Rhin, à Strasbourg 7'^%4
Le Rhône, à Genève 8^%»
La Loire, à Orléans 7",»
La Garonne, à Toulouse 7*^ ,9
Le Doubs 9'^',^
La Vesle 6^%8
2" En ce cjui concerne les eaux de source :
Celles de Fontfroide a",^
Il est bien entendu que nous n'envisageons ici que les eaux les plus
riches en oxygène.
Dès l'abord, il a paru intéressant de rechercher la cause de la pré-
sence en aussi grande quantité de l'oxygène dans l'eau du Neubourg.
Je dois dire que nous ne sommes pas d'accord avec ceux qui, avant
nous, ont fait la même étude.
Suivant ces auteurs, l'oxygène trouvé en excès serait dégagé par les
végétaux cellulaires.
Nous, nous croyons purement et simplement à une action mécanique.
M. Daubrée, de l'Institut, a publié récemment un ouvrage sur les Eaux
souterraines à l'époque actuelle.
Après la lecture de ce travail, on est étonné de voir le nombre consi-
dérable de cavités existant dans la couche terrestre, immédiatement
au-dessous du sol que nous foulons, constituant ici d'immenses cavernes
donnant abri à des lacs considérables, constituant là des galeries, véri-
tables tunnels naturels d'une longueur démesurée, livrant passage à de
véritables rivières dont on n'avait pas soupçonné l'existence. Tel est, dans
cet ordre d'idées, le cours souterrain de l'Iton que nous avons décou-
vert et exploré.
Eh bien, je suppose que le régime d'eaux qui alimente la source du
Neubourg a son point de départ dans des cavernes de cette nature, mais
offrant une disposition spéciale qui, sans être la même, présente une
grande analogie avec le système qui donne naissance aux sources
intermittentes.
Il s'agirait, dans l'espèce, de cavités souterraines présentant dans leur
ensemble la disposition de l'appareil autrefois appliqué dans les forges
catalanes, appliqué de nos jours dans nos laboratoires et auquel on a
donné le nom de trompe. L'air, par des conduits naturels, serait en-
traîné avec l'eau pour être amené dans des cavernes qui, dans la plujjart
FEURAY. — l'eau DU NEUBOUKG DAiNS LE TRAITEMENT DES DIABÉTIQUES 691
des cas, ne permettent pas le départ continu de l'air ainsi emmagasiné.
Dans ces conditions, la pression supportée par la couche inférieure
dans laquelle l'eau et l'air sont en contact, déterminerait la dissolution
d'une quantité d'air plus considérable que celle que l'on rencontre ordi-
nairement dans les eaux de source.
Or, l'oxygène est plus soluble dans l'eau que l'azote : de là la quantité
relativement considérable d'oxygène dissous.
Ceci dit, et sans nous arrêter davantage sur ces considérations qui
Intéressent plutôt la physique du globe, ainsi que la physique générale,
nous devons dire, dès maintenant, qu'un médecin du Neubourg, le doc-
teur Desormeaux, diabétique, a fait usage de cette eau, et que son affeclion
a été heureusement modifiée.
Depuis, cette année même, de nombreux diabétiques ont fait usage de
l'eau du Neubourg, et tous en ont éprouvé d'heureux effets.
Sans entrer dans le détail des observations faites à ce sujet, nous de-
A^ons dire que deux malades soumis antérieurement aux traitements en
usage en semblable occurrence, et qui n'avaient éprouvé que peu d'effet de
ceux-ci, ont vu leur situation tout à fait modifiée.
C'est ainsi que chez deux d'entre eux, dont nous avons conservé les
observations, nous sommes arrivés à la disparition complète du sucre
dans leurs urines.
Chez les autres, le traitement probablement insuffisant comme durée,
on a pu constater une amélioration considérable.
C'est ainsi que nous sommes passés, chez l'un, de 76 grammes de
sucre, dans les vingt-quatre heures, à 20 grammes.
Chez d'autres, de lo5 grammes, dans les vingt - quatre heures, à
13 grammes, de 69s'-,7o à 47s'-,2o.
INous n'avons pu recueillir toutes les observations des malades soienés
notamment à Elbeuf et à Urionne ; mais nous devons dire que les certi-
ficats délivrés par les médecins traitants indiquent que l'emploi de l'eau
du iS'eubourg a été très favorable à leurs clients.
Quoi qu'il en soit, l'action de l'oau du Neubourg est évidente. Com-
ment agit-elle? nous ne le savons.
C'est là un point qu'il serait intéressant d'établir. On ne peut, en effet,
supposer que les il centimètres cubes d'oxygène dissous dans chaque
litre d'eau soient un comburant suffisant pour brûler le sucre que nous
voyons disparaître en grande quantité chez les malades.
Il y a là une action physiologique spéciale. Ce ne sera qu'à la suite
d'observations très exactes, très nombreuses, d'examens sérieux, que l'on
pourra peut-être arriver à déterminer le mode d'action de cette nouvelle
eau minérale.
Cependant il nous paraît, dès maintenant, qu'il y a des faits acquis.
692 SCIENCES MEDICALES
Le propriétaire de la source a fait auprès des autorités compétentes les
démarches et demandes nécessaires pour obtenir l'autorisation d'exploi-
tation.
Ce sera peut-être, pour la Commission spéciale chargée d'examiner le
liien fondé de l'intéressé, l'occasion de rechercher le mode d'action qui
nous échappe aujourd'hui.
M. E. DÏÏHOIJECATJ
Médecin à Cauluruts.
TRAITEMENT THERMAL ET CLIMATIQUE DE LA PHTISIE, COMBINE AVEC LA^
CAUTÉRISATION PONCTUÉE OU LES INJECTIONS DE LIQUIDES ORGANIQUES
Séance du 16 septembre 1892 —
I
La réputation des eaux sulfureuses des Pyrénées contre la phtisie
pulmonaire est trop bien établie, depuis des siècles, et l'action bienfaisante
du climat de Pau contre ce terrible mal date de trop d'années, pour qu'il
soit nécessaire d'apporter de nouvelles preuves de la valeur curative de
ces eaux et de ce climat.
Expliquer leur action serait plus difiîcile. Pour ma part, j'ai maintes
fois cherché à mettre en relief les effets des eaux de Cauterets sur le ba-
cille phtisiogène et sur le terrain qui lui sert de support.
Au Congrès international d'hydrologie de Biarritz, dans la Revue médi-
cale d'hijdrologie pyrénéenne, fondée et dirigée par le D"' Garrigou et moi,
comme devant la Société d'hydrologie de Paris, etc., j'ai voulu montrer
le rôle que jouent, entres autres, le gaz azote et la matière organique que
nos eaux tiennent en dissolution, et justiher les actions spéciales des deux
sources les plus réputées de Cauterets, la Raillère et Mauhourat, dans le
traitement de la phtisie. A ce même Congrès de Biarritz et à celui tenu,
l'an passé à Bordeaux, par V Association pyrénéenne, i'aiv rappelé les bien-
faits et les indications des climats du sud-ouest français, et en particulier
du climat palois, contre la tuberculose et autres maladies.
E. DUHOURCAU. TRAITEMENT THKRM.VL ET CLIMATIQUE DE LA PHTISIE 693
En maintenant et affirmant, avec plus de conviction pratique aujour-
d'imi, les conclusions émises à différentes époques, dans mes écrits, je
veux essayer de faire voir ici que l'action curative, tant des eaux des
Pyrénées que des climats du sud-ouest, peut être avantageusement aidée,
augmentée et fortifiée par des moyens que tout médecin emploie dans sa
pratique journalière !
II
En ce qui touche aux eaux minérales, je heurterai peut-être les opi-
nions de certains confrères qui veulent que, dans les cures auxquelles il
€st appelé à prendre part pendant un temps toujours fort court, le mé-
decin hydrologue se contente strictement de diriger l'emploi de ses eaux
€t recoure le moins possible aux remèdes pharmaceutiques ou aux autres
modes de traitement extra-thermaux.
Pour le médecin climatologiste, on accordera plus facilement qu'il
intervienne dans la cure de ses malades, ceux-ci restant des mois entiers
sous sa direction ; mais j'estime, pour ma part, que quand le médecin
thermal a la conviction de pouvoir aider et confirmer l'effet heureux de la
cure hydrique, il ne doit pas hésiter à recourir aux autres moyens indi-
qués, n'ayant en vue que l'intérêt majeur de ses malades. Ce que demande
d'ailleurs le confrère qui lui adresse ses clients, c'est ([u'il les lui ren-
voie guéris, ou améliorés, autant que faire se pourra : nul de ceux qui
m'entendent ou me liront ne s'inscrira assurément contre ce précepte
implicitement contenu dans le serment d'Hippocrate .
Donc, j'estime que c'est agir convenablement et en conscience que de
recourir, en plus du traitement climatique ou thermal, pour hâter l'amé-
horation d'un phtisique, à une autre médication auxiliaire, telle que la
cautérisation ponctuée qui dégage plus vite les poumons, ou à une mé-
dication tonique et remQntante, dont les injections sous-cutanées de liquides
-organiques constituent aujourd'hui un des meilleurs éléments.
III
Il y a quelques dix ans, la lecture d'un instructif mémoire du D'" Vi-
dal, sur les effets heureux de la cautérisation ponctuée dans la cure cli-
matérique de la phtisie, à Ilyères, me donna l'idée de recourir à ce
même moyen pour ceux de mes malades à qui il pouvait être utile. Je ne
manque pas d'en user à Pau, l'hiver, dans le même but que le distingué
médecin d'Hyères, mais j'y ai eu recours, à Cauterets, dès que je pressentis
les résultats encourageants qu'il promettait.
694 SCIENCES MÉDICALES
En 1882, je commençai à appliquer hardiment, pendant la cure ther-
male, les pointes de feu à ceux de mes malades qui en étaient justi-
ciables; et l'un des premiers pour lequel je les utilisai ayant, chose rare,
guéri dans des conditions qui laissaient peu d'espoir, j'ai, depuis, chaque
année, et toujours encouragé par mes résultats, continué à pratiquer la
cautérisation ponctuée, pendant ou à la fin de la cure, sur un certain
nombre de mes clients. Le malade auquel je fais allusion était un bel
exemple de la contagion de la phtisie : fils de parents indemnes de
toute tare tuberculeuse, il avait vu deux de ses sœurs atteintes de ce mal
que l'une d'elles avait rapporté du dehors, dont elle était morte, et dont
l'autre vint, après lui, se soigner avec grand profit à Cauterets. Malgré des
lésions très nettes, une fièvre assez marquée, qui semblait contre-indi-
quer les eaux sulfureuses, une première cautérisation pratiquée au crayon-
feu, dans le cours de la cure thermale, et une seconde quelques semaines
après, ont agi si favorablement que M, l'abbé C. a pu continuer son
ministère et revenir, quelques années plus tard, à Cauterets. complète-
ment guéri de sa phtisie. Sa sœur, atteinte avant lui, qui partageait son.
existence et de qui il avait sans doute contracté le germe du mal, — celle-ci
l'ayant pris elle-même d'une première sœur restée malade à la maison, —
vint se soigner à son tour à Cauterets et y gagner, par les mêmes moyens,
une amélioration considérable, dont je n'ai pu malheureusement connaître
les suites ultérieures. Mais j'ai la conviction si profonde d'avoir fait
beaucoup plus, pour ces deux malades, par la combinaison du traitement
thermal avec la cautérisation ponctuée, que j'ai largement appliqué, de-
puis, ces moyens combinés à la plupart de mes phtisiques, à Cauterets.
Chaque année s'accroît, par de nouveaux exemples, cette conviction dans
mon esprit, si bien que je n'hésite pas à tenter de la faire partager à mes
confrères, en leur recommandant ce moyen auxiliaire dans la cure thermale
de la phtisie.
Je pourrais citer de nombreuses observations consignées dans mes ca-
hiers, où des malades, que j'ai revus plusieurs années de suite, ont tiré le
plus grand profit de la cautérisation ponctuée appliquée pendant la cure
sulfureuse, ou à Pau, pendant l'hiver. Plusieurs d'entre eux avaient été
soignés, dans des saisons précédentes, par les eaux seules, et l'améliora-
tion plus sensible, pour eux comme pour moi, obtenue par les eaux
combinées aux pointes de feu, m'a donné la certitude que la réunion de
ces deux moyens est assurément préférable. Aussi, chaque année, j'ap-
plique fréquemment des pointes de feu à mes malades, et souvent ceux-ci,
après deux ou trois applications, les réclament eux-mêmes comme un
moyen excellent et plus sûr de hâter leur guérison.
Ce n'est pas seulement contre la phtisie que je les utilise; je traite ainsi,
et avec avantage, certains de mes pleurétiques et même des bronchi-
E. DUHOLRCAU. TRAITEMENT THERMAL ET CLIMATIQUE DE LA PHTISIE G9o
tiques, chez lesquels ramélioration est lente et le catarrhe trop persistant.
Les pointes de feu sont, d'ailleurs, un excellent révulsif, très pratique,
facile à appliquer; elles agissent plus vite et plus sûrement que les
vésicatoires en usage, depuis longtemps, dans les stations thermales ou
hivernales, comme ailleurs, et elles ont bien moins d'inconvénients que
ces derniers. Je ne veux pas donner ici d'exemple détaillé démontrant ce
que j'avance, mais j'ai cru devoir profiter de la venue du Congrès pour
l'avancement des sciences, dans la région pyrénéenne, pour faire connaître
à sa Section médicale, des moyens qui me réussissent, dans le traitement
de la phtisie pulmonaire, à Pau et à Cauterets.
IV
A la suite des expériences qui ont été publiées par M. le professeur
Brown-Séquard et ses adeptes, sur les effets revigorants des injections
sous-cutanées de liquides organiques, j'ai voulu essayer sur mes malades
les effets de la lymphe cérébrale ou testiculaire, et j'ai été amené à traiter,
par cette dernière surtout et concurremment avec la cure thermale, quatre
de mes malades, dont trois tuberculeux.
Les résultats ont été assez nets et assez encourageants pour que je le fasse
connaître aussi en cette occurrence! Devant l'impossibilité de me procurer
des liquides de MM. Brown-Séquard et d'Arsonval, je me suis servi tout
d'abord de liquide testiculaire préparé par le laboratoire de physiologie
de M. Pourquier, de Montpellier. Ce liquide, extrait de testicules d'animaux
abattus, était limpide et clair, absolument incolore, preuve qu'il prove-
nait de tissus exsangues. M'étant adressé ensuite à mon estimé confrère
et ami, le docteur D.-J. Ferran, le savant directeur du laboratoire microbio-
logique municipal de Barcelone (celui-là même qu'ont rendu fameux les
inoculations préventives contre le choléra, pratiquées sur une immense
échelle eu 188d, et si étrangement jugées en France), je reçus de lui un
liquide spécial, rosé et transparent, sur lequel je demande à dire quelques
mots. Ce liquide, ou cette lymphe testiculaire, est le résultat de rapi)lication
d'une idée originale qui me paraît fondée. C'est à des animaux vivants qu'il
est emprunté, et voici comme ! Au laboratoire de microbiologie du docteur
J. Ferran est adjoint le service de la fourrière municipale de Barcelone, où
sont amenés, chaque semaine, plus de cinquante chiens de toute espèce,
destinés aux expérimentations du médecin catalan. Partant de ce fait,
que le suc testiculaire d'un animal vivant est naturellement plus aseptique
et plus actif que celui d'un animal mort, pour si récemment abattu qu'il
soit, pensant aussi qu'il vaut mieux choisir un animal réfractaire à la
plupart des maladies de l'homme, J. Ferran prend ses chiens, fait la
696 SCIENCES MÉDICALES
ligature du cordon et les châtre vivants, observant toujours l'antisepsie
la plus rigoureuse. Les testicules, qui ont conservé du sang, sont hachés
» et piles dans une machine stérilisée, et la pâte qui en résulte est
additionnée d'un volume égal de glycérine concentrée et neutre. Après
quarante -huit heures de contact, la pâte glycérinée est mise dans une
essoreuse centrifuge stérilisée, afin d'en séparer la glycérine avec les
albumines qu'elle a dissoutes ; à ce liquide on ajoute une petite quantité de
paratoluidine et on le conserve dans un timbre, à une basse température.
Ferran monte ensuite plusieurs bougies de Chamberland dans des
éprouvettes pleines de cette glycérine chargée d'albumines, et, les main-
tenant à une basse température, il opère la filtration au moyen d'une
pompe de Kœrting, en ayant soin d'interposer entre celle-ci et la bougie
filtrante un flacon de sûreté : la bougie se remplit de liquide filtré,
que l'on transvase dans un flacon stérilisé.
Ferran prépare ainsi toutes sortes de lymphes, car il pense, non sans
raison, que suivant la maladie à traiter, on devrait employer un liquide
distinct : contre les maladies des centres nerveux, la lymphe provenant
du tissu nerveux ; — contre la phtisie pulmonaire, la lymphe provenant
des poumons d'animaux réfractaires, naturelfement ou artificiellement,
à la phtisie, etc. ! Le point le plus vulnérable par où un animal puisse
contracter la phtisie est le poumon; quand celui-ci ne pourra pas la
contracter, c'est que les conditions d'indemnité existeront dans cet organe
d'une façon toute particulière. Par suite, les albumines retirées de ce
poumon devront offrir les conditions les meilleures pour être inoculées
avec succès.
J'ai traité, pendant qu'ils faisaient leur cure thermale, deux de mes
tuberculeux avec cette lymphe testiculaire de chiens vivants. Un premier
malade fut injecté trois fois avec le liquide de Pourquier, et trois fois
avec celui de Ferran : il venait d'avoir quelques hémoptysies graves, et
s'il n'était pas atteint de tuberculose confirmée, il était dans un état
d'imminence des plus à redouter. Du 23 juillet au 1" août, il reçut six
injections d'un centimètre cube, et chaque fois il ressentit des effets to-
niques nets, une augmentation de force qu'il accusa spontanément et qui
lui faisaient, à la fin, demander son injection : au départ, l'état du poumon
était très satisfaisant et l'état général bien meilleur. — Chez mon second
malade les effets revigorants furent au moins aussi marqués, si bien
qu'il demandait lui-même l'injection, bien qu'elle fût pour ses modestes
ressources un surcroît de dépenses. Il reçut ainsi, du 10 au 27 août,
neuf injections d'un centimètre à deux centimètres cubes du liquide
Ferran : et il déclara, au départ, qu'aucune des quatre cures sulfureuses
qu'il avait faites, depuis cinq ou six ans, à Cauterets, ne lui avait procuré
semblable amélioration !
E. DUHOURCAU. — TRAITEMENT THERMAL ET CLIM\T1QUE DE LA PHTISIE 097
Mon troisième sujet fut tout aussi affirmatif et son -aveu est précieux
à enregistrer, car c'est celui d'un médecin, qui, venu à Cautcrets en 1890
et 1891, pouvait comparer les effets de la cure sulfureuse faite seule dans
ces deux années, avec celle de 1892 augmentée de quelques injections
de lymphe de Ferran. Du 22 au 30 août, le docteur N., de V., reçut
quatre de ces injections, contenant de ^SS à 2 centimètres cubes de
lymplie testiculaire de chiens vivants. Et il accusa à chaque fois, malgré
une certaine tension douloureuse qui persistait quelques heures dans le
membre inférieur injecté, une force plus grande dans ce membre, un
remontement général assez sensible, et surtout une augmentation notable
d'appétit, coïncidant avec de la diminution de la toux. Mon confrère et
client me déclara être convaincu des bons effets et de Futilité de ces in-
jections de liquides testiculaires combinées avec la cure de Cauterets, et il
s'est promis d'en user de nouveau, à l'occasion.
Mon dernier malade a servi à me prouver l'innocuité de ces injections,
même répétées et massives: c'était un paralytique, trahiant la jambe droite
depuis quatre ans, et cà qui je fis seize injections de liquide Ferran, allant
progressivement, entre le 18 août et le 7 septembre, de ^So à o centi-
mètres cubes, sans inconvénient aucun, mais sans autre avantage qu'une
légère augmentation du mouvement dans les orteils et la jambe paralysée.
V
En résumé, je crois pouvoir conclure que si les eaux de Cauterets sont, à
juste raison, réputées, depuis des siècles, comme excellentes dans la cure
de la phtisie, si elles n'ont pas à craindre sous ce rapport la comparaison
avec leurs similaires des Pyrénées ou leurs émules d'Auvergne, — d est
permis, il est bon même, en vue d'une amélioration plus considérable ou
d'une guérison plus rapide, que le malade est en droit d'attendre toujours
de son médecin, il est bon d'aider et de compléter l'effet de ces eaux par
des moyens formant de puissants auxiliaires, tels, par exemple, que la
•cautérisation ponctuée et les injections de liquides organiques. J'en dirai
autant au sujet de la cure climatérique de Pau, pendant laquelle on utili-
serait ces divers moyens, avec plus de succès, je crois, que n'en a eu,
l'hiver dernier, la tubcrculine de Koch.
698 SCIENCES MÉDICALES
M. Y. CÏÏALOT
Professeur de clinique chirurgicale à la Faculté de Toulouse.
TRAITEMENT DE L'ÉPILEPSIE ESSENTIELLE (GRAND MAL)
PAR LA LIGATURE DES DEUX ARTÈRES VERTÉBRALES ET PAR LA LIGATURE INCOMPLÈTE
DES DEUX CAROTIDES PRIMITIVES
— Séance du 16 septembre 1892 —
Le traitement de l'épilepsie essentielle commune, c'est-à-dire convul-
sive, par la ligature de l'artère vertébrale n'est pas nouveau : c'est Alexan-
der (de Liverpoolj qui l'a employé le premier, dès 1881, sur la proposition
de Hughlings Jackson et d'autres chirurgiens. D. Spanton, Sydney Jones,
Bernays, V. Baracz, Heiberg, Kïimmel, ont plus tard suivi son exemple,
La ligature de la carotide a été faite elle-même une trentaine de fois dans
le même but que celle de la vertébrale par Mac-Clellan, Preston, Hamil-
ton, etc. Mais ni l'une ni l'autre opération n'a donné des résultats théra-
peutiques satisfaisants. Alexander a définitivement abandonné depuis
plusieurs années la ligature de la vertébrale, ainsi qu'il a bien voulu m'en
informer le 29 août dernier, à cause, m'écrivait-il, de l'incertitude et
de la nature temporaire de son action. La ligature de la carotide, d'autre
part, n'est plus mentionnée depuis longtemps qu'à titre purement historique
dans nos ouvrages contemporains.
En somme donc, on constate que personne ne songe plus à tenter la
cure de l'épilepsie en réduisant la circulation des quatre troncs artériels
qui nourrissent l'encéphale. La chirurgie s'est orientée naguère vers des
voies nouvelles. Ainsi, d'accord avec la théorie cérébro-corticale, qui place
surtout dans l'aire motrice le siège initial de l'épilepsie vulgaire comme
celui des autres épilepsies, Benedikt et V. Mosetig-Moorhof (de Vienne) ont
enlevé chez quatre ôpileptiques la partie de l'écorce cérébrale qui présidait
aux premières convulsions de l'attaque. Alexander, s'inspirant d'une autre
manière de voir, imité encore par Ktimmel, a extirpé le ganglion cer-
vical supérieur du grand sympathique de chaque côté sur vingt-quatre
individus, et il aurait obtenu six guérisons. Un autre confrère, R. Jacksch,
a proposé de réséquer le cordon sympathique au-dessus du ganglion cer-
vical inférieur avant de lier en masse l'artère et la veine vertébrales. La
V. CHALOT. TRAITEMENT DE l'ÉPILEPSIE ESSENTIELLE 699
thérapeutique gagnera-t-ello ou non quelque chose de durable à ces opé-
rations ? L'avenir nous le dira.
En ce qui me concerne, devant les faits actuellement connus, je fais
volontiers une large part à la théorie cérébrale dans la palhogénie de
l'épilepsie idiopathique et des attaques épileptiques; je pense qu'il faut aussi
tenir encore grand compte du rôle du mésocéphale et surtout du bulbe,
centre vaso-moteur, centre sans lequel les convulsions générales et symé-
triques sont impossibles, ainsi que l'a démontré, il y a longtemps, l'expéri-
mentation physiologique. Le premier et jusqu'à présent seul en France, j'ai
donc repris l'opération primitive d'Alexander qui a pour but d'hypémier
le bulbe et, par conséquent, de prévenir ou de réduire au minimum sa
congestion active chez les épileptiques, d'annihiler ou d'abaisser son
hyperexcitabilité pathologique. Mais je l'ai d'abord modifiée en ce sens
que j'ai toujours fait systématiquement la ligature des deux artères verté-
brales, dans une seule séance, une fois seulement à intervalle de trois
jours. La ligature d'une seule artère ne peut avoir qu'un effet passager,
sa circulation se rétablissant presque aussitôt par les artères spinales, par
l'autre vertébrale, par l'hexagone de Willis ; le résultat est le même quand
les ligatures des deux vaisseaux sont pratiquées à de trop longs intervalles.
Ces deux dernières considérations m'ont même conduit à une deuxième
phase d'expérimentation clinique, c'est-à-dire à la ligature complémentaire
et incomplète des deux carotides primitives : addition qui transforme l'opé-
ration d'Alexander et lui donne un caractère tout nouveau. En réduisant
de moitié, par exemple, le calibre des deux carotides, non seulement on
diminue beaucoup la pression et ra/jJux du sang dans l'écorce cérébrale,
ce qui me paraît très important, mais on restreint et ralentit le rétablis-
sement de la circulation dans les deux artères vertébrales déjà liées, et
l'on maintient mieux l'anémie relative du mésocéphale, ainsi que sa
moindre pression artérielle : le mésocéphale en devient moins excitable,
moins apte soit à provoquer directement, soit à traduire l'attaque épilep-
tique. Mes deux dernières opérations sont nées du raisonnement que je
viens d'exposer.
Je n'ai pas le temps de donner ici en détail mon manuel opératoire qui
peut également servir pour le traitement de certains anévrysines cervicaux
et thoraciques et autres lésions, je le ferai ailleurs. Je me contenterai de
dire que je fais aujourd'hui de préférence l'incision entre les deux faisceaux
du muscle sterno-cléido-mastoïdien, et que mes points de repère essen-
tiels pour la ligature de la vertébrale sont :
1° Le relief arrondi du muscle scalène antérieur ;
2° Le tubercule carotidien de Chassaignac ;
3" La gouttière angulaire, reconuaissable au doigt, formée par le sca-
lène antérieur et le long du cou avant leur insertion commune au tubor-
700 SCIENCES MÉDICALES
cule de Chassaignac ; l'artère vertébrale gît a*u fond de cette gouttière et
un peu en avant contre le plan osseux vertébral ; une seule veine ordinai-
rewent à sa face externe ;
4° Donc, cette même veine, dès qu'on a déchiré la lame aponévrotique qui
voile la gouttière ;
5° Souvent Vanse formée par V artère thyroïdienne inférieure et la veine
satellite. Celte anse forme avec les deux côtés de la susdite gouttière un
triangle, que je nomme triangle vertébral devant mes élèves, et dans
lequel on est également sûr de trouver l'artère vertébrale, sans risquer de
se perdre vers le bas du cou. Le chargement de l'artère vertébrale est
impossible avec les aiguilles ordinaires; il faut une aiguille à courbure
très étroite, comme celles que j'ai l'honneur de vous présenter et que j'ai
fait faire à Toulouse.
Je lie à moitié avec du gros catgut l'artère carotide correspondante, en
profitant de l'incision déjà faite pour la vertébrale; on n'a ainsi qu'une
cicatrice. Les vaisseaux homologues sont liés de même huit ou quinze
jours après.
Ma première opération a été faite dans mon service à l'Hôtel-Dieu de
Toulouse, le o juillet 1892. Le nombre de mes opérés est de six jusqu'à
ce jour; chez les quatre premiers (âgés de trente-huit ans, de neuf ans,
de huit ans, de treize ans), j'ai lié seulement les deux vertébrales ; chez
les deux derniers (âgés de vingt-six et vingt-quatre ans), j'ai lié en outre à
moitié les deux carotides primitives.
Les suites opératoires ont été excellentes chez tous, sauf dans mon
•deuxième cas qui s'est terminé par la mort, le quatrième jour, au milieu
de phénomènes méningitiques avec une température de 43 degrés; une
hémorragie veineuse grave survenue au fond de la plaie pendant le char-
gement de l'artère vertébrale m'avait obligé à précipiter et à lier vite au
jugé les vaisseaux vertébraux et thyroïdiens inférieurs, et, à l'autopsie,
j'ai constaté que le cordon du grand sympathique était serré dans une li-
gature. Alexandera perdu trois opérés sur trente -six: hémorragie, embolie,
pleurite.
Quant aux résultats thérapeutiques, je tiens à avouer qu'il ne m'est pas
encore possible de donner à leur sujet des renseignements complets et
définitifs, l'épreuve du temps n'est pas suffisante. Tout ce que je puis
dire, c'est que l'opération n'a aggravé l'état antérieur d'aucun malade et
qu'il m'a paru y avoir une amélioration sensible chez plusieurs pour le
nombre, pour l'intensité et la forme des attaques, de même que pour le
développement de l'intelligence.
TACHARD. — TRAITEMENT DE LA PLEURÉSIE SÉREUSE PAR LE SIPHON TOI
M. TACHAED
Médecin principal de deuxième classe, à Moutaubao.
TRAITEMENT DE LA PLEURÉSIE SÉREUSE PAR LE SIPHON
— Séance du 46 septembre 189i —
Le traitement de la pleurésie séreuse est toujours l'objet de discussions.
La consultation publiée par M. Baudouin, dans la Semaine médicale du
22 janvier 1892, en est la preuve. Une thèse toute récente de M. Decourt,
ayant pour litre: />a Thoracentèse par le siphon, me détermine à démontrer
que M. Decourt et M. Duguet, son maître, ont été devancés par moi, il y
a déj-i longtemps, dans cette voie.
J'ai publié, en effet, ma première Note sur l'emploi du siphon dans
la pleurésie à la page 608 du Recueil des Mémoires de médecine et de chi-
rurgie militaires de l'année 1874.
Jusqu'à cette époque, les seules applications médicales du siphon, en
France au moins, se bornaient à celles de M. Gripat dans le traitement
des fistules ur in aires.
Si je reviens sur ce sujet, c'est parce que l'application du siphon au
traitement de la pleurésie me conduisit à formuler quelques règles, qui
n'avaient guère cours alors, et qui paraissent réunir aujourd'hui les
meilleurs suffrages.
Pour démontrer ce que j'avance, il n'y a qu'à exposer, en suivant
l'ordre chronologique, les doctrines défendues à l'Académie ou à la So-
ciété médicale des Hôpitaux; à indiquer les perfectionnements de l'appareil
instrumental et à faire ressortir que, sous cette double influence, la tech-
nique opératoire est devenue rationnelle et clinique.
Étant démontré qu'il n'est pas avantageux pour le poumon de rester
longtemps sous pression, la thoracentèse n'a pas besoin d être défendue,
elle n'est plus en question aujourd'hui ; mais il n'est pas sans intérêt de
suivre le chemin parcouru depuis vingt-cinq ans.
Je prendrai donc pour point de départ de cette étude la discussion
de 1868, dans laquelle Blachez préconise son trocart capillaire. Avec ce
trocart, l'évacuation totale de l'épanchement se faisait très lentement et
le poumon pouvait s'adapter à sa nouvelle situation ; dès les premières
quintes de toux, Blachez terminait l'opération.
702 SCIENCES MÉDICALES
Hérard déclara qu'il ne trouvait aucun avantage à cet écoulement lent.
Moutard-Martin se fit le défenseur de la ponction hâtive, afin d'éviter
la formation d'une coque résistante, empêchant le retour du poumon à
l'état normal.
Cette discussion peut se résumer sous la forme de deux propositions :
1° Lenteur de l'écoulement ;
2° Nécessité de la ponction hâtive.
En 1869, Dieulafoy entre en scène. Il suffit de signaler ses remarquables
travaux qui vulgarisèrent immédiatement l'aspiration pneumatique.
En 1872, on présente de tous côtés des appareils à vide préalable, des-
tinés à opérer le plus rapidement possible.
La question revient à l'ordre du jour de la Société médicale des Hôpi-
taux, et Potain, qui a pris une part si active à toutes les discussions sur
la pleurésie et la thoracentèse, préconise l'emploi des trocarts capillaires
pour réduire le traumatisme au minimum, afin de pouvoir répéter la
ponction à court intervalle.
Ceci, dit-il, « me paraît devoir être tout particuUèrement utile dans les
cas d'épanchement très abondant et un peu ancien, et très propre à
écarter le danger de la syncope ou celui des congestions pulmonaires ».
Décrivant son aspirateur fonctionnant avec une pompe à ventouse, il
dit : « Cet instrument. Messieurs, j'ai cru naïvement l'avoir inventé » ;
mais il a appris après coup que certaines de ses dispositions étaient
de pratique courante en Angleterre et en Amérique.
C'est à la séance du 14 juin que Brouardel défendit la thoracentèse
hâtive, en se basant sur les indications tirées de l'état de la plèvre et du
poumon. « Il faut, dit-il, vider la plèvre alors que le poumon peut
reprendre son volume normal»; car, au bout de deux ou trois semaines,
le poumon est enveloppé d'une véritable carapace cicatricielle qui s'oppose
à sa dilatation. Il se produit une pneumonie interstitielle et un épaississe-
ment de la plèvre pariétale.
Le 12 juillet. Chauffard accuse la thoracentèse de transformer des
épanchements séreux en épanchements purulents; Bourdon se rangea
cette opinion, que combat Moutard-Martin, attribuant cet accident au
mauvais entretien des instruments employés.
De cette discussion ressortent deux nouvelles propositions :
1*^ Nécessité des ponctions multiples ;
2° Reproduction du liquide après les ponctions tardives par suite de
l'épaississement de la plèvre.
En 1873, la Société médicale des Hôpitaux rouvre encore la discussion,
à propos des causes de l'expectoration dite albumineuse. L'étude de son
mécanisme et la gravité de cet accident conduisent, contrairement à l'opi-
nion de Béhier, à cette conclusien, qu'il ne faut pas extraire rapidement
TACHARD. — TRAITEMENT DE LA PLEURÉSIE SÉREUSE PAR LE SIPHON 703
et en une seule séance un épanchement considérable comprimant depuis
longtemps le poumon.
En 1874, dans ses leçons cliniques, Bucquoy se fait le défenseur de la
ponction capillaire avec aspiration. Pour lui, cette opération doit être
hâtive pour être réellement curalive ; et si l'épancliement se reproduit,
rien n'empêche « de revenir à l'opération aussi souvent qu'il sera néces-
saire » .
Tel était, trop brièvement résumé, l'état de la question de la thoracentèse
dans le traitement de la pleurésie séreuse, lorsque, le 26 juillet 1874,
entra dans mon service un militaire atteint depuis dix jours de pleurésie
séreuse. Le 31 juillet, ne possédant aucun aspirateur, je lui pratiquai
avec le trocart de Reybard une thoracentèse qui évacua loOO grammes
de sérosité. Le jour même, je conçus l'idée de construire un siphon et
le 4 août, muni de cet appareil, je pratiquai une seconde ponction ; après
une quatrième ponction avec le siphon, le malade était rétabli.
Cet emploi du siphon m'ayant paru pratique, j'adressai au Conseil de
santé des armées une première Note qui fut publiée dans le numéro
de novembre (1874) du Recueil des Mémoires de médecine et de chirurgie
militaires. Un dessin représentant l'extrémité d'une aiguille creuse montée
sur un tube en caoutchouc et plongeant dans la cavité pleurale, ne laisse
aucun doute sur l'application que je faisais du siphon.
Le siphon à branche unique ayant l'inconvénient de ne pas permettre
le lavage de la plèvre, je fis construire par Galante l'aspirateur hydrau-
lique que je présentai au mois de janvier 187o à la Société de Chirurgie et
que je fus autorisé par Béhier à appliquer dans son service à l'Hôtel-Dieu.
Béhier reprocha à cet aspirateur ce qui me semblait son principal
avantage, d'évacuer trop lentement les liquides épanchés.
Résumant mes opinions dans un Mémoire lu à la Société de Médecine
de Toulouse et publié in extenso dans la Revue de cette Société (187o-76),
je préconisai les ponctions primitives et multiples pour permettre la
dilatation graduelle du poumon ; j'aflîrmai qu'avec une aiguille d'une pro-
preté absolue on ne change pas la qualité du liquide renfermé dans la
plèvre, qu'il ne faut évacuer que le trop-plein avec lenteur. Je résumais
dans cette formule les règles de la thoracentèse : Pratiquer des jionctiotis
primitives, successives et lentement évacuatrices.
En 1874. personne ne revendiqua la paternité du siphon ou de l'aspira-
teur hydraulique qui manquait de prestige.
Revenant à la revue de la presse, nous trouvons, en 1877, Gueneau de
Mussy conseiller de faire plusieurs ponctions successives pour éviter la
sécrétion albumineuse.
La même année, au Congrès du Havre, Potain conseille l'emploi du ma-
nomètre pour juger de la tension du liquide épanché. Plus tard, en 1880,
704 SCIENCES MÉDICALES
dans ses leçons cliniques (v. Ga^. Hop., p. 988), il dit qu'il essaya d'adap-
ter à la canule un siphon avec un tube en caoutchouc, très long, des-
cendant jusqu'à terre.
C'est la première fois, en 1880, que je trouve cette mention du siphon
adapté à une canule. Je n'accuserai pas M. Potain de plagiat; il a eu
l'idée du siphon tout simplement; le moyen était simple et pratique, et
ie ne présume pas qu'il ait le loisir de lire la Revue médicale de Toulouse^
Arrivant aux conclusions de la Clinique (p. 1084), il dit : « il faut
éviter d'extraire le liquide pleural par quantités trop considérables à la
fois sans nouvoir cependant fixer des limites absolues. i>
La quantité de liquide épanchée étant très difficile à déterminer, dans
mon Mémoire de 1875 j'adoptai une formule vague, évacuer le ti-op-plein,
c'est-à-dire arrêter l'écoulement lorsque la pression iiitra-pleurale devient
néo^ative, ce que l'on reconnaît sans manomètre avec l'aspirateur hydrau-
lique, quand, élevant l'orifice intérieur du siphon à la hauteur de la
plèvre perforée, le liquide cesse de couler.
Nous ne pouvons ici pousser plus loin l'analyse des documents fran-
çais et citer, comme ils le mériteraient, les travaux de Terrillon, Peyrot,
Grancher, Relsch, Vaillard, etc., etc., qui ont si bien fait la lumière sur
cotte question et qui sont connus de tous ; mais avant de finir il n'est pas
sans intérêt de résumer l'opinion des Allemands.
En 1886, le Congrès de médecine interne, tenu à Wiesbaden, mit à
l'ordre du jour le traitement de la pleurésie séreuse.
Frœntzel ne veut de la ponction qu'à la fin de la deuxième semaine, pas
plus tard; il recommande de ne faire écouler lentement que 1300 grammes-
de sérosité.
Friedler ne se sert plus de pompes à aspiration; la méthode extrême-
ment simple d'aspirer le hquide par abaissement d'un tube élastique lui
donne de bons résultats, et lui permet d'évacuer, en une fois, deux à
trois litres de sérosité.
Heusner ne se sert même plus du long tube de Weber; celui dont il se
sert n'a jamais plus de 60 centimètres.
Voilà, à vrai dire, un perfectionnement capital, et comme nos lits d'hô-
pitaux n'ont guère plus de 80 centimètres de hauteur, je suis heureux
d'avoir presque fait du Heusner en l'874. Von Heuss fait valoir un droit
de priorité sur l'appareil Weber, qu'il a déjà décrit en 1873. J'en sui&
convaincu, mais je ne connaissais alors ni M. Heuss ni ses travaux.
Il y a si peu à glaner à l'étranger, que de préférence je reviens à la
presse française. '
Dans ses leçons cliniques à la Pitié (1887), Jaccoud pose les indications
de la thoracentèse suivant qu'elle siège à gauche ou à droite : « Ne videz
jamais entièrement la cavité pleurale... il ne faut pas faire écouler le
TACHAUb. — TRAITEMEiNT DE LA PLEURÉSIE SÉREUSE PAR LE SIPHON 703
liquide trop vite » ; en n'oulîliant pas ces précautions, la ponction est une
opération absolument innocente.
La discussion qui a eu lieu cette année même, à l'Académie, est telle-
ment récente qu'il n'y a qu'à relater à grands traits les principales opi-
nions émises.
Tandis que Hardy ne veut guère de la ponction qu'à la dernière extré-
mité, Dieulafoy, s'élevant contre l'assertion de Verneuil, déclare que la
pleurésie n'est pas une maladie cyclique; que les accidents consécutifs à
la thoracentèse sont dus à ce qu'on a retiré rapidement et en une seule
séance une trop grande quantité de liquide. Il fixe à un litre la quantité à
évacuer ainsi qu'il l'avait déjà avancé dans son article du Dictionnaire de
Jaccoud.
Peter, qui est pour la méthode antiplilogistique dès le début, ne ponc-
tionne jamais avant le vingt-unième jour, en une seule fois et lentement.
Potain termine cette discussion en affirmant l'utilité et l'innocuité rela-
tive de la thoracentèse, qui reste, comme toute application thérapeutique,
affaire d'indication et d'opportunité.
Arrivé au terme de cette étude analytique, que j'ai du écourter très à
regret, il est temps de conclure :
C'est, moins pour revendiquer un droit de priorité dans l'emploi du
siphon, que pour affirmer de nouveau l'importance pratique des conclu-
sions thérapeutiques auxquelles m'avait conduit le siphon en 1874, que
j'ai cru utile de grouper quelques unes des opinions principales émises
dans les académies et dans la presse.
Mon expérience et l'étude de ces documents m'ont confirmé pleinement
■dans l'opinion rationnelle et physiologique que j'avais défendue en 187o
à la Société de Médecine de Toulouse et que je résumerai ainsi :
1° La thoracentèse aseptique est curative et sans danger ;
2° Elle doit être primitive, c'est-à-dire hâtive, avant l'organisation de
l 'exsudât;
3'' Elle ne doit viser qu'à retirer le trop-plein, en faisant cesser toute
tension positive intra-pleurale ;
4° Il faut préférer les ponctions multiples et successives à celles qui
vident d'un coup tout le sac pleural;
o'' Il y a lieu d'opérer toujours avec lenteur pour ne pas changer brus-
quement l'état du poumon ;
6'^ Pour ce qui est de la technique, elle est facilitée par l'emploi d'un
siphon quelconque, opérant avec lenteur et régularité le transvasement de
l'exsudat, ainsi (^ue je l'ai prouve d'après des faits cliniques, dont le pre-
mier en date est du mois d'août 1874.
45*
106 SCIENCES MÉDICALES
M. Félix EE&NAÏÏLT
à Paris.
MARIAGES CONSANGUINS — DIFFERENTES MANIERES DE LES ENVISAGER —EN QUELS
CAS ON DOIT LES ÉVITER
— Séance du i7 septembre i892 —
La consanguinité peut être entendue de diverses manières :
1° D'abord deux parents proches qui se marient;
2° En second lieu, si dans une commune les habitants se marient tou-
jours entre eux, même en évitant les mariages entre cousins, je crois qu'en
ce cas on peut dire encore qu'ils sont consanguins ;
3° Enfin, si l'on se marie toujours dans la même caste, bien qu'évitant
tout mariage entre parents proches, c'est un troisième genre de consan-
guinité.
Sans rechercher ici quels sont les effets de la consanguinité, il m'a
semblé que, en général, plus les habitants d'une localité se mariaient
enire eux, plus ils évitaient les mariages entre proches, et, d'autre part,
plus ils allaient chercher femme au loin, moins ils se souciaient de cette
consanguinité. Ainsi j'ai montré qu'aux Indes les habitants se mariaient
hors de leur village, allaient prendre femme au loin (voir Bulletin de la
Société d'Anthropologie, juillet 1891), mais se mariaient toujours dans
leur caste, ce qui amène un certain degré de consanguinité.
11 me restait à faire la contre-partie de ce travail, c'est-à-dire à
rechercher dans quelles proportions, en France, le villageois se marie
dans son village. En effet, chez nous, les lois contre la consanguinité
sont et surtout ont été rigoureuses.
Il me fallait donc dépouiller les registres d'une mairie de village ; faire
ceci en plusieurs points différents du territoire pour voir si les résultats
concordaient, car on ne doit pas généraliser sur un seul cas, qui peut être
influencé par des causes purement locales. Enfin, autant que possible,
prendre des séries à des époques diverses des xvni*^ et xix^ siècles pour
VÉRIFIER si, à mesure qu'on abandonnait les lois contre la consanguinité,
les mariages entre habitants de localités différentes devenaient plus fré-
quents.
F. REGNAULT. — MARIAGES CONSANGUINS TOT
Ayant eu l'occasion d'aller en Nonnandie et en Savoie, j'ai fait ces
relevés, d'une part, à Offranville, canton du pays de Caux, et au Pollet,
quartier bien connu de Dieppe ; et, d'autre part, à Aix-les-Bains. Mon ami
iM. Lajard, ayant de plus eu l'obligeance de consulter les registres de la
paroisse de Saint-Agricol, à Avignon, nous avons ainsi pu réunir un
certain nombre de documents que nous comparerons à ceux déjà obtenus
à Pondichéry et à Chandernagor, aux Indes.
NOM
DE LA C 0 a M l' X E
ANNÉES
NOMBBE
M A m ai; Es
NOMBRE
DES MARIAGES
OÙ les deux coiijoinls
habitaiciil
la même commune
NOMBBE
DES CONJOINTS
habitant
au moment du mariage
la commune où
ils sont nés
\ 1T3") à 1750
OFFRANVILLE
( 1801 à ISIO
(Arrondis' de Dieppe. y )
/ 1873 à 1883
ir,i
125
130
122 ou 75,7 %
82 ou 65,6 o/o
71 ou 54,6 %
p
166 ou 66,4 O/o (ij
163 ou 62,6 O/o (2;
LE PULLET \ 1845 et 1847
(Quartier de Dieppe.) ) 1885
72
30
64 ou 88,8 0/0 (■')
24 ou 80 O/o {■•}
? (•■•)
AIX-LES-BAINS \ 1797 et 1799
(Savoie) )l875-7(jel 1880
13i
79
95 ou 71 %
40 ou 50,7 O/o
204 ou 76,2 O/o (6)
97 ou 61,4 O/o (T)
\ 1701 et 170()
AVIGNON
( 1721
(ParoisscdeSt-AgricoI.)l
y 1778 et 1779
55
24
61
45 ou 95,7 0^ (H)
14 ou 87,5 O/o (9)
42 ou 80,7 O/o (i«;
i7 ou 94 O/o
10 ou 40 O/o
6C ou 58,4 O/o
VEDÈNES (Vaucluse).
1755 à 1770
99
67 ou 71,3 O/o (II)
153 ou 80,5 O/o
(1) Dans un seul mafiage les coiijoiiils ont même uom.
(2) Les conjoints sont de même num clans trois- mariages. Les noms sont, du reste, très variés.
(3) Dont neuf seulement entre le Pollet et Dieppe ; tous les autres entre PoUetais.
(4) Dont six entre Polletais et Dieppois.
(5) Le lieu de naissance n'est pas mentionné sur le registre de l'église.
(6) Les conjoints ont même nom dans six mariages.
(7) Synonymie dans aucun mariage.
(8) Huit mariages sont sans mention d'habitation et soi.xante-dix conjoints sans mention de lieu
de naissance.
(9) Huit mariages sont sans mention d'habitation et vingt-trois conjoints sans mention de lieu
de naissance.
(10) Neuf mariages sont sans mention d'habitation et seize conjoints sans mention de lieu de
naissance.
(H) Cinq mariages sont sans mention d'habitation et huit conjoints sans mention de lieu de
naissance.
708 SCIENCES MEDICALES
Examinons chaque commune en particulier.
I, — Offranville est une commune rurale sans industrie, de 1.634 habi-
tants. Il n'y a pas d'étrangers et 40 habitants seulement sont nés hors
de la Seine-Inférieure au recensement de 1890. C'est donc une popu-
lation très peu mélangée, et, fait important, les conditions de vie n'y
ont guère changé depuis un siècle. En effet, la propriété terrienne est
entre les mains de cinq grands propriétaires qui l'afferment à rentes
fixes; il n'y a que cinq autres petites propriétés.
Le mouvement de la natalité est plus fort que dans les autres pays
normands; il y a beaucoup de familles de plus de trois enfants.
Pour voir dans quelles proportions le mélange s'effectue, nous avons
procédé à deux ordres de recherches :
1° Quel est le nombre de mariages où les deux conjoints habitaient la
même commune?
2° Mais un des deux conjoints peut être venu du dehors et ne s'être
fixé que récemment dans le pays. Il fallait donc, pour donner à cette
première partie toute sa valeur, chercher le nombre de conjoints habi-
tant au moment du mariage la commune où ils sont nés.
3° Enfin un troisième point a été de voir si les noms des époux
étaient très variés et en quelles proportions il y avait synonymie dans les
noms des nouveaux mariés.
En effet, il est bien difficile de connaître le nombre de mariages con-
sanguins dans une commune. Bien que le Ministère de l'Intérieur le
réclame pour ses statistiques, aux mairies, néanmoins bien souvent, et en
particulier à Offranville, le secrétaire ne les marque pas sur le registre
de la mairie. Connaissant tous les habitants, il sait le nombre des
alliances consanguines, et l'envoie de mémoire au Ministère.
Sans entrer dans l'examen de tous les chiffres, on voit par le tableau
comment la proportion de mariages entre conjoints du même village
a diminué depuis le dernier siècle. Presque tous les mariages se font
entre conjoints du département, les grandes distances sont exception-
nelles.
Dans la période de 173o à 1750, elle était de 7o,7 0/0; de 1801 à 1810,
elle est encore de Q5,Q; de 1873 à 1883, elle tombe à 54,6.
Quant au nombre de conjoints habitant au moment du mariage le
village où ils sont nés, je n'ai pu le prendre au siècle dernier, le registre
étant tenu dans les paroisses; les curés ne se donnaient généralement
pas la peine de spécifier ce point, ils mettaient simplement un tel « de
cette paroisse » ou, en cas contraire, « de telle paroisse ». Les registres
étaient, du reste, bien ou mal tenus suivant le curé, et les formules
employées ont varié jusqu'en 173o.
Pour les deux autres périodes, on voit que la proportion a peu varié :
F. REGNAULT. — MARIAGES CONSANGUINS 709
de 66,4 au début du siècle, elle est encore de Q'2,iy; le paysan vit
encore sur le sol qui l'a vu naître.
Pour le troisième point, les noms des mariés étaient très variés et,
comme partout du reste, il y en avait peu où les deux conjoints fussent
homonymes : un de 1801 à 1810 sur cent vingt-cinq mariages et trois
de 1873 à, 1883 sur cent trente.
Donc, à mesure que nous nous rapprochons de l'époque actuelle, les
mariages entre habitants de communes différentes sont devenus plus fré-
quents; or, les mariages entre cousins et proches ont été de plus en plus
facilités, alors qu'ils étaient prohibés avant la Révolution.
II. — Le registre de paroisse du Pollet fournit quelques chiffres remar-
quables.
Le Follet est le quartier des pécheurs de Dieppe. On a dit qu'ils ne se
mariaient qu'entre eux, conservaient un type spécial qu'ils auraient reçu
d'une origine étrangère, enfin que la consanguinité y serait fréquente.
Or, il est vrai, surtout autrefois, que les pécheurs poUetais ne se
mariaient qu'entre eux. Sur soixante-douze mariages pris sur les registres
de l'église, en 184o et 1847, cinquante-cinq se pratiquaient entre gens du
même quartier, neuf seulement entre gens du Pollet et de Dieppe : ce
qui donne une proportion de 88,8 0/0 de mariages entre gens de Dieppe.
Dans ces soixante-douze mariages, vingt-trois marins et quinze ou-
vrières en fdet; de ces dernières, treize épousèrent des pécheurs.
De nos jours, les mariages entre Polletais sont encore fréquents :
dix-huit entre Polletais et six entre Polletais et Dieppois, sur trente ma-
riages célébrés en 188o.
Mais les grands travaux des nouveaux ports ont démoli une partie du
Pollet; d'autres industries que celles des pêcheurs sont venues s'y ins-
taller, entre autres une manufacture de cigares. Les pécheurs préfèrent
épouser des cigarières; le métier d'ouvrières en filet, moins rémunérateur,
reste aux plus misérables.
En 188o, sept marins et trois ouvrières en filet se marièrent, une seule
épousa un marin. Du reste, les usages, les traditions et le costume ont
disparu, et il ne reste du Pollet que le souvenir.
Le registre des paroisses n'indiquait pas, en 18i5 et 1847, le lieu de
naissance des conjoints; c'est un point que j'ai dû forcément laisser dans
l'ombre.
Mais déjà à cette époque, les marins évitaient la consanguinité. Je n'ai
trouvé, en 184o et 1847, sur ces soixante-douze mariages, qu'une seule
dispense de l'église; pas une en 188o; le curé m'a assuré qu'autrefois,
comme aujourd'bui, elles étaient exceptionnelles. De plus, les noms y
sont très variés ; je n'ai trouvé qu'une fois deux mariés homonymes en
1845-1847, et une en 188o, et ces noms sont si variés que, sur les
710 SCIENCES MÉDICALES
soixante-douze mariages, ils se répètent très peu : ainsi, seul le nom de
Gondré s'est répété cinq fois, celui de Cornu trois fois et celui de Levas-
seur deux fois; les autres n'étaient inscrits qu'une fois dans tout le re-
gistre de ces deux années.
On peut conclure qu'il n'y a jamais eu, au Pollet, une race spéciale
de pêcheurs ne se mariant qu'entre eux; tout au plus, autrefois, épou-
saient-ils de préférence les pêcheuses; ce fait a disparu entièrement
aujourd'hui.
III. — L'exemple du Pollet, quartier de pêcheurs où la vie est si spéciale,
s'écarte beaucoup de celui d'Offranville. Une commune que nous pourrons
mieux lui comparer est celle d'Aix-les-Bains. Ici, la proportion du nombre
des mariés habitant la même commune est à peu près égale pour la même
époque : 71 0/0 en 1800 et 1802, au lieu de 65,6 0/0 pour la période
comparable de 1801 à 1810, dans la commune d'Offranville; et, en
1873, 1876 et 1880, 50,7 0/0 seulement, tandis qu'Offranville donne, de
1873 à 1883, 54,6 0/0. Donc, dans les deux cas, même décroissance
rapide. Quant au nombre de conjoints habitant, au moment du mariage,
le village où ils sont nés, de 76,2 0/0 au commencement du siècle, il
tombe à 61,4 en 1875-1880, chute un peu plus rapide qu'à Offranville,
mais néanmoins bien comparable. Là encore le mélange entre habi-
tants de communes voisines s'accentue de plus en plus, alors que les
prescriptions contre la consanguinité ont disparu (1).
IV. — Les registres de la paroisse de Saint-Agricol, à Avignon, et de
Védènes, commune près d'Avignon, donnent des résultats curieux sur le
siècle dernier.
A Avignon, le nombre de mariages, au siècle dernier, entre habitants
delà même ville, a toujours été très élevé : 95,7 0/0 en 1701 et 1706,
87,5 0/0 en 1721 et 80,7 en 1778 et 1779, quoiqu'on remarque une
décroissance à rapprocher de celles signalées plus haut.
Mais les proportions du nombre des conjoints habitant au moment du
mariage la commune où ils sont nés donnent des résultats très différents.
De 94 0/0 en 1701 et 1706, elle tombe à 40 0/0 seulement en 1721, et
n'atteint que 58 0/0 en 1778 et 1779.
C'est qu'ici nous avons affaire à une ville, et qu'au siècle dernier,
comme de nos jours, ou mieux, plus que de nos jours, les mauvaises
conditions hygiéniques et les épidémies amenaient un excédent de la
mortalité sur la natalité ; d'où appel aux gens de la campagne qui trou-
vaient des places vides. Cet appel a surtout été fort en 1721, après la
(1) Rapprochons du Pollet Berck-sur-Mer, village de marins, dans le Pas-de-Calais. Do 1771) à 1790,
sur 91 mariages, 97,8 0/0 habitaient la même commune, et 96,7 0/0 la commune où ils étaient
nés. De 1880 à 1890, sur 104 mariages, 88,4 0/0 habitent la même commune, 75,4 0/0 le lieu de
naissance. Chiffre encore considérable et dû, comme au Pollet, à l'isolement et à la vie spéciale
des marins. (Chiffres dus à l'obligeance de M. Quertier.)
F. REGNAULT. — MARIAGES CONSANGUINS "Il
peste. Mais ces gens, une fois établis, se mariaient à Avignon, d'où \ient
que les chiffres des conjoints habitant la même ville restaient élevés.
Au contraire, Védènes, commune des environs, a eu, vers la même
époque (17oJ>-1770), une proportion élevée, 80, o 0/0, de nouveaux mariés
habitant le lieu de naissance, alors que la proportion entre conjoints
habitant la même commune est un peu plus faible, 71,3 au lieu de 80,7
à Avignon.
Ce rapprochement prouve bien que les villes, au siècle dernier, fai-
saient déjà appel aux gens de la campagne.
Au siècle dernier, dans le Comtat-Yenaissin, on prenait plus généra-
lement qu'aujourd'hui femme dans sa commune, et, restriction faite
des époques d'épidémie, on se mariait là où on était né.
CONCLUSION
De ces divers exemples, nous pouvons tirer une conclusion ferme, à
savoir que l'on se marie de plus en plus entre personnes de counnunes
différentes et que la proportion entre gens prenant femme dans la même
commune, qui était d'environ deux sur trois au siècle dernier, n'est plus,
dans nos campagnes, que de un sur deux.
Ces faits d'observation auraient pu se déduire du seul raisonnement.
A mesure que les années passent, les facilités de communication s'ac-
croissent. Déjà, au siècle dernier, les routes sont de mieux en mieux soi-
gnées et entretenues ; enfin les chemins de fer arrivent chaque année plus
nombreux, amenant cette extrême facilité de déplacement. Si on avait
pu remonter plus haut sur les registres et arriver ainsi au moyen âge,
où les territoires étaient morcelés et tout voyage dangereux, on aurait
trouvé que presque tous les habitants naissaient, se mariaient et mou-
raient dans leur village. Or, on sait que la consanguinité, à cette époque,
était soigneusement évitée et proscrite par les lois religieuses, les seules
faisant autorité.
Si on se déplace plus facilement pour prendre femme, néanmoins nos
paysans ne quittent guère encore le village qui les a vus naître. La pro-
portion a faibli sur autrefois, mais dans des proportions bien moindres.
Comparons ces chiffres à ceux que j'ai obtenus aux Indes.
L'Indien vit et meurt au lieu de sa naissance, au village qui l'a vu
NAITRE. A Chandernagor, sur 754 conjoints, de 1852 à 1883, j'ai trouvé
une proportion de 89 0/0 habitant, au moment du mariage, leur vil-
lage natal. A Pondichéry, pour 6.340 conjoints, la proportion est de
96 0/0.
Mais presque toujours ils prennent femme hors de leur commune.
712 SCIENCES MÉDICALES
ACIiandernagor, 9,4 0/0 des conjoints habitent le même quartier (le quar-
tier correspond à peu près à la commune française), et 29 0/0 des con-
joints habitent tous deux le territoire français : la différence, on le voit,
est énorme en comparaison des communes françaises.
A Oulgate (territoire de Pondichéry), 21 0/0 des conjoints habitaient le
même village, 39 0/0 la même commune.
Or, le mariage entre gens de même caste est absolument rigoureux, ce
qui amène une consanguinité.
Si tout mariage consanguin entre cousins et personnes de même nom
est rigoureusement proscrit dans le Nord, en pays Tamoul le mariage est
autorisé entre enfants de frères et de sœurs (car alors ils n'ont pas vécu
ensemble sous le même toit, n'étant pas de la même famille) alors qu'il
est interdit entre descendants de frères ou descendants de sœurs.
Aux Indes, alors qu'il y a endogamie de castes, le mariage est proscrit
entre parents, et il y a exogainie topogj^aphique, c'est-à-dire mariage, entre
gens n'habitant pas le môme territoire.
En France, il y avait autrefois endogamie topographique, les lois empê-
chaient les mariages consanguins ; aujourd'hui V endogamie topographique
diminue et ces lois tombent en désuétude.
De ces conclusions certains induiront que l'auteur juge que la consan-
guinité est chose mauvaise en soi et que l'exogamie topographique en
atténue les défauts.
11 n'en est pas ainsi. Je prends simplement deux faits sociaux : alliances
consanguines, endogamie topographique, et je remarque qu'iLS sont en
relations inverses chez les peuples civilisés; en d'autres termes, que les
alliances consanguines sont d'autant moins défendues qu'il y a plus d^exo-
gamie topographique.
Quant à la question de la valeur de la consanguinité, on admet aujour-
d'hui qu'elle n'est qu'un cas de l'hérédité. Si les ascendants sont bons,
les produits seront bons, sinon non. Mais les ressemblances fort grandes
qui existent entre parents consanguins font que leurs qualités ou défauts
seront plus marqués chez le produit, d'où le danger des alliances consan-
guines quand les parents ont quelque tare.
Ainsi s'expliquent fort bien les faits contradictoires qu'on a jusqu'au-
jourd'hui apporté pour ou contre la consanguinité.
Il me semble qu'il faut pousser les recherches plus loin.
D'oîi viennent les qualités ou défauts des parents comme ceux que l'en-
fant prend en grandissant? Du milieu, c'est au milieu qu'il faut toujours
revenir, le grand, le seul facteur agissant dans la variation des espèces
comme des individus.
Si dans un village existent quelques facteurs d'affaiblissement de la
race qui l'habite (comme par exemple un pays où les fièvres pernicieuses
F. REGXAULT. — M.VniAGES CONSANGUINS 713
sont fréquentes, où la scrofule règne), et si les gens y pratiquent l'exo-
gamie topographique, l'apport d'un sang nouveau peut suffire ; encore
faut-il que ces causes de déchéance ne soient que peu développées. Au
contraire, en se mariant entre eux, ils s'ahâtardiront rapidement. Mais si
le pays est dans de bonnes conditions hygiéniques et que les professions
des habitants ne prédisposent pas à la dégénérescence, la consanguinité
n'aura pas mauvaise action; exemples : Bourg de Batz, cité par Voisin;
Fort-.Mardyck; étudié par Lancry, etc., etc. Tout ceci n'est pas une simple
hypothèse, je citerai le fait suivant qu'a bien voulu me fournir M. le
D"" Paul Reclus.
A Orthez (Basses-Pyrénées), les protestants se marient entre eux. Or,
les bourgeois protestants sont généralement malingres et chétifs et n'ont
qu'un petit nombre de rejetons : bien que ceci lui semble dû plutôt aune
restriction volontaire.
Mais, fait capital, ils ont un grand nombre d'épileptiques, à tel point
que, dans les maisons de protestants, il existe une chambre spéciale, à
eux réservée.
L'épilepsie trouve un milieu favorable chez ces bourgeois qui, de père
en fils, s'adonnent à des occupations ne mettant en jeu que le cerveau; il
est naturel que l'organe fonctionnant le plus soit le plus sujet aux ma-
ladies. Tout ceci diminue depuis les chemins de fer; il se fait plus de
mariages croisés, quoique toujours entre protestants.
Ainsi s'explique comment, par la pratique d'exogamie topographique,
les peuples évitent les dangers possibles de la consanguinité au cas oîi les
parents auraient des tares.
11 eût été utile de recueillir un plus grand nombre d'exemples. Mais
jusqu'à présent, dans ce genre de recherches, on n'a jamais tenu compte
de l'influence du milieu. Rassembler de nombreux documents est une
œuvre considérable. J'espère que ceux qui me liront feront des recher-
ches chacun dans sa sphère, et que plus tard, en comparant leurs travaux,
on pourra arriver à établir ce point d'une façon définitive. .
LOIS
loi 1. — La consanguinité rentre dans l'hérédité ; selon que les ascen-
dants sont bons ou mauvais, les produits seront bons ou mauvais. Les
qualités ou défauts des parents se transmettent aux enfants.
Loi IL — La puissance héréditaire est exagérée par la consanguinité.
Les consanguins ont, en effet, nombre de qualités et défauts semblables.
Ces qualités et défauts sont exagérés chez leurs enfants.
Loi III. — 3Iais les qualités d'un être sont acquises par lui grâce au
714 SCIENCES MÉDICALES
milieu où il vit; ou, en d'autres termes, les propriétés d'un être vivant
dérivent du milieu où il vit.
L'hérédité transmise chez les descendants est seulement les qualités
dues au miheu fixées chez les ascendants.
Si deux consanguins vivent séparés l'un de l'autre en deux milieux dif-
férents, ils seront moins semblables qu'habitant sous le même toit. Et
les efTets, bons ou mauvais, de la consanguinité se feront moins sentir.
M. EIETJZÂIDE
Ancien interne des hôpitaux de Paris, à Lectoure.
OBSERVATIONS D'OSTEOMYELITE
— Séance du // septembre 1892 —
J'ai l'honneur de présenter à la Section cinq observations d'ostéo-
myélite qui offrent un certain intérêt en ce sens qu'elles ont toutes
donné lieu à des erreurs de diagnostic.
Deux en 1889. — La première, ostéomyélite aiguë; la deuxième, ostéo-
myélite chronique.
Troin en 1892. — La troisième, ostéomyélite aiguë; la quatrième, ostéo-
myélite traumatique; la cinquième, ostéomyélite subaiguë.
Obs. L — Ostéomyélite aiguë. — Ferdinand J., âgé de dix-huit ans, cordonnier,
s'était loué pour les travaux de la moisson. Le 18 juillet, il fut obligé d'inter-
rompre son travail, il éprouvait des douleurs vives dans la région tibio-tarsienne
droite.
Soigné à domicile pour une arthrite rhumatismale, il avait une fièvre très
vive, du déUre et poussait des cris continuels nuit et jour. Le 28 juillet, il entra
à l'hôpital et fut opéré le lendemain d'une ostéomyélite de la partie inférieure
du tibia à la jonction de la diaphyse et de fépiphyse. Je trouvai un abcès sous
le périoste et pratiquai sur la face interne du tibia, avec le trépan, deux ou-
vertures qui donnèrent lieu à un écoulement de pus bien lié.
Après l'opération, le pouls tomba de 120 à 80 et les douleurs disparurent
complètement. Grâce à l'antisepsie, la plaie guérit assez rapidement, mais il
resta une fistule qui a mis un an à se cicatriser... Depuis lors il est complète-
ment guéri.
DIEUZAIDE. — OBSERVATIOîtS d'oSTÉOMYKLITE llS
Obs. II. — OstéomxjéUle chronique . — M"^ Marie D. fut traitée, à l'âge de qua-
torze ans, en juin 1870, pour un abcès froid de la partie moyenne de la cuisse
gauche, par l'incision, le drainage et les injections de teinture d'iode. Elle gué-
rit très bien et fit deux saisons à Barègcs pour consolider la guérison. Treize
ans après, elle entre au service d'une famille de Bordeaux, et, en octobre 1889,
elle est prise de douleurs dans la partie supérieure de la cuisse gauche. Il y
eut un gonflement considérable et un abcès s'ouvrit spontanément. Le médecin
de la famille la renvoya à Lectoure sans soupc^onner l'ostéomyélite.
Elle entre à l'hôpital en novembre, conservant une fistule qui s'ouvrait à la
partie moyenne et externe de la cuisse. Le stylet pénétrait à une profondeur
de huit centimètres, mais ne tombait pas sur une portion de l'os qui parut ma-
lade. Je crus à l'ostéomyélite et je mo décidai à ouvrir le trajet pour aller à la
recherche du point que je supposais atteint. Arrivé à la limite du trajet, je
tombai sur l'os qui paraissait sain ; mais le stylet, introiuit de nouveau dans
une direction différente, pénétrait le long du fémur à sept centimètres plus haut
jusqu'à la l^ase du grand trochanter. Je me décidai à aller jusqu'à la limite
extrême et alors je tombai sur le point malade. Il y avait à la base du grand
trochanter une carie formant une ouverture circulaire de deux centimètres
de diamètre. Je ruginai fortement les bords, et l'instrument pénétra sans la
moindre pression dans la cavité médullaire.
11 est certain qu'il eût mieux valu tomber directement sur le foyer et épar-
gner à la malade une incision d'une longueur peu ordinaire; mais aucun indice
ne révélait la situation de la carie.
La plaie traitée, antiseptiquement, guérit bien, mais a laissé une petite fistule
qui l'a obligée à faire deux saisons de Barèges. A part cette fistule qui donne
lieu de temps en temps à l'écoulement de quelques gouttes de pus, la malade
vaque à ses occupations ordinaires. Les médecins de Barèges lui ont promis de
la guérir sans une nouvelle intervention chirurgicale.
Obs. III. — Ostéomyélite aiguë; abcès séreux aigus. — M. P. F., procureur de
la République, âgé de trente-cinq ans, fut pris, le 27 mars 1892, de douleurs
vives dans la partie supérieure et postéro-externe de la cuisse droite. Ces dou-
leurs s'étendaient à toute la cuisse. Son beau-père, docteur en médecine, diag-
nostiqua une névralgie sciatique. Appelé à le soigner, je fis le même diagnostic.
Nous l'avons soigné par les injections de morphine en lui faisant prendre tous
les remèdes vantés dans cette affection sans aucun résultat favorable. Il refusait
toute autre médication externe.
Le 2 mai il part pour Dax. Les médecins de cette station lui promirent de
le guérir de .<a sciati(iue. Il rentra à la fin de mai dans une situation plus mau-
vaise et quand je le revis, le 8 juin seulement, je trouvai la cuisse malade très
-gonflée dans la région du grand ti'ochanler. Il y avait à ce niveau des douleurs
très vives et je crus trouver de la fluctuation. Je posai le diagnostic d'ostéomyé-
lite et déclarai qu'il y avait déjà un commencement dinfeclion et que je ne
prenais pas la responsabilité d'un retard de plus de vingt-quatre heures. Le
lendemain, je lui fis une longue incision sur la face externe du grand trochanter,
il s'écoula de la sérosité et pas de pus. Arrivé à la surface de l'os, je trouvai un
point rugueux et dépouillé du périoste. Je pratiquai trois ouvertures avec le
trépan perforatif. Les deux jiremières ne donnèrent que de la sérosité, la troi-
sième, la plus inférieure, donna un sang noir épais comme de la mélasse.
Le malade fut soigné antiseptiquement et se trouva soulagé. Il soutirait de
la large plaie qui avait été faite, mais il reconnaissait que ce n'était pas la
716 SCIENCES MÉDICALES
même douleur que celle qu'il éprouvait auparavant. Cette amélioration fut pas-
sagère. M. le professeur Lannelongue fut mandé auprès de lui, confirma le diag-
nostic et reconnut en outre un foyer secondaire qui s'était formé dans la fosse
iliaque droite.
Il déclara qu'il fallait ouvrir ce foyer pour éviter l'infection générale. Comme
nous, il croyait trouver du pus et ne trouva qu'un foyer plein de sérosité.
M. le professeur Démons nous a déclaré qu'il lui était arrivé également
d'opérer des ostéomyélites sans trouver de pus.
M. le docteur Nicaise a communiqué à l'Académie de Médecine une note sur
les abcès séreux. La cause prochaine de ces abcès séreux aigus n'est pas encore
élucidée.
C'est une question de bactériologie à l'étude.
Malgré tous les soins dont il a été entouré, le malade a succombé à l'infec-
tion le 3 juillet.
Obs. IV. — Fracture par écrasement de Vextrémité supérieure de la jambe. —
Ostéomyélite consécutive et évidement de l'extrémité supérieure du tibia. — Réparation
de la perte de substance intra-osseuse au moyen des corps aseptiques (procédé
Dijplay). — Jean B., métayer, a fait, le 18 mai, une chute de voiture et est
tombé sur langle d'une pierre de taille.
Le tibia et le péroné au-dessous du genou gauche ont été écrasés et subluxés
en arrière. La peau, au niveau de la fracture, présentait seulement un petit
pertuis circulaire de trois ou quatre millimètres de diamètre qui donnait lieu
à un écoulement de sang assez abondant. Je fis un point de suture après avoir
désinfecté le foyer; le point de suture ne tint pas et le foyer sanguin devint
purulent ; je plaçai un drain et prescrivis des lavages antiseptiques quotidiens.
Le membre avait été placé dans un appareil plâtré.
Le 10 juillet, au moment oîi je croyais la consolidation presque complète, je
dus inciser largement le foyer et je tombai sur un amas d'os écrasés avec
décollement du périoste sans trace de consolidation. Le malade n'avait pas
souffert et rien ne nous faisait prévoir ce résultat.
Je dus enlever des fragments nombreux représentant l'exti^émité supérieure
du tibia et un fragment inférieur de dix-neuf centimètres de longueur dont le
périoste était complètement décollé. Le tissu spongieux de l'extrémité supé-
rieure fut ruginé fortement, de telle sorte qu'il resta une large et profonde
excavation. Le fragment inférieur à la limite du décollement du périoste fut
enlevé avec le ciseau et le maillet après une perforation sur sa face interne
avec le trépan perforatif. Il s'écoula une quantité considérable de pus par le
canal médullaire.
L'ostéomyélite s'étendait un peu plus bas et j'ai dû désinfecter le canal médul-
laire par des irrigations antiseptiques quotidiennes. Le membre fut mis dans
une gouttière. Le malade se trouva mieux et la réparation marcha très bien ;
mais la cavité osseuse formée par l'évidement de l'extrémité supérieure se
comblait lentement. Le péroné s'était consolidé et avait échappé à l'ostéomyélite.
C'était une circonstance favorable et qui devait permettre la réparation du
tibia sans trop de raccourcissement, le péroné servant d'attelle. Seulement la
subluxation, qui s'était très facilement réduite, s'était reproduite, les fragments
supérieurs n'offrant aucune résistance à la contractilité musculaire.
Pour combler la cavité provenant de l'évidement du tibia, je crus que c'était
le cas d'appliquer la méthode de réparation des pertes de substance intra-osseuse
à l'aide des corps aseptiques. J'écrivis à M. le professeur Duplay, qui partagea
DIEUZAIDE. — UBSEUVATIONS D'oSTÉOMVÉLlTt; 717
ma manière de voir. J'avais désinfecté fortement le foyer avec des lavaf^es au
sublimé, à l'acide pliénique et enfin avec la solution au chlorure de zinc an
dixième. Le 10 août, je tamponnai la cavité avec la gaze iodoformée. Le lende-
main, la gaze est entièrement souillée; je l'enlève et fais une nouvelle appli-
cation. Au bout de quelques jours, les couches de gaze les plus profondes étaient
devenues adhérentes et je les laissai en place ne changeant que les couches
superficielles. Bientôt je ne renouvelai le pansement qu'au bout de deux, trois
et quatre jours d'intervalle et la réparation n'en marchait que mieux.
A cette heure, l'ouverture de la cavité osseuse est comblée par la gaze qui
paraît adhérente.
La réparation de la diaphyse est complète, la consolidation obtenue, et le
malade commence à marcher avec des béquilles.
M. le docteur Serres me demande si je n'ai pas eu un raccourcissement consi-
dérable...? Le tibia s'est reproduit dans toute sa longueur sans raccourcissement
appréciable, grâce à la consolidation du péroné; mais il existe un raccourcisse-
ment de quatre centimètres qui est la conséquence de la subluxation que je n'ai
pu réduire.
M. le professeur Ollier considère ce raccourcissement comme une circons-
tance très favorable en raison de l'ankylose du genou qui était inévitable. Sans
cela, le malade aurait buté au moindre obstacle,
Obs, V, — Ostéomyélite de la huitième côte droite. — Le capitaine L. au
3e tirailleurs algériens, fut pris, en janvier 189i, d'une fièvre intermittente
suivie de bronchite. Le malade se plaignait souvent du côté droit et la toux
avait une persistance que n'expliquait en rien l'auscultation du poumon. Le
malade est venu en France en juin. Je l'ai vu avec M. le professeur Lannelongue
le 19 juin et le malade nous montra une tumeur qui s'était développé'e depuis
peu de temps au niveau du point douloureux dont il s'était plaint si souvent,
M. Lannelongue posa nettement le diagnostic : ostéomyélite de la huitième
côte; séquestre à enlever; attendre quelques jours pour que le séquestre fût
plus mobile.
Je l'opère le 2 juillet. La peau incisée, je trouve le tissu osseux de nouvelle
formation qui se laisse couper avec des ciseaux et, en l'ouvrant dans une étendue
de douze centimètres, je tombe dans une cavité occupée par un deliquium
provenant de la carie de la côte qui a disparu, 11 ne reste que la place qu'elle
a occupée et qui forme une rigole qui est grattée et nettoyé(; rigoureusement.
La plaie est drainée et réunie avec soin. La réunion de la peau a eu lieu par
première intention et les drains ont été retirés au bout d'une huitaine de
jours,
A cette heure, le malade est complètement guéri.
718 SCIENCES MÉDICALES
M. IMBERT DE LA TOUCHE
à Lyon.
TRAITEMEMT DE LA MIGRAINE ET DES CÉPHALÉES PAR LA DOUCHE STATIQUE
— Séance du 17 septembre 1892 —
Parmi les malades s'adressant à l'électricité pour obtenir le soula-
gement de leurs souffrances, j'ai eu l'occasion d'en observer un certain
nombre atteints de migraine et de céphalées.
Ces phénomènes nerveux, ordinairement sous la dépendance d'une
hérédité spéciale (arthritisme, goutte, nervosisme), sont très fréquents
et résistent à la plupart des médications. Cette insaffisance thérapeutique
m'a suggéré l'idée de soumettre quelques malades à la douche statique
et je désire attirer l'attention de mes confrères sur cette méthode. Je dois
avouer que, sauf de rares exceptions, mes malades ont toujours été guéris
ou tout au moins soulagés.
Obs. I. —Femme âgée de trente-deux ans, hémorroïdaire et fille de goutteux,
soulTrant depuis dix ans environ de céphalées avec congestion de la face. Les
accès revenaient plus violents, deux ou trois fois par semaine, au moindre écart
de régime ou d'hygiène.
Tous les remèdes étaient restés impuissants, même l'antipyrine, dont l'action,
ellicace au début, ne parvenait plus à enrayer les douleurs. Je lai soumise
aux bains électro-statiques avec douche statique sur la tête, d'une durée de
trente à quarante-cinq minutes. AméUoration manifeste dès les premiers jours
et disparition de toute douleur après vingt-cinq séances. En même temps
que l'état local s'était amendé, l'état général avait bénéficié de l'intervention ;
une phlébite de la jambe, avec œdème, qui persistait depuis plusieurs années,
fut sérieusement améliorée. La pléthore abdominale diminua dans de notables
proportions et la taille s'efïila de plusieurs centimètres; les insomnies dispa-
rurent aussi.
En soiume, il y eut un etTet sensible sur la nutrition et la circulation; de
plus, amélioration complète de l'économie.
Obs. il — Femme de cinquante-cinq ans, souiï're depuis plusieurs années de
migraine avec vomissements revenant presque tous les jours. La malade est
obligée de s'aliter pendant l'accès, qui débute le matin et dure plusieurs heures.
De plus, dyspepsie très accusée. Tons les médicaments sont restés inefficaces.
IMBKRT DE LA TOUCHE. — TRAITEMENT DE LA MIGRAINE 7J9
Je lai ordonnai la douche .staliiiue sur la lèle. Dès les premiers jours, je
pus constater un changement ap]iréciable dans sa situation et au bout de
vingt-neuf séances la malade ne ressentit plus ses malaises. Elle ne jouit cer-
tainement pas d'une santé parfaite, mais elle est dt'-barrassée de souffrances
presque quotidiennes, peut manger, digère facilement et dort mieux.
OiiS. III. — M""^' M., cinquante ans, se plaignant de céphalées depuis plusieurs
années, prit dix douches statiques de quarante-cinq minutes. Le soulagement
fut rapide et la guérisun se maintient.
Obs. IV. — M""-" Ch. était, depuis dix ans enviion, en proie à de violentes
céphalées, caractérisées par une sensation de constriction et de poids au front et
à la nuque (casque neurasthénique), avec buurdunneraenl d'oreilles. Je lui admi-
nistrai quelques douches et, quoiqu'elle dût interrompre le traitement presque
au début, elle resta plusieurs semaines sans éprouver aucune souffrance ;
actuellement, les céphalées reviennent moins fréquemment et avec moins d'in-
tensité. Les bourdonnements d'oreilles ont presque entièrement disparu.
Ous. Y. — -M"*^ C, vingt-six ans, se plaignait, à la suite de surmenage intellec-
tuel, de douleurs de tète quotidiennes avec la sensation de consti'iction et de lour-
deur. Après quelques séances, les maux de tête disparurent, les digestions se
régularisèrent, l'appétit revint et l'insomnie fut heureusement combattue.
Ous. M. — M"'« B.. vingt-huit ans, atteinte depuis quatre ans de chlorose
ayant résisté à toutes les médications, souffrait d'une céphalalgie opiniîîtreavec
insomnie. Au bout de douze séances, ses douleurs de tête diminuèrent. En
même temps, elle reprit ses couleurs et ses forces, l'insomnie disparut et la
chlorose guérit.
Obs. Vn. — M"*-" V., trente ans, soulfnmt de migraine avec vomissements,
dont les crises se renouvelaient deux ou trois fuis par semaine, éprouva, après
quelques semaines de traitement par la douche, une grande diminution dans
l'intensité et la fréquence des accès. Son état général s'améliora en même
temps dans de notables proportions.
Technique opératoire
Le patient est placé sur un tabouret isolant à pieds rJe verre et mis en
communication avec le pôle positif d'une machine statique : il est enve-
loppé de fluide électrique, d'où le nom de bain électi'o-slatique.
On dispose, à dix centimètres environ au-dessus du cuir chevelu, une
plaque munie de pointes aiguës, d'où se dégagent des elïluves, qui en-
vironnent complètement la tète. Le malade perçoit alors une sensation de
fraîcheur indéfinissable. Ces effluves constituent une sorte de douche"
très agréable, qui soulage dans la majorité des cas les céphalées les plus
violentes.
L'appareil doucheur, dû à l'ingéniosité de notre confrère le docteur
Baraduc, peut être construit en bois ou en métal de diverses espèces et de
720 SCIENCES MÉDICALES
préférence en argent, afin d'utiliser les propriétés spéciales de ce métal.
C'est à Pivati, de Venise, et à l'abbé Nollet (1) que remontent les pre-
mières études sur le transport des médicaments par le fluide électrique.
Ces expériences furent reprises à Lyon par Beckensteiner (2), qui attachait
une grande importance à la nature du métal employé. Cet auteur put
constater que l'argent exerçait des effets calmants spéciaux sur les
céphalées. « Il est rare, dit-il, que l'argent ne dissipe point instantanément
les douleurs de tête les plus opiniâtres et ne calme l'insomnie ». J'ai
donc expérimenté l'appareil doucheur en argent sur plusieurs malades
et il m'a semblé qu'ils obtenaient par ce procédé un soulagement plus
rapide ; néanmoins, un grand nombre d'observations seraient nécessaires
pour fixer définitivement la question.
Contrairement à l'opinion des auteurs, les séances doivent être assez
longues pour obtenir un effet curatif; j'ai toujours remarqué qu'une
douche de cinq à dix minutes était insuffisante ; trente à quarante mi-
nutes au moins sont nécessaires. Du reste, ce n'est guère qu'au bout
d'une demi-heure environ que l'amélioration se fait sentir nettement.
Les séances doivent se pratiquer tous les jours, puis tous les deux jours,
afin de laisser le malade le plus longtemps possible sous l'influence du
traitement.
Plusieurs médecins ont appliqué l'électricité à la cure des migraines
et des céphalées. Entre autres, je citerai le docteur Arthuis (3), qui met
en usage le souffle, les courants, les frictions et les étincelles dirigées sur
tout le corps, de la tête aux pieds, spécialement sur la tète et sur l'esto-
mac ; durée de la séance : huit à dix minutes.
Le docteur Labbé (4) rapporte un cas de migraine, datant de huit ans,
guérie en trente-quatre séances d'électricité statique, en promenant à
quatre ou cinq centimètres de la région douloureuse un excitateur à
pointes multiples et en tirant quelques petites étincelles. Il termine la
séance, d'une durée de dix minutes, par une friction électrique, qui con-
siste à présenter au contact de la peau un excitateur à boule recouverte
de flanelle.
Ces procédés donnent certainement de bons résultats, je préfère toute-
fois celui qui fait l'objet de ma communication. Il est des cas, cependant,
où, sans être exclusif, on peut utiliser comme moyen adjuvant les
courants, sous la forme de la galvanisation centrale ou de la faradisation
générale, suivant la méthode de Beard et Bockwell (o).
(1) Etudes sur Véleclricilé. Nouvelle méthode pour son emploi mcrfica/, par Beckensteineiv, 1832.
(2) Recherches sur les causes particulières des phénomènes électriques, Wi'i.
(3) Traitement électrostatique des maladies nerveuses, des a/feclions rhumatismales el des maladies
chroniques, par le docteur Arlhuis, 1892.
(4) De l'électricité statique dans la migraine, par le docteur Labbé, 1889.
(o) A p radical treatise on ttie médical and surgical uses of electricily, by Beard and Rockwell,
seventh éditioD, 1890.
IMBERT DE LA TOUCHE. — THAITEMENT DE LA MIGRAINE 721
Résultats
Les résultats de cette méthode sont immédiats ou consécutifs.
Résultats immédiats. — Le sujet ressent le plus souvent un soulagement
immédiat sous l'influence de la douche statique ; la sensation de fraî-
cheur est très agréable et les céphalées les plus opiniâtres sont atténuées
sinon dissipées complètement.
Résultats consécutifs. — L'insomnie, si fréquente chez les névropa-
Ihiques, tend à disparaître, les digestions se régularisent, l'appétit s'amé-
liore, la constipation est combattue et la circulation modifiée.
La chute des cheveux a été arrêtée dans quelques céphalées, en même
temps que diminuait l'hyperesthésie du cuir chevelu. On a noté aussi
une certaine suractivité dans la croissance des cheveux.
En somme, la supériorité de cette méthode, essentiellement bénigne,
réside dans ce fait que, tout en agissant d'une façon immédiate sur
l'état local, elle s'adresse directement à l'état général en modifiant l'éco-
nomie et en combattant le ralentissement de la nutrition.
Conclusions
'J° L'électricité est d'une efïïcacité incontestable dans le traitement de
k migraine et des céphalées.
2" La méthode est basée sur l'emploi du bain électro-statique et sur
l'application de la douche statique sur la tête.
3° Les résultats sont locaux et généraux.
Les résultats locaux consistent dans le soulagement immédiat des cépha-
lées les plus violentes.
Les résultats généraux consistent dans l'augmentation des forces et de
l'appétit, la régularité des selles et la disparition de l'insomnie, phéno-
mène si fréquent chez les gens nerveux ; en un mot, une modification
générale de l'économie.
Ces résultats sont obtenus dans la grande majorité des cas.
4° Ce traitement, qui rend de réels services aux anémiques et aux sur-
menés, n'ofïre aucun danger.
46*
722 SCIENCES MÉDICALES
M. a. THERMES
à Paris.
DES NÉVROSES V E R M I N E U S E S
— Séance du // septembre 1302 —
Les névroses, principalement la neurasthénie, l'hystérie, la chorée, Yépi-
lepsie ont, le pkis souvent, un fond commun d'origine; elles font partie
d'une même famille et sont unies entre elles par un facteur commun :
l'hérédité.
Telle est, d'après Môbius. Charcot, Féré, Grasset, Dejerine, etc., la
genèse des maladies du système nerveux.
Mais s'il est vrai que, à l'état normal comme à l'état pathologique,
l'hérédité régisse et gouverne les phénomènes biologiques, crée la person-
nalité neuropathique, d'autres éléments pathogènes viennent, à titre de
a cause occasionnelle », provoquer accidentellement les diverses manifes-
tations nerveuses ressortissant à ces névroses restées jusqu'ici à l'état
latent. Ainsi, les dépressions psychiques , les émotions morales, la frayeur,
certaines intoxications (alcool, tabac, mercure, plomb, sulfure de carbone),
l'onanisme, le traumatisme, les accidents de chemin de fer.
A ces divers agents psychiques, physiques et chimiques, il convient,,
selon nous, d'en ajouter un autre, animé celui-ci, et dont la fréquence,
pour n'être pas grande, n'est point toutefois à négliger : je veux dire les
parasites intestinaux de l'homme.
Les helminthes déterminent assez fréquemment des symptômes locaux
ou à distance, par suite de leur migration, symptômes ordinairement
légers, parfois graves; mais ils donnent encore lieu, quoique plus rare-
ment, à des phénomènes irritatifs, puis réllexes, s'irradiant, par le grand
sympathique, à la sphère spino-bulbaire et môme cérébrale. A cette irri-
tation pathogénique ne faudrait-il point, peut-être, ajouter dans certains
cas, l'action nocive exercée sur la cellule nerveuse par les toxines sécrétées
ou excrétées par ces vers? Quoi qu'il en soit, il nous a paru, du moins
en France, que, parmi les parasites intestinaux de l'homme, l'oxyure ver-
miculaire, l'ascaride lombricoïde, letœnia soliuni, le bothriocéphale étaient
les vers qui provoquaient d'ordinaire ces accidents réflexes et peut-être
toxiques.
G. THERMES. — DES NÉVROSES YERMIKEUSES "23
Ici une question plus délicate se pose. Ces troubles nerveux sont -ils
l'expression de névroses spéciales, réflexes ou sympathiques, comme on
disait autrefois, ou bien sont-ils la manifestation de névroses centrales
idiopathiques ? En un mot, s'agit-il, en l'espèce, de névroses vraies ou de
névroses fausses?
Pour nous, lorsque les symptômes nerveux apparaissent chez des sujets
sans antécédents neuropathiques positifs, héréditaires, lorsqu'on ne trouve
chex eux, en dehors parfois de la neurasthénie acquise, aucune tare phy-
sique ou psychique de dégénérescence, on doit penser tout d'abord à
une fausse névrose d'origine réflexe, à point de départ périphérique; et
bien que les troubles nerveux simulent, parfois à s'y méprendre, la vraie
neurasthénie, la petite ou la grande hystérie, le mal comitial, la chorée,
il convient, avec les auteurs, de dire qu'il s'agit de troubles neurasthéni-
formes, hystériformes, épileptiformes, choréiformes. Et c'est là, d'ailleurs,
le cas le plus fréquent.
Mais si les accidents dits réflexes ou sympathiques se produisent, non
plus chez des personnes indemnes de nervosisme, mais chez des hérédi-
taires, chez des porteurs de stigmates physiques ou psychiques de dégéné-
rescence, il ne nous paraît pas démontré qu'on puisse croire à une névrose
spéciale réflexe, née d'une irritation intestinale, encore moins à une
névrose symptomatique; nous estimons qu'on est en présence, le plus
souvent, de névroses vraies, dont l'helminthiasis n'a été que la cause occa-
sionnelle, déterminante, V ictus; qu'il s'agit de névroses centrales, céré-
bro-spinale, bulbo-cérébrale, spino-bulbaire, de neurasthénie ou d'hystérie,
ou dépilepsie ou de chorée.
Et voici, ce nous semble, à l'appui de cette dernière opinion, quelques
observations résumées de névroses vraies, vermineuses, relevées chez des
malades que nous n'avons pas perdu de vue, depuis une ou plusieurs
années.
A. — Neurasthénie.
1» M. X., âgé de vingt-deux ans. Étudiant. Antécédents nerveux héréditaires
côté maternel. A abusé des plaisirs vénérions. Peu à peu sans cause apparente,
troubles de neurasthénie et de cérébrosthénic. (Céphalalgie, insomnie, impuis-
sance de travail, mélancolie ; un peu de rachialgle, troubles digestifs, boulimie,
amyosthénie générale, faible.
Traitement : liydrothérapic, massage, repos physique et intellectuel. Amélio-
ration très légère. Puis accentuation de tous les phénomènes morbides indiqués.
Présence d'ascarides lombricoides dans les garde-robes. Traitement antihelmintique
(santonine, huile de ricin). Huit némalodes expulsés. Cessation des accidents.
Continuation du traitement antérieur. Grande amélioration et disparition des
phénomènes de neurasthénie, depuis six ans.
20 M. X., âgé detrente-ciaq ans. Avocat. Antécédents héréditaires des ascendants,
724 SCIENCES MEDICALES
se surmène quelquefois intellectuellement. Symptômes modérés de cérébrosthénie.
Traitement classique; en outre, électrothérapie (électricité statique). Troubles
gastro-intestinaux. Dilatation de Testomac, fringale. Sans cause appréciable,
ao-gravation de la neurasthénie. Présence d'ascarides lombricoïdes. Traitement
ad hoc. Amélioration consécutive notable, puis cessation de la neurasthénie
depuis quatre ans.
30 jyiiie X., âgée de trente-deux ans. Artiste. Mère nerveuse, hystérie légère.
Vie un peu agitée. A voyagé en Suisse, en Egypte. Pas d'émotions morales trop
vives. Pas de surmenage intellectuel. Plutôt surmenage physique. Sans cause
connue, émotivité, tristesse, diminution de la mémoire. Amyosthénie. Pesanteur
de tête (le casque occipito-frontal). Troubles gastro-intestinaux. Traitement de la
névrose; amélioration, puis accentuation de tous ces phénomènes. Rend alors
des anneaux de tœnia solium. Traitement spécial (extrait éthéré de fougère mâle,
huile de ricin). Rend le ta;nia avec la tête. Cessalion de tous les accidents depuis
sept ans, mais garde un fond nerveux.
B. — Hystérie.
|o j^iia X., âgée de cinq ans. Antécédents héréditaires. Mère a été hystéro-
épileptique. Pas de convulsions au moment de la dentition. Vers l'âge de quatre
ans, quelques accès de colère suivis de pleurs. Un peu d'insomnie. Elle con-
tracte la coqueluche et devient plus nerveuse. Un jour elle est prise d'une petite
attaque d'hystérie. On constate la présence de quelques oxyures. Traitement ad
hoc. Bientôt hémianesthésie sensitivo-sensorielle. Rétrécissement du champ
visuel. Dyschromatopsie. On s'aperçoit alors que les oxyures vermiculaires, plus
nombreux à l'anus, ont envahi les parties génitales et que quelques-uns ont
pénétré dans le vagin. Pastilles de santonine, huile de ricin, lavements et lotions
d'eau sulfureuse. Continuation du traitement hydrothérapique. Disparition des
oxyures. Cessation des accidents nerveux, depuis quatre ans.
2° M"« X., âgée de seize ans, bien réglée. Mère nerveuse. Père neurasthé-
nique. Sœur morte de tuberculose pulmonaire. Sans cause bien appréciable,
tristesse, émotivité, tachycardie, troubles digestifs. Deux ou trois petites atta-
ques d'hystérie. Constatation d'anneaux de to'/i«a Inermis. Au traitement de l'hys-
térie, nous associons celui de l'helmiothiasis. Cessalion des attaques qui n'ont
plus reparu depuis trois ans. Diminution et disparition des troubles nerveux.
C. — Épilepsie
M^"* X., âgée de dix-sept ans. Antécédents héréditaires surtout du côté pater-
nel. Quelques manifestations neurasthéniformes au moment de la puberté.
Chloro-anémie légère. Hydrothérapie, massage. Eaux thermales. Amélioration
de l'état général. Un an après, palpitations. Troubles digestifs. Nervosisme s'ac-
centue. Valérianate d'ammoniaque de Pierlot. La malade s'aperçoit qu'elle rend
des anneaux de tœnia solium. Pelleliérine. Une nuit, attaque d'épilepsie dont
nous sommes témoins: perte de connaissance. Spasme tonique, puis quelques
secousses cloniques. Morsure de la langue. Écume sanguinolente à la bouche.
Miction inconsciente. Légère hébétude à la cessation de l'accès. Le lendemain
ARIS. — PLAIE PÉNÉTRANTE DE l'aBDOMEN PAR BALLE DE REVOLVER 72d
pâleur générale, grande fatigue. Extrait éthéré de fougère mâle, Teenia rendu
avec la tète. Polybromure. Plus d'attaque. Trois mois après, accès de petit mal
(vertige, absence, pas de délire). Plus rien depuis huit ans.
D. — Chorée.
M. X., âgé de quatorze ans. Père neurasthénique. Dilatation de l'estomac.
Pas de rhumatisme chez le jeune homme. Légère tendance à l'obésité. Pas de
contagion par imitation. Chorée, surtout hémichorée droite. Pas d'ancsthésie ni
d'hyperesthésie. Hydrothérapie, massage, bains sulfureux faibles. Chorée s'ac-
centue. OEutsde bothriocéphalt! constatés à la suite d'un traitement aiitihelmin-
thique, entraînés sans doute avec les derniers anneaux passés inaperçus. Amé-
lioration notable. Presque plus de mouvements choréiques depuis un an.
De ces observations, il nous paraît résulter :
1" Ces diverses névroses étaient des névroses vraies, provoquées par l'helmin-
thiasis, chez des personnes ayant des antécédents héréditaires neuropatbiques;
2° Le traitement antihelminthique, assurément, n'a pas agi sur la diathèse,
sur la névrose, mais en attaquant, en détruisant la cause occasionnelle : le ver,
il a manifestement amélioré, fait cesser ou, tout au moins, éloigné les symp-
tômes cérébro-spinaux, spino-bulbaires de ces diverses névi'oses.
M. ARIS
à Pau.
PLAIE PÉNÉTRANTE DE L'ABDOMEN PAR BALLE DE REVOLVER. — PÉRITONITE
TRAUMATIQUE. — GUÉRISON SANS OPÉRATION
— Séance du 1~ septembre 1892 —
Obs. — Le 9 novembre 1891, j"ai été appelé auprès de M"'« D..., qui avait
reçu un coup de revolver dans l'abdomen cinq heures avant mon arrivée. Je
trouve la malade dans le décubitus dorso-sacré, légèrement inclinée vers le
côté gauche, les cuisses fléchies sur le bassin et les jambes sur les cuisses. Le
faciès est pâle et exprime la souffrance. L'intelligence est nette; elle répond à
mes questions avec assez de précision ; c'est vers cinq heures de l'après-midi
qu'elle a reçu un coup de revolver tiré par si m mari et la balle l'a frappée au
ventre. On me présente le revolver encore chargé de cinq balles, le calibre est
726 SCIENCES MÉDICALES
de 7 millimètres. A l'examen je constate, à trois centimètres au-dessous de
l'ombilic et à un centimètre à gauche de la ligne blanche, une tache noirâtre,
de forme à peu près circulaire, à bords mâchés, du diamètre de 8 millimètres
environ et formant cicatrice sur la plaie qui s'est refermée et que j'évite
d'explorer. C'est la plaie d'entrée du projectile, il n'y a pas de plaie de sortie.
La baile est donc logée dans la cavité abdominale. Impossible de conjecturer
son trajet, mais la pénétration de l'intestin grêle est probable.
Le ventre a subi un commencement de ballonnement général et présente une
partie proéminente correspondant exactement à la plaie d'entrée du projectile
représentée par la croûte noirâtre qui, examinée de profil, est en relief. Il est
très douloureux spontanément et au palper le plus délicat. La malade a des
douleurs paroxystiques qui lui arrachent des cris.
Après avoir reçu le coup de revolver, la malade s'enfuit dans la rue et, après
quelques pas, eut un vomissement alimentaire composé de pain et de frag-
ments de fruits non digérés qu'elle avait mangés quelques instants aupara-
vant. Pas de sang dans les matières vomies. Avant mon arrivée, on avait donné
un peu d'eau à boire à la malade, à sa demande, et son ingestion avait
été suivie aussitôt d'un vomissement composé d'un liquide verdàtre.
Un frisson violent et prolongé avait accompagné et suivi le premier vomis-
sement avec sensation subjective de froid vivement ressentie par la blessée
qu'on avait du réchauffer à l'aide de linges chauds. Température axillaire, 38°, 1.
Respiration superficielle à 14. Le pouls, à 78, est faible sans être filiforme ; il
n'y a pas de sueurs froides, pas de collapsus. L'hémorragie interne, si elle
existe, doit donc être insignifiante.
Quant à la recherche par la percussion et par le palper des signes physiques
d'une collection sanguine, elle est rendue impossible par l'état de sensibilité
exquise de la paroi abdominale; le sang ayant pu, d'ailleurs, dans ce cas,
s'infiltrer entre les anses intestinales, au lieu de se collecter, je nai pas cru
devoir insister dans cette partie de mon examen sans grande utilité et qui pré-
sentait des inconvénients.
En l'absence des symptômes qui annoncent l'hémorragie interne — col-
lapsus, pouls filiforme, sueurs froides — j'ai rattaché la pâleur de la face,
trouble vaso-moteur, à la péritonite traumatique. La matité du foie est
normale.
Le traitement a consisté dans l'immobilisation du bassin et de tout le corps,
immobihsation de l'intestin par l'opium (un centigramme d'extrait d'opium
toutes les heures), diète absolue, sauf quelques pilules de glace, à de rares
intervalles, pour modérer la sensation de soif qui est très vive. Vessie de glace
en permanence sur le ventre ; au préalable, antisepsie de la petite plaie et de
son pourtour, et son occlusion par de la baudruche trempée dans un coUodion
au sublimé.
40 novembre, 8 heures matin. — Le ballonnement du ventre a augmenté, la
douleur abdominale est moins aiguë; la malade se plaint surtout d'une dou-
leur continue au creux épigastrique, ses pommettes sont fortement colorées.
Elle a pris 8 centigrammes d'extrait gommeux d'opium depuis II heures la veille
au soir. Pouls à 76, température, 38°,'6. Même traitement : un centigramme
d'extrait d'opium toutes les deux heures.
H novembre, 8 heures matin. — La nuit précédente a été relativement bonne.
La douleur épigastrique et le ballonnement du ventre ont diminué. La tumé-
ARIS. — PLAIE PÉNÉTRANTE DE l'aBDOMEN PAR BALLE UE REVOLVER "27
faction qui avait pour centre la petite plaie, s'est notablement affaissée. L'explo-
ration méthodique du ventre est possible ; la percussion dénote de la sonorité
de presque toute la région ballonnée et vers le petit bassin. Un seul point
de submatité à gauche de la plaie. Langue humide ; les pommettes sont moins
injectées qu'hier. La sécrétion urinaire était tarie depuis l'accident; ce malin,
la malade a uriné un peu.
Pouls à 62; température axillaire, 37",3.
La malade se sent bien et demande à manger du pain. Fait à noter : ses règles,
qui dataient de trente-six heures au moment de laccident et qui avaient été
brusquement supprimées alors, ont reparu la nuit dernière, moins abondantes
simplement qu'à l'état normal. Traitement : cessation de la vessie de glace,
continuation de la médication opiacée et de l'immobilisation, diète absolue, à
l'exception de quelques cuillerées d'eau froide.
12 novembre, au matin. — La journée précédente et la nuit dernière ont été
bonnes. La malade a bien dormi la nuit. Elle a rendu quelques gaz par l'anus
(retour des mouvements péristal tiques). Elle n'avait pas uriné depuis la veille
au matin o heures, et très peu; or, ce matin, à 7 heures, elle a émis environ
500 grammes d'une urine haute en couleur.
Pouls à 60 ; température axillaire, 37^, 3.
13 novembre, au soir. — La malade a dormi six heures consécutives la nuit
dernière; elle ne souffre plus. Elle a uriné deux fois : oOO grammes d'urine à
9 heures hier au soir, et 250 grammes aujourd'hui à 4 heures. Coloration
normale des urines. Elle a rendu des gaz par l'anus. L'injection des pom-
mettes a disparu.
Pouls à 60; température axillaire, 37».
Le ventre n'est plus sensible à un palper modéré, la sonorité a diminué ; la
tuméfaction persiste, mais plus circonscrite.
Traitement : lait par cuillerée à soupe toutes les vingt minutes ; 6 cen-
tigrammes d'extrait gommeux d'opium dans les vingt-quatre heures.
La malade s'est levée, guérie, le treizième jour après l'accident. Je l'ai revue
deux mois après ; on sentait, au niveau de la cicatrice, comme un cordon
traversant la paroi abdominale. La guérison était parfaite, sauf un degré de
parésie intestinale et quedques douleurs liées à un état de constipation. J'ai
prescrit un traitement approprié et la malade n'est plus venue me consulter.
Conclusion. — Le siège de la lésion (région sous-ombilicale, à un
centimètre de la ligne blanche) rend probable la pénétration de l'intestin
grêle .
La persistance de la matité du foie m'a fait rattacher le ballonnement
du ventre au simple développement des gaz dans la cavité intestinale et
m'a amené à exclure l'hypothèse d'un envahissement de la cavité péri-
tonéale par les gaz et les matières contenues dans l'intestin; soit que
l'exiguïté de la plaie ait favorisé l'oblitération instantanée par hernie de
la muqueuse à travers la musculaire et la séreuse ; soit que des adhé-
rences rapides aient assuré la protection autour de la plaie d'entrée du
728 SCIENCES MÉDICALES
projectile. De même, les principaux symptômes caractéristiques de l'hé-
morragie interne ont fait défaut.
L'analyse de cette observation démontre que les troubles nerveux de la
péritonite ont dominé la scène. Le choc transmis au grand sympa-
thique par le plexus nerveux mésentérique fait toute la symptomatolo-
gie : les troubles de la sensibilité sont caractérisés par la douleur exquise
de l'abdomen, ceux de l'appareil moteur par l'arrêt des contractions
péristaltiques de l'intestin (ballonnement et constipation) et par l'appari-
tion des mouvements antipéristaltiques (vomissements bilieux). Enfin,
les troubles vaso-moteurs sont manifestes : pâleur de la face, frissons,
faiblesse du pouls, embarras de la respiration, arrêt momentané de la
sécrétion urinai re.
Dans ces conditions, une laparotomie d'emblée était contre-indiquée, et
la médication par l'opium, qui a aidé à la guérison, m'a paru seule
rationnelle.
M. ELEVY
à Biarritz.
MÉTÉOROLOGIE MÉDICALE DE BIARRITZ
— Fêance du 17 septembre 1892 —
Dans un récent travail intitulé : Du Climat marin, Biarritz bains de mer
et ville d'hiver, je viens de publier les moyennes des principaux élé-
ments climatériques; mon but, dans cette Note nouvelle, est de les rappeler
en les complétant sur certains points. Sans aborder les questions théo-
riqueS; je ne signalerai ici que les faits acquis les plus importants.
Les sources auxquelles j'ai puisé pour mes recherches sont les suivantes :
observations du Sémaphore communiquées en partie directement par la
bienveillance du Ministère de la Marine: — relevés de M. Sebie, le cons-
ciencieux secrétaire de la Société de Biarritz, — association dont l'hono-
rable M. O'Shea est président; — enfin M. le commandant Littré a bien
voulu me communiquer également quelques moyennes qu'il a calculées
ÉLEYY. — MKTÉOROLOGIE MÉDICALE DE BIARRITZ 729
pendant son dernier séjour, à l'aide des observations du Sémaphore.
En raison même de la constance du climat au bord de la mer, ces
moyennes, tirées d'un certain nombre d'années d'observation que nous
établissons, peuvent être considérées comme se rapprochant de la moyenne
définitive.
MÉTÉOROLOGIE DE BIARRITZ
Température annuelle : Morjenne de /.? années (de décembre à décembre).
1877-78 13,1
1878-79 13,0
1879-80 12,5
1880-81 lô,0
1881-82 13,4
1882-83 13,5
1883-84 13,8
1884-85 l^'.O
1885-86 13,9
1886-87 13,6
1887-88 12,6
1888-89 13,4
1889-90 13,4
Moyennr de 13 ans.
Moyenne des niaxima 1"°)^
— des minima 9°, 6
— entre maxima et minima. . . . 13",5
— des écarts eatre maxima et mi-
nima des vingt-quatre heures .... "".S
Fluctuation annuelle : ou t'cart entre la moyenne du mois le plus chaud et
le plus froid de l'année (moyenne de 13 ans) = 14" C.
Moyenne de la température mensuelle (13 années), et différence
du mois antérieur.
Moyenne
DiOérenre
Moyenne
Diflérence
Janvier. .
7,5
4,3
Juillet . . .
20,0
2,0
Février. .
8,4
0,9
Août. . . .
20,1
0,1
Mars. . .
9,9
1,5
Septembre .
19,6
0,5
Avril. . .
11,3
1,4
Octobre. . .
15,3
4,3
Mai ....
. . 15,0
3,7
Novembre .
10,2
5,1
Juin . . .
18,0
3,0
Décembre. .
11,8
1,6
Moyenne saisonnière.
Hiver (décembre, janvier, février) . .
Printemps (mars, avril, mai) . . . ■
Été (juin, juillel, août)
Automne (septembre, octobre, no-
vembre)
Maximum
11,6
11,0
23,4
19,2
Minimum
+ 4,3
+ 8,1
15,3
10,6
Moyenne
7,9
12,0
19,3
15,1
730
SCIENCES MEDICALES
Moyennes mensuelles des écarts quotidiens de 2i heures entre maxima et miniina
(13 années.)
Décembre 7,6
Janvier 6,9
Février 7,8
Mars 8,0
Avril 7,8
Mai 8,9
Juin 8,0
Juillet 7,5
Août 7,7
Septembre 9,0
Octobre 7,6
Novembre. ....... 7,8
Températures extrêmes.
Dans l'espace de six années, le minimum absolu moyen (minimum nocturne)
a été en moyenne de — 5°,5.
Dans le même temps, le maximum absolu moyen a été de + 3b°.
Voilà pour les températures extrêmes de vingt -quatre heures; il nous a paru
intéressant de savoir combien de fois le thermomètre descend à zéro ou au-des-
sous dans la journée médicale, à Theurc où les malades peuvent sortir.
Dans ce but, nous avons relevé la température moyenne entre deux observa-
tions prises à 10 heures du matin et 4 heures du soir, au sémaphore, pendant
une période de seize années, de 1870 à 1880 et de 1886 à 1892.
Et d'abord, la moyenne thermique entre 10 heures et 4 heures du soir, de
seize années, est la suivante :
Novembre 11,8
Décembre 8,4
Janvier 8,5
Février 9,5
Mars 11,1
Avril 13,1
Moyenne des six mois : 10,4.
Dans cette période de seize ans, la
au-dessous, dans la journée médicale de
température n'est descendue à zéro ou
10 heures à 4 heures, que :
En 1870.
1871.
1872.
1873.
1874.
1875.
1876.
1877.
1878.
Neuf fois en décembre.
Deux fois en janvier.
Six fois en décembre.
Néant.
Néant.
Une fois à zéro en décembre.
( Quatre fois à zéro en décembre.
I Une fois à zéro en novembre.
Quatre fois en janvier.
Néant.
Trois fois en janvier.
1879.
1880.
1886.
1887.
1888.
1889.
1890.
1891.
1892.
Dixfoisen décembre (Min.j
Deux fois en janvier.
Néant.
Une ibis en janvier.
( Une fois en janvier.
\ Deux fois en février.
Une fois en décembre.
( Trois fois en novembre.
( Trois fois en décembre.
Dix fois en janvier,
(jusqu'en avril) néant.
-10
Donc, sur seize années, pendant cinq ans la température n'a jamais atteint
Z2ro dans le jour. Pendant toutes les onze autres années, il y a en tout soixante-
sept jours de température à zéro. Ce qui fait une moyenne de quatre jours par
ÉLEVY. — METEOROLOGIE MEDICALE DE BIARRITZ
:3i
^n de froid à zéro dans la journée médicale. — Dans l'hiver si terrible de 1879,
la température la plus basse observée dans le jour, à Biarritz, a été de — 4 degrés.
Ce n'est que dans les années les plus froides, 1870, 1879 et 1891, (jue le
•thermomètre est resté plus de quatre jours au-dessous de zéro dans le jour,
pendant tout un hiver.
Pluviométrie
De 1886 à 1892, les hauteurs de pluie sont en moyenne pour chaque mois
•et par ordre :
Octobre .
Novembre
Avril. . .
Décembre.
Mai . . .
Août. . .
167
149
95
95
94
91
mmO
0
9
2
8
9
.Janvier .
Juin . . .
Mars. . .
Juillet . .
Février. .
Septembre
80"» ""ô
79 6
67 9
67 8
65 4
58 3
Moyenne annuelle de hauteur de pluie : 1.066'"°',19.
Jours de pluie. — Nous divisons les jours de pluie en jours de grande pluie
•au-dessus de 3 millimètres et jours de petite pluie au-dessous.
Avril. . .
Octobre. .
Janvier. .
Décembre.
Novembre
Mars . . .
A reporter
UBAN-DE PLUIE
PETITE PLCIE
Jours
Jours
8,8
6.4
9,8
5,0
9,0
5,5
8,5
5,7
9,8
^,1
7,3
6,5
53,2 33,2
CnANDE PLUIE PETITE PLUIE
Report .
Mai .
Février
Août.
Juin .
Juillet
Septembre .
TOT.VL .
Jours
53,2
6,5
6,5
6,5
6,5
4,5
4,5
88,2
Jours
33,2
7,3
5,0
4,8
4,7
5,0
2,3
62,3
ToT.\L DE l'.^nnée (moyenne de six années) : 130,5 joui-s de pluie.
Le mois le plus beau est le mois de septembre, où l'on observe le moins de
quantité de pluie et le chiffre le plus faible de jours de pluie. C'est aussi le
anois le plus fréquenté à Biarritz.
La neige est très rare, à peine trois fois par an.
Pression at.mospiiérique
Le baromètre marque en moyenne (six années) 765,6. La pression moyenne
la plus forte a lieu en juillet, 768,7; et janvier, 767,3; la plus faible en avril et
novembre, 7(>2,l.
SCIENCES MEDICALES
VENTS REGNANTS
Vents de mer.
rURECTIONS
Jours Joui's Joiii-s Jours
Sud-ouest 19 15 20 21
Ouest 13 13 17 14
Nord-ouest 7 12 g 9
Nord 5 14 6 9
Totaux 44 54 51 53
202
Ce chiffre 202 représente la totalité des jours de vents qui, à Biarritz, souf-
flent de l'Océan (vents de mer).
Vents de terre.
DIRECTIONS
HIVER
PRINTEMPS
ÉTÉ
AUTOMNE
Jours
Jours
Jours
Jours
Nord-est
. . . 11
14
9
8
Est. . .
. . . 7
9
6
5
4
8
0
Sud-est.
. . . 9
Sud. . .
. . . 16
10
9
16
Totaux. . .
. . . 43
39
27
32
141
Ce chiffre 141 représente le chiffre des jours des vents de terre.
Ainsi l'on voit que les vents dominants sont en toute saison les vents d'ouest
et de sud-ouest venant du large ; ces vents, comme on sait, rafraîchissent l'air
en été et le réchauffent en hiver.
Les vents du sud, en outre, dominent en hiver et en automne. Au printemps,
on observe quelques vents du nord et du nord-est. Les vents dest et de sud-
est sont rares en toute saison. En été, les vents de terre, qui sont les vents
chauds, sont moitié moins fréquents que les vents du côté de l'Océan.
Il y a en moyenne trois jours de bourrasques à l'ouest au mois de janvier.
Le reste de l'année les vents sont modérés.
La nébulosité moyenne est de 5 pour 10. Le maximum est en novembre,
décembre et janvier, ^^i le minimum, en septembre, ■^.
La moyenne ozonométrique annuelle est très élevée, 16 pour 21 de l'échelle
de Jame. Le maximum 18 et 19 a lieu, en octobre, 19, et novembre et dé-
cembre, 18; le minimum, en septembre, 13.
Ce minimum coïncide avec le mois le moins pluvieux.
L'évaporomètre de Piche marque 1 "V" en hiver et 2 "V" 5 en été.
L'humidité relative annuelle de la journée de 12 heures est de -^. Le maxi-
mum est en juillet ■^, et le minimum en avril ^.
ÉLEVY. — MÉTÉOROLOGIE MÉDICALE DE BIARRITZ T33
CLLMATOLOGIE
1° Le climat de Biarritz est rangé, dans la classification de Weber, dans
les climats insulaires et côtiors d'humidité moyenne, dans la même
catégorie qu'Alger, Tanger, Ajaccio, Lisbonne, Arcachon.
2° La topographie de Biarritz fait que les vents dominants du large
pénètrent à tous les étages de son vaste amphithéâtre.
3° L'air de Biarritz est pur, privé de poussières et de micro-organismes,
très chargé d'ozone, d'une transparence et d'une clarté remarquable, im-
prégné de principes salins et véritablement antiseptiques.
4° Située entre l'Océan, les Pyrénées et les Landes, Biarritz doit à cette
triple influence de la mer, de la montagne et de la foret un climat par-
ticulièrement sain et fortifiant.
5° La température de l'air n'est excessive ni en été ni en hiver. La
moyenne hivernale est de + 7°. 9. Pendant une année sur trois le ther-
momètre n'arrive pas à zéro dans la journée d'hiver, et atteint souvent
en hiver 16° à 20°. La moyenne des écarts quotidiens de température
est très faible, "°,8. 11 n'y a pas de variations brusques et étendues de
température.
6° L'air n'est ni trop sec ni trop humide : movenne — dans le jour.
"100 "'
7° Les pluies sont abondantes aux périodes de l'année intermédiaires
entre les saisons d'été et d'hiver. Elles ont lieu surtout sous forme d'a-
verses nocturnes. Par sa nature poreuse et sablonneuse, le sol absorbe vite
les eaux de pluie et ses pentes rapides facilitent aussi leur écoulement. 11
n'y a pas d'humidité secondaire par évaporation de l'eau tombée.
8° Les vents ne sont très violents que pendant une période assez
courte de janvier ; le reste de l'année, ils sont modérés.
Qualités du cHniat. — De l'ensemble des observations et de mes propres
recherches, on peut conclure que :
1° Le climat de Biarritz possède la qualité sédative commune à toutes
les stations de la région du sud-ouest océanien, mais à un degré moindre :
son caractère distinctif et spécial est la tonicité. C'est un climat lorlihant,
favorisant la nutrition organique et l'assimilation.
2" Cette ville est en même temps une résidence d'été et d'hiver :
refuge d'été pour les habitants des pays chauds et tropicaux, station
d'hiver pour ceux des latitudes plus élevées .
3° Le séjour de Biarritz, hiver comme été, est prolitable aux valétudi-
naires, aux convalescents et aux personnes âgées, en général, qui peuvent
y éviter les grandes variations thermiques et les refroidissements qui en
sont la conséquence.
734 SCIENCES MÉDICALES
4" La bronchite chronique, les laryngites et pharyngites sont toujours
améliorées dans ce climat, l'asthme quelquefois. Certaines formes de la
phtisie pulmonaire à la période chronique sont influencées favorable-
ment dans cet air pur et fortifiant. Dans la phtisie scrofuleuse, et surtout
la phtisie arthritique (fibroid phtisis), les médecins anglais recomman-
dent vivement le séjour de Biarritz.
Ils y envoient chaque année aussi des malades atteints d'hépatites et
autres maladies contractées aux Indes anglaises et dans lee pays inter-
tropicaux.
Nous aussi pourrions utiliser ce climat dans les affections de ce genre
contractées par nos soldats dans les colonies.
Les médecins anglais qui ont une grande expérience de notre climat de
Biarritz le vantent comme un excellent séjour d'hiver pour les goutteux.
Ainsi le D'' Burning-Yeo, le grand climatologiste, dit en propres termes
que le climat de Biarritz est le climat antigoutteux par excellence. En
effet, l'analyse chimique m'a prouvé également que l'acide urique diminue
rapidement dans les urines et que l'urée augmente après un court séjour
(Analyses de Campan, publiées dans mon livre).
Ce climat est aussi utile dans le diabète, les affections du rein et de la
vessie, où la constance et l'égalité thermique, l'air ozonique sont des
éléments importants du traitement.
Ce climat est toutefois contre-indiqué dans le rhumatisme chronique
non goutteux et les affections névralgiques aiguës.
A cause des hautes pressions barométriques, le bord de la mer et
Biarritz sont très favorables aux malades atteints de lésions du cœur pour
lesquels le séjour des montagnes est funeste.
En résumé, Biarritz, réputé surtout pour ses bains de mer en été, doit en
même temps à son excellent climat d'être rangé au nombre des plus impor-
tantes stations hivernales, d'ailleurs très fréquentée et appréciée surtout
par une nombreuse colonie étrangère, principalement anglaise.
Dans cette station hivernale sont traitées avec avantage toutes les
affections justiciables d'un climat maritime chaud, modérément humide,
non sujet à des variations brusques de la température, climat plutôt
sédatif, mais surtout tonique el rapidement reconstituant.
Celte tonicité me parait due en grande partie à la richesse de son air
en ozone. Aussi je propose d'en faire le type de stations sanitaires qu'on
appellerait stations ozoniques.
ROUVEIX. — TRAITEMENT DE LA KÉVRALGIE SClATlUUE 73d
M. ROTJYEIX
Médecin de l'Hospice de Sainl-Germain-Lembron (Puy-de-DGme).
DE L'EMPLOI DES COURANTS CONTINUS DANS LE TRAITEMENT DE LA NEVRALGIE
SCIATIQUE
— Séance du 17 septembre 1893 —
Nous savons, en électrothérapie, que le pôle positif est généralement
admis comme calmant, décongestionnant; que le pôle négatif, au con-
traire, est irritant et congestif. Le sens du courant a donc lui-même une
action très grande, suivant qu'il sera ascendant (stimulantj ou descendant
(sédatif).
Sans entrer dans les détails techniques que l'on néglige trop souvent de
se rappeler, sur la marche des différentes piles, leur entretien, leur résis-
tance et celle que peut rencontrer le courant, toutes choses f)arfaite-
ment indiquées dans les traités de physique, nous dirons seulement que
le côté pratique parait un peu négligé dans les ouvrages; on a trop
compté sur des instruments tout faits et devant marcher régulièrement.
On ne lient pas assez compte des mille causes pouvant modifier l'inten-
sité du courant ; l'influence de la température ambiante, l'usure plus ou
moins régulière des éléments composant la pile, la résistance des élec-
trodes, du sujet, qui est plus ou moins grande suivant les individus et peut
même changer chez le même individu dans le cours d'une même séance.
La peau n'a pas la même résistance sur tous les points. Tout cela pré-
sente cependant une importance capitale, étant donnée la faible inten-
sité du courant employé en électrothérapie.
11 faut donc être absolument sûr de son courant, pouvoir le modifier
suivant le cas, changer la forme des électrodes suivant les circonstances,
pour obtenir le maximum d'effet utile ; en être maître, en un mot,
comme le chimiste l'est de ses réactifs.
Pour se rendre compte d'une façon permanente de la constance et de
l'intensité du courant, il n'y a que le galvanomètre. Lui seul, consulté
régulièrement, pourra empêcher de compter sur un courant qui n'aurait
pas passé!
Pour l'étude qui nous intéresse, nous pouvons considérer à la névralgie
736 SCIENCES MÉDICALES
sciatique deux phases bien distinctes. Et sans rentrer dans toute la
symptomatologie de cette afîection, nous les indiquerons de la façon
clinique suivante :
1° Une forme aiguë, caractérisée par une douleur extrêmement vive
et sous forme de paroxysmes, siégeant sur un point c|uelconque du trajet
du nerf sciatique.
C'est pouf cette douleur extrêmement vive, qui ne laisse aucune trêve au
patient, qu'il vient nous consulter.
2'' Une forme chronique, surtout marquée par l'absence de douleur
vive, par la difficulté pour étendre le membre malade, par un peu d'atro-
phie musculaire et surtout caractérisée par cette sensation de membre
trop court et qu'accuse très bien le malade.
Nous savons, d'autre part, qu'au début de la maladie il existe un état
inflammatoire léger du nerf sciatique, état congestif, qui pourra consti-
tuer à la longue une maladie même du, nerf, une névrite.
En présence de ces deux phases de la maladie, nous nous sommes
demandé si nous pouvions employer toujours le courant continu dans le
même sens.
M. Onimus, de Paris, a indiqué, dans une communication au Congrès
de Grenoble, que les courants de la pile avaient une influence suivant
leur direction et que c'était le courant descendant qui avait l'action la plus
sédative. Pour les partisans de la méthode polaire, c'est encore le pôle
positif qui est calmant. Il semble donc tout indiqué de placer le pôle
positif sur le point douloureux, sous peine de déboires.
C'est, en effet, ce que j'ai observé sur les malades chez lesquels j'ai
appliqué les courants continus pour le traitement des névralgies sciatiques.
Je procède de la façon suivante, pour les cas aigus caractérisés par une
douleur intense. J'applique le pôle positif formé par un électrode de
dimension moyenne sur le point douloureux ou sur le point d'émergence
du nerf sciatique; mais le pôle négatif constitué par une lame de cuivre
vient tremper dans une grande cuvette en porcelaine pleine d'eau salée
tiède, dans laquelle trempe le pied du membre malade. Et, progressive-
ment, je fais passer le courant, jusqu'à ce que le malade accuse une forte
chaleur, mais n'éprouve pas de sensation pénible.
D'habitude je commence par 5 milliampères, puis 10, puis lo, et, s'il
est possible, 20 pendant quelques minutes. La durée de la séance est de
quinze minutes en moyenne et la quantité d'électricité fournie, toujours
contrôlée par un galvanomètre de Gaiffe.
Après la première séance, il y a toujours une diminution notable de
la douleur, le malade peut marcher sans soufi'rir, la douleur reparait
moins forte le lendemain et, après une huitaine de séances, elle a généra-
lement disparu. Mais il faut être prudent à ce moment, car souvent l'état
ROUVEIX. — TR.VITKMENT DE LA NÉVRALGIE STATIQUE 737
aigu n'a pas complètement disparu et si on change le sens du courant,
si l'on met le pôle positif dans la cuvette et le négatif au point d'émer-
gence du nerf sciatique, la douleur reparaît plus forte, et le malade ne
peut venir prendre sa séance. Il faut absolument pratiquer une in-
jection de morphine, ce qui n'est plus de lélectrothérapie ; et ce n'est
qu'après quelques jours de repos, pendant lesquels on aura fait quoti-
diennement des injections de morphine, appliqué des pointes de feu, que
le malade pourra sortir de nouveau, il faudra alors absolument reprendre
les courants descendants. Puis, en tàtant de temps en temps la sensibilité
du nerf, en retournant le sens du courant, on pourra être sûr de la fin
de l'état aigu.
Pour la seconde phase de la maladie, celle où il n'y a plus de dou-
leur, mais seulement de la roideur et cette sensation de membre trop
court, on n'obtient absolument rien des courants descendants, les ascen-
dants seuls sont utiles, suppriment cette roideur du membre, donnent de
la force aux muscles et assurent la guérison. Mais chaque fois que le
malade sera repris d'une nouvelle crise névralgique, il faudra, avec un
courant extrêmement faible, tâter la sensibilité du nerf, sous peine de
déterminer soi-même une rechute.
Or, dans aucun ouvrage je n'ai trouvé indiqué, d'une façon précise,
cette marche à suivre dans l'emploi du sens du courant. Et cependant
cela a une importance clinique capitale.
AiHsi, dans un autre ordre d'idées, les courants descendants ne m'ont
jamais donné de résultat dans le traitement de la cliorée, et les ascendants
m'ont toujours, dès la première séance, donné une modification tangible.
Il y a donc, au point de vue clinique, une différence très nette suivant
le sens du courant, comme résultat final.
Une condition importante dans le traitement de la névralgie sciatique
par l'électricité est la nécessité absolue d'avoir un diagnostic précis, de
ne jamais prendre une névralgie symplomatique pour une névralgie
essentielle. Car l'électricité, non seulement ne produira pas d'effet curatif,
mais pourra déterminer des complications qui pourront surprendre. Il
faut être sur que la névralgie n'est pas symptomatique surtout d'une
affection osseuse de nature tuberculeuse. Le courant électrique avance la
marche des affections de nature suppurative et, dans certains cas, il
pourrait servir de pierre de touche pour éclairer un diagnostic douteux.
En résumé, nous pouvons affirmer que les courants descendants et le
pôle positif étant sédatifs et calmants, auront leur application tout
indiquée toutes les fois que nous nous trouverons en présence de l'élément
douleur et d'un état aigu (hypermorbide, si je puis employer ce mol).
Qu'au contraire, les courants ascendants et le pôle négatif étant stimu-
lants et irritants, auront leur application dès que l'état aigu sera passé
47*
738 SCIENCES MÉDICALES
et que nous arriverons à un état chronique (hypomorbide) manquant de
stimulant pour arriver à complète guérison.
Au point de vue clinique, c'est en tàtant la susceptibilité du nerf
malade par des courants de faible intensité que l'on pourra trouver le
moment précis où Ton devra changer le sens de ce courant, la disparition
ou la non-existence du symptôme douleur ne donnant pas une indication
assez précise.
De plus, ne jamais oublier que la dimension des électrodes a une
influence marquée pour la tolérance du courant; qu'avec de grands
électrodes, un malade supportera plus facilement, par exemple, 10 milli-
ampères qu'avec de petits électrodes. Enfin, qu'il ne faut jamais em-
ployer de courants continus sans avoir un galvanomètre sous les yeux,
instrument aussi indispensable en électricité que le thermomètre en
clinique.
M. X. AEÎfOZAI
Professeur à la Faculté de Médecine de Bordeaux.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DU NÉVROME PLEXIFORWIE
— Séance du 19 septembre 1892 —
Dans l'étude des névromes plexiformes, le point qui a surtout préoccupé
îes anatomo-pathologistes, c'est l'examen des cordons dont l'intrication
est si remarquable. Ces longs filaments sont-ils vraiment des nerfs ? Ren-
ferment-ils des tubes nerveux parfaits ou de simples fibres de Remak ?
Sont-ils, suivant le terme consacré, myéliniques ou amyéliniques? Enfin,
représentent-ils simplement des filets nerveux préexistants, mais hypertro-
phiés,ou résultent-ils, au contraire, d'une production véritablement nouvelle
de tubes nerveux? Telles sont les principales questions qui ont été agitées.
Elles sont, à coup sûr, du plus haut intérêt, mais elles n'embrassent pas
toute l'histoire anatomo-pathologique des névromes plexiformes. Dans ces
singuliers néoplasmes, en effet, outre les cordons nerveux il existe, et par-
X. ARNOZAN. CONTRIBUTION A l'ÉTUDE DU NÉVROME PLEXIFORME 739
fois en grand nombre, des ganglions nerveux de formation pathologique.
C'est sur eux que je voudrais retenir quelques instants votre attention.
Dans le cours de ma carrière médicale, j'ai eu occasion de rencontrer
trois cas de névrome plexiforme, de cette variété de névrome plexiforme
que Valentine Mott, Tilbury Fox et leurs compatriotes ont décrite sous le
nom de pachydermatocéle. Le premier, je l'ai absolument méconnu, et avec
notre confrère le D"" Prioleau (de Brives), alors interne de M. le professeur
Pitres, nous l'avons décrit sous le nom de Dermalofibromes congénitaux et
multiples {Annales de Dej'matologie, 1883j. Je n'y insiste pas davantage;
je me borne à vous soumettre la photographie de la malade pour vous
donner une idée de ce qu'était cette tumeur.
Le second cas est relatif à une jeune femme, sœur de la précédente.
Comme elle, elle portait au côté droit du cou des tumeurs en forme de
larges plis cutanés, dont le développement datait presque de sa naissance.
Opérées une première fois en 1868 par M. Denucé, et examinées par
M. Démons qui les reconnut pour des névromes plexiformes, ces tumeurs
avaient récidivé et formaient de lourdes masses pendantes au-devant de
la poitrine. Ce n'est pas, d'ailleurs, à leur sujet que la malade était venue
àThôpital, c'était pour des douleurs névralgiques et des crises nerveuses,
qui avaient fini par déterminer une hémiplégie incomplète. Après un
long séjour à l'hôpital, la femme Z... mourut d'une septicémie consécu-
tive à un phlegmon gangreneux développé dans l'une de ses tumeurs.
L'autopsie (janvier 1883) montre qu'un lien imprévu rattachait les néo-
plasmes aux troubles nerveux présentés pendant la vie. Le poids des
tumeurs avait fini par faire basculer en avant l'atlas et l'axis ; ces ver-
tèbres et la troisième cervicale étaient considérablement usées et dé-
formées. Les altérations osseuses sont d'ailleurs très fréquentes dans le
névrome plexiforme : >L\I. Audry et Lacroix en font la remarque très
juste dans un travail récent {Lyon médical, 1891). Dans le cas actuel, cette
luxation spontanée de l'axis et de l'atlas avait amené un rétrécissement
très prononcé du canal vertébral et une compression unilatérale de la région
supérieure de la moelle : d'où l'hémiplégie (1).
Quant aux tumeurs, leur structure était, à n'en pas douter, celle du
névrome plexiforme. Mais en dehors des particularités habituelles à ce
genre de lésion, nous trouvâmes à la base d'implantation une série de
corps blanc nacré, à enveloppe lisse, gros comme de petites olives, ayant
à peu près l'aspect de ganglions lymphatiques, mais ayant une consis-
tance plus ferme. Ces corps étaient situés sur le trajet des nerfs dont ils
constituaient des renflements fusi formes; ils se rencontraient surtout
aux points d'entre-croisement et de bifurcation des cordons et consti-
(1) L'observation sera publiée avec tous ses détails dans un Recueil d'études dermatologiques que je
-ferai prochainement paraître.
740 SCIENCES MÉDICALES
tuaient de véritables petites tumeurs d'aspect fibreux venant compliquer
la structure déjà si complexe du névrome plexiforme.
La structure de ces corps nodulaires nous arrêtera dans un instant.
Quant à leur disposition macroscopique, à leur dispersion irrégulière dans
le réseau nerveux hypertrophié, elle nous frappa tellement que ce sou-
venir nous a permis de porter d'emblée le diagnostic dans notre troisième
cas. Une jeune fille de quinze ans nous fut adressée par notre confrère
et ami le docteur Lande. Elle portait à la région occipitale, au centre
d'une large tache pigmentaire, une vaste tumeur plus grosse que le
poing, formée par un large repli de la peau et qu'cà un premier examen
on prenait facilement pour un molluscum fibreux. Mais en palpant la
tumeur, on sentait courir sous les doigts une série de petits corps don-
nant l'impression de ganglions lymphatiques mobiles. Leur volume va-
riait de celui d'un pois à celui d'une petite noisette. Cette particularité
nous éclaira immédiatement et nous fit reconnaître un névrome plexi-
forme, bien qu'on ne sentit à travers la peau aucune espèce de cordons
ou de paquets de cordons. M. Lande partagea cette opinion; quelques
mois plus tard, il opéra avec succès la jeune fille. La tumeur était bien
un névrome plexiforme, extrêmement riche en corps ganglionnaires.
Outre ceux qui furent enlevés avec la masse principale on dut en énu-
cléer une quarantaine, qui se trouvaient dispersés sous la peau saine
à la limite de la tumeur.
Nous n'avons pas la prétention de faire croire que nous sommes le
premier à constater la présence de ces corps. Dès les premières obser-
vations, Depaul la signalait; M. Cartaz, notre collègue, parle très explicite-
ment des névromes disséminés sur le trajet des cordons nerveux (1),
Mais la plupart des observations sont muettes à ce sujet; d'autres men-
tionnent, sans y insister autrement, la présence de ganglions lympha-
tiques; et nous nous demandons s'il n'y a pas eu erreur d'interprétation,
car ces corps, nous allons le voir, ne sont rien moins que des ganglions
lymphatiques. Quoi qu'il en soit, les auteurs ne parlent pas de l'impor-
tance de ces corps au point de vue clinique ; or, nous croyons que la
présence de petites masses dures, indolentes, mobiles au niveau de l'im-
plantation d'une tumeur d'aspect molluscoïde et en dehors des régions
normalement pourvues de ganglions lymphatiques est un élément considé-
rable en faveur du diagnostic du névrome plexiforme. Leur non-constata-
tion ne sera pas inversement une preuve que la tumeur ne mérite pas ce
nom, car ces corps peuvent être peu nombreux et trop profondément
enfouis pour être accessibles à la palpation.
Intéressants au point de vue clinique, ces corps le sont davantage
(1; Archives générales de Médecine, 1876.
X. ARNOZAN. CONTniRLTION A l'ÉTUDE DU NÉVnOMK PLEXIFORME 741
encore au point de vue anatomo -pathologique. Sur des coupes histolo-
giques, en effet, ils se présentent non pas comme des fibromes, non pas
comme de simples hypertrophies des gaines conjonctives des nerfs, mais
comme de vrais gangUons nerveux, réalisant d'une façon presque parfaite
la structure des ganglions rachidiens. On y trouve, en effet, une enveloppe
conjonctive, un stroma fibreux, des faisceaux de tubes nerveux dépendant
des cordons qui se rendent dans ce renflement ou qui en émanent, enfin
de grandes cellules nerveuses. Ces cellules, de dimensions énormes, sont
tantôt isolées dans le stroma, tantôt agminées en groupes plus ou moins
étendus. Mais, isolées ou groupées, elles présentent toujours les caractères
suivants : chacune d'elles occupe dans la gangue conjonctive une petite
loge destinée à elle seule, elle remplit à peu près complètement cette loge
dont la paroi interne est tapissée d'une couche endothéliale des plus
nettes; elle se rattache à cette paroi par plusieurs prolongements proto-
plasmiques. Cette structure rappelle trait pour trait celle des ganglions
intervertébraux. Ce sont de vrais ganglions pathologiques et les seules
différences qui permettent à un observateur non prévenu de ne pas
confondre des coupes provenant des deux espèces de ganglions, c'est
que les pathologiques sont de dimensions beaucoup plus considérables
et que leurs vaisseaux ont en plusieurs points une structure embryon-
naire.
Ces simples détails nous semblent ne pas être indifférents au point de
vue de l'anatonne pathologique générale. Virchow a divisé les tumeurs en
histioïdes et organoUles. Les premières sont celles dont la structure repro-
duit simplement un tissu; tissu fibreux (fibrome); tissu graisseux (lipome).
Les secondes sont celles dont la texture plus complexe arrive à ébaucher
un organe de formation plus élevée, avec son tissu propre, son organi-
sation spéciale et ses éléments de nutrition, le carcinome, par exemple, ou
l'adénome. Mais nous ne croyons pas que, dans aucun néoplasme, la
reproduction, la simulation pour ainsi dire d'un organe sain soit poussée
aussi loin que dans ces corps ganglionnaires du névrome plexiforme.
C'est à ce point de vue que la néo-formation d'un ganglion nerveux
aussi parfait nous paraît mériter une place à part dans l'histoire des
tumeurs.
742 SCIENCES MÉDICALES
M. Mix RE&IAÏÏLT
à Paris.
LES RELIGIEUSES LAÏQUES DANS LES HOPITAUX DE MARSEILLE
— Séance du i9 septembre 1892 —
Les malades des hôpitaux doivent-ils être soignés par des religieuses ou
par des laïques? Cette question brûlante a soulevé, depuis quelques
années, bien des discussions entre les partisans de chaque système.
Les infirmières laïques sont cupides et intéressées, disent les uns; elles
cherchent à soutirer de l'argent aux malades; elles coûtent cher à l'admi-
nistration; enfin, elles ne sont pas d'une moralité irréprochable. — Mais,
en revanche, répondent les autres, les sœurs pensent plus à convertir qu'à
guérir; elles sont pétries de préjugés et se refusent au progrès; de plus,
elles ne reconnaissent d'autre autorité que celle de leur supérieure et
tiennent pour non-avenues les observations des médecins et de la direc-
tion. Enfin, elles ne servent qu'à commander, puisqu'elles ont toujours,
sous leurs ordres, des infirmiers chargés des besognes les plus répu-
gnantes.
Sans prendre parti pour aucun camp, nous voulons simplement rappeler
ici qu'il existe un troisième système (1), celui des « religieuses laïques ».
On trouve, en effet, dans les hôpitaux de Lyon, des infirmières, et même
quelques infirmiers, très pieux, très dévoués, peu payés (quarante francs
par an), qui, malgré leur costume religieux, ne forment pas une congré-
gation, ne prononcent pas do vœux, sont libres, sans supérieur religieux,
et soumis à la seule autorité du médecin et du directeur.
Ces créatures généreuses s'emploient à toutes les besognes, suivent la
visite le cahier à la main, inscrivant les prescriptions. Certaines font les
accouchements à la Charité et ont le brevet; d'autres ne craignent pas de
soigner et panser les vénériennes. Enfin, elles fréquentent les cours et
s'instruisent. Leur dévouement, sans cesse en action, n'a pas besoin
pour se maintenir d'un serment donné à une congrégation puissante.
(Voir Note I.)
H) Ce système est connu dans les pays protestants sous le nom de « sœurs diaconesses ». Notre but
fst de prouver ici qu'il peut également exister dans les pays latins.
REGNAULT. — LES RELIGIEUSES LAÏQIES DANS LES HOPITAUX DK MARSEILLE 743
On pourrait croire tout d'abord que le caractère lyonnais, intelligent
et positif dans la pratique, mais idéaliste et utopiste dans la pensée, est
seul capable de réaliser une pareille institution. C'est encore à Lyon, en
effet, qu'on la retrouve dans V Association des Dames veuves du Calvaire,
fondée pour soigner les incurables. Parmi les membres de cette Société,
les unes ne font que venir panser les malades, mais d'autres résident
dans l'hospice. Et vêtues d'un costume religieux, mais sans vœu et sans
maître, elles consacrent librement leur vie à soigner les plaies les plus
hideuses. Enfin, elles trouvent même des filles de service qui ne sont pas
payées. (Voir Note IL)
Cette admirable institution n'existe actuellement qu'à Lyon; mais elle
a autrefois prospéré à Marseille et il n'aurait tenu qu'à l'administration
hospitalière de la conserver.
On ne voit, à première vue, dans les hôpitaux de Marseille, que des
infirmiers, sous les ordres de religieuses, dites Awjuslines. Seul le per-
sonnel peut avoir connaissance de quelques vieilles sœurs, reléguées
dans les coins des salles, dont le costume diffère de celui des Augustines
et qui sont répudiées par elles. Ces derniers représentants des « religieuses
laïques » de Marseille sont au nombre de cinq, mais toutes très âgées
et ne donnant guère de renseignements. L'administration, ne s'étanl
jamais officiellement occupée de leur existence, les archives et registres
de délibération restent muets à leur sujet; aucun écrit sur une institution
indifférente à tous, et tandis qu'ailleurs on rompt mille lances pour et
contre laïques et religieuses, le silence s'est fait sur ces femmes qui ne
voulaient appartenir qu'au seul camp de « la charité ».
Cependant, en recueillant, à droite et à gauche, des renseignements, les
rapprochant et contrôlant, nous sommes parvenus à reconstituer à peu
près leur histoire.
En fructidor de l'an XII, les sœurs Augustines furent installées solen-
nellement, avec moult discours à l'appui, dans les hospices de Marseille.
Elles devaient y assurer le service hospitalier. Néanmoins, par certains
côtés, cela leur était difficile. Elles tenaient bien les comptes d'économat,
la pharmacie, et leur supérieure, chargée de l'agence, présidait à la
réception des malades et des parents, et avait réellement la direction (1).
Mais, cloîtrées, elles avaient besoin d'aides et pour l'achat des provisions
et pour mener les enfants aux enterrements. Je m'explique sur ce dernier
point.
Un usage barbare existe à Marseille : les convois funèbres y sont suivis
par des théories d'enfants qui, cierge en main, chantent des cantiques
(\) La tenue des comptes, puis la pharmacie, ont été par la suite attribuées à des laïques; mais la
supérieure reste toujours à l'agence, réglant mille détails de gestion qni, partout ailleurs, reviennent
à des laïques et ne sont pas dignes du caractère ecclésiastique.
744 SCIENCES MÉDICALES
lugubres. Ainsi l'enfant, source de vie et de gaieté, joue le rôle de croque-
mort! Jusqu'en I806, les hôpitaux s'entendaient avec les pompes funèijres
pour faire servir les enfants trouvés à cette besogne. Cela leur rap-
' portait 70.000 francs par an.
Aujourd'hui, une congrégation a pris la suite de cette affaire; elle ha-
bille les orphelins en bleu et jaune et c'est chose ridicule et pitoyable que
de voir passer ces pauvres petits serins (expression du peuple), la figure
contrainte, les yeux baissés, les coins de la bouche tirés en bas, l'attitude
humble et triste. Mais on reste indifférent, sauf les parents du mort qui
s'enorgueillissent et paient d'autant mieux qu'il y a plus de serins à l'en-
terrement.
On s'étonne si vous vous indignez !
Mais trêve de digression. Les religieuses ne pouvaient accompagner ces
enfants, et il eût été « inconvenant de les confier à des laïques ». Telle-
ment la convenance est relative aux individus ; car, pour nous, la suprême
inconvenance est justement la présence d'enfants aux cérémonies mor-
tuaires. — Toutefois, cette raison fit accepter par les religieuses et approu-
ver par l'évêque, l'innovation de l'abbé Féraud.
L'abbé Féraud fut aumônier à la Charité de 1827 à 1862. Au dire de
tous ceux qui le connurent, c'était un saint homme, dur à lui-même, et
bon aux autres; toujours avec les malades, il ne sortait que tous les deux
mois pour aller voir son frère, prêtre comme lui.. Il mourut en 1862, et
voulant après sa mort, rester ce qu'il avait été durant sa vie, ignoré de
tous, il brûla ses papiers, quand il sentit la fin venir. Ces détails m'ont
été fournis par sa sœur, religieuse à la Charité.
11 ne reste sur lui, dans la Semaine liturgique de l'époque, qu'une ving-
taine de lignes, exaltant son mérite comme prêtre. Il en eut pourtant un
plus grand, celui d'avoir montré qu'on peut soigner les malades aussi
bien que les sœurs, tout en restant laïque.
Sans faire intervenir l'administration, mais avec son approbation tacite,
il institua un ordre laïque, y accueillant parmi les filles abandonnées,
toutes les âmes de bonne volonté. Il réussit. Les recrues, après un an de
noviciat, pouvaient prendre l'habit solennellement, en messe dite par
l'abbé Féraud. Mais il n'y avait pas le délégué de l'évêque qui reçoit le
serment des sœurs : elles n'en prononçaient pas et aucun vœu ne leur fai-
sait un crime de partir. Elles étaient chargées du cortège des enfants aux
enterrements, de toutes les courses, des travaux les plus fatigants à la lin-
gerie et à la cuisine. Enfin, elles servaient partout d'infirmières, même
aux fous, même aux vénériennes ! Sous les ordres des religieuses, elles
restaient toujours servantes.
A première vue, c'étaient des religieuses, car elles portaient un costume
composé d'une robe bleu foncé, d'un châle noir, venant se croiser, sur
REGNAULT. — LES RELIGIEUSES LAÏQUES DANS LES HOPITAUX DE MARSEILLE 14o
la poitrine à la mode d'Arles, d'une croix en cuivre et d'un bonnet en
toile blanche, avec un cache-front et doux visières, descendant de chaque
côté de la figure et s'unissant au-dessous du menton.
Elles allaient tous les jours à la messe, communiaient fréquemment,
mais ne faisaient que trois jours de retraite au lieu de huit comme les
religieuses, car il fallait soigner les malades.
On les appelait et on les appelle encore sœurs tourières, par analogie
avec les religieuses ainsi nommées, qui dans les ordres cloîtrés, peuvent
seules sortir et faire les commissions. Cependant elles sont bien laïques
et il ne faut pas les confondre avec les véritables sœurs tourières (1) qui
appartiennent à la communauté, mangent au couvent, y sont soignées
par les sœurs en cas de maladie, et, mortes, sont enterrées dans leur
concession.
Celles que nous étudions, au contraire, reniées par la communauté,
mangent au dortoir avec les infirmières laïques; malades, prennent un
lit dans les salles ; mortes, vont à la fosse commune : les religieuses les
rejettent, elles ne sont pas des leurs.
Les religieuses laïques avaient procuré de grands bénéfices à l'admi-
nistration qui les défrayait de tout, mais leur donnait seulement quatre
francs par mois. Ne formant pas une congrégation, elles ne reconnaissaient
comme autorité que celle de l'administration civile des hôpitaux. L'abbé
Féraud les soutenait de son mieux dans leur tâche, les réunissant tous les
mois et leur faisant une petite allocution : « Quand vous mourrez, leur
disait-il, toutes ces saletés que vous ramassez se transformeront en une
couronne d'or. » ,
Elles en vinrent à être quarante ou cinquante. Peu s'en allèrent et presque
toutes moururent à leur poste. On n'avait quà se louer de leurs ser-
vices; et aujourd'hui encore ce n'est qu'un concert d'éloges; religieuses
et administration sont d'accord sur ce point.
Le service était bien fait et à bon marché, que pouvait-on souhaiter de
mieux? Et cependant cette institution admirable a aujourd'iiui disparu par
la négligence des uns et probablement la sourde envie des autres. Dans
ia séance du il avril I800, l'administration supprima l'assistance des
enfants aux convois funèbres. Ce fut bien, mais on en tira une conséquence
mauvaise. Les religieuses firent valoir qu'il n'y avait plus nécessité à con-
server les tourières; elles se chargeaient désormais de pourvoir à tout.
L'administration n'avait pas du reste à supprimer par décret les reli-
gieuses laïques, car aucune délibération n'avait présidé à leur naissance.
Elle n'eut qu'à laisser faire et c'est une chose à laquelle toutes les admi-
nistrations excellent.
(1) Larousse, dans son dictionnaire, assigne ce nom de sœur tourière à la portière; mais les reli-
gieuses cloîtrées le donnent à toutes les sœurs qui peuvent sortir.
746 SCIENCES MÉDICALES
L'abbé Féraud eut donc la douleur d'assister à la ruine de son œuvre ;
quand il mourut, en 1862, il y avait plusieurs années qu'il n'avait plus
consacré de sœurs tourières. Il ne réclama pas, ses supérieurs ecclésias-
tiques lui commandèrent probablement le silence.
Les tourières, n'étant plus renouvelées, disparurent peu à peu; elles fu-
rent remplacées par des religieuses ou par des infirmières laïques. Ce qui
aurait dû être leur sauvegarde, l'absence de supérieure, l'obéissance abso-
lue à l'administration, fut précisément leur perte, car elles n'eurent per-
sonne pour les défendre.
Cette étude nous a paru intéressante, en ce qu'elle montre que non seule-
ment à Lyon, mais partout, l'on pourrait constituer un personnel pieux
et dévoué, mais non syndiqué en congrégation, reconnaissant la seule
autorité du directeur et des médecins et facilement maniable. Ces reli-
gieuses laïques feraient leur service fort bien, à bon marché, et avec une
volonté toujours consentante; et, n'ayant les défauts ni des religieuses, ni
des laïques, elles réuniraient leurs qualités.
NOTES JUSTIFICATIVES
I. — On trouvera des détails sur cet ordre dans le registre des délibérations-
des hospices civils de Lyon, séance du 28 janvier 1880 dont il a été publié un
extrait par les soins de la Commission.
On y voit qu'il y a trois catégories de servantes des pauvres :
n) Les novices prises parmi celles qui en font la demande à l'administra-
teur-directeur, sur présentation de l'aumônier. Il y a, m'a dit réconome de
FHôtel-Dieu, toujours beaucoup plus de demandes que d'admissioûs. On peut
déjà faire un choix au double point de vue physique et moral.
b) Elles deviennent prétendantes au bout d'une année révolue, et ont un
costume spécial. Elles reçoivent un traitement de quatre-vingts francs par an
et doivent fournir leurs vêtements. (Jn peut les renvoyer.
c) Au bout de douze à quinze ans, elles deviennent sœurs croisées, elles
portent alors une croix. On n'a le droit de les renvoyer que pour un motif
grave, mais elles peuvent se retirer si elles le désirent, car il n'y a pas de
vœu ; en tous cas, le directeur peut les changer de service sur la plainte d'un
chef. Et l'on a souvent vu, m'a-t-ondit, des cheftaines (femmes chefs de salle)
changées de service parce qu'elles ne savaient pas bien pratiquer l'antisepsie.
II. —Cette œuvre a été étudiée par Maxime du Camp dansla Revue des Deux
Mondes. Il y décrit les origines de l'œuvre et distingue deux catégories de
dames veuves : les unes plus nombreuses qui consacrent simplement quelques
heures dans la semaine pour venir faire les pansements ; les autres, qui se
consacrent entièrement à cette œuvre et séjournent dans l'hôpital.
A l'instar de Lyon, de nombreuses maisons ont été créées dans les autres villes.
Il en existe ainsi une à Marseille. Les filles de service, comme à Lyon, sont
prises à l'essai pendant un an en moyenne : après lequel on contracte vis-à-vis-
d'elles, si on est satisfait de leurs services, l'engagement de ne les renvoyer
GILS. — ÉTUDE DE l'ÉTIOLOGIE DES ANÉVRYSMES DE l'aORTE 747
que pour des motifs très graves. Elles font alors définitivement partie de la
maison. Elles sont défrayées de tout, mais on ne leur donne aucun argent. Et
cependant on trouve des filles généralement jeunes. A l'hospice de Marseille,
la plus âgée n'a pas quarante ans. La directrice m'a avoué qu'elle avait cherché
à Marseille de ces filles de service et qu'elle n'avait pu en trouver qui soient
restées. Elles étaient toutes parties ou on avail été forcé de les renvoyer. Ac-
tuellement, les filles de service vieiment toutes du Rhône ou de la Loire.
Il faut remarcjuer qu'il n'y a pas là contradiction absolue avec la suite de
notre récit. Les filles qui faisaient en effet le service des hôpitaux étaient soi-
gneusement recrutées par l'aumônier, parmi les enfants trouvés ; il pou\ait
mieux faire son choix dans un milieu qu'il connaissait.
M. &ILS
Médecin -Major de H" classe, à Pau.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DE L'ÉTIOLOGIE DES ANEVRYSMES DE L'AORTE
— Séance du 20 septembre 1892 —
J'iii eu l'occasion d'observer quatre malades atteints d'anévrysmes de
l'aorte.
Les deux premiers ont succombé à un anévrysme de la crosse dont ils
faisaient remonter l'origine à une chute de cheval. Chez les deux autres,
la tumeur siégeait à la région abdominale et reconnaissait pour cause,
d'après leurs dires, une fièvre typhoïde longue, dilïïcile, à convalescence
pénible et dune durée indéfinie.
Ces assertions sont-elles fondées et peut-on scientifiquement les ad-
mettre ?
L'étiologie des anévrysmes aortiques est généralement établie avec assez
de vague pour qu'il m'ait paru intéressant d'étudier l'inlluence des causes
invoquées par ces quatre malades. Il est des cas, en effet, où cette
question, d'apparence purement doctrinale, présente un intérêt majeur :
en médecine légale notamment.
Une lésion organique développée à la suite d'un accident survenu dans
un service commandé donne droit à des dédommagements spéciaux.
748 SCIENCES MÉDICALES
Les règlements militaires et administratifs, la législation sur la respon-
sabilité des patrons imposent parfois le problème.
Cette considération suffit pour faire ressortir le côlé pratique de cette
étude.
ANÉVRYSMES DE LA CROSSE DE l'aORTE
Le cœur, organe essentiellement mobile, exécute dans le médiastin
antérieur trois variétés de mouvements :
1° Des mouvements spiroïdes autour de son axe ;
2° Des mouvements produisant le choc précordial dans le plan hori-
zontal ;
3" Des mouvements verticaux.
Les deux premiers genres résultent à la fois de la disposition de ses
fibres musculaires et de ses fonctions ; les derniers sont dus aux con-
r.exions du péricarde avec le diaphragme.
Ces mouvements répondent à des dispositions anatomiques spéciales.
La crosse aortique, à l'extrémité inférieure de laquelle le cœur, suivant la
comparaison classique, est appendu comme une sonnette à un ressort,
se trouve fixée à son sommet par les trois gros troncs qu'elle émet : tronc
brachio-céphalique, carotide primitive et sous-clavière gauche dont les
branches diverses, s étendant au loin dans les tissus, constituent pour elle
de solides ligaments à distance qui la maintiennent en lui laissant une
certaine mobilité. L'axe aortique, suivant lequel s'opèrent les mouvements
du cœur, n'est pas tout entier dans le même plan. Ce n'est pas une spire,
comme le ressort de sonnette auquel on l'a comparé. A son origine, en
effet, l'aorte se dirige d'avant en arrière et de gauche à droite; de là,
elle se coude et remonte verticalement. Son axe représente donc une ligne
brisée, se continuant à sa partie supérieure par une courbe et, comme
ces diverses parties sont dans des plans différents, cet axe décrit donc,
en résumé, une hélice. Cette disposition angulaire de l'extrémité infé-
rieure de l'axe aortique est capitale. Si elle n'existait pas, si le cœur se
continuait directement avec la crosse suivant une ligne droite, c'est au
point fixe supérieur, à la portion recourbée que se transmettraient les
effets et dans les prolongements des carotides et des sous-clavières qu'ils
se feraient sentir. Ce coude joue là le rôle d'une sorte de symphyse
cardio-aortique ; il est le heu principal des mouvements du cœur autour
de l'axe aortique.
A l'extrémité, le levier aortique peut avoir à supporter des tiraillements,
des impulsions, des pressions produisant des modifications du rayon de
courbure de la crosse, portée soit en flexion, soit en extension, soit en
torsion forcées et susceptibles de produire des lésions pouvant aller jusqu'à
la déchirure, à l'arrachement des tuniques artérielles.
GILS. — ÉTUDE DE l'ÉTIOLOGIE DES ANÉVRYSMES DE l'aORTE 749
L'extension forcée de l'axe aortique paraît, de prime abord, une vue
purement théorique et mécaniquement irréalisable. En effet, le voisinage
de la paroi thoracique contre laquelle le cœur vient battre à chaque pul-
sation s'oppose normalement à toute distension en avant. Mais, dans une
chute sur le dos, la compression de la région postérieure projette en avant
la paroi antérieure que le cœur suit dans son mouvement. Cette impul-
sion sera d'autant plus vive que la cage thoracique aura mieux conservé
son élasticité, c'est-à-dire que le sujet sera plus jeune. Dans ces conditions,
les tuniques artérielles présenteront, de leur côté, d'autant plus de sou-
plesse et courront moins de risques de déchirures ou de ruptures.
D'une façon générale, on peut donc estimer que la lésion de la crosse
aorlifjue par extension forcée, due à une violence extérieure, est difficile
à produire. Lorsque cette extension forcée se réalise, elle est contenue
dans de si étroites limites qu'il paraît rationnel de la considérer comme ne
pouvant guère déterminer une lésion sérieuse,
La flexion forcée, dont le mécanisme est inverse, semblerait devoir se
produire avec plus de facilité, par suite de l'oscillation du cœur à l'extré-
mité du levier aortique. Dans toute chute, en effet, le cœur, en vertu de
l'accélération, tend à se porter dans le sens de la chute. Dès que le corps
touche terre, brusquement le mouvement s'arrête en pleine tension de
l'arc aortique (flexion quand la chute se- fait en supination ou par pro-
jection en arrière; distension quand la chute se fait par projection «n
avant ou en pronation). Le cœur, par l'effet de la vitesse acquise, continue
son mouvement et la flexion se force en proportion de la vitesse de
chute,
A cette action du pendule cardiaque vient encore s'ajouter celle de la
compression thoracique résultant de l'aplatissement élastique des parois,
sous l'influence du choc. Simple quand la compression ne porte que
sur un seul plan, indirecte quand elle porte sur le plan dorsal, directe si
elle agit sur le plan antérieur où le cœur peut être comprimé presque
immédiatement; cette action est double, si le thorax se trouve comprimé
à la fois sur ces deux plans opposés, par exemple, lorsque le cavalier sup-
porte en tombant le poids de son cheval. Toutes les conditions se trouvent
réunies pour obtenir, dans ce cas, la flexion maxima et réaliser de
sérieuses lésions aortiques.
Enlm, il est facile de se rendre compte que l'exagération du mouvement
de torsion se produit par là projection du corps sur l'un des plans la-
téraux.
Les plus graves accidents et aussi les plus fréquents sont produits par
les tiraillements de la crosse; ces tiraillements résultent de l'action du
diaphragme sur le péricarde. Cette enveloppe séreuse repose, en effet, par
sa base sur le centre phrénique auquel elle adhère intimement, surtout
730 SCIENCES MÉDICALES
dans sa moitié antérieure. Elle revêt, par son sommet, la partie ascen-
dante de l'aorte, dans sa moitié inférieure et oblique. Toute contraction
du diaphragme doit donc produire sur l'aorte une traction d'autant plus
énergique que le point d'application de la force est ici perpendiculaire à
la surface, le péricarde se développant verticalement et la moitié infé-
rieure de la crosse de l'aorte présentant une direction qui la rapproche
sensiblement de l'horizontale. Cette traction diaphragmatique est puissam-
ment renforcée par le poids des viscères abdominaux et notamment du
foie et de la rate que les ligaments suspendent directement au diaphragme.
Efforts violents, compression, tout ce qui tend à déplacer les organes
abdominaux exerce sur l'aorte son action. Et, dans la chute, cette action
sera d'autant plus marquée que le poids de ces organes aura fait sentir
plus vivement sa traction. Minima dans les chutes sur le dos, plus accentuée
dans les chutes sur le plan antérieur où les viscères sont refoulés par
compression, elle atteindra naturellement son maximum dans le cas de
chute sans projection où la précipitation se fera debout et selon la verti-
cale. La section des tuniques, dans ces cas, peut être complète et la
mort instantanée.
Lésions. — Il est évident que ces deux mécanismes : modification du
rayon et traction, ne sauraient être suivis des mêmes effets. Les lésions
devront se produire au point mathématique influencé, c'est-à-dire à la
jonction des portions horizontale et verticale, si elles résultent de la
traction du péricarde; dans le segment sphérique de la crosse, si elles
proviennent d'une flexion forcée. Dans la pratique, les deux mécanismes
n'agissent jamais isolément: ils se combinent.
L'interposition de l'artère pulmonaire entre les deux branches de la
crosse auxquelles elle sert, en quelque sorte, de coussin élastique, dimi-
nue notablement l'arc de flexion et, par suite, la facilité des lésions.
Aussi, les lésions par traction, c'est-à-dire à l'angle aortique, sont-elles
beaucoup plus fréquentes que les lésions par flexion, à la région curvi-
ligne. D'ailleurs, une autre déterminante intervient dans nombre de cas :
l'état d'intégrité des parois artérielles. Broca les a trouvées altérées dans
vingt-six cas sur vingt-neuf et Chauvel neuf fois sur douze. Quel que soit
le mode d'ébranlement de la crosse aortique, il est évident que, s'il y a un
point athéromateux, c'est lui qui cédera le premier : c'est là que se déter-
minera la lésion. Gaujot pense que l'aorte se rompt ordinairement sur
la face concave et postérieure parce que c'est là, près des sigmoïdes,
que les parties sont le plus minces; mais c'est aussi en ce point que
siègent de préférence les plaques d'athérome.
On a voulu les expliquer par le choc de la colonne sanguine; mais, à
ce compte, on devrait trouver l'athérome à tous les coudes artériels et les
collatérales se détachant de l'aorte à angle droit (rénales, intercostales
GILS. — ÉTUDE BE l'ÉTIOLOGIE DES ANÉVRYS.MES DE L AORTE 7Sl
notamment) seraient toutes athéromateuses à leur origine. Les tractions du
péricarde, tendant incessamment à redresser la partie horizontale du levier
aortique me paraissent expliquer d'une manière plus satisfaisante la cause
du développement de l'athérome et la production habituelle des ruptures
au coude formé par la portion horizontale et la portion verticale de l'aorte
ascendante. En effet, dans un tube rigide circulaire qu'on essaie de rendre
rectiligne, c'est la partie inscrite de la paroi qui se fausse tout d'abord. De
môme, dans ce redressement de l'aorte, la région du conduit la plus courte
est celle qui supporte la plus forte tension, la région interne.
C'est donc elle qui cédera la première.
Appliquons ces données au cas spécial de cette étude.
D'après les expériences de Clifton Wintringham, la résistance des parois
aortiques près du cœur serait de 119 livres 5 onces anglaises; soit
44\o68 grammes. Partant de ce chiffre, il est facile d'établir les formules
de vitesse de chute pouvant produire la rupture de l'aorte. Si l'on ne
tient compte que de l'action du cœur appendu à l'extrémité du levier
aortique, on trouve que, pour produire cette rupture, il faudrait une vi-
tesse de chute de 290 mètres à la seconde. Ce chiffre correspond à une
chute de plus de 4.500 mètres de hauteur et à la vitesse d'un train mar-
chant à 105 kilomètres à l'heure. Il suffit à prouver combien, dans une
chute ordinaire, cette oscillation du cœur en torsion ou en flexion a par
elle-mêjne peu d'influence sur une artère saine. Mais, comme je l'ai dit,
l'effet prédominant dans la chute est la traction des viscères abdominaux
sur le péricarde par l'intermédiaire du diaphragme et cette action est
maxima lorsque la chute se fait sur les pieds et suivant l'axe vertical du
corps. Une vitesse de 10 mètres par seconde suffît alors pour produire la
rupture d'une aorte saine (1).
Or, cette vitesse est souvent atteinte tout d'abord par un cheval em-
ballé. La chute sur les pieds est, il est vrai, exceptionnelle, dans ces cas,
le cavalier se décrochant généralement par un mouvement de projection
parabolique. La traction directe est moins vive; mais, en échange, l'aorte
est soumise à l'énorme compression que détermine, sur le thorax et l'ab-
domen, la chute du corps lancé du haut du cheval avec une pareille
accélération. Traction, flexion, compression et torsion peuvent agir, dans
certains cas, simultanément sur la courbure aortique. Il est donc rationnel
d'admettre que des lésions |)lus ou moins accentuées puissent en résulter,
surtout si le cavalier, par son âge ou sa constitution, a perdu la souplesse
vasculaire et présente des tendances, a fortiori un commencement d'athé-
rôme.
(I) Ces résultats sont obtenus par la formule : V = i/^^ _ .(cgr dans laqupllo V représente la
vitesse de chute; g, l'actioTi de la pesanteur; y, le poids du cœur et des viscères abdominaux; e, la
hauteur de chute.
752 SCIENCES MÉDICALES
Symptômes. — De même que les lésions pourront varier de la simple
distension des tuniques à la section artérielle, les symptômes objectifs
iront de la syncope légère à la mort subite. Dans les cas à évolution fou-
droyante ou rapide (anévrysme disséquant), la liaison entre la chute
et la lésion s'imposera par l'instantanéité et le développement aigu des
symptômes. Mais, lorsque l'évolution sera plus lente (anévrysme mixte
interne), la relation sera plus délicate à établir. On aura à rechercher le
début brusque des accidents, leur continuité, leur aggravation progres-
sive et ininterrompue depuis la chute invoquée comme cause.
ANÉVRYSMES DE l'aORTE ABDOMINALE
D'après Siredey, les ganglions mésentériques qui, à l'état sain, ne sont
pas plus volumineux qu'une lentille et sont éloignés les uns des autres,
acquièrent, dès le premier septénaire de la fièvre typhoïde, les dimensions
d'une noisette ou d'une noix. Ils se présentent sous forme de tumeurs
étalant au-devant de la colonne vertébrale de véritables chaînes gan-
glionnaires. Les glandes rétro -péri tonéales sont atteintes comme les glandes
mésentériques. Les mésocoliques peuvent être altérées; mais elles le sont
moins souvent et moins profondément que les mésentériques dont l'alté-
ration est constante. Elle est presque toujours en rapport avec celle de
l'intestin grêle. On découvre souvent, à l'incision, des points jaunâtres
de suppuration disséminés dans leur tissu ; mais il est très rare de trouver
le pus réuni en foyer.
Lebert a observé que les anévrysmes de l'aorte abdominale siègent,
cinquante-six fois sur cent, au voisinage du tronc cœliaque. C'est préci-
sément dans cette région que siégeaient les deux anévrysmes que j'ai
traités.
D'un autre côté, pour Cruveilhier, les ganglions les plus volumineux
sont à l'origine de l'artère mésentérique supérieure. On les distingue en
trois groupes principaux :
1° Iléo-cohques ;
2° Duodénaux;
3° Mésocoliques.
Les plexus lymphatiques se rendant au canal thoracique enlacent l'aorte
d'un véritable réseau.
Il est logique d'admettre que l'inflammalion des ganglions entourant
l'aorte et spécialement de ceux qui présentent l'inflammalion la plus
vive, le groupe iléo-cohque, puisse déterminer dans certains cas, par
action de voisinage, celle des tuniques de l'aorte, donnant ainsi naissance
à une périartérite, à la suite de laquelle la tunique moyenne disparaît.
L'artère se laisse distendre sur ce point et l'anévrysme est constitué.
G. THKRMES. — LE CLIMAT d'aUGELÉS-GAZOST AU POINT DE VUE MÉDICAL 7o3
Les deux cas que j'ai observés se rapportent, l'un et l'autre, à des fiè-
vres typhoïdes graves, longues, à convalescence d'une lenteur indéfinie.
Dans l'un et l'autre, l'évolution du processus terminé, le rétablissement
des forces ne s'est pas fait, les malades sont restés débiles, malgré leur
robuste constitution antérieure et peu à peu les symptômes spéciaux se
sont développés, sans que les sujets aient pu, un seul jour, se réjouir
d'un retour à la santé dont rien ne semblait, au début, expliquer la
lenteur. Ici, entre l'anévrysme effet et la fièvre infectieuse cause déter-
minante, on ne peut saisir la moindre interruption. Depuis la fièvre, les
malades ne se sont jamais remis.
Cet épiphénomène de la fièvre typhoïde est rare, en somme, tandis f[ue
l'inflamination ganglionnaire est constante. La cause est certaine; mais
il semble qu'elle n'agisse que dans des conditions spéciales et peu ordi-
naires. La suppuration du ganglion serait-elle nécessaire pour produire la
périaortite ? L'observation anatomique /»o.s/ wo/*^em peut seule fournir une
explication satisfaisante. Elle manque et c'est une lacune regrettable, car
elle serait ici dun poids décisif.
L'observation clinique révèle l'existence d'anévrysmes de l'aorle qui
semblent s'être développés à la suite de la fièvre typhoïde. Une logique
rigoureuse, basée sur l'anatomie et la pathologie, permet d'admettre cette
étiologie avec les conséquences médico-légales qui en découlent.
C'est à l'anatomie pathologique qu'il appartient de rechercher et de
fixer les conditions spéciales de développement de ces anévrysmes secon-
daires.
M. &. THERMES
à Paris.
LE CLIMAT D'ARGELES-GAZOST AU POINT DE VUE MEDICAL
— Séance du 20 septembre 1892 —
Il y a environ deux ans, nous avons publié une notice sur le climat phy-
sique ou climatotechnie d'Ârgelès-Gazost ; aujourd'hui, nous esquisserons
la climatothérapie, c'est-à-dire l'action médicale, les effets curatifs de ce
climat, particulièrement dans les névroses, les affections des voies respira-
toires et les cardiopathies.
48*
754 SCIENCES MÉDICALES
Et tout d'abord, des diverses données météorologiques, hypsométriques,
orograpliiques, etc., recueillies sous notre contrôle, depuis six ans, surtout
de l'action physiologique du milieu ambiant, il résulte, à notre avis, que le
climat d'Argelès peut être rangé au nombre des climats mixtes. Ce n'est
pas. en effet, un climat excitant, comme celui franchement stimulant et
tonique du littoral méditerranéen (franco-ligurien, franco-pyrénéenj ; ce
n'est pas non plus un climat sédatif, comme le climat de certaines villes
du sud-ouest français, c'est un climat mixte, participant à la fois des
climats sédatifs et toniques, plutôt sédatif, mais légèrement tonique, se
rapprochant du climat de Pau et, peut-être mieux, de celui d'Amélie-les-
Bains.
Ce climat toni-sédatif, Argelès le doit, en particulier, à la pureté et à la
douceur de l'air, aux vicissitudes atmosphériques peu marquées, aux
variations saisonnières graduelles, à la moyenne annuelle peu élevée de
la température, aux oscillations limitées de la colonne barométrique dans
ses mouvements diurnes mensuels.
Cette caractéristique, ressortissant, en grande partie du moins, à des
circonstances topographiques locales, constitue pour Argelès- Gazost une
spécialisation climatérique, s'adaptant à celle de Pau, et que le médecin,
en tant qu'hygiène thérapeutique, peut avantageusement utiliser en
certains cas. Qu'il nous soit permis d'appeler à cet égard votre bienveil-
lante attention.
Nous disons donc qu'Argelès-Gazost, par son atmosphère neutre, par
sa sécheresse moyenne, sans humidité libre, par sa faible ozonisation, par
le calme habituel de l'air, est un climat toni-sédatif approprié aux enfants
excitables, aux vieillards réagissants, aux surmenés non épuisés et ayant
des indications dans quelques maladies, particulièrement les affections
nerveuses, des voies respiratoires et les cardiopathies.
Examinons brièvement les ressources hygiéno-thérapiques que ce milieu
offre à ces diverses catégories de maladies.
1° Névroses
Les névroses, principalement la neurasthénie, l'hystérie, l'hystéro-
épilepsie surtout, l'épilepsie idiopathique, récente, à crises convulsives
pas trop fréquentes, la chorée, la maladie de Basedow sont amendées à
Argelès-Gazost. Les malades y trouvent, avec un air pur, semi-tonique,
sédatif, le changement de milieu, l'isolement relatif, le repos physique et
le calme de l'esprit ; enfin, s'il y a lieu, des promenades variées et gra-
duées, sans compter le massage, l'électrothérapie, les pratiques liydro-
thérapiques et hydro-minérales. Ici, le climat calme l'excitabilité cérébro-
spinale sans la déprimer, et, aidé de la médication balnéo-électrique, il
rm %y\S
G. THERMES. — LE CLIMAT D ARGELES-GAZOST AU POINT DE VUE MEDICAL iOO
tend à favoriser la nutrition générale et, en dernier lieu, celle de l'élément
cellulaire.
Les saisons préférables sont : le printemps et Vautomne.
• 2° Affections des voies respiratoires
a) Rronchiles. — Les bronchitiques, même à forme arthritique et
goutteuse, grâce à l'état hygrométrique de l'air, aux faibles variations de
température diurnes et nocturnes d'auri/ à octobre, au voisinage médiat
des forêts de pin, aux nombreuses journées ensoleillées de cette période,
bénéficient du climat d'Argelès. L'atmosphère sèche, pendant l'été et une
partie de l'automne, facilite la fonction de sudation, élimine, chez les
arthritiques ayant eu des poussées, les sels uriques, ranime la circulation
périphérique, décongestionne les viscères ; elle permet, en outre, l'exercice
quotidien au grand air, lequel facilite le jeu des articulations, augmente
l'activité de réduction de l'oxyhémoglobine, coïncidant avec l'amplitude
plus grande de la respiration, en même temps que l'air semi-balsamique
stimule, modifie les sécrétions bronchiques et diminue, apparemment,
dans les bronchites microbiennes, la vitalité des bacilles variées et nocives
qui existent dans les bronchites, dans les broncho-pneumonies consécutives
aux maladies infectieuses,
b) Asthme catarrhal. — Relevant de la névrose vaso-motrice que pré-
pare l'inflammation catarrhale par les nerfs vaso-dilateurs, l'asthme
catarrhal, comme les bronchites bénéficient du climat d'Argelès-Gazost ;
toutefois, quand il perd son caractère humide ou muqueux et tend à
n'être que l'expression symptomatique de la névrose par excito-motricité
bulbaire, quand il est sec, en un mot, le climat d'Argelès-Gazost n'a
plus d'indication formelle; l'asthme sec se dérobe à nos prévisions;
l'individualité morbide, seule, nous instruit et nous éclaire. 11 est, en
effet, des susceptibilités personnelles, des idiosyncrasies qui réclament,
tantôt le climat toni-sédatif cà altitude modérée, comme celui d'Argelès,
tantôt le climat sédatif de Pau et parfois, enlln, le climat tonique et
excitant de la mer.
c) Tuberculose pulmonaire. — En l'état actuel de la science, aucun
moyen thérapeutique systématisé, qu'il s'adresse directement ou indirec-
tement à l'agent pathogène, infectieux, bacillaire (R. Koch), ou qu'il vise
l'état général ou, à la fois, l'état local et l'état général, ne guérii radica-
lement la phtisie confirmée. Le climat, à lui seul, n'a pas non plus cette
prétention ; et sans vouloir dire que, par l'un de ses éléments, l'oxygène
— sans compter l'ozone — il stérilise les germes, annihile les micro-
organismes primitifs ou consécutifs, affaiblit, atténue ou détruit la viru-
lence de leurs sécrétions, il n'en est pas moins établi que. par son unité
756 SCIENCES MÉDICALES
climatérique, par son action d'ensemble, sur le terrain plus que sur la
o-raine sur le malade plus que sur la maladie, le climat tend à modifier
heureusement l'état général d'abord, l'état local ensuite. Oui, ce n'est
pas la tuberculose qui guérit, mais bien le tuberculeux. Et n'est-ce pas,
peut-être, le cas d'appliquer au climat, aidé de l'hygiène thérapeutique,
ces paroles que les vitalistes répétaient à l'occasion de la nature médi-
catrice : conamen naturœ, in œgrisalutem, omni ope molientis.
Pour cela il convient de faire un choix judicieux du climat, d'adapter
ce climat au malade tuberculeux, à la forme de sa maladie. Ici, ce sera
le climat d'altitude (Davos, Samaden, Saint-Moritz) ; là, le climat mari-
time (continental, insulaire, marin) ; plus loin, les climats chauds de
plaine, des bords du Nil, etc.
Quoi qu'il en soit, le climat d'Argelès s'adresse plus particulièrement à
la tuberculose pulmonaire semi-éréthique, avec poussées congestives,
lesquelles sont fréquemment suivies d'hémoptysie, au premier et au
deuxième degré, à cette tuberculose mixte ou commune (Ferrandj chez
les malades à système nerveux irritable, à bronches susceptibles, à épi-
sodes subaigus, s'accompagnant, matin et soir, de fièvre modérée. Il
s'adresse également à cette tuberculose à la troisième période, pourvu
que les tuberculeux n'aient que la fièvre vespérale, ne soient pas atteints
de diarrhée et que leur état général ne soit pas affaibli.
Le climat d'Argelès-Gazost est particulièrement approprié à une cure
de printemps, d'été et d'automne ; non cependant que, durant l'hiver, les
conditions climatériques ne soient favorables aux tuberculeux de la caté-
crorie désignée — le climat d'Argelès est bon en toutes saisons, — mais les
essais timides, dus à l'initiative éclairée de la veuve d'un médecin, aidée
d'un petit groupe de philanthropes, bien qu'heureux et encourageants,
n'ont pas encore trouvé d'imitateurs généreux. Et cependant, Falkenstein,
Gorsberdof, le Vernet parlent haut et témoignent de l'influence salutaire
de la vie à l'air libre, de la suralimentation, du repos, de l'exercice mo-
déré et gradué.
3° Cardiopathies
Lès hautes pressions atmosphériques ralentissent le cœur et abaissent
la tension artérielle, tandis que les basses pressions augmentent cette
tension et excitent le cœur. Les malades, atteints d'affections organiques
du cœur, de cardiopathies artérielles, ainsi que les tachycardiques, sans
lésions matérielles, doivent donc, en général, rechercher les stations
situées le moins haut possible au-dessus du niveau de la mer. L'altitude
ne doit pas, d'ordinaire, dépasser 600 mètres. Mais, à côté de l'altitude,
il importe de tenir compte des effets sédatifs du chmat, plutôt que de
F. BOÉ. — DU TRAITEMENT DE L.V RÉTINITE SYPHILITIQUE 757
ses effets excitants. C"est ainsi que, dans les cardiopathies artérielles,
le séjour au bord de la mer produit, parfois, une excitation circulatoire
pouvant être très défavorable (H. Huchard).
La vallée d'Argelès est à une altitude variant de 420 à oOO mètres ;
elle est à l'abri du vent et des variations trop grandes et trop brusques
de température ; son climat est toni-sédatif. Aussi, les cardiopathes anoxé-
miques, catarrheux, les cardio-mitraux, qui sont à la période d'hypersys-
tolie ou l'ont dépassée, ceux avec tendance aux congestions, aux troubles
modérés de l'hématose et tendance à l'hydropisie, les cardiopathes artério-
scléreux utilisent-ils l'action toni-modératrice du climat ; ils y font, au
printemps et en automne, cette cure d'air déterminant le ralentissement
du pouls, une respiration plus profonde et moins fréquente, un léger
abaissement de la température centrale et modifiant lentement l'altération
nutritive ; ils y pratiquent, parfois, quand le cœur est compensé, la cure
du terrain, proportionnée à la force du muscle cardiaque : ils y font,
plus souvent, cette gymnastique musculaire par les mouvMnents actifs
ou passifs, par le massage, et cette gymnastique cutanée par les frictions
excitantes et stimulantes, les bains, les affusions et plus rarement les
douches à l'eau sulfureuse chlorurée sodique faible d'Argelès-Gazost.
Et cela, sans oublier le régime alimentaire et les préceptes d'hygiène
générale et locale, inhérents au climat, préceptes si essentiels et pourtant
si souvent méconnus.
M. r. BOE
à Paris.
CONTRIBUTION A L'ÉTUDE DU TRAITEMENT DE LA RÉTINITE SYPHILITIQUE
— Séance du 20 septembre 1892 —
Obs. — Le 23 juin dernier, un malade âgé de trente-huit ans, menuisier
de son métier, vint à ma clinique se plaindre que, depuis trois semaines, sa
vue avait baissé ; il avait un lirouillard devant les yeuv: tout dabord je cons-
tate à l'œil 2;auclie, au voisinage du bord externe et inférieur de la cornée, une
trace d'une ancienne perforation ; synrchie antérieure; il y a vingt-cinq ans, le
malade reçut dans l'œil un éclat de porcelaine ; l'œil resta bandé une dizaine de
jours, il n'en a plus soullert depuis; pas de larmoiement, pas d'injection péri-
cornéenne, pas de photophobie ; pas de douleur à la pression ; l'œil droit ne
758 SCIENCES MÉDICALES
présente rien non plus à noter au premier aspect. L'œil droit est emmétrope-
et son acuité visuelle égale 1, l'œil gauche est également emmétrope et son
acuité égale 1/3.
A l'éclairage oblique, les deux pupilles réagissent bien à la lumière et se con-
tractent par le fait de l'accommodation; celle de l'œil gauche néanmoins tout
autant que la synéchie qui la déforme le lui permet ; aucune trace d'irite récente
ou ancienne.
A i'ophtalmoscope, le fond des deux yeux s'éclaire bien, celui de l'œil droit
paraît d'un rouge plus sombre que celui de l'œil gauche. L'attention est de
suite attirée par l'aspect que présentent les papilles, surtout celle de l'œil droit;
la limite du côté interne se laisse plutôt deviner qu'apercevoir ; toute la partie
qui se trouve en dedans des vaisseaux est plus rouge qu'à l'état normal, et
cette rougeur se confond avec celle de la choroïde ; si l'on suit les vaisseaux
avec attention en haut et en bas, ils sont toujours bieu visibles; cependant plus
on s'éloigne de la papille, plus leur contour apparaît nettement, sans qu'oa
puisse cependant préciser le point où ils sortiraient brusquement de dessous un
voile ; cette netteté du contour s'observe plus vite pour les branches supérieures-
que pour les branches inférieures ; veines et artères ont conservé leur volume
normal. Ni la région de la macula ni la périphérie du fond de l'œil ne pré-
sentent rien de particulier à noter. Le malade déclare avoir contracté la syphi-
lis il y a huit ans : chancre, roséole, maux de gorge, pertes de cheveux par
îlots; il a pris pendant longtemps des pilules de protoiodure de mercure, pas
de paralysie des muscles de l'œil; depuis un an, il est devenu sourd du côté droit.
Je prescris 1 gramme d'iodure de potassium à prendre quotidiennement les
huit premiers jours.
7 juillet. — Le malade lit avec difficulté la dernière ligne de l'échelle de
Snellen ; il a remarqué que quand il ouvre l'œil droit après l'avoir tenu un
instant fermé, il voit un rond d'un gris foncé qui disparaît quelques secondes
après. — 4 grammes d'iodui-e de potassium à prendre par jour.
43 juillet. — L'acuité visuelle de l'œil droit n'est plus que de 1/3 ; celle de
l'œil gauche est restée la même qu'auparavant c'est-à-dire égale à 1/3. Quand le
malade voit de son œil droit le ciel à travers les feuilles des arbres, il lui paraît
vert aussi bien que les feuilles; cet œil distingue toujours le même cercle et
cette fois, dans ce cercle se montrent de petits points lumineux qui dansent; le
cercle disparaît toujours quelques secondes après que l'œil est ouvert. Frictions
mercurielles tous les jours avec 1 gramme d'onguent napolitain.
23 juillet. — L acuité visuelle de l'œil droit est complètement rétablie, elle
égale 1 ; le malade lit les lettres de la dernière rangée de l'échelle; il voit encore,
en fermant l'œil droit et en l'ouvrant à nouveau, un rond, mais celui-ci n'est
plus d'un noir foncé, il est gris au centre, blanc à la périphéi^ie ; le ciel cesse
de paraître vert vu à travers les feuilles des arbres.
// août. — Le malade se plaint de ressentir, depuis cinq ou six jours, une
douleur sourde à la région frontale du côté droit; il l'attribue aux frictions qu'il
se fait parfois en ce point. L'acuité visuelle reste bonne.
i3 août. — La douleur que ressent le malade à la région frontale est cons-
tante, mais elle est légère ; elle ne s'aggrave pas pendant la nuit ; le malade a
la sensation de quebiu'un qui aurait reçu un coup sur l'œil quelques jours au-
paravant ; pas de gêne dans les mouvements du globe, pas de douleur en le
F. BÛÉ. - — DU TRAITEMENT DE LA RÉTINITE SYPHILITIQUE 7o9
refoulant en arrière : aucune injection de la conjonctive. Je note, d'autre part,
que le malade marche avec assurance, qu'il n'a jamais d'embarras de la parole,
qu'il n'a jamais eu de convulsions avec perle de connaissance.
Bien que l'acuité visuelle soit redevenue normale, le malade remarque que
la flamme d'une bougie lui paraît plutôt rouge vue avec l'œil droit, plutôt
blanche vue avec l'œil gauche.
25 août. — La veille, l'œil gauche a été touché par la main d'un de ses cama-
rades en jouant : il y a eu beaucoup de larmoiement; aujourd'hui aucune dou-
leur; l'œil n'est pas rouge, mais le rond sombre que le malade n'apercevait
plus, déjà depuis la tin du mois de juillet, quand il ouvrait l'œil droit, a reparu
dans cet œil ; l'acuité visuelle a un peu baissé ; les lettres de la dernière rangée
de l'échelle ne sont plus vues aussi distinctement que les jours précédents et.
fait curieux, le champ visuel, dont je n'ai pas encore parlé et sur le compte
duquel je vais revenir, s'est rétréci à nouveau.
27 août. — L'acuité visuelle de l'œil droit est redevenue parfaite; celle de l'œil
gauche, qui a été pendant longtemps égale à 1/3. est aujourd'hui égale à 1. Ce fait
nous démontre que bien que le malade ait attiré constamment notre attention
sur l'tt'il droit, l'œil gauche a été également malade; l'ophtalmoscope, dès les
premiers jours de l'observation nous avait montré d'ailleurs que le côté interne
de la papille présentait, quoique à un degré moindre, la même rougeur, la même
absence de délimitation nette que celle de l'œil droit.
L'étude du champ visuel reprise cha(iue fois que le malade s'est représenté
nous a montré qu'au début il était rétréci dans les deux yeux, aussi bien du
côté externe que du côté interne; puis quand l'acuité visuelle est revenue, il a
repris toute son étendue dans chaque œil du côté temporal; au 31 août, il ne
reste qu'un léger degré de rétrécissement du côté interne, .l'insisté encore sur
ce fait singulier que la feuille périmétrique du 23 août, celle qui fut prise le
lendemain du jour du traumatisme à l'œil gauche, accuse pour l'œil droit un
rétrécissement plus considérable du côté interne que les feuilles du 11, du 14,
du 27 et du 31 août, et de plus, que du côté temporal elle accuse également
pour le même œil un rétrécissement qu'on ne retrouve pas sur les autres.
31 août. — L'état présent du malade, en résumé, est le suivant :
Il reste encore un peu de rétrécissement du champ visuel du côté interne.
L'acuité visuelle est excellente ; cependant, si on plonge la chambre dans une
demi -obscurité, elle tombe à 1/3, tandis que moi-même je peux encore voir les
plus petits caractères de l'échelle.
Le fond de l'œil droit est toujours d'un rouge plus sombre que celui de l'œil
gauche.
L'aspect de la papille est resté !e môme.
Avec le miroir plan, après avoir dilaté la pupille, je cherche en vain à
découvrir, principalement dans les parties inférieures du corps vitré, les opacités
fines en poussière signalées dans des cas semblables par les auteurs ; dans la
région de la macula, j'aperçois de petites taches d'un jaune orange, rondes ou
légèrement ovales.
Je me suis trouvé évidemment en présence d'un cas de neuro-rétinite
syphilitique; tout le prouve; d'abord la légèreté même des altérations
de la rétine, l'héméralopie et surtout le retour rapide de la vision grâce
760 SCIENCES MÉDICALES
à l'emploi du traitement spécifique. Le malade n'a d'abord qu'un simple
brouillard devant les yeux ; l'acuité visuelle est encore bonne; il prend
1 gramme d'iodure de potassium pendant huit jours, elle baisse légère-
ment ; il en prend 4 grammes par jour la semaine suivante, elle tombe
à 1/3 ; je prescris alors des frictions mercurielles avec 1 gramme d'on-
guent napolitain ; sept jours plus tard, l'acuité visuelle est revenue; je
n'avais pas imposé au malade le séjour dans la chambre noire.
Cette amélioration rapide a été obtenue le 23 juillet et se maintient
depuis ce temps-là; la vue baissera-t-elle de nouveau? il serait difficile
de se prononcer dès maintenant sur ce point; à la vérité, ni la persis-
tance de l'héméralopie, ni l'aspect du fond de l'œil resté le même, ni
même le léger degré de rétrécissement du champ visuel du côté interne
qui s'observe encore ne nous imposent particulièrement cette réserve ;
mais il faut compter avec le génie même de la syphilis qui peut amener
des rechutes plus graves que la première atteinte ; et j'ai pensé qu'il
convenait maintenant de faire prendre au malade 6 grammes d'iodure
de potassium par jour ; j'espère qu'impuissant à conjurer le début du
processus, ce remède servira à maintenir les bons effets obtenus par
les frictions mercurielles. Le but de la présente communication n'est pas
de faire ressortir la plus grande vertu curative du mercure dans le trai-
tement de la rétinite syphilitique; on pourrait objecter que si j'avais
employé une plus forte dose d'iodure de potassium, 6 grammes par jour
au lieu de 4, j'aurais vu l'acuité visuelle se rétablir comme après l'em-
ploi des frictions; je n'ai pas eu le temps de poursuivre cette expérience,
j'ai vu que l'acuité visuelle baissait et je me suis empressé de recourir
au traitement que tout syphiliographe prescrit quand la syphilis menace
d'une destruction prochaine des tissus ou un organe de premier ordre, au
traitement" le plus énergique, à celui dont faction est la plus prompte,
au traitement par les frictions mercurielles. Sous ce rapport, mon obser-
vation ne fait que confirmer le fait signalé par d'autres ophtalmologistes
et notamment par M. Fôrster ; le vrai traitement de la rétinite syphili-
tique est le traitement par les frictions mercurielles. L'arme est dange-
reuse, mais c'est celle qui porte. Je ferai seulement remarquer combien,
dans mon cas, la rétinite se trouve être une manifestation tardive de la
syphilis; l'infection date de huit ans. Plus on avance dans la diathèse, dit
M. Mauriac, plus le mercure doit s'effacer devant la souveraineté incon-
testable de l'iodure de potassium. Tel ne paraît pas être le cas pour la
rétinite spécifique.
Les frictions mercurielles ont pu, chez mon malade, rétablir complète-
ment, dans l'espace de sept jours, la vision déjà réduite au tiers de la
vision normale ; tel est le fait que je voulais surtout mettre en relief.
Voici un cas d'amblyopie de nature syphilitique et pour lequel la
p_ BOK. DU TRAITEMENT DE LA RKTI.NITE SYPHILITIQUE 76i
médication par le mercure n'a pas tardé à manifester son action bienfai-
sante ; j'avais hésité à la prescrire et j'étais décidé, si mie amélioration
<}uelconque ne s'accusait pas promptement, à la faire cesser ; celle-ci s'est
accusée et comme la vue devenait meilleure tous les jours, le malade a
pu continuer les frictions mereurielles six semaines durant ; il les a
interrompues tout aussitôt que l'acuité visuelle est redevenue normale.
Depuis longtemps les vieux maîtres nous ont appris à ne faire usage
du mercure dans les affections syphilitiques du fond de l'œil qu'avec la
plus grande réserve. « Il n'est pas sûr, disait de Graefe, que tous les pro-
cessus pathologiques qui se présentent chez un syphilitique soient de
nature syphilitique et réclament la médication spécifique. » Bien mieux:
y a-t-il un commencement d'atrophie consécutive à une névrite môme
syphilitique, le mercure peut aussi bien en activer qu'en retarder la
marche ; c'est une arme à deux tranchants ; l'on a vu parfois après les
premières frictions l'acuité visuelle baisser promptement.
D'autre part, si l'on n'a pas recours à ces dernières, la cécité peut surve-
nir; l'embarras est grand pour le praticien.
Notre premier devoir reste évidemment d'essayer d'abord le traitement
par les frictions, le traitement efficace par excellence; mais le second est
de les faire cesser très vite précisément si cette efficacité reste en défaut.
J'ai tout lieu de me réjouir d'avoir, dans le présent cas, appliqué la
première partie de cette règle ; les frictions mereurielles ont fait promp-
tement revenir une vision déjà tombée au tiers de l'acuité visuelle nor-
male; elles seules ont conjuré la cécité menaçante.
Je voudrais, par contre, n'avoir pas fait si longtemps usage du traite-
ment mercuriel chez un autre malade qui avait eu, lui aussi, plusieurs
années auparavant, des accidents spécifiques et que je présentais le mois
de mai dernier, à l'Académie de Médecine. A la fin de mars 1891, ce
malade perdit en huit jours la vue de l'œil droit, celle de l'œil gauche ne
tarda pas à baisser à son tour; ni les frictions mereurielles, ni l'iodure de
potassium ne purent, pendant plus de deux mois , arrêter le rétrécisse-
ment progressif du champ visuel; non seulement ce rétrécissement n'aug-
menta plus, mais encore le champ visuel s'élargit un peu lorsque j'eus
renoncé complètement à cette médication et que je prescrivis le lactate de
zinc. Depuis un an, la cécité n'a plus progressé ; c'est là sans doute un
heureux résultat, mais ne serait-il pas meilleur encore si la médication
spécifique avait fait place plutôt au traitement par le lactate de zinc?
J'ai pensé qu'il pourrait être intéressant, pour l'étude du traitement
des affections du fond de l'œil et des amblyopies d'origine syphilitique
^Taie ou supposée, de rapprocher deux cas où j'ai été bien loin d'obtenir
avec les mêmes frictions mereurielles, les mêmes effets.
762 SCIENCES MÉDICALES
M. E. lîICAISE
Agrégé à la Faculté de Médecine de Paris, Chirurgien de l'hôpital Laënnec.
DE LA SUTURE DES SPHINCTERS DANS L'OPERATION DE LA FISTULE A L'ANUS
— Séance du 20 septembre 1892 —
La fistule à l'anus est une lésion fréquente, de causes variées, d'un
traitement délicat et qui récidive facilement. Elle a bénéficié des progrès
accomplis dans la thérapeutique chirurgicale ; on l'exécute plus métho-
diquement et on cherche à obtenir une cicatrisation plus rapide. M. Quénu,
entre autres, a fait à la Société de Chirurgie (1887j une communication
sur la réunion primitive dans le traitement de la fistule à Vanus.
L'opération doit être faite méthodiquement, sans que l'on ait à lutter
contre la contraction des sphincters et du releveur ; l'anesthésie est néces-
saire et aussi l'emploi d'un spéculum ani qui étale le champ opératoire
et le maintient sous les yeux de l'opérateur jusqu'à la fin. J'ai présenté
en 1881, à la Société de Chirurgie, un spéculum ani qui est particuliè-
rement utile dans ce cas (\).
Aujourd'hui, je désire appeler l'attention sur le moyen de remédier
aux inconvénients de la section des sphincters ; déjà plusieurs de ceux
qui ont préconisé la suture après l'incision de la fistule anale ont fait
valoir les avantages que présentait la réunion immédiate, en prévenant
l'incontinence; je veux y insister particulièrement et dire que si on
peut discuter sur l'utilité de la suture dans certains cas, elle doit être de
règle et de nécessité q-aand les sphincters ont été incisés en partie ou en
totalité.
A ce point de vue, on peut distinguer les fistules anales en trois classes :
La première comprend les fistules sous-cutanéo-muqueuses, dont l'opé-
ration n'intéresse pas les sphincters ; il n'y a jamais d'incontinence à
craindre, nous ne nous en occupons pas ici.
Dans la deuxième classe se trouvent les fistules qui traversent soit le
sphincter externe, soit les deux sphincters ; dans l'opération, la portion
(1) NicAisE. — 1874. Des fistules ano-périnéales {Gaz. Méd. de Paris, p. 134). — M»{. Spéculum ani
(Bul. Soc. Chir., p. 5G8i.
E. NICAISE. — l'opération DE LA. FISTULE A l'aNUS 763
des sphincters qui est au-dessous de la fistule doit être incisée. Selon
que la fistule remonte plus ou moins haut, la section des sphincters sera
plus ou moins grande; s'il reste au-dessus de la fistule un anneau sphinc-
térien assez considérable, l'incontinence sera évitée, au moins celle des
matières solides.
Dans la troisième classe se trouvent les fistules qui s'ouvrent au-dessus
des sphincters, soit après les avoir traversés, soit en passant en dehors
d'eux. Ici l'opération est plus grave, car on est obligé de couper toute
la hauteur des sphincters et si, plus tard, ils ne se réunissent pas, il y a
incontinence.
Comme on le voit, celle-ci peut se présenter dans les deux dernières
classes de fistules, et la chirurgie, avec sa précision actuelle, doit remé-
dier à cet inconvénient. Dans ces cas, la suture, du moins celle des
sphincters, est une nécessité et on devra y procéder avec soin, spécia-
lement par une suture profonde, perdue, à points séparés; celle-ci sera
recouverte par une suture superficielle réunissant les lèvres de la mu-
queuse et de la peau. Si on n'obtient pas toujours une cicatrisation
immédiate totale, la suture n'en aura pas moins été avantageuse, si on
s'est placé dans les conditions d'une chirurgie antiseptique rigoureuse.
Depuis que l'on applique la suture au traitement de la fistule anale,
plusieurs chirurgiens ont déjà cherché à rétablir la continuité des muscles
coupés. M. Gérard-Marchant, chirurgien des hôpitaux, qui est mon assis-
tant dans mon service de l'hôpital Laënnec, s'est aussi préoccupé de ce
point et il a appliqué cette pratique sur un malade de mon service, chez
lequel se trouvait une indication nette. Il a fait deux étages de suture,
une suture perdue pour les sphincters et une suture superficielle pour
la peau et la muqueuse ; le résultat ra été favorable, malgré un léger
écartenient consécutif des lèvres superficielles.
En résumé, l'opération de là fistule anale doit être faite méthodique-
ment après anesthésie, la région étant étalée par un spéculum uni.
Après la section du trajet et l'ablation de la surface on devra faire une
suture profonde réunissant les sections musculaires et une suture super-
ficielle cutauéo-muqueuse.
'64 SCIENCES MÉDICALES
M. ARIS
a Pau.
FRACTURE DU PARIÉTAL DROIT — TROUBLES TROPHIQUES ET MOTEURS
TRÉPANATION NEUF ANS APRÈS L'ACCIDENT
— Séance du 21 septembre 1892 —
Obs. —En juillet 1890, j'ai été appelé auprès de M"« L... par mon ami le
docteur Dassieu, qui avait vu la malade pour la première fois quelques jours
auparavant. M'ie L..., âgée de treize ans, a fait, à l'âge de trois ans et demi,
une chute d'un deuxième étage, avec fracture du pariétal droit, ayant entraîné
une perte complète de connaissance de deux heures de durée, puis un état
fébrile et une suppuration de la plaie contuse du cuir chevelu pendant près
de deux mois, d'après les commémoratifs.
Quand les accidents aigus eurent cédé, on s'aperçut que la fillette était
paralysée du côté gauche : paralysie des deux membres avec paralysie flasque
du membre supérieur (le bras pendait le long du thorax et l'avant-bras était
balancé pendant la marche).
A mesure que l'enfant avançait en âge, on remarqua une différence de lon-
gueur de plus en plus notable entre le côté gauche et le côté droit : très sen-
sible au membre supérieur, moins accusée au membre inférieur.
La différence la plus grande existait à la main gauche, où prédominaient
les troubles trophiques osseux, ainsi que le démontrent les mensurations en
longueur relevées ci-après.
Depuis deux ans, la main gauche, au dire des parents, reste stationnaire
(la miette gante le même numéro de ce côté) et, depuis cette même époque,
un élément symptomatologique nouveau, la contracture, est survenu.
Pour le membre inférieur, nous avons relevé ce fait qu'on dut réapprendre
la marche à l'enfant.
L'état actuel est caractérisé par des troubles trophiques très pi'ononcés des
systèmes osseux, musculaire, cutané et vasculaire.
A. — Les troubles trophiques osseux sont exprimés par les mensurations
en longueur, dont voici le tableau comparatif :
Pour la main (de l'extrémité du médius au niveau de l'interligne articulaire).
— Main droite, 16 centimètres; main gauche, 13 centimètres.
Avant-bras. — Différence d'un centimètre et demi.
Bras. — Différence de 2 centimètres et demi environ.
Fémur. — Un centimètre de différence.
Tibia. — Un centimètre de différence.
ARIS. — FRACTURE DU PARIKTAL DROIT — TROUBLES TROPHIQUES 765
PiirimHre thoracique. — Mensuration horizontale de l'appendice xyphoide à la
ligne des apophyses épineuses :
Côté droit 35 centimètres.
Côté gauche 33 —
«. — Les mensurations circulaires suivantes (au ruban métrique) indiquent
approximativement les troubles trophiques musculaires.
Mensurations de la cuisse.
A 10 centimètres ( Côté droit (normal). 38 centimètres,
au-dessus de la rotule. | Côté gauche .... 34 —
A 20 centimètres ( Côté droit 44 —
au-dessus de la rotule. I Côté gauche .... 42 —
• Le pli fessier est effacé à gauche.
C. — Troubles trophiques cutanés. — Rougeur érythémateuse de la peau au
niveau de la partie postérieure du bras (decubitus chronicus) ; la pression, en
cet endroit, détermine une décoloration de la périphérie du point comprimé
avec persistance d'une zone centrale colorée à la façon d'un extravasat san-
guin; la partie de la peau momentanément anémiée prend une coloration
rouge vineux assez durable par action vaso-dilatatrice et paralytique des
vaisseaux.
Mêmes phénomènes, à un degré moindre, au membre inférieur.
Apparition d'engelures, au côté gauche, chaque hiver, et, en 1888, d'une
ulcération de Tépiderme et du derme qui a laissé à sa suite du tissu cica-
triciel. La thermométrie locale comparative n'a pas été faite, mais il existe
une réfrigération appréciable du côté gauche. Les ongles sont plus courts et
sti'iés.
D. — Troubles trophiques vasculair es. — Lartère radiale gauche paraît rétrécie
et Fondée sanguine y est diminuée.
Nous avons constaté l'intégrité de la sensibihté générale dans tous ses modes
et des sens spéciaux.
Les troubles de la motilité sont très importants.
Au membre supérieur :
1» Parésie simple des muscles de Tépaule pour les mouvements voulus ; la
malade parvient, en se renversant en arrière et à droite, à amener sensiblement
le bras à la position horizontale; elle communique aussi le mouvement de
flexion, presque complet, à l'avant-bras sur le bras; celui d'extension est plus
limité. — Les mouvements communiqués de flexion et d'extension sont pos-
sibles et ne provoquent aucune douleur musculaire ni articulaire.
i" Paralysie complète des mouvements d'extension des doigts, presque com-
plète de leur flexion, qui n'est possible, à un léger degré, qu'en vertu d'un
mouvement associé de la main droite.
En résumé, degré différent de paralysie pour les divers segments du membre
supérieur : parésie à la racine du membre, paralysie à son extrémité.
En outre, cette paralysie prédomine sur les extenseurs, d'où le type de flexion :
766 SCIENCES MÉDICALES
le bras est appliqué contre le thorax, verticalement; l'avant-bras est fléchi à
peu près à angle droit, la main est ramenée vers la ligne médiane du corps
et elle présente une griffe selon une courbe régulière, sans aucun angle, et
facilement réductible par l'extension communiquée. Le pouce est habituel-
lement fléchi dans la paume de la main et sa dernière phalange est placée
entre l'index et le médius. La main est fléchie dans son ensemble, vers le
bord cubital.
Il n'y a pas de rétractions musculaires, môme au biceps ; pas de contrac-
ture des antagonistes : le triceps brachial ne s'oppose pas à la flexion forcée et
ne durcit pas. Le biceps devient rigide quand on place l'avant-bras dans l'ex-
tension; mais celle-ci est possible avec un effort moyen, un peu prolongé.
Le type actuel de flexion ne remonte qu'à deux ans environ, d'après les
renseignements et d'après une photographie antérieure où la fillette présente
son bras en résolution musculaire et en paralysie flaccide.
Au membre inférieur gauche, comme au membre supérieur, mais à un degré
moindre, il existe une parésie des mouvements volontaires vers la racine du
membre : la flexion et l'extension de la cuisse sur le bassin sont diminuées
et engourdies ; la flexion et l'extension de la jambe sur la cuisse sont encore
possibles, mais moins étendues et moins actives.
La flexion volontaire du pied est nulle, ainsi que la flexion communiquée
par le fait de la contracture des jumeaux et du soléaire. Le pied est à angle
obtus sur la jambe et en equin valgus. Donc, pour le membre inférieur, le
type d'extension est réalisé par la contracture des extenseurs.
Du côté du rachis, on constate une lordose dorso-lombaire, avec scoliose
commençante par action musculaire de compensation, car les ti|)ophyses épi-
neuses reprennent la ligne droite dès qu'on fait coucher l'enfant à plat-venlre,
les bras en croix. La claudication est manifeste.
Je remarque la déviation conjuguée de la fa^ce et des yeux. La fillette porte
son cou fléchi sur l'épaule gauche par suite de la contracture du sleruo-iuas-
toïdien et du trapèze gauches (innervation du spinal); le menton est en rota-
tion à droite et les yeux et la face regardent la lésion encéphalique (strabisme
externe de l'œil droit et strabisme interne de l'œil gauche).
Pas de rétractions musculaires, pas de contracture douloureuse; on peut
amener la tête au contact de l'une et de l'autre épaule sans trop de difficulté et
sans déterminer la moindre douleur.
De môme, la rotation de la tête n'est ni rigide ni douloureuse.
Ces mêmes mouvements, la fillette peut les exécuter volontairement, mais ils
n'ont pas toute leur étendue ni toute leur énergie. Quand je ramène artifi-
ciellement la tête de la malade vers la ligne médiane ou vers le côté gauche,
elle se remet instinctivement en rotation à droite, après un moment. L'enfant
peut spontanément, par un effort d'attention et de volonté, amener ses yeux
soit vers la ligne médiane, soit vers l'angle opposé, mais ils ne conservent pas
longtemps celte position et ils reviennent en déviation conjuguée à droite.
Cette déviation conjuguée de la face et des yeux est d'APPAarnoN réceiste.
Le réflexe musculo-cntané abdominal est diminué, mais non aboli, à gauche.
Le réflexe musculo-cutané plantaire n'existe à gauche que pour le mouvement
d'extension des orteils; la plante du pied étant rayée par l'ongle d'arrière en
avant, il en résulte, du côté normal, un mouAement de flexion des orteils
suivi de leur extension; la même excitation, à gauche, produit l'extension seule
des orteils.
ARIS . — FRACTURE DU PARIÉTAL DROIT — TROURLES TROPHIQUES '67
Le réflexe tendineux rotulien est exagéré à gauche ; il n'y a pas de trépida-
tion épileptoïde.
Les pupilles réagissent également bien à la lumière et à l'accommodation.
■ La malade a des mouvements associés ; ainsi les mouvements de flexion volon-
taire de la main droite (côté normal) déterminent, quand ils sont énergiques,
un mouvement de flexion rudimentaire de la main paralysée, et quand je
fais soulever par la fillette un poids de deux kilogrammes avec sa main droite,
je sens la pression de ses doigts s'accentuer sur les miens placés dans la paume
de sa main gauche.
L'action de se gratter avec la main droite, ou le simple bâillement, amène,
du côté gauche, une flexion des doigts plus forte que l'action de lever un poids
de deux kilogrammes.
Pour l'extension des doigts, les mouvements associés sont nuls ; nuls égale-
ment pour la flexion et l'extension au membre inférieur.
Pendant le sommeil de l'enfant, la mère a vu ses doigts s'étendre jusqu'à
l'extension complète, tout en s'écartant simultanément ; cette persistance des
mouvements réflexes doit être rapprochée de ïabolition des mouvements voulus,
par lésion de la zone psycho-motrice droite.
Jamais on n'a remarqué des mouvements convulsifs ou des convulsions. Les
réactions électriques des nerfs et des muscles, au faradisme et au galvanisme,
sont normales pour le membre supérieur, pour le membre inférieur et pour la
face et le cou. L'examen comparatif avec le côté sain a été fait, et les réactions
électriques ont été soigneusement notées. 11 n'y a pas de réaction de dégéné-
rescence : celle-ci a été recherchée par la méthode monopolaire avec dix milli-
ampères d'intensité.
Il me reste à noter Vattitude des lèvres et des joues au repos et pendant la
mastication. Les aUments séjournent entre les joues et les dents, et la mastica-
tion est, de ce fait, longue et difficile. La malade laisse parfois s'écouler la
salive par la commissure labiale gauche, qui est la plus déclive (inertie fonc-
tionnelle de l'orbiculaire des lèvres). Il n'y a pas de déviation de la langue ni
de la luette. Les lèvres sont comme en ectropion, surtout l'inférieure, qui
semble gonflée et allongée. Les plis verticaux sont effacés (parésie des buccina-
teurs) et leur effacement donne à la bouche un aspect maussade caractéristique,
de même que la déviation conjuguée communique à la physionomie une
expression inmiobile et presque dure.
L'intelligence est celle de la moyenne des enfants du même âge ; la fillette est
simplement apathique ; ses maîtresses de classe ne la trouvent inférieure qu'au
point de vue de Vattention prolongée. Son aptitude à comprendre est normale.
En somme, l'intégrité relative des facultés psychiques fait contraste à l'intensité
des troubles de trophicité et de la motilité.
Les règles ont paru à l'âge de quatorze ans — c'est-à-dire il y a un an —
pour la première fois, et depuis lors la menstruation a été normale.
Le 7 août 4890, trépanation pratiquée par mon distingué confrère, le docteur
Devalz, avec notre aide et celle des docteurs Dassieu et Doassans.
Trois couronnes de trépan sur le trait de la fracture, dans la moitié anté-
rieure du pariétal : la première couronne, en arrière, représente une mince
lamelle où le diploé et les deux tables interne et externe paraissent s'être en
partie résorbés ; la deuxième rondelle ressemble à celle qui est extraite la
troisième et n'en diffère que par ses moindres dimensions; celle-ci est consti-
tuée par un tissu osseux de formation pathologique, présentant en un de ses
768 SCIENCES MEDICALES
points une épaisseur de plus de dix millimèti-es et composé d'une série de
couclies superposées en stratifications convergentes vers la cavité crânienne;
c'est surtout aux dépens de la table externe que se sont développés ces ostéo-
phytes.
Du liquide céphalo-rachidien s'étant écoulé pendant l'extraction de cette
rondelle partiellement adhérente à la dure-mère, celle-ci s'est affaissée, et nous
avons eu sous les yeux une excavation considérable, au fond de laquelle celle
enveloppe apparaissait flottante. La pulpe de l'index s'engage librement à droite
et à gauche, ainsi qu'en avant, oii elle rencontre, avec des ostéophytes qui ne
compriment plus rien, la dure-mère qui leur est adhérente. En arrière de
la place occupée par la rondelle postérieure, le doigt sent le contact de la
masse cérébrale à travers la dure-mère qui se réfléchit sur elle.
Une crise de trémulation de l'avant-bras gauche a eu lieu, sous l'anesthésie
chloroformique, pendant l'opération pratiquée, d'ailleurs, selon les règles d'une
antisepsie et d'une asepsie rigoureuses.
Huit heures après l'opération, à 6 heures du soir, la température axillaire
était 38«,6; pouls à 130.
A 9 heures du soir, température axillaire, 38 degrés ; pouls à 120.
8 août. —Température axillaire, 37°,2 ; pouls à 110.
iO août. — Température axillaire, 37°,4 ; pouls à 106.
Le pansement antiseptique est renouvelé.
12 août. — La salive ne s'écoule plus par la commissure labiale gauche, au
dire des parents, et la malade qui ne savait plus se moucher à temps perce-
vrait la présence des sécrétions nasales.
Les résultats éloignés de l'opération ont été nuls.
APPUECIATION
De l'analyse de cette observation il résulte que le traumatisme a pro-
duit des lésions devenues destructives sur la plus grande étendue de la
partie supérieure de la zone psycho-motrice droite, comprenant le lobule
paracentral, le tiers supérieur de la frontale ascendante et les deux tiers
supérieurs de la pariétale ascendante. L'hémiplégie, due à ces lésions
destructives, et qui s'est compliquée tardivement (après sept ans) de dé-
o-énérescence secondaire de la moelle, est permanente et incurable; la con-
tracture et l'exagération des réflexes tendineux sont vraisemblablement
liées à de la sclérose descendante du cordon latéral. L'absence d'anesthésie
prouve que la partie postérieure de la capsule interne n'est pas inté-
o
ressée.
La déviation conjuguée, survenue après sept ans, doit être rattachée à
l'extension des lésions au pli courbe. Si elle ne se modifie pas ultérieu-
rement, ce fait démontrera que, dans les lésions d'un hémisphère céré-
bral, quand la déviation conjuguée existe, le malade regarde sa lésion,
si celle-ci est destructive, selon la loi formulée par Grasset.
L'arrêt de développement du côté gauche, contemporain du traumatisme^
dénote l'origine primitivement encéphalique des troubles de nutrition.
ARIS . — FRACTURE DU PARIÉTAL DROIT — TROUBLES TROPHIQUES 769
Bien qu'on ne connaisse pas encore le siège, dans les circonvolutions,
■des noyaux des centres de trophicité, il semble que la zone psycho-
motrice en possède pour les membres.
Cette question des désordres trophiques et des centres de trophicité
est rendue complexe par ce fait que, depuis l'apparition des con/rac/wres,
l'arrêt de croissance du côté gauche semble presque définitif, ce qui indi-
querait une participation secondaire de la moelle, c'est-à-dire une
amyolrophie spinale secondaire.
L'existence d'une ébauche de mouvement du côté paralysé en vertu
d'un mouvement associé du côté sain parait reposer sur le fait anatomique
de la communication, par les fibres commissurales, entre les noyaux
d'origine des nerfs moteurs des deux hémisphères. La suppléance fonc-
tionnelle est le résultat de la communication commissurale.
A côté de l'intégrité relative des facultés intellectuelles, nous avons
signalé une diminution de la faculté d'attention et l'existence de la fatigue
cérébrale survenant rapidement; cela nous amènerait à penser que les
centres cortico-moteurs qui président aux mouvements voulus pourraient
n'être pas étrangers à la production de l'effort intellectuel volontaire, qui
s'appelle l'attention ; — que si cette hypothèse de localisation cérébrale
est rejetée, le cerveau droit, que nous savons capable de suppléance pour
la parole et pour la pensée, nous apparaît, dans le travail intellectuel,
comme un organe de renfort destiné à éviter l'épuisement précoce de son
congénère.
Cette observation offre le tableau symptomatologique de l'atrophie
cérébrale d'origine traumatique de la zone cortico-motrice droite. Nous
avons eu sous les yeux, avec l'atrophie de la masse cérébrale, l'agent de
la compression qui a déterminé cette nécrobiose : ce sont des ostéophytes
à couches superposées en stratifications dont le nombre exprime en
quelque sorte l'âge de la lésion, comme les couches concentriques d'un
tronc d'arbre expriment ses années.
La conclusion pratique et clinique est, qu'après un traumatisme crâ-
nien, il faut, si l'on veut être utile à son malade, trépaner pour lever
l'agent de la compression, dès l'apparition de l'hémiplégie et des autres
symptômes de compression.
Lors d'une intervention tardive, on s'exposera à trouver une table
interne proéminente et développée, ayant autrefois comprime, mais ne
comprimant plus rien, le processus nécrobiolique se trouvant alors réa-
hsé, avec le retrait parallèle de la substance nerveuse.
Dans le cas actuel, le choix de la date de l'intervention ne nous a pas
appartenu, puisque nous n'avons vu la malade pour la première fois qu'un
mois environ avant l'intervention.
49*
770 SCIENCES MÉDICALES
M. Adolphe BLOCH
Ex-Médecin de l'hôpital du Havre, ancien Interne des hôpitaux de Paris, à Paris,
PATHOGÉNIE DES ÉROSIONS ET AUTRES ANOMALIES DENTAIRES
— Séance du 2/ septembre 1892 —
Poursuivant mes recherches sur l'étiologie de certaines anomahes orga-
niques, au sujet desquelles j'ai fait une première communication, en
1889, au Congrès de l'Association, à Paris (La forme du doigt et les
nodosités de Bouchard), puis une deuxième en 1890, au Congrès de
Limoges (Pathogî-nie des affections cardiaques de croissance et de surme-
nage), je viens étudier, aujourd'hui, la pathogénie des érosions et des
autres anomalies dentaires.
Je pense que ces sortes de lésions, qui sont du domaine de la patho-
logie interne, n'attirent pas, suffisamment, l'attention des praticiens. On
néglige l'examen clinique des dents, parce qu'on croit que ce n'est pas
l'affaire du médecin, et, cependant, ces organes peuvent, au même titre et
pour les mêmes raisons que les autres parties du corps, présenter des
anomalies, dans leur forme, dans leur structure, dans leur direction, etc.
Il importe, donc, de les connaître, d'autant plus que d'autres maladies
héréditaires, distinctes de la syphilis, peuvent les occasionner, ainsi que
nous nous proposons de le démontrer.
I
Qu'est-ce que l'érosion dentaire ?
Je dirai que l'érosion est un vice de conformation, et de structure, de
CM-taines dents, caractérisé par un manque de substance, sur une surface
et une profondeur variables.
En effet: 1° la dent est malformée, parce qu'elle ne s'est pas norma-
lement développée, dès le début; 2° elle présente, en même temps, une
•lésion de structure, appréciable au microscope ; 3° il n'y a que certaines
dents qui peuvent être érodées ; 4" enfin, il y a, par place, manque de
substance.
A. BLOCH. — PATHOGÉNIE DES ÉROSIONS ET AUTRES ANOMALIES DENTAIRES ~71
En réalité, l'on ne peut pas dire qu'il y ait perte de substance, pro-
prement dite, car la portion de substance, qui fait défaut sur la dent,
n'a jamais existé, l'altération s'étant produite, telle quelle, avant que la
dent ait paru au dehors (1).
Ce sont les dents permanentes qui, généralement, se trouvent affec-
tées d'érosions, et parmi elles, l'on remarque, surtout, les premières grosses
molaires, puis les canines, les incisives elles petites molaires.
Quant aux deuxièmes et troisièmes grosses molaires, elles en sont tou-
jours exemptes. Les dents de lait présentent, plus rarement, ce genre
d'altération, que j'ai cependant rencontré, au plus haut degré, chez un
enfant de deux ans, qui n'était pas syphilitique, et qui n'avait jamais eu
de convulsions. Voyons les caractères principaux de l'érosion :
L'aspect extérieur de la dent diffère, suivant que la lésion siège sur la
couronne même, ou à son extrémité.
1" Dans le premier cas, l'érosion peut être arrondie ou linéaire.
a) Si elle est arrondie, elle se montre sous la forme d'excavations,
plus ou moins étendues en surface et en profondeur, et dont le-j bords,
nettement limités, sont ordinairement taillés à pic. Il y a de ces cavités
qui ne se révèlent que par un simple pointillé, n'intéressant qu'une très
petite épaisseur de l'émail ; d'autres sont plus grandes qu'une tête
d'épingle, et peuvent entamer toute l'épaisseur de l'émail, jusqu'à l'ivoire
(éî'osiom en cupules) ; d'autres, enfin, sont beaucoup plus larges et
peuvent même envahir une partie de l'ivoire (érosions en nappe) . En
somme, ce sont des espèces d'entailles creusées dans le tissu de la dent,
comme par un emporte-pièce. (On peut évidemment reconnaître la pro-
fondeur des érosions au moyen d'un stylet de trousse ; mais, au point de
vue purement clinique, cet examen n'est pas indispensable.) Le fond de
ces cavités, qui sont plus ou moins nombreuses, est presque toujours
noirâtre, et quand elles siègent sur la face antérieure des incisives mé-
dianes supérieures, celles-ci ont, absolument, l'aspect d'une pièce d'un jeu
de dominos. Cette coloration noirâtre des anfractuosités est due à un
dépôt particulier que laissent les aliments solides ou liquides, qui passent
dans la bouche ; on peut facilement l'enlever, mais il se reproduit aussi
très vite. Il n'a aucun rapport avec la carie dentaire. Quant au reste de
la dent, il est souvent jaunâtre.
Il y a encore une variété d'érosion, qui se rapproche des précédentes,
mais dans laquelle l'excavation n'est pas taillée à pic ; elle va, au con-
traire, en diminuant à sa circonférence, sous forme de godet. C'est
l'érosion en facettes.
b) Les érosions linéaires forment une raie ou un sillon transversal,
(1) Il va sans dire que la carie dentaire ne rentre pas dans cette élude.
712 SCIENCES MÉDICALES
entourant complètement la couronne, à peu de distance de son extrémité
libre; c'est une espèce d'étranglement circulaire delà surface externe de
la dent, qui, tantôt est unique, tantôt multiple. Ainsi, il peut y avoir
trois sillons superposés (sillons en escaliers ou en étages), entre lesquels
l'émail forme une légère saillie. Leur profondeur varie suivant les cas ;
même, chez certains sujets, l'émail n'est déprimé que très superficielle-
ment, de sorte que la surface de la couronne n'en est que sensiblement
peu modifiée,
2" Lorsque l'érosion occupe l'extrémité de la dent, celle-ci est encore
plus malformée que dans le cas précédent.
Considérons d'abord une petite ou une grosse molaire.
a) La lésion occupant la face triturante de la dent, les saillies naturelles
de cette extrémité se trouvent modiliées, et, à leur place, l'on remarque
des pointes plus ou moins aiguës, ou de petits tubercules arrondis, entre
lesquels se voient des anfractuosités traversant l'émail, dans une épaisseur
plus ou moins grande. Lorsque l'érosion, au lieu de rester limitée à
l'extrémité même de la dent, empiète sur le corps de la couronne, on
observe une démarcation très nette, entre la partie érodée et la partie
saine, en sorte que la première paraît emmanchée dans l'autre, comme
dans une virole, parce qu'elle est beaucoup plus étroite que le reste de
la dent.
b) Quand les érosions se présentent au bord hbre d'une incisive, elles
affectent plusieurs formes différentes suivant les sujets.
Dans les cas les plus simples, on ne remarque qu'une petite entaille en
forme de V. D'autres fois, les découpures sont plus nombreuses, et l'inci-
sive offre, à son bord libre, de petites aspérités dont la réunion constitue
ce que l'on appelle la dent en scie.
Lorsque la partie érodée s'étend sur le corps de l'incisive, celle-ci
paraît atrophiée à son extrémité, où elle n'offie qu'une lame mince de
tissu dentaire, extrêmement fragile; d'autres fois, l'on y remarque des
petites pointes verticales, plus ou moins épaisses, qui représentent une
sorte de moignon qu'on dirait enchâssé dans le reste de la dent.
C'est ainsi qu'apparaît l'incisive au sortir de son alvéole; mais au bout
d'un certain temps, le moignon est modifié par des actions physiques
(chocs, frottements réitérés), ou par des actions chimiques (salive, ma-
tières introduites), et finalement, on peut la voir s'émietter et se détacher
par petites parcelles. C'est alors que l'incisive présente, à son bord libre,
une échancrure semi-lunaire, limitée par un bourrelet saillant d'émail.
Outre cela, elle n'a pas son volume normal; elle est beaucoup plus petite
que d'ordinaire, dans son ensemble, et sa forme n'a pas non plus celle
des incisives saines. Les médecins anglais l'ont comparée à un tournevis^
parce que la dent est souvent élargie à son extrémité voisine de la gen-
A. BLOCH. — PATHOGÉME DES ÉROSIONS ET AUTRES ANOMALIES DENTAIRES 113
cive, et rétrécie, au contraire, à son bord libre. Cette dent ainsi altérée,'
qui est souvent aussi déviée en dedans, s'appelle la dent cf Hutchinson,
que ce médecin considère comme patbognomonique de la syphilis héré-
ditaire.
La canine peut aussi être atrophiée à son sommet ou présenter une
entaille en forme de V. Enfin, l'on peut rencontrer, sur une même dent,
plusieurs espèces d'érosions, et celles-ci sont parfois tellement étendues
qu'elles rendent la dent méconnaissable. Un auteur anglais a dénommé
cette dernière : dent en gâteau de miel.
M""*" Sollier a appelé l'attention sur une variété de sillons, qu'elle a
souvent remarquée chez les idiots, outre les érosions, et qu'elle appelle
sillons longitudinaux, pour les distinguer des autres sillons qui sont tou-
jours transversaux. Ils correspondent, dit-elle, à une encoche séparant en
trois tubercules le bord libre de la dent. Mais au bout d'un certain temps,
crénelures et sillons doivent disparaître par le fait du développement de
la dent, et leur persistance est un arrêt de développement (1). En effet,
au moment de l'éruption, dit M. Magitot (2), les incisives sont surmontées
de trois saillies très nettes, très accusées.
J'ai aussi observé ces sillons qui se montrent, particulièrement, sur la
face antérieure des incisives médianes supérieures ; mais 1 email ne paraît
pas lésé, il est simplement déprimé.
Tels sont les caractères que présente l'érosion sur la face antérieure ou
labiale de la dent ; mais on retrouve, également, les mêmes lésions sur la
face opposée ou linguale de l'organe.
Il nous reste maintenant à mentionner un caractère essentiel de l'éro-
sion en général, qu'il faut connaître pour se rendre compte de la patho-
génie de cette affection. Il consiste dans ce fait que la lésion n'est
jamais isolée à une seule dent, comme la simple carie, mais qu'elle
occupe, toujours et simultanément, les dents homologues d'une même
mâchoire ou des deux mâchoires ; ainsi, lorsque l'une des incisives mé-
dianes supérieures est érodée, l'autre l'est aussi. En outre, l'érosion est
située à la même hauteur, et offre la même configuration sur chacune de
ces dents.
Dans la définition que nous avons donnée du terme érosion, nous
avons parlé d'une anomalie de structure. En effet, l'émail et l'ivoire pré-
sentent des altérations anatomiques que l'on constate au microscope (glo-
bules dentinaires de l'ivoire). Mais il existe de ces perforations spontanées,
que l'on remarque sur l'émail, et au niveau desquelles il n'y a pas né-
cessairement d'altération de l'ivoire, comme l'a démontré M. Magitot;
(1) A. Sollier, De l'état de la dentition chez les enfants idiots et arriérés, (thèse de Paris, 1887.)
(2) Magitot Traité des anomalies du système dentaire et article Dent du Dict. encycl.
774 SCIENCES MÉDICALES
nous les avons, cependant, rangées au nombre des autres érosions, car
elles se montrent, aussi, avant l'éruption des dents, et leur pathogénie
est celle de l'érosion.
Quant aux dents érodées, elles sont non seulement malformées, mais
elles sont aussi plus petites qu'à l'état normal ; il y a donc en même temps
anomalie de volume.
Les autres espèces d'anomalies dentaires, sont les anomalies de nombre,
de forme, de nutrition, d'éruption, de volume, de direction, de siège
et de coloration. Nous dirons quelques mots des principales d'entre elles,
car les anomalies des dents, quelles qu'elles soient, ont la même origine
que les érosions, et elles se combinent souvent avec ces dernières.
Anomalies de nombre. — Le nombre des dents peut dépasser la normale,
par suite de la présence de dents surnuméraires. Dans d'autres cas,
au contraire, il y a moins de dents, à cause de l'absence de certaines
d'entre elles, comme les incisives latérales supérieures ou les dents de
sagesse.
Anomalies de forme. — Les dents sont plus ou moins transformées.
Ainsi les canines ne sont pas pointues et les incisives ne sont pas aplaties;
d'autres fois, l'organe est tout à fait difforme, à ce point que l'on ne
reconnaît plus le type primitif auquel il appartient. (Parfois, d'après
Magitot, certaines dents, comme les petites molaires permanentes, se
trouvent malformées, parce que les molaires temporaires, qui les avaient
précédées, avaient occasionné, du côté de l'alvéole et des gencives, des
lésions inflammatoires dont le follicule sous-jacent avait subi le contre-
coup.)
Anomalies de l'éruption. — L'éruption précoce, comme l'éruption tar-
dive, a été remarquée par tous les médecins. L'une et l'autre sont dues
à la même cause, c'est-à-dire à une maladie héréditaire, qui a troublé le
développement régulier des organes (1). De tout temps aussi, on a signalé
la présence d'une ou plusieurs dents chez le nouveau-né. J'ai, moi-même,
observé un enfant qui, à sa naissance, avait une dent incisive parfai-
tement visible et appréciable; 11 n'y avait eu aucun cas semblable dans la
famille, mais la mère avait été atteinte de scarlatine, vers le huitième mois
de la grossesse. La fièvre, et la maladie elle-même, avaient, sans doute,
hâté la calcification de cette dent chez le fœtus, mais il faut ajouter que
le père était atteint de nervosisme.
Anomalies de volume. — Certaines dents peuvent être beaucoup plus
(i) Notons que dans beaucoup d'anomalies organiques il peut y avoir tantôt excès, tantôt défaut
de développement; c'est l'évolution qui s'est trouvée déviée soit dans un sens, soit dans un autre;
mais les deux extrêmes, malgré leur contraste, ont la même origine. De même, dans les névroses,
il y a tantôt augmentation, tantôt diminution de la sensibilité; c'est le juste milieu qui n'a pu
être conservé pendant le développement du système nerveux, avant ou après la naissance. Du
leste, anomalies organiques et névropathies sont sœurs, et proviennent, fréquemment, d'une seule
et même cause, qui est l'hérédité morbide dissemblable.
A. BLOCH. — PATHOGÉNIE DES ÉROSIONS ET AUTRES ANOMALIES DENTAIRES "75
grosses ou beaucoup plus petites que d'ordinaire. De là, deux espèces
d'anomalies de volume, lorsque les extrêmes sont très prononcés : le
géantisme et le nanisme. Ce sont, surtout, les incisives médianes supé-
rieures que l'on voit extraordinairement développées, dans certains cas.
au lieu que, dans d'autres, ce sont les incisives latérales qui présentent la
diminution de volume.
Anomalies de direction. — Rien de plus fréquent que de voir des indi-
vidus dont les dents supérieures font saillie en avant : c'est ïanléversion
de l'arcade dentaire, et seulement de la partie qui supporte les incisives
et les canines. Le maxillaire supérieur conserve généralement sa direc-
tion normale, mais dans quelques cas, la région incisive de cet os est
également projetée.
D'autres fois, l'arcade dentaire est déviée en arrière (rétroversion).
Parmi les anomalies de direction, il faut citer, encore, Vinclinaison
latérale, la rotation sur l'axe, les accidents occasionnés par l'éruption
•de la dent de sagesse (Magitot).
Anomalies de coloration. — Les dents n'ont pas toujours leur colorar
tion normale, indépendamment des agents chimiques qui peuvent la
modifier. Il y a des dents qui sont jaunâtres, surtout à la partie voisine
de la gencive, au lieu d'être normalement d'un blanc nacré, homogène ;
malgré tous les soins de propreté, cette teinte jaune persiste et elle coïn-
cide fréquemment avec un dépôt de tartre qui est aussi de couleur jau-
nâtre et qui se reproduit ultérieurement, si on l'enlève. Il est évident
qu'il y a, là, une disposition morbide du sujet à fabriquer du tartre, et qui
■n'est pas toujours due à une altération de la salive ou à des fermenta-
tions buccales.
On voit quelquefois, sur la dent, certaines taches ou des zones de cou-
leur différente, ou encore des sillons blanchâtres transversaux, alternant
avec des zones plus transparentes.
Enfin, il y a des dents dont la coloration est d'un blanc laiteux ou
•d'un blanc bleuâtre, qui indique des imperfections de structure ou des
modifications dans leur composition chimique, etc.
La friabilité est un caractère qui se rattache à ces sortes d'anomalies.
Les diverses anomalies que nous venons de passer en revue sont sou-
vent associées entre elles ; elles sont, fréquemment aussi, accompagnées de
•malformations des maxillaires supérieurs ou inférieurs ; quelquefois
même, certaines de ces anomalies sont dues à des vices de conformation
des mâchoires. Ainsi, lorsque le nombre des dents est au-dessous de la
normale, l'anomalie peut être due à l'étroitesse de Tarcade correspon-
dante, dont le diamètre transverse est diminué (atrésie du maxillaire), ce
qui se remarque, surtout, à la mâchoire supérieure. D'autres fois, la for-
anule dentaire égale bien 32; mais, en raison de l'étroitesse de l'arcade,
776 SCIEÎNCES MÉDICALES
les dents sont trop serrées, et empiètent les unes sur les autres, en pre-
nant toutes sortes de directions vicieuses.
Par opposition, l'arcade dentaire peut être trop large, et l'on comprend
que les dents, se trouvant trop écartées les unes des autres, laissent des
vides considérables entre elles.
Enfin, une moitié latérale d'une mâchoire peut être plus développée que
celle du côté opposé, d'où l'asymétrie des maxillaires.
II
Les médecins, qui ont particulièrement étudié les érosions dentaires, les
attribuent aux maladies suivantes :
Hutchinson (1) et Parrot (2), à la syphilis héréditaire exclusivement;
Magitot (3) et ses élèves, aux convulsions de l'enfance;
Fournier (4), à la syphilis héréditaire principalement, mais en admet-
tant que les malformations dentaires sont des lésions banales, communes,
susceptibles de dériver de causes multiples et diverses.
Enfin, M""^ A. Sollier (3), en 1887, a signalé et étudié, chez les idiots,
des anomalies dentaires que son maître, Bourneville (6), avait déjà fait
connaître, en partie, dès l'année 1862.
Suphilis. — La syphilis héréditaire est certainement une cause de
malformations dentaires, et les observations si précises de Fournier ne
laissent aucun doute à cet égard. Du reste, une maladie si variée dans
ses localisations et dans ses lésions, soit pendant la vie intra-utérine, soit
après la naissance, ne pouvait pas épargner le système dentaire.
Mais, à l'exemple de Fournier, j'ai rencontré des individus, porteurs
d'érosions dentaires, qui, malgré cela, furent atteints de syphilis acquise,
bien manifeste. Il faut donc admettre que ces érosions n'étaient sûrement
pas de nature syphilitique, car elles auraient dû procurer l'immunité à
ceux qui les possédaient, en les préservant d'une nouvelle syphilis.
Ce fait, à lui seul, prouve déjà, que la syphilis n'est pas la seule cause
d'érosions. Bien plus, on a signalé l'érosion dentaire chez certains ani-
maux, comme le bœuf et le chien.
Ainsi, M. iMagitot, en 1881, a présenté au Congrès de Londres une
(1) Hutchinson, É<U(Ze clinique sur certaines malaiies de l'œil et de l'oreille consécutives à la sypJiilis
héréditaire. (Trad. par le docteur Herraet. Paris, 1881.)
(2) Parrot, Leçons sur la syphilis héréditaire. (Progrès médical, 1881.)
(3) Magitot, Traité des anomalies du système dentaire (Paris, 1877), et article Dent du Dict.
encycl.
(i) Fournier, La Syphilis héréditaire tardive. Pans, 1886-
(,5) SoixiER, De l'étal de la dentition chez les idiots, etc. (Thèse de Paris, 1887) (ouvrage déjà cité).
(6) BouRNKViLLE, De la condition de la bouche chez les idiots. (Journal des connaissances médi-
cales et chirurgicales, I8tj2 et 1863-)
A. BLOCH. — PATHOGÉNIE DES ÉROSIONS ET AUTRES ANOMALIES DENTAIRES 777
mâchoire de bœuf, dont deux incisives étaient affectées d'un sillon égale-
ment symétrique.
Puis en 1883, M. Capitan a fait voir, à la Société d'Anthropologie, un
crâne de chien, sur lequel les deux maxillaires portaient des dents mani-
festement érodées. La lésion ne différait, en rien, de celle qu'on observe
sur l'homme, et comme les animaux ne sont pas sujets à la syphilis,
leurs érosions doivent être attribuées à d'autres affections.
D'après M. Trasbot, professeur à l'École vétérinaire d'Alfort, les érosions
dentaires seraient fréquentes chez le chien, notamment sur les, incisives
et les canines, et de plus, elles reconnaîtraient, pour cause unique, la va-
riole (vulgairement maladie du chien) survenant avant l'issue des dents
d'adulte, c'est-à-dire avant le sixième mois (1).
On a même découvert les érosions, dans l'espèce humaine, sur dés
squelettes très anciens, et jusque sur des dents préhistoriques, c'est-à-dire
sur des pièces remontant à des époques où l'on suppose que la syphilis
n'existait pas encore.
L'une de ces pièces concerne le maxillaire inférieur d'un jeune sujet
de l'époque mérovingienne, qui provenait d'un ancien cimetière gallo-
romain, et que l'on peut voir au musée Broca. On y remarque, en effet,
un double sillon transversal, aux incisives, et un sillon unique aux canines,
ainsi qu'aux prémolaires. Quant aux dents préhistoriques, Broca en avait
fait l'objet d'une communication à la Société d'Anthropologie en 1876.
Il avait examiné un grand nomljre de dents isolées, provenant des sé-
pultures de l'époque néolithique (âge de la pierre polie), et sur cent deux
dents canines ou incisives, il en avait trouvé deux sur lesquelles M. Magitot
et lui avaient constaté la marque caractéristique de l'érosion (2). On voit
donc qu'il ne manque pas de preuves attestant la fréquence de l'érosion
en dehors de la syphilis héréditaire.
Ainsi M"'^ Sollier, sur une centaine d'enfants idiots ou arriérés, et por-
teurs d'érosions ou d'autres anomalies dentaires, n'a pas vu un seul cas
bien avéré de syphilis héréditaire, et cependant elle observait ces malades
à l'hospice de Bicêtre, dans un milieu où vient converger toute espèce de
dégénérescence physique, de nature héréditaire. Pourquoi la syphilis y
ferait-elle exception?
De mon côté, sur un même nombre de sujets de toutes sortes, je n'ai
vu qu'une seule fois l'hérédo-syphilis se présenter comme cause réelle
d'érosion .
C'est qu'il y a d'autres maladies héréditaires, bien plus répandues que
la syphilis, qui peuvent, aussi, amener une dégradation plus ou moins
(1) FouRNiEB, loc. cil., p. m (extrait d'une note remise par M. Trasbot).
(2) Bull. Soc. Anthropol, 1876, IH, 2' série, p. 434.
778 SCIENCES MÉDICALES
prononcée de l'organisme, et par suite, une altération déterminée du sys-
tème dentaire.
Ces affections, qu'on peut appeler les maladies héréditaires régnantes,
sont, avec leurs diverses transformations: la tuberculose, le nervosisme et
l'alcoolisme. Or, ce sont précisément ces maladies qui, d'après nos obser-
vations, engendrent le plus souvent les érosions et autres anomalies
dentaires. Ou c'était la mère qui était, soit tuberculeuse, soit névropathe,
ou c'était le père qui était alcoolique, s'il n'était pas atteint de tuberculose
ou d'une maladie du système nerveux.
Le descendant d'un tuberculeux n'est pas toujours tuberculeux lui-même;
il peut être, simplement, atteint d'érosion dentaire ou de toute autre ano-
malie organique, parce que la tuberculose ancestrale a troublé le dévelop-
pement régulier de l'organisme; il en est de même du descendant d'un
névropathe ou d'un alcoolique. C'est de Vhérédité morbide dissemblable,
et celle-ci est bien plus fréquente que l'hérédité similaire.
Nous avons remarqué, aussi, que les sujets qui étaient atteints d'érosions,
et qui appartenaient à une famiile tuberculeuse, névropathique ou alcoo-
lique, présentaient, souvent, d'autres anomalies concomitantes, telles que
des asymétries crâniennes ou faciales, des vices de conformation des
oreilles, ou d'autres difformités dans diverses régions du corps, sans
compter les malformations des maxillaires. Enfin, l'on observe, encore,
qu'ils sont souvent affectés de nervosisme.
En définitive, les sujets, porteurs d'anomalies dentaires, sont des dégé-
nérés chez lesquels la tare héréditaire a été la cause du développement
vicieux de l'organisme .
Mais il ne faudrait cependant pas s'exagérer la portée de ce mot dégé-
nérescence, en croyant que tous les dégénérés sont voués, dans un avenir
plus ou moins prochain, à une déchéance certaine.
11 y a divers degrés de dégénérescence, sous le rapport du pronostic.
En effet, la tuberculose et le nervosisme ne sont pas fatalement trans-
missibles à travers les générations, et leur action peut se borner, comme
nous venons de le dire, à produire une légère anomalie chez les descen-
dants. Rien de plus grave ne peut survenir ultérieurement, et celui qui
est issu d'une de ces familles dont nous venons de parler, peut four-
nir une heureuse carrière, et procréer des enfants parfaitement bien cons-
titués .
La nature, autant que possible, cherche à reprendre son équilibre
normal.
Je dois démontrer maintenant que les convulsions ne sont pas la cause
des érosions dentaires, comme le soutiennent Magitot et ses élèves.
Il est parfaitement vrai qu'un certain nombre de sujets, ayant des
érosions aux dents, ont pu être atteints de convulsions dans leur enfance ;
A. BLOCH. — PATHOGÉNIE DES ÉROSIONS ET AUTRES ANOMALIES DENTAIRES 779
mais comme ce sont aussi des névropathes, pour la plupart du temps,
il n'est pas étonnant qu'ils aient pu être affectés d'éclampsie. par suite de
leur prédisposition nerveuse. Mais je ne pense pas que l'effet des convul-
sions soit tel qu'il puisse entraîner une altération du système den-
taire.
Les lésions, consécutives aux convulsions infantiles, portent plutôt,
€omme on le sait, sur le système musculaire ou sur le système nerveux.
De plus, il ne faut pas oublier que certaines de ces convulsions sont sou-
vent trop courtes, et trop peu nombreuses, pour pouvoir exercer une
action fâcheuse sur l'organisme. Ainsi, celles qui peuvent se manifester
au début des fièvres éruptives, disparaissent rapidement pour faire place
à des symptômes d'une autre nature.
Pour nous, les convulsions et les érosions sont le résultat d'une seule
•et même cause qui est la tare héréditaire tuberculeuse, névropathique ou
alcoolique.
C'est la maladie ancestrale qui a troublé la calcification régulière des
■dents, comme elle peut troubler le développement régulier de tout autre
organe, même après la naissance.
''Mais en défalquant les cas précédents, on trouve qu'il y en a beaucoup
d'autres où les érosions n'ont jamais été précédées de convulsions, ainsi
•qu'il résulte du témoignage des mères que l'on doit naturellement inter-
roger à ce sujet. Tel est aussi l'avis de Sollier qui conclut en disant : que
les érosions sont plus fréquentes, sans convulsions, qu'avec convulsions.
Mais puisque l'érosion est un arrêt momentané de la dentification,
•examinons le phénomène au point de vue tératologique, en étudiant le
mode de production de l'anomalie et le moment de sa formation.
La première grosse molaire commence à se calcifier dès le sixième
mois de la vie intra-utérine, et son chapeau de dentine ou d'ivoire a déjà
deux millimètres de hauteur à la naissance (Magitot). Or, il arrive, fré-
quemment, que ces premières molaires sont atrophiées à leur extrémité
libre ; c'est donc déjà pendant la grossesse que le chapeau de dentine et
l'émail ont été troublés dans leur formation, par conséquent, à une
époque où l'on ne pouvait pas encore songer aux convulsions. Ainsi,
Parrot avait fait l'autopsie d'un enfant de vingt et un mois, et il avait
trouvé, enfermée dans son alvéole, une première molaire malade sur toute
la hauteur de la couronne qui était de six millimètres. L'influence patho-
logique avait donc agi, sans discontinuer, depuis la vingt-cinquième
semaine de la vie intra-utérine jusqu'au vingt et unième mois de la nais-
sance, c'est-à-dire pendant sept cent vingt-huit jours (1).
Ce sont même les premières grosses molaires qui sont le plus souvent
(1) Progrès médical, 1881.
780 SCIENCES MÉDICALES
atteintes d'érosions; après elles, viennent les incisives et les canines, les-
quelles, comme nous le savons déjà, ne se calcifient qu'au premier et au
troisième mois qui suivent la naissance, [-e phénomène tératologique, qui
a débuté pendant la vie intra-utérine, se continue donc après la nais-
sance, car l'on ne peut pa's soutenir que les incisives et les canines se
trouvent érodées pour une autre raison que les molaires. Avant et après
la naissance, la palhogénie de cette malformation doit être la même.
En effet, ainsi que je l'ai démontré dans mes communications anté-
rieures, les anomalies ne sont pas toutes congénitales, car il en existe un
certain nombre qui, sous l'influence de l'hérédité morbide, apparaissent
seulement après la naissance, pendant que l'organisme est encore en voie
de développement. Les convulsions étant hors de cause, c'est à un autre
genre de maladies, susceptibles de troubler le développement de l'orga-
nisme, qu'il faut rapporter la genèse des érosions et des autres anomalies
dentaires. Je pense même que, dans certains cas, les incisives, les canines,
et avec elles les prémolaires, sont atteintes d'érosions, parce que l'évo-
lution des dents a déjà subi quelque trouble pendant la vie intra-utérine,
bien que leur calcification n'ait lieu qu'après la naissance.
Les dents ainsi érodées (surtout les incisives et les canines inférieures)
sont souvent beaucoup plus petites que les dents saines et un simple coup
d'œil suffit pour s'en convaincre. On peut également remarquer que ces
mêmes dents, outre leurs érosions, n'ont pas toujours une forme normale.
Or, le bulbe dentaire, peu de temps après son apparition chez le fœtus, a
déjà la configuration de la dent future, même avant la genèse de l'ivoire
et de l'émail; et ces derniers éléments se groupent sur le bulbe, comme
sur un moule qui fixe, d'une manière invariable et définitive, la forme de
la couronne (Magitot). Si donc, les incisives, les canines et les prémo-
laires se sont mal développées après la naissance, c'est que leur follicule
correspondant était, probablement, déjà lésé dans l'origine.
Comme le fait remarquer M. Dareste, dans ses intéressantes recherches
sur la tératogénie expérimentale, les simples anomalies, comme les
monstruosités, se manifestent de très bonne heure, et elles sont toujours la
conséquence d'une modification de l'évolution embryonnaire, 'et non,
comme on l'a dit, le résultat de la lésion accidentelle d'un organe pri-
mitivement bien conformé (1).
Scî'ofide. — Nous avons souvent rencontré l'érosion et d'autres ano-
malies dentaires chez les scrofuleux, et le fait a été signalé aussi par divers
auteurs. Or, on sait que la scrofule provient souvent de la tuberculose des
ascendants, et notre théorie de l'origine tuberculeuse de l'érosion se trouve
donc confirmée par la clinique.
(1) Dareste, Recherches sur la production artificielle des monstruosilés. Paris, 1892.
A. BLOCH. — PATHOGÉ.ME DES ÉROSIONS ET AUTRES ANOMALIES DENTAIRES 781
Mais, en dehors des affections héréditaires que nous avons étudiées, n'y
a-til pas d'autres causes qui puissent occasionner les anomalies dentaires?
L'on ne peut nier que, dans un certain nombre de cas, il ne se ren-
contre aucune maladie ancestrale, bien caractérisée, qui puisse expliquer
la présence des érosions; mais quelquefois, en recherchant bien les condi-
tions morales et physiques, dans lesquelles la mère s'est trouvée pen-
dant la grossesse, on remarque que la gestation a pu être profondément
troublée, d'une façon ou d'une autre. Chez l'une, c'est une émotion vive,
comme une forte frayeur, qui a retenti sur le système dentaire du fœtus ;
chez l'autre, c'est une chute; chez une troisième, enfin, c'est une maladie
aiguë survenue pendant la grossesse. Le résultat est toujours le môme,
c'est-à-dire une perturbation dans le développement du foetus ; mais l'or-
gane qui se trouve atteint peut différer suivant les cas, comme aussi
plusieurs organes peuvent être affectés en même temps.
Une seule et même cause peut frapper d'anomalie n'importe quelle
partie du corps, molle ou dure. Il en est de même dans la production arti-
ficielle des monstruosités; quelque soit le procédé employé pour amener
des monstres, les résultats tératologiques sont indifféremment vœriés dans
leur nature (1).
Distinctions entre les érosions d'origines différentes. — Existe-t-il une
différence d'aspect entre les érosions d'origine syphilitique, tuberculeuse,
névropathique ou alcoolique?
Entre les trois dernières, il ne paraît pas y avoir de distinction notable.
Le nombre des érosions et des dents affectées est, sans doute, en rapport
avec la gravité de la maladie; mais, pour la première, il y aurait ce fait
particulier, déjà signalé, que la dent d'Hutchinson serait beaucoup plus
fréquente chez les hérédo-syphili tiques. Cela provient de ce que les dents
de ces sortes de dégénérés sont beaucoup plus friables que les autres ;
elles s'émiettent plus facilement, d'où la forme échancrée que présente la
dent en question. Il semble que la syphilis attaque les tissus dentaires
plus profondément que les autres maladies dont nous avons parlé.
La dent syphilitique présente, en outre, ce caractère essentiel, qu'elle
s'associe fréquemment avec des lésions particulières de l'œil et de l'oreille :
c'est la triade d'Hutchinson, qu'on n'observe jamais dans les érosions qui
ne sont pas d'origine syphilitique.
Il n'est pas inutile de se demander, au point de vue de la pathogénie,
pourquoi certaines maladies de l'enfance, comme les fièvres éruptives, le
rachitisme ou les diarrhées prolongées, qui exercent toujours une action
(I) Bertram C.-A. Windle, Recherches sur la téralogénie artificielle. (Sociélr philosophique de
Birmingham, 1890. — C'est sur l'œuf de poule que les expériences de Daresteet de Windle ont été laites.
Il est évident que, là, il ne peut être question d'érosions dentaires, mais ces expériences n'en sont i)as
moins applicables au sujet qui nous occupe.
78â SCIENCES MÉDICALES
fâcheuse sur la nutrition générale, ne produisent pas d'érosions dentaires.
D'abord, les fièvres éruptives n'atteignent généralement pas l'enfant,
au moment même où les premières dents permanentes commencent à se
calcifier.
Pour ce qui est du rachitisme, qui, cependant, devrait arrêter la denti-
fication comme il arrête la calcification des os, l'on n'y remarque pas
non plus d'érosions. Cette maladie peut entraîner des modifications dans
la structure générale de la dent, mais ce n'est pas l'érosion véritable
qu'elle produit. Il faut ajouter, aussi, que le rachitisme ne se montre pas,
ordinairement, dès les premiers mois de la naissance, puisqu'il est sou-
vent le résultat d'une cachexie ou d'une affection grave ultérieure.
L'érosion dentaire peut-elle être transmise directement de père en fils,
c'est-à-dire par hérédité similaire? La chose est possible, mais elle est
certainement peu ordinaire, car c'est l'hérédité morbide, dissemblable , qui
est le facteur le plus habituel de cette sorte d'anomaUe, comme de beau-
coup d'autres.
CONCLUSIONS
L'érosion dentaire provient généralement, par hérédité morbide, dis-
semblable, de la tuberculose, du nervosisme, ou de V alcoolisme, et plus rare-
ment de la syphilis des parents.
Si cette anomalie se rencontre aussi chez les scrofuleux et les idiots,
c'est que la scrofule et l'idiotie sont souvent le résultat d'une tare hérédi-
taire, névropathique ou autre.
M. Edmond CHAÏÏMIEU
à Tours.
UN CAS DE PSEUDO-PARALYSIE SYPHILITIQUE TERMINÉ PAR LA GUÉRISON
— Séance du H septembre i892 —
Bien que les observations de pseudo-paralysie syphilitique ne soient
pas très fréquentes, je ne vous aurais pas communiqué un cas que j'ai
eu l'occasion d'observer cette année, s'il n'offrait une particularité fort
remarquable.
E. CHAUMIER. — PSEUDO-PARALYSIE SYPHILITIQUE TERMINÉ PAR LA GUÉRISON 783
Parrot, qui, le premier, a décrit cette affection, croyait qu'elle était tou-
jours mortelle. Il est vrai qu'il observait aux Enfants assistés et qu'à cette
époque la mortalité était énorme dans cet établissement.
Depuis, on a cité un certain nombre d'enfants guéris.
Voici maintenant, en deux mots, l'observation dont il s'agit :
Obs. — Ou m'amène un jeune enfant manifestement syphilitique. Les fesses
présentent de larges ulcérations sur la nature desquelles on aurait peut-être
pu hésiter à se prononcer; mais, à côté de ces lésions, on en remarque d'autres
qui ne sauraient laisser le moindre doute : l'exfoliation de la face, le coryza,
et surtout des fissures verticales des lèvres, nombreuses et profondes.
Cet enfant est élevé au sein par sa mère. A part ses manifestations syphili-
tiques, il a l'air de se bien porter.
Trois ou quatre semaines auparavant, la mère remarqua que l'enfant ne
remuait plus une jambe, puis l'autre. Ces membres étaient comme paralysés.
Les genoux étaient gonflés. Puis, bientôt, les bras se prirent à leur tour, tandis
que les jambes allaient mieux.
Lorsque je vis l'enfant, une jambe avait presque recouvré complètement ses
mouvements; les autres jointures étaient en voie d'amélioration. Seul, un
bras, le dernier pris, était presque inerte. L'exploration des genoux dénota
des mouvements de latéralité des jointures ; aux coudes, les radius avaient de
semblables mouvements.
Le traitement par l'iodure de potassium et les frictions mercurielles fit dis-
paraître eu très peu de temps les larges ulcérations des fesses, les fissures pro-
fondes des lèvres, le coryza, l'exfoliation épidermique des joues.
En même temps, les mouvements des membres redevinrent normaux.
Le point sur lequel je veux insister, c'est la diminution spontanée, sans
aucun traitement, de la pseudo-paralysie. Une jointure était presque
guérie au moment où j'ai vu l'enfant; les autres étaient en voie d'amé-
lioration.
Je ne sache pas que ce fait ait déjà été noté, c'est pourquoi j'ai cru
utile de le signaler.
784 AGRONOMIE
M. Eugène PETIT
Naturaliste, à Pau.
L'EXPLOITATION DU CAOUTCHOUC DANS LES ILES FLOTTANTES DU FLEUVE
DE L'AMAZONE; SON IMPLANTATION DANS NOS COLONIES TROPICALES
— Séance du 16 septembre 1893 —
DU CAOUTCHOUC
Le caoulchouc est un produit végétal devenu indispensable à l'indus-
trie universelle; dans ces dernières années surtout, et à mesure que les
progrès de la science ont permis de découvrir ses propriétés et de les
appliquer à nos usages, l'emploi du caoutchouc a pris une grande extension.
Grâce à ses propriétés d'élasticité, d'imperméabilité, il sert d'enveloppe
protectrice et isolante aux fils télégraphiques et téléphoniques, aux grands
câbles sous-marins; on l'emploie dans la fabrication des tampons de
machines, des soupapes, des ligatures, des tissus imperméables, des chaus-
sures, des vélocipèdes ; la physique, la chimie, l'électricité, la chirurgie,
en un mot toutes les sciences, toutes les industries ont besoin du caout-
chouc.
Le caoutchouc, à létal brut, se vend très cher; il coûte de 9 â 10 francs
le kilogramme dans nos ports. Comment se fait-il que ce produit si
indispensable à l'industrie française, nous ne puissions l'acquérir qu'à un
tel prix? C'est que l'arbre du caoutchouc, qui vient si bien dans notre
colonie de la Guyane, puisque son nom scientifique est YHevea guyanemis,
c'est que cet arbre précieux, découvert par un Français, étudié par un
Français, n'est ni cultivé par nos colons, ni transporté chez nous par nos
navires du commerce.. Des compagnies anglaises et allemandes, comme
je vous le montrerai tout à l'heure, ont le monopole du commerce du
caoutchouc : ce fait seul explique comment nous le payons si cher. Les
compagnies étrangères et rivales s'enrichissent à nos dépens, et, qui pis
est, à notre barbe.
Notre expérience personnelle acquise par un long séjour à la Guyane
et dans le pays de l'embouchure de l'Amazone, pays de prédilection du
caoutchouc"; nos observations faites pendant un voyage entrepris tout
E. PETIT. — IMPLANTATION DU CAOUTCHOUC DANS NOS COLONIES TROPICALES 785
dernièrement nous font un devoir de signaler à votre patriotisme les torts
que portent h nos colonies et à la France, au point de vue commercial et
industriel, l'abandon où nous laissons la culture du caoutchouc, la rivalité
frauduleuse des compagnies étrangères, et de vous montrer ensuite quel
remède facile et sûr il convient d'apporter à la situation actuelle, en
cultivant le caoutchouc dans toutes nos colonies tropicales.
Tout d'abord, il importe de faire connaître l'arbre, la manière dont on
l'exploite, et les immenses revenus qu'en retirent les compagnies qui en
font le commerce.
Ce sont les académiciens Bouguer et La Condamine qui, les premiers,
ont fait connaître le caoutchouc au retour d'un voyage dans l'Amérique
du Sud en 1750. Les botanistes l'ont rangé dans la famille des Euphor-
biacées et le connaissent sous le nom de Siphonia elastica ou YHevea
guyanensis. Il ne faut donc pas le confondre avec le caoutchouc du genre
Ficus dont les grandes feuilles vertes et brillantes ornent nos salons et nos
vestibules; les feuilles de YHevea guyanensis sont, au contraire, ternes,
d'un vert cendré, à trois folioles articulées sur un long pédoncule grêle ;
les graines sont renfermées dans une capsule à trois compartiments
réunis renfermant trois graines qui, pour la grosseur et la couleur,
ressemblent à des œufs de perdrix.
L'Hévéa se plaît dans les pays à la fois chauds et humides ; les deux
conditions se trouvent remplies dans le versant de l'Amérique équatoriale,
c'est-à-dire dans la Guyane et le Brésil. De l'immense fleuve de l'Ama-
zone, dont les eaux sont en contact avec l'air chaud sur une large super-
ficie, s'élèvent constamment des vapeurs qui chargent le ciel de nuages;
c'est là, sur les deux rives, que, sans culture, par sa seule spontanéité
naturelle, YHevea naît, croît, se reproduit. Du sein même du fleuve
semblent surgn- d'innombrables forêts de caoutchoucs : ce sont les îles
flottantes de l'Amazone.
Les indigènes exploitent le caoutchouc comme l'on exploite le pin dans
nos Landes. Dès que l'arbre a atteint un certain âge (dix à douze ans)
et s'est suffisamment développé, ils pratiquent dans le tronc des incisions
microscopiques d'où découle un suc laiteux ; seulement les habitants,
pressés de faire des gains avantageux, renouvellent trop fréquemment ces
incisions et affaiblissent le végétal ; puis les arbres, déjà presque épuisés,
abandonnés à eux-mêmes pour qu'ils reprennent des forces, sont de
nouveau mis à contribution par les pillards qui viennent à leur tour
saigner les malheureux caoutchoucs et qui vendent ensuite à vil prix le
produit de leurs rapines. Les caoutchoucs, privés du suc nourricier,
dépérissent et meurent, et les naturels, profitant du présent sans assurer
l'avenir, ne songent même pas à faire de nouvelles plantations.
C'est à Para ou Belem, ville située à l'embouchure de l'Amazone,
50*
786 AGRONOMIE
qu'arrive tout le caoutchouc des îles et des rives, à qui il sert de débouché.
Cette ville a, peut-on dire, le monopole du caoutchouc ; des compagnies
anglaises ou allemandes y ont établi de vastes entrepôts; grâce à ce
commerce, la ville a pris un grand développement, pendant que, dans
notre colonie de la Guyane, Cayenne reste stationnaire; la ville, à la
recherche de l'or, semble morte d'inanition. Pourquoi donc Cayenne
n'a-t-elle pas de commerce? Le port n'est pas moins bon que celui de
l^ara; il n'est pas plus éloigné de l'Europe; les conditions climatériques
y sont sûrement meilleures, puisque Para n'est situé qu'à 1 degré de
latitude sud, et que Cayenne se trouve par 4°, 5 de latitude nord. La
situation de Cayenne est donc préférable, et pourtant les navires vont à
Para ; c'est que Para a le commerce du caoutchouc, c'est au caoutchouc
que Para doit sa prospérité.
Ainsi, de l'autre côté de l'Amazone, s'effectue un commerce fort actif dont
nous ne profitons pas et qui fait tort au port de Cayenne délaissé, et par suite
à toute notre colonie; mais, ce qui est encore plus humiliant pour nous,
c'est la manière dont les transactions se font à Paris ; les compagnies
étrangères, qui achètent le caoutchouc, effectuent leurs paiements beau-
coup moins en argent qu'en nature, en objets manufacturés, en con-
serves alimentaires, et surtout en alcools de qualité très inférieure, mais
portant des marques contrefaites des meilleures maisons françaises. C'est
en vain que Brésiliens, Indiens, immigrants portugais, qui ont fondé
d'importantes colonies, comme Manao, recherchent nos marques com-
merciales qu'ils ne peuvent se procurer à prix d'or ; car ces bons habi-
tants des îles n'ignorent pas que tous les produits qu'on leur vend en
échange du caoutchouc, et qui portent des marques françaises, ne sont
que de mauvaises contrefaçons . C'est donc à bon marché que les com-
pagnies anglaises et allemandes se procurent le caoutchouc à l'état
naturel ; leurs vapeurs de Liverpool et de Hambourg en font leur char-
gement, puis viennent le consigner au Havre en masse homogène et le
livrent au prix de 9 à 10 francs le kilogramme.
C'est donc à nos dépens que les compagnies étrangères font d'im-
menses bénéfices ; elles viennent nous revendre très cher un caoutchouc
que, grâce à la contrefaçon grossière de nos marques, elles achètent
très bon marché. Il est à souhaiter que ce rôle de dupes ne dure pas
plus longtemps. Pour l'intérêt de notre colonie, si avantageusement
située et pourtant immobile dans son développement ; pour notre intérêt
à nous, il faut que nous fassions nous-mêmes l'exploitation du caout-
chouc, et qu'au lieu d'être acheteurs, nous soyons, pour nous des four-
nisseurs, pour les autres nations des marchands. Dès lors, Cayenne sera
ce qu'elle peut et doit être, le premier port de la côte nord-est dans
l'Amérique méridionale. Enfin, non seulement la Guyane, mais toutes
E. PETIT. — IMPLANTATION DU CAOUTCHOUC DANS NOS COLONIES TROPia\LES 787
nos colonies des tropiques sont propres à l'implantation du caoulcliouc,
et cette implantation sera pour chacune d'elles une nouvelle source de
revenus.
* *
Nous avons essayé, dans notre région même, dans les départements
des Basses-Pyrénées et des Landes, de faire des implantations de caout-
chouc et nous avons donné à plusieurs personnes des graines de VHevea,
rapportées de notre dernier voyage ; les graines ont levé, et, avec quel-
ques soins, ces essais d'acclimatation auraient parfaitement réussi. On peut
voir un échantillon de VHevea chez M. Morin, l'habile horticulteur de
Pau. Mais les personnes à qui nous avions donné des graines de VHevea
pour faire des essais de plantation ont bien vu l'arbre du caoutchouc
venir eu pleine terre; seulement, remarquant sans doute la pâleur gri-
sâtre des feuilles de VHevea, au lieu des brillantes feuilles du Ficm
qu'elles s'attendaient à voir, et déçues dans leur espoir, elles ont aban-
donné ces arbres jeunes et frêles à leurs seules ressources ; les racines
des uns ont été entamées par les vers blancs, les feuilles par les limaces,
d'autres ont été tués par notre hiver trop froid. Il est certain que, si on
leur avait donné les soins qu'il convenait sous un climat inconnu, si on
les avait abrités dès le commencement pour les acclimater peu à peu,
les caoutchoucs, devenus plus robustes, auraient grandi et prospéré, et
nos efforts seraient, à l'heure actuelle, couronnés de succès.
Cette expérience montre néanmoins comment il serait facile d'im-
planter le caoutchouc dans nos colonies. Puisque, avec quelques soins
donnés à l'arbre dans sa première jeunesse, il pourrait croître sous notre
-ciel et s'acclimater à notre pays, combien peu d'efforts coûterait sa culture
dans nos colonies, sous des climats chauds et humides. L'arbre y vien-
drait tout naturellement ; il suffirait de ne point l'affaiblir par des sai-
gnées excessives et de laisser la nature réparer ses pertes et lui donner
une vigueur nouvelle. Ainsi, de sacrifices minimes nous tirerions très
o-rand profit. Nous pouvons affirmer que si l'administration pénitentiaire
de la Guyane avait employé seulement le quart des hommes transportés
à la plantation du caoutchouc, les revenus couvriraient actuellement les
frais que coûte au budget l'administration des pénitenciers dans nos
colonies. Les transportés libérés à l'expiration de leur peine trouveraient
dans cette exploitation de grands avantages. Enfin, nos colonies des
Antilles, qui luttent péniblement contre la concurrence étrangère pour
le sucre, le coton, cultures maintenant universelles, recevraient un bel
appoint commercial par l'implantation et l'exploitation du caoutchouc.
Nous crovons avoir suffisamment montré l'avantage énorme qu'il y
78.8 AGRONOMIE
aurait pour la France à cultiver Dous-mêmes cet arljre si précieux, au
lieu d'acheter le produit de l'exploitation à des compagnies étrangères;
nous serions heureux si M. le Sous-Secrétaire d'État aux colonies prenait
en considération ces conseils que nous suggèrent trente-cinq années d'ob-
servation passées dans nos colonies, soit dans l'armée, soit dans l'élément
civil; et si l'on faisait dans toutes nos colonies tropicales des plantations
de caoutchouc, nous aurions conscience d'avoir travaillé utilement pour
notre patrie, puisque nous venons de voir dans la culture du caoutchouc
une source de la richesse nationale.
M. Michel PEREET
ITésideiit hoiioniire du Conseil départemental d'agriculture de l'Isère, à Paris.
ROLE DE L'HUMUS DANS LA VÉGÉTATION
— Séance du 17 septembre 1892 —
Le rôle que joue l'humus dans les phénomènes de la végétation est
trop incertain pour qu'il soit possible d'émettre une appréciation défini-
tive sur les fonctions multiples qu'il remplit dans la nutrition des plantes.
Sans doute, Saussure a exagéré son importance et l'opinion trop absolue
qu'il a émise a, en grande partie, provoqué la réaction qui s'est produite
peu après lui. par laquelle plusieurs savants ont supposé, à tort, qu'une
alimentation exclusivement minérale devait suffire aux plantes.
De nos jours, la question a été envisagée avec moins de parti pris et
l'on arrive à reconnaître que les minéraux seuls ne remplissent pas toutes
les conditions d'assimilation imposées aux plantes, et que celles mêmes
qui paraissent le mieux se prêter à l'alimentation exclusivement minérale^
souffrent de la privation d'humus.
Cette question m'a de tout temps intéressé; j'ai donc suivi avec atten-
tion ces revirements d'opinion, et j'ai voulu me rendre compte, par moi-
même, de l'action de l'humus sur le blé ; dans ce but j'ai poursuivi pen^
dant dix-sept ans l'expérience suivante :
Sur une parcelle de bonne terre, traitée par de l'engrais chimique
M. PERRET. ROLE DE l'hUMUS DANS LA VÉGÉTATION "80
complet (phosphate, azote et potasse), sans matières organiques, j'ai fait
succéder des cultures de blé sur blé. Pendant les premières années,
l'humus dû au fumier répandu sur les cultures antérieures, prolongea
son action et la récolte ne fut pas sensiblement différente de la moyenne
obtenue sur l'ensemble du domaine, cultivé avec engrais chimique et
fumier. Mais ces rendements se sont peu à peu amoindris et de 30 hecto-
litres à l'hectare, sont tombés à 10 hectolitres au bout de dix ans.
Je n'hésitai pas à attribuer ce fait à la perte de l'humus, perte bien
caractérisée par l'état physique du sol, qui, de meuble et de léger, était
devenu compact et dur, comme une sorte de terre à briques et, par
conséquent, peu apte à faciliter le développement physique des racines
du blé et la pénétration des agents atmosphériques.
Cette hypothèse était facile à vérifier : il suffisait de mettre de l'humus
dans le sol, afin de savoir si la fertilité reviendrait sous son influence ;
c'est ce que je fis, en apportant une certaine quantité de matière humique
prise dans une prairie marécageuse. Le résultat fut immédiat et le rende-
ment s'est accru dannéc en année, jusqu'à égaler le rendement primitif
de 30 hectolitres à l'hectare sous la double influence de l'engrais chimique
et de fumier chargé de débris végétaux de toutes espèces.
Cette expérience prouve donc que l'humus agit sur l'état physique
du sol. Mais il a d'autres fonctions encore, et j'ai depuis longtemps appelé
l'attention sur l'une d'elles, car j'y attache une grande importance :
l'humus, par sa facilité à absorber les liquides, comme le ferait une
éponge, sert de réservoir à l'aliment chimique soluble, et ne le cède aux
racines des plantes, qu'à mesure de sa propre destruction dans le sol;
il remplit donc la fonction d'un régulateur de l'alimentation, analogue
au fumier, dont les eff"ets sont excellents parce qu'ils sont mesurés au
besoin des plantes.
Les plantes absorbent nécessairement tous les liquides qui leur sont
présentés; mais ehes n'utilisent que la quantité d'aliments qu'elles
peuvent assimiler, en sorte que tout ce qui n'est point assimilé est
perdu. Il y a donc une grande importance à régler la marche d'absorp-
tion et, pour éviter ce que j'appelle un gaspillage, il faut, en un mot,
proportionner la vitesse de so'.ubilimlion des aliments à la vitesse d'assimi-
lation des plantes.
790 AGRONOMIE
M. Pierre LESA&E
Doct. es se, Prép. à la Faculté des Sciences de Rennes.
LE CHLORURE OE SODIUM ET LE CHLORURE DE POTASSIUM
DANS LE RADIS ET LA CRESSONNETTE
— Séance du 17 septembre 1892 —
L'an dernier, au Congrès de Marseille, j'ai présenté les principaux résul-
tats de cultures faites avec des radis soumis à des arrosages salés. J'avais
surtout en vue d'étudier les différences morphologiques et anatomiques
déterminées par le sel marin. A la Section d'Agronomie, des questions
m'ont été posées sur le mode d'action de ce sel (1). N'agit-il pas tout
simplement en favorisant la diffusion de la potasse et, si les radis ont
souffert, n'est-ce pas d'une trop grande absorption de chlorure de potas-
sium, comme M. Dehérain a pu le constater dans des expériences faites
par lui-même sur des haricots ?
Les moyens trop réduits dont je dispose ne m'avaient pas permis de
répondre à ces questions, que je m'étais posées sous une autre forme
depuis un certain temps déjà. Grâce à l'obligeance de M. Lechartier,
professeur de chimie à la Faculté des Sciences de Rennes, j'ai pu acqué-
rir des renseignements précis sur le sujet.
J'ai montré, dans une note à l'Académie des sciences (2), que les élé-
ments du chlorure de sodium pénètrent dans les tiges du Lepidium sativum
et dans les tubercules du radis en quantité beaucoup plus grande quand
ces plantes ont été arrosées avec des solutions de sel marin que quand
elles n'ont reçu que de l'eau de Vilaine. Le sodium et le potassium ont
été dosés au laboratoire de chimie de la Faculté par la méthode de
Deville et, par exemple, pour 30 grammes de radis frais épuisés par l'eau,
voici les quantités de K et de Na données en poids des chlorures corres-
pondants :
Arrosage à l'eau de Vilaine, IGI-^'^'^SIS de KCl et 45'»™s,7 de NaCl ;
(1) p. Lesage, Aclion du sel marin sur les plantes {Association française pour l'avancement des
sciences, Compte rendu de la XX'^ session, v partie, p. 341, 1891).
(2) P. Lesage, Le Chlorure de sodium dans les plantes (Comptes rendus de l'Ac. des Se,
18 janvier 1892).
p. LESAGi:. — LE CHLORURE DE SODIUM ET LE CHLORURK DE POTASSIUM 791
Arrosage contenant l,o 0/0 de NaCl, (30 milligrammes de KCl et
161"""g,4 deNaCl.
Celte année, j'ai repris la culture en pots du radis en le soumettant à
des arrosages au KCl et au NaCl dans des proportions variées, mais com-
parables. Je n'ai point l'intention de rendre compte de cette culture,
les matériaux ne sont pas encore tous à point, j'en détache seulement
un fait qui donnera plus de poids encore à la conclusion que je veux
tirer des renseignements qui précèdent.
Pour en arriver là, reportons-nous à quelques données fournies par
MM. Contejean et Councler sur la répartition de la soude et de la potasse
dans une même plante.
M. Contejean (1) dit « que presque toujours la soude reste accumulée
dans la partie souterraine du végétal et diminue d'abondance au fur et à
mesure qu'on s'élève dans la partie aérienne, de façon que la fleur, et
même les bractées, les rameaux et le haut de la tige n'en donnent
aucun indice, tandis qu'on en trouve dans le bas de la tige et les feuilles
inférieures et plus encore dans la racine. Les halophytes elles-mêmes
n'échappent point à cette loi, et plusieurs ne renferment pas de soude
dans la fleur ».
C. Councler (2), ayant analysé séparément diverses parties de VAsfej'
Tripofium, trouve que la soude est le plus abondante dans la racine,
baisse un peu dans la tige, diminue considérablement dans les feuilles
radicales et caulinaires, mais cependant est encore supérieure à la potasse,
tandis que celle-ci et l'acide phosphorique sont emmagasinés dans les
fleurs. Pendant que la soude décroît de bas en haut, la potasse aug-
mente dans la même direction.
Ces données m'ont porté à compléter mes dosages en recherchant le
sodium dans les fruits du radis, certain que si je l'y trouvais, je pourrais
affirmer son absorption par la plante et dans des proportions notables.
J'ai donc pris 10 grammes de fruits frais déjà très développés, je les
ai épuisés pendant deux heures dans de l'eau bouillante renouvelée et
j'ai étendu à 200 centimètres cubes.
Après avoir mélangé et liitré, avec le nitrate d'argent, j'ai dosé les
chlorures sur une portion du filtrat; enfin, j'ai prélevé 3 centimètres
cubes de ce dernier pour les traiter par un excès de chlorure de platine
et mettre à évaporer. Considérons, par exemple, les fruits provenant de
radis arrosés avec une solution à 0,5 0/0 de NaCl (n" 1), une solution à
0,5 0/0 de KCl (n" 2) et de l'eau de Vilaine (n° 3).
(1) Contejean, La Soude dans les plantes Comptes rendus de l'Ac. des Se, 1878, t. LXXXVl,
p.Hol).
(2) C. Coi'NCLER, Aschenanalysen der einzelneii Telle von Aster Tripolium (Bot. Ccnlralbl., \ml
VII, p. 245-49).
792 AGRONOMIE
J'ai constaté la présence d'une plus grande quantité de chlorures dans
les fruits arrosés aux solutions salines que dans ceux qui n'avaient reçu
que de l'eau de Vilaine. Mais le point intéressant concerne le sodium et
le potassium. J'avais mis les liqueurs à évaporer dans des verres de
montre placés à côté les uns des autres. Après dessiccation complète, j'ai
pu voir à l'œil nu des baguettes fines nombreuses de chloroplatinate de
sodium dans le verre n° 1 , tandis que rien de pareil ne se trouvait dans
les autres. Il y avait des cristaux de chloroplatinate de potassium dans
les trois cas ; mais ils étaient très nombreux dans le verre n° 2, nom-
breux dans le n° 3 et en plus faible quantité encore dans le n" 1. J'insiste
sur la comparaison du n° 3 avec le n" 1. Si réellement le NaCl avait
pour effet de déterminer la formation dans le sol de KCl absorbable,
dans le verre n° 1, il pourrait y avoir des traces de chloroplatinate de
sodium, à la rigueur, mais le chloroplatinate de K devrait s'y trouver en
plus grande abondance que dans le n" 3. Ce n'est pas le cas et, de
plus, il n'y a pas des traces de chloroplatinate de Na dans le verre n° 1 ,
mais une quantité très comparable à celle du chloroplatinate de K.
En résumé, dans les cas particuliers considérés et d'autres qu'il n'est
pas nécessaire d'énumérer en ce moment, les éléments' du sel marin
pénètrent en assez grande abondance dans le radis et la cressonnette ;
le sodium se retrouve en quantité appréciable môme dans les fruits, au
moins dans ceux du radis. Il me paraît rationnel de dire, après cela, que
le sel marin agit directement sur ces plantes pour y déterminer les modi-
fications que j ai signalées.
M. André DE LLÂÏÏRADO
Ingénieur eu chef du District forestier de Madrid.
SUR LA CULTURE DES DUNES EN ANDALOUSIE
— Séance du 20 septembre /69i
De l'embouchure du Guadalquivir à Rota, en touchant les villes de
Bonanza, San Lucar et Chipiona, s'étend, le long de la côte, une bande
de terre d'une largeur moyenne de 2.500 mètres, formée en grande
partie de sables mouvants extrêmement fins, qui sont entraînés par le
\
A. DE LLAURADO. — SUR LA CULTURE DES DUNES EN ANDALOUSIE 793
mointlre souffle de vent et qui forment une chaîne de dunes désignées
dans le pays sous le nom d'Algaidas ou Meganos.
Ces sables, interrompus sur quelques points par les argiles bleuâtres et
le calcaire fossilifère, doivent, pour la plupart, leur origine à des dépôts
post-pliocènes, charriés par le Guadalfiuivir. Le plus grand développe-
ment de cette région correspond à la zone de trois kilomètres comprise
entre le fort de l'Espiritu Santo et le port de Bonanza. C'est dans cet
espace que s'est formée autrefois une ligne de dunes qui, poussées par les
vents violents de l'ouest, menaçaient d'ensevelir une partie de la ville et
avaient déjà envahi une de ses rues. On ne voyait aucun moyen d'arrêter
ce fléau, et toutes les mesures de protection s'étaient montrées insufïï-
santes, lorsque le hasard fournit un moyen simple de fixer les sables
mouvants d'une manière permanente et, en même temps, de convertir
ces terrains stériles en fertiles huertas, qu'on désigne dans le pays sous
le nom de navazos. Voici comment s'est opérée cette singulière et rapide
transformation :
En 1742, la misère, produite par une longue et extrême sécheresse,
inspira à quelques paysans l'idée de mettre en culture les dunes du bord
de la mer. Pour y parvenir, on commença par creuser des fossés dans les
monticules de sable, et les surfaces choisies furent déblayées jusqu'à
oO centimètres au-dessus de la nappe d'eau souterraine. Le déblai,
retroussé autour de la fouille, forma un rempart autour de la surface
à exploiter. Au fond de l'excavation et tout autour du sol à cultiver, on
creusa un fossé d'assainissement jusqu'au niveau des eaux souterraines,
et, lorsque la surface était assez grande, on y joignit quelques fossés
transversaux ; ces mesures étaient destinées à assurer l'écoulement des
eaux de pluie et de l'excès des eaux d'infiltration remontant par capillarité
dans le sol. L'évacuation de ces eaux excédantes se fait dans un puisard
maçonné qui, par l'intermédiaire de tuyaux en terre cuite, se déchargent
directement dans la mer. Ces tuyaux sont parfois posés, sous le cordon
de dunes, à sept mètres de profondeur. Souvent, on laisse à ciel ouvert
les fossés d'assainissement; d'autres fois, on les remplit de pierres cassées
à arêtes vives. Une fois la caisse du navazo ouverte, le premier soin à
prendre est de fixer les sables à l'entour, pour éviter le comblement de
l'encaissement et des fossés qui l'assainissent. Pour cela, on plante sur
la face extérieure du rempart des vignes et des arbres fruitiers, et sur
la face interne, par bandes horizontales, des aloès et des roseaux. Après
qu'on a achevé ces travaux de défense, on procède à la culture du fond
du navazo, en variant les opérations suivant les conditions particulières
où l'on se trouve. Les navazos sont répartis en trois catégories distinctes.
La première comprend ceux qui subissent rinfluencc du flux et du reflux
de l'Océan ; on les désigne sous le nom de navazos à marée. La seconde
794 AGRONOMIE
catégorie comprend les navazos qui, sans être influencés par l'action de
la marée, ont cependant un écoulement naturel de leurs eaux d'assainis-
sement vers la mer. La troisième catégorie comprend les navazos qui ne
remplissent aucune de ces conditions.
Les navazos de marée sont les plus estimés. La mer, en s'élevant
deux fois par jour, repousse à chaque fois la nappe souterraine, qui
fournit aux racines des plantes l'humidité nécessaire, et cette circonstance
est surtout favorable à l'époque des grandes chaleurs ; elle permet de
récolter des produits qui, dans le voisinage, ne peuvent être obtenus
pendant l'été.
Pour les navazos de seconde catégorie, le niveau des eaux souterraines
éprouve seulement des variations accidentelles suivant les saisons. On
règle la profondeur de la surface cultivée d'après ce niveau. On n'admet
dans les fossés d'assainissement des navazos de première et de seconde
catégorie que 20 centimètres de profondeur d'eau ; le surplus est écoulé
au dehors, à la volonté du cultivateur.
Les navazos de troisième catégorie n'ont aucun moyen d'écoulement
naturel. Aussi restent-ils généralement inondés après l'hiver, et la culture
ne peut y être introduite avant que les eaux n'y aient été entièrement
enlevées par l'évaporation.
Les labours commencent en avril ou en mai, suivant la marche de la
saison. On donne d'abord à la terre un labour profond, avec une fumure
copieuse d'environ 20 kilogrammes de fumier de ferme par mètre carré.
Le labour doit atteindre aux deux tiers de la profondeur du sol et doit
ramener à la surface les couches humides de l'intérieur. Le terrain étant
ainsi préparé, on procède à l'ensemencement ou à la plantation des
plantes potagères d'après la saison. On fait subir au terrain un nouveau
labour, sans nouvelle fumure, sauf lorsqu'on plante des pastèques, des
melons, des citrouilles, ce qui exige alors une nouvelle dose d'engrais.
Il est assez ordinaire d'obtenir des navazos deux récoltes, une d'été ou
d'automne, une d'hiver ou de printemps, et l'on s'arrange pour que
chacune de ces cultures donne trois espèces de produits à débit échelonné.
On plante pour cela trois espèces dont l'activité de végétation soit diverse
et graduelle, de telle sorte que, quand l'une atteint sa maturité, la sui-
vante ait déjà acquis un développement sufTisamment grand. Les plantes
choisies de préférence sont le maïs, les pommes de terre, la laitue,
les petits pois, les oignons, les choux, les citrouilles, melons et pas-
tèques, etc.
La végétation dans les navazos est d'une activité surprenante. La
fraîcheur du terrain permet d'y récolter, même en été, des pois qui, sous
ce climat, ne réussissent généralement pas au delà du printemps. L'en-
grais, la chaleur et l'abri y font prospérer les tomates. Tous les produits
HOUDAILLE ET SEMICHON. — PERMÉABILITÉ ET DIVISION DES SOLS 795
s'y font remarquer par leur iqualité et leur beau développement. Le maïs y
acquiert une hauteur de 3 mètres et demi entre la racine et le sommet
de la fleur. On y a récolté des choux pesant H kilogrammes et demi, des
pastèques de 20 kilogrammes, des citrouilles de 45 kilogrammes. Une
surface de 2S ares de navazo, cultivée comme il vient d'être dit, fait
vivre une famille et donne de l'occupation continue à deux ouvriers.
Les paysans de Chipiona et de Rota, stimulés par l'exemple de leurs
voisins de San Lucar et voulant obtenir les mêmes bénéfices, ont entre-
pris la culture des navazos avec un succès égal. La production des na-
vazos suffit, non seulement aux besoins des villes voisines, mais à un
trafic considérable, qui se fait par le Guadalquivir et par la mer, pour
Séville et pour tous les ports de la baie de Cadix.
Mais à mesure que la culture des navazos faisait des progrès, les habi-
tants de San Lucar remarquèrent que le voyage des sables avait cessé
et que le fléau de l'ensevelissement n'était plus à craindre. Le problème
était résolu, et l'entreprise prit de jour en jour des proportions de plus en
plus considérables. La municipalité de San Lucar et quelques proprié-
taires se préoccupant des intérêts du pays, imitèrent l'exemple des pre-
miers Navaceros (on appelle ainsi les cultivateurs de navazos) et complé-
tèrent l'œuvre de ceux-ci par d'autres moyens. Les vastes terrains de sal)le
compris sur la rive droite du Guadalquivir, de Bonanza à Trebugéna,
ont été plantés en pins pignons, lentisques, alaternes et autres essences, et
cette région, autrefois stérile et qui constituait un vrai danger pour le
pays, est aujourd'hui transformée d'une manière absolue et définitive.
MM. HOUDAILLE et SEMICHOI
Professeur de Physique et de (iéologie Ri-pétiteur de Physique et de Géologie
à l'École d";igriculture de Mont[)i'llier.
RECHERCHES SUR LA PERMÉABILITÉ ET L'ÉTAT DE DIVISION DES SOLS
— Séance du H septembre 189S —
L'un des buts poursuivis par les diverses méthodes d'analyse physique
des terres arables est de déterminer la proportion de parties grossières
(sables gros) et de parties fines (sables fins, argile et humus) qui rentrent
796
AGRONOMIE
dans leur constilution. On en déduit une indication approchée du degré
de perméabilité qu'elles peuvent présenter à l'eau et à l'air atmosphérique
dont la circulation intéresse directement la fertilité des sols.
DETERMINATION DE LA l'ERMEADILITK
La structure d'un sol peut être assimilée, au point de vue de la circu-
la,tion des fluides, à une masse homogène dont la densité correspondrait
à la densité moyenne de ses éléments constitutifs et qui serait criblée
-d'orifices capillaires dont la section moyenne serait celle des interstices
moyens qui existent, pour un état déterminé de compression, entre les
particules constitutives du sol.
Pour un môme sol et pour un même état de compression, le diamètre
moyen des canaux capillaires doit être constant et le volume d'air
débité sous une pression h au travers d'une section s du sol sous une
épaisseur e, définit sa perméabilité. La méthode expérimentale que nous
proposons définit par suite la perméabilité par le nombre de centimètres
cubes d'air débités par minute sous une pression de 20 centimètres d'eau,
soit de /4'"",7 de mercure au travers de 2 grammes de terre sèche com-
primée sous une pression de IQO kilogrammes^ sous une section de 4 centi-
mètre carré.
Appareil de mesure. — L'appareil de mesure comprend un cylindre
en bronze foré intérieurement d'un canal d'un diamètre de
11°"", 3 correspondant à une section de 1 centimètre carré
(fig. 1). Le fond du cylindre est percé d'un orifice de 2 mil-
limètres; il reçoit intérieurement un piston en bronze de
1 1 millimètres foré intérieurement d'un orifice de 4 milli-
mètres qui se réduit à 2 millimètres à sa partie inférieure.
Les 2 grammes de terre à essayer sont introduits sous le
piston dans le cylindre et séparés des orifices inférieur et
supérieur par deux rondelles de toile métallique de laiton
à mailles assez fines, afin que l'air amené sous pression
à l'orifice supérieur se répartisse sur toute la section du
> cylindre de terre comprimée. Un petit disque obturateur
en acier avec intercalation d'une rondelle de cuir ferme le
Fig. 1.
sommet du piston et reçoit l'extrémité d'une vis de pression
faisant partie d'un levier de 50 centimètres et fixée à 10 cen-
timètres du point d'oscillation. L'extrémité du levier reçoit
un poids de 20 kilogrammes; la pression exercée sur la tête du piston
est de 100 kilogrammes (fig. 2).
Un réservoir d'air comprimé consistant en une cloche de verre immergée
dans un bocal sous une colonne d'eau de 20 centimètres communique
HOUDAILLE ET SEMICIION. — PERMÉABILITÉ ET DIVISION DES SOLS 797
par un tube de caoutchouc avec le canal intérieur du piston de com-
pression. L'air, chassé sous pression constante, traverse le sol, s'échappe
par l'orifice inférieur et se rend par un tube de dégagement sous une
éprouvette graduée remplie d'eau servant à le mesurer. Pour éviter les
fuites entre le piston et le cylindre, celui-ci est fileté à sa partie supérieure
et reçoit un écrou qui comprime sur le cylindre une rondelle de cuir.
La partie supérieure de cet écrou est elle-même filetée et reçoit un
deuxième écrou qui applique et coince contre la tige du piston un
anneau de cuir. Les deux écrous étant fortement serrés à l'aide d'une
clef, on obtient un joint parfaitement étanche. On peut, du reste, remar-
quer qu'une légère fuite ne saurait fausser la mesure pourvu que l'air
conserve à ce niveau la pression de 20 centimètres d'eau qu'il possède
dans la cloche.
FiG. 2. — Appareil pour la mesure de la permc5abilité des sols.
Manuel opératoire. — La terre étant séchée à l'étuve à HO degrés est
broyée avec précaution, puis passée au tamis de 1 millimètre. On en
prend 2 grammes que l'on dépose au fond du cylindre sur une double
rondelle en toile métallique. On les tasse légèrement à la main à l'aide
d'un bourroir en laiton de même diamètre que le piston; on dépose
au-dessus deux rondelles, de toile métallique, puis on introduit le piston de
compression. Après avoir engagé légèrement les écrous de serrage, on
abaisse le levier et l'on suspend le poids de 20 kilogrammes. Après
quelques minutes on serre définitivement les joints à l'aide d'une clef.
A ce moment, on vérifie la pression de l'air dans la cloche et, prenant en
main un chronomètre à pointage, on laisse écouler 10 à 20 centimètres
cubes d'air en notant la durée de l'écoulement. On obtient ainsi le débit
par minute qui définit la perméabilité.
RÉSULTAT DES EXPÉRIENCES
Influence de la compression du sol. — La pression du sol modifie consi-
dérablement la perméabilité ainsi que le montrent les chiffres du tableau
suivant donnés par une terre argilo-calcaire de médiocre perméabiUté.
798
AGRONOMIE
RMÉABILITÉ
PRESSION
ipar centimèlre carré)
PERMÉABILITÉ
54cc^2
100'^ g
'1^^,83
j7cc^4
125kg
2^%11
7«,33
150kg
1<=S57
4",3S
PRESSION
centimètre
IQkg
25kg
50kg
75kg
On remarquera que la perméabilité décroît rapidement pour les faibles
pressions, puis plus lentement pour les pressions élevées. Cela paraît
signifier que le diamètre des canaux capillaires tend à devenir invariable
pour une pression suffisante. Les particules du sol se rapprochent le
plus possible en prenant une position finale d'équilibre qui réduise à un
minimum la capacité des espaces intraparticulaires. Ce minimum se rédui-
rait à zéro dans le seul cas où les particules du sol pourraient se briser
sous une pression suffisante ou bien seraient élastiques et déformables.
A la pression de 100 kilogrammes par centimètre carré, on obtient
des conditions de compression assez favorables qui réalisent, pour un assez
grand nombre de sols, un état plus ou moins voisin du tassement
maximum. Ce résultat est d'autant mieux atteint que les particules sont
plus grossières. Avec les sols argileux, la limite de compression corres-
pondant au tassement maximum est certainement de beaucoup supérieure
à 100 kilogrammes. Quelle que soit, du reste, la valeur de cette pression
limite, la mesure du débit sous pression de 100 kilogrammes donne des
indications de perméabilité parfaitement comparables pour les divers sols
soumis à l'expérience. A cette pression, l'écrasement des fragments de
particules agrégées obtenus par le tamisage est assez bien réalisé pour
que la terre comprimée extraite du cylindre ne forme qu'un bloc et pré-
sente l'aspect d'une pâte très homogène.
Valeurs de la perméabilité. — Les valeurs obtenues pour la perméabi-
lité des divers sols mis en expérience présentent des différences considé-
rables qui témoignent de la sensibilité de la méthode. Voici l'indication de
quelques-uns de nos résultats.
NATURE DES TERRES
PERMEABILITE
Sable des dunes de Palavas
Sable des dunes d'Agde
Sable tertiaire de Montpellier
Terre dérivant d'un tuffa basaltique
Terre n" 30 (Marne sableuse)
Terre à vigne (formation du diluvium alpin). .
Terre à vigne (succès du sulfure de carbone). .
Terre à vigne (formation du Lœss)
Terre à vigne (insuccès du sulfure de carbone).
Plâtre fin ordinaire
Terre n" 7 franche d'alluvion de l'Orb
Terre d'alluvion (embouchure de l'Hérault) . .
Terre argilo-marneuse (marnes bleues tertiaii'es)
600"
550"
412"
66"
37"
25"
15"
Hcc
G"
0
G
0'
»
»
4
9
3
1
3
91
53
53
39
19
HOUDAILLE ET SEMICHON. — l'ERMÉABILITÉ ET DIVISION DES SOLS 799
La comparaison de ces résultats avec ceux donnés par l'analyse i)hy-
sique révèle une certaine indépendance entre la perméabilité et la pro-
portion des éléments fins et grossiers. La terre n°30est en effet composée
(analyse physique, méthode Schlœsing, communiquée par M. Lagatu) de
3o6 parties sable grossier et 624 parties éléments fins ; elle devrait être
moins perméable que la terre n" 7 où l'analyse indique 437 parties sable
grossier et o4o parties éléments fins. Or, la mesure de la perméabilité donne :
Terre n^ 30 37", »
Terre ii° 7 O-'sS
Cette discordance apparente provient surtout de ce que les dimensions
moyennes du sable grossier et des éléments fins ne sont pas indiquées
par l'analyse physique et sont probablement différentes pour les lots
homologues de chacune des terres soumises à la comparaison.
EVALUATION DE L'ÉTAT DE DIVISION D UN SOL
L'état de division d'un sol peut se définir par divers procédés. On peut
«e proposer en etTet, pour le déterminer, ou bien d'évaluer le diamètre
moyen des particules constituantes, ou bien le nombre des particules
comprises dans un poids ou dans un volume donné, ou bien la surface
totale extérieure de ces mêmes particules.
Les deux premières indications peuvent être recherchées par l'emploi
du microscope ou par un comptage direct ; la troisième estimation peut
■être obtenue en s'adressant à des phénomènes qui sont liés aux actions
de surface . Parmi ces phénomènes on peut citer l'adhérence superficielle
des gaz aux solides, la vitesse d'écoulement des fluides dans les canaux
capillaires qui est liée à la quatrième puissance de leur diamètre, d'après
la loi de Poiseuille. C'est à ce dernier phénomène que nous nous
sommes adressés.
Application de la loi de Poiseuille. — Le volume d'air v exprimé en
millimètres cubes qui s'écoule au travers d'un tube capillaire de longueur/
■et de diamètre (/, sous une pression de h millimètres de mercure, est :
, hd'
V z= li
l
l eld étant exprimés en millimètres.
k est un coefficient de débit qui dépend de la valeur du frottement
«prouvé par l'air sur lui-même ou contre les parois du tube. IVous
avons déterminé A- pour un tube en verre de 1 mètre de long et de i milli-
800
AGRONOMIE
mètre de diamètre. A la température de 25 degrés où ont été faites nos
expériences, k — 551.000.
En appliquant ces données au débit des n canaux capillaires de dia-
mètre d constitués par les interstices du sol, nous obtenons une première
équation:
r = /.■ — (1)
longueur du cylindre constitué par les deux grammes de terre
comprimés sous la pression de 100 kilogrammes.
V = débit en millimètres cubes par seconde, se déduit
de la mesure de la perméabilité.
/i = 14""", 7. Les inconnues sont n et d.
D'autre part, on peut déterminer par expérience la sec-
tion moyenne des canaux capillaires en mesurant la valeur
totale des interstices du sol et la divisant par la hauteur du
cylindre de terre comprimée. Cette mesure a été obtenue en,
saturant, sous pression de 100 kilogrammes, deux grammes
de terre introduits dans un cylindre de bronze, dont le fond
est fermé par plusieurs rondelles de papier buvard et im-
mergé, pendant dix à douze heures dans un godet en laiton
rempli d'eau (fiQ. S). Pendant la durée de cette imbibition,
la terre sèche comprimée s'affaisse lentement, le glissement
des particules devenant plus facile. On doit par suite ajouter
au volume d'imbibition le volume de cet affaissement pour obtenir le
volume total des interstices qui existent dans la terre sèche comprimée
sous 100 kilogrammes.
On obtient par cette détermination une deuxième équation :
FiG. 3.
7}izd''
(2>
En combinant l'équation (1) avec l'équation (2) on obtient:
16Ms^
n
TZ'
'■Iv
et d =
/4£ _ / T.vl
La connaissance de n et de d permet de calculer la surface latérale
des canaux capillaires, s = n%dL Cette surface, dans le cas de molécules
sphériques ne se touchant que par des surfaces de contact sans dimen-
sions appréciables, se confond avec la surface totale extérieure des éléments
parliculaires du sol.
HOUDAILLE ET SEMICHON. — PEUMÉABILITÉ ET DIVISION DES SOLS 801
]\ous avons trouvé, par cette méthode de calcul, les résultats suivants:
NATURE DES TERRES
n
(par cciil. carré)
(pour 2 giammes)
106.000
936cq
1.526.370
3.198cq
530.333.000
6't.528cq
Sable des dunes de Palavas. . . 0°"°',0201
Terre alluvion sableuse de TOrb. 0""'',0051
Terre argilo-uiarneuse 0"'"',00031
Mais il faut remarquer que nous avons fait jusqu'ici plusieurs hypo-
thèses qui ne sont que partiellement vériliées par l'expérience. La pre-
mière consiste à assimiler la résistance à l'écoulement des espaces intra-
particulaires à celle de n canaux rectilignes présentant leur dimension
moyenne. La seconde est d'admettre que le coefficient de dépense de l'air
écoulé au travers des canaux capillaires irréguliers du sol est le même
que celui observé dans le tube de verre rectiligne qui a servi à la déter-
mination de A:.
Or, la résistance éprouvée par l'air dans un tube présentant des étran-
glements successifs est, on le sait, notablement supérieure à celle éprouvée
par l'air dans un tube uni présentant un diamètre constant égal au
•diamètre moyen du tube précédent. La valeur assignée à k est donc
trop grande et les surfaces des particules calculées par les formules précé-
dentes sont donc plus grandes qu'en réalité. Il y a lieu d'opérer une
correction et de déterminer, si possible, la valeur de k pour des subs-
tances présentant des canaux capillaires de structure analogue aux
interstices des sols.
Contrôle et correction des résultats précédents. — Pour opérer cette
correction, nous nous sommes adressés à des substances dont les sur-
faces particulaires pouvaient être directement déterminées. Nos essais
ont porté sur du plomb de chasse n° 12 et sur un sable à grains réguliers.
Pour le plomb n° 12 la perméabilité a été mesurée sur une colonne d'un
mètre de longueur contenue dans un tube de 12 millimètres de diamètre. Le
poids total du plomb employé était de 792s'',9ÛO. En divisant ce nombre
par le poids d'un grain de plomb (Os%022) on obtenait le nombre des
grains de plomb contenus dans une colonne d'un mètre. On en déduisait
le nombre des grains par centimètre cube et la valeur de leurs surfaces
•extérieures dans le même volume qui s'élevait à 23'^'J,89.
D'autre part, les mesures de la perméabilité et de la section moyenne
des canaux capillaires dans la masse conduisent à la valeur : s =: 09'^%9.
Le rapport des valeurs données par le calcul et par la mesure directe
<est dans ce cas :
69'"'' 91
ol
*
gQ2 AGUONOMIE
Pour le sable trié à l'aide de deux tamis de diamètres de mailles voisins
nous avons compté le nombre de grains pour 10 milligrammes. La
connaissance de leur densité moyenne (2,65) permettait de calculer leur
volume et, par suite, leur surface en leur attribuant une forme géomé-
trique déterminée.
La surface totale extérieure des grains contenus dans 1 centimètre cube
a été trouvée égale à :
En les supposant sphériques. . . 175 centimètres carrés.
— cubiques. ... 213 —
— tétraédriques. . 2(jo —
La détermination de cette même surface par la mesure de la perméa-
bilité et de la capacité intérieure du sable a donné s = 665"' pour
1 centimètre cube.
Le rapport des valeurs données par le calcul et par la mesure
directe est :
, . • 665
Dans le cas des grams sphenques .... jn^ = o,m
cubiques 213 "^ ^'^^
1 ■ 665 ^ „„
tétraédriques . . . ^777; = ^,02
On peut remarquer que la constitution et le mode d'agrégation des
particules des sols est plus voisine de celle des grains de sable que de
celle des grains de plomb et que la forme la plus généralement réalisée
par les particules de sable est voisine de la forme cubique. Nous admet-
trons donc, comme rapport le plus probable de la surface des particules
déterminée par le calcul ou par une mesure directe, le chiffre 3,12, assez
voisin du reste de celui 2,92 obtenu pour le plomb.
Si nous appliquons cette correction aux résultats rapportés plus haut,
nous obtiendrons les valeurs suivantes pour les surfaces extérieures libres
des particules des sols précédemment étudiés.
NATURli DES TERRES subface totale des éléments
_ (pour 1 centim. cube)
Sable des dunes de Palavas 213 centimètres carrés
Terre alhivion sableuse de TOi'b 784 —
Terre argilo-marneuse 16.540 —
^ous ne prétendons pas que les valeurs ainsi obtenues représentent
exactement la surface libre des éléments particulaires des sols, mais
V. SALLENAVE. — l'lNFLUENCE DES SULFATES SUR LA FERTILITÉ DU SOL 803
nous pensons qu'elles donnent une idée approchée de l'ordre de grandeur
des surfaces d'échange sur lesquelles opèrent les liquides et les gaz qui
circulent dans le sol. Ps'ous nous proposons de faire l'application de notre
méthode à la détermination du degré de division des phosphates triturés
par l'industrie, ainsi qu'à la mesure des phénomènes qui dépendent
de la perméabilité, tels que ceux de la circulation des eaux et de la
diffusion des vapeurs (sulfure de carbone) dans les interstices capillaires
du sol.
M. Yictor SALLEÎÎAYE
chimiste expert, à Pau.
L'INFLUENCE DES SULFATES, SUPERPHOSPHATES, CHLORURES
SUR LA FERTILITÉ DU SOL
— Séance du 21 septembre 1892 —
Nous empruntons à certains agronomes l'idée de la stérilisation du
sol par les engrais chimiques, substitués aux vieilles fumures, marnages,
chaulages, même l'écobuage.
La question est de savoir si une terre présentant une bonne consti-
tution suffisamment humide, drainée et irriguée, placée sous un climat
favorable, peut être impropre à la culture, si elle renferme des matières
solubles capables de nuire h la végétation.
L'emploi généralisé des produits chimiques dans la culture des céréales,
et fourragères, tels que les sulfates, nitrates, chlorures, dont les bases sont
le fer, la chaux, la potasse et la soude, a appelé dans plusieurs cas notre
attention sur la quantité notable d'acidité libre qu'ils contiennent, et qui,
sous l'influence physique et chimique du sol, réagissent nécessairement
les uns au détriment des autres, pour former des doubles sels, en mettant
tout leur acide en liberté. Cet acide, devenu libre, s'accumule dans les
terrains imperméables, d'une mince couche arable et privés de calcaire,
ou d'éléments capables de le saturer; brûle et détruit les matières orga-
niques, s'infiltre dans les terrains perméables, entraînant avec lui les sels
formés, qui concourent au besoin de la végétation.
Les eaux de source sont quelquefois saturées d'éléments chimiques,
souvent très acides, ce qui leur donne un caractère de minéralisation qui
peut devenir quelquefois pernicieux dans la consommation économique.
804 AGRONOMIE
Si les sels chimiques agricoles, ou leur acidité, peuvent entraîner dans une
période plus ou moins longue la stérilisation du sol, il faut aussi ad-
mettre que l'accumulation de l'acidité et l'infiltration dans une terre ne
se produisent pas toujours d'une égale façon : son altitude, son inclinaison
et le drainage sont des causes physiques qui lui permettent de se débar-
rasser de son acidité.
A ce sujet, prenons pour exemple le résultat de quelques expériences
sur les eaux de pluie, qui s'écoulent des terrains en culture, et sur les
eaux stagnantes dans les sols argileux.
Dans les eaux de pluie, la moyenne de l'acidité totale a été de 2 à
3 0/00, et de 1 à 20/00 d'acide sulfurique libre; parce que sans doute ces
terres avaient reçu des proportions notables de sulfates ou de superphos-
phates, car on ne pourrait pas l'attribuer autrement, il n'y avait pas
d'autre déperdition aqueuse provenant de terrains tourbeux, bruyères,
landes, ou en défriche, qui ont aussi, comme on le sait, l'avantage de
transporter des quantités d'acide libre.
Dans les eaux stagnantes, la moyenne de l'acidité totale a été de 8 0/00,
acide carbonique, acétique et sulfhydrique compris.
Voici encore le résultat de l'analyse d'une eau de source :
Acide carbonique 0,013 par litre.
Sulfate de chaux 0,663 —
Acide sulfurique 0,203 —
Chlorure non dénommé . . 0,030 —
Cette expérience peut nous être discutée, parce qu'il ne nous a pas été
possible de nous rendre compte de la nature du terrain que cette eau avait
parcouru ; mais dans l'hypothèse, nous avons conclu à l'infiltration
acide de la couche arable à travers un banc calcaire, et que la chaux,
sous l'influence de l'acide sulfurique libre, s'y est combinée et transformée
en sulfate de chaux.
En terminant ces considérations, et suivant une série d'analyses de
terres de notre département, pratiquées, en 1885, par M. Aubin, depuis
poursuivies par nous, nous pouvons établir cette comparaison que nos
terres du département sans engrais chimiques fournissent une moyenne
de 0,60 0/0 d'acide sulfurique, que l'excédent qu'on y rencontre provient
sans doute de l'emploi des engrais sulfatés.
Il est donc facile de comprendre quelle sera la conséquence des ter-
rains, qui par leur pouvoir absorbant, reçoivent annuellement de fortes
quantités d'engrais chimiques qui s'accumulent d'année en année , mais
comme il y a divergence sur cette question, nous laissons à l'École natio-
nale d'Agronomie le soin de poursuivre cette étude.
,Nous arrivons aux engrais qui tendent le plus à se vulgariser. Beau-
V. SALLENAVE. — l'iNFLUENCE DES SULFATES SUR LA FERTILITÉ DU SOL 805
coup de praticiens persistent à croire que le superphosphate doit sa
supériorité à l'état soluble, sous lequel il présente à la plante l'élément
phosphaté. [Is se figurent que ses conditions circulent dans le sol, comme
s'il s'agissait d'un nitrate ; ce qui précède montre combien cette idée est
fausse.
Tous les sols rendent insolubles les phosphates acides ; s'il en était au-
trement on constaterait des pertes d'acide phosphorique par les eaux de
drainage, et l'emploi des superphosphates serait dangereux par l'action
de leur acide sur les racines; partout où son acidité ne peut être saturée,
dans les sols de nature acide, comme les vieilles prairies, le superphos-
phate devient un véritable poison pour les plantes et pour les sables
très pauvres en chaux; il en est de même si on ne le répand pas assez
longtemps avant les semailles pour lui donner le temps de perdre sa
réaction acide.
Le superphosphate de chaux du commerce a trois équivalents de base
unis à l'acide phosphorique : deux se combinent à l'acide sulfurique pour
former du sulfate de chaux, c'est-à-dire du plâtre, et il ne reste qu'un équi-
valent de chaux combiné à l'acide phosphorique pour faire un phosphate
monocalcique 3, CaO, PHO"^ + % S0^ HO, = 2CnO, S0\ + CaO, 2H0, PHO%
de plus la réaction entre l'acide sulfurique et le phosphate n'est jamais
intégrale, il reste de l'acide sulfurique libre et du phosphate non attaqué.
Le sulfate de fer dont les producteurs ont préconisé l'usage agricole, qui
s'est répandu dans ces dernières années, contient toujours plus de son
équivalent d'acide sulfurique qui est de 29 0/0. Introduit dans la terre
acide , où le calcaire manque, il a toujours des effets fâcheux pour la
végétation. Dans les terres peu perméables surtout où l'air pénètre déjà
si difficilement, le sulfate de fer s'empare de l'oxygène et brûle l'humus
qui concourt à donner aux plantes l'humidité, les humâtes de potasse
d'ammoniaque, etc., et la vie végétale devient impossible.
L'infertilité de certains sols est souvent attribuée à la présence naturelle
du sulfate de fer, lorsque la proportion de ce sel dépasse 1/2 à 1 0/0.
Nous empruntons à M. Vœlker cet exemple frappant, un sol pourvu
de principes fertilisants, mais contenant du sulfate de fer; voici son
analyse :
Matières organiques. . . . 147, «
Azote 5,-20
Acide phosphorique . ... 2,70
Potasse 5,30
Carbonate de chaux. ... » »
Sulfate de fer 7,40
Bisulfure de fer 7,10
Sable insoluble 823,20
Total. . . . lOOU, »
806
GEOGRAPHIE
L'expérience a démontré qu'après un chaulage de labours légers, on a
rendu ce terrain productif.
Personne ne devrait ignorer que le fer est un des éléments les plus
répandus dans la terre, et il y en a peu dans lesquelles on n'en trouve
pas des quantités notables, et si nous considérons le fer seulement au
point de vue de la nutrition des plantes, nous pouvons dire qu'il existe
en telle quantité dans le sol que, dans aucun cas, on n'a pas à se préoc-
cuper de sa restitution comme engrais.
JNous désirerions vulgariser l'emploi général des engrais neutres, phos-
phates de potasse, de soude, d'ammoniaque, des superphosphates doubles
de chaux, dont on a substitué avec raison l'acide phosphorique minéral
à l'acide sulfurique des pyrites, des nitrates de potasse, de soude, les
scories et les phosphates riches de chaux naturels ; dans de telles condi-
tions, nous espérerions le relèvement de l'agriculture nationale.
M. le Capitaine TRIYIEE
Explorateur.
VOYAGE EN HAÏTI ET COLOMBIE
— Séance du IG septembre t89i —
Le 19 janvier 189:2, je prenais passage à bord du steamer Colombie et,
le 2 février au matin, nous apercevions, à toute vue, la petite île de
Sombrero, ou mieux le phare qu'on y a élevé, car, par suite de l'extrac-
tion des phosphates de chaux dont est composé le sol de l'île, c'est à
peine si elle apparaît au-dessus des eaux. Le même jour, nous arrivions
à Saint-Thomas, la capitale des Antilles danoises, autrefois riche, floris-
sante, aujourd'hui triste et pauvre.
Par sa situation géographique, la profondeur de ses eaux, la sûreté de
sa rade, Saint-Thomas était jadis l'entrepôt de tous les produits des
Antilles, produits apportés par de petits bâtiments de trop faible tonnage
pour oser tenter la traversée de l'Atlantique. Et c'était là, à Saint-Tho-
mas, que, par milliers, les navires d'Europe se rendaient pour y charger.
CAPITAINE TRIVIER. VOYAGE EN HAÏTI ET COLOMBIE 807
Puis, les planteurs de Cuba, du Mexique, du Yucatan, de la Côte-
Ferme, etc., etc., se sont avisés de faire venir dans leurs eaux les navires
européens pour y charger directement. De la sorte, ils évitaient et le
bateau intermédiaire et les frais de magasins dans l'île danoise.
Néanmoins, pendant ces dernières années, Saint-Thomas comptait
encore de trente à quarante arrivages par jour, car les négociants de
l'île, s'ils n'avaient plus de marchandises à charger, n'en étaient pas
moins restés les correspondants des producteurs. Un navire quelconque,
en quête de fret, n'avait qu'à se présenter dans les eaux danoises et
repartait douze heures plus tard avec sa charte partie.
Malheureusement pour les Danois, les Anglais détournèrent à leur
profit le commerce maritime de toute cette partie du monde et, aujour-
d'hui, bien qu'à proprement parler il n'y ait pas de rade à la Barbade,
bien qu'il n'y ait pas de port et qu'on y soit mouillé en pleine mer,
c'est à la Barbade que se rendent tous les voiliers non affrétés d'Europe.
C'est surtout à sa position au vent de toutes les Antilles que la Barbade
doit sa prospérité. Eu effet, de la Barbade on peut, grâce aux vents
alizés du nord-est, se rendre rapidement à n'importe quel port, tandis
que Saint-Thomas est déjà trop sous le vent pour permettre à un navire
de se rendre à la Guadeloupe, ou à la Martinique, ou à la Trinidad.
En ces parages, les possessions danoises comportent : 1° Saint-TlH>
mas, résidence du gouverneur et de la troupe ; 2° Sainte-Croix, très fer-
tile, située à 40 milles marins au sud de la précédente; 3° Saint-Jean,
qui n'est qu'un rocher à peu près inhabité.
Saint-Thomas ne produit rien, n'a que peu de terre végétale et pas d'eau
douce. Chaque maison possède sa citerne particulière, assez vaste pour,
à l'époque des pluies, contenir la provision de toute l'année. A l'époque
de sa prospérité, Saint-Thomas s'était plus particulièrement attaché à
bien s'outiller en choses de la marine : dock flottant, paient slip, char-
pentiers, forgerons, voiliers, etc., etc. Aujourd'hui, l'outillage est bien
resté le même ; mais, dans les chantiers déserts, l'enclume est muette et
la hache ne résonne plus.
A mon passage à Saint-Thomas, j'ai entendu dire qu'il était question
de céder l'île ou aux États-Unis, ou aux Allemands. Je ne sais jusqu'à
quel point ce racontar est vrai ; mais si l'une de ces puissances possédait
Saint-Thomas, nul doute qu'elle ne transformât bientôt son admirable
rade en station navale de premier ordre. La langue officielle a beau élro
le danois, personne ne le parle; aussi les arrêtés municipaux sont-ils
imprimés et en anglais et en scandinavien. A Saint-Thomas, on parle
surtout l'anglais, le français, l'espagnol ; à Saint-Thomas, ville libre par
excellence, on ne connaît aucune de ces formalités douanières, paperas-
sières, encombrantes et inutiles qui devaient nous accueillir le 4 au
808 GÉOGRAPHIE
matin, à l'heure même où nous jetions l'ancre dans le beau mais vaseux
port de Saint-Jean-de-Puerto-Rico.
Et eux aussi, les Espagnols, ont eu un beau mouvement ! Et eux* aussi,
ils ont voulu posséder leur chemin de fer ! Mais, dans ce pays-là, les
fonds sont toujours en baisse et la voie ferrée se traîne languissante.
C'est, du moins, ce qui m'a été dit par un conducteur des travaux,
M. L..., que j'ai vu à mon passage à Saint-Jean.
Il faudrait certainement un volume pour parler de Puerto-Rico dans
tous ses détails. Sous une administration pratique et libérale, Puerto-Rico
serait une merveille. Elle en est loin.
Le 5 au matin me voyait à Puerto-PIala, le seul port important que la
république Dominicaine possède dans le nord de l'Ile et point d'arrivée
de la voie ferrée qui, plus tard, devra aboutir à Santo-Domingo, en tra-
versant le pays. Pour le moment, il y aurait 12 kilomètres de ligne, ce
qui m'a paru excessif.
Et, à propos de la Dominicanie, en mars dernier, il était fortement
question qu'une transaction financière, impliquant virtuellement la main-
mise des États-Unis sur Saint-Domingue, venait d'être passée, par l'inter-
médiaire de la maison de banque hollandaise Westerndorff.
Voici les faits : Tout le monde géographique se rappelle certainement
l'emprunt de 700.000 livres sterling que fit, il y a quelques années, le
gouvernement dominicain, ainsi que des obligations à 5 0/0 qu'il donna,
en garantie de cet emprunt, aux porteurs, en partie Hollandais, Anglais et
Relges. La situation financière du pays étant fort embarrassée, les obli-
gataires, craignant pour leurs capitaux, formèrent une Société dont les
promoteurs furent le baron d'OIgar et M, Isaacs, fils de l'ancien lord-
maire de Londres. Ces directeurs auraient, dit-on, négocié leur conces-
sion et transféré leurs droits à une Compagnie américaine, derrière laquelle
on retrouve MM. Blaine, Mills, Gould et d'autres notabilités américaines,
tous grands partisans de la création de colonies pour les États-Unis.
Saint-Domingue ayant engagé tous ses revenus pour le paiement de sa
dette et n'étant pas à même de tenir ses engagements, on craint que les
nouveaux porteurs d'obligations dominicaines n'occupent l'île, en vertu
de droits établis et sans qu'aucune nation ait à intervenir.
Je ne sais jusqu'à quel pointées bruits sont fondés; je n'ignore rien
de l'emprunt, ni des conditions particulières dans lesquelles il a été
souscrit; je sais que M. Isaacs y est tout particulièrement mêlé et j'ai
entendu parler de l'occupation de la baie de Samana par les Américains
jusqu'à parfait paiement de leur créance. Mais il y a vingt ans que
j'entends parler de l'annexion dominicaine par les yankee, qui, jusqu'à
ce jour, se sont bornés à de petites démonstrations sans résultats. Ils
semblent tâter le terrain.
CAPITAINE TrUVIKR. — VOYAGE EN HAÏTI ET COLOMBIE 809
IVéanmoins, il y a certainement quelque chose sous roche, car ce n'est
pas pour rien que, tout dernièrement, ils ont tenté de s'emparer du
iMôlo de Saint-Nicolas en Haïti.
Jusqu'à ce jour, la grande république transatlantique n'avait jamais
voulu entendre parler de colonies pour son propre compte, estimant
qu'il valait mieux les exploiter que les entretenir. Maintenant, il s'est
formé là-bas, sur les bords de l'IIudson, un groupe colonial qui fait rapi-
dement boule de neige et qui, un beau jour, fera avalanche sur les Antilles.
Inutile de vous dire ce que nous y perdrons.
Bien qu'ils n'y eussent aucun droit, au mépris du droit des gens, le&
Américains se sont déjà établis dans l'île de La IS'avaze pour y exploiter
ses phosphates.
Demain ce sera sans doute à Samana qu'ils apparaîtront, puis viendra
le tour du Môle-Saint-Nicolas. Engagée par ses deux extrémités, l'île
sera bientôt américaine. Quant à Cuba, c'est une question de temps.
Il va de soi que ce sont mes appréciations personnelles que je vous
donne ici; mais j'ajoute que, tout comme pour le Congo belge, la révolte
des Arabes, l'annexion du xMatabelé et de l'Ouganda par les Anglais, je
ne crois pas me tromper.
Puerto-Plata n'est pas un port, tant s'en faut; c'est une échancrure
qui rentre un peu plus dans les terres, et c'est tout. La côte est bordée
de rochers sur lesquels se voient encore de nombreuses épaves, car le
navire à l'ancre à Puerto-Plata est en perdition.
Lorsque la voie ferrée pénétrera plus avant dans l'intérieur et que les
produits pourront arriver à la côte, à bon marché, Puerto-Plata, malgré
les dangers de ses eaux, deviendra certainement un des points les plus
importants de l'île.
Quelques heures après avoir quitté le port dominicain, nous passions
par le travers de la Pointe Isabelle où, le 6 décembre 1492, retour de ,
Cuba, Christophe Colomb, premier Européen, prenait terre.
Enfin, le 6 au matin, nous étions au Cap-Haïtien, cette ville où, le
2 novembre 1803, le général Leclerc, beau-frère de Bonaparte, succom-
bait aux atteintes de la fièvre jaune.
L'histoire d'Haïti est encore trop vivace dans tous les souvenirs pour
que je me permette de la retracer ici ; mais ce qu'il m'est défendu de
passer sous silence, ce que beaucoup ignorent certainement, c'est que la
cause première de l'insurrection générale de 1791 a été surtout les mau-
vais traitements infligés par les colons à leurs esclaves.
Par son commerce d'exportation, cafés et campêches, produits qui ont
surtout le Havre pour destination, le Cap Haïtien est, en importance,
la seconde ville de la république. Sa rade, en dedans des cayes et
dans laquelle on pénètre par un étroit goulet qui passe sous les canons
810 GÉOGRAPHIE
absents du fort Picolet, est sûre et accessible à toutes les calaisons.
Autrefois, le Cap Haïtien et son annexe, le fort Liberté, passaient, à
juste titre, pour les premiers ports d'Haïti quant à l'exportation du cani-
pêche; mais les embarquements ont été si nombreux que, pour satisfaire
aux demandes européennes, il faut désormais aller bien loin, bien loin,
dans l'intérieur de l'île. Or, les voies de communication manquent, non
pas complètement, mais elles sont si mal entretenues qu'il est, pour ainsi
dire, impossible, pendant la saison hivernale, d'y faire passer les convois
■de bois. Si Haïti possédait une voie ferrée, les richesses de son sol iné-
puisable seraient centuplées, car il n'y a guère que les côtes de cet admi-
rable pays qui soient cultivées.
A notre départ du Cap, nous faisons route directement à l'ouest et
quelques heures plus tard, nous sommes à moins d'un mille de l'île de la
Tortue, cette corbeille de verdure. La Tortue, la Tortue... que de souve-
nirs français ce nom-là ne réveille-t-il pas en nous ! C'est dans cette île
qu'en 1630, les flibustiers chassés de Saint-Christophe s'étaient établis,
sous la conduite de leur chef Enambuc. C'est de cette île qu'ils partirent
pour s'emparer d'Haïti, conquête que le traité de Ryswick, en 1697,
consacra. Haïti, à l'époque où Colomb la découvrit, était alors habitée par
une race autochtone, dont le pays s'appelait Quisqueya, c'est-à-dire pays
de montagnes.
A 6 heures du soir, nous passons au large de Port-de-Paix, et, à
10 heures, nous doublons le Môle-Saint-Nicolas, admirable port naturel,
dont voulurent s'emparer les Américains il y a deux ans. Absolument
abritée de tous les vents, la rade du Môle est une des plus belles du
monde. C'est là qu'aboutit le câble sous-marin venant de Cuba et, par
suite, d'Europe.
Après le Môle, nous arrivons aux Gonaïves, d'où s'expédie la première
qualité de café d'Haïti ; puis nous gagnons le large pour parer les bas-
fonds qui obstruent l'embouchure de l'Artibonite, cette artère haïtienne
navigable sur un parcours de plus de deux cents kilomètres. Nous sommes
bientôt à Saint-Marc, bien connu sur le marché du Havre par ses cafés
et ses cotons, et, au jour, nous jetons l'ancre sous le fort l'Ilet, dans la
rade de Port-au-Prince.
Vue du large, la ville paraît immense. Elle part du bord de la mer et
va, s'étageant insensiblement, jusqu'aux premiers contreforts des mon-
tagnes de l'est. Les maisons, presque toutes en bois, n'ont qu'un étage ;
les rues sont larges, droites, tirées au cordeau, et se coupant à angles
droits. Malgré leur état de malpropreté, malgré les flaques stagnantes
d'eaux verdàtres sur lesquelles, de loin en loin, on a jeté un primitif
pont en planches ; malgré les détritus qui s'accumulent devant toutes les
portes, le pays est sain et on n'y connaît aucune de ces épidémies qui
CAPITAINE TRIVIER. — VOYAGE EX HAÏTI ET COLOMBIE 811
désolent ordinairement les pays tropicaux. La fièvre elle-même n'y fait
que de bien rares apparitions.
Aux mois de janvier et de février, les nuits sont très fraîches et la cou-
verture se laisse facilement supporter. La grande chaleur commence en
mai, mais alors il fait réellement chaud. Eli bien! malgré l'état de trans-
piration continuelle où l'on est, malgré les 30 ou 3'i degrés centigrades
qu'indique presque toujours le thermomètre de votre chambre, la chaleur
est beaucoup plus supportable que celle que nous subissons en juillet et
août en France. En Haïti, la chaleur est forte, c'est indéniable, mais elle
■est sèche ; on ruisselle de toutes parts, c'est encore vrai ; au bout d'un
quart d'heure, la chemise est réduite à l'état d'épongé mouillée, je ne dis
pas le contraire; mais on peut aller, venir, marcher, travailler, écrire,
causer, lire, monter à cheval, sans ressentir ces lourdeurs de tête, celte
indolence, ce manque d'énergie que Ton éprouve pendant notre été
•européen. En France, la chaleur est humide ; elle vous pénètre, vous
envahit, vous enlève toute force, toute volonté, et c'est absolument forcé
et sans enthousiasme que l'on se met au travail.
En Haïti, la vie est facile, à bon marché, et, grâce à ses diverses alti-
tudes, on y récolte presque tous nos légumes, nourriture indispensable à
TEuropéen depuis longtemps absent de son pays.
En mai dernier, j'avais journellement, à ma guise, à mes repas du
matin, radis, artichauts frais, choux-fleurs, choux, céleri, salades,
melons, etc., etc.
Il est véritablement malheureux pour nos compatriotes que le gouver-
nement haïtien ne revise pas l'article 7 de sa Constitution, article qui
interdit à tout blanc la possession du sol, car nos travailleurs des champs
trouveraient facilement, dans ce pays qui nous est si dévoué, une porte
•de sortie à la misère qui les étreint en Europe.
Je sais bien que la loi haïtienne se laisse facilement tourner, puis-
qu'elle accorde des concessions, pour quatre-vingt-dix-neuf ans, à qui lui
en fait la demande ; mais cette disposition toute spéciale n'est pas, selon
moi, suffisante. Le cultivateur qui s'expatrie, et surtout celui de nos
contrées, veut, avant tout, être propriétaire de sa terre. Se sentir maître
chez lui, c'est l'idéal rêvé. Il veut bien travailler, mais il désire que le
fruit de son travail lui reste. Il veut surtout amasser pour lui et ses
descendants, aussi l'arrière-pensée que ses petits-fils pourraient être
expropriés à l'expiration du terme convenu l'arrêtera-t-elle toujours dans
ses projets d'émigration. Au lendemain de la prise d'armes des noirs, en
1804, l'article 7 de la Constitution haïtienne avait certainement sa raison
d'être, alors qu'on pouvait encore craindre l'invasion blanche; mais
aujourd'hui, cette disposition particulière n'est plus que de la routine à
mettre au rancart ; elle disparaîtra avant peu.
812 GÉOGRAPHIE
Quant à la population, en général, elle est bonne, honnête, charitable,,
et, ainsi que je l'ai déjà écrit dans quelques journaux, l'hospitalité haï-
tienne n'a rien à envier au pays d'Ecosse. N'était la politique, Haïti serait
un véritable paradis terrestre. Mais... il y a la politique. Que de pays
européens ressemblent à Haïti !
Néanmoins, il est juste de dire que l'étranger qui se tient à l'écart de
toute intrigue est toujours respecté.
Après quarante-cinq jours passés à étudier cette population de grands
enfants, je m'embarquais, le 13 mars, sur le steamer anglais Alvina, et,
le 15 au soir, après avoir traversé la mer des Caraïbes, nous jetions
l'ancre à Puerto-Colombia, improprement appelé Savanilla. Ce dernier
nom est celui de toute la baie et non pas d'un endroit.
A mon arrivée en ce port, on était en train de construire une longue
jetée en fer, véritable chef-d'œuvre d'élégance et de solidité, qui, une
fois terminée, permettra aux grands steamers d'y accoster pour y déchar-
ger. Lorsque ce travail sera fini, le w^harf s'avancera certainement à
deux kilomètres en mer.
A peine à terre, nous prenons à l'assaut une misérable auberge qui
s'élève, seulette, au milieu des sables brûlants, et commandons un dé-
jeuner quelconque, car nous mourions littéralement de faim. Et il le fut
quelconque, ce déjeuner- là!
Malgré la soif inextinguible qui nous possédait, nous dûmes nous
rationner, car ce pays béni n'a pas d'eau douce; aussi, chaque jour, le
chemin de fer est-il obligé d'en apporter de la Magdalena aux travail-
leurs du wharf.
A 4 heures du soir, nous prenions enfin le train et, en deux heures^
nous franchissions gaillardement les 17 milles qui nous séparaient de
Barranquilla.
Quand j'écris: gaillardement, cet adverbe est certainement mis par
euphémisme, car, par deux fois, pendant le trajet, nous avons dû nous,
arrêter pour laisser monter la pression.
De Puerto-Colombia à Barranquilla, c'est sur du sable que l'on roule,,
c'est du sable qu'on respire, ce sont des plaines de sable qu'on a pour
horizon.
Barranquilla elle-même, grande ville de 30.000 habitants, et entrepôt
de transit de toutes les marchandises de ou pour la Colombie, est ense-
velie dans les sables et, malgré le temps écoulé, malgré la bonté native
de ses primitifs habitants, c'est presque en frissonnant que je me rap-
pelle les quinze jours que j'y ai passés. Voici, d'ailleurs, les lignes que
je relève sur mes notes de voyage :
N'était une volumineuse correspondance, je deviendrais certainement
enragé dans ce pays où je ne connais personne, ou je suis absolument
CAPITAINE TRIVIER. — VOYAGE EN HAÏTI ET COLOMBIE 813
étranger, où rien ne me parle, où je n'ouvre la bouche que pour manger
ou fumer. Heureusement pour moi, j'ai ma plume et, en causant lon-
guement avec les parents, les amis et le public, la journée s'écoule, len-
tement, il est vrai, mais enfin elle s'écoule.
Le terrible !... c'est le soir !! A Barranquilla, il n'y a pas d'endroits où
l'étranger puisse aller l Ni cafés convenables, ni théâtres, ni promenades,
ni journaux européens ; aussi en suis-jc réduit à rester sur mon balcon, à
humer les quelques molécules d'air frais, saturées de sable, ou à me mettre
à écrire.
Ah bien oui, écrire!... si encore je le pouvais! A Barranquilla, en
fait d'insectes, il y a de tout : des mouches, des moustiques, des marin-
gouins et toute cette classe de diptères qui s'infiltrent dans les effets, vous
laissant par tout le corps une démangeaison insupportable et sur le derme
de grosses bouffissures blanches qui vous brûlent douloureusement !
A Barranquilla, les insectes grouilleurs, suceurs et bourdonnants se
comptent par milliers dans les maisons ! A Barranquilla, et surtout dans
ma chambre d'hôtel, c'est par vol compact que les gros cancrelats rouges
aux longues ailes hyalines, s'abattent sur mon cou, sur ma tète et sur
mon papier ! Dans de pareilles conditions, comment faire de la bonne
iittérature !
El voilà pourquoi je les ai trouvées si lourdes, ces soirées colom-
biennes pendant lesquelles on ne peut se distraire ni par la lecture, ni par
le travail.
Enfin, l'heure de la délivrance sonna et, un beau matin, je m'en-
barquai sur le steamer colombien J.-B. Elbers qui devait me conduire
jusqu'à Yeguas, point terminus de la navigation du bas cours de la
Magdalena. Disons, en passant, que ce nom de J.-B. Elbers est celui de
i' Allemand qui inaugura le service fluvial de la grande artère colombienne.
La navigation de la Magdalena, fleuve que mit trois mois à remonter
M. de Humboldt et que suivit le malheureux docteur Crevaux , n'a rien
de bien particulier que l'horrible chaleur et les nombreux moustiques et
caïmans qui agrémentent la longue traversée. Pendant les deux premiers
jours, jusqu'à l'endroit dénommé El Banco, voire même jusqu'à Puerto-
Nacional, tête de ligne de la route qui conduit à Ocana et à Bucaramangua,
on navigue jour et nuit, ne s'arrètant qu'aux nombreux dépôts de bois
accumulés sur les berges, car tous les vapeurs de la Magdalena chauffent
au bois. Ces steamers sont de grands chalands en fer, calant à peine
l'",2o au maximum et sur le pont desquels on a élevé une double
construction. La supérieure est réservée aux passagers qui ont des ca-
bines moyennant finances ou qui couchent sur le pont. Au-dessous se
trouvent les marchandises, le bois à brûler, la chaudière et la machine.
Ces steamers sont mus par une roue actionnée à l'arrière du navire.
814 GÉOGRAPHIE
La vitesse moyenne contre le courant va jusqu'à six milles à l'heure.
A l'époque de la sécheresse, il faut un pilote bien expérimenté pour
pouvoir conduire son navire au milieu de ce dédale de canaux, de bancs,
d'îlots. Je me hâte d'ajouter que les pilotes de la Magdalena connaissent
fort bien leur affaire.
Partis le 20 mars de Barranquilla nous arrivions le 27 à Yeguas, où
s'arrête toute navigation; car au delà, le cours du fleuve est si tour-
menté, les roches si nombreuses et si aiguës, le courant si rapide que
les risques seraient trop grands. J'ajoute qu'à quelques milles de Yeguas,
vis-à-vis la station du chemin de fer à Honda, le fleuve est obstrué par
un banc de roches formant en aval de véritables rapides impossibles à
franchir.
Le 28 mars, à 11 heures du matin, j'étais à Honda. Immédiatement je
m'enquis de deux mules, une pour mes colis, l'autre pour me servir de
monture et, à 3 heures, j'étais en route pour Sania-Fé-de-Bogota. A un
mille en avant de Honda, à Arrauca-Pluma, il me fallut traverser la
rivière dans un bac parfaitement compris sur lequel les mules passent
sans décharger.
A 8 heures le soir, j'étais à las Cruces.
Ces cinq premières heures de mules ont été assez rudes ! Tantôt il
nous fallait nous glisser dans un défilé de rochers coupés à pic, sur un
sol de cailloux où ma rnule ne posait le pied qu'en tremblotant et en im-
primant à tout son corps un mouvement de lihration que je ressentais par
contre-coup. Tantôt il nous fallait nous plonger dans une mare de boue
de laquelle ma bête ne se retirait qu'à grand'peine et en m'éclaboussant
de la belle manière ! Quelquefois, le défilé rocheux, qui s'élevait sous un
angle de 25 degrés, était juste assez large pour nous laisser passer et,
bien souvent, malgré le peu d'épaisseur de ma jambe, elle a été cruelle-
ment froissée aux parois rocheuses . Parfois, la route (en admettant que
l'on puisse employer ce substantif) est tellement à pic qu'on a dû y
construire de larges gradins empierrés sur lesquels la mule louvoie
comme un navire au plus près.
Le 29, à 6 heures du matin, je reprenais la voie douloureuse et passais
de nombreuses posadas visitées par les arrieros. A 11 heures, j'étais à
Guaduas, grande ville de 4.000 habitants, Le soir, surpris par la pluie,
je dus m'arrêter à Buena-Vista, dans une de ces auberges dont je parle
plus haut.
Au jour, le lendemain, j'étais en route, passant rapidement Villetta,
Agua-Larga, pour arriver enfin très tard à Facotativa, où commence la
ligne du chemin de fer qui aboutit à Bogota.
Après Villetta, tout passe l'imagination ! On ne fait que monter et
descendre ! Et quelles montées ! I quelles descentes ! ! par quels chemins 1 1 1
CAPITAINE TRIVIEU. — VOYAGE EN HAÏTI ET COLOMBIE 81o
Tantôt, comme au pic du Sergent, mon baromètre accusait 2.700
mètres d'altitude au-dessus du niveau de la mer ; tantôt, comme à
Villetta, nous n'étions qu'à 8o0 mètres, pour remonter bientôt au-dessus
de 2.000 mètres. Et ce, pendant douze heures de temps. Pour mieux
dire, il y a pas de route; c'est un éboulement du massif rocheux qui, en
s 'écroulant, a nivelé le terrain sous une pente de 20 à 2o degrés et y a
laissé ses pierres coupantes au milieu desquelles les mules ont à passer.
Mais aussi quels paysages, quelles perspectives, quel pittoresque sur
ces hauts sommets des Andes couverts de neige aux chatoiements de
satin! Quelle luxuriante végétation dans ces vallées qui semblent per-
dues dans la verdure! quel caractère grandiose n'ont-ils pas ces rochers
rougeâtres surplombant le chemin et paraissant vouloir s'abîmer sur le
voyageur !
En quelques mots, je résume mes quatre étapes de la route :
De Honda à las Gruces, le chemin est mauvais ;
De las Gruces à Buena-Vista, il est atroce ;
De Buena-Vista à Agua-Larga, il est horrible ;
D'Agua-Larga à Bogota, il est bon ;
De Facotativa à Bogota, c'est la Savana.
En deux heures et par 2.700 mètres d'altitude, le chemin de fer par-
court les 40 kilomètres qui conduisent à la capitale.
Ce n'est certes pas devant des savants tels que ceux qui se rendent au
Congrès de Pau que j'irai faire l'historique de cette république qui
compte à peine quatre-vingts ans d'existence et qui, malgré le temps
écoulé, se ressent toujours du joug espagnol.
C'est de l'inédit et du nouveau que je vous ai promis, aussi passerai-je
rapidement sur Bogota. Je ne dois point oublier, néanmoins, de men-
tionner la promenade que je fis au saut de Tequendama, cette admi-
rable chute qui, de loO mètres de hauteur, tombe dans le rio Bogota.
La vue de cette merveille, surtout avant le lever du soleil, — car après, on
ne voit plus que des vapeurs — ne souffre pas de description.
Après un court séjour à Bogota, je pris la route du retour. Ayant été
envoyé en mission pour juger des diCTérents chemins conduisant à
Bogota, je résolus de suivre un autre itinéraire.
Le 6 avril, je quittais Bogota et, quelques heures plus tard, le chemin
de fer de Facotativa (c'Qst d'ailleurs le seul) me jetait à Cerésuela, mieux
connu sous le nom de Madrid, petit village où je pris mes mules en
route pour la Mesa oîi j'arrivais à o heures du soir. Malgré les pluies
torrentielles qui, chaque soir, depuis mon arrivée à Bogota s'abattaient
sur le j)aya, cette route de la Mesa est de beaucoup préférable, pour la
commodité du voyageur, que celle que j'avais prise à l'aller. La route
par la Mesa est large, facile, presque agréable et sur ce chemin, pendant
816 GÉOGRAPHIE
•cette journée du 6 avril, j'ai certainement rencontré plus de l.SOO mules
chargées de produits de la province de Tolima : maïs, farines, miel,
cacao, café, etc., etc., se rendant au marché de la capitale. Le 7 avril,
je remontais sur ma mule et à, 11 heures, après avoir passé la Chica et
Napoïa, j'étais à Junta de Apulo, confluent des deux rivières Apulo et
rio Bogota et tête de ligne de la voie ferrée de 40 kilomètres qui aboutit
à Girardot sur le haut cours de la Magdalena, où j'étais à 3 heures du
soir.
Cette route, selon moi, est bien la meilleure pour gagner Bogota, bien
qu'elle demande beaucoup plus de temps.
A Girardot, le vapeur qui dessert ordinairement cette station étant
reparti pour Arrauca-Pluma-Honda, et ne sachant quand il me serait
donné de quitter cette localité où je perdais mon temps, je fis construire
— selon l'habitude du pays -^ un radeau, que l'on dénomme balsa, et
le 8 avril, deux hommes ayant consenti à m'accompagner, nous nous
lancions au courant descendant.
Grossi outre mesure par les dernières pluies torrentielles de la saison
hivernale, le rio Magdalena courait avec une vitesse de cinq ou six milles
à l'heure. Après quatre heures d'une navigation assez tourmentée, nous
accostions, non sans difficulté, la berge de Guataquy pour y passer la
nuit. C'est en vain que nous nous présentâmes à toutes les auberges de
la ville, personne ne voulut nous recevoir. En général, la population
colombienne, bien que bonne et honnête, est assez arriérée ; mais ici, à
Guataquy, elle est presque sauvage.
Force nous fut donc de nous coucher à la belle étoile, sous la véranda
d'une maison qui nous eût peut-être protégés de la pluie. Commodément
installé sur la terre nue, j'envoyai mes hommes chercher des vivres et,
l'eau du fleuve aidant, nous fîmes un repas qui eût peut-être fait honte
à feu LucuUus, mais que nous dévorâmes. Sous la garde des étoiles, le
revolver en ceinture, bien que cette précaution fût tout à fait inutile,
nous nous endormîmes de ce sommeil que le voyageur de métier n'appelle
jamais en vain. A 11 heures, ce fut un branle-bas général! Un troupeau
de pourceaux attirés par les reliefs de notre festin fourrageaient abomina-
blement parmi nos bagages et force nous fut de livrer bataille, le bâton
à la main. Le reste de la nuit se passa tranquillement et le 9, à 5 heures
du matin, nous quittions Y hospitalière cité colombienne.
A 10 heures, nous prenions terre à Ambalema, importante ville dont
le principal commerce consiste surtout dans la fabrication de ses cigares
et dérivés. Après un déjeuner des plus sommaires, nous repartions et,
à 1 heure, touchions terre à la Trocha-de-Cambao, tête de ligne de la
troisième route qui conduit à Bogota en passant par San-Juan. Le soir,
à 8 heures, j'étais à l'abri à Honda.
CAPITAINE TRIVIKR. VOYAGE EN HAÏTI ET COLOMBIE 817
La descente de la Magdalena se fit sans encombre et le 17- avril me
Toyait à Barranquilla, que je quittais peu après pour m'euibarquer sur
le steamer anglais /1/ra/o du Royal Mail. Le 2t), j'étais à Colon.
L'occasion était trop belle pour ne pas visiter les travaux du canal,
aussi le surlendemain soir écrivais-je les lignes suivantes sur le voyage
- que je fis à travers l'istbme :
« J'arrive de Panama ! de Panama, le tombeau des milliards ! Quels
souvenirs n'évoque-t-il pas ce nom de ville dans l'esprit des mallieureux
actionnaires qui espèrent encore ! C'est ici surtout, sur le fronton de cette
officine de M. de Lesseps, devant laquelle se dresse la statue de Colomb,
-que devrait être inscrit ce vers du Dante :
Lusciate ogiii speranzu, vol di enlntle.
(Laissez derrière vous l'espérance, vous qui entrez.) »
A partir de Colon, les travaux sont réels, importants... pendant une
iringtaine de kilomètres ; puis après, plus rien, que quelques tranchées
où déjà les herbes et les arbustes croissent à profusion, où les sables
drainés parles pluies torrentielles delà saison d'hiver s'amoncellent en
sillons superposés.
Le seul résultat du canal aura été de ruiner l'épargne française et de
peupler ce coin de la Colombie. Sous ce dernier rapport, il n'y a pas
à dire le contraire, les progrès ont été rapides et, de Colon à Panama,
les petites maisonnettes en bois sur pilotis, couvertes en zinc gondolé,
se touchent presque sans solution de continuité. On n'y parle qu'an-
glais dans ces maisons-là, devenues les demeures des travailleurs tirés
de la Jamaïque. J'ai eu l'occasion de causer avec plusieurs de ces mal-
heureux qui, comme Mignon, mais moins poétiquement, ne cessent de
regretter la patrie.
— Mais pourquoi donc ne partez-vous pas ? disais-je à ces exilés, la
Jamaïque est très près d'ici et les communications avec votre île sont
presque journalières. Pourquoi ne pas vous réclamer de votre consul?
— Si près que nous soyons de notre pays, me répondaient-ils, et si
peu d'argent qu'il faille pour s'y rendre, il en faut néanmoins, et nous
n'en avons pas I Les travaux ayant été suspendus, beaucoup des nôtres
sont sans ouvrage et ceux que l'on occupe encore gagnent de 6 à
8 réaux colombiens (environ 3 francs), au lieu des 8 ou 10 francs qui
nous étaient alloués aux jours de la bombance. Ah ! c'était le bon temps,
ajoutaient-ils, d'un accent de regret, l'or regorgeait partout et n'avait
plus de valeur. On dépensait sans compter, certain de combler bientôt
Jes vides de la bourse. Aujourd'hui, nous attendons la reprise des tra-
vaux, mais seront-ils jamais achevés ! Quant à nous faire rapatrier par
818 GEOGRAPHIE
notre consul, il nous est défendu d'y songer ; il n'a rien à faire avec
nous, cet homme-là; nous sommes venus de nous-mêmes, de notre
propre volonté, le gouvernement ne nous connaît pas et restera parfai-
tement sourd à notre appel quand bien même nous implorerions sa
pitié.
Et il en est de même pour nos Martiniquais qui ont abandonné leur
petit joyau des Antilles pour augmenter le nombre des malheureux.
Parti le 26 de Savanilla, j'étais le 27 à Colon, qui de loin a, ma foi,
fort bon air. Mais quelle désillusion au fur et à mesure qu'on approche !
En voyant ces maisons en bois bâties sur des pilotis rongés par la mer
et verts de moisissure, il me semblait que j'allais y lire, comme dans
Port-Tarascon : Pharmacie Bezuquet.
Et en effet, ici comme là-bas, c'est bien la même histoire, un même
duc de Mons, des mêmes capitaux français envolés, perdus et des morts
à pleurer qui, le cas échéant, auraient eu leur place dans l'armée
nationale.
En ville, à chaque pas, on rencontre ou un café, ou un débit, ou une
auberge, établissements qui aujourd'hui semblent péricliter abomina-
blement. Dans les rues, les vides sont nombreux, car, à l'instar de cer-
taines comètes, les incendies se reproduisent périodiquement dans ces
constructions en bois surchautTées par le soleil d'été.
A Colon, on parle toutes les langues, mais l'anglais a tout envahi ;
il gagne toujours, toujours, et finira certainement par couvrir tout le
pays.
Pauvre Colon! Et lui aussi regrette le temps passé! Reviendra-t-il, ce
temps où la roulette battait son plein, où les débits retentissaient jour et
nuit des hurlements avinés, où les querelles dégénéraient en coups de
couteaux, où l'or était partout, dans toutes les poches?
Au temps de sa splendeur, Colon contenait jusqu'à 20.000 habitants ;
aujourd'hui, c'est à peine si 3.000 âmes grouillent dans ses rues boueuses.
Autrefois, vingt trains suffisaient à peine chaque jour au nombreux per-
sonnel du canal. Hier, je suis revenu de Panama, nous étions cinq
voyageurs !
Le 28, par une belle matinée (chose rare !) bien ensoleillée, je prenais
le train à 7 heures et demie, et. tour à tour, bride abattue, à toute vitesse,
à l'américaine en un mot, je passais Galun, Lagarto, Bugio, Buena-Vista,
San-Pablo, Malachin, pour arriver, deux heures plus tard, à la Culebra,
petite colline, contrefort de la Cordillère des Andes et ligne de partage
des eaux du Pacifique et de l'Atlantique. Jusqu'alors nous avions vu le
courant du Chagres se diriger vers l'est. A partir de la Culebra, les
rivières dévalent vers le Pacifique.
Do même, Dieu dit un jour à l'Océan : u Tu n'iras pas plus loin » ; de
CAPITAINE TRIVIER. — VOYAGE EN HAÏTI ET COLOMBIE 819
même laCulebra clama aux ingénieurs (Ju canal : « Slop ! » et l'on stoppa.
Près de la station du chemin de fer, on voit bien encore un semblant
de tranchée où gisent, embourbées dans les herbes, deux machines à
vapeur au ventre noir : c'est tout! Coût : un milliard et demi!!
A 10 heures, j'étais à Panama. Après un déjeuner pris à la hâte au
Grand Hôtel Central, vis-à-vis la cathédrale, je roulais rapidement sur la
route qui mène à la Boca, à ce point précis où, libres des entraves de
l'isthme, les navires de la vieille Europe devaient s'élancer sur les eaux
du Pacifique. A 11 heures et demie, je descendis de voiture, la marée
étant basse, complètement basse (par la date et l'heure que je donne
ici, il est facile de vérifier mon dire) et je pus, à pieds secs, traverser
l'embouchure du Rio Grande qui n'avait alors aucune communication
avec la mer.
Quant aux travaux de creusement, d'endiguement, de port, de jetées,
etc., etc., je n'ai rien vu parce que rien n'a été fait. En amont, ou
mieux, à ma droite, pendant que je traversais le Rio-Grande, j'ai bien
remarqué deux petits vapeurs dormant à l'ancre. Trois autres chaloupes
à vapeur, peintes de frais, étaient déhalées au sec sur la rive gaucho, près
du patent slip, où un vapeur un peu plus grand était en réparation; c'est
tout ce que j'ai vu.
Du matériel, beaucoup de matériel gisait çà et là dans les chantiers
déserts, attendant un nouveau bon mouvement de ce peuple français si
riche et si confiant.
Écœuré, je repris le chemin de la ville. Le soir, j'étais de retour à Colon.
Tel a été le résultat de cette journée du 28 avril. J'ai bien encore appris
que les actions du chemin de fer Panama-Colon, qui, avant la venue de
M. de Lesseps, étaient au-dessous du pair (elles avaient été émises à
100 dollars), avaient été achetées pour le compte des actionnaires français
à "âtiG dollars, mais personne n"a pu ou voulu me dire pourquoi cette
hausse subite de plus de loO 0/0 du jour au lendemain.
L'enquête ordonnée à cet effet nous l'apprendra certainement.
Et c'est après une pareille leçon que nous irions follement engager nos
économies dans une autre entreprise, à peu près pareille, le transsaharien ;
dans cet improductif et désert Sahara aux tribus sauvages ! C'est sur les
bords marécageux et malsains du Tchad, si nous en appelons aux témoi-
gnages de Barth, Nachtigall et Yogel, que nous enverrions nos gros sous
si péniblement amassés! Alors, oui, ce serait à désespérer du pays.
Le 29, je quittais Colon, en route pour Kingston, résidence du gouver-
neur de la Jamaïque, où nous arrivions le 1^'" mai. Le 4, je débarquais à
Jacmel et le 6, après avoir traversé à cheval, sans autre escorte que mon
guide pour m'indiquer le chemin, sans autre arme qu'un canif, le plus
charmant pays du monde, je faisais de nouveau mon entrée à Port-au-
820 GÉOGRAPHIE
Prince, heureux de revoir les bons amis que j'avais quittés quelques
mois auparavant.
Le 28 mai, je prenais de nouveau la mer et, après les nombreuses
escales de la route, le steamer Saint-Laurent me débarquait à Saint-
Nazaire, le 19 juin dernier.
M. le D' ÏÏA&Eîf
Médecin de la marine, à Cherbourg
VOYAGE AUX ILES SALOMON
— Séance du 16 septembre I89i —
L'intérêt qui s'attache à l'archipel des îles Salomon est purement géo-
graphique ; en efTet, ces îles ne sont pas soumises à l'influence française,
le commerce de nos nationaux n'y est pas directement engagé et nos
navires de guerre n'y font que des apparitions fort rares.
Cependant, comme ce groupe d'îles est peu connu, j'ai pensé que
quelques renseignements pourraient intéresser les membres du Congrès
pour l'avancement dos sciences.
De plus, l'annexion relativement récente d'une partie d'entre elles à
l'Empire d'Allemagne, leur voisinage avec la colonie française de la
Nouvelle-Calédonie, avec l'île Yanikoro où périt notre malheureux com-
patriote La PeyrousC; et avec la Nouvelle-Bretagne à qui l'expédition du
marquis de Rays a donné un si triste renom, toutes ces raisons donnent
de l'attrait au groupe des îles Salomon et m'ont engagé à publier le
résultat de mes observations.
Peu de voyageurs français ont écrit de visu sur cet archipel ; il faut
remonter aux voyages d'Entrecasteaux et de Dumont d'Urville pour obtenir
quelques renseignements. Je pourrais aussi citer un petit opuscule qui
parut en 1848 et dont l'auteur était un missionnaire, le père Verguet.
C'est tout ce que nous possédons; la littérature étrangère est peu riche
aussi, et ce n'est que dans ces trois dernières années que deux auteurs,
Woodiord et Guppy, ont fait connaître ce pays au public anglais.
D'' HAGEN. — VOYAGE AUX ÎLES SALOMON 821
11 m'a été possible de visiter ces îles; j'y ai fait un voyage qui a duré
plusieurs mois et j'en ai rapporté quelques notes. Je n'ai pas la préten-
tion d'être complet, mais celle d'être exact et de donner une idée géné-
rale de cet archipel, dont quelques îles sont grandes, fertiles ei habitées
par une population nombreuse.
Ce groupe est situé en Océanie, entre le 4*^ et le l'â^ degré de latitude
sud et les 152« et 161^ degrés de longitude est. 900 milles environ le
séparent de la Nouvelle-Calédonie.
Les îles qui le composent sont, du nord au sud, Bougainville, Chokeul,
Isabel, MaJaijta, Floride, Guadalcanar et San-Cristoval. Comme îles plus
petites, nous pouvons citer: Sauta-Anna, Sania-Catalina, Hougué, Savo,
Shortland, Nouvelle-Géorgie. Je passe sous silence d'autres petites îles
inhabitées et n'ofïrant aucun intérêt.
Cet archipel resta indépendant jusqu'à l'époque actuelle. Le navigateur
espagnol Mendana, qui le découvrit en 1564, ne fit qu'un acte de souve-
raineté platonique en déclarant ces îles possession de Sa Majesté Catho-
lique, en y élevant des croix et en y faisant des processions.
Il donna, suivant l'habitude du temps, des noms de saints à quelques-
unes de ces îles, et fit même sur l'île Isabel une tentative de colonisa-
tion ; elle échoua piteusement. Là se borne l'essai de prise de possession
espagnole au xvi« siècle.
Mais, dans ces dernières années, chaque nation européenne s'est efforcée
de créer des colonies dans toutes les parties du monde, et l'Allemagne,
dernière venue, a manifesté maintes fois son désir de s'adjuger les terres
restées indépendantes. C'est ainsi qu'elle s'est annexée une partie de la
Nouvelle-Guinée.
Les îles Salomon étaient voisines de ce pays ainsi que des îles Samoa,
où les Allemands possèdent des établissements commerciaux importants.
L'Allemagne déclara donc officiellement son intention de planter son
pavillon dans ces îles.
L'Angleterre fit alors valoir des prétentions identiques basées sur les
visites que ses navires de guerre faisaient dans le groupe, sur les tenta-
tives de catéchisation essayées par ses missionnaires et sur la présence de
ses nationaux. Mais, fidèle à sa politique de concession à tout prix, quand
il s'agit de l'Empire d'Allemagne, elle ne tarda point à lui reconnaître-
des droits sur une partie de ces îles.
C'est alors que survint, en 188o, entre les deux nations un accord
en vertu duquel les îles situées au-dessus du 8'' degré latitude sud étaient
recotmues possessions allemandes, tandis que l'Angleterre réservait ses-
droits sur le reste de l'archipel et se promettait de les faire valoir en
temps opportun. Bougainville, Shortland, Choiseul,. Isabel, Nouvelle-Géorgie
furent annexées par l'Allemagne ; quelques mois après, cette dernière île
822 GÉOGRAPHIE
était échangée contre la baie des Mille-Vaisseaux qui dépassait les limites
du 8« degré .
Le reste du groupe, Malayta, Guadalcanar, San-Cristoval, Nouvelle-
Géorgie, conserva son indépendance primitive et les traitants n'y furent
soumis à aucune juridiction.
Je n'ai pas besoin d'ajouter que les indigènes ne furent pas consultés ;
l'Allemagne n'a pas ces faiblesses gouvernementales ni de tels préjugés
politiques ; elle reste, en Océanie comme en Europe, fidèle à son mépris
du droit quand il n'est pas soutenu par la force.
Le pavillon germanique fut hissé dans chaque île, des poteaux indica-
teurs furent élevés portant la marque : « Possession de l'Empire d'Alle-
magne » ; le terrain fut confisqué aux indigènes et donné à la Compagnie
d'Océanie subventionnée par le gouvernement. Aucun représentant offi-
ciel, consul, résident ou gouverneur, n'habite le pays; seul, un navire
de guerre, détaché de la station des Samoa, vient y faire une visite an-
nuelle.
La superficie de cet archipel est égale à neuf fois celle de la Corse. Je
donne ici, d'une façon approximative, la longueur et la largeur des îles
principales :
Longueur Liir^eur
Bougainvillo 127 kilomèlres 40 kilomètres
Choiseul 74 — 20 —
Isabel 106 — 27
Malayta 91 - 25 -
San-Christoval G8 — 22 —
Guadalcanar 74 — 28 —
Nouvelle-Géorgie ... 69 — 24 —
Malgré son étendue et son importance, cet archipel n'est relié d'une
façon régulière à aucun pays civilisé. La Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-
Bretagne ont des communications avec l'Australie ; il en est de même
des Nouvelles-Hébrides ; les îles Salomon seules ont été délaissées et le
voyageur désireux de les visiter se demande quelle voie il doit prendre
pour y arriver.
Cette absence de relations suivies avec les pays voisins a laissé à ces
îles leur originalité primitive: l'ethnographe y observe des mœurs et
des habitudes nouvelles, le naturaliste peut y faire une moisson abon-
dante de plantes inconnues, d'insectes non classés.
Ce groupe attira cependant l'attention du gouvernement français ; il y
a quarante ans, on manifesta l'intention de faire de ces îles un lieu de
déportation politique ; ceux qui devaient y être envoyés doivent se féliciter
qu'on n'ait pas réalisé ee projet.
La voie la plus courte pour arriver aux îles Salomon est la suivante :
D"" IIAGEN. — VOYAGE AUX ÎLES S.VLOMON 823
Aller en Australie ou en Nouvelle-Calédonie par un de ces magnifiques
paquebots que la Compagnie des Messageries maritimes met à la disposi-
tion des voyageurs. Dès qu'on est arrivé dans un de ces deux pays, il
faut profiter du départ des petites goélettes qui vont chercher du coprah
ou recruter des travailleurs. Malheureusement, ces communications sont
aléatoires et plusieurs mois peuvent s'écouler sans qu'aucune occasion se
présente.
Au point de vue géographique pur, la connaissance de ces îles est fort
imparfaite; les côtes apparaissent sur les cartes en pointillé; l'excel-
lence des mouillages est hypothétique, et seule l'expérience des vieux
routiers du Pacifique garantit la sécurité de la navigation.
Ces îles sont de formation volcanique; les plus petites, Santa-Anna,
Hougué, Santa-Catalina, sont d'origine mi-volcanique, mi-corallienne.
11 n'existe plus de volcan en activité, mais on remarque des sources sulfu-
reuses, notamment à Bougainville.
Cette origine volcanique a donné un aspect mouvementé à la constitu-
tion physique du sol. On rencontre rarement de larges vallées ; le plus
souvent, ce sont de petites collines qui encaissent des vallées étroites,
sinueuses, sans étendue, dans lesquelles coulent des rivières peu pro-
fondes. Quelques montagnes atteignent une certaine hauteur: je citerai
le mont Balbi (3.0G7 mètres) à Bougainville, et le mont Lammas
(2.440 mètres) à Guadalcanar.
La végétation est magnifique et florissante toute l'année ; nous avons,
en effet, la chaleur et l'humidité, excellentes conditions pour permettre
aux plantes de se reproduire et de se développer en toute liberté.
La nature du sol est variable. Dans les îles d'origine corallienne, il est
purement calcaire et, de plus, il est très bien irrigué ; au contraire, dans
les îles d'origine volcanique, le sol est argileux, poreux, et on n'y voit
que des ruisseaux peu importants.
La botanique n'a guère été étudiée que dans ces dernières années,
grâce aux colleciions rapportées en 1887 et 1888 par deux voyageurs
anglais, Woodford et Guppy.
Parmi les arbres d'une certaine hauteur, on peut citer le cocotier, le
tamarinier, le sandalier, l'amandier, le banian, l'arekier, le corozo;ony
remarque dfS lianes de toutes espèces, des rubiacées, des orchidées, etc.
Quant aux plantes et aux fruits qui entrent dans l'alimentation des indi-
gènes, nous avons le taro, l'igname, la patate, la banane, l'ananas, la
canne à sucre. Je n'insiste pas davantage sur celte partie qui demande
une compétence spéciale pour être traitée.
Les animaux qu'on y rencontre peuvent se diviser en deux groupes :
ceux qui vivent à l'état domestique et ceux que l'on trouve dans les
forêts à l'état sauvage.
824 GÉOGRAPHIE
Dans la première classe nous n'avons que le porc, le chien et la poule;
il n'y a ni bœufs, ni moutons, ni chèvre?. Parmi ceux qui vivent en
liberté, nous pouvons citer, l'opossum, des reptiles, des lézards, des cra-
pauds, des serpents dont la piqûre n'est pas redoutée par les naturels.
Les rivières renferment des crocodiles dont quelques-uns atteignent
une longueur de 1 mètre à l"\oO. Ils n'attaquent pas l'homme.
Dans les petites îles peu habitées, on trouve souvent une grande quan-
tité d'œufs placés dans le sable et d'une certaine grosseur; ils seraient
pondus par une très petite poule qui vole difllcilement, mais court assez
rapidement pour qu'on l'atteigne avec peine ; on a signalé la présence de
cette poule dans un seul point des Nouvelles-Hébrides, à l'île Tanna,
autour du volcan.
La population de l'archipel est assez dense; mais comme dans toutes
les îles del'Océanie, on remarque une décroissance notable dans le nombre-
d'habitants ; on l'attribue à différentes causes telles que : maladies syphi-
htiques, infanticide, émigration, abus des boissons spiritueuses. Toutes
ces causes, prises isolément, sont insuffisantes pour expliquer cette dimi-
nution, mais elles constituent un ensemble de conditions qui permettent
de comprendre pourquoi telle île, autrefois très peuplée, ne contient plus
que de rares habitants.
On ne saurait donner un chiffre môme approximatif concernant la
population; mais il me semble que le chiffre de 200.000 habitants n'est
pas très éloigné de la vérité. L'intérieur est plus peuplé que le littoral; il
en est du moins ainsi à Malayta qui est l'île relativement la plus habitée.
Les indigènes constituent une race saine, assez vigoureuse. Les hommes
ne sont pas taillés en athlètes, mais leurs formes sont bien prises ; le type
moyen est trapu, très peu sont chétifs, malingres ou affligés de dif-
formités.
Leur origine a été très discutée. Mais la linguistique et l'anthropologie
ont permis de reconnaître que cette population est le résultat du mélange
des trois races polynésienne, malaise et mélanésienne. L'indigène de l'in-
térieur a surtout conservé l'aspect physique du mélanésien qui a dû pri-
mitivement peupler cet archipel; l'habitant du littoral semble avoir plus
de globules de sang malais ou polynésien.
A quelle époque ce mélange s'est-il fait? Par quelle voie ces indigène»
se sont-ils transportés d'une île à l'autre? Je renverrai le lecteur au livre
des migrations océaniennes de M. de Quatrefages.
Au point de vue anthropologique, je me bornerai à dire que ces natu
rels sont plutôt dolichocéphales que brachycéphales, mais qu'ils son
surtout mésocéphales. Leur taille moyenne est d'environ l'",6i; leurs
cheveux, quelquefois crépus, sont souvent lisses et assez longs ; leur nez
peu épaté; le prognathisme accentué légèrement chez quelques-uns, très
D'' HAGEN. — VOVAGE AUX ÎLES SALOMON 82.>
fortement chez d'autres; leur couleur se rapproche beaucoup de la cou-
leur dite chocolat.
Leur intelligence est un peu supérieure à celle des habitants des îles
voisines : Nouvelles-Hébrides, archipel de Sanla-Cruz; leur sentiment artis-
tique est plus développé, leur estime de la femme plus grande. Néanmoins
ils sont encore peu civilisés et placés très bas dans l'échelle des races-
humaines.
Les indigènes de chaque île sont dangereux; à tout instant, des catas-
trophes se produisent qui rappellent au voyageur que l'archipel qu'il
visite est situé aux antipodes de la civilisation et que c'est à main armée
qu'il doit assurer sa sécurité.
Ainsi, l'île San-Christoval passe pour la plus avancée du groupe et on
s'accorde à reconnaître qu'on peut la parcourir dans tous les sens et visiter
l'intérieur sans être inquiété. Or, sans remonter jusqu'à l'année 184o,
époque à laquelle furent tués et mangés trois missionnaires français, je
dirai qu'il y a deux ans à peine l'agent du gouvernement d'un navire des
îles Fidji y fut tué à coups de casse-tête.
Moi-même, je me rappelle être débarqué dans la baie de Wannoni sur
la côte nord et avoir été entouré par cent cinquante à deux cents indigènes
tous armés de sagaies et de massues. A un certain moment, quelques
discussions s'élevèrent au sujet du départ de Canaques engagés cependant
d'une façon régulière; les naturels s'excitèrent peu à peu et nous pûmes
difficilement regagner le bord sans avoir été assaillis et atteints par les
sagaies qu'ils commençaient à diriger sur notre embarcation.
L'île Guadalcanar a aussi la réputation d'être tranquille. Cependant
l'Européen devra choisir avec prudence les points oiî il voudra débarquer:
ici s'impose avec rigueur le respect des croyances et des superstitions
des indigènes.
Les îles Choiseul, Isabel, Bougainville ont été souvent le théâtre d'actes
de piraterie commis par des blancs; les naturels savent se souvenir, et
ils ont fait payer aux innocents les fautes des coupables.
Mais, entre toutes ces îles, Malayta est considérée comme la plus dan-
gereuse; ses habitants ont été assez audacieux pour s'emparer de vive
force de bateaux de iOO à loO tonnes, tuer l'équipage, piller, puis
incendier le navire.
La côte de Piou est particulièrement redoutable et, à l'heure actuelle, il
serait imprudent d'y débarquer.
Je suis obligé de reconnaître que cette hostilité des indigènes a eu
pour cause la conduite de certains Européens envers eux. Trop sou-
vent des actes arbitraires ont été commis et il en est résulté, dans l'ar-
chipel, une animosité à l'égard des blancs qui explique les agressions
dont ils sont les victimes.
826 GÉOGRAPHIE
Aussi, si l'on veut connaître d'une façon exacte le naturel de ces îles,
il faut le considérer dès qu'on le transporte hors de son pays natal et
qu'on l'emploie dans les plantations de maïs des îles Samoa, dans les
usines à sucre de Queensland ou dans les mines de nickel de la Nouvelle-
Calédonie.
Il y rend de réels services, il est travailleur, obéissant, et, si on le
soumet à un régime alimentaire convenable, il peut accomplir des ou-
vrages pénibles et fatigants.
Ces qualités le font apprécier en Queensland et aux îles Fidji; le prix
d'engagement d'un indigène des îles Salomon est de cinquante à cent
francs supérieur à celui d'un habitant des Nouvelles-Hébrides.
Le naturel qui habile sur le littoral diffère aussi comme caractère de
celui qui vit dans l'intérieur des terres. Par suite de leur contact avec
les trafiquants européens, de leurs rapports avec les navires qui fréquen-
tent l'archipel, les populations de la côte sont plus douces, plus affables,
plus hospitalières. Ces indigènes ont fait des voyages dans les colonies
anglaises, allemandes et françaises del'Océanie; ils ont contracté quelques-
unes de nos habitudes et ils peuvent rendre des services comme matelots
ou comme interprètes.
Au contraire, le Canaque de l'intérieur, l'homme de la brousse (bush-
man) n'a pas varié depuis le jour où le premier de sa race est venu
construire sa hutte dans ces îles éloignées; il considère toujours l'Euro-
péen d'un air défiant, il est prêt à engager le premier la lutte avec lui;
les rares transactions commerciales qu'il opère sont faites avec prudence
et les rapports qu'on est obligé d'avoir avec lui empreints de la plus
grande méfiance.
L'attrait d'un fusil et de quelques cartouches l'engage quelquefois à
s'expatrier; mais dès qu'il est revenu au pays natal, il reprend vite ses
habitudes primitives et redevient bientôt la brute qu'il était avant son
départ.
Ces naturels vivent par tribus disséminées sur le littoral et dans l'in-
térieur; ils obéissent à des chefs particuliers; ce n'est que dans les îles
Shortiand que quelques indigènes ont pu se créer des royaumes de sept
à huit mille sujets.
Dans les autres îles, chaque tribu est soumise à l'autorité d'un chef;
cette dignité, souvent héréditaire, s'acquiert quelquefois par la richesse.
Celle-ci s'estime par le nombre de dents de chien qu'un individu possède
et par les cadeaux que tout habitant est obligé de faire les jours de fêtes
publiques. C'est alors que chacun, au risque de périr de faim, à la suite
de sa prodigalité, apporte le plus d'ignames, de taros, de porcs qu'il lui
est possible, afin de ne pas être taxé du crime de pauvreté, le moins par-
donné dans ces îles.
D"" HAGEN. — VOYAGE AUX ÎLES SALOMON 827
Le chef ne reçoit aucun honneur spécial , mais il a le droit de choisir
dans la tribu telle femme qui lui plaît, il est chargé de fixer et déter-
miner les défenses religieuses, de tabouer tel ou tel endroit, tel ou tel
objet.
Au-dessous de ce premier chef, il en existe un autre qui occupe une
position influente, c'est le chef de guerre. Il a gagné son rang par son
Kîourage, sa force physique et ses instincts belliqueux. Ses fonctions sont
loin d'être purement honorifiques; il est obligé de payer de sa personne
•et doit faire preuve d'une vaillance et d'une adresse supérieures à celles des
autres hommes de sa tribu.
Les occasions lui manquent rarement; les indigènes des îles Salomon sont
très guerriers et, pour eux, tout est prétexte à déclaration de guerre:
tantôt c'est le désir d'avoir des esclaves qui travailleront sur leurs planta-
tions, ou des prisonniers qu'ils sacrifieront le jour du lancement d'une
nouvelle pirogue; tantôt le rapt d'une femme qui, nouvelle Hélène, sus-
■cite une autre guerre de Troie.
Enfin, en troisième lieu, vient le sorcier ou chef religieux, analogue au
Ta-ka-ta des tribus de la Nouvelle-Calédonie; il prédit l'avenir, guérit les
maladies, et produit la pluie et le beau temps. La crédulité des indigènes
dans la science de leur sorcier ne se laisse rebuter ni par les insuccès ni
parles échecs. Il intervient aussi dans les cas de vol, d'assassinat : c'est
Je grand justicier du pays. Inutile de dire que sa perspicacité se laisse
souvent influencer par des cadeaux intéressés.
Telle est la constitution politique d'une tribu; il n'y a que de légères
différences d'une île à l'autre. C'est seulement dans les îles Shortland et
peut-être à Malayta que l'autorité d'un indigène est reconnue à cinquante
ou soixante milles du lieu de sa résidence habituelle.
Le cannibalisme et l'esclavage sont les deux plaies de ces îles. Depuis
longtemps, l'accusation d'anthropophagie a été portée contre les habitants
-de cet archipel. L'historien du voyage de Mendaua, le pilote Gallego, avait
déjà rapporté qu'ils offraient en vente des quartiers de chair humaine ;
Bougainville affirme le même fait et raconte avoir vu des débris humains
au fond d'une pirogue.
Malgré leurs rapports plus fréquents avec les nations civilisées, malgré
la répugnance que voyageurs et missionnaires se sont efforcés de leur
inspirer, ils ont conservé cette coutume et continuent à la mettre en pra-
tique.
Les prisonniers de guerre sont réservés pour ces festins ; lors de la
construction d'une nouvelle case publique, un indigène est sacrifié, son
corps dépecé est distribué aux principaux de la tribu. Je n'ai pas cherché
à constater ces faits de vhu, mais des témoins dignes de foi me les ont
rapportés.
828 GÉOGRAPHIE
Avant d'être immolés dans un sacrifice, les prisonniers de guerre sont
esclaves ; leur condition ne serait pas trop mauvaise s'ils n'étaient pas^
menacés à tout instant du sort que je viens de décrire ; en effet, ils
jouissent d'une certaine liberté dans la tribu, travaillent, c'est vrai, sur
les plantations de leurs maîtres, mais ils reçoivent de la nourriture en
abondance, ne subissent aucun mauvais traitement et ne sont pas tenus en
mépris par les autres indigènes.
A Guadalcanar, le père vend souvent son enfant comme esclave; c'est
ainsi que nous avons rencontré, à l'île San-Christoval, un jeune garçon
âgé de dix ans abandonné, sans parents. Nous avons pu le ramener à
Nouméa où il travaille aujourd'hui ; il ne demande pas à revoir sa patrie
qui lui est absolument inconnue ou qui ne lui a laissé que des souvenirs
désagréables.
*En dehors de ses expéditions de guerre et de ses chasses à l'homme et
à l'esclave, le naturel vit d'une façon monotone ; il aime à se tenir sur le
devant de la maison commune, il discourt, palabre et s'entretient avec
les autres de choses indifférentes ; il va aussi à la pêche et, dans ses
heures de loisir, fabrique ses armes, ses plats incrustés de nacre et tous
les objets qui font la joie des collectionneurs.
Le rôle de la femme est plus ingrat ; elle semble n'avoir en partage
que les labeurs et les fatigues. Cependant, je ne serais pas éloigné de
croire qu'elle occupe aux îles Salomon une situation plus élevée qu'aux
Nouvelles-Hébrides et en Nouvelle-Calédonie. Il m'a paru qu'elle jouissait
d'une plus grande liberté, n'était pas confinée dans un coin spécial du
village, partageait la vie commune avec son mari et ses enfants. La
polygamie est permise, c'est vrai, mais elle est rarement mise en pratique;
s'il existe des chefs qui, aux îles Shortland et à Bougainville, possèdent
quarante à cinquante femmes, le naturel n'a généralement (ju'une seule
épouse.
La femme s'achète et se paie en monnaie indigène, dents de chien et de
roussette ; il est rare aussi qu'un père ne cède pas sa fille quand on lui
apporte en cadeau une dizaine de porcs. Le type est quelquefois joli;
quelques-unes ont les traits assez fins, la chevelure longue, soyeuse, les
formes bien prises; malheureusement leur visage est vite déparé à cause
de l'habitude qu'elles ont de cliiquer du bétel: leurs dents deviennent
noires et leur bouche prend la couleur de l'écrevisse cuite, comme dit
Rochas.
Elles sont aussi très vite fanées; chez les chefs qui en possèdent un
grand nombre, quelques-unes conservent lem* jeunesse assez longtemps;
ce sont sans doute, celles que leur situation de favorites exempte des tra-
vaux pénibles.
L'avortement et l'infanticide sont fréquents. Peu de famiilles ont plus
D'' HAGE.V. VOYAGE AUX ÎLES SALOMUN 829
<le deux enfants ; le père donne à son fils un nom qui varie suivant les
<litïérents âges de la vie : Sohiina, Toro, Obouna, Catarrho.
Les corps des décédés sont enterrés avec accompagnement de cris et
■de pleurs; quelques mois après la cérémonie, ils sont exhumés, les têtes
des chefs sont séparées du tronc et enfouies dans une case spéciale dont
les indigènes ne s'approchent qu'avec respect, dont ils écartent les étran-
gers et dans laquelle les femmes ne sont pas autorisées à pénétrer.
Dans cette même case on voit des poissons en bois sculpté, incrustés de
nacre et ayant la forme de requins ; chacun d'eux est dédié à tel ou tel
chef.
Je serai bref sur leurs croyances et leurs superstitions; il est d'ailleurs
très difïicile d'obtenir des renseignements exacts, et tout voyageur respec-
tueux de la vérité doit être circonspect avant d'exposer quelles sont
leurs idées morales et religieuses. Ces idées sont généralement fort confuses
dans leur esprit ; la langue qui sert à les exprimer est souvent très rudi-
menlaire et se refuse à traduire des abstractions telles que l'immortalité
de l'âme, la vie future ou l'existence d'un Être suprême. Je laisse donc
de côté cette question.
Les deux sexes font un fréquent usage du bétel. A tout instant on les
voit mordre un morceau de noix d'arec et les feuilles du piper bétel, et
porter à la bouche, au moyen d'une spatule en bois, la chaux qu'ils ont
dans un étui en bambou. Leur nourriture est surtout végétale ; elle con-
siste en taros, ignames, bananes. La seule viande qu'ils mangent est celle
du porc, ils élèvent cet animal à Tétat domestique ou bien ils le chassent
dans les forêts avec des arcs et des flèches. La pêche se fait avec des
filets de fabrication indigène ou avec une ligne munie d'un hameçon de
même origme.
Ils ne préparent aucune boisson fermentée, pas même le kava dont
l'usage est si fréquent dans le Pacifique ; mais les boissons spiritueuses
d'importation européenne exercent sur eux beaucoup d'attraction.
La latitude sous laquelle vivent ces insulaires ne leur impose pas la
nécessité de vêtements bien compliqués : les hommes se bornent à porter
autour des reins une ceinture en écorce ou en lianes ; le costume des
femmes est encore plus rudimentaire. A San-Cristoval, dans la baie de
l'Étoile, elles se présentent sur la plage absolument nues et l'œil indiscret
de l'étranger ne semble pas les effaroucher.
^Néanmoins la coquetterie ne perd pas ses droits ; il est de bon ton de
se piquer dans le nez une dent de chien recourbée ou de se pendre aux
narines des boucles en écaille de tortue; les oreilles sont souvent percées
d'une ouverture assez grande pour permettre à l'indigène d'y cacher sa
pipe, son bâton de tabac et ses allumettes (détail absolument exact et
bien compréhensible pour quiconque a pu constater les déformations
830 GÉOGRAPHIE
considérables auxquelles les indigènes du Pacifique soumettent leurs
enfants).
La coiffure varie suivant le caprice de chaque habitant; tantôt les
cheveux sont en vadrouille, tantôt rasés complètement, ou bien tressés
en forme de natte.
Ces naturels vivent dans des villages situés sur le bord de la mer ou
bien établis dans l'intérieur sur le flanc des collines; des bouquets de
cocotiers seuls en révèlent remplacement et les sentiers qui y mènent
sont escarpés, tortueux et à peine praticables pour le pied d'un Européen.
Il paraîtrait qu'à l'île Isabel, les indigènes construisent leurs huttes
dans les arbres ; je n'ai pas constaté le fait.
Les cases, dans lesquelles ils s'abritent, eux et leur famille, sont cons-
truites d'une façon fort simple : quelques poteaux reliés par des Uanes
soutiennent la toiture en paille et laissent une ouverture à chaque extré-
mité; telle est leur maison, qui ne contient que quelques ustensiles de
cuisine, des plats en bois et quelques sagaies et casse-têtes.
L'architecte donne libre cours à son talent quand il s'agit de construire
les cases publiques dans lesquelles on abrite les pirogues de guerre ; elles
sont élevées de quatre mètres au-dessus du sol et soutenues par des
colonnades en bois ; le peintre et le sculpteur de la tribu y dessinent soit
un cheval, soit un vaisseau, ou bien un moniteur indigène lisant son
bréviaire, ou encore un guerrier dans l'ardeur du combat.
Une visite à ces cases est réellement intéressante et donne une idée du
sentiment esthétique des habitants.
L" industrie est encore à un degré inférieur. Les naturels se bornent à
fabriquer des pirogues avec ou sans balancier, elles sont incrustées de
nacre et quelques-unes assez grandes pour contenir cinquante à soixante
passagers ; leurs armes sont des sagaies et des casse-têtes variant suivant
chaque île; à Malayta et à Bougainville, ils se servent aussi d'arcs et de
flèches.
Je ne saurais m'associer à l'opinion généralement répandue qui veut
que ces flèches soient empoisonnées; aucune observation concluante n'a
été faite et les expériences médicales n'ont pas permis de reconnaître la
présence d'un toxique particulier.
Ils travaillent d'une façon primitive et grossière le silex, savent fabri-
quer quelques haches en pierre, a arête peu tranchante, mais n'ont
aucune idée de l'extraction du minerai et de la préparation des métaux.
Aussi peut -on dire que ces indigènes sont encore à Yâge de pierre.
Le climat des îles Salomon a la réputation d'être malsain ; je ne puis
accepter complètement cette manière de voir.
Quelques Européens habitent le pays depuis cinq, huit et même douze
ans: ils n'ont jamais été atteints de la fièvre paludéenne, si fréquente et
D'' HAGE.N. — VDVAiiE AUX ÎLES SALOMON 831
si tenace dans les archipels voisins de Santa-Cruz et des Nouvelles-
Hébrides. Leur faciès dénote peut-être le léger degré d'anémie qui atteint
tout blanc vivant dans les colonies tropicales même salubres, mais leurs
forces physiques n'ont pas sensiblement diminué et leur état général est
excellent.
La dysenterie et les affections hépatiques n'y sont pas remarquées
d'une façon notable. Les indigènes sont fréquemment atteints de lèpre et
de cette maladie de la peau analogue à l'herpès circiné qu'on appelle le
« Tokelau ». Ils sont aussi très sensibles aux intempéries et aux change-
ments brusques de température.
Je ne veux pas insister davantage sur la constitution médicale du pays
et me propose d'en faire prochainement une étude plus complète.
Les saisons se divisent : en saison pluvieuse, du mois de mai au mois
d'ocloijre, et en saison sèche, de novembre à avril. Les cyclones sont
inconnus dans la latitude sous laquelle sont placées ces îles, mais les
ouragans y sont souvent très violents.
La température s'élève, pendant la saison sèche, à 39 degrés et ne
descend jamais au-dessous de 25 degrés dans la saison pluvieuse.
La densité de la population, la richesse du sol et la salubrité relative
du pays y ont attiré depuis longtemps les Européens ; les premiers en
date sont les missionnaires maristes qui vinrent s'y installer en 184o au
nombre de sept prêtres et de six frères. Mais ces établissements n'eurent
qu'une courte durée signalée par quelques catastrophes ; l'évêque Epalle
lut massacré sur l'île Isabel dans la baie des Mille- Vaisseaux^ et à San-
Cristoval même trois missionnaires furent tués et mangés. Aussi les essais
de catéchisation cessèrent en août l84" et les îles furent abandonnées.
La place ne resta pas inoccupée ; il y a vingt-cinq ans environ, l'évêque
anglais protestant Selwyn et plus tard son successeur, l'évêque Patteson,
commencèrent à parcourir ces îles et à se mettre en rapport avec les
indigènes. En 1872, un de leurs missionnaires s'établit à Savo, un autre
à Floride, un troisième à San-Cristoval et, depuis cette époque, ils cher-
chent à s'insinuer dans l'esprit des indigènes.
Mais il paraîtrait que le terrain ne sera pas laissé uniquement entre
leurs mains; je viens d'apprendre que les pères d'Lssoudun, chargés de
catéchiser ces îles, sont relevés de leurs fonctions et la Société de la
Propagation de la Foi les a confiées de nouveau aux maristes,
La race blanche est représentée aux îles Salomon par une dizaine
d'Européens, de nationalités diverses : anglaise, allemande, russe.
J'ai rencontré deux forçats évadés de la iNouvelle-Calédonie ; ils étaient
venus chercher dans l'archipel un refuge à l'abri des sévérités du bagne.
Quelques Américains résident à l'île Guadalcanar.
Tous ces colons s'occupent de commerce. Aucune tentative de coloni-
832 GÉOGRAPHIE
salion agricole n'a jamais été tentée et les blancs qui habitent ces îles
ne font même pas de culture pour leurs besoins personnels.
Autrefois, ce commerce était entre les mains d'une compagnie anglaise
de Sydney, dont le représentant, nommé Fergusson, habitait l'île de la
Nouvelle-Géorgie ; il recevait ses marchandises d'Australie et remettait
ses produits à de petites goélettes venant de ce continent.
Fergusson fut tué par les indigènes et la maison anglaise cessa ses
opérations.
Actuellement, le commerce porte sur les articles suivants :
Le coprah, produit de dessiccation de la noix de coco, est préparé par
les indigènes et par les blancs. Bien que l'archipel de Salomon soit
supérieur en étendue à celui des Nouvelles-Hébrides, il ne fournit pas
autant de coprah que ce dernier. Je ne veux pas insister sur le mode de
préparation du coprah, le cadre qui est imposé à cette communication
ne le permet pas; je me bornerai à dire que la tonne de coprah vaut
actuellement 175 francs sur les marchés de Sydney, Marseille, Hambourg,
Liverpool. Son prix de revient est de 80 francs environ.
Vient ensuite la brioche de mer qu'on rencontre surtout sur les côtes
de San-Cristoval ; on la fait dessécher et on l'expédie en Chine ; les habi-
tants de ce pays apprécient fort ses vertus aphrodisiaques. Son prix de
vente varie suivant les différentes qualités, depuis 800, 1.200 et même
2.000 francs la tonne.
Les coquillages, l'écaillé de tortue sont expédiés en grande quantité à
Sydney et sont vendus au prix moyen de 250 francs la tonne.
Enfin on trouve, dans les forêts de ces îles, le corozo dont le fruit
'{pomme d'ivoire) sert à la fabrication de boutons de fausse nacre, de
pommes de canne, etc. Son prix avait considérablement baissé lors de
mon séjour dans le groupe. La tonne vaut environ 200 francs.
Il est excessivement rare que ces différents produits soient achetés contre
argent aux indigènes. Ceux-ci préfèrent les marchandises dites de traite :
ce sont les fusils, munitions, boissons spiritueuses, tissus et surtout le
tabac et les allumettes.
Ils sont très friands de tabac et cette plante est indispensable à tout Eu-
ropéen qui fréquente ces îles par esprit de lucre ou par désir de curiosité.
Les naturels font aussi entre eux un commerce d'échanges portant sur
les porcs, ignames, taros, armes indigènes. La monnaie qui sert à leurs
transactions consiste en dents de chien; deux surtout ont de la valeur
(1 franc), ce sont celles immédiatement adjacentes aux molaires; les
autres ne servent que comme objets d'ornements. On rencontre fréquem-
ment des jeunes lilles dont le seul vêtement et la seule parure consistent en
colliers de dents de chien qu'elles portent autour du cou et des reins.
Les hommes préfèrent les dents de mâchoire humaine.
D"" HAGKN. — VOYAGE AUX ILES SALOMON 833
Enfin, dans ces dernières années, les terrains des îles Salomon ont
donné lieu à quelques tentatives de spéculation. Une compagnie de la
Nouvelle-Zélande a acheté les principaux ports et mouillages de la partie
indépendante de l'archipel; une maison de Nouméa s'est rendue aussi
acquéreur de plusieurs points importants dans les îles, notamment à
San-Cristoval.
Telle est la situation économique de ce groupe à l'heure actuelle.
Je ne voudrais pas terminer cette courte étude sans émettre une opinion
personnelle sur l'avenir de ce pays et sans parler des ressources que
pourra présenter plus tard cet archipel.
Aujourd'hui les îles Salomon ne donnent lieu qu'à un commerce peu
important ; je ne crois pas que l'on y brasse jamais de grandes afTaires et
qu'on y fasse une fortune rapide ; la nature du pays, son éloignement de
. tout centre civilisé, l'infériorité de la race qui l'habite seront toujours un
obstacle au développement économique de ces îles.
11 faudrait qu'un courant d'émigrants se dirigeât vers cet archipel; les
nouveaux venus mettraient en exploitation la richesse du sol, la fertilité
des terres; ils introduiraient des cultures de café, coton, canne à sucre,
dont le succès serait bien problématique.
Je ne conseillerai donc à personne de diriger son activité vers ce pays
et d'en faire le centre de ses affaires commerciales.
Le colon qui s'expatrierait dans ce but regretterait vite notre vieille
Europe si décriée.
Néanmoins, notre intluence économique dans le Pacifique exige que
nous ne délaissions pas les îles Salomon ; notre colonie si française de la
Nouvelle-Calédonie doit profiter de son voisinage avec ce groupe pour
étendre ses relations et y chercher ce qu'elle ne trouve pas chez elle, le
coprah, par exemple.
La Nouvelle-Calédonie est reliée à la France par différentes lignes de
bateaux à vapeur. Ces steamers viennent charger à Nouméa, pour l'Europe,
du minerai de nickel; mais la nature de ce fret, qui est lourd, ne leur
permet pas de prendre leur chargement en totalité. Ils sont dans l'obliga-
tion de compléter leur cargaison avec du fret léger qu'ils vont chercher
en Australie.
Ce trafic serait donc plus avantageux pour les armateurs et les consigna-
taires, si la colonie pouvait leur fournir ces deux sortes de frets, lourd
et léger.
Le coprah peut constituer ce dernier fret ; il faudrait donc que notre
colonie océanienne ait des communications plus régulières avec les
archipels voisins des Nouvelles-Hébrides, Santa-Cruz, Salomon, 3Iarschal
et Gilbert. 11 serait alors possible aux négociants de Nouméa de drainer
les produits de ces différentes îles et d'accaparer la totalité du coprah.
53*
834- GÉOGRAPHIE
Grâce à l'exploitation du nickel, qui amène tant de bateaux dans le
pays, ils pourront écouler cette matière sur les marchés d'Europe, à des
prix défiant toute concurrence.
Je soumets cette idée à ceux de nos compatriotes qui ont des intérêts
dans le Pacifique et reste convaincu qu'en la mettant à exécution ils
feront œuvre utile pour eux-mêmes et pour notre chère et bien-aimée
patrie.
M. J.-Y. BAEBIEE
Secrétaire général de la SociéLé de Géographie de l'Est, à Nancy.
L'iMDO-CHINE VUE PAR UN MISSIONNAIRE LORRAIN IL Y A CINQUANTE ANS
4
— Séance du 16 septembre 1892
Les quelques notes que nous allons essayer de résumer n'étaient point
destinées à la publicité ; bien plus, leur auteur, en nous les communi-
quant à l'époque où nous préparâmes notre Livre d'or dans PEst de la
France (1880), ne voulut point être cité dans cette publication De mis-
sionnaire il était devenu simple curé de village, car l'état de sa santé
ne lui permettait plus de séjourner davantage en Indo-Chine. 11 était
modeste entre tous, et tout ce que nous pouvons dire, sans trahir son
nom, c'est qu'il est mort dans la petite commune de Saint-Baslemont
(Vosges), où il était né, après y avoir exercé pendant une quarantaine
d'années le saint ministère.
Le manuscrit, d'apparence régulière comme rédaction, n'est point paginé.
Tout au plus, l'auteur mit-il un certain ordre dans la succession de ses
impressions. Çà et là, il a cru devoir ajouter quelques mots, lorsqu'il
s'est résolu à nous envoyer son récit, pour nous signaler la différence que
le temps a apportée aux choses, ou fournir quelques éclaircissements.
Mais ces additions ôtent plus qu'elles n'ajoutent à la physionomie et à
l'intérêt d'observations faites il y a un demi-siècle.
C'est de but en blanc qu'il nous transporte d'abord à Saigon :
(( La ville de Saigon est aussi bâtie à l'européenne, avec des rem-
parts entourés de fossés ; mais elle est petite. On y remarque surtout le
palais du vice-roi, qui est très beau, avec plusieurs autres édifices couverts
J.-V. BAUmEK. L INDO-CHLNE IL Y V CINQUANTE AXS
en tuiles, ce qui est un luxe pour ce pays, car autrefois on n'en con-
naissait encore (pas) la fabrique. Dans le reste de la Cochinchine, la
plupart des autres villes et même des forts ne sont que de simples
redoutes. »
Il passe tout de suite au climat :
« La température de ce pays est très chaude. Cependant les chaleurs
se font moins sentir en Basse-Cochinchine que dans la Haute, à cause
des pluies abondantes qui y rafraîchissent l'atmosphère pendant l'été et
sans lesquelles cette province, si proche de la ligne, serait presque inha-
bitable, surtout à cause des vapeurs malignes qui s'élèvent continuelle-
ment de ses marais... »
Mais le climat a déjà été tant de fois décrit depuis qu'il n'y a pas
lieu d'insister. Cependant il est à noter que notre auteur constate qu'à
Hué les chaleurs sont plus fortes, mais moins malsaines qu'à Saigon.
Citons pourtant encore ce passage qui est topique sous le rapport du
peu d'« entraînement » auquel on soumettait les jeunes missionnaires
(il n'avait guère que vingt ans) pour les préparer à supporter les incon-
vénients du climat :
« ... En un mot, les chaleurs de la zone torride altèrent singuliè-
rement le tempérament. On s'en aperçoit dès qu'on est arrivé au tro-
pique du Cancer pour la première fois. On sent un malaise par tout le
corps. Peu à peu, après quelques mois de séjour, les humeurs, comme
durcies (sic) et encrassées (?) dans le corps humain par les froids de
l'Europe, fermentent (?) considérablement, et (on est) fort heureux quand
on en est quitte pour une bonne maladie dont on ne se guérit qu'à la
longue par de fréquentes et abondantes purgations... Faute d'un pareil
régime, plusieurs missionnaires, qui sont arrivés robustes et bien por-
tants... sont morts à la Heur de leur âge. D'après l'avis des vieux mis-
sionnaires, on ne doit presque rien faire (d'autre) pendant les trois pre-
mières années que de s'acclimater, étudier la langue et les usages du
pays... »
Puis l'auteur passe aux productions :
« Les productions principales du pays sont le riz, le coton, le sucre,
la soie, le chanvre, le tabac, le poivre, le gingembre, le safran, le tama-
rin, l'indigo, l'ébène. On y trouve aussi grande quantité de fruits excel-
lents ; des oranges, des limons, des mangues, des cocos, des grenades,
■des bananes, des ananas. On y cultive aussi des haricots, des fèves, des
pommes de terre de différentes espèces, des pistaches, de la moutarde,
des courges, des melons d'eau très rafraîchissants, des aulx, des oignons,
des poireaux, la laitue chinoise, quelques choux « à l'huile », des raves
excellentes; j'en ai vu une espèce très grosse et d'un goût exquis ; elles
peuvent avoir un pied de long et 4 pouces de diamètre,
836 GÉOGRAPHIE
» Le café y vient fort bien... le blé également. On prétend que le
cacao y viendrait aussi très bien. On a planté, en plusieurs provinces,
le manioc des Africains; mais, faute de savoir le préparer, plusieurs
s'empoisonnent. La racine de cette plante étant vénéneuse, il faut )a
macérer dans l'eau et la sécher au soleil ; on en prend ensuite la farine
pour en faire des gâteaux . On a aussi apporté de Siam à Dông-Naï ( I )
plusieurs fruits excellents, entre autres le mangoustan et le tou-rieng (?)
de l'Inde. Le tou-rieng, qui, pour l'extérieur, ressemble à un petit
(.( jacque » (2), est d'une odeur détestable ; il sent à peu près ce que je
n'oserais nommer. La première fois qu on en mange, on n'en aime pas
le goût ; mais on prétend qu'à la longue on le trouve délicieux. J'en ai
goûté une seule fois, mais je n'ai pas réitéré l'expérience.
» On trouve dans toutes les provinces le « jacque », dont le fruit
croît, non pas sur les branches, mais sur le tronc de l'arbre. Ces fruits
sont si gros que deux suffisent quelquefois pour la charge d'un homme.
C'est comme un sac rempli de châtaignes qui sont enveloppées d'une
chair jaune et tendre que l'on mange. On en fait une grande consom-
mation. Les pauvres gens mangent aussi les châtaignes (du jacque). Le
bois du « jacque >■> sert beaucoup pour la charpente et la menuiserie ; il
est surtout précieux parce qu'il est inaccessible aux fourmis blanches,
qui, dans ce pays, dévorent tout. Les oranges, ici, sont comme les
pommes en France... L'espèce la plus grosse, qu'on appelle aussi «pam-
plemousse », est enveloppée d'une écorce très épaisse et se conserve
longtemps... On en voit qui sont aussi grosses que la tête. Aussi dit-on,
en proverbe, que d'une main on ne peut tenir deux pamplemousses, ce
qui signifie : « Qui trop embrasse mal étreint. » Les habitants se servent
des cocos pour bien des usages... Aussi les cocotiers sont ici d'un grand
revenu. Le pays le plus fertile en toutes sortes de fruits, c'est le Dông-
Naï. On y entretient sur les arbres une espèce de fourmi qui laisse le
fruit intact et dévore tous les autres insectes qui pourraient leur nuire. On
les appelle « fourmis d'or », sans doute à cause de leur grande utihté.
Ceux (les habitants) qui n'en ont point sont obligés d'en acheter. »
Un long chapitre est consacré au riz. Dans d'autres paragraphes, notre
missionuaire parle du coton, du sucre, des arbres à huile et à vernis, des
bois de construction. Entre ces derniers, il cite le trac, le sao et le lim,
([ui sont réservés pour le roi et auxquels les mandarins eux-mêmes n'ose-
raient toucher. « Le bois mûong a le cœur noir et est enveloppé d'une
autre couche tendre et blanche. Il contient une grande quantité de pous-
sière noirâtre, qui est un remède contre la gale et dont les Chinois se
(1) Il faudrait le D barré de l'écriture des missionnaires pour le mot Dông.
(2j Exactement « jaque », plus connu sous le nom d'à arbre à pain »,
J.-V. lîARBIER. — l'j.NDO-CHINE IL Y A CINQUANTE ANS 837
servent pour une teinture qui ne se ternit jamais. Les cendres de ce bois
contiennent une certaine quantité de sel. Quand ils sont au dépourvu,
les sauvages les lessivent pour en retirer ce sel et font ensuite bouillir
l'eau jusqu'à ce qu'elle soit considérablement réduite. .Jen ai fait l'ex-
périinice, mais il faut une grande quantité de cendres pour obtenir seu-
lement une pinte d'eau salée...
» Dans la partie nord du Dông-Naï, on trouve une vigne sauvage,
dont les raisins sont petits et donnent un vin aigre qu'on ne peut con-
server et boire qu'en y mêlant une grande quantité de sucre. A Siam, il
y en a une autre espèce dont les grappes sont aussi grosses que celles
que rapportèrent de la Terre promise les espions des Israélites. Le vin,
auquel on mêle aussi du sucre, en est potable. On a demandé à Rome si
on pouvait s'en servir pour la messe ; mais depuis longtemps Rome n'a
encore rien décidé.
» Il y a certains arbustes rampants qui deviennent très longs et
flexibles, qui sont des liens naturels presque aussi solides que des cordes ;
on en fait un grand usage.
» J'ai vu aussi un arbre dont je ne connais pas le nom, mais dont les
feuilles se métamorphosent quelquefois en animal. La tête de la feuille
devient une tête entièrement organisée, le dos s'épaissit et forme le corps
ou le ventre de l'animal, la feuille peu à peu se découpe et les petites
ramures se changent en pattes ; enfin l'animal est organisé, vit et se
promène (1)... »
En observateur sincère, mais malheureusement très incompétent, notre
auteur décrit ensuite les plantes médicinales : rien ne lui échappe. Cepen-
dant, il fait des efforts pour donner un caractère scientifique à ses obser-
vations.
« Il y a encore, écrit-il à la suite d'un long paragraphe, un grand
nombre d'autres plantes connues des Chinois et qu'on trouverait peut-
être en partie au Tonquin, en Cochinchine ou chez les sauvages, si
quelqu'un s'en donnait la peine et si on laissait les Européens libres d'y
voyager. Comme il y en a plusieurs dont le « Dictionnaire de Noël »
ne me donne pas la signification, je vais la mettre ici en latin... » (Suit
une liste alphabétique d'environ trois cents plantes.)
Le chapitre consacré aux animaux n'offre point grande originalité.
L'auteur cite cependant, à propos de l'intelligence de l'éléphant, les faits
suivants qui méritent peut-être confirmation : « Un certain éléphant
devenait de jour en jour plus difficile et de mauvaise humeur ; on ne
pouvait plus le faire obéir. On fut longtemps avant d'en deviner la causa.
Enfin, on sut (?) qu'il était mécontent de voir son conducteur mal
(1) Depuis longtemps nos botanistes ont donné la cause de cette illusion d'optique.
838 GÉOGRAPHIE
habillé: cela lui faisait honte. On donna à celui-ci un habit neuf et,
dès lors, l'éléphant fut toujours docile. Le vice-roi du Dong-Naï en avait
(un) qu'il faisait combattre avec le tigre pour l'exercer à la guerre. Il
faut, pour lors, couper les griffes et les dents au tigre... Le moment
du combat arrivé, le vice-roi le faisait venir (l'éléphant) pour lui donner
ses ordres, lui recommander d'être courageux... L'éléphant l'écoutait avec
beaucoup d'attention et, à chaque proposition, répondait « da », qui est
un mot dont se servent les Annamites pour marquer le respect et l'obéis-
sance. La monition faite, il faisait une grande révérence au vice-roi et
marchait au combat... »
Une grande partie du manuscrit est consacrée aux habitants, aux us et
coutumes, aux costumes et aux habitations. Après les nombreux récits
des voyageurs, après surtout l'Exposition universelle de 1889, il ne
semble pas qu'on ait beaucoup à apprendre, en France, sur les Anna-
mites. Cependant il y a, au milieu de nombre de choses qui ne sont
point nouvelles, — et qui prouvent combien les populations de l'Ex-
trême-Orient sont figées dans leur manière d'être, — des observations
inédites ou qui ont besoin d'être confirmées. On en jugera par les cita-
tions suivantes où nous n'avons supprimé que ce qui n'est point néces-
saire à l'unité du récit, laissant la plupart des expressions qui témoi-
gnent à la fois de la sincérité et de la candeur du missionnaire :
(' Les Annamites sont de taille moyenne ; ils ont le visage rond et leur
teint, sans être basané, est cependant moins blanc et moins déhcat que
celui des Européens. Quelques-uns même ont la peau assez noirâtre. Ils
ont les yeux et les cheveux noirs, le nez écrasé et petit, les pieds petits (?)
et les mains mal faites avec des doigts renversés. Ils ont le corps droit
et les membres assez dégagés. Souvent, pour s'éviter la peine de se
baisser pour ramasser quelque objet, ils le saisissent avec le pied pour le
porter à la main. On ne voit chez eux que très peu d'estropiés. Ils ont la
vue moins perçante que les Européens : nous pouvons encore lire lorsqu'ils
n'y voient goutte. On voit des hommes très forts; mais, en général, ils le
sont beaucoup moins que les peuples du Nord (?;, ce qui vient sans
doute de la chaleur du climat et de leur nourriture légère... Ils n'ont
point de favoris, mais seulement une barbiche au menton avec de
longues moustaches qu'ils laissent croître seulement sur les coins de la
lèvre. Ce n'est que vers l'âge de trente-cinq à quarante ans qu'ils laissent
croître la barbe. Il siérait mal à un jeune homme d'en avoir...
)> Le naturel dominant des Annamites est le flegmatique. Ils sont pai-
sibles, doux, lents. Sans être paresseux, ils ne sont pas actifs; (ils) ne
se pressent point... et ne se trouvent jamais mieux que quand ils sont
couchés ou assis. Les enfants même n'ont ni l'ardeur ni la pétulance
des Européens ; ils sont graves dès le bas âge. Ils (les Annamites) ont
I
J.-V. BARBIER. — l'iNDO-CHINE IL Y A CINQUANTE ANS 839
peu de soucis et ne portent pas loin leur prévoyance. Ils sont un peu
indifîérents. ont peu d'afifection et de sensibilité. Aussi ne connaissent -ils
guère ce que c'est que l'amitié. Ils voient mourir un père, une mère,
un mari, une épouse presque d'un œil sec. Ou s'ils éprouvent, pour le
moment, ([uelque douleur, ce sentiment a disparu au bout de peu de
jours... Ils ont le jugement assez juste et entendent assez facilement
raison. Une attention soutenue leur émousse l'esprit ; aussi ne sont-ils
nullement capables de cultiver les sciences abstraites, telles que la
métaphysique. Ils se pénètrent peu des vérités terribles de la religion ;
aussi ne trouve-t-on que peu de personnes timorées et presque point de
scrupuleuses. Ils ne sentent même la grièveté des crimes les plus
énormes que parce qu'ils sont punis par les lois du royaume ou parce
qu'on leur impose quelque pénitence publique et frappante. Ils ne sont
pas capables de vertus héroïques et souffrent avec peine le jnug de la
discipline, ce qui provient aussi beaucoup du défaut d'instruction ; car,
ici, point d'écoles pour former les mœurs... Saint François-Xavier a
dit, en parlant des Asiatiques, qu'ils étaient d'un si mauvais naturel
qu'on ne pouvait jamais les amener à une exacte observation des vertus
chrétiennes. Rome défend d'ordonner les prêtres annamites avant l'âge de
trente ans, et l'expérience prouve que c'est encore trop tôt... Ils parlent le
plus souvent à double sens, afin, si on les prend d'un côté, de pouvoir
s'échapper de l'autre. Ils y sont exercés de très bonne heure : on voit des
enfants qu'on ne saurait convaincre de faute, tant ils sont habiles à se
défendre. Quand ils disent qu'un homme est très prudent, c'est qu'il est
très habile à mentir et à tromper. Les grands, comme les petits..., tout
le monde ment. Comme ils ne se croient guère entre eux, ils font , des
serments et se parjurent à tout propos. Mais ils ne font pas de cas du
serment. Eux-mêmes avouent leur faiblesse à cet égard, de manière
qu'on peut dire d'eux, sans leur faire injure, ce que saint Paul disait des
Cretois :
Malœ besfiœ venir is pigri semper mendaces.
» Ils ont encore une propension déclarée pour l'orgueil ; ils veulent
être honorés coûte que coûte et ne cherchent en tout qu'à (se) préva-
loir... S'ils rencontrent un inconnu et que la conversation s'engage, ils
décriront leur généalogie, ils seront parents ou alliés d'un tel, homme
riche, puissant, constitué en dignité ; ils auront été employés en telle
afiaire, un mandarin les appellera souvent pour leur confier quelque
mission ; ils auront été loués ou reçus quelque part avec beaucoup
d'honneur. Et autres misères pareilles qui ne s'effacent jamais de leur
mémoire et dont ils veulent que tout le monde soit instruit... Les supé-
840 GÉOGRAPHIE
rieurs sont obligés d'avoir beaucoup de gravité ; ils ne peuvent point user
de familiarité avec les inférieurs, car ceux-ci sont toujours à examiner le
degré d'honneur et d'estime qu'on leur accorde et chercher toujours
(à monter) plus haut pour pouvoir ensuite se familiariser. Après quoi,
ils méprisent l'autorité qu'ils ne savent mesurer que par l'air de gran-
deur et de gravité dont celle-ci s'environne. Un missionnaire, par
exemple, ne mangera ni ne s'assoiera jamais, môme avec les premiers
catéchistes, quand môme ceux-ci seraient de respectables vieillards ; tout
le monde en serait très scandalisé...
» Les Annamites sont moins hébétés, moins fainéants et moins volup-
tueux que les Cambodgiens, mais ils ne sont ni si spirituels, ni si actifs,
ni si industrieux que les Chinois. Et parmi les Annamites, les Cochm-
chinois sont intérieurs aux Tonquinois. En Cochinchine même, les pro-
vinces du midi ne valent pas celles du nord. Cependant, les Annamites
sont bien plus guerriers et, je crois, moins voluptueux que les Chinois.
Les Cochinchinois, sans être aussi cérémonieux que les Tonquinois, ont plus
de bon sens (1) et de droiture naturelle. Les mandarins de Cochinchine, que
le roi envoie au Tonquin, ne « voient quelquefois que du bleu » (sic)
dans les procès, tant les Tonquinois sont retors et captieux pour « en-
tortiller » une affaire. Les femmes y ont au.ssi (au Tonquin sans doute)
beaucoup d'éloquence naturelle... »
Dans le chapitre du costume, nous ne voyons à citer que quelques
passages :
« ...On laisse les garçons nus jusque vers l'âge de quatorze ans et les
filles jusque vers l'âge de dix ans. quand ils sont à la maison ou qu'ils
vont paître les troupeaux ; mais, quand ils sont quelque part, on a cepen-
dant soin de les faire habiller. Les ouvriers, quand ils travaillent, ne
gardent que leur culotte, ou même simplement le langoiiti, dont se
servent principalement les Tonquinois; en Cochinchine, il n'est guère
d'usage. C'est une ceinture qu'on fait passer entre les jambes et qu'on
noue ensuite très proprement. Le langouti est en usage chez beaucoup
d'autres peuples d'Orient. Les femmes, surtout dans leur ménage, ne
gardent aussi que la culotte. Plusieurs, cependant, se couvrent le sein
d'un voile ou pectoral qu'elles attachent en haut, sur le cou, par deux
cordons, et en bas, ilerrière le dos, par deux autres cordons. D'autres
rehaussent leur culotte, qui est très grande, pour se couvrir le sein...
« Les femmes annamites ne diffèrent des hommes, pour le costume,
qu'en ce que leur habit est beaucoup plus long, leur culotte un peu plus
étroite, leurs boulons et leur chapeau un peu plus petits ; quoiqu'elles
<1) Cette observation semble en contradiction avec celle qui précède quatre lignes plus haut;
mais il nous paraît, d'après les mots qui suivent, que les mots de bon sens sont mis ici pour sim-
plicité.
J.-V. BARBIER. — l'iNDO-CHINE IL Y A CINQUANTE ANS 841
aient le turban (?), elles ne (se) couvrent pas la tète comme les hommes.
11 y a aussi des hommes qui ne (se) la couvrent pas. Les deux sexes peu-
vent se servir et se servent quelquefois indifféremment des habits de l'un
de l'autre. Des gens mariés, qui sont pauvres, n'auront peut-être, pour
les deux, qu'un seul habit de soie: celui des deux qui va à la messe
prend l'habit et l'autre garde la maison. Si on ne voit pas la figure, il
est parfois difficile de distinguer les hommes des femmes. Pour les en-
fants de dix à douze ans, j'ai été souvent fort embarrassé de savoir s'ils
étaient du genre (sexe) masculin ou du genre féminin.... Les vêtements
de dessous sont généralement très sales, car ils (les Annamites) ne savent
pas faire la lessive. Ils les lavent cependant à l'eau claire, mais ils ne
viennent pas à bout de les décrasser. Assez souvent, si le vêtement est
encore bon et qu'il n'y ait plus d'autres ressources ils le teignent en cou-
leur d'écorce (?) ou couleur jaune... »
En ce qui concerne Fhabitation :
« Leurs maisons ne sont guère que des tentes. Elles peuvent se mon-
ter, se démonter, se transporter comme on veut. Aussi comptent-elles
parmi les objets mobiliers. Elles n'ont, pour l'ordinaire, point de plancher
supérieur ou inférieur. Sur sa tête on a le loit, et à ses pieds la terre
nue. Quelques-uns cependant font une espèce de cellier pour y mettre des
provisions ou des effets... Les maisons sont couvertes en paille ou en
branches de cocotier. En Basse-Cochinchine, plusieurs riches particuliers
ont des couverts (couvertures) en tuiles, dont on ne connaît l'usage que
depuis un certain nombre d'années. Pour construire les murs, ils com-
mencent par élever un échalas de lattes (lattis?) en bambous qu'ils en-
duisent de terre ou de boue pétrie, de l'épaisseur de trois à quatre pouces.
Les voleurs percent ces murs bien facilement avec un simple instru-
ment de bois. Les mandarins et quelques personnes riches... ont des
cloisons en planches avec de petits ornements sculptés. Il n'y a que les
édifices publics qui soient bâtis en briques ou en tuf... »
Après le logis et quelques détails sur le mobilier très sommaire dont
les nattes et les phans forment la partie essentielle, viennent quelques
observations sur les us et coutumes.
« Ils (les Annamites) dorment peu, se couchent assez tard et se lèvent
au point du jour. Si, pour quelque affaire, ils n'ont pas dormi la nuit, ils
n'en sont pas beaucoup gênés; ils se jettent dans un coin où ils dorment
une heure ou deux... Dans les maisons qui ont un plancher, on s'assied
et mange sur le plancher. Dans les autres on se pourvoit du phans qui con-
siste en quelques planches unies ensemble et élevées (au-dessus) de terre
d'environ 6 à 8 pouces par le moyen de trois traverses qui servent de pieds.
Ces phans sont assez larges pour tenir cinq à six personnes. On les
couvre de nattes plus ou moins belles et précieuses selon la dignité des
842 GÉOGRAPHIE
personnes. Quand quelqu'un de distingué entre dans la maison, le maître
fait immédiatement préparer une grande natte, bordée ou à fleurs. Ils
s'assiéent en croisant les jambes... Les inférieurs ne peuvent pas s'as-
seoir sur une môme natte avec un supérieur, ce serait lui manquer essen-
tiellement de respect. Quelquefois cependant, quand la distance n'est pas
très grande, le supérieur, un mandarin par exemple, pour marquer de
la considération à un homme respectable, le fera asseoir avec .lui. Les
mandarins, pour l'ordinaire, sont assis sur des plateaux élevés de boi&
dur et d'un poli luisant, sans y ajouter de nattes, mais seulement un
accoudoir (?). Quelquefois on fait asseoir les hôtes sur des chaises que
leur vendent les Chinois. On a aussi des bancs et des tabourets, mais ce
n'est guère l'usage, de s'en servir. Dans un repas ou dans une grande
compagnie, les plus dignes sont les plus près de la porte; chacun sait
précisément le rang qu'il doit tenir à raison de son âge ou de quelque
autre titre. Mais lorsqu'un supérieur est assis isolément, les plus dignes
en doivent être naturellement les plus rapprochés. Assez souvent par res-
pect, ils ne font que de s'abaisser sans croiser les jambes ni appuyer le
derrière. S'ils ont des chaussures ils ont du les laisser à la porte. Pour
l'ordinaire on salue, même les supérieurs, par une simple inclination. Le
grand salut, suivant le cérémonial chinois n'est d'usage que dans certaines
circonstances, comme quand ou offre des présents, quand on veut faire
une pétition, ou remercier, ou demander pardon, ou même quand on se
présente devant un supérieur qu'on n'a pas vu depuis longtemps ou qui part
pour un long voyage. Voici comment se pratique ce salut : 11 faut d'a-
bord se mettre en grand costume. Les hommes, debout, joignent les mains,
les élèvent au-dessus de la tête de la longueur des bras, les rabaissent
vers la poitrine, les étendent en forme de cercle à la même hauteur,
puis se mettent à genoux, posent leurs mains ainsi jointes et appuient la
tête dessus, comme pour frapper la terre de leur front. Puis ils se relè-
vent et répètent plusieurs fois ce salut selon la dignité du supérieur. On
salue le roi cinq fois. Ensuite on fait une inclination ordinaire. Les femmes,
après s'être assises, non en croisant les jambes, comme les hommes
mais en les repliant du côté gauche, se prennent les poignets, étendent
ainsi les bras en forme de cercle à la hauteur du front et font une ou
plusieurs inclinations de tête. Assez souvent, au lieu d'étendre ainsi les
bras, elles se contentent de tenir les mains jointes sur leurs genoux. Ce
n'est pas ici l'usage de se saluer en se souhaitant le bonjour ou le bon-
soir. Si on se rencontre par les chemins, on n'ôte pas son cliapeau, à
moins qu'on ne se trouve en face d'un supérieur. Alors il faut aussi
abaisser les bourses qu'on porte en besace sur son épaule . Si on est à
cheval ou en palanquin on descend... Ce n'est pas l'usage de se prendre
par la main. Il serait indécent de s'embrasser... Un enfant, même après
HENKI d'oRLÉANS. — EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 843
une longue absence, ne s'avisera jamais d'embrasser son père et sa mère...
On ne se prend jamais par-dessous le bras et les personnes de dilTérent
sexe ne doivent point s'asseoir sur une même natte (à moins) qu'elles ne
soient proches parentes ou d'un âge avancé. »
On voit avec quelle minutie notre missionnaire a observé les Annamites.
D'assez longs chapitres sont consacrés encore aux repas, aux jeux, au
calendrier annamite, aux monnaies et mesures. Mais nous ne saurions
abuser plus longtemps des instants de la Section. Si les extraits que nous
venons de lui communiquer lui ont paru avoir quelque intérêt et quelque
originalité, nous tâcherons de lui donner la suite de ces notes à la pro-
chaine session.
Le Prince Henri d'ORLÉAÎfS
à Paris.
UNE EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOI A BANGKOK
— Séance du 17 septembre 1892 —
A la fin de notre long voyage à travers l'Empire chinois, nous avons eu,
M. Bonvalot et moi, la chance de déboucher au Tonkin; après la tra-
versée du Thibet, peu peuplé, du Setchuen occidental bien misérable,
du Yunnan montueux si aride, le delta du Song-Koï nous a semblé
un pays enchanté, un nouvel Eden; n'étions-nous pas l'objet d'un mirage?
Avions-nous bien le droit de juger avec nos précédents souvenirs comme
point de comparaison? Et la richesse de la colonie française ne nous
a-t-elle apparu qu'en raison de la pauvreté des régions déjà parcourues ?
Autant de questions qu'il m'importe de résoudre.
De prime abord admirateur du Tonkin, j'y retournerai pour avoir le
droit d'en parler; il me faut en effet mieux le connaître que par le séjour
d'un mois ; mes impressions doivent s'appuyer sur autre chose que des
renseignements vagues, sur des faits et des chiffres; une sorte d'enquête
est à faire ; c'en est le résultat que je veux vous soumettre ici.
Ma conférence se divisera naturellement en trois parties : dans la pre-
844 GÉOGRAPHIE
mière, je vous dirai mon séjour dans le bas Tonkin; j'essayerai de vous
faire en quelques traits un tableau de ce qui a déjà été créé, vous verrez
facilement à côté ce qui reste à faire et c'est beaucoup.
La seconde nous conduira dans le haut pays; ici, trois directions nous
sont indiquées par le cours des eaux : à l'est, la voie de. la rivière Claire;
de ce côté, la pacification est loin d'être achevée ; les travaux de che-
min de fer ne sont guère avancés, et, d'ailleurs, les rapports de notre
consul de Lang-Tchéou, de l'agent anglais de Pakoï, des employés des
douanes chinoises, nous donnent des chiffres précis, qui nous permettent
d'estimer, dans l'état actuel de la question, le commerce possible du Tonkin
avec le Quang-Si et le Quang-Toung.
Au nord, le fleuve Rouge, l'artère principale du Tonkin, qui coule du
Yunnan droit comme un i jusqu'à Hanoï. Nous avons eu la chance de le
descendre dans mon précédent voyage.
Reste à l'ouest, la rivière Noire, encore peu connue du public, malgré
les nombreuses traversées de la mission Pavie; c'est elle que nous allons
remonter. A côté des renseignements commerciaux que nous pourrons y
glaner, nous trouverons d'autres avantages; les races qui peuplent ses
bords, sa formation, sa faune, sa flore sont à peine étudiées; il y aura
matière à nombreuses collections.
Enfin, la montée du Song-Ro nous mènera auprès du Laos.
Dans la troisième et dernière partie de ma conférence, je me propose
de vous dire deux mots de cette région encore mal définie et dont le
nom semble pourtant devoir revenir souvent dans l'histoire de l'Lido-
Chine moderne. Un syndicat français cherche à mettre cette contrée en
exploitation; des rivaux nous y disputent un terrain occupé par un tiers,
et la poudre jetée aux yeux du public n'a souvent pour but que de lui
cacher des convoitises plus grandes.
On peut dire du Laos, en étendant son nom à la région que traverse
le 3Iékong, de la frontière du Cambodge à celle de Chine, qu'il est
actuellement la clef de la question d'Extrême-Orient; c'est derrière le
masque du Laos que les Anglais cherchent à nous couper les voies de
pénétration en Chine et à nous devancer sur le grand marché du Céleste-
Empire... (et ils marchent à grands pas). La question est brûlante, com-
plexe, difficile à résoudre diplomatiquement dans un pays où chacun peut,
avec justesse, invoquer des droits, passionnante pour nous, car d'elle,
peut-être, dépend l'avenir de notre empire colonial en Indo-Chine.
En quelques mots. Messieurs, j'ai essayé de vous indiquer le but que
j'ai poursuivi en retournant au Tonkin. Je n'ai plus qu'à aborder le récit
même de l'excursion, en sacrifiant souvent, pour plus de brièveté, les
détails de la route au désir de vous exposer à quelques-uns des résultats
généraux qu'il me semble avoir constaté.
HENRI d'oULÉANï;. — EXCURSION EN INDO-CIIINE — DE HANOÏ A BANGKOK 84o
LE BAS TONKIN. — LES CHARBONNAGES. — LA PIRATERIE ET LES MOYENS
DE LA COMBATTRE.
Arrivé à la fin de décembre à Honi;-lvong, j'ai la chance d'y assister à
des essais qu'on fait du charbon du Toiikin; ce dernier est brûlé à bord
de plusieurs ferrys de la rade et dans les fourneaux de l'usine Jardine et
Matheson. Le feu doit être entretenu avec soin. Mais le combustible pro-
duisant, à quantité égale, plus de calorique que celui du Japon, on
réalise à son emploi une économie de près d'un tiers sur le japonais.
Des chiffres donnent ainsi la mesure de succès du charbon de notre
colonie.
Quelques jours plus tard, une chaloupe mise à ma disposition par un
des capitalistes de Hong-Kong les plus convaincus de l'avenir du Tonkin.
M. Cheater, me transporta de Haïphong à Hong-Hay ; de cette excursion
dans les charbonnages, j'ai déjà envoyé un compte rendu détaillé à la
Société de Géographie commerciale.
Qu'il nous sutrise de dire ici que deux gisements principaux exploités,
l'un en galerie et l'autre à ciel ouvert, comme une simple carrière, et
reliés au port par une quinzaine de kilomètres de chemin de fer à voie
d'un mètre, donnent actuellement cent cinquante tonnes de charbons par
jour et que dans quelques mois, lorsque les derniers kilomètres de rails
seront posés, on pourra compter sur un rendement journalier de trois
cents tonnes.
Au mois de décembre 1891, six mille tonnes ont déjà été envoyées à
Hong-Kong; et lorsque j'ajouterai que la production totale d'un des cen-
tres d'exploitation (il y en a trois principaux dans la concession seule de
Hong-Hay) est évaluée à plus de quarante millions détonnes, je crois que
j'aurai dissipé toute crainte qu'on pourrait avoir d"un rapide épuise-
ment de la mine.
Plus loin, Kébao, dont les travaux ont été commencés plus tard et
avec un moindre capital, suit pourtant honorablement l'exemple donné
par son aînée Hong-Hay; les deux exploitations sœurs sont appelées à
un grand avenir.
L'île de Kébao ferme la rade profonde de Tien -Yen; les vaissaux ca-
lant sept mètres pourront y trouver abri et venir aux plus basses marées
jusqu'au pied de la falaise. Sur les îlots semés à l'entrée de la baie,
comme des sentinelles aux avant-postes, des batteries vont être établies
et derrière celles-ci sera créé un port de ravitaillement pour la marine
militaire : peut-être alors ceux qui ont invoqué l'abandon par la France
de la clef de l'océan Lidien, le canal de Suez, comme argument contre
846 GÉOGRAPHIE
l'occupation du Tonkin, comprendront-ils l'immense avantage pour la
patrie d'être seul avec la Russie à posséder un grand port militaire dans
l'Extrême-Orient; et qui se souvient de la position critique dans laquelle
le manque de combustible avait mis notre flotte, sous le commandement
de l'amiral Courbet, sentira la force qu'elle se donne en contruisant ses
appontemenls sur des assises de charbon .
En quittant Hong-Hay et Kébao, nous n'en avons pas fini avec la
question de la houille au Tonkin : la prochaine carte géologique du
pays sera marquée d'une large bande noire traversant la colonie dans sa
plus grande étendue, du sud-est au nord-ouest; apparaissant dans l'île
de Haïnan, le charbon est connu à Kébao, à Hong-Hay, puis dans le
Dong-Trieu, à Quang-Yen et encore sur les bords du fleuve Rouge, à Yen-
Bay, à Lao-Kaï, où les essais ont révélé un combustible égal au meilleur
cardiff; ces charbonnages montent plus haut jusque dans le Yunnan,.
formant de véritables montagnes sur lesquelles le sabot du cheval se
heurte à chaque pas au combustible. Je ne vous parlerai pas des traces
connues et que j'ai moi-même relevées sur la basse et haute rivière
Noire; je ne vous entretiendrai pas de ce qui est encore à trouver, de
ce qu'on découvre encore en ce moment; je ne vous conduirai même
pas aux célèbres exploitations de l'Annam; je me bornerai à ce que je
viens de vous énumérer au Tonkin même, il y a quelques instants, et je
demanderai à chacun de vous, quelque opinion qu'il puisse avoir sur la
question coloniale, s'il n'est pas tenté de joindre sa voix à celle d'un étran-
ger, d'un Anglais, de lord Connemara, pour dire avec lui :
« Le Tonkin est appelé à jouer dans l'Extrême-Orient le rôle que joue
l'Angleterre en Europe; ce sera le grand producteur de charbon de
l'Asie. »
Puisque j'en suis à invoquer les avis de nos rivaux en matière colo-
niale, il me plairait de me mettre encore ici sous le couvert d'un journa-
liste anglais pour vous parler de Haïphong; je serais ainsi en garde
contre l'accusation de partialité; des citations vous intéresseraient peut-
être, des faits vous parleront plus éloquemment.
En 1886, le Haïphong français se composait de quelques cabanes de
planches et de bambous dressées au milieu des marais : la mortalité était
grande dans ce centre infectieux.
En 1892, des esprits facétieux (il s'en trouve partout) annoncent que
pharmaciens et médecins sont sur le point de se mettre en grève. Sans
croire cette âge d'or arrivé, je me contenterai de vous faire remarquer
qu'en cet année bienheureuse un seul décès est constaté dans la popu-
lation européenne de la ville; nous ne comprenons pas dans celle-ci, bien
entendu, les soldats malades évacués du haut Tonkin. Les mares ont été
comblées avec des mottes de terre apportées les unes après les autres par
HENRI d'orLÉANS. — EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 8i7
•des coolies ; sur ces moites une ville s'est élevée : des canaux ont été creu-
sés, et le voyageur qui suivrait les quais serait étonné de voir dans les
<îliantiers qui bordent le fleuve Houge les carcasses de navires construits
de toutes pièces à Haïphong pour la montée des rivières du Tonkin.
C'est un de ces navires, appartenant à la Compagnie des Messageries
fluviales, dont les bateaux sillonnent la contrée, qui nous conduira en
quinze heures à Hanoï. Il me faudrait plusieurs journées pour vous pro-
mener dans la ville et ses environs, vous montrer partout les résultats
étonnants obtenus en peu d'années par des colons énergiques et tra-
vailleurs; le parti qu'on a su tirer de quelques produits déjà utilisés, le
dressage qui a été fait d'indigènes, bien dilïérents de nous, mais labo-
rieux et intelligents, mis avec succès à des travaux entièrement nouveaux
pour eux; le temps me presse, et pourtant vous éprouveriez, j'en suis
sûr, un bien légitime sentiment d'orgueil national à visiter l'imprimerie,
la typographie et la fabrique de papier de MM. Schneider, la fabrique
■d'allumettes de M. Courtois, les filatures de soie de MM. Dorel et Bour-
goin-MeilTre, les broches à coton nouvellement arrivées de ce dernier, les
ateliers de confection de M. Charpentier, que sais-je? Plus loin le Jar-
din botanique, dirigé avec tant d'intelligence et à si peu de frais par
M. Martin, jardin où chacun peut trouver à un extrême bon marché les
jeunes plants nécessaires à tous les essais; et, plus loin encore, à quel-
ques heures de bateau, les carrières de marbre et les cultures de café de
Kécheu, dirigées par les frères Guillaume; le vaste établissement agricole
créé par le regretté monseigneur Puginier, dont la figure plane dans l'his-
toire de la colonisation française en Indo-Chine au-dessus des partis et des
croyances ; les plantations de coton du Syndicat anglo-français et tant d'en-
treprises diverses dont la mise en œuvre suffit seule à réduire à rien les
dénégations de ceux qui refusent à la race gauloise le génie colonisateur.
Je m'arrête ici pour essayer de répondre à une question que je sens
posée sur les lèvres de chacun.
— Si l'on a déjà tant fait, me direz- vous, que reste-t^il à faire?
Beaucoup, tout même, et c'est là que j'arrive au revers de la médaille.
Hong-Hay, Haïphong, Hanoï, et une zone environnante ne constituent
pas tout le Tonkin ; à droite et à gauche s'étend le Delta, oij la popula-
tion grouille, le Delta fertile avec ses rizières; et au-dessus du Delta, les
plateaux encore non cultivés ; plus haut encore les collines couvertes de
forêts. Dans ces régions le colon ne se fixe pas ; c'est à peine s'il les par-
court de temps à autre.
A part les charbonnages et quelques gisements d'antimoine, proches
de ces derniers, les mines ne sont pas exploitées.
Les grandes cultures ne sont guère tentées ; de vastes espaces de terre
arable sont encore vierges du contact de nos charrues.
S48 GÉOGRAPHIE
Tandis qu'à l'ouest, nous voyons les Anglais aller chercher leurs rubis
dans les districts les plus reculés de la haute Birmanie, ou faire descendre
leurs radeaux de teck de forêts éloignées ; tandis qu'au sud les Néerlan-
dais retirent de leurs vallées des centaines de millions sous la forme de
feuilles de tabac ou de balles de sucre; tandis qu'à l'est, les Espagnols de
Manille chargent des navires entiers de chanvre dit de Manille ou de jute,
pour([uoi nos compatriotes du Tonkin ne produisent-ils que sur une si
petite échelle encore? Pourquoi ne se hasardent-ils guère en dehors d'une
bande de terrain si étroite, alors que le pays est si grand?
C'est, dira-t-on, qu'il y a peu de routes; que les capitaux manquent;
que beaucoup de préventions qui ont accompagné l'occupation du Tonkin
subsistent encore. Tout ceci est exact; et pourtant là n'est pas encore la
vraie réponse :
Nous sommes en retard, parce que le pays n'est jms encore pacifié.
Les pirates sont partout. Leur existence est la cause de notre faiblesse.
Des travaux dans une mine ont-ils été interrompus? une récolte dé-
truite? un convoi arrêté? un commerçant a-t-il disparu? Chaque malheur,
chaque catastrophe, chaque désastre est l'œuvre des pirates, force invisible
mystérieuse, sans cesse combattue et renaissant sans cesse de ses propres
débris, semblable à ces annélides dont les tronçons sectionnés à l'infini
reforment toujours des corps nouveaux.
Il ne m'appartient pas de faire ici une étude de la piraterie, de vous
montrer la différence entre les contrebandiers et les rebelles, d'examiner
les sentiments qui les animent, les moyens d'en venir à bout; c'est
'parmi nous qu'il faut chercher la raison de leur durée et de leur force ;
on ne peut la préciser et on la trouverait un peu partout : dans l'éta-
blissement de la ferme d'opium, qui fait naître les contrebandes; dans
le peu d'unité d'action; dans la trop longue rivalité qui s'est produite
entre les pouvoirs civils et militaires; dans le trop petit nombre de troupes
européennes.
Dans une contrée grande comme la France, où nous ne pouvons pas
opposer à douze millions d'habitants plus de trois mille soldats français,
une position obtenue ne peut être gardée ; tout est sans cesse à recom-
mencer; est-on parvenu à acculer Lou-Ky dans le Dong-Trieu, quil
faut l'abandonner, lui laissant les moyens de se reconstituer, pour porter
l'attaque dans le Yen-'ihé ; et ces opérations sur la rive gauche du tleuve
Rouge permettront, à l'ouest, aux bandes du Doc Ngu de gagner du
terrain et d'infliger de sérieux échecs à nos troupes, trop faibles sur ce
point.
Je devrais mentionner encore ici la difficulté des communications ; je
sais que nous devons au gouverneur général la construction de nom-
breuses routes; mais il reste sur ce point beaucoup à faire; ne serait-il
HENKI d'oRLKANS.— EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 849
pas temps de songer à des chemins de 1er, de commencer des travaux
plus sérieux que ceux du Decau ville qui doit transporter les marchan-
dises de Phu-lang-Thuong à Lang-Son, et dont le spectacle est un scandu/e,
il faut dire le mot, exposé à la vue de tout voyageur venant au Tonkin;
je regrette d'avoir laissé écliapper ce mot, et pourtant après vous avoir
montré 22 kilomètres de voie de 60 centimètres posés en deux ans, je
voudrais pouvoir vous transporter en Birmanie et mettre sous vos yeux
i20 kilomètres de voie d'un mètre établis en un an dans la vallée de
riraouaddy, entre Rangoon et Mandalay. Les chiffres parlent; ils seraient
encore plus éloquents si nous abordions le chapitre des dépenses.
La recherche des causes de la piraterie vient de m'entrainer plus loin
que je n'aurais voulu, et pourtant je voudrais, avant de la quitter, vous
indiquer un autre aspect de la question : celui de notre situation entre la
Chine et le Siam ; des deux côtés du Tonkin, la frontière est ouverte,
et nos voisins ont tout intérêt à soutenir les pirates; les proteslalions
de bonne amitié du Tsong-li-Yamen ou de la cour du Siam sont fré-
quentes; je veux bien que Pékin et Bangkok ne soient pour rien dans les
agissements de leurs provinces frontières des nôtres; mais est-ce une
raison pour nous de laisser passer des faits graves sans rien dire?
Xe pouvons-nous demander ce que sont devenus les assassins de
M. Haitce? ne nous dounera-t-on pas des explications sur la présence en
Chine, près de Mong-Kay, au printemps de cette année, de deux Euro-
péens, trafiquant avec Lou-Ky de nos fusils Lebel ? et pourquoi laisser
Tuyet, à Canton, toucher une pension de 300 piastres par mois, du
Tonkin, alors que nous venons de céder à la Chine, sur sa prière, un
mandarin fuyard du Céleste Empire, qui s'était rendu à nous avec ses
armes, se fiant à notre parole?
Et à Bangkok, pourquoi ne pas redemander les chefs annamites faits
prisonniers, en 1891, sur notre propre territoire? Pourquoi ne pas élever
la voix lorsque les Siamois insultent notre drapeau et nos représentants,
ou font venir chez eux, pour leur prêter secrètement serment, des chefs
nniongs, dépendant de nous directement?
Pour les Orientaux, comme pour d'autres, d'ailleurs, le silence équivaut
souvent à l'aveu d'impuissance.
Quoi qu'il en soit, ce n'est pas ici le lieu d'étudier des sujets aussi com-
plexes sur lesquels j'avais voulu simplement attirer votre attention.
Mon désir de rester impartial, qui me les a fait aborder, m'oblige,
après ces mots de critiques, d'indiquer certaines considérations qui
dégagent singulièrement notre responsabilité.
Nous ne devons pas oublier que la piraterie a été la plaie endémique du
Tonkin avant notre venue, que nous sommes dans un pays montueux,
coupé, broussailleux, rocheux, difficile, en présence de douze millions
54*
850 GÉOGRAPHIE
d'hommes, et que nous n'y sommes que depuis six ans. Si nous nous repor-
tons aux efforts que nous avons dû faire, aux soldats que nous avons sacritiés,
à l'argent qu'il nous a fallu employer, et pendant de longues années, en
Algérie, nous reconnaîtrons que nous ne sommes pas au Tonkin dans
une position anormale. Loin de désespérer de l'état de choses, nous
saurons nous imposer de nouveaux sacrifices et les supporter avec
patience, en raison de la grandeur du but à atteindre : donner à la patrie
dans l'Extrême-Orient ce qu'elle a déjà de l'autre côté de la Méditerranée;
faire une seconde France aux portes de la Chine ; créer à côté de l'empire
anglais, sur les bords du Pacifique, un empire français solide, durable,
riche; tel est le résultat que nous voulons atteindre, et l'édifice sera
impérissable, parce que ses pierres de taille sont faites des os, et son ciment
du sang des Français!
LA RIVIERE NOIRE. — LES CULTURES ET LES HABITANTS. — LES VOIES
COMMERCIALES.
Nous venons de faire peut-être un trop long séjour dans le bas Tonkin.
Le temps me manque, et pourtant je désirerais vous faire entrevoir un
coin du haut pays. Pour être bref, et vous épargner les ennuis d'un
voyage souvent fatigant, marqué de peu d'incidents saillants, laissez-moi
vous transporter à Laïchau, le poste français le plus reculé sur la rivière
Noire, à six journées de marche de la frontière de Chine. Nous sommes
à la fin de février, le thermomètre marque 11 à 15 degrés la nuit, et de
''lo à 45 degrés dans l'après-midi, suivant qu'on est à l'ombre ou en
plein soleil.
La montée de la rivière Noire m'a pris dix-huit jours : on fait route en
pirogues poussées à la perche, ou halées à la cordelle ; en comptant les
arrêts dans les postes et les excursions à droite et à gauche, j'ai par-
couru pendant trente-cinq jours la vallée du Song-Bo.
Les eaux sont basses et les rapides nombreux; c'est par douze ou
quinze que je les ai parfois comptés dans la même journée ; les rives sont
montueuses, généralement couvertes de forêts épaisses ou de bambous ;
les schistes qui forment ces collines, rarement interrompus par des
granits, font plus souvent place à de hautes falaises calcaires, à pic, qui
encaissent le courant et le dominent parfois de plusieurs centaines de
mètres. Les crêtes sont souvent si rapprochées que c'est à peine si elles
laissent passer un mince filet de jour qui vienne au fond de la gorge,
tout en bas, montrer au batelier la direction à prendre au milieu des
bouillons écumants du torrent. Rien de plus beau et en même temps de
plus terrible que ces longs et profonds couloirs d'érosion dont les deux
HENRI d'ORLÉANS. — KXCURSIOîS E.\ INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 851
parois, portant encore l'empreinte l'un de l'autre, semblent avoir été
violemment séparés dans des temps relativement récents. Nous sommes
en présence de cette formation de calcaire carbonifère, unique en son
genre, je crois, qui. donnant naissance aux îlots bizarres et à la fois
grandioses des baies de Fitz-Along et d'Along, s'étend à travers le
Tonkin et vient former ici, au milieu des plateaux, des cirques naturels,
véritables atolls, rappelant les récifs polynésiens : c'est au fond de ces
cuvettes qu'on rencontre les alluvions aurifères, peut-être produites par
la décomposition des schistes. Tel semble du moins être le cas des sables
de Molou, à quelques journées de Sonia, sur la rive droite de la rivière.
Le rendement ne m'a pas paru ici très grand; quelques lavages que j'ai
fait faire m'ont donné une moyenne de un gramme un dixième d'or à
la tonne; il est vrai que les travaux exécutés à la main, sans l'emploi
du mercure, sont grossiers, mais je ne m'explique pourtant les bénéfices
obtenus jadis par les patrons chinois à la tête de près de huit cents
ouvriers, avant l'arrivée des Pavillons-Noirs, que par le bon marché de la
main-d'œuvre; les travailleurs étaient payés avec de l'opium.
Si l'or donne peu, ici les gisements de cuivre semblent devoir être plus
productifs; j'ai vu des échantillons de cuivre presque pur d'un poids de
près de douze kilos, provenant du plateau de Tafine; des chefs m'ont
dit qu'on y trouve des blocs de près d'un mètre cube; d'autres minerais de
cuivre fort riches ont été récoltés sur la rive droite de la rivière Noire,
presque en face du confluent du Nam-Ma; dans cette région on trouve
également de nombreuses mines de plomb argentifère. Comme dans la
basse rivière Noire, j'ai constaté des traces de charbon, sans avoir de
données sur la richesse possible du gisement, ou la qualité du combustible
des couches inférieures.
Des mines étaient jadis exploitées dans les pays de Deo Van Tri
autour de Laichau; on y cherchait du cuivre et du plomb pour la
consommation locale; plus tard, les pirates y prirent la matière de leurs
balles, et maintenant abandonnées, ces exploitations attendent pour être
reprises par l'élément français que les voies de communication, devenues
plus praticables, rendent le transport moins coûteux.
Ce n'est pas seulement des mines que les provinces du pays muong
sont appelées à tirer leurs richesses : les hauts plateaux élevés sur des
assises calcaires, exposés à une température plus constante que dans le
Delta, conviendront à des cultures diverses. Déjà le coton y pousse partout,
sans aucun soin, comme une mauvaise herbe. Après un incendie
préalable, il est semé par les indigènes qui, dès lors, ne s'en occupent plus
que pour la récolte; les arbustes atteignent un mètre cinquante. La pro-
duction poursuivie est limitée aux simples besoins de consommation de
l'habitant. Mais le colon qui se fixerait dans ces régions ne devrait pas
852 GKOGRAFHIE
oublier que les Chinois du Yunnan s'en viennent chercher le colon jusque
dans les Étals chans de la Birmanie, en faisant vingt-cinq et trente
étapes de caravane pour rapporter leurs balles à la capitale. Ils payent
ainsi, si l'on accepte les chiffres donnés par Halelt, plus d'un franc de
transport par livre. De Yen-Bay, sur le fleuve Rouge, ou de Van-Bou, sur
la rivière Noire, à Yunnan-Sen, le prix serait près de moitié du précédent.
Pour ne rien omettre ici, je devrais mentionner la concurrence que nos
filés pourraient faire à ceux qui viennent de Shanghaï jusqu'à iVlong-Tzé,
ville située à douze jours de Laïchau et à cinq de Lao-Kaï.
A côté des plantes indigènes, que de cultures nouvelles à introduire !
Un simple coup d'œil sur les Indes néerlandaises suffirait à nous montrer
les résultats qu'a su atteindre un travail persévérant et opiniâtre; je
n'en veux qu'un chiffre pour exemple : une seule compagnie de tabac, à
Bornéo, produit par an pour plus de 80 millions de francs.
Le terrain est bon, les herbages hauts; des bestiaux pourront égale-
ment trouver leur nourriture sur les plateaux du haut Tonkin.
Plantation ou herbage, quoi qu'y tente le colon, il ne sera pas restreint
à une zone étroite; son entreprise pourra être développée à loisir, car les
mêmes conditions de terrain, d'altitude et de climat se répètent sur un
vaste espace, des deux côtés de la rivière Noire, depuis le Bavi jusqu'à
Laïchau, pour ne parler que de l'ouest du Tonkin; près de ce dernier
poste, le plateau atteint 1.600 mètres. J'y ai vu la température descendre
à — 4 degrés la nuit; le froment, le maïs, les arbres fruitiers y donnent
d'excellents résultats. C'est peut-être le plateau Tafine, ainsi nomme-t-on
ces hauteurs, qu'on donnera un jour comme sanatorium à nos troupes et
aux colons anémiés; ils y trouveront un climat européen.
Au-dessous des rochers calcaires se développent généralement les
grandes forêts vierges au milieu desquelles domine le gigantesque ficus,
aux racines étalées comme les tentacules d'un poulpe démesuré; de nom-
breuses essences pourraient être exploitées. Près de Laïchau, se rencontre,
m'a assuré un chef du pays, le teck, ce bois si précieux, qui est appelé
à disparaître d'ici à quelques années des forêts de Siam.
Les arbres, et du reste toute la flore de la région avoisinant le Song-Bo,
se rapprochent des espèces de Cochinchine et de Malaisie; il n'en est
pas de même de la faune qui parait tenir de près à celle de l'Hymalaya.
Il semble qu'une même zone de vie animale commençant aux monts
du nord de l'Inde, s'étend à travers l'Assam, les États laotiens, pour
aboutir sur la rivière Noire et le fleuve Rouge, se laissant à peine
entamer par les faunes de Chine au nord et de la péninsule au sud.
Champ d'études particulièrement intéressant pour les naturalistes, la
partie du Tonkin comprise entre le Delta et le Yunnan a encore plus
d'attraits pour l'ethnographe et l'historien. Dans la péninsule indo-
HENRI d'orLÉANS. — EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 853
chinoise, en eftet, peut-être plus que dans l'Inde, ils trouveront la solution
des grands problèmes qu'ont fait naître les migrations des peuples
d'Extrême-Orient ; ils y verront l'aborigène coudoyant le conquérant,
souvent sans se mêler à lui ; ils feront sortir de la foule où ils se trou-
vent ensevelis et questionneront encore les débris des anciens empires
que, peu à peu, a démembrés ou détruits l'invasion chinoise; ils sauront,
au milieu des éléments les plus divers, démêler la langue et l'histoire
propre de chacun; travail lourd et difficile, que le savant peut entreprendre
dès maintenant, et pour lequel il est du devoir de chacun de porter sa
somme de renseignements.
Bien que la classification soit loin d'être faite, on s'accorde générale-
ment à reconnaître, en partant du bas pays, les éléments suivants :
D'abord, à la limite du Delta, le Moi, peut-être autochtone du Tonkin,
refoulé par le Giao-Chi. Plus loin le Thaï, rameau de la branche laotienne
et siamoise, encore vierge des traditions bouddhistes et adonné aux
croyances primitives des esprits; sur les hauteurs, les sauvages yunna-
nais, les Méos au large turban, portant chez les femmes, comme parmi
les Lolos, la petite jiipe plissée ; avec les Yaos, dont les manuscrits hiéro-
glyphiques préoccupent l'ethnographe à un si haut point, ils paraissent
d'origine quangtoungnaise ; les Khas, au teint foncé, population inférieure
et de petite taille, apparentés aux Penombs et aux Stiengs du Cambodge
et du bas Laos, frères des Négritos d'Australie, semblent former l'élément
le plus ancien, aborigène peut-être de l'Indo-Chine.
La question des races de la péninsule est trop complexe, trop peu
connue, et moi-même suis trop ignorant en la matière pour vous en
entretenir plus longtemps.
Avant d'aborder le Laos, il importe d'examiner ce que la rivière Noire
peut promettre comme voie de communication; à mon avis, un grand
mouvement commercial ne pourra s'y créer d'ici bien longtemps ; à un
développement dans ce sens s'opposent le trop grand nombre de rapides,
la lenteur de la montée qui ne peut pas même être tentée pendant
plusieurs mois de l'année, les dangers de la navigation (nos postes en
savent quelque chose), le prix des transports.
Le Laos, ainsi que je me propose de vous le dire ultérieurement, peut
d'ailleurs être atteint par un chemin plus court et à moins de frais.
Le Song-Bo n'est qu'un fort torrent comparé au fleuve Rouge et vous
savez déjà toutes les difficultés que la Compagnie des Messageries fluviales
a trouvées à envoyer ses bateaux jusqu'à Lao-Kaï, en dépit du courage et
de l'opiniâtreté qu'elle a apportés dans cette entreprise.
En dehors du ravitaillement de nos postes, la voie de la rivière Noire
peut être utilisée pour la mise en communication du district chinois de
Ibang avec le Tonkin; les rapports sont déjà établis ; M. Bourgoin-Meifîre,
834 GÉOGRAPHIE
que sa hardiesse et sa persévérance peuvent placer au premier rang des
pionniers de la colonisation française au Tonkin, a conclu un traité
avec l'intelligent chef de Laï, Deo Van Tri, pour la descente du thé,
appelé de Puehr; plus de 150 piculs ont déjà pris la route de Hanoï.
Les deux parties contractantes sont également satisfaites de leur marché;
et un courant tend à s'établir pour emmener le commerce de cette partie
du Yunnan vers le Tonkin.
Je suis heureux de vous signaler ce résultat qui, espérons-le, n'est que
le point de départ d'un commerce plus important; reste à charger les
pirogues qui ont descendu le thé jusqu'à Cho-Bo, d'articles français pour
Ibang, et ainsi sera créé un mouvement d'échanges entre la Chine et
Hanoï par la rivière Noire.
LE LAOS. — LA FORMATION d'uN PEUPLE. — LE COMMERCE UE LA CONTREE
De Laïchau, deux routes principales peuvent mener au Mékong : l'une
au nord, pénible, montueuse, longue, traverse durant vingt-huit jours les
Sibsompanas et finit par atteindre Xien-Houng. Cet itinéraire me semble
bien tentant avec les mulets que m'offre Deo Van Tri, et peut-être aurais-je-
le moyen de pousser à l'ouest du grand fleuve jusqu'au passage de
Kunlon sur le Salouen et gagner la route de Theinni à Bhamo. C'est
bien à regret que je me vois forcé, par des circonstances indépendantes de
ma volonté (la saison trop avancée, le manque de temps et surtout le
défaut d'un bon interprète), de renoncer à ce projet.
Dix-huit jours, dont trois d'arrêt au poste français de Dieu-Bien- fou,
me conduisent par la route du sud à Luang-Prabang ; plus courte que la
voie du nord, cette dernière ne lui cède en rien pour les difficultés qu'elle
oppose au trafic: étroite, accidentée, mal débroussaillée sur terre, sur
l'eau, elle est coupée de plus nombreux et de plus dangereux rapides
que ceux de la rivière Noire ; les membres de la mission Pavie ne sont
pas sans se souvenir du courant du Nam-Ou, et, encore maintenant,
M. Massie, qui me précède de huit jours, y fait-il deux fois naufrage,
perdant, sauf une, toutes ses caisses.
Passé de deux jours le poste de Dien-Bien-fou, on se trouve déjà en
territoire siamois, ou du moins effectivement occupé par des postes sia-
mois. Ici commencement des difficultés d'un nouvel ordre pour le
voyageur qui n'est muni que d'un simple passeport, rempli à Hanoï,
papier comportant toute la série des peines que le gouvernement siamois
est en mesure de lui infliger ; il n'y a pas de tracasseries qui ne soient
imaginées contre lui, et, pour pouvoir continuer, force lui sera de passer
sous les fourches caudines de l'arbitraire en se résignant à donner les
HENRI d'oRLÉANS. — EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 855
prix les plus déraisonnables aux coolies, sous peine d'être laissé en place.
Je n'avance ici, Messieurs, que des faits. Nos commerçants n'ont pas
même la ressource d'invoquer les traités. Celui de 1867, qui nous assure
la libre navigation du Mékong, semble être lettre morte. De quelque
côté que nous cherchions à aborder le fleuve, il nous faut un passeport,
c'est-à-dire un permis du Siam. Ceci dit, revenons au Nam-Ou.
Quatre heures au-dessous de son confluent avec le Mékong, sur les
bords de ce fleuve, s'étale la petite ville de Luang-Prabang, capitale de
l'État laotien de ce nom. Luang-Prabang est le centre le plus important,
sur le Mékong depuis Pnom-Penh jusqu'à Xien-Houng et même au delà ;
on y compte de douze à quatorze mille âmes : nous sommes loin des
soixante-iiix mille dont nous parlait M'"' PallegoiK.
Malgré le petit chitfre de la population, quinze jours et même plus passés'
au milieu d'elle ne sont pas perdus pour le voyageur. Nous sommes en
effet, ici, en présence d'une race intelligente, formant un tout autonome,
vivant de ses propres lois, ayant son esprit et ses mœurs à elle ; les Lao-
tiens ne sont pas encore en contact direct avec notre civilisation euro-
péenne, qui, qualifiée de bienfaisante, ne fait que démorahser et détruire
lorsqu'elle s'attaque à des races inférieures.
A qui veut bien regarder, les voyages n'enseignent pas seulement la
géographie, ils montrent comment l'histoire s'est faite. Les peuples passent
par une série de phases analogues qui sont comme les âges de leur vie.
On retrouvera chez ceux qui sont moins avancés que nous les périodes
correspondant à celles qu'ont traversées nos ancêtres.
Si l'un de vous a suivi mon ami M . Bonvalot dans son récit au Lob-
Nor, il aura certes songé malgré lui à la fondation de Rome ou de telle
autre cité, en voyant dans l'oasis, auprès d'anciens pâturages transformés
en champs, une ville s'élever, construite par des nomades devenus
sédentaires.
Ici", ce n'est pas une ville que nous verrons bâtir, c'est un peuple qui
se formera d'éléments divers, isolés jadis les uns des autres, groupés
maintenant par les mêmes intérêts et une défense commune. Il semble
que nous soyons à l'âge des petites républiques grecques. Ne reconnaissons-
nous pas un citoyen d'Athènes, dans ce Laotien indépendant d'humeur,
instruit, brillant causeur, paresseux, qui passe son temps à faire passer
sa chique de bétel d'une joue à l'autre tout en chantant ou en récitant
des vers aux jeunes filles, tandis que ses esclaves les Khas, moins mal-
heureux que les Ilotes de Sparte, travaillent la terre pour lui? S'il n'est
pas bon, le Laotien, il n'est pas méchant non plus ; ni bien riche, ni
bien pauvre; les fortunes ne sont guère tranchées dans cette contrée
singulière, dont les lois n'ont pour but que d'assurer la libre pratique de
l'amour et où, il y a quelques années encore, un règlement interdisait
856 GÉOGRAPHIE
d'enrôler un jeune homme parce que la meilleure partie de sa vie devait
être consacrée à rendre les jeunes filles heureuses.
Assurément, vous penserez que cet amour, ce culte de la femme
engendreront, comme chez les Grecs, le sentiment du beau. Il n'en est
rien; pourquoi? Problème grave, dont la solution est peut-être si in-
timement jointe à la caractéristique de la race jaune, qu'on ne peut
l'isoler.
Les sémites connaissent-ils l'art proprement dit dans ce qu'il a de plus
élevé hors de l'industrie? Je ne le crois pas. Comme le Chinois, le Lao-
tien ne se sent pas le besoin d'idéal qui nous agite ; il ne tend pas vers
l'au-delà. C'est par le matérialisme pratique qu'il se rapproche donc de
r « enfant de Han » ; mais là est peut>être le seul point commun. Une
paresse innée d'un côté, l'esprit de travail de l'autre ; ici l'indifférence en
matière d'argent, pourvu que le nécessaire soit assuré; là le désir cons-
tant du lucre, le sacrifice de tout le reste à l'ambition de s'enrichir sont
autant de traits qui séparent nettement les deux frères . Avoir de quoi
vivre suffît au Laotien; la richesse, à ses yeux, ne compense pas l'effort à
donner pour l'obtenir.
Cette tendance d'esprit, chez les habitants, fera forcément du Laos un
mauvais débouché pour nos produits, surtout pour les articles français
qui, supérieurs aux camelotes anglaises ou allemandes, ne peuvent riva-
liser de bon marché avec celles-ci. A Luang-Prabang, c'est à peine si
quelques Chinois, débitant les articles européens, arrivent à réaliser de
minces bénéfices. Leurs marchandises viennent de Bangkok, par voie de
Korat et Non-Kay, ou d'Outaradit et Paklay, et, dans leurs stocks, je ne
vois la marque française que sur quelques boutons, et sur des bouteilles
d'encre, provenant de la mission Macey. Encore se plaignent- ils de les
vendre difficilement; pour pouvoir lutter avec avantage contre les Alle-
mands et les Anglais, il nous faudrait produire et fabriquer en vue de
l'Extrême-Orient l'article d'exportation; c"est ce que nous n'avons pas
encore fait. Bien que n'admirant pas les Chinois, je leur crois pourtant
une compétence commerciale de premier ordre et je m'en rapporterais
assez volontiers aux réponses à mes questions, invariablement les mêmes
depuis Luang-Prabang jusqu'à Bangkok.
« Pourquoi ne vendez-vous pas des articles français ? — Trop beau et
trop cher. »
Pauvres acheteurs, les Laotiens n'ont eux-mêmes, maintenant, que
peu de produits indigènes à écouler: le benjoin, dont l'importance
diminue avec la baisse du prix; des racines et des peaux pour médecines
chinoises, des teintures, de la cardamome, de l'ivoire, des bois de cerf
et des cornes de buffle.
Les chiffres fournis par quatre commerçants chinois établis à Paklay
HENRI d'orLÉANS. — EXCURSION EN INDO -CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 857
nindiqueraient, tout compris, qu'un envoi annuel à Bangkoiv de sept à
huit tonnes de ces produits.
L'or n'est guère acheté, étant vendu par les indigènes plus de trente
fois son poids d'argent. Le teck n'est pas encore exploité ; un essai de
transport de ses troncs par voie du Mékong va être tenté par les deux
Français résidant à Luang-Prabang.
En somme, si l'on songe que cette principauté est considérée comme
une des parties les plus peuplées du Laos, on sera amené à conclure que
le commerce dans la contrée ne peut actuellement donner de grands
résultats. Cette opinion que je me suis faite sur place demande à être
appuyée sur quelques chiffres; je serais heureux de livrer ceux que j'ai
pu noter à la connaissance des intéressés ; mais un travail en ce sens
me semble devoir prendre place ailleurs qu'ici.
LE SIAM ET SES PROGRÈS. — NOS FRONTIÈRES ET NOS DROITS
Ayant terminé ce que je me proposais de vous dire du Laos propre-
ment dit, il ne me reste plus qu'à gagner Bangkok par le plus court
chemin; quatre jours par eau, dix étapes à éléphant et dix journées sur
le Meïnam et nous arriverons à la capitale de Siam.
Combien cette route du retour me semble différente de celle que je
viens de prendre à la montée! Le Mékong est descendu jusqu'à Paklay
sur de grands et confortables radeaux où l'on peut se promener et se
tenir debout; à éléphant, la fatigue n'est due qu'à la monture elle-même;
mais la route est bonne, droite, courant à travers des futaies aux arbres
-espacés ; durant le trajet entre les deux grands fleuves, mon baromètre ne
marque pas de différences de niveau de plus de deux cents mètres ; enfin
«ur le Meïnam, la descente se fait tranquille, sans aucun rapide ; elle est
si aisée qu'aux hautes eaux les vapeurs remontent sans obstacle jusqu'à
Pitchaï. Avec la facilité des moyens de communication diminuent les frais
de transport; en comparant les frais à la montée, ceux au retour, et
ceux qui me sont fournis sur les autres routes, je puis formuler l'assertion
suivante :
La voie la plus économique pour l'envoi d'une tonne de marchandises
européennes à Luang-Prabang est actuellement celle de Bangkok, et elle
restera telle, jusqu'à ce que des vapeurs français, franchissant les rapides
de Khôn. viennent porter notre pavillon à côté de celui qu'arborent
actuellement les canonnières de Siam, ou qu'un chemin de fer de Vint à
Houten mette en communication directe le golfe du Tonkin et les rives de
Mékong ; il en est malheureusement des chemins de fer comme des
vapeurs, des vapeurs comme des cartes ; tandis que nous faisons des pro-
858 GÉOGRAPHIE
jets, ou que nous tirons des plans sur le papier, le Siam parle moins,.
mais agit, et, à cette heure, les premiers travaux sont déjà entrepris
pour la voie ferrée de Bangkok à Korat, Si nous restons inactifs et
laissons les Anglais prendre, au nom de la fraternité, les intérêts du Siam,
poser avec désintéressement sans doute ses rails jusqu'à Korat, puis
pousser plus loin jusqu'à Non-Kay, sans opposer, de notre côté, une
entreprise semblable sur notre territoire, ce sera fait de l'avenir de la
France sur le Mékong ; nous n'aurons plus qu'à replier bagage et nous>
contenter de quelques ports sur la côte d'Annam.
En fait, nous en sommes bien un peu là, et je voudrais à ce sujet
pouvoir vous mettre sous les yeux deux cartes que j'ai devant moi en
écrivant ces lignes : l'une est de M. Macey, du syndicat du haut Laos ;
elle a paru dans le premier numéro du Bulletin de la Société de géographie
commerciale de 1892 ; ici l'Indo-Chine française, marquée d'une teinte
rose, maculée de rondelles et de drapeaux tricolores, non seulement
s'étend jusqu'à la rive gauche du Mékong, aux Sibsompanas, mais plus
bas, passe sur la rive droite, comprend les principautés de Luang-Pra-
bang, de Nan, puis rejoint la limite du Cambodge en englobant Korat.
Il est très facile de marquer des possessions sur un atlas. Tant qu'à faire,
j'aurais voulu étendre notre influence jusqu'au golfe du Bengale... sur le-
papier. Je qualifie ce genre de carte d'imaginaire.
Déployons, à côté de ces dernières, cdle du Siam, par le topographe
anglais Mac Carthy, nous trouverons la frontière du Siam suivant la ligne
de faîte des eaux du Mékong et du golfe du Tonkin, enserrant ainsi, à
partir du Cambodge, tout le bassin du grand fleuve, dont non seulement
la rive, mais les affluents de gauche ne seraient pas sous notre pouvoir ;
il ne nous resterait qu'une bande d'à peine une trentaine de kilomètres
de large sur la côte d'Annam .
En dépit des paroles prononcées le 26 octobre 1891 à la tribune, la
carte anglo- siamoise est exacte ; elle indique simplement ce qui est. Si
nous pouvons y relever une erreur, en ce qui concerne le poste de Theng,
en revanche, elle est au-dessous de la vérité du côté du Cambodge, puis-
qu'elle n'englobe pas la pointe du Samit, où un poste siamois a été
établi en plein territoire français. Strung-Treng, sur la rive gauche du
Mékong, a son commissaire siamois et le pouvoir de Siam s'étend sur
Attopeu, sur le plateau des Pou'on, des Boloven, etc. Nos rivaux font
même sentir sur ces régions leur autorité d'une manière effective et à
nos dépens. Le département des affaires étrangères en est certainement
informé.
Reprenons la même carte et jetons les yeux à l'ouest, du côté de la
haute Birmanie : pas une ligne de délimitation, pas de frontière marquée;
les Anglais se gardent un champ libre sur le haut Mékong. N'ont-ils pas
HENRI d'oRLÉANS. — EXCURSION EN INDO-CHINE — DE HANOÏ A BANGKOK 8o9*
déjà obtenu soumission de l'État indépendant de Xien-Tong; et le lieute-
nant Ehlers, qui vient de passer à Xien-Tong, ne nous dit-il pas que cette
principauté paye tribut à Ja Chine et à l'Angleterre? Les visées de lord
Lamington, si nous n'y prenons garde, seraient près de se réaliser. Un
Français, qui venait de descendre le Mékong à Luang-Prabang, m'a
raconté avoir déjà trouvé l'influence anglaise s'établissant à Mong-Yu,
État à cheval sur le Mékong, entre Xiangsen à Xianghoung. Il est vrai que
M. Archers et lord Lamington y ont séjourné un mois. .Nos voisins d'outre-
Manche seraient donc sur le point, si ce n'est déjà un fait accompli, de
franchir cette rive du Mékong, à laquelle nous avons des droits incontes-
tables, mais non défendus par nous et dont nous sommes encore loin !
11 est enfin une troisième carte qu'il nous faudrait consulter ici, celle
de l'Annam, en 1838, par M'"" Taberd, rééditée dans Y Empire d'Annam
de Sylvestre : nous y retrouverions les droits de l'État dont nous nous
sommes engagés à défendre la politique extérieure ; il serait intéressant
d'examiner au profit de qui nous avons laissé ainsi s'amoindrir, sans
protester, l'empire de Già-Long qui avait confié ses intérêts à la France.
Le Laos est pauvre, je le sais ; à mon avis, le commerce a plus à gagner
en cherchant à pénétrer en Chine par les belles voies naturelles qui
s'ouvrent à son expansion à travers le Tonkin ; mais à côté de la ques-
tion commerciale se dresse la question politique. Sans négUger le présent,
il faut songer à l'avenir, et que penser d'une armée qui chercherait à
engager la bataille sans garder ses derrières?
Protecteurs des droits de l'Annam, nous devons les faire valoir et
montrer à nos ambitieux voisins que la possession de la rive gauche du
Mékong, indiquée par un de nos ex-ministres à ses agents comme le
minimum de nos prétentions, n'est pas une simple déclaration, mais que
telle est la volonté du peuple français.
Avant, Messieurs, de vous remercier de l'attention que vous avez bien
voulu me prêter, je veux vous dire quelques mots du résultat personnel
de mon excursion : parti avec le désir de voir et de regarder le plus
possible, d'amasser le plus de documents, de renseignements, de maté-
riaux, d'informations que je trouverais, j'ai pu rapporter une série de
huit cent cinquante photographies contenant des types de face et de profil
des différentes peuplades que j'ai rencontrées; quelques itinéraires parti-
culiers encore imparfaitement relevés ; des collections d'histoire naturelle
comprenant une vingtaine de mammifères, deux cent cinquante oiseaux,
quelques poissons ; de nombreux lépidoptères ; cent cinquante espèces de
plantes; une série de roches et de minerais; une collection ethnographique
de costumes, d'instruments divers ; quelques manuscrits ; enfin, j'ai réuni
des échantillons accompagnés des prix de vente des articles européens
que j'ai trouvés sur les marchés; et j'ai joint à ceux-ci des spécimens
860 . GÉOGRAPHIE
des différents produits indigènes dont il me semble que nous puissions
tirer un profit.
Je me permets d'énumérer ces quelques résultats, si minimes qu'ils
soient, de mon voyage, parce que je compte les réunir bientôt en une petite
exposition à Paris, et que je serais très heureux de les tenir à la dispo-
sition de qui voudrait les consulter. Mon but est avant tout de contribuer
pour ma part à répandre parmi nous la connaissance de nos colonies
d'Extrême-d'Orient et de vulgariser l'idée du grand avenir de l'Indo-Chine
française qui nous est offerte, si nous voulons en profiter.
M. E. SCHEÂDER
Directeur des Services cartographiques de la Maison Hachette, à Paris,
LES LEVÉS DES PYRÉNÉES- — TRANSFORMATION DE L'OROGRAPHE
EN TACHÉOGRAPHE
— Séance du 17 septembre 1892 —
M. Schrader présente l'ensemble des levés qu'il a effectués dans les
Pyrénées espagnoles depuis vingt ans environ. Il rappelle que, depuis
1881 , année où il présenta à la session d'Alger son orographe, il a per-
fectionné cet instrument et quadruplé à peu près l'étendue de son tra-
vail. La bande de tracés au g^^, que M. Schrader déploie devant la réu-
nion, mesure environ 4'", 50 de longueur sur un mètre en moyenne de
hauteur ; c'est l'équivalent de la moitié de la Suisse ou des trois quarts
de la Belgique .
En réponse aux questions des membres présents, M. Schrader analyse
la partie de la chaîne pyrénéenne qui figure sur ses levés. 11 fait ressortir
les traits les plus saillants de Torographie pyrénéenne et les rapproche de
la contexture géologique de la chaîne, en même temps qu'il dépose sur
le bureau une brochure extraite de Y Annuaire du club alpin français
intitulée : Aperçu de la géologie des Pyrénées, et pour laquelle il a col-
laboré avec M. Emm. de Margerie.
Sur la demande du Président, M. Schrader donne quelques détails sur
le nouvel instrument qu'il vient de faire construire et auquel il donne le
nom de tachéographe. Le tachéographe est, pour ainsi dire, une trans-
formation de l'orographe; mais, tandis que l'orographe est destiné au
F. SCHRADER. — LES LEVÉS DES PYRÉNÉES 8()1
lové des régions peu accessibles par l'intersection graphique de rayons
menés de points différents, le lachéographe aborde le problème par un
tout autre côté et inscrit graphiquement l'emplacement de tout point
visé, pourvu que ce point soit accessible au porteur d'une mire de
dimension connue. Par la création du tachéographe, M. Schrader a
cherché à obtenir le tracé direct des directions et des distances, c'est-à-
dire, en dernière analyse, le tracé direct du plan et du nivellement. 11
supprime ainsi toutes les opérations du levé et passe directement de la
visée au résultat. Pour y arriver, M. Schrader s'est borné à matérialiser
les trois éléments de toute visée dirigée vers un point quelconque :
l'élément vertical, qui correspond à la différence de niveau; l'élément
horizontal, qui correspond à la distance planimétriqae ; enfin l'hypoté-
nuse de ce triangle rectangle, qui correspond à la direction du rayon
visuel. Trois organes glissant à frottement doux et susceptibles de
prendre toutes les positions amenées par la direction du rayon visuel
correspondent aux trois côtés du triangle tracé à chaque instant dans
l'espace par la ligne de visée et les deux autres côtés vertical et hori-
zontal. Pour déterminer l'échelle du plan, c'est-à-dire le rapport du
triangle matérialisé avec le triangle réel, il suffît que chaque longueur
développée de l'hypoténuse corresponde, par un artifice très simple, avec
un écartement proportionnel des deux fils d'un micromètre mobile
situé dans l'axe de la lunette. L'écartement des fils pour chaque longueur
de l'hypoténuse est proportionnel à la dimension apparente d'un objet
connu situé à l'extrémité du rayon visuel; la longueur du côté hori-
zontal sera proportionnelle à la distance planimétrique de cet objet, la
longueur du côté vertical à la différence de niveau entre le point de
station et l'objet. La distance s'inscrira automatiquement sur le plateau
circulaire de l'appareil, la différence de niveau se lira directement sur
une échelle verticale à l'aide d'un vernier. L'opération du levé sera donc
instantanée; quant à la vérification, les trois règles étant graduées, elle
se fera instantanément, chaque fois qu'on le désirera, par la lecture
simultanée du carré de la longueur développée sur l'hypoténuse et de
la somme des carrés du développement des deux autres côtés du triangle.
En somme, l'instrument nouveau de M. Schrader ne renferme pas autre
chose que la réalisation directe des théorèmes très simples et universelle-
ment connus qui ont servi de tout temps à la mesure du triangle rectangle
et au calcul géométrique de la surface du terrain. Il est remarquable que,
pour obtenir un résultat aussi complet, l'inventeur du nouvel appareil
n'ait eu qu'à revenir pour ainsi dire au point de départ de la topographie
et à donner une existence matérielle aux lignes et aux proportions qui"
n'étaient prises avant lui que comme éléments géométriques.
862 GÉOGRAPHIE
M. J. &AÏÏLTIER
Éditeur géographe, à Paris.
LES LEVERS TOPOGRAPHIQUES PAR LA MÉTHODE PHOTOGRAPHIQUE
— Séance du 17 septembre i892 —
Les méthodes employées pour lever les plans topograpliiques sont peu
nombreuses; elles relèvent toutes des mêmes principes : la mesure directe
des distances et l'observation des angles.
Les opérations effectuées sur le terrain sont délicates, l'installation des
instruments nécessite de grandes précautions, les lectures des résultats,
les croquis demandent une attention soutenue que les variations du temps
rendent souvent difficiles.
Une méthode qui réduirait ces inconvénients, qui simplifierait les opé-
rations du terrain, offrirait de grands avantages, puisqu'elle éliminerait
des chances d'erreurs.
La photographie remplit ce but.
Étant donnée une image des contrées à lever, est-il possible d'en déduire
un plan topographique ? Tel est le problème à résoudre.
De multiples expériences ont été entreprises en France et à l'étranger;
les travaux de M. le colonel Laussedal sur cette question, l'historique
qu'il en fait dans ses ouvrages montrent que cette application de la pho-
tographie au lever des plans a son berceau en France et que les premières
tentatives datent d'une trentaine d'années environ.
La question de la réfection du cadastre ayant été posée, le problème
présentait un nouvel intérêt. Il fallait, étant données des exigences tech-
niques nouvelles, établir une méthode offrant toute garantie de précision,
dune application facile et présentant des résultats économiques satis-
faisants ,
Ce sont les moyens employés pour satisfaire à ces conditions qui sont
exposés dans cette note et que nous allons décrire sommairement :
Tout d'abord, cette méthode ne peut être assimilée à ce qui existe;
elle dérive de principes ayant la photographie pour base.
Comme elle ne s'applique qu'aux levers de grande étendue, le terri-
toire de la commune servira d'unité et de champ d'expérience.
J. GAULTIER. — LES LEVERS TOPOGRAPHIQUES 863
Supposant un territoire communal de 10 kilomètres carrés, on divi-
sera ce territoire en sections mesurant environ 100 hectares. Les sections,
leur configuration sont déterminées suivant la structure topographique
du terrain, en rapport avec les exigences photographiques. Ainsi, en vue
des opérations d'ensemble, on s'assurera que trois ou quatre stations
choisies sont bien en vue les unes des autres et se relient avec les sta-
tions des sections voisines.
Aux stations photographiques, des signaux sont installés; ils sont
constitués par un mât blanc et noir de 4 mètres environ de hauteur,
soutenant une voile blanche, triangulaire, portant une grande lettre noire.
D'autres signaux formés par des jalons de l'^jSO de hauteur, portant
un voyant blanc sur lequel un numéro noir est inscrit, sont posés aux
angles des parcelles, aux changements de direction des voies de commu-
nication, des cours d'eau; aux angles des maisons, entin,ils indiquent
tous les lieux utiles à la construction du plan.
Le terrain est ainsi géométriquement analysé.
L'instrument de photographie employé est composé d'une chambre
noire, métallique, munie d'un objectif aplanétique embrassant un grand
angle, 4o degrés. A la face opposée est installé, à poste fixe. Tunique
châssis destiné à contenir les glaces.
La partie photographique de l'instrument est placée sur un plateau
tournant sur un socle circulaire, muni de vis calantes. Le tout est sup-
porté par un pied à pompe, à translation.
L'instrument est muni de niveaux qui en assurent l'horizontalité et
de pièces accessoires servant au réglage de l'appareil.
Après la mesure d'une base située entre deux stations, opération effec-
tuée avec toute garantie d'exactitude, les travaux photographiques sont
entrepris.
On commence par l'un des termes de la base. L'instrument, mis en
station, est placé, à l'aide de niveaux et de vis calantes, dans un plan
horizontal.
Chaque glace placée dans le châssis embrasse un angle de oO grades ;
huit glaces forment donc un tour d'horizon. Le cercle fixe, portant une
vis d'arrêt, divise en huit parties égales le cercle supérieur; chaque glace
trouve, par conséquent, sa place vraie dans le tour d'horizon.
A l'autre terme de la base, on opère de même.
On poursuit ainsi, à chacune des stations, l'opération photographique;
chacune d'elles comportant, soit un tour d'horizon complet, soit une
partie seulement.
C'est ainsi qu'on désigne par points de premier ordre ceux qui com-
prennent un tour entier ou huit glaces ; points de second ordre, les
_ points ne comportant qu'une portion de tour, et enfin points de troi-
864 GÉOGRAPHIE
sième ordre ceux qui, n'étant pas stations, acquièrent une position par-
faitement déterminée par plusieurs recoupements successifs.
Lorsque la disposition du terrain exige de petites opérations partielles,
on choisit des points auxiliaires marqués par des jalons placés convena-
blement ; on distingue ces nouveaux points en ajoutant au signal un
disque blanc et noir.
Plusieurs sections sont préparées à l'avance, afm de permettre à l'opé-
ration photographique de se poursuivre sans interruption.
Otant les jalons dans les sections terminées, on laissera les signaux
des stations ainsi que les jalons-limites de sections ; ceux-ci portent à
leur partie supérieure un triangle blanc et noir.
L'opération sur le terrain est terminée, le travail de cabinet commence.
On procédera au développement des glaces en employant l'hydro-
quinone. Très peu développées, les images présenteront une finesse
extrême, une clarté excessive dans les détails et des horizons très purs.
Une machine spéciale permet de développer un grand nombre de
plaques dans un court espace de temps.
Les clichés sont ensuite classés.
Un tableau indicateur portant le nom de la commune, le numéro de
la section, la lettre de la station, le numéro du cliché et enfin la date
de l'opération, a été posé devant l'instrument de photographie à chaque
partie de tour d'horizon ; le cliché porte donc toutes les désignations
utiles à son classement.
On mettra à part les clichés de chaque section, les divisant par sta-
tions et enfin par numéros d'ordre.
On pourra ensuite construire le plan.
Le détail de la construction nécessitant de longs développements, il
suffira d'en énoncer le principe.
Les traces des plans, vertical et horizontal, passant par l'axe optique
de l'instrument, sont marquées sur la feuillure du châssis sur laquelle
s'applique la glace photographique ; ces traces sont donc indiquées sur
chaque cliché. Les lignes qui en dérivent ont, par conséquent, une même
origine. Telle est la raison pour laquelle un seul châssis est utilisé ; elle
rend nécessaire l'emploi d'une tente-laboratoire dans laquelle on change
les plaques photographiques : elle suit l'instrument pendant les opérations.
Étant données la ligne horizontale marquée sur le cliché et la ligne
d'intersection des deux plans, horizontal et vertical, qui se confond avec
l'axe optique de l'objectif, on considère la première comme étant la
tangente d'un cercle dont la seconde est le rayon; plus tard, on déter-
minera la valeur de ce rayon.
Si, de tous les points signalés sur le terrain et qui figurent sur les
clichés, on abaisse sur la ligne horizontale du cliché des lignes perpendi-
J. GAULTIER. — LES LEVERS TOPOGRAPHIQUES 865
culaires à cette dernière, on obtiendra la projection horizontale de chacun
des points signalés. Ce sont ces points, ou plutôt leurs traces, qui servi-
ront à la construction du plan.
Dans cette méthode, le plus grand obstacle résidait dans la construc-
tion, non par les difficultés qu'elle offre, mais parce qu'il est nécessaire,
pour obtenir une grande exactitude, de faire concorder la précision pho-
tographique avec les procédés graphiques.
On peut donc dire sûrement, et les faits le prouvent, que si d'intéres-
santes tentatives ont été faites, tant en France qu'à l'étranger, si elles
n'ont fourni que des résultats incomplets, cela tient à ce que la rnéthode
graphique n'a pas été assez étudiée, que les données photographiques
précises ont toujours été mal reportées.
De là la défaveur dans laquelle le principe même est demeuré et
l'oubli auquel il était voué.
Ce sont ces procédés graphiques qui ont été scrupuleusement étudiés,
ils ont été portés au plus haut degré de perfection et mis en rapport
avec la précision photographique.
11 a fallu écarter les instruments de dessin en usage, le crayon, le
tire-ligne, et n'employer que la pointe très finement aiguisée. Le dessin
se grave sur une substance qui se laisse peu influencer par les varia-
tions atmosphériques, la toile cirée. Les plus grands écarts hygromé-
triques ne font guère varier de plus de 0"^000l une ligne d'un mètre.
Tracée à la pointe sur une toile cirée blanche, la ligne apparaît fine et
précise, lorsqu'elle a été frottée légèrement avec un tampon imprégné
d'une poudre colorante. Toute ligne tracée, soit sur le cliché, soit sur
la toile cirée, ne mesure guère plus d'un vingtième à un vingt-cin-
quième de millimètre.
Ceci établi, le travail devient facile.
Reprenant le principe même de la méthode, on imagine aisément
comment sont constitués les tours d'horizon. Ceux-ci sont formés par
huit tangentes de longueurs difTérentes, limitées par des sécantes cor-
respondant chacune à des points communs de raccords. Ces raccords
sont pris sur des détails des clichés, représentés par des points précis,
jalons, clochers, cheminées, pignons de maisons, etc.
l^e rayon du cercle, fonction de la tangente, connu approximativement,
est détermmé avec la dernière exactitude au moyen de trois opérations
de tâtonnement.
Lorsque le rayon du cercle est connu, les tangentes sont tracées ainsi
que la projection des points signalés. Par chacun de ces points et par
le centre du cercle, on fait passer des lignes droites qui représentent les
directions vraies des points utiles. Il est de toute nécessité que la règle
employée soit en acier et qu'elle soit constamment vérifiée.
55*
866 GÉOGRAPHIE
Il n'y a dans cette méthode aucune lecture à faire, rien à apprécier;
un point toujours vérifiable est donné, il détermine une direction.
Il est à remarquer que ce point est placé sur la tangente d'un cercle
de 0'°,3014 de rayon, lequel rayon représente à l'échelle cadastrale d'un
millième, une longueur de 301'°, 4.
La station voisine est l'objet d'un travail semblable. Les mêmes points
signalés et de nou^-eaux points ont leur direction déterminée. Le point
de rencontre de deux directions appartenant au même signal donne la
position de ce signal.
D'une autre station, la direction de ce même signal est donnée et ce
nouveau recoupement de vérification tombe au même point; il en est
ainsi pour un troisième, un quatrième recoupement. Que les points
soient rapprochés des stations ou qu'ils soient éloignés ou même situés
à de grandes distances, les résultats restent identiques.
Mais, d'une méthode quelconque, on ne peut en apprécier la précision
que si on compare les mesures prises sur le plan aux longueurs cor-
respondantes mesurées sur le terrain entre des points fixes. Si, à l'échelle
d'un millième, on fait cette vérification dans toutes les directions du
plan, on constate une précision rigoureuse. La différence flotte entre
4 et S centimètres sur des longueurs quelconques; c'est-à-dire que cette
erreur s'applique aussi bien à une distance de 10 mètres qu'à des dis-
tances de 100. 500 et 1.000 mètres. En outre, cette erreur ne se trans-
met pas, elle ne se propage pas, elle ne s'additionne pas. Si, par suite
d'une erreur, un point offre une position indécise, il ne porte aucun
préjudice aux autres points, lui seul est moins bon, car il ne peut y avoir
de point irrémédiablement mauvais.
Ces appréciations sont le fruit d'expériences et d'essais souvent répé-
tés ; c'est par la suite non interrompue de résultats concluants qu'on a
été conduit à propager cette méthode qui est appelée à rendre d'impor-
tants services.
Facilité d'opérer sur le terrain, travail de bureau peu pénible, réduc-
tion du temps dans l'ensemble des opérations, par conséquent économie
dans les dépenses, telles sont les qualités fondamentales de la méthode
photographique, indépendantes de la précision qui atteint un haut degré.
Si. au point de vue scientifique, la méthode photographique appliquée
à la topographie est intéressante et destinée à rendre de grands services
aux sciences géographiques, quelle importance n'acquiert-elle pas quand
on considère l'œuvre qui se prépare, la réfection du cadastre français!
Là, tous les facteurs acquièrent une importance considérable, la
moindre erreur dans les fondements de l'opération compromet l'œuvre
elle-même. 11 est de toute nécessité d'envisager nettement la grandeur
de l'opération et de lui opposer des moyens suffisants. Dans les grandes
CH. LALLEMAND. DÉTERMINATION DU NIVEAU .MOYEN DE LA MER 867
choses, il ne faut mettre à profit que de grandes idées, sinon, nul
résultat.
C'est ainsi que la méthode photographique doit être la base du cadastre
nouveau; elle doit, dans un laps de temps relativement restreint, doter
la France d'une carte aussi précise dans les détails que dans l'ensemble;
elle doit encore donner ces résultats en absorbant la moindre dépense.
Malgré les obstacles qu'on érigera de tous côtés, malgré la funeste
routine, quoi qu'il advienne enfin, ces résultats seront acquis et ce sera
une gloire nouvelle pour notre pays d'avoir montré, une fois encore, le
chemin du progrès scientifique.
M. CL LALLEMÂÎfl)
Ingénieur en chef du Service du Nivellement général de la France, à Paris.
LA DÉTERMINATION DU NIVEAU MOYEN DE LA MER PAR LE MÉDIMARÉMÈTRE
Séance du 77 septembre 1892 —
Onde
On sait l'intérêt qu'il y a pour la géodésie, la navigation et la géologie à
connaître le niveau moyen de la mer le
long des côtes. Les comptes rendus de
la session de Marseille, en 1891, con-
tiennent l'intéressante description d'un
observatoire spécial créé dans ce port,
depuis quelques années, pour l'étude
des mouvements de la mer, et dans le-
quel un ingénieux appareil, appelé
warégraphe totalUaleur, fait automati-
quement le calcul du niveau moyen.
Mais cet instrument, par lui-même et
par l'installation qu'il exige, est très
., •- A. ^ KiG. 1. — Appareil démonstratif du principe
coûteux et, par suite, ne pouvait être fondamental du médimarémètre.
multiplié autant qu'il était nécessaire.
Nous avons gimainéun nouvel appareil, appelé médimarémètre (mesure
8G8
de la mer moyenne)
ÎMédiinai'émrtre. Erhflle 1
li;gende :
S, Tube en cuivre (diamètre intérieur
fi™,02:i), d'une longueur suffisante pour
que la base D étant placée à 0"",.'rO en-
viron au-dessous du niveau moyen pré-
sumé de la nier, le sommet éincrgc
au-dessus des plus hautes eaux.
C, Couvercle servant à fermer l'ori-
fice supérieur, pour empêcher l'iniio-
duction intempestive d'eau ou la chute
de cnrps étrangers dans le tube.
P, P'. P", Colliers à griffes scellées
dans la maçonnerie. Le collier P', sup-
portant lépaulement E du tube, est mis
en place seulement lorsque la position
à donner au diaphragme est complète-
ment arrêtée.
Q, Plongeur divisé en deux parties
par une cloison poreuse V en porce-
laine dégourdie.
B,Tuyau reliant le plongeur au tube S.
R, Kivct en bronze, fixé sur la mar-
gelle du puits ou sur le couronnement
du mur pour permettre de contrôler la
fixité du tube.
r,ÉOGR.\PHIE
qui échappe à cet inconvénient et qui permet
d'obtenir, sans le secours d'aucun méca-
nisme et avec une dépense insignifiante (1 ) ,
le niveau moyen de la mer en un point
donné.
Cet instrument est basé sur le f;iit sui-
vant: une onde liquide se transmettant
par un canal capillaire, ou mieux à tra-
vers une paroi poreuse, diminue d'am-
plitude et se trouve retardée dans ses
phases, sans que le niveau moyen de (a
nappe éprouve de changement.
Ce fait, que la théorie explique, est
facilement mis en évidence à l'aide d'un
appareil composé de deux tubes, A cl H
(fig. /j, communiquant ensemble par un
canal capillaire C. Par un mécanisme
convenable, le niveau du liquide, dans le
tube de gauche, est animé d'une oscilla-
tion régulière de 30 centimètres d'ampli-
tude (amplitude moyenne de la marée à
Marseille) ; dans l'autre tube, on voit
l'eau se déplacer de 10 à 1-5 millimètres
seulement de part et d'autre du niveau
moyen (2), avecjun retard de près d'un
quart de période dans les phases.
Le médimarémètre se compose d'un
tube étanche S (fig. 2) que l'on fixe ver-
ticalement, au moyen de colliers à griffes
P, P', P", dans un puits communiquant
avec la mer ou contre un mur de quai.
Ce tube est en relation, par un tuyau B.
avec un plongeur Q immergé au-dessous
du niveau des plus basses mers. Ce plon-
geur est divisé en deux parties par une
cloison poreuse V en porcelaine dégour-
die. Le compartiment extérieur est rempli
de sable et son enveloppe percée latéra-
(1) L'installation de l'observatoiie marégraphique de .Alarseille n'a pas coûté moins d'une quaran-
taine de mille francs, landisqu'un médimarémètre, mis en place, revient rarementà plus de 20n francs
avec les accessoires.
(2) Une réduction |ilus forte de l'amplitude pourrait être obtenue facilement, mais elle aurait
l'inconvénient de masquer la relation existant entre les mouvements de l'eau dans les deux tubes.
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r,H. LALLEMAND. DÉ TEKiVIINATION DU NIVEAU MOYEN DE l,A MER 869
lement de trous pour l'accès de l'eau. La surface poreuse est réglée de
manière que, dans le tube, la marée journalière soit réduite à une oscil-
lation insignifiante. Une observation par jour
suilit, dès lors, pour déterminer la variation
lente du niveau intérieur avec le temps.
La mesure de la hauteur de l'eau s'effectue
au moyen dune sonde divisée (fig. 3), sur
laquelle on fixe latéralement, au moyen de
bagues mobiles BB', une bande de papier
sensibilisé au sulfate de fer et à la noix de
galle. On descend à fond cette sonde dans le
tube jusqu'à ce qu'elle vienne buter contre
la base D (fi;j. 2) ; une ou deux secondes
après, on la remonte ; la partie mouillée du
papier est devenue noire, ce qui permet de
lire facilement la cote de l'eau.
En rapprochant les bandes et en alignant,
comme le montre la figure 4, les points de
repère marqués dans le papier par le poinçon c
de la sonde, on constitue un diagramme qu'il
suffit de réduire au dixième, par exemple, et
de planimétrer ensuite, pour en déduire la
hauteur du rectangle équivalent, de même
base, c'est-à-dire la cote cherchée du niveau
moyen.
Le premier médimarémètre a été installé
en 1885, à Marseille, dans le puits même du
marégraphe totalisateur. Ifei^JjB'
Le diagramme ci-après (fig. o), relatif à une
période de trois années et demie d'observa-
tions, du 1"' juillet 188o au l*^-" janvier 1889,
montre que le niveau moyen depuis l'origine
(moyenne de toutes les hauteurs relevées de-
puis la mise en fonction de l'appareil), calculé
à la fin de chaque mois d'après les indica-
tions du médimarémètre, concorde parfaite-
ment avec celui donné par le marégraphe
totalisateur. La même concordance s'est main-
tenue depuis, sans que l'appareil ait jamais
subi aucun nettoyage. Ce fait prouve que l'envahissement de la cloison
poreuse par les végétaux et les animalcules marins n'est pas aussi rapide
qu'on pouvait le craindre a priori. Le remplacement du filtre, auquel on
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870
GEOGRAPHIE
aurait eu recours s'il avait été nécessaire, constitue, d'ailleurs, une opéra-
tion prévue, rendue très simple et U-ès rapide par la construction
même de l'appareil et n'entraînant qu'une dépense insignifiante.
Ligne des repères
Profondeur (en (enliiii.). 50-'îà
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FiG. i. — Variation du niveau diurne. — Diagramme oljtenu par juxtaposition des bandes
journalières impiessionnéss et réduction du tout à l'iVlielle de i/io.
Les bons résultats obtenus à Marseille ont déterminé la Commission du
Nivellement général de la France à faire installer des médimarémètres
en de nombreux points du littoral, notamment à Nice, Marseille, Cette,
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1865 1886 ^ 1887 1888
FiG. ;•>. — Résultats donnés par le médimarémèlre de Marseille.
Niveau moven I D'après le médimarémèlre (trait plein).
^ ( — marégraphe totalisateur (trait discontinu).
Port-Vendres et Oran dans la Méditerranée; à Saint-Jean-de-Luz, Biar-
ritz, La Palice, les Sables-d'Olonne, Quiberon et le Camaret (goulet de
Brest) dans l'Atlantique ; à Cherbourg et à Boulogne dans la Manche.
p. DE COUBERTIN. — l'eNSEIGNEMEN T DE LA GÉOGRAPHIE 871
De son côté, le Service géographique de l'armée en a fait établir d.-iix
autres à la Goulette (Tunisie) et à Bône (Algérie).
Enlin, la Belgique en a installé un à Ostende ; le Danemark a fait
(le même sur les rives du Jutland et l'Italie en a placé six sur les côtes
de l'Adriatique et de la Méditerranée.
D'intéressants résultats ont déjà été obtenus en France avec ces appa-
reils. Ils ont notamment permis de constater que la .Méditerranée, l'Océan
et la Manche sont de niveau, à très peu près, contrairement à ce qu'on
croyait jusque-là.
Cette constatation s'est trouvée contîrmée par des observations ana-
logues faites à l'étranger sur d'autres mers, telles que la Baltique, la mer
du Nord et l'Adriatique, dont les niveaux coïncideraient aussi, à quelques
centimètres près ; de sorte qu'aujourd'hui on se trouve, semble-t-il, en
présence d'une loi générale, les variations constatées dans la densité de
l'eau des mers apparaissent comnie purement superficielles, et l'ancienne
liN^othèse de l'uniformité du niveau des océans se trouve réhabilitée.
M. Pierre DE COÏÏBEETO
secrétaire général de l'Union des Sociélés de sports athlétiques, ;i Paris.
L'ENSEIGNEMENT DE LA GEOGRAPHIE
— Séance du 49 septembre I89Î —
La question de l'enseignement de la géographie est à l'ordre du jour.
C'est une de celles qui ont provoqué au récent Congrès de Lille, les dis-
cussions les plus nourries et les plus intéressantes. Deux courants contraires
se sont dessinés parmi ceux qui y ont pris part. L'on a vu en pré-
sence les partisans de la « science pure » et les défenseurs de « l'idée
commerciale ?.. Les premiers ont ceci de particulier qu'ils sont, en géné-
ral, satisfaits de la manière dont on enseigne la géographie aux jeunes
gens et qu'ils n'aperçoivent ni la nécessité ni le moyen d'en tirer de
meilleurs résultats pédagogiques. Les seconds semblent avoir constaté
le caractère étrangement fictif de cet enseignement, dont les procé-
dés sont restés à peu près stationnaires alors que la science qui en est
872 GÉOGRAPHIE
l'objet progressait d'une manière ininterrompue. Mais j'avoue ne pas
avoir foi dans l'efficacité des remèdes qu'ils proposent, et c'est pourquoi,
m'écartant ici des positions occupées par les troupes des deux écoles,
scientifique et commerciale, — je voudrais faire une courte reconnaissance
aux environs, persuadé qu'il ne sera pas difficile d'y trouver pour la ba-
taille finale un terrain plus avantageux et mieux préparé.
On lit dans tous les manuels que la géographie a pour objet la des-
cription de la terre. C'est là cfuelque chose de très vaste puisque cette
toute petite planète qui roule parmi les mondes renferme de quoi nous
occuper et nous intéresser depuis des milliers d'années et que nous n'avons
pas achevé de la conquérir, ni même de la découvrir. La géographie est
donc une science d'ensemble ; son domaine comprend les glaces polaires
et les forêts tropicales, le régime des eaux et des vents, Tinventaire des
richesses du sol, les établissements et les œuvres des hommes. IVaturelle
et sociale à la fois, pratique et philosophique, elle a son martyrologe, l'un
des plus beaux et des plus purs de l'humanité; en elle on trouve tout
ce qui peut actionner les intelligences, forger les caractères et élever les
âmes. Contemplez-la maintenant dans les programmes de l'instruction
publique, dans les manuels d'examens. Dépouillée de toute vue d'en-
semble, de toute idée générale, scindée, découpée et fractionnée à l'infini,
elle n'est plus qu'une sèche nomenclature que l'élève s'assimile au moyen
du procédé le plus misérable, le procédé mnémotechnique. Interrogez-le.
Il vous dessinera sur le tableau noir des lignes de partage des eaux tout
à fait étonnantes et n'ayant jamais existé que dans l'esprit des géographes
élémentaires. Il se croirait perdu s'il oubliait quelque chaîne de col-
lines qui portent sur la carte un nom souvent inconnu dans le pays où
d'ailleurs elles ne forment qu'une suite de hauteurs insignifiantes. Mais ne
faut-il pas une ligne départage? Périsse la géographie plutôt qu'un prin-
cipe ! Quant aux caps ils défilent en bataillons serrés, suivis d'un régiment
de golfes et l'image de ces sinuosités des côtes se grave dans la mémoire
de l'écolier au détriment de leur configuration réelle. Le cap de Bonne-
Espérance, après tout, ne constitue pas plus 1' « extrémité » de l'Afrique
que le cap Horn, l'extrémité de l'Amérique, et le golfe du Mexique est
une mer intérieure, tandis que le golfe de Gascogne n'est rien du tout.
Que sera-ce si vous posez à votre candidat bachelier, que je choisis à des-
sein parmi les « forts » de sa classe, des questions d'un autre ordre? —
Pourquoi les États-Unis n'ont-ils pas de colonies? Quels sont les établisse-
p. DE COUBERTIN. — l'enSEIGNEMENT DE LA GÉ05KAPH1E 873
ments européens que l'on rencontre sur la route de Marseille à Melbourne?
De quel intérêt peuvent être pour les puissances européennes la construc-
tion du Transsaharien et celle du Transsibérien? Quelles sont les rivalités
en présence dans le bassin de la Méditerranée? De quoi se compose l'Em-
pire britannique? Quelles sont les proportions comparées de la Hollande
et de ses colonies, de la France et du Tonkin, de la Russie et de la
Chine? Quelle était, il y a cent ans, et quelle est aujourd'hui la popula-
tion des principales nations d'Europe et d'Amérique ?
Certains me feront peut-être observer que ce n'est pas là de la géo-
graphie « selon les programmes ». Mais cette objection se condamne
elle-même par son étroitesse et sa futilité. Les programmes d'ailleurs
sont plus élastiques qu'on veut bien le dire et vous n'avez qu'à suivre
une session de baccalauréat à la Sorbonne pour vous en rendre compte.
Les examinateurs ne demanderaient pas mieux que- de suivre les élèves
sur le terrain des vues intelligentes, des idées personnelles, de Va initia-
tive intellectuelle » . Mais ce plaisir est bien rare pour eux et c'est pour-
quoi ils doivent se contenter le plus souvent de demander la longueur
kilométrique des grands fleuves ou l'altitude exacte des montagnes,
choses inutiles par excellence. C'est l'opinion qui le veut ainsi. Elle par-
donne au petit Français d'ignorer jusqu'aux noms de Dunedin. d'Hobart,
de Brisbane, de Vancouver, de Kimberley, mais s'il ne sait pas dire dans
quels départements se trouvent PugeL-Théniers, Baume-les-I)ames, Can-
nât, Boussac, Marvejols, Espalion, Sarlat, elle le classera d'emblée parmi
les ignorants. Or, de toutes ces cités, lesquelles, je vous prie, méritent
d'attirer l'attention de nos enfants? Les unes ne seront-elles pas demain
des centres importants, les capitales de puissantes républiques qui feroiit
grande figure dans le monde alors que les autres n'auront pas cessé
d'être de petites sous -préfectures françaises, à moins pourtant quelles
n'aient perdu leur unique originalité qui est d'avoir des sous-préfets.
L'enseignement de la géographie est basé — comme beaucoup d autres
— sur cette idée qu'il y a une proportion à établir entre les « horizons »;
que l'on doit connaître très exactement son pays, à peu près ceux qui
l'entourent et que, pour le reste du monde, un rapide coup d'oeil suffit.
Si mesquine qu'elle soit en elle-même, cette manière de concevoir l'élude
de la planète avait, jadis, sa raison d'être. L'homme vivait à l'ombre de
son clocher et s'il s'en écartait par hasard, c'était pour y revenir bien-
tôt. Il n'éprouvait pas le besoin de placer son amitié non plus que ses
capitaux hors des frontières de son pays. Les nouvelles du dehors lui arri-
vaient rarement et lentement. 11 ne vivait que de la vie nationale et l'in-
ternationalisme ou, si vous voulez, le cosmopolitisme n'existait pas pour
lui, parce qu'il ne pouvait pas exister. Bien entendu, on peut citer des
exceptions sans lesquelles du reste la géographie n'aurait pu se former.
874 GÉOGRAPHIE
Mais les exceptions ne servent qu'à confirmer la règle générale et telle
était alors la règle générale.
Or, la vapeur et l'électricité ont modifié tout cela d'une manière radi
cale. La chronique d'un grand journal du commencement du siècle, com-
parée à celle d'un grand journal de notre époque indique très nettement
l'abîme qui s'est creusé, la révolution formidable qui s'est opérée et sur
laquelle on ne saurait assez méditer, car ici les leçons de l'expérience ne
servent plus, le passé ne contenant rien d'analogue au chemin de fer et
au télégraphe. La chronique d'hier était faite des nouvelles de l'intérieur;
dans celle d'aujourd'hui les nouvelles de l'extérieur tiennent la première
place. Les oscillations de ce grand pendule qu'on appelle la Bourse s'ins-
crivent simultanément à Stockholm et à Yokohama, et lorsqu'un Russe
fait deux kilomètres sur le plateau de Pamir, le fait est commenté le
lendemain à Paris et à Chicago. Alors laborieusement, devant tous ces
noms exotiques, devant toutes ces civilisations qui se lèvent, en présence
de ces merveilles dont il s'étonne et dont parfois il a peur, le Français
de cinquante ou de soixante ans refait son éducation géographique. Il
cherche dans les dictionnaires, s'égare dans les atlas et constate que tous
ces pays nouveaux n'ont point apparu soudainement comme si une trappe
leur eût donné passage. Ils existaient au temps de sa jeunesse, mais
jamais son regard n'avait appris à se diriger vers eux et il en est encore
à voir en pensée des troupes de chevaux sauvages galoper dans les
plaines de la République Argentine et des chercheurs d'or établir leurs
misérables huttes sur le sol d'Australie. Pourtant on lui a demandé son
argent pour des entreprises lointaines. Les mines de l'Uruguay, les défri-
chements du Manitoba, le chemin de fer des Andes l'ont successivement
séduit grâce à l'éloquence d'un ami lui vantant ces « affaires magnifi-
ques ». — Mais, voilà, qu'est-ce que c'est au juste que l'Uruguay? Pousse-
t-il quelque chose dans le xManitoba ? Le chemin de fer des Andes sera-t-il
productif? Il est bien incapable de se faire une opinion là-dessus et s'en
rapporte aux prospectus trompeurs et aux bulletins de journalistes inté-
ressés.
On se mettra peut-être très facilement d'accord sur l'utilité de ces
connaissances, mais il sera moins aisé de s'entendre pour leur faire une
place. Ce n'est pas tout de décider qu'une matière doit figurer dans un
programme lorsque ce programme est déjà bien rempli. C'est vouloir
mettre du lait dans une tasse déjà pleine de chocolat. Enlevez au préa-
lable du chocolat et l'opération deviendra possible. Il faut donc, non point
allonger le programme, mais le remanier, et pour cela quelques sacri-
fices sont nécessaires. Ils devront porter, bien évidemment, sur la France
elle-même, étudiée par nos enfants avec un luxe de détails très exagéré.
Je ne songe pas seulement, en disant cela, à ces sous-préfectures dont
p. DE COUBERTI.N. LENSEIGNEME.NT DE l.A CÉOGRAPHIE 875
la liste peut s'apprendre — tout comme la table de multiplication —
pendant la première enfance, mais à ces réseaux de chemins de fer, à
cette litanie de petits canaux, à toutes ces industries locales, nourriture
indigeste pour l'esprit et incapable de produire la moindre vue générale,
d'engendrer la moindre impression d'ensemble. Se font-ils une idée du
transit de ces chemins de fer, du mouvement de navigation sur ces
canaux, de la puissance industrielle de la France, les pauvres collégiens
qui récitent ce chapelet géographique? Quelle trace peut laisser en eux
un passage comme celui-ci, que j'emprunte au manuel d'un maître
estimé et regretté : « Le chef-lieu est Evreux, sur l'Iton. affluent de
l'Eure, siège d'un èvêché et l'une des succursales de Rouen pour la fabri-
cation des cotonnades. Les quatre sous-préfectures sont : Les Andelys,
patrie du peintre Nicolas Poussin ; Bernay, important par ses filatures
et son commerce de grains, de lins et de chevaux ; Louviers, sur l'Eure,
l'une dps métropoles de l'industrie des draps, des lainages et de la
construction des machines, et Pont- Aude mer, sur la Rille (tanneries et
papeteries). »
Il y a évidemment un malentendu dans le but que l'on se propose. .l'ai
souvent ouï dire qu'il était bon de faire son droit, même lorsque cette
étude ne devait pas avoir d'utilité immédiate, parce que cela donnait une
idée d'ensemble et qu'ensuite « on savait où aller chercher les renseigne-
ments dont on peut avoir besoin o. Ne serait-ce pas un résultat ana-
logue qu'il conviendrait d'atteindre en ce qui concerne la géographie ?
N'y a-t-il pas une " idée géographique » qu'il importe avant tout de
faire saisir à l'élève? Des noms et des chiffres, il les oublie, mais il lui
est facile de les retrouver quand il le veut ; en comprend-il la valeur ?
Toute la question est là. S'il possède ce qu'on pourrait appeler la « table
des matières » de la géographie, s'il a la juste notion de ce que sont
dans chaque pays la nature et l'homme, s'il connaît la c proportion »
des pays entre eux, s'il a saisi une seule fois Vharmonie, Véquilibre du
globe, toute statistique placée sous ses yeux deviendra vivante, toute
découverte qui lui sera signalée prendra pour lui sa portée véritable, le
moindre renseignement d'ordre technique l'intéressera. C'est en cela que
consiste la géographie et iTon pas en une série de nomenclatures arides.
Elle doit être une culture pour l'esprit et ne point aspirer à remplacer
V Indicateur .
Mais il y a toujours devant nous cette objection que la patrie a droit
à une place plus grande que celle des autres pays. C'est une objection de
sentiment. Elle n'a plus de raison d'être, ainsi que je l'ai indiqué plus
haut, parce que les circonstances ont changé et qu'aujourd'hui le meil-
leur moyen de bien servir sa patrie est de connaître à fond celle du
voisin. Il y a, du reste, un ordre de connaissances qui ne s'acquièrent
876 GKOGRAPHIE
pas dans les livres, mais bien par la vie de chaque jour, et celui qui
réside en France peut toujours en savoir plus long sur la France que
sur l'Angleterre ou l'Alieniagne. Raison de plus pour que, pendant son
éducation, ses regards aient été dirigés le plus souvent possible hors des
frontières. Nous vivons en un temps d'invasion, et s'il importe que
l'officier connaisse les rivières et les montagnes, les cols et les gués du
pays dont il médite la conquête, il importe plus encore que le financier,
l'industriel, le commerçant soient à même de juger spontanément de la
portée d'une entreprise et ne se disent pas, en hésitant, devant quelque
afTaireà tenter: L'Australie !... c'est bien loin !... qui sait ce qui s'y passe?...
11 importe encore que, familiarisés avec la distance, les Français de
demain fassent fructifier ce troisième Empire colonial, que la Hépubliquc
est en train d'édifier sur les ruines des deux autres. Il importe qu'ils
puissent suivre dans leurs audacieuses campagnes les Binger, les Mizon?
les Bonvalot. 11 importe qu'ils connaissent tous les points du monde où
un groupe quelconque d"étres humains parle notre langue. C'est ainsi
qu'ils serviront le mieux cette patrie dont le génie a fécondé l'Europe
et qui, à diverses reprises, a empli le monde du bruit de ses victoires.
II
.l'ai tenté d'établir que les jeunes Français apprenaient en géographie
bon nombre de choses inutiles et, par contre, n'apprenaient point beau-
coup de choses fort utiles : voilà pour les programmes. Demandons-nous
maintenant quel est le procédé d'enseignement qui fixera le mieux dans
leur mémoire ce qu'ils apprendront.
En nous donnant, dans son Roman d'un Enfant, une page de péda-
gogie imprévue et charmante, Pierre Loti a attiré notre attention sur le
rôle du « suggestif » en matière d'éducation et d'enseignement. Le « sug-
gestif )), c'est là un mot fait pour inquiéter les savants, lesquels estiment
que rien ne vaut la science avec ses renseignements précis, ses classifica-
tions bien ordonnées, ses procédés logiques et ses déductions positives.
Ils veulent qu'on lui mène les enfants sans retard et ne s'effrayent pas
pour eux de sa mine parfois rébarbative et de son visage un peu sévère.
Elle seule, disent-ils, pourra les civiliser; il faut qu'ils s'habituent à
recourir à elle en toute circonstance, à lui demander l'explication de
toutes choses, à la considérer comme l'astre polaire de leur firmament.
Le suggestif ! mais c'est le culte de l'imagination, de cette faculté endia-
blée, cause de tant d'illusions et d'erreurs, à laquelle sont imputables
tant de chutes et d'accidents et sans laquelle le monde marcherait sans
secousses, comme une machine bien graissée.
A y regarder de près, voilà le champ de bataille de la pédagogie roc-
I
p. DE COUBERTIN. l'eNSEIGNEMENT DE [,.V OÉOGliAPHIE 817
derne. Sur ce terrain s'est engagé le combat mené par les états-majors
scientifiques allemands contre les vieilles « humanités » de nos pères.
L'attaque a lieu sur tous les points. Ce ne sont pas seulement les sciences
positives que l'on donne comme susceptibles de former l'esprit, voire
même de « l'orner », comme disait le bon Rollin ; on prétend encore
appliquer la même méthode aux chefs-d'œuvre de la pensée antique, et,
sous prétexte d'en tirer des beautés cachées, on dessèche systémati-
quement, par une analyse impitoyable, cette terre si riche et si fertile.
La vérité est qu'il y a des procédés positifs et des procédés suggestifs,
et que ces si derniers ne sont pas susceptibles d'être employés lorsqu'il s'agit
de certains cerveaux, ce n'est pas une raison pour les exclure là où ils
peuvent produire de bons résultats. .Je ne prétends pas ici établir un
parallèle entre le génie français et le génie allemand. La science alle-
mande est, par les œuvres admirables qu'elle a produites, au-dessus de
toutes les attaques, et son influence sur la science française a été de tous
points salutaire. Mais je crois que l'on pousse trop loin l'admiration en
voulant appliquer ses procédés à l'éducation de la jeunesse. D'un esprit
français vous ne ferez jamais un esprit germanique. Ils sont aux anti-
podes l'un de l'autre et les méthodes qui conviennent au second ne sau-
raient convenir au premier. Le « suggestif » n'a pas de prise sur l'Alle-
mand. Le Français, au contraire, est sous son empire. L'Allemand sait,
raisonne, s'assimile ; le Français vibre, imagine, invente.
Ces procédés, que j'appelle « suggestifs », conviennent à la géographie
lorsqu'il s'agit d'écoliers français, et il est regrettable qu'ils n'aient pas
été encore employés. La géographie est peut-être une science exacte ;
son caractère philosophique et artistique est. néanmoins, très facilement
saisissable. Elle englobe tant d'autres sciences et son domaine est si
vaste !
Expliquez à l'enfant la formation de la terre selon les données nou-
velles qui en reculent l'origine dans un lointain si grandiose. Exposez-
lui l'harmonie du monde sidéral, les immensités peuplées d'astres, les
phénomènes si mystérieusement simples de la succession des jours et des
nuits, de l'hiver et de l'été, toute cette « vie des choses » qui l'envi-
ronne si bien, qu'il oublie de la remarquer par lui-même. Puis décrivez-
lui cette planète qu'il habite. Énumérez-lui ses étrangetés et ses richesses ;
qu'avant de posséder une seule dor)née technique, d'avoir appris par
cœur une seule de vos nomenclatures, il ait la notion des t;randes éten-
dues terrestres et marines, des solitudes glacées, des déserts brûlants,
des monts et des forêts. Montrez-lui, en passant, ces ponts jetés sur des
al)îmes, ces câbles immergés dans les profondeurs des océans, ces villes
immenses qui peuplent les continents, et ces postes avancés construits
au milieu de tous les périls par les pionniers de la civilisation. Sans
878 GÉOGRAl'HIE
en connaître encore la longue histoire, l'enfant sentira derrière lui le
poids de l'humanité dont il est l'héritier et le continuateur.
Racontez alors la lente et sublime conquête, les premières audaces des^
anciens et celles de nos compatriotes, les Cousin, les Arago, les Jacques
Cartier; le cercle polaire franchi en 1497 par Sébastien Cabot; Barentz,
en 1596, entrevoyant le Spitzberg; James Ross apercevant, il y a cin-
quante ans, les hautes cimes volcaniques du pôle Sud. Insistez surtout sur
l'épopée de Christophe Colomb faisant apparaître soudain un continent
gigantesque, et aussi sur cette Afrique, hier encore ignorée de tous,
aujourd'hui percée à jour. Quel poème admirable, susceptible de trans-
porter de jeunes esprits, d'ouvrir les intelUgences des petits Français et
même de déposer en eux le germe nécessaire entre tous à l'époque où
nous sommes, le germe de l'action !
Il va sans dire que cet exposé, ce « tableau » géographique ne peut
constituer que la base d'un enseignement sérieux. Cet enseignement,,
quelle forme lui donner? J'ai vu fréquemment, à l'étranger, employer
une forme originale qui me paraît des plus recommandables ; elle per-
met de varier les sujets à l'infmi, de ne jamais lasser l'attention et peut,
en outre, exciter au plus haut degré l'émulation. Le professeur voyage
avec ses élèves; il s'entoure de tout ce qui peut donner à ceux-ci l'il-
lusion d'un voyage véritable : guides, indicateurs, vues photographiques
(projetées parfois au gaz oxyhydrique), renseignements de tous genres.
Cela rappelle l'organisation de l'enseignement commercial dans les Busi-
w'ss Collèges des États-Unis (1), et il faut s'efforcer de ne pas tomber
dans l'exagération qu'ont atteinte certains de ces établissements. Mais le
principe est bon.
Je suppose que le premier voyage soit consacré à l'Empire britannique.
C'est là une locution jusqu'ici inconnue du petit Français. Il ignore abso-
lument ce qu'est l'Empire britannique ; mais par contre il s'est déljattu
dans les noms des comtés d'Angleterre, que les Anglais eux-mêmes ne
savent pas et qui ne sont d'aucune utilité. Le Cap n'est pour lui qu'une
montagne en forme de table recelant des diamants jaunes. Les odyssées
des Boërs. la formation des républiques de l'Orange et du Transvaal, les
efforts des Allemands pour se rejoindre au nord des possessions anglaises,
tout cela est de l'hébreu pour lui. Pourtant, à la lueur de ces faits,
combien la géographie de ces contrées devient intéressante ; le relief du
sol, le cours des fleuves, la nature des terrains prennent aussitôt une
raison d'être. La carte se transforme en un échiquier.
Le massif étrange de l'Australie avec son désert central et sa ceinture
d'États se présente sous un aspect très différent. Nulle pari, peut-être.
(1) Voir Universités tiansaUanliqties . — Hacliell^ et C'«.
F. DE COUBERTIN. LENSEIGNEMENT DK LA GÉOGHAPIUE 87'J
riiomme n'est destiné à être à ce point l'esclave de la nature. L'Hin-
doustan a d'autres caractères, mais l'œuvre accomplie là n'est pas moins
étonnante. Au Canada, les questions de race, de climat, de débouchés
s'entremêlent de la façon la plus curieuse, et tous ces problèmes épais
ont presque toujours une cause géographique. La géographie permet d'en
retrouver l'origine el parfois d'en pressentir la solution. N'ayez garde
d'oublier, en passant, Hong-Kong, Singapour, Maurice, Aden, Chypre,
Malle, Gibraltar, ces stations qui jalonnent la route des paquebots an-
glais. Et quand vous serez de retour à Marseille, embarquez-vous à Bor-
deaux pour visiter les républiques espagnoles. Les États-Unis viendront
ensuite, puis la Chine trop longtemps dédaignée par nous et qui n'évoque,
pour la plupart de nos enfants, que l'image de mandarins en satin jaune
assis dans des tours de porcelaine. Que de choses vous leur apprendrez
encore en leur faisant faire le tour de la Méditerranée, où se concentrent,
avec l'éternelle question d'Orient, un nombre infini d'autres questions
d'ordre européen ! Le tour des puissances continentales viendra enfin
et, lors({u'ils auront ainsi parcouru le monde, ils seront à même de visiter
les colonies françaises en se rendant compte de leurs avantages et de leurs
désavantages géographiques.
On va m'objecter qu'en tout ceci j'entremêle l'histoire et la géogra-
phie. IN'e sont-elles pas sœurs? Ce qui est le plus surprenant, c'est qu'on
ait eu la pensée de les séparer, et malgré tout elles arrivent à se rejoindre
en maintes circonstances. Tout ce que je viens de dire de la géographie,
je le dirais de l'histoire, car il me paraît tout à fait étrange que cer-
tains peuples et certaines époques soient étudiés avec un soin minutieux,
tandis que d'autres peuples et d'autres époques sont laissés dans l'ombre,
lien est des siècles comme des terres ; la proportion est absolument faussée.
Au lieu d'avoir des connaissances générales sur le passé de Ihumanité et
sur la constitution du globe, notre mémoire ne contient le plus souvent
que des chronologies, des dates de bataille, des noms de caps et de
golfes.
S'il m'est permis d'évoquer un souvenir personnel, je mentionnerai
trois cartes historiques dressées par M. Albert Sorel pour le cours d'his-
toire diplomatique qu'il professe à l'École des sciences politiques. L'Eu-
rope de 1789, celle de iSlo et celle de ISSo, ainsi représentées, ont gravé
profondément dans mon esprit l'histoire générale du siècle. Comment n'en
pas saisir les grandes lignes lorsqu'on voit, unifiées en ISSo, cette Italie
et cette Allemagne qui apparaissaient en 1789 et même en ISlo, subdi-
visées en une multitude de petits États, et d'autre part la péninsule des
Balkans suivre une marche inverse et se désagréger rapidement! Quel-
ques années avant, à l'examen oral de Saint-Cyr, on m'avait interrogé sur
les crises ministérielles du règne de Louis-Philippe, sur les principaux som-
880 GÉOGRAPHIE
mets du département des Hautes-Alpes. Voilà les deux écoles en présence :
l'école des « grands courants » et celle des « petites minuties ». Qu'entre
les deux nos cœurs ne balancent pas. Mettons des idées à la place des
mots, rétablissons l'équilibre entre l'étude dès différentes parties du globe
et la géographie scolaire deviendra réellement ce qu'elle n'a été jusqu'ici
que par étymologic : la description de la terre.
M. Georges PAROISSE
Professeor de l'Université, chargé de Missions scientifiques, à Paris.
LA RIVIÈRE COMPOIMY (GUINÉE FRANÇAISE)
— Séance du 7.9 septembre IS02 —
Bien que son embouchure ait été découverte dès le milieu du xv" siècle
par les navigateurs portugais, le Compony est resté, jusqu'à une époque
toute récente, le plus mal connu de ces cours d'eau que l'on «içlésigne ha-
bituellement sous le nom de Rivières du Sud.
Les premières connaissances précises que nous possédions sur ce fleuve
datent du passage de la mission qui, en 1888, procéda, sous la direction
du capitaine Brosselard-Faidherbe, à la délimitation des territoires de la
Guinée française et de la Guinée portugaise.
En 1891, j'ai eu l'occasion de visiter le cours inférieur du Compony
et de le remonter jusqu'à Kandiafara, point qui jusqu'ici n'a été dépassé
par aucun Européen, sur le fleuve; c'est le résumé de mes observations
que je présente ici.
Le Compony est le premier cours d'eau de la Guinée française que l'on
rencontre en venant du nord. La frontière qui sépare notre colonie de la
Guinée portugaise est ici une ligne idéale tracée entre le Cassini et le Com-
pony, à égale distance des deux fleuves.
A son embouchure, le Compony présente comme un vaste estuaire,
large de six à sept kilomètres, ouvert entre des rives basses, couvertes
d'épais fourrés de palétuviers. Des bras secondaires, détachés de la rive
droite, entourent les îles Tristao, terres d'alluvion qui représentent une
sorte de delta latéral du fleuve.
Orienté d'abord du nord au sud, l'estuaire, à quelques kilomètres de la
mer, s'infléchit à l'est en diminuant rapidement de largeur et fmit par se
0. PAROISSE. — LA RIVIÈRE COMPONY (GULNÉE FRANÇAISE) 881
resserrer dans un élranglement de 600 mètres de large que des amas de
roches entassées le long des rives rétrécissent encore.
Un peu avant d'arriver à cet étranglement, on aperçoit de nombreuses
tètes de roche disséminées dans le lit même du fleuve où elles consli-
luent de dangereux écueils. Les roches paraissent faire partie d'un grand
banc qui s'étend obliquement d'une rive à l'autre; disloqué par l'action
des courants, ce banc laisse ouvertes de nombreuses passes ; néanmoins,
en l'absence de tout balisage, un navire un peu gros ne se risquerait pas
sans danger à le franchir.
En amont de l'étranglement, le Compony reprend, à quelques détours
près, la direction générale du nord; sa largeur est de un à deux kilomètres,
jusqu'à la hauteur du village de Bassia, où il s'épanouit en un vaste bas-
. sin circulaire, semé de quelques ilôts.
Jusqu'à Hassia, le Compony traverse des plaines basses, marécageuses,
couvertes d'une brousse épaisse, dans les parties les plus sèches, et de
palétuviers partout où pénètrent les eaux saumàtres refoulées par la ma-
rée. Des palmiers assez nombreux émergent du sein de ces brousses, les
autres arbres sont rares.
A partir de Bassia, le relief du sol commence à s'accuser, des coteaux
se profilent dans le lointain et envoient, de distance en distance, des con-
treforts jusque sur les rives du fleuve qui, pour les contourner, décrit de
vastes méandres.
La végétation change aussi de caractère : les grands arbres sont plus
nombreux, sans toutefois arriver à former de véritables forêts; les palmiers,
en revanche, sont plus clairsemés. Peu serrée au voisinage de Bassia, la
brousse, à mesure qu'on s'enfonce vers le nord, devient de plus en plus
épaisse et impénétrable ; les bambous couvrent de vastes étendues.
»En amont de Bassia, la largeur du Compony diminue assez rapidement;
à une vingtaine de kilomètres de ce point elle n'est plus que de 400 mè-
tres, mais ensuite elle ne subit plus que de faibles variations. La profon-
deur reste supérieure à quatre mètres ; elle varie d'ailleurs suivant l'heure
de la marée, qui pénètre fort loin dans le fleuve. A Kandiafara, à 7o kilo-
mètres de l'embouchure, la différence est de plus de deux mètres, entre
les niveaux correspondant à la haute et à la basse mer.
Cependant l'eau est douce pendant toute l'année devant Kandiafara;
la limite extrême atteinte par les eaux saumàtres, au fort de la saison
sèche, alors que l'apport des eaux douces de la rivière atteint son mini-
mum, est le confluent de la rivière de Babali, à quelques kilomètres au-
dessous de Kandiafara.
Avant môme d'arriver à ce point, on voit peu à peu disparaître les
palétuviers qui, plus l)as, formaient sur les rives d'épaisses bordures. Les
pandanus les remplacent sur les terrains marécageux.
882 GÉOGRAPHIE
Entre Bassia et Kandiafara le Compony ne reçoit que des affluents peu
importants, le principal est la rivière de Tomboïa, ailluent de gauche qui
vient du nord-est. Cette rivière est, au dire des noirs, navigable, au moins
pour des chaloupes, sur un assez long parcours.
Au-dessous de Bassia, le Compony ne reçoit pas d'affluents ; il envoie
au contraire, à droite et à gauche, des marigots plus ou moins importants
qui reviennent dans le lit majeur ou vont s anamostoser avec ceux qui
se détachent du Rio-Nunez et du Cassini, les deux estuaires entre lesquels
se trouve celui du Compony.
J'ai pu, en utilisant l'un de ces marigots, faire passer mon canot du
Compony au Nuiiez, sans sortir en mer.
POPULATIONS
Les rives du Compony, du Kandiafara à la mer, sont peu peuplées ;
mais parmi les indigènes on rencontre des représentants de plusieurs races
fort différentes.
Dans les plaines marécageuses du littoral, on trouve quelques villages
peuplés de Bagas. C'est là, je crois, l'extrême limite atteinte, vers le nord,
par cette race dont on rencontre de petites colonies dispersées le long de
la côte jusqu'à la Dubréka.
Les Bagas du Compony me paraissent être les plus arriérés des représen-
tants de cette race qui, autrefois maîtresse du pays, a été refoulée dans
les marais voisins de la mer par les envahisseurs de race Sou-sou.
Les Bagas ne se rencontrent pas aux îles Tristao dont la population
est composée en majeure partie de Nalous venus de la rive droite du Rio-
Nunez. Le nombre de ces réfugiés s'est beaucoup accru pendant ces der-
nières années, à la suite des guerres suscitées par Dinah-Salifou, le chef
Nalou que l'on a vu en France lors de l'Exposition de 1889.
Le gros bourg de Capken, sur l'île Robert, est le plus important des
centres habités des îles ïristao. Sur l'île Aube, on ne trouve pas de véri-
tables villages, chaque famille groupant ses cases à part. A l'extrémité
nord-ouest de cette île se trouve l'établissement commercial et agricole de
Franceville, fondé en 1890 par la Compagnie française des îles Tristao.
En remontant le Compony, on trouve sur la rive gauche le village de
Bassia dont nous avons déjà cité le nom. Bassia se compose de plusieurs
groupes de cases, au bord du fleuve ; il n'y en a que quelques-unes habi-
tées par des traitants, sénégalais ou sierra-léonais, placés là par les mai-
sons de commerce françaises et anglaises du Rio-Nuiîez. En s'éloignant du
rivage, on rencontre un autre hameau peuplé par des captifs chargés de
cultiver les terrains environnants et enfin, à deux kilomètres du fleuve,
G. PAROISSE. — L.\ UIVIKRF COMPONY (GLINKE FRANÇAISE) 883
on arrive au village proprement dit, celui qu'habite le chef M'Fàli.
Ce village est entouré d'une double palissade, renforcée à la base par
un parapet en terre, percé de meurtrières. Il a repoussé victorieusement
l'attaque des bandes de Dinah-Salifou : les crânes des guerriers Nalous
restés sur le terrain ornaient encore, lors de mon passage, les palissades,
de chaque côté de la porte.
Les habitants de Bassia et des environs se disent Djolas et parents des
Mandingues.
En amont de Bassia, le pays traversé par le Compony est inhabité,
jusqu'à Kandiafara. Le village de Boufira. fondé par une colonie de Sou-
sous sur un promontoire de la rive gauche, non loin de Bassia, a été ré-
cemment abandonné par ses habitants. Plus haut, sur la rive droite, on
voit l'emplacement de Caxham, village Nalou détruit par les gens du Fo-
réah, dont les incursions ont fait un désert de toute cette fertile région.
Kandiafara même n'est qu'un comptoir commercial, habité par trois ou
quatre traitants sénégalais qui trafiquent, pour le compte des factoreries
du Nunez, avec les habitants du Foréah.
J^es premiers villages du Foréah ne se rencontrent qu'à une certaine
distance de la rive droite du Compony ; leurs habitants sont des
Foulahs noirs, c'est-à-dire que, chez la plupart d'entre eux, le sang de la
race Foulah est fortement mêlé à celui des peuplades ambiantes.
En remontant la rivière de Tomboïa, que nous avons signalée comme
alïluent de gauche du Compony, après avoir traversé une zone déserte
d'une quinzaine de kilomètres de largeur, on arrive chez les Tandas,
petite peuplade dont le chef réside à Tomboïa. Ce chef est vassal du roi
des iS'alous du Nunez, mais ce vasselage est aujourd'hui purement nominal.
COURS SUPÉRIEUR DU COMPONY
En amont de Kandiafara, aucun Européen n'a remonté le Compony, qui
cependant est encore facilement navigable jusqu'à une distance probable-
ment très grande.
En 1880, M. Olivier de Sandervale traversa, directement à l'est des
sources du Rio-Nunez, à plus de deux cents kilomètres, à vol d'oiseau, de
Kandiafara, une série de ruisseaux qui, après un court trajet vers le nord,
se réunissaient dans un lit commun, courant à l'ouest. C'étaient les sources
du Cogon, la branche maîtresse du Compony.
En 1860, Lambert avait déjà traversé le Cogon à quatre-vingts kilomètres
plus bas, près de Kitala. Là il coule vers le nord-ouest, direction qu'il
conserve probablement pendant une centaine de kilomètres. Pendant ce
884
GEOGRAPHIE
trajet il reçoit un important aflluent, le Teliri, qui a été entrevu par Hec-
quard et Olivier de Sanderval.
Arrivé à une faible distance du Kroubal, le grand fleuve de la Guinée
portugaise qui alimente l'estuaire do Géba, le Compony tourne encore
brusquement à angle droit, ainsi que l'a reconnu le capitaine Brosselard-
Faidherbe, et se dirige, au sud-ouest, vers Kandiafara, d'où il coule au
Sud, vers la mer.
La longueur totale du Compony, sans tenir compte des petits méandres
du lit, paraît être d'environ trois cent cinquante kilomètres, mais, par
suite de l'énorme détour qu'il fait vers le nord, la distance en ligne
droite, des sources à l'embouchure, n'est guère que de deux cent trente
kilomètres.
Par la longueur de son cours, la richesse et la fertilité de la vallée qu'il
arrose, ce fleuve est certainement appelé à jouer un grand rôle. Lorsqu'il
sera mieux connu, il deviendra bientôt une des artères les plus impor-
tantes de la Guinée française.
M. II. COTJDItEATJ
Cliargé du Missions si'iuiilHiiiiics, à Paris.
ETUDE DE LA CHAINE DES MONTS TUMUC-HUMAC
Smticc du ly sepleiiibve IS92 —
Les Tumuc-Humac m'ont coûté beaucoup de mal.
On pense bien que ce n'est pas avec mes seuls itinéraires que j'ai pu
établir ma carte de ces moiïtagnes. Les itinéraires ne laissent qu'une
ligne étroite sur la carte et ne donnent aucune idée de l'ensemble. C'est
par les hauts points de vue, les panoramas que l'on peut juger de la
configuration générale d'un système orographique, et des renseignements
qu'il faut constater et discuter viennent brocher sur le tout.
Les panoramas sont rares dans les Tumuc-Humac.
II. COL'DUEAL'. ÉTUDE DE LA CIIAIN'E DES MONTS TUMUC-llI MAC 88o
Il m'est arrivé souvent, tant au Maroni qu'à l'Oyapock, de faire deux ou
trois jours de marche pour arriver à quelque haut sommet dont m'avaient
parlé les Indiens. En route, je n'avais qu'un maigre itinéraire : les petits
aflluents de quelque crique dont nous suivions la vallée à mi-côte.
Arrivé au sommet, rien, pas une éclaircie dans la forêt serrée ; je faisais
alors abattre des arbres, ce qui dégageait le paysage, mais des collines
prochaines me cachaient le lointain, et je n'apercevais autour de moi
que de vagues masses bleues entre les branchages des éminences voi-
sines, ou bien encore deux ou trois petites montagnes peu éloignées qui
me cachaient tout l'horizon, En hiver, c'est pis encore; d'épais brouil-
lards pèsent sur les hauteurs : il faut souvent attendre deux ou trois
jours qu'une éclaircie se fasse dans ce ciel de grisaille.
Pour jouir d'un panorama d'ensemble, il faudrait trouver de hautes
montagnes au sommet dénudé ; mais dans cette région sans savanes et
aux faibles altitudes, ces montagnes sont très rares, je n'en ai découvert
que trois sur plus de deux cents que j'ai escaladées ou vues : Mitaraca,
dans les hauts de Marouini ; Tayaouaou, aux sources de l'Oyapock, ei
Témomairem, aux sources de Coulécoulé et de .Mapahony. Encore, la pre-
mière et la dernière seules donnent-elles un point de vue parfait, per-
mettant de prendre un excellent tour d'horizon.
Mitaraca est terminée par une énorme roche granitique en forme de
cône, roche si complètement dénudée qu'on n'y trouve même pas une
touffe d'herbe pour s'aider à grimper. Le sommet de la roche est à
o80 mètres d'altitude. L'ascension est difficile et périlleuse ; la roche,
étant presque à pic et nue, donne le plus beau panorama que j'aie vu
pendant ces deux ans ; celui des Ïumuc-Humac, de Maroni, à près de
vingt lieues à la ronde. Mitaraca est un des géants de Tumuc-Humac et
la seule montagne de la chaîne qui présente, je crois, un aussi beau bel-
védère. De son sommet, le système orograplhque de la contrée se dé-
couvre tout à coup dans son ensemble, comme à un brusque lever de
rideau.
Tayaouaou, élevée seulement de 450 mètres, est terminée, au cou-
chant, par une muraille granitique perpendiculaire, de 100 mètres d'élé-
vation. Tayaouaou donnerait un aussi beau point de vue que Mitaraca
si elle était déboisée à son sommet. Mais on est obligé de profiter de diffé-
rentes éclaircies qui existent sur le pourtour pour embrasser successive-
ment les différents points de l'horizon. Toutefois, moins élevée que
Mitaraca, son champ visuel ne s'étend qu'à douze ou quinze lieues
alentour, jusqu'à la chaîne d'Eureupoucigne au nord ; aux montagnes des
sources de l'Oyapock au sud, et à la petite chaîne d'Agamiouare au
sud-est,
Témomairem donne un point de vue presque aussi beau que celui
I
886 GÉOGRAPHIE
dont on jouit du sommet de Milaraca. Pour arriver à Témomaïrem, sur
le sentier de Mapahony-ltany, on rencontre une série d'éminences en
gradins successifs, éminences que domine la roche de Témomaïrem.
Au pied de la roche s'étendent des terrains granitiques sur lesquels
aucun arbre n'a poussé. C'est une petite savane, belvédère naturel, d'où
l'œil embrasse distinctement, par un ciel clair, l'horizon de Timo-
takem et de son groupe, et celui des montagnes du chemin du Parou.
Gravit-on la roche élevée d'une cinquantaine de mètres au-dessus du
dernier gradin du plateau, on découvre (si on ne s'est pas rompu le
cou en faisant l'ascension des rochers à pic) un horizon splendidement
élargi. Par delà les vagues verdoyantes de la mer des forêts vierges, on
embrasse les piliers de l'immense arène circulaire; de grosses masses
aux sommets blancs de quartz servent de soubassement à l'azur. A
l'ouest, on voit jusqu'à Teïrokem sur le chemin du Parou ; à l'est, on
saisit nettement les groupes de Mitaraca, de Timotakem et de la chahie
de Chimichimi. Témomaïrem et Mitaraca valent à elles seules le voyage
de Paris en Guyane centrale .
Tayaouaou, Mitaraca et Témomaïrem m'ont suffi pour jeter les bases
d'une première triangulation des Tumuc-Humac. De chacun de ces trois
sommets, je prenais, au théodolite, les angles des sommets visibles et je
mesurais ensuite, au podomètre, le plus de bases que je pouvais. Tout
cela est approximatif et grossier, sans doute, mais encore cela est-il fait.
Je puis aujourd'hui donner, sans crainte de me tromper, une des-
cription géographique sommaire de l'ensemble de la chaîne des Tumuc-
Humac (planche VU).
L'ensemble de la chaîne fait est-sud-est environ ; par conséquent,
elle est à peu près parallèle à la côte. Il n'y a pas de chaîne de sépa-
ration des eaux. Les Tumuc-Humac se composent de chaînons brisés,
jetés sur les plateaux comme au hasard et sans logique apparente.
Les Tumuc-Humac occidentales, ou du Maroni, se composent de deux
chaînes sans parallélisme, distantes l'une de l'autre de quarante kilomètres
environ, et ayant chacune plusieurs contreforts. La chaîne du nord
commence aux montagnes de la Haute-Itany, passe par le piton Apoiké,
Palourouimènepeu, Mitaraca et le pic d'Amana, et compte une vingtaine
de sommets principaux . La chaîne du sud commence aux montagnes du
Parou et passe par Timotakem ; elle compte une douzaine de sommets.
Mitaraca est le pic le plus élevé de la chaîne nord, et Timotakem est le
plus élevé de la chaîne sud. Timotakem peut avoir 800 mètres d'altitude
absolue. L'altitude maximum des Tumuc-Humac françaises est donc à
Timotakem. La chaîne nord envoie entre Itany et Marouini un im-
portant chaînon qui a quinze ou vingt sommets principaux et qui s'em-
branche à Mitaraca. Elle envoie de là, entre Itan^ et Mapahony, un
H. COUDREAU. — ÉTUDE DE LA CHAINE DES MONTS TUMUC-HUMAC 887
chaînon de sept sommets qui s'embranche à Tenének-Patare, par où
passe le sentier de Mapahony. A l'est, les deux chaînes sont reliées en-
semble par plusieurs chaînons faisant nord-est, chaînons que j'ai vus se
prolonger jusque non loin de Paritou, sur les rives de l'Araoua, et qui
>ont l'amorce de la grande chaîne, haute comme les Tumuc-Humac, qui,
par les chaînons du Haut-Sinnamary et de la Montagne de Plomb, court
du sud au nord de la Guyane française, des Tumuc-Humac à l'Atlan-
tique.
Au delà des chaînons latéraux nord-est, où s'embranche la grande
chaîne sud-nord de la Guyane, les Tumuc-Humac ne donnent plus leurs
eaux aux affluents du Maroni, mais à ceux de l'Oyapock ; ce sont les
Tumuc-Humac de l'Oyapock ou les Tumuc-Humac orientales.
Les Tumuc-Humac orientales se composent de trois chaînes disposées
en éventail, plus écartées les unes des autres que les chaînes des Tumuc-
Humac occidentales, et s'écartant de plus en plus à mesure qu'elles
avancent vers le levant, La chaîne nord semble s'embrancher aux pro-
longements orientaux de Timotakem et passer par Tapiirangnannawe et
Eureupoucigne-Iouitire ; elle paraît élevée de plus de 5.000 mètres. J'en
ai vu cinq grands pics au nord de la rivière d'Eureupoucigne. La chaîne
centrale s'embranche à Tapiirangnannawe et, par de petites collines,
arrive aux montagnes de Tacouaudewe et de Tayaouaou et se poursuit
par les collines de Moutaquouère pour finir aux montagnes du bas
Ourouaïtou, J'y ai compté plus de cinquante sommets principaux. Les
plus grandes altitudes paraissent être de oOO mètres. La chaîne sud
passe pour être la plus élevée ; elle s'embranche à Timotakem et, coupant
les hauts de Couyary et de Kouc, elle se poursuit par les montagnes de la
tête d'Ourouaïtou, de Mapari, de Caroni et d'Araguary. Je lui connais
une quinzaine de sommets principaux. Elle envoie un chaînon nord-est
rejoindre la chaîne du centre. C'est à ce chaînon que l'Oyapock prend sa
source, beaucoup plus au sud que ne l'avait supposé Crevaux. La chaîne
sud se continue est-sud-est jusque dans le bas Araguary, où je la vis, en
1883. lors de mes premiers voyages dans les régions de l'Amérique
équinoxiale .
Pour ce qui est des sources des plus grands cours d'eau, je me bornerai
aux certitudes que j'ai acquises. L'itany prend sa source beaucoup plus
à l'ouest qu'on ne l'avait supposé, à quinze lieues au moins du village
d'Apoiké. Marouini vient de fort loin dans le sud, probablement de
Timotakem qui donne aussi la source de Pilili. Ouanapi, grand affluent
de droite de Marouini, Camopi,Yaroupi, Kerindioutou, Kouc et Couyary
viennent du massif de Tapiirangnannawe.
Le régime des sources de l'Oyapock est singulier. Changeant trois fois
de nom, s'appelant d'abord Kerindioutou, Ouaatéou, puis Souanre, le
888 GKOGRAPHIE
haut Oyapock avance entre Koiiapir et Piraruuiri, atïluents du Yary,
qui prennent leurs sources à quatre ou cinq jours de marche plus au nord
que lui. L'Oyapock, sous le nom de Souanre, descend du mont Ouata-
guampa, au sud du point oi^i Crevaux s'embarqua dans Ourouari (en
oyampi : Ourouareu), branche de Rouapir qu'il prit pour cette grande
rivière et qui lui coûta les difficultés que l'on sait. Un des affluents de
gauche de Souanre, Teïtétou-Iioyâwe, communique, l'hiver, par un
marais avec Ourouari, sous-affluent du Yary, unissant ainsi les eaux de
rOyapock à celles de l'Amazone,
Au sud de Ouataguampa, qui se trouve sur le chaînon reliant la chaîne
centrale à la chaîne du sud, le fleuve Cachipour, sous le nom d'Ourouaïtou,
reçoit ses premières eaux. Deux grands affluents de droite, Mapari et
Caroni, et un affluent de gauche, Agamiouare, prennent également leurs
sources dans les grandes montagnes de la chaîne du sud. En continuant
au levant, on traverse deux affluents du Yary, Inipocko et Moucourou.
Enfin, un peu plus loin, à une forte montagne de la môme chaîne du
sud, auwmont Icawe. l'Araguary prend sa source dans le versant nord du
pic, tandis que le versant sud donne naissance h, l'Iratapourou, grand
affluent de gauche du bas Yary. L'Araguary coule d'abord nord-est,
parallèlement à l'Ourouaitou, puis ce dernier fleuve, à un grand saut
qui se trouve à environ deux jours en aval du confluent de rOarouaïtou
et du Mapari, envoie, dit-on, un bras rejoindre l'Araguary qui ne coule
qu'à un jour de là. A partir de ce point, l'Ourouaitou (ou Cachipour)
coule dans sa direction première, c'est-à-dire parallèlement à l'Oyapock;
mais l'Araguary tourne brusquement à l'est pour couler est-sud-est, lon-
geant ou coupant la chaîne des Tumuc-Humac.
C'est le haut Araguary que j'ai donné pour frontière orientale à mes
investigations.
Des lacs, dont j'avais entendu parler par de vieux auteurs, point. Seu-
lement des pripris, marécages de très petite étendue, pouvant à peine
figurer sur une carte à grande échelle et qui se dessèchent presque com-
plètement pendant l'été; marais, pripris d'ailleurs jamais particuliers à
la région, et que l'on trouve assez fréquemment, à peu pré'- parlout dans
les Guyanes, de l'Atlantique à l'Amazone. Je n'ai découveu qu'un seul lac
permanent, celui de Tacouandewe, qui a tout au plus trois kilomètres
de long sur cinq cents mètres de large.
A côté de cette esquisse oro-hydrographique des chaînes et des chaînons
des Tumuc-Humac, je ne donnerais point une description de paysagiste
qui ne pourrait être que fastidieuse. Je me proposais d'en rapporter des
photographies; j'avais appris de mon mieux mon métier de photographe
et j'avais obtenu à Cayenne des résultats satisfaisants. Je pris, dans les
Tumuc-Humac, quatre-vingts paysages et types. Pour ne pas m'encom-
H. COUDREAU. — ÉTUDE HE L.V CHAINE DES MONTS TUMUC-HLMAC 889
brer, je n'avais pas emporté les produits nécessaires pour tirer les positifs,
je conservais mes clichés en plaques impressionnées, soigneusement
enfermées dans des boîtes à l'abri de l'humidité. Mais rien n'est à l'abri
de l'humidité dans ces hivernages aux Ïumuc-Kumac, et lorsque je
voulus révéler, la gélatine avait coulé et je n'obtins aucun résultat pré-
sentable. Heureusement que j'avais dessiné les doubles de tout ce que
j'avais pris. Les papiers pour les positifs se gâtent au bout de trois ou
quatre mois de séjour en Guyane, Les photographes amateurs de Cayenne
le savent bien. Pour opérer aux Tumuc-Humac, il faudrait une série de
ravitaillements rapides et bien organisés.
Les paysages des Tumuc-Humac ne sont point, d'ailleurs, mouve-
mentés, pour la plupart du moins. Qu'on se représente des vallées pro-
fondes entre des pentes abruptes, des marécages au fond des ravins. Sur
les montagnes, une haute futaie, rembourrée d'épais taillis ; sous ces
taillis, des petits palmiers, des plantes grasses, des feuilles mortes. C'est
un dédale de plusieurs centaines de sommets hauts de 400 à 800 mètres,
ne dessinant des chaînes que par à peu près, avec des criques au fond
des brèches, beaucoup de chutes d'eau dans ces criques, beaucoup de
marais de ruisseau à ruisseau, un labyrinthe où il faut la moitié du
temps patauger dans la boue ou escalader des montagnes, et, par-dessus
la tête du voyageur, une épaisse masse de verdure sans une éclaircie,
pas de soleil pendant le jour et pas d'étoiles pendant la nuit. La vie se
manifeste dans ces déserts par des grouillements d'insectes, des ren-
contres de reptiles de toute nuance et de toute taille, des gambades de
macaques, de couatas et de singes rouges qui causent à leur manière dans
les hautes branches, à quarante mètres de hauteur ; de rares défilés de
lioccos, d'agamis, de cochons marrons, animaux sociables qui vont par
bandes; de rares tête-à-tête avec des solitaires, tels que le tigre ou le
caïman. Et parfois on marche deux ou trois jours sans trouver rien à
mettre au bout du fusil: pas un agami, pas un petit oiseau. Telles
apparaissent actuellement les Tumuc-Humac et telles elles se montreront
jusqu'à l'heure lointaine où on les aura déboisées.
890 GÉOGRAPHIE
M. ÏÏOÏÏEST
Lieutenant de vaisseau, à Toulon.
PROJET D'EXPLORATION DU COURS MOYEN DU NIGER
— Séance du 19 septembre i892
HISTORIQUE
Sous l'appellation « neilos » qui devait plus tard prêter aux confusions
géographiques les plus extraordinaires, le Niger a été évidemment connu
des anciens au moins par les récits des indigènes avec lesquels les
Égyptiens, les Carthaginois et plus tard les Romains se trouvèrent en
rapport.
Ibn-Batouta le suivit dans une partie de son cours et parle du fameux
Malli ou Melle, empire indigène sur la position duquel on est assez mal
fixé.
Mais il faut arriver jusqu'à Mungo-Park pour avoir, sur le grand
fleuve africain, des détails précis et non des racontars semi-légendaires où
le fantastique se mêle au réel de façon à l'obscurcir parfois.
Dans un premier voyage qu'il dut interrompre à Silla, le voyageur
écossais fît connaître à l'Europe le cours du Niger entre Bamako et ce
point.
Dans un deuxième séjour, l'intrépide explorateur entreprit de com-
pléter son étude. 11 sut se concilier le fama Mansong qui régnait à
Ségou sur les Bambaras et partit de Sansanding sur une pirogue qu'il
avait gréée et voilée en goélette.
Les dernières nouvelles qu'on ait reçu de sa main datent de ce point.
A partir de ce moment c'est aux dires de son guide Amadi Fatouma qu'il
faut se fier. D'après cet indigène, Park aurait atteint Boussa, où, assailli
par les indigènes, pris dans les rapides qui existent en ce point il aurait
p éri noyé après avoir vu ses compagnons succomber sous les coups des
noirs.
L'enquête à laquelle s'est livré Barth, les récits des frères Lander ont
confirmé dans ses parties les plus saillantes les récits du guide de Park
HOURST. — PROJET D EXPLORATION DU COURS MOYEN DU NIGER 891
et il paraît constant que la pirogue de l'explorateur a pu suivre jusqu'à
Boussa le cours du Niger.
Depuis, et jusqu'à nos jours, un seul voyageur a aperçu le fleuve au
delà de Tombouctou et jusqu'à Say.
Dans son magnifique voyage, alors que, après un séjour à Tombouctou,
Barth redescendait vers le Haoussa avec le sauf conduit et l'escorte qui
lui avaient été donnés par Sidi-Beckay, cheik de Tombouctou, sa route
lui a fait côtoyer à peu de distance la rive gauche du Niger.
Il faut remarquer que Barth voyageait au mois de juin lorsqu'il s'en-
quit des conditions de navigabilité du Niger.
Même à ce moment, d'après lui, un seul passage était impraticable,
celui d'Ikeriziden, mais le fait du passage de Park, avec une embarca-
tion aussi rudimentaire que celle qu'il possédait prouve bien que la crue
couvre les roches d'une hauteur d'eau assez grande pour ouvrir passage
à un bâtiment de faible calage. L'époque de la plus grande crue doit
être vers la fin de décembre.
Partout ailleurs, et jusqu'à Say, des rapides, des roches, mais rien qui
rende absolument impraticable la descente.
Entre Say et l'embouchure du N'guilbi Sokoto, on n'a aucun rensei-
gnement sur la navigabilité du fleuve si ce n'est le fait du passage de Park.
Enfin, plus bas, les cartes anglaises n'indiquent aucune chute.
Le véritable, le seul obstacle reste donc Boussa, encore que d'après
tous les renseignements il n'y existe pas aux hautes eaux de chute à
proprement parler, mais bien des rapides, très difficiles il est vrai mais
peut-être possibles à redescendre avec quelque adresse s'ils ne peuvent
être remontés.
ENTREPRISES CONTEMPORAINES
Dans les instructions données à Mage par le général Faidherbe, il lui
recommandait s'il était possible de redescendre le cours du Niger et de
l'explorer. Mage avait même emporté à cet effet une embarcation. On sait
que ce canot dut être laissé à Bafoulabé et que les événements politiques
ne permirent pas à Mage de dépasser le Ségou .
Depuis, l'idée de l'illustre général fut reprise dès les débuts du Soudan
et, en 1883, une canonnière le Niger, fut transportée par morceaux et
montée à Bamako par l'enseigne de vaisseau Froger.
Les moyens de transport, fort rudimentaires encore maintenant, n'exis-
taient pour ainsi dire pas en 1883 et malgré toute l'énergie de son com-
mandant Je Niger ne put dépasser Koulikoro, à 70 kilomètres en aval de
Bamako, son chantier de construction.
Le lieutenant de vaisseau Davoust, qui succéda à Froger, atteignit Nou-
hou dans le Massina au delà du marigot de Diakha.
892 GÉOGRAPHIE
Mais ce ne fut qu'en 1887 que le lieutenant de vaisseau Caron put
atteindre Korioumé, port de Tombouctou sur le Niger.
En 1888, M. Davoust, accompagné de l'auteur de cette communication,
amenaient à Manambougou une deuxième canonnière, le Mage, construit
sur les mêmes plans que le Niger.
Davoust avait pu apprécier par expérience tous les inconvénients du
Niger ; il essaya de les atténuer sur le Mage en construisant autour de
sa coque en fer une deuxième coque en bois destinée à augmenter la
stabilité de la canonnière, à donner du logement à l'équipage et à per-
mettre l'embarquement d'une plus grande quantité de vivres et de com-
bustible.
Mais un pareil travail au milieu des marais de Manambougou et en
plein hivernage ne put être fait qu'au prix d'un retard considérable qui
fit manquer l'exploration de cette année. Treize Européens sur dix-huit
que comptaient les équipages des deux canonnières périrent de fièvre ou
de dysenterie. Davoust lui-même en fut une victime.
En 1889 M. Jaime renouvela le voyage de Caron, il atteignit Korioumé
mais ne dépassa pas ce point. Les résultats de ce voyage furent nuls,
nuisibles même, car il jugea devoir ouvrir le feu sur les Touaregs de
N'Gouna, un des plus puissants chefs des tribus auxquelles est soumis Tom-
bouctou, lui tua un homme, et changea en haine profonde les sentiments
de N'gouna qui jusque-là nous avait été moins hostile que ses compa-
triotes .
Depuis ce dernier échec plus rien n'a été tenté et les canonnières ont
été exclusivement employées par l'autorité supérieure du Soudan à des
besognes politiques ou militaires toutes locales sans qu'elles aient dépassé
la limite des pays directement soumis à notre protectorat et à notre au-
torité, limite qui se trouve à une soixantaine de kilomètres à l'ouest de
Diafarabé.
De toute nécessité, d'ailleurs, il fallait donner aux canonnières un abri
sûr, construire des logements à terre pour leur équipage, édifier un ate-
lier pour les réparations, en un mot leur donner un port, ce que l'on
avait négligé de faire jusque-là devant les considérations d'exploration qui
avaient tout primé d'abord.
INCONVENIENTS DES CANONNIERES
C'est en partie ;\ ce trop d'empressement qu'il faut attribuer les minces
résultats qu'a donnés la flottille du Niger eu égard aux sommes considé-
rables qu'elle a coûté et coûte encore.
Neuf ans de travail, plusieurs millions dépensés, un nombre considé-
HOURST. — PROJET d'eXPLORATIOïV DU COURS MOYEN DU NIGEIl 893
rable de vies humaines perdues, et en regard une seule exploration, celle
de 1887 donnant des résultats sérieux du moins au point de vue géogra-
phique, car les résultats politiques furent nuls, vraiment c'est trop.
Aussi doit-il forcément exister d'autres vices fondamentaux dans l'or-
ganisation des expéditions fluviales sur le Niger, et il est facile de les
trouver dans les canonnières elles-mêmes, qui par leur construction sem-
blent être la négation des qu.ilités à attendre de bâtiments d'explo-
ration.
Les deux grands dangers qu'ont à redouter les canonnières sont les tor-
nades et le manque de bois de chaufïage.
Qu'on se représente sur un fleuve qui atteint plusieurs kilomètres de
large des lames de plus d'un mètre soulevées par un A'ent qui atteint la
force de nos ouragans les plus violents. Pour leur résister une embarca-
tion de 18 mètres de long, manquant de stabilité et qui, sous la double
impulsion du vent et du courant qui la prennent en sens contraires,
présente aux vagues déferlantes sa hanche dont la hauteur de franc bord
au-dessus de l'eau n'est guère que de O'",2o. On aura une idée de ce
que peut être Le Niger, mouillé en plein fleuve au milieu d'une tor-
nade.
Il n'est point besoin d'être marin pour voir à quel terrible danger la
canonnière et son équipage se trouvent exposés.
Aussi n'est-il dans une pareille occurrence qu'une chance de salut,
c'est d'aller chercher à terre dans une crique, dans l'embouchure d'un
marigot, ou simplement au pied de la berge du côté d'où vient le vent,
un abri. Encore faut-il avoir soin de s'amarrer solidement à terre, la
tenue des ancres étant souvent insuffisante pour résister à la violence
du vent.
Fort heureusement l'aspect du ciel permet environ une demi-heure à
l'avance de se préparer à recevoir l'orage et de faire la manœuvre que
je viens d'indiquer, car ce serait folie d'attendre la tornade au mouillage en
plein fleuve et encore plus sans vapeur.
En pays ami ou désert il n'y a aucune difliculté et il suffit d'un peu
de prudence. Mais qu'en veuille bien considérer ce qui pourrait arriver
en pays hostile si les naturels vous empêchaient par leur feu d'accoster
la rive.
Que serait-ce donc si on avait en même temps à se prémunir contre
la tempête prochaine et à repousser une attaque contre laquelle la dou-
zaine d'hommes qui constitue l'équipage d'une canonnière et même les
canons-revolvers placés au ras du pont et dominés par les berges se-
raient (le bien faibles moyens de défense.
On peut supposer, il est vrai, que les riverains ne se livreraient pas
contre nous à ces actes d'hostilité, qu'on saurait s'en faire des amis, ou
894 GÉOGRAPHIE
que dans .es pays où la chose est impossible, la crainte presque supersti-
tieuse des bateaux à vapeur saurait les retenir.
Mais reste la question du combustible. Le Niger peut prendre tout au
plus trois ou quatre heures de bois de chauffage, il est forcé de remorquer
des chalands qui augmentent le danger couru pendant les tornades ; Le
Mage, il est vrai, grâce à sa coque en bois en prend une dizaine, mais
cela ne donne pourtant à ces canonnières qu'un rayon d'action de 100 à
120 kilomètres plus ou moins le courant.
En certains points les rives du Niger, basses, inondées sont peu ou
point boisées. On voit dans la relation du voyage de Caron à quel point
le manque de combustible fut son grand souci et quel immense danger
il peut faire courir au bâtiment. Il n'a été trouvé d'autre remède à cet
éfat de choses que d'emporter une petite réserve de charbon en briquettes,
mais cette réserve est forcément bien minime, à peine sufTisante pour
franchir la distance de Safay à Tombouctou, oîi le bois manque absolu-
ment. Qu'arriverait-il si le même fait se reproduisait au delà?
On voit donc qu'un bâtiment à vapeur, s'il présente bien des avantages
comme commodité et célérité, offre le grand inconvénient s'il ne possède
un rayon d'action étendu, d'être à la merci d'un déboisement des rives
ou même de l'hostilité des indigènes qui peuvent l'empêcher dç se ravi-
tailler de combustible.
J'ajouterai que les canonnières Mage et Niger calent environ un mètre.
Ce tirant d'eau beaucoup trop fort, limite leur navigation entre le
15 juillet et le 15 décembre, année moyenne dans les parages du Niger
avoisinant Ségou.
En outre, la crue du fleuve subit un retard à mesure que l'on des-
cend son cours, retard qui est de trois mois entre Tombouctou et
Ségou.
Ce n'est donc que pendant cinq mois que les canonnières pourraient
naviguer ,
En admettant qu'en un si court laps de temps elles puissent aller à
Say et en revenir, ce qui n'est point impossible, à condition d'être parti-
culièrement favorisé par le hasard, ce n'est plus, à proprement parler, un
voyage d'exploration que l'on ferait, mais une sorte de course au clocher
où l'on ne pourrait pas recueillir grands renseignements et pendant la-
quelle il serait, en tous cas, absolument impossible d'établir de bonnes
relations, sûres et de durée avec les chefs riverains. Ce n'est qu'à force
de patience qu'on peut espérer obtenir des résultats durables avec les
noirs, gens pour lesquels le temps n'existe pour ainsi dire pas, et qui
ne comprennent pas ce que c'est que d'être pressé.
J'avais proposé à la fin de 1888 d'entreprendre l'exploration du Niger
avec une des canonnières, Le Mage, sacrifiée d'avance, soit qu'on fût
I
HOURST. — PROJET D EXPLORATION DU COURS MOYEN DU NIGER 89o
obligé de l'abandonner en route à Boussa, soit qu'on put franchir ce point
et atteindre l'embouchure du Niger.
L'autorité supérieure n'a pas cru devoir faire l'abandon d'un bâtiment
qui avait coûté fort cher et pouvait rendre maints services dans la
partie du Niger qui coule dans nos possessions.
L'expérience que j'ai acquise depuis fait que je ne puis regretter celte
détermination .
Je pense pouvoir démontrer tout à l'heure qu'à bien moins de frais et
dans de bien plus grandes conditions de sécurité on peut explorer le
Niger jusqu'cà Say.
NECESSITE DE L EXPLORATION DU NIGER
Cette exploration est bien souhaitable; par la convention du 5 août 1890,
la France et l'Angleterre, seules en présence dans cette partie de l'Afrique
ont, d'un commun accord, pris pour bmite entre leurs possessions pré-
sentes ou à venir, Say sur le Niger. Les Anglais, remontant le fleuve ne
sont pas loin de leurs frontières, mais nous, nous n'en sommes militai-
rement parlant, encore qu'à la frontière du Massina, et commercialement
à peine à Kita. Notre espoir déçu par les explorations des canonnières,
mais toujours vivant, d'atteindre et d'explorer les limites de notre port du
continent africain, ont fait prendre à nos explorateurs d'autres voies.
C'est Mizon pénétrant dans l'Adamaoua, Monteil atteignant Say en tra-
versant la boucle du Niger par sa corde. Tous deux ont prouvé une
chose, c'est que, dans ces parages éloignés, on nous voyait venir sans
défiance et même avec quelque sympathie.
Reste maintenant à explorer l'intérieur de ce territoire qu'ils ont enve-
loppé et la voie la plus sûre et la plus commode est sans contredit cette
belle artère fluviale du Niger qui semble un chemin ouvert à la civili-
sation pour pénétrer au cœur du Soudan occidental.
Est-ce à dire que le fait pour un bateau et pour un explorateur fran-
çais d'avoir redescendu le Niger, suffirait à ouvrir à notre commerce les
pays arrosés par ce fleuve? Non certes, et de bien plus grands efforts de
tous genres sont nécessaires pour arriver à ce but. Mais de même qu'une
armée ne s'avance pas au hasard sans explorer le terrain devant elle, de
même notre civilisation, notre commerce, sous peine d'éprouver des échecs
inattendus ne doivent pas se porter en avant sans détacher devant eux
quelques enfants perdus pour reconnaître la situation et permettre de mar-
cher à coup sûr.
C'est dire implicitement qu'une mission pareille doit avant tout songer
à être pacifique.
896 GÉOGRAPHIE
Lever une carie du Niger moyen en dessous de Tombouctou et de ses
affluents navigables, étudier scientifiquement et commercialement le
pays, engager partout où cela sera possible de bonnes relations avec les
riverains, en ne passant de traités que là où la proximité de rivaux les
rend nécessaires, rester sourd aux provocations tant qu'elles ne mettent
pas la mission en péril, séjourner partout où bon accueil vous sera fait
et en profiter pour étendre latéralement son champ d'explorations et rap-
porter en France un faisceau de documents, de cartes, de collections de
tout ordre, en laissant à l'initiative gouvernementale ou privée le soin
d'en tirer parti : voilà, il me semble dans ses grandes lignes la conduite à
suivre.
DESCRIPTION D L'iN CHALAND D EXPLORATION
La première chose à chercher c'est l'outil, je veux dire l'embarcation,
le moyen de transport qui réalise le maximum de commodité, de sécurité
et de bon marché compatible avec les ressources sur lesquelles on peut
raisonnablement compter.
Par ce que j'ai dit plus haut on a pu voir que je repoussais en principe
l'embarcation à vapeur.
Certes, si on pouvait monter sur le Niger une canonnière vaste,
commode, bien armée, sûre ayant un rayon d'action étendu, ce serait
l'idéal souhaitable, mais, avec le transport, un pareil bâtiment reviendrait
au moins à 200 ou 250.000 francs et, comme nous l'avons vu il serait
peut-être nécessaire de l'abandonner si l'on rencontrait un obstacle infran-
chissable.
Dans ces conditions on doit estimer que la somme dépensée serait en
désaccord avec le résultat à obtenir.
Je pense du moins que tel serait l'avis du Parlement si on lui deman-
dait de si forts crédits et je crois qu'il est préférable d'être plus modeste
pour être plus facilement écouté.
On peut ajouter d'ailleurs que l'entretien, la conduite des machines
nécessitent absolument un personnel européen et qu'il faut réduire au
minimum le nombre d'existences exposées.
Les plans ci-joints donnent l'avant-projet d'un chaland canonnière en
bois dont les éléments principaux sont les suivants :
Longueur de perpendiculaire en perpendiculaire 15 mètres.
Largeur hors bordé 4 —
L.-irgeur du tableau à hauteur du [loiit 2 —
Creux sur quille au maître 1 —
IIOURST. PUOJET d'exploration DU COURS MOYEN DU NIGER 897
Comme on le voit, le système de construction est des plus simples,
analogue à celui des chalands que tous les ouvriers noirs de Saint-Louis
savent construire. C'est en effet exclusivement par des noirs que la cons-
truction devrait s'effectuer sur place.
La membrure serait en bois du pays (vène ou cailcedrat), que l'on
trouve abondamment sur les bords du Niger, le pont, le bordé en pitchpin
apporté de France, ainsi que la toiture des roofs, qui serait en outre re-
couverte d'une toile peinte pour assurer rétanchéité .
Les volumes, les poids de toutes les pièces constitutives du bâtiment
ont été calculés séparément. Il serait évidemment oiseux de transcrire ici
l'ensemble de ces calculs et je me bornerai à on donner les résultats
dans le tableau ci-joint :
Devis des poids.
Poids de coque {serrage et calfatage comiiris) 7.600 kilogrammes.
Équipage (dix hommes et, leurs sacs) 1.000
État-ma.joi- (deux officiers, leurs effets, iiislrunients, etc.) . . 1.000 —
Vivres (dix mois) innn ~
Mâture (voiles, agrès, etc.) oln ~~
Tente ^0« -
Armes et munitions -(u\
Rechanges ^^
Chaînes et ancres ^"|^ ~
Divers • • ■ 3U0 —
Total .... 17.000 kilogrammes.
V — -i»
5/'
898 GÉOGRAPHIE
Les calculs de déplacement montrent que le poids de dix-sept tonneaux
correspond approximativement à la ligne d'eau de 80 centimètres.
En pleine charge, le chaland proposé calera donc 80 centimètres.
Voici la distribution des locaux en allant de l'avant à l'arrière :
Coqueron de 2'^,ë0 contenant le puits à chaîne ;
Logement de l'équipage de S"", 50 ;
Cale centrale de 3 mètres ;
Logement des officiers de 4 mètres ;
Coqueron arrière de 2 mètres.
Les planchers des logements seront surélevés de 50 centimètres au-dessus
du plan supérieur des varangues des couples, l'espace ainsi délimité cons-
titue de petites cales supplémentaires, enfin sous les passavants par le tra-
vers des roofs on établira des armoires ou des étagères pour arrimer les
objets d'usage courant. A part leur couverture en pitchpin, les roofs
seront construits en doundoul, bois du pays très léger, ainsi que tous les
objets d'aménagement intérieur.
Deux mâts, élevés de cinq mètres au-dessus du pont, permettront d'é-
tablir des voiles goélettes et porteront à leur partie supérieure dans des
hunes, deux canons à tir rapide de 37 millimètres.
Tout le long de la lisse régnera un pavois en tôle d'acier de 40 centimètres
de haut destiné à servir de pare-balles et augmentant Ja hauteur des œuvres
mortes dont la partie supérieure se trouvera ainsi à un mètre au-dessus
de la flottaison, hauteur suffisante pour s'opposer à l'entrée des lames
déferlantes.
Quand le vent sera favorable le chaland se servira pour avancer de
ses voiles ; dans le cas contraire, d'avirons, pour lesquels huit tolets sont
ménagés ou de la perche si le fond le peut permettre.
Le courant seul, dont la vitesse moyenne peut être évaluée en hiver-
nage, moment de l'exploration, à 4 kilomètres environ à l'heure, suffirait
à lui faire parcourir une quarantaine de kilomètres par jour.
HOUKST. — PROJiri" d'exploration du cours moyen du NIGER 899
PERSONNEL. — ARMEMENT
Il y a tout intérêt, et nul de ceux qui ont quelque connaissance du
Soudan ne me contredira, à diminuer le nombre des Européens à emme-
ner dans un voyage d'exploration.
A part l'état-major, composé d'un oilicier de marine et d'un médecin,
l'équipage serait entièrement indigène.
On trouvera facilement, parmi les laptots et les charpentiers de Saint-
Louis, des gens intelligents, dévoués et audacieux pour composer l'équi-
page.
Nous avons vu que les mâts permettaient de surélever à cinq mètres
au-dessus du pont deux canons à tir rapide. Quatre emplacements leur
seraient en outre réservés, à l'avant et à l'arrière et des deux bords par
le travers.
Outre l'artillerie, on emporterait dix carabines Lebel et dix revolvers.
Cet armement paraît peut-être d'abord un peu exagéré ; mais il faut
songer que, suivant le cas, on peut être appelé à faire usage de l'une ou
l'autre de ces armes.
EXECUTION DE LA MISSION
C'est vers le mois de janvier qu'il faudrait partir de Kayes pour
atteindre le point du Niger où serait construite l'embarcation. Ségou, à
cause de l'arsenal des canonnières qui peut fournir d'utiles secours, me
semble indiqué. Le bois, il est vrai, y est rare, mais on peut facilement le
faire venir ù pied d'œuvre par le fleuve.
La mission apporterait de France l'outillage, les ferrures, les boulons,
clous, etc., les voiles, le gréement et les tentes tout préparés, les mâts et
leurs hunes, les avirons et perches, les rechanges nécessaires, les instru-
ments, les cadeaux et objets d'échange, l'armement et les munitions, les
chaînes et les ancres.
Elle engagerait à Saint-Louis ou à Kayes son personnel indigène, neuf
matelots ou gradés laptots et momentanément quatre charpentiers. A
Kayes elle prendrait les planches de pitchpin (environ 50), ainsi que les
vivres si le poste de Ségou n'était pas suffisament ravitaillé pour les lui
fournir.
Je compte qu'il faudrait quatre mois environ pour faire exécuter par
quatre charpentiers indigènes un peu habiles et coutumiers des cons-
tructions de chalands l'embarcation projetée.
900 GÉOGRAPHIE
Les «iipires protégés de Ségoii et de Sansaiiding pourraient sans effort
fournir les manœuvres nécessaires à la coupe des bois et à leur transport.
On trouverait même sans peine parmi les charpentiers et forgerons indi-
gènes d'utiles auxiliaires.
Tout étant prêt vers le lo juillet, au commencement de la crue on se
mettrait en route.
Jusqu'à Diafarabé, il n'y aurait aucune difficulté, de là et jusqu'à peu
de distance de Safay, on est dans les eaux du .Massina. C"est là le point
dangereux. Caron, on le sait, fut reçu assez mal par Tidiani, chef du
Massina, mais enfln fut reçu. En 1889, les Massinankés ne voulurent avoir
aucun rapport avec les canonnières, mais s'abstinrent de faire franche-
ment acte d'hostilité. Depuis, la situation a empiré; chassé de Nioro par
nous, Amadou Cheikou a trouvé, parmi les anciens compagnons de
guerre de son père El Hadj un refuge et un royaume. Il est inutile de
compter nous ramener les Toucouleurs fanatiques et rancuniers nos enne-
mis déclarés.
Iront- ils jusqu'à attaquer l'expédition? Le cas est trop possible pour ne
pas le prévoir. Je crois pouvoir allirmer qu'à condition de se garder
sévèrement une agression serait facilement repoussée. Mais le fait de
tirer un seul coup de fusil complique la situation et crée fatalement des
difficultés à la mission pour plus tard.
Aussi devra-t-on tout faire pour éviter un combat. Le marigot de
Diakha désert permettra peut-être d'atteindre sans encombre le lac
Debol : mais au delà les rapides de Toundoufarma rendant l'issa Ber à
peu près impraticable, il faudra passer par le Bara Issa. Amadou a-t-il sur
ses riverains une autorité suffisante pour leur ordonner d'attaquer l'em-
barcation? Il est permis d'en douter. A tout hasard et si la chose est
possible, il serait peut-être bon de faire convoyer jusqu'à Safay le cha-
land par les canonnières Mage et Niger. L'ensemble constituera une force
assez imposante pour que j'estime les Toucouleurs incapables de l'attaquer.
A Safay on se trouve en contact avec les Touaregs avoisinant Tom-
bouctou. Là non plus, je ne pense pas qu'il y ait rien à tenter pour
entrer en relations.
Les Touaregs qui vivent des impôts arbitraires prélevés sur les cara-
vanes ne nous verront jamais d'un bon œil nous approcher d'eux. Les
' marchands marocains entre les mains desquels est le commerce de transit
de Tombouctou, seront toujours aussi nos ennemis. Mais là du moins
la sécurité est complète à condition de se prémunir contre la trahison et
de ne descendre à terre que si on est sur des intentions des riverains.
Les Touaregs, en efîet, ne se servent point d'armes à feu et quelques
mètres d'eau constituent entre le bâtiment et eux une sûre barrière der-
rière laquelle on peut à soa aise rire de leurs insultes.
\
HOURST. — PROJET d'eM'LORATION DU COURS MOYEN DC NIGER 001
liien à faire donc avec Toiubouctou. Deux missions précédentes ont
apijris qu'il n'y avait rien à attendre de ses habitants nos enïiemis ou,
comme les Armas, trop faibles pour pouvoir intluersurles décisions prises.
Nous n'avons d'ailleurs aucun intérêt à entrer en relations directes
avec Tombouctou. C'est en ce moment un point de transit par où le ÎSiger
rcoit les produits d'Europe pour les déverser dans les pays riverain..
Notre politique doit, pour être logique, tendre plutôt à le remplacer et
c'est ce qui arrivera le jour où le cours du Heuve sera ouvert à la navi-
iîation commerciale et où un chemin de fer le reliant au Sénégal viendra
le rejoindre en quelque point.
Au delà de Tombouctou on rentre dans l'inconnu. Je dis l'inconnu,
car les renseignements de Barth sont trop anciens pour pouvoir être
logiquement encore tenus comme exacts.
.jai résumé précédemment la façon dont il faudra agir. D'après ce qu'on
peut inférer des voyages de Monteil et de Mizon, nombre de chefs, sinon
tous, nous accueilleront bien parce qu'ils n'ont aucun intérêt à mal rece-
voir un étranger qui arrive avec des cadeaux et des paroles de paix.
On pourra donc se livrer à l'étude paisible et suivie des questions inté-
ressant notre politique coloniale future dans cette partie du Soudan. Les
explorations latérales dans l'intérieur des terres pourront s'effectuer sous
la protection des amis qu'on aura su se créer et le chaland servira de
base de ravitaillement, mais de base mobile se transportant à volonté et
enjambant les obstacles s'il s'en trouve de la part de la nature ou des
hommes .
En mettant tout au pis, si le chaland ne pouvait continuer, s'il se per-
dait, on se trouverait dans les conditions d'un explorateur quelconque,
mais avec cette différence qu'on aurait ainsi atteint sans perte de temps
ni de moyens d'action le centre de la contrée qu'on se propose d'étudier.
A Say,^ lexploration est terminée. On entre dans les eaux anglaises. Il
appartient au gouvernement de la Heine de donner aide et protection à
un bâtiment d'une nation amie naviguant sur un Qeuve ouvert par l'acte
de Berlin, à toutes les puissances.
Je ne doute pas que la diplomatie française sache faire respecter les
traités et assurer la protection d'une mission toute pacilique, qui ne ferait
que suivre le cours du bas Niger pour retourner dans sa patrie.
CONt.LISIOXS
Avec une dépense qui n'excéderait pas, je crois, une cinquantaine de
mille francs, du moins si les divers départements voulaient bien concourir
à l'équipement en matériel et personnel de la mission, il semble possible
902 GÉOGRAPHIE
d'explorer des territoires sur lesquels une convention européenne nous
donne des droits virtuels, mais qui sont encore à peu près inconnus.
Je crois que ce n'est pas trop pour éviter l'inconvénient de se lancer à
l'aveuglette sans renseignements précis dans des aventures qui peuvent
causer des pertes sérieuses à notre commerce et amener le décourage-
ment ou bien laisser improductifs des territoires susceptibles peut-être de
donner un nouvel essor à notre prospérité commerciale.
Le moment, d'ailleurs, me semble bien choisi ; un élan général porte
les Français, qui avaient d'abord paru suivre d'assez loin d'autres peuples
européens, vers le commerce colonial.
Que le Soudan actuel tienne ce qu'il promet de toute évidence à ceux
qui ne sont aveugles ni involontairement ni volontairement et l'élan sera
donné. Avec une ligne ferrée reliant le Sénégal au Niger, on verrait nos
produits s'écouler en abondance vers le cœur du continent africain, qui
nous renverrait en retour les siens subvenir aux besoins sans cesse crois-
sants de l'industrie européenne.
On est fixé ou à peu près sur ce qu'on peut retirer du Soudan français :
le caoutchouc, la gutta, l'or, la cire, le coton, les peaux, le karité, pour
ne parler que des objets d'exportation les plus importants, constituent des
produits assez riches pour justifier les sacrifices consentis pour les amener
jusqu'à nous.
Mais au delà, dans ces contrées presque inconnues de l'Europe, qu'y
a-t-il? Faut-il faire au hasard de grands sacrifices d'hommes et de ca-
pitaux pour aboutir peut-être à une déception? Faut-il, au contraire, consi-
dérer systématiquement ces vastes contrées comme improductives et s'en
tenir éloigné?
Les partisans de l'une comme de l'autre opinion ne peuvent qu'être
satisfaits de pouvoir raisonner sur des faits et non sur des appréciations en
l'air qui se trouvent souvent inexactes le jour où on les contrôle expéri-
mentalement.
Quand les produits du Soudan central seront déterminés exactement
dans leur espèce et leur abondance, quand la connaissance suffisamment
exacte de la géographie et de l'hydrographie permettra de tracer leurs
voies d'exportation et que des considérations sur la densité des peuples afri-
cains et leur état politique feront ressortir la plus ou moins grande facilité
de leur extraction sur place, la question pourra être résolue mathémati-
quement et la simple logique nous dira s'il y a ou non avantage à
tenter leur exploitation.
L'obtention de ces données premières du problème de la colonisation
dans le cas particulier des pays riverains du Niger moyen est précisé-
ment le but de la mission dont je viens d'esquisser le projet.
A. MINE, — LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE 903
M. Albert MnE
Consul de la République Argentine, à Dunkerque.
LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE (1)
— Séance du 19 septembre 1892 —
II
DUNKERQUE EN 1892
RENSEIGNEMENTS GÉOGRAPHIQUES ET HYDROGRAPHIQUES — APPROCHES
DES BANCS DE FLANDRE — BALISAGE ET ÉCLAIRAGE
e
Après le passage du Pas-de-Calais, pour attaquer l'entrée occidentale
de la rade de Dunkerque, les navigateurs trouvent, aux approches des
bancs de Flandre , sept grandes bouées en tôle qui en signalent la limite
extérieure; ces bancs sont : le banc de Bergues, le banc d'Out-Ruijtingen
et \e petit banc cl' Out-Ruytingen (fig. 4).
Un ponton de 150 tonneaux de jauge, peint en rouge et portant le nom
Ruytingen, inscrit sur ses flancs et une sphère rouge en tête de mât, est
mouillé à l'entrée de la passe comprise entre les deux bancs d'Ow/ et
dlfi-Ruylingen. Pendant la nuit, un feu rouge à éclipses, se succédant de
trente en trente secondes, est hissé sur le mât de ce ponton; sa portée
lumineuse est de 41 milles marins ou 18 kilomètres et demi.
RADE — BALISAGE ET ÉCLAIRAGE
Trois autres lignes de bancs protègent la rade contre les plus violents
effets de la tempête.
Cette rade est l'espace compris entre les bancs appelés Snouiv, Brack-
Bank, HiVs Bank, Traepeger, et le plateau attenant à la terre. Elle s'étend
(I) La première partie du travail de M. Albert Mine comprend un Aperçu historique très détaillé du
port de Dunkerque, depuis l'an 6/i6 jusqu'à nos jours.
904 r.KOGHAPHIE
depuis la frontière de Belgique jusque par le travers de Gravelines, paral-
lèlement à la côte; sa longueur est de 20 kilomètres et sa largeur de plus
d'un kilomètre. Son brassiage est entre 40 et oO pieds, sur un fond de
sal)le vaseux, dans lequel la tenue est bonne.
Quatorze bouées en tôle, espacées l'une de l'autre d'environ un mille,
servent de balisage à la rade : elles sont disposées sur deux lignes indi-
quant : l'une, les bancs (bouées noires) ; l'autre, l'approplie des estraus
(bouées rouges j.
Deux passes la rendent accessible aux navires : l'une dite de V Ouest.
qui est la plus fréquentée, l'autre dite de VEst ou de Zuydcoote. Cette
FiG. 1. — Rade de Dunkerf|ue et détroit du Pas-de-Calais.
dernière est balisée par cinq bouées portant les noms de Traepeger (n° 1).
Hil's Bank (n°^ 2 et 4) et Brack Bank (n°^ 6 et 8).
Ce balisage est complété par deux pontons peints en bandes noires et
rouges
Le premier, mouillé à l'entrée et au milieu de la largeur de la passe de
VOuest, est un ponton de 150 tonneaux de jauge, portant le nom de
Snouw inscrit sur ses flancs et une sphère rouge en tête de mât; pen-
dant la nuit, un feu fixe rouge, de la portée de sept milles, est hissé siu'
le mât de ce ponton ;
Le second, ancré à six milles dans l'Ouest du précédent, est un pon-
ton de 200 tonneaux de jauge qui porte le nom Dyck inscrit sur ses
flancs et une sphère rouge en tête de ses deux mâts ; deux feux blancs,
visibles à onze milles, sont hissés pendant la nuit sur les mâts de ce
A. MIM:. LE TIIAFIC 1)1' POIiT DE IH NKKRQL'K 90o
poiilon; pris l'un par lautre, ces deux pontons indiquent le gisement de
la rade de Dunkerque, depuis son entrée à l'Ouest jusqu'à l'Est du port.
L'installation de ce service de balisage et d'éclairage de la rade assure
aujourd'hui la navigation maritime de ces parages dans les meilleures con-
dilions possibles.
Dunkerque est le seul port, depuis Cherbourg jusqu'à la frontière belge,
doté par la nature d'une rade où les navires peuvent rester mouillés en
toute sécurité par les plus mauvais temps.
Ce port a rendu de précieux services à la France pendant et après la
guerre de 1870 par les nombreux transports de vivres de toute espèce, de
munitions, darmes. etc.. correspondant aux mouvements et aux besoins
de l'armée du Nord, et par des embarquements de troupes des différents
corps qui se sont opérés sans accident sur sa rade pendant l'hiver; puis,
après l'armistice, c'est à Dunkerque qu'est venue s'embarquer toute
l'armée du Nord, avec son artillerie et tout son matériel, envoyée à
Cherbourg pour former le noyau primitif de l'armée de Versailles destinée
à opérer contre la Commune insurrectionnelle de Paris; enfin, des services
de voyageurs furent établis par vapeurs entre Dunkerque, Cherbourg,
Brest et Bordeaux pour parer à l'interruption absolue des communications
par terre entre le Nord et le reste de la France, à la suite de la bataille
d'Amiens et de l'occupation de Rouen.
Dans l'espace de douze jours, savoir : du 18 au 26 février 1871 inclu-
sivement et du l""' au 4 mars inclusivement, il a été embarqué en rade,
à bord des vaisseaux, frégates et corvettes de la marine militaire et de
rjuatre transatlantiques envoyés de Saint-Nazaire :
20.249 hommes, officiers, sous-officiers et soldats;
1.784 chevaux de cavalerie et d'artillerie;
60 pièces de canon, 10 batteries au complet ;
226 voitures d'artillerie et d'ambulance,
non compris les voitures de bagages des différents corps de troupes.
COURANTS
Deux principaux courants se succèdent de six heures en six heures
dans la rade de Dunkerque, ce sont : celui de flot qili porte vers l'Est,
et celui de jusant qui porte vers l'Ouest. Il en résulte des courants
secondaires qui offrent peu d'intérêt au point de vue de la navigation.
C'est surtout aux époques de vives eaux, correspondant aux syzygies.
906
GEOGRAPHIE
que ces courants sont le plus sensibles : leur vitesse atteint alors de trois
à quatre nœuds ; les mortes eaux correspondent aux quadratures.
La durée de l'étalé varie de quinze à trente minutes.
FiG. 2. — Tableau graphique des hauteurs d'eau de pleine mer par rapport au point
le moins profond du chenal pendant l'année IROI (^).
VENTS
Les vents qui dominent à Dunkerque sont les vents d'Ouest; mais,
sous leur influence, la mer n'est jamais très grosse dans la rade. Ce sont
les vents de N.-O. au N.-E, qui sont les plus dangereux au point de
vue de l'accès du port.
La hauteur du baromètre se maintient entre 710 et 780 millimètres.
Pendant l'hiver, les tempêtes sont assez nombreuses; elles sévissent
surtout avec intensité aux périodes des équinoxes. L'observation attentive
des variations barométriques, combinées avec celles du thermomètre,
permet de les prévoir; ces perturbations atmosphériques sont d'ailleurs
annoncées régulièrement, au moyen du télégraphe, par l'Observatoire
de Paris.
CLIMAT
Le cUmat y est généralement frais, l'air sain et vif; cependant, dans
certaines journées d'été, le thermomètre s'est quelquefois élevé jusqu'à
48 degrés centigrades. La température y est, de plus, très variable, et il
arrive souvent d'avoir, dans la même journée, des changements brusques
(I) Les profondeurs d'eau étant indiquées en mètres à la cote — 2"',50, qui correspond aux points les
plus élevés du chenal, ou obtiendra les hauteurs d'eau sur le radier de l'écluse des bassins Freycinet
•en déduisant o^jOS des nombres mentionnés sur le tableau.
A. MINE, LE TRAFIC DU PORT DE DLNKERQUE 907
et tout à t'ait imprévus; les épidémies y sont fort rares et n'y ont
jamais sévi d'une manière redoutable, ce qui tient à la situation parti-
culière de la ville. Placée à l'entrée de la mer du Nord, elle reçoit
l'intluence bienfaisante des vents qui, en y renouvelant l'air, font qu'il
y règne souvent une grande fraîcheur.
PORT
Le port de Dunkerque, situé à environ 14 kilomètres à l'Ouest de la
frontière de Belgique, se compose, dans son état actuel, de :
Un chenal, limité par deux jetées en charpente et maçonnerie ; un
fanal se trouve à l'extrémité de chacune de ces jetées : celui de l'Ouest,
dont la tourelle en fer a été dressée le !22 mars 1878, indique la hau-
teur de la marée ; il est placé à lo mètres de l'extrémité de la jetée, à
8'", 22 au-dessus de son tillac et à 10'",10 au-dessus du niveau des plus
hautes mers; sa portée est de neuf milles. Celui de la jetée Est, dont la
hauteur au-dessus du niveau des plus hautes mers est de 8 mètres, est
un feu fixe vert dont la portée est de trois milles.
La longueur du chenal est d'environ 9o0 mètres, il aboutit vers le
milieu de la rade ; sa largeur est de 70 mètres ; des écluses placées à
l'Ouest et à l'Est servent pour les dessèchements des eaux du pays et pour
les chasses; l'ouverture de celle construite au Nord du phare, qui fonc-
tionne depuis l'hiver 4887-1888, a activé l'évacuation des eaux douces,
qui s'est effectuée, pendant ces dernières années, sans difficulté.
A la fin de l'année 1880, la passe d'entrée du port de Dunkerque
était à l'",oO au-dessous du niveau des basses mers de vives eaux ; cette
profondeur donnait de 6™,9o à 7'",50 de hauteur d'eau à l'entrée au
moment des pleines mers de vives eaux, et 5'",9o en mortes eaux, c'est-
à-dire que des navires calant de ^"'jôS à 7"°, 20 pouvaient déjcà y entrer.
Depuis 1884, des dragages sont opérés dans l'avant- port et sur la
passe d'entrée à l'aide de trois dragues-suceuses qui ont extrait, en 1891,
un cube de 441.000 mètres, ce qui permet d'entretenir, sur la passe,
des profondeurs qui, dans presque toute la longueur du chenal, se
rapprochent de la cote — 3 mètres et ne se relèvent plus que rarement
au-dessus de la cote — 2'",o0.
Les navires peuvent donc pénétrer actuellement dans le port de Dun-
kerque avec des tirants d'eau d'au moins 6"", 50 en morte eau et 7'", 50
en vive eau, situation relativement très satisfaisante que l'on espère
pouvoir encore améliorer dès que le travail de reconstruction de la jetée
de l'Est sera terminé.
Un avant port garni d'estacades en charpente avec terre-pleins bordés
908 GÉOGRAPHIE
de talus perreyés; sa longueur esl d'environ 650 mètres; la superficie
d'eau affectée au séjour des navires est de trois hectares. Des travaux,
devant comprendre le dégagement de l'entn'e de l'écluse des bassins de
l'Est, sur la rive droite de l'avant-port, sont provisoirement ajournés.
Un port d'échouage de 670 mètres de longueur, dont 600 mètres sont
garnis de quais en ])ierre et 300 mètres de quais en bois; il est séparé de
l'avant-port par l'ancien débouché de l'écluse du fort Revers, qui a cessé
d'être en service depuis le 10 octobre 1884, et par celui de l'écluse de la
Cunette. Quatre hectares de superficie d'eau y sont affectés au séjour des
navires. Dans le fond du port d'échouage débouchent deux écluses de navi-
gation maritime (l'une simple de 21 mètres, l'autre à sas de 50 mètres de
longueur sur 13 mètres de largeur), qui établissent les communications
entre le port et les anciens bassins à flot du Commerce, de la Marine et de
l'Arrière-Port ; leur buse est à 0"'.45 au-dessous du zéro des cartes marines.
Un fjrand phare, situé à 800 mètres S.-E. 1/4 S. de la tète des jetées,
dont le feu de premier ordre, éclairé à la lumière électrique depuis le
\" octobre 1883, est placé à 5" mètres an-dessus du niveau du sol et à
59 mètres au-dessus du niveau des hautes mers, éclaire les parages de
Dunkerque dans un rayon de plus de 40 kilomèfres; les appareils four-
nissent une lumière très belle, très régulière, dont les caractères sont par-
faitement tranchés jusqu'aux limites de la portée.
Un sémaphore facilite aux navires la connnunicallon télégraphique avec
la terre, aussitôt leur arrivée sur rade ; en outre, un fil spécial, relié avec
Gra vélines, permet aux capitaines de signaler leur passage et de demander
soit im remorqueur, soit la visite sanitaire, soit du secours.
Une tour des Pilotes, dite du Leughenaer, est placée à 2.200 mètres au
S. 30° E. de l'extrémité des jetées ; pendant toute la durée des nuits, un
feu fixe blanc, dont la portée est de deux milles, est allumé à son sommet,
qui se trouve à 24 mètres au-dessus du sol. Étant spécialement destiné à
éclairer le chenal, ce feu projette sa plus vive lumière dans la direction des
jetées.
BASSINS
Dunkerque possède sept bassins à flot, non compris deux bassins d'évo-
lutions, ce sont :
Le bassin du Commerce, qui présente une superficie de cinq hectares et
demi ; il est bordé d'une ceinture complète de 9o0 mètres de quais verti-
caux en pierres, comportant environ deux hectares de surface de quais
atîectée à la manutention des marchandises. La hauteur d'eau, sur le seuil
de ses écluses, est de ô'^jSo en haute mer de vive eau ordinaire ; les tra-
vaux d'achèvement de ce bassin, approuvés par décision ministérielle du
3 mai 1888, ont été terminés dans le courant de l'année 1889.
A. MLNE. IJ-: TKAFK. DL' PORT hE Kl WKEUQUE 909
Lt' bassin de la Marine, duiil Ja supfifKie d'eau t-sl du Irois hectares; le
Ijoiiilour entier de ce bassin est Lordé de 700 mètres de quais en pierre;
il C()nnnuni([ue avec le liassin du Commerce par une écluse de 16 mètres
de largeur, et avec le bassin de lOuest par un pertuis de 21 mètres, dont
la première pierre a été posée le 8 juillet 1878 et (|ui a été terminé en 1890.
iSon ipiai Ouest est bordé de hangars et de magasins publics.
Le pertuis. qui réunit le bassin de !a ^hiriiie à la darse n" 1 du bassin
Freycinet. nest pas écluse; mais im bateau-porte permet d'isoler ces deux
bassins. Ce bateau-porte, en l'orme de trapèze renversé, mesure 24 mètres
sur son pont et 21 "".70 sous sa (piille : sa hauteur est de 9 mètres et sa
largeur, au maître-bau, de 3"", 50. Construit tout en fer, il pèse 90.000 kilo-
grammes, et il n'a pas fallu inoins de 7o.000 rivets pour l'assemblage des
jnèces de charpente. Une vaste caisse à eau, se remplissant par l'ouverture
de robinets, sert à le couler, et une caisse à air, se vidant au moyen
d'une pompe, permet de le mettre à Ilot.
Le bassin de l' Arriére-Port, qui présente une superficie de deux hectares
et demi ; il est bordé de 390 mètres de quais en pierres, dont 220 mètres
ont été terminés en 188G. et de 123 mètres de quais en bois ; le reste de
ses rives est réservé à l'industrie de la construction et de la réparation des
navires. Il conmmnique avec le bassin du Commerce par un pertuis de
16 mètres de largeur. La construction, sur la rive droite de ce bassin, de
magasins qui ont été remis à la marine militaire en échange des magasins
([u'elle possédait autour du bassin de la Marine, a été achevée en 1887.
Il reste à compléter les quais de l'Arrière-Port et à reconstruire le pont
tournant entre ce bassin et celui du Commerce, mais l'exécution de ces
travaux est provisoirement ajournée.
Ces trois bassins à flot sont mis en communication directe avec les
i-anaux de navigation intérieure par une écluse à sas, située au fond de
l'Arrière-Port. dite Écluse de Bergues; ils sont entretenus à la cote — 0"',oO
au-dessous du zéro des cartes marines.
Des dragages sont effectués dans l'intérieur des bassins et dans le chenal
à l'aide d'une drague à godets et d'une drague à cuiller qui ont extrait,
en 1891, un cube de 162.000 mètres.
Les bassins de Freycinet sont composés de quatre darses :
La darse n° I (précédemment dénommée bassin de l'Ouest) est bordée
de 1.450 mètres de quais affectés au commerce; elle s'ouvre dans le port
d'échouage par un sas de 21 mètres de largeur et de 117 mètres de
longueur utile, qui présente une hauteur d'eau de 7'",4o en vive eau ordi-
naire; la cote du radier est à — l'",55 relativement au zéro des cartes;
les manœuvres des portes d'écluse, à l'entrée de ce bassin, se font avec
une grande rapidité, grâce à l'application de moteurs hydrauliques.
La superficie de cette darse est de huit hectares et demi; elle est en
9i 0 GÉOGRAPHIE
communication avec le canal de l'Ile Jeanty par une écluse à sas de
33 mètres de longueur sur S'",!^ de largeur, qui a été mise en service
le 16 mai 1884.
C'est le 30 août 1880 qu'a eu lieu l'ouverture du bâtardeau à l'abri
duquel a été construite l'écluse à sas d'entrée du nouveau bassin de
l'Ouest, et le lendemain 31, que les eaux y ont été introduites. L'inau-
guration solennelle de ce bassin, auquel la reconnaissance publique a
donné le nom de Freycinet, a eu lieu le 31 octobre de la même année ;
^ JtTjutl ti poste
BAfonrfij. SO
Légende
1 Sau^-Préfcctiuv ■
2 /rdtel-dn-nUe .
3 BantfUG de Fnciiic£-
^ Fhlca^deJujtux-.
5 7%éâtre .
Mètres
FiG. 3. — la ville et le nouveau port de Dunkerqui,
cette cérémonie fut présidée par M. Sadi Carnot, alors ministre des
Travaux publics. Une flottille, composée de trois navires de l'État : le
Coligny, la Mouette, la Lionne, du vapeur baliseur des Ponts et Chaussées,
des remorqueurs et d'un certain nombre de vapeurs et voiliers français
et étrangers, franchit l'écluse vers 9 heures et demie du matin et fut sa-
luée à son passage par l'artillerie de la place.
Ce fut une ère nouvelle de prospérité qui s'ouvrait pour Dunkerque,
quoique ce bassin ne dût être que d'un faible soulagement pour le
trafic chaque jour croissant de son port; mais la perspective que les
bassins suivants allaient être entrepris avec énergie donnait du courage
A. MLNE. — LE TRAFIC DU PORT DE DLNKERQLE 91t
à ses habitants doués d'autant de patience que de fermeté, de pereévé-
rance que de patriotisme.
La darse n" 2, y compris le bassin d'évolution des darses 1 et 2, a
une superficie de dix hectares trente ares et une longueur de 1.628 mètres
de quais; elle est, ainsi que la darse n" 1 , approfondie à la cote — 2",S0,
et en communication, depuis le 3 août 1890, avec le canal de l'Ile
Jeanty par une écluse à sas de 6 mètres de largeur sur 38'", 50 de lon-
gueur pour le service de la navigation fluviale.
La.darse n° 3 présente une superficie de trois hectares vingt ares; un
pertuis non écluse de 16 mètres de largeur met en communication les
darses 2 et 3.
La superficie de la darse n° 4, y compris le bassin d'évolution des
darses n"* 3 et 4, est de neuf hectares ; ces deux darses, de même que
leur bassin d'évolution, sont descendues à la cote — 4'",50, et la lon-
gueur totale de leurs quais est de 2.018 mètres.
A différentes époques, ces grandes nappes d'eau ont disparu sous les
ponts des navires qui les encombraient, et les quais sous la masse de
marchandises, richesses mouvantes, qui les encombraient.
Ces quatre bassins, ou darses, dont la superficie totale est de quarante-
deux hectares, sont munis de quais verticaux en pierre sur tout leur
pourtour, à l'exception d'une partie de la rive Ouest d'amont des darses 3
et 4 qui ne présente qu'un talus perreyé. Six vastes hangars publics ont
été construits en bordure des quais, tout en laissant libre à la circulation
et aux wagons de chemin de fer le terre-plein de ces quais; ils sont
terminés et en exploitation .
On a commencé à introduire l'eau dans les nouveaux bassins à la fin
de l'année 1889; les navires ont pénétré dans les darses 2 et 3 le
1" août 1890.
La longueur totale des quais du port et des bassins de Dunkerque, sus-
ceptible d'être affectée au stationnement des navires, est aujourd'hui de
8.166 mètres, et la superficie totale des terre-pleins des quais pouvant
recevoir des marchandises est de cinquante-quatre hectares soixante-dix
ares; tous ces quais sont en pleine exploitation et ont été, à diverses re-
prises, occupés sur toute leur longueur.
Deux autres bassins, prévus par la loi du 31 juillet 1879, devant être
affectés aux navires chargés de pétrole et aux constructions navales, ont
vu leur construction ajournée par la décision du 9 août 1887 qui a
approuvé le projet de l'écluse du Nord; ces bassins devaient être creusés
à l'Est, sur l'emplacement des anciennes fortifications.
912 GÉOGRAPHIE
CANAUX
Trois canaux, qui présentent une condition avantageuse très impor-
tante pour le port de Dunkerque, en le mettant en communication facile
et continue avec les voies navigables de l'intérieur de la France et de
la Belgique, sont :
Le canal de Bourbourg, amenant à Dunkerque toute la batellerie de
l'intérieur de la France ; c'est la tète de ligne de la navigation fluviale
vers Lille, Paris et l'Est de la France. Il communique avec le canal de
jonction par l'écluse à sas du Jeu-de-Mail; son mouillage y permet la
circulation des bélandres ayant l'",80 de tirant d'eau. Il existe, sur la rive
gauche de ce canal, des chantiers de construction et de réparation de
bélandres.
Le canal de Bergues dessert une navigation plus restreinte entre Dun-
kerque et divers points de l'arrondissement; il communique directement
avec les bassins par l'écluse à sas située au fond de l' Arrière-Port,
Ces deux premiers canaux sont des canaux de l'État à grande section.
Le canal de Fumes relie le port de Dunkerque aux voies navigables de
la Belgique; c'est un canal concédé.
Lorsque les bateaux de canal ont pénétré dans les bassins maritimes,
le transbordement s'opère directement dans les ou hors des bélandres,
bord à bord avec les navires de mer, ce qui constitue, en quelque sorte,
une ligne de quais flottants, ressource puissante du mouvement com-
mercial du port de Dunkerque.
11 y a en outre cinq autres canaux, qui sont :
Le canal de l'Ile Jeanly, mettant en communication, par deux écluses
à sas situées au fond des darses n°' 1 et 2, les bassins Freycinet avec les
canaux de l'intérieur; c'est un véritable bassin de navigation fluviale, de
la longueur de 800 mètres sur 40 mètres de largeur, avec un terre- plein
de 30 mètres et une longueur de 1.250 mètres de quais.
Le canal de Jonclion ou de ceinture, réunissant entre eux, dans l'inté-
rieur de la ville, les canaux précités et ceux des Moëres et de Mardyck ;
il a une longueur de 1.100 mètres, dont 900 mètres sont garnis de quais
ou talus utilisables.
Ce canal porte, dans son parcours, des noms différents : la portion
comprise entre le pont Saint-Martin et la passerelle de bois qui conduit
en basse ville se nomme Port-au-Bois ; c'est une espèce de port de navi-
gation intérieure, garni d'un quai sur la rive septentrionale, qui sert de
stationnement aux bélandres et de déchargement à celles chargées de
charbon ; la partie de ce canal comprise entre l'écluse du Pont-Rouge et
t
A. MINE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUiNKERQUE <.H3
l'écluse du Jeu-de-Mail se nomme Reck-à-Voleurs et sert de stationne-
ment aux bateaux vides.
Le canal de Mardyck, qui sert de dessèchement et de réservoir de
chasse, a une longueur de 3.600 mètres et est en partie envasé ; les eaux
de dessèchement du pays sont envoyées dans ce canal par les fossés des
fronts Sud de la place, en passant par un siphon sous le canal de Bour-
bourg. Sur sa rive Nord, existent des chantiers de construction et de répa-
ration de bèlandres.
Le canal des Moëres, qui sert de canal de dessèchement ; ses eaux pas-
sent en siphon sous le canal de Furnes et coulent dans les fossés de l'Est
qui les conduisent directement dans l'avant-port.
Le canal de la Cunette, qui sert à déverser les eaux des Moëres dans
le chenal.
Un sas octogonal à quatre écluses met en communication les canaux
de Jonction, de la Cunette, de Furnes et des Moëres.
En 1890, les buses du grand passage de l'écluse du Pont-Rouge, ainsi
que le radier du pont du chemin de fer sur le canal de Jonction, ont été
abaissés de 32 centimètres afin de faciliter l'écoulement des crues.
Ces travaux ont eu, en outre, pour effet de faire du canal de Bergues un
auxiliaire du canal de Bourbourg et une branche de la grande ligne de
navigation sur l'Est et sur Paris. Des dragages ont été opérés à la même
époque pour approfondir les parties du canal de Jonction les plus fré-
quentées, ce qui a permis d'abaisser le plan d'eau.
Il reste à compléter, par des dragages, l'approfondissement des canaux
maritimes situés dans l'intérieur des fortifications; ces travaux ont fait
l'objet d'un projet spécial qui a été approuvé par décision du o août 1891
et sont en cours d'exécution.
Dunkerque sert ainsi de trait d'union entre la navigation maritime et
la circulation intérieure, celle-ci étant utilisée pour les marchandises
lourdes, encombrantes et de peu de valeur.
CHEMINS DE FER
Ce port, dont la situation est exceptionnelle, a derrière lui un réseau
de voies ferrées qui le relie aux départements du Nord et de l'Est, c'est-
à-dire avec les provinces les plus riches, les plus fertiles et les plus
industrieuses de tout le territoire français.
Les quatre lignes de voies ferrées qui y prennent naissance sont :
Ligne de Dunkerque à Paris, par Hazebrouck, Arras et Amiens; —
ligne de Dunkerque à Lille, par Hazebrouck; — ligne de Dunkerque à
Calais ; — ligne de Dunkerque à Furnes.
58*
914 GÉOGRAPHIE
Voici la comparaison des distances de Dunkerque et d'Anvers aux prin-
cipaux centres manufacturiers et de consommation de la région :
^_^_^ DISTANCES
LOCALITÉS A DUNKERQUE A AKVERS
kilomètres kilomètres
Lille 85 130
Roubaix 90 120
Tourcoing 93 118
Valenciennes 133 140
Cambrai 148 202
Saint-Quentin 201 203
Laon 251 255
Reims 303 307
OUTILLAGE
Il existe à Dunkerque quatre formes de radoub qui ont les dimensions
suivantes :
No 2 No 3 No 4
Ijo 1 ouverte depuis ouverte depuis inaugurée
lin avril 1801 fin avril 18'dl en août 1891
Longueui' franche .
Largeur aux seuils.
Cote des seuils . .
lOQ-
lOQ-
84-»,40
190-
14™
14m
14"'
21°"
— 0",55
— 2", 05
- 0°',55
— 2'",10
La forme n° 1, quoique complètement terminée, ne pourra recevoir
des bâtiments de grande longueur qu'après l'enlèvement du bâtardeau
qui protège l'écluse du Nord; cette forme servira aux réparations du
matériel de l'État.
Toutes les industries locales commencent déjà à retirer un grand prolit
du séjour prolongé dans le port des navires qui s'y font réparer et qui,
précédemment, se trouvaient dans la nécessité de se rendre à Anvers ou
€n Angleterre pour y efîectuer leurs réparations.
Une cale de halage (slip way) pour le hissage hors de l'eau des navires
mesurant jusqu'à 75 mètres de quille et dont le poids n'excède pas
1.000 tonnes; la hauteur d'eau, au bas de la cale, est de 7 mètres.
Un ginl de carénage pour les navires ne dépassant pas 400 tonneaux de
jauge et 47 mètres de longueur est situé sur la rive gauche de l'avant-
port; il sera prochainement reconstruit et reculé pour permettre l'élar-
gissement de l'avant-port en cet endroit.
Deux pontons d'abattage ou de carénage exploités par des particuliers
qui en sont propriétaires.
Des g?^ues à vapeur mobiles, placées sur différents quais des bassins et
sur des pontons flottants, appartiennent à l'industrie privée et sont
employées aux opérations de chargement et transbordement des mar-
chandises de toute nature. Dunkerque est l'un des ports où les opérations
s'effectuent avec le plus de rapidité.
A. MINE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE 915
La Compagnie du chemin de fer du Nord possède, en outre, deux grues
fixes tournantes de la force de 10.000 et de 30.000 kilogrammes, ainsi
qu'un certain nombre de grues mobiles de l.oOO, 2.000 et 5.000 kilo-
grammes, qui sont mues à bras d'homme.
Une grue flottante, de la force de 40.000 kilogrammes, est exploitée
par la Chambre de Commerce depuis sept ans ; elle est destinée à la manu-
tention des lourds colis dans les différents bassins et peut servir de ma-
chine à mater.
La Chambre de Commerce exploite un service de remorquage. (Voir
aux renseignements statistiques.)
Un élévateur flottant à grains, érigé sur un ponton d'environ 400 ton-
neaux de jauge, sert au déchargement, au nettoyage et au pesage auto-
matique des cargaisons de grains ; il appartient à un particulier.
Dunkerque possède un entrepôt réel des douanes, trois Sociétés de
magasins généraux agréés par l'État et un grand nombre de magasins
particuliers, dont la plupart sont situés à proximité des quais.
LIGNES DE NAVIGATION
Voici quels sont les services réguliers de bateaux à vapeur qui des-
servent le port de Dunkerque :
DESTINATIONS
Alger et par connaissement direct tous les ^
ports d"Algérieet de Tunisie, Tripoli,
Malte, Ajaccio, Gibraltar, Tanger,
Alicanle, Carthagène
Bayonne
Belfast •
Bilbao
Bordeaux, et par transbordement pour
les principales villes de la Gironde,
du Gers, de la Garonne, des Clia-
rentes, de la Dordogne, du Lot et du
Tarn, ainsi que pour New- York, le
Sénégal, les Antilles, Je Mexique,
Colon
Brésil
DATES DES DÉPARTS
Trois départs par mois, les 10, 20, 30
Deux ou trois départs par mois.
Deux départs par mois.
Trois à quatre départs par mois.
Cinq départs par mois, les 6, 12,
18, 24 et fin de mois.
Un départ par mois.
\
916
GÉOGRAPHIE
Brest
Buenos-Ayres.
Cadix
Cette.
Dublin
Glasgow, Greenock
Goole
HaïphoDg
Hambourg
Havre avec connaissement direct pour
les principales villes de la Seine-In-
férieure, de la Manche, du Calvados,
du Finistère, etc
Hong-Kong
Hull, en correspondance avec toutes les
villes du nord de l'Europe et de
l'Amérique
La Rochelle
Leith en correspondance pour Dundee,
Aberdeen, Taisley, Glasgow, Gree-
nock, Belfast, Dublin, toute l'Ecosse,
l'Irlande et le nord de l'Angleterre. .
Lisbonne
Liverpoul
Londres en correspondance avec toutes
les villes de l'Angleterre et de l'Ecosse
Malaga
Marseille, et par transbordement pour
tous les ports de la Méditerranée et
de la mer Noire, ainsi que pour la
Réunion, Mahé, Maurice, Adélaïde,
Melbourne, Sydney, Nouméa, Pondi-
chéry, Tonkin et Yokohama ....
Montevideo
Nantes
Oran
Penang
Philippeville
Port-Vendres
Un départ par semaine.
Trois ou quatre départs par mois
Un départ par mois.
Tous les six jours.
Deux départs par mois.
Deux départs par mois.
Un départ par semaine.
Un départ par mois.
Un ou deux départs par mois.
Un départ par semaine.
Un départ par mois.
Le mercredi et le samedi.
Un départ par semaine.
Un départ par semaine.
Un départ par mois.
Deux ou trois départs par mois.
Deux ou trois départs par semaine.
Un départ par mois.
Un départ tous les six jours.
Trois à quatre départs par mois
Un départ par semaine ,
Troisdépartsparmois, leslO, 20, 30
Un départ par mois.
Troisdépartsparmois, les 10, 20, 30
Tous les six jours.
A. MIXE. LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE
917
DESTINATIONS
DATES DES DÉPARTS
Rochetbrf
Rosario et tous les ports du Parana . .
Rotterdam en correspondance avec l'Al-
lemagne
Saigon, Shang-Haï, Singapore ....
Saint-Nazaire
Un départ par semaine.
Deux à trois départs par mois.
Un départ par semaine.
Un départ par mois.
Troisdéparts par mois, les 1 0, 20, 30
Un 00 deux départs par mois, esceptc en hiver.
Saint-Pétersbourc:
INDUSTRIE MANUFACTURIERE
Il reste à dire quelques mots de l'industrie dunkerquoise, car à côté de
ce Dunkerque commercial, dont la réputation n'est plus à faire, grandit
un Dunkerque industriel dont les principaux établissements consistent en
■des :
Filatures de lin, chanvre, étoupes, jute et coton; tissages mécaniques,
manufacture de toiles à voiles et d'emballage, et de bâches imperméables ;
fabrique de filets dépêche; tonnelleries où se confectionnent annuellement,
avec une grande perfection, les !20.000 à 2o.000 tonnes nécessaires aux
navires qui font la pèche de la morue à Islande; fabriques d'huiles de
graines et épurations d'huiles de foies de morues; raffineries de sel et de
pétrole; scieries mécaniques de bois; corderies mécaniques pour la marine;
forges et chantiers de construction de navires ; savonneries, corroiries,
brasseries, malteries, fabrique d'hameçons, distilleries de grains et de
mélasses, etc.
La facilité, que rencontrent certaines de ces industries, de recevoir par
le port de Dunkerque les matières premières qui leur sont nécessairet
et de réexporter par la même voie leurs produits manufacturés, jointe
aux conditions particulièrement avantageuses des transports par eau
vers l'intérieur; enfin, le bon marché relatif de la houille, amenée tant
de nos charbonnages du Nord et du Pas-de-Calais que d'Angleterre et de
Belgique, permet d'espérer une extension de ces diverses industries.
TRAVAUX EN COURS d'eXÉCUTION
Toute la grande navigation s'effectue actuellement par l'Écluse de la
darse n° \ ; mais, par suite de la longueur et des tirants d'eau de plus en
918 GÉOGRAPHIE
plus considérables des navires qui fréquentent le port, cette écluse est
devenue insuffisante.
Une nouvelle écluse, dite Écluse du Nord, non comprise dans le prin-
cipe dans le vaste plan des ouvrages autorisés par la loi du 31 juillet 1879,
dont les travaux de terrassements et de maçonnerie ont été commencés
en 1888, et la première pierre posée le 1" septembre 1889, par M. Yves
GuYOT, alors ministre des Travaux publics, est actuellement en construc-
tion à proximité du phare, sur l'emplacement de l'ancienne écluse et du
bassin des chasses; elle débouchera dans le chenal, à la limite de l'avant-
port, en amont des écluses de dessèchement des bastions 27 et 28.
Les dimensions de cette écluse, dont le projet a été approuvé par déci-
sion ministérielle du 9 août 1887, permettront de recevoir les plus grands
navires en tout état de marée; sa longueur utile sera de 170 mètres, sa
largeur de 2o mètres; son buse, descendu à la cote — 5 mètres, donnera
9 mètres d'eau dans les marées de mortes eaux extraordinaires, environ
10 mètres dans les mortes eaux ordinaires, et près de 11 mètres dans les
vives eaux ordinaires.
Cette écluse sera fermée par trois portes, ce qui permettra de consti-
tuer soit un sas unique, soit deux sas moyens ayant : l'un 106 mètres,
l'autre 70 mètres. Les portes, vannes et ponts seront mus par des mo-
teurs hydrauliques; la vidange et le remplissage du sas s'effectueront
rapidement au moyen de grands aqueducs longitudinaux et transversaux
ménagés dans les bajoyers.
Le chenal étant beaucoup trop étroit pour permettre aux grands navires
d'entrer avec sécurité dans le port, une nouvelle jetée de l'Est, destinée à
porter sa largeur à 120 mètres à l'aval et à 200 mètres en face du
phare, est en cours de construction, suivant décret d'autorisation du
26 août 1890. Cette nouvelle jetée aura une longueur de 800 mètres; ses
fondations sont exécutées au moyen de caissons foncés à l'air comprimé. Le
fond du chenal sera d'abord approfondi à la cote — 3 mètres au-dessous du
zéro, et sera descendu ultérieurement, s'il y a lieu, à la cote — 3 mètres.
III
RENSEIGNEMENTS STATISTIQUES — ANNÉE 1891
POPULATION
La population de Dunkerque est de 39.498 habitants suivant le recensement
de 1891; mais, avec les villages voisins de Rosendaël, Malo-les-Bains, Coudeker-
que-Bi-anche, Petite Synthe et Saint-Pol-sur-Mer, ragglomération dunkerquoise
atteint le chiffre de 60.000 habitants.
A. MINE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE 919
DROITS DE DOUANE ET DE NAVIGATION
La perception des droits de douane, pendant les deux dernières années, a
donné les résultats ci-après :
1890 1091
Droits de douane Fr. 10.608.729 18.932.373
Droits de navigation 838.416 985.041
Droits sur les sels 3.339 94.739
Droits de statistique 429.358 414.178
Droits accessoires 20.398 22.228
Total Fr. 11.900.2'i0 20.448.559
soit une augmentation de 8.548.319 francs en faveur de 1891, ou 72 0/0.
Lois et décrets autorisant la perception des droits de navigation.
DROIT DE TONNAGE PORTANT SUR LES NAVIRES FRANÇAIS ET ÉTRANGERS
/" Affecté aux travaux d'amélioration et d'extension du port.
U juillet 1861. — Décret ordonnant l'exécution des travaux nécessaires pour
l'amélioration du port de Dunkerque.
20 iiuii IS6S. — Loi autorisant l'offre faite par la ville d'avancer à l'État une
somme de 1-2 millions pour être affectée à l'exécution de ces travaux.
4 juillet IS6S. — Décret établissant, à dater du l^i- janvier 1869, un droit de
tonnage de 12 centimes par tonneau de jauge sur les navires français et étran-
gers entrant chargés dans le port et venant du long cours ou des pays étrangers.
fî décembre 1815. — Loi qui autorise la ville de Dunkerque à avancer à l'État,
et à emprunter dans ce but, une nouvelle somme de 12.600.000 francs pour
la continuation des travaux d'amélioration du port.
Cette loi a substitué, à partir du l^"" janvier 1876, au droit de tonnage de
12 centimes établi par le décret du 4 juillet 1868 précité, un droit de .30 centimes
par tonneau de jauge sur tout navire français ou étranger entrant chargé ou
venant prendre charge dans le port, à l'exception des navires français se livrant
au petit cabotage entre les ports français ou à la navigation fluviale, les bâti-
ments armés à la grande et à la petite pêche, ainsi que le matériel naval de l'État.
La perception du droit de 30 centimes est concédée à la ville de Dunkerque ;
les produits en seront exclusivement affectés au paiement de la différence entre
le taux d'intérêt payé par l'État à la ville (4 0/0) et celui qu'elle aura elle-même
pajé aux souscripteurs de l'emprunt de 12.600.000 francs que la dite loi du
14 décembre 187o l'a autorisée à contracter à un taux qui n'excède pas 6 0/0.
La perception de cette taxe a cessé le 18 février 1882.
H décembre 1875. — Loi qui autorise le département du Nord et la Chambre
de Commerce de Dunkerque à avancer à l'État, et à emprunter dans ce but, la
somme de 5.900.000 francs pour être affectée à des travaux de réparations au
port de Dunkerque jusqu'à concurrence de 5.495.000 francs, et à celui de Gra-
velines pour 405.000 francs.
La loi précitée accorde en outre à la Chambre de Commerce la perception
d'un droit de 10 centimes par tonneau de jauge sur les navires français et
étrangers, à l'exception des bateaux pilotes et remorqueurs, de ceux employés
à la pêche côtière, et de tout le matériel naval de l'État.
Le produit de cette perception doit être exclusivement affecté à couvrir la
920 GÉOGRAPHIE
différence entre le taux d'intérêt payé par l'État (4 0/0) et celui que le départe-
ment du Nord et la Chambre de Commerce de Dunkerque auront payé aux
souscripteurs de l'emprunt qu'ils ont été autorisés à contracter par ladite loi à
un taux d'intérêt qui n'excède pas 6 0/0.
La perception de cette taxe a cessé le 18 février 1882, par suite du rembourse-
ment anticipé des avances faites à l'État par la Chambre de Commerce.
5 février 1882. — Décret maintenant, au profit de la Chambre de Commerce
de Dunkerque, la perception de la taxe de tonnage de 10 centimes précédem-
ment établie au profit de ladite Chambre par la loi du 14 décembre 1875.
La perception de cette taxe a commencé le 19 février 1882 et a cessé le G sep-
tembre 1884.
/«■• septembre l8Si. — Loi autorisant le ministre des Travaux publics à accep-
ter, au nom de l'État, une somme de 31 millions de francs offerte par la Ville
et la Chambre de Commerce de Dunkerque pour l'achèvement des travaux du
port de Dunkerque, autorisés par la loi du 31 juillet 1879.
Akï. 4. — Le produit du droit de tonnage perçu au port de Dunkerque en
vertu du décret du 5 février 1882, sera porté de 40 à 70 cantimes par tonneau
de jauge, à partir de la promulgation de la présente loi, et sera exclusivement
affecté au remboursement, en capital et intérêts, de l'emprunt contracté par la
Ville de Dunkerque, en vertu de la loi du 7 avril 1880, et de celui à- conclure,
en vertu de la présente loi, pour la continuation et l'achèvement des travaux
d'amélioration et d'extension du port de Dunkerque.
La perception du droit de tonnage cessera immédiatement après l'entier
accomplissement des obligations contractées solidairement par la Ville et la
Chambre de Commerce.
La perception de cette taxe a commencé le 7 septembre 1884.
2° Affecté à la reconstruction de la jetée de l'Est.
26 août 1890. — Décret autorisant le reconstruction de la jetée de l'Est au port
de Dunkerque.
Art. ù. — Le droit de tonnage de 70 centimes par tonneau de jauge, actuelle-
ment perçu au port de Dunkerque, en vertu de la loi du l*""" septembre 1884 et
du décret du 22 septembre 1885, sera, à partir de la promulgation du présent
décret, réduit à 54 centimes par tonneau de jauge.
La perception de cette taxe a commencé le 30 août 1890.
26 août 1890. —Décret autorisant la Chambre de Commerce à fournir à
l'État un subside de 4.500.000 francs pour l'exécution des travaux de recons-
truction de la jetée de l'Est au port de Dunkerque et établissant, au profit de la
dite Chambre, un droit de iQ centimes par tonneau de jauge sur tout navire
français ou étranger entrant chargé ou venant prendre charge dans le port de
Dunkerque.
La perception de ce droit cessera immédiatement après l'entier accomplisse-
ment des obligations contractées par la Chambre de Commerce en vertu du
présent décret.
La perception de cette. taxe a commencé le 30 août 1890.
DROIT d'outillage AFFECTÉ A L'ÉTABLISSEMENT d'uN OUTILLAGE PUBLIC AU PORT
6 septembre hS88. — Décret autorisant la Chambre de Commerce à percevoir,
sur les navires français et étrangers entrant au port de Dunkerque, un droit
I
A. MINE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUiNKERQUE 921
(le 10 centimes par tonneau de jauge jusqu'à concurrence de la somme de
1.800.000 francs qu'elle a été autorisée à contracter par le même décret pour
l'établissement d'un outillage public.
La perception de cette taxe a commencé le 10 septembre 1888.
MOUVEMENT DU PORT
Le mouvement du port de Dunkerque se chiffre comme il suit pour 1891:
Nombre de navires entrés 3.024 navires,
— — sortis 2.996 —
Total . . . 6.020 navires.
Tonnage de jauge à l'entrée 1.592.768 tonnes.
— — à la sortie 1.574.341 —
ToTAT 3.167.109 tonnes.
Tonnage de marchandises à l'entrée 2.015.639 tonnes.
— — à la sortit 549.805 —
Total .... 2.565.444 tonnes.
L'année précédente, le nombre total des navires, à l'entrée et à la sortie,
s'était élevé à 6.433, soit une diminution, par rapport à 1890, de 413 navires.
Le nombre total des tonnes de jauge correspondant aux navires entrés et
sortis a été de 2.982. "203 tonnes, ce qui donne une augmentation en faveur de
1891 de ISi.Oue tonnes.
Le nombre total des tonnes de marchandises entrées et sorties a été de
2.301.833, soit pour 1891 une augmentation de 63.611 tonnes.
Le port de Dunkerque n'avait jamais reçu autant de marchandises et la
Douane n'avait jamais encaissé autant d'argent qu'en 1891.
NAVIRES APPARTENANT AU PORT
Le port de Dunkerque possédait, au 31 décembre 1891, 228 navires d"une
jauge totale de 48.999 tonneaux, dont 49 bateaux à vapeur jaugeant 13.072 ton-
neaux et d'une force totale de 8.577 chevaux.
N.WIRES ENTRÉS AVEC UN TIRANT d'eAU ÉGAL OU SUPÉRIEUR A SI.\ MÈTRES
Pendant l'année 1891, 299 navires, jaugeant ensemble 477.267 tonneaux et
ayant un tirant d'eau égal ou supérieur à 6 mètres, sont entrés au port de
Dunkerque, savoir :
125 navires calant de 6'", » à 6", 25, soit 19.8 à 20 pieds 6 pouces anglais
61 — 6>",25 à 6'",50, — 20.6 à 21 — 4 —
104 — 6'",50 à 7>n, X. — 21.4 à 23 —
9 — plus de 7"\ » — plus de 23 —
La part proportionnelle du mouvement des navires, dont le tirant d'eau est
égal ou supérieur à 6 mètres, dans le mouvement total de l'entrée, s'est élevé,
pour la dite année, à :
10 0/0 du nombre des navires entrés.
30 0/0 du tonnage —
922
GÉOGRAPHIE
DEVELOPPEMENT PAR PAVILLONS
Le pavillon français figure dans le total général du mouvement du port de
Dunkerque en 1891 (entrées et sorties réunies) pour 2.344 navires d'un tonnage
de jauge de 958.335 tonnes ayant transporté 768.453 tonnes de marchandises.
Les pavillons étrangers correspondent aux chiffres suivants : 3.676 navires
entrés et sortis, jaugeant ensemble 2.208.774 tonneaux et ayant transporté
1.796.991 tonnes de marchandises.
TONNEAUX
200. 000
1889 1890
FiG. i. — Diagramme du mouvement commercial et maritime de Dunkerque
pendant les dix dernières années.
De sorte que le commerce par pavillon français représente, dans la fréquen-
tation du port de Dunkerque :
39 0/0 du nombre total des navires entrés et sortis;
30 0/0 du tonnage de jauge à l'entrée et à la sortie;
30 0/0 du tonnage de marchandises, à l'entrée et à la sortie.
TONNAGE MOYEN
Le tonnage moyen des navires français qui fréquentent le port de Dunkerque
est de 408 tonneaux ; celui des bâtiments étrangers est de 601 tonneaux, et le
tonnage moyen de la fréquentation du port est de 326 tonneaux, soit une aug-
mentation de 8 0/0 par rapport à 1890.
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924
GEOGRAPHIE
Le port de Dunkerque, dont le trafic s'est considérablement accru pendant
ces dernières années, occupe aujourd'tiui le troisième rang parmi les ports
français ; il vient immédiatement après Marseille et le Havre.
Le tableau ci-dessus donne, pendant la dernière période décennale, les ren-
seignements relatifs au nombre et au tonnage des navires de mer et des bateaux
de canal qui le fréquentent, ainsi que la quantité totale des marchandises
transportées par mer, par canaux et par chemins de fer, ce qui permet de suivre
les conditions dans lesquelles s'est opéré son développement.
Par une conséquence forcée, le courant d'exportation suivra la loi du courant
d'importation, et le mouvement ascensionnel ci-dessus constaté se continuera
avec l'achèvement des travaux en cours d'exécution et lorsque les installations
de l'outillage, qui font partie intégrante de tout établissement maritime, seront
complétées.
IMPORTATIONS
Parmi les principales marchandises importées, en 1891, au port de Dun-
kerque, il faut citer :
Le froment, dont il est entré 421.786 tonnes contre 81.459, en 1890, soil une
augmentation considérable de 340.327 tonnes; ces froments viennent prin-
cipalement des États-Unis d'Amérique, des Indes Anglaises, d'Australie, de
Roumanie, de Russie, de la République Argentine;
Les minerais, dont l'importation n"a atteint que 213.050 tonnes au lieu de
274.076 tonnes en 1890; les provenances sont l'Espagne et l'Algérie;
La houille crue ne figure dans les importations de 1891 que pour 189.929 tonnes
contre 229.188 tonnes en 1890 ; c'est l'Angleterre qui introduit la plus grande
partie de ce combustible dont la Compagnie Parisienne d'éclairage au gaz s'ap-
provisionne par le port de Dunkerque ;
Le nitrate de soude, dont il a été importé 170.073 tonnes, en 1891, au lieu de
199.597 tonnes en 1890, et qui vient du Pérou;
Les graities oléagineuses, dont l'importation s'est élevée à 161.069 tonnes contre
169.075 tonnes en 1890; leurs principales provenances sont : les Indes Anglaises
pour la majeure partie, la Russie, la Roumanie, l'Egypte et la République Ar-
gentine ;
Les orges pour brasseries et malteries ; leur importation s'est élevée à
102.005 tonnes en 1891 au lieu de 111.800 tonnes en 1890; elle viennent pour
les huit dixièmes d'Algérie, puisdeRoumanie,Tunisie,Ég3'pte, Russie, Turquie,
Danemark ;
Les bois du Nord, dont il a été importé 82.541 tonnes contre 54.309 tonnes
en 1890, et qui viennent principalement de Suède, Russie, Norwège et Dane-
mark ;
Les laines en masse, dont Timportation toujours croissante qui alimente les
villes manufacturières de Roubaix, Tourcoing, Fourmies, Saint-Quentin et
Reims, s'est élevée à 80.228 tonnes contre 66.932 tonnes en 1890; les prove-
nances principales sont : la République Argentine pour les cinq huitièmes,
l'Australie, l'Angleterre, l'Uruguay, l'Algérie, le Maroc, la Russie, les Indes An-
glaises, l'Espagne; le tableau ci-après montre, par provenances, comment s'est
développée, depuis 1881, l'importation des laines au port de Dunkerque:
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926 GÉOGRAPHIE
Viennent ensuite : le moh dont riniportation a considérablement diminué
depuis l'application des nouveaux droits de douane, le lin, la mélasse, le jute,
le coton, la fonte, les huiles de pétrole, les huiles lourdes, les grains el graines de
toute espèce, les résines, etc., etc.
Dunkerque peut et doit devenir, dans un avenir prochain, un port d'expor-
tation des produits de ragriculture et de l'industrie nationale, un entrepôt où
ces produits, acheminés vers la mer par la batellerie fluviale, viendront s'échan-
ger contre les productions étrangères apportées en France par la navigation ma-
ritime. Lorsqu'un fret de sortie sera assuré aux navires se rendant à Dun-
kerque pour y décharger leur cargaisons, ils y viendront plus nombreux, et ce
sera une nouvelle source de prolits pour tous, car un port ne se soutient qu'à
la condition de progresser sans cesse.
EXPORTATIONS
Les principales marchandises exportées en 1801 par le port de Dunkerque
ont été :
Les sucres de toute espèce, qui ont atteint 87.667 tonnes contre 112.808 tonnes
en 1890, et qui ont été principalement dirigés sur l'Angleterre pour la majeure
partie, les États-Unis et l'Italie ;
La houille crue, dont il a été exporté 33.345 tonnes en 1891, au lieu de
42.004 tonnes en 1890 ; les principaux pays de consommation sont l'Angleterre,
l'Espagne, le Sénégal, l'Algérie, la Russie, l'Allemagne, les États-Unis, la Tuni-
sie, la Grande-Pêche, la Guyane française ;
Les fourrages (foin et paille comprimés), dont l'exportation s'est élevée à
14.116 tonnes contre 19.802 tonnes en 1890 ; c'est l'Angleterre qui consomme
tous ces fourrages ;
Les rails en fer et en acier, qui ont atteint 15.804 tonnes, en 1891, contre
17.218 tonnes en 1890, et qui ont été dirigés principalement sur la République
Argentine pour les cinq huitièmes, le Rrésil, l'Algérie;
Les tourteaux, dont il a été exporté 9.765 tonnes au lieu de 5.449 tonnes
en 1890 ; les principaux pays de consommation sont : l'Allemagne, l'Angleterre,
le Danemark, la Suède et la INorwège ;
Les 'phosphates, dont l'exportation a atteint 13.328 tonnes en 1891 contre
22.580 tonnes en 1890, et dont les principaux pays consommateurs sont : l'An-
gleterre, l'Italie, l'Allemagne, la Suède, la Norwège;
Viennent ensuite les saindoux pour la Hollande et l'Angleterre, les farines
pour l'Angleterre et le Portugal, les pommes de terre et les légumes secs et
verts pour l'Angleterre, les huiles de graines principalement pour l'Angleterre
et la Hollande, les bois de construction pour l'Algérie, l'Angleterre et la Côte
occidentale d'Afrique, le son pour le Danemark et l'Angleterre, les fers de
toute espèce pour de multiples destinations, la potasse et le carbonate de potasse
pour l'Angleterre, les alcools pour l'Algérie et l'Angleterre, les verres à vitres
et en bouteilles principalement pour l'Angleterre et l'Algérie, les fils de jute,
de lin et de chanvre pour l'Angleterre, les sacs vides pour l'Angleterre, l'Al-
gérie et la Belgique, les machines et mécaniques pour la République Argentine,
l'Algérie et l'Espagne, les futailles vides pour l'Allemagne, l'Angleterre, les
États-Unis, etc., etc., etc.
A. MIiNE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUiNKERQUE
927
PORT DE DUNKERQUE
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ANIMALES
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IN'orwège
Pérou
Chili
Italie
Australie
Islande
Portugal
Indes (Colonies anglaises)
Égvpte
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Belgique
Roumanie
Sénégal
États Barbaresques . . . .
Turquie
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Pays-Bas
Autriche
Haïti
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9.702.000
9.278.179
8.514.820
7.773.442
7.572.20
5.924.600
3.934.061
3.713.000
3.491.252
3.194.275
3.128.670
3.010.150
2.841.539
2.668.639
2.378.540
1.888.. 500
1.408.200
713.99*
621.340
296.420
72 632
39.058
976.689.41*
71.049.700
1.047.739.114
928
GÉOGRAPHIE
PORT DE DUNKERQUE
EXrOUT^^TIOlSrS de L'^^ISTISTEE 1880
9
10
11
12
13
u
15
16
17
18
19
■20
21
22
23
2i
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
PROVENANCES
Angleterre
Islande
Belgique
Danemark
Russie (Baltique^ ....
Espagne
Pays-Bas
Algérie
Allemagne
France
Italie
Roumanie
Suisse
États-Unis
Norwège
Côte occidentale d'Afrique
Sénégal
Japon
Portugal
Egypte
Pérou
Brésil
Indes anglaises
Autres pays d'Afrique . .
Suède
Ile de Réunion
Grèce
Mexique
Guadeloupe
États Barbaresqnes ...
Haïti
Ciilonics anglaise» (Am(5riquc du Nord).
Possessions espagnoles. .
Cocliinchine
Guyane
Étranger
Cabotage
Totaux
MATIERES
ANIMALES
KILOC;.
3.702.806
36.029
870.585
2.770
1.21
602.786
»
1.718
8.439
1.100
1.940
5.229.417
12.856.026
18.085.443
MATIERES
VÉGÉTALES
h lu 11..
26.231.530
767.436
3.481.431
3.605.200
39.863
111.662
1.0S9.954
208.394
981.404
»
13.. 528
»
40.968
50.394
3.945
18.600
16.000
»
9.600
5.550
36.675.519
6.739.174
43.414.693
MATIERES
MINÉRALES
KILUG.
6.779.602
63.800
1.196.503
»
1.895.300
2.076.473
157.232
1.073 467
280.873
1.292.400
267.860
500.000
249.868
97.200
172.100
128.100
83.000
19.00Û
2.000
6.240
6.365
2.000
3.000
16.352.389
23.843.760
40.196.149
FABRI-
CATIONS
12.801.134
6.713.220
662.463
»
897.513
376.525
193.702
519.909
356.111
480.014
8.332
180 652
42.804
13.026
13.062
» .
57.458
13.331
27.792
18.629
17.207
15.000
11.728
1.626
1.080
»
6.200
5.959
5.539
2.116
2.503
1.746
1.270
23.447.651
15.656.563
39.104.214
TOTAU.\
49.515.072
7.580.485
6.210.982
3.605.200
2.835.446
2.565.904
2.043.674
1.801.770
1.620.106
1.292.400
761.408
508.332
471.488
198.83'
190.171
159.822
99.000
57.458
41.931
27.792
18.629
17.207
15.000
11.728
11.116
7.320
6.365
6.200
5.959
5.539
4.116
3.000
2.503
1.746
1.270
81.704.976
59.095.523
140.800.499
A. MINE. — LE TRAFIC DU POIIT DE DUiNKERQUE
929
PORT DE DUNKERQUE
IlVXFOItT^i^TIOlSrS DE L ' ^!^ N IST É E 1891
^ <
S
!)
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
29
30
31
32
33
34
35
36
PROVTENANCES
ÀQgleterre
Espagne
Indes anglaises . . . .
États-Unis
Bas-Pérou
l Baltique. .
Russie. . < ,, -, .
( >!er Noire.
Algérie
République Argentine .
Suède
Australie
Roumanie
Allemagni'
Egypte
Tunisie
Norwège
Indo-Chine Française .
Turquie
Uruguay
Islande
Portugal
Sénégal
Danemark
Chili
Pays-Bas
Possessions auglaiscs en Afrique . .
Possessions angliiisps on Aaioriquc .
Aulriclie
Maroc
Haut-Péroi:
Mexique
Haïti
Autres pays d'Afrique.
Italie
Belgique
Diverses
Épaves
Étranger
Cabotage
Totaux. .
MATIERES
ANIMALES
KILUli.
I1.025.'
263.
961.
4,
»
3.585.
519,
2.593,
52.737,
765
84(;
443
231
184
667
962
171
10.864.369
195,
6
38
1.474
7.822.
6.388.
29,
889
.500
880
340
300
514
821
803
»
149
»
2.123
123.
9.
928
977
509
250
323
524
101.722.462
3.926.000
105.648.46:
MATIERES
VÉGÉTALES
KILUG.
31.023.926
1.646.965
260.692.241
236.088.308
6.200
62.321.050
40.483.428
88.137.367
19.856.610
59.488.163
24.830.831
35.642.864
34.105.144
34.4i0.870
12.712.495
7.903.420
11.509.450
8.520.835
1.6-54.763
5.. 558. 666
5.232.946
»
2.710.291
3.535.966
2.635.131
2.262.028
92
1.029.544
962.343
30.433
31.158
995.0.53.528
62. 9 iO. 300
1.057.993.828
MATIERES
MINÉRALES
KlLU.i.
267.597.103
263.023.7.59
3.300
11.858.682
»
338.157
6.486.147
1.952.209
185.000
»
3.700
127.135
n
2.250.100
110.000
13.497
1.682.299
198.319
64.900
720
555.895.02
7. 997.. 500
FABRI-
CATIONS
KILUU.
15.401.273
725. 7 i6
1.296
47.403
164.079.831
2.008.994
1.515
3.273.284
53
94. 130
1.198
»
1.067.008
1.599
1.183.. 39
4.i:23.616
4.172.378
162.255
18.000
13
1.830.961
3.000
27.076
34.394
198.758.221
19.017.400
563.892.52";
TOTAUX
klLOCi.
325.048.067
265.660.316
261.658.280
247.998.624
164.086.031
(i8. 253. 385
47. 490. 707
95.956.822
72.779.318j
59.582.293
35.700.098
35.642.864
35.495.176
34.447.370
12.752.974
11.627.866
11.509.467
8.630.835
7.822.300
7.. 571. 911
6.308.203
5.558.666
.5.232.946
4.172.678
3.688.971
3.. 535. 966
2.785.108
2.280.028
2.123.674
1.830.961
1.682.299
1.029.544
962.593
228.752
191.223
68.478
34.394
1.851.429.238
93.881.200l
217.775.621
1.945.310.438
59*
930
GEOGRAPHIE
PORT DE DUNKERQUE
t:xi>oiîT7\.tions de i.'^nn:ée issi
PROVENANCES
1 Angleterre
2 Alsérie
3 République Arp;cntine. . .
4 Allemagne
5 Italie
a États-Unis
7 Espagne
8 Islande
9 Pays-Bas
10 Brésil.
11 Danemark
12 Sénégal
13 Rade
14 Indo-Chine française. . . .
( Baltique. . . .
15 Russie. . i ,, ., .
( Mer Noire. . .
16 Belgique
17 Norvvège
18 Portugal
10 Suède
20 Tunisie
21 Autres pays d'Afrique . . .
22 Uruguay
23 Guyane française
24 Australie
25 Mexique
26 Maroc
27 Bas-Pérou
28 Élablissi'mcnts franc, dn golfe de Kiiini!p
29 lïoumanie
30 Turquie
31 Possessions espagnoles en iraériTue .
32 Philippines
33 Chili
34 Diverses
Étranger
Cabotage
Totaux. .
MATlIiRES
ANIMALES
KILOO.
3.581.695
158.386
451
517.579
6.700
3.012
1.178
46.835
1.963.246
4.777
1.707
1.100
9.132
306.850
»
»
»
10.000
16.134
6.628.782
MATIERES
VKGÉTALKS
KILOG.
117.716.605
1.288.892
111.665
6.759.913
1.456.300
4.643.983
53.166
721.725
2.682.272
»
4.139.442
796.061
»
2.997
15.344
»
966.266
410.237
655.000
886.000
»
257.000
26.316
I.OOO
1.042
31.226
143.622.452
MATIERES
MINÉRALES
KILOG.
24.696.275
8.433.401
12.329.527
4.121.306
5.443.816
3.096.778
5.408.587
5.297.650
243.382
4.260.130
157.285
3.095.647
3.530.800
1.410.797
1.027.500
251.000
20.000
620.309
378.000
158.500
754.454
55.388
297.527
603.000
406.000
39.819
100.000
74.000
5.000
1.001
3.459
86.320.338
FABRI-
CATIONS
18.945.760
6.680.925
2.101.743
892.388
1.441.534
524.492
1.382.21
475.450
185.028
611.351
»
116.087
»
1.783.018
311.848
»
155.488
73.564
24.10
»
121.796
370.146
334.8
18.218
150
117.336
»
9.250
29.234
20.000
13.367
10.134
1.400
2.608
70.27.1
36.823.781
TOTAUX
164.940.335
16.561.60
14.543.386
12.291.186
8.348.350
8.268.265
6.845.148
6.541.660
5.073.928
4.876.258
4.298.43
4.008.895
3.530.800
3.196.812
1.363.824
251.000
1.448.604
1.104.110
1.057.104
1.044.500
886.250
682.53
658.71
622.218
406.150
1.57.155
100.000
83.250
29.234
20.000
13.36
10.13
6.400
4.651
121.093
273.395.353
276.922.769
550.318.122
A. MINE. — LK TRAFIC DU PORT DE DL.NKERUUE 931
IMPORTATIONS ET EXPORTATIONS — STATISTIQUE GENERALE
Il est intéressani de compléter ces renseignements en indiquant les pays qui
viennent en premier rang dans les relations commerciales delà France, par le
port de Dunkerque, pendant l'année 1891 :
Les importations d'Angleterre se sont élevées à 325,048 tonnes et nos expor-
tations dans ce pays à 164.940 tonnes ;
Les imi>ortations d'Espagne ont atteint 2G5.660 tonnes et nos exportations
dans ce pays 6.845 tonnes ;
Les Indes anglaises nous ont envoyé 261.658 tonnes et notre exportation
dans ce pays est nulle.
Les importations des États-Unis se sont élevées à 247.998 tonnes et nos ex-
portations à 8.268 tonnes ;
Les importations du Pérou ont atteint 164.086 tonnes et nos exportations
83 tonnes.
La Russie a importé chez nous, tant de la Baltique que de la mer Noire,
115.744 tonnes, et nous lui avons envoyé 1.615 tonnes;
Les importations de la République Argentine se sont élevées à 72.779 tonnes
et nos exportations à 14.543 tonnes ;
La Suède a importé 59.582 tonnes et nous y avons exporté 1.044 tonnes.
Viennent ensuite l'Australie, la Roumanie, l'Allemagne, l'Egypte, la Tunisie,
la Norvvège, llndo-Chine française, la Turquie, l'Uruguay, l'Islande, le Portugal,
le Sénégal, le Danemark, le Chili, les Pays-Bas, les Possessions anglaises en
Afrique, les Possessions anglaises en Amérique, l'Autriche, le Maroc, le Haut
Pérou, le Mexique, Haïti, d'autres pays d'Afrique, l'Italie, la Belgique, etc.
Les tableaux qui précèdent montrent, pour chacune des années 1880 et 1891?
comment se sont développées ces relations commerciales.
PECHE A ISLANDE
Les armements pour la pêche de la morue ont une réelle importance.
Quatre-vingt-deux navires (goélettes, lougres, dogres, etc.,) jaugeant en-
semble 8.551 tonneaux, montés par 1.358 hommes d'équipage, ont fait, en 1891,
la pèche de la morue sur les côtes d'Islande; leur départ a eu lieu vers le
le'- mars et leur retour dans les premiers jours de septembre; ils ont rapporté
5.981.088 kilogrammes de morues vertes et 345.160 kilogrammes d'huile de
morue, d'une valeur totale d'environ 3.500.000 francs.
PECHE COTIERE.
Cent deux bâtiments, d'une jauge totale de 902 tonneaux, montés par 428
hommes d'équipage, se sont livrés à la pèche côtière qui a produit 830.918 ki-
logrammes de poisson représentant une valeur de 664.728 francs.
Il y a, dans les parages de Dunkerque, deux saisons de pèche côtière : la
première, celle du hareng, en septembre et octobre; la seconde, celle du ma-
quereau, en mai et juin.
93?
GÉOGRAPHIE
Les marins se livrent, en outre, en toutes saisons, à la pêche au chalut et
à la pêche à cordes; la première produit des turbots, des soles, des raies, des
barbues, des limandes, des merlans, des rougets, des anguilles, etc. ; la seconde,
des raies, des morues, des anguilles, etc.
Des marsouins, appartenant à l'espèce dite des souffleurs, apparaissent quel-
quefois en rade et sur la côte.
CHAMIERS DE CONSTRUCTION
Il a été mis en chantier dans l'Arrière-Port, en 1891, quatre navires jaugeant
ensemble 376 tonneaux.
NAVIGATION INTERIEURE
Le mouvement des bateaux de la navigation intérieure, sur les canaux com-
muniquant avec le port de Dunkerque, a été le suivant :
Nombre Tonnage
de bateaux. absolu.
Canal de Bourbourg (longueur 20S929) H. 662 1.140.617
Canal de Bergues ( - 8VJ9]) 4.316 242.259
Canal de Furnes ( - 13^,210) '-"Q^ 56.915
20.683 1.439.791
Les relations du port avec les canaux sont relevées dans le tableau ci-après,
pour l'année 1891 :
ÉCLUSES
z .a
De l'Arrière Port.
De la darse n' 1 .
De la darse n°"2.
Totaux de 1891
Totaux de 1890
Différence «q laTcur
de 1891.. . .
1.402
2.T8.J
3.257
5.310
2.134
ENTREE
c i a
224.092
640.571
453.633
1.318.296
1.115.338
202.958
3~£
23.925 1.583
223. 3U6
43.661
290.892
284.516
6.376
2.69
3.218
7.495
4.859
2. 636
SORTIE
251.725
609.510
470.770
TOTAUX
S
1.332.005
967.422
364.583
78.210
341.070
286.463
705.734
610.306
95.437
Z JS
2.985
5.479
6.475
14.939
10.169
4.770
475.817
1.250.081
924.403
2.0.50.301
2.082.7611
567.541
102.135
564.376
330.124
9116.635
894.822
101.813
A. MINE, LE TRAFIC DI" PORT DE IUNKERQUE 933
La comparaison des résultats de la navigation fluviale en 1890 et en 1S91,
entrées et sorties réunies, donne, pour cette dernière année, une augmentation
de 48 0/0 du nombre des bateaux, 27 0/0 du tonnage de jauge, 11 0/0 du
tonnage de marchandises.
PILOTAGE
(Décret du 30 juin 1883.)
1890 1891
Droits de pilotage et de conduite perçus.' Fr. 457.038 04 499. G80 60
L'actif de la caisse des pensions du pilotage s'élevait, au
31 décembre 1891, à " 547.621 85
Celui de la caisse de renouvellement et d'assurance à. . . » 111.264 67
REMORQUAGE
(Décret du 28 août et décision ministérielle du 7 décembre t88S.)
1890 1891
Total des recettes Fr. 197.681 48 184.969 47
- des dépenses 216.301 90 202.687 80
Excédent de dépenses .... Fr. 18.620 42 17.7!8 33
Le service du remorquage, parfaitement dirigé et muni d'un excellent outil-
lage, possède sept remorqueurs d'une puissance totale de 1.261 chevaux-vapeur.
Il se prête avec une précieuse vigilance aux diverses opérations d'entrée et de
sortie des navires, de visite sanitaire en rade, du service de l'artillerie pour les
écoles de tir à la mer et d'assistance des canots de la Société centrale de Sau-
vetage des naufragés.
Un remorqueur, de la force de 1.000 chevaux, est actuellement en construc-
tion aux ateliers de la Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée.
IIALAGE
(Arrêtés préfectoraux des 28 novembre tSoi et 29 juin 4883).
1890 1891
Produit net annuel Fr. 85.507 90 94.006 20
^RX. 9. — io Trois centimes par tonneau de jauge légale pour tout navire
passant aux écluses, soit pour entrer dans le bassin du Commerce ou dans celui
de Freycinet, soit pour en sortir.
Celte taxe comprend les communications entre les bassins pendant la durée
réglementaire du séjour journalier des haleurs sur les écluses. En dehors de
cette durée, et à défaut de stipulations entre les haleurs et les capitaines, il sera
^34 GÉOGRAPHIE
payé un franc par navire ayant passé d'un bassin dans un autre et par homme
ayant contribué au halage.
2° Vingt-cinq centimes pour toute bélandre ou bateau plat qui franchit les
écluses d'entrée du bassin du Commerce ou de celui de Freycinet, dans l'un ou
iautre sens, de jour ou de nuit.
Art. 13. — 2° Les haleurs doivent être munis de huit ballons de garde pour
les flancs des navires et de six pièces de cordages de 2S mètres de longueur,
dont quatre de 0'",16 de diamètre et deux de 0'",025 pour le service du halage.
POSTE AUX LETTRES
11 y a en France 7.171 bureaux; celui de Dunkerque occupe le n° 61.
Le produit net de la taxe des lettres s'est élevé à 318.639 francs et le droit
de 1 0/0 sur les articles d'argent à 9.475 francs ; celui de 25 centimes par
25 francs sur les mandats internationaux a produit 1.829 francs, et le droit sur
les bons de poste de sommes fixes 295 francs.
Le nombre des timbres-poste vendus a été de 2.518.940 qui ont produit
292.795 francs.
11 a été encaissé, par le service des postes de Dunkerque :
12.152 effets de commerce intérieur d'une valeur totale de 213.410 francs,
et 326 — — internationaux — — 14.420 —
11 est arrivé à Dunkerque, en 1891, 39.606 lettres chargées, et il en a été ex-
pédié 38.695 dont 31.879 sans déclaration de valeur et 6.816 contenant des va-
leurs déclarées.
Il a été payé :
28.811 mandats intérieurs représentant ensemble 735.479 francs,
et 1.729 — internationaux — — 79.022 —
«et reçu :
36.507 mandats intérieurs d'une valeur totale de 918.172 francs,
et 3.407 — internationaux — — 136.412 —
Le nombre des bons de poste de sommes fixes émis s'est élevé à 3.461 pour
une somme de 27.831 francs et celui des bons payés à 1.924 s'élevant ensemble
à 18.761 francs.
Le fonctionnement de la Caisse nationale d'épargne a été le suivant :
NOMBRE
VALEUR
Premiers versements . . .
. . 289
62.092 francs
Versements ultérieurs . . .
. . 1.693
182.477 -
Remboursements
. . 780
182.973 -
A. MINE. — LE TRAFIC. DU PORT DE DUNKERQUE 935
TELEGRAPHE
11 y a en France 10.319 bureaux ouverts à la tclégrapliie privée ; celui
de Dunkerque occupe le cinquante et unième rang d'après les produits et le
soixante et onzième d'après le nombre des télégrammes déposés.
Le bureau de la ville a expédié :
Pour la France 77.934 dépêches qui ont produit 57.624 fr. 10 c.
Pour l'étranger 33.160 dépêches qui ont produit 48.782 fr. 47 c.
Et le bureau de la gare a expédié 7.791 dépêches qui ont produit 6.923 fr. 05 c.
TELEPHONES
La ville de Dunkerque compte 149 abonnés et a encaissé en 1891 :
26.401 fr. 59 c. pour le produit des abonnements,
4.874 fr. 25 c. pour le produit des conversations , messages et cabines
publiques.
CHEMINS DE FER
La gare de Dunkerque a conservé le troisième rang d'importance parmi les
stations de la ligne du Nord ; elle a encaissé 8.326.613 francs dont 7.604.947
francs proviennent de la petite vitesse; 119.370 francs de la grande vitesse et
002.296 francs des voyageurs, dont le nombre, tant au départ qu'à l'arrivée,
s'est élevé à 275.998.
La gare commerciale de Dunkerque, réunie à la gare des voyageurs, étant
devenue tout à fait insuffisante par suite de l'accroissement du trafic, il fut
décidé de créer à Coudekerque-Branche, é 3 kilomètres environ de Dunkerque,
une gare de triage qui fonctionne depuis le l'^'' novembre 1887.
La gare de Dunkerque est seule affectée au service commercial proprement
dit, avec les voies du port comme annexes, lesquelles constituent la gare mari-
time ; c'est à Dunkerque que se fait, indépendamment du service des voya-
geurs, la réception et la livraison des marchandises produites par l'industrie
locale ou spécialement destinées à la consommation.
La gare de Coudekerque est une gare de manœuvres où a lieu le triage
des wagons de marchandises et la formation des trains ; elle occupe une super-
ficie de cinquante-deux hectares et pn-sente un développement de voies d'en-
viron 10 kilomètres; en laissant libres les voies principales, on peut y garer
1 .800 wagons.
Chaque jour, il arrive à Dunkerque vingt-six trains de marchandises, et
vingt-sept trains en partent pour toutes les directions. Le mouvement total,
pendant l'année 1891, a été de 415.122 wagons chargés, soit 1.137 wagons en
moyenne par vingt-quatre heures ; en 1880, le mouvement journalier était de
691 wagons à peine.
La gare du chemin de fer est réunie à tous les quais du port et des bassins
par des voies ferrées qui les desservent directement par aiguilles, et sur les-
quelles les trains sont manœuvres par des locomotives.
936 GÉOGRAPHIE
La longueur des rails installés sur les quais du port de Dunkerque est de
32 kilomètres 200 mètres, plus 3 kilomètres 230 mètres de voies de la gare
maritime en arrière des darses.
L'organisation de la gare de Dunkerque comprend, en réalité : une gare lo-
cale, une gare maritime et une gare de triage de manœuvres.
C'est pendant le mois d'avril 1892, époque à laquelle régnait à Dunkerque
une fiévreuse activité commerciale, qu'ont eu lieu les plus importants mouve-
ments de wagons sur les voies ferrées du port ; voici le relevé de sept journées :
DATES
NOMBRE DE \VAGO>!S
TOTAUX
ENT
chargés
RÉS
vides
SORTIS
charp(%
IS92
Avril
6
122
781
788
1.691
—
8
79
822
816
1.717
—
12
110
673
750
1.433
—
13
70
748
727
1.545
—
20
87
732
738
1.557
—
22
94
725
739
1.558
23
95
780
792
1.667
Anvers fait une concurrence terrible au port de Dunkerque; le trafic énorme
des marchandises destinées aux centres manufacturiers de l'arrondissement de
Lille et en provenant emprunte la voie d'Anvers et partant les chemins de
fer belges; la Compagnie du chemin de fer du Nord en est donc la première
victime.
Nous le lui avons écrit le 16 juillet 1889 et lui avons rendu visite le 9 mars
1892, pour l'engager à remédier à cet état de choses par l'abaissement de ses
tarifs d'exportation. En consentant, en 1874, à contribuer pour deux millions
aux fiais de réparations du port de Dunkerque, cette Compagnie a montré
qu'elle comprenait bien ses intérêts, mais il reste plus encore à faire.
Il faut que les exportateurs trouvent un intéi'êt à se servir du port de Dun-
kerque pour déroger à leurs vieilles habitudes; Dunkerque étant aujourd'hui
mis en état de recevoir les navires du plus fort tonnage, qui prennent une
place toujours plus large dans la navigation maritime, aucun moyen d'assurer
son avenir ne doit être négligé.
BANQUE DE FRANCE
La succursale de Dunkerque occupe le dixième rang dans le classement des
quatre-vingt-quatorze succursales suivant l'importance des bénéfices, et le
vingt-sixième rang d'après l'importance des opérations.
A. MINE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE
937
Effets escomptés sur :
Paris Fr. 6.280.565
Place 31.761.033
Succursales 15.021.859
Total. . . . Fr. 53.063. '.57
Avances sur ;
Effets publics, chemins de fer et obligations du Crédit
Foncier Fr. 12.269.174
PORT DE DUNKERQUE
Exportation des laines de la province de Buenos- Ayres et des rivières, du 1^^ octobre
à fin septembre de chaque année, et part proportionnelle du porl de Dunkerque
dans l'importation en France et V exportation de la Plata.
l'ORTS DE DESTINATION
■a S
ANNÉES
FR.4ACE
ë?1
3 ~z
EXPORTATION
TOTALE
S 5 5
o 2 .^
D — >'.
'
MARSEILLE
BORDEAUX
HAVRE
DUNKERQUE
— '^ —
» ë
balles.
balles.
balles.
balles.
balles.
0/0
balles.
0,0
1879-1880
724
2.640
76.216
7.341
86.291
8 1/2
221.178
3 Yy
1880- 18S1
851
1.290
82.096
1.617
85.854
2
206.011
Vlx
1881-1882
798
2.614
67.044
27.544
98.000
28
255.342
11
1882-1883
1.196
2.743
51.3.55
58.046
113.340
51
248.775
23
188:3-1884
601
1.804
46.912
104.080
153.397
68
295.131
35
1884-188.5
2.. 528
2.173
37.108
138.866
180.675
77
342.000
40
188.5-1886
2.037
2.117
24.365
1.38.038
166.557
78
337.000
41
1886-1887
124
1.916
17.597
118.629
138.266
86
307.867
39
1887-1888
90
1.333
27.223
128.512
157.158
82
318.124
40
1888-1889
5.30
639
15.661
1.59.678
176.508
90
311.924
51
1889-1890
2.9<»4
1.282
17.9.50
125.910
148.136
85
2.35.942
53
1890-1891
421
1.172
23.310
122.080
146.983
83
281.000
44
Le total génôral du commerce franco-argentin par le port de Dunkerque
(importations et exportations réunies), qui n'était que de 2.032.511 kilo-
grammes en 1881, a atteint, en 1890, la quantité de 146.9o0.149 kilogrammes,
soit une progression de 7.230 0/0 dans l'espace de dix ans.
Pour ce qui est relatif à ce développement extraordinaire des relations com-
merciales entre la République Argentine et le Nord de la France par le port de
Dunkerque, depuis 1881 qu'elles ont pris naissance, nous prions de vouloir bien
consulter notre Album statistique dédié, le 9 mars 1892, à M. Jules Roche, alors
ministre du Commerce et de l'Industrie, et à M. José C. Paz, ministre plé-
nipotentiaire de la République Argentine en France.
938
GEOGRAPHIE
MOUVEMENT DE LA NAVIGATION DES PRINCIPAUX PORTS DE FRANCE
Navires chargés venant du long cours, des colonies et de la Grande Pêche.
1° Pendant l'année 1891 .
1
2
3
i
5
6
7
8
9
10
11
DESIGNATION
des
PORTS
Marseille . .
Le Havre. .
Dimkerque.
Bordeaux. .
Rouen . . .
Boulogne. .
Saint-^azairc
Calais . . .
Cette. . . .
Dieppe . . .
Nantes . . .
PAVILLON FIUNCAIS
NAVIRES
2.4.i0
479
422
683
115
581
317
158
203
537
184
2.054.054
579.938
210.746
387.631
77.230
18G 760
194.401
12.. 584
93.759
86.5i5
33.862
PAVILLONS KTliANGERS
NAVIRES
2.309
2.089
1.629
983
1.703
1.792
584
1.402
1.080
1.018
150
TONNAGE
1.886.603
1.779.839
1.008.519
646.904
919.477
485.788
465.723
644.590
483.776
410.325
44.977
MOCVEMEM TOTAL
NAVIRES
4.749
2.. 568
2.051
1.660
I.SI8
2.373
901
1.560
1.283
1.555
334
3.940
2.359
1.329
1.034
996
672
660
657
577
496
78
.657
.777
.265
.535
.707
.548
.127
.174
..535
.870
.839
Mouvement total du port d'Anvers pendant les onze premiers mois de 1891 :
Entrée: 4.075 navires jaugeant 4.367.965 tonneaux.
2° Pendant le i" semestre 1892.
DESIGNATION
des
PORTS
Marseille.
Le Havre
Dunkerquc
Bordeaux.
Rouen . .
ENTREE
2.075
1.257
1.005
683
686
TONNAGE
1.692.257
1.205.186
704.648
463. 6G0
377.097
SORTIE
NAVIRES
1.966
732
584
664
335
TONNAGE
1.617.542
737.139
254.988
460.610
121.697
MOUVEMENT TOTAL
TO.NNAGE
4.041
1.989
1.589
1.3i7
1 .021
3.309.799
1.942.325
959.636
924.270
498.794
Dunkerque, sentinelle avancée sur la mer du Nord, tandis qu'Anvers
en est à plus de cent kilomètres, est merveilleusement située pour servir
d'entrepôt à toute l'Europe septentrionale et devenir le grand grenier des
arrivages de tous les ports russes de la Baltique ; c'est le port le mieux
placé pour lutter contre la prépondérance que tend à prendre Anvers
dans le mouvement maritime de la zone nord-ouest du continent euro-
péen. Dunkerque est le port de France le plus rapproché de Londres, et
A. MINE. — LE TRAFIC DU PORT DE DUNKERQUE 939
Londres est le plus grand entrepôt du globe : toutes les marchandises de
1 univers sont entassées dans ses docks. Dunkerque est, en outre, le point
naturellement désigné comme devant servir de centre d'importation pour
alimenter les provinces de l'Est et l'Alsace-Lorraine, et son importance
est évidente, non seulement au point de vue du commerce général,
mais aussi parce qu'il touche à la région du Nord, la plus riche, la plus
industrielle et la plus productive de toute la France, ce qui le place dans
les meilleures conditions pour accroître son courant d'afïaires, qui se com-
pose principalement du trafic de transit.
La Chambre de Commerce de Dunkerque et le Conseil général du Nord
se sont de tout temps préoccupés de la situation du port de Dunkerque,
dont le mouvement maritime s'est considérablement développé depuis
vingt ans, car ces deux corps constitués savent très bien qu'il existe un
lien étroit entre la prospérité commerciale de ce port et la prospérité
industrielle du département à laquelle il faut un port spacieux et rap-
proché; cette union si nécessaire de l'industrie et de la marine existe
aujourd'hui et permet à l'industrie de cette région d'entrer avec des
armes égales dans les luttes commerciales avec l'étranger.
Il s'agit donc de mettre Dunkerque en mesure de suffire aux besoins
du commerce et aux exigences de la navigation, afin d'éviter que le port
d'Anvers continue à détourner à son profit tout un monde de marchan-
dises qui trouveraient, dans notre grand port du Nord, des avantages
d'atterrissement, de déchargement, d'écoulement et de communications
incomparables.
En considération du passé glorieux de cette ville et des désastres en-
durés par elle pendant le siècle dernier, la France a le devoir d'en faire
un des premiers ports de France, le rival d'Anvers qui, ne le perdons pas
de vue, a largement empiété sur le territoire naturel du port de Dun-
kerque et fait de plus en plus le commerce de notre pays ; car Anvers
n'est pas seulement le port de la Belgique, de l'Allemagne, de la Suisse,
il est aussi celui de nos provinces de l'Est et de notre département du
Nord, ce Lancashire français. Si le fret est plus facile à Anvers qu'à Dun-
kerque, c'est que Lille, Roubaix, Tourcoing, etc., etc., vont y chercher
les intermédiaires pour l'exportation de leurs produits ; mais que le cou-
rant commercial rentre dans son lit naturel, et le fret reviendra aussi-
tôt à Dunkerque.
Il y a là une véritable question d'intérêt national, car c'est une cause
essentiellement française que de nous efforcer d'empêcher les ports étran-
gers de profiter de notre situation commerciale, qui, constatons-le avec
bonheur, grandit chaque jour.
Le port de Dunkerque, dont le mouvement s'accuse déjà dans des pro-
portions ascendantes considérables, deviendra, dans un temps peu éloi-
940 GÉOGRAPHIE
gné, si les pouvoirs publics l'y aident par des sacrifices suffisants et
féconds permettant de donner une impulsion vigoureuse aux travaux qui
restent à exécuter, un des agents les plus actifs de notre prospérité natio-
nale; mais, pour lutter avantageusement avec Anvers, pour reprendre le
trafic intérieur qui appartient à la France et reconquérir une bonne partie
du transit que le port belge nous a ravi, il est indispensable qu'on
abaisse résolument les tarifs de chemins de fer et qu'on atténue, dans
la plus large mesure possible, les frais de port.
Sachons donc préparer l'avenir maritime du port de Dunkerque en
rompant avec les vieilles habitudes, en répudiant ce que la routine a
consacré, et en leur opposant les voies efficaces de la volonté, de la science
et du désintéressement : tels sont l'espoir et l'ambition légitimes de tous
les Français qui ne prennent conseil que de leur patriotisme.
Lorsque tous les travaux en cours d'exécution seront terminés, et si
les mesures économiques reconnues indispensables sont prises, Dunkerque
verra certainement sa population s'accroître et deviendra une grande
ville comme elle est déjà un grand port; bientôt, celui-ci passera au
second rang des ports français et sera, au Nord, ce que Marseille est au
Midi; le grand entrepôt, la principale place maritime de la France.
C'est ainsi que notre chère patrie se développe et se relève par le travaii
de ses enfants.
M. C. DELAYAUD
Ancien Président de la Société de Géographie de Rochefort, à Pari
UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE
— Séance du 20 septembre 1892 —
Les villes mortes reçoivent aujourd'hui si souvent des visiteurs, savants
ou lettrés, que l'on ne peut guère y glaner des faits encore inaperçus,
y ressentir des impressions nouvelles. Leur étude offre l'avantage sur
celle des villes vivantes, considérées aux mêmes époques, qu'elles n'ont
pas été transformées, modernisées, et rendues méconnaissables, comme
C. DELAVAUU. — UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 9il
ces dernières. L'abandon les protège contre l'homme, sinon contre la
destruction par les éléments et par la végétation. Ces réflexions générales
peuvent s'appliquer à la ville de Brouage. Celle-ci présente cette particu-
larité qu'elle n'est pas fort ancienne, et que, morte déjà depuis assez
longtemps, elle a été, pour ainsi dire, éphémère : bien différente de ces
villes du golfe du Lion dont l'origine se perd dans la nuit des temps,
et sur l'emplacement desquelles, parfois, d'autres cités ont été bâties,
mortes à leur tour. Il serait intéressant de dresser une liste des villes
mortes selon les genres de mort auxquels elles ont succombé : soit des-
truction plus ou moins brusque par la mer, les volcans, les tremblements
de terre, les dunes, la guerre; soit abandon, en raison de l'insalubrité,
du changement des courants commerciaux ou des intérêts défensifs du
pays.
La contrée où se trouve Brouage est des plus remarquables au point
de vue des modifications qu'elle a éprouvées même dans les temps histo-
riques. Sur ce littoral de l'Aunis et de la Saintonge, des vihes se sont
effondrées dans les flots (Monmeillan, Chàtel-Aillon), d'autres ont été en-
terrées sous les sables (Anchoine, l'ancien Saint-Trojan) ; un grand nombre
ont eu leurs ports envasés et atterris : tel est Brouage. D'ailleurs, la main
de l'homme a contribué à ce dernier résultat. Voici, pour Brouage, en
quelque sorte les phases de la maladie.
Durant les guerres de religion, obstruction du chenal par des navires
coulés ; puis, par suite de la concurrence des sels de Bretagne, cessation
de l'exploitation d'une grande partie des salines et de l'entretien des ca-
naux, d'où insalubrité et détérioration du port. Selon la classification do
M. Lenthéric, la période marine, ou salubre (en y comprenant les ma-
rais salants), a fait place à la période paludéenne ou insalubre (marais
gâts), et, actuellement, on entre dans une troisième période, salubre, dite
agricole. Mais, en admettant que, grâce à l'agriculture, la salubrité et la
richesse reviennent au pays, Brouage, comme centre d'agglomération,
n'a plus de raison d'être et ne recouvrera pas sa prospérité passagère;
c'est une ville qui est bien morte. Au centre de ses remparts (monument
historique) qui restent debout, elle est vouée à la végétation, qui accom-
plit son œuvre.
Brouage est situé aux deux tiers de la distance de Rochefort à Marennes,
en ligne droite, à U kilomètres et demi de la première ville et à 6'', 8
de la seconde, La route, qui fait peu de circuits (19.763 mètres au total),
passe successivement par Soubise, Moëze, Brouage et Hiers. Brouage com-
munique par canaux avec la Charente (17'',240) et la Seudre, avec la
mer (2'',700j et les marais.
Cette ville a perdu jusqu'à sa qualité dechef-heu de commune. Les com-
munes de Brouage et de Hiers, village distant, sur la route, de 2 kilo-
944 ■ GÉOGRAPHIE
en plus lent, grâce à l'oscillation séculaire descendante. Ce léger abaisse-
ment, en effet, submergeant la digue naturelle qui protégeait le golfe
contre l'invasion des limons sortis de la Gironde, une dénivellation de
quelques centimètres a suffi pour donner passage à la mer qui a trans-
formé en une rivière d'eaux salées et vaseuses la région nommée aujour-
d'hui les coMreawa; d'Oléron. Ainsi un abaissement de peu d'importance,
graduel ou subit, aura suffi à relever de plusieurs mètres le fond d'une
baie. Quoi d'étonnant dès lors à ce qu'on ait dit que le niveau du sol
s'élevait? (M. Polouy).
La main de l'homme, avons-nous dit, concourt à l'exhaussement du sol
par les atterrissements de la mer. C'est ce qui a lieu dans l'opération du
valangage, alors que, les vannes étant soulevées, le flot entre dans les
bas-fonds des anciens marais salants, et y dépose son limon avant de se
retirer avec le reflux. 11 faut avoir soin, par le jeu des écluses, que l'eau
ne se répande pas par-dessus les digues dans les endroits cultivés, qui
deviendraient improductifs pour plusieurs années. Par cet exhaussement,
l'océan fournissant son limon là où il avait donné ses matières salines,
on obtiendra plus tard un sol pour les prairies. On rejette aussi dans
ces parties déclives la vase des fossés. A l'occasion de ces changements
de niveau, nous avons entendu émettre par les anciens du bourg de
Brouage une opinion qui ne nous paraît pas admissible, à savoir que les
remparts se sont affaissés, opinion fondée sur des observations peu précises.
Ces remparts, bien qu'ils reposent sur un terrain marécageux (comme les
autres édifices de Brouage d'ailleurs) présentent encore leurs longues
lignes selon une horizontalité parfaite.
Quoique ces préliminaires nous semblent utiles en nous préparant à
bien voir la ville étrange de Brouage, il est temps d'aller la visiter et de
la décrire. Le trajet pourrait se faire à pied, à partir de Marennes, sta-
tion principale de l'embranchement du Chapus. Il va sans dire qu'il est
plus commode de louer une voiture (prix modique) lorsqu'on ne dispose
que d'un temps limité. La route est belle et bien entretenue. Ce sont
d'abord, à droite et à gauche, des prés, des vignes, des bois de chênes.
Puis on entre dans le marais. Quelques fossés dégagent bien des exha-
laisons fétides, mais ils sont en petit nombre. On aperçoit des monticules
coniques blancs et brillants de sel, encore à découvert ( 1"' septembre) ;
la récolte a été faite il y a quelques jours ; d'autres sont couverts de
paillassons pour les mettre à l'abri des pluies d'automne. On ne peut
résister au désir de visiter, en passant, une de ces salines : c'était près du
chenal de Mérignac, qui était en ce moment presque à sec, et dont les
bords, de même que ceux du marais salant, sont recouverts d'une végé-
tation grasse et verte de salsolées. On ajoute ici à un bouquet, déjà
cueilli dans un champ, et consistant en de belles fleurs roses de la gesse
C. DELAVAUD. — • UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 945
à larges feuilles (LatJu/rus latifolius), de nombreux corymbes du Statice
Limoniuiu, aux petites fleurs violettes scarieuses. On monte pour entrer
à Hiers, dans la petite île d'Hiero d'autrefois, couverte de forêts au
xi** siècle, et que les Normands avaient ravagée en 867. On y voit des bois
et des vignes. Son aspect est encore celui d'une île, sa base se détache
nettement des marais alluvionnaires qui l'environnent. Il était intéressant
de prendre tout d'abord une idée d'ensem ble de Brouage, ce qui est aisé
en côtoyant le bord de l'île d'Hiers qui regarde de son côté. On voit bien
de là l'ancienne ville, avec ses remparts et ses grands arbres, assise au
milieu du marais et à son niveau, en même temps que la vue se reporte
au loin sur la grande mer, ses îles et le fort Boyard. Les impressions
personnelles sont variables ; en outre, les circonstances, soit que l'on se
trouve seul ou avec d'autres personnes, la saison et le temps exercent
leur influence. Mais le sentiment général d'étonnement doit être le même
toujours, quand on se dit qu'il y a eu là, à nos pieds, dans cette vaste
plaine triste et nue, une cité qui fut riche et puissante, et que maintenant
«'est son tombeau ! On songe à ceux qui l'ont habitée, aux guerriers illustres
qui se sont disputé ce qui n'est plus qu'une ruine, et l'on a la compréhen-
sion intense du néant et de la courte durée de l'homme et des générations.
De ce lieu d'observation, on pourrait presque en tracer le plan, car
ses remparts la limitent rigoureusement, et pas une habitation n'existe
•en dehors, il n'y a nul risque qu'elle s'épande en faubourgs dans la
•campagne, le mausolée est bien isolé. On a voulu les détruire ces rem-
parts, les vendre par l'entremise des Domaines, ou plutôt vendre leurs
matériaux. C'était en 1884, et il en était question depuis une vingtaine
d'années. Heureusement, on a renoncé à ce projet devant les protestations
^u'il a soulevées. Ils ont été déclarés monument historique, et confiés
pour leur conservation, sinon pour les réparations, à la municipalité de la
commune. Le plan actuel de Brouage, ville, havre et port (deux planches
dont une ici reproduite), se trouve dans la notice de M. Crahay de Fran-
chimont {Ports maritimes de France, VI, I880). Les remparts ont un
contour hexagonal très ouvert, formant presque un carré de 400 mètres
de côté; ils sont flanqués de sept bastions, dont les principaux ont à leur
angle saillant de petites tourelles suspendues en encorbellement, polygo-
nales et élégantes. Les rues, larges et tirées au cordeau, se coupent à angle
droit. 11 en est deux, situées dans la partie médiane, qui sont dirigées
parallèlement selon l'axe de la ville du sud 17° ouest au nord 17° est. Les
rues transversales, de même longueur, sont au nombre de huit. On compte
une vingtaine d'îlettes, y compris l'église et en dehors des magasins ei
casernes de l'État. La route départementale de Rochefort k Marennes
emprunte l'une des deux rues longitudinales, en passant par des brèches
pratiquées dans le rempart à côté des portes nord et sud.
60*
944 ■ GÉOGRAPHIE
en plus lent, grâce à l'oscillation séculaire descendante. Ce léger abaisse-
ment, en effet, submergeant la digue naturelle qui protégeait le golfe
contre l'invasion des limons sortis de la Gironde, une dénivellation de
quelques centimètres a suffi pour donner passage à la mer qui a trans-
formé en une rivière d'eaux salées et vaseuses la région nommée aujour-
d'hui les coureaux d'Oléron. Ainsi un abaissement de peu d'importance,
graduel ou subit, aura suffi à relever de plusieurs mètres le fond d'une
baie. Quoi d'étonnant dès lors à ce qu'on ait dit que le niveau du sol
s'élevait? (M. Polony).
La main de l'homme, avons-nous dit, concourt à l'exhaussement du sol
par les atterrissements de la mer. C'est ce qui a lieu dans l'opération du
valangage, alors que, les vannes étant soulevées, le flot entre dans les
bas-fonds des anciens marais salants, et y dépose son limon avant de se
retirer avec le reflux. Il faut avoir soin, par le jeu des écluses, que l'eau
ne se répande pas par-dessus les digues dans les endroits cultivés, qui
deviendraient improductifs pour plusieurs années. Par cet exhaussement,
l'océan fournissant son limon là où il avait donné ses matières saUnes,
on obtiendra plus tard un sol pour les prairies. On rejette aussi dans
ces parties déclives la vase des fossés. A l'occasion de ces changements
de niveau, nous avons entendu émettre par les anciens du bourg de
Brouage une opinion qui ne nous paraît pas admissible, à savoir que les
remparts se sont affaissés, opinion fondée sur des observations peu précises.
Ces remparts, bien qu'ils reposent sur un terrain marécageux (comme les
autres édifices de Brouage d'ailleurs) présentent encore leurs longues
lignes selon une horizontalité parfaite.
Quoique ces préliminaires nous semblent utiles en nous préparant à
bien voir la ville étrange de Brouage, il est temps d'aller la visiter et de
la décrire. Le trajet pourrait se faire à pied, à partir de Marennes, sta-
tion principale de l'embranchement du Cliapus. Il va sans dire qu'il est
plus commode de louer une voiture (prix modique) lorsqu'on ne dispose
que d'un temps limité. La route est belle et bien entretenue. Ce sont
d'abord, à droite et à gauche, des prés, des vignes, des bois de chênes.
Puis on entre dans le marais. Quelques fossés dégagent bien des exha-
laisons fétides, mais ils sont en petit nombre. On aperçoit des monticules
coniques blancs et brillants de sel, encore à découvert ( 1*^'' septembre) ;
la récolte a été faite il y a quelques jours ; d'autres sont couverts de
paillassons pour les mettre à l'abri des pluies d'automne. On ne peut
résister au désir de visiter, en passant, une de ces salines : c'était près du
chenal de Mérignac, qui était en ce moment presque à sec, et dont les
bords, de même que ceux du marais salant, sont recouverts d'une végé-
tation grasse et verte de salsolées. On ajoute ici à un bouquet, déjà
cueilli dans un champ, et consistant en de belles fleurs roses de la gesse
C. DELAVAUD. — ■ UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 945
à larges feuilles (Lathyrus latifolius), de nombreux corymbes du Statice
Limonium, aux petites fleurs violettes scarieuses. On monte pour entrer
à Hiers, dans la petite île d'Hiero d'autrefois, couverte de forêts au
xi^ siècle, et que les Normands avaient ravagée en 867. On y voit des bois
et des vignes. Son aspect est encore celui d'une île, sa base se détache
nettement des marais alluvionnaires qui l'environnent. Il était intéressant
de prendre tout d'abord une idée d'ensem ble de Brouage, ce qui est aisé
en côtoyant le bord de l'île d'Hiers qui regarde de son côté. On voit bien
de là l'ancienne ville, avec ses remparts et ses grands arbres, assise au
milieu du marais et à son niveau, en môme temps que la vue se reporte
au loin sur la grande mer, ses îles et le fort Boyard. Les impressions
personnelles sont variables ; en outre, les circonstances, soit que l'on se
trouve seul ou avec d'autres personnes, la saison et le temps exercent
leur influence. Mais le sentiment général d'étonnement doit être le même
toujours, quand on se dit qu'il y a eu là, à nos pieds, dans cette vaste
plaine triste et nue, une cité qui fut riche et puissante, et que maintenant
«'est son tombeau ! On songe à ceux qui l'ont habitée, aux guerriers illustres
qui se sont disputé ce qui n'est plus qu'une ruine, et l'on a la compréhen-
sion intense du néant et de la courte durée de l'homme et des générations.
De ce lieu d'observation, on pourrait presque en tracer le plan, car
ses remparts la limitent rigoureusement, et pas une habitation n'existe
•en dehors, il n'y a nul risque qu'elle s'épande en faubourgs dans la
■campagne, le mausolée est bien isolé. On a voulu les détruire ces rem-
parts, les vendre par l'entremise des Domaines, ou plutôt vendre leurs
■matériaux. C'était en 1884, et il en était question depuis une vingtaine
d'années. Heureusement, on a renoncé à ce projet devant les protestations
^u'il a soulevées. Ils ont été déclarés monument historique, et confiés
pour leur conservation, sinon pour les réparations, à la municipalité de la
commune. Le plan actuel de Brouage, ville, havre et port (deux planches
dont une ici reproduite), se trouve dans la notice de M. Crahay de Fran-
chimont {Ports maritimes de France, VI, I880). Les remparts ont un
■contour hexagonal très ouvert, formant presque un carré de 400 mètres
de côté; ils sont flanqués de sept bastions, dont les principaux ont à leur
angle saillant de petites tourelles suspendues en encorbellement, polygo-
nales et élégantes. Les rues, larges et tirées au cordeau, se coupent à angle
•droit. Il en est deux, situées dans la partie médiane, qui sont dirigées
parallèlement selon l'axe de la ville du sud 17° ouest au nord 17° est. Les
rues transversales, de même longueur, sont au nombre de huit. On compte
aine vingtaine d'îlettes, y compris l'église et en dehors des magasins ei
casernes de l'État. La route départementale de Rochefort à Marennes
• emprunte l'une des deux rues longitudinales, en passant par des brèches
pratiquées dans le rempart à côté des portes nord et sud.
GO*
946 GÉOGRAPHIE
C'est dans le havre de Brouage, au nord de la ville, que se trouve
compris le port. Ce havre, à mi-distance des embouchures de la Charente
et de la Seudre, coule, à partir de l'écluse de Beaugeay, de l'est à l'ouest
un peu nord. Son cours, à peine sinueux, comprend, de cette écluse au
pont, sur lequel passe la route, 3.440 mètres, avec une profondeur
moyenne de 3™, 40 en vives eaux, et porte des navires de 60 tonneaux ;
en aval du pont jusqu'à la mer, son parcours est de 2.700 mètres, sa
profondeur moyenne de 3"',9o près de Brouage et de 5°^,!^ à son embou-
chure; les navires qu'il porte peuvent jauger 230 tonneaux; dans le platin
submersible, sa longueur est de 5.000 mètres et il y a vingt balises sur sa
rive droite. Ce havre reçoit plusieurs chenaux qui, depuis longtemps, sont
y/ifajtggr^Jb"
impropres à la navigation; le plus important est celui de Grand-Garçon,
abandonné vers 1875. A l'écluse de Beaugeay se trouvent deux branches
divergentes est et sud-est, se reliant avec le canal de la Charente à la
Seudre, dont la portion nord-est porte aussi les noms de canal de Brouage
ou de Saint-Agnant; la branche sud-est se continue dans cette direction
avec le canal de Broue, parallèlement au vieux havre, bras de mer atterri,
de Brouage. Le port actuel proprement dit ne date que de 1842 ; il occupe
un peu plus que la largeur de la ville, vis-à-vis le côté nord, à une dis-
tance d'environ 150 mètres, avec chaussée empierrée, embarcadère sur la
rive gauche, appontement, terre-plein et passerelles nombreuses sur les
divers chenaux.
C'est à ce port très médiocre que s'est réduit celui qui, au xvi^ siècle,
était un des plus célèbres de l'Europe. Mais alors le havre était large et
C. DELAVAUD. — UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 947
profond et les salines étaient nombreuses et prospères. Celles-ci, qui sont
mentionnées dès le vii^ siècle, se développèrent durant près de dix siècles
encore avant d'entrer dans une période de décadence. Dès les viii« et ix« siè-
cles, il se faisait une immense exportation de sel des marais de Brouage.
Telle était, dès le xii« siècle, la quantité de bâtiments étrangers que le
commerce des sels attirait en ce point, que l'ancien historien de Rochefort,
le P. Théodore, attribue la fondation de la ville de Brouage à l'affer-
missement de cette portion du marais, par suite de leurs délestages. Dans
le xv% Charles Le Bouvier, héraut de Charles VU, parle de ce commerce
comme enrichissant moult fort le pays ; selon une lettre de L. de la Tré-
moille à Charles VIII, il apparut, en 1488, aux Sables -d'Olonne, jus-
qu'à 80 à 100 navires qui allaient chercher des sels à Brouage et île de
Bé. Dès 1493, ce roi forma le projet d'entretenir quelques vaisseaux dans
le havre de Brouage, projet utile pour la protection de la côte depuis la
Bretagne jusqu'à l'Adour, mais qui échoua par les remontrances des
Rochelais, pour des raisons commerciales.
Brouage tire son nom (chemin de Broue, d'après Lesson) du voisinage
de Broue, où se rendait l'ancien havre permettant des communications
faciles entre ces deux localités. Quant au nom de Broue, il serait cel-
tique, signifiant bom. Il est fait mention, dès 1047, de Broue « comme
forteresse du gouvernement de l'île de Marennes et Hiers ». La tradition
assure que c'était une ancienne ville et que ce sont les Anglais qui,
iors de leur domination dans la Saintonge, ont ajouté la tour au château
([ui existait déjà. Brouage, à son origine, n'était sans doute qu'un hameau
(ju une ferme sur le bord du chenal où remontaient les bâtiments de la
ineret bien au delà. Le commerce attira dans ce lieu un certain nombre
d'habitants. Le terrain appartenant aux comtes de Marennes de la mai-
son "de Pons, un des membres de cette famille, Jacques de Pons, baron
de Mirambeau, voulut agrandir le village, l'assujettir à un plan régulier,
et donna à ce qui fut plutôt une notable impulsion qu'une véritable
fondation une date précise (1550 à 1535) et un nouveau nom, celui de
Jacopolis, qui ne prévalut pas sur l'ancien. INous venons de parler de
l'affermissement du sol marécageux en cet endroit par les délestages. En
effet, ces dépôts sont importants et composés de cailloux et pierres d'es-
pèces aussi variées qu'étrangères à ce pays (Le Terme). La population
s'accrut rapidement, le port fut très fréquenté pendant les xvi^ et xvii« siècles
par les marins qui y venaient charger le sel : on y entend parler toutes
les langues, écrivait Nicolas Alain en 1593, et ces langues étaient fami-
lières aux habitants; on y faisait des armements pour le Brésil et le
Canada. C'est, disait La Popelinière dès 1572, le port le plus assuré et
le plus commode qui soit en Europe. Montluc, Belleforét en parlent dans
le même sens.
948 GÉOGRAPHIE
A sa prospérité commerciale, Brouage ajouta, ou plutôt fit succéder
une importance militaire considérable. Malheureusement, il s'agit ici des
guerres civiles de religion. Sous le règne de Charles IX, on résolut de
fortifier Brouage et de le mettre hors d'insulte. Plusieurs ingénieurs
italiens présidèrent aux travaux. On traça la ville et on l'entoura d'un
grand fossé formant un carré long, puis on éleva des remparts, qui dans
la suite furent augmentés de quatre bastions ; une partie des ouvrages
fut construit de pierres dures. Puy taillé en ayant reçu le gouvernement,
ne put conserver la place, qui fut prise peu après par les calvinistes que
commandait le duc de La Rochefoucauld (lo70). Cette môme année, elle
passa successivement aux catholiques, Puy taillé et Ant. de Pons l'ayant
reprise, puis aux protestants sous les ordres de Pontivy, à qui Jeanne
d'Albret avait confié le commandement. Le gouverneur Coconas, succes-
seur de Puytaillé, qui était mort, fut obligé de capituler. Mais, en 1577,
Mayenne, général de la Ligue, s'en empara et y laissa une forte garnison.
Henri III, en 1578, l'acquit de François de Pons, à qui il donna en échange
Mortagne ; sa possession fut d'autant plus utile à la couronne qu'il y avait
dans la région un grand nombre de protestants. En 158o, le prince de
Condé, avec l'aide de d'Aubigné, vint faire le siège de Brouage, qui sut
résister, grâce à l'énergie de son gouverneur, François d'Espinay-Saint-
Luc, dit le bî^ave Saint-Luc. Mais celui-ci ne put empêcher, en 1586, les
Rochelais de combler le port, en coulant vingt bâtiments chargés de pierres
à l'entrée du havre, par l'ordre de Condé. En 1587, un siège d'amirauté
et un siège royal y furent établis. En 1597, nouvelle attaque contre sa
prospérité de la part des protestants, dont l'assemblée réunie à la Rochelle
demanda, mais en vain, le démantèlement de la ville de Brouage. Sous
les règnes d'Henri IV et de Louis XIII et sous le gouvernement de Mazarin,
ce fut encore un de nos ports de commerce principaux, et l'on y fit la
plupart des armements pour le Canada. En 16!2l, la guerre civile ayant
recommencé, les Rochelais voulurent renouveler leur tentative de com-
blement du chenal, qui était en partie désobstrué, mais cette fois ils n'y
purent réussir, le gouverneur, Timoléon Saint-Luc, fils de François,
ayant pris ses mesures pour les repousser. Après la prise de la Rochelle,
Richelieu se fit nommer gouverneur de Brouage (1629), et fit élever par
l'ingénieur d'Argencourt (1630-1640) les remparts de l'enceinte actuelle,
sur lesquels on voit encore ses armes sculptées. D'ailleurs, le système de
la fortification ne fut complété que quelques années plus tard, pendant
les troubles de la Fronde, par le comte du Daugnion. Celui-ci, vice-ami-
ral du Ponant et gouverneur de Brouage, révolté contre l'autorité royale,
en fit le centre de ses opérations militaires et de ses expéditions mari-
times (1649-1653). En 1652, eut lieu un combat naval en face de Brouage,
où la flotte française l'emporta sur la flotte espagnole. Du Daugnion se ren-
C. DELAVAUD. — UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 949
dit assez redoutable pour que Mazarin achetât sa soumission d'une grosse
somme d'argent et du bâton de maréchal, en même temps qu'il prenait
pour lui-même le gouvernement de Brouage. Il y installa comme intendant
de la marine Colbert du Terron (IGoo). En 1638, il exila en Aunis sa nièce
Marie Mancini, qui choisit le séjour de Brouage, forteresse triste et soli-
taire, dit-elle, mais conforme à sa tristesse.
Colbert pensa d'abord à Brouage quand il voulut établir dans la région
un grand port militaire ; la crainte de l'envasement du chenal l'en dé-
tourna ; on sait que Rochefort ne fut choisi définitivement qu'après
maints autres projets (I660). On cura.inutilement, en 1687, 171o et 1716,
le port de Brouage ; le chenal se combla de plus en plus par les atter-
rissements, d'autant que l'on cessa d'entretenir les chenaux secondaires
à mesure que la concurrence des autres marais salants de France devenait
plus grande. La décadence de la saline avait commencé dès les guerres
civiles du xvi*' siècle, qui troublaient les transactions commerciales.
Déjà l'insalubrité se fît sentir, et la dépopulation devint marquée. On y
fit encore cependant quelques armements dans le cours du xvii*^ siècle et
on y laissa un gouverneur particulier, bien qu'on eût rasé en 1688 tous
les dehors de la place. Les protestants de Brouage se convertirent après
une longue résistance lors de la révocation de l'édit de Nantes. En 1702,
le siège d'amirauté et le bureau des fermes furent transférés à Marennes.
La décadence de Brouage fut surtout rapide durant ce xviii^ siècle, la
ville se dépeuplait, par suite de l'atterrissement et des circonstances poli-
tiques, rendant son port moins propre au commerce et moins utile pour
les opérations militaires. En même temps, le pays devenait insalubre
par les miasmes des marais salants abandonnés, et la fièvre faisait mou-
rir et chassait ses habitants. En 1793, on emprisonna dans Broruage plu-
sieurs centaines de victimes de la Révolution, suspects et prêtres non
assermentés, qui, pour la plupart, y succombèrent.
Des tentatives de dessèchement eurent lieu dès 1635, mais surtout en
1782, sous l'intendant de Reverseaux, époque à laquelle fut commencé
le canal de Brouage, artère centrale de dérivation. Elles furent continuées
à partir de I8O0, sous l'Empire et la Restauration, par l'ingénieur
Masquelez. Le sous-préfet de Marennes, Le Terme, fit paraître, en 1818,
d'utiles règlements et provoqua des syndicats. Le pays s'est grandement
assaini. JNéanmoins la population n'augmente pas, peut être y a-t-il lieu
de se féliciter qu'au moins elle soit stationnaire. Son ancienne industrie
a disparu à peu près : les 8.000 hectares de marais salants qui existaient
au xvi^ siècle sont réduits à oOO à peine. Une industrie, d'ailleurs peu éten-
due ici, c'est la culture des moules sur les pieux des bouchots, dans les
chenaux, dont ils gênent la navigation, mais que l'on tolère, et qui repré-
sentent, pour une récolte annuelle de 1.27o.000 kilogrammes, un revenu
9S0 GÉOGRAPHIE
de 115.000 francs. On cultive aussi les huîtres portugaises. Il y a une
vingtaine de marins inscrits. Le mouvement commercial du port est
presque nul. C'est ainsi que le nombre de tonnes de jauge a été, en 1867,
de 4.800 pour l'entrée et de 4.860 pour la sortie, et, en 1876, de 4.062
pour l'entrée, de 4. 293 pour la sortie. — Sans doute, on se livre à l'élève
des chevaux et des bœufs dans les prairies, mais les propriétaires ne
résident point à Brouage, ils se contentent d'envoyer dans le marais des
gardiens de bestiaux, et l'endroit n'en tire guère de protit, la population
n'en est point accrue. Le lait, le beurre y sont de très bonne qualité; il n'y
a pas d'établissement de beurrerie.
Une visite de quelques heures dans une localité, quelque peu étendue
qu'elle soit, ne peut que laisser des regrets d'avoir omis beaucoup de
points intéressants et nous engager à ouvrir un chapitre des desiderata.
Toutefois nous avons eu la bonne fortune d'être accompagné dans Brouage
par un homme érudit d'une obligeance parfaite, M. Antoine (Clément),
instituteur et secrétaire de la mairie de Hiers, habitant le pays depuis
dix-sept ans. Nous voici bientôt dans cette ville déserte, où nous entrons
par une brèche, près de la porte sud, le tout offrant l'aspect de ruines,
les pierres du rempart entaillé ont été rejetées et sont amoncelées sans
ordre. A droite, une petite place herbeuse avec des arbres, à gauche, des
magasins, une poudrière, dite de Saint-Luc, qui vont disparaître, ayant
été vendus. On suit la rue principale, l'unique rue habitée, c'est la route,
peu fréquentée depuis l'ouverture de la ligne du Chapus et la suppression
de la poudrière; nous y avons vu passer une charrette et... une bicyclette!
C'était la seule route (il y a toujours un service de voitures) que l'on
suivait auparavant pour les relations de l'île d'Oléron avec Rochefort.
Les poudres de guerre des magasins de Brouage ne se transportaient
que par cette communication, lorsqu'elles étaient destinées pour le nord
de la France ; elle servait aussi au transport d'une partie des sels récoltés
dans les vastes salines de l'arrondissement de Marennes. Les maisons qui
bordent cette rue n'offrent rien de particulier dans leur architecture : il
ne faut pas oublier que cette ville morte est une ville moderne. Elles sont
peu élf^vées et à un seul étage. A notre droite, voici l'église; elle est dédiée
à saint Pierre et dans le style du xvi^ siècle, elle n'a rien de remarquable ;
au-dessus du portail, un fronton brisé et orné de trois écussons, en des-
sous duquel on lit le millésime de 1608. Elle est assez spacieuse et
pauvre, non entretenue, délabrée, les fidèles y sont rares, une population
dix fois plus nombreuse y serait à l'aise. Dans des fouilles faites à cette
église en 183o, on a trouvé plusieurs tombeaux assez curieux, et qui sont
bien conservés. Les dalles se trouvent disposées sur le pavé et dans l'allée
principale, ainsi que sur les côtés. Nous pouvons lire l'inscription du
tombeau du marquis de Carnavalet, gouverneur des villes et pays de
C. DELAVAIT». — UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 951
Brouage, l'espace de dix-huit ans, et qui y est mort le 10 septembre 1686,
âgé de soixante-cinq ans. Ces tombes sont toutes vertes de moisissure,
et il faudrait les frotter longtemps avec précaution pour lire ce qui s'y
trouve. C'est ce qui a lieu pour un deuxième tombeau dont nous n'avons
pu déchiffrer l'épitaplie, fort curieuse :« Ci-gît Joseph de Gay..., ancien
lieutenant-colonel du régiment de Noailles-infanterie, lieutenant... de la
ville et gouvernement de Brouage, a servi le roy... pendant près de
quatre-vingts ans et est mort le 17 septembre 1762, âgé de environ
cent ans... » Il en est un troisième. Nous renvoyons pour ces détails, entre
autres ouvrages, à la statistique de la Charente-Inférieure, par Gautier
(1839). On avait découvert aussi, dans les combles, un autel des marins
et un autre de la Vierge, où sont déposés quelques restes d'ex-voto des
marins. Le clocher et l'horloge, d'après Le Terme, avaient été réparés
vers 1823. En sortant, nous remarquons, au-dessus et à l'intérieur du
portail, un beau bouquet de fleurs artificielles encore frais : c'est une
couronne que les membres du congrès de géographie à Rochefort ont
déposée, en 1891, sur le monument de Champlain. Il est placé devant
l'église, et consiste modestement en une petite colonne élevée en 1878 par
le conseil général du département à la mémoire du fondateur de Québec
{1608). On y a ajouté : Relation de voyage, 1632; mort en 1635. Ce
monument moderne est surmonté d'une sphère, bien préférable ici à un
buste fantaisiste, car on ignore même la date précise de la naissance de
Samuel Champlain, vers 1570, et l'on a mis en doute son lieu de nais-
sance. En tout cas, où était et qu'est devenue la maison qu'il a habitée
à Brouage ?
Une douzaine d'enfants jouaient sur une petite place plantée d'arbres
devant l'église. Ils paraissent bien portants. Jadis les enfants avaient le
foie hypertrophié, le ventre proéminent, le lourtâ ; il n'en est plus de
même aujourd'hui, l'état sanitaire s'est bien amélioré depuis une tren-
taine d'années, comme me l'a assuré mon ami et ancien collègue de la
marine, le docteur Battandier, de Marennes. Telle est aussi l'opinion de
M. Antoine et des personnes avec qui nous nous sommes entretenus à
Brouage, notamment un pêcheur d'une cinquantaine d'années, au teint
vigoureux, à la barbe bien fournie. L'aubergiste chez qui nous nous
sommes reposés ('non loin de l'auberge est un débit de tabac) nous a dit
qu'il existait dans l'endroit une femme de quatre-vingt-huit ans, et plus de
vingt vieillards ayant dépassé soixante-dix ans et dont la plupart y sont
nés. Je ne possède pas encore les chiffres de la statistique relativement à
la natalité et à la mortalité, et que j'ai demandés à la mairie d'Hiers.
De 1817 à 1832, la population moyenne des seize années étant 68o, le
rapport des décès avec la population était 1 sur 17, et celui des naissances
1 sur 20, les décès dans la première année sur 100 naissances, 41. Le
952 GÉOGRAPHIE
canton tout entier de Saint-Agnant présentait un contraste frappant avec
celui de la Tremblade où la mortalité était moitié moindre. Remarquons
que les miasmes se localisent et qu'il faut, en outre, établir une distinc-
tion entre Brouage et Hiers. Ayant demandé dans cette dernière localité à
un habitant s'il avait la fièvre, il me fît une réponse positive, contre mon-
attente; lui et sa femme en étaient atteints, cependant leur fille parais-
sait forte et jouissant de belles couleurs et elle était plus développée que-
son âge, quatorze ans, ne le comportait. Ces gens, à vrai dire, habitaient
sur la lisière du marais. On prétend ici qu'il n'y a jamais d'épidémies, et
l'on a en vue le choléra. Peut-être ne doit-on pas trop se lier à cet anta-
gonisme des fièvres palustres. A une certaine époque, le marais de Niort
a été ravagé par l'épidémie cholérique. En 1652, une grande épidémie
dévasta toute la contrée, notamment Niort et Brouage.
A côté de l'église se trouve une fontaine, ou plutôt une pompe, installée
récemment; ce n'est qu'un puits comme les autres, dont l'eau, dit-on,
est meilleure, c'est-à-dire moins mauvaise. L'eau de Brouage, en effet,
a une saveur fade que savent discerner les personnes qui ne boivent
que de l'eau. Elle provient d'une profondeur de trois mètres seulement,
des alluvions, non des roches. J'en ai remis un échantillon à M. Lapey-
rêre, pharmacien principal et professeur à l'hôpital de Rochefort, qui
n'a pu encore faire qu'un premier essai, vu la quantité insuffisante pour
une analyse complète. Le degré hydrotimétrique a été 44", il y a des car-
bonates et sulfates de chaux et de magnésie; on a trouvé, pour un litre,
0,347 de chlorure de sodium et 0,03 de matières organiques. Ce serait
une eau à peine potable. Pour celle du grès vert de Hiers, le même chi-
miste a trouvé un degré hydrotimétrique moindre, mais fort élevé encore,
38°. Ces analyses seront reprises dans de meilleures conditions, notamment
au point de vue de la nature des matières organiques, des microbes. Jadis,
les eaux d'Hiers étaient amenées à ia forteresse, aisément d'ailleurs en
raison de la différence de niveau, par des aqueducs, qui furent enlevés
du temps de l'Empire. « Les dalles mêmes, disait Le Terme, en 1826, qui
servaient à recevoir et à diriger les eaux pluviales dans les citernes
ont eu le même sort, de sorte que, dans l'été, cette localité est absolu-
ment privée d'eau potable. »
A l'extrémité de la rue, où ne se trouve, sauf le bureau de tabac,
aucune boutique de marchand, est pratiquée une seconde brèche dans
le rempart, à gauche de la porte nord, pour donner passage à la route.
Nous y passons, afin de visiter la partie extérieure des remparts. Des
crampons de fer destinés à relier les pierres de taille dont ils sont bâtis
ont causé leur ruine par leur oxydation, concurremment avec le sal-
pêtre; des éclats s'en détachent, que nous recueillons. Ces pierres pro-
viennent, ainsi que la plupart de celles qui ont servi à bâtir la ville, des
C, DELAVAUD. — UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE MORTE 953
anciennes carrières de Sainl-Sornin, terrain crétacé, étage cénomanien.
Les remparts, hauts de quarante pieds, sont vraiment imposants, remar-
quables par leur épaisseur et leur solidité. On y voit les armes de Riche-
lieu, que traverse une ancre de marine. En divers points, ils tombent
en ruines. Près du bastion royal se trouve la porte du côté de Rochefort :
c'est par les portes que la route passait il y a une trentaine d'années,
avant qu'on eût ouvert les tranchées. Celle-ci, dont le fronton, avec écus-
son, a de l'élégance, est basse, massive et profonde ; nous ne comptons
pas moins de vingt-cinq pas en la traversant pour rentrer de nouveau en
ville. J'ai omis de m'inlormer des fameux anneaux auxquels on amarrait
les navires, preuve, a-t-on dit, que la mer venait battre ces murailles. La
mer s'était déjà retirée à l'époque de leur construction, comme pour les
anneaux d'Aigues-Mortes . C'est le chenal, ce sont les fossés qui se sont
comblés en partie. La rue qui longe les remparts à l'ouest de la porte
s'appelait la rue des Orfèvres ; elle n'avait de maisons que d'un seul
côté ; il n'en reste plus que la partie inférieure des murs de façade,
servant de clôture à des jardins. Ces murs montrent des portes larges
et cintrées bouchées par des pierres sèches. Nous entrons dans le jardin
du- commandant de place, près des ruines de l'ancien gouvernement, et
qui a été vendu à un particulier. Au fond se voit l'ouverture bouchée
d'une excavation oii les prêtres emprisonnés en l'OS disaient clandesti-
nement la messe; ils avaient orné leur chapelle de coquillages : nous
recueillons tout auprès une de ces reliques .
954 GÉOGRAPHIE
' Les remparts, sur lesquels nous gravissons, sont plantés d'ormeaux
séculaires. Du côté où nous sommes, exposé en plein aux vents de la
mer, ils sont penchés, la cime et le tronc, dans le sens opposé. Jl n'en
est pas de même pour ceux qui, situés ailleurs, sont plus ou moins
abrités. En voyant ces beaux arbres, on songe que c'est dans les plan-
tations que doit être l'avenir de ce pays. Le Terme insistait avec raison
sur les plantations d'arbres. Un marais boisé a acquis à la fois salubrité
et prospérité. Cependant, du haut de ces remparts, nous n'apercevons
qu'une plaine nue aussi loin que la vue peut s'étendre, et, en atten-
dant, cette même végétation exerce, en disjoignant leurs pierres cimen-
tées, une action destructive. Des souches énormes les pénètrent ; la com-
mune, qui n'a pas les moyens de réparer ce monument historique dont
elle a la garde, se contente d'en faire couper les branches pour ses pauvres.
Après avoir examiné à l'intérieur les élégantes tourelles des bastions
et jeté un coup d'œil sur les canaux et sur le havre, nous visitons un
grand égout, qui déversait en dehors les eaux des déjections de la ville;
il a cinq mètres de large.
La rue transversale où nous descendons ensuite est à peu près inha-
bitée, et les anciennes maisons, sauf leur mur antérieur, sont remplacées
par des jardins potagers et fruitiers, qui ne paraissent pas bien régu-
liers, et par des enclos mal fermés où paissent des moutons. L'herbe
croît sans obstacle, avec des mauves, des chardons, de l'absinthe. Au
dessus d'une ancienne porte, cintrée et en pierres de taille, nous lisons
en lettres gravées : « A la croix de Malte. Ici, bon vin. » 11 existe de
semblables inscriptions au-dessus d'autres portes, mais le plus souvent
illisibles.
En suivant cette rue transversale, nous allons voir les poudrières, situées
en face, tout en côtoyant des enclos abandonnés aux arbustes qui les ont
envahis. Les Domaines ont vendu ces poudrières, de même que celle de
Saint-Luc, déjà mentionnée, à l'angle sud-ouest, et aussi les ruines du
couvent des Récollets de Brouage, qui date de 1(311, le bastion ouest, la
maison du commandant et sept parcelles de terre, aux enchères publiques,
en janvier 1890. Les prix ont été nécessairement très modiques. Quel
particulier aurait le courage de venir chercher ici un séjour d'agrément,
même en l'embellissant ! Cette pensée seule donne le frisson. Il y a
pourtant de belles bâtisses et de vastes enceintes, entourées de murs
solides, toutes les constructions en pierres de taille. La petite poudrière,
surmontée de deux paratonnerres et à côté un corps de garde, ont été
achetés, avec un jardin, pour la somme de 300 francs. On a payé envi-
ron 7.000 francs la grande poudrière, immense bâtiment dans une
double enceinte, protégé par quatre paratonnerres. Ces locaux sont remar-
quables par leur état de sécheresse, permettant une bonne conservation
C. DELAVAID. — UNE VISITE A BROUAGE, LA VILLE iMOUTE 955
de la poudre. Il y a une vingtaine d'années, il s'en trouvait encore une
grande quantité ainsi que de cartouches. C'est par suite de la suppres-
sion de la poudrière de Saint- Jean-d'Angély que ce bâtiment est devenu
un dépôt de poudres, c'était auparavant un magasin aux vivres. Il pou-
vait contenir plus d'un million de kilogrammes de poudre. Son absence
d'humidité, dans un terrain aussi marécageux, ne peut être attribuée
qu'aux dépôts de délestage sur lesquels la ville est bâtie.
A côté, nous entrons dans une casemate, remarquable aussi par sa
solidité, et nous visitons aussi quelques poternes. Toutes ces fortifica-
tions sont vraiment formidables pour l'époque.
Nous quittons la nécropole où dort à l'aise le pauvre village. De retour
à Hiers, nous avons remarqué, sur la façade d'une maison, un bas-relief
sculpté représentant sur une mer agitée un trois-mâts toutes voiles dé-
ployées. A gauche et plus haut, du côté de la proue, un bras et une
main tenant un drapeau, vers lequel vogue le navire, et au-dessous les
initiales H B et I G. Sans doute un fait moderne, soit un ex-voto, soit
mieux une action héroïque, ou simplement un emblème.
M. Antoine nous montra, à la mairie, le registre (de Brouage) conte-
nant l'acte de baptême où furent parrain et marraine Charles Colbert
du Terron et Marie Mancini. La signature « Marie de Mancini » est
formée d'une écriture longue et droite, très lisible. Elle avait alors vingt
ans. Nous avons vu aussi la maison qu'elle habita, dit-on, dans ce bourg,
maison fort ordinaire, qui ne se distingue que par deux longues gar-
gouilles hexagones à chaque angle et, au-dessus de la porte cintrée, par
une sculpture en relief représentant les armes de la dame : un canon sur
son affût, au-dessus deux MM (une devise !), au-dessous le millésime
de sa naissance, 1639.
La nouvelle église d'Hiers ne date que de 1862.
L'avenir de Brouage, sans rivières ni ruisseaux, est nul, du moment
que la mer lui fait défaut. Quant à l'avenir du pays brouageais, il est
certain, et se trouvera dans le boisement et dans l'agriculture ; seule-
ment il est lointain, à moins que la main de l'homme ne le rapproche.
956 GÉOGRAPHIE
M. L. DEAPEYEOI
Directeur de la Revue de Géographie,
Secrétaire gi^néral de la Société de Topographie de France, à Paris.
CALCUL CHRONOLOGIQUE ET GEOGRAPHIQUE DES PERIODES DE L'HISTOIRE DE RUSSIE
(862-1892)
— Séanrc du 20 sepleinhre 1892 —
Avant 862, c'est-à-dire avant les Yarègues et leur chef Rurik, il ne
peut être question de la Russie ni des Russes.
Certes, les Slaves, auxquels les Russes se réfèrent, avaient déjà joué un
certain rôle dans l'histoire générale de l'Europe barbare. Peut-être faut-il
les assimiler à ces Sarmates{l) (parmi lesquels figuraient les Roxolans),
dont il est souvent question dans les auteurs contemporains de l'Empire
romain.
On connaît la chanson militaire du milieu du ni« siècle où apparaît pour
la première fois, le nom des Francs, associé à celui des Sarmates :
Mille Franros, mille Sarmatas semel occidimiis;
Mille, mille, mille Persas pelimus.
Ce n'est que cinq cents ans plus tard que les Slaves, demeurés si long-
temps les souffre-douleur des Germains et encore plus des Mongols, d'oii
l'acception usuelle du mot esclaves, conduits à coups de fouet, par Attila,
jusque sous les murs d'Orléans, repoussés avec lui, pour leur plus grand
bien, à la journée des Champs Catalauniques, formèrent un État, le premier
État slave que l'on connaisse, celui des Wendes, dans les Alpes Carniques,
qui eut pour roi, par voie d'élection, le Franc Samo, et dont notre
Dagobert ne put triompher, par suite de la débandade préméditée de
ses troupes austrasiennes. Presque au même moment, l'empereur byzantin
Héraclius appelait, sur la rive droite ou méridionale du Danube, avec mission
de la défendre contre les Mongols, deux peuples slaves, aussitôt convertis
au christianisme, les Serbes et les Croates ; ils avaient été depuis longtemps
(1) Pour nous, les Sarmates étaient des Slaves et les Scythes des Mongols.
L. DRAPEYRON. — CALCUL DES PÉRIODES DE l'iIISTÛIKE DE RUSSIE 957
précédés dans le diocèse d'Illyrie par les Slovaques, leurs congénères.
Après eux, les Bulgares, population finnoise venue du Volga, comme le
témoigne leur nom, franchirent à leur tour, mais en ennemis, le Da-
nube. Convertis et civilisés, après de longues luttes, ils sont aujourd'hui,
pour la langue, assimilés aux Slaves. Serbes, Bulgares et surtout Slo-
vaques, divisés moins par leurs dialectes que par leurs aspirations, con-
stituent la grande majorité des habitants de la Macédoine actuelle. La
puissance des Serbes et des Bulgares a été parfois grande au moyen âge :
les premiers, parmi les Slaves, ils eurent, à l'instar de Byzance, des tsars
(Césars) ou empereurs. Il y eut un instant où presque toute la péninsule
des Balkans, y compris la Grèce, put être considérée comme slavisée.
C'est actuellemeni dans l'eyalet de Salonique, dans cette Macédoine que
nous venons de nommer, que peut être tracée la courbe limitative de
l'élément ethnographique slave.
Les invasions germaniques avaient eu pour conséquence de permettre
aux Slaves de s'étendre à l'est jusqu'à l'Elbe et jusqu'à la March. C'est
sur les bords de la March que se fixèrent les Moraves, convertis, sous l'action
de Constantinople et de l'Athos, par les soins de saint Cyrille et de saint
Méthode. Dans la Bohème, demeure tour à tour des Celtes Boiens et des
Germains Marcomans, prépondérèrent les Tchèques, et aux abords de
la Bohème, les Lusaciens et les Silésiens, autres populations slaves
englobées ultérieurement dans les biens de la couronne de saint Wen-
ceslas, mais qui ont fini par être germanisées, de même que les Obotrites
du Mecklembourg, les Wiltzes de la Poméranie et les Prussiens eux-
mêmes. Plus à l'orient, les Leckhes furent la souche des Polonais : ils
apparaissent à la lumière historique peu d'années avant les Russes.
On remarquera que, parmi tous ces peuples slaves, méthodiquement
énumérés, les uns durent leur conversion à Rome et à ses papes, les
autres à Constantinople et à ses autocrates. De là l'antithèse caractéris-
tique, religieuse et politique, des Russes et des Polonais.
- Qu'est-ce donc que les Russes? L'excédent des Slaves désignés nominati-
vement plus haut, restés, si j'ose dire, sans emploi et inorganiques, aux
avant-postes de l'Europe chrétienne. Ils embrassaient, du sud au nord,
une bande très longue et très étroite, enroulée autour du trentième degré
de longitude est. On était loin alors, on le voit, de cette immense Russie
d'Europe actuelle, qui se prolonge au delà du cinquante-cinquième degré.
Ce sont ces Slaves, restés presque à l'état sauvage, qui se trouvèrent à
la disposition des Varègues ou conquérants northmans, apparentés aux
rois de mer qui allaient se fixer dans notre Normandie, et aspirant eux-
mêmes à devenir les rois des grands fleuves de l'Europe orientale.
Leur but immédiat était de faire, à travers le vaste continent, si accessible
à leurs barques, grâce aux cours d'eau interposés, une percée jusqu'à
9S8 GÉOGRAPHIE
Constantinople, tsaregrad. Cette percée, ils l'accomplirent méthodiquement.
En 862, ils étaient à Novogorod la Grande sur le Wolkoff (versant de
la mer Baltique) ; en 879, ils étaient à Kiev, sur le Dnieper (versant de la
mer Noire). La cité de Constantin ne tarda pas à subir leurs attaques répé-
tées (depuis l'an 907) ; mais leur princesse Olga y vint bientôt recevoir
le baptême.
De Rurik à la mort de saint Wladimir, le premier « grand prince »
chrétien de Russie (862-1015), il s'est écoulé un siècle et demi. C'est avec
laroslav le Grand, venu immédiatement après, que, sous l'hégémonie de
Kiev, sa cité sainte, la Russie primitive se pourvut d'une législation; elle
entra dans le concert dynastique chrétien, se rattachant ainsi à l'Empire
grec, au saint Empire romain-germanique, et même à la France, l'aîné des
royaumes chrétiens (1) . Dans le moine Nestor, auteur d'une célèbre chro-
nique, elle eut son Grégoire de Tours. Cette période kiévienne, toute
byzantine, se prolongea elle-même cent cinquante ans. Elle se termina par
la ruine de Kiev (1169).
Cette disparition ou plutôt cette déchéance politique de Kiev amena le
fractionnement de l'État russe en petites principautés, circonstance très
favorable aux invasions mongoles sous Gengis-Khan et ses fils. Les Mongols
opérèrent au midi un mouvement tournant, dont le but évident était
l'occupation des fameuses « terres noires », tchernozième. Il en résulta un
effet imprévu, qui décida des grandes destinées de la Russie, du moins en
ce qui concerne son développement dans l'espace : les petits Russes, déjà
nombreux, mais très tassés, durent, limités qu'ils étaient du côté de
l'occident et de l'Europe, se projeter vers l'orient, et par conséquent vers
l'Asie (2), englobant, après Wladimir, Nijni-Novogorod, Kazan, Permet pre-
nant, comme on le voit, en écharpe, la Russie actuelle. Coupés de la mer
Noire, c'est-à-dire du sud, les grands Russes, postérité, quelque peu mêlée,
des petits Russes, gagnaient ainsi, par étapes successives, la mer Blanche,
c'est-à-dire le nord.
Après une nouvelle période d'un peu moins d'un siècle et demi (1169-
1303), Moscou, située par trente-cinq degrés longitude est, apparut comme
le réduit à la fois de l'expansion ethnographique et de la défense natio-
nale : aussi fut-elle élevée à la dignité de capitale. Elle compta parmi ses
héros nationaux, après Alexandre Newski, contemporain de saint Louis,
(1) Anne, l'une des filles d'Iaroslav, épousa notre roi Henri \" et fut la mère de Philippe l"'.
(2) Au premier Congrès italien de géographie, tenu à Gênes en septembre 1892, M. de Séménoff,
sénateur de l'empire de Russie, président de la Société impériale de géographie de Saint-Péters-
bourg, a traité cette importante question. « Au moyen âge, dit M. Levasseur, de l'Institut, dans le
compte rendu de ce Congrès, le Tanais (Don) était la limite que les géographes assignaient d'ordi-
naire à l'Europe; ils avaient raison, car à l'Orient il n'y avait plus que des hordes asiatiques. Ce
sont les Russes qui les ont refoulées, qui ont laijouré le sol et aujourd'hui les trente millions
d'habitants qui peuplent le pays entre ce fleuve et la Caspienne doivent être considérés, aussi bien
que les colons d'Amérique, comme un résultat de l'expansion de la race européenne dans les temps
modernes.
L. DRAPEYRON. — CALCUL DES PÉRIODES DE l'hISTOIRE DE RUSSIE 959
Dinitri Donskoï, contemporain de Charles V le Sage. Toujours menacés et
môme opprimés par la Horde d'Or, les Russes virent se prolonger, durant
une autre période d'un siècle et demi, cette situation, pleine à la fois de
périls et de promesses (1 303-1 4G2).
A cette dernière date apparaît Ivan III, le Grand, le « rassembleur de
la terre russe », contemporain de Louis XI. Il secoua la servitude mon-
gole. Au xvi^ siècle, la Russie chrétienne atteint Arkhangel sur la mer
Blanche; elle déborde sur l'Asie par la Sibérie. Ivan IV le Terrible prend
le titre de tsar (1547) ; il réunit des États généraux. Le servage fixa au
sol les paysans (chrestianin) restés jusqu'alors presque nomades comme les
Mongols (1598). Quand, après une longue anarchie, les Romanofï rempla-
cèrent la maison de Rurik, dont ils descendaient en ligne féminine, c'est
une autre période de cent cinquante ans qui prit fin. Le Volga était dé-
sormais le grand fleuve russe.
De lt313 à 1762, date de l'avènement des Holstein-Gottorp, actuelle-
ment régnants comme issus des Romanoff, il s'est écoulé un laps de temps
égal : cent cinquante ans. Le point culminant de cette époque est marqué
par l'action prodigieusement énergique et féconde de Pierre le Grand. On
assiste aux efforts de la Russie pour atteindre successivement toutes les
mers par lesquelles cette région confine à l'Europe et à l'Asie. Au milieu
de sa fameuse lutte contre la Suède, Pierre s'installa audacieusement à
Saint-Pétersbourg et à Cronstadt, en face de Stockholm ; c'est la question
de la Baltique qu'il tranchait héroïquement, malgré sa défaite de Aarva.
Il fut moins heureux en ce qui concerne la mer Noire, ayant dû, en
dépit de sa victoire de Pultava, — après sa déconvenue du Pruth, — aban-
donner Azov aux Ottomans, ces héritiers des Mongols dans la Russie
méridionale. Mais l'occupation de Derbent lui assura, avec la domination
de la Caspienne, une prise sur la Perse. Parmi tout cela, et sous l'action
de Pierre le Grand, on constate la germanisation militaire, administrative
et même dynastique de la Russie. Fixés à Saint-Pétersbourg, loin des
grands et des petits Russes, les tsars se germanisèrent en effet, avant de
s'européaniser d'une façon plus large. Mais, par Moscou, leur seconde
capitale, où ils furent toujours couronnés et qu'ils visitaient sans cesse,
ils gardaient le contact de la sainte Russie.
A la période ultérieure, la période en cours, qui ne compte encore que
cent trente ans révolus (17G2-1892), était réservée la participation de la
Russie à la politique et à la vie européenne. Tout d'abord, elle a conclu,
avec deux puissances européennes, la Prusse et l'Autriche, les partages
de la Pologne, sous le règne de Catherine IL Le même règne a réa-
lisé le desideratum de Pierre le Grand, rangé sous le sceptre russe tout le
versant septentrional de la mer Noire, fondé le grand arsenal maritime
de Sébastopol. La Russie a pris virtuellement part à la première coalition
960 • GÉOGRAPHIE
contre la France, effectivement à la seconde, pénétré jusqu'en Italie
avec Souvaroff ItalinsU, atteint Andrinople sous Nicolas P'', et les fau-
bourgs de Constantinople sous Alexandre II. Vaincue par la France à
Austerlitz et à Friedland, alliée à cette même puissance à Tilsitt et à
Erfurth, envahie par Napoléon jusqu'à Moscou, il lui a été donné d'atteindre
à son tour Paris. L'une des six grandes puissances européennes, mais la
première de toutes sur le continent, si l'on considère son étendue, sa
population, le nombre de soldats dont elle dispose, les circonstances ont
fait d'elle, au lieu d'un épouvantait comme naguère, le contrepoids de
cette énorme domination germanique édifiée sur les défaites successives du
Danemark, de l'Autriche et de la France, Puissance à la fois européenne
et asiatique, c'est en Europe qu'est concentrée la masse de sa population,
mais c'est du côté de l'Asie que se poursuivent son extension territo-
riale et son œuvre civilisatrice.
Sept périodes de cent cinquante ans chacune environ : voilà, peut-on
•dire, les grandes articulations de l'histoire de Russie, depuis ses origines
jusqu'à ce jour. La correspondance du temps et de l'espace, au cours de ces
périodes, apparaît nettement dans le tableau synoptique qui suit :
862-1019. — De Rurik à laroslav. Percée du nord au sud, faite, suivant le
30« degré longitude est, par les Northmans Yarègues, associés aux Russes.
1019-1109. — Dlaroslav à la ruine de Kiev. La petite Russie se convertit et se
police; elle se concentre autour de Kiev. Elle devient l'État slave ori/iorfoa;e
opposé à l'État slave catholique, ou Pologne.
1169-1303. — De la ruine de h'iev à Moscou capitale. La Russie, envahie par
les Mongols, se restreint au sud et à l'ouest ; elle se développe au centre et au
nord, tendant vers l'Oural et la mer Blanche. La grande Russie se prépare.
11^03-1462. — De Moscou capitale à l'avènement d'Ivan III. De leur observa-
toire et de leur forteresse centrale, Moscou, les grands princes luttent avec des
alternatives diverses, mais avec constance, contre la Horde d'Or.
1462-1613. — D'Ivan III aux Romanoff. Grande expansion territoriale dans
le sens indiqué plus haut. La Russie, harmonieusement distribuée sur le Volga,
en tient les grands affluents.
1613-1762. — Les Romanoff. Marche vers les quatre mers européennes et
asiatiques. Pierre le Grand.
1762-1892. — Les Holstein-Gottorp . Hégémonie slave et orthodoxe de la Russie.
Double aspect, européen et asiatique, de son action.
On sera certainement frappé de Visochronisme presque constant des
grandes « pulsations » de l'histoire russe. Faut-il l'attribuer à une loi de
l'évolution historique, loi régissant l'histoire de toutes les nations, parce
qu'elle résulte de la répartition naturelle et nécessaire entre des généra
tiens successives de questions inéluctables, d'une importance et d'une
-complexité à peu près égales, questions qui s'engendrent et s'entretiennent
les unes les autres?
ROUSSON ET WILLEMS. — LA TERRE DE FEU ET SES HABITANTS 961
Faut-il, dans le cas particulier de la Russie, l'imputer à l'homogénéité
topographique (1), sans analogue peut-être, de cette immense région,
presque indéfiniment extensible, dont le M. le général Tillo a fixé nette-
ment les traits dans une carte à bon droit très remarquée?
Ces deux explications, qui ne s'excluent pas, mais qui se corroborent
naturellement, doivent être, suivant nous, admises.
MM. EOÏÏSSOI et WILLEMS
Chargés de Missions scientifiques, à Paris.
LA TERRE DE FEU ET SES HABITANTS
— Séaiicz du 20 septembre I89i —
La Terre de Feu, cette grande île qui termine au sud l'Amérique, n'avait
été jusqu'ici explorée que dans quelques endroits où des navigateurs
comme Cook, Fitz-Roy, Dumont-d'Urville, etc., avaient atterri. Dans ces
dernières années, un navire français, la Romanche, envoyé pour observer le
passage de Vénus, aux environs du cap Horn, a fait de nombreuses et
intéressantes études dans les îles situées au sud de la Terre de Feu ; mais
aucune expédition ne s'était aventurée à l'intérieur de la grande île
fuégienne, sur laquelle on ne possédait que peu de renseignements. Selon
les uns, la Terre de Feu présentait des forêts impénétrables et était habitée
par une race d'Indiens très petits et rachitiques ; selon les autres, les
Indiens étaient d'une stature gigantesque. D'autres affirmaient qu'ils
n'avaient pas vu d'arbres, que le sol était stérile et dépourvu de toute
espèce de végétation, alors que certains voyageurs vantaient la fertilité des
terres et parlaient de l'aspect pittoresque des vallées et des montagnes.
Toutes ces versions, si contradictoires, formant une sorte d'affirmations
et de négations, nous ont obligés à conclure que la Terre de Feu présentait
un climat, une végétation et des habitants d'un caractère extrêmement
varié, selon l'endroit oîi l'on avait abordé.
(\) c'est à l'homogéûéité lopograpliique, non moins qu'à la tradition historique, qu'est due cette
institution culminante de la Russie, \e grand prince, devenu ensuite le tsar.
Gi
*
962 GÉOGRAPHIE
En 1890 et 1891, nous étions chargés d'une mission par M. le ministre de
l'Instruction publique et des Beaux-Arts, pour explorer la Terre de Feu, et
voici les observations que nous avons recueillies pendant notre expédition.
La grande île fuégienne est située par 71 degrés de longitude ouest et
34 degrés de latitude sud.
Elle est bornée : au nord et à l'ouest par le détroit de Magellan ; à l'est
par l'Océan Atlantique et au sud par le canal de Beagle.
Dans la partie nord de l'île, les principales baies sont : la baie Saint-
_._._. Itinéraire suivi par la
mission Rousson etWillems , 1890-91
EJKoffft/,St
Sébastien à l'est; les baies Lomas, Felippe et Gente Grande, au nord; et à
l'ouest, les baies Porvenir et Inutile. Dans la partie sud de l'île, les baies
Policarpe, Thétis, Bon-Succès, Yalentin, Aguirre, au sud-est, et les baies
d'Ushuaïa et Deniste-Baie au sud.
Trois grandes chaînes de montagnes se dirigent parallèlement de l'ouest
à l'est.
La première part du cap Bouqueron et vient mourir au cap Spiritu-
Santo. Elle atteint oOO mètres d'altitude; à droite et à gauche se détachent
de nombreuses ramifications.
La seconde chaîne, dont le Pic Nose est le point de départ, s'étend entre
la pointe sud de la baie Saint-Sébastien et le cap Penas.
ROUSSON ET WILLEMS. — LA TERRE DE FEU ET SES HABITANTS ^3
La troisième chaîne couirnence à la presqu'île Brecknock et se termine
au cap San-Diego. Deux monts très élevés se distinguent, ce sont : le
mont Darwin, qui a plus de 1.800 mètres d'altitude, et le mont Sar-
miento, qui atteint 2,073 mètres, sur lesquels séjournent les neiges
éternelles.
Entre les chaînes de montagnes, il existe d'immenses plaines, sur
lesquelles se trouvent de grands lacs d'où sortent de petites rivières. Mais
plusieurs d'entre elles se tarissent en été et nous n'indiquerons que les
principales. Au nord, la rivière de l'Or, qui se jette dans la baie Felipe ;
à l'est, la rivière CuUen, qui se jette dans l'Océan Atlantique, ainsi que les
rivières Petite (Rio Chico), et Grande (Rio Grande).
Le climat de la Terre de Feu est très variable, suivant les endroits où on
l'observe. Cependant le climat n'est pas aussi rigoureux qu'on pourrait le
supposer ; la température la plus basse que nous ayons eue à enregistrer
a été — 6 degrés au-dessous de zéro et la température maxima 23 degrés;
mais les nuits sont toujours froides, car dès que le soleil disparaît de
l'horizon, la température baisse beaucoup, pour atteindre son minimum
vers 11 heures du soir.
Le baromètre ne donne aucune indication précise : il tombe brusque-
ment et sans cause apparente de 160 à 730 millimètres ; cela doit provenir
■de ce que les couches atmosphériques supérieures, chassées par les vents
du sud et de l'ouest passant sur les cîmes neigeuses, sont très froides,
tandis que les couches inférieures, s'échautfant au contact du sol, montent
et produisent de grandes oscillations barométriques en rencontrant des
couches de densité supérieure.
Les vents sont très fréquents ; les plus violents sont ceux de l'ouest, qui
atteignent une vitesse de trente mètres par seconde ; ces vents cessent
presque toujours au coucher du soleil, mais on les voit reparaître le matin
avec lui.
Dans notre expédition du nord, nous n'avons eu à enregistrer que six
jours de pluie et deux jours de neige ; au contraire, dans le sud de la
Terre de Feu, il y a eu peu de jours sans pluie : aussi, partout, le sol est
mouvant et spongieux.
Trois tribus habitent l'île fuégienne :
Les « Onas », le nord et le nord-est; les « Alacalufes », l'ouest et les
« Yaghans », le sud.
Nous ne parlerons que des « Onas », qui, jusqu'ici, étaient restés
inconnus.
Les Onas sont très grands, ils atteignent quelquefois deux mètres ; leur
teint est cuivré, leur peau est onctueuse au toucher; la figure ovale, le
front étroit et peu découvert, les cheveux noirs et longs, tombant en
mèches sur les épaules, souvent mêlés de terre argileuse ; ils ont de petits
964 GÉOGRAPHIE
yeux avec des cils assez forts, les pommettes saillantes; le nez convexe,
un peu aquilin, une bouche assez grande, de grosses lèvres laissant
entrevoir de petites dents jaunâtres. Ils sont très musclés et très forts,
vont complètement nus, ne portant sur leurs épaules que de mauvaises
capes de guanaco ou de renard attachées ensemble à l'aide de nerfs
d'animaux ; les hommes portent sur le front un morceau de cuir triangu-
laire, ce qui les distingue des femmes, qui ont comme ornement des
bracelets et des colliers faits de coquillages calcaires ou de nerfs tressés.
Tout le travail des Onas consiste à se procurer des aliments ; pendant
que les hommes chassent les guanacos et les renards, les femmes vont à la
plage chercher des mollusques ou harponner les poissons que la mer a
abandonnés entre les rochers en se retirant.
Leurs armes et leurs ustensiles sont des plus primitifs : l'arc est en bois
de roble avec une corde en nerfs de guanacos ; les flèches sont d'un bois
plus dur avec une pointe en silex travaillée par éclats ; un carquois en
peau de loup de mer contenant une vingtaine de flèches et une fronde
complète leur armement; les femmes sont toujours munies d'un petit
harpon en os et d'un panier en jonc.
Elles portent les charges, préparent les campements, entretiennent le
feu, soignent les enfants. Les campements se composent de trous circu-
laires de 1 mètre 50 de diamètre et 40 centimètres environ de profondeur,
creusés au moyen d'omoplates de guanacos ; ces trous-abris sont ordinai-
rement adossés à une montagne d'où l'on domine les environs ; autour de
ces roues sont placés verticalement de petits bâtons sur lesquels ils
attachent de mauvaises peaux d'animaux et ayant pour plafond la croix
du sud ; au centre, un feu brûle continuellement.
Une famille composée de trois ou quatre personnes s'y abrite; elles,
dorment, serrées les unes contre les autres, avec de nombreux chiens.
Les femmes attachent parfois leurs enfants sur des morceaux de bois
dont l'un des montants verticaux est plus long que l'autre, ce qui leur
permet, en le piquant en terre, de faire tenir l'enfant debout devant le feu
et de le déplacer selon la nécessité.
Les Onas sont nomades. Ils se déplacent fréquemment, surtout lorsque
la chasse devient plus rare aux environs de leurs campements; aussi,
dans la partie nord de la Terre de Feu, trouve-t-on de nombreuses traces
d'anciens campements.
Craintifs devant l'homme civilisé s'ils sont trop faibles pour l'attaquer,
ils deviennent féroces lorsqu'ils sont en nombre.
Ils sont courageux, braves et d'une nature guerrière. Aussi sont-ils
continuellement en lutte avec les tribus du sud et de l'ouest.
Plusieurs voyageurs croient qu'ils sont anthropophages; d'autres certifient
qu'ils brûlent les cadavres ; mais ce sont des erreurs. Nous avons, en effet,
ROUSSON ET WILLEMS. — LA TERRE DE FEU ET SES HABITANTS 96o
trouvé plusieurs endroits où les Fuégiens avaient enterré leurs morts, et
quant à l'incinération, nous avons toujours remarqué des débris d'osse-
ments calcinés près des anciens campements, mais ils provenaient tous
d'animaux dont ces sauvages ont l'habitude de brûler les déchets pour
entretenir leur feu.
Les Onas croient à un esprit, comme leurs frères les Patagons, qu'ils
nomment « Wolitche » et auquel ils attribuent les biens et les maux.
Ils communiquent entre eux au moyen de grands feux, qu'ils allument
avec de la pyrite de fer et des champignons séchés ; ils étendent ces feux
sur une grande surface par l'intermédiaire de torches faites avec des racines
de plantes.
C'est à cause de ces feux, qui brûlent quelquefois sur une longueur de
plusieurs kilomètres, par suite des vents violents et qui, le soir, se voient à
plusieurs milles, que les premiers navigateurs franchissant ces côtes, don-
nèrent à cette île le nom de Terre des Feux, et par extension on a fait
« Terre de Feu ».
Nous ne croyons pas que la population indigène de la Terre de Feu et
de l'archipel fuégien soit supérieure à « 1 ,200 » habitants.
La faune est pauvre. Les quadrupèdes sont peu variés; le guanaco,
le renard, le chien sauvage, la loutre, le rat, la souris et le tuco-tuco,
rongeur qui mine le terrain, se trouvent en grand nombre; les oiseaux
de toutes sortes y abondent : vanneau, bécassine, flamont. perroquet, oie,
canard, chouette, grive, merle, cygne, etc.
La flore est peu riche : deux espèces de robles (fagus betuloides) et
(fagus antarctica) ; une espèce de magnolia (Drimys Wlnteri) ; un petit
arbuste du genre caceolaria et les broussailles, composées en grande
partie de Berberidœ, d'Empetrum et de Myrtus nummularia. Les plantes
qui poussent dans le vaste territoire que nous venons de parcourir sont
assez semblables à celles de la Patagonie méridionale.
Le fer se trouve partout en très grande quantité.
L'or est aussi en plusieurs points de l'île ; mais le manteau aurifère se
présente à des profondeurs souvent trop grandes. Aussi les mineurs ne
cherchent-ils ce précieux métal que dans les falaises de la plage ou dans le
lit des rivières. Du lignite de mauvaise qualité présente quelques affleure-
ments sur la côte de l'Océan Atlantique, à dix milles environ au sud du cap
Spiritu-Santo.
L'Avenir de la Terre de Feu. — Cette île est appelée à devenir, dans
très peu d'années, une immense ferme ; l'exemple est déjà donné par les
Anglais qui s'y installent.
966 GÉOGRAPHIE
M. EONTES
à Toulouse.
SUR UNE ILLUSION D'OPTIQUE
— Séance du 20 septembre 189i —
Les personnes qui m'ont entendu dire que le Canigou, comme cela
doit être, paraît grandir quand on s'élève du pied des Albères vers leurs
sommets, m'ont souvent demandé la raison de cette illusion et ont quel-
quefois fait des objections à ma réponse.
Il ne sera donc peut-être pas inutile que je donne ici une explication
mathématique de ce fait, qui n'est pas isolé. Je ne saurais affirmer être
le premier à l'avoir trouvée, car elle est si naturelle qu'on doi* y avoir
pensé longtemps avant moi ; mais je la vois si peu répandue pour ne
pas dire inconnue), que je tiens à la fournir rigoureusement exacte.
Quand une même personne regarde des montagnes assez éloignées pour
qu'elle n'ait aucune donnée sur leur distance, elle apprécie inconsciem-
ment leurs hauteurs en les rapportant, faute de points de comparaison,
à la distance de sa vision distincte, c'est-à-dire qu'elle compare les di-
verses hauteurs qu'elle observe comme si un écran transparent était placé
devant elle à cette distance de vision distincte et comme si son cône
visuel laissait une trace sur ce tableau (1). En outre, comme son œil est
mobile dans son orbite, au moment où il apprécie une hauteur au moyen,
de l'angle des deux rayons visuels qui comprennent le haut et le bas
de l'objet considéré, le tableau idéal se transporte avec l'œil toujours
normalement à la bissectrice de cet angle, à une distance invariable pour
chaque individu, comme s'il était, en fait, tangent à une sphère qui
aurait cette distance pour rayon.
On peut énoncer brièvement le fait, en langage mathématique, en
disant que lorsque l'œil manque d'éléments d'appréciation de la distance
d'un objet, il le projette perspectivement sur un tableau à la distance de
sa vision distincte.
C'est pour cette raison que M. le commandant Prudent (2_) recommande
(1) On a tiré parti de cela, à une certaine époque, pour un procédé de dessin.
(2) Annuaire du Club alpin français, 1884, p. 468 à /,73.
FONTES. — SUR UiNE ILLUSION d'oPTIQUE 967
d'exécuter les dessins à ce qu'il appelle V échelle naturelle, lorsqu'ils ne
doivent pas être vus à une distance différente de celle de la vision dis-
tincte, et, en ce qui concerne les photographies, si on veut obtenir une
reproduction saisissante de la nature, de les tirer, ou tout au moins de
les reproduire avec des objectifs d'une distance focale de 0"',2oà 0'",30{1).
Il résulte de ce que je viens de dire que, pour l'œil qui n'a pas un
point déterminé de comparaison, la mesure de la hauteur AB (voir la
fii^ure 1), d'un objet éloigné est, toutes choses égales d'ailleurs, la lon-
gueur de la petite hgne ab, comptée sur une normale à la bissectrice de
l'angle AOB, et qu'on aurait menée à une distance op de l'œil, égale à
celle de la vision distincte. Si on prend cette distance pour unité
linéaire, ab n'est autre chose que le double de la tangente trigonomé-
trique de la moitié de l'angle AOB, ce que les physiciens appellent le
diamèlre apparent de l'objet.
J'ai ainsi la donnée mathématique qui me permettra de résoudre la
question que je me propose, c'est-à-dire de savoir comment paraît varier
la hauteur d'une montagne éloignée quand on s'élève sans faire varier sa
distance en plan. Il me suffira d'étudier les variations de la tangente tri-
gonométrique de l'angle sous lequel celte hauteur est vue à une distance
constiinte et à des hauteurs différentes.
Un calcul très simple démontre que cette tangente atteint un maximum
quand on se place à mi-hauteur de l'objet considéré, supposé vertical.
Soit, en effet, AB = H la hauteur à mesurer, D sa distance horizontale
à l'œil, X la hauteur de celui-ci au-dessus du point A, pied de la hauteur,
AOB = 2a l'angle des rayons visuels extrêmes. Si je mène OP perpen-
diculaire à AB, j'aurai 2x = AOB = AOP"+ POB, d'où :
tg 2a =: tg (AOP -^ POB)
tg AOP
tgPOB
1 — tgAOPtgPOB
(1) Je crois nécessaire d'insister sur ce point, qui est la base physiologique du calcul qui va suivre.
Un dessinateur muni d'une feuille de papier sufDsamment grande pour ne pas être gêné et qui na
pas de raisoQ de se servir dune échelle donnée, ne reproduit pas un objet très éloigné à une échelle
arbitraire. Il emploie à son insu l'échelle naturelle, qui est personnelle et varie d'un individu à un
autre.
968 GÉOGRAPHIE
Or, les deux triangles AOP, BOP me donnent :
X . -<^rr H — X
tgAOF = f-, tgAOP -=
° D' ° D
donc :
X H — X
tS 2a = -
"^ "" a; (H — .g) D^ — x (H — a;)'
Le maximum de tg a (1) dans les conditions concrètes habituelles du
problème, où 2a est toujours très petit, coïncidera toujours avec celai de
tg 2a, dont l'expression, à dénominateur seul variable, nous montre que
le maximum aura lieu quand l'expression (supposée ici positive), de
a? (H — x), atteindra elle-même son maximum. Or, celle-ci, qui est le
produit de deux termes de somme constante H, prendra sa plus grande
valeur quand ses deux termes seront égaux entre eux, c'est-à-dire quand
on aura : a; = H — x, d'où : a? = — •
2
Nous voyons dès lors comment nous paraîtra varier la hauteur d'une
montagne, au fur et à mesure que nous nous élèverons sans nous en
éloigner ni nous en rapprocher. Elle nous semblera grandir en même
temps que nous monterons, jusqu'à ce que nous ayons atteint la moitié
de sa hauteur. C'est de là qu'elle nous paraîtra le plus élevée, et cette sen-
sation d'augmentation de hauteur sera d'autant plus sensible qu'elle se
mesurera par une tangente trigonométrique, qui croît plus rapidement que
l'angle lui-même. A partir de ce point, si nous pouvons continuer notre
ascension, notre illusion ne peut que tendre à se dissiper, et une fois à la
même hauteur que le sommet B, la montagne devra nous apparaître avec
la même hauteur que lorsque nous la considérions de la plaine. Gardons-
nous alors de nous diriger vers un sommet plus élevé quelle (2). C'en
serait fait de son prestige. C'est ainsi que, du haut du Campbieil (3.17o),
le Néouvielle (3.092) si imposant vu du Montpelat (2.500), (d'où l'on
aperçoit les abords du lac d'Aumar (2.215) et du lac d'Orédon (1.870), ne
nous apparaissait plus que comme une petite saillie dans une longue crête.
On s'explique par ce qui précède comment, du haut des sommets qui
dominent toute une région, on n'éprouve pas toujours les sensations
(1) Dont il serait facile de voir que l'expression peut s'écrire:
HD
tga = '
D2 — ir (H — X) -i- y/H2u2 — [D2 — a; (H — a;;]^'
(2) Voir plus bas l'expérience du chapeau.
FONTES. — SUR UNE ILLUSION d'oPTIQUE 969
qu'on se promettait, et comment, si la vue ne domine pas une étendue
de plaine considérable, on subit une sorte de déception, tandis que la
vue prise du haut de certains pics intermédiaires, convenablement placés,
laisse une impression ineffaçable.
Pour en revenir à l'exemple concret que je citais au début de cette
étude, le Canigou (2.78o), déjà si beau vu de la plaine du Roussillon, à
,des altitudes qui ne dépassent pas 100 mètres, prend des proportions
grandioses et semble un géant quand on le contemple du haut des
crêtes des Albères, à des altitudes variant de 1.000 à 1.2.^7 mètres.
Les monts Maudits, dont le point culminant est le Néthou (3.404),
offrent un panorama splendide du haut du port de Vénasque, où la xue
peut s'abaisser à des altitudes rapprochées de 1.700 à 2.000 mètres, et
tout le monde est d'accord pour s'extasier sur leurs beautés quand on
monte au pic de Sauvegarde (2.787) qui se rapproche, plus que le port
de Vénasque, de la condition de vue prise à moitié de la hauteur visible.
Je n'aurais que le choix des exemples comme vérification de mon petit
calcul, qu'il faut avoir soin de ne prendre que comme une grossière
approximation, le brutal absolu mathématique ne se montrant que par
exception dans la nature, et différant en général autant de la réalité qu'il
nous est donné d'observer, que mon aride schéma coté D, H, x, diffère
d'un croquis de Yiollet-le-Duc ou d'une des belles photographies de notre
collègue Trutat.
-&'
Expérience du chapeau (1). — On a contesté que l'illusion d'optique
qu'entraîne la vision des monuments élevés ait son explication dans des
considérations géométriques analogues à celles que je viens d'exposer. Si
des objections du même genre m'étaient faites, je répondrais Ijue ma
théorie explique complètement le jeu du chapeau, ainsi défini par M. A.
Rémy dans le numéro de la Revue scientifique du 2o mai 1889 (2) :
« Il consiste à demander à une personne d'indiquer le long d'un mur
ou des parois d'une chambre la hauteur, le niveau qu'atteindra un cha-
peau à haute forme, lorsqu'il sera placé à terre tout près de ce mur.
On peut affirmer que plus de neuf fois sur dix, on estimera cette hauteur
double de ce qu'elle est en réalité. »
La physiologie serait peut-être quelque peu embarrassée pour trouver
un moyen de calculer ou, tout ou moins, de justifier ce rapport constant
de 2 à 1. Mon calcul va pourtant me le fournir très approximativement.
J'ai été victime moi-même de la mystification du chapeau et voici
comment je l'explique :
(1) (2) Voir, au sujet de la vision des monuments ôlevés, la lievue scientifique de 1889 : l'usera.:
p, 668 et suiv., A. Rémy; p. 763, E. Bourdon. — 2°sem. : p. 26, E. Rogier; p. 237, A. Rémy;
p. 633, F. Rozier ; p. 743, V. Egger.
970
Mon
GEOGRAPHIE
chapeau a 16 centimètres de hauteur. Mes yeux sont approxima-
tivement à 1^,60 du sol. Si je cherche
à quelle distance je dois m'approcher
du mur, quand on m'a montré à la hau-
teur de mes yeux mon chapeau haut de
forme (dont j'applique la hauteur à ce
niveau sur le mur) pour qu'une hau-
teur double, comptée du pied du mur,
me paraisse double de celle-là à mon
échelle naturelle, je suis conduit au cal-
cul suivant, trop simple pour que j'entre
dans des explications spéciales.
Or
^ Tv" "
°j=
s
1
.
i^
. î'r^JS .. .
y
_Jt .
FIG. 2.
tgcc
f 0,16 0,08
X
tg2a'
X
tg2a
2 X 0,08 X X
x-" — (0,08/^ '
tg (AOA) =r tg (BÔB — XÔH).
Or
d'où :
tg AOB =
1.60
X
tg'AOH =
1,60 — 0,32 1,28
X
X
tg 2a' =
(1,60 — 1,28) X a;
0,32a;
X''
1,60X1,28
x^ — 2,048
L'illusion se produira si a = a', ou si tg 2a = tg 2a'; c'est-à-dire si :
2 X 0,08 y<x _ 0,32 X x
a;^ — (0,08)^ ~£c^ — 2,048'
d'où je tire : x"" = 2,048 -f (0,08)^ X 2, et enfin : x = l'",433...
C'est, en effet, à peu près la distance à laquelle on doit s'approcher du.
mur pour déterminer le point cherché et le marquer en faisant un pas
en avant et en se baissant sans s'accroupir . On détermine ainsi une dis-
tance un peu plus ou un peu moins grande que le double du chapeau,
suivant qu'on s'est approché du mur d'un peu plus ou d'un peu moins
de l"',43o.
Si on s'approche beaucoup plus près, on est surpris de voir jusqu'où
l'erreur (alors supérieure à celle du double) peut atteindre .
N'est-il pas permis d'avoir foi dans une explication qui rend compte
de l'illusion avec cette précision et, devant cette coïncidence, est-on bien
en droit de dire avec M. Rémy (1) qu'il y a dans ces bizarreries « une
modification purement physiologique de l'image rétinienne à laquelle les
sciences malhématiques n'ont rien à faire » ?...
(1) Rev. scient., 24 août 1889, p. 237 et sniv.
G. PÉRÈS. — LE CHEMIN DE FER TRANSSIBÉRIEN 971
M. a. PÉEÈS
Membre de la Société africaine de France,
Président de la Section de colonisation à la Société de Topographie de France, à Paris.
LE CHEMIN DE FER TRANSSIBÉRIEN
— Séance du iO septembre 1892 —
Deux œuvres colossales, représentant deux des plus grands efforts paci-
fiques tentés jusqu'ici en matière de domination coloniale, nous montrent
la puissante vitalité et la sauvage énergie de la race slave.
De ces deux œuvres, l'une est un fait accompli — et qui se poursuit encore
en ce moment : c'est le chemin de fer transcaspien jusqu'à Samarcamle et
bientôt jusqu'à Tachkcnt, capitale du Turkestan russe ; — l'autre est un
projet, déjà en pleine exécution dans une grande partie : c'est le chemin
de fer transsibérien, qui doit réunir les rives de la Baltique aux rivages
de l'Océan Pacifique, c'est-à-dire mettre en communication directe la
Russie avec l'extrémité orientale de la Sibérie.
On sait à quelle occasion (expédition de Gœok-Toppé, 1880) et dans
quelles difQcultueuses conditions fut accompli ce travail énorme du chemin
de fer transcaspien, adopté par le général Skobeleff, de glorieuse mé-
moire — <( ce rude entraîneur d'hommes, dont les soldats admiraient
l'ardeur et suivaient avec enthousiasme l'uniforme blanc » — et exécuté
par le général Annenkoff et ses troupes avec une hardiesse et une célé-
rité qui ont stupéfié l'Europe.
Nous n'insisterons donc pas autrement sur des faits bien connus de
tous ceux qui ne se désintéressent pas des grands travaux accomplis par
le génie civil ou militaire. Nous dirons seulement que c'est le succès de
ce chemin de fer transcaspien qui a inspiré aux Russes un projet plus
grandiose encore que celui exécuté par le général Annenkoff dans les
steppes turkmènes. Tl s'agirait de traverser toute la Sibérie.
Une voie ferrée ininterrompue unirait les côtes de la Baltique aux rives
du Pacifique.
•1
972 GÉOGRAPHIE
DE LA SIBERIE,
La Sibérie représente une surface de 13 à 14 millions de kilomètres
, carrés.
Au nord, les toundras, c'est-à-dire des plaines désertes, marécageuses,
sans culture ; pas d'arbres, pas de pâturages, quelques lichens seulement ;
pas de bétail : seuls, quelques rennes.
Plus au sud, la zone boisée, avec les larges fleuves, encombrés d'îles,
et qui inondent les plaines à chaque crue printanière, zone caractérisée
par l'exagération des températures.
Enfin, une troisième zone, celle des forêts, puissantes, susceptibles d'ex-
ploitation, parsemées de prairies ; zone (Sibérie méridionale) où « des étés
chauds et fécondants succèdent régulièrement aux rigueurs d'un hiver
de six à sept mois, et qui présente les conditions requises pour la réus-
site des cultures de première nécessité (froment, orge, seigle, avoine, etc.),
l'installation de différentes industries métallurgiques, la création d'une
colonie nombreuse et florissante » (1).
Voilà la Sibérie.
C'est dans cette zone méridionale que se trouvent concentrés presque
tous les efforts de la colonisation sibérienne. Limitée par la frontière
chinoise, s'étendant de l'Oural à l'Océan Pacifique, elle a une longueur
de 8 à 9.000 kilomètres ; elle est appelée à jouer un rôle important comme
trait d'union entre l'Europe et l'Asie.
Le contraste, qui caractérise la Russie, est remarquable également en
Sibérie, « cette exagération de la Russie ».
Au nord, des plaines uniformes.
Au sud, un terrain accidenté.
La partie occidentale diffère aussi de la partie orientale.
A l'ouest de l'Iénisséi, qui les sépare, le sol est plat, bas, marécageux ;
à l'est du fleuve, le sol est caillouteux, tourmenté.
De ce contraste, deux divisions anciennement : la Sibérie occidentale et
la Sibérie orientale ; la première avec Omsk pour chef-lieu, la deuxième
avec Irkoutsk.
Depuis les progrès de la Russie en Asie centrale et dans le bassin de
l'Amour (1860), on sait que la Sibérie est divisée administrativement
ainsi :
Sibérie. — Deux gouvernements : Tobolsk et Tomsk.
Gouvernement de la Sibérie orientale. — Chefs-lieux : Iénisseisk,
Irkoutsk, Iakoutsk.
(1) Edgar BouLA?<GiER, Notes de voyage en Sibérie.
G. PÉRÈS. — LE CHEMIN DE FER TRANSSIBÉRIEN 973
Gouvernement général de l'Amour et du Littoral (Kamtchatka et Sakha-
line). — Chef-lieu : Rhabarovka.
La Sibérie a fait de grands progrès depuis la conquête accomplie par
les Cosaques. La légende qui représente la Sibérie comme un vaste désert
de neiges et de glaces, habité par des ours blancs, a fait son temps.
Elle n'est pas non plus le vaste bagne que beaucoup de personnes
s'imaginent.
Il faut lire, dans l'excellent ouvrage déjà cité : Notes de voyage en Sibérie,
de M. Edgar Boulangier, le distingué ingénieur des Ponts et Chaussées
qui a parcouru la Sibérie en savant et en philosophe, le mode tout à fait
pratique et humanitaire avec lequel sont traités, en Sibérie, les condamnés
politiques et de droit commun transportés dans ces lointaines régions.
On y verra que le régime de la transportation a contribué aux progrès
de la Sibérie en fournissant à l'industrie et à l'agriculture les bras qui
leur manquaient absolument.
Des colons libres, en même temps que des colons libérés, se sont dé-
finitivement fixés en Sibérie occidentale et aussi en Sibérie orientale,
dans la vallée de l'Amour, dans les plaines de l'Oussouri, où l'on trouve
le climat et la végétation de l'Extrême-Orient, et qu'on a appelées le
jardin de la Sibérie.
Des établissements d'instruction ont même été fondés : Tomsk a, de-
puis 1888, une université.
Indépendamment de régions d'une admirable fécondité, la Sibérie a des
mines d'or, des mines de fer, de houille, d'argent, de cuivre, malheu-
reusement mal exploitées, dans l'Oural et dans les hauts bassins fluviaux.
L'Oural a des ressources presque inépuisables.
En 1874, on a découvert le bassin houiller d'Ekatérinebourg.
Il y a là des richesses naturelles qui demanderaient à être mieux
exploitées, mais qui, faute de bras suffisants, faute de moyens de com-
munication indispensables, restent comme abandonnées par l'industrie
humaine.
Car ce qui manque à ce pays (la Sibérie méridionale) appelé à un
grand avenir industriel (que M. Boulangier n'hésite pas à qualifier, pour
cette raison, de véritable Eldorado), ce qui manque, disons-nous, à ce
pays, ce sont les voies de communication faciles Qi rapides.
INSUFFISANCE DES VOIES DE COMMUNICATION
Les fleuves sibériens se jettent dans une mer dont la plus grande
partie est pratiquement inaccessible et ils sont tous bloqués par les glaces
pendant plus de cinq mois par an.
974 GÉOGRAPHIE
La Lena a 20 kilomètres de large, mais elle n'est navigable que pen-
dant quatre mois.
Vlénisséi et son affluent VAngar^a sont navigables jusqu'au lac Baïkal,
nappe d'eau soixante fois plus considérable que le lac de Genève, d'une
profondeur moyenne de 250 mètres, qui atteint parfois 1,300 mètres,
qui a 1.200 kilomètres de long sur plus de 100 kilomètres de large,
qui a une foule de tributaires et qui s'écoule dans l'Angara par un large
rapide semé d'écueils dangereux pour la navigation.
Un affluent du Baïkal, la Sélenga, longue de 1.000 kilomètres, conduit
jusqu'aux marchés chinois, mais les glaces y interdisent la navigation
pendant cinq mois de l'année, de novembre à mai.
L'Obi réunit les eaux d'un bassin de trois millions de kilomètres carrés;
pendant la belle saison, la navigation y est très active; Y Irtych, son tri-
butaire, est navigable jusqu'à Seniipalatinsk; par le Tobol, on peut gagner
Tioumen, au pied de l'Oural, Tioumen, ville de 20.000 habitants, qui
est réunie par un chemin de fer à Ekatérinebourg et à Perm, à travers
l'Oural.
D'autre part, une voie ferrée conduit de Samara, sur le Volga, par
Oufa, à Zlataoust, relié par une route à Omsk et àTomsk.
Que de difTicultés, d'obstacles, de solutions de continuité dans cette
traversée de la Sibérie de l'est à l'ouest !
La voie indispensable qui servira de débouché aux produits sibériens
devra être, dans ces conditions, une voie de terre, reliée au réseau russe
par Oufa, Samara, c'est-à-dire par la portion de la Sibérie la plus fertile
et la plus peuplée.
Quelle sera cette voie ?
Une grande roule de terre relie l'Oural à l'Océan Pacifique et porte le
nom caractéristique de Irakt postal.
LE TKAKT POSTAL
C'est une route suivie e/i toute saison ^a.? ïe courrier postal russe.
Cette route, la plus longue du monde entier, part de Tioumen, gagne
Omsk, puis Tomsk, puis Krasnoïarsk et Irkoutsk; — elle trouve ensuite
devant elle le lac ^aAAa/, dont nous avons tout à l'heure fait mention, et
elle doit contourner cette nappe d'eau par le sud.
Si le lac est libre ou gelé, on le traverse en bateau ou en traîneau ;
pendant la période de l'embâcle (automne) et pendant la période de la
débâcle des glaces (printemps), il faut contourner la pointe méridionale
du lac.
De l'autre côté de ce lac (que les indigènes s'indignent d'entendre ap-
916 GÉOGRAPHIE
peler un lac et qu'ils appellent, eux, une mer, o swatoïé moi^e » la mer
sainte), de l'autre côté de ce lac immense, le trakl postal s'enfonce dans
les montagnes de la Transbaïkalie, traverse la chaîne des monts Jablonoï,
gagne Tchita, puis Strétinsk (sur la Chilka), tête de ligne de la navigation
de l'Amour.
A Strétinsk, navigation jusqu'à Blagovetchensk et Khabarovka (au con-
fluent de l'Amour et del'Oussouri), on remonte l'Oussouri jusqu'à Boussé:
on est transbordé ensuite sur des bateaux de petit tonnage qui vont
jusqu'au lac Khanka; de ce point, il reste encore une étendue de 213 kilo-
mètres à franchir par terre pour arriver enfin à Vladivostok « la Domina-
trice de rOrient », le grand arsenal militaire russe du Pacifique.
Or, pendant huit mois, l'Amour et son affluent, l'Oussouri, sont fermés
à la navigation et il n'existe aucune route praticable à un véhicule quel-
conque.
De Khabarovka à Vladivostok, la route de terre est impraticable pendant
quatre mois environ, à cause de la chute ou de la fonte des neiges.
Donc, il est indispensable d'établir une voie de communication perma-
nente entre la Russie et ses lointaines provinces orientales.
De plus, et c'est là un fait qui saute aux yeux dès qu'on jette un re-
gard sur une carte de la Sibérie, V oi^ientation transversale des fleuves et
des rivières, descendant du sud au nord, et disposés perpendiculairement
à- la route que nous venons de tracer tout à l'heure, est une gêne au
transit longitudinal qui aurait pu s'établir de l'orient à l'occident, suivant
ce long couloir naturel dont nous avons parlé en commençant, c'est-à-
dire suivant cette zone de la Sibérie méridionale, fertile, saine, parfaite-
ment habitable, qui court horizontalement de l'ouest à l'est, sur une
longueur de 7.200 verstes environ depuis l'Oural, c'est-à-dire près de
8.000 kilomètres (1 verste := 1.067 mètres.)
NECESSITE DU TRANSSIBÉRIEN
Il est donc de toute évidence que des considérations d'ordre économique,
c'est-à-dire le développement agricole, industriel, commercial, eu même
temps que des considérations d'ordre sti^atégique, c'est-à-dire la conserva-
tion toujours précaire des provinces éloignées, et aussi des considérations
d'ordre politique, c'est-à-dire le resserrement des liens trop flottants entre
la Sibérie et la Russie d'Europe, miUtent de la plus énergique façon en
faveur de la construction, et de la construction rapide, d'un chemin de
fer transsibérien, joignant l'Oural à l'Océan Pacifique.
On peut aisément prévoir les immenses résultais qui en découleront.
PÉRÈS. — LE CHEMIN DE FER TRANSSIBÉRIEN 977
SES AVANTAGES, ETC.
Saint-Pétersbourg et Moscou seront mis en communication avec l'Ex-
trême-Orient et avec le grand port militaire russe de Vladivostok dont la
défense sera ainsi assurée; les Russes pourront ensuite, dans le cas d'une
guerre avec la Chine, ce terrible voisin, amener une armée rapidement
sur les frontières de l'Empire chinois.
Au point de vue commercial, le chemin de fer transsibérien assurera
à la Russie la situation d'intermédiaire entre l'Europe et les contrées de
l'Extrême-Orient, telles que la Chine et le Japon. Il transportera les voya-
geurs et une bonne partie des marchandises qui actuellement empruntent
la voie de mer pour se faire transporter de l'Europe à l'Extrême-Orient
et réciproquement. Ainsi de Shanghaï à Londres, le trajet est actuelle-
ment de quarante-quatre jours par le canal de Suez et de trente-quatre
jours par le chemin de fer transcanadien. Il ne sera environ que de vingt
jours par le Transsibérien.
Ce sont principalement les marchandises représentant sous un petit
volume une grosse valeur, comme le thé et la soie, qui auront avantage
à se faire transporter par ce chemin de fer. Or, le thé et la soie comptent
pour les deux tiers des exportations chinoises.
Donc le Transsibérien, en accaparant le transport de la soie et du thé,
absorbera près des deux tiers du trafic de la Chine à l'exportation.
D'autre part, il donnera l'animation et la vie à l'immense Sibérie (14 mil-
bons de kilomètres carrés et 5 millions d'habitants) qu'on peut considérer
comme séparée du monde civilisé, avec lequel les Sibériens ne peuvent
communiquer qu'avec la ligne télégraphique installée il y a quelques
années .
Le Transsibérien traversera des fleuves nombreux et navigables une
bonne partie de l'année; ces fleuves ne seront-ils pas pour lui autant
d'afiluents qui lui amèneront du fret?
Les habitants de la Sibérie sont, du reste, si bien habitués aux énormes
trajets qu'on peut admettre que, de oOO verstes de chaque côté de la ligne,
on viendra y concentrer les marchandises à transporter, lesquelles étaient
jusqu'alors confiées à ces caravanes qui traversent l'Asie au pas!
OPINION DU GÉNÉRAL ANiNENKOFF
« Quand j'ai fait le Transcaspien, disait, il y a quelque temps, à Paris,
le général Annenkofï", le pays où j'ai jeté cette voie ferrée de quinze cents
kilomètres nétait qu'an désert. 3Iaintenant on y plante du coton qui
62*
978 GÉOGRAPHIE
réussit fort bien. Notre Asie centrale produit dix fois plus de coton que
lorsque j'ai commencé la construction de la ligne transcaspienne. »
Et le général ajoutait :
« Ou disait que le Transcaspien serait toujours une mauvaise affaire ;
maintenant le chemin de fer donne 3 0/0 aux capitaux engagés dans l'en-
treprise. J'ai établi les calculs pour le chemin de fer sibérien, d'après des
données précises et en profitant de l'expérience acquise dans la construc-
tion de la ligne transcaspienne. Le Transsibérien, si on le fait d'après
mes plans, donnera 4 0/0, ce qui sera un joli résultat. »
DIFFICULTES
Si l'on a prévu — et avec raison — les résultats immenses qui découle-
ront de la création du chemin de fer transsibérien, on ne s'est pas dissimulé
un seul instant les énormes dilïïcidtés qui accompagneront son exécution.
Parmi les grandes œuvres accomplies, jusqu'à ce jour, dans le domaine
des chemins de fer, il faut rappeler, pour mémoire :
1° Le Grand Central 'Américain (6.000 kilomètres), de New- York à
San-Francisco, traversant toute l'Amérique du Nord;
2° Le Grand « Canadian Pacific » (traversant toute la région septen-
trionale de l'Amérique du Nord) allant de Québec et Montréal à Vancouver,
sur la côte de la Colombie anglaise;
3° Le Chemin de fer Transcaspien, d\me longueur de 1.700 kilomètres,
à travers les steppes du Turkestan (d'Ouzoun-Ada, sur la Caspienne, à
Samarcande et Tachkent);
4° Le Réseau ferré de l'Hindoustan, d'une longueur totale de plus de
6.000 kilomètres ;
Le Chemin de fer Transsibérien (7.200 verstes ou 7.600 kilomètres
depuis rOural, et 9.000 verstes ou 9.600 kilomètres depuis Moscou),
dépassera en grandeur, comme en difficultés, tout ce qui s'est fait, dans
ce genre, jusqu'à ce jour.
Il y a déjà quelque vingt ans que cette question du Transsibérien a
été agitée.
Abandonné momentanément, le projet fut repris après le succès du
Transcaspien ; mais, cette fois, par les autorités impériales elles-mêmes.
En 1887, un comité, institué par l'empereur de Russie, émit, à la suite de
sérieux travaux préparatoires, l'avis unanime « que le Grand Central
Sibérien présentait un caractère d'urgence sous le double rapport straté-
gique et commercial ».
L'itinéraire, sa longueur, étaient tels que nous les avons indiqués
G. PÉRÈS. — LE CHEMIN' DE FER TRANSSIRÉRIEN 979
précédemment, suivant le trakt postal et longeant le plm près possible la
frontière chinoise.
Comme on ne songeait pas à construire d'un seul coup cette immense
voie ferrée, on l'a divisée en six sections :
1" Zlataoust à Kol.wane 1-500 verstes
2° Kolyvane à Irkoulsk 1.600 —
3° Irkoutsk à Stretinsk 1-200 —
4" Stretinsk à Khabarovka 2.000 —
5° Khabarovka à lîoussé -450 —
6" Boussé à Vladivostok ^00 —
Longueur totale 7.150 verstes
Or, sur ces six sections, ledit Conseil déclarait qu'il n'y avait lieu
d'étudier immédiatement que les sections comprises entre Kolyvane et
Irkout.sk, entre Boïarski (rive orientale du lac Baïkal) et Stretinsk, et enfin
entre Boussé et Vladivostok.
Le long des autres sections, c'est-à-dire entre VOwml et Kolyvane,
entre Irkoutsk et Boïarski, entre Stretinsk, Khabarovka et Boussé, les
communications fluviales pourraient provisoirement suppléer le chemin de
fer, pendant quatre à cinq mois de la belle saison.
Les études définitives portant sur les sections indiquées comme urgentes
ont permis aux ingénieurs d'affirmer que le Transsibérien était faisable,
mais non sans beaucoup de dépenses (322 millions de roubles environ)
et non sans de grosses difficultés.
Trois ordres de difficultés : les unes tiennent à la configuration du
terrain; dans certaines parties, on traverse des montagnes, des ravins, des
torrents, des fleuves très larges et rapides qui exigeront de nombreux
ouvrages d'art : ponts, tunnels, etc. Dans la partie occidentale, la ligne
se développe dans d'interminables plaines, mais dans la partie orientale,
vers le lac Baïkal, et au delà, dans la région de la Transbaïkalie, la ligne
rencontre dans les massifs montagneux des Jablonoï, qui se redressent
brusquement vers le nord-est, de gros obstacles difficiles à vaincre ou à
tourner.
Les autres dilficLdtés tiennent au climat. Ainsi, dans la région située
au delà de Tomsk, la neige qui couvre la terre sur une épaisseur quel-
quefois de deux mètres, se réduit, sous l'action des grands froids, en une
fine poussière qui, poussée par le vent, se met à marcher, comme disent
les habitants du pays. Ces derniers, pour l'arrêter, doivent élever des
palissades, faire des plantations, et construire même des murailles avec
des blocs de neige soudés entre eux non avec un enduit hydraulique,
mais avec de l'eau.
980 GÉOGRAPHIE
Les blocs de neige bien tassés sont arrosés avec de l'eau qui se gèle
immédiatement et soude les blocs entre eux mieux que le meilleur
ciment. C'est ce procédé dont il faudra se servir pour assurer la circulation
des trains et la sécurité des voyageurs sur cette section.
Enfin, un troisième ordre de difficultés proviendra des hommes, des
travailleurs. En effet, une ligne aussi longue ne saurait être construite
comme les lignes d'Europe, comme le Transcaspien même, c'est-à-dire par
avancement, en poussant toujours les travaux devant soi et en se servant
de la voie déjà construite pour amener les matériaux de la voie à
construire. Cela demanderait trop de temps. Il est indispensable (et c'est ce
qui se pratique, à l'heure qu'il est) d'amorcer la voie par divers côtés et
d'ouvrir plusieurs chantiers.
On conçoit que, dans ces conditions, il faut un nombre considérable
d'ouvriers, nombre d'autant plus considérable que la saison propre au
travail est fort courte (quatre mois par an environ) et qu"il faudra mettre,
pendant le temps propice, trois et quatre fois plus d'ouvriers que si l'on
pouvait travailler tout le long de l'année.
Ainsi on a calculé que, pour la seule section de Kolyvane à Irkoutsk
(1.600 verstes, avons-nous dit), il faudrait 9o. 000 ouvriers et 5.000chevaux.
Or la population du pays ne fournirait jamais plus du tiers de ce nombre ;
il faudra donc, soit en favorisant par des conditions exceptionnellement
avantageuses l'émigration des moujiks russes, soit en amenant de Russie
des travailleurs qui seraient rapatriés en hiver, enfin par des moyens qui
sont de la compétence du gouvernement russe, il faudra trouver le contin-
gent des travailleurs indispensable au mieux des intérêts du Trésor et de
la colonisation sibérienne.
ÉTAT ACTUEL DES TRAVAUX (1892)
Il y a un an environ, deux cents kilomètres étaient déjà achevés dans
la section de Boussé à Vladivostok, la sixième section, la plus urgente de
toutes (aucune voie n'étant praticable à un véhicule quelconque dans
cette partie, soit au moment de la chute des neiges, soit au moment de
la fonte, et la région se trouvant de ce fait, absolument isolée pendant
deux périodes assez longues de l'année).
A l'heure où nous écrivons ces lignes (septembre 1892), un décret vient
d'ordonner l'inauguration des travaux de la section qui va de Tchélia-
binsk à Omsk, par Kourgan et Pétropawlosk, soit environ 480 kilomètres
de longueur, dont la dépense est évaluée à 56 millions de francs. C'est
le gouvernement lui-même qui se charge de la construction, évitant ainsi
la spéculation, soit russe, soit étrangère.
G. PÉRÈS. — LE CHEMIN DE FER THANSSIBÉRIEN 981
On peut afUrmer que dès à présent, en Sibérie, les études détaillées
du tracé sont terminées sur une étendue de 1.600 kilomètres environ,
dans la partie occidentale, jusqu'au bord de la rivière de Tom (affluent de
rObi) que la voie franchira à 80 vcrstes à peu près (c'est-à-dire 80 kilo-
mètres) de la ville de Tomsk. L'année prochaine, seront effectués les
travaux entre Onisk et la rivière de Tom. Dès maintenant, de Zlataoust
(Oural) à Omsk, les travaux sont commencés sur une longueur de 900 kilo-
mètres, et (dans la partie orientale) de Vladivostok à Grasskoé sur uni'
étendue de plus de 400 kilomètres; on étudie le passage de la voie au
confluent de lAmour et de l'Oussouri, à peu de distance de Khabarovka
dans une portion où le fleuve Amour atteint une largeur moyenne de
8 kilomètres !
L'été prochain, on estime que 1.600 kilomètres de voie ferrée seront
déjà livrés à la circulation, et l'on compte établir, à la même date,
7o0 kilomètres de voie nouvelle. Il restera encore 4.0OO kilomètres de
voie nouvelle à établir ; mais il ne faut pas perdre de tue qu'on aura
dès lors sous la main tout le matériel nécessaire ; le Gouvernement aura
réuni le contingent de travailleurs nécessaire (émigrants, russes ou chinois
déportés, etc.) dont nous parlions tout à l'heure ; de plus on aura l'expé-
rience acquise, facteur important, et les premiers bénéfices de la voie déjà
livrée à la circulation.
Enfin, les ingénieurs de l'État calculent que toute la ligne serait achevée
dans six ans, ce qui permet de croire qu'en 1898 on pourra traverser en
wagon toute l'Europe et toute l'Asie, depuis Cadix jusqu'à Vladivostok, en
face des côtes du .Japon !
C'est là un résultat merveilleux qui permet de dire hautement que si
le mot impossible n'est pas français, ce mot n'est pas russe non plus.
PROJKTS DES CHEMINS DE FEU ANTAGONISTES CHINOIS
Nous no saurions terminer ce court aperçu sur le chemin de fer trans-
sibérien sans dire un mot d'une ligne ferrée qui, pour l'intérêt général
et même pour l'intérêt particulier de la Russie, eût pu rendre peut-être
plus de services encore que le Transsibérien. C'est la ligne qui se serait
appelée le Grand central Asiatique. Cette ligne bifurquant avec le transsi-
bérien à Boïarski (lac Baïkal), aurait remonté la vallée de la Sélenga,
rivière tributaire du lac Baïkal, aurait franchi la frontière chinoise, en
prenant alors une direction sud-est, aurait suivi la route postale qui
traverse la Mongolie et va de Ourga à Pékin (voir le croquis p. 97o).
Le désert de Gobi (qui ne renferme pas de sables mobiles) aurait rendu
la construction relativement très facile.
982
GEOGRAPHIE
Il y ëûl eu là, pour l'entreprise, une économie de temps et une économie
d'argent, d'autant mieux que cette voie, ne devant pas passer uniquement
en territoire russe, eût eu 2.000 kilomètres environ de moins que le Grand
central Sibérien adopté otriciellement.
On aurait pu croire un moment que ce projet du Gra^id central Asia-
tique aurait passé à l'exécution, sans que les Chinois y missent d'opposi-
tion. Les Russes, en effet, jouissent auprès du Céleste Empire d'un grand
prestige ; les Chinois leur ont accordé, au point de vue commercial
(importation et exportation) des franchises complètes; le service postal
jusqu'à Pékin a été confié à l'administration d'employés russes. Malgré
leur prestige cependant, malgré ces avantages exceptionnels et ces
faveurs largement accordées, il eût été presque certain qu'au moment
de demander d'une façon définitive à la Chine l'établissement de cette
voie ferrée sur son territoire, les Russes s'en seraient vu refuser catégo-
riquement l'autorisation.
En effet, les' autres puissances, ne s'apercevant pas qu'elles faisaient,
dans cette circonstance, le jeu de l'Asie contre l'Europe, ont maladroite-
ment excité, à ce sujet, les inquiétudes et la défiance du gouvernement
chinois. Elles ont poussé ce dernier à prendre lui-même l'initiative des
premières voies ferrées ; or, ces voies ferrées, loin d'être favorables à la
pénétration de la Chine par les Russes, peuvent être considérées, au
contraire, comme une menace directe contre l'arsenal russe de Vladi-
vostok.
Deux projets sont étudiés :
1" De Pékin, par Moukdeii, Ghirine, Ningouta, à San-Sing ;
2° De Pékin, par Bodouné, à San-Sing. (Voir le croquis.)
Avec l'un et l'autre tracé, la ligne ferrée chinoise pénètre en Mandcliou-
rie, se place entre Vladivostok et le reste du territoire russe, si bien
qu'en cas d'une guerre, tandis que la flotte russe de Vladivostok se trou-
verait immobilisée par un puissant allié des Chinois, l'armée continentale
chinoise s'efforcerait d'empêcher les Russes de venir de l'ouest au secours
de leur territoire extrême-oriental.
Bien mieux, il pourrait arriver qu'un jour, suffisamment formés à l'é-
cole des Européens, excités secrètement par quelqu'une de ces maladroites
puissances, inconsidérément égoïste, dont nous parlions, les Chinois, non
contents de menacer les iiusses en Sibérie, menacent l'Europe entière.
Les quatre cents raillions de Chinois qui somnolent dans une demi-
léthargie ne se réveilleront-ils pas quelque jour? Et alors qui peut affirmer
qu'un nouveau déluge de quelque vingt millions d'hommes jaunes repre-
nant, malgré toutes les difficultés topographiques rencontrées, sa route
habituelle, n'inondera pas encore l'Europe civilisée, détruisant tout sur
son passage et faisant reculer l'humanité de plusieurs siècles en arrière ?
G, PÉRÈS. LE CHEMIN DE FEU TI'.ANSSIBÉRIEN 983
La rivalité des États, leur jalousie, leurs divisions intérieures et le
mercantilisme aveugle de certains seraient autant d'auxiliaires de ces
nouveaux envahisseurs.
Et ne suffirait-il pas de quelque Asiatique fanatique et doué d'une sau-
vage énergie pour soulever ces masses humaines, comme autrefois Gen-
gis-Khan et ses hordes mongoles?
CONCLUSION
Telles sont les hypothèses émises par M. Edgar Boulangier, dans son
livre Notes de voyage en Sibérie, livre si instructif, dont nous avons déjà
plusieurs fois fait mention et dont nous recommandons la lecture à tous
les esprits sérieux.
Ces hypothèses ne sont pas invraisemblables; elles valent la peine
qu'on y prête une sérieuse attention, et les puissances civilisées de l'Europe,
au lieu d'inquiéter la vénérable Chine dans son sommeil, devraient se
montrer reconnaissantes à la Russie du rôle bienfaisant qu'elle peut être
appelée à jouer un jour envers la civilisation occidentale.
En effet, dans la terrible éventualité d'une guerre non seulement avec
la Russie en Sibérie, mais encore, comme nous venons de le dire, avec
toute l'Europe peut-être, le chemin de fer transsibérien sera d'une sin-
gulière efficacité pour repousser l'invasion.
Passant heureusement en territoire purement russe, complétée par la
ligne des steppes khirghiz et par le Transcaspien prolongé vers l'Inde,
la ligne transsibérienne formera, dit très bien M. l'ingénieur Boulangier,
<( la branche maîtresse d'une gigantesque tenaille qui enserrera l'Empire
chinois par le nord, par l'ouest et le sud-ouest; voie défensive par ex-
ceWence, parce qu'elle loii(]e la frontière chinoise, elle permettra de porter
en temps utile aux brèches qui coupent cette frontière les armées de plus
en plus nombreuses que la Russie pourra mettre sur pied. Les chemins
de fer khirghiz et transcaspien joueront le même rôle en face de la Mon-
golie. »
Instinct ou longue prévoyance de sa part, la Russie nous paraît accom-
plir dans cette œuvre colossale du Transsibérien et de la Colonisation de
la Sibérie, une mission bienfaisante pour l'humanité.
Les peuples civilisés du monde moderne ont le devoir d'applaudir à.
ses efîorts, d'admirer son énergie dépensée, ses sacrifices accomplis en
vue du progrès.
984 GÉOGRAPHIE
M. Edouard BLÂIC
chargé de Mission scientifique, à Paris.
SUR UNE CAUSE D'ERREUR DANS LES LEVES TOPOGRAPHIQUES FAITS DANS LES
RÉGIONS DE MONTAGNES ET PARTICULIÈREMENT EN ASIE CENTRALE
— Séance du 20 septembre 1892 —
Parmi les pays dont la géographie est à l'ordre du jour en ce mo-
ment, on peut citer en première ligne le Pamir et la région montagneuse
qui forme le centre du continent asiatique. A ce propos, j'ai l'honneur
d'appeler l'attention de l'Association sur un phénomène naturel dont les
conséquences, peu marquées dans les pays européens, peuvent avoir une
grande importance quand il s'agit de la cartographie de certaines autres
contrées.
Si l'on considère une carte d'Asie, on voit que, dans aucune région du
globe, l'orographie ne présente autant d'importance que dans la partie
centrale de ce continent, où s'entre-croisent les chaînes de montagnes les
plus considérables du monde, non seulement par leur altitude, mais aussi
par leur largeur, par leur masse, en un mot par l'ensemble de leur relief.
Grâce aux importants travaux cartographiques qui ont été exécutés
durant ces dernières années, d'un côté par les Russes, et de l'autre par les
Anglais, la géographie physique de l'Asie centrale commence à être assez
bien connue, et l'on possède maintenant des cartes assez complètes de
ses diverses parties. Si l'on jette les yeux sur l'une de ces cartes (sur celles
que voici, par exemple, qui ont été dressées avec grand soin par l'état-
major russe), on voit que les points les plus remarquables sont affectés
d'une cote indiquant leur altitude. Les chiffres de ces cotes sont très
élevés : certains de ces points constituent les plus hautes saiUies de
l'écorce terrestre: ces chiffres sont donc importants, non seulement au
point de vue de la topographie locale, mais même au point de vue de la
géographie générale du globe. Dans ces conditions, on est porté à ad-
mettre a j)riori que ces cotes ont été déterminées avec le plus grand soin
possible, et c'est en effet ce que l'on s'est efforcé de faire. Cependant si
l'on compare entre elles plusieurs cartes des mêmes localités, on trouve
entre les cotes qu'elles donnent respectivement pour un même point, des
différences considérables. Pour n'en citer qu'un exemple emprunté à la
É. BLANC. — LEVP'S TOPOGRAPHIQUES EN ASIE CENTRALE 98o
partie nord du Pamir, je dirai que le eol de Terek-Davan, qui porte, sur
la carte à — ' — de rétat-maior russe, la cote de 12. "00 pieds, porte sur
.'i20. 0(1(1
celle du général Kouropatkine la cote de 13.700, et les observations baro-
métriques que j'ai faites moi-même en ce point tendraient à indiquer un
troisième chitïre.
Le même désaccord existe en ce qui concerne les cols aussi bien que
les sommets des grandes chaînes de l'Himalaya, du Tian-Chan, etc..
D'aussi grandes différences dans l'altimétrie semblent peu explicables,
surtout si l'on considère avec quelle exactitude relative a été relevée la
topographie planimètrique des mêmes régions, du moins dans leurs par-
ties accessibles. L'état-major russe, en particulier, a couvert certaines par-
ties du massif central asiatique d'un véritable réseau trigonométrique fort
exactement établi et dont les éléments ont été calculés avec le plus grand
soin et avec une remarquable exactitude. Les observations ont été ratta-
chées par des chaînes de triangles à l'observatoire de Tachkent, qui est
devenu le centre géographique le plus important de toute l'Asie. Or, il
semble que, tout en faisant leurs levés trigonométriques, les topographes
chargés de cette tâche devaient pouvoir, en visant les principaux som-
mets des montagnes environnantes, faire une série d'observations éclimé-
triques conduisant à des résultats très suffisamment précis, et ne pouvant
donner lieu à des erreurs de l'ordre de celles qui viennent d'être indi-
quées plus haut. Il n'en est rien, et toutes les cotes si importantes que
nous voyons marquées sur les cartes de ces contrées ont été déterminées,
paraît-il, non pas par des nivellements faits de proche en proche, mais
tout simplement par des observations barométriques, ce qui explique leur
inexactitude.
Il est naturel de se demander pourquoi, du moment que des topo-
graphes ont fait dans le pays de nombreux cheminements, ils n'ont pas
employé de procédés plus exacts que la méthode barométrique. La cause
en est. tout simplement que, dans les conditions physiques où ils opé-
raient, la méthode des visées éclimétriques aurait donné des résultats plus
inexacts encore que le système du baromètre.
Cette aflîrmation peut paraître paradoxale ; elle est cependant exacte
pour les régions dont il s'agit.
En effet, les topographes russes ont constaté, et j'ai eu l'occasion d'ob-
server par moi-même, que, dans la région montagneuse qui occupe tout
le centre du continent asiatique, l'attraction exercée par les massifs ou
par les chaînes de montagnes est suffisante pour dévier très fortement la
direction de la verticale apparente. Cette cause de perturbation dans les
instruments géodésiques était déjà connue et elle a déjà été signalée
depuis longtemps à propos des levés faits dans les régions montagneuses
de l'Europe, dans les Alpes ou dans les Pyrénées, par exemple.
986 GÉOfiRAPH!!:
Mais les plus importantes chaînes de l'Europe sont bien inférieures
aux massifs montagneux de l'Asie centrale, non seulement par leur hau-
teur, mais aussi par leur épaisseur, et, ce qui contribue encore à en rendre
l'action moins sensible, c'est que, d'une part, leur masse est moindre et
que, d'autre part, l'on n'y trouve jamais d'escarpements verticaux com-
parables en dimensions à ceux qui sont si fréquents dans les montagnes
de l'Asie, c'est-à-dire que l'on n'y trouve pas de masses aussi considé-
rables exerçant leur action sur les instruments h aussi courte distance,
d'une façon aussi directe ni aussi dissymétrique. Nous n'avons rien en
Europe qui soit comparable, comme inégalités dans le relief terrestre,
au plateau du Thibet, ni au nœud montagneux du Pamir, ni aux chaînes
de l'Himalaya, de l'Hindou-Kouch ou du Tian-Chan. Or l'attraction est,
comme on le sait, inversement proportionnelle au carré des distances
oîi elle s'exerce.
Cette cause d'erreur, relativement négligeable dans la cartographie euro-
péenne, prend, dans les montagnes de l'Asie centrale, une telle impor-
tance que l'altimétrie exacte en est pour ainsi dire rendue impossible et
qu'on en est réduit aux insuffisants procédés barométriques, à moins que
l'on ne veuille faire des cheminements en déterminant en chaque point
la direction véritable de la verticale par des observations astronomiques,
procédé qui exigerait un tel temps, qu'on peut, a priori, le déclarer à peu
près inapplicable dans la pratique.
Cependant la connaissance du relief exact de la partie de l'écorce ter-
restre dont il s'agit aurait une incontestable importance pour la géogra-
phie, car c'est là que s'est exercée la plus grande poussée géologique qui
ait refoulé la surface du globe, c'est là que les phénomènes de défor-
mation de la sphère terrestre ont été les plus intenses.
Dans ces conditions, ce serait à ceux qui, comme nous, s'occupent spé-
cialement de la partie théorique de la géographie, qu'il appartiendrait de
remédier à l'obstacle en question par l'invention d'instruments ou de
méthodes de correction convenablement appropriés.
Je prends la liberté d'appeler sur ce point l'attention du groupe géo-
graphique du Congrès et en même temps de lui signaler sur quelles
bases pourrait être établi, selon moi, le principe d'un instrument comme
celui dont il s'agit. A première vue, lorsque, sur place, j'ai cherché à
combiner une disposition permettant de corriger l'erreur en question, il
m'a semblé qu'un instrument muni de deuxhmbes, l'un vertical et l'autre
horizontal, ou bien d'un système de miroir et d'un perpendicule quel-
conque pouvait par retournement de 180 degrés ou par rotation autour
d'un axe vertical, indiquer l'erreur à corriger. En effet, sans entrer
dans aucun détail d'opération préjugeant l'emploi de tel ou tel instrument
en particulier, il est bien clair que si l'on stationne au pied d'un escar-
É. BLANC. — LKVÉS TOPOGRAPHIQUES EN ASIE CENTHALE 987
pement ou d'une masse montagneuse située à gauche de l'opérateur par
exemple, et exerçant par conséquent sur un perpendiculo adapté à son
instrument une déviation vers la gauche, puis si l'on retourne la lunette
ou l'alidade de 180 degrés, de manière à avoir la même montagne à sa
droite, en visant les mêmes points, le fil à plomb sera dévié vers la droite
de l'opérateur : on fera alors revenir la lunette sur le point visé primitive-
ment en faisant tourner l'instrument tout entier, et il sufïira de diviser
par 2 l'écart entre ces deux positions pour avoir la déviation absolue de
la verticale. Comme cette déviation peut ne pas être dans le plan vertical
qui est normal à la direction de visée, on peut concevoir que, par une
rotation lente de l'instrument ou par deux visées faites suivant deux dia-
mètres conjugués d'une ellipse, on puisse déterminer dans quelle direction
exacte a lieu l'écart maximum et quel est cet écart. Ce procédé paraît
fort simple à concevoir. Malheureusement, il est inapplicable, car il com-
porte une pétition de principes. En effet, il suppose implicitement que
l'on a réglé horizontalement un limbe, un plateau, ou un horizon artifi-
ciel quelconques. Or, la déviation dont il s'agit, celle qui est due à l'at-
traction par une masse voisine, s'exerce aussi bien sur les surfaces hori-
zontales que sur les lignes verticales. La bulle d'un niveau ou la surface
d'un liquide formant horizon artificiel sont aussi bien déviés que peut
l'être le fil d'un perpendicule. On a coutume de dire dans les cours de
mathématiques qu'il y a deux sortes de niveaux : les niveaux à bulle d'air
€t ceux à perpendicule. Tous deux sont fondés en réalité sur le même
principe, celui de la gravitation terrestre, et l'on ne peut, dans le cas
particulier qui nous occupe, les contrôler l'un par l'autre, car c'est la gra-
vitation même qui est modifiée.
La solution de la question impliquerait donc, à mon avis, l'emploi
d'un instrument auxiliaire spécial, rendant visibles les perturbations d'une
fonction dont les variations seraient liées par une relation connue, sinon
par un simple rapport à celles de la pesanteur. On peut concevoir, par
exemple, un instrument quelconque plus ou moins semblable au galva-
nomètre, fondé soit sur le magnétisme terrestre, soit sur les courants in-
duits, et dans lequel un miroir tournant ou un autre index donnerait un
coefficient permettant de faire en chaque point de station la correction
dont il s'agit.
Je me borne ici à signaler ce point intéressant à l'attention de ceux
de nos collègues qui sont le plus spécialement compétents dans la ma-
tière, sans prétendre donner une solution dont je ne fais qu'indiquer le
principe possible. Mais il me semble que l'invention d'un instrument
répondant au but qui vient d'être indiqué rentre essentiellement dans les
questions que notre groupe se propose de résoudre et c'est à ce titre que
j'ai l'honneur de lui soumettre ce problème.
'^^^ • GÉOGRAPHIE
La méthode barométrique est d'autant plus inexacte pour l'apprécia-
tion du relief de l'Asie centrale et la mesure directe des hauteurs par
chemmement aurait d'autant plus d'importance dans la région dont il
s'agit, que cette contrée doit probablement être le siège d'un phéno-
mène particulier qui modifie la pression atmosphérique. En efTet, l'ap-
préciation des hauteurs par le baromètre est fondée sur ce principe que
le relief du sol est indépendant de la hauteur absolue de l'atmosphère, au
point donné, par rapport au niveau des mers; cela est exact pour' les
reliefs modérés, ainsi que pour les chaînes de montagnes même très hautes
mais suflisamment isolées. Mais en Asie, toute la portion centrale du
contment est tellement surélevée dans son ensemble sur une étendue si
notable, par rapport à celle du sphéroïde terrestre, que la couche atmo-
sphérique doit très probablement subir une déformation au-dessus de cette
région. Elle doit se modeler, plus ou moins, sur cette large bosse de
l-écorce terrestre, de telle sorte que les hauteurs données par le baromètre
doivent être plus faibles que celles auxquelles on arriverait en ajoutant
les unes aux autres les hauteurs successives dont on s'est élevé depuis le
httoral, en admettant que ces hauteurs aient été mesurées par des niveaux
ou par des instruments éclimétriques. La méthode barométrique est donc
doublement inexacte et, en outre, l'application d'une méthode différente
permettrait de résoudre la question théoriquement très importante qui
vient d'être posée relativement à la déformation de l'enveloppe gazeuse
de la terre dans la région dont il s'agit.
^ L'attraction latérale due à la masse des montagnes avoisinantes n'est
d'ailleurs pas la seule cause qui peut motiver les fortes déviations cons-
tatées, en Asie centrale, dans l'action normale de la pesanteur. L'obser-
vation a démontré récemment qu'il existe des régions du globe éloignées
de toute chaîne ou de tout massif de montagnes, et où la direction du
fil à plomb subit des déviations plus ou moins fortes, et jusqu'à présent
inexpliquées. La plaine du sud de la Russie, l'une des contrées les plus
basses, les plus plates et les plus unies qui existent au monde, est, paraît-il,
le siège d'un phénomène de ce genre (1), récemment signalé.
Il est possible qu'une pareille cause agisse aussi dans certaines parties
de l'Asie, concurremment avec l'attraction des montagnes, pour produire
les fortes perturbations qui ont été constatées dans le centre du vieux
continent.
En ce qui concerne ce dernier point, M. Bouquet de la Grye (2), en
réponse à la communication que nous avons faite sur cette matière à la
Section mathématique de la Société de Géographie de Paris, a fait obser-
(1) Cf. Comptes rendus des .seVmw.s de la Société de Géographie de Paris 1892
(2) Cf. Comptes remlus des séances de In SocUilé de Géographie, \ so-2.
É. BLANC. — LEVÉS TOPOGRAPHIQUES EN ASIE CENTRALE 989
ver, avec toute la haute compétence qui lui appartient, qu'il ne lui sem-
blait pas qu'une saillie de l'écorce terrestre, même aussi importante que
celle dont il s'agit ici, pût exercer une influence appréciable sur l'enve-
lojtpe gazeuse de la terre, dont l'épaisseur totale est de deux à trois cents
kilomètres.
Assurément, à ne considérer que la surface externe qui limite celte
enveloppe gazeuse du côté de l'espace interstellaire, nous ne croyons pas
non plus que les aspérités de l'écorce terrestre puissent avoir une influence
appréciable sur la forme extérieure de l'ensemble du sphéroïde gazeux^
Mais il n'en est pas de même si l'on considère exclusivement les couches
inférieures de l'atmosphère qui, au point de vue de l'épaisseur, n'en cons-
tituent que la moindre partie, mais qui, étant les plus denses, sont les
plus imjiortantes au point de vue barométrique. 11 est probable qu'elles se
modèlent dans une certaine mesure, sur les inégalités de l'écorce terrestre,
pourvu que celles-ci aient une étendue suffisante.
Il semble établi que les simples chaînes de montagnes européennes,
n'ayant qu'une largeur minime, n'ont pas d'action appréciable dans ce
genre, mais il n'en est peut-être pas de môme pour la vaste saillie for-
mée par le massif central du continent asiatique. Celle-ci constitue une
véritable asymétrie du sphéroïde terrestre, et sa base est assez large pour
qu'elle forme à la surface de celui-ci une protubérance dont l'amplitude
est sinon égale, du moins comparable^ à celles qui résultent de l'inégalité
de courbure des divers méridiens, lesquels, on le sait, ne sont pas égaux
entre eux.
Or, cette inégalité de courbure, et par conséquent de longueur, des di-
vers méridiens, qui empêche, concurremment avec l'aplatissement polaire,
la terre d'être une sphère parfaite, n'est connue que depuis peu d'années
-et n'a pas encore été complètement étudiée, ni dans ses dimensions, ni
dans toutes ses conséquences . Mais on admet, jusqu'à présent, que l'at-
mosphère se modèle sur ces inégalités de convexité des méridiens du sphé-
roïde terrestre. La grande saillie qui constitue le centre du continent
asiatique, et qui donne à toutes les grandes chaînes de cette région une
sorte de large embase commune, est de même ordre et doit, dans une
certaine mesure, se comporter de la même façon .
On peut donc croire qu'il se produit, au-dessus de cette région, une
véritable dénivellation dans les couches atmosphériques, du moins dans
les couches inférieures.
Peut-être, d'ailleurs, et tel est aussi l'avis de M. Bouquet de la Grye,
ces déformations des couches inférieures de l'atmosphère ne se produiraient-
elles pas à l'état statique, c'est-à-dire si l'atmosphère était absolument
hnmobile par rapport au globe terrestre. Mais si l'on considère les masses
d'air à l'état mobile, mises en mouvement par les courants, il en est sans
990 GÉOGRAPHIE
doute autrement et elles doivent remonter les pentes du large empâtement
montagneux dont il s'agit.
L'équilibre hydrostatique ne règne pas dans l'atmosphère gazeuse d'une
façon aussi régulière que dans un liquide incompressible, tel que la
masse des océans, par exemple ; les niveaux y sont moins immuables,
il s'y établit des compensations et il s'y exercer des compressions.
La mobilité de l'atmosphère et ses mouvements propres sont d'ailleurs
des éléments essentiels de la question, et il n'en saurait être fait abstrac-
tion dans la discussion de la cote barométrique qui est la résultante de
toutes les circonstances de cette nature.
La conséquence pratique de ce phénomène serait que si, par exemple, la
cote assignée actuellement à tel ou tel point du plateau thibétain, est, d'après
les observations barométriques faites jusqu'à ce jour, de 4.000 mètres,
un cheminement éclimétrique ayant pour point de départ les plaines de
rinde ou de la Sibérie et procédant de proche en proche en totalisant
les difl'érences de niveau des stations, donnerait peut-être pour cote du
même point 4.200 ou 4.400 mètres. Mais pour que les observations ainsi
faites à l'aide d'un théodolite ou de tout autre instrument éclimétrique
soient concluantes et pour qu'elles soient réellement préférables aux indi-
cations barométriques, il faut qu'elles soient corrigées de la cause d'erreur
due à la déviation de la pesanteur, c'est-à-dire il faut qu'un appareil tel
que celui dont nous venons de parler soit annexé à l'instrument principal.
J'ai l'honneur de proposer au Congrès d'encourager ceux qui invente-
ront des instruments remplissant le but qui vient d'être indiqué et même
de proposer cette invention à l'ingéniosité des spécialistes constructeurs,
aux yeux de qui son utilité a pu, jusqu'à présent, rester inaperçue.
M. rOITES
Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, 'à Toulouse.
ERREURS PERSISTANTES DANS LA GEOGRAPHIE PYRENEENNE — RECTIFICATIONS
Séance du 21 sepleinhir 1892 —
I
Les Pyrénées sont de véritables déshéritées au point de vue de la
précision géographique. 11 semble qu'on se soit donné à tâche de se trans-
mettre d'auteur en auteur (si je puis employer un mot un peu trivial) de
FONTES. — ERREURS PERSISTANTES DANS LA GEOGRAPHIE PYRÉNÉENNE 991
véritables bourdes à leur sujet, soit dans les cartes, soit dans les descrip-
tions. Certaines personnes, comme M. Schrader, sont arrivées à déraciner
beaucoup d'erreurs; mais c'est en vain que pour d'autres (de véritables
énormités), elles se sont évertuées : leurs efforts sont restés stériles et les
auteurs continuent à se léguer, pour ainsi dire, les plus belles inexacti-
tudes.
Je viens m'efforcer d'en signaler ici quelques-unes à la fois des plus
fortes et des plus tenaces, afin que, grâce à la publicité des travaux du
Congrès, les intéressés puissent faire leur profit de leur divulgation.
Je tiens, en même temps, à ne nommer personne, mon but étant, non
pas de faire le procès de ceux qui se sont trompés, faute de moyens de
contrôle des documents auxquels ils s'adressaient, encore moins d'éveiller
des susceptibilités, mais de contribuer à l'exactitude des cartes et des
descriptions.
Je me bornerai donc à vous citer, sans nom d'auteur, les principales
erreurs, écrites ou dessinées, qu'il m'a été donné de recueillir.
1° La plus invétérée, la plus énorme (il s'agit d'une partie importante
de la Catalogne : l'Ampourdan) est celle qui s'applique d'une manière
générale au versant espagnol des Albères, entre la dépression du Perthus
et le Saiifort.
En vain peut-on lire dans l'excellent ouvrage du commandant
Fervel (1), qui, dès 1851, disait, en parlant de ce versant sud :
« Le versant des Albères. — Nous avons vu que ses contreforts, tous
transversaux, courts et abrupts, sont continués par des enchaînements
réguliers de collines, parmi lesquelles, çà et là, quelques petites plaines... »
En vain M. Schrader, dans un excellent et court article publié en
1889 (2), nous dit-il :
« Mais c'est le versant méridional, qui était le plus étrangement défiguré
sur les cartes. A.u lieu de longs contreforts que tous les cartographes
représentaient descendant de la crête en longues barrières se prolongeant
jusqu'au milieu même de l'Ampourdan, les Albères tombent brusque-
ment sur la plaine et les villages perchés sur leurs avant-monts, s'éche-
lonnent en rangée, directement au pied de la crête frontière. »
• En vain notre collègue accompagne-t-il le texte d'une esquisse topogra-
phique très lisible, la plupart des cartes, même les plus récentes, conti-
nuent à couvrir le nord-est de la Catalogne de contreforts absolument
imaginaires, deux fois plus importants que ceux du versant français, alors
que c'est tout le contraire qui a lieu. De plus, dans une description
générale assez récente des Pyrénées, peu postérieure, nous trouvons, en
(1) Campagnes de la Hrrolutioii française dans les l'ij renées orienlalcs, par J.-N. FervisL. Paris,
Pillet lils, 1851. 2» partie, page :i80.
(2) Annuaire du Club Alpin Français. Quinzième année, 18S8, p. S20. F. Sciiradeh.
992 GÉOGUAPHIE
ce qui concerne les Albères proprement dites, c'est-à-dire de la partie
de ces montagnes qui va du col de Thourn au Perthus, à peu près en
substance ce qui suit, à savoir « que leurs crêtes sont nues, dentelées,
formées de parois presque verticales ; que leurs rameaux sont plus allongés
et leurs pentes plus douces et plus boisées sur le versant espagnol que
sur le versant français. »
C'est absolument faux, et, indépendamment des auteurs qui affirment le
contraire et que je viens de citer, je l'ai constaté à diverses reprises de
visu. Il se passe là absolument l'inverse de ce qu'on observe sur presque
tout le reste de la chaîne des Pyrénées. C'est du côté du versant français
que sont les contreforts allongés, couverts, jusqu'auprès des sommets,
d'uoe végétation luxuriante dans les districts de Larroque-des-Albères
(Bois Noir), de Sorède (forêt de Sorède), de Lavail (quartier de Montbram),
et même dans la partie haute du cours de la petite rivière de la Massane.
Des sources abondantes donnent à tous ces bois un charme particulier
pour quiconque quitte la plaine quelque peu bridante du Roussillon, en
bravant la fatigue d'une longue montée, pour aller visiter la crête fron-
tière. Celle-ci, au contraire de la description que je tiens à rectifier, est
bordée, de Saint-Martin-de-l'Âlbère au Saillbrt, d'une vraie pelouse de
gazon, un peu pierreuse parfois, il est vrai, mais praticable à des che-
vaux ou des mulets, et de bons marcheurs ordinaires (je ne dis même
pas « de très bons marcheurs ») font fréquemment la course du Perthus
à CoUioure, à Port-Vendres ou à Banyuls, dans une journée.
Quant au versant espagnol, la sensation que j'éprouve chaque fois que
je regarde le versant du haut d'un des pics de la frontière, surtout entre
Puig-Neulos et le col del Pal, me porterait à penser qu'un soulèvement,
qui aurait d'abord intéressé les deux pentes, aurait progressé jusqu'à un
peu moins de moitié de la hauteur actuelle de la crête. Puis, à ce niveau,
une fracture se serait produite suivant la crête du soulèvement, dessinant
la ligne qui forme aujourd'hui la frontière, et à la suite de cette fracture,
le côté français aurait continué seul à s'élever régulièrement jusqu'à la
hauteur qu'il aiteint actuellement, en intéressant, du côté de la France,
une bande de terrain proportionnelle à sa hauteur.
Je ne veux pas m'étendre plus longtemps sur ce sujet, mon but unique
étant de dénoncer l'erreur et d'indiquer aux cartographes, ainsi qu'aux
géographes écrivains, les sources où ils pourront puiser leurs reclili-
cations.
Ce n'est pas la première fois que je parle de cette étrangeté. Je l'aurais
peut-être passée sous silence sans la vue, il y a peu de jours, d'une carte
toute nouvelle qui la reproduit magnifiquement, plaçant la Junquera, qui
limite au sud les contreforts espagnols des Albères (à peu de distance du
Perthus) au milieu du prolongement de ces contreforts. Je me hâte
FONTES. — ERREURS PERSISTANTES DANS LA GÉOGRAPHIE PYRÉNÉENNE 993
d'ajouter que si l'on suit la chaîne de l'est à l'ouest, le faciès de ceux-ci
devient tout différent de celui que je viens de décrire, du Perthus au pic
de Costabonne, qui limite à l'ouest le prolongement des Albères.
2° Une seconde erreur invétérée contre laquelle j'ai eu plusieurs fois,
récemment encore, l'occasion de m'élever, est celle qui consiste à faire
descendre l'Ariège du massif du Carlitte, en même temps que l'Aude,
la Têt et le Sègre de Carol. Celle-là est du genre bizarre. Elle n'est éditée
que par les ouvrages descriptifs dus aux plumes les plus autorisées et
n'est généralement pas partagée par les cartographes, qui ont pour les
guider la carte de l'État-major, laquelle fait avec raison descendre l'Ariège
du pic de Font-Nègre, au sud-est du col de Puymorens, à 17 kilomètres
en ligne droite du pic de Carlitte. Je me suis demandé par suite de
quelle aberration les géographes descriptifs les plus sérieux avaient pu
rééditer aussi souvent ce roman, qui se reproduit souvent sous la même
forme. On parle « du curieux massif de Carlitte, d'où s'écoulent dans des
bassins différents l'Ariège, la Sègre, la Tôt et l'Aude ». Je ne puis me
l'expliquer que d'une manière, qui la rend très excusable. Il existe une
rivière que peu de cartes, sauf celle de l'État-major au ^^^-^, appellent de
son vrai nom d'Oriège, car elle est généralement indiquée sous le nom de
« rivière d'Orlu » plus généralement encore représentée sans nom. Son
cours est assez difficile à suivre en entier, car il ne faut pas réunir moins
de quatre carrés différents (Foix, Quillan, Prades et l'Hospitalet; pour
l'avoir en entier. C'est cette rivière daquelle, par la forme de son confluent
avec l'Ariège, mériterait de donner son nom à la réunion des deux cours
d'eau) qui prend sa source au pied du pic de Lanoux, dans le petit étang
Fauzy, au nord du grand lac de Lanoux, dans le pâté de montagnes
formé d'éléments très distincts au point de vue géologique, auquel les
géographes donnent le nom de massif du Carlitte.
Eh bien ! il aura suffi d'une simple coquille d'un typographe, mettant
un A au lieu d'un 0, pour faire endosser une première fois l'erreur à un
de ces auteurs dont on ne vérifie pas les assertions, et pour que la coquille
ait été reproduite pendant longtemps par d'autres auteurs sérieux n'ayant
pas visité cette partie des Pyrénées.
Je n'entrerai pas ici dans une description du cours de l'Oriège qui n'y
serait pas à sa place. Je renvoie ceux qui désireraient le connaître en
détail aux bulletins de la Société de Géographie de Toulouse (l), où
l'erreur est dénoncée.
Je ne tiens, dans le moment présent, qu'à une seule chose, c'est à signaler
celle-ci pour permettre à ceux qui l'ont commise de la corriger dans leurs
prochaines éditions, et je m'estimerai heureux si j'obtiens ce résultat.
(1) Bulletin de la Société de Géographie de Toulouse, année 1892. Un cours d'eau méconnu, p. 123.
63*
994 GÉOGRAPHIE
3° Une erreur fréquente, qui continue à se perpétuer malgré les travaux
de M. Schrader et de ses cartes des Pyrénées centrales, concerne le val
d'Aran, en dépit des rectifications apportées aux cartes récentes de TÉtat-
major au ^„.
Cette erreur provient elle-même des fautes des anciennes cartes de cette
région qui ont été reproduites dans la partie blanche du carré au ^-^^ de
Ludion. Ce dernier restreint et déplace tellement le cours du Rio Inola
ou Juela, que les cartes réduites font mieux : elles le suppriment tout à fait
ainsi que la vallée secondaire où il coule. Ce n'est pourtant pas un infini-
ment petit négligeable que ce curieux val de l'Inola, dont la direction est
nord-sud et qui demande environ six heures de marche (arrêts non
compris) à un bon piéton pour être descendu en entier, des étangs de Liât
à Salardu. Les plas de Liât et del Tour, dont les eaux vont s'engouffrer
avec fracas dans une sorte de souterrain, laissant pendant assez longtemps
le thalweg sans le plus mince ruisseau, la source qu'on retrouve plus
bas, d'où s'échappe doucement une eau qui parait très différente de celle
qu'on a vu se perdre à l'amont (à tel point qu'il semble difficile que ce
soit la même, même filtrée;, sont des particularités dignes d'intérêt de
cette région qui mériterait de n'être pas supprimée ou réduite à un état
voisin de zéro.
C'est pourtant ce que font encore aujourd'hui bien des cartes nouvelles,
nombre d'atlas débités par souscription.
11 est curieux de constater sur la carte de Stiehler de 1876 (publiée, il
est vrai, avant les travaux de M. Schrader), la suppression complète du val
de riiïola dont le cours devrait occuper près d'un centimètre. 11 s'agirait
d'un pays presque inconnu qu'on ne se tromperait pas mieux. Mais en
voilà assez, peut-être trop, sur ce sujet.
II
Il ne me reste à vous signaler, plutôt comme exemples que comme
rectifications, que quelques points de détail sur lesquels certains auteurs,
aussi autorisés que recommandés par le soin qu'ils apportent à leurs pro-
ductions, ont commis des erreurs assez grosses pour provoquer l'étonne-
ment.
1° Je lis, par exemple, dans un ouvrage didactique qui a acquis une
juste notoriété, que « la Neste descend du cirque de Troumouse » dont
toutes les eaux (il est facile de s'en convaincre, la carte de l'État-major
à la main) vont s'écouler dans le gave de Pau, tandis que toutes les
Nestes envoient leurs .eaux à la Garonne. La confusion, pour quelqu'un qui
FONTES. — ERREURS PERSISTANTES DANS LA GÉOGRAPHIE PYRÉNÉENNE 99o
n'a pas visité cette région, peut s'expliquer comme suit : On peut soutenir
que la principale des Nestes, la Neste d'Aure, descend des lacs de Barroude
€t prend sa source au pied du pic de Troumouse, fort peu connu, tandis
que le cirque de ce nom a une certaine célébrité. On a fort bien pu
écrire correctement dans un brouillon, après avoir consulté la carte, que
la Neste descendait du pic de Troumouse, puis, à la correction des épreuves,
avoir cru à un lapsus, à cause du peu de réputation du malheureux pic,
et de cette façon avoir commis, d'un trait de plume, une énormité en
croyant réparer une erreur.
S'" Une carte récente de la Haute-Garonne, rédigée à une échelle qui
n'aurait pas dû permettre cette faute, place le pic de Cagire à une assez
grande distance (3 ou 4 kilomètres) de sa véritable position, à l'emplace-
ment et avec la cote que fixe l'État-major pour la montagne de Cagire.
Si l'auteur de la carte eût été un Pyrénéen, il n'eût pas confondu le
mot montagne, qui a pour nous le sens d'Afp, pâturage élevé (1), avec le
mot pic, et il aurait su que le mot de Cagire est celui qu'on attribue dans le
pays au sommet dénommé Piquepoque sur le — — ^ (probablement pic où
il y a une poche, un trou, à cause d'une particularité remarquable de ce
sommet) et que les mots de « montagne de Cagire » signifient : «Pâturages
élevés dépendant de Cagire ». Quelque chose d'analogue se retrouve dans la
vallée d'Aure, où la « montagne de Badet » est assez éloigné du pic
«Badet».
J'en passe et des meilleurs, car je n'ai choisi que les très bons auteurs,
et si j'en venais à certaines encyclopédies récentes, je vous ferais voir bien
des choses plus curieuses, par exemple que « le département de la Haute-
Garonne renferme le point culminant des Pyrénées, le pic de Néthou
(3.482 mètres)!!... »
HI
Je m'arrête dans cette voie, car je n'ai pas ici pour but de provoquer
voire hilarité. Mes intentions sont moins frivoles. Ce à quoi je tiens, c'est
à signaler une fois de plus aux géographes sérieux les diflicultés de la
description cartographique ou écrite des Pyrénées qui, au point de vue
de l'exactitude géographique, n'ont été réellement découvertes que récem-
ment. 11 suffit de jeter les yeux sur les cartes des Pyrénées du siècle
dernier, ou de lire l'intéressant article du commandant Prudent sur les
erreurs de la carte de Capitaine (2), pour s'en convaincre.
(1) 'Ay-fi e; "A').T.ii; Ta; i> o;i: xi3 IIuîT.vaiu ouri; — PROCOPE.)
(2) Annuaire du Club Mpiri Français, année 18"7, p. 41" à 422.
996 GÉOGRAPHIE
Les documents absolument exacts, surtout dans le détail, sont encore
très peu nombreux en ce qui concerne les Pyrénées. Mais ils sont indis-
pensables à consulter. Comme cartographie, notre État-major défie encore
la critique, au moins dans ses grandes lignes, pour le versant français.
Pour le versant espagnol, MM. Wallon et Schrader ont rectifié bien des
erreurs et même l'esquisse topographique des Albères de ce dernier, déjà
citée, n'est pas, comme on l'a vu, à négliger. Quand on peut se les pro-
curer, il est bon de consulter les belles cartes de M. le colonel Coëllo.
Enfin, dans les annuaires du Club Alpin Français, bien des travaux d'alpi-
nistes, dont il serait trop long de citer les noms, sont plus que dignes
d'attention, comme texte et comme cartes.
Parmi les documents écrits, je citerai les ouvrages de M. le comte
Russell et la carte descriptive de M. Packe, assimilable à un itinéraire.
Enfin, le Guide Joanne, qui autrefois contenait beaucoup d'erreurs, est
devenu, grâce aux patientes rectifications apportées à ses éditions succes-
sives, un monument géographique respectable et qu'on ne saurait néghger.
Enfin, une fois ces précautions prises, je conseillerai à ceux qui, étran-
gers à la région pyrénéenne, tenteraient de reproduire sur carte ou de
décrire tout ou partie de cette région, de soumettre après coup leur travail,
avant de le publier, à la critique de personnes connaissant quelque peu
(le visu le terrain. C'est, je crois, en l'absence d'un Institut géographique
pyrénéen, le seul moyen d'éviter de commettre de grosses erreurs, comme
celles que je viens de signaler, erreurs cependant aussi difficiles à éviter
a distance que faciles à critiquer sur les lieux, comme je le fais en ce
moment .
Je le fais cependant, croyez-le bien, sans arrière-pensée malveillante, en
n'ayant en vue que le désir de procurer à nos belles montagnes, qu'on ne
saurait fréquenter sans les aimer, la « pourtraicture » fidèle à laquelle elles
ont droit, et non sans m'étre dit qu'une fois que j'aurai terminé mon réqui-
sitoire contre les erreurs, on pourra fort bien me poser telle question qui
me force à répondre, comme l'oiseau de la fable :
Messieurs, je sifiïe bien, mais je ne chante pas.
H. DUPONT. — LE BASSIN COMMERCIAL DE LA SEINE 997
M. ïï. DÏÏPOIfT
Vice-Président de la Section de Géologie de la Société de Topographie de France, à Paris.
LE BASSIN COMMERCIAL DE LA SEINE
— Séance du 2/ septembre 4892 —
Le bassin parisien est une vaste enceinte presque circulaire, dont le
contour est marqué par une série de collines interrompue par la Manche
et appartenant, pour la plupart, au terrain jurassique. Leurs plus hauts
sommets, le grand Montarnu (847 mètres) et le haut Folin (900 mètres)
se trouvent dans le Morvan, bastion avancé du massif central. Cette
enceinte en renferme elle-même deux autres, crétacée et tertiaire, à peu
près concentriques. Ces bandes de terrain sont comme les gradins d'un
amphithéâtre que traversent successivement la Seine et ses affluents.
Si cette région n'est pas la plus grande, puisqu'elle ne mesure que
7.800 kilomètres carrés, c'est du moins la plus régulièrement disposée et la
plus importante. Comparativement aux autres, elle est peu accidentée,
hormis entre Reims et Provins, espace qui fut le théâtre des principales
batailles de la campagne de France, et entre Troyes et Joigny, où se
trouve la forêt d'Othe; mais les plaines si remarquables par leur perméa-
bilité, les vallées, les forêts, les coteaux, les montagnes forment un en-
semble admirable qui se marie agréablement sous un climat dont la
température moyenne est de 10°,9. Au nord, il rappelle les brumes,
mais aussi l'humidité féconde de la Hollande et des Iles- Britanniques ;
au sud, la tiède température de la Touraine ; à l'est, les froids de l'Alle-
magne ; à l'ouest, l'égalité des climats maritimes maintenue par le Gulf-
Stream. A part la Champagne pouilleuse, le paysage, malgré la sobriété
de ses lignes, varie à l'infini et revêt je ne sais quelle grâce qui se reflète
sur les habitants. Les alentours de la capitale sont charmants. Où trouver,
en effet, des sites plus enchanteurs qu'à Fontainebleau, Versailles, Saint-
Germain, Compiègne, Montmorency, etc. ? Les tableaux des paysagistes
Corot, Rousseau, Millet nous donnent bien la note de cette nature élégante,
discrète et pleine d'une intime poésie. La Normandie, si bien dépeinte par
Flaubert, a aussi ses attraits dans ses pâturages, ses forêts et ses plages.
998 GKOGRAPHIE
Dites, Messieurs, de tels sites ne sont-ils pas faits pour y fixer une popu-
lation laborieuse?
Nulle part, l'agriculture n'y a reçu un plus grand développement,
aussi les céréales, les légumes, les fruits, les fourrages y viennent en
quantité et favorisent en partie l'élevage des bestiaux; l'industrie s'y
manifeste sous mille formes : elle produit des articles comme les tissus,
les meubles, les tapis, les porcelaines, les bijoux, les instruments de
précision, les fleurs artificielles, etc., dont le fini rend jaloux tous les
États de l'Europe ; le commerce, soutenu par des institutions de crédit
de premier ordre, éclairé par les Chambres de commerce et la Société de
Géographie commerciale, fonctionne avec une activité fiévreuse et se
déploie selon les règles de l'équité et de l'honneur, qui inspirent à l'uni-
vers entier une confiance absolue, comme l'attestent tous nos emprunts.
Aussi, lorsque te marché parisien éprouve une secousse, tous les autres-
en ressentent le contre-coup. Paris, qu'on le veuille ou non, est, autant
que Londres, un marché régulateur. Ses transactions influent énormé-
ment sur la richesse de tout le bassin. Son appoint de quatre milliards
lui donne de ce chef une prédominance sur les autres. Paris doit tout à
sa position. « Ce n'est, dit Élie de Beaumont, ni au hasard, ni à un
caprice de la fortune que Paris doit sa splendeur, mais à son assise géo-
logique, et ceux qui sont étonnés de ne pas trouver la capitale de la
France à Bourges ont montré qu'ils n'avaient étudié que d'une manière
imparfaite la structure de leur pays. » Cette région réunirait toutes les
conditions si elle possédait quelques mines et un plus grand nombre de
sources minérales; mais elle présente des ressources si variées, des plaisirs
si divers et si répétés qu'on oublie vite ce qui lui manque.
L'importance de ce bassin ne saurait échapper à personne. Il est situ.é
sur la Manche, arrosé par quatre-vingts cours d'eau, dont douze seulement
de navigables. Cette insufTisance est rachetée par vingt canaux, secondés
eux-mêmes par cinq réseaux de chemins de fer qui étendent leurs nom-
breuses lignes secondaires sur toutes les parties de son territoire, par
quarante-cinq routes qui sont autant d'artères qui portent la vie là
où elles passent, ayant pour auxiliaires la poste et le télégraphe. Il est.
en outre, desservi par dix-huit ports, dont le principal est le Havre, qui
communique avec six cents autres disséminés dans tous les pays du
monde. Ceux-ci, avec les différentes voies fluviales et terrestres, con-
courent à lui donner des débouchés faciles. Leurs chiffres d'affaires
dépassent deux milliards. Ce n'est pas sans raison que J.-B. Say dit :
« Les moyens de communication favorisent le commerce précisément de
la même manière que les machines qui multiplient les produits de nos
manufactures et en abrègent la production. Ils procurent le même produit
à moins de frais. Ce calcul, appliqué à l'immense quantité de marchan-
H. DUPONT. LE BASSI.N COMMERCIAL DE LA i^EINE 999
(lises qui couvrent les routes d'un État populeux et riche, depuis les
légumes qu'on porte au marché jusqu'aux produits de toutes les parties
du globe, qui, après avoir été débarqués dans les ports, se répandent
ensuite sur toute la surface d'un continent; ce calcul, dis- je, s'il pouvait
se faire, donnerait pour résultat une économie presque inappréciable
dans les frais de production, La facilité des communications ('-quivaut à la
richesse naturelle et gratuite qui se trouve en un produit lorsque, sans
la facilité des communications, cette richesse naturelle serait perdue. »
Comme on le voit, notre bassin jouit d'immenses avantages. Que
sera-ce, si le projet de Paris port de mer et celui du canal du Nord
reçoivent leur exécution? C'est à nous qu'il convient de préparer les
pouvoirs publics à les entreprendre, puisque leurs soucis sont moindres
depuis l'ouverture des canaux de l'Est, du Havre à Tancarville et de l'Oise
à l'Aisne.
Permettez-moi de laisser ces considérations générales pour entrer dans
des détails plus précis, afin de faire valoir toute l'importance de la vraie
région de la Seine.
Grâce à son immense population et à la facilité des transports, Paris en
est le plus grand marché :
1° Pour les denrées alimentaires qui viennent, de tous les points du
territoire et des circon voisins, s'entasser soit dans les Halles Centrales, la
Halle au Blé, les Entrepôts de Bercy, soit au marché de la Villette et
les marchés secondaires (viandes, 67 millions de kilogrammes ; pois-
sons, 40 millions de kilogrammes ; fruits et légumes, 16 millions de kilo-
graumies ; beurre, œufs, fromages, 34 millions de kilogrammes ; grains
et farines, 12.000 quintaux ; introduction de près de 3 millions de
têtes à la Villette ; de plus, 4 millions d'hectolitres de vinj. Les denrées
coloniales sont également fort prisées sur cette place.
2" Pour les matières premières (alcools, huiles, raisins secs, combus-
tibles, matériaux de construction, suifs, asphalte, bitume, cuirs).
3° Pour son industrie parisienne Cmeubles, joaillerie, bijouterie, orfè-
vrerie, bronzes, quincaillerie, porcelaine, papiers peints, carrosserie,
librairie, fleurs artificielles, produits chimiques, modes, parfumerie, tissus,
vêtements, lingerie, passementerie, chapellerie, cuirs ouvrés, objets
d'ameublements).
Pour l'ensemble des divers produits susceptibles de taxe, l'octroi perçoit •
137 millions.
En résumé, on peut dire que Paris est le centre et le foyer de la
grande et de la petite industrie française et qu'il exerce toutes les pro-
fessions, sans en excepter une seule. La banlieue, les départements de la
Seine, de Seine-et-Oise et de Seine-et-Marne se rattachent si étroitement
par leur commerce au sien qu'il nous est impossible de les en séparer :
1000 GÉOGIlAl'HIE
ils ne travaillent que pour lui, de sorte que, réunis, leur mouvement
représente le liuitième de notre commerce intérieur.
C'est de Paris que nous devons nous placer pour embrasser d'un coup
d'œil l'ensemble des principaux marchés de ce bassin.
Au nord, nous avons Beauvais, sur le Thérain (18.441 habitants), ville
desservie par cinq lignes et remarquable par ses manufactures de tapis,
de couvertures, de draps, de mérinos, de boutons de nacre, de brosserie
fine, ses papeteries (1.443.000 francs), par son marché de céréales, de
bestiaux, de laines et de poteries, etc.
Amiens, sur la Somme (80.288 habitants), centre traversé par huit
lignes, important pour ses articles particuliers : anacoste, escots, cache-
mires, reps, popelines, qui lui procurent un bénéfice de 12 millions,
velours de coton et d'Utrecht. A ces cinquante filatures, occupant
125.000 broches, se joignent d'autres établissements renommés de bonne-
terie (!2o.000 ouvriers), de produits chimiques, de papeteries, etc.
Saint-Quentin, sur la Somme (47.3o3 habitants), traversé par trois
lignes et par le canal de la Somme à l'Escaut, dont la production en
tissus de toutes sortes, en produits chimiques et en sucres indigènes,
atteint 90 millions de francs.
A l'est, Chalons-sur-Marne (23.648 habitants), pour ses vins et ses
lames, ses papiers peints (GOO. 000 rouleaux par an).
Reims, sur la Vesle et le canal de l'Aisne à la Marne (97.903 habitants),
desservie par cinq lignes, qui doit sa fortune à ses tissus de flanelles, de
mérinos (valeur 80 millions), pour lesquels on emploie 30 à 36 millions
de matières premières, ses vins de Champagne (60 millions), à sa mer-
cerie, son épicerie en gros, ses massepains et biscuits, etc.
Au sud, Troyes, sur la Seine (46.972 habitants), desservi par trois
lignes, estimé pour sa bonneterie (40 millions), sa charcuterie et son
commerce de laines, céréales, vins et blanc de Troyes, exportant la phi-
part de ses produits en Suisse et en Amérique.
CiiAUMONT, sur la Marne (12.852 habitants), renommé par sa ganterie
(100.000 douzaines, 3 millions), ses tanneries, qui partage avec Saint-
Dizier, un des marchés régulateurs de la métallurgie française, et Langres,
le commerce des grains, des cuirs, des toiles, des fers et surtout de la
coutellerie (10.000 ouvriers, 3 millions).
. Auxerre, sur l'Yonne (17.456 habitants), qui, avec Avallon (6.335 habi-
tants), servent d'entrepôts aux bois flottés, aux vins, céréales, chanvres,
briques de Bourgogne septentrionale.
Chartres, sur l'Eure (21.903 habitants), desservi par six lignes, centre
du commerce des grains et des laines de la Beauce, remarquable par
ses manufactures de vitraux peints, ses mégisseries et ses fonderies
de fer.
II. DUPONT. LK BASSIN COMMEHC.l.VL DE LA SEINE 1001
EvREux, sur l'Iton (16.^05 habitants), qui centralise avec Bernay le
commerce des grains, des bestiaux, des laines et des chevaux.
A l'ouest, Rouen, sur la Seine (107.163 habitants), le plus grand
marché de la Normandie, grâce aux sept lignes qui le traversent. Cette
ville a remplacé Mulhouse pour les colonnades, dont le produit atteint
80 millions. Autour d'elle se groupent : Yvetot et Bolbec, pour les céréales ;
Neufchàtel, pour les fromages et la volaille; Caudebec, pour les fruits
et les légumes; Elbeuf (90 millions d'affaires) et Louviers, pour leurs
draps. Les villages qui entourent Rouen sont des centres industriels
très importants qui lui fournissent un gros contingent dans la fabrication.
Ce faible aperçu peut déjà donner une idée de la puissance de ces
différents facteurs, si nous voulons tenir compte de ce qui se passe dans
leur rayon. Mais si on désire la résumer d'une manière à la fois simple
et précise, on peut dire que la Normandie envoie à Paris ses bestiaux et
le pi'oduit de ses basses-cours, le Nord ses étoffes et son charbon, l'Ile-
de-France ses pierres de construction et ses légumes, la Champagne et
la Bourgogne leurs vins, le Morvan son bois, la Beauce le blé qui doit
le nourrir.
Maintenant, nous allons passer brièvement en revue ce que sont dans
ce bassin l'agriculture, l'industrie et le commerce.
L'agriculture, avons-nous dit, fournissait un grand contingent à sa
richesse. En effet, nous pouvons estimer à 4 milliards ses productions
tant animales que végétales, en y comprenant la main-d'œuvre qui est
relativement bon marché. Les céréales entrent dans ce chiffre pour
713 millions et demi ; c'est surtout l'Eure-et Loir, l'Aisne et l'Oise qui en
fournissent le plus. Viennent ensuite les pommes de terre pour 91 mil-
lions, avec Seine-et-Oise au premier rang. Les animaux de ferme y
figurent pour un milliard et demi, les vignes pour 143 millions, les bette-
raves pour 60 millions, cultivées en grand dans les départements de
Seine-et-Marne, de Seii^e-et-Oise, de l'Aisne et de l'Oise. Dans cette sta-
tistique manque le produit des forêts, des fruits de table et des fleurs.
Notons que treize départements produisent pour 7o millions de cidre.
Malgré la création de nombreuses fermes modèles, d'écoles d'agriculture,
de comices et de sociétés agricoles, l'établissement des Concours régionaux
et des Expositions agricoles, notre région est loin d'être aussi productive
que l'Angleterre et certaines contrées de l'Amérique du Nord, dont le sol
est plus neuf, il est vrai ; mais il faut espérer que, dans un avenir pro-
chain, elle arrivera à de meilleurs résultats si elle fait un plus grand usage
des machines, des engrais, et surtout si ses enfants, attirés trop souvent
par le gain facile qu'offrent les grandes villes, restent attachés au sol qui
les a vus naître.
L'industrie, réputée 16 milliards dans toute la France, occupe une
1002 GÉOGRAPHIE
place considérable dans ce l)assin. Domergue l'estime à près de 5 mil-
liards. D'après lui, ce sont .les départements de la Seine, de la Seine-
Inférieure, de l'Eure, de l'Aisne, des Ardennes et de la Marne qui l'em-
porteraient comme production industrielle; mais nous croyons qu'il est
très difficile d'en donner une évaluation bien précise, vu les données
qui nous manquent pour certaines industries. Ainsi, pour les matières
textiles si utilisées dans la Seine-Inférieure, l'Eure, l'Aube, l'Aisne et la
Marne, on ne peut donner que le nombre de broches et d'ouvriers, soit
2.7oo.933 et 103.349. ou le tiers de toutes les broches françaises en
activité ; pour les appareils à vapeur, nous ne pouvons accuser que celui
des machines et de leur force en chevaux-vapeur, soit 18.457 et ^22.0.78,
ou le tiers de toutes les machines à vapeur, surtout très nombreuses
dans la Seine et les départements avoisinants. L'Annuaire statistique est
moins discret pour les suivants : les combustibles minéraux donnent
224 millions, le gaz 83 millions, les minerais 400.000 francs, la produc-
tion métallurgique près de 60 millions, les industries du logement (céra-
mique, verrerie, glaces) 6i millions, les industries chimiques (bougie,
savon, alcool) 94 millions, les raffineries 245 millions, le papier et le
carton près de 22 millions. Le tabac rapporte au fisc lOo millions. Avec
les produits minéraux, on pourrait arriver à un milliard, chiffre encore
inférieur à la production réelle. Peut-être les différentes chambres de
commerce de la région pourraient-elles nous aider à combler cette diffé-
rence ! Lors de notre dernière Exposition universelle, nous avons pu
nous convaincre de notre force industrielle et constater avec un légitime
orgueil que la plupart de nos articles pouvaient rivaliser avec ceux des
autres nations, quand ils ne les dépassaient pas.
Le commerce, pour effectuer ses échanges, a besoin d'intermédiaires,
comme les monnaies, les poids et mesures, les routes, les chemins de fer,
les canaux, auxquels il faut ajouter le télégraphe, la poste et le téléphone
pour les grandes villes.
Le commerce qui s'exerce sur les produits naturels du sol, sur ceux
de nos usines, fabriques et ateliers, et sur toutes les marchandises impor-
tées de l'étranger, s'élève pour la France, selon H. Mager, à plus de
80 milliards.
Pour notre commerce général de 1888, l'Annuaire accuse 10 milliards
et pour notre commerce spécial 8 milliards.
Nous ne chercherons pas à évaluer le trafic opéré par les messageries
sur les routes qui sillonnent notre bassin. Il est toujours relativement
considérable aux environs des grands centres. Nous nous occuperons sur-
tout des chemins de fer, dont le tonnage atteint près de 8 millions de
tonnes et dont les recettes s'élèvent à 121 millions de francs, ce qui
représente le huitième du trafic de toutes les lignes françaises ; des
H. DUPONT. LE 15.VSS1N COMMEllClAL DE LA SELNE 1003
tramways, qui par 334 kilomètres perçoivent 23 millions comme produit
brut sur 35 millions résultant de l'exploitation totale; des bateaux pari-
siens, qui ont transporté en 1887 plus de 16 millions de voyageurs et
rapporté plus de 2 millions à la Compagnie; des canaux qui transportent :
combustibles minéraux, matériaux de construction, engrais et amende-
ments, bois à brûler et bois de service, machines, industrie métallique,
produits industriels, agricoles, denrées alimentaires, divers, bois llotlés
de toute espèce; soit un total, pour 1889, de 24.059.182 tonnes, nombre
qui excède de 739.482 tonnes celui de l'exercice précédent.
Examinons la répartition des transports par lignes de navigation.
1° Vers la frontière belge, une des plus grandes voies :
L'Oise canalisée, le canal latéral à l'Oise, le canal de Manicamp,
le canal de Saint-Quentin ont transporté.. Tonnes. 605.304
2" Vers la Meuse :
L'Aisne canalisée, le canal latéral à l'Aisne, le canal
des Ardennes 267.490
3° Vers la frontière de l'est :
La Marne, de Charenton à Dizy, le canal latéral à la
Marne 274.455
4° Vers l'Océan et le sud :
La Seine, du Havre à Rouen. . Tonnes. 54.826
— de Rouen à l'Oise 935.669
— de l'Oise à la Rriche 69.748
— de la Rriche à Paris 90.965
— Traversée de Paris. . . . -. 1.017.483
— de Paris à Corbeil 1.166.902
— de Corbeil à Montereau. . . . 174.889
— de Montereau à Laroche ... 48.016 ,
§0 Yçj.g ]j^ Loire :
Canal du Loing Tonnes. 198.896
3.758.498
Soit, pour la région, un total de plus de 5 millions de tonnes; ce qui
fait un peu plus du quart de notre navigation intérieure. En estimant
à 40 centimes par tonne et par kilogramme le prix du transport, on
1004 GÉOGRAl'HIE
arrive à un chiffre respectable, mais pourtant assez difficile à calculer,
vu les prix divers sur chaque tronçon, l'époque de l'année et la con-
currence.
Nous mentionnerons pour mémoire le tonnage des canaux qui nous
a voisinent :
Canal de l'Ourcq Tonnes. 450.285
— Saint-Denis. 1.718.239
— Saint-Martin 712.413
Notons que la part du trafic revenant à la navigation à vapeur est
très faible (325 tonnes) : c'est un peu plus que la moitié du transport
total par bateaux à vapeur.
Les routes, les chemins de fer, les cours d'eau desservent et approvi-
sionnent les places ou les marchés des grandes villes; mais l'excédent
des denrées ou des marchandises est réservé aux contrées qui en man-
quent et dirigé à cet effet vers les ports qui se chargent, au moyen de
leurs vapeurs et de leurs voiliers, de les faire parvenir à destination.
Le principal débouché de la région est le Havre, qui offre une sur-
face d'eau de 64 hectares et près de 10 kilomètres de quais. Les docks
s'étendent sur 28 hectares et peuvent contenir 150.000 tonnes de mar-
chandises. 14.000 navires entrent et sortent chaque année de ce deuxième
port de France.
Le chiffre de ses exportations est de 927.677.575 francs. En première
ligne viennent :
Les tissus, passementerie, rubans de soie, bourre de
soie Fr. 145.487.520
Les tissus, passementerie et rubans de laine 90.806.259
Les tissus, passementerie et rubans de coton 86.575.199
Le café 84.364.872
Les peaux préparées 69.941.171
Les vêtements 30.253.877
Enfin, citons la tabletterie, les éventails, la brosserie, les peaux et les
pelleteries brutes, la soie et la bourre, les outils, le coton, l'horlogerie,
les extraits de bois de teinture, la bijouterie fausse, les vins, le beurre
qui figurent pour une valeur comprise entre 20 et 10 millions;
Le papier-carton, les tissus de lin et de chanvre, les médicaments,
les machines, la plume de parures, les poteries, les produits chimiques,
les modes, les meubles, les fromages, le sucre, la parfumerie, les cha-
peaux, pour une valeur comprise entre 10 et 3 millions.
H. DUPOiNT. LE TUAFIC COMMERCIAL DE LA SEINE iOOo
Le cliifîrc de ses importations est de 8o9.903.289 francs ; elles con-
sistent en coton, café, laines, tissus divers, huiles, graisses, cuivre, soie
et bourre, indigo, tabac, horlogerie, houille, bois commun, fromages,
viandes fraîches, eau-de-vie, dont la valeur est comprise entre 13(3 et
4 millions.
Valeur de la pêche : 230.071 francs.
Autour de ce satellite gravitent :
1° Rouen, port de mer au môme titre que Bordeaux et Nantes. 11
exporte pour 37.833.791 francs de marchandises; ce sont : sucres, drilles,
meubles, outils, peaux brutes, produits chimiques, bimbeloterie, semences,
bitume, coton ou laine, cuivre pur (de 4 à 1 million), blé, fruits, vins,
alcool, suif, huiles, etc.; il importe pour 159.53G.9I5 francs de coton,
houille, fers d'Angleterre, marbres, plomb et laine d'Espagne, zinc, etc.
Valeur de la pèche : 29.053 francs.
2° Dieppe (23.0o0 habitants), dont le port est excellent. Ses exporta-
tions montent à 156. 075.486 francs, ses importations à 80.370.713 francs.
Les premières consistent en peaux (19 millions), tissus de soie, plumes,
œufs (6 millions), fruits, Heurs, fils, bimbeloterie, beurre, horlogerie,
fromage, outils, céréales, articles de Paris, vins, poteries, papier, légumes
verts, etc. Les secondes, en bois Scandinaves, fers de Suède, chanvre de
Russie, laines, houilles, fontes anglaises, etc.
Valeur de la pêche : 1.288.585 francs.
3° Fécamp (13.000 habitants), le port le plus profond de la Manche
(19'°,30 à la hauteur mer de vive eau) et le plus important pour les arme-
ments de la pêche à la morue, du maquereau et du hareng. 11 reçoit de
la Baltique les bois de construction, les charbons, les grains; il expédie
le galet noir et la marne pour les usines anglaises, la liqueur dite Béné-
dictine, Son mouvement maritime comprend 500 navires et 60 bâtiments
destinés à la pêche de la morue.
Valeur de la pêche : 6.376.755 francs.
4° Saint- Valéry -en-Caux (5.000 habitants), qui fait les mêmes arme-
ments, exporte les produits de l'arrondissement d'Yvetot, le galet noir
pour la fabrication de la porcelaine anglaise, et importe les charbons,
les bois du Nord, les grains.
Valeur de la pèche : 631.870 francs.
5° Le Tréport (4.000 habitants) exporte la farine, le froment, les tour-
teaux, les biscuits de mer: importe la houille, les bois du Nord, le lin
de Russie, les ardoises et les grains.
Valeur de la pèche : 857.268 francs.
6° Eu (4.500 habitants) exporte les farines provenant des minoteries de
la localité et importe les charbons et bois du Nord.
1° Etretat (1.650 habitants), petit port de |>êche.
lOOG GÉOGRAPHIE
8° Veilles et Yport (1.700 habitants), ports d'échouage.
9" Harfleur. Tancarvillc, Villequier, Caudebec, Duclair, la Meilleraye,
qui ont peu d'importance ; Quillebeuf, dont le tonnage n'est que de
o.OOO tonnes par an.
10° Pont-Audemer flj.lGS habitants), qui exporte du cidre, des toiles et
des bestiaux.
11° Honfleur (10.000 habitants) complète cette série de ports; il exporte
10 millions de kilogrammes d'œufs, 4 millions de beurre, 2 millions de
fruits de table, des chevaux, des animaux de boucherie, des céréales,
des huiles de graine, des papiers, de la verrerie, de !a porcelaine, du
cuir, des fromages; il importe des bois du ,Nord, les charbons anglais,
les fontes et fers de Suède.
Valeur de la pêche : 397.470 francs.
Tous les produits de la région ne s'écoulent pas tous par les ports
précités, d'autres partent par Dunkerque, Boulogne et Calais. Aussi
croyons-nous utile de les faire participer pour un tiers dans le trafic
total .
Pour ce qui concerne la poste, le télégraphe et le téléphone, nous nous
contenterons d'en accuser les produits nets (64 millions 145.000 francs).
Quant aux douanes, elles dépassent de moitié la perception totale, qui
monte à 337 millions et demi.
Nous pourrions montrer les relations de ces différents ports avec tous
les pays du monde, mais nous ne voulons pas abuser de votre extrême
bienveillance.
Tel est l'exposé succinct de ce bassin, exposé que nous aurions désiré
rendre plus complet, si nous n'avions été arrêté par des difficultés de
toutes sortes. Les chiffres que nous avons donnés sont de la plus rigou-
reuse exactitude, grâce aux documents que notre collègue M. Turquan
a daigné nous signaler. Si nous ne craignions d'être désapprouvé par
les membres du Congrès, nous oserions bien donner 15 milliards comme
chiffre d'affaires de la région de la Seine, mais nous craignons d'être
en deçà ou au delà de la vérité.
Nous serions heureux pourtant de voir ce travail pris en considération
et étudié dans ses grandes lignes par ceux qui s'occupent de géographie
économique ; car, avant de songer à notre expansion coloniale à laquelle
nous ne sommes pas opposé, il faut songer aux besoins de la France,
afin de lui permettre de lutter avec succès contre les nations rivales sur
le champ de bataille commercial.
E. ROSTAND. DES CAISSES d'ÉPARGNE FRANÇAISES 1007
M. Eugène EOSTAID
Lauréat de l'Institut, Président de la Caisse d'épargne de Marseille.
DE LA REFORME DE LA LEGISLATION SUR LE RÉGIME D'EMPLOI DES CAISSES
D'ÉPARGNE FRANÇAISES
— Séance du 16 septembre 1892 —
Si j'ai tenu à présenter au Congrès la question de la réforme du ré-
gime légal d'emploi des caisses d'épargne françaises, c'est qu'elle est
une des grandes actualités économiques du moment, qu'elle touche à des
intérêts immenses, un capital de trois milliards et demi, la destinée de
plus de o40 institutions, et qu'il y a dans notre économie sociale à
ce point de vue une déviation, un arriéré qui appellent lin avancement
nécessaire — l'objet propre de votre Association. — Cet exposé me sera
plus facile sous l'autorité des idées générales que viennent d'indiquer une
fois de plus, à propos du rôle de l'action privée et des limites de l'inter-
vention de l'État, MM. Léon Say et Frédéric Passy.
En quels termes se pose, pour la science économique, pour une éco-
nomie publique saine, le problème de l'emploi des capitaux maniés par
ces institutions qu'on appelle des caisses d'épargne ?
Elles tiennent de leur nature même et de leur but deux fonctions :
recueillir les épargnes populaires pour les préserver, employer ces épargnes
à l'avantage des déposants et du pays.
On est d'accord sur cette notion.
On l'est aussi, théoriquement au moins, sur les conditions auxquelles
les emplois doivent satisfaire pour que l'objectif soit atteint.
Les emplois devront :
1° Offrir le plus de sécurité possible;
2° Permettre une disponibilité suffisante pour pourvoir aux retraits ;
3° Par une fructification prudente, produire assez pour ne pas décou-
rager l'économie populaire, pour faciliter la marche et le perfectionnement
des institutions, pour leur procurer des réserves ;
1008 ÉCONOMIE POLITIQUE
4" Échapper aux stagnations, aux emplois passifs, faire concourir les
épargnes du peuple à la circulation économique, à l'activité locale, au
mieux-être des laborieux qui les ont formées.
Comment le problème a-t-il été résolu, en fait, expérimentalement?
D'après deux conceptions :
L'une, qu'on peut qualifier d'universelle, puisque c'est celle qu'ont
admise à peu près toutes les nations dans les deux mondes ;
L'autre, qui n'existe absolue que dans notre pays.
La conception universelle peut se formuler ainsi :
a. Pour les dépôts, régime de libre emploi sur place par les insti-
tutions, réglementé plus ou moins largement, avec les variantes nationales,
par la loi ou les statuts, en vue de répondre le mieux possible aux
conditions que j'ai énoncées ;
b. Pour les bénéfices de la gestion de ces dépôts, emploi d'une
partie, suivant les mêmes règles, à la constitution de solides réserves, et
restitution du surplus au peuple créateur de ces bénéfices en contribution
sous mille formes à l'amélioration de la condition morale ou matérielle
de ce peuple .
En a-t-il été de même en France ?
En aucune façon.
La conception française, — encore le mot n'est-il pas assez exact, car
M, Léon Say soutient (et c'est une idée qui lui est chère) que telle ne
fut point la conception originelle, qu'elle s'est altérée avec le temps, —
nous pouvons la définir comme voici :
a. Pour les dépôts, adduction intégrale à une caisse d'État, la Caisse des
Dépôts et Consignations, et emploi par cette Caisse seule exclusivement
en titres de la Dette d'État ou en compte courant au Trésor d'État ;
b. Pour les bénéfices de la gestion de ces dépôts, même absorption,
même emploi, sans que rien en profite aux déposants.
J'ai démontré ailleurs comment cette solution répond aux conditions
dont nous avons parlé. Il suffit d'indiquer :
Pour la sécurité, que les crises générales de nos caisses d'épargne en
1848 et en 1870 confirment les données du sens commun, que l'accrois-
sement du risque suit parallèlement celui du stock, qu'il s'aggrave encore
dans l'hypothèse d'un État tombant en des mains téméraires ;
Pour la disponibilité à vue, que l'atermoiement légalisé aux époques où
cette disponibilité est la plus nécessaire est la base môme du système;
Pour la productivité, qu'elle diminue constamment à mesure que
l'emploi s'opère en rentes achetées plus cher, et que même à une fixité
factice, arbitraire, du taux d'intérêt, il faudrait préférer (je vais ici un
peu plus lom que M. Dumond, dont l'excellente communication a précédé
la mienne) le revenu normal que se fait chaque institution;
E. ROSTAND. — DES CAISSES d'ÉPAUGNE FRANÇAISES 1009
Pour Vutilité, que le système en est la négation, noyant des milliards
d'épargne dans le passif de l'État.
En préférant à un semblable régime celui qu'elles ont choisi, les autres
nations ont été, au fond, dans la vérité économique et morale. Dès 1S83
dans l'admirable petit livre si suggestif que vous connaissez, M. Léon
Say, racontant ce qu'il venait de voir dans les caisses d'épargne
italiennes, et comparant leur méthode d'emploi à la nôtre, n'hésitait pas
à écrire : « Il n'est pas un économiste qui ne doive déclarer la méthode
italienne très supérieure. »
Soixante-dix années do fonctionnement du système français ont produit
des efïets qui commencèrent d'apparaître, sous l'aspect surtout du danger
pour l'État, à mesure que le mouvement ascensionnel normal de l'épargne
populaire a porté le total des dépôts aux environs de trois milHards.
Je me borne ici à résumer, en quelques traits principaux, ces effets
du régime.
i" Pour le pays : il a détourné un peu partout, dans plus de 1.500 loca-
lités, la masse des petites épargnes de l'agriculture, de l'industrie, du
commerce, des travaux publics départementaux et communaux, de toutes
les formes de la production et de l'activité régionales ; — il a fait affluer
toutes les épargnes, même de nos colonies, en un centre encombré, créant
l'apoplexie pour le cerveau et la paralysie pour les membres ; — il a
rendu le plus mauvais service au crédit public, sous couleur de le
servir, en le surmenant par des achats forcés sans terme, sauf à l'écraser
en cas de crises par des ventes en baisse ; enfin, à un point de vue sur
lequel je voudrais appeler l'attention des membres présents du Parlement,
il crée en cas de guerre, par la nécessité d'énormes remboursements, une
infériorité redoutable sur les pays de libre emploi comme l'Allemagne,
■où lÉtat n'est pas le banquier responsable des caisses d'épargne et dispo-
serait de ses ressources sans complication de ce côté.
2° Pour les classes populaires : il a empêché leur éducation économique
que la gestion sur place aurait facilitée, il les a habituées à un taux
arbitraire de loyer de leurs épargnes, il a tué en elles toute confiance
en autre chose que l'État; il ne leur a rien restitué des bénéfices de la
gestion, et a ainsi contribué à un prodigieux arriéré pour les progrès
sociaux pratiques, coopération, habitations améliorées, crédit populaire,
crédit agricole, etc..
Pour les classes aisées : il leur a inspiré les mêmes fétichismes étatistes:
il les a isolées ; il les a acoquinées à l'égoïste besogne de commis drainant
pour l'État sans songer à rien de plus, et épouvantés de toute initiative
libre.
3° Pour les institutions : il a abouti ;V des caisses d'épargne médiocres,
simples agences d'encaissement pour l'État, pauvres tout en n'ayant jamais
64*
1010 ÉCONOMIE POLITIQUE
rien donné, et à réserves vraiment nulles par rapport aux réserves des
caisses à libre emploi qui ont pourtant répandu les bienfaits dans leurs
régions.
4*^ Pour l'État lui-même : il lui a imposé, par l'obligation profondément
fausse de placer toutes les épargnes des citoyens et de les rembourser en
numéraire, une responsabilité colossale, et dont on n'aperçoit pas le point
terminus; il a transformé une énorme part de sa dette perpétuelle en
dette exigible ; il l'a poussé et le pousse par l'absorption assurée d'em-
prunts nouveaux au moyen des caisses d'épargne, à des émissions qui faci-
litent l'excès de dépenses et qui alourdissent sans cesse une Dette déjà
arrivée à trente-deux milliards.
D'un régime dont les vices sont si complexes, si nombreux et si
graves, que devrait, théoriquement, être la réforme?
Le libre emploi restitué aux caisses d'épargne ordinaires, sous des régle-
mentations légales, et le placement en rentes avec garantie d'Etat con-
servé par la Caisse d'épargne postale à ceux qui y tiendraient: d'un côté
la Caisse postale offrant la signature de l'État, mais la faisant payer par
un taux très abaissé d'intérêt, et, de l'autre, les caisses ordinaires pour
les déposants qui préféreraient l'utilisalion locale avec une productivité
supérieure.
A'oilà la solution intégrale, qui remettrait les choses en leur place et
referait de la vé-rité complète.
Mais tout s'oppose à une réforme aussi radicale : la résistance de l'Etat,
la résistance des institutions, la résistance des habitudes générales,
11 faut faire un premier pas en comptant avec le passé, avec les faits
acquis. On pourra avancer moins craintivement ensuite, lorsqu'on aura
pu juger des résultats, vers la transformation graduelle du régime.
Comment avons-nous procédé pour introduire et acclimater l'idée, ainsi
circonscrite, de la réforme ?
Par quatre moyens : l'enquête à l'étranger, une formule de solution
adaptée et acceptable, des brèches ouvertes dans le système en vigueur,
la propagande.
1° Noire enquête. — Non seulement il n'existait en France aucun
ouvrage qui permît de se rendre compte du régime d'emploi des caisses
d'épargne étrangères, mais les documents publiés par ces établissements
ne se trouvaient dans aucune bibliothèque publique. Nous résolûmes de
rassembler ces documents. M. Say avait tourné nos yeux vers l'Italie.
Notre enquête a porté, outre ce pays, sur l'Angleterre, l'Allemagne,
l'Australie, l'Autriche-Hongrie, la Belgique, le Canada, le Danemark,
l'Espagne, les États-Unis, la Hollande, la Norvège, le Pérou, le Portugal,
la Russie, la Suède, la Suisse.
Nous avons recueilli les statuts, les comptes rendus d'un grand nombre
E. UOSTAXD. — DES CAISSES d'ÉI'ARGiNE FRANÇAISES 1011
de caisses d'épargne de ces nations si dissemblables, et créé, dans la
bibliothèque technique de la Caisse d'épargne de Marseille, un fonds
étranger, qui est d'un intérêt extrême, tel que ne le soupçonnent pas les
admirateurs entêtés de notre statu quo. 11 s'en est dégagé des conclu-
sions décisives. Elles ont fait l'objet, avec la démonstration de doctrine
que je viens de résumer, d'un ouvrage en deux volumes que j'ai publié
sous le titre la Réforme des caisses d'épargne françaises, et que connais-
sent quelques-uns de mes bienveillants auditeurs. En somme, le régime
de libre emploi n'est pas du tout, comme on a prétendu le faire croire,
un régime italien: c'est un régime à peu près universel.
2° Solution adaptée. — Puisqu'on ne pouvait songer à offrir cette
liberté à un pays qui depuis si longtemps livre à l'Etat toutes ses épargnes
populaires et ne croit qu'en la rente, nous présentâmes une formule de
solution très circonspecte: un libre emploi facultatif, réglementé, limité à
une fraction des dépôts. Nous pûmes, au prix de grands efforts, la faire
admettre à la délégation des caisses d'épargne à la fin de mai 1888;
traçant la réglementation, elle proposa de borner l'emploi libre au quart
des fonds reçus au 31 décembre du dernier exercice, conservant pour les
trois quarts le compte courant à la Caisse d'État, puis de limiter l'emploi
du quart disponible à certains placements, valeurs garanties par l'État,
obligations négociables des départements, des communes, des chambres
de commerce, prêts sur première hypothèque, opérations de crédit agricole,
industriel ou populaire dans la région, ces deux derniers modes ne pou-
vant excéder le quart du quart disponible. Depuis j'ai précisé davantage,
j'ai proposé pour les emplois du quart disponible une liste limitative.
La délégation des caisses, qui avait échappé un moment au joug des
obstinés Étatistes, émit en 1890 un vote contraire au premier. Mais le
groupe réformiste a continué de soutenir la solution moyenne qui a été
la base de toute notre action.
3° Brèches ouvertes. — Une doctrine d'innovation, pour devenir intel-
ligible à l'esprit public, pour prouver sa praticabilité, a besoin de se
traduire en réalités vivantes. Il importait de montrer par des faits à quoi
le libre emploi, même à l'état d'exception autorisée et d'embryon, peut
servir : les conclusions se dégageraient d'elles-mêmes. La caisse d'épargne
de Lyon, avait en 1886, sans tirer d'ailleurs de son acte d'induction
générale, placé une part de sa réserve dans la Société des logements éco-
nomiques, s'estimant libre sur ce point en vertu de ses statuts. La caisse
de Marseille conçut un autre dessein : ouvrir une brèche dans le système
au seul point où le permettait la tutelle de l'État, c'est-à-dire l'emploi
soit de la fortune personnelle, soit des bonis annuels ; et tout en reven-
diquant pour la généralité des caisses une législation moins étroite,
concilier la législation existante sur ce point où la chose était possible
1012 ÉCONOMIE POLITIQUE
avec quelques essais rendus acceptables aux plus timorés par les garanties
de la tutelle administrative et le fiat de TÉtat. Ces essais ont été de deux
sortes : emploi autorisé par les trois décrets successifs des 13 août 1888,
4 février 1889, 30 juillet 1892, d'une partie de la réserve ou fortune
personnelle en interventions pour l'amélioration des logements ouvriers,
disponibilité autorisée par le ministre du Commerce d'un dixième des bo-
nis annuels en œuvres utiles au développement de l'épargne. Je n'entre
dans aucun détail sur les résultats favorables de ces essais, n'en parlant
ici qu'au point de vue de la méthode suivie pour introduire l'idée de la
réforme.
40 Propagande. — Enfin, par la publication des deux volumes que j'ai
rappelés tout à l'heure, pleins de documents connus pour la première fois
du public français, et par une série de conférences à Paris, à Bourges,
à Bordeaux, à Lyon, nous avons répandu autant que possible dans le
pays les faits qui ressortaient de l'enquête à l'étranger, des types de lois
et de statuts des caisses à libre emploi, les résultats de notre propre essai
si timide, si restreint, et nous avons analysé les idées fausses qui ont
cours sur le sujet, entretenues beaucoup plus par l'ignorance ou l'esprit
de routine que par des convictions raisonnées.
Dans cet exposé, que j'ai voulu très sommaire, je ne crois pas devoir
aborder la discussion de ces idées fausses et l'examen des objections
opposées à la réforme : mieux vaut, il me semble, me réserver de le
faire si quelqu'un, dans ce compétent auditoire, m'invitait à répondre à
telle ou "telle de ces objections.
Le mouvement a abouti au projet de loi qui a fait l'objet, cette année,
du 21 mai au 9 juin, d'un long débat à la Chambre des députés : pour
marquer les vues dont ce projet de loi s'est inspiré, il suffit de rappeler
que M. Léon Say faisait partie de la commission qui l'a préparé, et qu'il
l'a soutenu à la tribune avec l'éminent rapporteur, M, Aynard, député de
Lyon et M. J.-Ch. Houx, le dévoué député de Marseille, tandis que
MlVI. Hubbard et Lockroy, par une intervention où se voit quelle sorte
de rôle utile pourrait jouer la politique radicale dans un Parlement, les
secondaient en présentant la thèse de la réforme intégrale.
De ce premier débat, qu'est-il sorti ? Un texte légal sur lequel la presse
s'est un peu méprise, semble-t-il, en le critiquant comme mauvais et en
y dénonçant un échec des idées de réforme. C'est pourquoi je tiens à
préciser en terminant.
Il reste de la première délibération plusieurs points acquis pour le
mouvement réformiste :
a. L'élargissement de la charte d'emplois de la Caisse des dépôts et
consignations ;
h. La règle que cette Caisse allouera aux institutions d'épargne le
i:. ROSTAND. — Dr:s CAISSES d'épargne françaises 1013
revenu effectif de son portefeuille, au lieu d'un intérêt arbitraire dont on
avait tenté de faire un bénéfice pour ie budget, c'est-à-dire le triomphe
de ce principe : ni r/ain ni perte sur fa gestion des épargnes populaires
par VÉLat ;
c. La création définitive d'une réserve générale;
d. La répartition facultative des rentes du portefeuille de la Caisse
centralisante ;
c. Le libre emploi réglé des réserves ou fortunes personnelles des-
caisses d'épargne ;
/". La disponibilité généralisée et légalisée du dixième des bonis
annuels en œuvres locales de bien social.
Ce sont là des résultats dont l'importance a échappé à la presse, mais
est considérable.
Il reste à conquérir un point plus important encore : le libre emploi
d'une partie des fonds de dépôts, facultatif, limité au quart de ces fonds,
restreint aux caisses autonomes par un véritable excès de prudence (car
à l'étranger les caisses municipales ne sont pas soumises à un autre
régime), réglementé avec une circonspection extrême. Même sur cette
partie décisive de la réforme, l'adoption n'en a été empêchée que par des
erreurs de scrutin le lendemain rectifiées, mais irrévocables. Aussi la
commission renouvelle-t-elle sa proposition en vue de la deuxième
lecture.
Entre temps, un fait caractéristique s'est produit, qui donne raison une-
fois de plus à l'école réformiste. La rente 3 0/0 a atteint, a dépassé le
pair, en sorte que, dans l'emploi des fonds des caisses d'épargne, l'État
achète ses propres valeurs au-dessus du pair, ce qui, en vérité, ne serait
pas licite à une société commerciale, el ce qui abaisse chaque jour da-
vantage la productivité des emplois.
Ainsi les faits corroborent, ils corroboreront de plus en plus, comme
on peut dire, vous l'avez constaté, que l'expérience universelle confirme^
les vues de la science économique sur la grande question dont je viens
de tracer les lignes essentielles. J'attache infiniment de prix à ce que
votre Association scientifique apporte l'autorité doctrinale de son assen-
timent aux efforts de ceux qui poursuivent en ce sens une réforme né-
cessaire, et notamment de l'illustre président d'honneur de cette Section,
M. Léon Sav.
1014
ECONOMIE rOLITIQUE
M. É. CHEYSSOIî
Inspecteur géne'ral des Ponts et Chaussées, Vice -Président de la Société française des Habitations
à l3on marché. Président delà Société des Habitations économiques d'Aiiteuil, à Paris.
LES HABITATIONS A BON MARCHÉ
— Séance du 16 septembre 1892 ■ —
Parmi les questions qui rentrent dans le domaine du quatrième groupe
de ce Congrès, le groupe des Sciences économiques, il n'en est peut-être
pas de plus importante que celle de l'habitation populaire et de plus
digne de fixer l'attention de l'Association française.
Je ne reviendrai pas sur les dangers de toute sorte que présente l'insa-
lubrité du logement, sur l'hygiène domestique, sur la santé publique, sur
la moralité des familles, sur la paix sociale : aveugle qui ne les verrait
pas. Je ne dirai rien non plus des admirables tentatives qui ont été
faites de divers côtés, parles classes aisées, par les patrons, pour amélio-
rer le logement du peuple, depuis les Sociétés de Mulhouse jusqu'à celles
du Havre, de Rouen, de Lyon, de Marseille et de Paris. De nombreuses
descriptions (1) nous ont familiarisés avec ces combinaisons philanthro-
piques : il s'agit plutôt aujourd'hui de les pratiquer que de les faire con-
naître.
Mais il existe pour lutter contre le taudis, deux autres facteurs très
puissants, dont le rôle est encore resté en France sans application,
tandis qu'il se montre ailleurs très efficace. Ces deux facteurs sont l'État
et l'intéressé lui-même. Le mal à combattre est si profond et si grave
qu'il faut faire appel à l'action concourante de toutes les forces, sans en
négliger aucune. Que les théoriciens à système discutent la préférence à
donner à l'une ou à l'autre de ces forces, — grammatici certent, — les
hommes de bon vouloir, ceux qui tendent surtout au résultat pratique,
écartent toute exclusion dogmatique et prennent leur bien où ils le
trouvent.
Je voudrais dire en quelques mots ce qu'ont fait, dans ces derniers
(I) Voir, entre autres, la Qucslion de l' lui bi ta lion ouvrière en France et à l'étranger, par M. É. Cheysson.
(Masson.)
É. CHEYSSON. LKS IIAIUTITIONS A liO.N MAliCllK lOlo
temps, des pays voisins, en mettant en jeu l'initiative de l'État et celle
des ouvriers, et en dégager un enseignement pour nous-mêmes. Tel sera
l'objet de cette rapide communication.
I. — L'Etat.
Qu'on s'en applaudisse ou qu'on s'en afTlige, l'État tient une place
énorme dans nos sociétés contemporaines : on le rencontre à chaque
pas ; il faut compter avec lui. Aussi bien dans la question des ha-
bitations ouvrières que dans toutes les autres, on a besoin de ne pas
l'avoir contre soi, et l'on peut même faire appel à son concours, pourvu
qu'on ne l'attire pas hors de sa sphère et qu'on n'empiète pas sur
celle de l'effort personnel.
L'État exerce une action légitime et nécessaire, tant qu'il la limite aux
intérêts généraux qui ne seraient pas assurés sans lui, ou tant qu'il se
borne à suppléer soit à l'impuissance, soit aux défaillances, soit au mau-
vais vouloir de l'initiative privée, en prenant momentanément sa place ;
mais à la condition qu'il cherche avec sincérité à s'effacer graduellement
devant elle, à s'abstenir et à se rendre inutile.
C'est cette disposition intime qui sépare, comme par un abîme , ie
socialisme d'État et ce qu'on pourrait appeler « le libéralisme d'État » : le
premier, tendant sans cesse à accroître ses attributions et s'irritant de toute
velléité d'indépendance comme d'une atteinte à ses prérogatives ; le second
s'applaudissant, au contraire, des progrès de tout mouvement saiutau-e.
même s'il y a été étranger, ou s'il n'y est intervenu au début que par
quelque encouragement ou par «une chiquenaude initiale ».
Ces deux politiques de l'État : Tune malfaisante, l'autre souhaitable, se
retrouvent très nettement aux prises sur le terrain des habitations
ouvrières.
Tout d'abord, on comprend que l'État ne se désintéresse pas de cette
question. Il a le devoir et le droit de ne rester ni indifférent ni inactif
devant ces logements oii sont violées les régies les plus élémentaires de
l'hygiène et qui sont à la fois privés d'eau, d'air et de lumière. Dans de
pareils milieux, les corps s'atrophient et contractent le germe de mala-
dies qui abâtardissent et déciment la race, sans parler des dangers qu'y
courent les âmes et les cœurs.
Ce n'est pas seulement la santé et la moralité individuelles des ouvriers
qui sont menacées par de tels logements : c'est aussi la santé et la mo-
ralité publiques. Le taudis se venge et exerce sur les quartiers riches de
terribles représailles par ses menaces d'épidémie et d'agitations popu-
laires. « Ce n'est pas seulement de la vertu, a dit avec force M. le D' Du
1016 ÉCO'OMIE POLITIQUE
Mesnil, c'est encore de l'héroïsme qu'il faudrait à tout ce monde pour
ne pas contracter dans ces bouges la haine de la société.»
Il est donc nécessaire, à tous ces points de vue, que l'État se préoccupe
d'améliorer une telle situation.
En premier lieu, il est tenu de faire la môme guerre aux logements
insalubres qu'aux aliments malsains. Un propriétaire ne doit pas pouvoir
plus impunément porter atteinte à la santé de ses locataires qu'un épicier
à celle de ses clients. Malheureusement, combien ne restet-il pas ;"i faire
pour que l'État, dans la plupart des pays et en particulier dans le nôtre,
s'acquitte pleinement de ce devoir!
L'Étal peut encore, sans se heurter à aucune objection de principe, ni à
aucune susceptibilité doctrinale, contribuer efïicacement à l'amélioration
du logement ouvrier, en procédant à des enquêtes qu'il est seul en mesure
de mener à bien, tant par l'ampleur de ses ressources que par celle de son
autorité.
C'est le procédé qu'ont suivi nos voisins, notamment en Angleterre et en
Belgique, chaque fois qu'il s'est agi d'un mal à guérir, d'une réforme à
opérer. Il a surtout montré son efficacité précisément en matière de loge-
ments ouvriers, où rien ne vaut l'observation directe des faits. Quand on
les a vus par soi-même, on en rapporte une impression ineffaçable. Il est
de ces choses — disons le mot : de ces horreurs — qui ne subsistent que
parce qu'on les ignore; le jour où l'on se décide à les regarder bien en
face, elles sont plus d'à moitié guéries. Des enquêtes de ce genre secouent
la torpeur publique par les révélations qui les accompagnent. C'est comme
un examen de conscience qui précède les résolutions généreuses.
L'État nous rendra donc un signalé service, le jour où il voudra bien
entreprendre celte œuvre d'enquête qui dépasse nos forces et qui serait
une admirable préface à une campagne décisive contre les mauvais loge-
ments.
Il peut encore la seconder : par la création d'un musée d'économie
sociale, qui mette sous les yeux du public des plans et des modèles et qui-
fasse ainsi son éducation; par l'établissement de métropolitains qui assurent
des relations économiques et rapides entre le centre des villes et leur ban-
lieue et permettent ainsi à la population ouvrière d'aller chercher au loin,
après sa journée de travail, des maisons édifiées sur de^s terrains à bas
prix, de l'espace et de l'air.
Enfin, en tant que patron, — et il est le plus grand de tous les patrons,
— l'État peut et doit donner le bon exemple en se préoccupant d'amé-
liorer le logement du personnel de ses manufactures et de ses ateliers.
Venant de haut, un tel exemple serait contagieux dans les pays où tous
les regards sont tournés vers l'État, et où chacun semble attendre de lui
l'impulsion.
É. C.IIEYSSON. LES IIAUITATIONS A BON MARCHÉ 1011
Est-ce là tout ce que nous avons ù demander à l'État? lN"a-t-il pas plus
et mieux à faire?
Si nous consultons l'exemple des pays étrangers qui nous ont devancés
dans cette voie, nous voyons que, mis en présence de la question des habi-
tations ouvrières et sommé par la nécessité de la résoudre, l'État n'a pas
hésité ù recourir à des mesures d'intervention plus directes et moins
discrètes.
La première idée qui se présente naturellement à l'esprit est celle de
faire construire des maisons par l'État. Éloignant tout calcul de spécu-
lation, ne s'inspirant que de l'intérêt du peuple, il réalisera, dit-on, des
prodiges d'économie par la masse même des constructions du même type,
par la bonne entente des détails, par la concentration de l'œuvre, par la
suppression des intermédiaires; il assurera à ses locataires des logements
salubres et à très bas prix; en même temps et par voie de répercussion
bienfaisante, il condamnera à la modération les propriétaires de droit
commun, aujourd'hui si âpres à la curée.
Voilà, pris sur le vif, le socialisme d'État, l'État providence. l'État père
de famille. C'est cette fausse conception du rôle et des devoirs de l'État qui
a engendré tant de systèmes, dont 1 histoire nous a démontré les dangers,
et entre autres ce fameux « pacte de famine », erreur économique bien plus
qu'odieuse spéculation sur la misère du peuple.
C'est cette même conception qu'on retrouve encore dans une loi anglaise
toute récente (18 août 1890), où nos voisins ont essayé de refondre et de
codilier leur législation si toutfue et par endroits si incohérente sur les
logements insalubres.
La première partie de cette loi se réfère aux îlots insalubres (un-
healthy areas); la seconde, aux habitations insalubres (unhealthy chvellin;/
houses); la troisième, aux habitations ouvrières (ivorking class lodging
houses).
Au milieu de dispositions excellentes, cette troisième partie en con-
tient de beaucoup plus contestables, nettement empreintes de socialisme
d'État , ou plutôt — ce qui ne vaut guère mieux — de socialisme mu-
nicipal .
« L'autorité locale, dit l'article 59, peut, sur tout terrain acheté ou
aménagé par elle à ses frais, construire des maisons propres à recevoir
des ménages ouvriers ou transformer à cet effet des maisons existantes; elle
peut également modifier, élargir, réparer ou améliorer les mêmes locaux,
ainsi que les disposer, les meubler, les garnir de tout le mobilier, des acces-
soires et des commodités désirables. »
Voilà du coup la ville transformée en constructeur de maisons, bien
mieux encore, en logeur en garnis, étape importante vers cet idéal caressé
par plusieurs écoles en iste. où la commune, en excellente mère, aima mater,
1018 ÉCONOMIE POLITIQUE
voudra bien, après « le bon gîle », nous procurer aussi « le bon souper
et le resle ».
Malheureusement, l'insupportable logique des choses vient se mettre
en travers de tous ces beaux plans. S'ils devaient se réaliser, l'on verrait
encore une fois « se recommencer l'histoire ». Découragés par cette ingérence
officielle qui s'alimente dans les coffres inépuisables du Trésor public, les
entrepreneurs libres et les simples particuliers se garderaient d'entamer
une lutte inégale et s'abstiendraient. On sait que « quand le bâtiment va,
tout va ». Or, le bâtiment n'irait plus : tout mouvement s'arrêterait en
dehors des chantiers municipaux. Il faudrait donc s'enfoncer de plus en
plus dans cette voie de l'intervention à outrance, pour répondre aux besoins
d'une clientèle toujours plus nombreuse et plus exigeante.
Sous cette poussée irrésistible, on serait fatalement conduit à baisser
le taux des loyers, à améliorer « le mobilier et les accessoires », à mul-
tiplier « les commodités désirables » suivant les expressions de la loi
anglaise, pour plaire au plus grand nombre, c'est-à-dire à mettre à mal
les finances municipales, à encourager le gaspillage et à étouffer l'industrie
libre sous Tétreinte de l'État, qui fait mal et chèrement la besogne du
commerce et de la liberté.
*
Tout autre est l'esprit d'oîi procèdent d'autres lois récemment inter-
venues sur le même sujet et aux mêmes fins, en Autriche et en Bel-
gique, c'est-à-dire, la loi du 9 février 1892, pour le premier de ces deux
pays, la loi du 9 août 1889, pour le second.
Ces lois, animées par le libéralisme d'Klat, mettent, il est vrai, la
puissance publique au service de la grande cause des habitations
ouvrières, mais sans la faire sortir de ses attributions légitimes. Bien loin
de tarir les initiatives privées, elles s'efforcent de les provoquer, de les
encourager et de les guider. Autant une loi d'intervention directe est per-
nicieuse en faisant le vide autour d'elle, autant ces lois belge et autri-
chienne sont bienfaisantes, en donnant libre essor à ces forces confuses
et latentes, à « ce potentiel » qui n'attend, pour jaillir, qu'une étincelle
excitatrice.
Pour imprimer un grand élan aux habitations ouvrières, il faut,
d'abord, des hommes de bien qui prennent la tête du mouvement, qui
soient à la fois des moniteurs et des remorqueurs; il faut, en second lieu,
de l'argent à bas prix.
La loi belge a donné une heureuse solution à chacun de ces deux pro-
blèmes.
Les hommes de bien ne manquent pas : ce qui les stérilise, c'est
leur isolement et leur inexpérience; ce qui leur fait défaut, c'est une pro-
vocation qui les révèle à eux-mêmes et aux autres; c'est une direction
K. THEYSSON. I.KS HABITATIONS A BON MAKCHK 1019
qui les groupe et les mette en œuvre. Que de germes ainsi étouffés! que
d'activités en puissance, que de bons vouloirs qui se rouillent, surtout en
province, comme des épées au fourreau!
Pour tirer parti de toutes ces forces qui sommeillent, la Belgique a eu
l'idée de se couvrir d'un réseau de comités de patronage, institués dans
chaque arrondissement administratif et chargés précisément d'être les
initiateurs et les guides du mouvement local. Ces comités doivent être des
foyers de propagande pour l'idée des habitations ouvrières et concourir à
sa réalisation pratique. Ils forment une sorte de trait d'union entre l'État,
qui est trop grand, et l'individu, qui est trop petit; ils font parvenir à
l'Etat les demandes individuelles et canalisent ses faveurs, pour qu'elles
arrivent sûrement et utilement à leur destination. Ils répandent partout
l'expérience chèrement acquise çà et là ; ils épargnent les erreurs et les
tâtonnements qu'on a subis ailleurs et permettent ainsi d'appliquer du
premier coup les solutions éprouvées. Ils donnent un aliment à tous ces
bons vouloirs qui s'atrophient dans l'inaction et contribuent à recréer une
vie locale, en ranimant dans l'organisme social les membres plus ou
moins engourdis et en diminuant la congestion du cerveau.
Après avoir ainsi pourvu à l'organisation de ce patronage, la loi belge
a su également renverser le second obstacle que rencontrent les entreprises
de maisons ouvrières : celle d'obtenir de l'argent à bon marché. En
général, les capitalistes ne se sentent guère attirés de ce côté par l'étiquette
de l'œuvre, et les Sociétés qui s'y dévouent ont peine à réaliser les res-
sources nécessaires à leur action. En même temps, à côté de cette diffi-
culté de se procurer des capitaux pour ce genre de placements, se dresse
celle de trouver des emplois fructueux aux milliards de l'épargne, qui
s'entassent stérilement dans les coffres du Trésor. Il semble donc naturel
de résoudre la première difficuité par la seconde, c'est-à-dire de mettre
les fonds de l'épargne à la disposition des entreprises d'habitations à bon
marché.
C'est précisément ce qu'a fait la loi belge du 9 août 1889, qui a autorisé
la Caisse générale d'épargne et de retraite à employer ainsi une partie de
ses fonds disponibles, après avoir pris l'avis du comité de patronage. Un
règlement du 31 mars 18yl fixe à 3 0/0 le taux des prêts et avances aux
Sociétés anonymes ou coopératives de constructions et le réduit à 2 1/20/0
pour les Sociétés de crédit, qui, sans construire elles-mêmes, font des
avances aux ouvriers.
Avec de l'argent à 2 1/2 0 '0, il en coûte moins cher pour s'assurer en
vingt ans la propriété d'une maison saine et confortable que pour
acquitter le loyer annuel d'un taudis infect.
Peut-on imaginer un circuit plus bienfaisant que celui de cette épargne
du peuple, qui retourne au peuple pour améliorer son logement? Et quel
1020 ÉCONOMIE POLITIQUK
contraste avec notre système de l'adduction forcée dans les caisses
de l'État, avec tous ses embarras et ses dangers à la fois politiques,
économiques et sociaux! Aussi ne saurait -on souhaiter trop vivement
que les caisses d'épargne soient enfin dotées d'une autonomie sagement
réglementée, qui leur permette, à l'instar de leurs sœurs des autres
pays , de consacrer une partie de leurs ressources à cette salutaire
destination.
Outre cet avantage de l'argent à bas prix, les lois récemment intervenues
en Belgique, en Angleterre et en Autriche, accordent aux opérations dont
il s'agit des immunités fiscales, en entourant ces faveurs de précautions
destinées à empêcher qu'elles soient détournées de leur objet et que des
spéculateurs puissent se glisser à travers les mailles de la loi.
Enfin, pour dissiper l'hésitation naturelle qui pourrait arrêter un père
de famille prudent, au moment d'entamer une campagne qui doit se cou-
ronner seulement au bout de vingt ans et plus par la propriété de la
maison, la loi belge comporte, au profit de cet acquéreur, une combi-
naison très économique d'assurance sur la vie qui décharge la famille de
tout paiement et la rend immédiatement propriétaire dès la mort du
père, si cette mort survenait avant sa libération, serait-ce même le len-
demain de la signature du contrat.
Telles sont les principales dispositions de celte loi belge, qui répond
à toutes les données essentielles du problème, qui laisse l'État dans les
bornes de son domaine légitime et respecte les droits de l'initiative privée^
à laquelle il donne un vigoureux appui.
II. — L'association coopérative à l'étranger.
En dehors de l'État et du patron, les ouvriers peuvent beaucoup
pour améliorer leur logement, et ils l'ont bien prouvé dans divers pays
où ils ont obtenu, par leurs propres efforts, des résultats qu'on peut, sans
exagération, qualifier de merveilleux.
C'est surtout en Angleterre que ce groupement des ouvriers s'est
montré le plus fécond, en prenant la forme de Sociétés de construction
(Building Socielies), qui constituent leur capital par les cotisations men-
suelles ou hebdomadaires de leurs membres.
Le dernier compte rendu du Registrar Office constate que, au 1"' jan-
vier 1893, le total des Sociéiés, dans le Royaume-Uni, était de 2.7(57,
avec 587.856 membres (1). Le montant des versements effectués en 1892
(1) Bon nombre de Sociétés n'ont pas envoyé leurs comptes rendus et ne sont pas comprises à ce
total.
É. CHEYSS©N. — LES HABITATIONS A BON MARCHÉ 1021
s'est élevé à un demi-milliard; l'actif, y compris les créances hypothé-
caires, atteignait 1.300 millions de francs.
C'est par milliers que surgissent les maisons ouvrières sous la puis-
sante impulsion de ces Sociétés. Elles en avaient, dès 1863, construit
8.000 à Birmingham, 18.000 à Leeds.
Aux États-Unis, mêmes résultats. En 1888, le nombre des coopérative
building and loan Associations était évalué à 3.500; leur capital, à
un milliard et demi de francs; leurs épargnes, fixées en immeubles, à
deux milliards et demi.
En Belgique, la loi du 9 août 1889, dont j'ai analysé plus haut les
dispositions principales, s'est attachée à susciter ces Sociétés coopératives
par des faveurs fiscales et des facilités de crédit, et elle y a réussi ample-
ment.
Un dixième du capital souscrit sullU pour la constitution régulière
d'une de ces Sociétés. Les actions étant nominatives, l'engagement pris
par des souscripteurs sérieux constitue un gage solide sur lequel la Caisse
générale d'épargne et de retraite prête moitié du capital souscrit et non
versé. Elle avance, en outre, la moitié ou les trois cinquièmes de la valeur
des immeubles, suivant qu'il s'agit d'une Société de constructions ou
de crédit.
Il résulte de ces dispositions que, moyennant le versement de 10.000 fr.
sur un capital souscrit de 100.000 francs, une Société anonyme de cons-
tructions obtiendra une avance égale à ce capital (1). S'il s'agit d'une Société
anonyme de crédit, le même versement de 100.000 francs sur un capital
souscrit de 100.000 francs leur donnera droit à un prêt de loo.OGO francs.
Ainsi, avec un simple déboursé de 10.000 francs, les actionnaires pourront
disposer de 183.300 francs et procurer une maison de 3. 000 francs à 61
ouvriers, sous la condition que chacun de ces derniers dispose dune
épargne de 300 francs pour cette acquisition.
Il est bien entendu que la loi prend des précautions pour n'accorder
ses faveurs et ses facilités qu'aux Sociétés anonymes faisant œuvre de
philanthropie et non de spéculation, et, par exemple, limitant à 3 0/0
du capital versé le dividende à distrilxier à leurs actionnaires.
Bit-n (jue la loi soit récente, on compte déjà en Belgique trente-huit
Sociétés de ce genre, dont trente-deux anonymes et six coopératives. Un
grand nombre de Sociétés nouvelles sont en voie de formation, non
seulement dans les grandes villes, mais même dans de modestes localités
rurales. Au 26 novembre 1892, la Caisse générale d'épargne avait prêté,
(1) Soit N le capital sousei-it. La formule qui donne le prêt P en fonclion de N est la suivante :
P - 1 -L 5 ■ II N/ 1 1 _ l.\-y
10 ' 2 "'" 10 "^ 2V2 ^ » ' ■■■ 2"/
1022 ÉCONOMIE POLITIQUE
pour la construction d'habitations ouvrières, 1.914.000 francs à 2 1/2 0/0
et 276.000 à 3 0/0.
Le prix de revient de ces maisons est plus bas en Belgique qu'en
France, à cause du bon marché relatif, dans le premier de ces deux
pays, de la main-d'œuvre, des matériaux et de la vie eu général, bon
marché qui s'explique en partie par l'absence de droits de douane. J'ai
vu à Bruxelles même un type de maison, construit par mon ami M. Lagasse.
directeur au Ministère de l'Agriculture et du Commerce, et qui ne dépas-
sait pas 1.400 francs. A Alost, une maison, y compris un grand jardin,
n'atteignait pas "2.000 francs. Avec de l'argent à 2 1/2 0/0, la propriété
d'une telle maison devient aisément accessible à un ouvrier économe.
Elle est dégrevée, d'ailleurs, de toutes ces charges fiscales qui, en France,
pèsent si lourdement sur ces combinaisons et stérilisent tant de bons
vouloirs. Enfin, l'assurance mixte est mise par la Caisse d'épargne à la
disposition du ménage ouvrier et le garantit, ainsi que je l'ai dit
plus haut, contre le danger résultant de la mort prématurée du père de
famille.
Afin d'assurer à lui-même le paiement d'une somme de 1.000 francs,
à la fin du contrat, ou à sa famille ce même paiement s'il meurt avant
ce terme, un ouvrier de trente ans doit payer comme prime annuelle :
Pour une durée du contrat égale à lo ans ... o9 fr. 99 c.
— 20 ans ... 44 fr. lo c.
— • 2o ans . . , 3o fr. 13 c.
Si on y ajoute l'intérêt à 3 0/0. soit 30 francs, on trouve , suivant
la durée du contrat, des sommes respectivement égales à 89 fr. 99 c,
74 fr. lo c, 6o fr. 13c.; de sorte quejîour une maison de 3.000 francs,
dont un dixième a été acquitté comptant, les charges pour les 2.700 francs
restant à payer seront les suivantes :
Durée du contrat: lo ans 242 fr. 97 c,
— 20 ans 200 fr. 20 c.
— 2o ans 17o fr. 8o c.
Moyennant cette annuité, la famille est assurée d'obtenir la propriété
de la maison qu'elle occupe, alors même qu'elle aurait le malheur de
perdre son chef avant qu'il n'ait eu le temps de parachever l'œuvre de
cette acquisition. Dès le lendemain de la mort du père, la maison, quitte
de tout paiement ultérieur, appartient à ses héritiers.
É. CHKYSSON. — LES HATîITATION> \ liON MA»U;h1^ 1023
III. — La Pierre du foyer à Meu-seille.
Pendant que les SociéUjs coopfîrativfô de construction prenaient tane
telle extension dans les autres pa\s et y réalisaient de si grands bienfaits,
il y avait lieu de s'étonner et rnème de s'affliger que nos ouvriers fran-
çais n'eussent pas su, jusqu'ici, imiter cet exemple. Ils ont tout laissé
à faire aux initiatives patronales et bourgeoises et se sont abstenus de les
seconder, encore moins de les suppléer. Leur abstf;ntion dans cett<*
matière a d'autant p>lus lieu de surprendre qu'elle contraste avec le sen-
timent d'indépendance jalouse et p?irfois ombrageuse qui les anime,
même \is-a-vis du patron le mieux disposé et le plus bienveillant.
C'est ainsi qu'ils préfèrent les Sociétés cof>pératives de consr>mmation
gérées par eux-mêmes aux économats administrés par k« chefs d'indus-
trie. .\vec de telles dispositions, comment s'expliquer que, pour une
question primordiale comme a;lle de rhabilAtion, qui touche aux fibres
les plus profondes et les plus intimes de leur pcrsonnalitc; et de leur
famille, ils aient pris le parti de s'en désintéresser et desennipporteraux
t>ourger)is du soin de la résoudre, sans y intf;r\enir par leurs propres
efïort.s ?
Hf'ureusement, nous n'en sommr» plus aujourd'hui réduits aux regrets
stérik^. Une fjremière Société coof>éralive de conslniclion, la Pkrre du
ffryer, s'est constituée à Marseille le 18 décembre 1891, grâce à l'ini-
tiative de M. Eugène Rostand , le dévoué ]jromoleur de nombreuses et
excellentes mesures dans l'intérêt des ouvriers.
Le capital social a été fixé à ao..35() francs, divisé en 1.107 ai::tions d<
50 francs, reparties entre 88 actionnaires.
C'est la SofriéU- qui construit elle-même, mais f>our le cf^rnpte
du futur locataire. Supfiosons que la maison doive coûter o.OOO francs.
H devra souscrire KXJ actions de 5f) francs, libérées d'un dixième et
s'engager à verser au moins 10 centim<ïs par mois et par action, c'est-
à-dire \^) francs f>ar an pendant une p«''riode suffisante pr^ur l'amortis-se-
inent de sa délie. La durée de cette périrxle sera, par conséquent, variable
avec le versement mensuel et le rendement des aclions (1), et pouna
être sensiblement abrégée, si le locataire affecte à sa lifiération des ver-
semeats supplémentaires, provenant de successions, de gratifications, de
bcAÎs coofiéralifs, en un mot d'aubaines.
Les charges annuelles du locataire s'établissent comme il suit :
(*) Si 1 intérêt acîm itix acuoiii tëSi àt % h/b, ct-Ut pénuae a iaif/rUiweifiWi! icra :
Di- 2S aiis avec un veatmeui meustHi ât: ib cetiUau*
tft: il Mtë — 1S —
Dt 13 aa» — fê ^
1024 ÉCONOMIE POLITIQUE
Loyer proprement dit — 4 0/0 sur o.OOO francs. . Fr. 200
Frais généraux (1) — 2 0/0 — .... 100
Loyer Fr. 300
Amortissement 120
Annuité Fr. 420
Quand l'amortissement est complet, les actions sont « mures », d'après
l'expression américaine; le locataire les transfère à la Société, qui les
annule et qui lui transfère en échange la propriété de sa maison (2).
Par suite des anticipations consenties par certains actionnaires, les ver-
sements sur les actions s'élèvent actuellement à 22.2S0 francs et ont
permis d'entreprendre la construction de trois maisons sur des types diiïé-
rents et concertés avec les acquéreurs.
Ces trois maisons, dont les plans sont parfaitement combinés et font
grand honneur à l'architecte (3), sont en voie d'achèvement et vont être
incessamment inaugurées (4). Des négociations sont ouvertes pour une
quatrième maison, qui serait construite par le locataire lui-même, la
Société jouant vis-à-vis de lui le rôle de banquier à la façon des Sociétés
belges et des building Socielies anglo-saxonnes.
Les promoteurs et les directeurs de la « Pierre du foyer », en nous
envoyant ces détails, nous expriment leur foi dans l'avenir de cette
institution, qui répond, disent-ils, à un véritable besoin et qui est accueillie
avec sympathie par l'opinion publique. Avec eux, nous croyons que cette
initiative sera féconde et nous lui souhaitons de grand cœur tout le
succès qu'elle mérite.
IV. — Projet de loi sur les habitations ouvrières.
Pour assurer la réalisation de ce vœu et pour secouer l'engourdissement
des initiatives ouvrières dans cette direction, nous croyons nécessaire de
faire appel, comme en Belgique, aux incitations et aux encouragements
de la loi. En présence du mal si grave et si général auquel il s'agit de
porter remède, on ne peut, comme nous l'avons dit, se passer du concours
de l'État, à la condition qu'il se renferme dans sa sphère légitime d'action.
C'est en s'inspirant de cette idée et des modèles fournis par les légis-
(1) Ces frais généraux comprennent les frais d'entretien, redevances annuelles... Si le montani
n'atteint pas 2 0/0, l'excédent est inscrit au crédit du compte courant du locataire pour hâter sa
libération.
(2) Voir, pour de plus amples détails sur ce mécanisme et sur la constitution de la Société, la
Pierre du foyer, par É. Cheysson. (.Masson.)
(3) Ces plans ont été primés dans le concours ouvert par la Société française des Habitations à bon
marché.
(4) L'inauguration en a eu lieu le 27 septembre 1892.
É. CIIEYSSON. LES HABITATIONS A BON MARCHÉ 1025
lations étrangères que la Société française des Habitations à bon marché (i)
a élaboré une proposition de loi déposée, le o mars 1892 à la Chambre
par son président, M. Jules Siegfried, et signée avec lui par soixante-
quatorze de ses collègues.
Comme la loi belge, cette proposition constitue des comités locaux de
patronage; elle autorise les caisses d'épargne et diverses autres caisses
publiques à faire, dans des limites prudentes, des prêts aux Sociétés ano-
nymes ou coopératives de construction de maisons ouvrières; elle facilite
et subventionne les combinaisons d'assurance mixte en cas de vie et de
décès au profit du locataire ; elle accorde certaines immunités fiscales;
enfin elle apporte à notre droit successoral un tempérament en faveur de
la maisonnette pour l'empêcher de sortir de la famille à la mort du père.
La Chambre a voté en seconde lecture ce projet de loi, qui est aujour-
d'hui devant le Sénat. Elle a également voté le projet de loi sur les
Sociétés coopératives, qui comprend les Sociétés coopératives de construc-
tion, et les fait bénéficier des encouragements attribués aux autres formes
de la coopération.
L'idée fait donc son chemin à la fois dans la loi et dans les mœurs.
Le 2:2 juin dernier, la Société d'hygiène et de médecine publique, qui a
compté parmi ses présidents notre cher et éminent secrétaire général,
M. Gariel, votait la résolution suivante :
« Considérant l'intérêt que présente pour la santé publique l'hygiène
de l'habitation et en particulier celle du logement du pauvre;
» Considérant les efforts législatifs qui viennent de se produire en Bel-
gique, en^ Angleterre, en Autriche pour combattre l'insalubrité des petits
logements et développer la construction de maisons salubres et à bon
marché,
» Émet le vœu que la France entre sans tarder dans la même voie et
appuie le principe du projet de loi actuellement déposé devant la Chambre
des députés en vue d'obtenir l'amélioration des petits logements. »
Sans ralentir les méritoires efforts du patronage et des Sociétés philan-
throphiques, ce qui importe surtout aujourd'hui, c'est d'associer les ou-
vriers à l'œuvre qui s'adresse aux profondeurs mêmes de leur vie domes-
tique et à l'intimité de leur famille; c'est d'importer chez nous la Société
coopérative de construction avec les merveilles qu'elle a faites ailleurs;
c'est aussi de développer ce mouvement, au moins au début et pour
vaincre le frottement initial, par des dégrèvements et des facilités de
crédit, qui exigent l'intervention de la loi.
(1) Celle Sociéltî, reconnue dutililé publique, s'esl donné pour lâche de provoquer et de guider les
initiatives locales eu faveur du logement ouvrier. Elle met à leur disposition des modèles de statuts,
des plans, des conseils et son appui moral. Elle publie un bulletin très documenté, institue des con-
cours, ouvre des enquêtes et tient la tète du mouvement qui s'accentue de ce côté. (Son siège social
est 15, rue de la Ville-l'Evèque.j
6o*
1026 ÉCONOMIE POLITIQUE
Attirer les ouvriers de ce côté, en dépit des meneurs qui veulent les
entraîner ailleurs, — j'entends les mauvais meneurs, puisque, paraît-il, on
a découvert qu'il y en avait de bons (1), — obtenir du Parlement des
mesures analogues à celles que viennent d'édicter l'Autriche, l'Angleterre
et la Belgique, tel est le double vœu que je prends la liberté de recom-
mander aux sympathies de l'Association française (2). Sa voix a dans le
pays un retentissement si grand et si légitime qu'elle sera certainement
écoutée si elle veut s'élever en faveur de cette noble cause : l'amélioration
du logement populaire.
M. Erédéric PASSY
Membre de l'Académie des Sciences morales et politiques, à Neuilly-sur-Seine.
LE CONGRES ET LA CONFERENCE DE BERNE
— Séance du 16 septembre iS92 —
J'ai parlé plus d'une fois, dans les réunions de notre Association comme
ailleui's, de la guerre et des procédés recommandés pour remplacer, par des
solution amiables ou juridiques, les solutions coûteuses et précaires de la
force. Je ne voudrais pas reprendre la question à ce point de vue et je
n'essaierai ni de faire une fois de plus le procès à la guerre, ni de
démontrer que les nations, comme les individus, sont tenus de respecter
dans leurs relations la justice et la morale. Je voudrais seulement, sur
l'invitation de notre Président, marquer où en est aujourd'hui en fait la
question et enregistrer, comme autant de points acquis au débat, les
principaux résultats des réunions qui se sont tenues, il y a quelques
semaines, à Berne.
(1) Voir in Journal des Economistes (numéro d'août 1892) la discussion qui a eu lieu, les août
dernier, devant la Société d'Économie politique sur ï utilité des meneurs dans les ateliers de la grande
industrie.
(2) Ce vœu est en bonne voie de réalisation. Le projet de loi Siegfried a été voté par la Chambre
des députés, en première lecture, le is mars |.S03, et en seconde lecture, huit jours après, le
23 mars. (Noie du Secrétariat de l'Association.)
F. l'ASSY. — LE CONGRÈS ET LA CONFÉUENCE DE BERNE 1027
Je dirai peu de chose de la première de ces réunions : Le Congrès
universel des Sociétés de la paix. Non que je considère comme de
médiocre importance les efforts de ces sociétés et l'habitude qu'elles ont
prise depuis 1889 de tenir chaque année, dans une des principales villes
du monde civilisé, une session extraordinaire. Ce sont elles, à vrai dire,
qui ont donné le signal de la croisade entreprise aujourd'hui, sur toute la
surface du globe, contre la guerre et contre cette dangereuse paix armée
qui n'est, en quelque sorte, qu'une guerre dissimulée. Elles ont poussé les
premiers cris, d'abord au milieu de l'indifférence et des railleries, puis en
face d'une opinion qui commençait à s'émouvoir et, peu à peu, elles ont
fait monter leurs voix jusqu'à l'enceinte des parlements et jusqu'aux
oreilles des gouvernements. La plus grande gratitude leur est due pour ces
services et le moment n'est pas encore venu, il s'en faut, de cesser leur
généreuse propagande. Mais, pour nombreuses qu'elles soient, pour rapide
que soit le développement de leur influence, ce ne sont que des voix qui
formulent des vœux, et ces vœux ne peuvent devenir efllcaces quà la
condition d'être entendus et accueillis par les gouvernements ou par les
parlements.
Les conférences interparlementaires qui, elles aussi, sont annuelles
depuis quatre ans, ont un autre caractère. Si elles ne sont pas, à propre-
ment parler, un parlement international ; si l'on ne saurait, sans exagéra-
tion, les qualifier, comme l'ont fait d'autres personnes, d'« États généraux
de l'humanité », elles sont tout au moins des réunions d'hommes investis
d'une influence réelle et directe sur la conduite des affaires publiques
puisqu'ils ont, par leur situation même, le pouvoir de transformer en
proposition de loi et en appel à l'action des gouvernements les vœux
relativement platoniques des Congrès.
Aussi, me bornant à mentionner, parmi les résolutions du Congrès, un
appel au peuple en faveur d'un pétitionnement général contre le système
actuel d'armement universel; un appel au Parlement en faveur de l'exten-
sion de l'arbitrage et un appel aux jeunes gens pour les encourager à relier
entre eux, par des relations amicales, les grands centres universitaires des
divers pays, je passerai tout de suite aux votes principaux de la conférence
interparlementaire.
Il y en a trois qui sont, à ce qu'il me semble, d'une importance
•capitale :
Parle premier, la conférence prie ses membres d'engager les parlements
à faire reconnaître, par une conférence internationale, comme principe du
droit des gens, l'inviolabilité de la propriété privée sur mer en temps de
guerre. On peut dire que ce vote n'est pas précisément dirigé contre la
guerre, puisqu'il la suppose; et que ce serait plutôt un article de ce code de
la civilisation de la guerre dont se préoccupait le vénérable Charles Lucas.
1028 ÉCONOMIE POLITIQUE
On ne peut méconnaître cependant que la proclamation de ce principe ne
fût déjà une amélioration considérable, puisque, en mettant à l'abri des
conséquences de la guerre les personnes et les choses qui n'y prennent
point part, elle en circonscrirait le terrain et peut-être réduirait d'autant
les tentations qui y portent et les malheurs qu'elle entraîne.
Par un second vote qu'il m'a été donné de faire étendre et compléter,
l'assemblée a invité tous les gouvernements civilisés à introduire la clause
d'arbitrage dans les traités de commerce de navigation et de protection de
la propriété industrielle, littéraire et artistique. Ce n'est pas seulement,
comme on l'a maintes fois remarqué, réduire les occasions de conflit en
déférant d'avance à l'arbitrage une partie notable des questions à propos
desquelles ils peuvent surgir. C'est aussi, et cela n'est pas moins digne
d'attention, préparer le moment où d'autres causes de conflit plus sérieuses
pourront être de même soustraites à la brutale juridiction du canon.
D'une part, ce n'est pas à l'importance du litige initial que se mesure
l'importance lîuale des querelles. Des moines grecs et des moines latins se
sont disputé l'honneur ou le privilège de réparer la coupole d'un temple
de Jérusalem. Le fait en lui-même devait sembler peu de chose. Et c'est
pour cette ridicule question, a pu dire en plein Parlement l'illustre Henri
Richard, que. grâce à l'incroyable sottise des gouvernements, la Grande-
Bretagne, la France, la Turquie et la Russie en sont venues aux mains ;
que des milliards ont été dépensés; que des centaines de mille hommes
ont été massacrés; et que des germes de division, d'oîi sont sortis de
nouveaux conflits, ont été semés dans le champ de la politique européenne.
D'autre part, il y a, en matière d'arbitrage, comme en d'autres matières, un
apprentissage à faire et des habitudes à prendre. On commence par régler
pacifiquement une petite difTiculté, on apprend ainsi à en régler une
moins petite et, de proche en proche, on arrive à constater la possibilité
de résoudre honorablement, sans recours aux armes, des conflits qui, à
d'autres époques, auraient paru absolument insolubles, comme l'affaire de
l'Alabama ou celle des Carolines. Et ainsi se forme — comme me l'écri-
vait, après la sentence de Genève, l'éininent comte Sclopis, — un esprit
général de raison et de justice. Ainsi l'on s'enhardit à faire monter
jusqu'aux oreilles de ceux qui décident du sort des nations, le cri de la
conscience humaine, avec assez de force pour vaincre — comme le disait
encore le comte Sclopis — jusqu'aux surdités volontaires.
Le troisième vote est plus significatif encore et il a presque le caractère
d'une décision internationale. Le mot même, comme on va le voir, se
trouve dans le texte. En voici les termes :
« La quatrième conférence interparlementaire, considérant que les États-
Unis d'Amérique ont proposé la conclusion de conventions d'arbitrage,
aux divers gouvernements des pays civilisés qui voudraient les accepter;
F. PASSY. — LE COIN'GRÈS ET LA CONFÉRENCE DE BERNE 1029
« Que les conventions d'arbitpage paraissent un des moyens les plus
efTicaces d'assurer la paix entre les États du monde ;
» Décide :
7> Les membres de chacun des parlements représentés à la Conférence
■sont invités à saisir les assemblées dont ils font partie d'une demande
tendant à faire accepter par leurs gouvernements respectifs la proposition
des États-Unis relative k la conclusion entre eux et les pays qui voudraient
y adhérer, des contrats généraux d'arbitrage. »
Je crois inutile d'afîaiblir par aucun commentaire la portée de ces
résolutions. Mais il ne l'est peut-être pas de rappeler dans quelles condi-
tions se sont tenues les deux réunions dont je viens de parler et à quelle
déclaration de la part des hommes d'Etat de ce pays par excellence neutre
et libre, elles ont tour à tour donné lieu : « Ici, dit à l'ouverture du
Congrès, son président, M. Ruchonnet, ancien Président de la Confédéra-
tion, vivent en paix des peuplades de races, de langues et de religions
différentes. Leurs mœurs ne sont pas les mêmes, leurs intérêts ne sont
pas toujours semblables et cependant ils forment une même nation et
c'est avec la même énergie qu'ils défendraient au besoin leur patrie
commune. »
M. Droz, ancien Président de la Confédération, lui aussi, et ministre
des Affaires étrangères, n'a pas craint, en souhaitant la bienvenue à la
Conférence, de rappeler que ce n'est jamais impunément qu'un gouverne-
ment ou un peuple préfère aux solutions juridiques le recours à la violence
et qu'une fatalité s'attache aux œuvres qui sont uniquement dues au
triomphe de la force sur le droit. « Ce sont, a-t-il dit, comme des échardes
envenimées qui entretiennent dans le corps social un état de fièvre et
■et de suppuration. Le peuple suisse en a eu, de ces échardes, et il ne s'est
guéri qu'en s'en débarrassant par de sages et judicieux compromis. »
Non moins net a été le langage du docteur Gobât, qui présidait la
conférence : « Maintenir la paix par la peur, a-t-il dit, c'est un moyen,
mais ce n'est pas le bon. Les alliances contiennent toujours en elles-
mêmes le germe de la guerre, parce qu'elles appellent inévitablement
des contre-alliances. Dailleurs, elles imposent aux nations des charges
ruineuses, absolument incompatibles avec la prospérité publique. Et le
grand mal, c'est que les nations pacifiques sont aussi forcées, de leur côté,
d'assumer ces charges. La Suisse neutre, solennellement reconnue neutre
par l'Europe, obligée de dépenser pour le militarisme proportionnellement
plus que l'Italie, est une preuve vivante que la paix par l'intimidation
est un mal. 11 s'agit donc de trouver une autre formule : le repos de
l'Europe, la prospérité pul»lique, la confiance dans l'avenir, si profondé-
ment, ébranlée, sont à ce prix. »
iOol) ÉCONOMIi: l'OLlTlULlE
Dans un autre passage, le même personnage, insislanl sur la nécessité de
maintenir, dans l'intervalle des sessions, un lien entre les membres des difîé-
rentes nations, a exprimé la pensée que la Conférence interparlementaire,
pour devenir une institution solidement assise, un rouage du mécanisme qui
dirige l'action des gouvernements, devait être représenté par un comité
permanent. Et la Conférence, faisant droit à cette proposition, a constitué
en effet, sous la dénomination de « Bureau intcrparlementaire pour l'arbi-
trage international », un comité permanent dont la résidence est à Berne,
comme celle du bureau central des Sociétés de la paix.
Ce comité est chargé de pourvoir à l'exécution des résolutions de la
. Conférence et de prendre, comme organes communs des groupes parlemen-
taires, toutes les mesures propres à favoriser l'avancement de l'œuvre
commune. Les frais doivent être supportés proportionnellement par les
diiTérents groupes. On voit, sans que j'y insiste, quel pas important a été
accompli par cette dernière décision.
Je ne mentionnerai plus, parce que je tiens à abréger, que les paroles
prononcées, à la fin du banquet d'adieu, à Intcrlaken,par le vice-président
en exercice de la Confédération. M. Schenck. après avoir exprimé sa satis-
faction de voir réunis, au centre de son pays, tant d'hommes distingués et
tant d'amis de l'humanité : « Je serais plus heureux encore, a-t-il dit, le jour
oîi, dans cette même Suisse, je verrais réuni un congrès de diplomates de
toutes les nations pour régler définitivement et pacifiquement toutes les
questions qui troublent la tranquillité de l'Europe. J'espère que ce jour
viendra et que la Suisse, après avoir vu prononcer le célèbre arbitrage
de l'Alabama, deviendra le siège du tribunal permanent d'arbitrage auquel
seront déférés tous les différends de l'avenir. »
Telle a été, dans ses traits essentiels, cette Conférence de Berne. C'était,
on le sait, la quatrième depuis celle de 1889 et il n'y a pas quatre ans, à
l'heure qu'il est, que l'idée de cette réunion annuelle avait été sérieusement
introduite dans le monde. C'est à la fin de 1888, le 31 octobre, que sur un
appel, dont l'initiative revient à M. Cremer, et dont j'avais pris avec lui la
responsabilité, une douzaine de membres du Parlement anglais et une
trentaine de députés français, auxquels s'était joint un sénateur, M. Jules
Simon, réunis pour la première fois dans une salle du Grand-Hôtel, à
Paris, ont décidé de convoquer en session internationale pour l'année
suivante, 1889, tous les membres des diiTérents parlements qui seraient
disposés à s'associer à leurs efforts. C'est à Paris encore qu'a eu lieu,
dans une salle de l'Hôtel Continental, la première conférence interparle-
mentaire proprement dite. La seconde s'est tenue à Londres, où elle a été
ouverte par un ancien lord chancelier, rappelé depuis à ce poste, lord
Herschell. La troisième a siégé au Capitole, où elle était reçue solennelle-
ment par le syndic de la Ville Éternelle et ses débats ont été dirigés par le
D.-.V. CASALONG.V. — SLR LES BREVETS d'iNVENTION 1031
président de la Chambre des députés d'Italie, M, Biancheri. La quatrième
a été ce que je viens de dire et la cinquième, celle de l'année prochaine,
est attendue à Christiania, où elle a été invitée ofllciellement par le gouver-
nement de la Norvège et par le président du Stortliing, M. Ulmann, présent
à Berne et membre du comité permanent.
Voilà ce que peut devenir, en moins de quatre années, une idée traitée
par les soi-disant sages et soi-disant politiques pratiques, d'irréalisable
et de chimérique. Voilà comment, avec un peu de persévérance, on peut
transformer en réahté du lendemain une utopie de la veille. N'est-ce pas
le cas de rappeler le mot d'un soldat, ennemi de la guerre comme beau-
coup d'autres, le général Turr : « Nous avons planté l'arbitrage dans le
monde, il faut qu'il devienne un grand arbre, à l'ombre duquel toutes les
nations pourront enfin reposer en paix. »
M. D.-A. CASALOIdA
Ingénieur-Conseil, à Paris.
OE QUELQUES PRINCIPES GÉNÉRAUX DES LOIS FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRES SUR LES
BREVETS D'INVENTION
— Séance du 16 septembre 1892 —
La société contemporaine est, plus qu'aucune de ses devancières, fon-
dée sur le travail industriel, dans lequel est compris le travail agricole.
Aussi la propriété industrielle, branche de la propriété intellectuelle,
surtout celle garantie par brevet d'invention, a-t-elle pris, de nos jours,
et tend-elle à prendre davantage encore, une importance considérable,
basée non seulement sur les appareils et organes actuels de l'industrie,
mais surtout sur les perfectionnements que l'on apporte sans cesse à ces
divers engins pour fomenter de nouveaux progrès.
L'esprit humain, dans quelque direction qu'il se dirige, ne peut rester
dans la simple station contemplative. Il lui faut mettre au jour des
moyens tangibles pour favoriser ses recherches, réaliser ses hypothèses
ou ses conceptions : de là la naissance de ces appareils, machines ou
1032 ÉCONOMIE POLITIQUE
instruments, dès l'abord plus ou moins parfaits, qui ont tant contribué
à ses conquêtes.
On ne peut nier que ces appareils divers, s'ils sont nouveaux, ou si
même étant connus sont rendus meilleurs, ou aptes à certaines applica-
tions pour lesquelles on ne les appliquait pas précédemment, sont et
doivent être la propriété de leurs auteurs.
Cette propriété, de tout temps vaguement reconnue, n'a été cependant
réglementée suivant certains principes de droit, que depuis environ un
siècle. Et tout au début de cette réglementation se sont posées les ques-
.tions de principe suivantes :
1° L'invention, d'un appareil ou d'un procédé nouveau, constitue-t-elle
une propriété?
2° Si oui, celte propriété peut-elle être assimilée à la propriété foncière
ou mobilière?
Sur le premier point, certains économistes, au nombre desquels Micbel
Chevalier, ont prétendu que l'invention émanait d'un état actuel de l'in-
dustrie, laquelle, après lui avoir donné naissance, lui permettait seule d'être
utilisée ; et que, faire de cette invention une propriété, c'était enlever au
domaine public industriel une partie de lui-même, en s'en servant pour
l'entraver. L'inventeur avait tout au plus droit à une récompense nationale.
Cette doctrine, après avoir été sérieusement examinée et finalement re-
poussée par les juristes et les auteurs les plus compétents, ne se discute
plus. Non seulement on a reconnu l'impossibilité de pouvoir, pratique-
ment et équitablement, récompenser, par la nation. Fauteur d'une in-
vention ou d'une découverte, mais encore on a reconnu que l'inventeur
avait droit à la propriété de- son invention, propriété sacrée entre toutes,
étant celle de son intelligence et lui étant essentiellement personnelle.
Sur le second point, d'aucuns ont trouvé que cette propriété, justement
en raison de ce qu'elle est une émanation de l'esprit humain, était aussi
respectable, si ce n'est plus, que la propriété foncière, et devait lui être
assimilée, en tous points, notamment au point de vue de la perpétuité.
D'autres, au contraire, ont pensé qu'en raison des circonstances qui
l'ont fait naître, cette propriété devait être temporaire et établie sur la
base d'un contrat, à durée limitée, entre l'inventeur, qui a conçu ou com-
biné des moyens nouveaux, et l'industrie du domaine public, qui, non
seulement lui en fournit toujours les éléments, mais qui seule permet
l'utilisation de l'invention, laquelle, sans cela, resterait stérile.
C'est, dans tous les pays, le principe de la propriété temporaire qui a
prévalu; et malgré que bien des esprits, d'ailleurs très distingués, l'aient
combattu énergiquement et se préparent à lui donner un nouvel assaut, il
est peu probable, je crois, que le principe de la pérennité de l'invention
soit jamais accueilli.
1».-A. CASALONC.A. SUH LES BKKVKTS d'i.NVKMION 1033
Je me garderai bien de discuter à fond ici, les motifs que font valoir
les deux écoles opposées pour faire valoir leur doctrine.
Je viens déjà d'esquisser ceux qu'invoquent les partisans de la propriété
temporaire, et qui sont un peu ceux-là nu^'ines, bien qu'appliqués différem-
ment, des partisans hostiles à toute propriété. On ajoute, par ailleurs,
que tout progrès serait paralysé par un tel système do perpétuité.
Quant aux partisans de la propriété perpétuelle, ils font valoir, outre
l'argument de principe, inhérent à l'essence même de la propriété de Tin-
venlion. cette double considération que la propriété industrielle n'est pas
moins méritante que la propriété artistique et littéraire, traitée pourtant
différemment et avec plus de faveur; qu'elle n'est pas, non plus, ni
moins méritante, ni moins utile que le bien foncier ou l'objet mobilier.
Je me permettrai de dire en passant, que l'assimilation de l'invention
à la propriété foncière paraît être, pour le moins, l'exagération d'une
pensée généreuse.
Non seulement il faut reconnaître :— que l'invention est suggérée, fomen-
tée, par l'industrie appartenant au domaine public, et représentant la
communauté sociale; — que cette industrie seule, après lui avoir donné
naissance en fournissant la plupart de ses moyens, peut seule l'utiliser et
lui faire produire ses effets ; — mais encore : — que ce qui fait l'objet d'une
invention ne représente pas un corps unique et nécessairement défini pour
toujours ; — que l'objet même résultant de l'invention, destiné à s'user, si ce
n'est à se transformer, est susceptible d'être reproduit presque toujours à
un nombre d'exemplaires quelquefois considérable ; — qu'il emprunte
ses éléments constitutifs au domaine public, et que l'invention ne réside
que dans la combinaison de ces éléments; — que ces mêmes éléments
peuvent, à un moment donné, être combinés différemment et donner des
résultats différents, assez supérieurs aux premiers pour rendre la pre-
mière combinaison si inutile qu'on puisse la considérer, dès ce moment,
€omme inexklante;— qu'au surplus, l'objet même résultant de l'invention,
tout en conservant à l'inventeur, à perpétuité, sa part de mérite, puis-
que son nom y est incorporé, devient un objet mobilier constituant, par
lui-même, une propriété qui possède tous les attributs de la propriété fon-
cière et mobilière, puisqu'il peut être cédé plusieurs fois successivement,
ou rester à perpétuité la propriété tangible soit de l'inventeur, soit de
tout acquéreur l'ayant régulièrement acquis.
L'invention, avec son double aspect, n'a donc pas le caractère unique
de la propriété tangible; et si l'on tient compte : des deux parts, antérieure
et ultérieure, que le domaine social possède; de la nécessité où ce domaine
se trouve, tout en tenant compte de la part revenant à l'inventeur, de
réserver sa liberté pour permettre à d'autres membres de la communauté
d'utiliser à nouveau, la variété infinie de ses moyens, on reconnaîtra
1034 ÉCONOMIE POLITIQUE
que le principe de la pérennité ne peut pas être appliqué à la partie juste-
ment intellectuelle de l'invention; et cela encore même qu'on pût l'ad-
mettre pour la propriété artistique et littéraire ; car, bien qu'une certaine
similitude se présente à l'esprit, de prime abord, on ne peut pas assimiler
une invention à un livre, surtout à une statue, à un iliodèle, à une marque,
objets caractérisés intellectuellement par un aspect ou une forme bien
définis et ne varie tur.
Le principe de la limitation de la durée étant admis, quelle devra être
cette durée?
Pour la déterminer aussi équitablement que possible, il faut recourir à
l'expérience, laquelle résulte justement des conditions, de la manière
d'être et d'évoluer, de l'industrie. On a pu tout d'abord en déduire, jus-
qu'ici, qu'une durée, qui est actuellement de quinze ans, en moyenne,
serait suffisante pour dédommager ou récompenser l'inventeur.
Mais des cas nombreux ont montré que ai cette durée est sufTi santé pour
certaines catégories d'objets menus, et de menue importance, par contre
elle est insuffisante pour la plupart des inventions d'appareils ou machines
qui exigent des efforts considérables, des essais longs et coûteux, surtout
si, à leurs débuts, elles rencontrent des difficultés d'un ordre particulier.
Certains pays, comme l'Amérique du Nord, l'ont portée à dix-sept ans;
d'autres tels que la Belgique, l'Espagne, l'ont portée à vingt ans; c'est
aussi la durée adoptée et conseillée par le Syndicat des ingénieurs-conseils
français en matière de propriété industrielle.
Quant à moi, si je n'ai pu me rallier encore au principe de la « pérennité»
par contre je serais assez disposé à conseiller la concession d'une durée
plus longue encore: celle de vingt-cinq ans ne me paraîtrait nullement
exagérée, et je ne verrais aucun inconvénient bien sérieux à aller même
jusqu'à trente ans. Peu d'inventions, du reste, étant donné que le principe
d'une taxe progressive serait admis, atteindraient cette limite; et si elles en
profitaient, c'est qu'elles auraient un mérite et une importance tels qu'ils
justifieraient cette durée.
DE LA MATIÈRE BREVETABLE
Les nouveaux produits industriels, les nouveaux moyens, ou l'applica-
tion nouvelle de moyens connus, pour obtenir un résultat industriel meil-
leur ou nouveau, sont brevetables en France ; sont, au contraire, exclus,
et véritablement sans raison, les produits pharmaceutiques.
Cette définition de la matière brevetable est claire. Et si on y admettait
les produits pharmaceutiques, on pourrait l'adopter comme une des
meilleures. On peut seulement dire que le principe de la nouveauté y est
posé et compris d'une manière trop absolue.
n.-A. CASALONGA. — SrR LKS BREVETS d'i.NVENTION i03o
L'invention étant un bienfait, il ne faudrait pas être trop rigoureux
pour celui qui l'apporte, tout en réservant les droits des tiers. A ce point
de vue celui qui mettrait au jour, à un moment opportun, une invention
oubliée, ou tombée en désuétude, rend également à l'industrie un service
qui, s'il n'est aussi méritoire, est au moins aussi grand que si l'invention
était nouvelle.
C'est dans cet ordre d'idées, bien que fort mitigé, que les États-Unis
d'Améiique garantissent le droit de l'inventeur, et l'on en retrouve comme
un vif reflet plus dans la législation autrichienne-hongroise, et dans la
récente loi allemande.
DE LA TAXE
Est-il dû une taxe? — devrait-elle être unique, ou graduelle, ou pério-
tlique? — Tous ces systèmes sont aujourd'hui appliqués tantôt dans un
pays, tantôt dans un autre.
Le système de la taxe unique, adopté notamment par les États-Unis,
ne fait peser sur le brevet, une fois délivré, l'obligation d'aucune taxe.
L'inventeur n'a aucun intérêt à renoncer à un brevet qui ne supporte aucune
charge, même s'il n'en peut tirer aucun profit. Il existe ainsi une masse
de brevets jouissant d'une existence légale et n'ayant aucune valeur, même
aux yeux de leurs auteurs. Il en résulte, pour le domaine public, un véri-
table encombrement. Le système des taxes périodiques, surtout celui des
taxes annuellement progressives, est certainement préférable; il se lie
intimement à la valeur de l'invention et au profit qu'elle procure, à la
fois, à l'inventeur et à l'industrie. 11 désencombre le stock de patentes
virtuellement abandonnées par leurs auteurs.
DE L EXAMEN PRÉALABLE
La thèse de l'examen préalable est susceptible d'un grand développe-
ment qu'elle ne peut prendre ici. Pratiqué depuis longtemps aux États-
Unis, ce système a été adopté en 1877 en Allemagne et depuis en Suède.
La Russie, l'Autriche-Hongrie le pratiquent aussi dans une certaine
mesure, et le Danemark semble aussi vouloir l'adopter dans la nouvelle,
loi en préparation.
L'examen préalable est un véritable attentat à la liberté de l'invention;
il est le fléau de l'inventeur, qu'il prétend cependant protéger et qu'il ré-
gente sans rien lui garantir. C'est un attirail aussi coûteux qu'inutile,
dépensant un temps et des efforts considérables à examiner des inventions
qui, délivrées sous forme de patente, après un rigoureux examen, des
1036 ÉCONOMIE POLITIQUE
discussions fréquentes, et de grands retards, sont abandonnées, de suite
après, par Ja moitié environ des demandeurs.
DE L OBLIGATION D EXPLOITER
La plupart des lois obligent l'inventeur à exploiter son invention dans
un temps dotmé, qui varie de 1 à 3 ans, sous peine de déchéance. Cette
obligation est aussi rigoureuse qu'injuste. L'inventeur est le premier inté-
ressé à exploiter son invention, laquelle, d'ailleurs, ne fait de mal à per-
sonne. S'il ne l'exploite pas, c'est qu'il ne le peut pas. Pourquoi le punir
d'une telle inaction et chercher à le dépouiller, étant donné qu'il est as-
treint à payer une taxe qui devient tous les ans plus onéreuse si elle est
progressive ? Qu'on l'incite à exploiter, et mieux encore qu'on l'y aide,
c'est plutôt ce que l'on devrait chercher à faire; mais sans même songer
à frapper son titre d'une déchéance imméritée.
DE L OBLIGATION DE NE PAS INTRODUIRE
La défense d'introduire, dans le pays, l'objet breveté fabriqué eu pays
étrangers, n'est pas plus juste que l'obligation d'exploiter; et, même,
-contrairement à une opinion accréditée, elle favorise le progrès industriel
régnicole au lieu de lui nuire. La faculté d'introduire fait connaître, mieux
et plus rapidement, l'existence, la nature, les avantages de l'objet
breveté. Celui-ci procure des produits meilleurs et obtenus plus écono-
miquement; et il est de l'intérêt même de la construction que cet objet
breveté ne tombe pas dans le domaine public; car, personne ne recherche
un objet qui est à tout le monde.
DE L OBLIGATION DE CONCEDER DES LICENCES D EXPLOITATION
Cette obligation est de même ordre que les deux précédentes; du
moins elle procède des mêmes principes. L'inventeur, je le répète, est
le premier intéressé à exploiter ; mais il doit agir et traiter en toute li-
berté, sans aucune contrainte.
On a adopté, dans certaines législations, le principe de la licence obli-
gatoire ; jusqu'ici l'application de ce principe est restée purement plato-
nique, et il ne saurait en être autrement, excepté dans des cas très fares.
Ceux qui l'invoquent s'en servent comme d'une machine de guerre,
pour battre en brèche le droit fondamental, au brevet, qu'a l'inventeur.
D.-A. CASALONGA. — SUK LES BREVETS d'iNVENTION 1037
Toutes les entraves créées à l'invention et à l'inventeur, ont leur
source dans une pensée primordiale hostile à l'invention, et qui n'ayant
pu parvenir à empêcher celle-ci d'exister à l'état légal, s'évertue à la
faire déchoir ou à l'annuler.
DE l'obligation DE CONCENTRER l'iNVENTION DANS DES REVENDICATIONS
Cette obligation, sans avoir le caractère coercitif des précédentes, n'est
pas non plus cependant bien recommandable. Qu'il soit bon et utile de
concentrer l'invention, en des revendications restreintes, venant à la
suite de la description, d'accord. Mais que l'on fasse, comme on le fait,
consister exclusivement l'invention dans les revendications, sans tenir
aucun compte, à ce point de vue, de la description, c'est évidemment
excessif. Le système des revendications obligatoires, appliqué, d'ailleurs,,
très différemment, suivant les pays, a déjà donné lieu à bien des difficultés
d'interprétation.
DE LA date réelle DU BREVET
La date réelle du brevet doit être celle du dépôt de la demande^
excepté à l'égard de la contrefaçon de bonne foi, contre laquelle la date
de délivrance doit seule être véritable. Une telle manière de voir ne
s'accorde pas avec le principe de l'examen préalable; mais aucune pensée
libérale ne saurait s'accorder avec ce principe déplorable.
DES CERTIFICATS D ADDITION
Il existe des pays, tels que la Russie, l'Angleterre, les États-Unis, qui
n'admettent pas les certificats d'addition, et qui exigent, pour tous les per-
fectionnements apportés à une première invention, des demandes de bre-
vets distincts. Ce système est moins avantageux pour l'inventeur : c'est
déjà dire qu'il est moins libéral, moins juste que le système des certi-
ficats d'addition, surtout lorsque les taxes du brevet, ou les dépenses
inhérentes, sont élevées.
Bien d'autres points seraient encore à signaler et à examiner, si je
n'étais obligé de restreindre l'étendue de cette communication. — Je
mentionnerai seulement : la Complexité; — la Transmissibilité ; — la
Procédure; — la Compétence et la composition des tribunaux.
1038 ÉCONOMIE POLITIQUE
DE LA COMPLEXITE
La complexité résulte de ce que, dans une môme demande, existeraient
deux inventions distinctes, ou plus, ce qui blesse le principe de la
fiscalité appliqué aux inventions. Elle est actuellement, dans la plupart
des législations, un sujet de rejet, à la fois dangereux et onéreux pour
l'inventeur. Lorsque les droits de la demande sont réservés par la con-
servation de la date d'origine, le danger est moindre, et l'inventeur peut,
moyennant une aggravation dans la dépense, conserver sa propriété;
mais il est des cas oîi le rejet entraîne la perte de cette date d'origine,
ce qui peut avoir de bien fâcheuses conséquences. Cette date devrait
être conservée dans tous les cas, que l'inventeur restreigne sa première
demande, ou qu'il la divise en autant de demandes qu'il convient.
J'ajouterai que, dans certains pays, comme en Autriche-Hongrie et aux
États-Unis, on fait de la « complexité » un abus quelquefois excessif.
DE LA TRANSMISSIBILITÉ
La transmissibilité du titre du brevet, et des droits qui s'y rattachent,
facile en certains pays, l'est peu dans d'autres. C'est en France où elle
est la plus onéreuse à effectuer, par suite de l'obligation d'acquitter, au
moment du contrat régulier, la totalité des annuités restant à payer, du
brevet qui fait l'objet d'une cession. Un simple droit fixe d'enregistre-
ment suffit en beaucoup de pays, et devrait de même suffire au législateur
français qui a trop exagéré les précautions qu il a voulu prendre pour
sauvegarder les droits des cessionnaires.
DE LA PROCÉDURE
La procédure, telle qu'elle est pratiquée en France et en divers autres
pays, non pas par voie de plainte au parquet, mais par voie de saisie
pratiquée discrètement par huissier, assisté d'un expert et au besoin
du commissaire de police, ensuite d'une autorisation du président du
tribunal civil, offre toutes garanties à l'inventeur, et peu d'inconvénients
pour le prétendu contrefacteur.
DE LA COMPÉTENCE OU JURIDICTION
La plupart des questions de contrefaçon réelle ou présumée pourraient
être conciliées. Un préliminaire de conciliation n'est inscrit actuellement
dans aucune législation sur la matière. C'est un préambule utile qui
J. ARNALLT. — DE l'ÉTAT CIVIL DES PERSONNES ET DES PROPRIÉTÉS 1039
manque aux contestations naissantes en matière de propriété industrielle.
Les chambres syndicales des divers métiers pourraient apporter un con-
tingent utile à rinstitution d'un préliminaire de conciliation.
DE LA COMPÉTENCE ET DE LA COMPOSITION DES TRIBUNAUX
La contrefaçon, en matière de brevets d'invention, tant que la fraude
OU la mauvaise foi n'est pas établie, ne saurait être assimilée à un délit
et être déférée à la juridiction correctionnelle. Seuls les tribunaux civils
doivent en connaître. Que si on prétend, par la correctionnalité, mieux
défendre les intérêts de l'inventeur, il est préférable de le faire par le
texte de la loi et par une amélioration du fonctionnement des tribunaux
civils. Ceux-ci pourraient encore recourir à l'expertise; mais il serait dési-
rable que les juges de droit commun fussent assistés de juges auxiliaires
techniques, avec voix consultative. Dans ces conditions, les expertises
seraient plus rares, ou plus rapides et plus précises, les jugements et
arrêts seraient mieux éclairés, sans que l'indépendance des experts et des
juges fût entravée en aucune manière.
Telles sont les considérations générales ([ue j'ai cru devoir soumettre à
la Section d'Économie politique, en y attachant d'autant plus d'importance
qu'il se fait autour et en faveur de la propriété industrielle, un travail
considérable, notamment à l'étranger, où l'on paraît en comprendre, mieux
qu'en France, toute l'utilité et l'etlicacité. Et j'ose espérer que le temps
est proche où la revision de la loi française du o juillet 1844 sera heu-
reusement revisée.
M. Jules ARMÏÏLT
iDspeclt'ur (II' l'EiiiuKislreiiieiil et des Domaines, à Oran.
L'ORGANISATION DE L'ÉTAT CIVIL DES PERSONNES ET DES PROPRIÉTÉS
— Séance du 17 septembre 1892
La conservation des hypothèques, au point de vue économique, est
une industrie dont l'État a le monopole, mais dont il aurait pu, dans
chaque circonscription administrative, concéder l'exploitation à des com-
pagnies ou à des particuliers différents.
1040 ÉCONOMIE POLITIQUE
En supposant que cette idée eût été mise à exécution on eût pu varier
l'unité territoriale formant la circonscription adminislrative. Chaque
conservation d'hypothèques aurait pu comprendre tantôt une seule ville,
tantôt un ou plusieurs cantons ou communes, tantôt un arrondissement
ou même tout un département. On eût pu, également, décider que l'en-
treprise des conservations d'hypothèques serait donnée à l'adjudication ou
au concours, et que chaque entrepreneur, en se conformant à un pro-
gramme établi à l'avance, aurait eu la faculté d'organiser sa conservation
au mieux de ses intérêts et de ceux du public.
Au moment où le gouvernement et l'opinion se préoccupent, à si
juste titre, de préparer la réforme de notre régime hypothécaire, il n'(3st
peut-être pas indifférent de se placer, pendant quelques instants, dans
rhypothèse que nous venons d'indiquer et de nous demander quel serait,
en cas de concours ou d'adjudication au rabais, le système de conservation
d'hypothèques qui aurait le plus de chances d'être favorablement accueilli.
Mais, d'abord, demandons-nous quel devrait être le programme à
imposer aux concurrents?
11 est évident que, plus ce programme sera simple, tout en restant
complot, plus les concurrents auront les coudées franches pour présen-
ter des systèmes variés parmi lesquels le gouvernement aurait à choisir
celui qui lui paraîtrait le plus parfait ou le plus approprié aux besoins
territoriaux de chaque circonscription.
Or, si l'organisation d'une conservation des hypothèques est chose
compliquée et dilTuile, du moins en apparence, on peut formuler le but à
atteindre en quelques lignes. 11 n'y a qu'à considérer le conservateur
des hypothèques pour ce qu'il est et pour ce qu'il doit être : liour un
marchand de renseignements, tenant boutique ouverte dos indications
utiles aux personnes qui veulent faire des transactions immobilières, en
achetant, en vendant, en hypothéquant, etc., des propriétés qui leur
appartiennent ou qui ne leur appartiennent pas.
Si chaque concurrent se pénétrait bien de cette idée, il en arriverait
à rechercher, pour chaque nature de contrat, quels sont les renseigne-
ments dont les parties lui feraient la demande afin de se mettre en mesure
de se les procurer. La définition même du droit de propriété nous fera,
d'ailleurs, connaître immédiatement que ces renseignements peuvent tous
être classés en trois catégories distinctes.
Le code (article 544) définit la propriété « le droit » — pour les per-
sonnes — « de jouir et de disposer des choses ». MM. Aubry etKau « le
J. ARNAULT. — DE l'ÉTAT CIVIL DES PERSONNES ET DES PROPRIÉTÉS 1041
droit en vertu duquel une chose se trouve soumise d'une manière exclu-
sive et absolue, à la volonté et à l'action d'une personne », T. II, § 190,
p. 169, et Merlin « le droit par lequel une chose appartient en propre à
quelqu'un ». {Répertoire, T. X, p. 2t)0.)
L'idée de propriété comprend donc trois termes :
Le sujet, qui est le propriétaire ;
L'objet, qui est la propriété,
Et la relation du sujet à l'objet, du propriétaire à la chose possédée,
qui est le droit de propriété.
Nous en concluons nécessairement que tout régime de publicité, en
matière de constitution et de transmission de droits réels immobiliers,
doit se proposer pour but et avoir pour efîet de révéler aux tiers :
1° Le véritable propriétaire de l'immeuble ainsi que sa capacité de
contracter et, spécialement, son état civil et son droit de vendre et d'hy-
pothéquer des immeubles ;
2° La consistance de l'immeuble, c'est-à-dire sa détermination phy-
sique ;
3° La nature et l'étendue du droit du propriétaire sur l'immeuble,
€'est-à-dire la détermination juridique de chaque héritage.
II
Le problème ainsi posé — et il l'est, semble-t-il, d'une manière aussi
-complète que possible, — une première question vient à l'esprit :
Est-il désirable et possible de classer tous ces renseignements sur un
livre unique, qui sera le livre foncier idéal ?
L'atlirmative n'a pas paru douteuse à nombre de bons esprits qui,
voyant plutôt le but à atteindre que les moyens d'y parvenir, ont pro-
posé de condenser sur le livre foncier tous les renseignements nécessaires
pour assurer la sécurité des transmissions immobilières. C'est là, suivant
nous, une erreur, et comme les conséquences peuvent aller jusqu'à
entraîner l'insuccès de la réforme projetée nous demandons la permission
de donner, avec quelques développements, les motifs de notre opinion.
Avant tout, il s'agit d'une question de comptabilité.
Or, il est de l'essence de toute comptabilité de reposer non sur un
seul livre, mais sur un ensemble d'écritures qui se complètent et se
contrôlent les unes les autres et permettent de faire toutes les recherches
nécessaires sous quelque point de vue que l'on envisage chaque affaire.
11 est matériellement impossible, dans la pratique, sous peine d'une inex-
tricable confusion, de n'avoir qu'un livre.
GG*
1042 ÉCONOMIE POLITIQUE
Écoutons ce que nous dit à ce sujet J.-B. Say (1) :
« Les livres de compte des négociants (et tous les entrepreneurs d'in-
dustrie peuvent passer pour des négociants), leurs livres, dis-je, se tiennent
suivant deux méthodes qu'on nomme parties simples et parties doubles.
» Un néo-ociant qui tient ses livres en parties simples, couche sur un
registre qui se nomme journal, toutes les opérations de son commerce, à
mesure qu'elles se présentent.
» C'est là le fondement de tous ses comptes. En tenant note ainsi de
toutes les affaires qu'il fait, à mesure qu'elles se font, le négociant est sûr
de ne pas en omettre. Mais comme une liste de beaucoup d'affaires
successives ne lui donnerait aucune idée de ce qu'il doit à chacun de ses
correspondants, ni de ce qui lui est dû par eux, il relève chaque article
en particulier et le porte sur son grand-livre, au compte du correspondant
que cette affaire rend son créancier ou son débiteur. Le grand-livre
peut passer, comme on voit, pour le classement ou le répertoire du journal.
» Tel est le fond de toutes les écritures d'un négociant ; mais pour
mettre un plus grand ordre dans les détails de son affaire, il a plusieurs
autres registres au moyen desquels il peut se rendre compte en détail de
chaque partie : il a un livre de caisse..., il a un livre d'entrée et de sortie
des marchandises..., les négociants ont encore un registre où sont
copiées toutes les lettres qu'ils écrivent, etc.
» Toutefois, vous concevez que si, par oubli d'un commis ou une erreur
de plume, tel article est omis ou s'il a été mal couché, on n'est pas
nécessairement averti de l'erreur. Dans la tenue des livres en parties
doubles, chaque article est contrôlé par un autre article correspondant^
tellement qu'il faudrait commettre deux erreurs précisément de la même
somme, et qui se balançassent l'une par l'autre, pour qu'on n'en fût pas
averti. La même méthode permet, en outre, qu'on se rende compte beau-
coup plus exactement du résultat de chaque opération, ou de chaque
nature d'opérations, parce qu'on les personnifie pour ainsi dire, on leur
demande compte de ce qu'elles doivent, et on leur tient compte de ce
qu'on leur doit. »
III
Remarquez cette idée admise sans conteste, en matière de comptabilité
commerciale et qui consiste à ^jer-sonni^^e/- chaque opération ou chaque
nature d'opération. C'est l'idée que l'on a eue en voulant immatriculer
chaque immeuble.
Cette idée est excellente, mais de même que chaque commerçant a
(\) Cours d'économie poUllque, \>.'i'iO.
J. ARNAULT. — DE l'ÉTAT CIVIL DES PERSONNES ET DES PROPRIÉTÉS 1043
une comptabilité en parties doubles dont chacune se contrôle récipro-
quement par l'autre, de même nous estimons que la comptabilité foncière
devrait être en parties doubles.
Tout système législatif, en effet, doit être le développement d'un prin-
cipe. « Lorsque, a dit M, Laromiguière, nous pouvons observer une suite
de phénomènes ordonnés les uns par rapport aux autres, et tous par
rapport à un premier, alors, d'un même regard, nous voyons un principe
et un système : le principe dans le premier des phénomènes, le système
dans leur ensemble. Le système, lorsqu'il est porté à sa perfection, est
le plus haut degré de l'intelligence de l'homme. En nous montrant réunis
une multitude d'objets que la nature semblait avoir séparés, en les ra-
menant à l'unité, il enferme une science entière dans une seule idée,
dans un seul mot. Mais combien les bons systèmes sont rares et com-
bien d'illusions peut faire naître l'attrait de la simplicité. » {Leçons de
philosophie, I, 61.)
Cette règle générale des connaissances humaines peut trouver son appli-
cation dans le droit et, en particulier, dans la matière des hypothèques,
où il y a un réel danger à vouloir trop de simplicité.
Dans le système allemand, une règle domine toutes les autres : c'est
qu'à chaque mutation le nouveau possesseur demande à l'État une sorte
d'investiture qui forme le titre de la propriété. Le droit dérive de l'inta-
bulation, c'est-à-dire « de l'inscription du propriétaire et du créancier sur
un registre public où chaque fonds a un compte ouvert auquel son
portés tous les droits réels qui viennent soit le grever, soit l'augmenter.
(V. Accolas, III, p. 643, qui cite en note : Bluntschli, Deutsches Privât
Recht, § 100, « Neueres ht/ pothekars y s tem »,) L'hypothèque y est spéciale
parce que le législateur a envisagé la terre, le fonds plutôt que l'homme.
Le droit actuel découle encore du régime féodal qui était fondé sur la
hiérarchie des terres. (V. Rondel, La Mobilisation du sol en France, p. 31.)
Ce système ne saurait être importé en France, où un principe profondé-
ment enraciné dans les mœurs est que la propriété se transmet par le
simple consentement des parties et où l'État n'intervient pas pour sanc-
tionner le droit de l'acquéreur.
Le principe du système français est un principe de publicité. Je me
hâte d'ajouter que j'entends ce mot lato sensu, car ce que l'on reproche,
à juste titre, au système français, c'est l'organisation insuffisante de la
publicité, ce sont les hypothèques occultes, les clauses résolutoires in-
connues des tiers. Mais de ce que le législateur n'a pas su tirer toutes
les conséquences de son principe, de ce qu'il en a fait de maladroites et
d'incomplètes applications, il ne s'ensuit pas qu'il n'ait pas eu une règle
générale de conduite. Cette règle est de ne pas faire intervenir un agent
de l'État pour faire valider le droit dans la personne du nouveau posses-
1044 ÉCONOMIE POLITIQUE
seur, mais de révéler aux tiers, soit par une inscription aux registres des
hypothèques, soit par une disposition législative, tous les droits réels qui
grèvent les propriétés.
Si les hypothèques légales sont occultes, ce n'est pas que le code ait
voulu les dissimuler aux tiers. « C'est à regret, dit M. Baudry-Lacanti-
nerie, que le législateur s'est décidé à admettre, en faveur de l'hypo-
thèque légale des mineurs, interdits et femmes mariées, une exception au
grand principe de la publicité, exception qui a été considérée comme indis-
pensable pour que ces incapables fussent protégés d'une manière efficace. »
(Précis, m, n" 13o0.) Les articles 2136 et suivants du code civil témoi-
gnent de l'intention du législateur de concilier le principe de la publicité
avec la protection due aux incapables.
Il n'a pas réussi : personne ne le conteste et on peut dire qu'il ne s'est
pas fait illusion à lui-même sur le succès de ses efforts. La question, dit
M. Troplong, se posa ainsi : « Faut-il que les prêteurs qui peuvent dicter
la loi du contrat soient traités plus favorablement que les femmes et les
mineurs qui ne peuvent pas se défendre? Ramenée sans cesse à ces
termes par la vigoureuse dialectique du premier consul, la solution du
problème ne pouvait être douteuse et il fut décidé que la sûreté de la
femme et du mineur devait être préférée à celle des acquéreurs et des
prêteurs ; rien ne saurait ébranler ce résultat, si conforme aux règles de
la Justice. » {Hijp., Préface, p. xiv.)
C'est une question de comptabilité, une difficulté d'écritures, qui a
arrêté le législateur dans l'application du principe de publicité, lequel
domine néanmoins tout notre droit, comme celui de la force probante de
l'intabulation domine le droit allemand.
Et voici qu'au lieu d'essayer de résoudre la difficulté qui a arrêté les
auteurs de nos codes, au lieu de corriger et de compléter les articles
2136 et 2145 du code civil, on propose la suppression pure et simple des
hypothèques légales. On veut soumettre toutes les hypothèques au prin-
cipe de la publicité et de la spécialité, confondant ainsi, dans une unique
formule, deux questions bien distinctes, car il semble très possible de
donner une publicité suffisante aux hypothèques légales sans les sou-
mettre à la règle de la spécialité.
Si je sais que mon voisin Pierre est marié sous le régime dotal et que
la dot et les reprises de sa femme sont de 50.000 francs, je suis suffisam-
ment renseigné pour traiter en toute sécurité avec lui et prendre mes
précautions : purger, exiger des remplois, ne pas prêter ou ne pas acheter.
Point ne sera besoin que chaque propriété de Pierre soit grevée d'une hy-
pothèque spéciale. Si l'hypothèque, quoique par sa nature ne frappant
que les immeubles, est inscrite contre la personne, il n'est pas nécessaire
de rijiscrire contre chaque immeuble.
J. ARNALLT. — DE l'kTAT CIVIL DES PERSONNES ET DES PROPRIÉTÉS 1045
Les auteurs du code ont jugé inutile de faire cette inscription, « Si l'on
no veut, a dit Troplong, une inscription que pour faire savoir au public
que tels immeubles appartiennent à un homme marié ou à un tuteur, il
faut avouer qu'on se donne bien du mal et qu'on met en péril bien des
intérêts, pour constater un fait qui, le plus souvent, n'est pas ignoré de
ceux qui veulent acheter ou prêter, et qu'au surplus ils ont toujours le
moyen de vérifier, » {Hyp., Préface, p. xix ij.)
Cette dernière assertion n'a jamais été rigoureusement exacte et elle
le devient tous les jours d'autant moins que les familles tendent, de plus
en plus, à se diviser et à se disperser sur tout le territoire, et môme à
l'étranger, l.e remède à cette insuffisance de la notoriété publique et de
l'organisation de l'état civil, pour assurer la publicité des hypothèques
légales, consiste à perfectionner notre système par l'adoption de quelques
règles. Pour conclure, je propose d'adopter les principes suivants :
1° La publicité n'est efTicace qu'à la condition d'être permanente.
2"* Il n'est pas possible d'assurer la publicité des droits réels sans avoir
organisé celle des incapacités des personnes.
3° L'organisation la plus pratique paraît consister à immatriculer chaque
personne et chaque héritage et à leur ouvrir un compte et un dossier.
4" Par une fiction de la loi, l'immatriculation de la personne ou de
l'héritage sera la repré^ntation de la personne ou de l'héritage.
5° La règle absolue, sans aucune restriction ou exception, sera que les
incapacités ou les droits réels ne seront opposables aux tiers que s'ils ont
été mentionnés sur l'immatriculation de la personne ou (1) de l'héritage ;
— en sorte que les inscriptions faites sur le livre des personnes (grand-
livre des droits civils) ou sur le livre des héritages (livre foncier) seront
comme des écriteaux placés sur les personnes ou les héritages et révélant
aux tiers tout ce qu'ils ont intérêt à connaître.
IV
Voici maintenant dans la pratique comment fonctionnerait ce système:
Il y aurait une table alphabétique par nom de propriétaire. Cette table
renverrait au compte de chaque personne. Ce compte renverrait au livre
foncier. Le livre foncier renverrait à l'état des sections où chaque par-
celle serait classée par ordre numérique. Chaque fraction de parcelle sérail
numérotée et placée à son rang. Par exemple, si la parcelle 540 de la sec-
(I) Toute l'innovation est résumée dans ce mot ou qui indique les facilités qui seront données de
révéler aux tiers la situation d'une personne ou d'un immeuble.
1016 ÉCONOMIE POLITIQUE
tien B n'était pas divisée et que la parcelle 541 de la même section le fût,
on lirait sur l'état de section :
Section B,
N° 540
- B,
N° 541 -
- 1
- B,
N° 541 -
_ -7
- B,
N« 541 -
- 3
etc.
- B,
N° 542
- B,
N» 543
etc.
En marge de chaque numéro de parcelle ou de fraction de parcelle, on
lirait le numéro de la consignation en bloc de rhéritage ou des folios
correspondants au livre foncier et à la matière cadastrale.
Ces deux documents, quoique en concordance, seraient indépendants
l'un et l'autre, ce qui permettrait d'effectuer la réforme hypothécaire sans
attendre la réfection complète du plan cadastral. L'un donnerait la déter-
mination juridique, l'autre la détermination physique, dont on peut à la
rigueur se passer pour réaliser la réforme hypothécaire.
11 va d'ailleurs sans dire qu'un livre-journal, ou*registre de dépôts^ assu-
rerait la date certaine aux formalités et que ce livre serait en concordance
avec les grands-livres d'immatriculation des personnes et des héritages.
En sens inverse, l'examen du terrain renverrait au plan, le plan à l'état
de section, à la matrice cadastrale et au livre foncier, celui-ci au grand
livre des droits civils au casier civil et celui-ci à la table. On aurait une
chaîne ininterrompue de renseignements se complétant les uns les autres
et il sufiîrait par le rappel d'un simple numéro ou d'un nom de tenir un
anneau de cette chaîne pour reconstituer l'état civil d'une personne ou
d'un héritage quelconque.
Provisoirement, on se contenterait des renseignements que l'on aurait,
mais au fur et à mesure que l'on en recueillerait de nouveaux on com-
pléterait ceux que l'on aurait déjà et tandis que le cadastre, seul, va
toujours en vieillissant, la comptabilité en partie double, constamment
rajeunie par des reconnaissances sur le terrain après chaque mutation,
irait en s'améliorant avec le temps, jusqu'à ce que son fonctionnement
prolongé l'eût amené à l'état de perfection absolue.
Avec cette organisation on pourrait indifféremment trouver l'immeuble
quand on connaîtrait la personne, ou, réciproquement, trouver la per-
sonne quand on connaîtrait l'immeuble. La publicité serait complète et
absolue et on pourrait greffer sur cette comptabilité tous les progrès :
force probante, mobilisation des titres, réfection du plan cadastral, spé-
Y. GUYOT. — « L ACT TORUEMS » EN FRANCE ET DANS LES COLONIES 1047
cialité des hypothèques, abornemeats généraux, etc., que l'on a l'inten-
tion d'apporter au régime de la propriété en France.
On s'en convaincrait facilement en faisant l'expérience de ce système
d'écritures. Il ne faudrait que quelques semaines et quelques centaines de
francs pour l'organiser dans une commune quelconque et en rendre le
mécanisme évident.
M. Yves GÏÏYOT
Député, à Paris.
LES APPLICATIONS DE « L'ACT TORRENS » EN FRANCE, EN TUNISIE
ET DANS LES COLONIES
— Séance du 17 septembre 1892 —
Depuis longtemps les jurisconsultes sont frappés, en France, des
inconvénients que présente notre régime de constitution et de trans-
mission de la propriété foncière et des hypothèques et que M. Dupin
résumait ainsi en 1836 : « Celui qui achète n'est pas sûr d'être proprié-
taire, celui qui paye de n'être pas obligé de payer deux fois et celui qui
prête d'être remboursé. » Convaincu que la sécurité du titre de la pro-
priété et sa facilité de transmission sont les meilleurs moyens d'améliorer
les conditions du crédit de la propriété et d'en augmenter la plus-value,
j'étais préoccupé des méthodes employées dans les pays étrangers, de la loi
prussienne de 18~2 qu'avait fait connaître M. Paul Gide, de la réforme
hypothécaire que la Belgique nous avait empruntée en 1851, mais que
nous n'avions pas eu le courage de réaliser, nous bornant à la loi sur la
transcription de I800, quand, en 1877, comme rédacteur en chef de la
Réforme Economique, je reçus et publiai une étude sur VAct Torrem en
Australie qui me frappa vivement. Je me procurai, grâce à des amis an-
glais qui eux-mêmes l'ignoraient, les documents concernant le système
de Tî'ansfer of land, appliqué d'abord à Adélaïde en I808, depuis s'étant
étendu à toute l'Australasie, puis à la Colombie britannique, à l'Étal
d'Howa (États-Unis) et devenu si populaire qu'il a pris le nom de son
auteur ; je fus mis en rapport avec Sir Robert Torrens, qui est mort en
1883, et, ainsi préparé, en 188:2, au Congrès de la Rochelle, j'en saisis
1048 ÉCOiNOMIE POLITIQUE
l'opinion publique. L'année suivante,' en 1883, voyageant en Tunisie,
j'en parlai à M. Cambon, à qui je soumis les documents australiens.
M. Cambon, dans un avant-projet, plus simple et meilleur que le projet
qui est devenu la loi de I880, l'adopta. En 1884, M. Charles Gide ex-
posa le système australien dans une importante communication à la
Société de Législation comparée; en I880, M, Dain, professeur à l'École
de droit d'Alger, en fit une étude très complète, en vue de son applica-
tion à l'Algérie; M. Daniel, avocat général à Bourges, le prit pour sujet
de son discours de rentrée ; M. Defrance de Tersant, le premier conser-
vateur de la propriété foncière en Tunisie sous le nouveau régime, publiait
une traduction du rapport que M. Maxwell avait fait après une enquête
en Australie. De nombreux ouvrages venaient compléter les travaux qui
avaient déjà paru sur cette importante question. Nous citerons parmi les
livres antérieurs, celui de M. Challamel, en 1878, Su?- les Hypothèques,
puis en 1888, nous trouvons de M. E. ^^'o^ms, La Propriété consolidée;
de M. Flour de Saint-Genis, une Élude sur les H!/potltéques;de M. Georges
Rondel, La Mobilisation du sol en France. La Faculté de droit de Paris
mettait au concours le sujet de prix suivant : « Du meilleur régime de
publicité en matière de constitution et de transmission de droits réels
immobiliers. » Les concurrents devront, à cet effet, exposer et apprécier les
systèmes adoptés en France et a l'étranger, notamment le système alle-
mand et celui de VAct Torrens. Le prix fut donné au travail de M. Besson,
sous-chef à la direction de l'enregistrement, intitulé : les Livides fonciers et
la Réforme hypothécaire, qui est devenu le vade-mecum indispensable de
toutes les personnes qui s'occupent de ces questions. On y trouve l'ex-
posé et la critique des doctrines aussi bien que tous les faits concernant
le régime de la propriété dans tous les pays.
La même année, il fut décidé que parmi les congrès de l'Exposition de
1889, aurait lieu un Congrès ayant pour objet l'étude de la Transmission
de la Propriété Foncière. Son président, M. Duverger, professeur hono-
raire de la Faculté de droit de Paris, en dirigea les travaux avec la
conviction de la nécessité de transformer le régime de la propriété fon-
cière existant.
Dans sa séance d'ouverture, il disait :
« Le propriétaire a droit à la certitude de ne pouvoir être évincé
quand, de bonne foi, il s'est conformé aux dispositions de la loi pour
acquérir; il a le droit de ne pas être gêné ni pour aliéner ni pour hypo-
théquer ; il a le droit de ne pas être exclu, par le vice de la loi, du prêt
à long terme, remboursable par annuités. La société, d'autre part, est
fondée à réclamer une circulation des immeubles telle que la propriété
foncière arrive le plus tôt possible aux mains de ceux qui sauront le
mieux en tirer parti. »
Y. GUYOT. (' l'aCT TORRENS » EX FRANCE ET DANS LES COLONIES 1049
Ce premier Congrès ne pouvait donner une solution définitive aux ques-
tions si nombreuses et si vastes soulevées par ce programme ; mais les
principes qu'il a établis sont des jalons qui tracent nettement la route
que doivent suivre tous ceux qui voudront s'occuper de cette question,
en se dégageant des préjugés et des intérêts qui peuvent l'obscurcir.
Établissement d'un livre foncier, réel et non personnel, avec le prin-
cipe de la force probante ou principe de la légalité ; l'inscription au titre
foncier constituant le titre irrévocable du droit, manifesté par l'inscrip-
tion à l'égard de toute personne intéressée ; publicité et spécialité de
toutes les hypothèques et privilèges ; publicité étendue aux actes décla-
ratifs et aux mutations par décès ; constatation de l'immatriculatiou par
un certificat de titre remis au propriétaire, et de la cession de sa propriété
à un tiers par un acte authentique de transfert ; toutes les inscriptions
du registre foncier portées sur le certificat du titre : tel est le résumé des
résolutions du Congrès de 1889,
Il a examiné également la réfection du cadastre, et, à ce sujet, il a
envisagé deux hypothèses : celle où, pouvant être effectué à bref délai
aux frais de l'État, le cadastre entraînerait simultanément la confection
des livres fonciers et la réforme hypothécaire avec immatriculation obli-
gatoire pour les immeubles ; celle où il serait ajourné, et, dans ce cas, la
réforme hypothécaire et l'établissement de livres fonciers devraient être
faits immédiatement après une triangulation opérée par l'État: ici l'im-
matriculation serait facultative.
Les conclusions auxquelles a abouti le Congrès de 1889 prouvent qu'il
a senti vivement la nécessité de la réforme de notre svstème immobilier.
Avant de se séparer, il nomma une commission permanente chargée
de préparer des rapports sur plusieurs des questions soulevées et de con-
A'oquer un nouveau Congrès. M. Duverger étant mort, la commission per-
manente a bien voulu me choisir comme président, et j'ai l'honneur de
vous annoncer que la prochaine session du Congrès international de la
Propriété Fonciètx se tiendra à Paris du 17 au 22 octobre prochain.
Je puis annoncer que le rapport sur l'Immatriculation des immeubles,
de M. Emile Dansaert, président du Crédit foncier de Belgique, et de
M. Hubert Brunart. commissaire du Crédit foncier de Belgiqlie, tous les
deux délégués par le gouvernement belge ; que le rapport sur les Opéra-
tions cadastrales, de M. Charles Piat, chef du service topographique en
Tunisie ; que le rapport de M. Jules Challamel sur les Privilèges et hypo-
thèques, et celui de M. Flour de Saint-Genis sur l'Organisation des bu-
reaux d' hypothèques, sont prêts.
J'ajoute que, par décret du 30 avril 1891, M. le ministre des Finances a
nommé une commission extraparlementaire du cadastre. Le rapport qui
précède le décret détermine qu'elle n'a pas seulement un intérêt fiscal.
lOoO ÉCONOMIK POLITIQUE
mais une étude « de la réforme du mode de transmission de la propriété
immobilière et de constatation des hypothèques et droits réels ».
a La création de livres fonciers analogues à ceux en usage dans plu-
sieurs pays étrangers, continue le Rapport, a été préconisée par de nom-
breux économistes et des jurisconsultes autorisés; elle a été réclamée,
d'une manière formelle, par la commission d'étude instituée au Ministère
de l'Agriculture en vertu de l'arrêté du 11 juin 1889 et par le Congrès
international de la propriété foncière tenu à Paris en 1889. Enfin, le
Parlement, lors de l'examen et de la discussion du budget de l'année 1891,
a nettement indiqué, conformément à la proposition du gouvernement,
sa volonté de voir mettre à l'étude l'organisation des livres fonciers.
» Dans ces conditions, il n'est pas douteux que les études du gouver-
nement doivent comprendre non pas seulement la réforme de notre sys-
tème hypothécaire, mais l'ensemble de la question immobilière. »
Déterminer la propriété, conserver les effets de cette détermination :
voilà le problème. Les effets de la détermination physique et juridique
de l'immeuble doivent être constatés dans un document public et authen-
tique. Quelle sera la valeur de ce titre de propriété ? Aura-t-il le caractère
d'un acte ordinaire susceptible d'être annulé ou rescindé conformément
au droit commun ? Ou bien sera-t-il inattaquable et aura-t-il pour effet de
conférer à son détenteur un droit à l'abri de toute contestation ?
Voilà la question bien posée. Par qui ? par le ministre des Finances,
par M. Boutin, le directeur des Contributions directes, et par d'autres émi-
nents fonctionnaires. Mais, du moment que cette question est posée, c'est
celle de l'application du principe de VAct Torrens dont on peut résumer
l'économie générale en quelques mots.
Tout propriétaire, en Australie, qui veut mettre sa propriété sous le
régime de VAct Torrejis en fait la déclaration au bureau de l'Enregis-
trement. Après une purge plus ou moins longue, s'il n'y a pas d'opposi-
tion, on inscrit son titre de propriété, avec plan à l'appui, sur un registre.
On lui en délivre le double. Ce titre a force probante. Il a la valeur d'un
titre nominatif de Rente. Il est inattaquable, sauf le cas de dol évident.
Si quelque réclamalion justifiée se produit après sa délivrance, le récla-
mant est indemnisé en espèces sur un fonds d'assurance dont la consti-
tution est d'autant moins onéreuse qu'on n'y a presque jamais recours.
Le propriétaire peut transmettre sa propriété par voie d'endossement,
sans se déplacer, sous la seule condition d'envoyer son titre au bureau
d'Enregistrement pour que la transmission soit enregistrée. Dans ce sys-
tème, il n'y a pas d'hypothèques occultes ni indéterminées : toutes les
hypothèques sont spécialisées et publiques.
Le propriétaire veut-il emprunter sur nantissement? rien de plus facile.
Il dépose son titre dans une banque, et comme il ne peut rien faire
UE CASSANO. ADOPTION d'lNK HEURE UNIQUE lOol
de sa propriété sans son titre, on lui avance la somme dont il a besoin
pour attendre une récolte ou des cours plus avantageux pour la vente
de sa récolte ou de son bétail.
Si la propriété est démembrée, le titre primitif est annulé, et il est
constitué autant de titres qu'il y a de parts de propriétés.
Voilà, Messieurs, l'économie générale de VAct Tojrem, du système à
livres fonciers avec titres ayant force probante. Cet exposé suffit pour
montrer les avantages qui résulteraient de son adoption en France.
Comme je viens de le rappeler, depuis l'époque où, au Congrès de la Ro-
chelle, j'en ai exposé le mécanisme, des études très importantes ont été
faites : la Faculté de droit de Paris s'en est occupée et dans le sens de la
réforme indiquée. La Chambre des députés l'a réclamée; M. Noël Pardon,
le gouverneur de la Nouvelle-Calédonie, en a fait un projet d'application
complet pour cette colonie; une Commission extraparlementaire dont la
section juridique a, à sa tête, notre honorable collègue, M. Léon Say,
poursuit ses travaux avec le désir d'aboutir à une réforme aussi complète
qu'étudiée, et déjà elle a voté les principes fondamentaux de la réforme :
la constitution de livres fonciers réels avec force probante pour les titres
établis et la publicité de tous les droits réels.
Je tenais. Messieurs, à venir au Congrès de V Association Française à
Pau, dix ans après ma communication du Congrès de la Rochelle,
montrer que les paroles dites dans sa Section d'Éonomie politique ont de
l'écho et qu'elles peuvent être le point de départ d'importants mouve-
ments d'opinion publique et de réformes de premier ordre.
M. le Prince DE CASSAIO
i\ Paris.
ADOPTION D'UNE HEURE UNIQUE DANS L'INTÉRÊT DU COMMERCE
ET DES RELATIONS INTERNATIONALES
— Séance du 19 septembre 1892 —
Je ne vous ferai pas la théorie de l'heure universelle et encore moins
l'histoire de cette question qui a été agitée en maints congrès et en maintes
réunions savantes, commerciales et politiques. M. Romannet du Caillaud
4052 ÉCONOMIE POLITIQUE
Ta d'ailleurs exposée d'une façon lumineuse au dix-neuvième Congrès
de votre Association tenu à Limoges en 1890, et vous avez émis un vœu
concluant à ce que la transaction proposée par l'Académie de Bologne
« soit bientôt adoptée par toutes les puissances civilisées et qu'on arrive,
enfin, à l'unification dans la mesure du temps ».
Je me bornerai à traiter le sujet au point de vue pratique et à montrer
le danger qu'il y a pour la France de se tenir dans une réserve voulue,
pendant que de tous côtés on marche vers une solution qui, loin d'apla-
nir les difTicuités du passé, menace d'en créer de nouvelles et de plus
graves.
Lorsque le gouvernement italien, prenant en main les propositions de
l'Académie de Bologne, invitait les puissances à une conférence pour l'uni-
fication de l'heure, il y eut un mouvement peu sympathique dans la presse
française qui gagna peu à peu les sphères administratives. Si le gouver-
nement, par politesse, avait accepté l'invitation, les bureaux n'étaient pas
fâchés des objections qui s'élevaient contre le projet de Bologne à cause
du choix du méridien et du pays qui le patronnait. On oubliait de la
sorte que le méridien de Jérusalem avait été proposé pour la première fois
en France au Congrès international de géographie de Paris, tenu en 187o,
et que l'Académie de Bologne l'avait indiqué, non pas choisi, comme
celui qui offrait le plus d'avantages.
Malheureusement la guerre au projet de l'Académie de Bologne n'était
pas faite seulement hors d'Italie, mais aussi dans la Péninsule des savants
et des publicistes attaquaient avec la dernière violence ce qu'on appelait
l'invention religieuse d'un prêtre italo-français. Le Saint-Sépulcre et la
robe du P.Tondini di Quarenghi, le véritable apôtre de l'heure universelle,
remplissaient de crainte le cœur de certains « irrédentistes » d'un nouveau
genre qui voyaient déjà dans l'adoption du méridien de Jérusalem, une
sorte de rétablissement du pouvoir temporel. Dès lors, les polémiques
allaient leur train, les accusations les plus absurdes étaient lancées contre
le modeste savant que plusieurs d'entre vous connaissent, et l'Académie de
Bologne, aussi bien que le gouvernement italien, étaient représentés comme
hypnotisés par un moine retors qui cachait sous le couvert d'une question
scientifique les plus noirs desseins contre l'indépendance de la patrie et
la liberté de la pensée.
Je n'ai pas à prendre ici la défense du méridien de Jérusalem et à mon-
trer les avantages qu'il offre à cause de sa situation politique, climatolo-
gique et géographique; je ne rappellerai pas non plus que l'accord de la
mesure du temps avec les dates de l'histoire n'est pas chose négligeable.
Tout ayant été dit et prouvé d'une façon irréfutable, je n'ai vraiment pas
besoin d'y revenir encore une fois. Personnellement, d'ailleurs, je n'ai
aucune préférence et j'accepterai aussi bien la Mecque ou Behring que
DE CASSANO. — ADOl'TION d'uNE HKLRE UNIQUE 1033
Jérusalem pourvu que l'on tombe d'accord sur un méridien initial et que
l'on adopte une heure unique pour les chemins de fer, les télégraphes,
les téléphones et le droit international privé.
Le système des fuseaux, qu'on a voulu donner comme une transac-
tion, est un compromis n'ayant aucune portée pratique, car les inconvé-
nients qui résultent de la différence des heures ne sont {»as évités. La
mesure du temps n'est pas un fait, mais une convention, donc il faut
l'unifier afin que cette convention soit facile à retenir étant la même
pour tous.
Aujourd'hui nous savons que les Bourses de presque tous les pays
ouvrent à midi et ferment à trois heures, mais cela ne nous dit pas si la
Bourse de Londres commence ses opérations avant ou après celle d'Odessa.
C'est parce que nous n'ignorons pas que l'heure d'Odessa est en avance
de 2 h. 3' :26" sur Londres que nous pourrions donner encore des ordres
à Londres à la fermeture de la Bourse d'Odessa et que, par contre, nous
ne pourrions faire aucune opération avec cette ville après la clôture de
Londres. Le jour où Londres et Odessa auraient la même heure, nous au-
rions un tableau de toutes les Bourses nous indiquant le fait que Londres
ouvre à X heures et Odessa à (X — 2) heures. En regardant notre montre
nous saurions immédiatement, sans aucun calcul, s'il est temps ou non de
donner des ordres de l'une à l'autre Bourse.
Supposons un oncle fantaisiste qui meure en laissant deux neveux: l'un
établi à Naples et l'autre à Constantinople. Il lègue sa fortune par testa-
ment à celui qui se sera mis le premier à table le jour de sa mort. Celui
de Naples s'y asseoit à six heures et demie, l'autre à sept heures. Qui a
commencé le premier? Avec les heures locales, et même avec les fuseaux,
on peut ergoter à l'infini, avec une heure universelle il n'y a pas d'erreur
possible, l'héritier de Naples est en retard de 28'o3" sur celui de Constan-
tinople.
Il me reste encore à répondre à une objection qui est souvent faite par
les adversaires d'une heure unique. Ils disent : « Vous ne pouvez pas pré-
tendre qu'il soit midi à Lisbonne et à Vienne en môme temps, d C'est leur
plus fort argument et la remarque m'a été faite par des personnes ayant
de l'érudition. J'avoue qu'elle m'a étonné. — Est ce que midi a jamais
marqué quelque chose dans la vie civile des peuples ?
Tout le monde sait que les Romains divisaient le jour en quatre parties
égales appelées prime, tierce, sexte et none. Chacune de ces parties était
d'environ trois heures, plus ou moins longues suivantla saison. Ils faisaient
de même pour la nuit. Les heures du jour s'appelaient hoîxe, du sanscrit
ra qui veut dire « clair »; celles de nuit s'appelaient viyHiœ (veillées) et
indiquaient les changements des sentinelles. Il n'est jamais question de
midi ni de minuit dans leur histoire.
•10o4 ÉCONOMIE POLITIQUE
Les juifs qui comptaient les heures d'après les prières, avaient adopté
le même système après la conquête de Pompée. Lors de la mort du Christ
qui a .eu lieu à l'heure sexte, on ne connaissait pas le midi. Plus tard, on
a pu établir que cette mort étant arrivée à l'équinoxe du printemps,
l'heure sexte correspondait à notre midi; mais si le fait se fût produit au
solstice d'été, il aurait été onze heures, et une heure au solstice d'hiver.
En Italie, dans les campagnes, j'ai vu pendant mon enfance compter
les heures de 1 à 24 à partir de la fin du crépuscule. Le midi tombait à
16, 17, 18 ou 19 heures, suivant la saison et il ne servait qu'à marquer
l'heure de YAiigelus. Lorsque les paysans entendaient les cloches de l'é-
glise sonner midi, ils indiquaient, sans jamais se tromper, l'heure corres-
pondante suivant la mode dite « itaUenne ». Depuis qu'on a multiplié les
chemins de fer, on a adopté partout l'heure moyenne de Rome, même
pour les usages civils. Le changement n'a offert aucune difficulté, tout
le monde s'étant mis à compter les heures de la même façon. L'église
elle-même, qui est en général lente à accepter les changements, a tout
de suite réformé les heures et aujourd'hui les cloches de la cathédrale
de Palerme sonnent V Angélus en même temps que celles du dôme de
Milan, malgré la différence de seize minutes qu'il y a entre les méridiens
de ces deux villes. Les Turcs comptent les heures d'un coucher de soleil
à l'autre et appellent heures à la franque celles qui sont comptées d'après
le système ordinaire.
En somme, l'importance du midi n'est due qu'à l'église et à l'usage des
horloges solaires, mais depuis l'adoption de l'heure moyenne il n'existe
plus qu'à l'état de fiction. Le jour où l'on comptera les heures de 1 à 24
en se basant sur un méridien initial et que l'on appliquera la méthode
aux chemins de fer, elle passera plus vite qu'on ne pense dans les mœurs.
Je ne puis pas comprendre que l'urgence de cette réforme ait échappé
à la Commission chargée par M. le ministre de l'Instruction publique et
des Beaux-Arts de préparer les résolutions à porter au nom de la France
devant la Conférence internationale de Washington. Le rapport dit dans
ses conclusions :
« A l'égard de l'unification de l'heure, la Commission, après s'être
éclairée de Tavis des personnages les plus autorisés dans la marine, le
commerce, les télégraphes, les chemins de fer, pense que l'intérêt réel de
cette réforme est pratiquement très faible ».
Je ne mets pas en doute la compétence des personnages qu'on avait
consultés, mais je déplore que, dans l'enquête, on ait oublié le public qui
a lui aussi quelque autorité et quelques droits. Ceux qui voyagent, ceux
qui envoient et reçoivent des dépêches ont des intérêts fort respectables
et, si l'on s'était donné la peine de les interroger, ils auraient peut-être
ouvert à la Commission des horizons nouveaux.
DE CASSANO. — ADOPTION d'uNE HEURK UNIQUE lOoO
Si l'on avait compris alors l'utilité de la mesure, on aurait insisté pour
faire voter tout d'abord le principe de l'heure universelle avant toute dis-
cussion sur le clioix du méridien initial. On aurait ainsi évité l'apparente
contradiction qui se rencontre dans les votes de Washington, par lesquels
vingt-deux États sur vingt-cinq se prononcent pour l'adoption du méridien
de Grecn.wich lorsqu'il s'agit de l'unification des longitudes, et quatorze
seulement l'acceptent pour fixer l'heure universelle. Je viens de dire que
la contradiction est plus apparente que réelle et, en effet, elle s'explique
par le fait que le premier vote était plutôt la consécration d'une habitude
déjà suivie, tandis que le second* aurait donné à Greenwich une nouvelle
suprématie que rien ne justifie.
Mais il ne suffisait pas de voter contre Greenwich. Il fallait insister pour
le choix d'un méridien neutre et l'on aurait ainsi évité l'absurde système
des fuseaux qui est bien la chose la moins scientifique et la moins pratique
qu'on ait jamais imaginée. Il maintient tous les inconvénients des heures
multiples et il en ajoute de nouveaux.
Malheureusement on a cru, en France, que le meilleur moyen de com-
battre les prétentions de l'Angleterre était de retarder la solution de la
question. Or, il est arrivé juste le contraire et, à l'heure qu'il est, les
deux tiers des chemins de fer de l'Europe sont réglés sur le temps de
Greenwich.
En effet, que voyons-nous maintenant?
La Belgique, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas ont adopté l'heure de
Greenwich qu'on appelle l'heure de l'Europe occidentale.
L'Alsace-Lorraine, le Luxembourg, le grand-duché de Bade, le Pala-
tinat, le Wurtemberg, la Bavière, l'Autriche, la Serbie et Salonique ont
l'heure de l'Europe centrale qui avance d'une heure sur la première.
La Roumanie, la Bulgarie et la Turquie ont l'heure de l'Europe orientale
qui avance d'une heure sur la seconde.
Or, si l'on songe que, depuis la Crimée jusqu'au cap de laRoca, àl'extré-
mité occidentale du Portugal, il n'y a pas plus de 4o degrés, il faut recon-
naître que le partage de l'Europe, au point de vue horaire, a été fait d'une
manière indiscutablement adroite à l'aide des trois sections que je viens de
rappeler.
Et il ne faut pas oublier que tous ces arrangements ont eu lieu à la
suite des paroles prononcées par le maréchal de Moltke, quelques jours
avant sa mort, au Bcichstag le 16 mars 1891, soit vingt-quatre heures
après publication à l'Officiel de la loi sur l'heure nationale française. Le
■< grand silencieux » disait :
« Or, le méridien qui nous conviendrait davantage est celui du quin-
zième degré Est de Greenwich ; ce méridien coupe la Norvège, la Suède,
l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie ; peut-être pourrait-il, éventuellement,
1056 ÉCONOMIE POLITIQUE
servir aussi pour l'adoplion d'une heure unique dans toute l'Europe du
milieu, » Autrement dit: l'heure de la Triple -Alliance. Deux mois et demi
après, l'heure de l'Europe centrale était un fait accompli.
La Belgique adoptait à son tour l'heure de Greenvvich et, pour bien
marquer que c'était la création d'un second fuseau, on l'appelait : heure
de l'Europe occidentale.
Mais, il n'y a pas à s'y tromper, sous toutes ces appellations euphé-
miques, un fait reste acquis, c'est que le régulateur de toutes les heures
du système américain sera l'horloge de Greenwich ; car le fuseau initial,
fixé à l'antiméridien de Greenwich, ne rencontre en tait de terres que
l'extrémité orientale de l'Asie, où, pour le moment, il n'y a pas d'obser-
vatoire et peut-être pas même d'horloge.
Que fera donc la France en présence d'un pareil fait accompli ? Conti-
nuera-t-elle à se désintéresser de la question ? Mais alors l'Italie, qui n'a
pas encore adhéré à la convention de Dresde dans l'espoir de voir ses
ouvertures prises en considération, cédera aux instances pressantes qui
lui sont faites en ce moment par l'Europe du centre. La Suisse, qui n'a
pas d'araour-propre à garder, fera de même et la France restera toute
seule avec son heure nationale.
Pensez donc. Messieurs, aux conséquences d'un tel isolement. Vous
savez bien que la concurrence profite de tout, que le protectionnisme a
atteint les dernières limites du permis, s'il ne les a pas déjà dépassées, que
des services internationaux pourraient être détournés de votre territoire
sous le fallacieux prétexte des horaires de vos chemins de fer. Lorsque
les intérêts sont en jeu, tout sophisme devient un argument, et qui sait si
la malle des Indes, qu'on avait déjà tenté d'enlever à Brindisi, ne sera
pas donnée à Salonique via Ostende à la suite des menées de l'Angleterre.
Pour moi, toute vanité patriotique à part, je suis heureux de constater
que mon pays offre en ce moment le moyen de tout remédier et je con-
jure les législateurs qui sont ici à penser à l'importance que pourrait
avoir la réunion de la Conférence dont le cabinet de Rome a pris l'ini-
tiative.
Convaincu, pour ma part, que l'union évite la guerre, tandis que les
alliances y conduisent tôt ou tard, je rejette le système des fuseaux comme
un élément nouveau de coalition et je propose à votre approbation le
vœu suivant :
c< Le Congrès émet le vœu qu'on arrive le plus tôt possible à l'adoption
d'une heure unique dans l'intérêt du commerce et des relations interna-
tionales, tout en garantissant à chaque État le libre usage de son méridien
national dans la marine, l'astronomie et les travaux topographiques. »
V. TURQUAN.
DÉNOMBREMENT DES ÉTRANGERS EN FRANCE 1037
M. V. TÏÏRQUAI
Chef du Bureau de la Statistique au Ministère du Commerce, à Paris
DENOMBREMENT DIS ÉTRANGERS EN FRANCE
— Séance du 19 septembre i892 —
M. TuRQUAN fait connaître les résultats du dernier dénombrement de
la population au point de vue de la répartition des étrangers en France.
Il présente, à l'appui de cette étude, une série de cartogrammes manus-
crits, établis par ses soins, qui font ressortir les groupements les plus
intéressants par nationalité, ainsi que l'allure générale de l'immigration
étrangère en France.
En I80I, l'on avait compté 380.831 étrangers de toute nationalité;
en 1891, il en a été recensé 1.130.211, Leur effectif a donc triplé.
Voici, d'ailleurs, les chiffres qui ont été trouvés à chacun des dénom-
brements :
ETRANGERS
PROPORTION'
ETRANGERS
PROPORTION
Chiffres absolus
!>. 100 habitants
Chiffres absolus
p. 100 habitants
1X51 . .
. . 380.831
1,06
1876 . .
801.754
2,17
1861 . .
. . 497.091
1,33
1881 . .
1.001.090
2,67
1866 . .
. . 635.495
1,67
1886 . .
. 1.126.531
2,97
1872 . .
. . 740.668
2,03
1891 . .
. 1.130.211
2,97
Pour le dernier dénombrement la répartition des étrangers par nationa-
lités a été la suivante :
Anglais, Écossais, Irlandais.
Américains du Nord . . .
du Sud.
Allemands . . .
Autrichiens. . .
Hongrois ....
Belges
Hollandais . . .
Luxembourgeois
Italiens
Espagnols . . .
Portugais. . . .
Suisses
Russes
39.687
7.024
4.828
333
648
,2(>1
860
,078
248
,042
,736
331
117
,357
83
9
2
465
9
31
286
77
1
83
14
A reporter
1.115.550
Report. . . 1.115.550
Suédois.
Norvégiens
Danois
Grecs
Roumains, Serbes, Bulgares . .
Turcs
Africains
Chinois, Japonais et autres Asia-
tiques
Antres nationalités
Nationalités inconnues
Total dds étrangers de toute
n.xtionai.ité
1.155
915
741
2.035
1.677
1.851
813
343
1.908
3.223
1.130.211
67*
1058 ÉCONOMIE POLITIQUE
Les étrangers qui ont le plus augmenté par rapport à leur effectif
initial, en 1851, sont les Italiens ; ils ont presque quintuplé. Les Italiens se
tiennent surtout dans les départements du sud-est, des Alpes-Maritimes
à l'Hérault, et remontent le cours du Rhône pour aller former un noyau
très considérable dans le département de la Seine.
Les Belges ont passé, depuis quarante ans, de 128.000 à 465.000 ; c'est
de la Belgique que vient le plus gros contingent d'étrangers. Les Beiges,
qui sont près de 300.000 dans le seul département du Nord, semblent
s'arrêter, dans le flot de leur immigration, à la Seine. Néanmoins, un
certain nombre d'entre eux s'établissent entre la Seine et la Loire. Le reste
de la France en compte fort peu. Les Allemands avaient dépassé le
chiffre de 100.000 avant la guerre de 1810, et en 1886, mais par
l'effet de la naturalisation, leur nombre a sensiblement diminué. L'on en
rencontre surtout dans les départements de la Meurthe-et-Moselle, des
Vosges, de Belfort, de la Meuse, de la Marne, et dans le nord-est de
Paris. Les Anglais — que l'on a recensé surtout dans les départements du
nord-ouest baignés par la Manche, et dans les grandes villes, surtout
dans les villes d'eaux ou de plaisir — ont doublé depuis quarante ans :
^20.000 en 1851, 40.000 en 1891. C'est le Pas-de-Calais et la Seine qui
en comptent le plus.
La presque totalité des Luxembourgeois se trouve dans les Ardennes,
la Meurthe-et-Moselle, la Marne, la Meuse; l'on en compte 31.000, ce qui
semble énorme lorsqu'on pense que le Luxembourg compte 211.000 habi-
tants seulement.
Les Espagnols ont plus que doublé, mais depuis quelques années
restent en nombre à peu près stationnaire. Ils se trouvent surtout dans
les Basses et les Hautes-Pyrénées, le Lot-et-Garonne, le Gers, la Gironde,
et du côté de la Méditerranée, dans les Pyrénées-Orientales et l'Aude. En
dehors de cette région, il y en a fort peu, sauf à Paris, et dans la Marne.
Les Suisses, qui ont passé de 25.000, en 1851, à 83.000, en 1891, se sont
répandus dans la moitié de la France et sont entrés chez nous par l'Alsace,
par le Jura et par le Rhône. — Ils se sont établis tout le long de la vallée de
la Seine jusqu'au Havre, et, en descendant vers le Midi, ils occupent le
cours du Doubs, de la Saône et du Rhône.
Des cartes présentées par M. Turquan, il résulte que les étrangers ont
envahi pacifiquement le pourtour de la France, en laissant à peu près
désert le centre et l'ouest. Ils se concentrent surtout le long des fleuves
où ils trouvent les grandes villes. Mais il est à remarquer que le nombre
d'étrangers nés en France et ayant demandé la naturalisation devient tous
les jours de plus en plus considérable, et que ce nombre devient plus con-
sidérable proportionnellement au fur et à mesure que l'on s'éloigne de
la frontière et que l'on se rapproche du cœur du pays.
V. TIRQUAN. — UK.NO.MBKEMENT DES ÉTIiA.NGEltS Ei\ FRANCE 1059
II. — Français a l^ étranger.
M. Turquaii expose les principaux résultats du dénombremeut dos
Français à l'étranger. 11 commence par examiner comment a varié, et
comment s'est développée, pendant ces dernières années, l'émigration
française et signale vers quels pays les Français tendent à se diriger, et
quels sont les départements qui fournissent le plus gros contingent à
l'émigration.
C'est, bien entendu, le pays basque, les Basses et les Hautes-Pyrénées
([ui ont envoyé le plus grand nombre d'émigrés ; mais les Alpes, la Corse,
le Massif central et surtout la Franche-Comté et l'Alsace ont fourni,
d'autre part, une grosse part à l'émigration.
Cette émigration s'est dirigée en partie vers les pays voisins, Belgique,
Espagne, Algérie, Suisse; mais on compte beaucoup de Français aux
États-Unis et à la République Argentine.
Au contraire d'une idée généralement répandue, il y a peu ou même
point d'émigration aux colonies ; les quelques milliers de Français qui
s'y trouvent sont des militaires, marins et fonctionnaires, fort peu sont
des colons. Ce n'est donc pas du coté des colonies, lesquelles offrent
d'ailleurs fort peu de ressources économiques et possèdent un climat
contraire au peuplement et à l'établissement de familles européennes et
surtout françaises, qu'il convient de songer à diriger nos émigrants : c'est
plutôt vers l'Algérie et la Tunisie qu'il faut penser à le faire.
Voici les résultats sommaires du dénombrement des Français à
l'étranger :
'D^
En Europe 200.000 Français environ.
— Afrique 30.000 (non compris l'Algérie).
— Asie 15.000
— Amérique du Nord 120.000
— — du Sud. 40.000
— Océanie 3.000
Total . ." 408.000
La Suisse et la Belgique sont les pays qui comptent le plus de Français,
(oO.OOO à oo.OOO). Les États-Unis en comptent 106.000. Mais on sait
que le nombre de Français indiqué par le recensement ne saurait être
considéré que comme un aperçu, beaucoup de Français, en Amérique
surtout, évitant ou négligeant de se faire connaître au Consulat.
1060 ÉCONOMIE POLITIQUE
M. Turquan estime que le nombre de Français établis à l'étranger ne
dépasse guère un demi-million d'individus.
il considère les différentes causes de cette émigration qui, chez nous,
n'est pas toujours provoquée par la misère, comme cela est constaté en
Italie, en Allemagne et en Irlande, et se félicite de ce qu'un nombre de
plus en plus considérable de Français aillent porter ailleurs leur activité,
car ils établissent certainement un courant de commerce entre la mère
patrie et leur lieu d'élection. Néanmoins, il convient de faire quelques
réserves et de n'encourager l'émigration que de gens capables de coloniser
et de prospérer. Le gouvernement ne saurait empêcher l'émigration, mais
il peut la réglementer et surtout la protéger contre les abus des compa-
gnies qui se sont fondées pour exploiter les émigrants.
M. Arsène DÏÏMOIT
à Caen.
DE L'UTILITÉ DES LISTES NOMINATIVES ET DE LA NÉCESSITÉ DE PRÉVENIR
LEUR DESTRUCTION
— Séance du 49 septembre 1892 —
En prenant la parole devant la Section de Statistique, je la prie de
me pardonner d'improviser une communication que je n'avais pas en-
core, il y a quelques jours, l'intention de lui adresser. Mon excuse sera
la gravité du fait que je désire signaler.
Lundi dernier, aux archives de Bordeaux, voulant étudier la natalité
dans le riche canton de Paulliac et constater les phénomènes démogra-
phiques concomitants qui sont susceptibles d'en rendre compte, je deman-
dai les deux séries de documents indispensables pour ce travail : d'une
part, les recensements quinquennaux devant fournir le chiffre de la popu-
lation, et, d'autre part, les tables décennales sur lesquelles j'ai coutume de
compter le nombre des mariages, des naissances et des décès. Les tables
décennales me furent aussitôt communiquées; quant aux recensements,
ce fut impossible, ils n'existaient plus. Une circulaire ministérielle avait
A. DUMONT. — DE l'uTILITÉ DES LISTES NOMINATIVES 1061
autorisé à les détruire comme encombrants et ils avaient été anéantis (I).
Je connaissais l'existence de cette circulaire ; mais je croyais tous les
archivistes résolus, comme certains d'entre eux, à ne pas proliter de la
liberté qu'elle leur donnait. C'était une erreur, la Gironde n'a déjà plus de
listes nominatives pour les recensements antérieurs à celui de 1891 et ce
grand département n'est pas le seul dans ce cas. J'en sais d'autres où
■ces pièces sont dès à présent, ou détruites, ou mises au rebut pour être
Hvrées au pilon. Avant peu d'années, l'œuvre de destruction aura gagné
Ja plus grande partie du pays (2).
Or, ce serait se tromper que de compter sur les listes nominatives qui
doivent être conservées en double dans les communes. Depuis douze ans
que je poursuis dans les campagnes mes études sur la dépopulation, j'ai
pu constater que ces documents sont généralement égarés ou détruits
quinze ou vingt ans tout au plus après leur confection, et, quant aux
tableaux récapitulatifs des recensements que Ton pourrait au moins con-
server, ils sont presque invariablement encartés dans les listes nomina-
tives et partagent leur sort.
Ce n'est pas devant la Section de Statistique qu'il faut insister sur les
désastreuses conséquences de cette perte. Désormais, pour calculer la
nuptialité, la natalité et la mortalité des communes, le démographe aura
bien les tables décennales qui lui donnent les mariages, les naissances et
les décès ; mais il n'aura plus les recensements qui lui auraient fourni le
•chiffre exact de la population. Il aura un dividende sûr ; il n'aura plus
qu'un diviseur incertain. Ce diviseur ne manquera pas absolument, car
on peut le trouver dans les annuaires départementaux qui partout — du
moins je le présume — contiennent le chiffre de la population commune
par commune. .Mais il sera incertain, d'abord parce que ces annuaires
contiennent de fréquentes erreurs, ensuite parce qu'on ne sait jamais ce
que comprend le chiffre de population qu'ils indiquent. Embrasse-t-il la
population à part, les résidents absents ou seulement les résidents pré-
•sents ? C'est une question à laquelle l'annuaire ne répond pas. De sorte
que pour calculer l'émigration, par exemple, on se trouve très empêché.
Le rédacteur de l'annuaire a-t-il, il y a trente-cinq ans, compté les élèves
de telle pension, de tel séminaire, la garnison de telle caserne, les ma-
lades de tel hôpital actuellement supprimé ? On ne sait, et cette ignorance
s'oppose à tout raisonnement valable. Et combien étaient ces élèves,
«es soldats ou ces malades? On voit, sans qu'on y insiste, les incon-
(I) Circulaire du minisire de l'Instruclion publique (signc% Spuller) relative à la suppression, dans
les archives des préfectures et sous-préfectures, des papiers inutiles. 12 août 1887. In Bullelin des
Bibliothèques et des Archives, année 1887, page 222.
(2; Les tableau.x du mouvement de la po|)ulation, indispensables pour le calcul de la natalité illé-
4,'itime, de la natalité et de la mortalité par mois, de la mortalité par âge et par état civil, etc.,
sont le plus souvent traités comme les listes nominatives et condamnés, eux aussi, à disparaître.
1062 ÉCONOMIE POLITIQUE
vénients, lorsqu'il s'agit du calcul des mouvements de la population.
Mais il est deux autres informations que seules peuvent rendre possibles
les listes nominatives ; elles peuvent servir : 1° à faire l'onomatologie
de la France ; 2° à faire la distinction de la population fixe et de la popu-
lation instal)lo.
Dans la population d'une commune rurale, le nombre de ses membres
n'est pas la seule chose intéressante. La répartition de cette population
en familles l'est au moins autant. Il y a des familles stables existant sur
le sol depuis des siècles et des familles qui sont venues s'y fixer depuis
une ou deux générations seulement. Or, telles communes ont une majo-
rité de familles de la premi("'re sorte. On voit dans certaines com-
munes cinq ou six noms propres former à eux seuls la majorité des habi-
tants. D'autres communes, au contraire, sont formées d'une population
d'alluvion récemment immigrée et qui émigrera comme elle est venue.
Selon qu'une population comprend beaucoup de familles stables ou n'en
comprend aucune, son intérêt pour le démographe, qui recherche non
seulement les faits, mais leur cause, est extrêmement variable. Or, il ne
suffit pas, pour s'en rendre compte, de compter sur les tableaux récapitula-
tifs des recensements le nombre des habitants nés dans la commune, car
le fils d'un fonctionnaire, d'un ouvrier de passage peut fort bien être né
dans la commune et n'appartient pas pour cela au noyau de familles per-
manentes. Pour connaître celles-ci, il faut absolument comparer les listes
nominatives les plus anciennes avec les plus récentes que l'on possède.
Il est intéressant, d'autre part, de connaître les noms mêmes des habi-
tants. On travaille en ce moment au dictionnaire topographique de la
France, département par département, c'est-à-dire au relevé de tous les
noms de lieu du pays, avec leur forme contemporaine et les diverses
formes qu'ils ont eues dans le passé. Un jour viendra certainement où
l'on sentira l'intérêt de faire, commune par commune, le relevé des noms
d"hommes. Ces noms, par leur aspect seul, sont une révélation. Si l'on
trouve en Normandie des Héribel, des Le Planquois, des Le Herquois et
des Lecauf, on est sûr qu'ils sont les descendants d'immigrés bas-bretons.
Si l'on rencontre dans une population d'alluvion (comme Deauville), des
Anchartechahar et des Choutchourrou, on est sûr qu'ils sont venus du
pays basque. 11 n'est nullement indifîérent pour le linguiste, l'anthropo-
logiste, le démographe, l'ethnographe, qu'une population soit composée
d'autochtones ou d'étrangers.
Aujourd'hui, par exemple, le canton basque de Baïgorry ne contient
guère que des noms basques, les quelques noms français qui s'y ren-
contrent ne sont qu'une infime minorité. Or, si, dans un siècle ou deux,
les Iturbide et les Etchegoyen actuels étaient remplacés par des Leloutre
et des Lecrosnier, par des Yaldès et des Hernandez, ce serait l'indice d'un
A. DUMONT. — DE l'cTILITK T>ES TJSTES NOMINATIVES 1063
fait social suffisamment grave pour qu'on en doive tenir compte dans tous
les ordres de recherches concernant l'homme, sa race, sa langue, ses
mœurs, ses idées, ses aspirations esthétiques.
Pour tous ces objets la conservation des listes nominatives s'impose. Les
registres de l'état civil ne suffisent pas :
1'' Parce qu'ils ne contiennent pas tous les noms, un individu pou-
vant fort bien avoir passé une longue vie dans une commune sans y être
né et sans y mourir ;
"2'^ Parce que les noms n'y figurent pas dans leur proportion réelle,
telles familles ayant proportionnellement beaucoup plus de naissances, de
mariages et de décès que telles autres cependant plus nombreuses ;
3° Enfin, parce que les listes nominatives sont plus faciles à consulter
rapidement.
Il est d'ailleurs exagéré de les prétendre très encombrantes. L'ensemble
des listes d'un recensement, pour un département entier, forme environ
un quart de mètre cube de papier, soit cinq mètres cubes en tout un siècle,
trois mètres cubes seulement depuis 1831 jusqu'aujourd'hui, ce qui n'a
rien d'excessif.
On conserve avec soin une grande quantité de documents moins impor-
tants. Les archivistes se donnent souvent la plus grande peine pour recons-
tituer l'histoire de quelques familles ou de quelques administrateurs qui
ont jadis rendu des services à quelque localité de leur département. Ce-
pendant ce n'est là que de l'histoire locale ou plutôt encore de la chro-
nique qui reste forcément sans conclusion. 11 n'y a point là matière à
science. « Pas de science de l'individuel », disait déjà Aristote et ce mot
de bon sens restera éternellement vrai. Il y a donc le plus grand incon-
vénient à ce que les archivistes paléographes ne soient pas doublés
d'archivistes démographes, chargés de conserver les archives modernes,
de faire la démographie des départements, de surveiller les opérations
des secrétaires de mairies relatives aux mouvements de la population et
aux recensements. Ce ne serait certes pas une sinécure. Leurs études sur
la démographie formeraient en outre les bases inébranlables de la socio-
logie scientifique.
Mais ce sont les matériaux mêmes de ces études que l'on détruit
aujourd'hui en livrant au pilon les listes nominatives. Tous les membres
de cette Section voudront, j'en suis sûr, user de toute leur influence près
du ministère compétent pour l'amener à revenir sur une décision aussi
déplorable. Dans un milieu comme celui où je parle, je plaide une cause
gagnée (1).
(1) Ce vœu a été, en effet, adopté par l'Association française pour ravaiK\'meiU des sciences dans
son assemblée générale.
1064 • ÉCONOMIE POLITIQUE
M. Daniel BELLET
à Paris.
LES PROGRÈS DE LA VAPEUR EN FRANCE DE 1840 A 1890
— Séance du 20 septembre t89î —
Il me semble que, parmi les nombreux sujets qui peuvent rentrer sous
le titre de notre Section, celui que j'ai choisi est d'un réel intérêt.
Depuis que la machine à vapeur a été créée dans son principe, on ne
saurait s'empêcher de rester émerveillé devant les services sans nombre
qu'elle sait rendre, les usages si variés auxquels elle s'applique; c'est un
auxiliaire tout-puissant que l'homme a trouvé moyen d'asservir et de
plier à la satisfaction de ses besoins. Aujourd'hui, et depuis nombre d'an-
nées déjà, la machine à vapeur est devenue le facteur non seulement
du progrès industriel, mais du progrès sous toutes ses formes. C'est elle
qui a permis aux manufactures de se développer comme elles l'ont fait,
et c'est grâce à elle que les prix de la plupart des objets de consom-
mation ont pu baisser dans une énorme proportion : c'est donc grâce à
elle que les classes peu aisées ont pu et peuvent se procurer quantité de
jouissances qui étaient auparavant hors de leur portée. C'est à elle que
nous devons les chemins de fer et l'établissement de ces communications
rapides entre les différentes parties d'une même nation (1) et entre les
différents peuples ; c'est elle encore qui permet de franchir les océans avec
une rapidité et une sécurité qu'on n'aurait jamais espérées au siècle dernier.
Si elle venait à disparaître, il nous semblerait retomber en pleine barbarie.
Aussi suivre les progrès de son emploi dans une contrée déterminée,
c'est suivre en réalité le progrès économique de cette contrée; et c'est pour
cela que nous voudrions montrer comment la France est dotée à ce point
de vue, en faisant surtout une statistique comparative, c'est-à-dire en
montrant comment la machine à vapeur a su acquérir peu à peu droit
de cité dans nos industries, sur nos chemins de fer et pour l'établis-
sement de nos lignes de navigation.
(1) Voir les si remarquables planches de ÏÂlbum de statistique graphique de notre éminent collègue
M. Cheysson.
D. BELLÉT. — LES PROGRÈS DE LA VAPEUR EN FRANCE DE 1840 A 1890 1065
Nous allons prendre les appareils à vapeur au moment même où ils
commençaient à s'introduire en France et nous suivrons pas à pas la
généralisation de leur emploi. La besogne nous est, du reste, rendue
facile par les excellentes statistiques (1) que publie le Ministère des Tra-
vaux publics depuis plus d'un demi-siècle; elles constituent une mine
de renseignements présentés sous la forme la plus claire, surtout depuis
que M. Keller est à la tête de ce service. Des statistiques de cette valeur
permettent de faire avec profit des enquêtes portant sur une très longue
période et basées sur des données auxquelles on peut se fier.
Bien entendu, pour rendre plus claire cette étude un peu longue, nous
n'envisagerons pas de prime abord d'une façon générale l'emploi de la
vapeur dans l'ensemble de ses applications, et nous recourrons auparavant
à une distinction toute naturelle : nous verrons quel rôle joue la vapeur
dans les diverses industries, puis nous examinerons la puissance qu'elle
représente dans la navigation, et enfin dans les chemins de fer. Il ne nous
restera plus ensuite qu'cà faire la totalisation des chiffres que nous aurons
produits.
Nous n'avons guère besoin d'expliquer pourquoi nous commençons par
la vapeur dans l'industrie : c'est qu'en 1840, année où nous faisons re-
monter notre étude rétrospective, chemin de fer et bateau à vapeur n'ont
qu'une importance fort secondaire. En outre, nous n'avons pas cru devoir
remonter avant l'année 1840, parce qu'auparavant la vapeur joue un rôle
encore par trop effacé.
Du reste, les chiffres mêmes de 1840 nous semblent presque enfantins :
à ce moment, toutes les industries de la France entière possèdent ensemble
2.591 appareils, représentant une force de 34.3o0 chevaux-vapeur (et
cependant, comme nous le verrons quand nous entamerons la quatrième
partie de cette étude, ce total de 34.350 chevaux formait à peu près les
deux tiers de la force de toutes les machines qui étaient en service en
France). Mais il ne devait pas falloir longtemps à nos industriels pour
comprendre le parti qu'ils pourraient tirer du nouveau moteur qui s'offrait
à eux.
Un coup d'oeil sur un tableau d'ensemble va bien nous le prouver, en
laissant au lecteur le soin de déduire toutes conclusions de ces données
numériques.
(1) Statistique annuelle de l'industrie minèmle et des appareils à vapeur. Imprimerie nationale.
1066
ÉCONOMIE POLITIQUE
lNNÉES
APPAREILS
CHEVAUX-VAPEUR
1840
2.591
34.350
1845. . . .
4.114
50.187
1850
5.322
66.642
1855 . . ■
8.879
112.278
1860
14.513
177.652
1865
20.947
255.673
1870
27.958
341.443
1875
32.008
400.756
1880
41.772
544.152
1885
50.979
718.000
1890
58.749
863.007
Nous ne pouvons nous allonger en fournissant des chiffres sur le nombre
des chaudières. Nous ajouterons qu'en 1860 nos industries employaient
INDUSTRIE
Echelle
1mm pour 2 000 app
Imm pour 20000chev
CHEV.VAP.
APPAR
18W 1850 1860 1870 1880 1890 ANNEES
FiG. 1.
17.181 chaudières calorifères, et qu'aujourd'hui on compte 26.695 réci-
pients de vapeur de plus de 100 litres, sans parler de ceux qui ne sont
point sujets à déclaration. Nous n'insisterons pas sur les pertes résultant
de la guerre de 1870, que nous avons su rapidement réparer. Disons
encore qu'en 187S l'industrie algérienne ne possédait que 170 appareils
représentant en tout 1.456 chevaux. Notre petit graphique (fig. 1) mel
tous ces faits en lumière : on en tirera aussi la conclusion que la force
des machines augmente plus vite que leur nombre, ce qui correspond
à un accroissement de la force unitaire.
Le dernier chiffre que nous avons fourni est celui du 31 décembre 1890;
au 31 décembre 1891 on compte 58.967 machines et 916.086 chevaux.
|-; Il nous semble utile de compléter ces renseignements en indiquant
comment la force totale que représentent les machines existant en France
se répartit entre les diverses branches d'industries, en dressant un tableau
comparatif pour 1890 et 1879.
r». BELLET. — LES PROGRÈS DE LA VAPEUR EN FliANCE DE 1840 A 1890 1067
EN 1879 EN 1890
INDUSTRIES — —
— Chevaux-vapeur Chevaux-vapour
Tissus et vêtements 101.542 172.999
Usines métallurgiques 103.720 167.584
Mines et carrières 84.572 130.273
Industries alimentaires 80.947 106.167
Entreprises de travaux 27.236 91.416
Agriculture (1) 33.596 88.932
Industries chimiques et tanneries . 28.278 42.323
Papeterie, objets mobiliers .... 32.700 37.632
Services publics de l'État 13.851 25.681
Remarquons, en le déplorant, l'importance de plus en plus grande que
prennent les services de l'État. On voit immédiatement que le classement
de 1890 n'est plus le même que celui de 1879 et que certaines industries
ont recouru plus que d'autres à l'emploi de la vapeur.
Une autre comparaison sera peut-être instructive entre les années 1860
et 1890. Voici quelle était la force en chevaux-vapeur de certaines indus-
tries spéciales (nous donnons ces indications sous forme de tableau pour
qu'elles soient plus résumées) :
1860 1890
Chevaux-vapeur Clievaux-vapeur
Mines de combustible 28.170 87.711
Exploitation des mioerais métalliques. . . . 1.711 3.638
Exploitation des carrières, ardoisières, etc.. 998 3.590
Hauts fourneaux, forges, aciéries 28.570 105.975
Battage des grains 4.381 73.344
Teintureries, apprêts 2.909 17.831
Papeteries 2.582 13.997
Tanneries 1.2.38 10.558
Manufactures de drap? 1.932 3.568
Verreries, etc 1.784 5.310
Filatures et tissages 36.133 127.266
Enfin, il est bon que nous ajoutions à toutes ces données l'indication de
la répartition des appareils à vapeur dans les différents départements
français en 1860 et en 1890 ; et, pour cela, nous indiquerons combien de
chevaux- vapeur représentaient les différentes machines en activité à ces
deux époques dans les départements les plus intéressants à étudier. En l'an-
née 1860, c'est le département du Nord qui dispose de la plus grande force
motrice, 30.936 chevaux, ce qui est énorme pour cette époque. La Loire,
qui vient en deuxième ligne, n'en compte que la moitié, exactement
lo.298. Nous citerons ensuite la Seine, avec 13.653 ; puis le Haut-Rhin,
avec 8.8o9 ; la Seine-Inférieure en compte 8.718 ; le Pas-de-Calais,
7.684; la Saône-et-Loire, 6.117. On relève ensuite 5.934 chevaux dans le
Rhône, 5.697 dans la Moselle, 4.207 dans l'Aisne, 3.925 dans le Gard.
Nous ne prolongeons point cette énuméralion, qui nous entraînerait trop
(0 Voir, à ce sujet, une élude publiée par nous dans le Journal de l'Agriculture.
1068 ÉCONOMIE POLITIQUE
loin ; mais nous indiquerons les départements où l'emploi de la vapeur
t'tait presque inconnu en 18G0 : nous voulons dire le Gers, où l'on trouvait
un total de 21 chevaux-vapeur, et les Hautes-Pyrénées, où la statistique
n'en pouvait relever que 8.
Aujourd'hui (nous entendons par là le commencement de 1891), c'est
encore le Nord qui tient la tête, avec 115.700 chevaux : nous sommes loin
du chifTre de 4860. Au deuxième rang, cette fois, se trouve la Seine, avec
71.000; puis nous voyons le Pas-de-Calais avec 55.214, lui qui n'en
comptait que 7.700, en 1860 ; la Seine-Inférieure avec 39.000, et la Loire
avec 40.000. Nombreux sont aujourd'hui les départements qui comptent
de 20.000 à 30.000 chevaux ; nous ne citerons donc que ceux qui sont re-
marquablement arriérés au point de vue qui nous occupe : tels seront, par
exemple, les Hautes-Pyrénées, où l'on ne compte que .j42 chevaux, et la
Corse, où il n'y en a que 184, Enfin, n'oublions pas de faire remarquer
qu'actuellement le département d'Alger en possède 3.540.
On peut légitimement penser qu'au moment présent, à l'instant où nous
exposons ces résultats, l'industrie française possède un ensemble de plus
de 62.000 appareils et de plus de 920.000 chevaux, si la proportion d'ac-
croissement est demeurée sensiblement égale à ce qu'elle était dans les
périodes précédentes. Nous sommes loin des 2.591 appareils et des
34.350 chevaux de 1840; mais il faut bien être persuadé que l'industrie
française pourrait suivre le progrès de plus près qu'elle ne l'a fait, et
qu'elle n'est pas arrivée à employer la vapeur partout où ce puissant
auxihaire devrait être eu usage.
II
Nous abordons la deuxième partie de l'étude que nous avons entreprise,
l'examen de l'emploi de la vapeur, autrefois et aujourd'hui, dans la navi-
gation soit maritime, soit fluviale. Nous serons forcément assez bref dans
cet examen, parce que, malheureusement, comme on peut immédiatement
s'en convaincre en jetant un coup d'oeil sur le deuxième de nos gra-
phiques (fig. 2), la navigation à vapeur ne s'est que bien faiblement
accrue en France : sur nos fleuves et canaux, parce que notre système de
navigation intérieure laisse beaucoup à désirer ; sur mer, parce que, en
dépit des primes de toutes sortes dont on espérait merveille, notre flotte
marchande ne se développe nullement. Une seconde remarque que sug-
gère ce graphique, c'est que l'emploi de la vapeur dans cette branche de
l'activité nationale a été très variable, ce qu'indique une série d'oscilla-
tions dans la courbe de ce graphique : rien n'y est régulier, bien loin de là.
Si nous remontions plus haut que 1840, nous verrions que, en 1833
D. BELLET. — LES PROGRÈS DE LA VAPEUR EN FRANCE DE 1840 A 1890 1069
(première année pour laquelle les statistiques fournissent des renseigne-
ments), la France ne possédait que 7o navires à vapeur d'une force globale
de 2.635 chevaux-vapeur. Si Ion passe tout de suite à 1840, on est porté
à croire que l'emploi de la navigation à vapeur va vite .se généraliser.
car on peut compter déjà 211 bateaux et une force de 11.42"2 chevaux;
cinq années plus tard, les totaux correspondants sont respectivement de
2o9 et de 18.050. Mais on n'avait jusque-là osé installer des machines
motrices à vapeur que sur des bateaux d'un assez faible tonnage, et voici
qu'en 1850 on se hasarde à en agir autrement, puisque le nombre absolu
des bateaux tombe à 252 et que cependant la force totale dont ils dis-
B ATE AUX
CHtV. VAP.
BAT
18W
1850
1860
1870
1880
1890 ANNEES
FiG. 2.
posent monte à 22.023, la force unitaire augmentant, par conséquent.
dans une assez notable proportion.
Nous ne pouvons qu'exposer brièvement un tableau général de la situa-
tion de la marine à vapeur française :
ANNÉES BATEAUX CHEVAUX-VAPEUR
1855 370 40.932
18G0 377 36.690
1865 487 50.504
1870 572 60.000
1875 736 90.774
1880 954 286.000
1885 1.172 493.000
1890 1.240 590.000
1891 l.:533 636.784
En 1860, les chemins de fer sont venus faire une rude concurrence
aux bateaux ; enlin, de 1875 à 1880, il s'est produit une rapide progression
1U70
KCONOMIE l'OLIÏIQUE
qui n'est guère explicable. En tout état de cause, on ne peut qu'être péni-
blement affecté en songeant aux 6.000 navires que possède la Grande-
Bretagne (1).
m
Il nous faut maintenant examiner l'emploi de la vapeur sur les chemins
de fer. Comme le chemin de fer, au moins jusqu'à présent, ne peut pas
CHEMINS DE FER
Echelle:
1mm pour 200 locom
lm.m pour ¥0000 chev-
CHEV. VAP.
LOCOM
18M) laSO 1860 1870 1880 1890 ANNEES
FiG. 3.
exister sans le secours de l'appareil à vapeur sous forme de locomotive,
c'est un peu étudier le développement des chemins de fer. Mais c'est
autre chose aussi, car le nombre des locomotives en service sur une ligne
dépend de l'intensité de trafic sur cette ligne. Disons tout de suite que
nous laissons absolument de côté les appareils à vapeur fixes installés dans
l'enceinte des chemins de fer [fig. S).
Au commencement de la période que nous avons voulu étudier devant
vous, en 1840, la France ne possédait que 430 kilomètres de chemins de
1) Nous renverrons à une étude de nous dans le Journal dus Economistes de 1892.
D. lîELI.KT.^ — LKS PROGRÈS DE L.V VAPEUR EN FRANCE DE 1840 A 1890 1071
ter, et, pour ce réseau modeste, il suffit de 14'2 locomotives, représentant
une force de 14.200 chevaux. Cinq années plus tard, le réseau a doublé à
peu près, atteignant 881 kilomètres, et l'effectif des locomotives est de
310, d'une force de 31.000 chevaux ; en I8o0, les chiffres correspondants
sont de 973 et de 97.300. On peut le remarquer tout de suite, on prend
uniformément dans ces statistiques la force unitaire d'une locomotive à
100 chevaux : c'est ce dont on peut se convaincre en regardant le tableau
suivant, qui n'est, en somme, que le résumé des statistiques officielles jus-
qu'en 1875 :
ANNÉES LOCOMOTIVES CHEVAUX- VAPEUR
1855 1.855 1857500
1860 3.101 310.100
1865 3.963 396.300
1870 4.835 483.500
1875 5.916 591.600
Cela pouvait être vrai en 1840 ou même en 1850, mais cela n'est point
demeuré exact par la suite ; c'était un errement toujours suivi par l'Admi-
nistration de ne point demander la force exacte pour chaque locomotive,
et de prendre la base de convention de 100 chevaux. Cet errement nous a
semblé une erreur : nous nous sommes donc permis de la rectifier en sup-
posant, ce qui est fort vraisemblable si l'on tient compte des modifications
subies par la locomotive depuis 1855, qu'en 1855 la force unitaire des ma-
chines dépassait un peu 100 chevaux, qu'elle atteignait 150 chevaux en
1860, 200 en 1865, 250 en 1870 et 300 en 1875. Nous obtenons ainsi la
statistique très vraisemblable suivante, qui se traduit dans notre graphique
par une courbe ascendante rapide, mais qui ne laisse pas subsister le res-
saut énorme que produirait, en 1880, un graphique dressé servilement sui-
vant les tableaux officiels tels qu'on les a imprimés :
0
ANNÉES LOCOMOTIVES CHEVAUX-VAPEUR
1850 973 97.300
1855 1.855 200.000
1860 3.101 460.000
1>^65 3.963 790.000
1870 4.835 1.200.000
1875 5.916 1.770.000
1880 7.289 2.495.251
1885 9.155 3.2H9.623
1890 9.909 3.6.56.577
1891 10.226 3.738.529
En Algérie, on compte 267 locomotives et 92.885 chevaux-vapeur. Enfin ,
dans notre dernier total, la part des chemins de fer d'intérêt local est de
335 machines et 34.498 chevaux ; les chiffres correspondants sont de 361
et 20.724 pour les chemins industriels; de 248 et 13.296 pour les tramways.
Il ne nous reste plus maintenant qu'à totaliser les chiffres divers que
nous avons fournis, et nous allons le faire rapidement, mais de façon du
1072 ÉCONOMIE POLITIQUE
moins à permettre une vue d'ensemble sur les progrès de l'emploi de la
vapeur dans toutes ses applications depuis cinquante années (1).
IV
Pour dresser cette totalisation, dont notre dernier graphique (fig. 4)
donne un résumé, nous nous reportons aux chiffres que fournissent les
statistiques ofTicielles ; mais nous les corrigeons suivant l'indication don-
EFFECTIF TOTAL
Eche Ile:
l/nm pour 2.000 app
1mm pour 80000 chev
CHEV.VAP.
APPAR.
18W I8if5 1850 18S5 1860 1865 1870 1875 1880 1885 1890 ANNEES
Fifi. 4.
née tout à l'heure, en tenant compte de la majoration justifiée de la puis-
sance en chevaux-vapeur des locomotives de nos chemins de fer.
Nous obtenons le tableau suivant, qui peut se passer de tout com-
mentaire :
ANNÉES . APPAREILS CHEVAUX-VAPEUR
1840 2787.3 56.422
1845 4.873 91.533
1850 6.832 186. .363
1855 11.620 354.500
1860 18.726 673.900
1865 26. .376 1.103.000
1870 33.761 1.580.000
1875 40.052 2.280.000
1880 52.543 3.341.971
1885 6B.517 4.528.979
1890 75.749 5.17.^.996
1891 76.549 5.362.725
(I) Ceux qu'intéresseront les questions techniques de la provenance ou du mode de conslruclioi»
des locomolives, pourront se reportera un article que nous avons publié sur ce sujet, en I8'J2, dans
les Annales industrielles.
A. PICHE. — DE LA SOCIOLOGIE J073
Aujourd'hui il est légitime de penser que la vapeur fait marcher en
France à peu près 79.000 appareils représentant une armée de 5 millions
400.000 chevaux-vapeur. Et il est bien certain que la vapeur n'est pas
près de perdre l'importance considérable qu'elle a su acquérir dans toutes
les branches de l'activité humaine. Sans doute l'électricilé parait être la
reine du jour ; mais il ne faut pas oublier, comme le faisait remarquer
Edison dans une récente conversation, que la vapeur est encore le meil-
leur auxiliaire pour la production de l'électricité, et que, sans doute, vapeur
et électricité vivront toujours côte à côte.
M. A. PICHE
Président de la Société d'Éducation populaire des Basses-Pyrénées, à Pau.
DE LA PLACE DE LA SOCIOLOGIE DANS L'ENSEMBLE DES CONNAISSANCES HUMAINES
DES MUSÉES SOCIOLOGIQUES ET DE CELUI DE PAU EN PARTICULIER
— Séance du 20 seplembre 1892 —
Bien que j'aie fait hier une communication-conférence à la Section de
Pédagogie, je ne suis pas un pédagogue; président de la Société d'Édu-
cation populaire départementale, ex-adjoint de la ville de Pau, je serais
plutôt un anthrop-agogue, un démagogue, dans le bon sens étymolo-
gique du mot.
J'offre de conduire les gens sur le chemin de la vérité politique et sur
la route du progrès social. Avocat sans causes, je loue gratuitement mon
fiacre à l'heure ou à la course, trop heureux de trouver des voyageurs.
Les congressistes étant gens pressés, vous surtout. Messieurs les écono-
mistes, qui devez épargner le temps, dont vous savez tout le prix, je vous
parlerai à la course, m'efforçant de vous dire beaucoup de choses utiles
en peu de mots. Je tâcherai surtout d'être clair et pas trop ennuyeux.
Je m'étais proposé de vous entretenir principalement des Musées ethno-
graphiques et sociologiques départementaux, qu'il est nécessaire de fonder
aujourd'hui en corrélation avec le Musée d'Économie sociale de France,
qui s'organise à Paris en ce moment; de ces Musées en général, dis-je, et
de celui que nous formons à Pau en particulier. Accessoirement, je vous
aurais entretenu de quelques miennes idées sur la sociologie ; mais, en
route, j'ai retourné mon sac et changé mon fusil d'épaule.
Ce Musée embryonnaire, je pourrai vous le montrer tantôt, si vous le
désirez .
G8*
1074 ÉCONOMIE POLITIQUE
Ne serait-il pas plus piquant, ce matin, que je vous fisse la brève
contre-partie scientifique de la belle conférence littéraire qui vous est
annoncée pour ce soir? Ce serait, pour ainsi dire, l'anatomie du sque-
lette que M. Léon Say vous présentera sous les contours les plus sédui-
sants, ornés des plus fines couleurs.
DIEU ( Idéede Cause 1 ^f'' )
Théologie ou doxie.
c
Anges ou Esprits ? \o
Science ou GnOSie:
Cosmo-
Pneumalo doxie ?
^Aètap^Tyslque .
Ames des morts.
007
Il a choisi pour sujet : De l'Économie politique dans ses rapports avec
les autres sciences; je prendrais volontiers pour titre de ma causerie : Delà
place des sciences sociales dans l'ensemble des connaissances humaines.
Ceci est, tout simplement, une petite ruse de guerre pour vous pré-
senter mon enfant chéri, mon dernier-né, le . cercle des connaissances
HUMAINES », qui vous plaira, je l'espère, par sa simplicité.
_ Ici le conférencier dessine au tableau noir , sa classification des
A. PICHE. — DE LA SOCIOLOOIE
1073
sciences en zones concentriques coupées par de nombreux secteurs,
et poursuit ainsi :
Vous le voyez, ce système de représentation est fort simple : il place
« le moi » au centre de l'Univers, ou non moi, et lui fait examiner succes-
sivement toutes les classes d'êtres qui l'entourent et toutes les classes de
phénomènes que présentent ces classes d'êtres, prises deux à deux. De là,
ces douze secteurs blancs figurant les sciences naturelles ou ontologiques,
entrecoupés de ces douze secteurs gris, qui représentent les sciences ration-
nelles ou phénoménales. Et les huit zones concentriques, embrassant tous
ces secteurs et les subdivisant, expriment les méthodes d'investigation,
qui s'étendent au fur et à mesure du développement de l'esprit humain.
Ce tableau vous permet d'embrasser d'un seul coup d'œil la répartition
des sciences, leurs noms actuels, la nouvelle nomenclature que j'en pro-
pose, la distribution intérieure et les rapports de voisinage de ces sciences.
Laissant de côté, pour ne pas vous fatiguer, les sciences mathématiques,
physico-chimiques et l'histoire naturelle, je ne veux examiner avec vous
que les sciences vitales, historiques, sociales, morales et humaines qui
vous préoccupent; voici, selon moi, leur ordre :
O N T 0 L 0 G 10 t E s
SCIENCES
PHENOMENALES
BOTANIQUE
(Plantes;
ZOOLOGIE
(Animaux;
ANTHROPOLOGIE
(Uouimts)
ETHNOGRAPHIE
ll'L'Uplmi)
Etres.
BIOLOGIE
Pli. vitaux;
PSYCHOLOGIE
Ph. psychiques;
SOCIOLOGIE
^Pli. sociaux;
DICEOLOGIE
t^Ph. moraux;
Phénomènes.
ONTOLOGIQUES
SCIENCES f suite
P H É X 0 M É .\ A L E s
ECCLÉSIOGNOSIE
(Églises;
SOPHIGNOSIE
(Écoles;
H U M A N I T 0 G N 0 S I E
(Humanité;
COSMOGNOSIE
• lUiiiveiS;
Etres.
THAUMATOLOGIE
(Ph. crus surnaturels;
CALLISTOGNOSIE
(Les chefs-d'œuvre)
lOEOGNOSIE
(Ph. idéaux;
Phénomènes.
Si cette classification est vraie, ou tout au moins se rapproche de la
vérité, comme je le crois, vous pouvez constater combien les Sections
de notre Association pour l'avancement des sciences sont incomplètes.
mal nommées et mal réparties.
Les scieîices médicales devraient s'appeler : biologie et comprendre
comme sciences appliquées, l'hygiène et la médecine publiques.
La Section de Pédagogie devrait s'appeler Psychologie et c'est avec
1076 ÉCO.XOMIK POLITIUUK
raison que, hier, ses membres protestaient contre le titre qu'elle porte
actuellement. Seules l'anthropologie et la zoologie sont bien nommées.
Vous, Messieurs, vous devriez constituer la Section de Sociologie; car
l'Économie politique, votre titre actuel, n'est qu'une faible partie de la
science si vaste des phénomènes sociaux. La géographie pohtiqac, ren-
voyant la géographie physique avec la géologie, devrait former l'Ethno-
graphie et s'adjoindre sa sœur, l'Histoire, aujourd'hui non représentée.
Hemarquez enfm, Messieurs, que notre Association n'a aucune Section
pour l'étude de ces grandes personnalités sociales, qui s'appellent les
Églises, les Écoles philosophiques, l'Humanité (1), ni pour l'étude des
phénomènes communs si importants cependant que présentent les Peuples
et les Églises: (droit et devoir, jurisprudence et morale); les Églises et
les Philosophies ; (croyances dogmatiques ou doctrinales explicatives de
l'Univers, phénomènes merveilleux crus surnaturels); les Philosophies et
l'Humanité (merveilleux humain, chefs-d'œuvre artistiques des hommes
de génie) ; enfin, l'Humanité et l'Univers (les idées qui mènent le monde).
Pourquoi les hommes de droit et de loi, législateurs, magistrats, avocats,
non plus que les moralistes, leurs frères du devoir, n'ont-ils pas place,
parmi nous, à légal des médecins et des ingénieurs ? Et tous ces tra-
vailleurs de province, qui se livrent à de savantes recherches sur l'his-
toire locale, pourquoi n'ont-ils aucune section qui leur soit ouverte ? En
sommes-nous encore à croire qu'il n'y ait pas une science du droit et de
la morale, et que l'histoire ne soit pas une science?
11 y a là, Messieurs, d'énormes lacunes que les intéressés ni ont chargé
de vous signaler, en attendant que nous en saisissions le Conseil d'admi-
nistration et au besoin la Société elle-même.
Et encore je laisse volontairement de côté ce monde supérieur des
âmes des morts, des esprits incorporels, et de la divinité, être suprême,
qui sont, non plus objet de science, mais de croyances, bien que ces
croyances aient joué, jouent et doivent jouer encore un si grand rôle
dans la marche de l'humanité.
En effet, bon nombre de gens sérieux prétendent qu'il y a encore là
deux sciences ontologiques, en rapport avec celle de l'Univers : la Pneu-
matologie et la Théologie; mais je les appellerais plus volontiers des doxies
que des sciences.
Redescendons, si vous le voulez bien, sur la terre, dans le domaine de la
connaissance positive, et entrons un peu plus avant dans le royaume des
sciences sociales. Bien que je ne les aie pas étudiées spécialement. Mes-
sieurs, j'y ai beaucoup réfléchi; laissez-moi vous communiquer certaines
(1) L'Humanité, cet être synthétique supérieur, n'est-il pas en train de s'organiser, d'établir son
système circulato'ire (chemins de fer et bateaux à vapeur) , son système nerveux (télégraphes et
téléphones), et de prendre conscience de lui-même dans les Expositions et Congrès internationaux?
A. PICHR. DE LA SOCIOLnr.IE 1077
idées personnelles; peut-èlre y trouverez-voiis quelque grain de vérité.
J'estime que l'homme animal, dernier terme de la série zoologique,
doit être étudié dans la Zoologie.
Les facultés psychiques qui so manifestent dans les animaux et qui
s'élargissent dans l'homme, seront la matière delà Psychologie tout au
moius objective.
L'homme, être social, remplit le cadre de I'Amhuopologie; c'est dans
cette science que j'examinerais les rapports naturels nécessaires des indi-
vidus : leurs ébats (jeux du hasard et de l'amour), leurs débats d'intérêts,
leurs combats, leurs échanges de marchandises et de bons procédés, leurs
commerces de tous genres, leur industrie, leurs collaborations, leurs
coopérations, leurs alliances.
Dans I'Ethnographie, je ferais l'histoire naturelle de tous les peuples
qui existent ou ont existé; leur histoire et leur géographie ; leur classifi-
cation chronologico-logique.
Je les analyserais au moyen de ces instruments scientifiques qu'on
appelle l'archéologie et la linguistique, examinant leur épigraphie, leur
numismatique, sigillographie, iconographie, bibliographie, leurs costumes,
leurs mœurs, leurs institutions, leurs lois, leur gouvernement, leur admi-
nistration, leurs cultes, leurs écoles philosophiques, littéraires, artistiques,
scientifiques; puis avec ces éléments, je ferais la synthèse de leur organi-
sation agissante.
J'établirais la théorie ou les diverses théories possibles de leur évolu-
tion et chercherais à reconstituer, par l'art de la conjecture, la vie des
peuples disparus sans laisser de documents historiques; vous savez qu'on
y parvient à Taide des seuls vestiges préhistoriques.
J'expérimenterais sur les sociétés animales et sur les groupes humains
qui consentiraient à mes expériences.
Et j'arriverais ainsi peu à peu à la découverte des lois qui régissent la
marche des peuples.
Il en résulterait de nombreuses et importantes applications, et au fur
et à" mesure du progrès et de la science, une philosophie plus com-
préhensive de l'histoire.
J'appliquerais les mêmes procédés d'investigation aux Églises de
croyants, de fidèles, ou communions d'àmes organisées en religions,
avec culte et hiérarchie, êtres sociaux dun ordre plus étendu, plus général,
plus élevé que les peuples, puisqu'ils comprennent souvent plusieurs
peuples et tendent à l'universalité.
J'étudierais de même les Écoles philosophiques dont les doctrines, mo-
numents orgueilleux de la raison humaine, cherchent à expliquer l'uni-
vers, doctrines contradictoires, parce qu'en cet immense sujet elles n'em-
brassent qu'une face des choses.
1078 ÉCONOMIE POLITIQUE
Enfin, l'Humanité, cet être synthétique, qui prend peu à peu conscience
de lui-même et du globe, son domaine, en la personne des hommes de
génie et qui, selon la belle parole du Père Gratry, semble avoir pour mis-
sion de disposer ce globe dans l'équité et la justice.
Passons aux sciences sociales qui étudient, non plus les êtres, mais les
phénomènes que ces êtres manifestent :
J'ai dit qu'entre l'Anthropognosie et l'Ethnognosie, il y avait une
science rationnelle, abstraite, des phénomènes de vie sociale qu'offrent
à la fois les animaux, les hommes groupés en familles et les peuples,
ces gigantesques polypiers formés de familles, qui comprennent dans
leur sein tant de groupements artificiels secondaires, et tant d'individus
qui constituent ces immenses communions de foi ou d'idées dont je par-
lais tout à l'heure, ainsi que ces innombrables associations de tout genre (1).
Cette science est la Sociologie (ou mieux Cœnognosie, pour ne pas
allier deux racines de langues différentes).
Voici comment, en la comparant à la Biologie, je suis arrivé à dresser
son vaste plan, son programme et pour ainsi dire sa table de matières :
Graphie. — Énumération par ordre alphabétique de tous les mots de
la langue française (pour nous autres Français, bien entendu) représen-
tant un phénomène social.
Description sommaire ou définition de ces phénomènes.
LoGiE. — Histoire et géographie de ces phénomènes, c'est-à-dire leur
distribution dans le temps et dans l'espace.
Classifications possibles, classification chronologico-logique.
Questions et problèmes, réponses a priori, dissertations, méthodes d'ob-
servation scientifique.
ScopiE. — Application de la méthode d'observation aux phénomènes
sociaux à l'aide de cet instrument intellectuel qu'on appelle la Statistique.
1° Analyse des phénomènes de vie normale et pathologique qu'offrent
l'ensemble des êtres sociaux : familles de minéraux, de plantes, d'animaux,
d'hommes. Cités, États, Églises, Écoles philosophiques, artistiques ou
scientifiques :
a. Au point de vue statique;
b. Au point de vue dynamique;
c. Au point de vue embryogénique.
2° Synthèse de ces phénomènes biosociologiques.
Théorie. — Vues de l'esprit, explicatives des phénomènes de vie sociale.
(1) La clarté du discours gagnant beaucoup à la précision du langage, je voudrais que les" groupe-
ments naturels qui se forment spontanément, sans statuts délibérés, portassent le nom de Sociétés,
tandis qu'on réserverait le mot Associations pour les groupements artificiels, volontaires.
A. PICHE. — DE LA SOCIOLOGIE 1079
1 ° Doctrines ou systèmes logiques possibles :
a. Gouvernementales: b. Administratives: c. Économiques : d. Sociales :
Autoritarisme. Centralisation. Protection. Socialisme.
Libéralisme. Décentralisation. Libre-échange. Individualisme.
2" Évolution historique de l'autorité et de ses formes :
Théocratie. Patriarchie. Royauté.
Aristocratie. Oligarchie. République aristocratique.
Autocratie. Monarchie. Empire.
Démocratie. Anarchie. République démocratique.
3° Critiques et controverses des théories. — Méthodes pour les dépar-
tager, plans d'expériences.
PiRiE. — Seule la méthode expérimentale tranchera entre les diverses
théories, en cette science comme dans toutes les autres. Mais peut-on
expérimenter en sociologie, comme on le fait en biologie, en physique ou
en chimie?
Évidemment cela est plus difficile, car les phénomènes sont plus com-
pliqués; les expériences seraient plus coûteuses, plus longues, et de même
•qu'on ne peut faire de la vivisection humaine, il serait non moins incon-
venant de faire de la \dvisection de sociétés humaines.
Mais de même qu'en biologie et en médecine on se livre à des expé-
riences sur des animaux avant d'expérimenter sur l'homme, de même eu
sociologie, nous pouvons faire des expériences sur les sociétés animales
et en tirer des conclusions extensibles à toutes les sociétés, y compris
celles humaines.
Toute une mine d'expériences nous est d'ailleurs ouverte par les légis-
lateurs, les politiciens, les hommes de guerre, qui expérimentent sans y
penser sur les phénomènes sociaux; nous n'avons qu'à observer, au
point de vue scientifique, les conséquences de leurs entreprises.
Enfin, je ne verrais aucun inconvénient (je verrais de grands avan-
tages, au contraire) à suivre la méthode proposée par M. Donnât dans sa
Politique expérimentale, et j'aimerais que nos hommes d'État expérimen-
tassent, dans de bonnes conditions et sur une échelle restreinte, leurs
réformes avant de les généraliser et de les étendre à tout un pays.
NoMiE. — Sans doute, le bon sens populaire et quelques hommes de
génie ont déjà trouvé des lois sociologiques formulées en proverbes ou en
préceptes.
Le peuple vous dira : Charbonnier doit être maître chez lui, et point
de société sans chef.
IVous trouvons dans la Bible la loi du travail et dans l'Évangile cette
règle sociale : « Toute société divisée périra. »
1080 ÉCONOMIE POLITIQUE
On parle» enfin tous les jours de la loi du progrès.
La science a constaté des influences réciproques, des relations, des
rapports nécessaires; mais ils n'ont pas encore été mesurés et condensés
dans une formule scientifique.
Les économistes, dans leur petit domaine de la richesse, disent bien
avoir trouvé des lois, bien que je sois plus porté à croire qu'ils les
cherchent encore.
Auguste Comte, l'inventeur de la sociologie, tout au moins de son
nom, avait foi dans sa loi des trois états (théologique, métaphysique, po-
sitif), loi si controversable et si controversée.
Enfin, je retrouve dans mes notes une loi formulée par un auteur peu
connu (1) :
« Le bien-être général, ou bonheur (social), est en raison directe de
la vertu^'des individus et en raison inverse de leurs vices. »
J'estime que nous ne sommes encore qu'au seuil de la Sociopirie, d'oîi
nous pouvons seulement entrevoir la terre promise' de la Socionomie en
vertu de la loi : Cherchez, vous trouverez.
Technie. — Ce sera une bien belle chose que la découverte des lois
qui régissent les phénomènes; quand on les aura trouvées, on sera
maître de changer l'ordre de la nature, dont on tiendra la clef en sa
main. Il n'y aura plus qu'à les appliquer aux besoins des hommes et des
sociétés.
Nos descendants verront un jour le règne des ingénieurs sociaux se
substituer à la domination des hommes d'État empiristes et surtout des
charlatans politiques, auxquels nous accordons encore trop souvent
créance.
Il y aura alors des sciences sociales appliquées, une hygiène et une
médication sociales vraiment scientifiques.
Sophie. — Il existe enfin, et surtout il existera de plus en plus une phi-
losophie des phénomènes sociaux, qui consistera à faire la saine critique
de ces phénomènes et à envisager leurs rapports harmoniques avec les
phénomènes relevés par les autres sciences; k considérer leur beauté et
leur moralité, enfin les devoirs positifs que nous impose la connaissance
de la vérité totale ou science.
— Vous voyez, Messieurs, quel vaste cadre offre la Sociologie ainsi
comprise; à vous de juger si je suis dans le vrai ou si je m'abuse.
Je pourrais appliquer également ma méthode de subdivision intérieure
d'une science ontologique ou phénoménale à ces autres êtres, les Églises,
les Écoles doctrinales, l'Humanité, ou aux phénomènes qui leur sont com-
muns.
(1) A. Bellaigue, La Science morale, é\,v\dQ piiilosophique et sociale.
A. PICHE. DE L.V SOCIOLOGIE 1081
Maintenant que vous connaissez ma méthode, vous l'appliquerez si cela
vous intéresse; pour ne pas abuser de votre patience, je finis avec la
théorie et j'aborde la pratique.
Je n'ai pas besoin de vous dire que les études socioloi;iques plus encore
que celles météorologiques ou biologiques, dépassent les forces d'un
homme; ce sont des monuments auxquels nous ne pouvons apporter
qu'une pierre taillée; mais déjà nos architectes sociaux pourraient en
exposer le plan général et nous donner les détails d'exécution, ouvrant
ainsi le chantier du travail collectif.
Dans notre petite Société d'éducation populaire des Basses-Pyrénées,
nous avons résolu, tout en essayant de nous tenir au courant de la
science générale des sociétés, de n'étudier que les êtres sociaux et les phé-
nomènes que nous avons sous la main ou qui se passent sous nos yeux,
ceux du département.
Voici comment nous y avons été amenés; j'insiste un peu sur ce point,
car il nous donne l'histoire de l'introduction des études sociologiques dans
notre sud-ouest.
Il y a vingt-deux ans, un Parisien, M. Tourasse, vint se fixer dans notre
cité, apportant, comme Bias, tout avec lui : sa haute intelligence, sa
volonté ferme et persévérante, et ses biens réalisés, deux millions.
Incapable de conférer avec ses semblables à raison d'une extrême sur-
dité, il résolut d'employer ses moyens à faire des expériences sur les
plantes et sur les hommes. Il acheta aux portes de Pau un terrain de
dix-huit hectares, l'entoura de hauts murs, s'y fit construire une maison
simple, mais confortable, et des laboratoires horticoles pour ses expé-
riences d'acclimatation, de mise à fruit hâtive par la taille des racines,
de surgreffe et d'obtention de variétés nouvelles par sélection et semis
multipliés. Il mit le reste de sa fortune en viager, se faisant ainsi cent
cinquante mille francs de rente pour ses expériences d'arboriculture et de
viriculture intensives.
En matière sociopirique, il voulait développer les idées d'association et
d'éducation populaires, substituer peu à peu l'esprit de prévoyance à la
charité et se rendre compte de l'action qu'on pouvait avoir sur ses con-
citoyens par des encouragements pécuniaires bien conçus.
Il y travailla dix ans, jusqu'à sa mort, sans obtenir des résultats bien
sensibles; car ce n'est guère qu'aujourd'hui que commence à se faire
sentir l'influence heureuse de ses efforts.
Pour moi, satellite obscur, entraîné peu à peu dans l'orbite de cet
astre supérieur en puissance attractive, je devins son collaborateur, puis
son ami, et trop tôt, hélas! le successeur et le continuateur de ses œuvres.
Pour perpétuer sa mémoire et son action bienfaisante, d'accord avec
nos amis conununs, je créai et dotai de cent mille francs la Société d'édu-
1082 KCONOMIE POLITIQUE
cation populaire, dont les revenus, grossis de nos cotisations, servent à
encourager les Associations libérales du d(''partement, qui font preuve
d'initiative, de bon fonctionnement ou de progrès.
Mais, pour les bien récompenser il faut les connaître, et pour les con-
naître il faut les étudier avec soin.
Ainsi avons-nous été conduits à faire l'histoire naturelle de toutes les
associations du département qui poursuivent un but d'amélioration ci-
vique, et à présenter ce travail à l'Exposition d'Économie sociale de 1889.
Au premier examen, nous avons trouvé un tel nombre et une telle
variété d'associations, que nous avons été fort embarrassé pour les coor-
donner.
Aucun traité ne nous fournissant de classification sur la matière, nous
avons cherché h, faire, dans un tableau synoptique, la synthèse de tous
. les groupements sociaux possibles.
Voici ce tableau, dont nous mettons des exemplaires à votre disposition.
De haut en bas, vous trouvez les genres de groupements rangés par ordre
d'apparition et de complexité croissante :
1° Les rencontres ou groupements fortuits, dus au hasard (passants,
voisins) ;
2° Les unions sympathiques dues à l'amour (familles, amis);
3" Les ententes professionnelles qui ont pour mobile l'intérêt (syndi-
cats, corporations) ;
4° Les communions spirituelles (sectes religieuses, philosophiques);
5° Les sociétés politiques naturelles ou artificielles (cités, états);
6° Les compagnies scientifico-industrielles, qui, tout en cherchant à ga-
gner de l'argent, poursuivent un but d'amélioration matérielle ;
7° Enfin les associations libres, philanthropiques, désintéressées, qui se
subdivisent en paternelles ou patronales, et fraternelles ou mutuelles.
Et tous ces genres de groupements peuvent s'appliquer (suivez mainte-
nant la ligne d'en tète horizontale du tableau) :
1° Aux phénomènes économiques (consommation, production, circu-
lation);
2° Aux phénomènes sportifs (délassement, exercice, agrément); (on se
délasse après le travail) ;
3° Aux phénomènes progressifs (beaux-arts, lettres et sciences) ; il faut
loisir d'occupations matérielles pour se livrer aux travaux de l'intelligence;
4° Aux phénomènes du mal, agressifs, perturbateurs;
5" A ceux de défense corporelle, intellectuelle ou morale ;
6^ A ceux d'assistance des malades et blessés dans le combat de la vie ;
7° A ceux de médication o.u réparation;
8° A ceux de prévoyance;
9° A ceux de libération ou de salut, quand la prévoyance a échoué.
A. PICHE. — DE LA SOCIOLOGIE 1083
Bon ou mauvais, j'avais trouvé un ordre qui me permettait de ranger
dans ses cases tous les groupes sociaux. Ainsi, dans celte table de Pylha-
gore d'un nouveau genre, le corps des sapeurs-pompiers doit se trouver
lia oîi se croisent la colonne horizontale « Groupements politiques, d'ordre
civique ou communal » et la colonne « phénomènes de défense matérielle».
Le groupe Compagnie de Jésus se trouvera au croisement de la colonne
horizontale «Communions spirituelles ou Églises, ligne des congrégations o
et de la colonne verticale des phénomènes de « défense intellectuelle », les
Jésuites ayant été institués pour défendre l'Église contre les agressions
de la réforme.
Ce tahleau me servit de fil conducteur, de préface pour l'Atlas de Sodé-
tologie départementale que je voulais faire ; mais n'ayant pas le temps
d'embrasser l'étude de tous ces groupements, je me bornai à la représen-
tation et à la statistique graphique des associations libres, philanthropiques
et laïques, celles qui forment la dernière colonne horizontale de ce tableau.
Voici, du reste. Messieurs, l'allas que nous exposâmes et qui, joint aux
OEuvres Tourasse, nous valut une des plus hautes récompenses.
Il renferme autant de cartes départementales qu'il y a dégroupes d'asso-
ciations, dont il montre la répartition géographique et, entre les cartes,
sont des tableaux gTai)hiques, de notre invention, qui retracent les condi-
tions d'existence et l'évolution des principales sociétés. Je puis mettre
à votre disposition des modèles lithographies de ces cadres pour études
sociétologiques.
Enfin, nous avions pensé, depuis quelque temps déjà, que ces êtres et
ces phénomènes sociaux pouvaient être exposés utilement dans un Musée
d'histoire naturelle, à la suite des collections de pierres, de plantes et d'ani-
maux; et, dès 1882, nous proposions à la Société des Sciences de Pau
d'adjoindre au Musée des salles d'Ethnographie béarnaise et de Sociologie
départementale. Ce n'est pas sans peine que nous parvînmes à faire ac-
cepter ces vues par la Société et par la Municipalité.
Trois salles furent mises à notre disposition, au-dessus du Musée, et nous
fîmes faire des vitrines qui commencent à se remplir. Si nous les avions
eues quelques années plus tôt, bien des objets préhistoriques, résultat des
fouilles de MM. de Nadaillac et Paul Raymond, n'auraient pas été dispersés.
La première salle, consacrée à l'Ethnographie, contient douze vitrines
rangées par ordre chronologique et qui renferment les monuments du
peuple béarnais et les reliques des peuplades qui l'ont précédé.
Elle embrassera donc l'archéologie locale : (épigraphie, iconographie.
sphragistique, numismatique, etc., toutes sciences de détail) et la néologie
même y sera représentée; cardans les dernières vitrines, nous plaçons
des objets qu'on fabrique encore dans le pays, mais qui sont sur le point
de disparaître. C'est la salle du Passé.
1084 ÉCONOMIE POLITIQUE
La deuxième salle contient quatre bureaux à pupitre incliné, au pied de
quatre grands panneaux. Les bureaux renfermeront les documents de la
statistique otïicielle municipale et départementale; les pupitres porteront
nos atlas, les panneaux développeront le graphique des principaux phéno-
mènes. C'est la salle du Présent.
La troisième salle exposera la préparation de l'Avenir par le travail des
sociétés libres; elle aura autant darmoires qu'il existe de groupes d'asso-
ciations.
Voici, IVfessieurs, le plan de ce Musée et des notices sur ce nouveau
genre d'institution dont nous avons été, paraît-il, les précurseurs (1).
Vous savez, d'autre part, qu'en ce moment MM. Léon Say, Ch. Robert,
Cheysson et GofTinon fondent à Paris un Musée d'Économie sociale avec
les documents précieusement conservés de l'Exposition de 1889.
Il nous semble qu'ils ne pourront arriver à constituer un Musée national
complet et tenu au courant (et plus tard un Musée international ou humain)
que si les Musées départementaux se généralisent et se tiennent en cor-
respondance avec le Musée de Paris.
Pour que nos maîtres de la capitale fassent la synthèse, il faut que nous,
les ouvriers obscurs, nous fassions l'analyse. Et qu'ils me permettent res-
pectueusement de le leur dire, leur cadre de Musée d'Économie sociale est
trop étroit, il faut qu'il embrasse l'étude de tous les êtres sociaux et de
tous les phénomènes qu'ils ofïrent à nos regards.
Déjà, en 1889, j'avais été amené, malgré moi, à critiquer l'étroitesse de
cette Section économique qui laissait de côté tant d'autres phénomènes
sociaux plus importants. J'ai vu avec plaisir qu'à Chicago on avait élargi
les programmes et fait place aux phénomènes juridiques, moraux, religieux
et scientifiques.
Je ne vois plus guère de lacune que pour les écoles philosophiques,
artistiques, littéraires et scientihques, ainsi que pour leurs doctrines.
Mais je m'aperçois que j'abuse de vous; j'occupe indûment la place de
confrères qui ont à faire des communications plus intéressantes que celle-ci.
Aussi je coupe court, d'autant que mon esprit se fatigue et voit moins clair
dans ce dédale des phénomènes sociaux où il est si' facile de se perdre.
Je me tiendrai, cette après-midi, au Musée, à la disposition de ceux qui
voudraient le visiter. Ils y verront le buste en marbre de Pierre Tourasse,
qui, je puis le dire, a été le promoteur des études sociologiques dans ce
département; je conduirai ensuite à la propriété Tourasse ceux qui
voudraient visiter ses pépinières et ses jardins.
(1) L'éminent sociologiste et philanthrope, M. Ch. Robert, a bien voulu nous donner ce titre dans
une Conférence faite, en 1889, à l'occasion de l'Exposition d'Économie sociale. Il avait bien voulu,
également, exposer les Œuvres de Tourasse et les travaux de la Société d'éducation dans le beau pavil-
lon de la Société pour l'élude de la Participation aux bénéfices.
A. DE FOVILLE. — LE MORCELLEMENT DEPUIS DIX ANS 1085
M. A. LE rOYILLE
Professeur au Conservatoire des Arts et Métiers, Délègue du Ministre des Finances
au Congrès de Pau, à Paris.
LE MORCELLEMENT DEPUIS DIX ANS
— Séance du 20 septembre 1892 —
Notre Président m'a invité à venir traiter ici un sujet tout à la fois très
spécial et très complexe... Je me ferai une loi d'être fort court, parce que,
sans cela, je risquerais d'être beaucoup trop long, la question du morcelle-
ment étant de celles qui peuvent, chemin faisant, en soulever cent autres.
J'ai voulu, il y a huit ou dix ans, lui consacrer une brochure et la
brochure a pris les proportions d'un volume; j'aurai soin que ma commu-
nication d'aujourd'hui ne prenne pas les proportions d'une conférence.
Voilà bientôt trois quarts de siècle que le morcellement, en France,
préoccupe les jurisconsultes, les économistes, les moralistes même, et les
hommes d'État. Le sol français était déjà très divisé sous l'ancien régime ;
il l'était davantage après la Révolution ; il l'est plus encore à l'heure
qu'il est. Les uns disent : c'est un mal; les autres disent : c'est un bien.
A mes yeux, c'est plutôt un bien qu'un mal, quoiqu'il puisse évidemment
y avoir excès en cela comme en toute chose. Mais je veux aujourd'hui
laisser de côté tout ce qui est système ou théorie pour ne m'occuper que
des faits. Les faits eux-mêmes, malheureusement, ont été longtemps déna-
turés, tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre; et, tout en le regrettant, il
n'y a pas à s'en étonner, parce que la question du morcellement est pleine
de pièges, pleine de trompe-l'œil, et qu'il faut vraiment être du mélier
pour ne point se laisser égarer, en cette matière, par les petites perfidies
du langage administratif et de la statistique officielle.
Je vais vous donner tout de suite un exemple des mauvais tours que
la statistique, quand elle n'est pas sûre d'elle-même, peut jouer à ceux
qui l'interrogent.
Vous savez tous ce que c'est qu'une cote foncière. C'est la part, la quote-
part d'impôt foncier incombant, dans une commune, à quiconque y pos-
sède un ou plusieurs immeubles.
Le premier recensement dont les cotes foncières aient été l'objet, au
cours de ce siècle, date d'une époque fort troublée. C'est en 1816, au
1086 ÉCONOMIE POLITIQUE
lendemain de Waterloo, au milieu de l'invasion, que le comte Corvetto
avait prescrit l'opération, et nous savons maintenant qu'elle fut très mal
faite. Dans toute une série de départements, par suite d'un vrai quiproquo,
les propriétés bâties furent comptées deux fois, le sol d'abord, la propriété
ensuite, et le nombre total des cotes foncières de la France se trouva ainsi
majoré de près de 10 0/0. Cette grosse bévue a fini par être dénoncée
et reconnue ; mais, pendant longtemps, on avait tenu pour bon ce chiffre
qui ne valait rien et quand on le compara aux constatations beaucoup plus
correctes de 1826 et de 183S, on crut pouvoir admettre que le nombre des
propriétés n'avait, pour ainsi dire, pas augmenté sous la Restauration :
c'est une méprise qui a fait faire fausse route à des esprits d'ordinaire
clairvoyants, comme Hippolyte Passy, Rossi, Michelet, Léonce deLavergne,
Wolowski, Cochut, etc
Puis, par cela même que les progrès du morcellement avaient d'abord
été masqués, ils ont paru doublement rapides quand on a pu suivre, d'une
manière à peu près exacte, le mouvement des cotes foncières. Pendant le
second et le troisième quart de ce siècle, elles progressaient à raison d'en-
viron 100.000 par an, un million en dix ans. C'était marcher vite et les
inquiétudes n'ont pas tardé à se manifester. Dès 1836, Léon Faucher,
passant d'un extrême à l'autre, montrait la terre de France réduite en
miettes : « La propriété tombe en poussière», s'écriait-il d'un ton presque
tragique; et ce cri d'alarme a trouvé, vous le savez, beaucoup d'écho.
Nous avons tous lu vingt fois — et nos pères l'avaient lu avant nous, —
que la grande propriété était morte, que Ja moyenne propriété était
mourante et qu'il n'y aurait bientôt plus, de l'Atlantique aux Vosges et de
la Manche aux Pyrénées, que des lambeaux de terre impropres à toute
culture, à toute exploitation sérieuse. On allait jusqu'à comparer la France
de l'avenir à un grand cimetière découpé en petites concessions d'un
mètre sur deux ou de deux mètres sur quatre. Si vous voulez voir jus-
qu'oîi peut aller, en cette matière, l'exagération, relisez le roman de
Balzac intitulé les Paysans, lequel date de 184o. Balzac y traite les éco-
nomistes d'imbéciles, ce qui est déjà une exagération; mais il y en a
bien d'autres : ainsi il prédit, de la manière la plus affirmative, que la
France, faute d'espace, n'aura bientôt plus ni chevaux, ni bétail, en sorte
que « non seulement le peuple, mais encore la bourgeoisie, devront, avant
la fin du siècle, renoncer à l'usage de la viande » ,
Sans se laisser entraîner à de pareilles énormités, la plupart des adversaires
de notre régime successoral — et ils sont nombreux — étaient unanime»
à parler à la France du morcellement comme d'une maladie mortelle,
et l'école de Le Play — où je m'honore, d'ailleurs, de compter d'excellents
amis — n'avait pas peu contribué à généraliser cette manière de voir.
Lorsque je me suis mis à creuser la question, en toute liberté d'esprit,.
A. DE rOVILLE. I.E MOKCELLEMENT DEPUIS DIX ANS 1087
j'ai été stupéfait de voir sur combien d'équivoques, et sur combien d'erreurs
matérielles reposait le prt^ugé qui veut que la France, à bref délai, périsse
ou du moins dépérisse par le morcellement. En relisant les discussions
parlementaires et autres des soixante dernières années, vous verriez que,
même en haut lieu, on a souvent commis, sans que personne soit venu
crier gare, les plus fâcheuses confusions. On confondait couramment les
cotes foncières avec les parcdies cadastrales, qui sont dix fois plus nom-
breuses. On prenait couramment le nombre des cotes foncières comme
représentant le nombre des propriétaires fonciers, qui sont moitié moins
nombreux. Le mot de morcellement était lui-même à double sens : en
parlant de morcellement, les uns avaient en vue la multiplication des pro-
priétaires ; les autres la discontinuité et l'enchevêtrement des biens ruraux,
ce qui est tout autre chose. On aurait pu se croire à la tour de Babel.
La lumière qui s'est faite autour de ce problème est due en piartie aux
patientes analyses d'un savant spécialiste, M. Ch. Gimel ; en partie aussi à
l'enquête que M. lîoutin, directeur général des contributions directes, a bien
voulu prescrire, en 1884, à la demande de la Société de Statistique de Paris.
J'ai essayé, à mon tour, en 1885, d'éclaircir ce qui restait obscur, de
préciser ce qui avait cessé d'être douteux, et je vais vous dire très briève-
ment quelles étaient alors, en ce qui concerne les faits, mes principales
conclusions et mes principales prévisions.
Je montrais et je crois pouvoir dire que je démontrais l'importance
considérable conservée par la grande propriété. En faisant commencer la
grande propriété à cinquante hectares, je trouvais qu'elle avait encore à
elle, sous une forme ou sous une autre, près de la moitié du territoire
national. La petite propriété, limitée à six hectares, ne représentait encore
que le quart du sol français. Enfin, la toute petite propriété, au-dessous
de deux hectares, bien que fournissant plus de dix millions de cotes,
n'absorbait cependant, à raison de son exiguïté même, qu'un dixième
environ de la superficie totale du pays.
Quant au nombre des propriétaires fonciers, aux diverses époques, voici
quelles étaient mes indications :
Avant la Révolution, un peu plus de 4 millions de propriétaires.
Vers 18;2o, un peu plus de 6 millions de propriétaires.
Vers 18o0, environ 7 millions de propriétaires.
Actuellement, environ 7 millions et demi de propriétaires.
A ce compte, le nombre des propriétaires n'aurait pas doublé depuis
cent ans, mais il ne s'en faudrait guère. Les trois derniers chiffres sont
peu contestables et peu contestés. Le premier des trois, quand j'ai cru
pouvoir le mettre en circulation, avait contre lui la plupart des historiens
ou des économistes qui s'étaient prononcés sur ce point capital. Mais il
a reçu, depuis le jour où je l'avais produit, une précieuse confirmation.
1088 ÉCONOMIE POLITIQUE
M. Gimel, dans les derniers temps de sa laborieuse existence, s'était
essayé à reconstituer, avec le secours des archives départementales, les
rôles de l'ancien impôt des vingtièmes, dont Necker a dit avec raison
que « c'était le plus territorial de tous ceux de l'ancien régime». Si
l'on avait le dossier complet de cette contribution, on arriverait à une
évaluation très approximative du nombre des propriétaires fonciers sous
Louis XVI. Les recherches de M. Gimel n'ont abouti que dans vingt-cinq ou
trente départements ; mais ces départements appartiennent à des régions
très différentes : Pas-de-Calais et Hautes-Pyrénées, Finistère et Meuse,
Orne et Drôme» etc.; de sorte que les proportions obtenues ont une
valeur réelle. Or, dans le mémoire qu'il a lu à l'histitut international de
statistique, réuni à Paris en 1889, M. Gimel fixe à 4.250.000 le nombre
probable des propriétaires fonciers à la fin de l'ancien régime. Vous voyez
que, sans le vouloir, notre regretté confrère venait exactement confirmer,
en 1889, mon chiffre de 188o ; et, comme nous étions loin d'avoir suivi
la même méthode, il y a bien des chances pour que notre commune
évaluation s'éloigne peu de la vérité.
Voici un second point sur lequel j'ai aussi obtenu gain de cause. Il s'agit
du fractionnement parcellaire, autrement dit du nombre des parcelles
cadastrales. Mais, d'abord, qu'est-ce qu'une parcelle cadastrale ? Pour bien
des gens, ce qui distingue nécessairement une parcelle de la parcelle voisine,
c'est que le propriétaire n'est pas le même. Et cette interprétation, qui est
fausse, est du moins excusable, car elle a pour elle, entre autres autorités,
le Dictionnaire de l'Académie française et le Dictionnaire de Littré. Mais le
cadastre lui-même nous impose une autre définition. Le Recueil méthodique
des lois, décrets et règlements sur le cadastre appelle parcelle « une portion
de terrain, plus ou moins grande, située dans un même canton, triage ou
lieudit, présentant une même nature de culture et appartenant à un même
propriétaire ». Si donc j'ai fait de mon carré de terre quatre emplois diffé-
rents, labour et prairie, vigne et bois, j'aurai quatre parcelles contiguës. Et
ce n'est pas tout : un champ ou un pré divisé en deux parties par un
cliemin public, un ruisseau, un mur, un fossé, une haie..., représente deux
parcelles, bien que le propriétaire soit le môme et le mode de culture
aussi. Enfin, la superficie des maisons et bâtiments forme encore parcelle.
De sorte qu'une ferme d'un seul tenant peut fournir cent parcelles cadas-
trales, alors que l'Académie française et Littré n'en compteraient qu'une.
Les parcelles ainsi définies étaient , lors de la confection du cadastre,
au nombre de 126 millions (I24,o pour le territoire actuel de la France) et
l'on admettait, de confiance, que ce genre de fractionnement avait dû
faire, depuis cinquante ans, d'énormes progrès. Mes recherches de 1885
m'avaient amené à une conviction contraire. Je disais : « S'il y a aujour-
d'hui 140 millions de parcelles, c'est tout le bout du monde. » Or, trois
A. DE FOMLLi:. LE AIOUCEIJ.K.MKNT DKI'Ils |)i\ ANS 1089
ans après mon livre, en 1888, paraissait la grande enquête du Ministère de
l'Agriculture, dite enquête décennale, et elle accuse 13omillionsde parcelles
seulement, dont 123 millions de parcelles culturales. A ce compte, loin
de rester au-dessous de la vérité, je me serais encore montré trop Géné-
reux. I.e noml)re des parcelles n'aurait même pas augmenté de 10 0/0, ce
qui paraît bien peu de chose, quand on sait combien se sont multipliés
les constructions, les chemins, les clôtures et même les cultures spéciales
vignes, prairies artificielles, etc.. C'est à croire que l'enchevêtrement et
la discontinuité des domaines ruraux, loin de s'aggraver, ont, au con-
traire, diminué très sensiblement depuis le cadastre, car sans cela il de-
vrait y avoir trente, quarante, cinquante millions peut-être de parcelles
nouvelles, résultant non de la désagrégation des propriétés, mais du tra-
vail de l'homme et des progrès de l'agriculture.
Quant au nombre même des propriétaires fonciers, qui donne la vraie
mesure de la division de la propriété, je disais, il y a dix ans : « Il n'au^--
mente plus guère et il se peut que bientôt il n'augmente plus du tout. »
Cette opinion, comme les précédentes, paraissait paradoxale : mais elle
se trouve, elle aussi, pleinement justifiée par les faits. Suivons la marche
des cotes foncières depuis 1820, en réduisant les chiffres à leur plus
simple expression, millions et dixièmes de millions :
NXÉES
MILLIONS DE COTES
AXXÉES
MILLIONS DE
1826
lu,:J
1858
13,1
1835
10,9
1861
13,7
1842
11,5
1865
14,0
1848
12,1
1871
13,8
1851
12,4
1875
14,1
avec Nice et la
Savoie.
déduclion faite de
rAlsace-Loiraine.
Ainsi, en un demi-siècle, la population de la France n'ayant augmenté
que de lo 0/0, soit moins d'un sixième, le nombre des cotes s'était accru
de 30 à 37 0/0, soit plus d'un tiers. Mais, depuis une quinzaine d'années,
l'allure est tout autre, ainsi qu'on en va juger :
ANNÉES
MILLIONS UE COTES
ANNÉES
MILLIONS DE COTES
1876
14.117.000
1884
14.221.000
1878
14.204.0U0
1886
14.259.000
1880
14. 26 't. 000
18»8
14.238.000
1882
14. 33». 000
1890
14.141.000
(maximum)
1891
14.122.000
Ainsi, à partir de 1876, nous ne montons plus guère et, à dater de 1882,
non seulement nous ne montons plus du tout, mais nous descendons un
peu. Le chiffre actuel reste, en somme, inférieur de plus de 200.000 cotes
au maximum d'il y a dix ans.
G9*
1090 ÉCONOMIE POIJTIQUE
A vrai dire, il y a encore là un certain mirage et il ne faudrait pas prendre
au pied de la lettre les indications de ce tableau. Théoriquement, la cote
foncière doit comprendre tous les immeubles dont une même personne ou
un même ménage est propriétaire dans le périmètre d'une commune : si
donc j'achète le bien de mon voisin ou si j'épouse ma voisine, les deux
cotes d'hier n'en devront plus faire qu'une aujourd'hui. Mais, dans la
pratique, ce principe de la cote unique était souvent méconnu. Pourquoi ?
D'abord parce que, sur un territoire très divisé, dont les plans cadastraux
ne donnent plus qu'une image infidèle, les mutations deviennent labo-
rieuses et que l'identité des propriétés, comme aussi l'identité des proprié-
taires, y est parfois fort difficile à saisir. Puis, il faut bien le dire, le
percepteur est loin d'avoir intérêt à éviter les doubles emplois, attendu
que le nombre des cotes à recouvrer est un des éléments dont son salaire
tient compte : chaque article de rôle lui vaut vingt-deux centimes; ce
n'est pas énorme, mais c'est assez pour qu'il n'éprouve aucune répugnance
à rencontrer plusieurs fois le même nom sur son registre. Lorsqu'en 1884,
on classa les cotes foncières par catégories de contenances, le minutieux
dépouillement auquel il fallut se livrer pour cela fit déjà tomber plus de
100.000 cotes indûment dédoublées, et il en subsistait encore beaucoup.
L'Administration supérieure, dans un double intérêt d'économie et de
sincérité, s'est mise à faire la chasse à ce gibier d'un nouveau genre.
L'instruction générale du 2 mars 1886 (art. 49), puis les circulaires des
10 novembre 188" et 18 mai 1888 ont intéressé à la réunion des cotes
multiples la vigilance des contrôleurs, des inspecteurs, des directeurs; et
de là vient surtout la réduction continue du nombre officiel des cotes
foncières depuis 1886. Il y aurait donc quelque témérité à affirmer que le
nombre des propriétés ou des propriétaires français est effectivement
moindre en 1892 qu'en 1882. Disons seulement, pour être sûr de ne rien
dire de trop, qu'aux progressions rapides d'autrefois a succédé un état de
stagnation, absolue ou relative.
C'est là une constatation dont il me semble que les amis et les adver-
saires du morcellement doivent également reconnaître l'importance.
Maintenant, il est bien entendu que quand nous parlons de stagnation,
c'est en considérant l'ensemble du territoire national et en faisant un bloc...
C'est un résultat moyen.
Si l'on interroge les départements un à un, on en trouve où le morcelle-
ment se poursuit d'une manière très appréciable et d'autres où s'accuse,
au contraire, une tendance manifeste à la concentration de la propriété.
La carte que vous avez devant les yeux distingue les parties de la France
qui, depuis 1883, perdent des cotes de celles qui en gagnent encore, et
la guerre que l'Administration fait aux doubles emplois n'empêche pas cette
image de donner une assez juste idée de la marche des choses.
A. DE KOVILLE. — LE MORCELLEMEM DEI'LIS DIX ANS 1091
Elle montre que les contrées où la terre continue à se subdiviser sont
généralement celles où il restait beaucoup à faire à cet «'gard. Dans un
dt'partement où la grande propriété régnait presque partout, comme le
Cher, on ne peut que la féliciter de laisser venir à elle, çàet là, les petits
propriétaires : elle y gagne plus comme valeur qu'elle n'y perd comme
étendue. De même dans l'Allier, dans l'Indre, dans Loir-et-Cher, et dans
presque toute cette région du Centre, où le progrès, pour bien des raisons,
a été lent à s'éveiller. De même encore dans les Bouches-du-Rhône, dans
le Var, dans les Alpes-Maritimes, et de l'autre côté du golfe méditerranéen,
dans les Pyrénées-Orientales et dans rAriège. Ailleurs, la persistance du
morcellement s'explique par l'accroissement de la population, comme
autour des grandes villes ou dans les provinces dont la natalité se soutient,
Bretagne et Flandre, par exemple.
Le résultat contraire s'observe dans celles de nos campagnes qui vont
ou se dépeuplant, ou s'appauvrissant, notamment dans la basse Normandie,
dans les Hautes-Alpes et les Basses-Alpes, sur les deux rives du Rhône, en
aval de Lyon, et plus encore dans le bassin de la Garonne. L'influence
de la crise phylloxérique est très sensible dans le Midi. La vigne y avait
activement contribué à la diffusion de la propriété et les cotes foncières
pullulaient d'une mer à l'autre. Le phylloxéra les a mangées par cen-
taines, par milliers, et là même où s'opère maintenant la reconstitution
des vignobles, l'opération étant coûteuse, c'est plutôt la grande propriété
qui s'en charge que la petite.
En somme, les faits accomplis depuis une dizaine d'années ne font que
confirmer les vues de ceux qui, dans la discussion d'un phénomène com-
plexe, avaient su se défendre à la fois contre les pièges de la statistique et
contre les entraînements du parti pris. Que le morcellement ait été poussé à
l'excès sur certains points du sol français, je ne l'ai jamais contesté ; mais,
quand on affirmait que la France entière allait, tôt ou tard, se trouver
réduite à l'état moléculaire, ceux qui restaient incrédules n'avaient pas tort.
La réaction que l'on jugeait impossible est déjà venue et telle commune où
l'émieltement des héritages ne connaissait plus de bornes il y a vingt ans,
a su y mettre bon ordre elle-même. A ce point de vue, comme à tant
d'autres, il s'en faut que tout soit pour le mieux dans le meilleur des
mondes ; mais tout ne va pas non plus si mal que les pessimistes le disent.
J'estime qu'en ce qui concerne le sort de la propriété française, Léon
Faucher et Balzac étaient plus loin de la vérité que Benjamin Constant
lorsque, dès 182(), il disait à la tribune de la Chambre des députés : « Le
morcellement des terres s'arrêtera toujours au point au delà duquel il
deviendrait funeste. »
1092 ÉCONOMIE POLITIQUE
M. ETCHEYEEET
Député, à Paris,
L'ÉMIGRATION DAIMS LES BASSES-PYRENEES PENDANT SOIXANTE ANS
— Sckince du SI septembre 4892 —
Le Congrès qui nous réunit siège dans le déparlement de France qui
émigré le plus depuis soixante ans. Il a paru intéressant de rechercher
quel a été approximativement le chiffre de cette émigration, quelles ont
été ses causes et ses conséquences.
C'est vers 1832 que l'émigration a commencé. 11 y a eu des émigrants
auparavant, se dirigeant vers l'Espagne ou vers les colonies espagnoles ;
il y en a eu de temps immémorial ; mais c'est à partir de cette date qu'un
courant important s'est dessiné vers l'Amérique du Sud. Les premiers
départs eurent lieu à l'instigation de la maison anglaise Lafone and Wil-
son qui cherchait à peupler une colonie agricole à Montevideo. Voici le
tableau des départs constatés officiellement de 1832 à 1891, à l'aide des
passeports délivrés, des renseignements préfectoraux ou des relevés des
commissaires spéciaux créés par le décret du 13 janvier 18oo:
DÉPARTS MOYENNE ANNUELLE
1832-1835 ( 4 ans) 828 ^08
1836-1845 (10 ans) 10.162 1.016
1846-1855 (10 ans) 16.111 1.614
1856-1864 ( 9 ans) 12.833 1.425
1865-1874 (10 ans). ..... 17.7.50 1.775
1875-1883 ( 9 ans) 5.157 573
1884-1891 ( 8 ans) 16.421 2.052
Total en 60 ans 79.262 1..321
Tel est le bilan officiel de l'émigration dans notre département, mais
il n'est pas complet. Tous ces chiffres doivent être majorés, sauf ceux de
la dernière période. En premier lieu, à l'émigration constatée au moyen
des passeports délivrés il faut ajouter une émigration clandestine qui
s'est effectuée par les ports d'Espagne. Elle comprenait des jeunes gens
auxquels l'Administration refusait des passeports parce qu'ils étaient
entrés dans leur dix-neuvième année. Des armateurs de Bayonne ont
ETCHEVERRY. l'ÉMIGRATIO-N DANS LES liASSES-l'YRÉNÉES 1093
aussi donné rendez-vous au port de Passajès à une partie de leurs pas-
sagers que les règlements édictés en 1855 et 1860 ne leur permettaient
pas dembarquer en France sur leurs bateaux encombrés. Depuis que
Tobligation du passeport est supprimée, les seuls moyens de contrôle de
l'émigration sont les relevés opérés dans les ports d'eml)arquement par
des commissaires spéciaux. Mais la Compagnie des Messageries mari-
times était affranchie de la surveillance des commissaires. Les nombreux
émigrants qu'elle a transportés à la Plata n'ont donc pas figuré dans les
relevés olficiels. Ce n'est qu'en 1884 que la Compagnie elle-même a classé
des passagers d'entrepont. Aussi la moyenne annuelle de notre départe-
ment a passé de 513 à 2.052. C'est l'effet des constatations nouvelles plus
que d'un redoublement d'émigration.
Si on veut prendre une idée plus complète de l'importance de l'émigra-
tion, il n'y a qu'à considérer le vide survenu dans la population de notre
département depuis 1832, en tenant compte des excédents des naissances
sur les décès qui se sont produits durant cet intervalle de soixante ans.
Le département avait, en 1831, 428.401 habitants; le dernier recense-
ment de 1891 relève 423.662 habitants. C'est une perte nette de 4.739 ha-
bitants seulement. Comment a été couverte notre formidable émigra-
tion ? Elle l'a été d'abord par les excédents des naissances sur les décès
qui ne représentent pas moins de 88.131 unités, chiffre supérieur à celui
des départs officiellement relevés. La moyenne annuelle des départs a été
de 1.321 pendant les soixante années : la moyenne des excédents a été
de 1.468 (1).
En second lieu, deux communes des Landes, Saint-Esprit et Le Bou-
can, ont été rattachées au département en 1861, apportant 8.314 habi-
tants. En troisième lieu, depuis le recensement de 1861, qui indique
I)our la première fois le lieu de naissance, jusqu'en 1891, on constate
que 22.369 individus, nés hors du département, sont venus s'y fixer pen-
dant ces trente années (2).
*Au total, ces nouveau-nés, ces annexés, ces immigrants ont pris la
place de 118.804 émigrants. Et en ajoutant la perte de 4.739 habitants, le
déplacement de nos compatriotes représente plus de 123.000 unités.
{^ne portion notable a émigré vers les villes, Bordeaux et Paris, en par-
ticulier, mais il faut en rattacher une bonne part encore aux 79,000 émi-
(1) Excf'dent mnypn de 1831 à I8.'r0 2.211
— — do 18AI à 18d0 l.fiOO
— — de -1851 à 1860 561
— — de 1861 à 1870. . . . '. 1.369
— — de 1871 à 1880 I.;i3l
— — de 1881 à 1890 1.309
(2j En 1801. . . . U.360 habitants ni^s hors dn di'parlomcnt ;
En 1891. . . . 37.719 — — —
1094 ÉCONOMIE POUTTQUK
grants d'outre mer, constatés ofTiciellement ; ce sera la part de l'inconnu,
la part de lémigration clandestine et des embarquements des Messageries
maritimes jusqu'en 1884.
L'émigration n'a pas suivi un cours uniforme durant ces soixante ans.
De 1831 à 1845, dans les quinze premières années, le courant s'est établi
lentement ; il n'empêche pas la population de s'accroître considérable-
ment et d'atteindre son maximum en 1846. Le mouvement se précipite
singulièrement de 1846 à '18oS, avec la disette de 1847, la révolution de
1848, la crise viticole provoquée par l'oïdium. Buenos-Ayres commence
à ouvrir aussi aux émigrants d'immenses perspectives. Le département
perd 19.000 habitants pendant ces dix années, sans compter 6.000 excé-
dents de naissances qui sont absorbés. Entre 1858 et 1864, l'émigration
extérieure se ralentit, si l'émigration vers les villes se développe. Ces deux
émigrations réunies absorbent les excédents de naissances et l'augmen-
tation provenant de l'annexion de deux communes des Landes; elles
laissent la population à peu près stalionnaire. De 1865 à 1874, recrudes
cence de l'émigration sous l'influence de la guerre, du perfectionnement
des moyens de transport et de l'abaissement des prix. La population perd
encore 4.000 habitants; 9,665 naissances en excédent et 19.000 immi-
grants venus du dehors comblent à peine les vides d'autant d'émigrés.
De 1875 à 1886, le département reste à peu près stationnaire ; les départs
sont compensés par 19.000 excédents de naissances ; mais pendant les
cinq dernières années, de 1886 à 1891, il perd 6 à 7.000 habitants; 5 à
6.000 excédents de naissances sont également absorbés.
Les cinq arrondissements du département n'ont pas contribué égale-
ment à l'émigration. Le département renferme deux populations distinctes :
les Béarnais peuplent les arrondissements de Pau, Oloron et Orthez ; les
Basques occupent presque seuls l'arrondissement de Mauléon et forment
la majorité de l'arrondissement de Bayonne, où un certain nombre de
Gascons habitent les bords de l'Adour.
Les Basques constituent à peu près le quart de la population du
département. Ils ont fourni environ les deux tiers des émigrants. Cette
proportion est absolument établie pour les années antérieures à 1858 ;
l'arrondissement de Bayonne a fourni 22 émigrants sur 100 ; celui de
Mauléon 45. Elle serait supérieure, si on pouvait classer l'émigration clan-
destine, car les deux arrondissements basques sont les plus rapprochés du
littoral espagnol, par suite, le plus à portée d'en user. A partir de 1858,
l'arrondissement d'origine des émigrants ne nous est pas connu; maison
peut maintenir les proportions précédentes comme minima. 11 est incon-
testable que le pays basque a continué à alimenter les départs, beaucoup
plus que les autres parties du département. Les Gascons du bord de
l'Adour ont été retenus par la prospérité de Bayonne et de Biarritz. Les
ETCHEVERRV. — l'ÉMIGIîATION DANS LES BASSES-PYRÉNÉES 1095
Béarnais ont été principalement attirés vers Pau, vers Bordeaux et Paris,
à l'exception d'une faible portion des arrondissements d'Oloron et d'Ortliez
qui a suivi les Basques à l'extérieur. Dans les pays basques, les habi-
tants du littoral ont vu leurs stations balnéaires se développer et ont peu
émigré. Ce sont les cantons montagneux de l'arrondissement de Bayonne
et surtout ce sont les cantons de l'arrondissement de Mauléon qui ont
envoyé la grande majorité des émigrants.
Résultat : L'arrondissement de Mauléon a perdu 12.000 habitants entre
1831 et 1891, sans compter les excédents de naissances que nous ne
pouvons chiffrer, mais qui ont été considérables ; l'arrondissement de
Mauléon est celui où la natalité est le plus développée.
Revenons aux statistiques officielles pour les analyser rapidement au
point de vue de la destination, du sexe, de l'âge et de la profession des
émigrants. Malheureusement les statistiques ne nous permettent d'analyser
ces caractères de l'émigration par département que jusqu'en 1877 environ.
Quelle a été d'abord la destination des émigrants? Avant 1856, sur
100 départs, 72 avaient lieu pour les rives de la Plata. Montevideo était le
port de débarquement exclusif jusqu'en 1849, où on commença à débar-
quer à Buenos-Ayres également. Une vingtaine de mille individus ont cette
destination, dont les quatre cinquièmes sont Basques. Un millier se dirige
vers les autres parties de l'Amérique du Sud. L'Amérique du Nord (le
Mexique, la Californie, la Louisiane), en reçoit autant. Des Béarnais et
quelques rares Basques vont coloniser l'Algérie, au nombre d'environ
2.000. Les autres colonies françaises glanent quelques centaines de colons.
Le reste demeure sur le continent européen , en Espagne de préférence.
Entre 1836 et 1891, l'Algérie attire peu d'émigrants. Buenos-Ayres de-
vient le but de l'immense majorité. Montevideo vient en seconde ligne,
mais très loin derrière ; puis le Chili, la Californie, le Mexique, le Brésil,
Je Pérou, la Bolivie, etc. Les deux républiques de la Plata et la Cali-
fornie attirent surtout les agriculteurs, les pasteurs ; les autres pays ne
reçoivent guère que les commerçants et quelques artisans.
Comme dans toute période de tâtonnement, les femmes figurèrent en
petit nombre parmi les émigrants des premières années, à peine 16 sur
100 émigrants de 1832 à 1840. En 18o4 et 18oo, elles représentent 24 0/0
de l'émigration générale, 30 0/0 de l'émigration basque considérée à part.
Dans les années qui suivent, leur proportion monte à 38 sur 100 émi-
grants adultes. De 186o à 1874, on ne relève que 24 femmes sur 100 émi-
grants majeurs. De 1875 à 1877, 30 femmes partent pour 70 hommes.
Ce doit être la proportion actuelle que les états administratifs ne nous
permettent plus de constater par département. Presque toutes les femmes
se dirigent vers les rives de la Plata, siège de notre colonie la plus an-
cienne et la mieux assise.
1096 ÉCONOMIE POLITIQUE
Les statistiques renferment peu de renseignements sur l'âge de nos émi-
grants. Nous savons seulement par les recensements qu'un grand nombre
de ménages emmenant des enfants quittent le département entre 1846 et
4861. Les rapports sur l'émigration de 1865 à 1874 et de 1875 à 1877
nous donnent un classement détaillé à l'aide duquel nous pouvons com-
parer le caractère que l'émigration a possédé à cette époque dans notre dé-
partement avec celui qu'elle revêtait dans le reste de la France. Les dé-
parts de zéro à dix ans sont moins nombreux dans notre département
que dans le reste de la France ; comme cette catégorie ne peut émigrer
qu'en famille, il faut en conclure que l'émigration a pris chez nous un
caractère plus individuel qu'en France, et ce caractère tend à s'accentuer.
En second lieu, la catégorie de dix à vingt ans fournit 40 0/0 d'émi-
grants chez nous, quand elle ne fournit en France que 17 à 18 0/0. Le
recensement de 1870 accusait pourtant un accroissement d'enfants au-des-
sous de l'âge nubile par rapport à 1866. C'est donc entre quinze et vingt
ans que beaucoup de jeunes gens et de jeunes filles sont partis seuls. C'est
l'émigration de la jeunesse, chose presque inconnue dans le reste de la
France. Le service militaire n'arrête pas les garçons chez nous comme ail-
leurs. Ils commencent ainsi la vie de colons d'aussi bonne heure que les
Anglais. L'émigration dans les Hautes-PyrénfJes et dans la Haute-Garonne
présente un aspect semblable à la nôtre.
Pendant les vingt-cinq ou trente premières années, la majorité des émi-
grants paraît s'être recrutée parmi les artisans. A défaut des statistiques de
l'Administration, muettes sur ce point, nous trouvons ce fait indiqué par
les recensements. Entre 1846 et 1856, la population urbaine perd 11 0/0
de ses habitants tandis que la population rurale ne perd qu'un peu plus de
3 0/0. La proportion de la population agglomérée, à laquelle appartiennent
d'ordinaire les artisans, baisse dans le département pendant que celle de
la population éparse s'accroît. A partir de 1856 ou 1861, c'est la classe
rurale qui fournit le plus d'émigrants. De 1865 à 1874, les professions in-
dustrielles comptent 15 départs sur 100; dans le reste de la France, elles
en comptent 30. Sur 100 émigrants, il y a 53 agriculteurs, quand en
France il y en a 30 seulement. De 1875 à 1877, la France envoie la même
proportion d'émigrants agriculteurs ; notre département en envoie encore
44 sur 100.
CAUSES DE l'émigration
Les directeurs de la Sûreté publique, chargés de présenter périodique-
ment un rapport au ministre de l'Intérieur sur le Mouvement de rémigration
en France ne se lassent de s'étonner de la part prépondérante des Basses-
Pyrénées dans les départs. « Ce département, lisait-on dans le dernier rap-
ETCHEVERRY. — l'ÉMIGRATION DANS LES BASSES-PYRÉNÉES 1097
port {Jou7'nal officiel du 31 août 1 880), ne figure ni au dernier rang sur
les tableaux de la richesse publique, ni au premier pour la densité de la
population. L'émigration n'y est donc pas provoquée par les causes qui la
produisent ordinairement dans les pays pauvres et populeux. 11 faut l'at-
tribuer à l'entraînement auquel se livrent les agents recruteurs et à la con-
tagion de l'exemple. Les montagnards des deux versants des Pyrénées sont
très recherchés comme colons par les États de l'Amérique du Sud, qui
mettent tous les moyens en œuvre pour les attirer. Les premiers émigrants
séduisent leurs compatriotes restés sur le sol natal, par le récit des succès
obtenus de l'autre côté de l'Oct-an. »
Les agents d'émigration placés à Bayonne et à Bordeaux, assistés de nom-
breux sous-agents disséminés dans tous les cantons du pays basque, ont eu
en effet une influence décisive pour amorcer le courant de l'émigration.
Ils ont contribué à le précipiter à certaines époques par des facilités de
crédit exceptionnelles, par leurs ardentes excitations, quelquefois, dit-on,
par des procédés blâmables. Encore aujourd'hui ils rendent les départs plus
aisés. Mais, à quelque époque qu'on se place, leur action aurait été bornée,
s'ils n'avaient trouvé dans le pays des causes intrinsèques poussant à l'émi-
gration. La contagion de l'exemple signalée dans le rapport, les appels des
émigrés à leurs parents, à leurs amis, sont déjà une première cause qui a
secondé très vite leur propagande. La pauvreté de certaines régions, accrue
par les transformations économiques ou par des crises, a mis dans leurs
mains des catégories entières de familles, chassées du pays natal par la mi-
sère. Comme transformations économiques il faut citer la fermeture de
quelques forges qui occupaient, non seulement des ouvriers, mais des mu-
letiers pour le transport des bois et du minerai, des charbonniers pour la
confection du charbon de bois. Citons aussi la disparition de la contre-
bande qui était une véritable industrie pour des milliers d'individus. Les
crises ont été l'anéantissement momentané des vignes par l'oïdium, cer-
taines vexations forestières nuisibles au régime pastoral, le renchérisse-
ment des grains, en 1847 notamment. Ces causes ont agi particulièrement
sur les familles qui n'étaient pas rattachées au soi par un lien solide ; elles
ont souvent amené le départ, non seulement d'individus isolés, mais de
familles entières d'ouvriers, d'artisans, de métayers, de petits propriétaires.
La moyenne propriété, de six à cinquante hectares, très répandue dans
le département, a été plus résistante. Elle a fourni à l'émigration son élé-
ment le plus régulier et en même temps celui qui se renfermait dans les
bornes les plus raisonnables, grâce à nos mœurs successorales. Dans l'état
actuel de ces mœurs, reste des vieilles coutumes, un seul enfant, l'aîné
d'ordinaire, est fait héritier exclusif ou héritière du bien, avec disposition
en sa faveur de la quotité disponible que le code a malheureusement trop
réduite. Cet enfant est retenu sur le domaine ; il n'émigre pas à moins de
1098 ÉCONOMIE POLITIQUE
vicissitudes extraordinaires. Un on deux autres enfants demeurent pour
Paider ou pour épouser un héritier ou une héritière du voisinage. Le sur-
plus des enfants, des cadets, pour les appeler par leur nom, est libre pour
l'émigration avec une petite avance en argent sur ses droits successifs. Or,
le département compte 30 familles sur 100 ayant quatre enfants et au-
dessus, quand la France en compte à peine 19. L'arrondissement de Mau-
léon en compte môme 50 sur 100. Supposez que sur les 30.000 familles
ayant quatre enfants et au-dessus, il y en ait 10.000 de moyens proprié-
taires, elles auraient 20 ou 30.000 enfants disponibles pour l'émigration à
chaque génération. Voilà la cause permanente et éminemment honorable
d'une partie de l'émigration.
Deux exemples vont faire toucher du doigt les causes de l'émigration et
son intensité :
Voici un village où existait un haut fourneau en 1856. Le recensement
de cette année-là relève 146 ménages ; le haut fourneau est fermé, et celui
de 1^<81 n'en relève que 104, soit 42 de moins. Là-dessus, grand émoi des
pessimistes! Mais, si on regarde de près, que voit-on ? La fermeture du
haut fourneau a amené fatalement la disparition de vingt-quatre ménages
d'ouvriers et de muletiers qui étaient employés dans cette industrie. Que
vouliez-vous que fissent ces ménages, sinon disparaître, puisqu'aucune
autre industrie ne remplaçait celle qui les faisait vivre? Ce n'est pas tout.
La contrebande a disparu aussi dans ce village et l'Administration des
douanes a restreint son personnel ; d'où la disparition encore forcée de
neuf ménages de douaniers. On peut regretter ces braves douaniers, mais
il faut bien se résigner à leur départ. Restent treize ménages dont il faut
expliquer la disparition. Il y a cinq ménages de tisserands. Leur dispari-
tion n'étonne pas au moment où la toile des grandes fabriques vient
prendre partout la place de la toile fabriquée sur place. Il y a un ménage
de meunier. Un meunier de moins! Cela s'explique par l'envahisse-
ment naissant des grandes minoteries. Deux ménages de charpentiers de
moins ! Cela peut être encore attribué à la fermeture du haut fourneau.
Les cinq ménages encore disparus sont des ménages de petits métayers ;
ce sont les seuls qui sont probablement victimes de la misère. Veut-on
savoir ce que sont devenus, pendant ce temps, les paysans moyens pro-
priétaires de ce village? Il y en avait 44 ménages, comprenant 268 per-
sonnes en 1856; il en reste, en 1881, 43 comprenant 261 personnes. Un
seul est parti, remplacé par des métayers. La moyenne d'individus par
ménage restant est égale et même supérieure à celle de 1856.
Voilà l'émigration des familles entières prise sur le vif. Elle enlève les
petits ménages, dont le travail dépend des circonstances économiques et
qui ne tiennent pas à la terre ; elle respecte les ménages importants qui
reposent sur la traditionnelle possession du sol.
ETCHEVERUY. — l'ÉMIGRATIOK DANS LES BASSES-PYRÉNÉES 1099
Voici rémigration individuelle comparée dans ces deux mêmes catégo-
ries de familles. J'ai analysé, d'une part, dix familles prises au hasard de
petits propriétaires, métayers, journaliers, artisans ; d'autre part, dix fa-
milles paysannes de moyens propriétaires. Le premier groupe comptai!
35 enfants émigrés sur 53, ayant dépassé l'âge adulte ; le second groupe,
27 émigrés sur 57. Il restait chez les moyens propriétaires trois enfants
en moyenne par famille; chez les autres 1,70. Ce rapprochement montre
exactement dans quelle proportion les deux catégories de famille ont con-
tribué à l'émigration individuelle.
CONSÉQUENCES DE l'ÉMIGRATION
Nos 80.000 ou 100.000 émigrants ont créé en Amérique spécialement
sur les bords de la Plata, une colonie naguère florissante. Ils ont con-
tribué, comme commerçants, industriels, propriétaires ruraux, surtout
comme travailleurs, au développement de ces États naissants. Pour citer
leur œuvre capitale, ce sont nos pasteurs qui ont introduit dans la pampa
l'élevage du bétail, source d'une étonnante richesse. En travaillant pour
le Nouveau-Monde, nos compatriotes ont travaillé pour l'humanité, dont
le bien-être général profite de tout progrès accompli sur un point de la
surface terrestre ; mais ils ont travaillé aussi pour la France. On peut leur
attribuer, en partie, l'accroissement si remarquable du commerce fran-
çais avec la République Argentine, avec l'Uruguay, avec la plupart des
États de l'Amérique du Sud. Les commerçants en rapport avec ces
contrées, les économistes, les patriotes ont souvent proclamé leur bien-
faisante influence. Parmi les populations françaises, celles qui ne trouvent
pas sur le sol l'emploi de toute leur activité tournent le surplus vers
l'industrie, vers le commerce intérieur; presque seuls, les Basques et
Béarnais se sont consacrés à la colonisation, au commerce extérieur.
Tâche essentiellement méritoire dans ce siècle, oi^i les nations euro-
péennes, par leur expansion admirable qui contraste tant avec celle de la
France, menacent de ravir à cette dernière les profits que procure la mise
en exploitation des pays neufs.
Ces résultats ont-ils été obtenus au détriment du déparlement ? A-t-il
épuisé sa vitalité, compromis sa prospérité dans cet effort colonisateur?
C'est ce qu'il nous reste à examiner.
Trois prédictions ont été faites à notre département au sujet de l'émi-
gration. On a dit et répété : « Les terres vont rester en friche. » Puis :
« Il n'y aura plus de soldats ; il n'y aura que des insoumis. » Enfin, on
a dit : « Les villages vont devenir des déserts, où erreront seulement les
vieillards trop âgés pour partir. »
1100 ÉCONOMIE POLITIUUK
Voyons ce qui est advenu de ces trois sombres prédictions.
L'agriculture, d'abord, a-t-elle dépéri? Nous trouverons la réponse
dans la comparaison des statistiques agricoles de 1840 et de 1882. La
superficie du territoire non cultivé atteignait 338.596 hectares en 1840;
elle est tombée à 281.667 hectares en 1882. La culture a donc gagné
près de 57.000 hectares.
La culture, si elle a gagné en étendue, est-elle moins soignée, moins
productive? Deux chiffres suffiront pour répondre : les chiffres de la
récolte de blé et de la récolte de maïs, les deux principales récoltes du
pays. Le rendement par hectare était évalué, en 1840, à 10 hectolitres
et demi de blé et à 16'^', 36 de maïs ; les chiffres correspondants sont de
14,36 de blé et 20,32 de maïs, soit quatre hectolitres de plus par hec-
tare pour les deux céréales. Le département récolte 174.631 hectolitres
de plus de froment et 157.543 hectolitres de plus de maïs. Et l'élevage,
la principale branche de l'économie rurale du département, a-t-elle souf-
fert davantage de l'émigration? Non. On a pu craindre que le départ des
pasteurs de nos montagnes nuirait à l'élevage de la race ovine, et nos
effectifs de cette catégorie ont, en effet, diminué ; mais cette diminution
est insignifiante si on la compare à la diminution de la race ovine en
France. L'ensemble de tous nos animaux était de 698.480 têtes en 1840 ;
il est de 821.505 en 1882, soit 123.025 têtes de plus.
L'émigration n'a donc fait de tort ni à notre agriculture ni à notre
élevage. On serait plutôt autorisé à dire qu'elle les a servis. En regard
des départs, il y a eu, en effet, des retours d'Amérique. Les retours, sans
doute, ont été beaucoup moins nombreux que les départs, mais ils ont
apporté dans le pays un élément qui lui manquait plus peut-être que les
bras, à savoir des capitaux. Qui dira la part de ces capitaux d'Amérique
dans le relèvement des maisons paysannes moyennes obérées, dans les
défrichements, dans les mises en culture, dans les progrès de l'agriculture
et dans les perfectionnements de l'élevage?
Si nous abordons le second grief invoqué contre l'émigration, celui
tiré de l'insoumission, la réponse sera moins aisée. Il faut reconnaître que
l'insoumission a fait des ravages parmi nous ; elle en a fait à des époques
particulièrement douloureuses. Depuis que le service militaire est réduit,
depuis qu'il se fait dans des garnisons moins lointaines qu'autrefois,
depuis que la langue française pénètre par les écoles dans les villages
basques, la plaie de l'insoumission se rétrécit et se cicatrise. On attend
plus facilement, du moment qu'il faut attendre moins longtemps et
dans des conditions moins dures qu'autrefois, d'avoir fait son service
pour émigrer.
L'article 50 de la nouvelle loi militaire permet aussi, à ceux qui sont
plus pressés, de s'établir avant dix-neuf ans en Amérique, sans s'exposer
ETCHEVERUY. — l'ÉMIGRATION DANS LES BASSES-PYRÉXÉES 1101
à être considérés comme insoumis. Quand cet article sera bien connu des,
émigrants et, s'il nous est permis d'ajouter, bien connu des agents consu-
laires, linsoumission deviendra un fait très rare, au moins tant que l'état
de paix durera.
En attendant ce jour béni où l'insoumission ne viendra plus assombrir
l'émigration, jetons un coup d'oeil sur le passé et voyons s'il n'y aurait
pas des circonstances atténuantes à plaider.
On a dit, autrefois, que le département ne fournirait plus un soldat.
Eh bien! il se trouve que les contingents du département comptent
parmi les plus beaux de France. Si on examine les classes de 1881 et
1882, on voit que le département figure au quatorzième rang pour le
chitTre des inscrits et au quinzième pour le chiffre des jeunes gens
reconnus propres au service, quoique le chiffre de sa population française
ne le mette qu'au vingt-neuvième rang dans la liste de tous les départe-
ments.
La moyenne des inscrits représente 11,21 sur 1.000 habitants français,
quand la moyenne en France est de 8,38 ; la moyenne des maintenus
est de 9,51 dans le département, de 7,91 en France. Je n'ai pu avoir
le chiffre des insoumis de ces deux années ; mais en prenant le chiffre
le plus fort des années précédentes, il reste une proportion de jeunes
soldats supérieure de 0,50 à 1 0/0 à celle du reste de la France.
Loin de moi la pensée d'excuser les défaillances individuelles ; mais,
enfin, malgré ces défaillances, le département a fourni au pays un
chiffre de soldats qui sauve son honneur et rassure un peu notre pa-
triotisme.
Ce que je viens de dire du contingent militaire montre que l'émigra-
tion n'a pas épuisé les forces vives du pays, qu'elle n'a pas tari les sources
de sa vitalité. C'était la troisième prédiction ; c'est la troisième erreur
qu'un coup d'œil sur la composition et le mouvement de la population
permettra de réfuter.
On a dit qu'il n'y aurait plus que des vieillards dans nos villages. En
effet, nous avons plus de vieillards qu'en France: 14i individus au-
dessus de soixante ans sur 1.000 habitants contre 110 en France.
Mais c'est peut-être que noire air est très bon et notre eau très pure.
On vient se soigner chez nous ; on y trouve des fontaines de Jouvence.
Nos vieillards respectables ne nous empêchent pas d'avoir un lot
d'adultes de vingt à soixante ans très convenable ; nous en avons un peu
moins qu'en France, 478 sur 1.000 habitants, contie 520; mais nous eu
avons plus qu'en Angleterre (462) ; cela nous suffit, il me semble. Nous
n'avons pas la prétention de rivaliser avec le commerce et l'industrie
anglais. Et nous avons plus d'enfants et de jeunes gens de zéro à
vingt ans qu'en France : 377 contre 3o2. Cela, c'est l'avenir assuré.
1102 ÉCONOMIE l'OLITlQLE
Si nous continuons l'examen des recensements, que voyons-nous encore?
Sous l'influence de l'émigration, nous avons une population de femmes
supérieure à celle de la France. Tandis qu'il y a 502 femmes sur 1.000 ha-
bitants en France, nous en avons ol4 dans les Basses-Pyrénées. Nous
ne nous plaignons pas de la surabondance de ces dames. C'est à peu près
la proportion de l'Angleterre (ol5). 11 y a eu un moment où nous en
avons eu peut-être un peu trop: 522 sur 1.000 habitants en 18(36. A
cette époque, sur 1.000 habitants, pour 121 célibataires adultes du sexe
masculin, il y avait 170 célibataires adultes du sexe féminin. A'os
jeunes hlles manquaient d'épouseurs. Elles ont pris le parti d'aller les
chercher en Amérique ou dans les grandes villes. Aujourd'hui, l'écart
entre les célibataires adultes des deux sexes est tombé de 49 à 30 unités :
107 hommes contre 137 femmes sur 1.000 habitants.
Passons au mouvement de la population. On se marie chez nous plus
qu'avant l'émigration. Près de la moitié de la population passe par le
mariage : 45 0/0 en 1886 au lieu de 39,50 0/0 en 1831. C'est l'eff'et de
l'émigration qui a enlevé beaucoup de célibataires ; c'est aussi l'effet de
l'accroissement de la population urbaine où on se marie plus que dans
la population rurale. Si nous comparons la période quinquennale qui a
suivi les débuts de l'émigration (1831-1835) à celle qui a précédé le
recensement de 1886 (1881-1885), il y a eu plus de mariages dans
la dernière période que dans la première. Le chiffre moyen de la
population a été sensiblement le même à ces deux époques, avec ten -
dance à monter dans la première période et tendance à baisser dans la
seconde. Et la natalité a-t-elle faibli? Oui, mais beaucoup moins qu'en
France. Il y a eu 426 naissances de moins en moyenne par an. Mais sur
ce chiffre, il n'y a que 150 naissances légitimes de moins ; cela tient ;'i
l'accroissement de la population urbaine ; si on s'y marie davantage, les
mariages ont moins d'enfants. Ce qui a faibli le plus, c'est la natalité
naturelle. On sent là l'influence de la disparition de nombreux céliba-
taires adultes que l'émigration a entraînés. Sur 100 naissances, il y en
avait 8,43 naturelles en 1831-1835; il n'y en a plus que 6,11 en 1881-
1885. Au total, la natalité n'a baissé que de 1 0/00 habitants dans le
département, quand il a baissé de 5 0/00 dans la France entre 1831 et
1886. Les excédents de naissance ont atteint 4,3 0/00 de 1881 à 1885,
quand ils ont été en France de moitié environ. L'arrondissement de
Mauléon, où on a émigré le plus, avait eu, en 1883-1884, un excédent
de 6 0/00; il a eu, ces trois dernières années, malgré l'influenza, un
excédent de 5,40 0/00.
Il me semble que la France se trouverait bien d'avoir beaucoup de
départements comme les Basses-Pyrénées et beaucoup d'arrondissements
comme celui de Mauléon. Ce maintien satisfaisant de la natalité confirme
ETCIIEVERRY. LÉMIGRAÏIOX DANS LES BASSES-PVRÉNKES 1103
ce mot d'un historien sagace de fémigration an xix" siècle, M. Jules
Duval, quand il disait : « Je vois le peuple qui émigré redoubler d'edorts
pour remplir les vides. »
Il justifie aussi la préoccupation de Paul Bert qui voulait développer la
politique coloniale pour développer la natalité française. S'il entendait par
là qu'il fallait créer des colonies de peuplement habitables aux émigrants,
il y a longtemps que notre département s'est créé sa colonie, une colonie
libre qui n'a rien coûté à la mère patrie. Et c'est par cela même qu'il a sa
colonie déjà bien établie qu'il en abandonnera diiricilemeni le chemin,
quoi qu'on fasse, pour aller dans d'autres pays qui ne peuvent lui olfrir
les mêmes conditions de climat sain et de chances heureuses. On ne peut
contester que l'existence de cette colonie a encouragé nos robustes monta-
gnards à avoir des familles nombreuses. Si nos propriétaires moyens
(honneur et force du pays) sont rassurés sur l'avenir de leurs enfants par
l'existence d'un débouché, il faut aussi qu'ils soient rassurés sur l'avenir
de leurs beaux domaines ; qu'ils ne craignent pas de les voir partagés,
disséqués entre des cohéritiers avides et égoïstes. Tant que nos mœurs
successorales subsisteront, ils n'auront pas cette crainte. Souhaitons
qu'elles se maintiennent contre les tendances contraires du reste de la
France. Souhaitons que nos cadets respectent l'intérêt général, assurent
le maintien du domaine familial par la modération de leurs exigences,
qu'ils ménagent leur aîné et qu'ils trouvent au dehors la compensation
de leur désintéressement.
Messieurs, je me résume.
Notre département a envoyé 19.000 émigrants outre mer en soixante ans.
Il a été soumis aux excitations les plus violentes des agents d'émigration,
aux tentations les plus fortes par le spectacle de pays où, pendant long-
temps, on s'enrichissait facilement. Cependant, il n'a perdu que 4. 729 habi-
tants et sa vitalité est restée intacte. Prenons, au contraire, un riche
département de Normandie, l'Orne, par exemple. Ce département a perdu,
en soixante ans, 87.000 habitants. Il avait 13.000 habitants de plus que
nous en 1831 ; il en a 69.000 de moins aujourd'hui. Et il n'a pas la con-
solation de penser que tous ces habitants perdus représentent autant
d'émigrés qui fécondent les terres vierges des pays neufs, développent
le commerce de la France et accroissent le patrimoine de l'humanité.
Si notre département a résisté à une émigration aussi intense, il le
doit à la forte constitution de la famille et de la propriété. La diffusion
de la propriété, surtout de la propriété moyenne, sa transmission inté-
grale ont retenu sur le sol natal un noyau de familles résistantes et pro-
lifiques. L'existence de ces familles, que Le Play appelait les familles-
souches, a été, dans le passé, notre seule barrière contre les excès de
rémigration ; leur maintien nous en préservera encore. Et cependant ces
1104 ÉCONOMIK POLITIQUE
familles continueront à fournir à la civilisation de précieux renforts, dans
le trop-plein de leurs rejetons, partout ou la civilisation aura besoin
de bras robusles, de l'esprit avisé des Béarnais et du cœur vaillant des
Basques .
M. Paul TISSEEAITD
à Saint-Dié.
LES INDUSTRIES DE SAINT-DIE
— Séance du 2i septembre 1892 —
Les recherches et les études qui ont été faites sur Saint-Dié et sur l'ar-
rondissement dont il est le chef-lieu, par MM. les membres de la Société
philomalique sont aussi complètes que possible. On a discuté sur les ori-
gines ethnographiques et préhistoriques, on a rétabli son histoire d'après
des documents authentiques, éclairci un grand nombre de points longtemps
restés obscurs, en sorte qu'il suffit, pour les résumer, de puiser dans ce
recueil, de désigner les auteurs de ces travaux, d'indiquer leurs dates, leurs
titres pour les trouver dans les numéros des Bulletins que cette Société
publie depuis une quinzaine d'années pour se renseigner, car ces travaux
sont toujours intéressants et très étudiés.
Saint-Dié est une jolie petite ville bâtie sur les deux rives de la Meurthe,
dans une vallée assez large à laquelle on a donné le surnom de val de
Galilée, en souvenir de celle qui, en Palestine, porte ce nom. Aujourd'hui
cette ville n'est plus ignorée comme elle l'a été pendant des siècles ; depuis
l'annexion et le traité de Francfort, elle est tout à fait rapprochée de la
frontière allemande et le nombre de ses habitants, qui ne dépassait pas
lechiffrede 8.000 en 1868, a plus que doublé depuis cette malheureuse
guerre de 1870 (il est de 18.450, recensement 1891). Cette augmentation
s'explique par le grand nombre d'industriels qui se sont établis sur le
versant occidental des Vosges, après avoir quitté leur pays, et qui ont
emmené avec eux les ouvriers qui vivaient de leur industrie. Ils se sont
ainsi installés dans notre belle vallée.
Belle! elle l'a toujours été, car l'aspect que présentent nos montagnes
boisées n'a pas changé depuis des siècles et les superbes sapins qui les
p. TISSERAND. — LES INDUSTRIES DE SAINT-DIÉ 11 Oo
couvrent, de la base au sommet, nous en cachent les nudités abruptes; —
belle ! mais riche aussi, parce qu'on a tiré de ce milieu charmant tout le
parti que le travail de l'homme peut en tirer; c'est pourquoi, du haut des
promenades qui l'environnent, on aperçoit aujourd'hui, disséminées le long
de la rivière et sur ses deux rives, une cinquantaine de cheminées qui
projettent dans les airs leurs immenses panaches de fumée.
Des usines et des ateliers se sont élevés de tous les côtés, et les ouvriers,
au nombre de 8 ou 9.000 environ, sont enfermés dans ces vastes établisse-
ments où ils travaillent pendant toute la journée et quelquefois pendant
la nuit.
Les matières premières telles que le fer, la fonte, les bois, les peaux,
les tissus de toute sorte et de toute qualité, y sont transformés en objets de
consommation pour être livrés au commerce sous les formes les plus
variées.
Si nous remontons à l'origine de ces industries, nous sommes obligés
de constater qu'elles n'existaient pas avant la Révolution et que, sous
le premier Empire, elles n'avaient pas fait leur apparition en ce pays.
C'est à partir de la Restauration seulement, de 1820 à 1830, qu'elles
commencent à se montrer.
Avant la Révolution, il y avait bien quelques moulins sur les cours d'eau,
des tanneries sans importance et une tuilerie qui consommait ses produits
dans la localité même; tout cela appartenait au Chapitre, qui était le seul
grand propriétaire et le maître du pays. — La vente des biens du clefgé
fit passer la propriété de ces biens entre les mains des anciens fermiers
qui cherchèrent à en tirer les meilleurs avantages.
La plus ancienne de toutes est aujourd'hui située près d'un joli petit
ruisseau qu'on appelle le Robache, à cause de ses eaux rougeâtres. C'est une
vaste tuilerie qui fonctionnait déjà avant la Révolution, sous la direction'
du Chapitre, mais elle était bâtie un peu plus au nord, dans le fond de la
vallée. — Elle appartient aujourd'hui à la famille Ferry, qui l'exploite
depuis un siècle.
La terre rouge, argileuse, que l'on pétrit comme de la pâte, se trouve
dans les terrains environnants ; des moules en plâtre lui donnent des
formes diverses, et quand elle a été cuite dans des fours spéciaux, cette
terre acquiert une solidité à toute épreuve. On pourrait en tirer parti
pour la fabrication des tuyaux de drainage et pour l'aménagement des
eaux de fontaine ; mais on ne s'en occupe plus guère en ce moment, parce
qu'ils sont remplacés par des tuyaux en grès, beaucoup plus résistants.
On y fabrique aussi des ouvrages artistiques confectionnés à la main par
des ouvrières habiles, qui donnent à cette terre malléable des formes
diverses de fleurs et d'animaux.
Les tanneries, assez nombreuses, étaient échelonnées le long de la rive
70*
1106 ÉCONOMIE POLITIQUE
gauche de la Meurthe, en face du quai du parc; celle de M. Gustave Chré-
tien, qui est devenue une des plus importantes de la région de l'Est, les a
fait disparaître peu à peu, parce qu'elles ne pouvaient lutter contre une
maison qui avait perfectionné son outillage.
Les produits qui en sortent font prime sur les premiers marchés de
cuir. On y emploie pour la confection de ces marchandises une force
hydraulique de vingt-cinq chevaux et une force mécanique de cinquante
chevaux- vapeur. Cette immense tannerie est alimentée par un canal
dérivé de la Meurthe dont les eaux, ingénieusement aménagées, vien-
nent se réunir dans des réservoirs préparés pour recevoir les peaux. Sa
fabrication est d'environ 40.000 peaux par année, de provenance fran-
çaise, allemande, belge, hollandaise, danoise, suédoise et norvégienne.
Le tannage des peaux qu'elle reçoit est d'environ trois millions de kilo-
grammes, provenant de l'intérieur de la France, de l'Espagne et de l'Al-
o-érie. Les seize ou dix-huit tanneries qui existaient ont peu à peu disparu
et ont laissé la place à celle qui existe actuellement; elle avait déjà une
certaine importance lorsque le père vivait, mais son fils lui a donné la vita-
lité, la richesse, et le renom dont elle jouit.
Le premier atelier de construction qui a été créé dans ce centre date
de 1850 ; c'était une usine d'abord peu importante, qui a pris tout à coup
des proportions considérables. On y fabriquait des ouvrages en cuivre, des
robinets, des tuyaux de chauffage, des appareils à colle, des pompes à
incendie, le nombre des ouvriers augmentait à mesure que l'écoulement
de ces produits se répandait au loin, il atteignait le chiffre de 1-20 lorsque
le patron et le créateur de ce grand établissement mourut laissant à ses
héritiers une fortune évaluée à plusieurs millions. Sa mort a laissé un
o-rand vide, car personne n'a voulu ou su reprendre la suite de ses affaires.
D'autres ateliers se sont créés depuis, et ont remplacé celui-là ; des fon-
deurs d'abord, puis des constructeurs-mécaniciens, se sont établis et ont
peu à peu perfectionné l'outillage qu'il faut avoir pour manipuler le fer
et la fonte, en sorte qu'aujourd'hui on peut compter quatre établissements
de ce genre : ceux de MM. Werner, Burlin, Goly, et du mécanicien Beyer.
Il serait difficile aujourd'hui d'énumérer le nombre de filatures, tissages,
apprêts, bonneteries qui se sont multipliés à l'infini depuis trente ans et
qui sont mus, les uns par la force hydraulique, que l'on utilise le plus
possible, les autres par la force de vapeur seulement, et quelques-uns par
les deux forces réunies se suppléant selon le cours des saisons et l'abon-
dance des eaux.
Mais l'industrie la plus ancienne, celle qui a fait le plus de progrès depuis
le commencement du siècle, c'est la fabrication des tissus en laine, fil et
coton. Des fabricants sont venus s'établir dans ces parages, il y a quelque
soixante-dix ans, sous la Restauration et sous le règne de Louis-Philippe. Celui
p. TISSEKA.ND. LES I.NDUSÏRIES DE SAINT-DIÉ 1107
qui a débuté est M. Lehr ; il s'était installé sur l'emplacement où se trou-
vait le grand séminaire. Lorsque le gouvernement vendit cet établissement
ecclésiastique pour bâtir celui qui existe actuellement, et qui est placé à
un kilomètre de la ville, ce fabricant profita de l'occasion pour monter
une manufacture; elle était sur la place Stanislas. A partir de 1830, d'autres
industriels encore peu nombreux essayèrent de l'imiter, ils réussirent,
puisque la plupart d'entre eux se sont enrichis. On ne se servait à cette
époque que de métiers à bras mus par des hommes et par des femmes, tis-
seurs, dévideurs. Chacun de ces fabricants confectionnait des étoffes pour
robes, pour pantalons, des toiles de couleurs et de dessins variés et nou-
veaux toujours en rapport avec les goûts et la mode de la saison ou de
l'armée. Les cotons, les laines, les fds de chanvre ou de lin entrent dans
la composition de ces étoffes diverses dans une proportion en rapport
avec la valeur des tissus dont les prix étaient à la portée de toutes les
bourses, et cependant assez rémunérateurs ; ils pouvaient ainsi fournir à
toutes les classes de la société des vêtements chauds ou légers à des prix
peu élevés. Ces usages anciens se sont conservés dans quelques maisons,
mais maintenant on remplace peu à peu l'outillage par des tissages mé-
caniques qui font vite et mieux. Aussi en consomme-t-on des quantités
énormes qui chaque jour sont livrées au commerce.
Ces tissages à vapeur ou à eau sont plus nombreux que les anciens et
ils forceront de plus en plus dans leur derniers retranchements, les retar-
dataires qui croient pouvoir soutenir la concurrence sans transformer leur
ancienne méthode, qui avait toutefois ceci de bon, c'est qu'elle donnait du
travail aux gens de la campagne pendant la morte-saison et leur permet-
tait d'amasser un petit pécule pendant l'hiver au lieu de passer leur temps
inutilement au coin du foyer familial.
Maintenant, les ouvriers sont nombreux ; ils entrent dans les fabriques
à o heures du matin et en sortent à 7 heures du soir, avec une heure de
repos pendant le courant la journée; c'est la vie ordinaire de l'ouvrier.
Citons aussi les bonneteries, auxquelles il faut attacher une grande im-
portance. 11 y en a au moins douze. On y confectionne les caleçons, les
gilets à bon marché, les jerseys et autres ouvrages de laine excellents pour
préserver la poitrine contre les froids humides ; je dirais presque remède
préventif contre les bronchites. La consommation de ces objets est immense
et elle se répand dans les pays les plus éloignés. Aussi les fabricants
bonnetiers, malgré leur grand nombre et la forte concurrence, s'enri-
chissent par un labeur qui leur procure de beaux bénéfices.
Ces différentes industries ont fait naître celle de la teinturerie ; il y en
a dans la ville au moins quatre qui fonctionnent pour les fabricants, et
plusieurs autres, moins importantes, au service des particuliers.
Ajoutons à cette nomenclature, des brasseries, des distilleries, des
HÛ8 ÉCd.NOMIK l'OLlTIQUE
scieries à vapeur ou à eau, dos menuiseries pour la préparation des bois
de construction. Les deux grands établissements de ce genre sont ceux
dirigés par les frères Frientz et par les frères Rielle;les magnifiques sapins
et bois d'autres essences fournissent surabondamment la matière première,
que l'on trouve partout dans les environs, et qui suffit pour alimenler
les grands chantiers de bois qui remplissent les abords de la gare.
Nous trouvons aussi, en amont et en aval de la Meurthe, un certain
nombre de féculeries qui donnent i!i la pomme de terre une valeur plus
élevée.
N'oublions pas non plus la remarquable manufacture de toiles métal-
liques de M. Rose, ni les grands ateliers qui servent d'apprêts pour les
étoffes sorties des mains de l'ouvrier, et nous aurons donné toutes les no-
tions qui concernent l'industrie locale. Car ce travail se fait dans l'intérieur
de la ville; mais si nous traversons les bourgs et les villages des environs,
le nombre de ces manuf^ictures augmente. En amont de la Meurthe, sur
le cours de la Fave (flava),. nous rencontrons les tissages mécaniques de
Provenchères, ceux de la Croix-aux-Mines, où l'on fabrique des étotfes dans
lesquelles entre la peluche de soie; et sur le cours de la Meurthe, les vastes
établissements de Plainfaing, de Habaurupt, de Fraize, la papeterie très
importante d'Anould, et en aval celles d'Étival et de Raon-l'Étape; puis,
en remontant le cours du Rabodeau, les filatures et les tissages de Moycn-
moutier, de Senones, de Moussey et de la Petite-Raon.
En vérité, ce sont de riches vallées dans lesquelles on trouve, en outre,
des pâturages abondants qui nourrissent un grand nombre de bestiaux ;
ils produisent du lait en quantité et d'une qualité supérieure, aussi
fabrique-t-on du beurre excellent et ces fromages succulents dits de
Gérardmer, dont la renommée s'étend jusque dans les pays les plus
éloignés.
Telles sont les industries qui enrichissent cette partie des hautes Vosges,
la plus montagneuse et dont Saint-Dié est le chef-lieu d'arrondissement et
le centre principal ; aussi tout y est prospère, et si, pendant l'hiver, le froid y
est rigoureux, en été on y jouit d'une température à la fois douce et fraîche,
entretenue par de nombreuses sources qui jaillissent du milieu des rochers;
l'odeur des sapins, qu'on respire avec le grand air des montagnes, dilate les
poumons et guérit les malades affectés de toux et de bronchites chroniques,
on y trouve même une fontaine d'eau minérale. Quant au coup d'œil, il est
admirable ; le paysage est aussi pittoresque, aussi varié, aussi gai que les
plus beaux sites de la Suisse.
Maintenant le pays est découvert; des lignes ferrées le sillonnent dans
tous les sens, en sorte qu'il est devenu d'un facile accès pour les commer-
çants comme pour les touristes ; aussi la valeur des terrains à bâtir aug-
mente chaque jour dans les environs de la ville, à mesure que le chiffre de
A. GUILBAULT. — LA COMPTABILITÉ d'uN ARSENAL 1109
la population s'élève. L'annexion de l'Alsace-Lorraine à l'Allemagne y con-
tribue pour beaucoup, mais la facilité des communications, les progrès de
l'industrie y sont aussi pour quelque chose. Les ouvriers sont très nom-
breux, car il en faut une grande quantité pour remplir ces vastes ateliers.
Aussi a-t-on construit pour eux des cités ouvrières dans le genre de celles
de Mulhouse et d'autres grands centres industriels. Cette Société alsacienne
enrichit le pays au point de vue de la production et de la consommation,
mais elle est aussi une charge assez lourde pour le Bureau de bienfaisance
qui donne ses secours à bien des familles malheureuses.
ÎNous voudrions y voir un plus grand nombre d'amateurs, des artistes,
des poètes, des touristes de toute sorte ; ils seraient enchantés, nous en
sommes certains, de visiter nos vertes vallées, nos rochers légendaires : la
Pierre des Fées, la Roche des Chevaus, Saint-Martin, la Bure, le Sapin-Sec,
les Molières, etc., de boire du lait dans les chaumières rustiques que l'on
aperçoit sur les flancs de nos collines, dans le fond des ravins, au milieu
des gorges. Mais il y faudrait construire quelques hôtels sur le sommet
très accessible de nos montagnes, au milieu desquelles les promenades et
les sentiers bordés de mousse et de verdure se multiplient et se croisent
à l'infini. Peu à peu, la municipalité acceptera cette idée et alors notre
jolie cité pourra rivaliser avec Gérardmer, Plombières et autres stations
hygiéniques que les amateurs recherchent pendant la belle saison.
M. A. &ÏÏILBAÏÏLT
Membre du Conseil de direction de la Caisse d'i^pargne des Bouches-du-Rhône, à Marseille.
LA COMPTABILITÉ D'UN ARSENAL
— Séance du 2/ septembre 1892 —
J'ai eu l'honneur de faire partie de deux Commissions mixtes chargées
d'étudier la comptabilité matières et le service administratif des arsenaux.
On avait trouvé bon d'adjoindre au personnel de l'Etat, un spécialiste
pour représenter l'industrie privée dans les Commissions choisies dans le
Ministère de la Marine et parmi les députés et les sénateurs.
J'avais organisé les services administratifs et la comptabilité de la
1110 ÉCONOMIE POLITIQUE
Société des Forges et Chantiers de la Méditerranée, qui a des rapports
directs avec un arsenal; car on y fait le navire armé pour la guerre ou
pour le commerce et on le répare ; c'est à ce titre que je dus de pou-
voir étudier les arsenaux et leur fonctionnement, reconnaître combien les
méthodes de la marine diffèrent de celles de l'industrie, et proposer des
modifications pour utiliser les éléments précieux réunis dans ces grands
ateliers d'État et dont on ne tire pas, selon moi, tout le parti possible.
Les deux Commissions dont j'ai fait partie n'ont pas abouti parce que
les ministres ne peuvent consacrer le temps nécessaire à leurs travaux. Un
ancien ministre de la Marine, membre de la Commission de 1 878, a fait
un livre sur le sujet qui nous occupe et l'a publié en 1882. Comme toutes
les études antérieures, cette œuvre remarquable a été oubliée. Enfin,
dans ces derniers temps, on y est revenu à propos du budget, et au
mois de juillet 1892, on a fait prendre une décision regrettable sur la
comptabilité des matières.
Économiquement parlant, ces études ont une réelle importance, et je
trouve que dans le public et dans le monde gouvernemental on n'y
attache pas l'importance qu'elles méritent. Certes, la grandeur et la dé-
fense de la France ne dépendent pas de l'organisation plus ou moins
parfaite de services secondaires ; mais la question des économies n'est
pas à dédaigner et elle se lie intimement à celle des responsabilités.
Le ministre est responsable vis-à-vis du pays, mais ceux qu'il dirige
sont responsables vis-à-vis de lui, et il doit endosser la responsabilité de
l'ensemble, sans pouvoir suivre convenablement les résultats de l'utilisation
de l'instrument qu'il a dans les mains. Si les détails sont assez bien coor-
donnés pour que chaque agent, dans la sphère des opérations qu'il est
chargé de diriger, ne puisse donner lieu aux critiques, en est-il de même
pour les agents supérieurs dont les impulsions ne peuvent être con-
trôlées, puisque les résultats en sont insuffisamment comptabilisés, coor-
donnés et connus? Toute opération se résume en mouvements détaillés
de valeurs ; mais dans les affaires gouvernementales, la division qui y
est non seulement de principe mais encore nécessaire, n'est pas suffi-
samment reconstituée par des ensembles précis et scientifiques. La comp-
tabilité publique est celle du Ministère des finances, c'est celle, du vote
et de la réalisation du budget ; est-ce suffisant? Un budget représente des
mouvements annuels. Il indique seulement les sommes votées et mises
pendant l'exercice à la disposition des ministres. Le ministre doit con-
naître l'emploi qu'on a fait de ces fonds. Mais cet emploi se lie au
passé et doit se relier au budget futur si l'on veut suivre des opérations
dont l'enchaînement est la loi. On met des années à construire un vais-
seau et le compte des dépenses doit rester ouvert pendant le même
laps de temps, si l'on désire suivre le travail avec fruit. Le rôle de la
A. GUILBAULT. — LA COMPTABILITÉ d'uN ARSENAL IHl
comptabilité, comme l^ase des études, n'a pas été assez reconnu par les
créateurs de la science de l'économie politique.
En industrie la question d'organisation est claire: travailler, produire et
obtenir un bénéfice de l'activité déployée. Dans celle des constructions
navales, dont nous nous occupons, on procède en conséquence pour
arriver au résultat.
Lorsque l'armateur ou l'État a indiqué ce qu'il désire obtenir du navire
à construire : le tonnage, la vitesse, etc., l'ingénieur fait ses calculs, éta-
blit ses plans et ses devis, puis le constructeur les étudie, en y ajoutant
la part qui doit lui revenir comme rémunération de son œuvre. Une
fois d'accord, on fait un traité qui engage les deux parties, et le construc-
teur se met au travail, réunit les matériaux qui lui permettront d'édifier
le navire et les ouvriers qui doivent les utiliser. Mais il organise, en même
temps, la surveillance de l'action par ses contremaîtres, l'ordre et la comp-
tabilité par ses employés. Il faut qu'il puisse suivre les dépenses depuis
la mise en place du premier morceau de la quille jusqu'à la sortie du
navire de son chantier. Il doit à tout instant savoir où il en est pour
la bonne économie de la construction. Quand l'armateur a pris possession
du bâtiment terminé, le constructeur met en regard du prix de revient
le prix de vente du navire d'où doit ressortir le résultat bénéficiaire.
Eh bien, ces opérations, simples au premier abord, sont assez compli-
quées pour demander la plus grande attention.
La construction du vaisseau nécessite trois genres d'opérations qu'il
faut nettement déterminer :
a. — Réunion des matériaux , leur prix à pied d'œuvre et leur
emploi ;
b. — Surveillance de la main-d'œuvre, et notation précise du travail;
c. — Connaissance et imputation des frais généraux, capital et di-
rection.
a. — Le règlement général de la comptabilité publique de 1862,
œuvre de M. d'Audifîret-Pasquier, est remarquable ; il a prévu les moyens
d'acquérir et de recevoir les matériaux que doivent utiliser les arsenaux,
ainsi que la manière de régulariser leur emploi sous le titre de compta-
bilité des matières. Tous les mouvements originaires sont réglés avec le
plus grand soin et il n'y aurait rien à innover si on en tirait convena-
blement parti. Mais par suite d'habitudes prises, ce qui se fait facilement
et simplement en industrie, est devenu difficile et compliqué dans l'ar-
senal. On a d'abord comptabilisé les mouvements des matières, seule-
ment en quantité (règlement de 1844), puis on s'est aperçu des difficultés
qui résultaient du calcul, après coup, des valeurs appliquées aux quan-
tités mouvementées quand on voulait savoir le prix des navires construits.
En 18o2, on a décidé de tenir les comptes de matières en quantité et en
1112 ÉCONOMIE POLITIQUE
valeur, et on a fixé des prix devant s'appliquer uniformément aux mêmes
matières, quel que soit leur prix coûtant. 11 en est résulté qu'il a fallu
tenir compte des différences qui se produisaient dans les écritures, entre
le prix réel des matières utilisées et leur prix fictif; c'est ce que l'on a
appelé le compte de corrélation dans la comptabilité centralisée du Minis-
tère de la Marine à Paris. Enfin, ce compte de corrélations devenant diffi-
cile à débrouiller, on a décidé tout récemment de l'annuler en revenant
à la formule de 1844, comptabilisation des seules quantités : c'était reculer
de cinquante ans.
Pourquoi la Marine ne se servirait-elle pas des méthodes de l'industrie,
dont le prix réel sert à la comptabilisation des mouvements?
Voici comment on procède pour obtenir le prix d'utilisation pour les
matières d'usage commun et courant:
Existant à une date quelconque Ke 1.000 pour 500 francs
Acheté et entré à 45 0/0 10.000 — 4.500 —
Total Ks 11.000 — 5.000 francs
Employé à 45,45 0/0 ... . (Prix moyen) 4.000 — 1.818 —
Reste à 45,45 . , .Ke 7.000 — 3.682 francs
Acheté et entré à 45,70 . . . (Prix moyen i G. 000 — 2.742 —
Total à 49,38 . . . K- 13.000 — 6.424 francs
En prenant un mois comptable comme base de calcul, on reste tou-
jours dans des moyennes vraies ne donnant lieu en comptabilité à aucune
erreur, ni à corrélation.
S'il s'agit d'une matière pour emploi spécial, c'est le prix réel de l'achat
qui doit entrer en compte d'emploi; et quand la matière a toute été
utilisée, le compte est soldé et il n'y a plus besoin d'établir des corrélations
difTiciles, sinon impossibles.
Quant aux formalités d'achat et à celles de demandes pour l'emploi,
elles sont admirablement réglementées et le personnel d'élite qui agit
ne laisse rien à désirer.
Cependant, une difficulté surgit qui provient précisément du règlement
de la comptabilité publique de 18(52: c'est qu'une fourniture acceptée,
reçue, ne peut être passée en compte qu'après ordonnancement et paye-
ment. Or, entre les deux moments, un temps souvent assez long se passe;
il s'ensuit que la matière est consommée avant d'être passée en compte
de dépenses, d'oii une impossibilité de suivre la marche de la construc-
tion, comme on le fait en industrie, parce que le magasin d'industrie
prend en charge, quantité et valeur, par un crédit au fournisseur, lequel
permet d'attendre l'ordonnancement sans fausser l'avancement du revient
des travaux. On comprend, jusqu'à un certain point, que la comptabilité
A. r.LlLBAULT. LA COMPTABILITÉ d'uN ARSENAL 1113
publique refuse d'ouvrir des comptes courants aux fournisseurs ; mais,
ceci admis, il y aurait des moyens de comptabilité très simples pour
régulariser les opérations des magasins des arsenaux. Les comptes d'ordre
des grandes comptabilités modernes ont été inventés pour cela.
Enfin, il serait possible de spécifier les dépenses et de faire disparaître
notamment le compte unique de réparations qu'on a dû tenir, dans l'im-
possibilité où l'on se trouve de faire connaître leurs dépenses distinctes,
ce qui constitue une erreur économique considérable, qui ne permet pas
de savoir si un vaisseau nécessite des réparations et un entretien plus
considérables qu'un autre de môme type.
II. — Pour la main-d'œuvre, la difficulté pour l'arsenal de compta-
biliser régulièrement l'emploi est d'une autre nature. Le contrôle du
nombre d'ouvriers entrés au travail se fait au moyen de jetons de pré-
sence pris à l'entrée de l'arsenal. Mais l'ouvrier, une fois entré à l'atelier,
est mis à l'œuvre par le contremaître qui tient une note du nombre des
ouvriers qu'il est chargé de diriger et qui, la journée finie, indique combien
de journées ont été employées à telle partie ou à telle autre de la construc-
tion et dont le nombre reproduit le total des hommes entrés à l'atelier.
Certes, la note du contremaître a une valeur, mais ne peut-il faire une
erreur de détail, ne peut-il instinctivement favoriser un travail au détri-
ment d'un autre? L'impartialité, quand un intérêt est en jeu, est difficile
à garder.
Ce n'est pas le seul point faible de cette manière de procéder ; il est
une marche bien plus irréguliére suivie dans le calcul de la main-d'œuvre,
c'est dans le prix de la journée de l'ouvrier, et voici comment on procède
à l'arsenal : on réunit, chaque quinzaine, le nombre des journées et l'on
met en regard la somme totale payée pour en tirer un prix moyen, c'est
sur ce prix moyen qu'on calcule le nombre de journées indiquées par
les maîtres à chaque travail effectué. La conséquence, c'est que l'ouvrier
spécialiste, payé cher, fournit une dépense inférieure à la réalité, puisqu'on
fait entrer dans le calcul le prix de l'ouvrier manœuvre payé beaucoup
moins et que Ion fausse ainsi les prix de revient du travail.
En industrie, on note le travail heure par heure et on le calcule le
lendemain au prix vrai pour chaque ouvrier. A la fin de la huitaine,
les sonmies imputées ainsi au travail sont réunies et le total reproduit celui
de la feuill(3 de paye. Les formules diffèrent donc très réellement et l'on
comprend de suite les différences économiques qui en résultent.
e. — Enfin, les frais généraux sont calculés d'une manière différente.
On y fait entrer en industrie les intérêts et l'amortissement du capital, ce
qui n'a point lieu dans les travaux de l'arsenal. On va plus loin, l'État-
major du service a un état personnel en dehors de celui des autres agents
et est, par ce fait, distrait de la dépense.
1114 ÉCONOMIE POLITIQUE
On voit donc combien les constructions de l'État peuvent différer de
prix avec celles de l'industrie. L'un ne peut fournir des revients réels et
ne peut donner que des approximations à de longs intervalles, puisque
les comptabilisations ne sont que trimestrielles quant à l'arrêt des calculs,
semestrielles quant à l'apurement définitif, et annuelles quant au budget
des dépenses.
Mais la plus grande difficulté de la comptabilité des arsenaux n'est pas
encore là, elle se trouve dans le morcellement des écritures de l'arsenal
qui compte :
1° La comptabilité finances tenue au commissariat général ;
2° La comptabilité matières, tenue par les magasins et centralisée à
Paris au Ministère de la Marine ;
3° La comptabilité des travaux, tenue dans les bureaux dépendant du
service de l'ingénieur en chef.
Je laisse de côté les vivres et l'armement, sans compter l'artillerie, les
constructions hydrauliques, etc. Il y a de plus la complication qui résulle
de la division des magasins divers réunis fictivement sous le titre de ma-
gasin général ; les mouvements intérieurs donnent lieu à des écritures non
pas compliquées, mais longues et coûteuses.
Il nous semble, cependant, qu'en appliquant aux arsenaux les méthodes
scientifiques actuellement en usage dans les grandes industries, ou dans
les chemins de fer, on simplifierait le travail et qu'on mettrait entre les
mains du ministre des situations à intervalles réguliers, le renseignant
sur tout ce qui l'intéresse. On rendrait ainsi un véritable service au
pays. Ce n'est pas par des états dressés à grand renfort de chiffres et à
un point de vue souvent loin des besoins, que se trouve la vérité, c'est
dans des ensembles réguliers, se contrôlant les uns les autres et logique-
ment classifiés comme les balances synthétiques des grandes compta-
bilités actuelles, qu'on peut trouver des éléments d'amélioration.
Comparons l'arsenal à une grande direction d'ateliers se reliant à leur
centre d'administration qui serait le Ministère, et voyons sans parti pris
d'attributions de grades et de prépondérance, ce qui arriverait.
L'arsenal serait financièrement représenté par le Commissaire général
de la division maritime, condensant dans ses livres toutes les comptabilités
éparses et reproduisant, par un compte ouvert au Ministère, tous les mou-
vements de valeurs qui intéressent la Préfecture maritime : argent, ma-
tières, virements et autres. Sur son grand livre on trouverait le détail et
le montant des matières de toute nature mises par l'État à la disposition
de la division, celui des valeurs argent dont il a le dépôt, tant dans sa
caisse que dans les délégations qu'il pourrait faire.
Chaque magasin, chaque atelier aurait son compte ouvert, débité des
remises matières et argent qui lui seraient confiées et crédité des tra-
A. GUILBAULT. — LA COMPTABILITK d'uN AUSENAL 1115
Taux exécutés, soit comme travaux neufs en augmentation du matériel,
soit comme entretien ou réparation de ce' matériel au titre de dépenses
d'État dans le compte du Ministère.
Supposons une balance mensuelle de ce grand livre, adressée au
bureau de la comptabilité du Ministère et réunie, par un artifice connu,
aux comptabilités identiques des autres commissaires généraux, et chaque
mois, le ministre saurait ce qui se passe dans tous les services. Aurait-il
besoin d'un détail sur un point à élucider? sur une demande par télé-
graphe ? il aurait tous les documents qui peuvent l'éclairer sur une question
quelle qu'elle soit.
Alors les bureaux de Paris n'auraient plus besoin de refaire en dupli-
cata, souvent en triplicata, des écritures parfaitement faites et vérifiées
dans les arsenaux. La tenue détaillée des comptes à Paris est une erreur
économique, dans laquelle ne tombent pas les directeurs des grandes
associations industrielles de l'époque. On tient écriture des détails là où
ils se produisent; on les synthétise au centre. Est-ce que ces compagnies
■ont besoin de discuter les attributions dévolues aux personnes? 11 faut
laisser les responsabilités agir. L'ingénieur fait le devis d'un vaisseau,
il est lié par son devis et les écritures de l'exécution doivent lui montrer
à chaque moment, s'il ne s'est pas trompé.
Quand un vaisseau, au retour d'une mission, entre en désarmement,
il faut savoir ce que cette mission a coûté à l'État. Quand les magasins
demandent des approvisionnements, il faut savoir si la demande est bien
légitimée.
Le Préfet maritime qui doit accepter la responsabilité de tout ce qui
se passe dans sa division, doit viser lui-même la situation du grand-
livre du Commissaire général, qui comprend toutes les opérations de
détail comptabilisées dans ses écritures.
Mais là nous tombons dans le domaine de la haute administration, ce
qui n'est pas l'objet de cette étude. C'est en économiste que je parle et
non en politicien.
En résumé, nous pouvons affirmer que de grandes simplifications sont
possibles dans la comptabilité du Ministère de la Marine et que des éco-
nomies en résulteraient, ne fût-ce que par la détermination précise des
responsabilités; — les responsabilités des ordonnateurs des mouvements
descendant aux services de détail et remontant, par la comptabilisation
des faits, au ministre responsable.
111(j PÉDAGOGIE
M. Adrien PAUADIS
Artiste peintre. Professeur à l'Association polytechnique, à Paris.
LE DESSIN PRÉCURSEUR ET COMPLÉWENTAIRE DE L'ÉCRITURE
— Séance du 16 septembre 1S9i —
Œil simple et qui vois les objets tels
qu'ils sont, à qui rien n'écliappe, et
qui n'y ajoute rien, combien je t'aime î
lu es la sagesse même/
(Lavater.)
Comme professeur de dessin à l'Association polytechnique, j'ai eu, tant
dans ma pratique personnelle que dans les cours publics où j'ai professé,
l'occasion d'étudier l'évolution suivant laquelle s'acquièrent les notions
relatives à la représentation figurative des objets.
J'ai cru pouvoir condenser en quelques lignes le fruit de mes observa-
tions pour vous les soumettre. — Le sujet, d'ailleurs, n'est pas absolument
neuf; MM. Taine et Pèrez ont étudié la représentation des objets chez les
enfants, et distingué l'apport des sens et celui de l'intelligence dans la
perception.
Plus récemment M. J. Passy {Revue philosophique, 1891) s'est occupé
de la même question.
Je ne parlerai pas du dessin d'après le modèle déjà dessiné, j'estime
que c'est là un procédé d'enseignement insuffisant et défectueux auquel on
doit substituer le dessin d'après la bosse et d'après nature d'emblée,
quitte à ne faire copier que des objets d'une grande simplicité au début,
c'est du moins ce que je me suis toujours attaché à faire dans mes cours.
Avec ceux qui ont observé dans ces conditions, j'ai pu constater que
l'élève, enfant ou adulte, réalise un dessin plus ou moins satisfaisant sui-
vant les positions données au modèle. — C'est ainsi que l'image est
d'autant plus exacte que les lignes essentielles correspondent plus parti-
culièrement aux deux coordonnées de l'espace, hauteur-largeur, c'est-à-
dire aux deux dimensions dont la rétine nous donne la vision brute, la
perception primitive.
Quant aux lignes de fuite correspondant à la troisième dimension,
profondeur, elles sont généralement rendues par les commençants, non
plus conformément à ce qu'ils voient, mais bien aux perceptions acquises
PARADIS. — LE DESSIN PnÉCURSElU ET COMPLÉMENTAIRE DE l'ÉCRITURE 1H7
par association avec le contact et le déplacement. Ces notions paralysent
le travail à l'aide duquel l'œil seul arriverait à la représentation correcte
perspective.
La suppléance et la combinaison des données des autres sens font que
l'élève tend à faire non ce qu'il voit, mais ce qu'il se figure d'après ses
expériences antérieures. — De là l'oubli de certaines parties de l'objet
représenté, ou, au contraire, l'adjonction de détails non existants, mais qui
ont frappé l'esprit dans d'autres figures analogues. C'est ainsi que les
enfants copiant une tête de profil, tendent à y placer les deux yeux.
En dehors de ces transpositions naïves, on peut citer la difficulté pour
établir les détails par rapport à l'ensemble.
On l'a dit, il semble que ces dessins soient le résultat d'une collection
d'impressions disparates (J. Passy) où chaque partie est dessinée en
elle-même en vraie grandeur sans souci des relations de positions qui l'unis-
sent aux autres. C'est que, au lieu de faire concorder ce qu'on dessine
avec ce qu'on voit, on tend à négliger la nature de l'impression visuelle
et sans plus l'analyser on généralise, conformément aux données antérieu-
rement acquises. Aussi le dessin n'est-il correct qu'autant que l'impression
visuelle est en harmonie avec l'idée que l'on su faisait d'abord de l'objet.
Ce phénomène n'est pas spécial aux commençants. Que de dessina-
teurs et de peintres de profession qui se stéréotypent et schématisent leurs
impressions suivant un procédé invariable, toujours le même, quelle que
soit la variété des sujets traités. Ils en arrivent à ne plus peindre ce
qu'ils voient. La nature ne leur est qu'un prétexte à l'application de
tel procédé. L'art du dessin devrait, au contraire, consister essentielle-
ment dans l'opération inverse, c'est-à-dire, l'oubli de la notion abstraite
de l'objet pour l'analyse stricte de l'impression visuelle en elle-même.
Cette recherche sincère développe l'esprit d'observation sans préju-
dice pour le côté abstrait et synthétique, c'est môme le plus sûr moyen
d'atteindre l'élément émotionnel inhérent à l'impression vraie, simple et
franche.
Pour en revenir au côté pratique de la question, les tendances actuelles
de la pédagogie vers le développement de l'enseignement par les yeux
et les leçons de choses paraissent impliquer comme complément logique
l'extension correspondante de l'enseignement du dessin d'après nature.
Ce qu'on fait depuis longtemps pour la géographie, on peut le faire
pour tout autre ordre de connaissance. — Un pas a été fait par les leçons
de choses, il s'agit de le compléter par le dessin de ces mêmes choses
vues; en d'autres termes, c'est la vulgarisation du dessin, non plus comme
art d'agrément superflu, mais comme moyen de développer l'esprit d'ob-
servation positive et comme mise en œuvre d'un élément mnémonique
fondamental.
1118 PÉDAGOGIE
En effet, l'aptitude à dessiner prime la faculté d'expression par l'écri-
ture puisqu'elle lui est historiquement antérieure et que cette dernière
n'en est qu'un dérivé immédiat. Nous n'en voulons pour preuve que
les dessins des primitifs et les premières manifestations artistiques da-
tant d'une époque préhistorique où l'on chercherait vainement en re-
vanche la moindre trace d'un langage écrit.
Que l'on considère attentivement les magnifiques échantillons des collec-
tions Piette, Marty, Cartailhac, etc., on n'aura pas de peine à se convaincre
de l'esprit d'observation rigoureuse qui a dû présider à la confection de
ces premières pages de l'histoire de l'humanité.
Le burin de silex a pu ainsi graver sur l'os du renne les premières
éniotions artistiques éprouvées par l'homme en face de la nature, émotions
dont l'intensité et la sincérité ont dû faire naître le besoin de perpétuer
ces sentiments pour les transmettre à ses semblables.
Plus tard, nous voyons les premières tentatives d'écriture emprunter à
la pictographie pure ses modes d'expressions. C'est ainsi que les figures
hiéroglyphiques du canon égyptien primitif nous montrent la transition
du dessin à l'écriture proprement dite.
M. PAYOT
Médecin principal de V.i Marine en retraite, à Lorient.
ÉTYMOLOGIE FRANCO-LATINE. — DE LA TRANSFORMATION DES CONSONNES DANS LEUR
PASSAGE DU LATIN AU FRANÇAIS. — LE FAIT ET LA THÉORIE
— Séance du 16 septembre 189^ —
Lorsque, prenant comme radical le mot Cadentia, j'en obtiens Cadence,
Chance et Chevance, je note, tout d'abord, que la voyelle a (celle de la
syllabe initiale) se retrouve dans le premier dérivé français ; n'existe plus
dans le suivant ; et s'est modifiée dans le troisième. Puis, si je considère
la consonne d, je vois qu'elle donne lieu aux mêmes remarques.
La coïncidence de ces divers états n'est que curieuse, et, par ailleurs, on
sait que, passant d'une langue à une autre, une lettre quelconque du thème
donné peut : ou se maintenir, ou disparaître, ou se transformer. Mais ce
PAVOT. — ÉTYMOLOGIE FRANCO-LATINE 1119
qui est à peu près inconnu, ce qui n'est point enseigné, c'est avec quelle
grande latitude s'opèrent les transformations ; et, par ce terme, j'entends
les échanges — seuls rationnels — entre signes alphabétiques de même
nature. Je ne saurais trop répéter que les métamorphoses, tant prônées
sous les rubriques : Consonnification et Vocalisation, n'existent point, sauf
comme Irompe-l'œil.
Au sujet des Voyelles, j'ai établi déjà, lors du Congrès de Limoges, que
la question devrait se résumer ainsi : N'importe quelle voyelle latine donne
toutes les voyelles françaises.
Pour les Consonnes, lesquelles sont spécialement à étudier ici, le pro-
téisme ne jouit pas d'autant de liberté. Néanmoins, son domaine est très
étendu et, surtout, il dépasse en maintes directions les limites tracées par
nos étymologistes. C'est là ce que je me propose de mettre en lumière ;
mais, avant, il est bon de rappeler quelques généralités.
*
* :
Ainsi que le nom l'indique, la consonne n'est pas un son. Pour qu'elle
soit perçue, il lui faut toujours l'aide d'une voyelle, et ce fait si simple à
constater permet aussitôt de conclure qu'elle est foncièrement inapte
à se vocaliser.
Et non seulement elle ne deviendra pas une voix, mais encore il est
douteux qu'on puisse l'appeler un bruit. Dans la diction, elle me paraît
être seulement comparable à quelqu'un de ces mécanismes qui mettent
les corps en vibration. Je m'explique. Quel que soit, en musique, l'artifice
employé, l'auditeur sentira : 1" que la note est attaquée plus ou moins fort,
et 2° qu'elle tient, par exemple, d'un archet, un caractère que tout autre
moyen ne lui donnerait pas. De même, la consonne heurte la voyelle avec
une intensité variable, — et imprime son propre cachet de gutturale, de
dentale, etc., à la syllabe qu'elle commande.
*
Suivant qu'on les a estimées naître de tel ou tel point de l'appareil de
la phonation, les consonnes ont été réparties en groupes qui, naturellement,
ne concordaient pas toujours d'un observateur à l'autre. Pour l'Étymologie,
la division adoptée en quatre Classes ou Ordres est la suivante :
1° Labiales P_F — B — V
2» Dentales T — S(a;) — D — Z
3° Gutturales C{k,q) — ti{ch) — i
4" Liquides ]\_L— R — M
H20
PEDAGOGIE
Les Liquides étant écartées, les Ordres ont été, chacun, sectionnés en
deux Familles: une forte, et une douce, et, dans chaque famille, on a
établi deux De!?rés, la lettre étant, ou simple, ou aspirée.
Ces divisions et subdivisions furent autant de motifs pour légiférer, mais
les édits sont si étrangement formulés, absolus tout d'abord, mitigés peu
après ; la règle posée d'emblée comme inflexible admet bientôt si facile-
ment l'exception, que tous ces préceptes sont plus fâcheux qu'utiles.
« Jamais — dit-on — une douce latine ne devient une forte en français. »
Puis, on ajoute : « C'est de la forte à la douce que s'opère habituellement le
passage des consonnes latines en consonnes françaises. »
Est-ce que hahilueUement ne laisse pas entendre que l'échange peut se
faire en sens opposé? Alors pourquoi débuter par Jamais?
Je ne reproduirai pas toutes les déclarations contradictoires; ce serait
un peu long, et il y a mieux à faire : c'est de montrer que le principal
article de la loi de transition, immuable en théorie, est infirmé dans la
pratique.
I
Occupons-nous des Labiales qui sont : P — F — B — V. Cet ordre com-
prend deux familles: une forte (P — F), et une douce (B — V). Enfin,
chaque famille a deux degrés: le simple (P ou B), et Vaspiré (F ou V).
On saisira mieux la marche des mutations à intervenir en disposant les
consonnes de celte manière :
L A H I A L E s
SIMPLES
ASPIRÉES
fortes
P
F
douces
B
V
Maintenant, voici le code : « Les transformations s'effectuent de la forte
à la douce; de la simple à Vaspirée. » Ainsi, P passe à B ou F, et, de là
seulement, il peut aller à V. L'intervalle de P à V ne doit pas être franchi
d'un seul coup. « Une consonne ne change pas, à la fois, de famille et de
degré. » Telle est l'ordonnance, et, pour l'appuyer, on cite saPonem ayant,
dans un texte mérovingien, cette orthographe : saBonem qui conduit nor-
malement au français sa Von.
Je ne mets pas en doute l'existence de rinlermédiaire B ; je supposerai
même, si l'on veut, que lui ou F s'est toujours rencontré sur le chemin
l'AVOT. — KTYMOLOGIE FHANCo-L A UNE n'ai
de P à V. Mais (el voici raciioppoiut'iil) la conclilion si capitale de la loi
de transition, que devient-elle quand F, dans Con/luentes, donne le B de
Cobientz, et lorsque, réciproquement, le B de sihilare est F dans Siffler?
Ces labiales ont, cette fois, permuté suivant la diagonale: elles ont bien,
dans un seul temps, changé de famille et de degré. En présence d'un phé-
nomène qui s'affirme, opter pour la règle qui lui défend d'exister me
parait impossible.
Comme atténuation, les théoriciens chercheront-ils, entre B el F, des
mots auxiliaires offrant P ou V ? Mais comment suivre ce trajet anguleux
sans rebrousser de Vaspirée à la simple, ou de la douce à la fo?'te — allure
prétendue extraordinaire, déviation que les maîtres ont condamnée? Eh !
qu'importe le nom d'un savant ! « Dans la science, il n'y a pas d'autre
autorité que celle des faits. » (V. Meumek.j
Or, elle est si peu insolite, cette marche dite à rebours qu'elle a mêmes
raisons d'être que l'autre. Toutes les deux sont également inévitables et,
pour s'en convaincre, il suffit d'un coup d'oeil jeté sur le tableau des Labiales.
En voie de transformation (aventure commune à toutes les consonnes
latines), le P descendra toujours d'une certaine quantité. C'est forcé,
puisque, situé au point culminant, il ne peut pas s'élever. Donc, aussi,
il est obligatoire que V, son antipode, remonte constamment quand il se
métamorphose.
Dès lors, la loi de transition est sans utilité, pouvant être lue à l'envers
comme à l'endroit; car, si P se change en B ou en F (duplus, double;
stupa, éteuf),le Va des avatars identiques [Suevia, Souabe; vapidus, fade).
Voici, du reste, en tant que labiales françaises, ce que nous ont donné
les consonnes latines du m.ême Ordre :
P latin = P, B, F, \ français
B .) = P, B, F. V «
F » = . B, F, V »
V » = . B, F, V »
Je n'ai pas trouvé les mutations de F et de V, eu P; mais ce n'est pas
une preuve qu'elles n'existent point. Il y a ces deux lacunes seulement à
combler. C'est tout ce que la mémoire d'un chercheur aurait à retenir au
sujet des relations entre Labiales, puisque, par ailleurs, les échanges se
font librement, de l'une à l'autre, dans un sens quelconque.
Comme les Dentales et les Gutturales se prêteni à des considérations
analogues, je me borne à les répartir eu sections, puis, à noter leur ren-
dement en consonnes françaises de même ordre.
74-
1122
PEDAGOGIE
Il ENTA LES
T
S i-r)
D
Z
GUTTURALES
C (k,q) j H (ch)
G
J
T latin
S .)
D »
Z ))
C la lin
H .)
G »
J »
D, Z, T, S
D, Z, T, S
D, Z, T, S
D, Z, . S
G, J, C, U{ch)
. J, C, H
G, J, C, Ch
. J, C, H
Présenter ces tableaux m'a paru nécessaire, mais uniquement par ce
motif qu'on aurait pu croire les Labiales prises cà dessein comme le plus
maniable des groupes. Autrement, en effet, ces spécimens ne serviraient
qu'à des répétitions; car il reste entendu, sans eux — la raison le dit, et
la vue, le plus intellectuel de nos sens, en a déjà témoigné — que les
deux consonnes casées aux extrémités dune seule diagonale ne se dé-
placent jamais dans le même sens.
Je n'ai donc pas à modifier mes appréciations svu' la loi des échanges.
La direction du mouvement pourra être quelconque, de proche en proche;
et souvent aussi de pointe en pointe, malgré l'arrêt qui ne veut pas de
cette évidence. A son veto précédemment invalidé chez les Labiales,
j'oppose :
1° Parmi les Dentales; T = Z : Bœterrœ, Béziers; et S = D : consuere,
coudre.
2° Dans les Gutturales; C = J : camitem (ou canthum) jante ; et G = Ch:
Pergamena, parchemin.
*
* *
il ne reste plus à voir que les Liquides latines, et je n'ai que quelques
mots à en dire. On n'a pas établi pour elles de catégories; on pourrait,
par là, supposer qu'elles évoluent en toute liberté; on se tromperait.
Elles nous ont donné en consonnes de même Ordre les égalités suivantes ;
i\ latin = N, L, R, M français.
L » = N, L, R, . »
R » = N, L, R, . »
M » = N, . . M »
Elles offrent donc plus de lacunes que les Classes régentées par des
prohibitions. Mais tous ces vides, n'importe où, ne sont probablement
que temporaires, car bien d'autres qui, pensait-on, devaient persister
toujours ont cessé d'exister... pour moi, du moins.
PAVOT. — ÉTYMOLOGIE FRANCO-LATINE 1123
II
Après avoir imaginé d'entraver les relations entre individus de la même
famille, entres familles de la même classe, on ne pouvait pas, entre les
différents Ordres, ne pas élever des barrières. Ici encore, la mesure n'est
pas très justifiée.
Certes, les consonnes pareillement nommées ont licence de permuter
ensemble, et il est regrettable que cette vérité n'ait pas été, tout d'abord,
admise aussi largement qu'il convenait. Mais, puisque l'on reconnaissait,
bien à contre-cœur, que leur code très rigide pouvait cependant avoir
quelques points faibles, il eût été prudent de continuer à parler ainsi. Il
est, en effet, de notoriété publique en philologie, que tous les Ordres ont
des transfuges. Je dirai plus, entre clans divers, il y a des chasses-croisés,
et j'en citerai un assez grand nombre pour qu'on s'étonne de rencontrer
encore, dans les livres classiques, la déclaration que voici :
« C'est entre les consonnes de même organe que s'opèrent habituelle-
ment les permutations. Étant donnés les trois Ordres des Labiales, des
Dentales, des Gutturales, jamais une Labiale latine ne deviendra, en fran-
çais, une Dentale ou une Gutturale ; b latin deviendra en français b ou v,
mais ne deviendra jamais s ou g, par exemple. De là cette règle générale
Les ordres de lettres ne permulent point entre eux. »
La première phrase contient un habituellement qui semble comporter
quelques vagues réserves, mais la deuxième dissipe cette apparence. Elle
est très claire : « Jamais », dit-elle par deux fois, afin qu'il soit bien com-
pris que la règle, entièrement soulignée, est générale à toutes les classes.
Si l'on prétendait qu'elle n'est pas aussi fermée qu'elle en a l'air, qu'elle
permet de supposer des exceptions, cène serait toujours là qu'une conces-
sion très insuffisante. La réalité exige bien davantage. Entre consonnes
dissemblables, l'échange est mieux que possible, c'est un fait qu'il est aisé
de constater dans toutes les classes; il a donc trop de fréquence pour
être considéré comme une anomalie simplement acceptée par tolérance.
Lauiales
Au congrès de Limoges, à propos de ce tour de main, la Consonnifica-
tion, j'ai soutenu que c'était toujours à des consonnes latines, et non à
la voyelle i, que revenait, de droit, la genèse des Gutturales françaises.
Pour cela, j'opérais sur les Labiales tout particulièrement signalées inaptes
à cette transformation. Et l'on a pu juger ce qu'il en est de leur impuis-
sance, quand lui-même, le Dictionnaire étymologique à l'usage des lycées ne
1124 PÉDAGOGIE
cache pas — pour F, B, V — que : Hors vient de foris; Guimauve, de
bismalva : et Guêpe, de vespa. A ces trois exemples non réousables, je n'ai
qu'à ajouter — pour P — les mots : Roche, de rupes, Proche, de prope,
et je puis dire alors : Toutes les labiales latines peuvent se changer en
gutlwales.
Elles ont d'autres métamorphoses plus ou moins connues :
F = la dentale D : r/onfus, gond.
B = la liquide M : sahbati dies, samedi.
V = la dentale D : pulverem, poudre.
Les Labiales ne restent donc pas constamment dans leur milieu, et
elles fréquentent dans toutes les classes.
Gutturales
Les Gutturales ont aussi des mutations hors de chez elles.
G = les dentales D, T, S : ruga, ride; surgere, sortir; fraga, fraise.
De plus, G devient labiale V : liguslicum, livèche; gijrare, virer.
G = toutes les dentales D, T, S, X,Z : cicera, cidre ; carcerem, chartre ;
cingula, sangle; decem, dix; lacertus, lézard. Déplus, C devient labiale V :
Bacacum Bavay (Belgique) ; cilo. vite.
Ch = la dentale S : brachin, brasse ; pat-ochia, paroisse. (Si l'on pré-
fère que nos deux mots viennent de parœcia, et du fictif bracia, on aura
toujours changement d'une gutturale en dentale, de C en S).
Q -^ dentale S : coquina, cuisine. (Même observation, si l'on fait choix
de cocina.)
Dentales
Les Dentales, de même que les Labiales, ont commerce partout :
D -- les Gutturales C, G : aspidem, aspic ; sedere, siéger. De plus, D
devient F ou V (labiales; : pvdus, fief; gladium, glaive, — et encore L
(liquide) : cicada, cigale.
T =.- les gutturales C, G : Iremere, craindre; localum, louage. Il égale
aussi la labiale F : sitis, soif, et la liquide L : ovatus, ovale.
Z = les gutturales J, G : zelosas, jaloux; zingiber, gingembre.
S := les gutturales C, G, Ch : sorbum, corme; Athesis, Adige ; torsa,
torche. Il égale aussi la liquide R : Massilia, Marseille.
Liquides
Les Liquides ont, à l'extérieur, les relations que voici ;
L = les dentales ï, D : nucella, noisette; amt/lum, amidon.
iM = les labiales B, V : marmorem, inarbre ; dumetum, duvet.
R := la dentale S : rorem, rosée.
PAVOT. — ETYMOLOGIE FRANCO-LATINK H25
Ces quatre exposés pourraient être plus complets; ils suffisent, néan-
moins, à prouver que, d'un Ordre à l'autre, les permutations sont loin
d'être rares. Ces rapports s'établissent en vertu d'aflinités secrètes qui
déjouent l'étroitesse des réglementations actuelles, et s'afTirmen*^^ expres-
sément par rechange réciproque entre deux lettres prétendues inconci-
liables, soient : B, M et M, B— G, S et S, G — C, T et T, C — T, L.
etL, T— B. S et S, B, etc., etc.
III
Je reprendrai quelques-unes de ces équivalences afm que l'on voie
combien il fat injuste de les reléguer dans l'ombre, et combien un tel os-
tracisme est préjudiciable aux recherches philologiques.
Maintes fois, nos étymologistes ont dû accepter comme origine de mots
français un radical réfractaire à leurs décrets. Alors, soucieux de laisser,
quand même, force à la loi, ils ont sauvegardé celle-ci n'importe
comment. Tantôt, la dérogation fut attribuée à l'influence d'un idiome
étranger; tantôt, elle fut qualifiée d'insolite, donc dénuée d'intérêt. Enfin,
comme l'insolite avait chance de foisonner, on coupa court aux récidives
par un abusif emploi de l'Intercalation. Voici des exemples :
1° On dit : « V initial devient aussi G. vagina (gaine) probablement
sous l'influence du W germanique ». L'allégation n'est pas ferme, c'est
plutôt une insinuation; mais, émanée de haut, elle a obtenu tout crédit,
et l'on y a vu comme une confirmation de l'arrêt : « Une labiale latine
ne deviendra jamais une gutturale française. » Erreur ! De lui-même, ou
par suggestion, V latin nous doniie-t-il un G? Oui ! Vasconia, Gascogne;
et oui ! encore, s'il n'est pas initial : n'wosus, neigeux.
2" Noter que la forme d'un dérivé est insolite ne supprime pas son droit
d'exister; c'est, plus ou moins, l'aveu qu'elle n'avait pas été prévue.
Même seule de son genre, elle aurait certain prix ; sa valeur augmente si
on lui trouve des pareilles. Alors, Chartre, qui est carcrem (carcerem),
présentant une transformation de gutturale en dentale, ne devrait pas
être négligé, malgré cette note : « changement, tout à fait isolé, en fran-
çais moderne, de c en t. » Ce Changement, il faudrait en tenir compte
pour l'avenir, l'apostille fût-elle exacte présentement. Or, elle ne l'est pas,
car l'auteur même, qui déclare unique la susdite mutation, en donne un
second exemple avec Cloporte, de clausus porcus.
3' Cet accident, C= T, menaçait de contrarier si souvent la règle, qu'on
inventa de le masquer à tout jamais, et l'on abusa de l'Intercalation, qui
n'est pas à confondre avec la Substitution.
On sait que tenera, perdant le second e, devient ten'ra qui ofîre un
vide où se loge le d de tendre. On. sait également que, faute d'une brèche à
1126 PÉDAGOGIE
remplir, le parasite ne chôme pas. Il se fait une place, témoin N dans
Langouste, de locusta. Des deux parts, il est visible que le français compte
toujours une consonne de plus que le latin. Être en surcroît sur le point
envahi, c'est là ce qui dénonce V intercalaire; le dérivé n'en contient donc
pas s'il a même chiffre de consonnes que le radical.
Dans ce dernier cas, les changements observés, du latin au français,
entre lettres correspondantes, sont par Transformation... ou par Substitu-
tion, et sera de celte espèce toute mutation que ne consacre pas au moins
l'épithète d'insolite.
Ainsi, de d à n, l'égalité n'est, ni peu ni prou, reconnue officiellement.
En conséquence, I'n du verbe Rendre est dite consonne substituée au
premier d de reddere: tandis que, de carcerem à Ghartre il y a transfor-
mation d'un G en T.
Cette vérité, on a bien voulu l'admettre, mais pour une fois seulement,
parce que le moyen était inventé qui menait au but sans violer la
règle :
Parmi les infinitifs latins passés chez nous avec leur finale ainsi mo-
difiée : t?'e, et tous pareillement traités, je prends, tel qu'il est donné en
compagnie du vieux français, le verbe cresc're, Groistre. (V. Ancêtre, au
Dictionnaire d'Éti/mologie.) Decrescre, on supprime tout d'abord la lettre
gênante G ; le thème n'est plus que cres're. On dit alors que le groupe
s'r devient str, « grâce à Tintercalation euphonique d'un t », et l'on a
crestre, d'où le primitif Groistre, aujourd'hui Groître.
Le procédé est fort commode ; on retranche, on ajoute où l'on veut.
A cette manœuvre, cependant, les dérivés ne gagnent rien; ils ont tou-
jours même nombre de consonnes que le radical : str pour scr. Donc, il
n'y a pas intercalation.
Y aurait-il plutôt Substitution? Pas davantage. Les conditions précé-
dentes ont été faites communes à crescere et à essere, Etre, ce qui au-
torise à conclure de celui-ci à celui-là. On nous montre ess're perdant le
second s, devenant es're, puis estre (vieux français), par addition d'un t.
Or, S dentale commerce naturellement avec T, autre dentale. Par là, t,
qui déjà n'est pas intercalaire, n'est pas substitué non plus, il est par
métamorphose d'un S de essere, — comme aussi d'un G de crescere. En
conséquence, n'eût-on à mettre en avant que carcerem, Ghartre, G égale T ;
c'est chose acquise.
lY
La classe des dentales me paraît plus que toute autre commander l'at-
tention, et seule désormais, elle va m'occuper jusqu'à la fin de cette étude.
On a pu voir que les Dentales sont en relation avec les trois autres
PAVOT
— ÉTVMOLOGIE FRANCO-LATINE 127
classes. Encore n'ai-je pas montionrir certaines mutations, notamment
celles de S et de D en liquide .\, dont je vais dire quelques mots parce
qu3 la question intéresse un de nos sociétaires.
L'an dernier, M. Charrier-Fillon (de Fontenay-le-Comte) me fit l'hon-
neur et le plaisir très inattendus de me demander si le latin Portus Sicor
pouvait nous avoir donné ce nom de localité :Pornic; eu résum3, si la
dentale S avait pu transiter en liquide N. Après réflexion, je répondis
par l'afTirmative. Toutefois, je spécifiais que je n'avais pas d'exemple
topique à l'appui de mon opinion et que j'étais guidé seulem3nt par l'a-
nalogie. J'avais en notes : Ordière (de orhitaria) devenu Ornière; puis
Borde (petite métairie à l'extrémité d'un village) qu'on assimilait à Borne,
limite.
Depuis, j'ai, par deux fois nouvelles, rencontré D, et même une fois Z,
aboutissant à N. Quant à S, il se dérobe encore, mais j'espère que ce
n'est pas pour toujours, car se changer en Liquides est un fait dont les
Dentales sont plus coutumières qu'on ne veut l'avouer. C'est un point
qu'il faut mettre en évidence.
1° Mutations de Dentales en Liquides, de S en R ; de D et de T en L
Tout singulier qu.'on l'estime, le changement de S en R se trouve
inscrit partout, et Massilia, Marseille, a des acolytes. "
Quant au passage de D et de T en L, on l'a évité par un de ces
détours que j'ai signalés à propos de I'Accent Latin (Congrès de 1891).
Avec cicada qui est Cigale directement, on a fait le diminutif cicadu/a doté
de la consonne voulue l, ce qui permet d'éluder la lettre malencontreuse d.
— De ovatus (ovum, OEuf) à ovale, même embarras à cause du t. Ici, le
choix d'un trompe-l'œil n'a exigé que le sacrifice du sens vrai ; on a pris
l'adjectif de ovis, brebis, et ovalis fait toujours florès.
Que penser de tant d'ingéniosité lorsque, en même temps, on reconnaît
que le grec Odusseus était en latin Ulysses ; el que dingua, cadamitas,
dacrymœ avaient précédé lingua, calamitas, lacrymœ'î... Mais, pour la
règle, ce ne sont là que des corruptions. En somme, on ne veut pas îa
permutation de d en l, pas plus que celle de t en l ; or, temonem, qui
est timon, donne aussi limon.
Il y a enfin, pour légitimer ces changements, la considération qu'ils
ont des réciproques ; L = D et L — T: amylum, amidon; aureol (us),
Oriot (Loriot). Et même, entre T et L, l'alternance est visible si l'on com-
pare simplement crotal (um) à son dérivé Grelot.
Par tous ces motifs, la métamorphose entre Dentale et Li((uide est
indéniable et j'ai bon espoir d'ajouter quelque jour à mes relevés le chan-
gement de S en N (Portus Sicoî\ Pornic;.
1128 pédagogie
2" Mutations de Dentales en Gutturales
Une modalilé dans le protéisine des Dentales, très importante à mes
yeux, aussi certaine que la précédente et, non moins qu'elle, négligée ou
mal traitée, c'est leur conversion en Gutturales.
T, D, S deviennent C.
T. Si l'on a taxé d'insolite la mutation de C en T {carcerem, Chartre),
ce n'était pas pour qualifier mieux celle de T en C. Un auteur classique,
parfois moins intransigeant que les autres, dit ceci :
« La permutation de deux lettres d'un caractère différent est toujours
assez difficile à admettre. Cependant le seul exemple connu de cette
transformation n'est pas douteux ; Craindre vient bien, en effet, de tremere.
Il est probable que le voisinage de r a facilité ce changement. On remarque,
du reste, chez les paysans des environs de Paris, une certaine propension
à prononcer K pour T ; ils disent amikié pour amitié, etc., etc.... Dans le
Médecin malg?'é lui, Molière n'a pas manqué de noter cette habitude... »
Cet alinéa méritait d'être copié parce qu'il précise l'état de la question.
Il est acquis, avec tremere, Craindre, que le T est devenu C. Mais pourquoi
de semblables mutations sont-elles toujours d'acceptation malaisée ? Est-ce
que, pour se former, les mots sont tenus d'obéir aux couventions des
lettrés? Connaît-on vraiment toutes les lois qui régissent le phénomène?
Non ! et ce n'est pas avec difficultés, mais avec faveur que, bien constaté,
le fait imprévu devrait être accueilli, car il ouvre une voie de plus vers
l'inexploré.
Au seul exemple connu, je crois qu'on peut ajouter juventam et neptem,
donnant Jouvence et Nièce — sans aucune intervention de la consonne r.
Enfin, le peuple, dont le langage est un modèle toujours proposé, rem-
place T par K (qui est l'articulation du C latin). Je noterai, de plus, que
l'inverse est aussi dans ses habitudes. Au lieu de cinquième (étage), il pro-
nonce cintième. Nous avons encore Czar et Tzar, et les Romains disaient
marculus et martulus pour Marteau.
Ainsi T égale C, et, comme il y a réciproque il ne m'étonne point que
par permutations directes — et non par transposition dans le corps du
mot — Scintilla ait fait Étincelle, en dépit de la règle qui aurait voulu
Échintelle .
D. Cette dentale â, même fortune que la précédente. Elle nous donne
la gutturale C de fundare à Foncer ; deaspidem à Aspic, et je n'hésite pas
à voir une alternance, C == D, en comparant le latin sicra au français
Cidre.
PAVOT. — ÉTYMOLOGIE FRANXO-LATINE 1129
S. Cette dentale devient gutturale C. de versare à Bercer; de sorbum
à Corme. Je dois avertir que ces étymologies ne se trouvent pas partout, et
que, d'ordinaire, les deux mots français ont la mention : orUjine inconnue ;
mais versare a l'assentiment de Littré ; et sorbus domestica est, en histoire
naturelle, le nom du Cormier. Dès lors, S = C est tout aussi évident, à
mon avis, que l'inverse Cr=S: cingula, Sangle; racemus. Raisin.
T, D, S deviennent G.
Ce changement n'est pas plus difficile à constater que la mutation en C.
Je commencerai par S et linirai par T, non pour quelque profit de la
démonstration, mais parce que T m'occupera plus longtemps que ?es
similaires. Et puis, il doit m'amener à l'examen critique du suffixe «/îcitm;
il vaut donc mieux, avant le débat, en avoir terminé avec S et D.
S. L'opinion des linguistes étant que les noms propres sont d'un secours
précieux en étymologie, le changement de S en G n'est pas douteux avec
Athesi.s, Adige. Cette équivalence conduira sans doute à tirer de l'ombre plus
d'un mot français de provenance toujours dite inconnue. Tel est Morgue.
Il y a deux ans que, dans un livre où je consignais le résultat de quelques
recherches, je fis voir que Morgue est le latin morsus, radical qui a servi,
d'ailleurs, à la création de Amorce (pour Rabelais, Esmorche) — et de
Remorque ; trois formes à désinence gutturale.
L'égalité de S et de G, bien claire dans un sens, ne l'est pas moins
dans l'autre ; de gigerla on a Gésier. Mais cette conclusion G = S, je ne
m'attendais pas à l'obtenir du Dictionnaire classique. Une gutturale passée
à dentale ! On renvoyait au mot Fraise, j'y courus ; mais au lieu de
fraga, jy rencontrai le fictif f ragea suivi d'un nouveau renvoi au verbe
Agencer, en bas-latin agentiare.
Je compris alors que, derechef, j'étais en présence d'un expédient pour
sauver la régie. Nos étymologistes. je le répète, ont été, plus d'une fois,
dans l'obligation d'admettre un radical non taillable à merci, mais, après
cette concession forcée, ils sont revenus de suite à leur système avec des
sujets rendus maniables à volonté.
Il en est ainsi de Fraise qu'on semble, tout d'abord, donner comme
appoint à Gésier, et qui est résolument dépossédé de ce rôle. Le thème
latin est fragum ou fraga ; on y substitue fragea, puis fragia qui permet
d'avoir fracia. — Cela obtenu, comme les Chartes franques (V. Agencer)
faisaient égales en prononciation, cia et lia, de fracia, on a fratia qui
devient Fraise « par changement de ti en s », prétendent les auteurs, car
ils sont unanimes à douter que, tout seul, T puisse parvenir à la sifflante
en français. Je citerai donc Tabernœ, Saverne.
Ainsi, pour aller du vrai radical à son dérivé, on a établi ces jalons :
1130 PÉDAGOGIE
Fraga, fragea, fragia, fracia — fratia. Fraise, parce quoQ ne voulait
pas dire que G = S. Or, il est un point où, de toute nécessité, Ton passe
de gutturale à dentale, c'est de C à T. Voici qui est plus curieux encore :
cette mutation, dont on use fort bien ici, on l'avait tarée comme insolite,
à l'occasion de carcerem, Chartre.
D. Cette dentale devient G, de hordeum à Orge; de sedere à Siéger. Cela
n'est pas admis; on en est toujours, sur la foi des auteurs, à s'expliquer
la présence du G par l'illogisme décoré du titre de consonnification, ou
métamorphose d'une voyelle en consonne. J'ai dit, en d'autre temps, ces
que je pense d'une telle conception . ,
Ici, hordeum et sedere sont arbitrairement remplacés par hordium et
sediare qu'on écrit hordjum et sedjare; on élimine la dentale importune,
et alors horjum et sejare font Orge et Siéger.
Ces manipulations ne sont vraiment pas acceptables, et je me demande
comment on peut, encore aujourd'hui, colporter ce modèle du genre :
diurnalis, djurnalis, journal. Pour voir d'où provient notre gutturale J, il
suffit, sous le latin dimmus, de mettre l'italien giorno. En transition, D a
donc fait G, ou J, mais, entre le latin et le français, on n'a jamais cité ce
giorno qui nous avait donné le vieux mot jorne. Et pourtant, on ne
manque point d'en appeler souvent aux vocabulaires des peuples, plus
directement que nous, héritiers de la langue mère.
L'ancien provençal est un de ces témoins très invoqués. Eh bien ! à
l'article Fâcher du Dictionnaire étymologique, on peut lire que, de fas-
tid(ium) le provençal avait eu fastig (ennui), encore une mutation de D en
G. Enfm de podium, qui est Puy, il a tiré deux autres formes : puig et
puecli .
Par là, chez nous aussi, l'accident est plus que probable; je le tiens pour
réel, et il a, comme pendant, le cas inverse G =: D : ruga, Ride; sur-
gere, Sourdre.
T. Cette dentale devient G; soient : natare. Nager, et œtatem., Age. J'ai
l'alternance G =: T, avec surgere qui, en plus de Sourdre, donne Sortir,
un doublet de Surgir.
Les étymologies que je présente en ce moment sont trop contraires aux
idées courantes pour avoir été reconnues. Personne, que je sache, ne les
a patronnées, tant se recommandent, en apparence, les deux autres thèmes
intronisés : navigare et œtaticum.
Mais il faut convenir que navigare est simplement une expression poé-
tique. Dans Ovide, le mot fait image, assimilant au navire en marche
l'homme qui se meut à fleur d'eau. Ce n'est pas à coup sûr, un tel motif
qui a guidé les théoriciens du langage quand ils ont, à leur tour, préféré
ce verbe à nalare, c'est parce que sa finale était de forme réglementaire,
contenant une gutturale qu'il n'y avait même pas à modifier.
PAVOT. — ÉTYMOLOGIE FRANCO-LATINE 1131
Cette raison est encore plus visible avec œtaticum, bas-latin douteux^
chargé de supplanter œtatem, de représenter le substantif Age et par suite,
de monopoliser la genèse de notre désinence âge.
Sur œtaticum devenu âge.
Je reproduirai fidèlement le plaidoyer mis au service de cette finale
aticum, mais je ne le ferai pas d'une seule tenue. Il y aura plus de clarté,
je crois, si j'expose les arguments l'un après l'autre en faisant suivre cha-
cun des réflexions qu'il comporte.
l*» « Le suffixe aticum que le latin classique employait assez souvent : —
silvaticus (Varron), aquaticus (Pline), fanaticus (Juvénal), umbraticus et
volaticus (Cicéron), viaticus (Plante), apostaticus (TertuUien), — devint
d'un usage commun dans le latin populaire, vers les derniers temps de
l'Empire et les premiers siècles des Mérovingiens... De ces nombreux dé-
rivés en aticum sont venus les correspondants en âge... On voit comment
volaticus, par exemple, qu'employait Cicéron, au sens de léger, d'inconstant,
est devenu volage, huit siècles plus tard : l'i bref, pénultième, a disparu,
suivant la règle, et volaticus a donné volatge, par changement de c en g,
puis volage. »
— L'an dernier, lors du Congrès de Marseille, dans un mémoire sur
1' Accent latin, j'ai montré que laquantité prosodique est sans influence sur
le mamtien ou la disparition des pénultièmes. Ainsi placé, i bref nous a
donné les toniques de Catane, de Modène, de Sycomore, de Peluche, et
j'ajoute qu'il s'est maintenu dans Aride, de aridus.
Donc, sans nier que «a'cw.s- puisse devenir âge [silvaticus, sauvage), je
prétends que la réduction a t'eus n'est pas, à tout propos, obligatoire. De
fanaticus, on eut fanatique, rien de plus. C'est, dira-t-on, une forme sa-
vante. Qu'importe l'estampille ? N'est-il pas prouvé, avec aridus, que brève
et pénultième la voyelle i peut — comme les autres — passer intacte du
latin au français? Viatique aussi est une forme normale, bien que sa-
vante, el c'est la seule, je pense, qui nous soit venue de viaticum, à moins
de confondre toujours le viatique, la provision du voyageur, avec le
voyage lui-même.
2° (' Le provençal qui transforme aticum en atge (comme le plus ancien
français) et qui dit carnatge, messatge, ramatge, pour Carnage, Message,
Ramage, confirme cette règle de permutation. »
— Ce parler du Midi n'est pas une preuve péremptoire. J'ai reconnu
que âge pouvait dériver de aticum, mais on ne saurait attribuer à cette
forme latine qu'une part dans la production de notre désinence, même
eût-elle le cachet méridional atge. En blendes cas, en efl'et. le Provençal,
ainsi que l'Anglais, fait entendre, devant les gutturales, un t ou un d que
1132 PÉDAGOGIE
den ne justilîo. CesL qu'il a uniformisé son langage, sans aucun souci
des radicaux; alors, au lieu de Mage, Page, Image, il dit ma^^e, patge,
imatgc. issus pourtant du \2X\n1nagus, pagina, imago. Le dies Jovis (jeudi)
est, dans la langue dOc : di... djaous, et dies rfomm/ca (dimanche) ou
dominica tout seul, est dimendje. On le voit donc, la Dentale ne mérite
pas toujours confiance.
3'^ « Vers la fin duxi« siècle, quand on eut perdu le sentiment de l'accen-
tuation latine et que la langue française fut formée, les formes en alicum
disparurent, et nous ne trouvons plus que des formes en agium, calque
de la terminaison française. Ainsi, au xni« siècle, au lieu de missaticum
et fonnaticum, on a messagium et from.agium qui ne sont que du français
affublé de latin par les clercs, alors que personne ne connaissait plus
l'origine de ces mots, ni le sultixe formateur. »
— Je ne m'arrêterai pas à chercher si le sentiment de l'accentuation
latine ne s'est perdu que vers la (in du x[« siècle; ce qui me frappe, dans
cet alinéa, c'est la netteté avec laquelle se résume la Théorie : Il doit
être entendu que aticum nous a donné âge, et que, avec âge, on a fabriqué
agiiun.
Tout d'abord, il est au moins singulier que l'on présente comme systé-
matique l'emploi de agium, quand l'abus que l'on a fait de aticum,
pour créer des fictifs, est passible du même reproche, et surtout quand, de
nos jours encore (je l'ai montré ailleurs) on « calque » du français, on
« affuble » des mots de notre langue avec un latin chargé ensuite de les
expliquer.
Puis, les clercs incriminés n'ont pas inventé agium, forme qui existait
en latin, aussi vieille que aticum. Ce n'est pas de Présage, Naufrage,
Adage... que sont i\és pi^œsagium, naufragium, adagium.... c'est tout le
contraire.
Que, à deux siècles de distance, on ait usé, jusqu'à l'excès, de aticum,
en première date, puis de agium, c'est, il me semble, toute la morale à
tirer de l'historique. Et je considère comme fâcheuse l'actuelle restau-
ration d'une finale dont l'omnipotence ne fut jamais réelle.
A ses côtés, et mieux qu'elle, agium menait à la désinence voulue. J'ai
cité, y conduisant aussi : imago, pagina, magus. L'on sait enfin que,
pour étayer laconsonnilication, on a fait venir de i lagutturale g. Plus d'une
preuve existe donc qui s'élève contre l'universalité d'action dévolue au
suffixe aticum. Son domaine déjà rétréci, je vais le diminuer encore;
mais avant, je dois faire un nouvel emprunt au Dictionnaire classique.
4° « Age. L'accent circonflexe de âge montre qu'une lettre a été suppri-
mée. Le mot est, en effet éage au xvi« siècle ainsi qu'au xu'^; édage au xi°;
et vient du latin vulgaire œtaticum,, forme dérivée de uHatem. »
— Au texte, œtaticum porte un astérisque, habituel indice que le
PAVOT. — ÉTYMOLOGIE IRANCO-LA UNE 1133
mot n'est pas classique, ou encore que sa forme est hypolhéti({ue.
Ancien ou moderne, c'est un fictif composé d'aj^vs le type volalkus.
Cette condition m'engageait à l'écarter, et je fis retour vers œtatem
médisant : Pourquoi, puisque D devient G, cette autre dentale, presque
pareille, T, n'aurait-elle pas même latitude? Malgré nombre d'enquêtes
stériles, je continuais à croire possible cette permutation, et longtemps
j'en restai là, ne trouvant rien qui put confirmer mon pressentimt^nt.
Le hasard de mes lectures m'offrit enfin ce que je ne cherchais plus guère.
Dans son livre des Divinités génératrices (p. 271), Dulaure parle d'une
pénitence publique, accomplie pendant une procession ; Une femme qu'une
autre avait insultée, suivait la délinquante, et lui piquait, à loisir, certaines
parties charnues. Le fait est relaté dans le glossaire de Carpentier, à l'ar-
ticle Naticœ qui se termine ainsi : et celé la poindra en la nage (fesse)
d'un aiguillon.
Tiré d'un cartulaire de Champagne, ce mot Nage est le latin natem.
J'avais donc, très authentique, l'équivalence de T et de G, et l'immédiate
conséquence de cette trouvaille fut que je restituai Nager à natare. Par
natare, j'obtenais tout ce qu'on peut tirer de navigare, plus na tat us, ^a.ge;
natatorium Nageoire; ou natge et uatgeoire, à la provençale, en conser-
vant le premier T.
Ainsi, aticum perd encore du terrain. Déjà, il n'était pas toujours in-
dispensable à la production de âge, et voilà que dans ce rôle atwn peut
souvent le remplacer aussi. Tous les vocabulaires latins disent sans pré-
méditation : locatuni, Louage; obsidatum Otage; viduatum, Veuvage...
Simples traductions qui, maintenant sont, pour moi, de véritables étymo-
logies.
On m'objectera, peut-être, que les finales atus, ata doivent se résoudre.
en français, par É ou ée {amata, aimée). C'est l'habitude seulement, ce
n'est pas constant ; rien n'empêche que ata devienne ade et, comme D
égale G, on pourrait avoir, en définitive, âge. Mais il n'est pas besoin de
cette filière. Le générateur est le même pour âge et pour ée, car nous di-
sons indifféremment : Pesage et pesée; Passage el passée; Ramage et ra?rtee;
Arrivage et arrivée ; etc. etc.
Quant à œtatem, latin non douteux, s'il est confronté avec les variantes
de notre substantif Age, il supporte, fort bien cette épreuve décisive.
Lettre pour lettre, œtatem est Édage ; la chute du premier t donnerait
Eage, par contraction Age. En suppriuiant la voyelle médiale a de notre
accusatif, on arriverait à la leçon écrite ou parlée Atge; donc, œtaticum
est tout au moins une superfétation.
Je me résume. Le suffixe en cause a pu nous donner âge, puisqu'il y a
plausibles relations de sens et de forme entre le volaticus de Cicéron et
1134 PÉDAGOGIE
notre adjectif volaye. Mais la faveur excessive dont il a joui jusqu'à la fin
du XI* siècle ne doit pas faire méconnaître qu'il ne régnait pas seul. Au-
jourd'hui surtout, sa plénière souveraineté est inadmissible, vu les multiples
provenances de la Gutturale française. Longtemps il m'a manqué la mu-
tation de T en G ; cette lacune est, je crois, comblée désormais.
En tout cas, j'ai montré quel grand profit on aurait en préférant toujours
l'autorité du fait à la vogue d'une tradition; en sacrifiant au respect de
l'évidence des théories ingénieuses seulement, des expédients qui passent
pour des méthodes, des artifices imaginés pour soutenir la moins libérale
des réglementations .
M. Albert PICÏÏE
Vice-Président de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau.
LE CERCLE DES CONNAISSANCES HUMAINES
— Séance du 19 septembre 1892 —
Audax Japeti genus !
Graphie. — Ne faut-il pas toute l'audace présompteuse d'un ignorant
pour oser présenter, dans une réunion savante telle que la vôtre, un travail
aussi ambitieux en apparence qu'est cet atlas, en réalité fort modeste.
N'a-t-il pas la prétention : de vous offrir la classification naturelle de
toutes les connaissances humaines : conscience, sciences, croyances, et
d'indiquer qu'au delà de la Connaissance, il y a encore deux autres mondes
intelligibles, celui de l'Amour et celui de la Vertu bienfaisante ;
De présenter dans ses tableaux, à leur place logique et chronologique,
êtres et phénomènes qui constituent l'univers : personnes et choses, hommes
et œuvres, faits et gestes, toutes les idées humaines représentées, à leur
date d'éclosion, par le nom des grands hommes qui les ont émises, et de
pouvoir donner, rangés en ordre, par famille et par genre, tous les mots
de la langue française qui expriment ces idées et ces hommes ;
Enfin, de montrer la subdivision et la filiation des arts, des professions
et des sciences, dans le cours de l'humanité et, par conséquent, l'évolution
du travail et de la civilisation sur la terre !
A. PICHE. — LK CERCLE DES CON?iAlSSANCES HUMAINES 1135
Évidemment, si j'étais mi savant véritable et surtout un savant ofriciel,
je me garderais bien de me compromettre dans une entreprise aussi
téméraire ; mais je ne suis qu'un amateur, un simpliste, un chercheur.
un songeur; je puis me montrer fils audacieux de Japhet; Carnute, qui
ne craint pas même que le ciel lui tombe sur la tête (tout au plus vos
applaudissements) ; Béarnais indépendant, Basque indomptable (je deviens
tel en ce pays d'adoption) ; je puis donc risquer cette communication en
toute assurance.
Audacem fortuna juvet !
Protégez-moi de votre bienveillance, en échange de laquelle je vous
promets trois choses : de parler clair; de ne pas être ennuyeux (revêtant
ces idées sérieuses d'une forme légère) et de me taire au premier signe
de M. le Président.
LoGiE. — Je vous ai exposé sommairement l'objet de ce travail ; voici
maintenant comment j'ai été conduit à le faire, en deux mots : son histoire;
je voudrais ajouter : son histoire en deux mots ; hélas ! il me faudra les
multiplier par quelques autres; je m'efforcerai, cependant, de réduire le
multiplicateur au strict minimum nécessaire.
Je ne remonterai pas au déluge, ni même avant ma naissance, rassurez-
vous ; mais seulement au temps du collège, ce bon temps, dont on aime
à se souvenir en raison directe du carré des distances; et je ne le fais que
parce que, parlant devant des éducateurs, je leur dois l'évolution psycho-
logique de mon travail.
Élève très ordinaire, mais sérieux et curieux, j'avais une foi absolue
dans la parole de mes parents et dans la science de mes maîtres, dont
les enseignements étaient pour moi plus que parole d'évangile. Sans
doute, ils m'apprirent beaucoup de choses (ce dont je leur suis infiniment
reconnaissant), et surtout ils me placèrent dans un excellent milieu ma-
tériel, intellectuel et moral, condition sine qua non d'une évolution régu-
lière; mais ils m'apprirent tout cela, sans le coordonner dans mon cerveau;
et, parfois, leurs contradictions partielles déroutaient bien, un peu, ma
confiance dans leur infaillible doctrine.
Au sortir du collège de Chartres, puis du lycée Louis-le-Grand, j'avais
dans la tête un véritable chaos de notions confuses : on m'avait appris à
parler, à lire, écrire et compter, sciences préliminaires et instrumentaires;
on m'avait enseigné langues mortes et vivantes, histoire et géographie,
rhétorique et logique, sciences mathématiques, mécaniques, physiques et
chimiques, histoire naturelle et physiologie, philosophie, morale et reli-
gion ; on m'avait même inculqué la métaphysique, ce qui n'éclaircissait
nullement mon ciel brumeux ; car vous savez le mot de Voltaire : « Quand
l'auteur ne se comprend plus lui-même, c'est de la métaphysique ! »
JPontiemlais ^varier, ea o«m\ de ivnt autres sacieiices : mM(i'>cine et juris-
pnideiuv. anaïomie et biologie. amlm>pt>KT«gie et ethnc^rraphie, iv<yehologie
et siXMole^e, philolosrie. èpismiphie. numismatique, sigilK^irraphie. critique
el eï^thètique. sans compter Ihistok^sàe et la tèl«è«i>k^ie :
Ije peu de grec qu'on m"a\-îiit appris me servait bien à soïqxvniKT ce
»jiril Y avait sous ces noms «étranges; mais quel lien y avait-il entre
toutes ces scien»»st étaient-elles de même natune. de raéme sanire, de
même onire? ax^ùent-elles les mêmes mètlKxles? ôtaienl-ee même dft^
sdeiKies? d'aucuns les appelaient dt>*i arts, dc^s scienct^ appUquix^!
Et dans uiïe même science, on ik> rnavait pas enseigtu^ à distinguer net-
tement les faits, des opinions; les ol>ser\-ations, des théories: les expé-
riences, des lais; les applicïitions. des coosidérations philosophiques. En
un mot, j'étais vraiment fort emv>étrê. jx»ur jwler le lan^gn^ nouvivaxi
qiH^ nvaitn^ Zola doit intrvxluîre à TAcadémie frîm^aise î
On ma>-ait. notamment donné pour argent ci>mptant, en gt\>lcwïie. la
théorie du feu central : aussi fus-je alxsohunent dénu>ntê, le jour où
j'appris que des s:ivants tK»s sérieux niaient s>i>n existence el prétendaient
prvMiver mathémaliquement son impossibiUté, J'en fus tmit IxHilev^^rsé :
ma foi dans la scieiHV en fut éhraixltv ; en même temps sombrait égale-
ment ma foi leligieiise; j'étais triste, m;ilheureux. dtVsesjvrê, d'autant
qu'alors nK»n ix>ri^ était atTaibli par une maladie grave et prx^longtv. Je
devenais irritable, insociable, miscmlhrv^pe. sauvage!
Heureusement, j'étais alors en Italie, ce paj-s des ry^naiss;u\ivs : cet
admirable milieu climatolc^ique et v>sYchoK^que me sauva la vie, Tin-
telligeiuv, la sociabilité, l'humanité; et me rendit TidiNid. ce jxvin del'ilme
plus nécessaire au K^iheur que le pain quotidien, ne l'est à !a vie.
Vu jour, à Venise, dans un café de la Pi;uetta. la AVcmc des iVM.r Moinit^
me tombe sous la main; elle œntenait des articles de Claude Bernani swr
!a méth€n1<^ ^jrperim^lah : ce fut une révélation: alor^ je cvMumencai à
distinguer nettement robserN-;\tiou de l'expérimentation . les faits de la
théorie. j'entr^\is ce qu'était la loi. ses applications aux besoins de l'homme,
en un mot l'enchainement gtniéral des piirties de l'Univers.
Cela me n monta le cvvur. je repris vie. et goût à la vie et je me mis à
recommencer mes études, à ma façon cette fois: non plus au mode litté-
raire des humanités, mais au nKxie scieutitique des rvnvlités.
Je lus beauciHip. j'olvserx^ii le plus |^>ossible. jexp»riment;ù quelque peu,
aborvlant successi\-ement toutes les scienin?s, rt^nuîuit d aU^rti mes acqui-
sitions sur des cahiers, piiis les notant sur des feuilles \x)lantes, afin de
grouper tout ce qui comvn\ait un même sujet.
Bientôt il fallut classer des ivnlaines de livres et dt^ milliers de notes
pour les retrouver au besoin. Cela amena mon esprit naturellement logique,
méthodique et encyclopédique à rechercher ce lien secrtn dt^ choses qu'on
a'avail piis su mVniiHMtïtiur el qui cijpuuilaiit cousi.iJui» hi .wnmiw. (Le» luitk
a dit. >Coute!H^ai«fu. ^H.uJt les nipports tti?cusvsurt»s »jui ii>cv>uii#ul d»# lu tjuiluiv
des clit^s*^sJ
i^ tninslormai. ali^rs» uui? di' rutfs bibliu(tuh)Ui;i> (MI ujit^cistri die ttoU^
o«>orti»uiaiHî!4 «t ds fain? uul« cyiitairit* du carlablytk t»u foruiL» dt? vyluttti??*»
où je scrnù udUjs e! coupurws d'iui; rim»'s. I« tjnut chissu dmis^ k» tui?'ttj«;
onin* ((ui» lus id«vs darus tnmi ciTvuau, aiusi objuctivé. Grjiud avauia^f^»
pour uu liotumi? d«?piMirvu du m«'moin?.
U y avajt «lauf? cuttu annoiru trui* itraudus divtsjgn:< :
l. — Trisfiiài (lu trîidilioM) : eu quu ui'avaiutU UMt>u«(£t;u» sur choqtiKi'
sciuueu, pari?ats ut uuiîtn^s; puis lus aotiout* qui s'yUuuni! oJîi^rtJW à tmi
dans mus voya^çus ut surtA,mi au cours du eu stroiul voy a^u quott appuUt?
lu viu.
It. — Pt^rrt'phi (rùujotiori) : eu quu | a,v;ns oprouvu u« nfluelnjssuuliaax
trtuliiii... mus itïiprussions du v\iyajiu.
lU. — Ht'(n:ia (lurù'auLum* r lu travail int,ull<'iMm«l d'ibonf puis u<l^*tit\
opûru soas liHupin;' du luruotion.
Lus duiix pn'tui'Tus eatù;jx)cius eout.utuiutih autant dv eartou:< quu du
sciuneus. dout ju tuétai* oeeupû; lu^/Cwwft* su suldiviwsaluut atiwi. d aprv%
uu p;issa^ du Julus Simon : iduusv prttjutsk rusolutiioucs. autKKi."*.
El lus Actu^ plus nom bruux eueoru. eontuuaiunt lus^uutwpctJ*»;'* ^vrs«.iu-
Quilus. et ei'llus rolluuUvus» ou travaux uu eollaboraliou.
Aut;iut dusNiis. ou du ScK'i'lcs dout jûtai:> membru actif, autattt «.i^
doR<ii'rs, tous oHti[»tisi'<i do tuuillus volantes, dar.i.s dus ehcuiisus» awc
titru. raugéus ulius-mOmus par ordru' k^iiique et ehrouoJotrtquu.
Si tious ouvrions» par uxemplu. lu dossiur du la Soetutu du la Hiblivv
thcquo populaire du Pau. nous trouvunous : eouceptiou du I \uuvru. juré-
paraliou. »l«)«,uuietils sur eu qui se tfait aiJleitrs. lu{iisla6io*u prop<.»s»tiou»
fojidaliou. aiitorisiition. souscnptiotu ehoi\ et ariiùna^etuuntdki Uval, mobi-
lier, catalotiiic*. ehvnx des livres, comptes rendus annuels du Fonetiouuu*
meut, eorrespoiulancc. ftrochamu scance du (îoaiité. iduus d'amélioration.
Ln des avantages pratit|uus de eu syst'''a»u. c'est quu vous aw* à tra-
vailU-r un sujet. \i\Hts purtea pour uuu reuuiou de S,viétû. vvhis ii'avv*
qu'à pruutlre lu dossier, vvvts *Hus armé, et prCt à rt'poudre sur tous les
points, avec preuvus à l'appui.
Pour mus études personnelles, relatives à uuu science, l'ordre était
dilïérunt : étant donné un t'l>jet quelcoimue ou un iiroujK" d'objets ;\
exammer à tous les ^H.>ints de vue. lus clu'mis<'s étaient cUisséus il après
révolution des méthtxlus d'iuvestiiration du l'esprit humain, théorie quu
ju crois avoir invenlv'u ut que j'ex^Kis^'rai sommairement tout à l'heur^'.
Kn avant du ces cent cartons, il y avait, dans ma bibliothèque, sept
ou huit boites lon;:.ues. pluiues du Uchus de la taïUu d'uuu carte à jouer.
1138 PÉDAGOGIE
sur lesquelles je me bornais à noter une idée, une citation, avec renvoi
au volume et à la page du livre, ou au numéro de la revue. Des fiches
plus hautes, et de diverses couleurs, permettaient de grouper et de sous-
grouper les notes et de les déplacer au besoin par paquets, au fur et à
mesure du changement d'ordre de mes idées, sans cesse en évolution
sous l'action de mes lectures, conversations ou réflexions personnelles.
Ces tâtonnements m'amenèrent à étudier de çlus près les classifications
des sciences et des arts; je pris connaissance de celles d'Auguste Comte,
Herbert Spencer, Ampère, Bain, Charma, etc. ; je consultai les dictionnaires
encyclopédiques, ainsi que les programmes de sections des Expositions uni-
verselles. Dans chaque système, je trouvais du bon et du mauvais (selon
moi) du clair et de l'obscur, du clair-obscur surtout, et je me remettais à
tâtonner et à remanier fiches et cartons .
Comme j'avais, d'autre part, la passion (mes amis diraient la manie) des
tableaux synoptiques, des cartes teintées, des graphiques et des courbes,
que j'employais pour mes études météorologiques (autre passion inoffen-
sive), à certain jour le mot cercle des connaissances humaines me frappa
et me fit imaginer une classification circulaire et essayer d'inscrire le nom
de toutes les sciences connues, dans des cercles concentriques, divisés en
secteurs par des rayons (1).
Au centre, le moi conscient (moi individuel ou humanitaire), conscience
sans laquelle il n'y aurait pas de connaissance ; le moi, seule personna-
lité réelle pour chacun de nous, le reste étant le non-moi, autrui, l'uni-
vers ; moi conscient, dis-je, qui d'abord voit, considère les êtres maté-
riels qui l'entourent, perçoit les phénomènes manifestés par les êtres et
qui l'amènent à concevoir l'intervention d'êtres invisibles qu'il appelle
esprits et d'un être suprême ou cause première qu'il nomme Dieu. Le
moi est objet de conscience, Dieu est objet de croyance, seul l'univers
est objet de science.
Que voit, dans FUnivers dont il est centre, le m®i tournant dans sa
pensée? — des Corps matériels parmi lesquels il distingue les Astres et
la Terre; et sur celle-ci, des pierres ou minéraux, des plantes, des ani-
maux, des hommes (ses semblables), isolés ou groupés en corps sociaux :
Nations, Églises, Écoles philosophiques et qui constituent cet être supé-
rieur, l'HuMANiTÉ : Et ces êtres, ces individus, parties du grand tout, offrent
à sa vue Aqs phénomènes ù& qualité, de quantité, de mouvement, de trans-
formation, de combinaison, de vie, d'iNTELUGENCE, de sociabilité, de mora-
lité, de religiosité, de beauté, de vérité, d'idées en un mot qui consti-
tuent la vaste scène du monde, où il est, à la fois, spectateur ému et
acteur passionné.
1) Voir le tableau circulaire à la Section d'Économie politique, page 1074.
A. PICHE. — LE CERCLE DES CONNAISSANCES HUMAINES li39
Ces êtres, ces phénomènes, au milieu desquels il faut s'ébattre, se
débattre et parfois, hélas! combattre, l'œil les voit, la bouche les nomme,
l'esprit les qualifie, la raison les lie, par le verbe, en propositions qui
sont déjà des lois; et tout cela s'opère de façon spontanée, inconsciente.
Par une transition insensible, et sous la pression naturelle de la curio-
sité, naît peu à peu la science de plus en plus consciente, et voici quelle
est, selon moi, l'évolution des facultés ou méthodes investigatrices de l'es-
prit humain. (C'est ma théorie de l'évolution de la science dont je vous
parlais tout à l'heure.)
Tandis que le poète, ému par le spectacle des choses, vibre et chante
les sentiments qui l'animent, ouvrant ainsi aux hommes d'imagination
la vaste carrière des beaux-arts, l'esprit curieux, le chercheur, examine
attentivement êtres et phénomènes; miroir fidèle, il commence par les
décrire, employant la méthode descriptive: c'est la période de la Graphie.
Puis il réfléchit, sa raison dénombre les objets décrits, les compare, les
mesure, les suit dans le temps et dans l'espace (histoire et géographie) ;
elle se pose mille questions auxquelles elle fait des réponses a priori plus
nombreuses encore; on disserte à perte de vue, on argumente, on cherche
des méthodes rationnelles pour arriver au vrai: c'est la période de laLoGiE.
Bientôt, on observe plus attentivement le dedans des choses et leurs
moindres détails, d'abord à l'aide des sens, puis avec des instruments
qui en accroissent la puissance; on en fait l'analyse, puis la synthèse,
tant au point de vue statique qu'au point de vue dynamique: c'est la
méthode d'observation, le temps de la Sgopie.
Avec ces faits bien observés, on échafaude des Théories; on bâtit des
hypothèses, on se livre à de savantes conjectures; on reconstitue le passé,
on entrevoit (ou croit entrevoir) l'avenir.
Hélas ! les théories, même scientifiques, sont trop souvent divergentes,
parfois même opposées; on bataille, on polémique; on ne peut sortir de
ces éternelles controverses qu'en faisant appel à l'expérience, dont il faut
auparavant dresser les plans et préparer le matériel.
L'expérience bien conduite, ou Pirie, nous montre les conditions d'exis-
tence des êtres et des phénomènes et nous conduit aux lois, à la Nomie,
point culminant de la science pure, pour chaque science spéciale.
Comme l'a si bien dit Claude Bernard, la méthode expérimentale nous
rend maîtres de la nature. Nous n'avons plus qu'à appliquer les lois à
nos besoins : c'est le temps des sciences appliquées, le règne de l'ingé-
nieur, la période de la Technie.
Finalement, on philosophe sur la science spéciale, en la rapprochant
des autres sciences; on l'envisage au triple point de vue du vrai, du beau,
du bien, c'est la méthode harmonique, la Sophie, ou conclusion de la
science.
1140 pf:dagogie
Chaque méthode d'investigation peut donc être représentée par un cercle
concentrique, tandis que chaque espèce à' êtres peut être -figurée par un
secteur (ou part de gâteau), formant ainsi les sciences ontologiques ; et
ces secteurs doivent nécessairement être entrecoupés par d'autres secteurs
(ceux teintés en gris), relatifs aux phénomènes communs manifestés par
les êtres appartenant à deux classes voisines : ce sont les sciences phéno-
ménales.
Ainsi, tout se lie dans mon tableau, comme dans la nature, où les choses
passent de l'une à l'autre par des transitions insensibles. (Natura non facit
saltus.)
Maintenant, traduisez en grec le nom des êtres et celui des phénomènes,
dans l'ordre indiqué plus haut : cosmo, somato, astro, géo, métallo, phyto,
zoo, anthropo, ecclesio, sophio, humanito, — pour les êtres ; — et poio (la
qualité) ; poso (la quantité) ; cinési (le mouvement) ; dynamo (la force) ;
ATOMO (l'afTinité de l'atome) ; bio (la vie) ; psvcho (l'intelligence ou ùme) .
socio, ou mieux coeno (la sociabilité) ; diceo (le juste) ; thaumaïo (le mer>
veiileux) ; callisto (le beau); ideo (l'idée), — pour les phénomènes ; —
ajoutez successivement, à chacun de ces mots, le nom grec des méthodes
d'investigation : graphie, logie, scopic, théorie, pi?-ie. nomie, technie et
Sophie, le tout groupé sous le nom générique de gnosie et vous aurez une
classification naturelle de toutes les sciences de premier ordre, tant onto-
logiques que phénoménales, en même temps qu'une nomenclature très
simple et absolument régulière : géo-graphie, géo-logie, géo-scopie, géo-
théorie, géo-pirie, etc., etc., qu'on peut disposer soit en cercle comme
dans le tableau précédent, soit en forme de table de Pythagore,
La forme circulaire est plus suggestive et plus représentative du bloc
des connaissances humaines, qui n'ont ni commencement ni fin; la
forme rectangulaire est plus commode à lire et à étudier.
Dans son discours d'ouverture, notre président, M. Collignon, criti-
quait, avec esprit, l'abus des noms nouveaux ; vous remarquerez que
je me suis efforcé d'en introduire le moins possible, me souvenant du re-
proche adressé à la classification d'Ampère ; je me borne au nécessaire et
surtout à régulariser ce que la tradition nous enseigne. Presque tous les
mots que j'emploie existent déjà dans la langue française. La plupart des
sciences se terminent en graphie ou logie; nous avons la spectro^co^fe ;
nous disons théorie de la terre, a.sironomie, zootechnie, philosophie; je
n'ajoute donc que le mot pirie pour éviter la périphrase de science expé-
rimenlale.
Pourquoi les noms actuels des sciences se terminent-ils diversement,
en graphie, logie, nomie? Laissez-moi vous donner, en passant, cette
explication conjecturale : c'est qu'ils ont été créés spontanément par les
savants, au moment oii la science était à cette période de son évolution.
A. PICHE. LE CERCLE DES CONNAISSANCES HUMAINES 1141
Seule la science des astres, qui est la plus avancée, parce (]ue ses lois
sont les plus simples, porte le nom de nomie, après s'être autrefois ap-
pelée astrologie ; la plupart des sciences en sont toujours à la logie ; et
d'autres ne méritent encore que de i)orter le nom de graphie, telles l'eth-
nographie, et ses sous-sciences : l'épigraphie, la sigillographie, etc.
C'est ce tableau circulaire qu'un ami, un bon conseiller, M. le doc-
teur Meunier, vit affiché sur le mur de ma chambre, il y a vingt ans ;
mais alors à l'état embryonnaire. Car vous le pensez bien, je ne suis pas
arrivé, du premier jet, au tableau que je vous présente aujourd'hui.
Boileau l'a dit : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage ! »
J'ai suivi et même dépassé son précepte; à ce compte, mon travail de-
vrait être parfait. Tantôt, je le sortais de son carton, plein d'enthousiasme,
croyant avoir trouvé une idée géniale. Tantôt, je le rentrais avec dépit,
l'esprit harassé, écrasé. Quelles retouches ! quelles peines ! Plusieurs fois,
je crus mon travail assez avancé pour le soumettre au public, soit en con-
férence, soit en congrès. J'avais même demandé un emplacement pour
l'Exposition universelle de 1889... je ne l'ai pas occupé; en examinant
mon soleil, j'y trouvais toujours d'énormes taches. J'aurais même renoncé
à ce labeur dépassant mes forces, si l'ouvrage, malgré ses imperfections,
ne m'avait successivement fourni des applications qui prouvaient son
utilité.
J'employai ses données pour la classification du Musée anthropolo-
gique et sociologique des Basses- Pyrénées, dont je vous entretiendrai
à la Section d'Économie politique, et que je pourrai vous faire visiter.
Au Congrès climatologique de Biarritz, j'osai développer mes cercles
concentriques, sous ce titre : Évolution des méthodes d'investigation appli-
quées à la climatognosie en général et au climat de Pau en particulier.
Cela me fit imaginer d'ouvrir, à la Commission météorologique dépar-
tementale, deux dossiers toujours extensibles de travail collectif: l'un des-
tiné à renfermer tout ce qui a été fait, tout ce qui se fait et qui se fera sur
le climat de Pau ; l'autre, tout ce qui concerne les météorologistes et la
météorologie des Basses-Pyrénées.
Pour l'Exposition de 1889, je pus achever le tableau de l'évolution des
groupements sociaux et présenter l'atlas de toutes les associations libres
philanthropiques du dépattement, avec cartes des genres d'associations et
graphiques du fonctionnement des principales sociétés.
Bientôt, je fus amené à concevoir un atlas de la langue française et,
par consé(jucnt, des idées françaises (analogue à l'atlas de géographie gé-
nérale de Foncin) ; dans ce nouveau dictionnaire, les mots seraient rangés
par familles (1) au-dessous de l'idée qu'ils représentent, et les idées d'ob-
(1) Pendant que je rédigeais ma communication pour l'impression, on m'a procurt' le Dictionnaire
iynoptique d'élymotogie française, de Stappers, qui remplit le premier de mes trois desiderata.
1142 PÉDAGOGIE
jets ou de phénomènes seraient traduites en dessins et en mots, rangés
chronologiquement dans des cercles concentriques, dont l'extension repré-
senterait le cours du temps et le développement de l'esprit humain, tandis
que leur ordre logique serait développé autour des cercles. Il y aurait
autant de pages et de tableaux qu'il existe d'arts et de sciences, dont l'évo-
lution a introduit les mots techniques dans la langue, au fur et à mesure
de la marche des idées et du progrès.
Car, avec ma manie classificatoire, vous pensez bien que mon esprit
ne peut être satisfait de l'ordre alphabétique des dictionnaires ; je déplore,
non moins, de ne pas trouver sous un nom générique la liste coordon-
née de tous les mots et idées qu'il renferme.
Cherchez dans une encyclopédie le mot veiHu, vous n'y trouverez pas
rénumération complète de tous les mots qui, dans notre idiome, repré-
sentent les vertus et leurs nuances si nombreuses. Et, cependant, Des-
cartes, dans sa « Méthode », recommande les dénombrements qui épuisent
la matière.
— Enfin, le Congrès vient et nous force à conclure! — Je le note, en
passant, c'est là un des principaux avantages produits par les congrès, de
contraindre les provinciaux, toujours lambins au travail, à achever les
œuvres en projet, ou en cours. — Le désir me reprend de mettre au jour
mes petits chefs-d'œuvre. Plein de zèle, je dresse la liste des communi-
cations joossiô/es; je trie les moins mauvaises, et, me défiant de moi-même,
je cours consulter mes conseils. — Victoire ! ils m'autorisent à présenter
ma classification des sciences ; je reviens enchanté d'eux et de moi et je
me mets au travail définitif; car, il faut sortir des ébauches et tailler enfin
la statue.
Fixé, depuis longtemps, sur mes cercles concentriques, j'hésitais encore
sur l'ordre de mes secteurs, quand une idée nouvelle vient me tirer d'em-
barras. 11 est évident, me dis-je, que les premiers hommes devaient pour-
voir, en famille, au nécessaire de l'existence ; il n'y avait pas alors de
professions distinctes, tandis qu'aujourd'hui nous en avons deux mille,
peut-être, pour satisfaire à des besoins toujours croissants. Il faut donc
retrouver l'origine, la division, la filiation de ces professions, au cours de
l'évolution civilisatrice. Il est non moins certain que l'art inconscient a
précédé la science consciente et que c'est, parmi les artisans s 'occupant
de la plante, par exemple, que se sont trouvés des esprits descripteurs et
observateurs qui ont créé peu à peu la science des végétaux, ou bota-
nique. De même, il n'y aurait point de zoologistes, s'il n'y avait eu d'abord
chasseurs et pêcheurs ; point de biologistes, sans vétérinaires et médecins
antérieurs.
Faisons donc autant de tableaux qu'il existe de classes d'êtres et de phé-
nomènes, avec lesquels nous avons affaire ; inscrivons, dans ces tableaux.
A. PICHE. — LE CERCLE DES CONNAISSANCES HUMAINES 1143
à leur place logique, dans le sens horizontal, et chronologique, dans le
sens vertical, les noms des hommes (artisans, artistes ou savants), qui se
sont occupés de ces divers sujets ; peut-être trouverons-nous mieux l'ordre
de nos secteurs.
Ainsi fut fait ! Tranquillement installé à Eaux-Bonnes, en un mois je
dressai une vingtaine de tableaux coordonnés. L'ordre chronologique était
facile cà observer ; je n'avais qu'à chercher les noms d'hommes célèbres
dans un dictionnaire d'histoire. Pour l'ordre logique, je tâtonnais, plaçant
le nom à droite ou à gauche du tableau, là où il cadrait le mieux avec les
noms voisins. Ces tableaux de détail éclairaient mon cercle d'ensemble,
dont la clarté augmentée rejaillissait sur eux, à son tour. Mais il passait
encore bien des nuages sombres sur mon ciel bleu.
Hier encore, je subissais les hésitations de la dernière heure. Ce matin,
me rappelant le proverbe que « le mieux, pour nager, c'est de se jeter à
l'eau », je me précipite tète baissée :
Aléa jacta est!
Et j'ai fini, Messieurs, cette trop longue histoire.
ScopiE. — Le voici donc ce travail, cet atlas de la connaissance humaine,
de la classification, de la nomenclature des sciences, de l'évolution du
travail matériel et intellectuel de l'homme. Permettez-moi de le faire pas-
ser sous vos yeux pendant que je l'analyserai brièvement, en retraçant au
tableau noir le Cercle d'ensemble, et l'un des vingt-quatre tableaux qui
en forment le détail.
Comme vous le voyez, le tableau circulaire se compose de neuf cercles
concentriques, coupés en vingt-quatre secteurs, alternativement gris et
blancs : blancs pour les sciences ontologiques, gris pour les sciences phéno-
ménales. Dans ces secteurs, j'ai inscrit, à l'encre noire, le nom de tous les
cours professés en France dans nos établissements d'enseignement supé-
rieur. (J'en ai relevé la liste dans VAImanach national.) Les nouveaux
noms que je propose y sont inscrits à l'encre rouge; on voit donc, d'un
seul coup d'œil, sur ce tableau graphique, d'une part, le nom et la place
des sciences, telles qu'elles sont actuellement dénommées et enseignées, en
même temps que mon projet de nomenclature nouvelle et de classification.
Cette deuxième partie du tableau fût-elle erronée, la première serait en-
core curieuse et suggestive.
Puis viennent vingt-quatre tableaux de détail, un pour chaque science
principale ; ils sont tous construits sur le modèle ci-contre :
1144 PÉDAGOGIE
Cadre d'un des 24 tableaux de l'évolution des Arts et Sciences.
Origine de la connaissance : actes spontanés sous l'empire du besoin, travail instinatif
devenant insensiblement art, puis science consciente.
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N» 9. Pierres.
LA FAMILLE
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LES PLANTES
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Animaux. N» 13.
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ARBKES HERBES
Racines, Tronc, Branches, Feuilles. Fleurs, Fruits, Graines, Tiges, etc.
Tressage. Cueillette.
Bùchage. Tissage. Culture.
Labourage. Élevage.
EVOLUTION CIIKO.N'OLOGIQUE :
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Eve (et la pomme).
Noé. Isis. Osiris.
Bacchus.
Jardins de Babylone. etc., etc.
Pierres pour écraser le grain.
Fi'els des citt^-s lacustres.)
384, Aristote, 322.
23, Pline, 79.
Vigne en Bourgogne.
c Usage du linge.
V
O
a 1543, premier Jardin botanique à Pise. 1530, Olivier de Serres, 1 61 î
a: 1707, Linné, 1778, etc., etc.
G. Ville. Engrais chimiques
X
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VI
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II
IV
VI
VIII
X
XII
XIV
XVI
XVIII
XX
KLEVAGB
I — ARTS DE LA PLANTE :
TRAVAIL DU BOIS TISSAGE CULTURE
Eaux et Forêts. Sylvi. Arbori. Vili. Horti. Agri.
II. — PIIOFESSIONS ET FONCTIONS
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III. — SCIENCES DE LA l'LANTE :
BOTANIQUE ou PHYTOÛNOSIE
Géographie botanique. etc. Organographie.
Chimie organique. Science appliquée ou Phytotechnie. Physiologie.
etc.
5«
Point d'arrivée des arts et sciences de la Plante au temps présent.
-Î8Î
A. PICHE. — LE CERCLE DES CONNAISSANCES HUMAINES ' 114o
En haut du tableau je mets la division logique du sujet : Premier besoin :
vivre... ; puis, la famille et la plante (c'est le titre de ce tableau choisi
comme exemple) ; et je divise la plante en arbres et herbes, puis en ses
parties: racines, souches, troncs, branches, rameaux, feuilles, fleurs,
fruits, graines, tiges, etc.
La partie médiane du tableau donne l'évolution chronologique des
hommes et de leurs hauts faits, inventions, actes, œuvres. A gauche, j'ins-
cris, de haut en bas, les périodes : temps légendaires, préhistoriques, his-
toriques ; histoire ancienne, etc.. et à droite, en chiffres romains, les
cours des siècles historiques, depuis dix siècles avant Jésus-Christ jusqu'à
nos jours.
Dans ce cadre, je mets les faits à l'encre noire ; les noms d'artisans ou
d'artistes en bleu ; les noms de savants, en rouge.
Puisqu'il s'agit ici du tableau de la plante, le premier nom d'artiste est,
naturellement, celui d'Eve, qui cueil/it la trop célèbre pomme. Beaucoup
diront : « Mais Eve n'a jamais existé. » — Je leur répondrai que, dans
cette partie de la mathognosie qu'on appelle mathologie, je n'ai pas à
faire la critique, mais seulement l'exposition des idées. Qu'elle soit vraie
ou fausse, histoire ou légende, la tradition d'Eve et de la pomme ne peut
être ignorée, pas plus que celle de Noé plantant la vigne, d'Osiris inven-
teur du blé, ou d'Isis créatrice de la charrue.
Les recherches préhistoriques nous font ensuite connaître, par les objets
trouvés, les mœurs et coutumes de peuplades disparues. La science de la
plante, enfin, éclôt en Grèce avec Aristote et Théophraste, pour s'épanouir,
depuis la Renaissance jusqu'à l'heure présente ; pendant que les arts et
professions qui s'occupent de la plante se subdivisent toujours davantage.
Au bas de ce tableau chronologico-logique, je fais la statistique de ces
arts, de ces professions et de ces sciences ; j'écris, à l'encre bleue, le
nom de tous les arts qui, à l'heure actuelle, travaillent ou utilisent les
plantes ou leurs parties ; je pose au-dessous, à l'encre rouge, le nom de la
science et de toutes les sous-sciences qui traitent de la plante, comme être,
la botanique et toutes ses subdivisions théoriques et appliquées ; et, entre
les deux, je couche, à l'encre noire, la liste de toutes les professions, ou
fonctions, qui s'occupent de la plante, depuis le bûcheron à gauche, du
côté de l'arbre et du tronc, jusqu'à l'herboriste, à droite, du côté des herbes.
Théorie. — Je ne puis faire imprimer, au volume du Congrès, les ta-
bleaux de cet atlas, trop grands et trop nombreux ; je me borne à vous
en donner un spécimen réduit et à vous en livrer la clef. Chacun de vous
peut prendre une feuille de papier quadrillé et les construire. Il suffit de
quelques heures pour en dresser un, et le garnir de tout ce qu'on sait
sur un sujet.
Il y a plus, et vous le comprenez d'avance ; je n'ai pas l'outrecuidance
1146 PÉDAGOGIE
d'avoir la science infuse et de me croire capable de remplir ces tableaux ;
je ne les ai esquissés que pour vous montrer ce qu'on pourrait faire et un
peu pour ma satisfaction personnelle. On a plaisir à ranger en ordre, sur
un tableau, toutes les notions confuses qu'on a en tête ; que dis-je, on
s'y passionne! Mais pour exécuter cet atlas convenablement, pour faire
sérieusement ces vingt-quatre tableaux, il faudrait s'adresser à des spécia-
listes. Je me borne à vous exposer le procédé pédagogique que j'ai conçu,
à vous en présenter un échantillon et à vous en donner la théorie.
PiRiE. — Ce travail est-il bon, est-il mauvais, vrai ou faux, utile ou
nuisible ? il n'est pas facile de le savoir, surtout pour l'auteur qu'aveugle
toujours l'amour paternel. Tantôt il me paraît admirable, tantôt bien
faible sur un trop grand nombre de points.
L'expérience décidera ! Car, remarquez-le bien, je l'expérimente au-
jourd'hui sur vous. Si vous l'accueillez favorablement, sans doute cher-
cherai-je un éditeur pour l'essayer sur le grand public, moins bienveillant
que vous, à coup sûr, et dont l'attention est plus difficile à capter.
NoMiE. — Vous croyez peut-être que je suis l'auteur de ce travail l
Détrompez-vous ; c'est l'œuvre de milliers d'ancêtres et de grands oncles,
agissant sur moi, en moi, par moi, je dirais presque malgré moi.
De même que la flamme n'est que le lieu où deux gaz se combinent
avec dégagement de chaleur, allant jusqu'à la lumière ; de même, notre
cerveau n'est guère que le point matériel de l'espace où, à certain moment,
se croisent mille idées, qui donnent lieu à une résultante de forme nou-
velle; seulement, c'est un point, non seulement matériel, mais conscient,
et même libre dans une petite mesure, j'ose le croire. Les idées nous
viemient, disons-nous avec juste langage ; notre seul mérite est de leur
avoir préparé un terrain favorable, de ne pas les repousser, d'ouvrir
l'oreille, d'écouter, de traduire. Nous sommes des phonographes, des idéo-
graphes conscients . Voilà tout !
Technie. — Si ce procédé d'exposition coordonnée des connaissances
humaines a réellement quelque valeur, il me paraît qu'employé par des
hommes compétents, il deviendrait susceptible d'applications multiples et
utiles.
Il pourrait servir de préface ou de conclusion aux grandes encyclopé-
dies ; on pourrait l'employer pour la classification de bibliothèques, d'ar-
chives, de musées, et pour le programme d'une Exposition véritablement
universelle. On peut l'utihser, comme je l'ai montré dans le volume pré-
paratoire du Congrès ( Météoi^ognosie des Basses-Pyrénées), et comme je le
fais ici, pour composer la monographie complète d'un sujet.
Enfin, et surtout, il servirait merveilleusement de résumé de fin d'études
pour nos trois ordres d'enseignement, et il y aurait lieu, pour un éditeur
intelligent, de publier trois atlas : l'un, fort simple, pour l'enseignement
ROUSSELET. DES SANCTIONS DISCIPLINAIRES 1147
primaire ; l'autre, de moyenne étendue, pour l'enseignement secondaire ;
le dernier, aussi complet que possible, pour l'enseignement supérieur.
Sophie. — Resterait enfin à faire la philosophie de ce travail ; c'est à
chacun de vous que je laisse le soin d'en faire la critique, de l'apprécier
au point de vue du vrai. Pour moi, si j'en avais le temps, je le vérifie-
rais, en dressant la liste complète des arts, des professions et des sciences,
d'après un dictionnaire de la langue française et en examinant si tous
ces mots figurent sur mes tableaux. Avec de la patience, en rayant les
mots un à un, je m'assurerais qu'aucun ne manque à l'appel.
Quelque long que soit déjà ce travail, il ne constitue qu'une partie
minime de la mathognosie, ou science des sciences. Venant après la ma-
thographie, ou description alphabétique des sciences existantes, il n'est
qu'une partie de la inathologie, puisqu'il traite de leur classification, de
leur nomenclatu re et de leur évolution.
D resterait à faire, pour chaque science, sa scopie, sa théorie, sa pirie;
à découvrir sa nomie, à en faire la technie et la sophie.
C'est là qu'on apprécierait, définitivement, sa valeur et son mérite au
titre de science vraie.
La mathognosie exécutée, les sciences de la conscience et de la croyance
achevées, il resterait encore deux autres cercles d'études à entreprendre,
celui de I'Amour : — car ainsi que l'a dit Bossuet dans un passage qui m'a
frappé : « Elle est stérile la connaissance qui ne nous porte pas à aimer » ;
— enfin, celui delà Bienfaisance, ou de la vertu agissante, — car, sem-
blable à la Foi, l'amour qui n'agit point n'est pas amour sincère ! Cela
fait, l'homme connaîtrait tout son devoir ; il ne lui resterait qu'à le
pratiquer !
M. EOUSSELET
Agrégé de l'Université, Principal du Collège de Brive.
DES SANCTIONS DISCIPLINAIRES
— Séance du 19 septembre 1893 —
On peut ranger en deux grandes catégories les lois auxquelles l'homme
doit se soumettre :
1° Les lois naturelles, dont les unes, lois physiques, gouvernent la ma-
tière, et les autres, lois psychiques, sont relatives aux âmes ;
1148 PÉDAGOGIE
2° Les lois humaines, qui sont des conventions sociales.
Les lois naturelles portent en elles une sanction immédiate invariable,
fatale, qui s'exerce sans avertissement préalable. Quiconque n'obéit pas à
la loi de la pesanteur peut se rompre le cou. Tel qui agit contrairement à
l'idée du bien qu'il conçoit se prépare un cuisant regret.
Les lois humaines sont des règlements, des conventions, des modes
variables avec les temps et avec les lieux. Elles peuvent être en contra-
diction avec les lois naturelles et par cela même devenir caduques puisqu'il
ne peut exister de loi contre la loi. Ceux qui sont chargés de les appliquer
peuvent errer dans l'interprétation ou faiblir dans l'exécution. 11 suit de là
que les sanctions de ces lois sont incertaines, variables, et qu'elles man-
quent du caractère fatal des précédentes.
Cette classification paraît assez clairement établir que les lois humaines,
règles, disciplines, qui président ;\ la vie des groupes sociaux, de la famille
aux plus grandes nations ne peuvent déterminer l'obligation absolue qu'à
la condition de se trouver en harmonie avec les lois naturelles dont elles
doivent être la manifestation et la réalisation, et de posséder, comme elles,
une sanction constante et impitoyable.
Cette nécessité fournit à la Pédagogie le précepte disciplinaire suivant :
éviter les menaces, donner des ordres précis, renfermer le châtiment dans
la faute.
Les menaces sont aussi nuisibles qu'inutiles. On se moque bien vite
d'une punition qui reste toujours en l'air et l'on ne tarde pas à mépriser
le Jupiter qui fronce les sourcils en agitant des foudres qui n'éclatent
jamais.
Observons la nature. Elle ne nous avertit jamais de l'existence d'une
loi que par la sanction dont nous sommes les victimes. La nourrice qui
apprend à marcher à son bébé ne fait autre chose que de donner connais-
sance à l'enfant de la loi d'équilibre par la sanction inévitable qui meurtrit
le nez du téméraire : s'il transgresse la loi de la pesanteur, la nature le
laisse choir sans broncher. Voilà de vraies leçons. Elles sont les meilleures,
sans <loute parce qu'elles coûtent souvent fort cher et qu'il faut régler la
note de suite sans protester.
Je sais bien que les menaces et les discours qu'on tient d'ordinaire à
l'enfant partent d'un bon naturel. On a l'expérience des choses et lui ne l'a
pas. On voudrait le faire bénéficier de cette expérience. Comme si cela pou-
vait être complètement!— Henri, tu vas te faire mal ; Pierre, tu vas tomber;
Paul, tu vas te salir ; fais ceci, attention à cela, ne va pas là, viens ici, ne
fais pas cela, et patati et patata. Comme toutes ces paroles sont inutiles et
ne valent pas une bonne petite leçon de choses de la nature, la plus sérieuse
des gouvernantes ! Pierre va tomber; eh! chers parents, laissez-le se risquer,
qu'il se débrouille. S'il tombe, ce n'est pas grave à cet âge ; il en deviendra
ROUSSELET. — DES SANCTIONS DISCIPLINAIRES 1149
plus circonspect. Vos paroles l'étourdissent et lui enlèvent le bénéfice de la
leçon.
Il faut vraiment que lenfant possède la merveilleuse dose de patience
que nous lui connaissons pour ne point perdre la tête sous le déluge de
paroles et de recommandations qui l'accablent. Il est vrai qu'il s'y habitue
comme on s'habitue au son des cloches, au bruit des voitures de la rue, ou
au tic tac d'une horloge. Occupé à un jeu qui l'absorbe, à une construction
qui développe ses facultés bien autrement que toutes nos fameuses leçons,
il n'entend pas l'appel de sa mère et répond oui pour se débarrasser d'une
intervention qui le dérange dans ses travaux. — Auguste, viens apprendre
ta leçon. — Oui. maman... Au bout de cinq minutes, nouvel appel.
— Oui, maman... Il continue son œuvre. — Auguste, tu m'agaces. — Oui,
maman. — Si je vais te chercher, tu me le paieras. — Oui, maman... La
mère se dérange, lui tire les oreilles en mère et prend sa revanche en
paroles terribles : Cet enfant tournera mal, il me fera mourir... Elle n'en
croit rien, ni lenfant non plus d'ailleurs. On a simplement eu tort de lui
laisser contracter la mauvaise habitude de ne pas obéir au premier ordre,
et il sort de là des paroles inutiles, des agacements, des froissements,
des répulsions et quelquefois de la haine. Il eût été si simple de punir à
la première désobéissance.
L'enfant a vite fait de distinguer le commandement ferme de l'obligation
sentimentale qui ne l'engage point.
L'ordre a été donné de ne pas manger avec les doigts. Lenfant a oublié;
il trouve d'ailleurs que c'est plus facile et plus simple que de manier une
fourchette. Il n'y a pas lieu de renouveler l'ordre ni de faire grand tapage
en exhalant par des éclats de voix, reproches et grandes phrases, une colère
inutile. Une chiquenaude bien appliquée suffit et sera renouvelée s'il y a
lieu.
La volonté des parents est la seule loi de l'enfance. En conséquence^ les
parents doivent veiller attentivement à ce que leurs ordres soient précis et
qu'une sanction immédiate atteigne toujours le délinquant. Nous n'avons
pas la prétention d'indiquer ici la nature des punitions qui varient selon
les milieux et les familles. 3Iais il est bon que la même faute soit toujours
suivie de la même réparation et qu'on aperçoive entre elles un rapport
étroit. Une répression trop sévère pour une peccadille découragera le patient
de même qu'une bienveillance exagérée dans les cas graves sera dange-
reuse pour l'autorité.
La faute doit porter en elle sa punition. L'enfant a été gourmand : pri-
vation partielle ou totale de dessert. Il s'est mal tenu en visite, dans la rue :
la promenade dont il se faisait fête sera ajournée. Il s'est montré orgueilleux,
brutal : un petit froissement d'amour-propre lui sera favorable. 11 a fait le
paresseux, un surcroît de travail lui sera infligé. C'est la méthode de la
1150 PÉDAGOGIE
nature : procurer à l'enfant un plaisir lorsqu'il fait un effort pour remplir
son devoir ; lui faire supporter, dans le cas contraire, une privation plus
désagréable que n'eût été l'effort lui-même. Les jeunes enfants qui y sont
soumis prennent de suite de bonnes habitudes de conduite aussi facilement
que d'autres mal dirigés en contractent de mauvaises, La force de ces habi-
tudes s'accroît à mesure que l'élève va grandissant lui-même.
Il ne faut pas oublier que nos commandements doivent être en harmo-
nie avec les lois naturelles. Si l'accord n'est point complet, le résultat sera
médiocre. Par exemple, nous savons que les organes du corps de l'enfant
ne se développent pas uniformément. A un moment donné la force vitale
agit avec plus d'intensité, tantôt dans la formation du squelette, tantôt
dans celle du système musculaire, d'autres fois sur les vaisseaux et sur les
nerfs. Peut-on croire que l'innervation, facteur des études, demeure cons-
tante au milieu des modifications incessantes des autres fonctions qui s'ac-
célèrent, se ralentissent et parfois même s'arrêtent ? Évidemment non. Se
préoccupe-t-on de ces variations pour mesurer la résistance à un instru-
ment si délicat? La marche ordinaire des études ne le fait pas supposer. Un
travail quelconque est imposé, qui doit être bien fait dans un temps déter-
miné, selon le critérium qui convient à un adulte. Avant de nous rendre
compte de la capacité du vase, nous versons notre science pédante et nous
exigeons, insensés ! que le vase rempli ne déborde point. Pour un peu nous
ferions avaler un bifteck à un nouveau-né. L'organisme résiste, naturelle-
ment. Nous décrétons que le bifteck entrera quand même. Nous mettons
en batterie notre prétendue autorité. Comme elle est vaincue par la loi
psychique, nous appelons à l'aide toutes les coercitions qui peuvent être le
plus désagréables au patient. Nous le punissons parce qu'il a une trop
faible capacité. Cela lui apprendra à faire des os ou des muscles alors que
nous voulons du flux nerveux. Pauvre enfant !
Tout père de famille rêve pour son fils Normale ou Polytechnique. Si les
aptitudes du sujet s'accordent avec les exigences des examens, on peut
tenter l'épreuve. Mais s'il n'en est pas ainsi ? Eh bien, on passe outre et
l'orgueil des parents courra la chance. Au lieu d'un citoyen utile, la société
comptera un déclassé de plus.
Cet excès de zèle s'explique. On voudrait voir ses enfants de suite savants,
riches, heureux. Hélas ! la science s'acquiert péniblement, la richesse s'éva-
nouit souvent bien vite entre les mains de ceux qui ne l'ont point amassée
et le bonheur est fugitif pour les âmes qui n'ont pas été trempées par la
dure expérience !
D'autres fois on tombe dans l'excès contraire : Pourquoi ennuyer les
enfants par des commandements et par des punitions ? La vie n'est-elle
point déjà assez dure par elle-même pour que nous rendions malheureux
ces pauvres jeunes gens ? Il faut leur donner ce qu'ils désirent quand on
ROUSSELET. — DES SANCTIONS DISCIPLINAIRES 1151
le peut. Qu'ils jouissent d'abord et le plus possible, ils seront assez tôt sevrés
par l'ingrate nature.
11 faut avouer que cette période de jouissances constitue un singulier
entraînement à la lutte pénible de la vie dans laquelle l'homme n'assure
son bien-être que par un labeur incessant qui exige force, science et
sagesse. Que vient faire ici la sentimentalité? En admettant qu'elle satis-
fasse au besoin d'affection d'un vieillard qui va disparaître, ne ruine-t-elle
point l'avenir du jeune homme qu'elle met dans l'incapacité de se con-
duire et de gérer ses biens autrement que par un conseil judiciaire ?
Non, ce qui manque à nos jeunes générations, ce n'est pas le bien-être
matériel, ni les bons maîtres, ni les bons conseils. C'est un idéal. Les
jouissances qu'on a présentées au jeune homme dans sa première jeunesse
comme la fin de toutes choses ont émoussé ses appétits. Elles ont tué en
lui la noble aml»ition et les vastes pensées. Il est incapable de savourer le
fruit délicieux du devoir accompli dont l'écorce est amère parfois. — Le
blé a été mangé en herbe et l'impatient ne peut jouir du triomphe de la
moisson.
L'expérience démontre tous les jours qu'au moment oîi surgissent les
périls de radolescence,le jeune homme qui n'a point été habitué dès son jeune
âge à la discipline que nous préconisons ne trouve pas devant lui un rem-
part qui le protège suffisamment contre les assauts furieux des passions
naissantes. Il ne sait pas conformer ses actes aux indications de la cons-
cience, qui s'éveille pourtant alors et dont les voix mystérieuses parlent
assez haut dans tous les cœurs. Cependant le bonheur de notre vie dépend
de l'accord de notre volonté avec cette puissance secrète qui demeure éter-
nelle, tandis que les passions ont jonché notre cœur flétri de leurs jouis-
sances éphémères. Heureux les adolescents qui obéissent à sa voix! Us
peuvent sans trop d'avaries franchir le terrible cap des tempêtes. Mais les
autres ? Les autres seront plus ou moins entraînés selon la violence des
tempéraments. Quelques-uns succomberont définitivement. Le plus grand
nombre survivra et formera la catégorie des médiocres de l'âme. Ce sont
des blessés qui portent au flanc une plaie incurable. Ils traîneront le boulet
d'une vie sans idéal où les besoins grossiers feront la loi, vie banale qui
desséchera de plus en plus les brillantes facultés de l'âme.
Non, l'éducation telle que nous la comprenons et la pratiquons ne fait pas
le malheur de la jeunesse. Au contraire ; elle donne du ressort à la volonté,
elle établit fermement le règne de la conscience, elle affine la sensibilité;
en préparant l'âme à tous les labeurs, à tous les sacrifices, elle la rend
capable d'apprécier les suprêmes jouissances du devoir accompli et lui fait
goûter les aspirations au vrai, au beau, au bien qui constituent la vie des
plus nobles.
Ho2 PÉDAGOGIE
M. Frédéric PASST
Membre de l'Académie des Sciences morales et politique?, à Neuilly-sur-Sdiie.
L'ÉDUCATION PHYSIQUE
— Séance du 2/ septembre t892 —
C'est à la Section d'Économie politique que je devais d'abord parler de
l'éducation physique. C'est à la Section de Pédagogie que je me trouve
appelé à en parler. Après tout, la question intéresse également le péda-
gogue et l'économiste, et l'importance d'une bonne éducation physique
n'est pas moindre au point de vue du travail intellectuel et de la valeur
morale des générations qu'au point de vue du travail matériel. Mens sana
in corpore sano, une âme saine dans un corps sain : voilà l'idéal ; il y a
longtemps que la sagesse antique l'a proclamé. Non, assurément, que la
valeur du corps fasse toujours la valeur de l'âme. Tels, robustes et bien
constitués, ne savent ou ne veulent faire de leurs forces un emploi utile.
Tels, au contraire, malgré les faiblesses ou les défaillances de leurs
organes matériels, arrivent, à force de volonté, à des résultats admirables.
Mais si la même puissance directrice avait à son service des instruments
meilleurs, elle obtiendrait davantage, et quand la monture se refuse abso-
lument à porter le cavalier, que peut le cavalier?
C'est une vérité qui, toute simple qu'elle soit, a été trop longtemps
oubliée, au moins dans une partie de nos établissements d'éducation.
A l'époque oîi les plus vieux d'entre nous étaient au collège, on encoura-
geait outre mesure, on tolérait, tout au moins, des exc^s d'études perni-
cieux pour la santé et peut-être, en somme, peu favorables à l'instruction
elle-même. Je me souviens qu'un homme, dont le nom était alors connu
de tous les écoliers parce qu'il était l'auteur d'un dictionnaire grec que
beaucoup avaient maudit, M. Alexandre, étant venu, comme inspecteur
général, visiter le collège Louis-le-Grand, et ayant trouvé, à l'heure de la
promenade ou de la récréation, de bons élèves enfermés dans une salle, à
l'état de ce que l'on appelait la retenue volontaire, il entra dans une véri-
table fureur et demanda au proviseur s'il avait juré d'étioler par avance la
meilleure partie de son personnel, déclarant qu'ils feraient beaucoup mieux
leur thème grec et leur discours latin s'ils s'y préparaient par quelques
bonnes parties de barres ou de balles. On autorisait aussi, dans les hautes
F. PASSY. — LKnUCATION PHYSIQUE 1 J o3
classes, ce quon ajtpclait des veillées. On se couchait à 10 heures au lieu
de se coucher à 8 h. 4o. On s'endormait sur son papier, que l'on
retrouvait maculé d'encre, et parfois même on s'était endormi avant
le souper, jjarce que la nature réclamait l'heure de sommeil perdue
la veille.
Je crois que l'on en est revenu, aujourd'hui, dans les lycées. .le ne suis
même pas bien sûr — et j'y insisterai tout à l'heure — que l'on n'ait
pas passé la mesure, et que la campagne contre le surmenage intellectuel
n'ait pas abouti quelquefois à un surmenage physique.
Dans la sphère de l'instruction primaire, J'ai bien peur qu'on ne soit
encore dans la période du surmenage intellectuel. On voit des enfants de
onze ans tout tiers d'avoir leur certificat d'études, et les parents et les
maîtres encore plus fiers que les enfants. Nous savons bien que cela ne
suppose pas une instruction très complète. Combien, cependant, n'a-t-il
pas fallu entonner de choses dans leur mémoire ! Et combien, pour les y
faire entrer et les y retenir, au moins momentanément, n'a-t-il pas été
nécessaire d'ajouter aux heures de classes, d'heures supplémentaires de
travail à la maison 1
Qu'est-ce lorsque, à la suite de ce premier certificat, qui donne trop
souvent l'ambition de délaisser les professions manuelles, on veut con-
quérir de nouveaux diplômes? J'avoue que je ne suis pas bien sûr que l'on
n'ait pas multiplié, outre mesure, ces épreuves. Et je ne suis pas bien
sûr non plus qu'elles soient toujours des garanties réelles de savoir et
surtout de capacité.
Un des hommes qui se sont le plus occupé d'enseignement, un de ceux
qui ont le plus fait pour l'instruction primaire et pour les bibliothèques
populaires, M. Laboulaye, me disait un jour ce mot, que je n'oserais
peut-être pas répéter si je ne pouvais le couvrir de son autorité : « Méfiez-
vous des bétes à diplômes ». Il n'est pas du tout certain, en effet, que la
véritable valeur d'un maître ou d'un professeur se puisse mesurer à la
quantité d'examens qu'il a passés. Enseigner, ce n'est pas seulement
savoir, c'est jtosséder l'art de transmettre ce qu'on sait. Élever, c'est-à-dire
former à la fois l'esprit et le caractère, ce n'est pas seulement débiter
machinalement, comme un phonographe, des notions que l'on a plus ou
moins absorbées, c'est agir par toute sa personne sur la petite famille
dont on doit être le guide. C'est se mettre, par un travail incessant et
incessamment varié, à la portée des jeunes intelligences auxquelles on
s'adresse. C'est atteindre les cœurs en môme temps que les esprits, et
susciter les volontés, réveiller les indolences, contenir et diriger les instincts
encore irréguliers. De même qu'on n'est pas un médecin parce qu'on sait
la médecine, et qu'à côté et au-dessus de la science, sans laquelle on est
exposé à commettre les plus graves erreurs, il y a le coup d'œil, le sens
73*
1154 PÉDAGOGIE
personnel et ce qu'on appelle le tact médical, que la science aide, mais ne
donne pas ; de même il y a ce que l'on pourrait appeler le tact éducatif
que toute l'instruction du monde ne saurait donner. 11 y a la personnalité
et il y a l'expérience. A cet égard, je crains que les exigences nouvelles et
excessives d'examens et de grades n'aient pas toujours profité à l'éducation.
Je leur fais un autre reproche qu'il eût été et qu'il serait, il est vrai, très
facile d'éviter, c'est d'entraîner à l'égard de l'ancien personnel, plus ou
moins dépourvu de grades que l'on n'obtenait pas lorsqu'il est entré dans
la carrière, une défaveur absolument injuste qui a pour résultat de mettre
trop souvent les services les plus éprouvés au-dessous des parchemins les
plus récents.
Mais je laisse cette parenthèse et je reviens, ou plutôt j'arrive, à mou
objet principal.
Une réaction s'est produite depuis quelques années en faveur des exer-
cices physiques. Elle était nécessaire et, à la condition d'être modérée et
raisonnée, elle ne pouvait être que salutaire. L'a-t-elle été suffisamment?
Et n'a-t-on pas un peu passé, suivant notre habitude de sortir d'une
routine par une révolution, d'un excès à l'autre?
Nous avions des forts en thème ou en discours latin que l'on cultivait
spécialement en vue du concours général, sans se préoccuper toujours
suffisamment de l'ensemble de leurs études. Nous avons eu, et nous avons
encore des forts en course, en boxe, en vélocipède ou en natation, que
l'on cultive de même au détriment de leurs études parfois, en vue du
o-rand jour où ils devront représenter le collège ou l'institution. Dans tel
lycée où l'on ne permettait pas, il y a quelques années, de jouer à la balle,
aux barres ou à saute-moulon, on donne aux sujets, qui ont du biceps ou
du jarret, des dispenses d'études pour aller s'entraîner, et on leur prépare,
au retour, un bifteck de faveur. Aux jours des épreuves, des exagéra-
tions fâcheuses sont permises. Sans citer des faits particuliers qui sont à
ma connaissance personnelle et qui ont eu quelquefois les conséquences
les plus graves, croit-on que ces défis et ces paris de courses en véloci-
pède, de marches excessives, dont on entretient le public, soient sans
inconvénient et sans danger ? Us surexcitent outre mesure la vanité ; ils
donnent à certaine supériorité physique, parfois de second ordre, parfois
même acquise au prix de déformations véritables, comme celles dés jockeys,
une importance absolument ridicule. Us accoutument à jouer et à parier
sur les hommes comme sur les chevaux et contribuent à entretenir, dans
une partie de la population, un état d'agitation factice et de mouvement à
vide qui n'est certainement pas sans inconvénient. On dit, pour excuser
ces abus, que cela fortifie les générations, prépare les hommes aux devoirs
les plus sérieux et leur donne du muscle et de la résistance. Je crains que
ce ne soit précisément le contraire. J'ai souvenir d'un colonel qui, pendant
VAUTHIER. — PROGRAMME DE l'eNSEIGNEMElNT l'LBLIG EN DÉMOCRATIE lloO
une période de vingt-huit jours, traitait de propos délibéré ses réservistes
avec la plus grande dureté, l'orçanl les étapes et les exercices, ne permet-
tant pas, quand on avait reçu la pluie, d'allumer du feu, même pour
chauffer la soupe, et interdisant d'ouvrir les sacs pour en tirer les quelques
provisions qui pouvaient s'y trouver. « Vous en verrez bien d'autres à la
guerre », répétait-il. Un des hommes mourut à la peine; d'autres furent
plus ou moins malades. A la lîn de la période, une revue fut passée par
le général. Celui-ci, qui avait fait la guerre au moins autant que le
colonel, examina les hommes avec soin, fit ouvrir les sacs, demanda
pourquoi les provisions qui s'y trouvaient n'avaient point été mangées et,
finissant par se rendre bien compte de ce qui s'était passé, apostropha
le colonel en lui demandant ce qu'il pourrait faire de ses soldats à l'heure
de la guerre s'il commençait par les abîmer en temps de paix. N'imitons
pas cet excès maladroit. Ne risquons pas, par des exagérations impru-
dentes, de compromettre la santé de beaucoup pour produire quelques
prodiges. Ce ne sont point des athlètes ou des coureurs de profession que
nous avons à former, ce sont des hommes, et, même au point de vue
purement physique, les phénomènes ne sont point l'idéal. Apollon, souple
et harmonieux, triomphait, dit-on, du lourd et massif Hercule, comme
dernièrement, dans cette lutte ignoble qui a déshonoré les États-Unis,
le champion de la boxe, le colosse Sullivan, a été mis à bas par le jeune
Californien, qui avait pour lui l'agilité et le coup d'œil.
M. YATITHIEB,
Ancien Ingénieur des Ponts et Chaussées, à Paris.
QUE DOIT ETRE LE PROGRAMME DE L'ENSEIGNEMENT PUBLIC EN DEMOCRATIE
— Séance du ^1 septembre 1892 —
Le capital intellectuel d'un e nation est sa plus précieuse richesse.
Ce sont les écoles allemandes qui nous ont vaincus, a-t-on dit après
1870; — assertion un peu forcée peut-être, mais contenant assez de
vérité pour mériter attention.
i loG PÉDAGOGIE
Ce capital intellectuel, le fonds en est donné par la nature. C'est la
culture qui le développe et le porte à son maximum de puissance.
L'enseignement public doit être la principale préoccupation d'un peuple
libre.
Cet enseignement, comment, dans un pays démocratique, en concevoir
l'organisation ? C'est ce que nous allons essayer de rechercher, en tâ-
chant de nous défendre de toute utopie, et de tenir compte des difficultés
et nécessités de la pratique.
Le développement intellectuel par l'enseignement peut être conçu
comme une échelle ascendante continue et illimitée.
Toutes les intelligences sont-elles aptes à gravir cette échelle sans limite
assignable ?
Toutes peuvent-elles y prétendre? Malheureusement non. Par infé-
riorité cérébrale, par impuissance de volonté, les unes s'arrêtent en
chemin. D'autres, pour obéir à certaines nécessités pratiques, sont forcées
de subir cet arrêt.
Ce qui vient de la nature doit être accepté avec résignation, dans tous
• les temps ; ce qui vient de l'état social doit l'être aussi tant que cet état
social n'aura pas été modifié; et nous ne voulons pas, même de loin, à
propos d'un programme d'enseignement, essayer de réformer de fond en
comble la société.
Abstraitement donc: échelle continue et sans limite déterminée; pra-
tiquement, échelle ascendante forcément coupée de paliers d'arrêt.
Telle est l'idée qu'on peut se faire de la position rationnelle du pro-
blème.
Est-ce bien ainsi qu'elle est comprise?
Une observation avant d'aborder cet examen.
Sera-t-il dieu, table ou cuvette ? se demande le statuaire en face du
bloc qu'il va façonner. Cela est son droit. 11 travaille une matière inerte.
Le résultat à obtenir dépend de sa volonté seule et n'importe en rien à
l'élément passif sur lequel il opérera.
Une telle détermination est-elle légitime lorsqu'il s'agit de jeunes
intelligences à développer? Non seulement cela semble excéder le droit de
la communauté, mais cela même est contraire à l'intérêt de celle-ci.
Tous les enfants de France naissent libres et égaux. De quel droit, pour
quelle utilité, dire à l'un : voilà jusqu'où il t'est permis de développer tes
facultés intellectuelles, en même temps qu'on dit à l'autre ; toi tu devras
forcément t' élever à ce haut degré, quelle que puisse être ton impuissance
naturelle?
N'est-ce pas cependant selon ce plan qu"'est organisé l'enseignement
public? et la préoccupation principale ne semble-t-elle pas être de créer
des arrêts de développements successifs, plutôt que de porter chaque
i
VAUTHIER. — l'ROGHAMME DE l'eNSEIGNEMENT l'LBLIC EN DÉMOCRATIE llo"
intelligence au plus haut point de culture qu'elle puisse atteindre?
Ensei<j7iement PHiyiAiHV.. enseignement secondaire, enseif/nement supérieur,
tels sont, d'après une pratique ancienne déjà, les trois termes échelonnés
de l'enseignement public.
On a récemment introduit dans la série deux éléments mixtes : l'en-
seignement primaire supérieur et l'enseignement secondaire moderne,
combinaisons ambiguës, dont l'examen jette une vive lumière sur la dis-
position d'esprit de ceux qui président à la direction de l'enseignement
public: ministre et corps consultatifs de divers ordres qui l'assistent.
Envisagée dans son expression extérieure, cette sériation des enseigne-
ments successifs est pleinement rationnelle. Elle ne discorde pas avec
l'idée abstraite émise plus haut, quand on tient compte des nécessités de
la pratique. Il convient bien, en effet, que l'intelligence qui se déve-
loppe procède par étapes; qu'elle puisse s'élever par échelons jusqu'à un
certain niveau et s'y arrêter, si la force pour aller plus haut lui manque,
ou que des nécessités de situation l'y contraignent.
Mais, ceci admis, si, dautre part, la conception d'une échelle ascen-
dante continue est juste, ne convient-il pas que, dans chacune des étapes
à franchir, l'enseignement soit organisé selon la formule ci-après : fournir
autant que possible àl' élève des outils pratiques immédiatement utilisables;
en second lieu, dans un ordre gradué, préparer son esprit à Vacquisition
de connaissances plus amples, soit par ses propres efforts dans le milieu
ambiant, soit à l'aide d'un nouvel enseignement dans l'étape suivante ?
Ce sont là, sans doute, deux objets distincts, qui appellent et exigent
l'emploi de procédés pédagogiques différents, mais qui doivent à coup
sûr préoccuper autant l'un que l'autre. N'est-il pas à craindre que, sous
l'impulsion d'idées dites pratiques et par réaction, légitime d'ailleurs,
contre un système d'enseignement universitaire qui semblait conçu pour
des êtres de raison n'ayant à tenir nul compte des besoins réels de la vie,
on ait, en se préoccupant trop du premier terme de la formule ci-dessus,
trop négligé le second. Voilà certainement un point qui mérite examen.
Envisageons d'abord l'enseignement primaire. Quel est-il au fond et
comment se présente -t-il pour ceux qui le reçoivent?
Nous avons dit ailleurs (1) que cet enseignement ne contient rien de la
science. Comme toutes les assertions trop brèves, celle-là peut être con-
testée. Nous allons la confirmer en y mettant les nuances qui conviennent.
Mais selon nous, le tort qu'on a serait plutôt de ne pas se résigner plus
absolument à cette assertion que de l'enfreindre.
Toutes les disciplines comportent, pédagogiquement, quoique dans des
proportions très différentes de l'une à l'autre, l'emploi indispensable de trois
(il Congrès de Marseille. — Du rôle de l'élude des langues anciennes dans l'enseignement secon-
daire.
i 158 PÉDAGOGIE
modes d'action : la préparation routinière; l'enseignement théorique; la
confirmation pratique.
De ces trois termes, l'intermédiaire est incontestablement le plus haut
en dignité, même en efficacité. 11 domine de beaucoup les deux autres;
cependant on échouerait en voulant l'employer seul. Essayer de faire
comprendre les théories arithmétiques à qui ne sait pas calculer serait une
tentative vaine ; espérer que ces théories sont bien gravées dans l'esprit,
si on ne les y a pas fixées par des exercices et des applications pratiques,
ce serait une illusion.
La routine est donc à la racine de tout développement intellectuel.
Le plus grand tort qu'on puisse avoir, pédagogiquement parlant, c'est
d'essayer d'y échapper, ou de faire du moins prématurément appel à
l'enseignement didactique; et, dans l'enseignement primaire, pour fournir
aux intelligences enfantines les outils immédiatement utilisables et, dans
tous les cas, nécessaires pour s'élever plus haut, c'est surtout la prépa-
ration routinière à laquelle il faut faire résohmient appel.
Sous ce rapport, nous sommes disposé à croire que les programmes et
leur mise en pratique ne laissent pas trop à désirer ; et, s'il y avait à cet
égard des modifications à introduire, des lacunes à combler, les perfec-
tionnements paraissent possibles dans la voie où l'on est entré.
La première condition de la formule idéale proposée plus haut se trou-
verait donc ici satisfaite. Mais qu'en est-il du second terme? Y songe-t-on
seulement ? et la seule idée de préparer, dans l'étape de l'enseignement
primaire, les jeunes intelligences qui le reçoivent à s'élever plus haut, si
elles en ont la force et en sentent le besoin, ne va-t-elle pas sembler aux
praticiens attitrés de l'enseignement public une utopique conception ?
La question cependant vaut la peine d'être examinée. Il n'est pas indiffé-
rent au bien du pays qu'on obtienne, à la fin des études primaires, de
jeunes cerveaux frappés d'une sorte d'arrêt de développement, se croyant,
par leur certificat d'études, dans l'ignorance où ils sont de toute autre
chose, à l'apogée des connaissances humaines, ou que l'on ait pour
résultat, au contraire, de petites cervelles éveillées, ouvertes à toutes les
curiosités, et qui, si elles ne connaissent encore rien de la science,
savent au moins qu'il y en a une.
Les outils élémentaires que l'enseignement primaire fournit sont pré-
cieux au plus haut degré pour la vie pratique. Mais, si utiles qu'ils puis-
sent être aussi pour le développement mental ultérieur, ils ne constituent
pas par eux-mêmes ce développement. Il ne faut se faire aucune illusion
à cet égard. Pour peu qu'on ait observé, combien n'a-t-on pas vu, dans
un passé que nous touchons de la main, d'intelligences dénuées de toute
culture reçue sur les bancs de l'école l'emporter en combinaisons fines,
rapides et justes sur des esprits ayant puisé sur ces mêmes bancs l'habi-
VAUTHIER. — PROGRAMME DE l'enseignement PUlîLir. EX DÉMOCRATIE 1159
tude de ne rien pouvoir faire que le crayon et le papier à la main.
Il est excellent que tous les Français sachent lire et écrire; mais, ce
résultat obtenu, on n'aura pas, pour cela, élevé dans une bien forte pro-
portion la moyenne de l'intelligence nationale, si l'école primaire reste
une sorte de milieu clos, où l'effort mental se borne à l'acquisition et au
maniement de certains outils pratiques. A travers ces parois fermées, il
faut pratiquer des ouvertures donnant des échappées de vue sur le vaste
monde du dehors.
11 y a là un problème, problème ardu, car ce n'est ni dans des amusettes
de leçons de choses ni dans de superficiels exposés à prétentions encyclo-
pédiques qu'il en faut chercher la solution. Cette solution, nous ne préten-
dons nullement la donner ici. Elle correspond à la dilliculté pédagosique
la plus haute peut-être qui soit : celle de mettre à la portée des intelligences
enfantines les principales vérités de la science, sans rien faire perdre à
celle-ci de sa précision et de sa sévérité. Cette solution exige, en outre, non
seulement des programmes parfaitement élaborés, mais des professeurs
aptes à les développer ; et cela ne s'obtiendra, avec l'aide du temps,
qu'après bien des tentatives, des recherches et des efforts. Seulement ce
problème, il faut le poser et tâcher de le résoudre, pour donner à l'ensei-
gnement national sa constitution logique et toute son efficacité.
Si nous passons à l'enseignement secondaire, les observations que celui-ci
suscite prennent un autre caractère. Ici l'emploi judicieux de la routine a
logiquement perdu du terrain. C'est l'enseignement méthodique avec toutes
ses ressources qui prend toute la place. N'en prend-il pas trop? Et, en don-
nant à l'abstrait, dans cette étape, l'importance qui lui est due, ne néglige-
t-on pas un peu trop le concret? Nous l'avons dit ailleurs (1), renseigne-
ment secondaire semble n'être conçu que comme un moyen de s'élever
vers les enseignements complémentaires supérieurs, mais il n'aboutit de
lui-même à nul palier de repos. S'il donne en effet à celui qui l'a reçu des
diplômes qui constatent le fait, et servent pour l'accès aux fonctions
publiques, il ne lui fournit pas des outils déterminés immédiatement utili-
sables, dans les autres domaines de la vie pratique. Pour l'enseignement
primaire, le plafond est trop bas et sans prise d'air. Ici c'est le grand air
et il n'y a pas de plafond du tout.
Au premier défaut signalé pour l'enseignement primaire, on a tenté de
parer par V enseignement primaire supérieur ; au second par l'enseignement
secondaire moderne. De l'échelle ascendante de l'enseignement qui, logi-
quement, devrait être, dans une société égalitaire, essentiellement con-
tinue, on a fait partir deux branchements, qui ne rejoignent plus la
route principale, et constituent des impasses. Sauf exceptions rares, en
(1) Congrès de Marseille. — Brochure déjà citée.
1160 PÉDAGOGIE
effet, le sort intellectuel de ceux qui y pénètrent est réglé. Le cadre qui
limite leur développement cérébral a des dimensions immuables.
Pour l'enseignement primaire supérieur, étant donné le fait actuel de
la diversité des situations sociales, il semble malaisé de ne pas accepter,
transitoirement aii moins, la donnée particulière, on pourrait dire le vice
logique, auquel il correspond. Toutefois, à cet enseignement lui-même pour-
rait s'appliquer en partie ce qui a été dit ci-dessus à propos de l'enseigne-
ment primaire; et, si l'application s'impose moins impérieusement, ladifli-
culté en ser>ait, en revanche, ici, beaucoup moindre. Quoiqu'il y ait, à l'ori-
gine de cette impasse, une détermination volontaire de ceux qui se ré-
solvent à y entrer, quoiqu'ils semblent avoir, d'après des considérations
diverses consenti par avance à un arrêt de développement, et renoncé à
suivre la grande route des hauts sommets, il se pourrait que des aptitudes
ignorées se révélassent en chemin. Aussi, tout en se préoccupant au premier
chef des outils pratiques à fournir, il conviendrait de ne pas négliger entiè-
rement ce qui pourrait préparer une élite à s'élever plus haut.
Mais, si, pour l'enseignement primaire supérieur, la nécessité pratique
de sa création peut être plaidée, celle de l'enseignement secondaire mo-
derne paraît plus difficile à justifier. On peut se demander si tout cet
appareil spécial était bien nécessaire, si une nouvelle bifurcation s'imposait
et si la solution du problème n'était pas plutôt dans un remaniement de
l'enseignement secondaire classique consistant, en lui infusant à plus haute
dose le sens pratique qui y fait défaut, à lui demander, sans rien retrancher
de l'enseignement méthodique qui fait sa force, de fournir lui-môme les
outils pratiques en vue desquels le nouvel enseignement secondaire a été
institué. Et ne suffisait-il pas pour cela de se rappeler que tout enseignement
abstrait a pour couronnement logique et, peut-on ajouter, pour auxiliaire
des plus utiles, les applications concrètes qui en forment la confirmation
pratique?
Prenons un exemple unique, celui des langues étrangères. L'appren-
tissage routinier de celles-ci dans la première enfance n'a qu'une valeur
limitée. C'est de ce point de vue que nous nous sommes prononcé pour
le maintien de l'enseignement syntaxique du latin et du grec, et nous
jugerions puéril, avec beaucoup de bons esprits, de pousser au delà
l'étude des langues mortes et d'introduire, dans les lycées classiques, le
charabia latin dont on fait encore usage en certains pays. Mais, s'il est
vrai que cette étude bien dirigée soit pour l'esprit la meilleure des
gymnastiques, ce n'est qu'une légère surcharge — qui d'ailleurs lui est
imposée déjà aujourd'hui, — que d'y adjoindre l'étude d'une ou de plu-
sieurs langues vivantes. Seulement, pour ces dernières, à l'enseignement
syntaxique devrait s'ajouter, ou plutôt marcher parallèlement avec lui,
la pratique de la langue non pas à l'aide de thèmes écrits, mais parlée
VAUTHIER. — PROGRAMME DE L ENSEIGNEMENT PUBLIC EN DÈMOCKATIE 1161
et appliquée par intermittences, pendant certaines périodes déterminées, à
l'ensemble des fonctions de la vie scolaire, ainsi que cela se pratique dans
quelques institutions étrangères. Loin d'être une surcharge pour le tra-
vail syntaxique, ce lui serait plutôt un allégement.
Si nous ne devions nous borner, nous en dirions autant de l'étude des
sciences. Les applications concrètes sont bientôt saisies, quand la théorie
méthodique est bien comprise.
Devons-nous aller plus loin?
Au-dessus de l'enseignement secondaire, ce qui reste à gravir de Té-
chelle est fait pour une élite restreinte. Ce qui imprime à la mentalité de
celte élite sa direction parait devoir moins intéresser la masse que ce qui
se passe dans les échelons inférieurs. Il n'en est rien, car c'est dans cette
élite que se recrute, et devrait se recruter plus largement encore, pour
le bien du pays, le personnel dirigeant de la société. C'est la seule aristo-
cratie admissible en pays démocratique. Mais elle est utile et bonne.
Dans cette sphère élevée, les idées ci dessus développées paraissent
applicables. La routine n'a plus ici que faire. Il est pourvu aux applica-
tions pratiques par des écoles spéciales. Le seul défaut serait peut-être,
dans les hautes écoles théoriques, l'École polytechnique ou l'École nor-
male supérieure; les seules que nous visions, qu'on n'imprime pas à l'en-
seignement un vol assez élevé et tout à fait encyclopédique. Loin de
nuire à la préparation de praticiens éminents, ce qui est le but, cela ne
pourrait qu'en former de meilleurs. Ces praticiens oublient, parce qu'ils
le délaissent, — et peut-être font-ils bien, — le maniement spéculatif des
hautes théories qu'ils ont apprises et comprises, mais sans cette intense
gymnastique cérébrale, ils n'auraient pas acquis la puissance de coordi-
nation des idées qui fait leur valeur.
En résumé, on ne peut guère, croyons-nous, beaucoup différer sur le
but que nous avons assigné à l'enseignement public en démocratie : celui
de porter, par la culture qu'il donne, au plus haut degré de valeur possible
le capital intellectuel du pays.
. Quant au meilleur moyen à employer, est-il de constituer cet enseigne-
ment à l'image d'une échelle continue que tous puissent gravir dans la
mesure de leur force, tout en établissant dans cette échelle sans lin. pour
obéir au.K nécessités de la pratique, des paliers de repos, et, dans chaque
étape successive, d'organiser l'enseignement de façon à prépareras intelli-
gences à parcourir si elles le peuvent l'étape suivante, tout en leur four-
nissant, si elles ne vont pas plus haut, des outils immédiatement appli-
cables aux besoins de la vie pratique?
Telle est notre thèse. Elle est livrée à la discussion.
On a beaucoup parlé d'enseignement intégral, sans qu'il ait jamais été
1162 PÉDAGOGIE
nettement indiqué ce qu'on entendait par là. La société atteindra peut-
être un état qui permette de n'être arrêté, dans la constitution de l'ensei-
gnement public, par aucune nécessité pratique étrangère à la force propre
de chaque intelligence, et de donner à toutes le maximum de culture
qu'elles puissent comporter, ce qui ne veut pas dire que ce degré de
culture sera le même pour toutes. Si c'est là ce qu'on entend par le mot
intégral, il corresponde un idéal auquel nous ne répugnons pas; mais,
si cet idéal peut être la vérité de demain, il n'est certainement pas celle
d'aujourd'hui.
Dans tous les cas d'ailleurs, notre thèse n'y contredit pas. Quelles que
soient les considérations qui déterminent la situation des paliers de repos,
il en faudra toujours. Ce que notre thèse exclut et combat, c'est le système
des arrêts méthodiques de développement, c'est la conception, prétendue
pratique, qui consiste, afin de ne pas produire de déclassés, à détacher
de la grande voie de l'enseignement des branchements qui deviennent
autant d'impasses pour ceux qui s'y engagent. Loin de tendre à amoin-
drir les inégalités sociales, cette conception ne fait que les aggraver et
accentuer encore la division en classes qui résulte de la diversité des con-
ditions économiques de chacun .
Les considérations qui président à la position du problème que nous
avons abordé sont donc dignes des méditations les plus approfondies.
L'université française s'est-elle placée en face de ce problème? Malgré
la haute et incontestable valeur de ceux qui par leurs conseils ou leurs
décisions dirigent sa marche, est-elle apte à le résoudre ? Il est permis
d'en douter. Il y a là de difficiles recherches à faire. Elles exigent de la
compétence, mais aussi une complète indépendance d'esprit. Les pouvoirs
officiels paraissent plus faits pour l'application d'idées faites et contrôlées
que pour les investigations, toujours hasardeuses, d'idées nouvelles.
Mais si la tâche n'incombe pas nécessairement à l'université, elle est
parfaitement, au contraire, du domaine naturel des grandes institutions
libres qui existent en France telles que V Association polytechnique, V Asao-
cialion philotechnique et enfin la grande Association qui accueille cette
note.
Puisse-t-elle, nonobstant ses lacunes et l'incompétence de son auteur,
appeler l'attention sur un sujet d'une si haute importanee pour l'avenir du
pays !
D"" JEANNEL. — LA DÉPOPULATION DES DÉPARTEMENTS MONTAGNEUX 1163
M. le F J. JEAlfIEL
à Villcfranche-sur-Mer (Alpes-Mavitimes).
LA DEPOPULATION DES DEPARTEMENTS MONTAGNEUX
Séance du 16 septembre 1892 —
L'année dernière, j'ai présenté au Congrès de Marseille un Mémoire mli-
tulé : Du déboisement considéré comme cause de dépopulation et des m,oyens
d'y remédier. — Arbor day américain. — Société des amis des arbres.
Après avoir démontré que toutes les régions déboisées sont inhabitables
et qu'un grand nombre de contrées autrefois peuplées et civilisées sont
devenues stériles et inhabitées lorsque les forêts y ont été détruites, j'énu-
mérais les preuves de la dépopulation dans nos départements ravagés par
le déboisement. La population spécifique de la France est de 73 habitants
par kilomètre carré; elle se réduit :
Dans les Alpes-Maritimes, à 64
Dans les Hautes-Alpes, à 22
Dans les Basses-Alpes, à 19
Dans l'arrondissement de Puget-Théniers, à. . lo
Dans l'arrondissement de Barcelonnette, à. . . 13
D'après le recensement de 1891 :
82 communes des Alpes-Maritimes ont perdu 7 0/0 depuis le recense-
ment de 1886;
24 cantons des Hautes-Alpes ont perdu 6 0/0 ;
30 cantons des Basses- Alpes ont perdu o,8 0/0;
72 communes des Bouches-du-Rhône ont perdu 4,7 0/0.
M. Rochard, rapporteur de la discussion sur la dépopulation, présentant
à l'Académie de Médecine, le 14 avril 1891, un mémoire manuscrit,
s'exprimait ainsi :
1164 HYGIÈNE ET MÉDECfiNE PUBLIQUE
« Je disais, dans mon rapport, que le problème de la dépopulation avait
été envisagé sous toutes ses faces, au cours de la discussion qui vient de se
terminer, et je me trompais. Il en est une qui nous a échappé. C'est là le
sujet du Mémoire que j'ai l'honneur de présenter à l'Académie. Il a pour
titre : Du déboisement considétx comme came de dépopulation. »
Ces faits n'ont pas suffi pour convaincre l'administration supérieure
ni pour éclairer l'opinion publique.
Dans son rapport sur le recensement de 1891, le ministre de l'Intérieur
(1*=' janvier 1892), énumérant les causes présumées du ralentissement du
mouvement ascensionnel de la population française ne mentionne pas le
déboisement des pays montagneux.
Tout récemment, le 18 juin dernier, un groupe de quinze députés a
présenté à la Chambre une proposition de loi sur la restauration des
terrains en montagnes ; la dépopulation causée par le déboisement n'est
pas mentionnée dans l'exposé des motifs (1).
Les avertissements, les prédictions des agronomes, des économistes et
des ingénieurs les plus célèbres sont complètement oubliés. On ferme les
yeux à cet enchaînement fatal de causes et d'effets, signalé par Surell en
1842, qui commence -par la destruction des forêts et se termine par la misère
des populations, condamnant thomme à jjartager la ruine du sol qu'il a
dévasté.
Je me crois donc autorisé à revenir sur la question. Du reste, j'apporte
des arguments nouveaux, des preuves numériques fournies par le dépouil-
lement méthodique des statistiques publiées officiellement à la suite des
recensements de 1886 et de I89I.
Le sujet du présent Mémoire est la dépopulation qui se produit dans les
trente départements les plus déboisés auxquels s'appliquent les prescrip-
tions de la loi du 4 avril 1882 sur la restauration des terrains en mon-
tagne.
I. _ D'après le recensement de 1891, la population française a augmenté
de 124.289 habitants depuis le recensement de 1886.
Quelle est la part des trente départements ravagés par le déboisement
dans ce résultat ?
Le tableau suivant n" 1 comporte la liste de ces trente départements, et
en regard les augmentations ou les diminutions de population qui y ont
été constatées, en raison du rapport des naissances aux décès.
(1) Voyez Examen de la proposilion de lui relative à la restaurai ion des terrains en montagne,
(Bulletin-Journal de la Société d'Agriculture et de la Société des Amis des arbres; 1892; Nice; p. 210.)
D"" JEANNEL. — LA DÉPOPCLATION DES DÉPARTEMENTS MONTAGNEUX. II60
TABLEAU NI.
Tableau des trente départements montagneux ravagés par le dé-
boisement, offrant en regard les augmentations et les diminutions
de population qui y ont été constatées par le recensenxent de 1891.
^Extrait des stutisliqucs olJiciflles.) (1;
l'UPLLATIOX
bÉI'AUTEMENTS En
Alpes (Basses- 1 124
Alpes (Hautes- 1 115
Alpes-Maritimes 2i8
Ardècbe 371
Ariège 227.
Aude 317
Aveyi'ou 400,
Houches-du-Rhône 630
Cantal 239
Creuse 284
Corrèzc 328
Drùtne 306
Gard 419
Garonne (Haute-) 472
Gers 261
Hérault 461
Isère 572
Loire 616
Loire (Haute-; 316
Lot 253
Lozère 135
Fuy-Je-Dôme 564.
Pyrénées (Basses- 1 425
l*y rénées i Hautes- j 225
Pyrénées-Orientale* 210.
-Savoie 263.
Savoie (Hautes- 1 268
Tarn 346
Var 288
Vaucluse 235
TOTAU.X .
Diminution proportionnelle à la population. . 0,89 0/0
Je joins à ce tableau celui dos grandes villes des départements mon-
ta^neu.x où la population a augmenté depuis le recensement de 1886.
isai.
En 1880.
ilCMEXTATIONS
DIÏINCTIOXS
.285
129.494
»
5.209
.522
122.924
s
7.402
..571
238.057
20.514
1,
.269
375.472
s
4.203
.491
237.619
a
10.128
.372
332.080
B
14.708
.467
415.826
»
15.359
.622
604.857
25 . 765
»
.601
241.742
j>
2.141
.660
284.942
»
282
.119
326.494
1.625
a
.419
314.615
}>
8.196
.388
417.099
2.289
»
.383
481.169
a
8.786
.084
274.391
i>
13.307
.651
439.044
22.608
»
.145
581.680
»
9.535
.227
603.384
12.843
»
.735
320.063
»
3.328
.885
271.514
»
17.629
.527
141.264
»
5.7.37
.266
570.964
»
6.698
.027
4.32.999
û
7.972
.861
234.825
a
8.964
.125
211.187
»
1.062
.297
267.428
1}
4.131
.267
275.018
»
6.751
.739
358.737
»
12.018
.330
283.689
4.047
j>
.411
241.787
9
6.376
9.940.752 10.030.384
90.290
179.922
90.290
Dl.MIMiTION ABSOLUE
89.632
(1) \oyez Dénombrement de la population, 1891. Imprimerie nalionalp, in-8», 1892.
1166
HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
TABLEAU N" 2.
CHIFFRE
NOiMS de
des villes l'augmentaliOii
Nice 10.795
Marseille 27.606
Nîmes 1.725
Toulouse 2.174
Montpellier .... 12.493
Grenoble 7.955
Saint-Étienne ... 15.568
Clermont-FerramI. . 3.401
Pau 2.485
Toulon 7.625
Avignon 2.446
Total. . . . 94.273
CAUSES PRÉSUMÉES
de
l'augmentation
Immigration des étrangers.
Développement du commerce et de l'industrie.
Commerce des vins, industrie.
Commerce, établissements scientifiques.
Commerce des vins, établissements scientifiques.
Prospérité industrielle.
Prospérité industrielle.
Industrie.
Station hivernale renommée.
Progrès des établissements maritimes.
Progrès industriels.
Ce tableau démontre que les augmentations de population constatées
dans les grandes villes des trente départements dévastés par le déboise-
ment masquent en partie les diminutions survenues dans les communes
rurales.
Discussion. — L'augmentation totale de la population française de 1886
à 1891 a été seulement de 124.289, d'après les tableaux officiels du
recensement.
Ce chiffre repré.sente pour les quatre-vingt-sept départements une
augmentation moyenne de 1.428 habitants :
124.289
87~
1.428.
Si les trente départements en question ne se trouvaient pas dans des
conditions exceptionnellement défavorables, ils auraient contribué à l'aug-
mentation de la population pour 1.428X30, soit pour 42.828. Or, le
recensement démontre, bien au contraire, que dans ces trente départe-
ments la population a diminué dans une proportion considérable. La
diminution totale dans ces trente départements s'élève à 89.632, com-
pensation faite des augmentations uniquement dues aux grandes villes de
quelques-uns d'entre eux.
En effet, le chiffre total des diminutions s'élevant à. . . . 179.922
et celui des augmentations à 9Q • ^90
la différence 89.632
exprime la perte absolue qu'ils ont subie. Cette perte est en moyenne
pour chacun d'eux, de 2.988 :
89.632
30
2.988.
D"^ JEANNEL. — LA DÉPOPULATION' DES DÉPARTEMENTS MONTAGNEUX 116"
On voit par là que si les quatre-vingt-sept départements avaient pré-
senté le même résultat que les trente départements déboisés, une dimi-
nution de 239. 9oG eût remplacé l'augmentation de 124.289 indiquée par
le recensement : 2.988 X 87 = 2o9.9o6.
L'écart entre ces trente départements et les cinquante-sept autres est
donc exprimé par le chiffre moyen 1 .428 qu'ils auraient dû gagner, plus le
chiffre moyen 2.988 qu'ils ont perdu : 1 . 428 -|- 2 . 988 =^ 4.41G; soit
au total 4.416 X 30 = 132.480.
Mais ce n'est pas tout : lorsque l'on se borne à inscrire en bloc les
résultats du dénombrement par département, les augmentations de popu-
lation qui se sont manifestées dans les grandes villes, et qui s'élèvent au
chiffre de 94.273, masquent les diminutions qui se sont produites dans
les communes rurales.
La diminution dans les communes rurales se trouve donc tout simple-
ment exprimée par le total formé sans opérer la soustraction des augmen-
tations constatées dans les grandes villes.
La diminution a donc été réellement, dans les communes rurales des
trente départements en question, de 179.922 habitants, selon le total
figurant au tableau ci-dessus n" 1, soit en moyenne 5.998 :
'-^ == .5.988.
En résumé, la population totale de ces trente départements était, en
1886, de 10.030.384; la diminution ab.solue, c'est-à-dire malgré l'aug-
mentation dans les grandes villes, a été de 89.622, soit de 0,89 0/0;
Et la diminution, calculée sans tenir compte des augmentations dans
les grandes villes, a été de 179.922, soit de 1,79 0/0.
La population totale des cinquante-sept départements où le reboisement
n'est pas considéré comme urgent est de 28.188.519 habitants.
Ces cinquante-sept départements ont fourni la totalité de l'augmentation
de la population française constatée par le recensement de 1891, soit
124.289, et, de plus, ils ont comblé le déficit constaté dans les trente
départements déboisés, soit 89.632.
Le total 124.289 + 89.632 ::-- 213.921 exprime donc l'augmentation
de population dans les cinquante-sept départements où le reboisement
n'est pas considéré comme urgent, et, proportionnellement à la population
de ces cinquante-sept départements, l'augmentation a été de 0,75 0/0.
Ainsi, d'une part, diminution 0,89 0/0;
Et, d'autre part, augmentation 0,75 0/0.
De même qu'il est facile de constater l'existence des épidémies, d'en
mesurer l'intensité et d'en découvrir les causes par la statistique, de même
HG8 HYGIÈNE ET MEDECINE PUBLIQUE
il est facile de découvrir et de mesurer par les recensements de la popula-
tion la désastreuse influence du déboisement.
Dix-sept départements sont sifinalés comme réclamant des travaux de
reboisement d'utilité publique obligatoires, fet treize départements des tra-
vaux facultatifs subventionnés, en exécution de la loi précitée du 4 avril
1882. C'est là précisément que la dépopulation se prononce avec la plus
déplorable intensité. Certes, le déboisement n'est pas l'unique facteur,
mais il est assurément l'un des facteurs les plus évidents de la dépopu-
lation.
Nous pouvons même en mesurer à peu près exactement l'influence
par le classement des trente départements les plus déboisés.
C'est ce que réalise le tableau suivant n° 3 :
TABLEAU N° 3.
Tableau des trente départements les plus déboisés, classés selon les
diminutions ou les augmentations de population qu'ils ont présen-
tées, d'après le recensement de 1891, depuis le recensement de 1868.
POPULATION
DÉPARTEMENTS m 18*5
Lot ~ 271.514
Aveyroii 415.826
Aude 332.080
Gers 274.391
Tarn 358.757
Ariège 237.619
Isère 581.680
Hautes Pyrénées 234.825
Haule-Garonne 481.169
Drome 314.615
Basses-Pyrénées 432.999
Hautes-Alpes 132.924
Haute-Savoie 275.018
Puy-de-Dôme 570.964
Vaucluse 241.787
Lozère 141.264
Basses-Alpes 129.494
Ardéche 375.472
Savoie 267.428
Haute- Loire 320.063
Cantal • 241.742
Pyrénées-Orientales 211.187
Creuse 284.660
Corrèzc 326. 49i
Gard 417.099
Var 283.689
Loire 603.384
Alpes-Maritimes . 238.057
Hérault 439.044
Bouches-du-Rhùnc 604.857
Totaux 10. 030 .384
Report des augmentations. . . .
Diminution absolue
DIMINUTIONS CONSTATEES
on
1891
Absolues
Pour 100
AUGMENT.iTIONS
17.629
6,4
»
15.352
3,6
0
14.708
4,4
•'
14.307
4,9
i>
12.038
3,3
»
10.128
4,2
»
9.5.35
1,6
tf
8.964
1,1
à
8.786
1,8
l»
8.196
2,6
»
7.972
1,8
»
7.402
6,2
»
6.751
2,4
»
6.698
1,1
»
6. .376
2,6
J)
5.737
4,0
>l
5.209
4,0
u
4.203
1,1
tt
4.131
1,5
»
3.328
1,0
»•
2.141
0,89
»
1.062
0,3
»
282
0.09
i)
»
i>
1.625
»
»
2.289
»
»
4.647
»
»
12.843
il
»
20.514
»
a
22.607
a
»
25.765
179.922
y>
90.290
90.290
89.632
U' JEANNEL. — LA DÉPOPULATION DES DÉPARTEMENTS MONTAGNEUX 1169
II. — Le recensement de 4886 concorde avec celui de 1891 et confirme
pleinement les conclusions qu'on peut tirer quant à l'influence du dé-
boisement sur la dépopulation.
Le tableau suivant n" 4 offre comparativement les augmentations et les
diminutions de population dans les trente départements où le reboise-
ment est officiellement considéré comme urgent.
TABLEAU N" 4.
Tableau des augmentations et des diminutions de population'consta-
tées dans les trente départements ravagés par le déboisement,
d'après le recensement de 1886. (Exirail des statistiqties ofjicielles.)
DÉPARTEMENTS AUGMENTATIONS DIMINLITON?
Alpes (Basses-) » 2.42't
Alpes (Hautes-) 1.137 »
Alpes-Maritimes. 11.436 »
Ardèclie » 1.395
Ariège » 2.982
Aude. 4.138
Aveyion 751 »
Bouches-du-RliOne 15.839 »
Cantal 5.552 »
Corrèze 9.'r28 »
Creuse 6.160 »
Drôme 852 »
Gard 1.470 »
Garonne (Haute-) 3.160 »
Gers » 7.141
Hérault « 2.483
Isère 1.409 »
Loire 3.548 »
Loire (Haute-) 3.602 »
Lot » 8.755
Lozère » 2.301
Puy-de-Dôme 4.900 «
Pyrénées (Basses-^ » 1.367
Pyrénées (Hautes-) » 1.649
Pyrénées-Orientales 2.339 «
Savoie 990 »
Savoie (Haute-) 931 •>
Tarn » 436
Var » 4.888
Vaucluse » 2.302
Total des augmentations. . . 77.635
Total des diminutions . . . . 38.183
Augmentation absolue. . . . 39.452
défalcation faite des diminutions. ==
Totaux 77.635 38.183
74*
1170 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
Discussion. — Le dénombrement de 1886 a constaté une augmentation
totale de la population française s'élevant au chiffre de 546. 800.
Cette augmentation, répartie entre les quatre-vingt-sept départements,
donne une moyenne de 6.283 :
^«■«^^ = 6.283.
87
Si les trente départements en question ne se trouvaient pas dans des
conditions exceptionnellement défavorables, ils auraient contribué à l'aug-
mentation de la population pour 6.283 >< 30, soit pour 188.490.
Or, le recencement démontre qu'ils n'ont apporté à l'augmentation que
le chiffre de 39.452, soit chacun d'eux en moyenne 1.315 :
39 «2 ^ 1.313.
30
On voit par là que si les quatre-vingt-sept départements avaient pré-
senté le même résultat que les trente départements déboisés, l'augmenta-
tion de la population n'eût été que de 114.405.
Les cinquante-sept autres départements ont contribué à l'augmentation
pour 546.855 — 39.452, soit pour 507.403, et en moyenne pour 8.901.
L'écart moyen entre les deux catégories de départements est donc de
8 901 _ 1.315 = 7.586, et l'écart total est représenté par 7.586 X 30
= 227.580.
En résumé, les trente départements qui auraient dû contribuer à l'aug-
mentation proportionnelle à leur nombre (30 : 87) pour 34,45 0/0 n'y
ont contribué que pour 7,3 0/0, et les cinquante-sept qui n'auraient dû
contribuer à l'augmentation proportionnelle à leur nombre que pour
6o,55 0/0 (57 : 87) y ont contribué pour 92,7 0/0.
Proportionnellement à la population l'augmentation dans les trente
départements n'a été que de 0,38 0/0 ; dans les cinquante-sept l'augmen-
tation a été de 1,8 0/0.
L'augmentation a donc été cinq fois plus forte dans les cinquante-sept
départements non déboisés que dans les trente départements déboisés.
Il est donc évident que le mouvement ascensionnel de la population
a été beaucoup moindre dans les trente départements déboisés que dans
ceux où le reboisement n'est pas considéré comme urgent. Il est encore
légitime de faire observer que l'écart entre les uns et les autres serait bien
plus grand si l'on défalquait l'accroissement des grandes villes pour ne
considérer que le mouvement de la population dans les communes
rurales.
|-. lilTTEU. — DE LA .MYOPIE PLUS FRÉQUENTE AUJOUHd'iIUF 1171
CONCLUSIONS
1° Le déboisement est une cause puissante de dépopulation, dont il
est possible de mesurer l'effet par la statistique démographique.
2" Les recensements de 1886 et de 18!)1 donnent le moyen de démon-
trer que les crédits affectés au reboisement sont insuffisants, et que la loi
du 4 avril 1882 sur la restauration et la conservation des terrains en
montagne, telle qu'elle est appliquée, ne suffît pas à prévenir la dépopu-
lation causée par le déboisement.
S** En présence d'un danger qui menace la puissance même et la vita-
lité de la France, il y a lieu de recommander la Société des Amis des
arbres, institution analogue à VArbor day américain, qui intéresse tous les
citoyens à la protection et à la multiplication des arbres fl).
M. F. EITTEE,
Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées en retraite, à Pau.
DE LA MYOPIE PLUS FRÉJUENTE AUJOURD'HUI
— Séance du 17 septembre I89i —
Depuis une quarantaine d'années, le nombre des myopes a sensible-
ment augmenté en France et ce fait a été signalé plus d'une fois, aux
Facultés de médecine, invitées à en chercher la cause et à indiquer les
moyens d'y porter remède; mais, jusqu'à ce jour on n'est arrivé à aucun
résultat décisif, si j'en juge par quelques communications tombées par
hasard sous mes yeux. Je ne suis pas médecin, mais je suis myope, et
ce défaut de la vue a eu pour moi, comme pour beaucoup d'autres, assez
d'inconvénients pour attirer mon attention et exciter ma curiosité. Ma
place est dans une autre Section du Congrès, et j'ai longtemps hésité à
vous demander ([uelques moments d'attention; mais je suis myope et ma
(\) chaque sociétaire s'engage à payer une cotisation annuelle de 2 francs, à planter ou à faire
planter chaque année au moins un arbre et à protéger les plantations d'arbres fruitiers uu fores-
tiers partout où elles existent Le siège de la Société est à Nice, place Garibuldi, n° ii.
^1-^2 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
mvopie doit excuser ma témérité. Loin de moi la pensée de faire une
excursion dans le domaine de la physiologie ; je resterai dans celui des
faits dont l'observation m'a conduit à attribuer la cause de la plus grande
fréauence de la myopie principalement à un surmenage particulier de
l'œil, pendant les études dans les écoles des différents degrés.
La vision est le résultat de phénomènes complexes ayant pour effet de
disposer à chaque instant la rétine au fond de Toeil, de manière à recevoir
à sa surface l'impression distincte des images lumineuses des objets dans
un rayon plus ou moins étendu. Si le sommet des faisceaux lumineux
émanés de ces objets toinbe en avant de la rétine, le dc'faut de netteté
des images constitue la myopie. Cependant l'œil n'est pas un organe ^
rigide • il est disposé k ramener instantanément et continuellement le
sommet des faisceaux lumineux sur la rétine par la propriété qu'il possède
de s'accommoder de manière à rendre la vue distincte. Comment s'opère
ce phénomène ? Il est plus que probable que les nerfs et les muscles qui
commandent l'œil concourent tous à le produire : la dilatation et la con-
traction de la pupille, celles de l'enveloppe du cristallin en augmentant ou
diminuant la densité de l'humeur aqueuse et la courbure de la cornée.
Les modifications de la densité et de la courbure du cristallin, delà densité
de l'humeur vitrée, de la courbure de son enveloppe, telles sont les opé-
ration» complexes du phénomène de l'accommodation de l'œil à la vision
distincte .
Des dispositions, apportées en naissant , de quelques parties de l'organe
visuel qui empêchent ou gênent l'une ou quelques-unes de ces opérations
constituent la myopie congénitale ou les prédispositions à la myopie, et
la multiplicité de ces causes explique pourquoi la médecine a, jusqu'à ce
jour, et sera probablement toujours impuissante à la combattre et à la
guérir.
L'œil, chez chaque individu, a une forme et une constitution normales;
après s'être accommodé pour voir un objet hors de sa portée normale, il
revient, en vertu de son admirable élasticité, à son état normal. Mais,
comme tout organe naturel ou artificiel doué d'un état normal d'équilibre
auquel il revient en vertu de son élasticité, s'il est dérangé au delà des
limites de cette élasticité, ou s'il est maintenu trop longtemps et trop fré-
quemment en dehors de son état d'équilibre normal, il perd son élasticité
et reste accommodé à l'état anormal qu'on lui impose; c'est ainsi que, par
diverses causes, l'œil perd son équilibre normal et reste accommodé à l'état
anormal qui constitue la myopie. Ces causes sont assez nombreuses, mais
la première que je vais signaler est pour moi la cause prépondérante de
la myopie plus fréquente de nos jours, et pour me servir d'une expression
devenue à la mode, cette cause est le surmenage de l'organe visuel.
Les personnes qui, comme moi , peuvent reporter leurs observations à
F. RITTER. — DE L\ MYOPIE PLUS FRÉQUENTE AUJOURD'HUI 11 "3
plus de cinqiiaate ans en arrière peuvent se rappeler que, du temps de
leur jeunesse, on remarquait parmi les jeunes gens ceux qui portaient
lunettes : c'étaient les élèves de l'École polytechnique et ceux qui se pré-
paraient à cette école. On s'occupait alors de phrénologie et quelques-uns
prétendaient que les facultés m.athématiques étaient localisées dans le globe
de l'œil et caractérisées par son bombement ; mais je n'ai jamais constaté
que, ni moi ni mes camarades, nous avions le globe de l'œil plus bombé
que les autres jeunes gens de notre âge. Le bombement exagéré de l'œil
est une cause de myopie, mais on peut l'observer sur des personnes
n'ayant pas les moindres aptitudes pour les mathématiques.
Par la spécialisation de leurs études, la partie de la jeunesse dont je parle
recevait et reçoit encore la partie la plus importante de son enseigne-
ment au moyen du tableau noir; les élèves éloignés du tableau, pour
suivre la démonstration, étaient et sont encore constamment obligés d'ac-
commoder leur œil à la vision au delà de la distance normale de la vue
distincte; cette nécessité, presque habituelle dans des conditions anormales
de vision, détruit son élasticité et modifie les conditions normales de l'or-
gane visuel.
Plus tard, on voit un plus grand nombre déjeunes gens porter lunettes;
la mode même s'en mêle, et l'on voit les jeunes gandins garnir leur œil
d'un verre souvent parfaitement plan et s'astreindre à une contraction
grimaçante qui, pour quelques-uns, conduit à la dégradation de l'organe
et à la myopie. Enfin aujourd'hui ce ne sont plus seulement les élèves des
lycées et les étudiants en plus grand nombre qui portent lunettes, mais
les jeunes filles revenant des cours ou élèves des lycées qui sont obligées de
porter lunettes, et plus tard, pour ne pas conserver sur le nez cet appen-
dice disgracieux, de le remplacer par le binocle qui souvent prend place
à côté de l'éventail.
Si maintenant on se reporte aux progrès apportés à l'art de l'enseigne-
ment, on reconnaît que peu à peu l'usage du tableau noir, réservé jadis au
seul enseignement des mathématiques, s'est successivement étendu aux
autres branches de l'enseignement: grammaire, géographie, musique, etc.,
et, peu à peu, et parallèlement a pénétré ce que j'appellerai renseignement
mural au moyen de tableaux de toutes sortes et notamment de cartes de
géographie murales.
Dans ces conditions, est-il étonnant que l'œil, dès l'enfance, constamment
obligé de s'accommoder en dehors des limites de la vision normale, perde
son élasticité, et, persistant dans des conditions anormales , devienne
myope?
L'emploi du tableau noir étendu à toutes les branches de l'enseigne-
ment primaire et secondaire et l'usage des cartes murales et tableaux
analogues: c'est, à mes yeux, la principale cause qui rend myopes un cer-
1 174 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
tain nombre d'élèves, chez lesquels la myopie n'était pas congénitale.
A cette cause i>répondérante j'en ajouterai quelques autres secondaires.
Lorsque, à l'entrée de la soirée, les élèves sont à Tétude, ou s'ils travail-
lent chez eux, si l'on n'a pas soin de supprimer par un éclairage conve-
nable cette demi-obscurité, leur œil, pour lire et écrire dans ces condi-
tions, est obligé, de s'accommoder à cette demi-obscurité comme il était
obligé de le faire pour s'accommoder à la distance trop grande.
Sans m'arrêter à des causes plus secondaires encore, comme par exemple
la mauvaise impression de certains ouvrages en usage dans les écoles,
j'ajouterai que la myopie est encore aggravée et souvent produite par
l'usage de lunettes ou de lorgnons fabriqués avec des verres de mauvaise
qualité, mal calibrés, n'ayant pas une courbure régulière, vendus à bas
prix dans les bazars, les étalages ambulants, par les colporteurs, alors
que les conseils d'un opticien ne sont pas de trop pour le choix judicieux
de verres convenables et ne présentant aucun danger pour la conser-
vation de la vue.
Comment remédier aux funestes effets des causes que je viens de
signaler? Supprimer l'emploi trop fréquent du tableau dans l'enseignement,
il ne faut pas y songer ; mais on pourrait donner, dans les classes, des
places plus ou moins rapprochées du tableau aux élèves, suivant la portée
de leur vue, établie par un classement rationnel. Il suffirait, pour cela,
de faire approcher graduellement chaque élève d'un carton portant, im-
primée en caractères de huit à dix millimètres de hauteur, une phrase,
et de mesurer avec une roulette à quelle distance il peut la lire distinc-
tement. Veiller rigoureusement à ce que, dans les classes et les études,
l'éclairage artificiel prévienne la demi-obscurité, de manière que les
élèves ne soient pas obligés de lire et d'écrire dans un espace insuffi-
samment éclairé.
Diriger et conseiller les élèves dans le choix des lunettes et des lorgnons
en s'adressant à un opticien et non à des marchands d'objets quelconques
dont les lorgnons et les lunettes sont aussi funestes à la vue que les
liqueurs malfaisantes des cabarets à la santé des consommateurs; car,
réglementer la vente des lunettes, il ne faut pas y songer.
IV 11. HENROT, — SUR LES VIANDES LIVRÉES A LA CONSOMMATION iiTio
M. le L' H. HEIROT
Maire de Reims.
DE LA NÉCESSITÉ D'ÉTABLIR UNE SURVEILLANCE ADMINISTRATIVE SUR LES VIANDES
LIVRÉES A LA CONSOMMATION
— Séance du il septembre iS92 — ,
Depuis quelques années, on attache avec beaucoup de raison, une grande
importance à la destruction des microbes ou des bacilles dans les eaux de
boisson et dans les déjections ; les nombreux faits de transmission de fièvre
typhoïde ou de choléra par ces agents justifient ces précautions. Pour
les aliments, et particulièrement pour le lait et pour les viandes, la question
est beaucoup moins avancée, et cependant il est certain que le lait et les
viandes peuvent transmettre des maladies bacillaires.
.Nous avons présent à la mémoire le fait d'un enfant parfaitement bien
portant, appartenant à une nombreuse famille où les ascendants, les frères
et les sœurs étaient dans les meilleures conditions de santé, qui fut placé
à la campai;ne où il prenait le lait d'une vache. Au bout de quelques se-
maines cet enfant mourut tuberculeux, peu de temps après on constatait
que la vache qui l'avait nourri était tuberculeuse ; il y aurait donc lieu
d'exercer une surveillance spéciale sur les vacheries.
Pour les viandes les faits de contagion sont plus difficiles à démontrer
parce fju'un même individu ne se nourrit pas indéfiniment de la viande
du même animal, mais il est évident et le fait a été démontré expérimenta-
lement que la tuberculose peut se transmettre des animaux à l'homme.
En présence de ces faits on peut se demander si l'augmentation continue
de la mortalité par la tuberculose dans les grandes villes, lient seulement
à la transmission de l'homme à l'homme, ou si, dans une mesure, il ne
faudrait pas faire entrer la transmission des animaux à l'homme par des
viandes altérées. Sans pouvoir apporter une démonstration certaine, il
semble que cette transmission est tellement vraisemblable, qu'en présence
de la plus effrayante maladie des temps moderne?, de celle qui fait incontes-
'tablement le plus de victimes, il y ait lieu d'étudier tous les moyens d'en
arrêter la propagation.
Dans les abattoirs placés sous la surveillance d'un vétérinaire directeur,
tous les animaux sont examinés vivants lors de leur entré, toutes les viandes
11 '6 HYG1È>E ET MÉDECINE PUBLIQUE
qui en proviennent sont ensuite soumises à une nouvelle inspection,
la garantie semble donc aussi complète que possible.
Les viandes foraines qui pénètrent en ville par morceaux sont sou-
mises à une inspection spéciale et estampillées ; dans ce cas il manque un
élément de diagnostic important, l'examen de l'animal vivant; il y a
cependant encore un contrôle.
Pour les tueries particulières, au contraire, aucune surveillance n'est exer-
cée, tous les animaux, dont la réception à un abattoir serait douteuse sont
dirigés vers ces tueries; il doit y avoir par conséquent des quantités consi-
dérables de viandes provenant d'animaux malades, qui sont livrées dans
de mauvaises conditions à la consommation des campagnes ou à celle des
'villes sous le titre de viandes foraines.
Étant donné l'intérêt considérable que les bouchers ont à tirer parti des
animaux qu'ils achètent, et la perte complète qu'ils subissent quand un
animal est saisi, il est de toute évidence qu'à moins que la bète ne soit
absolument malade, ces industriels feront tous leurs efforts pour ne pas
éprouver la perte complète de leurs animaux.
Ces manœuvres sont si développées que non seulement il faut s'efforcer
de saisir les viandes altérées, mais que l'administration doit encore sur-
veiller leur destruction, pour éviter toutes ces transformations suspectes
en saucissons ou en fromages d'Italie.
Dans une précédente communication, M. Hcnrot s'est efforcé de dé-
montrer quil y avait lieu d'exercer une surveillance administrative jus-
qu'à destruction complète des viandes saisies. Tout dernièrement encore
on se contentait de les dénaturer en y jetant quelques gouttes de pétrole
et en les mettant au fumier, mais certains morceaux pouvaient être retirés
et après une ébuUition spéciale être transformés en aliment de qualité
inférieure pour les pauvres.
M. Henrot avait songé à détruire ces viandes dans une sorte d'appareil
crématoire, mais l'installation en était excessivement coûteuse; l'acide
sulfurique pur avait aussi ses inconvénients. Le procédé employé aux
abattoirs de Reims est simple, rapide et économique, il consiste dans
l'emploi simultané de la vapeur d'eau et de l'eau acidulée avec l'acide
sulfurique; en une heure un bœuf peut être détruit et réduit après qu'on
a séparé la graisse en une sorte de pulpe qui constitue un excellent engrais.
On le voit, malgré la surveillance exercée sur les bêtes vivantes, sur les
viandes et sur les matières saisies, la sécurité est illusoire pour les habi-
tants des campagnes, elle n'est pas absolument certaine pour les habitants
des villes.
Comment pourrait-on remédier à ces dangers ? c'est le dernier point
que M. Henrot voudrait toucher.
Il y aurait lieu tout d'abord de multiplier les abattoirs municipaux
L.-L. VAiriHIER. — COUP d'oEIL RAPIDE SUR l'aSSAIMSSEME.NT DE PARIS H77
et de les imposer aux villes ayant par exemple plus de 2.000 habitants;
il faudrait aussi encourager le groupement de plusieurs petites com-
munes voisines pour organiser un abattoir commun, qui serait surveillé
par un vétérinaire.
E y aurait lieu d'interdire l'établissement de tueries particulières dans
un rayon à déterminer des abattoirs municipaux, car on sait par expé-
rience que la plupart des tueries installées dans le voisinage des abat-
toirs sont destinées, le plus souvent, à recevoir les bêtes malades ou
d'une maigreur excessive qui eussent été saisies à l'établissement muni-
cipal.
Il serait entendu que les viandes sortant de l'abattoir et destinées à être
consommées en dehors de la ville ne payeraient pas de droit d'octroi, et
qu'elles ne supporteraient qu'une simple taxe d'abatage et un droit d'ins-
pection .
Enfin toutes les tueries particulières installées loin des centres d'habi-
tation devraient être l'objet d'une surveillance exercée par un vétt'-rinaire
rétribué pour ce service spécial par l'administration.
M. Henrot pense qu'une réglementation générale de tous ces services
s'impose, pour assurer à chaque citoyen l'usage de viandes saines; il
est convaincu qu'un certain nombre de maladies dites de misère , et
de maladies bacillaires pourraient être évitées par une surveillance effi-
cace et attentive de tous les aliments d'origine animale.
M. L.-L. VATJTHIEE
Ancien Ingénieur des Ponts et Chaussées, ;i Paris.
COUP D'ŒIL RAPIDE SUR L'ASSAINISSEMENT DE PARIS
— Séance du 19 septembre iS9i —
La masse énorme de déjections et détritus de toutes natures (pi'en-
o-endre incessamment la nutrition de Paris se partage, quant à l'opéra-
tion- générale de l'assainissement ayant pour but de l'en débarrasser,
en trois catégories distinctes, que différencie surtout le mode d'enlevage
qui y est appliqué.
1178 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
Lu première comprend les ordures ménagères qui, réglementairement,
se déposent, le soir, sur la voie publique, dans des récipients dont le
contenu est enlevé, le matin, par des tombereaux.
La seconde se rapporte aux matières excrémenlllielles, presque exclu-
sivement reçues, jusqu'à une époque rapprochée, dans des fosses fixes
vidées périodiquement.
La troisième enfin embrasse une série de déjections diverses, dont les
eaux ménagères, provenant de l'habitation, forment l'élément principal,
auqu(4 s'ajoutent les eaux résiduaires produites par les industries exercées
dans l'enceinte de Paris, et les souillures de toutes sortes que déposent
ou rejettent sur la voie publique l'homme et les animaux à son service
ou a son usage.
C'est particulièrement, pour l'entraînement hors la ville, avec l'eau pour
véhicule, des déjections de cette dernière catégorie, qu'ont été originai-
rement créés les égouts; et les trois catégories contiennent, en proportion
plus ou moins forte, des produits organiques, aussi nombreux que variés,
hygiéniquement nuisibles dès les premiers moments, ou qui le deviennent
après un certain temps de repos et de fermentation.
Nous ne nous occuperons pas ici, néanmoins, de ceux de ces produits
que peuvent contenir les ordures ménagères qui, envisagées au point de
vue de leur utilisation agricole, ont reçu, dans l'argot maraîcher de la
banlieue de Paris, hi nom de gadoue.
Quoique le transport de ces gadoues ait récemment soulevé dans certaines
communes suburbaines des incidents qui, s'ils se renouvelaient, complique-
raient singulièrement le problème de l'assainissement parisien, et quoique
le mode d'enlèvement suivi ne manque pas — il faut l'avouer — d'une
certaine couleur de barbarie quasi mérovingienne, peu en rapport avec
ce qu'on appelle les progrès de la science, nous laisserons entièrement
de côté les ordures ménagères, pour ne nous occuper que des deux autres
catégories de déjections. Avec celles-ci seules, la tâche de l'assainissement
est déjà fort lourde.
Parmi les éléments insalubres contenus dans les déjections excrémen-
titielles et dans la catégorie comprenant les enux ménagères, ce qui
domine, (,'n général, quantitativement et appelle, plus fortement, l'atten-
tion, c'est l'azote engagé dans des produits organiques, soit qu'il y
préexiste ou s'y développe par la fermentation.
D'après cela, obligé dans cet exposé rapide, de nous borner aux points
essentiels, c'est par le dosage en azote — ainsi qu'on le fait d'ailleurs
d'ordinaire — que nous cai'actériserons le degré de souillure des matières
dont les opérations de l'assainissement ont pour objet de débarrasser
Paris.
Faisons à ce point de vue le bilan de la situation. .
L.-L. VALTHIER. — COLP d'oKIL RAPIDE SUR (.ASSAINISSEMENT DE PARIS 1 I 79
Quant aux matières excivmentitielles, on admet, d'après les observa-
tions et recherches considérées aujourd'hui comme les plus certaines,
qu'elles contiennent, en moyenne, par individu et par jour, une quantilé
d'azote de lls-'Sl, disons 12 grammes, dont près de 89 0/0 engagés dans
les li(iuides, et un peu plus de 11 0/0 dans les solides.
D'autre part, d'observations pratiques remontant à un grand nombre
d'années, sur le dosage des eaux d'égout de Paris, on déduit, en élimi-
nant des résultats récents la part d'azote excrémentitiel provenant des
appareils diviseurs de diverses sortes, et du tout à l'égout naissant, (jue
la totalité d'azote provenant des eaux ménagères, des eaux industrielles
et des souillures de la voie publique, rapporté au chiffre de la population,
correspond à une production moyenne de 5 grammes par tête et par
jour.
Paris est donc, avec sa population de 2.400.000 habitants — les ordures
ménagères laissées de côté — un colossal producteur d'azote, pour un
chiffre total de 40.800 kilogrammes par jour, dont 28.800 kilogrammes
contenus dans les matières de vidange, et 12.000 kilogrammes dans l'en-
semble de toutes les eaux-vannes étrangères aux excréments.
Voilà ce dont il faut, quotidiennement, débarrasser Paris, dans le»
conditions les plus favorables à la santé de ses habitants, sans nuire à celle
de ses voisins.
L'opération est vaste et difllcile.
Le passé ne s'en occupait guère, et surtout était bien loin de se poser
le problème dans sa généralité synthétique.
Sans remonter bien haut, il y avait la voirie de Montfaucon. Quelques
égouts, la plupart découverts, drainaient la ville. La Seine les recevait.
C'était elle le grand exutoire. Mais Paris était moins peuplé. La banlieue
surtout l'était beaucoup moins. Puis, l'hygiène n'était pas née, la presse
non plus. Tout allait, tant bien que mal, cahin-caha, avec, de temps en
temps, quelques petites épidémies à la clef.
Montfaucon a disparu. Bondy l'a remplacé vers la vingtième année de
ce siècle. Les progrès de la chimie avaient montré que l'exploitation des
vidanges pouvait être une industrie lucrative. Des voiries particulières se
formèrent, et bientôt, dans ces établissements, comme à Bondy, qui n'était
là que comme en cas, se fabriquèrent pour les besoins de l'agriculture,
le sulfate d'ammoniaque, la poudrette et autres engrais artifu-iels de com-
positions diverses.
Telle était la situation, reprochable par beaucoup de côtés, quand, il y
a une quarantaire d'années, fut commencée la vaste opération consistant
à débarrasser la Seine, dans la traversée de Paris, de la souillure des
égouts. Par les collecteurs de Clichy d'une part, de Saint-Denis de l'autre,
on créa de nouveaux émissaires aux eaux polluées. Paris lui-môme béné-
H80 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLigiE
fîciait du changement, non la Seine. En concentrant Jes eaux polluées
sur deux points rapprochés, si l'on n'augmentait pas la souillure du
fleuve, on ne la diminuait pas non plus. Le mal n'était que déplacé et deve-
nait même plus apparent. Rien n'était obtenu en somme pour l'assainisse-
ment envisagé dans son ensemble. C'est alors que, sous l'influence des
études faites et à l'image des travaux réalisés à l'étranger, notamment eu
Angleterre, la ville de Paris engagea la tentative de Gennevilliers.
Les faits avaient montré ailleurs, des études locales, méthodiquement
instituées ici, sur échelle réduite, confirmèrent les deux points suivants :
le premier, que, par la filtration à travers une couche suffisamment
épaisse de terrain perméable, avec le concours de drainages au besoin, on
pouvait épurer ù haute dose — l'azote organique se minéralisant dans le
trajet à travers le sol — les eaux polluées des égouts de Paris, de façon à
les rendre parfaitement limpides et dégagées de principes insalubres; le
second, que ces mêmes eaux d'égout, répandues par irrigation sur le sol
cultivé, avaient en outre la propriété d'activer puissamment la végétation,
surtout celle de certaines plantes, sans nuire, mém(^ à très haute dose, ;i
l'i'tat sanitaire des territoires irrigués.
Avec le concours spontané de la culture privée, à laquelle était livrée
gratuitement l'eau fertilisante, la tentative de Gennevilliers prit de l'as-
siette, et put être bientôt considérée comme le point de départ et le modèle
d'une opération édilitaire pouvant jouer, dans l'assainissement de Paris,
un rôle des plus importants et des plus utiles. Le problème semblait en
principe résolu, et la seule difficulté paraissait être de trouver, avec ou
sans l'aide de la propriété agricole, des surfaces de terrain assez étendues
pour l'utilisation ou, du moins la purification de la totalité des eaux, sans
dépasser, pour le répandage, de sages limites que l'expérience avait déjà
permis de fixer approximativement.
Entre temps, où en était la question de l'assainissement urbain en ce qui
se rapporte aux matières excrémentitielles? Avec quelques défauts plus
graves, tenant à l'absence de perfectionnements récemment réalisés et
qui ont été longs à introduire, la question en était au point dont on
peut juger par ce qui se passe aujourd'hui ; car, nonobstant les clameurs
poussées contre le tout à Végout, celui-ci n"a pris encore qu'un dévelop-
pement extrêmement faible.
C'était et c'est encore, avec coulage clandestin d'une partie des liquides
à l'égout, le vidage nocturne des fosses, encombrant la rue et empuantissant
l'air d'engins sordides, sauf cette différence qu'au lieu d'appareils méca-
niques attirant rapidement les matières dans les tonnes de transport, c'est
au moyen de mauvaises pompes à bras qu'on les y refoulait alors lente-
ment et bruyamment.
C'était et c'est encore le transport de ces matières au dehors, soit par
L.-L. VAUTHIKK. ■ — COUP DUEIL U.VPIDE SUll l'aSSAIMSSEME.NÏ DE PAIUS 1181
les lourds tombereaux mêmes portant les tonnes, soit par la Seine et les
canaux, après transbordement en bateau sur les ports, le surplus allant se
vider, pour être reibulù vers Bondy, au dépotoir municipal de la Vil-
lette.
C étaient et ce sont encore les voiries suburbaines versant, dans l'atmos-
phère, par leurs hautes cheminées, des torrents de fumée acre, dans la
Seine, par leurs aqueducs, des eaux résiduaires toujours trop chargées,
malgré toutes les surveillances, et, autour d'elles, de nuit comme de jour,
par toutes leurs ouvertures, des effluves nauséabondes.
C'était enfin, avec ses immenses bassins de réception à l'air libre, la dé-
plorable voirie de Bondy, usine municipale, où l'on espérait, comme d'une
ferme, tirer des millions de l'exploitation de cette matière plus précieuse,
disent les Chinois, que l'or jaune, et qui, sous ce rapport, n'a été qu'une
source de déconvenues et d'échecs. Soit dans la main d'adjudicataires
qui, quelques-uns, y ont fait des profits, oii les autres se sont ruinés, soit
sous le régime d'exploitation directe par la Ville, la voirie de Bondy, en
tant qu'organe d'assainissement, n'a jamais été qu'un immense cloaque,
insuffisant encore à recevoir toutes les eaux-vannes qui y étaient destinées,
et dont une fraction, quelquefois considérable, s'écoulait aussi clandesti-
nement que forcément à la Seine.
Dans cette situation, en s'appuyant d'autre part sur les faits acquis,
il est tout naturel qu'on ait conçu, comme méthode rationnelle d'assai-
nissement urbain, un système comprenant méthodiquement les trois opé-
rations échelonnées suivantes : projection totale, sans exception, des matières
excrémentitielles à l'égout, qui reçoit forcément déjà les autres déjections
dont nous avons parlé ; entraînement immédiat du tout hors la ville, à
l'aide d'un volume d'eau suffisant; enfin purification, également immé-
diate, de cette masse d'eau souillée par filtrage à travers le sol, avec ou sans
utilisation agricole, suivant les cas et les possibilités.
Nous dirons plus loin quelles objections peuvent soulever, à Paris, certains
termes de cette conception. Ce qui n'est pas contestable, c'est que le pro-
blème soit ainsi dessiné avec une rigueur logique tout à fait élémentaire.
L'habitation, sans arrêt ni retard, débarrassée de toutes souillures ; la
ville jouissant du même bienfait, et le courant impur enfin, n'ayant de
stagnation nulle part, livrant au sol et à la végétation qu'il active les ma-
tières qui le polluent, pour ne porter aux thalvegs naturels que des eaux
limpides complètement assainies. C'est là une évolution complète, aussi
simple que satisfaisante .
Le problème ainsi posé, quelles sont les conditions pratiques nécessaires
pour en assurer la solution ? De quels moyens dispose-t-on ? Que faut-il
pour les compléter ? Tels sont les points qu'il importe d'examiner.
Occupons-nous des eaux tout d'abord.
1 182 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
Pour nettoyer les étables d'Augias, Hercule avait sous sa main légendaire
le fleuve Alphée. Où est le fleuve que la ville de Paris peut faire passer
à travers les mille conduits souterrains qui la drainent, pour se débar-
rasser de ses immondices?
Paris dispose actuellement, par jour, pour ses besoins tant publics que
privés, d'un volume d'eau total pouvant s'élever à 500.000 mètres
cubes environ. La consommation dépasse parfois ce chiffre. Le Bulletin
municipal du 22 août, que nous avons sous les yeux, nous montre que,
le jeudi 18 août, la distribution s'est élevée à près de 593.000 mètres
cubes. Mais, en hiver, la dépense est moindre, et, tout compte fait, en
moyenne annuelle, on peut compter aujourd'hui sur une livraison quoti-
dienne de 500.000 mètres, à laquelle les eaux pluviales viennent apporter
un contingent supplémentaire dépassant un peu 100.000 mètres ; ce à
quoi il faut ajouter qu'on travaille en ce moment à augmenter le volume
disponible de 100 à 150.000 mètres cubes; que la distribution croîtra en
conséquence, et qu'on ne s"en tiendra pas là.
Cela représente-t-il le volume du cours d'eau polluée que, par leurs col-
lecteurs, les égouls portent à cette heure ou porteront plus tard hors Paris?
Ça l'excède un peu. Du volume total des eaux distribuées et des eaux météo-
riques, il faut déduire une fraction d'un quart ou d'un cinquième qui,
pour des causes diverses, échappe à l'égout. Cela réduit, pour l'état
actuel des choses, le débit annuel moyen des eaux polluées au chiffre de
450 à 480.000 mètres par jour (5"',200 à 5'",700 par seconde), et, pour
un avenir prochain, à un chiffre quotidien variant, comme moyenne, de
525 à 600.000 mètres (6'", 100 à 7 mètres par seconde), le tout avec des
oscillations pouvant, en été, porter le débit à 50 0/0 au-dessus de la
moyenne annuelle, et le faire descendre, au printemps et en automne, à
20 0/0 au-dessous .
Telle est la puissance actuelle et prochaine de l'agent hydraulique dont
Paris dispose et disposera pour son assainissement. Quel est l'état actuel
de pollution de ce courant, et que sera cette pollution dans l'avenir, une
fois le tout à l'égout réalisé? Voilà ce qu'il est essentiel de savoir. C'est ce
que nous allons examiner, en nous rapportant seulement au dosage en
azote, ainsi que nous en avons averti.
Il y a vingt ans, alors que les égouts n'évacuaient moyennement, tout
compris, que 255.000 mètres cubes environ d'eau par jour, et que la
population de Paris n'atteignait pas tout à fait deux millions d'habitants,
chaque mètre cube d'eau expulsée contenait 43 grammes d'azote, soit en
totalité, par jour, 10.965 kilogrammes. Rapporté à une population de
1.900.000 habitants, ce chiffre dépasse un peu (de i^',6 à peu près), par
tête, la proportion de 5 grammes donnée ci-dessus pour l'azote extra-excré-
mentitiel, ce qui indique, conformément d'ailleurs à la réalité, qu'aux
L.-L. VALTHIEH. COUl' d'oEIL U.VPIUE SUR I- ASSAI.MSSEMEM UE l'AlUS 1183
égouts arrivait déjà, dès lors, une certaine proportion de matières de
vidanges .
La population a cru, la projection à l'égout des dites matières a aussi
augmenté, mais le volume d'eau distribué a marché plus vite; de telle
sorte que, dans la période décennale suivante, allant jusqu'en 1884, avec
un volume d'eau évacué s'élevant à 3io.000 mètres, le dosage en azote
est descendu à iO grammes par mètre cube ; soit, en tout, 13.800 kilo-
grammes, ce qui, pour une population de 2.200.000 habitants, signale,
par tète, un arrivage à l'égout d'un peu moins de 3 grammes (exactement
â^^Sj d'azote excrémentitiel.
Portons-nous à quelques années en avant. Supposons la population
parvenue au chifTre de '^.oOO.OOO habitants, et le tout à l'égout universa-
lisé, quel sera le dosage en azote des ooO.OOO mètres cubes d'eau expulsée,-
sur lequel on peut compter d'après les indications précédentes ? ■
Quoi qu'on fasse, il échappera toujours à l'égout une certaine propor-
tion de l'azote excrémentitiel. Près des neuf dixièmes de cet azote figurent
dans les urines. Sans suivre indiscrètement celles-ci dans les incidents de
leur évacuation, il sera toujours vrai, nonobstant les progrè* de Ja décence
publique, (|u'une fraction ne se canalisera pas. On évalue généralement
la proportion d'azote réfractaire à un dixième, ce qui réduit à 10''',<j3 le
contiDgent d'azote que chaque habitant enverra moyennement à l'égout.
Il y arrivera donc, avec les o grammes non excrémentitiels, i.oOO.OOO fois
lo^',63; soient 39.075 kilogrammes, auxquels correspondront un dosage
en azote un tant soit peu supérieur à Tl grammes par mètre cube d'eau
évacuée.
Un volume de 350.000 mètres cubes d'eaux polluées, titrées en azote à
raison de 11 grammes environ par mètre cube. Voilà, pour avoir accompli
sa tâche, ce qu'il faudra, dans un avenir prochain, que Paris épure jour-
nellement, avec ou sans utilisation agricole.
Il convient d'insister sur ces derniers mots.
Par le rôle utile qu'ils jouent dans la végétation, l'azote, l'acide phos-
phorique et la potasse qu'entraînent avec elles les eaux d'égout de Paris
représentent une valeur considérable. Il est éminemment fâcheux qu'une
telle valeur s'anéantisse, sans aucun profit pour la comiimnauté. Toute-
fois, si l'on peut imposer à Paris le devoir de rendre inolfensives les eaux
qu'il a chargées de ses déjections, ce serait aller un peu loin, s'il en devait
résulter pour lui un grief financier, que de le contraindre à incorporer
de nouveau, par circidus obligatoire, aux plantes et par elles aux ani-
maux, l'azote et autres produits utilisables que ces eaux portent avec elles.
Ce serait surtout là une prétention difficile à justifier pour ceux — aux-
quels nous reviendrons, — que hante l'idée fixe du tout à la nier.
Les deux problèmes de la simple purification et de l'utilisation agri-
118i HYGlÈxNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
cole n'impliquent pas d'ailleurs, au point de vue des surfaces nécessaires;
des exigences aussi différentes qu'on pourrait le penser.
* Sur des terrains bien choisis, comme le sont les dépôts d'alluvions plus
ou moins anciennes qui forment les caps et les presqu'îles de la vallée de
la Seine en aval de Paris, et à condition que ces terrains soient sufTisam-
ment élevés au-dessus des nappes souterraines inférieures et des nappes
superficielles voisines, la pratique a montré qu'on pouvait largement épurer
SO.OOO mètres cubes à l'hectare des eaux d'égout souillées de Paris avec
leur dosage actuel en azote. Des expériences poursuivies depuis de longues
années par un savant distingué (1), au laboratoire de la \ ille, à Clichy,
celles de Frankland, en Angleterre, ont conduit les expérimentateurs à
admettre, pour la même surface, une puissance de filtration continue de
90.000 à 120.000 mètres. A Gennevilliers on a pu aller à 124.000 mètres,
et, par irrigation intermittente, arriver, en Angleterre, à 100.000 mètres.
La dose de 50.000 mètres pour des eaux à 43 grammes d'azote est
donc parfaitement normale. Elle devra diminuer lorsque le titre en azote
s'élève, et, sans que la parfaite proportionnalité puisse être rigoureuse-
ment démontrée, tout la rend probable. Le répandage pourrait donc aller,
en toute sécurité, pour des eaux titrées à 71 grammes d'azote, au volume
de 30.000 mètres cubes par an. C'est moins d'un litre par seconde à
l'hectare ; c'est, par jour, une couche d'eau qui excède à peine 8 millimètres.
Dans ces conditions, quelle surface de terrain bien choisi faut-il avoir
pour épurer les 530.000 mètres d'eaux d'égout, chargées comme il est dit,
que le colossal Paris va, dans un avenir plus ou moins prochain, évacuer
chaque jour? Le calcul est bien simple ; il conduit à 6.690 hectares et une
fraction. Disons, en nombre rond, 7.000 hectares.
A moins que le volume expulsé n'arrive à dépasser la moyenne annuelle
de 550.000 mètres cubes, cette surface est à la hauteur des besoins. Pour le
. moment, au titre qu'ont les eaux, avec le volume évacué aujourd'hui, la
moitié de cette surface est largement suffisante. Elle n'aura besoin décroître
qu'avec les progrès du tout à l'égout .
Passons à l'utilisation agricole.
D'analyses chimiques multipliées, faites dans des conditions diverses, et
pratiquement vérifiées dans leurs résultats, il ressort que, pour fournir aux
plantes les éléments fertilisants enlevés au sol par une bonne récolte, il
faudrait par hectare, selon le titre en azote, les volumes annuels d'eau
d'égout suivants :
° AU DOSAGE DE^
43 grammes 71 grammes
mètres cubes mètres cubes
Cultures maraîchères (pour trois récoltes annuelles) 31.800 19.200
Prairies et plantes fourragères 35.000 21.260
Céréales, froment et seigle 2.250 1.360
(\) M. ScHLŒSiNG, membre de l'Institut.
L.-L. VAUTHIER. — COUP d'otIL RAPIDE SUR L ASSAIMSSEMEM' DE PARIS II80
Au répandage de oO.OOO mètres dans le premier cas, de 30.000 mèlres
dans le second, ces diverses catégories de culture recevraient donc de l'en-
grais en excès, s'il n'était démontré en ce qui concerne spécialement l'azote
et l'irrigation des prairies, — et le fait est plus ou moins applicable à toutes
les cultures, — qu'un tiers seulement de l'engrais porté par les eaux est
réellement utilisé, le reste se perdant dans le sol sans produire d'efïet,
en n'alimentant que des plantes parasites.
Dans ces conditions, on voit que, pour les deux premiers modes de cul-
ture, surtout pour le second, les répandages annuels admis seront plutôt
insuffisants qu'excessifs, et que c'est seulement pour la culture des céréales
que l'utilisation complète des engrais disponibles exigerait des surfaces nota-
blement plus étendues que celles indiquées plus haut. Mais, il n'y a pas à
craindre que ce dernier cas se produise. Si, même au voisinage d'un gigan-
tesque consommateur comme Paris, il serait peu pratique de spéculer sur
un trop grand développement de la culture maraîchère, il n'est, d'autre
part, nullement douteux que les territoires rapprochés de Paris utiliseraient
avec grand profit la production de quelques miUiers d'hectares de plus de
prairies et de fourrages artificiels.
Dans les limites de superficie auxquelles nous sommes arrivés, l'utilisa-
tion agricole des éléments fertilisants que roulent avec elles les eaux que
Paris expulse pourra donc toujours avoir lieu, soit par les cultures privées,
soit par celles que la Ville même développerait pour son compte.
Vn seul point nous reste à examiner. Où trouver les 3.000 ou 3.o00 hec-
tares dès aujourd'hui nécessaires, et les 6.500 à 7.000 hectares dont il fau-
dra disposer, le tout à Tégout une fois réalisé ?
Ce côté de la question a été étudié par un maître en la matière (1), dis-
posant des éléments d'investigation les plus complets. Or, en fait de terrains
propres par leur constitution géologique et leur situation au répandage à
haute dose des eaux d'égout, ce ne sont pas 7.000 hectares seulement que
les investigations de ce savant lui ont fait découvrir, dans une zone peu
étendue autour de Paris, mais plus de oO.OOO hectares (exactement 53.000).
Ces terrains sont situés à des distances et à des altitudes diverses. Dans
une circonscription de '25 kilomètres de rayon autour de Paris, il en existe
19.000 hectares ; 20.000 hectares dans une zone de 25 à 50 kilomètres ;
le reste, 14.000 hectares seulement, à plus de 50 kilomètres d'éloignement;
et, quant à l'altitude, plus des trois quarts de cette surface dominent celle
des berges de la Seine de 10 à 75 mètres.
De là, des différences marquées dans la dépense à faire pour porter les
eaux d'égout sur l'un ou sur l'autre. Et de là, par suite, la nécessité d'ajou-
ter aux considérations techniques qui précèdent une évaluation linancière
DM. Adolphe Cakuot, ingénieur en chef des Mines, sous-direcleur et professeur à PÉcole nationale
supérieure des Mines de Paris.
75*
H86 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
de voies et moyens, sans laquelle ces indications resteraient incom-
plètes.
Mêlé à l'étude de ces questions, comme membre de la Commission supé-
rieure de l'assainissement de Paris, — tombée en désuétude, quoiqu'elle n'ait
jamais rendu compte par un rapport densemble du colossal travail accom-
pli par elle, trois années durant, — l'auteur de cette note a dii rechercher,
à l'occasion du problème ci-dessus visé, quelle est la dépense à faire pour
porter et répandre un mètre cube des eaux d'égout de Paris à une dis-
tance et à une altitude déterminées.
Une étude s'appuyani sur des données pratiques complétées par quelques
considérations rationnelles l'ont conduit, pour expression D de cette dépense,
en désignant par h l'altitude en mètres au-dessus des bassins de puisage
et par k la distance en kilomètres, à la relation empirique :
D ^- 0f,004-f CK,00005 h + 0^,00192 k.
Et, si quelques ingénieurs pensent que cette formule conduit à des résul-
tats un peu trop élevés, c'est l'opinion contraire qui se lit jour dans la
sous-Commission où elle fut discutée et approuvée.
Pour des altitudes et des distances, respectivement exprimées par les
nombres 10, 20 et 30, et nous avons vu que beaucoup de terrains utilisables
sont placés au delà de ces limites, la dépense à faire par mètre cube serait,
respectivement aussi : 0^,0297 ; 0^,0556 ; 0^,0811.
Appliquée à un volume moyen journalier de 350.000 mètres, qui donne
pour l'année un peu plus de 200 millions de mètres cubes, la dépense de
refoulement et de transport varierait donc, suivant les zones et altitudes
indiquées, de 6 millions à 11 milhons, puisa 16. Ce ne sont pas là, même
pour un puissant budget comme celui de Paris, des quantités négligeables ;
et l'on comprend qu'il importe de rechercher quels sont, dans la série des
terrains utilisables, ceux vers lesquels il y a, sous le point de vue de la
dépense, le plus d'avantage à se diriger.
Dans le travail visé plus haut, cette étude a été faite. Elle montre que, si
l'on peut, sans dépasser le coût au mètre cube de 0^0461, s'étendre dans
la vallée de la Seine à l'aval de Paris jusqu'à Limay (45 kilomètres), c'est
vers les plateaux de graviers diluviens, situés à l'est, entre Paris et Claye,
qu'il faudrait ensuite se porter, en subissant une dépense de 0^0515 par
mètre cube. Dans ces deux directions seules, les surfaces disponibles
s'élèvent à 11.500 hectares, ce qui dépasse de beaucoup les besoins. Mais,
si des considérations étrangères au coût d'exploitation des eaux s'oppo-
saient à ce qu'on en disposât, dans la mesure voulue, c'est au nord-ouest
de Paris, vers les 5.000 hectares de sables de Beauchamps des plateaux de
Pierrelaye^ Méry, et nord de Pontoise, qu'il faudrait se diriger, en accep-
L.-L. VAUTUIER. — COUP d'oEIL RAPIDE SUR l'asSAINISSEMENÏ DE PARIS 1187
tant un coût de transport de près de 9 centimes par mètre cube. Au delà
et dans les autres directions, la dépense serait plus forte encore.
De plus longs développements sur ce point sortiraient du cadre de ce
petit travail. Résumons-en brièvement les indications.
De tout point de l'habitation où se produisent des matières à évacuer,
des déchets à enlever, faire partir un courant d'eau qui entraîne ces matières
à l'égout, et traiter de la môme façon chaque point de la voie publique qui
exige nettoyage; diriger ces eaux polluées vers un ou plusieurs puisards,
où elles sont saisies mécaniquement, refoulées en conduites fermées, et
dirigées vers des champs d'épuration, où elles sont rendues inofîensives
par filtration à travers le sol, avec ou sans utilisation agricole des principes
fertilisants qu'elles contiennent ; tel est le système du tout à l'égout dans
sa contexture élémentaire. Rien n'est plus simple. Rien ne semble plus
logique. Mais cela est coûteux. Cet immense volume d'eau qu'on fait passer
comme un tleuve à travers les habitations, il ne faut pas seulement l'ame-
ner à grands frais ; il faut ensuite l'expulser et le purifier. C'est là un pro-
blème considérable, si considérable qu'on a longtemps reculé et qu'on
recule peut-être encore devant l'examen synthétique de la solution com-
plète. D'ailleurs, contre l'application, de nombreuses objections ont été
faites. C'est seulement après les avoir examinées que nous pourrons
conclure.
Quant à l'habitation, point de départ principal, les objections n'ont
jamais été bien fortes. Le système des fosses fixes, avec son fétide cortège
de conséquences, n'a guère jamais été défendu que par les vidangeurs. On
a vite compris que, mise en relation avec l'égout par des branchements
que des siphons hydrauliques défendent contre toute rentrée d'air, l'habi-
tation serait autrement plus saine que lorsqu'elle comprend à sa base un
réceptacle dans lequel croupit et fermente un amas de matières putrides,
ou, ce t[ui ne vaut guère mieux, une batterie de fosses mobiles. Les objec-
tions n'ont guère porté que sur l'eau nécessaire, comme quantité et
dépense. Pour la quantité, on n'a jamais craint d'être en défaut, le volume
disponible dépassant beaucoup les besoins du cabinet quelque fréquenté (ju'il
puisse être ; mais on a redouté la résistance des propriétaires à munir d'eau
suffisante les lieux loués. De là, pour parer à cette objection et à celle de
la dépense, le recours à des mesures édilitaires réduisant le prix de l'eau,
et rendant, sous le couvert d'une sanction légale, obligatoire pour tout
appartement, jusqu'aux plus minimes, l'abonnement aux eaux.
Une autre objection pourrait surgit*. Nous ignorons si elle a été faite.
Le tout à l'éyout établit virtuellement un lien de solidarité entre tous les
membres de la communauté. 11 impose à l'usager, par une sorte de contrat
moral, l'obligation, quand il se débarrasse de ses déjections, de fournir
sa quote-part du véhicule qui doit les voiturer. iXonobstanl les dispositifs
1188 HYGIÈNE ET MÉDECmE PUBLIQUE
adoptés à cet effet, c'est une obligation à laquelle il peut matériellement se
soustraire dans une certaine mesure, et le bon fonctionnement du système
pourrait s'en ressentir. Cela mérite attention.
Sauf ce point, en ce qui touche l'habitation, le tout à l'égout paraît
défier toute critique. Ce n'est pas qu'il n'ait été proposé plusieurs systèmes
prétendant le remplacer. Mais ces systèmes se rattachent plus intime-
ment à la disposition des conduites ou galeries souterraines ; c'est à propos
du cheminement dans les égouts dont nous allons parler que nous en
dirons quelques mots.
Les égouts de Paris n'ont pas été construits en vue de recevoir les
matières de vidange. Sauf les collecteurs à cunette spéciale et débit consi-
dérable, où l'on active l'entraînement par l'eau des matières lourdes à
l'aide de vannes portées sur chariots à rails ou sur bateaux, les galeries
courantes ont plutôt été conçues comme des chemins souterrains que
comme des lits de cours d'eau permanents. Si elles se prêtent à la rigueur
à, cet usage, elles s'y prêtent mal, et, sur plusieurs points, elles présen-
tent, quant à leurs pentes, des défectuosités accusées. Mais l'idée d'appli-
quer sans changement ni rectification le réseau des égouts à une fonction
nouvelle n'étant jamais venue à personne, ces derniers faits, modifiables
au prix d'une certaine dépense, n'impliquent pas une objection de prin-
cipe.
Nous verrons plus loin que ces galeries, dans leur disposition actuelle,
en soulèvent une de même nature touchant plus au fond des choses;
mais le grief principal qui leur ait été opposé c'est que lécouleraent y a
lieu à l'air libre, en communication constante avec l'atmosphère, et c'est
ce grief que nous allons examiner d'abord.
D'après des idées auxquelles il serait difficile de refuser tout fonde-
ment sur la transmission par l'air de germes infectieux contenus dans
les déjections de certaines maladies, d'éminents hygiénistes soutenaient
qu'il y avait danger à recevoir ces déjections dans des cunettes d'égout
où elles pouvaient non seulement cheminer en contact permanent avec
l'atmosphère, mais en outre, par les variations de débit et de niveau, se
déposer sur les parois, y sécher, y être reprises et de là entraînées en-
suite dans le torrent général de la circulation aérienne. Dès lors, selon
eux, un seul procédé parfaitement sûr : l'abduction du courant portant
ces matières par des conduites parfaitement closes.
De longs débats ont eu lieu à cette occasion. Dans notre incompétence,
nous ne voulons pas les résumer ici. Remarquons seulement qu'admettre
l'objection ce n'était pas seulement abandonner les galeries secondaires,
mais aussi les collecteurs. C'était entrer dans un monde absolument nou-
veau.
Deux systèmes se présentaient pour parer à l'objection, tous deux
L.-L. VAUTHIER. — COUP d'oEIL RAPIDE SUR LASSAINISSEMENT DE PARIS H89
employant des conduites fermées, avec appel par le vide. Au lieu de la
simplicité élémentaire du tout à l'égoiit, où la gravité agit seule, c'était,
tant pour l'habitation que pour la canalisation destinée aux matières
excrémentitielles, des complications mécaniques, quelques-unes délicates,
très exposées par suite aux dérangements, devant lesquelles on a reculé.
11 n'est resté de ces débats qu'une chose, le grave inconvénient, dans
le système auquel on s'arrêtait, d'avoir des galeries secondaires à peu
près de même type, correspondant à des écoulements de débit très diffé-
rents, ce qui entraîne pour partie d'entre elles l'assèchement intermittent
des radiers, avec tous les inconvénients qui se rattachent à cette cir-
constance.
Une telle conséquence se comprend à première vue. Un bassin d'égouts
présente, quant à son alimentation, l'analogie la plus complète avec le
bassin d'un fleuve. Ici, l'eau météorique tombe sur tous les points, s'é-
coule en filets qui forment les petits ruisseaux; ceux-ci, par leur réunion,
forment les grands, lesquels forment les rivières, et celles-ci le fleuve.
11 en est tout à fait de même, quant aux volumes à écouler, d'un réseau
d'égouts auquel les habitations envoient de tous les points leur contin-
gent. Mais là l'analogie cesse. Tandis que, dans le fait naturel, c'est
le volume affluent qui façonne le lit, de telle sorte que les dimensions
de celui-ci résultent du débit à écouler, il n'y a, dans le réseau artifi-
ciel, que le fleuve (le collecteur) et les grosses rivières (les principaux
affluents) qui aient des dimensions spéciales. Pour le reste, petites rivières,
grands et petits ruisseaux, les dimensions du lit sont les mêmes ou se
rapprochent beaucoup les unes des autres.
De là l'inconvénient signalé. Dans l'ensemble du réseau des égouts, la
plus grande fraction de la longueur se compose de galeries élémentaires
prenant leur source dans la voie publique qu'elles desservent, dont seules
les habitations l'alimentent, et il ne saurait en être autrement. Ce sont
ces galeries élémentaires et, à leur suite, selon les cas, beaucoup de
galeries secondaires et tertiaires qui prêtent à la critique par la largeur
exagérée de leurs radiers.
On essaie de bien des remèdes. On modifie le profil des radiers pour
que, tout en continuant à se prêter à la marche, ils offrent à leau un
canal plus étroit; on munit les égouts élémentaires de réservoirs de
chasse balayant par intermittence les radiers. Ce sont là des palliatifs.
Comme remède plus efficace, il avait été proposé, et celui qui écrit ces
lignes s'était fait le promoteur de cette idée, de remplacer, pour l'abduc-
tion des matières de vidange, dans toutes les parties, fort étendues, du
réseau où l'écoulement n'atteint pas un certain débit, les galeries à larges
radiers par des conduites fermées, de faibles dimensions successivement
croissantes. Il a été objecté que les galeries telles qu'on les établit ont
1190 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
en dehors de l'écoulement des eaux souillées, de nombreux emplois ; qu'on
y place, outre les conduites de la distribution d'eau, une foule de fils
ayant des usages édilitaires ; que des galeries sont donc, partout, à
Paris, indispensables, et que l'adjonction de conduites fermées consti-
tuerait non pas seulement un excédent de d(^enses, mais de nouvelles
complications.
Quoi qu'il en soit du mérite de ces observations, on subordonne étroi-
tement, si l'on s'y rallie, l'application intégrale du lout à Végout à l'achè-
vement du réseau des galeries souterraines, ce qui n'est pas sans incon-
vénient; et, dans tous les cas, il est, en ce qui touche l'ensemble de ce
réseau, deux points essentiels qu'il ne faut pas perdre de vue. Le pre-
mier, c'est que les écoulements intermittents sont toujours hygiénique-
ment fâcheux, et entraînent, quoi qu'on fasse, pour le nettoyage, un
excédent de dépense d'eau et de force qu'il serait désirable d'éviter; le
second, c'est qu'il convient de soustraire le plus possible l'atmosphère de
la voie publique aux émanations provenant des égouts. N'y eùt-il pas la
question, fort grave, des germes infectieux, les mauvaises odeurs sont, à
elles seules, un fléau qu'une ville bien tenue doit proscrire. Les bouches
des égouts parisiens sont loin d'être exemptes de ce défaut, et la généra-
lisation du tout àl'égout ne peut que l'accentuer, si l'on ne trouve pas
moyen d'y parer efficacement.
Il nous reste à parler des objections qui s'attachent aux champs de
répandage et de filtration. Celles-là sont nombreuses et variées. Presque
toutes cependant portent plutôt sur un point de fait que sur une ques-
tion de principe. On ne conteste généralement pas, ce qui serait excessif,
la possibilité de la filtration par le sol et de l'utilisation agricole. Les doses
seules sont objet de débat; et, par réaction contre certaines tendances à
exagérer celles-ci et à réduire outre mesure l'étendue des champs d'épan-
dage, d'autres amplifient cette dernière à l'excès, et se demandent où
trouver les énormes surfaces nécessaires.
Les indications numériques présentées ci-dessus réduisent ces objec-
tions à leur véritable valeur. La pratique montrât-elle que la dose
admise est un peu forte, il n'en résulterait pas un empêchement diri-
mant, puisque, sans faire une enjambée jusqu'à la mer, ni sans aller
chercher les plaines de la Champagne, comme l'ont proposé quelques
esprits aventureux, on est certain de trouver, dans une zone parfaitement
abordable, des surfaces disponibles, sept ou huit fois plus étendues qu'il
n'est nécessaire, et qije la dépense seule en serait augmentée dans une
certaine proportion.
Mais il est d'autres objections qui portent plus directement sur la base
même du procédé; ce sont celles déduites des froids de l'hiver et des
périodes de grandes pluies. A quoi, dit-on, serviront vos irrigations quand
L.-L. VAUTHIER. — COUP d'oiîIL RAPIDE SUR l'aSSAINISSEMENT DE PARIS 1191
toute végétation a cessé, et la filtration elle-même sera-t-elle possible à
travers un sol congelé? Enfin, quand des pluies diluviennes auront
détrempé le sol outre mesure, allez-vous, par vos épandagcs, augmenter
encore le mal ?
Sur ce dernier point, la réponse est facile. Quand les pluies sont abon-
dantes, les cours d'eau sont en crue. La Seine débite alors non plus
40 ou 30 mètres par seconde, comme à l'étiage, mais l.oOO à 2.000 mètres,
avec une vitesse d'écoulement considérable; et, s'il est extrêmement
fâcheux d'y déverser, en basses eaux, un courant liquide souillé dont le
débit est le dixième du sien, il est parfaitement admissible, au contraire,
sans nul inconvénient, qu'on y reçoive cet affluent quand le volume
auquel il se mêle est trois cents à quatre cents fois plus fort que le
sien. C'est pour cette raison que, dans les grands orages, on évacue
directement en Seine, dans la traversée de Paris, le trop-plein des col-
lecteurs; et, dans les grandes crues, l'inconvénient est nul pour l'aval
jusqu'à la mer, où les eaux du fleuve arrivent sans que la marée en ait
renversé le courant.
Quant aux froids de l'hiver, l'objection aurait quelque valeur si l'in-
tervention des plantes était un élément indispensable de l'épuration.
Mais il n'en est rien, et la filtration seule suffit pour réaliser celle-ci. Les
eaux d'égout conservent une température relativement élevée, et, si l'on
admettait des froids assez rigoureux et assez prolongés pour faire
redouter la congélation sur le sol de l'eau épandue, il n'y aurait pas
encore lieu de s'effrayer beaucoup de cette circonstance exceptionnelle.
Dans les grands froids, le débit des égouts se réduit au minimum.
L'épandage ne donnerait sur le sol qu'une couche de quelques milli-
mètres, et il faudrait qu'ils persistassent bien longtemps, — ce qui est
rare en nos climats, — pour que cette couche atteignît l'épaisseur d'un
décimètre.
Ces objections sont donc loin d'avoir le caractère éliminatoire que leur
prêtent ceux qui les soulèvent; et il est singulier de les trouver dans la
bouche de personnes qui préconisent comme remède souverain l'abduc-
tion à la mer par un canal à faible pente, où la vitesse serait presque
nulle, et où les froids vifs amèneraient, par la congélation, avec une
incessante alimentation par l'amont, de colossales embâcles.
Ces points examinés, à quel degré de réalisation pratique la question
est-elle arrivée et dans quelles conditions marche-t-elle?
On travaille à amener de nouvelles eaux de source, et l'extension des
irrigations vers Achères, déclarée depuis deux ans d'utilité publique,
est en pleine voie d'exécution. La ville de Paris poursuit son o-uvre.
Entre temps, les régions suburbaines, surtout à l'aval de Paris, se révoltent.
Le tout à Végout empoisonne la Seine.
1192 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
Des hygiénistes intempérants se lèvent, déclarent le mal arrivé à son
comble, et l'on ne voit qu'un remède à la situation, c'est de porter par
un canal toutes les déjections de Paris à la mer.
Qu'y a-t-il de fondé dans ces clameurs? Est-ce le système même du
tout à l'égout qui est en cause, ou la façon dont on a procédé dans l'ap-
plication? Ce sont là des points qui méritent d'être examinés.
Il serait difïicile de le contester. La question d'assainissement de Paris
n'a jamais, jusqu'à ce jour, été envisagée bien en face, haut le front et
d'ensemble. Qu'il y ait eu tâtonnements au début, cela se comprend et
s'excuse. Mais il a pesé sur sa marche des illusions, prolongées outre
mesure. On a toujours semblé vouloir ruser avec elle. Le choix de Genne-
villiers au début, comme territoire d'essai, était techniquement irrépro-
chable; et le succès y a dépassé, dans les premiers temps, tout ce qu'on
pouvait espérer. Faire appel au concours de l'initiative privée, c'était une
idée libérale et juste. Cependant ce concours n'a pas donné tout ce qu'on
en attendait. Les faits ont bientôt montré que l'extension de la surface irri-
guée devenait de plus en plus lente; qu'en face d'une eau fertilisante
qu'on leur offre gratis, ceux qu'elle enrichirait la dédaignent. C'est là
l 'histoire de toutes les irrigations, dans les pays mêmes où elles sont le
plus indispensables. Il fallait donc que la Ville eût des champs à elle, dont
elle pût disposer librement.
La question des tirés de la forêt de Saint-Germain vers Achères est née
de cette conviction. C'était là aussi une idée juste; seulement près de vingt
années ont été nécessaires pour lui donner un corps. Il y fallait, après
l'adhésion de l'administration des forêts, — rudis indigestaque moles, —
l'approbation de l'État et la sanction des pouvoirs législatifs. Paris est
resté plus de dix ans hypnotisé — pour employer une expression devenue
célèbre — devant un lambeau de forêt, presque sans arbres; et le débat
a pris, pour tout un département, les proportions d'une question électorale
de premier ordre. Ce nouveau champ de 800 hectares est disponible
depuis 1889; on travaille pour l'utiliser. Avec les 800 hectares de Genne-
villiers, l'irrigation pourra s'étendre à 1.600 hectares, et à la dose de
40.000 mètres par hectare, parfaitement admissible dans l'état actuel des
eaux d'égout, on aura là le placement de 64 millions de mètres cubes.
Mais il y en a aujourd'hui 80 milhons de plus, sans compter l'avenir.
La Ville possède, à Méry-sur-Oise, 500 hectares de terrain, coûteux à
atteindre, mais par ailleurs en de parfaites conditions. Là encore pour-
ront se loger 20 millions de mètres. Où ira le reste? Nul ne le sait. Il
faudrait dès à présent y pourvoir. C'est une dépense à faire, mais on ne
peut reculer. Elle sera toujours moindre que si l'on attend plus longtemps.
Que la culture privée prête son concours à la ville de Paris, cela est à es-
pérer, et les avances de celle-ci en seront réduites. II faut marcher comme si
L.-L. VAITHIER. — COUP o'œiL RAPIDE SUlî l'aSSAINISSEMENT DE PARIS 1193
Ion n'y comptait pas, surtout comme si l'on n'en avait pas besoin. Le cœur
liumain est ainsi fait. L'eau d'égout renferme un engrais précieux. Cette
eau aura plus tard un prix de vente. Ce prix ne lui sera attribué que
quand la Ville pourra elle-même l'utiliser toute. La rareté est un élément
de la valeur.
.Nous venons de prononcer le mot d'avance, à propos des dépenses à
faire. 11 n'y a pas au fond autre chose. On ne peut supposer que des
terrains irrigués et rendus fertiles, à proximité de Paris, restent livrés aux
plantes parasites. La Ville les affermera; au besoin, elle les exploitera elle-
même, en régie, ce qui, prati(]uement, vaudrait moins. Dans aucun cas,
la dépense d'achat ne restera improductive. Mais il faut marcher et
marcher carrément. Le plus vite sera le mieux, et pour le résultat final,
et aussi, convenons-en, pour rassurer l'opinion publique, qui dans ses
objurgations dépasse la mesure, mais a pourtant des griefs fondés.
Dans ces griefs, c'est surtout le tout à l'égout qui est mis en cause. Là
est le point faux, et ce serait à faire croire à une émeute de vidangeurs.
Sait-on, en ce moment, par le tout à l'égout réglementaire, en dehors de
ce qui y allait avant, ce qui arrive à l'égout de matières excrémentitielles?
Une fraction de un vingt-cinquième — chiffre officiel — de la production
totale journalière de Paris. Pour les vingt-quatre vingt-cinquièmes restants,
c'est-à-dire pour presque tout, Paris vit donc encore sous le régime des
fosses fixes et de la vidange.
La situation est, à cet égard, on le voit, bien peu différente de ce
qu'elle était avant l'admission légale du tout à l'égout. En est-elle meilleure?
IN'on, sans doute. Mais c'est à tort qu'on rend responsable du mal un procédé
qui joue encore un si faible rôle dans la question. Si la Seine est souillée,
c'est l'ancien système qu'il faut en accuser, non le nouveau, qui ne fonc-
tionne pas encore, ou sur une si faible échelle, que sa part de responsa-
liilité est négligeable.
Cela veut-il dire qu'il soit bon qu'on puise des eaux, dites potables,
pour l'alimentation de la banlieue, à Épinay ou sur tout autre point, à
l'aval de l'égout d'Asnières ? Certainement non. Mais lorsqu'on a pris ce
parti, la Seine, dans ces régions, était aussi chargée, sinon plus, qu'au-
jourd'hui, et, dans tous les cas, le tout à l'égout n'y est pour rien. On
peut et l'on doit exiger que Paris, dans le délai le plus bref, ne souille
plus la Seine de ses déjections, ce qui permettra d'avoir la môme exigence
pour toutes les localités qui la bordent; mais on fait au tout à l'égout une
étrange querelle en mettant à son compte, à propos d'un état sanitaire,
que les fortes chaleurs dont nous souffrons expliquent, le réveil de germes
morbides enfouis depuis plusieurs années à l'état latent dans la presqu'île
de Gennel\^illiers et sur le territoire des localités qui s'alimentent en eau
de Seine à l'aval de Paris.
1194 HYGIÈXE ET MKDECLNE PUBLIQUE
Reste la question du « tout à la mer ».
Ici il y a, bien manifestement, le réveil d'une idée qui sommeille dans les
esprits et renaît par secousses. Les grandes enjambées séduisent l'ima-
gination ; puis les dimensions de l'Océan sans bornes sont telles qu'elles
semblent réduire à un insignifiant filet d'eau le torrent d'eaux souillées
qu'il s'agit d'y déverser. Quant aux difficultés de la solution pratique et à
la dépense, on s'en occupe peu.
Quelques ingénieurs, dans le passé, ont cependant, en termes plus ou
moins sérieux, abordé le problème.
L'un d'eux, M. Passedoit, taillait en plein drap : il ne connaissait pas
d'obstacles. Il emmenait les eaux de Clichy à Quillebeuf — ce qui n'est
pas tout à fait la mer — sans relèvement préalable des eaux, par un large
canal à ciel ouvert, bordé d'un chemin de fer de 205 kilomètres de déve-
loppement, avec pente de 0'",10 par kilomètre. Combien devait coûter
ce canal? Absolument rien, répondait-il, — à la condition qu'on lui donnât
le moyen de faire le chemin de fer. Ce n'était pas plus malin que ça.
Un autre, M. Brunfaut, que patronnait un député, M. Ducuing, établis-
sait aussi un canal à ciel ouvert, partant de Clichy, arrivant à Canteleu,
peu en aval de Rouen, avec 140 kilomètres de développement et pente
de 0,'"12 par kilomètre. Ce canal raccourcissant beaucoup sur le fleuve,
et, comportant de nombreux tunnels, coupait huit fois la Seine, qu'il
traversait en dessous, au moyen de siphons formés chacun de vingt-six
tubes de 1 mètre de diamètre. Un réservoir de marée de 500.000 mètres
cubes de capacité était établi à Canteleu; le tout évalué Ho millions
pour un débit supposé de 4 mètres seulement à la seconde.
Canteleu, distant de la mer de 120 kilomètres, touche presque Rouen.
C'est seulement la marée, non la mer, que M. lîrunfaut allait chercher
si loin. Nonobstant son réservoir pour retenir les eaux de Paris pendant
la durée du flot, les Rouennais eussent, avec raison, poussé de beaux cris.
L'auteur du projet ne renonçait pas, d'ailleurs, à irriguer; il comptait
trouver en chemin 12 à 13.000 hectares propres à cet usage, et, comme
le plan d'eau de son canal était généralement beaucoup au-dessous du
terrain, c'est sur de petits moulins à vent établis sur le parcours qu'il
comptait pour relever les eaux. L'imagination est une belle chose.
Au lieu des 4 mètres de débit sur lesquels tablait M. Brunfaut, c'est
— nous l'avons vu — sur un débit pouvant aller jusqu'à 10 mètres qu'il
faudrait compter. Inutile de dire que la dépense croîtrait fort de ce chef.
Quant au canal, sous la pente indiquée, avec des talus à - et une pro-
fondeur de 2 mètres, il aurait H mètres de largeur au plan d'eau et
celle-ci prendrait une vitesse dépassant peu 0'",60 à la seconde. Ce serait,
par les dimensions, presque un véritable canal navigable, — presque un
cloaque par la lenteur du courant.
L.-L. VAUTHIER. — COUP d'oEIL RAPIDE SUR l'aSSAIXISSEMENT DE PARIS 1 J 9o
Conduire les eaux d'égoul vers la mer par la seule pente dont on dis-
pose topographiquement est une idée radicalement fausse.
C'est ce que pensait M. Aristide Dumont, ingénieur distingué, qui,
vers I880, présentait aussi un projet de canal d'assainissement de Paris
à la mer. par lui soumis à l'appréciation de l'Académie des Sciences.
Dans ce projet, les eaux dirigées non plus par la vallée de la Seine
mais par les plateaux, vers Belleville-en-Mer, situé entre Dieppe et le
Tréport, voyageaient constamment en conduites fermées.
Relevées successivement par trois fois, d'un peu plus de 400 mètres, à
l'aide de machines, elles coulaient ensuite par la pente, sur la majeure
partie de leur parcours total, de 156 kilomètres, dans un tube de section
circulaire, pouvant débiter à gueule bée, avec une vitesse de 0"',96, un
peu plus de 5 mètres par seconde, et arrivaient sur le versant maritime à
une altitude de 6o à 70 mètres, de manière à pouvoir encore y fournir
des chutes industrielles. C'est dans le tube en question suivant les pla-
teaux tantôt à fleur de sol, tantôt en tunnel ou tranchée, tantôt porté sur
remblai ou viaduc que se faisaient les prises d'eau d'irrigation pour les-
quelles l'auteur comptait sur une surface disponible de 20 à 30 mille hec-
tares. Enfin, ce qui eût excédé les besoins de l'utilisation, réuni, au voisi-
nage de la mer, dans un vaste réservoir, aurait été porté au large par des
conduites à 800 mètres du pied de la falaise. L'auteur espérait échapper
ainsi au dangfir de tout retour des eaux souillées vers la plage.
Ce projet conçu dans des visées industrielles, n'avait pas à être, en
principe, écarté par la Ville, quant aux propositions de concours, rétribué,
cela va sans dire, que lui offrait une entreprise privée, pour la débarrasser
de tout ou partie de ses eaux d'égout. Mais, sans discuter des points de
détail sur lesquels ce projet pouvait être critiquable, on en a contesté la
rationnante même. Pourquoi aller chercher si haut et si loin des zones
irrigables, lorsqu'on en a en suffisance bien plus à portée ? Si, dans l'es-
pèce, cela s'explique parce qu'on s'est mis en route vers la mer, pourquoi
viser un point aussi éloigné, si l'on doit laisser toute l'eau en chemin ? EL
enfin croit-on, s'il doit arriver à la mer des eaux souillées en quantité
notable, qu'on puisse les y déverser sans inconvénient?
A la nouvelle du projet Dumont, Dieppe et le littoral voisin avaient
poussé de hauts cris. Mais sans trop s'arrêter à des appréhensions lo-
cales qui, en fait d'eau d'égouts, peuvent, on le sait, n'être pas toujours
parfaitement justifiées, il est facile de se rendre compte que tout n'est
pas dit parce qu'on aura atteint la mer, et qu'on ne se sera pas radicalement
débarrassé d'ordures pour les avoir jetées dans l'Océan. Qu'un fleuve en
crue, où le courant n'est pas, dans la rt'gion maritime, renvereé par le
jeu des marées, puisse sans inconvénient entraîner et porter au large les
eaux souillées qu'on y déverse, diluées dans trois ou f|ualie cents fois
1196 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
leur volume d'eau pure, cela se comprend. Mais, sur une plage ouverte,
il n'en est pas de même. La masse d'eau est immense; mais, sauf par
les gros temps, les autres mouvements auxquels la mer est soumise n'im-
pliquent que des déplacements limités. S'il y a courant littoral, c'est pa-
rallèlement à la côte que L' déplacement a lieu, sans mouvements trans-
versaux qui mélangent les tranches. Sous cette influence, au point
même que M. Dumont avait choisi, on a vu des niasses de hannetons
jetées à la mer à Dieppe arriver au Tréport, en bon ordre, quelques heures
après. Et, quant au jeu des marées elles-mêmes, par temps calme,
transversalement au rivage, leur oscillation d'exhaussement et de retrait
n'emporte pas au loin les corps flottants. Ils sont entraînés à mer bais-
sante, mais ramenés à mer montante, nonobstant, bien entendu, le mé-
lange inévitable de liquides de densités rapprochées. Il pourrait bie'n
être ainsi des eaux d'égout; et ceux (jui, il y a quelques années, ont pu
observer dans quelle mesure, malgré le puissant balayage des marées à
l'embouchure de la Seine, le déversement des égouts du Havre à la mer
infectait l'anse de Sainte- Adresse, auront quelques doutes sur l'innocuité
absolue d'une opération qu'on préconise sans suffisantes réflexions.
Assez sur ce sujet auquel nous avons donn<'' trop de place.
La vaste opération de l'assainissement intégral de Paris est actuellement
engagée dans une voie d'oii elle ne peut plus sortir. Il faut qu'elle réus-
sisse. Dans les termes où elle est conçue, son succès dépend de deux con-
ditions essentielles : d'abord une alimentation en eaux de toute nature,
assez puissante pour entraîner avec elles toutes les déjections que produit
une population de 2.500.000 habitants, qui dépassera, — cela est à
craindre. — bientôt ce chiffre ; ensuite, des surfaces de terrain suffisantes
pour épurer et rendre inofl'ensives les eaux souillées, avec utilisation
agricole, autant que faire se peut.
On travaille à augmenter le volume d'eau potable destinée à lalimen-
tation privée. Paris disposera dans un délai rapproché, en eau de toutes
provenances, d'une quantité correspondant à plus de 200 litres par jour,
par tête d'habitant. C'est là une situation magnifique. Si l'on trouvait,
après cela les services publics un peu insuffisamment dotés, rien ne serait
plus facile que d'y pourvoir, et il n'y aurait nulle raison de repousser
pour cet usage l'eau puisée en Seine.
Quant aux champs d'épuration, nous avons indiqué le programme
auquel satisfaire : 3.000 à 3. 500 hectares à bref délai, portés successive-
ment au double, à mesure que le tout à l'égout remplacera progressi-
vement les fosses fixes et la sordide vidange.
Notre prétention n'est pas de fixer des chiffres absolus. Mais ceux aux-
quels on s'arrêtera ne pourront s'éloigner beaucoup de ceux qui précèdent.
Seulement, il ne faut pas se boucher les yeux et les oreilles — nous ne
L,-L. VAUTIIIEH, — COUP d'œIL RAPIDE SUR l'aSSAINISSEMEÎNT DE PARIS 1197
parlons pas des narines. La responsabilité de Paris est engagée. Depuis
vingt ans on tatillonne. C'est là ce qui excite, avec grande raison, les
plaintes des populations suburbaines et des départements voisins.
Qu'ils aient tort de mettre en cause le tout à l'égout; nous l'avons
démontré. Que le dada du « tout à la mer » ne soit pas une monture à
enfourcher par des gens de sens rassis, nous le croyons. Mais, quant à
secouer la torpeur inqualifiable des pouvoirs publics parisiens, ils ont mille
fois raison de le tenter et ne sauraient crier trop fort.
Il y a une forte dépense à faire, non seulement comme frais de pre-
mier établissement, mais comme exploitation. Nous le savons bien.
Il faut terminer le réseau des égouts, auxquels manquent encore quel-
ques dizaines de kilomètres. Sur ce point nous avons dit notre pensée.
Nous croyons qu'on agirait sagement et qu'on arriverait plus vite au but
poursuivi, qui est de recueillir la totalité des chutes, en substituant, pour
une forte fraction du réseau complémentaire, ne fût-ce que comme avant-
garde, même à titre provisoire, des conduites étanches de petite dimen-
sion aux galeries définitives de grande section.
En même temps que le réseau de réception se termine, il faut songer
à l'établissement de Clichy, dont la puissance dépasse aujourd'hui les
besoins, mais qui peut devenir insuffisant.
Il faut se procurer, par les moyens les mieux appropriés, avec le con-
cours de l'initiative privée, si possible, sans les demander à l'État et
surtout à ladministration des forêts, les surfaces de terrain nécessaires.
Puis enfin, pourvoir en prévision, au budget municipal, à la dépense
d'exploitation qui sera forte.
Tout cela pèsera. Rien n'est plus certain ; mais on sait depuis long-
temps que la taxe municipale sur les chutes à l'égout produira une re-
cette annuelle d'environ 9 millions. Cela donne le moyen de gager un
emprunt respectable et de se procurer des ressources ; le tout sans faire
état des produits certains d'un immense domaine de plusieurs milliers
d'hectares.
Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, la Ville de Paris a un devoir étroit. Il
faut qu'elle le remplisse. Et elle a tout avantage à le faire délibérément,
au plus vite, les yeux bien ouverts.
Ce sera là notre conclusion.
1198 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
M. Léon TEISSEEEIC DE BORT
à Paris.
SUR LA NÉCESSITÉ DE FONDER UNE LIGUE POUR LA PROTECTION DES ANIMAUX
ET DES HOMMES CONTRE LA RAGE
— Séance du 20 septembre 1892 —
L'exemple de la plupart des pays qui nous avoisinent où la rage est
en grande décroissance ou même complètement éteinte, montre que cette
maladie, si terrible dans ses effets, peut être détruite par un ensemble de
mesures de police sanitaire qui sont assez simples.
En France, les lois qui existent à ce sujet ne sont pas appliquées dans
la plupart des cas ou appliquées sans suite et pour la forme. L'apathie
de l'administration d'une part, une sensiblerie mal placée chez les pro-
priétaires de chiens (qui, plus que tous autres, devraient chercher à
préserver leurs animaux; ont empêché les lois de 18o':2 ainsi que le
décret de 1882 de produire leur effet utile, et le nombre de chiens en-
ragés se maintient très considérable. Il semble augmenter même à
mesure, que le bien-être se répandant, le nombre des personnes qui ont
un chien croît lui-même (1).
L'abatage des chiens mordus par un animal enragé est la seule mesure
qui soit assez bien observée, mais combien d'animaux sont mordus sans
qu'on le sache, ou par des animaux considérés à tort comme sains ;
dans les centres populeux surtout, la surveillance des chiens est à peu
près impossible sans le secours de la muselière, aussi voyons-nous
la Seine, la Haute-Loire, le Rhône présenter chaque année des cas de
rage humaine.
Lorsqu'on présence des recommandations pressantes du comité d'hygiène
ou à la suite de véritables épidémies de rage canine, l'administration a
voulu imposer le port de la muselière, on s'est heurté à des protestations
très vives de certaines personnes, furieuses de ce qu'on leur enlevait leur
chien pour le mener en fourrière ; des agents de police ont été maltraités
(I) Les documents statistiques que j'ai joints à cette note donnent une idée delà fréquence ec de
la répartition de la rage en France. (Voir l'appendice.)
L. TEISSERENC DE BORT. — LIGUE POUR LA PROTECTION CONTRE LA RAGE 1199
par des âmes charitables qui paraissent aimer beaucoup plus les chiens
que l'espèce humaine.
En voyant ces obstacles venant d'une partie du public qui, dans ce cas,
pèche par insouciance, par ignorance, il m'a paru que cet état de choses
fâcheux pour la santé des bêtes et des gens ne trouverait son remède
qu'en faisant, en quelque sorte l'éducation du public au point de vue de
la prophylaxie de la rage et en cherchant à déterminer un courant
d'()])inion en faveur de l'observance des lois de police sanitaire, quitte
à les renforcer par des dispositions législatives plus complètes.
Il faudrait faire connaître au public qu'à Paris la rage tue environ
400 chiens par an, soit i chien sur 400, et qu'en y joignant le nombre
des animaux tués comme venant d"étre mordus par un animal enragé,
on arrive à un total de S. 000 chiens, soit plus de 6 0/0. Voulez- vous me
dire quelle est la maladie qui, directement ou indirectement, amène une
pareille mortalité et cela d'une façon régulière? H n'y en a heureusement
aucune. On peut donc, si ces faits étaient bien connus, espérer que les
amis des chiens se rendant à l'évidence, au lieu de protester contre les
règlements, seraient les premiers à les appliquer.
Le mouvement d'opinion dont je parle, l'éducation du public à ce
point de vue spécial, la vigilance qu'il faudrait exercer pour obtenir
l'application des lois sanitaires ne peuvent être confiés qu'à une associa-
tion comptant un grand nombre de personnes de bonne volonté répandues
dans les divers départements et exerçant une action puissante comme
celle de certaines associations qui existent déjà. Il faudrait créer en
France une ligue dont le but ne saurait être mieux défini que par son
litre même :
Ligue pour la protection des animaux et des hommes contre la rage.
Si je fais, dans ce titre, passer les animaux avant les hommes, c'est afin
de marquer qu'il s'agit de bien protéger l'animal d'abord, puisque
c'est lui qui porte le mal, et aussi pour montrer aux amis des chiens qu'on
se propose de protéger le chien et le maître à la fois.
Une pareille ligue, en demandant h. ses adhérents une très faible coli-
sation : 1 à 2 francs, compterait bientôt un grand nombre de personnes
se pénétrant de l'utilité des mesures proposées et s'intércssant ainsi à la
prophylaxie de la rage.
Supposons cette ligue fondée et voyons quels seraient ses moyens d'action.
Ces moyens sont de divers ordres. •
Mogens persuasifs. — Tout d'abord, c'est de bien faire connaître les
dangers de contagion de la rage, dans certains départements il y a beau-
1200 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
coup à faire de ce côté ; d'apprendre au public que, contrairement à
l'opinion erronée très répandue, le chien enragé boit en dehors de ses
accès de rage, que sa morsure est dangereuse au moins trois jours avant
qu'aucun signe extérieur ne mette son propriétaire en garde et qu'ainsi,
puisqu'on ne peut reconnaître la rage que tardivement, il faut mettre
l'animal dans des conditions où il ne puisse la contracter.
Ces données générales, jointes au texte des lois de police sanitaires
pourraient être très utilement répandues par les écoles ; il suffirait de les
publier sous forme d'un tableau mural avec quelques dessins de chiens
muselés pour fixer le regard des enfants.
On instruirait ainsi les enfants, les instituteurs et aussi les parents par
contre-coup. Le même tableau pourrait être affiché dans les mairies
dans les villes ; les marchands d'articles pour chiens ne manqueraient
pas de l'alficher comme poussant à l'achat des muselières.
Moyens coercitifs. — 11 semble, au premier abord, qu'une ligue émanant
de l'initiative privée ne peut exercer d'action coercitivc sur le public,
c'est une erreur; elle peut, au contraire, en faisant rendre justice aux
personnes victimes de la rage, à un titre quelconque, exercer sur le public
beaucoup plus qu'une pression morale.
En effet, la plupart des personnes qui ont un chien mordu par un animal
enragé et se voient forcées de l'abattre, demandent rarement des dom-
mages-intérêts au propriétaire de l'animal qui a causé le mal ; et cepen-
dant, il est responsable au même titre que celui dont la vache va paître
chez le voisin, dont les chiens détruisent les récoltes à la chasse, etc.
A plus forte raison, lorsque la morsure a été faite à un homme, c'est
tout à fait assimilable à fusinier qui, par sa négligence, amène un de
ses ouvriers à se blesser.
C'est là mi acte de justice, et c'est un côté de la (piestion qui a
été presque complètement négligé parce que beaucoup de personnes
reculent devant les démarches qu'il faut faire pour obtenir judiciaire-
ment une indemnité, et aussi parce qu'on pense encore dans le public
que la rage est un mal inéluctable, comme un tremblement de terre,
tandis que nous savons maintenant qu'il dépend de l'homme de détruire
cette maladie.
Supposez la ligue établie et le public prévenu qu'elle se charge de
poursuivre, au nom des particuliers, le propriétaire de chien mordu,
et vous verrez bien vite s'établir l'usage de demander des dommages
et intérêts quand oiï est mordu ou qu'on perd un chien qui a sou-
vent un grande valeur vénale, comme c'est le cas pour les chiens de
chasse.
L'action de la ligue s'exercerait aussi comme s'exerce celle de la Société
L. TEISSERENC DE BOUT. — LIGUE POUR LA PROTECTION CONTRE LA RAGE 1201
prolectrice des animaux qui, maintes fois, a rappelé le public à l'obser-
vation de la loi Granmiont.
Il faudrait aussi publier dans la presse quelques notes sur la rage, en
profitant des accidents qu'elle détermine, pour appeler l'attention du
public sur l'accident survenu et les moyens d'en éviter le retour.
Avec un peu de persévérance, on trouverait un concours très sérieux
dans la presse, où l'élément scientifique prend chaque jour plus d'im-
portance et qui devient, par conséquent, accessible à ce qui est du
domaine de l'expérimentation, de la statistique et des conséquences qui
en découlent logiquement.
Il y a quelques mois, lorsque, sur les insistances du Conseil d'hygiène,
le préfet de police, avec une fermeté qui l'honore, a remis en vigueur la
loi de police sanitaire contre la rage, un grand nombre de journaux ont
soutenu l'opportunité de la mesure : je citerai particulièrement le Temps,
où une campagne, appuyée aussi par M. Jules Simon, a été faite avec
beaucoup de persévérance et de mesure ; le Jour, où M. Félix Laurent a
montré au public la nécessité des mesures prises ; le Petit Journal, qui a
institué un concours de muselières ; la Libei^té, l'Estafette, la Petite Répu-
blique, la Marseillaise, \e Paris, etc., ont montré aussi qu'ils comprenaient
le véritable intérêt qui s'attache à ces questions et savaient s'élever au-
dessus des criailleries inévitables qui accompagnent l'institution de toute
espèce de règlements d'utilité publique.
Telles sont les grandes lignes du rôle de l'association contre la rage que
je voudrais voir se fonder en France ; je serai heureux si cet exposé a
pu déterminer quelques-uns d'entre nous à prendre part à cette œuvre.
APPENDICE
Le nombre des personnes qui se font traiter à l'Institut Pasteur donne une
idée assez exacte de la fréquence de la rage chaque année et la répartition des
cas de morsure suivant les départements indique à peu près la distribution de la
maladie en France.
M. L. Perdrix a donné, dans les Annales de l'Instilut Pasteur de mars 1890,
une note très détaillée sur les résultats des vaccinations antirabiques, où il
montre par une carte et des tableaux quelle a été la distribution des cas de mor-
sure suivant les départements et aussi suivant la densité de la population pour
1887-88-89.
Jui fait un travail analogue en le complétant et l'étendant aux années 1890
et 1891.
76*
1202
HYGIÈNE ET MEDECINE PUBLIULE
La figure 1 indique la proportion annuelle pour 100.000 habitants, des per-
sonnes mordues (d'après la moyenne de cinq ans, 1887-91) qui ont été se faire
traiter à l'Institut Pasteur.
Cette carte montre d'une façon évidente que ceriaines régions sont beaucoup
plus frappées que certaines autres ; le midi de la France en particulier est très
Fu;. I.
éprouvé et on compte généralement en année moyenne plus de 5 personnes sur
100.000 de mordues par un chien enragé.
Les régions les plus éprouvées sont :
Nombre de persouiies mordues
pour 100.000 habitants.
Les Basses-Pyrénées.
La Seine
Seine-el-Oise . . .
Bouches-du-Rhône .
Lot-et-Garonne . . .
Savoie
9.0
9,2
8,5
8,4
","
7.0
Les régions les plus indemnes sont tout le groupe de départements qui avoisi-
ûeni l'Eure, savoir : la Sarthe 0,2; la Mayenne, rOrne0,3; le Calvados 0,6;
L. TEISSERENC DE BORT. — LIGUE POUR LA PROTECTION CONTRE LA RAGE 1203
l'Eure-et-Loir, 0,8; l'Yonne et la Haute-Marne, 0,3; la Vienne, les Deux-SèvTes,
la Vendée. Dans la région méditerranéenne, le Var l'ait une heureuse exception
avec 2 personnes sur iOU.OOO mordues au milieu des autres départements du
littoral qui présentent une proportion triple. De plus, nous avons indiqué au-
dessous du chiffre des mordus par 100.000 habitants la proportion du nombre
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20*8 ..-■■— --V208*;. , ^
:..._....4as7i;r-\-"V-;;;
Fil.. 2.
des chiens par rapport à celui des habitants. On voit, par exemple, que la Seine-
et-Oise possède 10 chiens pour 100 habitants, que la Seine ne renferme que
4 chiens pour 100 habitants.
La Ogure '1 indique le rapport entre le nombre des personnes mordues dans
l'année moyenne et le nombre des chiens du département.
On a ainsi la proportion des animaux qui causent des accidents.
Comme le nombre de chiens et le nombre d'habitants sont assez variables,
cette carte présente un assez grand intérêt.
On voit, par exemple, que dans le département de l'Eure il n'y a qu'un accident
sur 3;i.000 chiens, que dans la Seine il y en a un sur 460 chiens ; cela donne,
dans une certaine mesure, une idée de la répartition des cas de rage canine.
1204 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
M. le D' CHOPIIET
Médeciii-majcir de ^'^<' classe, à Lérouville (Meuse).
DE L'ÉTIOLOGIE DU GOITRE ET DU CRÉTINISME DANS LES PYRENEES CENTRALES
— Séance du 20 septembre 1892 —
Lorsqu'on parcourt la bibliographie du goitre, et du crétinisme, il est
impossible de ne pas être frappé du nombre et de l'importance des travaux
qu'a suscités l'étude de cette question dans les Alpes centrales, et en
même temps de la pénurie de documents scientifiques analogues se rap-
portant à la région des Pyrénées. Et cependant les vallées pyrénéennes
sont loin d'être épargnées par ces tristes infirmités et elles offrent un
champ d'étude d'autant plus intéressant à explorer, à ce point de vue,
qu'il est presque vierge. Aussi croyons-nous devoir faire connaître le fruit
de nos observations, poursuivies pendant près de dix ans, sur l'endémie
du goitre et du crétinisme dans les Pyrénées centrales, et les conclusions
auxquelles nous avons été conduit sur l'étiologie de ces deux maladies,
qui sont évidemment l'expression d'une cause commune.
Pour étudier cette question si controversée, nous avons puisé à plusieurs
sources d'informations :
1° Visite minutieuse de toutes les localités réputées pour être des
foyers de l'endémie;
2° Renseignements fournis par les personnes les plus compétentes habi-
tant la région, médecins, instituteurs, prêtres, etc. ;
3*> Documents statistiques empruntés aux archives des bureaux de re-
crutement et faisant ressortir le nombre des exemptions du service mili-
taire actif prononcées, de 1850 à 1865 et de 1873 à 1891.
En résumant ces diverses données, nous avons pu nous rendre un
compte exact de la situation actuelle de l'endémie et déterminer, en outre,
ses variations d'intensité pendant ces quarante dernières années.
Nous ne reproduirons pas ici les tableaux statistiques qui résument les
résultats de nos investigations ; nous nous contenterons de faire passer sous
vos yeux les deux cartes que nous avons dressées en vue de représenter
la distribution géographique de l'endémie dans la région où nous avons
fait nos observations. Cette région correspond exactement aux Pyrénées
D'' CHOPINET. — ÉTIOLOGIK DU GOITRE ET DC CRÉTIMSME DANS LES PYRÉNÉES 120o
centrales et comprend les onze cantons de l'arrondissement de Saint-
Gaudens, six cantons de l'arrondissement de Muret et cinq du Saint-Gi-
ronais; ses limites se confondent avec celles de la subdivision militaire de
Saint-Gaudens (PI. VIII).
La première carte a été établie en prenant pour base, dans chaque can-
ton, la proportion des goitreux exemptés du service militaire actif pour
1000 conscrits examinés. L'intensité croissante des teintes est l'expression
graphique de l'augmentation du nombre des exemptions. Dans la deuxième
carte, nous avons représenté par des cercles noirs les localités où règne
l'endémie; la largeur du cercle est en rapport avec le degré de sévérité
du mal.
L'examen de ces deux cartes permet de constater tout d'abord ([ue l'en-
démie présente son maximum dans les cantons montagneux les plus voi-
sins de la ligne de faîte des Pyrénées. Elle va en décroissant régulièrement
à mesure qu'on se rapproche de la plaine.
Le canton le plus gravement affecté est celui de Castillon, où la pro-
portion des exemptions pour goitre atteint 40,2 sur 1.000 examinés. Mais
il est à remarquer que l'endémie ne frappe pas également les cinq vallées
dont ce canton est composé; quatre sont presque épargnées, tandis que
la cinquième, la Bellongue, est cruellement éprouvée. Le village d'Au-
dressein, silué à la partie la plus basse de cette vallée, au confluent de
deux rivières, est le. foyer le plus important de l'endémie. Les com-
munes qu'on rencontre en amont, Argein, Aucazein, lUartein, Augirein
et Orgibet, se signalent également par la fréquence du goitre et un aspect
tout spécial de la population qui offre les signes d'une dégénérescence
manifeste.
Les villages situés sur les flancs de la montagne ont beaucoup moins
à souffrir de l'endémie que les précédents. Celle-ci perd de son intensité
dans la partie supérieure de la Bellongue; elle est très bénigne dans les
communes de Saint- Lary et Portet, situées presque à l'origine de la vallée.
Le canton de Saint-Béat (33,5 exemptés pour 1.000 examinés) vient assez
loin dans l'échelle de gravité de l'endémie, après celui de Castillon. Le
foyer principal était naguère la commune d'Arlos. La plupart des habitants
étaient affectés de goitre et presque aucune femme n'échappait à cette
affection. Les crétins étaient également fort nombreux dans cette popu-
lation profondément dégradée. Arlos était alors le village le plus misérable
de toute la contrée. Ses habitants vivaient dans des masures couvertes
en chaume, dépourvues de fenêtres et de cheminées. Une seule pièce ser-
vait au logement de toute la famille et abritait souvent les animaux
domestiques eux-mêmes. Les maisons étaient très humides et plusieurs
parcourues par des ruisseaux. La nourriture était grossière et la viande
n'entrait que pour une part infime dans l'alimentation.
1206 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
Telle était encore la situation de cette malheureuse population vers
1850. Depuis, le tableau a bien changé. Le village d'Arlos a eu la bonne
fortune d'être détruit à plusieurs reprises par de violents incendies. Se-
courus largement par la charité publique, les habitants ont pu construire
de belles maisons qui ont été percées de nombreuses fenêtres et couvertes
en ardoises. Beaucoup ont émigré vers l'intérieur de la France, pour
exercer des professions pénibles mais lucratives, et ont ainsi réalisé des
économies qui leur ont permis d'adoucir le sort de leurs parents restés
au pays. Peu à peu une certaine aisance s'est substituée à la misère
horrible qui régnait dans cette commune et, en même temps, on a vu la
santé publique s'améliorer et le goitre et le crétinisme diminuer rapide-
ment de fréquence.
Les communes de Fos, Cierp, Marignac, toutes situées dans des bas-
fonds ou à proximité des cours d'eau, étaient également très éprouvées,
il y a trente ans à peine. On y a observé une atténuation manifeste de
l'endémie en même temps que l'aisance augmentait dans toutes les classes
de la population et que les conditions d'hygiène s'amélioraient.
Le canton de Luchon occupe le troisième rang, après Castillon et Saint-
Béat, avec 27,5 exemptés pour goitre sur 1.000 examinés. L'endémie
présente son maximum d'intensité dans la vallée de Luchon et affecte
principalement les villages voisins de la rive droite de la Pique, Juzet-
de-Luchon, Montauban, Salles et Pratviel. Dans les vallées d'Oueil et de
Larboust, le goitre et le crétinisme ont toujours été rares, probablement
en raison de la situation élevée de la plupart des villages. On ne voit
plus guère aujourd'hui de goitreux que dans le village d'Oô construit
dans un bas-fond à l'extrémité inférieure du val d'Astau.
Le canton de Barbazan (14,0 exemptés pour 1.000 examinés) comptait
autrefois un très grand nombre de goitreux et de crétins, surtout dans
les deux villages presque contigus d'Huos etPointis-de-Rivière, situés dans
la belle plaine de Rivière, sur la rive droite, très escarpée, de la Garonne,
et dans la commune de Valcabrère, qui s'étend le long de la rive gauche
de la Garonne, au pied de Saint-Bertrand-de-Comminges. L'endémie s'est
beaucoup atténuée dans tout le canton et surtout dans les deux communes
d'Huos et Pointis-de-Rivière, les plus éprouvées. La population de ces
villages s'affranchit rapidement des infirmités qui la rendaient jadis triste-
ment célèbre, la santé rayonne sur le visage des enfants et des jeunes gens
et l'on ne peut invoquer que les progrès de l'aisance et de l'hygiène
générale pour expliquer cette heureuse transformation.
Le canton de Saint-Girons ne donne que 13,8 goitreux exemptés pour
1 .000 examinés. Il ne présente pas de foyer bien localisé. La commune la
plus fortement atteinte est celle de Moulis, située sur les bords du Lez et
où l'hygiène laisse beaucoup à désirer.
D'" CHOPINET. — ÉTIOLOGIE DU GOITRE ET DU CRÉTINISME DANS LES PYRÉNÉES 1207
Dans le canton de Saint-Lizier (13, 7 exemples pour 1.000 examinés),
il existe un foyer très net constitué par les trois villages de Bonrepaux,
Lacavc et Labastide, construits tous les trois sur la rive droite du Salât et
où l'atmosphère et le sol paraissent être constamment saturés d'humidité.
Les goitres sont si nombreux à Bonrepaux, au témoignage de M. le D'' Foch,
« que l'on a pu dire que c'était une population de goitreux. Les habi-
tants de ce village ne paraissent pas, sous le rapport de l'intelligence, être
au niveau des populations voisines non sujettes au goitre. 11 en est de
même des gens de Labastide et de Lacave qui ont une manière de parler
à eux, des réflexions naïves qui leur sont propres, un langage particulier,
des idées enfin qui révèlent une intelligence peu développée. »
Bonrepaux, le plus affecté de ces trois villages, est situé au pied d'un
massif d'ophite, lequel n'est peut-être pas étranger à la gravité particu-
lière que l'endémie revêt dans cette commune.
Le goitre et le crétinisme sont exceptionnels dans les communes de ce
canton qui sont éloignées des rives du Salât. Dans le canton de Salies-du-
Salat, la proportion des goitreux exemptés sur 1.000 examinés est de 12,09.
L'endémie frappe particulièrement les communes situées dans la vallée
du Salai et k proximité de la rivière, telles que Salies, Mazères et Bo-
quefort. Au contraire, elle épargne complètement les villages situés sur
.les hauteurs, comme Montespan, Touille, Montsaunès et Figarol.
Le canton de Sainte-Croix (11, o exemptés pour 1.000 examinés) n'offre
pas de foyers distincts, probablement en raison de ses conditions topogra-
phiques qui sont à peu près identiques pour toutes les communes; celles-ci
sont réparties à la surface d'un territoire très accidenté, mais sans cours
d'eau important, ni vallée large et profonde.
Le canton d'Oust (10,9 exemptés) ne présente qu'un petit nombre de
communes gravement atteintes, et notamment celles de Soueix, Vie et
Gouflens sur les bords du Salât.
L'endémie est, au contraire, bien localisée dans le canton d'Aspet
(8,0 exemptés pour 1.000); elle sévit particulièrement à Soueich, à Arbaset
dans le hameau de Fontagnères, section de la commune d'Aspet. Ces trois
foyers ont pour caractère commun une situation basse et humide et l'état
misérable de la population. C'est là, d'ailleurs, que toutes les épidémies
(peste, choléra...) ont fait, de temps immémorial, le plus de ravages. Le
crétinisme est plus fréquenta Arbas qu'à Soueich, mais c'est à Soueich
qu'on rencontre le plus de goitres; les deux tiers des femmes environ en
sont atteintes.
Le canton de Saint-Martory (6,3 exemptés) ne présente plus aujourd'hui
qu'un foyer éteint. L'endémie était jadis localisée presque exclusivement
dans la portion du chef-lieu de canton qui est située sur la rive droite de
la Garonne. Les crétins étaient nombreux dans ce faubourg, habité par
1208 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
une population ouvrière qui a longtemps vécu dans les conditions d'hy-
giène les plus défectueuses.
Le canton de Saint-Gaudens (5,4 exemptés) n'est éprouvé par l'endémie
que sur une faible étendue de son territoire et principalement dan? les
trois communes de Valentine, Miramont et Pointis-lnard situées sur la
rive droite de la Garonne.
Dans le canton de Montréjeau (4,1 exemptés), le foyer principal de
l'endémie correspond aux quatre villages de Bordes, Clarac, Taillebourg
et Ausson, situés dans la plaine de Rivière immédiatement sur la rive
gauche de la Garonne, en face des deux communes de Pointis et Huos,
oii l'endémie était autrefois, nous l'avons vu, très sévère. Ces six villages,
groupés sur un espace restreint, au milieu de la plaine de Rivière, sur
les deux rives de la Garonne, constituent un foyer qui a été jadis le plus
important de l'arrondissement de Saint-Gaudens.
Dans le canton de Cazères (2,0 exemptés), le crétinisme a toujours été
rare; mais on comptait jadis beaucoup de goitres dans les communes
de Palaminy, Mauran, Bousseus et le Fourc, qui sont toutes soumises à
l'influence d'une situation basse et d'une exposition humide, au voisinage
de la Garonne.
L'endémie n'est plus guère qu'un souvenir dans les cantons de Carbonne,
Boulogne, Rieux, Aurignac et l'Isle-en-Dodon. On y observait cependant,
il y a quelque trente ans, un certain nombre de petits foyers, notamment
dans les quartiers bas de Rieux, Carbonne et l'Isle-en-Dodon.
L'endémie est d'ailleurs en décroissance dans tous les cantons; ce fait
est attesté par tous les observateurs de la région et nous l'avons nous-
même constaté très nettement. Il suflît, pour le mettre en évidence, de
consulter les statistiques du recrutement; celles-ci démontrent que, dans
toute la contrée, les exemptions pour goitre et crétinisme sont beaucoup
moins nombreuses qu'autrefois. C'est ainsi que, dans les cantons de Cas-
tillon, Saint-Béat et Saint-Lizier,.la proportion des exemptés pour goitre
sur 1.000 examinés, qui était en moyenne de 59,6 — 47,7 — 30,0 pendant
la période 18o0-1865, est tombée à 40,2 — 33,5 — 13,7 pour la période
1873-1891. L'atténuation du crétinisme est encore plus manifeste; car,
dans cette dernière période, le nombre absolu des crétins exemptés a été
de 27 seulement.
Le tableau succinct que nous venons de présenter de la situation de
l'endémie du goitre et du crétinisme dans les Pyrénées centrales était
nécessaire pour nous permettre d^aborder la question que nous avons
principalement en vue, c'est-à-dire l'étude de l'étiologie de ces deux
maladies. Il nous suffira de laisser parler les faits pour que les conclusions
s'en dégagent d'elles-mêmes. Si nous jetons les yeux sur la carte qui
indique la distribution géographique de l'endémie, nous observons une
ÉTIOLOGII:: DU GOITRE ET DU CRÉTIMSMK DANS LES l'YRÉXÉES 1209
particularité constante, c'est que tous les villages atteints sont situés dans
des bas-fonds, au voisinage immédiat d'un cours d'eau, ou au confluent
de deux rivières, habités par une population pauvre et vivant dans les
plus mauvaises conditions d'hygiène, etc. C'est dans ces milieux que
semble se plaire l'endémie et il est rare de la voir envahir les localités
éloignées des cours d'eau, jouissant d'une altitude élevée sur les pentes
de la montagne ou au sommet des collines. Parmi les villages affectés,
les plus éprouvés sont ceux qui présentent au maximum les conditions
d'insalubrité résultant de la situation basse, de l'humidité et de la malpro-
preté des maisons, d'une alimentation grossière, etc..
Pendant ces trente dernières années, l'aisance a pénétré jusque dans les
plus misérables de ces localités, les habitations ont été améliorées, mieux
aérées, mieux préservées de l'humidité, l'alimentation est devenue plus
substantielle... et en même temps, comme si une baguette magique était
venue toucher ces populations disgraciées, on les a vues se transformer
rapidement; les anciennes générations de goitreux plus ou moins dégé-
nérées ont fait place à de nouvelles couches, saines et vigoureuses, chez
lesquelles on cherche en vain la tare paternelle et maternelle. Et cette
transformation s'est produite sans modification de la constitution du sol
et de l'exposition des villages, sans changement notable au régime des
eaux de boisson qui sont restées partout les mêmes, sans travaux d'assai-
nissement ou de drainage dans les communes atteintes... Que deviennent,
en présence de ces faits, les théories exclusives qui ont été émises pour
expliquer la genèse du crétin isme et du goitre endémiques?
La seule qui mérite d'être discutée est celle qui a été proposée par
xMac-Clelland, Grange, Saint-Lager et Garrigou. Elle fait jouer le rôle
principal à la constitution géologique du sol qui agirait sur les popula-
tions par l'intermédiaire de l'eau issue de terrains spécifiés.
C'est ainsi que, d'après les recherches de Saint-Lager et de Longuel.
dans le département de l'Isère, l'endémie goitreuse est très exactement
cantonnée aux formations de molasse miocène, de lias schisteux et acces-
soirement du keuper liasiijue et des marnes néocomiennes inférieures. Il
en est de même dans la Haute-Savoie où le trias jjaraît jouer, en outre,
un rôle important comme cause du goitie.
Il est donc nécessaire d'examiner les relations qui peuvent exister, dans
les Pyrénées centrales, entre la distribution géographique de l'endémie et
la structure géologique du sol. Cette question présente un intérêt d'autant
plus marqué que nous trouvons ici quelques-uns des terrains dont la
nocuité serait le plus manifeste, à savoir : le lias schisteux dans lequel est
creusée la vallée de la Bellongue, les calcaires dolomitiques qui occupent
la partie supérieure de cette vallée, l'ophite qui forme un îlot éruptif à
Bonrepaux et un autre à Salies. le trias enfin qui règne à Salies.
l'aie HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
La prédominance toute particulière de l'endémie dans la Bellongue con-
firme certainement l'opinion qui attribue aux schistes liasiques une action
goitrigène ; elle vient à l'appui de la loi posée par Grange et qu'il avait
ainsi formulée : « L'intensité maximum du goitre et du crétinisme s'observe
toujours au-dessous des grandes formations dolomitiques. »
La gravité de l'endémie à Bonrepaux et autrefois à Salies-du-Salat
fournit également une nouvelle preuve aux auteurs qui ont accusé le trias
et l'ophite de produire le goitre. Mais si l'on poursuit cette enquête dans
les autres cantons, on rencontre à chaque pas des faits peu favorables à
la doctrine hydro-tell urique, ou qui la mettent en défaut. C'est ainsi que,
à Saint-Martory, on ne peut invoquer la structure géologique du sol
comme une des causes de l'endémie qui éprouvait jadis un des quartiers
de la ville. Cette commune repose, en effet, sur des alluvions modernes.
Or, ces alluvions sont ici formées par des débris de roches granitiques ou
de terrains de transition. Ces terrains ont été jusqu'à ce jour considérés
comme parfaitement salubres et nous ne connaissons qu'un seul auteur,
Kratter, qui ait attribué une influence goitrigène aux terrains granitiques.
Ces mêmes alluvions régnent dans les communes de Pointis-Inard, Les-
piteau, Miramont, Pointis-de-Rivière, Huos, Clarac, Bordes, Ausson,
Taillebourg, Valcabrère, toutes localités célèbres dans les annales du
goitre et du crétinisme. Sur ces mêmes terrains sont construits les vil-
lages de Boussens, Roquefort, Mazères, Labastide, etc., qui ont été autre-
fois des foyers de l'endémie.
Si l'on pénètre dans les cantons montagneux de la Haute-Garonne pour
soumettre au contrôle des faits la valeur de la doctrine hydro-tellurique,
on voit que, dans le canton de Luchon, le foyer le plus important, com-
prenant les communes de Saint-Mamet, Montaubsn, Juzet, Salles et Prat-
viel, s'étend sur les terrains de transition, cambrien et silurien, qui n'ont
jamais été tenus pour suspects. Dans le canton de Saint-Béat, la commune
d'Arlos, qui fut longtemps le foyer principal, appartient au terrain cam-
brien.
Dans le canton d'Aspet, les deux foyers d'Arbas et de Soueich reposent,
le premier sur le terrain quaternaire, le second sur le jurassique.
En résumé, si nous rapprochons ces faits de ceux qui ont été observés
par Auzouy dans les vallées d'Aspe et dOssau (1) nous voyons que, dans
les Pyrénées centrales, l'endémie forme des foyers sur les terrains de
transition, dévonien, silurien, cambrien, sur le lias schisteux, sur le juras-
sique, à la base des formations dolomitiques et des gisements dophite, et
qu'elle sévit avec le plus de rigueur sur les alluvions modernes ou terrains
quaternaires. Devons-nous en tirer la conclusion que tous ces terrains sont
(1) Arzouv, Du goitre el du crétinisme dans les vallées d'Aspe et d'Ossau. Congrès de Pau, 1873.
D'' r.HOPINET. — KTIOLOGIE DU GOITRE ET DU CRÉTLMSME DANS LES PYRÉNÉES 1211
goitrigènes et que les derniers sont les plus dangereux? Mais avant de
l'adopter, il faudrait expliquer pourquoi l'endémie épargne la plupart des
communes comprises dans la sphère des terrains que nous venons d'énu-
mérer et frappe seulement celles de ces localités qui sont situées au voi-
sinage des cours d'eau. Pour citer un exemple, n'est-il pas évident que,
dans la plaine de Rivière, constituée entièrement par les matériaux de
comblement des vallées, c'est-à-dire par le terrain ([uaternaire, le goitre
et le crétinisme devraient régner également dans tous les villages de ce
magnifique bassin, s'il existait entre l'endémie et la structure géologique
du sol un lien aussi étroit que l'affirment les partisans de la doctrine
hydro-tellurique? Or, nous avons vu que les seuls villages éprouvés sont
ceux qui occupent les rives de la Garonne et dans lesquels les lois de
l'hygiène sont le plus méconnues. Cette répartition singulière des sévices
de l'endémie est donc bien indépendante de la nature du terrain et il est
nécessaire d'invoquer d'autres causes pour établir une étiologie rationnelle
et conforme à la réalité.
Nous sommes ainsi amené à examiner la doctrine des causes multiples
qui attribue la genèse du goitre et du crétinisme à des influences diverses,
telles que : l'air humide et vicié, la situation défectueuse du pays, la
malpropreté des maisons, le défaut d'aération et de lumière solaire, la
mauvaise qualité des eaux, 1 insuffisance de l'alimentation, etc..
Cette doctrine, nous l'avons déjà laissé entrevoir, est celle à laquelle
nous nous rallions. Le concours de plusieurs conditions nous paraît indis-
pensable pour provoquer la manifestation de l'endémie. Parmi les plus
puissantes, nous devons citer l'humidité des maisons et la mauvaise
hvsiène. Si à ces causes d'insalubrité vient s'ajouter l'action tellurique,
t. O
la population est vouée presque fatalement au goitre et au crétinisme.
' L'influence du sol joue un rôle important dans certaines localités
que leur belle situation sur un plateau bien ensoleillé met à l'abri de
l'humidité, par exemple Buzan dans la Bellongue; mais ici nous retrou-
vons comme facteur essentiel une misère profonde ayant pour conséquence
une hygiène déplorable.
Si la doctrine des causes multiples est fondée, nous devons constater
une atténuation de l'endémie, partout où l'aisance de la population a
augmenté et où, par suite, l'hygiène s'est améliorée.
C'est en efl"et ce qu'on observe d'une manière absolue, dans toute la
région des Pyrénées centrales, même sur les terrains nettement goitri-
gènes. Dans beaucoup de localités, l'endémie a disparu, sans qu'il soit
possible d'attribuer cet heureux résultat à autre chose qu'aux progrès du
bien-être et de l'hygiène générale.
C'est donc par l'hygiène qu'on doit combattre l'endémie, en faisant
comprendre aux populations l'importance d'une eau de boisson parfaite-
1212 HYGIÈNE ET MÉDECINE PUBLIQUE
ment pure, d'une habitation proprement tenue, bien éclairée, bien aérée,
pourvue d'une cave et d'une bonne cheminée, suffisamment éloignée de
l'étable, de la porcherie et du dépôt de fumier. La réalisation de ce pro-
gramme n'entraînerait cerlainemenl pas de bien grosses dépenses et, on
peut l'affirmer, serait bientôt suivie d'une amélioration très sensible de la
santé publique et d'une extinction plus ou moins rapide de l'endémie
crétino-goitreuse.
Nous terminerons par les conclusions suivantes qui résument les ré-
sultats de nos observations :
1° Dans les Pyrénées centrales, le goitre et le crétinisme s'observent
presque exclusivement dans les localités situées au fond des vallées, au
voisinage des ruisseaux.
2° L'intensité de l'endémie va en croissant depuis l'origine des vallées
jusqu'aux derniers contreforts nie la chaîne; elle atteint son maximum
dans les bassins ou les portions les plus larges des vallées. Elle décroît
graduellement à mesure que le cours d'eau s'éloigne de la région monta-
gneuse.
3° L'endémie s'atténue dans toute la contrée et elle a disparu de plu-
sieurs localités jadis très affectées. Ce mouvement de recul d'un mal
séculaire ne peut être attribué à des changements apportés dans la na-
ture des eaux de boisson. Il est évidemment la conséquence des progrès
de l'aisance et de l'hygiène générale dans les populations autrefois
atteintes.
4° La constitution géologique du sol n'exerce, en général, aucune in-
fluence sur la genèse du goitre et du crétinisme. Le seul terrain dont l'ac-
tion nocive ne peut être contestée est le lias schisteux; au contraire, le
pouvoir goitrigène des terrains magnésiens, ophitiques et triasiques est
très contestable.
5° Les causes du goitre et du crétinisme, dans les Pyrénées centrales,
sont nombreuses. Les principales sont l'humidité et la malpropreté de&
maisons, le défaut d'aération et de lumière solaire, la mauvaise alimen-
tation, etc..
6'^ La doctrine des causes multiples est la seule qui, dans les Pyrénées,
ne soit pas démentie par les faits, la seule qui en donne une explicatioi*
rationnelle.
ERKA TA
Pages. Lignes. .1" lieu de : lire :
9 8 au petit axe au grand axe.
12 32 GX GY.
13 20 (3n + l)ljr"-'a?- . . . (3v + l)!/""' +.
14 21 GX GY.
138 23 H — l)et(n + l) (n — 1) et (n + 2).
139 19 36.16 36.46.
139 25 35.43 35.48.
141 itig. 6. 4 60 6.
lil. 6 b' a'.
Id. 7 C b'.
Id. 8 d' c'.
142 31 4 3 8 I 13 12 17 I 4 3 8 . . 4 3 8 | 13 12 17 | 22 21 26.
146 11 (en marge) . . 23 123.
315 Fig. 5 Les lettres C, E', M', N', D', K', L', P' se trouvent répé-
tées deux fois; elles ne devraient figurer qu'aux som-
mets situés sur les lignes O'B', O'A'.
786 17 Paris Para.
Compte rendu du Congrès de Pau, i'' partie, pages 243 et 244. Par suite' d'une erreur
de mise en pages, il y a eu interversion dans la discussion entre les observations présen-
tées par M. Magitot et celles présentées par M. J. Lajard; c'est 31. Lajard qui a pris la
parole immédiatement après la communication de M. Abel Bouchard (de Bordeaux).
TABLE ANALYTIQUE
Dans cette table, les nombres qui sont placés après la lettre p. se rapportent
aux pages de la première partie, ceux placés après l'astérisque * se rapportent
à celles de la deuxième partie.
Accouchvment provoqué, p. 275.
Acide propantijlique, p. 189.
jjhosphori(jue dans le sol des Basses-
Pyrénées, p. 326.
Acides bromacritiqucs stéréochimiques ,
p. 181.
Acter (Industrie de l'i, p. 112.
« Act Torrens », ses applications, p. 352,
* 1047.
Acuité visuelle, p. 295.
A/feclions des voies respiratoires (Traite-
ment), p. 309.
A/finités de la langue basque, p. 238,
* 573.
Afrique australe (Diamants de 1'), p. 5.
Age de la pierre en Egypte, p. 267.
du Renne, pp. 248, 266, *649.
Aylot (.\ppareU de dosage), p. 187.
Ayronoinie, p. 320, * 784.
Air chaud cri'osoti' (Insulllateur à), p. 283.
comprimé (Fondations à), p. 168,
* 214.
.lires coniques (Évaluation des;, p. 156,
* 166.
Alcool nuHhylique. p. 182.
Alexis Perrey < Listes seismiques de M.),
p. 204.
Algèbre modei-ne (Son inventeur), |). 154,
* 17.
— ^ de Mète, p. 157, * 177.
Algérie (Applications de IV Act Torrens »),
p. 352, * 1047.
Alglave. — Discussion sur la journée de
huit lieures, p. 348.
Discussion sur la réforme du cadastre,
p. 353.
AlglaTc. — Discussion sur l'acquisition
de la propriété, p. 356.
Discussion sur un vœu au sujet de
l'émigration, p. 360.
Almaden iSes mines), p. 184, * 261.
Alpes (Flore desi, p. 214, * 391).
Alpes-Maritimes (.Tuiuuli de Saint-Césaire),
p 264.
.4/?</«îne (Séparation du fer et de F), p. 18!:».
Amazone (Exploitation du caoutchouc),
p. 321, * 784.
Aniblynpie d'origine syphilitique, p. 306,
* 757.
Amendernents, p. 227, * 507.
American istes tCongrès desi, p. 358.
Amet (É.). — Verres de contact, pp. 171,
299.
Calcul des objectifs, p. 174.
Amétropies de l'œil, p. 295.
Amnésie rétrograde, [>. 313.
Amortissement pour faciliter l'acquisition
de la propriété, p. 354.
Amortisseur cinématique, p. ICO.
Amulettes, p. 263, * 619.
Analyse chimique des ossements, p. 208,
* 377.
organographique et anatomi(|ue,
p. 221, * 470.
de l'essence de santal, p. 221, * 476.
médicale des urines, p. 318.
— . — , ^. . „^,
Anamorphose mécanii|ue, p. 160.
Anatomie, p. 225, * 488.
Andalousie ^Culture des dunes), p. 327,
* 792.
Aiidral. — Discussion sur l'auscultation
du cœur, p. 294.
1216
TABLE ANALYTIQUE
Anémone indigène, p. 328.
Aneslhésie pharyngienne et êpiglotti(iue,
p. 305.
Anévrismes de l'aorte, p. 293, * 747.
Aur/iàmes ( l'>lectrolyse des), p. 288.
Augot (A.). — Photographie des nuages,
p. 193, * 284.
Anhydride camphorique, p. 187.
Anomalies dentaires, p. 314, * 770.
Anomoures, p. 227, 2 ^03.
Anthoine. — Discussion sur le dénom-
brement des Français à l'étranger, p. 357.
Anthropologie, p. 236, * 555.
criminelle, p. 249.
de la France, p. 267.
(Sa place dans les connaissances
huTuaines), p. 362, * 1073.
Aorte (Anévrismes de F), p. 293, * 747.
(Valvules sigmoïdes), p. 316.
Apophyse post auditive des Chéiroptères,
p. 229.
Appareil pour décrire la droite, p. 160.
de sûreté, p. 162.
Appareils à roulettes, p. 157.
Appendicite (Cas d'), p. 301.
Arbitrage en matière industrielle, ]), 363.
Ardennes (Tumulus des), p. 262, * 617.
Argelès-Gazost (Excursion à), p. 505.
(Son climat médical), p. 309, £ ''53.
Arièqe (Civilisations de la rive gauche de
l'Àrize), p. 266, * 649.
Aris. — Fracture du pariétal droit, p. 311,
* 764.
Plaie par balle de revolver, p. 289.
Arithmétique (Suppression de la division),
p. 158, * 182.
Arize (Assises sur la rive gauche de V),
p. 205.
(Civilisations de la rive gauche de F),
p. 266, * 649.
Armagnac (Préhistorique de l"i, p. 263.
Arniaingaud. — Discussion sur la mé-
dication saline, p. 273.
Arnault (J.). — État civil des personnes
et des propriétés, p. 352, * 1039.
Ariiozan. — Xévrome plexiforme, p. 291,
*738.
Arsenal (Comptabilité d'un), p. 364, * 1109.
Art de l'Ingénieur, p. 134.
des constructions . géométriques ,
155, * 36.
didactique, p.
367.
Artère carotide des ruminants, p. 228.
Artères vertébrales (.Ligature), p. 277,
* 698.
Asie (Plateau central), p. 39.
antérieure, pp. 72, 79.
centrale (Fabrication des briques),
p. 188, * 267. "
(Levés topographiques eni,
p. 341,* 984.
Assainissement de Paris, p. 382, * 1177.
Assemblée générale, p. 115.
Association française en 1891-1892, p. 142.
(Ses hnances), p. 148.
Astronomie, p. 153, * 1.
Atlantique- Xord (.Coloration des eaux),
p. 198, z 326.
Audollent. — Traitement par les eaux
de Cauterets, p. 281.
Audoyuaud. — Discussion sur le rôle
de l'iiumus dans la végétation, p. 325.
Répartition de l'acide phosphorique
dans le sol des Basses-Pyrénées, p. 326.
Auscultation du cœur chez l'enfant, p. 293.
Aveyron (,\ travers F), p. 332.
Azonlay. — Auscultation du cœur, p. 293.
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Bactéridie charbonneuse, p. 296.
Baqnères-de-Bigorre (Observations), p. 194,
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(Sanatorium), p. 195, * 291.
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* 390.
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proques), p. 185.
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Beauregai'd.
Artère carotide interne
des ruminants, p. 228.
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p. 229.
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Bedout (L.j. — Compteur densi-volumé-
trique, 1». 183, * 257.
Bellet (D.). — Progrès de la vapeur en
France, p. 361, * 1064.
Belloc (É.i. — Lacs pyrénéens, p. 206,
1 358.
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p. 215.
Végétation des lacs des Pyrénées,
p. 216, * 412.
Bassins lacustres pour la piscicul-
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■ Montagne de FEspiaup, p. 247.
TABLE ANALYTIQUE
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l'vrénées, p. 336.
Bcnoist ( F. ) , Coastructeur de nouA eaux
verres de contact, p. 299.
Berg^eon. — Traitement des affections
des voies respiratoires, p. 309.
Berg'onié. — Électrolvse des angiomes.
p. 288.
Discussion sur l'auscultation du cfrur,
p. 294.
Discussion sur un optomètre, p. 295.
Rhéostat continu, p. 299.
Berne (^Congrès et conférences de la paix).
W,
1026.
p. 169,
p. Wt,
Bernis (P.). — Raccordement parabo-
li.iue, p. 168, * 212.
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* 214.
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* 261.
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contact, p. 299.
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de Huygens, p. 1.^6, * 159.
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de la mer, p. 232, * 543.
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^:392.
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Souterrain de Sumport, p. 162.
Bize. — Discussion sur les courants ma-
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Blanc (Éd.i. — Plateau central de l'Asie,
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p. 341, *984.
Bladé (J.-F.). — Les Ibères, p. 237.
Bloch IX.). — Pathogénie des anomalies
dentaires, p. 314, ± 770.
Blocs erratiques de l'Espiaup, p. 247.
Boé. — .\mblyopie d'origine syphilitique,
p. 306, * 757.
Boinet (K.i. — Cirrhose atrophique du
foie, p. 317.
Bois secondaire, p. 219, * 456.
Bolomètre, p. 178.
Bonaparte iP" R.). — Variations pério-
diques des glaciers, pp. 206, 330.
Bonniei- (G.). — Flores des Pyrénées et
des Alpes, p. 214, * 396.
Bordage (Ê. . — Myologie des crustacés
décapodes, p. 227, fsOS.
Bordeaux (Épidémie de variole h\ pp. 278,
381.
Bore 'Fluorure de), p. 182.
1217
-Tombe à char,
Bosfeaiiv-Paris (Cii.
p. 249, 2 6i;{.
Tuiiiulus de Cauroy-les-MachauIt,
p. 262, * 617.
Botanique, p. 214, * .396.
Bouchard (A. .—Discussion sur le peuple
basque, p. 237.
Discussion sur le pays basque, p. 241.
Sur les Cagots, p. 243.
Discussion sur les squelettes de Men-
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Bouchard ((].).— Deux cas de mixœdème,
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Boudin. — Enseignements classique et
moderne, p. 368.
Dernières réformes de l'Université,
p. .371.
Discussion sur l'enseignement de
l'histoire, p. 372.
Discussion sur Tliypnotisme en pé-
dagogie, p. 374.
Bourquelot. — Production de la tréha-
lose, p. 180.
La Volémite, p. 183.
Tréhalose dans les champignons,
p. 217.
Empoisonnement par les champignons,
. pp. 223, 387.
Bourses de session, p. 129.
Boutan (L.). — Discussion sur les bas-
sins lacustres, p. 228.
Développement de l'Haliotide, p. 229,
* 522.
Bouvet. — Discussion sur les progrès de
la vapeur, p. 362.
Bozouls iTrou de), p. 332.
Brachystémones, p. 220, * 460.
Brassempoity (Excursion à), pp. 208, 250.
(Grotte du Pape à), pp. 254, 257.
Breil. — Discussion sur les plantes four-
ragères, p. 326.
Discussion sur la fertilité du sol,
p. 328.
Brevets d' invention , p. 351, * 1031.
Briques (Fabrication des), p.~188, * 267.
Broaage (La ville moi-te), p. 338, * 940.
Bureau de l'Association, p. 120.
des 1"^^ et 2° sections, p. 153.
des 3" et 4" sections, p. 162.
de la 5' section, p. 171.
— 6« section, p. 180.
— 7= section, p. 191.
— 8' section, p. 204.
- • — 9" section, p. 214.
— 10° section, p. 225.
— 11» section, p. 236.
— 11' section, p. 269.
_ 13.^ seclion, p. 320.
— 14« section, p. 329.
— 15° section, p. 345.
— 16" section, p. 367.
— 17' section, p. 376.
77*
1218
TABLE ANALYTIQUE
Buzy (Dolmen dei, p. 248.
Cabadé. — Discussion sur la phtisie,
p. 273.
Discussion sur la variole, p. 281 .
Suffusion sanguine dans Tépilepsie,
p. 305.
Discussion sur l'amnésie rétrograde,
p. 314.
Cadastre (Réfection du), p. 332, * 862.
(Réforme du), p. 353.
Cagots des Pyrénées, pp. 243, 266, * 639.
Caisses d'épargne françaises, p. 346, * 1007.
Calcul chronologique et géographique, p. 339,
* 956.
Calderou. — Falsification des vins,
p. 186.
Étude des ptomaïnes, p. 186.
■ Liquides pathologiques, p. 189.
Analyse médicale des urines, p. 318.
Composition de liquides patholo-
giques, p. 319.
Calice ou périanthe simple, p. 222, * 479.
Campaqna-de-Sault i Primaire de), p. 210,
* 388.
Canada écotwmicjue, p. 342.
Canal carotidien des Chéiroptères, p. 229.
Caoutchouc (Exploitation dui, p. 321, * 784.
Caprines du crétacé des Pyrénées, p. 211.
Caraveii-Cachiii (A.). — Plantes nou-
velles du Tarn, p. 219. * 453.
Carbonate de gaïacol et carbonate de
créosote dans la phtisie, p. 296'.
Cardesse (Le Liodon de'i, p. 231.
Carotides primitives (Ligature des deuxi,
p. 277, * 698.
Carrés magiques de 8 et de 9, p. 155, * 136.
(Historique), p. 158.
Carfailhac (É.). — Discussion sur le
pays hasque, p. 241.
Discussion sur les squelettes de Men-
ton, p. 246.
Les enceintes de blocs à Bilhères,
p. 248.
Age de la pierre en Egypte, p. 267.
Vertèbre lombaire percée par une
flèche de silex. ]>. 310.
A travers l'Aveyron, p. 332.
Carte antipodale, p. 204.
des silex moustériens de Salies, p. 249.
■ du grand-duché de Luxembourg,
p. 333.
Cauroy-les-Machault (Tumulus de), p. 262,
* 617.
Cauterets (Traitement par les eaux dei,
p. 281.
(Excursion à), p. 505.
Cautérisation ponctuée, p. 276, * 692.
Casalonga (D.-A.). — Locomotive Francq
et Ménard, p. 163.
Discussion sur l'augmentation de la
puissance des locomotives, p. 166.
Thermodynamique, p. 172.
C'asaloiïg-a (D.-A.). — Brevets d'invention,
p. 351, * 1031.
Cassaiio i P" dej. — Adoption d'une heure
unique, pp. 335, 358, * 1051.
Discussion sur la journée de huit
heures, p. 348.
Discussion sur le dénombrement des
Français à l'étranger, p. 357.
Castonnet des Fosses. — Question du
Soudan, p. 343.
Catillon. — Discussion sur la phtisie,
p. 274.
Cavalier aux échecs, p. 156.
Cavités dans la masse des glaciers, p. 208.
Cazaux iD"' M.). — Climat des Eaux-
Bonnes, p. 197.
Discussion sur la médication saline,
p. 272.
Indications thérapeutiques des Eaux-
Bonnes et des Eaux-Chaudes, p. 295.
Cépages américains, p. 323.
de Jurançon, p. 322.
Céphalées (Traitement des), p. 285, * 718.
Ceratonia siliqua L., p. 220, * 460.
Certes. — Vitalité des germes, p. 225.
Proposition de vœu, p. 322.
Cerveau de C Hélix usperu, p. 234.
d'un Tahitien, p. 265, * 629.
Cézérac. — Nouveau stéthoscope, p. 297.
Chaleur agent de désinfection, p. 391.
Chalot (V.i. — Traitement de Tépilepsie
essentielle, p. 277, * 698.
Raccoui'cisiement des ligaments ronds
de l'utérus, p. 282.
Chalut (Pèche au), p. 226. t 494.
Champignon (Matière sucrée dui, p. 183.
de couche, p. 214, * 406.
Champignons (Trélialose dans lesi, p. 217.
Empoisonnement par les), pp. 223,387.
Chaper. — Les mines de diamant, p. 5.
Char (Tombe à), p. 249, * 613.
Charaiicey (de). — Afîinités de la langue
. basque, p. 238, * 573.
Charente (Démographie de la), p. 266.
lÉtude de la population), p. 267,
* 654.
— — Inférieure (Tumulus de laj, p. 262.
Charles (Son mémoire), p. 352.
Chauinier. — Discussion sur le sanato-
rium de Dax, p. 270.
Traitement de la phtisie, p. 296.
Pseudo-paralysie syphilitique, p. 316,
■± 782.
Chéiroptères (Canal carotidien des), p. 229,
(Apophyse post-auditive), p. 229.
Chemin de fer de Bedous, pp. 162, 163.
transsibérien, p. 340, * 971.
Chemins de fer, p. 40.
(Électricité appliquée auxi, p. 162.
(Vitesse des), p. 170.
Cheyssoii (É.). — Habitations à bon mar-
ché, p. 3'.6, * 1014.
TABLE ANALYTIQUE
1219
Chiaïs D'). — Climatologie, p. 200.
Maladies de la nutrition générale,
p. 300.
Chimie, pp. 180, 392, 2 ^ÔT.
organique (Nomenclature), pp. 189,
392.
Chlorure de })otassium et de sodium dans
la cresson nette, pp. 2H, 325, ± 790.
de zinc (Traitement de l'ozène) .
p. 286.
Chlorures (Influence sur la fertilité), p. 328,
* 803.
Choc des corps élastiques, p. 153, * 1.
Chopiiiet iD'). — Étiulogie du goitre et
du ( Titinisme. p. .389, * 1204.
Christian. — Discussion sur une fracture
de jambe, p. 275.
Christianisme en Basse-Ethiopie, p. 343.
Cicindé/ides des Basses- Alpes , p. 232,
* 5i7.
Cidaridées de ri''po(iuc l'ocène, p. 205,
* 343.
Cimetières gaulois île la Marne, \)'. 249,
Z 616.
Cinrniomètre, p. 157.
Cirrhose atro|ihiiiue du l'oie, p. 317.
Civilisation de la vive gauche de TArize,
p. 266, * 649.
Climat médical d"Argelès-Gazost, p. 753,
li: :^I9.
des Kaux-Bonnes, p. 197.
Climatologie, p. 2U0.
Climats et formes végétales, p. 220, * 463.
Clinique hospitalière, p. 271, * 678.
Cloche flottante (Manomètre ài, p. 160.
Clos D'' P.). — Calice et oAaire infère,
p. 222, * 479.
Cofcoz I, C'). — Carrés de 8 et de 9,
p. 155, * 136.
Cœur Auscultation dui, p. 293.
Collignoa (Éd.). — La science et l'art de
l'ingénieur, p. 134.
Choc de deux corps élastiques, p. 1.53,
* 1.
Prohlénio des corps flottants, p.
153, * 7.
C'ollls'uon D' 1{... — Ktude anthropolo-
gique des poi)u!atioiis françaises, p. 267,
* 6.54.
Colombie (Voyage en i, p. 330.
Cobmies tropicales i Implantation du caout-
chouc dans nos), p. .321, * 784.
scolaires de vacances, p. 367.
Coloration des eaux de la mer, p. 198,
* 326.
du ténia noir, p. 229.
Colorimètre, p. 233.
Combes Ch.). — Anli.vdridecamphoriijue,
p 187.
Comité local de Pau, p. 126.
Commission cxlraparlemcntaire sur la ré-
forme du cadastre, p. 353.
Commission internationale de la nomen-
clature ciiiiiiiipie, p, 456.
Commissions permanentes, p. 125.
Comptabilité d'un arsenal, p. 364, * 1109.
Compte rendu financier, p. 148.
Compteur densi- volumétrique, p. 183,
* 257.
Concentrations (Mesureur de), p. 233.
Conférences faites à Pau, pp. 465, 488.
faites à Paris, pp. 1, 5, 17, 25, .39,
40, 72, 79, 94, 112.
et congrès de Berne, p. 347, * 1026.
Congrès de Pau, p. 115.
— — - des américanistes, p. .358.
■ ■ chiiui([ue en 1889, p. 392.
Connaissances humaines (Cercle des),
p. 369, * 1134.
oc Conopodium denudatum » Koch, p. 217,
* 445.
Conseil d'administration, p. 120.
Consonnes (Transformation des), p. 369,
* 1118.
Construclions <jéoniétriques, p. 155, ;k ;}6.
Consultcdions charitables (Fondateur des),
p. 25.
Contemporanéité des ossements, p. 208,
■± 377.
Coquelicots (Préfloraisonj, p. 221, 2 467.
Corbières (Étages gypsifèresi, p. 211.
(Échinides des), p. 212.
Cornet. — La taxe du pain, p. 348.
Cornu (M.). — Discussion sur les lacs des
Pyrénées, p. 216.
Discussion sur la tréhalose, p. 218.
— '— Émission d'eau par les végétaux,
p. 223.
Corps élastiques, p. 153, * 1.
, flottants, p. 153, * 7.
isotropes (Déformation i ,
1^ 190.
aseptiques (Tamponnement par,,
p. 284, * 714.
Correspondance de Huygens, p. 156, * 1.59.
Corrèz-e (Étude de la jiopulation), p. 267,
* 654.
Corijz-a atrophique (Traitement du), p. 286.
Costnntin. — Parasite du champignon
de couche, p. 214, ;|; 406.
Cotteau (G.). — Cidaridées de l'époque
.■•ocène, p. 205, * 34.3-
Couberti» P. dei. — Enseignement de
la géographie, p. 333, * 871.
Couches (Suite dei, p. 285.
Coudreau (H.). — Les monts Tuniuc-
Humac, p. 33'», * 884.
Courants marins, pp. 167, 193, 338, 371.
382.
alternatifs, pp. 169, 177.
continus dans la névralgie sciatique,
p. 290, 2 735.
Courbes unicursales, |). 15'i, * 25.
de la forme ? = Ky", p. 160.
159,
1-220
TABLE ANALYTIQUE
Courbes des vibrations, p. 173, * 242.
de Lissajous, p. 174.
Couveuse, p. 275.
Cressonnelte (Chlorure de sodium et flilo-
rure de potassium dans la}, pp. 222,
325, - 790.
Crékicé de Saint-Sever, ]>. 210, t 382.
des Pyrénées, p. 211.
Crétinisme lÉtiologie dm, p. 389, * 1204.
Creuse (Étude des populations', p. 267,
* 654.
Crova iA.i. — L'Associati.)n française eu
1891-1892, p. 142.
Photographie et méthodes photomé-
trifjues, p. 171.
Bolomètre, p. 178.
Crustacés décapodes, p. 227, iH 503.
Cultures tropicales, p. 340.
Cumulus isole (Éclairs lians un, p. 199.
Cyphotiques (Accouchement provoqué),
p. 275.
Daignestou!«. — Préhistorique du Gers,
p. 263.
Daniel L. . — Greffe dos ])lantes en ger-
uiination, p. 220, * 465.
Darbas L... — Station de Montcomfort,
p. 267.
Dax (Sanatorium thermal i, p. 270, * 665.
(Médication salinei, p. 271, * 678.
Déclinaison (Influence de la lune en), p. 201 .
Décret, p. I.
Déformation des corps isotropes, p. 159,
2 190.
Dekterew iD"- de). — Hypnotisme et
pédagogie, p. 373.
Épidémie cholérique en Russie, p. 387.
nelacre. — Tetraphényléthanone,p. 181.
Uelavaud (C). — Brouage, la ville
morte, p. 338, * 940.
Délégués de l'Association, p. 121.
des sections, p. 121.
officiels, p. 129.
Délétie. — Mesure des volumes, p. 157.
Delmas. — Sanatorium thermal à Dax,
p. 270, * 665.
. Discussion sur les courants élec-
triques, p. 291.
Deltbil (D"'). — Traitement de la phtisie
pulmonaire, p. 273.
Accouchement provo(iué, p. 275,
Adduction des eaux potables à Paris,
p. 376.
Delvaille (D'j. — Colonies scolaires de
vacances, p. .367.
Mission en Espagne, p. 382.
Démocratie (Enseignement public^ p. 375,
* 1155.
Démographie des Basques, p. 242, * 597.
de la Charente, p. 266.
Démons. — Gangrène de l'épiploon, p. 312.
Dénombrement des étrangers en France,
pp. 335, 361, * 1057.
Dénombrement des Français à l'étranger,
p. .357, * 1057.
Départements montagneux, p. 379, * 1163.
Déperdilomètre, p. 195, * 296.
Dépupulaliun des départements monta-
gneux, ]). .379, z 1163.
Oeppez (M.i. — Appareils à rovdeltt-s,
p. 1.57.
Fonction logarithmique, p. 157.
Cinémomètre à vis différentielli-.
p. 157.
Appareil ]>our dé'crirc la riroite.
p. 160.
Amortisseur cinématique, p. 160.
Pantographe, p. 160.
Augmentation de la puissance des
locomotives, p. 16'*.
Transmission de la force, pp. 169.
177.
Marche des moteurs à vapeur,
p. 174.
Transmission électrique de l'énergie,
p. 177.
Désinfection publique, p. .390.
(Chaleur agent de), p. 391.
Dessin précurseur <ie l'écriture, p. 368,
* 1116.
Deux-Sèvres (;Météorologiei, p. 191, * 273.
Devalz. — Discussion sur la résection
du genou, p. 303.
Sanatoria de montagne, p. .304.
Oevelay (A.). — Autour des lacs de Yaa
el d'Ourmiah, p. 72.
Diabétiques (Traitement des), p. 276, *688.
Diagnostic différentiel des maladies de la
nutrition, p. .300.
Diamant (Mines de), p. 5.
Diatomées, p. 218.
Dieuzaide, — Discussion sur le sanato-
rium thermal à Dax, p. 271 .
. Ostéomyélite, p. 284, * 714.
Dijon (Listes seismiques de M. Perrey),
p. 204.
Diphtérie (Étude de la), p. 30».
Dipterocarpacées, p. 221, * 47tJ.
Discipline (sanctions), p. 371, £ 1147.
Discours du Maire de Pau, p. 133.
du Président, p. 134.
— Secrétaire, p. 142.
— Trésorier, p. 148.
Division arithmétique, p. 158, * 182.
Doléris. — Progrès de la thérapeutique
chirurgicale, p. 298.
Dollfus. — Isopodes terrestres des Basses-
Pyrénées, p. 231, ^535.
Dolmen de Buzy, p. 248.
Domergue (A.). — Dosage par une mé-
thode optique, p. 187.
Donnât (L.). — La journée de huit heures,
p. 347.
Dordogne i Élude des populations), p. 267,
* 654.
TABLE ANALYTIQUE
1221
Di)sn(je par une méthode optique, p. 187.
Douclic s<«</7'/(' Traitement par la), p. 285,
2:718.
Itouniergne (F.). — Grotte du ciel ouvert
à Oran, p. 264, * 623.
Wrapejroi» iL.i. — Périodes de l'histoire
i\r Kussie, p. 339, * 956.
Iliib.-tleii. — Crétacé de Saint-Sever,
p. 210, * 382.
Cirotte de Brassempouj-, p. 254.
Uiifet. — Mesure des indices, p. 177.
Diifour. — Parasite du champignon de
couche, p. 214, * 406.
Ituliuurcau. — Discussion sur la médi-
cation saline, p. 273.
Discussion sur le traitement des dia-
bétique<, p. 276.
Traitement de la phtisie, p. 276,
2 692.
Duniond (J.i. — Sociétés de secours mu-
tuels et loyer d'argent, p. 345.
Ikunioiit A. . — Basques de Baïgorry,
p. 242, * 597.
hémographie de la Charente, p. 266.
Conservation des listes de recense-
ment, p. 361, * 1060.
Dunes d'Andalousie, p. 327, *792.
dj la cote de Gascogne, p. 209.
Dunkerque iTrafic du port de), pp. 335.361,
2 903.
Dupont ,H.). — Bassin commercial delà
.^eine, p. 342. * 997.
Du règne (ÉA. — Dunes de la côte de
Gascogne, p. 209.
Eatt.r- lionnes (Climat des), p. 197.
Thérapeutique, p. 295.
(Sanatorium auKi, p. 304.
Kxcursion aux), p. 505.
Eaux-Chaudes iThérapeutique), p. 295.
(SpéciHhsation thérapeutique), p.296.
(Excursion auxi, p. 505.
Emtx de Cauterels (Traitement par les»,
p. 281.
chlorurées sadiques, p. 312.
douces et salées (germes), p. 225.
d'i'ijout, p. 376.
minérales en injections hypoder-
miques, p. 306.
du \eubourq, p. 276, z 688.
pure, p. 172, 2 -38.
potables à Paris, p. 376.
£c/iec.s (, Cavalier aux), p. 156.
Échinides de l'éocène, p. 212.
Éeluirages Mesure des faibles;:, p.
-IST
176.
199.
Éclairs dans un cumulus isolé, p.
Économie politique dans ses rapports avec
les autres sciences (Conférence), p. 488.
p. 345,2 1007.
Éeoncmie sociale et santé publique,
p. 364.
Écriture (.Ledessin précurseurdel'i, p. 368,
* 1116.
Eqijpte (Age de la pierre), p.
Élasticité iKquilibre d'), p. 159, * 190.
Elevy. — Discussion sur le traitement
par les eaux de Cauterets, p. 282.
Discussion sur l'œdème pulmonaire,
p. 285.
Météorologie médicale de Biarritz,
p. 289, 2 "72!^.
Electricité i Avenir de l'i, p. 17.
appliquée aux chemins de fer, p. 162.
Electrolijsi' interstitielle, p. 288.
des angiomes, p. 288.
Elcctrophore à rotation, p. 179, 2 254.'
Électrothérnpie Ses progrès), p. 287.
(Rhéostat continu), p. 299.
Emigration des pays basques, p. 335.
dans les Basses-Pyrénées, p. 363,
2 1092.
Empoisonnement par les cliampignons,
pp. 223, 387.
Émission d'eau par les végétaux, p. 223.
Enceintes de blocs de Bilhères, p. 248.
Enfants (Balnéation chez les;, p. 269.
Enregistreurs (Appareils), p. 196, 2 317.
Enseignement de la géographie, p. 333,
2 871.
de la numération, p. .369.
français, p. 372.
public en démocratie, p. 375, * 1155.
/?«seiV/Heme/i/s classique et moderne, p. 368.
Eucène (Échinides de F), p. 212.
Epidémie cholérique en Russie, p. 387.
de variole, pp. 278, 381.
Épilepsie essentielle ^Traitement), p. 277,
2 698.
(Suffusion sanguine;, p. 305.
Épiploon (Gangrène de 1'), p. 312.
Epoque eocène, p. 205, 2 343.
Érosions dentaires, p. 314, 2 "'^0.
Errata, * 1213.
Éruptions volcaniques, p. 331.
Eskal-Herria, p. 239,2 589.
Espagne (Frontière d'), pp. 162, 163.
(Mission en . p. 382.
Espiaup (Montagne de 1'), p. 247.
Essence de santal, p. 221, 2 '»'?6.
Estomac (Mouvements de F;, p. 299.
Étages gypsifères des Pyrénées centrales,
p'. 211.
Étamines sessiles, p. 220, 2 ^60.
Elang de Berre Utilisation de F), p. 329.
État civil des personnes et des propriétés,
p. 352, 2 1039.
Btcheverry. — Émigration dans les
Basses-Pyrénées, p. 363, 2 1092.
Ethiopie (Christianisme en), p. 343.
Étiologie du goitre, pp. 292, 389, 2 1204.
des anévrismes de l'aorte, p. 293,
=^ 747.
de la lèpre, p. 307.
Étrangers (^D.nombreinent des) en France,
pp. 335, 361. 21057.
1222
TABLE ANALYTIQUE
Étude antliropolorjifjiie des populations,
p. 267, * 654.
Étymoliigic franco-latine, p. 369, * 1118.
Euphrate (Vallées de l'i, p. 79.
Europe (Influence de la lune en déclinai-
son), p. 201.
Évaporation des solutions de KCl et NaCl,
p. 172, * 238.
Excrétion chez les Syllidiens, p. 232, * 539.
Excursion aux grottes de Brassempouv,
pp. 208, 250.
en Indo-Chine, p. 331, * 843.
• à Tuque-Rouye, p. 338.
générale à Orthez, Saint-Palais, etc.,
p. 499.
finale à Oloron, Saint-Christau, La-
runs, etc., p. 505.
Exploration du Niger, pp. 335, 361, * 890.
Expositions d'art didactique, p. 367.
Fabert (L.). — Campagne dans les Trar-
zas, p. 829.
Fabre. — Discussion sur la puerpéralité,
p. 278.
Airections des voies respiratoires.
p. 283.
Faculté libre (Essai de), p. 25.
Faisans. — Discours, p. 133.
Falsification des vins, p. 186.
de l'essence de santal, p. 221, *476.
Faune pélagique, p. 230, * 526.
quaternaire, p. 246.
Faure (F.). — Discussion sur la sociologie,
p. 362.
Fer (Industrie du), p. 112.
(Séparation du) et de l'alumine,
p. 189.
Ferray (É.). — Eau du Neubourg, p. 276,
*688.
Ferré. — Étude de la Diphtérie, p. 300.
Fertilité du sol, p. 328, * 803.
Féry (Ch.). — Nouveau réfractomètrc,
p. 176, * 245.
Fièv)-es pernicieuses (Lésions du foie),
p. 310.
Pilaire du sang de la grenouille, p. 226,
* 488.
Filhol (D' H.). — Discussion sur la vi-
talité des germes, p. 225.
Discussion sur les bassins lacusties,
p. 228.
Finances de l'Association, p. l'iS.
Fines. — Discussion sur l'observatoire
d'Orthez, p. 193.
Rapport sur l'observatoire d'Orthez,
p. 197.
Fistule à l'anus (Opération), p. 310, *762.
Focomètre grand modèle, p. 174.
Foie (Cirrhose atrophique du), p. 317.
Folliet (M"" ]•].). — Discussion sur les
champignons, p. 215.
Enseignement des langues modernes,
p. 372.
Fonction logarithmique (Génération de la',
p. 157.
Fondations k air comprimé, p. 168, 2^14.
Fondeville. — Vin et cépages de Ju-
rançon, p. 322.
Discussion sur le rôle de l'humus
dans la végétation, p. 325.
Fourrages d automne, p. 328.
Anémone indigène, p. 328.
Fontaine des Fées, p. 195, *291.
Fontaneau. — Déformation des corps
isotropes, p. 159, * 190.
Fontes. — Historique des carrés ma-
giques, p. 158.
Division arithmétique, p. 158, *182.
Discussion sur les lacs des Pyrénées,
p. 338.
Une illusion d'optique, p. 340, *966.
Eri'eur de géographie pyrénéenne,
p. 341, *990.
Formes végétcUes, p. 220, * 463.
Fouilles préhistoriques de la Vézère, p. 261.
à Saint-Césaire, p. 264.
Four mobile Berrens, p. 184, *261.
Fourrages d'automne, p. 328.
FoTîlle (A. de). — Morcellement de la
France, p. 363, * 1085.
Fracture de jambe chez une hystérique,
p. 274, *686.
— — du pariétal droit, p. 311, * 764.
Fraîiçais (Dénombrement des) à l'étranger,
p. 357.
France (Aiijiiication de l" a Act Torrens »),
p. 352, * 1047.
Fran^'ois-Franck. — Révulsion cuta-
née, p. 303.
Fraucq (L.). — Discussion sur la puis-
sance des locomotives, p. 165.
Friedel (Ch.). — Silicates sulfuriféres,
p. 185.
Anhydride camphorique, p. 187.
Friedel (G.). — Silicatessulfuriféres,p.l85.
Frolov (G=' M.). — Résidus quadratiques,
p. 155, * 136.
Frossaril. — Zéolithes des Pyrénées,
p. 210.
Ophite de Pouzac, p. 210.
Flèche de silex (Vertèbre lombaire pénétrée
par une], p. 310.
Fleur hermaphrodite, p. 220, *460.
Flinders Pétrie (Age de la Pierre en Egypte),
p. 267.
Flores des Pyrénées et des Alpes, p. 214,
*396.
Flour de Saint-Genis (Son mémoire), p. 352.
Fluides (Mouvements tourbillonnaires ) ,
p. 202.
Fluorure de bore, p. 182.
Gaches-Sarraiite (M"'
d'œdème pulmonaire, p.
Ciain (Ed.). — Humidité
* 433.
D""). — Un cas
285.
du sol, p. 216,
TABLE ANALTTIQIE
12-2a
Galante [É.'. — Le> linani-es de l'Asso-
ciaticjii, p. l'»8.
Ciiandy J»" . — Observations à Bagnères-
de-Bigurre, p. 194, * 290.
Gangrène del'épiploun, \). 312.
Gurgas (Grotte supt-rieurci, p. 249.
Ciarrig;oa-Cag range (P.i. — Pression
barométrique ea hiver, p. 201.
Mouvements tourbillonnaires dans
les fluides, p. 2(i2.
Gascogne (Dunes de la côte de, p. 209.
Ciasselin. — Action du fluorure de bore,
p. 182.
Cîassend. — Rapport sur la question pro-
posée à la 13" Section, p. 324.
«auhe f.J. . — Sol animal, p. 227, *507.
<Saii(lry. — Le liodon de Cardesse, p. 231.
Gaultier (J. .. — Levés t')pugraphiques,
p. 332, * 862.
Gautier. — Progrès de l'électrothérapie,
I). 287.
Électrolyse interstitielle, p. 288.
Gavarnie (Excursion à;, p. 505.
Gaz delà respiration, p. 189.
Gellie. — Discussion sur l'épidémie cho-
lérique en Russie, p. 388.
Géneau de Laniarllère iL.i. — « Co-
nopodium denudatum » Koch, p. 217,
*445.
Genève iSulzer, de l'Université de), pp. 171,
299.
Génie civil et militaire, p. 162, * 212.
Genis. — Discussion sur le « tout à
l'égout », p. 384.
P-
301.
Genou (Résection dui
Géodésie, p. 153, * 1.
Géof/raphie, p. 329, ± 806.
(Enseignement de la), p. 333, ^ 871.
pyrénéenne, p. 341, * 990.
Géologie et minéralogie, p. 204, % 343.
Géométrie du triangle, p. 155, * 101.
(Solutions imaginaires), p. 155,* 132.
Géométrographie, p. 155, *36.
Germes des organismes microscopiques,
p. 225.
Geraiinidion (GreSe des plantes en), p. 220,
* 465.
Gers (Préhistorique du), p. 263.
Gilles de la Tourctte D ). — Essai
d - Faculté libre, p. 25.
Gils (D'i. — Discussion sur une fracture
de jambe, p. 275.
_ _ sur le traitement par les eaux de
Cauterets, p. 282.
sur le traitement de l'ozènc, p. 286.
Étiologie du goitre, p. 292.
Ané\rismes de Taorte, p. 293, * "^^7.
Glacier quaternaire d'OO, \>. 247.
Glaciers français (Variations périodiques),
pp. 206, 330.
(Cavités dans la masse des), p. 208.
des Pyrénées, p. 338.
Globe producteur de courants, pp. 37, 167,
193, 338, 382.
Gobin. — Discussion sur les courants
marins, pj). 167, 168.
Discussion sur le <r tout à l'égout »,
p. 386.
Goitre (Étiologie du), pp. 292, 389, *12U4.
Gordius, p. 230, * 529.
Gourdon (M.). — Musée [>) rem-en, p. 212,
* 3911.
Gradient vertical, p. 198.
Graisse de l'organisme, p. 189.
Grand central sibérien, p. 340, *971.
Greffe des plantes en germination, p. 220,
* 465.
Grenouille (Sang de la), p. 226, * ^88.
Grimai (M.) Son mémoire), p. 352.
Grotte supérieure de Gargas, p. 249.
de Brassempouy, pp. 208, 250,254,257.
du Ciel ouvert, p. 264, * 623.
du Mas-d'Azil, pp. 205^ 266, ± 649.
Grottes des fiaoussé-Roussé, dites de Menton,
pp. 205, 246, * 347.
Groupe l", p. 153, * 1.
2% p. 171, *238.
3% p. 204, * 343.
4' , ]). 320, * 784.
Guébharil (T)' A.). — Optomètre à lec-
ture directe, p. 178.
Fouilles de tumuli à Saint-Césaire,
p. 264.
Guerne (J. de>. — Faune pélagique,
p. 230, * 526.
GuilbauFt (A.. — Comptabilité d'un
arsenal, p. 364, * 1109.
Guilbean (D^.— L'Eskal-Herria, p. 239,
*589.
Discussion sur les cagots, p. 244.
Guimaraes R.i. — Aires coniques,
p. 156, * 166.
Guinée française, p. 334, * 880.
Guiraut. — Discussion sur le dénom-
brement des Française l'étranger, p. 357.
Guyot (Y.). — Discussion sur le droit de,
fabriquer un pain différent du pain taxé,
p. .3.50.
Rapport sur les mémoires de MM.
M. Grimai, É. Worms, Flour de Saint
Genis, Charles, etc., p. 352.
Application de V « Acl Torrens »,
p. 352, 2 1047.
Gynécologie (Eaux chlorurées sodiques en),
p. 312.
Habitations à Ijon marché, p. 246, * 1014.
Hachette tonkinoise en grès vert, p. 261.
lla:;en i D'). — Voyage aux îles Salomon,
p. 330, * 820.
Haïti (Voyage en), p. 330, * 806.
Haliotide (Développement dei, p. 229. *522.
Hanoi (De; à Bangkok, p. 331, *843.
Uanriot. — Isoxazols, p. 180.
Gaz de la respiration, |). 189.
1224
TABLE ANALYTIQUE
Hani'iot. — Graisse de Torganisme, p. 189.
Séparation du fer et de l'alumine,
p. 189.
Hansen (J.). — Carte du grand-duché de
Luxembourg, p. 333.
Hmife-Garonne (Montagne de TEspiaup),
p. 247.
(Station de Monteomfort), p. 267.
(Vallée de la Rouje), p. 338.
Haute-Vienne (Éiude des populations), p. 267,
*654.
Heckel. — Sexualité du « Ceratonia ^<i-
liqua L. », p. 220, * 460.
Heini (D'). — Relinodendropsis aspera,
p. 221, *470.
■ Préfloraison chez les coquelicots,
p. 221, *467.
Hélix aspera Muller, p. 234.
Hemoptysies (Tuberculeux à), p. 281.
Henrot. — Discussion sur le sanatorium
thermal à Dax, p. 271.
Discussion sur la variole, p. 280.
Discussion sur les eaux de Paris,
p. 277.
Surveillance administrative sur les
denrées, p. 380, * 1175.
Henry (Ch.). — Photomètre pour faibles
éclairages, p. 176.
■ Mesureur de concentiation, p. 233.
Herscher. — Discussion sur le s tout à
l'égout », pp. 383, 385.
Discussion sur la ciialeur agent de
désinfection, p. 391.
Heui-e unique (Adoption d'une), pp. .335,
358.
Ilillairet. — Avenir de l'électricité, p. 17.
Histoire de Russie, p. 339, ± 956.
(Enseignement à rebours), p. 371.
Homère (La Troie d'i, p. 1.
Honnora (•Bastide (Kd.-F.). — Cicin-
délides des Rasses-Alpes, p. 232, * 547.
Hôpitaux de Marseille, p. 291, * 742.
lloudaille. — Perméal)ilité des sols.
. p. 327, * 795.
Houille (Origine de la), p. 94.
Hoalbert (C). — Valeur systématique
du Bois secondaire, p. 219, z ^56.
Hourst. — Exploration du Mger, pp. 335,
361, * 890.
Humidïté du sol, p. 216, * 433.
et structure des plantes, \). 219,
* 450.
Humus (Rôle dans la végétation i, p. 325,
* 788.
Huyçjens (Correspondance de), j). 156,
:l: 159.
Hygiène, p. 376, * 1163.
Hypnotisme et pédagogie, p. 373.
Hystérique (Fracture de jambei, p. 274,
* 686.
Ibères (Les), p. 237.
Idiomes des deux continents, ]). 238, z ^'73.
Iles Marquises (Cerveau d'un indigène),
p. 265, * 629.
flottantes de l'Amazone, p. 321, * 784.
Salomon (Voyage aux), p. .330,* 820.
Illusion d'optique, p. 340, * 966.
Imbert de la Touche. — Traitement
de la migraine, p. 285, * 718.
luchauspe. — Le peuple basque, p. 236,
*555.
Indices (Mesure des), p. 177.
Indo-Chine (Excursion en), p. 331, * 843.
il y a cinquante ans, p. 331, * 834.
Ingénieur (La science et l'art de 1'), p. 134.
Injections de liquides organiques, p. 276,
î 692.
du suc tliyroïdien, p. 292.
hypodermiques d'eaux minérales,
]). 306.
Insitfjlateur à aii' chaud créosote, ]). 283.
Intervention chirurgicale dans l'appendi-
cite, p. 301.
Isopodes terrestres, p. 231, * 535.
Isoxazols, p. 180.
Izarii. — Appareil de Lissajous modifié,
p. 173, * 242.
Mécanisme des ondes stationnaires,
p. 173, * 243.
J/icottey (P.). (Album des services mari-
limes i)ostaux), p. 336.
•Jeaniiel (D'). — Dépopulation des dépar-
tements montagneux, ]>. 379, * 1163.
Journalisme (Fondateur du), p. 25.
Journaux repi'ésentés, p. 131.
Journée de huit heures, p. 347.
Jura (Végétation des lacs), p. 215.
Jurançon (Empoisonnement par les cham-
pignons), pp. 223, 387.
(Vin et cépages), p. "322.
(M""'). — Discussion sui-
Kergomard
l'enseignement français, p. 370.
— Discussion sur l'enseignement
l'histoire, p. 372.
— — Discussion sui' renseignement des
langues modernes, p. 373.
Lincaze-Dutliicrs (de). — Discussion
sur l'Hélix aspera, p. 234.
Lacs de Yan et d'Ounniali, ]>. 72.
pyrénéens (Formation), p. 206, * 358.
du Juia, p. 215.
des l'yrénées, ]>p. 216, 336, * 412.
des Hautes-Pyrénées, p. 230, z 526.
■faisant (C.-A.). — Courbes unicuisales,
|.. 154, * 25.
Liajard ?^.). — Discussion sur les cagots,
pp. 244, 245.
Silex moustériens de Salies, p. 249.
Lialanze (E.). — Beaucaire port de mei-,
p. 365.
I^allemand (Ch.). — Niveau moyen de
la niei-, [>. 333, * 867.
I.iaiiabère. — Reconstitution des vigno-
bles dans les Landes, p. 323.
TABLE ANALYTIQUE
122o
Landes (Excursiun à Brasscmpoii\ i, p. 250.
(Reconslitutiuii des vii^'iiublesi, p. 323.
Liinrjtie basque, p. 236, * 555.
(ses atlinités), p. 238, ± 573.
Langues modernes (Knseignement), p. 372.
I^antier (D'). — Économie sociale et
santé publique, p. 364.
Laparotomies pratiquées à l'hôpital de Pau,
(de)
— La grotte du Pape,
de). — Origine de la
Ijaporterie
p. 257.
I^apparent ( A.
liouille, p. 94.
Liarat. — Progrès de PéJectrothérapie,
p. 287.
L.avauza. — .Médication saline, p. 271,
* 678.
La Rochelle (Fouilles de Virson), p. 262.
Ijarrieu. — Discussion sur le pays
basque, p. 240.
fMruns (Excursion à), p. 505.
I^auj^a {\)'). — Épidémie de variole à
Bordeaux, p. 278.
Discussion sur la surveillance ad-
ministrative des denrées, p. 380.
Épidémie de variole à Bordeaux,
|). 381.
■..aussedat (CoP' A.i. — Piiotographic
et le\er des plans, pp. 169, 333, ± 215.
Lavements gazeux (Traitement par les),
|.. 309.
E,aTer5:ne. — Discussion sur la médica-
tion saline, p. 272.
E<ecornu (L.). — Surfaces d'égale inci-
dence, p. 156, * 172.
Législation (Réforme de), p. 346, * 1007.
L<emuine (É.). — La géométrographie,
p. 155, * 36.
('léoiiiétrie du triangle, p. 155, * 101.
Ijéon i.H.). — Observatoire à Orthez,
p. 191, * 279.
•- Sanatorium dans les Pyrénées, p. 195,
2 291.
Lron Francqel .lA'.s-«a-f/(Locomotive), p. 163.
Liéotard (J.). — Température à Marseille,
y. 199.
ItilisationderétangdeBerre, p. 329.
JJ-pre (Étiologie de la), p. 307.
Ije)»ase (P.). — Évaporalion des solutions
.jp .\aCi et KCl, p. 172, * 238.
Chlorure de potassium et de sodium
dans la cressonnette, pp. 222, 32S t 790.
■..escarret (J.-B.). —Amortissement pour
faciliter l'acquisition de la propriété,
p. 354.
Lésions du foie dans les fièvres pernicieuses,
p. 310.
Lietort. — Le Canada économique, p. 342.
Leucocytes (Action de la bactéridie cliar-
bonneuse), p. 296.
Levasscur (t.). (Servicesmaritimes postaux),
p. 336.
Leix' dfs plam, pp. 169, 332, 333, 34 1 , 2 215,
860, 862, 984.
liC Verrier (U.). — Industrie du fer et
de l'acier, p. 112.
Levés des Pyrénées, p. 332, * 860.
topograplùques, p. 332, * 862.
— en montagnes, p. 341, * 984.
Levures du vin, p. 322.
Ligaments ronds de l'utérus, p. 282.
Ligature des deux artères vertébrales,
p. 277, * 698.
Ligue contre la rage, p. 388, * 1198.
Linguistique du pays basque, p. 239,
* 589.
Liodon de Cardesse, p. 231.
Liquides pathologiques, pp. 189, 319.
Lissa jous (Apiiareil à excentriques de),
p. 173, * 242.
(Application des courbes de), p. 174.
Listes des bienfaiteurs, p. xvi.
fondateurs, p. xvii.
— membres à vie, p. xxiv.
générale des membres, p. xxxvi.
(les délégués uHiciels, p. 129.
savants étiangers, p. 129.
— bourses de session, p. 129.
■ Sociétés savantes représentées,
p. 130.
des journaux, p. 131.
seismiques, p. 204.
l>ivon (D"-). — Action du pnciimogas-
triiiue, 1). 299.
Discussion sur la surveillance des
denrées, p. 380.
Discussion sur la variole à Bordeaux,
. p. 381.
• Discussion sur le lysol, p. 381.
Avantages du « tout à l'égout », p. 383.
LIaurado (A. de). — Culture des dîmes
d'Andalousie, p. 327, * 792.
Locomotives Francq et Ménard, p. 163.
(Puissance des), p. 164.
I^ofilalot-Bachoué ide). — Valeur thé-
i-.ilieuliquedes eaux chlorurées sodiques,
p. 312.
Liouge. — Préhistorique de l'Armagnac,
1). 263.
Lourdes (Excursion à), p. 505.
Loyer de l'argent, p. 345.
E^uetkens (de). — Discussion sur les
champignons, p. 215.
Discussion sur les lacs des Pyrénées,
p. 216.
Lune (Son influence en déclinaison , p. 201.
Luxembourg (Carte du grand-duché de^,
p. 333.
Luz-Saint-Saureur (Excursion à, p. 50.».
Lysol. (ses applications médicalesi, pp. 308,
381.
Mabyre (M.). .Album des sersices maritimes
jiostaux), p. 336.
Maçonnei-ie sur rouet, p. 169, t 214.
1226
TABLE ANALYTIQUE
Discussion sur les cagots,
llagitot.
p. 243.
Kxcursioa à Brassempouy, p. 250.
Cagots des Pyrénées, p. 266, * 639.
Discussion sur les anomalies den-
taires, p. 314.
Hagnin (D' A.). — Discussion sur les
llores des Pyrénées et des Alpes, p. 214.
Végétation des lacs du Jura, p. 215.
Discussion sur les lacs des Pyrénées,
p. 216.
Discussion sur les formes végétales,
p. 220.
Végétation des recM/ëes, p. 224.
llalaquiii (A.). — Absorption et excré-
tion chez les Syllidieiis, p. 232, * 5.39.
« Manche » (Voyage de la), pp. 198, 341,
*326.
Manomètres à cloche flottante, p. 160.
llanouvrier (L.i. — Cerveau d'un Tahi-
tien, p. 265, * 629.
lia reliai. — Observations thermométri-
ques, p. 202.
Mariages consanguins, p. 283, * 706.
Marne (Cimetières gaulois), p. 249, *616.
Marseille (Température àj, p. 199.
(Hôpitaux), p. 291, * 742.
llartia (.1.). — Les chemins de fer, p. 40.
Grandes vitesses des chemins de fer,
p. 170.
Mas-d\izil (Grotte du), pp. 205,266, * 649.
Alasséiiat. — Fouilles de la Vézère,
p. 261.
Mathéinuliques, p. 153, * 1-
Matière vivante à la surface de la mer,
p. 232, * 543.
Mauléon (Kxcursion à), p. 499.
llaurel. — Bactéridie charbonneuse,
p. 296.
Mécanique, p. 153, * 1.
Médecine^ p. 269, * 665.
publique, p. 376, * 1163.
Médication saline, p. 271, ^678.
Médimarémètre, p. 333, * 867.
saendez(E.). — Remous atmosphériques,
p. 196, * 300.
Éclairs dans un cumulus isolé, p. 199.
Menton (Grottes dites de), pp. 205, 246,
* 347.
(Squelettes dei, p. 246.
Mer (Coloration des eaux), pp. 198, 341,
*326.
(Matière vivante à la surface), p. 232,
* 543.
(Niveau moyen), p. 333, * 867.
Uléraii. — Discussion sur la variole, p. 280.
Discussion sur la reconstitution des
vignes, p. 321.
Discussion sur le « tout à l'égout »,
p. 385.
• Discussion sur l'étiologie du goitre,
p. 389.
Mercure (Traitement du), p. 184, *261.
IMergfier. — Unités en photométrie,
p. 172.
Focomètre. p. 174.
Nouvel optomèlre, pp. 175, 295.
Discussion sur l'emploi des courants
continus, pp. 290, 291.
Discussion sur l'auscultation du cœur.
p. 293.
Mermis, p. 230, * 529.
Mesnard (Locomotive Léon Francq et),
p. 163.
Mesnard (E.). — Analyse de l'essence de
santal, p. 221, * 476.
Mesure des indices, p. 177.
Métaux nit.rés, p. 182.
Météorologie, p. 191, * 273,
des Deux-Sèvres, p. 191, * 273.
dynamique, p. 199.
médicale de Biarritz, p. 289, * 728.
Méiropolitain de Paris, p. 166.
Meunier. — Discussion sur le traitement
des diabétiques, p. 276.
Discussion sur la variole, p. 280.
M iehou (D--). — Reconstitution des vignes,
p. 320.
Microbisme dû à une alïection générale,
p. 278.
Migraine (Traitement de la), p. 285, * 718.
.1/// chandelle, p. 326.
Mine (A.). — Trafic du port de Dun-
kerque, pp. 335, 361, * 903.
Minerai de mercure (sa réduction), p. 184,
* 261.
Minéralogie et géologie, p. 204, * 343.
Mines de diamant, p. 5.
d'Almaden, p. 18i, * 261.
Slireur. — Désinfection publique, p. 390.
Mission en Espagne, p. 382.
Myxœdéme (Deux cas de), p. 292.
Moisissure cultivée, p. 180.
Môle du champignon de couche, p. 214,
* 406.
Monod. — Amnésie rétrograde, p. 313.
Montagne (Sanatoria de), p. 304.
Montagnes (Réfraction atmosphérique),
p. 199.
(Levés topographiques en), p. 341,
* 98 't.
Montcomfort (Station de), p. 267.
Monts Tumuc-Humac, p. 334, * 884.
Monuments mégalithiques de l'Espiaup,
p. 247.
Morcellement de la France, p. 363, * 1085.
llortillet (G. de). — Anthropologie de la
France, p. 267.
■lossé. — Anesthésie pharyngienne et
épiglottique, p. 305.
Moteurs à vapeur à grande vitesse, p. 174.
Moti^tte' (Troubles de la), p. 315.
lloulouguet. — Fracture de jambe chez
une hystérique, p. 274, * 686.
TAIJLK A.NALYTIULE
\m
lloure (É.-J.i. — Traitement de l'ozènc,
p. 286.
Moiioements tourbillonnaires, pp. 202, 203,
* 3.36.
vibratoires rectangulaires, p. 202.
Musée pyrrnren, p. 212, * 390.
Musées sociologiques, p. 362, ± 1073.
lluNg-rave-Clay. — Discussion sur la
médication saline, p. 273.
Myoloi/ie des crustacés décapodes, p. 227,
* 503.
IVabias (lî. de). — Pilaire du sang de la
grenouille, p. 226, f 488.
— ■ Ténia noir cliez riiomnie, p. 229.
Cerveau de THéli.x aspera, p. 234.
Navigation, p. 162, * 212.
Xéoplasmes des organes génitaux, p. 298.
IV'epveu. — Lésions du foie, p. 310.
Xeubourg iKau du), p. 276, * 688.
Neuriisihénie (Troubles de la niotilité),
p. 315.
Xévralgie sciatique (Traitement par cou-
rant continu), p. 290, * 735.
Névrome plexi forme, p. 291, * 738.
Névroses vermineuses, p. 286, * 722.
IVicaise (E.). — Suture des sphincters
dans l'opération de la fistule à l'anus,
p. 310. * 762.
Niger (Exploration du), pp. 335,361, ^890.
Nimbus^ p. 203.
Nitrate d'argent (Traitement de l'ozènei.
p. 286.
Niveau moyen de la mer. p. 333, * 867.
Nombres triangtitaires, p. 155, * 136.
Nomenclature chimique, pp. 189, 392.
des résidus, p. 411.
des composés à fonctions complexes.
p. 414.
des dérivés
substitués du benzène,
p. 419.
des corps à chaînes fermées, p. 428.
énoncialive des composés de la série
grasse, p. 445.
Nomographie, p. 170.
I\'oruiand (C). — La Troie d'Homère, p. 1.
iVor/HO«t/ie (Trigonies jurassiquesl, p. 213,
* 392.
Nuages (Photographie des;, p. 193, * 284.
Numératioii (Enseignement de la), p. 369.
A\utrilion générale (.Maladies de la), p. 300.
Objectifs de photographie, p. 174.
Observations à travers les Pyrénées, p. 175.
thermomélriqiies, p. 202.
météorologiques, p. 202.
Observatoire à Orlhez, pp. 191, 197, * 279.
Ocagne (d'). — Transformation quadra-
tique birationneile, p. 156.
La nomograiihie, p. 170.
Oddo. — Anomalies des valvules sig-
moides de l'aorte, p. 316.
Œdème pulmonaire, p. 28».
Œil (.4métropio), p. 295.
Oger. — Humidité du sol et structuie
des plantes, p. 219, £ 450.
Ollier. — Résection typique du genou,
p. 301.
Oloron -Sainte -Marie (Excursion à), p. 505.
Ondes stationnaires, p. 173, *243.
06 (Glacier quaternaire d'), p. 247.
Opérations sur le terrain, p. 162.
économiques, ç.'i^i.
Ophite de Puuzac, p. 210.
Optique (Méthode) de dosage, p. 187.
Optomètre, p. 175.
à lecture directe, p. 178.
portatif, p. 295.
Oran (Grotte du Ciel ouvert), p. 264, * 623.
Orbitolines du crétacé des Pyrénées, p. 211.
CReilly. — Listes seismiques de M. Alexis
Perrey, p. 204.
Éruptions volcaniques, p. 331.
Organes génitaux iXéoplasmes des), p. 298.
Organisme (La graisse dans 1'), p. 189.
Organismes microscopiques, p. 225.
Orléans iP'^" Henri d'). — Excursion en
Indo-Chine, p. 331, * 843.
Orographe transformé en tachéographe,
p. 332, * 860.
Orlhez (Observatoire projeté), pp. 191,197,
*279.
Brassempouy près) ,
- (Excursion
208.
(Excursion à),
p. 499.
248.
Ossou (Vallée d'i, p.
Ossements (Contemporanéité des), p. 208,
* 377.
OsJéomyélite, p. 284, * 714.
Ovaire infère, p. 222, f 479.
Ovariolomies pratiquées à l'hôpital de Pau,
p. 304.
Ozéne (Traitement de 1'), p. 286.
Pain (Taxe du), p. 348.
différent du pain taxé, p. 350.
l*aniard. — Discussion sur la résection
du genou, p. 303.
I*autet. — Appareils pour l'enseignement
de la numération, p. 369.
Pantographe, p. 160.
Papaver rhœas et Papaver Bracteatuni,
p. 221, * 467.
Pape rCrotte du), p. 257.
Paradis. — Le dessin précurseur de
l'écriture, p. 368, * 1116.
Parasite du champignon, p. 214, * 406.
Paris (Métropolitain de), p. 166.
(Eaux potables de), p. 376.
(Conférences faites à), pp. 1, 5, 17,
25, 39, 40, 72, 79, 94, 112.
Parinentier (G''). — Le cavalier aux
échecs, ]>. 156.
Paroisse i,G.). — La rivière (!omiii)ii\,
p. 334, *880^
Passy (F.). — Discussion sur les sociétés
de secours mutuels, p. 345.
1228
TABLE ANALYTIQUE
Passy F.}. — Congrès de la paix eu 1892,
p. 347, 1 1026.
Discussion sur la journée de luiit
heures, p. 348.
Discussion sur racquisition de la
propriété, p. 355.
■ Discussion sur un mpu au sujet de
l'émigration, p. 360.
Discussion sur les progrès de la va-
peur, p. 362.
Arbitrage en matière industrielle,
p. 363.
■ Discussion sur renseignement des
langues modernes, p. 373.
Éducation physique, p. 373, 2 1152.
Pathogi'nie des anomalies dentaires.~p. 314
2 770. ' '
Pau I Congrès de), p. 115.
(Comité local de), p. 126.
iÉlectrophoro inventé à .p. 179. £254.
'Empoisonnement à Jurançon près),
p. 22.J. " ^ '
(Laparotomies prati.iuées à , p. 304.
(Musée sociologique), p. 362. ■> 1073.
— (Conférences faites à), pp. 465. 488.
Pavot. — Etj inologie franco-latine, p. 369
2 1118.
Pays basque, p. 239. £ 589.
-.Émigration). p~335.
Pi-che au grand chalut, p. 226. =:= 494
Pédagogie, p. 367,2. HIH.
[Hypnotisme 1, p. 373.
Pellin. — Réfractomètre Férv, p. 176.
2- 245.
Pendeloques et amulettes, p. 263. - 619.
Penkillaria spicata. p. 326.
Pérès (G.I. _ Le Grand C^ntj-al sibérien
p. 340, 2 971.
PmoH//je (Préfloraison dm. p. 221. «467.
simple, p. 222, * 479.
Périloiiite traumalique7p. 289
Perret ,M.). - Rôle de Thumus dan< la
végétation, p. 325, 2 788.
Petit (E.). — Discussion sur les bassins
lacustres pyrénéens, p. 228.
Exploitation du caoutchouc, n. 3-»l
2 784. ' ~ '
Piésentalion de la trigonelle bleue
p. 326.
Pevple basque, p. 236, 2 ôôô-
Peyrusson. — Discussion sur les pto-
maines, p. 186.
Pliéinjlhi/drazine (Son action'i. p. 187.
Phonot/'lémèlre du capitaine Thouvenin
p. 339.
Phosphorescence du sidfure do zinc. p. 176.
Photograpliie appliquée au levé dt
pp. 169. 333, 2 215. 862.
et photométrie. p. 171.
(Objectifs . p. 174.
des nuages, p. 193. 2 284.
des Pyrénées, p. 338."
plans.
Photomètre (faibles édairagesl, p. 176.
Photométrie -Application de la photogra-
phie), p. 171.
(Détermination des unités), p. 172.
Phtisie pulmonaire, pp. 273. 283.
-Traitement thermal i, p. 276, * 692.
(Tiaitement intensif), p. 296.
Physiologie, p. 225. 2 ^88.
Physique, p. 171, * 238.
du globe, p." 191. 2 273.
Pic (lu Mid:. p. 33G.
Pîche lA.i. — Êlectrophore à rotation.
P
179,
zo'i.
Discussion sur l'observatoire d'Or-
thez. p. 192.
Le dèperditomètre, p. 195. 2 296.
Discussion sur le globe producteur
de courants, p. 194.
Place de la sociologie dans les con-
naissances humaines, p. 362, 2 1073.
Discus-ion sur l'enseignement clas-
sique et moderne, p. 369.
Cercle des connaissances humaines,
p. 369.21134.
Pierre/itte (Rxcursion à), p. 505.
Piett»". — Grotte du Mas-d'Azil. p. 205.
Discussion sur les squelettes de Men-
ton, p. 246.
Discussion sur la montagne de l'Es-
piaup. p. 247.
Ci\ilisation de la rive gauche de
TArize. p. 266. 2 649.
Pineau. — Hachetle tonkinoise en grès
vert. p. 261.
Tupiulus de Yirson, p. 262.
Pisricalture, p. 228. 2 51t>-
Pisson (G.'. — Races des vallées du
Tigre et de TEuphrale, p. 79.
5*îtres. — Troubles de la molilité dans
la neurasthénie, p. 315.
Plaie par balle de revolver, p. 289.
Plantations des pays chauds, p. 340.
Planté. (A.). — Discussion sur l'observa-
toire d'Orthez, p. 192.
Émigration des pays basques, p. 335.
Discussion sur le dénombrement des
Français à l'étranger, p. 357.
Le Congrès des Américanistes, p. 358.
Présentation d'un vœu au sujet de
rémigration, p. 359.
Plantes nouvelles du Tarn. p. 219, *• ^^3.
— fourragères, p. 326.
Plcuré&ie séreuse (Traitement de la), p. 277,
*701.
Pneumogastriipie -Action du), p. 299.
Poisson frais (Pêche du), p. 226, 2 -494.
Poissons osseux, p. 233.
Po/i (Influence du I. p. 177.
Poœier (D'i. — Discussion sur lescagots,
p. 245.
Discussion sur l'œdème pulmonaire.
1). 285.
TABLE AN.VLYTliJLK
12i2y
Poiiiier(L)'i. — Discussion sur la résection
du ficnou, p. 303.
L.iparutuniies à Pau, p. 304.
Poiunierol. — Discussion sur les siiue-
leltes de Menton, p. 24G.
Discussion sur letumulus de Virzon,
p. 262.
Pendeloques et amulettes, p. 263.
:^619.
Discussion sur l'âge de pierre, p. 267.
Populations fraiiçaiseï (Étude des^ p. 267,
*654.
Porte d'Enfer et vallée de la Rouye, p. 338.
Poiichet iD"' G.). — Coloration des eaux
de la mer, pp. 198, 341, 2 326.
Histoire des diatomées, p. 218.
Discussion sur les bassins lacusties
pyrénéens, p. 22K.
Poule domestique, p. 227, £507.
Pouzuc (Opiute de), p. 210.
Préfloraison des coquelicots, p. 221, * 467.
Préliistorique <lu Gers, p. 263.
Présidents des sections, p. 121.
Pression barométrique en hiver, p. 201.
Prévision du temps pour un lieu donné,
p. 203.
Primaire de Cauipagna-de-Sault, p. 210,
*, 388.
PrioI(*aii. — Puerpéralité due à une af-
fection générale, p. 278.
Programme de la session, p. 132. •
général des excursions et visites,
p. 497.
Pseudorlltrose, p. 274, * 686.
Pseudo-paralysie syphilitique, p. 316, * 782.
Plomuines, p. 186.
Puerpéralité due à une affection générale,
p. 278.
Puissance des locomotives, p. 164.
Pulvérisations de nitrate d'argent, p. 286.
Pyrénées (Observations à travers les), p. 175.
(Sanatorium dans les), p. 105, * 291.
(Lacs des), p. 206, * 358.
(Zéolithes des), p. 210.
(Crétacé des), p. 211.
(Flore des), p. 214, * 396.
(Végétation des lacs), p. 216, * 412.
(Bassins lacustres), p. 228.
(Cagots des), pp. 243, 266, 't 639.
(Levés des), p. 332, * 860.
(Étude géographique des lacs), p. 336.
(Glaciers des), p. 338.
(Conférence sur les), p. 465.
(Société électrique des), p. 517.
■ f Basses-) (Eaux- Bonnes et Eaux-
Chaudes), PI). 197, 295,
505.
— Liudonde Cardesse, p. 231.
— Isopodes terrestres, p. 231 ,
* 535.
_ (Acide phosphorique du
sol), p. 326.
Pijrénées (Basses-) i Émigration i, p. 363,
z 1092.
centrales (Éta|.'es gypsifères), ji. 211.
— (Échinides/, p. 212.
— i.Étiulogie du goitre), p. 389,
* 1204.
espar/noies (ÉTiologie du goitre), p. 336.
— (Contribution à la carte),
p. 340.
(Hautes-) lOphite de Pouzac), p. 210.
— (Faune pélagique), i). 230,
* 526.
— (Grotte de Gargas), p. 249.
— (Excursion à Tuque-Rouyei,
p. 338.
Que^Uion proposée aux 3° et 4' sections,
p. 170.
à la !'■ section, p. 203.
à la 13» section, p. 324.
à la 15" section, p. 365.
Raccordement parabolique, p. 168, z -1--
Races des vallées du Tigre et ijc TEuphrate,
p. 79.
Radis (Chlorure de sodium et chlorure de
potassium dans lei, pp. 222, 325, * 790.
Rage (Ligue contre la), p. 388, * 1198.
Blaoïil (E.i — Cultures trupirales, p. 340.
Rapport sur l'observatoire d'Oriliez, p. 197.
sur les mémoires de MM. Grimai,
E. W'orms, etc., p. 352.
Rapprochemenis géologiques, p. 208.
Râteau. — Théorie des ventilateurs, p. 154.
Manomètres à cloche flottante, p. 160.
Discussion sur la nomographie,
p. 170.
Recensement (Conservation des listes de)
p. 361, * 1060.
Recherches zoologiques au moyen du sca-
phandre, p. 229, * 522.
Reculées (Végétation des), p. 224.
Réflexion totale (Me^ure des indices par;,
p. 177.
Reiraction atmosphérique, p. 190.
entre le Pic du Midi et un sommet
espagnol, p. 336.
Réfraclomètre, p. 176, * 245.
Règlement, p. vu.
Régnard P.). — Métropolitain de Paris,
p. 166.
Traction mécanique des tramways,
p. 170.
Régnault (F.;. — Grotte supérieure de
Gai-gas, p. 249.
Photographies des Pyrénées, p. 338.
Rég^nault (D-^ F.-L.). — Discussion sur
la variole, pp. 280, 281 .
Mariages consanguins, p. 283, *706.
Religieuses laïques de Marseille,
p. 291, il; 742.
Discussion sur l'étiologie de la lèpre,
p. 308.
Religieuses laïques, p. 291, !; 742.
1230
TABLE ANALYTIQUE
Remous atmosphériques, p. 196, ± 300.
Renaud (G.). — Discussion sui- la taxe
du pain, p. 349.
• Discussion sur le Congrès des Anié-
ricanistes, p. 348.
Discussion sur le dénombrement des
Français à l'étranger, p. 357.
Discussion sur l'adoption d'une heure
unique, p. 359.
Discussion sur un vœu au sujet de
l'émigration, p. 360.
Discussion sur l'exploration du Niger,
p. 361.
Discussion sur la conservation des
listes de recensement, p. 361.
Discussion sur l'émigration dans les
Basses-Pyrénées, p. 364.
Reiwe (Objet de l'âge du), p. 248.
(Civilisation à l'âge du), p. 266, * 649.
Résection typique du genou, p. 301.
Résidus quadratiques, p. 155, ± 136.
Respiration (Gaz de la), p. 189.
Rétinite siiphilitique, p. 306, ± 757.
Retinodendropsis aspera, p. 221, * 476.
Révulsion cutanée, p. 303.
Rey-Uescure. — Rapprochements géo-
logiques dans le sud -ouest, p. 208.
Reyt. — Crétacé de Saint-Sever, p. 210,
* 382.
Rhéostat continu, p. 299.
Richard (J.). — Appareils enregistreurs,
p. 196, z 317.
Richard (.!.). — Faune pélagique, p. 230,
* 526.
Ritfer (F.).— Biographie de Viète, p. 154,
* 17.
Algèbre de Viète, p. 157, * 177.
Trigonométrie de Viète, p. 160,
* 208.
La myopie plus fréquente, p. 379,
* 1171.
Rivière (É.). — Age des squelettes des
Baoussé-Roussé, pp. 205, 246, * 347.
Ossements humains et animaux d'un
même gisement, p. 208, * 377.
Rivière Compony (La), p. 334, * 880.
Roche (D"). — Pêche au grand chalut,
p. 226, ::: 494.
Roiiianet du Caillaud. — Christia-
nisme en basse Ethiopie, p. 343.
Rostand (E.). — Caisses d'épargne fran-
çaises, p. 346, * 1007.
— — Discussion sur les habitations à bon
marché, p. 347.
Rouet (Maçonnerie sur), p. 169, * 214.
Rougerie (M'"'). — Globe producteur de
courants, pp. 167, 193, 338, 371, .382.
Roulettes (Appareils à), p. 157.
Rousseau Maint-Philippe. — La bal-
néation chez les enfants, p. 269.
Discussion sur la médication saline,
p. 723.
Rousseau-^iaint-Piiilippe. — Discus-
sion sur le traitement de l'ozène, p. 286.
Roussel (J.). — Primaire de Campagna-
de-Sault^ p. 210, * 388.
Crétacé des Pyrénées, p. 211.
Étages gypsifères des Pyrénées cen-
trales, p. 211.
Éocène des Pyrénées centrales,
p. 212.
Rousselet. — Sanctions disciplinaires,
p. 371, *1147.
Roussille. — Discussion sur le vin de
.Tui'ançon, p. 323.
Rousson. — La Terre de Feu, p. 339,
* 961.
RouTeix. — Discussion sur la douche
statique, p. 286.
Névralgie sciatique, p. 290, * 735.
RouTière. — Discussion sur la reconsti-
tution des vignes, p. 321.
Rouye (Vallée de la), p. 338.
Ruminants (Artère carotide desi, p. 228.
Apophyse post auditive, p. 229.
Russie (Histoire de), p. 339, ^i; 956.
(Kpidémie de choléra), p. 387.
Sabatier (P.). — Métaux nitrés, p. 182.
Bases insolubles, p. 185.
Kabrazès (J.). — Pilaire du sang de la
grenouille, p. 226, * 488.
Sagot (Manuel des cultures tropicales),
p. 340.
>^aint-lllartin. — Météorologie dyna-
mique, )). 199.
Saint-Pierre (R. dei. — Discussion sur
l'auscultation du cœur, p. 294.
Saint-Saud (C" de). — Pyrénées espa-
gnoles, p. 340.
Saint-Césaire (Fouilles à;, p. 264.
Christau (Excursion à), p. 505.
Dié (Industries de), p. 364, * 1104.
Ma/'im-sur-0»anne (Observations à),
p. 202.
Martory (Station de Montcomfort),
p. 267.
Palais (Excursion à), p. 499.
Sever (Crétacé de), p. 210, * 382.
Salies-de- Béarii (Silex moustériens), p. 249.
(Excursion à), p. 499.
Sallenare. — Discussion sur le vin de
Jurançon, p. 323.
Discussion sur le rôle de l'humus
dans la végétation, p. 325.
Discussion sur les chlorures de so-
diurti et de potassium dans le radis et
la cressonnette, p. 325.
Influence des sulfates, superphos-
phates et chlorures sur la fertilité du sol,
p. 328, * 803.
fiambuc. — Formes végétales et climats,
p. 220, z 463.
Sanatorium dans les Pyrénées, p. 195,
* 291.
TABLE ANALYTIQUE
1231
Sanaloriitm thermal à l»a\, p. 270, :^ 665.
(le montagne, p. 304.
Sang de la grenouille, p. 226, ^ 488.
Saporomètre, p. 233.
Sauveterre (Excursion à), p. 499.
Savants étrangers, p. 129.
Say (L.). — Discussion sur les sociétés
(le secours mutuels, p. 345.
Discussion sur la taxe du pain, p. 345.
Réforme du cadastre, p. 353.
■ Discussion sur l'acquisition de la
propriété, p. 355.
Rapports de l'économie politique
avec les autres sciences, p. 488.
Scaphandre (Son utilité dans les recherches
zoologiques), p. 229, f 522.
Schrader iF.). — Projets d'observations,
p. 175.
Réfraction atmosphérique, p. 199.
Levés des Pyrénées, p. 332, ^ 860.
Réfraction entre le Pic du Midi et
un sommet espagnol, [>. 336.
Sciences économiques, p. 320, * 784.
mathématiques, p. 153, *. 1.
médicales, p. 269, * 665.
- naturelles, p. 204, * 343.
Séance générale d'ouverture, p. 133.
Secrétaires des sections, p. 121.
Sections, l" et 2' , p. 153, * 1.
3- et 4% p. 162, ± 212.
Section 5% p. 171, * 238.
6% p. 180, 392, * 257.
7% p. 191, ± 273".
8% p. 204, * 343.
9», p. 214, * 396.
10% p. 225, * 488.
11-, |). 236. * 555.
12% p. 269, =i= G65.
13-, p. 320, * 784.
14-, p. 329, * 806.
15-, p. 345, * 1007.
- 16% |.. 367, i 1116.
17-, p. 376, * 11 03.
Sécurité des cl)emins de fer, p. 40.
SéjSfuler (B°°). — Observations météoro-
logiques, i>. 202.
Seine (Rassin commercial), p. 342, * 997.
Semirhon. — Perméabilité des sols,
p. 327, :i;795.
Serres. — Discussion sur l'ostéomyélite,
p. 284.
Discussion sur l'œdème pulmonaire,
p. 285.
Services maritimes postaux, p. 336.
S?6ene iGrand-Cenlral), p. 340, * 971.
Sieur. — .Météorologie des Deux-Sèvres,
p. l'.il, *273.
SUex moustérietis de Salies, p. 249.
Silicates sidfurifi'res, p. 185.
Sirodot.-- Squelette des poissons, p. 2.33.
Société électrique des Pyrénées (Visite in-
dustrielle), p. 517.
Sociétés sarantes représentées au Congrès
p. 130.
de secours mutuels, p. 345.
, Sociologie (.Sa place dans les connaissances
humaines, p. 362, -^ 1037.
Sol (Humidité du'i, pp. 216, 219 * 433
450).
animal, p. 227, jj; 507.
Sols (Perméabilité et division des), p. 327,
*795.
(Fertilité), p. 328, £ 803.
Solutions imaginaires en géométrie, p. 155,
* 132.
de KCl et XaCl, p. 172, * 238.
Soudan (Question du), p. 343.
Souterrain de Suraport, p. 163.
Spécialisation thérapeutique des Eaux-
Chaudes, p. 296.
Squelette des poissons, p. 233.
Squelettes des groites des Baoussé-Roussé,
p. 205, 246, * 347.
Statuts, p. III.
Station de Montcomfort, p. 267.
Statistique, p. 345, * 1007.
Stéthoscope, p. 297.
Structure des plantes, p. 219, * 450.
Substances'intra-ossruses (Pertes de), p. 284,
*714.
Suc thyroïdien (Injections de), p. 292.
Suffusion sanguine dans l'épilepsie, p. 305.
Sulfates (Influence sur la fertilité), p. 328,
* 803.
Sulfure de zinc 'Phosphorescence du),
p. 176.
Sulser (Verres de contact du DO, pj). 171,
299.
Sumport (Souterrain dei, p. 163.
Superphosphates ^Influence sur la fertilité),
p. 328, * 803.
Surfaces d'égale incidence, p. 156, * 166.
Surveillance administrative sur les denrées,
p. 380, * 1175.
Suture osseuse, p. 274, * 686.
des sphincters, p. 310, * 762.
Syllidiens, p. 232, * 539.
Syphilis (.A.mblyopie causée par la), p. 306,
* 757.
Pseudo-paralysie, |i. 316, * 782.
Table des matières de la première partie,
p. 52.
de la deuxième partie, ± 1234.
analytique, * 1215.
Taehard. — Traitement de la pleurésie
séreuse, p. 2/ /, *
701.
Cas d'appendicite, p. 301.
Tachéographe (Orographe transformé en),
p. 332, * 860.
Taliilicti (Cerveau dunj, p. 265, * 629.
Tardy. — In cas de tératologie, ]>. 266.
Tarn Plantes nouvelles dui, p. 219. 2 453.
Tarry G.). — Solutions imaginaires en
géométrie, p. 155, * 132.
1232
TABLE ANALYTIQUE
TaTcrui. — Études d'anthropologie cri- j
minelle, p. 249.
Expositions d'art didactique, p. 367.
Discussion sur l'enseignement clas-
sique et moderne, p. 369.
Enseignement de l'histoire à rebours,
p. 371.
Taxe du pain, p. 348.
Teisserenc de Bort (L.). — Gradient
vertical, p. 198.
Discussion sur la ^ climatologie ,
p. 2U0.
. Discussion sur les nimbus, p. 203.
Mouvements tourbillonnaires, p. 203,
■± 336.
. Discussion sur les dunes, p. 210.
■ Moyens de combattre la rage, p. 388,
* 1198.'
Ténia noir chez l'homme, p. 229.
Tératologie (Un cas de,i, p. 266.
Terre de Feu, p. 339, * 961.
Tétraphényléthanone (Synthèsej, p. 181.
Thalassinidés, p. 227, * 503.
Théophrasle Renaudot, p. 25.
Thérapeutique des Eaux- Bonnes et des Eaux-
Chaudes, p. 295.
chirurgicale (progrès), p.'298.
Thermes. — Discussion sur le sanatorium
thermal à Dax, pp. 270, 271.
Discussion sur une fracture de la
jambe, p. 275.
. Discussion sur le traitement des
eaux de Cauterets, p. 282.
Discussion sur la douche statique.
286,
p. 286.
Des névroses vermineuses, p.
*722.
Injections hypodermiques, 306.
Discussion sur l'étiologie de la lèpre.
p. 307.
Climat médical d'Argelès - Gazost ,
p. 309, * 753.
Thermodynamïque, p. 172.
Thermomètre enreijistreur, p. 196, * 317.
Thomas. — Acides bromacri tiques, p. 181.
Acide propamylique, p. 189.
Thouvenin ^ Fhonotélémètre du capitaine),
p. 339.
Tigre (Vallées duj, p. 79.
Tison fD' Éd.). — Discussion sur la va-
riole, pp. 280, 281.
Le lysol, pp. 308, 381.
Discussion sur les eaux de Paris,
p. 378.
Discussion sur la surveillance admi-
nistrative des denrées, p. 380.
Discussion sur la variole à Bordeaux,
p. 381.
■ Discussion sur le « tout à l'égout »,
p. 384.
Discussion sur l'épidémie cholé-
Tison(D'^Éd.). — Discussion sur les moyens
de combattre la rage, p. 388.
Discussion sur l'étiologie du goitre,
p. .389.
Discussion sur la désinfection pu-
rique en Russie, p. 388.
blique, ji. 390.
Tisserand (P. i. — Industries de Saint-
Dié, p. 364, z 1104.
Tombe à char, p. 249, * 613.
Tomelle Saint-Pierre, p. 262, * 617.
Tonkin (Hachette du Hà-Giam. p. 261.
Topographie au point de vue colonial,
p. 339.
Tour Moncade i Observatoire), pp. 191, 197,
* 279.
Tout à Végoul et tout à la mer, p. 383.
Trabaud. — Discussion sur l'enseigne-
ment classique et moderne, p. 369.
Critique de l'enseignement français,
p. .370.
Traction mécanique des tramways, ]>. 170.
Trafic du port de Dunkerqiie, p. 335, * 903.
Tramways (Traction mécanique des;, p. 170.
Transformation quadratique birationnelle,
p. 1.j6.
Transmission de la force, p. 169.
électrique de l'énergie, p. 177.
Transsibérien, p. 340, *971.
Trarzas (Campagne dans les^ p. 329.
Traumatisme cérébral grave terminé par
la guérison, p. 313.
Travail interne et travail externe, p. 172.
Travaux imprimés présentés aux 1" et 2= sec-
tions, p. 161.
présentés à la 5= section, p. 179.
— à la 7» — p. 203.
— à la 8" — p. 213.
— à la 10° — p. 235.
— à la 11= — p. 268.
— à la 14= — p. 344.
— à la \h' — p. 365.
— à la le-^ — p. 375.
Tréhalose (Production de la), p. 180.
dans quelques champignons, p. 217.
Trépanation, p. 311, * 764.
Triangle (Géométrie du), p. 155, * 101.
Trigonelle bleue, p. 326.
Trigonies jurassiques, p. 213, * 392.
Trigonométrie de Viète, p. 160, * 208.
Trivier (Cap"") . — Voyage on Haïti et en
Colombie, p. 330, * 806.
Troie (La) d'Homère, p. 1.
Troubles trophiques et moteurs, p. 311,
* 764.
Trutat (E.). — Cavités dans la masse des
glaciers, p. 208.
Les Pyrénées (Conférence), p. 465.
Tuberculeux à hémoptysies, p. 281 .
Tumuli de Saint-Césaire, p. 264.
Tumulus de Virson, p. 262.
Tunisie (Applications de l'a Act Torrens»),
p. 352, * 1047.
TABLE ANALYTIQUE
1233
étrangers en
Tuque-Rouye (Excursion à), p. 338.
Turkeslan russe et chinois, p. 39.
Tarquaa (V.). — Dénombrement des
Français à l'étranger, p. JJT, 210^7.
Dénombrement des
France, pp. 335, 361, * 1057
Université (Dernières réformes), p. 371.
Urémie éclamptique, p. 317.
Urines (Analyse médicale), p. 318.
Utérus (Ligaments ronds de 1'), p. 282.
Vacances (Colonies scolaires), p. 367.
Vallée d'Ossau, p. 248.
de la Vézère,
261.
Valvules sigmoides de l'aorte, p. 316.
Vapeur itccumulce (Locomotive à), p. 163.
en France ( Progrès ) , p . 362 ,
* 1064.
sous pression (Désinfection par),
p. 391.
Variations périodiques des glaciers, pp. 206,
330.
Variole (Épidémie de), pp. 278, 381.
Vauthier (L.-L.). — Programme de l'en-
seignement public en démocratie, p. 375,
z 1155.
Assainissement de Paris, p. 382,
*1177.
Végétation des lacs du Jura, p. 215.
— des Pj renées, p. 216,
Z 412.
et humidité du sul, p. 216, 2 433.
des reculées, p. 224.
(Rôle de l'humus), p. 325, 2 788.
Verdeiial. — Spécialisation thérapeu-
tique des Eaux-Chaudes, p. 296.
Verres de contact, p. 171, 299.
Vertèbre lombaire pénétrée par une flèche
de silex, p. 310.
Vézère (Fouilles de la), p. 261.
Viandes (Surveillance administrative sur
les), p. 380,* 1175.
l'ibert (P.), — La topographie au point
de vue colonial, p. 339.
Vibrations (Courbes de), p. 173, * 242.
Viète (Biographie), p. 154, * 17.
(Algèbrei, p. 157, ± 177.
(Trigonométrie), p. 160, * 208.
Vignes (Reconstitution des), pp. 320, 323.
Ville morte (Brouage), p. 338,^940.
Villes maritimes (Tout à la mer), p. 383.
Villot (A.). — Étude comparée des .Mer-
mis et Gordius, p. 230, * 529.
Via (Levures du), p. 322.
de Jurançon, p. 322.
Vins (Falsification des), p. 186.
ViiiBon. — Discussion sur le peuple Lasque,
p. 237.
— — Discussion sur le pays hascfue ,
pp. 2iO, 2'»l.
Discussion sur les cagots, p. 2'»i.
Discussion sur l'enseignement fran-
çais, p. 370.
Virson (Tumulus de), p. 262,
Vis différentielle (Cinémomètre i\\ p. 157.
Visite industrielle, p. 517.
Vitalité des germes, p. 225.
Vitesses des chemins de fer, p. 170.
Vœux présentés par les 1" et 2* sections,
p. 161.
présenté par la '"section, p. 203.
— par la 10= — p. 235.
— 'par la 12° — p. 319.
— par les 14» et 15" sections,
pp. 343, 365.
— parla 17= section, p. 391.
— au sujet de l'émigration,
p. 359.
(Proposition de), p. 322.
Voies respiratoires (Affections des), p. 283.
Volé mite, p. 183.
Vci/if^mes (Àlesure des), p. 157.
Voyage en Haïti et Colombie, p. 330,
2 806.
aux lies Salomon, 330, 2 820.
Willems. — La Terre de Feu, p. 339,
2 961.
Worms (É.). (Son mémoire), p. 352.
Aambeu. — Discussion sur la reconstitu-
tion des vignes, p. 321.
Levures du vin, p. 322.
■ Discussion sur le vin de Jurançon,
p. 323.
Discussion sur
les
vignobles des
Landes, p. 323.
Discussion sur l'enseignement clas-
sique et moiierne, p. 369.
Zéolitltes des Pyrénées, p. 210.
Zinc (Phosphorescence du sulfure de
p. 170.
Zoologie, p. 225, * 488.
78-=
TABLE DES MATIÈRES
SECONDE PARTIE
NOTES ET EXTRAITS
CoLLiGNON (Éd.)- — Remarque sur le choc direct de deux corps élastiques .... 1
— — Problèmes sur les corps flottants 7
RiTTER (F.). — François Viète, inventeur de l'algèbre moderne 17
Laisant (C.-A.). — Quelques remarques sur les courbes unicursales 25
Lemoine (É.). — La Géométrographie ou l'Art des constructions géométriques . . 36
— — Résultats et théorèmes divers concernant la géométrie du
triangle lUl
Tarrv (G.). — Figuration des solutions imaginaires rencontrées en géométrie
ordinaire 132
Coccoz. — Des carrés de 8 et de 9, magiques aux deux premiers degrés, des carrés
de mêmes bases en nombres triangulaires 136
Fkolov (M.). — Sur les résidus quadratiques 149
BiERENS DE Haan. — Renseignements sur l'édition de la correspondance et des
œuvres de Chr. Huygens 159
GuiMARAES (R.). — Sur l'évaluation de certaines aires coniques 166
Lecornu (L.). — Sur les surfaces d'égales incidences 172
RrfTER (F.). — L'algèbre nouvelle de François Viète 177
Fontes. — Sur la division arithmétique, possibilité de la suppression de cette
opération 182
FoNTANEAU (E.)- — Sur la déformation des corps isotropes en équilibre d'élasticité. 190
Ritter (F.). — La Trigonométrie de François Viète 208
Berms. — Raccordement parabolique entre deux arcs de cercle contigus de même
sens 212
— — Sur les fondations à air comprimé avec chambre en maçonnerie sur
rouet 214
Laussedat (Le Col"' A.). — Historique de l'application de la photographie au
lever des plans 215
Lesage (P.). — Évaporation comparée des solutions de NaCl, de KCl et de l'eau
pure 238
IzARN. — Modification de l'appareil à excentriques de Lissajous pour la composi-
tion de deux mouvements vibratoires rectangulaires 242
— — Appareil démontrant le mécanisme des ondes stationnaires 243
FÉRY (Ch.). — Sur un nouveau réfractomètre 245
PiCHK (A.). — L'électrophore à rotation 254
Bedout (L.). — Compteur densi-volumétrique 257
TABLE DES MATIÈRES 1235
Berrens (H.). — AInuulcii. — Ses mines de mercure et ses divers systèmes de
réduction du minerai <,>gi
Blanc (Ed.i. — Sur un mode particulier de cuisson des briques, usité dans cer-
taines parties de l'Asie centrale 267
Sieur. — Météorologie du département des Deux-Sèvres et de la région du sud-
ouest 273
LÉON (H.). — Projet d'observatoire régional de la Tour Moncade à Orthez .... 279
AiNGOT L4..). — Sur l'étude des nuages par la piiotographie 284
r.ANDY (Le D'). — Quatre années d'observations à Bagnères-de-Bigorre 2'JO
LÉON (H.). — Un sanatorium dans les Pyrénées. — Bagnères-de-Bigorre et la
Fontaine-des-Fées 291
PiCHE (A.). — Le déperditomètre 296
Mendez (E.). — Sur les remous atmosphériques 300
Richard (J.i. — .\ouveau.K appareils enregistreurs 317
PoucHET (G.I. — Sur les eaux vertes et bleues observées au cours du voyage de
la Manche 326
Teisserenc de Bout (L.). — Sur la théorie des mouvements tourbillonnaires. . . 336
C.OTTE.iu (<;.). — La famille des cidaridées à ré[)0(iue éocène 343
Rivière (É.). — Sur l'âge des squelettes humains des grottes des Bnouss';- Housse,
en Italie, dites grottes de Menton 347
Belloc (É.K — Étude sur l'origine, la formation et le comblement des lacs dans
les Pyrénées 358
Rivière (E.). — Détermination par l'analyse chimique de la contemporanéité ou
de la non-contemporanéité des ossements humains et des ossements d'animaux
trouvés dans un même gisement 377
Reyt et DuB.VLEN. — Sur la protubérance crétacée de Saint-Sever 382
Roussel (J.i. — Sur le primaire de Campagna-de-Sault 388
GouRDON 'M.i. — Le Musée pyrénéen de Bagnères-de-Luchon 390
Bigot (A.). — Sur les trigonies jurassiques de Normandie 392
BoN.NiER (G.). — La flore des Pyrénées comparée à celle des Alpes françaises . . 396
CosT.^NTiN et DuFOUR. — Obscrvations sur la môle, champignon parasite du cham-
pignon de couche 406
Belloc(É.). — Aperçu général de la végétation lacustre dans les Pyrénées. . . . 412
Gain (Ed.). — Influence de l'humidité du sol sur la végétation 43;;
GÉNEAU de Laxi.vrliére (L.). — Sur le développement du Conopodiutn denudalum
Koch 445
Oger (A.). — Étude expérimentale de l'influence exercée par le sol humide sur la
tige et les feuilles '»50
Caraven-Cachin (A.). — Les plantes nouvelles du Tarn (1874-1891) 453
HouLBERT (C). — Sur la valeur systématique du bois secondaire 456
Heckel (E.). — Sur un Ceratonia siliqua L. à fleurs uniquement hermaphrodites
et à étamines sessiles (Brachystémones) 460
Sambuc. — Sur les relations entre les formes végétales et le climat. . .^ . . . . 463
Daniel (L.). — Sur la greffe des plantes en germination 465
Heim (F.). — Sur quelques cas de pn'floraison anormale chez les coquelicots. . . 467
— — Sur un type nouveau de diptérocarpacées, re<modend/ops(S asper«. . 470
Mesnard(E.). — Recherches sur la falsification de l'essence de santal 476
Clos (Le D' D.). — Le caUce ou le périanthe simple et l'ovaire infère 470
Nabias (de) et Sabrazès. — La filaire du sang des grenoudles. — Découverte du
mâle ^88
RocHÉ (G.). — Sur la décrudescence des rendements de la grande pêche du
« poisson frais » au large de nos côtes du sud-ouest 494
BoKDAGE (Ed.) — Myologie des crustacés décapodes en général et comparaison du
système musculaire des thalassinidés et de celui des anomoures 50T
Gaube (J.). — Du sol animal. — Sol de la poule domestique. — Amendements. 507
1236 TABLE DES MATIÈRES
Belloc (É.). — Utilisation des cuvettes lacustres pyrénéennes pour la pisciculture. 516
BouTAN (L.). — Sur le développement de l'haliotide et sur l'utilité du scaphandre
dans les recherches zoologiques 522
GuERNE (J. de) et Richard (J.). — Sur la faune pélagique de quelques lacs des
Hautes-Pyrénées , 526
ViLLOT (A.). — Études d'anatomie comparée sur les mermis et les gordius. . . . 529
DoLLFUS. — Sur la distribution géographique des isopodes terrestres dans la
région des Basses-Pyrénées 535
Malaquin (A.). — Remarques sur l'absorption et l'excrétion chez les syllidiens . 539
BiÉTRix. — Sur un nouvel essai de mesure de la quantité de matière vivante
existant à la surface de la mer 543
HoNNORAT- Bastide (Ed. -F.)- — Cicindélides des Basses-Alpes 547
Inchauspe (L'Abbé). — Le peuple basque, sa langue, son origine 555
Charencey (Le comte de). — Des affinités de la langue basque avec divers idiomes
des deux continents 573
GuiLBEAU. — L'Eskal-Herria ou pays basque. Historique et linguistique 589
DuMONT (A.). — Natalité des Basques de Baïgorry 597
Bosteaux-Paris. — Résultats de fouilles aux environs de Reims 613
PoMMEROL (Le IV F.). — Les pendeloques et les colliers amulettes 619
DouMERGUE (F.). — La grotte du Ciel ouvert, à Oran 623
Manouvrier (LeD" L.). — Description du cerveau d'un indigène des îles Marquises 629
Magitot (Le D''). — Sur une variété de cagots des Pyrénées 639
PiETTE (É.). — Phases successives de la civilisation pendant l'âge du renne, dans
le midi de la France et notamment sur la rive gauche.de l'Arise (grotte du Mas
d'Azil) 649
CoLLifNON (Le D'' R.). — Contribution à l'étude anthropologique des populations
françaises (Charente, Corrèze, Creuse, Dordogne, Haute- Vienne) 654
Delmas (P."i. — Le sanatorium thermal de Dax 665
LAR.A.UZA (A.). — De la médication saline à Dax. (Clinique hospitalière.) 678
MouLONGUET (A.). — Fracture de jambe chez une hystérique. — Pseudarthrose.
— Suture osseuse, guérisou 686
Ferray. — Action de l'eau du ÎS'eubourg dans le traitement des diabétiques. . . 688
DuHOURCAU (E.). — Traitement thermal et climatique de la phtisie, combiné
avec la cautérisation ponctuée ou les injections de liquides organiques 692
Chalot (V.)- — Traitement de l'épilepsie essentielle (grand mal) par la ligature
des deux artères vertébrales et par la ligature incomplète des deux carotides
primitives 698
Tachard. — Traitement de la pleurésie séreuse par le siphon 701
Regxault (F.). — Mariages consanguins. — Différentes manières de les envisager.
— En quels cas on doit les éviter 706
DiEUZAiDE. — Observations d'ostéomyélite 714
Imbert de la Touche. — Traitement de la migraine et des céphalées par la douche
statique. . , 718
Thermes (G.). — Des névroses vermineuses 722
Aris. — Plaie pénétrante de l'abdomen par balle de revolver. — Péritonite trau-
matique. — Guérison sans opération 725
Élevy. — Météorologie médicale de Biarritz 728
Rouveix. — De l'emploi des courants continus dans le traitement de la névralgie
sciatique ; 735
Arnozan (X.). — Contribution à l'étude du névrome plexiforme 738
Regnault (F.). — Les religieuses laïques dans les hôpitaux de Marseille 742
GiLS. — Contribution à l'étude de l'étiologie des anévrysmes de l'aorte 747
Thermes (G.). — Le climat d'Argelès-Gazost au point de vue médical 753
BoÉ (F.). — Contribution à l'étude du traitement de la rétinite sypliilitique . . . 757
Nicaise (E.). - De la suture des sphincters dans l'opération de la listule à l'anus 762
TABLE DES MATIÈRES 1287
Ahis. — Fracture du pariétal droit. — Troubles trophii|uos ot moteurs. - Tré-
panation neuf ans après l'accident 764
Rloch (A.). — Pathogénie des érosions et autres anomalies dentaires 770
Chaumieh (E.). — Un cas de pseudo-paralysie syphilitique terminé par la guc-
rison 782
Petit iE.). — L'exploitation du caoutchouc dans les îles flottantes du fleuve de
l'Amazone; son implantation dans nos colonies tropicales 784
Perret (M.). — Rôle de l'humus dans la végétation 788
Les.vge (P.). — Le chlorure de sodium et le chlorure de |)otassium dans le radis
et la cressonnette 790
Llaurado (A. de). — Sur la culture des dunes en Andalousie 792
HouDAiLLE et Semichon. — Recherches sur la perméabilité ot l'état de division
des sols 793
Sallenave (V.). — L'influence des sulfates, superphosphates, chlorures sur la
fertilité du sol 803
Trivier (Le Cap-'). — Voyage en Haïti et Colombie 806
Hagen (Le D'). — Vojage aux îles Salomon 820
Barbier (J.-V.). — L'Indo-Chine vue par un missionnaire lorrain il y a cinquante
ans 834
Orléans (Le P" H. d'). — Une excursion en Indo-Chine. — De Hanoï à Bangkok. 843
Schrader (F.). — Les levés des Pyrénées. — Transformation de l'orographe en
tachéographe 860
Gaultier iJ.1. — Les levés topographiques par la méthode photographique . . . 862
Lallemand (Ch.). — La détenninatiou du niveau moyen de la mer par le médi-
inarémètre 867
CouBERTiN {!'. de). — L' enseignement de la géographie 871
Paroisse (G.). — La rivière Compony (Guinée française) 880
CouDREAu (H.). — Étude de la chaîne des monts Tumuc-Humac 884
HouRST. — Projet d'exploration du cours moyen du Niger 890
Mine (A.). — Le traflc du port de Dunkerque 903
Delavaud (C). — Une visite à Brouage, la ville morte 940
Drapeyron (L.). — Calcul chronologique et géographique des périodes de l'his-
toire de Russie 956
RoussoN' et WiLLEMS — La Terre de Feu et ses habitants 961
Fontes. — Sur une illusion d'optique 966
PÉRÈS (G. \ — Le chemin de fer transsibérien 971
Blanc (Éd.). — Sur une cause d'erreur dans les levés topographiques faits dans
les régions de montagnes et particulièrement en Asie centrale. . . • 984
Fontes. -:- Erreurs persistantes dans la géographie pyrénéenne. — Rectifications. 990
Dupont (H.). — Le bassin commercial de la Seine 997
RosT.iND (E.). — De la réforme de la législation sur le régime d'emploi des
caisses d'épargne françaises 1007
Cheysson (É.). — Les habitations à bon marché 101 'i
Passy (F.). — Le congres et la conférence de Berne 1026
Casalonga (D.-A.). — De quelques principes généraux des lois française et étran-
gères sur les brevets d'invention 1031
Arnault (J.). — L'organisation de l'état civil des personnes et des propriétés . . 1030
GuYOT ;Y.i. — Les applications de 1' « Act Torrens » en . France, en Tunisie et
dans les colonies 10^7
Cassano (Le P" de). — Adoption d'une heure unique dans l'intérêt du commerce
et des relations internationales 1051
TURQUAN (V.). — Dénombrement des étrangers en France 1057
DiMONT (A.). — De l'utilité des listes nominatives et de la nécessité de prévenir
leur destruction 'OnO
Bbllei (D.). — Les progrès de la vapeur eu France de 1840 à 1890 1064
1238 TABLE DES MATIÈRES
Fiche (A.). — De la place de la sociologie dans l'ensemble des connaissances
hunaaines, des musées sociologiques et de celui de Pau en particulier 1073
FoviLLE (A. de). — Le morcellement depuis dix ans 1085
Etcheveury. — L'émigration dans les Basses-Pyrénées pendant soixante ans. . . 109:2
Tisserand (P.), — Les industries de Saint-Dié 1104
GuiLBAULT (A.). — La comptabilité d'un arsenal 1109
Paradis (A.). — Le dessin précurseur et complémentaire de l'écriture 1116
Pavot. — Etymologic franco-latine. — De la transformation des consonnes dans
leur passage du latin au français. — Le fait et la théorie 1118
Pxche (A.). — Le cercle des connaissances humaines 1134
RoussELET. — Des sanctions disciplinaires 1147
Passy (F.). — L'éducation physique 1152
Vauthier. — Que doit être le programme de l'enseignement public en démocratie. 1155
Jeannel (Le D' J.). — La dépopulation des départements montagneux 1163
RiTTER (F.). — De la myopie plus fréquente aujourd'hui 1171
Henrot (Le D"' H.). — De la nécessité d'établir une surveillance administrative
sur les viandes livrées à la consommation 1175
Vaithier (L.-L.). — Coup d'œil rapide sur l'assainissement de Paris 1177
Teisserenc de Bort (L.). — Sur la nécessité de fonder une hgue pour la pro-
tection des animaux et des hommes contre la rage 1198
Chopinet (Le D"^]. — De l'ètiologie du goitre et du crétinisme dans les Pyrénées
centrales 1204
TABLES
Table analytique 1215
— des matières 1234
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