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Full text of "Compte rendu"

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ASSOCIATION  FRANÇAISE 


POUR  L'AVANCEMENT  DES  SCIENCE 


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21!  SESSION 


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18B2 


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iiMiÉ>aaiii>miBiiifc<iiiinMi<>rf^M<<iii^iiiii  iiiw  iiiiiiii  iiminiliiiii  I    t  iiiiiiiui    iiiiiii  mu  ii      i  iii    i    i      i"    i    f"     ' 


ASSOCIATION 


FRANÇAISE 


POUK 


L'AVANCEMENT  DES  SCIENCES 


l'ne  table  des  malières  est  jointe  à  chacun  des  volumes  du  Compte 
Kendu  des  travaux  de  l'Association  Française  en  1892. 

Une  table  analytique  générale  par  ordre  alphabétique  termine  la 
2"^"  partie  ;  dans  cette  table,  les  nombres  qui  sont  placés  après  la  lettre  p 
se  rapportent  aux  pages  de  a  l""''  partie,  ceux  placés  après  l'astérisque  1 
se  rappoi'tent  aux  pages  de  la  ±""'  partie. 


IMPRIMEKIE   CHAIX,    RI  K    BERGERE.    20.    PARIS.  —    23688-1(1-92. 


ASSOCIATION 


FRANÇAISE 


♦j 


POUR  L'AVANCEMENT  DES  SCIENCES 


FUSIONNEE  AVEC 


L'ASSOCIATION  SCIENTIFIQUE  DE  FRANCE 

{Fondée  par  Le  Verrier  en  1864) 

Reconnues    d'utilité    publique 


COMPTE    RENDU    DE    LA    21"  SESSION 


PAU 


1  e  ©  2 


NOTES  ET  EXTRAITS 


LIBRARY 
NEW  VO«îK 
BOTaNJCAL 

GARDE N 


PABIS 

AU  SECRÉTARIAT  DE  L'ASSOCIATION 
28,  rue  Serpente  (Hôtel  des  Sociétés  savantes) 

Et  chkz  m.  g.  JMASSON,  Lickaire  de  l'Académie  de  Médeclnk 
120,  boulevard  Saint-Germain. 

1893 


ASSOCIAÏION  FPiAXCALSE    XnTcm. 


ubratry 

JEW  VORl 

iOTANiCA 
QARDEN 


POUR 


L'AVANCEMENT  DES  SCIENCES 


NOTES   ET   EXTRAITS 


M.  Ed.  COLII&NOIÎ 

Inspecteur  général  des  Ponts  et  Chaussées,  à  Paris 


REMARQUES  SUR  LE  CHOC  DIRECT  DE  DEUX  CORPS  ELASTIQUES 


—  Séance  du  16  septembre  1892  —  .' 

1 

Avant  d'aborder  la  question  que  nous  avons  en  vue,  nous  rappellerons 
les  formules  du  choc  direct  de  deux  corps  élastiques. 

Supposons  deux  sphères,  de  masse  m  et  m',  animées  des  vitesses  v  et  v' 
suivant  une  seule  et  même  droite.  Le  choc  a  lieu.  Appelons  iv  et  w'  les 
vitesses  qu'auront  ces  mêmes  sphères  après  le  choc.  On  exprimera  que  la 
vitesse  du  centre  de  gravité  n'est  pas  altérée  par  le  choc;  que,  de  plus,  les 
forces  vives  sont  conservées,  lorsqu'on  attribue  aux  deux  corps  une  élas- 
ticité parfaite.  On  a  de  cette  manière  deux  équations,  dont  il  est  aisé  de 
déduire  les  vitesses  finales  w  et  w'. 

On  simplifie  la  solution  en  rapportant  le  mouvement  à  des  axes  de  direc- 


2  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE.    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

lion  constante  menés  par  le  centre  de  gravité  des  deux  masses.  La  vitesse  u 
de  ce  centre  de  gravité  est  donnée  par  l'équation 

7nv  -{-  m'v' 

Au  lieu  d'opérer  sur  les  vitesses  absolues  v,  v',  iv,  te',  considérons  les 
vitesses  relatives 

On  sait  que  la  résultante  des  quantités  de  mouvement  relatives  est  tou- 
jours  égale  à  zéro  ;  et  que  le  théorème  des  forces  vives  s'applique  aussi 
bien  au  mouvement  relatif  qu'au  mouvement  absolu.  On  aura  donc  les 
trois  relations 

(-2)  ini\  +  m'v\  =^  0, 

(3)  mH\-\-m'iv\^0, 

On  tire  des  équations  (2)  et  (3) 


u\       tc^ 

Ul         t'i 

l^"\ 

on  en  déduit 

V, 

et  si  l'on  pose 

valeurs  qui,  substituées  dans  l'équation  (4),  donnent  immédiatement 

Par  conséquent,  X  est  égal  k  -\-  i  ou  à  —  1. 

On  ne  peut  faire  X  =  +  1'  sans  quoi  les  vitesses  des  mobiles  reste- 
raient les  mêmes,  tandis  que  le  choc  a  dû  les  modifier.  Il  faut  donc  poser 
X  =  —  1,  ce  qui  conduit  aux  équations 

Wl  =:  —  t'i,  iv'^    =^  —  V'^. 

Les  vitesses  relatives  changent  de  sens  en  conservant  leurs  valeurs 
absolues.  Si  de  là  on  revient  aux  vitesses  absolues,  on  trouve  pour  les 
vitesses  finales 

(o)  ^f;  =  2w  —  i\         ir'  =  2a  —  v', 

conformément  au  résultat  connu. 


i:i). 


COLLIGMJ.N.    —    SLi;    LE   CHOC    DllUXT    DE    DEUX    COUPS    ÉLASTIQUES        3 


FiG.   I. 


II 

-Nous  appliquerons  cette  solution  générale  à  quelques  problèmes  parti- 
culiers. 

Supposons  que  deux  points  matériels,  de  masse  m  et  m',  mobiles  sur 
une  même  droite  OX  (ftg.  1),  soient  soumis  chacun  à  une  allraction  éma- 
nant du  centre  fixe  0,  pro- 
portionnelle à  la  masse  du 
point  et  à  sa  distance  au 
point  0.  Si  l'on  appelle  x 
et  x'  les  distances  des  deux 
points  mobiles  au  centre  0, 
ces  dislances  portant  leur  si- 
gne, l'attraction  exercée  par 
le  centre  fixe  sur  .le  point  m 
sera  représentée  par  le  pro- 
duit —  mM^x;  et  l'attraction 
sur  l'autre  point  par  le  pro- 
duit —  iii'm'^x'.  Le  facteur  w 
est  une  quantité  constante,  homogène  à  une  vitesse  angulaire,  de  telle 
sorte  que  le  produit  là'^x  soit  homogène  à  une  accélération. 

Nous  supposerons  que  le  point  m  parte  du  repos  au  point  A,  à  une  dis- 
tance  OA  =:  a  ^u  point  0.  Son  mouvement  pourra  être  considéré  comme 
celui  de  la  projection  sur  le  diamètre  OX  d'un  point  directeur  a,  qui  par- 
courrait la  circonférence  décrite  de  0  comme  centre  avec  OA  pour  rayon, 
avec  une  vitesse  angulaire  uniforme  a>.  De  même  le  mouvement  du  point 
m'  est  identique  à  celui  de  la  projection  sur  OX  du  point  b,  qui  parcour- 
rait avec  la  même  vitesse  angulaire  w  la  circonférence  décrite  du  point  0 
comme  centre  avec  OB  pour  rayon.  Et  si  les  deux  points  mobiles  partent 
simultanément  des  points  A  et  B,  les  deux  points  directeurs  a  et  6  seront 
constamment  situés  sur  un  même  rayon  OP,  animé  de  la  vitesse  w  autour  du 
centre  0.  Dans  ces  conditions,  les  deux  points  mobiles  arrivent  à  la  fois  au 
point  0,  et  le  choc  a  lieu.  Les  vitesses  simultanées  des  deux  mobiles  sont 
égales  en  valeur  absolue  au  produit  de  m  par  les  ordonnées  am,  bm'  des 
deux  points  directeurs.  En  arrivant  en  0,  ces  \itesses  sont  donc  propor- 
tionnelles aux  ordonnées  Oa,  0,3,  c'est-à-dire  aux  rayons  a  et  6  des  deux 
cercles.  Le  centre  de  gravité  G  des  deux  points  a  un  mouvement  identique 
à  celui  de  la  projection  du  point  g,  parcourant  uniformément  la  circon- 
férence de  rayon  OG;  à  l'instant  oh  le  choc  a  lieu,  la  vitesse  u  du  centre 
de  gravité  est  donc  proportionnelle  à  Oy.  Comme  le  choc  n'altère  pas  le 
mouvement  du  centre  de  gravité,  le  point  directeur  g  continuera  à  par- 


4  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GKODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

■courir  avec  la  même  vitesse  w  le  cercle  OyC;  tandis  que  les  vitesses 
i-elalives  des  deux  points  par  rapport  à  leur  centre  de  gravité,  représentées 
sur  la  ligure  par  les  différences  av,  py»  changent  de  sens,  ce  qui  revient  à 
relourner  bout  pour  bout  la  droite  afi,  en  la  faisant  pivoter  autour  du  point 
lixe  y.  En  définitive,  le  choc  amènera  le  point  directeur  a  de  a  en  a',  et  le 
point  directeur  6  de  [3  en  8'  ;  après  quoi  la  loi  du  mouvement  des  deux- 
points  se  retrouve  la  même  qu'auparavant.  Le  mouvement  de  m  sera 
réglé  par  celui  d'un  point  décrivant  la  circonférence  de  rayon  Ox';  la 
limite  de  l'excursion  du  point  m  vers  la  gauche  sera  donc  le  point  A'. 
De  même  le  point  m'  sera  dirigé  par  un  point  parcourant  uniformément 
la  circonférence  p'B'p",  décrite  de  0  comme  centre  avec  08'  pour  rayon; 
le  point  B'  est  la  limite  extrême  de  son  excursion.  On  peut  observer  qu'on 
a  A'B'  —  AB. 

Un  second  choc  a  lieu  au  point  0,  quand  les  deux  points,  après  leur 
excursion  aux  points  A'  et  B',  reviennent  au  centre  avec  des  vitesses  pro- 
portionnelles aux  ordonnées  Oa"  et  0,8".  Le  mouvement  du  centre  do  gra- 
vité n'est  pas  altéré;  mais  les  vitesses  relatives  changeant,  la  droite  a"i3" 
doit  être  retournée  bout  pour  bout  autour  du  point  y',  ce  qui  ramène  les 
points  a"  et  ,8'"  sur  les  circonférences  de  rayon  OA  et  OB,  que  les  points 
directeurs  décrivaient  d'abord.  Les  deux  points  m  et  m'  reprennent  donc 
les  vitesses  qu'ils  avaient  à  leur  premier  passage  au  point  0.  mais  dirigées 
on  sens  inverse,  de  sorln  quils  retournent  dans  le  même  temps  à  leurs 
points  de  départ  primitifs,  A  et  B.  Le  mouvement  des  deux  points  est 
donc  une  oscillation  de  A  en  A' pour  le  premier,  de  B  en  B' pour  le  second, 
avec  changement  brusque  de  vitesse  au  passage  du  point  0. 

Si  l'on  pose  OG  =  c,  OA'  =:  a',  OB'  --  6',  on  aura 

ma  -4-  ni'b 

c   = -, 

m  -\-  m 

a'  =  lc—  a, 

b'  =  <ic  —  b; 

la  vitesse  du  point  m  au  passage  du  centre  0  variera  alternativement 
de  coa  à  coa',  puis  de  —  toa'  à  —  coa;  celle  du  point  nt'  variera  de  même 
de  Mb  à  Mb'  et  de  —  Mb'  à  —  oib. 

Dans  le  cas  particulier  où  l'on  aurait  6  =  0,  et  m  =:  m',  on  aurait 
a'  =i  0  et  b'  =  a.  Il  y  aurait  échange  de  vitesse  entre  les  deux  points  au 
moment  où  ils  se  choquent  au  point  0. 

III 

Le  mouvement  d'un  point  pesant  qui  glisse  sans  frottement  sur  la 
cycloïde  est,  sur  la  courbe,  la  reproduction  du  mouvement  que  nous 
venons  de  considérer  sur  la  ligne  droite. 


KD.    COI.l.ir.MiN.    srf\    LK    CHOC    DIRECT    DE    DEUX    COUPS    ÉLASTIQIKS         5 

Soit  COC  (fig.  2)  une  cycloïde,  ayant  pour  base  l'horizontale  CC; 
0  est  le  point  le  plus  bas  de  la  courbe.  L'équation  de  la  courbe  entre 
l'arc  s  mesuré  à  partir 
du  point  0  et  l'or- 
donnée (/  rapportée  à 
la  tangente  OX  est 

.s"  =  8Ry, 

R  étant  le  rayon    du 

cercle  générateur.  On 

sait  que  la  durée   de 

l'oscillation  entière  d'un  point  pesant  assujetti  à  glisser  sans  frottement 

sur  la  courbe,  est  indépendante  de  la  longueur  de  l'arc  parcouru,  et  qu'on 

a  pour  cette  durée 


/  4R 


9 

quel  que  soit  le  point  de  départ  du  point  mobile. 

Supposons  qu'on  abandonne  à  la  fois  deux  pomts  matériels,  de  masse 
m  et  m',  aux  points  A  et  B  sur  la  courbe.  Ils  arriveront  ensemble  au  point  0 

T 

au  bout  du  temps  -^  et  le  choc  aura  lieu.  Le  point  w,  parti  du  point  A, 

Là 

aura  pour  vitesse  u  =  —  \/±g     J>^\     le  point  m',  parti  de  B,  aura 

pour  vitesse  v'  =  —  s/'ig  ><  RR-  Appelons  a  et  h  les  arcs  OA  et  OB. 
mesurés  sur  la  courbe.  On  aura 


V 


-Va' 


c'est-à-dire 


et 


-a 
2T 

2T 


de  sorte  que  l'on  retrouvera  les  conditions  mêmes  du  problème  précédent 

en  posant  o>  =:  ^—  • 

Par  conséquent,  le  point  m,  après  le  choc,  remontera  en  un  point  A' 
de  la  cycloïde  défini  par  l'arc  OA'  =:  a';  le  point  m'  remontera  en  un 
point  B'  défini  par  l'arc  OB'  —  6'  ;  et  les  deux  points  parviendront  si- 
multanément aux  points  A'  et  B'  à  cause  du  tautochronisme  de  la  courbe. 


0  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

Des  points  A'  et  B',  où  ils  arrivent  sans  vitesse,  ils  retomberont  simul- 
tanément au  point  0,  où  ils  se  choqueront  pour  la  seconde  fois  ;  et  ce 
second  choc  les  fera  remonter,  l'un  en  A,  l'autre  en  B,  c'est-à-dire  à 
leurs  points  primitifs  de  départ;  de  sorte  que  leur  mouvement  sera  une 
excursion  de  A  en  A'  et  de  A'  en  A  pour  l'un,  de  B  en  B'  et  de  B'  en  E 
pour  l'autre,  avec  choc  mutuel  des  deux  points  à  leur  passage  au 
point  0. 

L'arc  A'B'  est  égal  à  l'arc  AB. 

De  plus,  si  l'on  détermine  les  positions  G  et  G'  des  centres  de  gravité 
des  deux  masses  m  et  m!  dans  la  position  AB,  puis  dans  la  position  A'B', 
ces  deux  points  G  et  G'  seront  à  la  même  hauteur,  et  la  droite  GG'  sera 
horizontale.  En  effet,  le  produit  {mg  -\-  m'g)  ><  GS  représente  le  tra- 
vail moteur  de  la  pesanteur  sur  les  deux  corps  m  et  m' tombant  ensemble 
de  A  et  B  en  0;  de  même  {mg  -\-  m'g)  ><  G'S'  est,  au  signe  près,  le 
travail  résistant  de  la  pesanteur  lorsque  les  deux  masses,  après  le  choc, 
remontent  simultanément  du  point  0  aux  points  A'  et  B'.  Puisqu'il  n'y  a 
pas  de  perte  de  force  vive  par  suite  du  choc,  d'après  notre  hypothèse  de 
l'élasticité  parfaite,  les  deux  travaux  doivent  être  égaux.  Donc 

GS  =  G'S'. 


Le  cas  particulier  où  le  point  m'  serait  primitivement  placé  au  point  le 
plus  bas  de  la  courbe,  et  sans  vitesse,  mérite  d'être  examiné  séparément. 

On  aurait  alors 


r' 

r^^^ 

C 

6  =  0, 

-^_,  G^ 

^^^ 

ma 

O    1 

m  -j-  »' 
a'  ='2c  —  a, 
b'=  2  c. 

S' 

D            S  P' 

Fia.  3. 

P 

X 

Supposons  que  m 
soit  moindre  que  w'; 

{ 

alors  c  sera  moindre  que  -  a,  et  a  sera  négatif;  le  point  m  rétrogradera 

après  le  choc  en  A',  pendant  que  le  point  m' ,  parti  du  repos,  remontera 
en  B'  à  la  distance  curviligne  OB'  =  2c.  Au  second  choc,  les  deux  corps 
se  retrouveront  en  présence  en  0  ;  mais  là  le  corps  m'  perdra  toute  sa 
vitesse  et  restera  en  repos,  pendant  que  le  corps  m  remonte  en  A  et  en 
redescend,  c'est-à-dire  pendant  une  durée  égale  à  T;  de  sorte  que, .dans  ce 
cas  particulier,  le  point  m.  descend  de  A  en  0,  remonte  de  0  en  A', 
redescend  en  0,  puis  remonte  en  A,  et  ainsi  de  suite  alternativement. 
Pour  le   point  m',  il    monte   en  B',  puis  redescend   en  0,  pendant 


KT).    COLLIGNON.   —   PIÎOBLE.MES    SIR    LES    f.ORPS   FLOTTANTS  / 

T 

deux  périodes  égales  chacune  à  -;   après  quoi  il  stationne  au  point  0 

pendant  le  temps  T. 

On  a  encore  arc  OA  =  arc  A'B'  et  GS  =  G'S'. 

Enfin,  si  l'on  a  m  =  m',  les  stationnements  au  point  0  sont  alternatifs 
pour  les  deux  points,  et  l'on  retrouve  l'expérience  connue  des  cours  de 
physique,  où  l'on  opère  sur  deux  boules  d'ivoire  égales,  formant  pendule 
circulaire. 

Les  résultats  obtenus  pour  lacycloïde  s'étendent  approximativement  aux 
autres  courbes  symétriques  par  rapport  à  la  verticale  Ot/,  et  notamment 
à  la  circonférence;  mais  il  faut  alors  que  les  arcs  a,  b,  soient  très  petits, 
sans  quoi  la  courbe  n'est  plus  tautochrone,  et  les  chocs  peuvent  n'avoir 
plus  lieu  au  point  0.  Il  y  a  exception  lorsque  l'on  a  à  la  fois  b  =  0  et 
VI  =  m'  ;  car  alors  chaque  point  a  à  parcourir  des  arcs  égaux  de  part 
et  d'autre  du  point  le  plus  bas,  pendant  que  l'autre  l'attend  au  point  0  ; 
de  sorte  que  les  chocs  ont  encore  lieu  en  ce  point. 


M.  Ed.  COLLI&IOI 

Inspecteur  général  des  Ponts  et  Chaussées,  à  Paris. 


PROBLEMES  SUR  LES  CORPS  FLOTTANTS 


—  Séance  du  16  septembre  1892  — 

On  sait  que,  lorsqu'un  corps  solide  flotte  à  la  surface  d'un  liquide, 
l'équilibre  du  corps  exige  qu'il  y  ait  égalité  entre  le  poids  du  corps  et  le 
poids  du  liquide  déplacé,  et  que  les  centres  de  gravité  du  corps  et  du 
liquide  déplacé  soient  sur  une  même  verticale.  D'un  autre  côté,  la  stabilité 
de  l'équilibre  est  assurée  si  la  fonction  1  —  a\  est  positive;  V  représente 
le  déplacement,  a  la  distance  du  centre  de  carène  au  centre  de  gravité  du 
corps,  comptée  positivement  en  descendant  à  partir  du  centre  de  gravité, 
et  I  le  plus  petit  des  moments  d'inertie  de  la  section  de  flottaison  par 
rapport  à  une  droite  menée  dans  son  plan  par  son  centre  de  gravité. 
La  valeur  positive  de  la  différence  I  —  aS  mesure  on  quelque  sorte  le 
degré  de  stabilité  du  corps. 

Si  l'on  appelle  S  la  section  à  la  flottaison,  h  la  profondeur  moyenne 


8  MATHÉMATIQUES.    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

de  l'immersion,  c'est-à-dire  une  hauteur  telle  que  l'on  ait  V  —  S/«,  p  le 
rayon  de  giration  correspondant  au  moment  d'inertie  I,  on  a  identi- 
quement 

I  —  aV  =  Sfc^  —  ah). 

Sous  cette  forme,  on  reconnaît  qu'à  égalité  du  volume  V,  c'est-à-dire 
à  égalité  du  poids  total  du  corps  flottant,  si  l'on  donne  la  densité  du 
liquide,  la  slabililé  croît  en  général  à  mesure  que  la  section  S  augmente; 
car  l'augmentation  de  S  accroît  le  premier  facteur;  elle  entraîne  en  outre 
une  augmentation  du  rayon  de  giration  p,  en  même  temps  qu'une  di- 
minution de  la  profondeur  moyenne  h,  et  de  la  distance  a  des  deux 
centres  de  gravité. 

Nous  nous  proposerons,  dans  cette  note,  de  résoudre  quelques  problèmes 
sur  la  différence  I  —  a\,  considérée  à  un  point  de  vue  géométrique. 

Nous  chercherons  quelle  forme  il  convient  d'attribuer  au  corps  flottant 
pour  que  cette  différence  soit  constante  à  quelque  profondeur  que  le 
corps  soit  immergé,  soit  que  le  corps  flottant  devienne  plus  lourd  ou 
plus  léger,  soit  qu'on  le  fasse  flotter  successivement  à  la  surface  de 
liquides  de  densités  diff'érentes.  Nous  supposerons  toujours  que  le  centre 
de  gravité  du  corps  occupe  dans  ce  système  matériel  une  position  connue 
d'avance.  Rien  n'exige,  d'ailleurs,  que  le  corps  flottant  soit  homogène,  et 
nous  pouvons  faire  sur  la  distribution  des  densités  entre  ses  différentes 
parties  telle  hypothèse  qui  sera  nécessaire  pour  amener  le  centre  de  gra- 
vité dans  la  position  que  nous  lui  attribuons. 

Considérons   le   corps   dans    sa   position  d'équi- 

_^ X     libre  (fig.  ■/). 

i  Soit  G  son  centre  de  gravité;  par  ce  point  nous 

f'  ferons  passer  trois  axes  rectangulaires,  l'un  GZ  ver- 

i         iM      tical,  les  deux  autres  GX,  G  Y  horizontaux  : 

0  le  centre  de  carène,  ou   centre  de  gravité  du 
volume  liquide  déplacé,  qui  est  situé  sur  la  verti- 

à'     cale  GZ  du  point  G,  à  la  distance  GO  =  s  ; 

MN  le  niveau   du  liquide,   déterminant   dans  le 
corps  la  section  de  flottaison  ; 

V  le  volume  immergé,  compris  entre  le  plan  MN 
et  un  autre  plan  horizontal  A  A.',  mené  par  le  point  le  plus  bas  du  corps 
flottant  ; 
l  la  distance  GA; 
z  la  distance  GM  ; 

S  l'aire  de  la  section  faite  dans  le  corps  flottant  par  le  plan  MN,  ou 
plus  généralement  l'aire  de  la  section  faite  dans  le  corps  flottant  par  un 
plan  MN  mené  à  la  cote  z  au-dessous  du  point  G  ; 


ÉD.    COLLin.XdN.    —    PliOlîl.KMKS    Slli    LES    ColU'S    FLOTTAMS  9 

p  le  plus  petit  des  rayons  de  giration  de  la  section  S  par  rapport  aux 
droites  menées  dans  son  plan  par  son  centre  de  gravité.  Nous  admettrons 
que  le  centre  de  gravité  de  cette  section  S  soit  situé  sur  l'axe  GZ,  et  que 
la  droite  par  rapport  à  laquelle  le  moment  d'inertie  est  le  plus  petit,  soit 
une  parallèle  à  la  droite  GY,  ce  qui  suppose  :  1°  que,  dans  toutes  les 
sections  horizontales,  l'ellipse  centrale  d'inertie  soit  orientée  de  la  même 
manière;  2^  que  la  droite  GY  a  été  menée  dans  le  plan  YGX  parallèlement 
au  pelit  axe  de  l'ellipse  centrale  de  toutes  ces  sections. 

L'aire  S  sera  liée  à  la  variable  z  par  une  équation 

qui  dépend  de  la  forme  extérieure  du  corps. 

Le  moment  d'inertie  I  est  égal  à  Sp\  Le  produit  aV  représente  la 
somme  des  moments  par  rapport  au  plan  YGX  des  volumes  élémen- 
taires Sch  dans  lesquels  on  peut  décomposer  le  solide  entre  les  plans  MiX 
et  AA';  on  a  donc 

rtV  =    /   Szdz. 

De  la  condition  qu'on  s'impose 

I  _  aV  =  H, 

H  désignant  une  constante,  on  tire,  en  différentiant, 

(1)  dl  =  d{a\)  =  —  Szdz, 

équation  qui  contient   la  solution  cherchée.  Pour   aller   plus  loin,  il  est 
nécessaire  de  faire  quelque  hypothèse  sur  la  forme  du  corps  flottant. 

L  —  Nous  supposerons  d'abord  que  les  sections  horizontales  aux  diffé- 
rentes cotes  ^  soient  toutes  semblables  et  semblablement  placées  le  long 
de  l'axe  GZ.  S'il  en  est  ainsi,  il  y  aura  un  rapport  constant  entre  l'aire  S 
de  la  section  et  le  carré  f'  du  rayon  de  giration,  qui  joue  dans  les 
diverses  sections  le  rôle  de  ligne  homologue.  On  aura  donc,  en  appelant  À 
un  rapport  constant, 

S  =  Xp% 

et  par  suite 

I  =  Àc\ 
dl  =  iXfdp. 
L'équation  (2j  devient 

MpHp  +  l^/-.dz  =  0. 

Elle  se  réduit  à 

4p(/p  -f-  zdz  =  0 


10  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

par  la  suppression  du  facteur  }vp^  et  par  conséquent  on  a,  en  intégrant, 

1 

2p2  -f  -  ^2  _  constante  —  2p^, 

en  appelant  p^  le  rayon  de  giration  de  la  section  faite  par  le  plan  XGY, 
pour  :;  =  0.  On  a,  en  définitive, 

(2)  f'  =  Pl-ï  ^'- 

De  cette  équation,  nous  tirerons  la  valeur  de  la  constante  H  :=  I  —  aV. 
On  a  en  efTet 

1 

4  ' 


S  =  XI  p,- 


1 


^'■1  P;  -  7  ^ 


--.rx^»-i-)— {^^'^'-t)^ 


donc  enfin 

I  —  aV  =  H  =  X(  p2  _  1 


(p^-ï/^M-^^' 


en  appelant  Ij  le  moment  d'inertie  et  pi  le  rayon  de  giration  de  la 
section  inférieure  du  corps,  pour  z  =  l.  On  trouve  H  =  Ii,  ce  qui 
doit  être,  puisque  la  différence  I  —  a\  se  réduit  à  Ij  à  la  base  du 
corps,  lorsque  le  volume  V  est  égal  à  zéro. 

Lorsque  le  corps  se  termine  inférieurement  par  un  point  unique,  on  a, 
par  conséquent,  Ij  =  0  et  H  =  0.  L'équilibre  est  alors  indifférent, 
quelle  que  soit  l'immersion,  à  l'égard  de  tout  déplacement  angulaire 
autour  d'une  parallèle  à  l'axe  GY.  L'équilibre  est  stable  par  rapport  à 
tout  autre  déplacement. 

Revenons  au  cas  général  ofi  H  a  une  valeur  positive  quelconque. 
On  peut  démontrer  que,  dans  ce  cas,  la  coupe  du  corps  par  le  plan  XGZ 
est  une  ellipse. 

En  effet,  appelons  x  l'ordonnée  de  la  surface  dans  le  plan  y  =  0, 
correspondant  à  une  valeur  déterminée  de  s.  A  cette  hauteur,  nous 
avons  pour  la  section  horizontale  un  certain  rayon  de  giration  p,  qui 
a  avec  la  dimension  x  un  rapport  déterminé,  à  cause  de  la  similitude 
admise.  Soit  donc  p  =  [ix,  p.  désignant  un  nombre  constant.  Si  l'on 
remplace  p  par  cette  valeur  dans  l'équation  (2),  on  obtient  pour  l'équa- 
tion de  la  coupe  cherchée 

(3)  p^^^:=p2_l      ^ 


4 


Kl).    COLLIGNON.    —    PROBLÈMES    SLU    l.KS    CORI'S    FLOTTANTS  14 

r 

■ce  qui  représente  une  ellipse,  dont  les  demi-axes   sont  -    suivant   GX, 
et  2sp  suivant  GZ. 

Appliquons  ces  considérations  à  l'ellipsoïde  homogène  dont  la  surface 
a  pour  équation 

7.2  1/2  -2 

^2   ^    ,^2    n-    ^2 

La  condition  relative  à  l'homothétie  des  sections  horizontales  est  satis- 
faite d'elle-même.  L'origine  est  d'ailleurs  le  centre  de  gravité  du  corps. 
Nous  supposerons  m  <  »,  pour  que  le  rayon  de  giration  corresponde 
dans  chaque  section  à  l'axe  de  l'ellipse  parallèle  à  GY.  Pour  une  ellipse 
dont  le  demi  petit  axe  est  x,  le  rayon  de  giration  par  rapport  à  l'autre 

X  1 

axe  est  égal   à.   -  ;    donc    a  =  ^  ;     et    l'équation   de   la   coupe  par  le 

plan  XGZ  est  par  suite 

1  1  1 

4  4  '  0       4 

ce  qui  représente  un  cercle  de  rayon  m.  Pour  que  ce  cercle  appartienne 
à  la  surface  donnée,  il  faut  et  il  suffit  que  l'on  ait  m  =  l,  ou  que 
l'ellipsoïde  soit  de  révolution  autour  de  l'axe  GY.  Il  est  aisé  de  le  vérifier. 
On  a,  en  effet,  en  faisant  les  opérations, 


T.m7i  '         "■"'^'^'^ 


I  -  aV  =  ^-  (m^  -  l'^)\\  -  -^ 

fonction  indépendante  de  z  lorsque  l'on  a  m=l;  elle  se  réduit  alors 
à  zéro,  ce  qui  doit  être,  puisque  la  coupe  horizontale  de  la  surface  à  son 
point  le  plus  bas  se  réduit  à  un  point. 

Étant  donné  un  corps  flottant,  dont  le  poids  total  soit  P,  et  dont  G  soit 
le  centre  de  gravité,  si  ce  corps  est  dans  un  état  d'équilibre  indifférent, 
pour  une  immersion  déterminée,  on  pourra  toujours  rendre  l'équilibre 
stable,  en  enlevant  du  corps  par  un  plan  horizontal  une  tranche  du  volume 
immergé,  sous  les  conditions  suivantes  : 

1°  Le  plan  sécant  doit  être  tel  que  les  centres  de  gravité  des  deux 
tranches  du  volume  immergé  qu'il  sépare,  soient  tous  deux  situés  sur  la 
verticale  GZ; 

2°  Le  poids  total  P  doit  être  diminué  du  poids  du  liquide  correspondant 
au  volume  de  la  tranche  supprimée; 

3<»  Enfin  les  poids  des  parties  conservées  pour  le  corps  doivent  être 
réglés  de  telle  sorte,  que  le  point  G  reste  le  centre  de  gravité  de  leur 
ensemble,  comme  avant  la  suppression. 


12  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

Dans  ces  conditions,  le  plan  de  flottaison  reste  le  même,  et  I  conserve 
sa  valeur.  On  peut,  d'ailleurs,  remplacer  le  moment  a\  par  la  somme 
a,Vi  +  o^V.,,  en  appelant  Vi  et  V^  les  deux  volumes  séparés  par  le  plan 
sécant,  et  a,,  a.,  les  distances  de  leurs  centres  de  gravité  au  plan  XGY. 

On  a  alors 

l  —  a\  —  \  —  OiVi  —  a^Y,  ^^  0, 


par  hypothèse,  et  par  conséquent 

I  —  a,\\ 


flaV,, 


différence  positive,  qui  assure  la  stabilité  du  corps  lorsque   le   volume 
déplacé  est  réduit  à  la  tranche  conservée  Yj . 

Prenons  pour  exemple  l'ellipsoïde  de  révolution  examiné  tout  à  l'heure, 

lequel  est  en  équilibre  indifférent  quel  que  soit 
son  degré  d'immersion.  Supprimons  à  la  partie 
inférieure  le  segment  compris  au-dessous  du  plan 
horizontal  MM'  (fm.  2);  et,  pour  maintenir  le 
centre  de  gravité  au  point  G,  enlevons  aussi  au 
corps  le  segment  mN/n',  symétrique  de  MCiM' 
par  rapport  au  plan  horizontal  (W.  Le  solide 
ellipsoïdal  compris  entre  les  deux  plans  mm\ 
MM',  sera  en  équilibre  stable  à  quelque  profon- 
deur qu'il  s'enfonce  dans  le  liquide,  et  la  valeur 
de  la  constante  H  sera  le  moment  d'inertie  de  la  section  inférieure  MM'. 
Il  est  aisé  de  le  vérifier  par  le  calcul  direct  de  la  fonction  I  —  aV. 

II.  —  Nous  supposerons,  en  second  lieu,  que  les  sections  horizontales 
soient,  non  plus  semblables,  mais  affines,  c'est-à-dire,  que  l'on  puisse 
passer  de  l'une  à  l'autre  en  amplifiant  dans  un  certain  rapport  les  dimen- 
sions parallèles  à  Taxe  GX,  et  dans  un  autre  rapport  les  dimensions  pa- 
rallèles à  l'axe  GY.  Rapportons  toutes  les  sections  à  celle  qui  est  contenue 
dans  le  plan  XGY.  Soit  S^  l'aire  et  I^  le  moment  d'inertie  de  cette  sec- 
tion. Nous  supposerons  toujours  que  les  variations  des  dimensions  con- 
servent pour  toutes  les  sections  horizontales  le  parallélisme  du  grand  axe 
de  l'ellipse  centrale  d'inertie  avec  l'axe  GX;  que,  de  plus,  la  section  S^  ait 
son  centre  de  gravité  au  point  G,  ce  qui  fixe  pour  toutes  les  autres  le 
centre  de  gravité  sur  l'axe  GZ. 

Soit  a  le  coefficient  d'amplification  des  dimensions  parallèles  à  GX; 
p  le  coefficient  analogue  applicable  aux  dimensions  parallèles  à  GY. 
Ces  nombres  a  et  p  sont  des  fonctions  de  z  qui  restent  à  déterminer. 


On  aura 


S^S^Xû'P, 
1  =  I,  X  «'?, 


ÉD.    COLLIGNON,    —    l'UOBLÈMES    SUR  LES    CORPS    FLOTTANTS  13 

et  réquation  I  —  aV  =  H,  devient,  par  la  diti'érentiation, 

(4)  I,^(a^fi)  +  S„  ><  :Lpdz  =  0. 

Comme  nous  n'avous  qu'une  équation  pour  lier  ensemble  les  trois 
variables  a,  }  et  c-,  nous  pouvons  imposer  à  ces  variables  une  relation 
arbitraire.  Dans  tous  les  cas  on  doit  avoir,  pour  z  -{),  x  =  \  et 
[i  —  i,  pour  qu'on  retrouve  l'aire  S^,  et  le  moment  d'inertie  I^  dans  la 
section  du  plan  XGY. 

Posons 

en  désignant  par  y  une  fonction  arbitraire.   Il  viendra,  en   substituant 
dans  l'équation  (4), 

ou  bien,  en  divisant  par  P'j,(p) 


équation  où  les  variables  ;3  et  -  sont  séparées,  et  qui  est  par  conséquent 
toujours  intégrable  par  quadrature,  dès  que  l'on  se  donne  la  fonction  9. 
Faisons,   par  exemple,  a  =  p'\  L'équation  différentielle  devient 

ou  bien 

dont  l'équation  intégrale  est 

-^^K.^     +^V    -       .2n      ^«' 

en  déterminant  la  constante  arbitraire  de  manière  que  l'on  ait  ^  —  1 
pour  ^  =  0.  Et  comme  a  =  ^",  a  sera  déterminé  par  l'équation 

qui  montre  que  les  coupes  du  corps  par  des  plans  parallèles  au  plan  ver- 
tical XGZ  sont  toutes  des  ellipses.  La  solution  est  contenue  dans  la  double 
égalité 


(5) 


«  =  ?"  =  s/'-.3;rTïrf 


14  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

l''  Si  l'on  fait  n  =  l,  cela  revient  à  poser  oc  =  [3,  et  l'on  retombe  sur 
l'hypothèse  où  toutes  les  sections  horizontales  sont  semblables. 

2°  On  peut  se  proposer  de  trouver  comment  doit  varier  a  lorsque  B  est 
constant.  11  est  facile  de  traiter  la  question  directement;  mais  la  solution 
est  contenue  dans  l'équation  (5).  Il  suffit  d'observer  qu'alors  on  a  cons- 
tamment [3  =r  1,  et  que  l'équation  a  =  p",  avec  a  variable,  suppose 
n  infini.  On  aura  donc 


v/'-^i- 


3"  Si,  au  contraire,  on  veut  que  a  soit  constant  et  égal  à  1,  et  [B  va- 
riable, il  faut  faire  n  =  0,  et  alors  l'équation  (5)  laisse  p  indéterminé. 
Mais  l'équation  différentielle  d'où  l'on  tire  l'équation  (o)  devient  alors 


ce  qui  donne,  en  intégrant, 


Km + 1  s„.-  =  0, 

en  prenant  la  constante  nulle  pour   que  z  =^  0  donne  [3  =:  1.  On   en 
déduit  alors 

On  voit  ici  que  ,3  décroît  très  rapidement  à  mesure  que  z  augmente. 
Il  faudra  limiter  le  corps  à  une  profondeur  telle,  que  le  grand  axe  de 
l'ellipse  centrale  d'inertie  des  sections  horizontales  soit  partout  parallèle 
à  l'axe  GX. 

4°  Supposons  enfin  n  =^  —  1,  ce  qui  revient  à  admettre  que  les 
aires  de  toutes  les  sections  horizontales  soient  équivalentes.  Il  viendra 


^' 


a  r=  -  =z  i  /  \ 

'^     V        Pi 


Prenons  pour  exemple  particulier  le  corps  qui  a  pour  coupe,  par  le 
plan  horizontal  XGZ,  un  rectangle  ABCD  ;  soit  AB  =  2m,  BC  =  2/<. 
On   aura  pour    le   rayon  de  giration  de  cette  section,  où  l'on  suppose 

"'  T  • 

m  <,  »,    p^  —  — p.     Les  équations  des  coupes  faites  dans  le  corps  par  les 
v/3 

plans  XGZ  et  YGZ  sont  alors 

/]       3?         , 

x  =  mK/  l =  /m^  —  3vS 

V  m^ 


ÉD.    COLLIG.XO.N.    —    PROBLEMES   SUR    LES    COUPS    FLOTTANTS 


lo 


m 


équation  d'une  ellipse  qui  a  pour  demi-axes  m  suivant  GX  et  —  sui- 


vant  GZ  ;  et 


y  =  nX. 


mn 


v'' 


3z2        \/  m""  —  3z' 


m' 


équation  d'une  courbe  du  quatrième  ordre,  qui  a  pour  axes  les  droites 


G"^'  et  GZ,  et  qui  a  pour  asymptotes  les  droites  s  = 


m 


v/3 


iv 

f            . 

7 

t 

B 

ik 

"1 

i           '^i 

/ 

K 

i    i    H' 

i    i     G 

1                        / 

Z 

G 

■s 

X 

i    i     H 

Pj 

i "'" 

'p 

E' 

1 

/ 
/ 

M         G 

c.\\ 

: 
F'        i 

C 

Pi 

iE         X 

*■ 

Z 

F 

P2 

FiG.  3.  —  ABCD,  rectangle  donné;  —  EFE'F',  coupe  par  le  plan  prin- 
cipal XGZ;  —  LHK.L'H'K'.  coupe  par  le  plan  principal  YGZ  ;  — 
PP',  QQ'>  asymptotes  de  la  section  ;  —  ka,  B6,  Ce,  I)d,  hyperboles 
constituant  la  projection  sur  le  plan  horizontal  des  cylindres 
construits  sur  les  deux  coupes. 

Les  deux  cylindres  définis  par  chacune  de  ces  équations  se  coupent 
suivant  des  courbes  qui  ont  pour  projections  sur  le  plan  XGY  les  deux 
hyperboles  équilalères  représentées  par  la  double  équation 

xy  ^±  mn, 

et  qui  passent  par  les  sommets  du  rectangle  donné  (ftg.  3). 

En  coupant  ce  solide  par  deux  plans  horizontaux  P^,  P.^  équidistants 
du  plan  moyen,  et  compris  entre  les  deux  asymptotes  PP',  QQ',  on  assu- 
rera au  corps  la  stabilité,  quel  que  soit  son  degré  d'immersion  dans  le 
liquide. 


16  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MECAMQUE 

III.  —  \ous  chercherons,  en  dernier  lieu,  quelle  est  la  surface  de  révo- 
lution à  axe  vertical,  qui  assure  au  solide  qu'elle 
renferme  une  stabilité  déterminée  à  toute  hauteur 

(fia-  V- 

Soit  AB  le  rayon  r^  du  parallèle  inférieur  de  la 
surface,  BiNC  la  méridienne,  que  nous  définirons 
par  la  relation  entre  le  rayon  r  du  parallèle  et  la 
hauteur  s  mesurée  sur  la  verticale  AZ. 

Le  centre  de  gravité  (1  du  corps  est  supposé 
connu  d'avance;  il  est  situé  sur  l'axe  de  révolution 
à  la  hauteur  AG  =  A  au-dessus  du  parallèle  infé- 
rieur. 

Soit  MN  le  plan  de  flottaison.  Cherchons  la  hau- 
teur J;  =  AO  du  contre  de  carène  0  au-dessus  du  même  plan.  Nous 
aurons 


dz 

Jo 

et  a  =  h  —  ». 
Le  volume  V  du  déplacement  est  d'ailleurs  l'intégrale 


Jo 


et  le  moment  d'inertie  de  la  section  MN  est  -  Tir'*. 
Donc 


4 


=  4  "-•'" 


h  — 


ih  i  'r-dz-  -f  -  f'r-z.dz  =  H, 

vfo  Jo 


H  désignant  une  quantité  constante.  Telle  est  l'équation  de  la  méridienne. 
Différentions,  pour  faire  disparaître  les  signes    /  ,  puis  divisons  par  izr\ 

11  viendra 

rdr  —  hds  -j-  zdz  =  0, 
ce  qui  donne 

r^  —  -Ihz  -\-  z"^  -^  constante. 


F.  niTTKii.  —  fka.m;.<»is  viètk,  inventeur  de  l'algèbre  modeuxe      17 

On  doit   avoir   r  --=  r^   lorsque   ^  =r  0.   La    constante   est   donc    égale 
à  r'I,  et  l'équation  de  la  méridienne  est  en  définitive 

r-2  _  2hz  4-  z'  =  r' 
I  ij 

La  courbe  est  un  cercle,  qui  a  pour  centre  le  point  r  —  0,  z  h. 
c'est-à-dire  le  point  G. 

Le  solide  cherché  est  donc  un  segment  de  sphère,  mais  il  faut  que  le 
centre  de  gravité  de  ce  segment  soit  au  centre  même  de  la  sphère  com- 
plète, ce  qui  exige,  ou  bien  que  la  densité  du  corps  soit  variable  suivant 
une  loi  déterminée,  ou  bien  qu'on  enlève  à  la  partie  supérieure  un  seg- 
ment Cba,  symétrique  de  celui  que  le  plan  AB  retranche  à  la  sphère  à 
la  partie  inférieure. 

Si  l'on  prenait  la  sphère  entière,  en  supposant  le  corps  flottant  homo- 
gène, la  différence  I  —  d\  serait  partout  nulle,  et  l'équilibre  serait 
indifférent. 


M.   Frédéric   RITTER 

Ingénieur  en  clief  des  Ponts  et  Chaussées,  à  Pau. 


FRANÇOIS    VIETE,     INVENTEUR     DE     L'ALGEBRE     MODERNE 
(esquisse  biographique) 


—  Séance  du  16  septembre  189!  — 

En  1847  François  Arago  s'adressait  à  mon  ami  Benjamin  Fillon, 
l'éminent  archéologue  de  Fontenay-le-Comte  et  lui  demandait  s'il  possé- 
dait quelques  documents  sur  François  Yiète  ;  il  ajoutait  :  «  Il  est  honteux 
qu'aucun  savant  ne  se  soit  attaché  jusqu'à  ce  moment  à  écrire  la  vie  de 
Viète.  »  L'intention  de  l'illustre  secrétaire  perpétuel  dé  l'Académie  des 
Sciences  était  sans  doute  de  consacrer  au  grand  géomètre  du  Poitou 
une  de  ses  remarquables  notices  ;  mais,  à  ce  moment,  les  documents 
faisaient  défaut  et  quelque  temps  après,  Arago,  mêlé  aux  événements 
politiques,  ne  songea  plus  à  donner  suite  à  son  projet.  Il  n'est  pas  dou- 
teux, s'il  avait  vécu  dans  le  temps  présent  où  l'on  est  si  prodigué  de 
statues,  que,  honteux  de  ne  voir  dressée  sur  une  des  places  de  la  capitale 

2* 


18  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

du  monde  civilisé  l'image  de  l'inventeur  de  l'Algèbre  moderne,  de  l'homme 
de  génie  qui  a  eu,  sans  contredit,  l'influence  la  plus  décisive  sur  les 
immenses  progrès  accomplis  d(^puis  trois  siècles  dans  les  sciences  mathé- 
matic[ues  et  dans  leurs  applications,  il  aurait  fait  payer  par  la  France  ce 
tribut  de  reconnaissance  envers  un  de  ses  plus  illustres  enfants.  C'est 
pour  libérer  de  cette  dette,  la  postérité  oublieuse,  que  j'ai  entrepris,  il  y  a 
longues  années,  d'écrire  la  vie,  jusqu'à  ce  jour  ignorée,  du  grand  géo- 
mètre, alors  que  les  hasards  de  ma  carrière  administrative  m'avaient  appelé 
pendant  quelque  temps  dans  sa  ville  natale  et  que  je  lisais  cliaquo  jour 
son  nom  inscrit  sur  une  plaque  en  tôle  au  coin  d'un  quai  désert; 
c'était  le  seul  hommage  rendu  par  ses  compatriotes  inconscients,  à  un 
homme  de  génie  dont  la  place  est  marquée  entre  Archimède,  Descartes, 
Newton  et  autres  grands  inventeurs  dans  les  sciences  mathématiques. 
Mais  pour  connaître  l'homme,  il  fallait  connaître  son  œuvre,  et  c'est  pour 
arriver  à  ce  résultat  que  j'ai  occupé  le  peu  de  loisirs  que  me  laissaient 
mes  fonctions  publiques  à  traduire  les  œuvres  complètes  de  François 
Viète  et  à  recueillir  les  documents  épars  qui  m'ont  permis  de  reconstituer 
cette  grande  figure  dont  je  vais  tracer  ici  une  légère  esquisse, 

François  Viète,  sieur  de  la  Bigotière,  est  né,  en  1540,  à  Fontenay-le- 
Comte,  alors  capitale  du  Petit-Poitou.  Son  grand-père,  originaire  de  La 
Rochelle,  était  venu  s'établir  marchand  à  Poussais,  près  Fontenay.  Son 
père,  Etienne  Viète,  était  procureur  au  siège  de  cette  ville  et  notaire  du 
Busseau  ;  par  sa  femme,  il  était  cousin  de  Barnabe  Brisson,  premier  pré- 
sident du  Parlement  pendant  la  Ligue. 

Après  de  fortes  études  chez  les  Cordeliers,  François  Viète  en  lo58,  se 
rendit  à  l'École  de  Droit  de  Poitiers,  d'où  il  revint,  à  la  fin  de  l'année 
1539  bachelier  et  licencié  es  droit,  occuper  au  barreau  de  sa  ville  natale 
une  place  où  il  fut  immédiatement  remarqué  ;  malgré  ses  premiers  succès, 
la  profession  d'avocat,  ne  répondant  pas  aux  aspirations  d'un  esprit  de 
cette  trempe,  il  acceptait  en  1S64,  l'offre  d'Antoinette  d'Aubeterre.  dame 
de  Soubise,  d'entrer  dans  sa  maison  en  qualité  de  secrétaire  de  son  mari, 
Jean  de  Parthenay-l' Archevêque,  l'un  des  principaux  chefs  du  parti 
calviniste  et  l'adversaire  le  plus  redouté  de  la  famille  de  Guise  ;  mais 
avant  de  s'établir  au  manoir  du  Parc  de  Soubise,  près  Mouchamps,  il 
accompagna  Jean  de  Parthenay  à  Lyon  pour  y  recueillir  les  éléments  de 
son  premier  écrit,  le  récit  du  siège  de  Lyon,  soutenu  en  1563  par 
Soubise  contre  les  armées  du  roi. 

.Vu  Parc  de  Soubise  le  jeune  secrétaire  s'attacha  à  Catherine  de  Parthe- 
nay, demoiselle  de  Soubise  alors  âgée  de  onze  ans  et  qui  montrait  pour 
les  mathématiques  une  aptitude  rare  ;  il  lui  enseigna  les  sciences  et  les 
lettres  et  ne  contribua  pas  peu  à  en  faire  une  des  femmes  les  plus  remar- 
quables de  son  temps,  qui  conserva  toujours  pour  son  maître  en  l'en- 


F.    RITTER.    FRANÇOIS    VIÈTE,    INVENTEUR    DE    l'aLGÈBRE    MODERNE         19 

coiirageant  dans  ses  travaux  mathénialiques.  la  plus  profonde  cl  la  plus 
affectueuse  admiration.  Il  avait  composé  pour  son  élève  quelques  petits 
traités  écrits  en  latin,  qui  ont  péri  en  1793  dans  le  stupide  auto-da-fé  des 
archives  do  la  maison  de  Rohan-Soubise;    seul,  un  petit  traité  de  Géogra 
phie  et  de  Cosmographie  nous  a  été  conservé  par  une  traduction  publiée 
en  1643.   Passionné  pour  l'étude  de  l'astronomie   et  reconnaissant  que 
VAlmageste  de  Ptolémée  ne  répondait  plus  aux  besoins  des  astronomes, 
il  entreprit  de  composer  sur    le  même  plan  un  traité  nouveau  sous  le 
titre  de  :  Harmonicum  cœleste  ;  mais,  avant  toutes  choses,  s'imposait  la 
réforme  de  la  Trigonométrie  et  la  construction  de  tables  plus  étendues  et 
plus  commodes  que  celles  alors  en  usage.  Il  consacra  à  ce  laborieux  travail 
ses  rares  loisirs  et  une  partie  de  ses  nuits  et  il  composa  le  Canon  niathe- 
maticus,  recueil  de  tables  trigonométriques  où,  pour  la  première  fois,  on 
trouve  en  regard  sur  le  même  feuillet,  pour  un  rayon  égal  à  100.000,  la 
valeur  des  six  lignes  trigonométriques,  de  minute  en  minute  ;  et  faisant 
suite  au  Canon,  le  Liber  inspectionum,  véritable  aide-mémoire,  qui  ren- 
ferme, non  seulement  des  tableaux  donnant,  pour  la  Trigonométrie  sphé- 
rique  et  ivctiligne,  sous  forme   de   proportions,   la  valeur  de   l'un   des 
éléments  d'un  triangle  en  fonction   des   deux  autres,   mais   encore  de 
nombreux  résultats  numériques  pour  la  pratique  de  l'Arithmétique  et  de 
la  Géométrie. 

La  mort  de  Jean  de  Parthenay  arrivée  en  1566,  n'apporta  d'abord 
aucun  changement  dans  la  situation  de  François  Viète;  mais  la  dame 
de  Soubise,  dans  sa  hâte  de  perpétuer  le  nom  de  sa  maison,  avait  marié 
en  1568,  sa  fille  Catherine  à  peine  âgée  de  quinze  ans,  à  un  gentilhomme 
breton,  Charles  de  Quellenec,  baron  du  Pont  qui  ne  put  s'accommoder 
du  caractère  autoritaire  de  sa  belle-mère;  d'où  une  rupture  à  la  suite  de 
laquelle  la  dame  de  Soubise  se  retira  avec  sa  maison  à  La  Rochelle  au 
moment  où  Jeanne  d'Albret,  avec  son  fds  Henri  de  Navarre,  avait  réuni 
en  congrès  les  principaux  chefs  calvinistes  ;  c'est  de  cette  époque  que 
datent  les  relations  de  François  Viète  avec  la  famille  d'Albret  et  avec  le 
jeune  roi  de  Navarre  dont  plus  tard,  lorsqu'il  fut  élevé  au  trône  de  France, 
il  devint  un  des  plus  intimés  et  des  plus  fidèles  conseillers. 

François  Viète  en  1570,  avait  trente  ans  ;  conscient  de  sa  valeur  per- 
sonnelle, il  se  sentait  né  pour  une  situation  autre  que  celle  qu'il  occupait 
dans  la  maison  de  Soubise  ;  son  objectif  était  d'obtenir  une  charge  dans 
la  magistrature  suprême  et  de  faire  imprimer  son  premier  ouvrage.  Une 
circonstance  favorable  à  ses  aspirations  ne  tarda  pas  à  se  présenter  ;  la 
dame  de  Soubise,  trompée  dans  son  impatience  de  devenir  grand'mère, 
avait  engagé  sa  fille  dans  un  scandaleux  procès  en  nullité  de  mariage  que 
François  Viète  avec  son  sens  droit,  ne  pouvait  pas  approuver  ;  dans  ces 
conditions,  il  résigna  ses  fonctions  de  secrétaire   et   reprenant  sa  robe 


20  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

d'avocat,  il  alla  s'établir  à  Paris;  là  seulement,  grâce  à  ses  relations, 
il  pouvait  obtenir  la  charge  qu'il  ambitionnait  et  trouver  un  imprimeur 
assez  hardi  et  assez  habile  pour  vaincre  les  difficultés  de  l'impression  du 
Canon  matliémaliqw. 

Son  séjour  à  Paris  fut  de  quatre  années,  mais  il  n'en  resta  pas  moins 
fidèle  à  s:i  ville  natale  qu'il  allait  visiter  fréquemment  et  où  il  faisait 
partie  de  l'Assemblée  urbaine.  A  Paris,  il  fut  promptement  en  relations 
avec  les  hommes  qui  dans  le  gouvernement,  dans  le  barreau,  dans  les 
sciences  et  les  lettres,  occupaient  les  situations  les  plus  élevées  ;  il  s'y 
rencontrait  souvent  avec  son  élève  chérie  dont  le  triste  procès  allait 
se  terminer  d'une  manière  tragique,  par  la  mort  du  baron  du  Pont, 
massacré  dans  la  cour  du  Louvre  pendant  la  Saint-Barthélcmy;  avec 
Jeanne  d'Albret,  Henri  de  Navarre  et  Françoise  de  Rohan,  dame  de  la 
Garnache,  nièce  de  l'une  et  cousine  de  l'autre,  dont  il  était  devenu,  pen- 
dant son  séjour  au  Parc  de  Soubise,  l'ami  et  le  conseiller  dans  les  procès 
(ju'elle  poursuivait,  déjà  depuis  plusieurs  années,  contre  le  duc  de  Ne- 
mours, qui,  après  lui  avoir  promis  mariage  en  1366  et  l'avoir  rendue 
mère,  avait  refusé  d'exécuter  ses  promesses  et  avait  épousé  la  séduisante 
Anne  de  Ferrare,  veuve  du  duc  de  Guise.  Il  s'occupait  de  cette  grave 
affaire  et  de  l'impression  de  son  livre  par  Jean  iMettayer,  imprimeur  du 
roi,  lorsqu'en  1573  il  fut  nommé  conseiller  au  Parlement  ^e  Bretagne, 
où  il  ne  fut  installé  qu'en  lo74,  quelques  mois  avant  l'avènement  du  roi 
Henri  III.  Cette  nomination  établit  que  François  Yiète,  contrairement  à 
l'assertion  de  quelques  écrivains  protestants,  appartenait  à  la  religion 
catholique  dont  les  membres  du  Parlement  devaient  faire  profession  pu- 
bhque  au  moment  de  leur  installation  ;  il  était  d'ailleurs,  comme  bien 
d'autres  à  cette  époque  si  tourmentée,  un  sceptique  en  matière  de  religion, 
et  cette  inditierence  explique-  comment,  ayant  vécu  dans  un  foyer  calvi- 
niste aussi  ardent  que  le  Parc  de  Soubise,  il  n'avait  pas  abjuré  la  reli- 
gion dans  laquelle  il  avait  été  élevé. 

Henri  111  que  les  historiens  nous  montrent,  malgré  son  indolence  et  ses 
vices,  si  habile  ù  juger  les  hommes,  avait  été  à  même,  par  sa  tante  Jeanne 
d'Albret  et  sa  cousine  Françoise  de  Rohan,  de  connaître  François  Viète, 
d'apprécier  sa  rare  capacité  et  sa  haute  intelligence  pour  mener  à  bonne 
fin  les  affaires  les  plus  difficiles.  Monté  sur  le  trône,  il  le  chargea  immé- 
diatement de  missions  délicates  et  confidentielles;  aussi  ne  paraissait-il 
que  rarement  au  Parlement  de  Bretagne  où  sa  présence  était  obligatoire 
pendant  la  session  semestrielle,  d'où  remontrances  et  suspension  de  traite- 
ment, toujours  annulées  par  la  production  de  lettres  patentes  du  roi  auto- 
risant François  Viète  à  ne  pas  faire  son  service.  Ces  missions  étaient  le 
plus  souvent  politiques,  mais  quelques-unes  intéressaient  plus  particu- 
lièrement le  roi  qui  avait  pour  Françoise  de  Rohan  une  grande  affection. 


F.    RITTER.    —    FRANÇOIS   VIÈTR,    INVENTEUR   DE   l'aLGÈBRE   MODERNE        21 

Aussi  François  Viète  fut-il  pour  la  dame  de  la  Garnache  un  puissant  auxi- 
liaire pour  triompher  en  1575,  de  la  résistance  de  la  dame  de  Soubise 
au  mariage  de  Catlierine  de  Parthenay  avec  René  de  Rohan,  frère  de 
Françoise.  Les  poursuites  acharnées,  de  juridiction  en  juridiction,  jus- 
qu'en cour  de  Rome,  de  Françoise  de  Rohtin  contre  son  indigne  séduc- 
teur troublaient  la  quiétude  d'Henri  RI  ;  François  Yiète,  pour  mettre  un 
terme  à  une  affaire  aussi  difficile  et  aussi  délicate,  trouva  la  plus  habile 
et  la  plus  incroyable  transaction,  toute  à  l'avantage  de  son  amie  et  le 
roi,  par  lettres  patentes,  l'imposa  aux  deux  parties. 

En  récompense  des  services  rendus  et  pour  mettre  un  terme  à  sa  situa- 
tion fausse  au  Parlement  de  Bretagne,  Henri  Hl  attacha  François  Viète 
à  sa  personne  en  le  nommant  en  1580,  Maître  des  requêtes  de  l'hôtel 
du  roi. 

Depuis  qu'il  était  entré  dans  la  haute  magistrature,  chargé  de  missions 
qui  le  tenaient  le  plus  souvent  éloigné  de  Paris,  il  ne  lui  avait  plus  été 
possible  de  surveiller  l'impression  de  son  livre  et  de  stimuler  l'ardeur  des 
ouvriers  rebutés  par  un  travail  aussi  ardu  qu'insolite  ;  enfin,  huit  ans 
après  avoir  été  mis  sous  presse,  le  Canon  mathématique  sortit,  en  1579, 
des  ateliers  de  Jean  Mettayer. 

Malgré  ses  occupations  pour  le  service  du  roi  qui  lui  prenaient  tout  son 
temps,  François  Viète  trouvait  cependant  quelques  instants  â  donner  aux 
mathémaliques  ;  il  leur  consacrait  une  partie  de  ses  nuits.  «  Telle  était, 
dit  de  Thou,  la  profondeur  de  ses  méditations  qu'on  le  vit  souvent  rester 
trois  jours  entiers,  assis  à  sa  table  de  travail  complètement  absorbé  par 
ses  recherches,  sans  autre  sommeil  que  celui  qu'il  prenait  la  tète  ap- 
puyée sur  le  coude  et  sans  autre  nourriture  pour  soutenir  la  nature, 
que  celle  qu'il  prenait  sans  changer  de  position.  » 

En  substituant  dans  la  Trigonométrie,  aux  règles  énoncées  en  langage 
ordinaire  et  en  toutes  lettres,  des  tableaux  présentant  à  première  vue  sous 
forme  de  proportions,  l'élément  inconnu  d'un  triangle  et  les  trois  élé- 
ments donnés,  représentés  d'une  manière  générale  par  les  lettres  toujours 
les  mêmes,  placées  aux  angles  du  triangle,  François  Viète  l'avait  dotée 
de  véritables  formules  générales  ;  et,  par  une  de  ces  inspirations  dont  les 
grands  génies  sont  seuls  capables,  ou  peut-être  même  par  de  longues 
méditations  sur  les  ouvrages  de  Diophante  et  de  Cardan,  après  avoir 
reconnu  combien  était  défectueuse  leur  Algèbre  dans  laquelle  l'inconnue 
seule  de  l'équation  était  représentée  par  un  symbole  alphabétique,  mais 
oij  toutes  les  opérations  effectuées  au  moment  même  où  elles  se  pré- 
sentaient ne  laissaient  aucune  trace  dans  la  composition  de  la  valeur  de 
l'inconnue,  il  créa  l'Algèbre  nouvelle,  en  représentant  tous  les  éléments 
d'une  question,  connus  ou  inconnus,  par  des  lettres  de  l'alphabet,  les 
opérations  à  effectuer  sur  elles  par  des  signes  et  enfin  le  résultat  par  une 


22  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MECANIQUE 

formule,  dans  laquelle  il  suffisait,  si  la  même  question  était  posée  avec 
des  données  différentes,  de  les  substituer  pour  obtenir  immédiatement 
le  nouveau  résultat  demandé  ;  par  cette  conception  féconde,  il  aff'ran- 
chissait  en  même  temps  l'Algèbre  de  la  nécessité  de  faire  reposer  ses 
principes  sur  des  considérations  géométriques. 

Une  circonstance  heureuse  pour  la  science  procura  à  François  Viète  les 
loisirs  nécessaires  pour  donner  un  corps  à  l'Algèbre  nouvelle.  En  1583  les 
Guise  étaient  tout-puissants  auprès  de  Catherine  de  Médicis  et  peu  à  peu 
ils  obtenaient  de  la  faiblesse  du  roi  l'éloignement  de  ses  plus  fidèles  ser- 
viteurs ;  François  Viète,  qui  avait  toujours  été  pour  eux  un  adversaire  re- 
douté, était  du  nombre  ;  en  158o,  il  fut  relevé  de  ses  fonctions  de  Maître 
des  requêtes.  Retiré  tantôt  à  Fontenay,  tantôt  à  Beauvoir-sur-Mer.  auprès 
de  Françoise  de  Rohan,  il  composa  pendant  ses  quatre  années  de  retraite 
son  Art  analytique  ou  Algèbre  nouvelle.  Quelques-unes  des  parties  de  cette 
œuvre  magistrale  étaient  terminées,  mais  d'autres  n'étaient  qu'ébauchées, 
lorsqu'il  fut  en  1589,  rappelé  à  Tours  par  Henri  III  chassé  de  Paris  par  la 
Ligue.  Dès  son  arrivée  le  roi  mit  immédiatement  à  contribution  sa  rare 
sagacité;  les  ennemis  de  l'extérieur  entretenaient  avec  ceux  de  l'inté- 
rieur une  correspondance  en  chiffres  qui  avait  mis  en  défaut  les  déchif- 
freurs  officiels  ;  malgré  la  complication  des  chiffres,  François  Viète  en 
trouva  les  clefs  et,  pendant  plusieurs  années  les  projets  cachés  dans  ces 
dépêches  étant  dévoilés  et  déjoués,  le  roi  fut  dénoncé  à  Rome  comme 
ayant  eu  recours  à  la  magie  et  à  la  nécromancie. 

La  ville  de  Tours  devenue  momentanément  la  capitale  du  royaume, 
renfermait  dans  son  sein  non  seulement  les  hommes  politiques,  mais  en- 
core les  savants  et  les  lettrés  obligés  de  fuir  le  séjour  de  Paris.  François 
Viète  dont  la  réputation  n'était  plus  à  faire,  s'y  trouva  immédiatement 
très  entouré;  comme  son  service  auprès  du  roi  ne  lui  permettait  pas  de  ré- 
pondre à  tous  ceux  qui  demandaient  à  être  initiés  à  son  Algèbre  nouvelle, 
il  avait  chargé  de  ce  soin  quelques  élèves  formés  à  son  école  ;  sollicité 
de  toutes  parts  de  publier  quelques-uns  de  ses  ouvrages,  il  fit  imprimer, 
de  1591  à  1593,  ceux  de  ses  traités  qui  étaient  terminés;  mais,  sauf  un 
seul,  celui  de  la  Résolution  numérique  des  équations  publié  en  1600,  les 
autres,  dont  quelques-uns  incomplets,  ne  virent  le  jour  qu'après  sa  mort; 
plusieurs  de  ses  ouvrages,  notamment  V Harmonicum  cœleste,  ont  été 
perdus. 

Cependant,  la  renommée  du  grand  géomètre  avait  eu  le  don  d'exciter 
la  bile  de  Joseph  Scaliger  qui,  s'étant  arrogé  le  titre  de  Prince  des 
érudits,  prétendait  au  pouvoir  absolu  dans  le  domaine  des  sciences  et  des 
lettres;  il  sentait  son  prestige  sérieusement  menacé.  Réfugié  dans  un 
château  non  loin  de  Tours,  il  résolut  de  frapper  un  grand  coup  en  an- 
nonçant urbi  et  orbi  qu'il  avait  trouvé  la  quadrature  exacte  du  cercle  et  la 


1',    RITTER.    —    FRANÇOIS    VIÈTE,    INVENTEUR    DE    l'aLGÈBRE    M0DE:RNE         23 

construction  rigoureuse  de  ces  fameux  problèmes,  réputés  jusqu'alors  in- 
solubles ;  il  proposait  en  même  temps  à  François  Viète  un  dédit  de  mille 
écus  dor  au  profit  de  celui  qui  démontrerait  l'erreur  de  l'autre.  Provoqué 
à  une  discussion  publique  à  Tours,  Scaliger  se  déroba  ;  le  grand  géomètre, 
dans  une  suite  de  conférences  ouvertes  en  lo90,  démontra  l'absurdité  des 
propositions  du  Prince  des  érudits  et  exposa  un  grand  nombre  de  ques- 
tions difficiles,  alors  à  l'ordre  du  jour.  Ces  conférences  furent  imprimées 
en  1,^93. 

Scaliger,  devenu  impossible  en  France,  avait  été  occuper  une  chaire 
à  l'Université  de  Leyde  d'où  il  lança  contre  son  adversaire,  en  lo94,  le 
trait  du  Parthe  sous  la  forme  d'un  livre  dans  lequel  il  cherchait  à  dé- 
montrer ses  absurdes  et  ridicules  élucubrations  ;  François  Viète  lui  ré- 
pondit immédiatement  en  159o,  par  quelques  pages,  oii,  sans  le  nommer, 
il  lui  administrait  ce  que  l'on  appelle  vulgairement  une  volée  de  bois  vert. 

Au  mois  de  mars  1594,  Henri  de  Navarre  devenu  roi  de  France,  en- 
trait à  Paris  et  appelait  François  Viète  à  faire  partie  de  son  Conseil  privé  ; 
un  jour  qu'il  avait  emmené  l'ambassadeur  de  Hollande  en  villégiature 
à  Fontainebleau,  celui-ci  prétendit  que  la  France  n'avait  pas  un  seul 
géomètre,  puisqu'il  n'en  figurait  aucun  dans  le  défi  adressé  par  Adrien 
Romain  aux  mathématiciens  du  monde  entier.  «  Si,  si,  répondit  Henri  IV, 
j'en  ai  un,  et  un  très  excellent  ;  que  l'on  aille  quérir  M.  Viète.  »  Celui-ci 
avait  suivi  le  roi  à  Fontainebleau  ;  il  arrive,  l'ambassadeur  lui  présente 
le  défi  qu'il  avait  fait  chercher,  le  grand  géomètre  se  retire  dans  l'embra- 
sure d'une  fenêtre  et,  quelques  instants  après,  il  en  donne  la  solution  au 
diplomate  émerveillé.  Le  défi  était  présenté  sous  la  forme  d'une  équation 
du  45"  degré;  mais,  en  réalité,  c'était  une  énigme  qu'il  fallait  deviner. 
François  Viète  avait  immédiatement  résolu  la  question,  non  en  devin, 
mais  en  géomètre,  au  moyen  de  la  formule  générale  de  la  division  des 
angles  dont  il  avait  depuis  longtemps  pénétré  le  mystère.  En  envoyant, 
le  lendemain,  au  géomètre  belge  non  une  seule  solution  de  son  problème, 
mais  vingt-deux  autres,  il  lui  proposa  à  son  tour  le  problème  d'Apollo- 
nius, dont  la  solution  était  perdue  :  Mener  un  cercle  tangent,  à  trois  cercles 
donnés.  Adrien  Romain  ne  put  le  résoudre  qu'au  moyen  de  l'intersection 
de  deux  hyperboles;  François  Viète  lui  envoya  alors  la  solution  par  la 
règle  et  le  compas  de  tous  les  problèmes  des  contacts  des  droites  et  des 
cercles  et  ce  sont  ses  constructions  qui  ont  été  depuis  lors  textuellement 
reproduites  par  tous  les  auteurs  jusqu'à  ces  derniers  temps,  où  Gergonne 
leur  a  appliqué  la  méthode  plus  élégante,  mais  plus  difficile,  du  centre 
radical  et  des  axes  de  similitude. 

Au  reçu  de  cet  opuscule  remarquable,  Adrien  Romain  qui  occupait 
la  chaire  de  mathématiques  à  Wurtzbourg,  transporté  d'admiration,  laisse 
toutes  ses  occupations,  monte  à  cheval,  accourt  à  Paris  et  de  là  à  Fon- 


24  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

lenay,  où  il  rencontre  enfin  François  Viète  ;  il  se  jette  dans  ses  bras  et 
reste  un  long  mois  avec  lui  ;  puis  il  retourne  en  Allemagne  défrayé  par 
le  grand  géomètre  de  toutes  ses  dépenses  jusqu'à  la  frontière. 

C'était  en  159.S  ;  François  Viète  dont  la  santé  était  profondément  al- 
térée par  l'excès  du  travail,  avait  été  envoyé  par  le  roi  se  reposer  et  res- 
pirer l'air  natal,  chargé  d'une  mission  délicate  et  qui  n'exigeait  pas  un 
grand  travail.  Les  Suisses  au  service  de  la  France  demandaient  de  l'ar- 
gent ;  après  les  avoir,  suivant  sa  coutume,  payé  de  belles  paroles,  le 
Béarnais  dut  enfin  s'exécuter  et  à  cet  effet  il  eut  recours  à  un  de  ces 
expédients  que  l'on  rencontre  à  toutes  les  époques  de  notre  histoire  :  une 
ordonnance  du  roi  prescrivit  la  transformation  de  tous  les  offices  de  no- 
taires, tabellions  et  gardes-notes  en  offices  de  notaires  royaux.  Cette 
mesure  qui  frisait  la  spoliation,  puisque  les  intéressés  étaient  obligés  de 
racheter  leurs  offices,  souleva  de  leur  part  une  vive  opposition.  Pour  la 
calmer,  Henri  IV  envoya  ses  plus  fidèles  et  ses  plus  habiles  conseillers 
pour  négocier  avec  les  notaires.  Enfin,  après  deux  ans  de  luttes,  intervint 
une  transaction;  les  notaires  se  soumirent  et  les   Suisses  furent  payés. 

Rentré  à  Paris  vers  la  fin  de  l'année  1599,  François  Viète  avait  repris 
son  service  auprès  du  roi,  mais  ses  derniers  jours  furent  troublés  par 
une  aigre  et  violente  polémique  où,  il  faut  l'avouer  avec  regret,  il  avait 
tort  et  dans  la  forme  et  dans  le  fond. 

Grégoire  XIII  avait  soumis  à  l'examen  de  tous  les  princes,  de  toutes  les 
Académies,  de  tous  les  savants  du  monde  chrétien,  en  sollicitant  leur  avis, 
un  projet  de  réforme  du  calendrier  Julien,  imaginé  par  un  médecin  de 
Vérone,  Louis  Lilio  et  rédigé,  après  la  mort  imprévue  de  son  auteur, 
par  Clavius,  de  la  Compagnie  de  Jésus.  N'ayant  reçu  aucune  observation, 
le  Souverain  I^ontife  l'avait  promulgué  en  1582.  La  réforme  n'avait 
d'ailleurs  d'autre  but  que  de  faire  osciller  la  fête  de  Pâques  entre  l'équi- 
noxe  du  printemps  et  le  25  avril,  alors  que,  d'après  les  règles  anciennes, 
elle  rétrogradait  chaque  année  de  plus  en  plus  en  s'éloignant  du  2:2  mars. 
Lui  reprocher  de  ne  pas  faire  correspondre  rigoureusement  la  date  de  la 
fête  de  Pâques  à  celle  de  la  pleine  lune  équinoxiale,  était  un  reproche 
sans  portée;  le  nouveau  calendrier  donnait  une  solution  satisfaisante: 
c'était  ce  que  l'on  s'était  proposé  dans  une  question  qui,  en  définitive, 
était  de  comput  ecclésiastique  et  non  d'astronomie  pure. 

En  travaillant  dans  sa  retraite  à  son  Harmonicum  cœleste,  François  Viète 
avait  repris  cette  question  du  calendrier  et  il  avait  cru  trouver  une 
réforme  plus  exacte  que  celle  adoptée,  depuis  plusieurs  années  déjà,  par 
la  plupart  des  nations  catholiques;  mais,  comme  depuis  l'affaire  des 
dépêches  secrètes,  il  était  fort  mal  vu  à  Rome,  il  attendit  l'avènement  au 
trône  pontifical  de  Clément  VIII,  qu'il  avait  connu  cardinal  Aldobrandini, 
alors  qu'il  négociait  avec  le  roi  Henri  IV,  pour  lui  adresser  son  nouveau 


C.-A.    LAISANT.   —    REMARQUES    SUR    LES    COURBES    UNICURSALES  Z£) 

projet  de  réforme,  convaincu  que,  par  la  seule  autorité  de  son  nom,  il 
allait  être  immédiatement  adopté  sans  examen.  Il  n'en  fut  pas  ainsi;  le 
Souverain  Pontife  renvoya  le  mémoire  et  le  calendrier  de  François  Yiète 
à  une  commission  dont  Clavius  était  le  rapporteur.  Impatienté  de  n'avoir 
pas  de  réponse  pour  ainsi  dire  courrier  par  courrier,  Yiète  s'en  prit  au 
laborieux  jésuite  de  Bamberg,  ô\Âi  une  correspondance  très  aigre  du 
côté  de  Viète,  très  calme  de  la  part  de  Clavius.  La  mort  du  grand  géo- 
mètre le  26  février  4603,  mit  fin  à  cette  polémique,  d'où  François  Viète 
ne  serait  pas  sorti  avec  les  honneurs  de  la  guerre. 

Épuisé  par  le  travail  et  par  la  maladie,  François  Viète,  en  décembre  1602, 
avait  demandé  de  résigner  les  fonctions  qu'il  occupait  auprès  du  roi  et 
Henri  IV,  faisant  droit  à  sa  requête,  avait  ordonné,  en  raison  de  ses  ser- 
vices éminents,  de  lui  compter  «  une  honneste  gratification.  »  Elle  dut  lui 
arriver  m  extremis,  ce  qui  explique  comment  on  trouva  sous  son  chevet 
une  somme  de  vingt  mille  écus. 

A  ses  derniers  moments,  il  avait  toujours  présents  les  intérêts  de  son 
pays  et,  quelques  jours  avant  sa  mort  qu'il  sentait  |)rochaine,  il  rédigea 
d'une  main  ferme  une  instruction  sur  le  déchiffrement  des  écritures 
secrètes;  c'est  le  dernier  écrit  de  ce  grand  génie,  de  ce  grand  citoyen. 

François  Viète  avait  été  marié  ;  on  n'en  sait  pas  davantage.  Il  laissa  une 
fille  orpheline,  Suzanne  Viète,  qui  mourut  en  1618,  comme  le  constatent 
les  registres  de  l'église  Notre-Dame  de  Paris. 

Le  nom  de  Viète  n'est  pas  éteint;  il  s'est  perpétué  par  la  descendance 
de  son  frère,  Nicolas  Viète,  sieur  de  la  Mothe  de  Monzeuil,  avocat  et  con- 
seiller en  l'élection  de  Fonlenay.  Il  est  porté  aujourd'hui  par  M.  Gaston 
Viète  de  la  Rivagerie,  officier  de  cavalerie,  et  par  son  frère  Roger-Hya- 
cUithe,  arrière-petits-neveux  de  l'illustre  géomètre  Monge. 


M.  C.-A.  LAISAIT 

Docteur  es  sciences,  à  Paris. 


QUELQUES  REiVIARQUES  SUR  LES  COURBES  UNICURSALES 


—  Séance  du  16  septembre  1892  — 

1.  —  Équipollence  générale.  —  On  sait  qu'on  désigne  sous  le  nom  d'uni- 
cursale  une  courbe  dont  les  coordonnées  rectilignes  peuvent  s'exprimer 
rationnellement  en  fonctions  d'un  paramètre  variable  réel   t.   Lorsqu'il 


26  MATHÉMATIQUES,    ASTKOXOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

s'agit  des  courbes  planes,  les  seules  dont  nous  voulions  nous  occuper  dans 
ces  remarques,  il  s'ensuit  qu'une  courbe  unicursale  est  représentée  par  le 
système  des  deux  équations 

II)  X  =  —  1        ij  ^  — — -  ' 

en  supposant  que  l'on  donne  à  t  toutes  les  valeurs  réelles  de  —  go  à  -j-  ^  • 
Le  calcul  des  équipoUences  se  prête  d'une  façon  naturelle  à  l'étude  de 
ces  courbes.  Si  nous  appelons,  en  effet,  Z  le  point  variable  de  la  courbe, 
0  l'angle  des  axes  coordonnés,  et  si  nous  prenons  l'axe  des  x  pour  origine 
des  inclinîiisons,  il  s'ensuit  que  OZ  =  z  =  a;  -j-  ys",  ou 

Dans  cette  relation,  /"(/)  représente  une  fonction  entière,  mais  imaginaire 
en  général,  du  paramètre  variable  réel  t;  (f{t)  représente  une  fonction 
réelle  entière  du  même  paramètre.  Mais  si  nous  considérons  l'équipoUence 
générale 

(3)  z  -.  /W 

sans  aucune  restriction  sur  la  nature  des  fonctions  entières /'et  9,  la  courbe 
représentée  par  cette  équipoUence  n'en  est  pas  moins  unicursale.  Il  suffit, 
pour  le  reconnaître,  de  multiplier  les  deux  termes  par  la  fonction  conjuguée 
de  9,  ce  qui  donnera  au  dénominateur  une  fonction  réelle,  et  ce  qui  fera, 
par  conséquent,  rentrer  la  forme  (3)  dans  la  forme  particulière  (2). 

Suivant  les  cas,  nous  pourrons  donc  supposer  que  le  dénominateur  -^(t) 
est  une  fonction  réelle  ou  imaginaire. 

11  y  a  lieu  tout  d'abord  de  faire  une  observation  importante.  Si  dans  les 
équations  (1)  nous  venons  à  remplacer  t  par  une  fonction  rationnelle  quel- 
conque d'un  nouveau  paramètre  t',  le  résultat  de  l'élimination  de  t'  entre 
les  deux  équations  sera  le  même  que  celui  de  l'élimination  de  /.  Il  semble 
donc  que  la  courbe  restera  la  même.  Cela  n'est  pas  vrai  cependant  d'une 
manière  complète;  en  voici  la  preuve ^ar  un  exemple  bien  simple.  Soient 

X  =:  al  -\-  b,         ij  ^=  ciyt  -\-  b^ 

les  équations  d'une  droite.  Posons  t  =  l"^.  Nous  avons  : 

X  =  al"^  +  ^>        y  =  ^1^'"  ~\-  ^1 

et  il  saute  aux  yeux  que  les  points  qu'on  peut  obtenir  sont  ceux  d'une 
semi-droite,  et  non  plus  de  la  droite  tout  entière.  En  outre,  chacun  des 


C.-A.    LAISAM.    —    liËMARQUES    SUR   LES    COURBES    UMCURSALES  27 

points  de  cette  semi-droite  est  obtenu  deux  fois,  par  les  deux  valeurs  difîé- 
rentes  -\-  t',  —  /'. 

Bien  que  la  première  droite  comprenne  la  semi-droite  en  question,  il  est 
certain  qu'on  ne  saurait  confondre  sans  inconvénient  deux  faits  géomé- 
triques présentant  une  ditîérence  aussi  notable. 

En  réalité,  lequipollence  générale (3) d'une  courbe  unicursale  représente 
non  seulement  une  courbe,  mais,  si  nous  considérons  t  comme  un  temps, 
le  mouvement  d'un  point  mobile  sur  cette  courbe.  Ce  mouvement  peut  s'ac- 
complir, soit  sur  la  trajectoire  entière,  soit  sur  une  portion  seulement  de  la 
trajectoire.  Il  faut  donc  étudier  une  unicursale  d'après  son  équipollence  (S) 
ou  le  système  d'équations  (1)  correspondant,  et  se  garder  d'effectuer  un 
changement  de  variable  sur  le  paramètre  arbitraire  t. 

Il  est  toutefois  un  cas  particulier  où  le  changement  de  paramètre  ne  sau- 
rait introduire  dans  la  courbe  aucune  modification  :  c'est  celui  où  à  chaque 
valeur  de  /  correspond  une  seule  valeur  de  t',  et  réciproquement.  Alors,  en 
effet,  toute  valeur  réelle  donnée  une  fois  à  t  sera  atteinte  une  fois  par  /',  et 
par  conséquent  tout  point  Z  obtenu  par  la  variation  de  t  sera  obtenu  éga- 
lement par  la  variation  de  t'.  Les  paramètres  t  et  t'  sont  liés  dans  ce  cas 
par  une  équation  de  la  forme  ait'  -\-  bt  -\-  et'  -\-  d  -.=  0. 

2.  —  Degré  d'une  courbe  unicursale.  —  Toute  courbe  unicursale  est  algé- 
brique, et  il  est  facile  d'en  déterminer  le  degré.  Pour  cela,  supposons  réelle 
la  fonction  o(t)  dans  l'équipollence  (3)  et  représentons  par  m  =  am  -|-  b 
l'équipollence  d'une  droite  quelconque.  Un  point  commun  à  l'unicursale 
et  à  la  droite  sera  donné  par  la  relation 

:=-^  XU  -\-  B. 

Mais  si  nous  décomposons  tous  les  coefficients  du  polynôme  f{t)  suivant 
les  deux  directions  a  et  b,  nous  pouvons  donner  à  ce  polynôme  la  forme 
Ag{t)  -{-  Bh{t)  ;  de  telle  sorte  que  nous  avons 

Ag{t)  -f  Bh{t)  =  AU'^[t)  -f  B0{t), 

équipollence  qui  équivaut  au  système  d'équations 

g{t)  =  U'fit),  h(t)  =  -iit). 

Les  degrés  de  g(t)  et  h{t)  sont  égaux,  en  général,  à  celui  de  f{t).  Donc  les 
deux  équations  seront  d'un  degré  égal  au  plus  grand  de  ceux  def{t)  et  <f(t), 
c'est-à-dire  à  celui  de  f(t) -\- '^(t),  ou  m.  La  seconde  donnera  m  valeurs 
M  de  t,  soit  réelles,  soit  imaginaires;  et  de  la  première  on  tirera  un  pareil 
B    nombre  de  valeurs  de  u.  La  droite  coupe  donc  la  courbe  en  m  points  ;  et 


28  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCAiNIQUE 

par  conséquent  le  degré  de  la  courbe  unicursale  (3)  est  celui  du  polynôme 

Dans  rexcmple  du  numéro  précédenl,  nous  avions  v.  --^  At  -\-  u,  équipol 
lence  qui  représente  une  droite;  et  l'équipolience  z  =  a/-  -[-  «  tlt)it  être 
considérée  comme  représentant  une  courbe  du  second  degré,  d'après  ce 
que  nous  venons  de  dire.  C'est  qu'en  effet  l'intersection  de  cette  ligne  avec 
une  droite  quelconque  donne  toujours  deux  points,  confondus  en  un  seul; 
si  bien  qu'on  doit  considérer  la  ligne  i-^Af^  -\-v,  comme  un  cas  particulier 
de  la  courbe  z  =  a/*  -f  ci  -|-  c,  où  c  deviendrait  nul;  or,  il  est  facile  de 
voir  (jue  cette  dernière  représente  une  parabole. 

Si  l'équipolience  d'une  courbe  unicursale   est  donnée  sous   la  forme 

fit) 
/.       - — :,  sans  que  9  soit  une  fonction  réelle,  on  déterminera  le  degré, 

?(0 

en  décomposant  9  en  deux  facteurs  :  l'un  correspondant  à  tous  les  fac- 
teurs binômes  provenant  des  racines  réelles  ou  des  racines  imaginaires 
conjuguées,  l'autre  aux  racines  imaginaires  non  conjuguées;  on  a  alors 
cp(/)  =  o,(/).9j(^).  Pour  rendre  réel  le  dénominateur,  il  suffira  de  multiplier 

les  deux  termes  de       .  ' —  par  cj  o^f/),  puisque  <pi(/)  est  réel;  Donc,  appe- 

?l(0?2</) 

lant  m  le  degré  de  /*,  [i.^  celui  de  91,  \j.^  celui  de  9^,  nous  aurons  dans  la 
nouvelle  fraction  m  -j-  \>..^  pour  le  degré  du  numérateur  et  jji,  -j-  t[i.^  pour 
celui  du  dénominateur.  C'est  le  plus  grand  de  ces  deux  nombres  qui  don- 
nera le  degré  de  la  courbe.  Il  est  évident,  p-i  -\-  [j.^  étant  le  degré  a  de  9(^j, 
qu'on  peut  dire  encore  que,  pour  avoir  le  degré  de  la  courbe,  il  suffit 
d'ajouter  à  celui  de  /'(/)  -\-  (^(t)  le  nombre  des  racines  imaginaires  non 
conjuguées  de  l'équation  9(/)  =:  0. 

3.  —  Première  discussion  d'une  courbe  unicursale.  —  L'équipolience 
d'une  courbe  unicursale  étant  mise  sous  la  forme  générale  (3),  appelons 
a,  b,  c  . . .  les  racines  réelles,  et  a,  b,  c  . . .  les  racines  imaginaires  de 
l'équation  f{t)  =  0;  puis  a',  //,  c'. . .  les  racines  réelles,  et  a',  b'  g'  . . .  les 
racines  imaginaires  de  l'équation  (^(t)  =  0. 

L'équipolience  devient  alors 

__  ,    (t  —  a)(t  —  b)...{t  —  \){t  —  b)  . . . 


{t  —  a')[t  —  b').,.{t  —  A'){t  —  b') 


Le  coefficient  k,  étant  constant,  na  pour  effet  que  d'imprimer  à  la  courbe 
une  rotation  et  un  changement  d'échelle,  c'est-à-dire  de  la  transformer  en 
une  courbe  semblable  par  rapport  à  l'origine  prise  pour  centre  de  similitude. 
On  peut  donc  le  supprimer  sans  rien  particulariser,  et  l'on  a  l'équipolience 

,  ^  '^  —  an^ -b)...[t-  x)(t  —  B) ...  ^  fit) 

(t  —  a'){t  —  b'}...{l  —  A'){i  —  n')...^^{t)' 


C.-A.    LAISA.NT.    REMARQUES    SUR   LES    COURBES   UMCURSALES  29 

Pour  toutes  les  valeurs  a,  b,  . . .  données  à  t,  z  s'annule;  par  suite,  la 
courbe  passe  par  l'origine  autant  de  fois;  elle  y  passe  en  outre  pour 
/  -^  ±:  00  ,  si  le  degré  du  numérateur  est  inférieur  à  celui  du  dénominateur. 

L'origine  est  donc  un  point  multiple  dont  l'ordre  de  multiplicité  est  égal 
au  nombre  des  racines  a,  b,  c,  . . .  ou  à  ce  nombre  augmenté  d'une  unité, 
suivant  que  le  degré  de  f{t)  n'est  pas  ou  est  inférieur  à  celui  de  9(/). 

De  même,  les  racines  réelles  a',  b',  c' . . .  correspondent  à  autant  de 
valeurs  infinies  pour  z.  Si  le  degré  de  f{t)  est  supérieur  à  celui  de  oil),  la 
valeur  /  ^  riz  oo  donne  en  outre  pour  Z  un  point  à  l'infini.  On  a  donc  le 
nombre  des  branches  infinies  de  la  courbe,  par  la  considération  du  nombre 
des  racines  a',  b' . .  .  Il  faut  seulement  remarquer  que  les  deux  valeurs 
±  oc  donnent  en  général  deux  branches  infinies,  dans  le  sens  géométrique 
du  mot,  si  le  degré  de  f{t)  est  plus  grand  que  celui  de  o(t). 

Les  branches  infinies  étant  déterminées,  ainsi  que  le  rôle  de  l'origine  au 
point  de  vue  de  la  multiplicité,  on  peut  construire  géométriquement  la 
courbe,  point  par  point,  d'une  façon  simple.  Si,  en  effet,  on  désigne  par 
Oa,  06,  . . .  Oa',  06' ...  les  racines  réelles  a,  6, . . .  a',  b' ,. . .  et  par  OA, . . . 
OA'. . .  les  racines  imaginaires  a,  . . .  a',  . . .,  en  appelant  T  un  point  va- 
riable sur  l'origine  des  inclinaisons,  depuis  —  x  jusqu'à  -|-  oc  ,  on  aura 

flT.6T...AT.BT... 


a'T.6'T...A'T.BT 


expression  dont  la  construction  est  très  facile  et  donne  un  point  Z  pour 
chaque  position  du  point  ï. 

4,  —  Tangente;  poàaire.  —  La  tangente  à  la  courbez  =r  —  s'obtiendra 

.     dz      nt)o{t)  -  fity^'d)      .        .',,., 
en  formant  1  expression  —  -  ; i   •   '-i '  *î^*  représente  la  vitesse, 

rfz 
si  l'on  regarde  t  comme  un  temps.  La  courbe  Zj  =  — ,  appelée  hodographe 

du  mouvement,  peut  être  assez  commode  dans  certains  cas  pour  cette 

détermination  de  la  tangente.  L'hodographe  est  évidemment  aussi  une 

unicursale. 

La  podaire  relative  à  l'origine  s'obtient,  comme  l'on  sait,  en  décompo- 

f^z  ,      ^  ,      .     ,  ,    •       X  .    dz 

sant  le  rapport  z  :  —  sous  la   forme  m  -+-  u.i  et  en  écrivant  v  =  la  — . 
'-^  dt  dt 

La  podaire  d'une  unicursale  est  donc  aussi  une  unicursale. 

dz 

o.  —  Asijmpioles.  —  En  examinant  l'expression  —  et  regardant  vers 

quelle  direction  elle  tend  lorsque  t  tend  vers  une  valeur  qui  rend  z  de  gran- 
deur infinie,  on  a  la  direction  asymptotique  de  la  branche  infinie  corres- 


30  MATHÉMATIQUES,   ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

pondanle.  Pour  dûterminer  l'asymptote  elle-même,  le  mieux  est  peut-être, 

en  général,  de  prendre  le  point  correspondant  de  la  podaire.  Si  ce  point 

est  à  distance   finie,   on   a  immédiatement  l'asymptote;  s'il  s'éloigne  à 

l'infini,  la  branche  considérée  est  parabolique. 

(3.    —   Centre   de   courbure  ;    développée.    —    On    sait    qu'en   posant 

d^7.     dz  i  d'/j 

— '-:--=  /-(-/./,  le  rayon  de  courbure  ZR  est  ZR  =7  — .  L'équipollence 

dl'      dl         ^  ^  Idl         ^    ^ 

de  la  développée  est  donc 

,    i  d'A 


R  = 


et  il  s'ensuit  que  la  développée  d'une  unicursale  est  aussi  une  unicursale. 
7.  —  Courbes  unicursales  parement  pat^aboliquefi.  —  Les  unicursales 
les  plus  simples  à  étudier  sont  évidemment  celles  oii  le  dénominateur  cp(/) 
disparaît,  c'est-à-dire  dont  l'équipollence  est  de  la  forme 

z  =  c,r  +  c,r-'  +  ...+c„_,i  +  c,,. 

Elles  ne  présentent  que  deux  branches  infinies,  correspondant  aux 
valeurs  ±:  oc  de  f.  Si  m  est  pair,  ces  deux  branches  ont  même  direction. 
Si  m  est  impair,  elles  ont  des  directions  opposées.  Ces  deux  branches  sont 
paraboliques  ;  car  si  nous  décomposons  tous  les  coefficients,  sauf  les 
deux  premiers,  suivant  les  directions  c^,  Ci,  nous  pouvons  écrire 

z  =  c„(r  +  .,r-'  +  ...)  +  c,(r-'  +  ?,r-^  +,..). 

La  direction  asymptotique  des  branches  paraboliques  est  celle  de  c^  ;  et 

le  coefficient  de  Ci  tendatit  vers  l'infini,  il  en  résulte  que  les  seules 
asymptotes  possibles  s'éloignent  à  l'infini. 

On  remarquera,  d'ailleurs,  que  cette  démonstration  s'étend  au  cas  où 
plusieurs  des  coefficients  Cj,  c^,  ...  viendraient  à  s'annuler.  Il  suffirait  de 
décomposer  suivant  c^  et  c  ,  en  appelant  c  le  premier  coefficient  qui  ne 
s'annule  pas. 

En  transportant  l'origine  en  un  point  de  la  courbe,  on  peut  toujours 
supposer  nul  le  terme  c,,^.  Les  unicursales  que  nous  considérons,  et  qu'on 
peut  appeler  purement  paraboliques,  peuvent  alors  être  engendrées  par 
la  méthode  cinématique  que  voici  :  Concevom,  sur  m  droites  rayonnantes, 
0X1,  0X2,  ...  OX^,  des  points  mobiles  Xi,  Xj,  ...  X^^^,  animés  de  mouve- 
ments tels  que  l'espace  parcouru  soit  projwrtionnel  au  temps,  au  carré  du 
temps ,  ...  à  la  m"  puissance  du  temps.  Le  centre  de  gravité  de  ces  m  points 
décrira  une  unicursale  purement  parabolique. 

Il  est  clair  que  la  direction  asymptotique  sera  celle  de  la  droite  OX,,^. 


C.-A.    LAISA.NT.     —    liE.MARQLKS    SLK    I.KS    COURBES    UNICURSALES  31 

8.  —  Génération  géométrique  ou  cinématique  des  unicursales  quel- 
conques.  —    z  =z  --—  étant  l'équipoUence  d'une   unicursale  quelconque, 

considérons  les  deux  unicursales  purement  paraboliques  z^  =  f{t),  i^  =  o{t). 

OZ 
On  aOZ=:OK.  ~.  Donc  Zj,  Z,  étant  deux  points  correspondants  de 

deux  unicursales  purement  paraboliques,  et  K  un  point  fixe,  on  aura  un 
point  quelconque  Z  de  i'unicursale  (Z)  en  formant  le  triangle  OKZ  direc- 
tement semblable  à  OZ^Zi, 

Les  points  correspondants  à  linfîni  de  {Z^)  (ZJ  donneront  un  point  à 
distance  finie  si  le  degré  de  (Z^)  est  le  même  que  celui  de  (ZJ,  l'origine 
si  le  degré  de  (Z,)  est  inférieur  à  celui  de  (Z^)  et  un  point  à  l'infini  si  le 
degré  de  (Z,)  est  supérieur  à  celui  de  (Z^). 

A  chaque  passage  à  l'origiiie  de  la  courbe  (Z^)  correspond  un  point  à 
l'origine  de  I'unicursale  (Z).  A  chaque  passage  à  l'origine  de  la  courbe  (Z^) 
correspond  un  point  à  l'infini  de  I'unicursale  (Zj. 

Lorsque  le  dénominateur  ^{t)  n'admet  pas  de  facteurs  multiples,  l'uni- 

•cursale  z  =  — —  peut   être   engendrée   d'une  façon  assez  simple  par  un 

procédé  cinématique.  Si,  en  effet,  on  suppose  le  degré  de  f{t)  supérieur 
à  celui  de  z>(t),  et  si  on  effectue  la  division  de  f{t)  par  o{t),  puis  la  décom- 
position de  la  fraction  restante  en  fractions  simples,  on  aura,  si  l'on 
conserve  les  notations  du  n"  3  : 


Le  premier  terme  correspond  à  une  unicursale  purement  parabolique  ; 

1' 
les  termes >  ,  . . .  représentent,  pris  isolément,  des  mouvements  rec- 

tilignes  où   l'espace   est   inversement   proportionnel  au  temps   écoulé  à 

p 
partir  d'une  origine  déterminée  ;  enfin,  les  termes  — ' — -,  ....  représentent 

t  —  A 

des  mouvements  circulaires,  transformés  par  inversion  de  mouvements 
rectilignes  uniformes.  Si  l'on  prend  le  centre  de  gravité  de  tous  les  mo- 
biles animés  des  mouvements  en  question,  ce  centre  décrira  I'unicursale 
demandée. 

Il  est  clair  que  les  directions  asymptotiques  seront  données  : 

1"  Par  celle  de  I'unicursale  purement  parabolique  ■l>{t)  ; 

2°  Par  1',  y,  ... 

9.  —  Transformation  des  unicwsales.  —  Une  unicursale  peut  être 
considérée,  au  point  de  vue  géométrique,  comme  une  transformée  de  la 


32  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

droite  origine  des  inclinaisons,  décrite  par  l'extrémité   du  paramètre  t, 
quand  celui-ci  varie  de  —  go  à  -f-  20  . 

Au  lieu  de  l'origine  des  inclinaisons,  on  peut  prendre  une  autre  droite 
quelconque,  et  supposer  que  l'extrémité  du  paramètre  t  décrit  cette  droite. 
On  a  alors 

.-M 

Mais  l'extrémité   de   la   variable  t  décrivant  une   droite    donnée,    on   a 
aussi  /    -  M/'  -f  N,  en  appelant  /  un  paramètre  réel.  Donc 

^  "~  ç(Mr  +  N)  ^  cp,(0  ' 

Les  degrés  des  fonctions  entières  t\,  cpi  seront  respectivement  les  mêmes 
que  ceux  des  fonctions  f,  tp.  Il  suit  de  là  que  lorsqu'on  suppose  que  Tex- 
trémilé  du  paramètre  t  décrit  une  droite  quelconque,  au  lieu  de  supposer 
ce  paramètre  réel,  on  a    toujours  une  unicursale,  en  général  de  même 

degré. 

11  y  a  plus  ;  s'il  existe,  entre  les  deux  paramètres  /,  t'  la  relation 
i^lt'  _|_  jj^  _|_  cf  -|-  b  =  0,  et  si  nous  supposons  que  l'extrémité  de  la  va- 
riable t  décrive  une  droite,  on  sait  que  l'extrémité  de  /'  décrit  une  cir- 

ct'  +  D  ^       . 

conférence.   Or,    comme  t  =  —  —r-^, — ,  on  aura  encore  une   traction 

kt    -\-  B 

rationnelle  en  t'  après  la  substitution,  et,  à  moins  d'exception,  le  degré 
ne  sera  pas  altéré.  Donc,  une  unicursale  étant  donnée,  si  l'on  suppose  que 
le  paramètre,  au  lieu  d'être  réel,  varie  de  telle  sorte  que  son  extrémité  dé- 
crive une  circonférence,  on  aura  encore  une  unicursale,  en  général  de  même 
degî'é. 

Il  est  d'ailleurs  à  peu  près  évident  que  si  l'extrémité  du  paramètre  t  dé- 
crit une  courbe  unicursale  quelconque,  l'équipollence  z  = représentera 

o{t) 

encore  une  unicursale  (*). 

f  {t') 
En  effet,  si   l'on  pose  t  =  ,  le  paramètre  t'  étant  réel,  on  aura 

z  =  f\-^—-r)'-  ?(— *— r  K  ce  qui  donnera  toujours  une  fonction  rationnelle 

en  r. 

iO.  —  Courbes  bicursales.  —  On  peut  définir  une  unicursale  une 
courbe  pour  laquelle  la  variable  z  est  donnée  par  l'équipollence 

uz  -f-  v  =  0, 

(*)  Je  (lois  cette  intéressante  remarque  à  M.  Râteau,  ingénieur  des  mines,  qui  assis/ait  au  Congrès 
de  Pau. 


C.-A.    LAISANT.    —    REMARQUES    SUR    LES    COURBES    UMCURSALES  33 

u  et  V  étant  des  fonctions  entières  d'un  certain  paramètre  t,  que  l'on 
suppose  réel. 

Si  l'on  considère,  par  extension,  les  courbes  dont  l'équipollence  est 
de  la  forme 

uz'^  -f  vz  -f-  w  =  0, 

u,  V,  w  étant  des  fonctions  entières  du  paramètre  réel  t,  elles  fourniront 
une  classe  intéressante  de  courbes  algébriques,  dont  la  construction  sera 
relativement  facile,  puisqu'on  aura  chaque  couple  de  valeurs  de  z  répon- 
dant à  une  valeur  de  t  par  une  équipollencc  du  second  degré.  On  peut 
donner  à  ces  courbes,  par  analogie,  le  nom  de  bicursales. 

De  même  qu'on  démontre  très  facilement  que  toutes  les  coniques  sont 
des  unicursales,  on  établira,  d'une  façon  analogue,  que  toutes  les  cubiques 
sont  des  bicursales.  Rappelons  qu'il  suffît,  pour  cela,  de  prendre  l'origine 

sur  la  courbe,  et  de  poser  -  =t,  ij  eix  étant  les  coordonnées  cartésiennes 

d'un  point  de  la  courbe. 

On  verrait  comme  ci-dessus  qu'en  supposant  que  l'extrémité  du  para- 
mètre /  décrive  une  droite  ou  une  circonférence,  au  lieu  de  supposer  ce 
paramètre  réel,  on  a  encore  une  bicursale. 

Un  cas  particulier  intéressant  est  celui  où  la  fonction  v"'  —  4u\v  est  le 
carré  parfait  d'une  fonction  entière  r.  L'équipollence  de  la  courbe  peut, 
en  effet,  s'écrire  alors 

(2uz  -f.  V  —  r)  (2ux  +  V  -)-  r;  =  0, 

et  Ton  voit  que  la  bicursale  se  décompose  en  ce  cas  en  deux  unicursales 
que  l'on  peut  étudier  séparément. 

H.  —  Le  trifoliwn.  —  On  pourrait  appliquer  à  de  nombreux  exemples 
les  considérations  qui  précèdent,  notamment  en  ce  qui  concerne  les 
cubiques  et  les  quartiques.  Pour  nous  borner,  nous  nous  contenterons  ici 
d'ajouter  quelques  brèves  remarques  sur  une  courbe  très  intéressante,  le 
trifolium,  qui  a  été  étudiée  par  plusieurs  auteurs,  et  surtout  par  MM.  Bro- 
card et  de  Longchamps,  dans  d'intéressants  mémoires. 

Le  trifolium  est  une  quartique  unicursale  à  point  triple,  limitée  de 
toutes   parts.   Cette  seule  définition   permet  d'en  trouver   l'équipollence 

générale  z  =:  — -.  H  faut,  en  effet,  que  les  fonctions  /'  et  9  ne  surpassent 

pas  le  4«  degré.  L'équation  f{t)  —  0  doit  avoir  trois  racines  réelles  ;  appe_ 
lons-les  a,  b,  c,  et  soit  a  la  racine  imaginaire,  en  supposant  que  /"  atteigne 
le  4«  degré.  L'équation  -^(t)  =  0  ne  peut  avoir  aucune  racine  réelle,  puis  - 
qu'il  n'y  a  pas  de  branche  infinie.  Soient  a',  b',  c',  d'  ses  quatre  racines. 

3* 


34  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

1  i  «   «,>   sMrnassp   ms  le   4*^  degré,  elles  doivent  être 

Pour  que  la  courbe   ne   sjrpasse   pais   le   t        e  .    ,  ^      , 

,        .  j         «'^ct  à  riirp  niip  r'  —  ci  a',  d'  "-  Cl  B  .  Eii  resumc, 
conjuguées  deux  a  deux,  c  est-a-dire  que  c  —  tj  a  ,  u         j 

f{t)  =  L{t-  a)it  -b)(t-  c){t  -  A), 

<p(0  =  M  a  -  A')(<  -  CJA')(/  -  B')(^  -  CJB'), 

(/_fl)(i-- 6)(;  — c)(^  — Aj 
et  '■  =  ''  {t—x'){t  —  cjx')it  —  l^'){t  —  C]y^') 

Par  exemple,  l'équation  polaire 

p  =  h  cos  (a  +  w)  cos  2w, 

donnée  par  M.  de  Longchamps  pour  le  trifolium  oblique,  correspond,  en 
posant  t  =  tg  03,  à  l'équipoUence 

_      {t  sin  a  —  cos  a)  (t^  —  i){ti  +  1) 

{t  —  COtg  a)(^  —  i)(^  -]-i)(t  —  i) 
=  ih  sin  a  TjTZrrÏY 

Elle  rentre  dans  notre  équipollence  générale  des  trifoliums,  en  posant 

a  =  COtg  a,   6  =  1,  c  i^r  —  1,  A  rz.  i,  a'  =  b'  :       i,  K  =  Hl   siu  a. 

Cette  équipollence  du  trifolium  oblique  se  simplifie,  en  supprimant  le 
facteur  commun  t  —  i,  et  en  écrivant  cotg  a  =  k;  elle  devient  alors 

•     .,    .       (t  —  k)it—]){t  ^i) 

^^"^^'^'"^     (t^  +  m  +  h — 

Les  deux  termes  de  la  fraction  rationnelle  sont  alors  du  3''  degré 
en  /  ;  mais  la  courbe  n'en  est  pas  moins  du  4«  degré,  parce  que  la  racine 
—  i  du  dénominateur  n"est  pas  accompagnée  de  sa  conjuguée. 

Dans  l'équipoUence  du  trifolium  général,  aussi  bien  que  dans  celle  du 
trifolium  oblique,  nous  pouvons,  sans  altérer  la  forme  de  la  courbe,  ne 
pas  tenir  compte  du  coefficient  constant,  qui  n'influe  que  sur  la  simili- 
tude, et  nous  avons  alors 

^        (t  —  a)(t—b){t  —  c){t  —  A) 
^  ^  ^        {t-  A',)(t  —  Cj  A') {t  —  n'){t  -  Cj  B'j ' 

(1)  z- jjrzfjy. 

La  direction  de  z  =  OZ  est  dans  cette  dernière  courbe  celle  de  t  —  i. 
Par  conséquent,  les  directions  des  trois  tangentes  à  l'origine  sont  celles 


C.-A.   LAISANT.    —   REMARQUES   SUR    LES    COURRES    UNICURSALES  35 

de  1  —  i,  —  1  —  i\\  l  -\-  i,  k  —  i.  Dans  le trifolium  général,  ce  sont  celles 
de  a  —  X,  h  —  a,  c  —  a. 

Le  trifolium  régulier,  qui  a  pour  équation  polaire  p  =  cos  3aj,  donne 
l'équipollence 

{t"  +  ir 

1  1 

Les  valeurs  de  t  qui  annulent  z  sont  x; ,  — ^  » -=,  et  il  en  résulte  que 

\/3        V^ 

les  trois  tangentes  à  l'origine  ont  pour  directions  l'origine  des  inclinai- 
sons, et  les  droites  1 -|- ^V^»  1  — W^i  c'est-à-dire  trois  droites  également 
inclinées  les  unes  sur  les  autres. 

Lorsque  deux  des  racines  a,  h,  c  deviennent  égales,  l'une  des  trois 
boucles  du  trifolium  général  disparaît,  et  on  a  alors  un  folium  double. 

L'équipollence  (1)  du  trifolium  général  peut  se  simplifier,  tout  en  con- 
servant l'origine  au  point  triple,  par  une  transformation  très  simple, 
consistant  à  écrire 

(a  —  è)cO  -\- a(b  —  c) 

~    [a  —  6)0  -f  (6  —  c)  * 

Il  est  évident  qu'aux  trois  valeurs  a,  b,  c  données  à  t  correspondent 
respectivement  pour  0  les  valeurs  0,  1,  x) ,  et  il  en  résulte  qu'à  un  fac- 
teur constant  près,  que  nous  pouvons  toujours  supprimer  comme  plus 
haut,  l'équipollence  (1 1  devient 

6(0  — i)(0  — a) 


(6  —  a')  (0  —  cj  a')  ((i  —  R'j  (6  —  cj  b') 

Naturellement,  les  lettres  a,  a',  r'  ne  représentent  plus  les  mêmes  élé- 
ments que  dans  l'équipollence  (1). 

Les  tangentes  à  l'origine  sont  alors  dirigées  suivant  lorigine  des  incli- 
naisons et  les  droites  a  et  1  —  a. 

Nous  ne  voulons  pas  pousser  plus  loin  l'étude  des  propriétés  de  ces 
courbes  que  nous  avons  simplement  indiquées,  en  terminant,  à  titre 
d'exemples. 


36  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

M.   Emile  LEMOOE 

Ancien  Élève  de  l'École  Polytechnique,  à  Paris. 


LA  GÉOMÉTROGRAPHIE  OU  L'ART  DES  CONSTRUCTIONS  GÉOMÉTRIQUES 


—  Séance  du  16  septembre  1892  — 


INTRODUCTION 


Le  iiK^moire  que  nous  présentons  à  la  \^^  Section  peut  sembler,  à  pi-emière 
vue,  contenir  une  partie  des  résultats  que  nous  avons  déjà  donnés  en  1888  au 
Congrès  d'Oran;  mais,  dans  les  parties  de  sujet  commun,  il  n'est  ni  la  repro- 
duction ni  même  le  complément  de  ce  mémoire;  il  le  corrige,  et  cependant  le 
mémoire  d'Oran  est  exact  au  point  de  vue  que  nous  envisagions;  en  effet,  nous 
venions  d'avoir  l'idée  générale  de  la  mesure  de  la  simplicité  dans  les  sciences 
mathématiques,  raisonnements  et  constructions;  nous  y  avions  développé  l'ap- 
plication à  l'évaluation  de  la  simplicité  des  constructions  faites  avec  la  règle  et  le 
compas,  en  partant  des  constructions  séculairement  classiques  adoptées  comme 
constructions  fondamentales  et  nous  avions  appliqué  notre  méthode  à  l'évalua- 
tion de  leur  simplicité,  afin  que  l'on  puisse  adopter  les  symboles  de  ces  construc- 
tions pour  évaluer  la  simplicité  des  solutions  d'un  problème  quelconque.  Ce 
but,  nous  l'avons  rempli  en  ce  qui  concerne  les  solutions  classiques  examinées. 
Nous  étions  loin  de  soupçonner  que  ces  constructions  fondamentales  étaient 
pour  ainsi  dire  toutes  à  réformer  et  à  réduire,  même  les  plus  simples,  comme 
celle  de  :  mener  par  un  point  donné  une  parallèle  à  une  droite  donnée,  de  sorte 
qu'il  faut  les  reprendre  pour  donner  une  base  réelle  aux  applications  de  notre 
théorie;  c'est  cette  étude  que  nous  donnons  aujourd'liui  en  y  ajoutant  la  notion, 
|)lus  importante  encore  que  celle  de  la  simplicité,  de  rexactitude  des  r(jns- 
tructions.  Dans  le  mémoire  d'Oran,  quelques-unes  des  construction  d'applica- 
tion, comme,  par  exemple  :  mener  la  bissectrice  d'un  angle  dont  on  ne  peut 
prolonger  les  côtés  jusqu'au  sommet,  ne  sont  pas  les  plus  simples,  et  ce  sont  les 
plus  simples  que  j"aui-ais  dû  rechercher,  mais  je  n'étais  pas  encore  habitué  au 
maniement  de  la  méthode  qui  est  beaucoup  plus  délicate  à  appliquer  sans 
erreur  que  /"ex^mne  simplicité  de  son  exposition  ne  peut  le  faire  pressentir: 
je  prenais  instinctivement  pour  types  les  constructions  les  plus  simples  à 
exprimer  comme  étant  les  plus  simples  à  tracer,  sans  avoir  encore  remarqué 
qu"il  n'y  avait  aucun  rapport  entre  cette  simplicité  d'expression  et  la  simplicité 
réelle  de  l'exécution;  en  dehors  de  ces  remarques,  tout  ce  qu'il  y  a  de  général 
dans  le  mémoire  d'Oran  reste  exact  et  nous  y  renvoyons  pour  celles  des  géné- 
ralités qui  y  sont  exprimées  et  que  nous  n'aurions  pas  répétées  ici. 


É.    LEMOI.NP:.     —    LA    GÉOMÉTROGRAPHIE  37 


EXPOSITION  DE  LA  THÉORIE  DE  LA  SLMPLICITÉ 
ET  DE  L'EXACTITUDE 

Une  construction  exécutée  avec  la  règle  et  le  compas  ne  comporte  que 
les  opérations  élémentaires  suivantes  : 

Mettre  le  bord  de  la  règle  en  coïncidence  avec  un  point  .op.  :  (Ri). 

Tracer  la  ligne  droite op.  :  (R2). 

Mettre  une  pointe  du  compas  en  un  point  déterminé    .    .    .  op.  :  (CJ. 

Mettre  une  pointe  du  compas  en  un  point  indéterminé  d'une  ligne.  .  . 
op.  :  (CJ. 

Tracer  la  circonférence op.  :  (C3). 

(Op.  :  est  l'abrégé  du  mot  opération,  i 

Nous  ne  tenons  pas  compte  de  la  longueur  tracée  des  lignes. 

Si  l'on  trace,  par  exemple,  un  petit  arc  ou  le  cercle  entier,  c'est  tou- 
jours C3  ;  toujours  R2  pour  une  portion  quelconque  de  droite  tracée. 

Toute  construction  est  donc  finalement  représent-^^e  par  : 


Op.  :  /iRi  +  /.,R,  +  //iiCi  +  m.,C,  +  /«3C3. 

Nous  appelons  coefficient  de  simplicité,  ou  plus  brièvement  Simplicité 
de  la  construction,  le  nombre  l^  -\-  1.^  -\-  m^  -\-  m^-\-  m.^,  et  coefficient 
d'exactitude,  ou  plus  brièvement  Exactitude  de  la  construction,  le  nombre 
U  +  "^1  +  ^2->  parce  que  l'on  voit  facilement  que,  en  réalité,  l'exactitude 
dépend  des  opérations  préparatoires  l^,  m^,  m.^  et  non  des  opérations  de 
tracé;  1^  est  le  nombre  de  droites  tracées,  m.^  le  nombre  des  cercles  (*). 

Pour  abréger  l'écriture,  au  lieu  d'écrire  :  la  circonférence  qui  a  0  pour 
centre,  et  la  longueur  AB  ou  la  longueur  R  pour  rayon,  nous  écrirons  : 
0(ABj  ou  0(Rj. 

Nous  ferons  ici  une  remarque  importante  qui  s'applique  toutes  les  fois 
que  la  notion  générale  de  nombre  intervient  dans  un  problème  de  Géo- 
métrographie,  c'est  que  la  question  sort  alors  du  domaine  de  la  Géomé- 
trographie  pure  et  qu'il  s'y  mêle  de  l'arithmologie,  comme  on  le  verra 
dans  la  suite  de  ce  travail.  Ainsi  :  Diviser  une  droite  dans  le  rapport 
de  deux  longueurs  données  est  un  problème  de  Géometrographie  pure, 
et  :  Diviser  une  droite  dans  le  rapport  de  deux  nombres  m  et  n  donnés 
n'est  point  du  tout  dans  le  même  cas  ;  il  n'y  a  môme  pas  de  méthode 
générale  purement  graphique  pour  faire  le  plus  simplement  possible  cette 

(*>  Nous  n'avons  pas  été  sans  voir  que  la  simplicité  et  lexuclilude  d'une  opération  varient  dans 
le  même  sens  que  l'inverse  des  nombres  que  nous  nommons  :  coefficient  de  simplicité  et  coefficient 
d'exactitude;  mais  comme  il  n'y  a  aucune  confusion  possible  et  que  ce  ne  sont  que,  des  noms,  nous 
avons  préféré  des  dénominations  rappelant  le  but  à  atteindre  à  celles  de  coefficient  de  complication 
et  de  coefficient  d'inextictiliide  plus  logiques  certainement. 


38  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

division  ;  il  faut  étudier  chaque  cas  particulier  en  ayant  égard  à  la  ques- 
tion qui  a  fourni  ces  nombres.  En  pratique,  on  la  ramène  au  cas  des 
longueurs  en  prenant  sur  une  règle  divisée  des  longueurs  proportion- 
nelles aux  nombres  donnés,  et  l'on  doit  faire  le  plus  souvent  ainsi,  mais 
en  sachant  bien  que  l'on  sort  de  la  Géométrogrophie  pure  qui  n'autorise 
l'usage  que  de  la  règle  et  du  compas.  Pour  ramener  la  question  à  la 
Géométrographie  pure,  il  faudrait  porter  sur  une  ligne  m  -(-  n  fois  une 
longueur  quelconque,  etc.,  et  cela  éloignerait  trop  de  la  construction  que 
l'on  fait  pratiquement.  Encore  si  porter  m -{-  n  fois  une  longueur  sur 
une  droite  de  façon  à  marquer  les  divisions  m,  et  m  -j-  n  est  facile, 
quoique  long  et  peu  pratique,  il  n'est  nullement  commode,  peut-être 
pas  possible,  d'indiquer  le  moyen  de  marquer  ces  divisions  le  plus  sim- 
plement possible  par  une  méthode  générale.  La  question  revient  au  pro- 
blème :  Étant  donnée  une  longueur,  trouver  une  droite  m  fois  plus  longue. 
Porter  la  longueur  m  fois  à  la  suite  d'elle-même  sur  une  droite  est  une 
solution,  mais  non  la  plus  simple.  En  étudiant  le  problème,  on  est  conduit 
à  une  question  d'arithmologie  tout  à  fait  analogue  à  la  suivante,  qui 
semble  fort  difTicile  :  Combien  faut-il  effectuer  de  multiplications,  au  moins, 
pour  calculer  A"",  le  nombre  A  étant  donné? 

La  question  de  la  multiplication  de  la  droite  par  un  nombre  aurait, 
du  reste,  à  la  rigueur,  exigé  un  nouveau  symbole  pour  représenter  l'opé- 
ration, qui  consiste  à  fixer  sur  une  hgne  donnée  la  pointe  d'un  compas, 
lorsque  l'autre  pointe  est  fixée;  mais,  à  cause  de  la  nature  mixte  des 
problèmes  où  l'on  en  ferait  usage  et  surtout  parce  que  l'on  s'éloignerait 
trop  de  ce  que  l'on  fait  pratiquement,  nous  ne  nous  sommes  pas  arrêté 
à  cette  considération. 

Il  est  un  point  qui  mérite  aussi  quelques  mots  d'explications,  lesquelles 
répondront  à  une  objection  que  je  m'étais  faite  à  l'origine  et  qui  doit 
venir  à  l'esprit  de  ceux  qui  examinent  notre  méthode.  Est-il  légitime  de 
supposer  identiques  les  opérations  Cj,  Cj,  C3,  Ri,  R^,  pour  composer  le 
coefficient  de  simplicité  et  le  coefficient  d'exactitude?  Non,  évidemment, 
s'il  s'agissait  dans  la  Géométrograjjhie  d'une  mesure  absolue.  Mais  ce 
n'est  nullement  le  cas,  et  j'assimile  ces  opérations  parce  qu'elles  sont 
élémentaires,  c'est-à-dire  indécomposables  en  d'autres  plus  simples,  et 
que,  spéculativement,  elles  ne  sont  ni  plus  simples  ni  moins  simples  les 
tines  que  les  autres.  On  peut  ne  pas  faire  cette  assimilation  du  reste,  en  se 
contentant  du  symbole  complet.  Le  mot  de  mesure  ne  peut  pas  être  exact 
avec  le  sens  habituel  de  ce  mot  qui  s'applique  à  la  comparaison  d'une  gran- 
deur avec  une  unité  de  même  nature;  une  construction  n'est  pas  une  gran- 
deur et  elle  s'exécute  au  moyen  d'opérations  élémentaires  irréductibles  entre 
elles.  Si  j'emploie  l'expression  mesure,  c'est  que  je  trouve  qu'elle  s'appliquç 
mieux  au  but  poursuivi  que  le  mot  général  de  comparaison. 


) 


É.    LKMOIXE.    LA    GÉOMÉTROGRAPHIE  39 

La  rigueur  absolue  conduirait,  dans  beaucoup  de  cas,  à  rejeter  toute 
comparaison  de  simplicité  relative  de  deux  constructions.  En  effet,  com- 
ment apprécier  rigoureusement  si  la  construction  0C3  est  plus  ou  moins 
simple  que  0OR2,  puisque  les  unités  C3  et  R.^  sont  par  essence  de  nature 
différente  ;  mais,  en  réfléchissant  et  aussi  en  pratiquant  un  peu  la  Géomé- 
trographie,  on  reconnaîtra  que  les  assimilations  sont  admissibles  dans 
l'ordre  d'exactitude  des  tracés  eux-mêmes;  en  effet,  nous  traçons  des 
lignes  et  la  ligne  n'a  pas  de  dimensions,  nous  plaçons  des  points  et  le 
point  ne  peut  être  marqué.  En  somme,  notre  méthode  donne  un  critérium 
spéculatif  qui  a  des  applications  pratiques,  et  avant  elle  il  n'en  existait 
pas.  Ce  que  nous  faisons  n'est  pas  une  mesure,  c'est  une  comparaison 
avec  cinq  unités  distinctes  :  Rj,  Rj,  C^,  Cj,  C3,  et  l'on  ne  peut  dire  d'une 
façon  absolue  que  la  construction  A  est  plus  simple  que  la  construc- 
tion R,  que  lorsque  les  coefficients  de  toutes  les  unités  sont  respecti- 
vement plus  petits  dans  A  que  dans  R,  cas  très  fréquent 

APPLICATIONS 

I.  —  Tracer  une  droite  quelconque op.  :  (Rj). 

IL  —  Tracer  une  droite  par  un  point  donné op.  :  (Rj  -j-  Rj). 

IIL  —  Tracer  une  droite  par  deux  points  donnés.    .    .  op.  :  ('2Ri  -|-  R^). 
IV.  —  Tracer  un  cercle  quelconque op.  :  (C3). 

V.  —  Tracer  un  cercle  quelconque  dont  le  centime  est  donné,  op.  :  (Ci-j-Cg). 
VI.  —  Prendre  avec  le  compas  une  longueur  donnée  AR   .    .  op.  :  (2Ci), 

car  c'est  mettre  l'une  des  pointes  en  A,  l'autre  en  R  (*). 
VIL  —  Porter  sur  une  ligne  donnée,  à  partir  d'un  point  indéterminé  de 

cette  ligne  ou  à  partir  d'un  point  déterminé,  la  longueur  comprise  entre 

les  branches  du  compas  : 

Op.  :  (C2  -f  C3)     ou     op.  :  (C^  +  C3). 

(*)  Il  est  clair  que,  pour  mettre  la  première  pointe  en  A,  l'opération  n'est  pas  la  même  que  œlle  faite 
■en  maintenant  cette  première  pointe  en  A,  et  conduisant  la  seconde  sur  B,  nous  les  désignons  cepen- 
dant toutes  deux  par  G,  ;  nous  ne  croyons  pas  qu'il  y  ait  un  inconvénient  à  cela,  parce  que  nous 
ne  faisons  qu'une  théorie  idéale  des  opérations.  Ainsi  nous  supposons,  puisque  nous  ne  nous  occupons 
pas  de  la  question,  que  toutes  les  lignes  de  la  figure  se  coupent  dans  les  limites  de  l'épure,  qu'il 
est  indifférent  que  ces  lignes  se  coupent  sous  un  angle  très  aigu,  etc.,  de  sorte  qu'il  nous  paraît 
fort  suffisant  de  désigner  par  le  symbole  Ci  l'opération  générale  qui  consiste  à  mettre  sur  un  point 
une  des  pointes  du  compas;  nous  reviendrons  sur  ce  sujet  dans  le  cours  de  ce  travail.  Du  reste,  le 
lecteur  qui,  après  réllexion,  ne  partagerait  pas  notre  avis,  n'aurait  qu'à  désigner  par  C/  l'opération 
qui  consiste  à  mettre  en  un  point  donné  la  pointe  mobile  du  compas,  l'autre  étant  maintenue  fixe. 

De  même,  puisque  nous  appelons  Rj  l'opération  qui  consiste  à  mettre  le  bord  de  la  règle  en  con- 
tact avec  un  point,  il  est  évident,  à  la  façon  dont  elle  s'exécute,  que  l'opération  qui  consiste  à 
mettre  le  bord  de  la  règle  en  coïncidence  avec  deux  points  donnés,  n'est  pas  exactement  deux  fois 
l'opération  R,,  et  Ion  pourrait  aussi  désigner  parR,  -|-  R/  l'opération  qui  consiste  à  faire  passer  le 
bord;  de  la  règle  par  deux  points;  mais  si  l'on  pratique  un  peu  la  Géométrographie,  je  crois  que 
l'on  arrivera,  comme  moi,  à  reconnaître  que  cette  distinction  serait  une  complication  inutile. 

Nous  aurions  pu  peut-être  aussi  assimiler  les  opérations  Ci  et  Cj  et  ne  garder  pour  elles  deux 
qu'un  même  symbole  Ci,  mais  nous  ne  l'avons  pas  fait  parce  que  si  théoriquement  R,  et  R/  se  con- 
fondent effectivement.  Ci  et  Cj  sont  théoriquement  différents;  Cj  se  présente  du  reste  beaucoup  plus 
rarement  que  les  autres  symboles  et  en  général  avec  un  très  petit  coefficient. 


40  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

VllI.  —  Porter  une  longueur  donnée  (à  prendre  avec  le  compas)  sur  une 
ligne  donnée  à  partir  d'un  point  indéterminé  de  cette  ligne  ou  à  partir 
d'un  point  déterminé  de  cette  ligne  : 

Op.  :  (2Ci  +  C,  4-  C3)     ou    op.  :  {SC,  +  C3). 

Remarques.  —  Lorsqu'on  a  à  porter  n  fois  une  même  longueur  M 
sur  une  droite  à  la  suite  l'une  de  l'autre  de  A  en  B,  de  B  en  C,  etc.,  la 
construction  doit  être  interprétée  de  deux  façons  et  l'on  choisira  celle 
qui  convient  au  cas  où  l'on  se  trouve. 

1°  Les  points  de  division  intermédiaires  ne  doivent  pas  être  marqués. 

On  prendra  M  entre  les  branches  du  compas  (qui,  dans  la  pratique, 
sera  alors  à  pointes  sèches),  op.  :  (âCJ  ;  on  portera  cette  longueur  de  A 
en  B;  on  comptera  :  op.  :  (C^  -|-  CJ  ou  op.  :  (2Ci)  suivant  que  A  sera 
indéterminé  sur  la  droite  ou  déterminé,  et  non:  op.  :  (Cj-l-Cg)  ou 
op.  :  (Cl  -|-  C3),  parce  que,  laissant  une  pointe  en  B,  on  passera  en  C 
où  l'on  comptera  :  op.  :  (CJ  ;  puis  laissant  une  pointe  en  C,  on  passera 
en  D  en  comptant  :  op.  :  (Cj,  etc.;  on  aura  enfin  : 

Op.  :  («  +  2)Ci  +  C,     ou     op.  :  (n  +  3)Ci. 

Nous  résumons  donc  en  op.  :  (Cj)  les  deux  opérations  (Cg  -|~  ^i), 
parce  qu'elles  se  font  ici  d'un  seul  coup,  mais  ce  n'est  pas  tout  à  fait  l'opé- 
ration (CJ  telle  que  nous  l'avons  définie,  l'assimilation  nous  paraît  justi- 
fiable eu  égard  à  la  question  et  elle  évite  la  création  d'un  symbole  spécial 
à  ce  cas  particulier; 

2°  On  marque  tous  les  points  de  division  intermédiaires  en  reportant 
chaque  fois  la  pointe  sèche  au  nouveau  point  marqué,  etc.  ;  il  n'y  a  rien 
à  dire  de  spécial  et  le  symbole  est  : 

Op.  :  [(n  +  1)C,  +  C,  +  nCj     ou     op.  :  [[n  +  2]C,  +  nC,]. 

IX.  —  Tracer  un  cercle  quelconque  passant  par  deux  points  X  et  B. 

Je  décris  les  deux  circonférences  A(AC),  B(AC)  de  même  rayon  quel- 

AB 

conque,  mais  AC  étant  plus  grand  que  -^;  je  trace  C(AC) 

op.  :  f3Ci  +  3C3). 

X.   —  Placer  un  point  C  à  égale  distance  indéterminée  de  deux  points 

donnés  A  et  B  : 

Op.  :  (2Ci  +  2C3). 


É.    LEMOIXE.    —   LA    GÉOMÉTROGRÀPHIE  41 

XI.  —  Pa7'  un  point  donné  B  sur  une  droite  BC,  tracer  une  seconde  droite 
qui  fasse  avec  la  première  un  angle  égal  à  un  angle  donné  DAE  (*). 

Je  trace  le  cercle  A(AE)  de  rayon  quelconque  qui  coupe  AD  en  D,  AC 

en  E op.  :  (Cl  4-  C3)  ; 

puis  le  cercle  B(AE)  qui  coupe  BC  en  F op.  :  (C^ -|- C3). 

Je  prends  avec  le  compas  la  longueur  DE,  puis  je  trace  le  cercle  F(DE). 

op.  :  (3Ci  +  C3), 

qui  coupe  B(AE)  en  H. 

Je  trace  BH op.  :  f2Ri  +  R;). 

Symbole  de  l'opération  totale  :  op.  :  (2Ri  -|-  Rg  -|-  5Ci  -|-  SCg);  sim- 
plicité 11;  exactitude  7;  1  droite,  3  cercles  (*'•';. 

XII.  —  Connaissant  les  angles  y-ef^  (dont  j'appelle  aussi  a.  et  ^  les  sommets) 

d'un  triangle,  construira  le  tt^oisième  y. 

Je  trace  une  droite  quelconque  AB op.  :  (R2). 

Je  trace  d'un  rayon  quelconque  R  les  trois  circonférences  a(Rj,  p(R), 
0(R),  0  étant  un  point  quelconque  de  AB  .  .  op.  :  (2Ci  -|-  C^  +  3C3); 
soit  B  le  point  où  0(Rj  coupe  AB. 

Je  prends  la  longueur  de  la  corde  CD  que  a  intercepte  sur  a(R)  et  je  la 
porte  en  E  à  partir  de  B  sur  OfR) op.  :  (SC^  -(-  C3). 

Je  prends  la  longueur  de  la  corde  FG  que  p  intercepte  sur  ri(R)  et  je 
la  porte  en  H  à  partir  de  E  (dans  le  sens  BEj  sur  0(R).  op.  :  (BCj  -|-  C3). 

Je  trace  OH op.  :  (SRi  +  R^), 

l'angle  HOA,  A  étant  sur  AB  de  l'autre  côté  de  0  que  B,  est  l'angle 
cherché. 

Op.  :  (2Ri  +  2R.,  +  8C,  +  6C3);  simplicité  18;  exactitude  10;  2  droites, 
0  cercles  (***j. 

(*)  Nous  supposons  toujours,  dans  nos  conslruclions  types,  que  la  feuille  sur  laquelle  on  les  exécute 
ne  contient  que  les  données. 

Ces  données  sont  à  part  et  Ion  n'exécute  pas  la  construction  sur  l'une  d'elles,  sauf  quand  cela 
résulte  de  la  question.  Ainsi,  si  je  veux  construire  une  quatrième  proportionnelle  à  trois  lignes 
données,  je  suppose  que  les  trois  longueurs  sont  à  pnrl  sur  la  feuille  et  qu'on  ne  fait  pas  la  cons- 
truction sur  l'une  d'elles.  Si,  au  contraire,  on  cherche  le  centre  de  gravité  d'un  triangle  donné,  il  est 
clair  que  l'on  opère  sur  le  triangle,  et  il  en  est  ainsi  le  plus  souvent  quand  on  applique  notre 
théorie  à  un  problème  déterminé  ;  les  constructions  types  employées  se  simplifient  alors  en  raison 
des  opérations  qui  se  trouvent  faites,  que  l'on  n'a  pas  à  compter  par  conséquent. 

(**)  Quand  nous  n'expliquons  pas  les  constructions,  ce  sont  les  constructions  classiques  données  de 
tout  temps  dans  les  géométries;  nous  les  avons  prises  alors  dans  le  Traité  de  Géométrie  de  MM.  Rouché 
et  DE  COMBEROussE,  Gi=  édition. 

(***!  Je  ferai  remarquer  ici  que  dans  mon  mémoire  du  Congrès  d'Oran,  1S88,  p.  S-2,  j'avais  mala- 
droitement dirigé  cette  construction  à  laquelle  j'attribuais  le  symbole 

op.  :  (4R,  +  3R2  +  IOC1  +  6C3)  ; 

en  effet,  j'avais  tracé  inutilement  la  droite  que  j'appelle  ici  OE  et  j'avais  tracé  en  deux  fois  les 
circonférences  qui  me  donnaient  l'angle  BOE  :=  a  puis  l'angle  EOH  =  p,  c'est-à-dire  que  j'avais  fait 
inutilement:  op.  :  (2R1  -|-  R2  +  ^Cj).  Une  remarque  analogue  s'applique  à  plusieurs  constructions 
de  ce  même  mémoire  d'Oran  et  il  n'est  point  étonnant  qu'il  en  soit  ainsi,  car  si  la  théorie  de  la 
simplicité  était  faite,  je  ne  savais  pas  encore  l'appliquer.  C'est  pour  cela,  ainsi  que  je  le  dis 
dans  l'introduction,  que  je   donne  de  nouveau  les  symboles  des  opérations  fondamentales  en  les 


l 


42  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

XIII.  —  Construire  un  triangle  connaissant  un  côté  a  et  les  deux  angles 

xoy,  x'o'y'  adjacents  au  côté  a. 

Je  trace  une  droite  BC  et  sur  cette  droite,  à  partir  d'un  point  quel- 
conque B,  je  prends  BC  =  a op.  :  (B2  -f-  20^  +  Cj  +  C3). 

Je  trace  o(BC)  o'(BC)  C(BC) op.  :  (3Ci  +  SCg). 

Sur  o(BC)  je  prends  la  corde  xij  interceptée  par  l'angle  xoy  et  je  la 
transporte  à  partir  de  C  en  C  sur  B(BC)  qui  a  été  tracée  pour  avoir  C  ; 
je  prends  de  même  sur  o'(BC)  la  corde  x'xj'  et  je  la  transporte  à  partir 
de  BenB'  sur  C(BC) op.  :  (6C1  +  -2C3). 

Je  joins  CB',  BC op.  :  (4R,  +  2R,), 

qui  se  coupent  en  A. 

ABC  est  le  triangle  cherché. 

En  tout  :  op.  :  (4Ri  -\-  .SR^  +  HC^  +  C,  +  6C3)  ;  simplicité  2o  ;  exac- 
titude 16  ;  3  droites,  6  cercles. 

Il  est  clair  que  si  l'on  fait  la  construction  soit  sur  le  côté  donné,  soit 
en  prenant  l'un  des  angles  donnés  comme  angle  du  triangle  cherché,  le 
symbole  de  la  construction  sera  plus  simple. 

Dans  le  premier  cas,  on  n'aura  pas  besoin  de  prendre  la  longueur  a, 
ni  de  tracer  une  droite,  ni  de  reporter  a  sur  cette  droite,  et  les  cercles 
tracés  de  0,  0',  C  comme  centres,  le  seront  avec  un  rayon  quelconque  R, 
mais  il  faudra  tracer  en  plus  B(R);  le  symbole  sera  donc  : 

Op.  :  (4R,-f2R, -^lOCi  +  eCa), 

et,  dans  le  second  cas  : 

Op.  :  (2R,  -h  R.  +  8C1  -f  4C3). 

XIV.  —  Constt^uire  un  triangle  ABC,   connaissant  le  côté  AB  =  c, 
le  côté  AC  =  h  et  l'angle  BAC  =  xoy. 

Je  trace  une  droite  quelconque op.  :  (R^). 

A    partir    d'un    point    A    quelconque    sur    cette    droite,    je    prends 
AC  =  6 op.  :  (2Ci  +  C,  +  C3). 

simplifiant  s'il  y  a  lieu,  et  aussi  parce  que,  étant  loin  de  me  douter  alors  que,  à  peu  près  toutes 
les  constructions  fondamentales  données  depuis  Eudide  dans  les  Géométries  élémentaires  étaient 
trop  compliquées;  quelquefois  un  peu,  quelquefois  de  moitié;  cette  répétition  apparente  me  permet 
de  donner  des  constructions  plus  simples  qui  doivent  devenir  logiquement  les  constructions  clas- 
siques. Il  est  étonnant  que  des  questions  didactiques  aussi  simples,  placées  au  commencement  de  la 
Géométrie,  étaient  insuffisamment  étudiées  après  tant  de  générations;  aussi  lorsque  le  hasard  me 
conduisit  à  faire  cette  remarque,  je  fus  très  surpris,  mais  je  me  l'expliquai,  parce  que  les  géomètres, 
n'ayant  pas  de  critérium  à  ce  sujet,  ne  se  sont  occupés  que  de  la  simplicité  de  l'expression,  de  la 
liaison  évidente  d'un  théorème  avec  une  construction  qu'ils  indiquaient  sans  qu'ils  aient  systémati- 
quement porté  leur  attention  sur  la  partie  pratique  de  l'exécution,  et  sur  les  conditions  raisonnées 
de  sa  simplicité. 

Par  exemple,  dans  un  énoncé  :  joindre  les  pôles  de  deux  droites,  est  aussi  rapide  à  dire  et  forme 
une  phrase  aussi  simple  que  -.joindre  un  point  donné  au  sommet  d'un  angle,  et,  le  compas  à  la 
main,  c'est  fort  différent,  puisqu'il  faut  d'abord  construire  les  pôles,  etc. 


É.    LEMOINE.    —    LA    GÉOMÉTROGRAPHIE  43 

Je  trace  o(AC) op.  :  (Ci  +  C3). 

Je  prends  xy  et  je  trace  C{xy)  qui  coupe  A(AC)  en  B'.  .  op.  :  (3Ci  -f  C,)  ; 
je  trace  AB' op.  ;  (2Bi-f-R»)- 

Je  prends  la  longueur  c  que  je  porte  en  AB  sur  AB'.  .  op.  :  (3Ci  +  C3)  ; 
je  trace  CB op.  :  (âBj  +  B,). 

Symbole  :  op.  :  (4B,  +  3R,  +  9C,  +  C.  +  iCs);  simplicité  21;  exac- 
titude 14;  3  droites,  4  cercles, 

XV.  —  Construire  un  triangle  connaissant  deux  côtés  a,  et  h  et  V angle  B 

opposé  à  l'un  d'eux. 

On  trouve  pour  les  deux  solutions,  quand  la  solution  est  possible  : 
Op.  :  (6R,  +  4R,  +  9Gi  +  C,  +  4C3)  ;  simplicité  24  ;  exactitude  16  ; 
4  droites,  4  cercles. 

XVI.  —  Construire  un  triangle  connaissant  les  trois  côtés. 

On  trouve  :  op.  :  (4Ri  +  3R,  -f-  8C1  +  C,  +  3C3);  simplicité  19;  exac- 
titude 12;  3  droites  et  3  cercles. 

XVII.  —  Par  un  point  A  pris  hoi's  d'une  droite  BC,  mener  une  parallèle 

à  cette  droite. 

La  méthode  classique  donne  : 

Op.  :  (2Ri  +  Bj  +  oCi  -j-  3C^);  simplicité  H;  exactitude  7;  1  droite, 
3  cercles  (*). 

Mais  en  voici  deux  qui  donnent  des  résultats  plus  simples  et  qui  m'ont 
été  indiquées  par  M.  Tarry  (Gaston)  : 

1°  Par  A  je  fais  passer  un  cercle  coupant  BC  en  B  et  en  C 

op.   :  (Cl  +C3). 

Je  prends  BA  et  je  trace  le  cercle  CfBA)  qui  coupe  le  premier  cercle 
en  D  et  je  joins  AD op.  :  rSRi  -f  R^  +  3Ci  +  3C3). 

Symbole  :  op.  :  (2Ri  +  R,,  +  4Ci  +2C3)  ;  simplicité  9  ;  exactitude  6  ; 
1  droite,  2  cercles. 

2°  Je  construis  un  losange  ABCD  : 

Op.  :  (2Ri  4-  2R2  +  3Ci  -f  3C3)  ;  simplicité  9  ;  exactitude  S  ;  1  droite, 
3  cercles. 


(•)  Je  profite  de  l'occasion  pour  faire  une  remarque  ne  se  rapportant  d'ailleurs  pas  directement 
à  notre  sujet.  On  sait  que  la  construction  s'opère  ainsi  :  on  décrit  un  cercle  C(CB),  un  cercle  B(CB), 
un  cercle  B(AC)   qui  coupe  C(CB)    en  deux  points  D  et  D';  CD  est   parallèle  à  AB.  .l'ai  cherché  le 

lieu  de  D'  quand  le  rayon  varie.  On  trouve  immédiatement  qu'il  a  pour  équation  :  ?  = .    C   étant 


le  pôle,  CD  l'axe  polaire,  l  la  distance  de  C  à  AB, 


sm  — 
2 


44  MATHÉMATIUUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET    MÉCANIQUE 

Remarque.  —  Ces  simplifications  sont  importantes  à  cause  de  la  fré- 
quence de  cette  construction  dans  les  épures. 

3"  Cas  oii  la  droite  BC,  non  tracée,  est  donnée  par  deux  points  B  et  C. 

Je  prends  BC,  je  trace  A(BC) op.  :  (3Ci  +  C,). 

Je  prends  AB,  je  trace  CfAB) op.  :  (3Ci  +  C,). 

Ces  deux  cercles  se  coupent  en  D,  je  trace  AD  .    .    .     op.  :  (2Ri  -f  Rj. 

Symbole  :  op.  :  {tK,  -\-  R.,  +  6Ci  +  2Cjj  ;  simplicité  il  ;  exactitude  8; 
1  droite,  2  cercles. 

XVIII.  —  Tracer  une  perpendiculaire  en  son  milieu  à  une  droite  limitée 
par  deux  points  ou  placer  le  milieu  d'une  longueur  donnée . 

Symbole  :  op.  :  (2R,  +  R,  +  ^Ci  +  2C,)  ;  simplicité  7  ;  exactitude  4; 
1  droite,  2  cercles. 

XVIIF'^  —  Placer  le  point  symétrique  A'  d'un  point  A  par  rapport  à  une 

droite  donnée  BC. 

De  deux  points  quelconques  B,  C,  de  BC,  je  décris  les  cercles  B(BA) 
C(CA)  qui  se  coupent  en  A'  : 

Op.  :  {iC^  -\-  2C.,  +  2C3):,  simplicité  6;  exactitude  4;  2  cercles. 

On  peut  aussi  décrire  A(R)  qui  coupe  BC  en  B  et  en  C  ;  décrire  B(AB), 
C(AB)  qui  se  coupent  en  A'  : 

Op.  :  (3Ci  +  3C3)  ;  simplicité  6  ;  exactitude  3;  3  cercles. 

Si  la  droite  BC  non  tracée  était  donnée  par  deux  points  B  et  C,  le  sym- 
bole serait  : 

Op.  :  (4C,  +  2C3). 

XIX.  —  D'écrire  un  cercle  sur  une  droite  donnée  AB  comme  diamètre. 

On  prend  le  milieu  0  de  AB.    .    .    .     op.  :  (i2Ri  +  R,  +  20^  +  2C3). 
On  prend  la  longueur  OA,  puis  on  décrit  0(0A).    .     op.  :  (2Ci  +  C3). 
Symbole  :  op.  :  (2Ri  -j-  Rjj  +  4Ci  -j-  SCj)  ;  simplicité  10  ;  exactitude  6; 
1  droite,  3  cercles. 

XX.  —  Tracer  par  un  point  C  une  perpendiculaire  à  une  droite  AB. 
1°  Le  point  C  est  hors  de  la  droite. 

Méthode  classique. 

a)  Symbole  :  op.  :  (2Rj  +  R.,  +  SC^  -j-  3C3)  ;  simplicité  9;  exacti- 
tude o;  1  droite,  3  cercles. 


É.    LEMOINE.    —    LA    GKOMÉTROGRAPHIE  45 

Autre  méthode. 

b)  B  étant  un  point  quelconque  de  AB  je  décris  B(BCj  qui  coupe  AB 
en  A op.  :  (C,  +  Cl  +C3). 

Je  prends  AC  et  je  décris  A(AC)  qui  coupe  B(BC)  en  C,  je  trace  CC  . 
op.  :  (2R,  +  R,  +  2C,  +  C,). 

Symbole  total  :  op.  :  m,  +  R^  +  3C,  +  C,  +2C3;;  simplicité  9; 
exactitude  6  ;  1  droite,  2  cercles. 

2°  Le  point  C  est  sur  AB. 

Méthode  classique. 

a)  Même  symbole  et  mêmes  opérations  élémentaires  que  si  C  est  hors 
de  la  droite;  la  méthode  suivante  est  un  peu  plus  simple. 

b)  Je  place  une  pointe  en  un  point  arbitraire  quelconque  0  hors  de 
AB;  je  place  l'autre  pointe  en  C  et  je  décris  la  circonférence  0(0C)  qui 

coupe  aussi  AB  en  A  ;  je  trace  AO  qui  coupe  0(0C;  qw  C  . 

op.  :  r-2Rj  +  R,  4-  C,  +  C3). 

Je  trace  ce op.  :  (2R, -[-  R,;. 

Symbole  :  op.  :  (4R,  +  2R2  -{-  Ci  +  C3);  simplicité  8;  exactitude  o; 
2  droites,  1  cercle. 

Remarque.  —  Cette  méthode  h  que  l'on  donne  classiquement  pour  le 
cas  où  la  droite  AB  ne  peut  être  prolongée  au  delà  de  A  est  plus  simple 
que  la  méthode  a  générale  classique  donnée  lorsque  C  est  quelconque 
sur  AB  ;  b  doit  donc  être  toujours  employée  et  il  n'y  a  pas  à  séparer  le 
cas  où  C  tombe  en  A,  A  étant  l'extrémité  de  AB  lorsque  cette  position 
est  imposée  par  les  dimensions  de  l'épure. 

Si  l'on  veut  élever  une  perpendiculaire  quelconque  à  AB,  on  a  alors  : 

Symbole  :  op.  :  (4Ri  -f-  2R2  +  Cj;  simplicité  7;  exactitude  4; 
2  droites,  1  cercle. 

On  peut  aussi,  par  A  et  R,  points  quelconques  de  AB,  tracer  deux 
cercles  quelconques;  ils  se  coupent  suivant  une  perpendiculaire  à  AB. 

Op.  :  (2Ri  -f-  R,  +  2C,  +  2C3)  ;  simplicité  7  ;  exactitude  4  ;  1  droite, 
2  cercles. 

Si  l'on  veut  élever  une  pei^pendiculaire  quelconque  à  une  droite  (non 
tracée)  donnée  par  deux  points  A  et  B,  on  décrit  A  (Rj,  B  (R'i  ;  R  et  R'  étant 
quelconques,  l'intersection  de  ces  deux  cercles  résout  la  question. 

Op.  :  (2Ri  +  R,  +  2Ci  +2C3J  ;  simplicité  7;  exactitude  4;  1  droite, 
2  cercles. 

Abaisser  d'un  point  C  extérieur  à  une  droite  (non  tracée)  donnée  par 
deux  points  A  et  B,  une  perpendiculaire  sur  sa  direction. 

On  mène  A(ACj,  B(BC)  l'intersection  de  ces  deux  cercles  est  la  per- 
pendiculaire cherchée. 


46  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

Op.   :  (2Ri  +  R2  +  iCi  +  2C3)  ;  simplicité  9  ;  exactitude  6  ;  1  droite,. 

2  cercles. 

Remarque  I.  —  Si  l'on  veut  mener  la  perpendiculaire  en  A  à  une  droite 
AR  non  tracée  et  donnée  par  deux  points  A  et  R,  il  faut  faire  ainsi  : 

Tracer  R(R),  A(R)  d'un  même  rayon  R  quelconque  se  coupant  en  C, 
puis  C(R)  passant  en  A  et  R,  tracer  RC  qui  coupe  C(R)  en  C  et  tracer 

AC. 

Op.  :  (4R^  -|-  2R2  +  3Ci  +  3C3)  ;  simplicité  12  ;  exactitude?;  2 droites,. 

3  cercles. 

Il  est  assez  curieux  de  remarquer  que  lorsque  la  droite  est  donnée  par 
deux  points  A  et  R,  il  est  plus  simple  de  lui  mener  une  perpendiculaire 
par  un  point  quelconque  que  par  l'un  des  points  donnés. 

Remarque  IL  —  Lorsque,  dans  une  construction,  on  aura  à  élever  des 
perpendiculaires  en  n  points  A,  R,  C,  D...  donnés  de  droites  données 
L,  M,  N,  P. . .  il  y  a  avantag-e,  si  n  >  S,  à  opérer  ainsi  : 

Je  mène  une  première  perpendiculaire  en  A  à  M  par  une  opération  dont 
la  simplicité  est  8  (voir  XX,  9."  b). 

Je  décris  de  tous  les  points  donnés  comme  centres  des  circonférences 
de  même  rayon  ;  simplicité  2n. 

Je  prends  sur  la  circonférence  tracée  en  A  la  corde  du  quadrant  ;  sim- 
plicité 2. 

Je  la  reporte  sur  toutes  les  autres  circonférences  et,  par  leur  moyen,  je 
trace  les  perpendiculaires;  simplicité  5  (n — 1). 

Donc  elles  seront  tracées  par  une  opération  de  simplicité  5  +  7w,  au 
lieu  de  Sn  que  donnerait  la  construction  générale.  11  y  aura  donc  avan- 
tage à  la  prendre  si  : 

5  +  7n  <  8«        ou        o  <  n. 

XXI.  —  Décrire  une  circonférence  passant  par  trois  points  donnés. 

Op.  :  (4Ri  -f  2R2  +  SCi  +  4C3)  ;  simplicité  15  ;  exactitude  9;  2  droites, 
4  cercles. 

XXII.  —  Diviser  un  angle  donné  en  deux  parties  égales. 

Op.  :  (2Ri  +  R2  +  3Ci  +  3C3);  simplicité  9  ;  exactitude  5  ;  4  droites, 
3  cercles. 

Si  l'angle  donné  RÂC  est  déterminé  par  son  sommet  A  et  par  deux 
points  R  et  C  appartenant  chacun  à  l'un  des  côtés  de  l'angle  à  diviser,  le 
symbole  de  la  construction  se  trouverait  augmenté  du  tracé  des  deux 
droites  AR,  AC  ;  mais  on  peut  économiser  quelque  chose  et  n'en  tracer 
qu'une  en  opérant  comme  il  suit  : 


É.    LEMOLNE.    —   LA    GÉOMÉTROGRAPHIE  47 

Je  trace  AB op.  :  (2Ri  -|-  R^). 

Je  décris  A(AC)  qui  coupe  AB  en  C  dans  le  sens  AB. .  .op.  :  (2Ci  -f-  C3). 
Puis  je  décris  C(AC),  C'(AC)  qui  se  coupent  en  D,  et  je  trace  AD.    .    . 

op.  :(2R,  +  R, +  2Ci  +  2C3J. 

AD  est  la  bissectrice  de  l'angle  BAC. 

En  tout  :  op.  :  (4Ri  +  2R,  +  40^  +  3C3)  ;  simplicité  13;  exactitude  8; 
2  droites,  3  cercles. 

XXIII.  —  Divise?-  un  arc  donné  en  deux  parties  égales. 

Op.  :  (2Ri  +  R,  +  2Ci  +  2C3)  ;  simplicité  7  ;  exactitude  4  ;  1  droite, 

2  cercles. 

Quand  nous  donnons  un  cercle  ou  un  arc  de  cercle,  nous  supposons 
toujours,  comme  dans  cette  construction,  que  le  centre  en  est  placé,  s'il  ne 
l'était  pas  on  le  placerait  par  la  construction  dont  le  symbole  est ...    . 

op.  :  (4R,  +  2R,  +  3C,  +  3C3  ) 

sur  la  réalisation  de  laquelle  il  n'y  a  pas  besoin  d'insister. 

XXIV.  —  Tracer  la  bissectrice  de  Vangle  formé  par  deux  droites  AB,  CD, 
qu'on  ne  peut  pas  prolonger  jusqu'à  leur  point  d'intersection  X  (*;. 

D'un  point  A  quelconque  de  AB,  je  trace  (R  étant  quelconque)  A(R) 
qui  coupe  CD  en  C  et  AB  en  B  ;  je  trace  C(R)  qui  coupe  CD  en  D 

op.  :  fCi  +  C,  +  2C3I. 

B  et  D  étant  tous  deux  du  même  côté  de  AC. 

Je  trace  B(R)  qui  coupe  C(R)  en  J,  D(R)  qui  coupe  A(R)  en  I 

op.  :  (2C1+2C3) 

Je  trace  AJ,  CI op.  :  r4Ri  +  2Rj. 

Ces  deux  droites  se  coupent  en  M,  point  de  la  bissectrice  cherchée. 
Je  trace  un  cercle  quelconque  M(R';  qui  coupe  AB  en  H,  CD  en  G.    .   . 

op.  :  (Cl  +  C3). 

G  et  H  étant  les  points  d'intersection  tels  que  GX  =  HX. 

Je  prends  un  point  quelconque  M'  à  égale  distance  de  G  et  de  H  ;  je 

trace  MM' op.  :  (2Ri  +  R,  +  2C,  +  2C3). 

Op.  :  6R1  +  3R,  +  6Ci  +  C,  +  7C,)  ;  simplicité  23;  exactitude  13; 

3  droites,  7  cercles. 

11  y  a  un  grand  nombre  de  solutions  simples  du  même  problème  qui 
peuvent  être  utiles;  mais  je  ne  donne  que  celle-ci,  qui  est  la  plus  simple 
que  j'aie  trouvée,  afin  de  ne  pas  développer  outre  mesure  notre  mémoire. 
Cette  observation  s'applique  à  beaucoup  d'autres  problèmes  traités  ici. 

(*)  J'ai  donné  dans  le  mémoire  d'Oran  déjà  cité,  une  solution  de  ce  problème  beaucoup  plus 
compliquée  graphiquement  ;  je  n'avais  pas  encore  l'esprit  exercé  a  chercher  les  simplifications  gra- 
phiques pour  elles-mêmes,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit. 


48  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE.    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

M  est  soit  le  centre  du  cercle  inscrit  au  triangle  AGX,  soit  celui  du  cercle 
ex-inscrit  au  même  triangle  tangent  au  côté  AG,  suivant  que  D  et  B  sont 
d'un  côté  ou  d'un  autre  de  AG  (qu'il  ne  faut  pas  tracer).  J'aurais  pu 
continuer  la  construction  en  cherchant  le  centre  y.  de  celui  des  deux 
cercles  tangents  qui  n'est  pas  M;  mais  la  construction  eût  été  un  peu  plus 
compliquée,  ainsi  qu'il  est  facile  de  le  voir. 

XXV.  —  Tracer  par  un  point  A  pris  sur  une  circonférence  de  centre  0 

une  tangente  à  la  circonférence. 

La  solution  classique  est  un  peu  trop  compliquée,  elle  donne  : 

Op.  :  (6Ri  -f-  3R2  -f-  G,  +  C3);  simpHcité  11;  exactitude  7;  3  droites, 
1  cercle. 

En  voici  une  préférable  : 

Je  trace  A(AO)  qui  coupe  OiOA)  en  B,  je  trace  B(BA)  qui  coupe  A(AO) 
en  G,  je  trace  G(CA)  qui  coupe  B(BAj  en  D,  je  trace  AD. 

Op.  :  (2R,  -f-  Rj  +  4G,  +  3G,,);  simplicité  10;  exactitude  6;  1  droite, 
3  cercles. 

XXVI.  —  Tracer  d'un  point  extérieur  A  les  deux  tangentes  à  un  cercle 

donné  de  centre  0  (*i. 

1°  Je  trace  un  diamètre  quelconque  GOD op.  :  (Ri  -(-f'-i*- 

Je  prends  OA  et  je  décris  G(OA),  D(OA)  se  coupant  en  E,  op.  :  (iGj  -j-  2G3). 

Je  prends  EO  et  je  décris  A(EO)  qui  coupe  la  circonférence  donnée  en  G 
et  en  H. op.  :  (3G,  +G3). 

Je  trace  AG,  AH op.  :  (4Ri  +  m^). 

Op.  :  (5Ri4-3R2  +  7Gi  +  3G,5i;  simplicité  18;  exactitude  12;  3  droites, 
3  cercles. 

2°  Je  trace  la  sécante  quelconque  ABG  (B  entre  A  et  G);  je  trace 
G(GA) op.  :  (R,  -f-  R,  +  ±C,  +  C3). 

Sur  BC  je  prends  BD  =  GA,  D  étant  de  l'autre  côté  de  B  que  G;  je 
trace  D(GA)  qui  coupe  G(GAj  en  K op.  :  (2Gi  +  2C,). 

Il  est  facile  de  voir  que  AK  est  la  moyenne  [proportionnelle  entre  AB 
et  AG .  Je  décris  A(AK)  qui  coupe  la  circonférence  donnée  en  I  et  I';  je 

trace  AI,  AI' op.  :  (4R,  +  2B,  +  2Gi  +  G,,) 

qui  sont  les  tangentes  cherchées. 

Op.  :  (5R,  4-3R, +  6C, +4G3)  ;  simplicité  18;  exactitude  11; 
3  droites,  4  cercles. 

(*)  La  solution  claBsique  qui  consiste  à  décrire  une  circonfi'Tenee  sur  OA  comme  diamètre,  etc., 
donne  le  symbole  :  op.  :  (8Ri  r  AR2  —  ''•Ci  t-  3C3).  Dans  mon  mémoire  d'uran,  j'avais  mis  : 
op.  :  (6K,  -'- 3R;  +  iCj  -  3C3).  Seulement,  j'avais  oublié  de  compter  la  droite  OA  qu'il  faut  tracer. 
Les  deux  solutions  que  je  donne  ici  sont  un  peu  plus  simples  que  cette  solution  classique. 


É.    LEMOINE.     —   LA    GÉOMÉTROGRAPHIE  49 

XX VII.  —  Inscrire  un  cercle  dans  un  triangle  donné  ABC. 

Qu'il  s'agisse  d'un  cercle  inscrit  ou  d'un  cercle  ex-inscrit,  la  mé- 
thode classique  par  les  bissectrices  des  angles  du  triangle  conduit  au 
symbole  : 

Op.  :  (6Ri-j-3R, +  IIC1 -l-lOCg);  simplicité  30;  exactitude  17; 
3  droites,  10  cercles. 

Si  l'on  voulait  tracer  les  trois  autres  cercles  tangents,  on  aurait  en  plus 
à  ajouter  :  op.  :  (12Ri  -}-  OR^  +  l^Ci  -|-  I3C3).  En  tout,  par  conséquent  : 

Op.:(18Ri-{-9R,-f-27Ci  +  23C3); 
simplicité  77  ;  exactitude  45  ;  18  droi- 
tes, 23  cercles. 

Voici  une  solution  plus  simple, 
mais  qui  ne  se  présenterait  certes 
point  à  l'esprit  si  l'on  ne  dirigeait 
point  l'attention  vers  la  recherche 
systématique  de  la  simplicité  de  la 
construction  (fîg.  1). 

J'appelle  P,  Q,  R  les  points  de 
contact  du  cercle  inscrit  sur  BC,  CA, 
AB  et  0  le  centre  de  ce  cercle. 

Sur  BA,  dans  le  sens  BA,  je  prends 
AD  =  AC;  sur  B A,  dans  le  sens  BA, 
je  prends  BE  ==  BC op.  :  (  4Ci  +  2C3). 

Je  décris  A(DEi  qui  coupe  AB  en  R'  (R'  est  dans  le  sens  ABi,  et  AC 
en  Q'  (Q'  est  dans  le  sens  AC) op.  :  (3Ci  -f  C3)  ; 

il  est  évident  que  AR  =  AQ  =      '"  ^  ~"  ^  et  que,  par  suite,  R  et  Q  sont 

les  milieux  de  AR'  et  de  AQ';  0  est  donc  le  centre  du  cercle  circonscrit 
au  triangle  AQ'R'. 

Je  trace  R'(DE)  qui  coupe  A(DE)  en  deux  points;  en  joignant  ces 
points,  j'ai  un  lieu  de  0 op.  :  (2Ri  -f-  R^  -j-  ^  +  C3I. 

Je  trace  Q'(DEj  qui  coupe  A(DE)  en  deux  points;  en  joignant  ces  points, 
j'ai  un  autre  lieu  de  0 op.  :  (2Ri  -|-  R^  -}-  d  -f-  Cg). 

Je  décris  0(0R)  qui  est  le  cercle  cherché op.  :  (2Ci-f-C3'i. 

Op.  :  (4Ri  H-  2R,  +  ilC^  -j-  6C3)  ;  simplicité  23;  exactitude  lo  ; 
2  droites,  6  cercles. 

En  appliquant  la  transformation  continue  (voir  A.  F.,  Congrès  de  Mar- 
seille, 1891),  on  arrive  immédiatement  à  la  construction  qu'il  faudrait 
faire  pour  tracer  un  cercle  ex-inscrit  ;  elle  a  le  même  symbole  que  celle 
du  tracé  du  cercle  ex-inscrit. 

4* 


oO  MATHÉMATIQUES,     ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

Si  l'on  veut  tracer  les  quatre  cercles  tangents,  il  vaut  mieux  commencer 
par  les  trois  cercles  ex-inscrits  et  finir  par  le  cercle  inscrit  en  joignant 
AO^,.BO,„  etc. 

On  a  : 

Op.:    (I8R1 -f  9R., -f  26Ci  +  I3C3);  simplicité  66;    exactitude   44; 

9  droites,  13  cercles. 

XXYIII.  —  Construire  sur  une  droite  donnée  AB  un  segment  capable 

d'un  angle  donné  ECD. 

La  méthode  classique,  conduite  sans  lignes  inutiles,  donne  : 
Op.  :   (6R1  +  3R,  +  lOCi  +  7C3)  ;    simplicité    26  ;    exactitude   16  ; 

3  droites,  7  cercles. 

Voici  une   construction 
plus  simple  (fig.  2)  : 

Je  trace  Ai  ABj,  B(AB) 
qui  se  coupent en  P  et  en  Q 
.  .  .  op.  :  (3Ci  +  2C3) . 
Je  trace  C(AB)  qui  coupe 
CD  en  D,  CE  en  E;  je 
prends  F  sur  C(AB)  tel  que 
arc  EF  =  arc  ED  .  .  .  . 
.  .  .  op.  :  aCi-f^iCg). 
.Je  prends  D  sur  A(AB)tel 
que  arc  BI*D  =  arc  DEF  ; 

je  trace  BD,  PQ  se  coupant  en  0;  je  trace  0(0A) 

op.:  (iR^-f2R,  +  oCi  +  2C3, 

et  l'on  a  le  segment  cherché  : 

Op.  :  (4Ri  +  2R.,  +  llCi  +  6C3)  ;  simplicité  23;  exactitude  15; 
2  droites,  6  cercles. 

XXIX.  —  Construire  les  tangentes  communes  à  deux  circonférences 

données  0  et  0'. 

PREMIÈRE   MÉTHODE 

Premier  cas.  —  Les  deux  circonférences  sont  extérieures  (*j,  il  y  a 
quatre  tangentes  communes;  soit  0  la  plus  grande  des  deux  circonfé- 
rences. 


Fig.  2. 


(*)  Pour  éviter  les  erreurs  et  faciliter  la  formation  du  symbole  d'une  opération,  j'écris  ordinaire- 
ment, de  la  façon  dont  je  le  fais  dans  cette  première  méthode,  les  symboles  des  opérations  com- 
posantes. 


É.    LEMOINE.    —    LA    GÉOMÉTROGRAPHIE 


51 


Je  trace  00' 

00'  coupe  la  circonférence  0  en  A  et  la 
circonférence  0'  en  A',  A  et  A'  étant  entre  les 
points  0  et  0'.  Je  prends  A'O' que  je  porte  de 
part  et  d'autre  de  A  en  B'  et  B",  B'  étant 
porté  vers  le  sens  AO 

Je  trace  0(OB'j,  0(0B") 

Je  prends  le  milieu  (o  de  00' 

Je  décris  (o(coO)  qui  coupe  O(OB')  en  I  et  J 
et  0(OB")en  Ii  et  J, 

01  et  OJ  coupent  0(0A  i  en  1'  et  J' .    .    .    . 

OIi  etOJj  coupent  0(0A)  enl'i  et  J',  .    .    .    . 

Je  trace  les  perpendiculaires  à  01'  et  à  01,' 
menées  respectivement  par  1'  et  par  l'i  ;  elles 
coupent  00'  en  V  et  Vj 

Je  trace  VJ',  V^j; 


Ri 

R, 

c, 

c. 

c. 

2 

1 

3 

1 

4 

2 

1 

2 
2 

2 
1 

4 

"2 

\ 

9 

8 

i 

2 

2 

24 

2 
1^2 

13 

8 

Op.  :  (24Ri  +  12R,  +  13Ci  +  8C3)  ;  simplicité  37;  exactitude  37; 
12  droites,  8  cercles. 

Si  l'on  n'a  à  tracer  que  les  deux  tangentes  communes  extérieures  ou  les 
deux  intérieures,  on  aura  seulement  : 

Op.:    {12Ri  +  6R2+ lOC,  +  6C3)  ;    simplicité    34;    exactitude    22; 

6  droites,  6  cercles. 

Deuxième  cas.  —  Los  circonférences  se  coupent;  il  n'y  a  que  les  deux 
tangentes  extérieures. 
On  trouve  : 
Op.    :    (14Ri  -1- 7R2 -f  lOCi  + 'JCg,)  ;   simplicité  37;   exactitude  24; 

7  droites,  6  cercles. 

Troisième  cas.  —  Les  circonférences  se  touchent  extérieurement. 

On  trouve  : 

Op.    :    (I6R1  -f  8R,  +  12c,  -f  8C3)  :   simplicité  44  ;   exactitude  28  ; 

8  droites,  8  cercles. 

Remarquons  qu'il  faut  placer  B"  en  même  temps  que  l'on  place  B'  parce 
que  B'  et  B"  serviront  alors  pour  mener  la  perpendiculaire  en  AetOA  qui 
est  une  des  tangentes. 

Quatrième  cas.  —  Les  circonférences  se  touchent  intérieurement. 

On  trace  00'  et  l'on  mène  en  A  la  perpendiculaire  à  OA  : 


52  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

Op.  :  (6Ri  +  3R,  +  C,  -f  ^'2);  simplicité  il  ;  exactitude  7  ;  3  droites, 
1  cercle. 

DEUXIÈME    MÉTHODE 

Premier  cas.  —  Les  deux  circonférences  sont  extérieures  l'une  à  l'autre 
(fig.  3). 


FiG.  3. 


Je  trace  00' op.  :  (2Ri  +  R^). 

Aux  notations  de  la  première  méthode,  j'ajoute  celles-ci  : 
J'appelle  Aj  et  A'^  les  seconds  points  d'intersection  de  00'  avec  les  deux 
circonférences  0  et  0'. 
Je  prends  sur  le  cercle  0  les  points  a  et  aj  tels  que  AO  =  Aa  =  A^a^    . 

op.  :  ("2Ci  +  C3). 

a  et  «j  sont  placés  de  part  et  d'autre  de  00';  je  prends  sur  le  cercle  0' 
un  point  a'  du  même  côté  de  00'  que  a  et  tel  que  A',0':=  A[a';  je  trace  aa' 
qui  coupe  00'  en  V  et  ol^o.'  qui  coupe  00'  en  Vj 

op.  :(4R,  +  2R,  +  2C,  +  C3). 

Il  me  suffit  maintenant  de  mener  de  V  et  de  V^  les  tangentes  soit  à  0, 
soit  à  0'  au  moyen  de  l'une  des  deux  solutions  indiquées  par  la  cons- 
truction XXVI,  et  de  remarquer  qu'il  faut  en  diminuer  les  symboles  de 
op.  :  (Ri  -\-  Rj),  puisque  nous  pouvons  nous  servir  dans  la  première, 
comme  diamètre  quelconque  du  diamètre  00'  déjà  tracé,  et  dans  la  seconde 
également  de  00'  comme  de  la  sécante  quelconque  qu'il  faut  mener  ;  en 
adoptant  la  première  construction,  on  a  : 

Op.  :  (liRi  +  'îRa +  I8C1  +  8C3);  simplicité  48;  exactitude  32; 
7  droites,  8  cercles. 

En  adoptant  la  seconde  : 

Op.  :  (14Ri  +  7R,  4- I6C1  +  IOC3)  ;  simplicité  48;  exactitude  30; 
7  droites,  10  cercles. 


É.    LEMOINE,    —    LA    GÉOMÉTROGRAPHIE  53 

Si  l'on  n'a  à  tracer  que  deux  tangentes  communes,  soit  extérieures,  soit 
intérieures,  on  aura  seulement  : 

Op.  :  (8Ri  +  4R, -f- llCi  +  SC3J  ;  simplicité  28;  exactitude  19; 
4  droites,  o  cercles. 

Deuxième  cas.  —  Les  circonférences  se  coupent. 

En  employant  la  première  construction  du  n°  XXVI,  on  trouve  : 

Op.  :  (8Ri  +  4R2  +  llCi  +  5C3)  ;  simplicité  28  ;  exactitude  19  ; 
4  droites,  5  cercles. 

En  employant  la  deuxième  construction,  on  trouve  : 

Op.  :  (8R1  +  4R,  +  lOCi  H-  6C3)  ;  simplicité  28  ;  exactitude  18  ; 
4  droites,  6  cercles. 

Troisième  cas.  —  Les  circonférences  se  touchent  extérieurement. 

En  employant  la  première  construction  : 

Op.  :  (14Ri  +  7R,  +  13Ci  +  TCg)  ;  simplicité  il  ;  exactitude  27  ; 
"  droites,  7  cercles. 

En  employant  la  deuxième  construction  : 

Op.  :  (14Ri  +  7R,  4- 12Ci -f  8C3)  ;  simplicité  41;  exactitude  26; 
7  droites,  8  cercles. 

Quatrième  cas.  —  Les  deux  circonférences  se  touchent  intérieurement, 
comme  dans  la  première  méthode. 

XXX.  —  Construire  une  droite  CD  qui  soit  n  fois  une  longueur  donnée  AB': 
1°  sans  marquer  les  divisions  intermédiaires;  2°  en  marquant  les  divisions. 

En  se  reportant  à  VIII,  on  trouve  : 

i"  Op.  :  [R,  +  (n  +  2)C,  +  Cj. 

2°  Op.  :  [R,  +  (n  +  ijC,  +  C,  -f  nC,]. 

Pour  certaines  valeurs  de  n,  on  peut  avoir  des  constructions  particuUères 
plus  simples. 

XXXI.  —  Construire  une  droite  CD  qui  soit  la  n'"«  partie  d'une  droite 

donnée  AB. 

Je  trace  deux  droites  quelconques  OH,  OL op.  :  (2R2). 

Je  porte  AB  en  OH op.  :    (3Ci  -f  C3). 

Sur  OL  je  prends  la  longueur  OL  égale  à  w  fois  une  ouverture  de  compas 
quelconque  et  j'en  marque  les  deux  dernières  divisions  K  et  L  .  .  .  . 
op.  :  (2Ci  +  nCg). 


54  MATUKMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

Par  K  je  mène  une  parallèle  à  LH   (sans  tracer  LHj 

op.:  (2R,  4- R,  +  6C.  +  2C3) 

qui  coupe  OH  en  G;  GH  est  la  longueur  cherchée. 

Op.  :  [m,  +  3R,  +  llCi  +  (n  +  SjCa]. 

Simplicité  19 +n;  exactitude  w -|- 10  (les  C3  de  OL  comptent  évidem- 
ment ici,  sauf  l'avant-dernier,  pour  estimer  l'exactitude);  3  droites,  (n  -|-  3j 
cercles . 

Remarque.  —  Pour  certaines  valeurs  de  n:  2,3,  4,  2p,  etc. par  exemple, 
on  peut  trouver  des  constructions  particulières  plus  simples. 

XXXII.  —  Divise?'  une  droite  AR  en  p  parties  proportionnelles  à  des 
droites  données  Uj,  n.^,  ...  n  . 

Je  mène  par  R  une  droite  RX op.  :  (Rj  +  R^)  ; 

Je  prends  sur  RX,     RXj  =  n^\    NjxN^  =  n.^,  . . .  N      ,N    =  w    .   .   . 

op.  :  [^(3Ci  +  C3)]. 

Je  trace  AN^ op.:  (2Ri  +  R.,). 

En  chacun  des  points  N  ,,  iN„_^,  . . .  Xj,  je  fais  avec  N  R  des  angles 
égauxà  RNpA,  op.:  [2(;j  — 1)R,  + (jo  — 1)R,+ (2p-f  l)C,  +  (2/)  — IjC^J. 

Op.  :  [(ip  +  l)Ri  +  <>  +  1,)R.  +  i5p  +  IjCi  +  (3yj  -  ijCj;  simpli- 
cité lljo  -f  2'  exactitude  7j9  +  2;  (j?  +  1)  droites,  (3jj  —  Ij  cercles. 

Remarque.  —  Si  les  parties  n,,  w^,  ...  n  étaient  trop  petites  ou  trop 
grandes  pour  être  employées  directement,  on  les  rendrait  toutes  À  fois 
plus  grandes  ou  1  fois  plus  petites,  ce  que  nous  savons  faire  par  les  opéra- 
tions XXX  ou  XXXI,  et  l'on  calculerait  facilement  le  symbole,  lequel  serait 
alors  plus  compliqué. 

Si  plusieurs  des  parties  Wj,  w^,  ...  n ^  sont  égales  sans  qu'elles  le  soient 
toutes,  et  que  l'on  ait  plusieurs  compas  (*),  le  symbole  général  se  sim- 
plifie. 

(*)  Nous  supposons  toujours,  si  Ton  ne  prévient  du  contraire,  que  l'on  ne  se  sert  que  d'un  seul 
compas  ;  mais  il  y  a  des  opérations  où  il  est  avantageux  d'en  avoir  plusieurs  ;  cela  arrive  si,  ayant 
pris  avec  le  compas  une  certaine  longueur,  on  a  encore  besoin  de  celte  même  longueur  dans  la  suite 
de  la  co  nstruction  après  avoir  été  obligé  de  déranger  l'ouverture  du  compas  pour  prendre  une  autre 
longueur;  chaque  fois  que  l'on  n'est  pas  obligé  de  faire  ce  changement  d'ouverture,  on  gagne  : 
op.  :  (2C1) .  Remarquons  encore  que  si  la  construction  se  déduit  du  raisonnement  géométrique,  l'ordre 
des  constructions  n'a  pas  besoin  de  suivre  l'ordre  de  ce  raisonnement.  Ainsi,  si  le  raisonnement 
montre  à  diverses  parties  de  son  développement,  que  l'on  a  à  construire  plusieurs  cercles  de  même 
rayon  dont  les  centres  sont  déjà  fixés  lorsque  l'on  construit  le  premier,  il  faudra  évidemment  les 
décrire  tous  pendant  que  l'on  a  ce  rayon  dans  l'ouverture  du  compas,  etc.  ;  aussi  est-il  nécessaire, 
pour  toute  construction  faite  avec  soin,  de  l'étudier  à  l'avance  dans  son  ensemble,  d'en  faire  l'étude 
par  une  sorte  de  croquis  raisonné  pour  arriver  le  plus  simplement  possible  au  résultat  cherché  ;  il  y 
a  un  or<  véritable  des  constructions  géométriques  dont  on  ne  s'est  jamais  systématiquement  préoc- 
cupé ;  le  géomètre,  comme  je  l'ai  di'jàfait  remarquer,  dit  aussi  simplement:  «  Je  prends  la  polaire  de  A 
par  rap  port  au  cercle  0  »  qu'il  dit  :  «  Je  joins  les  deux  points  A  et  B  »  et  la  chose  exécutée  est 
bien  différente.  Le  géomètre  cherche  la  simplicité  delà  plirase,  de  la  déduction,  de  l'idée  ,  si  l'énoncé 
de  la  conslruction  qu'il  indique  est  simple,  il  dit  :  «  La  construction  est  simple  »  ;  c'est  de  cette  sim- 
plicité d  ont  on  s'est  exclusivement  occupé  jusqu'ici.  L'art  de  la  conslruction  géométrique  ou  Géométro- 
graphie   se  place  à  un  tout  autre  point  de  vue. 


E.    LEMOINE. 


LA    GEOMETROGRAPHIE 


00 


XXXIII.  —  Construire  la   quatrième  proportionnelle   X  à   trois  droites 

N  .  P 
données  31,  N,  P  :  X  =  -— --  > 

M 

ou  :  Diviser  une  longueur  P  proportionnellement  à  deux  longueurs  données 

M  et  N. 


Voici  la  construction  classique  : 

a)  Je  trace  deux  droites  qui  se  coupent  en  A op.:  (2Rj). 

Sur  un  des  côtés  et  dans  le  même  sens,  je  prends  AB  =  M;  AD  =  N; 
puis  sur  l'autre  côté  AC  ^  P op.:  (9C1  +  3C3). 

Puis,  par  D  une  parallèle  à  BC,  je  mène  cette  parallèle  (sans  tracer  BCj 
par  l'opération op.:  (2Ri -1- Rj -)- 6C1 -f- SCjj. 

J'ai  ainsi  : 

Op.:    (2Ri  4- 3R,  +  13Ci -f- 0C3)  ;    simplicité   2o;    exactitude    17; 

3  droites,  5  cercles. 

Remarquons  même  que  si  j'avais  tiré  BC,  comme  l'indiquent  toutes 
les  constructions  classiques,  j'aurais  eu  le  symbole  un  peu  plus  compli- 
qué (quoique  en  employant  la  méthode  simplifiée,  voir  XVII,  pour  mener 
par  un  point  D  une  parallèle  à  une  droite  BC)  suivant  : 

Op.  :    (4Ri  -f-  4R5i  -f  l'^Ci  -j-  ^Cj!  ;    simplicité    26;   exactitude   17; 

4  droites,  5  cercles. 

Mais  il  y  a  d'autres  constructions  quHl  faut  employer  de  préférence  parce 
qu'elles    sont  plus   simples. 


°/ 


:^" 


b)  Je   trace  (fig.  4)  une 

droite  quelconque 

.  ^ op.   :  (R,). 

Je  prends  sur  cette  droite 
RA=:N;  RB  =  P  .  .  .  . 
.    .op.:(5Ci+C, +  2C3J. 

Je  construis  un  cercle  pas- 
sant par  les  points  A  et  B  ; 
je  construis  R(M)  qui  coupe 
en  C  le  cercle  passant  par  A 
et  B op.:  (6C,  +  4G3). 

.Je  trace  la  droite  RCD  (D  sur  le  cercle  passant  par  A  et  B) 

op.:  (2Ri+R,). 

Op.:  (2Ri  -|-  2R,  +  IIC^  -f  C,  -j-  6C3);  simplicité  22;  exactitude  14; 
2  droites,  6  cercles. 

c)  Je  trace  (fig.  S)  une  circonférence  d'un  rayon  plus  grand  que  la  moitié 
de  la  plus  grande  des  trois  lignes  M,  N,  P op.:  (Cj). 

Je  prends  à  partir  d'un  poiat  quelconque  R  de  cette  circonférence  des 


Fig.  4. 


/ 
/ 

/                             / 

— -— Vb 

-;'^" 

36  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCAMQUE 

cordes  RA ,  RB,  RC  égales  respectivement  à  N,  P,  M,  op .  :  (8Ci  +  C^  +  SCg). 
A  et  B  étant  de  part  et  d'autre  de  R,  je  trace  AB  .  op.  :  (2Ri  -f-  R^). 

Je  prends  sur  la  circonférence   passant 
par  A,  B,  C  AE  =  BC,  E  et  C  étant  du 
même  côté  de  AB.   .    .   op.  :  (8Ci  -|-  C3). 
Je  trace  RE  qui  coupe  AB  en  H  .    .    . 

op.  :  (2R,  +  R,). 

RH  est  X,  car  les  deux  triangles  ARH, 
CRB  sont  semblables,  etc. 
Op.  :  (4Ri  +  2R,  +  HC,  +  C,  +  5C3); 
F,g  g,  simplicité  23;    exactitude    16;   2  droites, 

5  cercles. 
Les  constructions  que  nous  indiquons  dans  tout  ce  travail  sont  géné- 
rales, à  moins  que  nous  n'avertissions  du  contraire,  c'est-à-dire  qu'elles 
peuvent  toujours  s'appliquer  avec  n'importe  quelles  données,  et  cela  est 
indispensable  pour  l'étude  générale  de  la  simplicité  d'une  question  donnée, 
puisque  ce  sont  des  constructions  fondamentales  d'où  l'on  part  pour  éta- 
blir le  symbole  d'une  construction  à  efTectuer.  Ainsi,  par  les  constructions 

N  .  V 
a,  h,  c,  quels  que  soient  M,  N,  P,  la  quatrième  proportionnelle  peut 

se  construire.  Il  y  a  quelquefois  des  constructions  plus  simples  que  celles 
que  nous  venons  de  donner,  mais  alors  elles  ne  sont  pas  générales;  par 

N  .  P 

exemple,  pour  tracer  la  quatrième  proportionnelle  ?  on  peut  opérer 

ainsi  lorsque  "S  et  P  sont  plus  petits  que  2M  (voir  Journal  de  Vuibert, 
1881-82,  p.  58). 

d)  Je  trace  d'un  point  quelconque  0  le  cercle  0(M);  d'un  point  quel- 
conque R  du  cercle,  je  trace  R(N)  qui  coupe  0(M)  en  A 

« op.:  (4C, +  C,  +  2C3). 

Je  trace  A(P)  qui  coupe  0(M)  en  B  (R,  A,  B  étant  dans  le  même  sens); 
je  trace  B(P)  qui  coupe  R(N)  en  A  et  en  A'. 

AA'  est  la  quatrième  proportionnelle  cherchée.    .    .op.:  (5Ci -|- 2Cj). 

Op.:  (8C1  -f-  C2  -|-  4C3);  simplicité  13;  exactitude  9;  4  cercles. 

Il  y  en  a  beaucoup  d'autres  du  même  genre  (voir,  par  exemple.  Journal 
de  Vuibert,  1881-82  p.  59j.  Cette  dernière  est  aussi  indiquée  dans  Ma- 
thesis,  1892,  p.  I08,  mais  sans  que  l'on  y  ait  fait  observer  son  défaut  de 
généralité. 

Il  est,  du  reste,  fort  intéressant  de  connaître  les  principales  constructions 
non  générales  des  problèmes  fondamentaux  de  la  construction,  parce 
qu'on  doit  les  appliquer  à  l'occasion,  et  aussi  de  connaître  les  solutions 
générales  moins  simples  que  celles  que  nous  donnons  ici,  parce  que, 
quand  certaines  lignes  sont   déjà  tracées  sur  la  figure,  elles   peuvent 


É.    LEMOINE.     —     LA    GÉOMÉTROGRAPHIE  57 

devenir  les  plus  simples;  mais  avant  de  les  accepter  pour  établir  le 
symbole  d'une  construction,  il  faut  :  pour  les  premières,  examiner  si  les 
conditions  restrictives  qu'elles  exigent  sont  remplies;  pour  les  secondes, 
si  leur  emploi  simplifie  effectivement  la  construction. 

XXXIV.  —  Construire  la  troisième  proportionnelle  X  := 

M 

Si,  dans  les  constructions  du  problème  XXXIII,  on  suppose  N  =  P,  on 
aura  la  construction  cherchée. 

La  construction  a)  donnera  .    .    .    .op.:  (4Ri  -{-  iR^  +  lOCj  +  4C3); 

b)        .)         .    .  op. :  (2R,  +  2R,  +  OC^  +  C,  +  6C3), 

par  une  modification   facile,   en  remplaçant  le  cercle  passant  en  A  et 

en  R  par  un  cercle  tangent  çn  A  à  RA,  puisque  A  et  R  se  confondent. 

c)  donnera op  :  (iR^  +  2R,  +  oCi  +  C,  +  SC.,). 

Il  suffira  de  prendre  sur  le  cercle  tracé  au  commencement  de  la  cons- 
truction, corde  RA  =  corde  RR  =  N ,  A  et  R  étant  pris  de  part  et  d'autre 
de  R,  de  prendre  corde  RC  =  M,  de  tracer  RC  qui  coupera  AR  en  H, 
RH  est  la  longueur  cherchée  (*). 

d)  Construction  non  généi^ale  puisqu'elle  exige  2N  -<  M  ;  on  trouve  .  . 
op.  :  (6C,  +  C,  +  4C3J. 

La  plus  simple  construction  générale  que  je  connaisse  de  la  troisième 

proportionnelle  X  =  — ,  dérivée  de  XXXIII,  se  déduit  donc  de  c  par  le 

symbole  : 

Op.:  (4R,  +  2R,  +  oCi  +  C^  +  SCg)  ;  simplicité  15  ;  exactitude  10; 
2  droites,  3  cercles. 

Si  Von  a  .•  N  <;  2M,  en  voici  encore  une  fort  simple  : 

Je  trace  R(M),  R  est  quelconque op.:  (2Ct -f  C3). 

A  étant  quelconque  sur  R(M),  je  trace  A(N) .    .op.:  (2Ci  +  Cjj  -f  C3). 

Je  trace  RD  qui  coupe  A(N)  en  G  .    .    .    .    .    .    .    .  op..-  (2Ri  -f-  ^^2)^ 

on  a  CD  =  X. 

Op.:  (2Ri  +  R2  +  4Ci  -4-  C,  +  2C3);  simplicité  10;  exactitude  7; 
1  droite,  2  cercles. 

XXXIV'"'.  —  Dam  un  triangle  ARC,  construire  les  longueurs  : 

6*     c^     c'    a'    a*     b^     bc    ca    ab 

—  ,  — ,  —,  —,  — ,  — ,  — ,  — _ ,  — . 

aabbccabc 

La  construction  pour  ciiacune  d'elles  est  plus  simple  que  les  construc- 
tions générales  XXXIII  et  XXXIV,  parce  qu'elle  est  exécutée  dans  un 
triangle  tracé. 

{*)  Cette  construction  donne  le  théorème  suivant  :  Si  dans  un  trkmyle  ARC  on  mène  du  point  A  la 
perpendiculaire  au  nn/on  OR  du  cercle  circonscril  à  ARC,  celte  perpendicuUnve  coupera  le  côU;  CR  en  un 
point  H  el  l'on  aura  AR2  r=  RH  .  RC.  ■ 


58  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

Je  fais  l'angle  BAK  =  C,  K  étant  sur  BC  dans  le  sens  BC. 

On  a  :  AK  r^  —  ,     BK  =^^=  -  • 
a  a 

Op.:  (2Bi  +  R,  +  5Ci  +  3C3). 

En  faisant  l'angle  CAH  =  B,  H  étant  dans  le  sens  CB,  on  aurait  de 

hr  fe* 

même  AH  =  -  =  AK  ;  CH  =  -  • 

a  a 

On  utilise  fréquemment  cette  construction  dans  la  géométrie  du 
triangle. 

XXXV.  —  Construire  la  moyenne  propoi'tionnelle  entre  deux  droites  données 

M  et  N,     X'^  =  M  .  N. 

Employons  d'abord  les  deux  solutions  classiques,  cependant  en  faisant 
les  économies  possibles  de  tracé  que  suggèrent  notre  méthode. 

La  première  fondée  sur  la  proposition  : 

Dans  un  triangle  rectangle,  la  perpendiculaire  abaissée  du  sommet  de 
V angle  droit  sur  V hypoténuse  est  moyenne  proportionnelle  entrée  les  deux 
segments  de  F  hypoténuse; 

La  seconde  sur  : 

La  longueur  de  la  tangente  menée  d'un  point  A  à  un  cercle  est  moyenne 
'proportionnelle  entre  les  distances  du  point  A  aux  points  B  e^  C  oit  une 
sécante  menée  par  A  coupe  le  cercle. 

a)  Je  trace  une  ligne  AB  sur  laquelle  je  prends  AB  =  M,  BC  =  N.    . 

op.:(R, +5C, +  C,  +  2C3), 

soit  AB  >•  BC.  Je  décris  un  cercle  sur  AC  comme  diamètre  en  utilisant 
pour  prendre  le  milieu  0  de  AC  la  circonférence  A(Mj  tracée  pour  avoir  B, 

ce  qui  fait  une  économie  de  op.:  (Ci -|- C3),  il  reste 

op.:  (2Ri  +  R,  +  3Ci  +  2C3). 

Au  point  B,  j'élève  une  perpendiculaire  sur  AC  qui  coupe  0(0C) 
en  D;  je  l'obtiens  par  le  symbole  .  .  .  op.:  (SRj  -|-  R^  -|-  2Ci  -f  2C3), 
si  j'ai  eu  soin,  en  traçant  B(1N)  pour  placer  C,  de  marquer  le  second 
point  C  où  B(N)  coupe  AC.  DB  est  la  moyenne  proportionnelle  cherchée. 

Op.  :  (4Ri  +  3R2  +  lOCi  +  C2  +  6C3);  simplicité  24;  exactitude  15; 
3  droites,  6  cercles. 

h)  Je  trace  une  ligne  AB  sur  laquelle  je  prends  AC  =  N,  AB  =:  M.  .  . 
".     op.:  (R,  +  5Ci+C.  +  2C3). 

Je  décris  sur  CB  comme  diamètre  une  circonférence  en  utilisant  pour 
trouver  le  milieu  de  CB  la  circonférence  A(M)  tracée  pour  trouver  B;  soit 
0  le  milieu  de  CB op.:  (2Ri  +  R,  +  3Ci  +  2C3). 

Sur  AO  comme  diamètre,  je  décris  une  circonférence  qui  coupe  0(0C) 
enD op.:  (2Ri  +  R,  +  4Ci  +  3C3). 


É.    LEMOIM:.    —    LA    GÉOMÉTROGRAPHIK  59 

AD,  qu'on  n'a  pas  besoin  de  tracer,  est  la  moyenne  proportionnelle 
cherchée. 

Op.  :  (4Ri  +  3R,  +  12C,  +  C,  +  IC,)  ;  simplicité  27  ;  exactitude  17; 
3  droites,  7  cercles. 

Note,  —  Si  j'emploie  deux  compas,  je  puis  économiser  op.:  (Ci  -|-  Cjj 
en  me  servant,  pour  trouver  le  milieu  de  AO,  de  la  circonférence  A(AB), 
et  l'on  aurait  : 

Op.  :  (4Ri  +  3R,  +  IIC^  +  C,  +  6C3);  simplicité  ±6;  exactitude  16 , 
3  droites,  6  cercles. 

Ce  qui  montre  que,  au  point  de  vue  graphique,  contrairement  à  l'obser- 
vation faite  généralement,  les  deux  solutions  classiques  a  et  6  sont  bien 
près  d'être  équivalentes  (voir  Rouché  et  de  Comberousse,  Traité  de  Géo- 
métrie, l""*"  partie,  p.  152);  elles  sont  d'ailleurs  toutes  deux  très  mauvake.s, 
quoique  nous  les  ayions  simplifiées  par  des  économies  de  lignes.  Voici  la 
meilleure  que  je  connaisse  : 

c)  Soit  toujours  M  la  plus  grande  des  deux  lignes  M  et  N,  je  trace  une 
droite  AB  quelconque op.:  (R.j. 

Je  trace  A(M;,  A  étant  un  point  quelconque  sur  AB,  op.:  (2Ci  -f-C.^  +  Cj). 

A(Mj  coupe  AB  en  B;  je  trace  B(]N)  qui  coupe  BA  en  C  entre  B  et  A; 
je  trace  C(N)  qui  coupe  B(N)  en  P  et  Q op.:  (4Ci  +  2C3). 

Je  trace  PQ  qui  coupe  A(M)  en  H op.:  (2Ri  +  ^2)- 

BH  est  la  droite  cherchée. 

Op.  :  (2Ri  +  2R,  +  fiC^  +  C,  +  3C3);  simplicité  14  ;    exactitude  9; 

2  droites,  3  cercles. 

Cj)  On  peut  aussi  opérer  ainsi  : 

D'un  point  quelconque  C  je  trace  C(Mj. 

Je  trace  un  rayon  quelconque  CR  qui  coupe  C(Mj  en  B 

op.  :  (Ri  +  R,  +  2Ci  +  C,). 

Je  décris  B(N)  qui  coupe  BC  en  K,  entre  B  et  C  ;  je  trace  K(N)  qui  coupe 
B(N)enP  et  en  Q op.  :  aC,  +  2C3). 

Je  trace  PQ  qui  coupe  C(M)  en  A op.  :  (2Ri  +  R^). 

AK  ou  AB  est  la  moyenne  proportionnelle  cherchée,  car  les  deux 
triangles  isocèles  ACB,  BAK  sont  semblables  et  ont  AR  côté  commun. 

Op.  :  (3Ri  +  2R,  +  6C1  +  3C3);  simplicité  14  ;  exactitude  9;  2  droites, 

3  cercles. 

On  ne  peut  dire  que  cette  méthode  de  construire  une  moyenne  pro- 
portionnelle soit  foncièrement  nouvelle,  car,  à  une  très  légère  modifica- 
tion graphique  près,  qui  donne  14  au  lieu  de  15  comme  simplicité,  on 
la  trouve  (A^,  A.,  1857,  p.  125),  sous  le  nom  de  M.  Edm.-Aug.  Gouz-ij. 
de  Lausanne,  mais  énoncée  sans  commentaire  qui  en  fasse  ressortir 
l'extrême  simplicité. 

Son   symbole,   en  exécutant  l'opération  dans  l'ordre   où  l'énoncé  de 


k 


60  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

M.  Gouzy  l'indique,  est  :  op.  :  (K^  -\-  SCj  -\-  C.^  -f-  SCg),  ce  qui  est  la 
moitié  de  ce  que  serait  l'opération  classique  exécutée,  comme  on  le  fait 
ordinairement,  sans  les  simplifications  que  nous  avons  faites,  suggérées 
par  l'idée  systématique  de  simplification.  On  n'avait  du  reste  aucun  cri- 
térium positif  de  la  simplicité  ;  depuis  quelques  années  on  a  signalé  cette 
construction  dans  les  journaux  de  l'enseignement  et  quelques  professeurs 
l'ont  indiquée  dans  leurs  cours,  toutefois  sans  dire  qu'elle  devait  rem- 
placer les  constructions  a  et  b. 

Je  ne  suis  pas  familiarisé  avec  les  méthodes  de  la  statique  graphique, 
mais  je  crois  que  la  théorie  de  la  Simplicité  et  de  l'Exactitude  des  cons- 
tructions y  trouvera  une  large  application.  (C'est  aussi  la  construction  de 
M.  Gouzy  qui  se  trouve  indiquée  dans  les  Leçons  de  Statique  graphique 
de  M.  ^.  Favaro,  traduction  Terrier,  deuxième  partie,  p.  68,  1885.) 

Voici  deux  autres  solutions  simples  —  moins  simples  cependant  que 
c  ou  Cj  —  du  même  problème  : 

M 

d)  Je  trace  (fig.  6)  un  cercle  quelconque  d'un  rayon  OB  tel  que  OB  >>  -;t 

et  j'y  trace  la  corde  BC  égale  à  M. . .  op.  :  (2Ri  +  R^  +  2C,  -f  C,  +  2C3). 

Sur  BC  je  prends  BK  =  N  ;  K  étant 

\/^     entre  B  et  C   .    .    .  op.  :  (3Ci  -f  C3). 

/  \         De  K  j'abaisse  une  perpendiculaire 

.  \    sur  OB,  sans  que  OB   soit  tracé,  en 

'/'i  I    me  servant  du  cercle  B(N)  déjà  tracé 

/    ''  ,'    pour  avoir  k 

/'     ...  op.  :  m,  +  R,  ■■{-  2C,  +  Ce). 

c\ ^.-,r.-.-.*-''-- -/B  (vette  perpendiculaire  coupe  en  A 

le  cercle  0(0B). 
"■~^--.,_  _,--''''  AB  est  la  moyenne  proportionnelle 

^     „  cherchée. 

Fig.  6. 

Op.:(4R,  +  2R,-f7C,  +  C,-f4C3); 
simplicité  18  ;  exactitude  12.;  2  droites,  4  cercles. 

di)  On  peut  aussi  tracer  BK  =  N  comme  corde  d'un  cercle  de  rayon 
suffisant  et  de  centre  0  quelconque.    .  op.  :  (2Ri  -f-  R^  -|-  2Ci  -f-  2C3). 

Puis  prendre  BC  =  M  ;  C  étant  sur  BK  dans  le  sens  BK 

op.   :  (3Ci  +  C3). 

Puis  de  C  abaisser,  sans  tracer  OB,  une  perpendiculaire  sur  OB  qui 
coupe  le  cercle  0(0B)  en  A op.  :  2Ri  +  R^  -(-  2C,  +  C3). 

AB  est  la  droite  cherchée  parce  que  les  deux  triangles  BCA,  BKA  sont 
semblables  et  onl  le  côté  BA  commun. 

d)  et  c?i)  ont  le  même  symbole. 

e)  Je  signalerai  encore  la  construction  élégante  que  vient  d'indiquer 
M.  Lém  Colette  (Mathesis,  p.  192,  1892). 


É.    LEMOLNE.    —   LA    GÉOMÉTROGRAPHIE  61 

Je  trace  (fîg.  7)  un  cercle  quelconque  0(0A),  OA  étant  plus  grand 
que  M. 

De  A,  point  quelconque  de  ce  cercle  comme  centre,  je  trace  A(M)  qui 
coupe  0(0 A)  en  B  et  en  C,  puis  A(N) 
qui  coupe  0(0A)  en  F  et  en   G;   les  "T\" 

points  F,  B,  C,  G  se  succédant  dans  /    \ 

cet  ordre,  F,  B,  C,  G 

op.  :  5C,  +  C,  +  3C3).        \V  g/ 

Traçons  AB,  AC    qui    rencontrent  P^n^    /         0  \    y-'  \ 

A(N)  en  D  et  en  E  ;  puis  DE "^^-V-dV-"  -,->É:"""r'* 

op.  :(6R, -I-3R,)        x\/  \/y 

qui  rencontre  0(0A)  en  M  ;  AM  est  la  ^/V--  -'^'^^^ 

moyenne  cherchée. 

Op.:(6Bi  +  3R,  +  5C,  +  C,  +  3C3): 
simplicité  18  ;  exactitude  12  ;  3  droites,  3  cercles. 

XXXVI.  —  Divise?'  une  droite  AB  en  moyenne  et  extrême  raison. 

a)  Par  la  méthode  classique  : 

Je  prends  le  milieu  oj  de  AB  et  j'élève  en  B  une  perpendiculaire  à  AB.  . 

op.  :(4R,+2R,  +  4C,  4-4C3). 

Sur  la  perpendiculaire  à  AB  menée  en  B,  je  prends  Bco  =  BO  et  je  trace 
i)(BO) op.  :  (3Ci  +  2C3). 

Je  trace  Aw  qui  coupe  oj(BO)  en  deux  points  l  etm,  l  étant  entre  A  et  oj 

op.   :  {m,  +  Rj. 

Je  trace  A(A/)  qui  coupe  AB  en  M  entre  A  et  B    .    .    .op.  :  (2Ci  -|-  C3). 

AM  et  BM  sont  les  segments  cherchés. 

Op.  :  (6R1  -|-  3R2  +  9Ci  -]-  7C3);  simplicité 2o ;  exactitude  lo;  3  droites, 
7  cercles. 

6)  Voici  un  moyen  qui  m'a  été  indiqué  par  le  général  Parmentier,  mais 
le  symbole  en  est  un  peu  plus  compliqué. 

J'élève  en  B  une  perpendiculaire  à  AB  et  je  prends  sur  elle  BC  =  2AB, 
la  bissectrice  de  l'angle  CAB  coupe  BC  enD;  je  prends  sur  BA,  BM  =  BD; 
M  est  le  point  cherché. 

c)  La  construction  suivante  est  la  plus  simple  que  je  connaisse  ;  elle 
s'appuie  sur  ce  théorème  :  Si  la  longueur  de  la  tangente  menée  du  point  M 
à  un  cercle  est  égale  à  la  longueur  d'une  corde  AB  de  ce  cercle,  corde  pas- 
sant par  M,  MA  et  MB  sont  les  plus  grands  segments  (additifs  ou  sous  trac- 
tifs)  de  AB  divisée  en  moyenne  et  extrême  raison  (M,  B,  A  se  succédant  dans 
cet  ordre). 

Je  décris  (fg.  8)  A(AB),  B(ABj  qui  se  coupent  en  C  et  C  ;  je  décris 
C(AB) op.  :  (4Ci  +3C3). 


(O 


62  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCAMQUE 

Je  mène  par  A  Ja  tangente  à  C(.\lî),  pour  cela  je  décris  C'(AB)  qui  coupe 

B(AB)  en  D  et  je  trace  AD op.  :  i2Ri  +  R,  +  C,  +C3). 

^  C'est  la  tangente  cherchée,  elle 

^ — „,    \  coupe  A(AI{)  en  E. 

Je  décris  C(CEj 


^ 


^^,. /  op.  :  (2C,  +  C,) 

'■        ~       ^\~-~       ■'  quj  coupe  BA  en  M.   Comme  la 

^ ,_  j^         ;     /  tangente  menée  de  M  à  C(AB)  a 

M^K ^>!<^ i''   '~^i-?  même  longueur  que  AE,  et  par 

/'     '*  /     ~  suite  que  AB,  AM  est  la  longueur 

du  plus  grand    segment    de    AB 
divisé  additivement  en  moyenne 
\>.;-:''  et  extrême  raison. 

Je  décris   donc   A(AM)  qui  me 
"^' ^'                             donne  sur  AB  le  point  de  divi- 
sion cherché  P op.  :  (2C,  +  C3I. 

En  tout  :  op.  :  (2Ri  -|-  U,^  -|-  (iC,  -\-  (iC.,);  simplicité  18  ;  exactitude  II  : 
1  droite,  6  cercles. 

Remarque.  —  Cette  construction  est  beaucoup  plus  simple  que  la  cons- 
truction classique,  cependant  il  peut  sembler,  en  regardant  la  figure  8, 
qu'elle  soit  plus  compliquée  ;  cette  a|)parcnce  tient  à  ce  que,  dans  la 
figure  8,  nous  avons  tracé  toiUe>i  les  lignes  dont  on  se  sert,  tandis  que, 
pour  la  figure  classique,  qu'on  est  habitué  à  voir,  on  dit  simplement  :  je 
mène  en  B  une  perpendiculaire  à  AB,  je  porte  sur  cette  perpendiculaire 
une  longueur  égale  à  la  moitié  de  AB,  etc.,  mais  on  ne  trace  sur  la 
figure  aucune  des  lignes  auxiliaires  nécessaires  à  ces  opérations  ;  si  on 
les  trace  toutes,  la  plus  grande  complication  du  procédé  classique  saute 
immédiatement  à  l'œil  ;  une  remarque  analogue  s'appliquerait  à  presque 
toutes  les  questions  que  nous  traitons  dans  ce  mémoire. 

XXXVII.  —  Tracer  par  un  point  P  une  droite  passant  par  le  point  de 
rencontre  de  deux  droites  données  que  l'on  ne  peut  prolonger  Jusque-là. 

Ce  problème  a  reçu  un  très  grand  nombre  de  solutions.  Voici  celle 
dont  le  symbole  est  le  plus  simple  parmi  celles  que  je  connais  : 

Soient  AA'A",  BB'B",  les  deux  droites  données  : 

Je  mène  deux  droites  quelconques  A'B',  A"B"  se  coupant  en  I,  puis 
une  autre  droite  lAB  quelconque,  mais  passant  en  I.    .op.  :  (Rj  -|-  3R,J. 

Je  trace  PA'  et  PB'  qui  coupent  AIR  respectivement  en  E  et  en  F;  puis 
A"E  et  B"F  qui  se  coupent  en  P' op.   :  (8R1  +  4R,). 

Je  trace  PP'  qui  est  la  droite  cherchée op.  :  (2Ri  -|-R.). 

Op.  :  (lIRi  "|-  8R2)  ;  simplicité  19;  exactitude  11  ;  8  droites. 


K.    LEMOINE.    —    LA     GÉOMKTROGRAPHIE  63 

XXXVIII.  —  Placer  le  point  A'  réciproque  du  point  donné  A  par  rapport 

à  un  cercle  donné  de  rayon  R  et  de  centre  0. 

Deux  cas  à  examiner  : 

1«  0A>?. 

2 

Je  trace  A(AO)  qui  coupe  0(R)  en  B  et  eu  C. 
Je  trace  B(Rj,  C(R)  qui  se  coupent  en  0  et  en  A  . 
A'  est  le  point  cherché. 

Op.  :  (oCi  -f-  3C3);  simplicité  8;  exactitude  5;  3  cercles. 

2"  OA  <  2R. 

Je  irace  OA  ;  je  trace  A(R)  qui  coupe  0(R;  en  H 

op.  :  r2R,  +  R,  +3(:, +  C3J. 

Je  trace  R(R)  qui  coupe  0(R)  en  D  et  D'  ;  je  trace  DD'  qui  coupe  OA 
en  A' op.  :  (2R,  +  R,  +  C,  +  il,). 

En  tout  :  op.  :  (4Ri  +  2R,  +  4Ci  +  2C3)  ;  simplicité  12  ;  exacti- 
tude 8  ;  2  cercles,  2  droites. 

Ainsi,  dans  la  recherche  du  symbole  général  d'une  construction,  c'est  ce 
dernier  symbole  qu'il  faudra  adopter  pour  compter  la  recherche  du  réci- 
proque d'un  point  A  par  rapport  à  un  cercle  de  rayon  R,  s'il  ne  résulte 

T» 

pas  des  données  générales  que  OA  >>  —  • 

là 

Voici  une  construction  qui  s'applique  aussi  quel  que  soit  A,  mais  elle 
est  un  peu  plus  compliquée. 

Je  trace  un  cercle  de  centre  A  coupant  le  cercle  donné  en  B  et  en  C. 

Je  trace  AB,  AC  qui  coupent  le  cercle  donné  en  B'  et  en  C 

op.  :  i4Rt  -f  2R,  -|-  Ci  +  C,). 

Je  trace  B'C,  C'B  qui  se  coupent  en  A' op.  :  ikW^  -\-  2R.j. 

Op.  :  (8R1  -|-  4R2  +  Cl  —  C3;;  simplicité  14  ;  exactitude  9;  4  droites, 
1  cercle. 

XXXIX.  —  Tracer  la  polaire  d'un  point  A  par  rapport  à  une  circonférence 

de  centre  0  et  de  rayon  R. 

aj  Par  A  je  mène  deux  droites  quelconques  :  la  première  coupant  la 
circonférence  en  B  et  B',  la  seconde  en  C  et  C  .    .    .  op.  :  ("IW^  -j-  !2R.^). 
Je  trace  B'C  et  BC  se  coupant  en  D,  et  [iC,  CB'  se  coupant  en  E. 
Je  trace  ED,  c'est  la  polaire  cherchée. 
Op.  :  (12R,  -\-  'Riji;  simplicité  19;  exaclitude  12;  7  droites. 


64  MATHÉMATIQUES,   ASTRONOMIE.  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

b)  Je  peux  aussi,  D  étant  marqué  comme  précédemment,  abaisser  une 

perpendiculaire  de  D  sur  OA  (sans  tracer  OA) 

op.  :  (2R,  +  R,  +  4C,  +  2C3). 

En  tout  :  op.  :  (8R1  +5R2  +  4C1  +  2C3);  simplicité  19;  exactitude  12; 
5  droites,  2  cercles. 

Je  n'ai  pu  trouver  de  construction  générale  de  la  polaire  d'un  point 
donné  A  par  rapport  à  un  cercle  qui  soit  plus  simple  que  ces  deux-là. 

C'est  par  erreur  que  j'indique  15  comme  Simplicité,  dans  ma  note  de 

■D 

Mathesis,  1888,  page  222.  Je  n'avais  pas  remarqué  le  cas  qm  0A<;— • 
Il  y  a  un  grand  nombre  de  constructions  pm^ticuliéres  du  même  problème. 

r> 

c)  Construction  non  générale  applicable  dans  le  cas  où  l'on  a  :  OA  >  -^  • 

Je  décris  A(OA)  qui  coupe  le  cercle  donné  en  B  et  en  C. 

Je  décris  B(R),  C(R)  qui  se  coupent  en  A'  réciproque  de  A 

\    .    . op.  :  (5Ci  +  3C3). 

Je  trace  OC  qui  coupe  C(R)  en  D;  je  trace  DA'.  .  .  op.  :  {iR^  -\-  2R2)  ; 
c'est  la  polaire  cherchée. 

Op.  :  (4Ri  +  2R,  +  5Ci  +  3C3);  simplicité  14;  exactitude  9;  2  droites, 
3  cercles. 

Si  A  est  extérieur  au  cercle  donné,  on  peut  aussi  tracer  un  cercle  sur  OA 
comme  diamètre;  l'intersection  des  deux  cercles  est  la  polaire  cherchée;  le 
symbole  est  alors  : 

Op.  :  (6R1  +  3R2  +  4Ci  +  3C3);  simplicité  16  ;  exactitude  10  ;  3  droites, 

3  cercles. 

XL.  —  Placer  le  pôle  L  d'une  droite  XY  par  rapport  à  une  circonférence 

donnée  de  centre  0  et  de  rayon  R. 

Deux  cas  à  considérer  : 

1°  XY  coupe  le  cercle  0(R)  en  M  et  en  N. 

Je  mène  la  tangente  en  M  au  cercle  0(Rj  (voir  construction  XXV i.  .  . 
^  op.  :  (m,  +  R,  +  4C,  +  3C3). 

Je  trace  le  cercle  N(R)  qui  coupe  en  0'  le  cercle  M(R)  tracé  pour  avoir 
la  tangente  en  M .  op.  :  (Ci  +  Cg). 

Je  trace  00' op.  :  (2Ri  +  R,)  ; 

00'  coupe  la  tangente  en  M  au  pôle  cherché  L. 

Op.  :  (4Ri  +  2R,  +  SC^  -j-  4C3)  ;  simplicité  15  ;  exactitude  9;  2  droites, 

4  cercles. 

2°  XY  ne  coupe  pas  le  cercle  0(R).  (Cette  solution  s'applique  même  si 
XY  coupe  le  cercle  0(R)  pourvu  que  la  distance  de  0  à  XY  soit  supé- 

.  R 

rieure  a  — 

2 


K.     LEMOIXK,    LA    GKOMÉTROGRAPHIE  65 

De  0  j'abaisse  sur  XY  une  perpendiculaire  dont  le  pied  sur  XY  est  F  et 
qui  coupe  0(R)  en  K  du  même  côté  de  0  que  F.   .    .    .    . 

• OP-  :  (2Ri  +  R.  +  3C,  +  3C3). 

Je  décris  F(FO)  qui  coupe  OiR)  en  H  ;  je  décris  H(R)  qui  coupe  OF  en  L 

op.  :  (4C,  +  2C3). 

L  est  le  pôle  cherché  ;  car  les  deux  triangles  isocèles  semblables  OFH, 

OHL  ont  le  côté  commun  OH,  donc  OH^  ou  R^  =  OL.OF. 

Op.  :  (2Ri  +  R,  4-  7Ci  +  0C3J  ;  simplicité  lo  ;  exactitude  9  ;  1  droite, 
S  cercles. 

Ces  deux  cas  constituent  par  leur  ensemble  une  construction  générale 
de  simplicité  lo,  car  si  Tune  n'est  pas  applicable,  l'autre  l'est. 

Il  y  a  encore  un  grand  nombre  de  constructions  générales  pour  le  même 
problème,  mais  je  n'en  connais  pas  d'aussi  simples  que  les  deux  que  je 
donne  ici. 

XLI.  —  Tracer  F  axe  radical  de  deux  circonférences  données  0(R),  O'(R'). 

Je  trace  deux  circonférences  :  co(c),  0/(0')  qui  coupent  chacune  les  deux 
circonférences  données,  etc. 

Op.  :  (lORi  +  oR,  +  ±C,);  simplicité  17;  exactitude  10;  5  droites, 
2  cercles. 

Si  les  circonférences  se  touchent,  le  symbole  si!  réduit  à  celui  de  la  tan- 
gente au  point  de  contact op.  :  (2Ri  +  R,  -f-  4Ci  -}-  3C3). 

Si  elles  se  coupent,  à op.  :  (2R   4- R  ) 

XLII.  —  Placer  le  centre  radical  de  trois  circonférences  Rj,  R^,  R^, 

a)  Ri,  R,,  R3  sont  extérieures  l'une  à  l'autre,  ou  bien  l'une,  R3,  par 
exemple,  est  tangente  à  l'une  seulement  des  deux  premières. 

On  trace  les  deux  circonférences  oj(p),  w'(p')  du  problème  précédent  de 
façon  qu'elles  coupent  les  trois  circonférences  données  ;  on  trouve  : 

Op.  :  (I6R1  +  8R,  -f-  2C3). 

b)  Rj  et  R,  sont  extérieures  et  R3  touche  R^  et  R,,  ou  elles  se  touchent 
deux  à  deux. 

Je  trace  cofp)  seulement;  au  moyen  de  cofpj,  je  construis  un  point  M,  de 
i'axe  radical  de  R^  et  R3  ;  je  joins  K^  au  point  de  contact  Li  de  Rj  et 
de  R3.     Li  étant  placé  en  traçant  0^  O3.    ,    .    .    op.  :  (SR^  +  m.^  -f  C3). 

De  même,  je  construis  un  point  K,  de  l'axe  radical  de  R,  et  R3  et  je 
joins  K^  au  point  de  contact  L^  de  R,  et  de  R,  .  .  .  op.:  (6R,  +  3Rj. 
En  tout  :  Op.  :  MfîR,  -f-  8R,  -f  C3). 

c)  Ri,  Rj  se  coupent,  R3  est  extérieur. 


66  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

Je  trace  ojfpj,  o/(p');  je  détermine  l'axe  radical  de  R^  et  de  R3  ou  de  R., 
et  de  R3  qui  coupe  l'intersection  de  Ri  et  de  R,  au  point  cherché. 

Op.:  (16Ri  +  8R, +  -2C3J. 

d)  Ri,  Ra  se  coupent,  R3  touche  l'une  des   deux  premières  ou  toutes 

les  deux. 

Je  ne  trace  que  w(p)  et  je  détermine  avec  cette   circonférence  l'axe 
radical  de  deux  circonférences  se  touchant  : 

Op.  :  (8R1  +  4R,  +  C3J. 

e)  Rj,  Rj,  R3  se  coupent  deux  à  deux  : 

Op.:  (4Ri  +  2R,). 

XLIII.  —  Placer  un  point  M  dominé  par  ses  coordonnées  cartésiennes  x,  y 
relatives  à  deux  axes  donnés  ox,  oy. 

Je  prends  Ok  —  x  sur  l'axe  des  a^ op.  :  (3Ci  -f  C3). 

Je  prends  OB  =  y  sur  l'axe  des  ?/ op.  :  (3Ci  +  C3). 

Je  décris  A(y) op.  :     (C3  +  C3). 

Puis,  reprenant  x  entre  les  branches  du  compas,  je  décris  B(ic) 
op.:  f3C, +  C3). 

A(?/)  et  B(ic)  se  coupent  en  M  : 

Op.  :  (lOGi  -f  4C3)  ;  simplicité  14  ;  exactitude  10  ;  4  cercles. 

Si  je  me  sers  de  deux  compas,  je  n'ai  pas  à  reprendre  x,  mais  à  me 
servir  du  premier;  j'économise  ainsi  2Ci  et  j'ai  seulement: 

Op.  :  (8C1  +  4C3J  (*j. 

XLIV.  —  Placer  les  centres  de  similitude  V  et  V,  de  deux 
circonférences  0(Rj,  0'(R'j. 

En  se  reportant  à  la  construction  XXIK  (deuxième  méthode),  on  voit 
que  ces  points  se  déterminent  par  le  symbole  : 

(♦)  Cette  question  est  l'une  (le  celles  que  j'ai  déjà  traitées  (Congrès  d'Oran,  18S8,  p.  92,  conslruc- 
lion  XXW,  et  Bulletin  de  la  Soc.  muth.  de  France,  t.  XVI,  1887-88,  p.  163);  mais,  quelque  simple 
qu'elle  soit,  j'avais  donné  un  symbole  trop  compliqué,  parce  que  j'avais  adopté  une  autre  construc- 
tion usuelle,  aussi  simple  que  celle-ci  à  exprimer  ;  mon  attention  n'étant  pas  alors  fixée  comme 
maintenant  sur  les  dilférences  qui  existent  entre  les  diverses  constructions  fondamentales,  j'avais 
choisi  et  évalué  la  première  construction  classique  qui  m'était  venue  à  l'esprit,  la  regardant,  sans 
examen,  comme  équivalente  aux  autres  ;  il  y  a  des  erreurs  analogues  dans  beaucoup  des  constructions 
que  j'ai  données  jusqu'ici.  Celles  de  ce  mémoire  senties  plus  simples  ryue/ot/)«  trouver,  mais  elles  ne 
sont  fixées,  comme  les  plus  simples  effectivement,  que  tant  que  les  géomètres  n'en  auront  pas 
trouvé  de  préférables.  C'est  un  petit  travail  expérimental  qui  sera  fait  très  rapidement,  parles  uns  el 
par  les  autres,  si  la  question  intéresse.  Il  y  a  deux  ans,  j'ai  eu  à  ce  sujet  une  assez  longue  corres- 
pondance avec  M.  G.  Tarri/  et  je  saisis  celte  occasion  de  le  remercier,  car  un  grand  nombre  des 
simi)lif)cations  que  j'ai  faites  ici  m'ont  été  indiquées  par  lui  dans  celle  correspondance. 


K.    LEMOLNE.    —    LA    GÉOMÉTKOGRAI'HIE  67 

Op.  :    (6Ri  +  3R,   +  4C,  -}-  2C3)  ;    simplicité   15  ;    exactitude    10  ; 
3  droites,  2  cercles. 
Un  seul  des  deux  centres  se  déterminerait  par  : 

Op.  :  (4R,  +  21Î,  +  4C,  +  2C,j. 

XLV.  —  Tracer  les  quatre  axes  de  similitude  de  trois  circonférences 

données  0(R),  O'fR'j,  0"(R"j. 

a)  En  déterminant  les  centres  de  similitude  par  la  construction  pré- 
cédente, remarquant  qu'il  n'y  a  besoin  que  de  placer  les  quatre  centres 
de  similitude  de  0(R)  et  0"(R"j,  de  0'(R'j  et  de  0"(R"j,  que  O'O  n'est 
pas  utile  à  tracer,  on  a  le  symbole: 

Op.:  (20Ri  +  lOR,  +  lOCi  +  6C3)  ;  simplicité  46;  exactitude  30; 
10  droites,  6  cercles. 

6)  On  peut  opérer  un  peu  plus  simplement. 

Je  trace  00',  O'O",  00" op.  :  {<o\\,  +  3Rj. 

Par  0"  je  mène  une  parallèle  à  00' .  op.  :  (2Ri  +  R,  +  4Ci  +  2C3)  ; 
dans  0'  et  0"  et  dans  0  et  0"  j'ai  des  diamètres  parallèles. 

J'ai  donc  les  quatre  centres  de  similitude  par.  .  .  op.  :  fSRi  -|~  ^^^2)» 
et  les  quatre  axes  alors  par op.  :  fHRi  -}-  4R.j, 

En  tout  :  op.  :  (2m,  +  12R,  +  4C,  +  2C3) ;  simplicité  42  ;  exactitude  28  ; 
12  droites,  4  cercles. 

XLYI.  —  Deux  points  A  ei  B  étant  placés  sur  une  droite,  placer  le  conjugué 
harmonique  C  d'un  point  donné  C,  par  rapport  à  A  et  à  B. 

Je  trace  une  droite  quelconque  CDE  passant  par  C,  puis  deux  droites 
quelconques  passant  par  A  :  l'une  qui  coupe  CD  en  D,  l'autre  qui  coupe 
la  même  droite  en  E op.  :  i^W^  -j-  SRaj. 

Je  trace  DR,  EB op.  :  (4Ri  +  2Hj. 

DR  coupe  AE  en  F,  EB  coupe  AD  en  G,  je  trace  FG  qui  coupe  AB 
en  C op.  :  (2Ri  +  Rj. 

En  tout  :  op.  :  (OR,  -{-  6R2);  simplicité  I0;  exactitude  9;  6  droites. 

Nous  venons  de  donner,  dans  ce  qui  précède,  les  principales  construc- 
tions, c'est-à-dire  celles  que  l'on  rencontre  le  plus  souvent  pour  exécuter 
une  solution;  aussi,  avec  leurs  symboles,  tout  calculés  ici,  il  sera  facile  et 
court  de  trouver  le  symbole  total  d'une  construction  quelconque;  notons 
que  ces  symboles  fondamentaux  ne  devront  jamais  être  employés  sans 
examen;  ils  pourront,  le  plus  souvent,  être  simplifiés  par  les  circonstances 
particulières  de  l'épure  que  l'on  exécute,  à  cause  des  lignes  déjà  tra- 
cées, etc. 


68  MATIIKMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

Nous  allons  compléter  cette  étude  par  quelques  applications  prises  un 
peu  au  hasard  et  par  quelques  remarques  qui  î^ermettront  de  comprendre 
mieux  l'esprit  et,  je  l'espère,  l'utilité  de  notre  méthode. 

XLVII.  —  Les  deux  extrémités  k  et  ^  du  côté  d'un  carré  étant  jMcées, 
placer  les  deux  autres  sommets  C  et  D. 

Je  décris  (fig.  9)  A(AB),  B(AB)  qui  se  coupent  en  K;  je  décris  K(AB) 

qui  coupe  B(AB)  en  (î 

_  _d/  \  op.  :  (4Ci  +  3C3). 

^^'■^^-.^  K,--" 1-~-~-~^^    I  Je  trace  AG  qui    coupe  A(AB 

'''N  /         ^^^       en  I.    ....    op.  :  (2Ki  +  B,). 

\    /^  /     "■  Je  trace  K(KI)  qui  coupe  B(AB) 

^,J<i^  /  en  C  et  A(AB)  en  D 

,        ^,..  \  /  ....;..  op.  :  (2C,  +  C,). 

N^î^.-'-'''  i      y  En  tout  : 

'^r^--  -je"  Op.  :  ( 2Bi  +  B,  +  GC,  +  ^C,)  ; 

simplicité  13  :  exactitudes  ;  J  droite, 

FiG.  9.  1  J  '  ' 

4  cercles. 

Nous  tenons  cette  construction  simple  de  M,  Eugène  Catalan,  qui  nous 
a  dit  l'avoir  trouvée  en  1847. 

En  ajoutant  le  symbole  :  op.  :  (6B1  -|-  SB,),  elle  pourrait  servir  à 
construire  le  carré  ABCD  sur  une  base  donnée,  à  très  peu  près  aussi  sim- 
plement que  par  la  construction  ordinaire  qui  peut  se  faire  —  en  la  con- 
duisant convenablement  —  par  le  symbole  : 

Op.  :  (eBi-f-SR^  +  lCi-f-oCg);  simplicité  21;  exactitude  16;  3  droites, 
5  cercles. 

Par  tout  ce  qui  précède,  on  voit  déjà  qu'il  y  a  bien  un  véritable  art 
des  constructions  géométriques,  que  nous  appelons  la  Géométrographie, 
qui,  quoique  n'ayant  point  été  remarqué  jusqu'ici,  repose  sur  des  prin- 
cipes d'une  simplicité  extrême;  son  importance  lient,  non  principalement 
au  temps  qu'en  le  pratiquant,  on  peut  gagner  dans  la  construction  d'une 
figure,  ce  qui,  à  certain  point  de  vue,  est  un  détail,  mais  surtout  à  l'exac- 
titude plus  grande  qu'il  permet  d'atteindre  en  réduisant  au  minimum  le 
nombre  des  opérations  à  efîectuer.  Enfin,  il  présente  l'avantage  d'être  un 
critérium  pour  juger  de  la  simplicité  d'une  construction.  Le  besoin  de  ce 
critérium  sera  démontré  quand  on  remarquera  que  la  plupart  des  cons- 
tructions célèbres  par  leur  simplicité  et  leur  élégance  ne  sont  pas  ordinai- 
rement les  plus  simples  à  construire  qui  soient  connues.  On  les  a  cru 
simples  parce  qu'elles  s'énonçaient  simplement  en  faisant  image  et  se 
retenaient  sans  difficulté;  nous  citerons,  par  exemple,  la  célèbre  construc- 
tion de  M.  Chastes,  pour  placer  les  axes  (en  grandeur  et  en  position)  d'une 
ellipse  dont  deux  diamètres  conjugués  sont   placés   en   grandeur  et  en 


É.    L1:MÛ1NK.    LA    GKOMKTIiOGUAI'HIE  69 

position;  elle  n'est  pas  la  plus  simple  à  construire,  il  s'en  faut;  l'on  en 
connaissait  de  plus  simples...  sans  que  l'on  s'en  doutât. 

XLVIII.  —  Voici  cette  construction  telle  qu'elle  est  donnée  dans 
V Aperçu  historique,  note  2o;  j'y  ajoute  les  lettres  nécessaires  à  l'intelli- 
gence de  ce  que  nous  avons  à  dire. 

a)  Par  l'extrémité  A  d'un  des  deux  demi-diamètres  conjugués  donnés, 

on  mène  une  droite  perpendiculaire  au  second  diamètre  OB 

op.:  ("2R, +  R,  +  3C,-f3a3); 

on  porte  sur  cette  perpendiculaire,  à  partir  du  point  A,  deux  segments 

AC,  AD  égaux  à  ce  second  diamètre op.  :  (3Ci  +  C3); 

on  joint  le  centre  0  aux  points  C  et  D op.  :  (4Kj-|-2R2); 

on  divise  en  deux  parties  égales,  par  deux  nouvelles  droites,  l'angle  COD 
et  son  supplément op.  :  i4Ri  -f  2R.j  +  ^Cj  +  -^Cj). 

Ces  deux  nouvelles  droites  seront  en  direction  les  deux  axes  principaux 
de  l'ellipse.  La  somme  des  deux  premières  droites  OC  et  OD,  sera  le 
grand  axe  de  l'ellipse,  leur  différence  sera  égale  au  plus  petit. 

Le  géomètre  s'arrête  là,  ayant  indiqué  des  constructions  dont  le  sym- 
bole est op.:  (lORi  4- 5R,  +  lOCi  +  8C3). 

Mais  voici  ce  qui  reste  à  faire  au  constructeur  pour  fixer  les  axes  à  leur 
place,  en  grandeur  : 

Tracer  le  cercle  0(ODj  qui  coupe  OC  en  deux  points  E  et  F  de  façon  à 
avoir  la  longueur  CE  du  petit  axe  et  la  longueur  CF  du  grand  axe  .... 
op.  :  (2C,  +  C3). 

Diviser  CE  et  CF  en  deux  parties  égales,  ce  qui,  puisqu'elles  ont  C  pour 
extrémité  commune,  peut  se  faire  par.  op.  :  (iRj  -|-  2R2  +  3Ci  4"  SCg). 

Prendre  les  demi-longueurs  ainsi  déterminées  des  axes  et  les  porter  cha- 
cune sur  l'axe  convenable,  choix  très  simple  à  faire,  mais  dont  le  géo- 
mètre ne  parle  pas op.  :  (6C1-J-2C3). 

Quand  il  s'est  arrêté,  il  restait  donc  à  construire 

op.  :  (IRi  -}-  2R,  -f  llCi  +  6G3), 

c'esl-à-dire  un  peu  plus  des  deux  tiers  de  ce  qui  était  indiqué. 

La  construction  totale,  économiquement  menée  d'après  nos  principes,  se 
résume  par  le  symbole  : 

Op.  :  (14Ri  -f  7R,  -j-  SIC^  -f  LiCj;  simplicité  06;  exactitude  3o; 
7  droites,  14  cercles. 

Il  est  clair  qu'une  des  choses  qui  compUque  l'application,  à  la  construc- 
tion particulière  dont  il  s'agit,  de  l'élégant  théorème  du  maître,  c'est  que 
ce  sont  les  axes  qui  sont  trouvés  par  lui,  et  qu'il  faut  les  demi-axes  pour 
la  construction,  puis  il  faut  encore  reporter  leurs  longueurs  en  position 
sur  OC  et  sur  OD  ;  c'est  un  détail  pour  le  géomètre  spéculatif,  mais  point 
pour  celui  qui  trace  l'épure. 


70  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

Nous  nous  proposons  quelque  jour  de  comparer  les  très  nombreuses 
solutions  qui  ont  été  données  du  même  problème  afin  de  déterminer 
quelle  est  la  plus  simple,  et  de  faire  le  même  travail  pour  divers  pro- 
blèmes célèbres;  en  attendant,  nous  donnerons,  de  ce  même  problème, 
une  solution  due  à  M.  Mannheim,  qui  est  beaucoup  plus  simple  que  la 
solution  classique  de  Chasles  et  qui  se  trouve  dans  les  A'.  A.,  1878,  p.  529. 

b)  Soient  om,  on  les  deux  diamètres  conjugués  donnés. 

De  m  j'abaisse  une  perpendiculaire  7nd  sur  on  (d  étant  sur  on),  je  porte 

sur  cette  perpendiculaire  (dans  le  sens  dm)  me  =  no 

op.  :  m,  +  K,  +  6Ci  +  4C3). 

Sur  oe  comme  diamètre,  je  trace  une  circonférence  dont  le  centre  est  i 

et  je  trace  im  qui  coupe  cette  circonférence  en  c  et  en  ^ 

op.  :  im,  +  3R,  +  4Ci  +  4C3). 

Je  trace  oc.  og,  ce  sont  les  axes  en  position  .    .    .    .  op.  :  (  iRi  -\-  'âR^). 

Les  distances  me  et  mg  (que  je  n'ai  pas  besoin  de  tracer)  sont  les  lon- 
gueurs des  demi-axes. 

.fe  porte  les  longueurs  me,  mg  sur  les  directions  respectives  des  axes 
qu'elles  représentent  et  ces  axes  se  trouvent  placés  aussi  en  grandeur.  . 
op.  :  (6C1  +  2C3). 

En  tout  :  op.  :  (12Ri  -f  6R,  +  I6C1  +  90,,)  ;  simplicité  43  ;  exacti- 
tude 28;  6  droites,  9  cercles. 

M.  Mannheim  n'ifvait  pas  indiqué,  non  plus,  dans  l'article  cité,  quelle 
était  celle  des  deux  droites  oc  et  og  qui  était  le  grand  axe;  mais  il  a 
complété  la  solution  (voir  N.  A.,  -1889,  p.  329)  en  montrant  que  la  direc- 
tion du  grand  axe  est  celle  de  la  droite  qui  joint  0  à  celui  des  deux  points 
c  ou  ^  qui  limite  la  longueur  du  petit  axe. 

Cette  solution  complète  est  la  plus  simple  de  celles  du  même  problème 
dont  nous  avons  évalué  la  simplicité,  mais  rien  ne  prouve  qu'il  n'y  en  ait 
pas  ou  que  l'on  n'en  trouve  pas  de  plus  simples  encore. 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  l'art  des  constructions  géométriques  ou 
Géoméf rographie  reposdiït  &UT  des  principes  de  la  plus  extrême  simplicité; 
la  digression  à  propos  des  constructions  de  MM.  Chasles  et  Mannheim  nous 
a  fait  différer  l'énoncé  de  ces  principes;  les  voici  : 

1°  Da7is  chaque  construction,  ne  tracer  aucune  ligne  inutile,  c'est-à-dire 
employer,  quand  on  le  jjeut,  soit  les  lignes  tracées  de  la  figure  donnée,  soit 
celles  déjà  tracées  dans  le  cours  de  la  construction. 

Corollaire  :  tracer,  quand  cela  se  peut,  tous  les  cercles  d'une  ouver- 
ture de  compas  prise  lorsque  leurs  centres  sont  placés,  quoique  le  tracé  de 
ces  cercles  ne  se  présente  que  plus  tard  dans  le  développement  logique 
de  la  solution  ;  il  faut  donc,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  que  l'on  fasse 
l'étude  préalable  de  la  question  par  une  sorte  de  croquis  raisonné  de  la 
construction. 


É.    LEMOINE.    —    LA    GÉOMÉTROGRAPHIE  71 

â"  Choisir  celles  des  solutions  d'un  même  problème  dont  l'ensemble  des 
constructions  conduit  au  symbole  le  plus  simple. 

3"  Examiner,  dans  chaque  problème,  tous  les  cas  particuliers  de  don- 
nées qui  peuvent  se  présenter  et  simplifier  alors  le  symbole  général  pour 
ces  cas  particuliers. 

Cette  discussion  dans  les  problèmes  un  peu  complexes,  comme,  par 
exemple,  le  problème  d'Apollonius  icercles  tangents  à  trois  cercles  donnés) 
est  fort  délicate,  et  c'est  le  meilleur  exercice  de  sagacité  et  de  discussion 
que  l'on  puisse  proposer  aux  élèves. 

4°  Dans  la  recherche  du  symbole  général  d'une  construction,  n'employer 
que  des  constructions  générales,  à  moins  que  l'on  démontre  qu'une  solution 
particulière  s'applique  toujours  au  problème  que  l'on  examine. 

Ainsi,  par  exemple,  si  dans  une  construction  générale  il  y  a  à  tracer  les 
polaires  de  points  par  rapport  à  des  cercles,  il  faudra  adopter,  pour  le 
symbole  général  du  tracé  de  ces  polaires  soit  a,  soit  b  de  la  construc- 
tion XXXIX,  et  non  c  qui  est  plus  simple,  mais  ne  s'applique  que  si  la 
distance  du  pôle  au  centre  est  plus  grande  que  la  moitié  du  rayon;  à 
moins,  bien  évidemment,  que  l'on  ne  démontre  que  cette  circonstance 
se  présente  toujours  dans  le  problème  général  que  l'on  étudie. 

o°  Pour  une  construction  effectuée  avec  des  données  particulières,  profiter 
de  toutes  les  constructions  particulières  plus  simples  que  les  constj'uctions 
générales  qui  peuvent  s'appliquer  dans  le  cas  où  l'on  se  trouve. 

Il  y  a  évidemment  à  faire  une  étude  générale  de  procédés  pour  arriver 
à  des  constructions  simples;  rien  n'est  encore  fait  à  ce  point  de  vue,  nous 
allons  seulement  donner  ici  un  exemple  pour  faire  comprendre  claire- 
ment notre  pensée. 

Examinons  les  deux  problèmes  :  Prendre  une  droite  n  fois  plus  grande 
ou  une  droite  n  fois  plus  petite  qu'une  droite  donnée  BC  ;  n  étant  supposé 
entier. 

Les  constructions  XXX  et  XXXI  sont  assez  compliquées  et  surtout 
donnent  lieu  à  une  grande  probabilité  d'erreur  lorsque  n  est  un  peu  considé- 
rable ;  il  y  a  donc  lieu  de  chercher  si  l'on  ne  peut  trouver  d'autre  mode 
de  constructions  dérivant  des  propriétés  de  certaines  fig-ures  ou  des  valeurs 
du  nombre  n  et  qui  donneraient  un  meilleur  résultat  pratique. 

Supposons,  par  exemple,  que  nous  ayions  à  tracer  une  droite  qui  soit 

1  1 

le  -7-  de  BC  et,  en  même  temps,  une  droite  qui  soit  le  —  de  BC.  Par  la 
10  lo 

1 

construction  XXXI  je  construis  B,Ci  qui  soit  le  -  de  BC 

o 

op.:  (2B, +2R,  +  llCi  + 13C,,), 

1 

et  pour  avoir  le  —  de  BC,  je  n'ai  qu'à  diviser  BjCj  au  point  N'  entre  Bj  et  Ci 


7-2 

de  façon  que 


MATHÉMATIQUES.    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

\C        1  BC 

'  —    •  ]\'C,  sera  — -  •   Je  peux,  pour  diviser  BjCi  dans  le 
1  o 


BiN        2' 

rapi)ort  de  I  à  2.  employer  le  procédé  suivant  plus  simple  que  le  procédé 
général  donné  pour  diviser  une  droite  donnée  dans  un  rapport  donné. 
Par  Bi  je  mène  une  droite  quelconque  BjA'  et  sur  B^A'  je  marque  un 
point  quelconque  M'  en  prenant  ByW  =  M'A' 

op.  :  (B,  -f  B,  +  C,+C,  +  C3j; 

je,  prends  le  symétrique  A"  de  A'  par  rapport  à  C^  et  je  trace  A"M'  qui 

coupe  BiGi  en  ]\' op.  :  (4R,  +  3R,  +  2Ci  +  C3). 

En  tout  :  op.  :  (oRi  +  3R,  -f  3Ci  +  C,  +  2C3)  pour  diviser  Bfi,  en  N' 

1  1 

dans  le  rapport  de  2  à  i.  J  aurai  ainsi  obtenu  le  7-  et  le  —  de  BC  par  le 

symbole  : 

Op.  :  (7Ri  +  SB.,  +  UGi  +  C,  +  I0C3);  simplicité  42  ;  exactitude  22; 
5  droites,  15  cercles. 

Je  prends  BC  entre  les  branches  du  compas  et  A 

étant  un  point  quelconque; 
je  trace  AiBC)  (ftg.  10)  ; 
puis  d'un  point  C  quelconque 
de  A(BC;,  je  trace  C'(BCj 
qui  coupe  A(BC;  en  B',  et 
je  trace  B'C  qui  coupe  C'(BC) 
en  D,  puis  AC,  AB',  op.  : 
,GK,+3R,+2C,+C,+2C3). 
Je  place  le  milieu  H  de  AC 
et  le  milieu  E  de  AB'.  .  . 
op.  :  (2R,  +  R,  -f  2C,  +  C3) 


l-IG.    1(1. 


en  me  servant  des  cercles  A(BCi,  C'iBC)  pour  avoir  H,  et  décrivant  A(AH) 
pour  avoir  E,  je  trace  ED  coupant  AC  en   F  ;  HD  coupant  B'  en  G  ; 

ED,  GF  qui  se  coupent  en  I  :  T)I  qui  coupe  .\B'  en  K.  AC  en  L 

op.:  (lOBi  +oB.j; 

on  a  KG  r=  -i  BC,  KE  =  ^  BC. 

En  tout  :  op.  :  (I8R1  4-  9R,  +  4Ci  +  C,  +  SCg  i  ;  simplicité  3o  ;  exac- 
titude 23  :  9  droites,  3  cercles. 
Soit  M  le  point  où  GF  coupe  B'C . 
11  est  évident  que  cette  figure  donne  bien   d'autres  divisions  de  BC, 


par  exemple  :  HF  ^  GE 


IH^^BC;     MC 

0 


lE  =  FC 


-^BC; 


LA  =  ^  BC:    LC  =  l  BC;    LH  ^  i  BC;    MB' 

7  <  14 


Dp 

BC  ;    FG  ==  -=  ; 


V 


/3 


É.     LKMOINK.    LA    r.KOMKTHUGKAl'IUK  73 

HG  =  V  BC:     1)H  =  ^-^  hC:     DF  =  ^  BC:    EF  =  ^^   BC  ; 
U  ^  'j  b 

DE  =  14^  BC  :  KL  =  ^^  BC  ;  GI  =^  IF  ==  -^  BC,  etc..  etc. 


9 


2v3 


On  voit  que  si,  au  lieu  de  prendre  CD  =  BC,  on  prenait  CD  -  m  .  BC 
im  étant  entier  ou  fractionnaire»,  on  aurait  pour  toutes  les  lignes,  dont 
nous  venons  de  donner  les  longueurs  pour  le  cas  particulier  de  »j  =  1, 
des  longueurs  différentes  très  variées  dont  on  pourra  profiter  pour  cons- 
truire les  longueurs  des  formes  : 

/.BC.      i-BC,      ^.BC,      L^BC.      ^.BC, 
/  n  m  n 

l,  ut,  n  étant  des  nombres  entiers. 

C'est  une  étude  à  faire  pour  chaque  cas  et  qui  n'est  point  sans  présenter 
certaines  difficultés.  Létude  pourrait  être  faite  pour  le  cas  plus  général  où 
le  triangle  AB'C  ne  serait  plus  équilatéral.  Je  constniis  un  triangle  ABC 
dont  les  côtés  BC,  C'A,  B'A  sont  / .  BC,  m  .  BC.  n  .BC:  je  prends  D  sur 
B'C  tel  que  CD'  =  d  .  BC  :  je  prends  sur  B'A,  B'E  =  p  .BC  et  sur 
C'A,  C'H  =  q .  BC,  et  je  mène  les  mêmes  droites  que  précédemment  avec 
les  mêmes  notations  et  je  calcule  les  longueurs  HF,  FC,  etc.,  etc.;  il  me 
semble  que  l'on  pourra  toujours  choisir,  et  même  dune  infinité  de  façons, 
les  nombres  entiers/,  m.  n,d,  p,  q,  de  manière  à  obtenir,  parmi  les  l^n- 
gueurs  HF.  FC,  etc.,  toutes  les  expressions  des  formes: 


^  .  BC.   - 


-■■\\/'v  ^^' 


T.,  8,  V.  0  étant  des  nombres  entiers. 

A  cette  question  d'analyse  indéterminée,  assez  imprévue  à  propos  de 
notre  sujet  et  que  je  crois  très  difficile  et  fort  intéressante  par  elle-même  sans 
que  je  puisse  l'étudier  en  détail,  s'en  rattachent  une  foule  d'autres  comme 
les  suivantes  :  Parmi  les  nombres  1,  m,  n,  d,  p,  q,  combien  peuvent  être 
choisis  arbitrairement  pour  que  Fon  puisse  déterminer  les  autres  de  façon 
que  lune  des  quantités  HF,  FC,  etc.,  ail  une  valeur  donnée,  ou  encore  : 

Étanl  donné  un  triangle  AB'C  dont  les  côtés  sont  des  nombres  entiers, 
peut-on  toujours  trouver  une  transversale  DEF  qui  divise  les  côtés  du  triangle 
en  segments  qui  soient  des  nombres  entiers,  ou  à  quelles  conditions  le  pro- 
blème est-il  possible?  On  ramène  immédiatement,  par  le  théorème  de  Méné- 
laiis,  cette  dernière  question  à  celle-ci  :  a,  b,  c  élan/  des  nombres  entiers, 
l'équation  ayz  —  bzx  —  cxy  -|-  bcx  —  cay  —  abz  -{-  abc  =  0.  a-t-elle 
toujours  [jour  x,  y,  z  des  solutions  entières,  positives  ou  négatives,  dont  au- 
cune n'est  zéro  ? 


74  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

La  nouvelle  géométrie  du  triangle  rend  encore  plus  évident  combien  il 
est  indispensable  de  s'occuper  systématiquement  de  l'art  des  constructions, 
car  tout  ce  qui  se  rapporte  à  elle  en  fait  de  construction  revient  en  dernière 
analyse  à  la  construction  des  points  remarquables,  c'est-à-dire  de  ceux  dont 
les  coordonnées  normales  (*)  présentent,  exprimés  en  fonction  des  éléments 
du  triangle,  une  symétrie  tournante. 

Or,  chaque  propriété  trouvée  pour  un  point,  donne  une  construction  de 
ce  point  plus  ou  moins  simple,  plus  ou  moins  directe;  il  est  donc  néces- 
saire de  classer  ces  constructions,  de  présenter  la  plus  simple  pour 
déterminer  chaque  point  remarquable  étudié  dans  cette  géométrie  et  de 
connaître  les  principales  constructions  parmi  les  autres  moins  simples, 
mais  qui  pourront  devenir  fréquemment  les  plus  simples  dans  tels  ou  tels 
tracés  d'ensemble. 


7  M 


A  ^    '  ■ 


FlG.   11. 


Le  premier  problème  à  résoudre  dans  la  géométrie  du  triangle  où  les 
diverses  coordonnées  employées  doivent  se  traduire  pour  les  solutions 
graphiques  en  coordonnées  normales  est  le  suivant  : 

XLIX.   —   Placer  un  point  M  dont  on  connaît  les  coordonnées  normales 
proportionnelles  1,  m,  n,  par  rapport  au  tî'iangle  de  référence  ABC. 

Je  suppose  que  /,  m,  n  sont  des  droites  (autrement  il  faudrait  déterminer 
d'abord  des  droites  proportionnelles  à  ces  quantités,  nous  en  donnons  plus 
loin  un  exemple). 

a)   Je  trace  (fig.    11)    trois   perpendiculaires,    une  à  chaque  côté,  en 


(*)  Je  dis  normales  à  l'exclusion  de  harycenlriques,  parce  que  ces  ileinières  sont  des  coordonnées 
1res  utiles  à  la  sp(^culation  géométrique,  mais  se  prêtent  mai  a  la  ronstrurlion  directe  qui  n'utilise 
immédiatement  que  des  droites  et  des  cercles  et  non  des  poids  ou  des  surfaces. 


^v 


É.    LEMOINE.    —   L.V    GÉOMÉTROGRAPHIE  /O 

décrivant  des  sommets  trois  cercles  d'un  même  rayon  suffisant,  mais 
quelconque.  Les  intersections  de  ces  cercles  deux  à  deux  donnent  les  trois 
médiatrices,  il  est  évident  que  les  rayons  des  trois  cercles  n'ont  pas  besoin 
d'être  égaux  pour  tracer  des  perpendiculaires  qui  ne  seraient  pas  les  mé- 
diatrices, mais  c'est  plus  commode.  .    .  op.  :  (6Ri  -{-  SR,  -{-  3Ci  -\-  3C3). 

Sur  chaque  côté  du  triangle,  BC  par  exemple,  je  prends  le  pied  A'  de 
la  perpendiculaire  menée  à  ce  côté  et  je  détermine  le  sommet  Ai  opposé 
à  A'  d'un  carré  A'aAia^  de  côté  l  dont  les  côtés  seraient  dirigés  suivant 
A'B  et  la  perpendiculaire  à  A'B  menée  en  A'. 

Je  trace  Aja^,  j'ai  ainsi  fait  .  .  .  .  op.  :  3  [2Ri  +  R.,  +  5Ci  +  3C3]. 
Les  trois  lignes  A^ai,  B^B^,  C^y^  déterminent  un  triangle  A.,BX,  homothé- 
tique  à  ABC  ;  le  centre  d'homothétie  que  j'obtiens  par.  .  op.  :  (iRi  +  ^R.,), 
est  le  point  M  cherché. 

Symbole  de  l'opération  totale  :  op.  :  (I6R1  +  8R,  +  I8C1  +  I-2C3)  ; 
simplicité  54  ;  exactitude  34;  8  droites,  12  cercles. 

Nous  avons  traité  la  même  question  (Bulletin  de  la  Soc.  math.,  1888, 
p.  163),  en  nous  appuyant  sur  le  même  principe  géométrique  (c'est-à-dire 
que  le  point  M  appartient  au  lieu  des  points  dont  le  rapport  des  distances 

à  BC  et  à  CA  est  —,  etc.)  ; 
m 

Nous  trouvions  pour  symbole  :  op.  :  (34Ri  4'  ^'^î  +  l^C^  +  '^^3)  ; 
smiplicité  71  ;  exactitude  47  ;  17  droites,  7  cercles. 

Cette  construction  est  moins  simple  que  la  précédente  ;  de  plus,  dans 
l'article  cité,  nous  n'en  avions  pas  même  tiré  le  meilleur  parti  possible. 

Je  ferai  remarquer  à  ce  propos  qu'il  ne  nous  vient  pas  à  l'idée  que  nous 
fixons  ici  les  symboles  fondamentaux  de  Vart  de  la  construction  géomé- 
trique, comme  si  nous  donnions  les  constructions  définitivement  les  plus 
simples,  car  : 

1"  Un  autre  géomètre  pourra  trouver  une  meilleure  interprétation 
graphique  de  la  solution  que  nous  avons  adoptée  ; 

2°  Il  pourra  imaginer  une  autre  solution  conduisant  à  un  meilleur 
résultat;  disons  même  que  les  constructions  ne  pourront  jamais  être 
théoriquement  fixées,  puisqu'il  n'y  a  aucun  critérium  pour  reconnaître  si 
une  solution  est  la  plus  simple  qu'il  soit  possible  et  si  elle  est  conduite 
graphiquement  le  mieux  possible;  mais  pratiquement  la  chose  sera  bientôt 
faite  quand  les  géomètres  auront  dirigé  leur  attention  sur  un  sujet  aussi 
clair  et  aussi  nettement  défini  ;  il  suffira  d'enregistrer  cbaque  perfection- 
nement, l'on  aura  rapidement  les  résultats  effectivement  définitifs. 

b)  Les  coordonnées  normales  1,  m,  n  sont  des  coordonnées  normales  abso- 
lues et  Von  en  connaît  deux,  1  et  m  par  exemple: 

1°  Je  prends  / op.  :  (SCJ. 

Je   décris   C(/)   et  je  mène  les  deux   perpendiculaires  en   C  à  CA  et 


76  MATHÉMATIQUES,   ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

à  CB op.:  (4R, +  2R,  +  3C, +5C3). 

Je  prends  m  que  je  porte  dans  le  sens  convenable  en  Cjx  sur  la  per- 
pendiculaire à  Câ  ;  ce  transport  n'a  pas  besoin  d'être  fait  pour  l  qui  se 
trouve  placé  sur  le  cercle  C(/) op-  •  (3Ci  -|-  C3). 

Par  les  extrémités  ainsi  obtenues  de  /  et  de  m,  je  mène  des  perpendicu- 
laires aux  droites  qui  joignent  ces  extrémités  à  C  (XX  2°  6) 

op.  :  (8R,  -f  4R,  +  2C,  +  2C,3). 

Elle  se  coupent  au  point  cherché. 

Op.  :  (12R,  4- 6R,  +  12Ci  +  8C3);  simplicité  38;  exactitude  24;  6  droites, 

8  cercles. 

2°  Je  trace  un  cercle  passant  par  C  au  moyen  duquel  je  trace  les  deux 
perpendiculaires  à  CB  et  à  CA  menées  en  C  (XX  2"  b,  en  économisant 
Cl  +  Cg  puisqu'un  seul  cercle  suffit)    ...  op.  (8R1  +  ^^i  +  Ci  -)-  C3). 

Sur  ces  perpendiculaires,  je  place  dans  le  sens  convenable  les  coor- 
données l  et  m op.  :  (OC^  -\-  2C3), 

et,  comme  dans  la  construction  précédente,  je  trace  par  les  extrémités 
ainsi  obtenues  des  perpendiculaires  aux  droites  qui  joignent  ces  extrémités 
à  C op.  :  (8R.  +  4H,  +  2Ci  +  2C3). 

Op.  :  (1 6R,  +  8  R2  +  9Ci  +  SC3)  ;  simpUcilé  38  ;  exactitude  2o ;  8  droites, 
o  cercles. 

Chaque  point  remarquable  peut  évidemment  se  construire  quand  on  a 
l'expression  de  ses  coordonnées  normales,  mais  cette  construction  est  tou- 
jours beaucoup  plus  compliquée  que  d'autres  qui  se  déduisent  des  pro- 
priétés du  point.  xNous  allons  en  donner  quelques  exemples. 

L.  —  Placer  le  centre  de  gravité  d'un  triangle  ABC. 

111 

Les  coordonnées  du  centre  de  gravité  étant  -,  -7,  -,  pour  trouver,  sans 

°  abc 

avoir  égard  aux  propriétés  de  ce  point,  des  longueurs  proportionnelles  à 

ces  quantités,  le  plus  simple  serait  de  les  multiplier  par  a\  ce  qui  donnerait  : 

a'      «- 
«,  — r  '  — ' 


a^  ,       a-' 

de  construire  :  b  =  — —        c  =  — , 

b  •        c 

ce  qui  donnerait  (construction  XXXIV)  une  simplicité  30  et  de  construire 
le  point  correspondant  par  la  construction  XLIX.  En  tout  une  sim- 
plicité 84. 

Voici  d'autres  moyens,  seuls  pratiques,  déduits  des  propriétés  du  triangle  : 


É.     LK.MOI.M;.    —    LA    (iÉUMÉTUOGUAI^HlK  77 

a)  On  utilise  la  propriété  suivante  :  Si  A'  et  B'  sont  les  milieux  de  BC 
et  de  CA,  AA'  et  BB'  se  coupent  au  centre  de  gravité. 

Op.  :  (8B,  -f-i'^'^  +  SCi -j-^Cjj;  simplicité  18;  exactitude  11;  4  droites; 

3  cercles. 

b)  On  utilise  la  propriété   suivante  : 

Si  l'on  construit  un  parallélogramme  CABA",  AA'  passe  par  le  centre 
de  gravité. 

Je  décris  les  cercles  B(CA)  et  A(CB  qui  se  coupent  en  C  op .  :  i  GC,  +  2Cj) . 

Je  trace  C'B  qui  coupe  B(CA  en  A' op.  :  i2Bi-[-R:). 

Je  trace  CC,  AA'  qui  se  coupent  au  point  cherché.    .  op.  :  (4Ri-|-B;). 

Op.  :  [6^1  -f-3R, -f-^Ci  -{-^2C,);  simplicité  17  ;  exactitude  12  ;  3  droites, 
2  cercles. 

C'est  la  construction  la  plus  simple  que  nous  connaissions  pour  avoir 
le  centre  de  gravité. 

LI.  —  Placer  le  point  de  Lemoine  K  d'un  triangle  ABC. 

Ses  coordonnées  normales  étant  immédiatement  données  par  les  côtés 
du  triangle,  il  serait  placé  par  la  construction  XLIX;  mais  il  se  construit 
d'un  très  grand  nombre  de  façons  plus  simples,  nous  en  avons  étudié 
six  (qui  pourraient,  du  reste,  être  mieux  conduites  que  nous  ne  l'avons 
fait  alors).  (Voir/.  E.,  1889,  p.  34.) 

Je  donne  ici  seulement  la  plus  simple  : 

Sur  AC  je  prends  AC  =  AB op.  :  (2Ci  -(-  C3); 

puislaissantlapointeen  A,  jeprendssur  AB,  AB' =  AC,  op.  :  (Cj  -[~  C3). 

Je  décris  la  circonférence  C'(AC)  dont  le  rayon  est  entre  les  branches 
du  compas op.  :  (Ci  -|-  Cj). 

Je  reprends  la  longueur  AB  et  je  décris  B'(ABj.    .    .  op.  :  (3Ci  -f-  Cj). 

C'(AC)  et  B'(AB)  se  coupent  en  A'. 

Je  trace  la  symédiane  AA'  qui  contient  le  point  K.   .  op.:  {^iK^  -f-R:). 

Je  trace  l'autre  symédiane  BB' en  faisant  une  économie  de  Cl 

op.  :  (2Ri  +  R,  +  ^2Ci  -f  3C3). 

En  tout  :  op.  :  (4Ri-f-2R2-j-13Ci  -f  8C3);  simplicité  27;  exactitude  17  ; 
2  droites,  8  cercles. 

Si  j'avais  deux  compas,  je  pourrais  économiser.  .  .  op.:  (4Ci  -j-  C3) 
et  j'aurais  pour  symbole  : 

Op.  :  (4Ri  -f  2R2  +  9Ci  -f  7R,);  simplicité  22;  exactitude  13; 
2  droites,  7  cercles. 

On  voit  par  ce  qui  précède  que  :  Con  peut  tracer  une  symédiane  par  le 
symbole  : 

Op.  :  (2Ri  -}-  R2  +  "Cl  +  4C3);  simplicité  14  ;  exactitude  9  ;   1  droite, 

4  cercles. 


78  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

LU.  —  Tfcicer  la  droite  de  Lemoine. 

Je  fais  en  A  et  en  B,  de  l'autre  côté  de  AB  que  le  point  C,  les  angles 
BAA',  ABB'  égaux  à  C. 

A'  étant  sur  CB,  B'  sur  CA,  je  trace  A'B',  c'est  la  droite  cherchée. 

Op.  :  (GRi  +  3R2  4-6C1  4-  4C,);  simplicité  19  ;  exactitude  12  ;  3  droites; 
4  cercles. 

Un  cas  très  intéressant,  mais  aussi  beaucoup  plus  délicat  que  le  problème 
de  trouver  une  construction  déterminée  le  plus  simplement  possible,  se 
présentera  très  souvent  dans  la  géométrie  du  triangle  :  c'est  de  comijiner 
une  construction  qui  donne  le  moyen  le  plus  simple  de  trouver,  dans  un 
même  ensemble  de  constructions,  plusieurs  résultats  dont  on  a  également 
besoin.  Si  le  lecteur  veut  s'exercer  à  quelques  cas  simples,  il  verra  rapi- 
dement, s'il  en  doute  encore,  qu'il  y  a  un  a7't  véritablement  nouveau 
des  constructions  géométriques.  Cette  recherche  exige  que  l'on  possède  à 
fond  la  géométrie  du  triangle,  que  l'on  ait  une  grande  présence  d'esprit 
pour  choisir  les  constructions  quand  on  fera  le  croquis  de  sa  construc- 
tion, et  beaucoup  de  réflexion. 

Il  arrivera  souvent  que  la  combinaison  des  constructions  les  plus  simples 
pour  chaque  résultat  isolé  ne  donnera  pas  du  tout  le  résultat  le  plus 
simple  cherché,  qui  s'obtiendra  par  des  voies  différentes.  Le  problème  se 
complique  rapidement  et  présente  souvent  des  diflicultés  que  n'aurait  pu 
faire  prévoir  la  théorie  si  simple  de  l'art  des  constructions. 

Nous  allons  en  donner  brièvement  un  exemple  des  plus  élémentaires. 

Lin.  —  Placer  le  centre  de  gravité  et  le  point  de  Lemoine  d'un  triangle  ABC 

en  une  même  construction. 

L'addition  des  constructions  Ll  et  LU  nous  donnerait  un  symbole  de 
simplicité  43  qui  se  simplifierait  évidemment  un  peu  en  utilisant  dans  les 
constructions  les  cercles  de  même  rayon  a,  b  ou  c,  que  l'on  peut  tracer 
pour  une  des  constructions  et  qui  serviraient  à  l'autre  lorsque  leur  centre 
se  trouverait  placé  sur  l'épure  au  moment  où  l'on  aurait  la  longueur  conve- 
nable entre  les  branches  du  compas,  mais  il  est  facile  de  prévoir  que  le 
compte  total  dépasserait  32,  car  au  moment  où  nous  placerions  K  nous 
aurions  au  moins  26  (puisque  c'est  le  nombre  que  nous  considérons  comme 
donné  par  la  construction  la  plus  simple  de  K;,  et  il  resterait  à  trouver  le 
barycentre,  ce  qui  exigerait  au  moins  le  tracé  de  deux  droites  ou  six  opé- 
rations élémentaires,  car  aucune  médiane  n'a  été  tracée  dans  la  construc- 
tion de  K.  Les  lignes  qui  précèdent  ne  sont  pas  une  démonstration  rigou- 
reuse que  32  serait  dépassé,  mais  elles  le  montrent  suffisamment. 

Nous  allons  donner  une  construction  qui  place  ces  deux  points  par  le 
symbole  : 


É.    LEMUIM:.    —    l.V    GKOMÉTUOGKM'HIE  79" 

Op.  :  (12Ri  +  GRo  +  9Ci  -|-  0C3);  simplicité  32  ;  exactitude  21  ; 
6  droites,  o  cercles. 

Je  trace  les  trois  cercles  A(Rj,  R(R),  C(R)  de  même  rayon  R  suflisant 
pour  qu'ils  se  coupent  deux  à  deux op.  :  (3G,  -j-  SCj). 

Au  moyen  de  deux  de  leurs  intersections,  je  place  les  milieux  A'  et  B' 
deBCetdeCA op.:  (4Ri+2R,). 

Je  trace  AA',  BB',  ce  qui  place  le  barycentre  .    .    .op.  :  (4Ri  -{-  2R2). 

Je  prends  sur  les  arcs  de  A(R)  et  de  B(R)  compris  entre  les  côtés  des 
angles  A  et  B  du  triangle  les  arcs  qui  placent  les  points  où  les  arcs  sont 
coupés  par  les  symédianes  de  A  et  de  B  (on  sait  que  les  médianes  et  les 
symédianes  d'un  même  angle,  symétriques  par  rapport  à  la  bissectrice  de 
cet  angle,  font  des  angles  respectivement  égaux  avec  les  côtés  de 
l'angle •    ...  op.  :  (6C,  +  2C3); 

Et  enfin  je  trace  les  symédianes  de  A  et  de  B,  ce  qui  place  le 
point  K op.  :  (4Bi +  2R,). 

Les  lecteurs  pourront  s'exercer  à  la  construction  la  plus  simple  pour 
obtenir  dans  un  même  ensemble  : 

Le  pont  de  concours  des  hauteurs,  le  centre  de  gravité,  le  point  de 
Lemoine  ; 

Le  centre  du  cercle  inscrit  et  celui  du  cercle  circonscrit  ; 

Le  point  de  Nagel  et  le  point  de  Gergonne,  etc.,  etc. 


LIV.  —  Placer  un  point  de  Brocard. 

Le  point  direct  w  par  exemple,  tel  que  ojAC  =  wCB  =  wBA. 

Je  m'appuierai  sur  la  construction  de  l'angle  de  B)'ocard  donnée  par 
M.  Brocard  {A.  F.,  Congrès  d'Alger,  1881,  10,  p.  146). 

Je  décris  les  trois  cercles  d'un  même  rayon  R  quelconque,  A(R),  B(Rjr 
C(R) op.  :  (3C,  +  3C3). 

Par  A  je  mène  la  parallèle  X'AX  à  BC  en  faisant  au  moyen  d'arcs  égaux 
pris  sur  les  cercles  A(R)  et  C(  R  ),  l'angle  CAX'  =  ACB  ...       

•    . op.  :  (2R,  +  R.  +  3C,  +C3). 

Je  fais  en  B  (de  l'autre  côté  de  AB  que  le  point  c)  l'angle  ABX  =  ACB 

op.:  (2R,  +  R,  +  C,  +  C3). 

Je  trace  CX op.  :  (2Ri  +  R^). 

ex  contient  w  et  XCB  est  l'angle  de  Brocard. 

Au  moyen  de  l'arc  qu'il  intercepte  sur  C(R),  je  trace,  en  le  reportant 

sur  B(R),  etc.,  la  droite  Boj op.  :  (2R,  -f-  R,  +  3C,  -f  C3). 

et  j'ai  le  point  to  par  le  symbole  : 

Op.  :  (8R1  +  4R,  +  lOC^  +  6C3);  simplicité  28;  exactitude  18; 
4  droites,  6  cercles. 


80  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

LV.  —  Placer  les  deux  points  de  Brocard  to  et  o/. 

Ayant  fait  les  mêmes  constructions  que  précédemment,  je  trace  deux  des 
droites  Ao)',  Bo/,  Cw',  au  moyen  de  deux  des  circonférences  A(R),  B(R), 
C(R)  et  de  la  corde  de  l'arc  (que  j'ai  dans  le  compas)  intercepté  sur  l'une 
d'elles  par  l'angle  de  Brocard op.  :  (4Ri  +  2R,  +  IC,  +  20,). 

J'ai  donc  placé  les  deux  points  de  Brocard  par  une  construction  dont  le 
symbole  est  : 

Op.  :  (12Ri  +  6R2  +  12Ci  +  8C,);  simplicité  38;  exactitude  24; 
6  droites,    8  cercles. 

Ce  sont  les  constructions  les  plus  simples  pour  obtenir  les  points  de 
Brocard,  ...  jusqu'à  ce  qu'on  en  ait  indiqué  de  plus  simples,  s'il  y  en  a. 

L\  I.  —  Placer  le  point  de  Steiner. 

Je  me  sers  de  la  proposition  suivante  {Mathesis,  1889,  p.  69,  dans  l'article 
qui  est  la  reproduction  traduite  du  chapitre  de  :  A  Sequel  to  the  first  six 
books  of  the  Euclide,  par  M.  J.  Casey,  5*^  édition). 

Des  sommets  A,  B,  C  du  triangle  comm,e  centres  avec  des  rayons  respec- 
tifs a,  b,  c,  je  décris  des  cercles  qui  se  coupent  deux  à  deux  sur  le  cercle 
circonscîit  en  X^,  B,,  Ci,  ;  BC  et  BjC^  se  coupent  en  A^;  AA^  coupe  le  cercle 
circonscrit  au  point  de  Steiner. 

Je  trace  A(BC),  B(CA),  C(AB)  qui  se  coupent  deux  à  deux  en  Ai,  Bi.Cj 
op.  :  (9Ci  -i-  3C3). 

Je  trace  BiCiqui  coupe  BC  en  A2,puis  je  trouve  AA2,  op.  :  (41{i  -f-  2R2). 

Je  trace  CiAj  qui  coupe  AC  en  B^,  puis  je  trace  BB^,  op.  :  (4Ri  +  2R.j. 

AA2  et  EB^  se  coupent  au  point  de  Steiner  qui  est  ainsi  donné  par  le 
symbole  : 

Op.  :  (8Bi  +  4R,  +  9Ci  +  3C3);  simplicité  24;  exactitude  17;  4  droites, 
3  cercles. 

LVII.  —  Placer  le  point  de  Tarry. 

Je  trace  le  cercle  circonscrit   ....    op.  :  (4Ri  -|-  SR^  +  5Ci  +  -iCg). 
Je  trace  le  cercle  A(BC)  qui  coupe  le  cercle  circonscrit  en  Bj  et  Ci  .    .   . 

■ op.  :  (3Ci  +  C3). 

Je  trace  BiCi  qui  coupe  BC  en  A2,  je  trace  AA.^  qui  coupe  le  cercle  cir- 
conscrit au  point  R  de  Steiner op.  :  (4Ri  -f  2RJ. 

Je  trace  le  diamètre  RO  du  cercle  circonscrit op.  :  (2Ri  -{-  R^); 

l'extrémité  opposée  à  R  est  le  point  de  Tarry. 

Op.  :  (lORi  -f  oR,  -}-  8C1  4-  5C3);  simplicité  28;  exactitude  18;  5  droites, 
5  cercles. 


de  A'  sur  AB  et  sur  AC  ;  on  aura  A^  A^  =  -  • 


K.    I.KMOI.XK.     LA    GÉCt.MÉTliOGKAPHIK  81 

Remarquons  que  lorsque  l'on  place  ainsi  le  point  de  Tarry,  le  point  de 

Steiner  se  trouve  préalablement  placé  par  le  symbole 

op.  :  (8R,  +  4R,  +  8C,  +  SC^), 

symbole  simple,  mais  cependant  un  peu  moins  que  celui  que  nous  venons 
de  donner. 

S         2S 
LVIII.  —  Construire  la  longueur  —  ou  ~  dans  un  triannle. 

Il         R  "^ 

Soit  A'  le  pied  de  la  hauteur  abaissée  de  A  surBC;  A^  et  A^'  les  projections 

S 
R 

L'intersection  de  B(BA)  et  de  C(CA)  donnera  Aj  symétrique  de  A  par 
rapport  à  BC;  traçons  AAi  ;  on  aura  A'.  .  op.  :  (âRi  -{-  R^  -f  40^  +  SC,). 

L'intersection  de  B(BA')  et  de  A(AA')  donnera  A^'^  symétrique  de  A' 
par  rapport  à  AB;  traçons  A'A^^,  qui  coupera  AB  en  A^' 

op.  ;  (2R,  +  R,  +  4C,  +  2C3). 

On  aura  de  même  A^  par op.  :  (2Ri  -f-  R.,  -j-  4Ci  -f  2C3), 

S 
et  A^A^  (qu'il  n'est  pas  besoin  de  tracer),  c'est-à-dire  —  est  obtenu  par: 

Op.  :  (6R,  -I-  m,  +  12Ci  +  6C3);  simplicité  '27;  exactitude  18; 
3  droites,  6  cercles. 

2S  '^S 

Si   l'on  remarque   que  A'  A'^  =  —,  on  s'aperçoit  que  ^  peut  être 

Il  R 

g 
construit  plus  simplement  que  -  ;  en  efïet,  je  construis  A'  comme  précé- 
demment par .  op.  :  (2Ri  -f  R^  +  4Ci  -\-  2C3), 

puis  A^ç  et  A'.j,  en  opérant  ainsi  : 

Je  construis  A(AA'j,  puis  B(BA')  qui  coupe  A(AA'j  en  A^^,,  puis  C(CA') 
qui  coupe  A(AA'j  en  A',,, op.  :  (60^  +  SCg). 

En  tout  :  op.  :  (±]X,  -f  R,  +  lOCi  +  SC3)  ;  simplicité  18;  exactitude  12; 
i  droite,  5  cercles. 

Je  ne  donne  cette  construction  LVIII  que  comme  exemple  très  simple 
des  remarques  que  peut  susciter  l'application  d'une  construction,  et  aussi 
pour  montrer  l'utilité  qu'il  y  a  à  conserver  dans  la  mémoire,  ou  de  noter 
la  valeur  d'un  assez  grand  nombre  d'éléments  du  triangle,  afin  d'abréger, 
à  l'occasion,  les  constructions. 

c-    •  »  •  S  ^^/l 

Si  je  n  avais  pas  utilisé  la  valeur  de  A[A^,  je  n'aurais  construit  j;  ~ -^^ 

R        2R 

que  par  un  symbole  beaucoup  plus  compliqué;  il  aurait  fallu  par  exemple: 

mener  la  hauteur  partant  de  A,    construire   le  cercle  circonscrit  pour 

6* 


82  MATIIÉM.VTIQIJES,  ASTRONOMIK,  Cl'lODKSIK  KT  MÉCANIQUE 

avoir  le  dianiMro  rayon  2I{,  t'iiliii,  cluMclicr  la  qiuilriùine  proporlionndle 
entre  IIC,  la  liaiileur,  et  ïiH. 

S 
Dans  noire  pronnùre  conslriiction  de  -,  au  heu  de  mener  les  perpen- 
diculaires (le  A  SIM'  WC,  de  A'  sur  AU  el  sur  AC  en  plaçant  leurs  symé- 
triques, j'aurais  \n\  iMuployer  la  construclion  classique  W  a,  et  j'aurais 

obtenu  la  Hj-ne  j-  par  le  symbole  :  op.  :  (6K,  +  '^^^2  +  9C,  -f  Î^C,.,),  de 

même  siuqtlii'ilc,  mais  exigeant    plus   de   li^Mies;  remarquons,  du  reste, 

2S 
que  je  n'aiiiais  pu  alors  construire —aussi  simplement  que  je  l'ai  fait. 


Ll\.  —  Placer  le  point  de  (Iergonnk  d'un  des  cercles  tangents 
(lu.r  trois  cnti^s  d'un  triniif/le. 

La  construction  indiquée  (.4.  h\,  Congrès  de  Paris,  1881),  p.  213,  §  7) 
donne  : 

Op.  :  (lOli,  +  rjR,  -f  9C,  4-  ^U:,);    simplicité   27;   exactitude    19; 
5  droites,  3  cercles, 
pour  placer  un  seul  point,  et  : 

Op.  :  (22K,  4-  nu,  +  9C,  +  SC,);   sim])licité    io;    exactitude   31; 
11  droites,  3  cercles, 
pour  les  placer  tous  les  quatre. 

LX.  —  Placer  le  centre  de  gravité  1  du  périmètre. 

Je  me  sers  de  la  première  construction  inili(]uée  (^1.  P.,  Congrès  de 
Paris,  1889,  p.  20o,  §  5). 

Je  trace  B(a);  puis  A(a),  qui  coupe  AC  en  p  dans  le  sens  de  AC  et  AH 
en  Y  dans  le  sens  de  AB op.  :  (3C,  -|- 2C3). 

Je  prends  le  milieu  y'  de  By  et  le  milieu  [i'  de  C[B  au  moyen  des  trois 

nouveaux  cercles  y(«),  C(a),  ^(a),  puiscjue  B(rt)  est  déjà,  tracé 

op.  ;  (IR,  -f-  2R,  +  3C,  -f  3C3). 

Je  trace  C(Ct3')  qui  coupe  CB  en  (3,  dans  le  sens  CB  et  B(By')  qui  coupe  BC 
en  Yi  dans  le  sens  BC op.  :  (4Ci  -j-  2CJ. 

Enfin,  je  trace  p'^,,  y'y,  qui  se  coupent  en  1   .    .    .  op.  :  (4Ri  -}-  2BJ. 

En  tout:  op.  :  (8B1 -|- 4B, -[-  lOC, +  7C3);  simplicité  29;  exactitude  18; 
4  droites,  7  cercles. 

Par  transformation  continue  en  A,  on  placerait  d'une  fa(;on  analogue 

h  -\-  c     c  —  a      b  —  a 

le  pomt — ■ — >   — ; — j 

abc 


É.    LEMOI.NE.    I,A    GÉOMÉTROGRAPHIE  83 

LXI.  —  Placer  le  point  de  Nagel  : ,  etc. 

a 

Soit  al^  f^  c. 

Je  trace  \(a)  qui  coupe  AC  en  p  dans  le  sens  AC  et  AB  en  y  dans  le 
s«nsAB op.  :  (3C,  +C,). 

Je  trace  C(C8j  qui  coupe  CB  en  .S,  dans  le  sens  CB  et  B^ B-.'j  qui  coupe 
BC  en  Y,  dans  le  sens  BC op.  :  (4C,  +  2Cj). 

Je  trace  y^^  et  vv^  qui  se  coupent  en  point  de  Nagel,  op.  :  (4Bi  -f-  2B,). 

Op.  :  (4R,  +  2B,  +  7C,  +3C31;  simplicité  \Q;  exactitude  11  ;  2  droites, 
3  cercles. 

On  vérifie  facilement  cette  construction  du  point  de  Xagel,  parce  que 
les  équations  de  }}^  et  de  w,  sont  respectivement  : 

a-x  —  b'^y  -f-  cz\a  —  èi  =  0, 
—  a-x  +  hy(c  —  a)  -\-  ez  =  0, 

droites  qui  se  coupent  au  point  de  Nagel. 

On  placerait  par  une  construction  analogue  déduite  de  la  précédente 

par  transformation  continue  en  A,  en  B  et  en  C,  les  transformés  continus  : 

P    P  —  '^    P  —  ^ 

'  — 7—  •  ;  etc..  du  point  de  NaqeL 

a         0  o  "^ 


T  vir         D/         /        •  ,  ^     a^j^  +  a*c^  —  b^c- 
LMi.  —  Placer  le  point  <ï>  : ■ . 


etc. 


>'ous  avons  fréquemment  rencontré  ce  point  ivoir  ./.  E.,  1883,  pro- 
blème VU,  p.nS;  A.  F.,  Congrès  de  Grenoble.  188o,  §  2,  p.  28;  4  F., 
Congrès  de  Toulouse,  §  2,  3,  4%  p.  23,  etc. j  ;  c'est  aussi,  comme  nous 
l'avons  montré,  le  centre  radical  des  trois  cercles  de  Neuberg.  «I»  est  le 
point  où  se  coupent  les  deux  brocardiennes  de  la  droite  de  Lemoine  par 
rapport  à  la  droite  de  l'infini. 

-Nous  le  construirons  en  partant  de  la  propriété  suivante  : 

Si  A'  e.Ht  la  symétrique  de  A  par  rapport  au  milieu  de  BC,  A,  le  pied  de 
la  sy médiane  partant  de  A,  A'A,  passe  en  <^. 

Je  place  A'  et  C  comme  il  suit  : 

Je  prends  AC;  je  trace  la  parallèle  à  AC  menée  par  B  en  traçant  un 
losange  dont  le  côté  ait  pour  longueur  AC,  qui  s'appuie  sur  la  droite  AC, 
en  ayant  un  sommet  en  B,  les  points  A'  et  C  sont  ainsi  placés  par  les 
intersections  de  cette  parallèle  et  du  cercle  BiACi  qui  a  servi  à  la  tracer 
op.  :  <-2Rj  +  R, -j-oC, +  3C3I 

Ceci  exige  que  j'aie  choisi  pour  B  un  sommet  tel  que  AC  soit  plus  grand 
que  la  hauteur  partant  de  B.  Au  moyen  des  cercles  CiCC),  AfAA'i,  je 


8i  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

prends  sur  les  arcs  qu'ils  comprennent  entre  les  côtés  des  angles  C  et  A 
les  symétriques  C"  et  A"  de  C  et  de  A',  par  rapport  aux  bissectrices  des 
angles  C  et  A,  C"  et  A"  sont  sur  les  symédianes  partant  de  C  et  de  A. 

Ces  syinédianes  coupent  AB  et  CB  en  Cl  et  A, 

op.:  (4R, +  2B,  +  10Ci+4C3j. 

Je  trace  C'Ci,  A'Ai op.:  (4R,  +  !2R  j. 

Ces  droites  se  coupent  au  point  •!>  obtenu  ainsi  par  le  symbole  : 

Op.  :  (lORi  +  0R2  +  loCi  +  7C3J;  simplicité  37;  exactitude  2o; 
5  droites,  7  cercles. 

^i b'^c^ 

LXIII.  —  Placer  le  pobii  W  :  ,  etc. 

a 

Ce  point  s'est  aussi  très  souvent  présenté  à  nous.  {N.  A.,  1885,  §  1, 
n°  4,  p.  204;  i.  F.,  Congrès  de  Limoges,  1890,  p.  124;  Congrès  de  Mar- 
seille. 1891,  p.  15o,  n°  18;  voir,  à  propos  de  ce  dernier  refert,  le  renvoi 
indiqué  à  la  construction  b  donnée  plus  loin,  du  problème  qui  nous 
occupe.) 

Je  vais  d'abord  placer  ce  point  en  me  servant  des  valeurs  de  ses  coor- 
données, je  donnerai  ensuite  une  autre  méthode  plus  simple. 

a)  Pour  réduire  les  coordonnées  données  de  W  à  des  lignes,  je  les  divi- 
serai toutes  trois  par  une  même  quantité  qui  devra  être  le  produit  de 
deux  lignes.  .Je  choisis  le  produit  bc  de  deux  côtés  du  triangle,  ce  qui 
me  paraît  permettre  les  plus  grandes  réductions  possibles  dans  la  construc- 

fa'   a      bc\     /b^      a^   c\ 
tion  ;  ces  coordonnées  peuvent  alors  s  écrire  :  I U  (  -  —  T"  I  )  ' 

c*      a""    6^ 

a*     c'^     b"^     à^     bc 
,  _  ,  — ,  — 

b      b      c      c       a 
abréger,  j'appelle  respectivement  /j,  Z,^,  /3,  Z^,  /j. 

On  pourrait  faire  pour  cela  cinq  fois  la  construction  XXXIV*"*,  mais 
il  y  a  des  économies  possibles. 

i"  Je  n'ai,  pour  les  cinq  constructions,  à  tracer  que  trois  cercles  ayant 
pour  centres  A,  B,  C,  en  les  prenant  d'un  même  rayon;  cela  économisera  : 

op.  :  (7C,  +  7C3). 

a-     c* 
2°  Pour  avoir  -7-5-7-»  j'ai  à  faire  les  angles  A  et  G  en  B; 
b      b    •'  ° 

»  —  ?  —  »  »  »  A  et  B  en  C  ; 

c      c 

»  —  »  »       l'angle  C  ou  l'angle  B  en  A. 

fSe  reporter  au  détail  de  la  construction  citée.) 

Je  ne  prendrai  donc  entre  les  branches  du  compas  qu'une  fois  la  corde, 


Il  faut  donc  construire  d'abord  les  lignes  —■,  —  >  —-,  —  >  —  que,  pour 


K.    LEMOINE.     —    I-.V    C.ÉOMÉTROGRAPHIK  85 

correspondant,  dans  les  trois  cercles  tracés,  aux  angles  A,  B,  C,  puisque 
ces  cercles  sont  tracés  et  que  je  pourrai  alors  utiliser,  pour  les  constructions 
des  angles,  la  corde  d'un  angle  au  moment  où  je  l'aurai  dans  les  branches 
du  compas;  j'économiserai  parla:  op.  :  (4Ci). 

/      a 
J'ai   ramené  ainsi  la  solution  à   construire   le  pomt  :    Ui  -  —  U 

(k  —  ^  r)  '  (^2  —  ^4  - )  '  n'ayant  encore  fait  que  o[2Ri  +  R2  +  ^Ci  -\- 30^] 

_7C^_7C3-4Cj,ou op.:  [iORi  +  5R,  +  l^C,  +  8C3]. 

,,      ,     «     ,     c  b 

Pour  prendre  les  trois  quatrièmes   proportionnelles /i  •- 5  h-f  h'-' 

I 

que  j'appelle  >.i,  )>2»  ^3'  j'opère  ainsi  : 

Comtruction  de  1.  ou\.--  : 

c 

Je  porte  AB  en  CL  sur  CB  dans  le  sens  CB .    .    .    .op.  :  (3Ci  -f  C3). 

Je  porte  l^  en  CL'  sur  CA  dans  le  sens  CA  .  .  .  .  op.  :  (SC^  -\-  C3)  ; 
puis  je  mènerai  par  B  une  parallèle  à  LL'  (sans  tracer  LL'},  construc- 
tion XVIL 

I  .a 
3°  Cette  parallèle  coupera  CA  en  L"  et  CL"  sera  —  ou  Àj 

op.  :  (2R.  +  R,  +  6C,  +  2C3). 

c 
Comtmction  de  X,  ou\.--  : 
'  b 

Par  L',  je  mène  une  parallèle  à  AL  fsans  tracer  AL) 

.op.  :  r2R,+R,  +  6C, +2C3), 

qui  coupe  CB  en  N;  CX  sera  1^. 

Construction  de  1.^  ou  I4  •  -  : 

Je  porle  l^  sur  CB  en  CP  dans  la  direction  CB.    .    .op.  :  {3Ci  4-  C3). 

Par  P,  je  mène  une  parallèle  à  LA  (sans  tracer  LA) 

....'. op.  :  (2R,  +  R.  +  6C1  +  2C3), 

qui  coupe  CA  en  P';  CP'  sera  X3. 

J'ai  maintenant  à  construire  les  trois  longueurs  À;  —  4,  /g  —  l^,  l„  —  X,. 

Ce  que  je  fais  en  portant  /^  sur  Xj,   X,^  sur  ^3,   A3  sur  l,  dans  le  sens 

convenable  par op.  :  ^BCi  -j-  3C3), 

et  j'ai  enfin  trois  longueurs  \k^,  ;j.,^,  1x3  par  le  symbole 

op.  :  (  i6R,  +  8R,  +  SOCj  +  2OC3). 

Il  ne  me  restera  plus,  pour  placer  W,  qu'à  faire  la  construction  XLIX 
du  point  dont  les  coordonnées  normales  proportionnelles  sont  :  ;xi,  [j..,,  [j-^, 
et  je  l'aurai  obtenu  par  le  symbole  total  : 

Op.  :  (32Hi  +  IGR,  +  OSC^  +  32C3);  simplicité  148;  exactitude  100; 
16  droites,  32  cercles. 


86  MATHÉMATIQUES,  ASTROiNOMlK,   GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

b)  Je  m'appuierai,  pour  effectuer  la  seconde  construction,  sur  le  moyen 
de  construire  le  point  V^  :  x'x.iy';:,  —  z'y,),  etc.,  connaissant  les  points 
M'  :  x',  y\  z'  et  M,  :  x„  y„  z^,  moyen  que  j'ai  donné  au  Congrès  de  Mar- 
seille, A.  F.,  1891,  p.  15o,  n"  13  (*). 

On  voit  que,  si  M'  et  M^  sont  les  points  de  Brocard,  Yi  est  le  point 

W  : ,  etc.,  dont  nous  nous  occupons. 

a 

Je  place  les  points  de  Brocard  W  et  M^  par  la  construction  LIV.   .    . 

op.  :  (12R,  +  6R,  +  12C,  +  8C3), 

Comme,  dans  cette  construction,  je  n'ai  tracé  que  deux  des  droites 
AM',   BM',   CM'  et  deux  des  droites  AM^,  BM^,  CM^,  je  trace  les  deux 

autres,  qui  me  sont  nécessaires  ici op.  :  (4Ri  -f"  -ï^i)- 

Je  place  le  point  appelé  a  (loco  citato) op.  :  (4Ri -j- 2R2), 

et  je  trace  la  droite  Aa,  qui  contient  W  et  la  droite  B?,  qui  contient 

aussi  W op-  •  (8R.  +  ■^^■2)' 

W  se  trouve  alors  placé  au  moyen  du  symbole  : 
Op.  :   ("28Ri  +  14R,  +  12Ci  +  SC,;;   simplicité  62;   exactitude  40; 
14  droites,  8  cercles. 

Et  rien  ne  dit,  naturellement,  qu'en  s'appuyant  sur  d'autres  propriétés 
du  point  W,  on  ne  trouverait  pas  mieux. 

J'ai  traité  cette  question  surtout  pour  donner  un  exemple  de  la  façon 
de  discuter  les  problèmes  de  construction;  j'ajouterai  que  les  constructions 
tirées  des  théorèmes  de  la  géométrie  du  triangle  (comme  la  construction  b 
de  ce  point  W)  sont,  pour  ainsi  dire,  toujours  beaucoup  plus  simples 
que  celles  qui  sont  déduites  simplement  de  la  valeur  des  coordonnées  du 
point  à  construire,  quelque  soin  que  l'on  mette  d'ailleurs,  comme  je  l'ai 
fait  ici,  à  économiser  les  constructions  en  profitant  de  toutes  les  simpli- 
fications que  la  nature  des  données  suggère. 

Toutes  ces  remarques  très  simples  qui  se  font  vite  et  facilement  dès 
que  l'on  a  un  peu  l'habitude  de  construire  avec  nos  principes  sont,  comme 
l'on  voit,  fort  longues  et  assez  fastidieuses  à  détailler,  à  cause  même  de 
leur  degré  d'évidence;  en  suivant  ce  mémoire,  un  crayon  à  la  main,  on 
verra  qu'il  se  lit  sans  aucun  effort  et  que  presque  partout  la  pensée  du 
lecteur  suivra  immédiatement  ou  même  devancera  notre  exposition,  car 
les  connaissances  nécessitées  par  la  théorie  proprement  dite  de  Vart  des 
constructions  se  bornent  aux  trois  premiers  livres  de  la  Géométrie  de 
Legendre. 

J'ai  répété   quelquefois   diverses  observations  ;  je  ne  l'ai  pas  fait  sans 
intention,  car  le  sujet  traité  étant  nouveau,  j'ai  cru  bon  d'insister  ainsi 

(*)  A  l'endroit  cité,  il  y  a  quelques  mots  sautés  à  l'impression:  page  153,  ligne  i,  en  remontant,  il 

a''  —  Ij'-c- 
faut,  après  points  de  Brocard,  ajouter  :  V,  est  le  pomt ,  etc. 


K.    LEMOINE.     LA    GÉOMÉTROGRAPHIE  87 

sur  certains  détails  lorsqu'ils  se  présentaient  à  plusieurs  endroits  d'une 
façon  naturelle,  afin  de  ne  pas  obliger  le  lecteur  à  se  souvenir  de  tout 
ce  qui  avait  été  dit  précédemment. 

Nous  n'avons  pas  eu  pour  but,  dans  l'étude  de  la  Simplicité  et  de  l'Exac- 
titude des  constructions,  de  créer  quelque  chose  qui  correspondît  exactement 
aux  cas  de  la  pratique  ;  nous  croyons,  du  reste,  la  chose  impossible  pour 
beaucoup  de  raisons  :  par  exemple,  on  ne  peut  que  compter  également, 
dans   une  théorie   quelconque,    l'intersection   de   deux    droites,  quelles 
qu'elles  soient,  l'intersection  d'un  cercle  et  d'une  droite,  etc.,  et  si,  dans 
une  épure,  l'une  des  droites  est  tout  entière  hors  du  papier,  si  le  cercle 
a  un  rayon  considérable,  si  les  deux  droites  coïncident  presque,  etc.,  etc., 
les   opérations  sont,    en    réalité,    quelquefois  impraticables,  quelquefois 
fort  ditficiles;  aussi   l'appréciation  de   toutes   les  combinaisons  diverses 
qui  peuvent  se  présenter  de  cette  façon  échappe  bien  évidemment  à  toute 
mesure.  De  ce  que  nos  mesures  ne  correspondent  pas  à  la  réalité  immé- 
diate, on  ne  peut  conclure  à  la  stérilité  de  la  méthode,  pas  plus  que  —  si 
parva  licet  componere  magnis  —  on  ne  peut  dire  de  la  mécanique  ration- 
nelle qu'elle  est  inutile  parce  qu'elle  ne  correspond  point  à  la  pratique. 
Du  reste,  rien  que  ce  travail,  où  sont  simplifiées  effectivement  par  notre 
méthode  les   constructions  fondamentales,  séculairement  admises,  de  la 
géométrie,  suffit  pour  établir  son  utilité,  car  il  est  difficile  de  croire  que 
si  l'attention  des  géomètres  avait  été  attirée  de  ce  côté,  ils  eussent  mis 
comme  à  plaisir,  de  toute  antiquité,  dans  les  traités  didactiques,  des  types 
de  construction  compliqués,  s'ils  avaient  pensé  qu'il  en  existât  de  plus 
simples. 
Nous  avons  fait  les  hypothèses  suivantes  ; 
Tous  les  cercles  sont  également  faciles  à  tracer. 
Toutes  les  droites  sont  également  faciles  à  tracer. 
C'est-à-dire  que  nous  opérons  sur  une  feuille  infinie  et  que  la  grandeur 
des  compas  et  des  règles  est  illimitée. 

C'est  dans  le  même  esprit  que  nous  avons  raisonné  pour  donner  le 
même  symbole  C^  à  l'opération  qui  consiste  à  mettre  la  pointe  d'un  compas 
en  un  point  A  lorsqu'une  des  pointes  est  hbre  et  à  l'opération  qui 
consiste  à  mettre  la  seconde  pointe  du  compas  en  un  point  A  lorsque  la 
première  est  maintenue  en  un  autre  point  B,  —  opération  que  l'on  fait 
pour  prendre,  entre  les  branches  du  compas,  la  distance  qui  sépare  les 
deux  points  A  et  B.  —  Nous  n'avons  considéré  que  ceci  :  dans  les  deux 
cas  nous  faisons  coïncider  une  pointe  avec  un  point  déterminé,  ne  nous 
occupant  pas  de  la  manœuvre  à  laquelle  l'instrument  nous  oblige  pour 
cela  ;  on  peut  remarquer,  du  reste,  que  si  la  manœuvre  est  différente 
effectivement,  le  soin  à  mettre  pour  faire  les  deux  opérations  est  le  même, 
si  l'on  veut  obtenir  la  plus  grande  exactitude  possible.  Dans  une  pareille 


88  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,   GÉODÉSIE   ET  MÉCANIQUE 

théorie,  l'on  se  trouvera  toujours  entre  la  spéculation  pure  et  les  faits, 
puisqu'il  n'y  a  pas  de  représentation  réelle  du  point,  ce  que  nous  consi- 
dérons comme  tel,  étant  une  petite  surface,  soit  sur  l'épure,  soit  à  la  pointe 
du  compas,  etc. 

Il  pourrait  encore  sembler  nécessaire  de  tenir  compte  du  nombre  de  fois 
que  la  construction  oblige  cà  changer  d'instruments  en  quittant  le  compas 
pour  reprendre  la  règle  et  réciproquement  ;  on  emploierait  pour  cela  un 
nouveau  symbole,  —  la  chose  serait,  du  reste,  facile  —  mais  elle  nous  semble 
superflue  et  ne  se  trouve  pas  dans  le  point  de  vue  où  nous  nous  sommes 
placés;  d'abord,  ce  changement  d'instrument  n'est  ni  une  opération  de  pré- 
paration Ri,  Cl,  C,,  ni  une  opération  de  tracé  R^,  C3  qui  importe  au  résultat  ; 
ensuite  l'idée  qui  la  ferait  admettre,  c'est  le  désir  de  tenir  compte  du 
temps  et  nous  ne  considérons  pas  directement  cet  élément.  Nous  disons 
que  la  construction  A  est  plus  simple  que  la  construction  B  si  A  exige 
moins  d'opérations  élémentaires  théoriques  que  la  construction  B,  voilà 
tout. 

Les  positions  des  données  amènent  en  pratique  des  impossibilités  ou  des 
complications  de  tracés  pour  résoudre  les  difficultés,  alors  le  temps  serait 
évidemment  un  élément  à  considérer,  mais  nous  croyons  impossible  de 
le  faire  théoriquement  ;  on  peut  objecter  aussi  que  le  temps  employé  à 
l'étude  prélim.inaire  de  la  construction  à  exécuter  compense  celui  qu'on 
gagnerait  à  exécuter  l'épure  sans  tant  de  recherches,  mais  d'abord  un 
peu  d'exercice  rend  cet  examen  rapide  et,  surtout,  nous  ne  considérons 
pas  le  temps,  mais  nous  avons  en  vue  l'exactitude  de  l'épure  qui  est  évidem- 
ment d'autant  plus  grande  qu'il  y  a  moins  d'opérations  à  effectuer,  puisque 
chacune  d'elles  entraîne  une  erreur  (*). 

C'est  toujours  en  suivant  la  même  idée  théorique  que  nous  avons 
adopte  l'hypothèse  que  les  opérations  élémentaires  Rj,  Rg.  C,,  C2,  C3  étaient 
égales  pour  former  le  coefficient  de  simplicité,  nous  les  considérons  comme 
des  éléments  et  une  opération  de  simplicité  n  est  une  opération  qui  exige 
n  opérations  élémentaires. 

Il  serait  facile  d'imaginer  des  moyens  qui  sembleraient  évaluer  les 
rapports  de  la  durée  des  opérations  élémentaires  en  faisant  exécuter  en 
même  temps  plusieurs  constructions  déterminées,  par  des  ensembles  de 
bons  dessinateurs,  lesquels  répéteraient  m  fois  la  même  construction,  de 
marquer  le  temps  et  de  déduire  de  là,  en  prenant  les  coefficients  de  Ri, 

(*)  A  propos  de  l'influence  du  nombre  des  opérations  sur  l'exactitude  finale  du  résultat,  noussigna- 
lerons  une  question  qui  nous  semble  fort  intéressante,  mais  que  nous  n'avons  pas  poursuivie,  parce 
que  sa  solution  dépend  de  spéculations  avec  lesquelles  nous  ne  sommes  pas  très  familiarisés. 
J'appelle  E  l'erreur  m(jyenne  probable  que  l'on  fait   sur  cbaque  opération   élémentaire,  E,j  l'erreur 

probable  finale  d'une  construction  dont  la  simplicité  est  n.  Cela  posé,  quelle  est  la  valeur  probable 

E„ 
de  —  si  un  même  résultat  est  recherché  par  deux  solutions  qui  exigent  respectivement  n  et  n'  opé- 

rations  élémentaires,  c'est-à-dire  dont  les  coefficients  de  simplicil('  sont  n  et  n'? 


K.    LEMOl.NE.    LA    GÉOMÉTROGRAPHIE  89 

Rj,  etc.  comme  inconnues,  des  équations  qui  permettraient  de  déterminer 
leurs  rapports  de  durée  ;  mais  en  y  réfléchissant  un  peu,  l'on  voit  que 
l'on  n'aurait  ainsi  que  des  valeurs  s'appliquant  aux  circonstances  parti- 
culières des  épures  adoptées  pour  faire  cette  expérience,  et  nullement  à  la 
pratique  générale  ;  la  chose  peut  avoir  cependant  un  intérêt  de  curiosité, 
quoique  nous  ne  fassions  pas  intervenir  directement  le  temps  dans  Vcri 
de  la  construction  géométrique,  et  nous  avons  le  projet  de  la  mettre  à  exé- 
cution, si  nous  trouvons  des  circonstances  favorables  pour  cela. 

J'ai  déjà  dit  que  les  géomètres  n'avaient  jusqu'ici  cherché  que  la  sim^ 
plicité  spéculative  du  raisonnement  et  de  l'expression,  qu'ils  n'ont  pas 
paru  soupçonner  que  la  simplicité  de  la  construction  réelle  était  tout 
autre. 

Cela  vient  évidemment  de  ce  que  les  géomètres  construisent  peu  en 
général,  et  Vart  de  la  construction  n'a  pas  eu  jusqu'ici  de  place  dans  la 
géométrie  :  1"  parce  que  les  géomètres  spéculatifs  ne  s'en  sont  jamais 
occupé  ;  2°  parce  que  les  dessinateurs  de  profession  n'ont  en  général  que 
très  peu  besoin  de  ces  subtilités  dans  les  constructions  usuelles  de  leur 
métier;  qu'ils  doivent  avoir  l'esprit  plus  apphqué  à  la  pratique  propre- 
ment dite  qu'à  des  recherches  théoriques  (cependant  utilisables  par  eux 
et  qu'ils  ont  adopté,  sans  examen  et  tout  naturellement,  les  constructions 
indiquées  de  tout  temps  par  les  géomètres  dans  les  livres  didactiques  qu'ils 
ont  entre  les  mains. 

Il  n'est  point  surprenant  que  la  simplicité  du  raisonnement  spéculatif 
ne  corresponde  pas  très  fréquemment  à  la  simplicité  de  la  construction  : 

i°  Parce  que  le  lexique  géométrique  permet  de  condenser  souvent  en 
un  mot  des  opérations  très  complexes  ; 

2°  Parce  que  le  raisonnement  est  libre  de  toute  entrave,  tandis  que  la 
construction  est  assujettie  à  se  servir  de  certains  instruments  déterminés, 
la  règle  et  le  compas  (-),  au  moyen  desquels  il  faut  que  tout  s'exécute. 

Lorsque  l'idée  nous  est  venue  de  nous  occuper  de  ces  questions,  nous 
avions  songé  d'abord  à  une  autre  représentation  des  constructions,  dont 
nous  allons  dire  quelques  mots. 

Avec  une  règle  on  ne  peut  faire  autre  chose,  pour  une  construction,  que  : 

Tracer  une  droite  quelconque op.  :  (oj  ; 

Tracer  une  droite  passant  par  un  point  donné op.  :  (cj  ; 

Tracer  une  droite  passant  par  deux  points  donnés op.:  (03). 

Et,  avec  un  compas,  que  :  prendre  entre  les  branches  du  compas  la  dis- 
tance de  deux  points op.  :  (y  ). 

Reporter  cette  distance  sur  une  ligne  donnée  : 


(*)  Nous  n'avons  pas  considéré  ici  Téquerre  parce  qu'on  ne  remploie  pas  dans  les  construction.s  nul 
doivent  être  très  exactes;  mais,  ainsi  que  nous  l'avons  montré  (A.  F.,  (1888,  Congrès  dOran,  p.  9 
et  ailleurs),  il  est  l'acile  d'évaluer  le  symbole  des  opérations  où  Ton  emploierait  cet  instrument. 


90  MATHK.MATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

Soit  à  partir  d'un  point  quelconque ^  .    .    .  op.:  (y^). 

Soit  à  partir  d'un  point  donné op.:  (y','). 

Tracer  un  cercle  d'un  centre  quelconque op.:  (y.J. 

Tracer  un  cercle  d'un  centre  donné .op.:  (y'g). 

Tout  tracé  fait  avec  ces  instruments  peut  donc  être  représenté  par  un 
symbole  de  la  forme  : 

A(pO  +  B(p,)  +  C(p3)  +  D(y,)  +  E(y;)  +  F(y;')  +  G(y,)  +  H(y;). 

Nous  y  avons  renoncé  assez  vite  : 

Parce  que  cette  représentation  est  trop  compliquée; 

Parce  que  ces  diverses  opérations  sont  trop  ditférentes  entre  elles  pour 
qu'on  puisse  les  assimiler  à  aucun  point  de  vue  ; 

Parce  que  la  plupart  des  symboles  qu'elle  admet  se  composent  d'opé- 
rations irréductibles  qu'il  vaut  mieux  prendre  pour  points  de  départ; 

Parce  qu'elle  ne  met  pas  en  évidence  les  opérations  de  préparation 
Cl,  Co,  Ri  et  ne  s'occupe  que  des  tracés  ; 

Parce  que  l'on  ne  peut  se  placer  à  un  point  de  vue  aussi  rationnel  que 
celui  que  nous  avons  adopté  dans  ce  qui  précède  ; 

Parce  qu'elle  ne  donne  pas  la  notion  de  l'évaluation  de  l'Exactitude, 
et  que,  malgré  le  détail  dans  lequel  elle  semble  entrer,  elle  vaut  moins 
que  la  représentation  qui  se  conlenterait  de  dire  :  il  faut  pour  ce  tracé 
tant  de  droites,  tant  de  cercles. 

Je  désire  avoir  bien  montré  par  ce  mémoire  qu'il  existe  un  art  des 
constructions  géométriques  qui  a  ses  règles  propres,  son  élégance,  sa 
grande  valeur  didactique  d'exercice  de  discussion,  et  enfin  son  application 
pratique. 

Comme  achèvement  des  idées  émises  dans  le  mémoire  du  Congrès 
d'Oran  déjà  cité,  il  resterait  à  refaire  la  géométrie  en  mettant  toutes  les 
propositions  sous  la  forme  classique  du  syllogisme.  Nous  croyons  même 
que  c'est  la  partie  la  plus  importante  du  sujet,  — dont  ce  qui  précède  n'est 
qu'une  application  particulière,  —  parce  que  c'est  le  seul  moyen  démettre 
en  évidence  et  hors  de  contestation  toutes  les  notions  élémentaires  irré- 
ductibles ou  axiomes  expérimentaux  qui  servent  de  fondement  à  la 
géométrie  et  qui  sont,  en  somme,  toujours  discutés  dès  que  l'on  s'en 
occupe  philosophiquement;  nous  regrettons  de  ne  pouvoir  nous  mettre, 
au  moins  actuellement,  à  cette  étude  qui  est  d'un  intérêt  de  premier  ordre, 
à  notre  avis. 

J'ai  dit  dans  le  cours  du  travail  que  je  viens  de  soumettre  à  votre 
appréciation  :  Les  géomètres  ne  se  sont  jamais  occupé  des  constructions 
jusqu'à  leur  exécution  matérielle  finale.  Il  est  certain  que,  à  la  lecture  de 
cette  phrase,  il  viendra  à  l'esprit  des  géomètres  une  protestation  contre 
cette  assertion  :  mais,  au  contraire,  c'est  le  but  final  des  théorèmes  et  l'on 


E. 


LEMODiE.    —    LA    GÉOMÉTROGR.\PHIE  91 


s'en  préoccupe  toujours.  Je  ne  doute  pas  quu  cette  réflexion  ne  soit  faite, 
car  elle  n'a  jamais  manqué  d'être  la  réponse  à  mon  affirmation  quand  je 
la  produisais  en  conversation.  Je  ne  crois  pas  pouvoir  mieux  la  réfuter 
et  prouver  ma  thèse  qu'en  citant  ici  (avec  l'assentiment  des  géomètres  mis 
en  cause),  deux  faits  typiques  : 

Au  mois  de  novembre  1891,  j'avais,  à  une  séance  de  la  Société  mathé- 
matique, parlé  de  mes  idées  sur  ïart  des  constructions  géométriques,  et  je 
causais  de  ce  sujet  avec  M.  Mannheim,  en  sortant. 

Je  suis  Taxi  de  pouvoir  citer  M.  Mannheim  à  cette  occasion,  car,  pas  un 
géomètre  n'a  mieux  que  lui  —  avec  une  préoccupation  évidente  —  donné 
élégamment,  sur  les  sujets  qui  l'ont  occupé  :  surface  de  l'onde,  rayons 
de  courbure,  \'is  à  filets  triangulaires,  construction  des  axes  dune  ellipse 
connaissant  deux  diamètres  conjugués,  mémoire  d'optique  géométrique, 
géométrie  cinématique,  et  dans  ses  cours  à  l'École  Polytechnique,  etc..  des 
constructions  finales  claires  et  simplement  exprimées. 

Voici  des  lambeaux  de  notre  conversation  se  rapportant  à  l'objet  que 
j'ai  en  vue  : 

Moi.  —  «  ...  Le  géomètre  appelle  simple  une  construction  synthétisée 
»  en  quelques  mots  du  vocabulaire  géométrique  ;  mais,  le  compas  à  la 
»  main,  la  plus  simple  de  deux  constructions  n'est  pas  celle  qui  s'ex- 
i>  plique  avec  le  moins  de  mots;  ainsi,  pour  la  construction  du  pro- 
»  blême  d'Apollonius,  dont  je  parlais  ce  soir,  il  faut,  dans  la  solution  de 
»  Bobillier  et  Gergonne,  trouver  le  centre  radical  des  trois  circonférences, 
»  ce  qui  exige  le  tracé  de  deux  axes  radicaux,  etc.,  et  il  est  nécessaire, 
»  pour  savoir  si  la  solution  de  Bobillier  et  Gergonne  est  la  plus  simple  à 
»  tracer,  de  s'occuper  d'abord  de  chercher  les  tracés  les  plus  simples 
»  qu'elle  comporte,  celui  de  l'axe  radical  de  deux  circonférences,  etc..  » 

i>I.  3Iannheim.  —  «...  Il  y  a  plusieurs  moyens  très  simples  :  je  citerai, 
y  à  première  vue,  la  propriété  de  l'axe  radical  de  passer  par  les  milieux 
»  des  longueurs  comprises  sur  les  tangentes  communes  entre  les  deux 
»  cercles...  » 

Le  Géomètre  avait  raison  ;  pour  lui,  dans  ses  spéculations,  quand  on 
donne  deux  cercles,  les  tangentes  communes  sont  données,  les  milieux 
des  segments  aussi,  etc.  ;  il  s'en  sert  dans  ses  raisonnements  et  en  tire 
ses  énoncés  de  construction  ;  il  s'arrête,  sa  tâche  est  finie  dès  qu'il  a 
ramené  la  question  à  des  constructions  géométriques  élémentaires. 

Mais  le  Constructeur  ? 

Examinons  ce  qu'il  aurait  à  faire  pour  tracer  ainsi  l'axe  radical,  les 
deux  cercles  tout  seuls  étant  sur  l'épure  ;  nous  supposerons  les  deux  cir- 
conférences extérieures . 

1°  Tracer  deux  des  tangentes  communes  aux  deux  cercles  ; 

2°  Placer  les  points  de  contact  ; 


92  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

3°  Prendre  les  deux  milieux  de  la  distance  qui  sépare  les  points  de 
contact  ; 

4°  Enfin,  joindre  ces  deux  milieux. 

Ce  qui,  en  prenant  la  construction  XIX,  première  méthode  (la  plus 
simple  dans  ce  cas),  et  en  conduisant  toute  la  construction  économique- 
ment, suivant  nos  principes,  donne  : 

Op.  :  (18Ri  +  9R,  +  19Ci  -f-  I2C3);  simplicité  58  (soit  58  opérations 
élémentaires);  exactitude  37 ;  9  droites,  12  cercles. 

Et  la  méthode  que  nous  avons  employée  (construction  XLI),  pour  tracer 
l'axe  radical  n'exige  que  : 

Op.  :  (lORi -f- ^1^2  +  2C3);  simplicité  17  (soit  17  opérations  élémen- 
taires); exactitude  10;  5  droites,  3  cercles. 

Elle  est  plus  de  trois  fois  plus  simple  à  tracer. 

11  est  évident  que  ces  considérations  ne  seront  qu'un  jeu  pour  les 
géomètres,  dès  que  leur  attention  sera  portée  sur  ce  point;  ainsi,  ayant 
fait  voir  à  M.  Mmmheim,  dans  la  suite  de  notre  causerie,  que  la  cons- 
truction qu'il  avait  citée,  à  première  vue,  comme  simple  était  fort  com- 
pliquée, je  fus  amené  à  dire  :  «  Eh  bien!  quel  est,  à  votre  avis,  la  construc- 
tion la  plus  simple  du  point  de  Lemoine?»  11  ne  répondit  plus  sur-le-champ 
comme  la  première  fois,  mais  il  m'envoya,  dès  le  lendemain  matin,  une 
construction  du  point  de  Lemoine  qui  était  la  même  que  celle  que  je  regar- 
dais comme  la  plus  simple  ot  que  je  donne  ici  (construction  LU). 

Voici  le  second  fait  que  je  veux  citer. 

En  rédigeant  le  texte  relatif  à  la  construction  LV  de  ce  mémoire,  pour 
placer  les  points  de  Brocard,  j'eus  l'idée  d'écrire  à  mon  ami  M.  Brocard 
en  lui  demandant  de  m'envoyer  celle  des  constructions  de  ces  points  qu'il 
croyait  la  plus  simple,  afin  de  la  comparer  avec  celle  que  ma  méthode 
m'avait  fait  choisir. 

Je  copie  le  passage  y  relatif  de  sa  réponse. 

«  Pour  la  détermination  des  points  oj,  w',  il  me  semble  que  la  cons- 
»  truction  la  plus  rapide  est  la  suivante,  réduite  au  minimum  de  lignes. 

»  Soit  ABC  le  triangle;  tracer  le  cercle  circonscrit;  tracer  les  trois  tan- 
»  gentes  BC,  CB',  C'AB';  joindre  BB',  CC  qui  se  coupent  au  point  K 
>■>  de  Lemoine.  Décrire  le  cercle  Zqui  a  pour  diamètre  la  droite  OK  (0  contre 
))  du  cercle  circonscrit);  mener  par  A  la  droite  EAD  parallèle  à  BC;  elle 
»  coupe  BC  en  E,  CB'  en  D;  joindre  DB,  EC  qui  se  coupent  en  Aj  sur  le 
«  cercle  Z;  les  secondes  intersections  de  ces  droites  DB,  EC  avec  Z  sont 
»  les  points  w  et  w'.  » 

Analysons  cette  construction  en  l'exécutant  à  la  lettre,  mais  en  prenant 
cependant  les  constructions  réduites  de  ce  mémoire. 

1°  Je  trace  le  cercle  circonscrit  (voir  construction  XXI) 

op.:  (4Ri  +  2R,-f  oC,  +  -iC3). 


!■;.    LKMOINE.    LA    GÉOMÉTROGRAIMIIK  93 

2°  Je  trace  les  trois  tangentes  en  A,  en  B  et  en  C  (voir  construction  XXV). 

op.  :(6Hi  +  3R, +  12Ci-[-9C,). 

3"  Je  joins  BB',  ce op.  :  (4Ri -f  2R,). 

4°  Je  trace  le  cercle  OK  (construction  XIX) 

op.  :  (2R, -f  R, +  4C,-f-3C3). 

5°  Je  mène  par  A  une  parallèle  à  BC  (construction  XVII)  en  me  servant 
de  la  construction  1°  et  en  remarquant  que  le  cercle  circonscrit  déjà  tracé 
me  permet  une  économie  de  op.  :  (Ci-f-Ca).  op.  :  2Ri-|-2R2+  3Ci  +  Cg). 

6°  Je  joins  DB,  EC op.  :  (4R,  +  2R,). 

En  lout  :  op.  :  (22R,  +  ilR,  +  24C,  +  170,)  ;  simplicité  74;  exac- 
titude 46;  11  droites,  17  cercles. 

Notre  construction  LV  donne  :  simplicité  38;  exactitude  24;  6  droites, 

8  cercles. 

Et  cependant,  si  M.  Brocard  avait  eu  l'attention  attirée  sur  le  point  de 
la  construction  effectuée,  il  n'aurait  pu  songer  qu'à  la  solution  que  nous 
avons  développée,  car  elle  est,  en  principe,  de  lui.  (A.  F.,  1881,  Congrès 
d'Alger,  10,  p.  14(3.) 

Je  dois  ajouter  qu'en  appliquant  complètement  notre  méthode  l'on  peut 
réduire  de  quelques  unités  le  symbole  de  la  construction  qu'il  nous  a 
envoyée;  en  efîet,  pour  tracer  les  trois  tangentes  en  A,  en  B  et  en  C,  l'on 
peut  faire  en  A  l'angle  B'AC  ==  B  en  utilisant  les  cercles  de  même  rayon 
décrits  de  A,  B,  C  dans  le  tracé  du  cercle  circonscrit. 

On  les  a  ainsi  par op.  :  (GRi  +  3R,  -f  9Ci  -f  SCg). 

Pour  mener  la  parallèle  en  A  à  BC,  on  peut  se  servir  des  mêmes  cercles 
et  gagner  encore  deux  opérations  élémentaires  en  faisant  angle  EAB  =  C, 
pendant  que  l'on  a  la  longueur  de  la  corde  de  l'arc  correspondant  à  C 
dans  le  compas,  pour  tracer  l'angle  B'^^C. 

On  a  alors  cette  parallèle  par op.  :  (2Ri  -f  R^  +  Ci  +  C^). 

Les  points  w  et  o/  eussent  ainsi  été  donnés  par  : 

Op.  :   (18Ri  +  9R,  +  IQCi  +  IIC3);   simplicité  37;   exactitude  37; 

9  droites,  H  cercles. 

Je  n'ai  pas  fait  ces  simplifications  parce  qu'elles  dérivent  trop  de  l'esprit 
de  la  méthode  que  nous  venons  d'exposer  pour  croire  qu'un  géomètre, 
quelque  habile  qu'il  soit,  construisant  une  figure  com7ne  tout  le  monde  le 
fait  jusqu'ici,  eût  eu  la  pensée  de  les  introduire;  mais,  même  ainsi  simpli- 
fiée, la  construction  reste  beaucoup  trop  compliquée. 

J'ai  cité  deux  exemples  qui  me  paraissent  caractéristiques. 

A  duobus  discete  omnes. 

Je  crois  que  tout  ce  que  nous  venons  d'exposer  présente  la  Géométro- 
graphie  comme  un  corps  de  doctrine  à  peu  près  complet  en  ce  qui  concerne 
la  géométrie  de  la  droite  et  du  cercle  telle  que  l'entendaient  les  Grecs, 
mais  il  reste  deux  applications  à  faire  en  détail  au  point  de  vue  moderne  : 


94  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

1°  L'application  à  la  géométrie  descriptive  en  ajoutant  l'usage  de  l'équerre 
et  d'un  nouveau  symbole  d'opération  élémentaire  y  relatif. 

2°  L'application  à  la  statique  graphique  qui,  outre  l'équerre,  admettra 
l'usage  de  règles  divisées  pour  éviter  les  difficultés  provenant  des  ques- 
tions d'arithmologie  introduites  par  l'idée  de  nombre,  difficultés  que  nous 
avons  signalées  précédemment,  par  exemple:  au  sujet  de  la  division  d'une 
longueur  donnée  en  parties  proportionnelles  à  des  nombres  donnés  ou  au 
sujet  de  la  construction  d'une  longueur  qui  soit  m  fois  une  longueur 

donnée. 

Mon  ami  M.  Maurice  iVOcagne,  qui  a  eu  l'obligeance  de  présenter  ce 
mémoire  à  la  Section  de  Mathématiques,  m'a  écrit  à  son  sujet  une  lettre 
aimable  dont  j'extrais  les  lignes  suivantes  :  «...  Je  crois  qu'au  point  de 
»  vue  de  la  spéculation  pure,  une  solution  pouvant  se  résumer  dans  un 
»  langage  plus  bref  sera  toujours  préférée  à  une  autre,  quand  bien  même 
»  celle-ci  serait  plus  simple  au  sens  absolu  que  vous  donnez  à  ce  mort; 
»  il  faut  bien  remarquer,  en  effet,  que  la  plupart  des  constructions  indi- 
»  quées  en  géométrie  pure,  sont  destinées  à  n'être  jamais  réalisées  effec- 
»  tivement,  telles  sont  les  contructions  de  centre  de  courbure  pour  les 
»  coYirbes   autres    que   les  courbes  usuelles;    il   vaut  mieux,   dès  lors, 
»  qu'elles  s'expriment  sous  une  forme  plus  concise,  plus  élégante,  plutôt 
»  que  de  se  traduire  par  une  opération  graphique  plus  expéditive.  Cela 
»  est  loin,  d'ailleurs,  de  supprimer  l'intérêt  qui  s'attache  aux  ingénieuses 
«  considérations  que  vous  avez  développées  ;  celles-ci  trouvent,  en  etlet, 
»  un  vaste  champ  d'application  dans  la  géométrie  pratique  et  notamment 
»  dans  la  géométrie  descriptive.  L'art  de  dresser  les  épures  a  tout  à  ga- 
»  gner  à  s'inspirer  de.  vos  méthodes...  Je  vous  fais  part  de  ces  réflexions 
»  que  j'ai  émises  à  nos  collègues  de  la  1*''  Section,  pour  que  vous  puis- 
»  siez  y  répondre...  » 

Je  remercie  doublement  M.  d'Ocagne,  et  d'avoir  présenté  pour  moi  ce 
travail,  et  de  m'avoir  écrit  ces  lignes;  mais  je  n'ai  pas  à  répondre, 
en  ce  qui  concerne  son  observation,  car  je  suis  tout  à  fait  du  même  avis 
que  lui  et  je  n'ai  point  eu  l'idée  de  faire  ou  de  dire  quelque  chose  qui  en 
impliquât  un  autre  ;  je  vais  seulement  profiter  de  l'occasion  pour  bien, 
spécifier  mon  but.  Je  ne  m'étonne  nullement  que  ce  but  ne  soit  pas  res- 
sorti pour  M.  d'Ocagne  d'une  lecture  de  ce  long  mémoire,  qui  n'avait 
pu  être  approfondie  puisque  je  le  lui  ai  remis  la  veille  de  son  départ 
pour  Pau,  et  je  crains  surtout  d'ailleurs  de  ne  pas  avoir  suffisamment 
mis  ce  but  en  relief. 

Je  ne  m'occupe  point  de  l'exposition  de  la  géométrie;  pour  chaque 
question,  plus  elle  sera  concise,  élégante,  etc.,  mieux  cela  vaudra,  c'est 
évident,  et  il  n'y  a  rien  à  changer  à  l'idéal  de  perfection  que  le  géo- 
mètre doit  poursuivre;  je  vise  autre  chose,  car,  à  côté  de  la  solution 


K.     I,I:M01>E.     —    I,\    GKOMÉTKOGKAPHIE  9o 

spéculative  d'une  question,  il  y  a  la  construction  cfTectuée  de  cette  solu- 
tion, et  la  façon  de  réaliser  les  constructions  constitue  une  branche  par- 
ticulière de  la  connaissance,  un  art  dont  on  ne  s'est  jamais  occupé;  c'est 
de  lui  seul  dont  il  s'agit  dans  mon  travail. 

Je  n'y  prétends  même  pas  suivre  exactement  la  construction  réelle, 
puisque  je  prends  pour  hypothèse  que  les  instruments  et  la  feuille  d'épuré 
ont  toutes  les  dimensions  possibles  jusqu'à  l'infini,  que  les  positions  rela- 
tives des  données  sont  indifférentes,  etc.  C'est  la  construction  rationnelle 
que  j'analyse;  on  ne  peut,  je  crois,  analyser  d'une  façon  générale  la  cons- 
truction réelle,  puisque  l'exécution  d'une  même  construction  est  ou  facile 
ou  pratiquement  impossible  suivant  les  grandeurs  ou  les  positions  des 
données.  Ainsi  il  est  souvent  facile  de  placer  les  intersections  d'une  droite 
et  d'un  cercle,  il  sulïït  de  les  tracer  sur  l'épure;  mais  si  !e  cercle  a 
100  mètres  de  rayon,  comment  fera-t-on? 

Nous  ne  pouvons  donc  suivre  la  construction  réellement  effectuée,  mais 
il  est  clair  cependant  que  de  deux  constructions  d'un  même  problème, 
évaluées  toutes  deux  par  notre  méthode,  celle  pour  laquelle  on  aura  le 
plus  petit  nombre  d'opérations  élémentaires  à  exécuter,  sera  par  essence 
la  plus  simple  et  que,  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  c'est  elle  qu'il  fau- 
drait rationnellement  mettre  en  pratique  plutôt  que  celle  qui  exige  un 
plus  grand  nombre  d'opérations  pour  sa  réalisation;  dans  le  cas,  très  fré- 
quent, où  l'on  compare  deux  constructions  et  que,  dans  l'une  d'elles,  tous 
les  coefficients  de  Rp  R2,  C^,  C2,  Cg  sont  respectivement  au  plus  égaux 
aux  coefficients  de  l'autre,  la  chose  n'est  même  pas  susceptible  d'être 
discutée. 

Il  est  un  seul  point  de  la  lettre  de  M.  cVOcagne  sur  lequel  nous  ne 
sommes  peut-être  pas  d'accord,  c'est  lorsqu'il  dit  que  les  constructions 
géométriques  ne  sont,  au  fond,  que  spéculatives,  c'est-à-dire  qu'on  ne  les 
exécute  jamais.  C'était  vrai  pour  les  Grecs  ;  s'ils  traçaient  des  figures  en 
croquis  sur  le  sable,  la  chose  servait  simplement  à  aider  le  raisonnement, 
mais  ce  n'était  pas  de  la  construction.  Cela  explique  qu'eux,  si  affinés,  si 
ingénieux  dans  leurs  spéculations  géométriques,  n'aient  point  eu  l'idée  de 
la  Géométrographie  qui  n'avait  pas  d'objet  puisqu'ils  ne  faisaient  pas 
d  épures  (*)  ;  nous  disons,  nous,  une  construction  faite  au  moyen  de  la  règle 
et  du  compas,  les  Grecs  disaient  une  solution  possible  avec  la  droite  et  le 
cercle,  notre  expression  indique  les  instruments  de  la  construction,  la 
leur,  les  données  spéculatives.  L'idée  si  simple  et  si  naturelle  de  la  Géomé- 


(* I  Les  Grecs  ne  faisaient  pas  d'épurés  même  pour  leurs  constructions  d'édifices;  c'est  du  moins  l'avis 
des  savants  qui  se  sont  spécialement  occupé  de  la  question,  de  M.  Choisy,  par  exemple,  dont  on 
connaît  les  beaux  travaux  sur  l'architectuie  grecque  ;  toutes  les  dimensions  étaient  détermini'es  par 
le  calcul;  du  reste,  eussent-ils  fait  quelques  croquis  sur  le  sol,  sur  des  parois  de  muraille,  etc., 
que  cel.i  n'avait  que  peu  de  rapport  avec  nos  épures  et  ne  pouvait  faire,  chez  eux,  naître  l'idée  d'un 
art  propre  de  la  construction  géométrique. 


96  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

trographie  n'est  pas  née  plus  tôt,  précisément  parce  que  la  géométrie 
nous  vient  des  Grecs,  que  nous  avons  naturellement  suivi  leurs  traces, 
adopté  leurs  méthodes,  développé  leurs  conceptions,  etc.,  sans  imaginer 
qu'à  la  base  il  se  trouvait  un  détail  auquel  ils  ne  devaient  pas  avoir  songé, 
puisque  son  objet  :  la  construction  géométrique  etléctive,  n'existait  pas 
pour  eux.  Aujourd'hui,  la  Géométrographie  s'impose,  au  contraire,  car  l'on 
utilise  pratiquement  beaucoup  de  constructions  géométriques  et  des  plus 
délicates  dans  les  ateliers  de  précision,  pour  les  machines,  etc.,  etc.  Je  dois 
dire  d'ailleurs  que  ce  point  de  vue  utilitaire  ne  m'a  pas  conduit,  j'ai  pensé 
simplement  que,  puisque  l'on  croit  utile  de  donner  des  constructions  qui 
puissent  être  effectuées  avec  la  règle  et  le  compas,  il  fallait  les  donner  les 
plus  simples  possibles  et  indiquer  aussi  les  moyens  généraux  de  construire 
le  plus  simplement.  Montrer  d'une  façon  complète  que  l'on  exécute  réel- 
lement et  de  divers  côtés,  dans  un  but  pratique,  des  tracés  géométriques 
d'origine  spéculative,  et  qu'il  y  a  même  des  géomètres  amenés  à  en  exé- 
cuter pour  leurs  recherches,  m'entraînerait  trop  loin,  mais  je  veux  cepen- 
dant citer  quelques  exemples  à  l'appui  de  mon  affirmation. 

1°  Au  courant  d'une  recherche,  on  a  souvent  la  présomption  d'un  théo- 
rème ;  la  démonstration  de  son  exactitude  ou  de  son  inexactitude  peut 
conduire  soit  à  de  très  longs  calculs,  soit  à  des  études  d'autant  plus 
ennuyeuses  à  tenter  qu'elles  sont  faites  en  pure  perte  si  la  présomp- 
tion n'est  pas  exacte  ;  beaucoup  de  géomètres  trouvent  donc  commode 
d'économiser  le  temps  en  faisant  d'abord  une  vérification  pratique  par 
le  trait,  c'est-à-dire  une  construction  dont  le  résultat  ne  démontrera 
rien,  bien  évidemment,  mais  indiquera,  ordinairement,  si  l'idée  doit 
être  poursuivie  ou  abandonnée;  j'ai  eu  moi-même  assez  souvent  recours 
à  ce  procédé. 

2°  Je  citerai  ensuite  un  petit  travail  de  M.  Laisant  :  Constructions  gra- 
phiques de  nombres  transcendants,  inséré  dans  le  livre  publié  à  l'occasion 
du  centenaire  de  la  Société  philomatique,  en  1888,  qui  obligeait  à  une 
construction  délicate  pour  laquelle  il  a  dû  s'adresser  à  un  habile  dessi- 
nateur . 

3°  Des  résultats  spéculatifs  importants  ont  même  été  découverts  par  le 
seul  moyen  de  constructions  graphiques  et  démontrés  postérieurement; 
pourquoi  les  essais  préalables  seraient-ils  impuissants  entre  les  mains 
du  géomètre,  quand  l'arithmologue  en  fait  un  moyen  ordinaire  d'arriver 
à  la  probabilité  ou  à  la  fausseté  du  théorème  qu'il  a  en  vue?  Voici,  du 
reste,  un  cas  que  je  cite  avec  détails  parce  que  je  le  crois  peu  connu. 
M.  Dunesme,  ancien  élève  de  l'École  des  Beaux-Arts,  architecte,  maître 
de  dessin  graphique  à  l'École  normale  et  au  ci-devant  Lycée  Napoléon, 
mort  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  a  découvert,  le  compas  à  la  main  de 
très  curieuses   propositions  ;  je  signale  les  suivantes  parmi  celles  qu'il 


K.    LEMOINE.    —    LA    GKOMÉTROGRAPHIE  97 

a  communiquées    à    l'Institut    et  qui   sont  maintenant  des  théorèmes 
courants  : 

a)  Toute  courbe  C  est  l'ombre  d'une  surface  de  révolution  S  (éclairée, 
par  des   rayons   parallèles;  sur  un  plan  perpendiculaire  à  l'axe  de  S  ; 

La  développée  de  C  est  l'ombre  d'un  conoide  ayant  pour  axe  l'axe 
de  S,  pour  plan  directeur  le  plan  perpendiculaire  à  cet  axe  et  pour  di- 
rectrice l'ombre  propre  de  S. 

b)  Si  l'on  fait  tourner  une  conique  autour  d'un  axe  parallèle  à  un 
axe  de  figure,  elle  engendre  une  surface  de  révolution  dont  V ombre  propre 
projetée  sur  un  plan  perpendiculaire  àVaace  est  une  conchoide  de  conique. 

c)  Si  l'on  fait  tourner  une  sinusoïde  autour  de  la  ligne  des  centres, 
elle  engendre  une  surface  de  révolution  S  ;  si  l'on  éclaire  cette  surface  pa/r 
des  rayons  à  4o°,  l'omhi'e  propre  de  S  projetée  sur  un  plan  jjerpendicu- 
laire  à  l'axe  se  compose  de  deux  cercles  ;  l'ombre  portée  sur  le  plan  per- 
pendiculaire à  l'axe  est  une  cycloïde. 

M.  Dunesme  faisait  avec  un  soin  méticuleux  des  épures  admirables, 
déterminant  les  Rj  et  les  Ci  à  la  loupe,  etc.;  je  tiens  ces  détails  de  mon 
camarade  H.  Laurent,  examinateur  d'entrée  à  l'École  polytechnique; 
M.  Dunesme  était  un  proche  parent  de  sa  mère. 

4°  M.  d'Ocagne  lui-même  a  —  très  légèrement  —  ressenti  l'influence  de 
la  Géométrographie.  Vers  la  fin  de  1891,  à  une  séance  de  la  Société 
mathématique,  il  nous  parla  d'un  problème  de  construction  géométrique 
inspiré  par  les  études  de  son  service  actuel  (le  iSivellement  général  de  la 
France),  et  en  indiqua  une  solution;  le  même  jour,  j'exposai  à  ce  propos 
un  résumé  succinct  des  études  que  je  faisais  pour  évaluer  la  simplicité  et 
l'exactitude  des  constructions  géométriques.  A  une  séance  suivante  M.  Lai- 
sant  apporta,  du  même  problème,  une  solution  plus  simple,  et  M.  d'Ocagne 
une  modification  de  la  première  qui  semblait,  cependant,  évidemment 
moins  simple  à  construire  que  celle  de  M.  Laisant  et  l'était  effectivement, 
comme  le  démontrait  ma  méthode  de  comparaison.  M.  d'Ocagne  revint 
ensuite  sur  la  même  question,  car  il  fit  présenter  à  l'Académie  des 
Sciences,  par  M.  Bouquet  de  la  Grye,  une  nouvelle  solution  qu'il  croyait, 
à  tort,  plus  simple,  sans  doute  parce  qu'elle  s'énonçait  plus  brièvement 
et  qu'il  n'avait  point  d'autre  critérium. 

Ayant  l'intention  de  rédiger,  comme  application  de  ma  méthode,  une 
note  que  je  présenterai  prochainement  à  la  Société  mathématique  et  dans 
laquelle  je  comparerai  toutes  ces  solutions  du  même  problème  au  point  de 
vue  de  la  simplicité  et  de  l'exactitude  de  la  construction,  j'ai  demandé  à 
M.  dOcagne  quelques  détails  et,  dans  sa  réponse,  il  m'a  envoyé  une  der- 
nière solution  que  je  viens  d'examiner  et  qui,  celle-là,  est  la  plus  simple 
de  toutes.  .Je  crois  bien  que,  sans  l'idée  de  Géométrographie,  ce  problème 
n'eût  point  été  traité  aussi  à  fond,  car  tout  géomètre  qui  n'aurait  point  eu 

7* 


98  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

cette  préoccupation  nouvelle  aurait  été  satisfait  de  la  première  solution. 

Cet  exemple  montre  de  plus  que,  même  quand  on  a  l'attention  attirée 
sur  la  simplicité  des  constructions,  on  ne  peut  pas,  sans  notre  méthode, 
juger  quelles  sont  les  plus  simples,  car  M.  d'Ocagne  avait  évidemment 
cru  que  la  solution  présentée  à  l'Académie  était  plus  simple  que  celle 
qu'il  avait  exposée  d'abord  à  la  Soc.  Math.,  et  c'est  le  contraire  qui  a 
lieu  de  la  façon  la  plus  absolue. 

Sauf  cette  légère  restriction,  je  ne  puis  que  souscrire  à  ce  qu'a  dit 
M.  d'Ocagne,  choses  que  j'ai,  du  reste,  voulu  indiquer  en  plusieurs 
endroits  du  présent  mémoire. 

Il  est  un  point  qui  mérite  aussi  quelques  mots  d'explications,  lesquelles 
répondront  à  une  objection  que  je  m'étais  faite  à  l'origine  et  qui  doit,  tout 
d'abord,  se  présenter  à  l'esprit  de  ceux  qui  examinent  notre  méthode. 
Est-il  légitime  de  supposer  identiques  les  opérations  :  C,,  C,,  Cj,  Ri,R:,  dans 
la  composition  des  coefficients  de  Simplicité  et  d'Exactitude?  Non,  évidem- 
ment, s'il  s'agissait,  dans  la  Géométrographie,  d'une  sorte  de  métrage 
absolu  ;  mais  ce  n'est  nullement  le  cas,  et  si  j'assimile  ces  opérations,  c'est 
parce  qu'elles  sont  élémentaires,  c'est-à-dire  indécomposables  en  d'autres 
plus  simples  et  que,  spéculativement^  elles  ne  sont  ni  plus  simples  ni 
moins  simples  l'une  que  l'autre.  Le  mot  mesure  ne  peut  donc  pas  être 
rigoureusement  introduit,  avec  le  sens  qu'il  a  habituellement,  puisqu'il 
s'applique  à  la  comparaison  d'une  grandeur  avec  une  autre  grandeur  de 
même  nature  prise  pour  unité  ;  une  construction  n'est  pas  une  grandeur 
et  elle  s'exécute  au  moyen  d'opérations  élémentaires  irréductibles  entre 
elles.  Si  j'emploie  l'expression  :  mesures  de  la  simplicité,  etc.,  c'est  dans 
un  sens  imagé,  parce  que  je  trouve  qu'il  convient  mieux  à  mon  but  que  le 
mot  général  :  comparaison.  Exiger  la  rigueur  absolue  ici  est  impossible  et 
serait  absurde,  car  elle  conduirait  à  rejeter  même  toute  comparaison  entre 
les  simplicités  pratiques  de  certaines  constructions  ;  comment,  en  effet,, 
apprécier  rigoureusement  si  la  construction  20,  est  plus  ou  moins  simple 
que  SOR;,  puisque  les  unités  Cj  et  R,  sont  différentes.  En  réfléchissant  un 
peu  à  l'essence  de  la  question  et  en  pratiquant  la  Géométrographie,  on  re- 
connaîtra, je  pense,  comme  nous,  que  nos  assimilations  sont  admissibles 
dans  l'ordre  d'exactitude  spéculative  où  les  tracés  géométriques  le  sont 
eux-mêmes,  car  nous  disons  :  je  trace  une  ligne,  je  place  un  point,  et  ni 
la  ligne  ni  le  point  n'ont  d'existence  objective.  Il  y  a,  du  reste,  des  cas  très 
fréquents  où  même  ces  scrupules  théoriques  n'auraient  point  à  s'appliquer; 
ainsi  la  construction  dont  le  symbole  est  :  op.  :  (4Ri  -{-  2R,-j-  8  Cj  -|-  3Cj 
est,  à  quelque  point  de  vue  que  l'on  se  place,  moins  simple  spéculative- 
ment  que  celle  dont  le  symbole  est  :  op.  :  (2Ri  -[-  R,  -f-  5Ci  -f-Cj),  puisque 
les  coefficients  de  toutes  les  opérations  élémentaires,  qui  sont  en  réalité 
les  unités  indépendantes  de  notre  évaluation,  sont  plus  petits  dans  la 


É.    LEMOINE.    —    L.V    GKOMÉTROGRAPHIE  99 

seconde  que  dans  la  première;  ce  cas  se  présente,  par  exemple,  dans  le 
problème  de  M.  d'Ocagnc,  problème  dont  nous  venons  de  parler  ;  enfin 
notre  méthode  donne,  en  tous  cas,  un  critérium  spéculatif  plus  ou  moins 
parfait  dont  nous  avons  déjà  montré  dans  ce  mémoire  des  résultats  pra- 
tiques incontestables;  avant  elle,  il  n'existait  aucun  critérium. 


RÉSUMÉ  ANALYTIQUE  PAR  ORDRE  DE  MATIÈRES 


Introduction. 

Exposition  de  la  théorie  de  la  Simplicité  et  de  V Exactitude. 
Applications  : 
1.  —  Tracer  une  droite  quelconque. 
II.  —  Tracer  une  droite  par  un  point  donné. 

III.  —  Tracer  une  droite  par  deux  points  donnés. 

IV.  —  Tracer  un  cercle  quelconque. 

V.  —  Tracer  un  cercle  quelconque  dont  le  centre  est  donné. 
VI.  —  Prendre  avec  le  compas  une  longueur  donnée. 
VII.  —  Porter  sur  une  ligne  une  longueur  prise. 
VIII.  —  Porter  sur  une  ligne  une  longueur  donnée. 
IX.  —  Tracer  un  cercle  passant  par  deux  points  A  et  B. 
X.  —  Placer  un  point  à  égale  distance  de  deux  points  donnés. 
XI.  —  Par  un  point  donné  sur  une  droite,  tracer  une  seconde  droite  qui  fasse 

avec  la  première  un  angle  égal  à  un  angle  donné. 
XII.  —  Connaissant  deux  angles  d'un  triangle,  construire  le  troisième. 

XIII.  —  Construire  un  triangle,  connaissant  un  côté  et  les  deux  angles  adjacents. 

XIV.  —  Construire  un  triangle,  connaissant  deux  côtés  et  Fangle  compris. 

XV.  —  Construire  un  triangle,  connaissant  deux  côtés  et  l'angle   opposé  à   l'un 

d'eux. 
XVI.  —  Construire  un  triangle,  connaissant  les  trois  côtés. 

XVII.  —  Par  un  point  pris  hors  d'une  droite,  mener  une  parallèle  à  cette  droite. 
XVIII.  —  Tracer  une  perpendiculaire  en  son  milieu,  à  une  droite  limitée  par  deux 
points,  et  placer  le  milieu  d'une  longueur  tracée. 
XVIII  bis.  —  Placer  le  point  symétrique  A'  d'un   point  A  par   rapport  à  une  droite 
donnée  BC. 
XIX.  —  Décrire  un  cercle  sur  une  droite  donnée  comme  diamètre. 
XX.  —  Tracer  par  un  point  C  une  perpendiculaire  à  une  droite  AB. 
XXI.  —  Décrire  une  circonférence  passant  par  trois  points  donnés. 
XXII.  —  Diviser  un  angle  donné  en  deux  parties  égales. 

XXIII.  —  Diviser  un  arc  donné  en  deux  parties  égales. 

XXIV.  —  Tracer  la  bissectrice  de  l'angle  formé  par  deux  droites  qu'on   ne  peut 

prolonger  jusqu'à  leur  intersection. 
XXV.  —  Tracer  par  un  point  A  d'une  circonférence  une  tangente  à  cette  circon- 
férence. 
XXVI.  —  Tracer  d'un  point  extérieur  les  deux  tangentes  à  une  circonférence  de 

centre  0. 
XXVII.  —  Inscrire  un  cercle  dans  un  triangle  donné. 

XXVIII.  —  Construire  sur  une  droite  donnée  un  segment  capable  d'un  angle  donné. 
XXIX.  —  Construire  les  tangentes  communes  à  deux  cercles  donnés. 
XXX.  —  Construire  une  droite  qui  soit  n  fois  une  longueur  donnée. 
XXXI.  —  Construire  une  droite  qui  soit  la  n''""  partie  d'une  longueur  donnée, 
XXXII.  —  Diviser  une  droite  en  p  parties  proportionnelles  à  des  droites  données. 
XXXIII.  —  Construire  la  quatrième  proportionnelle  à  trois  droites  données. 


100  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

N' 
XXXIV.  —  Construire  la  troisième  proportionnelle  X  —  — • 

Ij-i     ,.ï     p-2     f,2     f,2     If.     i)ç     ca     ah 

XXXIV  5/s.  —  Dans  un  triangle  ABC,  construire  —  »  -?— »— '~'~'   ~'"r'  — ' 

"  aabuccaoc 

XXXV.  —  Construire  la  moyenne  proportionnelle  entre  deux  droites  données. 
XXXVI.  —  Diviser  une  droite  en  moyenne  et  extrêma  raison. 
XXXVII.  —  Tracer  par  un  point  donné  une  droite  passant  par  le  point  de  rencontre 

de  deux  droites  données  que  l'on  ne  peut  prolonger  jusque-là. 
XXXVIII.  —  Placer   le  point   réciproque  d'un   point  donné,  par  rapport  à  un   cercle 
donné. 
XXXIX.  —  Tracer  la   polaire   d'un   point   donné,  par   rapport   à   une  circonférence 
donnée. 
XL.  —  Placer  le  pûle   d'une  droite   donnée,  par   rapport  à   une   circonférence 

donnée. 
XLI.  —  Tracer  l'axe  radical  de  deux  circonférences. 
XLll.  —  Placer  le  centre  radical  de  trois  circonférences. 
XLIII.  —  Placer  un  point  donné  par  ses  coordonnées  cartésiennes  relatives  à  deux 

arcs  donnés. 
XLIV.  —  Placer  les  centres  de  similitude  de  deux  circonférences  données. 
XLV.  —  Tracer  les  axes  de  similitude  de  trois  circonférences  données. 
XLVI.  —  Étant  donnés  deux  points  A   et   B  sur   une   droite,  placer   le  conjugué 

harmonique  G'  d'un  point  donné  C  par  rapport  à  A  et  à  B. 
XLVII.  —  Les  deux  extrémités  A  et  B  du  côté  d'un  carré  étant  placées,  placer  les 

deux  autres  sommets. 
XLVIII.  —  Placer  les  axes  d'une  ellipse  dont  on  donne,  placés,  deux  diamètres  con- 
jugués. 
Principes  de  l'art  de  la  construction  géométrique. 
XLIX.  —  Placer  un  point  M  dont  on  connaît  :  1°  les  coordonnées  normales  propor- 
tionnelles l,  m,  n   par   rapport  à  un    triangle  de  référence;   2°  deux 
coordonnées  normales  absolues. 
L.  —  Placer  le  centre  de  gravité  d'un  triangle. 
LI.  —  Placer  le  point  de  Lemoine  d'un  triangle. 
LU.  —  Tracer  la  droite  de  Lemoine. 
LUI.  —  Placer  le   centre   de   gravité  et  le   point   de   Lemoine    d'un    triangle  en 

une  même  construction. 
LIV.  —  Placer  un  point  de  Brocard. 
LV.  —  Placer  les  deux  points  de  Brocard. 
LVI.  —  Placer  le  point  de  Steiner. 
LVII.  —  Placer  le  point  de  Tarry. 

S        2S 
LVIll.  —  Construire  la  longueur  rr  ou  ^  dans  un   triangle. 

K  n 

LIX.  —  Placer  le  point  de  Gergonne  d'un   des   cercles    tangents  aux   trois   côtés 

d'un  triangle. 

LX.  —  Placer  le  centre  de  gravité  du  périmètre. 

p  —  a 

LXI.  —  Placer  le  point  de  Nagel  : etc. 

a 

a^b^  4-  a^c^  —  6V 
LXIl.  —  Placer  le  pomt  <I>  :  ,  etc. 

(I 

a'>  b'^c- 

LXIII.  —  Placer  le  point  VV  :  ■>  etc. 

a 

■Observations  diverses  sur  Vart  des  eonxiriirlions   (jéomélriques. 
Note  complémentaire. 


É.    LEMOINE.    —    GÉOMÉTRIE   DU    TRIANGLE  101 


M.  1  LEMOIIE 

Ancien  Élève  de  l'École  Polytechnique,  à  Paris. 


RÉSULTATS  ET  THÉORÈMES  DIVERS  CONCERNANT  LA  GEOMETRIE    DU    TRIANGLE,  ETC. 


—  Héanre  du  16  septembre  1892  — 

I.  —  Sur  quelques  groupes  de  trois  cercles. 

1.  —  Soient  M^,  M^,  M^.  trois  cercles  passant  respectivement  par  les 
sommets  B  et  C,  C  et  A,  A  et  B  du  triangle  de  référence.  Leurs  équa- 
tions en  coordonnées  normales  sont  : 

^ayz  +  ^^ax  =  0. 

Un  trouve  facilement  que  /es  paramètres  A,  B,  C  sont  proportionnels 
aux  coordonnées  du  centre  radical  M  des  trois  cercles. 

A  un  même  centre  radical  M(a,  fi,  y)  correspondent  une  infinité  de 
groupes  de  cercles  M^,,  M,^,  M^,  représentés  par  les  équations  : 

y  «y-^  +^yax  =  0,         y  0//3  +  ^^y  ax  =  0, 


2"^^ +  ^,2""^"^^' 


dans  lesquels  À  désigne  un  paramètre  variable  d'un  groupe  à  l'autre. 

Pour  trouver  les  coordonnées  du  centre  et  le  rayon  du  cercle  M^,  nous 
passons  aux  coordonnées  cartésiennes  en  prenant  pour  axes  des  X  et  des  Y 
CA,  CB;  les  formules  de  transformation  sont  : 

a;  =  X  sin  C,         y  =  ^  sin  C, 
.    z  =  ^S  — «'^— %  ^  2R  sin  A  sin  B  -    X  sin  A  -  Y  sin  B. 


102  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET    MÉCANIQUE 

La  nouvelle  équation  du  cercle  M,,  sera  : 

X^  4-  2XY  cos  C  +  Y^  —  x(a  -  ^)  —  "^(b  -  ^  "  7f  "=  ^• 

On  en  déduit  que  les  coordonnées   normales  du  centre  sont  propor- 
tionnelles à  : 


C  cos  A  —  cos  B,        C  cos  B  —  cos  A,        1  +  C  cos  C, 
et  que  le  rayon  est  donné  par  : 

'^       1  _^  C'^  -f  2C  cos  C 


Pc 


R^ 


(2) 


2. —  Cela  posé,  si  les  cercles  M^^,  M^,  M^  ont  même  rayon  p,  on  a 

0,^(i  _  l!\  _^  2).a  cos  A  +  X^  rir  0, 

P^(l  -  Q  +  "-^^  cos  B  +  À^  =  0, 
T^(l  —  ^^  +  2ÀY  cos  C  +  À^  =  0.   ] 
L'élimination  de  p  et  X  entre  ces  égalités  conduit  à  l'équation 


(3) 


a^      a  cos  A      1 

'^^     P  cos  B     1 
y^     Y  cos  C     1 


0, 


ou  : 


y  a(p  —  Y^)  COS  A  =  0. 


(4) 


(S) 


Donc,  si  trois  circonférences  de  même  rayon  passent  cJiacune  par  deux 
sommets  différents  du  triangle  de  référence,  leur  centre  radical  décrit  une 
cubique  représentée  par  l'équation  (o). 

Si  l'on  divise  les  lignes  du  déterminant  (4)  par  a.  S,  y,  il  vient: 


1  , 

a      -      cos  A 
a 

1 

3    -     cos  B 

1 

Y     -    cos  C 

Y 


=zO. 


On  en  déduit  que  la  cubique  (5)  est  le  lieu  des  couples  de  points  inverses 
situés  en  ligne  droite  avec  le  centre  0  du  cercle  circonscrit  au  triangle  de 


K.    LEMOINE.    GKOMKTRIE    DU    TRIANGLE  103 

référence;  c'est  donc  le  lieu  des  foyers  des  coniques  inscrites  au  triangle  ABC 
et  dont  Vaxe  focal  passe  par  0  (*). 

3.  —  (**)  Soient  M^,  M^,  M^  les  symétriques  des  cercles  M^,  M^,  M^  par 

rapport  aux  côtés  BG,  CA,  AB;  M'  leur  centre  radical.  Si  leurs  équa- 
tions sont  : 


^ay-  +  x^^'^  =  ^'  2""^^  +  B^2 


ax 


0, 


2^'^^"  +  él 


ax 


0, 


A  et  A'  sont  les  deux  racines  de  l'équation  : 

1  +  A'^  +  2A  cos  A 


ou 


A-4  1  -  j^  j  +  2A  cos  A  +  1  =  0, 


qui  correspondent  à  une  même  valeur  de  p^.  On  a  donc   cette  relation 
indépendante  de  p^  : 


1         J 

— I =  —  2  cos  \ 

A  ^  A'  -«-us^-^. 


Semblablement 


11  11 

^  +  37=^-2cosB,         --f____2cosC. 

Si  l'on  introduit  les  coordonnées  absolues  des  points  M  et  M^,  ces  con- 
ditions prennent  la  forme  : 


1  1 

^  +  — ,  =  —  2  cos  A, 

/a         A  a 


1  1 

—  +  —-,  =  —  -i  cos  B, 

X3    '    X'3' 


1  1 

-+  —  .=  -  2  COS  G. 

Éliminons  entre  ces  relations  les  paramètres  X  et  X';  il  vient 

1     1 


(6) 


cos  A 


a      X 


1 

1 

cos  B 

i 

P' 

1 

1 

f 

cos  G 

Y 

Y 

0. 


Cî) 


(•)  Au  sujet  de  cette  cubique,  voir  J.  S.,  1889,  p.  263,  et  1890,  p.  63. 

(**)  Comparer  Nieuw  Archief  von  Wiskunde  ;  deel.  VII,  p.  78,  article  de  M.  Vanden  Bertj. 


104  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

De  celle  équation,  on  conclut  le  théorème  suivant: 

//  existe  une  infinité  de  groupes  de  trois  cercles  M,^,  M^,  M^  passant  respec- 
tivement jtar  B  et  C,  C  et  A,  k  et  B,  et  ayant  un  centre  radical  donné  M 
(c'est-à-dire  se  coupant  deux  à  deux  sur  les  droites  MA,  MB,  MC)  :  le  centre 
radical  W^de  trois  cercles  M'^,  M^,  M^,  symétriques  jiar  rapport  à  BC,  CA, 
AB  (le  trois  cercles  de  l'un  de  ces  groupes,  décrit  une  conique  représentée  par 
C  équation  (7). 

Celte  conique  passe  par  A,  B,  C,  M;  c'est  une  hyperbole  équilatère,  car 
l'équalion  (7)  admet  la  solution  : 

\  \  1 

a   :  |3   :  Y   ^^ 


cos  A     cos  B     cos  i\ 

de  sorte  que  la  courbe  passe  par  l'orthocenlre  H  de  AIC 

L'équalion  (7)  exprime  que  les  inverses  des  points  M,  M'  sont  en  ligne 
droite  avec  le  centre  0  du  cercle  ABC.  Par  suite,  si  M-  désigne  l'inverse 
de  M.  Vhyperhole  (7)  est  la  transformée  par  inversion  triangulaire  du  dia- 
mètre OM.  (lu  cercle  ABC. 

Toutefois,  si  M  est  l'orlhocentre  11,  l'équation  (7)  devient  une  identité; 
mais,  si  l'on  remonte  aux  égalités  (6j,  on  voit  que  M'  coïncide  aussi  avec  H. 
De  là,  un  théorème  assez  curieux. 

4.  —  Le  groupe  des  cercles  M^,,  M^,,  M^  qui  a  pour  centre  radical  le 
point  M  comprend,  comme  cas  particulier,  les  cercles  BCM,  CAM,  ABM. 
Les  cercles  M^,  M.^,  M^  qui  leur  correspondent,  j)assent  aussi  par  un 
même  point  M  ,  appelé  \(i  jumeau  de  M  (*). 

Les  coordonnées  de  M  résulleut  des  égalités  (6).  A  cet  eiïet,  cherchons 
d'abord  la  valeur  de  A  en  exprimant  que  les  cercles  {1')  passent  par  le 
point  (a,  [3,  Y),  ce  qui  donne  : 

X  = 


y/'h 


On  trouve  ensuite 


1111  1  1 

-,  :  1  :  i,  :^  ^  +  2  cos  A  :  -  +  2  cos  B  :  -  +  2  cos  C; 

a       p       Y         /.a  Ap  Ay 


donc: 


a'  :  p'  :  y' 


Val^Y  — 2acosA^aa     V^/^^j,,  _2,3cos  B  Vaa     V^,8y  — SycdsC  V^a 

(•)  Pour  une  i_Hude  des  points  jumeaux,  nuus  ivuvuyoïis  à  un  article  de  M.  Schuule,  dans  le  bulletin 
de  Darboiix,  1882. 


K.    LEMOINK.    —    GKOMKTRIE    DU    TRIANGLE  lOo 

Les  deux  faisceaux  M(ABCj,  .M^(ABC)  étant  inversement  égaux  (par 
suite  homograpliiquesj,  les  intersections  A,  H,  C  des  couples  de  rayons 
homologues  sont  sur  une  conique  passant  par  M  et  M-,  et  ayant  pour 
centre  le  milieu  de  MM  (car  si  l'on  transporte  les  deux  faisceaux  paral- 
lèlement de  manière  à  intervertir  les  sommets  M  et  M ,  les  nouvelles 
intersections  des  rayons  homologues  appartiennent  à  la  même  conique). 
Autrement  dit,  MM    est  un  diamètre  de  l'hyperbole  (7). 

Les  inverses  des  points  jumeaux  M,  M  sont,  comme  on  le  sait,  deux 
points  tripolairement  associés,  c'est-à-dire  décrivant  harmoniqucmcnt  un 
diamètre  de  la  circonférence  ARC. 

5.  —  Si  nous  prenons  pour  M  le  centre  de  gravité  de  ABC,  son  inverse 
sera  le  point  de  Lemoine  K.  Le  point  tripolairement  associé  à  K,  point 
que  nous  désignons  par  T,  est  à  l'intersection  de  la  droite  OK  avec  la 
droite  de  Lemoine.  Les  coordonnées  de  T  sont: 

a(2«-  —  b^  —  c'),  etc.. 

et  l'on  a  OT  :  KT  =  -  cotg'^  (o,  m  étant  l'angle  de  Brocard. 

Le  jumeau  du   barycentre   est  l'inverse   de  T;  ses  coordonnées  sont 

donc: 

1 

a[%i-'  —  f'  —  C-)  "  '  " 

Le  jumeau  du  centre  0  du  cercle  circonscrit  a  pour  coordonnées: 

sin  2A  sin  2P.  sin  2C 

siu  3A  sin  3B  '         sin  3C 

Le  jumeau  de  l'orthocentre  H  est  un  point  quelconque  du  cercle  cir- 
conscrit au  triangle  de  référence. 

Le  point  de  Aa</e/ (coordonnées  normales  ^^ ,  etc.;  a  pour  jumeau 

le  point  dont  les  coordonnées  sont  :  -^ ,  etc. 

2y;  —  'Sa 

6.  —  Proposons-nous  de  trouver  trois  cercles  M^,,  M^,  M^..  passant  res- 
pectivement par  B  et  C,  C  et  A,  A  et  B,  et  se  coupant  orthogonalement 
deux  à  deux.  Soient  m^^.  œ,^,  m^  leurs  centres,  et  p^^,  p^,  p^  leurs  rayons; 
soient  aussi  À,  u,  v  les  angles  oj^JJC,  oj^CA,  (o^AB  comptés  comme  positifs 
ou  comme  négatifs  suivant  qu'ils  sont  extérieurs  ou  intérieurs  au  triangle. 
On  a  les  égalités  de  condition  : 

C  +  a-f  pz.:!"- 


A  4-  ^i  +  V  = 

_  id,-^ 

B  -f  V  +  a  :_  1"^ 

d'où: 

1 

a+  3  + Y  r^^  droit; 

106  MATHÉMATIQUES,    ASTROxNOMTE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

par  suite  :       a  =  A  —  45°,       p  =  H  —  45«,       y  :=  C  —  45° 

__  a b c 

^"^  ~  2  cos  (A  —  45°)  '     ^*  ^  2  cos  f B  —  45°)  '      ^'-  ~  2  cos  (C  —  45°)  * 

7.  —  Considérons  maintenant  trois  cercles  N^,,  N^,  N^  passant  respecti 
vement  par  un  sommet  A,  B  ou  C  du  triangle  de  référence.  On  peut  les 
représenter  par  les  équations  : 

^ayz  +  m,y  +  ^,z)^ax  =  0, 
Vfl.î/5  4-  (L^x  4"  ^2^)2«^  ^-  ^' 
^aijz  +  (L,a;  +  M^ijj'^ax  :^  0. 

Les  coordonnées  du  centre  radical  vérifient  les  équations  : 

M,y  +  Ni^  =  L,z  +  N,.-  =z  L,z  +  M,r/. 

Pour  que  les  circonférences   N^,,  N,^  se   coupent  sur  le   côté  AB,   on 
doit  avoir  : 

Mia  +  L,6  4-  c  ==  0. 

De  même,  la  condition  pour  que  les  cercles  N^  et  M^  se  coupent  sur  BC, 

<est:  N.ô  +  MgC  +  a  =r  0. 

Enfin  les  cercles  N^,  N,^  se  coupent  sur  CA  si  : 

LgC  -|-  N,rt  -\-  b=  0. 

II.  —  Sur  les  points  complémentaires. 

8.  —  Soient  x,  y,  z  les  coordonnées  normales  d'un  point  M,  prenons  le 

point  œmplémentaire  normal  de  M M^  :  7j  -\-  z,  z  -\-  x,  x  -]-  y, 

.le  point  complémentaire  deM^.  .   M^:^x-\-y-\~z,  x-^'iy-\-z,x-\-y-\-  2z, 

Les  coordonnées  de  M„„  sont  : 

|(2^»-i 4-  l)a.  +  i (2^"-  i)y  +  i  (2--  l)z, 
! (2-^n_  1)^  ^  2  ^^,„_,  ^  ^j^  _^  1  j2,„_  ^^j^^^ 

^(2^"_  1)^  +  1  (2'^«_  4)^  +  I  (2'—^ -h  1).'. 


K.    LEMOINE.    —     GKOMÉTRIK    DU    TRIANGLE  i07 

Les  coordonnées  de  M^ni^  sont  : 

l (2--  1)^  +  î  (-2-'+'  +i)l/  +  l  (2^"+'  +  ih 
l  (r-"+'  +  \)x  +  l  (^2--  1)^  +  1  (2^"+^  +  1)--, 
i  (2^"+^  +  1)..  +  î  (2^"+^  +  i)y  +  ?  (2^'^-  1).. 

M.  Vigarié  (Mathesis,  t.  VII,  1887,  p.  8)  s'est  occupé  de  la  même 
question,  sans  indiquer  l'expression  qui  donne  les  coordonnées  de  M  . 

Remarque.  —  Les  valeurs  des  coefficients  de  x,  y,  z  qui  entrent  daiu 
une  coordonnée  de  Mp  sont  les  ternies  de  la  (p  —  if""  réduite  de  la  fracdion 

continue  :  — 


9 

1  +   - 


2 
1-f - 


Tous  les  points  Mp  se  trouvent  sur  la  droite  :    V  ;(//  —  :;)  —  0  qui  joint 

le  point  M  au  centre  du  cercle  inscrit. 
Les  réduites  successives  de  la  fraction  continue  considérée  sont  : 

2       2       6       10       20 

î'     3'     H'     ïï'     21'     '^'■' 

et  l'on  voit  facilement  par  ce  qui  précède  que  la  réduite  de  rang  2/;  —  1  est  ; 

^(2^^-l)+l 

et  que  la  réduite  de  rang  2^9  est  : 

9.  —  Les  dénominateurs  de  ces  réduites  se  retrouvent  encore  dans  une 
question  toute  différente  que  voici  : 

Soit  ABC  un  triangle;  AiBiC,  le  triangle  formé  par  les  points  de  con- 
tact Al,  Bj,  Cl  du  cercle  inscrit  à  ABC;  A^B^Cj  le  triangle  formé  par  les 
points  de  contact  X^,  Bj,  C2  du  cercle  inscrit  à  AiBjCj;  A^BsCg,  etc.  Ou 


108  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

demande  d'exprimer  en  fonction  de  A,  B.  Ç,  et  de  rv  la  valeur  des  angles 
du  ti'iangle  ^^^JC^. 

On  trouvera  facilement  que  les  angles  du  triangle  A       B^      C^^.,  seront 

donnés  par  les  expressions  : 

;r       ^  ^  A  3  ""^      ^  ^  B 


■71 »  71 


(£ip—\  <^p—{  2''^~^  2"^'^~ 

3'         ^  C 


7: 


û)2/)— I  û)2p— 1  ' 

et  l«es  angles  du  triangle  A    B.,pC      par  les  expressions  : 
3^  ,     A  3^  ,1^ 

—  TT  H 1  — 71  -\ 1 

i^ip            '   2"^P  '2,^P  '±^P 
-  +  — ; 

•expressions dans  lesquelles  la  suitedes  coefficients  de  xestl,  l,3,o,  ll,etc., 
■ce  qui  donne  bien,  à  partir  du  deuxième  coefficient,  la  suite  des  déno- 
minateurs des  réduites  de  la  fraction  continue  considérée  précédemment. 
On  voit  que,  à  la  limite,  ces  droites  font  entre  elles,  deux  à  deux,  un 
angle  de  60°.  (Voir,  au  sujet  de  ces  dernières  questions,  une  étude  très 
complète  et  très  intéressante  de  M.  Collignon,  A.  F.,  Congrès  d'Oran,  1888. 
p.  4  et  suivantes.) 


III.  —  Sur  QUELQUES  DISTANCES  DE  POINTS. 


10.  —  La   distance  de  lorthocenlre   H   à   l'axe   antiorthique   est   (en 

1    7,2    _j_    ^,2   4p^2 

appelant  d  la  distance  Oo,  d^  la  distance  Oo^,)  :  ^ 

r       /•  .  ,     »      ,  .     „  ■      1  ■  1  p'*  4-  ro 

La  distance   de  lorthocenlre    a    taxe    an itort nique    est:    -,  - — ^ — ; 

111 

d'où,  par  transformation  continue  en  A,  la  distance  du  point  : »  - 

abc 

1    {p  —  af  —  r  ,0^^ 

à  la  droite  —  x  A-  ii  A-  :^  -^  {)  est  :  -  • ; 

^  -^  ^  6  d„ 


É.    LEMOINE.    —   DU    TRIA.NGLE    GÉOMÉTRIE  109 

Dans  tout  ce  travail  nous  posons  o  :=  4R  -]-  r,  B^^  r=  4R  —  r  ,  etc. 

La  distance  du  centre  0  du  cercle  circonscrit  à  l'axe  antiorthiquc  est  : 

—^ —  ;  par  transformation  continue  en  A,  on  a  les  distances  de  H  et 

de  0  à  la  droite  —  x  -\-  y  -{-  z  ^=  Q  ;  elles  sont  : 

1  (p  -  a)'  +  r„  -  4R«            R(R  -  ,■„) 
^  ^  ~^. 

La  distance   du  point  de   Lemol\e   à  l'axe   antiorthlque  est   ■   ^— ^, 

mM 

d'où,  par  transformation  continue  en   A,    celle  du  point  :  —  a,  b,  c  à  la 

,    .,  ,        ,  ^  abc(  ij  —  a) 

droite  —  X  -\-  y  -\-  z.  =  0  est  : ^, ,  m^  =  a'  +  6^  4-  c^ 

m^d^^  '  ' 

11.  —  La  distance  D  de  la  droite  de  Lemoine  à  sa  parallèle  la  droite 

qui  joint  les  points  de  Brocard  est  donnée  par  :  D 


nVm*  —  ;-{n* 
La  distance  du  centre  du  cercle  circonscrit  0  à  la  droite  de  Lemoine, 

R^ni* 

est  donnée  par  la  formule  :  D'*  =r . 

4fm'*  —  3n*) 

Cette  distance,  multipliée  par  la  distance  du  centre  du  ceîxle  circonscrit 
à  un  point  de  Brocard,  e^^  égale  à  R^  cos  (o. 

La  distance  D  du  point  de  Lemoine  à  la  droite  de  Lemolne  est  donnée 

ii4RS^ 

par  la  formule  :  D  = ^  •  n*  =  b^c'^  -j-  c'a'  -f-  a'b^. 

m'Yin*  —  3n* 

12.  —  Z  étant  le  milieu  de  la  distance  qui  joint  les  points  de  Brocard, 

on  a  : 

=^  R^r4  sin*  w  -f  sin-  w  -|-  4 

(Voir  A.  F.,  Congrès  de  Marseille,  1891,  ligne  4,  en  remontant.) 

13,  —  Soient  d,  d^,  d^,  d^  les  distances  oO,  o^fi,  n^O,  o^O. 
Soient: 

d',  d[^,  d^,  d'^  k's  dislauces  des  points  o,  o^^,  o^,  o,.  à  l'axe  aiiliorlliiiiiie  x-\-y -\- zz=0, 
^^'i'  ^ia'^'iô' f^'ic  »  »  à  la  droite        —  x-\- y-\- z  =  0, 

^^2'    f^2a' ^26'  ^2c  »  »  »  X  —  y-{-Z  =  0, 

^^'3'    ^^3a'  ^36'  ^30  »  »  X-\-lJ  —  Z  =  0. 


-"';=9R' 

m'       R'^m* 

"2  +  in^  ^"''- 

-  9n') 

—  '^i.  cotg  OJ. 

110  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

On  a  :  ' 


d  .d'      3R/' 

;    d.d'„  = 

i^^a; 

rf.^;  -    R/-,; 

f/  .  (/;  ^ 

d^.  d\  ^     Rr 

;       da-  d\a  ^ 

3Rr„; 

^a-^;.— R'V 

da-d'u.= 

d^.d',—   Rr 

d,'  <a  = 

-Rn,; 

dfd'ih^     3Rr^; 

db-d'ic  = 

d,..d'^    Rr; 

<fc-  ^C,  - 

-R'-a; 

«^c-'^afc-    R^'^; 

de-  <c  = 

Rr,. 

-Rr,. 

-Rr,. 

3Rr,.. 


14.  —  Le  triangle  formé  par  le  centre  du  cercle  circonscnt  0,  par  le 
'point  de  Nagel  N  et  par  le  point  de  Gergonne  X  a  pour  surface  : 


—  (b  —  c)(c  —  a)(a  —  b) 


R  +  r 
2/-0 


Par  transformation  continue  en  A.  (Voir  A.  F.,  Congrès  de  Marseille, 
1891,  p.  118),  on  voit  que  le  triangle  ON^X^  (N^  et  X,  étant  les  trans- 
formés continus  en  A  de  N  et  de  X)  a  pour  surface  : 


(b  —  ç)(a  4-  b}(a  +  c) 


K  — r 

2r  0 

au 


15.  —  La  distance  D  entre  les  deux  points  : 


p  — c      p 


a 


et 


h    p  —  c    p  —  a 


b 


abc 
est  donnée  par  In  formule  : 


(Voir  A.  F.,  Congrès  de  Nancy,  188(3,  p.  87; 


D^  =  -—  (3^  —  3p^) 
p^ 


Ces  points  sont  les  brocardiens  du  point  de  Gergonne  ;  par  transformation 
continue  en  A,  on  voit  que  la  distance  D^^  entre  les  deux  points  : 


p  —  b         p    p  —  c        p  —  c    p  —  b 

,    ,     et     5     r : 

abc  a  b 


4,.2 


p 

-   est  donnée  par  : 

c 


ip  —  a) 


Il  ne  serait  peut-être  pas  commode  d'arriver  à  ce  dernier  résultat  sans 
la  transformation  continue  (ni  même  à  celui  dont  il  dérivej  sans  les  for- 
mules entre  les  éléments  du  triangle  sur  lesquelles  j'ai  appelé  l'attention 
dans  presque  tous  les  mémoires  que  j'ai  présentés  à  V Association  française 
pendant  ces  dernières  années. 


É.    LEMOINK.    —    GÉOMÉTRIE    DU    TRIANGLE  111 

16.  —  Si,  pa?'  le  point  invet^se  du  point  de  Gergonne,  on  mène  l'antipa- 
rallèle  à  un  côté,  la  surface  du  triangle  formé  par  cette  antiparaUéle  et 

les  deux  autres  côtés  est  la  même  pour  les  trois  côtés  et  éaale  à  :  • 

^  (R  +  Vf 

La  transformation  continue  montre  que  le  même  tliéorème  a  lieu  poul- 
ies transformés  continus  de  l'inverse  du  point  de  Gergonne  ;  la  surface  est 
SR^ 


IV,  —  Triangles  triorthologiques  ;  un  exemple  de  triangles  a  la  fois 

TRIORTHOLOGIQUES  ET  TRIHOMOLOGIQUES. 

17.  —  Si  les  triangles  ARC,  A'R'C  sont  triorthologiques  par  permuta- 
tion circulaire  (Voir  Congrès  de  Limoges,  1890,  p.  111)  et  que  les  centres 
d'orthologie  soient  o,,  o^,  O3,  les  triangles  ARC,  OiO^Og  sont  également  ortho- 
logiques et  les  centres  d'orthologie  sont  A',  R',  C. 

18.  —  Soit  un  triangle  équilatéral  ARC,  de  chaque  sommet  comme  centre  : 
on  décrit  trois  cercles  de  rayons  Rj,  R^,  R3  (les  trois  cercles  sont  décrits 
à  chaque  sommet j,  désignant  par  la  notation  o(R)  la  circonférence  de 
centre  0  et  de  rayon  R;  on  cherche  les  centres  radicaux  L,  M,  N  des  trois 
groupes  A(Rij,  R(Rj,  CfRaj;  A(R,),  RiRj),  C(R,);  A(R3),  R(Rj),  C(R,j. 

1°  ARC  ef  LM>'  sont  trihomologiques  et  triorthologiques  par  permutation 
circulaire. 

2"  Appelons  Oi,  o^,  o,  respectivement  les  centres  d'homologie  de  ARC, 
L>L\;  ARCMNL;  ARC,ALM;  ml  ml,  m^  les  quantités  a•^—2R^'+R^+R^^ 
o-'  +  Rf  —  2R^  +  R^,  a'  +  Rf  +  R^  —  2R:^,  qui  sont  les  coordonnées 
de  L;  celles  de  M  sont  :  m'I,  m^,  m^;  celles  de  N  :  m^,  m^  ml. 

Les  coordonnées  de  o^,  o.^,  O3  sont  : 

111         111         111 


m:/  m'i     m'i       ml     m'i    mi'     ml'  ///^  '  mf. 


"a      "c      "'0         "'c      "'h      ""a         '"b 


Les  trois  centres  d'homologie  et  les  trois  centres  d'orthologie  de  ARC  el 
de  L>L\  forment  deux  triangles  èquilatéraux  inscrits  à  un  même  cercle 
dont  le  centre  est  le  centre  du  cercle  circonscrit  à  ARC;  leurs  côtés  sont 
perpendiculaires  deux  à  deux. 

3°  Les  triangles  ARC,  O1O2O3  sont  trihomologiques  par  permutation  cir- 
culaire. Si  Von  appelle  o\,  0^,  0'^  les  centres  d'homologie  de  ARC,  o^o^o^; 
ARC,  O2O3O1;  ARC,  030,02,  les  coordonnées  de  oj,  o^,  0'^  sont:  m^,  m^,  m^; 
K^  '«a'  '"6 5  "^6'  ^c'  *'^aj  c'est-à-dirc  que  o\,  o^,  O3  se  confondent  avec  L. 
ÎN,  iM.  Ce  sont  des  points  permutiens.  (Poulain,  Principes  de  la  Nouvelle 
Géométrie  du   triangle,  p.  2S.) 


112  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 


V.  —  Sur  quelques  coniques. 

19.  —  La  co)nque  inscrite   Vfa"^  —  bc)i /'-  —  0  passe  par  les  points 

,     (a^  — bc)-     ^ 
de  Bkocauu;  son  point  de  Gergo^ne  a  pour  cooraoïinees ,  etc. 

20.  —  La  conique  inscrite  qui  a  pour  point  de  Gergonne  le  point  de 
Steiner  est  une  parabole  (puisque  le  point  de  Steiner  appartient  au  cercle 
circonscrit).  Elle  touche  la  droite  de  Lemoine  au  point  :  a^(b^  —  c^), 
b-^(c-^  —  a'^j,  c'^(a^  —  b'-j. 

Son  équation  est  :  /  v/a(b-'  —  c'^)x  =  0  ; 

.son  fo!/er,  le  poiyit  :  57^.'  ^^^^-^^  '^F^^  'P°'''^  '"""^'"^  "^^  '^'''' 
proque  du  point  de  Steinei');  il  est  sur  la  droite  7  a^(b^  cos  B  —  c^  cos G)  =  0. 

21.  —  La  parabole  inscrite  tangente  à  l'axe  antiorthique  x-\-i/'}-  z  -^^0, 
a  pour  équation  :  N^y/aCb  —  c)x=l), 

1 

son  point  c?e  Gergonne  est  :  —-. ,  etc. 

^  a(b  —  c) 

Le  point  de  contact  avec  l'axe  antiorthique  est  a(b  —  c),  etc.,  inverse  de 
son  point  de  Gergonne. 

Le  foyer  de  cette  parabole  est  le  point ^,  etc. 

22.  —  La  conique  inscrite  qui  touche  la  droite  de  Lemoine  et  l'axe 
antiorthique 

1 

1°  A  pour  point  de  Gergonne  : ,  etc. 

2°  Elle  touche  l'axe  antiorthique  à  l'infini  et  celui-ci  est  une  asymptote 
de  la  courbe. 

3°  Le  centre  (c  —  bj(p  —  a),  etc.  est  sur  le  cercle  circonscrit. 
4°  Elle  touche  la  droite  de  Lemoine  au  point  a'^(b  —  c).  etc. 

5°  La  seconde  asymptote  a  pour  équation  :  \ =  0 . 

6°  Cette  hyperbole  a  pour  équation:  ^^\/(b  — c) x  =  0. 

23.  —  Voici  un  théorème  presque  évident,  mais  qui  sert  souvent  dans 
la  géométrie  du  triangle  pour  démontrer  que  six  droites  sont  tangentes 
à  une  conique  ou  que  six  points  sont  sur  une  conique. 


É.    LEMOINE.    —    GÉOMÉTRIE    DU   TRIANGLE  113 

Si  les  six  points  ^coordonnées  normales  ou  coordonnées  barycenlriques) 
L,.  Mj,  Xi;   Le,  Mfi,  N^  sont  sur  une  conique,  les  six  droites  : 

Ux-{-M,ij-[-^,z  =  0;   M  +  M«?/  +  N6^=:0 

sont  tangentes  à  une  conique  et  réciproquement. 

Exemple:  Les  quatre  droites  \^7 a?  =::0  et  leurs  trois  transformées 

continues  en  A,  en  B  et  en  C  sont  tangentes  à  l'ellipse  inscrite  de 
Steiner  (ce  sont  les  tangentes  communes  à  cette  ellipse  et  au  cercle  des 
neuf  points  et  l'on  sait  que,  aux  points  de  contact  de  ces  tangentes  avec 
le  cercle  des  neuf  points,  elles  sont  aussi  tangentes  aux  quatre  cercles  tan- 
gents aux  trois  côtés  du  triangle). 

abc 

On  en  conclut  que  le  point  : ?  ^  7  et  ses  trois  trans- 

^  b  —  ce  —  a     a  —  b 

a  b  c 

formés  continus  en  A,  en  B,  en  C  :  r  ? 1 —  »  , — ; — .  etc.,  sont 

c  —  0         c  -\-  a    b  -f-  a 

sur  une  conique  circonscrite. 

On  vérifiera  que  cette  conique  est  le  cercle  circonscrit. 

24.  —  On  sait  ivoir  Xouv.  Corresp.  Mathém.,  1877,  p.  ol)  que  si 
x\  y',  z'  ;  x" .  y",  z"  sont  les  coordonnées  normales  de  deux  points  M',  M", 
les  droites  AM',  BM',  CM';  AM",  BM",  CM"  coupant  les  côtés  aux  six 
points  :  A',  B',  C  ;  A",  B",  C",  ces  six  points  sont  sur  la  conique  : 


Cela  posé,  cette  conique  est  une  ellipse,  une  hyperbole  ou  une  parabole,  sui- 
vant que  la  quantité  : 

^a^x'-x"-^(y'=."  -  z'y'r 
-  ^'^bcy'z.y^^'iix'!/"  +  y'x")(x'z"  +  zx")  +  2x'x"(y'z"  +  z'y")] 

est  plus  petite  que  zéro,  plus  grande  que  zéro,  ou  nulle. 

Si  M'  et  M"  sont  le  barycentre  et  le  point  de  Lemoine,  la  conique  a  pour 

m'"  -|-  a^ 
centre  le  point  — — ,  etc.  déjà  rencontré  (voir  A.  F.,  Congrès  de  Mar- 

seille,  1891,  p.  149,  et  J.  S.,  1888,  p.  2o0j.  Ce  point  est  sur  la  droite  qui 
joint  le  barycentre  et  le  point  de  Lemoine. 

25.  • —  Soient  x,  y,  z  les  coordonnées  normales  d'un  point  M; 

X,  Y,  Z  ses  coordonnées  tripolaires. 
On  sait  que  les  minima  de  ax^  -f-  by'^  +  cz-  et  de  aX'^  -f-  6Y-  +  cZ'^ 

8* 


I 


114  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

qui  sont  respectivement  2.Sr  et  4.RS  ont  lieu  en  même  temps  pour  le 
centre  du  cercle  inscrit.  (Boutin,  /.  E.,  1891,  p.  159.) 
La    transformation    continue    en    A    montre    que    les    minima    de 

—  ax^  -\-  hif  -\-  cz'^  et  de  —  aX^  -j-  bT^  -f"  c7J  qui  sont  respectivement 

égaux  à  2Sr^  et  à  4RS  ont  lieu  en  même  temps  pour  le  point  o^. 

Le  lieu  des  points  M  tels  que  ;  ax^  +  bif  +  cz-'^  =  C"  est  une  ellipse  de  centre  o. 

»  »  —ax-'-\-bif-}-cz^  =  0^  —  —  0^. 

»  .      »  aX^-|-6Y'^-|-cZ'^  =  C'^  est  un  cercle  de  centre  0. 

»  »         —aX''-{-bY^-\-cZ-'  =  C"^  —  —  o„. 

26.  —  Si  un  point  M  appartient  à  la  conique  circonscrite  qui  passe  par 
le  point  de  Lemoine  et  par  le  centre  de  gravité,  la  droite  harmoniquement 
associée  au  point  M  est  parallèle  à  la  droite  de  Lemoine. 

27.  —  Une  parabole  dont  le  piaramètre  p  est  donné,  passe  par  deux 
points  fixes  A  e^  B  dont  la  distance  est  c.  Le  lieu  du  pôle  de  AB  par  rapport 
à  toutes  ces  paraboles  est  la  courbe  représentée  par  l'équation  : 

P  =  2^  sin^  c, 


l'origine  0  étant  le  milieu  de  AB  et  l'axe  polaire  étant  OB. 

L  aire  de  cette  courbe  est  ———  • 

lop^ 

Dans  un  triangle  ABC,  les  paramètres  des  trois  paraboles  de  Artzt  sont 

inversement  proportionnelles  aux  cubes  des  médianes. 

28.  —  A  e^  A'  sont  les  extrémités  du  grand  axe  d'une  ellipse.  Sur  A  A'  je 
décris  une  circonférence  ;  par  A  je  mène  la  droite  AK'H  qui  coupe  l'ellipse 
en  K',  la  circonférence  en  H. 

Soit  K  le  point  du  cercle  tel  que  KK'  soit  perpendiculaire  à  AA', 
H'    —    de  l'ellipse     —    HH'  —  —  AA', 

K,  K',  H,  H'  étant  tous  les  quatre  d'un  même  côté  de  AA'  ;  alors  : 
1°  Les  trois  points  A',  H',  K  sont  en  ligne  droite, 
2°  Le  lieu  du  point  I  où  se  rencontrent  AH  et  A'K  est  l'ellipse: 

aif  -\-  6a;*  =  a^b. 

On  a  un  théorème  analogue  si  A  et  A'  sont  les  extrémités  du  petit  axe. 

29.  —  Soient  les  cinq  ellipses  : 

(1)  a'^y^ -{•  b^x^  =  a^b\ 

(2)  (a^  +  bHYY  +  ami  +  l^x^  =  b''{i  +  l)Ha''  +  bHy, 

(3)  [a-'  —  bHyif  -f  a''b\l  —  Ifx''  =  b\i  —  Ij^a''  —  bHy, 

(4)  0.^6^(1  +  l)Hf  +  {b-'  +  aHfx^  =  a'^(l  +  Ifib''  +  aHy, 

(5)  a^b^i  —  l)Y  +  (6'  —  aHyx^  =  a\[  —  lf{b^  —  aHy, 
et  M  un  point  de  (1). 


K.    LEMOINE.    —    GÉOMÉTRIE    1>U    TRIANGLE  113 

1°  Si  la  normale  en  M  à  V  ellipse  (1)  coupe  F  axe  des  x  en  K  et  V  ellipse  (2) 

(  '  M 
en  (j,  les  points  K,  M,  G  se  succédant  dans  cet  ordre,  on  a  :  -7-r  =  1. 

Mh. 

Le  symétrique  G'  de  G  par  rapport  à  M  sera  sur  l'ellipse  (3).  Si  \  =  -, 

(2)  et  (3)  seront  respectivement  des  cercles  de  rayons  a  -j-  b  et  a  —  b. 
2°  Si  la  normale  en  M  à  (1)  coupe  l'axe  des  y  en  Kj  et  l'ellipse  (4)  en  G^, 

C  M 

G,  étant  dans  le  sens  K,M,  on  aura:  -^  =  1. 
*  '  MKi 

Le  symétrique  G'^  de  G,  par  rapport  à  M  sera  sur  l'ellipse  (5). 

S<  1  =  -  (4)  et  (o)  seront  respectivement    des  cercles  de  rayons  a  -|-  b 

et  a.  —  b. 

30.  —  On  donne  une  conique  C  de  centre  o  et  une  droite  L;  par  un 
jioint  A  de  L  on  mène  une  tangente  à  la  conique,  soit  K  le  point  oii  le  dia- 
mètre conjugué  de  oA  coupe  cette  tangente.  Le  lieu  de  K  est  une  conique  C 
uya?it  avec  C  pour  diamètre  commun  en  grandeur  et  en  position  le  dia- 
mètre conjugué  de  L  et  pour  ce  diamètre  même  direction  de  cordes  conjuguées. 
■Si  G  se  compose  de  deux  droites  et  que  l'on  appelle  M  e/  N  les  points  ow  L 
coupe  C,  et  ^  le  milieu  de  MN,  le  lieu  se  compose  des  deux  droites  parallèles 
à  oa  menées  par  M  et  par  N. 

Si  l'équation  de  C  est  :  aHf  ±  b^x^  q=  a'^b^  =  0  et  celle  de  L  :  ^  -|-  ^  =  1, 

celle  de  C'  est  nH''[aHf  ±  b'-x^  i^  a'^b^]  —  [a'^nij  ziz  bHxY  =  0,  en  prenant 
en  môme  temps  tous  les  signes  supérieurs  ou  tous  les  signes  inférieurs 
dans  les  équations  de  C  et  de  C 

Si  L  est  une  tangente  à  C,  le  lieu  se  compose  de  L  et  de  la  tangente 
à  C  parallèle  à  L  ;  comme  le  montrent  immédiatement  les  considérations 
géométriques  les  plus  simples.  » 


YI.  —  Nouvelles  remarques  sur  la  transformation  continue. 

31.  —  On  appelle  première  conique  et  deuxième  conique  de  Simmons 
{Companion  to  the  iveekly  problem  papei  3 ,  1888,  ch.  viii,  pp.  163-167; 
Mémoire  sur  le  tétraèdre,  Neuberg,  pp.  44  et  5o)  les  coniques  inscrites 

dont  les  équations  sont    >  \/x  sin  (60  -f-  A)  =  0  et  ^  \/x  rAn  (A  —  60)  ■-:—  0. 

Les  foyers  sont,  pour  la  première,  le  premier  centre  isogone:  sin  (A-)-60), 

1 

etc.,  et  le  premier  centre  isodynamique:  -. ,  etc.,  et,  pour  la 

seconde,    le   second   centre   isogone  :    sin  (A  —  60j,  etc.,  et   le  second 


116  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE.  GÉODÉSIE  El  MÉCANIQUE 

centre  isodynamique:  - — —,-  etc.  Les  points:  sin  (A  -|-  60),  etc., 

sin  (A  —  bO) 

et  sin  (A  —  60),  etc.,  sont  aussi,  respectivement,  le  point  de  Gergoniie  de 
la  première  et  le  point  de  Gergoime  de  la  seconde.  Cela  posé,  il  est  facile 
de  voir  que  leurs  centres  respectifs  sont  les  points  :  bc  -\-  aR\/3  et 
br  —  aï{\/'6,  tous  deux  sur  la  droite  qui  joint  le  point  de  Lemoine  au 
barycentre. 

Remarquons  que  le  point  :  sin  (A  +  t)0),  etc.,  se  transforme  en 
sin  (A  —  00),  etc.,  lorsque  l'on  fait  la  transformation  continue,  soit  en  A, 
soit  en  li,  soit  eu  C;  d'une  façon  plus  générale,  le  point  :  P  sin  A  -)-  Qcos  A, 
P' sin  B -h  Q' cos  B,  P"  sin  C  +  Q"  cos  C,  P,  P',  P",  Q,  Q',  Q"  étant  des 
constantes,  se  transforme  eu  P  sin  A  —  Q  cos  A,  P'  sin  B  —  Q'  cos  B, 
P"  sin  C  —  Q"  cos  G,  que  l'on  fasse  la  transformation  continue  soit  en  A, 
soit  en  B,  soit  en  C;  le  fait  est  très  curieux  et  nous  ^ne  savons  point 
si  nous  avons  ainsi  la  formule  générale  des  coordonnées  des  points  pour 
lesquelles  il  se  produit. 

La  transformation  continue  appliquée  aux  formules,  aux  théorèmes,  aux 
équations,  les  divise  donc  en  quatre  catégories  : 

1°  La  transformation  continue  en  A,  en  B,  en  C  reproduit  le  théorème 
ou  la  formule. 

„         ,  abc 

Exemple  : 


sin  A       sin  B       sin  C 

^"  La  transformation  continue  en  A,  en  B,  en  C  donne  des  résultats 
différents  de  la  formule  primitive  et  différents  entre  eux. 

Exemple  :  ■     ^ar^r^  —  2So 

donne  :  ar^^r^  +  brr,^  +  en;.  =  2So^,, 

Ces  deux  premiers  cas  sont  de  beaucoup  les  plus  fréquents. 

3"  Une  des  transformations  reproduit  la  formule,  les  deux  autres  la 
changent,  mais  de  même  façon  toutes  les  deux. 

Exemple  :  La  formule  aiy^  =  S(r^  -j-  r^)  se  reproduit  par  transforma- 
tion en  A,  par  transformation  en  B  ou  en  C;  elle  donne  :  mr^  =  S(y;  —  /■). 

Je  nai  pas  rencontré  de  cas  où  une  des  transformations  reproduisant  la 
formule,  les  deux  autres  la  changent  chacune  différemment. 

4°  Les  trois  transformations  en  A,  en  B  et  en  C  donnent  toutes  les  trois 
un  même  résultat  différent  de  la  formule  ou  du  théorème  primitif. 


K.    LEMOl.NE.     —    r.KOMÉTRIE    DU    TRIANGLE  117 

Exemple:  La  conique  inscrite  qui  a  pour  équation   / ,  y/a;  sin  (A  -\-60)=^0 

a  l'un  de  ses  foyers  —  le  premier  centre  isogone — pour  point  de  Gergonne: 
c'est  la  première  conique  de  Simmom. 

Les  trois  transformations  continues  donnent  :  La  conique  irisante  qui  a 

pour  équation  ^V-^"  sin  (A  —  (JOj  ^  0  a  /'un  de  ses  foijers  — le  deuxième 

centre  isogone  —  pour  point  de  Gergonne:  c'est  la  deuxième  conique  de 
Simmons. 

Ajoutons  aux  théorèmes  déjà  donnés  ailleurs  sur  la  transformation 
continue  : 

Si  un  point  M  est  le  foyer  ou  le  sommet  d'une  conique  L,  le  point  M.  trans- 
formé continu  en  A  de  M  sera  le  foyer  ou  le  sommet  de  L^  transformé  de  L. 

VII.  —  Quelques  propriétés  relatives  a  des  cercles  remarquarles 

DU  plan  d'un  triangle. 

32.  —  Le  centre  du  cercle  de  Brocard,  qui  est  aussi  le  centre  du  pre- 
mier cercle  de  Le.moine,  est  sur  la  droite  : 


^x{b^  —  c^)  cos  (A  +  0))  =  0 


qui  contient  le  centre  de  gravité  et  le  point  :  «^  cos  A,  etc. 

Les  coordonnées  normales  du  centre  du  cercle  de  Brocard  peuvent  se 
mettre  sous  la  forme  :  a[n^  —  (a^  —  6^c^)l,  etc. 

33.  —  Les  droites: 

b  cos  Cx  -\-  c  cos  k  .  !j  -\-  a  cos  B .  ^  =  0 
c  cos  B  .  a;  -f-  a  cos  C  .  y  -\-  b  cos  A .  ;;  ^O 

sont  parallèles  au  diamètre  OK  du  cercle  de  Brocard  et  à  égale  distance 
de  ce  diamètre. 
La  distance  D  de  ce  diamètre  à  chacune  d'elles  est  donnée  par  : 

•TÎ2C2 
1)2  ^^ 


m'*  —  '6n^ 

34.  —  La  droite  de  Simson  du  point  de  Steiner  a  pour  équation  : 

2aHb'  —  c') 
— — —  X  =0» 
cos  (A  -f-  w) 

35.  —  Étant  donné  un  triangle  ABC,  il  y  a  trois  cercles  tangents  entre 


H8  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCAMQUE 

eiix  deux  à  deux  qui  touchent  respectivement  le  cercle  circonscrit  en  k,  B,  C 
et  lui  sont  intérieurs;  les  points  de  contact  de  ces  cercles  deux  à  deux  sont 
sur  les  cercles  (/'Apollomus  de  ABC  et  ils  y  sont  tangents  à  ces  cercles  ; 
si  leurs  centres  sont  respectivement  lo,^,  w,,,  w^,  les  deux  triangles  ABC, 
"a'^b^c  ^^^  ^^*  droite  de  Lemoine  pour  axe  d'ho)nologie;  le  rayon  Am.^du 

2RS 

cercle  tangent  en  A  au  cercle  circonscrit  est  :  — — ; — ^^  • 

^  a^  +  2S5  ■ 

Il  y  a  aussi  trois  cercles  tangents  entre  eux  deux  à  deux  qui  touchent 
respectivement  le  cercle  circonscrit  en  A,  B,  Cet  lui  sont  extérieurs;  les 
points  de  contact  de  ces  cercles  deux  à  deux  sont  sur  les  cercles  A' Apol- 
lonius de  ABC  auxquels  ces  cercles  sont  tangents  ;  si  leurs  centres  sont 
respectivement  w^'^,  w'^,  co^,  les  deux  triangles  ABC,  o/^^to^w^  ont  la  droite 
de  Lemoine  pour  axe  d'homologie  ;  le  rayon  Ao)^  du  cercle  tangent  en  A 

au  cercle  circonscrit  est  : tt;  • 

a^  —  2S 

Cependant  si  la  hauteur  correspondant  au  plus  petit  côté,  cpar  exemple, 
est  plus  grande  que  ce  côté,  ces  trois  derniers  cercles  ne  sont  pas  à  l'exté- 
rieur du  cercle  circonscrit;  celui  qui  passe  par  C  contient  le  cercle 
circonscrit,  mais  les  deux  autres  lui  sont  extérieurs. 

Si  la  hauteur  correspondant  au  plus  petit  côté  c  est  égale  à  ce  côté, 
le  cercle  passant  par  C  devient  la  tangente  en  C  au  cercle  circonscrit. 

36.  —  Si  H  est  V orthocentre  ;  v,  v.^,  v,.,  v^,  le  point  de  Nagel  et  ses 
transformés  continus  en  A,  en  B  et  en  C,  Vaxe  radical  des  cercles  décrits 
sur  Hvj^  et  Hv^  comme  diamètre  a  pour  équation  : 

x{b  —  C)  cos  A  —  yb  cos  C  -\-  zc  cos  C  =  0. 

Par  transformation  continue  en  B,  j'aurai:  Vaxe  radical  des  cercles 
décrits  sur  Hv  et  Hv^  comme  diamètre  a  pour  équation  : 

—  x{b  -(-  c)  cos  A  -|-  yb  cos  B  -|-  c^  cos  C  =  0. 

Le  cercle  décrit  sur  Hv  comme  diamètre  est  le  cercle  étudié  très  com- 
plètement par  M.  Fuhrmann.  (Voir  Mathesis,  1890,  p.  105.) 

La  transformation  continue  donne,  ainsi  que  je  l'ai  montré,  les  cercles 
décrits  sur  Hv^,  Hv^,  Hv^  comme  diamètres,  lesquels  jouissent  de  propriétés 
analogues  à  celles  du  cercle  décrit  sur  Hv  comme  diamètre. 

37.  —  Vaxe  radical  du  cercle  de  Brocard  et  du  deuxième  cercle  de 
Lemoine  a  pour  équation  : 


1 


^2        I       ,..    _   3^2 

'■ a;  =  0« 


a 


É.    LEMOINE.    —   GÉOMÉTRIE    DU   TRIANGLE  119 

38.  —  L'axe  radical  du  premier  cercle  de  Lemoine  et  du  second  cercle 
de  Lemoi.ne  (*)  a  pour  équation  : 


2^^(6-2  _|_  c-^  _  2a2)  ^  0, 


il  passe  par  le  point  de  Lemoine  ;  le  premier  cercle  de  Lemoine  coupe  donc 
le  second  cercle  de  Lemoine  suivant  un  diamètre. 

Si  y.  est  l'angle  sous  lequel  ces  deux  cercles  se  coupent  et  m  l'angle  de 
Brocard,  on  a  :  cos  a  ^  '2  sin  w. 

39.  —Le  carré  de  la  corde  interceptée  sur  BC  par  le  cercle  de  Brocard 

a'Ha'*  —  Wc'^) 

est  :  — ^ ; 

m* 

Le  cercle  de  Brocard  ne  coupe  jamais  les  trois  côtés  à  la  fois.  Il  en 
coupe  deux  :  si,  supposant  a  >  6  >  c,  on  a  :  6^  >  2ac,  ce  sont  alors  les  côtés 
CA  et  BC  qu'il  coupe  ;  si  a*  >  26c  et  6*  >  2ac,  il  coupe  BC  seulement. 

En  résumé,  le  cercle  de  Bi^ocard  : 

Ou  coupe  le  plus  grand  côté  seul  ;  il  peut  lui  être  tangent  ; 

Ou  coupe  les  deux  plus  grands;  il  peut  couper  le  plus  grand  et  être  tan- 
gent au  second  ; 

Ou  ne  coupe  aucun  côté. 

40 .  —La  conique  Aa;'-  +  ^if  +  C::^  +  ^yz  +  Ezx  +  Fa;;/  —  0  inter- 
cepte sur  le  côté  BC  du  triangle  de  référence  un  segment  dont  le  carré  est  : 

a-b^c\J)^  —  4BC) 


[Bf^  +  C6'-  —  UbcY  ' 

cette  conique  touche  le  côté  BC  si  l'on  a  D-  —  4BC  :=  0. 

Si,  en  même  temps  que  D'-  —  4BC  =  0,  m  a  :  Bc^  +  C6^  —  Dbc  —  0, 
la  conique  est  représentée  par  :  x{kx  +  Es  -|-  ¥y)  -{-  ^^{hy  ±:  czY  =:  0 
et  coupe  BC  en  son  milieu  en  un  point  double,  c'est-à-dire  qu'elle  y  est 
tangente  à  BC.  ou  bien  qu'elle  a  BC  pour  asymptote. 

VIII.  —  Bemarques  diverses. 

41.  —  Le  point  : — ,  etc.,  est  le  point  oit  se  coupent  les  deux  bro- 

a 

Gardiennes  de  la  droite  de  Lemoine  (coordonnées  normales)  par  rapport  à 
la  droite  de  l'infini  {A.F.,  1886,  Congrès  de  Nancy,  p.  85.) 

(*)  Je  rappelle  les  définitions  de  ces  deux  cercles  : 

Si  par  le  point  de  Lemoine  on  mène  des  parallèles  aux  côtés,  ces  parallèle?  coupent  les  côtés  en 
six  points  qui  appartiennent  au  premier  cercle  de  Lemoine. 

Si  par  le  point  de  Lemoine  on  mène  des  antiparallèles  aux  trois  côtés,  chaque  antiparallèle  à  un 
côté  coupa  les  deux  autres  côtés  en  deux  points  ;  les  six  points  ainsi  obtenus  sont  sur  le  second 
■cercle  de  Lemoine, 


120  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCAMQUE 

l 

Le  point:  -,  etc.,  est  le  point  où  se  coupent  les  deux  brocar- 

diennes  de  la  droite  de  Brocard  par  rapport  à  la  droite  de  l'infini. 
Le  point  :  ,  etc.,  est  le  j)oint  où  se  coupent  : 

cl 

1°  Les  deux  brocardiennes  de  la  dnoite  de  Lemoine  par  rapport  à  l'axe 
antiorthique  ; 

2°  Les  deux  brocardiennes  de  l'axe  antioj^thique  :  x  -{-  y  -\-  z  ^^  0  par 
rapport  à  la  droite  de  l'infini. 

42.  —  La  di^oite  qui  joint  les  points  brocardiens  par  rapport  à  une 
droite  donnée  L  (voir  A.F.,  Congrès  de  Grenoble,  1885,  p.  26),  d'unpointU 
coupe  L  au  même  point  que  la  polaire  ttnlinéaire  de  M.  Cas  particulier  : 
la  droite  de  Lemoine  et  la  droite  qui  joint  les  points  de  Brocard  sont  pa- 
rallèles. 

1 

43.  —  Soit  M  le  point  dont  les  coordonnées  normales  sont  : 7,  etc., 

^  a  cos  A 

AM,  BM,  CM  coupent  BC,  CA,  AB  en  A',  B',  C  ;  si  l'on  fait  le  triangle 
isocèle  CAj^A',  A^  étant  sur  CA  et  Aj^C  étant  égal  à  A,,A'  et  le  triangle 
isocèle  BA^A',  A^.  étant  sur  BA  et  A^B  étant  égal  à  A^.A',  on  aura  : 

AX  =  A  B        '-"^ 


'»+'■ 


44.  —  Soient  ABC  un  triangle,  H  V orthocentre  : 

1°  La  polaire  trilinéaire  de  M  est  perpendiculaire  à  MH,  n  M  appartient 
à  la  cubique  : 


2.= 


by{a  -}-  c  cos  B)  —  cz{a  -\-  b  cos  C) 


0; 


2°  La  polaire  trilinéaire  de  M  est  parallèle  à  MH,  si  M  appartient  à  la 

cubique:  Qabcxyz  =^  ^^abœg{ax  -\-  by) 

équation  qu'on  peut  écrire  : 

Qabcxyz  =  (bcyz  -\-  cazx  -\-  abxy)(ax  -}-  by  -\-  cz). 

45.  —  Soit  un  triangle  ABC,  par  un  point  M  de  son  plan,  je  mène  des 
parallèles  à  ses  côtés  : 

La  parallèle  à  BC  coupe  AC  en  A^,  AB  en  A^, 


r-  f 


:■.-:> 


))  »         CA      «      BA  en  B^,,  BC  en  B,., 

;)  ù        AB      »      CB  en  C^,  CA  en  C,^. 

Cela  posé  '. 


É.    LEMOINE.    —    GÉOMÉTRIE    DU    TRIANGLE  121 

Si  M  est  sur  la  droite  oG  ou  :  ^a(b  —  c)x  =  0,  on  a  : 
AC,  +  BA,  +  CB,  =  AB,  +  BC,  +  CA,. 
Si  M  est  sur  la  droite  ;  VcLr(b  -[-  c)  =  0,  on  a  : 

AB,  +  AC,  +  BC,  +  BA,  +  CA,  +  CB,  =  0. 

Si  M  est  sur  la  droite  :  Va(p  —  a)a;  =  0,  on  a  : 

B.C,  +  C,\,  +  A,B,  =  p. 

Si  M  est  sur  f  hyperbole  équilatére  :    y  a'^.r^(b^  —  c^)  =  0,  qui  passe  par 

les  centres  des  cercles  tangents  aux  trois  côtés,  par  le  barycentre  et  a 
pour  centre  le  point  de  Steiner,  on  a  : 


cb;  +  ba;  +  Ac;  :=  ca;  +  bc;  +  ab;  • 

Si  M  est  sur  le  cercle  conjugué  de  ABC  :  Vaj;"^  cos  A  =  0,  on  a  : 


ab;  +  AC;  +  BC^,  +  ba^  +  ca;  +  cb;  =  b,c;  +  CA  +  a,b;. 

Nous  avons  vu  (./.  E.,  1884,  p.  30)  que  : 

âc:+bâ;  +  cb:    et'  âb;  +  bc;  +  câ: 

sont  minima  respectivement  pour  le  point  direct  :  -,  etc.,  et  pour  le  point 

rétrograde  de  Brocard. 

C&l  -\-  ^fil  +  BC,5  est  minimum  pour  le  barycentre. 

q}{\)'^  4-  c^) b^c"^ 

46.  —  Le  point  <î>  :  — — — — ,  etc.    (voir  A.  F.,   Congrès  de 

cl 

Grenoble,  1885,  §  2,  3,  p.  28)  est  sur  la  droite  :  ^ii'{h'  —  c^jx  -^--  0,  qui 

1 

contient  le  centre  de  gravite  et  le  point  —,  etc. 

47.  —  Si  un  point  M  est  tel  que  la  somme  de  ses  coordonnées  normales 
absolues  égale  la   somme   des   coordonnées  normales   de  son  inverse  W, 

M  et  W  appartiennent  à  la  cubique  circonscrite  V(b  —  c)x(y''  —  -■'')  —  0. 


122  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

a^  —  bc, 

48.  —  Le  point  qui  a  pour  coordonnées  normales  : etc. ,  est 

à  V intersection  des  deux  droites  :  V£ur(b  +  c)  =  O.^axfb  —  c)  =  0. 

La  première  passe  par  le  point  a(b  —  cj,  etc.,  de  Vaxe  antiorthique  et 
2Mr  le  point  à  l'infini: ,   etc.;  la  seconde  passe    par  le  centre    du 

cercle  inscrit  o,  par  le  centre  de  gravité  du  périmètre  G^^  et  par  le  point  © 
dont  les  coordonnées  sont  :  a(b  -f-  c),  etc. 

On  a:  —^=  —  ^ ,„    ^   ■  • 

49.  —  Soit  ABC  un  triangle,  A'B'C  le  triangle  formé  par  les  pieds  des 
hauteurs  ;  le  cercle  inscrit  à  A'B'C  touche  B'C,  C'A',  A'B'  en  a,  [i,  y.  Les 
trois  droites  Aa,  B,3,  Cy  se  coupent  au  point  dont  les  coordonnées  sont  : 
a  tg  A,  b  tg  B,  c  tg  C. 

Si  l'on  veut  placer  ce  point,  on  trouve  qu'il  faut  placer  l'orthocentre 
de  ABC  centre  du  cercle  inscrit  de  A'B'C.  op  :  {AR^  +  2R,  +  GC^  +  6C3)  ; 
tracer  deux  des  côtés  du  triangle  A'B'C,  A'B',  A'C  par  exemple,  ce  qui 
exige  qu'on  trace  la  troisième  hauteur,  op  :  (6R1  -{-  SR.^)  ;  déterminer  les 
points  de  contact  y  et  [B  sur  A'B',  A'C  du  cercle  inscrit  à  A'B'C,  ce  qui 
se  fait  en  abaissant  de  l'orthocentre  des  perpendiculaires  sur  ces  côtés, 
op  :  (4Ri  4-  2R,  -j-  5Ci  +  SC3)  ;  enfin  tracer  Bp,  Cy,  op  :  (4Ri  +  2R,)  ; 
on  a  donc  le  symbole,  op  .  ÇlT".  +  OR,  +  IIC^  -f-  IIC3). 

Simplicité  49;  exactitude  29  ;  9  droites.  11  cercles. 

(b  —  c)fc  —  a)(a  —  b) 


L'aire  du  triangle  NXK  est  :  — 
L'aire  du  triangle  NXG  est  : 


Z6 

(b  —  c)(c  —  a)(a  —  b) 


33 

K  est  le  point  de  Lemoine,  N  est  le  point  de  Nagel,  a  le  point  de 
Gergonne. 

Les  distances  du  point  K  et  du  centre  de  gravité  G  à  la  droite  NX  sont 
dans  le  rapport  de  'S  à  2. 

Par  transformation  continue  en  A,  on  déduit  les  aires  des  triangles  dont 
les  sommets  sont  N^,  \^,  K ^  et  N^^,  \,  G„  on  en  déduit  aussi  que  les  dis- 
tances du  point  I\,  et  du  point  G,  à  la  droite \X^j  sont  dans  le  rapport  de 

111 

3  à  Î2  ;  K  et  G„  sont  les  transformés  continus  en  A  :  —  a,  b,  c; »  t  '  - 

abc 
du  point  de  Lemoine  K  et  du  centre  de  gravité  G. 

Le  triangle  qui  a  pour  sommets  N,  X  et  l'orthocentre  H  a  pour  surface  : 

;  (^  —  <')('■  —  a)(a  —  b) . 


É.    LEMOIXE.    —   GÉOMÉTRIE    DU    TRIANGLE  123 

Par  transformation  continue  en  A,  on  voit  que  le  triangle  N^,X^,H  a  pour 
surface  :  — r-  {b  —  c){c  +  a){h  +  a). 

1       1        1 

Le  triangle  qui  a  pour  sommets  a%  b"*,  c'';  — 'rr,  •  —  :  ^f  ^^  Point   de  Le- 

cl       D'      C 

S(b-^  —  c-;(c'-  —  a^jfa'-  —  b'^j 

Moi.NE  a  pour  surface  :  —  7-7— ^   ,- .  ., ;-; tttt^  • 

''  '  4(p^  —  ro)  [(p^  —  roj2  —  4S^] 

On  en  déduit  immédiatement,  par  transformation  continue  en  A,  celle 
du  triangle  dont  les  sommets  sont  : 

111 

—  a\b\c^\ ^'T^'-rî       —a,  b.c. 

«•'    ¥    C-* 

111 

Le  triangle  qui  a  pour  sommets  les  points:  a\  h\  c^  ;  -7 j'r^'-^'  ^^  ^^ 

3.      L)      C 

Sfb^  —  c^j(c'^  —  a"-)fa'^  —  b^)(  p-  —  rS  1 

ban/centre  a  pour  surface  : Krr~^ ^r: vfcTi " 

"^  ^  '  3[(p^  —  ro)* — ibS^j 

On  en  déduit  immédiatement,  par  transformation  continue  en  A,  celle 
du  triangle  qui  a  pour  sommets  : 

111  111 

—  aKoKc^; ^Ti'l' '/ 

a^    ¥    c^  a    b    c 

50.  —  Soit  A'  un  poiut  situé  du  même  côté  de  BC  que  A  et  tel  que  A'IiC  =^  A  ;  A'CB  =  B. 
))  B'  »  »  CA  .)  B       »       B'CA  =  B  ;  B'AC  =  C. 

,)  C  .)  ))  AB  »  C      »       C'AB  =  C  ;  C'BA  =^  A. 

Les  trois  droites  XX',  BB',  CC  concourent  au  point  V  : 

1  1  1 

a(a^  —  b"-}  '     b{b'  —  c')  '     cic"-  —  b^-}  ' 

De  même,  soit  X"  un  point  situé,  du  même  côté  de  BC  que  A  et  tel 
que  A"CB  =  A  ;  A"BC  =  C  ;  soit  B",  etc.,  les  trois  droites  XX",  BB",  CC" 
concourent  au  point  \ y  : 

1  1  1 

a(a'  —  6''')  '     b{b^  —  C)  '     de''  —  a'') 

La  droite  qui  joint  les  deux  points  V  et  Vi  a  pour  équation  : 

a 


y    »     3. 


0. 


Si  A'^,  B^,  C^  sont  les  symétriques  de  A',  B',  C  respectivemeut  par  rapporta  BC,  CA,  AB  ; 

a;',  b;,  c;      »    '     »      a",  b",  c"      «  »  » 

AA^,  BB'^,  CC^  concourent  au  point  rétrogimde  -,  etc.,  de  Brocard  ; 
AA"  BB"  ce;         »  »  direct         -,  etc.,  » 


124  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

Le  milieu  de  la  droite  qui  joint  les  deux  points  V  et  Vi  a  pour  coor- 
données -,  etc.,  c'est  le  centre  de  l'hyperbole  de  Kiepert. 

51.  —  a).  —J'ai  donné  au  Congrès  de  Marseille,  1891,  p.  13o,  une  con- 
struction assez  simple  pour  placer  le  point  I  :  p  —  a,p  —  b,  p  —  c.  Le 
théorème  suivant,  dû  à  M.  Boutin  (./.  E.,  1891,  p.  223)  en  donne  une  con- 
truction  un  peu  plus  simple  au  point  de  vue  des  opérations  de  préparation, 
c'est-à-dire  de  l'exactitude.  Si  K,  o,  o^^,  Oj,,  o^,  A',  B',  C  sont  le  point  de 
Lemoine,  les  centres  des  cercles  tangents  aux  trois  côtés  et  les  milieux  des 
côtés  du  triangle  ABC,  les  droites  o^A',  Oj^B',  o^.C',  oK  concourent  en  \. 

Il  suffira  de  tracer  o^^A',  o^B'. 

Je  détermine  A'  et  B'  au  moyen  des  trois  circonférences  A{R),  B(R),  C(R), 
R  étant  quelconque,  etc.,  op.  :  (4Ri  -f-  âR.^  -J-  3Ci  -|-  SCj). 

Au  moyen  de  ces  trois  circonférences,  etc.,  je  trace  les  droites  o^^Co^^,  Ao^^ 
Bo^,  op.  :  (6Ri  +  3R,  -\-  6Ci  -j-GCa)  ;  puis  je  trace  o,,  A'.o^B'  :  op  :  (4Ri  4-2R  j; 
en  tout  :  op.  :  (14Ri  -f-  TR^  +  9Ci  -j-  9C3);  simplicité  38  ;  exactitude  23  ; 
7  droites,  9  cercles. 

Le  symbole  A(R)  représente  une  circonférence  de  centre  A  et  de  rayon  R. 

b).  —  Le  point  de  Tarry  est  sur  la  droite  qui  joint  le  centre  de  gravité 
au  centre  du  cercle  de  Brocard,  droite  dont  Péquation  est  : 


yaxic'  cos  C  —  b'  cos  B)  =  0. 


c).  —  Si  un  point  M  a  pour  coordonnées  normales  :  x,  y,  z,  les  équations 
des  côtés  B'C,  C'A',  A'B'  de  son  triangle  podaire  sont  : 

—  X(i/  -f-  z  cos  A)(s  -\-  y  cos  A)  -j-  Y( ;-[-//  cos  X){x  -\-  z  eus  B) 
-j-  Z(y  -\~  z  cos  A)(a;  -f"  1/  cos  C)  =  0,  etc. 

d).  —  Si  M  est  un  point  de  la  cubique  qui  a  pour  équation  : 

xyz{b''  —  c^)(c^  —  a^){a^  —  ¥)  -f-  abc  \a^yz{by  —  cz)  cos  A  =  0, 

et  que  l'on  appelle  M^,  M^^,  M^  les  points  où  AM,  BM,  C.U  coupent  les  mé- 
diatrices de  BC,  CA,  AB,  les  points  M.^,  Mj^,  M^  sont  en  ligne  droite. 

Cette  cubique  passe  par  les  sommets,  les  milieux  des  côtés,  par  le  centre 
du  cercle  circonscrit  et  y  est  tangente  aux  trois  médiatrices. 

e).  La  droite  :  Xx  -|-  By  -|-  C^  —  0,  contient  les  quatre  points  : 

(B-Cj,  fC-Aj.,  (A-B), 

(B  +  G),  (C  -  A),  -  (A  +  Bj, 

-  (B  -f  C),  (C  +  A),  (A  -  B), 

(B  -  C),  -  (C  +  A),  (A  +  B). 


É.    LEMOINE.     GÉOMÉTRIE    DU    TRIANGLE  125 

Cette  remarque  évidente  sert  souvent  dans  la  géométrie  du  triangle. 

f).  s/  A',  B',  C  et  A",  B",  C"  sont  respectivement  les  sommets  du 

triangle  pcdal  du  point  de  Tarry  et  du  point  de  Steiner,  B'C,  B"C"  se 
coupent  en  Ai  et  AAi  passe  par  le  point  de  Lemoine.  (Voir  Congrès  de 
Marseille,  1891.  p.  1S5,  n°  13.) 

g).  —  Soit  >I  et  W  deux  points  d'une  conique  ;  par  M  et  W  je  mène  deux 
faisceaux  de  n  droites  parallèles  qui  coupent  la  conique  :  le  premier  en 
A,  B,  C,  D.  . . .  le  second  en  A',  B',  C,  D'  . . . 

Les  deux  jtobjgones  ABCD  . . .,  A'BT/D'  ...  ont  même  surface. 

h).  —  Si  deux  tangentes  parallèles  à  une  conique  dont  les  foyers  sont 
F  et  F'  coupent  une  autre  tangente  quelconque  à  cette  conique  en  P  et  Q  et 
que  le  quadrilatère  FF'PQ  soit  inscriptible  à  un  cercle,  les  deux  tangentes 
parallèles  sont  les  tangentes  aux  extrémités  de  l'axe  focal.  Si  les  deux 
tangentes  parallèles  sont  quelconques  et  que  T  soit  le  point  oii  la  tangente 
PQ  coupe  l'axe  focal,  le  produit  TP  .  TQ  est  de  la  forme  :  b* .  K  ou  K  ne 
dépend  que  de  la  direction  des  tangentes  et  ou  h'  est  le  carré  du  demi-axe 
non  focal. 

Si  l'axe  focal  varie  de  grandeur  ainsi  que  la  direction  des  tangentes 
parallèles,  l'axe  focal  restant  fixe  ainsi  que  la  direction  PQ  et  le  produit 
TP.TQ,  le  lieu  de  P  et  de  Q  est  une  hyperbole  équilatère  qui  a  pour 
asymptotes  les  axes  des  coniques. 

i)_  —  S/  A'  et  B'  sont  les  points  de  contact  du  cercle  inscrit  sur  BC 
et  sur  CA  ;  A"  le  pôle  de  la  perpendiculaire  à  BC,  par  rapport  au 
cercle  de  centre  C  et  qui  passe  par  A'  et  B',  menée  par  le  point  de  contact 
sur  BC  du  cercle  ex-inscrit  o^  ;  B"  le  pôle  de  la  perpendiculaire  à  AC, 
par  rapport  au  même  cercle,  menée  par  le  point  de  contact  du  cercle 
ex-inscrit  o^. 

1°  Les  deux  cercles  décrits  sur  A'A"e^B'B"  coinme  diamètres  se  coupent, 
se  touchent,  ou  ne  se  coupent  pas  suivant  que  l'on  a  : 

a  -f  6  >  3c  ;     a  +  6  —  3c  ;     a  -[-  6  <  3c. 

2"  Ces  deux  cercles  sont  respectivement  les  transformés  par  polaires 
réciproques  par  rapport  au  cercle  de  centre  C  et  de  rayon  CB'  =  CA'  de 
l'hyperbole  de  foyers  B  e<  C  passant  en  A  et  de  l'hijperbole  de  foyers  A  et  C 
passant  en  B. 

j),  _  Par  un  point  M  je  mène  rantiparallèlc  à  BC  qui  coupe  AC  et  AB  en  A^.,  A,^, 
»  ,)  CA         »        BA  et  BC  en  B^,  B„ 

»  ■    »  AB         »        CB  et  CA  en  C^,  C^^. 

Le  point  M  pour  lequel  on  a: 

AA,  +  AA,  =  BB^,  +  BB,  =  CC,  +  CC„ 


126  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

est  situé  sur  la  droite  qui  joint  le  point  de  Lemoine  au  centre  du  cercle 
circonscrit  et  il  a  pour  coordonnées  ;  a  -]-  "^P  cos  A,  etc. 

,     ,       ,    ^r.  ^b  +  c)(c  +  a)fa  +  b) 
La  somme  constante  est  :  zK -n — .    ^  c * 

k).  —  Soit  un  triangle  ABC,  ti^ouver  un  point  M  tel  que  si  par  M  on 
mène  des  parallèles  aux  trois  côtés,  la  somme  des  inverses  des  segments 
que  M  forme  sur  cette  parallèie  (segments  compris  entre  M  et  les  côtés) 
soit  la  même. 

On  trouve  le  point  dont  les  coordonnées  normales  sont  : 

1 

ab  -f-  ac  —  oc 

1).  —  co  est  l'angle  de  Brocard  d'un  triangle,  <p  l'angle  tel  que  : 

tg  A  +  tg  B  +  tg  C  =  tg  ? 
On  a  toujours  : 

12  tg  <p  cotg  3(0  —  3  tg  >  cotg  ^oj  —  54  tg  9  cotg  to  +  12  tg  >  +  81  <  0. 

m).  —  Si  Von  prend  par  rapport  à  la  droite  de  F  infini,  les  points  brocar- 
diens  direct  et  rétrogade  (voir  Congrès  de  Grenoble,  1883,  p.  27,  ligne  5, 
en  remontant)  de  tous  les  points  de  la  droite  de  Vinfini,  ils  sont  sur  la 
conique  circonscrite  de  Steiner, 

n).  —  Soit  un  triangle  ABC  et  trois  circonférences  de  rayons  1,  m,  n 
et  de  centres  A,  B,  C  ;  si  M  est  un  des  deux  points  tels  que  les  puissances 
de  M  par  rapport  à  ces  trois  cercles  soient  respectivement  proportionnelles 
à  a*,  b'*,  c^  et  que  nous  appelions  X,  Y,  Z  les  côtés  du  triangle  podaire 
de  M,  on  aura  : 

X^  —  l^  sin^  A  =  Y^  —  ni^  sin^  B  =  7J  —  n''  s'm'  C. 

On  en  conclut  que  les  triangles  podaires  des  centres  isodynamiques  sont 
de's  triangles  équilatéraux.  (Sghoute,  Verslagen  en  mededeelingen,  de  l'Aca- 
démie d'Amsterdam,  série  3,  tome  III,  p.  89.) 

o).  —  Dans  un  triangle  ABC  considérons  le  cercle  symétrique,  par  rap- 
port à  la  médiatrice  BC,  du  cercle  (/'Apollonius  ayant  son  centre  sur  BC, 
et  les  deux  autres  cercles  analogues. 

On  sait  que  si  le  t?'iangle  ABC  est  acutangle,  les  trois  cercles  symétriques 

des  cercles  c?' Apollonius  se  coupent  en  deux  points  réels  qu'on  appelle  les 

centres  isologiques  {J .  E.,  1892,  p.  70).  Soient  3  leur  distance  et  d  la  distance 

du  centre  du  cercle  circonscrit  et  de  Vorthocentre. 

On  aura  :  . 

8R'^m^ 


d' 
On  sait  d'ailleurs  que  d^  =  9R^ 


cos  A  cos  B  cos  C 


É.    LEMOLNE.    —    GÉOMÉTRIE    DU    TRIANGLE  127 

Les  centres  isologiques  sont  sur  la  droite  d'Euler  GH. 

Les  centres  des  trois  cercles  d'Apollonius  sont  sur  la  droite  de  Lemoine  : 

ceux  des  trois  cercles  symétriques  par  rapport  aux  médiatrices  sont  sur  la 

droite  de  Longchamps  :  \  a^ir  :=  0. 

Ces  deux  droites  se  coupent  au  point  :  ¥  —  c-,  c'^  —  a^  a"~  —  b^. 

La  distance  D  des  centres  isodynamiques  (points  où  se  coupent  les  cercles 

d'Apollonius)  est  donnée  par  la  formule  :  D^  =  — ^^ —^  • 

Le  rapprochement  de  cette  formule  avec  celle  du  n°  33  esta  noter. 
Si  un  angle  du  triangle  égale  120",  les  cercles  d'Apollonius  ont  un  de 
leurs  points  communs  sur  le  côté  opposé. 

R,  m^,  n^  désignent,  comme  d'ordinaire,  le  rayon  du  cercle  ABC: 

a^  _{-,  fy^  -\-  c\      h'-e  -\-  c'a''  +  a'^bK 

p).  Soit  un  triangle  ABC  ;  si  l'on  a  :  b^  -|-  c^  ^  a(b  -\-  c)  (ce  qui  suppose 
A  <^  90),  la  droite  joignant  un  sommet  de  la  base  BC  au  point  de  con- 
tact du  cercle  inscrit  sur  le  côté  opposé  et  la  droite  Joignant  l'autre  sommet 
de  la  base  au  point  de  contact  du  cercle  ex-inscrit  qui  est  tangent  au 
côté  opposé,  se  coupent  sur  la  médiane  partant  de  A,  et  si  l'on  joint  un 
sommet  B  au  point  de  contact  sur  AC  du  cercle  ex-inscrit  qui  touche  AB,  et 
le  sommet  C  au  point  de  contact  sur  AB  du  cercle  ex-inscrit  qui  touche  AC, 
ces  deux  droites  se  coupent  sur  la  symédiane  partant  de  A.  laquelle  coupe^C 
au  point  de  contact  du  cercle  inscrit. 

q).  —  Étant  donné  un  triangle  isocèle,  on  peut  toujours  trisecter  avec 
la  règle  et  le  compas  l'angle  que  forme  un  des  côtés  égaux  avec  ïantipa- 
rallèle  à  ce  côté. 

Étant  donné  un  triangle  ABC,  trouver  dans  son  plan  un  point  o  tel  que 
si  Co  coupe  AB  en  C  et  que  Bo  coupe  AC  en  B',  on  ait  : 

1«  Angle  ACC  =  angle  ABB'  ; 

2°  Angle  B'oC  ou  C'oB  =  a  fois  angle  ACC. 

Le  problème  est  résoluble  avec  la  règle  et  le  compas  si  X  est  de  la 
forme  :  2"  —  2. 

IX.  —  De  la  division  de  la  circonférence  en  sept  parties  égales. 

52.  —  Si  dans  un  triangle  ABC  on  a  :  A  =:  2B,  on  aura  aussi  : 
«2  —  h{b  -f  C)  (i)  {J.  E.,  1883,  quest.  116,  M.  Antomari.) 


128  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

Si  on  a  en  même  temps  :  B  =  2C,  on  aura  donc  aussi  :  6^  =  c{c  4-«)(2) 


et  les  angles  A,  B,  C  seront  :  4  .  -^  >    2.-;:r-'      „ 


180      ^  480      180 
7 


Le  problème  sera  résolu  si  l'on  construit  le  triangle  ABC. 

Supposons  c  =:  1  et  éliminons  alors  b  entre  (1)  et  (2),  le  résultat  est  : 

a'  —  2a^  —  a  +  1  =  0. 

Cette  équation  a  ses  trois  racines  réelles,  l'une  négative  entre  —  1  et  0  ne 
peut  convenir,  l'autre  entre  0  et  1  ne  convient  pas  non  plus  puisque  a'^  c 
et  que  c  =  i  ;  l'autre  entre  2  et  3. 

On  calcule  qu'elle  est:  a  =  2,250. . .  l'équation  (2)  devient  b^  =  3,2o0. . . 
d'où  6  =  1,80...  ;  c  =  1. 

X.  —  Construction  des  points  [j.  et  '/  dont  les  coordonnées 

NORMALES    SONT  : 

x'     t     z--'  x"^     II'-     z-'-' 

-,  ^,  -     et     —,  ■-^,  — . 
X      ij      z  œ       y       z 

53 .  —  Soient  M  et  M'  les  points  qui  ont  pour  cordonnées  x,  y,  z  ; 
x',  y' ,  z'  et  ABC  le  triangle  de  référence. 

J'appelle  E^,  F^  les  points  où  MA  coupent  respectivement  BxM',  CM' 
»        E^,  F^  »  MB  »  »  CM',  AM' 

»        E^,  F,.  »  MC  »  »  AM',  BM' 

J'appelle  M^^  le  point  où  se  coupent  BF^,  CE^, 
»         31^  »  .)  CFj,  AEj 

»         M,  »  «  AF.,  BE. 

Les  trois  droites  AM^,  BMj^,  CM^  se  coupent  en  ^j.. 

Si  l'on  traite  M'  par  rapport  à  M,  comme  on  vient  de  traiter  M  par 
rapport  à  M'  en  mettant  pour  cette  seconde  construction  les  mêmes 
lettres  que  pour  la  première,  mais  accentuées,  il  est  clair  que  :  les  trois 
droites  AM^,  BM'j^,  CM'^  se  couperont  en  fx'. 

Pour  exécuter  cette  construction,  il  faut  : 

Tracer  les  six  droites  AM,  BM,  CM  ;  AM',  BM',  CM'  .  op  :  {itK,  +  GRJ 

Placer  M^  par  deux  droites  partant  de  B  et  de  C  .    .  op  :  (4Ri  -f-  ^Rj) 

»      M^            »                     »            C     »     A  .    .  op  :  (4Ri  +  2R,) 

Tracer  AM^,  BM^  qui  se  coupent  en  p. op  :  (4Ri  -)-  2R2) 

[X  est  donc  placé  par    op  :  (24Ri  -\-  12R2) 

Pour  avoir  M^  une  nouvelle  droite  suffira op  :  (2Rj^  -|-  Ra) 

Ainsi  que  pour  avoir  M^^ op  :  (2Ri  +  RJ 

Enfin  \>.'  s'obtiendra  en  traçant  AM^,  BM;; op  :  (4Ri  -f  2R2) 


É.    LEMOIiNE.   —    GÉOMÉTRIE    DU   TIUAN'GLE  129 

[j.  et  a'  seront  donc  placés  par  op  :  (32Ki  +  16K.^i  lorsque  M  et  M'  sont 
placés. 

L'équation  de  ua'  est  :    y.rx'iy'^z'^  —  zh/'^fz  =  0, 

par  conséquent  [xa'  se  tracerait  par  le  symbole,    op  :  (34Ri  -[-  i7Rj. 

En  prenant  pour  M  et  M'  difTérents  points  remarquables,  on  a  pour  y. 
et  a'  et  pour  u.\t.'  des  constructions  relativement  simples  de  points  et  de 
droites  qu'il  serait  quelquefois  fort  long  de  fixer  ou  de  tracer  autrement. 

Si  M  est  le  barycentre,  a  est  le  réciproque  de  M'  ;  a'  est  le  point  :  ax'', 
bij'-,  cz'\ 

Si  M  et  M'  sont  le  barycentre  et  le  point   de  Lemoine.  [>.  et  ;J^'  sont  les 

1 

points  si  souvent  rencontrés  ^,  etc.,  et  a^  etc. 

Si  iM  et  M'  sont  le  point  x,  y,  z  et  son  réciproque,  ,u.  et  ,a'  sont  les  deux 

points  réciproques  a'^x^,  etc.,  et ,  etc. 

a^x'-' 

Si  M  est  le  centre  de  gravité  M^M',  3I^M',  M^M'  sont  respectivement  paral- 
lèles à  BC,  CA,  AB. 

111 

Si  M  et  M'  sont  deux  points  inverses  x,  y,  z  ;  -,  -,  ~  ,  kl  ei  'j.'  sont  les 

X    y    z     '       ' 

1      1       1 
deux  points  inverses  x^,  y-\  z'^  :  — ,  — .  — . 

Si  M  et  M'  sont  le  point  de  Lemoine  et  le  centre  du  cercle  inscrit,  ix  et  [x 
sont  les  points  a%  6%  c^  et  le  barycentre. 

Si  M  est  le  point  .2 ,  y,  z  et  M'  un  des  quatre  points  :  x' ,  //',  :;'  ou  l'un  de 
ses  trois  associés  :  —  x',  y',  z';  x',  —  y',  z';  x',  y',  —  z',  u'  sera  le  même 
point,  fx  donnera  quatre  points  associés. 

Si  l'on  traite  a  et  y.'  comme  on  a  traité  M  et  M'  on  aura  deux  poiiUs  fx  ,  </ 
»  ^,  et  ij.^      ^  »  »  »  ^^,  ,^;^ 

etc.,  l'on  aura  ainsi  la  série  de  points  : 
M  et  M',  ;x  et  y.'  ;  a^  et  y-'^  . . .  ;%  et  i\.  Les  coordonnées  de  ix^^  seront  : 


;i— 1 

( 

X 


- ,  etc. 


(1-1 
I 


x'^     ' 


Celles  de  jx^j  seront 


,(^: 


;i-l 
—  I 


,  etc. 


9* 


130 


MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 


XI.  —  Formules  dans  le  triangle. 

Ajoutons  encore  quelques  formules  à  celles  que  nous  avons  données 
aux  Congrès  précédents  de  l'Association  française  et  dans  Mathesis,  1892, 
p.  81,  etc..  avec  leurs  transformées  continues  en  A  lorsqu'elles  en  ont. 


54.1.    2 


a  cos^  A  :=  rr^ 


V 


m' 


3(R  +  Vf'  +  R'-'  —  p-' 


a  cos'^  A  -j-  6  cos-  B  -|-  c  cos-  C 


p  —  a 


3(R-rJ  +  R'^-(p 


2.    ^a\^^'^pm\-{-n 

—  ao  +  bl^  +  cly  =^  2(p  —  aj(2R  —  r^] 

3.  _2«(?-„  —  /')(°„  —  ^0  =  '^P^P"  +  ^'  —  lORr)  ; 

-  «('a  -  0(^^  +  '■'')  +  K'-r  +  nO(^^c  +  ''a) 

+  <r,  +  r J(o,  +  r,)  =  lip  -  a)[ip  ~  af  +  r;  +  lOU/J . 

4.  2a(r,-r)(r^-r)=4RS; 

mpip'  -j-  r'  —  \mr); 


ail 


■  2 


('•/.  -  '-y  +  (''c  -  ' 

<'-.-rr„)j(r,+rjM-(r„-r)'^j^-4R(p-r/)[(;,-a)'^+r^Hl2Rr^ 
yy^fR  —  r) 


r„  cos'^  A  =  c 


R^ 


—  r  cos-  A  -|-  r^  cos-  B  -j-  r^  cos-  C  =  o^^  -f 
7.      Vôc/-^^  cos  A  ^= /-(op-  —  0^); 


(P  —  a)H^  +  rj 


R' 


bcr,  cos  A  —  car^  cos  B  —  baVi^  cos  C  =  r^j  ^(p  —  af- 


s 
8.     2^a  cos'^  A  =  — 


(2R  4-  r)-'  +  R'^  —  p' 


_S 
R' 


(2K—r^y  +  lV--(p  —  af 


—  (1  —  4  cos  A  cos  B  cos  Cj. 


li.    LK.Mulm;, 


GKOMKTRIE    DU    TRIANGLK 


131 


9.     cos  B  -f  cos  C ~^^,  d'où,  par  transl'orniatioii  coiiliuup  eu  B  ou  eu  C  : 


m 


cos  B  —  cos  C 


''c  -  ''l, 


2K 


Or 


cr^  = 


(b  —  c)/)-'        (h  —  c)7\r 


b'c 


\  1 .     c;-,  +  br^  =  f^  (a  +  r,)  =  (p  -  «)(o  +  r  J  ; 
^h  +  cr^  .=  yj^V:^^  _  r). 

il.     bc-^  2pa  =  (a  +  c)(a  +  b),  d'où,  par  transformation  en  A  : 

bc  —  ±\p  —  a)a  =  (a  —  c)(a  —  b) 

et,  par  transformation  en  B  ou  en  C  : 

bc  —  ±p  —  c)a  =  (C  —  aX.a  +  b). 

2««  =  2(p'^  —  ro  r^  -f  24S'^[2B'^  —  f  p^—  ro)] 
=  m^  —  Sm^n'^  -f  Za^H"". 


13. 


14.     6-5  cos  B  —  c^'  cos  C  = 


c-  —  b- 
2a  bc 


C'  -\-b'  —  a-(b-  -f-  c^j 


c^  —  6'^ 


a 


n-  cos  ('A  -)-  wj 


lo 


16.        yjr2«   -  yj)   =  r^r^^  -f-   ;.^;.,  _  ;.^,.^, 

et,  par  transformation  continue  en  A,  en  B  et  en  C  : 
P"  —  «'  =  '•''/.  +  ''^,.  +  ^'/.^'c  ;  (P  —  b)[a-i-  (p  —  C)] 
=  'c'a  -f  '•'•.  —  '■>:■  ;  ' y^  —  c)[a  +  (/;  —  b}]  =  r^r^  +  ;v^,  —  rr,^. 
17.     a'^r^  -f  b-'i-f^  —  ch'^,  =  4Rp[(7j  —  c)  —  c  cos  A  cos  B], 
et,  par  transformation  continue  en  A  : 
aV  —  b-r^  +  c^r,^  —  4K('p  —  a)[(p  —  b)  ~  c  cos  A  cos  B]. 


18.      y  a^  cos- A  := /»"  — 


4K^ 


Je  ne  veux  pas  terminer  sans  remercier  U.Neuberg  de  toute  sa  complai- 
sance, des  nombreux  renseignements,  des  multiples  indications  que  je  lui 
dois,  qui,  entre  autres  choses,  ont  transformé  le  n°  I  :  Sur  quelques  groupes 
de  trois  cercles. 


132  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE.    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

Abréviations  employées  daîis  le  cours  du  Mémoire  : 

A.  F.  =  Association  française  pour  l'avancement  des  sciences. 

.T.   E.  =  Journal  de  Mathématiques  élémentaires,  publié   sous  la  direction   de  .M.  de 

Longcliamps. 
,].    S.    -=    Journal    de  Mathématiques    spéciales,   publié   sous  la   direction    de  M.    de 

Longchainps. 

ERRATA 

AU   MÉMOIRE   DU   CONGRÈS   DE   LIMOGES,    1890,    §  3,    13,    P.    127. 

Dans  les  coordonnées  des  quatre  points  communs  aux  deux  coniques  inscrites,  il  faut 
mettre  L,  M,  N  ;  V,  W,  N'  au  lieu  de  A,  B,  C  ;  A'  B'  C. 

ERRATA 

Al-    MÉMOIRE    DU    CONGRÈS   DE    MARSEILLE,    189J. 

Page    2  lignes  7,  8,  9,  17  ;  remplacer  a  par  n. 

9,  en  remontant;  au  lieu  de  x',  y',  z',  lire  .;',  //',  :' . 
12  ;  la  dernière  lettre  de  la  ligne  doit  être  C  et  non  B. 
2  ;  le  dénominateur  doit  être  élevé  au  carré. 
11,  en  remontant  ;  au  lieu  de  :  inscrit,  lisez  :  circonscrit. 
4,  en  leiiiontant;  au  lieu  de  :  Z,  lisez  :  Z,  et  ajoutez  :  Z,  étant  le  cenijc  du 
cercle  de  Rrocarrl . 
18      »      6  ;  la  première  égalité  de  la  ligne  doit  être  : 


» 

4 

;j 

» 

10 

S 

» 

11 

» 

J> 

12 

» 

s 

16 

a 

0  g'    =\ 


» 

28 

» 

1) 

36 

0 

» 

38 

» 

» 

38 

y 

a 

39 

» 

» 

39 

» 

» 

39 

)) 

(/)  -  ar-  -r-  5/-=^  -r  lGKr„ 

9;  au  lieu  de  x\  y,  z,  lisez:  x',  if ,  z'. 

8;  au  lieu  de  :  A',  B',  C,  lisez  :  A',  B',  C. 

1  et  4,  en  remontant;  au  lieu  de  .M,  lisez:  JI,. 

3,  en  remontant  ;  après  Vi  est  le  point,  ajoutez  : ,  etc..  ou  le  puinl. 

1  et  5;  au  lieu  de  M,  lisez:  M,. 

2  ;  effacez  le  barj  centre  et  le  point  de. 

3  ;  effacez  Lemoine. 


M.  aaston  TÂURY 

Inspecteur  des  Contributions  diverses,  à  .\Igcr. 


FIGURATION  DES  SOL'JTIONS  IMAGINAIRES  RENCONTRÉES  EN  GÉOMÉTRIE  ORDINAIRE  *; 


—  Séance  du  17  septembre  1892  — 

192.  —  Ces  prétendus  êtres  de  raison  qu'on  qualifie  d'imaginaires  sont 
parfaitement  réels,  et  la  géométrie  possède  le  pouvoir  de  [les  peindre  à 
ri.magipation  sous  des  formes  sensibles. 

{V  Voir  C.  R.  du   Congrès  de  Marseille,  2"  partie,  page  90. 


G.    TAURY.    —    SULITIONS    IMAf.I.NAIHKS    UN    GÉOMKTRIK    OHDLXAIUK        133 

Le  mot  imaginaire  devrait  disparaître  du  langage  scientifique.  Mais, 
pour  nous  conformer  à  l'usage,  nous  conserverons  cette  appellation  ;  ce 
qui  ne  présente  aucun  inconvénient,  pourvu  qu'on  s'entende. 

La  Géométrie  pure,  telle  qu'on  l'a  conçue  jusqu'cà  ce  jour,  est  essentiel- 
lement restrictive,  parce  que  son  champ  d'action  est  limité  au  réel. 

De  là,  dans  ses  investigations,  une  timidité  qui  a  toujours  entravé  sa 
marche  en  avant.  Un  peu  de  hardiesse  va  lui  permettre  d'étendre  sa 
puissance  sur  le  monde  de  l'imaginaire. 

L'être  primordial  qui  engendre  tous  les  êtres  de  la  Géométrie,  c'est- 
à-dire  le  point,  n'a  pas  encore  reçu  sa  véritable  définition.  Cependant,  on 
a  coutume  de  dire  que  le  point  réel  est  un  cas  particulier  du  point  ima- 
ginaire, ce  qui  revient  à  admettre  qu'il  existe  une  définition  plus  géné- 
rale du  point,  embrassant  à  la  fois  le  point  imaginaire,  demeuré  invi- 
sible jusqu'à  ce  jour,  et  le  point  réel,  le  seul  qui  se  soit  montré  aux  yeux 
des  géomètres. 

Quand  la  Géométrie  ordinaire,  que  j'appellerai  restrictive  par  compa- 
raison avec  la  Géométrie  générale,  répond  en  langage  algébrique  par  une 
solution  imaginaire  à  la  question  qui  lui  est  posée,  nous  sommes  préve- 
nus, par  cela  même,  que  la  demande  formulée  renferme  une  impos- 
sibilité. 

A  la  suite  de  longues  études,  j'ai  acquis  la  conviction  inébranlable  que 
la  cause  unique  de  cette  impossibiUté  résidait  dans  notre  exigence  à  vou- 
loir que  la  solution  exacte  satisfasse,  par  surcroît,  à  une  condition  parti- 
culière, toujours  la  même,  et  dont  la  nature  nous  échappait. 

Ce  qui  se  passe  dans  cette  circonstance  extraordinaire,  où  l'Homme  et 
le  Sphinx  de  l'imaginaire  se  trouvent  face  à  face,  mérite  de  fixer  au  plus 
haut  degré  l'attention  du  penseur  qui  veut  étudier  les  lois  et  la  marche 
du  raisonnement. 

Les  lignes  suivantes,  que  j'extrais  de  l'ouvrage  de  Vallès  (Des  fonnes 
imaginaires  en  Algèbre,  tome  I,  page  52),  en  substituant  seulement  le 
mot  Géométrie  à  celui  d'Algèbre,  décrivent  avec  la  plus  parfaite  exacti- 
tude la  situation,  telle  du  moins  qu'elle  m'est  apparue  : 

«  Il  est  intéressant  d'étudier  comment,  dans  ce  cas,  la  réaction  de  la 
»  Géométrie  cherche  à  se  mettre  en  équilibre  avec  l'action  égarée  de 
»  notre  intelligence  ;  comment  elle  se  maintient  dans  le  vrai,  alors  que 
»  nous  voulons  l'entraîner  dans  le  faux:  comment,  du  moins,  elle  refuse 
»  de  nous  suivre  dans  cette  voie,  et  par  quels  moyens,  toujours  logique 
»  et  toujours  utile,  tout  en  nous  disant  que  nous  l'avons  frappée  d'im- 
')  puissance,  elle  nous  indique  en  quoi  consiste  l'erreur  que  nous  n'avions 
»  pas  même  soupçonnée.  » 

Après  dix  années  de  méditation  consacrées  à  rechercher  la  nature  de 
cette  erreur,  j'ai  été  amené  à  la  conclusion  suivante  : 


134  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

L'interprétation  des  solutions  imaginaires  en  Géométrie  ne  peut  être 
obtenue  qu'à  la  condition  d'admettre  la  définition  ci-après  du  point,  que 
j'ai  adoptée. 

En  Géométrie  générale,  on  appelle  point  l'être  produit  par  l'union  de 
deux  points  de  la  Géométrie  ordinaire,  que  Ton  considère  dans  un  ordre 
déterminé,  afin  de  les  distinguer  l'un  de  l'autre  comme  s'ils  étaient  appe- 
lés à  jouer  un  rôle  difTérent  dans  cette  création. 

Cette  trinité  est  le  dogme  sur  lequel  repose  la  Géométrie  générale. 

Les  deux  composantes  du  couple  dont  procède  le  nouvel  être  présentent 
deux  états  difTérents,  suivant  que  leurs  positions  sont  séparées  ou  super- 
posées. 

(juand  les  composantes  sont  séparées,  on  a  la  figuration  du  point  dont 
on  pressentait  l'existence  en  le  désignant  sous  le  nom  d'imaginaire. 

Le  point  imaginaire  était  une  âme  sans  corps;  nous  lui  donnons  un 
corps  pour  le  présenter  dans  le  monde  géométrique. 

Dans  le  cas,  infiniment  particulier,  oii  les  composantes  sont  superpo- 
sées ou  confondues,  on  a  l'image  du  point  réel. 

Ainsi,  tout  point  réel  est  nécessairement  double. 

Cette  conclusion,  si  étrange  qu'elle  puisse  paraître,  est  imposée  par  la 
force  même  des  choses. 

Pour  doter  la  Géométrie  pure  d'une  puissance  comparable  à  celle  de 
l'Algèbre,  il  fallait  encore  découvrir  les  véritables  définitions  de  la  ligne 
droite,  de  la  distance  et  de  l'angle,  éléments  constitutifs  de  la  science  de 
l'étendue. 

Ces  définitions  ont  été  données  dans  mon  premier  Mémoire  de  Géo- 
métrie générale,  présenté  au  Congrès  de  Paris  en  1889  et  publié  dans  le 
compte  rendu  de  la  session. 

De  nombreuses  expériences  m'ont  confirmé  dans  la  croyance  que  j'ai  eu 
la  fortune  de  rencontrer  la  voie  de  la  vérité. 

Ma  Géométrie  générale  anéantit  le  fantôme  de  l'imaginaire.  Désormais, 
toutes  les  solutions  dites  imaginaires  pourront  être  représentées  par  des 
images  visibles. 

Je  serais  heureux  si  l'exemple  suivant,  choisi  parmi  les  solutions  ima- 
ginaires qui  se  prêtent  à  une  figuration  simple,  pouvait  faire  naître  chez 
les  amis  de  la  vérité  le  désir  de  lire  mes  Mémoires  de  Géométrie  gé- 
nérale. 

Dans  le  Journal  de  Mathémaliques  de  M.  de  Longchamps,  j'ai  proposé 
en  1889  le  problème  suivant,  dont  la  solution  a  été  donnée  dans  le  nu- 
méro du  mois  de  septembre  1892. 

Quatre  trains  se  meuvent  sur  des  voies  rectilignes  avec  des  vitesses 
uniformes.  On  connaît  leurs  positions  à  deux  instants  différents. 

On  demande  de  tracer  une  cinquième  voie  rectiligne  qui  puisse  être 


G.    T.VrUtV.     S(tLl  TID.NS    IMAGINAIRES    £.\    GKUMÉÏKIK    0HDI.\A1UE        135 

parcourue  par  un  train  d'un  mouvement  uniforme,  de  telle  sorte  que  les 
quatre  premiers  trains  paraissent  immobiles  aux  A'oyageurs  du  cinquième. 

Ce  problème  est  du  second  degré  et,  par  conséquent,  peut  comporter 
des  solutions  imaginaires. 

En  vertu  des  définitions  nouvelles,  données  par  la  Géométrie  générale, 
le  problème  doit  être  posé  sous  cette  forme  : 

Ouatre  couples  de  trains  confondus,  AA,  BB,  CC,  DD,  se  meuvent  en 
ligne  droite  avec  des  vitesses  uniformes. 

On  demande  de  trouver  deux  voies  rectilignes  qui  puissent  être  parcou- 
rues avec  des  vitesses  uniformes  par  deux  trains  P  et  P',  de  telle  sorte 
qu'à  tout  instant  la  ligne  droite  de  (iéométrie  générale  qui  passe  par  le 
point  PP'  et  l'un  quelconque  AA  des  quatre  autres  points  mobiles  con- 
serve la  même  direction. 

Pour  que  la  droite  mobile  PP'AA  de  Géométrie  générale  conserve  une 
direction  fixe,  il  faut  et  il  suffit  que  le  rapport  des  distances  PA  et  P'A 
demeure  constant  et  que  la  bissectrice  de  l'angle  variable  PAP'  ait  une 
direction  fixe.  (Voir  pour  la  démonstration  mon  Mémoire  de  1889. j 

En  conséquence  de  ce  qui  précède,  j'affirme  sans  aucune  hésitation  que, 
dans  le  problème  primitif,  la  solution  imaginaire  présentée  par  la  Géo- 
métrie restrictive  doit  être  interprétée  comme  il  suit  : 

11  existe  toujours  deux  trains  réels  qui  se  meuvent  sur  des  lignes 
droites  avec  des  vitesses  uniformes,  de  telle  sorte  qu'à  tout  instant  du 
mouvement  :  1"  les  distances  de  ces  deux  trains  à  chacun  des  quatre 
premiers  soient  respectivement  dans  des  rapports  constants  ;  2°  les  bis- 
sectrices des  angles  sous  lesquels  on  voit  ces  deux  trains  de  chacun  des 
quatre  premiers  conservent  des  directions  fixes. 

Cela  est  évident  en  Géométrie  générale. 

Quand  les  deux  trains  du  couple  sont  constamment  confondus  en  un 
seul,  et  alors  seulement,  la  Géométrie  restrictive  donne  une  solution 
réelle. 

On  voit  par  cet  exemple  typique  que  la  Géométrie  restrictive,  en  pré- 
sentant une  solution  imaginaire,  nous  prévient  bien  que  la  demande  for- 
mulée renferme  une  impossibilité. 

Et  cette  impossibilité  tient  uniquement,  non  seulement  dans  le  problème 
qui  nous  occupe,  mais  toujours,  à  ce  que  nous  exigeons  que  les  deux 
composantes  du  point  demeurent  superposées. 

C'est  en  cela  que,  suivant  l'expression  de  Vallès,  consiste  l'erreur  que 
nous  n'avions  pas  même  soupçonnée. 

Dans  l'espace  réel  oîi  Descartes  a  construit  les  axes  de  sa  Géométrie 
analytique,  toutes  les  places  paraissent  marquées  d'avance  pour  les  points 
réels,  dont  les  coordonnées  sont  déterminées  à  l'aide  de  nombres  positifs 
et  négatifs. 


136  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

On  a  été  porté  à  croire  qu'il  n'en  restait  aucune  pour  les  points  ima- 
ginaires, et,  ne  sachant  où  mettre  ces  êtres  dont  l'existence  s'afTirmait 
de  plus  en  plus,  on  a  imaginé  l'hyperespace  pour  les  y  loger. 

Dans  ces  limbes,  ils  ont  attendu  la  venue  d'une  Géométrie  générale, 
qui  leur  a  donné  un  corps  pour  leur  permettre  de  pénétrer  dans  l'espace 
où  nous  vivons. 

Le  spectre  de  l'imaginaire  a  disparu,  et  avec  lui  son  habitation  :  Ihy- 
perespace. 


M.  COCCOZ 

Commandant  d'Artillerie  en  retraite,  à  Paris. 


DES  CARRÉS  DE  8  ET  DE  9,  MAGIQUES  AUX  DEUX  PREMIERS  DEGRES 
DES  CARRÉS  DE  MÊMES  BASES  EN   NOMBRES  TRIANGULAIRES 


—  Séance  du  17  septembre  1892  — 

La  question  des  figures  magiques,  dont  les  mathématiciens  les  plus 
éminents  s'occupèrent  avec  ardeur  à  la  fin  du  xvii'^  et  au  commencement 
du  xviii^  siècle,  s'est  enrichie  tout  récemment  de  procédés  au  moyen 
desquels  on  a  résolu  des  problèmes  (*)  de  ce  genre  plus  compliqués  que 
celui  des  enceintes,  qui  fut,  par  l'intermédiaire  du  P.  Mersenne,  l'objet 
d'une  active  correspondance  entre  les  illustres  Fermât  et  Frenicle. 

La  recherche  des  carrés  de  8  et  de  9  de  base,  magiques  aux  deux  pre- 
miers degrés,  a  été  précédée  par  d'autres.  Toutes  ont  eu  pour  point  de 
départ  un  triangle  équilatéral  de  neuf  chiffres  inséré  dans  un  volume  de 
la  Nouvelle  Coj'respondance  mathémathique  qui  nous  fut  communiqué  par 
notre  ami  Edouard  Lucas. 

Les  quatre  nombres  de  tel  côté  que  l'on  veut  considérer 

4    3  de  ce  triangle  ont   pour   somme  20,   et  l'addition  de  ces 

9         7        mêmes  nombres  élevés  à  la  deuxième  puissance  donne  pour 
^    ^    *^    ^      total  126. 

On  fit  bientôt  après,    avec    dix-huit,   puis  avec   vingt-sept  éléments, 

(*)  Voir  l'Appendice  à  lu  lin  du  Mémoire. 


COCCOZ.   —    DES    CAHUÉS    MAGIQUES  13" 

une  quanlité  considérable  de  triangles  satisfaisant  à  de  semblables  condi- 
tions. Le  19  novembre  1888,  un  mémoire  sur  les  égalités  à  deux  degrés 
fut  présenté  à  l'Académie  des  Sciences  par  son  auteur,  M.  le  général  Fro- 
lov,  et  le  Journal  de  Mathématiques  élémentaires  traita  le  même  sujet  dans 
ses  numéros  d'août  et  de  septembre  1889. 

Ces  divers  travaux  firent  naître  l'idée  de  former  à  deux  constantes  : 

1°  Des  enceintes  magiques  ; 

2"  Des  cercles  de  même  rayon  se  coupant  deux  à  deux,  leurs  circon- 
férences étant  divisées  en  parties  égales  avec  des  nombres  à  chaque 
point  de  division  et  d'intersection  ; 

3"  Des  ensembles  de  lignes  formant  des  figures  géométriques  comme 
il  y  en  a,  mais  sans  double  égalité,  dans  le  chapitre  Das  magische  Po- 
lygon,  du  traité  d'Hermann  SchetTer. 

Carré  de  8  de  base.  —  M.  Savard  a  le  premier  arrangé  soixante-quatre 
nombres  en  un  carré  magique  au  premier  degré  et  semi-magique  au 
second  ;  mais,  c'est  M.  PfetTerniann  qui,  avant  tout  autre,  a  construit 
un  carré  de  8  parfaitement  magique  à  deux  degrés,  et  quelques  mois 
après  un  de  9  réunissant  les  mêmes  conditions.  Ces  carrés  ont  été  pu- 
bliés par  les  soins  de  M.  Feisthamel  le  6  décembre  1890  et  le  ^ll  juin  1891. 

On  se  rendra  compte  des  difficultés  que  présentait  la  construction  de 
tels  carrés  en  cherchant,  parmi  les  formules  connues  et  les  notations 
dues  à  Joseph  Sauveur,  celles  qui  pourraient  aider  à  résoudre  ce  nouveau 
genre  de  problèmes,  et  aussi,  en  considérant  que  les  combinaisons  de 
huit  nombres  donnant  la  double  égalité  260  et  11.180  dépassent  30.000 
suivant  une  première  approximation  de  M.  Rilly,  qui  en  a  déjà  cal- 
culé 23.136. 

La  marche  à  suivre  pour  obtenir  avec  des  nombres  consécutifs  un 
carré  de  8  comporte  trois  opérations  : 

1°  Avec  les  soixante-quatre  nombres  former  huit  lignes,  chacune  de 
huit  éléments,  dont  la  somme  soit  260;  faire  les  permutations  de  chiffres 
nécessaires  pour,  sans  altérer  cette  première  égalité,  en  trouver  une  se 
conde  11.180  par  l'addition  des  nombres  élevés  à  leur  deuxième  puissance. 

Cette  opération  terminée,  on  a  ce  que  nous  appelons  un  générateur. 

2°  Composer  un  second  générateur  ayant  les  mêmes  qualités  que  le 
premier,  et  pouvant  se  conjuguer  avec  lui  pour  faire  un  semi-magique. 

3°  Par  des  changements  de  place  des  lignes  entières,  amener  en  dia- 
gonales les  nombres  qui,  en  dotant  celles-ci  de  la  double  égalité,  rendent 
le  carré  tout  à  fait  magique. 

Générateur.  —  Pour  former  chaque  générateur,  nous  procédons  par 
couples  égaux,  et  par  leurs  complémentaires,  en  nous  réglant,  pour  com- 
mencer, sur  les  deux  rangées  supérieures  d'un  échiquier  dont  les  cases 
seraient  numérotées. 


188  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

Nous  obtenons  les  cinq  groupements  suivants  : 

260  et   17  49  81  113  ^260 

16  SO  82  112:^260 

15  51  83  111  =3  260 

13  53  85  109^^260 

9  57  89  105  =  260 

La  première  décomposition  est  des  plus  simples  :  il  faut  écrire  les 
nombres  suivant  la  marche  que  les  Grecs  appelaient  boustrophédon. 


|0 

17 

49 

81 

113 

-  :  260 

2" 

18 

48 

80 

114 

-  2(30 

;-i° 

19 

47 

79 

115 

^  260 

-4" 

21 

45 

77 

117 

=  260 

5° 

25 

41 

73 

121 

.=  260 

Z*^""  groupement. 

A 

B 

( 

A 

D 

0 

8 

9 

24  25 

40 

41 

56 

4 

7 

10 

23  26 

39 

42 

55 

58 

12 

6 

11 

22  27 

38 

43 

54 

59 

24 

5 

12 

21  28 

37 

44 

53 

60 

40 

4 

13 

20  29 

36 

45 

52 

61 

60 

3 

14 

19  30 

35 

46 

51 

62 

84 

2 

15 

18  31 

34 

47 

50 

63 

12 

1 

id 

17  32 

33 

48 

49 

64 

On  a  évidemment  des  horizontales  égales,  puisqu'elles  se  composent 
toutes  des  couples  17  49,  81  113  —  260. 

Il  s'agit  de  leur  donner  la  double  égalité.  Dans  chaque  colonne  les 
premiers  nombres  inscrits  sont  consécutifs,  de  la  forme  n  et  w  +  1 
ayant  pour  somme  de  leurs  carrés  2n(n -|- 1) -f- 1.  Les  deux  suivants 
(/i  —  1)  et  {il  -\-  1)  ont  pour  somme  de  leurs  carrés  2n(M  -|-  1)  -|-  ^» 
quantité  qui  surpasse  de  quatre  unités  le  résultat  précédent. 

En  comparant  ainsi  chaque  couple  avec  le  premier  inscrit,  on  trouve 
les  différences  mises  en  marge  du  tableau.  En  place  des  nombres  0,  4, 
12,  24,  etc.,  etc.,  marquant  des  différences,  on  aurait  pu  mettre  plus 
simplemenl  :  0,  1,  3,  6,  10,  15,  21,  28,  c'est-à-dire  les  sept  premiers 
nombres  triangulaires  précédés  de  zéro.  Ces  différences  formant  une 
somme  336  pour  les  huit  couples  d'une  colonne,  les  horizontales  seront 
égales  au  second  degré  toutes  les  fois  que  les  quatre  couples  de  chacune 
d'elles  présenteront  des  différences  ayant  pour  somme 


336 
4 


=  168 


En    représentant   chaque  couple   par  la   lettre  placée  en   tête  de  sa 


COCCOZ.   —    DES    CAItUÉS    MAGIQUES  139 

colonne  avec  Je  chiffre  en  marge  pour  indice,  on  composera  des  lignes 
à  deux  constantes  telles^  que  les  suivantes  (*): 


Ah. 

Au2 
As4 

As, 

A64 


B40 

B,2 

Beo 
Bc„ 


r.,.,  J)^  cVst-à-diriî  (a)  1  16  20  29  38  43  55  58  i^ 

t:,'  L),,,                »  (h)  1  16  20  29  39  42  54  59  '^ 

C40  \h                 «  (c)  1  16  22  27  36  45  55  58  ^1 

C04  D„                 »  fdj  2  15  18  31  40  41  56  57  [=: 

r.„  \\,                »  l'e}  2  15  19  30  37  44  56  57  1=1 

C,  \\,                »  (f)  2  15  19  30  38  43  54  59  IH 


260 

11180 

260 

11180 

260 

11180 

260 

11180 

260 

11180 

260 

11180 

Ou  abrège  les  recherches  par   l'emploi   des  termes    complémentaires. 
Ainsi,  ou  déduit  immédiatement  des  six  lignes  ci-dessus  : 


fa')  7  10  22  27  36  45  49  64 
(c'}  7  10  20  29  38  43  49  64 
i'e')  8   9  21  28  35  46  50  63 


7/J  6  11  23  26  36  45  49  64 
(d')  8  9  24  25  34  47  50  63 
(f)  6  11  22  27  35  46  50  63 


Les  autres  groupements  ne  comportent  chacun  que  quatre  lignes. 


A 


D 


A' 


B' 


\y 


T  groupement. 


0 

7   9 

24  26 

40  42 

55  57 

8  10 

23  25 

39  41 

56  58 

16 

5  11 

22  28 

38  44 

53  59 

6  12 

21  27 

37  43 

54  60 

30 

3  13 

20  30 

36  16 

51  61 

4  14 

19  29 

35  45 

52  62 

48 

1  15 

18  32 

34  48 

49  63 

2  16 

17  31 

33  47 

50  64 

S'^  groupement. 


0 

6   9 

24  27 

40  43 

54  57 

8  11 

22  25 

38  41 

56  59 

8 

5  10 

23  28 

39  44 

53  58 

7  12 

21  26 

37  42 

55  60 

56 

2  13 

20  31 

36  47 

50  61 

4  15 

18  29 

3i  45 

52  63 

80 

1  14 

19  32 

35  43 

49  62 

3  16 

17  30 

33  46 

51  64 

groupement . 


0 

4   9 

24  29 

40  45 

52  57 

8  13 

20  25 

36  41 

56  61 

12 

3  10 

23  30 

39  46 

51  58 

7  14 

19  26 

35  42 

55  62 

28 

2  11 

22  31 

38  47 

50  59 

6  15 

18  27 

34  43 

54  63 

48 

1  12 

21  32 

37  48 

49  60 

5  16 

17  28 

33  44 

53  64 

o^  groupement. 


0 

4 

5 

28  29 

44  45 

52  53 

12  13 

20  21 

36  37 

60  61 

4 

3 

6 

27  30 

43  46 

51  54 

11  14 

19  22 

35  38 

59  62 

12 

2 

7 

26  31 

42  47 

50  55 

10  15 

18  23 

34  39 

58  63 

24 

1 

8 

25  32 

41  48 

49  56 

9  16 

17  24 

33  40 

57  64 

(*)  Dans   les   numéros    précités   du   Journal   de   Mathématiques  élémentaires,   le  signe 
employé  pour  exprimer  une  douljle  égalité. 


a  été 


140  MATHÉMATIQUES,  ASTROxNOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

A  laide   de  deux  des  cinq   tableaux,  on  trouvera  les  lignes  de  deux 
générateurs.  Supposons  les  suivants  d"'  et  5'-  groupements)  : 


Gi'nérateur  doniiaiil,  les  horizontales. 


Gént'raleiir  ilomi;mt  les  verlirnle^. 


1 

16 

22 

27 

39 

42 

52 

61 

4 

13 

23 

26 

38 

43 

49 

64 

2 

15 

21 

28 

40 

41 

51 

62 

o 

14 

24 

25 

37 

44 

50 

63 

5 

12 

18 

31 

35 

46 

56 

57 

8 

9 

19 

30 

34 

47 

53 

60 

6 

11 

17 

32 

36 

45 

55 

58 

7 

10 

20 

29 

33 

48 

54 

59 

1 

10 

2 

9 

3 

12 

4 

11 

8 

15 

7 

16 

6 

13 

5 

14 

28 

19 

27 

20 

26 

17 

25 

18 

29 

22 

30 

21 

31 

24 

32 

23 

43 

36 

44 

35 

41 

34 

42 

33 

46 

37 

45 

38 

48 

39 

47 

40 

50 

57 

49 

58 

52 

59 

51 

60 

55 

64 

56 

63 

53 

62 

54 

61 

Ces  deux  générateurs  peuvent  se  conjuguer  :  la  première  horizontale 
et  la  première  verticale  n'ont  d'autre  terme  commun  que  l'unité  et,  en 
outre,  22  et  43  sont  leurs  seuls  termes  qui  se  complètent  pour  donner 
64-f-l-  Il  en  est  d'ailleurs  de  même  des  autres  lignes  ayant  un 
terme  conmiun,  par  exemple  :  2,  13,  21,  28,  40,  41,  51,  62,  et  2,  "i, 
27,  30,  44,  4o,  49,  56;  le  terme  commun  est  2  et  leurs  seuls  complé- 
mentaires sont  21  et  44. 

Après  avoir  arrangé  dans  le  générateur  dont  les  horizontales  sont 
exactes  les  nombres  de  manière  que  les  verticales  soient  composées 
comme  celles  de  l'autre  générateur,  on  aura  un  semi-magique  auquel  on 
donnera  une  disposition  telle  qu'il  soit  formé  de  seize  petits  carrés  dans 
chacun  desquels  on  trouve  130  exprimé  en  quatre  nombres  par  65 
et  65  (fig.  5),  ou  par  64  et  66,  63  et  67,  61  et  69,  57  et  73,  49  et  81. 
ou  33  et  97  (*)  (fig.  7). 


(*)  On  peut  se  dispenser  de  faire  cet  arrangement  par  Oo  60;  mais  il  ji'est  pas  inutile  de  l'essayer 
quand  on  désire  former  les  diagonales  avec  d'autres  couples,  parce  que,  en  cas  de  non-réussite  des 
16  petits  carrés  i)ar  la  décomposition  de  130  que  l'on  a  choisie,  il  n'y  a  pas  de  diagonales  corres- 
pondantes. 

Le  semi-magique  figure  7  a  ses  carrés  par  37  73.  On  pourrait  les  faire  par  61  69  et  aussi  par  .'il  fiii. 
Dans  le  premier  cas,  on  a  les  quadrangles 


dans  le  second 


et  dans  le  troisième 


53 

2'. 

/. 

33 

3i 

62 

42 

11 

34 

3 

23 

34 

12 

41 

61 

32 

n 

1', 

V> 

5o 

.il 

41 

10 

20 

63 

^'7 

6 

32 

2S 

^2 

33 

;i9 

A  7 

l'r 

2 

3.Ï 

30 

63 

31 

1S 

33 

/. 

16 

4:; 

20 

49 

61 

32 

COCCdZ.   —    DES    CARRES   MAGIQUES 


141 


FiG.  ii.  —  Semi-magique. 
A     A'       B      B'      C      C       D     D' 


FiG.   7. 


Semi-magiquc. 


1 

22 

27 

16 

52 

39 

42  61 

43 

64 

49 

38 

26 

13 

4  23 

-16 

l.j 

2 

21 

41 

62 

51  '.U 

50 

37 

44 

63 

3 

24 

25  14 

46 

07 

56 

35 

31 

12 

5  18 

8 

19 

3(1 

9 

53 

3'. 

47  60 

55 

36 

45 

58 

6 

17 

32  U 

29 

10 

7 

2(» 

48 

59 

54  33 

c 
c' 

d 
d' 


1 

58 

36 

27 

53 

14 

24  47 

15 

53 

46 

21 

59 

4 

26  33 

22 

45 

55 

16 

34 

25 

3  (iO 

28 

35 

57 

2 

48 

23 

13  54 

40 

31 

5 

62 

20 

43 

49  10 

42 

17 

II 

52 

30 

37 

63   8 

51 

12 

18 

41 

7 

64 

38  29 

61 

6 

32 

.'.9 

9 

50 

44  19 

Diagonales.  —  En  consultant  une  liste  facile  à  établir  des  combinai- 
sons de  quatre  couples  qui  donnent  la  constante  11.180.  on  trouvera 
celles  dont  les  termes  disposés  magiquement  se  prêtent  aux  change- 
ments de  position  des  lignes  qui  amènent  ces  termes  suivant  l'une  des 
diagonales.  Il  est  évident  que  les  colonnes  du  semi-magique  (voir  fig.  5) 
étant  interverties  suivant  D,  C,  B,  A,  A',  B',  C,  D',  les  nombres  3  (32, 
16  49,  18  4",  29  36  de  l'une  de  ces  combinaisons  seront  placés  en 
seconde  diagonale,  et  qu'en  mettant  les  rangées  horizontales  par  c,  h, 
a,  d,  d',  a\  b',  c',  o  60,  10  55,  24  41,  27  38,  qui  forment  quatre  qua- 
drangles  avec  les  précédents,  pourront  être  pris  pour  la  première  diago- 
nale (voir  fig.  6). 


Fig.  6. 

—  Magique. 

D 

C 

B   A 

A'  B'  C 

D' 

5 

31 

56  46 

57  35  12 

18 

c 

51 

41 

2  28 

15  21  62 

40 

b 

42 

52 

27   1 

22  16  39 

61 

a 

32 

60 

45  55 

36  58  17 

U 

d 

54 

48 

7  29 

10  20  59 

33 

d' 

4 

26 

49  43 

64  38  13 

23 

b' 

25 

3 

4'.  50 

37  63  24 

14 

c' 

47 

53 

30   8 

19   9  34 

60 

d' 

Fig.  s.  —  .Magique. 


/ 

16 

38 

52 

26 

41 

1 

23 

61 

27 

49 

39 

13 

64 

22 

4 

42 

2 

44 

62 

24 

37 

15 

25 

51 

21 

63 

41 

3 

50 

28 

14 

40 

58 

20 

6 

48 

29 

55 

33 

U 

45 

7 

17 

59 

10 

36 

54 

32 

56 

30 

12 

34 

19 

57 

47 

5 

35 

9 

31 

53 

8 

46 

60 

18 

Deux  autres  combinaisons  également  par  6o  6o,  3  62,  16  49,  18  4", 
29  36  et  4  61,  lo  oO,  17  48  et  30  3o  conviennent  aussi  ;  elles  se  con- 
juguent avec  oelles  déjà  indiquées.  Il   en  résulte  que  si  on  les  désigne 


142  MATHÉMATIQUES,   ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

par  a,    [3,  Y'  2:  01^  S'Ura  six  paires  de  diagonales,  a[i,  ay,  aS,  py,  jio,  yo, 
qui  pourront  être  adaptées  à  ce  carré. 

On.  sait  qu'un  carré  de  8  de  base  se  transforme  de  cent  quatre-vingt- 
douze  manières  quand  on  déplace  simultanément  des  bandes  et  des 
colonnes  également  distantes  du  milieu.  En  supposant  qu'il  ne  soit  pas 
possible  de  lui  donner  d'autres  diagonales  que  celles  par  65  65,  le  carré 
(fuj.  6)  est  déjà  susceptible  de  6  X  19^  =  l-lo2  solutions.  Il  en  serait 
de  même  du  carré  (flg.  8)  auquel  six  paires  de  diagonales  conviennent 
également. 

Cette  multiplicité  des  diagonales,  ainsi  que  les  transformations  par 
échanges  de  groupes  égaux,  qu'il  faut  chercher  pour  les  découvrir,  s'op- 
pose à  la  détermination  exacte,  a  prio?'i,  du  nombre  de  carrés  de  8  à 
deux  degrés  que  l'on  peut  construire  par  la  méthode  dont  nous  venons  de 
faire  un  exposé  succinct.  Tout  ce  qu'il  est  permis  d'alfirmer,  c'est  que  les 
lignes,  au  nombre  de  trente,  qui  comprennent  l'unité  se  conjuguent 
cent  vingt  fois  deux  à  deux,  d'oii  120  carrés  donnant  lieu  chacun  à 
192  solutions  dérivées,  c'est-à-dire  23.040  carrés  différents,  sans  compter 
les  solutions  en  quantité  assurément  considérable  dues  aux  changements 
de  diagonales. 


CARRÉ    DE   9   DE    BASE   MAGIQUE    AUX   DEUX    PREMIERS    DEGRÉS 

Carré  de  9,  —  Le  carré  de  81  éléments  consécutifs  se  fait  aussij  par 
deux  générateurs  qui  se  conjuguent  pour  former  un  semi-magique  que 
l'on  dote  ensuite  de  bonnes  diagonales. 

Avec  la  suite  naturelle  de  1  à  81,  les  constantes  sont,  au  premier  degré, 
369  et,  au  second,  20.049. 

A.vec  les  vingt-sept  nombres  dont  se  composent  les  trois  premières 
lignes  d'un  carré  naturel,  on  forme  une  bande  qui  comprend  trois  petits 
carrés  magiques  auxquels  on  donne  la  même  orientation. 


2 

7 

6 

11  16  15 

20  25  24 

9 

5 

1 

18  14  10 

27  23  19 

4 

3 

8 

13  12  17 

4   3   8 

En  transportant  ensuite  dans  chaque  carré  deux  horizontales  prises 
aux  autres  carrés,  on  rend  égales  les  neuf  lignes  verticales. 

Chaque  verticale  est  alors  formée  de  termes  dont  la  somme  est  42, 
l'ensemble  en  comprend  quatre  paires  qui  présentent  chacune  une  double 
égalité  et  une  dans  la  composition  de  laquelle  entre  la  moyenne  de  1  à  27, 
c'est-à-dire  14. 


COCCOZ.    l)i:s    C.VUKKS    MAGIQUES 

h  r         (I  d'       !■'       1/ 


143 


(/       ///      (I 


2   7   6 

11  16  15 

20  25  24 

18  14  10 

27  23  19 

9   5   1 

22  21  26 

4   3   8 

13  12  17 

Dans  le  tableau  ci-dessus,  qui  présente  le  résultat  des  opérations  que 
nous  venons  d'énoncer,  les  lignes  désignées  par  les  mêmes  lettres  jouissent 
de  la  double  égalité,  leurs  éléments  se  complétant  à  27  -|-  1  —  28  (*). 

En  agissant  de  même  avec  les  nombres  de  28  à  5i-  des  3°.  4''  et 
o''  lignes,  puis  avec  ceux  de  5o  à  81  des  trois  dernières  ligîies  du  carré 
naturel,  on  arrive  à  des  résultats  analogues,  savoir  :  deux  bandes  à  ver- 
ticales égales,  des  couples  de  ces  verticales  à  double  égalité  et  une  ligne 
où  se  trouve  la  moyenne  qui  pour  la  seconde  bande  est  41,  et  pour  la 
troisième  bande  est  68.  Il  ne  reste,  pour  avoir  un  générateur,  qu'à  faire 
avec  les  verticales  partielles  des  verticales  entières  dont  les  nombres 
élevés  au  carré  aient  pour  somme  20.049. 

Générateur  n"  i. 


", 

m, 

«; 

fc, 

'■i 

'', 

< 

(■' 

1 

1 

2 

7 

6 

11 

J6 

15 

20 

25 

2i 

18 

14 

10 

27 

23 

19 

9 

5 

1 

22 

21 

26 

4 

3 

8 

13 

12 

17 

42 

m.. 

"o 

"', 

lu 

c. 

cU 

u:. 

(/: 

c: 

34 

33 

29 

43 

42 

38 

52 

51 

47 

41 

37 

45 

50 

46 

54 

32 

28 

36 

48 

53 

49 

30 

35 

51 

39 

44 

40 

2.5 

"o 

(1 

1 

'" ,, 

/^3 

'-i 

(!, 

h' 

.1 

(/; 

60 

56 

61 

69 

65 

70 

78 

74 

79 

64 

72 

68 

73 

81 

77 

55 

63 

59 

80 

76 

75 

62 

58 

57 

71 

67 

66 

204 


(*)  Voici  une  autre  répartilion  des  tronçons  d'horizontales  qui  doniiL'  l'égalité  des  verticales  de  la 
|u-emière  bande,  et,  en  procédant  d'une  manière  analogue,  l'égalité  dans  les  autres  bandes. 


Il 

r 

b 

// 

r 

n' 

(/ 

m 

d' 

2 

i 

6 

11 

15 

i:; 

20 

2:i 

21 

27 

r.i 

19 

9 

o 

1 

18 

14 

1(1 

13 

12 

17 

22 

21 

2  G 

l> 

■i 

S 

144  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

Ce  tableau,  en  même  temps  qu'il  montre  une  composition  de  générateur, 
fait  prévoir  les  variations  qu'on  peut  lui  appliquer,  les  lettres  (jui,  dans 
une  bande,  ne  difîèrent  que  par  l'accent,  indiquant  les  tiers  de  colonnes 
qu'on  peut  faire  permuter. 

Pour  faciliter  la  vérification  de  ce  générateur  auquel  nous  donnons 
le  n°  1,  et  aussi  la  construction  d'autres  générateurs  en  partant  des  mêmes 
bases,  voici  les  valeurs  au  second  degré  des  différents  groupes  ternaires 
employés  : 


«t 

=  a\ 

=.812 

«,  —  0,;"  5.267 

«3 

6, 

=.866 

6^  =  b\  =  5.249 

\ 

^i 

t 

=  794 

c,  —  c^  —  5.105 

c. 

ds 

=^^; 

=  650 

d.^  =  d;  =  5.321 

^3 

m. 

—  686 

m,  ■=  5.141 

61  = 


c„  = 


dl 


m. 


14.096 
13.934 
14.150 

14.078 
13.970 


Nous  ne  pouvons  produire,  dans  une  note  qui  doit  être  succincte,  les 
cent  quatre  générateurs  obtenus  en  orientant  autrement  les  petits  carrés 
ou  bien  en  changeant  de  place  dans  une  même  bande  les  verticales  qui 
peuvent  se  permuter.  Nous  mentionnerons  seulement  que,  partagés  en 
(juatre  classes,  ceux  de  la  seconde  se  font  en  groupant,  pour  former  les 
bandes,  les  lignes  1'''',  4"  et  7*=  du  carré  naturel,  puis  les  2%  5®  et  8%  et 
enfin  les  3°,  6^  et  9^  Ce  qui  fait  qu'une  bonne  ligne  de  générateur, 
au  lieu  d'être  décomposée  au  premier  degré  en  4,2  -|-  123  -|-  ^04  =  369, 
l'est  en  96+123  =  150. 

La  troisième  classe  se  fait  en  groupant,  non  les  horizontales,  comme 

Générateur  n°  .'■. 


2 

7 

6 

11 

16 

15 

20 

25    24 

27 

23 

19 

9 

5 

1 

18 

14    10 

42 

13 

12 

17 

22 

21 

26 

4 

3      8 

33 

29 

34 

42 

38 

43 

51 

47    52 

46 

54 

50 

28 

36 

32 

37 

45    41 

44 

40 

39 

53 

49 

48 

35 

31    30 

123 

61 

60 

56 

70 

69 

65 

79 

78    74 

77 

73 

81 

59 

55 

63 

68 

64    72 

65 

71 

67 

75 

80 

76 

57 

62    58 

COCCOZ.    —    DES    CARRÉS   MAGIQLKS  145 

nous  l'avons  indiqué,  en  établissant  le  générateur  n"  4,  mais  les  verti- 
cales l'«.  2%  3^et  4%  ù%  6^  7%  8%  9%  d'où  résulte  la  décomposition  de  la 
constante  369  en  114  -f- 123  -j-  132.  La  quatrième  classe  groupe  les 
verticales  1",  4%  7«;  2%  5%  8«;  3%  6«,  9%  comme  sont  groupées  les 
horizontales  de  la  deuxième  classe  ;  la  décomposition  est  par 


120  +  123  +  120  =  369. 

En  supposant  que  nous  ayons  choisi  pour  horizontales  d'un  semi- 
magique  les  verticales  du  générateur  n°  1,  celui  qui  occupe  le  qua- 
trième rang  dans  le  travail  de  M.  Pfeffermann  en  donnerait  les  ver- 
ticales . 

SemiTinagique  engendré  par  les  générateurs  a»  i  et  n»  4. 


1 

2 

18 

22 

34 

41 

48 

60 

64 

80 

27 

4 

11 

50 

30 

43 

73 

62 

69 

*  13 

20 

9 

39 

52 

32 

71 

78 

55 

*  33 

37 

53 

56 

72 

76 

7 

14 

21 

46 

35 

42 

81 

58 

65 

23 

3 

16 

44 

51 

28 

67 

74 

63 

12 

25 

5 

61 

68 

75 

6 

10 

26 

29 

45 

49 

77 

57 

70 

19 

8 

15 

54 

31. 

38 

66 

79 

59 

17 

24 

1 

40 

47 

36 

En  se  reportant  à  ce  que  nous  avons  expliqué  au  sujet  de  la  cons- 
truction des  semi-magiques  de  8,  on  aura  facilement  celui  de  9  produit 
des  générateurs  n°  1  et  n°  4. 

Diagonales.  —  Les  lignes  de  deux  générateurs  n"  6  et  n°  7  faits  en 
donnant  une  autre  orientation  aux  petits  carrés  de  9  éléments  dont 
se  composent  les  bandes  donneront  les  diagonales.  Veut-on  placer  41 
dans  la  cellule  centrale,  l'un  des  générateurs  a  dans  la  ligne  où  se 
trouve  ce  chiffre  :  6,  16,  20,  28,  54,  62,  66,  76  ;  dans  l'autre,  4,  12, 
26,  36,  46,  o6,  70,  78  sont  aussi  dans  la  ligne  dont  fait  partie  ce 
même  chiffre  41.  Et,  de  plus,  ces  nombres  sont  en  quadrangles. 


4  62 

56  76 

46  16 

28  12 

20  78 

6  2G 

66  36 

70  54 

Voici  les  deux  générateurs  6  et  7  qui,  en  outre,  se  peuvent  conjui."uer 

10* 


146  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

pour  engendrer  un  semi-magique  qui,  lui,  emprunterait  ses  diagonales 
aux  générateurs  n"  1  et  n°  4. 


Générateur  n»  6. 


4-) 


23 


204 


4   9 

2 

13 

18 

11 

22 

27 

20 

21  23 

25 

3 

5 

7 

12 

14 

16 

17  10 

15 

26 

19 

24 

8 

1 

6 

29  31 

3<} 

38 

40 

44 

47 

49 

54 

52  48 

50 

34 

30 

32 

43 

39 

41 

42  44 

37 

51 

53 

46 

33 

35 

28 

63  06 

58 

72 

65 

67 

81 

74 

76 

77  79 

75 

59 

61 

57 

68 

70 

66 

64  69 

71 

73 

78 

80 

55 

60 

62 

Génér;Ueur  ii"  7. 


42 


123 


204 


4 

9 

2 

13 

18 

11 

22 

27  20 

12 

14 

16 

21 

23 

25 

3 

5   7 

26 

19 

24 

8 

1 

() 

17 

10  15 

36 

29 

31 

45 

38 

40 

54 

47  49 

41 

43 

39 

50 

52 

48 

32 

34  30 

46 

51 

53 

28 

33 

35 

37 

42  44 

56 

58 

63 

65 

67 

72 

74 

76  81 

70 

66 

68 

79 

75 

77 

61 

57  59 

78 

80 

73 

60 

62 

55 

69 

71  64 

Si  l'on  mettait  tout  autre  nombre  dans  la  cellule  centrale,  on  opére- 
rait comme  ci-dessus,  de  sorte  que  les  cent  quatre  générateurs  composés 
jusqu'à  ce  jour  donnent  lieu  à  48  +  36  -f  36  -f  36  =  lo6  carrés  types, 
susceptibles  de  recevoir  chacun  quatre-vingt-un  nombres  différents  au 
centre;  ce  qui  fait  12.636  carrés  transformables  par  le  déplacement 
simultané  des  rangées  et  des  colonnes  également  distantes  du  centre. 
Soit  un  total  de  -2.i26.il2  dans  lequel  ne  sont  pas  comprises  les  varia- 


COCCOZ.    —   DES    CARRÉS   MAGIQUES  147 

lions  provenant  d'échanges  possibles,  dans  certains  cas,  entre  des  groupes 
ternaires  de  même  valeur. 

A  l'article  suivant  nous  donnons  un  carré  appartenant  à  la  4"  classe, 
le  dernier  de  la  collection  (n°  lo6),'  avec  l'unité  dans  la  cellule  cen- 
trale. 


sans 


CARRE    MAGIQUE   A   NOMBRES    TRIANGULAIRES 

n{ii  -1-1)        n^ii, 
La  tormuie  — ^^ —  _  _^     d  un  nombre  triangulaire  montre, 

qu'il  soit  nécessaire  de  le  démontrer,  qu'un  carié   étant  fait  aux  deux 

l)remiers  degrés,  on  en  aura  immédiatement  un  à  nombres  triangulaires 

si  l'on  substitue,  dans  chaque  cellule,  au   chiffre  qui  l'occupe  le  trian- 

2  H-  4  3  4-  t» 

gulaire  correspondant  :  à  1,   1;  à  2,  — ^  =  S;h  3,  —~^=  6;  à  23, 

23  -1-  o29       ^„, 

=  2/6,  etc.,  etc.,  etc. 

Par  exemple,  les  trois  lignes  principales  du  carré  suivant  qui  est 
magique  aux  deux  degrés,  seraient  composées  en  nombres  triangulaires 
comme  nous  l'indiquons  plus  bas  (*)  : 


40  1-2  71  73  23  30  29  7  24 

55  48  5  16  38  15  80  49  63 

25  6  47  31  62  81  14  64  39 

12  41  10  60  52  74  58  54  8 

36  26  76  21  1  32  43  69  65 

78  56  34  45  67  17  19  3  50 

77  46  57  2  51  61  18  44  13 

11  70  42  53  9  22  75  59  28 

35  4  27  68  66  37  33  20  79 


La  somme  des  quatre-vingt-un  premiers  nombres  triangulaires  est 
91.881  dont  le  neuvième  est  10.209.  C'est  ce  chiffre  que  l'on  obtiendrait 
en  faisant  la  somme  des  nombres  triangulaires  substitués  à  ceux  d'une 

(*)  M.  Feisthamel,  l'amateur  le  mieux  renseigné  et  le  plus  connu  de  tous  les  polygraphistes  et 
TMiseurs  de  c;irrés,  a  eu  l'obligeance  de  publier  dans  divers  journaux,  notamment  le  Siècle  et  ta  France, 

issitot  qu'ils  lui  ont  été  communiqués,  les  carrés  à  deux  degrés  faits  par  les  trois  ou  quatre  per- 
-onnes  qui  réussissent  à  en  composer  de  réellement  magiques. 


148  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

ligne  quelconque  du  carré  ci-contre  qui  est  le  dernier  de  la  collection  de 
M.  Pfeffermann  (15G). 


1'^  horizonfale 

820 

2628 

2556 

2701 

276 

465 

435 

28 

300: 

=  10.209 

1'°  verticale 

820 

1540 

325 

78 

666 

3081 

3003 

66 

630 

=  10.209 

1'°  diagonale 

820 

117G 

1128 

183U 

1 

153 

171 

1770 

3100  - 

=  10.209 

et  ainsi  des  autres  lignes. 


APPENDICE 

1.  —  Comme  exemple  de  ces  sortes  de  |)roblèmes,  la  figure  1  représente  ua  triangle 
composé  avec  la  suite  naturelle  de  1  à  18  et  dont  les  constantes  sont  69  et  871,  la  figure  2 
un  carré  de  5  de  base  dont  l'enceinte  a  pour  constantes  65  et  1007,  la  figure  3  un  carré 
de  7  dont  Fcnceinte  a  pour  constantes  175  et  5415. 

Les  lignes  de  la  figure  4  sont  les  développements  d'autant  de  circonférences.  On 
trouve  les  constantes  205  et  5537  en  additionnant  les  nombres  placés  sur  chaque  circon- 
férence en  des  points  de  division  ou  d'intersection  (ces  derniers  sont  ceux  qui  sont 
répétés). 


l'iG.    1. 

G 

1        3 

8  4 

9  11 

16  13 

17  14 

12      2      5      7     10     15     18 


FIG.   2. 


7 
21 

8 

17 

22 

11 

5 

14 

2.3 

2 

16 

1 

13 

25 

10 

6 
15 

24 

3 

12 

20 

19 

18 

9 

4 

FiG.  3. 


8 
15 

5 

28 

31 

37 

40 

26 
35 

4 

6 

47 

39 

29 

17 

9 

27 

34 

14 

41 

33 

30 

43 

12 

25 

38 

7 

20 

32 

48 

36 

16 

23 

2 

18 

49 
24 

21 

44 

:} 

11 

46 

1 
42 

45 

22 

19 

13 

10 

FiG.    /,. 

I     li      8    20    21     25  .32  36  M  37 

I     19      8     12    22     13  28  29  33  'lU 

27    30    34     12      7     13  24  2  17  39 

35    38    26      4    31     10  24  5  17  15 

9    18    26      6    31     16  23  36  3  37 

Constantes  =:  205  5537 


M.    IliOl.OV.   —    SUR    LES    RÉSIDUS    QUADRATIQUKS  149 


M,  Michel  EROLOV 

à  Genève. 


SUR    LES    RÉSIDUS    QUADRATIQUES 


—  Séance  du  17  septembre  1892  — 

i .  —  Dans  ses  Disquisitiones  fuithmeticœ,  Gauss  appela  résidus  quadra- 
tiques du  module  m  les  restes  que  l'on  obtient  en  divisant  par  un  nombre 
quelconque  m  une  suite  de  carrés  consécutifs  \ ,  4,  9,  10  ...  Il  appela 
non-résidus  quadratiques  tous  les  autres  nombres,  inférieurs  à  m,  qui  ne 
se  trouvent  pas  parmi  ces  restes. 

La  considération  des  résidus  quadratiques  révèle  quelques  propriétés 
des  nombres  qui  pourraient  servir  à  la  détermination  de  leurs  facteurs 
premiers. 

m  —  1 

On  sait  que  pour  ut  premier  il  y  a  — ^ —  résidus  et  autant  de  non- 
résidus,  et  que  tous  ces  nombres  sont  distincts  les   uns  des  autres. 

C'est  là  une  des  propriétés  caractéristiques  des  nombres  premiers. 

Dans  ce  cas,  comme  l'a  fait  voir  Gauss,  le  produit  d'un  nombre  quel- 
conque de  résidus  et  de  non-résidus  est  résidu  ou  non-résidu,  selon  que 
les  non-résidus  sont  en  nombre  pair  ou  impair. 

On  peut  obtenir  avec  deux  résidus  quelconques,  autres  que  l'unité,  tous 
les  aulres  résidus  d'un  module,  par  la  multiplication  des  résidus  connus, 
sans  recourir  à  la  division  des  carrés. 

Par  exemple,  tous  les  six  résidus  du  module  13  peuvent  être  obtenus 
avec  deux  résidus  4  et  9.  En  effet,  leur  produit  36  donne  le  résidu  10; 
le  produit  de  4  et  de  10  donne  le  résidu  1  ;  celui  de  9  et  de  10  donne  12 
et  celui  de  10  et  de  12  donne  3.  Tous  les  autres  produits  donneront 
les  mêmes  résidus.  Cette  propriété  n'appartient  également  qu'aux  résidus 
des  nombres  premiers. 

2.  —  Si  l'on  numérote  les  résidus  en  marchant  à  rebours,  le  premier 

résidu,  correspondant  au  carré  (  — ;^ — j  sera  égal,  pour  m  de  la  forme 
4/i  -I-  1,  à  (m  —  h),  et,  pour  m  de  la  forme  4/i  —  1 ,  à  h,  et  le  r/'"*^  résidu 


150  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

sera  égal,  dans  le  premier  cas,  à  (m  —  A  +  (f  —  q)  et,  dans  le  second, 
à  {h-\-q-'-q). 

Donc  la  différence  du  {q  +  i)'"'  et  du  ç""  résidu  sera  égale  à  2g.  Il 
en  résulte  une  règle  très  simple  pour  déterminer  rapidement  tous  les 
résidus,  en  commençant  par  le  dernier  :  en  l'augmentant  de  2,  on  obtien 
l'avant-dernier  résidu  ;  en  ajoutant  à  celui-ci  4,  on  obtient  le  résidu  sui- 
vant, et  en  continuant  à  ajouter  6,  8,  12,  14,  etc.,  on  obtient  l'un  après 
l'autre  tous  les  résidus. 

Ces  formules  sont  identiques  à  celles  auxquelles  Euler  est  parvenu  , 
selon  Legendre,  par  voie  d'induction  (art.  179  et  180  de  VEssai  sur  la 
Théorie  des  nombres,  par  Legendre,  1808).  Cependant  les  facteurs  pre- 
miers des  résidus  quadratiques  ne  sont  pas  toujours  résidus.  Par  exemple, 
pour  m=:  13,  on  a  parmi  les  résidus  le  nombre  10,  sans  avoir  ses  fac- 
teurs premiers  2  et  5;  pour  m  —  43,  on  a  6,  21,  38,  35,  sans  avoir  leurs 
facteurs  premiers  2,  3,  o,  7,  19  (*). 

3.  —  Pour  m  premier  ou  composé  de  la  forme  ïh  —  1,  il  existe  une 

relation  très  simple  entre  les  — y-^  premiers  résidus  et  les  — r — derniers 

résidus,  pris  dans  l'ordre  inverse  :  après  avoir  trouvé  les  premiers  cl 
le  résidu  du  milieu,  on  obtient  les  derniers,  en  renversant  l'ordre  des 
premiers  et  en  les  augmentant  respectivement  de  1,  2,  3,  4,  o  ...  Par 
exemple,  pour /«  :=  i3,  les  dix  premiers  résidus  sont  : 

1.  4,  9,  16,  2o,  36,  6.  21,  38,  14 

et  le  résidu  du  milieu  est  35. 

Augmentons  14  de  1,  38  de  2,  21  de  3,  6  de  4,  36  de  o,  25  de  6, 
16  de  7,  9  de  8,  4  de  9  et  1  de  10,  et  nous  aurons  les  dix  derniers 
résidus 

15,  40,  24,  10,  41,  31.  23,  17,  13,  11. 

C'est  facile  à  démontrer,  car  pour  m  =  4A  —  1,  le  carré  du  milieu  est 

(m  A-  1\'^ 
égal  à  (  — j —  j  =  h"^  et  la  différence  de  deux  carrés  également  éloignés  de 

/^n  4-  1         X'-* 
ce  dernier  et  se  trouvant  à  la  distance  2/  l'un  de  l'autre,  étant  1  — y f-  / 1 

— y- 1\   -;  nd-\-l,  il  est  évident  que  la  différence  des  résidus 

correspondants  sera  égale  à  /  ou  à  la  demi-différence  des  racines  de  deux 
carrés,  et  que  c'est  la  quantité  dont  il  faudra  augmenter  un  résidu  de  la 

(*)  Voir  la  Table  des  résidus  à  la  fin  de  ce  Mémoire. 


M.    FKOLOV.    SUR    LKS    RÉSIDUS    QUADRATIQUES  lol 

première  moitié  de  la  période,  pour  obtenir  le  résidu  correspondant  de  sa 
seconde  moitié. 

Si  m  premier  ou  composé   est  de  la  forme  ih  -\-  \,  on  obtient  les 

derniers  résidus  en  augmentant  les  — - —  premiers    résidus    de 

i  4 

quantités 

2/i  +  1,  th  +  2,  2//  +  H  . . .  3/î—  1,  3/t. 

Par  exemple,  pour  w=  41.  après  avoir  écrit  les  dix  premiers  résidus 

1,  4,  9,  16,  2o,  36,  8,  23,  40,  18, 

augmentons  18  de  21,  [40  de  22.  23  de  23,  8  de  24,  36  de  2o,  2o  de  26, 
16  de  27,  9  de  28,  4  de  29,  1  de  30,  et  nous  aurons  les  dix  derniers 
résidus 

39,  21,  o,  32,  20,  10,  2,  37,  33,  31. 

En  etïet,  la  différence  de  deux  carrés  également  éloignés  du  milieu  de 
la  période  étant  égale  à 

(4/<+  !)(/— 1)  +  2//  +/  =  m{l  —  \)  +2/i  +/, 

la  différence  des  résidus  sera  égale  à  ^h  -{-l  (*). 

//(  —  1 
4.  —  Pour  m  premier  de  la  forme  4/i  -|-  1 ,  tous  les   — - —   résidus  se 

m  —  1         ,      ,         . ,  ,  .        -       - 

répartissent  en  — - —  couples  de  résidus  complémentaires,  dont  la  somme 

est  égale  km. 

Il  est  aisé  de  se  convaincre  que  deux  résidus  de  cette  espèce  corres- 
pondent à  deux  carrés  dont  la  somme  est  égale  à  m.  ou  à  son  multiple, 
car  en  nommant  ces  résidus  r  et  R  et  les  carrés  correspondants  a;'^  et  y^, 
on  aura  a;^  =  r,  et  i/^  =  R  (Mod.  m.) 

En  additionnant  ces  congruences,  il  viendra  x"-  -\- if  ^  r  -\- 'K  (Mod.  m) 
et  en  posant  r  -j- R  =  m,  af-  -\-  \f  0  (  >!  >  1.  m  .  —  G  r.n  n  e  tout  nambre 
premier  de  la  forme  4/i-|-  \  est  une  somme  de  deux  carrés,  on  peut  poser 
m=:a^  -\-b'^,  et  en  multipliant  les  deux  racines  a  et  6  successivement  par 
2,  3,  4  . . .  A-,  on  aura  des  sommes  de  deux  carrés  (2a)''  -j-  (^Jf,  (3a)'^ 
-\-  (36)%  {kaf  +  (46)"^  . . .  {ka)'^  -\~  (kbf,  toutes  multiples  de  m,  qui  corres- 
pondront à  autant  de  couples  de  résidus  complémentaires.  Si  ka,  kb  dé- 
passent m,  on  aura  soin  de  les  diviser  par  ce  module  et  de  les  remplacer 

(*)  On  obtient  aussi,  dans  ce  cas,  les  derniers  résidus,  en  diminuant  le  I — ; — I     le  résidu  de  1, 
le  1 1     de  2.   le   I — -; — I     de  3,  et  ainsi  de  suite. 


132  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

ffl  \ 

par  des  restes,  et  si  ces  derniers  dépassent  — - — ,  de  les  remplacer  par  leur 

compléments  km. 

29  —  1 
Par  exemple,  pour  m  ^  29,  on  doit  avoir  — - —  =r  7  couples  de  rési- 

dus  complémentaires  et  autant  de  couples  de  carrés.  On  a  d'abord 

(1)  2^  +  5^  =  29 

En  multipliant  les   racines  2  et  5  successivement  par  2,  3,  i,  •>,  on 
trouve  les  sommes  suivantes,  toutes  multiples  de  29  : 

(2)  4^  +  10^ 

(3)  G^  +  15^  =    Q'  +  (29  —  lo)'^  =    6'^  +  14'^; 

(4)  8'^  +  20^  =    8^  +  (29  —  20)'^  :r_r    8^  +  9-; 

(5)  12^  +  30-^  =  'l^'^  +  (-'^O  -  -^^y  =^12'  +  1^ 


2 


et  en  divisant  i)ar  2  les  racines  (i  et  14  de  la  somme  (3),  on  a  : 

(6)  3^  +  7'^ 

Enfin,  en  multipliant  les  racines  de  cette  somme  par  6,  on  aura  : 

(7)  18-^  +  42^  =  (29  —  18)'^  +  (42  —  29)'^  :=  11^  -f  13-. 

Voilà  tous  les  sept  couples  de  carrés,  chacun  desquels  correspond  à  un 
couple  de  résidus  complémentaires;  par  exemple,  les  carrés  11-  -{-  13-' 
correspondent  aux  résidus  o  et  24. 

Les  nombres  premiers  de  la  forme  ih  —  1  n'étant  pas  des  sommes  de 
deux  carrés,  n'ont  jamais  de  résidus  complémentaires. 

Quant  aux  nombres  composés,  il  en  est  autrement. 

Pour  un   nombre  composé  m  de  la  forme  4/t  +  1?  'es  résidus  ne  se 

fil 'I 

répartissent  en  — - —  couples  complémentaires  que  si  m  ne  contient  que 

des  facteurs  de  cette  forme  et  est  égal  à  une  somme  de  deux  carrés, 
comme  65  =  16  +  ^^,  221  —  25  -|-  198,  etc.  Mais,  si  m  est  composé 
exclusivement  de  facteurs  de  la  forme  \h —  1,  comme  21,  77,  etc.,  il 
n'y  a  pas  de  résidus  complémentaires. 

Par  contre,  pour  les  nombres  composés  de  la  forme  4/i  —  1,  conte- 
nant des  facteurs  premiers  de  la  forme  4/t  -j-  1 ,  on  rencontre  des  résidus 
complémentaires  :  par  exemple,  pour  ni  —  lo,  on  a  le  couple  0  et  9  ; 
pour  m  =  87,  on  a  les  couples  6  et  81,  9  et  78,  24  et  63,  etc. 

5.  —  Signalons  encore  quelques  autres  dissemblances  entre  les  résidus 

des  nombres  composés  et  ceux  des  nombres  premiers. 

III  —  1 
D'abord,  pour  tout  nombre  composé  m,  il  y  a  toujours  moins  de  — - — 


M.    FKOLON  .    —    SLR    LKS    IIKSIDUS    QUADRATIQUKS  153 

résidus  distincts  l'iiii  de  l'autre,  et  il  existe  toujours  quelques  résidus 
égaux.  Cette  reproduction  de  résidus  suivant  une  période  indique  précisé- 
ment que  le  module  m  est  un  nombre  composé. 

En  efTet,  posons  x^  =  r  et  ij"^  =  r  (Mod.  m). 

En  retranchant  la  dernière  conyruence  de  la  première,  nous   aurons 

j;2  —  if  13::  (^x  -f-  II)  U  —  1/)  =  0)  (Mod.  m).  Chacun  des  nombre  x  et  y 

m 
étant  moindre  que  — ,  leur  somme  {x  -\-  y)  et  leur  différence  {x  —  y)  sont 

inférieures  à  m.  Jl  en  résulte  que  ///  est  nécessairement  le  produit  des  fac- 
teurs de  ces  deux  quantités  {x  -|-  y)  et  {x  —  ij),  et,  par  conséquent,  il  est 
un  nombre  composé.  Il  s'ensuit  encore  que  la  distance  {x  —  y),  qui  sépare 
deux  résidus  égaux,  a  toujours  un  diviseur  commun  avec  le  module  ut. 
Par  exemple,  pour  m  =  77  =  7  x  11,  on  a  les  résidus  suivants  : 

1,  4,  9,  16,  25,  36,  49,  64,  4,  23,  44,  67,  15,  42,  71,  2o,  58,  16,  53, 
15,  56,  22,  67,  37,  9,  60,  36,  14,  71,  53,  37,  23,  11,  1,  70,  64,  60,  58. 

On  remarque  que  la  distance  entre  deux  résidus  4  est  égale  à  7,  que  celle 
des  résidus  23  est  égale  à  22,  que  celle  des  résidus  58  est  égale  à  21,  et 
que  tous  ces  nombres  ont  des  diviseurs  communs  avec  77. 

En  second  lieu,  les  lois  de  Gauss,  qui  lient  entre  eux  les  résidus  de  tout 
nombre  premier  n'existent  pas  pour  des  nombres  composés.  Ainsi,  pour 
ces  derniers,  les  résidus  ne  sont  pas  toujours  des  produits  de  deux  autres 
résidus  ;  par  exemple,  pour  tu  =  15  on  n'obtient  ni  1  ni  4  par  la  multipli- 
cation de  deux  autres  résidus.  Parfois  un  résidu  est'le  produit  de  lui- 
même  par  un  autre  résidu;  tel  est  pour  tn  -  15  le  résidu  10  qui,  étant 
multiplié  par  4,  donne  10.  Il  arrive  encore  que  le  produit  d'un  résidu 
par  un  non-résidu  est  égal  à  zéro,  ou  que  le  produit  de  deux  non-résidus 
est  non-résidu.  Ainsi,  pour  in  =  15,  en  multipliant  le  résidu  10  par  le 
non-résidu  3,  on  a  30=^-  0  (Mod.  m);  en  multipliant  les  non-résidus  2 
et  7,  on  obtient  le  non-résidu  14. 

6.  —  Nous  présenterons  maintenant  quelques  théorèmes  sur  les  résidus, 
des  nombres  composés,  qui  ont  rapport  à  la  détermination  de  leurs 
facteurs  premiers. 

Théorème  I.  — Les  différences  des  résidus  d'un  nombre  composé  N  et 
des  résidus  correspondants  de  l'un  de  ses  facteurs  d  sont  divisibles  par 
ce  facteur,  et,  réciproquement,  un  nombre  N  sera  divisible  par  un  autre 
nombre  d,  si  les  différences  de  leurs  résidus  correspondants  sont  divisibles 
par  ce  dernier. 

En  effet,  si  l'on  a  simultanément  : 

x^  =  K  (Mod.  N)  et      N  =  0  (Mod.  d), 
on  aura  aussi        a;'*  =  R  (Mod.  d), 


154  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

et  si  l'on  a  en  même  temps  : 

x"'  =  r  (Mod.  (/), 
il  viendra  :  R  —  r^O  (Mod.  d)  ; 

c'est-à-dire  que  la  différence  des  résidus  correspondants  de  N  et  de  d  est 
divisible  par  d. 
Ainsi,  en  écrivant  une  suite  de  résidus  de  77  : 

1.  4,  9,  16,  2o,  36,  49,  64,  4,  23,  44,  67.  15  . . . 
et  au-dessous  celle  de  résidus  de  7  ; 

1,  4,  2,  2,  4,  1,  0,  1,  4,  2,  2,  4,  1  ... 
ou  aura  les  difîérences  : 

7,  14,  21,  35,  49,  63,    0,  21,  42,  63,  14  . . . 

toutes  divisibles  par  7. 

Pour  appliquer  ce  théorème  à  la  recherche  des  facteurs  premiers  d'un 
nombre  N,  il  suffit  de  trouver  un  seul  résidu  R  de  ce  nombre,  donné  par 
la  division  d'un  carré  n'^  par  ce  nombre.  Posons  : 

R  =  n'-  —  N     et    r  ^  n'  —  Cd 

où   d  est  un  facteur  premier,  C  son  coefficient  et  r  son   résidu  corres- 
pondant au  résidu  R  de  N. 
Alors  on  aura  : 

N  =  Cd  —  (R  —  r), 

et  si  (R  —  r)  est  divisible  par  d,  X  le  sera  aussi. 

Par  exemple,  pour  déterminer  les  facteurs  de  N  =  2263  =:  48-  —  41, 
où  41  est  le  48'"^  résidu  de  ce  nombre,  essayons  le  facteur  7.  Le  48'""  ré- 
sidu de  7  est  égal  k  son  (49  —  48)  ==  1®"'  résidu,  qui  est  1  ;  on  a 
41  —  l  =:  40,  nombre  non  divisible  par  7  ;  donc  7  n'est  pas  un  facteur 
de  2263.  Essayons  11;  le  48"^*'  résidu  de  ce  facteur  est  le  môme  que  son 
48  —  44  =  4""^  résidu,  égal  à  5;  on  a  41  —  5  --  36,  nombre  non  divi- 
sible par  11;  donc  2263  n'a  pas  ce  facteur.  Après  avoir  essayé,  de  la 
même  manière,  les  facteurs  13,  17,  19,  23  et  29,  nous  arriverons  à  31, 
dont  le  48"'^  résidu  est  le  même  que  son  48  —  31  =  17""=  résidu  égal  à 
son  31  —  17  =:  14'"''  résidu  qui  est  10;  on  a  41  —  10  =  31,  donc  31 
divise  2263. 

7.  —  Théorème  II.  —  Les  différences  des  résidus  également  éloignés 
de  deux  résidus  égaux  sont  divisibles  par  des  facteurs  du  module. 


M.    FKOLOV.    —    SUK    I.KS    KKSIDUS    QUADRATIQUES  lo5 

En  effet,  prenons  deux  résidus  égaux  R  et  r,  correspondant  aux  carrés 
x'^  et  y%  et  encore  deux  résidus  Rj  et  Rj  situés  des  deux  côtés  de  R  à 
la  distance  /  de  celui-ci,  et  deux  autres  résidus  r,  et  r.^  situés  de  la 
même  manière  relativement  à  r.  On  aura  les  quatre  congruences  sui- 
vantes : 

{^x  —  lf=K,;   {x  +  iy^K,-   {ij  —  if  =  r,;  iy  +  iy'  =  r,   fMod.  N). 
En  retranchant  les  deux  dernières  des  deux  premières,  il  viendra  : 

4-  2/  fa;  +  y\  =  R,  —  r,  ;      +  ±1  [x  —  y)  ~  R,  —  r,  )    ^  ' 

En  nommant  d^  le  facteur  commun  de  N  et  de  {x  —  /y),  et  d.^  celui 
de  N  et  de  [x  -j-  y),  on  aura  quatre  nouvelles  congruences  : 

Ri  —  r,  =  0  ;     R,  —  r,  =  0     (Mod.  d,), 
R,  —  r,  =  0  ;     R,  —  y.^  =  0    (Mod.  d.^, 

qui  expriment  que  chacune  des  quatre  différences  de  résidus  est  divisible 
par  un  des  facteurs  du  module. 

Par  exemple,  prenons  dans  la  période  de  77  deux  résidus  égaux  à  lo. 
Les  deux  résidus  situés  à  deux  pas  du  premier  résidu  lo  sont  44  et  71, 
et  les  deux  résidus  situés  à  la  même  distance  du  deuxième  résidu  13 
sont  16  et  22  ;  les  dilférences  44  —  1(3  =  28  et  71  —  22  =;  49  sont 
divisibles  par  7,  et  les  différences  44  —  22  =  22  et  71  —  16  =-  55  sont 
divisibles  par  11,  7  et  11  étant  facteurs  de  77. 

8.  —  Avant  d'aller  plus  loin,  remarquons  que,  dans  une  période  directe 
d'un  nombre  premier  ou  composé,  il  y  a  d'abord  une  portion  formée  de 
résidus  carrés  1,  4,  9...  impairs  et  pairs,  qui  se  succèdent  entre  eux,  en 
augmentant  graduellement  jusqu'à  l'arrivée  d'un  résidu  de  même  parité 
que  le  précédent  et  moindre  que  lui,  et  nous  dirons  qu'il  y  a  là  un 
saut;  puis  quelques  résidus  pairs  et  impairs  se  succèdent  de  nouveau 
jusqu'au  second  saut,  caractérisé  aussi  par  deux  résidus  contigus  de 
même  parité,  et  ainsi  de  suite.  Si  nous  représentons  un  résidu  R  par 
la  formule  R  :=  a-'^  —  CN,  dans  laquelle  C  est  le  coefficient  du  nombre  N, 
c'est-à-dire  le  quotient  de  la  division  du  carré  x"^  par  N,  il  est  clair  qu'à 
chaque  saut  le  coefiîcient  C  croît  d'une  unité.  En  prenant  un  second 
résidu  /•  ~  y^  —  cN  et  en  le  retranchant  du  premier,  on  aura  la  diffé- 
rence de  ces  résidus  \\  —  r  z=.  x'^  —  y'^  —  (C  —  c)N,  dans  laquelle  la 
différence  (C  —  c)  désignera  le  nombre  de  sauts  entre  les  résidus  R  et  r. 
Par  exemple,  dans  la  période  du  nombre  77  (art.  5),  les  sauts  sont 
situés  entre  64  et  4,  71  et  25,  58  et  16,  53  et  15,  36  et  22,  67  et  37,  37 
et  9,  etc.,  et  les  résidus  \,  4,  9...  64  et  les  résidus  15,  42  et  71  sont 
séparés  par  deux  sauts,  les  résidus  23  et  56  par  quatre  sauts,  etc. 


156  MATHÉMATIQUES,  ASTROA'OMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

Théorème  III.  —  Si  la  différence  de  deux  résidus,  situes  l'un  de  l'autre 
à  la  distance  égale  à  un  nombre  premier  l  et  séparés  par  un  nombre  de 
sauts  moindre  que  /,  mais  plus  grand  que  zéro,  est  divisible  par  /,  ce  der- 
nier est  le  facteur  du  module. 

En  effet,  en  reprenant  la  formule  que  nous  venons  d'établir  : 

R  —  r  =  a;^  —  .?/2  —  (C  —  c)N  ^  (a;  +  ij){x  —  y)  —  (C  —  c)N, 

nous  voyons  que  l  =  x  —  y,  et  comme  nous  avons  supposé  que  R  —  r 
est  divisible  par  ce  nombre  et  que  le  nombre  de  sauts  (C  —  c)  est  plus 
petit  que  /,  il  en  résulte  que  /  doit  diviser  le  module  N. 

Par  exemple,  dans  la  période  de  17,  les  résidus  9  et  23,  situés  à  la 
distance  égale  à  7,  et  séparés  d'un  saut,  donnent  la  différence  14  divisible 
par  7,  donc  ce  dernier  divise  77  ;  les  résidus  36  et  lo  situés  à  la  même 
distance  7,  et  séparés  de  deux  sauts,  donnent  la  différence  21  aussi  divi- 
sible par  7,  etc. 

9.  —  Théorème  IV.  —  Si  l'on  prend  deux  résidus  consécutifs  R,  et  R.^ 
d'un  nombre  N  et  si,  en  les  divisant  par  un  facteur  premier  m,  on  obtient 
les  restes  /\  et  r.^ ,  qile  l'on  trouve,  l'un  à  côté  de  l'autre  parmi  les  résidus 
de  ce  facteur,  ce  dernier  divisera  le  nombre  N. 

En  effet,  soient  x'^  et  {x  zt  1)^  deux  carrés  consécutifs  qui,  étant  divisés 
par  N,  donnent  les  résidus  Rj  et  Rj;  ainsi  on  aura  : 

Ri  r=  d-^  —  N    et    R^  ~  (a?  ±  1)^  —  N. 

D'après  la  supposition  de  l'énoncé  du  théorème,  on  a  aussi  : 

Rj  ^  9\     et    R2  ^  y-j    (Mod.  m) 

et  en  nommant  y^  et  (y  ±  ]y  les  carrés  consécutifs  qui  donnent,  pour 
le  module  m,  les  résidus  ?•,  et  r.^ ,  on  aura  encore  : 

y^  =  Vi     et     y  dr  l)'^  =  r.^    (Mod.  m). 

On  en  déduit  successivement  : 


n  =  x^  —  y-      N  ^  (x  zh  1)'^  -  (y  ±  Ij'^ 
x:iz7ji  =  0 


(Mod.  m). 


(•*  +  !j)  ou  (x  —  y)  étant  ainsi  multiple  de  m,  x^  —  y^  — -  N  le  sera  éga- 
lement, c.  Q.  F.  D. 

Par  exemple,  prenons  N  =  91.471,  on  aura  Ri  =  303^  — 91.471  =338 
et  R2  =  301-^  —  91.471  =  945.  Pour  s'assurer  si  ce  nombre  91.471  est 
divisible  par  "23,  divisons  par  ce  facteur  les  résidus  338  et  9io,  et  nous 
obtiendrons  les  restes  1(5  et  ^  qui  se  trouvent,  l'un  à  côté  de  l'autre, 
parmi  les  résidus  de  23.  Donc,  ce  dernier  est  facteur  de  91.471. 

10.  —  Tout  nombre  peut  être  mis  sous  la    forme  N  =  n^  —  7'  ;  il  est 


M.    KKOLO\.    sri!    I.KS    UKSIDIS    Ql'ADK ATIUIKS  loT 

évident  qu'un  nombre  ne  peut  être  divisible  que  par  des  facteurs  pre- 
miers m,  qui  contiennent  parmi  leurs  résidus  le  nombre  r,  ou,  si  ce  der- 
nier surpasse  m,  le  reste  de  la  division  de  r  par  m. 

Ainsi,  les  nombres  de  la  forme  n-  —  it  peuvent  être  divisibles  par 
il,  13,  23,  37,  47. . .,  mais  non  par  Ij,  7,  17,  lU,  31 ...  de  sorte  qu'il  est 
inutile  de  les  diviser  par  ces  derniers  facteurs.  Il  s'ensuit  que  la  con- 
naissance des  résidus  des  facteurs  premiers  permettra  d'exclure  environ 
la  moitié  de  leur  nombre  et  d'abréger  d'autant  les  essais  de  la  division. 
Nous  joignons  à  ce  Mémoire  la  table  des  résidus  des  nombres  premiers 
de  3  à  97,  qui  peut  faciliter  sensiblement  la  décomposition  des  nombres 
en  leurs  facteurs  premiers,  car  la  grande  majorité  des  nombres  composés 
contient  ces  facteurs. 

Théorème  V.  —  En  écrivant  un  nombre  N  sous  la  forme  N  =::  n-'  —  r, 
si  l'on  trouve  un  nombre  t,  tel  que  la  différence  (n  —  /)  ou  la  somme 
m  -{-  t)  ait  un  diviseur  commun  d  avec  l'une  des  différences  (/•  —  P)  ou 
(/2  —  r),  ce  diviseur  commun  divisera  le  nombre  N. 

En  effet,  si  (n  —  t)  ou  (n  +  t)  est  multiple  de  d,  (n^  —  r-)  le  sera  aussi. 
Si,  en  outre,  la  différence  (/•  —  f)  est  multiple  de  d,  en  la  retranchant  de 
(n'^  _  /"-),  on  aura  n-  —  r  :=  N  aussi  multiple  de  d.  Si  cest  [f'  —  r)  qui 
est  multiple  de  d,  en  l'ajoutant  à  (»'  —  r^),  on  aura  encore  w^  —  r  =  ^ 
multiple  de  d,  c.  q.  f.  d. 

Pour  appliquer  ce  théorème  à  la  recherche  des  facteurs  d'un  nombre  N, 
il  faut  diminuer  ou  augmenter  n  successivement  de  1,  2,  3,  4,  5. . .,  en 
retranchant  simultanément  du  résidu  r  les  carrés  de  ces  nombres  1,  4, 
9,  16,  25. . .,  jusqu'à  ce  que  l'on  tombe  sur  deux  nombres  ayant  un  divi- 
seur commun.  Les  exemples  suivants  suffiront  pour  expliquer  cette 
méthode  : 

1.  —  Prenons  N  =  9379  =  97^  —  30,  n  =:  97,  r  =  30. 

n-t  =  m,9o,   94,    93,    92,   91,    90,    89,    88,    87,    8(3,    85,    8i,    83. 
n^t  =  98,  99, 100, 101. 102, 103.  lOi,  105. 10(i.  107, 108, 109,  liO,  111. 

I      30  —  1      30  —  4      30  —  9      30  —  16      30  —  25 
\  29  26  21  14  5 

)      30  _  30    49  —  30    64  —  30     81  —  30     100  —  30 
^(''-^''^\  u  19  34  51  70 

121-30      144  —  30      169  —  30      196  —  30. 
«Il  114  139  166 

Les  nombres  83  et  1(36  ont  le  conmiun   diviseur  83,  par  conséquent  ce 
dernier  divisera  9379. 

2.  —  Prenons  N  —  12.361  —  112*  --  183,  n  —  112,  r  ==  183;   mais. 


158  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

pour  abréger,  au  lieu  de  retrancher  les  carrés,  retranchons  les  nombres 
impairs  1,  3,  5,  7... 

n—t-^     IH.  110,  109,  108,  107,  106,  105,  104,  103,  102,  101, 
100,     99,       98,       97,       96,         95,         94. 

aJrt=     11"^^  lli'  11^'  11<'>'  '^1^'  11^'  11^'  1"^<^'  121'  1'^-'  1^'^' 
124,  123,     126,      127,     128,       129,       130. 

±,;.  _r-)    ^     182.  179,  174,   167,  158,  147,  134,  119,  10^2,    83,    62, 

.SÇ)^     U,  —13,  —42,  —73,  —106,  —141. 

Les  nombres  94  et  141  ont  le  commun  diviseur  47,  qui  divisera  néces- 
sairement 12.361. 

Cette  méthode  paraît  être  plus  expéditive  que  l'ancienne  méthode 
d'Eratosthène. 


TABLE    DES   RÉSIDUS  QUADRATIQUES. 

3  1. 

3  1,  4. 

7  1,  4,  2. 

11  1,  4,  9,     5,     3. 

13  1,  4,  9,    3,  12,  10. 

17  l,  4,  9,  16,     8,     2,  lo,  13. 

19  1,  4,  9,  16,    6,  17,  11,     7,    o. 

Plus  loin,  les  résidus  carrés  ne  seront  pas  écrits. 

23   2,  13,  3,  18,  12,  8,  6. 
29   7,  20,  6,  23,  13,  5,  28,  24,  22. 
^31   S,  18,  2,  19,  7,  28,  20,  14,  10,  8. 
37  12,  27,  7,  26,  10,  33,  21,  H,  3,  34,  30,  28. 
41   8,  23,  40,  18,  39,  21,  3,  32,  20,  10,  2,  37,  33,  31. 
43   6,  21,  38,  14,  35,  15,  40,  24,  10,  41,  31,  23,  17,  13,  11. 
47   2,  17,  34,  6,  27,  3,  28,  8,  37,  21,  7,  42,  32,  24,  18,  14,  12. 
nS     11,  28,  47,  13,  38,  10,  37,  13,  44,  24,  6,  43,  29,  17,  7,  52,  46,  42, 

iO. 
69      5,  22,  41,  3,  26,  51,  19,  48,  20,  53,  29,  7,  46,  28,  12,  57,  45,  33, 

27,  21,  17,  15. 
61   3,  20,  39,  60,  22,  47,  13,  42,  12,  45,  19,  56,  34,  14,  57,  41,  27,  15, 

5,  58,  52,  48,  46. 
67  14,  33,  54,  10,  35,  62,  24,  35,  21,  56,  26,  65,  39,  15,  60,  40,  22,  6, 

39,  47,  37,  29,  23,  19,  17. 

71  10,  29,  50,  2,  27,  54,  12,  43,  5,  40,  6,  45,  15,  38,  32,  8,  37,  37, 

19,  3,  60,  48,  38,  30,  24,  20,  18. 
73   8,  27,  48,  71,  23,  50,  6,  37,  70,  32,  69,  35,  3,  46,  18,  65,  41,  19, 

72,  54,  38,  24,  12,  2,  67,  61,  37,  53. 

79   2,  21,  42,  65,  11,  38,  67,  19,  52,  8,  45,  5,  46,  10,  35^  23,  72,  44, 

18,  73,  51,  31,  13,  76,  62,  30,  40,  32,  26,  22,  20. 

83  17,  38,  61,  3,  30,  59,  7,  40,  75,  29,  68,  26,  69,  31,  78,  44,  12,  65, 

37,  11,  70,  48,  28,  10,  77,  63,  51,  41,  33,  27,  23,  21. 


BIERENS    DE    HAAN .    CORRESPONDANCK    ET    OEUVRES    DE    C.     HUYGENS  159 

80  11,  32,  m,  80,  18,  47,  78,  22,  57,  5,  44,  85,  39,  84,  42,  2,  53,  17, 
72,  40,  10,  71,  45,  21,  88,  68,  50,  34,  20,     8,  87,  79,  73,  69,  67. 

97      3,  24,  47,  72,     2,  31,  62,  95,  33,  70,  12,  53,  96,  44,  91,  43,  94,  50, 

8,  65,  27,  88,  54,  22,  89,  61,  35,  M,  86,  66,  48,  32,  18,  6,  93,  85, 
79,  75,  73. 


M.  BIEEEIS  DE  HAAÎÎ 

Professeur  à  l'Univcrsitt^  de  Leyde. 


RENSEIGNEMENTS  SUR  L'EDITION  DE  LA  CORRESPONDANCE  ET  DES  ŒUVRES 

DE  CHR.  HUYGENS  (*) 


—  Séance  du  19  septembre  1892  — 

En  octobre  1882,  l'Académie  royale  des  sciences  à  Amsterdam  institua 
une  Commission  de  dix  membres  pour  l'édition  de  la  correspondance  et 
des  œuvres  de  Christian  Huygens  :  à  D.  Bierens  de  Haan,  le  président, 
principalement  furent  confiés  l'arrangement  et  la  rédaction  de  la  corres- 
pondance, qui  bientôt  fut  portée  à  environ  2.700  lettres,  tant  écrites  par 
notre  savant  qu'adressées  à  lui,  avec  encore  un  certain  nombre  de  lettres 
qui  se  trouvèrent  auprès  de  ces  lettres,  ou  qui  semblèrent  nécessaires 
pour  éclaircir  la  correspondance  proprement  dite.  Depuis,  la  Société 
hollandaise  des  sciences  à  Harlem  a  entrepris  de  faire  imprimer  à  ses 
frais  le  résultat  de  nos  recherches  :  il  en  a  paru  quatre  tomes,  le  cin- 
quième est  en  cours  de  publication,  contiendra  les  années  1664  et  166o 
et  portera  le  nombre  des  lettres  au  delà  de  1.500.  Nous  comptons  qu'il 
faudra  neuf  tomes  in-quarto  pour  la  correspondance  :  puis  viendront  les 
ouvrages  tant  imprimés  déjà  qu'inédits. 

Dans  votre  Congrès  de  Paris,  en  1889,  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  donner 
quelques  résultats  pour  les  deux  premiers  volumes.  Permettez-moi  de  les 
compléter  maintenant  pour  les  tomes  I  à  IV. 

Le  tome  troisième  comprend  la  correspondance  de  1660  et  1661  et 
contient  245  lettres  et  24  dans  un  supplément;  le  quatrième  tome  comprend 
les  années  1662  et  1663,  et  contient  250  lettres  et  encore  o  dans  le  sup- 
plément. Par  suite,  ces  deux  tomes  contiennent  495  lettres  et  29  dans  les 
suppléments,  ce  qui,  avec  les  lettres  des  deux  premiers  volumes,  donne 
le  total  de  1.197  lettres  et  67  dans  les  suppléments,  ensemble  1.264  lettres. 

Passons  maintenant  aux  tables  des  personnes  qui  ont  écrit  à  Huygens 

C)  Voir  Comptes  rendus  du  Congrès  de  Paris  (1S89),  2°  partie,  p.  233. 


160  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ETT  MÉCANIQUE 

OU  qui  ont  reçu  des  lettres  de  celui-ci.  Outre  celles-ci,  on  trouve  dans  le 
tome  m  63  lettres  et  dans  le  tome  IV  29  lettres  qui  n'appartiennent  pas 
à  une  de  ces  catégories.  Elles  font,  avec  les  110  de  même  nature  qui  se 
trouvent  dans  les  deux  premiers  tomes,  une  série  de  202  lettres.  Elles  se 
trouvèrent  parmi  la  correspondance  proprement  dite,  comme  appendices, 
ou  bien  nous  les  avons  introduites  comme  étant  nécessaires  pour  la  bien 
comprendre.  Et  nous  savons  que  cette  addition  de  lettres  si  intéressantes 
pour  notre  but  a  reçu  l'approbation  des  personnes  qui  se  sont  intéressées 
à  notre  travail. 

Les  tables  qui  suivent  ici  sont  arrangées  de  la  même  manière  qu'aupa- 
ravant, en  1889.  La  deuxième  colonne  donne  le  nom  de  la  personne  ;  la 
troisième,  le  nombre  de  lettres  que  Huygens  lui  a  écrites;  la  quatrième, 
le  nombre  des  lettres  écrites  par  elles  à  Huygens.  Là,  où  ces  colonnes 
portent  toutes  deux  un  chifTre,  il  y  a  eu  correspondance  et  la  première 
colonne  en  donne  le  nombre,  somme  des  nombres  des  deux  dernières 
colonnes.  Observons  que  la  table  III,  qui  regarde  les  tomes  I  à  IV,  ne 
contient  pas  seulement  dans  sa  première  colonne  les  sommes  des  nombres 
que  l'on  trouve  dans  les  tables  I  et  II  de  ma  note  de  1889,  et  des  tables  I 
et  II  que  l'on  trouve  ici;  puisque  parfois  il  y  a  correspondance  dans  cette 
table  III,  où  il  n'y  en  avait  pas  dans  les  tables  I  et  IL 


Table  I.  Tome  III. 

CORRESPONDANTS  de  H.  à  H. 

A.  Boddens »  1 

23  Ism.  Boulliau 10  13 

R.  Bo,yle »  1 

C.  Brunetti »  4 

H.  Bruno »  2 

J.  Buot »  1 

5  P.  de  Carcavy 3  2 

A.  Cellarius 1  » 

Chanut »  1 

19  J.  Chapelain 5  14 

A.  Colvius »  1 

C.  Dati 1 

Ph.  Doublel »  3 

P.  de  Fermât »  2 

B.  de  Frenicle  de  Bessv.   .  »  2 

4  Du  Gast ' .    .  1  3 

4  Gregorius  à  St.-Vincentio  .  1  3 

P.  Guisony »  4 

10  N.  Heinsius 4  6 

8  J.  Hevelius 4  4 

19  Constantijn  Huygens  frère.  9  10 

Lodewijk  Huygens    ....  12  » 

G.-A.  Kiiiner  à  Lôwenthurn  »  1 

10  Leopoldo  de  Medicis    ...  5  5 

21  R.  Moray 6  15 

Cl.  Mylon «  1 

M. -A.  Neuraeus »  1 

H.  Oldenburg y>  2 

Marianne  Petit 1  » 

P.  Petit "^  2 

12?  63  104 


CORRESPONDANTS  de  H.     à  H. 

123                         ~  63 

J.  Reeves » 

3  D.  Rembrandtsz  van  Nierop  2 

M.-A.  Ricci 1 

C.-C.  Rumphius 1 

6  Fr.  van  Schooten  ....   ;  4 

G.  SchoU » 

R.-F.  de  Sluse » 

R.  Southwell » 

3  H.  Stevin 1 

3  A.  Tacquet 2 

10  M.  Thèvenot 5 

J.  van  Vliel » 

3  J.  Wallis 2 

? s 

ïsT  "ST  l25 


104 
2 
1 


12 


Table  II.  Tome  IV. 

CORRESPONDANTS  de  H.  à  H. 

A.  Auzout »  2 

Ism.  Boulliau 1  7 

W.  Brereton »  1 

\V.  Brouncker »  1 

A.  Bruce »  3 

P,  de  Carcavy »  1 

J.  Cliapelain  .......  2  2 

V.  Conrart »  1 

Ph.  Doublet «  3 

P,  van  der  Faes »_  3 

3  24 


BIEUEXS   DE   HAAN.    —   CORRESPONDANCE   ET   OEUVRES    DE   C.    HUYGENS      161 

CORRESPONDANTS  de  H.   à  H.  CORRESPONDANTS  de  H.   à  H. 


3 

24 

» 

1 

» 

1 

4 

6 

1 

:i 

2 

» 

2i 

16 

61 

1 

» 

1 

1 

1 

» 

3 

18 

19 

» 

1 

2 

8 

1 

3 

x> 

1 

1 

7 

» 

1 

1 

4 

» 

3 

2 

» 

» 

1 

121 

1U5 

12 

P.  de  Fermât.    ...... 

G.  van  Gutschhoven.   .    .    . 

10  N.  lleinsius 

4  J.  Hevelius 

Th.  Hobbes.. 

40  Constantijn  Huygens,  frère. 
62  Lodowijk  Huygens   .    .    .    . 

ISusanna  Huygens 

2  Leopoldo  de  Medicis    .    .    . 

H.-L.-H.  de  Monmor  .  .  . 
37  R.  Moray 

H.  Oldeuburg 

10  P.  Petit 

4  Is.  de  la  Peyrère 

M.-A.  Ricci 

8  R.-F.  de  Sluse 

S.  de  Sorbière 

5  M.  Thévenot 

J.  van  Vliet 

J.  de  Witt 

m 


Table  Ul.  Tomes  I-IV. 

CORRESPO.NDANTS                        de  H.  à  H. 

M. -H.  van  Andel 1  » 

A.  Auzout »  1 

Fr.  Aynscom 1  » 

D.  van  Baerle 1  i- 

3  E.  Bartbolin 1  2 

6  Ch.  Bellair 2  4 

A.  de  Bie 2  » 

4  A.  Boddens 1  3 

76  Ism.  Boulliau 30  46 

R.  Boyle »  1 

W.  Brereton »  4 

W.  Brouncker »  3 

A.  Bruce »  3 

6  C.  Brunetti 1  5 

12  H.  Bruno 4  8 

.J.  Buot »  1 

J.  van  der  Burch 1  » 

Calthof 1  » 

23  P.  de  Carcavy 11  12 

A.  Cellarius 1  » 

2  A. -G.  de  Chambonnière  .   .  1  1 

Chanut »  1 

55  J.  Chapelain 17  38 

11  A.  Colvius 5  6 

N.  Colvius »  1 

2  B.  Conradus 1  1 

V.  Conrart »  3 

L.  van  Coppenol 1  » 

S.  Coster »  1 

C.  Dati 1  » 

Ph.  Doublet »  6 

A.  Duyck 1  " 

J.  Elsevier 1  » 

2  Etats-Généraux 1  1 

Etats    de    Hollande   et    de 

West-Frise 1  » 

P.  van  der  Faes »  1 

P.  de  Fermât s>  3 

B.  de  Frenicle  de  Bessy.   .  »  2 

7  Du  Gast '.    .  2  5 

2Ô9"  90  163 


209  90  163 

Th.  Gobert 1  i, 

J.  Golius 2  B 

31  Gregorius  à  St.-Vincentio  .  15  16 

P.  Guisony »  4 

10  G.  van  Gutschoven  ....  6  4 

22  N.  Heinsius 9  13 

2  G.  Hesius 1  i 

H.  van  Heuraet »  2 

22  J.  Hevelius 10  12 

Th.  Hobbes 2  » 

2  G.-B.  Hodierna 1  1 

2  J.  Hudde 1  1 

14  Constantijn  Huygens,  père.  8  6 
103  Constantijn  Huygens,  frère.  58  45 

bl  Lodewijk  Huygens   ....  80  1 

Philips  Huygens »  2 

Susanna  Huygens »  2 

S. -C.  Kechelius  à  Hollen- 

stein 1  » 

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13  Leopoldo  de  Medicis    ...  7  6 

18  M.  Mersenne 8  10 

T.-B.  Mocchi 2  » 

4  H.-L.-H.  de  Monmor  ...  1  3 

H.  du  Mont 1  B 

58  R.  Morav 24  34 

23  Cl.  Mylon 8  15 

M.-A.  Neuraeus »  1 

Lady  Newcastle »  1 

H.  Oldenburg »  3 

Chr.  Otter »  1 

4  R.  Paget 1  3 

6  Bl.  Pascal 1  5 

Marianne  Petit 1  » 

21  P.  Petit 4  17 

4  Is.  de  la  Peyrère 1  3 

W.  Pieck 1  » 

J.  Reeves y>  2 

6  D.  Rembrandtsz  van  Nierop  4  2 

M""  van  Renesse 1  » 

2  M.-A.  Ricci 1  1 

10  G. -P.  de  Roberval    ....  6  4 

C.-C.  Rumphius 1  » 

3  A -A.  de  Sarasa 2  1 

118  Fr.  van  Schooten 63  55 

G.  Schott »  1 

D.  Seghers 6  » 

78  R.-F.  de  Sluse 24  54 

S.  de  Sorbière »  1 

R.  Southwell »  1 

J.  Stampioen »  1 

3  H.  Stevin 1  2 

12  A.  Tacquet 6  6 

Tassin 2  » 

15  M.  Thévenot 6  9 

8  J.  van  Vliet 1  7 

J.  de  Vogelaer 1  » 

J.  van  Vondel »  2 

23  J.  Wallis 11  12 

J.  Wiesel »  3 

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162  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

Maintenant  on  peut  donner  une  statistique  des  lettres  qui  n'ont  pas 
eu  de  réponse  de  part  et  d'autre,  et  du  nombre  des  personnes  avec  les- 
quelles Huygens  était  en  correspondance. 


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164  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

Pans  le  cours  de  ces  années  1637-1663,  on  remarque  beaucoup  de  chan- 
gement parmi  les  correspondants.  D'abord  (tome  1)  ce  sont  le  père 
Mersenne,  Kinner  à  Lowenthurn,  le  Père  Gregorius  à  Sanct-Vincentio 
(ces  deux  derniers  restent  en  relation  avec  Huygens  encore  en  1665), 
Frans  van  Schooten,  qui  meurt  en  1661.  Dans  le  tome  II  commence  la 
correspondance  avec  R.-F.  de  Sluse,  qui  est  d'abord  très  vive  et  après 
devint  intermittente,  avec  Ism.  Boulliau,  qui  cesse  dans  le  tome  IV,  à 
cause  du  voyage  et  plus  tard  de  la  résidence  de  Chr.  Huygens  à  Paris, 
avec  J.  Chapelain,  qui  reste  très  vive  en  1665  encore,  durant  les  prépa- 
ratifs de  l'appel  du  roi  Louis  XIV  pour  attirer  Huygens  à  Paris.  Au 
tome  III,  Huygens  a  une  correspondance  suivie  avec  R.  Moray,  plus  tard 
(tome  V)  avec  H.  Oldenburg  par  rapport  aux  expériences  de  la  Société 
royale  de  Londres.  On  y  trouve  la  correspondance  de  N.  Heinsius  et  de 
J.  Hevelius  ;  cette  dernière  disparaît  avec  le  tome  V.  La  correspondance 
de  P.  Petit  (tome  IV)  est  principalement  de  son  côté,  et  a  rapport  aux 
horloges  et  aux  télescopes.  On  y  trouve  M.  Thévenot  et  A.  Auzout  pour 
la  première  fois. 

Ce  serait  hors  de  propos  de  vouloir  donner  ici  une  analyse  détaillée 
du  contenu  de  ces  lettres,  seulement  j'en  glanerai  quelques  points. 

Huygens  était  déjà  à  l'âge  de  dix-sept  ans  un  expérimentateur  indé- 
pendant, et  le  resta  toute  sa  vie  :  il  procédait  d'une  expérience  à  l'autre, 
avant  que  de  formuler  ses  découvertes,  que  l'on  trouve  indiquées  dans  ses 
Adversaires  par  le  mot  «  Euryka  »  ;  mais,  dès  lors,  il  soutint  son  opi- 
nion contre  celles  d'autrui,  et  les  observations  et  expériences  ultérieures 
lui  donnaient  généralement  raison. 

Dans  sa  correspondance  avec  M.  Mersenne,  il  démontre  qu'une  corde 
pendue  «  ne  fait  point  une  parabole,  et  quelle  doit  être  la  pression  sur 
une  corde  mathématique  ou  sans  gravité  pour  en  faire  une  »  (lettres  14, 
20,  21,  22)  et  Mersenne  déclara  ensuite  que  «  Huygens  s'est  surpassé 
lui-même  »  (lettre  14).  Mersenne  traite  encore  avec  lui  des  centres  de 
percussion  (lettres  23,  2o,  30),  de  la  portée  de  canon,  sur  laquelle  Mer- 
senne avait  fait  des  expériences  lors  de  son  séjour  aux  Pays-Bas  (lettres 
38,  40,  41,  42,  48,  49),  de  l'enflure  d'une  vessie  dans  le  vide  (lettre  49)  ; 
outre  de  divers  autres  sujets. 

Huygens  fut  le  premier  qui  présenta  ses  objections  contre  la  quadrature 
du  cercle  du  Père  Gregorius  à  Sanct-Vincentio,  ce  qui  donna  lieu  à  une 
longue  correspondance  (lettres  173,  175,  178,  186)  entre  ces  deux  savants, 
dans  laquelle  les  controversistes  ne  dépassèrent  jamais  les  bornes  de  la 
politesse,  et  en  sortirent  toujours  bons  amis.  A  cette  discussion  se  mêlèrent 
A.  Tacquet  (lettres  137,  139,  142),  Kinner  à  Lowenthurn  (lettres  167,  171, 
172,  174,  176,  177,  184,  188)  et  Xav.  Aynscom  (lettre  338). 

Avec  Gregorius  à   Sanct-Vincentio   et   Kinner  à   Lowenthurn,    il  eut 


BIERENS    DE   HAAN .   —   CORRESPONDANCE   ET    OEUVRES   DE   C.    HUYGENS       16o 

encore  une  correspondance  (lettres  100,  101,  102,  105,  J06,  146,  160, 
167)  sur  les  corps  qui  surnagent  à  un  liquide;  un  sujet  dont  il  a  traité 
plusieurs  fois. 

Dans  cette  correspondance  avec  Kinner  à  Lôwenthurn  (lettres  162, 
172,  176,  177),  on  trouve  encore  une  polémique  sur  la  réfraction  dans 
une  goutte  d'eau. 

Une  autre  correspondance  avec  G.  van  Gutschoven  (lettres  135,  153) 
nous  donne  la  construction  exacte  des  foyers  principaux  d'une  lentille 
sphérique,  et  une  détermination  exacte  de  l'indice  de  réfraction  de  l'eau 
en  l'air,  en  faisant  usage  de  l'angle  sous  lequel  on  voit  le  rayon  de  l'arc- 
en-ciel. 

Avec  Ism.  Boulliau,  il  traite  de  divers  sujets  d'astronomie  et  encore 
d'un  horoscope  que  celui-ci  tirerait  de  bonne  foi  pour  une  princesse 
(lettres  692,  696,  704,  706,  707,  708,  711,  714,  716,  718,  719,  721,  724, 
733,  920). 

Pierre  de  Carcavy  lui  sert  d'intermédiaire  savant  et  utile  pour  des 
questions  d'analyse  des  nombres  avec  P.  de  Fermât,  le  célèbre  savant 
de  Toulouse  (lettres  372,  651,  699,  700,  727,  755,  756,  848),  sujet  au- 
quel Huygens  ne  prend  qu'un  médiocre  intérêt;  et  avec  Bl.  Pascal  à 
l'occasion  du  Problème  de  la  Roulette  (lettres  584,  585). 

La  correspondance  très  détaillée  avec  J.  Chapelain  contient  toutes 
sortes  de  sujets  à  Tordre  du  jour,  et  finira  au  tome  V  avec  les  mesures 
pour  faire  appeler  Huygens  à  Paris  par  l'intermédiaire  de  Colbert. 

Je  n'insisterai  pas  sur  la  correspondance  avec  l'intendant  des  forte- 
resses P.  Petit  (que  Huygens  désigne  quelquefois  par  le  surnom  de  sei- 
gneur du  Portail),  qui  importune  souvent  l'inventeur  de  l'horloge  et  des 
télescopes,  mais  qui,  en  revanche,  se  signale  comme  hôte  hospitalier  et 
agréable,  —  ni  sur  celle  avec  Robert  Moray  et  Heinrich  Oldcnburg  qui 
lui  fournissent  des  nouvelles  intéressantes  sur  tout  ce  qui  se  fait  dans 
la  Société  royale  de  Londres,  —  ni  sur  celles  avec  John  Wallis,  qui  traite 
de  sujets  intéressants  d'analyse  et  de  géométrie,  —  pour  passer  aux  deux 
sujets  qui,  comme  un  fil  coniinu,  traversent  toute  cette  correspondance  : 
l'invention  des  horloges,  la  perfection  des  lunettes  et  la  découverte  de 
l'anneau  de  Saturne. 

Chr.  Huygens,  aidé  de  son  frère  Constantijn,  commença  déjà  en  1652 
(lettre  135  à  G.  van  Gutschoven)  à  s'appliquer  à  mouler  et  à  polir  de 
bonnes  lentilles  afin  de  produire  de  bonnes  lunettes.  Il  continua  toujours 
d'améliorer  cette  construction  et  parvint  à  une  telle  aptitude  que  les 
verres  de  ses  mains  qui  existent  encore,  peuvent  être  considérés  comme 
excellents. 

C'est  à  l'aide  de  ses  lunettes  perfectionnées  qu'il  découvrit  la  lune  et 
l'anneau  de  Saturne  ;  dans  une  lettre  à  Col  vins  (lettre  217),  on  trouve  le 


466  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

premier  dessin  de  cet  anneau.  11  en  donne  une  théorie  qu'il  pût  maintenir 
en  général,  nonobstant  les  objections  et  les  théories  différentes  des  sa- 
vants anglais  et  français. 

Quant  à  son  «  Horologium  »  à  pendule  qui  date  du  25  décembre  1636, 
et  dont  une  année  plus  tard  il  dressa  un  exemplaire  au  clocher  de 
Scheveningue,  il  y  ajouta  ses  lames  cycloïdales  et  ne  cessait  de  les  rendre 
plus  parfaites  et  propres  à  l'usage  maritime  ;  son  but,  dans  ce  dernier 
sens,  étant  le  problème  de  la  longitude  sur  mer,  il  y  travailla  avec  Alex. 
Bruce,  le  comte  de  Kincardin,  ce  qui  donna  lieu  à  des  questions  de 
jalousie.  Mais  il  y  eut  encore  nombre  de  compétiteurs  post  facto  dont  il 
écrit  (lettre  722)  :  «  C'est  une  chose  estrange  que  personne  devant  moy 
n'ait  parlé  de  ces  horloges,  et  qu'à  ceste  heure  il  s'en  découvre  tant 
d'autres  autheurs  ».  Mais  il  surgit  un  opposant  plus  formidable  pour  la 
réputation  de  notre  savant  ;  le  prince  Leopoldo  de  Médicis  voulut  main- 
tenir la  priorité  pour  Galileo  Galilei.  Nous  avons  pu  rassembler  toutes 
les  pièces  du  procès  dans  le  supplément  du  tome  III,  outre  les  lettres  707 
et  712,  de  Boulliau,  qui  se  trouvent  dans  la  correspondance  elle-même. 
Ism.  Boulliau  (lettre  609'')  prend  le  parti  de  Huygens  contre  le  prince 
Leopoldo,  et  celui-ci  (lettre  621")  retira  loyalement  son  accusation  de 
plagiat.  Mais  les  documents  eux-mêmes  démontrent  à  l'évidence  que 
Galilei  ne  peut  entrer  en  lice  avec  Huygens  dans  cette  occasion. 

J'ose  espérer  que  ces  remarques  et  indications,  trop  superficielles,  pour- 
ront amener  quelqu'un  de  mes  auditeurs  à  l'étude  de  cette  correspon- 
dance si  intéressante  de  tous  côtés,  et  j'ose  prédire  qu'il  ne  se  plaindra 
pas  de  peine  perdue. 


M.  Eodolplie  aïïIMiEAES 

Officier  du  Génie,  à  Lisbonne, 


SUR    L'ÉVALUATION    DE    CERTAINES    AIRES    CONIQUES 


—  Séance  du  19  septembre  1892  — 


1.  —  Si  rf,  a  et  [3  désignent  respectivement  la  longueur  SD  {^g.  1), 
l'angle  SED,  et  le  demi-angle  au  sommet  d'un  cône  de  révolution,  et 

si  l'on  pose  : 

cos  (a  -|-  p)  .  sin  p 


k 


sin  (a  +  2J3) 


R.    GUnURAES.   —    ÉVALUATION   DE   CERTAINES    AIRES   CONIQUES  167 

on  aura  pour  la  transformée  d'une  section  plane  quelconque  faite  dans  ce 
cône  (*)  : 


d 


P 


ou  : 


1  —  ±k  sin- 


d 


2  sin  ^ 


(1  —  k)  -\-  k  cos 


to 


sin  ^ 


(1) 


Si  a  -f-  2p  <  -rt,  la  section  est  une 
ellipse,  et  les  valeurs  du  coefficient  k 
seront  respectivement  : 


FlG.  1. 


4  >  /t  >  0 
A-<0 


si 


si 


SI 


-  +  ?>! 


+  ?- 


Quand  on  fait  a  =  0  ou  tt,  la  section  primitive  est  parabolique  et  A'  =  ^  * 
Alors  la  relation  (1)  devient 

(2) 


d 


P  = 


cos 


(J> 


2  sin  p 


Si  a  -f  2^  >  TT,  la  section  sera  une  hyperbole  et  les  valeurs  du  coeffi- 
cient k  seront  respectivement  : 

\  /**) 

1>A;>2  si     a  +  p<7r 

i>/c>0  si      a  +  p>7r 

A-  =  1         si    a  +  ;i  =  TT. 

Dans  ce  dernier  cas,  la  relation  (1)  devient  : 

d 


cos 


0) 


sin  i 


(3) 


(*)  Voyez  notre  note  sur  la  Transformée  des  seclions  planes  du  cône  de  révolution,   insérée  dans  te 
Journal  de  Longchamps. 


(**)  si  a  =  -  et  ?  =  -?  on  a  k  —  - 

2  3  2 


168  MATHÉMATIQUES,  ASTRO>OMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

2.  —  Cela  posé,  proposons-nous  d'obtenir  des  expressions  représenta- 
tives de  l'aire  conique  comprise  entre  le  sommet  du  cône  et  le  plan  de  la 
section.  Elle  est  équivalente  à  l'aire  celle  qui  se  trouve  limitée  par  la 
transformée  de  la  section  et  par  les  génératrices  extrêmes  SA  et  SB,  for- 
mant entre  elles  un  angle  w  ,  et  elle  est  représentée  par  l'expression  très 


connue  : 


1  r  ' 
8  =  2/  p'^"^  w 

3.  —  Considérons  à  part  les  trois  espèces  de  sections  : 


1"  Section  elliptique 

Si,  dans  (4)  on  remplace  p  par  sa  valeur  (1),  et  si  l'on  fait  l'intégration, 
on  trouvera  ; 


1  cP    ^2(1-/.-) 
S=Q-1 7,  <-=.arcl( 

2  i-^J.k]^\-<tk 


k  siii  (  _!il  ) 
^  ^  \2  sin  3/ 


(1  -  A')  +  /icos 


\siii  .3/ 


(o) 


L'égalité  de  l'arc  AB  et  de  la  circonférence  de  la  base  donne,  en  dési- 
gnant par  /  et  B  la  génératrice  et  le  rayon  de  la  base  : 

p 

d'Où:  -—^  =  -^  =  27:. 

R  sm  [3 

La  formule  (5)  devient  alors  : 

izdH\  —  k) 


(1  —  2A-).  \/i  —  '2k 
et  si  l'on  remplace  k  par  sa  valeur  (1),  il  en  résulte  : 

sin  (a  -)- 


S  =:  -KCl"  . 


4-;3).cosr^       /su^(7.+2;i)  ^^^ 

sin  a  y         sin  a 


71 


relation  qui  a  lieu  pour  a  -f-  ^  >  ou  <<  ;^. 


R.    GUIMARÂES.  —   SUR   l'ÉVALUATION    DE   CERTAINES    AIRES   CONIQUES      169 


■JT 


Si  a  -[-  ?  ^  g'  "^"^  ^  évidemment  p  =  cl,  et  la  section  est  circulaire. 

Là 


Remarques.  I.  —  Si  3  =  y,  on  a 

4 


1 


S  =  Q  ~^^  •  V^cotang  a  (sin  a  -f-  cos  a). 


(A,) 


II.  —  Si  l'on  fait  dans  (A),  î'  =  ;^,  il  vient 


S  =  7:rf^  cos  ^a  .  \i  cos  2(3 


(A,) 


formule  qui  exprime  la  surface  comprise  entre  le  sommet  et  le  plan  MP 


TT 


III.  —  Si  l'on  fait  a  -|-  23  =  -,  on  aura 


S  =  ^d\ 


cos 


20 


cos  ''p .  v/cos  2,3 


(A3) 


qui  représente  la  surface  comprise  entre  le  sommet 
et  le  plan  MN. 


2"  Section  parabolique 


FiG.  2. 


Quand  la  section  est  parabolique,  la  surface  comprise  entre  le  plan 
sécant  et  le  sommet  est  infinie.  Cherchons  la  surface  limitée  par  le  plan 
sécant  et  un  plan  perpendiculaire  à  l'axe,  ou  encore  celle  qui  est  déter- 
minée par  le  plan  de  la  section  DLQ  et  le  plan  SLQ  (fig.  3). 

Si  l'on  remplace  p  dans  (4)  par  sa  valeur  (2),  il  vient  : 


2 


f  cko 


ou 


S  = 


d^ 


d 


0) 


co 


2  sin  fi 


Fir,.  3. 


suivant  que  co  —  0/  est  supérieur  ou  inférieur  à  w',  angle  formé,  sur  le 


170  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

plan  de  la  planification,  par  les  génératrices  SL  et  SA.  En  développant,  on 
trouve,  si  l'on  remarque  que  : 


w« 


2  sin  [3 

/ 


±  -—  tans: ,  t^—. — 
6       ^  \2  sin  3 


TT, 


seC 


co 


,2  sin  p 


+  2 


(B) 


Remarque,  —  Si  l'intersection  QL  du  plan  sécant  avec  celui  de  la 
base  passe  par  le  centre  0  de  cette  base,  on  a  : 


1  X  sin  p 

M  l  =  -  -K  W  OU  (0     — 


2 


2 


d'Où 


2 


3'^  Section  hyperbolique 

Comme  ci-dessus,  cherchons  la  surface  comprise  entre  le  plan  sécant 

MNQ  et  le  plan  SNQ  (fig.  4). 
On  a: 


Wp— 0> 


do) 


(1 — k)-{-kcos 


O) 


sin  p 


fto 


('-'•)+''■  ««Kii^) 


FlG.  A. 


fo^  — w 


Si  a  -f-  P  <C  ''^j  d'où  1  —  ^•  >  A-,  il  vient  : 


d^ 


2A--1  V/2A--1 


1_/,    ,    /    l^v/2/c-l.tang(^) 
log'   ' 


k  sin 


l-v/2/.--l.lang(^^_^p 


w 


+ 


siii  3 


(l-k)  +km{  - 
^         -  \siiip 


co 


R.    GUIMARÂES.    —    SUR   L'ÉVALUATION   DE    CERTAINES   AIRES    CONIQUES      171 

Remarque.  —  Si  rintersection  du  plan  sécant  avec  celui  de  la  base  passe 
par  le  centre  0,  on  a  : 


1  Co'  TC 

M  .  l  =  -T.R      ou      - — -  ~  -; 
2  sin'p       2' 


d'où  : 


S  = 


cl'' 


.+  log 


2k-l]i-k  '  y/2A_l 


v/2A-  -1+1 
v/2A;— 1— 1 


v/2A--  1 


Si   a  -j-  |3  >  TU,    ou  1  —  k  <^  k,  il  résulte   une  expression  très  sem- 
blable à  (3). 
Si  a  -|-  P  =  "J^»  p  est  exprimé  par  la  formule  (3),  et  il  vient  : 


ce  qui  donne  pour  résultat  : 


S  =  —  rf'  tans 


w 


sin  p 


7C 


Comme  Wj  (fig.  5)  est  toujours  supérieur  à  -,  on  a 


tang  (Oj  =  tang 


w 


sin  i3 


)<o 


et    l'expression    précédente    est    toujours 
positive. 

Si  Wj  ■<  -,  il  faut  faire  l'intégration  entre 

les  limites  0  et  w'. 

3 

Remarque.  —  Si  l'on  fait  w.  ^  -t-t:,  on  a  : 

4 


0)7  =  CO.R  =  -  71  R. 

4 


d'où 


et  par  suite  : 


co 


TT, 


sin  p       4    ' 


Fig.  5. 


172  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 


M.  L.  LECORÎfTJ 

Ingénieur  des  Mines,  Maître  de  Conférences  à  la  Faculté  des  Sciences,  à  Caen. 


SUR  LES  SURFACES  D'ÉGALE  INCIDENCE 


—  Séance  du  19  septembre  1892  — 

On  peut  appeler,  d'une  manière  générale,  surface  d'égale  incidence 
une  surface  qui  rencontre  sous  un  angle  constant  donné  une  famille  de 
courbes  données.  La  recherche  d'une  pareille  surface  se  ramène  à  l'inté- 
gration de  l'équation  aux  dérivées  partielles  du  premier  ordre  : 

(1)  {ap  -\-bq  —  cY  —  li^(p^  -f  q--\-i)  =  0 

dans  laquelle  a,  b,  c  désignent,  pour  un  point  quelconque  {x,  y,  z)  de 
l'espace,  les  cosinus  directeurs  de  la  tangente  à  la  courbe  qui  passe  en  ce 
point,  et  K,  le  sinus  de  l'angle  constant  donné.  Il  y  a  généralement  une 
infinité  de  surfaces  réelles  répondant  à  cette  équation.  Lorsque  K  converge 
vers  l'unité,  les  surfaces  d'égale  incidence  tendent  à  devenir  des  surfaces 
trajectoires  orthogonales  ;  mais  l'on  sait  qu'un  faisceau  de  courbes  rem- 
plissant l'espace  ne  peut,  en  général,  être  coupé  orthogonalement  par 
des  surfaces  réelles.  De  là  une  sorte  de  paradoxe,  que,  dans  un  autre 
travail  (Bulletin  des  Sciences  mathématiques),  j'ai  essayé  d'expliquer.  J'ai 
montré  que,  pour  des  valeurs  de  K  assez  voisines  de  l'unité,  chaque  sur- 
face d'égale  incidence  est  formée  par  une  suite  de  nappes  dont  chacune 
est  imaginaire,  sauf  à  l'intérieur  d'un  contour  fermé  qui  joue  le  rôle 
d'une  arête  de  rebroussement.  L'aire  de  la  facette  réelle  ainsi  déterminée 
tend  vers  zéro  à  mesure  que  K  se  rapproche  de  l'unité,  de  telle  façon 
qu'à  la  limite  les  parties  réelles  de  la  surface  se  réduisent  à  des  lignes 
ou  à  des  points  isolés.  Ces  résultats  sont  établis  dans  l'hypothèse  où  le 
faisceau  de  courbes  considéré  n'admet  pas  de  trajectoires  orthogonales. 

Bien  d'autres  questions  peuvent  être  posées  à  propos  des  surfaces  d'é- 
gale incidence.  Dans  ce  qui  suit,  je  me  propose  surtout  de  déterminer 
la  nature  des  surfaces  d'égale  incidence  relatives  à  un  système  de  lignes 
droites  issues  d'un  même  point  A,  et  je  m'appuierai  pour  cela  sur  des 
considérations  géométriques  d'une  grande  simplicité. 


L.    LECORNU.    SUR    LE3    SURFACES    d'ÉGALE    INCIDENCE  173 

D'abord,  il  est  clair  que  les  courbes  d'intersection  d'une  pareille  sur- 
face par  les  sphères  qui  ont  leur  centre  au  point  A  sont  des  lignes  de 
courbure  de  cette  surface  :  car  les  sphères  coupent  la  surface  sous  un 
angle  constant.  Le  second  système  de  lignes  de  courbure  est  constitué 
par  les  trajectoires  orthogonales  des  précédentes.  Le  long  de  l'une  de  ces 
lignes,  les  normales  à  la  surface  engendrent  une  surface  développable  dont 
les  plans  tangents  sont  perpendiculaires  aux  lignes  de  courbure  sphérique 
et  passent  conséquemment  par  le  point  A.  La  développable  ne  peut  donc 
être  qu'un  plan  ou  un  cône.  Si  c'est  un  cône,  les  normales  à  la  surface 
cherchée  passent  toutes  par  le  point  A,  ce  qui  exige  que  l'angle  d'incidence 
soit  droit,  et  que  la  surface  d'égale  incidence  se  réduise  à  une  sphère. 
Dans  tout  autre  cas,  le  second  système  de  lignes  de  courbure  est  consti- 
tué par  des  courbes  planes  qui  rencontrent  sous  un  même  angle  cons- 
tant les  rayons  vecteurs  issus  du  point  A,  c'est-à-dire  par  des  spirales 
logarithmiques  égales,  admettant  ce  point  pour  pôle  commun.  En  ré- 
sumé, la  surface  est  décrite  par  une  spirale  logarithmique  dont  le  plan 
roule  sur  un  cône  fixe  arbitraire,  de  sommet  A  ;  c'est  un  cas  particulier 
des  surfaces  de  Monge,  à  lignes  de  courbure  planes  et  superposables. 

Les  formules  d'Olinde  Rodrigues  fournissent  une  vérification  de  ce 
résultat.  En  désignant  par  R  l'un  des  rayons  de  courbure  principaux 
au  point  x,  y,  -,  par  p  le  rayon  vecteur,  par  a,  p,  y  les  cosinus  directeurs 
de  la  normale,  on  a  les  relations  : 

da.  d[3  dy 1 

dx       di/       dz       R 

«A"  +  Py  +  y-  =  Kp, 

X'  +  y'  +  ^'  =  ?'- 


On  tire  de  là 


ou  bien  : 


1 

-  {xdx  -[-  ydij  -\-  zdz)  =  Kc?p , 
R 


rfp(p  — KR)  =  0. 

La  solution  rfp  =  0  correspond  aux  lignes  de  courbure  sphériques, 

La  solution  R  =  p  correspond  aux  lignes  de  courbure  spirales. 

Il  est  facile  d'exprimer  les  coordonnées  x,  y,  z  d'un  point  quelconque 
de  la  surface  en  fonction  de  deux  paramètres  arbitraires,  correspondant 
aux  deux  systèmes  de  lignes  de  courbure.  A  cet  effet,  désignons  par  l  une 
valeur  particulière  du  rayon  vecteur  et  considérons  la  ligne  de  courbure  (C) 
située  sur  la  sphère  de  rayon  /.  On  peut  évidemment  considérer  la  surface 


174  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

comme  engendrée  par  une  spirale  logarithmique  invariable  dont  le  pôle 
reste  en  A,  dont  un  point  décrit  (C)  et  dont  le  plan  est  constamment  nor- 
mal à  cette  ligne.  Soit  M  un  point  quelconque  de  la  surface,  soit  m  le  point 
oij  son  rayon  vecteur,  de  longueur  p,  rencontre  la  sphère  de  rayon  /  et  soit  m' 
le  point  oîi  la  spirale  qui  passe  par  M  rencontre  la  ligne  directrice  (C).  Con- 
sidérons, sur  la  sphère  de  rayon  /,  un  système  de  coordonnées  polaires  6,  «p 
dont  l'origine  P  appartienne  à  l'axe  des  z  positifs.  La  ligne  (C)  est  repré- 
sentée par  une  équation  (2)  /"(O,  <?)  =  0  qu'on  doit  supposer  connue.  Au 
moyen  de  cette  équation,  on  commencera  par  calculer  l'angle  w  que  forme, 
au  point  m',  de  coordonnées  6,  9,  la  normale  sphérique  à  la  courbe  (C) 
avec  le  rayon  vecteur  sphérique  0,  issu  du  point  P.  A  l'aide  du  triangle 
sphérique  Pm'm,  on  pourra  alors  calculer  les  coordonnées  6^  et  <pi  du  point  m 
en  fonction  :  1°  des  coordonnées  6,  ^  du  point  m';  2°  de  l'angle  w  déter- 
miné  comme  il  vient  d'être  dit;  3°  du  côté  mm'  =  l^.  Comme  y  est  lié  à  0 
par  l'équation  (2j,  on  voit  que  ôj  et  «p^  seront  des  fonctions  des  deux  variables 
indépendantes  6  et  jx.  Si  Ton  passe  ensuite  du  point  m  de  la  sphère  au  point  M 
de  la  surface  donnée,  il  faut  substituer  au  rayon  vecteur  /  le  rayon  vecteur 

p  =1  /e\/i— K\  Finalement  les  coordonnées  cartésiennes  résulteront  des  for- 
mules : 

/     ic  =  p  sin  ôi  cos  (pi, 
(3)  ]     ï/  =  P  sin  61  sin  cpi , 

(     z  ^  0  cos  Oi , 

dans  lesquelles  p,  91,  ôj  sont  des  fonctions  connues  de  0  et  de  p..  Le  sys- 
tème (3)  qui  dépend  de  la  fonction  arbitraire  f,  introduite  par  l'équation  (2) , 
représente  l'intégrale  générale  de  l'équation  : 

ijp^  +  qy-  ^Y  -  i^'ip''  +  q'  +  ^)i^'  +  r  +  ^')  =  o. 

On  connaît  la  propriété  remarquable  que  possède  la  spirale  logarithmique 
de  se  reproduire  par  une  foule  de  transformations.  La  surface  qui  nous 
occupe  jouit,  dans  l'espace,  de  propriétés  analogues.  Par  exemple  : 

La  podaire  du  pôle  A,  les  transformées  par  homothéde  ou  par  rayons 
vecteurs  réciproques  à  partir  du  pôle  A  sont  des  surfaces  de  môme  nature. 

La  surface  des  centres  de  courbure  principaux  (enveloppe  des  normales) 
se  compose  du  cône  de  roulement,  associé  à  une  surface  d'égale  incidence, 
homothétique  à  la  première. 

Les  rayons  issus  du  pôle  A  et  réfléchis  ou  réfractés  par  une  surface  d'é- 
gale incidence  se  trouvent,  après  cette  opération,  normaux  à  une  surface 
d'égale  incidence,  homothétique  à  la  première,  etc. 

Remarquons  encore  que  si  l'on  décompose  la  surface  en  une  suite  de 


L.   LECORNU.   —    SUR  LES    SURFACES    d'ÉGALE   INCIDENCE  175 

fuseaux  séparés  par  des  lignes  de  courbure  spirales  de  telle  manière  que 
deux  lignes  consécutives  quelconques  forment  entre  elles  le  même  angle 
infiniment  petit,  tous  ces  fuseaux  peuvent  être  regardés  comme  semblables 

entre  eux. 

Sans  insister  davantage  pour  l'instant  sur  les  surfaces  d'égale  incidence 
relatives  aux  rayons  vecteurs  issus  d'un  même  point,  supposons  que  le 
pôle  s'éloigne  à  l'infini.  Les  spirales  logarithmiques  deviennent  des  lignes 
droites,  les  cônes  de  roulement  se  transforment  en  cylindre,  et  finale- 
ment les  surfaces  d'égale  incidence  se  réduisent  à  des  surfaces  d'égale 
pente.  Au  sujet  de  ces  dernières,  je  me  bornerai  à  signaler  un  cas  parti- 
culier, qui  me  paraît  assez  intéressant. 

Supposons  qu'on  cherche  une  surface  d'égale  pente  telle  que  les  seg- 
ments interceptés  sur  les  génératrices  par  deux  plans  fixes,  verticaux  et 
rectangulaires,  aient  une  longueur  constante  /.  Adoptons  ces  deux  plans 
pour  plans  des  zx,  zy  et  prenons  pour, plan  des  œi/,  un  plan  horizontal 
provisoirement  quelconque. 

Soient  :  x  =  az  -\- p 

y  =  bz  -\-q 

les  équations  de  l'une  des  génératrices.  La  surface  devant  être  dévelop- 
pable,  on  a  d'abord  la  relation  : 

(4)  dpdh  —  dqcla  =  0. 

Soient  respectivement  x,,  z^  et  y^,  z^  les  coordonnées  des  traces  de  la 
génératrice  sur  les  deux  plans  zox  zoy. 

Les  paramètres  j>  et  q  ont  pour  valeurs  :  —  az^,  —  bz^. 
La  relation  (4)  peut  donc  s'écrire  : 

(3)  b.da.dzy  —  a.db.dz.,  +  {z,  —  z.,)  da.db  =  0. 

En  écrivant  que  la  génératrice  forme  un  angle  constant  i  avec  la  ver- 
ticale, on  trouve  : 

(6)  a^-\-b'  =  tgH, 
d'où  :                                      "c?a  -\-  bdb  =  0. 

Enfin,  pour  que  le  segment  compris  entre  les  deux  traces  possède  une 
longueur  constante  /,  on  doit  avoir  : 

ou  bien  : 

(7)  {z■^  -  ::■.)'  (a'  +  à'  +  1)  =  l' 

d'où  '  '^i  ~~"  '^2  '~~~    cos  i 


176  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

et  par  suite  :  dz^  —  dz^  =:  0. 

L'équation  (5)  devient  alors  : 

(a^  -f~  f^^)dzi  =  al  cos  i  da 

l  cosi 
ou  :  «-1  =  — ; — r^  ada, 

tg  h 

d'où  l'on  tire,  en  appelant  C  une  constante  d'intégration  : 


Icosi 
'       2  tg  H      ^ 


On  aura  ensuite  : 


/         6''  1\ 

z,  =  z^  —  lcost  =  lcosi  \ç-  ^-^.  —  2  j  +  ^• 

Plaçons  l'origine  des  coordonnées  de  telle  façon  que  C  devienne  égal 


,  Z  cos  z'     ,    .     ,    , 
a  — : — .  Il  vient  alors 


l  cos  i  /  a'^    _[^\ 


2      Vtg  H 


/  cos  i  /  6^         1 

^^~  2~lt^i  +  ^. 

Clierchons  les  courbes  d'intersection  de  la  surface  par  les  plans  zox, 
zoy.  On  a  :  Xi=:-  o(:5i  —  z^  =  al  cos  i  ; 

l cos  i  (     ^i         ,    ^\ 

De  même  :  y^  =  h{z^  — ^i)  =  —  bl  cos  i, 

l  cos  i  (    y-i  i\ 

Il  suit  de  là  que  la  génératrice  mobile  est  assujettie  à  s'appuyer  sur 
deux  paraboles  égales,  situées  dans  les  plans  zox,  zoy.  Les  paramètres  de 
ces  paraboles  ont  pour  valeur  commune  :  /  sin  i  tg  i.  Les  axes  coïncident 
avec  oz  et  sont  dirigés  en  sens  contraire.   La  distance  des  sommets  est 

l  cos  i 
égale  à  — - —  ^  c'est-à-dire  à  la  moitié  de  la  projection  du  segment  cons- 
tant l  sur  l'axe  des  z. 

La  projection  du  segment  l  sur  le  plan  xoy  est  constante  et  égale  à 
l  sin  i.  Elle  enveloppe  donc  l'hypocycloïde  à  quatre  rebroussements  : 

2  2  2 

a;^  -|-  2/^  =  {l  sin  if.  L'arête  de  rebroussement  de  la  surface  d'égale  pente 


K.    RITTEU.    l'algèbre    .NOUVELLE    DE    FRANÇOIS    VIÈTE  177 

est  une  hélice  tracée  sur  le  cylindre  qui  a  pour  base  cette  hypocycloïde. 

Il  est  à  noter  que  les  deux  paraboles  ne  correspondent  à  des  parties 
réelles  de  la  surface  que  pour  les  arcs  qui  se  projettent  à  l'intérieur  de 
rhypoQjVcloïde.  Le  reste  de  chaque  parabole  joue  le  rôle  d'une  ligne  isolée, 
intersection  de  deux  nappes  imaginaires.  Il  est,  du  reste,  évident  que,  si 
l'on  cherche  à  déterminer  une  surface  d'égale  pente  par  la*  condition  de 
rencontrer  le  plan  des  z-x  suivant  une  parabole  à  axe  vertical,  la  partie 
réelle  de  la  surface  ne  saurait  admettre  pour  trace  cette  parabole  tout 
entière  :  dès  que  la  tangente  à  la  parabole  forme  avec  l'axe  des  x\in  angle 
égal  ou  supérieur  à  l'inclinaison  supposée  du  plan  tangent  sur  le  plan 
horizontal,  on  ne  peut  mener  par  cette  tangente  aucun  plan  réel  répon- 
dant à  la  question. 

Des  circonstances  analogues  se  produisent  nécessairement,  ainsi  que  je 
l'ai  fait  voir  dans  la  note  précitée,  chaque  fois  que  Ton  étudie  les  sur- 
faces d'égale  incidence  relatives  à  une  congruence  de  droites  ou  de 
courbes  non  normales  à  une  famille  de  surfaces  (au  moins  quand  l'angle 
d'incidence  difTère  assez  peu  d'un  angle  droit).  Dans  le  cas  où  la  con- 
gruence admet  des  surfaces  trajectoires  orthogonales,  on  ne  peut  rien 
affirmer  a  priori.  On  sait  toutefois  que  les  surfaces  d'égale  pente,  par 
cela  même  qu'elles  sont  développables,  possèdent  nécessairement  des 
arêtes  de  rebroussement. 


M.  E.  EITTEE. 

Ingénieur  en  chef  des  Ponts  et  Chaussées,  en  retraite,  à  l'an. 


L'ALGÈBRE   NOUVELLE    DE   FRANÇOIS   VIÈTE 


—  Séance  du  19  septembre  1892  — 

L'algèbre  enseignée  en  Europe  dès  le  xiii®  siècle  par  Léonard  de  Pise, 
d'après  les  écrits  des  Arabes  qui  avaient  emprunté  cette  science  aux 
Grecs,  se  réduisait  à  la  résolution  d'un  petit  nombre  de  questions  condui- 
sant à  des  équations  qui  ne  dépassaient  pas  le  second  degré;  les  principes 
dont  on  faisait  usage  pour  découvrir  les  inconnues  étaient  fondés  sur  des 
considérations  purement  géométriques  où  les  quantités  étaient  représentées 

•J2* 


178  MATHÉMATIQUES, ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

par  des  lignes  droites;  dans  les  calculs  l'inconnue  était  seule  désignée 
par  un  symbole,  les  données  étaient  toujours  des  nombres;  la  langue  de 
cette  science  n'existait  pas.  C'est  la  première  époque  de  l'algèbre,  algèbre 
exclusivement  numérique. 

François  Viète,  en  introduisant  dans  l'algèbre  l'usage  des  lettres  pour 
désigner  les  quantités  connues  aussi  bien  que  celles  inconnues,  fit  faire  à  la 
science  un  pas  de  géant;  il  créait  l'algèbre  moderne;  mais  il  ne  faut  pas 
croire  que  son  oîuvre  se  soit  bornée  à  cette  invention  ;  elle  comprend  la 
création  de  la  science  tout  entière;  comme  il  a  rejeté,  à  l'exemple  des 
al"ébristes  venus  avant  lui,  les  quantités  négatives  et  celles  imaginaires, 
toute   son  algèbre  repose  sur   la  considération  des   seules  quantités   et 

racines  positives . 

Rapidement  complétée  et  perfectionnée  par  l'introduction  dans  l'algèbre 
des  quantités  négatives  et  imaginaires,  l'œuvre  de  François  Viète  et 
môme  son  nom  sont  tombés  dans  l'oubli,  quoique  à  chaque  page,  dans 
nos  Traités  d'algèbre,  se  trouve  la  trace  des  procédés  imaginés  par  le 
grand  géomètre. 

Cette  algèbre,  presque  inconnue  de  François  Viète,  je  vais,  dans  un 
rapide  exposé,  la  faire  passer  sous  vos  yeux. 

François  Viète  définit  l'Art  analytique  ou  Algèbre  nouvelle  «  la  science 
de  bien  trouver  en  mathématiques  »,  et  il  la  considère  comme  composée 
de  trois  parties  :  la  Zététique  ou  mise  en  équation  des  problèmes;  laPoris- 
tique  ou  démonstration  des  théorèmes  ;  l'Exégétique  ou  résolution  numé- 
rique des  équations.  11  fait  reposer  toute  la  science  sur  le  principe  des 
homogènes  qui  exige  que  dans  toute  équation,  tous  les  termes  soient 
de  même  dimension,  c'est-à-dire  que  chaque  terme  soit  composé  par  le 
produit  du  même  nombre  de  facteurs  connus  ou  inconnus  du  premier 


degré. 


Il  représente  les  inconnues  par  les  lettres  majuscules  voyelles  A,  E,  U, 
et  les  quantités  connues  par  les  consonnes  B,  C,  D...;  les  puissances  de 
l'inconnue  par  la  môme  lettre  avec  un  indice  formé  par  l'addition  des 
exposants  des  puissances  :  quad.;  carré;  cub.  cube,  il  obtient  ainsi  la  suite: 

A,  A  q,  A  c,  A  qq,  A  qc,  A  ce,  etc. 
pour  X      x""       x^       x^         x^        x^ 

mais,  pour  conserver  dans  les  équations  le  principe  de  l'homogénéité,  il 
adopte  pour  les  données  une  série  avec  des  indices  correspondant  à 
chaque  puissance,  plan,  solide,  piano-plan,  piano-solide,  solido-solide. 

B,  B  pi,  B  sol,  B  pl.-pl,  B  pl.-sol,  B  sol. -sol. 

Les  signes  des  opérations  dont  il  fait  usage  sont  :  pour  l'addition  -j-; 
pour  la  soustraction  — ,  lorsque  le  terme  à  soustraire  est  le  plus  petit. 


F.    lilTTER.    t/aLGÈBRE    NOUVELLE    DE    FRANÇOIS    VIÈTE  179 

=  ,  7ninus  incertum,  lorsqu'il  ignore  lequel  des  deux  termes  est  le  plus 
petit;  pour  la  multiplication,  la  particule  in  entre  les  deux  facteurs;  pour 
la  division,  la  barre  séparative  des  termes  à  diviser;  pour  l'extraction  des 
racines,  R  ou  /,  suivi  de  l'indice  de  la  racine  à  extraire. 

Dans  les  applications  numériques,  l'homogénéité  disparaissant,  l'in- 
connue et  ses  puissances  sont  représentées  simplement  par  les  indices 

lA^  \Q,  IC,  iQQ,  \QC,  iCC. 

Ainsi,  avec  ces  notations,  on  aura  pour  l'équation  du  3«  degré  exprimée 
en  signes  algébriques  : 

A  c  -f-  B  k  A  q  +  C  pi  in  A.  œq  D  q  in  F 
x^  -\-  px"^  -\-  qx  =z  S 

Et  dans  les  applications  numériques  : 

16'  +  10C>  +14A^œql22 

X'  4-  lOx^  4-  14a;  =  122 

Après  avoir  exposé  les  règles  des  quatre  opérations  fondamentales  de 
l'arithmétique  en  algèbre,  il  donne  les  règles  générales  pour  la  réduction 
des  équations  à  la  forme  canonique,  c'est-à-dire  à  une  équation  ordonnée 
suivant  les  puissances  croissantes  ou  décroissantes  de  l'inconnue,  de  telle 
sorte  que  la  puissance  la  plus  élevée  ait  pour  coefficient  l'unité  et  que  le 
terme  connu,  formant  le  second  membre  de  l'équation,  soit  positif. 

François  Viète  applique  ensuite  les  principes  poeés  dans  cette  introduc- 
tion (rsagoge)àla  formation  d'un  certain  nombre  de  formules  usuelles  :les 
propositions  énoncées  sous  forme  géométrique  dans  les  2**  et  9*^  Éléments 
d'Euclide;  la  loi  de  formation  d'une  suite  de  quantités  en  proportion 
continue  et  celle  pour  l'insertion  d'un  nombre  quelconque  de  moyens 
proportionnels  entre  A™  et  B'"  ;  la  loi  de  formation  des  puissances  succes- 
sives de  la  somme  et  de  la  différence  de  deux  quantités;  la  formation  du 
type  (A  -f  B)"*  -f  D  (A  -|-  B)'"'"  qui  lui  servira  plus  tard  pour  la  résolution 
numérique  des  équations  ;  enfin  il  donne  les  formules  des  trois  côtés  du 
triangle  rectangle  en  nombres,  A^  -f  B%  A'*  —  B%  4AB,  et,  faisant  suc- 
cessivement l'angle  à  la  base  du  triangle  double,  triple,  etc.,  il  obtient  la 
formule  générale  de  sin  mx  et  de  cos  mx  en  fonction  de  sin  x  et  de  cos  x, 
formule  attribuée  à  Moivre  et  qui  appartient  à  François  Viète. 

A  la  suite  de  ces  formules  f.Voto  priores),  Viète  donne  les  cinq  livres  des 
Zétetiques,  recueil  de  problèmes  généraux  déterminés  et  indéterminés  sur 
les  nombres,  les  carrés,  les  cubes  et  les  triangles  rectangles  en  nombres. 
On  y  trouve  résolues  d'une  manière  générale  les  questions  les  plus  diffi- 
ciles des  Arithmétiques  de  Diophante  et  l'on  peut  mesurer  la  distance 
énorme  qui  sépare  les  procédés  du  géomètre  français   de  ceux  du  géo- 


■180  MATHÉMATIQUES,  ASTRONOMIE,  GÉODÉSIE  ET  MÉCANIQUE 

mètre  grec.  Ainsi,  par  exemple,  quand  Diophante  propose  de  trouver  trois 
nonlbres  tels  qu'en  les  multipliant  deux  à  deux  et  en  ajoutant  12  à  chacun 
des  produits,  les  sommes  soient  des  carrés,  il  trouve  pour  ces  nombres  2,1 

l 

et  -:  tandis  que  François  Vièle  prenant  pour  nombre  donné  b  trouve  les 
8 

trois  nombres  demandés,  au  moyen  de  formules  en  fonction  de  trois 
indéterminées  f,  g,  h  et  obtient  ainsi  une  infinité  de  solutions.  La  Réso- 
lution numérique  des  équations  fait  suite  aux  Zététiques  ;  il  y  arrive  par 
un  procédé  analogue  à  l'extraction  de  la  racine  d'un  degré  quelconque 
d'un  nombre  donné.  Il  l'applique  à  dix-sept  types  _d'équations  trinômes 
jusqu'au  sixième  degré  inclusivement.  Sa  méthode  est  générale,  mais  elle 
devient  de  plus  en  plus  laborieuse  à  mesure  que  le  degré  de  l'équation 
s'élève  et  que  le  nombre  des  termes  devient  plus  grand.  Les  types  sur 
lesquels  François  Viète  opère  n'ont  généralement  qu'une  seule  racine 
positive  ;  toutefois  il  donne  le  moyen  pour  l'équation  du  troisième 
degré,  lorsqu'elle  a  deux  racines  positives,  de  les  trouver  l'une  après 
l'autre.  Lorsque  les  racines  ne  sont  pas  commensurables,  François 
Viète  les  trouve  par  approximation  ;  à  cet  effet,  il  transforme  l'équa- 
tion en  une  autre  dont  les  racines  sont  dix  fois,  cent  fois,  mille  fois 
plus  fortes,  et  après  avoir  trouvé  la  racine  de  cette  équation,  il  la  divise 
par  10,  par  100,  par  1.000,  par  la  séparation  de  la  partie  entière  delà 
partie  décimale. 

Les  deux  parties  de  son  algèbre  qui  suivent  la  Résolution  numérique 
des  équations  renferment  la  Théorie  générale  des  équations.  La  première 
est  consacrée  à  l'examen  de  la  constitution  intime  des  équations  ;  mais 
cet  examen  est  limité,  sauf  dans  quelque  cas  où  il  s'applique  aux  équa- 
tions d'un  degré  quelconque,  aux  équations  trinômes  du  second  et  du 
troisième  degré,  ayant  une  ou  deux  racines  positives,  aux  relations  qui 
existent  entre  les  racines,  le  coctlicient  et  le  terme  connu  de  l'équation. 

Pour  le  cas  irréductible,  il  fait  connaître  qu'il  ne  peut  être  résolu 
qu'au  moyen  de  la  résolution  des  deux  triangles  isocèles  dans  lesquels 
l'angle  du  premier  est  le  triple  de  celui  du  second. 

La  majeure  partie  de  ce  traité  est  consacrée  à  la  transformation  des 
équations  d'un  degré  quelconque  par  altération  de  la  racine.  Les  algé- 
bristes  venus  après  François  Viète  n'ont  pas  beaucoup  ajouté  aux  règles 
établies  par  lui. 

Dans  la  seconde  partie  de  la  Théorie  des  équations,  le  grand  géomètre 
donne  les  règles  pour  corriger  les  vices  de  forme  des  équations  et  les  ra- 
mener à  la  forme  canonique,  en  faisant  disparaître  un  terme  d'une 
équation,  en  transformant  une  équation  dont  les  racines  sont  fraction- 
naires en  une  équation  dont  les  racines  sont  entières  ;  en  transformant  une 
équation  d'un  type  que  l'on  ne  sait  pas  résoudre  numériquement  en  une 


F.     RITTEU.    l'algèbre    NOUVELLE    DE    FRANÇOIS    VIÈTE  181 

équation  que  l'on  peut  résoudre,  en  débarrassant  une   équation   de  ses 
coefficients  fractionnaires  ou  irrationnels. 

Il  passe  ensuite  à  la  résolution  générale  de  l'équation  du  troisième  et 
du  quatrième  degré,  résolution  purement  algébrique,  qui  le  conduit  pour 
la  première  à  la  formule  de  Cardan,  pour  la  seconde  à  la  réduite  du  troi- 
sième degré  ;  les  formules  générales  qu'il  donne  au  nombre  de  trois,  pour 
chaque  degré,  débarrassent  l'algèbre  des  treize  cas  de  VArs  magna  de  Car- 
dan pour  le  troisième  degré,  et  des  quarante-trois  cas  de  Bombelli  pour  le 
quatrième  degré. 

Cette  partie  de  l'Algèbre  de  François  Viète  se  termine  par  un  grand 
nombre  de  formules  de  la  racine  d'une  équation  du  troisième  degré,  lors- 
qu'il existe  entre  le  coefficient  et  le  nombre  connu  certaines  relations  ;  je 
,  ne  citerai  que  le  théorème  que  François  Viète  énonce,  mais  seulement  pour 
le  cas  oîi  toutes  les  racines  d'une  équation  sont  positives,  de  la  composition 
d  ucoefficient  et  du  terme  connu,  avec  les  racines  de  l'équation. 

A  l'Algèbre  de  François  Viète  se  rattachent  quelques  applications,  qui 
lui  ont  fait  attribuer  l'application  de  l'algèbre  à  la  géométrie. 

Les  Arabes  et  les  algébristes  anciens  de  l'Europe  occidentale  ont  ap- 
pliqué dès  l'origine,  l'algèbre  à  la  résolution  des  problèmes  de  géométrie, 
lorsque  l'équation  finale  ne  dépassait  pas  le  second  degré.  Après  l'avoir 
résolue,  ils  construisaient  la  valeur  de  l'inconnue  par  le  triangle  rectangle. 

Dans  un  de  ses  traités  accessoires,  François  Viète  montre  comment  on 
peut  construire  directement  avec  la  règle  et  le  compas,  les  racines  des 
équations  carrées  et  bicarrées  sans  résoudre  l'équation,  au  moyen  de  ses 
coefficients. 

Dans  un  autre  traité,  il  montre  que  lorsque  la  résolution  d'un  problème 
conduit  à  une  équation  du  troisième  ou  du  quatrième  degré,  la  résolution 
ne  peut  plus  être  obtenue  avec  la  règle  et  le  compas,  mais  par  une  cons- 
truction qui  se  réduit  à  inscrire  une  droite  passant  par  un  point  donné 
et  d'une  longueur  donnée,  soit 
entre  deux  droites,  soit  entre 
une  droite  et  un  cercle,  soit 
entre  deux  cercles  donnés. 

Nous  citerons,  de  ce  traité, 
l'application  que  fait  François 
Viète  des  théorèmes  qu'il  dé- 
montre, à  la  résolution  du  cas 
irréductible. 

Soit  EBD  un  angle  donné,  si  du  point  B,  comme  centre  avec  un 
rayon  BE  quelconque,  on  trace  un  cercle  et  si  on  prolonge  le  diamètre  DBC, 
si,  du  point  E,  avec  une  règle  mobile,  on  mène  la  ligne  EF  de  manière 
que  FG,  segment  extérieur,  soit  égal  à  BE,  l'angle  EFA  sera  le  tiers  de 


182  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

l'angle  EBA,  et  l'on  aura  la  relation,  BA  étant  la  base  du  triangle  isocèle 
BEA,  FB^  —  3BC^FB  =  BC.BÂ^  relation  qui  correspond  à  l'équation 
du  troisième  degré  du  type  x^  —  'èp'^x  =  pq"^  qui  comprend  le  cas  irré- 
ductible, dont  on  peut  trouver  par  la  trigonométrie  la  racine  positive  en 

faisant  BD  r=  cos  a  =  -f-,  d'où  x  ^=  p  cos  -. 

%p  ^  3 

L'étude  des  différents  théorèmes  de  ce  livre  qui  conduisent  aux  diffé- 
rents types  de  l'équation  du  troisième  degré  et  l'application  qu'il  en  fait 
à  un  certain  nombre  de  problèmes  de  géométrie,  tels  que  celui  des  deux 
moyennes  proportionnelles,  de  la  duplication  du  cube,  etc.,  etc.,  permettent 
l'interprétation  géométrique  des  racines  négatives,  comme  pour  les  racines 
de  l'équation  du  deuxième  degré  ;  mais  ces  considérations  me  conduiraient 
trop  loin. 

Telle  est  dans  son  ensemble,  l'Algèbre  de  François  Viète;  en  étudiant 
cette  œuvre  considérable  d'où  est  sortie  l'algèbre  moderne,  on  est  étonné 
que  son  inventeur  n'ait  pas  été  un  mathématicien  de  profession,  mais  un 
Maître  des  requêtes  de  l'Hôtel  du  roi.  «  Ego,  écrit-il  à  Adrien  Bomain, 
qui  me  Mathematicum  non  profiteor,  sed  quem  si  quando  vacat,  délectant 
mathematica  studia.  »  «  Moi,  qui  ne  fais  pas  profession  de  mathématicien, 
mais  qui,  lorsque  j'en  ai  le  temps,  fais  des  mathématiques  mes  plus 
chères  études.  » 


M.  FONTES 


SUR    LA    DIVISION    ARITHMÉTIQUE 
(POSSIBILITÉ    DE   LA    SUPPRESSION    DE    CETTE    OPÉRATION) 


J'ai  présenté  à  l'Académie  des  Sciences,  Inscriptions  et  Belles-Lettres  de 
Toulouse,  dans  sa  séance  du  2  juin  1892,  un  théorème  sur  la  division 
arithmétique  dont  je  me  suis  réservé  de  développer  les  conséquences. 

Ce  sont  ces  conséquences  que  je  viens  exposer  ici,  en  même  temps 
qu'une  démonstration  plus  simple,  tirée  des  congruences,  du  théorème 
en  question,  que  je  scinderai  en  deux. 


FONTES.  —   SUR    LA    DIVISION    ARITHMÉTIQUE  183 

Théorème  I. 

On  peut  toujours  réduire  la  recherche  du  reste  de  la  division  d'un 
nombre  entier  quelconque  N  par  un  autre  M  à  la  même  question  pour  un 
autre  A,  plus  petit  que  lui,  formé  de  ses  éléments  et  dont  le  nombre  des 
chiffres,  indépendant  de  N,  ne  dépend  que  de  M. 

En  effet,  soit  iB  la  base  du  système  de  numération  dans  lequel  sont 
écrits  N  et  M,  ce  dernier  étant  supposé  premier  avec  S-  On  peut  toujours 
trouver,  de  différentes  manières,  deux  entiers  positifs  y?  et  m  (m  <^  M)  et 

un   entier  de  signe  quelconque  q,  plus  petit  que  -^  en  valeur  absolue, 
tels  que  :  J9  X  M  =  ^0'"  —  q 

ce  que  je  puis  écrire  sous  forme  de  congruence  : 

^"'  =  q      (Mod.  M) 

Cela  posé,  soient  a,  b,  c,  . . .  e,  f,g,  . . .  i,  j,  k,  . . .  r,  s,t,...  les  chiffres 
significatifs  de  N,  de  telle  sorte  que  dans  le  système  de  base  fB,  ce  nombre 
s'écrirait  . . .  tsr  . . .  kji . . ,  gfe  . . .  cba.  Si  je  décompose  N  en  tranches 
de  m  chiffres  en  commençant  par  la  droite,  je  pourrai  écrire  : 

N  =  . . .  +  (.  .tsr)  X  (^"*r  +  (.  -m  X  M"  +  (.  .gfe) 

Cela  posé,  je  considère  une  fonction  f{x)  composée  avec  x  comme  N  l'est 
avec  5^"*,  c'est-à-dire  la  fonction 

f(x)=  ...  +  (..ts,^)Xoc'  +  {..kij)Xx'  +  (.'9fe}Xx'+{..cba)Xx'' 

de  telle  façon  que  [[gf")  =  N. 

D'après  un  théorème  connu,  la  congruence  (1)  a  comme  conséquence  la 
congruence  :  /"(iB"')  =  fiq)      (Mod.  M) 

ou  mieux  : 

(2)  N     =  f{q)      (Mod.  M) 

qui  nous  démontre  le  théorème  énoncé,  à  savoir  que  le  reste  de  la  divi- 
sion de  N  par  M  est  le  même  que  celui  de  la  division  par  M  d'un  nombre  A 
composé  avec  q  comme  N  l'est  avec  S"*  de  telle  sorte  que  : 

A  =  . .  .J^{.Jsr)y<  q^  +  (.  .kji)-Xq'-{-i.  .gfé)X.  Q' +  {•  •cba)-Xq' 

q  pouvant  d'ailleurs  recevoir   un   signe  quelconque.  Comme  ce  dernier 

M 

nombre  est  toujours  <^—  en  valeur  absolue  on  aura  toujours  A  •<  N.  En 


184  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

outre,  si  A  contenait  plus  de  m  coffres,  on  pourrait  le  décomposer  comme 
il  a  été  fait  pour  N  et  après  un  nombre  très  limité  n  d'opérations  le  rem- 
placer par  un  autre  nombre  a"'~'^  jouissant  de  la  même  propriété,  ce 
qui  complète  le  théorème  énoncé. 

Je  ferai  remarquer  qu'en  faisant  t^  =  iO  et  M  successivement  égal  à 
3,  9,  7,  11  et  13,  on  retrouve  tous  les  critériums  de  divisibilité  exposés 
dans  les  traités  d'arithmétique  (*). 

Théorème  II. 

La  suite  des  calculs  nécessaires  pour  obtenir  A  permet  de  calculer  le 
quotient  de  M  par  M  sans  effectuer  d'autre  division  arithmétique  que  celle 
d'un  nombre  de  m  chiffres  par  ce  nombre,  m  étant  <<  M  et  indépendant 

de  N. 

En  effet,  la  congruence  (2)  nous  apprend  que  N  —  A  est  toujours  divi- 
sible par  M.  L'autre  facteur  peut  être  facilement  mis  en  évidence. 

En  effet,  on  a  toujours,  pour  p.  entier  : 


LB' 


r 


D'où,  en  observant  que  fB"'  —  g  =  ;>  X  M  : 

Dès  lors,    en  groupant  convenablement    les    termes  de  la   différence 

fU'^)-f('j)     ou     N-A, 

qui  sont  tous  de  la  forme  ( . . .  z-xy)  X  { (sfY  —  q^  \  o"  est  conduit  à  écrire 
cette  différence  sous  la  forme  schématique  suivante  : 


(3)  N-A=MxpX/ 


+  (..fsr)X90 


X 


(fB"f+ 


+  {..kji)Xq'' 

+  {.Jsr)Xq' 


X(5î")  + 

+  (gfe)  :<q' 

+  {..kji)  Xq' 
+  {.Jsr)>Cq'' 


X 


{srf. 


(*)  L'observation  ci-dessus  est  faite  sans  préjudice  du  beau  travail  de  M.  Perrin  sur  les  caractères 
de  divisibilité  (Congrès  de  Paris,  1890),  notre  but  n'étant  pas  ici,  surtout,  de  fournir  un  caractère 
simple  et  pratique  de  divisibilité,  mais  de  calculer  le  quotient  sans  division. 

1»  En  faisant  M  =  ii  et  m  =2  on  trouve  g  =  + 1. De  là  se  déduit  immédiatement  un  critérium 
peut-être  plus  simple  que  le  procédé  classique  et,  dans  tous  les  cas,  dispensant  de  l'emploi  des 
nombres  négatifs,  [)our  reconnaître  si  un  nombre  est  divisible  paru. 

2»  Si  on  observe  que  7  X  14  =  10"  — 2,  on  est  conduit  pour  7  à  un  critérium  qui,  bien  qu'exi- 
geant quelques  multiplications  par  2,  est  plus  simple  que  le  critérium  classique  si  N  n'est  pas  très 
grand.  En  tout  cas,  il  est  applicable  au  nombre  49  et  permet  de  reconnaître  immédiatement  si  un 
nombre  de  trois  chiffres  est  divisible  par  7. 


FONTES.     SUR    LA    DIVISION    ARITHMÉTIQUE  185 

OÙ  le  second  facteur  différent  de  M  est  mis  aussi  clairement  que  possible 

en  évidence. 

Le  calcul  des  coefficients  des  puissances  sruccessives  de:fB"*  dans  la  paren- 
thèse peut  s'effectuer  assez  facilement  si  on  commence  par  la  plus  élevée, 
c'est-à-dire  par  la  tranche  de  gauche  du  nombre  proposé,  chaque  coeffi- 
cient pouvant  se  déduire  du  précédent  en  le  multipliant  par  q""  pris  avec 
son  signe  et  en  ajoutant  à  ce  produit  la  tranche  suivante  de  m  chiffres  non 
encore  employée,  qu'on  rencontre  immédiatement  en  s'avançant  vers  la 
droite.  A  se  déduit  lui-même  du  dernier  coefficient  de  la  parenthèse  par  le 
même  procédé. 

Gomme  la  multiplication  par  iB"  se  réduit  à  écrire  [x  zéros  à  la  suite 
du  multiplicande,  on  voit  que  les  colonnes  du  schéma  (3)  sont  pour  ainsi 
dire  disposées  à  l'avance  pour  les  calculs,  au  moins  quand  q  est  positif. 

Ayant  fait  voir  qu'on  peut  toujours  ramener  A  à  un  autre  nombre  a'"~^' 
de  m  chiffres  seulement  jouissant  des  mêmes  propriétés,  la  deuxième  pro- 
position énoncée  se  trouve  ainsi  justifiée. 

Le  procédé  de  division  auquel  conduisent,  pour  ainsi  dire  d'elles- 
mêmes,  les  considérations  ci-dessus  exposées  est  très  simple  quand  M  est 
module  d'une  congruence  à  ±  1  f  )  ou  à  un  nombre  q  très  petit.  Voici, 
en  regard,  deux  exemples  de  divisions  (**),  l'une  par  09  (99  =  10^  —  1), 
l'autre  par  37  (37  X  2"?  =  10^  -  1)  : 


DIVISION    PAR    99 

DIVISION   PAR   61 

Dividende  :     23  54  56 

78 

Dividende 

:    2  343  565 

627 

23  54 

56 

2  343 

565 

23 

54 
23 

2 

343 
2 

1 

11 

2 
13  reste. 

1 

537 
1 

23  78  35 
quotient 

2  345  911 

27 

16  421  377 

46  918  22 

538  (reliquat,  à 
diviser  par  37, 
de  trois  chiffres 
seulement.) 

63  339  597   quotient  partiel. 

Le  procédé  appliqué  au  diviseur  37  me  conduit  au  nombre  A  =  538 
que  le  théorème  qui  va  suivre  me  permettra  de  diviser  sans  effectuer  de 
division  arithmétique. 


(•)  Je  ne  m'occupe  plus  ici  que  de  numération  décimale. 

(**)  Je  ne  donne  pas  ici  d'exemi)le  de  la  division  type,  celle  par  9,  dont  le  lecteur  restituera 
aisément  le  schéma  sur  le  vu  de  celle  par  99,  le  principe  de  la  division  par  9,  que  j'avais  trouvée  il 
y  a  quelques  années,  se  trouvant,  à  mon  insu,  dans  l'ouvrage  de  M.  Lucas  sur  la  théorie  des  nombres, 
mais  sans  la  disposition  schématique  que  j'indique  ici. 


186  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

Comme  exemple  où  q  est  différent  de  l'unité,  je  prendrai  une  division 
par  499.  Ici,  j'observe  que  499  X  2  ==  10^  —  2.  Je  disposerai  mes  cal- 
culs comme  suit  : 


2  X2=^4.... 
(343+     4)X2  =  694.. 
+  694)  X2  =  2518. 
(2+     1)X2  =  6.... 


Dividende    2  343  565 

627 

4  000 

000 

694 

000 

2 
1 

518 
145 
6 
131  reste. 

2  348  262 

2 

4  696  524  quotient. 

Le  calcul  se  fait  assez  rapidement,  car  il  n'est  pas  nécessaire  d'écrire 
deux  fois  les  produits  4,  694,  2318  et  6. 

Les  calculs  sont  un  peu  plus  compliqués  quand  10'"^  est  congru  à  un 
nombre  négatif;  j'en  donnerai  plus  loin  un  exemple. 

Le  problème  de  la  suppression  de  la  division  se  trouve  ainsi  théori- 
quement résolu  par  le  théorème  II,  car  on  peut  toujours  trouver  un 
nombre  m  <  M  tel  que  10'"  =  +  1  (Mod.  M).  Mais  l'intérêt  des  nos  opé- 
rations  deviendrait  illusoire  si   m  était  très  grand,   quoique  plus  petit 

M 

même  que  -^.  Il  est  plus  commode  de  se  contenter  d'une  petite  valeur 

de  q  si  cela  est  possible. 

Le  problème  de  la  division  peut  être  complètement  résolu  sur  le  reli- 
quat de  m  chiffres  qui  provient  de  l'emploi  de  q  au  lieu  de  ±:  1,  au 
moyen  du  théorème  que  je  vais  exposer  ci-après  et  qui  fournit  le  moyen 
de  ramener  la  division  du  nombre  de  m  chiffres  à  une  autre  plus  facile. 

Théorème  III 

Soient  N,  M,  S,  trois  entiers  positifs,  tels  que  N  >  M  et  que  S  ■<  N  —  M. 
On  peut  toujours  obtenir  le  quotient  et  le  reste  de  la  division  de  N  par  M 
par  une  série  de  divisions  par  M  -j-  S. 

En  effet,  soient  B  et  C  le  quotient  et  le  reste  de  la  division  de  N  par 
M  -}-  S,  soient  B  -{-  ^  et  y  le  quotient  et  le  reste  de  la  division  de  N 
par  M;  nous  aurons  : 

N  =  B(M  +  S)  +C; 

N  =  (B  +  p)M-f  y; 

d'où  •    BS  +  C  =  pM  +  y  ; 

ce  qui  nous  apprend  que  le  reste  de  la  division  de  N  par  M  est  le  même 
que  le  reste  de  la  division  de  BS  -|-  C  par  le  même  nombre.  En  faisant 


B(M  +S)  +  C; 

B'(M  +  S)  +  C'; 
B"(!VI+S)  +  C"; 


FONTES.    —   SUR    LA    DIVISION    ARITHMÉTIQUE  187 

cette  seconde  opération,  qui  nous  donnera  un  quotient  plus  petit  que  la 
première  (car  BS  +  C  est  plus  petit  que  N  de  BM),  puis  une  autre,  et  ainsi 
de  suite,  nous  serons  certains  d'arriver  au  résultat  sans  avoir  exécuté 
aucune  division  par  M,  ce  qui  sera  très  simple  si  nous  avons  su  conve- 
nablement déterminer  S,  qui  est  arbitraire. 
Voici,  du  reste,  comment  on  peut  diriger  le  calcul  : 

On  fait    d'abord  une   première 

opération,  qui  donne N  : 

Puis  une  seconde B'S  +  C  : 

Puis  une  troisième B'S-|-C'  - 

Et  ainsi  de  suite  jusqu'à  ce  qu'on 

arrive  à  un  nombre B"~^S  +  C""^  =  B  "  (M  -f-  S)  +  C  ; 

y<M+S B^"^S  +  C^"^  =                      +T. 

On  aura  alors,  en  additionnant  : 

N  3=  (B  +  B'  +  B"  +  . . .  +    B^"-^^  +  B'"^)M  +  y  (*). 

On  obtient  ainsi  le  quotient  et  le  reste  cherchés. 

Je  vais  montrer  par  un  exemple  comment  une  division  compliquée 
peut  être  ainsi  remplacée  par  un  petit  nombre  de  divisions  faciles. 

Soit  à  diviser  N  =  2  334  257  83o  par  M  =  598.  Ici,  je  fais  S  =  2 
pour  avoir  M  +  S  =  600  (diviseur  très  facile);  j'aurai  ainsi  successive- 
ment : 


N  =  2  334  2o7  83o 

3  890  429  X  2  +  435 

12  968  X  2  -1-  483 

44x2-1-    29 

N    =r 


3  890  429 

12  968 

44 

390  344 

quotient 


X  600  -f-  435 
+  483 

4-   29 


117  reste. 


Comme  deuxième  application,  je  donnerai  la  terminaison  de  la  division 
par  37,  commencée  à  la  suite  du  théorème  II,  qui  se  réduit  à  diviser  le 
reliquat  de  trois  chiffres  538  par  37.  Ici,  je  poserai  S  =  3,  pour  n'avoir 
plus  qu'une  division  par  4  à  effectuer.  J'aurai  alors  : 


538 
13  X  3  +  18 
1  X3  +  17 


13 
1 

U 


X  40  -h  18 

-1-17 


-f-  20  reste. 


quolionl. 


(*)  Y  sera  en  général  le  reste;  mais  il  pourra  être  intermédiaire  entre  M  et  M  +  S.  Dans  ce  cas, 
la  parenthèse  doit  être  augmentée  d'une  unité,  et  le  reste  est  ^  —  M. 


188  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

Le  quotient  complet  cherche  est  donc:  63  339  507  +  14  =  63  339  611, 
et  le  reste  20. 

On  voit  combien  ces  calculs  sont  simples.  Ils  le  seraient  davantage  si 
on  pouvait  faire  S  =  1  {*). 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  présent  théorème  résout,  au  moins  théorique- 
ment, d'une  manière  complète,  le  problème  de  la  suppression  complète 
de  la  division  arithmétique.  11  est  à  remarquer  que  si  l'on  fait  M  =  9, 
S  =  1,  on  retombe  assez  aisément  sur  le  procédé  de  division  par  9  qu'on 
peut  déduire  des  théorèmes  précédents. 

IV.  —  Conséquences  et  applications  de  ce  qui  précède. 

Nous  avons  terminé,  au  point  de  vue  théorique,  notre  étude,  dont  la 
conséquence  logique  serait  celle  de  la  congruence  10'"  ^  </  (Mod.  M)  ;  mais 
cette  dernière  nous  entraînerait  bien  au  delà  des  limites  de  notre  sujet. 

Nous  n'avons  pas  à  nous  dissimuler  que,  dans  beaucoup  de  cas,  le 
procédé  que  nous  avons  esquissé  pour  éviter  la  division  arithmétique 
pourrait  devenir  plus  compliqué  que  cette  opération  elle-même,  surtout  si 
nous  voulions  obtenir  le  reste  exact. 

Mais  il  n'en  sera  pas  de  même  si  nous  voulons  simplement  calculer 
avec  des  décimales,  de  façon  à  obtenir  les  quotients  de  la  division,  à  une 
unité  près,  d'un  ordre  donné.  Dans  ce  cas,  il  nous  suffira  de  faire  suivre 
le  dividende  d'autant  de  tranches  de  m  zéros  que  nous  jugerons  conve- 
nable. Nous  supprimerons  ainsi  les  difficultés  afférentes  à  la  recherche  du 
reste,  les  plus  grandes  que  présente  notre  théorie,  et  nous  aurons  rem- 
placé la  division  (opération  fort  compliquée  en  elle-même  et  qui  ne  nous 
paraît  simple  que  par  la  grande  habitude  que  nous  en  avons),  par  des 
additions,  des  soustractions  et  des  multiplications. 

Nous  prendrons  pour  exemple  un  calcul  d'intérêts  au  moyen  d'une 
balance  des  nombres,  en  supposant  l'année  de  365  jours,  opération  assez 
compliquée  pour  qu'on  recule  devant  elle  dans  la  pratique,  où  l'on  ne 
compte  généralement  l'année  que  pour  360  jours. 

Si  nous  remarquons  d'abord  que  365  =  73  X  5,  nous  voyons  qu'il 
conviendra  d'abord  de  diviser  le  taux  de  l'intérêt  par  5  dans  la  multipli- 
cation de  la  balance  des  nombres  par  ce  taux  (ce  qui  sera  généralement 
très  simple,  le  nombre  qui  l'exprime  étant  presque  toujours  divisible 
par  5).  La  division  par  73  s'effectuera  ensuite  en  faisant  usage  de  cette 
remarque  que  : 

437  X  73  =  10*  -f-  1  r 

(*)  M.  Lucas  donne,  dans  son  ouvrage  sur  la  théorie  des  nombres,  un  procédé  abrégé  de  division 
par  19  différent  de  celui  qui  précède  et  qui  peut  être  généralisé. 


FOXTÈS.    SLll    LA.    DIVISION    ARITHMKTIQL'i:  189- 

Nous  nous  servirons  dès  lors  du  schéma  du  théorème  II,  en  faisant 

m  =  A    7  =  — 1,    p  —  137 

Supposons  que  la  balance  des  nombres,  multipliée  par  le  cinquième  du 
taux  de  l'intérêt  ait  donné  32743.  Si  nous  voulons  avoir  les  centimes 
exacts,  nous  observerons  que  137  ><  0,000  001  <  0,001 .  Par  suite;  nous 
ferons  suivre  le  nombre  proposé  d'une  seule  tranche  de  quatre  zéros. 

Le  calcul  pourra  dès  lors  être  disposé  comme  suit  : 

3    2745    0000 
3 


3    2743    0003    somme  des  termes  positifs. 
3    2743  »  »  négatifs. 


3     2741     73 


/ 


31 


3  2741  73 

.9822  ol 

2291  87 

4  4836  11 


Nous  appliquons,  pour  la  multiplication  par  137,  la  règle  d'Oughtred. 

Le  quotient  est  448  fr.  56  c.  avec  les  centimes  exacts. 

La  seule  petite  difficulté  qui  puisse  se  présenter  est  le  placement  de  la 
virgule.  Elle  n'est  pas  insurmontable  {^'). 

On  voit,  par  cet  exemple,  le  parti  qu'on  peut  tirer  de  ce  mode  de 
calcul  quand  on  a  besoin,  soit  de  calculer  ou  de  vérifier  un  grand  nombre 
de  divisions  par  le  même  nombre,  soit  de  calculer  des  barèmes,  la  divi- 
sion arithmétique  étant  par  elle-même,  l'opération  qui  offre  le  plus  de 
chances  d'erreurs. 

Je  m'abstiens,  pour  ne  pas  allonger  indéfiniment  ce  petit  travail,  de 
fournir  d'autres  exemples,  d'autant  plus  volontiers  que  je  ne  prétends 
nullement  imposer  une  manière  plutôt  qu'une  autre  de  disposer  les 
chiffres  aux  calculateurs  de  profession. 

(*)  Dans  l'espèce,  si  le  nombre  des  chiffres  du  dividende  eût  été  très  grand,  on  aurait  pu  faire  appel, 
au  lieu  de  la  congruence  iO^  =—  ^  (Mod.  73),  à  la  congruence  10»  =  +  1  (Mod-  "'3),  qu'on  obtient 
en  élevant  la  première  au  carré,  ce  qui  eut  dispensé  de  l'emploi  des  nombres  négatifs,  mais  alors  on 
aurait  eu  pour  multiplicateur,  au  lieu  de  137,  un  nombre  de  7  chiffres,  le  produits^  X  il  X101  X137. 


190  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 


M.  E.EO]fTAII"EAÏÏ 

Ancien  Officier  de  marine,  à  Limoges. 


SUR  LA  DÉFORMATION  DES  CORPS  ISOTROPES  EN  ÉQUILIBRE  D'ÉLASTICITÉ 


—  Séance  du  20  septembre  i892  — 

1.  —  Je  me  propose  d'intégrer  les  équations  aux  dérivées  partielles 

fxA^u  +  (X  + 1.)  ^  =  0,      i.^^v  +  a  +  j.)  ^  =  0, 

'  '  a- 

auxquelles  doivent  satisfaire  les  composantes  de  déformation  u,  v,  iv  d'un 
corps  isotrope  pour  qu'il  soit  en  équilibre  d'élasticité,  lorsqu'on  suppose 
qu'il  n'y  a  pas  de  forces  extérieures  appliquées  à  la  masse  du  corps.  Le 
problème  général  où  cette  restriction  n'a  pas  lieu  se  ramène  aisément, 
comme  on  le  sait,  au  cas  particulier  dont  il  s'agit.  Dans  ces  conditions, 
la  question  la  plus  simple  à  laquelle  donnent  lieu  les  équations  (1)  est  de 
déterminer  les  composantes  de  déformation  u,  v,  w^pour  tous  les  points  du 
corps  élastique  lorsqu'elles  sont  données  à  sa  surface;  c'est  celle  dont 
je  vais  m'occuper  presque  exclusivement. 

Soit  qi  =  fi{x,  y,  z)  =  0,  l'équation  en  coordonnées  rectangulaires  de 
la  surface  du  corps  élastique  ;  si  on  passe  au  système  de  coordonnées  cur- 
vilignes orthogonales  q^,  q^,  q^  défini  par  les  égalités  : 

(2)       q,  =  f^{x,  y,  z),       q^  =z  f^(x,  y,  z),       q,  =  ^x,  y,  z), 

on  déduira  des  égalités  : 

_  X  -f  [X     dp  _  1  +  \>-     dp 

^  2(X4-2[x)dx;'       ^  i-TJ    .T-     ' 


E.    FONTANEAU.   —  SUR    LA    DFFORMATION   DES   CORPS   ISOTROPES 

qui  satisfont  généralement  aux  équations  (1),  les  suivantes  : 


191 


(4) 


1  -\-  a      dp        dx  ,^  ,    ,    dv  ,_  ,        dz. 

2(x  -f  -2.a  I  dq,       dq,      *  (/Yi  ^Çi 


1  -\-  <j.      dp 


2(À  +  2a  I  dq^ 


dx  ,  ,    dy  ,_  ,        dz 

— -   Q,  —  M  »  +  -^  (  Q,  —  v)  —  -T-  IV, 
d(h  dq^  dq^ 


À  +  a      dp        dx  ,  ,    du  .^  dz 

^2(À  +  2y,i  rf7,3       rfg3  c^f/3  dq,      ' 


si,  pour  simplifier,  on  pose 


(5) 


rfa;       ,    dv       ,    dz 
dq,  dqy  dq^ 


M 


dx       ,    dy       ,    dz 
dq^  dq^  dq.. 


dx       ,    du       ,    dz 
dq^  dq,  dq. 


on  aura  encore  par  les  égalités  (4)  les  trois  équations  de  condition 


dx  dQi  dx  f/Q,  dy  dQ^        dy  dQ^ 

dq^  dq.^  dq^  dq^  dq^  dq.^ 

j  dx  (/Qj  dx  f/Gi  dy  r/Q, 

^  dqy  dqs  dq.^  dq^  rf(/i  dq.^ 

dx  diii  dx  dQ.1  dy  dQ^ 

dqs  dq^  dq^  dq^  dq^  dq.,        dq^  dq.^ 


dfh 

dq, 

dy 

dq. 

dù^ 
dq, 

dy 

f/Q, 

dh 
dq^ 

dh 

dq-i 

dN 
dq^ 


m 

dqv' 
dN 

dq,' 

dM       , 

d(h 


2.  —  D'après  cela,  je  considère  d'abord  séparément  les  deux  dernières 
équations  (4)  et  celle  des  équations  (6j  de  condition  qui  en  résulte.  Si, 
conformément  à  la  théorie  des  coordonnées  curvilignes,  on  pose  : 


0) 


S+(S)v(ê)=M,  (ê)v(|;+(ê 


hi 


( 


dx  )       \dy  J       \dz  J 


hl 


et  que  l'on  désigne  par  a^,  b^,  q  les  angles  que  la  normale  en  x,  y,  5  à  la 
surface  dont  l'équation  est  ^i  =  0  fait  avec  les  axes  des  x,  des  y  et  des  z, 
on  aura,  par  une  transformation  facile  : 


(8)   Q 


i 


div 
dy 


dv 
dz 


+  6i 


du 
dz 


dw' 
dx 


+  c, 


dv 
dx 


du 
dy. 


\ 


192  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE^    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

et  on  pourra  mettre  la  troisième  équation  de  condition  (6)  sous  la  forme 
suivante  : 


(9) 


a, 


dy 


dQ, 

+  *. 

dQ, 

dy . 

dv' 
dz^ 

+  ^1 

~du        du 
dz        d.i 

1 

+  Ci 

'dv 
dx 

du 
•dy_ 

Dans  cette  égalité,  qui  aurait  pu  être  immédiatement  écrite  en  vertu  des 
relations  : 


dw      dv  dCî^ 

(lOj —  = -^ 

dy       dz  dz 


du      dw  _  dLi ,       d V      du      rfQ,  _  r/Q, 
ds      dx        dz        dx      dy       dx        dy 


le  second  membre  est  l'expression  du  double  de  la  composante  de  rotation 
normale  à  la  surface  du  corps  élastique  et  le  premier  membre  montre 
comment  cette  composante  dépend  des  fonctions  potentielles  û^,  Q.^,  CI3. 
On  peut  aussi  substituer  aux  deux  dernières  équations  (4)  les  suivantes  : 


(À  +  l^) 


du  dx'yLQ. 

dij.,  dq.,\dq^ 


1    I 


dx 
d(h 


y X 


dy 
dq. 


dQ,) 
dq-i] 


+  (X  +  3-;.  ) 


dji  dx       dy  dx 
dq^  dq,^       dq.,  dq^ 

dy 


dy  d\i        dy  dli 
dq^  dq.,       dq^  dq^_ 


+  2(X  +  2;. 


(ii; 


dq-i 


di/  ,T 


^1  +  ':>^  + 1^-) 

+  0^  +  NyQ  =  0 


\ 


du 


+  2(X  +  %J.) 


dx 


\l    dq.,  dq., 

dy  dx       dy  dx 
jlq^  dq,       dq,  dq^ 


dq., 
dQ., 


+  ^ 


dq., 

Q,  +  (À  +  I. 


X 


dy 


dQ.J 


dx 

dq^       ~  dq.,\dq,^ 


dx  f/K       dx  rfR 


dq.,  dq,     _ 


dq.,  dq,       dq.i  dq.. 


et  pour  les  termes  tout  connus  de  ces  équations,  on  obtient,  par  une  trans- 
formation semblable  à  celle  dont  il  vient  d'être  question  : 


2a  +  2a) 


dq,  '  dq^  ' 


(12) 


hj\. 


2(X  -[-  [xj 
^20+^ 

iLjL, 


[c,u  —  a,w]  +  il  +  aiyQ, 
Cl  y  —  h,w]  —  (X  +  ;j.)a;0. 


dx  ^,        dx  ,, 

—  N  —  —  M 
dq^  dq. 


E.   FONTANE.VU.    —   SUR    LA   DÉFORMATION    DES    CORPS    ISOTROPES         193 

Enfin,  on  a  les  relations  suivantes  : 


dy  d\i 


+ 


(13) 


+ 


dij  dK 
dq-i  dq.^ 
'  dij  dz 

jki.dq^ 

dx  d\i 
dq^  dq., 
'  dx  dz        dx  di 


dq-i  dq.:^ 
dy  dz 
dq.,  dq,\d 

dx  dK 
dqz  dq.^ 


dy  dx         dy  dx~\dK 


.dq.i  dq^        dq^  dq^jdx 


dli 


1 


dq.j,  dq^        dq^  dq^\dz 


dli 


dy  dx 
dÇi  dq^ 
1 


■     dK 

Cl a 


dli 
'dz 


h^ha 


dx 

dy  dx  IdK 
dq^dq,]dy 
dK  dli 

dy  '  dz 


3.  —  La  troisième  équation  (6)  est  une  conséquence  des  deux  dernières 
équations  (4)  et  ne  donne  pas  une  condition  nouvelle  qu'aient  à  vérifier 
les  trois  inconnues  Q,,  Q^  et  K.  On  pourra  donc  prendre  à  volonté  l'une 
de  ces  fonctions,  Q^  par  Q3,  par  exemple,  et  K  en  résultera  sans  difficulté 
par  de  simples  quadratures.  Mais  si  l'on  peut  ainsi  satisfaire  d'une  infinité 
de  manières  aux  deux  dernières  équations  (4),  il  faut  vérifier  la  première 
et  la  difficulté  de  la  question  consiste  à  diriger  le  calcul  de  manière  qu'on 
puisse  atteindre  ce  résultat. 

Dans  ce  but,  je  suppose  qu'on  ait  obtenu  pour  Q^,  Q^  et  K  un  système 
de  fonctions  propre  à  vérifier  les  équations  dont  il  s'agit.  Comme  ces  équa- 
tions sont  linéaires,  il  est  clair  que,  pour  avoir  toutes  les  solutions  dont 
elles  sont  susceptibles,  il  suffit  d'ajouter  au  système  connu  la  solution 
générale  des  équations  homogènes  que  donne  la  suppression  des  termes 
tout  connus.  D'après  cela,  j'admets  qu'en  faisant  usage  du  principe  de 
Derichlet  et  de  la  fonction  de  Green,  ou  par  tout  autre  procédé,  on  ait 
déterminé  les  fonctions  potentielles  d'espace  qui  correspondent  aux  fonc- 
tions déterminées  pour  la  surface  par  le  calcul  indiqué  et,  pour  simplifier, 
je  les  désigne  encore  par  Q^,  Q,  et  K.  Prenant  ensuite  U,  V,  W  pour  les 
expressions  inconnues  des  composantes  de  déformation  à  déterminer  pour 
tous  les  points  du  corps  élastique,  je  pose  : 


U  =  Qi- 


to, 


X+u.        d 


(14)    l    V  =  Q,^  +  or,-^^^^-[^(Q,+ 


W 


■^^±^^-^1^^^ 


et  je  déduis  de  ces  formules  les  équations  analogues  à  celles  qui  viennent 
dêtre  considérées.  Comme  U,  V,  W  doivent,  par  hypothèse,  se  changer  à 

13* 


194  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

la  surface  du  corps  élastique,  respectivement  en  u,  v,  w,  on  aura  pour 
résultat  du  calcul,  après  avoir  efTacé  ce  qui  se  détruit  : 


(^  +  !^) 


\  r    ch/  dx 


f/o)j 


+ 


dy  dx       dy  dx' 
dq^  dqs       dqs  dq^ 


(15) 


(^  +  I-) 


dii  dx 


dq, 
doi 


dx  diildoi. 

y- — X   ■ 


dq^  dq^jdqs 

dy  dk       dji  dk 
dq-idq^       dq^dqs_ 


0, 


.    dqa 


Iq,]  dq 


+ 


dx  du 


C?w„ 


+(X+3i.) 


dy  dx       dy  dx 
jlq^  dq.;,       dqs  dq.,_ 


'>\-{-Q^-\-i^) 


_    dq^  dq.,]dq., 

dx  dk        dx  dk' 
dq^dq^       dq,dq., 


=  0, 


dx  rftoj        dx  diû^        dy  dw^        dy  dw^ „ 

dqs  dq.,        dq^  dq^  "^  dq^  dq^        dq^  dq^ 

Quant  aux  équations  (4),  si,  pour  simplifier  on  pose  : 


X+ix 


2(X+2f.) 
(16)  \       -  d^  *- 


_  dQ^       d\i   .    dx.^    \    "o  n 


dq, 


dq,       dq,       dq. 


dy_ 

dq. 


dx  , 

dq. 


,    dz  dx  ^    ,    dy       .    dz  ^       _^ 

dq,  dq,  dq,  dq. 


dx  dy       .    dz  dx  dy       ,    ^^  v  _  /^ 

dq^  dq^   '    '    dq^  dq^  dq,  dq, 

relations  d'où  on  déduit  immédiatement,  pour  la  détermination  de  ç,  -/i,  C: 


(17) 


dx 


,2  dy 


,  dz 


h\  ^  H,       •/]  =r  li\  -^  H,       X,  =  h\~^; 


dq,  "'        ■'         "'  dq,      '  '  dq, 

elles  donneront  comme  résultat  de  la  même  substitution  : 


2(X  +  2jx) 


ddi,  dw^        dk        dx         ,    dy 


dx  .  ^     ,    dy  dz 

dq,  dq,  dq. 


>.   +   IX 


(18) 


2(X  +  2(.) 


X  +  [x 


dw,  do) 

x-^-\-y 


1>{l  +  2;x) 


X 


dq. 


do\ 


dk        dx  dy      ' 

1 — \~  :ï — r  T-  ^'^1  +  x"  "^2 
dq.,       dq^       dq^  dq. 


dx  dy 

dq.,  dq, 

di-o,    .    dk    .    dx 


_     dq, 


......       ^..       „„  dy 


dq,        dq,        dq^ 

dx  dy 

-1—  ^h  +  -r-  «ï- 
dq,  dq. 


dq, 


OJ, 


E.    FO?{TANEAU.    —   SUR   LA   DÉFORMATION    DES    CORPS   ISOTROPES         19o 

On  voit  que  ces  nouvelles  équations  correspondent  à  un  problème  qui 
ne  diffère  du  problème  d'abord  posé  que  par  les  conditions  : 


(19) 


M  =  0,        N  =  0, 


auxquelles  il  y  a  lieu  maintenant  de  satisfaire,  la  quantité  L  pouvant  d'ail- 
leurs être  quelconque.  La  signification  géométrique  de  ces  conditions  est 
très  simple;  car,  en  vertu  des  relations  (8)  et  (12),  on  voit  que  la  compo- 
sante de  rotation  normale  à  la  surface  du  corps  doit  être  alors  nulle  pour 
tous  les  points  de  cette  surface  et  que  si  l'équilibre  d'élasticité  venait  à  être 
rompu,  le  déplacement  d'un  quelconque  de  ces  points  se  ferait  suivant  la 
normale.  Réciproquement,  lorsque  cette  dernière  condition  est  satisfaite,  il 
en  résulte  en  vertu  des  égalités  (12)  ; 


M  =  0,        N  =  0,        et  par  suite 


dq^        dqs 


0. 


4.  —  Pour  arriver  à  la  solution  complète  du  problème  proposé,  il  suffit 
donc  d'intégrer  les  équations  (18)  auxquelles  on  peut  ajouter  les  suivantes 
qui  en  résultent  immédiatement,  ou  bien  encore  se  déduisent  en  vertu  des 
relations  (19)  des  équations  (6)  : 


dx  d 


(O, 


m  {     ir 


dqi  dq^ 
dx  d(ù. 


dx  dojj        dy  d 


Wo 


dy  d 


co„ 


dq^  dqs 
dx  doy, 


dq^  dqy        dq^  dq^ 

dx  d^i        dy  d(i}^ 
dqs  dq^        dq^  dq^ 

dx  rftoj        dy  doy^ 

~  +  XT' 


dq^ 

dq, 

dy 
dq. 

do)^ 
dq. 

dy 

ddi^ 

dq^  dq^        dq.,  dq.^        dq^  dq^         dq^  dq^ 


rfH 

dq^ 

d^ 

dq^ 


=  0, 


où  H  a  la  même  signification  que  dans  les  égalités  (16)  et  (17). 
De  ces  équations  on  déduit  ; 


dy(.m_ 
dq^  dq-i 


dx  rfH 

dqz  dq^ 


dy  dU 

dqs  dq^ 


dx  dH 
dq.^  dqs 


dx  dy        dx  dy  1  d 
dq.,  dq^       dqs  dqjdq^ 


'-  + 


dx  dy 


dx  dy 
dqi  dq 


3J 


di)}^ 


dq. 


+ 


d 


(û. 


dx  dy        dx  dy 
Jqidq^       dq.idqy\dq^ 


'  dx  dy 
Mi  d<ïs 


dx  dy 
dq-i  dq^ 


dqi 


dx  dy 
dqs  dqi 


dx  dy 
dqi  dgs. 


dw^ 
dq., 


dx  dy 


V  dx  dy 

\dqi  dq^       dq^  dq^_ 


Iq^  ' 


196  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

et  en  ayant  égard  à  l'identité  : 


(21) 


'  dx  d]! 
dq^  dq, 

+ 


dx  dy' 
dq,  dq^, 
dx  dy 


-+ 

dx  dji 


dqi  dq^       dq^  dq^ 


dx  dy        dx  dy' 
dq^  dq^       dq^  dq.^^ 

yz         1 

dz 
dq^ 

_  dq^  "~  hjiji^  ' 

on  aura  pour  déterminer  les  quotients  difîérentiels  de  w^  etw^  par  rapport  à 


(22) 


d 

doi.j, 
dz 


7  =  hjijh 


dx  (/H  dy  d\\ 

_dq^  dq^  dq^  dq^ 

dx  dW  dx  c/H' 

dq^  dq^  dq^  dq^ 


D'ailleurs,  les  équations  (18  supposent  les  suivantes  : 


(23) 


OJ, 


OJ, 


2(X  +  2u)  dx 

2(X  +  2.a)  di 

X  +  ij.      d 

2(X  4-  2ix)  Jz 


Xi»  y    +   y  «2   +   f^]> 


et  il  résulte  de  la  dernière 


(24) 


X 


f/Wj 


(/. 


7  +  y 


d 


(0„ 


:(X  +  Î.) 


dy 


dx' 


X- î/  -7— 


m 


Iq, 


dz 
dy 


dx 

y-, — ^-r- 


—  2(X  +  2f.)!; 


Les  formules  (22)  et  (24)  font  connaître  à  la  surface  du  corps  élastique 
les  quotients  difîérentiels  par  rapport  à  z  de  o>i,  w^  et  k  et  comme  il  s'agit 
de  fonctions  potentielles,  on  pourra  les  déterminer  pour  tous  les  points  du 
corps;  j'admets  que  ce  calcul  ait  été  effectué. 

Parmi  les  équations  qui  doivent  être  vérifiées,  je  considère  maintenant 
les  deux  premières  équations  (15)  ;  on  peut,  en  revenant  aux  coordonnées 
rectangulaires,  le  mettre  sous  la  forme  suivante  : 


(>^+I-) 


dz 
dq. 


dis).   ,      dio. 
X- — [-y- 


d 


to, 


dx 


dy 


dz 


dx         dy    ,      dz 
X- — ^y-r~-\-z-— 
dq,         dq. 


dz 


(25) 


-(^  +  3îx)  — co,  +  (X  +  .a) 


dq, 
dz  dk 
dq,  dx 


doi. 


dz 


dx  dk 
dq,  dz_ 


0, 


,,   1     .  ,  dz 


t/c 


d 


to„ 


d 


Wo 


x- 


dx 


dy 


dz 


dz 


(^  +  3!^)^^-^.!  +  (^  +  I^) 


dx   ,      dy    ,      dz 

x- — \-y-r--{-z-— 

dq,        dq,         dq, 

'  dz  dk       dy  dkl 

dq,  dy      dq,  dzj 


d 


0J„ 


dz 


E.    FO?«TANE.VU.    —    SUR   LA    DÉFORMATION  DES    CORPS  ISOTROPES         197 


et  en  remplaçant 


d. 


(/(Oj      rfw^ 


dk 


dz  '   dz       d. 


et  —  par  leurs  expressions  (22)  et  (24)  : 


«91 


X 


do)^ 
dx 


do^i 


ddi^       dk 


+  y^  +  ^-^  + 


:{l  +  lK)hihJls 


dij 


d:. 


J'dq^       dq,. 


dy    '    ~   dz     '   dx 
dy  dH     dy  dii 


—  (X  +  3ii.)(0i 


dq^  dqs     dq^  dq^ 


+y 


dx 
dq. 


dx  dH      dx  dM 


dq^  dqs      dqs  dq^ 


-  ^^  +  2^)  S  ^. 


d: 


dqy 


(^  +  1-) 


dwj     ,         day^ 


.,    ,         C?o)2    ,     dk 
dx        '^   dy    ^        dz     '    dy 


—   (X   +   3fx)t02 


'    dx     ^dz' 
dq^       dqi 


dx  dE      dx  f/H 
f/^3  dq^     dq^  dq^ 

2(X  +  2,)^C. 


dv 
dq. 


dy  dK      dy  rfH 
dq^dq^     dq^dq^_ 


Ainsi  on  aura  à  la  surface  du  corps  élastique,  en  fonction  des  données 
<Ju  problème  les  expressions,  des  quantités  : 


et  (X  +  \). 


do).    ,       d(û.    ,       doi.    ,    dk 


dx    '   "^    dy 
rfto»    ,       dM„    , 


dz     '    dx 


dx 


dy 


dz 


-  (X  -|-  3[x)(o^ 
-  (X  +  3iJ.)Q„ 


et  comme  ce  sont  des  fonctions  potentielles,  on  pourra  les  déterminer  pour 
tous  les  points  du  corps;  soit  donc,  en  considérant  wi,  œ^,  et  k  comme  des 
fonctions  potentielles  d'espace  : 


(>  +  î-) 


(26) 


do).    ,       do).  doy.       dk 


d'où  il  résulte  : 


dx 
disi. 


dy 
doi. 


,       ^^.,   ,       dwn      dk 
dx    ^   "^  dy  dz       dy 


(27) 


(X+3[x)a)i  — (X  +  fx) 


(X  +  3îxK-(X+^.) 


do3.  ,  dk 

^~i — H7- 
dx      dx 


—  (X  -f-  3,a)co,  r=i  —  IIi, 

—  (X  -|-  3|x)a)2  =  —  lia; 


diù,  ,     dot, 

T+y- 


y- 


dti)^      dk 


dy      dy_ 

substituant  ces  expressions  dans  les  formules  (23),  il  vient 

d(x>y  dwy 

~d^'^y~dy 


n,  +  (X  +  ix) 
n,  +  (X  -f  ^) 


lis 

doi 


=  2(X  +  2..)^  +  (X  +  |x)y 


d 


0J„ 


(/; 


'-+xp 
;  dx 


dx 


2(X  +  2^a)-o  +  (X  +  ^.)x  -^  ; 


198  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

par  suite  : 


(X  +  [^) 


(28) 


ch 


n,  —  2(À  +  2:x)^  +  (X  +  .a 


doii 


dlÙy 

dx         dy  _ 

-  n,  +  2(x  +  %ij.rq  -  a  +  y.)s 


d: 


1z 


X 


et  on  pourra  déduire  de  l'une  ou  l'autre  de  ces  égalités  l'expression  générale 

de  ^  _^.  soit  donc,  pour  tous  les  points  du  corps  élastique  : 
dx         dy 


(29) 


d 


(0„ 


do)^ 


dx         dy 
On  aura,  par  les  égalités  (27)  et  (23)  : 


R. 


(X    +    3{x)a)i     —     (X     +     [J; 


diti.    .       dui.,    ,   dk 
dx     '        dx        dx 


n^  -  (X  +  [x) 


(30) 


dz 


-yR 


2(X  +  2îx)^, 


(X  +  3iJ.yo,  -  (X  +  î..) 

doi 


do),    ,       c?co„       dk 
x^  +  y-jT +  :77. 


=  n, 


(X  +  [-) 


(/^ 


dy 

—  xn 


dy        dy 

2(X  +  2u)-ri 


f/wj        C?( 


w„ 


Si  on  substitue  dans  ces  relations  les  valeurs  obtenues  pour  —  et  -^, 

on  en  conclura  les  expressions  de  l  et  de  r,  pour  tous  les  points  du  corps 
et  î:  résultera  par  la  même  substitution  de  la  troisième  formule  (23). 

On  peut  d'ailleurs  observer  que  la  quantité  R  résulte  aussi  plus  simple- 
ment de  la  formule  : 


(31)  - 


dx  do)^       dy  f/ojj        dz 
dqi  dz        dqy  dz        dq^ 


d 


0>„ 


dx 


dy  _ 


=  0, 


qui  n'est  autre  chose  que  la  dernière  des  relations  (20)  mise  sous  une  autre 
forme. 

5.  _  Par  ce  qui  précède,  on  voit  que  l'intégration  des  équations  aux 
dérivées  partielles  de  la  déformation  des  corps  isotropes  en  équilibre  d'élas- 
ticité, lorsqu'on  a  pour  données  les  déplacements  u,  v,  w  à  la  surface  du 
corps  élastique,  peut  être  effectuée  par  une  application  de  la  méthode 
usitée  pour  déterminer  les  conditions  de  l'équilibre  calorifique,  ou  de  l'at- 
traction des  corps  dont  l'action  mutuelle  s'exerce  en  raison  inverse  du 


E.    FONTANE-Vr.   —   SLR    I.A    DÉFORMATION    DES    CORPS    ISOTROPES         199 

carré  de  la  distance.  Cette  proposition  n'est  démontrée  que  si  la  surface  du 
corps  considéré  appartient  à  un  groupe  de  surfaces  orthogonales;  mais  il 
est  à  croire  qu'on  pourrait  aussi  l'appliquer  à  une  surface  quelconque,  en 
prenant  pour  système  de  coordonnées  curvilignes  une  série  de  surfaces  de 
niveau  parmi  lesquelles  soit  comprise  la  surface  du  corps  et  les  deux 
groupes  de  surfaces  qui  coupent  orthogonalement  chacune  de  celles  dont 
se  compose  la  première  série.  (Abbé  Aoust,  Analyse  infinitésimale  des 
courbes  dans  l'espace,  p.  547;  Mathieu,  Théorie  du  potentiel,  i""  partie, 
ch.  IV,  p.  103.) 

Ce  résultat  ne  paraît  pas  sans  importance  pour  la  théorie  de  l'équilibre 
dès  corps  élastiques  ;  mais,  au  point  de  vue  de  l'application,  il  est  à 
craindre  qu'on  ne  puisse  en  faire  usage  à  raison  d'une  ditriculté  spéciale. 
Il  est,  en  général,  impossible  d'obtenir  par  l'observation  les  composantes 
de  déformation  u,  v,  iv  à  la  surface;  car,  outre  la  difficulté  de  les  déter- 
miner en  rapportant  à  sa  forme  primitive  les  modifications  subies  par  la 
surface  du  corps  élastique,  le  calcul  suppose  infiniment  petites  ces  quan- 
tités et,  si  on  avait  un  moyen  quelconque  de  les  mesurer  directement,  il 
est  à  craindre  que  les  erreurs  d'observation  ne  fussent  du  même  ordre 
de  grandeur  que  les  quantités  elles-mêmes. 

C'est  sans  doute  à  cause  de  cette  difficulté  que  les  fondateurs  de  la 
théorie  des  corps  élastiques  ont  préféré  prendre  pour  données  à  la  surface 
du  corps,  non  plus  les  composantes  de  déformation  u,  v,  te.  mais  les 
composantes  suivant  les  axes  des  coordonnées  rectangulaires  de  la  force 
extérieure  appliquée  en  chaque  point  de  la  surface  d'oîi  résulte  la  dé- 
formation du  corps  élastique  et  le  maintien  de  son  équilibre.  On  peut, 
au  moins  dans  certains  cas,  arriver  à  la  solution  de  ce  problème  nou- 
veau, par  la  méthode  précédente  en  s'appuyant  sur  une  proposition  que 
j'ai  démontrée  dans  les  Nouvelles  Annales  de  Mathématiques. 

Si  on  désigne  par  F,  G,  H  les  composantes  de  la  pression  ou  traction 
rapportée  à  l'unité  de  surface  qui  agit  en  un  point  quelconque  {x,  y,  z) 
d'un  corps  en  équilibre  d'élasticité  sur  l'élément  d'aire  normal  au  rayon 
vecteur  p,  ces  composantes  devront,  comme  on  le  sait,  vérifier  les  égalités: 

l  Fp  =  X6a;  -f  2[xnw  -f  1\>.{y?z  —  -=2), 

(32)   \  Gp  =  mj  +  2iJ.nv  +  'l'jJzpi  —  xp,), 

Ho  =  Uz  -^  2^niv -{-  2u.{xp^—  yp^). 


ou   pi.  p,,  p3 


désignent  les  composantes  de  la  rotation  élémentaire  et  n  le 
degré  des  fonctions  m,  v,  iv  supposées  homogènes.  Or,  il  est  aisé  de 
s'assurer  et  c'est  la  proposition  dont  il  s'agit  que  si,  pour  simplifier,  on 
désigne  les  premiers  membres  de  ces  égalités  par  ?,  /,  •]/  respectivement, 


200  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉCANIQUE 

ces  fonctions  devront,  en  vertu  des  formules  (1),  véritîer  les  trois  équations 
aux  dérivées  partielles  : 


(33) 


(3^  +  2a) A>  +  2(X  +  !.)(n  -  2)  ^  =r.  0, 

(3X  +  2ix)A^^  +  2(X  +  i.)(n  _  2)  ^  =  0, 

m  +  2i.)AV,  +  2(X  +  a)  {71  _  2)  ^  ^  0, 

dz 


où  T  est  une  quantité  définie  par  l'égalité 
(34) 
On  a  d'ailleurs  : 


-|+|  +  l  =  <3^  +  ^^)«- 


(34) 
bis 


dy 

dz 

d'\> 
dx 


d<]^ 
dz 

dx 

dy 


1 


3X  +  2[j. 
X 


L    dy 


dz  dx 

-y-dz 


dx 

SI  +  2;j.  l    dz       "  dx 


1 


dz 


dx_ 
Ix 

dx 


y    n(*    

3X  +  2a  L    dx  dy_ 


+  2[x(îi  —  l)p„ 

+  Mn  -  l)p 
+  2jx(n  —  l)p3, 


25 


où,  comme  dans  les  relations  précédentes  on  admet  toujours  que  9,  -f ,  / 
sont  des  fonctions  homogènes  du  même  degré  n. 

De  là  résulte  cette  conséquence  :  il  suffit,  pour  assurer  l'équilibre 
d'élasticité  d'un  corps  isotrope  dont  les  coefficients  d'élasticité  A  et  [x 
sont  connus,  des  forces  F,  G,  H  définies  par  les  égalités  (32)  et  agissant 
à  la  surface  du  corps.  Il  en  est  donc  de  ces  forces  comme  de  celles 
qui  seraient  appliquées,  comme  on  le  suppose  d'habitude,  aux  éléments 
superficiels  du  corps  élastique  pour  le  maintien  de  son  équilibre  inté- 
rieur. Ni  l'un  ni  l'autre  des  systèmes  de  forces  dont  il  est  ici  question 
ne  peut  se  déduire  aisément  des  forces  effectives  que  l'élasticité  met  en 
jeu  aux  points  de  contact  des  corps.  Il  semble  cependant  que  cette 
détermination  serait  moins  facile  pour  le  système  sur  lequel  je  crois 
devoir  appeler  l'attention  que  pour  celui  dont  on  suppose  habituellement 
la  connaissance. 

Pour  ce  motif,  je  me  bornerai  à  indiquer  la  méthode  d'intégration 
qui  résulte  du  théorème  énoncé  pour  le  cas  où  le  corps  élastique  est 
une  enveloppe  sphérique  dont  le  centre  est  à  l'origine  des  coordonnées 
rectangulaires,  parce  qu'alors  les  deux  systèmes  de  forces  extérieures 
dont  il  vient  d'être  question  se  confondent  en  un  seul. 


E.   FONTANEAU.    —    SUR   LA   DÉFORMATION   DES    CORPS    ISOTROPES         201 

6.  —  On  satisfait  généralement  aux  équations  (32)  en  posant  : 


2(X  +  iJ.)n  —  X  —  2fx  dz 


ou  ûi,  ^2  désignent  des  fonctions  potentielles  homogènes  de  degré  n 
et  K  une  fonction  potentielle  homogène  du  degré  n  -\-  i. 

Conformément  à  cette  hypothèse,  9,  '\>,  y  ne  peuvent  être  que  des 
fonctions  homogènes  du  degré  w,  ce  que,  d'ailleurs,  on  ne  peut  constater 
a  priori  par  les  données. 

Mais,  pour  traiter  d'abord  ce  cas  simple,  j'admettrai  que  l'on  sait 
d'avance  tel  devoir  être  le  résultat  du  calcul.  Si  on  passe  des  coordon- 
nées rectangulaires  aux  coordonnées  polaires  en  posant  : 

(36)  a?  =:  p  sin  8  cos  v      ?/  r:^  p  sin  8  sin  u      ^  =  p  cos  S 

on  n'aura  qu'à  faire  l'application  des  formules  démontrées  plus  haut  en 
y  remplaçant  X  -f  ;x  par  2(X  -f  jx)  {n  —  2),  X  +  2;ji  par  2(X  +  [x)7z  —  X  —  2[x, 
enfin  X  -f-  Sfx  par  2(X  +  ix)n  +  2X.  D'après  cela,  il  vient  par  les  équa- 
tions (4),  les  suivantes  : 

(X  +  [x)(n— 2)       dp 
2(X  4-  fx)n  —  X  —  2;x  J^ 
=1  sin  0  cos  f  (Qj  —  9)  +  sin  0  sin  v  (û^  —  •]/)  —  cos  5;( 

(X  +  ^)(n-2)      dp 
(3")   {  2(X  -f-  ix)ii  —  X  —  2(x  f/8 

=  p  cos  8  cos  v{Qi   -  o)  -\-  p  cos  8  sin  v  (Q^  —  ']>)-{-?  sin  ^x 

X  -f  t^)  (n  —  2)       dp 
2(X  +  [j.)n  —  X  —  2[x  dS 
z=  —  p  sin  3  sin  v{Qi  —  9)  +  P  sin  û  cos  viQ^  —  '}), 

et,  suivant  la  méthode  employée,  il  y  aura  d'abord  à  chercher  une  solu- 
tion particulière  des  deux  dernières,  auxqueUes  il  faut  ajouter  la  suivante  : 

—  p  sin  8  sin  u  -1^ p  cos  8  cos  v ^  p  sin  o  cos  v  —— 

^  do  dv         ^  dà 

^^^^  ^  ,    .       di\       dN       f/M 

—  p  cos  8  sin  V  -3—  =  -^ -7— 

'  dv         dà        dv 


41 


202  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

en  posant  : 

/3gv    i  N  =  —  p  sin  s  sin  Dcp  -|-  p  sin  o  cos  v]» 

)        M  =  p  cos  Vù  cos  9  -[-  p  cos  8  sin  V'\>  —  p  sin  3/. 

On  peut  substituer  à  cette  dernière  équation  celle-ci  : 


dQ 


clQ^ 


(40) 


-^  i7  +  yiri  +  ^ 


d 


d: 


dQ, 
dx 


X 


+  y 


d'^       d/ 
dz       dx 


+ 


m, 

d'\i       d'^ 
dx       dy 


dy 


d'Y 


dont  les  deux  membres  se  réduisent  chacun  à  une  fonction  potentielle, 
et  par  conséquent  la  quantité  : 


1 


(41) 


r  sin  0 


dû 


dW 
dv 


d(f)       cos  0  f/cp 

=  Sm  V  -ri- : r   COS  V  V" 

dù       sm  0  dv 


d<l       cos  ô    .       d'I       dy 

-+-  cos  V  -r- : sm  v  -~  -{-  -r: 

do        sm  ô  dv        dv 


on  désignant  par  r  le  rayon  de  la  surface  du  corps,  devra  être  une  fonc- 
tion sphérique  d'ordre  n.  On  cherchera  la  fonction  potentielle  d'espace 
correspondante  et  pour  Qj,  Qg  deux  fonctions  potentielles  homogènes 
propres  à  vérifier  l'équation  (40).  Enfin,  on  déterminera  K  pour  la  sur- 
face de  la  sphère  au  moyen  des  deux  dernières  équations  (37)  et  on  en 
déduira  la  fonction  potentielle,  homogène  et  du  degré  n  -f-  1,  qui  corres- 
pond à  cette  valeur  de  K. 

7.  —  Après  avoir  ainsi  déterminé  un  système  de  trois  fonctions  poten- 
tielles Qj,  Q^,  K,  on  posera,  conformément  aux  formules  du  n°  3  : 


H 


X-ffx)(?i  — 2)        d 


-  [xa,  -f  yQ,  -\-  K] 


(42)   {  "       2(X  4-  [x)n  —  À  —  2  p.  dp 

sia  0  cos  v(Qi  —  9)  —  sin  0  sin  v{Q^  —  ■];)  -|-  cos  3;^, 

i  =  sin  8  cos  vE  -q  =  sin  8  sin  vR  ^  :=  cos  8H 

et  les  équations  à  intégrer  deviendront  : 

/  (x_|_^)(,j_2)-[a;(Oi  +  7/a>, +  /.•] 

:  [2(X-1-  }x)n  —  X — 2;j.]  [sin  3  cos  y  (wj  —  ;)  +  sin  3  sin  u(w2 — -q)  —  cos  ZQ , 

(X  +  [x)(n  —  2)  -  [XLO,  +  yo,,  -f  /.■] 


(43) 


=  [2(X  -f-  |x)n  —  X 


2a] [r  cos  0  cos  fcoi  -j-  r  cos  8  sin  voi^], 
d 


dv 


[Xi»^  +  yto,  +  k] 


[2(X  +  ij.)n  —  A  —  2{ji]  [ — r  sin  8  sin  voi^  -\-r  sin  8  cos  via^]. 


E.   FOXTAKEAU.   —   SUR    L.V   DÉFORMATION    DES    CORPS    ISOTROPES 

On  en  déduit,  d'après  les  formules  (22)  : 


(44) 


"rfj 
du)^ 
dz 


1 


7'  SUl  0 
—   1 

r  sin  0 


,    .       f/H        .    ,  (/H 

cos  s  sin  V sin  ô  cos  v  — - 

dv  dû 

...        rfH   ,  ^  dW 

sin  8  sin  V \-  cos  o  cos  v  — — 

ao  au 


203 


égalités  dont  les  seconds  membres  devront   être  dans  le  cas  actuel  des 
fonctions    sphériques   d'ordre  n  —  1  et   il  sera   facile   d'en   déduire  les 
valeurs  des  premiers  membres  pour  tous  les  points  du  corps  élastique. 
Ayant  ainsi  déterminé  ces  deux  fonctions  potentielles  on  en  déduira 

-j T-  en  faisant  usage  de  l'équation  (31)  et  on  pourra  môme  obtenir 

—, — r-  au  moyen  de  la  formule  : 

dx         dy  "^ 


(4oj 


-f 


dx  ^  dy  ~J  l 

d^oy^  f/^o)^         rf^coj 

dxdy        dz"^         dx'^ 


d'^oi^ 


(/'-03i  d' 


0), 


dxdy        dy'^         dz"^ 


dx 


dy-V 


rf\Oi 


f/^co„ 


+  T. 


dzdx       dzdij 


dz 


qui  suppose  seulement  que  w^  et  w^  soient  des  fonctions  potentielles. 

Les  trois  fonctions  l,  r^,  K  doivent  vérifier  les  équations  aux  dérivées 
partielles  : 


(46) 


(3X  +  2a)A^;  +  2(  À  -f-  y.)  (n  —  2)-—=0, 

dx 

(SX  +  2îx)A-r.  +  2(À  +  y.)(n^2)  ~  =  0, 


(3a  +  2a)A^^  +  2(X  +  y.)  («  —  2) 


dz 


0, 


où  T  est  donné  par  l'égalité 


rf;    ,    cZ-fj    ,    rfC 


(^^)    ^  =  ;^  +  ;7;^  +  t:  = 


3X  +  2a 


dx       dy       dz       2(1  -\-  ij.)n  —  a  —  2a 


da?        dy 


Ainsi,  on  connaît  d'une  part,  à  la  surface  du  corps  élastique,  les  quan- 
tités ;,  Tj,  l  et  par  suite  des  calculs  qui  précèdent  pour  tous  ses  points 
A*;,  A^Y),  A"^^,  et  la  question  à  résoudre  se  trouve  ainsi  ramenée  à  un  pro- 
blème dont  la  solution  dépend  du  théorème  de  Green  et  de  la  fonction  à 
laquelle  on  a  donné  le  nom  de  cet  illustre  géomètre. 

On  peut,  d'ailleurs,  continuer  l'application  de  la  méthode  telle  qu'elle 
est  exposée  dans  ce  qui  précède  et  on  arrivera  ainsi  à  déterminer,  pour 
tous  les  points  de  l'enveloppe  sphérique,  les  quantités  ;,  v],  Ç  ;  après  quoi 


204  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET   MÉCANIQUE 

on  obtiendra  les  valeurs  correspondantes  de  u,  v,  iv  en  faisant  usage  des 
formules  (32),  (33)  et  (34). 

Ce  mode  d'intégration  des  équations  (46)  se  trouve  en  défaut  dans  le 
cas  particulier  oîi  l'on  a  : 

2(X  +  [jL)n  —  X  —  2fx  =  0, 

c'est-à-dire  où  le  degré  commun  d'homogénéité  des  fonctions  l,  -q,  Ç  est 
égal  à  : 

W  .     2(X-fix)-^        2(X  +  a* 

Mais  alors  on  a  : 

(48)  3X-f2[x-[-2(X4-[jL)(n  — 2)  =  0 
et  les  équations  à  intégrer  se  réduisent  à  : 

dr  dr  .  „^         dr 

(49)  A.Ç=^  A',=^  A'C=^. 

où,  en  vertu  de  l'égalité  (34),  t  désigne  encore  une  fonction  potentielle. 
Par  suite,  on  aura: 

(50)  Ç  =  |'+^l        .  -1=1^  +  ^2  ^==^^  +  ^3' 

où  Qj,  ^2»  ^^3  désignent  trois  fonctions  potentielles,  et  comme  le  degré 
commun  d'homogénéité  des  fonctions  ç,  t),  l,  est  connu,  on  aura  à  la  sur- 
face de  la  sphère  : 

dl  _  X-f  2[x  l  d^  __   X  -f  2ix  Yi  cK  _   X-f2p   C 

(^*)       Jç  ~  2(X  +  [x)  p  f/p  ~  2(X  -f  i^j  p  rfp  ~  2(X  +  [X)  p  ' 

ce  qui  permettra  de  calculer  t  et  d'obtenir,  pour  tous  les  points  du  corps, 
d'abord  cette  quantité,  puis  les  trois  fonctions  potentielles  Q.^,  Q.^,  Q,^;  après 
quoi,  on  aura  par  les  égalités  (oO)  les  expressions  générales  de  l,  -/],  (^. 

8.  —  Dans  le  cas  où  les  quantités  9,  «j'»  X  seraient  quelconques,  la 
méthode  pourrait  encore  être  appliquée  conformément  aux  principes  qui 
précèdent.  La  quantité: 


1 


/■  sin  8 


•^_  (M 
do        dv 


peut  alors  être  développée  en  une  série  convergente  de  fonctions  sphériques, 
et  pour  chacune  de  ces  fonctions,  on  aura  à  déterminer  les  fonctions  poten- 


E.    FONTANEAU.  —   SUR   LA   DÉFORMATION    DES    CORPS    ISOTROPES         205 

tielles  correspondantes  et  prendre  ensuite,  pour  les  expressions  générales 
de  Qi,  Q^,  la  somme  des  solutions  obtenues.  Des  deux  dernières  équa- 
tions (37),  on  déduira  ensuite  les  différentes  valeurs  de  : 


(l  +  ^)  {,1  -  2) 
2(A  4-  ^)ii  —  À  ~  2[x 


P, 


et  de  p,  ce  qui  permettra  d'obtenir  K  par  une  somme  de  résultats  partiels, 
comme  on  a  fait  pour  Q^,  Qa- 

Après  cela,  on  pourra  calculer  H,  conformément  à  son  expression  déduite 
de  la  première  des  égalités  (16),  en  y  remplaçant  X  -f-  !-«•  et  X  -f-  2[j(.  respec- 
tivement par  2(X  -}-  [J-)  (n  —  2)  et  2(X  -f  jjt.)n  —  X  —  2(x  et  former  les  équa- 
tions : 


(S2) 


(X4-aXn-2,)         d 
Lu.  Clù 


^  ^     2(X  -h  \^)n  -  X 
sin  8  cos  i)(ojj  —  ^)  +  sin  5  sin  v(a)2  —  •/;)  —  cos  oS;. 

^  r  cos  0  cos  vto^  -j-  r  cos  ô  sin  vl.^^. 


(X  +  [x)(n 


z:  [^'^i  +  y^'z  +  '^-J 


2(X  +  ij.)n  —  X  —  2iJ,  (/y 

=  —  r  sin  8  sin  f Wj  —  r  sin  8  cos  î;(C2. 


De  ces  équations  on  déduira,  comme  plus  haut,  les  expressions  de  — — ^  et 

dz 

dio„  .  d(jy„       diOf       doi,    ,    dii)„    ^ 

-7—  et  puis  celles  de  -^ ~  et  — —  H — r-^.  Ces  expressions  se  rédui- 

dz  dx         dy        dx         dy 

ront  sur  la  surface  à  des  séries  de  fonctions  sphériques  et,  pour  chacun  des 
termes  de  ces  séries,  on  pourra  calculer  les  seconds  termes  des  premiers 
nombres  des  équations  (46),  ce  qui  permettra  de  déterminer  les  expres- 
sions générales  de  ;,  -/i,  C  en  faisant  usage  du  théorème  de  Green. 
On  peut  aussi  suivre  le  procédé  employé  au  n*'  4,  et  déterminer  d'abord 

dix 

—  en  faisant  usage  de  la  formule  (24)  qui,  dans  le  cas  actuel,  devient  : 


(*3) 


2à  %i 


X-f  ,a)(n  — 2)       dk^ 
2!x  d:: 


-2 


2(X  4-  ij.)n  —  X 
(X  +  ;..)  {n  '-  2 
2(X  +  {x)/i  —  X  —  27. 


-?, 


où  on  peut  considérer  le  premier  terme  du  second  membre  comme  une 
fonction  parfaitement  déterminée  et  connue  qui,  sur  la  surface  du  corps 


206  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE    ET    MÉGANIQUE 

élastique,  se  décompose  en  une  série  convergente  de  fonctions  sphériques. 

Après  cela  on  obtiendra,  d'une  manière  analogue,  les  expressions 
désignées  par  U^,  U.^  et,  en  faisant  usage  des  formules  correspondantes 
aux  égalités  (30)  et  de  la  formule  (53),  on  aura  sous  forme  de  séries  les 
expressions  générales  de  c,  '/;,  ^. 

D'après  une  observation  faite  plus  haut,  on  pourrait  craindre  que  le 
calcul  ne  fût  en  défaut  dans  le  cas  oîi  la  relation  (48)  aurait  lieu.  Mais 
cette  objection  ne  peut  être  faite  si  on  admet,  conformément  à  l'usage 
généralement  adopté,  que  tous  les  développements  en  séries  de  fonc- 
tions sphériques  peuvent  s'effectuer  en  fonctions  sphériques  d'ordres 
entiers. 

En  résumé,  on  voit  que  cette  méthode  dépend  des  mêmes  principes 
que  la  méthode  exposée  par  MM.  Thomson  et  Tait  dans  leur  savant 
Traité  de  Philosophie  naturelle  ;  mais  on  doit  la  considérer  comme  plus 
simple,  en  ce  qu'elle  évite  l'emploi  de  calculs  à  effectuer  sur  des  fonctions 
dont  le  degré  d'homogénéité  n'est  jamais  parfaitement  défini. 


La  proposition  qui  résulte  de  ce  travail   peut   être   généralisée  d'une 
manière  très  simple.  Il  suffit,  pour  cela,  d'observer  que  des  équations  : 


u 


Q, 


{l)  {v=a,- 


w 


A-\-   IJ. 

2(X  -1-  2,u) 

^  "h  [^ 

2(X  -1-  2p.) 

X  -|-  fX 

2(X  +  2,.) 


dp  dq^  dp  dq^        dp  dq^ 

dq^  dx  dq^  dx        dq^  dx_ 

'  dp  dqi        dp  dq^        dp  dq,^ 

_dq^  dy  dq^  dy  "•"  dq^  dy 

dp  dpi        dp  dp  2,        dp  dg^ 

jlq^  dz  dq^  dz        dq^  dz  ^ 


on  conclut,  pour  un  système  quelconque,  orthogonal  ou  non,  de  coor- 
données curvilignes,  les  formules  : 


"2(X  +  2;..) 


dp 
dq^ 

dp  _  2(X  -{-  2;ji) 
dq, 

dp 
dq. 


i^)   il^  = 


X  +  fx     Idq^ 


dx 


X  -|-  [J"-      idq 


dx  , 


("i 


2(X  +  2;.) 


dx  , 
X  +  [/.      \dq. 


,    ,    dii  ,^  ,        dz 

N    ,     f^V  ,.  X        dz 


10 


Si,  en   effet,  après   avoir  conservé   à  qi,  q^,  q^^)  hi,  h^,  h,  leur  signi- 


E.    FOiNTAJNEAU.  SUR    LA    DÉFORMATION    DES    COHl'S    ISOTROPES  207 

fication  générale,  on  désigne  par  n^,  n^,  n.^  les  normales  respectives  aux 
trois  surfaces  q  et  que  l'on  pose  pour  simplifier  : 

dx  '    di/  dz 


(3) 


|(a.-„)  +  |(a.-„;-%„  =  A. 


è(û,-«,  +  :^(Q,-«)-^»  =  A. 


dx 


dz 
dz 


on  aura  par  les  équations  (1) 
dp 


dp 


h\  -—  -\-  hji^  cos  (rii,  n^) \- hJi^co&  (n^,  n^)  — - 


dp      2(X+2[x) 


dq, 


dp., 
dp         .dp 


(4)   {  h.JiiCOs{n^,ni)- \-ht- \-h^hs cos  {n^,n^) 


dqi         -  dq^ 
dp 


dq^         X  -|-  [A 
dq^         X  +  [j. 


Al, 


A21 


dp    ,    ^^dp      2(X+2^) 


h.Jii  cos  (n^,  n^)- \-h^h.,cos{n^,  n^)- [- A^  -7—=: 


dq^ 


dq^         ^dqs         a  -\-  [/. 


Désignant  ensuite  par  D  le  déterminant  de  ces  équations  et  ayant  égard 
aux  égalités  : 

dx    ,    ,   ,  ,  .  dx    ,    ,   ,  ,  ,  dx        dq^ 

^'^  ^  +  ^^''^  '^'  ^^-  ''^^  ^  +  ''^^'^  '^'  ^^'^'  ^^^  ^  =^  rf^  ' 

,^,,    /       ,  ,  ,  .  dx    .    j2  dx    ,    ^  ,  ,  .  dx        dq^ 

(3)  {      KK  cos  («„  „.)  5^  +  A,  _  +  h,K  cos  („„„.)_  =  _, 

,  (/a;    ,    ,  ,  ,  .  dx    ,    ^^  dx        dq^ 

h  A  cos  K,  n,)  -  +  M.  cos  K,  ^,)  _  +  /,3  _  =  —, 

et  à  celles  qu'on  en  déduit  en  y  substituant  à  x,  successivement  y  et  z. 
on  obtient  : 


,^     ,    dp  ^  2(X  +  2t.)   j_ 
^^   ^  d^i  X  +  a     'D 


Al  hji^  cos  (Wi,  n^     hji^  cos  (n^,  Wg) 
A.,  hl  h^ha  cos  (n^,  Wg) 

A3  /«g/îj  cos  (ng,  n^)    ^^3 


d'oîi  il  résulte  immédiatement  par  les  propriétés  connues  des  détermi- 
nants la  première  des  formules  (2)  ;  les  autres  se  démontreraient  de  la 
même  manière. 

D'après  cela,  il  suffirait,  pour  déterminer  les  expressions  générales  de 
u,  V,  w,  de  connaître  leurs  quotients  différentiels  par  rapport  à  q^,  </g  sur 
la  surface  ç^  =  0,  car  on  pourrait  alors  faire  disparaître  des  deux  der- 
nières équations  (2)  les  termes  tout  connus  et  résoudre  les  trois  équations 
résultantes  par  la  méthode  employée. 


208  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 


M.  E.  EITTEU 

Ingénieur  en  chef  des  Ponts  et  Chaussées,   en  retraite,   à  Pau. 


LA   TRIGONOMETRIE    DE   FRANÇOIS   VIETE 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 

L'invention  de  l'algèbre  moderne  n'est  pas  le  seul  titre  de  François 
Viète  à  la  reconnaissance  de  la  postérité  :  il  en  a  acquis  un  autre  par  ses 
travaux  sur  la  trigonométrie  ;  cependant  les  services  qu'il  a  rendus  sous  ce 
rapport  au  monde  savant  sont  peu  connus,  quoique  l'illustre  astronome 
Delambre,  qui  fait  autorité  en  pareille  matière,  lui  ait  consacré  un  chapitre 
important  dans  son  Histowe  de  V Astronomie  :  «  De  tous  les  auteurs, 
dit-il,  qui  ont  écrit  sur  la  trigonométrie,  Viète  est,  sans  contredit,  celui 
qui  a  montré  le  plus  de  génie,  qui  a  fait  les  choses  les  plus  difficiles  et,  en 
même  temps,  les  plus  utiles...  Peu  de  personnes  et  nous-même  avons 
longtemps  ignoré  les  services  éminents  qu'il  a  rendus  à  la  trigonométrie. 
Nous  pouvons  donc  réclamer  pour  "Viète  le  système  complet  de  trigono- 
métrie que  suivent  encore  aujourd'hui  les  astronomes.  » 

Un  rapide  exposé  de  quelques-uns  des  perfectionnements  qu'il  a  ap- 
portés à  la  trigonométrie  feront  connaître  une  partie  des  services  rendus 
à  la  science  par  le  grand  géomètre. 

Le  premier,  il  a  affranchi  la  trigonométrie  de  ses  énoncés  prolixes  en 
présentant  sous  forme  de  tableaux,  véritables  formules,  les  relations 
entre  les  éléments  connus  et  inconnus  d'un  triangle  plan  ou  sphérique. 
C'est  lui  qui  a  le  plus  contribué  par  ses  formules,  à  propager  l'usage  des 
tangentes  et  des  sécantes,  imaginées  par  Rheticus  et  dont  l'invention  a 
été  attribuée  à  tort  pour  les  premières,  à  Rheinhold,  en  ISol  ;  pour  les 
secondes,  à  Maurolycus  en  iooS. 

François  Viète  a,  le  premier,  construit  une  table  commode  donnant  en 
regard  les  unes  des  autres  la  valeur  des  six  lignes  trigonométriques,  de 
minute  en  minute,  pour  un  rayon  égal  à  100.000. 

La  construction  de  la  table  des  sinus  en  était  encore,  sauf  quelques 
perfectionnements  par  les  Arabes,  aux  procédés  de  Ptolémée  pour  la  cons- 
truction de  sa  table  des  Cordes. 


F.    RITTER.    LA    TRIGONOMÉTRIE    DE    FRANÇOIS    VIÈTE  209 

François  Yiète  ramena  la  recherche  du  sinus  fondamental  de  une  minute 
à  celle  de  la  longueur  de  la  circonférence  par  la  méthode  des  bissections 
successives  donnée  par  Archimède. 

Il  établit  d'abord  que  si  P  et  P'  sont  les  périmètres  de  deux  polygones 
réguliers  inscrits  d'un  nombre  de  côtés  égal  à  î\,  si  A  est  l'angle  inscrit 
dans  le  cercle  dont  le  diamètre  D  =  2R  correspondant  au  côté  du  poly- 
gone, on  a  :    ^ 


P 


-   /\V'  coséc  \\      .     I>  _    /Wœïg 


En  prenant  pour  point  de  départ  le  triangle  équilatéral  dans   lequel 

1 

cos  A  =  -,  il  calcule  pour  chacun  des  polygones  obtenus  par  les  bissec- 
tions successives,  par  des  formules,  qui  n'exigent  qu'une  seule  division, 
une  seule  extraction  de  racine  carrée,  de  simples  additions  et  soustractions, 
les  valeurs  de  coséc  ^A  et  de  cotang  ^A  pal-  excès  et  par  défaut. 

Après  dix-sept  opérations  il  arrive  aux  polygones  de  393.316  côtés  et 
il  obtient  pour  la  circonférence  du  cercle  ayant  un  rayon  égal  à  100.000  : 

314    lo9    '^'■'■>  36 


Cette  valeur  est  donnée  avec  cinq  décimales  qu'il  écrit  en  caractères 
plus  petits  et  qu'il  souligne,  ou,  en  d'autres  parties  de  son  livre,  qu'il 
sépare  par  un  petit  trait  vertical,  premier  exemple  de  la  numération  des 
fractions  décimales  attribuée  à  d'autres  venus  après  lui  et  qui  lui  appar- 
tient en  propre. 

Pour  la  valeur  du  sinus  de  une  minute,  il  s'arrête  au  polygone  de 
6.144  côtés  et  il  obtient  ainsi  : 

sin  1'  =  29    0^3   819   :i9 

avec  sept  décimales. 

Pour  la  construction  de  ses  tables,  il  emploie  des  formules  expéditives 
parmi  lesquelles  je  citerai  : 

sin  (60°  +  A)  =  sin  A  +  sin  (60°  —  A) 
tang  (45°  -\- -\  =i  2  tang  A  -f  tang  (4o°  —  Ç\ 

séc  A  =  I  tang  ^45°  +  ^)  +  ^  tang  (^45°  -  fj 


210  MATHÉMATIQUES,    ASTRONOMIE,    GÉODÉSIE   ET   MÉCANIQUE 

Pour  la  résolution  des  triangles,  je  citerai  encore  : 

1 

''S  sin  A  -j-  sin  B 

r~        ir  ~  sin  A  —  sin  B 

tang^(A-B) 

Le  Canon  mathématique  avec  le  Livre  des  inspections,  comprenant  :  le 
premier,  la  table  des  lignes  trigonométriques  avec  quelques  tables  acces- 
soires; le  second,  les  formules  pour  la  résolution  des  triangles  plans 
et  sphériques  avec  un  grand  nombre  de  résultats  numériques  calculés  tous 
avec  plusieurs  décimales,  fut  publié  en  1579. 

Pendant  l'impression  de  son  livre  qui  avait  duré  huit  ans,  François 
Viète  avait  jeté  les  bases  de  l'Algèbre  nouvelle  et  en  1589,  il  avait  cons- 
truit l'édifice  tout  entier  et  il  avait  ainsi  trouvé  le  moyen  de  résoudre  les 
équations  générales  du  premier  degré  à  plusieurs  inconnues.  Appliquant 
sa  méthode  à  la  seule  formule  de  trigonométrie  sphérique  relative  au 
triangle  sphérique  quelconque  donnée  par  Albategni  cà  la  fin  du  ix'^  siècle, 
qui  permet  de  trouver  les  angles  A,  B,  C,  lorsque  l'on  connaît  les  côtés 
a,  6,  c  : 

cos  a  =  cos  b .  ces  c^  -|-  si"^  ^  •  ^^^  ^^  •  ^^^  ^ 

il  trouva  la  formule  qui  donne  les  côtés,  en  fonction  des  angles  : 

cos  A  +  cos  B .  cos  D  =  sin  B  .  sin  D  .  cos  A 

et  toutes  les  autres  fonnules  de  la  trigonométrie  sphérique  qui  permettent 
de  résoudre  un  triangle  quelconque  sans  être  obligé  de  le  décomposer 
en  deux  triangles  rectangles. 

Par  la  comparaison  des  nouvelles  formules  ainsi  obtenues,  il  fut  conduit 
à  découvrir  les  propriétés  du  triangle  sphérique  polaire  ou  supplémen- 
taire qu'il  désigne  sous  le  nom  de  triangle  réciproque  et  à  en  faire  usage 
lorsqu'il  y  a  avantage  à  y  recourir.  Cette  invention  lui  a  été  contestée 
par  Delambre  qui  a  été  induit  en  erreur  par  une  faute  d'impression 
dans  les  figures  du  texte,  erreur  dans  laquelle  il  ne  serait  pas  tombé 
s'il  s'était  reporté  au  calcul  qui  se  trouve  au  bas  de  la  page. 

A  la  Trigonométrie  de  François  Viète  se  rattache  son  traité  des  Sections 
angulaires.  C'est  un  recueil  de  formules  qui  donnent  sin  nx  et  cos  nx 
en  fonction  de  sin  x  et  de  cos  x,  et  tang  nx  en  fonction  de  tang  x. 
Les  coefficients,  dans  ces  formules,  sont  facilement  déterminés  par  des 
additions  successives  des  nombres  figurés  de  diff'érents  ordres.  Il  en  est 


F.    UITTER.    —   LA    TRIGONOMÉTRIE   DE   FRANÇOIS   VIÈTE  211 

de  même  dans  la  formule  qui  donne  la  corde  C  de  l'arc  simple  en 
fonction  de  la  corde  C,^  de  l'arc  multiple  nA  : 

„       n      _.,       n(n  —  3)     ,_,.       mn  —  4)(n  —  5j      _g 
^   "~  ï  ^       +      1.2      ^  TO ^       +  =  ^-^ 

que  nous  traduisons  avec  nos  signes  modernes.  François  Viète  a  fait 
plusieurs  applications  de  ses  formules,  entre  autres  celle  pour  trouver 
la  somme  des  cordes  des  arcs  croissant  en  progression  arithmétique, 
partant  de  l'extrémité  d'un  diamètre  en  fonction  de  la  première  et  de 
la  dernière  de  ces  cordes. 

Nous  avons  dit,  dans  l'exposé  de  l'Algèbre  de  François  Viète,  qu'il  avait 
donné  le  moyen  de  résoudre  numériquement  les  équations  et  de  trouver 
la  racine  positive  de  ces  équations  avec  un  degré  quelconque  d'approxi- 
mation exprimé  en  fractions  décimales.  La  corde  de  l'arc  du  cinquième 
et  la  corde  du  tiers  d'un  arc  sont  données  par  les  formules  : 

corde  ^a  —  5  corde  ^a  -f-  S  corde  a  =  corde  Sa 
3  corde  a  —  corde  ^a  =z  corde  3a 

Il  cherche,  au  moyen  de  ces  relations,  le  sinus  fondamental  de  une 
minute.  Par  la  division  du  rayon  en  moyenne  et  extrême  raison,  il  trouve 
la  corde  de  l'arc  de  36°,  et  par  une  quintusection  au  moyen  de  la  pre- 
mière des  équations  ci-dessus,  la  corde  de  l'arc  7"  12'  =  2  sin  3"  36';  au 
moyen  de  la  trisection  de  la  corde  de  l'arc  de  (30"  égale  au  rayon,  il 
obtient  la  corde  de  20°.  et  par  une  nouvelle  trisection,  la  corde  de  6°  A(f 
égale  à  2  sin  3°  20'.  Au  moyen  de  ces  sinus,  il  calcule  cos  3°  36'  et 
cos  3°  20',  et  il  trouve  le  sinus  de  leur  différence  ou  sin  16';  enfin,  par 
des  bissections  successives,  il  arrive  au  sinus  de  une  minute. 

Je  m'arrête  ici  dans  ce  rapide  exposé,  omettant  un  grand  nombre  de 
faits  intéressants  ;  mais  il  suffit  pour  montrer  que  si  François  Viète  a  été 
l'inventeur  de  l'algèbre  moderne,  il  a  été  également  le  réformateur  de  la 
trigonométrie  ancienne. 


212 


GÉNIE  CIVIL  ET  MILITAIRE,  NAVIGATION 


M.  BEEIIS 

Ingénieur  des  Ponts  et  Chaussf'es,  à  Mont-dê-Marsan. 


RACCORDEMENT  PARABOLIQUE  ENTRE  DEUX  ARCS  DE  CERCLE  CONTIGUS 

DE  MÊME  SENS 


—  Séance  du  20  septembre  i892  — 


I 


On  connaît  la  parabole  du  3«  degré  étudiée  par  Nordling  (Ann.  P.  et 
Ch.,  1867)  pour  le  raccordement  d'un  alignement  droit  et  d'une  courbe 
circulaire  de  chemin  de  fer. 

L'équation  de  cette  parabole,  qui  s'étend 
moitié  sur  l'alignement,  moitié  sur  la 
courbe,  est  : 


y 


6P 


1 


FlG.    1. 


la  courbure  —  en  chaque  point  étant  sensi- 
K 

blement  proportionnelle  au  développement 

.11 

de  Tare,  ou  pratiquement  à  l'abscisse  —  =:  -x. 

Noi'dling  a  remarqué  que  de  B  en  A  la  parabole  s'écarte  autant  de  l'arc 
de  cercle  déplacé,  que  de  0  en  F  elle  s'écarte  de  sa  base  OFX  (ftg.  /j. 


Il 

Je  conclus  de  cette  remarque  qu'en  négligeant  l'inclinaison  toujours 
faible  des  éléments  de  l'arc  de  cercle,  et  par  suite  la  convergence  des 
rayons,  l'équation  de  la  portion  BC  de  la  parabole,  les  abscisses  étant 
prises  le  long  du  cercle  déplacé  BA,  de  B  en  A,  et  les  ordonnées  étant 
comptées  normalement  à  l'arc,  c'est-à-dire  dans  le  plan  vertical  des  profils 
en  travers,  n'est  autre  que 


y  = 


X'' 


BEHNIS.  —  RACCOUDEMEM  PARABOLIQUE  ExNTRE  DEUX  ARCS  DE  CERCLE       213 

L'erreur    relative,    nulle    pour    l'ordonnée    maxima    AC,    atteint    au 
maximum  1    0/0;  c'est  dire  qu'elle  est 
en  valeur  absolue  négligeable. 

De  là  un  procédé  très  simple  de  cal- 
culer le  déplacement  latéral  dans  la  ré- 
gion AB. 

On  peut  remarquer  qu'en  vertu  de  la 
généralité  de  la  démonstration  faite  par 


Nordling,  l'équation  y 


6P 


,./B 


représente 


FiG.   2. 


également  l'équation  de  la  parabole  de 

raccordement  par  rapport  à  l'arc  de  cercle  au  delà  du  'point  de  tangence 

dans  la  région  BD  (fig.  2). 


III 


Nordling  a  traité  également  le  problème  du  raccordement  parabolique 
doublement  osculateur  de  deux  courbes  circulaires  de  même  sens,  mais 
la  solution  qu'il  en  donne  est  très  com- 
pliquée. 

Voici  la  solution  pratique  très  simple 
qui  résulte  des  observations  ci-dessus  : 

Soient  deux  arcs  de  cercle  de  rayon  R 
et  R'  (R'  <  R)  tangents  en  F'(fig.  3).  Les 
arcs  déplacés  viendraient  en  AB,  A'B'. 

Pour  les  raccorder  par  une  parabole 
osculatrice,  je  considère  tout  simplement 
l'arc  de  la  parabole  ci-dessus,  compris 
entre  les  points  où  les  rayons  sont  R 
et  R'. 

En  vertu  de  l'observation  précitée  et 
sous  les  réserves   précédemment    indi- 
quées,  l'équation  de  cette  parabole  par  rapport  aux  deux  cercles  n'est 
autre  que 


Fig.  3. 


Dans  le  cas  où   R  devient  infini,  on  retombe,  comme  on  devait  s'y 
attendre,  dans  la  parabole  générale. 


214  GÉNIE   CIVIL    ET    MILITAIRE,    NAVIGATION 


M.  BEEÎTIS 

Ingénieur  des  Ponts  et  Chaussées,  à  Mont-de-Marsan. 


SUR  LES  FONDATIONS  A  AIR  COMPRIMÉ  AVEC   CHAMBRE    EN  MAÇONNERIE 

SUR  ROUET 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 


I 


Dans  les  Annales  des  Ponts  et  Chaussées  (1883),  M.  Séjourné  a  rendu 
compte  du  système  de  fondations  à  air  comprimé  avec  chambre  en  maçon- 
nerie sur  rouet,  qu'il  a  appliqué  à  l'important  viaduc  de  Marmande 
(ligne  de  Marmande  à  Mont-de-Marsan.) 

Il  a  fait  ressortir  ses  avantages  :  économie  de  fer,  bourrage  plus  parfait 
sous  le  plafond,  partant  massif  inférieur  plus  homogène,  enfin  prix  de 
revient  par  mètre  cube  notablement  moins  élevé,  et  il  a  conclu  en  expri- 
mant très  catégoriquement  sa  préférence  pour  ce  système  sur  le  système 
ordinaire  avec  chambre  de  travail  en  métal. 

Il 

J'ai  fait  exécuter  sept  fondations  de  ce  type  pour  les  grands  ponts  à  la 
traversée  de  l'Adour,  sur  la  ligne  de  Condom  à  Riscle,  et  il  m'a  paru  que 
les  conclusions  de  M.  Séjourné  étaient  sans  doute  trop  générales  et  que 
son  assertion  sur  le  prix  de  revient  définitif  demandait,  par  suite  d'une 
équivoque,  à  être  rectifiée. 

Dans  le  système  en  question  : 

1*"  Le  montage  d'une  chambre  est  une  opération  compliquée  exigeant 
la  présence  successive  des  riveurs,  charpentiers,  calfateurs  et  maçons;  elle 
demande  un  mois  (au  lieu  de  quinze  jours)  ;  puis  il  faut  laisser  les  maçon- 
neries un  mois  au  séchage,  d'où  gêne  possible  dans  certaines  conditions, 
notamment  au  voisinage  d'une  rivière  torrentielle; 

2"  La  descente  sur  vérins  exige  un  matériel  plus  puissant  et  est  beau- 
coup plus  scabreuse; 

3°  Le  peu  de  hauteur  du  couteau  est  une  gêne  sérieuse  pour  l'enlève- 
ment des  obstacles; 


A.  LAUSSEDAT.  —  APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AU  LEVER  DES  PLANS      215 

4°  Le  périmètre  étant  plus  fort,  la  descente  est  plus  difficile;  d'autre 
part,  le  vide  de  la  chambre  de  travail  relevant  le  centre  de  gravité,  la 
descente  est  moins  régulière;   enfin  la  forme  elliptique  du  massif  pro- 
voque des  girations,  autour  d'un  axe  vertical,  très 
gênantes  pour   l'implantation   (observées  à  Riscle); 

5°  Le  système  ne  se  prête  pas  aux  descentes  brus- 
ques, parfois  inévitables; 

6°  Le  massif  inférieur  est  sur  une  grande  hauteur 
hétérogène  et  la  répartition  des  pressions  sur  une 
section  horizontale  s'y  fait  d'une  façon  inconnue  ; 

7°  Enfin,  si  le  prix  de  revient  par  mètre  cube  est 
en  effet  de  10  francs  environ  moins  élevé,  il  n'est 
pas  la  mesure  de  l'économie  du  système,  en  raison 
du  cube  parasite  résultant  pour  la  fondation  de  la  forme  elliptique  de 
plus  petite  section  entourant  la  base  du  fût,  forme  motivée  par  la  néces- 
sité de  résister  aux  poussées  latérales  du  terrain. 

En  ramenant  la  section  des  fondations  de  Riscle  à  la  section  des  cais- 
sons du  type  ordinaire  employés  à  Saint-Sever  pour  la  traversée  de  la 
même  rivière  l'Adour,  sur  la  ligne  de  Mont-de-Marsan  à  Saint-Sever,  le 
prix  de  revient  par  mètre  cube  utile  se  relève  de  o4  fr.  74  c.  à  63  fr.  91  c. 
L'économie  apparente  peut  donc  n'être  qu'une  illusion. 


M.  le  Colonel  A.  LATJSSELAT 

Directeur  du   Conservatoire  des  Arts  et  Métiers,   à  Paris. 


HISTORIQUE  DS  L'APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AU    LEVER  DES  PLANS 


—  Séance  du  2/  septembre  1892  — 

Mes  chers  collègues, 

Je  vous  demande  pardon  de  vous  avoir  dérangés  de  vos  travaux  pour 
venir  voir  ici  la  lanterne  magique,  mais  le  sujet  que  j'ai  demandé  de 
traiter  devant  vos  trois  Sections  réunies,  quoiqu'il  soit  déjà  bien  ancien, 
n'est  peut-être  pas,  en  France,  aussi  populaire  qu'il  le  mérite. 

J'ai  donc  pensé  qu'il  pourrait  être  à  propos,  alors  qu'il  nous  revient  de 


216  GÉNIE   CIVIL   ET   MILITAIRE,    NAVIGATION 

l'étranger  des  symptômes  multipliés  de  l'importance  qu'on  lui  accorde, 
d'appeler  l'attention  des  géomètres,  des  ingénieurs  civils  et  militaires, 
des  géographes  et  des  voyageurs  scientifiques,  sur  une  méthode  appelée 
à  leur  rendre  les  plus  grands  services,  qui  en  a  rendu  déjà  à  quelques-uns 
d'entre  eux,  mais  qu'il  est  devenu  indispensable  de  vulgariser,  dans  un 
intérêt  à  la  fois  scientifique,  pratique  et  patriotique. 

J'aurais  pu  inviter  aussi  la  Section  de  Géologie,  car  vous  avez  vu  hier, 
pendant  la  brillante  conférence  de  M.  Trutat,  quel  parti  ont  déjà  su  tirer 
de  la  photographie  nos  savants  et  intrépides  explorateurs  des  Pyrénées. 
Je  vous  montrerai,  dans  quelques  instants,  que  d'autres  ont  fait  de  même 
dans  les  Alpes,  et  je  pourrais  ajouter  dans  tous  les  pays  pittoresques, 
dans  toutes  les  parties  du  monde  ;  le  terrain  est  donc  bien  préparé  de  ce 

côté. 

Les  topographes  se  montrent  également,  en  général,  fort  bien  disposés 
presque  partout  ;  seuls,  nos  topographes  officiels,  qui  ont  à  leur  disposition 
de  bonnes  vieilles  méthodes  (i),  sont  demeurés  réfractaires  jusqu'à  pré- 
sent ;  mais  le  mouvement  qui  se  dessine  et  s'accentue  chaque  jour  ne  ' 
tardera  pas  à  prendre  des  proportions  qui  finiront  par  triompher  de 
toutes  les  résistances  et  par  les  entrahier  comme  les  autres. 

Il  y  a,  toutefois,  lieu  de  craindre  pour  eux  que,  faute  de  s'y  être  pris  à 
temps  pour  le  diriger,  ils  en  soient  réduits  à  voir  des  gens,  mal  préparés 
à  ce  rôle,  chercher  à  les  remplacer  et  compromettre  un  succès  qui  eût 
été  assuré  entre  leurs  mains. 

Quant  aux  ingénieurs,  il  y  a  longtemps  qu'ils  ont  recours  à  l.a  photo- 
graphie, mais  seulement  pour  dresser,  en  quelque  sorte,  les  procès- 
verbaux  de  l'état  d'avancement  de  leurs  travaux,  pour  mettre  en  évidence 
les  moyens  de  construction,  les  engins  qu'ils  emploient,  pour  conserver 
le  souvenir  de  leurs  chantiers,  et  quelquefois  aussi,  malheureusement, 
pour  représenter  les  accidents  qui  ont  compromis  l'existence  de  leurs  tra- 
vaux, ou  même  les  résultats  de  quelque  grande  catastrophe. 

Je  devrais  citer,  dans  le  môme  ordre  d'idées,  les  architectes,  les  météo- 
rologistes et  même  les  hygiénistes  que  j'aurais  dû  également  convier, 
car  les  uns  ont  à  relever,  dans  certains  cas,  nombreux  aux  États-Unis 
où  ce  service  fonctionne  merveilleusement,  les  désastres  produits  par  les 
tornados,  et  les  autres  auraient  un  grand  intérêt  à  provoquer  la  construc- 
tion des  cartes  hypsométriques  des  grandes  villes  et  des  grandes  agglo- 
mérations, pour  y  étudier  les  questions  de  drainage  et  d'assainissement. 
Puisque  j'en  trouve  l'occasion,  je  dirai,  à  ce  propos,  que,  dès  1851, 
l'année  de  la  première  Exposition  universelle,  pendant  un  voyage  de  deux 
ou  trois  mois  en  Angleterre,  je  fus  très  frappé  de  trouver,  dans  plusieurs 

(1)  Très  précieuses  et  qui  vont  sans  cesse  en  se  perfectionnant,  mais  qui  ne  doivent  pas  en 
empêcher  d'autres  de  leur  succéder  en  partie,  ou,  pour  mieux  dire,  de  les  aider,  de  les  compléter. 


A.  L.VUSSEDAT.    —  APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AU  LEVER  DES  PLANS      217 

des  villes  que  je  visitais,  des  plans  recouverts  de  courbes  de  niveau  entre  les 
mains  de  médecins  et  de  pharmaciens,  membres  des  Conseils  d'hygiène, 
qui  les  avaient  fait  exécuter,  souvent  à  leurs  frais,  et  les  appréciaient 
fort.  Il  y  a  déjà  bien  longtemps  de  cela,  et  je  ne  sache  pas  que  cet  exemple 
ait  été  beaucoup  suivi  chez  nous. 

Par  contre,  j'ai  le  plaisir  de  voir  aujourd'hui,  au  nombre  de  mes 
auditeurs,  un  délégué  du  ministre  de  la  Marine,  et  j'en  suis  doublement 
heureux,  d'abord  parce  que  la  méthode  dont  j'ai  à  vous  entretenir  est  née 
à  la  mer,  sur  un  bâtiment  français,  bien  avant  l'invention  de  la  photo- 
graphie, et  ensuite  parce  que  ce  dernier  art  s'est  plié,  depuis  un  certain 
temps,  aux  conditions  si  difficiles  dans  lesquelles  se  trouvent  habituelle- 
ment les  marins  et  les  ingénieurs  hydrographes  pour  lever  et  construire 
leurs  plans  et  leurs  cartes,  ce  qui  pourra  singuhèrement  simplifier  leur 
besogne  (1). 

.  Avant  de  vous  montrer  les  documents  que  j'ai  préparés,  voulez- vous 
me  permettre  une  digression,  qui  sera  aussi  une  entrée  en  matières. 

En  1846  —  veuillez  bien  retenir  cette  date,  —  j'avais  été  chargé  d'étudier 
la  frontière  des  Pyrénées  occidentales  et  le  projet  d'une  forteresse  des- 
tinée à  surveiller  la  nouvelle  route  de  Bayonne  à  Pampelune.  Les  recon- 
naissances que  je  fis  sur  toute  la  frontière,  dans  le  département  des 
Basses-Pyrénées  et  dans  une  partie  du  département  des  Hautes-Pyrénées, 
me  donnèrent  l'occasion  de  faire  des  croquis  de  paysage  qui  me  furent 
très  utiles  pour  me  rappeler  ce  que  j'avais  vu,  quand  j'eus  à  rendre 
compte  de  ma  mission. 

Quant  au  lever  de  la  position  militaire  de  Cambo,  par  les  méthodes 
régulières  les  plus  expéditives  que  je  connusse,  il  ne  me  prit  pas  moins 
de  deux  campagnes,  pour  l.oOO  hectares  au  plus,  si  bien  que  l'avant- 
projet  d'une  double  tète  de  pont  sur  la  Nive,  présenté  en  septembre  1848 
arriva  trop  tard,  les  événements  de  cette  époque  ayant  attiré  l'attention 
ailleurs.  On  jugeait,  en  effet,  que  le  danger  immédiat  n'était  pas  du  côté 
des  Pyrénées  et,  au  lieu  de  nous  protéger  nous-mêmes  sur  un  point  qui 
était  et  qui  est  resté  l'un  des  plus  faibles  de  nos  frontières,  on  tourna  les 
yeux  du  côté  des  Alpes,  avec  la  généreuse  pensée  d'aller,  au  besoin,  au 
secours  de  l'Italie.  J'ignore  si  la  question  a  été  remise  à  l'étude,  mais  je 
souhaite  vivement  qu'elle  ne  soit  pas  négligée,  car,  je  le  répète,  aucune 
frontière  n'est  plus  mauvaise  que  celle  de  nos  Pyrénées  occidentales. 

Il  faut  bien  croire  que  mes  travaux  topographiques  avaient  été  appré- 

(1)  Je  n'ai  pas  voulu  faire  allusion  à  l'application,  si  simple  d'ailleurs,  dans  des  circonstances 
favorables,  de  la  photographie  au  cadastre.  Je  n'aurais  pu  que  faire  observer,  à  propos  d'une  com- 
munication écrite,  lue  le  matin  même  à  la  Section  de  Géographie  (et  déjà  parue  dans  le  numéro  de 
la  Reviie  scientijlque  du  20  août  1892),  que  son  auteur  avait  omis  de  dire  qu'il  avait  emprunté  à  des 
publications  faites  depuis  longtemps  le  principe  delà  méthode  dont  il  veut  faire  usage,  en  essayant, 
au  contraire,  de  donner  le  change  par  l'introduction  de  raffinements  graphiques  matériels  sans  portée 
sérieuse  et  plus  gênants  qu'utiles. 


218  GÉNIE   CIVIL   ET   MILITAIRE,  NAVIGATION 

ciés,  puisque,  indépendamment  des  lettres  d'éloges  qu'ils  m'avaient  valu 
de  la  part  du  ministre,  je  fus  appelé  à  Paris  et  attaché,  au  Comité  des 
fortifications,  au  Service  des  cartes  et  plans.  Eh  bien,  je  n'hésite  pas  à 
dire  qu'aujourd'hui  le  lever  de  la  position  de  Cambo,  qui  devrait  être 
beaucoup  plus  étendu  qu'à  l'époque  dont  je  parle,  pourrait  être  exécuté 
avec  une  exactitude  très  suffisante  en  beaucoup  moins  de  temps,  et  que 
l'économie  porterait  principalement  sur  celui  qu'il  y  aurait  à  passer  sur 
le  terrain. 

J'ajoute  que  mes  reconnaissances  sur  la  frontière  eussent  été  infiniment 
plus  complètes,  plus  instructives  et  plus  exactes  que  celles  qu'il  m'était 
permis  de  faire,  en  parcourant  le  pays  plus  lentement  que  ne  le  font 
aujourd'hui  les  touristes  les  moins  pressés  (i). 

Je  n'aurais  peut-être  pas  autant  insisté  sur  ce  sujet,  si  nous  n'étions 
pas  précisément  dans  les  Pyrénées,  où  je  me  suis  avisé,  dans  ma  jeunesse, 
de  songer  à  chercher  des  méthodes  topographiques  plus  rapides  que 
celles  qui  étaient  en  usage  et  qui  sont  encore  les  mêmes  aujourd'hui,  à 
quelques  modifications  près  dans  la  construction  des  appareils. 

Le  but  à  atteindre  se  trouvant  suffisamment  défini,  si  je  ne  me  trompe, 
examinons  par  quelle  voie  on  y  est  parvenu. 

J'ai,  dans  ma  bibliothèque  d'astronomie,  un  vieux  poème  latin  de 
Manilius,  qui  renferme  quelques  excellents  aphorismes,  au  nombre  des- 
quels se  trouve  le  suivant,  que  Montaigne  n'a  pas  dédaigné  de  lui  em- 
prunter, et  que  j'ai  pris  moi-même  pour  épigraphe  dans  deux  circonstances 
oîi  j'avais  besoin  de  le  recommander  aux  autres  : 

Per  varias  usus  artem  experientia  fecit, 
Exemplo  monsirante  viam. 

Je  n'ai  jamais  manqué,  pour  ma  part,  de  rendre  justice  aux  inventeurs 
qui  m'ont  précédé,  mais  je  trouve  tout  à  fait  naturel  de  souhaiter  que 
ceux  qui  sont  venus  après  moi  en  fassent  autant.  Or,  il  me  serait  par 
trop  facile  de  prouver  que  plusieurs  d'entre  eux  se  sont  dispensés  de  ce 
soin,  mais  passons. 

C'est  à  l'illustre  hydrographe  français  Beautemps-Beaupré  qu'appartient 
l'idée  féconde  d'utiliser  les  vues  pittoresques  pour  lever  les  plans.  Cette 
invention  date  exactement  d'un  siècle,  car  elle  fut  faite  pendant  la  cam- 
pagne de  d'Entrecasteaux  à  la  recherche  de  La  Pérouse,  de  1791  à  1794. 

Il  est  bon  de  rappeler  qu'avant  Beautemps-Beaupré,  les  ingénieurs 
hydrographes  employaient  déjà  des  vues  de  côtes,  mais  uniquement  pour 
se  diriger  dans  les  passes  et  entrer  dans  les  ports. 

(1)  Peu  de  jours  après  la  date  de  cette  conférence,  je  recevais  une  brochure  de  M.  le  comte  de 
Saint-Saud,  intitulée:  Conlribulion  à  la  carie  des  Pyrénées  espagnoles,  dans  laquelle  j'ai  vu  avec 
plaisir  que  l'auteur  avait  commencé  à  se  servir  de  ses  photographies  pour  évaluer  des  angles.  Je  suis 
bien  stir  qu'il  continuera  et  ira  plus  loin. 


A.  LAUSSEDAT.  —  APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AL  LEVER  DES  PLANS      219 

L'invention  du  cercle  à  réflexion  de  Borda,  qui  permettait  de  mesurer 
successivement  un  grand  nombre  d'angles  sans  revenir  au  zéro  de  la 
graduation,  comme  il  fallait  faire  auparavant  avec  le  sextant,  fît  penser 
à  Beautemps-Beaupré  que  ces  vues  de  côtes,  prises  partout  où  cela  serait 
nécessaire,  pourraient  servir  de  registres  d'angles,  et  le  succès  de  la 
méthode  absolument  nouvelle  fondée  sur  cette  simple  remarque  ne  se  fit 
pas  attendre. 

L'ouvrage  que  le  savant  ingénieur  publia  en  1808,  et  qui  fut  réédité 
en  18H,  était  sans  doute  connu  des  hydrographes  et  des  marins  de  tous 
les  pays,  mais  il  resta  à  peu  près  ignoré,  pendant  quarante  ans,  de^ 
topographes  et  des  voyageurs  scientifiques,  et  je  ne  crois  pas  m'aven- 
turer  en  disant  que,  même  dans  la  marine,  il  y  avait  bien  peu  d'opéra- 
teurs qui  voulussent  s'astreindre  à  dessiner  des  vues  de  côtes  pour  y 
marquer  les  mesures  angulaires  assez  multipliées  que  comportait  le  pro- 
cédé de  Beautemps-Beaupré,  qui  lavait  pourtant  pratiqué  lui-même  et 
enseigné  pendant  un  demi-siècle. 

Quoi  qu'il  en  soit,  en  184(),  à  propos  d'un  voyage  effectué  en  Abyssinie 
par  deux  officiers  d'état-major,  MM.  Galinier  et  Ferret,  Beautemps-Beaupré, 
alors  membre  de  l'Académie  des  Sciences,  se  plaignit,  d'une  manière 
générale,  de  ce  que  les  itinéraires  relevés  par  les  voyageurs  n'étaient 
pas  accompagnés  de  vues  développées  sous  forme  de  panoramas,  qui 
préviendraient,  disait-il  avec  grande  raison,  les  erreurs  si  fréquentes  occa- 
sionnées par  l'ignorance  des  guides,  et  qui  pourraient  être  consultés  utile- 
ment dans  tous  les  temps. 

Arago,  chargé  du  rapport  sur  les  travaux  d'exploration  de  MM.  Galinier 
et  Ferret,  mentionna  cette  recommandation  expresse,  et  l'on  pourrait 
dire  prophétique,  de  son  confrère.  Ce  rapport  fut  publié  sous  forme  de 
notice  dans  V Annuaire  du  Bureau  des  longitudes  pour  1846. 

Vous  vous  souvenez  que  c'était  précisément  à  cette  date  que  j'exécu- 
tais mes  reconnaissances  dans  les  Pyrénées,  et  vous  ne  serez  pas  surpris 
que  la  lecture  de  la  notice  d' Arago  m'ait  beaucoup  frappé. 

Je  commençai  par  me  procurer  le  traité  de  Beautemps-Beaupré,  et  je 
reconnus  aussitôt  le  parti  que  l'on  pouvait  tirer  de  la  méthode  qui  s'y 
trouvait  exposée  en  quelques  lignes,  mais  de  façon  à  ne  laisser  aucun 
doute  sur  son  efficacité.  Je  ne  saurais  mieux  faire  que  de  vous  lire  le 
passage  de  cet  ouvrage,  qui  en  contient  pour  ainsi  dire  toute  la  philo- 
sophie : 

«  Après  avoir  adopté,  dit  Beautemps-Beaupré,  le  cercle  à  réflexion 
pour  mesurer  les  distances  angulaires  des  points  remarquables  des  côtes, 
et  avoir  reconnu  la  possibihté  d'observer,  au  même  instant,  un  très  grand 
nombre  d'angles,  je  jugeai  qu'il  fallait  encore  chercher  le  moyen  le  plus 
sûr  et  le  plus  facile  de  désigner  les  positions  auxquelles  appartenaient  ces 


220  GÉiNIE    CIVIL    ET    MILITAIRE,    NAVIGATION 

angles,  soit  qu'ils  fussent  pris  d'une  station  à  la  mer  ou  d'une  station  à 
terre. 

»  L'emploi  des  lettres  de  l'alphabet  et  des  chiffres  pour  désigner  les 
objets  qui  n'avaient  point  encore  de  noms  conduisait,  il  est  vrai,  au  but 
qu'il  fallait  s'efforcer  d'atteindre  ;  mais,  en  se  bornant  à  ce  moyen,  l'on 
s'exposait  à  commettre  des  erreurs  d'autant  plus  graves  qu'il  n'y  avait 
pas  à  espérer  de  vérification, 

»  Je  crois  avoir  trouvé  la  manière  (Véviter  ces  erreurs  en  faisant,  a  chaque 
STATION,  UNE  VUE  DE  COTE  OÙ  uon  Seulement  on  indique  par  des  lettres 
ou  des  chiffres  les  objets  les  plus  remarquables,  mais  où  l'on  écrit  les 
mesures  des  angles  observés,  ainsi  que  les  gisements  des  pointes  relevées 
les  unes  par  les  autres,  l'estime  des  distances,  etc. 

»  Cette  manière  d'opérer,  que  j'ai  constamment  suivie,  m'a  procuré 
l'avantage  d'avoir  toujours  sous  les  yeux,  en  construisant  mes  cartes,  les 
objets  tels  qu'ils  s'étaient  présentés  lors  des  relèvements,  et  bien  souvent 
elle  a  servi  à  me  faire  reconnaître  des  erreurs  qui  s'étaient  glissées  dans 
les  observations  (1)  ». 

L'ouvrage  de  Beautemps-Beaupré  contient  un  grand  nombre  de  planches 
dont  je  me  contenterai  de  vous  montrer  quelques  spécimens  pour  les  vues 
développées  en  panoramas,  sur  lesquelles  sont  inscrits  les  angles  mesurés, 
mais  je  lui  emprunterai  aussi  la  carte  de  l'archipel  de  Santa-Cruz,  levée 
en  quelques  jours,  en  mai  1793,  comparée,  sur  la  même  feuille,  par  l'au- 
teur, avec  celle  qu'avait  dressée  le  capitaine  anglais  Carteret,  en  1768, 
au  moyen  des  relèvements  à  la  boussole.  On  ne  saurait,  en  effet,  donner 
une  démonstration  plus  frappante  de  la  supériorité  de  la  nouvelle  méthode 
et  des  propriétés  admirables  des  vues  pittoresques,  qui  sont  des  témoins 
irrécusables  en  même  temps  que  des  guides  faciles  à  consulter. 

Je  n'avais  guère  besoin,  pour  ma  part,  d'être  convaincu,  et  je  parvien- 
drais difficilement  à  exprimer  la  satisfaction  que  j'éprouvai  en  voyant 
réalisée  une  idée  qui  m'avait  traversé  l'esprit,  mais  à  laquelle  je  n'avais 
pas  encore  donné  toute  l'attention  nécessaire. 

J'essayai  aussitôt  de  l'appliquer  en  esquissant  des  croquis  sur  lesquels 
j'inscrivais  des  angles  mesurés  ou  évalués  par  un  procédé  analogue  à 
celui  qu'emploient  les  artistes  pour  la  mise  en  place  des  objets  qu'ils  ont 
devant  les  yeux,  et  je  me  souviens  d'avoir,  en  1848,  pris  des  vues,  fort 
médiocrement  dessinées  d'ailleurs,  ici  même,  dans  cette  riante  vallée 
d'Ossau  que  nous  devons  parcourir  la  semaine  prochaine. 

Découragé,  tout  d'abord,  par  mon  insuffisance  artistique,  je  cherchai  à 
y  suppléer  en  recourant  à  un  instrument  que  j'avais  heureusement  eu 
déjà  entre  les  mains,  la  chambre  claire  de  Wollaston.  Un  officier  supé- 

(1)  Méthode  pour  la  levée  et  la  construction  des  caries  et  des  plans  hydrographiques.  Imprimerie 
impériale,  1808  et  18H. 


A.  LAUSSEDAT.  APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AU  LEVER  DES  PLANS       S'a! 

rieur  du  génie,  le  commandant,  depuis  colonel  Leblanc,  pratiquait,  à 
cette  éDoque,  la  méthode  de  Beautemps-Beaupré,  qu'il  enseigna  môme  à 
l'École  polytechnique,  en  1848  ;  mais  il  éprouvait  les  mêmes  difficultés 
que  moi,  et  quand  je  lui  montrai,  en  1849  et  I80O,  les  résultats  que 
j'obtenais  avec  la  chambre  claire,  il  m'encouragea  beaucoup  à  les  pour- 
suivre, s'apercevant  bien  qu'il  y  avait  là  un  puissant  élément  de  succès 
et  de  progrès. 

Permettez-moi  de  vous  dire  qu'en  elTet  l'introduction  d'un  instrument 
de  dessin  susceptible  de  précision  transformait,  tout  d'un  coup,  la 
méthode  de  Beautemps-Beaupré,  en  la  rendant  à  la  fois  plus  complète, 
plus  sûre  et  plus  rigoureuse,  et  en  dispensant  l'opérateur  de  mesurer  les 
angles,  en  plus  ou  moins  grand  nombre. 

Laissez-moi  ajouter  que  la  méthode  'photographique  se  trouvait  vir- 
tuellement créée,  car  il  n'y  a,  au  fond,  aucune  différence  entre  deux 
perspectives  prises,  l'une  avec  la  chambre  claire  et  l'autre  avec  une 
chambre  obscure,  dans  des  conditions  géométriques  identiques.  La  première 
est  nécessairement  moins  détaillée,  moins  complète,  mais  tout  ce  qu'on  y 
a  figuré  se  retrouve  à  la  même  place  sur  l'autre.  Les  mesures  que  l'on 
peut  prendre  sur  chacune  d'elles  sont  les  mêmes,  pour  peu  que  le  dessi- 
nateur qui  a  employé  la  chambre  claire  ait  opéré  avec  soin. 

Je  dois  m'arrêter  sur  ce  mot  de  mesures,  car  la  nouveauté  du  procédé 
que  j'ai  proposé  le  premier,  comparé  à  celui  de  Beautemps-Beaupré,  con- 
siste précisément  en  ce  qu'il  n'y  a  plus  d'angles  à  lire,  à  inscrire  et  plus 
tard  à  rapporter  sur  les  plans.  Les  angles  ne  se  mesurent  donc  pas,  à 
proprement  parler  ;  on  les  trace  immédiatement,  comme  je  le  montrerai 
tout  à  l'heure,  et  les  constructions  graphiques  se  trouvent  ainsi  à  l'abri 
de  toutes  les  erreurs  de  lecture  et  de  transcription. 

Je  devais  présenter  cette  observation  capitale,  dès  à  présent,  sauf  à 
fournir  la  preuve  de  ce  que  j'avance,  en  vous  montrant  les  résultats 
auxquels  je  suis  parvenu  depuis  I80O,  c'est-à-dire  dès  que  j'eus  apporté 
à  la  construction  et  à  la  disposition  de  la  chambre  claire  de  Wollaston 
les  perfectionnements  nécessaires  pour  la  transformer  en  un  instrument 
de  précision. 

Les  documents  que  j'ai  réunis  pour  faciliter  ma  tâche,  et  qui  vont  être 
projetés  par  M.  Molteni  (1),  ont  été  classés,  aussi  méthodiquement  que 
possible,  dans  cinq  catégories. 

Tout  d'abord,  puisqu'il  s'agissait  de  l'historique  d'un  art  qui  vient 
après  tant  d'autres,  auxquels  il  a  recours,  je  devais  commencer  par  rap- 
peler les  définitions  relatives  k  celui  qui  vient  en  tête,  je  veux  dire  à  la 
perspective  conique  ou  centrale,  en  me  servant  de  figures  élémentaires, 

(I)  Les  dessins  et  les  épreuves  projetés  par  M  .  Molteni  étaient  au  nombre  de  90;  nous  ne  pourrons 
donner  ici  qu"un  choix  très  limité  des  figures  les  plus  essentielles  à  l'intelligence  du  texte. 


GENIE    CIVIL    ET   MILITAIRE,    NAVIGATION 

puis  VOUS  montrer  les  premiers  appareils  employés  depuis  le  xvi^  siècle 
l)Our  mettre  en  perspective  des  personnages,  des  objets  usuels,  des  monu- 
ments et  même  des  paysages  ;  viennent  ensuite  des  exemples  de  construc- 
tion, des  perspectives  de  monuments  à  l'aide  de  plans  et  d'élévations, 
d'après  les  règles  déjà  anciennes  du  trait  perspectif;  et  voici  aussitôt, 


FiG.  \.  —  Chambre  claire  de  WoUaston  perfectionnée. 


inversement,  le  moyen  de  restituer,  suivant  les  mêmes  règles,  des  plans 
d'édifices  d'après  leurs  perspectives.  Cet  ensemble  forme,  en  quelque 
sorte,  un  chapitre  préliminaire  indispensable  pour  ceux  qui  ont  besoin 
d'être  initiés,  et  je  ne  crois  pas  avoir  abusé  de  leur  patience  en  remettant 
ces  figures  et  ces  dessins  sous  les  yeux  de  ceux  de  mes  auditeurs  qui  les 
connaissaient  déjà. 

La  seconde  série  de  projections  comprend  les  spécimens  des  travaux 


A.  LAUSSEDAT.  APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AU  LEVER  DES  PLANS      223 

de  Beaulemps-Beaupré  et  de  quelques-uns  de  ses  successeurs,  c'est-à-dire 
des  vues  de  côtes  dessinées  à  main  levée  et  portant  l'indication  des  angles 
mesurés  avec  le  cercle  à  réflexion  (ou,  si  l'on  opère  à  terre,  avec  le  théo- 
dolite) et,  de  plus,  la  carte  de  l'archipel  de  Santa-Cruz  dressée,  en  1793, 
par  Beaulemps-Beaupré,  rapprochée  de  celle  du  même  archipel  dressée, 
en  1768,  par  le  navigateur  anglais  Carteret,  compagnon  de  Wallis. 

Vous  vous  souvenez  de  ce  que  j'ai  déjà  conclu  de  cette  comparaison  en 
faveur  de  la  méthode  de  Beau  temps-Beaupré,  et  vous  voyez  que  j'avais 
raison  (1). 

Dans  la  troisième  série,  après  la  chambre  claire  de  Wollaston  perfec- 
tionnée (fig.  1}  (un  petit  niveau  supprimé  sur  cette  figure  suffit  pour  lui 


FiG.  2.  —  Perspective  d'un    édifice  dessinée  à  la  chambre  claire. 
Principe  général  de  riconométrie. 


donner  le  caractère  et  les  propriétés  d'un  instrument  de  précision),  je 
vais  mettre  sous  vos  yeux  quelques  résultats  fondamentaux  sur  lesquels 
je  ne  saurais  trop  appeler  votre  attention. 

Sur  le  tableau  vertical  de  la  figure  2,  qui  représente  une  vue  du  quar- 
tier Panthemont,  rue  de  Bellechasse,  vous  reconnaissez  la  ligne  d'ho- 
rizon LH  et  le  point  principal  P  de  la  perspective,  le  point  de  vue  étant 
en  0.  La  chambre  claire  qui  se  compose  d'un  prisme,  dont  deux  des 
faces  produisent  l'effet  de  miroirs  à  réflexion  totale,  ramène  la  vue  sur 
un  tableau  horizontal  oîi  il  est  aisé  de  la  dessiner.  La  ligne  d'horizon  LH 


(1)  Nous  regrettons  beaucoup  de  ne  pas  pouvoir  reproduire  quelques  vues  de  côtes  et  les  deux 
cartes  de  l'archipel  de  Santa-Cruz  ;  on  les  trouverait,  au  besoin,  dans  l'ouvrage  de  Beaulemps- 
Beaupré. 


224  GÉNIE    CIVIL    ET    MILITAIRE,  NAVIGATION 

et  le  point  principal  s'y  déterminent  rapidement,  ainsi  que  la  distance  OP 
du  point  de  vue  au  tableau,  et  l'on  a  alors  tous  les  élémenl.s  géométriques 
nécessaires  pour  obtenir,  sur  le  dessin,  les  angles  des  rayons  visuels  réduits 
à  l'horizon  et  les  hauteurs  apparentes  de  chacun  des  points  de  la  perspec- 
tive. Pour  tracer  (et  non  mesurer)  les  premiers,  il  suffit  de  rabattre  le 
point  de  vue  0  en  0,.,  de  projeter  les  différents  points  que  l'on  veut 
considérer   sur   la  ligne    d'horizon,    et    de  joindre    ces   projections   au 

point  0,,. 

La  figure  3  est  une  réduction   redressée,  à  l'échelle  de  1/iO  du  dessin 

exécuté   avec  la  chambre  claire  dis- 
posée au-dessus  de  la  planchette,  avec 
une  dislance  du  point  de  vue  au  ta- 
bleau OP  de  30  centimètres,  distance 
ordinaire  de  la  vue  distincte.  En  com- 
parant les  angles  réduits  à  l'horizon 
fi'O^b',    rt'0,.c',    etc.,    tracés,    comme 
ou  vient  de  l'expliquer,  avec  ceux  que 
l'on  mesurait  directement  au   moyen 
d'un  cercle  divisé  et  d'une  alidade  (on 
s'est  servi   pour   cela  d'un  excellent 
instrument    de    la  brigade    topogra- 
phiquej,  les  différences  à  peine  sen- 
sibles ont  été  de  l'ordre  des  erreurs 
de  lecture.  11  en  a  été  de  même  des 
hauteurs  apparentes. 
Cette  expérience  était  déjà  très  concluante,  mais  celle  qui  a  été  faite 
en  combinant  deux  perspectives,  et  qui  est  représentée  sur  la  figure  4, 

l'est  encore  davantage. 

On  y  reconnaît  aisément  le  plan  de  l'un  des  côtés  du  fort  deVincennes 
comprenant  le  donjon,  construit  au  moyen  de  deux  vues  toujours  des- 
sinées à  la  chambre  claire.  La  distance  AB  des  deux  points  de  vue  ou 
la  base  ayant  été  mesurée  avec  soin,  les  deux  vues  aa  (1)  et  bb  ont  été 
orientées  très  simplement  et  très  sûrement  au  moyen  des  angles  que  la 
direction  de  la  base  faisait  alternativement  avec  celle  d'un  point  remar- 
quable du  paysage,  par  exemple  du  paratonnerre  du  donjon  (et  ces  deux 
angles  ont  été  eux-mêmes  évalués,  tracés  à  l'aide  de  la  chambre  claire). 
D'un  troisième  point  de  vue  C,  on  a  pris  également  une  vue  ce  dont  la 
ligne  d'horizon  seule  est  tracée  sur  la  figure,  et  l'on  a  pu  ainsi  se  pro- 
curer des  moyens  de  vérification.  Mais  cette  épreuve  a  été  superflue,  car, 
après  avoir  déterminé  un  grand  nombre  de  points  du  plan  par  les  inter- 

(1)  La  vue  aa  est  relevée  en  a'a'  sur  lu  figure  pour  éviter  la  confusion  qui  résulterait  de  l'entre- 
croisement des  deux  images. 


p-,g_  3.  _  Redressement  de  la  figure  2. 


A.  LAUSSEDAT.  —  APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AU  LEVER  DES  PLANS      225 

sections  des  rayons  visuels  projetés  horizonlalement  et  correspondant 
aux  deux  vues  aa  et  bb,  on  a  posé  sur  le  dessin  un  calque  du  plan  du 
fort  de  Vincenues  pris  à  la  direction  des  fortifications  et  exécuté  à  la 


;>-^ 


3 

•a 


c 
o 


e 

o 


a 


c 
a 


3 


a 

bl, 


même  échelle  par  les  méthodes  dites   rigoureuses,  et  l'on  a  constaté  la 
coïncidence  exacte  des  points  du  calque  et  du  dessin. 

Ce  dernier  était  donc  tout  aussi  rigoureux  que  l'autre,  et  le  problème 
de  la  restitution  des  plans  topographiques  par  des  perspectives  était  défini- 
tivement résolu.  Cette  expérience  a  été  répétée  avec  le  même  succès,  en 
1850,  sur  l'un  des  fronts  du  mont  Valérien  (voir  le  Mémorial  de  l'officier 

13* 


226  GÉNIE  CIVIL  ET  MILITAIRE,  NAVIGATION 

du  génie,  n°  16,  année  18o4)  et,  en  1831,  en  présence  du  rapporteur  scien- 
tifique du  Comité  des  fortifications,  M.  le  capitaine  A\x  génie  Laurent, 
sur  l'un  des  fronts  du  fort  de  Bicêtre. 

Je  demande  à  tous  les  gens  de  bonne  foi  si  j'ai  le  droit  de  croire  que 
ces  résultats  ouvraient  une  ère  nouvelle  à  l'art  des  reconnaissances  et 
même  à  la  topographie  régulière,  et  j'invite  ceux  qui  continueraient  à 
prétendre  que  la  méthode  généralement  employée  aujourd'hui  en  métro- 
photographie  n'a  pas  été  inaugurée  en  France  à  apporter  des  preuves 
aussi  nettes  que  celles  que  je  donne  ici  et  qui  sont  puisées  dans  des 
recueils  imprimés  dont  les  dates  sont  faciles  à  vérifier  :  Mémorial  fn"  16j 
de  l'officier  du  génie,  1854  ;  Comptes  rendus  de  VAcadém^ie  des  Sciences, 
1860;  Magasin  pittoresque,  année  1861. 

Tout  ce  que  nous  avons  vu  jusqu'à  présent  se  rapporte  à  la  planimé- 
Irie,  et  j'ajoute,  avant  d'aller  plus  loin,  que  la  méthode  s'applique  éga- 
lement bien  aux  levers  à  grande  ou  à  petite  échelle. 

Mais  je  ne  m'en  suis  pas  tenu  là,  et  j'ai  voulu  voir  si  le  nivellement 
par  courbes  horizontales  ne  pourrait  pas  être  effectué  aussi  facilement. 
L'expérience  a  été  faite,  dès  18d1,  en  Angleterre,  aux  environs  d'une 
grande  ville,  et  elle  a  pleinement  réussi,  comme  on  peut  s'en  rendre 
compte  sur  le  plan  nivelé  déduit  des  trois  perspectives  que  je  vous  montre. 

Je  ne  saurais  trop  insister,  encore  à  ce  propos,  sur  ce  que  les  vues 
géométriquement  exactes  sont  des  documents  irrécusables  qui  permettent 
de  faire  les  vérifications  que  l'on  désire  en  tout  temps.  Il  y  a  quarante 
ans  passés  que  ces  documents  ont  été  recueillis  ;  eh  bien,  sauf  les  dégra- 
dations des  falaises  par  l'action  des  vagues  et  les  nouveaux  travaux  d'art 
qui  ont  pu  être  exécutés  sur  le  terrain,  il  est  certain  que  les  vues,  qui 
sont  la  représentation  fidèle  de  ce  qui  existait  alors,  ne  s'éloignent  guère 
de  ce  qui  existe  encore  aujourd'hui  (1). 

Beautemps-Beaupré  n'avait  pas  eu  à  s'occuper  du  nivellement,  et  les 
résultats  que  vous  venez  de  voir  sont  les  premiers  de  ce  genre  qui  aient 
été  obtenus  ;  il  doit  donc  encore  m'être  permis  de  dire  qu'après  avoir 
donné  la  solution  complète  de  la  restitution  des  plans  topographiques, 
j'ai  indiqué  aussi  le  moyen  le  plus  simple  d'effectuer  le  nivellement  à 
l'aide  des  vues  pittoresques,  et  je  l'ai  appliqué  aussitôt,  joignant  l'exemple 
au  précepte,  ce  que  négligent  trop  souvent  ceux  qui  proposent  des  nou- 
veautés, avant  de  s'être  bien  assurés  qu'elles  peuvent  passer  dans  la  pra- 
tique et  faire  faire  un  véritable  progrès  à  l'art  qu'ils  ont  en  vue. 

Je  ne  quitterai  pas  la  chambre  claire  avant  d'avoir  mis  sous  vos  yeux 
des  spécimens  de  dessins  agrandis  qu'elle  permet  d'exécuter  facilement 

(1)  Les  difTérences  que  l'on  constaterait  pourraient,  d'un  autre  coté,  servir  à  en  contrôler  la  date: 
par  exemple,  la  disparition  de  certains  édifices,  ]"état  d'avancement  de  grands  travaux  publics  ;  et  ce 
cas  se  présente  justement  sur  les  vues  dont  il  s'agit. 


A.  T.AUSSEDAT.  —  APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AU  LEVER  DES  PLANS       227 

quand  on  l'associe  à  une  lunette  terrestre  d'un  grossissement  convenable. 

Voici  d'abord  l'appareil  (fig.  5)  et  voici  le  sommet  du  donjon  de  Vin- 
cennes  dessiné  en  I80O  (fig.  6),  de  l'une  des  stations  d'où  ont  été  prises 
les  vues  de  la  figure  4,  la  station  B,  En  comparant  les  deux  figures,  on 
aura  une  idée  des  avantages  que  procure  l'agrandissement  de  certains 
détails,  dont  les  dimensions  réelles  étant  souvent  connues  peuvent  servir 
d'échelles  ou  de  stadias  pour  évaluer  les  distances. 

Nous  avons  fait  un  très  grand  usage  de  ce  procédé  pendant  le  siège  de 
Paris  par  les  Allemands,  et  il  nous  a  permis  de  relever  avec  beaucoup  de 


Fig. 


Emploi  combiné  de  la  chambre  claire  et  de  la  lunette  terrestre. 


précision  les  travaux  d'attaque  de  l'ennemi,  au  fur  et  à  mesure  qu'il  les 
exécutait. 

J'avais  omis,  comme  dans  d'autres  cas,  de  donner  un  nom  à  cet  appa- 
reil, lorsqu'en  1868,  il  fut  réinventé  par  une  autre  personne  qui  l'appela 
Téléiconographe.  Ce  mot  ne  me  plaisait  pas  plus  que  le  procédé  de  Fau- 
teur, et  mon  droit  étant  parfaitement  établi  par  deux  publications  très 
antérieures,  le  Mémorial  de  l'officier  du  génie  de  18o4  et  le  Magasin  pit- 
toresque de  1861  (1)  d'oîi  est  extraite  la  figure  6,  je  l'ai  baptisé  à  mon 

(1)  Je  saisis  cette  occasion  pour  remercier  MM.  Jouvet  et  C'°,  éditeurs  du  Magasin  pittoresque,  d'avoir 
bien  voulu  me  prêter  les  clich^'S  des  figures  1,  2,  i,  4  et  6  ;  MM.  Masson,  éditeurs,  et  G.  Tissandier, 
directeur  de  lu  Nature,  de  m'avoir  prêté  celui  de  la  figure  5*  et  MM.  Gauthier-Villars  et  fils,  ceux  des 
ligures  7  et  8. 


228  GÉNIE    CIVIL    ET   MILITAIRE,    NAVIGATION 

tour  et  il  s'appelle  plus  justement  et  plus  euphoniquement  à  la  fois  Télé- 
métrographe. 

Les  vues  dessinées  au  télémétrographe,  par  champs  de  lunette  succes- 
sifs, qui  vont  être  projetées  actuellement,  proviennent  de  la  collection  de 
celles  qui  ont  été  exécutées  pendant  le  siège  ;  vous  pouvez  en  constater  le 
très  grand  intérêt. 

Vous  savez,  sans  doute,  qu'aujourd'hui  la  Tcléphotographie,  d'abord 
appliquée  à  l'étude  des  astres  qu'elle  continue  à  rendre  si  attrayante  et  si 
fructueuse,  a  commencé  à  rendre  des  services  analogurs  à  ceux  qui  sont 


Fio.  6.  —  Donjon  de  Vincennes  agrandi  au  moyen  du  tulémdtrographe. 

dus  au  télémétrographe  ;  plusieurs  officiers,  entre  autres  MM.  les  com- 
mandants Fribourg  et  Allotte  de  La  Fiiye,  en  France,  M.  Paul  Nadar  aussi, 
ont  obtenu  déjà  de  très  remarquables  résultats  qui  en  font  présager  de 
plus  importants  encore  (1). 

J'arrive  à  la  quatrième  série  des  projections  qui  se  rapportent  toutes  à 
la  métrophotographie. 

Avant  de  projeter   les  vues  photographiées   et  les  plans  qu'elles  ont 


(1)  Une  merveilleuse  épreuve  du  mont  Blanc  vu  de  Genève  (70  kilomètres),  obtenue  par  M.  Bois- 
sonaz.  avec  un  téléobjectif  de  M.  Dallmeyer,  a  éié  récemment  montrée  et  offerte  par  M.  Janssen  à  la 
Société  française  de  photographie.  M.  Boissonaz  a  bien  voulu,  à  ma  demande,  en  offrir  un  exem- 
plaire la  galerie  de  photographie  du  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers  où  elle  est  exposée  depuis 
quelques  jours  (Janvier  i^po). 


A.  LAUSSEDAT.  —  APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AU  LEVER  DES  PLANS      229 

servi  à  construire  par  la  méthode  si  simple  que  vous  connaissez  bien  à 
présent,  je  voudrais  pouvoir  vous  montrer  la  première  chambre  obscure 
très  modeste,  acquise  sur  les  crédits  du  Comité  des  fortifications  en  1832, 
que  j'avais  munie  de  moyens  de  calage,  d'un  niveau  et  d'une  petite  bous- 
sole et  qui  a  servi  de  transition  entre  la  chambre  claire  et  les  appareils 
actuels  beaucoup  plus  perfectionnés  ;  mais  j'ignore  ce  qu'elle  est  devenue, 
m'en  étant  séparé  en  I806.  Tout  ce  que  j'en  puis  dire,  c'est  qu'elle  nous 
a  servi,  à  mon  camarade,  le  capitaine  Karth,  depuis  colonel,  et  à  moi,  à 
faire  de  très  utiles  essais  de  restitution  de  plans,  d'après  des  vues  d'un 


FiG.  7.  —  Chambre  obscure  photographique. 


champ  à  la  vérité  fort  restreint.  Il  fallait  faire  mieux,  en  profitant  des 
perfectionnements  apportés  à  la  construction  des  appareils,  et  surtout  des 
objectifs,  et  aux  procédés  photographiques.  C'est  ce  à  quoi  je  me  suis 
appliqué  pendant  plusieurs  années. 

Je  franchis  la  période  des  tâtonnements  pour  arriver  à  la  date  de  1858, 
où  je  pus  entreprendre,  chez  l'excellent  artiste  Brunner,  l'exécution  du 
projet  de  ce  que  j'appelais  une  chambre  obscure  photographique  et  que 
les  étrangers,  venus  beaucoup  plus  tard,  ont  appelé  le  théodolite  photo- 
graphique. Chambre  obscure  ou  théodolite,  je  vous  montre  ce  premier 
modèle  (fi g.  7). 

Je  ne  crois  pas  avoir  besoin  de  faire  la  nomenclature  des  organes  géo- 


230  GÉME    CIVIL    ET    MILITAIRE,    NAVIGATION 

désiques,  très  reconnaissables  sur  la  figure,  ni  d'indiquer  la  série  des 
opérations  à  faire  pour  la  mise  en  station  de  celte  chambre  solide,  de  forme 
invaîiable  et  à  foyer  constant.  L'analogie  de  l'appareil  avec  un  théodolite 
m'en  dispense.  Je  ne  décrirai  pas  davantage  les  précautions  prises  pour 
que  la  ligne  d'horizon  et  le  point  principal  pussent  être  immédiatement 
tracés  sur  les  épreuves,  ni  enfin  le  moyen  très  direct  (retrouvé  depuis 
par  d'autres)  employé  pour  déterminer  la  distance  focale.  Je  vous  rappelle 
que  ce  sont  là  les  trois  éléments  essentiels  qui  m'ont  servi,  quand  je 
faisais  usage  des  vues  dessinées  à  la  chambre  claire  et  qu'il  fallait  simple- 
ment retrouver  sur  les  images  photographiées,  pour  opérer  de  même.  Le 
Mémorial  (n°  17)  de  l'officier  du  génie,  qui  parut  tardivement,  en  1864 
(dix  ans  après  le  n°  16),  contient  d'ailleurs  tous  les  détails  que  l'on  pour- 
rait désirer  pour  se  rendre  compte  de  ce  qu'était  cet  appareil  et  du  degré 
de  précision  qu'il  comportait.  Les  premiers  résultats  obtenus  furent  sou- 
mis à  l'Académie  des  Sciences  en  1859,  et  le  rapport  de  MM.  Daussy  et 
Laugier  fut  des  plus  favorables  et  des  plus  concluants.  (Comptes  rendus 
des  séances  de  l'Académie  des  Sciences,  1860,  t.  L.) 

Je  vous  montre  actuellement  un  petit  plan  du  village  de  Bue,  près 
Versailles,  exécuté  avec  huit  vues  sur  coUodion  humide  prises,  en  deux 
ou  trois  heures,  en  mai  1861,  devant  les  officiers  de  la  division  du  génie 
de  la  garde  impériale.  La  réduction  de  ce  plan  à  l'échelle  de  1/2000  me 
demanda  deux  jours  et  parut  convaincre  tout  le  monde,  à  cette  époque, 
de  la  simplicité  et  de  l'efficacité  de  la  méthode. 

La  métrophotographie  ou,  comme  nous  nous  contentions  de  l'appeler, 
l'application  de  la  photographie  au  lever  des  plans,  allait  entrer  dès  lors 
dans  sa  phase  la  plus  active,  je  pourrais  dire  la  plus  brillante,  dans  le 
corps  du  génie. 

Après  de  nouvelles  expériences  faites  par  les  officiers  de  la  division  de 
la  garde  et  dans  les  écoles  régimentaires,  peut-être  même  à  l'École  d'ap- 
plication de  Metz,  le  Comité  des  fortifications'  chargeait,  en  1863,  M.  le 
capitaine  Javary  de  poursuivre  ces  expériences  sous  son  patronage  et 
sous  ma  direction. 

Je  vais  faire  défiler  devant  vous  quelques  spécimens  des  épreuves 
prises  par  cet  officier  distingué  dans  les  conditions  de  précision  que  vous 
connaissez  et  rattachés  à  des  triangulations  ou  à  des  cheminements,  et,  à 
leur  suite,  les  plans  que  ces  épreuves  ont  servi  à  construire,  presque  tous, 

l'échelle  de  1/3000  et  certaines  reconnaissances  à  l'échelle  de  10.000. 
autour  de  Paris,  dans  les  Alpes  du  Dauphiné  et  de  la  Savoie,  aux  envi- 
rons de  Toulon,  en  Alsace  et  dans  les  Vosges,  enfin  pendant  le  siège  de 
Paris.  Certains  auteurs  étrangers  sont  portés  à  croire  que  nous  nous  van- 
tons quand  nous  réclamons  la  priorité  d'une  invention  dont  l'utilité 
s'affirme  partout  aujourd'hui.  Je  ne  puis  que  répéter  ce  que  j'ai  dit  plus 


A.  LAUSSEDAT.  —  APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AU  LEVER  DES  PLANS       231 

haut  :  que  l'on  nous  apporte  des  travaux  comme  ceux  que  nous  sommes 
en  état  de  montrer,  avec  leurs  dates  authentiques,  comme  le  plan  de 
Bue,  comme  celui  de  Grenoble  qui  a  été  présenté  en  1864  à  l'Académie  des 
Sciences,  comme  celui  de  Faverges  qui  a  figuré,  pendant  des  mois,  à 
l'Exposition  universelle  de  1867,  où  il  a  été  vu  et  étudié  par  tout  le 
monde,  comme  celui  de  Sainte-Marie-aux-^Mines,  levé  avant  la  guerre 
nécessairement,  et  qui  a  été  publié  dans  le  Mémorial  de  l'officier  du  génie, 
etc.,  et  nous  reconnaîtrons  le  droit  de  ceux  qui  les  produiront.  Mais 
nous  sommes,  dès  à  présent,  autorisés  cà  penser  que  cette  démonstration 
ne  sera  pas  faite,  car  on  ne  la  trouve  nulle  part  dans  les  nombreuses 
publications  allemandes,  anglaises,  américaines,  autrichiennes  et  italiennes 
qui  nous  sont  parvenues  sur  l'art  nouveau  dont  il  s'agit  (1).  La  vérité, 
qu'il  faut  bien  reconnaître,  en  ce  qui  nous  concerne,  c'est  que  le  Service 
du  génie,  en  dépit  des  expériences  poursuivies  avec  un  plein  succès  pen- 
dant huit  ans,  de  1863  à  1871,  par  le  capitaine  Javary,  s'est  désintéressé, 
sans  qu'on  en  ait  connu  le  motif,  de  cette  méthode,  fort  maladroite- 
ment, et  précisément  au  moment  où  les  Allemands,  et  un  peu  plus  tard 
les  Italiens,  s'en  emparaient. 

Alors,  assez  naturellement  du  reste,  ceux  qui  s'avisaient  de  l'adopter, 
tout  en  reconnaissant,  pour  la  plupart,  que  nous  étions  pour  quelque 
chose,  et  même  pour  beaucoup,  dans  l'invention,  ont  conclu  de  cet  abandon 
de  la  méthode  que  nous  n'avions  pas  su  en  tirer  tout  le  parti  dont  elle 
était  susceptible.  D'autres,  mal  renseignés  ou  moins  scrupuleux,  nous  ont 
tout  simplement  mis  de  côté  et  sont  allés  chercher  des  noms  de  savants 
et  d'inventeurs  qui  n'ont  jamais  essayé  de  résoudre  le  problème  ou  qui  en 
ont  donné,  après  nous,  des  solutions  inadmissibles  dont  ceux-là  mêmes 
qui  les  mettaient  en  avant  se  sont  bien  gardés  de  faire  usage . 

Aussi,  quand  deux  de  nos  compatriotes,  M.  Gustave  Le  Bon  et  M.  le 
commandant  Legros,  ont  publié  des  articles  ou  des  ouvrages  dans  lesquels 
ils  nous  rendaient  justice,  cela  a  surpris  les  uns  et  gêné  les  autres.  Les 
explications  sont  donc  devenues  nécessaires  de  ma  part  et  je  les  ai  don- 
nées; je  viens  de  les  reproduire  devant  vous,  et  nous  en  sommes  là.  Mais 
si  j'ai  énergiquement  maintenu  notre  droit,  je  n'ai  pas  voulu  non  plus 
méconnaître  les  efforts  faits  dans  les  autres  pays  et  le  mérite  de  ceux  à 
qui  ils  sont  dus.  J'ai  donc  cherché  à  me  procurer  les  nombreuses  publi- 
cations faites  à  l'étranger  (2),  dans  le  but  de  rendre  à  chacun  ce  qui  lui 

(1)  Cetartai'lé  désigné  sous  un  si  grand  nombre  d'appellations  «lue  l'on  n'a  que  1  embarras  du 
choix  :  Photogrammelric,  Bildinesskunst,  photofjrapltische  Messkuiist,  Messhiid-  Verfahren,  en  Allemagne 
et  en  Autriche  ;  fololopografîa,  en  Italie.  Nous  nous  sommes  encore  décid(iS  à  le  baptiser  nous-mème 
et  nous  avons  adopté  le  nom  d'iconométrie,  en  général,  et  de  métrophotorjmphie.  quand  les  images  sont 
photographiées. 

(2)  J'ai  été  aidé,  dans  cette  recherche,  avec  un  rare  dévouement,  par  M.  le  commandant  Legros, 
à  qui  j'adresse  ici  mes  vifs  remerciements.  Le  prince  Roland  Bonaparte  m'a  signalé,  de  son  coté,  un 
traité  publié  au  Canada  sous  le  litre  suivant  :  Photographie  surveying,  etc.  By  E.  Deville,  survejor 


232  GÉNIE    CIVIL    ET    MILITAIRE,    NAVIGATION 

appartient,  en  même  temps  que  de  contribuer  de  nouveau,  chez  nous, 
en  les  signalant  à  l'attention  publique,  à  la  propagande  qui  se  fait  partout, 
en  ce  moment,  en  faveur  de  la  photogi^aphie  appliquée  à  l'art  de  lever  les 
plans. 

Je  vais  faire  projeter  la  série  des  appareils  construits  depuis  1865  jus- 
qu'en 1892  en  Allemagne,  en  Autriche  et  en  Italie,  et  qui  sont  désignés 
sous  les  noms  de  théodolites  photographiques  ou  de  photothéodolites. 
Je  les  montre  dans  l'ordre  où  ils  paraissent  avoir  été  imaginés  et  réalisés. 
Voici,  en  Allemagne,  ceux  de  MM.  Meydenbauer,  Vogel,  Jordan,  Koppe; 
en  Autriche,  ceux  de  M.  Werner  et  de  l'ingénieur  en  chef  des  chemins 
de  fer  de  l'État,  M.  Pollack. 

Enfin,  en  Italie,  celui  de  M,  Paganini  Pio,  ingénieur  géographe  de 
l'Institut  géographique  italien . 

Je  n'ai  pas  pu  me  procurer  encore  de  spécimens  un  peu  importants 
des  cartes  ou  des  plans  obtenus  par  les  Allemands,  soit  chez  eux,  soit  à 
la  suite  de  voyages  d'exploration,  comme  ceux  qu'ont  exécutés  M.  Jordan 
qui  accompagnait  Rohlf,  en  Lybie,  en  1873-1874,  M.  Stolze,  en  Perse, 
en  1878,  etc.  Voici,  toutefois,  des  photographies  prises  dans  le  Harz  et 
quelques  planches  tirées  de  l'ouvrage  de  M.  Koppe,  publié  en  1889,  à 
Weimar,  et  qui  démontrent  que  notre  méthode  est  employée  chez  nos 
voisins  exactement  dans  tous  ses  détails,  en  y  ajoutant  même  un  appareil 
scientifique  dont  elle  peut  se  dispenser.  Voici  maintenant  un  fragment 
très  intéressant  de  la  carte  des  Alpes  entreprise,  depuis  bientôt  quinze 
ans,  sous  la  direction  du  général  Ferrero,  par  M.  Paganini  Pio.  Ce  frag- 
ment représente  le  massif  le  plus  élevé  des  Alpes  italiennes  (//  gran  Para- 
diso,  dans  les  Alpes  graïes),  dont  la  cime  atteint  4.061  mètres  d'alti- 
tude. La  carte  est  exécutée  à  l'échelle  de  1/50.000,  avec  des  courbes  de 
niveau  équidistantes  de  50  mètres.  Je  vous  montre,  d'un  autre  côté,  des 
vues  photographiées  d'une  netteté  remarquable  qui  ont  servi  à  la  cons- 
truction de  cette  carte,  et  je  ne  saurais  trop  applaudir  à  de  tels  résultats, 
qui  font  beaucoup  d'honneur  au  directeur  de  l'Institut  géographique 
italien,  en  même  temps  qu'à  l'habile  ingénieur  qui  les  a  obtenus. 

Je  ne  peux  pas  vous  montrer  de  spécimens  des  travaux  de  M.  l'ingé- 
nieur en  chef  Pollack  ;  mais  il  y  a,  au  Champ  de  Mars,  en  ce  moment 
même,  à  l'Exposition  universelle  de  photographie,  des  vues  et  des  cartes 
très   intéressantes   qui   représentent   encore   des   régions   alpestres  dans 

gênerai  of  Canada,  Ottawa,  1889,  que  j'ai  fait  récemment  venir  d'Amérique.  M.  Deville,  dans  sa  pré- 
face, présente  un  historique  très  exact  du  sujet  et  reconnaît  expressément  que  j'ai  été  le  premier  à 
donner,  dans  le  Mémorial  de  l'officier  du  génie,  un  exposé  complet  de  la  méthode.  «  His  work,  dit-il 
en  parlant  de  mon  mémoire,  was  sa  complète  Ihal  liltle  lias  been  added  ta  il  siiice.  »  M.  E.  Deville  vient 
de  m'envoyer  quatorze  feuilles  d'uneadmirable  carte  à  l'échelle  de  1/40.000  de  la  région  des  Montagnes 
Rocheuses  traversée  par  le  chemin  de  fer  Pacifique-Canadien.  Cette  carte,  sur  laquelle  le  relief  du 
terrain,  qui  atteint  3. SOO  mètres,  est  figuré  par  des  sections  horizontales  de  lOO  p.  en  lOO  p.  (30°",5), 
est  entièrement  construite  à  l'aide  de  photographies.  (Janvier  1893).  Avis  aux  sceptiques 


A.  LAUSSEDAT.  APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AU  LEVER  DES  PLANS       233 

lesquelles  tout  autre  procédé  que  celui  du  lever  photographique  présente- 
rait des  difïïcultés  insurmontables  et  entraînerait  de  grandes  pertes  de 
temps,  sans  permettre  jamais  d'atteindre  à  autant  d'exactitude  (l). 

Les  comphments  que  j'adresse  ici  à  nos  émules  étrangers  et  auxquels, 
j'en  suis  sûr,  vous  vous  associerez,  ne  doivent  pas  vous  faire  oublier  ce 
que  nous  avons  fait  nous-mêmes,  et,  en  particulier,  les  travaux  de  mon 
excellent  collaborateur  M.  le  capitaine  (aujourd'hui  commandant)  Javary, 
qui,  en  huit  ans,  n'a  pas  levé  moins  de  72.000  hectares  de  terrain,  la 
plus  grande  partie  à  l'échelle  de  I/o. 000,  avec  des  courbes  de  niveau  à 
l'équidistance  de  5  mètres. 

En  ce  qui  concerne  les  instruments,  si  vous  vous  souvenez  du  premier 
modèle  de  chambre  obscure  photographique  qui  a  servi  aux  expériences 
commencées  en  1859  (fig.  7),  et  si  vous  pouviez  le  rapprocher,  par  la 
pensée,  de  tous  ceux  qui  sont  venus  après  lui  et  que  je  vous  ai  montrés 
en  nommant  leurs  auteurs,  vous  reconnaîtriez  la  parfaite  analogie  qui 
existe  entre  eux,  au  point  de  vue  du  choix  et  de  la  disposition  générale 
des  organes  qui  accompagnent  la  chambre  obscure.  Assurément,  il  y  a 
des  détails  de  construction  fort  différents,  qui  tiennent  autant  aux  habi- 
tudes des  artistes  qu'à  la  manière  de  voir  des  auteurs,  mais  il  s'agit  tou- 
jours de  photographies  donnant  des  perspectives  coniques  sur  tableaux 
plans,  et  l'on  n'y  trouve  ni  perspectives  projetées  sur  des  surfaces  sphé- 
riques  ou  cylindriques,  ni  perspectives  rayonnantes  produisant  des  ana- 
morphoses, comme  celles  qui  ont  été  proposées  par  divers  inventeurs  et 
que  la  pratique  a  toujours  fait  rejeter. 

Vous  avez  sans  doute  remarqué  plus  particulièrement  deux  photothéodo- 
lites dont  l'axe  optique  de  l'objectif  peut  être  incliné  au-desssus  ou 
au-dessous  de  l'horizon,  celui  de  M.  Koppe  et  celui  de  M.  Paganini  Pio. 

Le  premier  est  construit  entièrement  comme  un  instrument  géodésique 
universel,  dans  lequel  la  lunette  centrale  est  remplacée  par  une  chambre 
obscure,  et  M.  Koppe  applique,  en  effet,  les  méthodes  géodésiques  les 
plus  élevées  à  toutes  les  mesures  qu'il  effectue  avec  les  organes  puissants 
de  son  appareil  et  même  celles  qu'il  prend  sur  ses  photographies.  Nous 
n'avons  eu  et  n'aurons  jamais  cette  ambition  de  tout  réunir  dans  le 
même  appareil,  et  nous  considérons  celui  de  M.  Koppe  comme  trop  délicat 
pour  devoir  être  recommandé. 

Le  second,  celui  de  M.  Paganini  Pio,  est  de  la  même  famille,  quoique 
d'une  construction  dilîérente.  Tous  les  deux  peuvent  donner  des  photo- 
graphies sur  des  tableaux  inclinés  à  l'horizon,  qui  doivent  être  traités  à 
part,  quand  on  en  vient  à  construire  les  plans. 

(1)  Dans  son  remarquable  ouvrage,  M.  E.  Deville,  en  annonçant  que  la  photographie  était  employée 
au  Canada,  comme  en  Italie,  à  la  construction  de  la  carte  des  contrées  accidentées,  ajoutait  mélanco- 
liquement :  «  Jn  France,  where  it  originated,  it  lias  been  complelely  abandoned,  al  leat  ost£nsibily .  » 


234  GÉNIE    CIVIL    ET   MILITAIRE,    NAVIGATION 

Je  ne  veux  vous  signaler  que  cette  particularité,  qui  n'existe  pas  dans 
les  autres  photo  théodolites,  mais  qui  se  présente,  avec  tous  les  appareils 
que  l'on  peut  avoir  besoin  exceptionnellement  d'incliner.  Tel  est  le  cas, 
par  exemple,  quand  on  fait  de  la  photographie  en  ballon,  et  deux  de  nos 
jeunes  compatriotes,  M.  Arthur  Batut  d'abord,  à  la  Bruguière  (Tarn),  et 
M.  Wenk,  à  Reims,  l'ont  rencontré,  quand  ils  se  sont  avisés,  très  spiri- 
tuellement, d'accrocher  une  chambre  obscure  à  un  cerf- volant,  au  moyen 
duquel  ils  ont  obtenu  de  très  curieuses  photographies  à  vol  d'oiseau.  J'ai 
donné,  pour  la  transformation  de  ces  vues  sur  tableaux  plans  inclinés, 
une  solution  purement  géométrique,  facile  à  appliquer  et  qui  peut  beau- 


FiG.  8.  —  Pholothéodolite. 


coup  aider  à  faire  concourir  de  telles  vues  h  des  reconnaissances  rapides, 
notamment  en  campagne. 

Je  vais  vous  montrer  quelques  belles  photographies  prises  en  ballon,  et 
d'autres  à  l'aide  du  cerf-volant,  en  commençant  par  celle  qui  a  été  obtenue 
la  première,  en  1858,  par  Nadar,  dont  beaucoup  d'autres,  et  son  fils 
Paul  en  particulier,  ont  perpétué  la  tradition  en  France.  Je  suis  bien 
obligé  de  vous  faire  remarquer  que  ce  sont  des  Français  qui,  encore  dans 
ces  de-ux  cas,  ont  été  les  initiateurs. 

Pour  en  finir  avec  les  instruments,  je  mets  sous  vos  yeux  le  dernier 
modèle  que  j'ai  fait  construire  et  qui  ne  diffère  pas  essentiellement  du 
premier,  mais  dans  lequel  cependant  j'ai  mis  à  profit  l'expérience  de 


A.  LAUSSEDAT.  —  APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AU  LEVER  DES  PLANS      235 

M.  Javary,  les  grands  perfectionnements  apportés  à  la  construction  des 
objectifs  et  les  avantages  qu'offre  l'emploi  de  l'aluminium  (fiy.  8). 

Vous  pouvez  remarquer  que  les  organes  géodésiques  de  cet  appareil 
sont  exactement  les  mêmes  que  ceux  du  premier  que  je  vous  ai  montré 
par  projection  (fîg.  7)  et  qui  date  de  trente-cinq  ans. 

Au  lieu  de  donner  un  mouvement  de  bascule  à  la  chambre  obscure,  ce 
qui  conduit  à  avoir  des  perspectives  sur  tableaux  inclinés,  vous  voyez 
que  j'ai  adopté  la  glissière  verticale  qui  permet  d'élever  ou  d'abaisser 
l'axe  optique  de  l'objectif,  et  de  découvrir,  dans  un  sens  ou  dans  l'autre,  le 
terrain  qui  n'était  pas  compris  dans  le  champ  normal.  Ce  dispositif,  très 
répandu  aujourd'hui,  en  particulier  pour  le  cas  où  l'on  est  obligé  de  se 
rapprocher  d'un  édifice,  a  été  employé  depuis  longtemps  par  M.  Javary. 
C'est  aussi  cet  officier  qui  m'a  donné  l'idée  de  séparer,  au  besoin,  la 
chambre  obscure  des  organes  géodésiques  pour  faire  servir  ces  derniers 
à  la  triangulation  préalable,  sans  emporter  un  poids  mort  inutile. 

Enfin,  l'emploi  de  l'aluminium,  en  allégeant  l'appareil,  m'a  permis  de 
supprimer  le  contrepoids  que  j'avais  été  obligé  de  placer  sur  le  côté  opposé 
de  la  chambre,  et  que  vous  avez  remarqué  sans  doute  aussi  sur  le  très 
bel  instrument  de  M.  Pollack.  J'ai  pu  me  contenter,  en  effet,  pour  équi- 
librer le  système,  d'un  déclinatoire  analogue  à  ceux  qui  font  partie  du 
tachéomètre,  et  l'on  en  peut  faire  le  même  usage. 

Enfin,  et  ce  point  vaut  la  peine  d'être  expliqué,  certains  étrangers  nous 
ont  reproché  d'avoir  employé  des  objectifs  d'un  champ  trop  limité,  et  ont 
été  jusqu'à  se  faire  un  mérite  d'avoir  adopté  ceux  qui  en  donnaient 
un  plus  considérable.  J'ai  déjà  répondu  ailleurs  à  cette  mauvaise  chicane, 
en  faisant  remarquer  que,  si  nous  n'avions  pas  employé  tout  d'abord  des 
objectifs  grands  angulaires,  c'était  tout  simplement  parce  qu'ils  n'étaient 
pas  inventés.  Loin  de  nous  pouvoir  faire  un  reproche  de  cet  inconvé- 
nient, on  aurait  dû  réfléchir  que  c'était  la  meilleure  preuve  de  l'anté- 
riorité de  nos  travaux. 

Quant  aux  si  grands  avantages  que  l'on  prétend  trouver  à  l'accrois- 
sement indéfini  du  champ  de  l'objectif,  il  faut  beaucoup  en  rabattre 
dans  la  pratique,  et  il  me  serait  facile,  si  nous  en  avions  le  temps,  de 
vous  montrer  que  les  champs  de  90°  et  de  120°  sont  inadmissibles  et 
gênants.  C'est  aussi  l'un  des  motifs,  et  non  le  seul,  qui  ont  fait  échouer 
les  appareils  panoramiques.  Il  va  sans  dire  que  nous  nous  sommes 
toujours  tenus  au  courant  des  progrès  de  la  construction  des  objectifs, 
et  M.  Javary  a  employé,  au  fur  et  à  mesure  de  leur  apparition,  les 
meilleurs  que  l'on  connaissait.  Seulement,  nous  n'avons  jamais  voulu 
dépasser  l'amplitude  de  45°  pour  la  facilité  de  nos  constructions. 

Je  ne  crois  pas  avoir  besoin  d'insister  sur  les  détails  d'exécution  de  cet 
appareil  facilement  démontable  et  décomposable  qui,  sans  présenter  les 


236  GÉNIE    CIVIL    ET    MILITAIRE,    NAVIGATION 

inconvénients  du  soufflet,  peut  se  réduire  à  un  assez  petit  volume.  J'ai 
dit,  un  peu  plus  haut,  qu'une  part  du  mérite  des  appareils  nouveaux 
désignés  sous  le  nom  général  de  photothéodolites  revenait  aux  construc- 
teurs Braun,  Reineike,  Stegemann,  etc.,  de  Berhn  ;  Salmoiraghi,  de 
Milan  ;  Lechner,  R.-A,  Goldmann,  de  Vienne,  etc. 

Je  me  fais  un  devoir,  de  mon  côté,  après  avoir  rappelé  que  le  premier 
modèle  dont  j'ai  fait  le  projet  a  été  exécuté  par  l'habile  artiste  Brunner,  de 
reconnaître  que  celui  que  vous  voyez,  et  qui  joint  l'élégance  à  la  soli- 
dité, a  été  construit  à  Paris,  chez  MM.  Ducretet  et  Lejeune,  dont  la  col- 
laboration m'a  été  très  précieuse. 

Tel  qu'il  est,  notre  photothéodolite  peut  être  mis  entre  les  mains  de 
presque  tous  les  opérateurs,  mais  nous  chercherons  encore  à  réaliser  un 
modèle  un  peu  moins  volumineux  et  moins  coûteux  pour  les  explorateurs 
qui  ne  peuvent  pas  trop  alléger  leur  bagage  (1).  Je  ne  saurais  résister  à  la 
tentation  d'exprimer  le  regret  qu'un  grand  nombre  de  voyageurs  scienti- 
fiques négligent  de  se  munir,  comme  l'a  fait  si  ingénieusement  M.  Le  Bon, 
de  quelques  accessoires  essentiels  pour  mettre  leurs  appareils  en  station, 
de  manière  à  se  procurer,  sur  leurs  épreuves,  indépendamment  de  la  dis- 
tance focale  de  l'appareil,  déterminée  une  fois  pour  toutes,  le  tracé  de  la 
ligne  d'horizon  et  celui  du  point  principal,  enfin  l'orientation  de  chacune 
de  ces  épreuves  relativement  aux  lignes  de  cheminement  que  tous  ceux 
qui  prétendent  à  la  qualification  de  géographes  ne  manquent  pas  de 
relever  pour  tracer  leur  itinéraire  (2). 

Je  m'arrête,  sans  avoir  la  prétention  d'avoir  entièrement  atteint  mon 
but  et  développé  ma  thèse,  mais  avec  l'espoir  de  vous  avoir  ébranlés 
et  peut-être  convaincus. 

Je  terminerai  par  la  cinquième  série  de  projections  que  je  vous  ai 
annoncées  et  qui  vous  dédommageront  de  l'aridité  de  la  plus  grande  partie 
de  cette  conférence.  Cette  série  s'adresse  plus  particulièrement  aux  ingé- 
nieurs et  aux  géologues,  et  elle  fait  suite,  pour  ainsi  dire,  à  celles  que 
M.  Trutat  vous  a  si  bien  expliquées  hier,  en  vous  parlant  des  Pyrénées. 

Voici  d'abord  un  certain  nombre  de  vues  prises  dans  toutes  les  parties 
des  Alpes,  françaises,  suisses,  italiennes  et  autrichiennes,  de  18o8  à  1868, 
par  M.  A.  Civiale,  qui  est  à  la  fois  un  ingénieur,  un  géologue  et  un  géo- 
graphe, et  dont  l'œuvre  considérable  exécutée  à  ses  frais  et  dans  des  condi- 
tions beaucoup  moins  favorables  qu'aujourd'hui,  est  remarquable  à  tous 

(1)  Nos  habiles  et  courageux  explorateurs  du  continent  africain  sont  les  meilleurs  guides  à  suivre 
dans  le  choix  du  format  a  adopter.  M.  Marcel  IVlonnier,  de  la  mission  Binger,  qui  a  rapporté  des 
centaines  de  vues  saillantes,  s'est  servi  de  plaques  9-13  qui  ont  été  amplifiées  sans  aucune  é-formalion 
et  sur  lesquelles  on  opérerait  alors  presque  aussi  rigoureusement  que  sur  des  originaux  de  plus  grand 
format. 

(2)  Le  nombre  des  photographies  rapportées,  depuis  quelques  années,  par  les  explorateurs,  est 
pour  ainsi  dire  incalculable;  ne  voit-on  pas  combien  il  serait  précieux,  pour  la  cartographie,  de 
donner  à  ces  documents  le  caractère  de  registre  d'angles  que  Beautemps-Beaupré  avait  si  bien 
pressenti  ? 


A.  LAUSSEDAT.  —  APPLICATION  DE  LA  PHOTOGRAPHIE  AU  LEVER  DES  PLANS       237 

les  titres.  Vous  pouvez  voir  que  les  photographies  qu'il  obtenait  sur  papier 
ciré  sec  ne  le  cèdent  en  rien  aux  plus  belles  de  celles  qu'obtiennent 
actuellement  les  Italiens  ou  de  celles  que  vous  a  montrées  M.  Trutat. 

Voici  maintenant  les  magnifiques  photographies  exécutées  en  Amérique 
sous  la  direction  du  major  Powell,  dans  les  Montagnes  Rocheuses,  dans 
le  Colorado,  dans  le  Yellow-Stone,  et  qui  sont  destinées  à  accompagner  la 
carte  topographique  et  géologique  des  États-Unis.  J'ai  pris  la  liberté,  en 
passant  à  Washington,  en  1886,  de  recommander  au  major  Powell,  qui 
est  l'un  des  hommes  les  plus  dévoués  à  la  science  que  je  connaisse,  de 
donner  aux  photographies,  qu'il  continue  à  faire  exécuter,  le  sacrement 
qui  les  transformerait  si  facilement  en  éléments  de  mesure. 

D  ne  me  reste  plus,  mes  chers  collègues,  qu'à  m'excuser  de  la  longueur 
de  cette  communication  et  à  vous  remercier  de  votre  patiente  et  bienveil- 
lante attention  (1). 


Depuis  que  cette  conférence  a  été  publiée  dans  la  Revue  scientifique,  j'ai  reçu,  par 
Tentremise  de  mon  collègue,  M.  É.  Levasseur,  une  notice  extraite  du  Questionnaire  du 
premier  Congrès  géographique  italien  dont  l'auteur  est  l'ingénieur  Paganini  Pio.  Après 
avoir  rendu  compte  des  travaux  de  photographie  entrepris  en  Italie  et  des  siens  en  parti- 
culier, enfin  du  jugement  porté  sur  eux  par  les  étrangers,  M.  Paganini  Pio  se  plaint  de 
ce  que  les  Français  semblent  les  ignorer,  le  commandant  Laussedat  excepté.  Mais  si  mes 
éloges  le  touchent  sans  l'étonner,  il  n'en  est  pas  de  même  de  mes  prétentions  à  la  prio- 
rité et  il  met  en  doute  ce  que  j'ai  dit  dans  le  Paris-Photographe  de  son  compatriote 
Porro,  qui  aurait  connu  mes  travaux  avant  de  songer  à  appliquer  la  photographie  au 
lever  des  plans. 

J'ai  une  réponse  bien  simple  à  faire  à  cette  suspicion  de  ma  bonne  foi.  Porro  était  à 
Paris  en  1854,  quand  mon  mémoire  très  détaillé  sur  la  méthode  générale  de  la  transfor- 
mation des  perspectives  a  été  publié.  Je  pourrais  ajouter  que  je  le  voyais  fréquemment 
et  que  j'ai  eu  l'occasion  de  lui  rendre  un  sei'vice  signalé  ;  mais  M.  Paganini  Pio  n'est  pas 
obligé  de  croire  cette  dernière  affirmation  et  je  ne  dois  invoquer  que  la  date  irrécusable 
de  1854.  Or, c'est  à  celle  de  1855  seulement  que  les  panégyristes  de  Porro  font  remonter 

(1)  Je  recevais,  tout  récemment,  d'un  commissionnaire  en  librairie  de  Francfort,  un  nouvel 
ouvrage  sur  la  photogrammétrie  la)  de  ^f.  Franz  SchifTner,  professeur  à  l'École  royale  de  niar.ne 
de  Pola,  intitulé:  Die photographische  Messkuiist,  et  édité  en  1S02  à  Halle,  très  documenté  et  très 
intéressant,  malgré  quelques  vieilles  redites  empruntées  à  des  brochures  sans  consistance  (dont 
quelques-unes  avaient  même  le  caractère  de  réclame)  et  quelques  inadvertances  qui  disparaitront 
sans  doute  dans  une  nouvelle  édition. 

Dans  une  sorte  de  posl-scriptum,  l'auteur,  après  avoir  considéré  l'apparition  des  livres  que 
.M.  Le  Bon  et  le  commandant  Legros  ont  publiés  dans  ces  derniers  temps,  comme  une  sorte  de 
renaissance  de  la  métropholographie  en  France,  dit  qu'il  ressortirait  de  ce  qu'ils  exposent,  à 
propos  de  l'iovenlion  de  cet  art,  qu'elle  n'appartiendrait  pas  à  M.  Meydenbauer,  comme  on  est 
disposé  à  le  croire  en  Allemagne  (à  quelques  importantes  exceptions  près,  aurait-il  pu  ajouter), 
mais  à  .M.  Laussedat.  Il  rappelle  aussi  que  j'ai  établi  moi-même  mon  droit  ae  priorité  dans  le 
Paris-Photo  gniplie  de  P.  Nadar,  et  il  termine  en  disant  qu'il  appartient  à  M.  .Meydenbauer  de  s'ex- 
pliquer à  son  tour. 

Ou  je  me  trompe  fort,  ou  l'habile  directeur-fondateur  de  l'Institut  photogrammétrique  de  Berlin, 
dont  le  mérite,  indépendant  de  la  qualité  de  découvreur,  ne  parait  contesté  par  personne,  ne 
cherchera  pas  à  me  contredire,  pour  peu  qu'il  prenne  la  peine  de  consulter  les  publications 
imprimées  que  j'ai  citées  et  que  l'on  doit  trouver  à  Berlin.  (Xote postérieure  à  la  conférence.) 

l'ai  II  e\iste  déjà  luute  une  bibliographie  consacrée  au  uuuvtl  art  :  en  allemand,  en  anglais,  en  français  et  en 
itaben.  j 


238  PHYSIQUE 

ses  premières  études  sur  une  chambre  obscure  sphérique  dont  ils  ne  se  sont  pas  avisés  de 
se  servir,  préférant  recourir  à  la  chambre  obscure  topographique  dont  j'ai  donné  le  pre- 
mier modèle  et  aux  photographies  sur  tableaux  plans,  comme  l'ont  fait  tous  ceux  qui  ont 
entrepris  des  opérations  sérieuses,  M.  Paganini  Pio  comme  les  autres.  L'habile  ingénieur 
a  terminé  sa  notice  en  rappelant  qu'il  a  appartenu  à  la  marine  royale  et  que,  pendant 
deux  ans  (1874-1875),  il  a  été  chargé,  à  bord  du  pyroscaphe  Tripoli,  des  vues  et  descrip- 
tions de  côtes,  phares  et  sémaphores,  destinées  à  la  construction  des  cartes  marines  et  des 
portulans.  Il  part  de  là,  en  se  récriant  sur  la  difficulté  de  bien  dessiner  les  vues,  pour 
conseiller  d'utiliser  la  photographie  qui  fournira  des  vues  exactes  et  servira  à  résoudre 
les  problèmes  qui  intéressent  l'hydrographie. 

Il  me  semblait  impossible,  en  lisant  ce  passage,  que  M.  Paganini  Pio  ne  connût  pas 
l'ouvrage  de  Beauteraps-Beaupré  et  qu'il  pût  hésiter  à  admettre  les  titres  de  notre  pays  à 
l'invention  fondamentale,  même  alors  qu'il  fit  des  difficultés  en  ce  qui  me  concerne.  Je  me 
disposais  donc  simplement  à  lui  faire  connaître  les  essais  de  l'amiral  ]\Iiot,  en  1863,  pour 
appliquer  la  photographie  à  la  reconnaissance  des  côtes,  en  le  renvoyant  au  fac-similé  de 
la  vue  photographiée  de  l'une  des  Bei-mudes  que  j'ai  publié  dans  le  compte  rendu  de  ma 
conférence  du  28  février  dernier  (1). 

Mais  ma  surprise  a  été  grande,  en  découvrant,  dans  un  article  du  même  auteur,  intitulé 
la  Fototopografia  in  Italia,  inséré  dans  la  Bivista  maritima  de  juin  1889  (Roma,  Tipo- 
grafia  del  Senato),  le  passage  suivant  qui  fait  rêver  : 

(Il  vient  de  citer  après  moi  beaucoup  d'autres  personnes  qui  se  sont  plus  ou  moins 
occupées  de  la  question.) 

«  Beautetnps-Beaupré  ed  altri  aumentarono  la  pléiade  di  distinti  Francesi  che  irat- 
tarono  di  fototopografia.  » 

En  vérité,  il  faut  tirer  l'échelle,  car  si  l'intention  est  bonne,  et  l'on  n'en  saurait  douter, 
que  doit-on  pensar  de  l'érudition  de  l'ingénieur  hydrographe  et  photo  topographe  qui 
écrit  ainsi  l'histoire? 


M.  Pierre  LE  SAGE 

Docteur  es  sciences.  Préparateur  à  la  Faculté  des  Sciences  de  Rennes. 


ÉVAPORATION    COMPARÉE    DES    SOLUTIONS    DE    NaCl,    DE    KCl    ET    DE    L'EAU    PURE 


—  Séance  du  il  septembre  1892.  — 

Depuis  quelque  temps,  j'étudie  l'influence,  sur  les  plantes,  de  certains 
sels  dont  je  cherche  à  connaître  autant  que  possible  les  diverses  propriétés. 
C'est  ainsi  que  j'ai  été  amené  à  me  demander  comment  se  conduisent, 
au  point  de  vue  de  l'évaporation,  les  solutions  de  KCl  et  de  NaCl  que 
j'emploie  en  arrosages  ou  dans  les  liqueurs  qui  servent  de  substratum 

(i)  Annales  du  Comei-vatoire  des  Arts  el  Métiers  (2°'^  série,  tome  IV.  Paris,  Gauthier-Villars  et  fils, 
1892J. 


p.  LESAGE.  —  ÉVAPORATIOX  DES    èOLUTIONS   DE   NaCl    ET    KCl  239 

aux  végétaux  que  je  cultive.  J'ai  dû  faire  plusieurs  expériences  où  je  met- 
tais à  évaporer,  dans  les  mêmes  conditions,  de  l'eau  pure  et  des  solutions 
des  deux  sels,  prises  à  la  même  concentration,  le  plus  souvent  à  2,o  0/0. 
Des  différences  très  appréciables  se  faisant  attendre,  j'ai  eu  recours  à  des 
solutions  plus  concentrées  de  KaCl,  l'une  à  10  0/0,  l'autre  à  20  0/0, 
dont  j'ai  suivi  l'évaporation  parallèlement  à  celle  de  l'eau  pure  dans  des 
cristallisoirs  de  mêmes  dimensions.  Je  n'ai  pas  tardé  à  observer  des  diffé- 
rences notables.  J'ai  donc  suivi  attentivement  les  expériences  déjà  instal- 
lées ainsi  que  d'autres  destinées  à  vérifier  les  premières.  Je  désire  présenter 
les  résultats  généraux  qui  découlent  de  ces  nombreuses  expériences. 

Pour  cela,  étudions  les  deux  séries  d'expériences  qui  rendent  le  mieux 
ces  résultats. 

La  première  comprend  trois  cristallisoirs  de  7o  millimètres  de  diamètre, 
3o  millimètres  de  hauteur,  bien  calibrés  et  contenant  au  début  110  cen- 
timètres cubes  d'eau  pure,  de  solution  à  10  0/0  ou  à  20  0/0  de  NaCl. 
Ces  cristallisoirs  ont  été  placés  les  uns  à  côté  des  autres,  dans  une  salle 
fermée  où  je  ne  pénétrais  que  pour  faire  les  observations,  vers  6  heures 
du  soir  ;  les  conditions  de  température  et  d'humidité  de  l'air  restaient  les 
mêmes  pour  les  trois  termes  de  comparaison.  J'ai  mesuré,  tous  les  deux 
jours,  les  hauteurs  des  liquides  au  moyen  d'une  bande  de  papier  divisée 
en  demi-millimètres  et  collée  au  préalable  verticalement  sur  chaque  cris- 
tallisoir  ;  je  pouvais  ainsi  apprécier  des  différences  à  un  quart  de  milli- 
mètre près.  Je  dois  dire,  à  ce  sujet,  que  les  observations  répétées,  nom- 
breuses, suppléent  suffisamment  aux  légères  erreurs  de  chacune  dans  la 
suite  d'un  phénomène  qui  ne  se  produit  que  lentement  et  dont,  en 
somme,  je  ne  désire  posséder  que  l'allure  générale.  En  retranchant  de  la 
hauteur  primitive  la  hauteur  observée,  j'avais  la  hauteur  d'eau  évaporée 
depuis  le  commencement  de  l'expérience  jusqu'au  jour  de  l'observation  ; 
les  nombres  ainsi  obtenus,  multipliés  par  4  pour  rendre  le  dessin  plus 
clair,  ont  fourni  les  ordonnées  de  la  figure  1,  les  abscisses  mesurant  les 
temps  avec  le  jour  pour  unité.  Un  thermomètre  placé  au  voisinage  me 
permettait  de  relever  les  températures.  Pendant  les  vingt-trois  jours  que 
dura  l'expérience,  le  maximum  de  température  a  été  de  26  degrés  et  noté 
le  dixième  jour  ;  le  minimum,  de  19  degrés,  a  été  noté  le  deuxième  jour. 
La  figure  1  indique  ces  températures;  j'ai  réduit  le  nombre  de  jours  pour 
ne  pas  comphquer  inutilement  celte  figure  et,  d'ailleurs,  sans  altérer 
l'allure  générale  du  phénomène. 

On  voit  que  l'eau  pure  (courbe  C)  s'évapore  plus  rapidement  que  les 
solutions  salines  et  que,  de  celles-ci,  la  solution  contenant,  au  début, 
10  0/0  de  NaCl  (B),  laisse  évaporer,  toutes  conditions  égales  d'ailleurs, 
plus  d'eau  que  celle  qui  renfermait  20  0/0  de  NaCl  (A).  La  tempéra- 
ture, en  s'élevant,  augmente  l'évaporation  ainsi  que  le  montre  surtout  la 


240  PHYSIQUE 

ligne  OC  qui  devrait  être  droite,  à  température  constante,  puisqu'elle 
appartient  k  l'eau  pure,  et  dont  les  inflexions  correspondent  assez  bien 
aux  variations  de  cette  température.  Ceci  ne  modifie  pas  suffisamment  la 
marche  de  l'expérience  pour  masquer  les  différences  essentielles. 

Par  suite  de  l'évaporation,  les  solutions  salines  se  concentrent  de  plus 
en  plus  ;  celle  qui  contenait  20  0/0  de  NaCl  arrive  bientôt  à  saturation 
et  du  sel  se  dépose.  La  même  chose  se  produit  vers  le  quinzième  jour 
pour  la  dissolution  contenant  10  0/0  de  NaCl  au  commencement  de 
l'expérience.  La  courbe  B,  à  partir  de  cette  époque,  tend  à  devenir  parai- 


'                 ' 

18'                tO                    'AO                    ?'ti                 Ht» 

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29 


F.ff.l. 


F. 


'S- 


lèle  à  A.  Le  sel,  en  grimpant  le  long  des  parois  des  cristallisoirs,  ne  me 
permit  plus  de  mesurer  exactement  la  quantité  d'eau  évaporée;  mais  le 
résultat  obtenu  était  suffisamment  net. 

Un  autre  point  est  établi  par  la  seconde  série  d'expériences.  J'avais  pris 
la  même  disposition  que  précédemment  et  les  cristallisoirs  avaient  reçu 
100  centimètres  cubes  des  hqueurs  :  eau  pure,  solution  de  KCl  à  2,5  0/0, 
solution  de  NaCl  à  2,5  0/0.  Les  observations,  faites  comme  dans  le  pre- 
mier cas,  sont  traduites  par  les  courbes  représentées  dans  la  figure  2  où 
l'échelle  est  la  même  que  celle  de  la  figure  1  ;  ces  courbes  appartiennent  : 
A.  au  NaCl  ;  B,  au  KCl  et  C,  à  l'eau  pure. 

Tout  en  respectant  l'allure  générale,  mais  pour  ne  pas  embrouiller  la 


p.    LESAGE.    —   ÉVAPORATION    DES    SOLUTIONS    DE    NaCl   ET    KCl  241 

figure,  j'ai  pris  seulement  les  observations  de  six  en  six  jours.  La  tem- 
pérature a  varié  pendant  l'expérience  de  17  à  24  degrés;  le  minimum 
correspondant  au  huitième  jour,  le  maximum  au  dix-huitième.  Les 
nombres  inscrits  en  haut  de  la  figure  donnent  les  températures.  J'ai  dû 
m'arrêter  après  vingt-quatre  jours  parce  que,  au  voisinage  du  fond,  le 
cristallisoir  contenant  l'eau  pure  ne  permettait  plus  des  observations  assez 
rigoureuses.  Après  ce  temps,  les  solutions  salines  avaient  une  concentra- 
tion d'environ  9  0/0  pour  le  NaCl  et  11  0/0  pour  le  KCl.  C'est  ce  qui 
explique  sur  la  figure  2  les  faibles  déviations  qui,  pour  l'eau  pure  et  le 
NaCl,  sont  de  l'ordre  do^  celles  que  présente  la  figure  1  tout  à  fait  au  début. 

On  reconnaît  encore  la  prédominance  de  l'évaporation  de  l'eau  pure 
sur  celle  des  solutions  salines.  Mais,  en  plus,  la  solution  du  KCl  s'évapore 
plus  rapidement  que  celle  du  NaCl. 

Ce  dernier  point  est  encore  appuyé  par  une  autre  expérience  faite  avec 
les  mêmes  solutions  mises  à  évaporer,  pendant  quatre  mois,  dans  des 
éprouvettes  à  pied  de  2o  millimètres  de  diamètre,  loO  millimètres  de  hau- 
teur et  graduées  comme  les  cristallisoirs.  Après  ce  temps,  les  hauteurs 
d'eau  évaporée  diffèrent  de  5  millimètres  et  la  plus  grande  est  celle  du  KCl. 

En  résumé,  toutes  choses  égales  d'ailleurs  et  dans  les  limites  de  mes 
expériences  : 

1°  U  eau  pure  s'évapore  plus  rapidement  que  les  .solutions  de  KCl  et  de  NaCl; 

4°  Les  dissolutions  de  KCl  ont,  à  même  concentration,  une  vitesse  d'éva- 
poration  plus  grande  que  celles  de  NaCl. 

Ces  résultats  sont  confirmés  par  l'étude  des  tensions  de  vapeur  des 
solutions  salines.  En  effet,  d'après  les  expériences  de  Babo  et  de  Wûllner, 
on  sait  «  que  la  tension  de  la  vapeur  dégagée  par  une  dissolution  saline 
est  inférieure  à  la  tension  de  la  vapeur  d'eau,  à  température  égale  »  (1). 
Dans  les  tableaux  que  fournit  Wtillner  (2)  et  où  il  donne  la  diminution 
de  tension  de  vapeur  sur  celle  de  l'eau  pure,  des  dissolutions  de  KCl  et 
de  NaCI,  à  la  même  température  et  pour  des  concentrations  égales,  on 
trouve  d'une  façon  continue  des  nombres  plus  élevés  pour  le  NaCl  que 
pour  le  KCl.  Ceci  veut  dire  que  la  tension  de  vapeur  des  solutions  de 
NaCl  est  plus  faible  que  celle  des  solutions  de  KCl,  à  température  égale  et 
pour  les  mêmes  concentrations. 

Ces  données  permettaient  de  prévoir  ce  que  j'ai  tiré  de  mes  expériences. 
Cependant  j'ai  cru  utile  de  faire  ces  expériences  dont  les  résultats  de- 
vaient être  suffisamment  vérifiés  pour  m'autoriser  à  les  appliquer  aux 
recherches  que  j'ai  entreprises.  C'est  encore  ce  qui  m'engage  à  les  publier. 

(i)  Cours  de  physique  de  Jamin,  4"  édilion,  t.  II,  p.  231. 

(2)  WÙLLNER,  Versuche  uber  die  Spunnkraft  des  W'asserdampfes  ans  ivhserhjen  Salzlôsungen.  (Ann. 
de  l'orjgendorjf,  1S58,  l.  CIII,  p.   3^2  et  543.) 


16* 


242 


PHYSIQUE 


M.  IZAElî 

Professeur  au  Lycée  de  Clermoat-Ferrand. 


MODIFICATION  DE  L'APPAREIL  A  EXCENTRIQUES  DE  LISSAJOUS  POUR  LA  COMPOSITION 
DE  DEUX  MOUVEMENTS  VIBRATOIRES  RECTANGULAIRES 


—  Séance  du  n  septembre  1892  — 

L"  appareil  classique  en  question  ne  permet  que  la  composition  des  Vi- 
brations de  même  période.  Par  l'emploi  des  profils  sinusoïdaux,  je  l'ai 
transformé  de  façon  à  le  faire  servir  à  la  démonstration  générale. 


A  et  B,  disques  à  profil  sinusoïdal  du  même  nombre  de  dents,  montés 
sur  le  même  axe  qu'une  manivelle  met  en  rotation.  A  est  fixé  sur  l'axe 
définitivement,  B  peut  recevoir  des  positions  variables  grâce  au  bouton 
de  serrage  S  circulant  dans  la  rigole  circulaire  R.  On  fait  ainsi  varier  la 
phase  à  volonté. 

Les  lentilles  sont  attachées  aux  extrémités  des  bras  D  et  D'  mobiles  au- 
tour de  G  et  C,  la  ligne  ce'  passant  par  l'axe  de  rotation.  Ces  bras  por- 
tent chacun  un  galet  qui  appuie  constamment  sur  le  profil  correspondant, 


IZARN.   —  MÉCANISME   DES   ONDES  STATIONN AIRES  243 

grâce  à  des  caoutchoucs  ou  à  des  ressorts  à  boudin  que  l'on  tend  plus 
ou  moins,  au  moyen  des  clefs  F  F',  afin  d'empêcher  tout  sautillement. 
Ces  galets  sont  distants  des  points  C  et  C  d'une  quantité  égale  au  rayon 
des  disques. 

Au  système  des  disques  AB  on  peut  très  rapidement  substituer  un 
autre  système,  dans  lequel  les  nombres  de  dents  soient  dans  les  rap- 
ports 1/2,  1/3,  2/3,  3/4,  ...,  etc.,  et  obtenir  ainsi  toutes  les  figures 
connues.  Il  suffît  pour  cela  de  retirer  les  deux  clefs,  de  rabattre  en  dehors 
les  deux  bras  et  de  soulever  deux  petits  tourniquets  qui  appuient  sur 
l'axe  en  avant  et  en  arrière.  La  même  manivelle  sert  pour  tous  les  couples 
de  disques. 

Les  disques  étant  assez  grands,  on  peut  obtenir  un  déplacement  suffi- 
sant des  centres  des  lentilles,  tout  en  ne  donnant  aux  dents  du  profil 
qu'une  très  faible  profondeur,  et  atténuer  ainsi,  autant  qu'on  le  désire, 
la  résistance  au  mouvement. 


M.  IZAEIf 

Professeur  au  Lycée  de  Clermont-Ferraiid. 


APPAREIL  DÉMONTRANT  LE  MÉCANISME  DES  ONDES  STATIONNAIRES 


—  Séance  du  •/?  septembre  1892  — 

Cet  appareil  est  destiné  à  rendre  tangible  le  mécanisme  des  ondes 
statiounaires  aux  personnes  peu  familières  avec  l'interférence  des  ondes 
lumineuses,  et  à  leur  permettre  en  particulier  de  se  rendre  compte  du 
procédé  de  M.  Lippmann  pour  la  photographie  des  couleurs.  Il  peut 
servir  naturellement  aussi  à  faciliter  la  compréhension  du  même  phéno- 
mène en  acoustique,  et  il  montre  d'une  façon  frappante  les  alternatives 
de  condensation  et  de  dilatation  aux  points  nodaux. 

Voici  le  schéma  du  dispositif  adopté  : 

Deux  règles  A,  B,  ù  profil  sinusoïdal  (I),  peuvent  se  déplacer  dans  le 
sens  de  leur  longueur,  et  le  mouvement  de  l'une,  A,  en  avant  (rayon 
direct),  entraîne,  par  un  mécanisme  quelconque  facile  à  concevoir,  celui 
de  l'autre,  B,  en  arrière  (rayon  réfléchi). 


2ii  PHYSIQUE 

Contre  les  profils  de  ces  règles  s'appuient  constamment,  grâce  à  des  res- 
sorts (non  figurés),  des  couples  équidislants  et  aussi  nombreux  qu'on  le 
voudra  et  que  le  comportent  les  longueurs  des  règles,  de  petites  ba- 
guettes rr  à  roulettes.  On  a  représenté  seulement  deux  de  ces  couples 
dans  la  figure  I. 

La  figure  Ip,  qui  est  une  coupe  passant  par  la  ligne  MM',  montre  que 


o 


c 


les  extrémités  antérieures  des  deux  baguettes  d'un  même  couple  servent 
d'attache  aux  deux  sommets  opposés  d'un  parallélogramme  articulé,  dont 
les  deux  autres  sommets,  munis  d'anneaux  a,  a',  laissent  passer  libre- 
ment une  tige  armée  d'une  boule  P,  tige  qui,  se  recourbant  en  dessous, 
peut  glisser  dans  une  gaine  g. 

La  figure  Ij„  représente  le  même  couple  lorsque  les  deux  règles  occu- 
pent les  positions  relatives  qu'indiquent  les  lignes  poinlillées,  et  elle  rend 
visible  que,  quelles   que  soient   ces  positions  relatives,  la  boule  B  doit 


CH.    FÉRY.    —    SUR   UN   NOUVEAU   RÉFRACTOMÈTUE  245 

rester  immobile,  le  mouvement  n'ayant  pour  effet  que  de  déformer  le 
parallélogramme  ;  les  baguettes  s'avancent  toujours  en  effet  l'une  vers 
l'autre  ou  s'écartent  l'une  de  l'autre  de  la  même  quantité  en  même  temps. 

Les  figures  L  et  I^,,  se  rapportent  à  ce  qui  se  produit  pour  un  couple 
de  baguettes  situé  à  une  distance  du  précédent  égale  à  un  quart  de  lon- 
gueur d'ondulation,  et  représentent  une  coupe  faite  suivant  la  ligne  KK'. 
Ici  on  voit  que  le  mouvement,  au  lieu  de  déterminer  la  déformation  du 
parallélogramme  correspondant,  se  borne  à  le  transporter  latéralement  à 
droite  et  à  gauche  alternativement,  la  tige  de  la  boule  Q  glissant  alors 
dans  la  gaine  g. 

Ces  explications  sont  suffisantes  pour  établir  que,  par  le  fait  de  la  com- 
binaison des  mouvements  inverses  des  deux  règles,  les  boules  (qui  repré- 
sentent les  molécules  d'éther)  seront  alternativement  toujours  en  repos 
ou  toujours  en  oscillation  (nœuds  et  ventres  fixes). 

En  déplaçant  originairement  l'une  des  règles  par  rapport  à  l'autre 
d'une  quantité  quelconque,  on  observe  l'effet  produit  par  un  changement 
quelconque  de  la  phase,  par  exemple  celui  d'une  demi-longueur  d'onde 
qui  accompagne  le  phénomène  de  la  réflexion. 

Dans  l'appareil  réel,  les  règles  sont  remplacées  par  deux  rubans  d'acier 
sans  fin,  mis  en  mouvement  par  une  manivelle  et  un  engrenage  conique,  ce 
qui  permet,  au  lieu  d'un  mouvement  intermittent,  d'obtenir  un  mou- 
vement continu,  comme  si  les  deux  règles  ci-dessus  étaient  indéfiniment 
prolongées. 


M.  Ch.  TÉRT 

Préparateur  à  l'École  municipale  de  Physique  et  de  Cliimie,  à  Paris, 


SUR  UN    NOUVEAU  REFRACTOMETRE 


—  Séance  du  19  leptemln-e  1892  — 

I,  —  On  a  signalé  depuis  longtemps  l'importance  de  la  détermination 
des  indices  de  réfraction  des  corps  et  en  particulier  des  liquides;  l'indice 
est  en  effet  une  caractéristique  de  la  matière  au  môme  titre  que  la  densité, 
le  pouvoir  rotatoire,  etc.,  etc. 

Dans  ces  dernières  années,  l'attention  des  chimistes  s'est  portée  plus 


■^46  PHYSIQUE 

particulièrement  de  ce  côté,  et  Gladstone,  Date,  Landolt,  Wiillner,  Haagen 
et  d'autres  savants  sont  arrivés  à  des  lois  simples  permettant  de  faire, 
au  moyen  des  indices,  une  véritable  analyse  optique  des  composés 
organiques. 

A  un  point  de  vue  moins  élevé,  mais  très  intéressant  également,  la 
détermination  de  cet  élément  peut,  dans  un  grand  nombre  de  cas,  donner 
des  indications  précieuses  sur  la  pureté  des  corps  et  déceler  les  falsifica- 
tions auxquelles  un  grand  nombre  de  produits  commerciaux  sont  soumis. 

Si  Ton  considère  que,  pour  une  même  substance,  les  corps  frauduleux 
sont  généralement  connus  et  peu  nombreux,  on  peut,  jusqu'à  un  certain 
point,  apprécier  la  quantité  du  falsifiant. 

Enfin,  le  chimiste  trouvera  dans  la  détermination  des  indices,  un  pro- 
cédé rapide  de  dosage  des  solutions  au  moyen  de  tables  dressées  dans  ce 
but;  la  détermination  do  l'indice  est  en  effet  plus  rapide,  plus  exacte  et 
demande  beaucoup  moins  de  liquide  que  la  mesure  de  la  densité. 

Diverses  opérations  industrielles  pourront  aussi  être  conduites  sûre- 
ment par  des  mesures  successives  de  l'indice,  l'achèvement  d'une  réac- 
tion étant  indiqué  par  une  variation  brusque  dans  la  réfraction  du  liquide, 
ainsi  que  l'auteur  a  pu  le  constater. 

Il  est  certain  que,  pour  ces  divers  emplois,  il  ne  faut  pas  songer  à  la 
méthode  classique  du  prisme  à  liquides  et  du  goniomètre,  trop  longue  et 
d'un  maniement  assez  délicat. 

Aussi  plusieurs  appareils  d'un  emploi  plus  facile  ont-ils  été  imaginés  ; 

mais  bien  que  la  plupart  reposent  sur  des  principes  très  ingénieux,  aucun 

ne  remplit  encore  les  conditions  multiples  exigées.  Un  tel  appareil  doit 

en  effet  être  rapide,  sensible,  ne  nécessiter  l'application  d'aucune  formule, 

et  surtout  ne  demander  aucun  réglage  ni  manipulation  délicate  influant 

sur  l'exactitude  du  résultat;  enfin  ce  résultat  doit  être  exprimé  en  indices, 

sin  i 
c'est-à-dire  donner  par  une  simple  lecture  le  rapport  - — ,  seul  comparable 

aux  chiffres  obtenus  par  d'autres  expérimentateurs. 

C'est  cette  lacune  que  j'ai  cru  combler  en  imaginant  l'appareil  que  je 
vais  décrire. 

II.  —  Le  principe  sur  lequel  repose  mon  appareil  est  très  simple  :  il 
consiste  à  annuler  par  un  prisme  solide  d'angle  variable  et  d'indice  cons- 
tant, la  déviation  imprimée  à  un  rayon  lumineux  par  un  prisme  creux 
d'angle  fixe  rempli  du  liquide  dont  on  veut  déterminer  l'indice. 

L'angle  que  devra  avoir  le  prisme  solide  permettra  d'évaluer  l'indice 
inconnu  du  corps  à  étudier. 

En  effet,  si  nous  prenons  des  angles  prismatiques  assez  petits  pour  que 
la  formule  approchée  i 

.      .  .     -  r=z  n 

r 


247 


CII.    FERY.  —    SUR    U\    NOUVEAU    REFRACTOMETRE 

soit  applicable,  quand  un  rayon  ayant  traversé  l'ensemble  des  deux  prismes 
sortira  parallèle  à  sa  direction  d'incidence,  nous  pourrons  écrire  : 


[n 


l)a  =  (x-i)- 


(1) 


égalité  dans  laquelle  n  est  l'indice  du  prisme  à  angle  variable,  -3-  l'angle 

du  prisme  à  liquide,  ce  qui  permet  de  tirer  x  —  i;  x  étant  l'indice  du 
liquide  inconnu,  connaissant  l'angle  a  du  prisme  variable. 

Ce  dernier  prisme  est  constitué  par 
une  bande  de  verre  découpée  radiale- 
ment  dans  une  lentille;  dans  une  telle 
lame  l'angle  varie  d'une  manière  conti- 
nue du  centre  optique  de  la  lentille  où 
il  est  nul,  jusqu'aux  bords  où  il  a  une 
valeur  déterminée. 

Il  serait  dilTicile  de  mesurer  en  chaque 
point  l'angle  que  forme  le  plan  tangent  à 
la  surface  courbe  avec  la  face  plane;  il 
est  plus  facile  de  l'évaluer  en  fonction 
de  la  distance  qui  sépare  le  point  con- 
sidéré du  centre  optique  de  la  lentille. 

Considérons  donc  une  lentille  plan  convexe  (forme  employée  dans  l'ap- 
pareil) (fig.  1).  On  voit  que  l'on  a  : 


FlG.   I  . 


sm  a  ::= 


K' 


d  distance  du  point  considéré  à  l'axe  optique  ; 
R  rayon  de  courbe. 

Les  angles  ayant  été  supposés  assez  petits,  on  peut  écrire 

d 


à  ce  degré  d'approximation  l'angle  est  donc  proportionnel  à  la  distance  d 
et  l'égalité  (1)  devient  : 


d'où  : 
en  posant 


a;  —  1  =  K  X  c^ 


(3) 


248  PHYSIQUE 

La  simple  mesure  du  déplacement  qu'il  aura  fallu  donner  à  la  lentille 

pour  compenser  la  déviation  due  au  prisme 
liquide  permettra  donc  d'évaluer  l'indice. 

III.  —  Pour  réaliser  ces  conditions  d'une 
manière  commode,  les  deux  faces  d'un 
prisme  à  liquides  d'angle  assez  petit,  ont 
été  constituées  par  deux  lames  de  glace 
identiques,  planes  à  l'intérieur  et  convexes 
extérieurement. 

L'emploi  des  deux  lames  identiques 
évite  le  déplacement  latéral  qui  se  pro- 
duirait dans  un  système  dissymétrique. 

Quand  la  cuve  est  vide,  le  rayon  sor- 
tant sans  déviation  passe  par  les  centres  optiques  0  et  0'  des  deux  len- 
tilles (fig.  2),  car  en  ce  point  l'angle  a  est  nul,  devant  satisfaire  à  la  relation  : 


FiG. 


# 


(n  —  1)  X  0  =  (1 


0-^ 


l'indice  de  l'air  étant  pris  pour  unité. 

Si  l'on  introduit  un  liquide  dans  le  prisme,  le  rayon  qui  passait  pri- 
mitivement en  B  est  dévié  en  B',  mais  on  pourra  trouver  un  autre  point 
de  la  cuve,  C  par  exemple,  où  la  relation  soit  satisfaite.  La  distance  des 
deux  points  0  et  C  donne  donc  {x  —  1). 


Fig.  3. 


Description  de  l'appareil.  —  L'appareil  a  été  construit  par  M.  Pellin, 
à  Paris.  La  figure  3  est  une  vue  d'ensemble  qui  permet  d'en  saisir  le 
fonctionnement  mécanique. 


CH.    FÉRY.    —    SUR   UN  NOUVEAU   RÉFRACTOMÈTRE  249 

La  lumière  monochromatique  sodée  provenant  d'un  brûleur  D  tombe 
sur  la  fente  du  collimateur  B;  cette  fent(^  qui  est  large,  porte  un  réticule 
vertical.  L'ensemble  de  la  fente  et  du  réticule  peut  être  légèrement  dé- 
placé pour  le  réglage  de  l'appareil,  par  une  vis  visible  sur  la  figure. 

Les  rayons  sortant  du  collimateur  tombent  sur  la  cuve  et  sont  reçus 
ensuite  dans  une  lunette  ordinaire  à  réticules  disposés  en  croix  de  Saint- 
André. 

La  cuve  est  portée  par  une  plate-forme  en  verre  noir  et  se  déplace  sui- 
vant sa  longueur,  perpendiculairement  à  l'axe  optique  de  l'appareil,  au 
moyen  d'un  bouton  moleté  placé  au-dessous  de  la  lunette. 

Dans  son  mouvement  rectiligne,  la  glissière  portant  la  cuve  entraîne 
un  vernier  V  qui  se  déplace  devant  une  graduation  fixe  E  donnant  direc- 
tement les  deux  premières  décimales  de  {x  —  1),  le  vernier  au  -  donne 
les  millièmes.  Chaque  centième  d'indice  est  représenté  par  un  millimètre 
environ  sur  la  graduation  de  l'appareil  de  laboratoire. 

IV.  —  Réglage  cle  Vappareil  et  mesure.  —  La  cuve  étant  vide,  on  place 
le  vernier  au  zéro,  puis  on  met  au  point  le  réticule  en  croix  de  la  lunette, 
au  moyen  de  l'oculaire  ;  le  réticule  vertical  de  la  fente  est  mis  au  point 
à  son  tour  par  le  tirage  de  la  lunette,  puis  on  l'amène  sur  le  croisement 
des  fils  de  l'oculaire,  au  moyen  de  la  vis  de  réglage  du  collimateur  et 
sans  toucher  au  vernier  qui  doit  marquer  zéro  quand  la  cuve  est  vide. 

Si  le  réglage  de  la  lunette  est  bien  fait,  le  réticule  se  trouvera  dans 
le  plan  focal  de  la  lunette  et  ne  se  déplacera  pas  par  rapport  au  réticule 
de  la  fente  pour  de  légers  mouvements  de  l'œil  à  l'oculaire. 

De  ce  réglage  préalable  dépend  beaucoup  l'exactitude  des  mesures  ;  il 
est  d'ailleurs  très  facile  à  faire  et  on  n'aura  plus  à  y  toucher  pendant 
toute  une  série  de  déterminations,  si  l'on  a  soin  de  replacer  toujours  bien 
exactement  la  cuve  contre  ses  butées,  ce  qui  est  facilité  par  le  ressort  R. 
On  met  le  liquide  dans  la  cuve,  l'image  du  réticule  du  collimateur  dis- 
paraît; on  agit  alors  sur  le  bouton  qui  déplace  la  cuve  et,  ayant  retrouvé 
l'image  du  réticule,  on  rétablit  la  coïncidence;  il  ne  reste  plus  qu'à  lire 
directement  sur  l'échelle  la  valeur  {x  —  \)  du  liquide  employé. 

Il  n'est  pas  nécessaire  d'emplir  la  cuve  complètement,  il  est  même  bon 
de  ne  pas  le  faire,  pour  se  laisser  la  facilité  de  vérifier  le  zéro  pendant  la 
mesure.  Dans  ce  cas,  l'image  du  réticule  du  collimateur  ne  disparaît  pas, 
mais  s'atfaiblit  seulement. 

La  cuve  peut  contenir  15  centimètres  cubes  environ;  une  épaisseur  de 
liquide  de  quelques  millimètres  représentant  2  centimètres  cubes  est  suf- 
fisante pour  voir  le  réticule  de  la  fente  et  faire  une  bonne  mesure  ;  d'ail- 
leurs, la  hauteur  du  liquide  dans  la  cuve  n'influe  nullement  sur  le  résultat. 

Cette  propriété  de  l'appareil  est  très  précieuse  dans  le  cas  des  liquides 
rares  dont  on  n'a  qu'un  petit  échantillon. 


250  PHYSIQUE 

V.  —  Mesure  de  l'indice  pour  d'autres  raies.  —  Tout  ce  qui  précède  se 

rapporte  aux  mesures  d'indice  par  rapport  à  la  raie  sodée  pour  laquelle 

(n I) 

la  constante  K  de  l'appareil  2  — -rr —  est  faite  égale  à  l'unité. 

An 

Si  on  change  la  radiation  employée,  la  constante  renfermant  n  (indice 
de  la  matière  des  lentilles)  variera  également. 

Il  est  facile  de  calculer  la  nouvelle  constante,  mais  on  peut  aussi  la 
déterminer  expérimentalement  au  moyen  d'un  liquide  dont  l'indice  est 
connu  pour  la  radiation  employée  et  à  la  température  de  l'expérience. 
Cette  nouvelle  valeur  de  K  est  d'ailleurs  toujours  très  voisine  de  l'unité. 

La  constante  pour  le  sodium  étant  1,  voici  quelles  seraient  les  va- 
leurs de  K  pour  d'autres  radiations;  ces  chiffres  se  rapportent  au  crown 
ordinaire  employé  en  optique  et  à  la  glace  de  Saint-Gobain,  il  sont  été 
calculés  d'après  les  indices  de  ces  matières,  mesurés  par  M.  J.-B.  Baille. 

RAIES  B  C  D  fo  F  G  H 

Glace  de  Saint-Gobain  .     0,992    0,994    1,000    1,007     1,0H     1,022    1,033 
Crown  de  Feil 0,996    0,997     1,000    1,007    1,013    1,023    1,032 

Après  une  réparation  de  la  cuve,  ou  dans  le  cas  de  remplacement  de 
cette  partie  de  l'appareil,  il  est  bon  de  vérifier  la  constante  au  moyen 
d'un  liquide  d'indice  connu.  L'eau  est  très  convenable  pour  cet  objet, 
son  indice  est  bien  déterminé  et  varie  très  peu  avec  la  température,  de 
sorte  qu'une  erreur  sur  ce  facteur  ne  donne  qu'une  variation  très  faible 
de  la  constante. 

Dans  le  cas  où  la  cuve  ne  renferme  pas  le  centre  optique  des  lentilles, 
ce  qui  donne  une  plus  grande  sensibilité  pour  une  même  longueur  de 
cuve,  il  faut  faire  deux  déterminations  avec  des  liquides  d'indice  connu, 
dans  les  conditions  de  l'expérience. 

VL  —  L'appareil  peut  se  prêter  également  à  la  mesure  des  indices  des 
prismes  solides,  dont  il  n'est  pas  besoin  de  connaître  l'angle  ;  la  seule 
condition  est  que  l'angle  du  prisme  ne  soit  pas  supérieur  à  celui  de 
la  cuve. 

La  détermination  comporte  deux  lectures  à  l'appareil  : 

1°  Dans  ce  cas  le  prisme  est  supporté  par  une  pince  P  à  l'intérieur  de 
la  cuve  (cette  pince  est  ajoutée  à  l'appareil  ordinaire),  l'angle  tourné  vers 
le  sommet  de  cette  dernière,  on  mesure  comme  dans  le  cas  des  liquides 
le  déplacement  nécessaire  pour  ramener  l'image  du  réticule  vertical  au 
croisement  des  réticules  de  l'oculaire.  Soit  G  ce  déplacement; 

2"  On  verse  dans  la  cuve  un  liquide  dans  lequel  le  cristal  est  insoluble 
et  dont  on  connaît  l'indice.  Soit  /  la  nouvelle  lecture. 


CH.    FÉRV.    SUR    UN    NOUVEAU   RÉFRACTOMÈTRE  251 

Supposons,  pour  plus  de  généralité,  que  la  constante  ne  soit  pas  l'unité 
et  qu'on  ait  pour  le  liquide  d'indice  N  employé  une  déviation 

K/  =  (N  —  1) 
l  =  nombre  lu  sur  l'échelle  de  l'appareil  ; 

soient  enfin  A  l'angle  de  la  cuve  et  a  celui  du  cristal  à  mesurer  (ces 
quantités  disparaissent  dans  le  calcul). 

La  première  lecture  qui  donne  lieu  au  déplacement  C  doit  satisfaire  à 
l'égalité  : 

CK  =  «(^) 
X  étant  l'indice  inconnu  du  cristal.  —  La  deuxième  mesure  donne  :. 

Enfm  le  liquide  seul  a  donné  une  déviation  telle  que  : 

IK  =  (N  —  1). 

En  éliminant  (N  —  1),  A,  a,  entre  ces  trois  égalités,  on  trouve  : 

IC 
X  —  l  = 


t  —  <  C  +  /.) 


et  simplement  :  X  —  1  = ,^    .     ^ tt--,  si  la  constante  est  1. 

^  ^  —  [C  +  (iN  —  1)J 

VIL  —  Formule  exacte  de  Vappareil.  —  Il  est  intéressant  de  connaître 
l'erreur  due  à  l'emploi  de  la  formule  approchée  pour  différentes  valeurs 
de  l'angle  A  de  la  cuve. 

Calculons  donc  le  déplacement  qu'il  faut  donner  à  une  cuve  d'angle  A 
et  constituée  par  une  matière  d'indice  n,  pour  annuler  la  déviation  due  à 
un  liquide  d'indice  x. 

Ce  déplacement  est  d  =  R  sin  a,  en  appelant  R  le  rayon  de  la  face 
courbe. 

Il  faut  donc  déterminer  Tanglc  a. 

La  cuve  étant  symétrique  de  part  et  d'autre  de  la  bissectrice  de  l'angle 
intérieur,  il  nous  suffit  d'étudier  la  marche  du  rayon  dans  une  moitié  de 
l'appareil. 

En  remplaçant  la  sphère  par  son  plan  tangent  au  point  considéré,  le 
problème  revient  à  trouver  l'angle  a  d'un  prisme  d'indice  n  qui,  accolé  à 

\ 

un  prisme  d'angle  -^  et  d'indice  x,  détruit  sa  déviation. 


232  .  PHYSIQUE 

Le  rayon  FG  étant  normal  à  la  bissectrice  OM  (fig.  4),  le  prisme  à 
liquide  donne  : 


X 

n 


sin(-  +  a 


sin 


9 


La  déviation  3  du  rayon  au  point  H  devant  être  la  même  que  celle 
produite  en  G,  on  peut  écrire  pour  le  prisme  solide  : 


\^ 


1— 


FiG.  4. 


n 


sin  (a  -  -^ 


sm  I  a  —  —  —  0 


En  éliminant  S  entre  ces  deux  équations  et 
tirant  a  on  trouve  : 

A 


{x  —  1)  sin 


tga 


^- 


.      A  A 

v}  —  «■■'  sm*  —  —  cos  — 


qui,  combinée  à  d  =  R  sin  a,  donne  le  déplacement  correspondant  à 
l'indice  x. 
Voici  le  résultat  du  calcul,  dans  lequel  on  a  pris  : 


A 

—  15° 

n 

=  1,52 

R 

=  39'='"84 

Erreur 

X  —   1 

d 

[x  —   1)  -  d 

(X  -  1)  -  d  - 

0,0000 

0,0000 

0,0000 

+  0,0007 

0,1000 

0,0996 

-  0,0004 

-r  0,0003 

0,2000 

0,1989 

—  0,0011 

-  0,0004 

((,3000 

0,2993 

-  0,0007 

0,0000 

0,4000 

0,3996 

—  0,0004 

-f-  0,0003 

0,5000 

0,5000 

0,0000 

4-  0,0007 

0,6000 

0,5997 

—  0,0003 

+  0,0004 

0,7000 

0,6996 

-  0,0004 

+  0,0003 

On  voit  que  l'erreur  est  toujours  dans  le  même  sens  (3"^  colonne)  et 
aussi  que  cette  erreur  est  nulle  pour  un  liquide  de  même  indice  que  celui 

des  lentilles.  En  effet,  à  ce  moment  l'angle  a  doit  être  égal  à  -^  et  la  cuve 


CH.    FÉRY.  —    SUR    LN    NOUVEAU  RÉFRACTOMÈTRE 

devient  une  lame  homogène  à  faces  parallèles,  traversée  perpendiculaire- 
ment par  le  rayon. 

La  détermination  pratique  de  la  constante  se  faisant  avec  de  l'eau  dis- 
tillée, l'erreur  est  alors  représentée  par  les  chiffres  de  la  dernière  colonne 
du  tableau,  e  représentant  la  distance  séparant  le  centre  optique  de  la 
cuve  de  l'axe  optique  de  l'instrument,  quand  l'appareil  est  au  zéro. 

Les  erreurs  sont  dans  ce  cas  plus  faibles,  étant  tantôt  positives,  tantôt 
négatives,  il  y  a  comme  dans  la  colonne  (x  —  1)  —  d  deux  points  où 
l'erreur  est  nulle  :  pour  un  indice  de  1,15  environ  et  pour  1,33. 

YllI.  —  Si  dans  la  formule  : 


O*    rr    — 

{x  —  1)  sm  — 

,g  a  - 

— 

i  /                *      A              A 

\/  n-  —  x^  sin^  -r-  —  cos  — 

2              2 

nous  faisons  A  très  petit,  nous  retrouvons  la  formule  approchée  (1)  indi- 
quée précédemment  : 

n  —  1 

Si  nous  remarquons  que,  pour  un  angle  de  lo°  pris  comme  exemple 
dans  le  calcul  numérique,  les  erreurs  (x  —  1)  —  d  -\-  z  sont  inférieures 
à  0,001,  nous  voyons  qu'on  peut  obtenir  d  aussi  voisin  de  (x  —  1)  qu'on 
le  désire. 

Pour  une  même  valeur  de  A,  la  sensibilité  de  l'appareil  ne  dépend  que 
de  la  longueur  de  la  cuve,  et  le  rayon  de  courbure  de  la  sphère  des  len- 
tilles devra  croître  proportionnellement,  car,  pour  de  mêmes  limites,  la 
valeur  de  a  sera  la  même  et  on  aura  : 

d        d' 

ï^  =  ï^,  =  sma; 

pour  des  applications  particulières  on  peut  n'augmenter  que  le  rayon  de 
courbure  en  limitant  la  cuve  à  la  région  utilisée.  L'erreur  dans  ce  cas 
sera  même  moins  forte  entre  les  limites  considérées,  et  on  pourra  aug- 
menter la  sensibilité  en  agissant  sur  A. 

M.  Pellin,  à  qui  est  confiée  la  construction  de  l'appareil,  exécute  des 
cuves  de  toutes  les  sensibilités  et  fonctionnant  entre  des  limites  quel- 
conques. 

Dans  tous  les  cas,  la  graduation  est  telle  que  les  lectures  donnent  dii'ec- 
tement  l'indice  du  liquide  mesuré. 


2o4  PHYSIQUE 

Le  calcul  numérique  pris  pour  exemple  se  rapporte  à  l'appareil  cou- 
rant de  laboratoire  mesurant  tous  les  indices  entre  1,33  et  1,70;  le  dépla- 
cement de  la  cuve  est  d'environ    1   millimètre  pour  une  unité  de  la 

deuxième  décimale.  Le  vernier  au  ^  permet  d'apprécier  ^  et,  avec  un  peu 

d'habitude. 


10.0000 


M.  A.  PICÏÏE 

Président  de  la  Commission  météorologique  des  Basses-Pyrénées,  à  Pau. 


L'ÉLECTROPHORE    A    ROTATION 


—  Séance  du  SI  septembre  4892  -- 

Quoique,  en  qualité  de  simple  amateur  je  sois  fort  indigne  de  prendre 
part  à  vos  travaux,  permettez-moi  de  vous  montrer  l'électrophore  à  rota- 
lion  que  j'ai  inventé  à  Pau,  en  décembre  I860. 

Cet  appareil  a  son  importance,  puisqu'il  a  devancé  la  machine  Bertsch, 
et  servi  de  point  de  départ  à  la  machine  Carré,  aujourd'hui  répandue 
dans  tous  les  cabinets  de  physique. 

Les  circonstances  de  cette  invention  sont,  d'ailleurs,  assez  singulières. 
Retenu  l'hiver  au  coin  du  feu  par  la  maladie,  je  m'amusais  à  sécher  des 
feuilles  de  papier,  à  les  frotter  avec  la  main  ou  avec  une  brosse  à  habits, 
et  à  observer  les  étincelles  qu'on  en  tire  et  surtout  les  phénomènes  cu- 
rieux d'adhérence  qu'offrent  des  bandes  superposées,  après  qu'on  a  frotté 
la  bande  supérieure. 

En  entrecroisant  quatre  bandes  et  laissant  dépasser  leurs  bouts,  deux  à 
deux,  je  pouvais  suspendre  un  kilogramme  à  l'extrémité  inférieure  de 
ces  bandes,  fortifiée  par  un  petit  morceau  de  carton  collé. 

En  tendant  sur  deux  cerceaux  des  feuilles  de  papier  bulle,  en  brossant 
le  papier  du  cerceau  le  plus  grand  posé  sur  un  tapis,  et  en  plaçant  à  l'in- 
térieur le  cerceau  le  plus  petit,  dont  le  papier  portait  au  centre  une  de 
ces  feuilles  d'étain  qui  enveloppent  les  chocolats,  j'avais  obtenu  un  élec- 
trophore,  qui  me  donnait  étincelle  négative,  puis  positive,  quand  je  sou- 
levais obliquement  le  petit  cerceau,  ou  que  je  l'abaissais  de  nouveau. 

Ou  bien  encore,  je  plaçais  mon  grand  cerceau  électrisé  sur  les   bras 


A.  PICHE.  —  l'ÉLECTROPHORE    A    ROTATION  2oO 

d'un  fauteuil  et  tenant  le  petit  cerceau  à  faible  distance,  j'avais  les  deux 
sortes  d'étincelles,  selon  que  j'approchais  ou  que  j'éloignais  ce  dernier,  et 
même  quand  je  le  déplaçais  latéralement. 

J'en  étais  là  de  ces  expériences  amusantes,  quand  je  lus  dans  le  Cons- 
titutionnel un  article  de  M.  de  Parville  racontant  les  merveilles  de  la  ma- 
chine de  Holtz,  qu'il  avait  vu  fonctionner  chez  Ruhmkorfï,  et  qu'il  don- 
nait comme  mystérieuse  et  inexplicable. 

Mais  l'explication  est  fort  simple,  me  dis-je,  c'est  un  électrophore  à 
rotation  et  je  puis  en  faire  un  plus  simple  encore,  immédiatement.  Au 
lieu  de  déplacer  latéralement  mes  cerceaux  par  un  mouvement  de  va-et- 
vient,  je  n'ai  qu'à  faire  tourner  un  disque  de  papier,  dont  la  partie  su- 
périeure sera  polarisée  par  une  bande  de  papier  électrisé,  et  à  recueillir 
les  deux  électricités  du  disque  par  deux  pointes  placées  derrière  lui,  l'une 
en  haut,  l'autre  en  bas  ;  si  mes  pointes  sont  reliées  à  des  conducteurs 
isolés,  dont  les  extrémités  rapprochées  se  termineront  par  des  boules  de 
métal,  il  jaillira  entre  elles  de  petites  étincelles  formant   ruban  de  feu. 

Aussitôt  dit,  aussitôt  fait  ;  je  découpe  un  disque  de  fort  papier  bulle, 
je  le  pique  avec  trois  épingles,  sur  un  bouchon  percé  dans  son  axe  et 
enfilé  au  bout  d'un  vieux  tube  barométrique  assez  épais.  Je  place  le  tube 
sur  les  barreaux  inférieurs  d'une  chaise,  le  disque  de  papier  tourné  vers 
le  foyer  et  j'appuie  l'extrémité  libre  du  tube  contre  une  grosse  bûche 
dressée,  afin  d'empêcher  mon  tube  d'osciller  en  long.  J'avais  ainsi  un 
disque  de  matière  non  conductrice,  pouvant  tourner  sur  son  axe,  sous 
l'action  de  la  paume  de  la  main  passée  légèrement  sur  le  tube. 

Je  prends  un  autre  tube  de  verre,  je  le  plante  verticalement  dans  un 
bouchon  fixé  sur  une  planchette  formant  pied.  J'enroule,  au  milieu  du 
tube  et  en  haut,  deux  spirales  de  fil  de  fer,  dont  une  des  extrémités,  ap- 
pointie,  devait  servir  à  recueillir  les  électricités  contraires  du  disque,  tandis 
que  l'autre  extrémité,  recourbée,  armée  des  petites  boules  de  cuivre  (que 
j'avais  dévissées  de  mes  pelle  et  pincette),  formait  les  deux  pôles  entre 
lesquels  j'espérais  voir  jaillir  les  étincelles.  Je  place  ce  récepteur  der- 
rière mon  disque. 

Puis  j 'électrisé  fortement  une  bande  de  papier  bien  desséché  ;  la  tenant  de 
la  main  gauche,  je  la  présente  en  face  de  la  moitié  supérieure  du  disque, 
qui  la  sépare  ainsi  de  la  pointe  supérieure,  tandis  que  de  la  main  droite 
je  fais  tourner  rapidement  l'axe  du  disque. 

Aussitôt  je  vois  jaillir,  entre  les  boules  de  cuivre,  une  série  d'étin- 
celles de  un  millimètre  ;  j'avais  trouvé  l'électrophore  à  rotation  sous  sa 
forme  la  plus  simple. 

J'ai  cru  devoir  vous  raconter  cette  expérience  primitive,  Messieurs, 
parce  qu'elle  montre  comment,  en  matière  d'invention,  on  peut  tirer 
parti  des  premiers  objets  qu'on  a  sous  la  main. 


236  PHYSIQUE 

C'est  ainsi  qu'en  jouant  avec  des  tubes  de  verre,  j'ai  inventé,  en  1872, 
l'évaporomètre,  si  répandu  aujourd'liui  ;  et  qu'en  m'amusant  avec  un 
pulvérisateur,  j'ai  pu  faire  ces  curieuses  expériences  sur  les  vents  plon- 
geants et  ascendants,  qui  ont  été  présentées  au  Congrès  de  Toulouse 
en  1887,  et  reproduites  dans  le  Cosmos. 

Je  vous  fais  grâce  des  modifications  successives  apportées  à  ma  ma- 
chine et  me  borne  à  vous   la  présenter  sous  sa  dernière  forme,  encore 

inédite. 

Quoique  grossièrement  construite,  quoique  la  cage  en  bois  empêche 
une  forte  tension,  je  parviens  à  tirer  d'un  simple  disque  de  papier  par- 
chemin séché  à  l'aide  d'un  fer  à  repasser,  ou  placé  devant  le  feu,  des 
étincelles  sinueuses  de  5  centimètres,  qui  offrent  tous  les  caractères 
lumineux  et  bruyants  d'un  petit  éclair. 

Je  suis  persuadé  que  si  la  cage,  le  disque  et  la  plaque  à  frotter,  source 
d'électricité,  étaient  en  ébonite  ou  en  celluloïd,  on  obtiendrait  10  centi- 
mètres d'étincelles,  avec  un  disque  de  3o  centimètres  de  diamètre. 

Dans  l'état  actuel,  la  cage  est  une  boîte  rectangulaire  de  40  centimètres 
de  hauteur,  sur  32  de  largeur  et  15  d'épaisseur  ;  et  le  disque  n'a  que 
2o  centimètres  de  diamètre. 

L'une  des  grandes  faces  porte  à  l'extérieur  le  mécanisme  de  rotation, 
tandis  que  l'autre,  ouverte  et  entourée  d'une  rainure,  permet  de  placer 
devant  le  disque  soit  une  plaque  de  caoutchouc  durci,  soit  même  une 
plaque  de  Holtz  avec  ses  fenêtres  et  ses  armatures. 

La  face  supérieure  (une  des  deux  faces  les  plus  petites  du  parallôlipipède) 
est  traversée  par  les  conducteurs,  bien  isolés  dans  des  colonnes  d'ébonite, 
qui  portent  les  tiges  à  glissement  armées  de  boules,  entre  lesquelles 
jaillissent  les  étincelles,  et  dont  on  règle  l'écart  à  volonté. 

Cette  forme  est  très  commode  et  très  avantageuse,  en  ce  que,  sous 
un  petit  volume,  on  a  tout  sous  la  main  et  sous  les  yeux. 

On  tourne  la  manivelle  de  la  main  droite,  pendant  qu'on  bat,  de 
temps  en  temps,  la  plaque  de  caoutchouc  durci,  avec  une  peau  de  chat 
ou  un  foulard  de  soie,  pour  lui  restituer  sa  tension  électrique  ;  et  la  face 
supérieure  sert  de  petite  table  pour  disposer  les  expériences  qu'on  peut 
varier  à  l'infini,  en  changeant  disques,  boules  ou  pointes,  en  interposant 
ou  non  des  condensateurs,  en  faisant  éclater  les  étincelles  dans  l'air  ou 
dans  des  gaz  plus  ou  moins  raréfiés,  sur  l'eau  ou  dans  l'eau. 

Les  étincelles  jaillissent  sous  les  yeux,  à  bonne  hauteur,  et  on  peut  les 
étudier  tout  à  son  aise. 

J'estime  que  cette  machine,  bien  construite,  serait  plus  démonstrative 
que  celle  de  Carré  et  qu'elle  permettrait  de  faire  un  plus  grand  nombre 
d 'expériences  c 

Enfin,  si  on  veut  se  contenter  d'étincelles  de  5  centimètres,  on  pour- 


L.    BEDOUT.    —    COMPTEUR    DENSI-VOLUMÉTKIQUE  257 

rait  la  construire  à  si  bas  prix  (dix  francs  au  plus)  qu'on  pourrait  en 
doter  nos  écoles  primaires,  où  tend  de  plus  en  plus  à  s'introduire  l'ensei- 
gnement scientifique  par  l'aspect. 

Je  me  ferais,  du  reste,  un  plaisir  d'envoyer  des  dessins  précis  à  tout 
constructeur  qui  voudrait  reproduire  cette  machine  électrique,  qui  est  le 
véritable  type  de  l'électrophore  à  rotation. 


M.  Louis  BEDOUT 

à  Cazaubon  (Gers). 


COMPTEUR     DENSI-VOLUMÉTRIQUE 


~  Séance  du  17  septembre  {892  — 

I.  —  Jusqu'à  ce  jour,  la  science  française  n'avait  pas  établi  de  compteur 
à  alcool.  Nous  étions  tributaires  des  constructeurs  étrangers,  principale- 
ment des  Allemands  ou  des  Autrichiens. 

Siemens,  Dolainski,  Veiser  et  Beschorner  ont  fait  divers  compteurs, 
peu  variables  les  uns  des  autres,  et  qui  tous  ont,  d'ailleurs,  des  inconvé- 
nients graves  qui  les  ont  fait  écarter  par  l'industrie  française.  L'alcoomètre 
métallique  de  Siemens  n'a  pas  la  sensibilité  suffisante  pour  arriver  à  des 
données  mathématiquement  exactes;  le  compteur  Dolainski  n'enre-^istre 
lui,  que  le  volume  apparent,  sans  se  préoccuper  de  la  densité  et  de  la 
température.  Ce  sont  les  seuls  usités. 

Le  compteur  à  alcool  que  j'ai  l'honneur  de  vous  décrire  a  subi  déjà, 
avec  succès,  des  épreuves  rigoureuses  d'essai  devant  une  commission 
déléguée  par  le  Ministère  des  Finances  chez  mon  constructeur,  3L\L  Ri- 
chard frères,  de  Paris. 

Ce  compteur  a  pour  but  de  mesurer  automatiquement  le  volume  d'alcool 
coulant  à  l'éprouvette  et  de  fournir  les  éléments  pour  déterminer  la 
quantité  d'alcool  pur  produit  par  un  alambic  de  distillation. 

Pour  cela,  il  donne  les  trois  éléments  essentiels  :  le  volume  la  densité 
et  la  température  moyennes  de  l'alcool  à  sa  sortie  du  serpentin. 

Il  s'adapte  à  l'origine  du  serpentin  et  se  compose  extérieurement  d'une 
caisse  métallique  rectangulaire  de  dimensions  variables. 

17- 


258  CHIMIE 

n.  —  Description.  —  Le  compteur  se  compose  de  trois  parties  prin- 
cipales (fig.  1  et  ^j  : 

1°  Un  réservoir  distributeur  E  dans  lequel  l'orifice  plombé  du  serpen- 
tin I  déverse  l'alcool  ; 


Fig.  I.  —  Coupe. 


2"  Une  balance  Roberval  ou  Déranger,  dont  les   deux  plateaux   sont 
surmontés  de  deux  vases  A  et  B  avec  leurs  accessoires  ; 


Fig.  2.  —  Plan. 


•3*  Un  bassin  T  parfaitement  isole  dans  l'intérieur  de  la  boîte  pour 
éviter  les  chocs  qui  pourraient  en  modifier  la  contenance,  soigneusement 
déterminée  à  l'aide  d'échelles  fixes  et  que  nous  appellerons  totalisateur. 

Le  réservoir  distributeur  E,  à  fond  incliné  vers  le  tuyau  de  sortie,  est 


FlG.  3 


L.    BEDOUT.   COMPTEUR  DENSI-VOLUMÉTRIQUE  259 

mis  en  communication  avec  le  serpentin  par  un  tube  d'amenée  I  muni 
de  brides  boulonnées,  susceptibles  d'être  scellées  extérieurement  au  plomb 
pour  éviter  l'introduction  de  substances  étrangères  aux  pro- 
duits de  la  distillation.  L'alcool  du  réservoir  E  sort  dans 
le  filtre  D  dans  lequel  il  dépose,  au  moyen  de  tamis  dis- 
posés à  sa  partie  supérieure,  les  parcelles  solides  que  la 
distillation  a  pu  entraîner,  et  de  là  passe  dans  le  vase  A. 
Ce  vase,  soigneusement  jaugé,  contiendra,  par  exemple, 
dix  litres.  Les  deux  plateaux  A  et  B,  vides  avec  leurs  ac- 
cessoires, devront  s'équilibrer  de  la  façon  la   plus  exacte. 

Dès  que  le  vase  A  est  plein  et  que  le  liquide  atteint  l'ori- 
fice du  tuyau  t,  l'excédent  de  ce  liquide  s'écoule  dans  le  plateau-vase  B. 
Lorsque  la  même  quantité  d'alcool  est  passée  dans  le  vase  B,  celui-ci 
s'abaisse  et  instantanément  le  coup  brusque  et  simultané  du  taquet  e 
sur  la  partie  gauche  du  fléau  précipite  le  marteau  M  sur  le  taquet  e'  situé 
à  droite  du  couteau.  Entraîné  par  ce  poids  supplémentaire,  le  plateau  B 
déverse  précipitamment  son  contenu  dans  le  récipient  entomioir  G  qui  le 
conduit  daus  le  fût. 

Pendant  que  le  plateau  s'incline,  le  vase  i  reçoit  le  jet  et  le  restitue 
pour  la  prochaine  pesée  au  plateau  B  qui  se  redresse  sous  le  poids  du 
liquide  resté  dans  le  vase  A  toujours  plein.  Le  plateau  B,  relevé,  reprend 
à  l'aide  du  galet  g  butant  sur  le  point  fixe  x  aidé  de  son  contrepoids. 

Le  marteau  M,  mobile  sur  son  centre,  fixé  au  support  de  la  balance, 
rencontre  chaque  fois  qu'il  s'abaisse  une  tige  qui  actionne  un  mouvement 
d'horlogerie  chargé  d'enregistrer  le  nombre  de  fois  que  le  plateau  B  se 
vide,  c'est-à-dire  le  nombre  de  pesées,  dans  notre  espèce,  de  dix  litres 
chacune. 

Le  vase  B  est  soutenu  par  une  tige  en  fourche  faisant  corps  avec  le 
bras  droit  f  de  la  balance.  Les  deux  bras  de  cette  fourche  sont  réunis  par 
un  axe  entouré  d'un  manchon  appartenant  au  vase  B  et  participant  à 
son  mouvement  de  renversement  d'environ  un  angle  de  4o  degrés.  Dans 
cet  axe,  f  est  pratiqué  un  récipient  rigoureusement  jaugé,  appelé  chambre 
de  jauge,  d'une  contenance,  dans  notrg  espèce,  d'un 
centilitre.  Cette  chambre  (fm.  4]  est  mise  en  com- 
munication avec  le  liquide  du  vase  B  par  une  ou- 
verture pratiquée  dans  le  manchon  ;  elle  est  pleine 
au  moment  où  le  plateau  bascule.  En  tournant  de 
43  degrés  par  rapport  à  l'horizon,  ledit  plateau  B, 
solidaire  du  manchon,  ferme  par  celui-ci  sa  com- 
munication avec  la  chambre  qui,  d'autre  part,  vient  communiquer 
avec  le  bec  d'écoulement  solidaire  du  manchon  mobile.  Des  trous  d'air 
pratiqués  dans  le  manchon  permettent  au  liquide  qui  y  est  contenu  de 


ir 

FlG.    i. 


260  CHIMIE 

s'évacuer  dans  l'entonnoir,  d'où  il  s'écoule  par  un  tube  dans  le  totali- 
sateur T.  Le  centilitre  de  liquide,  pris  comme  jauge,  a  la  température, 
la  densité  et  le  degré  moyens  des  dix  litres  déversés  simultanément  par 
le  plateau  B,  dont  il  faisait  partie  intégrante. 

Le  totalisateur  est  un  réservoir  T  jaugé  à  l'aide  d'une  échelle  fixe  qui 
facilite  la  lecture  à  travers  une  plaque  de  verre  placée  sur  la  face  du 
compteur,  au-dessous  du  mouvement  d'horlogerie.  Ce  réservoir,  d'une 
contenance  de  vingt  Utres,  toujours  dans  notre  espèce,  renferme  un 
alcoomètre  et  un  thermomètre  à  maxima.  Dans  son  tuyau  d'amenée  est 
disposé  un  clapet  pour  empêcher  l'évaporation  par  le  vide  de  l'alcool 

contenu. 

L'alcoomètre  et  le  thermomètre  combinés  donnent  le  degré  d'ensemble 
des  vingt  litres,  ayant  été  empruntés  par  quantités  constantes  de  un  cen- 
tilitre à  toutes  les  fractions  de  dix  litres.  Ce  degré  sera  le  même  que  celui 
des  vingt  mille  litres  pesés.  Si  nous  supposons  le  degré  à  68,  l'alambic 
aura  distillé  20.000  X  68  =  13.600  d'alcool  pur. 

Le  mouvement  d'horlogerie  qui  enregistre  par  dix  litres  le  passage  du 
liquide  devra  accuser  aussi  vingt  mille  litres.  On  peut  donc  dire  que  ce 
compteur  se  contrôle  lui-même  et  conserve  un  témoin  fidèle  des  opéra- 
tions. 

On  observera  que  le  fonctionnement  de  ce  compteur  n'est  pas  lié  aux 
quantités  prises  comme  exemple,  et  que  la  capacité  des  vases  A  et  B  est 
essentiellement  variable.  Cette  capacité  peut  être  augmentée  ou  diminuée 
à  volonté  ;  il  en  est  de  même  pour  la  chambre  de  jauge.  Il  suffît,  pour 
arriver  à  des  calculs  sincères,  de  connaître  le  rapport  entre  la  capacité  de 
la  chambre  de  jauge  et  celle  du  plateau-vase  A. 

Enfin,  l'appareil  est  complété  par  une  double  enveloppe  métallique 
parant  aux  chocs  qui  pourraient  altérer  les  contenances  ou  le  bon  fonc- 
tionnement. Tout  danger  d'explosion  à  l'endroit  des  gaz  alcooliques  pro- 
venant de  la  distillation  est  évité  par  des  grillages  métalliques  convena- 
blement disposés  dans  l'enveloppe  à  doubles  parois  de  la  boîte  pour  éviter 
l'introduction  de  substances  étrangères  à  la  distillation. 

Des  regards  sont  ménagés  dans  l'enveloppe  pour  suivre  l'opération,  et 
des  portes  scellées  donnent  accès  aux  organes  actifs  dans  le  cas  oii  cela 
serait  nécessaire. 

Tel  est  l'appareil  que  j'appellerai  compteur  à  volume  constant  et  à  poids 

variable. 

Il  est  possible  de  le  transformer  en  un  compteur  à  poids  constant  el  à 
volume  variable.  Pour  cela,  il  suffira  de  remplacer  le  vase-tare  A  par  un 
poids  déterminé,  dans  notre  espèce,  dix  kilogrammes  par  exemple.  A  la 
suite  d'une  série  de  pesées,  à  la  fin  de  la  distillation,  nous  aurons  par 
le  cadran  le  poids  de  l'alcool,  par  le  totalisateur  la  densité   moyenne. 


H.    HFRRENS.    ALMADEN.    SES   MINES    DE   MERCURE  261 

Il  nous  sera  donc  facile  de  connaître  le  volume  de  la  distillation  en  al- 
cool pur. 

III.  —  Utilité  de  l'appareil.  —  Je  ne  m'étendrai  pas  sur  les  utilités  du 
compteur.  Elles  sont  multiples. 

En  adaptant  à  un  rectifîcateur  industriel  un  compteur  à  l'entrée  de  la 
chaudière  et  un  second  compteur  à  la  sortie  du  serpentin,  on  arrive  à 
calculer  exactement  la  perte  de  distillation. 

Un  industriel  veut  établir  son  prix  de  revient.  Il  prend  un  poids  déter- 
miné de  matière  première  :  betteraves,  grains,  pommes  de  terre,  topi- 
nambours, etc.,  etc.  Le  produit  de  sa  distillation  lui  sera  rigoureusement 
donné  par  le  compteur. 

Enfin,  son  utilité  la  plus  considérable  résulterait  certainement  de  son 
application  par  l'État  à  tous  les  alambics  ambulants  ou  fixes.  I^s  agents 
de  la  Régie  auraient  en  lui  un  aide  sûr  pour  réprimer  efficacement  la 
fraude  chez  les  bouilleurs,  propriétaires  ou  industriels.  Un  exercice  plus 
sévère,  sans  augmentation  du  personnel,  serait  son  principal  avantage. 


M.  ïï'^  BERREIS 

Chimiste,  à  Gracia-Barcelone  (Espagne). 


ALMADEN.  —  SES  MINES  DE  MERCURE  ET  SES  DIVERS  SYSTEMES  DE  REDUCTION 

DU    MINERAI 


—  Séance  du  17  septembre  t892  — 

Les  mines  d'Almaden  sont  remarquables  par  leur  antiquité  et  par  la 
richesse  et  l'abondance  de  leurs  mines.  Le  système  d'exploitation  remonte 
au  siècle  dernier,  et,  depuis  lors  les  changements  réalisés  dans  la  manière 
de  traiter  le  minerai  de  mercure  sont  de  peu  d'importance,  attendu  qu'on 
suit  encore  le  système  que  Saavedra  Barba  imagina  au  Pérou  en  1633, 
lequel  fut  importé  en  Espagne  par  Bustamante  en  1646,  et  dont  il  existe 
vingt-deux  exemplaires  qui  fonctionnent  àAlmaden,  sans  qu'on  ait  trouvé 
le  moyen  de  le  remplacer  avantageusement,  bien  que  plusieurs  essais  et 
le  bon  vouloir  n'aient  pas  fait  défaut. 

En  1806,  on  établit  les  fours  de  chambres  qui  se  communiquent  entre 
elles  comme  dans  l'appareil   de  Woolf  et  qui  reçoivent  une  charge  de 


262  CHIMIE 

vingt-quatre  tonnes.  La  disposition  générale  fut  copiée  des  appareils  em- 
ployés aux  mines  d'Idria  (Aulriche)  qui  étaient  et  sont  encore  propriété 
de  l'État.  Ces  fours  portent  le  nom  d'Idria  à  cause  de  leur  origine  ;  l'opé- 
ration réductrice  dure  huit  jours  ;  et  s'ils  continuent  de  fonctionner,  ce 
n'est  certes  pas  à  cause  de  leur  mérite  sur  les  fours  Bustamante. 

Il  y  a  de  cela  une  douzaine  d'années,  on  construisit  des  fours  à  réver- 
bère dans  le  but  de  distiller  les  minerais  menus  dont  l'encombrement 
était  énorme,  mais  on  dut  les  démolir  à  cause  de  leurs  mauvaises  condi- 
tions ;  ils  furent  remplacés  par  une  paire  de  fours  Livermoore  qui  furent 
importés  de  Californie.  Ils  sont  manœuvres  par  une  quarantaine  d'enfants, 
qui  sont  exposés  à  bien  des  misères  par  suite  de  cet  appareil  malsain, 
dont  les  pertes  sont  considérables. 

Dans   ces  conditions,  on  a  décidé  d'essayer  un   nouveau   système  de 


FIG.    1 


réduction  inventé  parBerrens.  Le  ministre  des  Finances  espagnol  a  ordonné 
qu'on  fît,  aux  frais  de  l'État,  des  essais  comparatifs,  entre  ce  four  nouveau 
et  ceux  qui  sont  employés  en  Espagne.  Deux  fours  de  Bustamante  furent 
choisis,  parmi  les  meilleurs,  pour  les  essais  comparatifs. 

Leur  traitement  est  intermittent,  le  combustible  est  très  énergique, 
houille  et  coke,  l'opération  dure  quatre  jours.  —  Le  nettoyage  est  très 
pénible  pour  l'ouvrier  ;  il  se  fait  sans  eau,  avec  le  balai  à  sec.  —Les  pertes 
sont  en  raison  de  la  température,  c'est  elle  qui  est  le  facteur  réfrigérant, 
et  lorsqu'elle  atteint  25  degrés  centigrades  au  15  mai,  on  plie  bagage, 
on  éteint  les  feux,  qu'on  rallume  le  15  octobre  suivant.  On  évite  ainsi 
des  pertes  considérables  qui  dépassent  50  0/0,  les  scories  sortent  nettes  de 
tout  métal  ;  ce  résultat  s'obtient  par  l'emploi  exagéré  de  la  houille  ou  du 
coke,  mais  les  pertes  sont  plus  considérables,  bien  que  les  minerais  traités 
soient  plus  riches  qu'autrefois,  parce  qu'à  mesure  qu'on  approfondit  l'ex- 
ploitation le  minerai  est  plus  riche  et  plus  abondant. 


H.   nEHHKNS.  ALMADE.N.  SKS   MINES   DE    MEUClJflE  263 

Le  système  Berrens  est  automatique  et  sa  marche  est  continue,  attendu 
que  le  remplacement  d'un  four  par  un  autre  sur  le  foyer  ne  dure  que 
quelques  minutes.  Ce  four  mobile  F  (fig.  1  et  2),  placé  sur  deux  essieux 
munis  de  quatre  roues  en  fonte,  se  compose  d'un  cylindre  en  tôle  garni 
intérieurement  de  briques  réfractaires.  II  contient  une  tonne  de  minerai 
qui  repose  sur  une  grille  en  terre  également  réfractaire.  Le  foyer  oiî  le  feu 
est  permanent  est  construit  entre  deux  rails  articulés  sur  lesquels  le 
véhicule  susnommé  vient  se  placer  et  colloquer  le  cylindre  préalablement 
chargé  de  sa  tonne  de  minerai.  On  lute  le  joint  avec  de  la  terre  réfractaire, 
pendaut  qu'on  ajuste  de  la  même  façon  un  tube  en  tôle  H  au  chapiteau  qui 
couvre  le  cylindre.  Ce  tube  communique  avec  une  chambre  de  transmis- 
sion qui  reçoit  le  premier  jet  des  gaz  et  vapeurs  qui  proviennent  du  four. 
Elle  semble  être  au  même  niveau  que  le  four,  mais  le  sol  est  plus  bas  et 
incliné,  afin  que  le  mercure  qui  s'y  condense  puisse  s'écouler  dans  un  tube 
placé  à  son  extrémité. 

Ce  tube,  qui  met  en  communication  la  dite  chambre  avec  l'appareil 
condenseur  qui  se  trouve  à  10  ou  12  mètres  plus  bas,  a  une  longueur 
relative  et  son  diamètre  est  de  35  centimètres  ;  il  est  en  ciment  et  établi 
sur  une  assise,  en  fer  très  solide  ;  il  joue  un  rôle  très  important  dans 
l'appareil  condenseur,  c'est  par  lui  que  le  refroidissement  des  gaz  ou 
vapeurs  qui  circulent  dans  son  intérieur  s'effectue.  Il  opère  de  la  même 
façon  que  le  col  d'une  cornue  qui  refroidit  d'autant  plus  les  vapeurs  qui 
partent  d'un  liquide  en  ébullition,  que  celui-ci  (le col)  est  placé  plus  ver- 
ticalement. Dans  l'appareil  Berrens,  la  chaleur,  en  vertu  de  ce  principe, 
ne  descend  pas,  elle  se  perd,  d'autant  plus  que  les  vapeurs  mercurielles,  en 
sortant  du  four,  suivent  constamment  une  pente  descendante. 

L'appareil  condenseur  (fig.  3,  4  et  5)  se  compose  de  vingt-cinq  compar- 
timents ;  la  capacité  de  chacun 
d'eux  est  de  o  à  600  litres,  ils  sont 
formés  de  deux  cônes  soudés  à 
leur  base  avec  du  ciment;  le  cône 
supérieur  est  en  tôle  et  celui  d'en 
bas  est  construit  en  ciment  dans 
la  terre,  la  communication  entre 
eux  se  fait  par  les  cônes  inférieurs 
et  ils  se  ramifient  dans  un  quadri- 
latère plein  d'eau  qui  se  renouvelle 
et  qui  couvre  les  cônes  en  tôle  ; 
la  pointe  ou  le  sommet  des  cônes  inférieurs  se  confond  avec  des  rigoles  en 
pente  pleines  d'eau  qui  reçoivent  le  mercure  condensé  et  qui  le  déversent 
dans  un  puits  récepteur  M  dont  l'eau  qui  le  remplit  est  à  niveau  de  celle 
des  rigoles.  On  peut  extraire  le  mercure  du  puits  (qui  se  trouve  clôturé 


Fig.  3.  —  Plan  de  l'appareil  condenseur. 


264  CHIMIE 

et  fermé  à  clef)  sans  arrêter  la  marche  des  opérations  ;  celles-ci  ne  s'in- 
terrompent que  lorsqu'on  doit  faire  le  nettoyage  de  l'appareil  :  alors  on 
enlève  les  cônes  en  tôle,  on  ouvre  la  chambre  de  transmission  et 
avec  de  l'eau  projetée  et  des  balais  on  fait  écouler  le  métal  et  les  suies 
vers  le  puits;  ce  travail  se  pratique  sans  aucune  incommodité  pour 
l'ouvrier. 


FiG.  /..  —  Coupe  suivant  AB. 

Le  tirage  se  fait  au  moyen  d'un  piston  aspirateur  et  refouleur  0,  qui  est 
rais  en  mouvement  par  une  machine  à  vapeur  P,  la  marché  de  ce  piston 
n'a  pas  dépassé  quatre-vingts  oscillations  par  minute,  et  la  feuille  d'or 
qu'on  a  plusieurs  fois  présentée  à  la  sortie  des  gaz  qui  soulèvent  les  cla- 
pets de  l'aspiraieur  n'a  jamais  été  salie  de  la  moindre  tache  de  mer- 
cure; il  faut  dire  aussi  que  les   vapeurs,   avant  d'arriver   à  la  machine 


FiG.  5.  —  Coupe  suivant  CD. 


aspirante,  étaient  obligées  de  traverser  deux  caisses  remplies  de  charbon 
végétal. 

La  fournée  d'une  tonne  de  minerai  dure  cinq  heures,  mais  en  augmen- 
tant la  vitesse  du  tirage,  on  pourra  arriver  à  une  diminution  d'une 
heure. 

Quant  aux  pertes,  la  Commission  scientifique  dit  dans  son  rapport 
(fol.  11)  qu'elles  furent  celles  que  les  scories  manifestèrent,  et  qu'on 
peut  évaluer  à  i/2  0/00,  et  elle  ajoute  qu'en  réalité  on  ne  peut  constater 
d'autres  pertes. 


H.    BERREXS.    ALMADEN.    —    SES    MINES    DE    MERCURE  26o 

Le  four  Berrens  se  recommande  surtout  par  son  coté  hygiénique  :  toutes 
les  opérations,  charge,  décharge,  nettoyage  etc.,  se  font  en  plein  air;  l'ou- 
vrier est  donc  à  l'abri  de  toute  intoxication. 

Les  essais  comparatifs  ont  été  faits  de  la  façon  la  plus  correcte  ;  pour 
ce  qui  regarde  le  four  Berrens,  au  dire  de  la  Commission  technique  qui 
fut  investie,  par  décret  royal  émané  du  Ministère  des  Finances,  de  facultés 
suffisantes  .pour  établir  et  constater  la  marche  des  fours  et  le  résultat 
obtenu.  Elle  voulut  que  les  minerais  qu'on  distillerait  fussent  exactement 
ceux-là  qu'on  distille  tous  les  jours,  dont  le  litre  moyen  est  de  11.60  0/0 
(fol.  14  du  Rapport),  et  que  le  rendement  qu'on  obtiendrait  dans  les  fours 
(système  Bustamente)  San  Carlos  et  San  Sébastian,  qui  sont  considérés 
comme  les  meilleurs  de  l'établissement,  ne  servirait  de  base  comparable 
qu'autant  qu'il  concordât  avec  la  moyenne  du  mercure  obtenu  dans  les 
cinq  années  antérieures. 

Le  four  Berrens  donna  un  rendement  de  12  0/0  de  mercure  ;  les  fours 
San  Carlos  et  San  Sébastian  donnèrent  12,33  0/0.  Ce  rendement  en  plus 
surprit  au  premier  abord  la  Commission,  parce  qu'elle  avait  constaté  que 
la  feuille  d'or  placée  à  l'orifice  de  l'appareil  Berrens  n'avait  pas  présenté 
à  la  vue  la  moindre  tache  de  mercure,  tandis  que  dans  les  fours  opposés, 
elle  en  avait  été  salie  complètement;  mais  elle  trouva  bientôt  la  cause 
de  cette  différence.  Elle  constata  que  les  scories  pesaient  83  kilos  de 
plus  que  ce  qu'elles  devaient  peser,  que  le  rendement  en  mercure 
était  de  35  kilos  de  plus  que  celui  qu'on  devait  obtenir,  et,  de  plus,  elle 
trouva  112  kilos  de  suies  (dont  le  titre  ordinaire  est  de  70  0/0)  en  plus 
de  ce  qu'on  obtient  ordinairement.  La  Commission,  dans  son  rapport 
(fol.  16),  dit  avec  raison  «  que  ces  données  contradictoires  entre  elles  ne 
peuvent  s'expliquer  facilement  »  ;  et,  se  renfermant  dans  l'indication  du 
décret  royal,  elle  porta  son  attention  sur  les  rendements  de  tous  les 
fours  dans  les  cinq  années  antérieures,  qui  sont  : 

1886-87        1887-88       1888-89        1889-90       1890-91 

Moyenne  de  la  production  .    .   .     9,47      9,28      9,12      8,74      8,29 

soit  en  moyenne  8,98  0/0  de  mercure  ;  et  si  on  ajoute  le  rendement 
moyen  des  deux  fours  San  Carlos  et  San  Sébastian  obtenu  dans  les  essais 
comparatifs,  qui  est  de  12,33  0/0,  nous  aurons  une  moyenne  de  9,54  0/0. 
Or,  comme  par  le  nouveau  système,  d'après  le  rapport  de  la  Commission, 
on  a  extrait  de  6,000  kilos  minerai  le  12  0/0  de  mercure,  on  peut  dire 
avec  certitude  qu'il  y  a  un  avantage  en  faveur  du  four  Berrens  de  2,46 
par  chaque  9,54,    soit  un  2o,70  0/0  sur  l'ensemble,  ce  qui   représente 


266  CHIMIE 

le  quart  en  plus  de  la  production  d'une  campagne  réglementaire  de 
sept  mois,  qui  est  à  peu  près  de  50.000  bouteilles  contenant  chacune 
34  kil.  500  gr.  ;  soit  12.500  bouteilles  en  plus  à  8  £.  st.  =  100.000  £. 

Telles  sont  les  conclusions  qu'on  peut  tirer  du  Rapport  que  MM.  D.  Justo 
Egozcue,  D.  Grégoire  de  la  Régnera,  inspecteurs  généraux  des  mines,  et 
D.  Daniel  de  Cortâzar,  ingénieur  en  chef  des  mines,  ont  présenté  au 
ministre  des  Finances  en  janvier  1892,  à  Madrid.  —  Ce  qui  domine  dans 
ce  document,  c'est  l'esprit  de  droiture  et  de  justice.  —  Ces  messieurs  de 
la  Commission,  en  partant  pour  Airaaden,  doutaient  et  ne  croyaient  pas 
à  une  perfection  si  complète  du  nouveau  four  ;  —  et  c'est  avec  une 
profonde  réserve  qu'ils  ont  fait  mention  de  certaines  irrégularités  inten- 
tionnelles de  la  part  de  MM.  les  ingénieurs  d'Almaden.  Ils  auraient  voulu 
trouver  chez  leurs  collègues  de  meilleures  dispositions  pour  faciliter  leur 
mandat.  Quoi  qu'il  en  soit,  en  faisant  la  part  de  conditions  évidemment 
erronées,  comme  ils  disent,  «  le  nouveau  procédé  se  présente  quand 
même  avec  avantage  sur  tout  ce  qu'on  a  obtenu  jusqu'à  ce  jour,  avec  des 
circonstances  très  intéressantes  « .  La  Commission  s'est  noblement  conduite  ; 
elle  aurait  pu  prouver,  par  les  chiffres  qui  lui  ont  été  fournis  par  la  direc- 
tion d'Almaden  elle-même,  que  le  rendement  des  fours  est  de  plus  en 
plus  déplorable.  En  effet,  si  nous  consultons  le  tableau  du  mercure  obtenu 
pendant  les  cinq  dernières  années,  on  voit  que  le  tant  pour  cent  du 
rendement  diminue  chaque  année,  alors  que  la  teneur  du  minerai  traité 
s'enrichit  tous  les  ans,  à  mesure  que  son  extraction  se  fait  plus  profon- 
dément, comme  cela  est  démontré  dans  plusieurs  documents. 

Ce  fait  anormal  s'explique  de  la  sorte  ;  MM.  les  ingénieurs  d'Almaden, 
pour  faire  cesser  les  clameurs  qui  se  répandaient  sur  les  pertes  énormes 
que  tout  le  monde  constatait  en  examinant  les  scories  riches  encore  de 
métal,  eurent  l'idée  d'employer  des  combustibles  très  énergiques  pour 
la  réduction  du  minerai  et  de  faire  durer  celle-ci  vingt-quatre  heures  de 
plus  qu'auparavant.  Par  ce  moyen  empirique,  les  pertes  furent  plus  consi- 
dérables, mais  les  scories  furent  nettes  de  tout  métal,  et  ces  messieurs 
en  annonçant  qu'ils  avaient  perfectionné  leurs  appareils  :  Voyez  nos 
scories,  dirent-ils,  elles  sont  propres.  Mais  cette  façon  d'agir,  qui  pro- 
duit à  l'État  trois  ou  quatre  millions  de  francs  de  perte,  pourra  bien  être 
perçue  par  le  nouveau  ministre  des  Finances. 


E.  BLANC.  —  SUR  UN  MODE  PARTICULIER  DE  CUISSON  DES  BRIQUES 


267 


M.   Edouard  BLAIC 


à  Paris. 


SUR   UN    MODE   PARTICULIER   DE  CUISSON    DES   BRIQUES,   USITÉ   DANS   CERTAINES 

PARTIES   DE    L'ASIE   CENTRALE 


Séance  du  20  septembre  4892 


Au  cours  du  voyage  d'exploration  que  nous  avons  fait  en  Asie,  pendant 
les  années  1890  et  1891,  nous  avons  eu  l'occasion  d'observer  un  curieux 
procédé  employé  par  les  indigènes  de  certains  pays  pour  la  fabrication  des 


Galerie  d'accès  du  combustible 


FiG.  1.  — Plan  d'un  four  à  briques  système  Tarantchi. 

briques.  Ce  procédé,  très  simple  et  peu  coûteux,  présente  des  avantages 
considérables  au  point  de  vue  des  applications,  et  il  donne  lieu  en  même 
temps  à  la  constatation  de  phénomènes  chimiques  intéressants  en  eux- 
mêmes  et  dont  les  réactions  sont  encore  à  déterminer. 

Ce  mode  de  cuisson  des  briques  est  employé  dans  la  partie  occidentale 
de  la  Mongolie,  ainsi  que  dans  la  Dzoungarie,  dans  une  partie  du  bassin  de 
rili,  et  notamment  par  les  peuplades  qui  portent  les  noms  de  Dounganes 
-et  de  Tarantchis  (1). 

(1)  On  appelle  Dounganes  des  populations  de  race  chinoise,  pratiquant  la  religion  musulmane,  parlant 
chinois,  et  qui  se  sont  établies  dans  la  Dzoungarie,  principalement  pour  y  former  des  colonies  agricoles. 

Les  Tarantchis  sont  des  populations  de  race  turco-mongole,  habitant  la  même  région,  pratiquant  la 
même  religion,  mais  parlant  un  idiome  dérivé  du  djaggataï,  et  qui  ont  été  subjuguées  parles  Chinois. 


268 


CHIMIE 


Ces  peuples,  qui  habitent  la  partie  septentrionale  et  nord-ouest  de  l'Em- 
pire chinois,  c'est-à-dire  les  frontières  de  Sibérie,  vivent  sous  un  climat 
qui  est  souvent  très  chaud  en  été,  mais  qui  est  surtout  extrêmement  froid 
en  hiver.  Par  conséquent,  leurs  constructions  doivent  être  faites  avec  des 
matériaux  très  résistants  au  point  de  vue  des  variations  de  température. 
Les  variations  atmosphériques,  dans  ces  contrées,  sont  d'autant  plus  sen- 
sibles qu'elles  sont  extrêmement  brusques  et  atteignent  souvent  une  très 
grande  amplitude  dans  une  période  de  temps  fort  courte.  L'automne  et 
surtout  le  printemps  présentent  des  alternances  de  gelée  et  de  dégel  plu- 
sieurs fois  répétées,  accompagnées  de  variations  hygrométriques  considé- 
rables. Les  écarts  de  température  à  l'ombre  peuvent  dépasser  40  degrés 


FiG.  2.  — Coupe  verticale  suivant  AB. 

dans  les  vingt-quatre  heures  (1).  En  tenant  compte  de  l'action  directe  du 
soleil  sur  les  surfaces  qu'il  frappe,  dans  une  atmosphère  très  peu  chargée 
d'humidité,  l'écart  diurne  peut  être  de  60  degrés  (de  —  15"  à  -|-  45°). 
L'écart  extrême  dans  la  température  annuelle  est  de  plus  de  120  degrés 
(de  —  o0°  à  -f-  70°). 

Dans  de  pareilles  conditions,  où  presque  toutes  les  roches  naturelles  se 
désagrègent,  on  conçoit  que  bien  peu  de  matériaux  de  construction  soient 
capables  de  résister,  et  les  briques  cuites  par  le  procédé  ordinaire  s'al- 
tèrent et  s'effritent  avec  une  très  grande  rapidité.  Au  contraire,  les  briques 
préparées  par  le  procédé  que  nous  allons  indiquer,  bien  que  faites  avec  la 


M)  Au  mois  de  février  1891,  après  une  période  de  froid  très  rigoureux  qui  a  duré  jusqu'au  a, 
nous  avons  observé,  le  2o,  à  Merw,  une  température  qui,  en  quelques  heures,  s'est  élevée  de-}-  1°  à 
-(-26°  à  l'ombre.  Le  lendemain  matin,  26  février,  la  température  est  retombée  subitement  à  — 10°, 
et  ce  changement  a  été  accompagné  d'une  tempête  de  neige  qui  a  duré  pendant  .trois  jours,  et  à 
la  suite  de  laquelle  la  température  est  redescendue,  pendant  huit  jours,  jusqu'aux  environs  de 
—  15",  pour  remonter  ensuite  rapidement,  mais  non  pas  encore  d'une  façon  délinitive.  Ces  oscilla- 
tions se  sont  répétées  plusieurs  fois  avant  l'établissement  de  la  belle  saison. 


BLANC.  —  SUR  UN  MODE  PARTICULIER  DE  CUISSON  DES  BRIQUES 


269 


même  argile  que  les  autres,  résistent  parfaitement  aux  intempéries   et 
présentent,  en  outre,  une  dureté  et  une  cohésion  tout  à  fait  remarquables. 
Ce  résultat  est  obtenu  simplement  par  l'action  de  la  vapeur  d'eau. 
Le  procédé  dont  il  s'agit  est  intéressant  à  deux  points  de  vue  : 
4°  Avec  des  argiles  de  qualité  médiocre,  à  peu  de  frais,  et  au  moyen 
d'appareils   d'une  grande   simplicité,  il   permet  d'obtenir  des  matériaux 
présentant  des  qualités  de  résistance   et   de  solidité  tout  à   fait  supé- 
rieures ; 

2°  Son  principe  repose  sur  des  réactions  chimiques  nouvelles  pour 
nous,  ou  du  moins  dont  l'application  n'a  pas  encore  été  faite  et  qu'il  est 
intéressant  d'expliquer. 


FiG.  3.  —  Coupe  verticale  suivant  CD. 


Description  de  l'appareil.  —  La  disposition  de  l'appareil  est  la  suivante  : 
Le  four  a  la  forme  d'un  cylindre  vertical  surmonté  d'un  dôme.  Générale- 
ment, pour  plus  d'économie  dans  la  construction  ainsi  que  pour  diminuer 
la  perte  de  chaleur,  la  plus  grande  partie  de  la  portion  cylindrique  (les 
deux  tiers  environ  de  la  hauteur)  est  creusée  dans  la  terre.  Le  dôme  est 
au-dessus  du  sol  :  il  est  construit  simplement  en  argile  et  son  épaisseur 
à  la  base  est  aussi  considérable  que  possible  (généralement  quatre  archines, 
soit  2'",80);  il  s'amincit  vers  le  sommet.  Ce  dôme,  habituellement  en 
plein  cintre,  est  percé  à  sa  partie  supérieure  d'un  trou  assez  large,  qui 
reste  ouvert  pendant  toute  la  première  partie  de  la  cuisson  et  "qui  sert  à 
l'échappement  de  la  fumée  et  des  gaz. 

Pour  fixer  les  idées,  nous  indiquerons  les  dimensions  que  l'on  donne  le 
plus  fréquemment  à  l'un  de  ces  fours,  dont  le  plan  et  la  coupe  sont  repré- 
sentés dans  les  figures  1,  2  et  3.  On  peut  donner  à  la  partie  cylindrique 
6  mètres  de  diamètre  intérieur  et  une  hauteur  de  4  mètres,  dont  3  mètres 
au-dessous  du  niveau  du  sol  et  1  mètre  au-dessus.  Le  trou  ouvert  au  som- 


270  CHIMIE 

met  du  dôme  peut  avoir  1™,50  de  diamètre  au  début  de  l'opération.  Au 
niveau  du  sol  est  pratiquée  dans  la  partie  latérale  du  dôme  une  galerie 
étroite  qui  sert  à  y  introduire  et  à  en  extraire  les  briques  :  cette  galerie  est 
bouchée  pendant  la  cuisson.  Une  partie  de  la  sole  horizontale  qui  forme 
le  fond  du  trou  est  constituée  par  une  grille  faite  de  briques  non  juxta- 
posées, et  sous  cette  grille  se  trouve  une  chambre  servant  de  foyer  et  où 
Ton  introduit  le  combustible  par  une  galerie  inclinée  qui  s'ouvre  au 
dehors.  Trois  évents  ou  cheminées  d'appel,  d'environ  2o  centimètres  de 


Fia.  4.  —  Vue  extérieure  d'un  fuur  (d'après  une  photographie  faite  par  M.  Paul  Nadar  (i). 

diamètre,  prennent  naissance  à  l'intérieur  du  four,  tout  à  fait  au  bas  de  sa 
paroi  verticale,  et  vont  s'ouvrir  à  l'extérieur  dans  le  haut  du  dôme.  Au 
début  de  l'opération,  leurs  orifices  supérieurs  sont  hermétiquement  bou- 
chés avec  de  l'argile. 

Marche  de  l'opération.  —  Les  briques  sont  placées  par  séries  verticales 
dont  le  plan  est  en  éventail,  de  manière  à  rayonner  autour  de  la  partie  dé 
la  sole  qui  est  à  claire-voie,  et  sous  laquelle  est  allumé  le  feu.  Ces  briques 
sont  fort  grosses  :  elles  n'ont  pas  moins  de  O"",!!  dans  leur  plus  petite 


(1)  Le  four  dont  l'élévation  est  représentée  ci-dessus  d'après  une  photographie  faite  sur  place,  n'est 
pas  construit  tout  à  fait  sur  le  plan  qui  vient  d'être  décrit.  Il  est  non  pas  rond,  mais  quadrangu- 
laire.  Dans  ce  cas,  les  cheminées  sont  au  nombre  de  quatre  au  lieu  de  trois,  et  elles  sont  placées 
dans  les  tours  qui  renforcent  les  angles.  Mais  la  forme  ronde  est  la  plus  typique  et  la  plus  employée. 
C'est  en  même  temps  la  plus  simple  et  celle  qui  donne  les  meilleurs  résultats  au  point  de  vue  de  la 
cuisson  des  briques.  Le  système  et  le  mode  de  fonctionnement  sont  d'ailleurs  identiques. 


É.   ULANC.  SIR  UN  MODE  PARTICULIER  DE  CUISSON  DES  RRIQUES  271 

épaisseur,  ce  qui  leur  donne  0°S225  de  largeur  et  0'",46  de  longueur.  Des 
briques  aussi  épaisses  auraient  peine  à  cuire  jusqu'au  centre  par  les  procé- 
dés ordinaires,  et  il  serait  même  impossible  de  leur  donner  un  degré  de 
cuisson  homogène  dans  toute  leur  épaisseur.  Un  four  comme  celui  qui 
vient  d'être  décrit  peut  contenir  environ  7.000  briques  de  cette  grosseur. 
On  ne  les  accumule  pas  tout  à  fait  jusqu'au  haut  du  dôme,  de  manière 
à  réserver  une  chambre  au  sommet  de  celui-ci. 

Les  briques  étant  ainsi  disposées,  on  allume  le  feu  et  on  le  pousse  sans 
interruption  pendant  trois  jours  et  demi  ou  quatre  jours.  La  quantité  de 
combustible  dépensée  pendant  ce  temps  pour  une  fournée  est  de  trente- 
cinq  charges  de  chameau  pesant  7.000  kilogrammes  (à  200''-  l'une).  Le 
combustible  employé  est  une  plante  annuelle  et  assez  fortement  lignifiée, 
ïalhagi  camelorum,  dont  la  valeur  calorifique  est  assez  considérable  (7.000''' 
de  cette  plante  séchée  représentent  environ  23.800.000  calories).  Le  troi- 
sième jour,  on  rétrécit  peu  à  peu  l'ouverture  supérieure  du  dôme  avec  des 
mottes  d'argile  mouillée,  jusqu'à  ce  qu'elle  n'ait  plus  que  0"',80  à  1  mètre 
au  plus  de  diamètre;  puis  après  avoir  laissé  tomber  la  flamme,  on  bouche 
hermétiquement  l'ouverture  avec  une  couverture  de  feutre  trempée  dans 
l'eau.  On  charge  cette  couverture  avec  du  sable,  de  manière  à  lui  faire 
fonner  une  sorte  de  poche  oîi  l'on  verse  constamment  de  l'eau.  En  même 
temps,  on  débouche  les  trois  évents  latéraux  et  l'on  ranime  le  feu  que  l'on 
entretient  très  activement  pendant  quatre  jours.  Le  tirage  qui  se  faisait  de 
bas  en  haut  se  fait  alors  de  haut  en  bas  ;  il  doit  donc  subir  un  retourne- 
ment pendant  lequel  la  vapeur  d'eau  qui  s'est  répandue  dans  le  four  à  tra- 
vers la  paroi  de  feutre,  subit  une  surchaufl'e  et  atteint  une  pression  plus 
forte  que  la  pression  atmosphérique. 

C'est  sans  doute  cet  excès  de  chaleur  et  de  pression  qui  donne  lieu  aux 
réactions  chimiques  caractéristiques  de  cette  opération.  Par  la  disposition 
qui  vient  d'être  indiquée,  on  donne  au  four  une  portion  de  paroi  filtrante 
qui  émet  sans  cesse  vers  l'intérieur  de  la  vapeur  d'eau.  Cette  vapeur  d'eau 
passe  de  haut  en  bas  à  travers  la  masse  des  briques  chauffées  au  rouge  et 
leur  fait  subir  une  transformation  moléculaire  particulière. 

Par  suite  de  cette  réaction,  les  briques  qui,  à  la  fin  du  troisième  jour, 
étaient  d'un  rouge  clair  et  d'une  consistance  médiocre,  acquièrent  une 
couleur  gris  foncé  uniforme;  leur  structure  prend  une  apparence  poreuse; 
elles  deviennent  très  sonores  et  d'une  grande  dureté;  leur  cassure  est 
nette  et  à  vives  arêtes,  mais  sans  être  vitreuse.  Elles  prennent,  en  somme, 
l'apparence  de  certaines  roches  trachytiques.  Il  est  probable  qu'en  effet 
il  se  forme,  sous  l'action  de  la  vapeur  d'eau,  une  sorte  de  trachyte 
artificiel. 

La  quantité  de  combustible  dépensée  pendant  la  seconde  période  de 
cuisson  est,  pour  une  fournée,  de  quarante-cinq  charges  de  chameau  pe- 


272  CHIMIE 

sant  9.000  kilogrammes.  Le  combustible  est  le  même  qui  a  été  indiqué 
ci-dessus  (branches  d'alhagl  camelorum). 

Composition  des  matériaux  employés  à  la  fabi'ication  des  briques .  — L'ar- 
gile employée  pour  la  fabrication  de  ces  briques  est  généralement  du  lôss 
ordinaire;  cependant  lorsqu'elles  sont  fabriquées  dans  des  localités  situées 
sur  les  grands  cônes  de  déjection  qui  s'étalent  au  pied  des  chaînes  de  mon- 
tagnes avoisinant  la  frontière  sibérienne,  comme  les  Monts  Tian-Chan  par 
exemple,  elles  sont  faites  avec  des  argiles  d'alluvion  provenant  de  la  désa- 
grégation des  roches  qui  constituent  la  charpente  de  ces  montagnes .  Ces 
roches  sont  assez  variées;  cependant  elles  appartiennent  le  plus  souvent  à 
la  famille  des  diorites  ou  à  celle  des  serpentines  ;  ou  bien  encore  ce  sont 
des  roches  amorphes,  compactes,  de  couleur  foncée  et  qui  paraissent  être 
des  argiles  métamorphisées.  Toutes  ces  substances,  ainsi  que  les  alluvions 
qui  en  dérivent,  contiennent  par  conséquent  des  sihcates  d'alumine,  de 
magnésie,  de  chaux  et  de  fer. 

Nous  n'entreprenons  pas  de  donner  ici  la  formule  des  réactions  qui  se 
produisent  dans  cette  fabrication.  Nous  ne  pourrions  le  faire  que  d'une 
façon  hypothétique,  et  nous  espérons  que  cette  formule  pourra  être  déter- 
minée d'une  façon  plus  certaine  (lorsque  le  laboratoire  de  l'École  des  Ponts 
et  Chaussées,  auquel  nous  avons  transmis  un  échantillon  rapporté  par 
nous,  en  aura  fait  l'analyse).  Cependant  on  peut  présumer,  a  priori,  qu'il 
se  produit  de  l'oxyde  salin,  c'est-à-dire  qu'une  partie  de  l'oxyde  de  fer 
contenu  dans  l'argile  des  briques  se  suroxyde  sous  l'influence  de  la  vapeur 
d'eau,  aux  dépens  de  l'autre  partie  du  même  oxyde,  qui  devient  basique,  et 
qu'elle  forme  avec  celle-ci,  en  présence  de  l'alumine  et  concurremment  avec 
d'autres  bases  contenues  dans  l'argile,  un  sel  qui  peut  être  un  ferrosoferrate. 

Applicatio7i  de  ce  procédé  aux  constructions  hydrauliques  de  Meriv.  — 
Nous  avons  observé  pour  la  première  fois  la  fabrication  qui  vient  d'être 
indiquée  dans  la  partie  septentrionale  de  la  Kachgarie,  c'est-à-dire  dans  la 
région  qui  avoisine  Kouldja.  Nous  avons  vu  ensuite  des  briques  qui  avaient 
été  cuites  par  ce  procédé,  dans  les  murailles  ou  dans  les  ruines  des  divers 
édifices  de  la  môme  contrée.  Mais  nous  avons  plus  tard  constaté  de  nou- 
veau l'emploi  de  ce  procédé  aux  environs  de  Mer w,  dans  la  Transcaspienne, 
où  il  a  été  récemment  introduit.  Les  ouvriers  dounganes  et  tarantchis,  au 
nombre  de  près  de  deux  mille,  qui,  après  avoir  quitté  la  Chine  à  la  suite 
de  persécutions  politiques  et  religieuses,  ont  trouvé  un  refuge  sur  le  terri- 
toire russe,  et  ont  été  enrôlés  pour  travailler  aux  ouvrages  de  barrage  et 
d'irrigation  entrepris  depuis  peu  sur  le  Mourg-ab,  ont  apporté  avec  eux  la 
connaissance  de  ce  procédé.  Celui-ci  a  été  mis  à  profit  avec  un  grand  succès 
et  avec  une  grande  perspicacité  par  les  ingénieurs  chargés  de  ces  travaux 
d'art,  M.  Paklewski  et  M.  Sawitcha,  dont  le  premier  avait  eu  l'occasion 
déjà  auparavant  d'observer  ce  système  dans  le  district  de  Kouldja. 


SIELR.    MÉTÉOIIOLOGIE    DU    DÉPARTEMENT    DES    DEUX-SÊVRES  273 

Dans  la  localité  dont  il  s'ayit,  c'est-à-dire  au  Yieux-Merv,  l'argile  em- 
ployée est  de  l'argile  d'alluvion  provenant  du  cône  de  déjection  du  xMourg-ab. 
qui  apporte  dans  la  plaine  des  matériaux  empruntés  aux  montagnes  d'Af- 
ghanistan, c'est-à-dire  à  la  chaîne  du  Paropamise,  dont  la  constitution 
géologique  est  à  peu  près  la  même  que  celle  des  montagnes  dont  il  a  été 
question  ci-dessus  (1  ). 

L'échantillon  de  brique  que  nous  avons  l'honneur  de  présenter  à  l'appui 
de  la  présente  note  est  fabriqué  avec  cette  matière.  On  peut  voir  combien 
l'épaisseur  en  est  forte  et  la  cassure  tranchante.  La  surface  est  rugueuse 
et  fait  très  bien  prise  avec  le  mortier.  En  outre,  le  poids  de  cette  matière 
est  remarquablement  faible,  ce  qui  est  un  avantage  très  notable  dans  les 
constructions.  Les  briques  ordinaires  fabriquées  dans  la  même  localité 
avec  la  même  argile  sont  d'un  rouge  un  peu  blanchâtre;  elles  s'émiet- 
tent  facilement,  et  lorsqu'elles  ont  une  épaisseur  aussi  forte  que  l'échan- 
tillon en  question,  elles  ont  une  consistance  très  inégale  dans  leurs  di- 
verses parties. 

Nous  pensons  qu'il  y  aurait  quelque  intérêt  à  faire  connaître  cette  fabri- 
cation, dont  les  résultats  ont  pour  eux  l'épreuve  de  l'expérience  dans  des 
conditions  climatériques  particulièrement  rigoureuses,  et  nous  crovons 
qu'elle  pourrait  rendre  des  services  en  France,  surtout  pour  l'exécution  des 
ouvrages  d'art  qui  doivent  braver  les  intempéries  extrêmes,  ainsi  que  dans 
les  grands  travaux  publics. 


M.   SIEÏÏE 

Professeur  au  Lvcée  de  Niort. 


MÉTÉOROLOGIE    DU    DÉPARTEMENT    DES    DEUX-SÈVRES 
ET   DE    LA    RÉGION    DU   SUD-OUEST 


—  Séance  du  16  septembre  1892  — 

Depuis  douze  ans  que  j'ai  l'honneur  de  remplir  les  fonctions  de  secré- 
taire de  la  Commission  des  Deux-Sèvres,  j'ai  recueilli,  sur  les  conditions 
météorologiques  du  département,  une  série  d'observations  résumées  dans 
la  présente  communication. 

i\)  Ce  sont  les  terrains  de  transition  qui  domiufnl  :  l'axe  de  la  chaîne  est  de  nature  granitique, 
sur  les  versants  se  trouvent  des  placages  de  roches  métamorphiques. 

18* 


214  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

Je  n'ai  point  assurément  la  prétention  d'offrir  un  travail  complet; 
néanmoins  je  le  considère  comme  ayant  un  réel  intérêt  pour  la  science 
qui  nous  occupe.  En  effet,  si  un  résumé  semblable  était  fait  dans  chaque 
département,  le  Bureau  central,  qui  reçoit  toutes  nos  communications, 
pourrait  peut-être  en  extraire  des  matériaux  utiles  pour  arriver  à  la  dé- 
termination des  lois  qui  régissent  les  phénomènes  atmosphériques.  La 
connaissance  de  ces  lois,  encore  inconnues,  doit  être  le  but  de  tous  les 
météorologistes  qui  ont  accepté  la  mission  de  créer  la  Science  du  temps. 

Pour  donner  à  mon  travail  toute  la  clarté  possible,  j'ai  laissé  de  côté 
les  détails,  c'est-à-dire  l'étude  des  phénomènes  irréguliers,  pour  ne  m'oc- 
cuper  que  de  ceux  qui  se  reproduisent  le  plus  fréquemment.  Je  me  suis 
principalement  inspiré  de  la  pensée  du  grand  promoteur  des  études  mé- 
téorologiques en  France,  Leverrier.  On  sait,  en  effet,  que  l'illustre  astro- 
nome, directeur  de  l'Observatoire  en  1863,  recommandait,  dans  sa  cir- 
culaire aux  Commissions  météorologiques  des  départements,  «  de  laisser 
de  côté  les  considérations  théoriques,  pour  s'occuper  de  la  statistique  des 
phénomènes  ». 

Au  point  de  vue  météorologique,  le  département  des  Deux-Sèvres  ap- 
partient au  climat  girondin,  qui  comprend  tout  le  territoire  situé  entre 
la  Loire,  les  Pyrénées  et  l'Atlantique.  Sa  constitution  géologique  le  fait 
diviser  en  trois  régions  :  la  Gàtine,  la  Plaine  et  le  Marais. 

La  Gàtine  occupe  le  nord  et  une  partie  du  centre.  La  Plaine  occupe  une 
portion  du  centre,  le  sud  et  le  sud- est.  Le  Marais  commence  à  quelques 
kilomètres  au  sud-ouest  de  Niort,  et  occupe  une  partie  assez  étroite  de 
la  vallée  de  la  Basse-Sèvre. 

Une  chaîne  de  collines,  dirigées  du  nord-est  au  sud-ouest,  forment  le  pla- 
teau de  Gàtine,  de  chaque  côté  duquel  sont  les  bassins  de  la  Sèvre-Nan- 
taise,  au  nord,  et  de  la  Sèvre-Niortaise,  au  sud.  Les  sommets  les  plus 
élevés  de  ce  plateau  :  Saint-Martin-du-Fouilloux  et  l'Absie,  ont  une  alti- 
tude de  272  mètres. 

Je  ne  m'arrêterai  pas  à  l'examen  des  conditions  météorologiques  par- 
ticulières à  chaque  bassin  :  il  me  suffira  de  faire  remarquer  que  le  bassin 
de  la  Sèvre-Nantaise  a  un  sous-sol  granitique  ou  schisteux,  tandis  que 
celui  de  la  Sèvre-Niortaise  est  en  partie  composé  de  terrain  jurassique. 
La  nature  du  sous-sol  ayant  une  influence  incontestable  sur  les  phéno- 
mènes météorologiques,  en  particulier  sur  la  température,  on  comprend 
qu'il  existe  une  différence  sensible  entre  la  météorologie  générale  des 
deux  bassins.  On  a  remarqué  que  des  brouillards  locaux  se  montrent 
dans  le  bassin  nord,  tandis  que  la  plaine  jouit  d'un  brillant  soleil,  ou 
réciproquement. 

Dans  l'étude  qui  va  suivre,  je  ne  me  suis  occupé  que  des  phénomènes  se 
rapportant  à  la  météorologie  de  l'ensemble  du  département. 


SIEUR.    —    MÉTÉOROLOGIE   DU    DÉPARTEMENT   DES    DEUX-SÈVRES  275 

I.  —  Du    RÉGIME    DES    VENTS. 

])e\i\  courants  gazeux  dominent  sur  notre  département  :  '1°  les  vents 
du  nord-est,  qui  se  rattachent  au  courant  polaire  ;  ils  sont  secs  et  froids; 
2°  les  vents  du  sud-ouest,  qui  dérivent  du  courant  équatorial  ;  ils  sont 
ordinairement  humides  et  chauds.  Ces  deux  courants,  à  peu  près  ré"-u- 
liers,  ont  pour  caractère  une  certaine  stabilité.  On  a  pu  remarquer,  en 
effet,  qu'un  vent  sud-ouest  ou  nord-est  bien  établi  persiste  pendant  un 
long  espace  de  temps.  Ils  alternent  entre  eux.  Tous  les  vents  ayant  une 
direction  intermédiaire  sont  de  courte  durée.  Chaque  saison  a  ses  vents 
dominants  :  en  été,  nous  avons  parfois  le  vent  chaud  et  même  brûlant 
du  sud-est,  que  quelques-uns  de  nos  collègues,  dans  la  Commission  dé- 
partementale, considèrent  comme  la  continuation  du  sirocco.  (Il  nous 
paraît  difïïcile  d'admettre  que  le  célèbre  courant  africain  franchisse  la 
Méditerranée  et  les  monts  d'Espagne  pour  arriver  jusqu'à  nous.) 

En  règle  générale,  le  vent  dominant  du  département  est  celui  du  sud- 
ouest.  Les  moins  stables  sont  ceux  du  sud  et  du  nord,  qui  ne  tiennent 
que  quelques  heures,  rarement  un  ou  deux  jours. 

Quelques-uns  des  vents  qui  nous  visitent  sont  parfois  violents  et 
soufilent  en  tempête  :  tel  est  le  cas  pour  ceux  du  sud-ouest  et  de  l'ouest, 
quand  ils  forment  la  continuation  d'une  bourrasque  venue  de  l'Atlantique. 
Très  rarement  nos  vents  tournent  au  cyclone  ;  cependant,  le  cas  se  pro- 
duit parfois,  principalement  dans  le  nord  du  département,  aux  environs 
de  la  ville  d'Argenton-Château.  L'observateur  de  cette  localité  nous  a 
signalé  trois  trombes  en  dix  ans. 

Les  bourrasques  venant  de  l'Atlantique  ont  toujours  une  action  plus  ou 
moins  considérable  sur  la  force  et  la  direction  des  vents  qui  dominent 
non   seulement  dans  notre   département,   mais  encore  sur  ceux  de  la 
Vendée,   de  la  Loire-Inférieure,   du  Maine-et-Loire   et  de  la  Charente- 
Inférieure,  qui  se  confondent  avec  les  courants  des  Deux-Sèvres. 

IL  —   De   la    TEMPÉRATURE. 

Au  point  de  vue  thermique,  le  département  des  Deux-Sèvres,  ne  renfer- 
mant point  de  montagnes  et  se  trouvant  près  des  côtes,  doit  avoir  un 
climat  tempéré.  Le  bassin  nord  a  une  moyenne  thermométrique  infé- 
rieure de  1°  à  celle  du  bassin  sud.  Je  vais  donner  les  températures  s'ap- 
pliquant  à  la  station  de  Niort,  f[ui  correspond  sensiblement  à  la  movennc 
générale  départementale . 

Nous  possédons  les  relevés  thermométriques  de  Niort  depuis  1802  ;  ils 
sont  consignés  dans  un  livre  du  docteur  Guillemeau.  Le  brave  docteur  a 


276  MÉTÉOROLOGIE   £T    PHYSIQUE   DU    GLOBE 

oublié  de  nous  dire  à  quelle  heure  il  faisait  ses  observations,  quel  genre 
de  thermomètre  il  employait  et  comment  il  était  installé.  Il  nous  a  laissé 
un  amalgame  de  chiffres  disposés  sans  ordre  et  desquels  je  n'ai  pu  tirer 
que  ces  deux  indications.  Si  l'on  en  croit  Guillemeau,  le  maximum 
absolu  de  température,  de  1802  à  1841,  s'est  produit  le  22  juillet  182o; 
ce  jour-là,  le  thermomètre  du  docteur  monta  à  4i'\  Le  minimum  ab- 
solu, pendant  la  même  période,  —  17°,  a  été  noté  le  27  décembre  1829. 
Je  ne  sais  quel  degré  de  confiance  nous  pouvons  accorder  à  ces  deux 
extrêmes. 

Dans  ses  études,  la  Commission  des  Deux-Sèvres  a  admis  la  division 
de  l'année  étabhe  dans  le  bassin  de  la  Seine,  en  saison  chaude  et  saison 
froide.  La  première  comprend  les  mois  d'avril,  mai,  juin,  juillet,  août, 
septembre  et  octobre  ;  la  seconde  est  fournie  par  les  mois  de  novembre, 
décembre,  janvier,  février  et  mars. 

La  moyenne  thermométrique  de  la  saison  chaude,  calculée  pour  la  pé- 
riode 1878-1890,  est  de  lfj°,5  ;  la  moyenne  de  la  saison  froide  est  de  5°,8  ; 
soit  une  moyenne  générale  annuelle  de  10", (3,  que  je  considère  comme 
constituant  la  normale. 

De  1878-1892,  l'été  le  plus  chaud  a  eu  pour  moyenne  16",!  :  c'est  le 
chiffre  obtenu  en  1878  et  en  1886.  L'hiver  le  plus  rigoureux  a  été  celui 
de  1887-1888,  dont  la  moyenne  a  été  4°,2,  c'est-à-dire  inférieure  de 
plus  de  1°  à  la  normale. 

Les  mois  de  juillet  et  août  ont  pour  moyennes  19°,2  et  19°, 3.  Le  mois 
de  janvier  est  le  plus  froid  de  l'année,  avec  la  moyenne  3", 6. 

L'examen  des  chiffres  ci-dessus  montre  que  l'écart  est  peu  considérable 
entre  les  moyennes  d'été  et  d'hiver.  C'est  là  le  propre  d'un  climat  tem- 
péré. Nous  avons  remarqué  que  toutes  les  fois  que  la  température  maxima 
atteint  ou  dépasse  32",  en  été  bien  entendu,  il  se  produit  un  changement 
de  temps  en  quelque  sorte  instantané.  Un  orage  se  montre  immédiate- 
ment. De  même  quand,  en  hiver,  le  thermomètre  minima  descend  à  —  12", 
il  y  a  un  changement  de  temps  prochain.  Ce  sont  là  deux  observations 
personnelles  sur  lesquelles  j'ai  eu  occasion  d'appeler  l'attention  de  la 
Commission  départementale,  et  qui  m'ont  paru  bonnes  à  être  signalées  au 
Congrès . 

En  dehors  de  la  température  de  l'atmosphère,  je  me  suis  occupé  de 
celle  des  sources  qui  alimentent  le  déparlement.  Il  résulte  de  mes  re- 
cherches que  les  eaux  qui  jaillissent  du  calcaire  sont  plus  chaudes  que 
celles  qui  ont  traversé  le  granit  ou  le  schiste.  J'ai  trouvé  pour  moyenne 
de  trente-cinq  sources,  11°, 1  ;  la  plus  froide  ayant  8°,2  et  la  plus 
chaude  13".  J'ai  pu  contrôler  dans  les  Deux- Sèvres  l'assertion  de 
M.  Renou,  qui  nous  dit  que  la  température  maximum  des  sources  se  ma- 
nifeste k  l'automne.  Je  ne  dis  rien  de  la  composition  chimique  des  eaux; 


SIEUR.    —   MÉTÉOROLOGIE    DU    DÉPARTEMENT   DES   DEUX-SÈVRES  217 

cette  question  est  du  domaine  de  la  chimie  ;  elle  fera  l'objet  d'une  étude 
qui  ne  peut  trouver  place  dans  la  statistique  purement  météorologique 
qui  m'occupe  en  ce  moment. 

III.  —  De  i,a  pluie. 

Les  vents  du  sud-ouest  apportent  chaque  année  une  certaine  quantité 
de  pluie  qui  tombe  sur  la  plaine  ;  les  nuages  bas  et  pluvieux  ne  fran- 
chissent pas  lahgnede  faîtes  dont  j'ai  parlé  plus  haut;  aussi  le  versant 
sud-ouest  du  plateau  qui  essuie  ces  vents  reçoit-il  plus  d'eau  que  le  ver- 
sant nord-est.  Le  rapporteur  de  la  Commission  des  pluies  a  remarqué 
que  la  quantité  de  pluie  tombée  sur  une  localité  voisine  de  la  ligne  de 
faîtes  est  proportionnelle  à  la  pente  du  versant.  Les  stations  de  Mazières 
en  Gàtine  et  de  l'Absie  occupant  les  sommets  à  altitude  maximum,  four- 
nissent chaque  année  le  maximum  pluviom.étrique.  Le  minimum  de 
chute  se  trouve  aux  environs  de  Thouars,  à  Belleville. 

La  Commission  départementale  ne  possède  que  depuis  dix  ans  les 
relevés  de  cinquante-deux  stations,  tandis  que,  pour  la  station  de  Niort, 
les  documents  à  ce  sujet  remontent  à  l'année  1862. 

Voici  la  moyenne  pluviométrique  à  Mort  pour  chaque  mois  : 

Janvier,  71  millimètres;  février,  o2  millimètres;  mars,  o9  millimètres; 
avril,  60  millimètres  ;  mai,  63  millimètres  ;  juin,  60  millimètres  ;  juillet, 
53  millimètres  ;  août,  49  millimètres  ;  septembre,  67  millimètres  ;  octobre, 
97  millimètres  ;  novembre,  84  millimètres  ;  décembre,  7o  millimètres  ; 
soit  une  moyenne  annuelle  de  780  millimètres.  L'année  la  plus  pluvieuse 
de  1862-1890  a  été  1883,  qui  a  fourni  1.096  millimètres,  et  la  plus  sèche, 
1869,  qui  n'a  donné  que  573  millimètres.  Si  nous  faisons  la  moyenne  des 
jours  de  pluie  dans  l'année,  nous  trouvons  15o  à  l6o.  On  a  pu  remarquer 
que  1881,  tout  en  ne  comptant  que  141  jours  de  pluie,  a  donné  723  mil- 
limètres d'eau  ;  l'année  1872,  avec  214  jours,  a  fourni  1.013  millimètres. 

En  somme,  on  voit  qu'au  point  de  vue  pluviométrique  comme  au 
point  de  vue  thermique,  notre  département  n'est  point  un  climat  excessif 
La  pluie  et  le  beau  temps  se  succèdent  assez  régulièrement  pour  favo- 
riser la  végétation.  L'année  1892  fera  époque  par  sa  longue  période 
sèche  qui  comprend  le  printemps  et  l'été.  La  neige  ne  tombe  abondam- 
ment que  dans  les  arrondissements  de  Bressuire  et  Parthenay.  A  peine 
fait-elle  une  apparition  chaque  année  dans  la  plaine  sur  laquelle  elle  ne 
séjourne  que  très  rarement. 

IV.  —  Des  ORAGES. 

La  Commission  météorologique  des  Deux-Sèvres  ne  possède  que  depuis 
cinq  ans  des  documents  précis  sur  la  formation  et  la  marche  des  orages. 


278  MÉTÉOROLOGIt:  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

Ces  dernières  années,  notre  honorable  colir3gue  Barillier-Bcaupré  dresse 
des  cartes  qui  sont  le  plus  bel  ornement  du  Bulletin  départemental. 
L'examen  de  ces  cartes  dressées  avec  un  soin  minutieux,  montre  que  la 
route  suivie  le  plus  fréquemment  par  nos  orages  est  sud-ouest-nord-est. 
Quelques-uns,  venant  du  Maine-et-Loire  et  s'arrètant  sur  les  arrondisse- 
ments de  Parthenay  et  Bressuire,  nous  viennent  du  nord-ouest  et  s'a- 
vancent dans  la  direction  sud-est. 

Le  voisinage  de  la  mer  fait  que  les  orages  des  Deux-Sèvres  sont  moins 
nombreux  et  moins  violents  que  ceux  qui  frappent  les  départements  du 
centre.  Le  tableau  suivant  indique  les  journées  orageuses  dans  la  période 
1887-189 L  En  1887,  il  y  a  eu  65  jours  d'orage;  en  1888,  on  compte 
48  jours  ;  33  en  1889;  43  en  1890  et  30  en  1891  ;  soit,  au  total,  ^219  pen- 
dant les  cinq  années. 

I^es  mois  de  juin,  juillet  et  août  sont  ceux  où  se  produit  le  maximum 
d'orages,  mai  et  septembre  viennent  ensuite. 

Nous  ne  considérons  pas  comme  orageuse  la  journée  où  l'on  a  entendu 
le  bruit  d'un  coup  de  tonnerre  dans  le  lointain.  Ordinairement,  nous  appe- 
lons orageuse  la  journée  qui  a  vu  former  plusieurs  orages  en  divers  points 
du  département.  On  peut  remarquer  que,  dans  nos  contrées  de  l'ouest, 
les  orages  sont  multiples  et  simultanés  ;  un  orage  est  rarement  isolé  ;  ils 
ont  une  tendance  à  souffler  par  séries  ;  ils  se  succèdent  à  intervalles  rap- 
prochés en  suivant  la  même  trajectoire  ou  au  moins  suivant  des  directions 
parallèles.  J'ai  pu  observer  qu'un  grand  nombre  d'orages  n'ont  pas  une 
trajectoire  nettement  déterminée  :  après  être  restés  quelque  temps  sta- 
lionnaires,  on  les  voit  se  diviser  en  deux  ou  trois  tronçons.  C'est  le  cas 
pour  tous  les  orages  locaux  qui  paraissent  suivre  les  vallées.  En  ce  qui 
concerne  les  orages  à  grande  trajectoire,  ils  prennent  naissance  dans  le 
golfe  de  Gascogne,  franchissent  tout  le  département  du  sud  au  nord  et 
ne  sont  point  arrêtés  par  les  collines  de  la  Gàtine.  Cette  seconde  catégorie 
d'orages  est  moins  fréquente  que  la  première  ;  elle  paraît  également  moins 
redoutable  pour  les  récoltes,  elle  ne  laisse  tomber  de  la  grêle  que  très 
rarement.  C'est  principalement  aux  orages  locaux,  croyons-nous,  qu'il 
faut  attribuer  les  nombreuses  chutes  de  foudre  qui  causent  les  incendies 
des  habitations  ou  des  meules  de  foin  et  de  paille.  Dans  les  Deux-Sèvres 
on  a  signalé  trente-trois  accidents  graves  causés  par  la  foudre  en  1889  : 
incendies,  arbres  brisés,  personnes  frappées,  etc.  En  moyenne,  deux  ou 
trois  personnes  sont  tuées  chaque  année. 

Les  périodes  orageuses  sont  caractérisées  par  une  baisse  barométrique 
très  accentuée  et  une  élévation  de  température  subite  dans  une  atmo- 
sphère humide.  En  hiver,  on  a  remarqué  quelques  orages  assez  violents 
accompagnés  de  grésil,  ce  qui  semblerait  justifier  la  théorie  de  Spring 
sur  l'origine  de  ces  phénomènes  grandioses.  On  sait  que  le  savant  pro- 


I,_   j  K(1N.  —  PROJET  d'observatoire  RÉGIONAL  DE  LA  TOUR  MONCADE      279 

fesseur  belge  considère  l'électricité  des  nuages  orageux  comme  produite 
par  la  congélation  des  gouttelettes  d'eau. 

\  _  Sur  la  durée  de  l'insolation,  a  Niort,  pendant  l'année  1891. 

Depuis  le  l^'' janvier  1891,  la  Commission  des  Deux-Sèvres  possède  un 
héliographe  Campbell  qu'elle  a  installé  à  Niort.  Nous  espérons  tirer 
quelque  conclusion  pratique  des  indications  fournies  par  cet  instrument. 
Un  de  nos  collègues  attribue  au  grand  éclairement  solaire  de  1892  la 
bonne  qualité  du  blé.  L'intluence  de  la  lumière,  dit-il,  sur  la  végétation 
du  blé  dans  nos  campagnes  est  peut-être  aussi  importante  que  celle  de 
la  chaleur.  Nous  aurons  à  examiner  ce  qu'il  y  a  de  fondé  dans  cette 
assertion.  En  attendant,  voici  le  relevé  des  indications  fournies  par  notre 
héliographe  pendant  l'année  1891  : 

Du  l*""'  janvier  au  31  décembre,  nous  avons  eu,  à  Niort,  33  jours  pen- 
dant lesquels  le  ciel  est  resté  sans  nuage  et  62  pendant  lesquels  le  soleil 
a  été  complètement  caché.  Le  reste  de  l'année  a  présenté  des  alternances 
de  soleil  et  de  nuages. 

Le  mois  de  juin  a  fourni  le  maximum  d'insolation,  268  h.  17m.,  août 
et  juillet  viennent  après  avec  2o4  h.  10  m.  et  238  h.  o  m.  C'est  le  mois 
de  février  qui  a  fourni  le  déficit  minimum  d'insolation,  138  h.  10  m.; 
le  déficit  maximum,  289  h.  lo  m.,  a  été  noté  en  mai. 

Si  le  soleil  n'eût  pas  été  caché  par  les  nuages,  il  aurait  brillé  à  Niort 
pendant  4.467  h.  8  m.  ;  il  ne  s'est  montré  que  pendant  1.988  h.  38  m., 
accusant  ainsi  un  déficit  total  de  2.478  h.  30  m. 


M.  Henry  LÉOI 

Président  de  la  Sociuté  do  Climatologie  pyrénéenne,  à  Pau. 


PROJET  D'OBSERVATOIRE  RÉGIONAL  DE  LA  TOUR  MONCADE,  A  ORTHEZ 


—  Séance  du  16  septembre  1892  — 

La  météorologie,  bien  longtemps  réduite  à  des  observations  dont  les 
déductions  étaient  négligées,  commençait  à  se  développer  avec  le  concours 
du  Bureau  central  météorologique  de  Paris,  qui,  dès  1864,  sous  la  puis- 
sante initiative  de  M.  Le  Verrier,  établissait,  grâce  à  l'aide  de  l'électricité, 
Je  grand  réseau  européen  d'observations   météorologiques,    en   vue   des 


280  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

avertissements  de  tempêtes  pour  les  marins.  Il  se  fondait  alors  des  postes 
d'observations  dans  toutes  les  écoles  normales  du  territoire  et  l'on  insti- 
tuait dans  chaque  département  des  Commissions  météorologiques  chargées 
de  réunir  tout  ce  qui.  dans  leur  rayon  particulier,  avait  trait  aux  phéno- 
mènes de  l'air. 

Mais,  jusqu'à  un  moment  donné,  rien  n'était  régulier  et  les  observations 
livrées  à  des  observateurs  sans  méthode  et  sans  contrôle,  commencées  et 
suspendues,  ne  pouvaient  former  un  champ  d'exploration  utile.  Elles  n'en 
propageaient  pas  moins  l'idée,  et  le  goût  du  baromètre  et  du  thermomètre 
alla  en  grandissant,  surtout  lorsque,  des  études  et  des  comparaisons  faites, 
on  en  vint  à  établir  sur  des  bases  à  peu  près  solides  la  grande  science  de 
la  prévision  du  temps,  aujourd'hui  à  l'ordre  du  jour  de  toutes  les  nations 
civilisées  préoccupées  du  temps  à  venir. 

Quant  à  la  climatologie,  cette  autre  science  appliquée,  découlant  de 
la  météorologie,  elle  n'était  pas  encore,  pour  ainsi  dire,  née.  Elle  était  à 
l'état  théorique,  embrassant  l'étude  de  toutes  les  causes  qui  caractérisent 
les  divers  climats,  et  par  suite  les  diverses  régions  de  la  surface  du  globe; 
mais  elle  n'avait  en  soi  rien  de  pratique  dans  ce  qui  avait  trait  aux 
modifications  apportées  dans  l'organisme  humain  par  l'influence  des  cli- 
mats et  l'on  n'en  avait  point  déterminé  tout  ce  qui  devait  la  rattacher 
aux  règles  déjà  connues  de  l'hygiène  publique  et  privée. 

Et  cependant  l'influence  des  climats  sur  les  êtres  vivants  était  connue 
de  la  plus  haute  antiquité. 

Aristote  et  Platon  l'avaient  signalée.  Hippocrate  lui  avait  consacré  de 
nombreux  développements. 

A  la  tradition  et  aux  enseignements  de  la-  logique,  Arétée,  Asclépiade, 
Temison  et  Colse  avaient  ajouté  le  témoignage  de  Texpérience. 

Le  philosophe  avait  recherché  les  causes  des  différences  qui  existent 
dans  la  constitution,  le  caractère,  les  mœurs,  la  manière  d'être  des 
peuples  ;  le  médecin  avait  trouvé  dans  l'action  des  climats  sur  l'homme 
des  moyens  efficaces  pour  guérir  certaines  maladies.  Philosophes  et  méde- 
cins constataient  la  puissance  et  la  généralité  de  cette  ressource  thérapeu- 
tique; car  telle  est  la  liaison  intime  qui  existe  entre  la  vie  morale  et  la 
vie  physique  que  toute  diversion  opérée  sur  la  première  réagit  de  toute 
nécessité  sur  la  seconde. 

Le  Congrès  de  climatologie  et  d'hydrologie  qui  s'est  tenu  à  Biarritz, 
le  1"  octobre  1886,  a  été  la  consécration  de  la  climatologie.  Ces  assises, 
qui  ont  emprunté  une  "importance  presque  solennelle  au  concours  de  tous 
les  savants  arrivés  des  divers  pays  d'Europe  et  d'Amérique,  ont  posé  sur 
des  bases  sérieuses  la  science  des  climats  à  peine  ébauchée  quoique  depuis 
longtemps  énoncée  en  principe. 

Toutefois,  afin  d'arriver  à  la  propagation  des  idées  que  le  Congrès  avait 


H.  LKON.   —  PROJET  d'oBSERVATOIUE  RÉGIONAL  DE  LA  TOUR  MONCADE      281 

soulevées,  il  fallait  une  société  qui,  grâce  à  une  action  continue,  intelli- 
gente et  contrôlée,  s'imposât  la  mission  de  poursuivre  l'œuvre  au  delà 
de  ses  débuts. 

C'est  ainsi  qu'était  née,  s'installant  à  Bayonne,  comme  un  point  plus 
indépendant  dans  la  région  du  sud-ouest,  la  Société  de  climatologie  pyré- 
néenne, groupant  toutes  les  forces  vives  de  la  contrée  et  dirigeant  sous  un 
même  drapeau  les  météorologistes  du  sud-ouest,  depuis  Arcachon  et  Biar- 
ritz jusqu'à  Bagnères-de-Bigorre,  dans  le  but  de  discuter  les  questions 
d'hygiène  et  de  mettre  en  relief  les  stations  climatériques  qui  pouvaient 
être  utiles  en  vue  du  bien-être  de  la  vie  et  dans  la  recherche  de  la  santé, 
au  moyen  d'observations  que  la  météorologie  locale  pouvait  favoriser. 

Elle  vit  donc  arriver  successivement,  à  son  appel,  avec  leurs  observa- 
tions : 

Arcachon  :  Société  scientifique,  D""  Hameau.  —  Bayonne  :  Société  de 
climatologie,  E.  Ragon.  —  Biarritz  :  Biarritz  Association,  Ch.  Sébic.  — 
BiGORRE  :  Société  Ramond,  D-"  Gandy.  —  Cambo  :  Établissement  thermal, 
D--  Juanchuto.  —  Dax  :  Société  Borda,  D^  Bourretère.  —  Pau  :  Observa- 
toire particulier,  A.  Piche.  —  Salies  :  Établissement  thermal,  Saint-Guily. 
Et  pendant  quatre  ans  ces  observatoires  ont  envoyé  à  la  Société  de 
climatologie  pyrénéenne  leurs  observations  journalières  qui  sont  devenues, 
dans  le  lîuUetin  de  cette  Société,  l'objet  d'un  tableau  mensuel  comparatif 
avec  les  observations  parallèles  de  Paris  pris  comme  terme  du  nord  et 
de  Nice  pris  comme  terme  de  la  région  méditerranéenne,  auquel  s'ajou- 
taient, comme  complément,  des  résumés  trimestriels  et  annuels. 

Ces  observations  qui,  toutefois,  il  faut  le  dire,  n'avaient  pas  la  perfection 
que  l'on  aurait  voulu  leur  reconnaître,  établissaient  d'une  façon  suffisam- 
ment scientifique  le  climat  de  la  région  et  venaient  en  aide  aux  écrivains 
qui  se  donnent  pour  mission  de  placer  la  chmatologie  au  service  de  la 
médication  nouvelle,  celle  de  l'utilisation  de  la  nature  par  la  vie  au  grand 
air,  pour  le  soulagement  ou  la  guérison  des  maladies  nombreuses  qui,  sous 
•  le  nom  d'états  de  santé,  entravent  trop  souvent  l'exercice  naturel  de 
l'existence. 

Et  pendant  que  cette  évolution  de  la  météorologie  se  faisait,  alors  que 
naissait  l'émission  du  principe  de  la  climatologie  comme  science  appliquée, 
un  passionné  de  la  météorologie,  un  vrai  bénédictin,  retiré  à  Saint-Martin- 
de-Hinx,  dans  un  coin  du  département  des  Landes,  avoisinant  le  rayon 
maritime  du  golfe  de  Gascogne,  à  20  kilomètres  de  Bayonne  et  sur  un 
plateau  à  100  mètres  d'altitude,  M.  Cartier,  enfermé  dans  son  champ, 
avait  créé  pour  lui  seul,  sans  aucune  subvention  ni  assistance  quelconque, 
sans  autre  but  que  celui  d'observer  et  de  noter,  un  observatoire  que  l'on 
peut  qualifier  de  premier  ordre,  réunissant  tous  les  instruments  qui 
servaient  à  inscrire  les  phénomènes  de  l'air.  Ses  observations,  qui  datent 


282  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

de  1864,  se  sont  continuées  jusqu'à  sa  mort  pendant  vingt-six  ans, 
recueillies  sans  interruption,  avec  un  dévouement,  un  soin  et  une  exactitude 
remarquables,  publiées  d'abord  dans  un  grand  nombre  de  brochures, 
groupées  ensuite  régulièrement  sous  forme  de  courbes  auxquelles  ont  été 
joints  des  résumés  mensuels  depuis  1878. 

Cette  série  peut  être  considérée  comme  une  des  meilleures  qui  existent, 
établissant  avec  des  pièces  immuables  les  fluctuations  du  climat  de  la 
région  pyrénéenne. 

Mais  M.  Cartier  a  cessé  d'exister  et  le  travail  qu'il  avait  commencé  est 
interrompu  et  ne  se  poursuivra  plus.  Les  essais  d'union  des  météorolo- 
gistes de  la  contrée  n'ont  pu  avoir  de  suites  :  les  perfectionnements  que  l'on 
attendait  dans  l'installation  des  observatoires  ne  se  sont  pas  produits, 
les  observateurs  ont  mis  des  négligences  qui  empêchaient  la  régularité  des 
publications  ;  il  y  avait  parfois  des  lacunes,  et  souvent  il  aurait  fallu 
suppléer  à  des  chiffres  non  établis  afin  de  rendre  complets  les  résumés 
dont  la  publication  avait  son  importance.  Tout  reposait  sur  une  seule  tête 
dont  les  loisirs  seuls  pouvaient  èlre  employés  à  une  œuvre  semblable  qui, 
pour  être  continuée,  devait  atteindre  une  certaine  perfection,  afin  de  se 
montrer  avec  une  autorité  incontestable . 

Dans  de  telles  conditions,  il  a  paru  convenable  de  réédifier  sur  des  bases 
nouvelles  ce  qui  avait  été  démoli  par  les  circonstances,  et  un  nouveau 
projet  d'observatoire  régional  a  surgi,  relevant  de  ses  cendres  non  éteintes 
l'observatoire  scientifique  de  M.  Carlier  et  poursuivant  l'œuvre  pratique 
de  la  Société  de  climatologie  pyrénéenne,  dont  le  drapeau  arboré  existait 
toujours  chez  son  président,  M.  Henry  Léon. 

Mais,  pour  énoncer  ce  projet,  nous  ne  saurions  faire  mieux  que  de 
reproduire  sur  cette  question  l'extrait  du  rapport  de  M.  A.  Piche,  sur  la 
météorologie  dans  le  département  des  Basses-Pyrénées  : 

«  A  la  mort  de  M.  Carlier,  dit  M-  Piche,  sa  veuve  offrit  à  l'État  l'obser- 
»  yatoire  de  Saint-Martin-de-Hinx,  instruments  et  propriété,  à  la  condition 
»  que  la  longue  et  belle  série  d'observations  faite  par  son  mari  serait 
»  continuée. 

■)•>  Le  Bureau  central  étudia  la  question  de  savoir  si  cette  proposition 
»  devait  être  acceptée. 

»  Après  examen,  il  conclut  à  la  négative,  probablement  par  défaut 
»  d'élasticité  dans  son  budget,  peut-être  aussi  parce  que  Saint-Martin- 
»  de-Hinx,  quoique  près  de  Bayonne,  est  un  point  d'accès  peu  aisé  et 
))  n'offrirait  aucune  ressource  aux  savants  chargés  d'y  passer  leur  vie 
»  (à  moins  d'en  faire  un  pénitencier  météorologique). 

»  Chagriné  de  voir  cette  série  interrompue  et  cette  belle  collection 
«  d'instruments  inutilisée,  M.  Léon,  dont  l'esprit  est  toujours  en  quête 
»  d'améliorer  les  observations  de  la  région,  s'est  dit  : 


„_   ,  ,.-ox.   PROJET  d'OBSERVATOIUE  liÉGIOXAL  PK  I.V  TOUR  MONCADE        283 

»  Devons-nous  demander  à  M"'«  Carlier  de  nous  donner  les  instruments 
»  de  son  mari,  pour  fonder,  sous  son  nom,  un  observatoire  à  Bayonne, 
»  Biarritz,  Dax  ou  Pau?  iNon,  car  toutes  observations  faites  dans  ces  sta- 
»  tions  hivernales  ou  balnéaires  seront  toujours  soupçonnées  de  partialité. 

»  Mettons  plutôt  l'observatoire  Carlier  à  Orthez,  à  la  tour  Moncade. 
»  Nous  établirons  ainsi,  de  façon  indiscutable,  le  climat  du  sud-ouest 
»  et  nos  stations  en  bénéficieront,  bien  plus  que  si  l'observatoire  était 
»  dans  l'une  des  cités. 

»  M.  Léon  me  communiqua  cette  idée,  que  je  combattis  tout  d'abord  ; 
»  la  réflexion  m'amena  cependant  à  la  partager. 

»  Orthez  est  bien  situé,  au  nord  du  département,  à  distance  assez  grande 
»  de  la  mer  et  des  montagnes  ;  la  tour  Moncade  se  dresse  sur  le  sommet 
»  d'un  coteau  à  pentes  douces.  L'observatoire  qu'on  y  établirait,  relié 
»  optiquement  et  par  télégraphe  et  téléphone  à  l'observatoire  du  Pic  du 
»  Midi,  ainsi  qu'à  un  troisième  point  qui  pourrait  être  le  jardin  Massy, 
»  de  Tarbes,  otîrirait  une  triangulation  météorologique  merveilleuse,  sur- 
»  tout  pour  l'étude  des  nuages,  si  intéressante,  mais  si  difficile. 

»  L'observatoire  du  Pic  n'aura  toute  sa  valeur  que  quand  il  sera  com- 
»  piété  par  deux  postes  bien  situés  au  pied  de  la  chaîne,  en  avant  de 
»  laquelle  il  se  dresse. 

»  Au  point  de  vue  climatologique,  l'observatoire  d'Orthez  nous  ferait 
»  connaître  les  conditions  atmosphériques  de  cette  région,  si  belle  et  si 
»  intéressante  du  sud-ouest,  dont  le  climat  est  vraiment  spécial  par  sa 
»  douceur  et  son  absence  de  vent.  Enfin,  les  chefs  de  la  station  d'Orthez 
9  vivifieraient  tous  les  postes  de  la  région,  en  contrôlant  les  instruments, 
»  inspectant  les  installations,  en  centralisant  les  documents  et  en  les 
»  publiant. 

»  Cela  rentrait  d'ailleurs  dans  le  plan  d'organisation  départementale 
»  soumis  autrefois  au  Bureau  central  par  notre  Commission  météorolo- 
»  gique. 

»  En  effet,  tant  qu'il  n'y  aura  pas  dans  chaque  département  un  minimum 
»  de  service  officiel,  assuré  par  des  ^.gents  rétribués,  les  commissions 
»  météorologiques  vogueront  à  l'aventure,  sans  direction,  sans  esprit  de 
»  de  suite,  sans  concert. 

»  Assurez  ce  minimum  de  service,  elles  reprendront  leur  activité  féconde 
»  et  donneront  des  travaux  d'une  véritable  valeur. 

»  J'encourageai  donc  M.  Léon  dans  son  idée  et  l'engageai  à  la  trans- 
»  former  en  projet  à  soumettre  à  M.  Planté,  maire  d'Orthez. 

»  Celui-ci,  archéologue  distingué,  esprit  ouvert  et  accueillant,  vit  aussitôt 
»  dans  ce  projet  une  occasion  favorable  de  conserver,  restaurer  et  utiliser 
»  le  vieux  donjon  de  Gaston  Phœbus  et  promit  son  concours  ie  plus 
»  empressé. 


284  MÉTÉOROLOGIE    ET    PHYSIQUE    DU    GLOBE 

»  Le  conseil  municipal  d'Orthez,  sur  la  proposition  de  son  chef,  prenait, 
»  à  la  date  du  12  février  dernier,  une  délibération  des  plus  favorables  ; 
»  l'affaire  est  soumise  au  conseil  général  et  suit  son  cours.  Peut-être 
»  aboutira-t-elle  au  moment  du  Congrès?  » 

Aujourd'hui,  avec  la  réorganisation  de  la  Société  pyrénéenne  de  climato- 
logie, la  création  de  l'observatoire  d'Orthez  est  décidée;  le  maire  d'Orthez 
s'est  mis  en  rapport  avec  le  ministre  pour  la  restauration  de  la  tour 
Moncade,  classée  parmi  les  bâtiments  historiques  ;  un  plan  a  été  fait  avec 
tous  les  aménagements  que  comporte  un  observatoire.  Trois  étages  et  la 
terrasse  renfermeront  les  ateliers  de  réparation  des  instruments  et  le  loge- 
ment du  gardien,  la  salle  des  archives  et  de  la  bibliothèque,  la  salle  des 
instruments  qui  n'ont  pas  besoin  d'une  exposition  à  l'air,  la  terrasse  pour 
tout  ce  qui  constitue  les  observations  à  l'air  libre.  Les  alentours  seront 
disposés  en  jardin,  et  une  esplanade  sera  formée  pour  placer  l'abri  Renou, 
pour  les  observations  des  instruments  qu'il  comporte. 

Nous  venons  donc,  au  nom  de  la  Société  jnjvénéenne  de  climatologie,  au 
nom  de  M""^  veuve  Carlier,  au  nom  de  la  ville  d'Orthez,  au  nom  du  dépar- 
tement des  Basses-Pyrénées  et  de  la  région  tout  entière  du  sud-ouest, 
solliciter  de  V Association  française  pour  l'avancement  des  sciences,  réunie 
en  Congrès  à  Pau,  de  vouloir  bien  appuyer  de  son  autorité  le  projet  de 
fondation  de  l'observatoire  régional  de  la  tour  Moncade,  à  Orthez,  reconnu 
comme  utile  et  complémentaire  des  grands  observatoires  établis. 


M.  Alfred  AIGOT 

Docteur  es  sciences,  Météorologiste  titulaire  au  Bureau  central  météorologique  de  France,  ^  Paris. 


SUR  L'ÉTUDE  DES  NUAGES  PAR  LA  PHOTOGRAPHIE 


—  Séance  du  16  septembre  1892  — 

L'étude  des  nuages  est  une  des  parties  les  plus  intéressantes  de  la  météo- 
rologie. Leurs  mouvements  et  leurs  formes  sont  en  relation  certaine  avec 
les  variations  du  temps  et  permettent  souvent  de  les  annoncer  longtemps  à 
l'avance.  D'autre  part,  la  détermination  de  la  hauteur  et  de  la  vitesse  ab- 
solue des  nuages  est  le  seul  moyen  que  nous  possédions,  en  dehors  des 


A.    ANGOT.  —  SUR   l'ÉTUDE   DES    NUAGES    PAR    LA   l'IIOTOGRAPHIE         285 

ascensions  aérostatiques,  pour  connaître  la  direction  et  la  vitesse  des  cou- 
rants supérieurs  de  l'atmosphère. 

Mais  cette  étude  offre  les  plus  grandes  difficultés  ;  il  est  impossible,  en 
effet,  de  décrire  l'aspect  des  nuages  d'une  façon  assez  précise  pour  qu'on 
puisse  s'en  faire  une  idée  même  approchée.  Le  dessin  est  également  im- 
puissant à  saisir  ces  apparences  si  complexes  et  si  rapidement  variables. 
L'emploi  de  la  photographie  s'impose  donc  d'une  manière  absolue  pour 
fixer  l'aspect  exact  du  ciel  à  un  moment  donné. 

Cet  emploi  est  aussi  très  avantageux  quand  on  veut  déterminer  la  posi- 
tion absolue  des  nuages  dans  l'espace.  Pour  faire  cette  détermination,  on 
mesure  d'ordinaire  simultanément  au  théodolite^  de  deux  stations  suffisam- 
ment éloignées,  l'azimuth  et  la  hauteur  du  même  point  d'un  nuage  ;  on  en 
déduit,  par  les  méthodes  ordinaires  de  triangulation,  la  hauteur  de  ce 
point  au-dessus  du  sol  et  sa  distance  aux  deux  stations.  En  répétant  la 
même  opération  quelque  temps  après  et  comparant  les  deux  positions  succes- 
sives occupées  par  ce  point,  on  calcule  aisément  la  direction  et  la  vitesse  du 
mouvement  de  translation  dont  le  nuage  est  animé.  Cette  méthode,  simple 
en  théorie,  présente  dans  l'application  de  grandes  difficultés.  Les  deux 
stations  doivent  être  reliées  par  le  téléphone,  pour  que  les  observateurs 
puissent  s'entendre  sur  le  point  exact  du  nuage  qu'il  convient  d'observer; 
cette  entente  est  généralement  malaisée  et  il  peut  souvent  subsister  quel- 
ques doutes  sur  l'identité  des  points  visés.  En  tous  cas,  l'opération  est 
longue  et  ne  peut  pas  être  répétée  rapidement  pour  plusieurs  points,  ce 
qui  serait  cependant  indispensable;  ce  n'est,  en  effet,  qu'en  mesurant 
presque  au  même  instant  la  hauteur  et  la  vitesse  de  différents  points 
d'un  même  nuage  et  comparant  les  résultats,  qu'on  peut  apprécier  le 
degré  d'exactitude  des  mesures  et  obtenir  une  moyenne  méritant  quelque 
confiance. 

L'emploi  de  la  photographie  présente,  dans  ce  cas  encore,  des  avantages 
évidents.  En  photographiant  simultanément  de  deux  stations  suffisamment 
éloignées  la  même  région  du  ciel,  on  obtient  d'un  seul  coup  l'image  exacte 
de  tous  les  nuages  que  cette  région  comprend.  On  peut  ensuite  effectuer  à 
loisir  sur  ces  plaques  toutes  les  mesures  nécessaires  d'azimuth  et  de  hau- 
teur et  pour  autant  de  points  que  l'on  veut,  en  prenant  tous  ceux  qui 
peuvent  être  identifiés  d'une  manière  certaine  sur  les  deux  épreuves. 

Toutes  les  fois  qu'on  a  des  nuages  sombres  sur  un  fond  bleu  ou  blanc, 
la  méthode  photographique  ne  présente  aucune  difficulté.  On  opère  avec 
des  plaques  quelconques  au  gélatino-bromure  d'argent  et  avec  un  obtu- 
rateur permettant  d'obtenir  des  poses  très  courtes,  entre  un  dixième  et  un 
centième  de  seconde  ou  même  moins.  Après  trois  ou  quatre  essais,  on 
saura  immédiatement  quelle  vitesse  convient  le  mieux  pour  l'objectif  et  les 
plaques   que  l'on  emploie,  ainsi  que  pour  le  degré  de  clarté  du  ciel. 


286  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

J'estime  qu'il  est  préférable,  dans  le  doute,  d'avoir  plutôt  un  léger  excès 
qu'un  défaut  de  pose.  Si,  après  développement  et  fixage  l'épreuve  paraît 
un  peu  trop  posée,  on  la  ramènera  facilement  au  point  voulu  en  la  plon- 
geant dans  un  bain  d'hyposulfite  de  soude  de  0  0/0  à  10  0/0,  dans  le- 
quel on  ajoute  progressivement  quelques  gouttes  d'une  solution  saturée 
de  prussiate  rouge  de  potasse,  faite  peu  de  temps  avant  l'emploi.  L'image 
se  ronge  peu  à  peu  dans  ce  bain,  plus  ou  moins  vite,  selon  la  quantité 
de  prussiate;  on  suivra  la  diminution  d'intensité  avec  soin;  on  retirera 
la  plaque  un  peu  avant  d'être  arrivé  au  point  voulu  et  on  lavera  ensuite 
abondamment.  Par  ce  moyen,  on  peut  toujours  tirer  un  bon  parti  de 
plaques  un  peu  trop  posées,  et  l'on  obtient,  à  mon  avis,  de  meilleurs  ré- 
sultats qu'avec  des  épreuves  trop  peu  posées  qu'on  essaierait  ensuite  de 
renforcer  par  les  procédés  ordinaires. 

On  ne  rencontre  de  réelles  difiîcultôs  que  pour  photographier  des 
nuages  blancs,  surtout  légers,  comme  les  cirrus  et  cirro-cumulus,  se  dé- 
tachant sur  un  ciel  bleu  clair.  On  sait,  en  eiïet,  que,  sur  les  plaques  ordi- 
naires, le  bleu  agit  à  peu  près  comme  le  blanc,  de  sorte  qu'on  n'obtient 
sur  le  cliché  qu'un  ciel  uniforme  ou  présentant  des  apparences  de  nuages 
trop  faibles  pour  permettre  des  mesures  et  surtout  des  reproductions  po- 
sitives. Il  n'y  a  qu'un  moyen,  c'est  de  chercher  à  éteindre  l'action  photo- 
génique de  la  lumière  du  ciel,  tout  en  conservant  à  celle  des  nuages  une 
intensité  suffisante.  On  peut  y  arriver  de  plusieurs  manières. 

La  plus  simple  consiste  à  interposer  sur  le  trajet  des  rayons  un  écran 
coloré  en  jaune  ;  la  lumière  bleue  du  ciel  contenant  peu  ou  point  de 
rayons  de  cette  couleur  est  arrêtée  presque  complètement  si  l'écran  est 
suffisamment  foncé  ;  au  contraire,  les  nuages  agissent  sur  la  plaque  sen- 
sible parleur  lumière  jaune  et  produisent  une  impression.  C'est  ce  procédé 
qui  a  été  employé  le  premier.  M.  Hildebrandsson,  d'Upsal,  a  obtenu  ainsi 
d'assez  belles  épreuves  :  il  prenait  comme  écran  une  cuve  de  verre  à 
faces  parallèles  contenant  une  dissolution  de  gomme-gutte  additionnée 
d'un  peu  de  sulfate  de  quinine.  Seulement,  comme  les  plaques  ordinaires 
ne  sont  que  très  peu  sensibles  aux  rayons  jaunes,  il  faut  poser  très 
longtemps  ou  employer  des  plaques  préparées  d'une  façon  spéciale,  de 
manière  à  augmenter  leur  sensibilité  pour  les  rayons  moyens  du  spectre 
solaire.  C'est  ce  moyen  que  paraît  avoir  aussi  employé  M.  Garnier,  de 
Boulogne-sur-Seine,  qui  a  obtenu  les  plus  belles  photographies  que  j'aie 
vues  jusqu'à  ce  jour.  Malheureusement,  M.  Garnier  n'a  pas  publié  son 
procédé,  sous  le  prétexte  que  les  tours  de  main  auxquels  il  a  recours  sont 
trop  compliqués  pour  pouvoir  être  décrits  d'une  manière  précise  et  appli- 
qués par  d'autres  que  par  lui. 

Un  autre  moyen,  qui  a  permis  à  M.  Riggenbach,  professeur  à  l'Univer- 
sité de  Bâle,  d'obtenir  de  très  belles  épreuves,  consiste  à  profiter  de  ce  que 


A.    A.NGOT.  —  SUR   l'ÉTUDE   DES  NUAGES    PAR   LA    PHOTOGRAPHIE         287 

la  lumière  bleue  du  ciel  est  partiellemenl  polarisée,  surtout  à  90  degrés  du 
soleil,  tandis  que  celle  des  nuages  ne  présente  pas  trace  de  polarisation. 
En  regardant  le  ciel  à  travers  un  analyseur,  que  l'on  tourne  d'une  façon 
convenable,  on  éteint  donc  une  partie  notable  des  rayons  émis  par  le  ciel 
bleu,  sans  diminuer  proportionnellement  l'intensité  des  nuages;  le  con- 
traste est  augmenté  et  l'on  peut  obtenir  des  épreuves  de  nuages  très  belles. 
Comme  analyseur  on  place  devant  l'objectif  soit  un  prisme  de  Nicol,  soit 
une  glace  noire  inclinée  sur  l'axe  optique  de  l'objectif,  d'un  angle  égal  à 
l'angle  de  polarisation  totale,  et  portée  par  une  monture  qui  lui  permet 
de  tourner  autour  de  cet  axe.  L'inconvénient  de  cette  méthode  est, qu'elle 
n'est  pas  générale,  le  degré  de  polarisation  de  la  lumière  bleue  du  ciel 
variant  beaucoup  suivant  la  direction.  De  plus,  on  ne  peut  guère  employer 
le  JNicol,  qui  diminue  trop  le  champ,  et  la  glace  noire  placée  devant 
l'objectif  rend  l'orientation  de  l'appareil  assez  difficile.  Toutefois,  ce  pro- 
cédé peut  rendre  de  grands  services  ;  il  a  donné,  entre  les  mains  de 
M.  Riggenbach,  de  très  beaux  résultats,  surtout  quand  on  opère,  comme 
l'a  fait  ce  savant,  au  sommet  de  hautes  montagnes  où  le  ciel  est  toujours 
beaucoup  plus  foncé,  ce  qui  augmente  déjà  beaucoup  la  différence  entre  les 
actions  photogéniques  du  ciel  et  des  nuages. 

Un  dernier  procédé  qui  a  été  également  employé  par  M.  Riggenbach 
est  le  suivant  :  On  n'emploie  aucun  artifice  spécial  et  on  photographie 
simplement  le  ciel,  mais  avec  un  diaphragme  assez  petit  et  une  durée  de 
pose  assez  courte  pour  que  presque  rien  ne  vienne  au  développement  et 
qu'on  aperçoive  seulement,  après  tixage,  une  image  des  nuages  extrême- 
ment faible,  à  peine  apparente  ;  on  emploie  alors  un  renforcement 
énergique.  Celui  qui  a  donné  les  meilleurs  résultats  à  l'auteur  est  le 
renforcement  au  mercure  et  au  sel  de  Schlippe  (sulfo-antimonite  de 
sodium).  Ce  renforcement  s'effectue  de  la  manière  suivante  :  la  plaque, 
fixée  et  lavée  comme  d'ordinaire,  est  plongée  quelques  minutes  dans  une 
dissolution  à  1  1/2  0/0  de  bichlorure  de  mercure,  lavée  abondamment, 
puis  immergée  dans  une  dissolution  à  2  0/0  de  sel  de  Schlippe,  où  on  la 
laisse  assez  longtemps  pour  qu'il  ne  reste  plus  aucune  place  blanche  sur 
l'envers  de  la  plaque.  On  termine  par  un  bon  lavage.  Ce  procédé,  qui 
peut  donner  parfois  de  bons  résultats,  ne  me  paraît  pas  absolument  recom- 
mandable;  il  est,  en  tous  cas,  très  dangereux.  Le  sel  de  Schlippe  est,  en 
effet,  d'une  conservation  difficile  et  l'on  risque  le  plus  souvent  de  gâter 
complètement  ses  clichés  en  les  renforçant. 

Grâce  à  une  subvention  qu'a  bien  voulu  m'accorder  V Association  fran- 
çaise jiour  l'avancement  des  sciences,  j'ai  pu  faire  depuis  quelques  mois 
de  nombreux  essais  de  photographies  de  nuages,  et  je  crois  que  le  pro- 
cédé le  plus  sûr  et  en  môme  temps  le  plus  simple  est  encore  le  premier, 
c'est-à-dire  l'emploi  décrans  colorés,   à  condition  de  se  servir  en  même 


288  MÉTÉOROLOGIE    ET    PHYSIQUE    DU    GLOBE 

temps  de  plaques  convenables.  Le  plus  commode  de  tous  les  écrans  est 
certainement  un  verre  jaune  de  couleur  convenable  ;  mais  comme  il  faut 
de  nombreux  essais  pour  trouver  la  meilleure  sorte  de  verre,  je  crois  qu'il 
vaut  mieux  recourir  aux  écrans  liquides,  dont  la  composition  peut  toujours 
être  reproduite  identiquement  la  môme.  Le  liquide  dont  je  fne  sers  cons- 
tamment est  le  suivant,  que  m'a  indiqué  i>L  Léon  Vidal,  mais  qui  a  été, 
je  crois,  employé  pour  la  première  fois  par  le  docteur  Neuhaus  : 

Sulfate  de  cuivre 175  grammes. 

Bichromate  de  potasse 17        — 

Acide  sulfurique 5  centigrammes. 

Eau SOO  grammes. 

On  peut,  du  reste,  augmenter  ou  diminuer  à  volonté  la  quantité  d'eau 
suivant  l'intensité  de  la  teinte  que  l'on  veut  obtenir. 

Ce  liquide  est  renfermé  dans  une  petite  cuve  fermée  par  des  glaces  paral- 
lèles et  que  l'on  peut  fabriquer  soi-même  ou  se  procurer  facilement  chez 
tous  les  fabricants  d'instruments  d'optique.  On  place  cette  cuve  contre 
l'objectif,  soit  en  avant,  soit  en  arrière,  suivant  que  cela  paraît  plus  com- 
mode. Les  cuves  que  j'emploie  ont  de  G  à  7  millimètres  d'épaisseur  inté- 
rieure. Concurremment  avec  ce  li(|uide,  il  convient  de  se  servir,  comme 
plaques  sensibles,  de  celles  que  fabrique  la  maison  Lumière  et  qu'elle 
désigne  sous  le  nom  de  plaques  orthochromaliques  sensibles  au  jaune  et 
au  vert.  Ces  plaques  se  trouvent  couramment  dans  le  commerce  et  sont 
très  employées  pour  faire  des  épreuves  de  paysages. 

Les  photographies  que  je  présente,  en  même  temps  que  cette  note,  ont 
été  obtenues  par  ce  procédé  avec  un  petit  objectif  grand-angulaire  de 
Prazmovvski,  de  15  centimètres  de  foyer  et  de  7  millimètres  d'ouverture. 
Avec  cet  objectif,  ancien  et  peu  lumineux,  il  suilit  d'une  durée  de  pose 
de  0%5  à  0%8,  suivant  le  degré  d'éclairement  des  nuages.  Tous  les  procédés 
de  développement  conviennent  :  sulfate  de  fer  et  oxalate  de  potasse, 
hydroquinone,  paramidophénol  ;  mais  il  est  bon  d'ajouter  toujours  un 
peu  de  bromure  de  potassium,  ce  qui  retarde  le  développement,  mais 
donne  des  images  plus  denses.  D'une  manière  générale,  il  vaut  mieux 
ne  pas  employer  un  développateur  très  rapide,  et  on  se  tiendra  plutôt 
un  peu  en  dessous  qu'en  dessus  de  la  durée  de  pose  convenable,  assez 
près  cependant  de  celle-ci  pour  n'avoir  pas  besoin  de  renforcement.  Les 
clichés  faibles  se  prêtent  mieux,  en  effet,  aux  mesures  que  les  clichés 
trop  intenses,  et  on  peut  en  tirer  des  positifs  très  convenables  à  l'ombre 
et  sous  le  papier  dioptrique.  Je  citerai,  par  exemple,  l'épreuve  de  cirro- 
stratus  obtenue  le  13  août  1892,  à  3  heures  du  soir  (15''  0'"  7'j.  Bien  que 
ce  nuage  fût  très  léger  et  le  ciel  un  peu  laiteux,  ce  qui  a  donné  un  cliché 


A.    ANGOT.    ^ —    SUR    l'ÉTUDE   DES    MAGES    PAR    LA   PHOTOGRAPHIE        289 

très  faible,  le  positif,  tiré  à  l'ombre  sous  le  papier  dioptrique,  est  très 
satisfaisant. 

Dans  toutes  ces  épreuves,  qui  comprennent  de  préférence  les  nuages 
'les  plus  difficiles  à  photographier,  cirrus  et  cirro-stratus,  on  a  poussé 
intentionnellement  le  tirage  assez  loin,  de  manière  à  montrer  que  l'on 
peut  obtenir  beaucoup  de  contrastes  :  un  ciel  très  noir  et  des  nuages  très 
blancs.  Il  est  bon  d'ajouter  que  toutes  les  photographies  ont  été  faites 
près  de  l'horizon,  au  Bureau  central  météorologique,  dans  l'intérieur  de 
Paris,  c'est-à-dire  dans  des  conditions  atmosphériques  peu  favorables.  Les 
résultats  seraient  certainement  bien  meilleurs  si  l'on  opérait  dans  de  bonnes 
conditions,  à  la  campagne,  ou  mieux  encore  sur  les  montagnes. 

Je  me  propose  de  continuer  ces  recherches  et  d'essayer,  au  moyen  de 
la  photographie,  de  mesurer  la  hauteur  et  la  vitesse  des  nuages.  Le  but 
de  la  présente  communication  a  été  surtout  de  faire  connaître  aux  ama- 
teurs de  photographie,  si  nombreux  aujourd'hui,  qu'il  existe  des  procédés 
simples  et  sûrs  pour  réussir  les  photographies  de  nuages.  J'espère  que 
cela  pourra  en  décider  quelques-uns  à  se  lancer  dans  cette  voie  et  que 
nous  pourrons  bientôt  réunir  en  France  une  collection  de  photographies 
de  nuages  qui  ne  laissera  rien  à  envier  à  celles  que  l'on  réunit  en  ce 
moment  dans  les  observatoires  de  l'étranger. 


Légende  des  planches  î  et  II. 


•pl.  I.  —  31  mai  1892,  à  3  h.  26  m.  du  soir. 

Cirrus  et  cumulus  au  sud.  Les  cirrus  venaient  sensiblement  du  sud  ;  ils  ont  pré- 
cédé un  orage  qui  a  éclaté  le  soir  même  à  7  heures. 
Pl.  II.  —  29  août  1892,  à  3  h.  43  m.  du  soir. 

Cirrus  et  cumulus  au  nord-ouest.  Les  cirrus  venaient  sensiblement  du  sud-ouest; 

beau  temps. 
'Ces  deux  photographies  ont  été  faites  avec  un  objectif  grand-angulaire  de  Prai- 
mowski,de  14  cenlimètres  de  foyer,  derrière  lequel  était  placée  une  cuve  con- 
tenant la  dissolution  de  bichromate  de  potasse  et  de  sulfate  de  cuivre.  On  a 
«mplojé  des  plaques  orthochromatiques  Lumière  ;  durée  de  pose,  0',8. 


l'J' 


^290  MÉTÉOROLOGIE    ET    PHYSIQUE   DU    GLOBE 


M.  le  F  &AILT 

Bagnères-de-Bigorre. 


QUATRE     ANNÉES     D'OBSERVATIONS     A     BAGNERES-DE-BIGORRE 


—  Séance  du  i7  septembre  1892  — 

La  station  météorologique  de  Bagnères-de-Bigorre,  dont  la  création 
remonte  au  Congrès  d'hydrologie  et  de  climatologie  de  Biarritz  (1886),  a 
commencé  à  fonctionner  à  la  suite  du  Congrès  de  V Association  française 
de  Toulouse  (1887). 

En  résumant  les  observations  prises  depuis  le  1"  décembre  1887  jus- 
qu'au 31  août  1892,  on  obtient  les  résultats  suivants  : 

Pression  6arome^/-içMe.  —  Moyenne  générale  :  715'""M0. 

(L'altitude  de  la  station  est  de  550  mètres.) 

Les  chifïres  extrêmes  observés  ont  été  :  pour  le  minimum,  686'"'",70,  le 
19  février  1892  ;  pour  le  maximum,  730'»'",50,  le  8  janvier  1888. 

Le  minimum  du  19  février  est  tout  à  fait  exceptionnel.  Les  minima 
des  années  précédentes  oscillent  entre  691,2  (1888)  et  697,0  (1891). 

Cette  baisse  extraordinaire  a  fait  l'objet  d'une  communication  à  la  SocieVé 
de  Météorologie  (mai  1892). 

Il  est  à  remarquer  que  les  pressions  et  les  dépressions  extrêmes  se  pro- 
duisent pendant  les  quatre  mois  de  l'hiver,  de  décembre  à  mars,  et  que 
les  moyennes  les  plus  basses  s'observent  en  mars  et  avril,  époque  de  pré- 
dilection des  bourrasques. 

Températwe.  —  Moyenne  générale  :  10°,5. 

Les  moyennes  déduites  d'observations  antérieures,  prises  avec  moins  de 
précision,  donnaient  des  chiffres  plus  élevés. 

Le  mois  d'octobre  est  celui  dont  la  moyenne  se  rapproche  le  plus  de  la 
moyenne  annuelle. 

Le  mois  de  janvier  donne  la  moyenne  la  plus  basse  :  3°, 5. 

Les  mois  de  juillet  et  d'août,  les   moyennes  les  plus  hautes  :  17^21 

et  17°,99. 

La  température  la  plus  basse  a  été  de  —  15°,  le  18  janvier  1891. 

La  température  la  plus  haute  a  été  de  37°,  le  16  août  1892.  Ce  maxi- 
]num  est  absolument  exceptionnel. 


H.  LÉON.  UN  SANATORIUM  DANS  LES  PYRÉNÉKS  291 

Le  thermomètre,  déduction  faite  de  ces  deux  chiffres,  se  tient  entre 
—  13°,8  (1890)  et  32°.06  (août  1890). 

Nébulosité.  —  Moyenne  générale  :  6,23. 

Humidité  relative.  —  Moyenne  générale  :  70,4. 

Les  moyennes  les  plus  basses  sont  données  par  le  mois  de  mars  (notre 
mois  le  plus  venteux),  6i,2,  et  par  le  mois  de  décembre,  65,3. 

Les  moyennes  les  plus  fortes  sont  données  par  les  mois  de  juillet  et 
d'août,  73,1  et  72,2. 

Les  plus  fortes  sécheresses  ont  été  observées  de  décembre  à  février  :  14, 
en  décembre  1888  ;  19,  en  décembre  1889;  16,  en  janvier  1890  ;  8  (!)  en 
février  1891. 

Pluviométrie.  —  Moyenne  générale  annuelle  :  1.360  millimètres. 

Les  années  extrêmes  ont  été  :  l'année  18!^8,  qui  a  donné  1131  milli- 
mètres et  l'année  1889,  qui  a  donné  1573  millimètres. 

Les  mois  les  plus  secs  sont  les  mois  de  décembre,  février,  septembre 
janvier  (décembre  étant  le  plus  sec).  Les  mois  les  plus  pluvieux  sont  les 
mois  d'août,  mai,  juin. 

Comme  chiffres  extrêmes,  nous  relevons  un  minimum  de  ^°"'\i  en  fé- 
vrier 1891  ;  et  un  maximum  de  294°»'", 2  en  février  1889. 

II  tombe  plus  d'eau  la  nuit  que  le  jour,  dans  la  proportion  de  1/5. 

Note.  —  Le  principal  intérêt  de  la  station  météorologique  de  Bagnères- 
de-Bigorre  consiste  dans  sa  proximité  de  l'observatoire  du  Pic  du  Midi,, 
avec  une  différence  d'altitude  de  2,327  mètres. 


M.  Henry  LE 01 

Président  de  la  Société  de  Climatologie  pyrénéenne,  à  Bayonne. 


UN  SANATORIUM  DANS  LES  PYRÉNÉES.  BAGNÈRES-DE-BIGORRE 
ET  LA  FONTAINE  DES  FÉES 


—  Séarire  du   17  septembre  1892  — 


Il  y  a  quelques  années  encore,  le  traitement  par  l'air  n'avait  pas  été 
élevé  à  l'état  de  principe.  L'art  de  respirer  pour  le  soulagement  ou  la 
guérison  de  certaines  maladies  n'était  pas  mis  en  pratique  et  si,  dans 
les  livres  bien  anciens,  on  en  trouvait  les  indications,  ces  livres  étaient 


METEOROLOGIE    ET    PHYSIQUE    DU    GL013E 

trop  recouverts  de  la  poussière  du  temps  pour  qu'on  aille  en  ouvrir 
les  feuillets.  Parfois  donc,  les  médecins  vous  envoyaient,  dans  certains 
états  de  faiblesse  anémique,  au  bord  de  la  mer  ou  dans  la  montagne, 
mais  ils  ne  vous  traçaient  pas  les  règles  d'une  vie  au  grand  air,  selon 
l'état  morbide  de  votre  santé. 

Il  n'en  est  plus  ainsi  maintenant  et,  parmi  les  traitements  à  appliquer, 
le  traitement  par  l'air  occupe  une  grande  place.  Il  en  est  découlé  la  science 
de  la  climatologie,  nécessaire  à  l'appréciation  et  à  l'application  pratique 
de  toutes  les  stations  qui,  en  France  comme  à  l'étranger,  se  sont  suc- 
cessivement fondées,  formant,  à  côté  des  réseaux  des  stations  thermales, 
le  réseau  des  stations  climatiques. 

Toutefois,  les  médecins  n'en  avaient  pas  formulé  la  théorie  et  quand, 
il  y  a  quelques  années,  nous  avancions  dans  quelques  articles,  sous  le 
titre  :  La  Médication  par  l'air^  les  avantages  de  la  vie  au  grand  air  dans 
certaines  des  stations  du  sud-ouest  pyrénéen,  nous  étions  pour  ainsi 
dire  des  premiers. 

Il  a  fallu  qu'un  médecin  suédois,  le  docteur  Detweiller,  basant  sur  ce 
principe  le  traitement  des  tuberculeux  à  Falkenstein,  près  de  Francfort- 
sur-le-Mein,  tout  en  y  joignant  celui  de  la  suralimentation,  surtout  par 
la  viande  et  le  lait,  et  de  la  gymnastique  pulmonaire,  vînt  synthétiser, 
pour  ainsi  dire,  ces  éléments  divers  en  une  méthode  sévère.  Et  cette 
méthode,  dont  il  a  été  fait  grand  bruit  dans  ces  derniers  temps,  est  venue 
réveiller  l'esprit  de  la  médecine  qui,  et  elle  a  eu  raison,  ne  veut  plus 
rester  en  arrière  dans  la  propagation  des  traitements  de  la  phtisie  par 
l'air,  et  par  analogie  de  tous  ces  états  maladifs  qui  ont  pour  base  la 
faiblesse  du  tempérament. 

De  là  on  est  donc  parti,  soit  en  France,  soit  à  l'étranger,  pour  établir 
les  différents  degrés  de  l'aérothérapie  et  l'on  a  aifiché  des  stations  clima- 
liques  qui  se  sont  divisées  en  maritimes  et  montagneuses,  et  ensuite 
créer  des  sanatoi'ia,  construisant  des  établissements  appelant  les  ma- 
lades et  les  soignant  selon  des  règles  méthodiques. 

C'est  ainsi  qu'avec  de  nombreuses  stations  climatiques  se  sont  peu 
à  peu  établis  en  France  les  sanatoria  marins  de  Berck-sur-Mer,  Arca- 
chon  et  Cap-Breton  sur  l'Océan  ;  Banyuls  sur  la  Méditerranée,  et  aussi 
le  sanatorium  de  montagne  du  Vernet,  dans  les  Pyrénées-Orientales,  au 
Ganigou,  placé  à  650  mètres  d'altitude. 

Mais  les  Pyrénées  du  sud-ouest  n'ont  pas  encore  admis  ce  dernier 
ordre  d'idées,  et  cependant  où  pourrait- on  mieux,  que  dans  certaines 
situations  privilégiées  de  ces  montagnes,  fonder  des  sanatoria  qui  béné- 
ficieraient de  tout  ce  qu'offrent  déjà  de  salutaire  les  stations  qui  y  ont 
été  installées.  Et  dans  le  nombre  de  ces  stations,  nous  signalerons 
Bagnères-de-Bigorre. 


H.    LÉON.    UN    SANATORIUM    DANS    LES    PYRÉNÉES  293 

Bagnères-de-Bigorre  ne  doit  pas  seulement  sa  renommée  à  la  variété 
de  ses  nombreuses  sources  d'eaux  thermales,  ayant  chacune  son  caractère 
spécial  et  particulier,  dont  l'application  dirigée  avec  intelligence  a  fait 
de  cette  ville  une  des  grandes  stations  pyrénéennes;  il  se  dislingue 
encore  par  sa  situation  exceptionnelle  au  milieu  d'une  large  vallée  qu'en- 
tourent des  coteaux  étages,  aux  sites  riants  et  pittoresques,  et  des  mon- 
tagnes successives,  d'altitudes  diverses,  se  profilant . jusqu'aux:  pics  élev 
de  la  grande  chaîne,  dont  les  massifs  principaux  apparaissent  au  loin 
avec  leurs  cimes  rocailleuses  et  leurs  glaciers  de  neige.  Et  entre  les 
dWers  contreforts  s'ouvrent  des  vallées  plus  petites,  plus  étroites,  cul- 
tivées et  boisées  suivant  la  direction  des  pentes,  d'oîi  s'écoulent  des 
eaux  vives  et  murmurantes,  descendant  torrentueuses,  favorisant  la  ver- 
dure et  la  végétation  et  portant  partout  l'air  et  la  fraîcheur,  donnant 
ainsi  à  l'atmosphère  un  caractère  de  pureté.  On  peut  donc  dire  que 
Bagnères-de-Bigorre  est  aussi  une  station  d'aérolhérapie,  car  on  vient  s'y 
poser  pour  y  respirer  uniquement,  et  la  valeur  de  son  climat  va  chaque 
jour  en  s'affîrmant. 

Mais  l'impulsion  qu'elle  mérite  dans  ce  sens  nouveau  de  la  médication 
par  l'air  ne  lui  a  pas  encore  été  donnée.  On  n'a  pas  profité  de  la 
réclame  que  pouvait  lui  faire  son  climat,  privilégié  par  sa  fraîcheur  en 
été,  modéré  dans  ses  températures  en  hiver,  pour  y  disposer  des  ins- 
tallations appropriées,  susceptibles  d'appeler  les  malades  et  les  engageant 
à  venir  se  soulager  ou  se  guérir  dans  les  maux  qui  les  atteignent.  Et 
cependant  la  médecine  y  trouverait  un  aide,  car,  impuissante  trop  sou- 
vent, elle  ne  peut  modifier  l'organisme  sans  ce  grand  pharmacien  du 
monde,  la  nature,  qui  a  su,  dans  certains  lieux  et  surtout  fi  Bigorre, 
doser  avec  un  soin  tout  particulier  la  véritable  nourriture  de  nos  pou- 
mons, apportant  par  là  une  régénération  dans  notre  sang  et  renforçant 
nos  organes  atïaiblis. 

La  routine  seule  s'est  poursuivie  à  Bigorre,  laissant  simplement  aux 
mœurs  qui,  en  se  modifiant,  ont  réclamé  plus  d'aise  et  de  confort,  le 
soin  de  provoquer  des  logements  mieux  compris,  plus  exposés  aux 
faveurs  de  l'air  et  du  soleil,  au  milieu  de  jardins  ombragés  et  fleuris. 
Le  moment  serait  aujourd'hui  venu  d'aller  plus  loin  dans  le  progrès  de 
l'art  de  vivre  et  de  fonder  des  établissements  qui  serviraient  à  la  mise 
en  pratique  des  théories  préconisées  depuis  quelques  années,  pour  la 
recherche  de  la  santé  et  la  guérison  des  maladies  oii  un  air  léger,  un 
air  pur  est  nécessaire. 

Autour  de  Bigorre,  une  situation  se  présente  d'elle-même  pour  y  poser 
un  de  ces  établissements,  c'est  celle  de  la  Fontaine  des  Fées.  Non  loin 
de  la  ville,  sur  le  parcours  d'une  des  excursions  les  plus  fréquentées  par 
son  accès   facile,  le  Bedat,  avec  une  route  déjtà  tracée  au  milieu  d'om- 


294  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

brages  qui,  par  les  fontaines  ferrugineuses,  contournent  le  Montaliouet, 
se  trouve,  dans  le  vallon  qui  sépare  cette  petite  montagne  de  celle  du 
Bedat,  une  déclivité  en  pente  douce,  placée  pour  ainsi  dire  tout  exprès 
pour  être  le  centre  d'une  oasis  oîi  s'élèverait  un  hôtel  construit  selon 
les  règles  nouvelles  du  confort  et  de  l'hygiène.  A  4.000  mètres  de  la 
ville,  par  les.  sinuosités  de  la  route,  à  220  mètres  à  vol  d'oiseau  au- 
dessus  des  maisons  et  de  l'établissement  des  thermes,  à  770  mètres  d'al- 
titude au-dessus  de  la  mer,  il  pourrait  y  être  favorisé  un  plateau  dont 
l'exposition  serait  parfaitement  en  rapport  avec  les  conditions  réclamées 
pour  un  établissement  sanitaire.  Placé  au  sud-sud-est,  par  sa  position 
naturelle,  garanti  du  sud  et  du  sud-ouest  par  le  Bedat,  de  l'ouest  et  du 
nord  par  le  Montaliouet,  il  recevrait  par-devant  les  rayons  tournants 
du  soleil  et  serait  abrité  par  derrière  des  vents  souvent  violents  et 
désagréables  qui  apportent  le  mauvais  temps  ou  provoquent  le  froid. 

Comme  pittoresque,  il  n'est  pas  de  site  plus  ravissant.  A  côté  se  trouve 
avec  sa  forêt  naissante  et  conmie  un  paravent  de  verdure,  le  Bedat  au 
haut  duquel  plane,  sur  le  mamelon  pointu,  la  statue  de  la  vierge  protec- 
trice du  Bedat;  en  suivant  à  gauche,  dans  le  bas,  la  route  du  fond  de  la 
vallée  à  côté  de  laquelle  se  dessine  le  cours  du  torrent  de  l'Adour  ;  sur  la 
droite,  les  coteaux  riants  de  la  vallée  de  Campan  se  poursuivant  jusqu'aux 
hautes  montagnes  et  laissant  de  côté  la  Monné,  le  Mont-Aigu  et  le  Pic  du 
Midi,  cachés  par  le  Bedat,  comme  le  doigt  mis  devant  l'œil  cacherait  un 
objet  cent  fois  plus  grand  que  lui  ;  au  loin  et  au-dessus  l'Arbison  avec 
ses  cimes  dentelées;  plus  loin  encore  les  montagnes  aux  glaciers  perma- 
nents qui  sont  plus  immédiatement  le  fond  de  tableau  de  la  vallée  de 
Ludion,  aperçue  du  col  d'Aspin,  indiquant  les  sommets  élevés  du  lac  d'Oo, 
du  port  de  Vénasque  et  de  la  Maladetta. 

Puis  devant,  comme  un  promontoire  élevé  au-dessus  de  la  vallée,  le 
massif  de  Lhéris  au  casque  de  pierre,  entouré  de  ses  pics  dont  les  verts 
pâturages  sont  entrecoupés  de  bosquets  de  sapins  aux  nuances  noirâtres. 

Et  descendant  sur  la  gauche,  avec  leur  rangée  d'arbres  méthodiquement 
espacés  et  se  dessinant  à  travers  les  clartés  du  ciel,  les  pentes  douces 
des  Palomières  dont  les  coteaux  s'abaissent  de  plus  en  plus  et  vont  se 
mêler  aux  vallonnements  successifs  de  la  plaine  qui  se  perd  peu  à  peu 
dans  l'immensité  de  l'espace  pour  se  confondre  à  l'iiorizon  avec  l'im- 
mensité de  la  voûte  céleste. 

Pour  égayer  le  tableau,  coquettement  groupés  au  milieu  du  tapis  cultivé 
de  la  vallée,  avec  leurs  maisons  aux  murs  blancs  et  aux  toits  d'ardoise, 
les  villages  d'Asté  et  de  Gerde;  se  rapprochant  de  Bagnères,  le  château  de 
Pinse,  placé  comme  un  ornement  dans  le  cadre  riant  du  paysage;  enfin 
les  maisons  de  la  ville  vues  de  haut,  dispersées  avec  leurs  rues  et  leurs 
places,  au  milieu  desquelles  dominent  les  tours  de  l'horloge  et  de  l'église. 


H.  LÉON.  UN  SANATORIUM  DANS  LES  PYUÉNÉES  295 

C'est  ce  point  de  vue  changeant  suivant  les  clartés  du  jour,  agrandi 
ou  rétréci  par  les  nébulosités  de  l'atmosphère,  embelli  par  les  rayons  du 
soleil  ou  rembruni  par  les  tristesses  d'un  ciel  pleia  de  nuages,  que  l'on 
aurait  constamment  devant  soi,  avec  de  l'air  se  renouvelant  en  brise 
légère,  matin  et  soir,  conformément  au  régime  des  courants  atmosphériques 
que  subit  la  vallée,  avec  un  espace  que  l'œil  embrasse  dans  une  étendue 
qui  n'a  de  borne  que  le  lointain  des  montagnes  et  celui  de  la  plaine. 

Le  moral,  comme  le  physique,  y  trouverait  ses  remèdes,  car  la  sédation  y 
serait  grande  pour  l'élément  nerveux  qui  fait  souvent  partie  de  la  disposition 
morbide  de  l'homme.  Le  corps  y  recevrait  tout  ce  qui  naîtrait  des  con- 
ditions favorables  de  respiration  dans  lesquelles  il  vivrait  et  s'y  régénérerait 
par  l'excitation  qui  serait  la  conséquence  de  la  nourriture  aériforme  dont 
il  serait,  malgré  lui,  rassasié. 

Par  un  effet  spécial  de  la  configuration  des  vallonnements  au  centre 
desquels  s'échappe  le  ruisseau  de  la  Fontaine  des  Fées,  la  route,  qui  les 
contourne  dans  leurs  divers  replis,  se  trouverait  horizontale  avec  un  par- 
cours qui  pourrait  être  de  près  de  L500  mètres,  formant  ainsi  une  pro- 
menade où  le  malade  agirait  sans  fatigue  sous  les  ombrages  touffus 
du  Montaliouet  et  du  Bedat,  entre  lesquels  un  plateau,  s'ouvrant  dans 
l'échancrure  qui  s'est  faite  à  l'ouest,  permettrait  un  terre-plein  vaste  et 
également  ombragé. 

La  végétation,  qui  forme  les  ombrages  du  Montaliouet  et  du  Bedat, 
se  compose  d'arbres,  partie  à  feuilles  caduques,  partie  à  feuillage  persis- 
tant, offrant  par  cette  variété  les  avantages  de  l'ombrage  en  été,  sans  en 
exclure,  en  hiver,  l'influence  bienfaisante  des  rayons  du  soleil.  Les  diverses 
essences  qui  dominent  sont  :  d'un  côté,  les  châtaigniers,  les  chênes,  les 
hêtres,  les  bouleaux;  de  l'autre,  les  sapins,  les  pins  maritimes,  les  pins 
sylvestres  et  les  mélèzes.  Ces  dernières  essences  viennent,  à  certains  mo- 
ments, mêler  leur  senteur  résineuse  à  la  pureté  de  l'air. 

De  cette  route  horizontale  se  détachent,  soit  en  avant,  soit  en  arrière 
de  la  Fontaine  des  Fées,  des  sentiers  bien  tracés  qui  s'élèvent  ou  qui 
descendent,  s'entrecroisent  en  lacets  pour  aboutir  plus  directement  à 
Bagnères  ou  au  sommet  du  Bedat. 

Il  n'a  pas  été  fait  d'observations  météorologiques  sur  le  climat  particu- 
llier  du  vallon  de  la  Fontaine  des  Fées,  comparativement  avec  celui  de 
Bagnères-de-Bigorre;  mais  l'expérience  de  ceux  qui  aux  diverses  saisons 
de  l'année  y  ont  été  ou  y  ont  séjourné,  fait  croire  qu'il  pourrait  être  tout 
à  l'avantage  d'une  station  sanitaire,  car  son  exposition  au  soleil,  les  abris 
naturels  dont  il  est  entouré,  sa  hauteur  moyenne  au-dessous  du  Bedat. 
semblent  y  avoir  favorisé  une  température  qui,  pendant  la  journée  médi- 
cale, serait  aussi  modérée  et  peut-être  plus  que  celle  de  Bagnères. 

Ne  participant  qu'indirectement  et  pour  en  recevoir  seulement  les  avan- 


296  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

lages,  du  grand  courant  qui  de  la  plaine  va  à  la  montagne,  ce  vallon  béné- 
ficierait en  hiver  de  la  situation  exceptionnelle  que  sa  position  climatérique 
a  faite,  profitant  en  été  de  l'altitude  dont  il  jouit,  et  qui,  avec  l'espace  au- 
dessus  de  la  vallée,  amène  le  calme  de  l'air  joint  au  calme  de  la  nature. 

Les  nuages  qui  descendent  des  montagnes  ne  font  que  frôler  le  liant  du 
Bedat  et  ils  s'arrêtent  même  au  vallon  de  la  Fontaine  des  Fées,  laissant 
l'atmosphère  libre  de  l'humidité  qu'ils  apportent.  La  neige,  quand  elle 
tombe,  se  répand  en  couche  épaisse  tout  autour,  mais  elle  fond  sur  les  pentes 
ensoleillées  du  vallon,  aux  premiers  rayons  du  soleil  qui  succèdent  vite 
aux  intempéries,  chassant  avec  la  sécheresse  de  l'air  l'humidité  du  sol. 

On  pourrait  reprocher  à  la  Fontaine  des  Fées  son  peu  d'altitude,  les 
théories  qui  ont  été  faites  jusqu'à  ce  jour  pour  l'amélioration  de  certaines 
affections  morbides,  et  surtout  pour  la  guérison  des  maladies  de  poitrine, 
portant  toutes  sur  les  grandes  altitudes.  Mais  ne  sont-ce  pas  des  théories 
nouvelles  et  par  suite  sujettes  à  erreur?  Ne  reviendra-t-on  pas,  avec  quelque 
raison,  sur  l'avantage  des  altitudes  moyennes,  parce  qu'avec  les  facilités 
d'accès,  on  y  trouvera  des  températures  moins  extrêmes  et  plus  douces 
qui  n'exclueront  pas  la  pureté  de  l'air,  élément  essentiel  du  traitement? 

Et,  dans  ce  cas,  Bagnères-de-Bigorre  pourrait  devenir,  dans  le  vallon 
de  la  Fontaine  des  Fées,  l'objet  d'un  établissement  type  qui,  aux  avan- 
tages du  climat  et  de  l'air,  réunirait  ceux  qu'il  peut  tirer  de  la  médication 
déjà  utilisée  des  eaux  sulfureuses  de  Labassère  et  arsenicales  de  Salies, 
justement  appréciées  pour  les  maladies  des  voies  respiratoires  et  la  recons- 
titution de  l'organisme  affaibli.  Il  pourrait  en  être  fait,  en  la  transportant 
avec  toutes  les  précautions  voulues,  une  buvette  spéciale  pour  les  malades 
qui  en  auraient  besoin. 


M.  AVoqU  PICÏÏE 

Président  de  la  Commission  météorologique  des  Basses-Pyrénées,  à  Pau. 


LE    DEPERDITOMETRE 


Séance  du  i7  septembre  1892 


Ce  nouvel  appareil  de  physique  n'est  pas,  comme  le  thermomètre,  un 
instrument  météorologique,  mais  un  instrument  climatométrique. 

Le  thermomètre,  en  effet,  peut  bien  mesurer  l'état  de  vibration  ther- 
mique d'un  milieu,  par  rapport  à  l'état  vibratoire  de  l'eau  distillée  qui  se 


A.    PICHE.    I.E    nÉPEUDnOMKTlîK  297 

congèle  et  qui  bout  ;  mais  il  ne  donne  aucune  idée,  même  approchée,  de 
la  sensation  de  chaleur  ou  de  froid,  éprouvée,  dans  ce  milieu,  par  le 
corps  de  l'homme,  qui,  vous  le  savez,  se  maintient  toujours  à  37  degrés. 

En  Sibérie,  le  thermomètre  marque,  parfois,  4o  degrés  au-dessous 
de  zéro  et  notre  long-voyageur,  M.  le  comte  Russell,  vous  dira  que, 
malgré  cette  température  extraordinairement  basse,  on  n'éprouve  pas  de 
sensation  pénible,  désagréable,  si  l'air  est  en  repos;  bien  plus,  on  se  met 
aisément  en  nage,  si  on  monte  la  moindre  colline  exposée  aux  rayons  du 
soleil. 

Au  contraire,  que  l'air  soit  un  peu  vif  et  humide,  on  se  sent  glacé,  on  a 
les  oreilles  coupées,  suivant  l'expression  vulgaire,  avec  o  degrés  au-dessus 
de  zéro,  soit  avec  une  température  de  50  degrés  plus  élevée  que  dans  le 
cas  précédent. 

Le  thermomètre  n'indique  donc,  en  aucune  façon,  la  sensation  calorique 
qu'un  homme  bien  portant  (a  fortiori  un  malade)  éprouve  dans  une  station 
d'hiver  ;  et  dire  que  la  moyenne  température  hivernale,  à  Pau,  n'est  que 
de  6°, 33,  tandis  qu'elle  est  de  7'^,9  à  Biarritz,  c'est  absolument  comme  si 
l'on  ne  disait  rien,  au  point  de  vue  climatologique. 

Cette  manière  de  voir  ne  m'est  nullement  personnelle,  et  c'est  avec 
plaisir  que  j'ai  trouvé,  dans  le  volume  préparatoire  du  Congrès  de  Pau, 
cette  citation  du  célèbre  D""  Louis  : 

«  Ici  se  présente  naturellement  cette  remarque  vulgaire,  que  le  même 
»  degré  du  thermomètre  n'est  pas  toujours  accompagné,  bien  s'en  faut, 
»  du  même  sentiment  de  chaleur  ou  de  froid  ;  que,  dans  une  même  jour- 
»  née,  dans  un  même  lieu,  par  une  même  température,  on  peut  avoir 
»  alternativement  froid  et  chaud,  suivant  qu'il  y  a  du  vent  ou  qu'il  n'y 
»  en  a  pas.  —  D'où  la  possibilité  d'avoir  froid  à  Rome  et  chaud  à  Pau,  par 
»  le  même  degré  du  thermomètre.  » 

C'est  sous  l'impression  de  ces  idées  que  j'ai  imaginé  mon  nouvel  appa- 
reil qui,  mieux  que  le  thermomètre,  donnerait  la  valeur  de  la  thermalité 
d'un  climat. 

Comme  il  mesure  la  quantité  de  calories  que  l'air  ambiant  enlève,  dans 
un  temps  donné,  à  un  vase  évaporant,  en  faisant  connaître  la  quantité  de 
calories  qu'il  faut  produire  pour  maintenir  ce  vase  à  la  température  du 
corps  humain,  dans  un  milieu  donné,  je  l'avais  d'abord  appelé  un  calori- 
soustractomètre.  Le  mot  étant  quelque  peu  long  et  désagréable  à  l'oreille, 
je  vous  propose,  sauf  meilleur  avis  de  votre  part,  de  l'appeler  déperdito- 
mètre.  Il  donnerait,  en  effet,  la  mesure  de  la  déperdition  de  chaleur  que 
le  corps  humain  subit  dans  un  certain  milieu,  en  mesurant  le  gaz  (ou  l'al- 
cool) brûlé,  en  douze  ou  vingt-quatre  heures,  pour  maintenir  l'équilibre 
thermique  de  l'eau  contenue  dans  le  vase  poreux  ;  équilibre  sans  cesse 
troublé  par  la  soustraction  de  calorique,  que  lui  enlève  l'air  ambiant,  et 


:â98  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

qui  varie  sous  l'action  principale  de  cinq  facteurs  :  la  pression  de  l'air,  sa 

température,  son  agitation,  son  humidité  et  sa  tension  électrique. 

L'appareil  pourrait  être  ainsi  établi  ;  je  dis  :  pourrait,  car,  hélas  !   il 

n'existe  encore  que  dans  mon  cerveau,  à  l'état  un  peu  vague  de  projet 

élaboré. 

En  voici,  cependant,  le  dessin  fait  à  l'intention  du  Congrès  : 

Comme  vous  le  voyez,  l'appareil  se  compose  d'un  vase  poreux  A.  (qu'il 


LEGENDE  : 

A.  Vase  poreux  rempli  d'eau  distillée. 

B.  Soubassement  contenant  un  bec  de  gaz. 

C.  Tube  gradué  mesurant  l'eau  évaporée. 

D.  Tube  pour  l'issue  de  l'air  chaud. 

E.  Tube  à  boule  plein  de  mercure. 

F.  Globule  de  mercure  régulateur. 

G.  Gazomètre  à  cloche  graduée. 

H.  Tube  pour  remplir  le  gazomètre. 

rr.  Robinets. 


conviendrait  peut-être  de  revêtir  d'une  membrane  animale  pour  se  rap- 
procher des  conditions  de  la  peau),  vase  fermé,  plein  d'eau  distillée,  sur- 
monté d'un  tube  gradué  pour  l'introduction  de  l'eau  C,  et  pour  mesurer  la 
quantité  d'eau  évaporée  d'une  observation  à  l'autre. 

Ce  vase  monté  sur  un  soubassement  B,  dans  lequel  brûle  un  petit  bec  de 
gaz,  destiné  à  maintenir  la  température  de  l'eau  à  37  degrés,  est  traversé 
par  un  tube  droit,  ou  contourné  en  spirale  D,  pour  la  sortie  du  gaz  comburé. 

Il  contient  enfin  un  thermomètre  plein  de  mercure  E,  dont  la  tige,  re- 
courbée à  angle  droit,  à  sa  sortie  du  vase,  plonge  sa  pointe  effilée  dans  un 
pli,  ou  coude,  que  forme  le  tube  amenant  le  gaz  au  brûleur. 


A.    PICHK.    —     LE    DÉPERDITOMÈTRE  299 

Ce  coude  contient  ainsi  un  globule  de  mercure  F,  qui  l'obstrue  partielle- 
ment, et  qui  laisse  passer  plus  ou  moins  de  gaz,  selon  que  l'eau  du  vase, 
trop  froide  ou  trop  chaude,  contracte  ou  dilate  le  mercure  du  thermo- 
mètre. 

Ce  régulateur  fort  simple,  que  j'ai  trouvé  sans  le  chercher  (tant  il  est 
vrai  que  les  idées  nous  viennent  sans  y  songer),  pourrait  être  remplacé 
par  un  des  régulateurs  construits  par  M.  Wiesnegg,  pour  étuves  d'expé- 
riences physiologiques,  régulateurs  que  je  ne  connaissais  pas  alors  et  qu'un 
chimiste  ami  m'a,  depuis,  fait  connaître. 

Un  petit  gazomètre  G,  relié  au  tube  coudé,  fournirait  le  combustible  et, 
par  la  graduation  de  sa  cloche,  donnerait  la  mesure  du  gaz  brûlé. 

On  pourrait  aussi  plus  simplement  chauffer  à  l'alcool  et  peser  l'alcool 
dépensé. 

Du  reste,  Messieurs,  je  n'ai  pas  pris  de  brevet;  je  vous  livre  l'idée  pour 
ce  qu'elle  vaut;  M.  Teisserenc  de  Bort,  à  qui  je  la  communiquais  par 
lettre,  me  répondait  que,  lui  aussi,  avait  eu  cette  idée  ;  peut-être  même 
en  avions-nous  causé  au  Congrès  de  Biarritz,  de  douce  mémoire.  Peu 
importe  la  priorité  de  l'idée;  honneur  et  gloire  à  qui  la  réalisera  le 
premier. 

Car  c'est  peu  de  concevoir  une  idée  nouvelle  ;  le  mérite,  c'est  de  vaincre 
les  difficultés  qui  s'opposent  à  sa  réalisation  ;  c'est  de  la  rendre  pratique, 
utile,  bienfaisante,  acceptable  ;  c'est  de  la  faire  triompher  ! 

Supposons-la  réalisée  ;  vous  prenez  deux  appareils  semblables,  vous 
les  placez  dans  les  mêmes  conditions  ;  ils  doivent  marcher  également. 

S'ils  présente^t  une  légère  différence,  faites  pour  l'un  d'eux  une  table 
de  correction  ;  puis  portez  l'un  h  Biarritz  ou  à  Nice,  laissez  l'autre  à  Pau, 
mettez-les  sous  l'abri  Renou,  et  j'affirme  à  l'avance  que,  bien  que,  l'hiver, 
le  thermomètre  donne  à  Pau  une  moyenne  inférieure  de  3  degrés  à  celle 
de  Biarritz  ou  de  Nice,  le  déperditomètre  brûlera  dans  ces  stations  plus 
de  gaz  que  dans  la  cité  paloise. 

C'est  ce  qu'il  fallait  démontrer  ! 

Si  je  ne  craignais  de  me  faire  accuser  par  mes  concitoyens  de  faire  une 
réclame  indirecte  pour  des  stations  rivales,  en  résumant  ma  thèse  en  un 
mot  d'apparence  trop  paradoxale,  je  dirais  que  le  déperditomètre  est  un 
instrument  qui  a  pour  but  de  prouver  de  façon  irréfutable  qu'à  Pau  un 
malade  a  chaud,  même  quand  il  y  fait  froid...  au  thermomètre. 

On  reprochera  au  nouvel  instrument  d'être  un  peu  compliqué.  Peut- 
être  pourrait-on  trouver  mieux  :  suspendre,  par  exemple,  sous  les  abris 
météorologiques  des  deux  localités  à  comparer,  une  cage  renfermant  un 
moineau  de  santé  robuste  et  égale  et  peser,  chaque  jour,  ce  qu'il  aurait 
bu  et  mangé. 

Deux  écureuils  comparables   et  comparés  vaudraient  peut-être  mieux 


300  MÉTÉOROLOGIE    ET    PHYSIQUE    DU    GLOBE 

encore  ;  car  on  pourrait  mesurer  leur  travail  giratoire  à  l'aide  d'un  comp- 
teur adapté  à  la  roue  de  leur  cage. 

Le  comble  serait  enfin  —  risum  teneatis  amici?  —  de  trouver  deux  ser- 
gents de  ville,  d'égale  humeur,  qui  consentissent  à  se  prêter  pendant  trois 
mois  à  l'expérience  !  ! 

Cherchez,  Messieurs,  vous  trouverez;  mais  surtout,  expérimentez  ! 


M.  E.  MEÎfDEZ 

Membre  de  la  Commission  météorologique  des  Basses-Pyrénées,  à  Pau. 


SUR  LES  REMOUS  ATMOSPHÉRIQUES 


Séance  du  17  septeinbre  1892 


FAITS    D  OBSERVATION 

Nous  avons  pu  observer  souvent  de  ces  remous  atmosphériques  sou- 
levant des  tourbillons  de  poussière,  sable,  feuilles,  etc.,  etc.  Cet  effet 
d'ascension,  comme  d'aspiration,  est  très  net;  mais  un  examen  attentif 
nous  fît  voir  toujours  qu'il  ne  s'agit  là  que  d'un  seul  des  côtés  du  phéno- 
mène. 

Si  une  partie  des  objets  entraînés  avait  bien  une  direction  ascendante, 
une  autre  partie  de  ces  objets  était  au  contraire  portée  vers  le  sol.  H 
paraissait  exister  deux  courants  :  l'un  ascendant,  l'autre  plongeant. 

En  réalité,  et  ainsi  que  nous  avons  pu  le  constater,  les  poussières  et 
autres  objets  prenaient  en  tourbillonnant  dans  les  spires  du  remous,  des 
directions  alternativement  plongeantes  et  ascendantes,  sous  des  angles 
variés,  selon  les  cas.  De  là  les  deux  effets  d'ascension  et  de  chute  que  nous 
avions  observés. 

Le  remous  nous  apparut  alors  tel  qu'il  est,  selon  nous,  constitué. 


E.    MENDEZ. 


SIR    LES    REMOUS    ATMOSPHERIQUES 


301 


II 


TRAJECTOIRE  DÉCRITE  PAR  LA  VEINE  d'aIR  CONSTITUANT  UN  REMOUS.  —  DIVI- 
SION DE  CES  REMOUS  EN  SECTEURS  A  COURANTS  OU  VENTS  PLONGEANTS, 
RASANTS    ET    ASCENDANTS. 

Dans  un  remous,  l'air  qui  le  forme,  animé  d'un  mouvement  tourbil- 
lonnaire  dont  le  point  de  départ  est  situé  à  une  hauteur  variable  selon  les 
remous,  parvient  soit  seulement  jusqu'à  une  zone  de  moindre  altitude, 
soit  jusqu'au  sol. 

Ce  mouvement  n'est  pas  plongeant  sur  toute  son  étendue.  L'angle  initial 


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FIG.    1, 


Veine  d'air  constituant  un  remous  :  a,   projection  ;  b,   développement.   Section  de  cette 
veine  par  un  plan  passant  par  la  ligne  d'axe. 


sous  lequel  s'enfonce  la  veine  d'air  constituant  le  remous  se  ferme  pro- 
gressivement jusqu'à  se  réduire  à  zéro.  A  partir  de  ce  moment  la  veine 
prend  une  direction  ascendante.  Elle  rebondit  pour  ainsi  dire,  pendant 
quelque  temps,  et  atteint  un  point  supérieur  au  delà  duquel  elle  rebrousse 
chemin  vers  la  terre.  La  première  spire  supérieure  du  remous  est  décrite. 
La  suivante  commence  pour  passer  par  les  mêmes  phases  que  celles 
que  nous  venons  d'indiquer,  et  ainsi  de  suite  sur  toute  la  hauteur  du 
remous,  qui  peut  être  formé  par  un  nombre  indéterminé  de  spires. 

Nous  avons  tracé  l'allure  générale  du  phénomène  en  ABCDEK...  (fig.  1,  a), 
dans  le  cône  théorique  RMS,  d'un  remous.  En  développant  sur  un  plan 
cette  courbe,  on  obtient  une  ligne  sinueuse,  analogue  à  A'B'C'D'E'K'... 
(fig.  1,  b). 


302  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

Chacune  des  spires  d'un  remous  est  composée  ainsi  de  deux  parties: 
l'une  dans  laquelle  le  mouvement  giratoire,  c'est-à-dire  le  vent,  est 
plongeant;  l'autre  dans  laquelle  ce  mouvement  est  ascendant;  ces  deux 
parties  étant  raccordées  entre  elles,  aux  points  de  rebroussement  supé- 
rieur et  inférieur  par  deux  arcs  de  faible  étendue  relative,  où  la  trajec- 
toire passe  par  des  instants  pendant  lesquels  sa  tangente  est  parallèle  au 
plan  de  l'horizon,  c'est-à-dire  où  il  ne  règne  que  des  vents  rasants  ou 
sensiblement  rasants  (fig.  2  et  /,  b.) 


S.S.E 


FiG.  2.  —  Figure  Ihéoriqiie  d'un  remous  vu  d'un  point  situé  sur  un  plan 
passant  par  l'axe  et  les  aires  où  soufflent  les  vents  de  S.-S.-E. 


La  même  disposition  existe  symétriquement  dans  toutes  les  spires  du 
remous.  Le  conoïde  qui  le  constitue  est  ainsi  divisé  sur  toute  sa  hauteur, 
en  quatre  secteurs  déterminés  par  les  surfaces-limites  où  le  mouvement 
giratoire  prend  les  diverses  directions  plongeante,  rasante  et  ascendante 
dont  il  est  successivement  animé  dans  chaque  spire  du  remous,  et  ayant 
toutes  un  lieu  commun,  l'axe  du  tourbillon,  qui  est  la  ligne  d'intersec- 
tion entre  elles  de  toutes  ces  surfaces  (fig.  2). 

Dans  l'un  de  ces  secteurs,  et  sur  toute  la  hauteur  du  remous,  ne 
régnent  que  des  vents  plongeants.  Il  n'existe  que  des  vents  ascendants 
dans  un  autre  de  ces  secteurs,  ces  deux  régions  étant  séparées  entre  elles 
par  une  troisième  de  faible  importance  relative,  formée  par  les  deux 
secteurs  restants,  et  dans  lest[uels  on  ne  trouve  que  des  vents  rasants  ou 
sensiblement  rasants  (fig.  2). 


E.   MENDEZ.  SIR  LES  REMOUS  ATMOSPHÉRIQUES  303^ 


III 


DE    QUELQUES     EFFETS    DIVERS    QUE    PEUT    PRODUIRE 
UN    REMOUS  ATMOSPHÉRIQUE 

La  veine  d'air  constituant  un  remous  et  qui  est  animée  du  mouvement 
dont  nous  venons  d'indiquer  les  principales  lignes,  peut  rencontrer  sur 
son  passage  des  matières  qu'elle  entraîne  avec  elle. 

Ainsi  qu'il  arrive  pour  certaines  trombes  par  exemple,  ces  matières 
peuvent  être  puisées  dans  le  nuage  au  milieu  duquel  le  ou  les  cycles 
supérieurs  du  tourbillon  évoluent  quelquefois.  La  vapeur  condensée 
constituant  le  nuage  est  saisie  et  entraînée  vers  le  sol  par  le  remous, 
dans  lequel  elle  suit  tout  le  parcours  de  la  trajectoire  que  la  veine  d'air 
constituant  ce  remous  décrit  elle-même.  Cette  vapeur  condensée  peut 
rester  en  cet  état,  et  demeurer  visible  sur  toute  la  hauteur  du  phénomène, 
ou  être  résorbée,  disparaître  à  des  altitudes  variées,  selon  les  variations 
de  température  qui  peuvent  se  produire  et  se  produisent  entre  les 
diverses  régions  du  tourbillon.  De  là,  quelques-uns  des  aspects  que  pré- 
sentent ces  météores. 

A  l'inverse  de  ce  que  nous  venons  de  dire  au  sujet  des  matières  trans- 
portées par  le  remous  des  hauteurs  de  l'atmosphère  vers  la  terre,  ce  même 
remous  peut,  lorsqu'il  atteint  le  sol  ou  une  nappe  d'eau,  y  puiser  par 
certaines  régions  de  sa  troncature  inférieure  des  objets  qu'il  conduit 
jusques  et  y  compris  sa  spire  terminale  supérieure,  et  qui  rendent  égale- 
ment visibles  sa  forme,  ses  évolutions  et  sa  marche. 

Considérons  un  lieu  situé  dans  le  secteur  des  vents  ascendants  (fig.  2). 
Les  objets  tels  que  poussière,  sable,  eau,  et  tous  autres  beaucoup  plus 
lourds  et  d'un  volume  considérable,  selon  l'énergie  du  mouvement  gira- 
toire, seront  entraînés  et  prendront  une  direction  ascendante  sous  un 
angle  variable  selon  le  remous. 

Une  partie  de  ces  objets  suivra  avec  le  vent  la  trajectoire  hélicoïdale, 
et  après  y  avoir  franchi  le  secteur  des  vents  rasants  au  point  de  rebrousse- 
ment  supérieur  de  la  spire,  s'engagera  dans  le  secteur  des  vents  ])]on- 
geants,  pour  revenir  à  son  point  de  départ  ou  dans  les  environs,  en 
ayant  parcouru  ainsi  toute  la  spire  inférieure  du  remous,  et  avoir  atteint 
pendant  ce  trajet  une  hauteur  plus  ou  moins  grande  dans  l'atmosphère 
selon  l'amplitude  des  pas  de  Thélice. 

Mais  une  autre  partie  de  ces  objets,  portée  par  le  mouvement  dans  le 
voisinage  ou,  plutôt,  sur  la  limite  elle-même  de  la  spire  immédiatement 


304  MÉTÉOROLOGIE    ET    PHYSIQUE    DU    GLOBE 

supérieure,  pourra  être  saisie  par  celle-ci  et  entraînée  dans  cette  nou- 
velle spire,  OÙ  se  produiront  les  phénomènes  identiques  à  ceux  que  nous 
venons  d'indiquer  pour  la  spire  inférieure. 

Les  matières  que  le  remous  enlève  par  sa  troncature  inférieure  pourront 
être  portées  ainsi  successivement,  dans  toutes  les  spires  de  ce  remous, 
et  tourbillonner  avec  et  dans  ces  spires,  sur  toute  la  hauteur  du  météore 
qui  semblera  être  un  phénomène  d'aspiration  du  sol  vers  les  hauteurs  de 
l'atmosphère. 

Dans  les  secteurs  à  vents  rasants,  les  objets  qui  y  auront  été  portés, 
soit  par  les  vents  ascendants,  soit  à  leur  retour  vers  le  sol  par  les  vents 
plongeants,  auront  des  routes  parallèles  au  plan  de  l'horizon,  situées  à 
toutes  les  altitudes  possibles,  dans  toute  la  hauteur  du  remous.  Mais  ces 
routes  auront  entre  elles  des  directions  diamétralement  opposées,  selon 
qu'elles  appartiendront  aux  zones  de  rebroussement  inférieur  ou  supérieur 
des  spires  de  l'hélice  (fig.  2). 

Enfin,  dans  le  secteur  des  vents  plongeants,  l'effet  constaté  sera  une 
précipitation  vers  le  sol  sous  des  angles  variés,  selon  les  remous. 

Si  le  remous  est  de  faible  envergure  et  de  faible  hauteur,  comme,  par 
exemple,  certaines  trombes  ;  que  l'on  puisse  l'embrasser  d'un  coup  d'œil  ; 
qu'en  outre  ce  remous  se  présente  en  situation  convenable  pour  que  la 
zone  de  séparation  des  deux  secteurs  ascendant  et  plongeant  passe  par 
l'œil  de  l'observateur,  celui-ci  verra  simultanément  dans  le  fût  du 
météore,  deux  courants  juxtaposés  :  l'un  ascendant,  l'autre  plongeant. 
Il  verra  l'un  des  deux  seulement  de  ces  courants,  si  les  conditions 
que  nous  venons  d'indiquer  ne  sont  pas  remplies.  Selon  le  poste  d'ob- 
servation, la  trombe  sera  alors,  pour  l'observateur,  ascendante  ou  des- 
cendante. 

Rappelons  que  l'aire  occupée  par  la  troncature  inférieure  d'un  remous 
est  quelquefois  réduite,  pour  ainsi  dire,  à  un  point;  que  l'étendue  de 
«ette  aire  peut  varier  entre  des  limites  très  éloignées,  ainsi  que  l'énergie 
giratoire  de  ces  remous,  leurs  envergures  supérieures,  la  hauteur  verti- 
cale qu'ils  occupent,  et  les  distances  qu'ils  franchissent  dans  leur  mouve- 
ment de  translation. 

Un  remous  aérien  qui  est,  dans  son  résultat  final,  un  phénomène 
plongeant  des  hauteurs  de  l'atmosphère  vers  le  sol,  peut  donc  pro- 
duire tous  les  effets  divers  d'aspiration,  d'arrachement,  de  compres- 
sion, d'écrasement,  de  torsion,  de  rupture,  d'enlèvement  jusqu'à  des 
hauteurs  plus  ou  moins  fortes  de  l'atmosphère,  de  transport  à  des 
distances  qui  peuvent  être  considérables  et  dans  toutes  les  directions 
possibles. 


E.    MENDEZ.    SUR    LES    REMOUS    ATMOSPHÉRIQUES  303 


IV 


DÉTERMINATION  APPROXIMATIVE  DES  AIRES  SUR  LESQUELLES  SONT  TOUJOURS 
SITUÉS  LES  POINTS  DE  RERROUSSEMENT  INFÉRIEUR  ET  SUPÉRIEUR  DANS  LES 
SPIRES  d'un  grand  REMOUS  ATMOSPHÉRIQUE.  —  CLASSEMENT  DES  DIVERS 
VENTS    DE    CES    REMOUS,    EN   VENTS    PLONGEANTS.     ASCENDANTS    ET    RASANTS. 

Les  grands  remous  évoluent  dans  des  couches  atmosphériques  qui 
atteignent  souvent  une  très  grande  puissance  et  au  iniHeu  desquelles  la 
pression  augmente  dans  de  fortes  proportions,  à  mesure  qu'on  se  rap- 
proche du  sol.  Le  mobile  gazeux  qui  traverse  ces  couches  et  qui  constitue 
le  remous  est  soumis  à  ces  diverses  pressions  :  de  là,  dans  ce  mobile, 
des  réductions  de  volume  lorsque,  dans  son  mouvement,  il  se  dirige 
vers  la  terre;  des  expansions  au  contraire,  lorsqu'il  s'en  éloigne. 

Dans  la  figure  1,  b,  nous  avons  tracé  approximativement  les  variations 
que  subit  ainsi  la  veine  d'air  constituant  le  remous  lorsque,  dans  son 
mouvement,  elle  s'enfonce  et  s'élève  alternativement  dans  l'atmosphère 
en  décrivant  les  diverses  spires  superposées  du  remous.  En  de  sem- 
blables conditions,  l'élévation  progressive  de  la  température  dans  le  mobile 
y  accompagne  tout  mouvement  plongeant  ;  au  contraire,  la  décroissance 
de  la  température  y  est  liée  à  tout  mouvement  ascendant,  et,  dans  les 
mouvements  horizontaux,  le  thermomètre  demeure  à  un  degré  sensible- 
ment constant. 

De  là,  les  écarts  dé  température  souvent  considérables  que  l'on  note 
entre  les  diverses  aires  d'un  mouvement  giratoire,  c'est-à-dire  entre  les 
divers  vents  d'un  même  remous. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  a  pour  conséquence  que,  dans  un  remous 
dont  les  spires  affectent  des  couches  suffisamment  puissantes  de  l'atmo- 
sphère, les  points  de  rebroussement  de  la  trajectoire  décrite  par  l'air 
constituant  le  remous  sont  précisément  désignés  par  ceux  où  l'on 
constate  les  points  de  rebroussement  de  la  colonne  thermométrique. 

Il  est  d'observation  courante  que  la  température  croît  dans  un  mouve- 
ment giratoire,  de  l'aire  du  vent  du  nord  à  celle  du  vent  du  sud,  en 
passant  par  l'aire  du  vent  d'ouest;  qu'elle  décroît  au  contraire,  de  l'aire 
du  vent  du  sud  à  celle  du  vent  du  nord,  en  passant  par  l'aire  du  vent 
d'est. 

Les  points  de  rebroussement  dans  les  spires  de  l'hélice  se  trouvent 
donc  :  celui  supérieur,  sur  l'aire  du  vent  du  nord  ou  dans  son  voisinage  ; 
celui  inférieur,  au  point  opposé,  sur  l'aire  environ  du  vent  du  sud. 

Nous  n'avons  pu  faire    des  observations  assez  nombreuses  et  assez 

20* 


306  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

précises  pour  fixer  les  limites  exactes  des  zones  dans  lesquelles  se  trouvent 
ces  points  de  rebroussement.  S'il  nous  était  permis  d'émettre  une  opinion 
basée  sur  quelques  constatations,  nous  fixerions  volontiers  le  point  de 
rebroussement  supérieur  très  près  de  l'aire  du  NNE,  peut-être  en  ce 
point  lui-même,  et  le  point  de  rebroussement  inférieur  très  près  et 
peut-être  sur  l'aire  elle-même  du  SSE. 

Il  résulterait  de  là  que  dans  les  spires  d'un  mouvement  giratoire,  les 
vents  ascendants  couvrent  une  aire  totale  moins  étendue  que  celle  cou- 
verte par  les  vents  plongeants  (flg.  2). 

Les  vents  évoluant  dans  un  remous  doivent  donc  être  classés  en  : 

1°  Vents  plongeants  :  ceux  d'entre  NNE  et  SSE,  en  passant  par  celui  d'O. 

2°  Vents  ascendants  :  ceux  d'entre  SSE  et  NNE,  en  passant  par  celui  d'E. 

3"  Vents  rasants  : 

o)  Vent  de  NNE,  et  quelques-uns  de  ses  voisins  immédiats:  point  de 
rebroussement  supérieur  de  la  trajectoire,  dans  chaque  spire. 

b)  Vent  de  SSE  et  quelques-uns  de  ses  voisins  immédiats  :  point  de 
rebroussement  inférieur  (fig.  2  et  1,  b). 

Il  est  entendu  que  nous  nous  plaçons  dans  le  cas  de  remous  évoluant 
dans  l'hémisphère  nord.  Pcnir  l'hémisphère  austral,  il  y  aurait  lieu  d'opérer 
les  transpositions  que  l'on  connaît. 


DES    TEMPÉRATURES     ET    DES    VITESSES    RELATIVES    DES     VENTS,   EVOLUANT 
A   DES    ALTITUDES    DIVERSES,    DANS    UN   REMOUS. 

Nous  venons  de  voir  les  variations  de  température  que  présente  la  veine 
•d'air  constituant  un  remous,  en  décrivant  une  quelconque  des  spires 
de  ce  remous. 

D'un  autre  côté,  cette  veine,  en  parcourant  les  diverses  spires  de 
l'hélice,  s'enfonce  davantage  dans  des  couches  atmosphériques  de  plus 
•en  plus  rapprochées  du  sol,  au  milieu  desquelles  la  pression  est  de  plus 
en  plus  forte  et  où,  par  conséquent,  de  plus  en  plus  comprimée,  elle 
acquiert  plus  de  chaleur. 

En  prenant  deux  points  symétriques  quelconques  dans  deux  spires 
d'un  remous,  c'est-à-dire  deux  points  où  régnent  des  vents  de  direction 
égale  dans  ces  spires,  la  température  sera  plus  élevée  au  point  situé  sur 
ia  spire  inférieure  qu'au  point  symétrique  sur  la  spire  supérieure 
(fig,  3). 

En  d'autres  termes,  les  vents  semblables  régnant  dans  toutes  les 
spires  d'un  remous  sont,  entre  eux,  à  des  températures  relatives  d'autant 


E.    MENDEZ.    —    SUR   LES    REMOUS    ATMOSPHÉIUQUES  307 

plus  élevées  que  ces  vents  appartiennent  à  des  spires  de  l'hélice  plus 
rapprochées  du  sol,  ou  inversement  (flg.  3). 

Les  variations  de  volume  et  les  phénomènes  connexes  de  variation  de 
température  que  nous  venons  d'indiquer  dans  la  veine  constituant  un 
remous  ont  pour  facteur  principal  la  résistance  du  milieu  dans  lequel 
cette  veine  pénètre  et  évolue.  Cette  résistance  exerce  en  même  temps 
l'autre  action  habituelle  qui  a  pour  effet  de  ralentir  le  mouvement. 

La  vitesse  d'une  molécule  d'air,  c'est-à-dire  la  vitesse  du  vent,  décroît 
sur  toute  l'étendue  de  la  trajectoire   décrite  dans  un  remous,  depuis  le 


N.O. 


< f " ^* »— » T* *-*- 

)e Spire  inférieure > 


~      Direction  du 

.^jnouvement 

detrai^slation 

du  remous. 


Déueloppement-  jrcr   an  pian,   de,  la   trajectoire    de,    l 'air     daru-  cCeu-x.  spires  ca/urecutuies 

d'un    remous  atmosphérique-  anim^    d'un    maïuiemeniy  de-  iranshiUon,. , 

Graphique,  de,  l'inlensilâ'  ralaUve-  des-  vents-  £aij>  divers  points  de-  la-  tryecUivre-. 

Or-aphique-  des  de<p^  relaii/s  de  tempêraiicre' . 


KlG.   3. 


moment  où  cette  molécule  reçoit  sou  impulsion  initiale  dans  les  hauteurs 
de  l'atmosphère  jusqu'à  celui  où  elle  atteint  le  sol. 

Lorsque  le  remous  est  animé  d'un  mouvement  de  translation,  la  vitesse 
de  la  veine  d'air  qui  le  constitue  passe  par  les  accélérations  et  les  ralentis- 
sements que  l'on  sait.  Le  maximum  qui  se  produit  alors  dans  chacune 
des  spires  du  remous,  et  qui  s'étend  environ  de  l'aire  du  NO  à  celle  du 
SO,  n'est  pas  constant  sur  toute  l'étendue  de  cette  zone.  —  L'aire  du  NO, 
dans  une  quelconque  des  spires  d'un  remous,  est  située  à  une  plus  jurande 
altitude  que  celle  du  SO.  Ce  dernier  vent  est  donc,  toutes  autres  causes 
•égales  d'ailleurs,  d'intensité  moindre  que  le  vent  NO  [fig.  3). 

En  résumé,  tous  les  vents  semblables  régnant  dans  les  diverses  spires 
d'un  remous  sont  animés  de  vitesses  relatives  d'autant  plus  grandes  qu'ils 
appartiennent  à  des  spires  situées  à  une  plus  grande  altitude,  ou  inver- 
sement [fig.  3). 


308  MÉTKOROLllGIE    KT    PHYSIQUE    DU    GLOBE 

En  rapprochant  cette  proposition  de  celle  que  nous  avons  émise  précé- 
demment sur  les  températures,  on  peut  conclure  qu'étant  donnés  dans 
un  remous  deux  vents  semblables  quelconques,  le  rapport  entre  leurs 
vitesses  est  inverse  à  celui  qui  existe  entre  leurs  températures  (fig.  3). 


VI 


VEXTS  SUPERPOSÉS    SELON    LA    NORMALE    A  UN    POINT    DU  SOL  AU-DESSUS  DUQUEL 

PASSE    UN    REMOUS    ATMOSPHÉRIQUE. 

Un  remous  est  composé  de  spires  superposées  en  nombre  variable  selon 
les  cas,  et  de  diamètres  décroissants,  en  se  rapprochant  du  sol. 

Si  l'axe  est  normal  au  plan  de  l'horizon,  la  veine  d'air  qui  constitue  le 
remous  décrira  dans  l'espace  une  route  qui,  pour  l'observateur  situé  à 
la  surface  du  sol,  sera  une  courbe  en  spirale  ayant  pour  centre  le  point 
où.  l'axe  vient  rencontrer  la  terre. 

Sur  toute  l'étendue  d'un  quelconque  des  rayons  vecteurs  de  cette  courbe, 
le  mouvement  giratoire  sera  de  direction  égale,  ou  sensiblement.  En  d'au- 
tres termes,  les  vents  superposés  normalement  sur  toute  la  hauteur  du 
remous  seront  tous  de  direction  identique. 

11  n'en  est  plus  de  même  si  l'axe  est  incliné  sur  le  plan  de  l'horizon, 
et  cela  nous  a  paru  être  un  cas  très  fréquent. 

La  trajectoire  décrite  par  l'air  dans  le  remous  se  projettera  alors,  pour 
l'observateur,  en  une  courbe  à  boucles  moins  ou  plus  ouvertes,  selon  l'in- 
clinaison plus  ou  moins  forte  de  l'axe  et  les  envergures  relatives  des  spires. 
Ces  diverses  spires  présenteront  ainsi  au  même  instant,  au  zénith  de 
l'observateur,  certaines  de  leurs  régions  dans  lesquelles  le  mouvement 
giratoire  pourra  n'être  pas  de  direction  semblable.  En  d'autres  termes,  les 
vents  régnant  à  diverses  altitudes,  au  zénith,  pourront  être  de  directions 
variées. 

Il  se  produira  ainsi  un  grand  nombre  de  cas,  selon  lesquels  ces  direc- 
tions pourront  faire  entre  elles  tous  les  angles  compris  entre  zéroetlSOde- 
grés,  c'est-à-dire  entre  la  limite  où  les  vents  superposés  selon  la  normale 
sont  identiques  et  celle  où  ils  sont  diamétralement  opposés. 

Sur  le  passage  d'un  assez  grand  nombre  de  remous,  nous  avons  noté 
jusqu'à  trois  vents  divergents  au  zénith.  Enfin  nous  avons,  il  nous  semble, 
observé  de  ces  vents  divergents  dus  à  la  superposition  de  spires  de  deux 
remous  marchant  à  courte  distance  l'un  de  l'autre. 

Dans  les  notes  tout  à  fait  sommaires  que  nous  venons  de  transcrire,  sur 
cette  question,  nous  n'avons  eu,  bien  entendu,  que  le  simple  désir  de  la 
mentionner. 


E.    MENDEZ.    SLU    LES    REMOIS    AT.MOSl'HÉHlULES  309 


VII 


TRANSPORTS    D  AIR  EFFECTUÉS    PAR    LES    REMOUS    ATMOSPHÉRIQUES. 
DES  MAXLMA   ET    MIMMA    DE    TEMPÉRATURE    OBSERVÉS   A  LA    SURFACE    DU    SOL 
PENDANT   LE    PASSAGE   d'uN    REMOUS 

De  la  constitution  d'un  remous,  il  résuite  qu'un  tleuve  d'air  plus  ou 
moins  puissant,  selon  l'importance  du  remous,  s'écoule  vers  le  sol  pendant 
la  durée  du  phénomène  ;  ce  fleuve  a  sa  source  dans  les  hauteurs  de  l'at- 
mosphère où  le  remous  prend  naissance,  et  son  embouchure  à  la  tron- 
cature inférieure  de  ce  remous.  Sur  toute  la  périphérie  du  conoïde,  le  frot- 
tement retient  à  diverses  altitudes  une  partie  de  l'air  qui  y  circule.  Cette 
partie  doit  être  considérée  comme  très  faible,  relativement  à  la  masse  que 
le  courant  charrie  vers  le  sol,  et  qu'il  y  dépose  sur  tout  le  parcours  de  la 
trajectoire  décrite  par  le  remous  dans  son  mouvement  de  translation. 

rsous  verrons  bientôt  qu'une  notable  partie  de  ce  courant  est  en  outre 
alimentée  par  de  l'air  puisé  à  des  altitudes  encore  plus  grandes  que  celles, 
quelles  qu'elles  soient,  auxquelles  évoluent  les  cycles  terminaux  supé- 
rieurs des  remous. 

La  masse  d'air  circulant  dans  ces  météores,  et  portée  vers  le  sol  par 
eux,  est  donc  puisée  dans  des  régions  de  l'atmosphère  où  peuvent  régner 
de  basses  températures  relatives,  variables  selon  l'altitude  de  ces  régions 
et  les  saisons. 

Les  maxima  et  minima  de  température  observés  à  la  surface  du  sol,  sur 
le  passage  d'un  remous,  ont  donc  pour  facteurs,  entre  autres  :  les  saisons 
et  la  hauteur  verticale  occupée  par  le  remous  dans  l'atmosphère. 


VIII 


SUR    UN    MOUVEMENT  TOURBILLONNAIRE  PLONGEANT 
SITUÉ    AU-DESSUS  DES  REMOUS,  LES    ACCOMPAGNANT    DANS    LEUR    MARCHE 

ET    PRODUIT    PAR    EUX. 

Au  moment  où  se  forme  un  remous,  la  couche  atmosphérique  au 
milieu  de  laquelle  il  prend  naissance  subit  une  dénivellation,  qui  la  trans- 
forme en  un  cône  creux  dont  le  sommet  est  dirigé  vers  la  terre.  Il  se  pro- 
duit ainsi  un  vide  qui  est  comblé  par  un  afllux  d'air  venant  de  régions 
situées  au-dessus  du  cycle  supérieur  du  remous.  Partie  de  cet  afflux  ainsi 
appelé  est  entraînée  dans  le  mouvement  de  giration  du  remous  et  portée 


310  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

vers  le  sol.  Delà,  pour  ainsi  parler,  une  aspiration  constante,  exercée 
par  le  remous  et  puisant  dans  les  régions  situées  au-dessus  de  lui  d'im- 
portantes masses  d'air. 

Celles-ci  se  dirigent  vers  le  remous  en  suivant  des  trajectoires  courbes 
Qffrant  dans  leur  ensemble  une  allure  tourbillonnante,  et  dont  le  point  de 
convergence  est  situé  dans  la  direction  du  centre  du  cycle  terminal  supé- 
rieur du  remous  (fig.  4). 


ci. 


Fig.  i.  —  Figuro  théorique  d'un  remous  et  du  mouvement  tourbillonnaire 
secondaire  situé  au-dessus  de  lui. 


Un  mouvement  giratoire  plongeant  domine  donc  les  remous  atmo- 
sphériques, les  alimente  d'une  partie  de  l'air  qu'ils  charrient  vers  le  sol, 
les  accompagne  dans  leur  mouvement  de  translation  et  est  produit  par 
eux. 

L'axe  de  ce  mouvement  secondaire  est  perpendiculaire  au  plan  moyen 
de  la  spire  supérieure  terminale  du  remous.  Il  est  par  conséquent  d'autant 
plus  incliné  sur  l'horizon,  que  le  plan  moyen  de  la  spire  supérieure  du 
remous  a  lui-même  une  inclinaison  plus  forte  sur  ce  même  horizon 
(fig.  4). 

Pour  l'observateur  situé  à  la  surface  du  sol,  le  phénomène  présentera 


K.  MENDEZ.  SUR  LES  REMOUS  ATMOSPHÉRIQUES  311 

dans  son  ensemble  la  disposition  de  sa  projection  horizontale,  indiquée 
dans  la  figure  4.  Les  deux  zones  terminales  supérieures  du  remous  et  du 
mouvement  tourbillonnaire  secondaire  seront  limitées  par  deux  courbes, 
ONESO  et  O'NE'SO',  formées  sensiblement  des  mêmes  éléments  géo- 
métriques, mais  débordant  l'une  sur  l'autre  d'une  quantité  NESE'N  d'au- 
tant plus  étendue  que  l'axe  du  mouvement  giratoire  secondaire  est  plus 
incliné  sur  l'horizon. 

Dans  une  quelconque  des  spires  d'un  remous  atmosphérique,  le  point 
de  rebroussement  supérieur  est  situé  environ  sur  l'aire  du  vent  du  nord,  et 
le  rebroussement  inférieur  sur  celle  environ  du  vent  du  sud.  Étant  donnée 
la  manière  d'évoluer  des  remous  dans  l'hémisphère  nord,  les  rebrousse- 
ments  sont  donc  placés  au  point  de  vue  de  leur  orientation  :  celui  supé- 
rieur —  aire  vent  du  nord  —  dans  les  régions  occidentales  du  remous,  et 
celui  inférieur  —  aire  vent  du  sud  —  dans  les  régions  orientales. 

Dans  un  remous  atmosphérique  évoluant  dans  l'hémisphère  nord,  le 
plan  moyen  d'une  quelconque  de  ses  spires  est  donc  incliné  sur  l'horizon 
des  régions  occidentales  de  ce  remous  vers  ses  régions  orientales.  D'un 
autre  côté,  on  peut  considérer  en  général,  que  la  trajectoire  moyenne  de 
translation  des  remous  qui  abordent  l'Europe  a  une  direction  moyenne 
de  l'ouest  vers  l'est.  C'est  donc,  dans  la  grande  généralité  des  cas,  par  un 
point  du  segment  NESE'N  (fig.  4),  que  les  remous  atmosphériques  abor- 
dent l'Europe  occidentale. 

Plus  loin,  nous  tirerons  de  ces  faits  quelques  conséquences. 

Nous  venons  d'indiquer,  telle  que  nous  pensons  qu'elle  existe,  l'allure 
générale  et  la  constitution  normale  du  mouvement  tourbillonnaire  secon- 
daire dominant  un  remous  atmosphérique,  et  produit  par  ce  remous.  Nous 
ajouterons  que,  par  l'observation  de  nuages  dont  nous  parlerons  tout  à 
l'heure,  nous  avons  constaté  que  dans  ce  mouvement  secondaire,  il  se  pro- 
duit fréquemment  des  remous  locaux  et  de  faible  envergure  relative. 


IX 

HALOS  ET  AUTRES  PHÉNOMÈiNES  DE  DIFFRACTION  ET  DE  DÉCOMPOSITION  DE  LA 
LUMIÈRE.  PRÉCURSEURS  DES  REMOUS  ATMOSPHÉRIQUES,  —  CIRRHI.  —  CIRRHO- 
CUMULI.  —  NUAGES  MOUTONNÉS.  FILES  DE  NUAGES,  PARALLÈLES  ET  DIVER- 
GENTES. —   STRATUS   DES   HAUTES    ALTITUDES. 

Dès  qu'un  remous  est  formé,  il  se  produit  donc,  au-dessus  de  lui  et 
vers  lui,  un  appel  de  l'air  situé  à  des  altitudes  beaucoup  plus  considé- 
rables que  celle,  quelle  qu'elle  soit,  à  laquelle  évolue  le  cycle  terminal 
supérieur  de  ce  remous. 


312  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

L'air  mis  ainsi  en  marche  et  puisé  jusqu'à  de  très  grandes  altitudes, 
peut  être  et  est  souvent  à  de  très  basses  températures.  Les  filets  de  cet 
air  froid  pénétrant  dans  des  couches  inférieures  de  température  plus 
élevée,  y  condensent  la  vapeur  qui  s'y  trouve,  et  même  —  ce  qui  est  le 
cas,  il  semble,  le  plus  fréquent  —  la  congèlent  sur  leur  passage,  en  fines 
aiguilles  de  glace,  formant  comme  une  poussière  entraînée  par  l'appel 
d'air  qui  lui  a  donné  naissance  et  qui  la  transporte  vers  le  remous. 

Toute  la  partie  supérieure  ABCD  (fig.  4)  couronnant  le  mouvement 
tourbillonnaire  secondaire,  contient  celte  poussière  de  particules  glacées. 
Au  milieu  d'elles  se  produisent  les  halos  et  certains  autres  phénomènes 
de  diffraction  et  de  décomposition  de  la  lumière  de  la  lune  ou  du  soleil. 
Remarquons  ici  que  partie  de  cette  région  se  projette  précisément  dans 
le  segment  NESE'N  (fig.  4)  dont  nous  parlions  dans  le  chapitre  pré- 
cédent, et  que  ce  segment  commence  à  passer  au  zénith  avant,  quelque- 
fois bien  avant,  que  la  baisse  du  baromètre  n'ait  débuté,  c'est-à-dire 
avant  que,  dans  le  mouvement  de  translation  du  remous,  la  limite  SEN 
(fig.  4)  n'arrive  au  zénith.  Les  halos,  etc.,  peuvent  donc  se  produire 
aux  approches  des  remous  et  apparaître  bien  avant  que  la  baisse  du  baro- 
mètre ait  pu  prévenir  de  l'arrivée  de  ces  remous,  dont  ils  sont  ainsi  les 
précurseurs. 

Dans  leur  mouvement  convergent,  les  aiguilles  de  glace  se  rapprochent 
de  plus  en  plus  les  unes  des  autres,  à  mesure  qu'elles  plongent  davan- 
tage dans  l'atmosphère.  Des  groupements  de  ces  aiguilles  se  font  plus 
denses  en  certains  points  que  sur  d'autres.  Elles  se  réunissent  en  faisceaux 
plus  ou  moins  allongés,  de  diamètres  plus  ou  moins  grands,  et  devien- 
nent alors  visibles. 

Ces  faisceaux  sont  rectilignes  ou  courbes  selon  l'étendue  qu'ils  occupent 
sur  la  trajectoire  qu'ils  parcourent,  et  selon  la  courbure  plus  ou  moins 
forte  de  cette  trajectoire.  Enfin,  ainsi  que  ces  trajectoires,  ils  peuvent 
être  orientés  dans  toutes  les  directions  possibles.  Tous  forment  avec  le 
plan  de  l'horizon  un  angle  variable,  c'est-à-dire  que  tous  plongent  obli- 
quement dans  l'atmosphère.  Ces  faisceaux  constituent  les  cirrhi,  sous  les 
formes  purement  filamenteuses,  plus  ou  moins  denses,  que  ces  nuages 
affectent. 

C'est  en  cet  état  que  nous  nommerons  le  deuxième  stade,  que,  dans 
leur  mouvement  plongeant,  les  aiguilles  de  glace  apparaissent  dans  les 
régions  avoisinant  le  zénith  de  la  limite  SEN  (fig.  4),  périphérie  du 
cycle  terminal  supérieur  du  remous.  Leur  venue  coïncide  ainsi,  à  très 
peu  de  chose  près,  avec  le  début  de  la  baisse  du  baromètre. 

Nous  parlions  tout  à  l'heure,  en  en  donnant  selon  nous  la  cause,  des 
diverses  orientations  et  des  courbures  que  l'on  peut  remarquer  dans  les 
cirrhi.  Ces  orientations  et  ces  courbures  peuvent  être  dues  également  aux 


E.    MENDEZ.    SUR    LES    UEMOLS    ATMOSPHÉRIQUES  343 

remous  d'ordre  troisième  qui  naissent  fréquemment  dans  le  mouvement 
tourbillonnaire  secondaire.  Ces  remous  tertiaires  entraînent  les  cirrhi 
dans  leurs  spires.  C'est  ainsi  que  l'on  peut  voir  de  ces  nuages  placés  à 
diverses  altitudes  et  se  coupant,  au  zénith,  sous  tous  les  angles  possibles. 
Dans  d'autres  circonstances,  nous  avons  observé  de  ces  cirrhi,  d'une 
étendue  suffisante  en  longueur,  se  projetant  au  zénith  en  une  courbe 
sensiblement  circulaire  et  dessinant  ainsi  la  spire  du  remous  tertiaire 
qui  les  entraînait  dans  son  évolution. 

Après  avoir  franchi  la  zone  où  les  aiguilles  de  glace,  en  se  groupant, 
forment  les  cirrhi,  ces  aiguilles,  poursuivant  leur  route,  pénètrent  de  plus 
en  plus  profondément  dans  l'atmosphère.  Elles  y  rencontrent  des  couches 
dont  la  température  est  de  plus  en  plus  élevée,  ou,  si  l'on  veut,  de  moins 
en  moins  basse. 

La  pointe  inférieure  des  faisceaux  cirrhi  est  celle  qui  subit  la  première, 
dans  ces  nuages,  la  transformation  due  à  cette  influence.  Cette  partie  se 
transforme  en  eau  et  quelques  instants  de  chute,  après,  en  vapeur.  Celle-ci, 
par  sa  force  ascensionnelle,  rebrousse  chemin  et  se  condense  presque 
aussitôt  formée,  du  moins  en  grande  partie,  car  ce  rebroussement  s'ef- 
fectue à  la  limite,  pour  ainsi  parler,  où  soit  la  température,  soit  le  point 
de  saturation,  admettent  l'état  de  vapeur. 

11  se  forme  ainsi,  à  l'extrémité  inférieure  du  cirrhus,  comme  un  sphé- 
roïde plus  ou  moins  régulier,  analogue  au  sphéroïde  de  fumée  que  pro- 
duit une  fusée  lorsqu'elle  éclate. 

Ce  troisième  stade  constitue  les  cirrho-cumuli.  Isolés  et  en  petit  nombre 
dans  le  ciel,  ils  se  trouvent  en  général  à  de  grandes  altitudes  encore 
dans  les  régions  CDFG  (fig.  4)  du  mouvement  tourbillonnaire  secondaire. 

Au-dessous  de  cette  région,  le  mouvement  convergent  rapprochant 
davantage  entre  eux  les  faisceaux -cirrhi,  ceux-ci  se  groupent  de  plus  en 
plus  et,  par  suite,  les  sphéroïdes  de  vapeur  condensée  qui  peuvent  se 
former  à  leurs  parties  inférieures  se  groupent  eux-mêmes.  Ces  sphéroïdes 
constituent  alors  les  nuages  dits  moutonnés,  à  éléments,  c'est-à-dire  à 
cumuli  plus  ou  moins  grands,  plus  ou  moins  menus. 

Dans  un  grand  nombre  de  cas,  ces  éléments  ne  sont  pas  disposés  au 
hasard.  Ils  se  présentent,  au  contraire,  en  files  parallèles  plus  ou  moins 
rapprochées  entre  elles.  Cela  est  surtout  très  net  et  très  fréquent  lors- 
qu'on examine  le  nuage  à  un  moment  pas  très  éloigné  de  celui  de  sa 
formation.  Supposons  que  la  pointe  inférieure  des  faisceaux  cirrhi 
pénètre  dans  une  couche  qui,  en  outre  des  conditions  hygrométriques 
ou  de  température  dont  nous  parlons  plus  haut,  soit  animée  d'un  mou- 
vement de  translation  ;  qu'il  y  règne,  en  un  mot,  un  vent  quelconque. 
Les  sphéroïdes  de  vapeur  formés  par  les  afflux  successifs  d'aiguilles  de 
glace  plongeantes  seront  immédiatement  entraînés,  à  mesure  de  leur  for- 


314  MÉTÉOUOLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

mation,  par  le  courant,  autrement  dit,  le  vent  dont  ils  suivront  la  direc- 
tion. Chaque  cirrhus  fournira  ainsi  une  file  de  sphéroïdes  et  toutes  ces 
files  seront  dans  le  lit  du  même  vent,  c'est-à-dire  qu'elles  seront  toutes 
parallèles  entre  elles.  Si  les  faisceaux  cirrhi  ont  entre  eux  un  écartement 
suffisant,  l'aspect  moutonné  du  nuage  disparaît  entièrement  pour  faire 
place  à  une  autre  disposition  :  celle  de  files  ou  bourrelets  parallèles  séparés 
par  de  larges  bandes  sereines. 

La  perspective  rend  ces  files  divergentes  si  le  nuage  a  une  étendue 
suflîsante.  Elles  semblent  alors  jaillir  toutes  d'un  unique  point  radiant. 

Les  nuages  moutonnés  sont  situés  dans  la  région  FGKM  (fig.  4)  du 
mouvement  tourbillonnaire  secondaire.  Ceux  de  ces  nuages  présentant 
la  disposition  en  files  parallèles  peuvent  être  formés,  à  diverses  altitudes, 
par  des  courants  régnant  dans  ces  hauteurs  de  l'atmosphère.  Ils  sont 
alors,  en  général,  de  faible  étendue  ou  du  moins,  l'éloignement  les  fait 
paraître  tels.  Mais  ils  se  forment  surtout,  et  dans  de  grandes  propor- 
tions, dans  les  régions  inférieures  du  mouvement  tourbillonnaire  secon- 
daire, où  ils  peuvent  être  en  contact  avec  les  vents  évoluant  à  la  surface 
du  cycle  supérieur  terminal  du  remous  et  où  les  faisceaux  cirrhi  arrivent 
groupés  en  plus  grand  nombre. 

Que  ces  cirrhi  soient  alors  assez  rapprochés  les  uns  des  autres,  ou  que 
l'afflux  d'aiguilles  de  glace  qui  les  constitue  augmente  progressivement  le 
volume  des  sphéroïdes  de  vapeur  condensée,  ces  sphéroïdes  se  pénètrent 
réciproquement.  Les  canaux  sereins  des  nuages  moutonnés  disparaissent, 
sont  comblés.  Il  en  résulte  une  nappe  continue.  Elle  constitue  le  stratus 
qui  est  dans  ce  cas,  et  n'est  d'ailleurs  jamais,  à  ces  altitudes,  que  le 
second  stade,  plus  ou  moins  prochain,  du  nuage  moutonné. 

Enfin,  sous  les  diverses  formes  qu'il  peut  affecter,  et  dont  nous  venons 
d'examiner  quelques-unes,  selon  nous  principales  et  auxquelles  toutes 
les  autres  peuvent  se  rattacher,  l'afflux  aqueux  balayé  par  le  mouve- 
ment tourbillonnaire  secondaire,  arrive  h  la  limite  KM  (fig.  4).  Il  s'y 
trouve  en  contact  avec  la  spire  supérieure  terminale  du  remous  et  peut 
être  saisi  par  elle. 

X 

ORDRE  DANS  LEQUEL  DÉFILENT  AU  ZÉNITH  LES  DIVERSES  CATÉGORIES  DE  NUAGES 
APPARTENANT  AU  MOUVEMENT  TOURBILLONNAIRE  SECONDAIRE,  ET  LEURS  SU- 
PERPOSITIONS POSSIBLES  SELON  LA  NORMALE,  PENDANT  LES  APPROCHES,  LE 
PASSAGE  ET    LA   DISPARITION    d'uN    REMOUS   ATMOSPHÉRIQUE. 

Le  conoïde  constituant  le  mouvement  tourbillonnaire  secondaire  domi- 
nant un  remous  peut  donc  être  considéré  comme  divisé  par  plusieurs 
sections  menées,  selon  des  plans  perpendiculaires,  à  son  axe,  donnant  cha- 


E.  MENDEZ.  —  SUR  LES  REMOUS  ATMOSPHÉRIQUES  315 

cune  d'elles  des  régions  tronc-coniques  A'B'C'D',  D'C'E'K',  R'E'M'L'...,  etc, 
(fig.  5)   de   diamètres  décroissants  à  mesure  qu'elles  se  rapprochent  du 

1, 


y777777777?777777777777 

Périphérie  du  cycle  supérieur 
du  remous,  limite  sur  laquelle 
débute  la  baisse  du  banomètre. 


FiG.   0. 


sommet  0'  du  cône  auxquelles  elles  appartiennent,  c'est-à-dire  à  mesure 
qu'elles  sont  plus  près  du  remous . 

La  première  de   ces  régions  A'B'C'D'  [fig.  S),  celle  qui  est  située  à  la 
plus  grande  altitude,  ne  contient  que  des  aiguilles  de  glace,  un  essaim 


316  MÉTÉOROLOGIE    ET    PHYSIQUE    DU    GLOBE 

plus  OU  moins  dense,  mais  invisibles,  au  milieu  desquelles  peuvent  se 
manifester  les  phénomènes  de  diffraction  et  de  décomposition  de  la 
lumière  de  la  lune  ou  du  soleil,  précurseurs  des  remous. 

Dans  la  région  suivante,  D'G'E'K',  se  trouvent  les  cirrhi  filamenteux. 

La  troisième,  K'E'M'L',  contient  les  cirrho-cumuli  épars;  la  quatrième, 
L'3rN'P',  les  nuages  moutonnés  et  ceux  en  files  ou  bourrelet  s  parallèles  ; 
enfin,  la  cinquième,  P'N'O',  les  stratus. 

Pour  l'observateur  situé  à'ia  surface  du  sol,  ces  diverses  régions  super- 
posées débordent  les  unes  sur  les  autres,  et  ces  anneaux  débordants  sont 
limités  par  des  courbes  ABA",  DCD",  KEK",  etc.  {fig.  ë),  inscrites  les 
unes  dans  les  autres,  disposées  autour  du  point  0,  sommet  du  conoïde 
constituant  le  tourbillon  secondaire,  et  d'autant  plus  excentriques  par 
rapport  à  ce  point  et  entre  elles,  que  l'axe  de  ce  tourbillon  est.plus  incliné 
sur  le  plan  de  l'horizon. 

Ces  anneaux  défilent  successivement  au  zénith  pendant  la  marche  du 
remous.  Successivement  aussi,  ils  y  présentent  les  nuages  de  formes 
distinctes  et  caractéristiques  des  régions  tronc-coniques  auxquelles  ces 
anneaux  appartiennent. 

Ainsi  passent  d'abord  les  poussières  d'aiguilles  de  glace,  ensuite  et 
successivement  apparaissent  les  cirrhi  filamenteux,  les  cirrho-cumuli,  les 
nuages  moutonnés  ou  ceux  en  files  ou  bourrelets  parallèles,  et  enfin  les 
stratus. 

A  mesure  que  le  remous  approche,  les  diverses  régions  tronc-coniques 
du  mouvement  tourbillonnaire  secondaire  arrivent  et  se  superposent  au 
zénith.  Avec  elles  arrivent  aussi  les  catégories  de  nuages  qu'elles  con- 
tiennent. On  verra  ainsi  ces  diverses  formes  de  nuages,  superposées  selon 
la  normale,  en  nombre  d'autant  plus  grand  que,  dans  la  marche  du 
remous,  les  régions  circonvoisines  du  point  0  (fig.  5)  arrivent  plus  près 
du  zénith. 

Au  delà,  et  à  mesure  que  le  remous  s'éloigne,  les  phénomènes  que 
nous  venons  d'indiquer  se  reproduisent  symétriquement.  Le  nombre 
des  diverses  catégories  de  nuages  décroît  progressivement  au  zénith, 
d'où  elles  disparaissaient  successivement  en  ordre  inverse  à  celui  de  leur 
arrivée. 

Au  point  0  lui-même  et  autour  de  lui,  à  une  distance  variable  selon 
les  remous,  s'ouvre  l'embouchure  inférieure  de  la  gaine  a^yo  (fig.  5), 
située  sur  le  prolongement  de  celle  analogue  du  calme  central  qui  existe 
dans  le  remous.  Autour  de  cette  gaine,  et  sans  y  pénétrer,  évolue  le 
mouvement  tourbillonnaire  secondaire  ;  elle  est  libre  de  nuages. 

La  figure  5  permet  de  se  rendre  compte  aisément,  pour  chacune  des 
régions  arrivant  ainsi  successivement  au  zénith,  de  la  nature  et  du  mode 
de  superposition  des  diverses  formes  de  nuages  qu'elles  peuvent  contenir. 


J.  HICHAllD.    —   NOUVEAUX    APPAREILS    ENREGISTREURS  317 

En  fait,  ces  formes  n'y  existent  pas  toutes  toujours.  Elles  peuvent  se 
produire,  et  se  produisent  quelquefois,  sans  passer  par  un  ou  même 
des  stades  intermédiaires.  Selon  les  remous,  il  y  a  ainsi  des  lacunes. 

11  n'est  pas  besoin,  d'ailleurs,  de  faire  remarquer  que  si,  dans  un 
remous,  tous  lés  types  sont  représentés,  on  doit,  pour  les  voir  défiler 
tous,  être  placé  sur  la  route  du  centre  du  météore  ou  dans  le  voisinage  du 
parcours  de  cette  trajectoire.  Ailleurs,  on  traversera  des  segments  plus 
ou  moins  étendus,  ne  contenant  que  la  série  plus  ou  moins  complète. 

Au  passage  d'un  remous,  et  dans  les  éclaircies  que  laissent  quelquefois 
entre  eux  les  nuages  inférieurs  charriés  dans  les  spires  de  ce  remous,  on 
aperçoit  ainsi  défiler  au-dessus  de  lui,  et  selon  le  mode  que  nous  avons 
indiqué,  les  nuages  appartenant  au  mouvement  tourbillonnaire  secon- 
daire. Mais,  tôt  après  qu'apparaissent  les  grands  cumuli  des  vents  de 
NNO-N  à  NNE,  les  larges  espaces  que  laissent  entre  eux  ces  cumuli 
sont  sereins,  à  moins  qu'un  nouveau  remous  suivant  à  courte  distance, 
ne  montre  son  avant-garde  de  cirrhi.  Le  fait  se  produit  souvent. 

A  ne  parler  que  du  remous  qui  s'éloigne  et  sous  lequel  l'observateur  se 
trouve  encore,  cet  observateur  y  est  placé  alors,  en  effet,  dans  le  segment 
TVRZT  (fig.  3),  au  zénith  duquel  le  mouvement  tourbillonnaire  secon- 
daire a  achevé  de  passer,  où  il  n'existe  plus,  et  n'y  a  laissé,  s'il  en  a 
même  laissé  pour  quelques  instants  encore,  que  les  très  rares  et  derniers 
éléments  de  son  arrière-garde. 


M.  J.  RICHARD 

Constructeur  d'instruments  de  précision,  à  Paris. 


NOUVEAUX  APPAREILS  ENREGISTREURS 


—  Séance  du  17  septemlire  1892  — 


Thermomètre  enregistreur  donnant  le  100^  de  degré.  —  Ce  thermo- 
mètre est  fondé,  comme  tous  les  thermomètres  de  notre  fabrication,  sur 
le  principe  des  tubes  à  section  elliptique  dits  «  de  Bourdon  »  roulés  en 
hélice  et  remplis  d'alcool,  mais  dans  lequel  l'accouplement  est  fait  au 


318  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

moyen  d'un  système  tout  à  fait  nouveau  qui  permet  à  l'organe  moteur 
d'utiliser  le  maximum  de  force  disponible  en  supprimant  tous  les  frotte- 
ments ayant  lieu  dans  la  transmission  du  mouvement  au  style  par  les 
renvois  de  leviers  ordinaires,  ce  qui  permet  de  conserver  au  thermomètre 
des  indications  absolument  proportionnelles  dans  une  limite  de  110  degrés. 
Il  est  bien  évident  que,  dans  la  pratique,  on  n'a  jamais  besoin  d'une  exac- 
titude pareille  dans  une  limite  aussi  étendue,  aussi  le  cylindre  ne  permet-il 
d'enregistrer  que  15  degrés.  La  hauteur  du  cylindre  étant  de  16  centimètres, 
chaque  degré  est  représenté  par  une  hauteur  de  10  millimètres  dont  le 
centième,  1/10®  de  millimètre,  représentant  le  100*  de  degré  est  déjà  très 
appréciable  à  l'œil.  Un  de  ces  appareils  a  été  demandé  par  une  mission 
au  pôle  Sud,  et  comme  il  devait  traverser  la  mer  Rouge,  il  fallait  que  les 
indications  puissent  varier  de  — 10  à  -j-  40  degrés  centigrades.  A  cet  effet,  le 
tube  Ihermométrique  était  monté  sur  un  bâti  circulaire  muni  d'une  vis 
tangentielle  qui  permettait  de  ramener  le  style  vers  le  milieu  du  cylindre 
lorsque  l'on  prévoyait  que  les  écarts  de  température  pouvaient  dépasser 
la  limite  du  papier. 

Ces  appareils  sont  surtout  destinés  aux  locaux  où  sont  installés  des 
appareils  de  haute  précision  et  où  la  variation  thermométrique,  si  faible 
qu'elle  soit,  est  importante  à  connaître. 

La  rapidité  de  mise  au  point  est  considérable  ;  elle  est  due  à  la  grande 
surface  en  contact  avec  l'atmosphère  comparativement  avec  le  volume  du 
liquide.  En  effet,  la  partie  thermométrique  étant  composée  d'un  long 
ruban  de  métal  creux  dont  la  section  intérieure  est  de  moins  d'un  milli- 
mètre, il  s'ensuit  qu'aucun  thermomètre  en  verre  ne  peut  se  mettre 
aussi  rapidement  en  équilibre  avec  la  température. 

Au  sujet  de  l'enregistrement  en  général  des  variations  de  tous  les  phé- 
nomènes, on  ne  saurait  trop  appuyer  sur  l'importance  de  l'enregistrement 
par  tracé  continu .  On  a  cherché  à  discréditer  ce  mode  d'inscription  pour 
mettre  en  lumière  des  systèmes  à  pointage  qui  certainement  sont  la  plus 
mauvaise  chose  du  monde,  puisqu'ils  laissent  passer  continuellement  les 
variations  les  plus  intéressantes  sans  les  inscrire  et  que  forcément  les 
maxima  et  les  minima  ne  sont  jamais  enregistrés  exactement.  La  courbe 
qui  en  résulte  est  une  sorte  de  tracé  moyen  qui  n'indique  absolument 
rien.  Ce  moyen,  du  reste,  qui  a  été  employé  pour  la  construction  des 
premiers  enregistreurs  est  depuis  longtemps  tombé  en  désuétude  ;  il  était 
encore  compréhensible  quand  on  n'avait  pas  le  moyen  d'écrire  sans  frot- 
tement, mais  aujourd'hui  que,  grâce  à  notre  plume,  l'inscription  ne  de- 
mande aucune  force,  cette  méthode  doit  fatalement  disparaître.  De  plus, 
dans  ces  soi-disant  enregistreurs,  on  est  obligé  d'emprunter  la  plus  grande 
partie  de  la  force  du  mouvement  d'horlogerie  pour  faire  mouvoir  le  mar- 
teau pointeur.  11  s'ensuit  que  le  réglage  s'en  trouve  profondément  altéré 


J.   RICHARD.    NOUVEAUX   APPAREILS    ENREGISTREURS  31 

€t  quand,  par  suite  d'usure  ou  de  poussière,  il  se  produit  le  moindre 
grippement,  l'appareil  s'arrête  tout  à  fait.  Puis  il  arrive  souvent,  lorsque 
le  marteau  frappe  sur  le  godet  pointeur,  qu'il  déplace  ce  dernier  à  droite 
ou  à  gauche,  marquant  ainsi  des  points  absolument  faux  et  qui  n'ont 
que  faire  au  milieu  de  la  courbe.  Au  contraire,  avec  le  tracé  continu 
aucun  de  ces  accidents  à  craindre,  tout  est  indiqué  et  toutes  les  sinuosités 
accusées  sont  vraies.  Laisserait-on  même  le  cylindre  s'arrêter  par  défaut 
<le  remontage  que  la  plume  continuerait  à  inscrire  indiquant  encore  le 
maxima  et  le  minima  de  la  période  d'arrêt. 

Thermomèti'e  enregistreur  petit  modèle  pour  Vetwegistrement  continu  de  la 
iempérature  dans  les  soutes  à  poudre,  à  charbon,  etc.  —  Il  est  de  la  plus 
haute  importance  d'être  renseigné  sur  les  écarts  de  température  qui  se 
produisent  dans  les  soutes  en  général.  Les  thermomètres  à  maxima  et 
minima  ne  donnent  jamais  que  peu  de  résultats  sujets  à  des  erreurs  pro- 


FiG.  1.  —  Thermomètre  enregistreur. 


venant  du  déplacement  des  index  par  suite  des  vibrations  des  navires. 
Aussi  avons-nous  construit  un  enregistreur  qui,  par  son  faible  volume, 
160  millimètres  de  long  sur  123  millimètres  de  hauteur  et  93  millimètres 
•d'épaisseur,  ainsi  que  son  bon  marché  et  son  excellent  fonctionnement, 
trouvera  certainement  sa  place  dans  toutes  les  soutes  à  poudre,  la  collec- 
tion des  courbes  étant  la  meilleure  garantie  de  surveillance  aussi  bien 
pour  le  capitaine  que  pour  celui  qui  est  chargé  de  vérifier  les  tempé- 
ratures (fig.  /j. 

Scrutateur  électrique  ou  Indicateur  instantané  et  à  distance  du  point 
d'un  appareil  à  cadran.  —  On  a  souvent  besoin  de  connaître  à  distance 
■et  en  un  seul  endroit  l'indication  d'un  ou  plusieurs  appareils  placés  dans 
•des  locaux  divers.  Nous  avons  construit  à  cet  effet  notre  scrutateur  qui 
résoud  ce  problème  avec  une  entière  satisfaction.  L'appareil  se  compose 
d'un  ou  plusieurs  postes  transmetteurs  réunis  chacun  par  un  fil  élec- 
trique au  poste  récepteur  ;  il  suffit  de  mettre  ce  dernier  en  communi- 
<;ation  avec  le  fil  du  poste  transmetteur  au  moyen  d'une  fiche  et  d'appuyer 


320  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

sur  un  bouton  pour  qu'aussitôt  le  récepteur  indique  le  même  point  que 
l'appareil  transmetteur.  Quand  on  lâche  le  bouton,  l'aiguille  du  récepteur 
revient  immédiatement  au  zéro.  Cet  appareil  est  d'une  grande  simplicité 
de  fonctionnement  et  sa  construction  particulièrement  robuste  permet  de 
le  placer  sans  danger  dans  les  mains  les  moins  expérimentées.  Il  est 
surtout  indispensable  dans  les  locaux  chauffés  à  la  vapeur  ou  à  l'air  chaud 
en  ce  sens  qu'il  permet  au  chauffeur  de  prendre  sans  se  déranger  la  tem- 
pérature des  pièces  à  chauffer  et  par  suite  d'en  opérer  le  réglage.   Cet 


FiG.  2.  —  Scrutateur  électrique. 


appareil  peut  s'adapter  à  n'importe  quel  appareil  à  cadran,  thermomètre, 
hygromètre,  manomètre,  niveau  d'eau,  etc.  (fig.  2). 

Transmetteur  électrique  d'ordres  à  dislance.  —  La  transmission  des 
ordres  à  distance  a  toujours  présenté  de  grandes  difTicultés  et  tous  les 
systèmes  employés  jusqu'à  ce  jour  ont  toujours  présenté  de  nombreux 
défauts  qui  les  ont  fait  rejeter  pour  employer  des  systèmes  à  ficelles. 
Nous  sommes  toutefois  parvenus  à  construire  un  modèle  qui  donne 
d'excellents  résultats  et  dont  le  fonctionnement  n'est  sujet  à  aucun  aléa 
en  raison  même  de  sa  simplicité  et  de  sa  solidité.  Cet  appareil  comporte 
deux  postes  identiques  reliés  au  moyen  de  trois  fils  électriques  ;  les  indi- 
cations se  font  indifféremment  dans  les  deux  sens,  il  suffit  de  tourner  la 
manivelle  placée  au  bas  de  l'appareil  pour  amener  l'aiguille  extérieure  sur 


J.  lUC.HARD.  —  NOUVEAUX  APPABEILS  ENREGISTREURS  '       321 

l'ordre  à  donner  ;  aussitôt  une  sonnette  électrique  avertit  le  mécanicien 
qu'un  ordre  est  donné  et  l'aiguille  contrôle  de  son  appareil  lui  indique 
l'ordre  transmis  ;  à  son  tour,  au  moyen 
de  la  manivelle,  il  amène  l'aiguille  exté- 
rieure en  face  de  l'ordre  donné  et  l'ai- 
guille centrale  du  premier  poste  vient 
se  placer  de  môme  sur  l'ordre  transmis. 
La  sonnerie  cesse  alors  de  sonner  et 
la  personne  qui  a  transmis  l'ordre  est 
ainsi  certaine  d'avoir  été  comprise.  Les 
vitesses  de  transmission  peuvent  être 
très  rapides  et  permettent  d'envoyer 
plusieurs  ordres  par  seconde. 

Dynamomètres  enregistreurs  et  Enre- 
gistreurs électriques  de  la  vitesse  des 
bateaux.  —  L'étude  théorique  et  expéri- 
mentale de  la  résistance  des  carènes  de 
navires  a  donné  lieu  à  des  travaux  nom- 
breux. Mais  la  méthode  qui  est  le  plus 
généralement  admise  aujourd'hui  con- 
siste à  aborder  directement  l'étude  ex- 
périmentale sur  les  navires  eux-mêmes, 
en  enregistrant  soigneusement  les  divers  éléments  de  la  résistance  totale. 
Lorsque,  en  novembre  1889,  M.   le  ministre  chargea  M.  de  Mas,  ingé- 


FlG.   3. 


Uynamomètre. 


iiHiiiii iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiilMMiiffliâ 


FiG.  4.  —  Manomètre  eniegistieur  pour  dyiiauioinèliu. 


nieur  en  chef  des  Ponts  et  Chaussées,  d'étudier  la  résistance  des  diverses 
formes  de  bateaux  employés  par  la  navigation  fluviale  au  transport  des 
marchandises,  les  expériences  devant  porter  sur  l'effort  de  traction  aux 


322  MÉTÉOROLOGIE  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

différentes  vitesses,  il  était  nécessaire  d'avoir  un  dynamomètre  enregis- 
treur pour  mesurer  l'effort,  et  un  enregistreur  très  précis  de  la  vitesse 
du  bateau.  Cette  vitesse  ne  devait  pas  dépasser  un  maximum  de  quatre 
à  cinq  mètres  par  seconde,  et  devait  être  mesurée  à  moins  d'un  centi- 
mètre près.  Chargés  de  la  construction  de  ces  appareils,  nous  avons  plei- 
nement réussi  à  donner  entière  satisfaction  à  tous  les  points  de  vue 
(ftg.  3  et  4). 
Le  dynamomètre  proprement  dit  était  construit  pour  mesurer  des  efforts 

pouvant  atteindre  jusqu'à  douze 
tonnes.  Il  se  compose  en  principe 
d'une  cuvette  circulaire  creusée  dans 
un  bloc  d'acier;  cette  cuvette  est 
remplie  de  liquide  et  fermée  par  une 
membrane  en  caoutchouc  sur  laquelle 
s'appuie  un  piston  d'un  diamètre 
connu  ;  il  est  bien  évident  que  si  un 
effort  quelconque  comprime  le  li- 
quide, la  pression  par  centimètre  carré 
à   lintérieur  de  la   cuvette   égalera 

^  effort  en  kilog.  .     , 

P  zir  ; r^ —  en  centime- 

suriace  du  piston 

très  carrés.  Si  nous  relions  la  cuvette 
avec  un  manomètre  enregistreur,  le 
style  de  ce  dernier  se  déplacera  donc 
en  fonction  de  l'effort.  L'expérience 
a,  du  resle,  pleinement  confirmé  la 
théorie,  car  au  tarage  cet  instrument 
a  été  reconnu  exact  à  moins  de  1  U/0 
près.  Ajoutons  que  le  grand  avantage 
de  ce  système  de  dynamomètre  est 
sa  légèreté  et  son  faible  volume  qui 
permettent  de  le  transporter  facile- 
ment et  de  l'installer  dans  toutes  les 
positions.  Ses  adaptations  sont  nombreuses  ;  il  trouve  notamment  sa  place 
sur  les  grues  d'embarquement  en  permettant  de  lire  instantanément  le 
poids  des  colis  embarqués. 

L'enregistreur  de  la  vitesse  (fig.  5)  se  composait  de  deux  parties  : 
1°  d'un  moulinet  spécial  tournant  proportionnellement  à  la  vitesse 
du  bateau  et  envoyant  des  contacts  électriques  à  un  cinémographe  ou 
enregistreur  de  la  vitesse  absolue.  L'emploi  d'un  moulinet  pour  la  me- 
sure de  la  vitesse  n'est  pas  nouveau,  mais  tous  ceux  employés  jusqu'à 
ce  jour  étaient  fort  grossiers  et  n'ont  donné  que  des  résultats  vagues  et 


riG.  5.  —  Jlouliiiet. 


J.    RICHARD. 


NOUVEAUX    APPAREILS    ENREGISTREURS 


323 


toujours  fort  entachés  d'erreur.  Le  moulinet  que  nous  avons  employé 
était  fbrmé  par  une  hélice  à  six  ailes  en  aluminium  de  32  centimètres 
de  diamètre,  le  pas  étant  d'un  mètre  exactement,  ce  moulinet  faisait  juste 
un  tour  pour  un  mètre  de  chemin  parcouru;  un  tarage  minutieux  fait 


I  ni.  ij.  — ■  Ciiiémoyraphe. 

par  les  soins  des  Ponts  et  Chaussées  a  prouvé  la  parfaite  proportionnalité 
des  indications  de  ce  moulinet. 

Le  cinémographe  était  le  même  que  celui  que  nous  employons  pour 
mesurer  la  vitesse  directe  du  vent  eu  mètres  par  seconde.  Tout  le  monde 
a  vu  fonctionner  cet  appareil  à  l'Exposition  et  peut  le  voir  encore  au 


mg. 


Cinémographe  (vue  arrière). 


Bureau  central  météorologique  de  France,  où  il  enregistre  continuellement, 
depuis  trois  ans,  la  vitesse  du  vent  prise  en  haut  de  la  tour  Eifl'el  (fuj.  6  et  7). 
Loch  di/l'érentiel  pneumatique  enregistrant  continuellement  la  vites.se  des 
navires  en  mer  (Système  du  D'  Haro).  —  Avoir  un  bon  loch  indiquant  et 
enregistrant  continuellement  la  vitesse  du  navire  est  certainement  le  rêve 
de  tout  commandant.  Depuis  longtemps  cette  question  est  à  l'étude  ot 


324 


MÉTÉOROLOGIE   ET   PHYSIQUE   DU    GLOBE 

n'a  jamais  été  résolue  parfaitement.  On  a  construit  bien  des  systèmes 
basés  sur  le  tube  de  Pitot  ou  sur  les  hélices,  mais  tous  avaient  des  défauts. 
Les  systèmes  pneumatiques,  en  eau  douce,  donnaient  quelques  résultats; 
mais  en  mer,  avec  le  roulis  et  le  tangage,  aucune  lecture  n'était  possible. 
Les  systèmes  à  hélice  aux  grandes  vitesses  sortent  de  l'eau,  bondissent  sur 
la  lame,  et  là  encore  les  résultats  sont  erronés.  Nous  sommes  arrivés,  après 
de  longues  recherches,  et  sur  les  indications  de  M.  le  D'  Haro,  à  cons- 
truire un  système  qui  pare  à  tous  ces  inconvénients,  qui  est  d'une  solidité 
à  toute  épreuve  et  d'une  installation  rapide  et  simple. 

L'appareil  se  compose  en  principe  d'un  sys- 
tème de  deux  ballons  en  caoutchouc,  enfermés 
dans  un  tube  de  métal  ouvert  à  une  extré- 
mité et  séparés  par  une  cloison;  le  tube  de 
métal  est  fixé  contre  une  des  parois  du  navire, 
à  une  profondeur  telle  que  le  roulis  le  plus 
fort  ne  puisse  le  faire  sortir  de  l'eau.  L'extré- 
mité ouverte  du  tube  de  métal  est  tournée  vers 
l'avant  du  navire,  l'autre  extrémité  renfermant 
le  second  ballon  de  caoutchouc  est  percée  à  sa 
surface  normale  de  plusieurs  trous.  Les  deux 
ballons  de  caoutchouc  sont  chacun  en  commu- 
nication au  moyen  de  tubes  souples,  avec  un 
système  enregistreur  et  différentiel  de  tubes 
Bourdon  tel  que,  pour  une  pression  égale  sur 
chaque  ballon,  l'aiguille  de  l'enregistreur  reste 
à  zéro  ;  il  est  bien  évident  que,  dans  ce  cas, 
quel  que  soit  le  degré  d'enfoncement  des  deux 
ballons,  l'aiguille   de  l'enregistreur  restera  à 
zéro,  et  par  suite  ni  le  roulis   ni  le  tangage 
n'influenceront  l'appareil.  Mais,  en  marchant, 
la  vitesse  du  navire  va  déterminer  une  pression  sur  le  ballon  placé  en  avant 
sans  influencer  le  ballon  d'arrière;  or,  il  est  bien  évident  que  cette  pres- 
sion est  fonction  de  la  vitesse,  donc  l'enregistreur  n'indiquant  que  cette 
pression  n'indiquera  que  la  vitesse  relative.  On  voit  de  suite  l'avantage 
de  ce  système.  L'application  des  ballons  de  caoutchouc  a  de  plus  l'avan- 
tage d'empêcher  l'air  de  se  dissoudre  dans  l'eau,  ainsi  qu'il  arrive  dans 
les  tubes  de  Pitot  et  autres.  Les  ballons  sont  protégés  par  une  grille;  de 
plus,  les  tubes  qui  relient  ces  ballons  avec  l'appareil  enregistreur  étant 
hermétiquement  clos,  en  supposant  une  avarie,  le  pis  qu'il  puisse  arriver, 
c'est  le  remplacement  des   ballons,  aucune  voie   d'eau  n'étant  possible. 
Hjjdromètre  ou  IncUcaleur  de  niveau  d'eau.   —  Notre  hydromètre  est 
incomparablement    supérieur  à  celui   à  cloche   inventé  par  Decoudun. 


FiG.  8.  —  Cloche  d'hydromt'tre. 


J.    RICHARD.    —   NOUVEAUX   APPAREILS   ENREGISTREURS  32o 

Dans  notre  système,  la  cloche  (fig.  8)  se  trouve,  au  contraire,  fermée  en 
dessous  et  percée  de  trous  tout  autour,  et  un  récipient  de  caoutchouc 
subit  la  pression  de  leau.  L'avantage  est  celui-ci,  que  l'air  ne  pouvant  être 
dissous  par  l'eau,  ni  être  faussé  par  la  condensation  dans  le  tube,  puisque 
c'est  de  l'air  sec  qui  se  trouve  dans  le  ballon,  ni  sortir  par  suite  de  la 
différence  dans  la  pression  atmosphérique  de  la  cloche,  on  n'est  plus 
obligé  de  remettre  l'appareil  enregistreur  ou  à  cadran  continuellement  au 
point.  Nous  avons  des  appareils  installés  depuis  trois  années  qui  n'ont 
demandé  aucune  réparation  et  dans  lesquels  le  point  est  resté  absolument 
stable.  Cet  appareil  sert  pour  le  sondage  ainsi  que  pour  le  relèvement 
rapide  du  relief  du  fond  d'un  port  de  mer.  Il  sufTit,  en  effet,  de  traîner 
le  récipient  par  le  moyen  d'une  corde,  quelle  que  soit  l'inclinaison  du 


Fig.  9.  —  Manomètre  enregistreur  pour  hydromètre. 

tube  par  rapport  au  bateau,  il  n'y  aura  que  la  hauteur  d'eau  qui  sera 
enregistrée.  Nous  établissons  même  un  dispositif  qui  permet  de  faire 
tourner  le  cylindre  enregistreur  proportionnellement  au  chemin  par- 
couru (f((j.  9). 

Thermomètre  fronde.  —  L'emploi  d'un  thermomètre  ordinaire  que  l'on 
fait  tourner  à  la  main  au  bout  d'une  ficelle  est  certainement  le  moyen  le 
plus  simple,  mais  aussi  le  plus  dangereux  pour  la  conservation  dudit  ther- 
momètre, car  la  corde  casse  au  bout  de  peu  de  temps  ou  bien,  dans  son 
mouvement  de  rotation,  le  thermomètre  rencontre  un  objet  quelconque  ; 
dans  les  deux  cas  naturellement  il  se  brise.  Cette  petite  opération  finit  en 
somme  par  revenir  fort  cher.  Pour  remédier  à  cet  état  de  chose,  nous 
avons  été  amenés  à  construire  un  support  de  thermomètre  qui,  se  mon- 
tant sur  moulinet  à  engrenages,  est  mù  à  la  main  par  une  petite  manivelle 
qui  permet  d'imprimer  au  thermomètre  un  mouvement  de  rotation  aussi 


826  MÉTÉOROLOGIE    ET    PHYSIQUE    DU    GLOBE 

rapide  que  l'on  désire  et  sans  aucun  danger  de  casse.  La  disposition  est 
telle  que  l'on  peut  disposer  deux  thermomètres  parallèlement,  ce  qui 
donne  la  facilité  de  prendre  la  température  des  thermomètres  humides 
et  secs  donnant  le  point  psychrométrique  et  par  suite  le  point  d'humidité. 
Ajoutons  que  tout  l'appareil,  y  compris  les  deux  thermomètres,  se  place 
dans  un  élégant  écrin  de  la  grosseur  d'un  fort  portefeuille  permettant  de 
l'emporter  sans  gêne  aux  divers  endroits  où  le  point  doit  être  relevé. 


M.  a.  POTJCHET 

Professeur  au  Muséum  d'Histoire  naturelle,  à  Paris. 


SUR  LES  EAUX  VERTES  ET  BLEUES  OBSERVÉES  AU  COURS  DU  VOYAGE 

DE   «  LA  MANCHE  !> 


—  Séance  du  49  septembre  189S  — 

On  sait  que  la  couleur  des  eaux  de  la  mer  est  tantôt  verte  ou  tantôt 
bleue,  en  dehors  de  toutes  conditions  spéciales  d'éclairage,  de  fond  et  d'agi- 
tation. Celles-ci  peuvent  modifier,  dans  certains  cas  et  dans  une  certaine 
mesure,  cette  coloration,  mais  on  peut  toujours  se  mettre  en  dehors  de  leur 
influence.  La  couleur  bleue  ou  verte  de  l'eau  de  mer  est  une  des  propriétés 
qui  lui  sont  propres,  aussi  bien  que  le  degré  de  salure,  la  température,  etc.. 
Il  est  à  peine  nécessaire  de  rappeler  qu'il  ne  s'agit  pas  ici  des  apparences 
infiniment  variables  de  la  surface  de  la  mer,  mais  de  la  couleur  de  l'eau 
vue  sous  une  épaisseur  suffisante,  dans  les  conditions  favorables  à  ce  genre 
d'observations. 

L'appréciation  juste  de  la  couleur  de  la  mer,  observée  en  route,  exige 
évidemment  une  certaine  habitude  de  l'œil,  mais  qu'il  est  aisé  d'acquérir. 
J'en  ai  fait  tout  particulièrement  l'épreuve  au  cours  de  la  dernière  cam- 
pagne de  l'aviso-transport  la  Manche,  à  Jan  Mayen  et  au  Spitzberg,  sous 
les  ordres  du  commandant  Bienaimé.  Ayant  appelé,  sur  un  sujet  qui  me 
préoccupe  depuis  1887  (1),  l'attention  de  M.  le  lieutenant  de  vaisseau  de 
Carfort,  chargé  à  bord  des  observations  météorologiques,  entourés  l'un  et 
l'autre  d'officiers   qui  prirent  aussitôt  intérêt  à  un  genre  d'observations 

H)  Voyez  La  couleur  des  eaux  de  la  mer  et  les  pêches  au  filet  fin.  (Association  française.  Toulouse,. 
1887.  Compte  rendu,  2«  partie,  p.  590.)  —  Les  eaux  vertes  de  l'Océan  (Soc.  de  BioL,  nov.  1887). 


SLR  LES  EAUX  VERTES  ET  BLEUES 


327 


G.  POUCHET.  -- 

nouveau  pour  eux,  nous  sommes  vite  arrivés  à  une  uniformité  suffisante 
dans  l'appréciation  de  la  couleur  de  la  mer.  preuve  de  la  base  objective 
de  nos  constatations. 

Je  dois  dire,  tout  d'abord,  que  l'échelle  chromatique  de  M.  Forel,  qui 
est  peut-être  d'un  usage  pratique  pour  les  lacs  alpestres,  ne  nous  a  été, 
à  la  mer,  d'aucun  secours  (1).  Je  suis  arrivé  à  cette  conviction  qu'il  est 
indispensable  de  s'en  tenir,  dans  l'observation  de  la  couleur  de  la  mer,  à 
un  nombre  restreint  de  qualifications  (2;  et  je  me  suis  arrêté  à  trois  seu- 
lement, sans  plus  :  vert,  bleu,  intermédiaire. 

(1)  Tout  au  moins  conviendrait-il  que  les  liquides  colorés  de  l'échelle  Forel  fussent  renfermés 
dans  des  fioles  à  parois  parallèles  pour  empêcher  les  effets  de  réflexion  extérieure  et  intérieure  dus 
à  la  forme  cylindrique. 

(2)  Je  donnerai  comme  exemple  des  confusions  où  l'on  tombe  forcément  en  voulant  trop  préciser, 
le  tableau  suivant  des  observations  que  j'avais  prié  un  ingénieur,  M.  Ebelot,  de  recueillir  au  cours 
d'un  voyage  du  Havre  à  La  Plata,  dans  l'automne  de  1888  : 


DATE 


POSITION 


COULEUR 


11  sept. 

12  sept. 

13  sept. 

Idem. 

à  2  li.ap.  midi. 

U  sept. 

15  sept. 

16  sept. 

17  sept. 

18  sept. 

19  sept. 

21  sept. 

22  sept. 

23  sept. 

24  sept. 

25  sept. 

26  sept. 

27  sept. 

28  sept. 

29  sept. 

30  sept. 

1<"  oct. 

2  oct. 

3  oct. 

4  oct. 

5  oct. 


41°  38'  -N. 


37»  43'  N, 

33°  58'. 
30°  Cl'. 


Santa-Cruz  de 
Ténériffe. 


Environ  21°. 

13°  31'. 
9°  59'. 
6"  32'. 
2°  59' N. 
0°  59'  S. 
5»  04'. 
8°  52'. 
12°  51'. 
16°  46'. 
20°  09. 

23°  38'. 

26»  57'. 

Lat.:  29»  44'.      \ 

JLong.:  50°  ll'O.^ 

1      Lat.:  33»  53'.      / 

Long.:  59°  33'.    ( 


Vert. 

Bleu  cham- 

bord. 


Bleu  tournesol 
ou  bleu  marin. 


Bleu  ardoise. 
B'eu. 
Bleu. 
Bleu. 


OBSERVATIONS 

Les  longitudes  ne  sont  pas  indiquées,  sauf  à  par- 
tir du  50"  degré  de  Long,  occid.  La  route  s'est 
effectuée  directement  du  Havre  à  TénéritTe  et  de 
Ténériffe  au  largo  de  la  province  de  Rio  Grande 
da  Sol. 
L'eau  est  déclarée  verte,  à  l'unanimité. 

\     L'expression    est   choisie  par  M°°  E.   Ciel  pur 

I  sur  mer  moutonnée. 

/  La  nuance  a  été  désignée  ainsi  par  divers  pas- 
sagers :  M.  E.,  bleu  glauque  ;  M""»  E.,  bleu  marin  ; 
le  docteur  du  bord,  bleu  indigo  ;M.L.,  bleu  rabattu 
de  noir  ou  bleu  tournesol  ;  M"=  G.,  bleu  acier. 
Ciel  couvert,  mer  plate. 


Vert. 


Bleu. 

Vert. 

Bleu. 
Bleu. 
Bleu. 
Bleu. 
Bleu. 
Bleu. 
Bleu. 
Bleu. 
Bleu. 
Bleu. 

Bleu. 

Bleu. 

Bleu. 

Vert. 


Le  bleu  de  la  mer,  le  long  du  bord,  est  un  peu 

i  changé,  il  est  devenu  bleu  ardoise.  En  allant  à  terre 

on  la  voit  passer  au  vert.  Au  retour,  au  moment 

'du  flot,  l'eau,  autour  du  navire,  est  franchement 

.  verte.  On  retrouve  le  bleu  en  prenant  le  large. 

(     Vers  le  soir,  bleue.  On  est  sur  de  hauts  fonds,  à 
(  proximité  du  banc  où  se  perdit  la  Méduse. 
Entre  les  îles  du  Cap-Vert  et  la  côte. 


On  noiera  la  couleur  verte  sur  les  bancs  de 
allant  du  navire  à  terre  dans  la  baie  de  Santa 


(     Dans  la  matinée,  en  vue  du  cap  Saint-Tomé,  au 
(nord  du  cap  Frio,  teinte  verdàtre. 


La  sonde  accuse  57  mètres. 
\     Le  navire  entre  dans  les  eaux  jaunâtres  de  La 
/  Plata. 

la  Méduse  et  le  changement  de  couleur  sensible  en 
■Cruz  de  Ténériffe.  Quant  au  nombie  des  dénomma- 


328  MÉTÉOROLOGIK  ET  PHYSIQUE  DU  GLOBE 

M.  de  Carfort  avait  adopté  quatre  termes  :  vert,  olive,  ardoise,  bleu  ; 
les  deux  termes  moyens  correspondant  à  des  nuances  se  rapprochant 
davantage  soit  du  vert,  soit  du  bleu.  Cette  distinction  ne  me  paraît  pas 
nécessaire  et  il  est  d'ailleurs  évident  qu'en  passant  d'une  localité  verte  à 
une  localité  bleue,  ce  qui  peut  avoir  lieu  très  vite  (1)  si  la  marche  du 
navire  est  un  peu  rapide,  il  deviendra  très  difficile  de  reconnaître  où  la 
nuance  olive  fait  place  à  la  nuance  ardoise  et  réciproquement.  Je  crois 
donc  les  trois  termes  que  je  propose  —  vert,  intermédiaire,  bleu  —  suffi- 
sants et  c'est  eux  que  j'ai  adoptés  au  cours  des  observations  attentivement 
poursuivies  pendant  le  voyage  de  la  Manche  de  Leith  à  .Tan  Mayen.  de 
Jan  Mayen  au  Spitzberg,  et  du  Spilzberg  à  Tromsue.  J'ai  continué  les 
mêmes  observations  sur  la  côte  de  Norwège  jusqu'à  Drontheim. 

La  Manche,  au  cours  de  ce  voyage,  a  traversé  cinq  localités  bleues 
nettement  accusées  et  j'entends  par  là  où  la  mer  était  aussi  bleue  que 
la  Méditerranée.  Elle  a  également  rencontré  des  localités  vertes  et  enfin 
a  navigué,  pendant  la  plus  grande  partie  du  temps,  sur  des  eaux  de  cou- 
leur intermédiaire. 

Voici,  d'ailleurs,  le  relevé  de  mes  observations  :  . 

Sur  la  côte  d'Ecosse,  comme  toujours  dans  la  mer  du  Nord,  l'eau  est 
verte. 

Le  22  juillet.  —  10  heures  et  demie  du  matin,  l'eau  est  nettement  bleue  (2), 
le  ciel  est  gris,  c'est-à-dire  que  l'observation  est  faite  dans  les  conditions  les 
plus  favorables.  —  Midi  :  Latitude,  CA°  03'  N.  Longitude,  2°  0  (3).  —  A  midi 
et  demi,  l'eau  est  plutôt  verte  (4). 

Le  23  juillet.  —  l*osilion  à  midi:  Latitude,  64°  12'.  Longitude,  1°  IS'  0.  — 
Vers  4  heures  de  raprès-midi,  l'eau  est  verte  (5).  —  Vers  6  heures,  l'eau  est 

lions  employées  par  M.  Ebclot,  il  est,  en  somme,  des  plus  restreints.  Au  cours  du  voyage  de  la  Gazelle 
ivoy.  t.  II,  Berlin,  188S,  p.  4),  la  coloratiun  de  la  mer  fut  enregistn^e  journellement  d'après  les 
Impressions  subjectives  du  Captlicut.  Bendemann.  Or,  on  ne  relève  pas  moins  de  vingt  dénominations 
CTiployéi'S  par  lui  et  il  suffit  de  les  énumérer  pour  montrer  do  quel  faible  secours  elles  sont  pour 
des  comparaisons  ultérieures.  On  remarquera  que  la  qualification  <x  entfiirbt  »  indique  toujours  un 
virage  au  vert.  «  Azurblau.  —  Tiefblau.  —  Dunl<ell)lau.  —  Hellblau.  —  Etwas  entgefàrbt,  grunlich. 
»  —  Enlfarbt  grunblau.  —  Grijnblau.  —  Blaugrau.  —  Schmutzig-grun.  —  Schwarzgrun.  —  Blau.  — 
»  Dunkelblau  elwas  enlfarbt.  —  Grùnlichblau,  leicbt  entfârbt.  —  Hellblau  etwas  enllarbt.  —  Dun- 
»  kelblau-grun.  —  Dunkelgriin-blau.  —  Tiefblau  etwas  enlfarbt.  —  Schwartzlich  griJnblau.  — 
»  Blau  leicht  entfârbt.  —  Enlfarbt  blau.  »  Cet  exemple  suffit,  croyons-nous,  à  montrer  la  nécessité 
do  recourir  aune  classification  beaucoup  plus  simple,  tout  à  fait  simple. 

(1)  Nous  ne  parlons  pas  des  passages  subits  d'une  couleur  à  fautre,  comme  dans  la  limite  orientale 
du  Courant  du  Golfe. 

(2)  Le  commandant  Bienaimé  m'informe  qu'à  9  heures  elle  était  plus  bleue  encore. 

(3)  Nous  sommes  donc  encore  par  le  travers  des  Shetland,  à  30  milles  d'elles  et  à  130  milles 
environ  de  la  côte  de  Norwège. 

(4)Jerapporleen  note  le  résultat  sommairedes  pèches  au  filet  fin  qui  ont  été  faites  dans  les  eaux  tra- 
versées. Le  22  juillet,  pendant  qu'on  marche  à  la  voile,  une  pêche  au  filet  fin  est  pratiqui'^e  en  puisant 
de  l'eau  à  la  mer,  de  l'avant  du  navire,  au  moyen  de  seaux  :  Ceratium  tripes,  Peridimum  divergens 
très  abondants  ;  Rhizosolenia,  Ceratium  furca  ;  Dinophysis  rares  ;  Méduses,  Appendiculaircs,  Copédodes 
rares.  Dans  cette  pèche,  les  Peridinium  dominent  ;  c'est,  en  somme,  une  pèche  essentiellement  végé- 
tale, une  pêche  d'eaux  verles. 

(o)  Deux  pêches  au  filet  fin  ont  été  faites.  La  première,  comme  la  veille,  au  moyen  de  seaux,  à 
l'avant.  Le  procédé  est  essentiellement  défectueux.  Même  en  se  plaçant  dans  les  meilleures  condi- 
tions on  pêche  des  détritus  du  navire  (fragments  de  laine  colorée,  elc.)  et  surtout  des  filaments  du 
cordage  auquel  est  suspendu  le  seau.  Cette  pèche  donne  moins  de  Ceratium  et  de  Peridinium  diver- 


G.  POLCHET.  SUR  LES  F.AIX  VERTES  ET  BLELES  3'29 

bleue.  —  L'observation  est  très  précise,  faite  par  un  ciel  qui  se  maintient  gris, 
c'est-à-dire  dans  les  meilleures  con<litions.  Le  point  oîi  se  produit  le  change- 
ment d'eau  verte  en  eau  bleue  est  situé  par  64°  30'  latitude  et  1°  35'  longi- 
tude 0.  —  A  7  heures  l'eau  est  encore  un  peu  bleue  sous  le  ciel  gi'is  ;  à 
8  heures  et  demie,  l'eau  revient  au  vert  sans  être  franchement  verte. 

Le  2i  juillet.  —  Vers  6  heures  et  demie  et  7  heures  du  matin,  l'eau  a  nette- 
ment viré  au  vert.  Elle  est  intermédiaire,  mais  plutôt  verte.  —  Je  note  à  9  heures  : 
«  presque  verte  ».  —  Position  à  midi  :  Latitude.  Gtj"  47'.  Longitude.  2°  13'  (J  (1). 

Le  2o  juillet.  —  A  midi  la  position  est  :  Latitude,  69°  '.0'.  Longitude,  o°  40'  0. 
—  Vers  9  heures  du  soir,  l'eau  semble  un  peu  virer  au  bleu  (2). 

Le  26  juillet.—  Au  matin,  leau  est  verte  ;  à  8  heures  et  demie,  elle  devient  un 
peu  bleuâtre.  —  Position  à  midi  :  Latitude  70°  20'.  Longitude  o»  30'  0.  (3). 

Le  21  juillet.  —  Nous  sommes  au  mouillage  de  Marie  Muss  (4). 

Le  28  juillet.  —  A  l  heure  et  demie,  au  sud  de  Jan  Mayen,  la  mer  est 
un  peu  bleuâtre  ;  à  o  heures  et  quart,  devant  le  Phare,  la  mer  est  redevenue 
verte  (o). 

Le  29  juillet.  —  A  9  heures,  la  mer  est  très  faiblement  bleuâtre.  —  A  midi, 
l'eau  est  bleue.  Latitude  7l«  38'.  Longitude  5°  17'  0.  Elle  l'est  encore  à  4  heures 
trois  quarts.  —  A  6  h.  oo  m.,  la  mer  est  un  peu  bleue;  à  8  heures  trois  quarts, 
de  même. 

Le  30  juilld.  —  A  midi,  l'eau  est  toujours  bleuâtre.  Latitude  73°  37'.  Longi- 
tude I044'  E.  —  A  1  heure,  la  mer  est  nettement  bleue;  à  4  heures,  elle  l'est 
encore,  mais  peut-être  plus  faiblement.  —  A  8  heures  du  soir,  la  mer  est 
encore  bleue  ;  elle  va  peut-être  virer  ;  elle  me  paraît,  en  tous  cas,  moins  bleue. 

Le  31  juillet.  —  De  minuit  â  4  heures,  l'ofiicier  de  quart,  M.  Exelmans,  a  vu 
passer  un  baril,  un  tronc  d'arbre,  un  orque.  —  A  6  heures  du   matin,  l'eau 
est  verte.  —  A  11  heures,  l'eau  est  verte.  —  Position  à  midi  :  Latitude  73°  13'. 
Longitude  6°  44'  E.  —  A  4  heures,  l'eau  est  entre  vert  et  bleu.  —  A  9  heures 
l'eau  est  toujours  bleuâtre  (G). 

.  Le  i^"  août.   —  A  1  heure  du  matin,  eau  bleuâtre.  —  A  3  heures  et  demie, 
dans  le  Bell  Sund,  elle  est  d'un  vert  sale. 

gens  que  la  veille  ;  Per.  divergens  est  plus  abondant  que  Ceralium.  On  trouve,  en  outre,  des  Globigérines, 
des  Calanus.  —  Une  seconde  pêche  est  faite  vers  J,  heures  pendant  que  le  navire  a  stoppé,  avec  lappareil 
Biétrix  muni  de  son  bateau.  Elle  est  faite  à  quelques  mètres  de  profondeur.  Le  dépôt  est  ronge  par 
l'abondance  des  Copédodes,  On  trouve  Peridinium  diverycns,  de  couleur  rose  très  rabattue,  quelques 
Ceralium  Iripos,  grands  Coscmod'SCHs;  des  Globigérines  ;  des  Sagitta,  etc..  La  pêche  est  essentiel- 
lement animale.  Pendant  qu'on  fait  ceUe  pêche   je  vois  passer  un  fragment  de  fucus. 

(1)  Une  pêche  est  faite  à  la  pompe  :  Cera(i»m  <c/pos  qui  parait  ici  l'être  dominant  ;  C.  fusus:  Peri- 
dinium divergens  de  coloration  rouge  plus  accentuée  qu'hier;  Chetocerus;  très  rares  Hhizosotenia  ; 
quelques  Radiolaires  petits;  quelques  Coscinodiscus ;  Lamellibranches.  En  faisant  la  pêche,  je  vois 
passer  deux  fragments  de  fucus  plus  grands  que  celui  de  la  veille. 

(2)  Dans  une  p^che  au  filet  fin,  je  trouve  des  Sphaerozoaires. 

(3)  Pèche  au  filet  fin  faite  avec  les  seaux.  Celte  pêche  est  exclusivement  végétale  :  Ccscmcd-scus  .- 
Polijcysline/i  ;  Chetnceras  :  Navicules  :  Bhizosohnia  ;  débiis  végétaux;  quelques  œufs  de  poissons 
pélagiques;  pas  de  Copépodes.  Le  soir,  une  pêche  est  faite  en  vue  de  Jan  Mayen,  avec  l'appareil 
Biétrix.  Elle  est  également  essentiellement  végétale.  Le  dépit  est  jaune,  mais  plus  fin  que  celui 
que  j'ai  décrit  dans  les  eaux  des  Feroe.  Schizonema  en  abondance;  Tetraspora  ;  Chetocerus i  Diato- 
mées; Navicules;  quelques  Tintinnidés;  un  seul  Copédode. 

(4)  Une  pèche  au  filet  fin  donne  les  mêmes  résultats  que  celle  de  la  veille  au  soir. 

(o)  Une  pèche  au  filet  fin  est  pratiquée  devant  la  Grande  lagune.  Elle  est  essentiellement  végétale  : 
Riiizosoknia  ;  Diatomées  nombreuses  (beaucoup  sont  enkystées);  quelques  Peridinium  tripos;  Radio- 
laires; Globigorines;  œufs  de  Copédodes  et  de  poissons;  un  Pluleus. 

(6)  Le  matin,  une  pêchi  a  été  faite  au  moyen  de  la  pompe  :  Sphserozaires  ;  Chetocerus;  Cosn- 
nodincus;  Rhizosolenia  ;  Diatomées  (plusieurs  enkystées)  ;  gros  Gijmnodinium  vert;  petit /»roto/)cri- 
dinium;  Appendiruhuies ;  Copêpoies.  Malgré  la  présence  de  ceux-ci  en  assez  grand  nombre,  la 
pêche  peut  être  regardée  comme  essentiellement  végétale.  —  Le  même  jour  on  constate  la  très 
grande  abondance  de  Tetraapora  Poucheti. 


330  MÉTÉOROLOGIE    ET    PHYSIQUE    DU    GLOBE 

Le  4  août.  —  A  9  heures,  devant  le  cap  Lyell,  l'eau  est  verte.  —  A  9  h.  3S  m., 

à  la  sortie  du  Bell-Sund,  elle  tend  à  bleuir.  —  A  12  h.  33  m.,  l'eau   est  très 

•faiblement  bleue. —  A  2  heures,  l'eau  est  verte,  nous  sommes  dans  l'Isfjord  (1). 

Le  10  août.  —  Mouillage  d'Advent  Bay  :  autour  du  navire,  l'eau  est  bleuâtre; 
de  l'autre  côté  d'Advent  Bay,  elle  est  nettement  verte  (2). 

Le  41  août.  —  A  11  heures,  par  le  travers  du  cap  Staraschine,  la  mer  est 
verte.  —  A  12  h.  10  m.,  en  avant  de  l'entrée  de  risfjord,  elle  est  bleuâtre.  — 
A  1  h.  5  m.,  très  bleue.  —  A4  heures,  on  ne  trouve  pas  de  Tetraspora  (3).  — 
A  6  heures,  mer  bleue,  très  peu  de  Tetraspora.  —  A  7  heures,  eau  moins  bleue, 
un  peu  verdâtre. 

Le  12  août.  —  A  2  heures  et  demie  du  matin,  d'après  l'officier  de  quart, 
M.  Exelmans,  nous  aurions  traversé  une  localité  d'eau  verte.  Puis  l'eau  est  rede- 
venue bleuâtre.  —  A  7  heures  et  demie,  en  face  du  cap  Lyell,  nous  la  retrou- 
vons verte. 

Le  45  août.  —  A  9  h.  20  m.,  en  face  du  glacier  de  Scott,  l'eau  est  verte.  — 
A  10  h.  50  m.,  elle  a  une  tendance  à  bleuir,  elle  est  cependant  plutôt  verte. 
—  A  midi,  l'eau  est  bleue.  Latitude  :  77°  33'.  Longitude  :  11°  17'  E.  —  A  3  heures, 
on  ne  trouve  pas  de  Tetraspora.  —  A  3  h.  40  m.,  eau  très  bleue;  il  fait  calme. 

Le  46  août.  —  A  6  h.  55  m.,  mauvais  temps.  Eau  intermédiaire,  plutôt  verte, 
Tetraspora  abondants.  —  A  10  h.  45  m.,  eau  verte.  —  A  midi,  position  estimée  : 
Latitude  :  75°  45'.  Longitude  :  11°  31'  E.  —  A  12  h.  40  m.,  eau  intermédiaire, 
plutôt  verte  (4).  —  A  2  heures,  eau  plutôt  verte.  —  A  8  heures  et  demie  du  soir, 
eau  bleue.  Latitude  :  75°  03'.  Longitude  :  13*  02'  E.  Le  commandant  me  dit  que 
peu  de  temps  après  l'eau  est  devenue  verte  (5). 

Le  11  aovt.  —  A  6  heures,  eau  verte.  —  A  6  h.  50  m.,  eau  intermédiaire, 
plutôt  verte. —  A  10  h.  50  m.,  eau  verte.  —  Position  à  midi  :  Latitude  :  73°  17'. 
Longitude  :  14°  47'  E.  —  A  2  heures,  eau  intermédiaire  plutôt  bleue  (6).  — 
~  A  6  heures,  eau  intermédiaire,  plutôt  bleue  (7).  —  A  9  heures,  eau  inter- 
médiaire, plutôt  bleue  (8). 

Le  18  août.  —  A  4  h.  35  m.,  mer  bleue,  beau  temps  (9).  —  A  6  h.  30  m., 
eau  verte. —  A  7  h.  40  m.,  eau  verte  (10). —  A  9  h.  30  m.,  eau  verte;  très  beau 
temps  (11).—  A  midi  :  Latitude  :  71°  35'.  Longitude  17°  30'  E.  —  A  1  h.  15  m., 
eau  verte.  — A  1  h.  50  m.,  eau  verte  (12). 


(1)  Le  6  août,  dans  Sassen  Bay,  une  pêche  au  filet  fin  donne  Peridinium  divergent  ;  Cop^podes; 
Appendiculaires:  Gastéropodes;  Lamellibranches;  pas  d'algues;  une  grande  Sagilla;  Tintinnidé  très 
long  ;  un  seul  Ceratium  tripos.  La  pêche  est  essentiellement  animale.  —  Comp.  Pouchet,  Sur  la  faune 
pélagique  du  iJijrefjord.  {Complcs  rendus  Acad.  des  Sciences,  25  janvier  1892.) 

(2)  Comparez  l'observation  dans  la  baie  de  Sanla-Cruz  de  TénérifTe,  ci-dessus,  p.  327,  note  2.  — 
Une  pêche  au  filet  fin,  dans  Advent  Bay,  a  donné  :  Peridinium  divergens  ;  Gymnodinium puivisculus, 
et  surtout  un  Cakmus  (finmarchus  ?)  rencontré  en  abondance  dans  d'autres  pèches. 

(3)  Les  Tetraspora  Poucheti  sont  observés  simplement  dans  un  tiers  de  litre  environ  d'eau  de  mer 
puisée  du  bord  avec  les  précautions  nécessaires  pour  détruire  le  moins  possible  de  ces  organismes, 
et  placée  dans  une  cuve  à  glaces  parallèles. 

(4)  Tetraspora  extrêmement  abondants.  On  en  compte  plus  de  vingt  dans  un  tiers  de  litre  d'eau. 

(5)  Pendant  qu'on  prend  à  cette  place  des  températures  de  fond,  une  pêche  au  filet  fin  est  effec- 
tuée: Tetraspora  exlrèmemenl  àhondànls;  Rhizûsolenia  en  nombre  dominant;  Ceratium  tripos  ;  nres 
Peridinium  divergens,  Globigérincs.  La  pêche,  malgré  de  nombreux  Copédodes  et  des  Tintinnidés, 
est  essentiellement  végétale. 

(6)  On  ne  trouve  pas  de  Tetraspora. 

(7)  On  ne  trouve  pas  de  Telrasjyora. 

(8)  On  ne  trouve  pas  de  Tetraspora. 

(9)  On  no  trouve  pas  de  Tetraspora. 

(10)  On  ne  trouve  pas  de  Tetraspora. 
(11j  On  ne  trouve  pas  de  Tetraspora. 
(12)  On  ne  trouve  pas  de  Tetraspora. 


G.  POl'CHET.  SUR  LES  EAVX  VERTES  ET  RLEUES  331 

Les  indications  qui  précèdent  sont  relevées  sur  notre  carnet  d'observa- 
tions. M.  de  Carfort,  de  son  côté,  a  noté  également  les  couleurs  de  la 
mer  sur  son  journal  météorologique  en  se  servant  de  sa  nomenclature 
à  quatre  termes.  Nos  deux  relevés  se  superposent  sensiblement  (1). 

Nous  ne  pouvions  malheureusement,  en  raison  de  la  route  du  navire, 
ne  repassant  pas  par  les  mêmes  lieux,  établir  —  sauf  en  ce  qui  concerne 
la  côte  et  les  fjords  du  Spitzberg  —  la  forme  et  l'étendue  des  localités 
bleues  que  nous  avons  traversées  ("2).  Nous  nous  bornerons,  en  consé- 
quence, aux  remarques  suivantes  : 

La  première  localité  bleue  s'est  offerte  à  nous  très  bas  par  le  travers 
des  Shetland,  entre  ces  îles  et  la  côte  de  Norvvège.  Puis  en  montant  vers 
le  nord,  la  Manche  a  rencontré  successivement  trois  autres  localités 
bleues.  Scoresby,  dont  l'attention  s'est  portée  sur  presque  tous  les  pro- 
blèmes d'Océanographie  qui  nous  préoccupent  aujourd'hui,  note  la  fré- 
quence des  eaux  bleues  sur  le  méridien  de  Greenwich;  or,  les  quatre 
localités  bleues  dont  nous  parlons  ont  précisément  été  rencontrées  par 
la  Manche  sur  le  méridien  de  Greenwich. 

Deux  localités  nettement  bleues  ont  été  traversées  de  Jan  Mayen  au 

(I)  Les  indications  du  livre  météorologique  de  M.  de  Carfort  sont  les  suivantes  : 
20  juillet.  —  4  heures  du  soir,  verte  ;  6  heures,  verte. 

il  juillet.  — 10  heures  du  matin,  verte.  —  Midi  :  Latitude  :  38»  32'.  Longitude  :  3°  24'  0.—  2  heures 
du  soir,  verte  ;  6  heures,  olive.  , 

22  juillet.  —  10  heures  du  matin,  bleu  ardoise.  —  Midi,   olive  ardoise  :  Latitude  :  61°  03  .  Longi- 
tude :  2°  0. —  2  heures  du  soir,  olive  ardoise;  6  heures,  olive. 

23  juillet.  —8  heures  du  matin,   vert;  10  heures,  olive.  —  Midi  :  Latitude  :  64°  12'.  Longitude  : 
^o^5'  0.  —  2  heures  du  soir,  vert  olive  ;  6  heures,  ardoise  opaque;  8  heures,  verte. 

2i  juillet.  —  6  heures  du  matin,  gris  olive  ;  10  heures,  olive.  —  Midi  :  Latitude  :  66°  47'.  Longitude  : 
2»  13'  0.  —  2  heures  du  soir,  olive  ;  6  heures,  vert  olive.  ^ 

25  juillet.  —  2  heures  du  matin,  vert  olive  ;  10  heures,  vert  olive.  —  Midi  :  Latitude  :  68°  ol  .  Lon- 
gitude ;  3°  40'  0.  —  2  heures  du  soir,  vert  olive;  6  heures,  vert  olive.  ^ 

26  juillet.  —  10  heures  du  matin,  gris  olive.  —  Midi  :  Latitude  :  70°  31'.  Longitude  :  6°  40   0.  — 
6  heures  du  soir,  gris  olive. 

27  juillet.  —  Baie  Marie  Muss.  —  6  heures  du  soir,  gris  olive. 

28  juillet.  —  Sud  de  Jan  Mayen.  —  2  heures  du  soir,  bleu  ardoise  ;  6  heures,  verte.  ^ 

29  juillet.  —  10  heures  du  matin,  bleu  ardoise.  —  Midi  :  Latitude  :  71°  38'.  Longitude  :  3°  17    0.  — 
2  heures  du  soir,  ardoise  ;  6  heures,  ardoise  ;  10  heures,  ardoise.  ^ 

30  juillet.  —  6  heures  du  matin,  ardoise  ;  10  heures,  bleu  ardoise.  —  Midi  :   Latitude  :  73°  37  .  Lon- 
"itude  ■  1°  44'  E.  —  2  heures  du  soir,  ardoise  ;  6  heures,  ardoise. 

3/ j»i«e<.  —1  heure  du  matin,  vert;   io   heures,  olive.   —  Midi  :  Latitude  :  73°  13  .   Longitude: 
go  44'  E.  —  2  heures  du  soir,  bleu  ardoise;  6  heures,  ardoise;  10  heures,  bleu  ardoise. 
1"  août.  —  Dans  Bell  Sund,  vert  clair. 
6  août.  —  Dans  Sassen  Bay,  verte. 

12  août.  —  Sortie  de  l'Isfjord.  —  10  heures  du  matin,  verte;  midi,  ardoise  ;  2  heures  du  soir,  bleu 
ardoise;  4  heures,  ardoise;  6  heures,  ardoise;  10  heures,  olive. 

42  août.  —  Baie  de  la  Recherche.  —  10  heures  du  matin,  vert  laiteux. 

13  août.  —  10  heures  du  matin,  vert  olive.  . 

iS  août.  —Midi   :  Latitude  :  77°  33'.  Longitude:  11°n'E.  —  2   heures  du   soir,  bleu   ardoise; 

fi  heures  olive 

16  août.  -  Midi  :  Latitude  :  75°  43'.  Longitude  :  11°  31'  E.  -  2  heures  du  soir,  olive;  6  heures,  olive, 

17  août.  —  4  heures  du  matin,  olive.  —  Midi  :  Latitude  :  73°  17'.  Longitude  :  14°  47  E.  -  2  heures 
du  soir,  ardoise;  6  heures,  olive.  ,  ,  a     cr,;,- 

18  août.  —  10  heures  du  matin,  bleue.  —  Midi  :  En  vue  des  cotes  de  Norvège.  -  2  heures   du   son. 

verte;  6  heures,  verte.  „rôfé 

(2)  Il  était  évidemment  possible,  d'après  noire  carte,  d'en  relier  plusieurs  ;  il  nous  a  Paru  pre  e- 
rable  de  ne  point  forcer  l'observation  en  traçant  des  limites  peut-être  Particulièrement  variables 
dans  l'ucèan  Glacial,  entre  les  eaux  bleues  et  vertes,  et  qui  échappent  par  cela  même  a  tout  contrôle 
ultérieur. 


332  MKl'KOROLOGIE    ET    PHYSIQUE    DU    GLOBE 

Spitzberg  et  deux  autres  du  Spitzberg  au  nord  de  la  Norwège.  Peut-être 
ces  quatre  localités  bleues  doivent-elles  être  considérées  comme  faisant 
partie  de  deux  bandes  bleues  considérables  étendues  de  l'est  à  l'ouest.  En 
particulier,  la  première  rencontrée  au  départ  de  Jan  Mayen  et  la  dernière 
rencontrée  en  approchant  de  la  Norwège  se  sont  trouvées  exactement 
sur  le  même  parallèle  par  72°  de  latitude  N.  (4). 

De  Jan  Mayen  au  Spitzberg,  les  localités  nettement  vertes  ont  été,  en 
somme,  plus  rares  que  les  bleues.  Nous  en  trouvons  une  vers  la  pointe 
orientale  de  Jan  Mayen  ;  une  en  allant  au  Spitzberg,  l'autre  en  revenant, 
toutes  deux  entre  75°  et  76°  de  latitude,  et  pouvant  être  considérées 
comme  appartenant  h  une  même  zone  verle  étendue  en  latitude.  Enfin, 
une  autre  localité  verte  s'est  montrée  dans  le  sud-ouest  de  l'Ile  de  l'Ours 
par  73°  30'  de  latitude  N. 

En  approchant  de  la  côte  de  Norwège,  nous  avons  trouvé  l'eau  verte 
que  j'ai  pu  suivre  le  long  de  la  côte  jusqu'à  Drontheim. 

Autour  de  Jan  Mayen,  sauf  la  localité  verte  signalée  plus  haut,  la  mer 
a  présenté  une  coloration  intermédiaire. 

La  couleur  de  la  mer  sur  la  côte  et  dans  les  fjords  du  Spitzberg  nous  a 
offert  une  particularité  intéressante.  La  Manche  a  visité  Bell  Sund  et 
Isfjord.  Elle  s'est  avancée  sur  la  côte  jusque  vers  le  milieu  de  Prince 
Charles  Foreland.  Or,  nous  avons  toujours  trouvé,  soit  avant  d'entrer 
dans  les  deux  fjords,  soit  en  en  sortant,  la  mer  bleue.  Dans  les  deux  fjords, 
la  mer,  au  contraire,  s'est  toujours  montrée  à  nous  verte  {^). 

Il  n'est  pas  douteux  que,  dans  l'Océan  Glacial  en  particulier,  les  limites 
et  l'étendue  des  localités  bleues  varient  selon  les  années  et  peut-être 
même  plus  fréquemment  (3). 

On  a  proposé  de  nombreuses  explications  de  cette  différence  de  colo- 
ration que  présentent  les  eaux  de  la  mer.  Il  convient  toutefois  de  dis- 
tinguer ici  la  cause  efficiente  des  circonstances  concomitantes  qui  peuvent 
l'accompagner  dans  un  certain  nombre  ou  même  dans  la  plupart  des  cas. 

Nous  rangeons  dans  cette  dernière  catégorie  les  influences  de  la  tem- 

(1)  Cette  limite  des  eaux  bleues  et  vertes  dans  le  sens  des  parallèles,  qu'on  pourrait  rapprocher 
dfi  celle  des  eaux  vertes  et  bleues  de  l'Atlantique  tempéré,  mérite  peut-être  de  fixer  l'attention. 

(2)  En  1888,  M.  Ch.  Rabot,  qui  avait,  à  ma  demande,  porté  son  attention  sur  la  couleur  de  la  mer 
au  Groenland,  m'écrivait:  a  M.  le  professeur...  en  allant  pendant  la  seconde  quinzaine  de  juillet,  la 
B  mer  est  restée  verte  de  la  côte  d'Ecosse  au  21°  de  longitude  0.  de  Greenwich,  où  nous  trouvons 
»  les  premières  eaux  bleues...  Au  retour,  autour  du  cap  Farewell,  eaux  bleues.  Du 'H °  de  longitude  0. 
»  de  Greenwich  au  12°  30',  eau  verte...  Dans  les  fjords  de  la  cèle  occidentale  du  Groenland,  l'eau 
»  était  verte.  »  Nansen  signale  de  même  la  mer  bleue  sur  la  ente  orientale  du  Groenland  :  «  De  notic 
»  tente  nous  pouvions  contemiiler  la  mer  poussant  vers  l'horizon  ses  petites  vagues  bleues...  » 

(3)  Dès  le  départ  de  la_,Manche,  au  mois  d'avril,  pour  l'Islande,  j'avais  signalé  aux  olficiers  l'in- 
térêt des  observations  de  la  couleur  des  eaux.  Le  4  mai,  M.  le  D'  Couteaud  m'écrivait  rie  Rei- 
kjavik  :  «  Nous  avons  constaté  que  la  mer,  depuis  les  Feroë  jusqu'à  la  cote  sud  dislande,  était 
j>  d'une  belle  couleur  bleucj  »  Même  en  admettant  que  l'expression  ait  été  exagérée  et  que  la 
couleur  de  la  mer  fut  simplement  intermédiaire,  le  fait  n'en  était  pas  moins  intéressant.  En  effet, 
l'année  précédente,  1891,  en  faisant,  du  5  au  u  juillet,  la  route  Granton,  les  Feroé,  Reikiavik,  et 
du  22  au  30  août  la  route  inverse,  j'avais  nettement  constaté  la  couleur  verte  de  la  mer  sur  tout 
ce  parcours. 


G.  POUCHET.  —  SUR  LKS  EAUX  VERTES  ET  BLEUES         333 

pérafure  et  de  la  salure.  Les  eaux  équinoxiales  sont  à  la  fois  plus 
denses  et  plus  chaudes  que  les  eaux  des  hautes  latitudes.  Elles  sont 
bleues,  mais  on  se  rond  compte  de  suite  que  ni  la  température,  ni  le 
degré  de  salure,  ni  la  profondeur  ne  sont  les  conditions  immédiatement 
déterminantes  de  la  couleur,  puisque  des  eaux  vertes  peuvent  se  ren- 
contrer sous  les  tropiques  (1)  et  que,  d'autre  part,  les  localités  bleues 
sont  fréquentes  dans  les  mers  septentrionales.  Si  les  eaux  moins  profondes 
paraissent  être  généralement  vertes  (2),  on  n'oubliera  pas  que  l'eau  est 
verte  sur  toute  la  largeur  de  l'Atlantique  tempéré  vers  le  oO'^  degré  de 
latitude  (3). 

On  n'oubliera  pas,  d'ailleurs,  que  les  mêmes  différences  de  coloration 
des  eaux  se  retrouvent  dans  les  lacs  (4),  ce  qui  suflit  à  faire  écarter 
l'hypotlièse  d'une  intervention  de  la  salure,  à  laquelle  M.  Spring  attribue 
cependant  un  rôle  important. 

On  est  ainsi  conduit  à  rechercher,  en  dehors  des  facteurs  qui  viennent 
d'être  signalés,  l'origine  de  la  couleur  verte  des  eaux,  la  couleur  bleue 
paraissant  être  la  couleur  naturelle  de  l'eau  pure  (o). 

Scoresby  d'abord,  puis  Robert  Brown  (18G7),  ont  les  premiers  compris 
que  la  couleur  des  eaux  de  l'Océan  — et  nous  pourrions  ajouter  celle  de 
la  plupart  des  eaux  terrestres  —  dépend  directement  de  certains  phéno- 
mènes biologiques.  Ils  se  trompèrent  seulement  en  croyant  que  la  pré- 
sence ou  l'absence  de  certains  êtres  vivants,  animaux  ou  végétaux,  pro- 
duisait les  couleurs  observées.  11  est  facile  de  s'assurer  que  l'eau  est 
bleue  ou  verte  indépendamment  de  tout  être  vivant,  même  microsco- 
pique, en  suspension. 


(1)  Rappelons  l'eau  verte  signalée  p.  327,  note  2,  sur  les  bancs  de  la  Méduse  et  en  rade  de  Sanla-Cruz 
de  Ténéiille.  Signalons  encore  une  localité  verte  observée  par  Schlemitz,  au  cours  du  voyage  d.e 
la  Gazelle.  Le  23  août,  par  o"  de  latitude  S.  et  9°  de  longitude  0.  de  Greenwich,  l'eau  devint 
verdàtre  de  bleue  qu'elle  était.  On  remarqua  en  même  temps  un  abaissement  delà  densité.  Voyez 
Natarforscher,  t.  VIII,  p.  59,  cité  par  W.  Spring. 

(2)  Fjords  du  Spitzberg,  du  Gioénland,  rade  de  Santa-Cruz  de  Ténériffe, bancs  sur  lesquels  s'est 
perdue  la  Méduse  (voyez  ci-dessus,  p.  327,  note  2),  mer  du  Nord,  Manche,  etc. 

(3)  M.  0.  Krummel,  au  cours  du  voyage  de  la  Gazelle,  donne  pour  limite  inférieure  des  eaux 
vertes  de  l'Atlantique  tempéré  le  A0°  degré  de  latitude.  Voyez  Geograph.  Jahrbuch,  1892,  p.  9  et  suiv. 
—  J'ai  indiqué  et  ligure  dans  la  carte  que  j'ai  donnée  pour  l'été  de  1887  cette  limite  par  Ai"  lati- 
tude N.  vers  la  cote  d'Europe  et  41°  30'  du  côié  de  l'Amérique.  Voyez  La  couleur  des  eaux  de  la 
mer  el  les  pèches  au  filet  fin  (Ass.  /•'jdnf  ..Toulouse,  1887,  t.  II,  p.  596,  et  carte.)  Je  faisais  remarquer 
dès  cette  époque  que  cette  limite  coïncidait  assez  bien  avec  celle  des  eau.\  de  densité  i,0270. 

(4)  M.  Forel  (Arch.  des  Sa.  Phijs.  et  Nat.,  t.  XXI,  p.  270)  indique  comme  ayant  des  eaux  bleues  : 
les  lacs  Léman,  de  Garde,  de  Lucel,  de  Kandersleg,  l'Achensee  et  enfin  le  lac  d'Annecy.  Pour  ce 
dernier,  je  doi-;  dire  qu'au  cours  d'un  voyage  fait  à  Annecy  au  mois  d'avril,  dans  le  but  même  d'ob- 
sener  la  couleur  du  lac,  j'ai  constaté  que  ses  eaux  étaient  nettement  vertes. 

(3)  On  trouvera  un  excellent  résumé  des  travaux  sur  la  couleur  de  l'eau  dans  l'importante  étude 
de  VV.  Spring  ;  De  la  couleur  des  eaux  [Ciel  et  Terre,  3"  année,  n»  24;  4'  année,  n»  i.  Bulletin  de 
l'Acad.  des  Se.  de  Bruxelles,  janvier  1883.  Rev.  scient.,  1883,  t.  XXXI,  p.  16I).  — Nous  ne  saurions, 
d'ailleurs,  partager  les  vues  de  M.  W.  Spring  sur  l't.rigine  de  la  couleur  jaune  qui  viendrait  se  com- 
biner à  la  couleur  bleue  naturelle  de  l'eau  pour  donner  les  eaux  vertes;  cette  couleur  jaune  déri- 
verait, d'après  M.  W.  Spring,  d'un  précipité  naissant  de  sels  incolores  (carbonate  de  chaux,  de 
magnésie,  silice,  silicate  d'alumine)  dû  à  une  trop  faible  quantité  d'acide  carbonique  pour  la  com- 
plète dissolution  des  carbonates  ou  à  une  insuilisance  de  chlorure  de  sodium  pour  la  précipitation 
du  silicate  d'alumine. 


334  MÉTÉOROLOGIE   ET    PHYSIQUE    DU   GLOP.E 

Partant  de  ce  fait  d'observation  que  l'eau  pure  est  bleue  (1),  j'ai  admis 
depuis  1887  (2)  que  la  couleur  verte  des  eaux  devait  être  attribuée  à  la 
combinaison  de  cette  couleur  bleue  avec  la  couleur  jaune  d'un  principe 
d'origine  organique  qui  s'y  trouvait  mélangé.  J'admis  de  plus  que  ce 
principe  était  la  phycophœine  soluble  dans  l'eau  et  dont  MUIardet  a 
montré  la  singulière  fixité  (3). 

Depuis  les  observations  de  Robert  Brovvn  on  est  unanime  à  reconnaître 
que  les  végétaux  monocellulaires  flottants  sont,  d'une  manière  générale, 
répandus  en  beaucoup  plus  grande  abondance  dans  les  eaux  froides, 
c'est-à-dire  dans  les  eaux  vertes  (4).  Il  n'est  pas  douteux  que  cette  quan- 
tité prodigieuse  d'algues,  abandonne  sans  cesse  une  notable  quantité  de 
phycophœine  à  l'eau  de  mer.  J'ai  insisté  ailleurs  (5)  sur  le  caractère  très 
particulier  des  pêches  au  filet  fin  dans  les  eaux  des  Feroë.  Le  même  carac- 
tère essentiellement  végétal  du  plankton  s'est  retrouvé  autour  de  Jan 
May  en. 

Dans  les  fjords  du  Spitzberg  cependant,  malgré  l'eau  verte,  le  plankton 
s'est  présenté  à  nous  comme  presque  exclusivement  animal  (6).  Mais  on 
remarquera  que  si  les  fucus  ne  poussent  pas  dans  ces  fjords  au  niveau 
des  marées,  on  peut  voir  les  bas-fonds  tapissés  partout  de  Laminaires. 
Les  goémons  fixés  joueront  ici,  en  abandonnant  leur  phycophœine,  le 
même  rôle  que  les  algues  pélagiques  pour  la  haute  mer. 

Peut-être  pourrait-on  expliquer  la  grande  zone  verte  de  l'Atlantique, 
tempérée  par  la  présence  des  Sargasses  qui  flottent,  il  est  vrai,  en  partie 
dans  l'eau  bleue,  mais  en  déf)assent  notablement  la  limite  au  nord  et 
qui  laisseraient  écouler  en  se  détruisant  leur  phycophœine  dans  le  sens 
du  déplacement  des  eaux  vers  le  nord-est. 

En  tous  cas,  une  question  très  importante  resterait  à  résoudre  :  la 
couleur  de  l'eau  des  parties  profondes  de  l'Atlantique. 

En  partant  de  cette  hypothèse  que  l'eau  verte  résulte  de  la  présence 

(1)  Voyez  W.  Spring. 

(2)  Voyez  mes  diverses  communications  de  1887,  Assoc.  française,  Toulouse,  et  ii'oc.  de  Biuloyie. 
Cf.  ci-dessus,  p.  327,  note  2. 

(3)  Il  sullit,  pour  l'obtenir,  de  triturer  àesfucnst  dans  l'eau  et  de  filtrer.  M.  Forel  a  supposé (1889,  .4n'/t. 
des  Sc.phijs.  elnal.)  que  c'était  l'eau  des  tourbières  chargée  d'acide  humiquequi  apportait  le  com- 
posant jaune.  Si  cette  e.xplication,  à  la  rigueur,  peut  s'appliquer  à  certains  lacs,  elle  ne  saurait  être 
étendue  à  l'Océan  pour  plusieurs  raisons.  La  couleur  de  ces  eaux  de  tourbières  est  d'un  jaune  forte- 
ment rabattu.  On  navigue  sur  cette  eau  dans  certains  fjords  de  Norvvège.  On  peut  citer  en  parti- 
culier le  Kanenfjord.  On  retrouve  les  mêmes  eaux  au  fond  de  certaines  petites  baies  des  Feroë.  Mais 
ce  sont  là  des  phénomènes  essentiellement  limités.  On  ne  peut  songer  à  attribuer  au  Saint-Laurent 
l'apport  du  principe  jaune  qui  donnerait  naissance  à  la  grande  zone  verte  de  l'Atlantique  tempéré, 
plus  qu'on  ne  saurait,  d'autre  part,  admettre  une  inllueuce  des  rivières  de  Norwège  et  d'Europe 
agissant  à  contre-courant.  Il  est  à  noter,  en  effet,  que  les  autres  grands  fleuves  atlantiques  (iMississipi, 
Amazone,  Niger),  se  déversent  dans  des  eaux  bleues  et  n'en  modifient  point  la  coloration  dès  que  les 
particules  solides,  qu'ils  tiennent  en  suspension,  se  sont  précipitées. 

(4)M.O.  Kriiramel  signale  lui-même  l'abondance  des  Diatomées  dans  l'eau  intermédiaire  (blaulich- 
griin.)  du  courant  sud  é(|uiLlorial  (G<kigr.  Jahrbuch,  ts92,  p.  9  et  suivantes.)  L'auteur  ajoute  cette 
remarque  à  un  passage  des  Pelerm.  Miiheil.  1889,  qu'il  transcrit  jiour  le  resteà  peu  près  textuellement. 

(5)  Voyez  Sur  la  jloi e  pélagique  du  Xaahôfjord.  (Comptes  rendus,  \\  janvier  1892.) 

(6)  Comp.  PoucHET,  Sur  la  faune  pélagique  du  Dyrefjord.  {Comptes  rendus,  25  janvier  1892.) 


G.    POUCHET,    SI  R    LES    EMX   VERTES    ?:T    BI.KLES  83d 

d'une  certaine  quantité  de  phycophœine  en  dissolution  dans  l'eau  naturel- 
lement bleue,  on  pouvait  se  demander  s'il  ne  serait  pas  possible  d'éli- 
miner celle-là  et  de  rendre  à  celle-ci  sa  couleur  naturelle.  Quelques  faits 
sembleraient  indiquer  qu'on  doit  y  parvenir  (1). 

Je  ne  puis  indiquer  ici  que  le  résultat  d'une  expérience  préliminaire 
réalisée  dans  le  laboratoire  de  Concarneau,  et  basée  sur  ce  fait  que  le 
noir  animal  décolore  les  solutions  de  phycophœine.  La  seule  partie  de 
l'appareil  instrumental  nécessaire,  dont  je  disposais,  était  un  tube  de 
o  mètres  mesurant  o  centimètres  de  diamètre  environ,  muni  à  l'intérieur 
de  cinq  diaphragmes  circulaires  et  aux  extrémités  de  deux  glaces  paral- 
lèles. L'eau  de  la  baie  de  Concarneau,  convenablement  fdtrée,  observée 
dans  ces  conditions  sur  un  écran  blanc,  bien  éclairé,  à  l'autre  extrémité 
du  tube,  est  parfaitement  transparente  et  d'un  vert  intense. 

Plusieurs  essais  ont  été  faits  ;  je  ne  relaterai  que  les  deux  suivants  : 

1°  De  l'eau  de  la  baie,  passée  sar  un  filtre  de  papier  pour  la  débarrasser 
des  matières  en  suspension,  est  lentement  filtrée  une  seconde  fois  à  tra- 
vers une  couche  de  5  à  6  centimètres  de  noir  animal  en  poudre  fine; 

2°  De  l'eau  de  la  baie,  après  avoir  été  débarrassée  de  même  des  matières 
€n  suspension,  est  laissée  vingt  heures  environ  au  contact  de  noir 
animal  réduit  en  poudre. 

Ces  eaux  de  mer  sont  essayées  dans  le  tube  et  donnent  exactement  la 
même  impression  que  l'eau  distillée  du  commerce  et  que  l'eau  de  source, 
impression  très  bien  indiquée  par  W.  Spring.  Si  elles  n'étaient  point 
bleues,  elles  avaient  du  moins  subi  une  décoloration  considérable  que 
l'observateur  le  moins  prévenu  pouvait  constater  à  première  vue  (2). 

Le  temps,  les  appareils  et  les  matériaux  nécessaires  nous  manquaient 
pour  pousser  plus  loin  ces  recherches.  L'expérience  que  nous  rappoi'tons 
démontre,  en  tous  cas,  que  la  coloration  verte  des  eaux  de  la  mer  dépend 
au  moins  pour  une  grande  partie  de  la  présence  d'une  substance  que  l'on 
peut  directement  lui  enlever  par  des  moyens  appropriés,  et  qui  jouit 
—  comme  la  phycophœine  —  de  la  propriété  d'être  retenue  par  le  noir 
animal. 

(()  U.  Sainle-Claire  Ueville  (Ann.  de  Chimie,  t.  XXIII,  I8i8,  p.  32;  trouva  que  les  eaux  bleues 
des  lacs  de  la  Suisse  et  du  Jura,  évaporées,  donnaieiil  des  résidus  incolores;  tandis  que  les  eaux 
vertes,  celles  du  Doubs  et  du  Rhin,  donnaient  une  quanliié  de  matière  organique  assez  forte, 
teignant  ca  jaune  les  sels  d'evaporali'in.  On  peut  yjouler  que  le  précipité  obtenu  par  l'action  du 
bichloruie  de  mercure  sur  les  solutions  de  phycopliœine  est  de  même  jaune.  On  reconnaît  au 
microscope  la  présence  d'un  dépôt  pulvérulent  jaune  (phycophœine?;. 

(2)  L'eau  qui  a  séjourné  sur  le  noir  animal  en  particulier  est  déclarée  par  une  personne  surve- 
nant au  moment  de  l'expérience,  dune  nuance  •■'■  entre  veit  et  bleu  ». 


330  MÉTÉOROLOGIE    ET    PHYSIQUE    DU    GLOBE 


M.  Léon  TEISSEEEITC  DE  BOET 

Météorologiste  au  Bureau  central  météorologique  de  Fiance,  à  Paris. 


SUR  LA  THÉORIE  DES  MOUVEMENTo  TOURBILLONNAIRES 


—  Séance  du  i7  septembre  1892  — 

Le  mécanisme  des  tourbillons  qui  se  produisent,  soit  dans  l'eau,  soit 
dans  l'air,  a  été  beaucoup  élucide  par  les  diverses  expériences  de  Weyher, 
Colladon,  etc.,  faites  dans  ces  dernières  années  ;  aussi  peut-on  essayer 
aujourd'hui  d'en  esquisser  la  théorie. 

Le  premier  principe  sur  lequel  il  faut  s'appuyer,  c'est  que  dans  tous 
ces  tourbillons  le  mouvement  centripète  ne  se  produit  que  lorsque  les 
surfaces  isobares  sont  plus  déprimées  que  les  surfaces  de  niveau  dyna- 
miques. 

De  môme  tout  mouvement  dans  le  sens  vertical  est  dû  à  ce  que  la 
variation  de  pression  suivant  la  verticale  n'est  pas  celle  qui  correspond  à 
la  densité  du  fluide  au  repos.  Dans  l'air  les  variations  dans  la  loi  de 
décroissance  de  la  pression  barométrique  sont  sensibles  et  intimement 
liées  à  l'écoulement  du  fluide  aux  extrémités  du  tourbillon. 

On  peut  produire  expérimentalement  toute  une  classe  de  tourbillons  par 
des  différences  de  vitesses  entre  les  parties  du  fluide  considéré,  soit  qu'on 
entraine  directement  le  fluide  comme  dans  les  expériences  de  Weyher, 
soit  qu'on  l'actionne  par  des  courants  voisins  de  vitesses  différentes, 
comme  on  en  voit  produire  des  tourbillons  près  des  piles  de  ponts. 

Le  tourbillon  le  plus  simple  que  nous  connaissions  est  celui  qu'on 
produit  en  faisant  tourner  autour  de  son  axe  un  vase  cylindrique  rempli 
d'eau  ;  après  quelques  instants,  si  le  mouvement  est  très  régulier,  l'eau 
tourne  avec  le  vase  d'un  mouvement  uniforme  du  haut  en  bas,  la  vitesse 
angulaire  est  réglée  par  celle  du  vase  et  constante  pour  toutes  les  parties 
du  liquide. 

L'eau  à  sa  partie  supérieure  est  déprimée  et  sa  surface  libre  est  formée 
par  une  surface  de  niveau  dynamique,  c'est-à-dire  une  surface  perpendi- 
culaire à  la  résultante  de  la  gravité  et  de  l'effet  centrifuge  dû  à  l'inertie 
du  fluide  en  rotation. 

Si  on  arrête  le  vase  on  voit  bientôt  l'eau  se  ralentir  dans  la  partie  infé- 
rieure qui  frotte  sur  le  fond  du  vase,  la  diminution  de  vitesse  angulaire 


L.  TEISSEREXC  DE  BORT.  —  THÉORIE  DES  MOUVEMENTS  TOURBlLLOî<NAlRES    337 

a  pour  résultat  de  changer  la  forme  des  surfaces  de  niveau  dynamiques 
dans  les  parties  inférieures  du  vase  où  elles  deviennent  moins  déprimées. 
Mais  la  transmission  verticale  des  pressions  continuant  à  se  faire  comme 
précédemment,  les  isobares  ont  gardé  la  même  forme  et  sont  ainsi  plus 
creusées  que  les  surfaces  de  niveau  dynamiques.  Il  en  résulte  pour  la  partie 
inférieure  que  le  fluide  est  poussé  de  la  périphérie  vers  l'axe  parce  que  les 
différences  de  pression  qui  existent  dans  le  sens  horizontal  ne  sont  plus 
équilibrées  par  l'effet  centrifuge  comme  lorsque  les  courbures  des  iso- 
bares et  des  surfaces  de  niveau  dynamiques  se  confondent. 

L'afflux  de  fluide  vers  l'axe  a  pour  résultat  d'augmenter  la  pression 
dans  les  régions  inférieures  et  de  déterminer  ainsi  un  mouvement  ascen- 
sionnel d'une  certaine  masse  du  liquide  qui  comble  partiellement  la 
dépression  existant  dans  les  couches  supérieures.  Cette  dépression  dimi- 
nuant, les  isobares  tendent  à  se  rapprocher  en  bas  de  la  forme  des  surfaces 
de  niveau  dynamiques  et  l'afflux  vers  l'axe  diminue,  il  s'arrête  complè- 
tement lorsque  la  vitesse  de  rotation  est  devenue  uniforme  dans  tout  le 
liquide,  ce  qui,  dans  le  cas  présent,  n'arrive  que  par  l'arrêt  de  tout 
mouvement.  En  faisant  tourner  régulièrement  le  vase  qui  sert  d'enve- 
loppe au  fluide  on  maintient  le  tourbillon  d'une  façon  permanente  sans 
mouvement  dans  le  sens  vertical. 

On  peut  aussi  entretenir  le  mouvement  ascendant  central  en  faisant 
arriver  par  la  partie  inférieure  du  vase  en  rotation  de  l'eau  qui,  n'étant 
pas  animée  d'un  mouvement  rotatoire  comme  celle  du  vase,  afflue  forcé- 
ment vers  l'axe  en  même  temps  qu'elle  est  poussée  vers  la  partie  supé- 
rieure par  la  diflérence  de  pression  verticale  qui  existe  entre  les  couches 
inférieures,  oii  il  y  a  afflux,  et  les  couches  supérieures  où  l'eau  se  déverse 
lorsque  le  vase  est  assez  plein  pour  que  la  surface  libre  du  liquide  aftleure 
à  ses  parois. 

On  arrive  donc  à  constituer  ainsi  un  tourbillon  dont  le  mouvement  est 
du  au  frottement  des  parois  du  vase,  et  dans  lequel  l'afflux  par  la  base  de 
liquide  en  repos  relatif  produit  et  maintient  la  différence  de  vitesse  de 
rotation  entre  les  régions  inférieures  et  la  partie  supérieure  qui  est  néces- 
saire au  mouvement  ascensionnel  du  fluide. 

Lorsqu'on  opère  dans  un  milieu  libre  pouvant  être  pratiquement  consi- 
déré comme  indéfini,  on  peut  produire  un  mouvement  tourbillonnaire  du 
même  genre  en  imprimant  à  une  masse  de  fluide  un  mouvement  de 
rotation  autour  d'un  axe,  au  moyen  d'un  anneau  vide  tournant  rapide- 
ment autour  de  son  centre  ou  au  moyen  d'un  moulinet  à  palettes. 

C'est  le  mécanisme  employé  pour  réaliser  les  intéressantes  expériences 
de  M.  VVeyher  et  celles  de  M.  Colladon. 

Le  mouvement  de  rotation  imprimé  au  fluide  au  voisinage  du  moulinet 
se  transmet  aux  masses  voisines  situées  dessous  et  dessus,  pendant  que 


338  MÉTÉOROLOGIE    ET   PHYSIQUE    DU   GLOBE 

le  fluide  est  rejeté  latéralement  en  vertu  de  l'action  de  la  force  centrifuge, 
qui  n'est  pas  équilibrée  par  une  différence  de  pression  suffisante  entre 
le  fluide  en  repos  et  le  centre  du  tourbillon. 

Dans  les  tourbillons  aériens  de  Weyher,  à  mesure  qu'on  s'écarte  des 
tranches  où  se  meut  le  moulinet,  la  vitesse  angulaire  transmise  par  le  frot- 
tement du  fluide  sur  lui-même  diminue,  tandis  que  la  différence  de  pres- 
sion entre  le  centre  du  tourbillon  et  le  fluide  extérieur  reste  à  peu  près 
constante  ;  on  arrive  ainsi  à  une  zone  où  les  isobares  sont  parallèles  aux 
surfaces  de  niveau  dynamiques,  dans  laquelle,  par  conséquent,  l'effet  cen- 
trifuge est  équilibré  par  la  différence  de  pression  vers  l'axe.  En  sécar- 
tant  encore  plus,  on  atteint  une  région  où  la  vitesse  de  rotation,  dimi- 
nuant de  plus  en  plus,  les  isobares  sont  beaucoup  plus  concaves  que  les 
surfaces  de  niveau  dynamiques,  et  où  il  y  a  mouvement  du  fluide  vers 
l'axe  en  même  temps  que  mouvement  de  rotation. 

L'afflux  vers  l'axe  diminue  la  concavité  des  isobares  et  détruit  ainsi 
l'équilibre  vertical  entre  les  régions  inférieures  et  la  partie  supérieure  du 
tourbillon  (c'est-à-dire  que  la  décroissance  de  pression  ne  suit  plus  la 
loi  statique,  mais  est  plus  rapide  qu'elle  ne  devrait  être  eu  égard  à  la  den- 
sité de  l'air),  ce  qui  détermine  le  mouvement  ascendant  du  fluide. 

Comme  on  le  voit,  on  reconstitue  ainsi  un  tourbillon  identique  au 
précédent,  seulement  le  mode  de  communication  du  mouvement  rotatoire 
est  différent,  il  est  dû  au  déplacement  du  fluide  par  les  palettes  du  mou- 
linet à  la  partie  supérieure  et  à  l'entraînement  des  masses  voisines  par  le 
frottement  du  fluide  en  mouvement  sur  le  fluide  en  repos. 

Dans  l'un  comme  dans  l'autre  de  ces  tourbillons,  le  mouvement  de 
rotation  détermine  une  dénivellation  des  surfaces  de  niveau  dynamiques 
et  par  conséquent  une  expulsion  du  fluide  en  mouvement  par  la  péri- 
phérie, là  où  se  trouve  la  vitesse  maxima. 

Cette  dénivellation  des  surfaces  de  niveau  entraîne  la  production  d'une 
dépression  vers  l'axe  et  il  y  a  mouvement  vers  la  périphérie,  là  où  la 
dépression  est  inférieure  à  la  dénivellation  des  surfaces  de  niveau,  mou- 
vement circulaire  là  où  les  isobares  sont  parallèles  aux  surfaces  de  niveau 
dynamiques,  et  mouvement  vers  l'axe  là  où  les  isobares  sont  plus  dépri- 
mées que  les  surfaces  de  niveau. 

Les  tourbillons  formés  dans  un  milieu  libre  sont  plus  ou  moins  coniques, 
la  partie  la  plus  évasée  étant  voisine  de  la  zone  motrice,  ce  qui  tient  à  ce 
que  le  mouvement  gyratoire  des  couches  inférieures  est  entretenu  par 
le  frottement  des  couches  supérieures;  comme  d'ailleurs  le  tourbillon 
frotte  sur  le  milieu  fluide  qui  l'entoure,  la  plus  grande  vitesse  angulaire 
se  trouve  toujours  à  une  certaine  distance  des  bords  du  tourbillon  et  sur 
des  diamètres  de  plus  en  plus  petits,  à  mesure  qu'on  s'éloigne  des 
tranches  motrices,  soit  en  montant,  soit  en  descendant. 


L.  TEISSERE.NC  DE  BORT.  —  THÉORIE  DES  MOUVEMENTS  TOURBILLOXNAIRES    339 

Tourbillom  par  dépression.  —  Quand  on  produit  un  tourbillon  en 
laissant  écouler  un  fluide  par  un  orifice  inférieur,  comme  c'est  le  cas 
dans  les  tourbillons  qui  se  produisent  par  des  écluses  et  dans  le  tourbillon 
observé  par  M.  CoUadon  sur  le  barrage  du  Rhône,  à  Genève,  ce  phé- 
nomème  présente  bien  toujours  la  forme  conique,  mais  la  partie  resserrée 
est  tournée  vers  la  région  où  se  produisent  les  plus  grandes  vitesses. 

Ces  tourbillons  forment  une  classe  spéciale  et  la  source  de  leur  énergie 
réside  dans  la  dépression  produite  par  l'écoulement  du  fluide,  naturel- 
lement sous  l'influence  de  la  pesanteur  ou  artificiellement  sous  l'influence 
d'une  asj)iration  par  un  orifice.  Le  mouvement  gyratoire  est  une  consé- 
quence des  inégalités  de  vitesses  produites  dans  le  fluide  qui  s'écoule  au 
lieu  d'être  la  cause  même  du  tourbillon  et  la  cause  de  la  dépression. 

L'importance  du  tourbillon  est  donc  réglée  par  l'intensité  de  la  dépres- 
sion ('pour  le  cas  du  vase  percé  d'un  orifice,  la  valeur  de  la  dépression 
dépend  surtout  de  la  hauteur  du  liquide  au-dessus  de  l'orifice)  et  les  di- 
mensions de  l'orifice,  qui  sert  à  l'écoulement.  Dans  les  autres  tourbillons, 
au  contraire,  c'est  la  vitesse  de  gyration  qui  produit  la  dépression,  la- 
quelle détermine  ensuite  le  mouvement  suivant  l'axe.  Dans  le  tourbillon 
formé  par  dépression,  le  fluide  tend  toujours  à  se  rapprocher  de  l'axe, 
parce  que  la  dépression  est  partout  supérieure  à  la  déformation  des  sur- 
faces de  niveau  dynamiques. 

Si  cette  dernière  condition  n'était  plus  satisfaite  la  composante  verticale 
du  mouvement  serait  annulée  et  le  tourbillon  s'évanouirait.  En  effet,  la 
vitesse  de  rotation  croît  dans  un  tourbillon  de  ce  genre  à  mesure  qu'on  se 
rapproche  de  l'orifice,  parce  que  le  fluide  se  rapproche  de  l'axe,  il  en 
résulte  que  la  dépression  des  surfaces  de  niveau  dynamiques  augmente  à 
mesure  qu'on  se  rapproche  de  l'orifice  d'écoulement  et  avec  elle  la 
dépression  barométrique  traduite  par  la  courbure  des  isobares,  sans  que 
jamais  elle  puisse  être  moindre  que  celle  des  surfaces  de  niveau,  sous 
peine  de  voir  le  fluide  s'échapper  latéralement,  au  lieu  de  gagner  l'ori- 
fice. 

Dans  tous  ces  tourbillons,  il  y  a  toujours  transport  du  fluide  vers  le 
siège  de  la  cause  motrice  et  non  émission  du  fluide  en  mouvement  de 
la  cause  motrice  vers  les  régions  calmes,  comme  le  voudraient  les  théories 
dans  lesquelles  un  système  moteur  supérieur  fait  pénétrer  des  spires  des- 
cendantes de  fluide  au  milieu  d'une  atmosphère  plus  ou  moins  tranquille  ; 
cette  dernière  forme  de  tourbillon  n'a  encore  jamais  été  réalisée  dans  les 
expériences  et  paraît  d'ailleurs  incompatible  avec  l'existence  du  frottement, 
parce  que  :  1°  le  mouvement  descendant  ne  peut  être  produit  que  par 
un  excès  de  pression  dans  les  régions  supérieures  qui  est  incompatible  avec 
l'aspiration  latérale  qui  produit  les  gyrations  motrices  du  tourbillon  ; 
2°  le  mouvement  de  concentration  du  fluide  vers  la  partie  inférieure  du 


340  MÉTÉOROLOGIE   ET   PHYSIQUE   DU    GLOBE 

tourbillon  exige  que  la  dépression  des  isobares  soit  plus  grande  que  celle 
des  surfaces  de  niveau;  or  celle  dépression  des  isobares  étant  produite  par 
la  transmission  des  pressions  d'en  haut  ne  saurait  être  supérieure  à  celle 
des  tranches  de  fluide  placées  au-dessus,  il  faut  donc  de  toute  nécessité 
admettre  que  les  surfaces  de  niveau  dynamiques  sont  moins  déprimées  en 
bas  qu'en  haut,  ce  qui  est  incompatible  avec  l'augmentation  de  vitesse 
de  gyration  produite  par  la  diminution  du  rayon  de  la  trajectoire  de 
l'air,  augmentation  d'énergie  actuelle  qui  a  été  invoquée  pour  expliquer 
les  effets  violents  des  trombes  et  des  cyclones . 

J'ajouterai  que  dans  un  tourbillon  descendant  de  ce  genre  l'air  à  la 
partie  inférieure  ne  peut  s'écouler  que  vers  l'intérieur  du  tourbillon  où  il 
produirait  alors  un  mouvement  ascendant  marqué,  ou  vers  l'extérieur  ;  et 
dans  ce  dernier  cas  on  doit,  si  tumultueux  que  soit  le  mouvement,  retrou- 
ver la  trace  de  vents  divergents,  ce  que  l'observation  ne  montre  pas  pour 
ime  portion  un  peu  étendue  de  l'aire  occupée  par  un  tourbillon  atmo- 
sphérique. 

Ces  réserves  formulées  sur  la  possibilité  de  l'existence  de  tourbillons 
descendants  mus  par  la  partie  supérieure  (et  qui  s'appliqueraient  dans 
leurs  généralités  à  la  possibilité  de  réaliser  des  tourbillons  ascendants 
mus  par  la  partie  inférieure),  je  reprends  l'étude  comparée  des  tourbillons 
produits  expérimentalement  et  de  ceux  qui  s'observent  dans  la  nature. 

On  observe  souvent  que  lorsque  deux  courants  de  vitesses  ditiérentes 
ou  de  directions  non  concordantes  prennent  contact  l'un  avec  l'autre,  il  se 
produit  un  tourbillon. 

Ce  dernier  mode  de  création  des  tourbillons  est  particulièrement  diffi- 
cile à  réaliser  dans  l'air,  mais  on  le  produit  assez  facilement  dans  l'eau. 
Cependant  M.  Weyher  est  parvenu,  en  faisant  soutïler  dans  l'air  calme  une 
large  buse  produisant  un  courant  d'air  en  nappe,  à  créer  des  différences 
de  vitesses  qui  déterminent  la  formation  d'un  tourbillon  ascendant.  Dans 
la  nature  il  semble  que  ce  soit  par  des  différences  de  vitesse  que  se  pro- 
duisent les  tourbillons  aériens. 

Le  mécanisme  des  mouvements  de  l'air  dans  la  zone  génératrice  des 
tourbillons  a  été  peu  étudié  jusqu'ici.  Cependant  M.  Lasne,  dans  un  mé- 
moire sur  la  théorie  des  mouvements  tourbillonnaires,  a  indiqué  quelle 
doit  être  la  marche  de  l'air  dans  cette  zone;  mais  si  je  suis  d'accord 
avec  lui  sur  le  sens  du  mouvement  de  l'air,  je  ne  saurais  le  suivre  pour 
ce  qui  lient  à  la  cause  de  la  répartition  des  pressions  et  à  la  transmission 
de  haut  en  bas  des  vitesses  par  frottement.  Cette  circonstance  influe 
assez  sur  l'ensemble  de  la  théorie  du  tourbillon  pour  que  je  sois  obligé 
d'en  faire  un  exposé  très  différent  sur  plusieurs  points  essentiels  de  celle 
qui  a  été  donnée  par  M.  Lasne. 
Il  est  hors  de  doute  que  les  courants  généraux  latéraux  étant  les  moteurs 


L.  TEIï^SERENC  DE  BORT.  —  THÉORIE  DES  MOUVEMENTS  TOURBILLON-NAIRES    341 

du  système,  à  l'origine  dans  une  tranche  de  la  zone  génératrice,  la  vitesse 
linéaire  maxima  doit  se  trouver  à  la  périphérie  là  où  l'air  est  entraîné 
par  le  courant  latéral.  Deux  hypothèses  se  présentent  :  ou  bien  la  vitesse 
angulaire  de  cette  sorte  de  disque  aérien  est  uniforme  et  alors  la  dépression 
des  surfaces  de  niveau  dynamique  est  une  simple  fonction  du  rayon  et  de 
la  vitesse  périphérique,  ou  bien  la  vitess'e  angulaire  décroît  à  l'intérieur  à 
cause  de  l'inertie  de  l'air  qui  se  présente  pour  remplacer  celui  qui  a  été 
entraîné  par  le  courant. 

La  première  hypothèse,  si  les  surfaces  isobares  ont  une  courbure 
voisine  de  celle  qui  résulterait  de  la  rotation  de  la  masse  fluide  sur 
elle-même,  n'est  pas  conciliable  avec  le  mouvement  centrifuge  de  l'air 
dans  la  zone  supérieure,  mouvement  indispensable  à  l'existence  même  du 
tourbillon,  parce  que  l'air  qui  diverge,  perdant  de  la  vitesse  à  mesure 
que  le  rayon  de  courbure  augmente,  ne  pourrait  remonter  la  pente  des 
isobares,  puisque  sa  vitesse  serait  toujours  inférieure  à  celle  qui  est 
nécessaire  pour  faire  équilibre  suivant  le  rayon  à  la  pression  barométrique. 

Il  faudrait  nécessairement  admettre  que  les  isobares  sont  moins  dépri- 
mées que  les  surfaces  de  niveau  dynamiques.  De  plus,  à  moins  de  sup- 
poser des  vitesses  périphériques  énormes,  si  on  prend  pour  point  de  départ 
cette  hypothèse  que  la  vitesse  linéaire  en  chaque  point  est  voisine  de  celle 
qui  correspond  à  la  vitesse  angulaire  constante,  on  trouve,  dès  qu'on 
s'approche  du  centre  du  tourbillon,  des  vitesses  si  faibles  qu'elles  corres- 
pondent à  des  gradients  très  petits.  Ainsi,  pour  des  vitesses  assez  consi- 
dérables des  courants  supérieurs,  les  dépressions  barométriques  seraient 
beaucoup  moindres  que  celles  de  la  nature  et  ne  pourraient  engendrer 
les  vents  violents  que  nous  observons  près  du  sol. 

M.  Lasne  admet  que  la  vitesse  linéaire  ne  croit  pas  avec  le  rayon, 
mais  qu'en  partant  du  centre,  où  elle  est  nulle,  elle  passe  par  un  maxi- 
mum pour  décroître  ensuite.  Cette  hypothèse,  qui  est  assez  satisfaisante 
pour  expliquer  la  forme  des  isobares  inférieures  et  la  relation  qui  lie  les 
diverses  vitesses  entre  elles,  laisse  tout  à  fait  dans  l'ombre  le  mode  de 
transmission  du  mouvement  du  courant  générateur  à  la  masse  aérienne 
qui  forme  la  tranche  aérienne  supérieure  en  rotation.  On  ne  comprend 
pas  bien,  en  effet,  comment  les  courants  moteurs  périphériques  peuvent 
engendrer  par  frottement  des  vitesses  supérieures  à  leur  propre  vitesse. 
Au  contraire,  si  les  vitesses  centrales  sont  dues,  comme  nous  le  pensons, 
surtout  à  l'accélération  centripète  éprouvée  par  l'air  dans  la  partie  conver- 
gente du  tourbillon,  on  comprend  qu'elles  puissent  être  supérieures  à 
celles  des  courants  généraux. 

Si  l'on  prend  en  considération  ce  fait  établi  que  dans  un  tourbillon  se 
produisant  dans  un  milieu  où  il  y  a  frottement,  les  vitesses  qui  seraient 
obtenues  par  le  frottement  de  l'air  sur  l'air  décroissent  forcément  de  haut 


342  MÉTÉOROLOGIK   ET    PHYSIQUE   DU    GLOIîE 

en  bas,  c'est-à-dire  depuis  les  tranches  motrices  jusqu'au  niveau  du  sol, 
en  sorte  qu'il  s'établit,  comme  nous  l'avons  vu  déjà,  un  mouvement  centri- 
pète inférieur  et  un  mouvement  divergent  supérieur  avec  une  zone  inter- 
médiaire où  le  fluide  tourne  circulairement  en  montant,  on  reconnaît  qu'en 
vertu  de  la  loi  des  aires  il  y  a  accélération  des  vitesses  de  la  périplif-rie 
vers  le  centre  dans  la  région  c^triprte  et  qu'ainsi  l'air  qui  arrive  en  haut 
a  dans  les  parties  centrales  une  vitesse  plus  considérable  que  celui  qui 
s'élève  tout  autour.  11  en  résulte  que  l'air  arrive  à  la  zone  supérieure 
avec  des  vitesses  assez  grandes  pour  pouvoir  remonter  la  pente  des  iso- 
bares en  vertu  de  l'effet  centrifuge  et  qu'ainsi  une  dépression  baromé- 
trique assez  forte  peut  subsister  en  haut  sans  que  le  mouvement  centri- 
fuge soit  arrêté. 

L'intensité  de  la  dépression  barométrique  ne  dépend  plus  directement 
de  la  vitesse  de  gyration  à  la  périphérie  comme  dans  le  tourbillon  circu- 
laire parfait  qu'on  produit  dans  un  vase  qui  tourne,  mais  de  la  raréfac- 
tion produite  par  l'aspiration  latérale  due  à  l'entraînement  de  l'air  par  les 
courants  généraux.  Sans  vouloir  entrer  ici  dans  le  détail  d'ailleurs  fort 
difficile  à  préciser  des  relations  qui  lient  la  vitesse  périphérique  à  l'inten- 
sité de  l'aspiration,  on  conçoit  que  l'entraînement  périphérique  de  l'air  se 
produisant  sur  une  très  grande  surface  par  rapport  à  celle  de  la  partie 
centrale  de  tourbillon,  il  y  ait  baisse  de  pression  en  ce  point;  d'ailleurs 
tout  l'air  qui  est  ainsi  enlevé  au  tourbillon  doit  passer  par  la  partie  res- 
serrée du  tourbillon  là  où  l'air  tourne  circulairement,  on  conçoit  donc  que 
lorsque  le  diamètre  de  cette  section  est  très  petit  comparé  à  celui  de  la 
tranche  motrice,  la  valeur  de  la  dépression  du  baromètre  soit  considérable. 

Le  tourbillon  ainsi  formé  n'est  autre  qu'un  système  physique,  aspirant 
l'air  par  sa  périphérie  à  la  partie  supérieure  et  produisant  ainsi  un  cou- 
rant ascendant,  lequel  détermine  des  vents  convergents  inférieurs  qui  se 
transforment  en  vents  circulaires  lorsque  leur  vitesse  de  rotation  est  dans 
une  certaine  relation  avec  la  dépression  des  isobares  et  qui  se  changent 
plus  haut  en  vents  divergents  en  tourbillonnant  et  vont  augmenter  les 
courants  latéraux  aspirateurs  en  se  confondant  avec  eux. 

Il  est  probable  que,  dans  la  nature,  il  existe  des  tourbillons  dans  les- 
quels la  vitesse  la  plus  grande  à  la  partie  supérieure  se  trouve  à  la  péri- 
phérie; mais  on  peut  penser  que,  dans  les  grands  cyclones,  il  n'en  est  pas 
ainsi.  A  cause  de  leur  rayon  étendu,  on  arriverait  à  la  périphérie  à  des 
vitesses  énormes.  En  efîet,  le  vent  qui  souffle  dans  une  tempête  atteint  sou- 
vent (dans  la  région  située  en  dedans  de  la  moitié  du  tourbillon)  30  mètres 
à  la  tour  Eiffel.  Or,  en  s'élevant  entre  300  mètres  et  6  à  8  kilomètres,  où 
les  cirrus  indiquent  le  mouvement  divergent,  l'observation  des  vitesses 
des  nuages  montre  que  les  vitesses  sont  au  moins  triplées,  en  sorte  qu'on 
arriverait  facilement  à  des  vitesses  de  plusieurs  centaines  de  mètres  pour 


G.    COTTEAU.    —   LA    FAMILLE    DES    CIDARIDÉES    A   l'ÉPOQUE    ÉOCÈXE      343 

le  courant  supérieur  périphérique,  tandis  que  les  vitesses  des  cirrus  ne 
dépassent  guère  100  mètres. 

En  résumé,  les  tourbillons  atmosphériques  participent  à  la  fois  du  tour- 
billon formé  dans  un  vase  en  rotation  et  du  tourbillon  par  dépression, 
et  la  théorie  dont  je  viens  d'indiquer  les  grands  traits,  tout  en  se  basant 
sur  les  propriétés  mécaniques  des  mouvements  tourbillonnaires  reconnues 
par  l'expérience,  permet  de  rendre  compte  des  phénomènes  observés  dans 
les  tourbillons  de  la  nature  comme  je  l'indiquerai  ultérieurement. 


M.  &.  COTTEAU 

Correspondant  de  l'Institut,  à  Paris. 


LA  FAMILLE  DES  CIDARIDÉES  A  L'ÉPOQUE  EUGENE 


—  Séance  du   16  septembre  1892  — 

L'année  dernière,  au  Congrès  de  Marseille,  j'ai  présenté  quelque  considé- 
rations générales  sur  le  groupe  des  Clypéastroïdes  éocènes,  dont  je  venais 
de  terminer  la  description  dans  la  Paléontologie  française.  Depuis  cette 
époque,  j'ai  commencé  l'étude  des  Échinides  réguliers  éocènes.  Je  viens 
d'achever  la  description  des  genres  et  des  espèces  de  la  famille  des  Cida- 
ridées,  et  j'ai  pensé  qu'il  serait  intéressant  de  vous  faire  connaître  le 
résultat  de  mes  recherches.  La  famille  des  Cidaridées  est  la  plus  ancienne 
des  Échinides  et  se  montre  pour  la  première  fois  dans  les  mers  du  trias  et 
du  terrain  carbonifère  ;  elle  poursuit  son  évolution  à  toutes  les  périodes 
des  terrains  jurassique,  crétacé  et  tertiaire,  et  existe  encore  dans  les  mers 
actuelles,  sous  les  latitudes  les  plus  diverses. 

Dans  le  terrain  éocène,  la  famille  des  Cidaridées  est  représentée  par 
trois  genres  :  Cidaris,  Klein  ;  Rhabdocidaris,  Desor,  et  Porocidaris,  Desur. 

Le  genre  Cidans,  tel  que  nous  avons  cru  devoir  le  circonscrire,  est 
parfaitement  caractérisé  par  sa  forme  subcirculaire,  déprimée  en  dessus  et 
en  dessous;  par  ses  aires  ambulacraires  étroites,  plus  ou  moins  flexueuses; 
par  ses  pores  disposés  en  séries  linéaires,  non  conjugués  par  un  sillon 
et  non  séparés  par  une  bande  saillante  ;  par  ses  tubercules  interambu- 


344  GÉOLOGIE    ET    MINÉRALOGIE 

lacraires  gros,  scrobiculés,  pourvus  ou  non  de  crénelures,  perforés  ou 
imperforés  ;  par  son  péristome  non  entamé,  recouvert  d'une  membrane 
écailleuse  visible  chez  les  espèces  vivantes  et  sur  laquelle  se  prolongent 
les  zones  porifères. 

Les  auteurs  ont  établi,  au  détriment  du  genre  Cidaris,  plusieurs  genres 
ou  sous-genres,  qui  peuvent  être  excellents  pour  la  distinction  des  espèces, 
mais  qui  ne  nous  paraissent  pas  suffisants  pour  les  séparer  du  type.  Du 
reste,  la  plupart  de  ces  coupes  secondaires,  à  l'exception  du  Cidark 
Verneuilli,  dont  M.  Pom.el  a  fait  le  Dorocidaris  VerneuiUi,  n'existent  pas 
à  l'époque  éocène,  et  nous  n'avons  pas  à  nous  en  occuper  ici . 

Le  genre  Cidaris  renferme,  dans  le  terrain  éocène  de  la  France,  vingt- 
trois  espèces,  dont  nous  avons  décrit  le  test  ou  les  radioles  : 


Cidaris  sabaratensis,  Cotteau. 

—  nummulitica,  Sismoiiita. 

—  Grossoîivrei,  Cotteau. 

—  Pomeli,  Cotteau. 

—  crateriformis,  Guinbel. 

—  liautevUlensisi,  Cotteau. 

—  TaramellH  (Taramellii,  Cotteau. 

—  attenuata,  Cotteau. 

—  Lorioli,  Cotteau. 

—  Oosteri,  Laube. 

—  spinigera,  Dames, 

—  Beloni,  Agassiz. 


Cidaris  subularis,  d'Arehiac. 

—  subscrratu,  d'Arehiac. 

—  inlcrlincala,  d'Arehiac. 

—  svbcylindrica,  d'Arehiac. 

—  striatogrmiosa,  d'Ai'chiac. 

—  ariciilaris,  d'Arehiac. 

—  prionata,  Agassiz. 

—  subprionata,  Rouault. 

—  seminota,  Sorignet. 

—  gervaisiana,  Sorignet. 

—  matrotiensis,  de  Loriot. 


Nous  n'avons  que  quatre  espèces  dont  nous  connaissons  le  test;  les 
dix-neuf  autres  ne  sont  représentées  que  par  leurs  radioles  ;  mais  ces 
radioles  sont  tellement  bien  caractérisés  que  nous  avons  tout  lieu  de 
croire  qu'ils  constituent  des  espèces  particulières.  Ces  espèces,  du  reste, 
étaient  en  grande  partie  déjà  et  depuis  longtemps  connues.  Presque  tous 
nos  radioles  proviennent  de  Biarritz  ;  ils  avaient  été,  en  1847  et  en  1850, 
décrits  et  figurés  par  d'Arehiac  (1),-  d'après  des  échanlillons  recueillis  par 
Pratt  et  déposés  à  l'École  des  Mines.  Grâce  à  l'obligeance  de  M.  Douvillé, 
nous  avons  pu  étudier  ces  types  précieux,  bien  que  souvent  à  l'état  de 
fragments.  Nous  les  avons  comparés  aux  exemplaires  plus  nombreux  et 
plus  complets  rencontrés  depuis  dans  cette  localité  si  riche.  Après  avoir 
discuté  les  espèces,  nous  en  avons  supprimé  quelques-unes  et  nous  avons 
caractérisé  d'une  manière  plus  nette  et  plus  précise  celles  que  nous 
avons  cru  devoir  conserver. 

A  la  suite  des  vingt-trois  espèces  recueillies  en  France,    nous  avons 


(1)    D'Archiac,    Deso'iplion  des  fossiles  des  environs  de  Bayonne.  (Mérn.  Soc.  Géol.  de  France 
2=  série,  t.  Il,  -I8A6.)  —  D'Archiac,  Description  des  fossiles  du  groupe  nummulilique  (Méin.  Soc.  Géol. 
de  France,  2°  série,  t.  III,  1850.) 


G.  COTTEAU.  —   L.V   FAMILLE   DES    CIDARIDÉES    A    l'ÉPOQUE   ÈOCÈXE       345 

donné  la  diagnose   de   tous    les  Cidaris  éocènes  signalés  dans  d'autres 
contrées,  au  nombre  de  vingt-deux  : 


Cidaris  mesjriliin.  V.  de  Loriol. 

—  Mayeri,  P.  de  Loriol. 

—  hungarica,  Pavay. 

—  cervicornis,  Scbaiirotli. 

—  spclicicnsis,  Dames. 

—  Snmpicri,  Taramelli. 

—  infratertiarius,  Quenstod. 

—  veronensis,  Quensted. 

—  Vincenfi,  Cotlean. 

—  poreseadienais,  Koch. 

—  Bietzi,  KoL'h. 


Cidaris  Yilanovà,  Coîtean. 

—  striofa,  Hutton. 

—  Verneuilii,  d'Archinc. 

—  hafnen^is,  d'Arcliiae. 

—  Mortoni,  Conrad. 

—  Janvfi,  Fritsch. 

—  longicoliis,  Fritsch. 

—  acanthica,  Fritsch. 

—  lacrymuJn,  Duncan  et  Staden. 

—  ovipnra,  Ihincaii  et. Staden. 

—  excelsa,  Duncan  et  Staden. 


Sur  ces  vingt-deux  espèces,  treize  ont  été  déterminées  à  l'aide  de  leur 
test  et  neuf  seulement  à  l'aide  de  leurs  radioles.  Ces  vingt-deux  espèces, 
étrangères  à  la  France,  élèvent  à  quarante-cinq  le  nombre  des  Cidaris 
éocènes  que  nous  connaissons.  Parmi  les  radioles,  quelques-uns,  couverts 
d'épines  plus  ou  moins  fortes,  appartiennent  probablement  au  genre 
Rhabdocidaris.  Nous  ne  pourrons  avoir  de  certitude  que  lorsque  ces 
radioles  auront  été  trouvés  adhérents  au  test.  Nous  avons  préféré,  quant 
à  présent,  laisser  ces  espèces  douteuses  parmi  les  Cidaris,  où  elles  ont 
été  placées  dans  l'origine. 

II.  —  Le  genre  Rhabdoddains,  Desor,  se  distingue  des  Cidaris,  dont  il  a  été 
démembré  en  1837,  par  ses  pores  ambulacraires  unis  par  un  sillon  sub- 
flexueux  et,  lorsque  le  sillon  fait  défaut,  par  les  paires  de  pores  que 
sépare  transversalement  un  bourrelet  saillant.  Ce  genre  forme  deux 
groupes  :  Le  premier  comprend  des  espèces  en  général  de  grande  taille, 
remarquables  par  leurs  tubercules  fortement  crénelés  et  perforés,  par  leurs 
pores  ambulacraires  allongés,  unis  par  un  sillon  subflexueux;  chaque 
paire  de  pores  séparée,  en  outre,  par  un  bourrelet  saillant.  Ce  sont  ces 
espèces,  pour  la  plupart  jurassiques,  qui  ont  servi  de  type  au  genre.  Le 
second  groupe  renferme  des  espèces  de  taille  ordinairement  plus  petite  : 
les  zones  porifères  sont  moins  larges,  les  pores  ambulacraires  sont  moins 
arrondis,  moins  allongés,  moins  écartés,  plus  arrondis  et  le  sillon  sub- 
flexueux qui  devrait  les  unir  fait  le  plus  souvent  défaut  ;  le  bourrelet  qui 
sépare  les  paires  de  pores  persiste  seul  et  forme  alors  le  caractère  essen- 
tiel, pour  ainsi  dire  unique,  qui  sépare  les  Rhabdocidaris  des  Cidaris. 
Les  espèces  de  ce  second  groupe,  qu'elles  aient  les  tubercules  crénelés 
comme  ceux  du  /?,  Pouechi,  ou  lisses  comme  ceux  du  Rh.  Blanchefi. 
sont  assurément  très  voisines  des  véritables  Cidaris  auxquels  quelques 
auteurs  ont  cru  devoir  les  réunir.  Mais  alors  il  faudrait  rapporter 
également  aux  Cidaris  les  Rhabdocidaris  jurassiques  du  premier  groupe, 


346  GÉOLOGIE   ET   MINÉRALOGIE 

et  cependant  quelques  espèces  ont  un  faciès  bien  particulier.  Nous  avons 
préféré  maintenir  dans  la  méthode  le  genre  Rhahdocidans,  tel  que  nous 
venons  de  le  circonscrire. 

Les  deux  espèces  rencontrées  dans  le  terrain  eocène  de  la  France  ap- 
partiennent au  second  groupe;  la  première  a  été  recueillie,  à  la  fois,  dans 
le  terrain  éocène  moyen  et  le  terrain  éocène  supérieur. 


Rhabdocidaris  Pouechi,  Cotteau. 


Rhabdocidaris  Blancheti,   Cotteau. 


Chez  le  R.  Pouechi,  les  tubercules  sont  fortement  crénelés,  ils    sont 
lisses  chez  le  R.  Blancheti. 

Hait  espèces  de  Rhabdocidaris  ont  été  signalées  en  dehors  de  la  France. 


Rhabdocidaris  pseudo-juraxsica,  Laube. 

—  mezzoana  (Laube),  Cotteau. 

—  Itala  (Laube),  P.  de  LorioL 

—  Loveni,  Cotteau. 


Rhabdocidaris  Zittcli,  P.  de  Loriol. 

—  fianifco^/  Dunkan  et  Sladen. 

—  sindensis,  Dunkan  et  Sladen . 

—  Navillei,  Cotteau. 


Ces  espèces  élèvent  à  dix  le  nombre  des  Rhabdocidaris  que  nous 
connaissons. 

III.  —  A  la  suite  des  Rhabdocidaris,  nous  plaçons  le  genre  Porocidaris, 
qui  s'en  distingue  nettement  par  les  sillons  profonds  et  poriformes  qui 
rayonnent  le  plus  souvent  au  milieu  des  scrobicules  et  ne  se  retrouvent 
chez  aucun  autre  Echinide.  Les  Porocidaris  sont,  en  outre,  caractérsés 
par  les  cloisons  épaisses  qui  marquent,  à  l'intérieur  du  test,  la  suture  de 
certaines  plaques  interambulacraires,  et  surtout  parla  forme  toute  particu- 
lière de  leurs  radioles. 

Deux  espèces  éocènes  de  France  appartiennent  à  ce  genre  : 

Porocidaris  psewdoserroto  (Cotteau),  Dames,  |    Porocidaris  Schmideli  (Munster)  Desor. 


La  première  de  ces  espèces  se  rencontre  à  la  fois  dans  l'éocène  moyen 
et  l'éocène  supérieur  ;  la  seconde  espèce  paraît  propre  à  l'éocène  supérieur. 

Michelin,  sous  le  nom  de  P.  tuberosa  {Bull.  Soc.  géol.  de  France, 
2«  série,  t.  XVII,  p.  Ii6,  pi.  Il,  fig.  1 ,  a  b  c  d,  18o9)  signale  un  très  petit 
radiole  recueilli  à  Issy,  près  Paris,  et  qui  présente  au  premier  aspect,  par 
sa  dentelure  marginale,  quelques-uns  des  caractères  des  radioles  des  Poro- 
cidaris. Mais  ce  radiole  est  un  peu  roulé  et  ne  parait  pas  suffisant  pour 
démontrer  dans  le  bassin  parisien  l'existence  du  genre  Porocidaris. 

Aux  deux  espèces  éocènes  de  la  France,  il  y  a  lieu  d'en  joindre  une 
troisième  provenant  de  l'Inde, 

Porocidaris  anomala,  Duncan  et  Sladen. 


É.    RIVIÈRE.    —   AGE   DES    SQUELETTES    HUMAINS    DE    MENTON  347 

Le  genre  Porocidaris  se  montre,  pour  la  première  fois,  à  l'époque 
éocène.  Il  est  représenté  dans  les  mers  actuelles  par  une  espèce  :  Poroci- 
daris purpurata  Wyville,  qui,  suivant  M.  de  Loriol,  est  très  voisine  du 
Porocidaris  Schmidlei. 

Les  sillons  poriformes  sont  remplacés  par  une  série  de  petites  im- 
pressions servant  de  points  d'attache  aux  muscles  moteurs  des  radioles. 

La  famille  des  Cvlaridées  compte  à  l'époque  éocène  cinquante-huit  re- 
présentants. Une  seule  espèce,  C.  Belone,  s'est  rencontrée  dans  le  calcaire 
grossier  des  environs  de  Paris.  Quatorze  espèces  proviennent  des  falaises 
de  Biarritz  dans  lesquelles  les  Échinides  sont  si  abondants. 


M.   É.    UIYIÈEE 


SUR    L'AGE    DES    SQUELETTES    HUMAINS    DES    GROTTES   DES   BAOUSSÉ-ROUSSÉ, 
EN   ITALIE,  DITES   GROTTES   DE  MENTON 


—  Séance  du  17  septembre  1892  — 


I 


Au  mois  de  février  dernier,  trois  nouveaux  squelettes  humains  ont  été 
découverts,  absolument  par  hasard,  dans  l'une  des  grottes  des  Baoussé- 
Roussé,  surnommée  la  Barma  grande. 

De  cette  découverte,  faite  à  la  suite  de  fouilles  entreprises  au  mépris 
de  tous  mes  droits  de  propriété,  découverte  contre  laquelle  j'ai  protesté 
dès  le  premier  jour  et  je  ne  cesserai  de  protester  jusqu'à  ce  que  jus- 
tice me  soit  rendue,  la  grotte  ayant  été  acquise  par  moi,  ainsi  que  deux 
autres  grottes  voisines,  en  1872,  par  acte  notarié  passé  au  consulat 
français  de  Ventimiglia  (Italie),  tant  de  choses  erronées  ont  été  dites 
ou  écrites,  tant  d'inexactitudes  ont  été  commises  —  quelques-unes  sciem- 
ment —  sur  l'époque  à  laquelle  appartiennent  les  différents  squelettes 
trouvés  aux  Baoussé- Rousse  depuis  vingt  ans,  que  je  suis  obligé  de 
traiter  à  fond,  une  bonne  et  dernière  fois  pour  toutes,  je  l'espère,  cette 
question,  afin  de  n'y  plus  revenir. 


348  GÉOLOGIE    ET    MINÉRALOGIE 

II 

C'est  en  1869  que  j'ai  pénétré  pour  la  première  fois  dans  ces  grottes; 
c'est  en  1870  que  j'ai  commencé  à  les  explorer,  aussi  méthodiquement 
que  possible,  et  je  crois  pouvoir  ajouter  aussi  scientifiquement  que  pos- 
sible, n'ayant  d'autre  but  que  d'en  faire  l'étude  complète,  d'en  écrire 
l'histoire,  sans  aucun  parti  pris,  sans  idée  préconçue,  enfin,  n'ayant 
d'autre  mobile  que  la  recherche  de  la  vérité. 

Je  ne  reviendrai  pas  sur  la  description  de  ces  grottes,  au  nombre  de 
neuf,  situées  toutes  à  côté  les  unes  des  autres,  sur  le  territoire  italien,  à 
quelques  centaines  de  mètres  de  la  frontière  française,  au  bord  de  la 
Méditerranée.  Je  ne  ferai  pas  de  nouveau,  non  plus,  l'iiistorique  des 
fouilles  dont  elles  ont  été  l'objet  avant  mes  propres  recherches,  et  que 
j'ai  eu  le  soin  de  publier  aussi  complet  que  possible,  tenant  tout  particu- 
lièrement à  laisser  à  chacun  ce  qui  lui  appartient  (1)  ;  je  me  bornerai  seu- 
lement à  rappeler  que  les  sept  premières  —  en  les  numérotant  de  l'ouest 
à  l'est  —  ont  été  habitées  par  l'homme  préhistorique  et  que  je  les  ai 
explorées  toutes,  plus  ou  moins  profondément,  la  septième  exceptée.  J'ai 
même  entièrement  vidé  la  sixièm.e,  qui,  le  jour  où  j'y  ai  commencé  mes 
recherches,  était  vierge  de  toutes  fouilles,  de  telle  sorte  qu'il  m'a  été 
permis  d'en  écrire  l'histoire  complète. 

Les  fouilles  que  j'y  ai  pratiquées  ont  toujours  été  faites  par  couches 
de  ':25  centimètres,  depuis  l'entrée  de  la  grotte  jusqu'au  fond,  en  ayant 
soin  de  laisser  contre  l'une  des  parois  de  la  grotte  que  j'étudiais  une 
petite  épaisseur  de  ce  milieu,  comme  témoin  de  la  nature  du  gisement. 
De  plus,  toute  la  terre  a  été  criblée,  de  façon  qu'aucun  des  plus  petits 
objets  qu'elle  renfermait  ne  put  m'échapper.  C'est  à  ces  soins  que  j'ai  dû 
de  recueillir,  entre  autres  pièces,  des  mandibules  de  chauves-souris  par 
exemple,  des  phalanges  de  petits  oiseaux,  etc.;  c'est  à  ces  soins  que  j'ai 
dû  de  pouvoir  constater  que  tout  ce  que  cette  grotte  renfermait  appar- 
tient à  wm  seule  et  même  époque  géologique,  et,  pour  le  dire  tout  de  suite, 
à  la  fin  de  l'époque  quaternaire,  et  que  les  hommes  dont  les  restes  ont 
été  découverts  et  la  faune  dont  les  débris  y  ont  été  trouvés  étaient 
contemporains,  le  gisement  n'ayant  jamais  subi  le  moindre  i-emaniement. 

Et  ce  que  je  dis  pour  cette  sixième  grotte,  je  crois  être  en  droit  de  le 
dire  pour  les  cinq  autres,  qui,  dans  les  fouilles  que  j'y  ai  faites,  m'ont 
donné  des  documents  semblables  à  ceux  de  la  sixième  grotte,  du  moins 
dans  la  masse  de  terre  que  j'ai  enlevée,  ayant  procédé  de  la  même 
façon  et  avec  les  mêmes  soins  pour  chacune  d'elles. 

(I)  É.   Rivière,    De   VAntiquitc   de   l'homme  dans   les  Alpes- Maritimes,  p.  6-U.  (1  vol.  gr.  in-i". 
Paris,  1887.) 


É.    RIVIKRK.     —    AGE    DES    SQUELETTES    HUMAINS    DE    MENTON  349 

J'ai  pu  ainsi  étudier  l'homme,  sa  vie  et  ses  coutumes,  depuis  son  arrivée 
aux  Baoussé-Roussé  jusqu'à  sa  disparition  de  la  localité. 

En  effet,  dans  la  sixième  grotte,  les  premiers  foyers  d'habitation  de  ces 
peuplades,  c'est-à-dire  les  foyers  les  plus  inférieurs,  reposaient  sur  le 
banc  coquillier  déposé  par  la  mer,  lequel  portait  les  traces  de  l'action  du 
feu.  J'ai  même  trouvé,  en  certains  points,  des  ossements  d'animaux  brisés 
de  main  d'homme  et  des  pierres  taillées,  de  la  cendre  et  des  matières 
charbonneuses,  intimement  soudés  aux  coquilles  elles-mêmes  déposées 
par  les  Ilots  ;  le  tout  témoignait  ainsi  du  séjour  en  cet  endroit  des  hommes 
des  Baoussé-Roussé  peu  après  la  formation  du  dépôt  coquillier. 

Or,  à  partir  de  ce  niveau  le  plus  inférieur  jusqu'à  la  surface  du  sol  de 
cette  grotte,  absolument  vierge  de  toutes  fouilles,  je  le  répète,  le  jour  où 
pour  la  première  fois  j'ai  commencé  à  l'explorer,  tous  les  objets  recueillis 
m'ont  donné  une  faune  constamment  semblable,  non  seulement  pour 
cette  grotte,  et  qu'il  s'agisse  de  la  partie  supérieure,  de  la  partie  moyenne 
ou  de  la  partie  inférieure,  mais  encore  absolument  semblable  à  celle  des 
autres  grottes.  Partout  et  toujours  j'ai  trouvé  les  mêmes  animaux. 

J'y  ai  trouvé  également  des  squelettes  humains  appartenant  à  la  même 
race  que  les  squelettes  des  cavernes  voisines,  présentant  les  mêmes  par- 
ticularités ostéologiques,  enfin  démontrant,  par  les  conditions  dans  les- 
quelles ils  ont  été  découverts,  des  rites  funéraires  absolument  semblables, 
tout  en  restant  aussi  distincts  sur  certains  points,  lorsqu'il  s'agissait  d'a- 
dultes, de  ceux  qui  ont  été  appliqués  aux  enfants. 

Enfin,  l'industrie  n'a  présenté  de  différences  que  dans  les  foyers  infé- 
rieurs, où  la  matière  première  qui  a  servi  à  ces  peuplades  pour  fabriquer 
les^outils  et  les  instruments  de  pierre,  dont  elles  avaient  journellement 
besoin,  n'est  plus  la  même  et  où  la  taille  de  ceux-ci  varie  également. 
En  effet  si,  depuis  la  surface  du  sol  jusqu'à  la  profondeur  de  3", 75,  je 
n'ai  rencontré  que  des  silex  taillés  de  diverses  espèces  et  de  diverses  cou- 
leurs (silex  proprement  dits,  jaspes,  clialcédoines,  etc.),  silex  solutréens 
et  magdaléniens,  auxquels  se  mêlaient  quelques  rares  pointes  mous- 
tériennes  ;  si,  à  cette  profondeur,  j'ai  commencé  à  recueillir,  et  sur  une 
épaisseur  très  peu  considérable  (quelques  centimètres  seulement),  avec  des 
silex  taillés,  quelques  grès  taillés,  par  contre,  au-dessous  de  cette  couche, 
j'ai  rencontré  exclusivement  des  grès  accompagnés  de  quelques  calcaires 
—  ceux-ci  en  petit  nombre.  Ces  grès  présentaient  des  dimensions  beau- 
coup plus  grandes  et  affectaient  de  préférence  le  type  moustérien. 

Ces  dilferences  dans  la  grandeur  des  instruments  ne  tiennent  qu'à  la 
roche  à  laquelle  l'homme  des  Baoussé-Roussé  empruntait  la  matière 
première,  laquelle  lui  permettait  de  donner  à  ses  outils  les  dimensions 
qu'il  voulait,  tandis  que  les  gisements  d'où  il  tirait  les  silex  desquels  il 
détachait  les  éclats  qu'il  convertissait  ensuite  en  outils  ou  instruments  de 


3o0  GÉOLOGIE    ET   MINÉRALOGIE 

toutes  natures  (grattoirs,  lames,  pointes,  pointerolles,  etc.)  ne  lui  four- 
nissaient, sauf  de  très  rares  exceptions,  que  des  matériaux  de  faibles  di- 
mensions. De  là  seulement,  je  le  répète,  les  différences  de  grandeur  que 
j  ai  constamment  observées  entre  le  silex  et  le  grès  taillé. 

Quant  à  la  forme  moustérienne  des  instruments  trouvés  dans  les  cou- 
ches inférieures,  et  à  peu  près  exclusivement  réservée  aux  gi'ès  taillés, 
je  le  répète,  et  que  je  n'ai  constatée  que  très  rarement  sur  les  silex, 
c'est-à-dire  au-dessus  des  foyers  à  grès,  serait-elle,  aux  Baoussé-Koussé, 
la  caractéristique  d'une  époque  archaïque  différente?  Je  ne  saurais  me 
prononcer  à  cet  égard  en  toute  certitude.  Ce  que  je  puis  dire,  c'est  que 
l'âge  géologique  est  le  môme  dans  toute  la  caverne,  la  faune  des  couches 
les  plus  superficielles  étant  absolument  identique  avec  celle  des  couches 
les  plus  inférieures,  et  qu'il  n'y  a  aucune  démarcation  dans  les  foyers 
depuis  la  surface  de  la  grotte  jusqu'au  sous-sol,  c'est-à-dire  jusqu'au  banc 
coquillier  sur  lequel  l'homme  est  venu  demeurer,  banc  coquillier  —  j'ai 
omis  tout  à  l'heure  de  le  dire  —  qui  se  prolongeait  jusque  dans  la 
partie  la  plus  profonde  de  la  grotte. 

J'ajoute  encore,  car  je  tiens  plus  que  jamais  à  bien  préciser  les  faits, 
que  si  les  habitants  des  Baoussé-Roussé  ont  commencé,  dès  leur  arrivée 
dans  la  région,  à  se  servir  de  grès  pour  fabriquer  leurs  premiers  outils, 
c'est  parce  que  n'ayant  pas  sous  la  main  le  silex  dont  ils  auraient  eu 
besoin,  ils  se  sont  adressés  aux  roches  les  plus  voisines.  Mais,  dès  le  jour 
où  ils  ont  découvert  des  gisements  renfermant  ce  silex,  ils  ont  aussitôt 
abandonné  la  roche  qu'ils  avaient  primitivement  utilisée,  i)our  ne  plus 
tailler  et  fabriquer  que  des  armes  en  silex,  de  beaucoup  préférables  aux 
grès,  même  siliceux,  par  leur  résistance  plus  grande  au  bris  résultant 
d'un  usage  journalier,  et  cela  malgré  leurs  dimensions  plus  petites.  Le 
silex  leur  offrait  également  un  autre  avantage,  celui  du  plaisir  des  yeux, 
par  la  variété  et  la  beauté  des  couleurs. 

Et  puisque  je  parle  de  l'industrie,  je  dois  ici  une  mention  spéciale 
aux  objets  en  os  que  j'ai  trouvés  dans  les  grottes  de  Menton.  Le  nombre 
de  ceux  dont  l'authenticité,  comme  pièces  travaillées  et  finies  par  la  main 
de  l'homme  préhistorique  et  non  comme  simplement  préparées  ou  ébau- 
chées, ne  saurait  être  douteuse  est  des  plus  petits,  puisque,  pour  les  six 
cavernes,  il  arrive  à  peine  au  chiffre  d'une  centaine.  Mais  tous,  un  seul 
excepté  (1),  appartiennent  à  l'époque  paléolithique,  industriellement  par- 
lant, qu'ils  proviennent  des  foyers  à  silex  ou  des  foyers  à  grès  taillés. 
Ceci  dit  touchant  l'industrie,  dont  j'ai  recueilli  les  produits  aux  Baoussé- 

(•I)  Il  s'agit  de  la  portion  basilaire  d'un  bois  de  Cervidé,  dont  j'ai  fait  don,  en  1872,  au  Musée 
du  Saint-Germain  en  Laye,  et  qui  est  creusée  inégalement  et  très  peu  profondément  dans  la  partie 
reposant  sur  le  merrain  et  porte,  sur  une  partie  de  son  bord  externe,  une  série  de  petits  coups.  Cette 
pièce  a  été  trouvée  à  10  ou  ib  centimètres  de  profondeur,  dans  la  quatrième  grotte. 


É.    RIVIÈRK.    —   agi:    des    SQUELETTES    HUMAINS    DE   MENTON  3ol 

Roussé,  et  réservant  la  question  des  dents  et  des  coquilles  percées,  dont 
je  parlerai  tout  à  l'heure  en  même  temps  que  des  squelettes  humains, 
j'aborde  maintenant  la  question  de  la  faune. 

Le  nombre  des  restes  d'animaux  (des  Vertébrés)  que  j'ai  trouvés  dans 
les  six  grottes  des  Baoussé-Roussé  est  réellement  inouï,  il  n'est  pas  moindre 
de  huit  cent  mille.  Je  puis  d'autant  mieux  l'ailirmer  énergiquement  qu'ils 
ont  été  comptés  un  à  un.  Cette  masse  énorme,  je  ne  l'ai  obtenue  que 
grâce  au  nombre  d'années  que  j 'ai  consacrées  à  fouiller  ces  grottes  et  — 
qu'il  me  soit  permis  de  le  dire  —  aux  précautions  que  j'ai  prises  pour 
qu'il  ne  fût  rien  perdu,  pièces  bonnes  ou  mauvaises,  entières  ou  brisées 
et  notamment  au  criblage  de  la  terre  des  foyers,  pour  les  os  des  plus 
petites  bêtes. 

De  plus,  cette  faune  n'est  pas  importante  seulement  par  la  quantité  de 
débris  (os,  dents,  bois)  qui  la  représentent,  mais  elle  l'est  encore  par  le 
chiffre  des  diverses  espèces  animales  qu'elle  renferme,  puisqu'il  s'élève  à 
cent  onze  Vertébrés  :  soit  soixante  Mammifères,  deux  Reptiles,  qua- 
rante-deux Oiseaux  et  sept  Poissons  ;  elle  lest  surtout  parce  qu'elle  fixe 
d'une  façon  certaine  l'âge  des  grottes  des  Baoussé-Roussé. 

Les  premiers  comprennent  : 

a.  —  Des  Chéiroptères  (Cliauves-souris)  ; 

h.  —  Des  Insectivores  (Hérisson  et  Taupe)  : 

c.  —  Des  Carnivores  (Ours,  Blaireau,  Canidés,  Glouton,  Mustéliens,  Putois, 
Loutre,  Hyènes,  Lion  ou  Grand  Chat  des  cavernes,  Pantlière,  Lynx,  jieut-étre 
même  le  (Felis  machairodus)  (I). 

d.  —  Des  Rongeurs  (Marmottes,  xMurins,  Arvicola  de  plusieurs  espèces,  Castor, 
Lièvre,  Lapin). 

e.  —  Un  Proboscidien  (Élépliant  indéterminé). 

/'.  —  Des  Pachydermes  { Rhinocéros  tichorhinus,  divers  Équidés,  plusieurs 
Suiiiens). 

g.  —  Des  Ruminants  (Élan,  Cerf  du  Canada,  Cerf  élaphe,  Chevi'euil,  Cerf  de 
Corse,  Daim,  Antilope,  Chèvre  primitive  (2),  Bœufs). 

h.  —  Des  Cétacés  (Delphinus  et  Balœna). 

Cette  faune  de  Mammifères  bien  réellement  quaternaire,  ainsi  que  le 
démontre,  sans  aucune  contestation  possible,  la  présence  de  certaines  es- 
pèces animales,  notamment  du  Rhinocéros  tichorhinus  (dont  j'ai  trouvé 
dents  et  ossements  à  diverses  profondeurs),  du  Felis  spelœa.  de  YHyœna 
spelœa,  de  VUrsus  spelœus,  etc.,  je  ne  l'ai  pas,  seul,  déterminée,  mais 
j'ai  tenu  à  ce  que  plusieurs  de  mes  maîtres  du  Muséum  d'histoire  natu- 
relle de  Paris  voulussent  bien  vérifier   mes   déterminations,   les  priant 

(1)  D'après  une  dent  canine  déterminée,  en  1871,  par  M.  le  professeur  Albert  Gaudry . 
(2^  Capra  primigenia  déterminée,  en  1872,  par  Paul  Gervais  sur  les  nombreuses   pièces  osseuses 
el  dentaires  que  je  lui  ai  remises. 


3o2  GÉOLOGIE   ET    MINÉRALOGIE 

aussi  de  m'aider  de  leurs  bienveillants  conseils  dans  les  cas  douteux  ou 

diffi  elles. 

Je  demande  à  mes  Collègues  la  permission  d'insister,  car  on  s'est  plu 
à  écrire  tout  récemment,  entre  autres  choses  erronées,  que  j'avais  «  con- 
fondu la  faune  de  toutes  les  grottes,  en  y  ajoutant,  ce  qui  est  plus  grave, 
les  débris  recueillis  dans  un  repaire  plus  ancien,  la  grotte  de  Grimaldi, 
voisine,  mais  en  dehors  des  Baoussé-Roussé  ».  Non  seulement  je  proteste 
contre  une  affirmation  aussi  inexacte,  mais  je  lui  donne  un  formel  dé- 
menti, et  je  le  fais  preuves  en  mains,  je  le  fais  avec  le  volume  même 
de  notre  Association  de  l'année  1878.  Au  Congrès  de  Paris,  en  effet,  j'ai 
eu  l'honneur  de  lire  devant  vous,  mes  chers  Collègues,  dans  la  séance 
du  29  août  1878,  un  travail  portant  pour  titre  :  Grotte  de  Grimaldi  en 
Italie,  et  pour  sous-titre  —  il  suffirait  à  lui  seul  pour  démontrer  l'inexac- 
titude de  l'assertion  contre  laquelle  je  proteste  de  toutes  mes  forces  — 
Comparaison  de  la  faune  de  cette  grotte  avec  celle  des  cavernes  des 
Baoussé-Roussé,  dites  Grottes  de  Menton. 

Or,  dans  ce  travail,  non  seulement  j'ai  donné,  sous  forme  de  tableau, 
la  nomenclature  complète  des  espèces  animales  qui  constituent  la  faune 
de  la  grotte  à  ossements  de  Grimaldi,  mettant  en  regard  de  chacune 
d'elles  les  espèces  similaires  ou  différentes  trouvées  dans  les  cavernes  des 
Baoussé-Roussé  habitées  par  l'homme  quaternaire,  mais  j'ai  cru  «  decoir 
.siqnaler  tout  spécialement  à  votive  attention  les  particularités  qui  diffé- 
rencient ou  rapprochent  ces  deux  faunes  l'une  de  l'autre  »  (1).  De  plus, 
j'ai  fait  accompagner  mon  travail  de  deux  planches  (-2)  reproduisant, 
o-randeur  naturelle,  les  principales  espèces  animales  caractérisant  1  âge 
de  la  "Totte  de  Grimaldi,  parmi  lesquelles  je  citerai,  comme  différant  le 
plus  de  celles  des  Baoussé-Roussé,  VElephas  meridlonalis,  le  Rhinocéros 
leptorhinus,  VHippopotamus  major. 

Enfin  je  terminai  ma  communication  de  1878  par  ces  lignes  que  je 
ne  puis  me  dispenser  de  répéter  aujourd'hui,  car  elles  sont  la  confirma- 
tion la  plus  absolue  de  ma  parfaite  véracité  :  «  Ici  finit  ce  que  j'avais 
à  dire  sur  les  faunes  comparées  de  la  grotte  de  Grimaldi  et  des  cavernes 
des  Baoussé-Roussé  ou  grottes  de  Menton,  faunes  dont  les  caractères 
principaux  paraissent  différencier  nettement,  au  point  de  vue  paléonlo- 

(1)  Association  française  pour  l'avancement  des  sciences,  Congrès  de  Paris,  1878. 

(2)  Elles  sont  absolument  différentes  de  celle  que  l'ou  a  invoquée  contre  moi,  quoiqu'elle  porte 
en  toutes  lettres  Faune  des  Grottes  de  Menton.  Celle-ci  accompagne  le  mémoire  quej'ai  lu  en  I87U 
au  Conurés  intemationui  des  sciences  (f'ogniphiqties  et  qui  a  paru  dans  le  compte  rendu  dudit  Con- 
grès Elle  li"ure  également  ^planche  XVi;  dans  mon  livre  sur  l'Antiquité  de  l'homme  dans  les  Alpcs- 
'Maritimes  itvre  dont  1  auteur  des  attaques,  dont  je  viens  d'être  l'objet,  faisait,  en  1887,  dans  sou 
journal  l'Homme,  un  éloge  tel  qu'il  le  considérait  alors  -  quantum  mulalus  ab  iWo  — comme  «  un 
modèle  de  monographie  locale  ^  (t.  IV,  p.  341),  ajoutant  que  «  javais  tiré  tout  le  parti  possible 
(les  fouilles  et  recherches  que  j'avais  opérées...  et  que  surtout,  pour  ce  qui  concerne  la  faune,  je 
l'avais  étudiée  avec  le  plus  grand  soin  ».  llinsiste  même,  car  quelques  pages  pUs  loin  (p.  343},  il. 
dit  de  nouveau  a  que  j'ai  traité  avec  le  plus  grand  soin  ce  qui  concerne  la  faune  ». 


É.    RIVIÈRE.    —    AGK    DES    SQUELETTES    HUMAINS    DE   MEiNTOiN  353 

logique,  l'âge  de  ces  dépôts.  Les  premiers,  ceux  de  Grimaldi,  formés  par 
les  eaux,  appartiennent  soit  au  commencement  de  la  période  quater- 
naire, soit  à  la  fin  de  l'époque  pliocène,  c'est-à-dire  immédiatement 
après  les  marnes  subapennines,  parmi  lesquelles  je  citerai  celles  de  Biot, 
près  d'Antibes  (France)  et  celles  de  Castel-d'Appio,  près  de  Yentimiglia 
(Italie),  que  j'ai  fait  connaître  le  premier,  en  1872,  dans  mon  Rapport 
sur  la  paléontologie  des  Alpes-Maritimes  (1)  et  que  j'ai  plus  particulière- 
ment étudiées  dans  la  communication  que  j'ai  faite,  en  1879,  au  Congrès 
de  Montpellier  (2).  Les  dépôts  des  grottes  de  Menton,  au  contraire,  en- 
tièrement formés  par  les  hommes,  dont  j'ai  retrouvé  les  restes  —  sque- 
lettes entiers  ou  ossements  épars  —  et  les  produits  de  l'industrie  (silex, 
grès  et  os  taillés),  appartiennent  à  cette  période  de  l'époque  quaternaire, 
où  le  Rhinocéros  tichorhinus,  ÏUrsus  spelœus,  etc.,  en  un  mot,  les 
grandes  espèces  animales  tendent  à  disparaître.  Ainsi,  du  moins,  pensai-je 
pouvoir  expliquer  le  petit  nombre  des  pièces  osseuses  et  dentaires  de  ces 
animaux  que  j'ai  trouvées  dans  les  grottes  de  Menton.  » 

Quant  aux  Oiseaux,  aux  Reptiles  et  aux  Poissons,  j'ai  également  signalé 
les  différences  existant  entre  les  grottes  des  Baoussé-Roussé  et  celle  de 
Grimaldi,  différences  telles  que,  dans  les  premières,  les  Oiseaux  sont  si 
nombreux  que  c'est  par  milliers  que  j'ai  recueilli  leurs  ossements,  tandis 
que  la  grotte  de  Grimaldi  ne  m'a  donné  qu'une  seule  pièce,  un  humérus 
de  Gallinacé.  Ces  différences  sont  telles  encore  que,  dans  cette  dernière,  je 
n'ai  pas  trouvé  la  moindre  trace  d'un  Reptile  ni  d'un  Poisson,  alors  que 
les  grottes  des  Baoussé-Roussé  m'ont  donné  les  restes  de  deux  espèces  de 
Reptiles  (Rana  et  Rufo)  et  de  sept  espèces  de  Poissons  (Cténoïdes, 
Cycloïdes  et  Plagiostomes). 

Enfin,  il  n'est  pas  jusqu'aux  invertébrés  pour  lesquels  «  la  grotte  de 
Grimaldi  »,  ainsi  que  je  l'ai  fait  soigneusement  remarquer  aussi  dans  mon 
mémoire  de  1878,  «  forme  le  contraste  le  plus  frappant  avec  les  cavernes 
des  Baoussé-Roussé,  où  la  faune  des  Mollusques  est  l'une  des  plus  riches 
que  l'on  ait  jamais  signalées  dans  les  grottes  habitées  par  l'homme, 
puisque  j'y  ai  recueilli  plus  de  quarante  mille  coquilles  marines  et  ter- 
restres —  marines  surtout  —  appartenant  à  cent  soixante-dix  espèces 
difterentes  »,  tandis  que,  dans  la  grotte  de  Grimaldi,  «  les  Invertébrés 
sont  représentés  seulement  par  deux  coquilles  terrestres,  appartenant 
toutes  deux  à  la  même  espèce,  à  V Hélix  Niciensis  ». 

Je  m'arrête  ici,  mes  cliers  collègues,  convaincu  d'avoir  démontré  avec 
la  plus  complète  évidence  combien  est  erronée  l'assertion  consistant  à 
insinuer  que  j'ai  ajouté  à  la  faune  des  Baoussé-Roussé    «  les  débris  re- 

(1)É.  Rivière,  Rapport  au  Ministre  sur  la  Paléontologie  des  Alpes- Maritimes  (Archives  des  Missions 
tcienlifiques  du  Ministère  de  l' Instruction  publique,  3"  série,  1. 1,  Paris,  1873). 

(2)  Association  française  pour  l'avancement  des  sciences.  Congrès  de  Montpellier.  Année  1879. 

23* 


354  GÉOLOGIE    ET   MINÉRALOGIE 

cueillis  dans  un  repaire  plus  ancien,  la  grotte  de  Grimaldi  ».  Il  me  serait 
éo'alement  facile  de  réfuter  toutes  les  autres  inexactitudes  ou  insinua- 
tions du  même  article,  en  contradiction  absolue  avec  ce  que  son  auteur 
écrivait  il  y  a  cinq  ans  à  peine  ;  mais  ce  serait  abuser  de  votre  bien- 
veillante attention  —  ah  uno  disce  omnes;  —  il  me  suftit,  je  pense,  de 
protester  énergiquement  contre  elles. 

Il  me  reste  donc,  avant  de  finir  cette  communication,  à  vous  dire 
quelques  mots,  si  vous  le  voulez  bien,  des  nouveaux  squelettes  trouvés 
dans  une  des  grottes  des  Baoussé-Roussé  au  mois  de  février  dernier. 
Je  serai  bref  et  m'abstiendrai,  pour  aujourd'hui,  de  vous  faire  l'his- 
torique de  cette  découverte,  me  réservant  de  vous  en  faire  connaître 
l'an  prochain,  s'il  y  a  lieu,  tous  les  incidents,  si  invraisemblables 
qu'ils  soient.  Je  me  bornerai  à  dire  que  ces  squelettes,  au  nombre  de 
trois,  sont  ceux  —   pour    deux   d'entre    eux  —  d'un  vieillard  et  d'un 

adolescent  (1). 

Ils  ont  été  trouvés  à  18  mètres  environ  de  l'entrée  de  la  cinquième 
grotte  des  Baoussé-Roussé,  dite  Barma  grande,  profonde  de  3l"\50, 
avant  la  destruction  partielle,  dont  elle  a  été  indûment  l'objet.  Ils  étaient 
couchés  côte  à  côte,  en  travers  de  la  grotte,  la  tête  appuyée,  pour  ainsi  dire 
contre  la  paroi  Est,  tandis  que  les  squelettes,  au  nombre  de  six,  trois 
adultes  et  trois  enfants,  que  j'ai  découverts  en  1872,  1873  et  187o,  dans  les 
o-rottes  voisines,  étaient  tous  situés,  dans  le  sens  même  de  la  grotte,  mais 
les  uns  la  tête  regardant  l'entrée,  les  autres,  le  fond. 

Le  premier  squelette,  celui  qui  a  été  trouvé  le  7  février  1892,  et  le 
troisième,  celui  qui  est  le  plus  éloigné  de  l'entrée  de  la  grotte,  étant  les 
seuls  à  peu  près  mis  à  découvert,  le  2  mars  189^2,  de  la  terre  qui  les 
recouvrait,  sont  aussi  les  seuls  dont  je  puis  encore  parler.  Le  premier  est 
celui  d'un  vieillard,  le  troisième  paraît  être  celui  d'un  adolescent,  d'un 
sujet  de  dix-huit  ans  environ,  du  moins  d'après  les  premières  constata- 
tions que  j'ai  pu  faire.  En  effet,  certaines  parties  du  squelette  n'avaient 
pas  encore  atteint  leur  parfait  développement,  les  épiphyses  de  certains 
os  longs  n'étaient  pas  encore  soudées  à  la  diaphyse,  quand  l'individu  a 
succombé,  enfin,  la  dernière  dent  molaire  ou  dent  de  sagesse  était  encore 
dans  son  alvéole. 

Les  individus,  dont  ces  squelettes  sont  les  restes,  appartiennent  bien 
à  la  race  des  Hommes  fossiles  de  Menton  ou  race  de  Cro-Magnon,  dans 
laquelle  MM.  de  Quatrefages  et  Hamy  les  ont  classés  dans  les  Cra7iia 
ethnka.  Ils  en  représentent  d'ailleurs  la  plupart  des  caractères  et  notam- 
ment la  même  forme  du  crâne,  c'est-à-dire  une  dolichocéphalie  accusée, 

(t)  Autant,  du  moins,  que  j'ai  pu  à  grand'peine  m'en  assurer,  pendant  le  cours  do  la  Mission 
scientifique  gratuite,  dont  j'ai  été  chargé  par  le  Ministère  de  l'inslructiun  publique,  par  arrêté  en  date 
du  3  mars  dernier,  pour  en  faire  l'étude. 


É.    RIVIÈRE,    AGE   DES    SQUELETTES    HUMAINS   DE   MENTON  3o5 

ainsi  que  la  forme  rectangulaire  des  orbites  si   particulière  aux  Hommes 
de  Menton.  Ils  sont  aussi  de  grande  taille. 

Toutes  les  pièces  osseuses  de  ces  trois  squelettes,  sans  exception,  pré- 
sentent, comme  dans  les  précédentes  découvertes,  cette  coloration  rouge 
si  curieuse,  parsemée  de  points  brillants,  due  au  fer  oligiste  en  poudre 
transformé  en  peroxyde  de  fer,  dont  les  cadavres  —  mais  ceux  des  adultes 
et  des  adolescents  seulement  —  ont  dû  être  recouverts  aussitôt  après  la 
mort  des  individus. 


FiG.  1.  —  Vertèbres  de  poisson,  percées,  destinées  à  former  des  colliers 
ou  des  bracelets  (3/4  de  grandeur  naturelle). 


Bien  que  ces  squelettes  ne  fussent  pas  alors  encore  dégagés  complè- 
tement, cependant  j'ai  pu  constater  sur  eux  la  présence  de  certaines  pa- 
rures consistant  en  colliers  formés  non  seulement  de  coquillages  marins 
percés  d'un  trou  pour  être  enfilés  (1)  et  de  dents  canines  de  cerf,  également 
percées,  comme  sur  les  squelettes  d'adultes  précédemment  trouvés,  mais 
encore  d'un  assez  grand  nombre  de  vertèbres  de  poissons  appartenant 
pour  la  plupart  aux  genres  Salmo  et  Trutta  (Saumon  et  Truite)  (fig.  7j. 

Jusqu'à  présent,  j'avais  bien  trouvé  çà  et  là,  dans  les  grottes  des 
Baoussé-Roussé,  des  vertèbres  percées  de  poissons  des  mêmes  espèces. 


H)  Ces  coquillages  sont  presque  tous  de  petites  Nassa  nerilea. 


3o6  GÉOLOGIE    ET    MINÉRALOGIE 

J'avais  bien  découvert,  certain  jour,  dans  la  quatrième  grotte  (Barma 
dou  cavillou),  à  7'°,90  de  profondeur,  c'est-à-dire  à  l'",3o  au-dessous  du 
premier  squelette  humain  d'adulte,  une  sorte  de  cachette  renfermant, 
avec  7.868  coquilles  marines,  dont  857  percées  de  main  d'homme, 
49  vertèbres  de  poisson  également  perforées  intentionnellement  pour 
servir  de  parures  et  rougies  aussi  (coquilles  et  vertèbres)  par  le  peroxyde 
de  fer.  Mais  je  n'avais  jamais  constaté  la  présence  d'aucune  de  ces  ver- 
tèbres sur  les  squelettes  de  1872,  1873  et  1875.  Tous  ces  coquillages, 
toutes  ces  dents,  toutes  ces  vertèbres  de  poissons,  percés,  présentent  la 
même  teinte  rouge  que  les  ossements  humains,  fait  que  j'ai  autrefois 
signalé,  l'ayant  également  constaté  sur  chacun  des  squelettes  d'adultes 
que  j'ai  trouvés  dans  les  mêmes  grottes. 

Je  dois  ajouter  que  deux  autres  coquillages,  deux  Cyprées,  étaient  placés, 
m'a-t-on  dit,  sur  les  tibias  du  vieillard,  l'une  à  droite,  l'autre  à  gauche, 
au  niveau  du  tiers  inférieur  de  l'os. 

Quant  aux  armes  ou  outils  trouvés  en  contact  immédiat  avec  les  sque- 
lettes, ils  consistent  simplement  en  mh  silex  taillé  mesurant  17  centimètres 
de  longueur  sur  0°',Û51  de  largeur.  Il  était  posé  derrière  la  tête  du 
vieillard,  contre  l'occipital,  du  moins  d'après  ce  que  l'on  m'a  dit,  car  la 
pièce  ayant  été  enlevée  avec  les  crânes  du  vieillard  et  du  jeune  homme, 
je  n'ai  pas  pu  constater  le  fait  (1). 

J'ai  vu  aussi  un  objet  en  os  ou  mieux  en  bois  de  cerf,  assez  bizarre, 
ayant  la  forme  d'un  double  ovoïde  et  dont  la  surface  présente  de  nom- 
breuses stries  assez  irrégulières  et  irrégulièrement  espacées. 

Le  peu  de  temps  qu'il  m'a  été  donné  de  l'examiner  ne  me  permet  pas 
de  garantir  l'authenticité  de  la  pièce.  Je  la  garantis   d'autant  moins  que 
j'ai  constaté  depuis  lors,  avec  M.  G.   d'Ault  du  Mesnil,   qui    est  venu 
expressément,  sur  ma  demande,  de  Cannes  à  Menton,  le  20  mars,  pour 
en    témoigner    au    besoin,    que  de   nombreux   objets   en  os   fabriqués 
tout  récemment  avaient  été  vendus  par  le  carrier,  auteur  de  la  décou- 
verte des  squelettes,   à  différentes   personnes,  comme   des  pendeloques 
réellement  préhistoriques,  notamment  à  M.  le  baron  Bruiningk,  désireux 
de  les  offrir  au  Musée  de  Riga,  et  qui  m'a  remis  deux  de  ces  pende- 
loques (fig.  2  et  3).  Or,  ces  pièces,  je  l'affu-me  hautement  ici,  sont  abso- 
lument fausses.  Il  en  est  de  même  de  certain  fragment  d'os  long  dont 
la  perforation  est  également  des    plus   récentes,   comme  j'ai  pu   m'en 
assurer,  et  dont  le  même  individu  trafique  chaque  jour,  ainsi  qu'un  de 
ses  ouvriers,  auquel   je  l'ai  acheté,  bien  que  le  sachant  faux,  et  ce  en 

(1)  Un  autre  silex,  également  de  très  grande  dimension,  avait  été,  disait-on,  découvert  auprès  de 
l'un  des  deux  autres  squelettes.  D'apri's  M.  Saige,  archiviste  de  la  Principauté  de  Monaco,  le  fait 
serait  faux,  ce  silex  ayant  été  trouvé  depuis  plusieurs  années  par  le  carrier  qui  a  découvert  les  sque- 
lettes et  vu  par  M.  Saige,  à  cette  époque,  entre  ses  mains,  c'est-à-dirç  vers  1883. 


FiG.    2  et  3.  —  Pendeloques  en   os 

(Pièces    fausses,    4/5  de    grandeur 
naturelle). 


É.    RIVIÈRE.    —    AGE   DES    SQUELETTES   HUMAINS   DE   MENTON  3o7 

présence  de  M.  G.  d'Ault  du  Mesnil.  Et  je  suis  si  loin  d'être  seul,  av«c 
celui-ci,  à  considérer  ces  diverses  pendeloques  comme  fausses,  que  les 
membres  de  la  Société  d'Anthropologie  de  Paris  auxquels  je  les  ai  mon- 
trées, dans  la  séance  du  16  juin  dernier,  ont  été  unanimes  à  en  recon- 
naître avec  moi  la  modernité.  11  en  est 
de  même  de  notre  collègue,  M.  Emile  Car- 
tailhac,  à  qui  je  les  ai  fait  voir  aussi  hier 
et  pour  qui  cette  modernité  ne  fait  pas 
non  plus  le  moindre  doute. 

J'ajouterai  encore  que  plusieurs  dents 
canines  de  cerf,  faisant  partie,  dit-on,  des 
colliers  trouvés  avec  les  squelettes,  sont 
également  pourvues  de  stries  dont,  jusqu'à 
plus  ample  examen,  je  ne  saurais  afifirmer 
non  plus  l'antiquité. 

Un  mot  encore,  mes  chers  collègues, 
si  vous  le  voulez  bien,  avant  de  finir,  car  je  ne  puis  taire  certaine  sur- 
prise. C'est  de  voir  M.  Verneau,  aide-naturaliste  au  Muséum  et  professeur 
d'anthropologie  de  la  ville  de  Paris,  acquérir  une  série  de  ces  pende- 
loques comme  des  pièces  vraies,  les  indiquer  comme  telles,  contre  toute 
évidence,  dans  ses  communications,  notamment  à  l'Académie  des  Inscrip- 
tions, où  son  travail  a  été  présenté  par  M.  le  D''  Hamy,  professeur 
d'anthropologie  au  Muséum  et  membre  de  l'Institut,  qui,  lui  aussi,  les 
regarde  comme  préhistoriques,  malgré  leur  aspect  faux  si  facilement 
reconnaissable.  C'est  de  voir  aussi  M,  Verneau  s'appuyer,  en  partie  tout 
au  moins,  sur  ces  pièces  mêmes  pour  déclarer  que  les  squelettes  hu- 
mains des  Baoussé-Roussé  sont  néolithiques  et  non  quaternaires,  comme 
je  l'ai  dit  dès  le  jour  de  ma  première  découverte,  il  y  a  vingt  ans,  en 
1872,  et  comme  je  l'ai  constamment  soutenu  depuis  cette  époque, 
preuves  en  mains.  Ce  que  j'ai  dit  alors,  je  le  maintiens  aujourd'hui  plus 
que  jamais  si  possible,  n'en  déplaise  à  mes  contradicteurs,  et  ce,  avec 
les  savants  les  plus  éminents  et  les  plus  compétents,  parmi  lesquels  j'ai 
le  droit  de  citer  —  pour  ne  dire  que  quelques  noms  —  A.  de  Uuatre- 
fages,  Broca,  Paul  Gervais,  Lyell,  MM.  Albert  Gaudry,  Pengelly,  le 
marquis  de  Nadaillac,  Ernest  d'Acy,  etc. 

Si  donc  je  m'étais  trompé,  comme  MM.  Hamy  et  Verneau  le  prétendent, 
—  ce  que,  jusqu'à  preuves  sérieuses  contraires,  je  conteste  absolument,  — 
je  l'aurais  fait,  en  tous  cas,  en  bonne  compagnie.  Néanmoins  je  serais 
tout  prêt  à  confesser  mon  erreur,  s'il  en  était  ainsi.  Mais,  prenant  des 
objets  faux  pour  des  pièces  vraies,  des  pendeloques  modernes  fabriquées 
tout  récemment  pour  des  bijoux  préhistoriques,  ils  me  forcent  à  leur 
dénier  toute  compétence  pour  la  démontrer.  Je  dis  <'  preuves  sérieuses, 


358  GÉOLOGIE  ET  MINÉRALOGIE 

M.  Verneau  n'ayant  fait  aucune  fouille  aux  Baoussé-Roussé,  et  pour  cause, 
mais  s'étant  contenté  de  voir  les  grottes,  de  mesurer  les  squelettes  et 
d'emporter  des  débris  d'animaux  sans  aucune  valeur  scientifique.  Ces 
débris,  il  ne  les  a  même  pas  recueillis  sur  place,  mais  ils  lui  ont  été 
confiés  par  un  carrier  naturellement  ignorant,  dont  les  recherches,  pra- 
tiquées sans  aucune  méthode,  sans  aucun  soin,  n'ont  jamais  eu  pour 
but  que  le  lucre,  que  de  vendre  au  plus  offrant  ce  qu'il  trouvait,  ce 
qu'il  fabriquait  ou  ce  qui  sortait  peut-être  d'une  de  ces  fabriques  de 
faux  comme  il  en  existe  malheureusement  tant  en  Italie,  en  France,  en 
Angleterre,  etc.,  et  que  connaissent  bien  tous  les  anthropologistes  (l). 

Tels  sont  les  faits  sur  lesquels  j'ai  cru  devoir  appeler  votre  attention,, 
mes  chers  collègues,  afin  de  prouver  de  nouveau,  devant  vous,  que  les 
hommes  des  Baoussé-Roussé  sont  absolument  quaternaires,  c'est-à-dire 
contemporains  des  animaux  dont  j'ai  trouvé  les  restes  dans  ces  mêmes- 
grottes. 


M.  Emile    BELLOC 

à  Paris. 


ÉTUDE    SUR     L'ORIGINE,    LA   FORMATION     ET   LE    COMBLEMENT    DES    LACS 

DANS    LES    PYRÉNÉES 


—  Séance  du  i7  septembre  i892  — 

L'étude  fort  intéressante,  mais  encore  très  controversée,  de  l'origine  et 
de  la  formation  des  lacs  supérieurs  de  montagne,  date  à  peine  d'une 
trentaine  d'années. 

C'est  en  1859  que  l'éminent  géologue  anglais  Ramsay  publia  une  étude 
de  laquelle  il  résulte  que  les  lacs  des  Iles  Britanniques  et  des  Alpes 
doivent  leur  creusement  à  l'action  érosive  des  glaciers.  Précédemment, 

(I)  Je  sais  que  M.  Verneau  a  fait,  le  7  juillet  dernier,  malgré  ma  lettre  de  protestation  en  date  du  6 
du  même  mois,  à  la  Société  d'Anthropologie,  dont  je  fais  partie,  une  communication  sur  les  dé- 
couvertes de  février  et  que  cette  communication  doit  figurer  dans  les  Mémoires  de  la  Société, 
J'attendrai,  pour  y  répondre,  si  je  le  trouve  utile,  qu'elle  ait  paru,  me  bornant  pour  aujourd'hui  à 
faire  à  son  sujet  les  plus  expresses  réserves. 


É.  BELLOC.  —  COMBLEMENT  DES  LACS  DANS  LES  PYRÉNÉES      3o9 

la  même  opinion  avait  été  formulée   par  le  professeur  américain  Dana 
pour  expliquer  la  formation  des  fjords  dans  les  régions  du  nord. 

Un  an  plus  tard,  dans  une  note  géologique  relative  à  Palazzolo  et  au 
lac  d'Iseo,  M.  G.  de  Mortillet  affirmait  sa  nouvelle  théorie  de  l'affouille- 
ment  glaciaire,  et,  cette  même  année,  Desor,  en  cela  d'accord  avec  Escher 
de  la  Linth,  s'efforça  de  démontrer  que  la  présence  des  glaciers  avait 
exercé  une  action  conservatrice  directe  sur  les  cuvettes  lacustres. 

Trois  écoles,  dont  les  théories  paraissent  bien  tranchées,  venaient  donc 
de  se  former. 

Ramsay  rallia  à  ses  idées  un  certain  nombre  d'adeptes  parmi  lesquels 
il  faut  d'abord  citer  Tyndall,  qui,  non  content  de  faire  siennes  les  opinions 
du  maître  et  de  ses  disciples,  les  élargit  jusqu'à  attribuer  à  l'action 
glaciaire  le  creusement  des  lacs  et  aussi  celui  des  vallées. 

Les  principaux  partisans  de  l'érosion  glaciaire  furent,  d'abord,  le 
D''  Croll,  A.  et  J.  Geikie,  le  D""  Bôhm,  et  le  professeur  A.  Peuck,  de  l'Uni- 
versité de  Vienne,  lequel  publia,  en  1882,  un  travail  remarquable  sur  les 
terrains  erratiques  et  l'origine  glaciaire  des  lacs  d'Animer  et  de  Wurm,  en 
Bavière  ;  et  en  1883  un  mémoire  assez  étendu  sur  la  période  glaciaire  dans 
les  Pyrénées. 

M.  G.  de  3Iortillet  et  M.  Gastaldi,  tout  en  admettant  les  idées  de 
Ramsay,  affirmèrent  de  nouveau  leur  doctrine  de  l'afTouillement  glaciaire 
lors  de  la  publication  de  leur  carte  des  anciens  glaciers  du  versant  italien 
des  Alpes, 

Quant  à  la  troisième  école,  dévouée  aux  idées  de  Desor,  c'est-à-dire  à 
la  conservation  des  cuvettes  lacustres  par  la  glace,  si  elle  groupa  des 
savants  de  premier  ordre  et  des  géologues  tels  que  Ch.  Martins,  Favre, 
Omboni,  Escher,  Bail,  Heim,  Viollet-le-Duc,  Charles  Grad,  deMojsisovics, 
Jeanbernat,  etc.,  elle  n'a  pas  été,  non  plus  que  les  deux  autres,  exempte 
de  critiques  ;  comme  l'a  démontré  clairement  M.  l'ingénieur  en  chef 
Bayssellance,  en  attribuant  au  passage  des  glaciers,  la  formation  de 
certaines  petites  plaines  de  l'intérieur  des  massifs  montagneux  et  l'arase- 
ment des  fissures  profondes,  «  situées  sur  un  point  de- la  longueur  d'une 
gorge.  » 

A  côté  de  ces  écoles  rivales  et  quelque  peu  intransigeantes,  —  dont 
aucune  n'a  pu  faire  prévaloir  ses  doctrines  jusqu'ici,  —  on  voit  des 
glaciairistes  de  haute  valeur,  tel  que  M.  A.  Faisan,  par  exemple,  sans 
être  des  adversaires  irréconciliables  de  l'un  ou  de  l'autre  système,  les 
admettre  toutes,  mais  dans  une  mesure  très  restreinte,  comme  nous  le 
faisons  nous-même. 

L'étude  scientifique,  méthodique  et  raisonnée,  des  phénomènes  gla- 
ciaires actuels  nous  apprendra  dans  l'avenir  la  valeur  relative  de  ces 
savantes  théories.  En  attendant,  loin  d  avoir  la  prétention  d'apporter  ici 


jB-éasiitar  Hii'Crm£Tf!f  le  TPéstaaè  tees  saocmcl  àfi*    •:•  -  ^-"TœfflBra 

ap  cgms  de?  Tf.cb£!rcfafis îtmuMliKai  amayiélW  -^  r ,  ^. .  _..    — .  isrami 

nombre  fl'ianiée&- 


Ayaut  jffiLTCDiim  Tnmrttes  ^^  3£s  weffBis  iftampri*;  @t  f^jwgwigfts  as  ia 
chidne  jTOrénèeraïf-,  «1  fiKploré  avec  Ife  fftiB  grami  soiii,  â  iraii&  «fl  ausirn- 
mmil^  '£'iime  ^lamâe  girécisiaiL,  iks  fnàiiaiiiraAes  3%@Ù!iii?  IkansinES  >âe  ces 
monta^mâiv.  l'ad  jm  i^soiEBfliir  snr  ^itace  urne  <qmatàlsê'  «te  ifeumniHiib  ^^ 
fiait  JmjiiirBiiile  de  se  in^onrgr  adJnemailL  Ste  fist  «sbsbMë;  iiff'iidteraialtiknis 
iK;  àégaat  pour  mai  la  oau^àdban  qsst,  •&ms  ites  fN^msuKes^  JT^aii^iiie  âeç 
laof  siçiériein^  dant  le?  sfinîki  ^antiocmfsiiHr  dfsaflhniffimieiilBttein^^ 
dorf^  fiii  place,  «si  cantenifiarMDe  st  'd^pandante  «te  Ik  feitiiiMlliMm  (tes 
vklléfif  gm  te  TflHfermfmL 

Lnraqii  CIL  a  ^ra^ikirt  a-ttentoraiiiHiit  les  jréçiaij*  iacnalirBfe  àML.  de  ?i6BO- 
^àfliDfc.  d  Ardidaii.  dïJateiiii,  <&  Penticosa.  d^Oasaoi,  de  la  partiÊ  a^ptla»- 
tacmak-  dE  CariitL,  otf .,  on  l'actiaŒi  glaciaire  a  laàsaé  de?  tmiSES  iramaF- 
gnatjif»  de  *ffi  farce  ^  de  sa  jmiaraame.  il  «emkile  inipcHHflMle  qc  un  •fi^nàt 
iifni  jiTévBim  n'^warconre  pa?  tm  nrtédBrtfinifmt  ik  fMBl  iiiHigniifmite 
qm  jtfmi  Te'^^remr  ans  fmnifmi-  gliiciei^  gnantoc  creiEiflmBilt  <âe  mes  lacs 
antuek. 

An  Itfîii  d'iâtre  iàat  é.  watt  canse  Tirirgiip-,  toamme  le  w^sideiit  les  <dâfei>- 
iffims  &;  JfsrrsioL  .placiaJPB.  JViricme  des  lacs  de  Tn<iiiitBggne  est  TnriHqpte. 
lies  infiufiiirîfis  très  dififersirtfis  ^sm  te  mibeiL,  Ik  pesitliuni  «éoîicajMpœ^ 
te  accidente  nroCTafihignes-nn  ^flinciçiie«i-  ont  jïresidé  a  Iknir  j&nmaÉBDU. 
(j^iffiigiies  iraifiiDples  xapides  vf/nl  cairfinDfîr  rietif  cipinifiB.. 

Selan  la  docîmie  de  Hamfapr  el  dn  IF  l^^nck^  la  ifcnrot  OTfsnre  d  nn 
-ckciflr  dfviail  âtre  jûns  conaidtaBiiie  vais  k  partie  monnamie  oi  ^- 

gui  «fin  point  le  jrtns  t'ilewt.  à  caise  fe  3  adacni  de  ik  peaoïfcBii:  i  ■•-  «-^i 
de  œ  piàucipe,  te  la»  te  ptns  x'astes  fit  te  ijitas  pmffinufe  AwîEaifiii^  ^ 
rencontrer  <î&ns  le  iias  des  vallées  inferieiiPïs.  Mais  •su  "caftJI  aorn  '  .;. 
preuve  do  conkraiK-    «t  âuiiif  k  ionmic    poagoe   te  wénteffite  - 

ikcnstres  des  Pjrénées  «ont  cantinmées   erntrr   !1  .f<ï)ft    fit  ±.6UI)  ^ 

{lidtiiude. 

C'-£Sl  aiiei  ffie  iï'mi  troirw  tes  ikis  asseoit  ime  ^s^sB^Séist  ^>esp:mm 
i3f)  liectaF^  ismiiue  te  lae  'Qm^^gnniD  ^i^s&s^^swa^  «iiine  à  :SLl^îB  métrs 
(â'altitnde,  non  Ioib  de  jtniitt  imflnniBnit  de  îk  •dhiâne^  snr  te  ipeveas  mm- 
âismal  de  jnamif  cenferal  deikAikftEltk;  te  tkc«teitœBiei(i«iBée  d'JLrBn>, 
attitote  1.271»  mètres  —  jfeut-Sfte  te  gih»  égarai  «tes  PçnîaiweB,  — ^fit  «m 
vnsB\  J^âtaL  dfil  Sœ;  ii.â(i(i  mâkFis  «faittlliite  ^  7f)  HnÉkasis  de  sdf- 


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1^;.    liKLLOC.  —    COMBI-KMENT    DES    LACS    DANS    LES    1'YRI^;NÉES  361 

face  (I  );  I»'  lac  Lanoux  (Pyrénées-Orientales)  (iiii  s'étend  sur  une  longueur 

(le  trois  kilomètres  et  occupe  une  superficie  d'à  peu  près  1 10  hectares, 

à  une  hauteur   de  2. loi    métrés.    Le 

lac  Caïllaouas,    moins  j^rand    (jue    le  ^      f       -g 

hanoux,    mérite  encore  dètre  cité  à 

cause   de  sa   profondeur  qui   atteint 

101   mètres,   bien   que   son    plan  de 

surface  soit  à  la  cote  2,10o  mètres  ; 

attendu  que  le  lac  de    Séculéje  (Oô), 

placé  à  ()0o  mètres  plus  bas,  dépasse 

;\  peine  iu   mètres  de   profondeur  et 

39  hectares  de  superficie. 

Parmi  les  lacs  environnant  le  mas- 
sif de  iNéouvieille,  le  lac  d'Orédon 
(1.809  mètres  d'altitude,  cote  fournie 
|)ar  M.  l'ingénieur  en  chef  .F.  Fontes) 
donne  à  nos  objections  un  appui  bien 
remarquable.  Cette  superbe  nappe 
d'eau,  qui  reçoit  le  lidji  plein  des 
lacs  d'Aumar  (altitude  2.202  mètres), 
d'Auber  (altitude  2.100  mètres),  des 
Laqueltes  (l.!>l)n  mètres  environ), 
de  Lostallat  (altitude  2.172  mètres), 
de  Cap-de-F.ong  (altitude  2.120  mè- 
tres), est  moins  vaste  et  moins  pro-  g,  ^fe^^- ,/  26 
fond  que  ce  dernier,  qui  le  domine 
de  2.*)1  mètres  ;  et  cependant  les  tra- 
vaux d'endiguement  ont  relevé  son 
niveau  de  2"'", 70  centimètres. 

La  coupe  géologique  ci  -  contre  s  ^-  -jf.-.-t: 
(^9-  ^}->  passant  par  les  lacs  étages  de 
la  région  d'Oô,  fera  ressortir  plus  net- 
tement encore  la  part  très  minime 
que  l'eau,  ;i  l'état  de  congélation,  a 
pu  prendre  au  creusement  de  ces 
excavations  lacustres. 

Celte  coupe,  orientée  sud-nord,  part 
de  la  frontière  franco-espagnole  (alti- 


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(ti  Les  liaiiles  vallw<  de  lAran  rciifennenl  un  noinbie  considérable  de  lacs  mentionnés  pour  ia 
pretiiit>re  fois  par  MM.  Maurice  Gourdon  et  le  D'  Jeanbernat.  M.  F.  Scbrader,  dans  sa  belle  carte  du 
versant  espagnol  pyréntjen  (feuille  5),  en  indique  plus  de  120,  «  sans  compter  les  milliers  de  minus- 
cales  nappes  deau  qui  brillent  de  toutes  parts  au  milieu  des  rochers »  (F.  Schhadbr.) 


362  GÉOLOGIE    ET    MINÉRALOGIE 

tude  3.060  mètres)  pour  aboutir  au  village  d'Oô  (altitude  934  mètres). 
La  partie  la  plus  élevée  est  couverte  actuellement  par  le  glacier  crevassé 
du  Ceil-de-la-Baque,  dernier  débris  de  l'ancien  glacier  quaternaire  qui, 
d'après  M,  Piette,  atteignait  860  mètres  de  puissance  à  son  point  de 
jonction  avec  celui  de  la  Pique,  c'est-à-dire  entre  Cazarilh  et  Bagnères- 
de-Luchon.  Plus  bas,  au  village  de  Cierp,  le  glacier  de  la  Pique  se 
soudait  à  celui  de  la  Garonne,  lequel,  après  avoir  encore  englobé  la 
branche  descendue  de  la  vallée  de  Barousse,  recevait  le  produit  de  tous 
les  affluents  glacés  de  la  vallée  d'Aure,  et  finalement  couvrait  d'une 
immense  nappe  de  glace  les  plaines  de  Lannemezan,  de  Montréjau  et  de 
Sainl-Gaudens. 

L'examen  géologique  de  cette  coupe  montre  d'abord  un  puissant 
massif  granitique,  entremêlé  par  place  de  grands  cristaux  d'orthose  et  de 
débris  de  gneiss  empâtés  dans  la  masse  ;  il  s'étend  sur  une  longueur  de 
quatre  kilomètres,  depuis  le  Ceil-de-la-Baque  jusqu'au  bord  méridional 
du  lac  d'Espïnngo. 

Ce  granité  porphyroïde,  étudié  d'abord  par  Charpentier,  ensuite  par 
les  professeurs  Leymerie,  F.  Garrigou,  L.  Mallada  et  J.  Caralp,  n'existe  pas 
seulement  à  cet  endroit,  je  l'ai  également  vu  en  place,  du  moins  à  peu 
près  semblable,  à  la  Maladetta,  au  Maupas,  au  Couaïrat,  à  Montarqué,  à 
Espijoles,  à  Clarabide,  etc.  Du  plateau  d'Espïnngo,  le  terrain  cambrien 
—  schistes  micacés,  gneiss  schistoïdes,  schistes  maclifères  et  à  stauro- 
tides,  schistes  satinés  contenant  çà  et  là  du  quartz  enfumé  et  constituant 
les  parois  abruptes  du  vaste  entonnoir  au  fond  duquel  se  trouve  le  lac 
d'Oô  —  s'étend  jusqu'au  bas  du  grand  escarpement  qui  sépare  le  bassin 
d'Oô  proprement  dit  de  celui  d'Astau,  où  commence  le  terrain  silurien 
composé  d'abord  de  schiste  argileux  noirâtre,  de  schiste  carburé,  et  plus 
bas,  en  se  rapprochant  du  village  d'Oô,  de  schistes  ardoisiers,  de 
calschistes,  etc. 

Cette  succession  de  terrains,  dont  je  ne  donne  ici  qu'une  liste  très 
incomplète,  montre  néanmoins  que  les  lacs  glacés  du  Portillon-d'Oô 
(altitude  2.6o0  mètres),  le  lac  glacé  d'Oô  (altitude  2.670  mètres),  le  lac 
d'Era  couma-era-Abeca  (altitude  2.360  mètres),  —  aux  trois  quarts  comblé 
par  les  avalanches,  —  le  lac  Saounzat  (altitude  1.960  mètres),  le  lac 
d'Espïnngo  (altitude  1.375  mètres),  et  le  lac  d'Oô  ou  de  Séculèje  (alti- 
tude 1.500  mètres),  sont  formés  aux  dépens  des  roches  massives  ou  des 
roches  schisteuses,  dures  et  fissiles. 

En  un  mot,  on  passe  graduellement  du  granité  au  cambrien,  du  cam- 
brien au  silurien,  et  du  silurien  au  dévonien,  représenté  aux  environs 
du  village  d'Oô    par  des  calschistes  grisâtres  et  des   schistes  feuilletés, 
facilement  clivables,  relativement  tendres  et  peu  consistants. 
Ici  donc,  mieux  que  partout  ailleurs,  les  conditions  paraissaient  favo- 


É.  BELLOC.  —  COMBLEMENT  DES  LACS  DANS  LES  PYRÉNÉES      363 

rables   pour   confirmer   les  doctrines   de  l'érosion    et  de  l'affouillement 
glaciaire.  Or,  les  faits  eux-mêmes  vont  nous  renseigner  à  cet  égard. 

En  partant  du  vieux  pont  d'Oô,  pour  remonter  le  cours  du  torrent, 
nous  voyons  que  la  Neste  serpente,  pendant  plus  de  trois  kilomètres,  au 
fond  d'une  vallée  étroite  qui  n'acquiert  une  certaine  largeur  qu'au  point 
de  réunion  des  Nestes-d'Oô,  de  Medassoles  et  d'Eskierry,  c'est-à-dire  aux 
Granges-d'Astau.  Cet  accident  orographique,  insignifiant  en  apparence, 
prend  ici,  au  contraire,  une  importance  capitale.  En  effet,  si  l'on  adoptait 
la  théorie  de  Ramsay,  de  Tyndall  et  de  Penck,  il  serait  difTicile  d'expliquer 
comment  un   glacier  aurait   été  capable  de  creuser  en  plein  granité,  à 
une  très  faible  distance  de  son  point  d'origine,  des  excavations  lacustres 
comme  celles  du  bassin  supérieur,  en  respectant,  dans  la  même  roche, 
des  affleurements  de  mille  mètres  d'étendue  ;  comment  ce  glacier  aurait 
eu  le  pouvoir  de  tailler  des  à-pics  formidables  comme  les  parois  gigan- 
tesques   qui    dominent   les   régions  glacées    du    Portillon  et  d'Oô,  de 
Saounzat  et  d'Espïnngo  ;  d'évider  au  milieu  des  terrains  cambrions  un 
cirque  immense,  en  découpant  une  falaise  de  trois  cents  mètres  de  haut 
et  creusant  à  sa  base  un  abîme  de  plusieurs  centaines  de  mètres  de'  pro- 
fondeur,   comme  a  dû  être  celui  du  lac  de    Séculèje  dans  les  temps 
anciens  ;  et  comment  ce  même  fleuve  de  glace,  parvenu  à  onze  kilomètres 
de  son  point  d'origine,  accru  de  tous  les  affluents  rencontrés  sur  sa  route 
et  des  précipitations  météoriques  recueillies  à  sa  surface,  —  ce  qui  devait 
lui  donner  une  force  érosive  infiniment  plus  considérable  qu'au  début  de 
sa  course,  —  a  été  impuissant  à  se  creuser  un  lit  suffisamment  large,  dans 
des  terrains  friables  et  délitables  tels  que  ceux  que  nous  voyons  affleurer 
dans  ces  parages. 

On  ne  peut  objecter  que  ce  glacier  ne  renfermait  pas  dans  son  sein 
les  éléments  actifs  de  l'érosion  ;  car,  à  part  le  poids  incalculable  de  la 
croûte  glacée,  il  transportait  une  quantité  prodigieuse  de  blocs  de  granité 
porphyroïde,  de  gneiss,  de  schistes  gneissiques,  etc.,  provenant  de  la 
démolition  des  montagnes  qui  forment  le  bassin  supérieur,  puisque,  à 
([uelques  centaines  de  mètres  plus  loin,  il  a  abandonné  sur  ses  flancs 
des  milliers  de  blocs  erratiques.  Ces  blocs,  minutieusement  étudiés  dans 
tous  leurs  détails,  par  le  directeur  du  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Tou- 
louse, M.  le  D"-  E.  Trutat,  avec  le  concours  de  M.  Maurice  Gourdon, 
constituent,  à  l'heure  actuelle,  la  célèbre  moraine  de  Garin  de  Larboust. 
En  résumé,  si  le  creusement  des  bassins  ouverts  dans  des  roches  dures 
était  dû  exclusivement  à  l'activité  glaciaire,  cette  activité  se  fût  aussi  bien 
exercée  sur  les  saillies  qu'au  centre  des  cavités  ;  et,  en  admettant  des 
parties  plus  résistantes  en  certains  points,  l'érosion  eût  laissé  sur  ces 
proéminences  des  sillons  profonds  au  lieu  de  les  avoir  simplement  striées 
et  polies. 


364  GÉOLOGIE   ET   MINÉRALOGIE 


* 
*    * 


V Etude  des  causes  actuelles  en  géologie,  à  laquelle  le  savant  professeur 
Stanislas  Meunier  a  consacré  un  travail  spécial  des  plus  intéressants,  les 
récentes  et  très  nombreuses  observations  faites  sur  les  variations  pério- 
diques des  glaciers  français,  par  le  prince  Roland  Bonaparte,  les  études 
plus  anciennes  et  fort  instructives  de  M.  E.  Trutat  sur  les  glaciers  de 
la  Maladetta,  pour  comparer  leur  marche  à  celle  des  glaciers  des  Alpes, 
et  la  plupart  des  recherches  effectuées  par  les  géologues  et  les  glaciairistes, 
démontrent  péremptoirement  que,  quand  le  terrain  est  mis  à  nu  par 
l'effet  du  retrait  d'un  glacier,  il  ne  présente  aucune  trace  de  creusement  ; 
au  contraire,  par  le  dépôt  de  la  moraine  frontale,  il  se  trouve  exhaussé. 

L'action  érosive  du  glacier  est  indéniable,  et  chaque  fois  que  celui-ci 
rencontre  un  terrain  meuble  ou  facilement  affouillable,  elle  peut  être 
considérable.  Mais  elle  est  forcément  très  bornée  en  présence  des  roches 
dures  et  compactes,  et  les  effets  d'érosion  produits  dans  ce  cas  par  l'eau 
à  l'état  de  congélation  ne  sauraient  être  comparables  au  pouvoir  désagré- 
geant de  l'eau  en  mouvement  et  à  l'état  liquide. 

Pour  se  convaincre  de  cette  vérité,  il  suffît  de  se  transporter  à  l'origine 
de  l'une  quelconque  des  vallées  pyrénéennes  terminées  par  un  glacier, 
tel  que  celui  de  Crabioules,  par  exemple.  Ici  le  contraste  est  frappant. 
Depuis  le  parc  d'Enfer  jusqu'à  l'endroit  où  se  trouve  actuellement  l'hôtel- 
lerie de  la  vallée  du  Lys,  le  glacier  a  été  incapable  de  creuser,  dans  le  fond 
de  la  gorge,  un  passage  suffisamment  spacieux  pour  le  contenir,  tandis 
que  les  eaux  provenant  de  ce  même  glacier  ont  usé  et  coupé  à  pic  des 
masses  rocheuses  compactes,  comme  à  la  rue  d'Enfer,  ou  des  cascades, 
et  des  gouffres,  comme  ceux  que  les  baigneurs  de  Ludion  vont  admirer  en 
foule  dans  cette  magnifique  région. 

La  force  vive  de  l'eau,  accrue  par  les  débris  rocheux  qu'elle  entraîne, 
est  capable  de  donner  aux  cassures  terrestres  des  proportions  considérables 
et  d'ouvrir  des  gorges  superbes  comme  celles  des  Eaux-Chaudes,  de  Luz, 
de  Gavarnie,  de  Cauterets  ou  du  Pont-d'Espagne,  qui  mettent  bien  en 
évidence  les  effets  irrésistibles  des  eaux  fougueuses  en  présence  d'obstacles 
solides  leur  barrant  le  chemin. 

Dans  l'état  actuel  de  nos  connaissances,  aucun  phénomène  glaciaire 
n'est  capable  de  nous  fournir  des  preuves  irrécusables  de  son  pouvoir 
érosif,  comme  le  font  journellement  sous  nos  yeux  les  eaux  torrentielles  ; 
ce  qui  ne  veut  pas  dire,  toutefois,  que  les  torrents  soient  les  seuls  agents 
auxquels  on  puisse  attribuer  la  création  des  lacs  supérieurs  de  montagnes. 

Le  relief  de  notre  globe  n'a  pu  se  modeler  sans  que  la  croûte  terrestre 


f:.    BELLOC.  —  COMBLEMENT  DES  LACS  DANS  LES  PYRÉNÉES      363 

éprouvât  des  contractions  violentes  et  sans  qu'il  en  résultât  des  disloca- 
tions, des  plissements  et  des  cassures  innombrables.  Et,  comme  le  dit 
M.  A.  de  Lapparent,  dans  son  Traité  de  géologie,  d'une  si  admirable  clarté 
de  style,  «  les  fentes  dont  les  parois  se  sont  tapissées  de  matières  minérales 
et  celles  à  travers  lesquelles  a  eu  lieu  l'injection  des  roches  éruptives 
attestent  que  l'écorce  terrestre  a  subi,  à  bien  des  reprises,  des  effets  méca- 
niques capables  d'en  déterminer  la  rupture  » . 

C'est  le  long  de  ces  fentes  ou  lignes  de  rupture  que  les  granits  et  les 
gneiss  ont  surgi,  en  même  temps  qu'à  côté  se  produisaient  des  ploie- 
ments, des  bossellements  et  des  redressements  verticaux  à  la  base  des- 
quels, semblables  à  des  voûtes  privées  tout  à  coup  de  leurs  points  d'appui, 
le  sol  s'affaissait  et  produisait  par  cela  même  des  cavités  plus  ou  moins 
considérables  que  les  eaux  n'ont  pas  tardé  à  envahir. 

Cette  «  combinaison  forcée  des  abaissements  et  des  soulèvements  de 
l'écorce  terrestre  qui  se  plisse  pour  rester  toujours  appuyée  sur  un  noyau 
intérieur  dont  le  volume  diminue  en  raison  du  refroidissement  »  comme 
le  dit  en  termes  excellents  M.  le  D''  F.  Garrigou,  dans  sa  Monographie  de 
Bagnéres-de-Luchon,  ne  fournit-elle  pas  la  meilleure  preuve  de  l'origine 
que  nous  attribuons  aux  lacs  de  montagnes  ? 

Élie  de  Beaumont  n'assignait  d'autre  cause  à  la  formation  des  lacs 
des  Vosges  que  les  écroulements  produits  dans  les  cavités,  situées  à  l'in- 
térieur des  montagnes.  Cependant,  il  est  fort  probable  que  les  excava- 
tions lacustres  n'atteignirent  pas  du  premier  coup  ni  les  dimensions,  ni 
la  profondeur  qu'elles  ont  acquises  par  la  suite. 

D'un  autre  côté,  les  remarquables  expériences  de  sir  Jams  Hall,  de 
M.  Alphonse  Favre,  et  les  études  synthétiques  de  géologie  expérimen- 
tale, plus  récentes,  plus  nombreuses  et  plus  variées  de  notre  éminent 
compatriote  M.  Daubrée,  sur  les  cassures  terrestres,  nous  révèlent  la 
marche  des  phénomènes  qui  ont  dû  présider  à  la  formation  du  relief  de 
notre  planète.  «  Les  cassures  de  divers  ordres  de  grandeur,  dit  M.  Daubrée, 
depuis  de  simples  leptoclases  jusqu'aux  paraclases  qui  s'étendent  hori- 
zontalement sur  des  dizaines  et  même  des  centaines  de  kilomètres,  et 
pénètrent  jusqu'à  des  profondeurs  inconnues,  réduisent  l'écorce  terrestre 
en  une  sorte  de  craquelé  dont  les  fragments  sont  préparés  pour  une  dé- 
molition. » 

Préparée  pour  une  démolition,  l'écorce  terrestre  devait  l'être  en  effet  ; 
aussi  est-il  aisé  de  comprendre  avec  quelle  puissance  l'action  dynamique 
des  courants  torrentiels  a  dû  s'exercer  sur  d'anciens  accidents  orogra- 
phiques aussi  bien  disposés.  Les  masses  rocheuses  parfois  tranchées 
comme  un  trait  de  burin,  selon  la  comparaison  pittoresque  et  exacte  de 
M.  F.  Schrader,  dont  on  connaît  les  remarquables  travaux  ;  les  failles  conver- 
ties en  ravins  profonds,  agrandies  et  déblayées,  sont  devenues  des  gorges 


366  GÉOLOGIE   ET   MINÉRALOGIE 

gigantesques  que  les  dislocations  postérieures  ont  encore  façonnées,  puis 
transformées  en  vallées  admirables,  telles  que  celles  d'Ordesa,  de  Niscle 
ou  d' Arasas,  au  pied  du  JVIont-Perdu,  vallées  comparables,  d'après  M.  E.  de 
Margerie,  à  un  coin  du  Colorado  égaré  au  milieu  des  Pyrénées. 

Parmi  les  systèmes  d'investigation  scientifique,  l'un  des  plus  sûrs,  — 
bien  que  ce  ne  soit  pas  l'avis  de  tous  les  savants,  —  et  le  meilleur  peut- 
être,  est  encore  celui  qui  consiste  à  procéder  du  connu  à  l'inconnu. 

Partant  de  ce  principe,  en  voyant  la  force  érosive  des  petits  cours  d'eau 
et  des  cascades  de  l'époque  actuelle,  on  peut  se  faire  aisément  une  idée  de 
la  puissance  développée  par  les  cataractes  des  anciennes  périodes  géolo- 
giques. Il  a  sutTi  qu'un  petit  ruisseau,  tel  que  le  Rummel,  se  trouvât  en- 
présence  d'un  de  ces  fendillements  terrestres  pour  creuser  un  profond 
ravin  comme  celui  de  Constantine.  A  plus  forte  raison,  lorsque  la  force 
hydraulique  se  trouve  centuplée. 

Par  exemple,  l'émissaire  du  lac  Érié,  le  Niagara,  après  avoir  précipité 
ses  eaux  d'une  hauteur  de  30  mètres,  et  creusé  un  gouffre  actuellement 
insondable,  au  pied  des  chutes  célèbres  que  tout  le  monde  connaît,  s'est 
ouvert  un  passage  de  11  kilomètres  de  longueur,  avec  des  parois  de 
72  mètres  de  hauteur,  en  moyenne,  avant  d'atteindre  Queenstown  et  le 
lac  Ontario. 

Au  nombre  des  autres  agents  d'érosion,  qui  concouren'  directement  à 
la  transformation  du  relief  terrestre,  il  faut  citer  en  première  ligne  l'action 
chimique  des  eaux  d'infiltration. 

L'eau  de  pluie,  renfermant  2,40  0/0  d'acide  carbonique,  selon  les  cal- 
culs de  Péligot;  exerce  une  action  directe  sur  les  éléments  silicates  et 
feldspathiques  entrant  dans  la  constitution  d'un  certain  nombre  de  roches. 
Cette  action  chimique  est  particulièrement  appréciable  aux  environs  du 
Maupas,  dans  le  massif  pyrénéen  qui  limite  le  département  de  la  Haute- 
Garonne,  sur  les  crêtes  de  séparation  du  val  d'Arougé  et  des  Gours-Blancs, 
dans  la  région  de  Clarabide,  d'Ardiden,  d'Estom,  de  Gaube,  de  Penticosa, 
et  une  infinité  d'autres  contrées  où  l'on  voit  des  blocs  granitiques,  ayant 
perdu  leur  dureté  primitive,  rongés  par  places  et  transformés  en  une  es- 
pèce de  matière  arénacée,  que  les  montagnards,  dans  leur  langage  imagé, 
désignent  sous  le  nom  caractéristique  de  roches  pourries. 


*  * 

En  résumé,  l'origine  et  la  formation  des  bassins  lacustres  de  mon- 
tagnes, ouverts  dans  les  roches  vives,  sont  dues  à  trois  causes  principales  : 
1°  aux  accidents  orograpliiques  résultant  des  dislocations  de  la  croûte 
terrestre  ;  2^  à  l'action  dynamique  de  l'élément  liquide  en  mouvement  ; 


É.  BELLOC.  COMBLEMKNT  DES  L.VCS  DANS  LES  PYRÉNÉES      367 

3°  aux  transformations   produites  sur  les   masses  rocheuses  par  l'action 
chimique  des  eaux  d'infiltration. 

En  outre,  les  recherches  méthodiques  que  j'ai  entreprises  depuis  un 
certain  nombre  d'années,  et  plusieurs  milliers  de  sondages  que  j'ai  exé- 
cutés dans  les  principaux  lacs  des  Pyrénées,  m'ont  amené  à  formuler 
les  conclusions  suivantes  :  La  profondeur  des  lacs  de  montagnes,  ouverts 
dans  la  roche  dure  en  place,  est  en  raison  de  la  hauteur  et  de  la  verticalité 
des  pentes  qui  circonscrivent  leur  périmètre. 

Les  lacs  de  Pouchergues,  de  Caïllaouas,  de  Gregonio  (Querigûena 
d'après  l'ingénieur  espagnol  J.  Mallada),  etc.,  sont  de  véritables  gouffres 
ouverts  au  fond  de  vastes  entonnoirs  ;  et  le  plus  grand,  en  même  temps 
que  le  plus  élevé  des  lacs  en  série  du  Port  de  Venasque  (altitude  2.300  mè- 
tres environ)  que  nous  avons  tout  récemment  visité,  avec  mon  ami 
M.  Charles  Bannelier,  offre  encore  un  exemple  saisissant  de  ce  phénomène. 

Ceci  explique  pourquoi,  —  étant  donné  que  les  pentes  des  montagnes 
se  redressent  dans  le  voisinage  des  sommets,  —  la  plupart  des  lacs  pyré- 
néens se  rencontrent  au-dessus  de  la  zone  habitable  et  vers  la  partie  la 
plus  élevée  de  la  chaîne. 


* 
*  * 


En  dehors  des  accidents  orographiques  produits  par  les  contractions  de 
la  couche  terrestre  et  les  forces  dynamiques  extérieures  qui  modifient 
sans  cesse  son  relief,  d'autres  causes  accidentelles  ont  aussi  concouru  à 
la  formation  de  certains  lacs  de  montagnes. 

Les  éruptions  volcaniques  qui  ont  occasionné  la  formation  des  lacs  de 
cratères,  comme  ceux  de  l'Auvergne,  des  îles  Açores,  etc.,  n'ont  pas 
laissé,  dans  les  Pyrénées,  des  traces  assez  nettes  pour  qu'on  ait  pu  les 
constater,  jusqu'à  présent  du  moins. 

Quant  aux  barrages  temporaires  provoqués  par  les  éboulements  et  les 
transports  glaciaires  ou  torrentiels,  qui  sont  capables,  à  un  moment 
donné,  d'accumuler  sur  un  certain  point  d'énormes  masses  de  débris 
rocheux,  de  limon  et  de  matières  arénacées,  ils  sont  au  contraire  assez 
fréquents  vers  la  partie  basse  des  montagnes.  Lorsque  ces  endiguements, 
qui  peuvent  entraver  le  cours  des  ruisseaux  ou  empêcher  le  libre  écou- 
lement des  eaux  pluviales,  proviennent  exclusivement  de  l'action  glaciaire, 
comme  à  Lourdes  ou  à  Barbazan,  on  est  convenu  de  les  appeler  des  lacs 
morainiques.  Ils  sont  quelque  peu  en  dehors  du  thème  de  cette  étude  qui 
comprend  surtout  les  lacs  supérieurs  de  montagne.  Je  me  réserve  d'y 
revenir  plus  longuement  à  une  autre  occasion. 


368  GÉOLOGIE    ET    MINÉRALOGIE 


*    * 


Après  avoir  essayé  d'expliquer  l'origine  et  la  formation  des  lacs  pyré- 
néens, il  me  reste  à  faire  connaître  le  causes  déterminantes  de  leur  com- 
blement et  de  leur  extinction  finale;  mais,  auparavant,  je  parlerai  très 
brièvement  de  la  conservation  des  lacs  par  la  glace. 

Si  les  opinions  de  Desor,  d'Escher  et  de  A.  Favre,  contrairement  à 
celles  de  Ramsay,  Dana,  Tyndall,  A.  Penck,  de  Mortillet  et  Gastaldi,  ont 
été  adoptées  par  des  hommes  tels  que  Bail,  Lyell,  Rutimayer,  Murchisson, 
Heim,  Omboni,  E.  Reclus,  Ch.  Martins,  VioUet-le-Duc,  Ch.  Grad,  de  Lap- 
parent,  Chantre,  Faisan,  Credner,  Mojsisovics,  Jeanbernat,  etc.,  cela  tient 
surtout  au  côté  séduisant  de  la  théorie  nouvelle,  d'autant  plus  que  l'hypo- 
thèse d'une  calotte  de  glace  préservant  les  dépressions  naturelles  du  sol 
contre  l'envahissement  des  dépôts  détritiques  n'a  rien  d'improbable,  dans 
certains  cas  particuliers,  au  contraire. 

Mais  ce  serait  une  grave  erreur  de  vouloir  généraliser  une  théorie 
comme  celle  de  la  protection  tutélaire  des  cuvettes  lacustres  par  la  glace, 
ou  celle  de  l'affouillement  glaciaire;  car,  malgré  tout,  les  faits  matériels 
observés  parlent  plus  haut  que  les  conceptions  originales  des  savants  géo- 
logues qui  les  ont  inventées,  si  ingénieuses  qu'elles  soient. 

A  la  vérité,  il  faut  reconnaître  que  ces  éminents  naturalistes  n'avaient 
que  des  données  fort  restreintes  sur  la  topographie  et  la  géologie  sous- 
lacustres  et  que  les  moyens  d'investigation  de  la  plupart  d'entre  eux  ne 
dépassaient  pas  le  plan  de  surface  des  eaux. 

A  part  les  travaux  remarquables  de  M.  le  professeur  A.  Forel,  sur  le 
lac  Léman,  le  lac  des  Quatre-Cantons,  etc.,  quelques  sondages  exécutés 
par  Ch.  Grad  dans  les  lacs  des  Vosges,  et  un  certain  nombre  d'autres 
observations  isolées,  peu  de  personnes  s'étaient  données  d'une  manière 
exclusive  à  l'étude  méthodique  des  lois  qui  régissent  les  phénomènes  sous- 
lacustres. 

Depuis  quelques  années,  de  nombreux  documents  hydrographiques  ont 
été  recueillis  et  coordonnés  avec  le  plus  grand  soin.  Des  recherches  sous- 
lacustres  considérables  et  scientifiquement  conduites  ont  été  entreprises 
par  les  ingénieurs  du  Bureau  topographique  fédéral  suisse,  sous  la  haute 
direction  de  M.  fingénieur  Hôrnlimann.  M.  le  professeur  J.  Thoulet,  de  la 
Faculté  des  sciences  de  Nancy,  le  savant  initiateur  de  V Océanographie  en 
France,  nous  a  fait  connaître  les  lacs  des  Vosges.  M.  l'ingénieur  des  Ponts 
et  Chaussées  A.  Delebecque,  a  sondé  et  étudié  les  lacs  de  la  Haute- 
Savoie,  de  l'Ain,  de  l'Isère,  du  Dauphiné,  etc.,  et  dressé  les  cartes  de  ces 
fonds  submergés  qui  serviront  à  compléter  la  carte  du  nivellement  de  la 


É.  BELLOC.  —  COMBLEMENT  DES  LACS  DANS  LES  PYRÉNÉES      369 

France  dans  ces  régions.  M.  le  D'"  Ant.  Magnin  a  recueilli  de  nom- 
breux documents  sur  la  topographie,  le  caractère  des  eaux,  la  faune 
et  surtout  la  flore  des  lacs  du  Jura.  Enfin,  en  ce  qui  me  concerne, 
je  consacre  chaque  année  plusieurs  mois  à  l'étude  des  phénomènes  la- 
custres, notamment  dans  la  chaîne  des  Pyrénées  (1).  Le  champ  d'obser- 
vation est  vaste  et  fertile;  malgré  l'étendue  et  les  difficultés  matérielles 
de  la  tâche  entreprise,  j'espère  la  mener  à  bien,  si  mes  forces  me  le 
permettent. 

Ces  travaux,  entrepris  simultanément  pour  ainsi  dire  et  sur  plusieurs 
points  à  la  fois,  ont  fourni  des  résultats  importants,  dont  quelques 
hommes  spéciaux  ont  déjà  su  tirer  profit  pour  la  science. 

A  l'aide  de  mes  propres  observations,  j'ai  pu  contrôler  la  valeur 
de  certaines  doctrines  glaciaires  et  me  convaincre  de  la  fragilité  des  bases 
sur  lesquelles  reposent,  par  exemple,  les  théories  relatives  à  la  conser- 
vation des  lacs  par  la  glace,  que  M.  Bayssellance  a  déjà  vivement  com- 
battues. 

Un  ensemble  de  faits  très  précis  et  soigneusement  étudiés,  dont  je  vais 
donner  des  exemples,  m'a  permis  de  reconnaître  que  :  la  force  vive  des 
anciens  glaciers,  loin  d'avoir  approfondi  ou  protégé  les  cuvettes  lacustres, 
avait  été,  au  contraire,  un  instrument  actif  de  comblement,  toutes  les  fois 
que  les  courants  de  glace  s'étaient  heurtés  à  des  affleurements  abrupts  de 
roches  dures  en  place. 

Le  lac  d'Estom  (vallée  de  Lutour,  tributaire  de  celle  de  Cauterets), 
dans  lequel  j'ai  pu  relever  des  profils  en  tous  sens,  grâce  aux  nombreux 
sondages  que  j'y  ai  pratiqués,  148  points  par  10.000  mètres  carrés,  me 
servira  à  montrer  par  quels  moyens  ces  comblements  glaciaires  s'accom- 
plissent. 

Si,  à  l'aide  d'une  courbe  continue,  on  joint  les  différents  points  de 
sondage  se  trouvant  sur  un  même  plan,  dans  une  direction  déterminée, 
on  obtient  le  profil  du  relief  sous-lacustre,  c'est-à-dire  une  section  qui 
montre  clairement  les  mouvements  altimétriques  du  sol  submergé.  C'est 
ce  que  j'ai  fait  pour  le  lac  d'Estom,  dont  la  figure  2  ci-après  représente  la 
coupe  longitudinale  (2)  AF,  orientée  sud-nord,  c'est-à-dire  dans  le  sens 
de  la  pente  naturelle  de  l'écoulement  des  eaux. 

Cette  coupe  nous  fait  voir  d'abord,  entre  A  et  B,  un  delta  sous-lacustre 

(1)  Pour  ces  études,  je  me  sers  d'un  modèle  réduit  et  facilement  transportable  jusqu'au  som- 
met des  plus  hautes  montagnes,  de  l'appareil  à  fil  d'acier  —  sondeur  É.  Belloc  —  que  j'ai  eu 
l'honneur  de  présenter  l'an  dernier  au  Congrès  de  Marseille.  Le  grand  modèle  que  S.  A.  S.  le 
prince  Albert  l"  de  Monaco  a  fait  construire  pour  son  nouveau  yacht  à  vapeur,  la  Princes<!e  Alice, 
a  été  également  adopté  par  l'École  des  Ponts  et  Chaussr-es  de  Paris,  par  la  faculté  de  Nancy  et  le 
Bureau  topographique  fédéral  suisse,  qui  l'emploie  actuellement  pour  sonder  les  lacs  de  l'Engadine. 
C'est  ce  sondeur  que  M.  l'ingénieur  A.  Delebecque,  M.  l'ingénieur  HOrnlImann,  M.  J.  Tlioulet,  ainsi 
que  M.  le  baron  Jules  de  Guerne  emploient  également  pour  leurs  recherches. 

(2)  La  longueur  de  la  coupe  ci-après —  exécutée  primitivement  d'après  une  échelle  unique  — 
ma  contiaint  d'adopter  deux  échelles  différentes  pour  pcrmeure  a'intercaler  cette  figure  dans  le  texte. 

24  * 


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GÉOLOGIE   ET    MINÉRALOGIE 

dû  en  grande  partie  au  transport  gla- 
ciaire, et  composé  de  débris  rocheux 
et  de  matières  meubles;  une  plaine 
centrale    BC,    presque    horizontale, 
formée    d'alluvions  légères    et  d'un 
dépôt  vaseux  excessivement  fin,  à  l'ex- 
trémité  de  laquelle   commence  une 
série   d'ondulations    CDE,    d'inégale 
hauteur  et  s'élevant  progressivement 
jusqu'au  seuil  émergeant  F,    formé 
par  un  énorme  affleurement  de  gra- 
nité en  place.  En  examinant  de  près 
ces  petits  monticules   CDE.    on  voit 
qu'ils  sont  constitués  par  des  quar- 
tiers anguleux  de  roche,  entassés  les 
uns  sur  les  autres,  selon  des  lignes 
un    peu    incurvées,    et   perpendicu- 
laires   au  grand    axe  de   la  cavité, 
ce  qui  leur  donne  une  certaine  res- 
semblance   avec    d'énormes    vagues 
pétrifiées. 

A  première  vue,  on  pourrait  être 
tenté  de  croire  que  ces  blocs  de  pierre 
proviennent  directement  de  la  démo- 
lition des  pentes  voisines,  ou  qu'ils 
ont  été  entraînés  jusque-là  par  des 
avalanches.  iMais  il  suffit  d'un  simple 
examen  des  coupes  menées  par  le 
travers  du  lac,  pour  revenir  promp- 
tement  sur  cette  impression.  En  effet, 
les  cônes  de  déjection  qui  s'engouf- 
frent dans  le  lac  montrent  que  les 
demi-cercles  concentriques  A  A  (fig.  3), 
dont  ils  sont  formés,  ont  leur  partie 
convexe  tournée  vers  l'intérieur  de  la 
dépression,  c'est-à-dire  qu'ils  sont 
tangents  aux  plans  longitudinaux  du 
bassin,  et  non  point  parallèles  aux 
plans  transversaux  ou  incurvés  vers 
l'extérieur,  comme  le  sont  les  ondu- 
lations CDE,  dont  la  partie  convexe 
regarde  le  rivage.  Ces  coupes  mon- 


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É.    BELLOC.  COMBLEMENT    DES    LACS    DANS    LES    l'YRÉXÉES  371 

tre'nt  encore  que  les  matériaux  lourds  et  volumineux,  entraînés  par  les  ava- 
lanches, au  sein  de  la  nappe  liquide,  ne  dépassent  pas  une  zone  qui  est 
bien  loin  d'atteindre  le  milieu  du  lac. 

Ce  point  écarté,  il  reste  à  voir  si  le  barrage  lui-même  n'a  pas  fourni 
les  éléments  de  ces  dépôts.  Ici,  nous  nous  trouvons  encore  en  présence 
de  preuves  matérielles  indiscutables.  Si  ces  talus  ondulés  eussent  été 
formés  aux  dépens  du  barrage,  les  arrachements  des  débris  rocheux  qui 
les  composent  seraient  visibles,  car  ils  n'auraient  pu  se  produire  qu'après 
le  retrait  du  glacier,  puisque  la  cavité  était  pleine  de  glace,  et  que  celle-ci 
les  eût  empêchés  d'y  pénétrer. 

Or,  dans  ce  cas  la  partie  émergeante  du  seuil  granitique  du  lac,  dépas- 


FiG.  3.  —  Lac  d'Estom  (.Hautes-Pyrénées  . 
Plan  schématique  des  dépôts  détritiques  sous-lacustres.  —  Échelle 


sant  à  peine  de  quelques  mètres  le  niveau  actuel  du  plan  de  surface 
des  eaux,  n'eût  pas  conservé  intactes  ces  belles  surfaces  moutonnées,  polies 
et  striées,  encore  très  nettement  visibles  aujourd'hui. 

D'autre  part,  en  admettant  même  —  ce  qui  est  improbable  — que  l'émis- 
saire des  lacs  supérieurs  d'Estom-Soubiran  ait  charrié  jusqu'au  lac  infé- 
rieur d'Estom  les  blocs  anguleux  qui  forment  son  delta,  ce  transport 
n'aurait  pu  dépasser  le  point  B  ;  parce  que  l'action  locomotrice  du  cou- 
rant aqueux  étant  progressivement  amortie,  au  contact  de  la  masse 
liquide  immobile  contre  laquelle  il  venait  brusquement  se  heurter,  ce 
courant  n'aurait  plus  eu  assez  de  force  pour  tenir  en  suspension  ces  lourds 
débris  rocheux  et  les  transporter  au  delà  de  la  plaine  centrale  BC,  où 
ils  se  trouvent  actuellement  entassés. 

Toutes  ces  hypothèses   étant  donc  écartées,    l'action   glaciaire   seule 


372 


GÉOLOGIE   ET   MINÉRALOGIE 


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peut  nous  permettre  d'expliquer 
la  formation  de  ces  curieuses 
ondulations. 

Lorsqu'un  glacier  rencontre 
sur  sa  route  une  dépression 
lacustre,  si  les  parois  de  cette 
dépression  ont  peu  d'inclinai- 
son, la  glace,  en  raison  de  sa 
plasticité,  et  la  pression  aidant, 
remonte  la  pente  et  parvient  à 
la  franchir  aisément,  en  l'éro- 
dant  plus  ou  moins.  Mais  si  le 
seuil  est  solide  et  fortement  re- 
dressé, ce  qui  est  la  règle  géné- 
rale pour  les  lacs  supérieurs,  le 
courant  glacé  se  comporte  d'une 
manière  toute  différente. 

Supposons  un  bassin  comme 
celui  du  lac  d'Estom,  occupé  par 
un  glacier,  tel  que  l'indique  la 
figure  schématique  ci-contre. 
Par  suite  de  la  fusion  de  sa  face 
inférieure  et  du  mouvement  de 
translation  oblique  qui  l'anime, 
la  masse  glacée  subit  deux  mou- 
vements descendants  bien  dis- 
tincts :  l'un  vertical,  l'autre  obli- 
que (  1  ) .  Obéissant  en  même  temps 
à  cette  double  action  propulsive, 
un  bloc  tombé  accidentellement 


(I)  La  vitesse  de  ces  deux  mouvements  est 
loin  d'être  uniforme  dans  toute  l¥paisseur 
d'un  même  glacier.  Celte  vitesse  dépend  de 
plusieurs  causes  :  i»  de  la  plasticité  de  la 
glace,  2°  de  la  pente  du  terrain,  3°  des  frot- 
tements et  des  pressions  exercées  par  le  fond 
et  les  parois  latérales  sur  lesquelles  s'appuie 
la  masse  glacée. 

De  ce  qui  précède,  il  résulte  que  la  région 
supérieure  et  médiane  d'un  glacier,  étant  ani- 
mée d'un  mouvement  plus  rapide  que  la 
surface  inférieure  ou  la  périphérie,  la  trajec- 
toire d'un  bloc  rocheux  A  (fig.  4),  par  exemple, 
ne  suivra  pas  exactement  l'hypoténuse  d'un 
triangle  rectangle,  et  que  ce  bloc  tournant 
constamment  sur  lui-même  pendant  le  trajet, 
aura  perdu  sa  vitesse  initiale  et  changé  com- 
plètement de  position,  en  atteignant  son  point 
d'atterrissement  A''. 


É.  BELLOC.  —  COMBLEMENT  DES  LACS  DANS  LES  PYRÉNÉES      373 

à  la  surface  du  glacier,  occupera  successivement  les  positions  A,  A^  A% 
A^  A*  (/îg.  4),  qui  le  rapprocheront  de  plus  en  plus  de  la  surface 
inférieure  A*,  où  il  abandonnera  définitivement  la  masse  glacée  pour 
tomber  sur  le  sol.  Le  bloc  B  suivra  la  même  trajectoire,  et,  lorsqu'il 
atteindra  le  point  B^  il  se  détachera  et  atterrira  à  son  tour.  Mais  les  choses 
se  passeront  tout  différemment  pour  le  bloc  C.  Celui-ci,  quoique  étant 
entraîné  au-dessous  du  plan  de  surface  de  l'obstacle  rocheux,  se  trouvant 
encore  incorporé  dans  la  glace,  subira  des  effets  de  pression  tels,  dans 
le  voisinage  de  la  masse  rocheuse  qui  obstrue  le  passage  du  glacier, 
qu'ils  l'obligeront  à  remonter  vers  la  partie  supérieure  C%  qu'il  franchira 
en  C^ 

Ceci  montre  clairement,  je  crois,  que  si  une  partie  des  matériaux 
un  peu  volumineux,  charriés  par  le  glacier  et  incorporés  dans  sa  masse, 
arrive  à  franchir  sans  encombre  les  obstacles  qui  ralentissent  la  marche 
de  celui-ci,  une  autre  partie,  au  contraire,  et  non  pas  la  moins  importante, 
est  déposée  à  la  base  de  l'affleurement,  où  elle  forme  des  amoncellements 
d'une  grande  étendue. 

Cet  exemple,  que  je  pourrais  multiplier  facilement,  démontre  péremp- 
toirement, qu'aii  lieu  d'avoir  cireuse  ou  même  simplement  protégé  les  exca- 
vations lacustres,  les  glaciers  les  ont  directement  comblées. 


* 

*  * 


D'autres  cas  de  comblement,  encore  plus  curieux,  m'ont  été  révélés 
au  cours  de  mes  recherches  ;  les  causes  qui  les  ont  produits  sont  multiples 
et  un  grand  nombre  d'entre  elles  n'étaient  point  ignorées  des  anciens 
pyrénéens  tels  que  Ramond,  Pasumot,  Dralet,  etc.,  qui  en  parlent  dans 

leurs  écrits. 

A  une  époque  voisine  de  la  nôtre  (1874),  le  D^  Jeanbernat  leur  consacra 
un  chapitre  spécial  dans  son  beau  travail  sur  les  lacs  pyrénéens. 

Enfin,  en  1887,  M.  J.  Vallot  publia  également  une  notice  très  intéres- 
sante sur  le  comblement  des  lacs  des  environs  de  Cauterets. 

L'étude  spéciale  des  comblements  lacustres,  dont  je  m'occupe  depuis 
une  dizaine  d'années  environ,  exige  l'emploi  de  méthodes  rigoureuses  pour 
recueillir  les  observations  et  les  matériaux  destinés  à  ce  genre  de  recher- 
ches, que  je  vais  résumer  très  succinctement. 

Vers  le  milieu  de  novembre  et  le  commencement  de  décembre,  lorsque 
les  surfaces  lacustres  commencent  à  se  congeler  et  que  le  flanc  des 
montagnes  se  recouvre  d'un  épais  manteau  de  neige,  poudreuse  ou 
floconneuse,  selon  le  degré  de  violence  des  rafales  qui  la  distribuent, 
comme  l'a  fort  bien  remarqué  M.  Lourde-Rocheblave,  la  neige  s'accumule 


374  GÉOLOGIE    ET    MINÉRALOGIE 

dans  les  anfractuosités  des  pentes  jusqu'au  moment  où,  sollicitée  par 
son  propre  poids,  elle  est  précipitée  au  pied  des  escarpements  qui  bordent 
les  nappes  glacées;  elle  s'entasse  sur  certains  points  sous  forme  de  cônes 
neigeux  à  axe  oblique,  dont  le  sommet  s'appuie  directement  sur  le  flanc 
de  la  montagne  et  la  base  s'étale  en  demi-cercle  sur  le  plan  de  surface  des 
eaux  solidifiées. 

Tant  que  la  neige  demeure  à  l'état  floconneux  ou  poudreux,  elle  est 
mobile  et  obéit  à  la  moindre  impulsion  de  l'air  ;  dans  cet  état,  elle  se 
comporte  comme  le  sable  fin  de  nos  plages  marines  ou  du  désert  du 
Sahara.  Une  partie,  rejetée  par  le  vent  vers  les  cimes,  tourbillonne  et 
remonte  le  long  des  pentes  avant  d'avoir  touché  le  sol,  jusqu'à  ce  qu'elle 
rencontre  une  couche  d'air  immobile,  ou  que  son  propre  poids  l'oblige 
à  retomber  ;  l'autre,  glissant  sur  le  sol  même,  vient  former  à  la  base 
du  cône  neigeux  à  axe  oblique,  un  amoncellement  qui  grossit  sans 
cesse. 

Sous  l'action  combinée  du  regel  et  de  la  pression  exercée  par  sa  propre 
masse,  la  neige  se  tasse,  et,  de  poudreuse  et  floconneuse  qu'elle  était, 
elle  devient  moins  molle,  grenue,  résistante,  et  ne  tarde  pas  à  se  trans- 
former en  névé. 

Dans  cet  état,  les  avalanches  peuvent  facilement  glisser  sur  son  pour- 
tour sans  la  pénétrer;  et,  lorsque  les  vents  du  sud  et  la  chaleur  du 
printemps  fondront  partiellement  les  neiges  des  crêtes,  et  que  les  préci- 
pitations météoriques  entraîneront  les  matières  détritiques,  ces  matériaux 
n'auront  aucune  peine  à  s'accumuler  à  la  base  des  cônes  de  névé  autour 
desquels  ils  formeront  une  espèce  de  ceinture  rocheuse  plus  ou  moins 
épaisse. 

Frappée  plus  directement  par  les  vents  et  les  rayons  solaires,  la  neige 
qui  recouvre  la  partie  élevée  des  pentes  fond  la  première.  Plus  tard,  la 
croûte  glacée  du  lac,  cédant  à  la  poussée  simultanée  des  courants 
liquides  qui  l'envahissent,  et  des  vents  chauds  qui  la  disloquent,  craque 
de  toutes  parts,  se  fendille  et  s'effondre.  Alors,  privés  de  leur  support 
provisoire,  les  éléments  constituant  la  ceinture  rocheuse  qui  entourait  le 
cône  de  névé,  coulent  à  pic  et  viennent  former  au  fond  du  lac  des  talus 
immergés,  séparés  du  rivage  par  une  dépression  en  forme  d'entonnoir, 
que  les  avalanches  postérieures  finiront  par  combler  à  leur  tour,  car  ces 
talus  dépassent  très  rarement  la  zone  littorale. 

Les  lacs  d'Oô,  de  Caïllaouas,  d'Auber,  de  Cap-de-Long,  d'Oncet, 
d'Estom,  de  Naguille,  etc.,  off'rent  des  exemples  caractéristiques  de  ces 
phénomènes  curieux  en  même  temps  que  fort  intéressants  pour  l'étude, 
encore  peu  pratiquée,  des  causes  multiples  des  comblements  dans  les  lacs 
de  montagnes. 

Parmi  ces  causes,  quelques-unes  exercent  leur  action  lentement,  insen- 


É.    BELLOC.  —  COMBLEMENT    DES    LACS    DANS    LES    PYRÉNÉES  S75 

siblement,  en  déposant  sans  cesse  au  fond  des  eaux  les  matières  alluviales 
ou  limoneuses  longtemps  tenues  en  suspension.  D'autres,  rapides  et 
imprévues,  au  contraire,  amoncellent  brusquement,  sur  un  point  déter- 
miné, une  quantité  considérable  de  matières  solides,  qui  provoquent  tôt 
ou  tard  l'émergence  des  talus,  comblent  les  dépressions  coniques,  et 
finissent,  à  la  longue,  par  modifier  le  contour  des  rivages. 

Un  spécimen  remarquable  de  ce  genre  d'accident  est  celui  que  l'on 
voit  sur  la  rive  gauche  du  lac  Caïllaouas,  entre  le  torrent  qui  débouche 
du  glacier  des  Gours-Blancs  et  du  Ceil-de-la-Baque,  et  l'entrée  de  la  gorge 
sauvage  de  Clarabide,  dans  laquelle  les  eaux  du  lac  bondissent  et  se  préci- 
pitent avec  un  effroyable  fracas.  Là  se  trouve  un  formidable  couloir  d'ava- 
lanche, par  lequel  dévalent,  de  la  montagne  de  Courtaou,  —  sur  la  pente 
opposée  de  laquelle  se  trouve  le  lac  de  Pouchergues,  —  d'énormes  blocs  de 
granit,  qui  viennent,  lorsque  la  surface  du  lac  est  glacée,  s'entasser  en 
forme  de  talus,  analogues  à  ceux  dont  il  a  été  question  plus  haut,  lequel 
€st  actuellement  relié  à  la  terre  ferme  par  sa  partie  sud-est.  Ce  monticule 
pierreux  émerge  en  moyenne  de  8  mètres  au-dessus  de  la  nappe  liquide. 
Sa  longueur  est  d'environ  17  mètres,  sa  largeur  moyenne  de  2  mètres  au 
sommet  et  de  10  mètres  à  fleur  d'eau.  Son  versant  méridional  est  séparé 
du  rivage  par  une  dépression  ovoïdale,  en  forme  d'entonnoir,  qui  mesure 
SO  mètres  de  largeur,  50  mètres  de  longueur  et  5™, 45  de  profondeur. 

On  comprend  aisément  que,  dans  de  telles  conditions  et  dans  l'état  actuel 
de  nos  connaissances,  en  présence  de  phénomènes  intermittents  différant 
considérablement  dans  leur  mode  de  reproduction,  on  soit  embarrassé  pour 
formuler  une  loi  générale. 

Cependant,  en  faisant  la  synthèse  d'une  très  grande  quantité  d'obser- 
vations, on  peut  dire  que  :  les  lacs  de  montagims  présentent  des  différences 
caractéristiques  qui  les  distinguent  nettement  des  lacs  de  plaines. 
,  Les  lacs  de  montagnes,  surtout  les  lacs  supérieurs,  sont  généralement 
de  foime  irrégulière,  et  leurs  parois,  plus  ou  moins  redressées,  montrent 
des  pentes  latérales  asymétriques. 

Les  lacs  de  plaines,  plus  réguliers  de  contours,  ont  une  structure  plus 
simple,  et  leurs  pentes  latérales  sont  à  peu  près  symétriques. 

Une  section  transversale  passant  par  le  milieu  du  lac  d'Estom  (fig.  5), 
fournira  un  exemple  très  net  de  la  configuration  d'un  lac  de  montagne  et 
de  l'asymétrie  des  parois  opposées. 

Du  point  A,  rive  droite,  au  point  B,  l'inclinaison  assez  régulière  du 
talus  prolonge  en  quelque  sorte  le  flanc  de  la  montagne.  Du  point  B  au 
point  C  règne  une  plaine  centrale  horizontale,  commune  à  tous  les  lacs. 
Si,  prenant  le  profil  en  sens  inverse,  nous  partons  du  point  G,  rive 
gauche,  nous  voyons  des  parois  lacustres  infiniment  plus  tourmentées  et 
irrégulières,  montrant  d'abord  un  vallonnement  prononcé  en  forme  d'en- 


376 


GÉOLOGIE  ET  MINÉRALOGIE 


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tonnoir,  dont  la  paroi  G,  plonge  brus- 
quement sous  un  angle  de  4o  degrés 
jusqu'au  point  F,  qu'elle  atteint  à 
4'",6o  de  profondeur,  et  à  5  mètres 
de  distance  du  bord,  [ci  la  pente 
s'adoucit  jusqu'au  point  le  plus  bas  E  : 
profondeur  o''\42;  distance,  10  mè- 
tres du  bord.  Puis  elle  se  relève  sous 
un  angle  variable  de  S  à  16  degrés  ; 
s'arrondit  en  efïleurant  presque  la 
surface  du  lac,  au  point  B  :  distance 
horizontale  de  la  rive  gauche,  36  mè- 
tres, et  finalement  s'enfonce  sous  un 
angle  variant  de  21  à  32  degrés, 
jusqu'à  la  rencontre  du  plafond  cen- 
tral CB,  qu'elle  rencontre  à  95  mètres 
de  la  rive  droite. 

Cette  protubérance  sous-lacustre 
CDE,  formée  d'un  amas  rocheux, 
mesure  76  mètres  de  corde  et  15°\40 
de  flèche,  se  trouve  donc  séparée  du 
rivage  par  une  excavation  conique 
analogue  à  celle  du  lac  CaïUaouas,  et 
dont  la  base  a  35  mètres  de  diamètre. 
C'est  surtout  par  les  bords  que  le 
comblement  se  produit. 

Dans  les  lacs,  fort  peu  nombreux 
du  reste,  de  la  région  sous-pyré- 
néenne, on  retrouve,  comme  dans  les 
lacs  supérieurs,  une  plaine  centrale 
sensiblement  unie  et  des  talus  à  faible 
pente,  aboutissant  à  une  sorte  de  pla- 
teau à  peine  incliné  et  recouvert 
d'une  mince  couche  d'eau  qu'on 
appelle  zone  littorale.  La  zone  litto- 
rale est  la  partie  la  plus  tourmentée  ; 
elle  est  alternativement  recouverte 
par  l'eau  ou  mise  à  sec,  érodée  par 
le  mouvement  des  vagues  ou  ense- 
velie sous  une  épaisse  couche  de 
végétations  lacustres  formées  de  Ca- 
rex,   Juncus,  Sci?yus,   Potamogeton, 


É.  BELLOC,  —  COMBLEMENT  DES  LACS  DANS  LES  PYRÉNÉES      377 

Nuphar,  etc.,  qui,  comme  au  lac  de  Barbazan  et  de  Saint-Pé-d'Ardet, 
défendent  l'approche  de  la  partie  médiane.  Ces  lacs  sont  principalement 
comblés  par  les  matières  alluviales  et  les  apports  détritiques  charriés 
par  les  eaux  pluviales. 


En  terminant,  je  tiens  à  signaler  deux  phénomènes  peu  communs. 

L'un  est  visible  à  la  partie  méridionale  du  puissant  massif  de  Carlitt, 
vaste  désert  pierreux,  désolé  et  sauvage,  parsemé  de  nappes  liquides  qui 
reluisent  au  soleil  comme  autant  de  diamants  jetés  pêle-mêle  aux  quatre 
coins  de  l'immense  moraine  ;  vu  du  sommet  du  Carlitt,  ce  spectacle  est 
un  des  plus  grandioses  qu'offrent  les  Pyrénées.  Au  milieu  de  ces  lacs  on 
distingue  l'étang  de  Las  Dougnes,  qui,  se  trouvant  exactement  placé  sur 
la  ligne  de  partage  des  eaux,  a  deux  émissaires,  l'un  à  l'est,  qui  va  grossir 
la  rivière  de  la  Tet,  l'autre  à  l'ouest  dont  les  eaux  descendent  à  Agous- 
trine  et  au  Rio-Segre,  affluent  de  l'Èbre. 

L'autre  phénomène,  observé  au  lac  de  Lourdes  (Hautes-Pyrénées),  est 
dû  à  l'action  glaciaire.  La  digue  formée  de  blocs  accumulés  et  de  ma- 
tières détritiques  abandonnées  par  le  front  de  l'ancien  glacier  d'Argelès, 
est  tellement  résistante  que  les  eaux  ont  été  impuissantes  à  la  renverser 
pour  se  frayer  un  passage,  ce  qui  les  oblige  à  rechercher  une  issue  en 
amont  pour  rejoindre  le  gave  de  Pau. 

Ces  anomalies  hydrographiques  ne  sont  pas  cependant  uniques  dans 
leur  genre.  Entre  le  plateau  de  Langres  et  le  Ballon  de  Servance,  dans 
les  Vosges,  une  petite  nappe  lacustre  déverse  à  la  fois  ses  eaux  dans  la 
Saône  et  dans  la  Moselle. 

Dans  la  même  contrée  et  dans  la  Haute-Italie,  les  lacs  de  Gérardmer, 
d"Orta  et  de  Côme,  semblables  en  cela  à  celui  de  Lourdes,  ont  aussi  un 
déversoir  à  contre-pente. 

Ces  exemples  constituent  du  reste  des  exceptions  très  rares,  aussi  bien 
dans  les  Vosges  et  les  Alpes  que  dans  les  Pyrénées. 


•378  GÉOLOGIE  ET  MINERALOGIE 


M.  Emile  EIYIÈRE 

à  Paris. 


DÉTERMINATION  PAR  L'ANALYSE  CHIMIQUE  DE  LA  CONTEMPORANÉITÉ  OU  DE  LA  NON- 
CONTEMPORANÉITÉ  DES  OSSEMENTS  HUMAINS  ET  DES  OSSEMENTS  D'ANIMAUX 
TROUVÉS  DANS  UN  MÊME  GISEMENT. 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 

Le  28  août  1882,  au  Congrès  de  la  Rochelle,  j'appelais  l'aitention  de 
la  Section  de  Géologie  sur  les  sablières  quaternaires  de  Billancourt,  que 
M.  Albert  Gaudry  —  qui  les  avait  visitées  avec  moi  quelques  semaines 
auparavant  —  considérait,  d'après  la  faune  que  j'y  avais  rencontrée, 
comme  appartenant  à  la  quatrième  phase  des  temps  quaternaires  ou 
phase  tempérée  et  correspondant  au  diluvium  des  bas  niveaux  de  Gre- 
nelle et  de  Levallois-Perret.  Or,  c'est  dans  ces  bas  niveaux  que  M.  Martin 
et  M.  Reboux  avaient  recueilli,  entre  autres  animaux,  le  Mammouth,  le 
Rhinocéros  à  narines  cloisonnées  et  le  Renne.  La  faune,  en  effet,  dont 
j'avais  trouvé  les  restes  de  1875  à  1882,  était  également  caractérisée  sur- 
tout par  la  présence  de  VElephas  primigenius,  du  Rhinocéros  tichorhinus 
(dont  j'avais  trouvé,  moi-même,  en  place  un  maxillaire  inférieur  gauche 
avec  ses  quatre  dents  molaires),  du  Cervus  megaceros,  du  Tarandus  ran- 
gifer,  du  Bos  primigenius,  etc. 

Puis,  je  terminais  ma  communication  par  cette  phrase  que  je  crois 
devoir  rappeler  aujourd'hui,  en  raison  de  l'hypothèse  que  j'émettais  alors 
avec  la  conviction  qu'elle  se  réaliserait  plus  ou  moins  tôt,  hypothèse  qui 
vient  de  recevoir,  il  y  a  six  semaines  à  peine,  la  plus  complète  confir- 
mation des  recherches  d'un  savant  bien  connu,  M.  Adolphe  Carnot,  pro- 
fesseur à  l'École  supérieure  des  Mines  : 

«  Avant  de  terminer,  disais-je^  je  dois  signaler  encore  des  ossements 
humains  réprésentés  ; 

»  1°  Par  un  crâne  de  femme  et  son  maxillaire  inférieur  ; 

»  2°  Par  les  deux  fémurs  droit  et  gauche,  probablement  du  même 
sujet,  et  mesurant  0'°,40  de  longueur  ; 

»  3°  Par  les  deux  tibias,  droit  et  gauche,  du  même  individu  également, 
longs  de  O'",3oo  ; 

»  4"  Enfin  par  une  mâchoire  inférieure  d'homme,  plus  épaisse  que  celle 
■de  la  femme. 

»  Ces  divers  ossements  m'ont  été  remis  comme  ayant  été  trouvés  dans 
l'une  des  grandes  sablières  qui  avoisinent  de  très  près  la  Seine,  entre  la 


K.  RIVIÈRE.  —  DES  OSSEMENTS  HUMAINS  ET  DES  OSSEMENTS  d'aNIMAUX      379 

berge  du  côté  droit  et  l'avenue  des  Moulineaux.  Ils  proviennent  de  deux 
individus  de  même  race  que  l'homme  dont  les  restes,  trouvés  dans  une 
sablière  de  Grenelle,  ont  été  donnés  par  M.  Martin  au  Muséum. 

»  Mais  je  ne  dois  pas  omettre  de  dire  ici,  tout  en  voulant  garder 
encore  une  certaine  réserve,  du  moins  jusqu'à  plus  ample  information, 
que  l'aspect  extérieur  de  ces  ossements,  ainsi  que  leur  conlexture,  leur 
densité,  en  un  mot  tous  leurs  caractères  physiques,  absolument  différents 
de  ceux  des  ossements  d'animaux,  sans  aucune  exception,  —  trouvés  dans 
les  sablières  de  Billancourt  —  sont  pour  moi  l'indice  d'une  ancienneté  cer- 
tainement moindre  que  celle  de  ces  derniers. 

»  Enfin,  j'ajoutais  que  ce  fait,  pour  M.  Albert  Gaudry  comme  pour 
moi,  n'était  pas  unique  et  que  l'hypothèse  que  j'émettais  pourrait  tout 
aussi  bien  s'appliquer  au  crâne  humain  du  musée  Carnavalet,  indiqué 
comme  provenant  des  sablières  de  Grenelle,  qu'aux  autres  ossements  hu- 
mains de  même  origine,  les  uns  et  les  autres  présentant  les  mêmes  diffé- 
rences d'aspect  et  de  texture  que  ceux  de  Billancourt.  » 

Cette  hypothèse  de  la  non-contemporanéité  des  ossements  humains  et 
des  os  d'animaux  de  Billancourt  fut  vivement  combattue  par  plusieurs 
membres  du  Congrès,  notamment  par  mon  regretté  maître,  M.  de  Quatre- 
fages.  Néanmoins,  convaincu  du  fait  que  je  soutenais,  je  persistai  dans 
l'opinion  que  j'avais  émise,  et,  poursuivant,  les  années  suivantes,  mes 
recherches  sur  le  même  sujet,  j'adressai  à  l'Académie  des  Sciences,  le  12  oc- 
tobre 1885,  un  pli  cacheté,  dont  je  me  réservai  de  demander  l'ouverture  le 
jour  où  les  nouvelles  études  que  je  comptais  entreprendre  sur  la  compo- 
sition chimique  d'un  grand  nombre  d'ossements  humains  et  d'os  d'ani- 
maux, provenant  d'autres  localités  et  de  gisements  divers  et  un  peu  de 
toutes  les  époques,  me  fourniraient  la  preuve  absolue  du  fait  que  j'avais 
soutenu.  Malheureusement  si  les  circonstances,  en  me  refusant  jusqu'à 
présent  le  laboratoire  dont  vingt  membres  de  l'Académie  des  Sciences 
m'ont  fait  l'honneur,  le  26  mars  1887,  de  demander  au  ministre  de  l'Ins- 
truction publique  .la  création,  ne  m'ont  pas  encore  permis  d'entreprendre 
•ce  long  travail,  par  contre,  j'ai  eu  la  bonne  fortune  de  voir  un  professeur 
■de  l'École  des  Mines,  M.  Adolphe  Carnot,  s'occuper,  en  partie  du  moins, 
de  la  même  question,  dans  ses  recherches  sur  la  présence  du  fluor  et  son 
dosage  dans  les  ossements  fossiles  et  modernes.  En  effet,  M.  Carnot  étant 
venu  me  demander  certains  ossements  pour  en  faire  l'analyse  chimique, 
j'ai  mis  immédiatement  mes  collections  à  sa  disposition  et  notamment 
■des  pièces  osseuses  provenant  des  sablières  de  Billancourt. 

Or,  je  suis  heureux  de  pouvoir  annoncer  à  la  Section  de  Géologie  que 
les  résultats  de  ses  recherches  confirment  absolument  la  thèse  que  j'avais 
soutenue  en  1882  d'abord,  en  1885  ensuite,  à  savoir  que,  par  exemple, 
dans  le  cas  de  doute  sur  la  contemporanéité  d'un  squelette  humain  et 


380  GÉOLOGIE    ET    MINÉRALOGIE 

d'une  faune  trouvés  dans  un  même  gisement,  l'analyse  chimique  permettra 
le  plus  souvent  de  trancher  la  question. 

En  efifet,  non  seulement  la  lettre  que  M.  Carnot  m'a  adressée  le  29  juillet 
dernier  s'exprime  ainsi  :  «  L'analyse  comparée  des  os  de  Billancourt  est 
absolument  favorable  à  la  cause  que  vous  avez  soutenue  »;  mais  encore  sa 
communication  à  l'Académie  des  Sciences  dans  la  séance  du  16  du  mois 
dernier  (16  août  189i2),  entrant  dans  les  détails  de  l'analyse  chimique, 
montre,  par  les  chiffres  suivants,  les  différences  de  composition  des  os 
fossiles  et  du  tibia  humain  provenant  de  Billancourt. 

os  d'animaux         tibia  humain 

Matière  organique 12,81  19,65 

Peroxyde  de  fer 0,21  3,06 

Acide  carbonique 6,06  6,15 

Acide  phosphorique 34,20  28,72 

Fluor 1,43  0,17 

La  conclusion  du  travail  de  M.  Carnot  est  la  suivante  :  «  Il  ressort  de 
là  clairement  que  l'os  humain,  ne  renfermant  que  la  proportion  de  fluor 
normalement  contenue  dans  les  os  modernes,  tandis  que  les  os  d'animaux 
quaternaires  en  contiennent  de  sept  à  neuf  fois  plus,  n'est  pas  du  même 
âge  que  ces  derniers  et  n'a  été  introduit  qu'à  une  époque  beaucoup  plus 
récente  dans  les  graviers  anciens  de  la  Seine  (1).  » 

Quant  au  pli  cacheté,  dont  je  vous  ai  parlé  tout  à  l'heure,  et  dont  j'a 
demandé  l'ouverture  à  l'Académie  des  Sciences  il  y  a  huit  jours,  dans  la 
séance  du  12  de  ce  mois,  veuillez  me  permettre  de  vous  en  donner  lec- 
ture avant  de  terminer  : 

Après  avoir  cité  le  passage  de  ma  communication  de  1882,  que  je  vous 
ai  rappelé  tout  à  l'heure,  je  me  suis  exprimé  ainsi  : 

«  Depuis  lors  (1882)  j'ai  poursuivi  mes  recherches  dans  les  sablières 
quaternaires  soit  de  Paris,  soit  des  environs,  et  les  autres  ossements 
humains,  qui  m'ont  été  remis  ou  communiqués  comme  provenant  de  ces 
sablières,  n'ont  fait  que  me  confirmer  dans  l'opinion  exprimée  à  la  Ro- 
chelle, car  partout  et  toujours,  ces  ossements  ont  une  physionomie 
absolument  différente,  sous  tous  les  rapports,  des  ossements  d'animaux 
trouvés  au  même  niveau  et  de  tous  sans  aucune  exception,  à  quelque  espèce 
animale  qu'ils  appartiennent. 

»  Ces  ossements  humains  sont  donc  à  mes  yeux  d'une  antiquité  beau- 
coup moins  reculée  et  je  crois  même  pouvoir  affirmer  dès  maintenant  que, 
dans  les  endroits  où  la  contemporanéité  de  l'homme,  en  tant  qu'ossements, 
avec  les  animaux  quaternaires  des  sablières  de  Paris  ou  des  environs  a 
été  soutenue,  elle  n'existe  pas.  Ce  n'est  pas,  loin  de  là,  que  je  veuille  nier 
en  quoi  que  ce  soit  l'existence  de  l'homme  quaternaire  ;  la  présence  incontes- 

(1)  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Sciences,  séance  du  16  août  1892. 


É.  RIVIÈRE.  —  DES  OSSEMENTS  HUMAINS  ET  DES  OSSEMENTS  d'aNIMAUX      381 

table  de  silex  taillés  dans  ces  sablières  et  au  même  niveau  que  les  restes 
des  espèces  animales,  telles  que  YElephas  primigenius  ou  VElephas  anti- 
quus,  le  Rhinocéros  Merckil  ou  le  Rhinocéros  tichorhinus,  etc.,  serait  là  pour 
me  donner  un  démenti  formel. 

»  Mais  si  l'homme  de  ces  gisements  existe  certainement,  en  tant  qu'in- 
dustrie, son  squelette,  par  contre,  ne  me  paraît  pas  encore  avoir  été 
trouvé  et  toutes  les  découvertes  de  Grenelle,  Clichy,  Billancourt,  etc.,  ne 
me  semblent  pas  des  découvertes  d'hommes  réellement  fossiles,  mais  bien 
d'os  humains  postérieurs  à  l'époque  quaternaire. 

»  C'est  d'ailleurs  ce  que  j'espère  pouvoir  démontrer,  d'ici  à  quelque 
temps,  d'une  façon  positive  par  les  études  que  je  vais  entreprendre.  Il 
s'agit  d'une  longue  série  d'analyses  chimiques  comparatives  de  tous  les 
échantillons  qu'il  me  sera  possible  de  prélever  sur  des  ossements  humains 
et  sur  des  os  d'animaux  d'époques  et  de  gisements  divers. 

»  Mon  intention  est  donc  d'étudier  successivement  le  même  os  long  tel, 
par  exemple,  que  l'humérus,  le  fémur  ou  le  tibia  de  l'homme  et  d'un 
mammifère  toujours  le  même,  ainsi  qu'un  os  du  crâne  de  l'un  et  de  l'autre, 
provenant  tous  deux  d'un  même  milieu,  au  point  de  vue  de  la  composition 
chimique,  de  la  densité,  etc.  J'étudierai  ainsi  les  mêmes  os,  à  l'état  frais 
d'abord,  puis  enfouis  depuis  quelques  siècles  dans  le  même  milieu,  puis 
à  l'époque  mérovingienne,  à  l'époque  romaine,  ensuite  dans  les  temps 
néolithiques,  enfin  aux  époques  géologiques  (grottes,  brèches  osseuses, 
sablières) . 

»  Les  résultats  que  j'obtiendrai  me  donneront-ils  raison?  Je  le  crois 
fermement  ;  en  tout  cas,  je  suis  prêt  à  reconnaître  mon  erreur,  si  je  me 
suis  trompé,  entreprenant  ces  recherches  absolument  sans  aucun  parti  pris, 
sans  aucun  autre  mobile  que  la  passion  du  vrai  et  le  désir  d'apporter,  si 
possible,  quelque  document  nouveau  à  l'histoire  de  la  paléontologie  humaine. 

»  Ces  nouvelles  études,  je  les  entreprendrai  sous  les  bienveillants  aus- 
pices de  M.  Alphonse  Milne-Edwards  qui  m'a  fait  connaîlre,  ces  jours 
derniers,  celles  qu'il  a  lui-même  faites  il  y  a  vingt-cinq  ans  (1),  et  qui 
m'a  indiqué  aussi  celles  de  Delesse  que  j'ignorais  également  ( "2).  » 

Telle  est  la  teneur  du  pli  cacheté  que  j'ai  adressé  à  l'Académie  le 
8  octobre  1885  et  dont  elle  a  bien  voulu  accepter  le  dépôt  dans  la  séance 
du  12  du  même  mois. 

En  résumé,  il  paraît  donc  aujourd'hui  démontré,  conformément  à  la 
thèse  que  j'ai  soutenue  depuis  1882  : 

i°  Que  les  ossements  humains  de  Billancourt  sont  beaucoup  plus  ré- 
cents que  les  restes  de  la  faune  quaternaire  provenant  du  même  gisement; 

(1)  A.  Milne-Edwards,  Éludes  chimiques  et  physiologiques  sur  les  os  (Annales  des  Sciences  naturelles, 
t.  XIII,  p.  113.  Paris,  1S60.) 
(î)  Delesse,  Annales  des  Mines,  t.  XVIII,  1860,  et  i  vol.  Paris,  1861. 


382  GÉOLOGIE    ET    MINÉRALOGIE 

2°  Que  l'analyso  chimique  permet  le  plus  souvent,  en  cas  de  doute,  de 
résoudre  le  problème  de  la  contemporanéité  ou  de  la  nou-conlemporanéité 
d'ossements  trouvés  dans  le  même  milieu. 

J'ajoute,  en  terminant,  que  l'analyse  chimique  des  ossements  me  paraît 
appelée  aussi  à  pouvoir  rendre  peut-être  certains  services  en  médecine 
légale,  en  permettant  de  reconnaître  l'époque  à  laquelle  un  cadavre  aura 
été  inhumé,  tout  en  tenant  compte,  bien  entendu,  de  la  nature  du  sol  où  il 
aura  été  trouvé. 

J'espère  d'ailleurs  apporter  l'an  prochain  à  la  Section  de  Géologie  de 
nouveaux  faits,  soit  que  M.  Ad.  Carnot  veuille  bien  continuer  ses  recherches 
sur  les  pièces  osseuses  que  j'ai  trouvées  dans  divers  gisements,  soit  que, 
à  son  défaut,  j'entreprenne  à  mon  tour  d'en  faire  l'analyse  chimique 
comme  j'en  ai  toujours  la  ferme  intention. 


MM.  EETT  et  DÏÏBÂLEI 

à  Mont-de-.Marsan. 


SUR    LA    PROTUBÉRANCE   CRETACEE    DE    SAINT-SEVER 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 

La  protubérance  de  Saint-Sever  est  la  plus  importante  des  protubé- 
rances crétacées  de  l'Aquitaine.  On  peut  en  effet  la  poursuivre  de  Buanes 
à  Saint-Aubin,  dans  le  sens  de  son  orientation  (E.  S.  E.—  0.  N.  0)  qui  est 
sensiblement  parallèle  à  la  chaîne  des  Pyrénées,  sur  une  longueur  d'en- 
viron 24  kilomètres,  sa  largeur  pouvant  atteindre  5  kilomètres,  et  elle 
recouvre,  en  totalité  ou  en  partie,  le  territoire  de  dix-huit  communes 
(Buanes,  Fargues,  Vielle,  Sarraziet,  Montsoué,  Saint-Sever,  Eyres,  Coudures, 
Sainte-Colombe,  Horsarrieu,  Dûmes,  Audignon,  Banos,  Montant,  Doazit, 
Maylis,  Saint-Aubin  et  Hauriet).  Aussi  ne  devait-elle  pas  échapper  aux 
observateurs  qui  ont  étudié  en  détail  cette  intéressante  région. 

En  1824,  Ami  Boue,  dans  son  Mémoire  géologique  sur  le  sud-ouest 
de  la  France  (1),  indique  le  terrain  crétacé  (craie  chloritée)  au  N.  de 
Coudures,  à  Aires  (lisez  Eyres),  sous  la  forme  d'une  craie  chloritée  durcie, 
verte  ou  bleuâtre,  surmontée  de  couches  crayeuses  riches  en  silex. 

(I)  in  Annales  Se.  nat.  V  s.,  t.  III,  p.  239. 


REYT  ET  DUBALEN.   —  SUR  LA  PROTUBÉRANCE  CRÉTACÉE  DE  SAINT-SEVER      383 

En  1847,  Delbos  (1)  signale  à  Arcet,  Audignon  et  Boulin  des  dolomies 
qu'il  rapporte,  avec  doute  il  est  vrai,  à  la  base  des  terrains  nummu- 
litiques. 

En  18o3,  MM.  Crouzet  et  de  Freycinet(2)  n'hésitent  pas  à  classer  ces 
dolomies  dans  la  division  supérieure  (craie  dolomilique)  de  leur  craie 
silici/ere,  la  division  inférieure  de  cette  cvdÀe,  on  craie  silicif ère  propre- 
ment dite,  étant  du  reste  accusée  aux  environs  de  Saint- Sever  par  de 
nombreux  silex  qui  jonchent  le  sol. 

L'année  suivante,  Delbos  i3)  fait  descendre  les  dolomies  d'Arcet  au 
niveau  des  calcaires  d'Orthez,  dans  la  division  inférieure  (calcaires  et 
schistes  noirs)  de  la  formation  crétacée  du  bassin  de  l'Adour.  La  craie 
supérieure  ou  à  Ananchijtes  est  représentée  à  Audignon  où  il  a  recueilli 
VO.  Matheroniana, 

En  1873  et  1874,  MM.  Jacquot  et  Raulin  publient  leur  Carte  géologique 
et  agi'onomique  du  département  des  Landes  à  l'échelle  de  ~^^,  ainsi  que 
la  première  partie  de  la  Statistique  géologique  et  agronomique  de  ce 
département.  Pour  ces  auteurs,  toutes  les  assises  crétacées  de  la  protubé- 
rance appartiennent  à  la  cy^aie  blanche;  une  teinte  jaune  indique  suffi- 
samment sur  leur  carte  cette  uniformité  de  composition. 

Quelques  années  plus  tard,  et  principalement  en  1880,  M.  Hébert  fait 
connaître  le  résultat  de  ses  études  sur  la  Craie  supérieure  des  Pyrénées  (4). 
Le  savant  professeur  classe  comme  suit  les  assises  crétacées  du  bombe- 
ment de  Saint-Sever  : 

TuRONiEN  SUPÉRIEUR.  —  Calcalres  à  silex  et  Ananchytes  Beaumonti. 
Sénonien  SUPÉRIEUR.  —  Calcairc  blanc  compact  avec  Radiolites  lumhricalis. 
p.    .  .  (  Calcaires  marneux  à  Fem(^/îews;esLe|/men>f,  O./wenaica, 

UANIEN   INFERIEUR.    \         ,  /-,.     ,  ,-  ^   i  •.    .  , 

(       larva,  (Jtostoma  jJOnticum,  Orbitotdes  gensacica,  etc. 

Le  Cénomanien  existe-t-il  peut-être  au  centre  de  ce  bombement,  comme 
tendrait  à  le  démontrer  un  exemplaire  d'Holectgpus  excisus,  Desor, 
espèce  du  Cénomanien  supérieur,  trouvé  à  Mailloc  et  envoyé  à  l'auteur 
par  M.  Dubalen. 

En  1888,  paraît  la  deuxième  partie  de  la  Statistique  géologique  et  agro- 
nomique du  département  des  Landes,  presque  entièrement  rédigée  par 
M.  Jacquot.  Cet  observateur  reconnaît  dans  la  protubérance  de  Saint- 
Sever  les  étages  cénomanien,  twonien,  sénonien  et  danien. 

(1)  Notice  géologique  sur  les  lerrains  du  bassin  de  l'Adour,  in  Bull.  Soc.  géol.  France,'!'  s.,  t.  IV,  p.  712. 

(2)  Élude  géologique  sur  le  bassin  de  VAdour,  i"'»  partie  formation  crétacée),  in  Annales  des  Mines, 
5"=  s.,  t.  IV,  p.  361. 

(3)  Essai  d'une  desrription  géologique  du   bassin  de   l'Adour,  in  Mém.  Soc.  Sa.  phys.  et  nat.  de 
Bordeaux,  t.  I,  p.  265. 

(4)  Voyez  surtout  :   Recherches  sur  la  Craie  supérieure  du  versant  septentrional  des  Pyrénées,  in 
Comptes  rendus  .4c.   Se.   (1880),  p.  7A4. 

Le  terrain  crétacé  des  Pyrénées,  2"  partie  (Terrain  crétacé  supérieur;,  in  Bull.  Soc.  géol.  France, 
3«  s.,  t.  IX,  p.   62. 


384  GÉOLOGIE    ET   MINÉRALOGIE 

L'étage  cénomanien,  visible  seulement  dans  le  fond  de  la  vallée  d'Au- 
dignon,  est  composé  de  calcaires  dolomitiques  et  de  calcaires  compacts  ne 
renfermant  que  des  huîtres  indéterminables  et  le  Rqdiolites  triangulatns  ? 

L'étage  turonien  qui  lui  succède  est  particulièrement  net  dans  les 
carrières  de  Jouansalle,  où  il  est  caractérisé  par  RadioUtes  lumhricalis. 
La  dolomie  de  Labadie  en  face  de  l'église  d'Audignon,  est  subordonnée 
à  cet  étage  dont  elle  formerait  le  couronnement. 

Le  Sénonien  consiste  en  une  alternance  de  calcaires  marneux  et  de 
marnes  sableuses.  De  nombreux  silex  sont  répandus  dans  la  masse  et  les 
fossiles  habituels  sont  :  Echinocorys  vulgaris,  Jnoceramus  Goldfusianus, 
Janira  quinquecostata. 

Le  Danien  débute  par  des  marnes  et  des  calcaires  à  Hemipneustes 
pyrenaicus,  Leymerici,  0.  pyrenaica,  et  se  termine  par.  des  dolomies  et 
des  marbres  qui,  en  raison  de  leur  position  au  sommet  de  la  forma- 
tion crétacée,  sont  assimilables  aux  assises  garumniennes  de  la  Haute- 
Garonne. 

Quelques  mois  après  cette  publication  (janvier  1889),  M.  Jacquot  nous 
donne  la  feuille  de  Mont -de-Marsan  (1)  au  bas  de  laquelle  est  la  partie  la 
plus  importante  du  pointement  crétacé  de  Saint-Sever.  Quatre  teintes 
indiquent  les  quatre  étages  de  la  formation  crétacée  supérieure.  L'étage 
cénomanien  y  occupe  une  place  beaucoup  plus  importante  que  ne  l'avait 
supposé  précédemment  l'auteur  (2). 

En  1890,  M.  L.  Reyt  (3)  signale  à  Buret-Maçon  (Audignon)  et  à  La- 
bouyrie  (Eyres)  un  horizon  très  fossilifère  (0.  flabellata,  biauriculata, 
Terebratula  biplicata,  etc.)  de  l'étage  cénomanien,  et  constate  la  présence 
de  dolomies  garumniennes,  avec  nombreuses  formes  tertiaires,  sur  le 
revers  S.  de  la  ride  crétacée  de  Saint-Sever,  territoire  de  Montsoué. 

Les  explorations  entreprises  par  nous  en  août  1891,  poursuivies  en 
novembre  et  aux  mois  d'avril  et  d'août  de  cette  année,  nous  ont  donné 
les  résultats  consignés  dans  le  tableau  ci-joint  qui  résume  la  succession 
des  assises  crétacées  de  la  protubérance. 

Le  Crétacé  inférieur  (Gaultj,  méconnu  jusqu'à  ce  jour,  occupe  une 
place  importante  dans  la  protubérance  ;  il  se  présente  sous  la  forme  de 
marnes  avec  alternances  fréquentes  de  bancs  calcaires  ou  siliceux,  — 
Hamites  cf.  rotundus,  Sow.  (4),  bélemnites,  etc.,  à  la  base,  —  échinides, 
nombreux  acéphales  et  gastéropodes  à  la  partie  supérieure,  que  sur- 
montent des  dolomies  à  grandes  janires,  Toucasia,  etc. 

(1)  Carte  géologique  de  la  France  au  1/80.000. 

(2)  \o\r  Stalisliquegéol.  elmiron.  du  déparleme.nt  des  Landes,  p.  318. 

3}  In  Actes  Soc.  Linn.  de  Bordeaux,  s»  s.,  t.  IV,  p.  275,  et  Procès-verbaux  des  séances  de  la 
Soc.  Linn.  de  Bordeaux,  p.  77. 

(4)  Nous  avons  déterminé  nos  espèces  au  Laboratoire  de  géologie  de  la  Faculté  des  Sciences  de 
Bordeaux,  dirigé  par  M.  le  professeur  Fallût,  dont  l'autorité  est  bien  connue. 


REYT  ET  DUBALEN.  —  SUR  I.V  PUOTl  nÉUANCE  CRÉTACKK  DE  SAINT-SEVER   385 

Les  calcaires  cénomaniens  à  Caprinella  triangulmns  et  les  marnes  à 
0.  flabellata,  biauriculata,  etc.,  qui  leur  sont  étroitement  liées,  des- 
sinent une  bande  limitant  au  S.  le  noyau  formé  par  les  marnes  et  les 
dolomies  ci-dessus  mentionnées.  Étroite  dans  sa  partie  occidentale  où 
l'inclinaison  des  couches  peut  atteindre  80%  cette  bande  s'élargit  consi- 
dérablement vers  son  extrémité  orientale  où  les  strates  accusent  un  pro- 
longement faible,  variant  de  10  à  15°. 

L'étage  turonien  n'était  connu  qu'à  .Jouansalle  et  Larrey  ;  nous  l'avons 
retrouvé  bien  développé  dans  la  vallée  du  Gabas,  des  environs  du  Moulin 
de  Marrin  à  Pémarie,  en  face  du  bourg  d'Eyres.  Il  présente  même  ici 
une  assise  que  nous  n'avons  observée  nulle  part  ailleurs,  des  Calcaires 
marneux  avec  Inocérames,  Oslrea,  Cardium,  qui,  par  leur  position  entre 
les  Calcaires  à  Badiolites  himbricaliii -du  Turonien  supérieur  et  les  Marnes 
cénomaniennes  à  0.  flabellata,  biauriculata,  Terebratula  biplicata,  doivent 
être  regardés  comme  représentant  le  Turonien  inférieur  (Ligérien,  Coq.). 

L'étage  sénonien,  d'Orb.,  joue  un  rôle  important  dans  la  protubérance. 
Dans  sa  partie  inférieure  et  sa  partie  moyenne,  peu  exploitées,  nous  avons 
reconnu  deux  horizons  intéressants  :  Marnes  à  Micraster  coranguinum  de 
Pémarie,  —  Calcaires  marneux  à  Echinocorys  Heberti  il)  du  Caoup  et  de 
Lacoumette . 

L'étage  garumnien  qui  termine  la  série  comprend  :  à  la  base  des 
Dolomies  et  brèches  dolomitiques,  à  la  partie  supérieure  des  Calcaires 
compacts  ou  marmoréens  et  des  brèches  calcaires.  Ces  roches,  considérées 
jusqu'à  présent  comme  à  peu  près  azoïques,  peuvent,  dès  maintenant, 
grâce  à  de  patientes  et  laborieuses  recherches,  compter  parmi  les  plus 
riches  en  espèces  de  la  protubérance.  La  plupart  de  ces  espèces,  sinon 
leur  totalité,  étant  nouvelles,  ce  n'est  que  par  la  place  qu'occupent  ces 
assises,  entre  les  marnes  et  les  calcaires-  à  Hemipneustes  p/jrenaicus  et 
Orbitoïdes  du  Sénonien  supérieur  et  les  calcaires  à  Operculines  (Operculina 
Heberti)  de  l'étage  suessonien.  qu'il  est  permis  de  les  paralléliser  aux 
couches  garumniennes  de  la  Haute-Garonne,  dont  la  faune  est  entière- 
ment différente,  mais  qui  occupent  exactement  la  même  position  strati- 
graphique  (2). 

Une  faille  principale,  se  maintenant  constamment  au  N.  et  à  une  faible 
distance  de  la  ligne  anticlinale,  court  de  l'E.  vers  l'O.  du  voisinage  de 
Puzacq  (au  N.-E.  de  Fargues)  aux  sources  de  la  Peyradère  à  Saint-Aubin, 
par  la  vallée  du  Pichegarie,  Haut-d'Audignon,  Pilo,  s'incurvant  légère- 
ment pour  aboutir  aux  sources  de  Marseillon,  puis  reprenant  son  allure 

(1)  Cet  horizon  avait  été  déjà  signalé  par  M.  HL-berl.  {Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Sciences, 

1880,  p.  T,i.)  .   „ 

(2)  La  série  garumnienne  typique  d'Auzas  est  en  effet  comprise  entre  le  Calcaire  nanUin  a  «emi/)- 
neusles,  sur  lequel  est  bàli  ce  bourg,  et  l'horizon  à  Operculina  Heberti  qui  succède  immédiatement 
aux  Calcaires  crayeux  à  Micraster  tercensis  du  Tuco. 

25* 


386  GÉOLOGIE    ET   MINÉRALOGIE 

vers  rO.  par  la  source  d'Haouriei,  Higué  et  Laflou.  Elle  met  les  assises 
sénoniennes  du  revers  N.  en  contact  avec  les  couches  albiennes,  céno- 
maniennes,  turoniennes  et  sénoniennes  qui,  après  s'être  voûtées  suivant 
la  ligne  anticlinale,  plongent  vers  le  S.  sous  un  angle  exceptionnellement 
supérieur  à  15°  (l).  A  l'extrémité  0.  de  la  protubérance,  à  Long,  les 
assises  garumniennes  du  revers  N.  viennent  buter  à  la  faille,  qui  traverse 
ici  la  vallée  de  la  Gouaougue.  contre  les  couches  du  même  âge  ou  les 
premiers  sédiments  suessoniens. 

Une  faille  secondaire,  greffée  sur  la  précédente  suivant  le  cours  du 
Pichegarie,  au-dessous  de  Baron,  se  dirige  vers  les  sources  d'Arcet  par 
le  four  à  chaux  de  Reguillem,  le  Moulin  de  Marseillon  et  Larrivière  au  S. 
de  Banos  (2).  Elle  émet  à  l'E.  de  Jouancoste  une  bifurcation  qui  chemine 
obliquement  vers  Meignos  pour  s'infléchir  brusquement  vers  l'O.,  dans 
la  direction  de  Toulouzette.  C'est  entre  ce  bras  et  la  faille  secondaire 
d'Arcet,  prolongée  vers  l'O.,  que  paraît  s'être  produit  le  plus  grand  affais- 
sement de  la  région. 

Les  eaux  pluviales  qui  tombent  sur  le  revers  N.  de  la  protubérance 
sont  naturellement  absorbées  par  ces  fractures  qui  se  gorgent  encore  des 
eaux  que  leur  abandonnent  les  rivières  et  les  ruisseaux  qui  les  traversent 
et  dont  le  cours  peut,  en  quelques  points,  se  confondre  avec  leur  direction. 

Ces  failles  forment  ainsi  un  système  de  canaux  souterrains  dont  les 
eaux  jailliront  dès  qu'elles  rencontreront  sur  leur  route  quelque  obstacle 
s'opposant  à  un  écoulement  régulier,  ou  une  issue  insuffisante  pour  per- 
mettre à  la  masse  d'aller  plus  en  avant. 

Les  remarquables  sources  de  Marseillon,  la  Peyradère  et  Arcet  n'ont 
pas  d'autre  origine  (3),  et  on  ne  peut  plus  les  regarder,  avec  M.  Jac- 
quot  (4),  comme  le  résultat  du  jeu  naturel  de  nappes  artésiennes  dans 
les  assises  supérieures  du  terrain  crétacé. 

Les  considérations  qui  précèdent  nous  paraissent  avoir  une  grande 
importance  relativement  a  la  question  des  eaux  jaillissantes  dans  la  région 
comprise  entre  la  protubérance  de  Saint-Sever  au  S.  et  l'alignement 
crétacé  Roquefort-Saint-Julien-Colègne  au  J\.,  au  centre  de  laquelle  est 
bâtie  la  ville  de  Monl-de-Marsan,  car  elles  tendraient  à  démontrer  que, 
s'il  existe  des  eaux  artésiennes  dans  la  région  ci-dessus  délimitée,  elles  ne 
peuvent  venir  de  la  protuljôrance  crétacée  de  Saint-Sever  sur  laquelle 
cependant,  avant  un  examen  approfondi,  le  géologue  pourrait  être  tenté 
de  concevoir  les  meilleures  espérances. 

(1)  Ce  n'esl,  que  vers  l'extrémité  occidentale  de  la  protubérance  qu'on  remarque  des  inclinaisons 
beaucoup  plus  importantes  (70  et  80°). 

(2)  Celle  faille  doit  évidemment  se  poursuivre  vers  l'O. 

(3)  Les  dépressions  en  face  desquelles  bouillonnent  ces  sources  et  l'état  fragmentaire  des  roches 
d'oïl  elles  sortent  semblent  favoriser  la  venue  au  jour  de  ces  eaux. 

(4)  Voyez  surtout  Statistique  géologique  et  agronomique  du  département  des  Liimie^,  p.iT'i. 


REYT  ET  DUU.VLE.N.  —   SUR  LA  PROTLBÉRANCE  CRÉTACÉE  DE  SAIXT-SEVER      387 


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388 


GÉOLOGIE    ET   MINÉRALOGIE 


M.  Joseph  EOÏÏSSEL 


Professeur  au  Collège  de  Cosne. 


SUR  LE  PRIMAIRE  DE  CAMPAGNA-DE-SAULT 


Séance  du  27  septembre  1892  — 


Dans  les  environs  de  Campagna-de-Sault  existe  une  importante  for- 
mation primaire  disposée  en  plis  anticlinaux  (fig.  1 ,  2  et  3). 


Ouest 


Sud 


a: 

\^tiiixentt  de 


Nord 


\       Lamj^agiui'    ■ 


eT  Triais 


Granité 


On'y  observe  : 

1.  Schistes  ardoisiers  avec  lentilles  de  calcaire  et  de  poudingue. 

2.  Schistes  noirs  avec  lentilles  de  calcaire  à  (^rthocères,du  Silurien  supérieur. 

3.  Calcaire  à  goniatites  et  schistes. 

4.  Dolomie,  calcaire  et  schistes. 

o.  Schistes  avec  lentilles  de  calcaire  amygdalin  et  de  calcaire  à  Orthocères. 
0.  Schistes  et  poudingues. 

Les  schistes  ardoisiers  1  représentent  le,  Silurien  moyen,  autrement  dit 
Ordovicien  ou  Armoricain;  car,  en  certains  points  des  Pyrénées,  ils  en 
renferment  la  faune  caractéristique. 

Us  alternent,  à  l'ardoisière  de  Campagna,  avec  de  puissantes  lentilles  de 


.1.    ROUSSEL.    —    SUR    LK    PRIMAIRK    DK    CAMPAGNA-DE-SAULT  389 

calcaire  et   de  poudingue  à  galets  de  schiste,  de  quartz  et  de  gneiss  (le 
granité  n'y  est  point  représenté). 

L'étage  2  est  fossilifère.  On  y  trouve  principalement  :  Orthoceras 
Bohemicum,  Cardiola  interrwpta  et  Scijphocrinus  elegaiis. 

Les  plus  beaux  fossiles  sont  sur  le  sentier  qui  longe  la  rive  gauche  du 
ruisseau  de  Carapagna,  en  amont  du  village,  près  de  l'ardoisière. 

Le  calcaire  à  goniatites  3  existe  à  ce  niveau,  dans  les  Pyrénées,  en  un 
grand  nombre  de  points  :  c'est  un  fait  nouveau. 

A  Campagna,  ce  calcaire  est  bien  caractérisé,  dans  le  pli  cl,  sur  le  bord 
de  l'Aude  et  sur  le  chemin  de  Campagna  à  Fontanes.  A  200  mètres  au 
sud  du  pic  coté  1861  mètres,  situé  à  l'ouest  de  celui  d'Ourthizet,  il  est 
sous  forme  de  lentilles  qui  alternent  avec  des  schistes. 

L'étage  4  n'a  pas  une  composition  constante.  Tantôt  il  se  présente  sous 
la  forme  d'une  dolomie  noire  à  l'air  et  rude  au  toucher.  Tantôt  cette  dolo- 
mie  passe  à  des  schistes  qu'on  a  de  la  peine  à  distinguer  de  ceux  du 
Silurien;  car,  comme  ceux-ci,  ils  renferment  des  lentilles  de  calcaire  et  de 
poudingue  à  galets  de  schiste  et  de  quartz.  Les  dolomies  et  les  calcaires 
sont  très  développés  sur  les  bords  de  l'Aude;  mais  on  les  voit  passer,  par 
degrés,  au  schiste,  lorsqu'on  s'avance  du  côté  de  l'ouest;  de  telle  sorte 
qu'à  Campagna,  sur  la  rive  droite  du  ruisseau,  il  n'en  reste,  dans  l'aile 
sud  du  pli  d,  que  quelques  lentilles  pour  servir  de  repère.  Dans  l'aile 
nord  de  la  ride,  la  dolomie  se  prolonge  jusqu'à  la  rivière  de  Rebenty. 
Les  dolomies  et  les  calcaires  se  remplissent  de  tiges  d'encrines  et  de 
fénestelles,  notamment  sur  le  chemin  de  Fontanes,  à  l'ardoisière,  au 
pic  d'Ourthizet,  au  pic  coté  1861  mètres,  etc.  Cet  étage  4  représente  pro- 
bablement le  Dévonien  supérieur. 

L'étage  S,  que  j'attribue  au  Carbonifère,  renferme  de  très  importantes 
lentilles  de  calcaire  à  goniatites  et  quelques  lentilles  de  calcaire  à  Ortho- 
cères.  Ces  derniers  fossiles  sont  ordinairement  empâtés  et  frustes. 

Cependant,  il  existe  un  point  où  l'on  peut  les  reconnaître;  on  le  trouve 
en  suivant  le  sentier  de  la  rive  gauche  du  ruisseau  de  Campagna,  à  partir 
du  continent  de  ce  ruisseau  et  de  l'Aude,  quelques  pas  après  avoir  passé 
la  vieille  masure  qui  existe  en  ce  point.  Il  renferme  des  poudingues  par 
endroits,  notamment  à  Fontanes. 

Les  schistes  6  sont  ceux  qui,  dans  les  Pyrénées,  constituent  la  plus 
grande  partie  du  Carbonifère.  Ils  sont,  le  plus  souvent,  accompagnés  de 
poudingues  à  galets  de  schiste,  de  quartz  et  de  gneiss. 

Sur  les  bords  de  l'Aude,  les  étages  3, 4,  a  et  6  sont  seuls  visibles  dans  les 

plis  c  et  d.  Pour  trouver  les  étages  1  et  2,  il  faut  aller  jusqu'à  Campagna. 

En  ce  lieu,  les  couches  dévoniennes  sont  fortement  déviées,  les  plis 

s'élargissent  et  le  Silurien  apparaît  en  masses  puissantes  sous  le  Dévonien. 


390  GÉOLOGIE    ET   MINÉRALOGIE 

M.  M.  &OÏÏIIDOI 

Conservateur  du  Musée  pyrénéen  de  Bagnères-de-Luchon. 


LE    MUSÉE   PYRÉNÉEN    DE   BAGNÈRES-DE-LUCHON 


—  Séance  du  2i  septembre  1892  — 

Notre  époque  a  le  goût  des  collections.  On  aime  à  voir,  réunies  et  clas- 
sées scientifiquement,  les  productions  naturelles  du  globe.  Collections 
publiques  ou  privées,  il  en  existe  un  grand  nombre  et  partout.  Luchon, 
cette  station  thermale  admirablement  située  au  milieu  de  la  haute  chaîne 
et  privilégiée  entre  toutes,  ne  pouvait  rester  à  l'écart  du  mouvement 
général.  Aussi  a-t-elle  son  Musée,  peu  important  encore,  il  est  vrai,  mais 
qui  n'en  renferme  pas  moins  déjà  des  choses  intéressantes  et  uniques 
pour  la  chaîne  des  Pyrénées,  encore  si  peu  connue,  au  point  de  vue  géo- 
logique principalement. 

Au  premier  étage  de  l'aile  gauche  du  Casino  sont  réunis  les  collections 
et  les  plans  en  relief  formant  le  Musée  Lézat,  ou  Musée  pyrénéen  de  Luchon. 

Parmi  les  étrangers,  baigneurs  ou  touristes  qui,  tous  les  ans,  pendant 
les  beaux  jours,  affluent  dans  nos  murs  et  vont  rendre  visite  à  l'œuvre  du 
regretté  ingénieur  Toussaint  Lézat,  bien  peu  de  personnes  sans  doute  en 
connaissent  l'historique  et  l'origine. 

Il  y  a  une  quarantaine  d'années  environ,  Lézat,  qui  s'occupait  alors  de 
botanique,  accomplissait  la  première  ascension  du  grand  pic  Quairat 
(3.059  mètres)  au-dessus  des  glaciers  de  la  vallée  du  Lys.  Panorama  d'une 
beauté  tellement  captivante  et  si  particulière  que  c'est  en  l'admirant,  par 
une  belle  journée  d'été,  que  Lézat  conçut  le  projet  audacieux  pour  l'époque, 
qu'il  a  si  vaillamment  exécuté  depuis,  de  faire  le  plan  en  relief  des  mon- 
tagnes de  la  Haute-Garonne.  Chose  difïïcile  alors.  A  l'époque  en  effet  où 
il  se  mit  à  l'œuvre,  les  cartes  de  l'État-major  n'étaient  pas  encore  faites. 
Il  dut  y  suppléer  et  relever  lui-même  toute  la  région.  Malgré  les  diffi- 
cultés sans  nombre  qui,  à  chaque  instant,  dans  une  région  aussi  tour- 
mentée, surgissaient  sous  ses  pas,  il  ne  douta  jamais  de  la  réussite.  Aussi, 
quels  ne  furent  pas  sa  joie  et  son  légitime  orgueil,  le  jour  où  il  mit  la  der- 
nière main  à  ce  remarquable  travail! 

Il  représente  une  superficie  de  25  kilomètres  de  large,  sur  57  et  demi 
de  long  ;  il  est  à  l'échelle  de  j^,  et  forme  un  rectangle  de  S'^jSO  sur 
S'^jTS  centimètres. 


M.    GOrUDON.    —    LE   MUSKE    l'YRÉXÉEN    DE    BAGNÈRES-DE-LUCHON         391 

Les  hauteurs,  au  contraire,  sont  un  peu  plus  que  doublées,  pour  conser- 
ver à  l'œil  les  illusions  auxquelles  nous  nous  laissons  entraîner  à  l'aspect 
des  montagnes.  Huit  années  ont  été  employées  à  sa  confection,  et  les 
dix-sept  tables  ou  morceaux  qui  composent  ce  relief  ont  tour  à  tour  été 
portés  à  dos  d'homme  par  ses  guides,  et  les  détails  modelés  par  Lézat  sur 
le  terrain  même,  après  avoir  fixé  tous  les  points  importants  mathémati- 
quement, à  la  boussole  ou  au  graphomètre.  Il  n'est  pas  nécessaire,  je  sup- 
pose, d'insister  plus  longuement  sur  la  valeur  et  l'importance  de  l'œuvre 
de  l'éminent  ingénieur  :  l'exactitude  et  la  vérité  de  ses  plans  en  relief 
sont  connues  de  tous  ceux  qui  s'occupent  de  montagnes.  Jamais  on  n'a 
mieux  rendu  la  physionomie  pittoresque  de  nos  Pyrénées. 

Autour  de  cette  œuvre  capitale  sont  groupés  les  plans  en  relief  des  Pyrénées 
centrales  au  -^^j^,  de  l'Aran  à  la  vallée  d'Aspe,  celui  des  galeries  souterraines 
de  l'établissement  thermal,  celui  du  cirque  de  Gavarnie  et  du  vieux  Luchon. 

D'un  autre  côté,  il  convient  de  faire  remarquer  que,  par  sa  position  unique 
au  centre  des  Pyrénées  de  France,  à  proximité  de  celles  de  l'Espagne, 
Luchon  est  un  centre  extrêmement  important,  au  point  de  vue  de  la  litho- 
logie pyrénéenne  :  toutes  les  espèces  de  roches  et  de  minéraux  se  trouvent 
pour  ainsi  dire  représentées  dans  ses  montagnes.  De  vastes  champs  d'é- 
tudes et  de  recherches  y  sont  ouverts  aux  savants.  Si  l'exploration  de  ces 
régions  alpestres  présente  des  difficultés,  parfois  même  des  dangers,  le 
naturaliste,  quelles  que  soient  ses  études  favorites,  est  toujours  largement 
dédommagé  de  ses  fatigues  par  d'abondantes  et  intéressantes  récoltes. 

Pendant  longtemps  on  regarda  les  Pyrénées  centrales  comme  dénuées 
de  fossiles,  surtout  dans  les  terrains  anciens.  Grave  erreur,  dont  le  temps 
et  les  recherches  persévérantes  devaient  avoir  raison  tôt  ou  tard.  Déjà, 
\L  Leymerie  avait  indiqué  quelques  gîtes  fossilifères  dans  nos  montagnes. 
C'était  un  commencement.  Au  cours  de  mes  excursions  alpines,  j'ai  eu 
la  bonne  fortune  de  découvrir  bon  nombre  de  nouveaux  gisements  fort 
importants  pour  la  détermination  de  l'âge  des  terrains  anciens.  Je  signa- 
lerai entre  autres,  sur  le  versant  français,  les  gisements  siluriens  de  Mon- 
tauban-de  Luchon,  de  Cazaril-Laspènes,  de  Montmajou  et  du  Hont  de 
Barbât.  Ceux  de  Bourg-d'Oueil,  de  Jurvielle,  de  Génost,  des  Honts  des 
Bicoulous,  de  Bern,  de  Cathervielle  appartiennent  au  dévonien.  Ces  trois 
derniers  nous  ont  fourni  une  abondante  et  très  précieuse  série  de  Trilo- 
bites,  niveau  à  peu  près  inconnu  jusqu'alors  dans  les  Pyrénées. 

En  Aragon,  les  empreintes  fossiles  du  plan  des  Étangs  (base  de  la  Mala- 
detta)  ont  permis  de  rapporter  enfin  avec  certitude  au  houiller  moyen  les 
grauw^ackes  micacées,  du  val  de  l'Essera,  dont  l'âge  était  si  discuté.  J'en 
dois  la  détermination  à  M.  R.  Zeiller.  Il  fallait  toute  l'habileté  de  ce 
paléontologiste  pour  nommer  exactement  ces  débris  assez  frustes  pour  la 
plupart.  Non  loin  de  là  nous  mettions  la  main  sur  des  fossiles  dévonien 


392 


GEOLOGIE   ET   MINERALOGIE 


au  pic  d'Aguas-Passas,  et  précédemment  les  orthocères  de  la  tusse  des 
Posets  venaient  fixer  l'âge  de  cette  partie  du  val  d'Astos  de  Vénasque. 

Grâce  aux  encouragements  et  aux  conseils  de  mes  savants  collègues  et 
maîtres  MM.  de  Lapparent,  Ch.  Barrois,  de  Saporta,  j'ai  continué  mes  re- 
cherches. MM.  Barrois  et  de  Saporta  ont  bien  voulu  accepter  la  tâche  difficile 
d'étudier  la  plus  grande  partie  de  mes  fossiles;  et,  dans  ces  derniers  temps, 
j'ai  eu  la  satisfaction  de  voir  plusieurs  de  nos  localités  devenir  classiques. 
Je  ne  saurais  également  passer  sous  silence  M.  G.  Cotteau,  le  savant  pa- 
léontologiste auquel  je  dois  l'étude  très  complète  de  la  riche  faune  échi- 
nitique  de  la  Pobla  de  Roda  (Aragon),  absolument  inconnue  jusqu'alors. 

Tous  les  ans,  pendant  les  beaux  jours  principalement,  le  pays  de  Luchon 
est  visité  non  seulement  par  de  nombreux  savants,  mais  aussi  par  des 
étudiants  en  vacances  qui  s'intéressent  à  ces  questions  et  demandent  à 
voir  les  richesses  naturelles  de  nos  montagnes.  Malheureusement,  les  col- 
lections commencées  par  l'ingénieur  Lézat,  et  auxquelles  nous  avons 
ajouté  une  certaine  quantité  de  spécimens,  sont  encore  peu  nombreuses 
et  mériteraient  cependant  d'être  augmentées.  Mais  les  ressources  budgé- 
taires ont  fait  jusqu'à  présent  défaut,  et,  malgré  toute  notre  bonne  volonté, 
il  n'a  pas  encore  été  possible  de  donner  aux  séries  déjà  commencées 
toute  l'importance  qu'elles  comporteraient.  Rien,  cependant,  ne  serait  plus 
facile  que  de  faire  récolter  dans  chacune  des  localités  que  nous  venons 
d'énumérer  et  dans  bien  d'autres.  Mais,  pour  cela,  il  serait  nécessaire  que 
le  Musée  de  Luchon  eût  à  sa  disposition  un  budget  régulier.  Si  nous  ne 
nous  faisons  pas  illusion,  les  séries  du  Musée  prendraient  une  importance 
telle,  que  tout  géologue,  désireux  de  se  rendre  compte  de  la  composition 
des  Pyrénées,  serait  obligé  de  venir  de  prime  abord  consulter  les  col- 
lections du  Musée  de  Bagnères-de-Luchon. 


M.  A.  BiaOT 

chargé  ilc  cours  ;'i  la  Faculté  des  Sciences  de  Caen. 


SUR  LES  TRIGCNIES  JURASSIQUES  DE  NORMANDIE 


—  Séance  du  Si  septembre  1892 


Le  genre  Trigonia  est  représenté  dans  les  assises  jurassiques  de  Nor- 
mandie par  quarante-quatre  espèces  dont  la  plupart  sont  nouvelles  ou 
mal  connues.  Dans  un  travail  que  nous  venons  de  terminer,  nous  avons 


A.    BIGOT.    —    SUR    LES    TRIGOMES    JURASSIQUES    DE    .NORMANDIE  393 

entrepris  la  revision  de  ces  espèces,  commencée  par  E.-E.  Deslongchamps, 
que  la  mort  a  empêché  d'achever  cette  étude. 

Nous  avons  laissé  de  côté  les  espèces  portlandiennes  du  pays  de  Bray,' 
bien  connues  grâce  aux  travaux  de  MM.  de  Loriol,  Munier-Chalmas  et 
Pellat. 

Les  Trigonies  jurassiques  trouvées  jusqu'ici  en  Normandie  appartien- 
nent à  cinq  sections  :  Costalœ,  Undulatœ,  Scmi-lœves,  Scaplioideœ, 
Clavellatœ. 

La  section  des  Costatœ  comprend  dix-neuf  espèces,  qui  sont  les  sui- 
vantes : 

1.  Triqonia  bella,  Lycelt,  des  calcaires  à  4.  Murchisonœ  (Bajocien  inlerieur). 

2.  T.  Feuguerollensis,  n.  sp.,  du  même  niveau. 

3.  T.  costata,  Sow.,  des  couches  à  A.  subfurcatus  (Bajocien  supérieur).  Cette 
espèce,  type  de  la  section  des  Costatœ,  est  citée  dans  tout  le  Jurassique.  Le  type 
de  Sowerby  provient  de  l'oolithe  inférieure  d'Angleterre  et  on  doit  restreindre 
le  nom  de  Tr.  costata  à  l'espèce  conforme  aux  figures  données  par  Lycett. 

4.  T.  lineolata,  Agass.,  des  couches  à  il.  subfurcatus. 
o.   T.  tenuicosta,  Lycett,  id. 

6.  T.  angustula,  E.-E.  Desl.  mss..      id. 

7.  T.  bipartita,  n.  sp.,  id. 

8.  T.  zonatai?)  Agass.  1840  (=  T.  interlœvigata,  Quenst.,  1838;,  des  couches 
à  A.  fuscus  (Bathonien  inférieur). 

9.  T.  pullus,  Sow.,  182G  (=  T.  Cassiope,  d'Orb.,  1849),  des  couches  à  .4.  aspi- 
doides  (Bath.  supérieur). 

10.  T.  Langrunensis,  E.-E.  Desl.,  mss.,  des  couches  à  A.  aspidoides  (Bath. 
supérieur). 

11.  T.  striatissima,  E.-E.  Desl.,  mss.,  des  couches  à  A.  aspidoides  (Bath. 
supérieur). 

12.  T.  RanvilUana,  E.-E.  Desl.,  mss.,  des  couches  à  A.  aspidoides  (Bath. 
supérieur). 

13.  T.  Castor,  d'Orb.  (=  T.  Cassiope,  auct.  non  d'Orb.),  des  couches  à 
A.  aspidoides  (Bath.  supérieur). 

14.  T.  crista-galli,  E.-E.  Desl.,  mss.,  des  couches  à  .4.  aspidoides  (Batli. 
supérieur). 

15.  T.  elongata,  Sow.,  1825  (=  T.  cardissa,  Agass.,  1840),  des  couches  à 
A.  macrocephalus  (Callovien)  et  cordalus  (Villersien). 

16.  T.  Œhlrrti,  n.  sp.  (=  T.  Bachelieri,  auct.  non  d'Orb.),  des  couches  à 
A.  macrocephalus  (Callovien). 

17.  T.  Meriani,  Agass.,  du  Villersien. 

18.  T.  Glosensis,  n.  sp.,  des  couches  à  T.  fironm  (Argovien). 

19.  T.  papillata,  Agass.,  des  couches  à  T.  Bronni  et  du  Ptérocérien. 

La  section  des  G/a6/-œ,  d'Agassiz,  doit  être  subdivisée  en  trois  sections: 
1«  Semi-lœves,  type  T.  Lingonemis,  Dumortier,  du  Lias  moyen  ;  autres 
espèces:  T.  Beesleyam,  Lyc,  du  Bajocien;  T.  Eudesi,  n.  sp.,  du  Batho- 
nien. —  Répartition  :   Jurassique  inférieur    (Lias,  Bajocien,  Bathonien i. 


394  GÉOLOGIE    ET   MINÉRALOGIE 

Cette  section  comprend  des  espèces  à  aréa  étroite,  assez  bien  délimitée, 
généralement  lisse,  quelquefois  ornée  de  côtes  obliques,  sans  carène 
interne,  médiane  ou  marginale,  à  écusson  bien  délimité.  Les  flancs  sont 
lisses,  sauf  dans  le  jeune  âge;  dans  l'adulte,  ils  présentent  du  côté  anté- 
rieur des  côtes  nombreuses,  serrées,  parallèles  au  bord  palléal. 

2°  Gibbosœ,  type  T.  Gibbosa,  Sow.,  du  Porllandien  ;  autres  espèces: 
T.  Actœon,  Mun.-Ch.;  T.  Edmundi,Mun.-Ch.;  T.  Oustaleti,  Mun.-Ch.; 
T.  More  H,  Mun.-Ch.;  T.  Curmnntensis ,  de  Loriol,  du  Jurassique  supé- 
rieur; T.  Otnedensis,  Lyc,  de  l'Infra-Lias d'Espagne.  — Répartition:  une 
espèce  dans  l'Infra-Lias  d'Espagne  ;  maximum  dans  le  Jurassique  supé- 
rieur (Kimméridien  et  Portlandien).  Les  espèces  de  cette  section  sont 
subarrondies,  les  crochets  sont  rapprochés  de  la  ligne  médiane  ;  l'aréa 
étroite  ne  présente  que  des  stries  transverses  ;  sa  séparation  en  deux 
moitiés  est  généralement  peu  accentuée,  marquée  par  un  sillon  et  non 
par  une  carène  ;  la  carène  marginale  est  absente  ou  presque  effacée.  Les 
flancs  sont  quelquefois  lisses,  séparés  par  un  sillon  oblique,  plus  ou 
moins  marqué,  en  deux  parties  inégales,  l'antérieure  très  large,  la  posté- 
rieure très  étroite.  Les  côtes  qui  ornent  généralement  les  flancs  sont 
normalement  ^wôercM^ewses;  elles  sont  limitées  à  la  partie  antérieure  des 
flancs  et  s'arrêtent  au  sillon  qui  la  sépare  de  la  partie  postérieure  ;  leur 
direction  est  tantôt   parallèle,  tantôt  fortement  oblique  au  bord  palléal . 

3"  Excentricœ,  type:  T.  excentrica,  Sow.,  du  Cénomanien  (=  T.  afji- 
nis,  Sow.);  autres  espèces:  T.  Boloniemis.  de  Loriol,  du  Kimméridien; 
T.  lœviuscula,  Lyc.  du  Cénomanien.  —  Répartition  :  Jurassique  supé- 
rieur (Kimméridien)  et  Crétacé  (Cénomanien).  Les  quelques  espèces  de  cette 
section  que  nous  connaissons  se  distinguent  des  Gibbosœ  par  leur  forme 
plus  allongée,  leur  aréa  lisse,  se  confondant  avec  l'écusson,  l'absence  de 
toute  séparation  entre  l'aréa  étroite  et  les  flancs;  les  côtes  qui  ne  sont 
jamais  tuberculeuses  sont  parallèles  au  bord  palléal  et  traversent  toute 
la  largeur  des  flancs,  ne  disparaissant  que  sur  l'aréa  qu'elles  traversent 
même  dans  le  jeune  âge. 

Une  seule  de  ces  sections,  celle  des  Semi-lœves,  est  représentée  dans 
les  couches  à  A.  aspidoides  (Bathonien  supérieur)  de  Normandie  par  une 
espèce  nouvelle,  T.  Eudesi. 

Le  groupe  des  Undulatœ  est  restreint  aux  espèces  dans  lesquelles  les 
ornements  des  flancs,  côtes  ou  rangées  de-  tubercules,  présentent  dans 
leur  trajet  une  déviation  brusque,  produisant  un  angle  dont  le  sommet 
est  dirigé  vers  le  bord  palléal.  Ce  groupe  des  Undulatœ  est  représenté 
dans  le  Bathonien  supérieur  de  Normandie  par  trois  espèces  : 

21.  T.  Clytia,  d'Orb. 

22.  T.  detrita,  Terq.  et  Jourdy. 

23.  T.  Eugenii,  n.  sp. 


A.    BIGOT.    —    SUR   LES    TRIGONIES    JURASSIQUES    DE    NORMANDIE  395 

Dans  le  groupe  des  Scaphoideœ,  restreint  dans  les  limites  proposées  par 
M.  Choffat,  se  rangent: 

24.  T.  Bathonica,  Lycett,  du  Bathonien  supérieur. 

25.  T.  Bergeroni,  n.  sp.,  id. 

26.  T.  Baijlei,  Dollf.,  du  Ptérocérien. 

Dans  la  section  des  Clcwellatœ  nous  faisons  rentrer,  comme  l'a  proposé 
M.  Choffat,  un  certain  nombre  d'espèces,  telles  que  la  T.  Painei,  Lycett, 
T.  flecta,  Morr.  et  Lycett,  que  l'on  classe  parfois  dans  les  Undulatœ. 
Ainsi  comprises,  les  Clcwellatœ  normandes  fournissent  dix-huit  espèces 
qui  sont  : 

27.  T.  striata,  Sow.,  des  couches  à  A.  Miircliisonœ. 

28.  T.  formosa,  Lycett,  id. 

29.  T.  Moutierensis,  Lyc,  des  couches  à  A.  subfurcatus. 

30.  r.  flecta,  Morr.  et  Lyc,  du  lîathonien  supérieur. 

Ces  quatre  espèces  sont  remarquables  par  leur  forme  subquadraugu- 
laire,  le  développement  de  leur  aréa,  leurs  rangées  de  tubercules  très 
serrées,  des  crêtes  transversales  situées  entre  les  rangées  de  tubercules  du 
côté  antérieur  : 

31.  T.  Adeli,  n.  sp.,  du  Bajocien  supérieur. 

32.  T.  Painei,  Lycett,  du  Bathonien  moyen,  forme  intermédiaire  entre  les 
Clavellatœ  et  les  Undulatœ. 

33.  T.  Scarburgensis,  Lycett,  du  CaUovien  inférieur,  espèce  qui  existe  dans 
le  «  Cornbrash  »  d'Angleterre. 

34.  T.  Bizeti,  n.  sp.,  du  CaUovien  inférieur. 

33.  T.  Heberti,  n.  sp.  (=:  T.  davellala,  Héb.  non  Park.  Sow.),  à  laquelle  nous 
donnons  un  nom  nouveau  dans  l'impossibilité  absolue  où  se  sont  trouvés  les 
auteurs  de  savoir  ù  ([uelle  espèce  doit  être  attribué  le  nom  de  davellata. 
La  T.  Heberti  est  une  espèce  du  Villersien. 

36.  T.  perlata,  Agassiz,  du  même  niveau. 

37.  T.  Woodwardi,  Lycett,  des  couclies  à  Nud.  scAitaius  (Oxfordien  sup.). 

38.  T.  Bronni,  Agass.,  des  sables  et  grès  coralliens  et  de  l'Astartien. 

39.  T.  Morieri,  n.  sp.,  des  couches  à  N.  scutatus. 

40.  T.  Fisdieri,  n.  sp.,  id. 

41.  T.  Jarryi,  n.  sp.,  id. 

42.  T.  Kerfornei,  n.  sp.,  des  calcaires  coralliens. 

43.  T.  Choffati,  n.  sp.  (=  T.  muricata,  auct.  non  Goldf.).  Cette  espèce,  très 
commune  dans  le  Ptérocérien,  est  unanimement  rapportée  à  T.  muricata, 
Goldf.,  dont  le  type  est  de  Torre-Vedras  (Portugal)  ;  M.  Choffat  ayant  publié 
une  nombreuse  série  de  figures  de  l'espèce  de  Goldfuss,  d'après  des  échantillons 
provenant  des  couches  à  Pholadomya  Protêt  du  Portugal,  il  est  facile  de  se  con- 
vaincre que  la  Trigonie  du  Havre  et  de  Criquebeuf  n'a  aucun  rai)port  avec  la 
r.  muricata  ;  nous  assignons  à  l'espèce  du  Ptérocérien  de  Normandie  le  nom  de 
r.  Choffati. 


396 


BOTANIQUE 


Ai.  T.  Pellali,  Miin.-Ch.  Le  type  de  cette  espèce  est  du  Portlandien  moyen. 
M.  de  Loriol  la  cite  dans  le  Virgulien  de  la  Haute-Marne  ;  sa  présence  bien 
constatée  au  Havre  et  à  Villerviile  fait  descendre  l'époque  de  son  apparition 
jusqu'au  Ptérocérien. 

Toutes  les  espèces  que  nous  venons  de  signaler  seront  figurées  dans 
notre  travail,  accompagné  de  dix  planches  in-4°. 


M.  Gaston  BOIJIIER 

Professeur  à  la  Sorbonne,  ;i    Paris 


LA  FLORE  DES  PYRENEES  COMPARÉE  A  CELLE  DES  ALPES  FRANÇAISES 


—  Séance  du  16   septembre  IS92  — 

Ayant  fait  des  excursions  botaniques,  presque  tous  les  ans,  dans  les 
Alpes  et  les  Pyrénées,  de  1869  à  1891,  j'y  ai  noté  en  un  grand  nombre 
de  points  la  distribution  relative  des  espèces.  Des  voyages  botaniques  en 
Scandinavie,  en  Suisse,  dans  les  Alpes  autrichiennes  et  dans  les  Carpathes, 
m'ont  permis  de  comparer  cette  distribution  avec  celle  des  plantes  de 
ces  autres  parties  montagneuses  de  l'Europe.  La  question  de  la  comparai- 
son entre  la  flore  des  Pyrénées  et  celle  des  Alpes  ayant  été  posée  cette 
année  au  Congrès  de  Pau,  je  saisis  cette  occasion  pour  exposer  les  résul- 
tats principaux  d'un  travail  que  je  prépare  depuis  longtemps  sur  ce  sujet. 

Ce  n'est  pas  en  superposant  deux  catalogues  de  plantes,  l'un  des  Alpes 
françaises  et  l'autre  des  Pyrénées,  ni  en  mettant  en  regard  le  nombre  des 
espèces  de  chaque  famille  dans  les  deux  flores,  que  l'on  pourra  avoir  des 
résultats  complets  et  intéressants.  Ainsi  que  je  l'ai  fait  remarquer  déjà 
dans  d'autres  travaux,  il  faut  observer  la  distribution  relative  de  toutes  les 
plantes  et  ce  sont  même  souvent  les  espèces  les  plus  répandues  qui  four- 
nissent les  résultats  les  plus  remarquables.  Il  va  sans  dire  que  la  nature 
géologique  du  sol,  son  exposition,  et  le  climat  général  de  la  région,  sont 
partout  à  considérer.  Mais  il  n'y  a  pas  que  les  observations  qui  puissent 
jouer  un  rôle  dans  cette  étude  comparative.  Les  expériences  de  culture 
que  l'on  peut  faire,  soit  en  semant  ou  plantant  les  végétaux  des  Pyrénées 
dans  les  Alpes  ou  réciproquement,  soit  en  cultivant  les  mêmes  espèces  à 
des  altitudes  différentes,  peuvent  servir  à  élucider  certains  faits  que  l'ob- 


G.    BONNIER.    —    FLORES    DES    PYRÉNÉES   ET    DES   ALPES  39" 

servation  seule  ne  permet  pas  de  comprendre.  J'ai  fait  quelques  essais 
de  cultures  expérimentales  tantôt  dans  de  petits  champs  spéciaux,  tantôt 
en  difîérents  points  de  la  réj^ion  alpine  ou  de  la  région  subalpine. 

C'est  le  résumé  des  résultats  que  fournissent  à  la  fois  les  observations 
comparées  et  les  cultures  expérimentales,  que  je  présente  aujourd'hui  au 
Congrès . 


LES    DIVERSES    REGIONS    BOTANIQUES    DANS    LES   ALPES    ET    DANS    LES    PYRÉNÉES 

Il  faut  d'abord  mettre  à  part  la  fraction  des  Alpes  françaises  et  les  parties 
des  Pyrénées  qui  sont  comprises  dans  la  région  méditerranéenne  ou  dans 
la  région  de  l'Ouest.  Dans  les  Alpes,  le  Pin  maritime  et  le  Pin  d'Alep, 
ainsi  que  la  culture  de  l'Olivier,  caractérisent  suffisamment  la  région 
méditerranéenne.  Il  en  est  de  même  dans  les  Pyrénées  Orientales,  où  l'on 
peut  la  considérer  aussi  comme  caractérisée  par  le  Chêne-liège,  qui  s'a- 
vance jusqu'à  Prades,  Céret  et  même  non  loin  de  Montlouis. 

La  région  occidentale,  qui  s'étend  depuis  le  golfe  de  Gascogne  jusqu'à 
Tardets  et  Saint-Jean-Pied-de-Port,  est  caractérisée  par  le  Chêne  Tauzin  (1) 
ou,  plus  près  de  la  mer,  par  le  Chêne  occidental.  Une  Bruyère,  leDaboecia 
poli  fol  ia,  est  aussi  presque  exclusive  à  cette  région.  Ces  deux  régions  mises 
à  part,  le  reste  de  la  flore  des  Pyrénées  et  des  Alpes  présente  des  caractères 
communs  si  frappants  qu'on  ne  saurait  en  déterminer  les  régions  que 
par  les  zones  d'altitude  relative.  Ce  sont,  d'une  manière  générale  : 

1°  La  zone  inférieure  des  montagnes,  qu'on  a  appelée  aussi  zone  des 
vallées  profondes  ou  zone  des  cultures,  et  qu'on  pourrait  nommer  le  plus 
souvent  zone  des  chênes.  Le  Quercus  Bobur  y  est,  en  effet,  répandu  d'une 
manière  générale.  Parmi  les  arbres,  c'est  aussi  dans  cette  zone  qu'on 
trouve  l'Aulne  glutineux,  le  Peuplier  noir,  le  Saule  Marsault,  le  Saule 
blanc  et  le  Noisetier,  arbres  qui  ne  dépassent  presque  jamais  la  limite 
inférieure  des  forêts  de  sapins.  On  peut  citer  parmi  les  espèces  très  ré- 
pandues, limitées  à  cette  zone  à  la  fois  dans  les  Alpes  et  dans  les  Pyré- 
nées, les  plantes  suivantes  : 

Helleborus  fœlidus,  Prunus  spinosa,  Crotœgus  Oxtjacantha,  Amelanchier  vulgaris, 
Carlina  acaulis,  Scrofularia  canina,  Globularia  nudicaulis,  Buxus  sempervirens  et 
Melica  nebrodensis. 

2°  La  zone  subalpine,  dont  le  Sapin  blanc  (Abies  pectinata)  est  l'arbre 
commun  aux  Alpes  et  aux  Pyrénées  le  plus  caractéristique,  s'étend  au-des- 
sus de  la  région  précédente  jusqu'à  la  base  des  hauts  pâturages  alpins. 

(1)  Il  faut  excepter  le  petit  cantonnement  de  Quercus  Tozza  qu'on  trouve  aux  environs  de  Mont- 
louis et  dont  je  parlerai  plus  loin. 


398  BOTANIQUE 

C'est  là  que  dominent  le  Hêtre,  le  Bouleau  et  le  Pin  silvestre,  ainsi  que 
le  Sureau  à  grappes,  le  Sorbier  des  oiseleurs,  le  Cerisier  à  grappes  et 
l'Orme  des  montagnes.  On  ne  trouve  presque  plus  de  cultures  dans  cette 
zone,  sauf  quelques  rares  champs  de  pommes  de  terre  ou  d'orge.  Parfois 
la  zone  subalpine  ne  peut  être  déterminée  au  moyen  des  arbres  précé- 
dents lorsqu'elle  est  occupée  exclusivement  par  des  prairies  ou  par  des 
rochers  qui  relient,  en  apparence  d'une  manière  insensible,  la  zone  infé- 
rieure à  la  zone  alpine  ;  c'est  ce  qui  se  produit  souvent  sur  les  versants 
très  abrupts  ou  sur  ceux  qui  sont  exposés  au  sud.  On  doit  alors  avoir 
recours  à  d'autres  espèces  caractéristiques,  qui  se  trouvent  aussi  dans  les 
forêts  de  Sapins,  et  parmi  lesquelles  on  peut  citer  les  suivantes  : 

Aconitum  Lycoctonum,  Géranium  silvaticum,  Epilobium  spicatum,  Spirœa  Arun- 
cus  Astrantia  major,  Prenanthes  purpurea,  Cirsium  monspessulanum,  Campanula 
palula  et  Veronica  urticœfolia. 

3°  La  zone  alpine  inférieure,  qui  comprend  les  hauts  pâturages  des 
Alpes  et  qui  est  ordinairement  caractérisée  par  les  Rhododendrons  et  la 
variété  alpine  du  Genévrier.  On  y  trouve  aussi  le  INerprun  des  Alpes,  le 
Cotoneaster  et  le  Chèvrefeuille  des  Alpes. 

Tous  ces  arbustes  sont  peu  élevés,  plus  ou  moins  rabougris  et  souvent 
aplatis  sur  le  sol.  On  peut  citer  en  outre,  parmi  les  très  nombreuses  plantes 
caractéristiques  de  cette  zone  les  espèces  suivantes,  communes  aux  Alpes 
et  aux  Pyrénées  : 

Anémone  alpina,  Cardamine  resedifolia.  Silène  acaulis,  Trifolium  alpinim,  Dryas 
octopetala,  Alchimilla  alpina,  Sdxi.fraga  oppositifolia,  Homogyne  alpina,  Vuccinium 
uliginosum,  Primula  farinosa,  Pedicularis  verticillala,  Plantago  alpina,  Nigritella 
angusiifolia,  Juncus  irifidus,  Carex  sempervirens,  Festuca  Halleri,  Poa  alpina  et 
Allosorus  crispus. 

4°  La  zone  alpine  supérieure,  qu'on  nomme  aussi  quelquefois  zone  gla- 
ciale et  qui  s'étend  à  la  base  de  la  région  des  neiges  perpétuelles,  attei- 
gnant parfois  même  jusqu'au  sommet  des  plus  hauts  pics. 

Cette  zone  est  souvent  difficile  à  limiter  par  rapport  à  la  précédente: 
aussi  les  réunit-on  parfois  toutes  les  deux  simplement  sous  le  nom  général 
de  zone  alpine. 

Il  n'y  a  plus  d'arbres  ni  d'arbustes  dans  cette  zone,  et  l'espèce  qui  la 
caractérise  le  mieux,  à  la  fois  dans  les  deux  chaînes  de  montagnes,  est 
le  Ranunculus  glacialis.  On  peut  citer  encore,  parmi  les  plantes  très  ré- 
pandues, les  espèces  suivantes  : 

Braba  frigida,  Cherleria  sedoides,  Arenaria  ciliata,  Artemisia  nmlellina,  Erige- 
ron  uniflorus,  Androsace  pubescens,  Gregoria  vitaliana,  Luzula  spicata,  Poa  laxa 
et  Oreochloa  disticlia. 


G.    BONNIEK.    —    FLORES    DES    PYRÉNÉES   ET   DES    VLPES  399 

II 

VARIATIONS   DANS    LA    DISTRIBUTION    DES    PLANTES    TRÈS    RÉPANDUES 

Les  plantes  dominantes,  formant  pour  ainsi  dire  le  fond  de  la  végéta- 
tion, peuvent  être  distribuées  d'une  manière  différente  dans  les  deux 
chaînes  de  monta£:;nes,  ou  même,  très  répandues  dans  l'une  d'elles  et  faire 
complètement  défaut  dans  l'autre. 

Dans  la  région  méditerranéenne,  le  Pin  d'Alep,  qui  existe  dans  les 
parties  basses  des  Alpes-Maritimes,  manque  totalement  dans  les  Pyrénées. 
Les  plantes  caractéristiques  de  la  région  occidentale,  telles  que  le  Chêne 
Tauzin  et  le  Chêne  occidental,  si  répandus  dans  une  partie  des  Basses- 
Pyrénées,  n'existent  pas,  au  contraire,  dans  les  Alpes. 

En  dehors  de  ces  deux  régions,  passons  successivement  en  revue  les 
diverses  zones  d'altitude  relative  que  nous  avons  caractérisées  précé- 
demment. Dans  la  zone  inférieure  des  montagnes,  on  peut  tout  d'abord 
signaler  le  Charme,  comme  une  espèce  intéressante  par  sa  distribution. 
II  est  très  commun  dans  toute  la  chaîne  des  Alpes  françaises,  sauf  dans 
le  sud-est.  Sa  limite  méridionale  et  occidentale  passe  par  Saint-Gervais, 
Bourg-Saint-Maurice,  Saint-Jean-de-Maurienne,  le  Bourg-d'Oisans,  le  sud 
de  Vizille  et  le  Vercors. 

Dans  les  Pyrénées,  au  contraire,  le  Charme  est  presque  inconnu  :  on 
en  trouve  seulement  un  certain  nombre  de  pieds  localisés  aux  environs 
de  Foix,  de  Bagnères-de-Bigorre  et  de  Saint-Jean-Pied-de-Port. 

Le  Buis,  si  répandu  dans  un  certain  nombre  de  vallées  des  Pyrénées, 
où  il  devient  même  parfois  presque  exclusif,  est  au  contraire  peu  répandu 
dans  les  Alpes,  où  on  le  trouve  rarement  en  abondance,  comme  cela  se 
produit  au  nord  de  Voreppe  par  exemple. 

Le  Rumex  scutatwi,  limité  dans  la  région  inférieure  des  Pyrénées,  où 
il  est  extrêmement  abondant,  a  dans  les  Alpes  françaises  une  distribution 
toute  autre.  On  l'y  rencontre  abondamment  dans  la  région  subalpine,  et 
souvent  même  dans  la  région  alpine,  comme  dans  les  Alpes  de  Savoie. 

Les  différences  sont  encore  plus  grandes  dans  la  distribution  des  plantes 
dominantes  de  la  zone  subalpine. 

Sauf  YAbies  peclinata  et  le  Pinus  silvestris,  on  peut  dire  que  les 
forêts  de  Conifères  caractéristiques  de  la  région  des  sapins  sont  cons- 
tituées par  des  espèces  différentes  dans  la  chaîne  des  Alpes  et  dans  celle 
des  Pyrénées. 

L'Epicéa  (Picea  excelsa)  est  répandu  dans  toute  la  chaîne  des  Alpes  et 
c'est  cet  arbre  qui  y  forme  le  plus  souvent  les  forêts  de  sapins.  II  est  tel- 
lement disséminé  dans  toutes  les  régions  des  Alpes,  qu'on  peut  dire  que 
la  carte  de  sa   distribution,  depuis  les   Alpes  de  Nice  jusqu'au  lac  de 


400  BOTANIQUE 

Genève,  y  représente  l'étendue  de  la  zone  subalpine.  Cette  espèce  si  ca- 
ractéristique fait  complètement  défaut  dans  les  Pyrénées.  C'est  à  peine  si 
Lapeyrouse  a  pu  le  comprendre  parmi  les  végétaux  pyrénéens,  grâce  aux 
quelques  pieds  qui  ont  été  rencontrés  à  la  base  de  la  Maladetta.  L'admi- 
nistration forestière  a  tenté,  sans  succès,  par  exemple  aux  environs  de 
Guchen,  d'introduire  l'Epicéa  dans  les  forêts  des  Pyrénées. 

Remarquons,  à  ce  propos,  que  le  fait  général  de  l'absence  de  l'Epicéa 
dans  les  Pyrénées  semble  fort  peu  connu. 

La  flore  de  Grenier  et  Godron  l'indique  à  tort  comme  existant 
dans  les  Pyrénées  au  même  titre  que  dans  les  Alpes,  et  cette  erreur  est 
précisée  d'une  manière  particulière  dans  le  récent  atlas  de  M.  Drude.  Cet 
auteur  représente  en  détail  la  limite  de  l'extension  de  l'Epicéa,  limite  qui 
englobe  tout  le  Plateau  central,  où  cet  arbre  n'existe  pas,  et  comprend 
toute  la  région  pyrénéenne,  où  nous  avons  vu  qu'il  fait  également  défaut. 
On  ne  peut  s'expliquer  une  semblable  erreur,  marquant  les  contours  dé- 
taillés de  la  distribution  d'une  espèce  qui  n'existe  pas,  que  par  une  con- 
fusion avec  une  autre  espèce.  Ne  serait-ce  pas  simplement  la  synonymie 
des  Conifères  qui  en  fournirait  l'explication,  et  n'a-t-on  pas  pris  le  Sapin 
blanc  {Abies  pccf.mata  DC  =  Pinus  Picea  L.)  avec  l'Epicéa  (Abies  ex- 
celsa  DC  =  Pmus  Picea  Duroi  (nonL)  =  Pinus  Abies  L  =  Picea  excelsa)  ? 

Le  Mélèze  (Larix  eui-opœa),  quoique  moins  répandu  que  l'Epicéa,  cons- 
titue d'importantes  forêts  dans  les  Alpes  françaises,  surtout  dans  la  partie 
orientale.  La  limite  occidentale  dans  les  Alpes  passe  à  peu  près  par 
Saint-Jean-de-Maurienne,  le  Dauphin,  la  Mure,  Veynes,  Digne,  Castellane 
et  Puget-Théniers.  Cet  arbre  manque  absolument  dans  les  Pyrénées. 

Le  Pin  silvestre,  y  compris  le  Pinus  uncinata,  est  répandu,  presque 
partout  dans  les  Alpes,  et  si  on  ne  tient  pas  compte  des  endroits  où  il  a 
été  planté,  on  ne  le  trouve  dans  les  Pyrénées  que  dans  la  partie  tout  à  fait 
orientale,  dans  les  vallées  d'Arreau  et  de  Luchon,  et  dans  la  région  située 
au  sud  de  Lourdes.  La  lutte  pour  l'existence  paraît  s'être  établie  entre  cet 
arbre  et  les  autres  d'une  manière  assez  différente  dans  les  deux  chaînes. 
Tandis  qu'en  Dauphiné  on  le  rencontre  à  l'état  spontané,  souv»  nt  très 
répandu  dans  la  région  inférieure  des  montagnes,  dans  les  Pyrénées  il 
grimpe,  au  contraire,  jusque  dans  la  région  alpine,  bien  au-dessus  des 
forêts  de  sapins,  comme  aux  environs  du  lac  d'Orrédon  ou  encore  dans 
les  parties  hautes  de  Moudang  et  du  Uioumayou. 

L'If  (T'ixus  baccata),  cette  Conifère  qui  semble  actuellement  en  voie 
de  disparition  et  dont  on  n'a  guère  signalé  que  quelques  pieds  isolés  dans 
la  partie  méridionale  des  Alpes,  constitue  ennore  quelques  groupes  boisés 
importants  dans  les  Pyrénées,  dans  la  foret  d'Irati  ou  encore  entre  Ga- 
varnie  et  Panticosa. 

Le  Hêtre  est,  avec  le  Sapin  blanc,  l'espèce  qui  est  la  plus  uniforme- 


G.    IJO.NMKll.    —     hL(llU:S    Di;S    l'VltK.NEES    ET    DES    ALl'ES  4U 1 

ment  répandue  dans  la  zone  subalpine  des  deux  chaînes  de  montagnes. 
11  ne  fait  défaut  dans  les  Alpes  qu'aux  environs  d'Aiguilles,  de  Brianr-on 
et  de  Modane.  Dans  les  Pyrénées,  il  ne  manque  qu'au  sud  de  Montlouis, 
dans  un  cantonnement  où  il  est  exactement  remplacé  par  le  Chêne  Tau- 
zin. C'est  là  un  exemple  très  net  de  remplacement  d'espèce. 

Parmi  les  espèces  herbacées  très  répandues,  on  peut  de  même  signaler 
les  quelques  exemples  qui  suivent  : 

C'est  ainsi  que  le  Meconopsis  cambrica,  si  répanrJu  dans  les  endroits 
humides  ou  ombreux  de  la  zone  subalpine  des  Pyrénées,  et  Vlris  xij- 
phioides,  si  fréquent  dans  beaucoup  de  prairies  pyrénéennes,  ou  encoi'e  le 
Ramondia,  dont  les  rosettes  violacées  abondent  sur  les  rochers,  sont  dos 
plantes  inconnues  dans  la  flore  des  Alpes. 

Inversement,  on  peut  citer  dans  les  Alpes  les  Achillca  dentifera  et  /y/(/- 
croplujlla,  Hieracium  Jacquini.  Campanula  rhotiiboidalis,  Gentiana  asc/e- 
piadea  et  de  nombreuses  autres  plantes  subalpines  qui  n'existent  pas 
dans  les  Pyrénées. 

Dans  la  partie  inférieure  de  la  zone  alpine  des  Pyrénées,  certaines 
plantes  remplacent  très  souvent  le  Rhododendron.  11  suffit  de  voyager 
une  seule  fois  dans  cette  chaîne  de  montagnes  pour  être  frappé  par  l'as- 
pect de  ces  immenses  étendues  de  Fougère-Aigle  (Pteris  aquilina)  ou  de 
Bruyère  (CaUuna  vulyaris)  qui  couvrent  la  base  de  la  zone  alpine  sur  de 
très  grandes  surfaces  au-dessus  des  derniers  sapins. 

La  Fougère-Aigle,  dans  les  Alpes,  bien  loin  de  s'étendre  ainsi  dans  la 
région  alpine,  n'atteint  même  pas  la  base  de  la  région  subalpine.  Lors- 
qu'elle y  est  représentée,  ses  limites  sont  à  peu  près  celle  du  Chêne.  Quant 
à  la  Bruyère,  beaucoup  moins  fréquente  dans  les  Alpes  que  dans  les  Py- 
rénées, elle  ne  s'y  élève  que  rarement  à  de  hautes  altitudes. 

Le  Rhododendron,  qui  se  trouve  ainsi  lutter  contre  ces  deux  espèces 
dans  les  Pyrénées,  paraît  parfois  rejeté  à  des  altitudes  relatives  moindres, 
et  on  l'y  rencontre  souvent  en  abondance  dans  les  forêts  de  sapins  ;  tandis 
que,  dans  les  Alpes,  sauf  en  certains  points  de  la  chaîne  du  mont  Blanc, 
cet  arbuste  délimite  ordinairement  une  sous-zone  très  nette. 

Parmi  les  espèces  herbacées  de  la  région  alpine,  on  peut  prendre  comme 
exemple  de  distribution  inégale  le  Teucrium  pjjrenaicwn,  rare  dans  les 
Alpes  et  si  comnmn  dans  les  Pyrénées,  où  il  descend  jusque  dans  les 
vallées  profondes;  ou  encore  Vllypericiim  nummularium,  comnmn  sur 
tous  les  rochers  humides  de  la  région  alpine  inférieure  pyrénéenne,  et  bien 
moins  répandu  dans  les  Alpes,  où  sa  distribution  en  altitude  est  différente. 
Il  y  a  des  pâturages  ou  des  rochers  de  la  région  alpine  pyrénéenne  qui 
sont  couverts  de  très  nombreuses  espèces  de  Saxifrages  inconnues  dans 
les  Alpes  (Saxifraga  geranioides,  S.  ascendens,  S.  capitata,  S.  ajugœfolia, 
S.  longifolia,  S.  arctioides,  etc.),  tandis  que,  au  contraire,  bien  des  espèces 

-26* 


402  BOTANIQUE 

du  genre  Androsace  {A.  helvelica,  A.  imbricata,  A.  lactea,  A.  obtusifolia, 
A.  septentrionalis,  A.  Chaixii,  etc.),  couvrent  de  leurs  rosettes  toufiues 
beaucoup  de  rochers  et  de  pâturages  alpins  dans  les  Alpes,  et  font  défaut 
dans  les  Pyrénées. 

III 

ESPÈCES  QUI  SE  COHUESPONDENT  DANS  LES  ALPES  ET  DANS  LES  PYRÉNÉES 


Je  viens  de  citer  dans  les  genres  Saxifraga  et  Androsace  les  espèces 
spéciales  aux  Alpes  et  les  espèces  spéciales  aux  Pyrénées.  Certaines  de  ces 
plantes  peuvent  être  considérées  comme  se  remplaçant  l'une  l'autre  dans 
les  deux  chaînes  de  montagnes.  En  comparant  les  végétaux  voisins  qui  ont 
une  distribution  assez  analogue,  on  peut  mettre  en  regard  les  plantes  des 
Alpes  françaises  et  celles  des  Pyrénées  qu'on  peut  regarder  comme  corres- 
pondantes : 


ALPKS 

Alijssmn  flexicaule. 

A.  hulimifolium. 

Viola  calcarata. 

Géranium  aconitifolium . 

G.  argentemn. 

Vicia  sdvatica. 

Potenlilla  nitida. 

P.  frifjida. 

Erynijiuin  alpinum. 

E.  Spina-alba. 

Galiam  helvetictun . 

G.  mcgalospcrnium,  etc. 

Asperula  longiflora. 

Vuleriana  ttiberosa . 

Scnccio  galliciis. 

(  'irsiuin  spinosissimum. 

Bhapunticum  helenifoliuni. 

Genliana  havurica. 

G.  pKiKitdu. 

Veronica  Allionii. 

Pedicularis  incariiala. 
P.  fasciculata. 
P.  gyroflexa. 
Rumex  arifoliiis. 
Bulbocodium  vernum. 
Fritillaria  delphinensis. 
Lilium  croceum. 
Carex  pauciflora . 


PYRENEES 

Alyssum  Lapegrousianum. 
A.  pyrenaicum. 
Viola  corntda. 
Géranium  pratense. 
G.  cinereum. 
Vicia  pyrenaica. 
PotentiUa  alchimilloidcs. 
P.  pyrenaica. 

Eryngiwn  Bourgati. 

Galiam  cœspilosam. 
G.  cumeterrliizon,  etc. 
Asperula  hirta. 
V(dcriana  globulariœfolia. 
Senecio  adon idifulius . 
Carduas  cariinoides. 
Rhaponticum  cynaroides. 
Genliana  pyrenaica. 
G .  Buiseri . 
Veronica  nummularin. 
Veronica  Ponœ. 

Pedicularis  pyrenaica. 
P.  comosa. 

Rumex  amplexicaulis. 
Merendera  Bulbocodiu m . 
Fritillaria  pyrenaica. 
Lilium  pijrenaicuin. 
Carex  pyrenaica. 


A  côté  de  ces  espèces  correspondantes,  on  pourrait  mettre  en  regard 
un  très  grand  nombre  de  formes,  les  unes  des   Alpes,    les  autres   des 


G.  BO.NMER.  —  FLORES  DES  PYRÉNÉES  ET  DES  ALPES        403 

Pyrénées,  mais  qui  ne  sont  ordinairement  considérées  que  comme  des 
variétés.  11  n'y  a  même  parfois  que  de  simples  variations  entre  la  plante 
de  l'une  et  de  l'autre  chaîne  de  montagnes.  C'est  ainsi  que  VAconiluni 
pyrenaicum  n'est  qu'une  forme  de  VA.  Lijcoctonum,  ou  encore  que  V Adonis 
pyrenalca,  récemment  découvert  par  M.  Reverchon  dans  les  Alpes-Mari- 
times, se  distingue  de  la  plante  pyrénéenne  par  quelques  caractères  tout 
à  fait  secondaires.  On  pourrait  citer  plusieurs  centaines  d'exemples  ana- 
logues . 

Si  l'on  considère  les  plantes  correspondantes  comme  ayant  une  ori- 
gine commune,  ces  variations  prennent  un  intérêt  très  grand,  et  parmi 
les  espèces  citées  plus  haut,  celles  appartenant  aux  genres  Galium,  Vale- 
riana,  Fritillaria  ou  Carex,  sont  certainement  très  voisines.  Leurs  diffé-' 
rences.  plus  grandes  que  celles  de  simples  variétés,  sont  cependant  bien 
moins  grandes  que  celles  qui  séparent  les  autres  espèces  mises  en  regard. 

D'ailleurs,  la  lutte  pour  l'existence  peut  s'établir  aussi  entre  espèces 
appartenant  à  des  genres  très  différents.  C'est  ainsi  que  le  botaniste  qui 
vient  des  Alpes,  habitué  à  trouver  sur  les  rochers  certaines  espèces  telles 
que  ï Hedysarum  obscurum,  le  Lepidium  rotundifoUum,  etc.,  est  étonné, 
en  parcourant  les  Pyrénées,  de  voir  à  leur  place  le  Reseda  glauca,  le  Pa- 
ronychia  polygonifolia,  etc.  Toutefois,  la  liste  précédente  garde  son  inté- 
rêt, car  elle  met  en  regard  des  formes  très  comparables  qui  sont  chacune 
exclusives  à  la  chaîne  de  montagnes  à  laquelle  elles  appartiennent. 

IV 

EXPÉRIENCES    DE   CULTURES 

Le  climat  de  la  chaîne  des  Pyrénées  n'étant  pas  tout  à  fait  le  même 
au  point  de  vue  de  la  distribution  des  pluies  et  de  la  température,  on 
peut  se  demander  si  les  conditions  actuelles  de  milieu  n'agiraient  pas 
dune  manière  différente  sur  une  même  plante  donnée.  J'ai  comparé, 
dans  ce  but,  les  résultats  obtenus  dans  les  cultures  expérimentales  éta- 
blies comparativement  à  diverses  altitudes  dans  les  Alpes  et  dans  les 
Pyrénées.  La  plupart  des  plantes  ainsi  cultivées  étaient  des  plantes  de 
plaine  qui  tolèrent  toutes  les  altitudes  et  qu'on  trouve  jusque  dans  la 
région  alpine  supérieure,  telles  que  :  Lolus  corniculalus,  Taraxacum 
Dens-leonis,  Thymus  Sevpyllum,  Rubus  idœus,  Achillea  Mille folium,  Ranun- 
culus  acîis^  etc.,  etc.  (Ij. 

A  des  altitudes  où  la  somme  des  températures  pendant  la  saison  est 
sensiblement   la   même,  les    modifications   internes    et  externes,  anato- 

(\)  Voyez  G.  BCUNMER,  Cultures  expérimenlales  dans  les  Alpes  et  ki  Pyrénées  {Revue  générale  de 
Botanique,  1890,  p.  313). 


404  BOTANIQUE 

iniques  et  physiologiques,  se  sont  produites  d'une  manière  très  analogue. 
On  ne  saurait  donc  chercher  dans  l'influence  actuelle  du  milieu  physique 
la  cause  des  difl"érences  observées,  différences  qui  d'ailleurs,  il  faut  bien 
le  dire,  sont  beaucoup  moins  nombreuses  que  les  ressemblances. 

Dans  un  autre  ordre  d'idées,  on  peut  se  demander  si  des  graines  de 
plantes  transportées  de  l'une  des  chaînes  dans  l'autre,  et  venant  tomber 
au  milieu  de  la  végétation  déjà  établie,  installeront  facilement  de  nou- 
velles espèces.  Autrement  dit,  s'il  était  possible  d'imaginer  que  l'on 
brassât  ensemble  toutes  les  graines  des  plantes  des  Alpes  avec  celles  des 
Pyrénées,  et  que  l'on  put  faire  tomber  ce  mélange  sur  les  deux  chaînes 
de  montagnes  recouvertes  de  leur  végétation  actuelle,  les  deux  flores 
seraient-elles  rapidement  uniformisées? 

Les  expériences  suivantes  semblent  prouver  que  non.  J'ai  essayé,  en 
plusieurs  points  des  Alpes,  de  naturaliser  par  semis,  sans  toucher  au  sol, 
des  plantes  spéciales  aux  Pyrénées  et  qui  y  poussent  dans  des  endroits 
absolument  analogues.  J'ai  essayé  réciproquement  de  semer,  en  certains 
points  de  la  chaîne  des  Pyrénées,  des  plantes  similaires  spéciales  aux 
Alpes.  Ni  dans  l'un,  ni  dans  l'autre  cas,  les  quelques  plantes  qui  ont 
germé  ou  même  fleuri  n'ont  pris  d'extension  sérieuse.  Elles  paraissent 
toutes  refoulées  par  la  végétation  déjà  établie,  et  la  naturalisation  d'au- 
cune d'elles  ne  semble  certaine. 

C'est  ainsi  que  le  Viola  cornuta,  semé  près  d'un  chalet  abandonné  dans 
les  Alpes  vers  2.000  mètres  d'altitude,  s'est  localisé  dans  un  terrain  où  ne 
se  trouvaient  pas  de  plantes  alpines  et  n'a  pas  pu  prospérer  dans  les 
prairies  alpines  voisines  où  poussait  en  abondance  le  Viola  calcaraia. 
J'ai  échoué  plus  encore  dans  les  essais  de  naturalisation  du  Vicia  pyre- 
naica,  du  Carduus  carlinoides,  du  Veronica  nummularia  et,  à  des  altitudes 
d'environ  700  mètres,  du  Senecio  adonidifolius.  Réciproquement,  les  semis 
de  graines  de  Galium  helveticuni,  de  Cirsium  spinosisdmum  et  de  Lilium 
croceum  n'ont  donné  dans  les  Pyrénées  que  quelques  plantes  germant, 
celles  de  la  seconde  espèce  ayant  seules  donné  des  fleurs. 

Ces  résultats  négatifs  s'expliquent  assez  bien  lorsqu'on  réfléchit,  d'une 
part,  que  presque  partout  le  sol  est  déjà  préalablement  occupé  par  les 
rhizomes  et  les  racines  des  plantes  indigènes,  et,  d'autre  part,  que  ces 
plantes  étant  toutes  vivaces,  leur  germination  se  fait  le  plus  souvent  dans 
des  conditions  difliciles  (1). 

Ainsi  donc,  quand  bien  même  des  graines,  dans  le  même  milieu 
actuel,  tomberaient  à  la  fois  sur  les   deux   chaînes  de  montagnes,  elles 

[il  Pour  meure  en  évidence  ce  dernier  point,  j'ai  semé  en  différents  endroits  des  Alpes  et  des 
Ipyrénées,  à  des  altitudes  ne  dépassant  pos  l.SOO  mètres,  des  plantes  annuelles  ou  bisannuelles 
leUcs  que  :  Echium  vulgare,  Verbctscum  Thapsiis,  Arenaria  serpulUfolia,  Poa  annua,  etc.;  et  ces 
plantes,  depuis  188A,  se  sont  assez  bien  développées  en  certains  endroits,  en  se  reproduisant  par 
graines  chaque  année. 


G.    BONNIER.    —    FLORES    DES    PYRÉNÉES    ET   DES    ALPES  40à 

auraient  à  compter  avec  la  lutte  pour  l'existence  qui  s'établirait  entre 
elles  et  les  espèces  déjà  établies.  On  peut  prévoir  que  le  plus  grand 
nombre  d'entre  elles  succomberaient  dans  celte  lutte. 


CONCLUSIONS 


Il  résulte  de  tout  ce  qui  précède  que  la  chaîne  des  Alpes  et  la  chaîne 
des  Pyrénées  présentent  à  leurs  diverses  altitudes  des  conditions  actuelles 
de  milieu  physique  qu'on  peut  considérer  comme  identiques  ;  mais,  qu  a 
côté  d'un  grand  nombre  de  plantes  qui  offrent  les  mêmes  caractères,  il 
s'en  trouve  beaucoup  qui  sont  différentes;  et,  fait  plus  important  encore 
à  noter,  que  les  espèces  identiques  se  distribuent  souvent,  dans  chacune 
des  deux  chaînes,  d'une  manière  qui  n'est  pas  la  même. 

Isolées,  dans  un  terrain  préalablement  déblayé  de  toute  culture  et 
convenablement  sarclé  chaque  année,  les  mêmes  plantes  subissent  dans 
les  deux  groupes  de  montagnes,  les  mêmes  modifications.  Mais,  placées 
en  lutte  avec  les  espèces  indigènes,  elles  s'y  comportent  différomment  et 
sont  inégalement  refoulées  par  les  espèces  déjà  établies. 

Bien  que  l'origine  de  la  chaîne  des  Alpes  soit  tout  autre  que  celle  de 
la  chaîne  des  Pyrénées,  la  géologie  nous  apprend  qu'à  l'époque  gla- 
ciaire une  communication  a  dû  s'établir  pendant  longtemps  entre  les  deux 
chaînes.  Si  donc  cette  jonction  et  les  conditions  actuelles  du  milieu  peu- 
vent expliquer  les  similitudes  qu'on  observe  entre  les  deux  flores,  ce  ne 
serait  qu'à  l'histoire  différente  de  la  lutte  pour  l'exi'stence  dans  les  Alpes 
et  dans  les  Pyrénées  qu'on  pourrait  attribuer  la  cause  des  différences.  On 
comprend  facilement,  en  effet,  que  les  espèces  qui  avaient  été  repoussées 
en  dehors  de  l'extension  des  glaces  ont  dû,  en  remontant  peu  à  peu  sur 
ces  montagnes  corrodées  par  les  érosions  glaciaires,  se  trouver  placées 
pour  la  lutte,  de  part  et  d'autre,  dans  des  conditions  différentes. 

Si  l'on  consulte  les  documents  paléontologiques,  on  voit  d'ailleurs  que 
les  formes  végétales  ont  bien  peu  varié  depuis  l'époque  glaciaire,  et  que 
c'est  surtout  leur  distribution  qui  a  été  profondément  modifiée. 

D'après  ce  qui  vient  d'être  dit,  il  ne  serait  donc  même  pas  nécessaire 
de  supposer  qu'il  s'est  créé  depuis  l'époque  glaciaire  des  espèces  pyré- 
néennes de  premier  ordre,  ou  des  espèces  nouvelles  spéciales  aux  Alpes. 
Tout  en  admettant  qu'il  a  pu.  se  produire,  depuis  cette  époque  relative- 
ment récente,  des  changements  dans  les  formes  ou  les  variétés,  les 
conditions  dans  lesquelles  ont  dû  s'établir  les  deux  flores  suffisent  pour 
faire  comprendre  comment  elles  ont  pu  se  distribuer  d'une  manière  assez 
différente  dans  deux  milieux  presque  identiques. 


406 


BOTANIQUE 


MM.  COSTAIfTIÏ      et  DUFOÏÏR 

Maître  de  Conférences  Dirertenr-adjoint  du  Laboraloire  de  Biologie 

à  rÉcole  Normale  supérieure,  à  Paris.  de  Fontainebleau  (1). 


OBSERVATIONS  SUR  |,A  MOLE,  CHAMPIGNON  PARASITE  DU  CHAMPIGNON  DE  COUCHE 


—  Séance  du  16  seplemhre  IS92  — 

Dans  les  carrières  des  environs  de  Paris,  où  il  est  l'objet  d'une  culture 
en  grand,  le  champignon  de  couche  est  fréquemment  attaqué  par  une 
maladie  à  laquelle  les  champignonnistes  donnent  le  nom  de  mo/Ie.  Tel  est 
le  nom  que  nous  avons  employé  dans  une  Note  présentée  à  l'Académie 
des  Sciences  (2). 

M.  Prillieux  (3)  a  fait  remarquer,  avec  juste  raison,  que  les  champignons 
attaqués  ne  sont  pas  mous,  et  il  pense  que  l'orthographe  véritable  doit 
être  mole,  faisant  dériver  ce  nom  du  latin  mole.s,  masse,  les  échantillons 
malades  ayant  souvent,  comme  nous  le  verrons  plus  loin,  l'aspect  d'une 
masse  informe. 

Diverses  recherches  bibliographiques  nous  ont  conduit  à  admettre 
comme  très  vraisemblable  cette  étymologie,  mais  à  écrire  ce  mot  môle, 
seul  mot  qui  soit  dans  les  dictionnaires  i\). 

La  maladie  peut  affecter  les  champignons  de  deux  façons  bien  différentes. 

Dans  un  premier  cas,  le  champignon  n'est  que  peu  altéré  dans  sa 
forme;  on  y  distingue  bien  différenciés,  pied,  chapeau  et  lames.  Celles-ci, 
cependant,  au  lieu  d'être  droites,  sont  irrégulièrement  ondulées,  et  à  leur 
surface  on  voit  des  fdaments  blanchâtres  qui  appartiennent  au  parasite. 
Ajoutons  que  la  déformation  peut  être  plus  grande  ;  par  exemple,  le  cha- 
peau est  plus  irrégulier  et  parfois  développé  d'un  côté  seulement;  le 
pied  est  généralement  plus  épais  et  plus  court. 

(1)  Ce  travail  a  été  fait  au  Laboratoire  des  recherches  de  Botanique  do  l'Kcole  Normale  supérieure 
et  au  Laboratoire  de  Biologie  végétale  de  Fontainebleau. 

(2)  CosTAMn'  et  DrFoi  R,  La  Molle,  maladie  du  chfiinpignon  de  couclie  (Comptes  rendus  do  l'Aca- 
démie des  Sciences,  séance  du  29  février  1892). 

(3)  Prii.ueux,  Champignons  ds  coaclm  nUaques par  le  Mycogone  rofsea.  (Bulletin  de  la  Société  Myco- 
logique  de  France,  t.  vJlL  p.  24.  Bull,  de  la  Soc.  hot.  1892,  p.  1-'i6.) 

(4)  Chacun  connaît  le  sens  que  possède  ce  mot  quand  il  est  masculin  :  un  môle  est  une  jetée  cons- 
truite à  l'entrée  d'un  porl.  Au  féminin,  il  a  plusieurs  sens  peu  connus  et  tout  à  fait  spéciaux.  Un  de 
ces  sens  est  le  suivant  :  sorte  de  masse  informe  que  rejettent  parfois  les  femmes.  C'est  ce  sens  qui 
rappelle  le  mieux  certains  échantillons  malades  dont  nous  allons  parler. 


COSTANTIN  ET  DUFOUR.  —  OBSEUVATIOXS  SUR  LA  MOLE        -407 

L'éludo  microscopique  de  ce  parasite  des  feuillets  montre  que  l'on  a 
affaire  à  un  Verticillium.  L'appareil  fructifère  est  formé  d'un  filament 
central  qui  porte  des  séries  de  rameaux  secondaires  disposés  en  verticilles 
et  formant  à  leur  extrémité  un  capitule  de  spores.  Ces  spores  sont  inco- 
lores, lisses,  cylindriques,  arrondies  aux  deux  extrémités.  Unicellulaires 
quand  elles  sont  jeunes,  elles  acquièrent  tardivement  une  cloison  trans- 
versale. Attirons  l'attention  sur  ce  fait  qu'elles  sont  assez  grandes;  elles 
mesurent  8  à  20  \x  sur  3  a  à  3,5. 

Telle  est  la  forme  fructifère  qui  se  produit  au  début  de  la  maladie. 
Plus  tard,  à  cette  forme  sporifère  s'en  vient  joindre  une  seconde.  Çà  et 
là,  à  l'extrémité  des  ramifications  se  forment  des  spores  bicellulaires 
sphériques,  à  membrane  épaisse,  brunâtre,  hérissée  de  verrues.  Cette 
forme  fructifère  est  un  Mycogone.  Elle  apparaît  en  très  grande  abondance 
sur  le  pied  et  le  chapeau.  La  coexistence  des  deux  sortes  de  spores  sur  des 
filaments  en  continuité  les  uns  avec  les  autres  ne  laisse  aucun  doute  sur 
l'identité  spécifique  de  ces  deux  formes. 

Mais  la  maladie  présente  souvent  un  tout  autre  aspect.  Le  champignon 
est  alors  complètement  déformé  :  le  chapeau  est  à  peine  développé,  le  pied 
a  l'aspect  d'une  masse  bosselée,  irrégulière,  les  lames  existent  à  peine, 
et  enfin,  dans  les  cas  extrêmes  de  déformation,  aucune  partie  du  champi- 
gnon ne  peut  plus  être  distinguée;  il  ne  reste  plus  qu'une  masse  assez 
semblable  extérieurement  à  un  Scléroderme  et  à  laquelle  convient  spécia- 
lement le  nom  de  môle. 

Sur  les  échantillons  de  ce  deuxième  type  la  maladie  se  révèle  par  une 
teinte  gris  rosé  dans  les  endroits  occupés  par  le  parasite.  Si  l'on  soumet 
à  l'examen  microscopique  la  moisissure  produisant  ces  résultats,  on 
reconnaît  encore  un  Verticillium.  Mais  celui-ci  ne  ressemble  pas  au  Verli- 
cillmm  dont  il  a  été  parlé  plus  haut.  Ses  filaments  sont  beaucoup  plus 
grêles,  ses  ramifications  plus  courtes,  ses  spores  beaucoup  plus  petites  et 
toujours  unicellulaires.  Elles  ne  mesurent  que  4  [j.  sur  2  jx. 

De  plus,  en  général,  avec  cette  forme,  pas  trace  de  Mjjcogone. 

On  pourrait  inférer  de  là  qu'il  s'agit  de  deux  champignons  diffé- 
rents, produisant  des  déformations  différentes.  Disons  de  suite  qu'il 
n'en  est  rien,  (^cs  deux  formes  sont,  il  est  vrai,  le  plus  souvent,  entiè- 
rement distinctes,  de  sorte  que  quand  l'on  rencontre  l'une,  l'autre 
n'existe  pas. 

Cependant,  sur  un  échantillon  extrêmement  déformé,  qui  présentait  au 
plus  haut  degré  les  caractères  extérieurs  de  la  seconde  forme  de  la 
maladie,  nous  avons  constaté,  en  continuité  certaine,  les  filaments  de  la 
première  forme  et  les  filaments  de  la  seconde.  L'étude  microscopique  a 
précisé  ces  données  en  montrant  toutes  les  transitions  possibles  entre  le 
Verticillium  à  petites  spores  et  le  Verticillium  à  grandes  spores,  la  coexis- 


4-08  BOTANIQUE 

lence  de  ces  deux  formes  d'arbuscules  fructifères  partant  de  filaments 
mycéliens  communs,  et  en  outre  l'existence  du  Mycogone. 

11  ne  saurait  donc  y  avoir  de  doute.  Il  nous  est  difficile  de  préciser 
dans  quelles  conditions  se  constituent  les  diverses  formes  fructifères,  mais 
elles  appartiennent  à  une  môme  espèce. 

La  forme  la  plus  dangereuse  est  le  Verticillium  à  petites  spores  :  il 
produit  des  déformations  bien  plus  considérables  et  l'immense  quantité 
de  ses  spores  en  rend  la  propagation  très  rapide. 

Quel  nom  donner  au  champignon  qui  produit  la  môle  ?  Les  Mycogone 
dont  il  se  rapproche  le  plus  sont  les  M.  cervina  et  rosea.  Plus  voisin  de 
M.  cervina  par  sa  couleur  fauve  il  en  diffère  par  les  dimensions  de  ses 
spores  ;  le  M,  cervina,  d'ailleurs,  n'a  jamais  été  observé  que  sur  des 
Discomycètes.  D'autre  part,  le  parasite  dont  nous  nous  occupons  ne  possède 
ni  des  spores  de  même  dimension,  ni  la  même  couleur  que  le  M.  rosea. 
Ce  champignon  nous  semble  donc  être  une  espèce  distincte.  On  sait  que 
Tulasne  a  induit  de  ses  recherches  que  certains  Mycogone  doivent  être 
des  formes  fructifères  (chlamydospores)  d'Ascom ycètes  du  genre  Hypomyces. 
M.  Cornu  a  affirmé  que  le  Mycogone  rosea  appartenait  à  un  Melanospora. 
M.  Magnus(l),  qui  a  observé  ce  parasite  du  PmlUota,  a  supposé  qu'il 
appartenait  à  un  Hypomyces,  qu'il  a  appelé  H.  perniciosus.  Nous  pouvons 
donc  le  désigner  sous  le  nom  de  J/j/co^o«ejoermc/osa,  laissant  complètement 
ouverte  la  question  de  savoir  s'il  existe  ou  non  un  Hypomyces  perniciosus. 

Les  diverses  formes  fructifères  du  M.  perniciosa  sont  faciles  à  obtenir 
en  cultures  artificielles,  sur  fragments  de  pommes  de  terre,  de  carottes, 
de  navets,  de  champignons  de  couche. 

En  semant  le  Verticillium  à  grandes  spores  ou  le  Mycogone,  on  repro- 
duit cette  forme  associée  au  Mycogone  ou  bien  le  Mycogone  seul.  En 
semant  le  Verlicillium  à  petites  spores,  on  n'obtient  que  lui.  Nous  ne  sommes 
pas  parvenus  à  trouver  les  conditions  dans  lesquelles  apparaît  telle  ou 
telle  forme  fructifère,  soit  dans  les  carrières,  soit  dans  les  cultures  sur 
milieux  stérilisés. 

L'aspect  des  cultures  est  très  différent  suivant  les  spores  que  l'on  a 
semées.  Avec  le  Verticillium  à  petites  spores,  la  culture  est  toujours  blanche, 
elle  se  présente  comme  un  gazon  touffu,  dense,  ou  bien  comme  une 
croûte  mince,  sèche,  lisse  d'abord,  puis  irrégulièrement  plissée.  Avec 
le  Mycogone  ou  le  Verticillium  à  grandes  spores,  la  culture,  blanche  au 
début,  prend  une  teinte  fauve  de  plus  en  plus  foncée,  et  elle  est  consti- 
tuée par  un  feutrage  beaucoup  moins  serré. 

(1)  Voir  Versnininhtng  deutscher  Natiirforscher  tit}d  Aertze  in  Wie^hndeiu  18S7. 


/ 

COSTANTIN    ET    DUFOl'R.    —    OBSERVATIONS    SUR    I.A    MOLE  409 

La  môle  est  une  cause  de  pertes  très  sérieuses,  car  elle  existe  chez  tous 
les  champignonnistes.  La  valeur  de  la  production  annuelle  des  champi- 
gnons dans  les  environs  de  Paris  est  d'une  douzaine  de  millions.  Or,  la 
récolte  est  diminuée  d'un  dixième  à  un  quart  environ  par  suite  de  cette 
maladie;  la  perte  subie  est  donc  comprise  entre  un  et  trois  millions.  Et 
encore  nous  ne  parlons  pas  de  grandes  épidémies;  on  a  vu  parfois  dans 
des  carrières  entières,  la  récolte  totalement  perdue. 

La  môle  se  montre  peu  ou  môme  pas  du  tout  dans  une  carrière  nou- 
vellement employée  à  la  culture  de  champignons  de  couche;  mais,  au 
bout  d'un  petit  nombre  de  cultures,  la  maladie  s'étend  de  plus  en  plus  et 
habituellement  les  champignonnistes  finissent  par  abandonner  pendant 
plusieurs  aimées  les  carrières  où  la  maladie  acquiert  une  trop  grande 
intensité.  Après  ce  long  intervalle,  toutes  les  spores  ayant  sans  doute  péri, 
la  carrière  devient  de  nouveau  apte  à  fournir  des  récoltes  rémunératrices. 

Y  aurait-il  des  moyens  de  combattre  la  maladie  ?  Nous  avons  essayé 
une  série  d'antiseptiques  pour  voir  quel  effet  ils  auraient  sur  les  spores 
du  champignon  :  le  sulfate  de  cuivre,  l'acide  borique,  le  bisulfite  de  chaux, 
le  lysol,  l'acide  sulfureux. 

Nous  avons  opéré  de  trois  façons  différentes  :  1"  par  immersion;  2° par 
pulvérisation;  3"  par  fumigation. 

Méthode  par  immersion.  —  Une  culture  artificielle  du  champignon  est 
entièrement  immergée  dans  le  liquide  antiseptique.  Une  précaution  à 
prendre  dans  ce  cas  est  d'agiter  la  culture  dans  le  liquide  afin  d'être  bien 
sûr  qu'elle  est  intégralement  mouillée.  Il  va  sans  dire  qu'avant  l'im- 
mersion on  a  fait  des  semis  témoins  au  moyen  de  cette  culture  afin  de 
s'assurer  que  les  spores  y  étaient  bien  vivantes.  Au  bout  de  un,  deux,  trois 
jours,  on  fait  des  semis  de  la  culture  immergée  et  l'on  voit  après  com- 
bien de  temps  d'immersion  les  spores  sont  tuées. 

Ce  procédé  fournit  des  résultats  intéressants.  Voici  quelques  données 
relatives  à  divers  antiseptiques  employés.  Une  inmiersion  de  vingt-quatre 
heures  dans  l'acide  borique  à  2  et  3  0/0,  dans  le  sulfate  de  cuivre  à  2 
et  à  3  0/0  ne  tue  pas  les  spores,  ni  do  Verlicillium,  ni  de  Mi/cogone. 
Une  immersion  de  six  jours  dans  l'acide  borique  à  3  0/0,  dans  le  sulfate 
de  cuivre  à  1,  o  0/0  est  également  inefficace.  Mais  si  l'on  a  employé  une 
solution  de  ce  dernier  sel  à  2  ou  à  3  0/0  on  n'obtient  plus  aucun  dévelop- 
pement. Le  lysol  a  été  employé  aux  doses  de  1/2, 1,2  et  4  0/0.  Cet  anti- 
septique paraît  plus  énergique  que  les  précédents,  car  des  semis  faits  au 
moyen  de  spores  prises  sur  une  culture  immergée  pendant  quarante-huit 
heures  n'ont  fourni  aucun  développement.  Une  solution,  même  très 
étendue  de  lysol,  1/2  0/0,  fait  donc  périr  les  spores. 


410  BOTANIQUE 

Méthode  par  pulvérisation.  —  Au  moyen  d'un  pulvérisateur,  on  projette, 
en  très  fines  gouttelettes,  le  liquide  expérimenté  sur  une  culture.  Le 
liquide  s'est  évaporé  au  bout  d'un  certain  temps;  on  fait,  soit  à  ce  mo- 
ment, soit  plus  tard,  des  semis  au  moyen  de  la  culture.  Si  l'on  obtient 
un  développement,  c'est  qu'il  reste  des  spores  vivantes,  que  l'effet  de 
l'opération  a  été  sinon  nul,  au  moins  incomplet.  On  refait  une  seconde 
pulvérisation,  puis  un  second  semis.  On  voit  alors  si  toutes  les  spores 
ont,  cette  fois,  été  tuées.  S'il  n'en  est  pas  ainsi,  on  refait  une  troisième 
opération  et  ainsi  de  suite. 

D'une  façon  générale,  on  peut  dire  qu'avec  les  liquides  employés,  l'effet 
de  ces  pulvérisations  est  fort  incomplet.  Il  est  vraisemblable  que  le  li- 
quide s'évaporant  assez  vite,  son  action  n'a  qu'une  durée  trop  courte 
pour  être  meurtrière  ;  de  plus,  les  cultures  sont  beaucoup  moins  impré- 
gnées de  liquide  que  quand  on  emploie  la  première  méthode.  Une 
pulvérisation  ne  mouille  pas  nécessairement  intégralement  la  culture. 
Des  spores  échappent  à  l'antiseptique.  Cependant  cela  ne  veut  pas  dire 
qu'une  telle  méthode  ne  puisse  pas  être  utile  :  un  grand  nombre  de 
spores  périssent  et  le  développement  du  parasite  est  beaucoup  entravé. 

Nous  avons  obtenu  de  très  bons  rési^ltats  à  la  suite  d'une  seule 
pulvérisation  au  bisulfite  de  chaux  (à  l'état  liquide  et  au  degré  de 
concentration  sous  lequel  on  le  rencontre  chez  les  fabricants  de  produits 
chimiques). 

L'acide  borique  nous  a,  d'ailleurs,  fourni  des  résultats  nets.  Après  deux 
pulvérisations  d'acide  borique  à  2  et  3  0/0,  on  n'obtient  pas  de  déve- 
loppement. Dans  ce  cas,  l'action  de  l'acide  se  combine  avec  la  dessiccation 
pour  entraver  le  développement  des  spores. 

.  L'acide  borique,  par  sa  présence,  doit  empêcher  la  germination  des 
spores,  car  en  semant  des  spores  vivantes  de  Verticillium  ou  de  Mi/cor/one 
sur  une  pomme  de  terre  plongeant  par  sa  base  dans  une  solution  bori- 
quée  à  2  et  3  0/0,  on  n'obtient  aucune  trace  de  développement.  En  opé- 
rant, au  contraire,  d'après  ce  procédé  avec  du  sulfate  de  cuivre,  on  voit 
les  deux  formes  du  parasite  se  développer  très  bien,  au  moins  au  sommet 
de  la  pomme  de  terre,  sur  la  partie  la  plus  éloignée  du  liquide. 

Par  cette  méthode,  le  lysol  a  fourni  des  résultats  différents  suivant  le 
degré  de  concentration  de  la  solution.  Deux  pulvérisations  successives  au 
lysol  à  1  0/0  sont  insullisantes  pour  tuer  toutes  les  spores  d'une  culture. 
Elles  suffisent  à  2  et  3  0/0. 

Dans  la  pratique,  il  ne  saurait  être  question  d'immerger  les  meules; 
l'opération  est  tout  simplement  impossible.  Mais  une  ou  deux  pulvérisations 
au  lysol  ou  à  l'acide  borique,  alors  que  la  maladie  commence  à  appa- 
raître, avant  qu'elle  n'ait  acquis  un  grand  développement,  rendraient 
des  services  certains. 


COSTAMTIN    ET   DUFOUR.    —    OBSERVATIONS    SUR    LA    MOLE  411 

3°  Méthode  par  fumigations.  —  Un  autre  antiseptique  employé  a  été 
Vacirle  sulfureux.  L'action  de  cet  acide  est  extrêmement  énergique.  Dans 
une  salle  hermétiquement  close  d'environ  90  mètres  cubes,  nous  avons 
brûlé  30  grammes  de  soufre  par  mètre  cube.  Çà  et  là,  dans  la  pièce, 
étaient  des  tubes  de  culture,  les  uns  ouverts,  les  autres  restant  fermés  par 
leurs  tampons  de  coton.  Au  bout  de  vingt-quatre  heures,  la  pièce  a  été 
ouverte,  et  des  semis  ont  été  faits  au  moyen  des  tubes  mis  en  expé- 
rience. Toutes  les  spores  avaient  été  tuées;  aucun  semis  n'a  fourni  le  cham- 
pignon; et  cela  même  pour  les  tubes  restés  bouchés  au  coton.  Le  gaz- 
sulfureux  pénètre  donc  avec  la  plus  grande  facilité  dans  ces  tubes  pour 
y  exercer  son  effet. 

Ce  résultat  est  très  important,  car  les  courants  d'air  qui  se  produisent 
dans  une  carrière  à  cause  de  l'aération  habituelle,  du  passage  des  ou- 
vriers, etc.,  disséminent  les  spores  de  toutes  parts,  sur  les  parois  de  la  car- 
rière, par  exemple.  Plus  tard,  un  autre  courant  d'air  les  fait  tomber  sur 
la  meule  dont  elles  produisent  la  contamination.  Les  pulvérisations  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut  ne  peuvent  être  faites  sur  toutes  les  parois 
d'une  carrière.  Au  contraire,  le  gaz  sulfureux  pénétrera  avec  la  plus 
grande  facilité  dans  les  moindres  interstices  où  peuvent  être  logées  des 
spores  et  les  détruira. 

Mais  l'emploi  de  cet  acide  ne  peut  être  conseillé  que  dans  des  con- 
ditions bien  déterminées.  On  ne  s'avisera  évidemment  pas  de  pro- 
duire du  gaz  sulfureux  dans  une  carrière  en  pleine  production,  où  la 
maladie  commence  à  peine  à  se  montrer;  on  obtiendrait  comme  ré- 
sultat la  destruction  du  champignon  de  couche. 

Mais  quand  une  épidémie  est  bien  déclarée,  que  le  champignonniste 
est  dans  l'intention  d'abandonner  sa  carrière  pour  un  temps  plus  ou  moins 
long,  alors  qu'il  emploie  un  remède  radical,  qu'il  enlève  tout  ce  qui  a 
servi  à  la  culture,  fumier,  terre  à  gopter,  etc.,  et  qu'il  purifie  complète- 
ment sa  carrière  par  l'acide  sulfureux.  La  dépense  n'est  pas  bien  grande  ; 
une  fois  l'opération  terminée,  l'aération  chasse  complètement  le  gaz,  et 
de  suite  on  peut  réutiliser  cette  carrière. 

Quant  au  gaz,  on  le  produira  en  brûlant  du  soufre. 

Sur  des  plateaux  de  fonte,  disposés  de  distance  en  distance,  on  place  du 
soufre  de  façon  à  en  avoir  environ  300  à  600  grammes  par  10  mètres  cubes; 
on  ajoute  un  peu  d'alcool  à  ce  soufre,  et  l'on  allume  d'abord,  les  plateaux 
les  plus  rapprochés  du  fond  de  la  carrière  et  successivement  les  autres,  à 
mesure  que,  pour  sortir,  l'on  se  rapproche  de  l'ouverture.  Tout  a  été 
préparé  d'avance  pour  que  la  fermeture  se  fasse  rapidement.  Au  bout  do 
vingt-quatre  heures,  quarante-huit  au  plus,  l'opération  est  terminée.  On 
rouvre  la  carrière,  on  procède  à  l'aération,  et  quand  l'odeur  a  totale- 
ment disparu,  la  carrière  est  susceptible  de  servir  de  nouveau. 


412  BOTANIQUE 

Ajoutons  que  diverses  précautions  devraient  être  prises,  d'une  manière 
constante,  pour  éviter  les  chances  de  dissémination  des  spores. 

L'ouvrier  chargé  de  ramasser  les  môles  —  et  il  devrait  y  en  avoir  un 
chargé  spécialement  de  cette  fonction  —  devrait  se  laver  les  mains  très 
fréquemment  avec  de  l'eau  boriquée  à  2  0/0  ou  3  0/0,  avec  du  lysol  à 
1  0/0  ou  avec  du  bisulfite  de  chaux.  Les  môles  devraient  être  enlevées 
immédiatement  et  ne  jamais  séjourner  sur  les  meules  ou  dans  les  sen- 
tiers de  la  carrière. 

Les  ouvriers  qui  entrent  dans  une  carrière,  que  l'on  commence  à  ex- 
ploiter devraient  avoir  par-dessus  leurs  habits  des  vêtements  de  toile 
sortant  de  chez  le  blanchisseur,  des  souliers  ou  des  chaussons  spéciaux 
pour  chaque  carrière;  les  patrons  devraient  exiger  d'eux  le  lavage  de 
leurs  mains  avec  les  solutions  précédentes. 

A  l'aide  de  l'acide  sulfureux  qui  purifiera  la  carrière,  et  à  l'aide  des 
précautions  précédentes  qui  réduiront  d'une  manière  notable  les  causes 
de  contamination  nouvelle,  on  diminuera  certainement,  dans  une  pro- 
portion considérable,  le  nombre  des  champignons  atteints  par  la  maladie, 
et  par  cela  même,  les  pertes  matérielles;  les  frais,  relativement  faibles, 
occasionnés  par  l'emploi  de  l'acide  sulfureux  et  des  divers  liquides  indi- 
qués précédemment,  seront  ainsi  largement  compensés. 


M.  Emile  BELLOC 

à  Paris. 


APERÇU   GÉNÉRAL   DE  LA  VÉGÉTATION    LACUSTRE   DANS   LES   PYRÉNÉES 


—  Séance  du  17  septembre  1892  — 

Malgré  le  noml»re  relativement  considérable  do  bassins  lacustres  ren- 
fermés dans  la  chaîne  des  Pyrénées,  les  plantes,  surtout  les  algues  micros- 
copiques, vivant  au  sein  des  eaux,  ont  été  complètement  négligées  par  les 
botanistes  qui  ont  décrit  la  flore  de  ce  beau  pays. 

Il  est  vrai  de  dire  que  l'étude  des  lacs  pyrénéens  offre  souvent  des  dif- 
cnltés  sérieuses,  et  qu'elle  exige,  de  la  part  des  observateurs,  des  aptitudes 
physiques  toutes  particulières,  la  majeure  partie  des  cuvettes  lacustres  étant 
reléguées  entre  1 .800  et  "2.700  mètres  d'altitude,  dans  des  régions  inhospita- 
lières et  par  conséquent  au-dessus  de  la  zone  habitée.  De  plus,  un  outillage 
spécial,  encombrant,  dispendieux  et  fort  difficile  à  transporter  au  milieu 


É.  BKLLUC.  —  LA  VÉGÉTATION  LACUSTRE  DANS  LES  PYKÉNÉES    413 

des  vallées  sauvages  et  désolées  où  ces  lacs  sont  ouverts,  est  indispen- 
sable à  quiconque  désire  se  livrer  à  l'étude  de  ces  végétations  aquatiques. 
De  nombreuses  explorations  personnelles,  faites  régulièrement  chaque 
année  à  travers  ces  montagnes,  m'ont  permis  d'accumuler  une  foule  de 
documents  précieux,  dont  le  dépouillement  a  fourni  les  résultats  que  je 
vais  exposer  dans  ce  mémoire. 

Les  lacs  supérieurs  renferment  généralement  un  très  petit  nombre  d'es- 
pèces de  plantes  phanérogames.  Celles  que  l'on  rencontre  le  plus  commu- 
nément dans  les  eaux  profondes  des  lacs  granitiques  appartiennent  aux 
genres  Sparcjanium,  Utricidaria,  ou  bien  à  la  famille  des  Ranunculacées. 
Les  Muscinées  semblent  plus  abondantes,  les  Characées  ne  s'élèvent  guère 
au-dessus  de  la  zone  moyenne,  et  ce  sont  les  Spirogyvées,  les  Desmidiées, 
et  surtout  les  Diatomées  qui  fournissent  l'appoint  le  plus  considérable  de 
la  flore  lacustre  ou  marécageuse  de  la  haute  région  pyrénéenne. 

Parmi  les  phanérogames,  certains  groupes  préfèrent  la  partie  inférieure 
de  la  chaîne  ;  je  citerai  :  les  Nymphéacées,  les  Myriophyllacées,  les  Pota- 
mogétacées,  les  Juncacées,  les  Cyperacées  ;  et  parmi  les  algues  :  les  Con- 
juguées, les  Conf'ervacées,  les  Characées  et  les  Diatomées. 

Généralement  un  certain  nombre  de  ces  végétations  émergent,  en  partie, 
au-dessus  des  eaux,  forment,  dans  la  portion  littorale  des  lacs  inférieurs, 
des  zones  bien  délimitées,  composées  d'abord  de  Phragmites,  puis  ensuite 
le  Scirpus,  auxquels  succèdent  souvent  les  Nymphéa,  les  Potamogeton, 
et  plus  avant,  en  allant  vers  le  centre  de  la  nappe  lacustre,  les  Myriophyl- 
lum,  les  Chara  et  les  Nitella,  sur  lesquels  les  Desmidiées  et  les  Diatomées 
vivent  en  abondance. 

Lorsque  les  dépressions  lacustres  ont  une  faible  profondeur  et  que  leurs 
pentes  latérales  sont  peu  inclinées  et  recouvertes  d'une  épaisse  couche  de 
limon,  il  se  forme  autour  des  bords  intérieurs  de  ces  dépressions  une 
zone  mal  délimitée,  périodiquement  découverte  ou  recouverte  par  les 
eaux,  selon  les  saisons  et  l'abondance  plus  ou  moins  grande  des  préci- 
pitations météoriques.  Dans  cette  zone,  les  Carex  croissent  parfois  en 
très  grand  nombre,  mélangés  aux  Sphagnum,  aux  Mousses  aquatiques  ei 
à  quelques  autres  plantes  (1)  que  j'ai  cru  devoir  également  faire  figurer 
dans  la  liste  ci-dessous,  en  ayant  soin  chaque  fois  de  signaler  leur  habitat. 

A  l'inspection  de  ces  végétations  lacustres,  énumérées  plus  loin,  on  est 
frappé  de  la  rareté,  —  dans  nos  montagnes,  —  de  certaines  espèces  telles 

(\)  Quelques  plantes  phanérogames,  lelles  que  lihamnus  catharlicus  |iar  exemple,  ne  figurent  ici 
qu'à  litre  de  simple  renseignement;  je  les  mentionne  néanmoins  puisqu'elles  sont  citées  par  cer- 
tains auteurs,  qui  les  ont  recueillies,  probablement,  dans  celle  zone  alteinativement  découverte  ou 
submergée,  dont  il  vient  d'être  question,  ou  bien  dans  le  voisinage  immédiat  des  lacs.  Cette  expli- 
cation suffira,  je  pense,  pour  dégager  ma  responsabilité,  car  les  botanistes  les  discerneront  aisément 
des  plantes  exclusivement  aquatiques. 


414  BOTANIQUE 

que  :  Isoetes  lacuslrk,  hoetes  Brochoni  (Molelay),  Isoetes  echinospora, 
Subularia  aqualica,  Pohjtrichum  strictum  et  Dicranum  Schmderi,  rencon- 
trées seulement  jusqu'ici  dans  la  partie  orientale  de  la  chaîne  pyrénéenne, 
sauf  Vhoetes  lacudris,  accidenlellement  signalé  dans  la  vallée  d'Aran. 

La  configuration  topographique  et  la  nature  géologique  du  sol  jouent  un 
très  grand  rôle  dans  la  distribution  géographique  des  plantes  aquatiques. 

La  composition  chimique  et  la  transparence  des  eaux  exercent  une 
action  directe  et  très  importante  sur  leur  mode  de  reproduction,  tandis 
qu'elles  paraissent  être  beaucoup  moins  sensibles  à  l'inlluence  de  l'al- 
titude. 

Pour  fixer  les  idées  sur  l'ensemble  de  ces  végétations,  je  vais  énumérer 
successivement  les  Phanérogames,  les  Cryptogames  vasculaires,  les  Mus- 
cinées  et  les  Algues  microscopiques,  qui  vivent  au  sein  des  lacs  pyrénéens. 

PHANÉROGAMES 

RANUNCULACÉES   (1) 

nanunculus  tricophyllus,  Chaix.     )      Ces  trois   espèces   se   rencontrent   assez 

—  flamula,  L.  [  fréquemment    sur  les  bords    marécageux 

—  lingua,  L.  )  des  étangs. 

Caltha  palustris,  L.  Commune  dans  les  eaux  peu  profondes. 

NYMPHÉACÉES 

Nymphéa  Alba,,  L.  )  ^^^^^^  j^^  j^^.^  ^^^.^  ^^^^  iuférieures. 

Nuphar  httcum,  bni.  ) 

—      pumilum,  Sm.  l'eu  commune. 

CRUCU'ÈRES 

Subularia  aquafica,  L.  Estany  Llarch  (Pyr.-Or  ). 

Roripa  nastartioides,  Sp.  Eaux  peu  profondes  de  la  région  inférieure  et  mojenne 

DROCÉRACÉES 

Drocera  rolundifolia,  L.  Lac  d"Oô.  Lac  Bleu  (sur  les  bords). 

RHAMiNACÉES 

Rhamilus  catharlicus,   L.  Le   D''  Jeanbeniat   cite  cette  espèce    sans  indicatiou 

d'habitat.  (Voir  la  note  l,  page  413. j 

MYRIOPHYLLACÉES  ("2) 

Myriophylluin  spicalum,    L.  Très  abondante  dans  les  pièces  d'eau    des  vallées 

inférieures  et  moyennes. 

HIPPUaiCACÉES 

Hippuris  vulgaris,  L.  Étangs  et  mares  des  basses  vallées. 

(1)  Le  nom  des  espèces  qui  n'ont  pas  été  recueilles  par  moi  esl  toujours  suivi  du  nom  de  celui 
qui  les  a  sisnalées. 

Pour  cetle  étude,  j'ai  cru  devoir  suivre  l'ordre  inverse  de  la  classification  adoptée  par  M.  Van 
Tieghem  dans  son  Traité  de  Botanique,  alin  de  rejeter  à  la  fin  de  cette  notice  Fembranchement  des 
THALLOPHYTES,  et  surtout  la  famille  des  Diatomées,  de  beaucoup  la  plus  importante  et  la  plus 
nombreuse  parmi  celles  qui  compusent  la  flore  lacustre  pyrénéenne. 

(2)  M.  L.  Molelay  a  trouvé  «  quelques  rares  brins  de  Myrioplujllum  allerniflomm  »,  dans  un 
«  bourrelet  d'Isoètes  desséchés  et  roulés,  entourant  l'eau  du  lac  »  de  Naguilles  (Ariège). 


É.  BELLOC.  —  LA  VÉGÉTATION  LACLSTKE  DANS  LES  PYRÉNÉES     415 

CALLITHRICHACÉES 

Callitliriche  hamulata,  Ktz.  (Jeanbernat  et  Tiinbal-Lagrave). 

CÉRATOPHVLLACÉES 

Ceratophijllum  demersum,  L.  Lacs  et  étangs  de  la  zone  intérieure. 

OMBELLIFÈRES 

OEnanlhe  /'istulosa,  L.  Lac  de  Lourdes,  lac  de  Saiut-Pé-d"Ardet,  lac  de  Barbazau. 
Siuin  angudifolium,  L.  {Berula  angustifolia,  Koch)  (Lapeyrouse).  (Voir  la  note  1, 

page  41  i.) 

Helosciadium  nodilloruiu,  K.  )   „  i-     j      i      u  n  ' 

„    ,        ,       ,      •    ,  \  Eaux  peu  protondes  des  basses  vallées. 

Hydrcoiyle  viUgaris,  L.  ) 

Astrantia  ininur,  L.  Lac  d'Albe  (Philippe),  rare.  (Voir  la  note  1,  page  414.) 

MÉNVANTUACÉES 

Menyanthes   trifoliata,  L.  Lacs  d'Escoubous  (Lapcyroitsc). 

UTRICULARIÉES 

Ulrieularia   vulgaris,     L.    Lac   marécageux  d'Estagnaou.   Lac   de    CaïUaoulas. 

[M.  Hariot]  (1). 

POLYGONACÉES 

Polggonum  amphibium,  L.  Lac  marécageux  d'Estaguaou. 

—  minus,  Huds.  Lac  de  Gaube  (Philippe).  (Voir  la  note  1,  page  414.) 

ALISMACÉES 

Âlisma  ranunculoides.  L.  Bords  des  étangs. 
—      plantago,  L.  .Mêmes  localités. 

TRIGLOCHLN  AGEES 

ScheuchzerUi  palustris,  L.  Je  n'ai  pas  rencontré  cette  espèce  au  lac  d'Espïungo, 

où  elle  a  été  signalée  par  Lapeyrouse. 

POTAMOGÉTACÉES 

Putamogelon  hclcwpJnjUus,  D.  C.  Lacs  et  marais 'de  la   région   intérieure.  Elle 

est  abondante    à    l'Estagnaou  de   Saint-Béat,    où 
Zetterstedt  l'indique  sous  le  nom  de  P.  graniineus,L. 

—  nalaits,  L.  Lacs  de  la  région  basse. 

—  densus,  L.  Très  abondante,  de  même  que  P.  pusilus,  dans  les  marais 

de  Salles  et  de  Juzet  (Bagnères-de-Luchonj. 

—  crispus,  L.,  mêmes  localités  que  le  P.  natans. 

—  pusilus.  L.,  mêmes  localités  que  le  P.  densus. 

TYPHACÉEâ 

Typlia  angustifolia,  L.  Marécages. 

Sparganiun  natans,  L.  (  Lacs  de  la  haute  région.  Lac  noir  de  Prat-Long.  Lac 

—  minimum    (      d'Espïnngo.  Lac  d'Estom.  Lac  de  Zaraguela. 

—  Bordera,  Focke.  —  Lac  de  Trémouze  (sic).  (Récolté  par  Bordère). 

(Ex.  Hariot). 

(1)  Le  nom  de  M.  Hariot  mis  entre  [  ]  indique  les  espèces  que  cet  obligeant  et  très  distingué 
naturaliste  a  bien  voulu  revoir  ou  déterminer;  je  suis  lieureux  de  lui  adresser  ici  tous  mes  remer- 
ciements. 


41(3  BOTANIQUE 

JUN'CACÉES 

Juncus  effums,  L.,  commune  dans  les  vallées  basses. 

—  glaucus,  Ehrh.  Région  inférieure. 

—  arcticus,  Wild.   Très  rare.  Zelterstedt  le  signale  «  au   bord  d'un   petit 

lac,  entre  Rencluse  et  les  glaciers  de  la  Maladetta  »  (sic). 

—  filiformis,  l.  Lac  de  Zaraguela.  Lac  d'Espïnngo.  Lacs  d'Aygues-Cluses 

(Lap.).  Lac  d'Iîstom  (J.  Vallot).  Cette  espèce  est  très  rare- 
ment abondante. 

—  supinus,  Mœnch.  Lac  de  Gaube  (Philippe). 

—  lamprocarpus,  Ehrh.  Lacs  d'Estom-Soubiran.  Lacs  du  port  de  Vénasque 

(Zett.). 

—  obtusifîorus,  Ehrh.  Marécages. 

—  alpinus,  Viil.  Région  moyenne.  Lac  de  Gaube. 

Liizula  spadica,  D.  G.  Assez  commune  dans  les  lieux  submergés  des  hautes 
vallées . 

—  pediformis,  U.  G.  Gette  espèce  est  commune  dans  les  prairies  humides  de 

la  région  moyenne;  cependant  M.  J.  Valiot  l'a  trouvée  dans 
la  région  glacée  d'Ardiden,  et  Picot  de  Lapeyrousela  signale 
au  lac  d'Escoubous. 

CYPÉRACÉES 

Cypenis  funcus,  L.  Flaques  d'eau  des  basses  vallées  et  marais  de  la  plaine. 

—  longus,  L.  Marécages. 

—  badius,  Desf.  (Jeanbernat  et  Timbal-Lagrave,  sans  indication  d'habitat.). 

—  flavescens,  L.  même  habitat  que  le  C.  fuscus. 
Cladiuin  Mariscus,  R.  Rr.  (Jeanbernat  et  Timbal-Lagrave). 

Rhynchospora  fusca,  R.  et  Sch.  Partie  marécageuse  des  nappes  lacustres  infé- 
rieures. 
Heleocharis  paluslris,  R.  Rr.  Lac  d'Estagnaou.  Lac  d'Espïnngo.  Lac  d'Escoubous. 
Scirpun  cœspUosus,  L.    Plus  marécageuse  que    lacustre.   Lac   Rleu.   Lac  d'Es- 
coubous. 

—  paucijlorus,  Liglhf.  Marais.  Assez  rare. 

—  lacuslris,  L.  Très  abondant  dans  la  zone  Uttorale  de  certains  lacs,  comme 

à  celui  de  Lourdes. 
Eriophoruni  anguslifolium,  Rolh.  Haute  région,  Néouvieille.     i  Bords 

—  latifoliuiii,  Hopp.  Région  inférieure  et  moyenne.  )     marécageux 

—  vaginuium,  L.  Lac  d'Escoubous.  )  des 

—  capilalum,  L.  Lac  d'Espïnngo.  Lac  de  Zaraguela.  (  naftpes  lacustres. 
Carex  leporina,    L.  Aux  bords  de  quelques  lacs  supérieurs.  Environs  du  lac 

d'Ilhéou  (J.  Vallot). 

—  maxima,  Scop.    (  Aux  bords  des  lacs. 

—  vesicaria,  L.        (  —  Lac  de  Zaraguela. 

—  ampullacea,  Good.  Bords  des  lacs  de  la  région    haute  et   moyenne.  Zel- 

terstedt donne  cette  espèce  comme  habitant  un  petit  lac 
«  entre  Rencluse  et  le  glacier  de  la  Maladetta  »  (sic). 

—  pseudo-cyperus,  L.  Marais. 

GRAMINÉES 

Phragmites  communis,  Trin.  Cette  espèce  forme,  avec   le  Scirpus  lacuslris,   une 

large  ceinture  intérieure  dans  la  zone  littorale  de  la  plu- 
part des  lacs  de  la  région  sous-pyrénéenne. 


K.  BELLOC.  LA  VÉGÉTATION  LACUSTRE  DANS  LES  l'YUÉ.N'ÉES     41" 

CRYPTOGAMES  VASCULAIRES 

ÉQUISÉTACÉES 

Equisetum  variegatum,  Schleich.   Bords  des   lacs  supérieurs.  Lac   des  Barans. 

Lac  Bleu. 

ISOETACÉES 

Isoetes  lacustris.  L.  (l).  )  ,       j.»    j      c  .         xi      . 

^      ,„,    [  Lac  d  Aude.  Estang-Llarch. 

—  echmospora,  Dur.  (2).  ) 

—  Brochoni,  Motelay  (2).  Lac  Lanoux.  Lac  de  Naguille. 

MUSCINÉES 

SPHAGNACÉES 

Spliagnuin  cymbifolium,  Ehr.         j  On  les  trouve  plus  particulièrement  dans  les 

—  rigidum,  Sclip.  /       marais  tourbeux,  les  mouiltères,  ainsi  que 

—  Girgetihsonii,  Ru^sow.   >      dans  la  petite  et  la  grande  Bouillouse(Pyré- 

—  acutifoHum,  Ehr.  i       nées-Orientales).   (D'après    une   note  ma- 

—  intermeiium ,  Haffner.  ,'      nuscrile  du  D""  .Teanbernat.) 

En  général,  les  Spha'ujnes  sont  peu  abondantes  dans  les  lacs  et  les 
étangs  marécageux  de  la  chaîne  pyrénéenne.  On  sait,  du  reste,  que  c'est 
à  peine  si  on  en  compte  une  quinzaine  d'espèces  pour  toute  l'Europe,  et 
même,  d'après  ^I.  E.  Husnot  {Sphagnologia  Europœa,  1882).  «  pour  ceux 
qui  ne  veulent  pas  admettre  le  transformisme  (quoique  ce  genre  soit  un 
de  ceux  qui  prouvent  le  mieux  cette  théorie)  et  qui  ne  considèrent 
comme  espèce  que  les  formes  qui  ne  se  rattachent  pas  à  d'autres  plus 
intermédiaires,  le  nombre  des  espèces  ne  doit  pas  être  plus  d'une  dizaine.  » 

Les  Sphaignes  vivent,  avec  quelques  mousses  aquatiques  (Fontinalis  anti- 
pt/retica),  sur  les  bords  des  dépressions  lacustres:  dans  cette  partie  excen- 
trique de  la  zone  littorale,  alternativement  submergée  et  recouverte  par 
les  eaux,  mais  toujours  humide,  dont  il  a  déjà  été  question;  cependant 
on  les  rencontre  beaucoup  plus  fréquemment  dans  les  parties  tourbeuses 
ou  marécageuses  des  cuvettes  lacustres  envahies  par  la  végétation. 

Quoique  les  Sphaignes,  comme  un  grand  nombre  d'autres  Muscinées, 
soient  pour  ainsi  dire  en  dehors  du  champ  de  cette  étude,  j'ai  cru  cepen- 
dant devoir  les  mentionner,  afin  de  donner  une  idée  plus  complète  sur 
la  flore  de  certains  bassins  lacustres,  en  partie  comblés  par  les  matières 
alluviales  ou  encombrés  par  les  plantes  aquatiques.  Parmi  ces  bassins, 
il  faut  citer  le  lac  de  Lourdes  (Hautes-Pyrénées),  les  lacs  de  Barbazan,  de 
Saint-Pé-d'Ârdet  et  d'Estagnaou.  dans  la  Haute-Garonne;  les  lacs  du 
désert  de  Carlitt  et  la  grande  Bouillouse  (vaste  cuvette  lacustre  de  plus 

(I;  VIsoeles  lacustris  a  été  récolté  en  grande  abondance,  dit  M.  Motelay,  dans  les  lacs  de  Lanoux 
et  de  Rouzet,  par  M.  M.  Marcailhou  d'Aymeric. 

(2)  Pendant  rimiiression  de  la  présente  notice,  j'ai  reçu,  par  l'obligeant  intermédiaire  de  .M.  di- 
Luetkens,  un  intéressant  mémoire  de  M.  L.  Molclay  sur  la  découverte  et  la  Défininon  de  Vlsoetes 
Brochoni,  (\m  -.  avait  déjà  été  récolté,  au  mois  dejuini8G2,  au  lac  d'Aude  ;Pyrénées-OrienUilesi  par 
M.  S.  de  Salve  (Herb.  Motelay)  et  confondu  jusqu'à  ces  jours-ci  avec  1"/.  echinospora  ».  (L.  Motelay. 

27* 


418  BOTANIQUE 

de  100  hectares,  dont  la  végétation  aquatique  s'est  emparée),  dans  les 
Pyrénées-Orientales;  et  enfin  les  nombreuses  mouillères  du  haut  bassin 
de  l'Aude,  du  Capsir,  du  Llaurenti  et  de  la  Cerdagne. 


MOUSSES 


DICRANUM 


Dicranum  pellucidum,  Hedw.  Bords  du  lac  de  Lourdes. 

—       palustre,  Lap.  {D.  Bonjeani,  de  Nol.).  —  Lac  de  Lourdes.  Lacs  comblés, 
actuellement  marécageux,  du  Capsir  et  de  la  Cerdagne. 

Schraderii,  Sch.  Lac  d'Aude.  Rare  dans  les  Pyrénées  (Jeanbernat  et 

F.  Renauld.) 

CAMPYLOPUS 

Campijlopus  flexuosus    Bréd.   )  ^^^  ^^  lourdes. 

—  fragilis,  B.  E.       ) 

FISSIDENS 

Fissidens  adiantoides,  Hedw.  Lac  de  Lourdes.  Lac  de  Barbazan. 

BARBULA 

Barbula  fragilis.  Étangs  marécageux  de  la  Cerdagne  et  du  Capsir.  Rare  (Jean- 
bernat et  Renauld). 

—  Brebissonii,  Brid.  Zone  littorale  marécageuse  du  lac  de  Lourdes. 

BUYUM 

Bryum  pseudotriquetrum,  Schw.  Bords    marécageux   des   étangs   de   la    région 

inférieure. 

MINIUM 

Minium  affine,  Schw.    )  n,     ,  ,    ,       .  •      u„^^„ 

"  ,     [  Marécages  de  la  région  basse. 

—  punctatum,  L.   ) 

AULACOMNIUM 

Aulacomnium  palustre,  Schw.  Partie  marécageuse  des  lacs  inférieurs. 

POLYTRICUM 

Polytricum  sexangulare,  Sp.  Lacs  d'Oô  (Spruce  et  Zetterstedt). 

—  striclum,  Menz.  Marécages  de  la  zone  inférieure. 

FONTINALIS 

Fontinalis  antipyretica,  L.  [Hariol].  Je  l'ai  recueillie  en  très  grande  abondance 

dans  le  lac  d'Espinngo,  où  elle  forme  une  couronne 
flottante  sur  le  bord  intérieur  de  la  cuvette. 

LESKEA 

Leskea  mutabilis.  Lac  d'Espïnngo. 

CLIMACIUM 

Climacium  dendroides,  Web.  Lac  de  Lourdes  (Renauld,  in  Boulay). 


É.  BELLOC.  —  LA  VÉGÉTATION  LACUSTRE  DANS  LES  PYRÉNÉES     419 

HYPNUM 

Htjpnum  nitens,  Schreb.  {Camptotlwcium  nilens,  de  Sch.)  Lac  de  Lourdes. 

—  inliferum,  R.  Spr.  Lac  de  Lourdes. 

—  elodes,  Schr.  Même  habitat  que  les  deux  espèces  précédentes. 

—  stellatum,  Schr.      )  ,  •  . 

,  o  1  Lieux  marecaoeux. 

—  polygamum,  Scnp.    )  ° 

—  /luitans,  L.  Dans  presque  tous  les  (Hangs  de  la  région  basse  et  moyenne. 

—  adunciim,  Hedw.  Mouillères  et   lacs  marécageux  du  Capsir  et  de  la 

Cerdagne. 

—  oernicosum,  Lind.    J   ,,       , 

,  o  (Jeanbernat.) 

—  revolvens,  S\v.  )  ^  ' 

—  commutalum,  Hedw.  Estagnaou,  Juzet.  Saint-Pé-d'Ardet.  Lourdes. 

—  giganteum,  Schp.  Lourdes  (Renauld,  in  Boulay). 

—  stramineum,  Dicks  (Jeanbernat  et  Renauld), 

—  loreuin,  L.  )  r        i     t         .        t^ 

,       .     ,  t-u      [  Lac  de  Lourdes  (Renauld,  in  Boulay). 

—  breviroslrum,  Ehr.    )  ^  •" 

—  arcticum.  Lac  Caïllaouas,  sur  les  parois  rocheuses  de  la  rive  droite,  où 

je  l'ai  récolté  (1). 

ALGUES 

11  n'a  encore  été  publié,  à  ma  connaissance,  aucune  étude  algologique 
relative  aux  végétations  exclusivement  lacustres  des  Pyrénées.  Cela  tient, 
évidemment,  à  ce  que  les  moyens  d'investigation  ont  fait  défaut  aux 
savants  naturalistes  qui  ont  dirigé  leurs  recherches  vers  ces  montagnes. 

Parmi  les  principaux  botanistes  qui  se  sont  occupé  des  Algues  pyré- 
néennes, il  faut  citer  :  W.  Smith  (Notes  of  an  escursion  to  the  Pyrénées  in 
search  of  Dinlomacese,  1838);  Soubeiran  (Essai  sur  la  matière  organisée 
des  sources  sulfureuses  des  Pyrénées,  1858);  Ripart  {Notice  sur  les  Algues 
récoltées  pendant  la  session  de  la  Société  botanique,  dans  les  Pyrénées,  1868); 
E.  Guinard  (plusieurs  mémoires  très  intéressants  sur  les  Diatomées);  Paul 
Petit,  Liste  des  Diatomées  récoltées  à  l'ascension  de  la  Rhune  (Bulletin  de  la 
Société  botanique,  1880);  H.  Peragallo  (Les  Diatomées  du  midi  de  la  France, 
1884),  {Liste  des  Diatomées  françaises,  dans  les  Diatomées,  par  le  D'"  J.  Pel- 
letan,  1888-89);  D.  .José  Antonio  Dosset  y  Monzon  (Datos  para  la  sinopsis 
de  las  Diatomeas  de  Aragon,  1888);  .1.  Conière  (Diatomées  du  bassin  sous- 
pyrénéen,  18!t2);  Fr.  Gay,  Algues  de  Bagnères-de-Bigorre  (Bulletin  de  la 
Société  botanique  de  France,  1891). 

En  ce  qui  me  concerne  personnellement,  j'ai  donné  une  étude  détaillée 
(avec  figures)  sur  les  Diatomées  de  Luchon  et  des  Pyrénées  centrales,  dans 
le  volume  offert  par  la  ville  de  Luchon  aux  membres  du  Congrès  de  Tou- 
louse, en  1887.  Depuis,  ni'étant  livré  plus  particulièrement  à  l'étude  des 
plantes  lacustres,  j'ai  consigné  les  premiers  résultats   fournis    par   mes 

i.l)  L'Hupnum  arcticum  n'avait  pas  oiicirc  élô  signalé  dans  les  Pyrénées  par  les  biiuiogues. 


420  BOTAJNIQUE 

recherches,  dans  une  brochure  intitulée  :  les  Diatomées  des  lacs  du  haut 
Larboust,  région  d'Oô  ( Pyrénées  centrales ) ,  Paris,  1890. 

Plusieurs  naturalistes  ont  bien  voulu  m'envoyer  des  préparations  mi- 
croscopiques ou  des  matériaux  bruts  provenant  des  Pyrénées  ;  quoique  la 
majeure  partie  de  ces  matériaux  eussent  été  récoltés  hors  des  cuvettes 
lacustres  ils  m'ont  néanmoins  été  utiles  comme  renseignements.  Je 
citerai  seulement,  parmi  ces  obligeants  confrères,  MM.  Certes,  D''  F.  Gar- 
rigou,  E.  Trutat,  Ch.  Fabre,  J.  Brun  (de  Genève),  D^  Leuduger-Fortmorel, 
Paul  Petit,  J.  Comère,  de  Coincy,  Maurice  Gourdon,  D''  P.  Racine,  et 
enfin  le  D''  Dosset  y  Monzon,  qui  a  joint  à  l'envoi  de  documents  inté- 
ressants, une  fort  belle  série  de  photographies  microscopiques. 

Au  cours  de  mes  explorations,  j'ai  recueilli  un  grand  nombre  d'Algues 
filamenteuses  Confervacées  et  Spirogi/rées  ;  entre  autres,  Spirogyra  parti- 
calis  (espèce  créée  par  le  professeur  Cleve,  d'Upsala);  Zijgnema  cru- 
cialum,  Lynghya  nigra?  {LdiC  Ca:il\<ionsis)  [Hariot].  Malheureusement,  les 
caractères  spécifiques  indispensables  pour  permettre  une  détermination 
exacte,  manquant  à  la  plupart  des  échantillons,  je  m'abstiendrai  d'en 
donner  la  liste,  en  cette  circonstance. 

Les  Characées  et  les  Nitellées  occupent  une  place  importante  dans  la 
partie  profonde  des  lacs  de  Lourdes,  de  Harbazan,  de  Saint-Pé-d'Ardet,  etc. 
Dans  plusieurs  lacs  de  la  région  moyenne  ou  inférieure,  les  Chara  fra- 
gilis  et  les  Nitella  translucens  couvrent  par  place  flac  d'Oô)  le  sol  sous- 
lacuslre  d'une  épaisse  couche  de  végétation. 

Parmi  les  autres  groupes  composant  la  classe  des  Algues,  la  tribu  des 
Desmidiées  (fam.  des  Conjugués),  et  surtout  la  famille  des  Diatomées, 
m'ont  fourni  les  matériaux  d'étude  les  plus  abondants  et  les  plus  remar- 
quables. 

En  raison  de  leur  extrême  petitesse,  qui  les  rend  facilement  transpor- 
tables par  les  vents,  les  eaux  torrentielles,  ainsi  que  par  les  oiseaux 
aquatiques  —  voir  :  Jules  de  Guerne,  Excursions  zoologiques  dans  les  lies 
de  Fayal  et  le  San-Miguel  (Açores),  Paris,  1888,  —  il  est  presque  impos- 
sible de  limiter  l'ère  de  dispersion  des  différentes  espèces  de  Desmidiées  et 
de  Diatomées,  comme  on  le  fait  généralement  pour  un  grand  nombre  de 
plantes  terrestres.  Il  faut  donc  se  borner  à  indiquer  leur  habitat  en  obser- 
vant, par  exemple,  que  les  Desmidiées  préfèrent  les  lieux  humides,  maré- 
cageux ou  tourbeux,  les  étangs  et  les  lacs  peu  profonds;  tandis  que  les 
Diatomées,  au  contraire,  recherchent  les  eaux  limpides  et  calmes,  les 
plantes  aquatiques  flottantes,  les  fonds  vaseux  et  les  corps  submergés. 

Les  lacs  de  Lourdes,  de  Saint-Pé-d"Ardet,  d'Estagnaou  (lorsqu'il  n'est 
pas  desséché),  de  même  que  celui  de  la  Couma-era-Abeca,  les  bords 
marécageux  et  le  fond  des  lacs  d'Oô,  d'Orédon,  de  Cap-de-Long,  d'Au- 
bert  et  d'Aumar,  les  lacs  et  les  étangs  du  Llaurenti  et  du  Capsir,  ainsi 


K.  HELLOC.  —  I.A  VÉGÉTATION  LACUSTRE  DANS  LES  PYRÉNÉES     121 

que  ceux  de  l'Aran  et  du  versant  espagnol,  renferment  une  immense 
quantité  de  Desmidiées  et  de  Diatomées. 

Pour  dresser  un  catalogue  complet  de  ces  végétations  microscopiques, 
il  faudrait  pouvoir  les  observer  sur  place  et  les  récolter  à  différentes 
époques  de  l'année,  c'cst-k-dire  dans  leurs  divers  états  végétatifs;  mais, 
la  chose  n'étant  pas  toujours  possible,  je  me  bornerai  donc,  pour  le 
moment,  à  ne  donner  la  liste  des  Desmidiées  ci-dessous  qu'à  titre  \)X0- 
visoire. 


DESMIDIEES 


Micrasterias  denticulata,  Bréb. 

—  conferta,  Lund. 

—  radiosa,  Ag. 
Euastrum  elcgans,  Kutz. 

—  didelta,  Ralfs. 

—  verrucûsum,  Ehr. 
Stauraslrum  dejectum,  Bréb. 

—  ûikiei,  Ralfs. 

—  hystrix.  Ralfs. 

—  pivœtulatum,  Bréb. 

—  aller iians,  Bréb. 

—  tricorne,  Bréb. 

• —  arcualum.  Nordst. 

—  gracile,  Ralfs. 

—  vestitum,  Ralfs. 

—  verlicillatum,  Archer. 

—  arliston,  Ehr. 

—  margaritaceum,  Meneg. 

—  tetracerum,  Ralfs. 
Peniuin  digitus,  Bréb. 


Penium  trunralum,  Kutz. 
Xantidium  fasciculatum,  Ehr. 

—  spinulosum.  Brun. 
Cosmarium  quadratum,  Ralfs. 

—  pyramidatum,  Bréb. 

—  calcareuin.  W. 

—  latum,  Bréb. 

—  marijaritiferum,  Turpin. 

—  reniforme,  Av. 

—  punctulatum ,  Bréb. 

—  botritis,  Meneghini. 

—  calatum,  Ralfs. 

—  ornatum,  Ralfs. 

—  orbiculatum,  Ralfs. 
Docidium  coronatum,  Bréb. 

—  clavatum,  Kutz. 

—  nodulosum,  Bréb. 
Sphœrosoma  filiforme,  Ehr. 
Desmidium  Swartzii,  Ralfs. 

—         quadrangulalum,  Ralfs. 


Tenant  à  ne  mentionner  que  les  individus  provenant  de  mes  récoltes 
personnelles,  cette  liste  ne  représente,  par  cela  même,  qu'une  fraction 
des  diverses  espèces  de  Desmidiées  v'wdiiïi  au  scindes  eaux  pyrénéennes. 

Pour  clore  ce  résumé  très  succinct,  en  attendant  mieux,  je  signalerai 
une  Desmidiée  du  genre  Closlerium,  —  inconnue  pour  moi  lorsque  je  l'ai 
recueillie  au  lac  de  Saint-Pé-d'Ardet,  —  mélangée  à  diverses  espèces  de 
Cosmarium.  Récemment,  ayant  reçu  de  AI.  F.  Gay  une  note  très  intéres- 
sante sur  les  Algues  de  Bagnêres-de-Bigorre  (1891),  j'y  ai  trouvé  la 
description  d'une  espèce  nouvelle,  le  Closterium  affine,  F.  Gay,  que  je 
crois  pouvoir  assimiler  au  type  de  Saint-Pé-d'Ardet;  malheureusement, 
mes  récoltes  un  peu  anciennes  et  en  partie  détériorées  par  un  trop  long 
séjour  dans  l'alcool,  ne  me  permettent  pas  d'afhrmer  que  cette  espèce 
soit  absolument  semblable  à  celle  découverte  par  M.  F.  Gay  en  1890. 


422 


BOTANIQUE 
DIATOMÉES 


Les  sondages  et  dragages  fort  nombreux  que  je  pratique  chaque  année 
dans  les  lacs  pyrénéens  ont  mis  en  ma  possession  des  documents  consi- 
dérables qu'il  eût  été  impossible  de  se  procurer  autrement  (1). 

Pour  résumer  la  florule  diatomique  des  principales  régions  lacustres 
des  Pyrénées,  j'ai  pris  comme  exemple  trent-sept  lacs.  Le  tableau  ci- 
après  fera  connaître  cette  flore  qui,  dans  l'état  actuel  de  mes  recherches, 
se  compose  de  31  genres  et  213  espèces  ou  variétés,  dont  voici  l'énu- 
mération  : 


fces 

Tar. 

7 

» 

i 

>•) 

2 

\ 

2 

» 

1 

1 

2 

1 

S 

1 

2 

1 

ACHNANTES 

ACHNANTIDIUM 

ÂMPHORA  

Campylodiscus 

Ceratoneis 

cocco.neis 

Cyclotella  

Cymatopleura  

Cymbella 16 

Denticula .        5 

Diatoma   4 

DlATOMELLA  1 

Epithemia 7 

EUNOTIA 1 

Fragilaria 6 

gompiionema ,       10      m 

A  reporter.    ...       72     13 


1 

2 
1 


Espi'Cfs  Tar. 

Report 72  13 

HiMANTIDIUM 7  » 

Mastogloia 1  » 

Melosira 6  1 

Meridion 1  1 

Navicula 37  16 

NiTZSCHIA 10  )' 

Odontidium 2  2 

Pleurosigma 2  » 

Rhoicosphenia 1  » 

Stauroneis 8  1 

surirella 10  2 

Synedra 11  3 

Tabellaria 2  » 

Tetracyclus 2  » 

Triblionella 2  » 

Total 174  39 


Total  général. 


Espèces. 
Variétés. 


174 

39 


=  213. 


Les  genres  les  mieux  représentés  dans  le  tableau  précédent  sont  donc 
les  Naviculées,  les  Cymbellées,  les  Sytiedrées,  les  Surirellées,  les  Nitz- 
schiées  et  les  Gomphonemées. 

Le  nombre  des  espèces  différentes  ne  préjuge  rien  quant  à  l'abondance 
des  individus.  Les  Cyclotelles,  par  exemple,  qui  fournissent  seulement 
cinq  espèces  et  une  variété,  tapissent  le  fond  d'un  grand  nombre  de 
cuvettes  lacustres;  à  elles  seules,  elles  entrent  pour  les  deux  tiers  environ 


(1)  M.  le  baron  Jules  de  Guerne  et  M.  Jules  Richard,  qui  ont  bien  voulu  examiner  le  produit  de 
mes  pêches  pélagiques  au  filet  fin,  ont  fait  à  la  Section  de  Zoologie,  d'après  ces  matériaux,  une 
communication  particulièrement  intéressante  sur  la  faune  microscopique  des  lacs  pyrénéens. 


É.  BELLOC.  —  LA  VÉGÉTATION  LACUSTRE  DANS  LKS  PYRÉNÉES     423 

dans  l'innombrable  quantité  de  Diatomées  vivant  à  la  surface  du  dépôt 
vaseux  du  lac  d'Oô.  L'espèce  la  plus  répandue  dans  ce  dépôt,  la  Cyclo- 
tella  Bodanica,  présente  cette  particularité  curieuse  que  :  le  professeur 
J.  Brun,  de  Genève,  l'ayant  recueillie  à  la  surface  du  lac  Léman,  la  con- 
sidère naturellement  comme  pélagique,  tandis  que  je  l'ai  trouvée  pul- 
lulant sur  la  vase  ramenée  par  la  drague  des  profondeurs  du  lac  d'Oô.  Le 
type  d'Oô  est,  à  peu  de  chose  près,  semblable  à  celui  du  lac  do  Genève, 
publié  par  MM.  Tempère  et  H.  Peragallo  dans  les  Diatomées  de  France. 

Parmi  les  lacs  qui  ont  donné  le  plus  grand  nombre  d'individus,  il  faut 
citer  d'abord  celui  d'Oô,  dans  lequel  j'avais  déjà  récolté  H 5  espèces 
différentes  de  Diatomées,  chiffre  qui  s'élève  actuellement  au  total  de 
131  espèces,  par  suite  de  nouvelles  recherches  entreprises  depuis.  Le  lac 
d'Espïnngo,  tributaire  de  celui  d'Oô,  en  a  fourni  75;  celui  de  Lourdes  57; 
Saint-Pé-d'Ardet  53,  et  Orédon  48. 

Le  petit  lac  de  Saounzat  (altitude  1.962  mètresj  et  le  bassin  aux  trois 
quarts  comblé  à'era-couma-et'a-Abeca  (la  coume  de  l'Évéque)  (altitude 
2.200  mètres)  renferment  aussi  des  Desmidiées  et  des  Diatomées  fort 
belles,  malgré  la  température  sibérienne  qui  règne  en  ces  lieux  durant 
plus  des  deux  tiers  de  l'année. 

Au  nombre  des  espèces  les  plus  répandues,  je  dois  signaler  :  Ceratoneis 
Arcus,  abondant  à  Caïllaouas  et  dans  presque  tous  les  lacs  supérieurs; 
Navicula  nobilis,  Nav.  rhyncocephala,  Nav.  radiosa,  N.  vindis,  Nitzschia 
minutissima,  Nit:;.  palea,  Surirella  hiseriala,  Synedra  UJna  et  ses  nom- 
breuses variétés,  Triblionella  acuminata,  etc. 

Les  plus  rares  sont  :  Melosira  grenulata,  Navicula  binodis,  Nav.  legu- 
men  et  sa  variété  decrescens ,  Nav.  thermalis  (que  j'ai  recueillie  à 
2.845  mètres  de  hauteur,  non  loin  du  lac  glacé  d'Oôj,  et  enfin,  pour  clore 
cette  énumération  et  ne  pas  dépasser  les  limites  qui  me  sont  assignées, 
je  mentionnerai,  en  terminant,  le  Tetracyclus  Braunii,  récolté  par  M.  le 
D''  Leuduger-Fortmorel  aux  cascades  d'Enfer  (vallée  du  Lys),  et  retrouvé 
depuis,  par  moi,  à  la  fontaine  du  lac  Noir  de  Prat-Long. 

En  résumé,  la  flore  algologique  des  bassins  lacustres  pyrénéens  est 
incomparablement  plus  riche  en  espèces  que  la  flore  phanérogamique. 
De  nouvelles  recherches  pourront  peut-être  ajouter  quelques  noms  de 
plantes  à  ceux  déjà  cités  au  cours  de  ce  travail,  mais  j'ai  la  conviction 
que  ces  additions  seront  peu  nombreuses;  dans  tous  les  cas,  malgré  sa 
brièveté,  j'espère  que  la  présente  notice  et  le  tableau  détaillé  de  la  distri- 
bution géographique  des  Diatomées  qui  va  suivre  (1),  suffiront  pour  donner 
une  idée  générale  exacte  de  l'état  actuel  de  la  végétation  lacustre  dans 
les  Pyrénées. 

(I)  Pour  la  légende  explicative  de  ce  tableau,  voir  page  /,32. 


TABLEAU  de  la  distribution  géographique  de! 

1      2     .3     4     5     6     7     X     !)    ]0   11 
1  AcHNANTES  deliccitulum,  Ktz 

eXlllS,    Ktz :•:        -|:        •• ^.         '. 

3  —         gibberula,  CI "]     '".     '",     ^^     ^.^     l     ]     ^     '     '''' 

4  —         lanceolata,  Bréb ,      , 

•5  —         microcephalum,    Klz 

6  —         ininutissima,   Ehr ....!.. 

7  —         trinode,    E 

8  AcHNANTiDiiM  flexellum,  Bréb ".'.*.""' 

9  A.MPHORA  ovalis,  Ktz ,.     •     v     •      •     .     .     *     . 

itJ        —  —      var.  qracilis,  Ehr 

11  —        pedtculus 

12  Campylodiscls  costatm,  Ehr "' 

1^  —  hibcrnicus,  Ehr ^ 

l-i  Ceratoneis  arcus,  Ehr ]     *      "      '     ' 

^^  —  —     var,  amphioxys,  Rab c  .      '..     T 

16  CoccoNEis  pediculus,  Ehr "' 

17  —       placent iila,  Ehr .      .      .     T     "      "      '      '     *     ■■'■     •• 

18  Gyclotella  bodanica,  Eul *      '      " 

19  —  comta,   Ehr .     ,*     .      .'     .'     .'      *     J. 

20  —  —      var.  afiinis \ '"[     [ 

21  —  —      var.  radiosa 

22  —  Kutzingiana ,  Ther ..... 

23  —  operculata,   Ktz '"     ] 

24  Cymatopleura  elliptica,  Bréb.   ... 

û)|"  :■: 

-^  —  —      var.   constncta,   Gru. 

26  —  Solea,  Bréb ^      [      [ '''■ 

27  Cymrella  affinis,   K "      ' ''     ■"' 

28  —  œqualis,  Sm '"     '      "      *      '      *     "     "- 

29  —  amphicephala,   Nœg , ,  [      ] 

30  —  cœspitosum,   Ktz .,.     ,'      "     ""  ' 

31  —  —  var.  venlricosa ', '      ' 

32  —  —  var.  pediculus 

33  Cistula •••:.:•• 

34  —  cuspidata,   Ktz.    . 

35  —  —  var.  alpestris,  Brun 

36  —  cymbiformis,  Ktz 

37  —  delicatula,  Ktz ••••:::::: 

38  —  Ehrenbergii,  Ktz "■     '      * 

39  —  gastroides,  Ktz "^     [ 

^0  —  gracilis,  Ehr 

'*!  —  —      var.  Lœvis 

42  —  lanceolata,  Ehr ,      *     [ ''' 

'43  —  maculata,   Ktz T     !      .  =!=•*■•::; 

44  —        inicrocephala,  Grun 

45  —        turgida,  Grég 

46  —         ventricosa,  Ktz ^_     [ 

47  Denticula  eleqans,  Ktz.  * *     ' 

48  —         fngida,  Ktz ,  , 

49  —        inflata,  Sm •...••      ,.     . 

50  —        obtusa,  W.  Sm "   .'   .*     .'  ,'.  ."     .,'     .'     *     '     ''''     [     ]     ] 

51  —         tennis,   Ktz "  '"  •••:::* 

52  DiATOMA  Ehrenbergii,  Ktz 

53  —       elongatum,  Ag 

54  —      tenue,  Ag.   ... 


[ATOMÉES  dans  quelques  lacs  des  Pyrénées. 

13  14  15  Ifi  17  18  19  20  21  22  23  24  25  26  27  28  29  30  31  32  33  34  35  36  37 

1  •  ^  4.  •  •  •  •  •  •  ;!;  •  k  •  ;|;  •  •  î-t  •  •  ;':  •  •  *  •  • 

2  •         :ic        ;!;         .  -  •         •         *.!;         •         :[;        :i:        ^.;         •  •         :|; :K         •         :î:        • 

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* 


■426  BOTANIQUE 

12     3456789    10  1 

55  DiATOMA  vulgare,  Bory *     h-     •      ■••*•*     m: 

56  DiATOMELLA  Bdlfourina,  Grév 

57  Epithemia  Argus,    Ktz .,.     . 

58  —        constricta ,  Bréb .,. 

59  —        gibba,   Ehr .!::!:     .      .      .      .     ,<: 

60  —  —       var.  venir icosa,  Ktz 

61  —        granulata,   Ehr ^ 

62  —        ocellata,    Ehr .,. .^. 

63  —         turgida ,    Ktz .,. ^ 

64  —        zébra,    Ehr ^ 

65  EuNOTiA  lunaris,  Bréb 

66  —  —        var.  bilunaris .,.. 

67  —  —        var.  exisa,  Grun 

68  Fragilaria  capucina,  Lism .     .^     .     .^     ^.     .     ,,.     .,.     . 

69  —  —  var.  acuta,  E.  , .,. 

70  —  conslruens,  Ehr .,. 

71  —  contracta,   Shum .,,     ...     ...     .;,     .,.     .     .     .,.     ^.     . 

72  —  Harrisonii  (Sm.)  Grun 

73  —  mutabilis ,    Grun .,.     .j.     .      .      .     ^.     ^     ^^     .     ^ 

74  —  virescens,  Ralfs 

75  GoMPHONEMA  acuminalum,   Ehr 

76  —  capitatum,    Ehr ^ 

77  —  constrictum,    Ehr .,..,.     ^. ^. 

78  —  dichotomum ,    Ktz , .^ 

79  —  geminatum,   Ag .,. 

80  —  intricatum,  Ktz .....,,. 

81  —  olivaceum,   Ehr .      .     . 

82  —  subclavatum,  Grun 

83  —  tenelluin,  Ktz .,. ,, 

84  —  vibrio,   E , 

85  Hi.MANTHiDiUM  arcus,  Ehr '. .^ 

86  —  bidens,  W.  Sm 

87  —  diodon,   Ehr 

88  —  gracile,    Ehr ^^ 

89  —  majus,  Sm 

90  —  pectinale,  Ktz ] 

91  —  polf/odon,    Ehr ,. 

92  Mastogloia  Smithii,  Thw ^     .,. 

93  Melosira  arcnaria,   Moore '. 

94  —         crenulata,  Ktz ,. 

95  —         distans,  Ehr 

96  —  —      var.   nivalis,  Sm 

97  —        granulata,  Ehr 

98  —         orichalcea,  Mertens 

99  —         varians,  Moore ,.,.,,. 

100  Meridion  circulare,  Ag T     .      ! 

101  Navicula  acuta,  Sm 

102  —  affims,    Ehr ^.     .      .     l     .     .     '.     '.     l     '. 

103  —  ambigua,    Ehr '. 

104  —  amphigomphus,  Ehr 

105  —  amphirhynchus ,  G ,. 

106  —  amphisbœna,    Bor}^ 

107  —  appendiculata.    Ktz .|.     .     ^. .^ 

108  —  —  var.   exilis 


* 


K.    BELLOC.    —   LA    VÉGÉTATION    LACUSTRE  DANS    LES    PYRÉNÉES  427 

13   14    15   16    17    18    1!)   20   21   22   23   24   25   26   27    28   29   30  31   32   33   34   35   36  37 


"*■'"  BOTAMQUK 

1     2      3     4     5     6     7     8     9   10   m 

109  Navicula  bacillum,    Vhv , 

110  —  binodis,   Sm 

111  —  borealis,  Elir '",     .      *     .      \     *     ] 

112  —  crassinervia,  Bréb ^ 

113  —  cryptocephala ,    W.    Sm ,.     '".      ^ 

114  —  cuspidata,  Ktz ^     . 

'^^  —  —          var.  alpeslris,  Brun 

116  —  dkephala,   Ktz 

117  —        eUiptica,  Ktz '  .' 

iio  —  —      var.  mmutissima .  , 

119  —        firma,  Ktz •  , ' 

120  —  gibba,  Ehr ^     .     ï     '.'.'..'...     , 

121  —  —      var.   brevistriata ,   Gruii 

122  —  gracilis,  Ktz? 

123  —  iridis,  Ehr .     .     .  i 

124  —  legumen,  Elir '[ 

12o  —  —        var.  decrescens [ 

126  —  Hmosa,    Ktz 

1^^  —  —        var.  alpina,  Brun 

128  —  major,  Ktz ..^     ^     [      .      *      '     '      , 

129  —  mesolepta,  Ehr [     .,.     .      .      .  " 

1^0  —  —         var.  jiivalis,  Ehr '. 

^'^l  —  —          var.  nodosa,  Ehr 

132  —  —         var.? "[    "]     .     .     .     \     \     \     \     \     .] 

133  —  —  var.  alpina.  Brun 

134  —  minutissima,  Rab ' 

135  —  neglecta,   Bréb 1     .      !     !     T     ! 

136  —  mutica,   Ktz "] 

137  —  iwbilis,    Ehr 

138  —  oculata,    Bréb ^ " 

139  —  patula,    Ktz [ 

140  —  pmilla,   Klz 7 

141  —  radiosa,  Ktz .,.     .     ...    'l     ,      ^ 

142  —  rhyncocephala,   Klz.    .    . \     .,.     "]     1     .,.     ]"     .,.     " 

143  —         seriaus,   Ktz ^      .      ^      .     T     T     .     T     ï 

144  —  stauroptera,  Grun 

^^^  —  —            var.  gracilis,  Grun 

146  —  subcapitata,  var.  paucistriata,  Grun 

1^7  —  _         var.  acuta,  Grun 

148  —  thermalis 

149  —  tumida,   W.   Sm 

150  —  viridis,    Ktz ,,..     T     ,,..,.!     ! 

1^1  —  —        var.  acuminata,  Sm 

1^2  —  —        var.    commutata,   Grun 

^^3  —  —        var.  hemiptera,  Brun ,. 

154  —  viridula,  Ktz ]     ,, 

155  —        vulgare,    Heib '.     .     .     I    .,.     .     ]     .     "]    '[ 

156  NiTZSCHiA  «c/cMterîs,    Sm '".'",     [     ',     [      '      [ 

157  —  amphyoxis,  W.  Sm ^, 

158  —  Brebissonii,  W.  Sm , "] 

159  —        communis,  Rab .       . 


160        —        conslricta,   Ktz g 


161  —        linearis,  Sm. 

162  —        minutissima,   Sm. 


( 


l':.  BELLOC.  LA  \  KGKTATIO.N  LACUSTRE  DA.NS  LES  PYRÉNÉES  i29 

^13  14  15  16  17  18  11)  20  21  22  2:5  24  25  26  27  28  29  30  31  32  33  34  35  36  37 


*  •  * 


'fi 


■V 


"^30  BOTANIQUE 

1      2     3     4     5     6     7     8     9  10   t: 

163  NiTZSCHiA  pa/ea,   Ktz 

164  —        sigmoidea,  Bréb 

16o        —        therrhalis,   Auessw "     '' 

166  Odontidium  anceps,   Ktz .....'..'*' 

167  —  —        var.  ■' 7     .     .     1     [ 

168  —  hyemalle,    Lingb 

169  —  —  var.  mesodon,  Brun. 

170  Pleurosigma  acuminatum,  Grun 

171  —  attenuatiim,   W.  Sm 

172  Rhoicosphenia  curvata,   Gr. 

173  Stauroneis  amphicephala,  Klz 

174  —  anceps,    Ehr 

175  —  —      var.  elliptica,  Ktz.    .    . 

176  —  Cohnii,  Hilse 

177  —  gracUis,   S  m 

178  —  legumen,  Ehr 

179  —  phenicenteron .  Ehr 

180  —  plalystoma,    Ehr 

181  —  truncata,  Ralfs '. 

182  SuRiRELLA  angusta,    Klz " 

183  —  biseriala,   Bréb !     ...     I     •-.:•• 

184  —  —        var.  alpestris •      •     i     !     T     .     T     .     .      '      ' 

185  —  —        var.  linearis,  Bréb. . 

186  —  constricla,  Sm .      .  ' 

187  —  gracilis,  Grun .     ' 

188  —  Norvegica,  Heul -f-     '     -f 

189  —  ovalis,  Bréb 

190  —  ouata,  Ktz 

191  -  robiista,  Ehr      .........'     ^     ' 

192  —  spiralis,  Klz 

193  —  splendida,  Ehi- 

194  Synedra  acus,  Ktz '"     *     '     '      *     -     •     * 

195  —  acuta,  Ehr 

196  —  affinis,  Ktz 

197  —  biceps,  Sm '     '     "     '     ^     • 

198  —  capitata,  Ehr 

199  —  gracilis,    Ktz , •:.:•.;::•: 

200  —  lanceolata,   Ktz 

201  —  longissima,  Sm ...     •      • 

202  —  minutissima,   Sm 

203  —  u'.na,   Ehr ^    "      [     .!..!..!..',     i     ]      '      '     *     * 

204  —         —     var.   amphirhyncus,   Ehr "     "     I     ]     .„,!**     '^ 

205  —         —      var.  œqualis,   Ktz '[     .      .     '.'  'f     ^^'     ''     '|' 

206  —         —     var.  splendens,  Rab '"_...     '.     '     '      ' 

207  —         —     undulala,  Sm " 

208  Tabellaria  fem-stra,  Klz 

209  —  flacculosa,  Ag 

210  Tetracyclus  Braunii,  Grun !!!!'**' 

2il  —  lacuslris,    Ralfs.    .    .    .' 

212  Triblionella  acuminata,  Sm 

213  —  angustala,   Sm ^j^     .,^     „^    ']"     '''.     .',     \     \     *      ]      " 

Les  espèces  énumérées  dans  ce  tableau  -  qui  résume  I-état  de  la  florule  dialomiqne  des  lacs  des  Pvrén.' 
plantes  aquatiques  flottant  au  milieu  des  eaux  ou  dans  la  zone  littorale;  3»  des  rochers  moussus  qui  bord 


K.    BELLOC.    —   LA   VÉGÉTATION    LACUSTRE   DANS   LES    PYRÉNÉES  431 

14    15    16    17    18   19   20   21    22   23    24   25   26  27   2_8   29   30   31^  32   33   34   :îô   36   37 


;•:       *       * 


* 


vnnpnt  •    10  rtos  vases  de  fonds  rapportées  par  la  drague;   2»   des  récoltes  faites  sur   les 
,;?;aVet'e°n  gSVd;  to'srcofpsl  part^e^ubmergés  sur  lesquels  elles  s'attachent. 


432  BOTANIQUE 


Légende  du  tableau  de  la  distribution  géographique  des  Diatomées. 


d'ordre.    Altitudes.  Noms  des  localités.  Noms  des  régions. 


1  2105  Lac  d'Aude (Pyi-éuèes-Orientales) . 

2  2160  Estang  Llarch id. 

3  1970  Lac  de  Pradeilles id. 

4  2005  Grande  et  Petite  Bouilloiise id. 

5  2154  Lac  Lanoux id. 

6  1854  Lac  de  Naguille . (Ariège). 

7  1670  Lac  du  Garbet id. 

8  2300  (?)  Étang  Blanc id. 

9  1390  Étang  de  Lhers id. 

10  420  (?)  Lac  de  Barbazan (Haute-Garonne). 

11  698  Lac  de  Saint-Pé-d'Ardet  .    .- id. 

12  2325  Lac  du  Port-de-Venasque id. 

13  1960  Lac  Vert id. 

14  1500  Lac  d'Oô id. 

15  1875  Lac  d'Espïnngo id. 

16  2200  Lac  d'era-couma-era-Abéca  (en  partie  comblé)  id. 

17  2295  Lac  des  Gourgouttes id. 

18  2165  Lac  de  Caillaouas ,   .    .    .       (Hautes-Pyrénées). 

19  2165  Lac  de  Pouchergues id. 

20  1869  Lac  d'Orédon id. 

21  2120  Lac  de  Cap-de-Long id. 

22  2160  Lac  d'Aubert id. 

23  2215  Lac  d'Aumar id. 

2i  1782  Lac  d'Estom id. 

25  1743  Lac  de  Gaube id. 

26  422  Lac  de  Lourdes id. 

27  2238  Lac  d'Oncet id. 

28  1968  Lac  Bleu id. 

29  1964  Lac  d'Artouste (Basses-Pyrénées). 

30  2267  Lac  de  Miguelou id. 

31  2120  Lac  d  Usious id. 

32  2000  (?j  Lac  d'Isahe id. 

33  2385  Lac  des  Barrancs (Espagne). 

34  1671  Lac  de  Panticosa id. 

35  2354  Lac  de  Brasato id. 

36  2235  Lac  de  Zaraguela id. 


37        2657        Lac  Gregonio id. 


K.    GAIN.    INFLUENCE    DE    l'hLMIDITÉ    DU    SOI,    SUR    LA    VÉGÉTATION       433 


M.  Edmond  GAII 

au  Laboratoire  de  Biologie  végétale  de  Fontainebleau. 


INFLUENCE  DE  L'HUMIDITÉ  DU  SOL  SUR    LA  VÉGÉTATION 


—  Séuice  du  17  septembre  189i  — 

L'observation  a  montré,  depuis  longtemps  déjà,  que  l'humidité  est  un 
puissant  facteur  de  variations  des  végétaux.  C'est  un  fait  bien  connu  que 
les  années  humides  ont  une  influence  considérable  sur  les  productions  agri- 
coles, et  la  répartition  habituelle  des  pluies  sur  une  région  permet  de 
réussir  certaines  cultures  dans  des  endroits  où  d'autres  cultures  ne  don- 
neraient que  des  résultats  très  médiocres. 

Il  est  donc  intéressant  de  rechercher  expérimentalement  quelle  part 
revient  à  l'humidité  du  sol  sur  les  difiérences  nombreuses  observées  cou- 
ramment pendant  les  années  humides. 

L'humidité  de  l'air  il;,  définie  par  l'état  hygrométrique  et  la  quantité  de 
vapeur  d'eau  contenue  dans  l'atmosphère,  accompagne  presque  toujours 
l'humidité  du  sol,  car  si  le  nombre  de  jours  de  pluie  est  considérable 
dans  une  contrée,  l'air  y  est  souvent  dans  des  conditions  de  grande 
humidité,  mais  l'influence  de  l'air  agit  séparément  et  simultanément 
avec  l'humidité  du  sol  pour  produire  des  effets  qui  peuvent  être  en 
sens  contraire. 

On  ne  pouvait  être  dans  de  meilleures  conditions,  pour  saisir  l'influence 
isolée  de  l'humidité  du  sol,  que  cette   année  où  l'été  a  été  très  sec. 


DISPOSITION    EXPERIMENTALE 

Les  cultures  ont  été  faites  soit  dans  des  pots,  soit  en  pleine  terre. 

Dans  le  second  cas,  sur  un  sol  bien  homogène  de  sable  de  Fontaine- 
bleau, installé  dans  le  jardin  d'expériences  du  Laboratoire  de  Biologie 
végétale,  bien    nivelé  d'avance  pour  éviter  l'écoulement  superficiel,  der 

(1)  BONXiEK  et  Flahailt,  Modification  des  véyétaux  suivant  les  conditions  physiques  du  milieu. 

28* 


434  BOTANIQUE 

carrés  de  :2  mètres  de  côté  ont  été  tracés,  distants  de  oO  centimètres.  Ils  ont 
été  répartis  en  trois  régions: 

I.  Douze  carrés  dits  très  humides  ; 

IF.  Douze  carrés  dits  humides  ; 

III.  Douze  carrés  ayant  un  sol  très  sec. 

L'eau  reçue  pendant  la  végétation  sur  chacune  des  régions  se  compose  : 

1"  D'une  constante  donnée  par  la  pluie  et  mesurée  au  pluviomètre; 

2°  Des  différents  arrosages,  ordonnés  de  façon  à  obtenir  dans  les  sols  une 
teneur  en  eau  déterminée.  Les  sols,  au  début,  contenaient,  au  20  mai,  5  0/(1 
d'eau.  Le  sable  étant  par  excellence  sec  et  perméable,  les  carrés  secs  se  sont 
trouvés  rester,  malgré  quelques  rares  pluies,  à  6  0/0  d'eau,  descendant 
quelquefois  à  3,o  0/0,  ainsi  qu'il  résulte  de  dosages  faits  de  temps  à 
autre  en  prélevant  un  échantillon  à  un  décimètre  de  profondeur  et  en  le 
desséchant  à  Tétuve  à  105-110  degrés.  Les  sols  humides  sont  restés  à 
10  ou  12  0/0,  et  les  sols  très  humides  à  12  ou  io  0/0  d'eau. 

Dans  les  sols  humides,  les  racines  des  plantes  avaient  donc  une  propor- 
tion d'eau  qui  était  double  de  celle  des  sols  secs. 

La  capacité  du  sol  pour  l'eau,  établie  d'après  la  méthode  de  Schûbler  (1) 
était  de  18  à  20  0/0.  Mais,  outre  qu'une  saturation  complète  n'aurait  pas 
donné  de  bons  résultats,  cette  saturation  pour  le  cas  du  sable  n'est  pas 
possible  à  réaliser  à  cause  de  sa  grande  perméabilité  ;  des  arrosages  fré- 
quents ont  pu  maintenir  les  sols  très  humides  à  un  taux  qui,  suivant  la 
température  et  l'évaporation,  variait  de  12  à  lo  0/0. 

Nous  ne  chercherons  pas  dans  ce  travail  à  expliquer  le  mode  d'action 
de  l'humidité.  L'humidité  modifie  la  physiologie  de  tous  les  membres 
de  la  plante  (2)  et  agit  en  outre  sur  les  propriétés  physiques  et  sur  la 
composition  chimique  des  sols  (3),  c'est  dire  combien  les  différences 
d'humidité  pourront  retentir  sur  la  végétation. 

Nous  examinerons  l'influence  de  l'humidité  : 

1°  Sur  l'évolution  de  la  plante  ; 

2°  Sur  l'organisation  de  la  plante  adulte  une  fois  celle-ci  arrivée  à  ma- 
turité (portant  des  graines). 

Dans  la  première  partie,  nous  étudierons  les  principaux  stades  de 
végétation.  Dans  la  deuxième,  se  rangeront  les  modifications  qui  se  sont 
produites  au  point  de  vue  : 

1"^  De  la  morphologie  externe  ; 

2°  De  la  morphologie  interne  ; 

3°  Des  produits  élaborés  (le  premier  chapitre  seul  fera  l'objet  de  ce 
travail). 

i|)  Encyclopédie  chimique,  Chimie  agricole. 

(o)  Wolliiy,  Kreiisler,  Vesque,  Deliérain. 

(3)  ScHLŒSiNR,  Absorption  de  l'ammoniaque  par  les  sols. 


K.    GAIN.    INFLURNC.E    DK    I.'hLMIDITK    DU    SOL    SUR    LA    VÉGKTATIO.N       43o 

11  est  admis  dans  la  pratique  agricole  que  certaines  plantes  réussissent 
mieux  dans  un  terrain  sec,  tandis  que  d'autres  bénéficient  d'un  sol  humide. 
Les  cultures  que  j'ai  faites  vérifient  ce  point  et  m'autorisent  à  diviser  les 
plantes,  en  plantes  adaptées  naturellement  à  la  sécheresse  et  souffrant 
d'une  humidité  relative,  et  en  plantes  adaptées  à  l'humidité  et  souffrant 
d'une  sécheresse  relative. 

Entre  ces  deux  groupes  se  placent  des  plantes  indifférentes  au  point 
de  vue  de  l'habitat,  et  qui  sont  d'un  accommodement  facile  avec  des 
taux  d'humidité  variables.  Ces  plantes,  soumises  à  l'expérience,  peuvent 
donner  des  différences  considérables  dans  leur  organisation  suivant  qu'on 
les  force  à  vivre  dans  un  sol  sec  ou  dans  un  sol  humide. 

Pour  ce  qui  est  des  plantes  des  deux  premières  catégories,  si  on  les 
enlève  aux  sols  où  elles  ont  l'habitude  de  vivre,  on  observera  des  chan- 
gements très  divers  :  les  unes  ne  pourront  pas  supporter  une  variation 
bien  grande  dans  le  taux  d'humidité,  les  autres  résisteront  au  nouvel 
habitat  en  modifiant  leur  structure. 

Il  existe  donc,  a  piHori,  un  certain  optimum  d'humidité  pour  chaque 
plante  ;  il  y  a  aussi  un  optimum  pour  chaque  organe. 

L'optimum  important  au  point  de  vue  pratique  varie  suivant  le  résultat 
qu'on  cherche  à  obtenir.  Il  est  clair,  par  exemple,  que  pour  un  fourrage 
l'optimum  à  rechercher  devra  être  celui  qui  donne  des  organes  aériens  les 
plus  développés  possibles,  tandis  que  pour  un  tubercule,  ce  sera  celui  qui 
favorise  le  développement  des  organes  souterrains. 

La  question  du  développement  maximum  de  l'organe  utilisé  subit  une 
grave  restriction  par  suite  de  ce  fait  que  quelquefois  la  quantité  du  produit 
nuit  à  sa  qualité.  L'étude  approfondie  de  l'influence  de  l'humidité  sur 
les  produits  élaborés  par  la  plante  a  donc  une  importance  capitale  au 
point  de  vue  pratique. 

PREMIÈRE    PARTIE.  —  ÉVOLUTIOM    DU    VÉGÉTAL 

Germination.  —  Les  résultats  signalés  ici  ont  été  obtenus  dans  des 
expériences  faites  sur  le  haricot  semé  en  pots  dans  quatre  sols  de  diffé- 
rentes natures  et  à  trois  degrés  d'humidité,  variables  suivant  la  capa- 
eité  de  chaque  sol  pour  l'eau. 

On  peut  en  tirer  les  conclusions  suivantes  : 

1"  Une  terre  saturée  d'eau  (1)  produit  un  gonflement  rapide  des 
graines,  mais  la  germination  est  généralement  entravée  totalement. 

Dans  un  sol  perméable  (sable)  ou  léger  (terre  de  bruyère),  quelques 

(1)  Une  terre  est  dite  satun^e  quaml  son  hygroscopicité  est  satisfaite  et  que  les  intervalli"^  aii'il- 
laires  contiennent  lo  plus  d'eau  possible. 


l 


436  BOTANIQUE 

graines  peuvent  cependant  arriver  à  germer,  grâce  à  l'air  qui  reste  adhé- 
rent aux  particules  terreuses  ou  organiques. 

La  principale  entrave  de  la  germination  en  terre  saturée  résulte  donc 
du  défaut  d'aération  de  la  terre.  Cette  action  néfaste  n'en  reste  pas  moins 
imputable  indirectement  à  l'excès  d'humidité. 

2°  Un  sol  à  demi-saturation  (I)  favorise  beaucoup  la  germination. 

3°  Un  sol  sec,  où  on  place  assez  d'eau  pour  gonfler  les  graines,  mais  où 
on  n'entretient  pas  l'humidité  qui  diminue  à  mesure  de  Févaporation, 
<lonne  une  germination  presque  aussi  rapide  qu'en  terre  demi-saturée  ; 
mais  la  croissance  est  considérablement  ralentie  par  le  manque  d'eau. 
Le  ralentissement  de  la  croissance  produit  par  une  sécheresse  relative  du 
sol  est  mis  en  évidence  par  le  tableau  suivant  qui  donne  une  observation 
(faite  trois  jours  après  le  semis)  sur  la  longueur  de  la  jeune  pousse  : 


SOL   SEC 
.-p  0  0 

SOL 

THES  HtMillK 

15  0  0 

IMI.IKNCE 
HE   l'hlmuuté 

Moyenne 

Moyenne 

Moyenne 

Sable  de  Fontainebleau ,   . 

/,.gmm 

^2""" 

\     Quadruple 
'  la  ci'oissance 

Terre  de  bruyère  .... 

6-8 

12-15°"" 

^        1  )ouble 
/  la  croissance 

4''  L'observation  de  la  germination  dans  les  sols  argileux  et  calcaires 
permet  de  conclure  que  l'action  de  l'humidité,  bien  que  se  manifestant 
dans  le  même  sens,  est  variable  suivant  le  sol  considéré.  Les  conditions 
nécessaires  à  la  germination  étant  multiples,  si  l'humidité  entrave  l'une 
d'elles  immédiatement  le  résultat  est  compliqué  par  cette  action  indirecte. 
C'est  ainsi  que  le  pouvoir  d'imbibition,  l'hygroscopicité,  Févaporation, 
variant  avec  la  constitution  physique  (ïi)  et  chimique  des  sols,  un  certain 
taux  d'humidité  peut  produire  dans  la  croissance  une  accélération  très 
variable  suivant  les  sols. 

C'est,  du  reste,  ce  qu'indique  le  tableau  précédent. 

Le  sable  humide  donne  une  pousse  quatre  fois  plus  grande  que  le  sable 
sec,  et  la  terre  de  bruyère  humide  donne  seulement  une  pousse  deux  fois 
|)lus  grande  que  la  même  terre  sèche  (5  à  6  0/0). 

o°  Les  cotylédons  ou  feuilles  séminales  sont  beaucoup  plus  vite  absorbés 
et  se  flétrissent  plus  tôt  dans  un  sol  sec  que  dans  un  sol  humide.  (Expé- 
riences sur  le  Lupinus  albus,  Phaseolus  vulgaris,  Polijgonum  fagopyrum. 

Dans  les  sols  très  humides,  c'est-à-dire  maintenus  à  trois  quarts  de  satu- 

(1)  Si  on  donne  à  une  terre  moitié  de  Teau  nécessaire  ;'i  la  saturation,  les  plantes  ont  moins  de 
•noitié  d'eau  à  leur  disposition,  car  le  pouvoir  hygroscopique  de  la  terre  est  tout  entier  satisfait 
somme  dans  une  terre  saturée. 

(2)  WoLNY,  Recherches  sur  les  propriétés  physiques  des  sols  tassés  et  meubles. 


r:.    GAIN.    —    IM'M  F.Nri-:    DK    l/urMTOTTK    DU    SOI-    SFR    1,A    VKOKTATION       437 

ration,  et  cela  pour  des  plantes  vivant  en  général  dans  des  sols  ayant 
X  0/0  d'eau,  on  observe  que  les  cotylédons  restent  très  verts,  turgescents, 
et  subsistent  pendant  une  grande  partie  de  la  végétation. 

Tige  et  feuillaison.  —  1"  La  tige  s'accroît  beaucoup  plus  vite  dans  les 
terres  humides. 

Après  un  mois  de  végétation,  le  Pohjgonum  fagopyvum  avait  une  tige 
ayant  les  longueurs  suivantes  : 

Sol  très  humide  =  180  millimètres. 
Sol  humide         =;^  110  » 

Sol  sec  =    60  » 

Douze  jours  après  (!2  juillet),  alors  que  la  végétation  était  en  pleine 
activité,  j'ai  observé  comme  longueur  moyenne  des  tiges  : 

ESPÈCES  TRÈS  HUMIDE  SOL  HUMllJE  SOL  SKC 

Polygoniun  fagopyrwn 700°""  490"'"  300""" 

Avenu  sativa 320  280  130 

Medirago  sativa 80  5U  2"> 

Onobrychis  sativa 160  130  110 

Papaver  setigerum 250  170  8(t 

2°  L'influence  de  l'humidité  sur  la  croissance  de  la  tige  est  d'autant 
plus  forte  que  la  plante  est  plus  jeune.  Si  nous  examinons,  en  effet,  le 
sarrasin  dans  les  tableaux  précédents,  nous  trouvons  que  : 

Au  20  juin S,„  =  3  S,        S„    .  |  S,        S,„  .    |?  S„. 

Au  2  juillet  ....     S,„   ==2,3S^     g^  ^  |_  Sg       S,„  :^  —  S„ 

La  jeune  plante  a  des  tissus  très  aqueux  et  sa  croissance  bénéflcie  d'une 
grande  turgescence  permanente.  A  mesure  que  les  tissus  sont  plus  âgés, 
l'action  de  l'humidité  diminue  d'importance. 

Pendant  le  début  de  la  période  de  feuillaison,  on  voit  que  l'humidité 
est  d'une  grande  importance  pour  la  bonne  venue  de    la  plante,  puisque 

Sarrasin,,,       2,33  Sarrasin 
Avoine,,,       -  2.46  Avoine^^ 
Luzerne^,,  ~  3,2  Luzerne^^ 
Pavot^,,       ^-3,12Pavot^, 

c'est-à-dire  une  différence  de  longueur  variant  du  double  au  triple. 


438  BOTANIQUE 

Aussitôt  que  les  fleurs  apparaissent,  la  croissance  est  presque  nulle, 
ou  du  moins  se  trouve  considérablement  diminuée.  Ainsi,  à  la  date  du 
lo  août,  les  trois  plants  de  sarrasin  sont  fleuris  depuis  trente-cinq  jours. 
L'influence  de  l'humidité  a  été  de  moins  en  moins  accentuée.  S^„  a  fleuri 
un  peu  avant  S^  et  les  difl'érences  de  longueur  se  sont  atténuées.  Les 
tiges  ont  comme  hauteur  moyenne  : 


S,„  =  II0-I2O"'        S„     r  HO-llS*^»        S  =  100'='". 

TH  H 


ESPECES 


TRÈS  HUMIDE 

HLMIbE 

SE 

115-120'- 

nO-115^"' 

100' 

130 

125 

80 

75 

60 

55 

35 

30 

25 

Poiygonum  fagopyrum  fleuri. 

Avena  saliva  fleuri 

Brassica  napus  oleracca.   .    . 
Phascolus  vulgaris  fleuri.   .    . 


Pour  les  plantes  ci-dessus,  le  sol  très  humide  a  donné  des  tiges  plus 
grandes  que  dans  le  sol  humide,  et  celui-ci  des  tiges  plus  grandes  que 
dans  le  sol  sec. 

Il  n'en  a  pas  été  de  même  pour  toutes  les  espèces  étudiées.  Ce  sont 
celles  pour  lesquelles  l'optimum  d'humidité  est  inférieur  à  TH.  Au  début 
de  leur  végétation,  ces  plantes  s'étaient  développées  comme  les  autres  ; 
puis  une  fois  la  feuillaison  bien  développée,  la  plante  du  sol  humide  n'a 
pas  tardé  à  prendre  le  dessus,  tandis  que  celle  du  sol  TH  semblait  souffrir 
de  l'excès  d'eau  en  ralentissant  sa  croissance  en  longueur  au  profit  de  sa 
croissance  en  diamètre  (Papaver).  Au  15  août,  nous  observons  : 

ESPÈCES  TH  U  s 


Papaver  seligerum  fleuri.  . 
Holianthus  tuberasus.  .  .  . 
Solarium  tuberosum   fruct. 

Medicago  saliva  fl 

Onobrychis  saliva  fl.   .   .   . 


Pour  le  sainfoin,  nous  le  voyons  profiler  beaucoup  du  sol  sec.  C'est  une 
de  ces  espèces  plus  spécialement  adaptées  à  la  sécheresse. 

La  luzerne  du  sol  sec  s'est  trouvée  dans  des  conditions  spéciales.  La 
sécheresse  a  été  pernicieuse  à  la  levée  des  jeunes  pousses  et  il  s'est  trouvé 
que  les  pieds  ont  été  environ  vingt  fois  moins  nombreux  dans  le  sol  sec 
que  dans  chacun  des  deux  autres.  Pour  une  plante  épuisante  comme  la 
luzerne,  il  n'est  donc  pas  étonnant  (devant  le  défaut  de  concurrence  vitale 


9b"" 

110cm 

80< 

120 

125 

95 

75-80 

80-90 

50-60 

45 

20 

40 

20 

20 

30 

K.    GAIN.    lNFLUKNf:K    DK    1,'hUMIDITÉ    DU    SOL    SUH    l.A    VKC.ÉTATION       439 

pour  les  racines)  que  les  tiges  soient  arrivées  à  une  taille  de  40  centi- 
mètres, alors  qu'en  sol  humide  elles  n'ont  que  20  centimètres. 

La  conclusion  à  tirer,  c'est  que  la  luzerne  profite  beaucoup  de  l'humi- 
dité, même  assez  forte,  et  que  les  terres  perméables  sont  en  général  peu 
propices  à  cette  plante. 

L'objection  qui  se  pose  pour  la  luzerne  des  sols  secs  ne  s'est  retrouvée 
dans  aucune  autre  de  mes  cultures.  Au  début,  les  pousses  étaient  très 
clairsemées,  en  général  dans  les  sols  secs;  mais  c'était  un  simple  retard 
dans  la  levée. 

Le  18  juin,  vingt-huit  jours  après  le  semis,  j'ai  évalué  approximative- 
ment le  nombre  de  pieds  dans  chaque  carré.  J'ai  obtenu  : 


lU 


Avena  sativa 3n  2n  n  (1) 

Polygonum  fa^opyrum 4  «  2  n  n 

Onobrycliis  sativa 5n  4n  2n 

Medicago  sativa b  n  4  n  n 

Brassica  napus 9n  3n  n 

Daucus    carota 8n  4n  'in 

Phascolus  vulgaris n  n  n 

Solarium  tuberosum n  n  n 

Helianthus  tuberosus «  n  « 


Dix  jours  après,  le  nombre  des  pieds  était  sensiblement  le  même  pour 
chaque  série  de  trois  plants. 

La  luzerne  seule  du  sol  sec  est  restée  telle,  tandis  que  celle  des  deux 
autres  sols  donnait  de  nouvelles  pousses  :  L^„  =  20«,  L^  =  20n, 
Lj,  =  n. 

Le  tableau  de  la  page  440  donne  la  comparaison  des  trois  états  de  déve7 
loppement  du  sarrasin  pour  deux  pieds  de  taille  moyenne  pris  dans  ies 
trois  carrés  le  2  juillet. 

En  examinant  les  résultats,  on  peut  conclure  : 

1"  Que,  pour  une  longueur  de  tige  donnée,  la  ramification  (constituée 
par  les  pétioles  des  feuilles  et  les  rameaux)  est  beaucoup  plus  grande  en 
sol  sec  qu'en  sol  humide; 

2"  La  forme  de  la  plante  est  donc  beaucoup  moins  élancée  et  plus  large 
en  sol  sec; 

3°  Les  fleurs  apparaissent  plus  bas  le  long  de  la  tige  en  sol  humide. 

(1)  Le  nombre  n  est  différent  pour  chaque  plante. 


440 


BOTANIQUE 


1 

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r:.  GAIN.  —  iNFi-iEMi;  ni:  l'humiditk  du  sol  suit  i.v  végktation     441 
4°  Leiitre-nœud  qui  a  la  longueur  maximum  est  : 

Le  1*^%  en  sol  très  humide  (à  partir  de  la  base)  ; 
Le  2*',  en  sol  humide  ; 
Le  3%  en  sol  sec. 

On  peut  donc  dire,  en  rapprochant  ce  fait  de  celui  qui  a  été  constaté 
pour  les  cotylédons,  que  la  vitalité  des  tissus  placés  vers  la  base  de  la 
plante  est  entretenue  plus  longtemps  en  sol  iiumide  qu'en  sol  sec. 

L'entre-n(éud  inférieur  par  où  doivent  passer  tous  les  principes  absorbés 
dans  le  sol,  bénéficie  du  passage  surabondant  de  substances  nutritives  et 
de  la  turgescence  produite  par  l'humidité.  Nous  pouvons  remarquer  que 
le  pétiole  qui  a  le  maximum  de  longueur  est  dans  les  trois  cas  celui  qui 
s'insère  sur  l'entre-nœud  maximum.  La  feuille  la  plus  grande  de  chacun 
des  pieds  est  celle  qui  possède  !e  pétiole  qui  est  inséré  sur  le  deuxième 
entre-nœud  qui  suit  l'entre-nœud  maximum. 

Les  parties  les  plus  développées  sont  donc  plus  bas  sur  la  tige  en  sol 
humide  qu'en  sol  sec. 

Au  moment  où  cette  observation  a  été  faite,  le  sarrasin  était  fleuri 
dans  les  trois  carrés.  Au  25  août,  alors  que  la  fructification  était  à  peu 
près  complète,  les  mêmes  différences  s'observent,  seulement  elles  sont  un 
peu  atténuées. 

Au  point  de  vue  du  développement  des  feuilles,  si  on  considère  des 
types  moyens  au  20  juin  (après  un  mois  de  végétation),  on  trouve  pour  le 
sarrasin  : 

S^  possède  deux  feuilles  ayant  9"^'"^  de  surface  ; 
S„       »         trois  feuilles  ayant  18'='"'^  de  surface  ; 
S^„      »         quatre  feuilles  ayant  22^'"'^  de  surface. 

Si  nous  considérons  les  pieds,  très  rares  du  reste,  qui  ont  une  taille 
maximum  dans  chaque  carré,  nous  observons  : 

Sg=r    27«'"^ 

S^„    :--:=  103-"^ 

La  ramification  et  le  développement  du  limbe  des  feuilles  sont  donc  très 
favorisés  par  l'humidité.  On  comprend  facilement,  après  avoir  constaté 
une  telle  inégalité  dans  le  développement,  combien  les  plantes  sont  dans 
des  conditions  différentes  pour  l'assimilation  et  la  transpiration.  A  partir 
de  ce  moment,  l'influence  de  l'humidité  ne  pourra  qu'accentuer  la  grande 
accélération  qui  s'était  produite  au  début  de  la  végétation.  Il  s'ensuivra 
une  augmentation  dans  la  ramification  et  dans  les  dimensions  de  tous  les 
organes,  et  comme  la  plupart  du  temps   il  arrive  que  la  plante  a  par- 


442  BOTANIQUE 

couru  son  cycle  évolutif  plus  tôt  que  dans  un  sol  sec,  il  en  résulte  que  la 
floraison  arrive  aussi  plus  tôt. 

Du  reste,  c'est  un  fait  signalé  par  les  auteurs  (1),  qu'on  peut  hâter  la 
floraison  en  forçant  la  plante  à  produire  deux  générations  de  branches  la 
même  année.  L'humidité,  en  produisant  une  ramification  surabondante, 
joue  un  rôle  analogue. 

Il  convient  de  remarquer  ici  que  nous  supposons  l'air  sec  comme  il 
l'a  été  pendant  cette  saison,  où  les  pluies  ont  été  rares  et  où  l'hygro- 
mètre enregistreur  a  indiqué  des  moyennes  basses.  L'air  humide,  en 
eflet,  retarde  la  floraison  et  agit  de  son  côté  ;  c'est  ce  qui  explique  cette 
opinion  courante  que  dans  un  sol  sec  la  floraison  arrive  beaucoup  plus 
tôt  ;  c'est  qu'on  a  l'habitude  de  comparer  les  plantes  qui  se  développent 
dans  une  saison  humide  ou  sous  châssis  dont  l'air  est  saturé  par  l'arro- 
sage, et  non  pas  seulement  dans  un  sol  humide,  ce  qui  est  tout  différent. 

Ceci  a  pour  conclusion  pratique,  dans  la  petite  culture  intensive,  par 
une  saison  sèche,  que  les  arrosages,  en  favorisant  d'une  façon  considé- 
rable le  développement  foliaire,  ne  retardent  pas  sensiblement  la  floraison 
et  peuvent  même  la  hâter  dans  la  plupart  des  cas. 

Flo?-aison.  —  Sénebier  (2)  remarque  avec  raison  que  les  plantes  prêtes 
à  fleurir  ont  besoin  d'une  quantité  d'eau  plus  considérable  qu'aupara- 
vant, et  que  l'humidité  accélère  l'épanouissement. 

Je  suis  arrivé  à  la  même  conclusion  dans  mes  cultures.  Par  un  été  très 
chaud  comme  celui  de  cette  année,  les  plantes  des  terrains  humides,  et 
très  humides  ont  presque  toutes  fleuri  avant  celles  des  sols  secs. 

TRÈS  HUMIDE  HLMIDE  SEC     

Ouverture  Épanouisse-  Ouverture  Épanouisse-  Ouverture  Épanoiiisse- 

iles  ment  fies  nient  îles  nient 

bourgeons  iK'S  bourgeons  des  bourgeons  «les 

floraux  fleurs  floraux  Heurs  floraux  fleurs 

Avenasativa.  .  .  .  17  juillet.  26  jaillet.  18  juillet.  28  juillet.  19  juillet.  28  juillet. 
Potrjgonum  fagopij- 

»  20  juin.              »  21  juin.  »  22  juin. 

30  juillet.  9  août.  14  aoiJt.  20  aotil.  11  août.  19  août. 

26  juillet.  10  août.  28  juillet.  2  août.  27  juillet.  7  aoiit. 

14  aoiit.  19  aoijt.              »                   »  i>                   » 

2  juillet.  e  juillet.  l'--  juillet.  6  juillet.  3  juillet.  7  juillet. 


rum 

Medicago  saliva  . 
Papaver  setigerum 
Delphiniuni  .   .   . 
Phaseolus  vulgaris 


L'examen  de  ce  tableau  fait  voir  que: 

1*>  En  général,  les  plantes  des  sols  secs  ont  été  les  dernières  à  ouvrir 
leurs  bourgeons  floraux. 

2°  En  général,  elles  ont  été  les  dernières  à  fleurir. 


(1)  Van  TiEGHEM,  Traité  de  Botanique,  p.  914  (188*). 
ti)  Sitit^BiER,  Physiologie  végékile. 


K.    GAIN.    —    INFLUENCE    DE    l'hI'MIDITÉ   DU    SOL    î^l'U    LA    VÉGÉTATION       443 

H*"  Le  temps  qui  sépare  l'ouverture  des  bourgeons  de  l'épanouissement 
est  beaucoup  plus  long  en  sol  sec  qu'en  sol  humide. 

4"  Il  y  a  un  optimum  d'humidité  pour  la  floraison  de  certaines  plantes. 

Le  pavot  a  montré  des  bourgeons  floraux  presque  en  même  temps  dans 
les  trois  régions,  mais  la  floraison  est  apparue  en  sol  humide  cinq  jours 
avant  d'apparaître  en  sol  sec. 

Le  12  août,  on  trouvait  dans  les  carrés  d'œillette: 

TH  —    4  capsules  de  pavot  et  3  fleurs  épanouies. 
Hr=:60  »  17  » 


5 


Tll 


12  août 3 

17  août 11 

18  août \i 

19  août 14 

■20   août 13 

-23  août 10 


17 

5 

21 

8 

10 

9 

8 

17 

5 

li 

4 

7 

Au  30  août,  le  nombre  des  capsules  de  pavot  était 


TH  =  120  environ  ; 
H:r=130; 
8  =  70; 

ce  qui  permet  de  conclure  : 

o°  Que  le  nombre  des  fleurs  est  favorisé  dans  de  grandes  proportions 
par  l'humidité. 

En  suivant  la  floraison  du  pavot,  j'ai  pu  constater: 

6"  Les  fleurs  des  sols  secs  conservent  le  calice  à  leur  sommet  plus  long- 
temps qu'en  sol  humide. 

7°  Les  fleurs  qui  se  sont  épanouies  au  lever  du  soleil  sont,  à  9  heures 
du  matin,  beaucoup  plus  étalées  dans  le  sol  sec  que  dans  les  sols  très 
humide  et  humide. 

8"  Les  corolles  épanouies  en  même  temps  dans  les  sols  sec  et  très 
humide  subsistent  un  peu   plus  en  sol  très  humide  ; 

9"  Quand  les  corolles  tombent  en  sol  sec,  les  étamines  sont  encore  et 
restent  attachées  sous  l'ovaire,  ce  qui  indique  une  chute  prématurée  de  la 
corolle. 

10"  A  la  chute  de  la  corolle,  les  fruits  sont  petits  dans  le  sol  sec  et 
de  volume  presque  double  dans  le  sol  humide.  Dans  le  sol  très  humide, 
les  fruits  sont  moyens  entre  les  deux,  ce  qui  paraît  indiquer  que: 

11"  La  floraison  arrive  en  sol  humide  à  un  stade  plus  opportun  de  la 


444  BOTANIQUE 

végétation,  alors  que  les  réserves  sont  assez  abondantes  pour  gonfler  le 
fruit  de  substances  nutritives.  En  sol  sec,  au  contraire,  la  Heur  apparaît 
plus  tard,  hésite  à  s'ouvrir  et  tombe  avant  d'avoir  un  fruit  bien  conformé. 

Au  point  de  vue  pratique,  ce  qui  importe,  c'est  le  rendement  définitif 
de  la  plante.  Pour  le  pavot,  c'est  l'observation  de  la  quantité  et  l'analyse 
des  graines  qui  me  donneront  le  véritable  optimum  à  rechercher. 

Pour  la  floraison,  l'optimum  en  air  sec  est  représenté  par  un  sol  ana- 
logue à  mon  sol  humide  (12  0/0  pendant  toute  la  végétation  sur  sable). 
Il  est  à  prévoir  que  l'optimum  définitif,  celui  des  graines,  sera  le  sol  très 
humide;  car,  dans  ce  carré,  les  pieds  sont  beaucoup  plus  vigoureux  en 
épaisseur  et  le  nombre  de  têtes  arrive  finalement  à  un  chiffre  voisin  de 
celui  de  la  récolte  sur  sol  humide  ; 

12°  J'ai  pu  me  rendre  compte,  en  outre,  par  des  incisions  comparées 
faites  dans  les  parois  des  capsules,  que  le  latex  est  beaucoup  plus  riche 
en  substances  de  réserve  en  sol  très  humide.  Celui  de  sol  humide  est  un 
peu  plus  aqueux,  et  en  sol  sec,  le  latex  est  très  aqueux. 

Pour  terminer  les  quelques  observations  précédentes  faites  sur  quelques 
espèces  et  qu'il  ne  faudrait  généraliser  qu'avec  réserve,  nous  examine- 
rons en  deux  mots  comment  s'est  comportée  la  racine. 

Racine.  —  C'est  un  fait  bien  connu  que  l'humidité  développe  le  chevelu 
des  racines.  En  sol  sec  (sarrasin),  la  racine  est  nettement  pivotante.  On 
observe  un  pivot  de  18  à  20  centimètres  de  longueur  présentant  des  rami- 
fications peu  nombreuses  et  seulement  au  voisinage  du  collet  effectif  de 
la  racine.  Ces  ramifications  sont  clairsemées  et  perpendiculaires  au  pivot; 
quelques-unes  (quatre  ou  cinq),  ont  1  millimètre  de  diamètre  à  leur  nais- 
sance. 

En  sol  humide,  on  trouve  un  pivot  de  o  centimètres  se  terminant  par 
trois  ou  quatre  radicelles  assez  fortes  orientées  suivant  la  pesanteur.  Le 
long  du  pivot  naissent  de  nombreuses  radicelles  ramiliées  et  enchevêtrées. 

En  sol  très  humide,  un  pivot  de  3  centimètres  se  terminant  par  une 
fourche,  et  le  tout  entouré  par  un  enchevêtrement  de  radicelles  fines  et 
très  nombreuses. 

CONCLUSIONS   GÉNÉRALES 

1°  L'action  de  l'humidité  du  sol  sur  une  plante  est  très  variable  suivant 
l'habitat  ordinaire  de  cette  plante.  Il  y  a  un  optimum  d'humidité  pour 
chaque  plante  et  chaque  organe. 

2"  Une  humidité  relative  du  sol  produit,  dès  le  commencement  de  la 
germination,  une  accélération  considérable  dans  la  croissance. 

3"  L'humidité  favorise  l'accroissement,  et  cette  influence  est  d'autant 
plus  forte  que  la  plante  est  plus  jeune. 


L.    GÉ.NEAlî    liK.  LAMAKLlKliK.   Dl'   «   CO.NOPODIU.M  DKMDVnM   ))   KKCII       4i5 

4"  La  forme  de  la  plante  est  plus  élancée  en  sol  humide  qu'en  sol  sec  ; 
la  ramification  et  le  développement  du  limbe  des  feuilles  est  très  favorisée 
par  l'humidité. 

5"  Le  développement  foliaire,  qui  est  exagéré  en  sol  humide,  ne  retarde 
pas  sensiblement  la  floraison  et  l'humidité  peut  même  accélérer  la  flo- 
raison. 

6"  Dans  un  air  sec,  la  floraison  et  la  fructification  ne  s'effectuent  norma- 
lement que  si  la  plante  dispose  d'un  sol  humide. 

Les  observations  précédentes  ne  font  que  laisser  entrevoir  l'influence 
importante  de  l'humidité  du  sol.  C'est  dans  l'étude  anatomique  et  physio- 
logique des  divers  membres  de  la  plante  que  les  résultats  trouvés  sont 
les  plus  curieux.  Ces  diverses  parties  seront  étudiées  ultérieurement  (1). 


M.  L.  &EIEÂÏÏ  DE  LAMAELIEUE 

au  Laboratoire  de  Biologie  végi-lale  de  Fontainebleau. 


SUR  LE  DEVELOPPEMENT  DU  "  CONOPODIUM  DENUDATUM       KOCH 


—  Séance  du  17  septembre  1892  — 

Dans  une  note  présentée  au  Congrès  de  Marseille  (2),  j'ai  montré  que  la 
plantule  du  Bunium  Buihocastanum  L.,  bien  que  très  anormale  au 
premier  aspect,  peut  se  rattacher  par  une  suite  d'intermédiaires  au  type 
général  que  présente  la  majorité  des  Ombellifères,  et  que  son  cotylédon, 
unique  en  apparence,  résulte  probablement  de  la  concrescence  de  deux 
cotylédons  en  un  seul.  Ce  n'est  donc  pas  un  des  cotylédons  qui  disparaît 
par  avortement,  comme  le  veulent  la  plupart  des  auteurs,  entre  autres 
Th.  Irmisch  (3;  et  Hegelmaier  f4). 

(1)  Ce  travail  a  été  fait  au  Laboratoire  de  Biologie  végétale  de  Fontainebleau,  sous  la  direction  de 
M.  Gaston  BONNIKR. 

(2)  Sur  Iti  germinittion  de  (juelqitei  Omhtlli fères,  f.ls^w.  française  pour  l'avancement  des  sciences. 
Séance  du  19  sept.  1891.  Marseille). 

(Z)  Th.  Irmisch,  Bcilruge  zur  vergleiclienden  Morpholoi/ie  der  Pflanzen  :  Carum  Bidhocattanum  und 
Chœrophijtlum   bulbositm  nach  ihrer  Keimung.  Halle,  1862. 

(4)  llKOELMAïKii,  Ytrgleichvide  Uniersuchungen  ùber  Enlwicklung  dikolyledover  Keime.  Stuttgart, 
1878,  p.   138  et  seq. 


446  BflTANiyUE 

L'insuilisance  des  matériaux  que  j'avais  à  cette  époque  entre  les  mains 
ne  m'avait  pas  permis  d'être  plus  affîrmatif;  de  plus,  l'origine  du  bour- 
geon qui  donne  naissance  à  la  tige  fructifère  restait  tout  à  fait  obscure. 
Depuis  lors,  j'ai  eu  l'occasion  d'étudier  complètement  la  germination  et  le 
développement  d'une  autre  Ombellifère,  le  Conopodium  denudatum,  Koch, 
qui  présente  les  mêmes  particularités  que  le  B.  Bulbocastanum  et  cette 
étude  me  permet  aujourd'hui  d'apporter  de  nouveaux  arguments  en 
faveur  de  mon  opinion. 

Hegelmaier,  qui  a  étudié  l'embryon  de  plusieurs  Conopodium  (C.  capilli- 
folium  Boiss.,  C.  subcarneum  Boiss.,  C.  Bourgœi  Coss.)  a  trouvé  que  ces 
embryons,  comme  celui  du  B.  Bulbocastanum,  étaient  munis  d'un  seul 
cotylédon  bien  développé,  portant  à  sa  base  une  petite  protubérance. 
Il  était  probable  dès  lors  que  l'on  devait  retrouver  chez  le  Conopodium 
denudatum  les  mêmes  particularités  anatomiques.  C'est  ce  que  j'ai  pu 
observer,  et  le  développement  de  cette  espèce  s'est  montré,  presque  sous 
tous  les  rapports,  semblable  à  celui  du  Bunium  déjà  décrit. 

Morphologie  externe.  —  La  plantule  du  C.  denudatum  présente  extérieu- 
rement un  organe  foliaire,  étroit,  lancéolé,  qui  s'amincit  vers  le  bas  en 
un  pétiole  arrondi  du  côté  correspondant  à  la  face  inférieure  et  plan  sur 
la  face  supérieure.  Cette  dernière  partie  du  pétiole  est  colorée  en  vert 
comme  le  limbe  lui-même,  et  présente  de  nombreux  stomates  qui  devien- 
nent rares  vers  le  bas  et  disparaissent  complètement  dans  la  portion  qui 
vient  ensuite.  Le  limbe  et  le  pétiole  sont  les  seules  parties  qui  émergent 
du  sol.  Presque  au  niveau  de  la  terre,  le  pétiole  est  légèrement  rougeâtre: 
cette  coloration  est  due  à  un  pigment  répandu  dans  les  cellules  épider- 
miques,  et  on  la  retrouve  souvent  dans  la  partie  inférieure  de  l'axe  hypo- 
cotylé  des  autres  Ombellifères. 

La  région  du  pétiole  qui  est  dans  la  terre  a  une  forme  absolument 
cylindrique  et  est  décolorée;  les  stomates  disparaissent  dans  cette  région. 
Cette  portion  blanchâtre  ne  dépasse  guère  un  centimètre  en  longueur  : 
elle  est  nettement  limitée  vers  le  bas  par  une  brusque  diminution  du 
diamètre.  Ce  cyljndre  plus  étroit  présente  tous  les  caractères  extérieurs 
d'une  racine  :  sa  couleur  est  grise  et  sa  surface  est  couverte  de  débris 
de  poils  absorbants  flétris.  Si  l'on  prend  une  plantule  et  qu'on  la  plonge 
pendant  une  demi-minute  environ  dans  le  brun  Bismarck  ou  le  vert 
d'iode,  puis  qu'on  la  lave  dans  l'eau  pure,  la  partie  mince  absorbe  forte- 
ment le  réactif,  tandis  que  la  portion  blanchâtre  reste  incolore,  ce  qui 
montre  bien  que  la  nature  de  l'assise  externe  n'est  pas  la  même  dans  les 
deux  régions. 

La  partie  amincie  présente  donc  extérieurement  tous  les  caractères  d'une 
racine;  de  plus  elle  porte  des  ramifications  latérales  qui  ont  l'aspect  de 
radicelles. 


L.    GKNKAU    DK  LVM.VRLlKltK.  DU   «   (ONOPODRM  DEINUDATLM   »   KOCH       447 

Après  huit  jours  environ  de  végétation,  la  racine  offre  vers  son  tiers 
inférieur  un  léger  renflement,  d'abord  lancéolé,  puis  sphérique,  qui  est 
un  petit  tubercule  ;  ce  renflement  ne  diff'ère  extérieurement  du  reste  de 
la  racine  que  par  son  diamètre  plus  fort. 

Sur  la  partie  supérieure  du  tubercule,  près  du  point  d'insertion  du 
filament  qui  sert  de  support  au  cotylédon,  se  montre  bientôt  un  bourgeon 
qui  donne  naissance  successivement  à  plusieurs  feuilles,  puis,  l'année 
suivante,  à  une  tige  florifère.  La  position  de  ce  bourgeon  correspond  à 
la  face  supérieure  de  l'organe  cotylédonaire. 

Morphologie  interne.  —  Si  l'on  étudie  la  morphologie  interne  de  la 
plantule  du  C.  denudotum.  on  voit  que  toute  la  région  couverte  de  poils 
absorbants  présente  la  structure  primaire  d'une  racine,  structure  absolu- 
ment identique  à  celle  de  toutes  les  autres  Ombellifères.  On  y  voit,  en 
effet,  deux  faisceaux  du  bois  primaire  opposés,  et  à  vaisseaux  unisériés, 
alternant  avec  les  deux  faisceaux  du  liber  primaire.  Le  cylindre  central 
est  entouré  d'un  péricycle  creusé  de  deux  arcs  sécréteurs,  formés  chacun 
d'un  nombre  impair  de  canaux.  Viennent  ensuite  un  endoderme  à 
épaississements  nettement  subérifiés,  et  une  écorce  peu  développée  à 
l'extérieur  de  laquelle  se  voit  l'assise  pilifère. 

Quelle  que  soit  donc  la  caractéristique  que  l'on  admette  pour  la  racine, 
assise  pilifère  ou  structure  pi'imaire  interne,  cette  portion  de  la  plantule 
U  satisfait  de  tous  points. 

Dans  la  partie  supérieure  de  la  racine,  c'est-à-dire  au  point  où  s'effectue 
le  changement  de  diamètre,  une  série  de  coupes  transversales  montre 
que  les  deux  faisceaux  libéro-ligneux  passent  intégralement  dans  le  pétiole 
du  cotylédon,  en  subissant  assez  brusquement  les  modifications  néces- 
saires pour  prendre  la  forme  caractéristique  de  la  structure  de  tige.  Dans 
chaque  faisceau  ligneux  primaire,  on  voit  en  effet  les  vaisseaux,  d'abord 
unisériés,  augmenter  en  nombre  et  se  disposer  en  massif  semi-circulaire; 
les  vaisseaux  les  plus  âgés  (spirales),  d'externes  qu'ils  étaient,  deviennent 
internes,  et  sont  entourés  de  tous  les  côtés  par  des  vaisseaux  plus  jeunes 
(annelésj  ;  puis  la  masse  totale  du  bois  se  scinde  en  deux  portions  égales 
suivant  un  plan  qui  correspond  au  plan  médian  des  faisceaux  du  bois 
primaire  de  la  racine;  de  sorte  que  les  deux  faisceaux  primaires  de  la  tige 
alternent  avec  les  faisceaux  ligneux  de  la  racine.  Chacun  d'eux  doit  donc 
être  considéré  comme  formé  de  deux  moitiés,  prise  chacune  à  un  faisceau 
primaire  différent  de  la  racine.  Les  faisceaux  primaires  du  liber  conti- 
nuent leur  course  rectiligne  et  se  trouvent  ainsi  tout  naturellement  accolés 
au  bois. 

Presque  aussitôt,  et  un  peu  plus  haut,  les  faisceaux  libéro-ligneux  ces- 
sent d'être  diamétralement  opposés,  car  ils  subissent  une  légère  dévia- 
tion et  prennent  dans  leur  ensemble  la  forme  d'un  V  dont  le  liber  occupe 


448  BOTANIQUE 

l'extrémité  des  branches.  Ainsi  la  si/métrie  par  rapport  à  un  axe  dispa- 
raît pour  faire  place  à  la  symétrie  par  rapport  à  un  plan.  Cette  nouvelle 
région  est  celle  du  pétiole  proprement  dit  :  extérieurement  elle  est  co- 
lorée en  vert.  Vers  l'extrémité  inférieure  du  limbe  cotylédonaire,  les  deux 
faisceaux  libéro-ligneux  se  confondent  en  un  seul. 

Il  n'y  a  donc  qu'un  axe  hypocotylé  très  court  qui  est  presque  réduit  à 
la  zone  de  passage  de  structure  de  la  racine  à  celle  de  la  tige,  cette  zone 
de  passage  se  trouvant  dans  toutes  les  Ombellifères  à  la  partie  supé- 
rieure de  l'axe  hypocotylé. 

Jusqu'ici,  il  n'a  pas  été  question  de  la  gemmule;  il  est  impossible  d'en 
trouver  la  moindre  trace  dans  la  portion  extra-radicale  de  la  plantule,  à 
moins  qu'on  ne  veuille  lui  attribuer  la  légère  protubérance  indiquée  par 
Hegelmaier  à  la  base  de  l'unique  cotylédon  développé,  mais  que  cet  auteur 
considère  comme  le  second  cotylédon  avorté.  Quoi  qu'il  en  soit,  cet  organe 
ne  subit  aucun  développement  postérieur.  Le  bourgeon  du  tubercule  ne 
saurait  être  considéré  comme  la  gemmule  ;  sa  position  sur  une  racine  et 
son  origine  interne  s'opposent  à  une  telle  interprétation.  1/  n'y  a  donc  pas. 
de  gemmule  normalement  développée. 

J'arrive  maintenant  au  développement  du  tubercule.  Au  début,  il  ne 
présente  pas  une  structure  différente  de  celle  du  reste  de  la  racine,  qui  est 
la  structure  primaire  normale.  Plus  tard,  toute  la  racine,  à  l'exception  du 
tubercule,  disparaît  sans  ofïrir  de  développement  secondaire.  Mais  le 
tubercule  persiste  et  s'accroît  beaucoup  ;  son  écorce  s'exfolie  rapidement 
et  il  reste  constitué  par  le  cylindre  central,  qu'une  assise  de  liège  protège. 

Quand  le  tubercule  a  atteint  un  demi-centimètre  de  diamètre,  le  bour- 
geon se  développe  beaucoup.  11  soulève  et  déchire  la  couche  de  liège 
d'origine  endodermique,  ce  qui  montre  bien  qu'il  est  endogène.  Sa  base 
forme  une  petite  masse  conique  allant  se  réunir  très  obliquement  au 
cylindre  central  du  tubercule.  Au  point  de  jonction,  sur  une  coupe  trans- 
versale, on  voit  que  le  faisceau  du  bois  primaire  de  la  racine  situé  de  ce 
côté  fait  défaut.  11  y  a  donc,  d'une  part,  un  faisceau  du  bois  primaire  de 
la  racine,  à  croissance  centripète,  flanqué  de  chaque  côté  de  deux  ou  trois 
faisceaux  du  bois  secondaire  à  vaisseaux  presque  unisériés  ;  puis,  à  l'en- 
droit que  devrait  occuper  le  deuxième  faisceau  du  bois  primaire,. se  trouve 
un  demi-cercle  de  parenchyme  médullaire  entouré  de  trois  ou  quatre 
faisceaux  appartenant  au  bourgeon,  s'arrêtant  à  une  zone  de  cambium  de 
l'autre  côté  de  laquelle  se  trouvent  autant  de  faisceaux  du  liber.  11  y  a 
ainsi,  à  ce  niveau,  situés  côte  à  côte,  un  demi-cylindre  central  de  racine  el 
un  demi-cylindre  central  de  tige.  Les  deux  cambiums,  quoique  formant 
des  arcs  égaux,  ne  sont  pas  en  continuité  par  leurs  extrémités. 

Ceci  se  passe  dans  la  portion  supérieure  du  tubercule  ;  mais  dans  la 
portion  inférieure,   au-dessous   du   point  de  jonclion  du  bourgeon,   la 


L.  GrâEAl"  ItE  LA>IAI!l.Il":i!i:.  —  DU    «   CONOPODIUM  DENUDATUM  »  KOCII       449 

structure  de  la  racine  persiste  avec  une  modification  singulière.  Les 
deux  faisceaux  du  liber  primaire,  au  lieu  d'être  repoussés  tout  à  lait  à 
la  périphérie  contre  le  liège,  comme  cela  arrive  dans  les  autres  Omhelli- 
fères,  restent  à  mi-distance  du  liège  et  du  cambium.  Un  peu  plus  bas,  on 
voit  que  ce  dernier  ne  forme  plus  un  cercle  régulier  ;  mais,  eu  lace  de 
chaque  faisceau  du  liber,  il  décrit  une  courbe  rentrante.  Ces  échancrures 
du  cambium  deviennent  de  plus  en  plus  profondes  à  mesure  que  l'on 
descend,  puis  elles  se  referment  en  englobant  chacune  un  faisceau  du  liber 
primaire.  Le  cambium  est  alors  scindé  en  trois  portions  :  1"  un  cambium 
général  circulaire,  ou  plus  généralement  elliptique,  produisant  normale- 
ment du  bois  à  la  face  interne  et  du  liber  à  la  face  externe;  2°  deux  petits 
cercles  cambiaux  situés  à  l'intérieur  du  premier,  produisant  du  liber  à 
l'intérieur  et  du  bois  à  l'extérieur.  Les  faisceaux  ligneux  produits  par  les 
deux  systèmes  cambiaux  sont  opposés  dos  à  dos. 

Si  l'on  descend  encore  le  long  de  l'axe  du  tubercule,  on  voit  le  cam- 
bium reprendre  les  différentes  formes  par  lesquelles  il  est  passé,  mais 
en  sens  inverse;  il  recouvre  finalement  son  aspect  normal.  Cette  struc- 
ture singulière  se  conserve  à  l'état  adulte.  Je  l'ai  retrouvée  dans  deux 
autres  espèces  d'Ombellifères,  le  Conopodium  variabile  Miègeville,  et  le 
Bunium  alpinum  Waldst.  et  Rit. 

En  résumé,  la  plan  Iule  c?«  Conopodium  denudatum^e  compose  :  1°  d'une 
racine  à  structure  primaire  normale;  '2°  d'une  zone  de  passage  représen- 
tant un  axe  hijpocolylé  réduit;  3"  d'un  organe  coti/lédonaire  formé  par  la 
concrescence  de  deux  cotylédons  en  un  seul,  et  admettant  à  son  intérieur  la 
totalité  du  système  vasculaire  de  la  racine. 

Il  n'y  a  pas  de  gemmule  normalement  développée. 

Le  bourgeon  du  tubercule  est  d'origine  interne  et  naif  sur  une  poî^tion 
radicale. 

Le  tubercule  est  dû  à  un  accroissement  du  cylindre  central  secondaire 
d'une  portion  de  la  racine.  Dans  sa  partie  supérieure,  il  présente  en  partie 
la  structure  d'une  tige  par  suite  du  développement  du  bourgeon  adventif. 
Dans  sa  partie  inférieure,  il  a  la  structure  d'une  racine,  mais  modifiée 
d'une  manière  toute  particulière  (1). 

(1)  ce  travail  a  été  fait  au  Laboratoire  de  Biologie  végétale  de  Fontainebleau,  dirigé  par  M.  Gaston 

BO>NIER. 


29=' 


450  BOTANIQUE 

M.  A.  O&EE 

:i  Courdemanche  (Sarthe). 


ÉTUDE    EXPÉRIMENTALE     DE    L'INFLUENCE    EXERCÉE    PAR    LE    SOL    HUMIDE 
SUR    LA    TIGE    ET    LES    FEUILLES 


—  Séiince  du  49  xeplembre  i892  — 

Beaucoup  de  faits  relatifs  à  l'influence  de  l'humidité  du  sol  sur  la 
morphologie  des  plantes  ont  été  cités  depuis  longtemps,  mais  en  général 
on  ne  s'est  pas  attaché  à  déterminer  exactement  les  conditions  où  se 
trouvaient  les  plantes  observées.  Si  bien  que  ce  qui  est  souvent  rapporté  à 
l'humidité  seule  peut  aussi  bien  Têtre  à  une  condition  de  milieu  en 
rapport  avec  l'humidité,  à  une  faible  intensité  lumineuse,  par  exemple. 
Pour  étudier  l'action  de  l'humidité,  j'ai  donc  cultivé,  pour  chaque  plante 
jnise  en  expérience,  deux  lots,  l'un  de  sol  sec,  l'autre  de  sol  très  humide; 
toutes  les  autres  conditions,  intensité  lumineuse,  état  hygrométrique,  cha- 
leur, composition  du  sol,  étant  identiques  pour  les  deux  lots.  Actuelle- 
ment, les  résultats  sont  connus  pour  deux  espèces  :  Lampsana  communis 
et  Sonchus  asper. 

Je  ne  compare  les  plantes  que  lorsqu'elles  ont  atteint  leur  entier  déve- 
loppement, c'est-à  dire  après  la  fructification.  Un  des  principaux  effets  de 
l'humidité  du  sol  est  de  changer  la  durée  des  différentes  périodes  de 
végétation  ;  il  se  trouve  qu'ainsi,  à  un  moment  donné  du  développement, 
alors  qu'un  tissu  a  acquis  toute  sa  croissance  en  sol  sec,  il  est  à  peine 
ébauché  en  sol  humide.  Après  la  fructification,  cette  différence  n'a  plus 
lieu  et  les  plantes  sont  comparables. 

Lampsana  communis.  —  En  sol  humide,  les  plantes  sont  beaucoup  plus 
grandes  (deux  à  trois  fois).  Le  nombre  des  entre-nœuds  augmente  et, 
par  suite,  celui  des  teuilles  de  la  tige  ;  les  rameaux  se  développent  beau- 
coup :  ils  portent  de  m  à  100  capitules  de  fleurs,  tandis  qu'en  sol  sec  ils 
avortent  presque  complètement  et  la  plante  n'a  plus  que  7  ou  8  capitules 
de  fleurs. 

La  longueur  do  tige  étant  prise  pour  unité,  les  entre-nœuds  supérieurs 
sont  relativement  plus  longs  en  sol  humide  qu'en  sol  sec,  tandis  que  le 
contraire  a  lieu  pour  les  entre-nœuds  inférieurs.  En  grandeur  absolue, 
ils  sont  toujours  plus  grands  en  sol  humide  qu'en  sol  sec  pour  des 
régions  correspondantes.  L'absence  de  ramification  en   sol  sec  donne  à 


A.   OGEn.  —  INFLUENCE  DU  SOL  HUMIDE  SUR  LA  TIGE  ET  LIS  FEUILLES      4o  l 

la  plante  un  aspect  différent  de  celle  de  sol  humide  ;  la  plante  de  sol  sec 
forme  comme  un  épi  allongé  terminé  par  un  petit  corymbe;  la  plante 
de  sol  humide,  au  contraire,  représente  une  grappe  très  largement  déve- 
loppée, dont  chaque  rameau   est  lui-même  une  grappe  de  corymbes. 

La  tige  peut  se  diviser  en  deux  régions  :  l'une,  supérieure,  glabre; 
lautre,  inférieure,  velue.  En  sol  humide,  la  région  glabre  est  proportion- 
nellement plus  développée  qu'en  sol  sec.  La  tige  n'est  pas  exactement 
cylindrique;  l'arête  inférieure  du  pétiole  de  chaque  feuille  se  prolonge  sur 
la  tige  en  y  formant  une  arête  longitudinale  ;  ces  arêtes  longitudinales, 
peu  sensibles  en  sol  sec,  sont  relativement  beaucoup  plus  développées  en 
sol  humide. 

Feuilles.  —  En  grandeur  absolue,  les  feuilles  sont  plus  grandes  en  sol 
humide  qu'en  sol  sec,  mais  les  feuilles  ne  sont  pas  qu'amplifiées,  elles 
ont  aussi  changé  de  forme.  Alors  qu'en  sol  sec  les  feuilles  diminuent 
constamment  de  longueur  de  la  base  au  sommet,  en  sol  humide  la 
longueur  reste  constante  pour  toutes  les  feuilles,  moyennes.  La  largeur 
change  également.  Sous  l'influence  d'une  grande  humidité  du  sol, 
l'accroissement  en  longueur  est  plus  grand  que  l'accroissement  en  largeur 
pour  les  feuilles  supérieures  ;  c'est  le  contraire  qui  a  lieu  pour  les  feuilles 
inférieures.  Normalement,  les  feuilles  inférieures  sont  lyrées,  les  feuilles 
moyennes  pétiolées  et  simples,  et  les  supérieures  sessiles.  En  sol  humide, 
les  expansions  latérales  du  pétiole  des  feuilles  lyrées  se  développent 
beaucoup  ;  elles  s'atrophient  et  tendent  à  disparaître  en  sol  sec.  Les 
feuilles  moyennes  ont  leur  limbe  plus  tronqué  vers  la  base  en  sol  sec 
qu'en  sol  humide.  Le  nombre  des  nervures  principales  ne  varie  pas 
sensiblement  dans  les  deux  cas,  de  même  que  le  nombre  de  dents  ;  il  en 
résulte  qu'en  sol  humide,  où  le  limbe  est  plus  grand,  le  bord  semble 
moins  denté.  Enfin,  la  feuille  des  plantes  de  sol  sec  est  beaucoup  plus 
résistante,  plus  velue  ;  elle  se  fane  difficilement,  tandis  que  celle  de  sol 
humide  se  flétrit  dès  que  la  plante  est  arrachée  du  sol.  La  couleur  verte  de 
la  feuille  est  plus  foncée  en  sol  sec  qu'en  sol  humide  ;  la  feuille  tend 
d'ailleurs  beaucoup  plus  à  se  mettre  perpendiculairement  à  la  direction 
|)rincipale  des  rayons  lumineux  pour  les  plantes  de  sol  sec  que  pour  celles 
de  sol  humide. 

Morphologie  interne.  —  Les  tissus  ne  conservent  pas  le  même  rapport 
d'épaisseur  dans  les  deux  cas.  En  grandeur  absolue^  sauf  l'écorce,  tous 
les  tissus  augmentent  d'épaisseur  en  sol  humide,  mais  l'accroissement 
n'est  pas  proportionnel.  Nul  pour  l'écorce,  il  est  le  plus  grand  pour  la 
moelle  et  surtout  pour  les  formations  secondaires  ligneuses,  et  très  peu 
accentué  pour  le  stéréome  médullaire.  La  cavité  centrale  augmente,  alors 
qu'elle  peut  manquer  en  sol  sec.  Le  nombre  des  vaisseaux  est  également 
augmenté. 


452  BOTANIQUK 

Les  éléments  des  tissus  changent  également  de  forme.  Toutes  les  cel- 
lules, sauf  celles  de  l'êcorce  sont  agrandies  en  sol  humide,  mais  l'épais- 
seur de  la  paroi  ne  suit  pas  nécessairement  cet  agrandissement  :  il  ne  lui 
est  proportionnel  que  pour  les  tissus  de  soutien;  pour  les  autres  cellules 
l'épaisseur  est  sensiblement  la  même  dans  les  deux  cas.  Les  cellules  des 
tissus  de  soutien  sont  plus  différenciées  en  sol  humide  ;  elles  se  détachent 
plus  facilement  les  unes  des  autres  sous  l'influence  d'une  pression  sur 
la  coupe.  L'épiderme  de  la  feuille  a  ses  cellules  beaucoup  plus  grandes  et 
plus  ondulées  en  sol  humide. 

SoNCHus  AsPER.  —  De  même  que  pour  les  Lampsanes,  les  plantes  de  sol 
humide  sont  beaucoup  plus  développées  que  celles  de  sol  sec  (trois  à 
quatre  fois),  mais  ici  la  floraison  est  retardée  en  sol  sec.  La  ramification 
est  très  développée  en  sol  humide;  les  rameaux  dépassent  de  beaucoup  le 
sommet  de  la  tige  sans  que  cependant  la  plante  devienne  très  large  à 
cause  du  géotropisme  oblique  négatif  très  prononcé  de  ces  rameaux;  ils 
portent  beaucoup  de  fleurs.  En  sol  sec,  la  ramification  est  à  peu  près  nulle, 
la  plante  est  nettement  pauciflore  :  deux  ou  trois  fleurs  au  plus. 

L'aspect  diffère  :  en  sol  sec  les  feuilles  ont  une  tendance  à  se  mettre  en 
rosette  par  suite  du  peu  de  développement  des  entre-nœuds  inférieurs, 
tandis  que  les  feuilles  caulinaires  deviennent  bractéiformes  ;  la  tige  prend 
ainsi  l'aspect  d'un  pédoncule  floral.  En  sol  humide,  au  contraire,  la  ro- 
sette basilaire  tend  à  disparaître  par  suite  de  l'allongement  des  entre- 
nœuds, les  feuilles  supérieures  ne  sont  pas  bractéiformes  et,  toutes  pro- 
portions gardées,  la  tige  semble  largement  feuillée  depuis  le  sommet 
jusqu'à  la  base. 

La  tige,  glabre  dans  les  deux  cas,  porte,  surtout  aux  entre-nœuds 
moyens,  des  arêtes  longitudinales  qui  ne  sont  que  le  prolongement  de  l'a- 
rête inférieure  du  pétiole.  En  sol  très  humide,  ces  arêtes  deviennent  de 
véritables  ailes  de  deux  à  trois  millimètres  de  largeur,  tandis  qu'en  sol 
sec,  ces  arêtes  sont  très  peu  développées  et  à  peine  visibles. 

Feuilles.  —  L'accroissement  de  grandeur  des  feuilles  en  sol  humide  est 
beaucoup  plus  fort  vers  la  partie  supérieure  que  vers  la  partie  inférieure 
de  la  tige.  La  forme  est  encore  changée.  Normalement  les  feuilles  cau- 
linaires sont  embrassantes.  Les  auricules  deviennent  considérables  en  sol 
humide  et  le  limbe  tend  à  s'aplanir,  tandis  qu'en  sol  sec  il  est  toujours 
plus  fortement  ondulé  sur  les  bords  avec  des  auricules  très  réduites.  Les 
dents  sont  atténuées  en  sol  humide  et  la  feuille  est  un  peu  moins  rude, 
mais  sous  ce  rapport  la  différence  avec  la  feuille  de  sol  sec  n'est  jamais 
aussi  grande  que  celle  qu'on  obtiendrait  par  une  différence  dans  l'éclai- 
rage. Enfin  la  couleur  verte  est  atténuée  également  en  sol  humide. 

Morphologie  interne.  —  L'accroissement  du  diamètre  de  la  tige  n'est  pas 
proportionnel  à  l'accroissement  en  longueur,  mais  ici  il  y  a  beaucoup 


A.  C.VRAVEX-CACHIN .   —  LES  PLANTES  NOUVELLES  DU  TAILN  (  187i-1891)       453 

moins  de  différence  que  pour  le  Lampsane.  Tous  les  tissus  augmentent 
d'épaisseur  en  sol  humide,  mais  l'accroissement  n'est  pas  proportionnel. 
Peu  développé  pour  l'écorce,  il  l'est  davantage  pour  le  stéréome  cortical, 
encore  plus  pour  le  stéréome  médullaire,  mais  surtout  pour  la  moelle  et 
pour  les  formations  secondaires  ligneuses  de  la  base.  La  cavité  centrale 
est  également  très  agrandie. 

Les  cellules  de  tous  les  tissus  sont  agrandies  sous  l'intluence  de  l'humi- 
dité du  sol,  mais  l'agrandissement  n'est  pas  proportionnel.  A  peu  près 
nui  pour  les  cellules  de  l'écorce,  il  atteint  son  maximum  dans  la  moelle, 
ie  parenchyme  des  feuilles  et  dans  les  vaisseaux  (qui  augmentent  en 
nombre);  l'épaisseur  de  la  paroi  n'augmente  pas,  sauf  un  peu  pour  les 
tissus  de  soutien.  Enfin  l'épiderme  de  la  feuille  a  des  cellules  très  agran- 
dies, à  parois  beaucoup  plus  ondulées  en  sol  humide  qu'en  sol  sec. 


M.  Alfred  CAEAYEN-CACHO 

Lauréat  de  l'Institut,  à  Salvafjnac  (Tarn). 


LES  PLANTES  NOUVELLES  DU  TAPN  ri874-l89n 


—  Séance  du  49  septembre  189i  — 

Depuis  l'année  1874,  date  de  l'arrivée  des  régiments  d'artillerie  dans 
la  ville  de  Castres,  qui  a  coïncidé  avec  l'introduction  des  céréales  étran- 
gères, nous  avons  rencontré,  principalement  aux  environs  de  celte  ville, 
à  la  gare,  aux  baraquements,  au  champ  de  tir  du  Causse  d'Augmontel, 
enfin  à  Murât,  plusieurs  plantes  nouvelles  dont  nous  allons  donner  la 
liste  : 

Année  1873,  —  Gare  de  Castres. 

Nasturtiastrum  ruderale  (G.  et  M.)  Chrysanthemum  segetum  (L.). 

Melilotus  parviflora  (Desf.).  Echiuin  pjantagineum  (L.j. 

Année  1876.  —  Gare  de  Castres. 

Rœmaria  hybrida  (D.  C).  Urtica  pilulifera  (L.). 

Glaucium  corniculatum  (Scop.).  Verbascum  sinuatum  (L.). 

Erysimum  perfoliatum  (Crantz).  Carthanius  linctorius  (L.j. 


4o4 


BOTANIQUE 


Année  1877.  —  Gare  de  Castres. 

Trifolium'purpureum  (D.  C). 


Ganielina  sylvestris  (Waltz.J 
Dianlhus  caryophyllus  (L.). 


Année  1877.  — '■  Lautrec. 
Tulipa  ocLilus-solis  (St-Am.). 

Année  1878.  —  Gare  de  Castres. 
Phalaris  canariensis  (L.). 

Année  1879.  —  Castres,  à  la  Tuilerie-Neuve. 
Lactuca  ramossissima  (Gr.  et  God.) 

Année  1880.  —  Augmontel  et  gare  de  Castres. 


Delphinium  pubescens  (D.  C). 
Papaver  dubium  (L.). 

—  hybridum  (L.). 
Glaucium  corniculatum  (Curf,). 
Brassicaria  erucastrum  (G.  et  M.). 
Rapistrum  orientale  (D.  C?). 
Reseda  alba  (L.). 

Silène  muscipula  (L.). 
—     dichotoma  (L.). 
Medicago  scutellata  (Ail.). 

—  pentacycla  (D.  C). 
Trifolium  resupinatum  (L.). 

—  stellatum  (L.j, 
Meiilotus  sulcata  (Desf.). 

—  parviflora  (Desf.). 
Lathyrus  ochrus  (D.  C). 
Buplerum  protactum  (Link  et  Hoff.). 
Galium  parisiense  (L.), 


et  G.), 


Centaurea  hybrida  (AU.). 

—  microplilon  (G. 

—  paniculata  (L.). 
Scabiosa  hybrida  (AU.). 
Cota  tinctoria  (Gay.). 
Anacyclus  Valentinus  (L.). 
Achillea  ageratum  (L.). 

^       tomentosa  (L.). 
Chrysanthemum  coronaiium  (L 
Senecio  Gallicus  (Will.). 
Hedypnois  cretica  (Will.U 
Anchusa  sempervirens  (L.). 
Salvia  sclarea  (L.). 
Leonurus  cardiaca  (L.). 
Phalaris  nodosa  (L.). 
Sorghum  Helepense  (Pers.). 
Polypogon  Mouspeliensis  (Desf.) 
Briza  maxima. 


Année  1881.  —  Castres,  Baraquements  et  Augmontel. 


Hibiscus  roseus  (L.). 
Lavatera  trimestris  (L.). 
Malope  malacoïdes  (L.), 
Medicago  scutellata  (AU.). 
—        pentacycla  (D.  G, 
Trifolium  resupinatum  (L. 
Meiilotus  sulcata  (Desf.). 
Scorpiurus  subvillosa  (L.). 
Lathyrus  ochrus  (D.-C.). 
Knautia  hybrida  (Coult.). 
Centaurea  melitensis  (L.). 


Cota  tinctoria  (L.). 
Anacyclus  Valentinus  (L.). 
AchUlea  tomentosa  (L.). 
AchiUea  nobilis  (L.). 
Chrysanthemum  Myconis  (L.). 
Hedypnois  cretica  (Willd.). 
Campanula  rapunculoides  (L.). 
Polygala  comosa  (Schlk.). 
Heliotropium  supinum  (L.). 
Marrubium  supinum  (L.). 
Andropogon  halepensis  (Sibth.). 


A.  CARAVEN-CACHIN.  —  LKS  PLANTES  NOUVELLES  DU  TAliN   (1874-1891)      4oO 

Année  1882.  —  Castres  et  Augmontel. 

Sisymbriuni  columnfc  (Jacq.)-  Onobrychis  caput-galli  (Lain.). 

Lavatera  punctata  (L.)-  Senecio  gallicus  (Chaix). 

Trixago  apula  (Stew.).  Phalaris  paradoxa  (L.). 

Année  1882.  —  Castres  à  la  Gare. 

Berteroa  incana  (D.  C).  Medicago  marginata  (Willd.). 

Camelina  dentata  (Pers.).  Buphlalmum  salicifoliuni  (L.). 

Silène  dichotuma  (L.).  Agroslis  spica-venti  (L.). 

Année  1883.  —  Castres  à  la  Gare. 

Brassica  asperitblia  (Lam.).  Anacyclus  radiatus-type  (Lois). 

Erucastrum  Pollichii  (G.  et  God.).  Vulpina  ligustica  ^Linck). 

Trigonella  corniculala  (L.). 

Année  1884.  —  Bords  du  Tarn. 

Sisymbrium  polyceratum  (L.).  lloubieva  niultifida   (M.-T.).    Plante 

Paspalum  vaginatum  (Ùw.).  signalée  à  Sorèze,  depuis  plus  de 

Solidago  glabra  (Desf.).  cinquante  ans.  Se  trouve  très  com- 

munément sur  les  rives  sablon- 
neuses du  Tarn. 
Sporobolus  arenarius  (.1.  Duval)  (1). 

Année  1883.  —  Saint-Urcisse  (Tarn). 

.îlnothera  rosea  (Ait.).  Plante  qui  se  reproduit  à  Saint-Urcisse  depuis  plus  de 
quarante-cinq  ans. 

Année  1885.  —  Murai  (Tarn). 

Arabis  muralis  (Bertol.).  Saponaria  ocymoides  (L.). 

Lepidiura  heterophyllum  (Benth.). 

Année  1886.  —  Murât. 
Camelina  dentata  (Pers.).  Hutchinsia  procumbens  (Dest.). 

Année  1887.  —  Murât. 

Tritblium  nigrescens  (Viv.).  Cotoneaster  tomenlosa  (Linde). 

Potentilla  micrantha  (Bam.). 

Année  1888.  —  Murât. 
Saxil'raga  hypnoides  (L.). 

Année  1889.  —  Murât. 
Amelanchier  vulgaris  (Mcench.). 

Année  1890.  —  Murât. 

Solidago  glabra  (Uesf.).  Lappa  intermedia  (Behb.i. 

Valeriana  hypnoides  (L.). 

(1)  CeUe  plante  a  été  signalée  par  M.  .1.  i;ei,  professeur  ;i  Saint-Sulpicc  (T;nii  . 


4o0  lîOTAMQUE 

Année  1891.  —  Murât. 

Genista  cruciala  (L.).  Luzula  Di\ea  (1).  C). 

Odontites  rubra  (Pers.).  Equisetum  sylvalicum  (L.). 

Juncus  filiformis  (L.). 

Nous  avons  encore  rencontré  le  Lychnis  coronaria  (D.  C.)  à  Roque- 
courbe,  sur  les  bords  du  Viaur  et  à  Salvagnac  ;  le  Colchicum  longifolium 
(Cast.)  au  Sidobre,  C'est  le  Colchicum  Castrense  de  M.  Larembergue . 
Le  Difora  radian>i  (Bieb)  est  le  Bifora  tesliculata  (D.  C.j  de  M.  de 
Martrin-Donos  ;  de  même  que  la  Centaiirea  paniculata  (L.)  a  été  étiquetée 
sous  le  nom  de  Centaurea  polijcephala  (Jord.),  par  M.  de  Martrin-Donos. 
Enfin,  la  Fritillaria  pijrenaïca  (L.)  a  disparu  du  bois  de  Gaïx,  en  1870, 
par  suite  des  écobuages. 

Nous  ne  pensons  pas  que  ces  plantes,  qui  viennent  fausser  la  flore 
indigène,  s'acclimatent  dans  notre  département,  car  il  n'est  guère  possible 
que  toutes  ces  espèces  végétales  résistent  à  notre  climat,  éminemment 
variable,  à  cause  du  voisinage  dos  montagnes.  Nous  savons,  du  reste, 
(juc  Gouan  sema  aux  environs  de  Montpellier,  d'après  une  note  inédite 
de  De  Candolle  et  comme  ses  propres  listes  de  semis  en  font  foi,  plus 
de  800  plantes  qui  ont  disparu,  tant  sont  difficiles  les  naturalisations. 
Ajoutons  à  cela  que  nos  inconscients  agriculteurs  tenaient  peu  compte 
de  la  géographie  botanique  et  répandaient  partout  au  hasard  des  graines 
qui  provenaient  de  pays  sans  analogie  avec  le  nôtre.  Cependant,  il  nous 
a  paru  intéressant,  pour  les  botanistes  à  venir,  de  signaler  le  résultat 
de  nos  recherches  et  de  consigner  les  espèces  végétales  qui  ont  été  intro- 
duites dans  nos  contrées  par  les  avoines  et  les  blés  étrangers. 


M.  Constant  HOÏÏLBEET 

Professeur  au  Collège  irKvrnu. 


SUR     LA     VALEUR    SYSTÉMATIQUE     DU     BOIS     SECONDAIRE 


—  Séance  du  19  ■ieplembre  I8!)i  — 

On   sait    depuis    longtemps,    et    les    recherches    récentes    de  M.    le 
D''   Miiller   (1),   en  Allemagne,    ont  encore   confirmé    ce    fait,    que  les 

(i)  D''  J.-C.  Mulleu,  Erlaulcrnler  Text  zu  dein  Atlas   (1er    Ilolzslructur  durgeatelll    in  Micropho- 
tographien.  Halle,  18S8.  . 


Ci  HOCLHEItT.  SUR  I.  V  VALEUU  SYSTKMATIUUK  Di:  UDlS  SKCONDAIUK       4o7 

bois  d'une  môme  famille  possèdent,  en  général,  une  structure  analogue. 

L'ouvrage  le  plus  complet  sur  ce  sujet  est  celui  de  M.  H.  Solereder  (1), 
public  à  Munich  en  1883.  Dans  la  seconde  partie  de  cet  ouvrage  (Spe- 
cieller  Teil),  aussi  remarquable  par  le  nombre  des  faits  observés  que  par 
la  précision  des  détails  anatomiques,  l'auteur  passe  en  revue  les  carac- 
tères du  bois  dans  toutes  les  familles  de  Dicotylédones  qui  comprennent 
des  représentants  ligneux,  mais  malheureusement  il  se  borne  à  la  simple 
constatation  des  faits,  et  très  rarement  —  ainsi  que  M.  Van  Tieghem 
l'a  constaté  lui-même  dans  son  intéressante  étude  sur  les  Mémécylées  (2j 
—  il  tire  de  ses  observations  quelques  considérations  générales  relatives 
à  la  systématique  des  plantes. 

Cette  disposition  particulière  d'un  travail  si  important  nous  a  paru 
regrettable,  c'est  pourquoi  nous  avons  entrepris  de  revoir  ce  sujet  si 
riche  et  si  peu  étudié  jusqu'à  présent. 

I.  —  D'après  nous,  le  bois  secondaire  offre  des  caractères  de  premier 
ordre  pour  la  classification  :  par  sa  constitution  chimique,  par  sa  posi- 
tion mémo  à  l'intérieur  de  la  tige,  il  est  susceptible  de  résister,  plus 
que  tout  autre  tissu,  aux  influences  modificatrices  du  milieu. 

Certes,  dans  diverses  circonstances,  le  bois  peut  se  réduire  ;  il  peut 
même  disparaître  à  peu  près  complètement,  ainsi  qu'on  l'observe  dans 
certaines  plantes  aquatiques  (Elodea):  mais,  dans  les  cas  où  il  est  bien 
développé,  il  se  prêle  mal  aux  exigences  de  l'adaptation  ;  il  doit  donc 
conserver  dans  sa  structure  les  caractères  les  plus  essentiels  de  l'espèce, 
ceux  qui  peuvent,  par  conséquent,  être  le  plus  fidèlement  transmis  par 
voie  de  descendance. 

Voici,  à  l'appui  de  cette  manière  de  voir,  un  certain  nombre  de  faits 
qui  nous  ont  paru  très  concluants. 

Tout  d'abord,  nous  devons  dire  que  c'est  l'agencement  relatif  des  élé- 
ments du  bois  qui  constitue  le  caractère  fondamental  de  ce  tissu  au  point 
de  vue  taxinomique  ;  c'est  cet  agencement  relatif,  généralement  inva- 
riable dans  chaque  famille,  que  nous  avons  désigné  sous  le  nom  de 
plan  lir/iieux. 

Cette  expression  permet  de  caractériser  d'un  mot  la  structure  du  bois 
dans  un  groupe  donné,  et  c'est  ainsi,  par  exemple,  qu'on  peut  rap- 
procher les  Mi/ricacées  des  Protéacées,  en  disant  que  les  premières  pos- 
sèdent le  plan  ligneux  des  Persoonia. 

Et,  en  effet,  quand  tous  les  organes  extérieurs,  les  feuilles,  la  tige 
elle-même  prise  dans  son  ensemble,  peuvent  être  profondément  modifiés 


(1)  D'  H.   SoLiiREDEiî,   i'eher   den    syslemalischen  W'erl   der    llolzstruclitr   hci  den   Dicotijledonen. 
.■Muiichen,  iSS'6. 

(2)  Vas  Tieohem,    Sur  lu    structure  et  Je^  'j/Jinilés  des  Mémécylées,  p.  26    Ann.  des  Sciences  nul., 
•'  st'rie,  t.  XIII,  1889). 


458  ■  BOTANIQUE 

par  les  conditions  extérieures,    le    Bois  secondaire  se   retrouve  toujours 
avec  sou  plan  ligneux  invariable. 

Nous  ne  voulons  pas  dire  cependant  que  le  bois  ne  subira  pas,  dans 
une  certaine  mesure  et  pour  une  espèce  donnée,  l'influence  du  milieu; 
tout  le  monde  sait  que  dans  les  stations  humides  sa  structure  est  plus 
lâche  que  dans  les  stations  sèches,  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  ces 
variations,  dont  l'amplitude  est  fort  limitée,  ne  portent  que  sur  les  dimen- 
sions absolues  des  éléments,  sur  le  diamètre  des  vaisseaux  et  des  fibres, 
sur  l'épaisseur  de  leurs  parois  :  dans  aucun  cas,  V agencement  7'elaiif  de 
ces  éléments  ncst  troublé,  d'où  invariabilité  complète  du  j)lO'>i  ligneux. 

II.  —  Certaines  familles  nous  offrent  des  exemples  fort  nets  de  ce  fait. 

En  premier  lieu,  nous  citerons  les  Protéacées,  qui  doivent  précisément 
leur  nom  à  la  variété  infinie  de  leurs  formes  ;  pour  ne  pas  sortir  d'un 
même  genre,  n'y  a-t-il  pas,  au  point  de  vue  du  port  et  de  l'aspect  exté- 
rieur, une  différence  considérable  entre  le  Grevillea  acanthifolia  et  le 
Grevillea  robusta  ?  Et  cependant  le  bois  secondaire  de  ces  deux  espèces 
n'accuse  pas  de  différences  bien  appréciables  ;  il  en  est  de  même  dans 
le  groupe  des  Banksia. 

Chez  les  Chénopodiacées,  n'est-il  pas  remarquable  de  rencontrer  des 
espèces  adaptées  à  la  sécheresse  du  désert  (Salso/a  orborescens,  Haloxylon 
ammodemlro»),  possédant  un  bois  très  xérophilc,  il  est  vrai,  mais  iden- 
tiquement construit  sur  le  même  plan  que  celui  des  espèces  européennes  ; 
l'adaptation,  on  le  voit  très  clairement  ici,  n'a  porté  que  sur  les  élé- 
ments ligneux,  elle  n'a  rien  changé  à  leur  agencement  relatif. 

Chez  les  Cupuliféres,  ne  serait-il  pas,  à  première  vue,  raisonnable  de 
supposer  qu'aux  difiérences  extérieures  qui  existent,  par  exemple,  entre 
notre  Quercus  peduncidata  et  le  Quercus  ilex,  dussent  aussi  correspondre 
des  différences  concordantes  dans  la  structure  du  bois  secondaire?  En 
réalité,  on  peut  dire  qu'il  n'en  est  rien  et  que,  malgré  de  nombreuses 
variations  d'aspect  et  de  port,  le  bois,  dans  la  vaste  série  des  Chênes, 
offre  la  plus  remarquable  uniformité  de  structure. 

Dans  les  Bosacées,  il  y  a  certes  d'assez  grandes  différences  extérieures 
entre  une  Spirée  et  un  Pi^unier;  ici  encore  cependant,  le  bois  secondaire 
n'a  pas  suivi  les  variations  morphologiques  et,  au  point  oîi  en  sont  mes 
recherches,  j'ai  constaté  que  toute  la  famille  possède  le  même  plan  ligneux. 

Enfin  une  remarque  semblable  peut  être  faite  pour  le  groupe  hétéro- 
gène de  Saxifragées,  puisqu'on  retrouve  jusque  dans  les  Platanes  (1)  la 
structure  ligneuse  des  Hamamélidées. 

A  ce  premier  ordre  de  faits  on  peut  en  ajouter  un  second  dont  la 
valeur  n'est  pas  moindre. 

(I)  M.  Bâillon  Considère  la  série  des  Platanes  «  comme   re|)résent;uit  le  type    arborescent  le  plus 
réduit  des  Saxifragées  ».  (Hùt.  des  Piaules,  III,  p.  400.; 


C.  HOULBERT.  SLIÎ   L.V  VALEl  |5  SYSTÉMATIQUE  DU  BOTS  SKCONDAIKI-;       451) 

III.  —  On  a  remarqué  que  les  végétaux  fossiles,  au  moins  dans  la 
grande  majorité  des  cas,  nous  montrent  des  formes  très  voisines  des 
espèces  vivantes,  mais  non  absolument  identiques  ;  on  aurait  pu  s'attendre 
à  trouver  également,  dans  les  débris  ligneux  fossiles,  des  variations  du 
môme  ordre  ;  il  n'en  est  rien  :  les  bois  de  l'époque  tertiaire  —  et  nous 
avons  eu  l'occasion  d'en  examiner  un  grand  nombre  —  ne  se  distinguent 
en  fien  de  ceux  de  l'époque  actuelle. 

Il  faut  donc  admettre,  d'après  ce  qui  précède,  que,  de  tous  les  caractères 
auatomiques,  c'est  le  bois  secondaire  qui  présente  les  plus  généraux  et  les 
plus  fixes. 

IV.  —  Si  maintenant  nous  descendons  de  ces  caractères  généraux, 
c'est-à-dire  de  ce  plan  ligneux  invariable,  aux  variations  apportées  par  les 
conditions  de  milieu,  et  qui  ne  portent,  comme  nous  l'avons  dit  précédem- 
ment, que  sur  les  éléments  cellulaires,  nous  trouvons  une  seconde  série 
de  caractères  génériques  ou  spécifiques  qui,  pour  une  valeur  moindre 
que  les  premiers,  n'en  sont  pas  moins  très  importants  au  point  de  vue  de 
la  classiliation . 

.\ous  arrivons  ainsi,  par  une  analyse  attentive  du  corps  ligneux,  à  pos- 
séder, avec  les  seuls  caractères  du  bois,  un  système  méthodique  de 
classification  qu'aucun  autre  tissu,  pris  isolément,  n'est  capable  de 
fournir  au  même  degré. 

Nous  pouvons  résumer  ainsi  qu'il  suit  les  deux  ordres  de  caractères 
fournis  par  le  tissu  ligneux  en  coupe  transversale. 


PREMIER  0R1>RE. 

Aspect  du  bois  pris  dcais  son  ensemble. 
(Plan  ligneux. 

1°  Aspect,  l'orme  et  dimensions  relatives 
des  fibres  et  des  vaisseaux . 

2°  Distribution  des  vaisseaux  au  milieu 
des  fibres. 

'■]"  Présence  ou  absence  du  parenchyme 
ligneux. 

4°  Nombre  et  forme  des  rayons  médul- 
laires. 

Nota.  —  Ces  caractères  ne  doivent  jamais 
être  considérés  isolément  ;  c'est  leur  en- 
semble qui  donne  au  bois  de  chaque  essence 
ligneuse  son  faciès  particulier. 


DEUXIEME    OBnRE. 

Aspect  des  éléments  du  boit  contidérés 
isolément. 

i"  Épaississement  de  la  paroi  des  vais- 
seaux et  des  fibres. 

/      Absolue. 

2»  Dimensions  \      Relative  i  ceux  de  priii- 

des  vaisseaux  :  )  temps  comparés   à  ceux 
\  d'automne,  par  exemple!. 

3"  Distribution  relative  du  parenchyme 
ligneux. 

4°  Coloration  des  vaisseaux,  des  rayons 
médullaires  du  parenchyme  ligneux  et  des 
fibres. 

5°  Dimensions  absolues  des  rayons  et 
des  fibres. 

6°  Ornementation  de  la  paroi  des  élé- 
ments ligneux. 

7"  Présence  ou  absence  de  cristaux  dans 
les  éléments  du  bois. 

Nota.  —  Ces  caractères  peuvent  être 
considérés  séparément  ;  ils  sont,  en  général, 
indépendants  les  uns  des  autres. 


460  BOTANIQUE 

Les  coupes  longitudinales,  radiales  et  tangentielles.  donnent  aussi  un 
certain  nombre  de  caractères  qui  complètent  ou  précisent  les  observa- 
tions qu'on  peut  faire  sur  la  coupe  transversale. 

En  résumé,  parmi  les  caractères  anatomiques  qui  peuvent  être  appliqués 
à  la  classification,  les  plus  généraux  et  les  plus  fixes  sont  ceux  qui  .sont 
fournis  par  l'agencement  relatif  des  éléments  du    iîois    secondaire  i  plan 

LIGNEUX  I. 

On  tivuvc  également  dans  le  bois  secondaire  des  caractères  de  second 
ordre  qui  suffisent,  le  plus  souvent,  à  définir  les  genres  et  quelquefois  même 
les  espèces. 

Nota.  —  Ces  considérations  sont  celles  que  nous  avons  appliquées  à 
une  étude  complète  du  bois  des  Apétales,  dont  la  publication  aura  lieu 
prochainement. 


M.  Edouard  ÏÏECKEL 

Prufesseuv  ;"i  lu  Fnciilli' des  ScieiH'L'S  di'  MarsuiUe. 


SUR  UN       CERATONIA  SILIQUA  L.      A  FLEURS  UNIQUEMENT   HERMAPHRODITES 
ET  A  ÉTAMINES  SESSILES     BRACHYSTÉMONES 


—  Séance  du  iH  septembre.  IS92  — 

J'ai  rencontré,  il  y  a  quelques  jours,  en  pleine  floraison  sur  les  pentes 
de  la  colline  du  Castellet  (Var),  près  d'une  chapelle  en  ruine  dédiée  à 
saint  Côme,  et  bien  exposé  au  soleil  du  Midi,  un  pied  de  caroubier  très 
ancien  qui  m'a  présenté  une  condition  florale  très  intéressante,  digne 
d'être  décrite,  si  elle  ne  l'a  été  déjà,  ce  dont  je  doute  un  peu  après  les 
recherches  bibliographiques  absolument  vaines  auxquelles  je  me  suis 
livré  pour  en  trouver  trace.  Ce  végétal,  très  âgé,  si  l'on  tient  compte  des 
marques  évidentes  de  vétusté  dont  son  tronc  porte  le  témoignage,  aurait 
été  apporté  là,  avant  la  Révolution,  par  le  prêtre  qui  bâtit  la  chapelle  de 
Saint-Côme  et  planté  dans  le  jardin  du  presbytère  oîi  il  est  encore  plein 
de  vie.  Il  n'est  donc  pas  spontané.  Son  pied  principal,  qui  a  formé  quatre 
gros  rameaux  de  la  grosseur  de  la  cuisse  d'un  homme,  est  atteint  de 
gangrène  sèche  et  ne  vit  que  par  l'écorce. 


K.    IlECIvEL.    SL'Ii    IN     «    Ci:iiAT(tM\    SlI.K.tUV    !..     »  4(31 

Ce  caroubier  me  lut  sij^ualé,  dès  mon  arrivée  au  Caslelet,  comme  lleu- 
rissanl  chaque  année  et  mûrissant  en  abonrlance  de  gros  fruits  de 
dix  centimètres  de  long  et  de  trois  de  large,  bien  sucrés  et  agréables;  les 
enfants  du  pays,  auxquels  les  propriétaires  les  livrent,  en  font  leurs  délices 
à  l'époque  de  la  récolte.  Malgré  cet  état  llorissanl,  il  a  gelé  plusieurs  fois 
durant  les  années  exceptionnellement  froides,  mais  il  a  repris  du  pied  et 
linalement  constitue  aujourd'hui  un  fort  bel  arbre  très  touffu  et  d'un  déve- 
loppement peu  commun  dans  nos  pays  H).  Par  ses  graines,  il  a  donné 
quelques  rejetons,  disséminés  dans  les  jardins  du  (iastellet,  et  qui,  quoique 
âgés  de  quinze  ans  déjà,  n'ont  pas  fleuri  encore.  Je  serai  heureux  de  voir 
ultérieurement  si  la  singularité  florale  que  je  vais  décrire  s'est  transmise 
y)ar  les  graines  à  ces  rejetons  :  le  fait  méritera  d'être  noté,  N'oici  cette 
disposition  florale  si  étrange  et  encore  inconnue,  je  crois.  On  sait  que, 
dans  le  caroubier,  les  fleurs  sont  polygames  ou  dloïques  et  que  la  fleur 
hermaphrodite  présente   cinq  étamines  à  filels  filiformes,   insérées  hors 


l'iG.  I.  —  Floiir  di'  «ïirmiliicr  hpi-inaplirodili 
iioiinal  à  longues  éliiiiiiiies. 


FiG.  2.  —  Coupe  lonj.'i(udiiialt.'  de  la  même  fleur. 


du  disque  ;  que  les  élamiiies  sont  versatiles,  jaunes,  à  anthères  bilocu- 
laires  introrses  (fig.  1  et  2).  Ici  rien  de  ce  genre. 

Le  végétal  tout  entier  (j'en  ai  examiné,  un  jour  durant,  les  innombrables 
grappes  une  à  une)  porte  uniquement  des  fleurs  hermaphrodites  dont 
les  anthères, dépourvues  de  tout  fdet,  sont  sessiles  et  affixées  sur  les  bords 
du  disque,  encapuchonnées  dans  le  sépale  auquel  elles  sont  opposées. 
Leur  couleur  est  lie  de  vin,  comme  celle  des  sépales  ;  cette  couleur  est 
même  un  peu  plus  foncée  dans  les  anthères  que  dans  les  sépales  (fig.  3 
et  i). 

Dans  ces  conditions,  étant  donnée  la  distance  qui  sépare  le  stigmate 
des  anthères,  on  serait  porté  à  admettre  que  la  fécondation  est  irréali- 


(1)  Il  n'existe  guère,  à  ma  connaissance,  dans  la  riigion  Est  du  Var  (qui  confine  aux  Bouches-du- 
Khône),  où  j'ai  observé  le  caroubier  qui  fait  l'objet  de  celte  note,  qu'un  autre  végétal  semblable,  au 
village  d'Ollioules,  près  de  Toulon.  Il  est  moins  beau  et  malgré  l'excellente  disposition  de  cette 
localité,  réputée  par  ses  primeurs  en  (leurs  et  en  fruits,  il  a  gelé  à  plusieurs  reprises  dans  le  cours 
de  son  existence.  Tous  les  autres  caroubiers  que  j'ai  visités  soigneusement  depuis  Toulon  jusqu'à 
Marseille  sont  màlcs  ou  hermaphrodites  brachystémones:  c'est  ce  qui  me  porte  à  croire  que  l'état  que 
je  décris  a  été  considéré  par  les  descripteurs  comme  l'état  femelle  avec  traces  d'étamines  avortées. 
Ces  étamines  sont  cependant  fécondes,  et  quoique  plus  petites,  remplies,  comme  les  anthères  nor- 
males, d'un  pollen  normal. 


462  BOTANigri-: 

sable,  si  le  fait  de  Fapparition  annuelle  de  nombreuse  gousses  mûres 
sucrées  et  bien  développées  ne  protestait  contre  cette  supposition.  D'un 
autre  côté,  il  n'y  a  d'arbre  essentiellement  mâle  qu'à  plus  de  12  kilo- 
mètres en  pays  montagneux,  ce  qui  exclut  l'idée  de  fécondation  par  le 
vent.  Mais,  en  y  regardant  de  plus  près,  on  remarque  qu'au  moment  de 
la  déhiscence  des  anthères,  moment  qu'il  est  facile  de  reconnaître  à  l'odeur 
spermatique  bien  connue  dans  d'autres  plantes,  que  répandent  les  fleurs, 
les  jeunes  carpelles  d'une  même  inflorescence,  d'abord  tous  verticaux,  se 
déjeltent  vers  le  bas  de  la  grappe,  s'incurvent  quelquefois  latéralement 
(fîg.  5)  et  finalement   rapprochent  leur  stigmate,  devenu  à  ce   moment 


FlG.  3. 


FiG.  /,. 


FiG. 


FlG.  3.  —  Fli'uv  hermaphrodite  à  étamines  sessiles. 

FiG.  i.  —  Coupe  longitudinale  de  la  fleur  hermaphrodite  à  éluminos  sessiles  du 
caroubier  de  Saint-Côme. 

FiG.  o.  —  Portion  d'une  grappe  de  fleurs  du  caroubier  de  Sainl-Côme,  montrant 
le  déjettement  du  pistil  [lour  se  porter  vers  les  étamines  d'une  fleur 
voisine  (fécondation  croisi'C  entre  les  fleurs  d'un  même  pied). 

propre  à  l'imprégnation,  vers  les  fleurs  inférieures  ou  latéralesdans  la  même 
grappe,  de  manière  à  être  très  près  des  anthères  d'une  fleur  voisine.  C'est 
donc  le  pollen  étranger  à  la  fleur  qui  en  féconde  l'organe  femelle  et  cette 
adaptation  semble  être  réalisée  contre  l'autofécondation,  forme  d'impré- 
gnation qui,  dans  la  variété  des  dispositions  florales  particulières  à  cette 
espèce,  n'est  assurée  que  par  la  fleur  hermaphrodite  (1),  puisque  l'état 
dioïque  et  la  condition  mâle  et  femelle  sur  le  même  pied  (polygamie)  sont 
absolument  contraires  à  ce  processus. 

A  part  ces  singularités,  ni  le  pollen  ni  la  structure  du  stigmate  ne 
m'ont  rien  offert  qui  ne  soit  de  l'ordre  normal .  Je  ne  vois  aucune  expli- 
cation à  donner  à  cette  anomalie,  mais  elle  méritait  certainement  d'être 
enregistrée  pour  montrer  la  plasticité  de  la  fleur  dans  l'espèce  qui  nous 
occupe  et  ajouter  un  exemple  nouveau  aux  adaptations  florales  si  bien 


(1)  On  remarquera  que,  dans  un  végétal,  la  forme  hermaphrodite  ordinaire  ne  porte  aucune 
atteinte  à  la  descendance  par  l'autofécondation  qu'elle  réalise,  puisque  les  fleurs  mâles  et  femelles 
voisines  portées  sur  le  même  pied  assurent  de  leur  côté  la  fécondation  croisée. 


SAMRUf..    UELATIOXS    KNTRE    LKS    FORMF.S    VÉGÉTALES    ET    LE    CLIMAT      4()8 

étudiées  par  Ch.  Darwin  dans  son  livre  intitulé  :  Les  différentes  formes  de 
fleurs,  dont  j'ai  donné  la  traduction  française.  Il  semble, en  s'en  rappor- 
tant aux  cas  relatés  par  le  savant  philosophe  anglais,  dans  le  livre  sus- 
indiqué,  qu'on  pourrait  considérer  la  forme  de  fleur  à  étamines  sessiles 
du  Ceratonia  comme  comparable  à  celle  qu'il  a  appelée  dolychostylée  dans 
les  Primula  et  qui  se  traduit,  en  somme,  par  une  diminution  très  sensible  de 
la  longueur  du  ftlet.  Ici,  cette  diminution  est  à  son  maximum.  Dans  les 
deux  cas,  l'autofécondation  est  impossible,  et  la  fécondation  croisée  se 
trouve  assurée  chez  le  Primula  par  l'intervention  des  insectes  ;  chez  les 
Ceratonia,  une  adaptation  nouvelle  est  intervenue,  c'est  l'inclinaison  de 
l'ovaire  sur  son  pédicule.  Cette  adaptation  existe,  du  reste,  aussi  sur  la 
fleur  hermaphrodite  normale. 


M.   SAMBÏÏC 

Professeur  suppléante  l'École  de  Médecine  il'Alger. 


SUR  LES  RELATIONS  ENTRE  LES  FORMES  VÉGÉTALES  ET  LE  CLIMAT 


—  Séance  du  19  septembre  i892  — 

La  question  de  l'influence  du  milieu  sur  les  êtres  vivants  se  pose  néces- 
sairement quand  on  aborde  le  problème  de  l'origine  des  espèces.  On  sait, 
en  eff"et,  que  les  doctrines  transformistes  admettent  toutes,  pour  expliquer 
l'évolution  des  espèces,  une  sorte  de  pression  du  milieu  ambiant,  le  mot 
milieu  étant  pris  ici  dans  son  sens  le  plus  général  ;  ce  serait  le  milieu 
vivant  qui  agirait  dans  l'hypothèse  de  Darwin,  le  milieu  inanimé  et  pure- 
ment physique  dans  celle  de  Lamarck.  Aujourd'hui  que  cette  dernière 
hypothèse  est  reprise  par  un  certain  nombre  de  naturalistes,  il  peut  être 
utile  de  rechercher  dans  quelle  mesure  l'action  des  agents  physiques 
peut  modifier  un  être  vivant;  d'autant  plus  que  cette  étude  peut  être, 
jusqu'à  un  certain  point,  abordée  à  l'aide  de  l'expérimentation  directe 
du  laboratoire. 

Dans   cet   ordre  d'idées,   il  nous  a  semblé  intéressant  de  rapprocher 


464  liOTAMULE 

certains  faits,  observés  par  nous  au  Sénégal,  d'expériences  récentes  dues 
à  M.  Aimable  Lotlielier.  La  flore  du  vSénégal  est  caractérisée  par  la  fré- 
quence des  piquants  chez  les  espèces  qui  la  composent  :  c'est  là  un  fait 
que  nous  avions  signalé  incidemment  dans  notre  thèse  sur  la  flore  et  la 
matière  médicale  de  la  Sénégambie,  et  ce  fait  nous  avait  paru  devoir  se 
rattacher  à  la  constitution  climatérique  de  la  région.  Nous  admettions  que 
la  transformation  en  piquants  d'un  grand  nombre  d'organes  foliacés  devait 
avoir  pour  but  de  diminuer  la  surface  d'évaporation  de  la  plante  sous  un 
ciel  qui,  pendant  huit  mois  de  l'année,  est  fréquemment  balayé  par  mi 
vent  sec  et  chaud  analogue  au  sirocco  de  l'Algérie.  Depuis  l'apparition 
de  notre  travail,  des  recherches  de  laboratoire,  effectuées  par  M.  Aimable 
Lothelier,  nous  semblent  démontrer  nettement  que  l'abondance  des  piquants 
est  sous  la  dépendance  directe  du  climat  de  la  région  sénégalaise.  Ce  savant 
a  démontré,  en  effet,  que  l'air  sec  aussi  bien  que  la  lumière  vive  favori- 
sent le  développement  des  piquants.  Or,  ce  sont  là  les  conditions  qui  se 
trouvent  réunies,  pendant  la  plus  grande  partie  de  l'année,  dans  les 
plaines  qui  s'étendent  entre  le  Sénégal  et  la  Gambie.  Les  pluies  sont 
entièrement  concentrées  dans  une  courte  saison  de  trois  à  quatre  mois, 
et,  pendant  le  reste  de  l'année,  sous  un  soleil  ardent,  l'atmosphère  est  à 
chaque  instant  balayée  par  un  vent  d'est,  desséché  et  échauffé  à  l'excès 
par  suite  de  son  long  parcours  sur  les  terres  brûlantes  d'Afrique.  Voilà 
bien  réunies  les  conditions  de  sécheresse  et  d'insolation  qui,  d'après 
M.  Lothelier,  provoquent  la  formation  des  piquants;  et  nous  nous 
expliquons  ainsi  l'aspect  que  présente  la  flore  sénégalaise. 

11  n'est  donc  point  douteux  que  l'abondance  des  piquants  dans  les 
végétaux  du  Sénégal  ne  soit  une  conséquence  nécessaire  de  la  constitution 
climatérique.  Ainsi  se  trouve  vérifiée,  dans  un  cas  particulier,  par  les 
résultats  concordants  de  l'observation  et  de  l'expérimentation,  l'influence 
du  milieu  physique  sur  les  formes  végétales.  Mais  il  ne  faut  pas  se 
dissimuler  qu'ici  les  modifications  qui  nous  occupent  sont  de  peu  d'im- 
portance. Que,  par  exemple,  des  feuilles  ou  des  stipules  se  transforment 
en  piquants,  il  n'y  a  là  qu'une  variation  d'ordre  tout  à  fait  secondaire 
qui  n'altère  en  rien  le  plan  général  de  l'espèce.  Aussi  ne  voulons-nous 
pas  donner  à  nos  observations  plus  de  portée  qu'il  ne  convient.  Nous 
voulons  simplement  nous  borner  à  faire  remarquer  comment,  à  la  lumière 
des  expériences  de  M.  Lothelier,  on  aperçoit  clairement,  dans  un  exemple 
particulier,  un  lien  qui  paraît  indéniable  entre  le  climat  d'un  pays  et  cer- 
tains traits  caractéristiques  de  sa  flore. 


L.  DANIEL.  —  SUU  LA  GREFFE  DES  PLANTES  EN  GERMINATION    465 


M.  Lucien  DAÎ^IEL 

Professeur  au  Collège  de  Chàteau-Gontier. 


SUR    LA    GREFFE    DES    PLANTES    EN    GERMINATION     H 


—  Séance  du  21  septembre  iS92  — 

L'on  sait  depuis  longtemps  qu'une  des  conditions  indispensables  pour 
la  réussite  d'une  greffe,  c'est  de  mettre  en  contact  des  tissus  vivants.  II 
semble  dès  lors  que  plus  les  tissus  sont  jeunes,  plus  on  a  de  chances 
d'obtenir  la  reprise. 

Je  ftie  suis  proposé  d'étudier  ce  qui  se  passerait  si  l'on  essayait  de 
greffer  l'une  sur  l'autre  deux  plantes  assez  développées  pour  permettre 
l'exécution  matérielle  de  la  greffe,  mais  cependant  aussi  jeunes  que  pos- 
sible. En  un  mol,  j'ai  greffé  des  plantes  en  voie  de  germination. 

Mes  essais  ont  porté,  d'une  part,  sur  des  plantes  ligneuses  (Marronnier, 
Châtaignier,  Chêne,  Fiêne,  Poirier,  etc.)-;  de  l'autre,  sur  des  plantes  her- 
bacées (Pois,  Haricot,  Fève,  Soleil,  Tagetes,  etc.).  Ces  greffes  ont  fort 
bien  réussi,  mais  comme  elles  exigent  plus  de  soins  que  les  greffes  or- 
dinaires, j'indiquerai  brièvement  comment  je  procède. 

Manière  d'opérer.  —  Je  greffe  soit  en  approche,  soit  en  fente.  Ce 
dernier  mode  est  préférable  parce  qu'il  évite  le  sevrage,  opération  qui 
fatigue  toujours  les  greffes  quand  il  ne  les  fait  pas  périr.  On  ne  doit 
employer  le  premier  que  quand  l'exécution  matérielle  du  second  est 
impossible.  On  facilite  la  greffe  en  approche  en  semant  les  graines  deux 
par  deux;  les  planlules  poussent  alors  côte  à  côte  et  il  est  facile  de  les 
amener  en  contact  sans  les  briser. 

Il  va  de  soi  que  les  plantules  hliformes  se  prêtent  très  difficilement  à  la 
greffe,  même  en  approche. 

La  reprise  est  certaine  si  l'on  opère  à  l'étouffée,  et  la  soudure  des  plus 
rapides.  Ainsi  j'ai  semé  sur  couches  en  avril  des  Haricots,  des  Pois  et  des 
Fèves.  Les  graines  avaient  germé  le  troisième  jour;  les  plantules  étaient 
suffisamment  avancées  pour  être  greffées  le  cinquième  ou  sixième  jour. 
Sept  jours  plus  tard,  les  tissus  de  cicatrisation  étaient  déjà  apparus  et  la 

(1)  Mus  recherches  ont  élé  faites  à  Chàtcdu-GoiUier  el  au  Luboratoiro  de  Biologie  végétale  de 
Fontainebleau,  sous  la  direction  de  M.  G.  Bonnior. 

30* 


466  BOTANIQUE 

reprise  assurée.  Ces  greffes  ont,  du  reste,  fort  bien  supporté  la  mise  en 
pleine  terre  quelque  temps  après. 

Enfin,  il  est  bon  de  greffer  autant  que  possible  des  plantules  arrivées  au 
même  degré  de  développement.  Ce  n'est  évidemment  pas  la  date  du  semis 
qu'il  faut  considérer,  puisque  les  plantes  germent  avec  des  rapidités  très 
inégales.  En  règle  générale,  j'opère  avant  la  chute  des  cotylédons. 

Résultats  obtenus.  —  Les  plantules  du  Haricot,  du  Pois,  de  la  Fève, 
du  Soleil,  etc.,  se  prêtant  très  facilement  à  la  greffe  en  fente  à  cause 
de  leur  taille,  j'ai  tout  d'abord  opéré  sur  ces  plantes,  qui  offrent  un 
intérêt  pratique  immédiat  en  leur  qualité  de  plantes  alimentaires  ou 
ornementales. 

J  ai  greffé  : 

1°  Des  Haricots  flageolets  nains  sur  des  Haricots  flageolets  à  rames  et 
sur  des  Haricots  de  Soissons  blancs  ; 

2°  Des  flageolets  à  rames  sur  des  flageolets  nains  ; 

3°  Le  flageolet  hùtif  d'Étampes  sur  le  Haricot  d'Espagne  ; 

4°  Des  petits  Pois  très  nains  et  des  Pois  ridés  sur  la  Fève  de  marais  ; 

5°  Le  Carthame  sur  le  Soleil  ; 

6°  Le  Tagetes  signata  pumila  sur  le  Tageles  patula. 

Toutes  ces  greffes  ont  bien  réussi  et  les  greffons  portent  actuellement, 
soit  des  fleurs,  soit  des  fruits. 

Elles  présentent  toutes  ce  phénomène  remarquable  que  les  greffons  sont 
restés  au  moins  moitié  plus  petits  que  les  témoins  non  greffes. 

L'étude  du  contenu  des  cellules  fournit  plusieurs  résultats  intéressants. 

Au  bout  de  quinze  jours  environ  après  la  greffe  des  plantules,  on 
observe  dans  les  cellules  du  greffon  une  grande  quantité  d'amidon,  dont 
les  proportions  s'accroissent  avec  l'âge  de  la  greffe.  Les  Haricots  non 
greffés  ont  aussi  quelques  grains  d'amidon,  mais  en  petite  quantité  tou- 
jours, et  il  apparaît  plus  tard. 

Cette  abondante  production  d'amidon  est  certainement  due  à  la  greffe, 
car  j'ai  constaté  dans  une  plante  bien  éloignée  des  Légumineuses,  le 
Lis  blanc,  des  phénomènes  du  même  genre,  plus  caractéristiques  encore. 

J'avais  greffé  des  tiges  jeunes  de  Lis.  La  reprise  s'était  effectuée  dans 
d'assez  bonnes  conditions  pour  que  le  greffon  ait  pu  vivre  six  semaines 
sans  se  dessécher.  La  soudure  était  telle  que  l'on  ne  pouvait  enlever  le 
greffon  sans  déchirures.  Malheureusement,  tous  mes  Lis  furent  envahis 
à  ce  moment  par  VUromyces  Erijlh^onii  (DC)  Passer.,  et  les  tiges,  greffées 
ou  non,  commencèrent  à  perdre  leurs  feuilles.  J'avais  sept  greffes  sur 
des  pieds  différents.  Tous  les  greffons,  sans  exception,  contenaient  de 
l'amidon  en  aussi  grande  abondance  que  dans  les  écailles  du  bulbe,  quand 
les  tiges  non  greffées  n'en  présentaient  pas  trace,  non  plus  que  les  tiges- 
sujets. 


F.  HEIM.  —  CAS  DE  PRÉFLORAISON  ANOR-MALE  CHEZ  LES  COQUELICOTS      467 

Conclusions.  —  1"  La  greffe  des  plantules  est  possible,  soit  en 
approche,  soit  en  fente.  Elle  réussit  très  facilement  dam  les  arbres  et  les 
plantes  herbacées  à  graines  de  forte  taille  (diverses  Légumineuses, 
Soleil,  etc.). 

2"*  Dans  les  g?'effes  faites  ainsi  dans  les  plantes  herbacées  (Composées, 
Légumineuses),  le  greffon  reste  toujours  bien  plus  petit  que  s'il  n'avait  pas 
été  greffé,  que  la  plante  soit  naine  ou  non. 

3°  La  greffe  accélère  le  passage  du  greffon  à  l'état  de  vie  latente,  et  pro- 
voque la  formation  plus  rapide  de  ses  réserves  (amidon  dans  le  Lis  et  les 
Légumineuses  alimentaires). 


M.  E.  HEIM 

Docteur  es  sciences.  Professeur  agrégé  à  la  Faculté  de  Médecine  de  Paris. 


SUR  QUELQUES  CAS  DE  PRÉFLORAISON  ANORMALE  CHEZ  LES  COQUELICOTS 


—  Séance  du.  21  septembre  fS92  — 

Les  végétaux,  pas  plus  que  les  corps  non  organisés,  ne  peuvent  se  sous- 
traire aux  lois  générales  de  la  mécanique. 

Nous  voulons,  dans  cette  note,  montrer  que  des  raisons,  d'ordre  pure- 
ment mécanique,  suffisent  parfaitement  à  donner  l'explication  du  mode 
d'imbrication  de  certaines  pièces  périanthiques. 

Commençons  par  quelques  cas,  portant  sur  le  Papaver  bracteatum. 

La  fleur  normale  est  construite  sur  le  type  3,  et  possède  à  la  corolle 
deux  verticilles  alternes  ;  les  pièces  des  trois  verticilles  périanthiques  offrant 
d'ailleurs,  dans  la  préfloraison,  le  mode  d'imbrication  habituel  aux  ver- 
ticilles Irimères  :  une  pièce  totalement  recouvrante,  une  autre  totalement 
recouverte,  et  la  troisième  mi-partie  recouvrante  et  mi-partie  recouverte. 
(Voyez  fig.  'I .) 

Une  des  fleurs  anormales,  par  nous  examinées,  se  présentait  avec  un 
seul  verticille  à  la  corolle,  l'imbrication  des  deux  verticilles  présents  res- 
tant d'ailleurs  normale.  Les  deux  autres  off'raient  cinq  pièces  au  calice 
et  cinq  à  la  corolle.  (Fig.  1.) 


468  BOTANIQUE 

Dire  que  ces  fleurs,  au  lieu  d'être  construites  sur  le  type  3,  le  sont  sur 
le  type  3,  est  une  explication  peu  satisfaisante  pour  l'esprit  ;  d'ailleurs, 

fait  singulier,  les  pièces  de  la  corolle  sont  su- 
perposées à  celles  du  calice.  Comment  ces 
pièces,  qui  naissent  normalement  sur  le  récep- 
tacle, en  face  des  intervalles  laissés  libres  par 
les  pièces  du  verticille  précédent,  c'est-à-dire 
au  point  de  pression  minima,  peuvent-elles 
échapper  aux  lois  mécaniques,  par  suite  abso- 
lues de  la  phyllotaxie  '? 

En  réalité,  elles  ne  s'y  soustraient  point,  et 
l'anomalie  s'explique  aisément. 

Désignons  les  pièces  du  calice  par  les  lettres 
A,  B,  C  (l'ordre  alphabétique  indiquant  l'ordre 
d'apparition   respectif).    (Voy.   fig.   2  et  3.) 

Si  B  se  dédouble  en  deux  lobes  b  et  b',  b'  situé  sur  la  spirale  d'inser- 
tion plus  près  du  centre  de  la  fleur  viendra  insinuer  l'un  de  ses  bords 
sous  la  face  interne  de  A,  tandis  que  Faulre,  glissant  sur  le  bord  adjacent 
de  b,  se  placera  au-dessous  de  lui.  C  se  dédouble  également  en  deux 
pièces  c  et  c' ;  c'  s'insinuera  au-dessous  de  A,  de  la  même  façon  que  b' 
au-dessous  de  b.  Quant  à  c,  étant,  sur  la  spirale,  plus  près  du  centre  que  6, 
il  s'insinue  au-dessous.  D'où  passage  au  type  quinconcial,  par  raison 
purement  mécanique;  le  même  phénomène  se  reproduit  sur  la  corolle. 

Les  pièces  de  la  corolle,  avons-nous  dit,  sont  superposées  aux  pièces 
du  calice  ;  le  fait  s'explique  de  lui-même  :  les  trois  mamelons  primitifs 


Fm  2 


F,g3 


de  la  corolle  (a,  [i,  y,)  sont  bien  nés,  en  face  des  intervalles  des  mame- 
lons calicinaux  ;  mais,  par  suite  de  la  tripartition  de  [3,  les  pièces  issues 
de  fi  se  sont  repoussées  tangentiellement,  et  superposées  à  b,  c  et  c'; 
a  non  dédouble  est  reste  à  sa  place  primitive,  mais  b'  s'est  tardivement 


F.  HEIM.  —  CAS  DE  PRÉFLORAISON  ANORMALE  CHEZ  LES  COQUELICOTS   469 

superposé  à  lui.  Entîn  y  a  été  repoussé  en  face  de  A,  par  la  pression  de 
la  pièce  adjacente,  issue  de  8.  Ce  dernier  fait  provient  de  ce  que,  dans 
une  grande  portion  de  leur  longueur,  les  pièces  issues  de  [3,  ainsi  que  y, 
sont  unies  ensemble  ;  évidemment,  elles  ont  été  soulevées,  après  leur 
naissance,  par  un  bourrelet  semi-circulaire  sous-jacent  ;  la  corolle  est 
donc  à  demi  gamopétale  (1). 

Voici  maintenant  un   cas   relatif  au  coquelicot  des  champs  (Papaver 
rhœas)  :• 

Le  nombre  des  pièces  du  périanthe  est  normal.  11  y  a,  lors  de  Fanthèse, 
une  pièce  externe  entièrement  recouvrante,  et  deux 
pièces  2  et  2',  mi-partie  recouvrantes,  mi-partie 
recouvertes  et  une  pièce  1',  s'afTrontant  par  ses 
bords  aux  bords  des  pièces  2  et  2'  ;  en  un  mot, 
l'imbrication  de  1'  par  rapport  à  ses  voisines  est 
une  imbrication  valvaire  rédupliquée,  (Voir  fig.  4.) 

Ce  cas  tératologique  semble,  au  premier  abord, 
inexplicable.  Cependant,  il  s'explique  parfaitement,  Piq  l^. 

par  des  considérations  purement  mécaniques,  comme 
précédemment.  Dans  cette  fleur,  le  réceptacle  est  dissymétrique  :  d'un 
côté,  il  est  atteint  d'une  hypertrophie  dont  la  cause  nous  échappe, 
mais  qui  est  des  plus  accentuées,  et  cette  hypertrophié  porte  sur  le 
côté  où  s'insère  la  pièce  à  préfloraison  anormale.  Suivons  par  la 
pensée  l'évolution  de  cette  pièce.  Elle  naît  sur  un  cycle  plus  interne  que 
les  pièces  2  et  2'  ;  lors  donc  que  ces  dernières  atteignent  une  notable  lar- 
geur, elles  devraient  normalement  être  recouvertes  par  la  pièce  externe  1', 
dont  le  développement  en  largeur  est  plus  avancé.  Mais  l'hypertrophie 
du  réceptacle  a  eu  pour  résultat  de  surélever,  au-dessus  du  niveau  de 
la  pièce  1,  la  pièce  1',  et  de  la  sorte  cette  pièce  1'  s'insère,  au  point  de 
vue  mécanique,  sur  un  cycle  plus  élevé,  c'est-à-dire  plus  rapproché  de 
l'axe  que  la  pièce  1.  Il  en  résulte  que  les  pièces  2  et  2'  (non  gênées  dans 
leur  développement  tangenliel  par  la  pièce  1'  insérée  au-dessus  d'elles) 
croissent  librement  en  dehors.  Les  pièces,  à  leur  partie  inférieure,  ne  se 
gênent  pas,  car  leur  largeur  est  faible;  mais,  à  la  partie  supérieure,  elles 
tendent  à  occuper,  dans  le  bouton,  une  largeur  plus  considérable  que 
les  bractées  ne  le  leur  permettent  ;  elles  vont  donc  glisser  les  unes  sur 
les  autres:  delà,  imbrication.  1',  dans  son  développement,  vient  buter, 
contre  le  bord,  déployé  librement  en  dehors,  des  pièces  2  et  2'  ;  ces  pièces 
ayant  acquis  une  consistance  égale  à  la  sienne,  pièces  externes  et  pièces 

(I)  Les  figures  2  et  3  sont  respectivement  symétriques  par  rapport  au  plan  antéro-postérieur 
d'orientation,  au  moins  en  ce  qui  regarde  le  calice.  La  raison  rie  ce  fait  est  simple  :  dans  l'une  de 
ces  fleurs, le  sens  d'enroulement  de  la  spirale  génératrice  des  pièces  appendiculaires  implantées  sur 
le  réceptacle,  est  dextrorse,  tandis  que  dans  l'autre,  elle  est  sinistrorse.  Quant  aux  corolles,  le  dédou- 
blement des  pièces  initiales  a  porté,  dans  chacune  des  fleurs,  sur  des  pièces  d'ordre  différent. 


470  ,  BOTANIQUE 

internes  subissent  le  même  déplacement,  et  se  déjettent  toutes  en  dehors. 
D'où  passage  de  la  préfloraison  imbriquée  à  la  prétloraison  valvaire. 

Ici,  les  faits  tératologiques  ne  sont  pas  à  négliger,  car  de  leur  étude 
ressort,  d'une  manière  évidente,  la  généralité  des  lois  phyllotaxiques  : 
apparition  des  mamelons  initiaux  aux  points  de  pression  minima,  et  refou- 
lement ultérieur,  par  les  parties  voisines,  si  le  libre  développement  de 
ces  parties  est  incompatible  avec  l'espace  dont  elles  disposent. 

Devant  une  explication  mécanique  aussi  satisfaisante  de  cas  d'imbri- 
cation, au  premier  abord  fort  embarrassants,  ne  peut-on  espérer  voir  s'ex- 
pliquer aussi  simplement,  et  par  des  raisons  de  même  ordre,  tous  les 
cas  variés  d'imbrication  des  différentes  pièces  florales,  à  forme  lamel- 
leuse  ? 


M.  r.  HEIM 

Docteur  es  sciences,  Professeur  agrégé  à  la  Faculté  de  Médecine  de  Paris. 


SUR  UN  TYPE  NOUVEAU  DE  DIPTÉROCARPACÉES   «  RETINODENDROPSIS  ASPERA  » 


—  Séance  du  21  septembre  1892  — 

L'herbier  de  Kew  contient  une  intéressante  Diptérocarpacée  de  Bornéo 
(yVoods  n°  24),  qui  avait  été  rapportée  avec  doute,  il  est  vrai,  au  genre 
Vateria.  Nous  avons  pu,  grâce  à  l'obligeance  de  M.  Baker,  en  faire  une 
étude  approfondie.  En  l'absence  de  la  fleur  et  de  l'embryon,  il  semblait 
assez  difficile  de  déterminer  sa  place  dans  tel  ou  tel  groupe.  Pouvait-on 
même,  avec  sûreté,  la  rapporter  à  la  famille  des  Diptérocarpacées  ? 
L'étude  anatomique,  complétée  par  quelques  caractères  organographiques, 
généralement  réputés  insignifiants  :  nervation,  forme  et  dimensions  des 
sépales,  permet  cependant  d'arriver  à  des  conclusions  précises. 

Commençons  par  une  analyse  détaillée,  tant  organographique  qu'ana- 
tomique  (PL  IV). 

Caractères  organographiques.  —  La  tige  est  entièremeat  couverte,  du  moins 
sur  les  plus  jeunes  entre-nœuds,  de  poils  groupés  en  pinceaux,  et  rudes  ;  de  là 
l'aspect  rugueux  de  la  plante,  qui  justifle  le  nom  spécifique  que  nous  lui 
attribuons. 


K.    HI-IM.    —   SUR    UN    TYPE    NOUVEAU    DR   DTPTÉROCARPACÉES  171 

Le  pétiole  est  court,  également  verruqueux  et  hispide,  à  face  supérieure 
d'abord  faiblement  concave,  puis  franchement  convexe,  et  devenant  même 
fortement  saillante,  au  niveau  du  limbe.  Ce  dernier  est  obovale,  faiblement 
acuminé,  légèrement  obcordé  à  la  base.  Les  nervures  sont  obliques  sur  le  rachis, 
raccordées,  sur  le  bord  de  la  feuille,  par  un  court  trajet  curviligne,  saillantes 
en  dessous.  Dans  leurs  intervalles  se  trouve  un  fin  réseau  de  nervures  ténues. 
De  chaque  côté  de  la  feuille,  on  voit  deux  stipules,  ovales,  allongées,  coriaces 
et  persistantes,  d'assez  grandes  dimensions. 

La  /leur  est  inconnue. 

Les  fruits,  par  nous  examinés,  se  trouvaient  dépourvus  d'embryon.  Ils  ont  une 
forme  obconique  surbaissée;  ils  se  trouvent  surmontés  d'un  léger  acumen  ;  le 
péricarpe  est  glabre,  et  parcouru  par  trois  sillons  longitudinaux  méridiens,  qui 
doivent  correspondre  aux  futurs  sillons  de  déhiscence.  Les  sépales  persistants, 
^t  accrus  autour  du  fruit,  forment  cinq  ailes  peu  développées.  Ils  sont  inégaux, 
ovales,  aigus,  horizoataux  près  de  leur  insertion  ;  puis  relevés  et  courbés 
légèrement  vers  le  fruit.  On  peut,  dans  l'intérieur  du  fruit,  trouver  les  débris 
de  trois  loges  ovariennes,  dont  deux  avortées,  et  comprimées  par  le  développe- 
ment des  deux  autres.  Chacune  de  ces  loges  renferme  deux  ovules  descendants, 
anatropes,  à  micropyle  aigu,  extérieur  et  supérieur.  C'est  bien  là  la  forme 
constante  des  ovules  des  Diptérocarpacées.  Ces  ovules  sont  insérés  sur  un  pro- 
longement fibreux  de  l'axe  réceptaculaire,  et  qui  n'est  autre  que  l'axe  placen- 
taire, refoulé  sur  un  des  côtés  du  fruit,  par  l'accroissement  de  lunique  loge 
fertile.  La  chose  se  passe  ainsi  dans  tous  les  types  les  plus  variés  de  Diptéro- 
carpacées. 

Caractères  anatomiques.  —  Tige.  —  Son  épidémie  est,  presque  sur  toute  la 
surface,  prolongé  en  pinceaux  de  poils,  unicellulaires.  aigus,  à  cavité  étroite. 
Sur  un  entre-nœud  âgé  de  deux  ans,  cet  épiderme  n'adhère  plus  que  par  places, 
et  se  trouve  exfolié  par  une  couche  subéreuse  sous-jacente,  comprenant  un  petit 
nombre  d'assises. 

La  zone  corticale  est  occupée  par  un  parenchyme  assez  régulier,  dont  les 
éléments  conservent  des  parois  minces,  légèrement  épaissies  aux  poinis  de 
contact  des  éléments  voisins;  à  mesure  que  l'on  s'approche  du  centre,  les 
dimensions  de  ces  cellules  parenchymateuses  augmentent,  et  l'ensemble  du 
tissu  perd  un  peu  de  sa  régularité.  La  zone  dite  péricyclique  ne  se  distingue  ici 
par  aucun  caractère,  de  la  zone  corticale,  le  péricycle  n'existe  pas,  en  tant 
qu'assise  distincte,  ou,  si  l'on  veut  se  payer  de  mots,  le  péricycle  est  virtuel. 
Peut-être  faudrait-il,  d'ailleurs,  étendre  celte  notion  à  l'ensemble  du  groupe 
des  Diptérocarpacées,  car  les  petits  îlots  fibreux,  presque  constants  dans  tous 
les  types,  à  la  périphérie  du  cylindre  central,  mériteraient  peut-être  d'être 
considérés  comme  la  couche  la  plus  externe,  par  suite  la  plus  âgée,  du  liber 
stratifié  et  fibreux.  Une  étude  histogénétique,  capable  de  trancher  la  question, 
est  difficile  à  entreprendre,  sur  des  plantes  mal  représentées  dans  les  herbiers. 
La  question  est  d'ailleurs  d'importance  minime  au  point  de  vue  systématique. 
Le  liber  est  statifié,  et  les  couches  de  tubes  criblés,  et  de  parenchyme  libérien, 
alternent  avec  des  zones  fibreuses  concentriques  (chaque  zone  correspond  à 
une  année  d'accroissement).  Le  bois  est  assez  pauvre  en  vaisseaux,  riche  en 
éléments  parenchymateux,  sclérifiés,  et  en  fibres  scléreuses. 

Les  rayons  médullaires  sont  nombreux,  formés  de  trois  ou  quatre  assises 
radiales,  d'éléments  non  sclérifiés,  mais  à  parois  épaisses.  Le  pourtour  de  la 
moelle  est  occupé  par  un   parenchyme,  à  éléments  beaucoup  plus  petits  que 


472  BOTANIQUE 

ceux  du  centre,  et  dont  l'ensemble  l'orme  un  étui  médullaire,  où  se  trouvent 
plongés  des  canaux  sécréteurs,  en  nombre  variable  suivant  le  niveau  de  la 
coupe.  11  est  facile  de  constater  ici,  comme  dans  nombre  de  Diptérocarpacées, 
que  les  canaux  sont  plongés  en  pleine  moelle  et  n'affectent  aucun  rapport, 
quant  à  leur  distribution,  avec  les  faisceaux  fibro-vasculaires.  Trois  faisceaux 
se  rendent  au  pétiole,  l'un  médian  et  deux  latéraux,  tous  trois  munis  d'un 
canal.  Ils  parcourent  tous  une  longueur  un  peu  moindre  que  la  moitié  de 
l'enlre-nœud.  Les  deux  faisceaux  latéraux  sortent  du  cylindre  central,  à  quel- 
ques millimètres  de  distance,  et  un  peu  au-dessous  du  faisceau  médian.  Cette 
différence  de  niveau,  quant  aux  points  d'émergence  des  faisceaux,  est  générale 
dans  la  famille,  et  réduite  ici  au  minimum.  Les  stipules  sont  dépourvues  de 
canaux  sécréteurs,  et  n'empruntent  que  quelques  vaisseaux  aux  faisceaux  laté- 
raux pétiolaires  correspondants.  Les  faisceaux  stipulaires  ne  naissent  donc  pas 
directement,  dans  les  Diptérocarpacées,  du  cylindre  central,  comme  on  l'a  dit, 
mais  sont  une  dépendance  des  faisceaux  pétiolaires.  Ce  fait  conduirait  à  faire 
considérer  les  stipules  comme  des  dépendances  de  la  feuille,  comrne  les  deux 
lobes  latéraux,  avortés,  d'un  triphyllôme,  si  l'on  se  hasardait,—  méthode  assez 
dangereuse,  en  somme,  ^  à  trancher  par  l'étude  des  faisceaux,  les  questions 
d'ordre  morphologique. 

Le  pétiole  montre  sur  une  coupe  :  un  épidémie  persistant,  prolongé  en  nom- 
breuses touffes  de  poils,  identiques  à  ceux  de  la  tige;  au-dessous,  un  parenchyme 
quelque  peu  serré  finit  par  devenir  irrégulier,  à  mesure  que  l'on  se  rapproche 
du  centre  ;  quelques-uns  des  éléments  de  ce  parenchyme  ont  leur  paroi  épaissie 
et  quelque  peu  lignifiée,  ils  jouent  le  rôle  d'éléments  de  soutien.  Le  péricycle 
se  compose  dllots  de  fibres  lignifiées,  formant  des  arcs  presque  continus,  à 
mesure  que  Ton  se  rapproche  du  limbe.  Les  mêmes  îlots  libreux  se  retrouvent 
au  dos  des  faisceaux  internes,  et  même  dans  le  liber  des  faisceaux  supérieurs. 
Les  vaisseaux  du  bois  sont  séparés  par  un  parenchyme,  à  parois  épaissies,  mais 
non  lignifiées.  La  même  structure  se  retrouve  sur  les  arcs  fasciculaires  internes, 
séparés  les  uns  des  autres  par  un  parenchyme  homogène.  Au  dos  du  premier 
arc  interne,  on  trouve  quelques  amas  lenticulaires  de  liber  mou,  séparés  du 
liber  propre  des  faisceaux  de  l'arc,  par  les  fibres  péricycliques.  Ces  amas  libé- 
riens sont  enchâssés  dans  une  ceinture  continue  de  parenchyme  lignifié. 
L'aaatomie  comparée  nous  donne  la  signification  de  ces  îlots.  Dans  les  Retino- 
dendron  types,  tels  que  R.  Moiuccanum  Heim,  le  premier  arc  interne  se  replie 
sur  lui-même,  et  on  a  deux  arcs  à  disposition  inverse,  tous  deux  munis  de 
faisceaux  libéro-ligneux,  et  dont  les  deux  assises  péricycliques  sont  confluentes. 
Ici,  cette  disposition  est  atténuée,  et  l'arc  à  disposition  inverse  est  réduit,  quant 
au  bois,  à  des  éléments  purement  parenchymateux,  et  non  vasculaires. 

L'initiale  est  obelliptique,  aplatie  et  concave  vers  le  haut.  L'arc  fasciculaire 
externe,  béant  vers  le  haut,  se  compose  de  neuf  faisceaux,  cintrés  et  saillants, 
quelque  peu  disjoints,  chacun  muni  d'un  canal  d'un  notable  diamètre.  Des 
faisceaux  internes,  disjoints,  commencent  à  s'orienter  suivant  un  arc,  concen- 
trique au  premier,  et  possédant  un  seul  canal  médian.  Une  double  boucle 
fasciculaire  couronne  le  tout,  et  comble,  en  partie,  l'ouverture  de  l'arc  externe. 
Le  pétiole  étant  très  court,  la  médiane  diffère  peu  de  l'initiale.  La  caractéristique, 
obquadrangulaire,  est  renflée  en  son  milieu  supérieur.  Il  faut  noter,  qu'à  ce 
niveau,  le  parenchyme  corticaL  surtout  dans  les  portions  attenant  au  limbe, 
est  véritablement  bourré  d'éléments  scléreux  de  soutien.  La  courbe  fasciculaire 
externe  comprend  à  ce  niveau    douze  canaux,  et  elle  se  ferme  presque  com- 


F.   HKI.M.   —    SUR    UX    TYPE    NOUVEAU    DE    DIPTÉROCARPACKES  '(73 

plètement  vers  le  liaut.  Il  existe  trois  arcs  internes,  un  peu  fragmentés,  com- 
prenant :  l'inférieur  trois  canaux,  le  moyen  un  seul,  et  le  supérieur,  le  plus 
irrégulier,  deux.  La  structure  est  à  peu  près  la  même,  au  milieu  de  la  nervure 
médiane,  mais  le  nombre  des  canaux  de  la  courbe  externe  y  est  réduit  à  onze  ; 
l'arc  moyen  comprend  sept  canaux,  et  il  existe  deux  petits  arcs  supérieurs, 
dont  le  plus  élevé  comprend  quatre  canaux. 

La  feuille  comprend,  entre  deux  épidémies  à  parois  un  peu  onduleuses,  un 
parenchyme  supérieur,  formé  d'une  seule  assise  palissadique,  et  un  mésophylle 
entièrement  parenchymateux,  quelque  peu  stratifié  vers  le  bas,  avec  des 
màcies,  et  quelques  cellules  scléreuses.  dans  la  portion  du  limbe  avoisinant 
la  nervure  médiane.  Les  nervures  sont  dépourvues  de  canaux,  même  les  plus 
grosses.  Elles  sont  logées  dans  des  piliers  de  soutien,  qui  s'étendent  entre  les 
deux  faces  de  la  feuille,  et  sont  formés  d'éléments,  à  parois  épaisses  et  lignifiées, 
sauf  aux  deux  extrémités.  Les  plus  Unes  nervures  sont  enchâssées  dans  un 
simple  massif  de  cellules,  à  parois  épaissies,  mais  non  ligniliées,  massif  isolé  au 
milieu  du  mésophylle. 

Le  péricarpe  est  médiocrement  épais.  Son  épiderme  est  exfolié  presque  en 
totalité;  là  où  il  persiste,  on  le  voit  prolongé  rà  et  là,  en  bouquets  de  poils. 
L'assise  subéreuse,  qui  le  plus  souvent  existe,  lorsque  le  fruit  est  privé  de  son 
épiderme,  fait  ici  défaut.  Ce  péricarpe  est  entièrement  formé  d'un  parenchyme, 
à  parois  minces,  onduleuses,  à  éléments  allongés  tangentiellement  sur  les  deux 
faces  interne  et  externe.  De  larges  poches  sécrétrices  sont  éparses  dans  la  por- 
tion interne  de  ce  parenchyme,  en  dedans  de  nombreuses  trachées.  Dans  la 
portion  externe  se  trouvent  des  îlots,  à  éléments  larges,  lignifiés  faiblement, 
et  à  parois  relativement  minces.  Notons,  enfin,  que  tous  les  parenchymes, 
tant  de  la  tige,  que  du  pétiole  et  du  péricarpe,  sont  gorgés  d'une  matière  tan- 
nique  d'un  brun  rougeàtre. 

Affinités.  —  Avec  ces  données,  nous  sommes  en  mesure  de  discuter 
les  affinités  de  la  plante. 

Tout  d'abord,  c'est  bien  une  Diptérocarpacée.  Nous  avons,  l'an  passé, 
au  congrès  de  Marseille  (Mémoire  sur  le  genre  Leitneria),  exposé  les 
caractères  généraux,  tant  organographiques  qu'anatomiques ,  de  cette 
famille,  et  nous  l'avons  fait  à  nouveau,  avec  tous  les  détails  possibles, 
dans  nos  «  Recherches  sur  les  Diptérocarpacées  » .  En  comparant  tous 
les  caractères  de  notre  plante,  avec  ceux  attribués  d'une  façon  générale 
à  la  famille,  on  voit  que  le  moindre  doute  ne  peut  subsister  à  cet  égard. 
Nous  allons  voir,  de  plus,  que  ce  type  ne  rentre  naturellement  dans 
aucun  des  groupes  jusqu'ici  établis,  ce  qui  nécessitera  l'établissement 
d'un  genre  nouveau,  ou  du  moins  d'une  section  de  genre  très  impor- 
tante. 

Le  fruit  rappelle  bien  par  sa  forme,  les  sillons  de  déhiscencc,  la  consis- 
tance des  sépales,  le  fruit  des  Retinodendron.  Mais  chez  ces  derniers,  le 
péricarpe  est  très  épais,  les  sépales  également,  et  réfléchis  vers  la  base 
au  lieu  d'être  relevés;  de  plus,  ils  sont  parfaitement  égaux,  tandis  que, 
dans  notre  type,  l'inégalité  est  grande.  L'embryon  indique  sûrement  les 


474  BOTANIQUE 

affinités  dans  tout  le  groupe  des  Diptérocarpacées;  mais,  en  son  absence, 
on  peut  faire  appel  à  la  comparaison  des  autres  caractères. 

Dans  les  Relinodendron  types,  les  stipules  sont  bien  développées,  mais 
caduques  ;  ici,  elles  sont  de  même  forme,  mais  persistantes.  Notre  type 
se  distingue  aussi  des  Retinodendron  par  son  aspect  rugeux  ;  ceux-ci 
possèdent,  en  effet,  les  mêmes  poils  en  pinceaux,  distribués  en  abondance 
sur  la  tige  et  le  pétiole,  mais  ces  poils  sont  plus  courts  et  presque  soyeux. 
L'assise  subéreuse,  exfoliant  de  bonne  heure  l'épiderme  de  la  tige,  la 
moelle  à  section  obovale,  avec  nombreux  canaux  périphériques,  de  dia- 
mètre inégal,  quelques-uns  larges,  les  trois  faisceaux  foliaires  corticaux 
indivis,  sont  autant  de  caractères  permettant  de  classer  la  plante  dans  la 
série  des  Vaticées.  La  forme  de  la  feuille,  et  la  nervation  parlent  dans  le 
même  sens.  Une  fois  incorporé  dans  cette  tribu,  notre  fruit  se  distingue 
immédiatement,  par  ses  sépales  charnus  et  relevés,  de  celui  des  Isauxis 
vrais,  à  sépales  réfléchis  et  scarieux;  aucune  comparaison  n'est  à  établir 
avec  le  fruit  des  Pachijnocarpus.  Les  Vatica  Zollingeriana,  Lamponga, 
obscura,  qui  constitueront  pour  nous  des  groupes  distincts,  s'en  écartent 
à  première  vue  par  la  forme  du  fruit,  et  même  par  la  feuille,  au  moins 
pour  ce  qui  est  de  ce  dernier.  La  plante  que  nous  avons,  appelée  provi- 
soirement Yatica  Sarawakensis  et  qui,  quand  elle  pourra  être  sérieusement 
analysée,  sera  probablement  le  type  d'un  groupe  distinct,  cette  plante 
se  rapproche  de  notre  type,  par  l'aspect  verruqueux  du  pétiole,  par  les 
stipules  et  la  forme  de  la  feuille;  mais  elle  s'en  écarte  par  ses  sépales 
réfléchis  et  scarieux,  et  peut-être  par  son  inflorescence  si  particulière  (Voir 
Rech.  sur  les  Dipt.,  p.  110);  nous  n'avons  malheureusement  pu  étudier 
l'anatomie  du  pétiole  de  cette  dernière  espèce.  Cette  étude  nous  donne- 
rait sans  doute  des  résultats,  relativement  aux  affinités  des  deux  plantes. 
Cette  affinité  encore  douteuse,  mise  de  côté,  la  seule  affinité  réelle  reste 
avec  les  Retinodendron  types  (pour  les  caractères  de  ce  genre,  voir  Rech. 
sur  les  Dipt.,  p.  104).  Notre  Vaticée  s'en  distinguera  cependant,  au  point 
de  vue  anatomique,  par  l'absence  d'hypoderme  inférieur  stratifié,  dans  la 
feuille,  par  le  pétiole  convexe  dans  le  haut,  ainsi  que  la  nervure  médiane, 
et  par  l'absence  d'un  double  arc  fasciculaire  interne,  à  vaisseaux  ligneux, 
bien  développés  vers  le  haut  et  vers  le  bas.  Remarquons,  à  ce  propos, 
que  la  présence  des  îlots  lenticulaires  libériens  au  dos  de  l'arc  interne, 
que  l'on  peut  considérer  cemme  une  ébauche  du  double  arc,  à  disposi- 
tion inverse  des  Retinodendron,  est  un  caractère,  au  premier  abord,  de  peu 
de  valeur,  il  indique  cependant  une  affinité  réelle.  Il  est  incontestable 
que,  lorsque  l'on  conclut,  relativement  aux  aflinités,  d'après  l'ensemble 
des  caractères,  tous  les  caractères,  même  peu  importants  en  apparence, 
peuvent  servir  à  des  conclusions  précises  et  concordantes.  De  plus,  dans 
notre  type,  les  canaux  sont  moins  larges,  il  y  a  trois  arcs  internes  dans 


F.    HEIM.    —    SUR    UN   TYPE   NOUVEAU    DE   DIPTÉROCARPACl'îES  475 

la  nervure  médiane,  et  deux  petits  arcs  nets,  superposés  à  la  caractéris- 
tique ;  les  deux  arcs  pétiolaires  les  plus  internes  remplacent  les  trois 
massifs  fibro-vasculaires,  que  Ion  trouve  dans  les  Betinodendron . 

Le  péricarpe  des  Vaticées  est  entièrement  parenchymateux,  parcouru 
en  tous  sens  de  nervures,  accompagnées  de  canaux;  le  péricarpe  de 
notre  plante  s'écarte  de  ce  type,  par  la  localisation  nette  des  nervures  et 
des  lacunes  sécrétrices,  en  une  zone  distincte,  par  la  présence  d'amas 
scléreux,  au  milieu  du  parenchyme  homogène,  et  par  l'absence  d'une 
assise  subéreuse  externe.  Ce  type  ne  présente  aucun  caractère  organo- 
graphique  des  vrais  Vatcria,  que  nous  avons  réduits  à  deux  espèces, 
types  chacune  d'une  section  distincte;  il  n'a  plus  d'aflinités  avec  l'impor- 
tante série  des  Stémonoporées,  que  nous  avons  distraites  de  ce  chaos, 
que  les  auteurs  appelaient  du  nom  de  Vateria. 

De  la  comparaison  de  tous  les  caractères  accessibles,  nous  pouvons 
conclure.  Notre  plante  est  une  Diptérocarpacée-Vaticée,  ses  affmités  sont 
incontestablement  avec  les  Retinodendron,  et  peut-être  avec  notre  Vatica- 
Saraivokensis,  mais  elle  ne  peut  rentrer  naturellement  dans  ce  genre, 
dont  l'écarté  une  partie  de  ses  caractères,  tant  organographiques  qu'ana- 
lomiques.  Nous  devons  donc  la  placer  dans  un  groupe  particulier,  que 
nous  distinguerons  sous  le  nom  de  Retinodendropsis.  Ce  groupe  mérite-t-il 
d'être  élevé  à  la  hauteur  de  genre,  ou  seulement  de  rentrer  dans  le 
genre  Retinodendron,  à  titre  de  section  fort  importante?  Ce  n'est  qu'après 
une  étude  minutieuse  de  toutes  les  espèces  de  ce  genre  peu  connu,  qu'il 
sera  possible  de  se  prononcer  définitivement.  D'ailleurs,  genre  ou  section 
de  genre,  qu'importe?  Le  but  suprême  de  la  botanique  systématique 
n'est-il  pas  de  trouver  tous  les  intermédiaires,  entre  les  types  tout 
d'abord  les  plus  distincts,  c'est-à-dire  de  détruire,  en  somme,  les  limites 
génériques  forcément  artificielles?  Pour  l'instant,  la  seule  tâche  d'un 
botaniste  est  de  distinguer  sûrement  ce  qui  mérite  de  l'être;  c'est  de 
l'établissement  des  difTérences,  c'est-à-dire  de  l'analyse,  que  résultera  la 
connaissance  parfaite  des  affmités,  c'est-à-dire  la  synthèse. 


Explication  de  la  planche   IV. 


'e"^ 


Figure  1.  —  C.  transversale  de  la  tige  i entre-nœud  âgé  de  deux  ans). 

2.  _  Pétiole  initial,  figure  schématique. 

3.  —  Pétiole  caractéristique  id. 

4.  —  Nervure  médiane  id. 

5.  —  C.  transversale  du  pétiole  ^au  niveau  de  la  caractéristique)  (coupe  de    a 
partie  médiane  inférieure  jusqu'au  premier  arc  interne). 

6.  —  C.  transversale  de  la  feuille  (à  gauche,  portion  attenant  au  limbe). 


476  BOTANIQUE 

Figure  7.  —  C.  transversale  du  péricarpe. 

A  droite  de  la  planche,  la  coupe  en  série  d'un  entre-nœud.  Les  coupes  où  se  trouvent 
les  détails  caractéristiques  de  la  course  des  faisceaux  sont  seules  représentées.  Les  numéros 
indiquent  les  numéros  d'ordre  des  coupes  débitées  dans  un  entre-nœud,  et,  par  suite,  le 
niveau. 

a.  Fit,'ure  schématique  d'un  entre-nœud  montrant  la  course  des  faisceaux  pétiolaires. 


M.  E.  MESIARD 

Préparateur  au  Laboratoire  de  Botanique  de  la  Faculté  des  Sciences  de  Paris. 


RECHERCHES  SUR  LA  FALSIFICATION  DE  L'ESSEIMCE  DE  SANTAL  (i; 


—  Séance  du  2i  septembre  IS92  — 

L'essence  de  santal,  aujourd'hui  universellement  employée  en  thérapeu- 
tique, se  falsifie  fréquemment,  dans  le  commerce,  avec  de  l'essence  de 
cubèbe,  de  copahu,  de  térébenthine,  ou  mieux  encore  avec  de  l'essence  de 
cèdre  que  l'on  obtient  par  la  distillation  des  rognures  de  bois  servant  à 
fabriquer  les  crayons. 

Dans  ces  conditions,  l'eSsence  de  santal  perd  de  sa  valeur  curative  et 
elle  peut  même  devenir  préjudiciable  à  la  santé  des  malades. 

A  l'aide  de  quelques  réactions  fort  simples,  on  peut  s'assurer  de  la  pureté 
d'une  essence  de  santal. 

L'acide  sulfurique  pur,  employé  dans  des  conditions  déterminées,  donne 
naissance  à  des  phénomènes  de  coloration  et  à  des  phénomènes  de  modi- 
fication moléculaire  qui  renseignent  très  sûrement  sur  le  degré  de  pureté 
du  produit  examiné. 

Les  réactions  se  font,  soit  dans  un  verre  de  montre,  soit  à  l'aide  d'un 
dispositif  fort  simple,  facile  à  se  procurer,  et  que  je  décrirai  plus  loin. 

PREMIER   PROCÉDÉ 

On  met  dans  le  verre  de  montre  2  à  3  centigrammes  de  l'essence  à 
examiner;  on  y  ajoute  une  goutte  de  réactif  et  l'on  mélange  intimement 
les  deux  substances. 

(1)  Ces  recherches  ont  été  faites  au  Laboratoire  de  Botanique  de  la  Sorbonne,  sous  la  bienveillante 
direction  de  M.  Gaston  Bonnier. 


E.    MESNARD.    —   SUR   LA    FALSIFICATION   DE   l'eSSENCE   DE   SANTAL       477 

/"  Action  de  Vacide  sulfurique  pur  sur  les  essences  pures. 

Essence  de  santal.  —  Il  se  produit  de  suite  un  liquide  visqueux  rou- 
geâtre  qui  devient  brun  très  foncé  et  se  transforme  rapidement  en  une 
masse  résineuse  solidifiée,  adhérant  fortement  au  verre.  Si  l'on  attend  au 
plus  une  heure,  la  masse  résineuse  prend  une  coloration  gris-bleu  très 
clair;  elle  deviendrait  grisâtre,  d'aspect  poussiéreux,  au  bout  d'un  temps 
plus  long. 

Essence  de  cèdî'C.  —  Le  liquide  est  jaune  verdâtre  et  ne  se  soUdifie  pas. 
Au  bout  de  quelques  minutes  de  repos,  le  liquide  de  plus  en  plus  foncé  en 
couleur  se  rassemble  au  fond  du  verre  de  montre,  tandis  qu'il  s'entoure 
d'une  auréole  rose  peu  colorée.  L'auréole  s'affaiblit  peu  à  peu  et  devient 
trouble. 

Essence  de  cubébe.  —  Le  liquide  est  jaune  rougeàtre  et  ne  se  solidifie 
pas.  Par  le  repos,  le  liquide  rassemblé  devient  pourpre  et  l'auréole  qui 
l'entoure,  d'abord  purpurine,  passe  au  violet. 

Essence  de  copahu.  —  Le  liquide  est  jaune  rougeàtre  et  ne  se  solidifie 
pas.  L'auréole  est  purpurine;  le  liquide  rassemblé  est  jaune  serin. 

Essence  de  térébenthine.  —  Le  liquide  très  transparent  prend  une  teinte 
éosine  et  ne  se  solidifie  pas.  L'action  de  l'acide  sulfurique  fait  dégager 
une  odeur  désagréable  très  caractéristique, 

2'^  Aciion  de  l acide  sulfurique  ordinaire  pur  sur  des  mélanges  d'essence 
de  santal  pure  avec  l'une  quelconque  des  essences  ci-dessus  indiquées. 

L'essence  étrangère  est  : 

Essence  de  cèdre.  —  Le  liquide  est  jaune  rougeàtre  et  devient  plus  ou 
moins  pâteux,  mais  il  ne  se  solidifie  pas.  Par  transparence,  on  observe 
toujours  sur  les  bords  de  la  masse  résineuse  des  taches  huileuses  trans- 
parentes colorées  eu  jaune  clair.  Si,  avec  le  temps,  la  masse  finit  par 
adhérer  au  verre,  elle  conserve  toujours  une  teinte  ocreuse  qui  diffère 
totalement  de  la  coloration  gris-bleu  prise  par  l'essence  de  santal. 

Essence  de  cubébe.  —  Le  liquide  est  jaune  rougeàtre  et  ne  se  solidifie 
pas,  quoique  devenant  souvent  très  pâteux.  En  vieillissant,  la  résine  con- 
serve toujours  une  coloration  jaune-brun  très  foncée  qui  n'a  rien  de  commun 
avec  la  teinte  gris  clair  du  santal. 

Essence  de  copahu.  —  Le  mélange  est  boueux  et  blanchâtre.  Il  ne  se 
solidifie  pas. 

Essence  de  térébenthine.  —  Le  liquide  se  colore  en  jaune  rougeàtre. 
L'odeur  bien  caractéristique,  due  à  l'action  de  l'acide  sulfurique,  fait  faci- 
lement reconnaître  la  fraude. 

Ces  réactions  permettent  de  déceler  un  dixième  d'essence  étrangère 
dans  les  mélanges,  ce  qui  est  suffisant  en  pratique. 


478  BOTANIQUE 

SECOND    PROCÉDÉ 

Pour  mettre  en  évidence  l'adhérence  au  verre  de  la  matière  résineuse 
formée  par  l'acide  sulfurique,  nous  proposons  le  dispositif  suivant  qui 
permet  de  faire  une  véritable  analyse  de  l'essence  de  santal.  On  suspend 
au-dessous  de  l'un  des  plateaux  d'une  balance  sensible  une  petite  tige  de 
verre  dont  l'extrémité  a  été  aplatie  en  forme  de  tête  de  clou  ;  on  règle 
l'équilibre  pour  que  cette  extrémité  vienne  toucher  un  plan  de  verre 
dépoli  placé  au-dessous  sur  la  planchette  de  la  balance. 

On  verse  2  à  3  centigrammes  de  l'essence  à  essayer  et  l'on  y  ajoute,  à 
l'aide  d'une  baguette  de  verre,  une  petite  goutte  d'acide  sulfurique  pur 
bouilh.  On  mélange  très  rapidement.  Cela  fait,  on  applique  la  tête  du 
clou  de  verre  sur  la  préparation  de  telle  façon  qu'elle  soit  bien  verticale 
et  l'on  attend  environ  dix  minutes.  Au  bout  de  ce  temps,  on  mesure  par 
des  poids  placés  dans  l'autre  plateau  de  la  balance  la  valeur  de  l'effort  à 
produire  pour  obtenir  l'arrachement  du  clou  d'épreuve. 

Les  poids  obtenus,  sont  comme  on  va  le  voir,  très  différents  suivant  que 
l'essence  est  pure  ou  qu'elle  est  additionnée  d'essence  étrangère. 

Mais  pour  obtenir  de  bons  résultats,  il  est  nécessaire  de  prendre  de 
grandes  précautions  contre  l'humidité  de  l'air.  L'acide  sulfurique  est  sus- 
ceptible, en  effet,  d'absorber  une  très  grande  quantité  d'eau. 

Ainsi  par  les  jours  de  grande  pluie  et  de  complète  saturation  de  l'air, 
on  voit  apparaître  sur  la  préparation  une  quantité  notable  d'eau  qui 
affaiblit  considérablement  l'adhérence. 

Pour  obvier  à  cet  inconvénient,  on  peut,  d'une  part,  ajouter  à  l'essence 
avant  l'action  du  réactif  une  petite  pincée  de  poudre  d'amidon  très  fine- 
ment pulvérisée  qui  absorbe  l'excès  de  liquide,  et,  d'autre  part,  il  est  bon 
d'entourer  la  préparation  et  le  clou  d'épreuve  d'une  petite  cloche  à  douille 
dont  le  bord  inférieur  est  retroussé  de  manière  à  constituer  une  rigole 
annulaire  dans  laquelle  on  met  une  substance  desséchante.  Le  clou 
d'épreuve  passe  par  la  douille  de  la  cloche. 

En  prenant  ainsi  les  précautions  nécessaires  et  pour  un  clou  de  surface 
déterminée  (un  cercle  de  9  millimètres  de  diamètre  dans  mes  expériences), 
on  trouve  les  résultats  suivants  : 

SANTAL  CÈDRE         CUBÈBE       COPAHU     TÉRÉBENTHINE 

Essence  pure 100  à  140s'  2  à  3s--   2  à  Ss'  5  à  lOs'   2  à  Ss-- 

50  0/0  d'esseuce  étrangère 10  à  12   8  à  10  20  à  25  10  à  12 

30  0/0      id.       15  à  20  10  à  12  30  à  40  15  à  20 

20  0/0      id,       20  à  25  15  à  20  40  à  50  20  à  30 

10  0/0      id.       30  à  40  25  à  30  60  à  80  30  à  40 

Ce  tableau  montre  qu'il  y  a  une  différence  énorme  entre  les  poids 
nécessaires  pour  détruire  l'adhérence  dans  le  cas  du  santal  pur  et  dans 


D""  D,  CLOS.  —  LE  CALICE  OU  LE  PÉRLVNTHE  SIMPLE  ET  l'oVAIRE  LNFÈRE     479 

le  cas  des  mélanges  avec  les  autres  essences  et  que  même  il  est  possible 
d'évaluer,  avec  une  approximation  suffisante  pour  la  pratique,  la  propor- 
tion de  ce  mélange. 

Dans  cet  examen  de  l'essence  de  santal,  il  est  bon  d'opérer  comparati- 
vement avec  des  essences  types  d'une  pureté  certaine.  Je  me  suis  servi, 
dans  ces  essais,  du  santal  de  la  maison  E.  Pinaud,  du  santal  E.  Petit,  du 
santal  Coudray  et  de  quelques  autres. 

En  résumé,  il  est  facile,  par  l'emploi  de  l'acide  sulfurique  ordinaire 
pur,  de  reconnaître  si  une  essence  de  santal  est  pure  ou  si  elle  est 
mélangée  avec  une  autre  essence.  Dans  le  premier  cas,  le  réactif  donne 
un  liquide  visqueux  qui  devieat  pâteux  et  se  transforme  rapidement  en 
une  masse  solide  adhérant  fortement  au  verre.  Cette  masse  est  facile  à 
reconnaître  à  sa  couleur  gris-bleu  clair  ou  grisâtre  et  à  l'aspect  poussié- 
reux qu'elle  prend  en  vieillissant. 

Dans  le  second  cas,  la  masse  résineuse  ne  se  solidifie  pas  entièrement, 
adhère  très  peu  au  verre,  et  conserve  toujours  une  teinte  foncée  avec  un 
éclat  brillant  très  distinct. 

Enfin,  il  est  possible,  par  l'emploi  du  clou  d'épreuve,  d'évaluer  approxi- 
mativement avec  des  poids  la  proportion  d'un  mélange  d'essence  étrangère 
et  d'essence  de  santal. 


M.  le  F  D.  CLOS 

Correspondant  de  l'Institut,  à  Toulouse. 


LE  CALICE    OU  LE  PERIANTHE  SIMPLE  ET  L'OVAIRE  INFERE 


—  Séance  du  2/  septembre  1892  — 

Que  de  discussions  n'a  pas  soulevées  la  nature  de  l'ovaire  infère!  Sou- 
dure des  sépales  avec  ses  parois,  telle  a  été  la  doctrine  acceptée  et  à  peu 
près  universellement  professée  en  morphologie  et  en  phytographie  jus- 
qu'au delà  du  milieu  de  notre  siècle.  Battue  depuis  lors  bien  des  fois  en 
brèche,  elle  n'en  rallie  pas  moins  encore  de  nombreux  partisans.  Aussi 
convient-il  de  mettre  à  profit  tout  ce  qui  peut  jeter  quelque  jour  sur  la 
question  et  contribuer  à  dissiper  les  doutes.  Quels  sont  dans  le  groupe 


4b.O  BOTANIQUE 

des  In féro variés  les  genres  ou  les  espèces  caractérisés  par  une  ressem- 
blance frappante,  aux  dimensions  près,  entre  les  feuilles  ou  les  stipules 
d'une  part,  les  sépales  chez  les  Dipérianthés  ou  les  pièces  des  périgones 
simples  d'autre  part  :  voilà,  je  crois,  un  des  premiers  résultats  à  constater. 
Les  nombreux  exemples  de  cette  nature  énumérés  dans  les  quelques  pages 
qui  suivent  sont  un  premier  essai  destiné  à  provoquer  d'autres  recherches 
dans  cette  voie. 

A.  —  Monopétales. 

Campanulacées.  —  Nombreuses  sont  les  espèces  du  genre  Campanula 
où  les  sépales  reproduisent  exactement  la  forme  des  feuilles  supérieures 
ou  des  bractées.  Telles  les  C.palula,  cœspitosa.  rotundifolia,  cenisia,  les 
C.  Herminii  ei  erinoides  [Boiss.  Esp.A.  120j,  obliqua  (Jacq.,  Schœnbr., 
t.  336)  :  bractées  et  sépales  sont  linéaires  dans  les  C.  excisa  (Rchb.,  Icon. 
bot.,  t.  lo9),  tenuifolia  (Waldst.  et  Kit.  fJungr.,  II,  t.  154);  également 
dentés  chez  les  C.  lactiflora,  algida,  A/phonsi,  fui  gens,  ramidosa  (Wight, 
Icon.,  IV,  tt.  1177-1178;,  alala  (Desf.,  Allant.,  t.  50). 

Dans  le  C.  Erinus  les  sépales  ne  diffèrent  que  par  leur  bord  entier  des 
bractées  qui  parfois  se  montrent  aussi  entières. 

On  peut  constater  dans  ce  genre  que  tantôt  la  feuille  passe  par  une  mo- 
dification lente  et  graduée  à  la  bractée  et  celle-ci  au  sépale  {C.  isophylla, 
Rchb.  Icon.  bot.,  t.  202),  et  que  tantôt  la  feuille,  conservant  son  carac- 
tère jusqu'au  sommet  de  la  tige,  n'a  point  de  rapports  avec  les  bractées 
(les  C.  carpathica,  gloinerata,  foliosa,  elliptica). 

J'ai  vu  une  fleur  de  C.  Médium,  dont  l'ovaire,  surmonté  de  verticilles  à 
sept  parties,  portait  sur  ses  parois  un  sous-sépale  (1),  naissant  d'une 
des  nervures  saillantes  de  ses  parois,  cas  si  fréquent  chez  les  Specularia; 
et,  de  son  côté,  Weddell  déclare  avoir  cueilli  dans  les  serres  de  Londres 
une  Campanule  dont  l'ovaire  portait  de  nombreuses  feuilles  (in  Bull. 
Soc.  bot.  de  Fr.,  V,  209). 

Dans  les  Adenophora  denticulala.  marsupiifolia,  coronopifolia,  les  sé- 
pales sont  denticulés  comme  les  feuilles  et  les  bractées  chez  le  premier, 
linéaires  entiers  comme  celles-ci  chez  les  deux  autres  (Rchb.,  Icon.  pi. 
exot.,  t.  II,  pi.  15,  23). 

Le  Codonopsis  ovata  est  figuré  avec  les  sépales  et  les  feuilles  également 
ovales  (Royle,  Illustr.,  t.  69,  f.  3). 

La  nature  foliaire  des  sépales  n'est  pas  moins  évidente  chez  les  Wahlen- 
bergia,  ces  organes  étant  linéaires  et  entiers  comme  les  feuilles  supé- 
rieures   chez  W.   lobelioides   (Âlph.  DC.   Monogr.,  pi,  17),  ou  dentelés 

(l)Nom  que  j'ai  proposé  jadis  pour  les  écailles  appendiculaires  qui,  chez  certaines  plantes,  les 
Cereus  par  exemple,  naissent  sur  les  parois  extérieures  de  l'ovaire,  n'étant  par  leur  position  ni 
bractées  ni  sépales,  mais  intermédiaires  entre  eux. 


1)1   j)     ,1  os.   L1-:  CALICE  OU  LE  PKlîLVNTHE  SIMPLE  ET  l'oVAIRE  INFÈHE     481 

comme  elles  (W.  foliosa.  IbicL,  pi.  14);  la  formation  des  sépales  par 
les  bradées  se  dévoile  manifestement  aussi  chez  W.  agrestis  (  Wight, 
Icon.,  iïTé)  et  W.  cervicina  {cervicina  campanuloides,  Del.,  FI.  Egi/p.,  VII, 

t,  5,  f.  2). 

Le  Merciera  brevifolia  et  le  Microdon  depî-essum  ont  feuilles  et  sépales 
linéaires  (Deless . ,  Icon.  sel.,  II,  tt.  16  et  17). 

Le  Microdon  glomeratum  a  ses  deux  bractées  et  ses  sépales  linéaires 
comme  les  feuilles  basilaires  et  terminales,  les  moyennes  étant  linéaires 
lancéolées  (Alph.  DC,  Monogr.  des  Campan.,  t.  19).  Et  cette  même  res- 
semblance entre  les  feuilles  supérieures,  les  bractées  et  les  sépales  est 
également  frappante  chez  Prismatocarpus  paniculatus  ilbid.,  t.  20);  mais 
dans  Symplujandra  cretica  [Ibid.,  t.  8j,  les  feuilles  de  la  tige  et  de  la 
grappe  sont  serretées,  les  pédoncules  portant  des  bractées  qui  reproduisent 
les  sépales. 

Enfin,  le  Phyteuma  Mlchelii  a  ses  feuilles  supérieures  très  petites  et 
conformes  aux  sépales.  (Rehb.,  Icon.  crit.,  t.  348),  et  les  bractées  du 
P.  lanceolata  (CoroU.  de  Tourn.,  t.  24)  ressemblent  aussi  beaucoup  aux 
éléments  calicinaux  de  cette  espèce. 

Un  des  genres  les  plus  singuliers  de  cette  famille  des  Carapanulacées 
est  bien  le  genre  C ampanumœa  qm,  indépendamment  de  l'ovaire,  infère 
dans  une  partie  des  espèces,  semi-infère  dans  d'autres,  offre  dans  le 
C.  parvijlora,  décrit  et  figuré  par  Griffith  [Notulœ,  pars  IV,  p.  277, 
t.  441  f.  1  ),  sous  le  nom  de  Cyclocodon  distans,  l'ovaire  surmonté  de  la 
corolle,  mais  surmontant  le  calice  infère,  qui  lui  forme  comme  une  sorte 
d'involucre  tétraphylle. 

La  tribu  des  Cyphiées  de  la  famille  des  Campanulacées,  d'après  Ben- 
tham  et  M.  D.  Hooker,  comprend  trois  genres  dont  deux  ont  incontestable- 
ment leurs  sépales  de  nature  foliaire,  du  moins  dans  quelques  espèces, 
telles  le  Cyphocarpus  rigrescens,  dont  la  figure  donnée  par  Cl.  Gay  (Flora 
chiL,  t.  :jO)  et  par  Schniziein  (Icon.),  montre  la  ressemblance  de  la  feuille 
au  sépale.  Il  en  est  ainsi  du  Cyphia  persicifolia  qui,  d'après  la  figure  que 
l'on  doit  à  Harvey  (T/ies.  cap.,  t.  lo9),  a  ses  sépales  lancéolés,  sinués, 
dentés  comme  les  feuilles,  tandis  que  le  C.  corylifolia  (Ibid.,  t.  161), 
dont  les  feuilles  se  modifient  en  bractées,  offre  la  presque  identité  de 
celles-ci  avec  les  sépales. 

LoBÉLiACÉES.  —  Le  genre  Lohelia  est  très  intéressant  cà  étudier,  quant 
aux  modifications  du  calice,  dans  les  nombreuses  figures  données  par 
Cavanilles  des  espèces  de  Lobélie.  Les  bractées  sont  semblables  aux 
sépales,  linéaires-subulées  comme  eux  dans  le  Lobe  lia  gruina  (Icon.,  t.  51 1  ^; 
et  il  en  est  de  même  du  L.  andropogon  (t.  515),  où  les  pédoncules  axil- 
1  aires  portent  deux  bractées  sépaliformes  très  différentes  des  feuilles;  et 
du  L.  dentala  (t.  522),  où  les  feuilles  supérieures,   disposées  par  paires 

3i* 


482  BOTANIQUE 

séparées  par  de  longs  entre-nœuds,  sont  linéaires  comme  les  sépales  des 
fleurs  portées  sur  de  longs  pédoncules  nés  à  l'aisselle  de  ces  feuilles  ;  et 
chez  le  L.  decurrens  (t.  521),  les  sépales  se  montrent  dentés  comme  elles; 
même  conformité  des  sépales  et  des  feuilles  linéaires-subulées  chez  le 
L.  divaricata  (Hooker  et  Arn.,  Bot.  Beech.,  t.  67)  et  dans  \eL.  physaloides 
(Hook.,  Icon.,  t.  5o6). 

La  ressemblance  des  sépales  et  des  feuilles  est  encore  des  plus  évi- 
dentes dans  le  Laurentia  arabidea  (Deless.,  Icon.,  Y,  14)  ;  et  le  Monolepis 
debilisilbid.,  t.  8)  montre  les  feuilles  de  la  tige  s'atténuant  insensible- 
ment pour  passer  aux  sépales. 

Les  bractées  du  Cyanea  Grimesiana  (Gaudich.,  U?'an.,  t.  75)  ne  dif- 
fèrent pas  non  plus  des  sépales,  lancéolées-ondulées  comme  eux. 

RuBiAGÉES.  —  Il  est  un  genre  où  le  calice  offre  d'espèce  à  espèce  les 
variations  les  plus  étranges  (1),  étant,  ou  à  peu  près,  nul  (les  Gaillonia 
incana  ei  Bruguierii,  Jaub.  et  Sp.,  ///.  tt.,  76  et  77),  ou  à  petites  dents 
(G.  Oliverii,  t.  74),  ou  à  divisions  foliiformes  lancéolées  (les  G.  eriantha 
et  cruciandloides,  Ibid.,  tt.  78  et  81),  et  même  en  large  disque  étoile 
{G.  hymenostephana,  i.  79). 

Une  telle  variabilité  dans  l'apparence  du  calice  de  ce  genre  ne  permet 
pas  de  lui  attribuer  une  signification  déterminée,  si  ce  n'est  pour  le 
G.  eriantha  aux  cinq  sépales  conformes  aux  bractées  qui  les  accom- 
pagnent, les  stipules  de  celles-ci  étant  presque  avortées.  Les  sépales  repro- 
duisent exactement  la  forme  des  feuilles  chez  les  Cruckshanksia  glacialis 
(Pœpp . ,  Endl . ,  fig.  in  Weddell,  Expéd.  Castelnau,  t.  L),  et  Montana 
(Clos,  in  Cl.  Gay,  Flor.  chiL). 

RuBiACÉEs.  —  Il  va  de  soi  que,  comme  celle  des  feuilles,  la  présence 
de  calices  stipulaires  couronnant  l'ovaire  infère  témoigne  de  la  nature 
axile  de  ce  dernier. 

Nombreux  sont  les  représentants  de  cette  famille  où  se  manifeste  une 
extrême  ressemblance  entre  les  stipules  bractéales  et  les  dents  calicinales, 
tels  :  Posoqueria  longiflora  (Aubl.,  Guian.,  t.  51,  et  Lamk.,  Illustr., 
t.  163),  Sabicea  cinerea  (Lamk.,  Illustr.,  t.  165),  Conosiphon  aureum  et 
Exostemma  maynense  (Pœpp.  et  Hendl.,  Nov.  Gen.  et  Spec,  tt.  23.3-?37), 
Solenandra  ixoroides  (Hoock.,  f.  Icon.,  t.  1150),  et  ce  dernier  auteur 
et  Bentham  donnent  aux  espèces  du  genre  Leptactinia  d'amples  stipules 
et  un  calice  cinq  partîtes  à  lobes  subfoliacés  (Gêner.,  II,  86). 

Enfin,  dans  quelques  représentants  de  ce  vaste  groupe  (Howardia, 
Mussœnda,  Calycophyllum,  Creaghia,  etc.),  une  ou  deux  dents  du  calice 
prennent  seules  un  développement  foliiforme,  et  l'unique  dent  qui  soit 
dans  ce  cas  chez  le  Macrocnemum  coccineum  figuré  par  Vahl  {Symb.  bot., 

(1)  Comme  chez  Gcrardia. 


D''  D.  CLOS.  —  LE  CALICE  OU  LE  PÉRIANTHE  SIMPLE  ET  l'oVAIRE  INFÈRE      483 

t.  29),  a  toutes  les  apparences  de  la  feuille  sans  préjudice  du  pétiole. 
Vaccimées.  —  Le  Vacciniurn  Grifjîthianum  a  ses  sépales  ovales  dentés 
comme  les  feuilles  (Wight,/co?2.,  t,  1192),  et  ceux  des  V.  Malacca  (t.  1186), 
affine  (t.  1190)  et  Domanum  {t.  H 91)  sont  acuminés  comme  elles. 

B.  —  Polypétales. 

Loasées.  —  Les  sépales  diiLoasa  coronata,  figurés  par  Weddell  (E.rpèd. 
de  Casteln.,  Il,  '^4),  sont  pinnatifides  et  les  feuilles  bipinnatifides  ;  et  la 
ressemblance  entre  ces  deux  sortes  d'organes  se  retrouve  chez  VHuido- 
bria  chilensis  (Y.  CI.  Gay,  Flora  chilena,  t.  26);  tandis  que  les  sépales 
dentés  du  Caiophora  laler'itia  rappellent  ses  feuilles  supérieures  pinnati- 
fides, et  que  ceux  du  Loasa  multifida  paraissent  représenter  les  lobes  foliaires 
de  l'espèce  {Ibid.,  1.  27). 

i^e  fruit  d'un  Mentzelia  est  figuré  par  Le  Maout  et  Decaisne  {Traité  gén. 
de  Bot.,  p.  279),  avec  des  sous-sépales  pinnatifides  sur  ses  parois. 

Mésembrianthémées.  —  Cette  famille,  notable  surtout  par  le  genre  Me- 
sembrianthemum,  offre  dans  les  nombreuses  espèces  de  celui-ci  la  plus 
irréfutable  démonstration  de  cette  thèse,  que  les  prétendues  divisions  cab- 
cinales  représentent  à  elles  seules  tout  le  calice,  étant  assez  fréquemment, 
à  part  les  dimensions,  en  tout  semblables  à  la  feuille.  Les  collections 
vivantes  de  ces  plantes  ne  sont  pas  rares  ;  mais  le  botaniste  qui  voudra 
se  former  une  opinion  motivée  à  cet  égard  n'a  qu'à  parcourir  la  belle 
monographie  de  ce  genre  due  au  prince  Salm-Dyck  ;  dans  plus  de  la  moi- 
tié des  espèces  il  retrouvera,  au  moins  dans  les  deux  ou  trois  sépales  exté- 
rieurs, quelquefois  dans  tous,  les  caractères  de  la  feuille.  Je  ne  citerai  du 
long  relevé  que  j'ai  fait  h  cet  égard  qu'un  petit  nombre  d'exemples  : 
1"  les  feuilles  sont-elles  planes  et  membreuses  {M.  pomeridianum,  §  6o. 
f.  1)  (1),  concaves  {M.  concavum,  §  62,  f.  o),  spatulées  (M.  crystallo- 
phanes),  les  sépales  sont  foliacés,  concaves,  spatules  (laciniis  calycinis, 
spathulatis,  obtusis)  ;  2°  les  M.  scalpratum,  fragrans,  grandiflorum  (§  8, 
f.  1-2-3)  ont  les  sépales  élargis  comme  les  feuilles,  mais  très  courts; 
3°  dans  un  troisième  groupe,  très  riche  en  formes,  les  sépales  sont  caré- 
nés ou  triquètres,  du  moins  les  extérieurs,  comme  les  feuilles  (les  M.  per- 
foliatum,  §  33,  f.  1  ;  (vquilaterale,  §  19,  f.  1)  ;  quelquefois  même  ces 
sépales  sont  à  la  fois  carénés  et  denticulés  comme  les  feuilles  {M.  uncinel- 
laium,  §  33,  f.  4,  M.  murinum,  §  35,  f.  4)  ;  4°  ailleurs,  ils  sont  ou  tur- 
gides  comme  les  feuilles  (M.  Lehmanni,  §  42,  f.  1),  ou  couverts,  comme 
elles,  de  petits  tubercules  [M.  echinatum,  §  53,  f.  2),  ou  cylindriques  en 
boudin  et  terminés  par  une  houppe  de  poils  (les  M.  barbatum,  bulbo- 

(1)  Voir  aussi  dans  Jacquin,  Icon.  rar.  II,  it.  488-489,  la  ressemblance  des  feuille.*  aux  sépales 
dans  celte  espèce  et  dans  M.  cuneifolium . 


484  BOTANIQUE 

sum.,  stellatum,  densum,  §  o2,  ff.  1-3-5-6)  ;  5^  dans  les  Dombreuses  espèces 
aux  feuilles  longues,  cylindriques  ou  demi-cylindriques  {les  M.  sulcatum, 
umbelliflorum,  flexuosum,  §  44,  ff.  i,  6,  7j  les  sépales  extérieurs  repro- 
duisent ce  caractère  surtout  chez  le  M.  pugionifonne  dont  la  description 
comprend  :  «  calycis  laciniis  semicylindraceis  valde  elongatis  suba-quali- 
bus  »  ;  et  Salm-Dyck  écrit  aussi  :  «  laciniis  duabus  foliiformibus  »  à  pro- 
pos des  M.  uncinalum,  §  33,  f.  3,  et  lacsrum,  !:j  21,  f.  1  ;  «  subfoliifor- 
mibus  )•>  à  propos  du  M.  Ecklonis,  §  49,  f.  5.  Linné  avait  déjà  cité  le 
barhatum  comme  exemple  de  la  formation  foliaire  du  calice  (1). 

PoMACÉES.  —  Le  calice  supère  y  est  tantôt  stipulaire,  notamment  dans 
Cydonia  vulgaris,  les  Craiœgus  coccinea  et  nigra,  où,  indépendamment 
de  la  conformité  d'aspect,  sépales  et  stipules  sont  bordés  de  glandes  sli- 
pitées  ;  tantôt  foliaire,  car  j'ai  vu  sur  une  fleur  de  néflier  et  M.  Gravis 
a  figuré  sur  des  ovaires  de  poiriers  les  sépales  remplacés  par  des  feuilles 
(in  Mém.  Soc.  roy.  bot.  de  Belg.,  XVI,  t.  5). 

Myrtacées.  —  Dans  le  Myrlus  mucronata  les  sépales  sont  mucronés 
comme  les  feuilles  et  ressemblent  aux  feuilles  basilaires  (préfeuilles  des 
rameaux),  et  dans  le  Mircia  reticulala  on  peut  suivre  le  passage  des 
bractées  aux  sépales. 

Saxifragées.  —  Si  dans  nombre  d'espèces  de  Saxifrages  appartenant  au 
groupe  des  Palminerves,  les  feuilles,  conformément  à  ce  qui  a  lieu  pour 
la  plupart  des  plantes  munies  d'appendices  foliaires  de  cette  forme, 
n'offrent  aucun  passage  des  radicales  en  rosette  aux  caulinaires  minus- 
cules et  sessiles,  d'autres  dévoilent  manifestement  les  rapports  des  feuilles 
aux  sépales  ;  les  deux  se  montrent  ou  bicuspidés  {Saxifraga  fîagellaris 
Ledeb.,  Russ.,  t.  321  ;  S.  bicuspidata  D.  Hook.,  Flor.  anlaîxl.,  t.  97),  ou 
denticulés  (-S.  spinulosa  Royl.,  Illustr.  t.,  50).  linéaires-subulées  et  hispides 
comme  les  bractées  (.S.  /e/2e//a  Jacq.,  Coll.  III,  t.  17.) 

Quant  aux  espèces  du  genre  ou  sous-genre  Bergenia,  ayant,  comme  les 
Crucifères,  une  inflorescence  de  partition,  elles  sont  par  cela  même  dé- 
pourvues, comme  elles,  de  bractées. 

OExoTHÉRÉES.  —  Les  Jiissiœa  elegans  et  myrtifolia  (in  S'-Hil.  Bras., 
tt.  131  et  132)  offrent  à  la  base  de  l'ovaire  deux  bractées  semblables  aux 
sépales. 

Ceux  du  Prieurea  senegalensis  (DC,  Mém.  fam.  Onagr.,  t.  2)  ne  dif- 
fèrent des  feuilles  de  l'espèce  que  par  de  moindres  dimensions. 

Ces  mêmes  analogies  se  retrouvent  dans  plusieurs  représentants  de  la 
tribu  des  Épilobiées  :  ainsi  les  sépales  sont  ovales,  lancéolés  comme  les 
feuilles  supérieures  dans  Boisduvalia  Tocornali  (Gay,  ChiL,  t.  24),  linéaires 
comme   elles  dans  Gayophyton  humile  et  Godetia  gayana  {Ibid.,  tt.  22 

(1)  a  Calijris  foliota  apice  barbala,  œque  àc  folia  plantœ,  demonslrant  Periantbii  orlum.  »  (Species 
Plant.,  2'  éd.,  6U1.) 


D""  D.   CLOS.  —  LE  CALICE  OÙ  LE  PÉRL\NTHE  SIMPLE  ET  l"0VAIUE  INFÈRE      485 

et  23),  linéaires  comme  les  bractées  supérieures  dans   C/arAm  pulchella 
(Rchb.,  Icoii.exot.,  t.  211). 

Quant  aux  OKnothera,  les  sépales  et  les  feuilles  supérieures  de  VOE.  fe- 
nuifo/ia  sont  également  linéaires  subulées  (Cavan.,  Icon.,  t.  397),  mais  ou 
ne  trouve  aucune  analogie  entre  ces  deux  sortes  d'organes  chez  d'autres 
espèces  de  ce  genre.  Même  observation  pour  les  Epilohium,  YE.  vosmari- 
nifolinm  Haenk.,  ayant,  contrairement  à  beaucoup  d'autres  congénères, 
les  sépales  identiques  aux  feuilles  supérieures.  (Rchb.  Icon.  bot.,  341). 
J'ajoute  que  M.  M. -T.  Maters  a  l'ait  figurer  une  chloranthie  d'Jî.  hirsulum 
où  les  quatre  sépales  avaient  pris  et  la  forme  et  la  nervation  et  les  dents 
des  feuilles  de  cette  espèce  [Ver/et.  Teratol.,  p.  273,  f.  loO). 

CucuRBiTACÉEs.  —  Les  Icoms  Flovce  Indiœ  orientale  de  Wight  montrent, 
tome  If,  tab.  o07,  un  pied  de  Cucurhila  maxima  où  l'ovaire  des  fleurs 
femelles  porte  pour  calice  cinq  sépales  foliacés,  pétioles,  obovés,  dentés. 

Bégoniacées.  —  «  L'hypothèse  que  les  lobes  floraux  sont  des  stipules 
soudées  me  paraît  la  plus  probable  »,  a  écrit  M.  Alph.  de  Candolle  (in 
Annal.  Se.  nat.,  4®  sér.,  XI);  et  avant  lui,  J.-B.  Agardh,  concluant  d'après 
le  mode  de  développement,  avait  comparé  les  verticilles  de  la  fleur  des 
Bégonias  à  des  bractées,  c'est-à-dire  à  des  stipules  (Theor.  System. 
Plant.,  94). 

Ombellifères.  —  On  constate  dans  ce  groupe  de  grandes  Variations  en 
ce  qui  concerne  le  calice  :  nul  dans  un  grand  nombre  de  genres,  repré- 
senté chez  d'autres  (O^/^an^^ej  par  des  dents  persistantes  et  alternipétales, 
il  prend  ailleurs  plus  de  développement  (Erynghim,  Sanicula),  repro- 
duisant dans  le  Lagoecia  la  forme  des  bractées  et  accusant  manifeste- 
ment dans  ce  cas  sa  nature  foliaire.  Dans  les  Molopospermum  il  est  aussi 
à  trois  dents  foliacées.  Quelques  genres  ont  les  sépales  colorés  et  péta- 
loïdes,  tels  le  Xant/wsia,  où  ils  sont  grands,  ovales  ou  en  cœur,  curieux 
surtout  dans  leLeucolœna  ou  Xanthosia  peltigera  figuré  par  Hooker  {Icon., 
t.  43),  où  l'ovaire  porte  tout  autour  cinq  écailles  pcltées.  considérées  par 
le  botaniste  anglais  comme  les  sépales  —  «  Lobis  calycinis  peltatis  »  — 
nonobstant  cette  restriction  :  «  To  which  I  know  nolhing  similar  in  lie 
whole  order  of  Umbellifera'  ».  A  citer  encore  Y Hermua  pclaloides,  où  ils 
ont  été  pris  par  Sonders  pour  des  pétales,  et  VAzorella  dichopelala.  où  ils 
sont  plus  grands  que  les  pétales.  Dans  V Holienackeria  le  calice  est  stipité, 
une  sorte  de  col  surmontant  l'ovaire,  et  celui  de  VH.  polyodon  a  dix  dents 
à  la  lin  subspinescentes. 

lieux  genres  voisins  l'un  de  l'autre,  Aircma,  Bifora,  se  distinguent  par 
la  présence  de  cinq  dents  calycinales  chez  le  premier  et  leur  absence  chez 
le  second.  Deux  sections  du  genre  Liguslicum  ont  des  sépales  qui  man- 
quent dans  la  troisième,  dont  un  des  caractères  est  :  «  calycis  margo 
obsolelus  ».  Le  genre  Tordyiium  e9,t  ainsi  décrit  à  cet  égard  :  «  (>'alycis 


486  BOTANIQUE 

dentés  plus  minus  conspicui,  nunc  irregulariter  elongati  vel  minimi,  vel 
obsoleti  (Benth.  et  Hook,  Geu.  L,  924)»;  enfin,  M.  Maximowicz  a  nommé 
Pimpinella  calycina  une  espèce  différant  de  toutes  les  autres  espèces 
asépales  du  genre  par  les  dents  lancéolées,  rigides  et  persistantes  du  calice 
qui  couronnent  un  gros  fruit  subdidyme  {Diagn.  pL,  Decas,  XV). 

En  1870,  M.  Sieler  déclarait  erronée  la  signification  de  calice  primor- 
dial assignée  à  celui  des  Ombellifères,  car  on  voit  apparaître  après  sa 
formation  d'autres  verticilles  en  dehors  et  au-dessous  de  lui  ;  c'est  plutôt, 
à  son  sens,  un  verticille  staminal,  premier-né  sur  le  réceptacle  (in  Bot. 
Zeit.,  n°s  23  et  24,  anal,  in  BulL  Soc.  bot.  de  Fr.,  XIX,  Rev.  bibl.,  173). 

A  la  place  de  cette  interprétation  que  rien  ne  semble  justifier,  ne 
peut-on  pas  voir  dans  les  sépales  de  la  plupart  des  Ombellifères,  quand 
ils  existent,  des  rudiments  de  gaines  ? 

C.  —  Dicotylédones  monopérianthées 

La  nature  du  périantlie  supère,  chez  un  certain  nombre  de  Dicotylé- 
dones monopérianthées,  paraît  devoir  se  dévoiler  principalement  dans 
les  genres  riches  en  espèces  et  où  cet  organe  est  le  plus  varié  de  forme. 
Nul  ne  réunit  peut-être  ces  deux  conditions  au  même  degré  que  le  genre 
Aristoloche.  In  1864,  M.  P.  Ducliartre,  traitant,  dans  le  XVP  volume 
(l'"^  partie),  du  Prodromus  de  DeCandolle,  de  la  famille  des  Aristolochiées, 
comptait  plus  de  cent  soixante-dix  espèces  d'Aristoloches  au  périanthe 
développé  tantôt  en  long,  tantôt  en  surface,  en  traçant  ainsi  la  carac- 
téristique : 

«  Calyx  nunc  regularis  trilobus,  nunc  et  seepius  irregularis  et  tune  forma 
varius,  tubo  sœpius  super  apicem  ovarii  iafïatus  in  utriculum  genitalia  inclu- 
dentem,  inde  plus  miuusve  productus,  tandem  expansus  in  limbum  uni-seu 
bilabiatum  aut  periphericum,  persistons  vel  marcescenti-deciduus  (p.  421).  » 

La  comparaison  des  diagnoses  détaillées  dues  à  ce  savant  et  celle 
d'un  certain  nombre  de  figures  d'espèces  reproduites  dans  des  ouvrages 
de  phytographie  illustrés  semblaient,  a  priori,  en  l'absence  de  grandes 
collections  spéciales,  pouvoir  fournir  quelques  indications  en  dehors  de 
toute  idée  préconçue. 

Un  seul  fait  a  parfois  suffi  à  dévoiler  la  nature  de  tel  ou  tel  organe. 
Jai  pu  relever  dans  les  matériaux  signalés  vingl-trois  espèces  environ  où 
la  ressemblance  entre  la  feuille  et  la  languette  (ou  une  des  deux  lan- 
guettes) du  périanthe  est  telle  qu'elle  entraîne,  au  moins  pour  elles,  la 
conséquence  d'identité  d'origine,  comme  il  ressort,  si  je  ne  m'abuse,  des 
deux  sortes  de  documents  qui  suivent. 

Voici  d'abord  un  assez  grand  nombre  de  cas  de  concordance  que  je 


D""  D.  CLOS.  —  LE  CALICE  OU  LE  PÉRIANTHE  SIMPLE  ET  l'oVAIRE  INFÈRE      487 

relève  dans  les  diagnoses  données  par  M.  Duchartre  entre  la  forme  des 
feuilles  et  celle  du  périanthe. 

A.  Sellowiana,  p.  438  :  Foliis  deltoideis  acuminatis.  —  Labio  basi   lato  del- 
toideo  ; 

A .  Karwinskii,    p.   442    :  F.   subreniformi-cordatis,    vel    deltoideo-cordatis. 
—  L.  deltoideo-cordato  ; 

A.  truncata,  p.  454  :  F.  elongato-deltoideo-cordatis.  —  L.  ovato  subcordato  ; 

.4.  lutescens,  p.  461  :  F.  deltoideo-cordatis,  acutis.  —  L.  lato-cordato  acu- 
minato  ; 

A.  cordigera,  p.  455  :  F.  ovato-cordatis.   —   L.  magno   cordato  subhastato; 

A.  pilosa,  p.  434  :  F.  ovato-cordatis.  —  L.  ovato; 

A.  gibbosa,  p.  439  :  F.  subreclangulo-cordalis  acuminatis.  —  L.  ovato- 
subcordato  acuto  ; 

A.  grandiflora,  p.  472  :  F.  cordatis.   —  L.  cordato; 

A.  fœtens,  p.  472  :  F.  subrotundo-cordatis.   —  L.  suborbiculari-cordato; 

A.  auricularia,  p.  483  :  F.  ovato-cordatis.  —  L.  subrotundo-cordato  ; 

A.  gigantea,  p.  474  :  F.  subrotundo-cordatis.  —  L.  ovato...  basi  cordato; 

A.  inllata,  p.  43S  :  F.  ovato-cordatis.  —  L.  ovato-subcordato  acuto; 

.4.  fimbriata,  p.  io4  :  F.  orbiculari-cordatis.  —  L.  orbiculari-cordato  (voir 
la  figui'e  non  moins  démonstrative  donnée  par  Chamisso  in  Linncfa,  VII, 
table  VI,  f.  2). 

A.  cynanchifolia ,  p.  433  :  F.  elongato-delt(.tideis.  —  L.  elongato  ;  analogie 
confirmée  par  la  figure  de  la  table  51  du  Flora  brasiliensis,  de  Martius  ; 

A.  Chamissonis,  p.  462  :  F.  ovato-lanceolatis  acutis.  —  L.  ovato-lanceolato 
acutissimo  ; 

A.  longiflom,  p.  441  :  F.  linearibus,  paucioribus  oblongo-lanceolatis. 
—  L.  lanceolato  acutissimo  ; 

A.  cordiflora,  p.  474  :  F.  cordatis  acuminatis.  —  L.  cordiformi  obtuso  mucro- 
nulato. 

Empruntons  d'autres  preuves  aux  ouvrages  de  botanique  illustrés  : 
Feuille  et  périanthe  sont  figurés  : 

Cordiformes  dans  VArist.  glauca  Desf.,  Flora  allant.,  250,  et  A.  floribunda, 
in  l'Horticulteur  français,  d'Hérincq,  1869,  ad  p.  200; 

Ovales  dans  A.  cretica  Desf.,  Choix  des  PI.  de  Tourn.,  VII; 

Oblongs  dans  A.  oblongata  Jacq.,  Horl.  Schœnbr.,  II,  183; 

Lancéolés  dansai,  lanceolata  Wight,  Icon.  PL  Ind.,  V,  1858; 

Étroits-allongés,  languette  de  forme  intermédiaire  à  celles  des  feuilles  de 
r^.  angustifolia  et  de  sa  variété  longifolia,  figurés  par  Chumisso  in  Linnœa,  VII, 
t.  V.  f.  2; 

Rémformes,  A.  brasiliensis,  in  Engler,  33"  livr.  du  Flora  brasiliensis,  de  Martius, 
p.  263  (une  des  deux  lèvres  du  périanthe). 


488  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 


MM.  DE  lABIAS        et         SÂBEAZÈS 

Agrégé  à  la  Faculté' de  Médecine  de  Bordeaux.  Interne  des  Hôpitaux  de  Bordeaux. 


LA    PILAIRE  DU  SANG  DES  GRENOUILLES.  —  DECOUVERTE  DU  WALE 


—  Séance  du  16  septembre  i892  — 

L'histoire  des  filaires  parasites  des  animaux  et  de  l'homme  n'est  pas 
encore  entièrement  faite.  Le  mâle  reste  inconnu  chez  la  plupart  des  espèces 
décrites  (1),  et,  lorsqu'il  a  été  découvert,  on  n'a  pu  se  rendre  un  compte 
exact  du  lieu  où  se  fait  l'accouplement.  Le  cycle  biologique,  établi  par 
Manson  pour  la  filaire  du  sang  de  l'homme  et  par  Fedchenko  pour  la  fi- 
laire  de  Médine,  doit  être  recherché  pour  les  autres  filaires.  Bien  des  points 
méritent  également  d'être  élucidés  relativement  à  l'habitat  et  aux  condi- 
tions d'existence.  Pénétrés  de  cette  pensée  que  les  mœurs  de  ces  néma- 
todes  ne  varient  sans  doute  pas  beaucoup  d'une  espèce  à  l'autre,  nous 
avons  abordé  l'étude  de  la  filariose  de  la  grenouille  avec  l'espoir  d'en 
dégager  quelques  interprétations  d'une  portée  générale  pour  les  parasites 
de  ce  groupe.  Nous  avons  l'honneur  de  communiquer  le  résultat  de  nos 
premières  recherches  au  Congrès  de  l'Association  française  pour  l'avan- 
cement des  sciences. 

Historique.  —  Les  embryons  de  la  filaire  du  sang  des  grenouilles  ont  élé  vus, 
comme  les  embryons  de  la  filaire  du  sang  de  l'homme,  avant  le  parasite  adulte. 
Ils  ont  élé  découverts,  en  1841^  par  Valentin  qui  les  rencontra  dans  les  vais- 
seaux de  la  membrane  interdigitale  de  la  grenouille  commune  (Rana  esculenta)  (1). 

D'après  cet  auteur,  les  parasites  entraînés  à  une  certaine  distance  par  le 
torrent  circulatoire,  finissent  par  s'arrêter  instinctivement  dans  les  organes  qui 
leur  conviennent  le  mieux  pour  y  établir  leur  domicile  et  de  préférence  dans 
le  tube  digestif  (anguiUula  intestinalis)  ;  ils  y  pénètrent  à  travers  la  paroi  des 
vaisseaux.  Leur  bouche  serait  munie,  en  effet,  d'organes  propres  à  effectuer 
cette  pénétration  ;  celle-ci  serait  en  outre  favorisée  par  la  forme  et  l'élasticité 
de  ces  animaux  ;  d'autre  part,  la  fragilité  des  parois  vasculaires  aiderait  au 
passage. 

Ces  données  de  Valentin  sont  purement  hypothétiques.  L'auteur  attribue  bien 

(I)  MM.  Railliet  et  Moussu  viennent  de  découvrir  le  mâle  dans  un  cas  de  filariose  de  l'àne.  (Société 
de  Biologie.  Séance  du  18  juin  i892.) 


DE  NABIAS  ET  SABRAZÈS.   —  LA  FILAIRE  DU   SANG  DES  GRENOUILLES       489 

à   tort    lin   appareil   buccal   perforateur   à  des   embryons  dont  la  structure, 
comme  nous  le  verrons,  est  des  plus  rudimenlaires. 

A  la  même  époque,  Cari  Vogt  (1).  examinant  au  microscope  la  membrane 
nictitaute  d'une  grenouille  qui  venait  d'être  tuée,  observe,  avec  étonnement 
dans  les  vaisseaux  de  cette  membrane  encore  remplie  de  sang,  puis  dans 
tout  le  système  circulatoire,  de  petits  vers  animés  de  mouvements  rapides. 
Plus  tard,  il  retrouve  des  vers  semblables  dans  le  sang  de  plusieurs  grenouilles. 
Vogt  admet  que  ces  embryons  de  filaire  circulent  dans  l'organisme  pendant  un 
certain  temps;  ils  s'arrêtent  finalement  dans  les  viscères,  s'y  enkystent, 
achèvent  leur  développement  et  arrivent  à  maturité  sexuelle.  Ils  tombent  alors 
dans  la  cavité  abdominale  et  donnent  naissance  à  des  embryons  qui  passent 
dans  les  gros  vaisseaux  pour  recommencer  le  même  cycle. 

Cette  évolution  ne  concorde  guère  avec  ce  que  l'on  sait  de  la  migration  des 
helminthes  de  cet  ordre,  chez  lesquels  l'embryon  passe  par  un  hôte  intermé- 
diaire avant  de  prendre  la  forme  adulte  chez  l'hôte  définitif.  Elle  a  déjà  été 
contestée  par  Chaussât,  dès  1850,  dans  sa  thèse  sur  les  Hématozoaires.  D'un 
autre  côté,  les  kystes  vermineux  de  Cari  Vogt  contenant  des  filaires  semblables 
à  celles  du  sang,  n'ont  pas  été  revus  par  Vulpian  qui  étudia  la  filaire  de  la 
grenouille  en  1854  (2).  Nos  recherches  dans  ce  sens  ont  été  également  infruc- 
tueuses; nous  n'avons  rencontré  que  des  kystes  sanguins  à  psorospermies 
appendus  aux  parois  de  l'intestin. 

Les  observations  de  Vulpian  nous  ont  appris  que  chez  les  grenouilles  dont  le 
sang  renferme  des  hématozoaires  filiformes  ou  anguUlules,  il  existe  toujours  dans 
la  cavité  générale,  au  milieu  des  gros  vaisseaux  de  la  base  du  cœur,  des  filaires 
femelles  adultes,  enroulées  sur  elles-mêmes,  contenant  un  nombre  incalculable 
d'embryons  vivants  semblables  aux  jeunes  nématodes  en  circulation  dans  le 
sang. 

Telle  est,  croyons-nous,  l'histoire  actuelle  de  la  filaire  du  sang  de  la 
grenouille.  Nous  pouvons  montrer  aujourd'hui,  non  seulement  la  femelle 
adulte  et  les  embryons,  mais  encore  le  mâle  que  nous  avons  découvert. 

Fréquence.  —  C'est  du  mois  de  juin  dernier  que  datent  nos  recherches. 
Sur  cent  grenouilles  communes  apportées  au  Laboratoire,  nous  n'en 
avons  pas  trouvé  une  seule  qui  fût  dépourvue  de  filaires.  Quelques  gre- 
nouilles rousses  (Rana  Temporaria)  qui  avaient  été  prises  dans  le  même 
étang  que  les  précédentes,  ne  faisaient  pas  exception  à  la  règle.  Vulpian 
avait  examiné  au  point  de  vue  de  la  filariose  quarante-deux  grenouilles 
communes  et  il  avait  rencontré  ces  parasites  sur  huit  d'entre  elles.  Cette 
filaire  semble  donc  être  très  fréquente. 

Habitat.  —  Vulpian  pensait  que  l'habitat  de  la  filaire  adulte  était  la 
région  des  gros  vaisseaux  au  voisinage  du  cœur  ;  il  l'avait  trouvée  une 
fois  seulement  dans  les  muscles  sous-hyoïdicns.  Après  avoir  minutieu- 
sement disséqué  plus  de  cent  grenouilles,  nous  pouvons  dire  que  le  véri- 
table   habitat    de   ces   animalcules  est  le  tissu  conjonctif  sous-cutané  et 

(l)Carl  Vogt,  Miiller's  Ai-chiv,  n"' 2  ('t  3.  p,  189.  18 '.2.  ^    „    c.       n-  i    ,ilk' 

(2)  VULPIAN,  Noie  sur  les  hëmatozoain'S  liliformes  de  la  grenouille  commune.  (C.  H.  Soc.  moi.  ics., 

p.  23.) 


490  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

intermusculaire,  principalement  de  la  région  sous-hyoïdienne  et  des 
cuisses.  Chez  une  grenouille  qui  présente  des  embryons  dans  le  sang,  il 
suffît  d'inciser  la  peau  et  de  regarder  attentivement  la  région  hyoïdienne 
mise  à  découvert  ;  on  y  voit  souvent  par  transparence,  dans  le  tissu  con- 
jonctif  et  à  la  surface  des  muscles,  de  petits  paquets  de  vers  blanchâtres 
ressemblant  à  un  gros  fil  blanc  enroulé  ;  ce  sont  des  filaires  adultes. 
Dès  qu'on  les  touche,  elles  se  meuvent  et  se  déplacent.  Si  ce  premier  exa- 
men était  infructueux,  il  suffirait  d'écarter  les  faisceaux  musculaires,  et, 
dans  leurs  interstices,  on  aurait  de  grandes  chances  de  les  trouver  encore. 
—  Pareille  recherche  doit  être  faite  au  niveau  des  cuisses  en  séparant  les 
divers  muscles  principalement  près  des  gros  vaisseaux. 

Dans  les  cas  les  plus  favorables,  il  nous  a  été  facile  de  retirer  d'une 
même  grenouille  jusqu'à  six  et  huit  filaires  (1).  Généralement  ce  sont  des 
femelles,  mais  parfois  on  trouve  un  mâle  à  côté  d'elles  ;  il  se  distingue 
immédiatement  par  sa  minceur,  sa  petite  taille  et  l'enroulement  en  spi- 
rale de  son  extrémité  postérieure. 

Lieu  de  l'accouplement.  — Plusieurs  fois  nous  avons  vu  le  mâle  adhérer 
à  la  femelle  dans  l'attitude  de  la  copulation.  La  fécondation,  saisie  en 
quelque  sorte  sur  le  vif,  se  produit  dans  le  tissu  conjonctif  de  l'hôte  et 
il  doit  en  être  vraisemblablement  ainsi  pour  toutes  les  filaires.  Le  tissu 
conjonctif  paraît  être  une  étape  de  prédilection  pour  ces  parasites  (2).  Ils 
peuvent  envahir  secondairement  les  appareils  circulatoire  ou  lympha- 
tique. 

Une  filaire  trouvée  par  nous  dans  un  vaisseau  des  organes  génito-uri- 
naires  avait,  selon  toute  vraisemblance,  habité,  comme  ses  semblables, 
antérieurement  à  sa  migration,  le  tissu  conjonctif  intermusculaire  ou 
sous-cutané. 

Pénétration  des  embryons  dans  le  sang.  —  Tant  que  les  filaires  adultes 
ne  sont  pas  contenues  dans  les  systèmes  sanguin  ou  lymphatique,  on 
ne  sait  par  quel  mécanisme  les  embryons  pénétrent  dans  le  sang.  N'y 
sont-ils  pas  déversés  k  la  faveur  d'effractions  vasculaires  minimes  pro- 
duites par  les  filaires  adultes  qui  se  nourrissent  de  sang,  ainsi  qu'en 
témoigne  l'examen  de  leur  tube  digestif  bourré  de  globules?  Les  em- 
bryons profiteraient  d'autant  plus  facilement  de  ces  solutions  de  conti- 
nuité dans  la  paroi  des  capillaires  que  leur  orifice  de    sortie,  la  vulve, 

(1)  Lewis  et  Manson  ont  cherché  à  guérir  le  scrotum  éléphantiasique  en  détruisant  sur  place  la 
filaire  adulte.  Si  le  nombre  des  filaires  chez  l'homme  est  plus  considérable  qu'on  ne  pense,  il  ne 
sera  pas  toujours  facile  de  lutter  par  ce  moyen  contre  l'infection  filarienne. 

(a)  Nous  sommes  tenté  de  faire  un  rapprochement  entre  la  filaire  du  sang  de  la  grenouille  et  la 
filaire  de  Médine.  Le  mâle  de  cette  dernière  est  encore  inconnu,  et  l'on  se  demande  même  si  l'ac- 
couplement se  fait  dans  le  monde  extérieur,  dans  le  corps  du  cyclope  qui  sert  d'hôte  intermédiaire 
aux  embryons  ou  dans  le  tube  digestif  de  l'homme.  Nous  ne  serions  pas  étonnés  qu'on  trouvât  un 
jour  le  mâle  de  cette  filaire  dans  le  tissu  conjonctif  sous-cutané  ou  intermusculaire  et  que  ce  fiit 
là  le  véritable  lieu  de  l'accouplement.  Les  recherches  récentes  de  MM.  Railliet  et  Moussu  sur  la 
(ilaire  hémorragique  du  cheval  et  de  l'âne  viennent  encore  à  l'appui  de  ces  idées. 


DE  NABIAS  ET  SABRAZÈS.  —  LA  FILAIRE  DU  SANG  DKS  GRENOUILLES        491 

est  au  voisinage  immédiat  de  la  bouche  et  de  l'appareil  perforateur  dont 
celle-ci  est  armée  (fig.  /).  C'est  là  un  fait  intéressant  qui  demande  à  être 
vérifié,  mais  qui  paraît  dans  tous  les  cas  extrêmement  vrai- 
semblable. 

Voici  maintenant  une  diagnose  sommaire  de  la  femelle,  du 
mâle  et  des  embryons  de  la  filaire  des  grenouilles. 

Femelle.  —  Les  dimensions  des  femelles  sont  variables  ;  leur 
longueur  oscille  entre  vingl-cinq  et  trente  et  un  millimètres. 
Elles  ont  moins  d'un  millimètre  d'épaisseur.  Leur  corps  est 
blanchâtre,  cylindrique,  s'effilant  à  peine  aux  deux  bouts. 
L'extrémité  céphalique  représente  un  cône  au  sommet  duquel  s'ouvre 
la  bouche  par  un  petit  orifice  circulaire.  Au  voisinage  de  celui-ci,  on 
voit  quatre  saillies  chitineuses,  réfringentes,  qui  affectent  la  forme  dé 
dents  minuscules  acérées  à  l'extrémité  libre  comme  des  épines  de  rosier; 
elles  mesurent  8  jx  de  largeur  à  leur  base  et  12  <j.  en  longueur;  elles 
émergent  de  8  ;j.  environ  au-dessus  de  la  cuticule  (fig.  ■/).  L'extrémité 
postérieure,  atténuée  en  pointe  mousse,  présente  sur  la  face  ventrale 
l'orifice  anal.  L'organisation  générale  de  cet  helminthe  est  semblable  à 
celle  des  autres  filaires.  La  cuticule  n'est  pas  striée  transversalement. 
Dans  les  préparations  à  la  glycérine,  on  observe  facilement  une  striation 
longitudinale  manifeste  et  très  régulière  ;  les  stries  sont  séparées  par 
des  intervalles  de  12  ;j..  Sur  des  coupes  transversales,  on  ne  distingue  ni 
ligne  médio-dorsale,  ni  ligne  médio-ventrale,  ni  champs  latéraux  ;  les 
fibres  musculaires,  très  courtes  et  du  type  cœlomiaire,  forment  une 
couche  continue.  La  cavité  du  corps  est  remplie  par  le  tube  digestif  et 
les  organes  génitaux . 

Tube  digestif.  —  A  la  bouche  fait  suite  un  œsophage  assez  court, 
entouré,  vers  le  tiers  postérieur,  par  l'anneau  nerveux.  Cet  œsophage, 
cylindrique,  à  paroi  musculaire  épaisse,  débouche  dans  un  intestin  im- 
médiatement très  large,  à  parois  minces  et  tranchant  par  sa  coloration 
jaune  sur  le  système  génital  qui  l'entoure.  Il  parcourt  la  longueur  du  corps 
sans  décrire  de  sinuosités.  A  quelque  distance  de  l'extrémité  caudale,  il 
se  termine  par  un  court  rectum  sur  la  face  ventrale. 

L'immersion  dans  l'eau  facilite  l'observation  du  tube  digestif  qui  appa- 
raît alors  très  nettement  avec  une  coloration  foncée;  à  l'état  normal,  il 
est  rempli  de  globules  sanguins. 

Système  génital .  —  La  femelle  possède  deux  ovaires  qui  se  replient 
un  grand  nombre  de  fois  autour  du  tube  digestif  et  se  dilatent  en  deux 
oviductes  et  utérus  qui  se  réunissent  en  un  canal  commun  pour  former 
le  vagin.  Celui-ci,  très  étroit,  est  long  de  432  ;x  environ;  il  aboutit  à 
la  vulve,  orifice  saillant  placé  au  voisinage  immédiat  de  la  bouche  (800  f*). 
Les  tubes  génitaux  sont  remplis  d'œufs  et  d'embryons  à  tous  les  stades 


492  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

de  leur  développement;  les  plus  développés  ressemblent  à  ceux  qui  cir- 
culent dans  le  sang. 

Mâle.  —  Le  mâle,  plus  petit  et  plus  grêle  que  la  femelle,  mesure  huit 
à  neuf  millimètres  de  longueur  sur  moins  d'un  quart  de  millimètre  d'é- 
paisseur. Il  est  cylindrique,  d'aspect  blanchâtre,  enroulé  en  spirale  à  sa 
partie  postérieure.  Les  téguments,  l'appareil  buccal,  le  tube 
digestif,  ne  se  différencient  pas  de  ceux  de  la  femelle. 

Le  système  génital  se  compose  d'un  tube  testiculaire  en- 
roulé autour  de  l'appareil  digestif  et  rempli  de  spermatozoïdes 
du  même  type  que  ceux  de  ï Ascaris  megalocephala.  Ce  tube 
débouche  dans  une  vésicule   séminale   qui    longe   l'intestin 
terminal  et  aboutit,  comme  ce  dernier,  au  cloaque  dans  le- 
quel   font  saillie  deux  spicules.  Ceux-ci  ont  des  dimensions 
inégales;  le  plus  long  aSOOjji.;  le  plus  petit  460  [j.;  sur  quelques  prépa- 
rations, ils  pointent  à  l'extérieur  (fig.  2).  Autour  de  lorifice  cloacal  sont 
disposées  des  papilles  qu'il  nous  a  été  impossible  de  compter. 

Vitalité.  —  Extraite  de  la  grenouille,  la  filaire  adulte  ne  tarde  pas  à 
succomber  si  on  la  place  à  l'air  libre.  Nous  avons  essayé  de  la  faire  vivre 
dans  une  solution  composée  de  1  0/0  de  chlorure  de  sodium  et  de  1  0/0 
de  carbonate  de  soude,  milieu  favorable  à  certains  nématodes.  Les  hlaires 
sont  d'abord  très  mobiles  et  très  vivaces  en  apparence  dans  ce  liquide  ; 
mais,  au  bout  d'une  demi-heure,  leur  vitalité  s'épuise  et  elles  ne  tardent 
pas  à  périr.  En  revanche,  nous  avons  pu  en  observer  qui  étaient  encore 
vivantes  à  l'ouverture  de  grenouilles  mortes  depuis  vingt-quatre  heures. 
Embryons.  —  Quand  on  les  étudie  dans  le  sang,  les  embryons  sont 
de  petits  vers  agiles,  blanchâtres,  analogues  aux  embryons  de  la  filaire 
du  sang  de  l'homme,  mais  un  peu  moins  longs  et  relativement  plus 
épais.  On  peut  les  conserver  vivants,  en  goutte  de  sang  suspendue,  [)en- 
dant  plus  de  cinq  jours.  Ils  se  placent  parfois  à  côté  les  uns  des  autres 
et  restent  ainsi  dans  l'immobilité  pendant  quelques  minutes.  Puis,  les 
mouvements  reparaissent  petit  à  petit,  s'accentuent  progressivement  et 
les  embryons  se  séparent.  Quand  ils  sont  dans  ce  stade  de  repos,  on  voit 
facilement  que  leur  corps  présente  une  gaine  cuticulaire  qui  peut  se  plisser 
et  s'efFiler,  surtout  dans  la  région  céphalique,  tandis  que  la  masse  centrale 
offre  un  aspect  uniformément  granulé.  Diverses  expériences  nous  ont 
permis  de  nous  assurer  que  ces  embryons  ne  résistent  pas  à  la  dessiccation. 
Pour  mettre  en  évidence  leur  structure,  il  est  indispensable  de  les 
colorer.  La  méthode  que  nous  recommandons  nous  a  déjà  permis  d'étu- 
dier les  embryons  de  la  filaire  du  sang  de  l'homme  (1).  Nous  l'avons 
exposée  dans  un  précédent  travail,  aussi  la  résumons-nous  en  quelques 

(1)  De  Nabias  et  Sabrazès,    Sur  les  Embryons  de  la   filaire  du  sauf/  chez  l'homme.   (Soc  de  BioL, 
21  mai  1892.) 


FiG.  3. 


DK  NABIAS  ET  SABRAZES.  —  LA  PILAIRE  DU  SANG  DES  GRENOUILLES        493 

mots  ;  les  lamelles  enduites  de  sang  riches  en  embryons  sont  fixées  par 
les  vapeurs  d'acide  osniique,  traitées  par  le  carmin  borate  de  Gibbos  et 
l'alcool  chlorhydrique,  lavées  à  grande  eau  et  colorées  par  une  solution 
aqueuse  de  bleu  de  méthylène.  On  monte  dans  le  baume.  Les  embryons 
sont,  par  cette  méthode,  vivement  colorés  en  bleu,  tandis  que  la  cuticule 
qui  forme  l'étui  transparent  sur  le  vivant  présente  des  reflets  roses.  A 
l'examen  microscopique,  on  remarque  que  ces  embryons,  dont  la  lon- 
gueur est  de  70  <x  et  l'épaisseur  maxima  de 
4  p.,  ne  présentent  pas  de  trace  de  tube  digestif, 
ni  d'appareil  perforateur,  comme  l'admettait  Va- 
lentin.  ni  de  système  reproducteur:  il  n'existe  '^^\^3^f^rf','.^f 
encore  aucune  différenciation.  Ils  sont  constitués  '^  ®^^(s^l3*\®  'Sa, 
par  des  amas  denses  et  régulièrement  étages  de  ®    ®^  ^^  fS^^^ 

très  petites   cellules  à  noyau  bien  coloré  par  le 
bleu    de  méthylène,  formant  ain.-ii    un    boudin 
cylindrique  dans  les  légions  médiane  et  antérieure  et  s'effîlant  progressi- 
vement vers  l'extrémité  caudale  (fig.  3). 

En  résumé,  les  grenouilles  sont  fréquemment  infectées  de  fîlariose.  On 
trouve  des  filaires  adultes,  qui  peuvent  être  au  nombre  de  six  à  huit 
chez  un  même  hôte,  dans  le  tissu  conjonctif  sous-cutané  et  intermus- 
culaire, plus  rarement  dans  les  vaisseaux.  Leur  appareil  buccal  est  armé 
de  quatre  saillies  chitineuses  très  acérées,  qui  permettent  sans  doute  aux 
filaires  de  faire  des  solutions  de  continuité  dans  la  paroi  des  vaisseaux 
pour  y  puiser  le  sang  dont  elles  se  nourrissent.  En  outre,  les  solutions  de 
continuité  pourraient  favoriser  peut-être  le  passage  direct  des  embryons 
dans  l'appareil  circulatoire.  Les  mâles,  jusqu'à  présent  inconnus,  sont 
moins  nombreux  et  plus  petits  que  les  femelles;  ils  ont  pour  habitat  de 
prédilection,  comme  ces  dernières,  le  tissu  conjonctif  où  se  fait  l'accou- 
plement. Les  embryons  qui  sont  en  circulation  dans  le  sang  ont  une 
structure  des  plus  rudimentaires  comme  le  montrent  les  colorations  au 
bleu  de  méthylène.  Ils  peuvent  vivre  dans  le  sang,  en  goutte  suspendue, 
pendant  cinq  à  six  jours,  mais  ils  ne  résistent  pas  à  la  dessiccation. 

Disons  enfin,  en  terminant,  que  selon  toute  probabilité,  les  embryons 
passent  par  un  hôte  intermédiaire;  nous  pensons  qu'il  faudra  chercher 
cet  hôte  parmi  les  animaux  qui  vivent  dans  les  mares  aux  grenouilles  : 
les  investigations  que  nous  avons  faites  dans  ce  sens  ne  nous  ont  pas 
encore  donné  de  résultats. 


494  ZOOLOGIE,  ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 


M.  aeorges  EOCHÉ 

à  Paris. 


SUR   LA  DÉCRUDESCENCE  DES  RENDEMENTS  DE  LA  GRANDE  PÊCHE  DU  «  POISSON 
FRAIS  »  AU  LARGE  DE  NOS  COTES  DU  SUD-OUEST 


—  Séance  du  16  septembre  i892  — 

A  la  suite  des  désastres  successifs  éprouvés  par  la  population  côtière  du 
golfe  de  Gascogne,  en  raison  des  irrégularités  d'arrivages  de  Ja  sardine, 
la  pêche  du  poisson  frais  a  acquis  une  importance  toujours  grandissante 
que  justifie  aussi  simplement  le  facile  écoulement  de  ses  produits. 

Les  armements  à  la  pêche  au  grand  chalut  se  sont  donc  multipliés 
dans  les  différents  ports  de  notre  littoral  ;  depuis  quelques  années  même, 
leur  valeur  s'est  singulièrement  accrue.  Par  le  nombre  des  bâtiments 
qu'elle  emploie,  le  capital  qu'elle  fait  fructifier,  la  population  maritime 
qu'elle  fait  vivre,  cette  branche  de  nos  pêcheries  nationales  constitue 
une  considérable  industrie. 


I 


Mais  voici  que,  avec  insistance,  les  chalutiers  se  plaignent  de  l'appau- 
vrissement zoologique  des  fonds  sur  lesquels  ils  traînent  leurs  engins. 
Déjà,  il  leur  faut  renoncer  à  travailler  à  de  faibles  profondeurs  et  gagner 
le  large.  Leur  métier  devient  ainsi  plus  dangereux  encore  que  par  le 
passé  et  moins  rémunérateur  aussi,  en  raison  des  pertes  de  temps  qu'occa- 
sionnent les  allées  et  venues  des  lieux  de  pêche  aux  ports  de  ventes, 
les  difficultés  plus  grandes  du  travail  en  haute  mer  et  la  richesse  compa- 
rativement moins  considérable  des  fonds  du  large  par  rapport  à  ceux  de 
la  côte. 

On  a  proposé  divers  moyens  pour  pallier  ce  fâcheux  état  de  choses, 
en  se  basant  sur  les  réclamations  formulées  par  les  pêcheurs.  Mais 
à  quelles  causes  attribuer  cet  appauvrissement  de  nos  eaux  marines? 
—  Dans  la  Manche,  comme  dans  le  golfe  de  Gascogne,  les  chalutiers 
affirment  que  les  frayères  du  littoral  sont  dévastées  par  les  pêcheurs  de 


G.  ROCHE.  —  DÉCRUDESCENCE  DU  RENDEMENT  DE  LA  GRANDE  l'ÈCHE        49o 

crevettes  dont  les  engins  sonl  promenés  dans  les  estuaires  et  les  baies 
côtières  où  les  poissons  de  fonds  viennent  se  reproduire  et  passer  les 
premiers  stades  de  leur  développement.  Ils  disent  aussi  que  l'extension 
de  la  pèche  au  grand  chalut  qui  bouleverse  les  fonds  marins  ne  saurait 
subsister  longtemps  faute  des  éléments  nécessaires  à  son  exercice.  A  bref 
délai,  croient-ils,  les  eaux  marines  seront  stérilisées. 

On  a  pensé,  d'autre  part,  à  une  modification  des  conditions  physiques, 
chimiques  et  dynamiques  du  milieu  océanique.  Mais,  à  la  vérité,  bien 
que,  d'une  façon  certaine,  la  biologie  des  poissons  comestibles  —  et  con- 
séquemment  leur  pèche  —  soit  liée  intimement  aux  influences  cosmiques 
du  milieu  où  ils  vivent  et  dont  ils  vivent,  nos  connaissances  spéciales  sont 
sur  ce  point  si  obscures  que  nous  ne  pouvons  qu'émettre  des  conjec- 
tures en  pareille  matière. 

C'est,  en  somme,  une  étude  entière  à  entreprendre  que  d'établir  les 
relations  des  poissons  comestibles  avec  le  milieu  ambiant,  problème  dont 
presque  tous  les  termes  nous  manquent,  puisque  nous  ne  connaissons 
d'une  façon  précise  ni  les  courants  superficiels  ou  profonds,  ni  les  degrés 
de  salure,  ni  la  distribution  des  températures  dans  la  masse  des  eaux 
qui  recouvrent  notre  plateau  continental,  et  que  nous  ne  savons  pas 
non  plus  exactement  les  espèces  zoologiques  que  pâturent  plus  spécialement 
les  poissons  comestibles,  et  dont  la  distribution  sur  les  fonds  océaniques 
règle  celle  de  ces  poissons  eux-mêmes. 

Notre  ignorance  est  presque  aussi  grande  en  ce  qui  touche  les  migrations 
périodiques  ou  irrégulières  de  ceux-ci,  du  moins  en  ce  qui  concerne  les 
causes  de  ces  montées  ou  de  ces  migrations. 

Or,  il  arrive  que  si,  d'une  part,  en  raison  de  l'intérêt  économique  pré- 
senté par  la  pêche  du  poisson  frais,  on  est  porté  à  encourager  les  per- 
fectionnements apportés  à  cette  industrie,  sa  réglementation,  d'autre  part, 
n'est  pas  édifiable  scientifiquement  aujourd'hui.  On  se  trouve  ainsi  amené 
à  laisser  pratiquer  la  pêche  au  chalut  suivant  les  coutumes  et  les  intérêts 
immédiats  de  la  population  maritime  de  nos  divers  quartiers  :  interdisant 
en  une  région  ce  qui  est  permis  dans  la  région  voisine,  tolérant  ici 
ce  qui  ne  l'est  pas  là,  suivant  que  les  pêcheurs  du  quartier  se  livrent 
plus  spécialement  à  la  récolte  de  la  crevette,  ou  à  celle  de  la  sardine,  ou 
à  celle  du  poisson  frais. 

Pour  se  rendre  compte  aussi  de  la  valeur  exacte  des  réclamations  for- 
mulées par  les  chalutiers,  il  est  d'abord  nécessaire  de  savoir  les  condi- 
tions précises  de  leur  travail  coutumier,  les  engins  qu'ils  emploient,  les 
régions  qu'ils  exploitent,  les  animaux  qu'ils  recueillent  et  les  conditions 
économiques  ou  industrielles  de  leur  métier.  Il  faut  aussi  recourir  aux 
statistiques  des  rendements  de  la  pêche  au  grand  chalut,  de  façon  à  juger 
des  quantités  relatives  de  poissons  capturés  depuis  nombre  d'années,  et  à 


496  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

voir  dans  quelle  proportion  ces  rendements  variables  infirment  ou  confir- 
ment les  assertions  des  pêcheurs.  —  Or,  cette  dernière  documentation 
est  assez  difficile  à  bien  conduire  et  ne  peut  guère  se  baser  sur  les  sta- 
tistiques officielles. 

Cependant  le  tableau  des  rendements  mensuels,  semestriels  ou  annuels 
de  la  pêche  au  chalut,  à  défaut  de  renseignements  scientifiques  plus  précis, 
peut  nous  fournir  de  bien  utiles  indications  sur  le  régime  de  beaucoup 
d'espèces  comestibles.  Au  point  de  vue  de  l'histoire  naturelle  de  ces 
êtres,  comme  au  point  de  vue  de  leur  intérêt  économique,  nous  pouvons 
obtenir  de  précieux  documents  et  tirer  d'utiles  pronostics  de  l'examen  des 
quantités  relatives  qu'on  en  a  capturées  durant  une  assez  longue  période 
de  temps. 

Au  cours  d'une  récente  mission,  j'ai  consacré  tous  mes  efforts  à  étudier 
sérieusement  les  conditions  modernes  du  chalutage  sur  nos  côtes  de 
l'ouest;  et  j'ai  résumé  toutes  les  connaissances  pratiques  et  théoriques 
que  j'ai  pu  acquérir  sur  cette  industrie,  aussi  bien  dans  cette  mission 
même  que  dans  une  précédente,  en  un  mémoire  intitulé  :  Etude  géné- 
rale sur  la  pêche  au  grand  chalut  dans  le  golfe  de  Gascogne  (1). 

Je  veux  maintenant  développer  plus  spécialement,  ici,  un  point  de  ce 
travail  et  envisager  la  question  de  l'appauvrissement  de  nos  sols  de 
pêche,  en  me  basant  sur  les  documents  personnels  que  j'ai  recueillis  et 
que  j'ai  soumis  à  un  contrôle  sérieux,  ayant  acquis  quelque  peu  l'expé- 
rience de  la  pêche  en  partageant  la  vie  des  pêcheurs,  aux  diverses 
époques  de  l'année. 

II 

Il  est  diflicile,  cependant,  de  se  procurer  les  éléments  dun  pareil 
travail. 

Les  pêcheurs  de  notre  côte  n'inscrivent  pas,  après  chaque  sortie,  le  nombre 
exact  des  animaux  d'espèces  différentes  qu'ils  ont  capturés.  Sur  leurs 
livres  ils  relèvent  seulement  la  valeur  du  produit  de  leur  travail;  mais 
celte  valeur  ne  signifie  rien  au  point  de  vue  spécial  d'une  statistique  de 
rendements,  puisque  son  montant  (pour  une  même  quantité  de  poisson; 
est  variable  suivant  le  port  de  vente,  l'époque  de  l'année,  les  jours  de  la 
semaine.  (C'est  ainsi,  par  exemple,  que  dans  les  poissonneries  du  littoral, 
le  prix  d'une  pêche  peut  varier  du  simple  au  double  et  même  au  triple 
suivant  que  cette  vente  a  lieu  le  vendredi  ou  le  mercredi.) 

Il  est  donc  impossible  en  tout  état  de  cause,  de  se  servir,  de  la  valeur 
marchande  des  poissons  capturés  pour  dresser  un  tableau  de  leur  pro- 

(1)  Pari?,  1892.  Masson,  l'dileur.  Annales  des  Sciences  naturelles,  t.  XV,  p.  i  à  85. 


G.  ROCIIÉ.   —  DÉCRUDESCENCE  DU  RENDEMENT  DE  LA  GUAiNDE  PÈCHE       497 

diiclion.  Aux  mois  de  mars  et  avril  dernier,  dans  les  difFérents  ports 
d'armements  pour  la  pèche  au  grand  chalut  que  j'ai  visités,  il  m'a  été 
à  peu  près  impossible  de  recueillir  d'utiles  renseignements  à  ce  sujet. 
Cependant,  M.  Johnston,  l'éminent  directeur  de  la  Société  des  Pêcheries 
de  l'Océan  (à  Arcachon),  m'ayant  autorisé  à  consulter,  avec  l'aide  bien- 
veillante de  M.  Delon,  administrateur  de  la  Société,  les  registres  qu'elle 
fait  tenir  au  courant,  depuis  vingt-cinq  années  bientôt,  j'ai  pu  faire  un 
relevé  précis  du  rendement  de  cette  Compagnie,  depuis  1868.  On  peut, 
je  crois,  considérer  le  tableau  que  j'ai  dressé  comme  reproduisant  fidèle- 
ment la  production  des  eaux  marines  au  large  de  nos  côtes  du  sud-ouest. 

Le  chalutage  à  vapeur,  en  effet,  tel  qu'il  est  pratiqué  par  les  navires 
arcachonnais,  s'exerce  sur  une  considérable  étendue  au  large  de  nos  côtes 
landaises  et  girondines  ;  son  travail  est,  en  somme,  régulier  et,  de  plus, 
il  ne  s'exerce  jamais  en  deçà  de  quarante  brasses  de  profondeur. 

Or,  la  Société  des  Pêcheries  de  l'Océan  relève  jour  par  jour  le  nombre 
des  animaux  capturés  par  ses  vapeurs .  En  divisant  le  nombre  des  pois- 
sons, d'une  espèce  déterminée,  péchés  annuellement  par  le  chiffre  des 
jours  de  travail,  on  obtient  la  quantité  moyenne  des  animaux  de  cette 
espèce  recueillis  par  périodes  de  vingt-quatre  heures  durant  cette  année. 

Cette  opération,  répétée  pour  les  espèces  les  plus  importantes  et  pour 
toutes  les  années  comprises  entre  1868  et  1891,  nous  permet  de  dessiner 
un  diagramme  où  les  temps  (les  années)  seront  portés  sur  l'axe  des 
abscisses  et  les  quantités  proportionnelles  sur  les  ordonnées. 

Malgré  tout,  cette  représentation  graphique  est  soumise  à  quelques 
causes  d'erreurs.  C'est  ainsi  que  le  poisson  peut  être  abondant  sans  que 
les  engins  le  puissent  capturer  (en  raison  du  gros  temps  ou  de  toute  autre 
cause  du  même  ordre),.  Il  se  peut  faire  aussi,  surtout  en  ce  qui  concerne 
les  poissons  migrateurs,  que  leurs  bancs,  bien  que  nombreux  et  serrés 
dans  le  golfe  de  Gascogne,  ne  soient  cependant  pas  découverts  par  les 
chalutiers.  Ce  sont  là  cependant  des  hypothèses  qui  perdent  beaucoup  de 
leur  valeur  lorsque,  au  lieu  de  dresser  le  tableau  de  la  production  pour 
une  faible  période  de  temps,  on  l'établit  pour  près  d'un  quart  de  siècle, 

Dans  cette  représentation  des  variations  du  rendement  de  la  pêche  au 
grand  chalut,  il  serait  intéressant,  toutefois,  de  pouvoir  expliquer  les  irré- 
gularités des  productions  annuelles  proportionnelles.  Pour  ce  faire,  il 
se  faudrait  livrer  évidemment  à  une  analyse  approfondie  des  pêches 
mensuelles,  journalières  même,  en  consultant,  concurremment,  les  rensei- 
gnements météorologiques  fournis  par  les  registres  des  sémaphores.  Bien 
que  ce  doive  être  là  un  travail  fort  pénible  et  bien  peu  attrayant  tout 
d'abord,  je  crois  qu'il  nous  pourrait  fournir  d'utiles  indications  sur  les 
pêches  des  années  écoulées  et,  partant,  de  précieux  pronostics  poui'  celles 
de  l'avenir. 

32* 


498  '  ZOOLOGIE,    AiNATOWlE,    PHYSIOLOGIE 

En  somme,  les  cinq  vapeurs  de  la  Société  des  Pêcheries  de  l'Océan 
travaillant  environ  250  jours  par  année  (exception  faite  des  relâches  et  des 
périodes  de  réparation),  durant  vingt  heures,  avec  une  vitesse  moyenne  de 
deux  nœuds  et  demi  à  l'heure,  chalutent  annuellement  sur  une  surface 
de  140.000  hectares.  Ils  font  ainsi  à  peu  près  le  même  travail  que  vingt 
chalutiers  à  voiles  de  Groix  ou  des  Sables-d'Olonne  qui  ne  pratiquent 
la  même  pèche  que  durant  l'hiver  et  dont  les  irrégularités  de  production 
et  les  difficultés  de  manœuvres  sont  beaucoup  plus  grandes. 

Voyons  maintenant  quels  sont  les  résultats  que  nous  fournit  l'examen 
des  graphiques  tracés  d'après  les  rendements  proportionnels  des  vapeurs 
arcachonnais . 

Ces  graphiques  dressés  pour  des  poissons  sédentaires,  tels  que  la  Sole, 
la  Barbue,  le  Turbot,  les  Trigles,  les  Rajides,  etc.,  ou  pour  des  migrateurs 
comme  le  Merlu,  le  Surmulet,  nous  parlent  dans  des  sens  différents,  sui- 
vant qu'il  s'agit  de  l'une  ou  de  l'autre  de  ces  espèces  comestibles. 


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Le  fait  qui  nous  frappe  tout  d'abord,  en  examinant  ces  graphiques,  est 
la  diminution  très  nette  du  chiffre  des  poissons  capturés  appartenant  à 
des  espèces  sédentaires. 

Pour  le  Canthère  gris  (Cantharus  griseus)  ou  Ghnset,  on  est  même  ar- 
rivé, depuis  plus  de  dix  ans,  à  ne  capturer  que  quelques  individus  assez 
hasardeusement,  alors  qu'en  1869  on  en  prenait  six  par  pèche  de  vingt- 
quatre  heures  (fig.  1). 


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Vin.   I.  —  (Pour  les  soles,  les  nombres  représentent  des  douzaines  de  [joissons). 

Les  Rajidés  et   les  Triglidés  présentent  une  décrudescence  tout  aussi 
frappante;  encore  faut-il  tenir  compte  ici  qu'autrelbis  beaucoup  de  ces 


G.  ROCHE.  —  DÉCRUDESCEXCE  DU  RENDEMENT  DE  I.A  GRANDE  ri-.ClIE   499 

animaux  étaient  rejetés  à  la  mer  aussitôt  qu'ils  étaient  capturés,  en  raison 
de  leur  faible  valeur  marchande,  tandis  que,  de  nos  jours,  on  conserve 
soigneusement  tous  ceux  que  ramène  le  chalut,  par    suite  de    l'impor- 
tance qu'a  acquis  le  commerce  du  poisson  frais. 
J'ai  dressé  aussi  le   tableau  de  la  production  du  Pagel  commun,  de  la 


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Daurade,  du  Zée  forgeron,  du  Carrelet.  En  ce  qui  concerne  le  Carrelet 
et  la  Daurade,  la  décrudescence  est  inaniftste  (fig.  2). 

Le  Zée  n'a  pas  sensiblement  diminué.  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  le 
Turbot  et  la  Barbue  qui,  depuis  quelques  années,  se  font  beaucoup  plus 
rares  que  par  le  passé,  de  même  que  la  Sole  dont  la  vente  présente  une  si 
haute  importance  commerciale  et  qui  fait  en  somme  le  fond  de  la  pêche 
au  grand  chalut.   Pour  cette  espèce,  la  décrudescence  du  rendement  est 


500  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

d'autant  plus  frappante  qu'aujourd'hui  on  comprend  sous  le  nom  de  sole 
le  Microchirus  variegatus  qui  était  à  peine  récolté  autrefois. 

A  l'heure  actuelle  enfin,  si  le  chifîre  des  Baudroies,  des  Squatines  et 


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I-IG.  3. 


des  autres  squales  paraît  augmenter  dans  d'assez  fortes  proportions,  c'est 
que  pour  eux  encore  il  est  fait  un  échange  commercial  que  l'on  dédai- 
gnait jadis. 

Le  Merlu  et  le   Surmulet^  par  contre,  nous  présentent  un  graphique 


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beaucoup  plus  consolant.  Nous  avons,  en  effet,  un  tableau  de  leurs  ren- 
dements qui  nous  les  montre  comme  soumis  toujours  à  de  fort  grandes 
irrégularités  d'arrivages.  Leurs  décrudescences  momentanées  ne  sauraient 
donc,  dans  l'avenir,    nous   inquiéter  par  trop,  leurs  montées  ou   leurs 


G.  ROCHE.  —  DÉCRUDESCENCE  DU  RENDEMENT  DE  LA  GRANDE  PÈCHE   501 

migrations  étant  soumises  à  des  causes  qui  échappent  jusqu'ici  à  notre 
analyse;  il  est  regrettable,  pourtant,  que  nos  pêcheurs  ne  puissent  être 
renseignés  d'une  façon  précise  sur  le  réfjime  de  ces  animaux  ;  mais  pour 
eux,  du  moins,  n'avons-nous  pas  des  raisons  de  craindre  que  leur  es- 
pèce soit  en  voie  d'extinction,  dans  nos  eaux  marines,  comme  il  nous 
faut  le  constater  pour  certaines  espèces  sédentaires. 

Dans  ces  graphiques,  certaines  irrégularités  sont  assez  peu  explicables  au 
premier  aspect.  En  ce  qui  concerne  la  Barbue,  par  exemple,  on  est  un 
peu  surpris  de  constater  des  poussées  de  produclion  —  si  je  puis  m'expri- 
mer  ainsi  —  comme  celles  de  1881-1882  (1 1.  Mais  il  faut  se  rappeler  que 
le  sol  de  notre  plateau  continental  est  semé  de  pâturages  sous-marins 
où  se  localisent  plus  particulièrement  certaines  espèces  comestibles  de 
poissons. 

Alors  que  les  hasards  du  chalutage  en  haute  mer  amènent  les  pêcheurs 
à  travailler  sur  ces  fonds,  ils  recueillent  une  plus  abondante  récolte  d'a- 
nimaux du  groupe  spécial  qui  affectionne  ces  fonds  (en  raison  de  la  na- 
ture des  espèces  zoologiques  que  ses  représentants  y  peuvent  pâturer)  que 
dans  les  autres  parties  de  la  masse  profonde  des  eaux. 

Les  chalutiers  exploitent  donc  ces  terrains  de  pêche  qu'ils  ont  décou- 
verts, ils  les  exploitent  jusqu'à  leur  épuisement,  pour  aller  plus  tard  à  la 
recherche  de  nouveaux  sols  inexplorés  pai  le  chalut  et  plus  fertiles  en 

poissons. 

Je  ne  veux  retenir  de  ces  faits  que  la  conclusion  suivante  :  «  N'y  au- 
rait-il pas  intérêt  à  déterminer  exactement  ces  cantonnements,  de  façon  à 
en  ménager  l'exploitation  régulière?  » 

Une  autre  observation  que  nous  fournit  l'inspection  des  graphiques  de 
la  Barbue  et  du  Twbot  est  que  leur  pêche  est  plus  fructueuse  en  été 
qu'en  hiver.  Et  ceci  nous  confirme  un  point  d'histoire  naturelle  qui 
n'est  pas  dépourvu  d'intérêt,  car  ce  fait  nous  montre  que  ces  deux  pleu- 
ronectes  affectionnent  plus  particulièrement  les  fonds  situés  en  deçà  de 
quarante-cinq  brasses  de  profondeur.  Durant  l'été,  les  vapeurs  arcachon- 
nais  travaillent,  en  effet,  plus  spécialement  par  trente-cinq  à  quarante- 

(1)  celte  recrudescence  du  rendement  du  turbot  et  de  la  barbue  correspond  àla  surproduction  de  la 
sole  (voir  graphique  de  cette  espèce;.  Je  me  demande  donc  si  cette  élévation  du  rendement  numé- 
rique des  animaux  capturés  do  ces  trois  espèces  ne  tient  pas  à  ce  que,  durant  une  période  plus  longue 
que  les  autres  années,  les  chalutiers  arcachonnais  ont  travaillé,  en  1881-1882,  plus  près  de  terre 
qu'ils  n'ont  l'habitude  de  le  faire.  ,  . 

Les  pleuronectes  sont,  je  l'ai  dit,  plus  abondants  à  terre  qu  au  large,  ils  sont  p  us  petits  auss..  Les 
courbes  que  j'ai  tracées  ne  nous  donnent  que  ks  valeurs  numériques  relatives  des  animaux  péchés; 
or,  il  est  bien  évident  qu'ici  il  faudrait  pouvoir  comparer  aussi  les  poids  rdatifs.  Mais,  étant  donné 
que  le  turbot  et  la  barbue  se  trouvent  rarement  au  delà  de  cinquante  brasses  de  profondeur  et  ass.z 
fréquemment  en  deçà  de  quarante  brasses,  je  suis  porté  à  croire  que  les  chalutiers  Q" '"'i;;;';"» 
la  diminution  relative  de  la  sole  en  1880  par  rapport  aux  rendements  antérieurs,  presque  touJour^ 
décroissants  depuis  1870,  se  sont  rapprochés  de  la  côte  (par  trente  brasses  peut-être)  ^^^^^  ■ 

Aujourd'hui,  et  depuis  longtemps  du  reste,  la  Société  interdit  formellernent  ase>  P^  «"?,*;*^^". 
vaiUer  à  moins  de  quarante-cinq   brasses,  comme  au  début  de  son  exploitation.  -  La  décrudes 
cence  de  l'espèce  est  frappante. 


SOâ  ZOOLOGIE.   ANATOMIE,    PHYSIOLOGIf) 

cinq  brasses,  tandis  que,  pendant  l'hiver,  ils  vont  beaucoup  plus  au  lar^e 
par  cinquante-cinq  à  soixante-dix  brasses,  à  la  recherche  du  merlu. 

Une  observation  attentive  des  graphiques  des  Rajides,  des  Squatines, 
du  Griset,  du  Surmulet,  du  Merlu,  des  Trlglidés,  nous  amène  à  une  con- 
clusion opposée;  en  été,  ces  animaux  sont  capturés  en  moindres  quantités 
qu'en  hiver,  soit  que,  comme  pour  le  Merlu,  ils  quittent  nos  eaux  en  cette 
saison,  soit  qu'ils  montent  alors  dans  la  masse  liquide  comme  le  Sur- 
mulet et  beaucoup  de  Trigles,  soit  enfin  qu'ils  se  rapprochent  tout  à 
fait  de  la  côte  comme  les  Rajides,  par  de  faibles  profondeurs  où  la 
Société  des  Pêcheries  de  l'Océan  interdit  à  ses  vapeurs  de  travailler. 

A  la  côte  encore,  la  Sole  est  beaucoup  plus  abondante  qu'au  large,  mais 
elle  est  beaucoup  plus  jeune,  plus  petite.  A  quarante  brasses,  la  taille  la 
plus  commune  qu'elle  présente  est  de  25  à  28  centimètres,  pour  un  poids 
de  2S0  à  300  grammes.  Plus  à  terre,  sa  dimension  et  son  poids  sont 
plus  faibles,  au  large  ils  sont  plus  considérables.  .Je  ne  parle,  bien  entendu, 
ici  que  de  la  partie  de  notre  plateau  continental,  dévalant  au  large  de 
nos  côtes  du  sud-ouest;  car  dans  les  parties  plus  septentrionales  du  golfe  de 
Gascogne,  les  animaux  sont  de  taille  relativement  plus  grande  à  de  plus 
faibles  profondeurs. 

Dans  le  procès  des  causes  de  destruction  des  espèces  comestibles  de 
poissons,  il  semble  que  l'on  doive  éliminer  le  chalutage  pratiqué  au 
large  par  les  bateaux  de  fort  tonnage.  En  examinant  les  graphiques  des 
espèces  qui  se  reproduisent  à  la  côte,  on  voit  s'infléchir  nettement  leur 
courbe  de  rendement,  depuis  vingt-cinq  ans.  Si  nous  comparons,  par 
exemple,  le  graphique  du  Rousseau  à  celui  du  Zée  forgeron  (deux  ani- 
maux qui  ne  sont  jamais  péchés  en  grandes  quantités,  il  est  vrai,  mais 
qui  sont  de  bonne  vente  et  que  l'on  conserve  quand  on  les  capture),  nous 
voyons  que  la  production  du  premier  a  notablement  diminué,  alors 
qu'elle  est  restée  sensiblement  la  même  pour  le  second. 

Or,  celui-ci  se  reproduit  en  haute  mer  et  celui-là  vient  frayer  à  la  côte. 

Il  est  incontestable  que  le  chalutage  pratiqué  au  large  ou  à  terre  est  un 
procède  de  pêche  fort  destructeur  ;  mais  combien  sont  plus  graves  les 
inconvénients  de  ce  dernier,  qui  s'exerce  toute  l'année,  avec  des  engins 
à  petites  mailles  dans  les  embouchures  des  rivières,  les  baies,  les  herbiers 
où  viennent  pondre  et  se  développer  la  majeure  partie  des  poissons 
comestibles  (1). 

Je  ne  saurais  insister  ici  sur  les  causes  présumées  de  la  décrudescence 
suivie  des  rendements  de  la  pêche  au  grand  chalut,  causes  qui  méritent 
une  étude  toute  spéciale.  Je  ne  dirai  rien  non  plus,  malgré  le  grand  in- 


(1)  M.  le  professeur  Gianl  ;i  publié  à  ce  sujet  en  collfibor:itioii  avec  M.  Roiissin,  cominissiiire  de 
marine,  un  remarquable  rappoil  (Journal  officiel,  21  mai  1889),  où  il  a  montré  Jiettement  l'influence 
lâcheuse  des  dragues  à  chevrellus  au  point  de  vue  de  l'avenir  de  l'industrie  même  qui  les  emploie. 


K.    BORDAGi:.    —    MYOLOGIE    DES    CRUSTACÉS   DÉCAPODES  S03 

lérêt  qu'elles  ollrent,  des  recherches  de  M.  Guillard  (de  Lorienl)  sur  les 
débouchés  possibles  que  peuvent  offrir,  à  l'activité  de  nos  pêcheurs,  les 
fonds  situés  par  plus  de  quatre-vingts  brasses,  au  large  du  golfe  de  Gas- 
cogne. Je  ne  puis  que  me  borner,  en  ce  moment,  à  la  constatation  de 
l'infériorité  relative  actuelle  des  rendements  de  la  grande  pêche  du  poisson 
frais,  après  avoir  discuté  la  valeur  des  documents  qui  nous  amènent  à 
cette  conclusion.  Ce  mémoire  n'avait  pas  d'autre  but. 


M.  Edmond  BOE,DÂ(}E 

l'réparati'ur  au  IMiiséum  dHistoiie  naturelle,  à  Paris. 


MYOLOGIE     DES     CRUSTACES     DECAPODES    EN     GÉNÉRAL    ET     COMPARAISON    DU 
SYSTÈME  MUSCULAIRE    DES    THALASSINIOÉS    ET   DE  CELUI  DES  ANOMOURES 


—  Scana-  du  16  seplrnihrc  1892  — 

D'une  façon  générale,  la  myologie  des  Crustacés  a  été  très  peu  étudiée. 
Cuvier  avait  cependant  déjà  constaté  que,  chez  le  homard,  les  muscles 
de  l'abdomen  ou  de  la  queue  sont  très  développés  et  leur  ensemble  très 
compliqué.  11  en  avait  même  comparé  certaines  parties  (les  deux  faisceaux 
de  muscles  extenseurs  profonds  situés  de  part  et  d'autre  de  la  ligne  mé- 
diane du  corps)  à  une  sorte  de  corde  tordue  (ces  faisceaux  ont  absolument 
le  même  aspect  chez  l'écrevisse  et  le  néphrops). 

Plus  tard.  H.  Milne-Edvvards.  dans  son  Histoire  des  Crustacts,  ùecrixW 
d'une  façon  très  complète  les  muscles  de  la  queue  du  homard. 

Chez  le  néphrops,  l'écrevisse,  on  trouve,  comme  chez  le  homard,  ces 
muscles  abdominaux  très  développés;  ce  qui  se  comprend  très  bien,  car 
la  locomotion  s'effectue  surtout  grâce  aux  mouvements  de  l'abdomen  et 
de  la  nageoire  caudale,  —  mouvements  exécutés  à  l'aide  des  muscles 
en  question. 

Chez  tous  ces  animaux,  la  masse  musculaire  abdominale  a  absolument 
l'aspect  d'une  natte  ou  ti^esse  à  structure  tellement  compliquée  que 
H.  Milne-Edwards  lui-même  en  déclare  l'étude  extrêmement  diflicile. 
Dans  cette  tresse,  il  y  a  à  distinguer  :  1"  des  muscles  droits;  2"  des  muscles 
obliques;  3°  des  muscles  centraux;   4"  des  muscles   transverses  :  \q  tout 


^•^^^  /.()(>i.ti(;ii:,  .\\ATo:\iii:.  imiysioi.ocii- 

coiistituanl  la  inasso  des  imisclos  nécliissours  profonds  <|ui  s'ins^renl,  ainsi 
que  los  nuiscKs  llôchissenrs  suporlicit^ls  sur  la  partie  inlVM'iourt^  ou  venlralo 
(les  annoanx  abdominaux.  Il  (>xisteaussi  dos  nuisolos  extenseurs  divisés  en 

'^iiperficie/s  et  profonds  qui  s'insèreni  à  la  parlie 
supérieure  ou  dorsale  des  anneaux  ahdoniinaux. 
L'ensemble  de  ees  nmseles  est  lro|»  eonqiliijué 
pour  (]U(^  nous  puissions  songer  à  en  donner 
ici  une  deseriplion  détaillée.  Ces  nuiseles  va- 
rient (lu  reste  d'un  iienre  à  l'autre.  c\  nous 
renvoyons  à  Touvrage  de  H.  Milne-Kdwards  sur 
les  erustaeés.  où  Vow  trouvera  pour  le  homard 
uiu^  excellente  description  de  Ja  tresse  abdo- 
minale. 

Les  uuiscles  qui  partent  île  la  portion  anté- 
ri(>uiv  de  l'elle  tresse  abdominale  n'avaient  pas 
encore  été  étudiés,  ils  soni  noiiibnuix  cl  il  n'v  a 
pas  lieu  non  plus  de  les  décrire  dans  cette  t'tude 
sommaire'.  Oisons  cependant  qu'ils  viennent  s'at- 
tacher en  avant,  en  des  points  nondtnnix.  sur 
des(''minences  apparlenani  au  sipielette  eéphalo- 
thoracique  si  compliqué  chc/  la  plupart  des 
décapodes. 

Après  avoir  donné  ees  détails  succincts  sur 
les  dillieulfés  i^ue  présente  l'élude  de  la  myo- 
logie  des  erustacé's  supérieurs,  nous  aborderons 
directement  le  point  qui  nous  intéresse,  c'est-à- 
dire  la  eom[)araison  du  système  musculaire  des 
thalassinidés  et  de  celui  des  anomoures. 

Les    tlialassiiiidi's    sont    des    décapodes    ma- 
croures (]ui   vivent    dans    des  galeries  ei'eusées 
(lan<  \r  sable  de  la  mer.  Chez  tnix,  les  nmseles 
abdominaux  ont    beaucoup  ptn-du  de  leur  im- 
juirtanee:  ils  sont  moins   iionilireux,  el   il  n'y  a  jilus  ici,  à  proprement 
jxirler,  de  véritable  tresse  abdominale. 

Chez  les  Cal/iaiia-^scs,  les  muscles  de  l'abdomen  alVeetent  la  tbrmc»  de 
chevrons  ou  Ac  V  à,  pointe  incomplète,  allant  d'un  anneau  à  l'autre  (voir 
(ig.  I  Y),  entre  les  branches  de  deux  Y  consécutifs  existent  des  muscles 
intermé^diaires  formés  par  des  fibres  (m,  inK  fig.  /'.  provt^nant  de  cha- 
cune des  branches  consécutives  (6,  c)  du  Y  incomplet.  En  avant,  deux 
muscles  longitudinaux  ayant  des  fibres  i-ommunes  avec  les  faisci^aux  7n/» 
se  détachent  du  premier  am\eau  abdominal  et  vieiment  s'attaehiT  sur  le 
squelette  eôphalolhoraeique  (voir /îp'.  /,  a,a). 


l'ii;.  1.  —  i,De.ini-sclu'inatiquc.) 

Syslt'ino   niiisciihilri'  do  la 
Cdllianasso. 


E.    liOliDAGK.    —    MV0J.O(ilE    DKS    CHISTACKI?    DKCAPODES  30S 

Chez  les  Géhies,  nous  constatons  une  modificalioii.  Ici,  Il-s  muscles  on 
chevrons,  allant  d'un  anneau  à  l'anneau  suivant  forment  un  V  à  pointe 
complète.  Cette  pointe  est  situéesur  la  ligne-  médiane  du  corps  (fig.  2,  Vj. 
JJe  plus,  d(!  chaque  côté  du  corps,  un  muscle  longitudinal  d)  passe  sous 
rens(;mble  des  muscles  en  chevrons,  envoie  quelques  fibres  à  chacun 
d'eux,  ainsi  que  quelques  fibres  aux  parois  latérales  Hi-  iliaque  anneau 
abdominal.  En  avant,  trois  paires  de  muscles  longitudi- 
naux (a,  V,  0,  fifj.  2)  se  détachent  de  la  masse  muscu- 
laire abdominale  et  vieiment  s'attacher  au  squelette 
céphalolhoracique. 

Chez  les  Axies,  enfin,  la  musculature  est  à  peu  près 
la  môme  dans  ses  traits  généraux,  sauf  quelques  petites 
complications  que  nous  exposerons  dans  un  travail  ultf'-- 
rieur. 

On  peut  dire  que  le  système  musculaire  des  Thalas- 
sinidés  —  celui  des  Gébies  surtout  —  est  intermédiaire 
entre  celui  des  Macroures  et  celui  des  Paguriens  qui 
sont  des  Anomoures;  c'est-à-dire  font  partie  d'un  ordre 
de  Crustacés  décapodes  intermédiaire  entre  celui  des 
Macroures  et  celui  des  Brachyures. 

Ce  groupe  des  Paguriens  est  absolument  isolé  dans 
l'ordre  des  Anomoures  et  forme  une  sorte  de  cul-de- 
sac.  Les  animaux  qui  le  composent  sont  surtout  remar- 
quables par  l'asymétrie  qui  existe  presque  toujours 
entre  les  deux  moitiés  de  leur  corps  (2).  Ils  sont,  le 
plus  souvent,  logés  dans  des  coquilles  de  Mollusques 
gastéropodes  s'enroulant  à  droite  (coquilles  dextres), 
et  alors,  les  pattes  antérieures  ou  pinces  du  côté  droit 
sont  beaucoup  plus  grandes  et  plus  grosses  que  celles 
du  côté  gauche;  d'ailleurs,  l'abdomen  prend  nécessai- 
rement la  forme  d'un  tortillon  plus  ou  moins  allongé. 
Des  pattes  abdominales  impaires  témoignent  encore  de 
l'asymétrie  extérieure  du  corps.  Cette  asymétrie  existe  encore  à  l'inté- 
rieur du  corps  et  en  particulier  pour  le  système  musculaire.  Les  muscles 
abdominaux  sont  encore  disposés  en  forme  de  V,  comme  chez  les  Tha- 
lassinidés;  mais  ils  sont  ici  très  rapprochés  et  en  contact  les  uns  avec  les 
autres.   Ceux  qui  occupent  la  moitié  droite  du  corps  sont  plus  développés 


.1 


y; 


i:z.^ 


■  Ho.  2.  —  Deriii- 
sch<;matique.; 

Système  musculaire  de 
la  Gébie  les  antennes 
sont  coup^y. 


i)  En  réalité,  ce  muscle  longitudinal  n'est  pas  simple  et  il  serait  pios  exact  de  considérer  là  une 
succession  de  plusieurs  faisceaux  musculaires  il,  li  allant  de  Tune  des  branches  d'une  paire  de 
muscles  en  V  à  la  branche  correspondante  de  la  paire  de  muscles  en  V  suivante,  tout  en  fournissant 
des  fibres  qui  viennent  s'attacher  aux  parois  du  corps. 

(2)  Les  espèces  enroulées  dans  des  coquilles  de  Gastérop^xles  sont  toujours  plus  ou  moins  asymé- 
triques. Celles  qui  se  creusent  des  cavités  dans  le  sol  ou  dans  le  boi-,  consenent  leur  symélne. 


o06  ZOOLOGIi;,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIK 

que  ceux  qui  en  occupent  la  moitié  gauche.  Sous  Ja  masse  formée  par 
l'ensemble  de  ces  muscles  en  chevrons  passent,  comme  chez  les  Gébies, 
des  muscles  longitudinaux  de  pari  et  d'autre  de  la  ligne  médiane  abdo- 
minale. Ces  muscles  longitudinaux  envoient  encore  des  fibres  aux  bran- 
ches des  muscles  en  chevrons  et  aux  parois  latérales  des  anneaux  abdo- 
minaux ;  mais,  ici,  ils  sont  complètement  cachés. 

A  la  partie  inférieure  et  antérieure  de  l'abdomen  des  Paguriens  logés 
dans  une  coquille,  comme  le  Bernard-l'Hermite,  par  exemple,  on  trouve 
un  bourrelet  transversal  faisant  une  saillie  externe  assez  prononcée.  Il 
est  formé  par  un  repli  du  tégument  dans  lequel  pénètrent  et  viennent 
se  terminer  des  fibres  musculaires  provenant  de  la  masse  abdominale  et 
constituant  ce  que  l'on  peut  appeler  le  muscle  columel taire,  —  muscle,  ou 
plutôt  bourrelet  musculaire  qui,  en  se  déplaçant  sur  la  columelle  de  la 
coquille  de  Gastéropode.  permet  au  Pagure  de  remuer  son  abdomen  par 
un  mouvement  de  glissement. 

Mais  si  les  Paguriens  forment  un  groupe  absolument  à  part,  il  est 
cependant  d'autres  Anomoures  qui  présentent  des  formes  de  passage  des 
Macroures  aux  Brachyures  :  ce  sont  les  Galathées  et  les  Porcellanes  (le 
système  musculaire  de  ces  derniers  peut  aussi  se  rapprocher  de  celui  des 
Thalassinidés). 

Les  Galathées  et  les  Munida  présentent  encore  une  tresse  musculaire 
abdominale  très  développée,  mais  la  partie  antérieure  des  muscles  céphalo- 
thoraciques  forme,  de  chaque  côté  du  corps,  de  forts  piliers  inclinés 
déjà  semblables  (quoiqu'en  nombre  inférieur^  à  ceux  que  l'on  trouve 
chez  un  Brachyure,  chez  un  crabe,  par  exemple. 

Chez  les  Porcellanes,  on  ne  trouve  plus  de  tresse  musculaire  abdomi- 
nale. Les  muscles  abdominaux  se  réduisent  à  de  simples  fibres  rappelant 
beaucoup  celles  que  l'on  trouve  chez  les  crabes.  Ces  fibres  ne  sont  guère 
bien  apparentes  que  chez  les  femelles,  qui  ont  l'abdomen  plus  développé 
que  celui  des  mâles.  Ici,  en  effet,  comme  chez  les  Brachyures,  l'abdo- 
men est  très  rudimentaire  et  replié  sous  le  céphalothorax. 

Dans  la  présente  note,  nous  avons  eu  seulement  l'intention  d'indiquer 
rapidement  et  superficiellement  les  difficultés  et  aussi  l'intérêt  que  pré- 
sente l'étude  du  système  musculaire  des  Crustacés.  Nous  nous  proposons 
d'étudier  à  fond  cette  question  dans  une  série  de  notes  ultérieures. 


.1.    GALBE.    —    DU    SOI.   ANIMAL.    —    SOL    1>E    LA    POII.E    ItOMESTIUUE      50" 


M.  J.  &AÏÏBE  (du  Gers) 


à  Paris. 


OU  SOL  ANIMAL.  -  SOL  DE  LA  POULE  DOMESTIQUE.  —  AMENDEMENTS 


—  .Séance  du  19  septembre  1892  — 


I 


Dans  un  mémoire  présenté  à  l'Académie  des  Sciences  le  9  mai  de  cette 
année,  intitulé  :  Du  Sol  animal,  nous  avons  désigné  sous  l'expression  sol 
animal,  par  analogie  avec  le  sol  vérjétal,  la  réunion  de  toutes  les  dom.i- 
nantes  minérales  du  corps  de  l'honnne  et  des  animaux. 

Si.  dans  la  définition  du  sol  animal,  nous  n'avons  pas  fait  intervenir 
l'azote,  c'est  parce  que  nous  avons  reconnu  l'azote  comme  absolument 
impuissant  sans  le  secours  de  la  matière  minérale,  et  qu'en  outre,  la 
fréquence  de  l'azote  dans  les  aliments  en  général  nous  dispensait  de  le 
considérer  comme  un  terme  imprévu  de  notre  définition. 

Nous  ne  voulons  ni  mineraliser  la  nutrition  ni  donner  à  la  matière 
minérale  plus  d'importance  qu'elle  n'en  a  réellement,  mais  lui  laisser  l'im- 
portance convenable,  et  cette  importance  est  considérable. 

Nous  avons  montré,  à  l'aide  de  nombreuses  analyses  d),  <[ue  l'on 
pouvait  se  renseigner  sur  la  valeur  réelle  du  sol  humain  en  analysant  les 
urines  et  que  la  rotation  de  la  matière  minérale  dans  le  corps  de  la  femme 
pendant  la  grossesse  était  instructive,  intéressante,  qu'il  était  nécessaire 
de    la  connaître. 

Nous  avions  pensé,  et  l'expérience  a  prouvé,  que  la  connaissance  du 
sol  animal  permettait  d'améliorer  les  produits  de  la  conception,  consé- 
quemment  tl'améliorer  les  races. 

Nous  avons  choisi  la  poule  domestique  «  Crèvecœur  »  comme  sujet  de 
nos  dernières  recherches,  parce  que  chez  elle  nous  pouvions  analyser  sépa- 
rément les  modes  divers  de  son  évolution  :  l'œuf,  le  poussin  à  terme,  la 
poule  adulte  et  féconde. 

Une  poule,  bonne  pondeuse  (Crèvecœur),  âgée  de  dix-huit  à  vingt  mois, 

(1  )  Du  Sol  animal  (loco  cUalo). 


0»%0399  0/00 

06',70935  0/00 

0?^0.428    — 

06%40322    — 

1?%498      — 

le%5183      — 

l;r^8178    — 

le',9368      — 

0-^92 

Os',92          — 

S08  ZOOLOGIE,  ANATOMIE,  PHYSIOLOGIE 

pesant  en  moyenne  2  kilogrammes,  donne  à  l'analyse  les  bases  suivantes  : 

Chaux ISb'-jT.j  0/00 

Magnésie 11  ^^OO  — 

Potasse 0s%5715  — 

Soude Is'-jOSl  — 

Silice      Oe',296  — 

Fer Os',663  — 

Manganèse 0s'',0596  — 

Un  œuf  frais,  pesant  en  moyenne  64  rammes,  donne  à  l'analyse  les 
bases  suivantes  : 

JAUNE  BLANC  TOTAL 

Magnésie   ......  Oe',66945  0/00 

Chaux 0s%36042    — 

Potasse Os',0203      — 

Soude 0s--,119        — 

Soufre 

Phospiiore. 
Fer. 

Nous  voyons,  au  moyen  de  ces  analyses,  que  la  magnésie  et  la  soude 
sont  les  dominantes,  la  chaux  et  la  potasse  les  sous-dominantes  minérales 
de  l'œuf;  nous  voyons  également  que  la  magnésie  et  la  chaux  sont  les 
dominantes  du  jaune,  de  la  cellule  mère  ;  que  la  soude  et  la  potasse  sont 
les  dominantes  du  blanc,  de  l'aliment  de  l'être  futur.  La  dichotomie  des 
bases  terreuses  et  alcalines  est  si  nette,  si  tranchée,  si  générale,  qu'il  serait 
absurde  de  ne  point  admettre  une  relation  directe  entre  la  forme  de  la 
matière  protéique  et  la  nature  de  l'élément  minéral  qui  la  supporte. 

Les  métalloïdes  sont  aussi  catégoriquement  répartis  que  les  métaux  :  le 
phosphore  dans  le  jaune,  le  soufre  dans  le  blanc. 

Le  spermatozoïde  est  magnésien  (Ch.  Robin,  Alb.  Robin  et  Gaube)  ;  la 
vésicule  de  Graaf,  l'ovule  sont  magnésiens  (Gaube)  ;  le  pollen  est  magné- 
sien (Gaube);  la  graine  est  magnésienne;  le  jaune  de  l'œuf  est  magnésien; 
la  cellule  nerveuse  est  magnésienne  (Alb.  Robin  et  Gaube)  ;  le  magnésium 
parait  être  le  métal  de  l'activité  vitale  dans  ce  que  la  vie  a  de  plus  pré- 
cieux et  de  plus  élevé:  la  multiplication  de  l'espèce  et  la  sensation  (1). 

Cette  considération  de  physiologie  générale  se  provoquait  elle-même  à 
la  suite  des  analyses  de  l'œuf. 

A  mesure  que  nous  avançons,  notre  doctrine  s'affirme  :  la  matière  pro- 
téique vivante,  tributaire  de  la  matière  minérale,  appuie  sa  modalité  sur 
un  élément  minéral  déterminé  et  sur  la  valeur  biochimique  de  cet  élément. 


H)  Voir  les  analyses  de  coivfiin  humiiin  et  île  cerveau  de  inoiituii,  in  Gazette  médicale  de  Purin, 
n°  26j  m)i  (Albuininaturie  mw/iicsiennej,  J.  Galbe  (du  Gers). 


J.     GALBE.    —    DU    SOL    AiNIMAL.    —    SOL    DE    LA    POULE   DOMESTIQUE      o09 

II 

Les  êtres  qui,  en  l'état,  paraissent  normalement  constitués,  ont-ils 
atteint  l'extrême  limite  de  leur  développement?  Sont-ils  perfectibles  dans 
leurs  milieux  actuels?  Sont-ils  susceptibles  d'acquérir  des  qualités  nouvelles 
par  un  amendement  raisonné  du  sol  qui  leur  est  propre  ? 

Le  type  parfait  dans  l'espèce  n'existe  pas  ;  du*  moins  nous  ne  le  connais- 
sons pas;  la  limite  du  développement  ne  nous  paraît  point  atteinte  chez 
les  êtres  vivants  et  les  milieux  actuels  ne  nous  semblent  pas  hostiles  à 
la  perfectibilité  de  l'être  ;  au  contraire,  la  science  peut  ajouter  aux  qualités 
de  résistance  et  de  vitalité  de  l'être  achevé  et  introduire  des  qualités 
nouvelles  dans  l'être  en  voie  d'évolution. 

Avant  de  commencer  les  expériences  sur  le  sol  de  la  poule,  il  était 
indispensable  de  mesurer  la  valeur  du  mouvement  d'assimilation  chez  elle. 

L'analyse  nous  ayant  enseigné  que  la  magnésie  et  la  chaux  étaient  les 
dominantes  minérales  du  jaune  d'œuf,  nous  avons  cherché  une  matière 
colorante  fixe  combinée  à  la  chaux  et  à  la  magnésie  et  que  nous  puissions 
retrouver  facilement  dans  le  jaune. 

Nous  avons  pilé  des  carapaces  de  crustacés  cuits  que  nous  avons  mélan- 
gées en  grande  abondance  avec  la  nourriture  de  plusieurs  poules  pendant 
la  ponte.  Au  bout  de  six  jours  les  jaunes  des  œufs  étaient  complètement 
rouges,  tandis  que  les  blancs  conservaient  leur  couleur  ordinaire. 

Un  aliment  minéral  parcourt  donc  en  six  jours,  chez  la  poule,  le  cycle 
complet  de  sa  destinée;  après  six  jours  il  est  vivant,  il  détient  virtuellement 

la  vie. 

Consécutivement,  nous  soumettons  dans  une  volière  aérée,  spacieuse, 
carrelée,  sablée,  recouverte  de  paille  en  certains  points,  munie  de  per- 
choirs, de  nids,  cinq  poules  Crèvecœur,  de  belle  venue  et  un  coq  de  même 
variété,  au  régime  suivant  : 

Sarrasin  et  petit  blé  pour  toute  nourriture;  eau.  JXous  mouillons  complè- 
tement le  grain  avec  la  solution  suivante  : 

Chlorure  de  calcium  pur.  .  25  grammes. 

Chlorure  de  magnésium   .    .  20        — 

Chlorure  de  potassium.    .    .  1        — 

Chlorure  de  sodium  ....  5        — 

Eau  distillée 1000        — 

Chaque  poule  absorbe,  chaque  jour,  en  sus  de  la  matière  minérale 
contenue  dans  les  aliments,  2«'-,1246  de  matière  minérale,  soit  :  ls',0416o 
de  chlorure  de  calcium  ;  0'°',833  de  chlorure  de  magnésium;  0s'-,04i6o  de 
chlorure  de  potassium  ;  0s%2083  de  chlorure  de  sodium,  sans  compter  le 
fer,  car  la  nourriture  était  offerte  dans  des  vases  de  fer. 


olO 


ZOOLOGIE,    ANATOMIK,    PHYSIOLOGIE 


111 


Poids  moyen  des  œufs  avant  l'amendement  (les  poules  étaient  nourries 
avec  de  l'avoine,  du  petit  blé,  du  sarrasin,  des  épluchures  de  ménage)  : 
64^%  66. 

Poids  moyen  des  œufs  après  quinze  jours  d'amendement  :  65^^7o. 

Poids  moyen  des  diverses  parties  de  l'œuf  avant  l'amendement  : 

.(aune.  .  .  18e%22 
lîlanc.  .  .  38ï%44 
(;o(iuille.   .       Si'SOO 

Poids  moyen  des  diverses  parties  de  l'œuf  aprAs  l'amendement  : 

Jaune 20e%07 

Blanc 37^--,G8 

Co(|uiIlo Sfc^OO 


Seul,  le  jaune  de  l'œuf  a  augmenté  de  poids. 
OElufs  après  amendements  : 


lAUNE 

Chaux    .    .    . 

.     0"%568784  0/OU 

Magnésie  .    . 

.     1"',494          - 

Potasse  .    . 

.     0sM»00579    — 

Soude .    .   . 

.     0«--,0056(J9    — 

Oain  :  Chaux    .    . 

.     0"',2083(i4     — 

Magnésie  . 

.     Oi.-'-,7ïJ45.j      — 

Perte  :  Potasse  . 

.     0«S019721     - 

Soude.  .    .    . 

.     Os',11334       - 

BLANC 

Potasse 0i^%5634  0/00 

Soude 2s',52          — 

Gain  :   Soude 0s--,7022      — 

Perte:  Potasse 0^^9346      — 


Matière  minérale  de  l'œuf,  non  compris  le  soufre,  le  phosphore  et  le  fer, 
avant  l'amendement  : 

4g'-,5676  0/00 

Matière  minérale  de  l'œuf,  non  compris  le  soufre,  le  phosphore  et  le  1er, 
après  l'amendement  : 

o»',  15-2423  0/00 


IV 

Poussins  nés  d'œufs  tout  venant,  âgés  de  0  jour. 

Poids  muyen 35ï',50 

Chaux 3s'-,634      0/00 

Magnésie 3e%l85        — 

Potasse 0^', 03637     — 

Soude Of, 03795    — 


.1.    GAUBE.    —    DU    SOL    ANIMAL.    —    SOL   DE    LA    POULE    DOMESTIQUE       511 

Le  poussin  qui  vient  de  naître  est,  comme  le  jaune  de  l'œul',  riche  de 
«baux  et  de  magnésie  ;  il  est  même  dix  fois  plus  riche  de  chaux  et  de 
magnésie  que  le  jaune  de  l'œuf. 

La  coquille  de  l'œuf  se  compose  d'albumino-carbonates  de  chaux  et  de 
magnésie  fournissant  à  l'analyse  des  quantités  presque  égales  d'albumine 
sèche  et  de  matière  minérale,  soit  1^''',666  0/00  d'albumine  précipitable 
par  l'acide  azotique  et  l8',993  de  matière  minérale,  conformément  à  la 
loi  que  nous  avons  établie  sur  la  constitution  des  albuminates  :  plus  les 
combinaisons  minérales  avec  lesquelles  l'albumine  est  liée  sont  solubles, 
moins  elles  entraînent  d'albumine  :  et,  réciproquemenl ,  moins  les  combinai- 
sons minérales  avec  lesquelles  l'albumine  est  liée  sont  solubles,  plus  elles 
entraînent  d'albumine  il).  De  l'Albuminaturie  carbonatée.  II,  Société  de 
Biolof/ie,  ~  mai  1892). 

C'est  donc  à  la  coquille  que  le  poussin  emprunte  le  surcroît  de  chaux 
el  de  magnésie  que  l'analyse  décèle  ;  ainsi  s'explique  la  grande  friabilité 
■de  la  coquille  de  l'œuf  après  la  naissance  du  poussin,  par  la  disparition 
de  la  combinaison  albumino-minérale.  La  résorption  de  la  matière  mi- 
néro-protéique  de  la  coquille  en  augmente  la  perméabilité  et  facilite  la 
respiration  ooniue  du  poussin,  phénomène  constaté  et  démontré  par 
^eoffroy-Saint-Hilaire. 


V 


Poussins   nés  d'œufs  pondus  par  des  poules  amendées  depuis  quatre 
semaines  : 

Poids  moyen  dos  poussins  nés  d'œufs  amendés Aôf.SO 

Poids  moyen  des  poussins  nés  d'œufs  témoins  sans  amendement.     445', 70 

.  \)  L'albuininate  ili^  fer  est  C(im|)Osé  de  : 

l'er n.oA 

Albumine 0.80 

Eau 0.16 


1.00 


Soit  0,80  0/0  (lalbuniine  pour  Inllmminale  de  fer  ;  o.3:j  0/0  dalbuniine  pour  l'albumino-phosphate 
•de  cliau.x  ;  0, 1666  0/0  d'albumine  pour  lalbumino-carbonate  de  eliaux  et  o,89  0/0  à  peine  dalbumine 
pour  l'albiunino-carbonate  de  soude,  ele. 

Nos  expériences  nous  permettent  d'ajouter,  aux  oliservalions  précédentes,  les  faits  suivants  : 

y»  Tous  les  albuminates  métalliques  sont  di/alisables  ; 

2"  Tous  tes  iilhumiiuites  méliilliqucs  sont  des  jnolo-sels  ; 

3"  Les  iilbuminules  (liffusibles  sont  les  irais  nlhnmiuates  ; 

i'>  La  (lifl'nsion  dei  albuminates  mctalliques  i-sl  en  rapport  avec  la  valeur  bio-ehimique  du  mélcd  albu- 
mino-conjuijué  ; 

5»  Les  lilbuminates,  en  général,  sont  des  mélanges  de  jiroloxijdes,  de  peroxi/des,  de  corps  halogènes, 
etc.,  de  synlonines,  d'albumine  pure,  etc.,  mais  skiii.i:  i..\  lomhinaison  Ai.nuMiiNn-MÉTAi.Lioui:  rsT  niAi.Y- 

SABLK. 


512  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

Relation  du  poids  des  œufs  avec  le  poids  des  poussins 


Œuf  amendé.  . 
Poussin  .... 
Œuf  témoin  .  . 
Poussin  .... 


Poids 64  grammes.  |  ^g    .a^^^es. 

— 48       —  i 

Poids 66  grammes.  /  g,        

-      45       -  \  " 


Poussins  nés  d'œufs  amendés,  âgés  de  0  jour. 

Poids  moyen 455', 50 

Cliaux 3e',49248  0/00 

Magnésie ls%80  — 

Potasse 08%9264  — 

Soude 1»"%27  — 

Matière  minérale  de  l'œuf  avant  l'amendement,  non  compris  le  soufre, 
le  phosphore  et  le  fer  : 

4s%o6761  0/00. 

Matière  minérale  de  l'œuf  après  l'amendement,  non  compris  le  soufre,  le 
phosphore  et  le  fer  : 

3s%  152423  0/00. 
Soit  :  5s'-,152428  —  4s%56767  =  0°'-,58i-753  0/00. 

Matière  minérale  de  poussins  tout-venant  : 

6s%8933^2  0/00. 
Matière  minérale  de  poussins  amendés  : 

7s'-,48888  0/00. 
Soit  :  7s'-,48888  —  rr'-,89332  =  0s'-,59536  0/00. 

Les  poussins  nés  des  œ.ufs  amendés  sont  plus  lourds,  plus  vivaces, 
plus   beaux;   leur  duvet  est  plus  soyeux,  plus  brillant;   leurs  couleurs 

sont  plus  vives, 

La  magnésie  et  la  chaux  ont  été  employées  :  en  partie,  à  la  reconsti- 
tution du  sol  de  la  poule  toujours  allégé  par  la  ponte  ;  en  partie,  à  la 
constitution  du  jaune  de  l'œuf.  La  potasse  et  la  soude  dont  le  sol  de  la 
poule  est  moins  dépouillé  par  la  ponte  sont  utilisées  par  le  poussin,  et 
la  rotation  qui  s'établit  à  la  fin  de  l'amendement  entre  les  bases  terreuses 
et  alcalines  est  remarquable  en  ce  qu'elle  se  rapproche  de  la  rotation  qui 
s'établit  dans  le  sol  de  la  femme  et  du  fœtus  conséquemment,  pendant 
la  grossesse.  (J.  Gaube,  du  Gers,  Du  Sol  animal)  (Comp.  rend.,  loco  cit.). 

Que  voyons-nous  dans  les  œufs  amendés  après  quinze  jours  d'amen- 


J.  GAUBE.    —   DU    SOL   ANIMAL.    —    SOL    DE  LA    POULE   DOMESTIQUE       513 

•dément?  La  magnésie,  la  chaux,  la  soude  augmentent;  la  potasse  dimi- 
nue ;  puis,  au  bout  de  quatre  semaines,  la  poule  étant  saturée,  les  diffé- 
rentes parties  de  l'œuf  s'équilibrent,  et  nous  obtenons  un  poussin  plus 
parfait,  chez  lequel  la  matière  minérale  est  non  seulement  plus  dense  que 
chez  le  poussin  non  amendé,  mais  encore  tout  différemment  distribuée. 

Le  poussin  amendé  se  rapproche,  par  sa  constitution  minérale,  des 
nouveau-nés,  plus  élevés  que  lui  dans  la  série  animale,  chez  lesquels  la 
soude  et  la  potasse  (Bunge,  Zeitschrift  fur  Biologie,  t.  IX),  tendent  à  se 
rapprocher  au  moment  de  la  naissance  pour  diverger  ensuite. 

La  chaux,  la  soude,  la  potasse  et  la  magnésie  (je  classe  ces  bases  selon 
leur  valeur  pondérale  dans  l'organisme  et  non  point  selon  leur  impor- 
tance biologique,  essentiellement  variable),  combinées  avec  le  chlore,  le 
phosphore,  le  soufre,  le  carbone,  sont  les  ouvrières  magistrales  qui  façon- 
nent la  matière  protéique  sans  pouvoir  rompre  toutefois  la  forme  spéci- 
fique, du  moins  aucune  expérience  ne  nous  autorise  à  le  dire,  bien  que 
nous  ne  soyons  pas  éloigné  de  croire  que  de  tous  les  milieux,  le  milieu 
minéral  soit  un  de  ceux  qui  puissent  concourir  le  plus  efficacement  à 
la  sélection  et  à  la  transformation  des  espèces  ;  en  effet,  la  matière  miné- 
rale n'occupe  pas  toujours  la  même  place  dans  le  schème  des  albumi- 
noïdes  vivantes  (1). 

Nous  n'avons  rien  dit  du  fer  parce  qu'il  n'est  pas,  malgré  les  appa- 
rences, un  des  éléments  indispensables  de  la  vie.  Les  hémoglobines  sont 
ferreuses,  manganeuses,  cuivreuses,  etc.,  mais  —  et  nous  y  insistons —  la 
chaux,  la  soude,  la  potasse  et  la  magnésie  sont  les  éléments  minéraux 
adéquats  à  toute  vie  normale. 


VI 

Il  y  a  seize  ans,  c'est-à-dire  hier,  on  ignorait  encore  le  mécanisme  au 
moyen  duquel  les  plantes  fixaient  tout  leur  azote.  Berthelot,  Schlœsing 
et  Milntz,  Hellriegel  et  Wilfarth,  Munro,  Warington,  Nobbe,  Lawes  et 
Gilbert,  auxquels  l'agronomie  doit  tant,  Schlœsing  fils  et  Laurent,  ont 
successivement  démontré  que  l'azote  libre  était  fixé  par  les  plantes  grâce 
à  l'action  d'un  micro-organisme  et  que  ce  micro-organisme  (Nobbe)  était 
particulier,  au  moins  chez  les  légumineuses,  à  chaque  espèce  végétale. 
Nous  ferons  remarquer  de  suite  que  le  milieu  minéral  est  particulier  aussi 
à  chaque  espèce  végétale.  Une  cellule  vivante  entraînée  dans  un  milieu 
minéral  propre  peut  fixer  de  l'azote  libre  chez  les  plantes. 

Une   cellule  vivante,  la  cellule  lymphoïde,  peut  accumuler  de  l'azote 

(K  Voia-  :  Annales  de  l'JnsliliU  Pmleur,  1890,  Win  igradsky  ;  Uevue  scientifique,  t.  L;  Frankland. 

33* 


514  ZOOLOGIE.    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

organique  chez  ranimai,  azote  que  d'autres  cellules  utiliseront  au  gré  de 
leurs  besoins,  selon  leurs  aptitudes  fonctionnelles. 

La  première  condition  pour  que  l'azote  libre  devienne  utile,  c'est  qu'il 
soit  combiné,  minéralisé,  assimilable. 

La  première  condition  pour  que  l'azote  organique  devienne  utile,  c'est 
que  la  matière  azotée  soit  soluble ,  dialysable,  assimilable.  Or,  c'est  ici 
qu'apparaît  l'idée  d'amendement;  certaines  combinaisons  minérales  ont 
la  double  propriété  de  favoriser  la  dissolution  et  la  diffusion  de  l'azote 
libre  et  de  l'azote  organique,  les  bases  terreuses,  par  exemple  ;  mais  au 
nombre  et  en  tête  de  ces  combinaisons  minérales  se  trouvent  les  chlorures 
terreux  et  alcalins  dans  la  solution  naturelle  desquels,  l'eau  de  mer, 
s'agite  la  vie  la  plus  puissante  et  la  plus  variée  qui  existe  sur  notre 


globe 


Nous  désignerons  sous  le  nom  d'amendement,  paraphrasant  la  défini- 
tion de  M.  P. -P.  Dehérain  {Traité  de  Chimie  afp'icole,  p.  615),  les  subs- 
tances capables  de  rendre  assimilables  les  principes  alimentaires  qui 
restent  inutilisés  dans  les  conditions  ordinaires  de  l'assimilation. 

La  solution  tétra-chlorurée  que  nous  avons  fait  absorber  à  nos  poules 
a  une  réaction  légèrement  alcaline  ;  elle  dissout  un  tiers  de  plus  d'albu- 
mine que  l'eau  distillée  ;  la  pepsine  en  solution  chlorhydrique  peptonise 
un  tiers  de  plus  d'albumine  dans  la  solution  tétra-chlorurée  que  dans  l'eau 
distillée. 

Cette  solution  est  donc  bien  un  amendement  dans  le  sens  strict  de  la 
définition  que  nous  en  avons  donnée  ;  elle  est  favorable  à  l'assimilation 
puisque  le  poids  de  l'œuf  augmente,  puisque  le  poussin  est  plus  lourd, 
plus  vigoureux,  plus  beau. 


CONCLUSIONS 

[,  —  Nous  avons  appelé  Sol  animal,  la  réunion  de  toutes  les  domi- 
nantes minérales  du  corps  de  l'homme  et  des  animaux,  considérant  l'azote 
comme  impuissant  sans  le  secours  de  la  matière  minérale. 

II.  —  La  magnésie  et  la  soude  sont  les  dominantes,  la  chaux  et  la 
potasse  les  sous-dominantes  minérales  de  l'œuf  de  poule. 

in.  —  La  magnésie  est  la  dominante,  la  chaux  la  sous-dominante  miné- 
rale du  jaune  de  l'œuf. 

La  soude  est   la  dominante,  la  potasse  la  sous-dominante  minérale  du 

blanc  de  l'œuf. 

Le  phosphore  appartient  exclusivement  au  jaune;  le  soufre  appartient 
exclusivement  au  blanc  de  l'œuf. 

IV.  —  La  dichotomie  des  métaux  et  des  métalloïdes  dans  l'œuf  est  une 


J.  GAUBK.  DU  SOL  ANIMAL.  SOL  DE  LA  POULE  DOMESTIQUE   515 

nouvelle  preuve  de  la  relation  directe  qui  existe  entre  la  forme  de  la  ma- 
tière protéique  et  la  nature  de  l'élément  minéral  qui  la  supporte  (1). 

V.  —  Un  aliment  minéral  est  intégré,  vilalisé  au  bout  de  six  jours 
chez  la  poule. 

M.  —  Les  poules  soumises  à  un  amendement  tétra-chloruré  (chlorure 
de  calcium,  chlorure  de  magnésium,  chlorure  de  sodium,  chlorure  de 
potassium),  pondent  des  œufs  dont  le  jaune  est  plus  lourd  que  le  jaune 
des  œufs  ordinaires  ;  lo  poids  de  la  magnésie  et  de  la  chaux  augmente 
dans  le  jaune. 

VII.  —  Le  poussin,  en  naissant,  contient  plus  de  chaux  et  de  magnésie 
que  l'œuf  ;  le  poussin  emprunte  cet  excès  de  chaux  et  de  magnésie  à  la 
coquille,  qui  est  en  partie  composée  d'un  albumino-carhonate  de  chaux  (2) 
et  de  magnésie  soluble. 

VUL  —  Les  corps  désignés  sous  le  nom  à' albuminates  sont  des  com- 
posés complexes  contenant  en  petite  (juantité  la  combinaison  albumino- 
métallique  qui  est  toujours  à  l'état  de  proto-sel,  qui  est  toujours  soluble. 

L\.  —  Les  œufs  pondus  par  des  poules  amendées  gagnent  0,584753  0/Ot» 
de  matière  minérale  sur  les  œufs  ordinaires. 

Les  poussins  nés  des  œufs  amendés  gagnent  0,59556  0/00  de  matière 
minérale  sur  les  poussins  nés  d'œufs  ordinaires. 

X.  —  Les  poussins  nés  des  (eufs  amendés  sont  plus  lourds,  plus  vivaces, 
plus  beaux  ;  leur  duvet  est  plus  soyeux,  plus  brillant  ;  leurs  couleurs  sont 
plus  vives. 

XL  —  La  rotation  qui  s'établit  entre  les  bases  terreuses  et  les  bases 
alcalines  chez  le  poussin  amendé  est  remanjuable  et  rapproche  le  poussin, 
par  sa  constitution  minérale,  des  nouveau-nés  plus  élevés  que  lui  dans 
la  série  animale. 

XIL  —  Nous  désignons  sous  le  nom  d'amendements,  les  substances 
capables  de  rendre  assimilables  les  principes  alimentaires  qui  restent  inu- 
tilisés dans  les  conditions  ordinaires  de  l'assimilation. 

XIII.  —  La  solution  tétra-chlorurée  est  un  amendement  dans  le  sens 
strict  de  notre  définition  :  elle  est  favorable  à  l'assimilation  puisque  le 
[>oids  de  l'œuf  augmente,  puisque  le  poussin  est  plus  lourd,  plus  vigou- 
reux, plus  beau. 

1 1  )  Nulle  pari  on  ne  rencontre  d'albumine  vivante  sans  subslratum  minéral,  et  c'est  dans  cette  miné- 
nilisatiim  «le  l'albiiniine  que  rt'<ifle  le  sr>/ de  l'être  vivant.  'J.  Gaibe,  du  Gers),  Its  Sciences  biologiques. 
p.  :t6'i,  12'-  livraison, . 

(2)  Voir:  Société  de  Biologie,  anm'es  IS91-U2  ;  De  l' Albnminalurie . 


516  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 


M.  Emile  BELLOC 

à  Paris. 


UTILISATION   DES  CUVETTES  LACUSTRES  PYRÉNÉENNES  POUR  LA  PISCICULTURE 


—  Séance  du  19  septembre  4892  — 

La  culture  méthodique  des  eaux  est  pour  ainsi  dire  ignorée  dans  la 
région  pyrénéenne.  Cependant,  comme  toutes  les  questions  relatives  à 
l'alimentation  publique,  la  mise  en  valeur  des  nombreuses  cuvettes  la- 
custres renfermées  dans  ces  montagnes  intéresse  trop  directement  les  popu- 
lations rurales,  pour  que  cette  question  capitale  reste  plus  longtemps  dans 

l'oubli. 

La  terre,  parfois,  est  une  mère  ingrate  dans  les  contrées  montagneuses, 
et  celui  qui  la  cultive  et  lui  prodigue  ses  soins  sait  par  expérience  qu'il 
n'est  pas  toujours  récompensé  de  son  pénible  labeur.  Mal  pais,  dit  l'Es- 
pagnol habitant  le  revers  méridional  des  Pyrénées  ;  Maoua  terra,  s'écrie 
le  cultivateur  du  versant  septentrional,  lorsqu'il  compare  son  champ 
enfoui  sous  une  couche  épaisse  de  neige,  durant  une  grande  partie 
de  l'année,  aux  plaines  fertiles  d'où  il  tire  la  plus  grande  partie  de  sa 
subsistance. 

En  négligeant  ce  grand  problème  économique  de  la  mise  en  produc- 
tion des  masses  d'eau  qui  couvrent  leurs  territoires,  les  municipalités 
sont  coupables  à  tous  égards.  Non  seulement  elles  privent  leurs  conci- 
toyens d'un  produit  naturel  et  d'un  aliment  éminemment  sain,  dont  les 
qualités  nutritives  leur  rendraient  les  plus  grands  services  ;  mais  encore' 
elles  renoncent  bénévolement  à  un  profit  assuré  qui  augmenterait  le 
revenu  communal  dans  de  notables  proportions. 

Au  point  de  vue  social  et  utilitaire,  la  pisciculture,  ou  plutôt  Vaqui- 
culture,  nom  sous  lequel  cette  science  pratique  devrait  être  exclusivement 
désignée,  mériterait  d'occuper  le  premier  rang  parmi  les  industries  ali- 
mentaires, car  c'est  peut-être  la  seule  dont  les  produits  n'aient  pas  encore 
été  atteints  par  les  falsifications  et  les  altérations  si  communes  et  si 
habiles  à  notre  époque. 

L'art  d'élever  le  poisson  n'est  pas  de  date  récente.  Lés  peuples  de  l'an- 
tiquité l'ont  pratiqué  avec  succès;  et,  sans  remonter  aussi  loin,  il  est 


É.    lîELLOC.    —   UTILISATION    DES    CUVETTES  LACUSTRES   PYRÉNÉENNES      517 

avéré  que  la  fécondation  arlificiellc  a  été  découverte  au  xiv''  siècle, 
par  un  moine  français  du  nom  de  Pichou,  vivant  à  l'abbaye  de  Rémon, 
dans  la  Cùte-d'Or.  Vers  le  milieu  du  xviii'^  siècle,  le  naturaliste  Jacobi, 
reprenant  la  méthode  inventée  par  le  moine  français,  l'étudia  sous  toutes 
ses  formes,  avec  la  persévérance  obstinée  et  le  soin  minutieux  des  détails 
qui  caractérisent  les  gens  de  sa  race. 

Une  assez  longue  période  de  tàtonuements  et  d'essais  suivit  les  impor- 
tantes expériences  de  Jacobi.  En  Europe,  comme  en  Amérique,  on  s'oc- 
cupa du  repeuplement  des  eaux  vives  et  des  étangs  ;  mais  ce  ditîicile 
problème  paraît  avoir  été  définitivement  résolu,  d'une  façon  pratique,  par 
un  modeste  pêcheur  vosgien  nommé  Rémy,  qui  ignorait  certainement 
les  études  savantes  faites  avant  lui.  C'est  seulement  à  partir  de  ce  moment 
qu'a  commencé  réellement  l'application  méthodique  et  raisonnée  de  la 
culture  de  l'eau  (1). 

Depuis  cette  époque,  l'Aquiculture  a  fait  de  grands  progrès,  et,  parmi 
les  nations  voisines  de  la  nôtre,  la  Suisse  est,  actuellement,  une  de  celles 
où  l'exploitation  aquicole  est  le  mieux  comprise  et  donne  les  meilleurs 
résultats.  De  1881  i^i  4888,  le  chiffre  total  des  établissements  piscicoles 
s'est  élevé  progressivement  de  vingt-cinq  à  soixante-onze,  et  pour  la  seule 
année  1888  le  nombre  d'alevins  éclos  dans  soixante-neuf  de  ces  établis- 
sements a  élé  de  12.201.987  (S); 

D'après  les  dernières  statistiques  que  le  gouvernement  fédéral  suisse  a 
bien  voulu  directement  me  communiquer,  il  résulte  que,  sur  18.542  œufs 
déposés  dans  les  bassins  des  divers  établissements  de  pisciculture,  en  1890, 
on  a  etfectué,  sous  contrôle  officiel,  la  mise  en  pleine  eau  de  12.090.313 
alevins,  d'espèces  différentes,  parmi  lesquels  les  truites  figurent  pour  le 
chiffre  considérable  de  3.076.253. 

Durant  la  période  de  1890-91.  le  nombre  total  des  établissements  de 
pisciculture,  en  Suisse,  étant  de  90,  le  canton  de  Berne  a  mis  en  culture, 
dans  les  vingt  établissements  qu'il  possède,  2.089.300  œufs,  qui  ont  pro- 
duit 1,588.570  alevins. 

Le  canton  le  plus  favorisé  pendant  celte  même  période  a  été  celui  de 
Lucerne  qui,  avec  3.654.G99  œufs  cultivés  dans  sept  établissements  seu- 
lement, a  fourni  3.058.655  alevins. 

Après  Berne,  les  cantons  d'Argovie  et  de  Vaud  possèdent  le  plus  grand 
nombre  d'établissements  piscicoles  ;  ils  en  ont  chacun  respectivement  seize 
et  onze,  dont  le  produit  a  été  de  1.810.900  éclosions  pour  2.451.000  œufs 


(1)  Pour  les  renseifjnenienls  techniques,  qui  ne  sauraient  trouver  ici  leur  place,  on  pourra  con- 
sulter les  ouvrages  allemands  et  fram.-ais  pulili.'S  sur  ce  sujet,  entre  autres  ceux  du  professeur 
Coste,  et  l'élude  très  intéressante  de  M.  Casimir  Landes,  sur  V Aquiculture    Imp.  Douladoure-Pnvat, 

1890,  Toulouse^. 

(2)  Ces  chiilres  mont  été  fournis  par  YI-:tuJc  des  Lici  suisses,  de  M.  J.  Thoulet,  qui  les  a  relevés 

dans  les  documents  officiels. 


SI 8  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

incubés,  et  de  741.230  alevins  éclos  pour  1.003.100  œufs   livrés  à  l'in- 
cubation. 

Ces  chiffres  ont  leur  éloquence  et,  sans  prétendre  à  des  résultats  immi'- 
diats  aussi  brillants,  je  suis  persuadé  qu'avant  peu  l'Aquiculture  deviendra 
prospère  dans  les  Pyrénées,  si  les  établissements  sont  installés  avec  mé- 
thode et  économie. 

Actuellement  la  vie  animale  est  aux  trois  quarts  anéantie  dans  les  eaux 
pyrénéennes,  et  il  est  facile  de  prévoir  l'époque  prochaine  où  le  poisson 
disparaîtra  des  lacs  et  des  cours  d'eau,  si  l'autorité  supérieure  ne  prend 
pas,  à  bref  délai,  des  mesures  énergiques  pour  arrêter  les  déprédations  des 
malfaiteurs.  Les  engins  prohibés  ne  suffisent  plus  à  la  stupide  fureur  de 
destruction  des  braconniers  qui,  sûrs  de  l'impunité  ou  à  peu  près,  et 
sans  se  préoccuper  des  désastres  qu'ils  occasionnent,  ne  craignent  pas  de 
mettre  en  œuvre  les  substances  toxiques  les  plus  violentes  et  même  les 
matières  explosives  pour  s'emparer  du  poisson.  Et,  chose  triste  à  dire, 
c'est  parfois  sous  l'œil  extraordinairement  indulgent  des  hommes  officiel- 
lement chargés  de  faire  respecter  la  loi,  que  se  passent  ces  faits  déplo- 
rables à  tous  égards.  La  répression  énergique  des  délits  et  l'observation 
rigoureuse  des  règlements  de  pêche  s'imposent  donc  avant  tout. 

A  l'époque  du  frai,  le  braconnage  fluviatile  ou  lacustre  devient  un  véri- 
table crime,  puisque  le  pécheur  détruit,  en  une  seule  fois,  des  milliards 
d'individus  avant  leur  naissance.  Du  reste,  son  méfait  est  sans  profit  pour 
lui,  car,  à  ce  moment-là,  les  œufs  utilisant  pour  leur  formation  la  plus 
grande  partie  des  matières  grasses  et  de  l'acide  oléophosphorique  qui 
colore  la  chair  des  poissons,  surtout  celle  des  truites  saumonées, 
l'animal  a  perdu  sa  coloration  et  sa  saveur,  et  n'a  plus  de  valeur 
marchande. 

Quoique  l'homme  soit  souvent  cruel  et  impitoyable  envers  certaines 
espèces  d'animaux,  il  n'est  pas  toujours  leur  plus  redoutable  ennemi,  et 
dans  la  plupart  des  cas  même,  ce  sont  les  individus  de  leur  propre  race 
qui  leur  livrent  les  plus  rudes  combats. 

Si  nous  considérons  les  poissons  d'eau  douce,  par  exemple,  nous  les 
voyons  exposés  à  tous  les  dangers,  depuis  l'état  embryonnaire  jusqu'à  la 
mort,  sans  autre  arme  défensive  que  leur  agilité.  Aussi  les  générations 
nouvelles  sont-elles  constamment  exposées  à  de  véritables  hécatombes.  Si 
l'on  ajoute  à  cela  que  certaines  espèces,  telles  que  les  truites,  ne  prennent 
aucun  soin  de  leurs  œufs,  qu'elles  déposent  simplement  le  long  des 
zones  littorales,  dans  des  endroits  tranquilles,  creux  et  peu  profonds,  on 
(îomprendra  aisément  combien  il  est  urgent  de  soustraire  les  jeunes  sal- 
mones  à  la  voracité  de  leurs  congénères,  pendant  l'époque  la  plus  critique 
de  leur  existence. 

Au  moment  de  l'éclosion,  le  corps  de  l'animal  est  tellement  grêle  et 


K.   BELLOC.  —    ITILISATION    DES    CUVETTES    LACUSTRES    PYRÉNÉENNES      ol9 

6a  vésicule  ombilicale  si  fortement  développée  au  dehors,  que  le  malheu- 
reux petit  être,  couché  sur  le  tlanc  et  incapable  de  se  mouvoir,  devient 
très  facilement  la  proie  de  ses  nombreux  ennemis.  Plus  tard,  lorsque  la 
substance  jaune  de  la  vésicule  abdominale  est  en  partie  résorbée,  le  jeune 
alevin,  devenu  plus  agile,  est  mieux  à  même  de  se  défendre  ;  cependant, 
en  cet  état  moyen  de  développement,  les  espèces  carnassières  qui  le 
guettent  en  dévorent  une  très  grande  quantité.  Les  pêcheurs  pyrénéens 
n'ignorent  pas  ces  détails  ;  aussi  ont-ils  la  conviction  qu'une  truite  de 
grande  dimension  détruit  plus  de  poissons  qu'une  loutre  de  taille 
ordinaire. 

Quelques  tentatives  d'empoissonnement  ont  bien  été  faites  dans  certaines 
parties  de  la  région  pyrénéenne,  mais  ce  sont  là  des  faits  isolés  et  qui 
sont  restés  sans  conséquence,  n'ayant  rien  de  commun  avec  les  méthodes 
perfectionnées  appliquées  actuellement  à  la  production  et  à  l'élevage 
raisonné  du  poisson  comestible.  L'industrie  aquicole  trouverait  dans  ce 
pays  des  ressources  considérables  et  un  champ  d'exploitation  absokmient 
neuf.  Et  comme  ces  établissements,  créés  à  peu  de  frais,  fonctiormeraient 
surtout  pendant  l'hiver,  la  main-d'ceuvre  étant  à  très  bas  prix  à  cette 
■époque  de  l'année  dans  les  montagnes,  le  succès  serait  certain. 


La  plupart  des  cuvettes  lacustres  pyrénéennes  se  prêteraient  très  bien 
à  la  culture  du  poisson,  puisque,  dans  un  grand  nombre  d'entre  elles, 
la  truite  se  multiplie  et  se  développe  admirablement.  Leurs  eaux  pures 
et  limpides  renferment,  non  seulement  les  matières  chimiques  néces- 
saires à  la  formation  du  squelette  de  ces  animaux,  mais  encore  une 
innombrable  quantité  d'animalcules  propres  à  leur  nourriture. 

Ramond  de  Carbonnière,  l'éminent  explorateur,  avait  signal»^  trois 
i^spèces  de  truites  dans  les  lacs  des  Pyrénées.  La  truite  commune  (Trutta 
fario,  Sieb.),  la  truite  saumonée  {Trutta  argentea,  Val.)  et  la  truite  des 
Alpes  ou  truite  noire  (Salmo  alpiiius,  Ginel).  Actuellement  on  n'admet 
plus  qu'une  seule  espèce  de  ivmie  {Trutta  fario)  avec  des  variétés  pré- 
sentant divers  degrés  de  coloration.  Quoi  qu'il  en  soit,  mes  observations 
personnelles  maintes  fois  répétées,  particulièrement  au  lac  d'Oô,  m'ayant 
révélé  un  fait  physiologique  très  curieux,  je  vais  le  faire  connaître,  car  il 
n'a  encore  été  relaté  nulle  part. 

Les  filets  de  pêche  tendus  le  soir  dans  la  partie  littorale  du  lac  et 
relevés  chaque  matin  ramènent  deux  sortes  de  truites  dont  la  manière 
d'être  et  l'aspect  extérieur  diffèrent  complètement.  Les  unes,  dont  le  corps 
et  la  tête  sont  allongés,  ont  le  museau  effilé.   Leur  peau,  parsemée   de 


520  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

petits  points  rouges,  est  d'un  blanc-gris  argenté  et  très  clair  à  la  partie 
abdominale  ;  elle  passe  au  gris  sombre  vers  l'arête  dorsale.  Lorsqu'un 
de  ces  individus  se  sent  pris  au  piège,  il  se  débat  désespérément,  et  la 
violence  de  ses  mouvements  est  telle  que  souvent  les  mailles  du  filet  qui  l'en- 
serrent pénètrent  dans  sa  chair.  Malgré  cette  position  critique,  il  est  rare 
qu'il  ne  soit  pas  encore  vivant  au  moment  où  on  le  retire  de  l'eau.  —  Les 
autres,  au  contraire,  dont  la  tête  est  plus  courte  et  le  corps  plus  ramassé, 
sont  d'une  couleur  gris  verdâtre,  et  leur  peau,  où  les  points  rouges  sont 
très  vifs  et  beaucoup  plus  nombreux  que  dans  l'espèce  précédente,  est 
tachée  de  noir  de  l'extrémité  du  museau  au  bout  de  la  queue.  Rarement 
j'ai  vu  la  tête  de  ceux-ci  engagée  de  plus  de  deux  ou  trois  centimètres 
dans  le  tramail  qui  le  retient  prisonnier,  et  plus  rarement  encore,  j'ai  pu 
recueillir  l'animal  vivant. 

Il  y  a  là,  ce  me  semble,  un  fait  physiologique  remarquable;  et,  en 
admettant  que  ces  deux  êtres  appartiennent  à  la  même  espèce,  il  faut 
reconnaître  que  la  force  de  résistance  à  l'asphyxie  est  infiniment  plus- 
considérable  chez  l'un  que  chez  l'autre  (1). 

La  truite  se  rencontre  à  peu  près  dans  tous  les  lacs  pyrénéens,  jusqu'à 
une  altitude  voisine  de  2.400  mètres,  mais  il  est  plus  rare  d'y  trouver 
d'énormes  anguilles  à  1.764  mètres  de  hauteur,  comme  l'a  remarqué 
le  D''  Jeanbernat  au  lac  de  Balcère. 

La  faune  lacustre  des  Pyrénées  n'est  pas  encore  définitivement  connue. 
Ramond,  Ch.  des  Moulins,  Philippe,  D.  Dupuy,  N.  Boubée,  E.  S.  Fros- 
sard,  le  D^  Jeanbernat,  le  général  de  Nansouty  et  le  D'  P.  Fischer  (2) 
en  ont  parlé  incidemment  dans  leurs  écrits,  et  M.  P.  Fagot  lui  a  consacré,, 
dans  le  Bulletin  de  la  Société  d'Histoire  naturelle  de  Toulouse  (p.  29, 1883), 
une  note  dont  le  but  principal  est  de  retracer  l'histoire  de  la  Salamandre 
aquatique,  observée  dans  le  lac  d'Oncet  par  Ramond,  et  qu'il  désigne  sous 
le  nom  de  Megapterna  pyrenaica  (Euproctus). 

D'après  ces  recherches  déjà  un  peu  anciennes,  cette  faune  se  rédui- 
rait à  :  une  espèce  de  poisson,  deux  espèces  de  batraciens,  une  espèce 
d'insecte,  trois  espèces  de ,  mollusques  et  une  espèce  de  ver  nématode. 

A  cette  liste  très  incomplète,  que  des  recherches  ultérieures  modifieront 
certainement,  il  faut  ajouter  : 

1°  Un  batracien  non  encore  signalé  en  France,  Rana  Iberica,  Boulenger, 
découvert   par  moi  au  lac  d'Aubert  (Hautes-Pyrénées).    [Jusqu'à  nouvel 

a)  L'étude  de  la  disposition  du  squelette  de  ces  vertébrés  permettra  peut-être  de  tirer  des  con- 
clusions plus  caractéristiques. 

Dans  le  but  d'élucider  aut.mt  que  possible  la  question,  j'avais  eu  recours  au  bon  vonloir  de  M.  Sartor, 
maire  actuel  delà  commune  doô  et  fermier  du  lac  de  ce  nom,  pour  obtenir  quelques  échantillons 
de  sa  pèche.  L'envoi  fut  obligeamment  fait,  mais  de  fâcheuses  circonstances  l'ont  empêché  d'ar- 
river jusqu'à  moi. 

(2)  P.  Fischer,  Faune  malacologique  de  la  vallée  de  Cauterets  (2«  supplément)  (Journal  de  Conchy- 
liologie, vol,  26.  -18781. 


É.    BELLOC.  —    UTILISATION    DES   CUVETTES    LACUSTRES   PYRÉNÉENNES      o2l 

ordre  ce  nom  est  donné  sous  toute  réserve,  les  échantillons  soumis  à 
l'examen  de  xVIM.  Parâtre  et  RoUinat  étant  en  mauvais  état  de  conserva- 
tion lorsqu'ils  sont  parvenus  entre  leurs  mains]; 

2°  Le  Desman  des  Pyrénées  (Myogale  pyixnaica)  (1)  ; 

3°  La  loutre  commune  (Lutra  vulgaris,  L.)  ; 

4°  Une  sangsue  {Hœmopis  sanguisur/a  (Bergman,  nec  Moquin-Tandon;, 
déterminée  par  le  D'  R.  Blanchard,  qui  prépare  une  grande  monographie 
des  Hirudinées. 

Abstraction  faite  des  lacs  de  la  zone  sous-montagneuse  —  Lourdes, 
Saint-Pé-d'Ardet,  Barbazan,  etc.  —  renfermant  la  plupart  des  espèces  de 
poissons,  de  reptiles,  de  batraciens  et  d'insectes,  vivant  habituellement 
dans  les  eaux  de  la  plaine,  la  faune  lacustre  pyrénéenne  se  compose 
actuellement  de  : 

.        ,  .,.,         (  Mno(iale  pxirenaica  (Desman  des  Pvrénôcs). 

Deux  espèces  de  mammiteres.  \  ,   /        ,      .     -, 

(  Lutra  vulgaris,  L. 

ÎRana  temporaria,  L.,  var.  Cajîigonîca,  Boubée. 
—    Iberica,  Boulanger. 
Megapterna  pyrenaica,  Fagot  (Ewprodits,  Gêné). 

Une  espèce  de  poisson Trutta  fario,  Sieb. 

Une  espèce  d'insecte Dislicus  circumflexus,  Fabric. 

Une  espèce  d'hirudinées   .    .    .     Hœmopis  sanguisuga,  Bergman. 
Une  espèce  de  ver  néniatode  .     Gordius  aquaticus,  L. 

[  Lhmiœa  limosa,  var.  glacialis,  Dupuy. 
i  Ancyhis    fluviatilis,   Miill.,    var.    Capuloides, 
]      Porro . 
Quatre  espèces  de  mollusques.     Pisidum  Cazertanurn,  Poli,   var.  lenticularis, 

Norm . 
—  —  Poli,     var.    pulchella, 

Jenyns. 

Enfin,  la  faune  microscopique  est  aussi  largement  représentée  dans  les 
eaux  pyrénéennes  comme  l'ont  établi  tout  récemment,  et  pour  la  première 
fois,  les  études  de  M.  le  baron  Jules  de  Guerne,  ancien  président  de  la 
Société  zoologique  de  France,  et  de  M.  le  D'  Jules  Richard,  qui  ont  bien 
voulu  se  charger  d'examiner  les  pêches  au  filet  fin  que  j'ai  faites  dans 
un  assez  grand  nombre  de  lacs  supérieurs.  Leur  travail  —  dont  les  résul- 
tats ont  fourni  la  matière  d'une  note  spéciale  contenue  dans  le  présent 
volume,  p.  526  —  a  révélé  des  richesses  microscopiques  abondantes 
inconnues  jusqu'ici  dans  les  Pyrénées,  composées  d'Entomostracées,  de 
Rotifères  et  de  Protozoaires,  dont  les  jeunes  poissons  en  général  et  les 
truites  en  particulier  sont  très  friands. 

En  terminant,  je  dirai  que"  la  création  de  l'Aquiculture  s'impose  falale- 

M)  Eiifiènc  TRiTAT,  Essai  sut  f histoire  naturelle  du  Desmandes  Pyrénées.  Toulouse,  imp.  Edouard 
Privât,  1891. 


OlZ  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

ment  à  l'heure  actuelle,   sous   peine  de   voir  se  produire  avant  peu   le 
dépeuplement  complet  des  torrents  et  des  lacs  pyrénéens. 

Celte  question  primordiale,  qui  touche  directement  au  bien-être  de  nos 
populations  montagnardes  si  dignes  d'intérêt,  a  été  portée  l'an  dernier 
devant  le  Conseil  général  des  Hautes-Pyrénées.  Nous  croyons  savoir  qu(î 
le  Service  hydraulique  agricole,  sous  la  direction  de  M.  l'ingénieur  eu 
chef  J.  Fontes,  a  déjà  mis  à  l'étude  un  projet  d'établissement  aquicolc 
destiné  à  la  région  d'Orédon  ;  espérons  que  la  réalisation  de  ce  projet, 
utilitaire  au  premier  chef,  ne  se  fera  pas  longtemps  attendre  et  ne  sera 
que  le  prélude  d'une  mise  en  culture  générale  de  lacs  et  rivières  de  nos 
montagnes.  Alors  nos  collègues  —  trouvant  l'aquiculture  en  pleine  activité 
quand  l'Association  française  se  réunira  de  nouveau  dans  les  Pyrénées 
—  pourront  dire  avec  Franklin  :  «  Tout  homme  qui  pêche  tire  de  l'eau 
une  pièce  de  monnaie,  et  si  le  filet  ramené  sur  le  rivage  est  gorgé  de  butin, 
il  procure  au  pêcheur  un  véritable  trésor.   » 


L.    BOÏÏTAIf 

Ooctour  ('S  sciences,  !\lailrc  de  Conférences  à  la  Facultr  ries  Sciences  de  Paris 


SUR    LE    DEVELOPPEMENT    DE    L'HALIOTIDE    ET    SUR    L'UTILITÉ    DU    SCAPHANDRE 
DANS   LES  RECHERCHES     ZOOLOGIQUES 


—  Séance  du  19  septembre  iSHi  — 

L'an  dernier,  pendant  un  voyage  dans  la  mer  Rouge,  j'eus  la  bonne 
fortune  de  recueillir  les  formes  jeunes  du  Parmophore.  Je  désirais  com- 
pléter mes  observations  en  étudiant  en  même  temps  le  développement  de 
l'Haliotide  et  du  Troche. 

J'écrivis  en  conséquence  à  M.  de  Lacaze-Duthiers  pour  lui  demander 
l'autorisation  de  travailler  dans  le  beau  laboratoire  qu'il  a  fondé  à 
Banyuls-sur-Mer. 

Si  le  mois  d'aoïlt  est  favorable  à  l'étude  que  je  voulais  entreprendre, 
il  l'est  cependant  beaucoup  moins  au  point  de  vue  de  l'organisation 
même  du  laboratoire  qui  ne  doit  fonctionner,  en  temps  normal,  que  le 
printemps  et  l'hiver. 


I,.  BOUTAN.    SUn    LE    DKVKI.OPPE.ME.M    bE    l/llAl.IOTlDE  o28 

.Mais,  en  raison  de  l'utilité  du  travail  que  j'avais  en  vue  et  malgré  tous 
les  inconvénients  et  toutes  les  dépenses  qu'entraîne  l'armement  spécial 
d'un  bateau  à  une  époque  inaccoutumée,  M.  de  Lacaze-Duthiers  mit 
libéralement  à  ma  disposition  les  ressources  de  cette  belle  station  mari- 
time; et,  grâce  à  son  intervention,  je  pus  efîectucr  dans  de  bonnes 
<-onditions  le  travail  projeté.  A  l'aide  du  scaphandre  qui  appartient  au 
laboratoire  de  Banyuls,  j'ai  eu  le  moyen  d'explorer  à  mon  aise  le  fond 
de  la  mer  et  d'étudier  sur  place  les  jeunes  Gastéropodes  aux  diverses 
phases  de  leur  développement.  C'est  sur  ce  jnodr  d'invi'stigation  assez 
original  que  je  désire  appeler  aujourd'hui  l'attention  de  mes  collègues  du 
Congrès. 

Le  laboratoire  Arago  possède  un  scaphandre  des  mieux  organisés  et  un 
patron  tout  à  fait  au  courant  de  la  manœuvre  de  l'appareil.  Sans  courir 
l(^  moindre  danger,  j'ai  donc  pu  descendre,  à  plusieurs  reprises,  dans  la 
rade  de  Port-Vendres,  aux  endroits  qui  me  paraissaient  permettre  une 
abondante  récolte  des  jeunes  gastéropodes  à  étudier. 

Cette  descente  au  fond  de  la  mer  est  plus  effrayante  en  apparence  qu'en 
réalité.  Quand  on  s'est  habitué  au  vêtement  un  peu  lourd  qui  vous  enve- 
loppe de  toutes  parts,  quand  on  fait  abstraction  du  grondement  de  l'air 
mis  en  vibration  par  la  pompe,  on  circule  avec  une  extrême  facilité,  du 
moins  dans  les  profondeurs  moyeimes  de  sept  à  huit  mètres. 

Le  spectacle  qu'on  a  sous  les  yeux  est  des  plus  captivants  :  si  l'on  se 
trouve  dans  les  environs  des  Zostères,  on  aperçoit  de  grandes  prairies 
submergées  aux  longues  herbes  toutes  inclinées  dans  le  même  sens  par 
le  courant.  Au-dessus  de  ces  grandes  herbes,  circulent  sans  défiance  des 
bandes  de  poissons  qui  s'arrêtent  (:a  et  là  pour  pâturer. 

En  poursuivant  la  promenade,  on  rencontre  des  roches  coupées  à  pic, 
véritables  escarpements  qui  rappellent  les  coupes  rocheuses  que  l'on 
observe  en  certains  points  de  nos  montagnes. 

Un  p«'u  plus  loin,  apparaissent  des  amoncellements  de  pierres  et  de 
lochers  sous  lesquels  grouille  toute  une  faune  d'êtres  vivants.  Le  poulpe, 
avec  ses  longs  bras  garnis  de  ventouses,  vit  à  l'alTùt  sous  quelque  roche 
<'n  surplomb  et  trouve,  pour  se  nourrir,  des  milliers  de  irabes  et  d'autres 
<rustacés. 

("est  sous  la  face  inférieure  des  pierres  de  moyenne  grosseur  que  je 
trouvais  le  plus  abondamment  les  haliotides  adultes  et  leurs  larves. 

Les  hommes  placés  sur  le  bateau  surveillaient  mes  mouvements  à  travers 
leau  merveilleusement  transparente  de  la  Méditerranée  et  laissaient  couler 
à  pic  une  drague  dans  les  environs  de  l'endroit  où  je  travaillais. 

Ma  besogne  consistait  à  choisir  les  pierres  qui  me  paraissaient  favo- 
rables, à  les  entasser  dans  le  fdet  de  la  drague  que  les  matelots  hissaient 
l'nsuite  sur  le  pont  pour  me  permettre,  une  fois  remonté,  de  uw  livrera 


o24  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

une  étude  plus  minutieuse.  Grâce  à  ce  procédé,  j'ai  pu  recueillir  les  maté- 
riaux qui  m'étaient  nécessaires  et  arriver  à  une  étude  à  peu  près  complète 
du  développement  de  l'Haliolide.  Les  résultats  de  cette  étude  seront 
exposés  dans  un  mémoire  ultérieur. 

Ce  développement  offre,  du  reste,  un  grand  nombre  de  points  communs 
avec  celui  de  la  fissurelle  et  du  Parmopliore  que  j'ai  décrit  dans  des 
mémoires  publiés  antérieurement. 

Quand  on  place,  au  moment  favorable,  une  certaine  quantité  d'haiiotides 
adultes,  mâles  et  femelles,  dans  un  aquarium,  on  peut  étudier  leur  repro- 
duction à  loisir.  L'eau  ne  tarde  pas  à  devenir  d'un  blanc  laiteux  et  cette 
couleur  tient  au  nombre  immense  de  Spermatozoïdes  que  les  mâles  mettent 
en  liberté  pour  assurer  la  fécondation.  Ils  lancent  la  semence  sous  la 
forme  d'un  liquide  blanchâtre,  par  le  quatrième  ou  le  cinquième  trou  de 
la  coquille;  et  cette  projection  est  si  forte  et  si  abondante  qu'en  choisissant 
un  animal  placé  près  de  la  surface  de  l'eau  on  peut  recueillir  une  partie 
du  jet  dans  un  verre  de  montre  situé  à  fleur  d'eau. 

Cette  énorme  quantité  de  Spermatozoïdes  mélangés  au  liquide  ambiant 
semble  exciter  les  femelles  et  les  amène  ('galinnent  à  pondre. 

Les  œufs,  d'un  beau  vert,  sont  à  peine  visibles  à  l'œil  nu.  Au  rnomenii 
de  leur  projection  en  masse  au  dehors  de  la  cavité  branchiale,  ils  sont 
dispersés  sous  forme  de  jet  comme  la  semence  du  mâle;  et  comme  ils  ne- 
sont  pas  agglutinés  en  forme  de  ponte,  ils  ne  tardent  pas  à  se  disséminer 
dans  l'eau,  entraînés  vers  le  fond  ou  emportés  par  le  courant. 

Dans  un  pareil  milieu,  la  fécondation  est  rapide;  si  l'on  observe  sous 
le  microscope  un  œuf  d'Haliotide  dans  ces  conditions,  on  voit  que  sa  péri- 
phérie est  protégée  par  une  coque  épaisse,  mais  qu'à  l'un  des  pôles  cette 
coque  est  perforée  par  un  micropyle  en  forme  de  goulot  de  bouteille. 

Les  Spermatozoïdes  viennent  se  heurter  contre  la  coque  sans  pouvoir 
la  traverser.  Il  y  a  beaucoup  d'appelés  et  peu  d'élus.  Un  petit  nombre 
seulement  pénétrent  par  le  micropyle  et  arrivent  à  l'œuf. 

La  segmentation  totale  et  régulière  s'effectue  plus  vile  que  chez  les  Fissu- 
relles;  et  nous  conduit  à  une  gastrula  par  épibolie  qui  se  munit  de  cils 
vibratiles.  Je  n'insisterai  pas  sur  ces  premiers  stades  du  développement 
qui  me  forceraient  à  répéter  une  description  que  j'ai  déjà  donnée  pour 
d'autres  Aspidobranches  et  j'arrive  immédiatement  au  stade  gastrula. 

Si  l'on  examine  la  larve  en  voie  de  formation,  on  voit  la  bouche  primi- 
tive se  fermer  complètement  :  une  couronne  ciliaire  apparaît  au  pôle 
opposé  et  une  invagination  coquilliére  se  produit. 

Nous  arrivons  au  stade  veligère  :  l'invagination  coquilliére  donne  nais- 
sance à  une  coquille  nettement  enroulée;  la  jeune  Haliotide  prend  la 
forme  typique  de  la  larve  du  Gastéropode.  A  l'aide  d'un  voile  muni  de 
longs  cils,  elle  tourbillonne  dans  l'eau  avec  une  extrême  rapidité;  enfin. 


L.    BOUTAN.    —    SUR   LE    DÉVELOPPEMENT    DE    l'hALIOTIDE  o2o 

le  pied  muni  d'un  opercule  permet  la  fermeture  complète  de  la  coquille 

larvaire.  ' 

A  ce  stade  il  serait  fort  difficile  de  savoir  que  l'on  a  affaire  à  une  larve 
d'Haliotide,  de  Fissurelle,  de  Parmophore  ou  de  Troche  si  l'on  n'avait 
suivi  l'œuf  depuis  son  développement  initial. 

Cependant,  chez  Tllaliotide  et  le  Troche,  le  voile  est  un  peu  moins 
développé  que  chez  la  Fissurelle.  Que  devient  cette  larve  franchement 
enroulée  de  l'Haliotide? 

Le  développement  direct  n'a  pu  me  renseigner  à  ce  sujet,  car  il  m'a 
toujours  été  impossible  de  conduire  la  larve  en  voie  de  formation  jusqu'à 
l'état  adulte. 

Cependant,  grâce  aux  récoltes  efîectuées  à  l'aide  du  scaphandre,  j'ai 
pu  me  rendre  compte  des  transformations  ultérieures. 

La  coquille  larvaire  enroulée  ne  disparaît  pas  complètement  ;  et  c'est 
elle  qui  se  modifie  progressivement  pour  donner  naissance  à  la  coquille, 
en  forme  d'oreille,  de  l'adulte. 

Le  péristome  s"élargit  énormément  et  le  tortillon,  restant  slationnaire, 
devient  relativement  de  moins  en  moins  important. 

Par  suite  de  la  formation  de  deux  lobes  dans  la  portion  antérieure  du 
manteau  d'organe  formateur  de  la  coquille),  une  première  échancrure  se 
produit  en  avant. 

Cette  échancrure  ne  tarde  pas  à  s'oblitérer  dans  sa  partie  antérieure 
par  suite  du  rapprochement,  dans  la  partie  correspondante,  des  lobes  du 
manteau. 

Le  premier  trou  est  ainsi  constitué.  Le  second,  ainsi  que  les  suivants,  se 
creuse  par  le  même  mécanisme  :  écartements  et  rapprochements  suc- 
cessifs de  ces  deux  lobes  du  manteau. 

J'arrêterai  là  ces  détails  sur  le  développement  de  l'Haliotide,  sur  lequel 
quelques  points  de  détail  sont  encore  à  élucider;  et  je  me  contenterai  de 
faire  observer,  comme  conclusion  à  cette  note,  que  dans  les  différents  Aspi- 
dobranches  dont  nous  avons  étudié  le  développement,  on  constate,  quelle 
que  soit  la  forme  définitive  de  l'adulte,  la  présence  à  l'origine  de  stades 
presque  identiques  qui  conduisent,  par  des  étapes  succcessives,  aux  formes 
définitives  symétriques  ou  asymétriques. 

Le  parallélisme  entre  l'ontogénie  et  la  phylogénie  paraît  donc  aussi 
nettement  établi  que  possible  dans  ces  formes  intéressantes  d'Aspido- 
branches. 


o2o  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 


MM.  Jules  DE  &ÏÏERIE  et  Jules  EICHARD 


Il  Pans. 


SUR    LA    FAUNE    PÉLAGIQUE    DE    QUELQUES    LACS    DES    HAUTES-PYRÉNÉES 


—  Séance  du  49  sc/ilcmlire  IS92  — 


Les  lacs  des  Hautes-Pyrénées,  généralement  difficiles  d'accès,  ont  été 
fort  peu  explorés  au  point  de  vue  zoologique.  On  y  connaît  quelques 
Poissons,  des  Batraciens  et  des  Mollusques  (1).  Ces  derniers,  malgré  les 
recherches  assidues  de  plusieurs  nalurahstes,  parmi  lesquels  il  convient 
de  citer  de  Saulcy,  Debcaux,  Dupuy,  Fischer,  Fagot,  ne  sont  représentés 
dans  les  lacs  que  par  trois  espèces:  Limnœa  limosa,  Lin.,  var.  :  glacial is, 
Dupuy;  Ancylus  fluviatilis,  Mul.,  var.  :  capuloidcs,  Porro;  Pisidium  caser- 
tanum.  Poli,  var.  :  lenticularis,  >iorm.  et  var.  :  pulchella,  Jenyns  (2).  Ce 
sont  des  types  littoraux;  l'usage  d'une  embarcation  permettant  l'emploi 
de  la  drague  au  milieu  même  des  lacs  amènera  sans  doute  la  découverte 
de  quelques  autres  formes,  notamment  de  petits  bivalves.  Cela  est  arrivé 
dans  un  grand  nombre  de  lacs  élevés  des  Alpes  (3).  Avec  ces  Mollusques, 
la  drague  ramènera  d'ailleurs  certainement  nombre  d'animaux  particuliers 
à  la  faune  profonde,  des  Crustacés  et  des  Vers  entre  autres.  Enfin,  les 

(1)  Dans  uiio  noie  fort  intôressanto  sur  ïutili/talion  des  cuvettes  lacuxlrei^  pyrénéennes  pour  la  insc'i- 
rulliire  (Association  française  pour  l'avancement  des  sciences,  Congns  de  I'au>,  il.  ICniile  Belloc  a 
résumé  tout  ce  que  l'on  sait  de  la  faune  des  lacs  pyrénéens. 

(•>)  Voici  les  localités  où  ces  Mollusques  ont  été  recueillis  : 

(  Lacd'Oncel,       altitude  2.238  mètres. 

/.imnœa  i)mo.s((,  Lin.,  var.  :  .'//acîV//(S,  Dupuy.    .    .    .   /  Lac  d'Escoubous.    —      2.0j(i      — 

f  Lac  de  Gaube.  —  i.7f<s  — 
i  Lac  de  Gaube.         —      1.7SX      — 

.WiC(/?HS  /?ii(vV/<!7/.s,  Mull.,  var.  :  crtpjtZoiites,  Porro    .   ^   Lac  d'Estom,  —       1.782       — 

Pisidium  Cfiserlaninn,  ^oW,  yaw:  lenticularis,  'i^Qvm.      l.ac  d'Oncet,  —      2.23s      — 

—  —  var.  :  pu/cAeWa,  Jenyns      Lac  de  Gaube,        —      1.788      — 

(Fischer,  Faune  malacologiiiue  de  lu  callée  de  Cauterel»  (2=  supplénicnl).  ./o»)7i.  rfc  Co??.c/M//i'o%ie, 
vol.  26,    1878.) 

(3)  Voir,  sur  l'ensembie  de  la  l'aune  de  ces  lacs,  les  travaux  de  hnliof  et  de  Zschokke:  sur  les  Pisi- 
dium en  particulier,  ceux  de  dessin. 


J.    DE    GUEUNE    ET    J.    lilCIlAKD.     SUK    LA    l  VUNE    PÉLAGIQUE  527 

êtres  pélagiques  dont  la  récolte  s'opère  dans  de  mauvaises  conditions  sur 
les  rives,  ne  seront  bien  connus  qu'à  la  suite  de  longues  recherches 
méthodiquement  poursuivies  en  bateau. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  devons  savoir  beaucoup  do  gré  à  M.  Emile 
Belloc  d'avoir  recueilli  les  premiers  documents  sur  la  faune  pélagique 
des  lacs  pyrénéens.  C'est,  en  effet,  par  ce  zélé  naturaliste  que  nous  ont 
été  remis  les  matériaux  de  cette  note.  Aucune  des  espèces  énumérées 
dans  le  tableau  ci-joint  nest  signalée  jusqu'à  ce  jour  dans  les  Pyrénées; 
l'altitude  des  lacs  où  elles  vivent  rend  leur  station  particulièrement  inté- 
ressante. Plusieurs  d'entre  elles  :  Daphuia  loiigispina,  Leydig,  Asplanchna 
hi'Ivetica,  Notholca.  Imhof,  longispina,  Kellicott,  suffisent  déjà  à  montrer 
que  les  lacs  des  Hautes-Pyrénées  présentent,  au  point  de  vue  de  la  faune 
pélagique,  des  caractères  communs  avec  les  faunes  vivant  sur  toute  l'éten- 
due de  l'hémisphèrf  nord,  dans  des  conditions  analogues  de  tompériiture, 
sans  même  tenir  compte  de  l'altitude.  Il  existe  toutefois,  dans  les  lacs 
d'Aubert,  de  Lostallat  et  d'Orédon,  un  Copépode  remarquable.  Diap(omus 
huiniatus,  Lilljeborg,  connu  seulement  jusqu'ici,  soit  dans  l'extrême  nord 
de  l'Europe,  au  niveau  de  la  mer,  sur  la  côte  de  l'Océan  glacial,  ou  bien 
sur  les  hautes  montagnes.  La  distribution  géographique  de  ce  Crustacé, 
quelle  que  soit  la  manière  dont  il  a  pu  être  disséminé,  paraît  donc  avoir 
pour  facteur  principal  la  température. 

Voici  quelques  données  sur  les  lacs  explorés  par  M.  Emile  Belloc  et 
dont  la  plupart  nous  sont  communiquées  par  lui. 


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raètivs 

inètivs 

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Aubcil        HaïUcs-Pvrénécs).   . 

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Auiiiar                   —              •   • 

2.2L^ 

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Caïllaoïias             —              .   . 

2.165 

101 

81  août  1S92. 

Cap  (le  Long           — 

2.12(1 

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!■'■■  .septembre  1S90. 

Es  loin                    — 

L7S2 

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Fin  août  l«»l. 

I,ostallal                —              .   . 

2.172 

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1°'  septembre  IS!»0. 

Lourdes                 — 

422 

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Aoiit-septcmbre  IHOL 

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1 .500 

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2!»-3(l  août  I.S92. 

Orétlon    Hairtes-Pyrênécs)  .   .   . 

I.S6» 

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1--  septembre  IK9(). 
'  19  août  1892. 

St-Pé-rt'Ardet  (Haute-Garonne 

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S  septembre  1892. 

0-28 


ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 


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VILLOT.  —  ÉTUDE  d'aNATOMIE  COMPARÉE  SUR   LES   MERMIS  ET  LES  GORDIUS      529 


M,  A.  YILLOT 

à  Grenoble. 


ÉTUDE  D'ANATOMIE  COMPARÉE  SUR  LES  MERMIS  ET  LES  GORDIUS 


—  Séance  du  21  septembre  i892  — 

Les  Mermis  sont  des  Némathelminthes  qui,  en  raison  de  leurs  formes 
extérieures  et  de  leur  genre  de  vie,  soit  à  l'élat  libre,  soit  à  l'état  para- 
site, ressemblent  beaucoup  aux  Gordius  et  ont  été  pendant  longtemps 
confondus  avec  eux.  C'est  à  Dujardin  (1)  que  revient  le  mérite  d'avoir, 
le  premier,  nettement  distingué  ces  deux  genres  et  montré  combien  ils 
diffèrent,  en  réalité,  par  leur  organisation  ;  et  toutes  les  recherches  dont 
les  Gordius  ont  été  l'objet  dans  ces  vingt  dernières  années  n'ont  fait  que 
rendre  de  plus  en  plus  tranchée  et  de  plus  en  plus  profonde  la  séparation 
de  ces  deux  types.  L'ordre  des  Gordiacés,  dans  lequel  von  Siebold  réu- 
nissait les  Mermis  et  les  Gordius,  a  disparu  de  la  nomenclature.  Les 
Gordius  constituent  maintenant  à  eux  seuls,  dans  la  sous-classe  des 
Némathelminthes,  l'ordre  des  Gordiens.  Quant  aux  Mermis,  ils  ont  fait 
retour  à  l'ordre  des  JNématoïdes  et  ne  forment  plus  dans  cet  ordre  qu'une 
-simple  famille. 

Mais  il  n'a  pas  été  possible,  jusqu'ici,  d'établir  une  comparaison  com- 
plète et  détaillée  entre  les  Mermis  et  les  Gordius,  en  raison  même  de  l'im- 
perfection de  nos  connaissances  sur  la  structure  des  uns  et  des  autres. 
Aussi  m'a-t-il  paru  nécessaire,  après  avoir  terminé  mes  recherches  sur 
les  Gordius  C2),  de  reprendre  l'étude  des  Mermis.  Je  me  propjose,  dans  la 
présente  Note,  d'élucider  quelques  parties  de  l'anatomie  de  ces  derniers, 
et  de  les  comparer,  à  ce  point  de  vue,  avec  les  Gordius. 

I 

Il  existe  chez  les  Mermis,  comme  chez  les  Gordius,  deux  cuticules. 
L'externe,  désignée  par  Dujardin  et  Meissner  sous  le  nom  d'épiderme, 
représente  la  cuticule  primitive,  celle  de  l'embryon.  C'est  une  membrane 

{\)  Mémoire  sur  la  structure  nnatomique  des  Garlius  et  d'un  autre   helminthe,   le  Mermis,  qu'on  a 
confondu  avec  eux  {Annales  des  Sciences  naturelles  zool.,  2"  série,  t.  XVIII,  p.  U2),  is42. 

(i)  L'Evolution  des  Gordius  (Ann.  des  Se.  nat.  zool.,  7°  série,  t.  XI,  art.  n»  7,  pL  XIV-XVI;  <89l. 

34* 


530  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

très  mince,  normalement  lisse,  dans  laquelle  on  ne  peut  découvrir  qu'avec 
beaucoup  de  difficulté  des  traces  de  différenciation  fibrillaire.  L'interne 
représente  la  cuticule  propre  des  individus  adultes  et  se  fait  remarquer 
par  sa  grande  épaisseur.  On  y  distingue  deux  parties  :  l'une  superficielle, 
qui  correspond  à  la  couche  fibreuse  de  Du  jardin  et  de  Meissner  ;  l'autre 
profonde,  qui  correspond  au  tube  cartilagineux  de  Dujardin  et  au  chorion 
de  Meissner.  Ces  deux  parties  de  la  cuticule  interne  sont  en  réalité  de 
même  nature  et  ne  diffèrent  que  par  leur  degré  de  développement.  La 
partie  superficielle,  dont  la  structure  fibrillaire  est  très  évidente,  est  la 
plus  ancienne  ;  la  partie  profonde,  dont  la  structure  fibrillaire  n'est 
qu'ébauchée,  est  constituée  par  les  couches  de  formation  récente. 

Les  deux  cuticules,  celle  de  l'embryon  comme  celle  qui  caractérise  l'état 
adulte,  appartiennent  au  tissu  élastique,  et  n'ont  rien  à  voir  avec  les 
formations  épidermiques. 

II 

On  trouve  chez  les  Mermis,  comme  chez  les  Gordius,  sous  les  deux 
cuticules  des  individus  adultes,  une  couche  de  structure  encore  aujourd'hui 
très  controversée,  à  laquelle  on  a  donné,  en  raison  de  ses  connexions  avec 
les  tégumentS;  le  nom  de  couche  sous-cutanée  ou  hypodermique.  Cethypo- 
derme  représente  le  feuillet  ectodermique  du  blastoderme  de  ces  vers,  et 
joue  dans  leur  évolution  un  rôle  très  important.  Les  cellules  embryon- 
naires qui  constituent  primitivement  l'hypoderme  des  Mermis  et  des 
Gordius  ont  tout  d'abord  pour  fonction  de  sécréter  la  substance  fonda- 
mentale des  deux  cuticules,  et  méritent  par  conséquent,  à  juste  titre,  le 
nom  de  cellules  chilinogènes.  Mais  ces  éléments  cellulaires  représentent 
aussi,  ainsi  que  je  le  soutiens  depuis  longtemps,  de  véritables  névroblastes  ; 
car  c'est  à  leurs  dépens,  et  par  voie  de  simple  différenciation  histolo- 
gique,  que  se  forment  tous  les  éléments  du  sytème  nerveux  de  ces  vers. 
La  sécrétion  qui  produit  les  deux  cuticules  a  son  siège  dans  le  noyau  de  la 
cellule  hypodermique,  qui  se  transforme  pour  cela  en  une  vésicule,  au  sein 
de  laquelle  s'élabore  la  substance  chitinogène.  Quant  au  protoplasme  de  la 
cellule  hypodermique,  il  passe  à  l'état  fibrillaire  et  constitue  les  fibres 
nerveuses. 

Cette  double  évolution  de  l'hypoderme  s'effectue  chez  les  Mermis  dans 
des  conditions  particulièrement  favorables  à  l'observation,  car  on  peut 
en  suivre  toutes  les  phases  chez  les  individus  adultes. 

L'hypoderme  des  Mermis  est  représenté  par  une  couche  périphérique, 
très  mince,  située  entre  la  cuticule  interne  et  le  système  musculaire,  et  par 
six  bourrelets  longitudinaux  (Lângsiviilste),  logés  dans  les  intervalles  des 
six  bandes  musculaires.  Ces  six  bourrelets  hypodermiques  se  répartissent 


VII.I.OT.  —  ÉTUDE  D  ANATOMIE  COMPARÉE  SUR  LES  MERMIS  ET  LES  GORDIUS      531 

de  la  manière  suivante  :  un  dorsal  et  un  ventral,  deux  ventro-latéraux  et 
deux  dorso-latéraux. 

Les  deux  bourrelets  dorso-latéraux  sont  les  plus  volumineux  et  en  même 
temps  ceux  dont  les  éléments  primitifs  se  sont  le  moins  modifiés.  Ces 
bourrelets  hypodermiques  sont  constitués  par  des  séries  de  grosses  cellules, 
serrées  les  unes  contre  les  autres,  et  qui  prennent,  par  suite  de  leur  com- 
pression réciproque, une  forme  polyédrique.  Le  nom  de  «  Zellschlauche  », 
que  Meissner  donne  à  ces  bourrelets  dorso-latéraux,  dans  sa  description 
du  Mermis  nigrescens  et  du  Mermis  albicans,  est  l'expression  parfaitement 
exacte  de  leur  structure.  Les  cellules  qui  les  constituent  ne  sont  pas  toutes 
d'égale  grandeur.  Les  plus  volumineuses  sont  celles  qui  se  trouvent  situées 
sur  les  bords  de  chaque  bourrelet  dorso-latéral.  Ce  sont  d'énormes  cellules, 
de  forme  conique,  ayant  0'"'",040  de  large  sur  0'"'",060  de  haut.  Les  unes 
et  les  autres  ont,  d'ailleurs,  le  même  aspect,  la  môme  structure,  et  se 
comportent  de  la  même  manière  avec  les  réactifs  colorants.  Elles  possèdent 
toutes  un  gros  noyau  vésiculeux,  et  un  protoplasme  déjà  différencié  en 
fibrilles.  Meissner  considère  ces  cellules  comme  des  éléments  de  sécrétion 
et  donne  aux  bourrelets  qu'elles  constituent  le  nom  d'organes  sécréteurs 
(Secretionsorgatie).  Cette  manière  de  voir  est  certainement  l'expression  de 
la  réalité.  Les  gros  noyaux  vésiculeux  de  ces  cellules  hypodermiques  sont 
en  effet,  comme  nous  Pavons  reconnu  le  premier,  de  véritables  organes 
sécréteurs.  Nous  avons  déjà  dit  que  c'est  à  leur  intérieur  que  s'élabore  la 
substance  chitinogène  qui  forme  la  matrice  des  deux  cuticules.  On  peut 
donc  supposer  que  ces  cellules  des  bourrelets  dorso-latéraux  continuent, 
pendant  toute  la  vie  du  ver,  à  sécréter  de  la  substance  chitinogène  et  à  aug- 
menter ainsi  l'épaisseur  de  la  cuticule  interne.  Meissner  a  signalé,  chez  le 
Mermis  albicans  et  le  Mermis  nigrescens,  des  bourrelets  longitudinaux  de 
la  cuticule  interne  (Seitlichen  Lângswulste  des  Coriums),  dont  l'existence 
peut  très  bien  s'expliquer  ainsi.  Ces  cellules  hypodermiques  doivent  aussi 
sécréter  le  liquide  qui  est  éliminé  par  les  deux  vaisseaux  excréteurs  qui 
parcourent  les  bourrelets  dorso-latéraux  et  viennent  s'ouvrir  par  deux  ori- 
fices situés  dans  la  région  céphalique.  Mais  si  la  nature  glandulaire  de  ces 
grosses  cellules  hypodermiques  nous  paraît  démontrée,  ce  serait,  je  crois, 
une  grave  erreur  que  de  vouloir  borner  à  ce  rôle  d'élément  sécréteur  leur 
interprétation  physiologique.  Je  considère  les  éléments  fibrillaires  qui 
représentent  le  protoplasme  de  ces  cellules  comme  des  fibres  nerveuses  en 
voie  de  formation.  Ces  cellules  hypodermiques  sont,  en  réalité,  des  cellules 
embryonnaires,  dont  les  parties  constituantes  se  différencient  et  évoluent 
dans  deux  directions  différentes. 

Tous  les  doutes  que  l'on  pourrait  conserver  sur  la  nature  nerveuse  de  ces 
éléments  fibrillaires  disparaissent  lorsqu'on  passe  à  l'examen  des  bourrelets 
ventro-latéraux,  qui  représentent  incontestablement  des  cordons  nerveux 


532  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

(Nervenstraiige) .  Ces  bourrelets,  en  effet,  sont  constitués  par  un  lacis  de 
fibrilles,  qui  forment  par  leur  ensemble  trois  faisceaux  longitudinaux, 
parfaitement  comparables  aux  trois  faisceaux  de  fibrilles  longitudinales  du 
cordon  ventral  des  Gordius.  Le  système  nerveux  splanchnique,  décrit  par 
Meissner  (Ij  et  von  Linstow  Ci),  ne  représente  autre  chose  qu'un  dévelop- 
pement particulier  des  éléments  fibrillaires  des  bourrelets  ventro-latéraux. 
Or,  si  l'on  admet  (ce  qui  n'est  plus  contesté  aujourd'hui)  la  nature  ner- 
veuse des  faisceaux  splanchniques,  on  ne  peut  refuser  d'admettre  aussi  la 
nature  nerveuse  des  éléments  fibrillaires  des  bourrelets  hypodermiques. 

La  couche  hypodermique  qui  recouvre  les  bandes  musculaires  se  trouve 
réduite  à  son  minimum  d'épaisseur  (3).  Elle  se  présente  sous  la  forme 
d'une  membrane  extrêmement  fine  qui,  dans  les  dissections,  reste  ordi- 
nairement adhérente  aux  fibres  musculaires.  Cette  membrane,  d'appa- 
rence granuleuse,  se  montre,  lorsqu'on  l'examine  avec  de  forts  gros- 
sissements, entièrement  composée  de  fibrilles  dont  la  direction  coupe 
à  angle  droit  celle  des  fibres  musculaires.  Or,  il  est  facile  de  voir 
que  ces  éléments  fibrillaires  de  l'hypoderme  sont  tous  en  rapport  de 
continuité  avec  les  fibrilles  des  cellules  des  bourrelets  hypodermiques. 
Leurs  rapports  avec  les  fibrilles  des  bourrelets  ventro-latéraux  sont  parti- 
culièrement évidents  ;  ce  qui  met  leur  nature  nerveuse  hors  de  doute.  Il 
n'y  a  plus  trace  de  la  structure  cellulaire  des  éléments  embryonnaires  qui 
constituaient  primitivement  cette  couche  hypodermique.  Les  noyaux, 
après  avoir  sécrété  la  substance  fondamentale  des  deux  cuticules,  ont 
complètement  disparu.  Il  n'est  plus  resté,  pour  représenter  les  cellules 
primitives,  que  leur  protoplasme,  qui  s'est  différencié  en  éléments  ner- 
veux. Cette  couche  périphérique  de  l'hypoderme  des  Mermis  correspond 
à  la  couche  périphérique  de  l'hypoderme  des  Gordius;  mais  il  y  a  cette 
différence  que,  chez  les  Gordius,  cette  partie  de  l'hypoderme  a  conservé 
ses  noyaux  chitinogènes  et  des  traces  de  sa  structure  cellulaire  primitive. 


III 


De  même  que  les  Gordius,  les  Mermis  sont  des  vers  qui  ne  peuvent 
arriver  à  l'état  adulte  qu'après  avoir  séjourné  dans  le  corps  d'autres  ani- 
maux, qui  leur  fournissent  les  matières  nutritives  dont  ils  ont   besoin 

(1)  Beitrâge  zitr  Analomie  und  Physiologie  von  Mermis  albicans  (Zeitschr.  fur  Wissensch.  ZooL, 
Bd.  V,  Taf.  I,  lig.  1 1,  1833-I8.'>4.  —  Bcitriige  zur  Analomie  und  Physiologie  der  Gordiaceen  {Zeilschr. 
fur  Wissensch.  ZooL,  Bd.  VII,  Taf.  I.  fig.  I.  u.  6),  18:i;i-185fi. 

(2)  BemerKungen  ùber  Mermis  {Archio  fiir  miliroskop.  Analomie,  Bd.XXXLV,  p.  394-395  ;  Taf.  XXII, 
fig.  A-3  U.7),   IS9I. 

(3)  Caraerano,  qui  a  décrit  et  figuré  cette  couche  hypodermique  chez  le  Mermis  albicans,  la  rattache 
à  tort  à  la  cuticule.  {Osservasioni  intorno  alla  slruUura  dclt  integumenlo  di  alcuni  Nem,atelminli, 
p.  13,  fig.  10'.  -1889. 


TII.LOÏ.  —  ÉTUDE  d'aNATOMIE  COMPARÉE  SUR  LES  MERMIS  ET  LES  GORDIUS      o33 

pour  se  développer.  Ils  vivent  à  l'état  parasite  dans  la  cavité  abdominale 
des  insectes  et  se  nourrissent  de  leur  corps  adipeux.  L'amas  cellulaire  que 
l'on  désigne  sous  ce  nom  n'est,  en  effet,  qu'un  dépôt  de  substances  ali- 
mentaires, de  diverse  nature,  mises  en  réserve  pour  servir  au  développe- 
ment de  l'insecte.  L'Helminthe  les  trouve  toutes  préparées  et  les  utilise 
pour  son  propre  développement.  Mais  nos  vers  parasites  ne  se  bornent 
pas  à  demander  à  d'autres  organismes  l'aliment  nécessaire  à  l'entretien 
de  leur  vie  ;  ils  se  font  aussi,  aux  dépens  de  leurs  hôtes,  des  réserves  ali- 
mentaires, qui  leur  permettront  d'acquérir  des  organes  génitaux  et  de 
vivre  à  l'état  libre,  lorsque  viendra  le  moment  de  leur  reproduction. 

Les  Mermis  et  les  Gordius  sont  également  soumis  à  cette  double  néces- 
sité de  leur  évolution  ;  mais  ces  conditions  nécessaires  se  trouvent  réa- 
lisées chez  les  uns  et  les  autres  d'une  manière  bien  différente. 

Les  Gordius  sont  des  vers  parenchymateux.  Ils  possèdent  un  véritable 
corps  cellulaire  (Zc/lkorper),  qui  se  forme  aux  dépens  des  cellules  méso- 
dermiques. Ces  éléments  cellulaires,  qui  sont  fort  petits  chez  l'embryon, 
prennent  chez  la  larve  un  rapide  accroissement.  Sous  l'influence  de 
l'abondante  nourriture  que  le  ver  parasite  trouve  chez  son  hôte,  ces 
cellules  grossissent  beaucoup  et  se  remplissent  de  graisse.  Ce  corps  cel- 
lulaire, en  se  développant,  refoule  l'intestin,  dont  le  diamètre  se  réduit  de 
plus  en  plus,  jusqu'au  moment  où  il  cesse  tout  à  fait  de  fonctionner. 
iMais,  ainsi  que  je  l'ai  montré,  l'intestin  qui  a  cessé  de  remplir  ses  fonc- 
tions de  nutrition  est  suppléé  par  le  parenchyme.  Ce  sont  les  cellules  du 
parenchyme  qui  fournissent  aux  organes  génitaux  et  à  leurs  produits,  en 
voie  de  développement,  les  matières  nutritives,  riches  en  éléments  grais- 
seux, qui  leur  sont  nécessaires.  Aussi  voit-on  le  parenchyme  disparaître 
peu  à  peu  et  finir  même  par  tomber  complètement  en  dégénérescence, 
lorsque  le  ver  arrive  à  l'état  de  maturité  sexuelle. 

Chez  les  Mermis,  les  choses  se  passent  tout  autrement.  La  partie  de  leur 
mésoderme  qui  ne  se  différencie  pas  en  fibrilles  musculaires,  ne  prend 
aucun  développement  chez  la  larve  et  reste  à  l'état  de  très  petits  élé- 
ments cellulaires,  qui  remplissent  tout  l'espace  compris  entre  les  bandes 
musculaires,  le  système  nerveux  splanchnique  et  l'intestin.  Ce  Ze/lkorper 
rudimenlaire  a  été  récemment  désigné  par  le  docteur  von  Linstow  (1)  sous 
le  nom  de  «  hyaline  fein  granulirte  Schicht.  »  Mais  il  est  bien  évident 
que  ces  très  petits  éléments  cellulaires  ne  peuvent  jouer  chez  ies  Mermis 
aucun  rôle  spécial  de  nutrition.  On  ne  saurait  donc  y  voir,  au  point  de 
vue  physiologique,  l'équivalent  du  parenchyme  des  Gordius.  C'est  l'in- 
testin qui,  chez  les  Mermis,  supplée  le  parenchyme,  insuffisamment  déve- 
loppé, et  sert  de  réservoir  nutritif.  I*our  remplir  cette  fonction,  l'intestin 

(i)  BemeiliiUKjen  iiher  Mermis  lAicliiv  fur  nukroskop.  Avutomie,  Bd.  XWIV,  fig.  3-0,  gi.  1890. 


S34  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

devait  naturellement  subir  d'importantes  modifications.  Il  était  nécessaire, 
en  effet,  que  les  matières  nutritives  introduites  par  la  bouche  ne  pussent, 
après  avoir  traversé  l'œsophage,  s'échapper  au  dehors,  et  qu'elles  fussent 
retenues  par  l'intestin.  Aussi  n'observe-t-on,  chez  les  Mermis,  ni  rectum 
ni  orifice  anal.  Leur  intestin  a  été  transformé  en  une  sorte  de  sac,  dans 
lequel  viennent  s'emmagasiner  et  s'accumuler  les  globules  graisseux  que 
le  ver  parasite  puise  dans  le  corps  adipeux  de  son  hôte.  L'intestin  des 
Mermis  devient  ainsi,  à  mesure  qu'il  se  remplit  d'éléments  graisseux,  de 
plus  en  plus  volumineux.  Il  en  résulte  en  même  temps  un  amincisse- 
ment très  notable  de  sa  paroi.  On  y  distingue  cependant  encore  une 
cuticule  externe,  une  sorte  de  réseau  protoplasmique  et  de  gros  noyaux 
vésiculeux,  derniers  restes  des  cellules  endothéliales  qui  constituaient  pri- 
mitivement la  paroi  de  l'intestin.  Ce  «  Feltkorperschiauch  »,  dont  nous 
venons  d'indiquer  à  grands  traits  la  structure,  représente  à  lui  seul,  lors- 
qu'on l'examine  en  coupe  transversale,  plus  des  trois  quarts  du  diamètre 
de  la  larve  des  Mermis.  Mais  il  subit  ensuite,  comme  le  parenchyme  des 
Gordius,  une  réduction  proportionnelle  au  développement  des  organes 
génitaux,  et  fait  place  aux  produits  de  la  génération,  qui  se  sont  formés  à 
ses  dépens. 

Il  n'existe  entre  le  «  Feltkorpej'schlauch  »  des  Mermis  et  le  ^(  Zellkor- 
per  »  des  Gordius  qu'une  simple  analogie  physiologique.  Ce  sont  des  parties 
essentiellement  différentes  au  point  de  vue  morphologique.  Le  contenu 
du  «  FettkbrperschloMch  »  ne  représente  point  des  cellules  adipeuses, 
mais  bien  de  simples  globules  graisseux  ;  et  la  paroi  de  ce  sac  à  graisse 
n'est  autre  chose  que  la  paroi  même  de  l'intestin,  distendue  et  modifiée 
pour  remplir  cette  fonction  spéciale.  Le  docteur  von  Liustow  (1)  n'est  donc 
point  dans  le  vrai  lorsqu'il  résume  son  opinion  à  ce  sujet  de  la  manière 
suivante  :  «  Als  Darm  scheint  der  Zellkorper  zu  funktioniren.  »  C'est 
précisément  l'inverse  qu'il  aurait  dû  dire.  L'intestin  joue,  chez  les  Mermis, 
le  rôle  physiologique  qui  est  attribué  au  parenchyme  chez  les  Gordius. 


(1)    Weilere  Beobachtungen  an  Gordius  lolosaniis  und  Mermis   (Archiv  jur  mikroskop.  Anaiumie, 
Bd.  XXXVII,  p.  248),  1891. 


DOLLFCS.  —   DISTRIBUTION  GÉOGRAPHIQUE  DES  ISOPODES  TERRESTRES      o3S 


M.  DOLLEÏÏS 

Directeur  de  la  Feuille  des  Jeunes  Xaluralistes,  à  Paris. 


SUR  LA  DISTRIBUTION  GÉOGRAPHIQUE   DES   ISOPODES    TERRESTRES   DANS  LA  REGION 

DES  BASSES-PYRÉNÉES 


—  Séance  du  31  septembre  189i  — 

Le  département  des  Basses-Pyrénées  et,  en  général,  la  région  des  Pyrénées 
occidentales  n'est  pas  très  riche  en  Isopodes  terrestres  ;  mais  ce  pays 
offre  certaines  particularités  intéressantes  au  point  de  vue  de  la  dispersion 
des  espèces,  et  notamment  une  division  très  nette  en  trois  zones  fau- 
niques  qui  ne  présente  nulle  part,  en  France,  des  caractères  aussi  précis  : 
la  zone  littorale  ;  la  zone  moyenne,  comprenant  les  plaines  et  les  hau- 
teurs jusque  vers  1.000  ou  1.200  mètres;  et  la  zone  des  hautes  mon- 
tagnes, où  les  Cloportes  peuvent  vivre  jusque  vers  2.^00  mètres  d'altitude. 

La  première  de  ces  zones,  que  l'on  pourrait  aussi  appeler  zone  mari- 
time, comprend  les  Isopodes  du  bord  de  la  mer,  plages  ou  falaises,  et 
ne  doit  pas  être  confondue  avec  les  zones  marines,  qui  comprennent 
des  espèces  aquatiques,  tandis  que  celles  qui  nous  occupent  sont  entière- 
ment terrestres.  —  Il  est  même  très  rare  que  ces  Cloportes  vivent  dans 
des  endroits  susceptibles  d'être  recouverts  par  le  flot.  —  Les  espèces  qui 
vivent  dans  cette  zone  sont,  les  unes  purement  océaniques,  les  autres, 
plus  nombreuses,  à  la  fois  méditerranéennes  et  océaniques  ;  aucune  d'elles 
n'appartient  en  propre  à  la  région  qui  nous  occupe.  —  Le  Cloporte 
océanique  par  excellence  est  le  Ligia  oceanica,  vulgairement  pou  de 
mer;  il  est  très  commun  dans  les  endroits  pierreux  et  rocheux  de  ces  côtes, 
notamment  à  Saint- Jean-de-Luz,  sous  les  pierres,  à  l'embouchure  de  la 
Nivelle,  où  les  çf  atteignent  une  très  grande  taille,  car  il  y  a,  à  ce  point 
de  vue,  une  différence  très  notable  entre  les  deux  sexes.  —  Le  Ligia 
oceanica  mérite  bien  son  nom  :  il  se  trouve,  en  effet,  tout  le  long  des 
côtes  de  l'Océan,  depuis  le  nord  de  l'Europe  jusqu'à  Tanger,  où  il  est 
commun,  —  et  on  ne  l'a  jamais  trouvé  sur  les  bords  de  la  Méditerranée, 
où  il  est  remplacé,  dès  les  côtes  de  l'Kspagne  du  sud-est.  par  le  Ligia 
italica.  —  Ces  deux  espèces  paraissent  tout  à  fait  exclusives  l'une  de 
l'autre. 


•536  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

Le  Metoponoi'thrus  cmgendus,  espèce  rare  partout,  vit  à  l'embouchure 
des  petits  cours  d'eau,  sous  les  pierres,  depuis  l'Irlande  d'où  d  a  été  décrit 
par  Kinahan,  jusqu'à  l'Espagne.  —  J'en  ai  rencontré  un  assez  grand 
nombre  d'exemplaires  à  l'embouchure  du  petit  ruisseau  d'Hendaye,  localité 
extrêmement  riche  et  que  je  recommande  aux  personnes  qui  auraient 
l'occasion  de  la  visiter  ;  on  y  trouve  en  abondance  des  mollusques  appar- 
tenant, si  je  ne  me  trompe,  au  G.  Moitessiera,  etc.,  et  des  vers  parmi 
lesquels  une  planaire  probablement  nouvelle. 

Les  espèces  à  la  fois  méditerranéennes  et  océaniques  sont  tout  d'abord 
Philoscia  Couchii,  trouvée  à  l'embouchure  de  l'Adour,  sous  les  pierres 
aux  allées  marines  de  Bayonne.  C'est  un  bien  curieux  Isopode,  extrême- 
ment commun  aux  bords  de  la  Méditerranée  et  qui  se  retrouve  par-ci  par-là 
et  d'une  façon  très  irrégulière,  jusqu'au  Havre,  à  l'embouchure  de  la 
Somme,  en  Hollande  et  en  Irlande.  —  Cette  Philoscie  offre,  au  point  de 
vue  morphologique,  un  phénomène  bien  curieux,  car  il  semble  passager, 
c'est  un  élargissement,  chez  certains  mâles,  du  propodite  de  la  deuxième 
paire  de  péréiopodes  ou  pattes  thoraciques.  La  grande  majorité  des  mâles, 
même  adultes,  ne  présentent  pas  ce  dimorphisme,  et  c'est  tout  à  fait 
exceptionnellement  que  je  l'ai  rencontré  chez  certains  individus.  —  Par 
contre,  il  paraît  plus  fréquent  chez  certaines  espèces  du  même  genre, 
appartenant  à  la  faune  américaine  ;  je  viens  d'en  décrire  un  exemple  chez 
une  espèce  du  Venezuela  recueillie  par  M.  E.  Simon,  et  j'en  ai  figuré  un 
autre  encore  plus  frappant  chez  une  Pliiloscia  des  îles  américaines  du 
Pacifique  dont  l'examen  m'a  été  confié  avec  celui  des  Isopodes  terrestres 
du  «  Challenger  ».  Dans  ce  dernier  cas,  ce  n'est  plus  la  première,  mais 
bien  la  quatrième  paire  de  péréiopodes  qui  présente  cet  élargissement  du 
propodite;  celui-ci  prend  absolument  la  forme  d'un  disque;  mais,  de 
même  que  pour  Philoscia  Couchii,  tous  les  ^  adultes  ne  sont  pas  dimor- 
phes. —  Une  autre  Philoscia,  celle-ci  tout  à  fait  normale,  la  Philoscia 
elongata,  peut  aussi  être  rattachée  à  la  faune  littorale,  au  moins  dans  la 
région  du  sud-ouest,  où  elle  ne  quitte  pas  les  bords  immédiats  de  la 
mer,  à  Saint- Jean-de-Luz  (embouchure  de  la  Nivellej  et  Biarritz.  — 
Toutefois,  dans  la  Méditerranée,  elle  est  beaucoup  moins  littorale,  et  elle 
paraît  même  remonter  le  long  des  grands  fleuves  jusqu'à  une  grande 
distance,  car  je  l'ai  trouvée,  d'une  part,  à  Toulouse,  aux  bords  de  la 
Garonne,  et,  de  l'autre,  à  Saragosse,  aux  bords  de  l'Ebre,  —  toujours  sous 
les  pierres. 

En  quittant  un  peu  les  Basses-Pyrénées  pour  longer  les  dunes  des 
Landes,  on  aurait  quelque  chance  de  rencontrer  Tylos  Lalreillei,  espèce 
littorale  de  la  Méditerranée,  très  intéressante  au  point  de  vue  morpholo- 
gique, car  elle  forme  le  type  d'une  famille  distincte,  et  qui  a  été  signalée 
sur  quelques  points  des  côtes  de  la  Gascogne  et  jusqu'au  Croisic.  —  Enfin, 


DOLLFUS.  —  DISTRIBUTION    GÉOGRAPHIQUE   DES   ISOPODES   TERRESTRES     53" 

les  dunes  landaises  offrent  aussi  une  variété  bien  marquée  du  Porcellio 
scaber  que  je  viens  de  décrire  dans  la  Feuille  des  Jeunes  Naluralisles, 
SOUS  le  nom  de  var.  ai^enaria;  elle  a  un  port  très  particulier,  des  mou- 
vements lents,  et  présente  une  coloration  jaunâtre  absolument  pareille  à 
celle  des  Nebria  et  Phaleria  qui  vivent  dans  les  mêmes  conditions.  C'est 
un  fait  de  mimétisme  sur  lequel  j'appelle  votre  attention. 

Si  nous  passons  maintenant  à  la  zone  moyenne,  qui,  ainsi  que  je  l'ai 
dit,  comprend  les  plaines  et  les  hauteurs  de  moins  de  \  .200  mètres,  nous 
trouvons  la  faune  habituelle  de  toute  la  France  tempérée,  avec  prédomi- 
nance de  certaines  formes  et  présence  d'un  petit  nombre  d'espèces  spé- 
ciales. Citons  rapidement  : 

Aî-maclillidium  vulgare,  l'espèce  la  plus  commune  dans  toute  la  France. 

A.  nasatuin,  beaucoup  plus  rare  ailleurs  ;  on  la  rencontre  assez  fré- 
quemment dans  l'ouest  de  la  France,  et  dans  tout  le  pays  basque,  elle  est 
plus  répandue  môme  que  l'^l.  vulgave  \  on  peut  la  considérer  comme 
caractéristique  de  cette  région. 

Porcellio  scaber. 

Porcellio  politus,  pour  laquelle  je  fais  la  même  observation  que  pour 
V ArmadilUdium  nasatum  ;  elle  se  trouve  cependant  plutôt  dans  les  en- 
droits un  peu  humides  et  boisés,  surtout  aux  environs  de  Saint-Jean -de- 
Luz,  d'Ascain,  de  Sare  et  dans  toute  la  vallée  de  la  Nive. 

Porcellio  lœvis,  —  espèce  ubiquiste.  —  J'ai  déjà  eu  l'occasion  d'insister 
sur  la  dispersion  de  cette  espèce,  évidemment  méditerranéenne  d'origine, 
car  on  la  trouve  partout  dans  le  bassin  méditerranéen,  dans  les  lieux  in- 
cultes aussi  bien  que  dans  le  voisinage  des  habitations,  et  qui  par  contre 
ne  quitte  plus  l'homme,  dès  qu'elle  sort  de  cette  région,  —  et  pourtant  elle 
s'est  répandue  dans  le  monde  entier,  ce  qui  lui  a  valu  plus  de  vingt- 
quatre  noms  différents,  car,  a  priori,  il  était  difTiciie  d'admettre  que  l'es- 
pèce de  Naples  ou  de  Jérusalem  fût  la  même  que  celle  de  Zacatecas  au 
iMexique  ou  de  Honolulu.  —  Le  iMetoponorthrus  pruinosus  que  nous  trou- 
vons aussi  près  des  maisons  dans  différents  points  du  Béarn  et  du  pays 
basque,  est  dans  le  même  cas  que  lœvi^. 

Philoscia  muscorum,  commun  partout  sous  les  mousses  et  les  feuilles 
mortes. 

Oniscus  muraiim,  qui  a  une  forme  un  peu  particulière  dans  l'Ouest  et 
le  Sud-Ouest  où  il  est  plus  étroit,  plus  petit  et  plus  foncé  que  dans  le 
reste  de  la  France. 

Oniscus  Simoni,  espèce  tout  à  fait  spéciale  aux  Pyrénées  occiden- 
tales, et  d'autant  plus  intéressante  que  c'est  la  seule  du  genre  qui  ait  été 
décrite  en  dehors  de  l'O.  murarius  que  je  viens  de  citer.  —  L'O.  Simoni 
est  petit,  d'aspect  terreux  et  fortement  granuleux.  —  Nous  l'avons  ren- 
contrée, M.  Eugène  Simon  et  moi,  dans  les  localités  suivantes  :  Biarritz, 


o38  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

Saint-Jean  de-Luz,  Cambo,  Ascain,  Hendaye,  Vera  en  .Navarre,  Bigorre. 

Trichoniscus  vividus,  charmanle  petite  espèce  de  couleur  pourpre  trou- 
vée à  Saint- Jean-de-Luz,  Cambô,  Fontarabie,  Lourdes,  Cauterets,  Bigorre, 
elle  vit  sous  la  mousse  et  les  pierres. 

Trichoniscus  pusillus,  de  moitié  plus  petite  encore  ;  je  viens  de  la  trou- 
ver sur  les  coteaux  de  Gélos,  sous  la  mousse  et  précédemment  je  l'avais 
rencontrée  à  Tardets  près  de  Mauléon. 

Il  n'y  a  qu'une  seule  espèce  myrmécophile,  c'est  le  Platyarthus  Hojf- 
mannseggi,  commune  dans  toute  la  France  ;  nous  sommes  loin  ici  de  la 
richesse  du  bassin  méditerranéen  en  cloportes  commensaux  des  fourmis. 

Les  habitats  spéciaux,  non  encore  explorés  dans  cette  région,  nous 
offriraient  certainement  Porcellio  dilatatus  dans  les  caves;  Trichonicus  ca- 
vernicola,  dans  les  grottes.  —  C'est  un  petit  cloporte  blanc  qui  a  déjà  été 
signalé  par  M.  Simon  aux  grottes  Brichot  et  Rienfoucaud  et  à  la  Cueva 
de  Orobe,  en  Espagne. 

Il  ne  faudrait  pas  non  plus  négliger  de  rechercher  les  petites  espèces 
hypogées,  car,  en  outre  des  Haplophthalmus  que  l'on  rencontre  dans  le 
Nord,  ces  espèces,  toujours  très  rares,  pourraient  donner  lieu  à  des  dé- 
couvertes importantes  comme  en  a  fait  mon  collaborateur  31.  Aubert, 
à  Marseille.  (V.  Aubert  et  Dollfus,  Cloportes  de  Marseille,  in  Bull.  Soc.  Et. 
Scient.,  Paris,  1890). 

Il  ne  me  reste  plus  qu'à  dire  un  mot  de  la  l'aune  des  Hautes  mon- 
tagnes ;  je  ne  l'ai  point  encore  visitée  dans  le  département  même,  ce 
n'est  donc  que  par  analogie  avec  les  P\  rénées  centrales  que  je  citerai  les 
les  noms  suivants,  car  il  est  plus  que  probable  que  l'on  rencontrera  toutes 
ces  espèces  dans  la  région  :  Armadillidium  piclum,  abondant  sur  la 
mousse  (du  côté  de  Luchon),  jusqu'à  2.000  mètres.  Porcellio  montanus, 
sous  les  pierres,  également  dans  les  montagnes  de  Luchon.  Porcellio  pyre- 
nœus  de  la  vallée  de  Salanques,  dans  les  Pyrénées  espagnoles,  espèce 
nouvelle  dont  la  description  vient  de  paraître  dans  une  étude  sur  les  Iso- 
podes  d'Espagne.  (V.  Soc.  Hist.  Nat.  Madrid,  1892.}  Enfin,  un  Metoponor- 
thrus,  non  encore  décrit  et  qui  semble  très  commun,  tout  autour  de  Cau- 
terets, vers  loOO  mètres  d'altitude,  sous  les  pierres  et  les  pièces  de  bois. 

Vous  voyez  que,  pour  la  faune  isopodique  des  Hautes-Pyrénées,  il  y  a 
encore  beaucoup  à  faire.  Avis  à  ceux  qui  auront  l'occasion  d'y  faire  des 
récoltes.  Je  recommande  surtout  de  soulever  les  pierres,  ia  mousse  et 
les  pièces  de  bois  pourri;  on  y  trouvera  sûrement  du  nouveau. 


A.    MALAQIIN.  —  l'aBSORPTION  ET   l'eXCRÉTION  CHEZ    LES    SYLLIDIENS       o39 


M.   A.    MALAQÏÏIÎf 

Préparateur  à  la  Faculté  des  Sciences  de  Lille. 


REMARQUES    SUR    L'ABSORPTION    ET    L'EXCRÉTION    CHEZ  LES   SYLLIDIENS 


—  Séance  du  2t  septembre  189i  — 


La  conformation  de  la  trompe  des  Syllidiens  permet  à  ces  Annélides 
d'absorber,  en  même  temps  que  leurs  aliments,  une  certaine  quantité 
d'eau  ;  on  peut  même  dire  qu'il  leur  est  impossible  de  ne  pas  en  intro- 
duire pendant  cet  acte.  La  région  antérieure  de  la  trompe,  ou  trompe 
phar^-ngienne,  forme,  en  effet,  un  tube  droit,  ou  contourné,  qui  est 
tapissé  par  une  chitine  épaisse,  de  sorte  que  cette  portion  cylindrique 
•est  toujours  largement  béante. 

Lorsque  les  Syllidiens  veulent  avaler  des  aliments,  soit  des  Bryozoaires 
{Vesicularia,  Bugula,  Gemellaria,  Memhranipora,  etc.),  ou  des  Hydraires 
{Sertularia,  Hydralmania,  etc.),  soit  de  petits  animaux,  soit  de  la  vase 
fine,  ils  projettent  vivement  leur  trompe.  L'extrémité  antérieure  de  celle-ci 
est  terminée  par  un  cercle  de  papilles  où  aboutissent  souvent  des  glandes 
spéciales,  et  forme  presque  ventouse.  En  même  temps,  un  puissant  organe 
musculeux  en  forme  de  tonnelet,  le  proventricule,  ou  gésier,  se  dilate  et, 
faisant  oiTice  de  pompe  aspirante,  attire  les  aliments  avec  une  certaine 
quantité  d'eau.  A  la  dilatation  brusque  de  cet  organe  fait  suite  une  systole 
progressive  qui  envoie  les  aliments  dans  la  région  faisant  suite  au  gésier  : 
le  ventricule  dans  certains  cas,  l'intestin  antérieur  si  le  ventricule  fait  défaut 
ou  est  rudimentaire.  Un  sphincter,  situé  dans  la  région  antérieure  de  ce 
gésier,  empêche  le  retour  des  aliments  en  avant  ;  il  en  existe  de  même 
un  à  sou  extrémité  postérieure. 

Celte  irrigation  est  cependant  moins  grande  en  réalité  qu'en  apparence, 
car  il  est  fréquent  de  voir  un  mouvement  inverse  se  produire.  L'animal 
rejette  alors  l'eau  qu'il  a  absorbée  :  ce  phénomène  est  surtout  très  frap- 
pant lorsque  le  Syllidien  rejette  des  bulles  d'air. 

Les  aliments  arrivent  donc  rapidement  dans  l'intestin  antérieur  et  de  là 
dans  l'intestin  moyen  des  deux  régions  constituant  linteslin  hépatique 
dv  Claparède.  Il  n'existe  pourtant  pas  de  glandes  proprement  dites  dans 
celte  portion  du  tube  digestif.  La  structure  des  parois  intestinales  y  est  en 


S40  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOf.IE 

effet  des  plus  simples  :  une  seule  couche  épithéliale  revêtue  immédiate- 
ment par  l'endothélium  péritonéal. 

Ce  sont  les  cellules  épithéliales  qui  sont  chargées,  tout  à  la  fois,  de 
produire  une  sécrétion  capable  de  transformer  et  d'élaborer  les  aliments, 
puis  d'absorber  les  produits  de  cette  élaboration.  Le  mécanisme  de  la 
sécrétion  est  le  même  que  celui  qui  a  été  déjà  reconnu  chez  un  certain 
nombre  d'autres  animaux.  Au  sein  même  des  cellules,  on  voit  naître  des- 
sphères liquides,  hyalines,  qui  grossissent,  distendent  les  cellules,  les  font 
s'ouvrir  par  leur  surface  libre;  ces  petites  sphères  ou  boules  de  sécrétion 
tombent  alors  dans  l'intestin.  Il  est  à  noter  que  ces  cellules,  au  sein  des- 
quelles se  produisent  ces  phénomènes,  sont  des  cellules  ciliées. 

Dans  certains  cas  (Aulo/ytus,  Myrianida,  Sijllis,  etc.),  la  production  de 
ces  boules  se  fait  uniformément  sur  toute  la  paroi  intestinale;  dans  d'au- 
tres cas  (Haplosyllis  hamata),  elle  se  fait  particulièrement  sur  un  bourrelet 
ou  renflement  ventral  de  la  paroi.  Dans  le  genre  Ëusi/llis,  la  production 
de  ces  boules  est  d'une  activité  extraordinaire  ;  la  lumière  intestinale  en 
est  constamment  remplie.  Les  coupes  montrent  un  épithélium  formé  de 
bulles  serrées  les  unes  contre  les  autres  sur  plusieurs  rangées,  c'est,  en  un 
mot,  un  épithélium  boursouflé,  spumeux.  Claparède  signale  des  faits  ana- 
logues chez  Telepsavus  costarum. 

Au  moment  où  les  boules  de  sécrétion  arrivent  dans  la  lumière  intestinale 
elles  sont  homogènes,  de  couleur  légèrement  jaunâtre.  Leurs  dimensions 
varient  chez  Syllis  hyalina,  où  je  les  ai  surtout  étudiées,  de  8  à  16  p. 
de  diamètre.  Leur  consistance  est  assez  grande  pour  ne  pas  diffluer 
dans  l'intestin,  et,  d'un  autre  côté,  elle  est  assez  liquide  pour  que  deux 
boules  de  faibles  dimensions,  se  rencontrant,  puissent  se  fusionner  en 
une  seule.  Ce  sont,  en  résumé,  des  gouttes  d'apparence  huileuse  ;  leur 
nature  chimique  les  rapproche  aussi  des  huiles  et  des  graisses;  lorsqu'on  les- 
traite,  en  effet,  par  l'acide  osmique,  elles  se  teignent  immédiatement  en 
noir  intense.  Au  point  de  vue  de  leur  formation,  dans  certains  cas 
(Autolytus  longe fet'iens,  Myrianida),  j'ai  vu  ces  boules  encore  dans  l'épi- 
thélium  se  teinter  sous  l'action  des  colorants  ;  dans  d'autres  (Eusyllis) 
elles  paraissent  être  franchement  des  excréta  de  cellules. 

L'action  de  ces  boules  de  sécrétion  sur  les  aliments,  en  rendant  ceux-ci 
absorbables,  donne  en  même  temps  naissance  à  des  produits  non 
assimilables,  qui  se  présentent  sous  l'aspect  de  petites  concrétions  ou 
sphérules  de  1/2  ,u.  à  1  y.  de  diamètre.  Chez  Eusyllis  ces  concrétions 
apparaissent  sur  les  boules  de  sécrétion  sur  lesquelles  elles  se  fixent 
superficiellement.  Puis  elles  se  rassemblent  en  amas  qui  forment  des 
taches  noirâtres  si  fréquentes  dans  l'intestin  des  Eusyllis  et  Odontosyllis. 

La  Syllis  hyalina  présente  des  phénomènes  différents.  Les  concrétions 
prennent  naissance   à  l'intérieur  même  de  la  boule  de  sécrétion.  Au  fui: 


A.    MALAQUIN.  —   l'aBSORPTION    ET    l'eXCRÉTION    CHEZ    LES    SYLLIDIENS         S41 

et  à  mesure  que  cette  dernière  s'épuise,  elle  se  remplit  de  concnHions,  et 
au  bout  d'un  certain  temps,  il  arrive  que  la  boule  primitivement  homo- 
gène et  huileuse,  est  formée  de  petites  sphérules  qui  lui  donnent  un  aspect 
framboise  ou  moruliforme.  Cette  masse  gagne  peu  à  peu  Tintestin  posté- 
rieur grâce  au  mouvement  des  cils  vibratiles  de  l'épithélium.  Ces  boules, 
ainsi  transformées,  présentent  des  mouvements  propres.  On  peut  y  dis- 
tinguer deux  sortes  de  mouvements  :  1"  un  de  rotation  saccadé  de  la 
boule;  2°  un  mouvement  interne  des  sphérules  qui  roulent  sur  elles- 
mêmes  ;  mouvement  qui  cesse  quand  ces  sphérules  sont  devenues  trop 
nombreuses.  Bien  avant  l'arrivée  de  ces  boules  dans  l'intestin  postérieur, 
elles  se  dissocient  et  les  sphérules  deviennent  libres  :  les  unes  isolées,  les 
autres  associées  par  deux  ou  par  trois;  do  là  elles  sont  rejetées  par  l'anus. 
Quant  à  la  nature  chimique  de  ces  sphérules,  elle  est  urinaire,  comme 
nous  allons  le  voir.  L'intestin  postérieur  de  S.  hyalina  et,  en  général,  la 
région  correspondante  des  autres  Syllidiens,  est  d'une  couleur  jaune, 
quelquefois  intense  (Odontcsrjllis),  ce  qui  lui  a  fait  donner  le  nom  d'intestin 
urinaire  par  Claparède.  Les  cellules  épithéliales  de  cette  partie  de  l'intestin 
sont  fortement  ciliées  et  ne  sont  pas  sécrétantes.  Sur  les  deux  côtes,  on 
constate  la  présence,  dans  l'intérieur  même  des  parois,  de  concrétions 
sphériques  ;  ces  concrétions  sont  franchement  urinaires.  Si  on  les  traite, 
en  etîet,  successivement  par  l'ammoniaque  et  par  l'acide  acétique  glacial, 
il  se  constitue  des  cristaux  d'urates,  les  uns  ayant  la  forme  caractéristique, 
les  autres  allongés  en  aiguilles  ou  présentant  des  macles  variées.  Quant  à 
l'origine  de  ces  concrétions,  elle  s'explique  facilement.  Ce  sont  les  sphé- 
rules dont  il  a  été  question  plus  haut;  au  point  de  vue  de  l'aspect,  il 
y  a  entre  ces  productions  beaucoup  d'analogie.  En  coupe  transversale,  on 
remarque  que  ces  sphérules  sont  logées  dans  deux  sillons  latéraux,  non 
ciliés,  des  parois  de  l'intestin;  ce  sont  les  sphérules  urinaires  produites 
dans  l'intestin  antérieur  et  moyen  qui  s'y  sont  accumulées  et  y  sont  arrêtées. 


Profitant  de  la  facilité  avec  laquelle  les  Syllidiens  avalent  de  l'eau,  nous 
avons  essayé  de  leur  faire  absorber  de  l'eau  colorée  arlificiellenienl, 
nous  inspirant  en  cela  des  recherches  de  Kowalesky  sur  les  organes  excré- 
teurs. Ces  expériences  ont  pour  but  de  reconnaître  les  points  d'absorptioi 
du  tube  digestif  et  la  voie  par  laquelle  sont  excrétés  les  produits  non 
assimilables. 

Les  colorants  employés  ont  été:  la  fuchsine  acide,  le  carmin  ammo- 
niacal, le  carmin  d'indigo  et  le  tournesol  bleu  broyé  ;  les  deux  premiers 
sont  ceux  qui  réussissent  le  mieux. 

Les  Syllidiens  absorbent  la  fuchsine  avec  une  très  grande  facilité.  Fait 


1 


o42  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

général,  ce  colorant  imprègne  toutes  les  parties  chitineusés  avec  une  très- 
grande  rapidité.  C'est  ainsi  que  la  trompe  pharyngienne  est  vivement 
colorée  en  rouge,  le  revêtement  chitineux  qui  la  tapisse  s'imprégnant  tout 
entier  ;  il  en  est  de  même  de  deux  pièces  chitineusés  du  proventricule. 
Les  soies  elles-mêmes  se  colorent  rapidement  jusqu'à  leur  extrémité 
interne.  Les  parois  du  proventricule  et  du  ventricule  ne  se  colorent  pas, 
car  l'eau  n'y  séjourne  guère.  Les  parois  des  cœcumsdu  ventricule  (glandes 
en  T),  lorsqu'ils  existent,  sont  gonflées  par  l'eau  colorée  où  nagenl 
quelques  boules  de  sécrétion  (1)  ;  ces  parois  sont  légèrement  teintées  en 
rouge.  Il  en  est  de  même  d'une  toute  petite  portion  de  l'intestin  attenant 
au  ventricule,  quand  l'animal  a  séjourné  assez  longtemps  dans  le  liquide 
coloré  (cinq  à  six  jours).  Ni  l'intestin  antérieur,  ni  l'intestin  moyen,  qui 
sont  plus  particulièrement  les  régions  sécrétantes,  ne  se  colorent.  Au 
contraire,  l'intestin  postérieur  est  vivement  coloré,  dans  les  points  mêmes 
où  nous  avons  signalé  la  présence  des  concrétions  urinaires. 

Le  carmin  ammoniacal  donne  des  résultats  à  peu  près  semblables  ;  il  a 
cet  avantage,  en  outre,  de  passer  avec  facilité  dans  le  liquide  des  vais- 
seaux sanguins,  de  sorte  que  j'ai  pu  ainsi  observer  des  détails  de  la  cir- 
culation que  la  transparence  complète  du  sang  rendait  fort  difficiles  à  voir. 
Le  rôle  des  néphridies,  d'après  ces  expériences,  est  peu  actif.  Les 
organes  segmentaires,  chez  les  Syllidiens,  sont  en  effet  des  plus  rudimen- 
taires.  Ils  constituent,  dans  l'état  ordinaire,  un  canal  étroit,  courbé  en  arc. 
dont  l'extrémité  antérieure  interne  est  engagée  dans  le  dissépiment  et 
s'ouvre  dans  le  segment  précédent,  tandis  que  l'ouverture  externe,  posté- 
rieure, vient  s'ouvrir  sur  la  face  ventrale  du  pied  dans  le  voisinage  du 
cirre  ventral.  Les  parois  en  sont  presque  toujours  incolores,  quelquefois 
légèrement  jaunâtres  et  renferment,  mais  en  petite  quantité,  des  concré- 
tions sphériques  analogues  aux  concrétions  urinaires.  Par  la  fuchsine,  les 
parois  néphridiennes  se  colorent  légèrement  en  rouge  ;  le  carmin  ammo- 
niacal absorbé  également  par  le  tube  digestif  les  colore  de  la  même  façon. 
Cependant  dans  une  expérience  faite  sur  un  Aufolytus  (A.  longeferiens), 
l'excrétion  du  carmin  avait  été  si  considérable  que  l'ouverture  externe  de 
la  néphridie  était  colorée  en  rouge  intense.  On  apercevait  très  facilement, 
en  examinant  l'annélide  par  la  face  ventrale,  deux  points  rouges  situés  sur 
les  côtés  de  chaque  segment  dans  les  régions  moyenne  et  postérieure. 

Le  carmin  d'indigo  et  le  tournesol  m'ont  donné  des  résultats  moins 
satisfaisants.  Les  cœcums,  dans  l'absorption  du  tournesol,  se  sont  teintés 
légèrement  en   rose  ;   toutes  les  régions  des  téguments,   où  les  glandes 

(1)  A  ce  propos  je  dois  dire  que  l'épithélium  cilié  de  ces  cœcums  est  identique  comme  structure 
à  celui  de  l'intestin  antérieur,  et  qu'il  peut  produire  des  boules  de  sécrétion.  Si  ces  cœcums  ne 
méritent  pas  le  nom  de  glandes,  ils  ne  méritent  pas  le  nom  et  n'ont  pas  la  fonction  que  leur  a 
attribué  Eisig  (vessies  natatoires,  Schivimblasen) .  De  Saint-Joseph  a  déjà,  d'ailleurs  émis  des  doutes 
sur  l'assertion  d'Eisig. 


BIEThlX.  DE  LA  MATIÈRE  VIVANTE  EXISTANT  A  LA  SURFACE  DE  I.A  MEIl       o43 

étaient  en  plus  grande  abondance,  étaient  colorées  en  rose  ;  la  réaction 
du  produit  de  ces  glandes  est  donc  légèrement  acide. 

Que  pouvons-nous  conclure  des  faits  exposés  dans  la  première  partie  de 
cette  Note  et  des  résultats  obtenus  par  les  injections  artificielles?  C'est, 
d'abord,  que  si  l'intestin  antérieur  et  moyen  est  très  sécrétant,  l'intestin  pos- 
térieur ne  l'est  presque  pas  ou  pas  du  tout;  celui-ci  renferme,  au  contraire, 
dans  deux  replis  de  ses  parois  des  produits  nuisibles  destinés  à  être  rejetés. 

L'absorption  du  carmin  et  de  la  fuchsine  est  évidente.  Les  colorants 
passent  dans  l'organisme  par  le  liquide  sanguin,  ce  qui  est  peu  important 
vu  le  faible  développement  du  système  vasculaire,  et  surtout  par  le  liquide 
de  la  cavité  générale,  puisque  ces  produits  sont  repris  par  les  néphridies 
et  même  rejetés  au  dehors.  Or,  le  seul  point  franchement  coloré  du  tube 
digestif  est  l'intestin  postérieur.  C'est  là  que  se  rencontrent  les  cellules  les 
plus  jeunes,  c'est-à-dire  les  plus  perméalables  aux  phénomènes  osmotiques. 

L'intestin  postérieur  paraît  donc  être  surtout  le  siège  de  l'absorption 
des  matières  élaborées  dans  l'intestin  antérieur  et  moyen.  En  même 
temps,  il  serait  un  organe  d'arrêt,  un  filtre  en  quelque  sorte,  pour  les 
produits  non  assimilables  :  ce  qui  explique  que  la  fuchsine  et  les  autres 
colorants,  de  même  que  dans  certains  cas  les  urates  (concrétions  de  la 
Syllis  hyalina)  y  sont  arrêtés  et  s'y  condensent.  Les  néphridies,  elles, 
sont  surtout  chargées  de  débarrasser  le  liquide  de  la  cavité  générale  des 
produits  brûlés  dans  l'organisme  (urates,  petites  concrétions  des  parois 
néphridiennes)  et  aussi  des  produits  inutiles  (ex.  :  les  colorants  absorbés). 
Leur  rôle  est,  en  tout  cas,  peu  actif  à  cause  de  leur  faible  développement. 


M.  BIÉTHIX 


SUR    UN  NOUVEL  ESSAI  DE  MESURE  DE  LA  QUANTITÉ  DE  MATIERE  VIVANTE    EXISTANT 

A  LA  SURFACE    DE  LA   MER 


—  Séaiice.  du  21  septembre  189S 


Un  intérêt  particulier  s'est  attaché,  depuis  les  recherches  récentes  d'un 
certain  nombre  d'observateurs,  à  l'évaluation  de  la  proportion  de  formes 
vivantes  microscopiques  (animales  et  végétales)  qui  existent  dans  les 
couches  superficielles  de  la  mer.   Sous  l'impulsion  de  M.  le  professeur 


544  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

Pouchet,  des  études  de  cet  ordre  ont  été  poursuivies  dès  l'été  de  1888 
dans  son  laboratoire  de  Concarneau  ;  quelques  résultats  que  j'avais  obte-. 
nus  à  cette  époque  sur  la  question  ont  été  consignés  dans  une  note  an- 
nexée au  rapport  de  M.  Pouchet  sur  le  fonctionnement  du  laboratoire 
de  Concarneau  pour  l'année  1888  (1).  La  technique  suivie  dans  cette 
étude  était  défectueuse  en  beaucoup  de  points  et  ne  permettait  d'arriver 
qu'à  des  évaluations  numériques  très  approximatives.  Ayant  repris  cet 
été,  sur  le  conseil  de  M.  Pouchet,  les  mêmes  recherches,  je  me  suis 
efforcé  de  donner  au  mode  opératoire  une  précision  plus  grande  qui 
permît  d'estimer  avec  plus  d'exactitude  que  précédemment  la  valeur 
quantitative  des  pêches  de  surface. 

Le  filet  à  main,  par  le  fait  de  sa  construction  et  de  son  maniement, 
laissait  place  à  trop  d'incertitudes  et  d'irrégularités.  Celui  dont  je  me 
sers  actuellement  est  construit  de  la  manière  suivante  :  un  bâtis  en  bois, 
rectangulaire,  de  1  mètre  de  long  sur  0^,05  de  large,  sert  de  flotteur  à 
tout  l'appareil  et  maintient  celui-ci  dans  une  position  fixe  par  rapport  à 


riG.  1. 


la  surface  de  l'eau  (fig.  1  et  2).  Il  est  lesté  de  plomb  à  l'avant,  de  lièges 
à  l'arrière,  de  manière  à  demeurer  horizontal  pendant  la  traction.  Eu 
arrière  et  en  dessous  est  fixé  à  charnières  un  cadre  (A)  carré  en  bois, 
dont  les  dimensions  intérieures  sont  exactement  de  0"\bO  (2). 

Ce  cadre  est  maintenu  perpendiculaire  à  la  surface  du  bâtis  par  deux 
tirants  en  fer  (BB'j  fixés  à  une  extrémité  et,  de  l'autre,  adaptés  au 
cadre  au  moyen  de  goupilles.  Sur  le  pourtour  du  cadre  est  clouée  une 
poche  de  toile  (C)  en  forme  de  tronc  de  cône,  de  1  mètre  de  long  et  de 
0™,23  de  diamètre  à  son  sommet  ouvert.  Le  pourtour  de  cette  ouverture 
est  garni  d'un  cercle  en  bois  (D)  avec  rainure  interne  destinée  à  porter 
le  cercle  en  laiton  du  filet  de  gaze  (E) .  Le  filet-tamis  est  fait  avec  la  soie 
à  bluter  ordinairement  employée  (maille  de  80  .a  de  côté  environ)  ;  il 
mesure  0"\4o  de  profondeur  et  0'",20  de  diamètre  à  son  ouverture.  J'ai 
reconnu  que  cette  poche  est  suffisante  pour  tamiser  toute  l'eau  qui  passe, 
sous  une  faible  vitesse,  dans  l'entonnoir  en  toile.  En  outre,  pour  éviter 


(1)  Voir  aussi  Journal  de  l'Analomie  el  de  la  Phijsiol.,  1S89,  n"  .',. 

(2)  J'ai  été  amené  à  rendre  cette  partie  mobile  sur  le  bâtis  pour  permettre   une  manœuvre  plus 
facile  de  l'appareil,  en  dehors  de  la  pèciie. 


BIÉTRIX.   —  DE  LA  MATIÈRE  VIVANTE  EXISTANT  A  LA  SURFACE  DE  LA  MER 

que  les  matières  recueillies  ne  s'arrêtent  sur  l'armature  intérieure  lU), 
une  manche  cylindrique  en  toile  (F)  est  fixée  sur  la  paroi  de  l'enton- 
noir,  à  une  certaine  distance  au-devant  de  l'orifice  du  filet  fin  et  son 
extrémité  flottante  plonge  d'autre  part  dans  celui-ci  de  quelques  centi- 
mètres ;  le  produit  de  la  pêche  glisse  ainsi  sans  arrêt  sur  la  paroi  de 
toile  jusqu'au  tamis.  Ce  dispositif  a  en  outre  l'avantage  de  former  sou- 
pape et  d'empêcher,  dans  certains  cas,  le  reflux  des  matières  déjà  tami- 
sées. L'indépendance  du  filet  fin  est  indispensable  pour  sa  facile  ma- 
nœuvre, lorsque  la  pèche  est  terminée,  et  pour  le  nettoyage  nécessaire  à 
sa  conservation;  pendant  la  pèche,  il  est  maintenu  sur  le  cadre  au 
moyen  de  deux  taquets. 

La  pêche  s'opère  de  la  manière  suivante  :  au  point  choisi  pour  lobser- 
vation,  on  mouille  un  grappin  dont  la  corde  est  reliée  d'autre  part  à  une 
forte  bouée.  On  fixe  sur  celle-ci  l'extrémité  d'une  ligne  de  200  mètres 
assez  forte  pour  haler  ensuite  l'embarcation  et  le  filet.  La  ligne  est 
mmiie,  de  brasse  en  brasse,  de 
flottes  de  liège  qui  la  maiutien- 
nent  étendue  sur  l'eau.  Elle  est 
allongée  «  sous  le  vent  »  et,  lors- 
qu'elle est  sulfisamment  tendue, 
le  filet  est  rais  à  la  mer  :  on 
commence  à  haler  doucement,  à 
la  main,  l'embarcation,  en  même 
temps  que  le  filet  qui  la  suit  at- 
taché à  l'extrémité  d'une  gatïé  ; 
celle-ci  maintient  l'appareil  à  une  distance  de  l'",oO  à  2  mètres  du  bord  ; 
de  plus,  une  amarre  frappée  sur  l'arrière  du  filet  et  tenue  à  la  main  sert 
à  rectifier  sa  marche  et  à  le  maintenir  dans  une  position  parallèle  à  l'axe 
de  l'embarcation.  La  vitesse  doit  être  très  faible,  suffisante  seulement 
pour  maintenir  gonflée  la  poche  de  soie  (avec  notre  appareil  une  vitesse 
de  10  à  12  mètres  par  minute  était  la  plus  favorable). 

Le  halage  terminé  et  le  filet  fin  retiré,  le  reste  des  opérations  a  lieu 
comme  je  l'indiquais  dans  ma  précédente  note.  Les  dépôts  fixés  à  l'acide 
osmique  et  précipités  sont  évalués  au  bout  de  quelques  jours  (quinze  en- 
viron) par  le  poids  d'eau  distillée  occupant  le  même  volume. 

On  conçoit  que,  par  ce  procédé,  les  opérations  répétées  chaque  jour 
présentent  une  fixité  assez  grande.  D'autre  part,  on  peut  considérer  que, 
sous  la  faible  vitesse  utilisée,  le  filet  a  tamisé  un  volume  d'eau  égal  au 
produit  de  la  surface  d'ouverture  du  cadre  (soit  un  quart  de  mètre  carré) 
par  la  longueur  de  la  ligne,  c'est-à-dire  un  volume  de  oO  mètres  cubes, 
volume  qui  donne  une  proportion  de  matières  suffisante  pour  une  facile 
mesure. 

3o* 


Fie.  2. 


546  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

Pour  laisser  à  ce  procédé  plus  de  rigueur,  il  faut  apporter  aux  données 
qu'il  fournit  une  correction  assez  sensible,  et  variable  pour  chaque  expé- 
rience, correction  ayant  trait  aux  changements  que  fait  éprouver  à  la 
masse  d'eau  tamisée  l'existence  de  courants  côtiers  ;  ces  courants  n'ont 
rien  de  fixe  et  varient  en  direction  et  en  vitesse  (1)  avec  les  phénomènes 
qui  modifient  l'état  de  la  mer  (en  premier  lieu  le  mouvement  de  la  marée). 
Aussi,  chaque  fois,  a-t-on  pris  aussi  exactement  que  possible,  au  moyen 
d'un  flotteur  et  d'un  loch,  observation  de  la  direction  et  de  la  vitesse  du 
courant.  Les  valeurs  des  pèches  sont  corrigées  en  conséquence  (2). 

Ajoutons  que,  chaque  jour,  des  observations  météorologiques  précises 
ont  accompagné  la  pêche.  11  a  été  tenu  surtout  grand  compte  des  varia- 
tions de  température  de  l'eau.  L'état  de  la  mer  est  ici  facteur  négligeable, 
car  la  pêche  avec  l'appareil  décrit  plus  haut  ne  peut  s'effectuer  que  par 
un  temps  calme  et  sur  des  eaux  à  peine  agitées. 

Si  les  causes  d'erreur  forcément  attachées  à  de  semblables  recherches 
ne  sont  pas  évitées  par  ce  procédé,  du  moins  il  permet  de  les  réduire 
sensiblement.  En  valeur  absolue,  les  chiffres  trouvés  ne  sauraient  être 
considérés  comme  incontestables  ;  mais  on  obtient  ainsi  une  assez  exacte 
comparaison  des  pêches  entre  elles  et,  partant,  un  aperçu  plus  juste  des 
variations  de  la  richesse  en  matière  vivante  des  eaux  superficielles  de  la 
mer. 

Au  point  de  vue  des  résultats,  cette  série  d'observations  me  paraît 
concorder  avec  ce  que  j'avais  noté  en  1888.  Les  formes  dominantes  ne 
changent  pas  et  se  retrouvent  vers  les  mêmes  époques.  Les  grandes  va- 
riations quantitatives  constatées  antérieurement  d'un  jour  à  l'autre  se 
dessinent  encore  très  nettement  ici  et  la  précision  plus  grande  apportée  à 
la  pêche  et  aux  mesures  permet  d'accorder  à  ce  résultat  plus  d'attention. 
En  outre  on  se  rend  mieux  compte  de  la  décroissance  progressive  qui 
s'effectue  avec  la  marche  de  la  saison  et  de  la  chute  sensible  et  assez 
brusque  que  subit  cette  population  pélagique  microscopique  vers  la  fin 
d'août  et  le  commencement  de  septembre. 


(1)  Vitesse  que  j'ai  troavée  varier  de  i^jSO  à  io  mètres  par  minute,  au  même  point. 

(2)  N.  B.  —  Les  conditions  particulières  où  ont  été  faites  ces  recherches  exigeaient  que  la  pèche 
eût  lieu  à  faible  distance  du  rivage.  Le  point  choisi,  qui  a  toujours  été  le  même  pour  cette  série 
de  mesures,  est  à  environ  non  mètres  de  la  côte  la  plus  voisine,  à  l'entrée  de  la  baie  de  Concarneau. 
Si  l'on  pouvait  opérer  au  large,  on  éviterait  cette  cause  d'erreur  provenant  de  l'existence  des  courants 
ou  du  moins  elle  pourrait  devenir  négligeable. 

Au  début,  le  point  choisi  était  l'une  des  balises  qui  marquent  le  chenal  d'entrée,  dans  d€s  eaux 
de  9  à  10  mètres  de  fond.  Mais  le  mouvement  incessant  des  nombreux  bateaux  qui  f(int  en  cette  saison 
la  pêche  de  la  sardine  nous  a  obligés  à  nous  nipprocher  du  rivage  et  de  nous  établir  dans  une  zone 
oii  l'existence  de  roches  et  la  profondeur  de  l'eau  (3  à  3  mètres)  nous  assuraient  la  tranquillité 
nécessaire. 


ED.-F.    HONNORAT-BASTIDE.    —    CICI.NDÉLIDES    DKS    BASSES-ALPES  o47 


M.  Ed.-E.  HOINOEAT-BÂSTIBE 


à  Di^ne. 


CICINDELIDES   DES    BASSES-ALPES 


—  Séance  du  2/  septembre  489i  — 

Les  espèces  de  Cicindèles  qui  habitent  les  Basses- Alpos  ne  sont  pas 
nombreuses.  Nous  en  donnons  la  liste  en  faisant  connaître  leur  habitat, 
car  notre  sol  n'est  pas  partout  le  même,  nos  vallées  n'ont  pas  toutes  les 
mêmes  conditions  climatériques,  de  même  que  nos  montagnes  sont  plus 
ou  moins  élevées. 

\°  Cicindela  campestris,  Linn.  —  Cette  espèce  est  très  commune  à 
toutes  les  altitudes,  dans  toutes  nos   vallées  et  montagnes  secondaires. 

On  rencontre  ces  insectes  à  peu  près  toute  l'année;  ils  ne  disparaissent 
que  pendant  deux  mois  et  demi,  depuis  la  mi-novembre  jusqu'à  la  fin 
janvier,  et  encore,  durant  ce  laps  de  temps,  il  n'est  pas  rare  de  voir  les 
individus  qui  ont  pu  résister  au  froid  sortir  de  leur  retraite  et  se  mon- 
trer dans  les  endroits  bien  exposés  au  soleil.  Mais  c'est  surtout  en  mars, 
avril  et  mai.  quelquefois  même  en  février,  que  ces  insectes  pullulent 
réellement,  sur  nos  coteaux  arides  et  ensoleillés,  ainsi  que  dans  nos 
champs  à  terrain  sec  et  très  meuble,  ces  dernières  conditions  étant  in- 
dispensables à  la  larve,  qui  a  besoin  d'un  sol  très  léger  et  surtout  à 
l'abri  de  l'humidité  pour  y  creuser  son  terrier. 

On  peut  dire  que  le  nombre  de  ces  Cicindèles  diminue  au  fur  et  à 
mesure  que  les  chaleurs  augmentent;  pendant  l'été, elles  deviennent  frès 
rares,  si  ce  n'est  sur  les  hautes  montagnes,  où  on  peut  espérer  les  ren- 
■contrer,  durant  cette  saison  ;  mais  elles  reparaissent  vers  le  mois  de  sep- 
tembre ou  d'octobre. 

A  Digne,  ainsi  que  dans  bon  nombre  d'autres  localités,  il  existe  une 
variété  de  Cicindela  campestris.  Celte  variété,  de  mêmes  dimensions  que  le 
type,  au  lieu  d'avoir,  comme  chez  celui-ci,  les  élytres  d'un  bleu  clair 
avec  taches  blanches,  les  a  d'un  bleu  noirâtre  plus  ou  moins  Umk-î'  avec 


548  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

les  taches  grisâtres,  se   confondant  presque  dans  la  teinte  générale   de 
l'insecte. 

Le  vrai  type  nous  a  toujours  paru  moins  commun  que  sa  variété  ; 
nous  n'avons  capturé  le  premier  que  jusqu'à  l'altitude  de  1.000  mètres, 
tandis  que  nous  avons  pu  prendre  l'autre  espèce  sur  des  montagnes  de 
pJus  de  l.oOO  mètres  de  hauteur. 

Que  ce  soit  dans  les  basses  ou  sur  les  hautes  altitudes,  il  faut  voir  courir 
et  voleter  au  soleil  la  Cidndela  campestris  qui,  par  la  richesse  de  son 
coloris  et  l'élégance  de  ses  formes,  ne  craint  pas  la  comparaison  avec  les 
plus  brillants  spécimens  d'insectes  exotiques.  Tout  le  monde  connaît  la 
légèreté  et  la  vivacité  de  ce  Coléoptère,  qui  rendent  sa  capture  fort  diffi- 
cile lorsqu'on  n'a  pas  avec  soi  le  secours  d'un  filet. 

2°  Cicindela  flexuosa,  F.  —  Cette  espèce  n'existe  pas  dans  la  vallée 
de  la  Bléone,  mais  elle  n'est  pas  rare  aux  environs  de  Sisteron,  dans  la 
vallée  de  la  Durance,  où  on  la  rencontre  dans  les  sables  laissés  par 
les  eaux  dans  le  lit  de  cette  rivière.  Nous  en  avons  reçu  plusieurs 
exemplaires  capturés  dans  celte  localité  par  M.  Henri  Coulomb,  phar- 
macien. 

3"  Cicindela  riparia,  Dej.  —  Cette  variété  delà  Cicindela  hyhrida,  Linn. 
est  fort  commune  à  Digne,  où  elle  parait  remplacer  le  type,  mais  elle  ne 
se  trouve  pas  partout.  On  la  rencontre  surtout  au  fond  des  vallées,  sur 
quelques  flancs  de  coteau,  rarement  sur  les  grandes  hauteurs,  car  nous  ne 
l'avons  jamais  trouvée  sur  les  montagnes  d'une  haute  altitude.  Mais  dans 
les  vallées,  dans  les  endroits  à  sol  uni  ou  peu  accidenté,  sablonneux, 
exposé  aux  rayons  solaires  les  plus  intenses,  dépourvu  de  végétation  ou 
recouvert  seulement  de  menus  herbages  lui  permettant  de  se  montrer  à 
nu  çà  et  là,  on  voit  cette  Cicindèle  se  poser  souvent  à  terre.  C'est  ainsi 
qu'à  Digne  on  rencontre  cet  insecte  dans  les  graviers  de  la  Bléone,  des- 
Eaux-Chaudes  ou  du  torrent  de  Mouirouès,  sur  les  routes  et  chemins,  de 
même  que  sur  la  place  du  Tampinet,  conquise  il  y  a  déjà  longtemps  sur 
le  lit  de  la  Bléone  (1).  Nous  l'avons  vue  encore  sur  le  coteau  des  Hautes- 
Sièyes,  dans  le  vallon  de  Saint- Véran.  A  Blégiers  (vallée  de  la  Bléone),. 
nous  avons  capturé  quelques  exemplaires  de  cette  Cicindèle  sur  la  route" 
de  Prads.  Nous  avons  pris  aussi  cette  espèce  au-dessus  du  village  de 
Draix,  à  1.300  mètres  d'altitude,  sur  le  chemin  muletier  qui  conduit  de 
Digne  à  ïhorame,  sur  le  versant  nord  de  la  montagne  des  Dourbes,. 
connue  en  cet  endroit  sous  le  nom  de  montagne  de  Couar.  Nous  l'avons 
enfin  capturée  encore  sur  le  même  chemin,  tout  près  du  col  de  la  Cine,^ 
vers  1.500  mètres  d'altitude,  entre  la  montagne  du  Cheval -Blanc 
(2.323  mètres j  et  celle  des  Dourbes.  C'est  là  le  point  le  plus  élevé  où  nous 

(1)  Cette  espèce  est  commune  aussi  à  Sisteron  où  M.  H.  Coulomb  l'a  recueillie  dans  les  sables  du 
lit  de  la  Durance  et  sur  les  chemins.  (Note  ajoutée  pendant  l'impi-ession.) 


ED. -F.    HONNORAT-BASTIDE.    -^    CICINDÉLIDES    DES    BASSES-ALPES  549 

ayons  rencontré  la  Cicindela  riparia,  Dej.,  dans  nos  nomlireuses  chasses 
aux  Coléoptères  faites  durant  un  grand  nombre  d'années  sur  nos  hautes 
montagnes  bas-alpines.  Mais  nous  ajouterons  que  nous  avons  ren- 
contré ces  deux  dernières  Cicindèles  sur  un  chemin  pierreux,  tracé  au 
milieu  de  terrains  dénudés,  à  pente  raide,  et  brûlé  par  le  soleil. 

On  voit  que  comme  la  Cicindela  campestris,  la  Cicindela  riparia  s'élève 
assez  haut  en  altitude  dans  les  Basses-Alpes.  Mais  nous  ferons  remarquer 
que,  pour  que  ce  mot  d'altitude  ait  une  signification  réellement  exacte,  il 
faut  que  l'on  tienne  compte,,  non  seulement  de  la  hauteur  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer  du  lieu  dont  on  parle,  ainsi  que  de  la  latitude,  mais 
encore  de  la  bonne  ou  mauvaise  exposition  de  ce  lieu  au  soleil,  à  la  pluie 
et  aux  vents.  Il  est  donc  possible  que  des  insectes  trouvent  dans  des  lieux 
élevés,  mais  bien  exposés,  des  conditions  de  climat  identiques  à  celles 
de  régions  moins  haut  placées,  mais  moins  bien  abritées. 

Les  deux  Cicindela  riparia  provenant  de  Draix  et  du  col  de  la  Ci  ne 
ont  la  teinte  générale  d'un  beau  noir  terne,  même  les  taches,  qui  sont  très 
foncées,  teinte  qui  diffère  beaucoup  des  types  des  basses  altitudes.  Mais 
peut-être  cette  différence  dans  la  coloration  tient-elle  aux  individus  à 
couleurs  déjà  passées. 

La.  Cicindela  riparia  para.\t  \ers  les  mois  de  mai,  juin  et  juillet,  alors 
que  la  campestris  ne  se  montre  plus  que  rarement.  On  n'en  voit  plus  en 
août  que  de  rares  individus  aux  couleurs  flétries,  mais  elle  reparaît  en 
automne  vers  les  mois  de  septembre  et  d'octobre. 

La  Cicindela  riparia  est  difficile  à  capturer,  même  avec  un  filet.  On 
peut,  en  effet,  prendre  avec  la  main  les  Cicindela  Germamca,  litterata, 
qui  ne  font  guère  que  courir  ou  voleter  au  soleil,  sur  le  sol,  ainsi  que  la 
Cicindela  campestris  qui,  quoique  volant  bien,  se  laisse  cependant  appro- 
cher de  près.  Mais  il  n'en  est  pas  de  même  de  la  riparia  qui  se  tient 
toujours  à  distance  et  rarement  à  portée  du  filet. 

Pour  chasser  fructueusement  la  Cicindela  riparia,  on  doit  avoir  soin 
de  ne  sortir  que  par  un  temps  tout  à  fait  serein,  car,  comme  les  Papil- 
lons, les  Cicindèles  disparaissent  comme  par  enchantement,  surtout  l'es- 
pèce en  question,  lorsque  le  moindre  nuage  voile  le  soleil. 

On  prend  la  Cicindela  riparia  beaucoup  plus  facilement  en  automne 
qu'au  printemps,  car  durant  l'arrière-saison  ces  insectes  sont  engourdis 
parle  froid,  à  moins  qu'on  ne  les  rencontre  par  une  journée  de  forte 
chaleur,  ce  qui  n'est,  du  reste,  pas  rare  sous  notre  ciel  méditerranéen, 
surtout  en  octobre  et  novembre. 

La  Cicindela  riparia  a  toujours  sa  teinte  générale  d'un  beau  noir  mat  ; 
ses  taches  blanches  seules  varient;  elles  sont  d'un  beau  blanc  chez  les 
individus  frais,  d'un  blanc  terni,  sale,  passant  au  noir  chez  les  individus 
défraîchis. 


550  ZOOLOGIE,    AXATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

4°  Cicindela  montana,  Charp.  —  Celte  variété  de  la  Cicindela  hybrida^ 
Linn.,  a  été  signalée  dans  la  vallée  de  Barcelonnelte  par  M.  Bellier  de  la 
Chavignerie  (1).  Les  exemplaires  de  Cicindela  riparia  très  foncés  que 
nous  avons  dit  avoir  capturés  à  Draix  et  à  la  Cine  pourraient  bien  se  rap- 
porter à  cette  variété  curieuse  des  régions  élevées. 

5"  Cicindela  chloris.  Dej.  —  La  Cicindela  chloris  est  une  espèce  des  hautes 
altitudes.  Dans  les  Basses-Alpes,  on  ne  la  trouve  pas,  des  côtés  sud  et 
sud-ouest,  en  dessous  de  Digne,  même  sur  les  plus  hautes  montagnes. 
Nous  n'avons  jamais  rencontré  cette  espèce  à  Cousson  (1.511  mètres),  ni  à 
Siron  (1.6o3  mètres),  tout  près  de  Digne,  non  plus,  au  sud  des  Basses- 
Alpes,  sur  la  chaîne  de  Serre  de  Mont-Denier  (1.708  mètres),  près  Mous- 
tiers,  toutes  montagnes  que  nous  avons  parcourues  assez  souvent  pour 
l'y  rencontrer  si  elle  y  existait.  Nous  ne  l'avons  pas  aperçue  sur  la  mon- 
tagne des  Bourbes  (1.751  mètres),  à  l'est  de  Digne,  pas  même,  dans  la 
même  direction,  sur  les  pentes  des  pics  de  Cueuyon  (1.897  mètres)  et  de 
Couar  (1.989  mètres).  Elle  doit  certainement  exister  sur  la  montagne  de 
Blayeul  (2.100  mètres),  au  nord-est  de  Digne;  mais  néanmoins,  dans  une 
ascension  que  nous  y  avons  faite  le  14  juin  1891,  nous  ne  l'y  avons  pas 
trouvée,  peut-être  parce  que  c'était  un  peu  tôt,  ou  qu'il  faisait  du  vent. 
L'habitat  de  cette  espèce  le  plus  à  proximité  de  Digne  est  la  montagne  du 
Cheval-Blanc  (2.323  mètres),  qui  forme  un  long  soulèvement  couronné 
de  mamelons  gazonnés  formant  dos  d'âne,  situés  à  une  altitude  supé- 
rieure à  2.300  mètres.  Sur  cette  montagne,  la  Cicindela  chloris  est  très 
commune,  et  durant  les  mois  de  juillet  et  d'août,  si  le  temps  est  favo- 
rable et  le  vent  pas  trop  fort  sur  ces  hauteurs,  on  est  toujours  certain  d'en 
prendre  de  nombreux  exemplaires. 

Il  est  à  remarquer  que  cette  espèce  ne  se  tient  qu'au  sommet  de  la 
montagne.  Nous  avons  bien  souvent  parcouru  les  flancs  de  ce  soulèvement 
en  suivant  le  chemin  de  Thorame  par  le  col  de  la  Cine.  Ni  à  la  Cine, 
vers  1.510  mètres  d'altitude,  ni  sur  le  reste  du  chemin,  qui  atteint  cepen- 
dant 1.617  mètres  sur  le  versant  ouest  du  Cheval-Blanc,  nous  n'avons 
jamais  rencontré  cette  belle  espèce,  qui  ne  paraît  se  plaire  que  dans  les 
régions  élevées.  Ce  qui  nous  a  toujours  étonné,  c'est  que,  alors  qu'elle 
est  si  commune  sur  cette  même  montagne  du  Cheval-Blanc,  nous  ne 
l'ayons  jamais  vue  sur  les  sommets  situés  en  face,  du  côté  de  Digne,  par 
exemple  ceux  de  Cluchemet  (1.779  mètres)  et  de  Cueuyon  (1.897  mètres), 
bien  que  ces  massifs  soient  très  voisins  du  Cheval-Blanc,  puisqu'ils  vien- 
nent s'y  souder  et  n'en  sont  séparés  que  par  un  col,  et.  qu'ils  atteignent 
une  altitude  supérieure  à  la  hauteur,  où,  dans  la  vallée  de  Barcelonnette, 
nous  avons  aperçu  quantité  de  Cicindela  chloris. 

(1)  Bei.lier  de  la  Chavignkhie,  Observations  sur  les  Lépidopllres  des  Basses-Alpes.  (Ann.  delaSoc.^ 
entom  de  France,  3'=  série   tome  IV,  1856,  p.  22-i 


ED. -F.    HOXNORAT-BASTIDE.    —  CICIM»ÉL1DES   DES    BASSES-ALPES         351 

Mais,  par  contre,  cette  magnifique  espèce  est  très  commune  sur  tous 
les  sommets  des  hautes  montagnes  des  Basses-Alpes  situés  en  deçà  de  la 
montagne  du  Cheval-Blanc,  aussi  bien  du  côté  du  nord  que  du  côté  de 
l'est.  Nous  l'avons  signalée  sur  la  montagne  des  Vachères,  vallée  de  la 
Bléone,  aux  près  d'Achau,  de  1.900  à  2.000  mètres  d'altitude,  en  face  de 
la  belle  forêt  de  Faillefeu  (1).  Au  col  de  Chalufy,  entre  les  sommets  de 
Boule  (2.393  mètres)  et  de  Denjuan  (2.404  mètres),  vers  2.000  mètres 
d'altitude.  M""*  Honnorat  a  pu  y  chasser,  le  1"'  juillet  1889,  de  nombreux 
exemplaires  de  Cicindela  chloris,  qui  voletaient  sur  le  sol  à  chaque 
éclaircie  du  soleil,  car  le  ciel  était  nuageux  et  l'orage  grondait  en  face 
et  non  loin  de  nous,  sur  les  sommets  de  la  Sèche  (2.823  mètres)  et  des 
Trois-Évèchés  (2.828,  2.838  et  2.927  mètres). 

Cette  espèce  n'habite  pas  exclusivement  les  hauts  sommets  de  nos 
montagnes.  Nous  l'avons  vue  aussi  courir  et  voleter  au  soleil,  en  juillet 
1878,  au  fond  de  la  vallée  du  Bachelard,  sur  les  sables  et  graviers  du 
torrent,  en  face  de  Mourjuan,  avant  d'arriver  à  Villard-d'Abbas,  près 
Fours,  vers  1780  mètres  d'altitude. 

La  Cicindela  chloris  avait  été  signalée  depuis  longtemps  dans  la  vallée 
de  Barcelonnette,  sans  indication  d'endroit  précis,  par  M.  Bellier  de  la 
Chavignerie  (2). 

La  Cicindela  chloris  est  d'un  beau  vert,  à  taches  d'un  blanc  jaunâtre, 
qui  se  ternissent  chez  les  individus  défraîchis. 

6°  Cicindela  litterata,  Sulz.  —  La  Cicindela  litterata  est  une  espèce  très 
commune  dans  les  environs  de  Digne,  mais  son  habitat  se  réduit  aux 
terrains  d'alluvions  sablonneuses,  récentes  et  humides,  des  torrents  et 
rivières,  ainsi  qu'aux  berges  des  canaux,  tous  endroits  fréquentés  égale- 
ment par  la  Cicindela  Germanica,  avec  laquelle  elle  a  certaines  ressem- 
blances comme  teintes  et  comme  dimensions. 

Il  y  a  déjà  longtemps,  on  ferma,  en  le  reconstruisant,  deux  arches  du 
pont  jeté  sur  la  Bléone,  à  Digne  ;  il  se  forma  immédiatement,  en  amont 
de  ces  arches,  une  alluvion  qui,  en  hiver  et  lors  des  crues  de  la  rivière, 
était  recouverte  d'eau  et  qui,  en  été,  se  trouvait  à  sec,  à  l'exception  de 
quelques  grandes  flaques  d'eaux  presque  stagnantes,  dans  lesquelles  les 
batraciens  chanteurs  et  les  couleuvres  aquatiques  se  réfugiaient  en  nombre. 
Un  jour  que  nous  allions  en  cet  endroit  pour  y  chasser  la  couleuvre  vipé- 
rine, nous  aperçûmes,  courant  sur  la  vase,  de  petites  Cicindèles  qui  se 
rapportaient  à  l'espèce  litterata,  Sulz  (Liujdunensis,  Dej.).  Tout  heureux 
de  notre  trouvaille,  nous  nous  mîmes  à  la  recherche  de  ces  Cicindèles, 


(11  En. -F.  Honnorat-Bastidk,  Promenade  enlomoîogique  dans  les  forets  de  Faillefeu  et  de  Charges, 
à  Prads.  {Bull,  de  la  Soc.  scient,  et  litt.  des  Basses-. Vlpes,  loiiic  II,  p.  75  j 

(2;  Deli.ikr  de  la  Chavignerie,  ()bservations  sur  les  Lépidoptères  des  Basses- Alpes .  (Ami.  delà  Soc. 
cntom.  de  France,  3"=  série,  tome  IV,  1S5G,  p.  22.) 


S52  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    l'HYSIOF.OGIE 

dont  nous  pûmes  capturer  un  grand  nombre.  Durant  quelques  années, 
nous  fûmes  obligé  de  cesser  notre  chasse  au  môme  endroit,  les  eaux 
ayant  recouvert  le  terrain  en  question  ;  mais  une  fois  ce  terrain  presque 
complètement  colmaté  et  abandonné  en  partie  par  les  eaux,  il  nous  fut 
permis  de  recommencer  nos  recherches,  et  nous  nous  empressions  d'aller 
voir  si  ces  jolies  bêtes  se  retrouvaient  au  même  endroit.  Malheureuse- 
ment le  sol,  recouvert  d'osiers,  de  joncs  et  autres  plantes  aquatiques  qui 
formaient  des  fourrés  impénétrables,  n'était  favorable  que  sur  quelques 
points  seulement  aux  évolutions  de  ces  Cicindèles.  Néanmoins,  notre 
espoir  ne  fut  pas  déçu,  car,  quoique  le  terrain  fût  encore  tout  humide, 
imprégné  comme  il  l'était  par  les  eaux  du  canal  de  colmatage,  dont  les 
ramilications  le  parcouraient  en  tous  sens,  de  nombreux  exemplaires  de 
Cicindela  Utterata  couraient  et  voletaient  sur  le  sol,  sur  lequel  nous  avions 
de  la  peine  à  tenir  sans  enfoncer.  C'est  sur  des  espaces  isolés  et  de 
quelques  mètres  d'étendue  seulement  que  nous  avons  pu  nous  livrer  à 
la  recherche  des  Cicindèles  en  question,  assez  communes  pour  qu'en 
quelques  jours  nous  ayons  pu  en  capturer  un  très  grand  nombre.  Mais 
ces  insectes  ayant  disparu  peu  à  peu,  nous  dûmes  bientôt  cesser  nos 
chasses.  Depuis  lors,  le  terrain  en  question  a  été  complètement  livré  à  la 
culture,  et  les  jolies  Cicindèles  en  ont  disparu. 

On  trouve  plus  particulièrement  et  même  exclusivement  cette  espèce 
à.  Digne,  dans  laBléone  et  dans  les  torrents  qui  se  jettent  dans  celle-ci, 
mais  seulement  dans  les  endroits  humides  du  lit  de  ces  cours  d'eau, 
c'est-à-dire  dans  les  parties  de  graviers  recouvertes  de  terre  ou  de  sables 
humides  récemment  abandonnées  par  les  eaux.  Dans  les  endroits  pré- 
sentant ces  conditions,  qui  semblent  indispensables  à  l'existence  de  ces 
Cicindèles,  nous  avons  pu  souvent  capturer  des  exemplaires  de  l'espèce  en 
question  dans  des  oseraies  du  quartier  de  Saint-Lazare,  sur  la  rive  gauche 
de  la  Bléone,  aux  environs  de  Digne. 

La  Cicindela  Utterata  avait  été  désignée  depuis  longtemps  à  M.  Bellier 
de  la  Chavignerie  par  un  autre  entomologiste,  M.  Pujade,  comme  habi- 
tant la  vallée  de  Mouirouès,  en  face  de  la  propriété  Yvan,  aujourd'hui 
Builly,  à  l'est  de  Digne.  Mais  nous  croyons  que  le  même  Coléoptère  est 
plus  facile  à  prendre,  surtout  en  plus  grand  nombre,  dans  le  lit  de  la 
Bléone,  et  plus  particulièrement  aux  environs  du  moulin  des  Sièyes,  en 
amont  du  torrent  de  Saint-Véran,  au  quartier  du  They. 

Cette  espèce  a  été  recueillie  dans  la  vallée  de  la  Durance,  à  Sisteron,  par 
M.  Henri  Coulon. 

La  Cicindela  Utterata  commence  à  se  montrer  à  la  même  époque  que 
la  Cicindela  Germanica,  et  disparaît  aussi  en  même  temps  que  celle-ci  ; 
mais   quoiqu'on  la  rencontre  toujours  en   compagnie  de  cette  dernière' 
dans  les  terrains  vaseux  et  tout  récemment  abandonnés  par  les  eaux,  on 


ED  -F.    HONNOHAT-BASTIDE.    —    CICINDÉLIDES   DES   BASSES-ALPES  5o3 

ne  la  trouve  jamais  dans  les  champs,  même  très  humides,  fréquentés 
cependant  par  Ja  Germanica.  Nous  n'avons  pu,  en  effet,  jusqu'à  présent, 
cajjturer  la  Cicindela  litterata  en  dehors  des  alluvions  et  graviers 
humides  et  vaseux,  que  sur  la  berge  d'un  canal  et  près  de  terrains  où  ne 
croissaient  que  des  joncs,  lesquels  annonçaient  que  l'eau  existait  en  abon- 
dance et  à  peu  de  profondeur,  au  quartier  du  They. 

La  Cicindela  litterata  paraît,  dans  les  environs  de  Digne,  vers  le  mois 
de  juin,  et  elle  continue  à  se  montrer  jusqu'à  la  fin  août  et  même  jus- 
qu'au commencement  de  septembre.  C'est  une  des  plus  petites  espèces  el 
est  très  dithcile  à  capturer,  soit  à  cause  de  la  vivacité  de  ses  mouvements, 
soit  parce  que  ses  dimensions  ne  permettent  pas,  dans  les  déplacements 
rapides  du  bel  insecte,  de  le  suivre  au  vol.  11  est,  par  suite,  très  difficile 
de  prendre  des  quantités  de  ce  Coléoptère,  à  moins  que  l'on  ne  se  soit 
familiarisé  depuis  longtemps  avec  la  manière  de  se  déplacer  et  de  voleter 
do  cette  Cicindèlc. 

Dans  les  Basses-Alpes,  la  Cicindela  litterata  atteint  9  millimètres  de 
longueur  :  c'est  la  plus  petite  de  nos  espèces. 

7°  Cicindela  Germanica,  Linn.  —  Dans  les  environs  de  Digne,  la  Cicindela 
Germanica  est  très  commune,  mais  seulement  dans  le  fond  des  vallées, 
jamais  sur  les  hauteurs.  Elle  se  tient  toujours  dans  les  terrains  d'alluvion, 
partout  où  le  sol  est  humide.  On  la  rencontre  fréquemment  dans  les 
champs  de  blé,  dans  les  prés,  sur  les  bords  des  chemins,  sur  les  berges 
des  canaux,  notamment  à  la  Sôbe,  au  They  et  aux  Sièyes ,  etc.  Ayant 
parlé  autrefois  incidemment,  dans  la  Feuille  des  Jeunes  Naturalistes 
(VII''  année,  numéro  du  1^''  décembre  1876,  p.  ^2),  à  propos  de  la  Cicin- 
dela campeslris,  de  la  facuHé  qu'a  la  Cicindela  Germanica  de  ne  fréquen- 
ter que  les  terrains  généralement  humides,  une  vraie  polémique  eut  lieu 
à  ce  sujet,  à  propos  de  l'habitat  de  celte  espèce,  que  les  uns  assuraient 
habiter  les  endroits  secs  et  ensoleillés,  d'autres  les  terrains  humides  seu- 
lement (1). 

A  Digne,  la  Cicindela  Germanica  se  trouve  communément,  en  effet, 
dans  les  champs  de  blé,  mais  seulement  dans  ceux  qui  existent  au  fond 
des  vallées,  car  c'est  vainement  que  nous  avons  essayé  depuis  longtemps 
de  rencontrer  la  Cicindèle  en  question  sur  les  hauteurs  ou  sur  leurs  ver- 
sants, pas  même  sur  nos  coteaux,  toujours  fréquentés  par  les  Cicindela 
campestris  et  riparia.  Mais  les  champs  de  blé  qui  se  trouvent  au  fond  de 
nos  vallées  sont  généralement  humides,  comme,  du  reste,  tous  nos  ter- 
rains alluviens  de  formation  récente,  jusqu'au  moment  de  la  moisson, 
c'est-à-dire  de   la  fin  juin  au  commencement  de  juillet,  et  c'est  à  celte 

(11  Voir  Feuille  des  Jeunes  Xatiiralisles  .•  VII'  annexe,  n»  83  du  i<='  stplembre  1877,  note  de  M.  Baillot; 
VHP  année,  n°  86  du  i<"-  décembre  1877,  note  de  M.  L.  Gavoy  ;  n°  87  du  1"  janvier  1878,  note  de 
M.  Baillot;  n°  88  du  i»"-  février  1878,  note  de  M.  A.  Martin. 


o54  ZOOLOGIE,    ANATOMIE,    PHYSIOLOGIE 

époque,  alors  que  le  sol  n'a  pas  été  encore  complètement  desséché  par 
le  soleil,  que  ces  Cicindélides  se  rencontrent  le  plus  souvent. 

Mais  quoique  l'on  trouve  ces  insectes  assez  abondamment  dans  les 
champs  de  blé,  on  les  rencontre  aussi,  et  en  bien  plus  grand  nombre, 
dans  les  prés,  où  les  herbes  épaisses  favorisent  singulièrement  l'humi- 
dité du  sol.  Une  année,  entre  autres,  sur  une  surface  de  quelques  mètres 
carrés,  dans  un  pré  fauché  récemment,  situé  non  loin  de  la  Bléone,  au 
quartier  des  Sièyes,  nous  avons  pu,  dans  une  heure  de  temps,  capturer 
plus  de  quatre-vingts  exemplaires  de  Cicindela  Germanica,  tandis  qu'au- 
paravant, dans  les  champs  de  blé  dont  le  sol  était  presque  à  sec  et  sur 
des  chemins  les  avoisinant,  dans  le  même  espace  de  temps  et  sur  une 
surface  bien  plus  grande,  nous  prenions  seulement  quelques-uns  de  ces 
insectes.  Or,  ces  Cicindèles  ne  s'éloignant  que  très  peu  du  sol  sur  lequel 
elles  ont  suivi  leurs  diverses  transformations,  on  ne  peut  dire  qu'elles 
aient  quitté  les  champs  de  blé  situés  beaucoup  plus  loin,  pour  venir 
s'établir  au  milieu  des  herbes  et  sur  la  terre  humide  du  pré  dont  nous 
avons  parlé. 

Au  reste,  bien  que,  dans  nos  alluvions  mêmes,  nos  champs  de  blé  soient 
parfois  assez  secs,  en  juillet  et  août,  on  ne  saurait  les  comparer  aux 
champs  brûlés  par  le  soleil  qui  existent  sur  les  versants  et  sur  les  pla- 
teaux de  nos  coteaux  et  montagnes  secondaires,  fréquentés  par  d'autres 
Cicindélides,  et  sur  lesquels,  comme  nous  l'avons  dit,  la  Cicindela  Ger- 
manica ne  se  trouve  jamais. 

Nous  ne  pouvons  donc  que  maintenir  ce  que  nous  avions  déjà  avancé, 
c'est-à-dire  que  dans  les  environs  de  Digne,  la  Cicindela  Germanica  ne  se 
rencontre  généralement  que  dans  les  terrains  humides.  D'autres  Cicindèles 
possèdent  aussi,  et  à  un  plus  haut  degré  que  chez  la  Cicindela  Germanica^ 
la  faculté  de  vivre  au  milieu  de  terrains  humides,  comme  on  l'a  vu  à 
propos  de  la  Cicindela  litterata,  Sulz. 

Nous  avons  capturé  à  Digne,  au  quartier  du  They,  une  variété  de 
Cicindela  Germanica  à  élytres  d'un  beau  bleu  foncé,  presque  noir.  Cette 
variété  est  très  rare  dans  nos  environs. 


LE    CHANOINE    INCHAUSPÉ.   LE    PEUPLE    BASQIE  5D'> 


M.  le  Chanoine  lîfCHAïïSPE 

à  Abensc-dc-Haut,  par  Tardi-ls  fBasses-Pyrénées  . 


LE  PEUPLE  BASQUE,  SA  LANGUE,  SON  ORIGINE 


—  SéiiDce  (lit  16  septembre  1892  — 

r 

On  a  beaucoup  écrit,  depuis  un  demi-siècle,  sur  le  peuple  Basque,  sur  sa 
langue  et  son  origine  ;  et  néanmoins  l'Association  française  pour  l'avan- 
cement des  sciences  a  jugé  utile  de  poser  la  Question  Basque  à  discuter  au 
Congrès  qu'elle  a  tenu  à  Pau  cette  année  1892.  C'est  qu'en  effet  les 
nombreux  écrits  qui  ont  été  publiés  de  nos  jours,  au  lieu  d'élucider  cette 
question,  n'ont  fait  que  l'obscurcir,  accumuler  des  nuages  et  jeter  l'incer- 
titude dans  les  esprits. 

En  venant  répondre  à  l'appel  qu'on  a  daigné  faire  à  notre  concours  à 
ce  sujets  nous  n'avons  pas  la  prétention  de  produire  des  documents  nou- 
veaux ;  nous  voulons  seulement  tâcher  de  dégager  ceux  qui  sont  déjà 
connus  des  nuages  dont  on  les  a  enveloppés,  et  faire  en  sorte  de  dé- 
couvrir la  lumière  qu'ils  sont  susceptibles  d'apporter  à  la  solution  des 
questions  proposées. 

Avant  d'aborder  la  question  de  Vorigine  et  de  l'histoire  des  Basques,  il 
nous  semble  naturel  d'examiner  leur  langue,  objet  de  la  curiosité  des 
savants,  et  qui  fait  des  Basques  un  peuple  à  part  dans  le  monde. 

§    I.    —  La    langue   BASQUE. 

On  a  divisé  les  langues  qui  se  parlent  dans  les  diverses  parties  du  globe 
en  trois  grandes  familles  :  la  famille  Sémitique,  la  famille  Aryenne  et  la 
famille  Touranienne;  et,  parmi  les  langues  parlées  dans  ces  trois  groupes, 
on  distingue  les  langues  isolantes,  les  agglutinantes  et  les  flexionnelles. 
On  trouve  à  la  langue  basque  des  analogies  avec  toutes  et  avec  chacune 
des  langues  appartenant  aux  diverses  familles  et  aux  diverses  catégories. 
Ainsi  on  a  observé,  pour  la  terminologie,  que  le  sanscrit  appelle  comme 
le  basque  :    la  lumière,  arghia  ;   le  feu,  sou  ;  le  père,    ata  ou  aita  ;  la 


5o6  ANTHROPOLOGIE 

mère,  ama  ;  —  que  le  samoyède  appelle  le  soleil,  eguia  ou  el.ia  ;  le  teu, 
sou;  le  pré,  soror,  en  basque,  sof^o  ;  le  blanc,  z-yr,  en  basque,  ^wri;  — 
que  l'estlîonien  appelle  le  raisin,  masis,  le  basque,  màtsa  ;  —  le  mongol, 
la  forêt,  oy,  le  basque  oyait  ;  —  le  turc,  la  boue,  ballsik,  le  basque,  balsa  ; 
la  prune  aril;,  le  basque,  a?'ana  ;  —  que  le  japonais  appelle  le  maître, 
noushi,  le  basque,  nausi;  le  seigneur,  donno,  le  basque,  jaon;  seulement 
bakkarri,  le  basque,  bakharik. 

La  plupart  des  termes  dont  les  linguistes  ont  fait  le  rapprochement 
sont  loin  de  présenter  la  même  identité  dans  le  radical,  et  ces  rappro- 
chements ont  peu  de  valeur  aux  yeux  des  esprits  sérieux.  D'ailleurs,  on 
trouve  de  ces  sortes  d'analogies  dans  les  vocabulaires  de  toutes  les  langues; 
on  en  trouve  entre  le  sanscrit  et  l'hébreu,  entre  les  langues  touraniennes 
et  les  langues  aryennes. 

L'élément  grammatical  constitue  principalement,  pour  les  linguistes,  la 
base  qui  doit  servir  à  établir  les  degrés  de  parenté  et  la  classification 
des  langues  ;  et,  sous  ce  rapport  encore,  on  a  signalé  des  analogies  entre  le 
basque  et  diverses  langues. 

Ainsi  la  multiplicité  des  modes  et  des  temps  du  verbe  rapprocherait 
le  basque  du  sanscrit,  tandis  qu'elle  l'éloignerait  beaucoup  de  l'hébreu 
qui  n'a  que  deux  temps  et  deux  modes. 

Le  système  postpositif,  suivi  par  le  basque  dans  la  déclinaison,  donne  à 
cette  langue  de  l'affmité  avec  les  langues  ou  rai -al  laïques  qui  ont  des  suffixes 
çasuels  comme  le  basque.  Le  nominatif  pluriel  est  désigné  par  la  dési- 
nence k  en  basque,  et  c'est  aussi  le  signe  du  pluriel  en  lapon,  en  hongrois 
et  en  vogoule. 

Une  autre  analogie  entre  la  langue  basque  et  les  langues  oural-altaïques 
et  aussi  certains  idiomes  de  l'Amérique  du  Nord,  c'est  l'existence  d'une 
conjugaison  objective,  c'est-à-dire  qui  emlirasse  dans  le  même  mot  : 
l'indication  du  sujet,  du  régime,  du  pluriel  et  du  singulier.  Mais,  malgré 
ces  analogies,  la  supériorité  du  basque,  dit  le  prince  Lucien  Bonaparte, 
est  immense  sur  ces  divers  idiomes  ;  non  seulement  quant  au  nombre  et 
à  la  variété  des  formes  objectives,  mais  aussi  quant  à  leur  clarté  logique 
et  à  leur  usage.  —  Lorsqu'on  compare  le  basque  avec  les  langues  des 
aborigènes  de  l'Amérique,  dit  encore  i\L  Jehan  de  Saint-Clavier,  il  est 
impossible  de  ne  pas  apercevoir  V immense  différence  qui  existe  entre 
ces  langues.  Tous  les  idiomes  américains  sont  dépourvus  des  verbes 
auxiliaires  être  et  avoir,  et  ils  ne  peuvent  exprimer  abstractivement  les 
idées  qui  nous  sont  communiquées  par  ces  deux  verbes,  tandis  que  ces 
deux  auxiliaires  sont  tout  dans  le  basque. 

En  effet,  lorsqu'on  examine  la  merveilleuse  flexibilité  du  verbe  basque, 
la  richesse  de  ses  formes,  les  grandes  proportions  de  son  architecture; 
l'unité,  la  simplicité  et  la  régularité  qui  ont  présidé  à  son  admirable  char- 


LE   CHANOINE   INCHAUSPÉ.  —   LE    PEUPLE    BASQUE  Oo7 

pente,  on  ne  peut  s'empêcher  de  dire  avec  M.  Jehan  de  Saint-Clavier  : 
elle  n'a  pas  sa  pareille  dans  le  monde  (Dict.  Ung.). 

L'identité  de  certains  termes  et  les  analogies  que  l'on  découvre  entre  le 
basque  et  les  autres  langues,  comme  entre  les  idiomes  des  trois  grandes 
familles,  prouvent  qu'ils  sortent  tous  primitivement  d'une  source  com- 
mune; en  effet,  l'étude  approfondie  de  la  philologie  comparée  conduit  à 
l'unité  du  langage  :  c'est  l'opinion  de  Max  Muller  et  de  tous  les  esprits 
sérieux. 

La  création,  l'unité  de  la  race  humaine,  la  révélation  du  langage  et, 
par  conséquent,  son  unité  primitive  sont  des  vérités  intimement  liées 
ensemble,  que  la  saine  philosophie  a  toujours  proclamées  et  que  les 
progrès  des  sciences  humaines  confirment  chaque  jour. 

L'erreur  de  beaucoup  de  libres-penseurs  de  notre  temps  est  de  vouloir 
faire  du  langage  une  invention  humaine.  L'homme,  comme  tous  les 
autres  êtres,  a  été  créé  dans  l'état  de  perfection  propre  à  la  dignité  de  sa 
nature.  Il  a  été  créé  pensant  et  par  conséquent  parlant,  car  l'intelligence 
sans  la  parole  est  un  flambeau  éteint  dans  l'àme  humaine.  Supposer  que 
l'homme  s'est  traîné  peu  à  peu,  par  l'onomatopée,  par  des  sons  inarticulés, 
à  tous  les  degrés  de  perfectionnement  du  langage,  c'est  philosophiquement 
la  plus  absurde  des  hypothèses. 

L'homme,  en  communication  avec  son  semblable  au  moyen  de  la  parole, 
a  pu  inventer  des  termes  de  convention  pour  désigner  diverses  choses, 
des  inventions  de  l'art  et  de  l'industrie  ;  et  ces  termes,  les  diverses  langues 
peuvent  les  emprunter  les  unes  aux  autres  ;  mais  l'expression  des  sen- 
timents, de  la  pensée  et  de  la  volonté  ;  et  le  verbe  qui  indique  les 
modes,  les  temps  des  actions  extérieures  et  intérieures,  ne  viennent  pas 
de  l'homme  ;  ils  viennent  du  Créateur  qui  a  fait  l'homme  parfait  dans  son 
genre,  comme  chacun  des  autres  êtres  de  la  création. 

§    [[.  —   Le    V0CABULAn\E  BASQUE. 

Quoique  le  basque,  comme  toutes  les  autres  langues,  par  sa  constitution 
et  ses  analogies,  se  rattache  à  une  origine  commune,  néanmoins  il  est 
incontestable  que  le  basque  se  distingue  de  toutes  les  langues  connues 
par  son  vocabulaire  et  sa  structure  grammaticale,  autant  que  les  langues 
des  trois  grandes  familles  se  distinguent  entre  elles  ;  et  que  sa  termino- 
logie, comme  sa  grammaire,  en  font  une  langue  à  part. 

En  eff'et,  presque  tous  les  termes  usuels  lui  sont  propres  ;  ainsi  on  dit  : 
guizon  pour  homme  ;  emazte,  femme  ;  haur,  enfant  ;  semé,  fils  ;  alhaba, 
fille  ,  anaye,  frère;  arreba,  sœur  par  rapport  au  frère  ;  ahizpa  par  rapport 
à  la  sœur  ;  buru,  tète  ;  belar,  froiit  ;    beyui,   œil  ;  sudur,  nez  ;   beharri, 


Oo8  ANTHROPOLOGIE 


■oreille;  aho,  bouche;  mihi,  langue;  lepho,  cou;  sorhalda,  épaule; 
boulhar,  poitrine;  besso,  bras;  escu,  main;  sahel,  ventre;  guerri,  reins; 
ister  et  azpi,  cuisse;  zankho,  jambe;  oin,  pied;  erhi,  doigt;  hour  ou  ur 
eau;  lur,  terre;  /<arn,  pierre;  aitz,  roc;  belhar,  herbe;  euri,  pluie; 
elhur,  neige;  odei  et  /ieû?oè,  nuage,  etc.,  etc.  Zelu  et  ^erw,  ciel,  a  dû  être 
substitué,  lors  de  l'introduction  du  christianisme,  au  vrai  mot  basque  qui 
désignait  le  ciel:  ce  mot  est  oz,  oza.  Il  est  conservé  dans  divers  mots 
composés,  tels  que  ozadar,  arc-en-ciel  :  oz,  ciel,  et  adar,  corne,  arc; 
ûzantza,  tonnerre:  oz,  ciel,  azantza,  bruit;  ozkarbi,  ciel  serein:  oz,  ciel, 
et  garbi,  pur;  on  dit,  dans  le  même  sens,  ozai^giii  :  oz,  ciel,  et  arguL 
clair  ;  et  ozargitara,  à  la  clarté  du  ciel. 

Les  noms  des  nombres  sont  également  particuliers  au  basque  :  il 
compte  par  dix  :  bat,  un  ;  bi,  deux  ;  hirour,  trois  ;  laur,  quatre  ;  bost, 
cinq;  sei,  six;  zazpi,  sept;  zortzi,  huit;  bedei-atzi,  neuf;  hamar,  à\x. 
Après  hamar  on  y  ajoute  bi,  hirour,  laur,  bost,  etc.,  pour  désigner  douze, 
treize,  quatorze,  etc.  ;  on  dit  :  hamabi,  hamahirour,  hamalaur,  etc.  Mais 
nous  devons  signaler  ici  une  particularité  très  singulière  et  très  intéres- 
sante :  pour  exprimer  onze,  au  lieu  de  dire  hamahXT,  dix-un,  on  dit 
/iawiEKA  et  cela  dans  tous  les  dialectes. 

Oîi  les  Basques  sont-ils  allés  prendre  cet  eka  à  la  place  de  bat,  pour 
l'ajouter  à  hamar,  dix,  et  désigner  le  nombre  onze?  Il  est  évidemment 
primitif,  puisqu'il  se  trouve  dans  tous  les  dialectes  ;  et  il  ne  peut  être 
emprunté  qu'au  sanscrit  eka,  un,  ou  à  l'hébreu  inN  ekhad,  un.  Les 
Basques  durent,  sans  doute,  emporter  ce  mot  de  la  confusion  de  Babel 
avec  les  mots  makila.  bpD,  le  bâton,  et  zaku,  ^1^ ,  le  sac,  et  certains 
autres  termes  que  beaucoup  de  langues  ont  conservés  avec  la  même 
signification  et  le  même  radical  que  l'hébreu  et  le  basque. 

On  a  prétendu  que  le  vocabulaire  basque  était  très  pauvre  ;  que  les 
mots  purement  basques  avaient  un  caractère  tout  matériel  et  que  cette 
langue  manquait  de  termes  pour  les  idées  abstraites  et  spirituelles.  Cer- 
tains philologues  darwiniens,  contrariés  dans  leurs  théories  évolutionnistes 
par  la  perfection  d'une  langue  parlée  seulement  par  un  petit  peuple  qu'ils 
considèrent  comme  très  arriéré  et  non  encore  civilisé,  parce  qu'à  leurs 
yeux  il  est  trop  religieux  ;  certains  philologues,  dis-je,  ont  même  osé 
écrire  que  le  verbe  être  n'existait  pas  en  basque  ;  et  cela  afin  de  discré- 
diter, de  rabaisser  cette  langue  et  de  l'assimiler  aux  idiomes  des  sauvages 
du  nord  de  l'Amérique. 

La  langue  basque  a  emprunté  beaucoup  de  mots  au  latin,  surtout  pour 
exprimer  les  termes  de  l'enseignement  chrétien  ;  elle  emprunte  encore 
aux  langues  voisines,  soit  des  termes  pour  exprimer  les  nouvelles  inven- 
tions, soit  même  trop  souvent  pour  rendre  les  idées  qui  auraient  dans  le 
basque  des  termes  équivalents  au  français  et  à  l'espagnol  ;  mais  le  fond  de 


LE  CHANOINE  LNCHAUSPÉ.  —  LE  PEUPLE  BASQUE  559 

la  terminologie  usuelle  reste  immuable  et  riche  et  le  môme  dans  tous  les 
dialectes  ;  et  dire  que  son  vocabulaire  a  un  caractère  purement  matériel 
et  manque  de  termes  pour  les  idées  abstraites  et  spirituelles,  est  une  atïir- 
mation  aussi  fausse  que  la  négation  de  l'existence  du  verbe  être  dans  cette 
langue. 

Nous  ferons  observer  d'abord  que  la  langue  basque,  outre  la  déclinai- 
son démonstrative  singulière  et  plurielle,  possède  une  déclinaison  indé- 
finie pour  envisager  et  exprimer  les  choses  d'une  manière  abstraite.  Il 
nous  suffira  de  signaler  un  certain  nombre  de  termes  pour  montrer  l'er- 
reur de  ceux  qui  ont  prétendu  que  le  vocabulaire  basque  est  purement 
matériel.  Notons,  par  exemple  :  eg-w/a,  la  vérité  ;  guezurra,  le  mensonge; 
zuhurra,  le  sage  ;  erhoa.  le  fou  :  —  ijogoa,  l'intelligence  ;  —  nahia.  la 
volonté;  —  ahala,  le  pouvoir;  —  beharra,  le  besom  ;  —  gvdizia,  le 
désir;  irritsa,  l'ardent  désir  ;  — aihoa,  l'aspiration;  — ona,  le  bon  ;  gais- 
/oa,  le  méchant  ;  aiherra,  le  vindicatif;  bekliaitza,  le  jaloux;  —  jakiii, 
savoir;  ikhas,  apprendre;  sinhets,  croire;  ouste,  opiner;  /«a//e,  aimer; 
higuin,  hugu,  haïr  ;  hastio,  détester  ;  orhoit,  souvenir  ;  ahatz,  oublier , 
ezagut,  connaître,  etc.,  etc. 

Nous  pourrions  allonger  beaucoup  cette  liste,  mais  elle  nous  paraît 
suffisante  pour  montrer  le  mal  fondé  des  détracteurs  de  la  langue  basque. 

Toutes  les  langues  subissent  des  modifications  et  des  altérations  avec  le 
temps  ;  mais,  sous  ce  rapport  encore,  on  doit  admirer  la  stabilité  de  la 
langue  basque  et  sa  nature  vraiment  granitique. 

On  en  trouve  une  preuve  dans  les  cinquante  et  quelques  mots  basques 
rapportés  par  Marineus  Siculus  dans  son  ouvrage  De  las  cosas  memorabiles 
de  Espana,  imprimé  en  1530.  Ils  sont  empruntés  au  biscayen  et  ils  sont 
aujourd'hui  les  mêmes,  non  seulement  en  Biscaye,  mais  même  dans  la 
Soûle  qui  est  si  éloignée  de  la  Biscaye  et  n'a  point  de  rapport  avec  cette 
province. 

Nous  avons  une  preuve  bien  plus  frappante  de  la  consistance  et  de 
l'antiquité  du  basque  dans  les  noms  des  instruments  tranchants  dont 
l'homme  a  dû  faire  usage  dès  l'origine.  Ces  noms  sont  empruntés  au  roc 
ou  silex,  en  basque  aitz,  atclta;  et  ils  nous  reportent  à  l'âge  de  la 
pierre. 

Le  premier  instrument  est  celui  par  lequel  l'homme  a  ouvert  et  tra- 
vaillé la  terre,  la  pioche.  Or,  la  pioche,  en  basque,  s'appelle  aitzurra,  mot 
composé  de  aitz,  roc,  et  ii7Ta,  déchirer,  pierre  à  déchirer.  Le  second  ins- 
trument qui  lui  a  été  nécessaire  est  la  hache  pour  couper  le  bois;  or,  la 
hache  s'appelle  aizkora,  composé  de  a/7^,  pierre,  et  gora,  élevé,  haut; 
pierre  élevée  sur  un  manche.  Le  couteau  s'appelle  aizttoa,  celte  dénomi- 
nation est  conservée  dans  le  dialecte  de  Koncal.  Aizttoa  veut  dire  petite 
pierre,  la  désinence  ttoa  s'applique  en  basque  à  tous  les  termes  comme 


o60  ANTHROPOLOGIE 

diminutif;  guizonlloa,  petit  homme  ;  etchettoa,  petite  maison.  Les  ciseaux 
s'appellent  aizturrak,  composé  de  aizttoa,  petit  couteau,  Qiurra,  déchirer^ 
petit  couteau  ou  petite  pierre  à  déchirer.  11  est  probable  que,  dans  le 
principe,  le  diminutif  aizttoa  avait  son  générateur  atza  ou  atcha  pour 
signifier  coutelas,  sabre  ;  mais  il  n'existe  plus  dans  aucune  province 
basque.  On  a  vainement  cherché  l'étymologie  de  hache  dans  diverses 
langues  ;  n'est-elle  pas  dans  le  altza  ou  atcha  basque,  comme  l'étymo- 
logie de  ascia,  cognée  en  latin  et  en  italien  ? 


§  III.  —  Système  grammatical  de  la  langue  basque 

Quant  au  système  grammatical,  aucune  langue  ne  peut  entrer  en  com- 
paraison avec  la  langue  basque. 

Elle  n'a  qu'une  déclinaison,  mais  elle  embrasse  dans  la  variété  de  ces 
désinences  ou  sulfixes,  toutes  les  modifications,  toutes  les  relations  dont 
un  terme  est  susceptible,  et  qui  sont  exprimées  dans  la  plupart  des  autres 
langues  par  des  prépositions  et  des  articles. 

Elle  a  le  singulier,  le  pluriel  et  l'indéfini.  L'indéfini  considère  les  per- 
sonnes et  les  choses  d'une  manière  abstraite  et  dans  un  sens  générai. 
Sa  forme  est  seule  employée  pour  les  noms  propres  des  personnes  et  les 
noms  de  villes.  Le  radical  des  substantifs  et  adjectifs  reste  invariable  ; 
quoique  la  plupart  des  postpositions  ou  suffixes  n'aient  pas  une  significa- 
tion propre  ;  cette  invariabilité  du  radical  fait  que  la  déclinaison  basque 
doit  être  considérée  comme  agglutinante. 

Mais  il  n'en  est  pas  de  même  de  la  conjugaison;  celle-ci  est  éminem- 
ment flexionnelle.  Car  ici  le  radical  subit  une  infinité  de  modifications  \. 
souvent  même  il  disparaît  totalement  ;  en  sorte  qu'il  est  difficile  de  sou- 
tenir qu'il  y  ait,  à  proprement  parler,  un  radical  dans  la  conjugaison 
basque. 

Le  basque  n'a  qu'une  seule  conjugaison,  ou,  pour  parler  plus  exacte- 
ment, il  en  a  deux,  l'une  pour  la  voix  intransitive  et  pour  exprimer  le 
verbe  être,  et  l'autre  pour  la  voix  transitive  et  pour  exprimer  le  verbe 
avoir.  Tous  les  mots  appelés  verbes  par  analogie  ne  sont  en  basque  que 
des  substantifs  et  adjectifs  verbaux,  se  déclinant  comme  tous  les  autres 
substantifs  ou  adjectifs,  à  l'indéfini,  au  défini,  au  singulier  et  au  plurieL 
Ils  ne  peuvent  revêtir  le  caractère  verbal  qu'ils  ont  dans  les  autres  langues^ 
qu'en  s'unissant  aux  formes  de  la  conjugaison  unique  :  du  verbe  être,  pour 
exprimer  l'état  du  sujet,  ou  une  action  reçue  ou  réfléchie  ;  du  verbe  avoir, 
pour  exprimer  une  action  exercée  sur  une  personne  ou  une  chose  autre 
que  le  sujet. 

D'ailleurs   tous  les  substantifs  ou   adjectifs,   de   quelque  nature  qu'ils 


LE  CHANOINE,  INCHAUSPÉ.  —  LE  PEUPLE  BASQUE  561 

soient,  peuvent  se  conjuguer  en  basque  en  s'unissant  aux  verbes  être  ou 
avoir  ;  et  aussi  toutes  les  formes  positives  du  verbe  peuvent  se  décliner. 
Mmiguizon,  homme;  /?am,- pierre  ;  hour,  eau;  on,  bon;  etc.,  peuvent 
prendre  la  forme  verbale  et  se  conjuguer  ;  on  dit  :  guizontzen  da,  il 
devient  homme  ;  guizontu  da,  il  est  devenu  homme  ;  harntu  da,  il  s'est 
pétrifié,  effrayé  ;  hourtzen  da,  il  se  fond  ;  ontu  da,  il  est  devenu  bon,  etc. 

Le  verbe  basque  possède  des  modes  inconnus  aux  autres  langues; 
aucune  n'indique  les  temps  avec  autant  de  précision.  Il  exprime  dans  ses 
flexions  le  sujet,  le  régime  direct  et  le  régime  indirect  ;  le  pluriel  et  le 
singulier  ;  il  a  une  désinence  indéfinie,  et  une  désinence  familière  et  res- 
pectueuse pour  exprimer  la  qualité  de  la  personne  à  qui  l'on  parle.  Et 
toutes  ces  modifications  se  font  d'après  une  loi  si  simple,  si  régulière  et 
si  uniforme  que  les  enfants,  dès  l'âge  de  sept  à  huit  ans,  les  expriment 
de  la  manière  la  plus  correcte,  s'ils  n'ont  appris  que  le  basque. 

]Nous  croyons  utile,  pour  démontrer  l'erreur  de  ceux  qui  ont  contesté  au 
basque  la  possession  du  verbe  êtt^e,  de  donner  ici  un  tableau  indiquant  les 
différences  de  la  voix  transitive  et  intransitive,  ou  autrement  du  verbe 
ét?'e  et  du  verbe  avoir.  On  y  verra  en  même  temps  l'identité  des  lois  sui- 
vies pour  le  développement  des  deux  voix  ou  des  deux  verbes  : 


Voix  Iran sitiTe  :    AVOIR 


INDICATIF 

PRÉSENT 

Du,  il  a  ;  eraaiten  du,  il  donne  ; 
Eman  du,  il  a  donné  ; 
Emanen  du,  il  donnera. 

PASSÉ 

Zian  ou  zuen,  il  avait  ; 
Kmaiten  zian  ou  zuen,  il  donnait; 
Kman  zian,  il  avait  donné  ; 
Emanen  zian,  il  aurait  donné. 

FUTUR 

Duke,  il  aura  ; 

Emaiten  duke,  il  donnera  (actuellement)  ; 

EmaD  duke,  il  aura  donné. 

CONDITIOiNXEL 

PRÉSENT 

Luke,  il  aurait  (actuellement); 

Emaiten  lukc,  il  donnerait  (actuellement)  ; 

Eman  luke,  il  aurait  donné  (présentement  i. 

PASSÉ 

Ziikian,  il  aurait  eu  ; 

Eman  zukian,  il  aurait  donné  (dans  le  passé). 


Voix  intransitive  :    ÊTRE 
INDICATIF 

PRÉSENT 

Da,  il  est  ;  joaiten  da,  il  va  ; 
Joan  da,  il  est  allé  ou  parti  ; 
Joanen  da,  il  partira  ou  il  ira. 

PASSÉ 

Zen,  il  était; 

Joaiten  zen,  il  allait; 

Joan  zen,  il  était  parti  ; 

Joanen  zen,  il  serait  allé  ou  parti; 

FUTUR 

Date  ou  dateke,  il  sera  ; 
Joaiten  date,  il  sera  en  partance  ; 
Joan  date,  il  sera  parti. 

CONDITIONNEL 

PRÉSENT 

Lizate  ou  Uzateke,  il  serait  ; 

Joaiten  lizale  (aski  ussui,  il  irait  assez  sou- 

Joan  lizateke,  il  serait  déjà  parti,     [vent; 

PASSÉ 


Zatekian,  il  aurait  été; 
Joan  zatekian,  il  serait  allé. 


36* 


S62 

POTENTIEL 

Dezake  et  diroke,  il  peut  (faire). 

PRÉSENT 

Eman  dezake,  il  peut  donner. 

PASSÉ  . 

Eman  zezakian,  il  pouvait  donner. 
IMPÉRATIF 

Beza,  di'zahi,  qu'il  fasse  ; 

Diala,  qu'il  ait; 

Eman  heza  ou  dezala,  qu'il  donne. 

SUBJONCTIF 

PRÉSENT 

Dezan;  eman  dezan,  qu'il  donne. 

PASSÉ 

Eman  zezan  et  lezan,  qu'il  donnât. 

SUPPOSITIF  POTENTIEL 
Badeza  ;  eman  badeza,  s'il  peut  donner. 

PRÉSENT 

Balv,  s'il  avait  (actuellement); 
Eman  bulu,  s'il  avait  donné. 

FUTUR 

Baleza  ;  eman  baleza,  s'il  donnait  (in  futuro  i 
VOTIF 

PRÉSENT   ET   FUTUR 

Aileza,  plût  à  Dieu  qu'il  fît  ! 

Aileza  eman,  plût  à  Dieu  qu'il  donnât  ! 

PASSÉ 

Ailu  eman,  plût  à  Dieu  qu'il  eût  donné! 


ANTHROPOLOGIE 

POTENTIEL 

Daile  etdaiteke,  il  peut  (être). 

PRÉSENT 

Jean  daiteke,  il  peut  aller. 

PASSÉ 

Joan  zatekian,  il  pouvait  aller. 

IMPÉRATIF 

Bcdi,  den,  dadila,  biz,  qu'il  soit  ; 

Joan  bedi,  qu'il  s'en  aille  (ou  joan  dadila). 

SUBJONCTIF 

PRÉSENT 

Dadin,  joan  ;  dadin,  qu'il  aille. 

PASSÉ 

Zedin  ou  ledin,  qu'il  allât. 

SUPPOSITIF  POTENTIEL 

Badadi  ;  joan  badadi,  s'il  peut  aller. 

PRÉSENT 

Balitz,  s'il  était  (actuellement)  ; 
Joan  balitz,  s'il  était  parti. 

FUTUR 

Baledi;  ioanbaledi,  s'il  allait  (in  futuro). 
VOTIF 

PRÉSENT   ET   FUTUR 

Ailedi,  plût  à  Dieu  qu'il  fût! 

Ailedi  ioan,  plût  à  Dieu  qu'il  partît  ! 

PASSÉ 

Ailitz  joan,  plût  à  Dieu  qu'il  fût  parti  1 


Dans  emaiten  du  el  jomlen  da,  les  deux  substantifs  verbaux  sont  au  cas  inessif  et  se  traduisent  lit- 
téralement :  il  a  en  donation,  il  est  en  partance  ;  le  nominatif  est  emaile,  donation,  et  joaite.  départ. 

Eman  et  joan  sont  des  adjectifs  au  nominatif,  et  signifient  donné  t_'\  parti. 

Emnnen  e\.  joanen  sont,  les  génitifs  de  Joan  et  eman;  on  emploie  indifféremment  pour  le  futur  le 
génitif  possessif  en  en  ou  le  génitif  relatif  en  co  ;  on  dit  :  erorico  da  ou  erorirenhia,  il  tombera  j 
hartuco  du  ou  harturen  du,  il  prendra. 


Nous  avons  dit  que  toutes  les  formes  positives  de  la  conjugaison  basque 
se  déclinent  :  ainsi  da  fait  dena,  celui  qui  est  ;  denaren,  denari,  denaz-,  etc.; 
zen,  il  était,  fait  zena,  celui  qui  était;  dateke  fait  datekena,  celui  qui  sera  ; 
lizaleke,  lizatekena;  daiteke,  dailekena;  —  du,  il  a.  fait  duena,  ou  diana; 
zian,  zkina,  zianaren,  etc.;  dezake,  desakena. 

Il  restecait  beaucoup  à  dire  po  ur  faire  connaître  la  richesse  du  basque  et 


LE  CHANOmE  INCHAUSPÉ.  —  LE  PEUPLE  BASQUE  563 

son  admirable  mécanisme  ;  mais  nous  pensons  en  avoir  dit  assez  pour 
donner  l'idée  vraie  de  cette  langue  aux  esprits  non  prévenus  et  pour  les 
convaincre  de  la  fausseté  des  appréciations  de  ses  détracteurs. 

§    IV.  —  EUSKARA  ET  EuSKALDUNAC. 

IVous  trouvons  opportun  d'ajouter  un  mot  sur  la  dénomination  que  les 
Basques  donnent  à  leur  langue  et  à  leur  nationalité.  Les  Basques  de  toutes 
les  provinces  espagnoles  et  françaises  appellent  leur  langue  Euskay-a,  et 
eux-mêmes  ils  s'appellent  tous  Euskaldunac.  Les  Basques  espagnols  ap- 
pellent la  langue  castillane  erdara.  Ara  veut  dire  modulation,  manière, 
langage,  Erdara,  erdi-ai^a  signifie  langage  du  milieu  ou  mi-langage, 
média  modulatio.  Euskara  signifie  langage  des  Eusques,  nom  d'oîi  déri- 
vent très  probablement  les  noms  de  Vascons  et  de  Basques,  Eusko-ara 
ou  Eusikoen  ara  ;  on  sait  que  le  génitif,  en  basque,  se  place  avant  le  mot 
qui  le  régit.  Euskaldunac,  pour  Euskaradunac,  veut  dire  ceux  qui  ont  la 
langue  Euskara,  qui  parlent  Euskara. 

L'étymologie  de  Euskara  paraît  naturellement  provenir  de  eusi,  esi,  lié, 
attaché;  et  ainsi  euskara,  eusien  ara  ou  eusikoen  ara,  signifie  laîigagc  des 
confédérés,  des  tribus  liées,  unies.  Tous  les  Basques  espagnols  et  les  plus 
anciens  écrivains  basques,  tels  que  Liçar?'ague,  Etchepare,  Axular,  de 
Tarlas,  écrivent  Euskara,  et  non  point  Eskuara.  Toujours  est-il  que  cette 
dénomination  commune  que  se  donnent  les  Basques  de  toutes  les  provinces 
est  une  preuve  du  lien  de  fraternité  qui  les  unit  et  qui  a  dû  toujours  exis- 
ter entre  eux.  Aussi  voyons-nous  souvent  les  historiens  anciens  donner  les 
noms  de  Vascons  ou  de  Cantabres  aux  diverses  populations  du  nord  de 
l'Espagne. 

§  V.  —  Le  BASQUE  A  ÉTÉ    LA   LANGUE  DES  PREMIERS  HABITANTS  DE  l'EsPAGNE. 

C'est  l'opinion  de  la  plupart  des  historiens  d'Espagne  que  la  langue 
basque  a  dû  être  celle  des  premiers  colons  qui  ont  occupé  leur  pays. 

Mariana,  au  livre  P"",  chap.  v  de  son  Histoire  de  l'Espagne,  dit  que  les 
Cantabres  seuls  conservent  cette  langue  rude  et  barbare,  différente  de 
toutes  les  autres  et  qui  était  autrefois,  croit-on,  commune  à  toute  l'Espagne, 

«  Sofi  Cantabri  linguam  hactenus  retinuerunt  rudem  et  barbaram,  a  reliquiis 
omnibus  diâcrepantem  et  totius  olim  Hispaniœ  communem,  ut  fertur,  et  antiquis- 
siniam.  Gens  agresti  rudique  ingenio  quae  plantarum  instar  translata,  monta- 
nis  inaccessa  locis,  externi  imperii  jugum,  vel  nunquam  penitus  admisit,  vel 
excussit  quamprimum;  atque  apud  earn,  cum  antiqua  libertate;  vcterem  gentis 
atque  communem  Provenciœ  scrmonem  conservatum  fuisse  fide  non  caret.  » 


S64  '  ANTHROPOLOGIE 

Joseph  Scaliger,  qui  connaissait  la  langue  basque  mieux  que  Mariana, 
pense,  comme  lui,  qu'antérieurement  à  l'invasion  des  Romains,  c'était  la 
langue  de  l'Espagne.  Elle  est  très  douce,  dit-il,  et  très  suave,  et  elle  n'a 
rien  de  barbare  et  de  strident.  Voici  ses  paroles  dans  son  traité  De  lin- 
guis  Hispanorum  : 

«  Hispani,  regionem  in  qua  illa  dialectus  locum  habet,  generali  nomine  Vas- 
cuensa  vocant.  Mhil  barbari  aut  stridoris  aut  anhelilus  habet,  IcHissima  est  et 
suavissima  ;  est  que  sine  dubio  vetustissima,  et  ante  tempora  Romanoruni  illis  fini- 
bus  in  usu  erat .  » 

On  sait  que  la  tactique  des  Romains  pour  s'assujettir  et  s'assimiler  les 
peuples  vaincus  était  de  leur  imposer  leurs  lois  et  leur  langue.  Saint  Au- 
gustin fait  connaître  ce  système  du  peuple  conquérant  du  monde  dans 
son  livre  De  la  Cité  de  Dieu,  chap.  xix  : 

«  Data  est  opéra  ut  civitas  imperiosa,  non  solum  jugum,  vcrum  etiaui  Hii- 
guam  suam  per  speciem  societatis  imponeret.  » 

C'est  ainsi  que  Strabon  nous  apprend  que  les  Turdétans  en  vinrent  à 
oublier  leur  langue  antique,  à  prendre  avec  la  langue  latine  toutes,  les 
mœurs  des  Romains  et  à  donner  des  noms  nouveaux  aux  villes  de  leur 
province. 

«  Turdetani,  maxime  qui  ad  Bœtim  sunt  plane  Romanos  mores  assumpserunt, 
ne  sermonis  quidein  vernaculi  memores...  » 

Le  même  Strabon,  parlant  de  ces  mêmes  Turdétans,  nous  dit  qu'ils 
étaient, avant  la  conquête  des  Romains,  les  plus  lettrés  des  Ibères;  (ju'ils 
avaient  une  grammaire,  des  écrits  historiques  d'une  grande  antiquité, 
des  poèmes  et  des  lois  écrits  en  vers  remontant  à  six  mille  ans. 
So<pt'OTaToi  osçerâî^OVTai  twV  lê-^pwv  oùxoi  xai  Ypa[A,u.a-'./.Yj  ypwvTai  xal  t7^ç,  TraÀa'.xç 
[j(.VYj[x-<]Ç  'é^CuT'.  1%  Q\)'['^^'l\L\kiX'ztx.'x.OL\.-K0\-r^}x(x.'xa,y..OL\  voaou;  sfXfAÉipOuç  éçax'.cyiXtwv 
sTwv,  tôç  ©aaf  xai  oE  aXXoi  o  'lê'^peç  yi^MVza.'.  vpatxtji,aT'.x"^,  où  p.ia  îôéa  oùoè  yàp 
^XcÔTT-ri  [Si'fx.  (Strab.,  Geog.,  L.  III.)  Quant  aux  6.000  ans,  Xénophon  nous 
apprend  que  les  années  des  Ibères  étaient  de  quatre  mois,  ce  qui  réduit 
les  6.000  ans  à  2.000. 

Cette  antique  langue  nationale  des  Turdétans  était-elle  la  langue 
basque?  Nous  croyons  que  les  écrits  des  anciens  et  les  noms  primitifs 
des  villes  de  cette  province  le  prouvent  d'une  manière  évidente. 

Sénèque  vivait  dans  le  même  siècle  que  Strabon  ;  il  était  né  à  Cor- 
doue,  chez  les  Turdétans.  Quoique  l'invasion  romaine  eût  déjà  fait  perdre 
l'usage  de  la  langue  antique  de  son  pays,  les  écrits  dont  parle  Strabon 


LE  CH.VXOINE  IXCHALSPK.  —  LE  PEUPLE  BASQUE  ?>6o 

devaient  encore  subsister,  et  un  lettré  tel  que  Sénèque  ne  pouvait  pas 
manquer  de  les  connaître  et  de  connaître  la  langue  dans  laquelle  ils  étaient 
écrits.  Or,  dans  la  lettre  ou  plutôt  le  livre  sur  la  Consolation  écrit  par  ce 
grand  philosophe  et  adressé  à  sa  mère  Helvia,  de  l'île  de  Corse,  où  il 
était  relégué  par  Néron,  il  dit  :  Les  Espagnols  aussi  ont  eu  émigré  en  Corse, 
ce  qui  apparaît  par  la  similitude  des  mœurs  et  des  coutumes  ;  les  Corses 
ont  une  coiffure  et  des  chaussures  semblables  à  celles  des  Cantabres, 
comme  aussi  certaines  locutions,  car  ils  ont  perdu  le  fond  de  leur  langage 
national  par  le  contact  avec  les  Grecs  et  les  Ligures.  «  In  eam  (insulam 
Corsicam)  transierunt  et  Hispani  quod  ex  similitudine  ri  tus  apparet.  Ea- 
dem  enim  tegumenta  capitum,  idemque  genus  calceamenti  quod  Canta- 
6m  est,  ut  vevba  quœdam;  nam  totus  sermo  conversatione  Grœcorum 
Ligurumque  a  patrio  descivit.  »  Les  Espagnols  qui  allèrent  s'établir  dans 
l'île  de  Corse  n'étaient  certainement  pas  les  Cantabres,  qui  vivaient  au 
nord-ouest  de  l'Espagne,  mais  les  Ibères  de  l'orient  de  la  Péninsule,  de  la 
côte  de  la  Méditerranée  ;  or,  ils  avaient  conservé  des  mots  de  leur  ancienne 
langue  nationale  patrii  sermonis,  et  cette  langue  était  celle  des  Cantabres 
(quod  Cantabris  est,  ut  verba  quœdam).  Ce  n'était  donc  point  la  langue 
Celte  comme  quelqu'un  l'a  prétendu,  ni  la  langue  grecque,  ni  la  langue 
phénicienne,  ni  la  langue  romaine  :  c'était  la  langue  des  Cantabres, 
autrefois  la  langue  des  Espagnols  qui  avaient  émigré  en  Corse. 

Pausanias  dit  que  les  Ibères  émigrèrent  aussi  en  Sardaigne  et  fondèrent 
la  ville  de  Nora,  ainsi  appelée  du  nom  du  chef  ibérien  Norax. 

Strabon  nous  apprend  que  les  Ibères  occupaient  tout  le  sud  de  la  Gaule 
depuis  le  Rhône  :  Antiquitus  Iberiœ  nomine  intellectum  fuit  quiquid  est 
extra  Rhodanum  ;  et  que,  parmi  eux,  les  Aquitains  étaient  tout  à  fait 
différents  des  Gaulois  et  par  leur  langue  et  par  leur  stature  corpo- 
relle, ressemblant  en  cela  plutôt  aux  Espagnols  qu'aux  Gaulois  :  Aquitani 
cœterorum  Gallorum  plane  différentes  non  lingua  modo  sed  corporibus. 
Il  répète  plus  loin,  dans  le  livre  III  de  la  Géographie,  la  même  assertion, 
semblant  vouloir  appuyer  sur  ce  fait  :  ut  simpliciter  dicam  Aquitani  reli- 
quiis  Gallis,  cum  corporum  constitutione,  tuin  lingua  differunt,  magisque 
'sunt  hispanorum  similes. 

Cette  langue  des  Ibères  aquitains,  différente  tout  à  fait  de  la  langue 
des  autres  Gaulois  et  semblable  à  celle  des  Espagnols,  ne  pouvait  pas  être 
la  langue  des  Celtes,  puisque  les  Gaels-Celtes  occupaient  presque  toute  la 
Gaule  ;  moins  encore  celle  des  Grecs,  puisqu'elle  ressemblait  plutôt  à  la 
langue  des  Espagnols,  magis  Hispanorum  :  c'était  donc  la  langue  des  Can- 
tabres, qui  était  aussi  celle  des  Espagnols  émigrés  autrefois  en  Corse, 
selon  le  témoignage  de  Sénèque.  Du  reste,  si  la  langue  basque  n'était  pas 
l'antique  langue  des  Espagnols,  comment  expliquerait-on  son  existence  ? 
d'où   pourrait-elle  provenir  ? 


566 


ANTHROPOLOGIE 


§  VI.  —  Les  Ibères  d'Espagne 

Il  y  a  des  écrivains  modernes  qui  ont  contesté  la  légitimité  du  nom 
d'iBÈRE s  donné  aux  anciens  peuples  d'Espagne  ;  mais,  pour  prouver  une 
thèse  aussi  audacieuse,  il  faudrait  détruire  tous  les  écrits  des  géographes 
et  des  écrivains  de  l'antiquité. 

Nous  avons  vu  que  Strabon  appelle  Ibères  les  Turdétans,  Kr^ooi,  et  il 
les  qualifie  les  plus  savants  des  Ibères,  SocpojxaToi  Ttov  Ig-^p(->v. 

Pausanias,  parlant  des  Espagnols,  dit  que  les  Ibères  s'établirent  dans  la 
Sardaigne. 

Denys  l'Africain,  dans  son  livre  De  situ  or6?>,  appelle  les  populations  de 
l'Espagne  les  races  magnanimes  des  Ibères  :  Iberorum  magnanimœ  gentes, 
dederat  quels  nomen  Iberus. 

Isidore  de  Séville,  au  livre  II  des  Etym.,  dit  :  Hispani  ab  Ibero  amne 
prîmum  vocati  Iberi.  Solinus,  in  Polihis.  Iberus  amnis  toti  Hispani.e 
nomen  dédit. 

S.  Jérôme,  au  chapitre  27  d'Ézech.  :  Hispani  ab  Ibero  /lumine  Iberorlm 

VOCabulo   NUNCUPANTUR. 

Diodore  de  Sicile,  dans  le  livre  V  de  sa  Bibliothèque  historique,  parle 
de  l'invasion  des  Celtes  en  Espagne,  de  leurs  luttes  avec  les  Ibères,  de 
l'alliance  définitive  conclue  avec  eux  ;  et  il  dit  que  le  nom  de  Celt ibères 
vient  de  la  fusion  de  ces  deux  nations  dans  une  partie  de  la  Péninsule. 

Martial,  qui  était  Aragonais  d'origine,  dit  que  lui  et  ses  compatriotes 
étaient  issus  des  Celtes  et  des  Ibères  : 

Nos  Celtis  genitos  et  ex  Iberis. 
Nostrse  nomina  duriora  terrœ 
Grato  non  pudeat  referre  versu. 

(L.  IV.  Epigr.  5S.) 

Lucain,  au  livre  IV  de  la  Pharsale,  parle  de  l'invasion  des  Celtes  et  de 
leur  union  avec  les  Ibères. 

Profusique  a  gente  vetusta  Gallorum 
Celtai  miscentes  nomen  Iberis. 

Le  poète  Prudence,  Vascon,  né  à  Calahorra  au  iv*^  siècle,  donne  une 
commune  nationalité  au  Vascon  et  à  l'Ibère. 

Nos  Vasco  Iberus  dividit  binis  remotos  Alpibus. 

(Hvmn.  II  de  Coronis.) 


I.E  CHANOINE  INCHALSPÉ.  —  LE  PEUPLE  BASQUE  367 

Pline,  dans  son  Histoire  naturelle,  livre  111,  rapporte,  d'après  Marcus 
Varron,  que  les  Ibères  vinrent  d'abord  en  Espagne,  puis  les  Perses,  les 
Phéniciens,  les  Celtes  et  les  Carthaginois:  In  universam  hispaniatn  Marcus 
Varro  pervenisse  Iberos,  et  Persas  et  Phœnices,  Celtasque  et  Pœnos   tradit. 

Hécatée  de  Milet  (Fragm.  des  Hist.  grecs,  tom.  I,  Didot)  mentionne 
plusieurs  populations  et  villes  d'Espagne,  particulièrement  de  la  Bétique, 
^t  il  les  qualifie,  ou  race  des  Ibères,  ou  ville  des  Ibères,  eOvoa  lêYipwv  -jroXtç 
lêripcûv. 

Nous  pensons  que  ces  citations  sont  plus  que  suffisantes  pour  prouver 
que  les  historiens  et  les  géographes  de  l'antiquité  ont  appelé  Ibères  les 
anciens  habitants  de  l'Espagne. 


§  Vil.  —  Les  Ibères  étaient  Basques 

Les  Ibères  ont  été  les  premiers  habitants  de  l'Espagne,  et  les  monuments 
historiques  ainsi  que  les  noms  anciens  des  villes  et  des  populations  de 
la  Péninsule  prouvent  que  leur  langue  n'était  autre  que  la  langue  basque. 
Sénèque,  né  dans  la  Bétique,  à  l'époque  où  cette  province  était  sous  la 
domination  romaine  et  avait  déjà  adopté  la  langue  et  les  mœurs  des 
Romains,  nous  apprend,  comme  nous  l'avons  déjà  rapporté,  que  les 
Tbères  ^valent  émigré  en  Corse  et  qu'ils  avaient  encore  de  son  temps 
conservé  des  coutumes  et  des  termes  de  leur  nationalité  espagnole  et  que 
■ces  locutions  appartenaient  à  la  langue  des  Cantabres  et  non  plus  des 
Turdétans,  ce  qui  prouve  qu'il  considérerait  cette  langue  des  Cantabres 
■comme  étant  la  langue  des  Espagnols  émigrés  autrefois  en  Corse. 

La  langue  des  Ibères  aquitains,  que  Strabon  nous  dit  être  entièrement 
différente  de  celle  des  Gaulois,  et  ressemblant  plutôt  à  celle  des  Espagnols, 
ne  pouvait  être  que  la  langue  basque  parlée  par  les  Ibères. 

Le  même  Strabon  nous  dit  que  les  Turdétans  avaient  un  langage  diffé- 
rent des  peuples  voisins,  qui  étaient  les  Celtibères  ;  des  monuments  écrits 
dans  leur  langue  et  remontant  à  une  haute  antiquité.  Sénèque,  qui  vivait 
au  même  siècle  que  Strabon,  devait  nécessairement  connaître  ces  monu- 
ments primitifs  de  sa  patrie.  Jeune  encore  il  était  allé  s'établir  à  Rome, 
et  n'avait  pu  aller  apprendre  le  basque  dans  la  Cantabrie,  mais  il  avait 
dû  l'apprendre  dans  la  lecture  des  antiques  monuments  de  son  pays; 
et  lorsqu'il  parle  à  sa  mère  des  Espagnols  qui  durent  autrefois  émigrer  eu 
Corse  et  qu'il  a  reconnus  à  leur  costume  et  à  leur  langage,  il  a  soin  de 
spécifier  que  ce  sont  le  langage  et  le  costume  conservés  chez  les  Cantabres, 
quoique  à  ces  émigrants  il  donne  la  qualification  générale  d'Espagnols. 
Ce  qui  prouve  qu'il  considérait  cette  langue  comme  étant  autrefois  la 
■langue   générale  du  pays,  sermo  patrius,  comme  il  s'exprime  lui-même. 


568  ANTHROPOLOGIE 

Il  est  regrettable  que  la  domination  despotique  des  Romains  ait  fait  dis- 
paraître les  monuments  littéraires  de  l'antique  Espagne.  Mais,  à  défaut  de 
ces  écrits,  nous  avons  les  noms  anciens  des  peuplades  et  des  villes,  et  ces 
dénominations,  qui  ont  la  plupart  un  caractère  évidemment  basque,  ne  peu- 
vent laisser  de  doute  sur  la  langue  du  peuple  qui  les  a  formées  et  occupées. 

Quoique  les  écrivains  grecs  et  latins  aient  beaucoup  déformé  et  altéré 
ces  noms,  et  que  les  Romains  les  aient  changés,  il  y  en  a  un  nombre 
très  considérable  qui  ont  conservé  leur  physionomie  basque  et  trouvent 
dans  cette  langue  leur  étymologie  naturelle. 

Tels  sont:  Iliberri,  Villeneuve  :  ili,  ville,  etberri,  neuve.  —  Bilbili,  deux 
villes  réunies  :  bil,  réuni;  bi,  deux;  ili  ville.  —  Ilerdi,  ville  du  milieu:  ili, 
ville  ;  erdi,  milieu.  — Iligor,  ville  haute  :  ili,  et  gora  haut.  — Ilidot^,  ville 
aride:  ///,  et  idor,  sec. — Irun,  bonne  ville:  m,  ville;  on  et  oun,  bon.  — 
Ilumberri,  bonne  ville  neuve  :  ili  on,  berri  neuf.  —  Ilurci,  ville  d'eau: 
urci,  aqueux.  —  Urgel,  affluent  d'eau  :  ui',  eau;  ghel  ou  hel,  arrivée,  af- 
fluent. —  Urghi,  source  d'eau.  —  Urso,  lieu  aqueux.  —  Urbieta,  lieu  de 
deux  eaux. —  Iluro,  ville  d'eau.  —  Urbiaca,  lieu  de  deux  eaux.  — Biturri: 
bi,  deux,  et  iturri,  source,  lieu  de  deux  sources.  —  Turriaga  et  Iturriaga, 
abondance  de  sources;  la  désinence  aga  signifie  abondance.  — Aitzerrl, 
pays  pierreux  :  oitz,  pierre,  roc;  erri,  pays.  —  Aizturi,  pays  rocailleux  et 
aqueux.  —  Urdaitz,  pays  d'eau  et  de  rocs.  —  Aiztighi  et  Aiziighieta, 
ville  sur  une  cime  rocailleuse.  —  Mendicola,  demeure  ou  gîte  de  la  mon- 
tagne, la  même  que  Mendiculeia,  dans  la  Tarraconaise .  —  Baleari  ou  Abalari, 
fronde;  frondeur,  habile  à  manier  la  fronde,  à  lancer  le  trait  :  de  abala, 
abalari,  frondeur.  Baléares  ateli  missu  ajjpellati,  dit  Tite-Live,  les  Grecs 
les  appelaient  rup.v/3T£ç,  qui  signifie  frondeurs,  comme  abalari  en  basque. 

Que  la  langue  basque  ait  été  la  langue  des  Ibères,  premiers  habitants 
de  l'Espagne,  il  semble  que  le  doute  ne  soit  pas  permis;  trop  de  preuves 
appuient  ce  sentiment  qui  est  celui  des  historiens  les  plus  graves  et  des 
savants  dont  l'érudition  et  le  jugement  méritent  le  plus  de  créance.  Nous 
ajouterons  que  cette  thèse  est  confirmée  par  la  numismatique  ibérienne. 

La  lecture  des  inscriptions  de  las  medallas  desconocidas,  donnée  par 
M.  Roudart,  parait  la  plus  fondée,  parce  que  son  alphabet  et  sa  lecture 
nous  donnent  les  noms  connus  des  peuplades  et  des  villes  de  l'antique 
Espagne;  et  la  plupart  de  ces  noms  s'expliquent  parla  langue  basque, 
ainsi  que  leurs  désinences  en  coen  et  en,  qui  est  un  génitif  pluriel  :  Iliba- 
ricoKTi,  celui  des  Ilibariens;  HilibetuicoEîi,ce\m  des  Hilibétiens;  comme  on 
dirait  EspanacoEti,  celui  des  Espagnols;  ErromacoEîi,  celui  des  Romains; 
BetamezEîi,  celui  ou  celle  des  Retamesens;  comme  nous  disons  BiarnesEn 
GascoinE^,  celui  des  Réarnais,  des  Gascons.  La  terminaison  itz  de  plu- 
sieurs de  ces  médailles  est  également  commune  au  basque;  nous  avons 
Garriz,  Ustaritz,  Izturitz.  Riarritz,  etc. 


LE  CHANOINE  INCHAUSPÉ.  —  LE  PEUPLE  BASQUE  569 

sj  VIII.  —  Origlne  des  Ibères  ou  des  premiers  habitants  de  l'Espagne. 

Il  nous  reste  à  rechercher  d'où  provenaient  les  Ibères  ou  Basques,  pre- 
miers habitants  de  l'Espagne. 

La  croyance  traditionnelle  des  Basques  est  qu'ils  descendent  de  Tubal, 
fils  de  Japhet  ;  ils  considèrent  leur  antique  étendard  Lauhuru  "f  (quatre 
têtes  ou  bouts)  comme  étant  le  souvenir  de  cette  origine,  ce  signe  ^ 
étant  la  première  lettre  du  nom  de  ce  petit-fils  de  Noé.  Porté  comme  un 
trophée  à  Rome  par  César- Auguste,  après  sa  campagne  contre  les  Can- 
tabres  {Cantabro  sera  domito  catenà,  Horat  lib.,  IV,  od.  xii),  il  fut  appelé 
Labarum  qui  est  une  altération  de  la  dénomination  basque  Lauburu.  Il 
devint  l'étendard  chrétien  après  l'apparition  de  la  croix  à  Constantin  et 
sa  victoire  contre  Maxence. 

La  plupart  des  historiens  et  annalistes  d'Espagne  soutiennent  cette 
croyance  que  Tubal  ou  son  fils  Tarsis  et  leurs  descendants  ont  été  les  pre- 
miers habitants  de  l'Espagne. 

Josèphe,  au  livre  P'",  ch.  vu,  des  Antiquités  judaïques,  dit  que  Japhet  eut 
sept  fils  et  que  ceux-ci  occupèrent,  en  Asie,  les  pays  qui  s'étendent  des 
monts  Taurus  et  Aman  jusqu'au  fleuve  Tanaïs,  aujourd'hui  appelé  le  Don; 
qu'en  Europe,  ils  s'étendirent  jusqu'à  Gades  (Cadix),  et  qu'ainsi  Tobel 
fonda  les  Tobaliens  que  l'on  appelle  à  présent  Ibériens  :  KaToixiC^'-  Se  y.ai 
0o6y)Xoç  Ooê'/jXo'jç  O'.Ttvcç  £V  TOt;  vuv  Iê-/ip£ç  xaXouvxat. 

Des  écrivains  modernes,  qui  ne  veulent  pas  reconnaître  aux  premiers 
habitants  de  l'Espagne  ajjpelés  Ibériens  une  si  grande  antiquité,  prétendent 
que,  dans  ce  membre  de  phrase,  Josèphe  parle  des  Ibères  Caucasiens. 
Mais,  pour  soutenir  ce  sentiment,  il  faut  faire  une  violence  déraisonnable 
au  texte  de  Josèphe.  L'historien  juif  dit  d'abord  que  les  fils  de  Japhet 
occupèrent,  en  Asie,  le  pays  qui  s'étend  des  monts  Taurus  et  Aman  au 
fleuve  Tanaïs;  et,  parlant  ensuite  de  l'Europe,  il  dit  qu'ils  vinrent,  c'est- 
à-dire  que  quelques-uns  des  sept  fils  de  Japhet  vinrent  en  Europe  et  s'éten- 
dirent jusqu'à  Gades  ou  Cadix,  et  que  c'est  ainsi  que  Tobel  fonda  les  To- 
baliens; x.aTC'.xt^£t  os  xar,  fonda  ainsi.  Ces  termes  xaicxt^et  os  xa-.  ne  peu- 
vent se  rapporter  évidemment  qu'aux  fils  de  Japhet,  qui  passèrent  en 
Europe,  allèrent  jusqu'à  Cadix  et  fondèrent  ainsi  les  Tobaliens  appelés 
aujourd'hui  Ibères.  Cette  interprétation  de  l'historien  Josèphe  est  incon- 
testable; et,  d'ailleurs,  il  resterait  aux  contradicteurs  à  nous  apprendre 
quel  serait  le  fils  de  Japhet,  autre  que  Tubal,  qui  suivant  Josèphe,  aurait 
pénétré  jusqu'à  Cadix. 

Saint  Jérôme,  dans  ses  Traditions  Hébraïques  (ca.p.  x,  Genesis),  confirme 
l'interprétation  du  texte  de  Josèphe.  Japhet,  dit-il,  eut  sept  fils  qui  occu- 
pèrent la  terre,  en  Asie  depuis  les  monts  Aman  et  Taurus  jusqu'au  fleuve 


570  ANTHROPOLOGIE 

Taiiaïs,  et.  en  Europe  jusqu'à  Gades.  Gomer,  ajoute-t-il,  fut  le  père  des 
Galates;  Medai,des  Modes;  Ja  van,  des  Ioniens,  qui  sont  les  Grecs;  etTubal, 
des  Ibères,  qui  sont  les  Espagnols.  Japhet  filio  Noe  nati  sunt  septem  filii 
qui possederunt  terram  in  Asia  ab  Amano  et  Tauro...  ad  jhivium  Tanaïm  ; 
in  Europa  vero  usque  ad  Gadira,  nomina  et  locis  et  gentibus  rclinquentes. 
Sunt  autem  Gomei-  Galatœ;  Magog  Scitœ,  Medai  Medi,  Tubal  Iberi  qui  et 
Hispani,  a  quibus  Celtiberi,  licet  quidam  et  Italos  suspicantur. 

Isidore  de  Séville,  au  livre  XI  des  Étymologies,  reproduit  le  texte  de 
saint  Jérôme.  Il  est  très  probable  que  Tubal  ou  ses  enfants  occupèrent 
aussi  l'Italie  en  même  temps  ([ue  l'Espagne  et  peut-être  auparavant.  Ils 
étaient  nomades,  ils  recherchaient  naturellement  les  contrées  les  plus 
favorisées  de  la  nature,  et  ils  purent  très  bien  s'arrêter  en  Italie  avant  de 
pénétrer  en  Espagne.  Roderic  de  Tolède  le  donne  à  entendre  dans  son 
livre  De  rébus  hispaniœ  (lib.  I,  c.  ni),  où  il  dit  : 

Filii  Tubal,  diversis  provinciis  peragratis  curiositate  pervigili,  occidentis  ultima 
petierunt;  qui  in  Hispaniam  venientes,  et  Pyrenei  juga  primitus  habitantes  in 
populos  excrevere  et  primo  Cetubales  sunt  vocati,  quasi  cœtus  Tubal.  » 

Tostat  d'Avila,  plus  connu  sous  le  nom  d'Abulensis,  et  sur  la  tombe 
duquel  on  a  écrit  ce  vers  :  Hic  stupor  est  mundi  qui  scibile  discutit  omne, 
attribue  également  à  Tubal  le  peuplement  de  l'Espagne  :  Tubal  a  quo 
Hispani  ;  iste  sedem  posuit  in  descensu  montis  Pyrenœi  apud  locum  qui 
dicitur  Pompilona.  Deinde  cuni  islise  multip/icassent  in  multos  populos,  ad 
plana  Hispaniœ  se  extenderunt. 

Tous  les  grands  historiens  de  l'Espagne,  Garibay,  Florian,  Ocampo, 
Mariana,  Henao,  Moret,  Ferreras,  soutiennent  l'opinion  que  l'Espagne  a 
été  peuplée,  dans  le  principe,  par  les  enfants  de  Tubal;  et  les  contra- 
dicteurs n'ont  produit  aucun  argument  qui  détruise,  qui  affaiblisse  même 
les  preuves  sur  lesquelles  ils  fondent  leur  sentiment  et  leur  récit. 

§  IX.  —  Traditions  populaires  chez  les  Basques 

L'alphabet  particulier  et  les  légendes  des  médailles  Ibériennes  témoignent 
que  les  Ibères  écrivaient  et  devaient  avoir  des  monuments  écrits.  D'ailleurs, 
Strabon  nous  l'aflirme  en  disant  que  les  Turdétans  étaient  les  plus  lettrés 
des  Ibères  et  que  tous  avaient  une  grammaire.  Les  révolutions  successives 
qui  ont  bouleversé  l'Espagne,  les  invasions  des  Celtes,  des  Carthaginois, 
des  Romains,  des  Visigoths  et  surtout  des  Sarrasins  ont  fait  disparaître 
tous  les  monuments  littéraires  des  Ibères. 

Les  Basques,  noble  et  énergique  débris  de  ces  premiers  maîtres  de  l'Es- 
pagne, ont  conservé,  avec  la  pureté  de  leur  sang,  leur  admirable  langue, 
monument  précieux  qui,  par  l'ampleur  et  la  perfection  de  son  système 
grammatical,  par  les  caractères  d'antiquité  de  son  vocabulaire  particulier, 


LE  CHANOINE  INCHAUSPK.   —  LE  PEUPLE  BASQUE  571 

fait  l'admiration  des  savants.  Ils  ont  aussi  conservé  la  tradition  qu'ils 
sont  les  descendants  de  Tubal,  tradition  rappelée  par  le  Lauburu  "f ,  leur 
ancien  étendard. 

Les  légendes  et  récits  populaires  n'ont  aucun  intérêt  historique  actuel- 
lement chez  les  Basques  ;  ce  sont  des  contes  que  l'on  récite  aux  enfants 
dans  les  veillées  d'hiver.  Ils  ont  été  publiés  en  grande  partie  par  M.  Cer- 
quant,  inspecteur  de  l'Académie  de  Bordeaux. 

Il  existe  un  nombre  assez  considérable  de  chansons  qui  sont  très  remar- 
quables par  la  délicatesse  des  sentiments  et  par  la  beauté  des  airs.  Un 
amateur,  M.  Bordes,  en  a  fait  une  collection  qui  sera,  nous  l'espérons, 
prochainement  publiée. 

Les  Pastorales,  jouées  de  temps  immémorial  dans  la  Soûle,  ofîrent  un 
certain  intérêt  en  ce  qu'elles  donnent  une  idée  des  représentations  théâ- 
trales des  Mystères  au  moyen  âge,  et  qu'elles  rappellent  les  guerres  contre 
les  Sarrasins. 

Comme  dans  les  Mystères  français,  il  y  a  toujours  la  lutte  du  bien  contre 
le  mal  ;  l'intervention  de  Dieu,  des  anges  et  des  saints  d'un  côté,  et  de 
l'autre  celle  des  diables  et  de  leurs  suppôts.  Mais  il  y  a  ceci  de  particulier 
dans  les  Pastorales  basques  que  le  parti  des  bons  est  toujours  appelé  celui 
des  chrétiens  et  le  parti  des  méchants  celui  des  Turcs;  quels  que  soient 
les  sujets  des  Pastorales,  qu'ils  appartiennent  à  l'Ancien  Testament  ou  à 
l'histoire  moderne.  Il  y  a  toujours  force  combats  dans  lesquels  le  triomphe 
finit  par  rester  aux  chrétiens.  Le  rôle  des  diables  est  très  actif  contre  les 
bons  et  en  faveur  des  Sarrasins.  Le  but  principal  de  ces  Pastorales  a  été 
évidemment,  dans  l'origine,  d'entretenir  les  sentiments  de  la  foi,  en 
même  temps  que  la  haine  des  Sarrasins  et  l'ardeur  pour  les  combattre. 

§  X.  —  Monothéisme  des  Basques 

Une  des  preuves  de  l'invariable  constance  de  caractère  des  Basques  et 
«ne  de  leurs  gloires,  c'est  que  jamais  ils  n'ont. été  idolâtres  et  qu'ils  ont 
toujours  adoré  un  Dieu  unique.  Les  Romains,  ne  trouvant  parmi  eux 
ni  temples  ni  idoles,  crurent  d'abord  qu'ils  n'avaient  aucune  croyance 
dans  les  divinités,  nihil  de  DUs  sentire  ;  mais  ils  se  détrompèrent  bientôt 
envoyant  que  tous  les  mois,  à  la  pleine  lune,  toutes  les  familles  basques 
se  mettaient  en  fête  pour  honorer  un  Dieu  innomé,  passant  toute  la  nuit 
à  chanter  et  à  danser  en  son  honneur:  innominatum  quetndam  Deum,  noctu 
in  plenilimio  cum  totis  familiis,  choreas  ducendo,  totam  noctem  festam 
agendo,  venerabantur.  (Strabo,  Géogr.,  t.  III.) 

J'ai  dit  que  le  monothéisme  des  Basques  est  un  témoignage  de  la  cons- 
tance de  caractère  de  ce  peuple,  parce  que  ce  n'est  point  le  polythéisme 
qui  a  été   la  première  religion  des  peuples,  comme  certains  esprits  se 


572  ANTHROPOLOGIE 

l'imaginent.  Le  polythéisme,  a  dit  Max  Muller,  est  une  déviation  du  mo- 
nothéisme et  l'étude  approfondie  des  religions  comparées  conduit  au 
monothéisme.  L'illustre  égyptologue  de  Rougé  dit  que  les  inscriptions 
granitiques  des  temples  de  l'Egypte  établissent  la  croyance  des  Égyptiens 
en  un  seul  Dieu.  Mariette  dit  la  même  chose  ;  au  sommet  du  Panthéon 
égyptien  plane  un  Dieu  unique,  Créateur.  M.  Lenormand  dit  également 
qu'en  pénétrant  au  delà  du  polythéisme  grossier,  qui  sert  de  base  aux 
superstitions  populaires,  on  retrouve  la  notion  de  l'unité  de  Dieu. 

L'Ibère  basque  a  la  gloire  de  s'être  préservé  de  la  déviation  universelle 
et  d'avoir  conservé,  avec  sa  langue,  la  notion  d'un  Dieu  unique,  du  Jaon- 
GoicoA,  le  Seigneur  d'en  haut,  qui  est  ÏIAO  des  peuples  aux  écrits  cunéi- 
formes ;  le  TV  et  nln"*  qui,  avec  les  points  voyelles  ainsi  disposés,  doit 

se  prononcer  Ihaoh,  lAO,  et  qui  est  le  nom  ineffable  de  Dieu  pour  les 
Hébreux.  7A0  a  été  et  est  toujours  le  cri  de  joie  et  le  cri  de  guerre  des 
Basques,  et  c'est  l'invocation  de  la  Divinité. 

Le  prince  Louis-Lucien  Bonaparte  ayant  écrit  que  les  Basques  de  la 
vallée  de  Roncal  appelaient  la  lune  goicoa,  un  des  détracteurs  des  gloires 
des  Basques  s'est  emparé  de  cette  révélation,  en  a  fait  le  synonyme  de 
Jaon-Goicoa  et  en  a  conclu  que  les  Basques  avaient  été  adorateurs  de  la 
lune  ;  on  comprend  que  c'est  peu  sérieux  ;  mais  le  plus  fâcheux  pour 
l'auteur  de  cette  curieuse  découverte,  c'est  que  les  Roncalais  n'appellent 
point  la  lune  goicoa,  comme  le  prince  avait  cru  entendre,  mais  gaicoa, 
celle  de  la  nuit,  la  lumière  de  la  nuit  :  de  gai,  nuit,  en  roncalais. 

Quelques  écrivains,  se  fondant  sur  la  légende  de  saint  Amand  de  Maës- 
tricht,  qui  est  dit  avoir  apporté  chez  les  Vascons  des  Pyrénées  la  lumière 
de  l'Évangile,  en  ont  conclu  qu'ils  étaient  jusqu'alors  idolâtres;  c'est  une 
opinion  absolument  erronée.  Saint  Amand  vivait  au  vii^  siècle  et  les 
Vascons  qu'il  vint  évangéliser  étaient  ceux  qui,  fatigués  par  les  vexations 
des  Visigoths,  avaient  franchi  les  Pyrénées  et  étaient  venus  s'établir  sur 
le  territoire  français  à  la  fin  du  vi«  siècle.  Or,  l'histoire  ecclésiastique 
et  profane  d'Espagne  fait  foi  qu'à  cette  époque  la  religion  chrétienne 
était  établie  dans  toute  l'étendue  de  l'Espagne,  et  que  les  Vascons,  en  lut- 
tant contre  les  Visigoths  ariens,  défendaient  leur  foi  en  même  temps  que 
leur  indépendance.  Depuis  leur  invasion,  constamment  harcelés  par  les 
armées  des  rois  de  France  qui  voulaient  les  chasser  de  leurs  terres,  ils 
vivaient  les  armes  à  la  main,  sans  prêtres  et  sans  moyens  de  pratiquer 
leur  religion,  jusqu'à  ce  qu'après  de  longues  luttes,  ils  eussent  détruit, 
dans  la  vallée  de  Soûle,  l'armée  française  commandée  par  Bladaste  (1)^ 
Ayant  alors  recouvré  la  paix,  ils  furent  évangélisés  par  Saint  Amand,  mais 
point  retirés  des  ténèbres  de  l'idolâtrie. 

(1)  Greg.  Tiir.  Hist.  Fran,  1.  VI,  c.  12.  —  Fredegarii  Cliron.,  c.  78,  anno  636. 


le  comte  de  charencey.  —  affinités  de  la  langue  basque        573 

Conclusion 

La  langue  basque  a  un  vocabulaire  particulier  pour  les  termes  usuels 
de  la  vie  matérielle  et  pour  l'expression  des  pensées  et  des  sentiments. 
Elle  a  une  déclinaison  unique  et  une  conjugaison  unique  qui,  dans  leurs 
développements,  renferment  toutes  les  complications  de  sa  syntaxe.  Sa 
terminologie  particulière  et  son  système  grammatical  font  de  cette  langue 
basque  une  langue  à  part  dans  le  monde. 

Elle  a  été  la  langue  des  premiers  habitants  de  l'Espagne  que  les  histo- 
riens et  géographes  de  l'antiquité  ont  appelés  les  Ibères. 

Les  Basques  actuels  sont  les  descendants  et  les  restes  de  ces  Ibères  par 
le  sang  et  par  le  langage. 

Les  Ibères,  appelés  aussi  Tobaliens  et  Cétubaliens,  étaient  les  descendants 
de  Tubal,  fils  de  Japhet. 

La  vérité  de  ces  thèses  est  appuyée  sur  les  faits,  sur  l'autorité  des  histo- 
riens les  plus  graves  et  sur  les  monuments  de  l'antiquité  ;  et  les  déné- 
gations sans  preuves  des  adversaires  ne  suffisent  pas  pour  l'ébranler. 


M.  le  Comte  DE  CÏÏAEEITCEY 


à  Paris. 


DES  AFFINITÉS  DE    LA  LANGUE  BASQUE  AVEC   DIVERS  IDIOMES  DES   DEUX  CONTINENTS 


—  Séance  du  16  sepleinbre  1892  — 

Les  hypothèses  les  plus  contradictoires  ont  été  émises  relativement  aux 
origines  de  la  langue  basque.  On  a  voulu  successivement  rattacher  cet 
idiome  si  différent  de  ceux  qui  l'entourent,  aux  souches  sémitique,  cel- 
tique ou  finno-ougrienne. 

■  Le  fait  est  que  l'Euskarien  n'a  de  commun  avec  les  langues  apparte- 
nant aux  familles  en  question,  qu'un  petit  nombre  de  mots  visiblement 
empruntés  à  une  époque  plus  ou  moins  récente.  C'est,  du  reste,  une 
question  que  nous  n'avons  point  à  examiner  ici. 

En  définitive,  il  existe  trois  groupes  linguistiques  dont  l'aire  géogra- 
phique s'étend  sur  les  rives  opposées  de  l'Atlantique  et  qui  paraissent 
offrir  entre  eux  de  ces  similitudes   que  n'expliquerait  guère  le  seul  ha- 


374 


ANTHROPOLOGIE 


sard  :  nous  voulons  parler  de  l'Euskara  ou  basque,  des  dialectes  kabyles 
du  nord  de  l'Afrique  et  des  dialectes  de  soucbe  algique  parlés  jadis 
depuis  les  rives  du  Saint-Laurent  jusqu'aux  Montagnes  Rocheuses. 

Entre  ces  trois  familles  linguistiques,  une  ressemblance  phonétique  des 
plus  étroites  se  manifeste  spécialement  pour  les  pronoms,  et  surtout  les 
pronoms  personnels,  c'est-à-dire  la  partie  du  discours  la  plus  immuable, 
celle  qui  résiste  le  plus  à  l'action  du  temps  et  des  mélanges  de  races.  On 
en  pourra  juger  par  le  tableau  suivant  : 


.lE.  MOI 

TU,  TOI 

IL,  LLI 

ai 
ce 

n 

H 

w 

-aï 

/  Dialecte  de  Bougie. 

Nek. 

Ketch  (féminin&em). 

Nettsa  (tem.  iiett- 
sath). 

Zouaoua 

Nekh. 

Ketch  (féminin /ce/c). 

Netsa  (fémiain  not- 
sath). 

Chellouii  (du Maroc). 

/ 

Nek. 

Kaï. 

Netta,  nétham. 

Zénaga  

Nika,  nek. 

Koitk  (fém.  koum). 

Nenta{im.  nenlal). 

Kéloui  (d'Asben). 

Nekh  {in  ou  im, 
de  moi,  mien). 

Kai. 

Netsa. 

Ghaouïa 

Nctch. 

Chek. 

Netsa. 

DIALECTES  ALGIQUES 

/ 
Pénobscot.    .    .    . 

Nin. 

Kil. 

Nekham. 

Lénàpé  

Ni,  n\ 

Ki,  k\ 

Nekha,  nékhama. 

Chippevvay    .    .   . 

Nin,  n\  nind  (de- 
vant une  voyelle). 

Ki,  kin,  kid  (devant 
une  voyelle). 

Win  (o  préflxe). 

Cri 

Ni,  nint,  n\  nt. 

Ki,  k  (devant  o,  kit 
dev.  une  autre  voy.). 

Wi,  0,  ot. 

Piéganiw  (dialecte 
du  Pied-Noir) . 

N',  nt. 

A",  ki,  kita. 

A,  aœ. 

Algonkin  .... 

Ni,  nind,  n. 

Ki,  kit. 

Wich  (o  possessif). 

S  i 

Basque  

iVi(n//c,  forme  aciive). 

Hi,hik]ioviTki,kik. 

Hau,  il,  le,  —  on, 
OHcA-,  celui-ci,— 
a,  article  final. 

Le  k  final,  signe  de  l'actif  en  basque,  se  trouve  partie  intégrante  du 
pronom  dans  les  dialectes  berbers. 


LE  COMTE   DE    CHARENCEY.  —    AFFINITÉS  QE  LA  LANGUE  BASQUE  o75 

rs'y  aurait-il  pas  une  parenté  à  établir  entre  le  in,  «  moi,  mien  »  du 
Kélouï  et  le  possessif  ene  du  Basque  qui  a  le  même  sens?  Il  est  vrai  que 
cette  forme  paraît  manquer  dans  les  autres  dialectes  Berbcrs. 

On  a  tout  lieu  de  croire  que  le  hi,  hik  «  toi  »  du  Basque  est  pour  une 
forme  primitive  ki,  kik,  très  rapprochée  par  suite  de  la  forme  Zenaga, 
laquelle  est  certainement  archaïque.  En  effet,  la  gutturale  explosive 
manifeste,  en  Euskarien,  une  tendance  très  marquée  à  se  transformer 
en  h  lorsqu'elle  est  initiale.  C'est  ainsi  que  le  vieux  Gaulois  carracoa 
«  pierre  »,  d'oii  l'Irlandais  carraig,  le  Gallois  carrek,  le  Breton  kat'rek, 
«  écueil,  rocher  »  est  devenu  harri  chez  les  montagnards  pyrénéens. 
Ainsi  encore,  le  prince  Louis-Lucien  Bonaparte  a  signalé  dans  le  dialecte 
de  Roncal,  si  primitif  au  point  de  vue  phonétique,  le  maintien  des  formes 
pronominales  démonstratives  kaur,  kori,  kwa,  lesquelles  sont  devenues, 
dans  les  autres  cantons  du  pays  basque,  haur,  hori,  hura. 

On  remarquera  que,  pour  la  troisième  personne  du  singulier,  les  dia- 
lectes algiques  et  berbers  ont  plus  d'affinité  entre  eux  qu'ils  n'en  offrent 
avec  le  Basque.  Ce  dernier  idiome  ne  possède  point  de  terme  que  nous 
puissions  rapprocher  du  nétham  des  Chellouks,  non  plus  que  du  nékhauia 
des  Lénâpes.  Ce  fait  que  dans  le  premier  des  dialectes  en  question,  le 
pronom  a  un  th  pour  lettre  médiale,  tandis  que  dans  le  second,  il  pos- 
sède un  kh,  sans  doute  plus  archaïque,  ne  saurait  nous  empêcher  de 
constater  son  identité  originelle. 

Ajoutons  que  le  démonstratif  a  «  celui-ci  »  du  Bifféen.  du  Beni-Mena- 
cer  (dialectes  berbers)  et  de  l'Hadendoa  (dialecte  chamitique  de  la  vallée 
du  Nil)  ne  semble  pas  différer  substantiellement  du  a  «  il,  lui  »  du 
Piéganiw.  Nous  hésiterions  toutefois  à  en  rapprocher  le  a,  article  final 
du  Basque  dont  la  forme  primitive  aurait,  dit-on,  été  ar. 

Nous  ne  saurions  nous  empêcher  de  signaler  en  passant  et  sans  atta- 
cher à  ce  détail  plus  d'importance  qu'il  ne  convient,  l'identité  phonétique 
absolue  du  ivin  «  il  »  duChippeway  avec  le  démonstratif  Rifféen  ouin,  ivin 
«  celui-ci  ».  Conviendrait-il  d'en  rapprocher  le  on  (forme  active  onek) 
(i  celui,  celui-ci  »  de  l'Euskara? 

Ainsi  que  l'on  devait  s'y  attendre,  les  coïncidences  sont  moins  frap- 
pantes entre  les  pronoms  pluriels  qu'entre  ceux  du  singulier  dans  les 
dialectes  dont  nous  nous  occupons  en  ce  moment.  Nous  sera-t-il  permis, 
toutefois,  de  signaler  l'emploi  de  la  gutturale  initiale  aussi  bien  dans  le 
pronom  pluriel  de  la  première  personne  en  Basque,  gu,  guk  «  nous  »  que 
dans  le  pronom  inclusif  des  dialectes  algiques,  par  exemple  :  en  Pénobscot 
kilou,  en  Lénâpé  kiluna  «  moi  et  toi,  nous  et  vous  ». 

Dans  les  langues  canadiennes,  le  signe  du  pluriel  pronominal  consiste 
d'ordinaire  dans  la  nasale  précédée  et  parfois  suivie  de  voyelles;  ainsi  l'on  a 
en  lénàpé  nekhamon  «  ils,  eux  »  d'un  singulier  nekliam  «  il,  lui  ».  N'est-ce 


o76  ANTHROPOLOGIE 

pas  tout  à  fait  le  procédé  berber,  mais  seulement  appliqué  au  nom  aussi 
bien  qu'au  pronom? Exemple  :  Kabyle  duDjurdjura,  irgouzoï  «  hommes  », 
du  singulier  ergaz;  —  en  Chellouk,  idan,  a.  chiens  »,  du  singulier  aïdi; 

—  en  Zouaoua,  netheni  «  eux  »  pour  netseni,  du  singulier  7ie/sa,  «  il  »  ; 

—  en  Mzabite,  chetchouin  «  vous  »;  de  chetch  «  tu,  toi  »,  etc.,  etc. 

Le  Basque  ainsi  que  les  dialectes  algiques  difTère  des  idiomes  berbers  par 
l'absence  à  peu  près  absolue  de  suffixes  possessifs,  surtout  avec  le  subs- 
tantif, mais  il  possède  quelque  chose  qui  s'en  rapproche  beaucoup  :  nous 
voulons  parler  des  traitements  verbaux.  On  entend  par  ce  terme  certaines 
désinences  ajoutées  au  verbe  et  variables  suivant  la  personne  à  laquelle 
on  s'adresse.  Ainsi,  l'Euskara  dit  duzu  «  je  t'ai  »  au  traitement  respec- 
tueux; dun  «  je  t'ai  »,  mais  parlant  à  une  personne  du  sexe  féminin,  etc. 

Or,  le  traitement  de  la  deuxième  personne  du  singulier  se  trouve,  en 
basque,  marqué  par  un  k  final,  dans  lequel  on  s'accorde  à  reconnaître  une 
abréviation  du  Jd,  kik  ou  hi,  hik  «  tu,  toi  ».  Il  faudra  donc  employer  la 
forme  duk  «  j'ai  »  en  s'adressant  à  une  personne  du  sexe  masculin  que 
l'on  veut  traiter  sur  un  pied  de  parfaite  égalité.  Précisément,  les  dialectes 
berbers  emploieront,  eux  aussi,  cette  même  finale  k,  tirée  du  pronom  de  la 
deuxième  personne  kik  ou  kek  pour  rendre  nos  possessifs  ton,  tu,  tes.  Ainsi 
le  Zénaga  dit  temchkintek  «  ta  femme  »  ;  ougrenk  «  tes  enfants  »,  etc.,  etc. 

Pourra-t-on,  je  le  demande,  regarder  une  pareille  coïncidence  comme 
purement  fortuite? 

Ajoutons  que  le  savant  abbé  Cuoq,  si  expert  en  matière  de  linguistique 
américaine,  a  fait  ressortir  la  ressemblance  existante  entre  certaines  dési- 
nences marquant  le  pronom  régime  dans  les  verbes  sémitiques  et  les 
pronoms  correspondants  de  l'Algonkin.  Par  exemple  :  dans  le  Syriaque 
sahakhtani  «  tu  m'as  abandonné  »,  la  finale  ni  qui  marque  la  première 
personne  du  singulier  n'est  pas  autre  chose  que  le  ni  «  je,  moi  »  des  dia- 
lectes indiens.  Comparez  de  même  la  finale  o  «  le,  lui  »  du  Sémitique 
Qetalo  «  occidit-eum  »  au  o  préfixe  possessif  marquant  la  troisième  per- 
sonne du  singulier  en  Algonkin.  Toutefois,  nous  ne  voulons  pas  suivre 
davantage  le  docte  missionnaire  sur  un  pareil  terrain.  Bornons-nous 
aujourd'hui  à  étudier  les  traces  d'une  antique  parenté  qui  se  peuvent  re- 
trouver entre  les  langues  des  deux  rives  de  l'Atlantique.  On  n'examinera 
point  ici  les  affinités  beaucoup  plus  lointaines  qu'elles  peuvent  offrir  avec 
le  groupe  sémitique  et  on  laissera  à  d'autres  l'honneur  de  trancher  la 
question  de  savoir  si  le  Kabyle,  le  vieil  Égyptien,  le  Tamachek  doivent 
ou  non  être  considérés  comme  des  frères  plus  ou  moins  éloignés  de  l'Arabe 
et  de  l'Hébreu. 

Sans  doute,  la  théorie  de  la  formation  du  pronom  chez  les  peuples  ber- 
bers offre  encore  bien  des  points  obscurs.  Toutefois,  un  fait  paraît  rester 
dorénavant  acquis  à  la  science,  c'est  que,  sous  ce  rapport,  les  dialectes  des 


LE    COMTE   DE    CHARENCEY.   —    AFFINITÉS   DE    LA   LANGUE    BASQUE         517 

aborigènes  du  nord  de  l'Afrique  se  rapprochent  plus  peut-être  de  ceux 
dont  il  vient  d'être  question  plus  haut  que  le  Sanscrit  ne  se  rapproche  du 
Français  ou  le  Persan  de  l'Anglais. 

Un  point  des  plus  importants  à  signaler  nous  semble  être  le  suivant  : 

M.  l'abbé  Cuoq  remarque  la  rareté  de  l'adjectif  en  Algonkin  et  dans  les 
idiomes  congénères.  Presque  toujours  il  se  trouve  remplacé  par  une  sorte 
de  verbe  à  un  état  spécial  de  sa  conjugaison.  Le  même  phénomène  reparait, 
mais  sur  une  plus  vaste  échelle  encore,  dans  la  plupart,  sinon  la  totalilé 
des  langues  berbères.  Chez  elles,  l'adjectif  n'existe  guère  et  c'est  une  vraie 
forme  verbale  qui  en  tient  lieu.  Ainsi,  lorsque  le  Beni-Menaccr  dit  sen 
laouâref  d'izdaden,  d'iziraren  «  deux  baguettes  minces,  longues  »,  le 
membre  de  phrase  se  devrait  littéralement  rendre  en  français  par  «  deux 
baguettes  étant  minces,  étant  longues  )).  Etîectivement,  le  d  prosthétique 
constitue  un  signe  parlicipiel  et  marque  plutôt  l'état  que  la  qualité. 

Rien,  à  notre  avis,  de  plus  propre  à  faire  ressortir  le  génie  des  races 
dont  nous  nous  occupons  en  ce  moment.  Chacune  des  principales  fractions 
de  l'espèce  humaine  semble  avoir  eu  sa  façon  spéciale  de  comprendre  le 
langage.  Les  peuples  de  l'extrême  Orient,  avec  leur  monosyllabisme,  leurs 
radicaux  invariables,  se  sont  montrés  rebelles  à  la  conception  des  caté- 
gories grammaticales.  En  revanche,  les  dialectes  agglomérants  de  l'Asie 
boréale  et  centrale  constituent  ce  que  l'on  pourrait  appeler  les  Imigues 
participielles.  Leur  verbe  lui-même  n'est  autre  chose  qu'un  véritable 
participe.  Ainsi,  en  Turk,  sever  signifie  à  la  fois  «  aimant  »  et  «  il  aime  »; 
severim  «  amo  »  se  rendra  littéralement  par  «  meum  amans,  mea  actio 
amandi  ».  Nous  réserverions  volontiers  le  nom  de  langues  verbales  ou 
conjugatives  à  l'Algonkin,  au  Lénâpé  et  autres  jargons  de  la  même 
famille.  Effectivement,  ils  manifestent  une  tendance  habituelle  à  donner 
aux  diverses  parties  du  discours  des  marques  de  temps  et  de  modes.  Il  en 
devait,  sans  doute,  primitivement  être  de  même  pour  les  dialectes  kabyles 
et  la  meilleure  preuve  que  l'on  en  puisse  offrir,  c'est  qu'aujourd'hui 
encore,  ils  naient  pu  parvenir  à  se  créer  des  adjectifs  proprement  dits. 
Sans  doute,  le  Basque  se  montre,  à  cet  égard,  plus  avancé.  Cela  ne 
tiendrait-il  pas  simplement  à  l'influence  tant  de  fois  séculaire  exercée  sur 
lui  par  les  langues  d'origine  indo-européenne? 

Une  autre  particularité  des  dialecies  kabyles  et  que  l'on  rencontre 
également  en  Basque  et  en  Algonkin  consiste  dans  la  suffixation  au  verbe 
du  pronom  direct  régime.  Nous  trouvons,  par  exemple,  en  Tamachek, 
serzck  «  je  t'habille  »,  de  serz  «  habiller  »,  et  teserzek  i  tu  t'habilles  » 
(au  masculin)  ;  teserzet  «  tu  t'habilles  »  (au  féminin);  en  Soussien,  inman 
«  ils  dirent  »;  inmanas  «  ils  leur  dirent  »;  irrzik  «  il  te  tuera  »  et  au  sub- 
jonctif atlienri  «  afin  qu'il  le  tue  ».  En  Beni-Menacer,  l'on  a  hennas,  innas 
«  il  dit  à  lui,  il  lui  dit  »;  innasen  «  il  dit  à  eux,  il  leur  dit  »;  thouadbitk 

37* 


578  ANTHROPOLOGIE 

«  répondit  à  lui,  lui  répondit  ».  Citons  des  exemples  du  même  phé- 
nomène, par  exemple,  dans  le  Basque,  Yateii  didak  «  je  te  les  mange  »; 
l'Algonkin,  ni  saldhigon  «  je  suis  aimé  par  cela  ».  l'Iroquois,  waiatawenri 
«  il  me  le  dit  ».  —  Remarquons,  à  ce  propos,  que  l'emploi  des  pro- 
cédés en  question  est  encore  plus  accusé  dans  ces  trois  derniers  idiomes, 
puisqu'ils  suffixent  jusqu'à  deux  régimes  pronominaux  à  la  fois,  ce  que 
ne  ferait  guère  le  Kabyle  ni  le  Tamachek.  Du  reste,  cette  suffixation 
du  pronom  régime  existe  également,  nous  l'avons  vu  dans  les  dialectes 
sémitiques  et  dans  certains  idiomes  ougro-finnois.  Citons,  par  exemple, 
le  Morduin  palasa  «  je  l'embrasse  »;  palasamak  «  tu  m'embrasses  », 
etc.,  du  radical  palan  «  embrasser  ».  On  en  retrouverait  quelques 
exemples  jusque  dans  les  dialectes  néo-latins  :  ainsi,  en  Italien,  datemelo 
«  donnez-le-moi  »;  à  rivederla  ce  à  revoir  »;  sentirsi  morir  a  se  sentir 
mourir  ».  Aussi  n'aurions-nous  pas  attaché  beaucoup  d'importance  à 
l'existence  du  procédé  en  question  au  sein  des  dialectes  berbers,  s'il  ne 
constituait  un  trait  de  similitude  à  ajouter  à  beaucoup  d'autres,  entre 
les  langues  faisant  l'objet  du  présent  travail. 

Occupons-nous  maintenant  d'une  façon  spéciale  des  rapports  à  établir 
entre  l'Euskara  et  les  dialectes  du  Nouveau-Monde.  Humboldt  avait  déjà 
signalé  la  physionomie  pour  ainsi  dire  américaine  de  l'idiome  basque.  Il 
y  voyait,  du  reste,  simplement  la  preuve  que  toutes  ces  races  qui  les  parlent 
avaient  atteint  un  degré  de  culture  à  peu  près  équivalent  au  moment  où  leurs 
langues  s'étaient  constituées.  Qu'il  nous  soit  permis  de  ne  pas  partager  la 
façon  de  voir  de  l'illustre  savant.  Les  coutumes,  les  mœurs  d'un  peuple 
sont,  en  grande  partie  du  moins,  la  résultante  de  son  état  de  civilisation. 
La  structure  de  son  idiome  n'en  dépend  guère  plus  que  l'ensemble  de 
ses  traits  physiques.  C'est  d'abord  affaire  de  race.  Le  genre  de  vie  des 
Australiens  rappelle,  à  bien  des  égards,  celui  des  tribus  les  moins  avancées 
du  Nouveau-Monde.  Est-ce  que  leurs  jargons  offrent  le  moindre  rapport, 
même  dans  leurs  traits  les  plus  généraux,  avec  ceux  des  Fuégiens  ou  des 
Indiens  des  Pampas?  Aryas  et  Sémites  primitifs.  Turcs  et  Hottentots  cons- 
tituaient tous  des  populations  adonnées  à  la  vie  pastorale  et  cependant 
les  uns  parlaient  des  dialectes  purement  agglomérants,  les  autres  des 
langues  à  flexion.  Si  donc  l'Euskara  offre  des  ressemblances  typiques  avec 
le  Chippeway  ou  le  Lénâpé,  nous  aurons  quelque  droit,  a  priori  et  jusqu'à 
preuve  du  contraire,  d'y  voir  un  indice  de  parenté  ethnographique.  Voici 
le  tableau  résumé  de  ces  affinités  grammaticales. 

1°  Procédé  par  élimination 

Son  emploi  semble  très  familier  à  un  grand  nombre  de  dialectes  du 
Nouveau-Monde,  spécialement  à  ceux  des  familles  algique  et  mohawk- 
huronne  ;  il  consiste  dans  la  suppression  complète  ou  partielle  du  radical 


LE    COMTE    DE    CHARENCEY.    —    AFFINITÉS    DE   LA    LANGUE    BASQUE         o79 

de  l'un  ou  plusieurs  dos  éléments  d'un  mot  composé.  Le  Délaware,  par 
exemple,  dira  :  piUipe  «jeune  homme,  enfant  »,  de  pilsitt  «  Castus  »  et 
Lénàpé  (Rad.  fen)  «  homo»,  d'où  pilawetschisch  o  adolescent  »,  pilaweUt 
«  petit  garçon  ». 

Nous  aurons  en  Mohégan,  /,itagischgou/<  «  espèce  de  serpent  qui  ne 
sort  que  la  nuit  »,  de  kitamen  «  craindre  »,  gischouh  «  soleil  »  et 
aschgoulx  «  serpent  »,  Rac.  aschg :  en  Cri,  kiséyiniiv  «  vieillard  «,  litté- 
ralement «  homme  bon,  parfait  »,  de  iyiniw,  «  homo  »  et  kiséw  «  bon, 
miséricordieux  »;  — en  Algonkin,  nabésiin  c  chien  mâle  »,  pour  nabé-asim, 
littéralement  «  masculus  canis  >);  —  enfin,  en  Iroquois,  le  nom  du  Dieu 
Taroniawagon,  le  ciel  personnifié,  littéralement  «  celui  qui  embrasse  le 
firmament  de  ses  deux  mains  »,  apparaît  formé  des  éléments  suivants  : 

1°  Kianaicakon  «  tenir  avec  les  mains  »,  en  composition  réduit  à  wakon 
ou  wagon  ; 

2"  Karonhia  a  ciel»,  auquel  sa  fusion  avec  le  verbe  fait  perdre  son  k 
initial,  et  enfin  : 

3"  Le  t,  signe  de  dualité,  lequel  pourrait  bien  n'être  qu'une  contraction 
de  tékéni  «  deux  ». 

De  son  côté,  le  Sioux  ou  Dakotah  nous  offrira  des  composés  tels  que 
le  suivant,  hoglianmna  «  sentir  le  poisson  »,  de  hoghan  «  piscis  »  et  omna 
«olere».  Enfin,  les  dialectes  canadiens  en  arrivent  jusqu'à  fabriquer  des 
membres  de  phrase  entiers  au  moyen  de  l'élimination  des  radicaux. 
Citons,  par  exemple,  le  Délaware  nadhollnen  ((  amenez-nous  le  canot  »,  de 
naten,  «  amener,  apporter  »,  amochol  «  canot,  bateau  »  et  delà  finale  7ieen, 
désinence  transitive  marquant  le  pronom  de  la  première  personne. 

Sans  pousser  les  choses  à.  ce  point,  le  Rasque  fait,  lui  aussi,  grand  usage 
du  procédé  par  élimination.  On  a  lieu  de  penser  qu'aux  temps  primitifs, 
il  devait,  à  cet  égard,  se  rapprocher  bien  davantage  du  Lénâpé  et  de 
l'Algonkin.  Aujourd'hui  encore,  beaucoup  de  ses  composés  sont  obtenus 
en  faisant  disparaître  la  racine  ou  tout  au  moins  la  voyelle  initiale  du 
deuxième  composant.  Citons,  par  exemple,  egun  «jour»  pour  ekhidun 
littéralement  «  possesseur  du  soleil  »,  de  ekhl  «  soleil  »  et  dun  «  qui  a,  qui 
possède  ».  Hawide  «  petit  frère,  petite  sœur  »,  littéralement  «  enfant  sem- 
blable», de  kide  «similis»  et  haiw  «  puer».  Sogitea  «  regarder  »,  litté- 
ralement «  faire  regard  »,  de  so  «regard  »  et  egi  «  faire  ».  Astezken 
«  mercredi  »,  littéralement  «  dernier  de  Vaste  ou  période  de  trois  jours  », 
de  as/e  et  azken  «  ultimus  »,  etc.,  etc.  Inutile,  sans  doute,  de  multiplier 
les  exemples  qui  seraient  innombrables.  Une  des  causes  principales  de 
l'adoption  d'un  pareil  artifice  lexicographique  doit  sans  doute  être  cher- 
chée dans  cette  particularité  que  le  Rasque  et  les  dialectes  algiques  ne 
semblent,  à  l'origine,  avoir  possédé  qu'un  nombre  fort  restreint  de  radi- 
caux, et  faisaient    beaucoup  plus  volontiers  usage  de  composés  que  de 


580  ANTHROPOLOGIE 

dérivés.  Ainsi,  en  Basque,  l'on  a  ema/rume,  littéralement  «donné  enfant» 
pour  «femme  »;  hi/largi,  littéralement  «  lumière  du  mois  »,  pour  «lune»; 
en  Délaware  amangamanscliquiminchi  «  chêne  à  larges  feuilles  »,  litté- 
ralement «  arbre  du  fruit  à  coques  aux  grandes  mains  »,  c'est-k-dire  «  aux 
larges  feuilles»,  deanmngi  «  magnus  »,  naschk  «manus»,  kin  ou  quim 
«  fruit  à  coque  »,  et  enfin,  achpausi  «  tronc  d'arbre  »,  ici  réduit  à  nchi  ou 
inschi.  Le  seul  moyen  de  prévenir  la  formidable  longueur  de  certains  mots 
devait  visiblement  être  de  sacrifier  le  plus  possible  d'éléments  radicaux. 
Sans  doute,  l'on  rencontrera  des  cas  de  formations  analogues  dans  des 
idiomes  appartenant  aux  familles  les  plus  diverses.  Citons,  par  exemple, 
les  mots  latins  malo  pour  via  gis  volo  ;  nolo  pour  non  volo  ;  le  grec  zôgreô 
«  prendre  vivant»  pour  zôo?i  agreô  ;  les  formes  allemandes,  heim  «  chez  » 
pour  hei  dem  ;  zum  «  vers  »  pour  zur  dem  ;  —  japonaises,  konata  «  moi  », 
littéralement  «  ce  côté-ci  »  pour  kono  kata  ;  anata  «  toi  »,  littéralement 
«  ce  côté-là  »  pour  ano  kata;  sonata  «  lui»,  littéralement  «  ce  côté  là-bas» 
pour  sono  kata,  etc.,  etc.  Nous  n'en  avons  pas  moins  le  droit  déconsidérer 
ce  mode  de  formation,  comme  caractéristique  aussi  bien  du  Basque  que 
des  dialectes  du  Nouveau-Monde^  parce  que,  chez  eux,  il  joue  un  rôle 
infiniment  plus  considérable  que  partout  ailleurs.  En  définitive,  tous  les 
procédés  grammaticaux  ou  lexicographiques  se  retrouvent  plus  ou  moins 
développés  dans  une  foule  d'idiomes  en  réalité  très  dissemblables.  Ce  qui 
constitue  leur  importance  au  point  de  vue  de  la  classification  linguistique, 
c'est  la  manière  dont  on  les  emploie.  Nous  regardons  à  bon  droit  le 
déplacement  et  la  métamorphose  des  voyelles  comme  un  trait  essentiel  des 
dialectes  sémitiques.  Citons  à  ce  propos  l'arabe  kataba  «  scripsit»  et  koutiba 
«  scriptum  fuit  »  ;  l'hébreu  qatal  «  il  a  tué  »  ;  qotel  «  meurtrier  »  et  qtol 
«  occidens  ».  Cependant,  nous  trouverions  quelque  chose  d'un  peu  ana- 
logue à  tout  ceci,  même  dans  nos  langues  indo-européennes.  Est-ce  que 
la  voyelle  ne  varie  pas  dans  les  formes  allemandes  stehlen  «  voler  », 
gestohlen  «  volé  »  et  ich  stahf  «  je  volai  »  ?  Le  déplacement  voyellaire 
n'existe-t-il  pas  bien  accusé  dans  le  grec  eôrga,  aoriste  de  Rezô  «  faire  »  ? 
Mais  il  y  a  cette  différence  essentielle  à  signaler  entre  les  deux  groupes 
d'idiomes,  qu'en  allemand  ces  mutations  phonétiques  sont  en  quelque 
sorte  accidentelles  et  pourraient  disparaître  sans  que  la  structure  même 
de  la  langue  en  fût  changée.  Aussi,  par  exemple,  la  forme  partiel pielle 
verdrehen  tend-elle  de  plus  en  plus  à  se  substituer  à  verdroht  «  menacé». 
Au  contraire,  l'arabe  et  l'hébreu  ne  sauraient  cesser  de  les  appliquer, 
sans  que  leur  système  grammatical  n'en  fût  tout  entier  bouleversé. 

2°  EncapsulatioiX. 

C'est  le  procédé  en  vertu  duquel  le  mot  principal  s'entr'ouvre,pour  ainsi 
dire,  de  manière   que  l'on   puisse  lui  intercaler  un  terme  régi.   C'est 


LE    COMTE    DE   CHARENCEY.    —   AFFINITÉS   DE    LA   LANGUE   BASQUE        381 

ce  que  nous  rencontrons,  par  exemple,  dans  l'Algonkin  ni  sakitawakina 
«  je  te  tiens  par  l'oreille  »,  de  ni  «  ego  »,  sakina  «  tenere  »  et  ntawakeng 
«  peraurem  »;  —  dans  l'Iroquois  shunquétas  «  un  homme  »,de  shétas  «  un  » 
et  unqué,  ongwe  «  homme  »;  —  dans  le  Maya  du  \ ucutsin,  amehenobex  c  vos 
fils  »,  pour  aex  «  vestri  »  et  mehenoh  «  filii  ».  Ce  mode  de  formation  des 
mots,  qui  imprime  un  cachet  original  aux  dialectes  du  Nouveau-Monde  et 
semble  être  chez  eux  d'un  emploi  courant,  n'existe  plus  guère  en  basque 
que  pour  certaines  formes  verbales,  telles  que  zitzaidan  «  il  m'était,  je 
l'avais  »,  au  traitement  respecteux.  Ce  terme  est  pour  zitan  zu,  mais  ce 
dernier  monosyllabe,  qui  correspond  au  vous  singulier  du  français,  a  fini 
par  se  trouver  en  quelque  sorte  incorporé  dans  le  verbe  précédent.  Sans 
aucun  doute,  ce  procédé,  qui  jadis  a  vécu,  en  basque,  de  sa  vie  propre, 
se  trouve  aujourd'hui  cristallisé  et  reste  comme  dernier  vestige  d'une 
phase  linguistique  disparue.  Ajoutons,  par  parenthèse,  que  l'influence 
euskarienne  continue  peut-être  à  se  faire  sentir  dans  certaines  formes 
espagnoles,  telles  que  les  suivantes  :  honesta  y  gallardamente ,  où  une 
seule  et  même  désinence  s'applique  aux  deux  adverbes  qui  se  suivent. 

3°  Emploi  du  pronom  comme  simple  catégorie  grammaticale 

Nous  ne  prétendons  nullement  que  le  pronom  ne  se  présente  par- 
fois, dans  les  dialectes  du  Nouveau-Monde,  à  l'état  de  partie  du  discours 
isolée.  Toutefois,  ce  qu'il  y  a  de  remarquable,  par  exemple,  aussi  bien 
en  Algonkin  qu'en  Huron,  c'est  que  le  substantif,  tout  comme  le  verbe, 
ne  se  puisse  guère  montrer  sans  être  revêtu  d'un  affîxe  ou  d'un  suffixe 
pronominal.  Ainsi,  en  Algonkin,  le  mot  och  «père»  ne  sera  jamais 
employé  seul.  Il  en  sera  de  même  en  Cri  pour  le  mot  kosis  «  fils  »  qui, 
pris  isolément,  constituerait  une  sorte  de  barbarisme,  tandis  que  les  formes 
mtosis  «  mon  fils»,  kikosis  «ton  fils»  sont  parfaitement  correctes.  Ces 
langues  peu  amies  de  l'abstraction  admettent  bien  que  l'on  puisse  dire 
<(  mon  père,  mon  fils  »,  mais  non  .pas  «  père,  fils  »  d'une  façon  générale. 
Aussi,  les  missionnaires  qui  voulurent  traduire  en  Iroquois  le  Gloria  patri 
furent-ils  obligés  de  le  rendre  à  peu  près  de  la  façon  suivante  :  «  Gloire 
à  notre  père  et  à  son  fils  et  à  /ewr  Saint-Esprit  » .  Un  vestige  de  cette  façon 
archaïque  de  comprendre  les  choses  se  manifeste  encore  en  Euskara,  du 
moins  pour  la  conjugaison.  Le  pronom  régime  ne  saurait  être  détaché  du 
verbe  transitif  et  les  expressions  yaten  dut  ogia  signifient  littéralement 
«  je  le  mange,  le  pain  »  et  non  pas  «  je  mange  le  pain  ».  Cette  dernière 
forme  resterait  absolument  intraduisible  en  Basque.  Si  vous  dites  à  un 
Labourdin  ou  à  un  Guipuzcoan  parlant  français  :  «  As-tu  fermé  la  porte  », 
il  vous  répondra  à  peu  près  infailliblement:  «  J'ai  fermé  »  et  non  pas 
«  Je  l'ai  fermée  »,  tant  il  est  habitué  à  l'idée  que  le  régime  pronominal  et 
le  verbe  demeurent  indissolublement  unis. 


582  anthropologie 

4*^   Des  conjugaisons  nominale  et  adjective. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  la  tendance  qu'ont  les  dialectes  du  Nouveau- 
Monde  à  donner  des  signes  de  temps  et  de  mode,  même  aux  noms,  aux 
adjectifs  et  aux  particules,  autrement  dit  à  les  traiter  comme  des  verbes 
et  à  les  soumettre  à  la  conjugaison.  Ainsi,  le  Quiche  fera  une  sorte  de 
verbe  d'état  du  qualificatif  utz  «  bon  »  et  dira  oh  utz  oher  «  nous  avons 
été  bons  »,  littéralement  «  nos  boni  olim.  »  Du  radical  apak  «  porteur», 
le  Péruvien  formera  apasca,  littéralement  c  porteur  passé,  celui  qui  a 
porté  rt  ;  apascay  «  celui  qui  a  été  mon  porteur,  qui  m'a  porté  »  ;  apanca 
ou  apana  «  porteur  à  venir,  celui  qui  doit  porter».  De  même,  en  Guarani, 
térangua  «  village  détruit,  qui  a  cessé  d'exister  »  et  térai-ama  «  village 
à  créer,  qui  existera  plus  tard  ».  En  Lénâpé,  une  simple  désinence  suf- 
fira à  transformer  en  verbe  ou  participe  le  composé  kitchimanitou  «  Dieu», 
littéralement  «le  grand  esprit»,  et  l'on  aura  par  exemple  :  kikitchima- 
nitouiyan,  «  toi  étant  le  grand  esprit,  toi  qui  es  le  grand  esprit  ». 

Peut-être  le  Basque  nous  offrira-t-il  quelque  chose  d'assez  semblable, 
par  exemple  dans  des  formes  telles  que  emaztegaï  «  fiancée  » ,  littérale- 
ment «  femme  future  »,  dans  l'emploi  de  la  désinence  te  ou  tze  qui  s'em- 
ploie également  pour  former  des  noms  et  des  verbes;  exemple  :  sagarlze 
«pommier»,  de  ^a^ar  «  pomme  »  ;  lagunlze  «accompagner»,  de  lagun 
«compagnon,  ami».  Au  reste,  cette  confusion  entre  les  formes  du  nom 
et  celles  du  verbe  semble  assez  générale  dans  tous  les  idiomes  demeurés 
à  un  degré  inférieur  de  développement. 

5°  Du  verbe  et  de  son  traitement 

Le  système  de  conjugaison  en  Euskara,  comme  dans  une  foule  de 
langues  américaines,  spécialement  dans  celles  du  groupe  algique,  repose 
sur  la  distinction  à  établir  entre  le  traitement  du  verbe  transitif  et  celui 
du  verbe  intransitif.  Par  exemple,  l'Algonkin,  le  Chippeway  ne  conju- 
guent transitivement  que  le  verbe  actif  suivi  d'un  régime  direct  et  consi- 
dèrent comme  intransitifs,  non  seulement  les  neutres  et  les  passifs,  mais 
encore  les  actifs  eux-mêmes,  toutes  les  fois  qu'ils  ne  sont  point  accom- 
pagnés du  régime  en  question.  Du  reste,  les  affixes  diffèrent  pour  chacune 
des  deux  conjugaisons  ;  ainsi,  l'Algonkin  traite  la  forme  ni  sakidjike 
«  j'aime  »  in  abslracto  intransitivement  tout  comme  pikocka  «  c'est  cassé  » 
ou  kickowe  «  il  se  tait  »,  et  cela  par  opposition  à  ni  sakiha  «  je 
l'aime  »;  de  même  en  Quiche,  ca  nulogoh  «  je  l'aime  »,  littéralement 
«  nunc  meum-amare  »  et  quinlogon  «j'aime  »,  littéralement  «  nunc  ego- 
amare  »  ou  «  amans  ». 


LE  COMTE  DE  CHARENCEY.  —  AFFIMTÉS  DE  LA  LANGUE  BASQUE    583 

L'Euskara  admet  aussi  cette   distinction  et  ne  s'éloigne  des  dialectes 
américains  que  par  un  point  tout  à  fait  secondaire,  c'est-à-dire  que,  chez 
lui,  l'actif  est  toujours  traité  transitivement,  puisqu'on  ne  peut  le  séparer, 
nous  l'avons  déjà  vu,  du  pronom  régime.  Nul  doute,  d'ailleurs,  que  ce 
dernier  phénomène  ne  se  soit  produit  à  une  époque  relativement  récente 
et,  primitivement,  le  système  de  conjugaison  du  Basque  devait  être  iden- 
tique à  celui  du  Quiche  ou  de  l'Algonkin.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'intransitifse 
trouve  marqué  en  Basque  par  la  préfixation  du  pronom  personnel,  si  le 
verbe  est  contracté,  ou  par  l'emploi  de  l'auxiliaire  être,  s'il  est  composé  ; 
exemple  :   nabila   «  je  marche  »,  de  ni  «  ego  »  et  ibil  «  venire,  ire»; 
ethorten  naiz  «je  viens  »,  littéralement   «  in  adventu  sum»,  du  radical 
ethor  «  venire  »  et   de  niz   ou   r\aiz   «  sum  ».  Ajoutons,  par  parenthèse, 
que  ce  verbe  iz  «  être  »  dont  l'origine  a  été  si  diversement  expliquée, 
pourrait  bien  n'être  autre  chose  que  le  latin  esse.  Il  est  fort  douteux  qu'à 
l'origine,  le  Basque  possédât  un  verbe  substantif.  Aujourd'hui  encore,  les 
dialectes  canadiens  en  sont  dépourvus  et  l'on  ne  saurait  rendre  textuel- 
lement, en  Algonkin  ou  en  Iroquois,  la  phrase  biblique  «   Je  suis  celui 
qui  suis  »  ;  pour  le  passif,  on  aura  maithatu  naiz,  traduction  littérale  du 
français  «  je  suis  aimé  ».  Vraisemblablement,  ce  procédé  qui  consiste  à 
employer  le  participe  passé  avec  être  a  été  emprunté  aux  dialectes  néo- 
latins, et  l'on  a  tout  lieu  de  penser  qu'il  a  remplacé  un  autre  mode  de 
formation  véritablement  indigène,  mais  aujourd'hui  tout  à  fait  tombé  en 
oubli. 

Quant  au  transitif,  le  Basque  l'indiquera  par  l'intercalation  du  radical 
vjerbal  dans  l'auxiliaire  «  avoir»  quand  le  verbe  est  contracté;  exemple  : 
dakil  «  je  le  vois  »,  de  yaki  «  scire  »  et  dut  «  habeo  ».  Ce  dernier  mot  est 
lui-même  formé  de  da  «  est»,  hau  «  hoc  »  et  t,  signe  de  la  première 
personne  du  singulier,  littéralement  «  est  hoc  mihi,  habeo».  Au  contraire, 
on  juxtaposera  le  participe  à  ce  même  auxiliaire  avoir,  lorsque  l'on  a 
affaire  à  un  transitif  composé,  exemple  :  yakiten  dut  «je  le  sais»,  littéra- 
lement «  in  scientiâ,  in  scito  habeo».  Ajoutons  que  les  linguistes  sont 
d'accord  à  regarder  la  conjugaison  dite  contractée  comme  plus  ancienne 
que  la  composée.  Ceci  ne  serait  peut-être  pas  tout  à  fait  exact  et  Ton 
aurait  quelque  lieu  de  les  croire  contemporaines  ;  seulement,  l'emploi 
des  verbes  auxiliaires,  lui,  pourrait  bien  n'être  pas  primitif  du  tout.  Vrai- 
semblablement, le  basque  l'a  emprunté  aux  dialectes  néo-latins,  mais  en 
lui  donnant  plus  d'extension  que  ne  l'ont  fait  ces  derniers. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  dans  les  dialectes  algiques,  nous  rencon- 
trons le  pronom  préfixe  employé  comme  sujet  du  verbe  et  marque  du 
possessif  pour  le  nom;  au  contraire,  le  même  pronom  suflixé  sert,  par 
exemple  en  Lénâpé,  à  former  une  sorte  de  conjugaison  substantive.  On 
en  pourra  juger  par  le  tableau  suivant  : 


584 


ANTHROPOLOGIE 


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LE    COMTE    DE   CHARENCEY.    —   AFFIMTÉS   DE   LA   LANGUE    BASQUE         58o 

Nous  n'avons  pas  h  revenir  ici  sur  la  similitude  des  radicaux  prono- 
minaux en  Basque  et  dans  les  dialectes  algiques.  Il  en  a  déjà  été  sufTi- 
samment  question  plus  haut.  Signalons  seulement  l'identité  presque 
absolue  de  certains  pronoms  suftixes.  C'est  la  dentale  finale  qui,  en  Eus- 
kara  comme  en  Lénâpé,  indique  la  première  personne  du  singulier  ;  la  gut- 
turale qui  caractérise  la  deuxième  personne  du  même  nombre.  Enfm,  nous 
retrouvons  encore  la  gutturale  à  la  première  personne  du  pluriel.  S'il  était 
permis  de  se  lancer  dans  le  domaine  des  hypothèses,  nous  supposerions 
volontiers  que  dans  la  langue  primitive  dont  sont  issus  le  Basque  et  le 
Lénâpé,  il  existait  trois  types  de  conjugaisons  :  le  transitif,  l'intransitif 
et  celui  des  noms  verbisés  ;  les  deux  premiers  étaient  marqués  par  l'emploi 
du  pronom  préiîxe  ;  le  dernier,  caractérisé  par  le  suffixe  pronominal,  cor- 
respondait à  certains  égards  aux  désinences  possessives  des  idiomes  cha- 
mitiques  et  ougro-finnois.  L'Euskara  n'a  point  conservé  l'usage  de  ce 
traitement  nomino- verbal,  mais  il  aura  utilisé  le  matériel  servant  à  le 
former  pour  constituer  sa  conjugaison  transitive. 

L'histoire  de  la  linguistique  ne  nous  offre-t-elle  pas  maint  exemple 
d'un  pareil  phénomène  ?  Combien  de  fois  n'a-t-on  pas  vu  des  procédés 
grammaticaux  changer  d'emploi  et  appelés,  pour  ainsi  dire,  à  de  nou- 
velles fonctions. 

Un  autre  caractère  commun  au  Basque  et  à  beaucoup  d'autres  dialectes 
du  Nouveau-Monde,  c'est  la  multiplicité  des  modes  verbaux.  La  plupart 
des  relations  indiquées  dans  nos  langues  indo-européennes  et  sémitiques 
au  mioyen  de  conjonctions,  e  sont  chez  elles  par  de  simples  préfixes, 
infixés  ou  désinences  attachées  au  verbe.  L'on  peut  citer,  par  exemple, 
les  formes  euskariennes  nizalarik  «  tandis  que  je  suis  »  ;  nizalakoz  «  parce 
que  je  suis  »  ;  nizano  c  jusqu'à  ce  que  je  sois  »  ;  balitza  «  s'il  était, 
plût  à  Dieu  qu'il  fût  ».  Ces  finales,  d'ailleurs,  se  confondent  le  plus  souvent 
avec  les  simples  postpositions.  Nous  trouverons  également  en  Chippeway, 
nondôman  ou  ginondôman  «  si  j'entends,  lorsque  j'entends  »;  pa/,itéoseg 
«  si  vous  me  frappez  »,  par  opposition  à  ki pakitéog  «  vous  me  frappez  ». 

Certaines  ressemblances  formelles  peuvent  peut-être  même  être  signa- 
lées entre  les  divers  idiomes  faisant  l'objet  de  la  présente  étude.  Ainsi 
le  pronom  sujet  est  souvent  postposé  à  la  troisième  personne,  tandis 
qu'on  le  préfixe  aux  deux  précédents. 

Le  Chippeway  nous  offre,  par  exemple,  nind  ikkit  «  je  dis  »  ;  kid  ikkit 
«  tu  dis  ».  par  opposition  à  ikkito  «  il  dit  ».  De  même  en  Euskara,  niz 
((  je  suis  »  ;  hiz  «  tu  es  »  ;  mais  da  «  il  est  »,  pour  un  primitif  isa.    ' 

Signalons,  en  outre,  le  mode  de  former  l'imparfait.  L'Algonkin  et  les 
dialectes  congénères  l'obtiennent  en  ajoutant  au  présent  une  syllabe  ban, 
dont  le  sens  propre  est  celui  de  «  mort,  défunt  »  ;  exemple  :  ni  sakihahan 
«  je  l'aimais  »,    littéralement    «  ego   amo  in  defuncto  »,   de  ni  sakiha 


S86  ANTHROPOLOGIE 

«  j'aime  »  ;  de  même  que  Sabieban  «  défunt  Xavier  » ,  de  Sabie 
«  Xavier  ».  Il  semble  qu'il  en  soit  de  même  en  Basque,  nintzan  ou 
ninizen  «  j'étais  »,  ainsi  que  l'a  démontré  le  prince  Louis-Lucien  Bo- 
naparte, est  pour  une  forme  plus  ancienne,  nintza  ou  nintze. 

Mais  ce  nintze,  nintz-a  doit,  sans  aucun  doute,  être  décomposé  en 
niz  ze,  niz  za.  En  effet,  le  n  est  parfois  euphonique  devant  un  z  ou 
un  tz,  comme  dans  phuntzel  «  pucelle  »  ;  d'un  autre  côté,  cette  finale  ze 
ne  doit-elle  pas  être  considérée  comme  substantiellement  identique  à 
zen  «  feu,  défunt  »,  comme  dans  ertorzen  «  feu  le  recteur,  le  curé  »? 
Or,  il  y  a  bien  lieu  de  croire  que  la  forme  primitive  de  ce  mot  était 
effectivement  ze. 

Si  notre  hypothèse  relative  à  l'origine  de  la  finale  de  l'imparfait  se 
trouve,  comme  nous  en  sommes  convaincus,  conforme  à  la  réalité  des 
faits,  il  sera  évident  que  zen  ou  ze  «il  était  »,  littéralement  «  defunctum  », 
constitue  la  troisième  personne  de  ce  temps,  à  l'exclusion  de  tout  affixe 
pronominal;  point  de  contact  curieux  entre  le  basque  et  une  foule  de 
langues  du  Nouveau-Monde,  môme  en  dehors  du  groupe  algique.  Don- 
nons comme  exemple  le  Groënlandais  angékog  «  grand  »  et  «  il  est 
grand  »;  le  Mexicain  tlapia  «  gardien  »  et  «  il  garde  »  ;  le  Quiche  tziban 
«  écrivant  »  ou  «  il  écrit  »  ;  l'Algonkin  sakidjiké  «  il  aime  »,  par  oppo- 
sition à  ni  sakidjiké  «j'aime  ».  Toutefois,  nous  n'attribuerons  pas  trop 
d'importance  à  ce  caractère,  parce  qu'il  se  retrouve  dans  d'autres  dialectes 
appartenant  à  des  souches  bien  différentes  ;  citons,  par  exemple,  le  Turk 
dur,  dyr,  «  faciens,  facit  »  ;  l'arabe  qatala  «  il  a  tué  »,  où  n'existe  aucun 
signe  de  pronom. 

Peut-être  encore,  mais  cette  opinion  ne  doit  être  émise  que  sous  toute 
réserve,  conviendrait- il  de  rapprocher  la  particule  gi  ou  ki,  —  indice  du 
parfait  chez  les  peuples  canadiens  ;  exemple,  en  chippeway,  nind  ikkit 
«  je  dis  »  et  nin  gi  ikkit  «  j'ai  dit  ».  —  de  la  particule  ki  du  basque,  par 
exemple  dans  idiki,  «  morceau  de  bœuf»,  de  idi  «  bœuf  ».  Ajoutons 
que  cette  syllabe  pourrait  bien  n'être  qu'une  abréviation  de  kin  «  avec». 
11  est  assez  intéressant  de  voir  la  gutturale  suivie  d'une  voyelle  pleine 
marquer  le  futur  aussi  bien  dans  les  dialectes  algiques  qu'en  Basque. 
Ainsi  l'on  a  en  Chippeway  ningonondom  ou  ninganomlom  «j'entendrai  », 
par  opposition  à  ninondom  «  j'entends  »  ;  en  Algonkin,  okawabaman  «  il 
le  verra  »,  et  owabaman  «  il  le  voit  ».  De  même,  le  Basque  nous  offrira 
yango  dut  «  je  le  mangerai  »,  par  opposition  à  yaten  dol  «  je  le  mange  », 
yan  dot  «  je  le  mangeai  ». 

Enfin,  le  k,  signe  du  futur,  reparaît  encore  dans  les  formes  duke  «  il 
aura  »  ;  nuke  «  il  m'aura  »,  par  opposition  à  dut  «  j'ai  ».  Ajoutons  tou- 
tefois que  nous  n'oserions  trop  insister  sur  ce  point,  car  le  sens  propre 
de  la  particule  ko  ou  go  en  Basque  est  celui  d'un   prolatif  ;  il  correspond 


LE   COMTE   DE   CHARENCEY.    —   AFFINITÉS    DE    LA   LANGUE    BASQUE         387 

à  nos  prépositions  «  pour,  à  »  ;  yango  dot  se  traduira  donc  littéralement 
«  pro  manducato  liabeo,  pro  manducatione  habeo  ».  L'on  aurait,  pa  r 
suite,  quelque  lieu  de  se  demander  s'il  ne  constitue  pas  simplement  un 
emprunt  fait  aux  langues  celtiques.  On  a  en  Irlandais  E^'iii  yo  braigh 
«  Ireland  for  ever  ». 

G"  Des  suffixes  augmentatifs,  péjoratifs  et  diminutifs 

Le  Basque  offre  ceci  de  commun  avec  les  dialectes  canadiens  que  ce 
genre  de  suffixes  s'y  ajoute  non  seulement  à  tous  les  noms  et  adjectifs 
sans  exception,  mais  encore  aux  verbes.  De  là,  les  formes  Euska- 
riennes  gizontto  «  bon  petit  homme  »,  gizonni  «  cher  petit  homme  », 
giz-onago  «  plus  homme  »,  gizonche  «  un  peu  homme  »,  gizonchago 
«  un  peu  plus  homme  »,  gizonchagotto  «  un  petit  peu  plus  homme  »,  de 
gizon  «  homo  »,  tout  aussi  bien  que  ikustenago  dot  «  je  le  vois  trop  » 
de  ikhusten  dot  «  je  le  vois  ». 

De  même,  en  Délaware,  la  finale  diminutive  tit  s'ajoute  à  tous  les  subs- 
tantifs et  sans  doute  même  à  tous  les  verbes.  Ainsi  l'on  aura  tcholentit 
«  petit  oiseau  »,  tcholenlitak  a  petits  oiseaux  »,  de  tcholens  ;<  avis  ».  Nous 
trouvons  enfin,  en  Chippeway,  la  forme  verbale  miwasisinaban  «  c'était 
un  peu  beau  » . 

7°  De  quelques  autres  points  de  contact  entre  l'euskara 
et  les  dialectes  canadiens 

Signalons  tout  d'abord  l'emploi  de  la  postposition  qui  remplace  celui 
de  la  préposition  indo-européenne  et  sémitique.  Ajoutons  toutefois  qu'il 
en  est  de  même  exactement  pour  les  dialectes  ougro-fînnois,  turko-mon- 
gols  et  dravidiens  du  sud  de  l'Inde,  lesquels  n'ont,  sans  doute,  rien  de 
commun  avec  les  langues  américaines. 

Faut-il  rapprocher  les  pluriels  en  ak  du  Basque  (gizonak,  homines,  de 
gizon,  homo)  des  finales  plurielles  en  g  ou  A:  qui  caractérisent  le  genre 
animé  dans  les  dialectes  algiques  ?  Ainsi  en  Abénaki  sipsissak  «  oiseaux  ». 
de  sipsis  «  oiseau  »  ;  — en  Msissachussei ivosketopaog  «  homines»  de  woske- 
tom  «  homo  ».  Mais  il  en  est  de  même  en  Magyar.  Ex.  :  atyak  «  patres  » 
de  atija  «  pater  ».  Or  ce  dialecte  appartient  à  la  famille  ougro-finnoise. 

Nous  n'entrerons  pas  ici  dans  la  comparaison  des  éléments  Icxicogra- 
phiques  du  Basque  et  des  dialectes  américains  ;  l'étude  de  cette  question  si 
intéressante  mais  si  ardue  mériterait  bien  de  faire  l'objet  d'un  travail 
spécial.  Renonçons  donc  pour  le  moment  à  rapprocher  les  termes  eus- 
kariens  aita,  «  père  »,  anaïa  «  frères  »,  ora  «  chien  »,  ozkeii  «  dernier  ». 
esku  «  main  »,  hm  «quatre  »,  bortz  «cinq»,  okhitu  «  vieux,  usé  »,  su, 
chu   «  feu  »,  des  termes  correspondants:  Cri,  otta  «  patcr  »;  Algonkin, 


588  ANTHROPOLOGIE 

kânis  «  frater  »;  Narangansett,  Aroum  «  canis  »;  Algonkin,  chkoué 
«  ultimus  »  ;  Shawano,  neshka  «  manus  »  ;  Canadien,  rau  «  quatuor  «  ; 
Sankhikhan,  parénach  «  quinque  »  ;  Algonkin,  kété,  et  Chippeway,  kitis 
«  antiquus,  pristinus  »;  Montagnais,  choutou,  et  Skoffîe,  chkoutou;  «  ignis  ». 
Toutes  ces  analogies,  pour  offrir  une  valeur  scientifique  sérieuse,  demande- 
raient à  être  appuyées  sur  des  lois  phonétiques  nettement  déterminées. 

Par  exemple,  il  nous  sera  permis  de  faire  remarquer  que  le  système  de 
numération  du  Basque,  comme  celui  du  Berber  et  des  langues  améri- 
caines semble  avoir,  à  l'origine,  été  quinaire.  Aujourd'hui,  encore,  certains 
dialectes  kabyles,  tout  comme  le  Mexicain,  disent  cinq-un  pour  siœ,  cinq- 
deux  pour  sept  et  ainsi  de  suite.  D'autre  part,  en  Euskara,  tous  les 
noms  de  nombre  supérieurs  à  cinq  apparaissent  caractérisés  par  une 
finale  vraisemblablement  dérivative  /  ou  tsi  dont  les  précédents  sont  dé- 
pourvus. Enfin,  dans  les  dialectes  algiques,  les  termes  numéraux  de  six 
à  neuf  inclusivement  dérivent  visiblement  des  unités  inférieures.  Par 
exemple,  le  Minsi  formera  nishoush  «  sept  »,  de  nisha  o  deux  »;  le 
Montagnais  donne  nestash  «  huit  »,  de  nest  «  trois  ».  Ceci  nous  autorise- 
rait peut-être  à  établir  une  parenté  entre  le  Zénaga  nchinan  ou  nchickan 
«  deux  »  et  les  formes  nishish,  nitchich,  nisha,  qui,  en  Montagnais,  Skof- 
fie  et  Minsi  indiquent  le  même  nombre.  Le  n  initial  aura  fait  tomber 
la  sifflante  ou  chuintante  qui  suit.  D'ailleurs,  les  autres  dialectes  berbers 
ont  tous  conservé  la  forme  primitive  sin  ou  sen.  Quant  au  n,  on  ne  sau- 
rait guère  douter  qu'il  ne  constitue  une  lettre  purement  adventice.  Nous 
lui  voyons  souvent  jouer  ce  rôle  dans  les  dialectes  canadiens.  C'est  ainsi 
que  le  Skoffîe  pagsok  «  un  »  devient  ngouté  en  Minsi  et  nekôte  en  Illinois. 

Mais  il  est  temps  de  clore  ce  trop  long  mémoire  et  de  nous  résumer. 
Les  affinités  qui  se  manifestent  entre  le  Basque  et  le  Berber,  d'une  part, 
et,  de  l'autre,  les  dialectes  canadiens  ne  semblent  guère  de  celles  que  peut 
produire  le  pur  hasard  et  la  façon  la  plus  satisfaisante  de  les  expliquer 
consiste,  sans  aucun  doute,  à  rattacher  toutes  ces  langues  à  un  ancêtre  com- 
mun, disparu  depuis  bien  des  siècles.  L'antiquité  prodigieuse  à  laquelle 
remonte  la  dispersion  des  peuples  qui  les  parlent  nous  rend  compte  des 
différences  énormes  qu'elles  présentent  au  point  de  vue  du  lexique.  Ajou- 
tez à  tout  ceci  l'influence  exercée  sur  les  dialectes  berbers  par  le  Punique 
et  l'Arabe,  celle  du  Gaulois  et  des  idiomes  latins  sur  le  Basque. 

Que  les  deux  rives  opposées  de  l'Atlantique  aient  été  peuplées  dès  l'ori- 
gine, par  des  peuples  de  même  race,  cela  n'offre  rien  de  bien  étonnant,  si 
l'on  admet  avec  plusieurs  géologues  et  naturalistes  contemporains  l'exis- 
tence, pendant  l'époque  glaciaire,  d'Une  langue  de  terre  unissant  le  nord 
de  l'Europe  à  l'Amérique  orientale.  Au  reste,  tout  nous  porte  à  faire  déri- 
ver d'une  source  commune  l'ensemble  des  dialectes  du  Nouveau-Monde 
étudiés  jusqu'à  ce  jour.  Il  se  passe  pour  eux  ce  qui  a  lieu  pour  les  langues 


GUILBEAU.    —  l'eSKAL-HERRIA    OU    PAYS   BASQUE  580 

sibériennes  et  tartares  :  elles  offrent,  en  quelque  sorte,  une  physionomie 
commune,  ont  à  peu  près  la  même  syntaxe,  leurs  pronoms  présentent  de 
frappantes  analogies.  Le  dictionnaire,  il  est  vrai,  diffère  prodigieusement 
de  groupe  à  groupe  ;  mais  ne  convient-il  pas  de  voir  là  simplement  la 
preuve  que  leur  séparation  remonte  très  haut  dans  le  cours  des  âges  ? 

Peut-être  quelques  érudits  se  refuseront-ils  obstinément  à  admettre  la 
possibilité  d'une  parenté  quelconque  à  établir  entre  leZouaouaou  leTama- 
chek,  qui  sont  des  idiomes  à  flexion  et  le  Basque  ou  l'Algonkin,  lesquels 
n'ont  pas  dépassé,  assure-t-on,  le  stage  de  l'agglomération.  Est-ce  que  les 
dialectes  de  l'Iénisséi,  chez  lesquels  se  manifeste  un  système  de  flexion 
quelque  peu  comparable  à  celui  des  idiomes  sémitiques,  ne  présentent 
pas  une  étroite  affmité  avec  le  Coréen  et  l'Aïno,  essentiellement  agglomé- 
rants ?  N'a-t  on  pas  des  motifs  sérieux  de  rapprocher  les  dialectes  cauca- 
siens si  voisins  de  la  flexion  du  Chinois  et  du  Tibétain,  types  des  langues 
isolantes?  En  définitive,  il  en  est  du  linguiste  qui  prétend  juger  de  ce 
qui  s'est  passé  à  l'origine  des  temps  par  ce  qui  se  produit  aujourd'hui 
comme  du  géologue  désireux  de  nous  expliquer  la  constitution  de  l'inté- 
rieur du  globe.  Ils  ne  peuvent  avoir  qu'une  seule  certitude,  c'est  que  les 
choses  se  sont  produites  tout  autrement  qu'ils  ne  l'imaginent. 


M.  &ÏÏILBEATJ 

à  Saint-Jean-de-Luz. 


L'ESKAL-HERRIA  OU  PAYS  BASQUE  —  HISTORIQUE  ET  LINGUISTIQUE 


—  Séance  du  16  septembre  1892  — 

Frappé  de  la  marche  rapide  avec  laquelle  la  langue  basque  disparaît 
sur  certains  points  du  sol  ibérique,  et  voulant  laisser  à  ceux  qui  viendront 
après  nous  un  document  autiientique  constatant  cet  envahissement  du 
pays  basque  par  les  langues  hétérogènes,  nous  avons  dressé  une  carte  du 
Pays  Basque  sur  laquelle  nous  avons  indiqué,  par  des  lignes,  des  zones  et 
des  couleurs  spéciales.  les  différentes  contrées  où  ; 

i"  La  langue  basque  est  encore  Tidiome  courant,  usuel,  dominant  des 
habitants. 


o90  ANTHROPOLOGIE 

2"  La  langue  erdarienne  (i)  a  remplacé  en  grande  partie  l'idiome 
basque,  c'est-à-dire  le  langage  primitif  des  indigènes,  que  les  vieux  seuls 
parlent  encore,  mais  qui  tend  à  disparaître  complètement  du  territoire 
qu'ils  habitent. 

3"  Les  habitants,  jadis  Basques,  parlaient  la  langue  basque,  laquelle 
de  nos  jours  y  est  complètement  inconnue. 

On  voit,  par  ce  qui  précède,  que  nous  avons  établi  sur  notre  carte 
trois  zones  distinctes  : 

1*^  La  zone  vraie  et  purement  basque  ; 

'2°  La  zone  mixte  ; 

3°  La  zone  jadis  basque,  aujourd'hui  complètement  erdarienne. 

La  tâche  entreprise  par  nous  ne  nous  paraissait  pas  bien  ingrate  au 
début,  et  nous  étions  loin  de  penser  que  nous  rencontrerions  tant  de  dif- 
ficultés pour  mener  à  bonne  fin  notre  travail.  Nous  ne  connaissions  de 
la  question  que  ce  que  le  regretté  D""  Broca  a  dit  dans  sa  brochure  et  sa 
carte  linguistique  qui  l'accompagne  ;  mais,  comptant  sur  quelques  amis 
dévoués  pour  contrôler  notre  travail  et  la  connaissance  personnelle  d'une 
portion  du  pays  basque,  nous  nous  élançâmes  résolument  à  travers  les 
obstacles  avec  l'espoir  de  combler  une  lacune  et  d'ajouter  peut-être  à  notre 
tour  une  pierre  de  plus  au  monument  historique  de  l'antique  Ibérie. 

Entrons  maintenant  sans  autre  préambule  dans  quelques  détails  et  sui- 
vons la  ligne  noire  de  notre  carte,  cette  ligne  qui  sépare  la  première  zone 
de  la  deuxième,  c'est-à-dire  celle  qui  limite  la  zone  vraie  et  purement 
basque  et  où  la  langue  basque  est  parlée  couramment  par  les  habitants. 
La  deuxième  et  la  troisième  zone,  teintées  en  lilas  foncé  et  clair,  nous 
indiqueront,  par  la  gradation  de  la  couleur,  le  territoire  plus  ou  moins 
perdu  par  la  langue  basque. 

ESPAGNE 

BISCAVt;  —  ALAVA  NAVAUIŒ  —  GUIPUZCOA 

BISCAYE 

En  Biscaye,  le  Nervion  a  arrêté  longtemps  l'irruption  castillane,  et,  de 
nos  jours,  c'est  à  peine  si  quelques  villages,  assis  sur  la  rive  droite  de  ce 
fleuve,  ont  élé  envahis  par  la  langue  castillane,  chassant  l'idiome  basque 
devant  elle. 

Bilbao  n'a  pas  résisté  à  cette  marche  en  avant  de  la  langue  espagnole. 
Peu  de  personnes,  en  effet,  parlent  aujourd'hui  dans  cette  ville  la  langue 
primitive  du  territoire  basque. 

Le  grand  commerce  que  fait  cette  cité  y  a  attiré  tant  d'étrangers,  de 

(U  Erdarienne,  erdara  :  le  Basque  nomme  ainsi  loute  langue  étrangère  el  non  basque. 


GUILBEAU.    l'eSKAL-HERRIA    OU    PAYS    BASQUE  591 

nationalités  si  différentes,  qu'elle  a  perdu  de  nos  jours  jusqu'à  sa  vieille 
physionomie  ibérienne  et  l'idiome  basque. 

Le  district  de  Balmaseda,  sis  au  sud-ouest  de  la  Biscaye  et  formant  un 
territoire  connu  sous  le  nom  de  «  las  Encartaciones  »,  a  complètement 
perdu  la  langue  basque.  On  peut  en  dire  autant  des  vallées  et  contrées 
de:  Orduna,  Abaudo,  Arcentales,  Arracundia,  Baracaldo,  Galdames, 
Oordejuela,  Guenes,  Miravalles,  Musquiz,  Portugalete,  San  Salvador,  San- 
turce,  Sestao,  Sopuesto,  Trucios,  Zollo  et  Zalla,  dont  la  population,  y 
compris  celle  de  Balmaseda,  est  d'environ  30.000  habitants,  sur  lesquels 
on  trouve  à  peine  2.000  Basques,  et  encore  ce  sont  quelques  vieux  qui 
parlent  quelquefois  la  langue  des  ancêtres. 

Toutefois,  à  Baracaldo,  il  y  a  environ  trente  ans,  on  parlait  couram- 
ment Tidiome  basque,  et  il  y  a  quelques  années,  les  vieux  disaient  l'avoir 
parlé  dans  leur  enfance  à  Galdames  et  Guenes. 

Dans  le  reste  de  la  Biscaye,  la  population  parle  la  langue  basque,  et 
sur  environ  183.098  habitants,  il  y  en  a  28.000  qui  ne  parlent  pas  le 
basque.  Si  on  ajoute  à  cela  6.000  étrangers  environ,  on  aura  149.098  ha- 
bitants parlant  l'idiome  basque  dans  toute  la  province. 

ALAVA 

La  langue  usuelle  de  l'Alava  est  la  langue  castillane,  à  l'exception  tou- 
tefois des  Ayuntamientos  d'Aramayona  (qui  est  totalement  basque),  de 
Cigoitia  et  de  Villaréal  :  ces  deux  derniers  sont  aussi  Basques,  mais  d'une 
manière  moins  générale. 

En  effet,  à  Aramayona,  sur  2.428  habitants,  2.370  parlent  la  langue 
basque. 

A  Cigoitia,  sur  1.763  habitants,  1.100  seulement  la  parlent. 

Enfin,  à  Villaréal,  sur  2.000  habitants,  1.500  parlent  encore  l'idiome 
basque. 

La  province  de  l'Alava  n'a  pas  été  protégée  par  l'Ebre,  comme  la  Bis- 
€aye  l'a  été  par  le  Nervion,  et  l'envahissement  de  la  langue  castillane  ne 
paraît  s'être  arrêté  sur  le  territoire  Alavais  que  devant  les  massifs  et  les 
sierras  de  San  Adrian  et  Elguea,  le  puerto  d'Arlaban  et  la  pena  de  Gorbea, 
remparts  élevés  par  la  nature  et  qui  séparent  l'Alava  de  la  Biscaye  et  du 
Guipuzcoa. 

Vittoria,  capitale  de  la  province  d'Alava,  portait,  en  1181,  le  nom  de 
Gasteiz,  dénomination  basque  qui  indique  son  origine  ibérienne. 

Au  xvn'^  siècle,  déjà,  les  habitants  des  sierras  de  Encia,  Orbasa,  Loquiz, 
Isquiz,  des  vallées  d'Arana,  Campezu,  Contrasta,  Penacerrada  et  la  Rioya 
avaient  complètement  perdu  la  langue  basque. 

Au  commencement  du  xvni<^  siècle,    à  Nanclares  et  au   sud  de  Vit- 


592  ANTHROPOLOGIR 

toria,  à  deux  lieues  et  demie  de  la  Castille,  on  parlait  encore  basque. 

A  la  même  époque,  la  Ribéra  Alla,  Berguenda,  Saliuas,  Valdegobia 
avaient  perdu  l'idiome  basque. 

Enfin,  depuis  le  commencement  de  ce  siècle,  les  vallées  d'Ayala  et 
Oquendo  assistent  à  l'agonie  de  la  langue  basque  qui  disparaît  insensi- 
blement. Seul,  â  Llodio  encore,  le  basque  est  parlé  couramment  par  les 
habitants,  qui  luttent  contre  l'irruption  de  la  langue  castillane. 

D'après  la  dernière  statistique  provinciale,  il  y  a  à  peine,  en  Alava, 
12.000  Basques  sur  une  population  de  près  de  94.94o  habitants.  Ces  chiffres 
prouvent  surabondamment  que,  dans  cette  province,  l'envahissement  cas- 
tillan a  fait  des  progrès  meurtriers  et  irréparal)les. 

NAVARRE 

En  Navarre,  le  territoire  perdu  par  la  langue  basque  est  considérable. 
Il  peut  être  évalué  à  plus  du  tiers  de  la  surface  primitivement  occupée  par 
elle  depuis  moins  de  deux  siècles.  Au  commencement  de  ce  siècle,  à  Estella 
en  Basque,  Ithurriza,  Puente  la  Reyna  en  Basque,  Garesa,  Obanos,  où  les 
maisons  portent  des  noms  et  des  appellations  basques,  et  dans  les  envi- 
rons de  ces  villes,  la  langue  basque  était  la  langue  courante  des  habitants. 
A  Tafalla  et  même  Olite,  l'idiome  basque  a  été  anciennement  parlé. 

Il  y  a  environ  un  siècle,  dans  les  vallées  de  Orba,  Izagaoudoa,  Ibar- 
goiti,  la  partie  sud  de  Songuida,  Guesalaz,  la  partie  sud  de  Echauri,  la 
langue  basque  avait  complètement  disparu.  Il  en  était  de  même  de  la 
vallée  d'Anso  qui,  jadis  basque,  ne  l'est  plus,  ainsi  que  du  territoire 
compris  entre  l'Ezca,  affluent  de  l'Aragon,  le  Roncal,  les  rivières  Salazar 
et  Irati,  où  la  langue  castillane  a  détrôné  entièrement  l'idiome  basque, 
qui  ne  se  conserve  et  ne  se  maintient  en  Navarre  dans  son  intégrité  que 
dans  les  vallées  de  Roncal,  Salazar,  Aezcoa,  Bastan,  et  les  trois  villages 
d'Echalar,  Urdas  et  Zugaramurdy  (placés  entre  les  Pyrénées  et  le  Bastan), 
Bidasoa,  Burrunda,  Araquil  et  tout  le  territoire  compris  entre  lesdites 
vallées  et  une  ligne  courbe  située  au  sud  de  la  Cordillère  de  Velate,  à  peu 
près  perpendiculairement,  partant  du  pic  San  Donato  et  passant  à  cinq 
ou  six  kilomètres  au  nord  de  Pampelune  et  de  Aoiz. 

A  Arlazcotz,  Izu  et  les  environs  situés  à  l'ouest  de  Pampelune,  les 
paysans  et  les  ouvriers  nés  au  milieu  de  ce  siècle  parlent  encore  entre 
eux  l'idiome  basque,  mais  c'est  tout.  Çà  et  là,  dans  quelques  villages  ou 
hameaux,  on  rencontre  bien  quelques  vieux  aux  cheveux  blancs  parlant 
ou  comprenant  le  basque,  mais  c'est  l'exception. 

Enfin,  constatons  que  pour  la  Navarre,  les  montagnes  d'Urbasa  et  d'Andia 
ont  arrêté  la  pénétration  du  castillan  plus  avant.  Mais  c'est  évidemment 
un  temps  d'arrêt  plus  ou  moins  long  qui,  fatalement,  aura  un  terme. 


GUILBEAU.    —    l'eSKAL-HERRIA    OU    PAYS    BASQUE  393 

Pampelune,  capitale  de  la  Navarre,  en  basque  Iruùa,  est  une  ville  où 
la  langue  basque  n'est  parlée  que  par  une  infime  minorité  ;  c'est  le  cas 
de  Bilbao  et  un  peu  aussi  celui  de  San  Sébastian  en  Guipuzcoa. 

GLIPUZCOA 

Le  Guipuzcoa,  enclavé  entre  la  mer,  la  Biscaye,  l'Alava,  la  Navarre,  le 
pays  basque  français  et  protégé,  par  conséquent,  par  eux,  conserve  sur  tout 
son  territoire  la  langue  basque  dans  toute  son  intégrité  et  sa  pureté. 
Seules  quelques  villes  ;  Saint-Sébastien,  Iron  et  peut-être  Tolosa  un  peu 
aussi,  voient  de  jour  en  jour  les  jeunes  générations  déserter  la  langue 
maternelle  pour  parler  le  castillan.  A  cela  près,  on  peut  dire  que  le  Gui- 
puzcoa est  essentiellement  basque,  et  par  la  langue,  et  par  ses  mœurs,  et 
par  la  tradition.  Il  est,  du  reste,  cité  comme  tel  par  les  auteurs  si  nom- 
breux qui  l'ont  visité  et  qui  ont  écrit  des  pages  si  belles  sur  les  indigènes 
de  la  province  qui  représentent,  encore  de  nos  jours,  le  vrai  type  des 
descendants  des  anciens  Ibères,  souche  incontestable  du  peuple  euskarien. 

FRANCE 

LABOLRD  —  BASSE-NAVARRE  —  SOULE 

Pour  le  peuple  basque  français,  nous  avons  conservé  l'ancienne  divi- 
sion par  districts,  qui  étaient  au  nombre  de  trois,  savoir  :  le  Labourd,  la 
Basse-Navarre  et  la  Soûle,  lesquels  forment  aujourd'hui  les  arrondisse- 
ments de  Bayonne  et  de  Mauléon. 

La  Basse-Navarre,  à  son  tour,  était  divisée  en  trois  communautés 
appelées  : 

l*'  Le  pays  de  Mixe,  au  nord  ; 

2°  Le  pays  de  Cize,  au  sud  ; 

3°  La  communauté  d'Ostabaret,  au  centre. 

L'arrondissement  de  Bayonne  comprend  l'ancien  district  du  Labourd 
et  quelques  communes  de  la  Basse-Navarre  qui  sont  du  sud  au  nord  : 
Meharin,  Saint-Esteben,  Saint-Martin,  Isturitz,  Ayherre  et  Bardos,  situées 
sur  la  limite  des  deux  districts  précités. 

La  Soûle  et  la  Basse-Navarre  ont  formé  l'arrondissement  de  Mauléon. 
Il  y  a  lieu  d'observer  encore  ici  qu'une  commune,  celle  de  Montory,  vil- 
lage béarnais  qui  ne  faisait  pas  partie  de  la  Soûle,  a  été  incorporée  dans 
l'arrondissement  de  Mauléon,  tandis  qu'Esquiule,  village  basque  et  de 
l'ancienne  Soûle,  Ta  été  dans  l'arrondissement  d'Oloron.  Esquiule  est  la 
seule  commune  basque  dudit  arrondissement. 

La  ligne  basque  limitant  la  première  zone  a  peu  varié  sur  le  territoire 
français,  et  les  changements  survenus  sont  très  légers.  A  peine  quelques 
hameaux  msignifiants,  où  jadis  l'unanimité  des   habitants  parlaient   la 

38* 


594  ANTHROPOLOGIE 

langue  basque,  ont  vu  le  patois  gascon  faire  son  apparition.  Mais  cet  enva- 
hissement est  tellement  insignifiant  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  s'y  arrêter.  C'est 
pour  ce  motif  que  nous  n'avons  pas  établi  en  France,  sur  notre  carte,  la 
deuxième  et  la  troisième  zone,  qui  n'ont  pas  leur  raison  d'être,  attendu 
que  le  Basque  conserve  toujours  en  maître  le  territoire  primitivement 
occupé  par  lui  sur  le  sol  français. 

Nous  avons  indiqué,  sur  notre  carte,  les  montagnes,  fleuves,  rivières 
et  cours  d'eau  du  territoire  basque  qui  ont  une  certaine  importance  au 
point  de  vue  lopographique,  historique  ou  linguistique,  ainsi  que  les  villes, 
villages  et  agglomérations  importants  et  les  hameaux  et  bourgades  les 
plus  connus. 

En  jetant  un  coup  d'œil  sur  l'Eskal-Herria,  on  voit  l'ensemble  du  pays 
basque,  tant  français  qu'espagnol,  traversé  par  la  cordillère  des  Pyrénées 
et  limité  par  le  Nervion,  l'Èbre  avec  ses  aflluents  et  les  sierras  d'Urbasa 
en  Espagne,  l'Adour  et  le  gave  d'Oloron  en  France. 

Ce  cercle,  vrai  il  y  a  quelques  années,  se  rétrécit  tous  les  jours  et  tout 
fait  craindre  qu'il  ne  diminue  encore  rapidement  sous  la  poussée  cons- 
tante du  flot  erdarien. 

Avant  de  terminer  cette  esquisse,  nous  croyons  devoir  dire  un  mot  sur 
les  causes  : 

1°  De  la  disparition  si  rapide  de  la  langue  basque  en  Alava,  en  Navarre, 
et  un  peu  aussi  en  Biscaye  ; 

2°  De  la  conservation  de  la  langue  basque  sur  le  territoire  français. 

ESPAGNE 

CAUSES  DE  LA  DISPARITION  DE  LA  LANGUE  BASQUE  DANS  LES  PROVINCES 
DE  l'aL  VVA,  DE  LA  NAVARRE  ET  DE  LA  BISCAYE 

Le  gouvernement  espagnol  avait  un  intérêt  politique  réel,  capital,  à  faire 
disparaître  certaines  traditions  et  certains  privilèges  «  fueros  »  qui  em- 
pêchaient, dans  les  provinces  basques,  l'établissement  de  l'égalité  natio- 
nale. L'absorption  de  l'élément  basque  lui  était  nécessaire  pour  assimiler 
ces  provinces  aux  autres  provinces  de  l'Espagne.  11  est  incontestable  que 
la  langue  basque  était,  à  son  point  de  vue,  un  sérieux  obstacle  à  celte 
unilication,  à  cette  transformation  poursuivie  par  lui.  Il  a  donc  tout  fait 
pour  que  l'invasion  castillane  triomphât  dans  les  provinces  vascongades. 
Il  y  a  longs  jours  qu'il  avait  décrété  l'obligation  de  la  langue  espagnole 
dans  toutes  les  écoles  du  royaume.  Le  catéchisme  même  s'apprend  en 
castillan  depuis  longtemps  dans  les  écoles  du  pays  basque  espagnol,  malgré 
la  résistance  platonique  du  clergé. 

D'un  autre  côté,  la  pénétration  de  la  langue  castillane  dans  le  pays 
basque  espagnol  a  été  aussi  favorisée  par  la  facilité  de  la  langue  espa- 


GUILBEAU.    —   l'eSKAL-JIERIUA    OU    PAYS    BASQUE  gtJo 

gnole  qui  s'apprend  sans  professeur  et  se  parle  sans  grandes  difficultés. 
Les  centres  populeux,  industriels  et  commerçants;  comme  Bilbao,  Pam- 
pelune,  Yiltoria,  etc.,  ont  fait  tache  d'huile  autour  d'eux. 

Demain,  ce  sera  le  tour  de  Saint-Sébastien,  Iron,  Tolosa,  etc.,  où  l'élé- 
ment castillan  et  les  fonctionnaires,  pour  la  plupart  étrangers  au  pays, 
feront  perdre  à  ces  dernières  villes,  avec  leur  cachet  d'originalité  ibé- 
rienne,  la  langue  que  leurs  enfants  ont  murmurée  sur  les  genoux  de  leurs 
mères. 

FRANCE 

CAUSES  DE  LA  CONSERVATION  DE  L.V  LANGUE  BASQUE 
SUR  LE  TERRITOIRE  FRANÇAIS 

La  difficulté  de  la  langue  française,  jointe  à  la  fréquentation  assez  irré- 
gulière des  écoles  dans  le  pays  basque  français,  a  empêché  l'envahisse- 
ment de  ce  dernier  par  la  langue  française  et  a  beaucoup  contribué  à  la 
conservation  de  l'idiome  basque  sur  presque  tout  le  territoire  primitive- 
ment occupé  par  lui  sur  le  territoire  français.  D'un  autre  côté,  une  répu- 
gnance quasi  innée]  du  paysan  basque  pour  le  patois  gascon  a  été  aussi 
un  facteur  puissant  pour  empéclier  la  pénétration  de  ce  dernier  dans  les 
hameaux  limitrophes  du  pays  basque.  Enfin,  le  clergé  basque  a  aussi  puis- 
samment contribué  en  France  à  la  conservation  de  la  langue  euskarienne, 
des  mœurs  et  des  coutumes  basques. 

Les  populations  basco-françaises  sont,  en  général,  très  jalouses  de  leur 
langue  maternelle,  et  dans  certaines  familles  instruites,  on  tient  à  honneur 
de  la  conserver  religieusement  et  de  lui  prolonger  l'existence.  L'unité 
politique  et  administrative  existe  en  France  depuis  un  siècle,  et  le 
Basque,  tout  en  servant  sa  patrie  d'adoption,  a  conservé  ses  us,  coutumes 
et  les  traditions  ibériennes  au  milieu  de  ses  belles  montagnes. 

LANGUE  BASQUE 

La  langue  basque,  parlée  par  le  petit  peuple  qui  habite  les  vallées  et 
les  versants  septentrionaux  et  méridionaux  des  Pyrénées  occidentales, 
possède  quatre  dialectes  bien  distincts  :  le  guipuzcoan  et  le  biscayen  en 
Espagne  ;  le  labourdin  et  le  Souletin  en  France. 

Nous  négligeons  ce  que  certains  philologues  désignent  par  sous-dia- 
lectes ou  dialectes  mixtes.  En  effet,  toutes  ces  nuances. appartiennent  à 
la  même  langue,  au  même  idiome.  C'est  le  même  mécanisme  qui  préside 
dans  chaque  dialecte  à  toutes  les  combinaisons  synthétiques.  Si  le  gui- 
puzcoan a  son  cachet  respectueux,  poétique  et  quelquefois  fleuri,  le 
labourdin  possède  au  plus  haut  degré  la  vigueur,  la  gravité  et  l'élévation 
du  genre  biblique. 


S96  ANTHROPOLOGIE 

Les  dialectes  euskariens  ne  sont  que  les  branches  du  même  tronc 
basque,  à  racines  séculaires  qui  se  perdent  dans  la  nuit  des  temps  et  dont 
les  rameaux  ombragent  les  secrets  et  les  arcanes  d'un  passé  mystérieux 
et  impénétrable. 

Quelques  années  encore,  quelques  siècles  au  plus,  et  l'idiome  basque, 
ce  monument  aussi  ancien  que  le  monde,  ne  sera  qu'une  ruine  imposante 
que  les  savants  de  l'avenir  fouilleront  et  scruteront  pour  lui  arracher  les 
secrets  de  sa  belle  structure  et  de  sa  richesse  onomatopéique.  Sa  décli- 
naison si  simple  et  à  déterminatives  si  variées,  ainsi  que  sa  conjugaison 
si  remarquable  par  ses  désinences  et  ses  contractions  euphoniques,  suffi- 
raient à  elles  seules  à  immortaliser  tout  un  peuple,  dont  la  genèse  sera 
longtemps  encore  l'objet  des  méditations  et  des  recherches  des  philosophes 
et  des  philologues  modernes. 

'  Saluons-le  avec  respect  avant  qu'il  ne  disparaisse,  emportant  dans  son 
tombeau  le  secret  de  l'origine  d'un  peuple  jadis  si  puissant,  si  fier,  et 
toujours  si  indépendant  que  les  Romains  eux-mêmes,  dans  leurs  grands 
jours  de  victoire,  n'ont  pu  soumettre  à  leurs  lois. 

POPULATION  BASQUE  —  RECENSEMENT 

Le  dénombrement  de  la  population  basque,  fait  trois  fois  depuis  moins 
de  cinquante  ans  sur  divers  points  du  pays  basque  et  par  des  auteurs 
différents  et  impartiaux,  est  loin  de  concorder.  Nous  donnons  ici  ces 
divers  recensements  sans  commentaires  : 

En  1857.  —  Francisque  Michel,  dans  son  Pays  Basque,  ouvrage  remar- 
quable à  plus  d'un  titre,  donne  un  total  de  83o.000  Basques,  soit: 

Pour  l'Espagne  ....     700.000 
Pour  la  France  ....       35.000 

En  1867.  —  Dix  ans  après,  un  autre  recensement,  relaté  dans  l'ou- 
vrage de  Ladislao  de  Yelasco,  donne  : 

Pour  l'Espagne  ....     491.098 
Pour  la  France  ....       80.000 

Enfin,  en  1875.  —  Lagrèze,  un  érudit  bien  connu  dans  le  monde 
savant,  donne,  dans  son  ouvrage  la  Navarre  française  : 

Pour  l'Espagne  ....     4i0.000 
Pour  la  France  ....     116.000 

En  Espagne  comme  en  France,  des  amis  dévoués  nous  ont  accordé 
leur  concours  le  plus  efficace  et  nous  dirons  même  le  plus  désintéressé 
pour  la  confection  de  notre  carte  du  pays  basque  historique  et  linguistique. 


A.    DUMONT.  —    XATALITK    DES    BASQUES   DE    BAÏGORRY  o97 

Nous  leur  adressons  ici  le  témoignage  de  notre  reconnaissance  pour 
leur  précieuse  collaboration.  Sans  eux,  cette  carte  n'aurait  jamais  vu 
le  jour.  Grâce  à  eux,  elle  a  paru  et  elle  vivra  longtemps,  nous  l'espérons 
du  moins. 


M.  Arsène  DÏÏMONT 

Membre  de  la  Société  d'Anthropologie  de  Paris. 


NATALITE  DES  BASQUES  DE  BAÏGORRY 


—  Séance  du  16  septembre  iS92  — 

La  11®  Section  du  Congrès  de  Pau  avait  mis  à  son  ordre  du  jour  la 
question  basque  avec  les  divisions  suivantes  : 

i°  Histoire  et  origine  du  peuple  basque; 

2°  Ses  caractères  anthropologiques  ; 

3°  Son  langage  ; 

4°  Ses  traditions  populaires  ou  folklore. 

Ce  programme  omettait  la  démographie. 

Cependant  c'est  par  la  démographie  que  l'anthropologie  se  relie  à  la  so- 
ciologie scientifique  à  laquelle  elle  sert  de  base,  par  elle  seule  qu'elle  prend 
jour  sur  l'avenir.  Par  la  portée  sociale  des  faits  qu'elle  met  en  lumière 
et  les  grands  problèmes  qu'elle  contribue  à  résoudre,  elle  en  forme  le 
complément  indispensable.  Sans  elle,  l'anthropologie  ne  pourrait  parvenir 
à  cette  utilité  pratique  qui  est  le  point  d'aboutissement  de  toute  science. 
Quelle  que  soit  la  collectivité  humaine  dont  on  entreprend  l'étude,  ja- 
mais on  n'en  aura  une  connaissance  entière,  si  l'on  ne  joint  à  celle  de 
son  passé,  celle  de  son  état  actuel,  de  son  organisation  familiale,  de  sa 
natalité,  de  sa  mortalité,  de  sa  tendance  à  l'émigration.  Ainsi  seulement 
on  peut  mesurer  sa  vitalité,  présager  son  avenir,  et  —  point  encore  plus 
important  —  déterminer  ce  qui,  dans  les  particularités  de  son  état  social, 
doit  être  éliminé  comme  nuisible  ou  mérite  d'être  proposé  aux  peuples 
comme  un  modèle  à  imiter. 

Des  collections  de  crânes  et  d'ossements  jusqu'à  la  sphère  vibrante  de 
l'activité  politique,  du  silence  des  cavernes  préhistoriques  jusqu'au  seuil 
des  Chambres  législatives  s'étend  le  domaine  de  l'anthropologie,  et,  quelque 
vaste  qu'il  soit,  nul  ne  peut  le  restreindre  sans  le  mutiler  indûment. 

Au  point  de  vue  démographique,  d'ailleurs,  les  Basques  donnent  lieu  à 
quelques  questions  particulièrement  intéressantes. 


*598  ANTHROPOLOGIE 

On  sait  qu'ils  présentent  avec  les  populations  qui  les  entourent,  notam- 
ment avec  les  Béarnais  et  la  plupart  des  habitants  des  Hautes-Pyrénées, 
une  grande  analogie  sous  presque  tous  les  rapports.  La  forme  du  crâne, 
la  coupe  du  visage,  l'expression  de  la  physionomie,  le  costume  et  la  coif- 
fure sont  à  peu  près  les  mêmes.  Tous  les  membres  du  Congrès  ont  pu 
remarquer  que,  parmi  les  nombreuses  marchandes  de  fruits  et  de  légumes 
rassemblées  chaque  matin  aux  halles  de  Pau,  rien  n'était  plus  difficile 
de  distinguer  une  femme  basque  d'une  béarnaise.  L'on  reconnaît  aisé- 
ment deux  types  :  l'un  brachycéphale  au  nez  concave,  l'autre  dolichocé- 
phale au  nez  busqué.  Ce  dernier  semble  plus  spécial  à  la  région;  mais 
tous  deux  se  rencontrent  pareillement  chez  les  Basques  et  chez  les  Béar- 
nais. Des  deux  parts,  mêmes  traits  fins  et  même  teint  mat,  même  taille 
svelte  et  maigre,  même  démarche  élégante,  mêmes  membres  un  peu 
grêles,  même  coussinet  posé  sur  la  tête  pour  porter  les  fardeaux,  môme 
foulard  enroulé  autour  du  chignon,  mêmes  cheveux  ondes  tout  à  fait 
noirs  ou  très  bruns,  mêmes  dents  petites  et  bien  rangées.  Aux  regards 
exercés  d'un  habitant  du  pays,  un  Basque  se  distingue  seulement  par 
une  démarche  un  peu  plus  lente;  son  alimentation  comprend  un  peu  plus 
de  viande  fraîche  ou  salée. 

La  seule  différence  profonde  est  celle  du  langage.  Entre  le  béarnais, 
qui  se  range  parmi  les  patois  néo-latins,  et  le  basque,  qui  est  un  idiome 
agglutinant,  il  existe  un  abîme.  Le  basque  est  un  îlot  entouré  de  mers 
sans  fond.  On  s'en  aperçoit  dès  qu'on  ouvre  les  registres  de  l'état  civil. 
Pour  le  démographe  habitué  k  voir  passer  sous  ses  yeux  tous  les  noms 
propres  de  la  France,  chaque  province  est  caractérisée  par  une  euphonie 
particulière  qui  parle  à  l'imagination  un  langage  différent.  L'impression 
d'étrangeté  laissée  par  les  noms  basques  est  incomparable. 

La  prédominance  des  lettres  r,  h  ei  g  produit  des  sons  qui  font  songer 
au  raclement  d'une  baguette  sur  un  treillage.  Je  cite  au  hasard  :  Har- 
guindiguy,  Minaberrigaray,  Mendilaharxu,  Irigoïs,  Incangarat,  Etche- 
churry,  Estebera,  Etchégoïnborda,  Etchémendibéhère  que  je  relève  dans 
la  commune  d'Ossès;  Irioïsbéhère,  Indaburu,  Dihursubéhère,  Etchépare, 
Jaxaldibéhère,  Landaburu,  Oronos,  Oxoby,  Ourrancariet,  à  Baïgorry  ; 
Itcaïna,  Bastanchurry,  Inchauspé,  Ihitçaglie,  Saraïberry,  Ithurburu,  Apes- 
teguy,  Etchébarren,  Urquillux,  Arambide,  Caldubéhère,  Erreca,  Espondu, 
Sasoïnchar,  à  Urepel  ;  et  dans  les  autres  communes  :  Chutchurru,  Carri- 
caburu,  Anchordoguy,  Castanchoa,  Dalhagarray,  Erramuspé,  Harismendy, 
Ithurhalde,  Gxandaburu,  Sacodiabéhère,  Oxoteguy,  Anchartéchahar,  An- 
choarena  et  Laharrague.  Nous  sommes  hors  non  seulement  du  monde 
latin,  mais  du  monde  aryen. 

Il  est  extrêmement  rare  de  rencontrer  sur  les  registres  de  l'état  civil 
un  nom  qui  n'ait  pas  la  physionomie  de  ceux-ci.  Le  pays  basque  est  un 


A.    DUMONT.    —    NATALITÉ   DES    BASQUES   DE    BAÏGOnUY  599 

pays  d'émigration,  il  ne  reçoit  pas,  ou  du  moins  notre  canton  ne  reçoit 
pas  d'immigrants  non  Basques.  Il  offre  une  grande  variété  de  noms, 
mais  presque  tous  lui  sont  spéciaux.  Au  reste,  si  l'on  fait  abstraction  de 
la  langue  et  de  l'onomatologie  qui  en  découle,  la  série  des  similitudes 
entre  Basques  et  Béarnais  recommence. 

Au  point  de  vue  social,  elle  est  complète.  Les  uns  et  les  autres  sont 
■également  soumis  à  l'influence  cléricale.  Los  Basques  le  sont  seulement  un 
peu  plus,  vivant  dans  une  ignorance  plus  profonde  et  plus  invétérée.  Les 
fueros  basques  et  les  fors  de  Béarn  sont  des  institutions  présentant  la  plus 
grande  analogie.  Enfin,  chez  les  Basques,  les  Béarnais,  comme  dans  les 
Hautes-Pyrénées,  une  minorité  importante  de  la  population  vit  sous  un  ré- 
gime particulier  de  la  famille  connu  sous  la  dénomination  de  famille-souche. 

Cette  institution,  un  peu  plus  fréquente  chez  les  Basques,  y  régirait 
2o  0/0  environ  de  la  population.  Ses  avantages  et  ses  inconvénients  sont 
particulièrement  intéressants  à  connaître,  et  c'est  à  l'analyse  démogra- 
phique qu'il  appartient  de  les  déterminer. 

«  Dans  la  famille-souche,  dit  Le  Play,  qui  l'a  si  amplement  décrite  et 
vantée,  les  parents  associent  à  leur  autorité  celui  de  leurs  enfants  adultes 
■qu'ils  jugent  le  plus  apte  à  pratiquer,  de  concert  avec  eux,  puis  à  continuer 
après  leur  mort,  l'œuvre  de  la  famille.  Pour  lui  faire  accepter  une  vie  de 
dépendance  et  de  devoir,  et  le  retenir  près  d'eux,  ils  l'instituent,  à  l'époque 
de  son  mariage,  héritier  du  foyer  et  de  l'atelier.  Ils  placent,  d'ailleurs,  au 
premier  rang  des  devoirs  imposés  à  leur  associé  l'obligation  d'élever  les 
plus  jeunes  enfants,  de  leur  donner  une  éducation  en  rapport  avec  la 
condition  de  la  famille,  enfin  de  les  doter  et  de  les  établir  selon  leur 
goût  en  les  dispensant  de  tout  devoir  positif  envers  la  maison-souche. 

<t  Dans  le  cas  oîi  l'héritier  meurt  sans  enfants,  la  veuve,  si  elle  ne  se 
remarie  pas,  continue  à  jouir  dans  la  maison  du  bien-être  assuré  à  tous 
les  membres  célibataires  de  la  famille.  Sur  le  vœu  exprimé  par  la  com- 
munauté, les  membres  établis  hors  du  foyer  n'hésitent  jamais,  dans  ce 
même  cas,  à  quitter  des  situations  plus  avantageuses  pour  remplir  les 
devoirs  de  l'héritier. 

»  Le  testament  du  père  est  la  loi  suprême  de  la  famille  pendant  le  cours 
■de  chaque  génération.  Il  est  habituellement  dressé  en  même  temps  que 
le  contrat  de  mariage  de  l'héritier... 

»  Prise  au  moment  où  l'héritier  se  marie,  la  famille-souche  comprend 
en  général  dix-huit  personnes  :  l'héritier  et  sa  femme  âgés  de  vingt-cinq 
et  de  vingt  ans  ;  le  père  et  la  mère  mariés  depuis  vingt-sept  ans,  âgés 
de  cinquante-deux  et  de  quarante-sept  ans  ;  un  aïeul  âgé  de  quatre-vingts 
ans  ;  deux  parents  célibataires,  frères  ou  sœurs  du  père  de  famille  ;  neuf 
enfants  dont  l'aîné  se  rapproche  par  son  âge  de  l'héritier,  dont  le  plus 
jeune  est  en  bas  âge  et  parfois  à  la  mamelle  ;  enfin,  deux  domestiques. 


600  ANTHROPOLOGIE 

placés  dans  la  famille  par  des  amis  qui  ne  peuvent  employer  chez  eux 
tous  leurs  bras  ou  qui  veulent  assurer  à  leurs  enfants  un  bon  apprentis- 
sage. Les  mères,  pendant  une  période  de  vingt-cinq  ans,  mettent  quelque- 
fois au  monde  jusqu'à  vingt  enfants;  mais  dans  les  conditions  moyennes 
de  fécondité  et  de  mortalité  le  nombre  des  survivants  n'excède  guère  dix 
lors  de  l'avènement  et  du  mariage  du  nouvel  héritier. 

«  Pendant  le  quart  de  siècle  qui  s'écoule  entre  deux  institutions  d'hé- 
ritier, la  famille  comble  les  vides  produits  dans  son  sein  par  la  mort  ou 
l'émigration,  établit  au  dehors  cinq  jeunes  gens...  distribue  sous  forme 
de  dots  une  somme  à  peu  près  égale  à  la  valeur  vénale  du  domaine.  » 

En  dépit  du  code  civil,  cette  organisation  de  la  famille  s'est  maintenue 
jusqu'aujourd'hui.  La  pression  de  l'opinion  publique  a  été  plus  forte  que 
l'intérêt  individuel.  Dans  beaucoup  de  villages,  c'est  un  déshonneur  que 
de  demander  le  partage  égal  et  les  enfants  renoncent  à  leur  droit  par 
crainte  du  blâme  universel. 

Le  Play  voyait  dans  la  famille-souche  une  panacée  sociale,  le  type  idéal 
de  la  famille,  un  moyen  terme  entre  la  famille  patriarcale  et  la  famille 
instable  ;  c'était,  à  ses  yeux,  l'institution  par  excellence  des  peuples  séden- 
taires et  surtout  elle  garantissait  la  fécondité  de  la  race. 

Cette  appréciation,  acceptée  sans  hésiter  par  l'école  de  Le  Play, 
répétée  à  satiété  par  les  publications  .religieuses  et  réactionnaires,  de- 
mandait à  être  vérifiée.  Elle  le  méritait  d'autant  plus  qu'à  l'heure 
actuelle,  la  faiblesse  toujours  plus  grande  de  la  natalité  française  met 
en  péril  l'avenir  de  la  nation,  et  que,  d'autre  part,  elle  ne  semble  pas, 
a  priori,  dépourvue  de  toute  vraisemblance.  Étant  donné  que  l'abaissement 
de  la  natalité  française  provient  de  l'effort  excessif  et  mal  compris  de 
l'individu  vers  son  développement  personnel,  il  n'était  pas  impossible  que 
des  institutions  familiales  moins  individualistes  que  les  nôtres  laissassent 
subsister  une  natalité  plus  considérable. 

La  famille-souche  des  Basques,  en  effet,  loin  d'anticiper  sur  l'avenir, 
n'est  en  réalité,  comme  leur  langue  elle-même,  qu'un  vestige  d'un  très  loin- 
tain passé.  Souvent  encore  aujourd'hui,  «  c'est  l'héritière  qui  fait  entrer 
son  mari  sous  le  nom  de  gendre  dans  la  maison  natale  dont  il  prend  le 
nom  et  à  laquelle  il  apporte  une  dot,  dite  sa  légitime.  »  Quelque  chose 
d'analogue  avait  déjà  été  signalé  chez  les  Cantabres  par  Strabon.  «  Chez 
eux,  dit-il,  ce  sont  les  maris  qui  apportent  une  dot  à  leur  femme  et  ce  sont 
les  filles  qui  héritent  de  leurs  parents  et  qui  se  chargent  du  soin  d'établir 
leurs  frères.  De  pareils  usages  annoncent  le  pouvoir  dont  le  sexe  y  jouit, 
ce  qui,  ajoute-t-il  fort  justement,  n'est  guère  un  signe  de  civilisation.  » 

Le  même  auteur  a  signalé  l'usage  bizarre  de  la  couvade  chez  les  Ibères 
et  il  y  a  deux  siècles  on  en  trouve  encore  des  traces  chez  lès  Béarnais. 
Ces  deux  faits   s'éclairent  l'un  l'autre  :  couvade  et  famille-souche    ne 


A.    DU.MONT.    —    NATALITÉ    DES    BASQUES    DE   BAÏGOBRY  601 

sont  autre  chose  que  des  vestiges  du  matriarcat.  Or,  le  matriarcat  est  au- 
jourd'hui classé  à  sa  vraie  place  dans  la  série  des  formes  de  la  famille. 
Les  trois  grandes  étapes  ont  été  le  clan  communautaire,  la  famille  mater- 
nelle et  le  patriarcat.  «  La  direction  générale  de  l'évolution  de  la  famille 
dans  l'humanité  est  évidente,  dit  M.  Letourneau  (1),  elle  va  d'un  com- 
munisme plus  ou  moins  complet,  du  clan  où  tout  était  solidaire,  à  la 
famille  et  à  l'individu  ayant  leurs  intérêts  propres  et  aussi  distincts  qu'il 
se  peut  de  ceux  des  autres  familles  et  des  autres  individus.  » 

Sur  ce  point  donc  il  ne  peut  plus  subsister  un  doute  :  la  famille-souche 
est  un  reste  de  la  barbarie  du  passé  ;  mais  ce  problème  résolu,  celui  de  son 
influence  bienfaisante  sur  la  fécondité  humaine  subsiste  en  entier.  Les 
civilisations  arriérées  sont  très  compatibles  avec  une  natalité  élevée. 
L'effort  d'une  race  vers  son  développement  en  nombre  est  généralement 
en  raison  inverse  de  l'effort  de  l'individu  vers  son  développement  per- 
sonnel, soit  en  valeur,  soit  en  jouissances.  Les  populations  pauvres  du 
Finistère  ou  des  environs  de  Dunkerque,  les  pauvres  ouvriers  des  manu- 
factures de  Lillebonne,  les  prolétaires  de  Belleville,  les  paysans  russes, 
quelque  différents  qu'ils  soient  sous  tous  rapports,  ont  cela  de  commun 
qu'ils  sont  rivés  dans  une  condition  inférieure,  sans  espoir  d'en  sortir,  et 
tous  ceux  qui  sont  dans  ce  cas  présentent  généralement  une  natalité  con- 
sidérable. 11  eût  donc  paru  assez  naturel,  bien  que  la  natalité  de  l'en- 
semble du  département  des  Basses-Pyrénées  fût  connue  comme  assez 
médiocre,  d'en  supposer  une  plus  élevée  chez  les  Basques,  puisqu'ils 
vivent,  comme  les  Bas-Bretons  et  les  Flamands,  séparés  de  la  civilisation 
centrale,  et  que  leuréloignement,  leur  ignorance,  leur  cléricalisme  et  leur 
langue  forment  un  obstacle  à  peu  près  infranchissable  à  la  communica- 
tion des  idées  et  des  aspirations  modernes. 

C'est  dans  le  but  de  voir  ce  qu'il  en  était  que  je  résolus  d'étudier  le 
canton  de  Saint-Étienne-de-Baïgorry.  Je  le  choisis  parce  que  ses  habitants 
me  semblaient  devoir,  en  raison  de  leur  situation  au  cœur  du  pays  basque 
et  au  milieu  des  montagnes,  de  leur  vie  presque  exclusivement  agricole 
ou  pastorale,  être  les  plus  Basques  des  Basques  et  présenter  toutes  les  parti- 
cularités de  cette  race  avec  leur  maximum  d'intensité.  De  toutes  parts,  j'ai 
reçu  l'assurance  que  je  ne  m'étais  pas  trompé. 

Le  canton  de  Saint-Étienne-de-Baïgorry  forme  un  territoire  rectangu- 
laire borné  sur  les  trois  cinquièmes  de  son  pourtour,  à  l'ouest,  au  sud  et 
dans  la  moitié  sud  de  son  côté  oriental,  par  la  frontière  espagnole.  Dans 
sa  partie  nord  et  est,  il  est  limité  par  les  cantons  français  d'Espeletle, 
d'Iholdy  et  de  Saint- Jean-Pied-de-Port.  En  France,  comme  en  Espagne, 
il  ne  confine  qu'à  des  populations  parlant  la  langue  basque.  Les  commu- 

(H)  Letourneau,  L'£yo^t<«on  de  la  famille,  1  vol.  in.  8°  de  la  Bibliothf-que  anthropologique. 


602  ANTHROPOLOGIE 

nications  sont  d'ailleurs  relativement  difficiles  avec  l'Espagne,  dont  il  est 
séparé  par  des  forêts  et  une  chaîne  de  montagnes  atteignant  déjà,  au 
pic  de  LaurigTia,  une  altitude  de  1.21"  mètres. 

Le  canton  comprend  actuellement  9.764  habitants  et  dix  communes, 
dont  quatre  dans  la  vallée  de  la  Nive  des  Aldudes.  Urepel,  la  plus  méri- 
dionale et  la  plus  élevée,  est  située  à  370  mètres  d'altitude.  Au-dessous  se 
rencontrent  Aldudes,  Banca  et  Saint-Etienne-de-Baïgorry.  Quatre  sont 
situées  sur  la  route  de  Baïgorry  à  Saint-Jean-Pied-de-Port  ;  ce  sont 
Anhaux  et  Irouléguy,  puis  Ascara  et  Lasse  dans  la  vallée  de  la  Nive. 
Plus  au  nord,  c'est-à-dire  à  une  niveau  inférieur,  se  trouvent  Bidarray 
sur  la  Nive  et  Ossès  en  plaine  à  150  mètres  seulement  d'altitude. 

Le  tableau  A  ci-contre  résume  l'état  démographique  de  ces  communes 
pendant  la  décade  1873-1882.  L'absence  ou  la  destruction  d'une  partie 
des  documents  nécessaires  n'a  pas  permis  de  faire  un  travail  aussi  com- 
plet qu'il  eût  été  désirable.  Les  tableaux  annuels  du  mouvement  de  la  po- 
pulation étant  restés  à  la  sous-préfecture  de  Mauléon,  il  n'a  pas  été  possible 
de  calculer  la  proportion  des  naissances  naturelles  pour  le  canton.  On  a 
pu  le  faire  seulement  pour  l'arrondissement  entier,  grâce  aux  tableaux  réca- 
pitulatifs heureusement  conservés  dans  les  bureaux  de  la  préfecture  depuis 
1867.  Cette  circonstance  a  permis,  en  outre,  de  calculer  l'émigration  de  cet 
arrondissement  presque  entièrement  basque  depuis  cette  date  jusqu'en 
1891,  c'est-à-dire  pendant  un  quart  de  siècle.  On  y  a  joint  la  natalité,  la 
nuptialité  et  la  mortalité .  et  l'on  a  formé  de  la  sorte  le  tableau  B,  qui 
complète  et  confirme  le  tableau  A. 

Les  recensements  ayant  été  détruits  (1)  ou  égarés  aux  archives  de  Pau, 
j'ai  dû  relever  sans  le  contrôler  le  chiffre  de  la  population  dans  les 
annuaires.  Les  états  récapitulatifs  ayant  subi  le  sort  des  listes  nominatives, 
il  a  été  impossible  d'établir  la  répartition  de  la  population  par  âge  et  par 
état  civil  et  par  conséquent  le  rapport  des  mariages  aux  mariables.  Ce 
rapport,  indispensable  pour  la  discussion  de  la  nuptialité,  a  été  emprunté 
aux  calculs  de  M.  Bertillon  père,  concernant  le  département  entier,  pen- 
dant la  décade  1856-1865.  De  la  sorte,  le  département  et  l'arrondissement 
suppléant  le  canton,  il  a  été  possible  de  construire  un  travail  qui,  l)ien 
qu'irrégulier  en  lui-même,  aboutit  à  des  conclusions  certaines.  La  simili- 
tude du  canton  avec  l'arrondisement  et  le  département  sous  le  rapport  de 
la  nuptialité,  de  la  natalité  et  de  la  mortalité,  est  très  grande  ;  elle  permet 
d'en  supposer  une  égale  dans  la  proportion  des  naissances  naturelles  et 
de  la  répartition  de  la  population  en  mariés  et  en  célibataires. 

(1)  Une  circulaire  du  ministre  de  l'Instruction  publique,  en  date  du  12  aoùl  1887,  autorise  les 
archivistes  des  départements  à  détruire  au  bout  de  six  ans,  comme  papiers  inutiles  (l),  les  tableaux 
dressés  dans  les  mairies  pour  les  recensements  quinquennaux.  —  Le  Confirès  de  Pau,  dans  sa 
séance  générale  du  22  septembre,  a,  sur  ma  proposition,  émis  un  vœu  invitant  le  ministre  compé- 
tent à  abroger  cette  mesure  désastreuse. 


A.     DIMONT.    —    NATALITÉ    DES    BASQUES    DE    BAÏGOBRY 


603 


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604  ANTHROPOLOGIE 

l"  Perte  de  population. —  Le  canton  de  Baïgorry,  d'après  les  annuaires 
du  département,  comptait  12.852  habitants  en  1831  et  13.471  en  1841. 
C'est  le  point  culminant  de  la  population  dans  ce  canton.  Depuis  lors, 
elle  n'a  cessé  de  décroître  de  cinq  ans  en  cinq  ans  et  lors  du  dernier  recen- 
sement, elle  n'était  plus  que  de  9.704  habitants.  Elle  n'avait  donc  di- 
minué, en  cinquante  ans,  de  3.707  habitants,  soit  un  peu  plus  d'un 
quart.  Cette  dépopulation,  toute  considérable  qu'elle  soit,  est  fréquemment 
dépassée  dans  les  communes  rurales.  C'est  ainsi  que  nous  avons  rencontré 
à  l'autre  extrémité  de  la  France  des  communes,  telles  que  Saint-Germain- 
des-Vaux  et  Omonville-la-Petite  (Manche),  qui  ont  perdu  dans  le  même 
laps  de  temps  plus  de  moitié  de  leur  population. 

Si  l'on  examine  le  tableau  B,  on  voit  que,  dans  l'arrondissement  entier, 
la  dépopulation  n'a  commencé  que  cinq  ans  plus  tard,  à  partir  de  1846. 
Elle  y  a  été,  du  reste,  un  peu  moins  considérable  puisqu'elle  n'a  pas  enlevé 
tout  à  fait,  pendant  ces  quarante-cinq  ans,  le  quart  de  la  population. 

Il  est  à  remarquer  que  la  dépopulation  se  ralentit.  Elle  était  plus  ra- 
pide antérieurement  à  1866  que  depuis  cette  date  jusqu'aujourd'hui.  Ce 
ralentissement  est  surtout  sensible  pour  l'arrondissement  qui,  de  1846  à 
1866,  en  vingt  ans,  avait  perdu  11.071  habitants,  tandis  que  de  1872  à 
1891,  en  dix-neuf  ans,  il  n'en  a  perdu  que  2.185. 

Si  l'on  compare  entre  elles  les  communes  du  canton,  l'on  voit  qu'elles 
présentent  de  grandes  différences.  De  1872  à  1891,  l'une  d'elles,  Bidarray, 
a  gagné  36  habitants  ;  deux  sont  restées  stationnaires  ;  mais  deux  autres, 
Banca  et  Urepel,  ont  perdu  chacune  à  peu  près  150  habitants. 

2°  Émigration.  —  La  cause  de  la  dépopulation  dans  le  canton,  comme 
dans  l'arrondissement,  est  uniquement  l'émigration  ;  car  les  naissances 
dépassent  notablement  les  décès. 

Ainsi,  en  dix  ans,  de  1873  à  1882,  le  canton  de  Baïgorry  a  présenté  un 
excès  de  431  naissances.  Cet  excès  s'est  produit  dans  toutes  les  communes 
sans  exception.  Dans  la  période  à  peu  près  correspondante  de  neuf  années 
écoulées  entre  les  deux  recensements  de  1872  et  de  1881,  la  perte  de  popu- 
lation a  été  de  230  habitants.  C'est  donc  un  total  de  661  émigrants  au 
moins  en  dix  ans,  plus  un  nombre  égal  au  chiffre  inconnu  des  immi- 
grants. 

Dans  l'arrondissement  entier,  de  1867  à  1890,  l'excès  des  naissances 
sur  les  décès  a  été  de  8.799.  Si  nous  y  ajoutons  l'excès  des  naissances  de 
1891,  qui  s'est  élevé  à  318,  nous  obtenons  pour  ces  vingt-cinq  dernières 
années  un  excès  total  de  9.117  naissances,  et  l'arrondissement  de  Mauléon 
eût  dû  s'accroître  d'autant.  Mais,  comme  sa  population  a  diminué,  nous 
l'avons  vu,  de  5.990  habitants  entre  1866  et  1891,  il  faut  conclure  que 
l'émigration  a  enlevé,  en  vingt-cinq  ans,  15.107  individus,  soit  un  peu 
plus  du  quart  de  la  population  initiale,  ce  qui  est  vraiment  énorme. 


A.    DUMOM".    —   NATALITÉ    DES  BASQUES    DE    BAÏGORRY  605 

Cette  émigration  n'est  certes  pas  unique  en  France  par  son  intensité  ; 
mais  elle  attire  davantage  ^'attention  du  public  parce  que,  au  lieu  d'être 
centripète,  comme  par  exemple  l'émigration  normande,  elle  est  centrifuge, 
profile  pour  la  plus  grande  part  à  l'étranger  et,  comme  on  sait,  au  Mexique 
et  à  l'Amérique  du  Sud. 

3°  Natalité.  —  La  natalité  du  canton  de  Baïgorry,  bien  que  supérieure 
à  la  moyenne  française,  est  assez  médiocre. 

Elle  oscille,  selon  les  communes,  entre  21,0  et  29,8  naissances  an- 
nuelles pour  1000  habitants.  Ascara  et  Ossès  sont  dans  le  premier  cas, 
Bidarray  dans  le  second.  Aldudes  atteint  38,4  ;  Banca  ofïre  encore  2o,4  et 
Urepel  2o,2.  Mais  dans  toutes  les  autres  communes,  la  natalité  est  faible. 
L'ensemble  du  canton  présente  24,7  naissances  pour  1000  habitants. 

Dans  l'arrondissement  entier,  la  natalité  est  un  peu  plus  élevée  sans 
être  forte  :  25,8  pendant  les  dix  dernières  années  ;  27,0  pendant  la  décade 
antérieure  et  24,5  seulement  pendant  les  quatre  années  précédentes.  La 
prétendue  fécondité  de  la  race  basque  est  une  fable, 

4°  Causes  immédiates  de  l'état  de  la  natalité.  —  L'état  de  la  natalité  est 
toujours  déterminé  par  trois  facteurs  qu'il  est  avantageux  d'étudier  sépa- 
rément :  ce  sont  la  proportion  des  mariages,  la  proportion  des  enfants 
légitimes  aux  mariages  et  les  naissances  naturelles. 

5"  Nuptialité.  —  La  nuptialité  multipliée  par  le  nombre  des  naissances 
pour  un  mariage  —  naissances  naturelles  comprises  —  doit  toujours 
redonner  la  natalité. 

La  nuptialité  dans  toutes  les  communes  du  canton  de  Baïgorry  est  re- 
marquable par  son  extrême  faiblesse.  Dans  une  seule  d'entre  elles,  Bidarray, 
elle  atteint  le  chiffre  de  6,6;  dans  quatre,  elle  reste  inférieure  à  5  et  même 
dans  l'une  d'elles,  Anhaux,  elle  descend  à  3,6.  C'est  la  plus  faible  nup- 
tialité que  j'aie  jamais  rencontrée  en  France.  Pour  l'ensemble  du  canton, 
la  nuptialité  est  de  5,1. 

Pour  l'arrondissement  entier,  la  nuptialité  a  été  un  peu  moins  misé- 
rable. Elle  a  même  atteint  7,3  pendant  la  décade  1871-1880,  grâce  à  la 
fréquence  anormale  et  absolument  inexpliquable  des  mariages  pendant 
les  quatre  années  1873,  1874,  1875  et  1876.  Pendant  ces  deux  dernières 
surtout,  le  nombre  des  mariages  figurant  au  tableau  du  mouvement  de  la 
population  a  été  exactement  deux  fois  plus  considérable  que  dans  les 
années  suivantes,  ce  qui  ferait  soupçonner  une  erreur  dans  ce  document 
administratif,  si,  dans  ces  mêmes  années,  le  nombre  des  naissances  ne 
dépassait  considérablement,  lui  aussi,  le  niveau  normal. 

De  1867  à  1870  la  nuptialité  de  l'arrondissement  avait  été  de  5,3  et, 
dans  la  dernière  décade,  elle  est  retombée  à  5,4,  ce  qui  la  rapproche 
beaucoup  de  la  moyenne  de  notre  canton  et  la  place  à  un  niveau  extrê- 
mement bas  qui  est  certainement  le  véritable^ 


C06  ANTHROPOLOGIE 

6°  Nombre  de  naissances  pour  un  mariage.  —  Presque  toujours,  lorsque 
le  nombre  des  mariages  est  très  petit,  le  nombre  des  naissances  pour  un 
mariage  est  très  élevé. 

C'est  un  fait  qui  frappe  vivement  lorsque  l'on  étudie  les  communes  à 
faible  nuptialité  du  canton  de  Paimpol  (Côtes-du-Nordj  ou  les  communes 
à  nuptialité  très  variable  du  canton  de  Beaumont-Hague  (Manche).  Ce 
phénomène  se  produit  ici  d'une  manière  très  marquée  ;  la  nuptialité  est 
très  faible  et  le  nombre  des  naissances  pour  un  mariage  très  fort.  Sur  nos 
dix  communes,  une  seule  présente  un  nombre  de  naissances  pour  un 
mariage  inférieur  à  4  ;  sept  ont  de  4  à  5  ;  deux  ont  de  5  à  6,  et  une, 
Anhaux,  atteint  6,5.  La  moyenne  du  canton  est  de  4,8. 

Dans  l'arrondissement  entier,  le  nombre  des  naissances  pour  un  ma- 
riage est  un  peu  moins  considérable.  Il  est  de  3,7  seulement  pendant  la 
décade  1871-1880,  chiffre  suspect  ;  mais  pendant  la  période  qui  précède 
comme  pendant  celle  qui  suit,  il  est  de  4,6  et  de  4,7,  ce  qui  le  rapproche 
beaucoup  de  la  moyenne  du  canton  de  Baïgorry. 

Ces  chiffres  contiennent,  il  est  vrai,  des  naissances  naturelles,  inconvé- 
nient inévitable  en  ce  qui  concerne  le  canton,  mais  évitable  pour  l'arron- 
dissement entier.  Là,  le  nombre  des  naissances  légitimes  pour  un  mariage 
est  respectivement  pour  les  trois  périodes  étudiées,  de  4,1,  3,4  et  4,3, 
chiffres  qui  dépassent  très  sensiblement  la  moyenne  française  ;  mais  sont, 
à  leur  tour,  fortement  dépassés  dans  certains  cantons  bretons  et  notamment 
dans  celui  de  Callac. 

7°  Natalité  naturelle.  —  La  proportion  des  naissances  naturelles  n'a 
pu  être  établie  pour  le  canton  faute  des  documents  indispensables.  Pour 
l'arrondissement  entier,  elle  a  été  pendant  les  trois  périodes  étudiées 
de  8,4,  de  7,2  et  7,9,  c'est-à-dire  à  peu  près  égale  à  la  moyenne  française 
générale.  Mais  cette  moyenne  est  moitié  moindre  pour  les  populations 
rurales  et,  d'autre  part,  l'arrondissement  de  Mauléon  n'a  pas  de  popula- 
tion urbaine,  la  sous-préfecture  elle-même  n'étant  rien  de  plus  qu'un 
gros  bourg.  La  natalité  naturelle  de  l'arrondissement  se  trouve  donc 
deux  fois  plus  élevée  que  parmi  les  autres  populations  rurales  de  France. 
Cette  proportion,  toutefois,  n'a  rien  d'extraordinaire.  Il  est  facile  de  trou- 
ver des  campagnes  où  elle  est  quatre  ou  cinq  fois  plus  forte,  dépassant  le 
tiers  et  s'élevant  presque  à  la  moitié  du  chiffre  des  naissances  de  toute 
nature. 

^°  Mortalité.  —  La  mortalité  est  au-dessous  delà  moyenne  française  dans 
l'arrondissement  de  Mauléon.  Elle  est  remarquablement  constante,  de  20,3 
pendant  la  première  période,  de  20,4  pendant  la  seconde  et  de  19,9  seu- 
lement pendant  la  dernière. 

Dans  l'ensemble  de  notre  canton,  elle  est  encore  un  peu  plus  faible 
puisqu'elle   n'est  que  de  19, o.  Elle  ne  présente  pas  de  différences  très 


A.    DLMONT.    —    NATALITÉ   DES    BASQUES    DE    BAÏGORRY  607 

considérables  d'une  commune  à  l'autre.  Celle  où  elle  atteint  son  maximum 
Urepel,  dans  les  montagnes,  présente  21,2  décès  annuels  pour  1000  habi- 
tants. La  petite  commune  dAscara  n'en  offre  que  17,3  et  Banca,  com- 
mune possédant  un  millier  d'habitants  pendant  la  décade  que  nous  étu- 
dions, n'en  accuse  que  16,o. 

Si  satisfaisant  que  soit  ce  chiffre,  il  est  cependant  facile  de  trouver  des 
exemples  de  mortalité  moindre  encore.  La  commune  de  Cissac,  canton  de 
Paulliac,  dans  la  partie  la  plus  riche  du  Bordelais,  n'offre  que  1o,3  décès 
pour  1000  habitants,  pendant  la  décade  1873-1882.  Dans  le  riche  canton 
de  Saiute-Livrade  (Lot-et-Garonne),  on  a  vu  la  mortalité  descendre  pen- 
dant la  période  18o3-1862  à  14,8  dans  la  commune  du  Temple;  à  13,3 
dans  la  commune  d'Allés,  et  enfin  à  12,2  dans  la  grande  commune  de 
Sainte-Livrade.  Ce  chiffre  est  celui  de  la  moindre  mortalité  que  j'aie  ja- 
mais rencontrée  et  je  pense  qu"il  n'en  a  jamais  été  signalé  de  plus  faible. 
Mais  le  canton  de  Sainte-Livrade,  où  la  misère  est  à  peu  près  inconnue  et 
la  petite  propriété  très  répandue,  n'avait  dès  cette  époque  qu'une  natalité 
minime,  se  tenant  aux  environs  de  15  naissances  pour  1000  habitants. 
Dans  le  canton  de  Baïgorry,  où  la  natalité  dépasse  encore  la  moyenne 
française  et  qui  passe  pour  pauvre  et  arriéré,  cette  faiblesse  de  la  morta- 
lité est  un  phénomène  beaucoup  plus  inattendu. 

3"  Excès  des  naissances  sur  les  décès.  —  L'excès  des  naissances  sur  les 
décès  :  de  431  en  dix  ans  pour  le  canton,  est  satisfaisant.  La  différence 
entre  la  mortalité  et  la  natalité,  de  o,2  au  profit  de  cette  dernière,  est  bien 
supérieure  à  celle  qui  existe  actuellement  pour  la  France  entière.  Dans  la 
commune  de  Bidarray,  celle  qui  présente  sous  tous  les  rapports  le  meilleur 
état  démographique,  cet  excès  atteint  9,2  et  à  Banca  8,9.  Ailleurs  il  est 
beaucoup  plus  faible  ;  mais  nulle  part  le  niveau  de  la  mortalité  n'atteint 
celui  de  la  natalité. 

Du  reste,  l'écart  entre  la  natalité  et  la  mortalité  est  encore  plus  consi- 
dérable dans  l'ensemble  de  l'arrondissement  :  pendant  les  deux  dernières 
décades,  il  y  atteint  6,6  et  6,0. 

Tel  est,  dans  ses  traits  essentiels,  l'état  démographique  du  canton  de 
Baïgorry.  Par  la  médiocrité  de  sa  natalité  et  la  faiblesse  de  sa  mortalité,  il 
présente  bien  plutôt  la  physionomie  des  cantons  de  plaine  jouissant  depuis 
longtemps  d'une  aisance  à  peu  près  universelle  et  tendant  à  la  vie  bour- 
geoise que  des  cantons  arriérés  de  la  Bretagne  bretonnante  ou  de  la  Flandre 
flamingante,  dans  lesquels  natalité  et  mortalité  sont  en  général  extrême- 
ment élevées. 

Au  contraire,  par  l'état  des  facteurs  de  sa  natalité,  c'est-à-dire  par  le 
très  petit  nombre  de  ses  mariages  et  leur  grande  fécondité,  il  présente 
un  aspect,  qui,  sans  lui  être  absolument  spécial,  est  cependant  beaucoup 
plus  rare  et  mérite  un  examen  attentif. 


608  ANTHROPOLOGIE 

Il  ne  faut  pas  croire  que  la  faiblesse  de  la  natalité  française  soit  par- 
tout et  toujours  un  effet  du  trop  petit  nombre  d'enfants  par  mariage  et 
de  la  volonté  des  époux  de  n'en  avoir  pas  plus.  Il  en  est  ainsi  le  plus 
souvent  en  France,  mate  non  toujours.  Dans  beaucoup  de  cantons  et  de 
communes,  la  faiblesse  de  la  natalité  tient  au  trop  petit  nombre  des 
mariages  et  à  la  volonté  des  jeunes  gens  de  n'en  pas  contracter  davantage. 

Au  lieu  de  ne  faire,  comme  il  arrive  trop  souvent,  de  la  question  de 
la  natalité  qu'une  seule  bouchée,  il  faut  toujours  commencer  par  se  de- 
mander au({uel  de  ses  deux  facteurs  elle  doit  son  état.  Des  deux  facteurs, 
en  effet,  il  y  en  a  toujours  un  qui  est  dominant:  s'il  augmente,  la  natalité 
croît  presque  proportionnellement;  s"il  diminue,  elle  a  tendance  à  décroître 
dans  la  même  mesure.  Ainsi,  par  exemple,  dans  le  canton  de  Fouesnant 
(Finistère)  la  haute  natalité  que  l'on  observe  tient  à  l'élévation  de  la  nup- 
tialité qui  varie  généralement  de  9  à  10,  tandis  que  le  nombre  des  nais- 
sances pour  un  mariage  n'a  rien  d'exceptionnel.  Inversement,  dans  le 
canton  de  Callac  (Côtes-du-I\ord),  la  haute  natalité  tient  au  nombre  très 
élevé  des  enfants  pour  un  mariage,  qui,  dans  six  communes  sur  onze, 
varie  entre  6  et  6,4. 

Dans  les  communes  du  canton  de  Saint-Etienne-de-Baïgorry,  la  natalité 
générale  est  sous  la  dépendance  de  la  nuptialité.  Ses  effets  sont  atténués 
par  le  nombre  des  naissances  pour  un  mariage  qui  tend  à  varier  en  sens 
inverse;  mais  elle  n'en  reste  pas  moins  prépondérante.  Ainsi  les  deux 
communes  qui  présentent  la  plus  forte  nuptialité,  Bidarray  et  Aldudes, 
sont  aussi  celles  qui  offrent  la  plus  haute  natalité. 

Le  nombre  des  naissances  pour  un  mariage,  déduction  faite  pour  le 
canton  comme  pour  l'arrondissement,  de  huit  naissances  naturelles  pour 
cent  naissances  de  toute  nature,  est  encore  dans  l'ensemble  du  canton,  de 
4,4,  chiffre  très  supérieur  à  la  moyenne  française.  Si  donc  la  natalité  est 
faible,  la  raison  en  est  exclusivement  dans  la  faiblesse  vraiment  phéno- 
ménale de  la  nuptialité.  Dès  lors,  le  problème  se  trouve  déplacé.  Ce  ne 
sont  plus  ici  les  causes  de  l'abaissement  de  la  natalité  que  nous  avons 
à  chercher,  ce  sont  celles  de  la  faiblesse  de  la  nuptialité. 

Au  reste,  ce  n'est  pas  seulement  dans  le  canton  de  Baïgorry  que  la 
nuptialité  est  faible.  INous  venons  de  voir  qu'elle  est  à  peine  un  peu  plus 
élevée  dans  l'arrondissement  de  Mauléon,  et  ce  caractère  démographique 
s'étend  aux  deux  départements  des  Basses  et  des  Hautes-Pyrénées.  Ils  ont 
actuellement  la  plus  basse  nuptialité  de  toute  la  France. 

Causes  de  la  faiblesse  de  la  nuptialité  chez  les  Basques.  —  On  peut  allé- 
guer trois  causes  qui  vraisemblablement  concourent  toutes  trois,  dans  des 
proportions  variables,  à  amener  ce  phénomène.  Ce  sont  :  1°  l'émigration 
des  adultes,  2"  l'influence  ecclésiatique  et  3°  la  famille-souche. 

On   sait   que   les   départements  qui   reçoivent   beaucoup   d'émigrants 


A.    DUMONT.    —    .NATALITÉ    DES    BASQUES   DE    BAÏGORRY  609 

adultes  présentent  en  conséquence  une  nuptialité  pour  1000  habitants 
considérable.  La  Seine,  par  exemple,  dépasse  beaucoup  sous  ce  rapport 
la  moyenne  française,  bien  qu'il  soit  suffisamment  établi  d'ailleurs,  par 
le  rapport  du  nombre  des  mariages  au  nombre  des  sujets  aptes  à  le 
contracter,  que  le  goût  de  la  population  parisienne  pour  l'union  conjugale 
est  en  réalité  assez  médiocre. 

Inversement  on  conçoit  qu'un  département,  arrondissement  ou  canton 
d'où  les  adultes  émigrent  ne  puisse  avoir  que  médiocrement  de  mariages 
pour  1000  habitants,  alors  même  que  la  propension  de  la  population  ma- 
riable  pour  le  mariage  y  serait  assez  forte.  Or  le  département  des  Basses- 
Pyrénées  et  en  particulier  l'arrondissement  de  Mauléon  exportent  beau- 
coup d'émigrants.  On  comprend  donc  que  cette  circonstance  ait  été  donnée 
comme  une  explication  suffisante. 

En  réalité,  elle  ne  l'est  nullement.  J'ai  souvent  rencontré  des  populations 
où  l'émigration  était  aussi  active  et  qui  n'en  avaient  pas  moins  une 
nuptialité  ordinaire.  L'explication  de  ce  fait  est  que,  dans  les  collecti- 
vités à  natalité  faible,  le  groupe  d'âge  de  dix  à  quinze  ans  n'est  jamais  très 
considérable;  que,  parmi  les  émigrants,  il  y  a  toujours  une  certaine 
quantité  d'enfants,  ce  qui  atTaiblit  encore  leur  proportion  et  rend,  par 
contre,  la  proportion  des  adultes  plus  grande;  enfin  que,  parmi  ceux-ci, 
quelques-uns  se  marient  avant  d'émigrer  ou  reviennent  quelquefois  se 
marier  dans  leur  pays  natal. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  considération,  la  démographie  possède  plu- 
sieurs moyens  de  vérifier  si  l'abaissement  de  la  nuptialité  tient  au  défaut 
de  mariables  ou  à  leur  peu  d'empressement  à  se  marier.  Un  moyen  di- 
rect consiste  à  calculer  le  rapport  des  mariages  aux  seuls  mariables  pré- 
sents dans  le  pays  ;  un  moyen  indirect  arrive  au  même  but  en  recherchant 
la  proportion  des  célibataires  ayant  dépassé  l'âge  auquel  on  se  marie  le 
plus  communément.  Ces  calculs,  faute  des  recensements,  n'ont  pu  être  faits 
pour  le  canton  ni  pour  l'arrondissement,  mais  nous  en  possédons  les 
résultats  pour  le  département  entier.  Or,  ils  établissent  que  les  mariables 
se  marient  très  peu. 

Pendant  la  période  I806-I860,  où  l'émigration,  plus  considérable 
qu'aujourd'hui  même,  faisait  de  grands  vides  dans  la  population,  il  ne 
se  mariait  annuellement,  dans  les  Basses -Pyrénées,  que  44  femmes 
sur  1000  mariables  de  quinze  à  cinquante  ans,  contre  66  dans  l'en- 
semble de  la  France.  La  nuptialité  des  femmes  de  ce  département  est 
donc  précisément  d'un  tiers  inférieure  à  la  moyenne  nationale.  Elle 
le  classe  le  deuxième  par  ordre  de  faiblesse,  tandis  que  le  département 
limitrophe  des  Hautes-Pyrénées,  encore  plus  mal  placé  sous  ce  rapport, 
se  classe  au  premier  rang.  Sur  1000  hommes  mariables  de  dix-huit  à 
soixante  ans,   il   ne  s'en  marie  chaque  année  que   48  dans  les  Basses- 

39* 


610  A-NTHROPOLOGIE 

Pyrénées  contre  61  dans  l'ensemble  de  la  France  et  45  seulement  dans 
les  Hautes-Pyrénées.  Ces  deux  départements  viennent  sous  le  rapport  de  la 
nuptialité  masculine  de  dix- huit  à  soixante  ans:  le  premier,  au  sixième 
rang  et  l'autre  au  troisième. 

Comme  cette  façon  d'évaluer  la  nuptialité  ne  lient  compte  que  des 
présents,  elle  exclut  la  cause  émigration,  trop  facilement  admise  par 
quelques  auteurs. 

D'ailleurs,  non  seulement  hommes  et  femmes  se  marient  peu,  mais  les 
uns  et  les  autres  se  marient  tard  ou  très  tard,  fréquemment  au  delà  de 
trente-cinq  ans  pour  les  femmes,  au  delà  de  quarante  ans  pour  les  hommes. 

Cette  nuptialité  si  faible,  ces  mariages  si  tardifs  sont  un  effet  de  l'in- 
fluence ecclésiastique  et  de  l'organisation  de  la  famille-souche. 

Dans  le  pays  basque,  comme  dans  le  Béarn,  le  clergé  s'efforce  de  tenir 
les  deux  sexes  aussi  séparés  que  possible.  Les  Basques  dansent  encore  ; 
mais  seuls,  tous  les  hommes  ensemble.  Si  l'on  joue  quelque  mystère  à 
la  mode  du  moyen  âge,  les  acteurs  sont  tous  hommes  ou  toutes  femmes  ; 
mais  jamais  les  hommes  et  les  femmes  ne  peuvent  jouer  ensemble  en 
remplissant  les  rôles  qui  conviennent  à  leur  sexe  respectif. 

Il  est  à  remarquer  que  partout  où  existent  les  danses  de  village,  les  ma- 
riages sont  jeunes  et  fréquents.  C'est  le  cas  dans  les  communes  rurales 
de  l'ile  de  Ré  ;  c'est  le  cas  également  dans  le  canton  de  Fouesnant  (Finis- 
tère), où  les  fouleries  d'aires  tiennent  lieu  de  danses  et  où  l'on  dit  cou- 
ramment «  année  de  pommes,  année  de  mariages.  »  C'est  le  cas  dans 
beaucoup  d'autres  cantons  et  l'on  peut  ajouter  que,  contrairement  à  une 
opinion  habilement  propagée,  les  naissances  naturelles  y  sont  rares.  Mais 
les  danses  publiques  arrachent  les  jeunes  gens  et  surtout  les  jeunes  filles 
à  la  domination  du  clergé,  aussi  les  combat- il  avec  acharnement.  A  ses 
yeux,  l'amour  est  une  souillure,  les  réunions  joyeuses  une  cause  à  peu 
près  infaillible  de  péché.  J'ai  eu  l'occasion  d'observer  de  nombreux  can- 
tons où  il  est  parvenu  à  détruire  les  bals  publics.  Presque  toujours,  il  en 
est  résulté  une  augmentation  de  l'ivrognerie  et  des  naissances  naturelles, 
ou  une  diminution  de  la  nuptiaUlé. 

Ainsi,  par  exemple,  dans  les  communes  purement  agricoles  du  canton 
de  Paimpol,  les  petits  cultivateurs  sont  entièrement  sous  le  joug  du  clergé- 
Nulle  part  la  vie  n'est  plus  triste  ;  les  femmes  y  semblent  honteuses 
d'elles-mêmes,  ayant  pour  seule  distraction  le  soin  des  tombeaux  et  la 
vue  des  ossuaires.  Nulle  occasion  d'expansion,  point  de  fêtes  réunissant 
les  deux  sexes;  «  plus  d'amour,  partant  plus  de  joie.  »  Aussi  se  marie-t-on 
très  tard  et  très  peu.  Dans  les  communes  de  Ploubazianec,  Yvias  et  Kerfot 
notamment,  la  nuptialité  descend  fréquemment  à  6  et  même  5,4  mariages 
par  an  pour  1000  habitants. 

Chez  les  Basques,  l'influence  ecclésiastique,  en  raison  de  la  profonde 


A.    DUMONT.    —    NATALITÉ    DES   BASQUES    DE   BAÏGORRY  611 

ignorance  du  peuple  et  de  sa  tendance  au  mysticisme,  n'est  pas  moindre 
que  chez  les  paysans  de  Paimpol.  Ils  observent  non  seulement  le  maigre 
du  vendredi  ;  mais  encore,  par  surcroît  de  zèle,  celui  du  samedi  et  du 
carême  que  depuis  longtemps  les  prêtres  ne  leur  prescrivent  plus. 

Examinant  la  répartition  des  mariages  par  mois  dans  l'arrondissement 
de  Mauléou,  on  est  frappé  des  bizarreries  qu'elle  présente.  Plus  d'uii  tiers, 
près  de  la  moitié  se  fout  en  janvier  et  février.  Novembre,  puis  avril  sont 
ensuite  les  mois  où  l'on  se  marie  le  plus.  Au  contraire,  eu  mai,  juillet 
et  aoàt,  il  y  a  peu  de  mariages.  Mais  en  mars,  et  surtout  en  décembre, 
il  n'y  en  a  pour  ainsi  dire  point. 

Informations  prises,  il  paraît  que  le  clergé  se  refuse  à  peu  près  abso- 
lument à  célébrer  des  mariages  pendant  ces  deux  mois,  à  cause  du  carême 
et  de  l'avent.  Il  refuse  aussi  presque  toujours  de  marier  le  vendredi,  le 
samedi,  les  quatre-temps  et  les  vigiles  des  fêtes.  On  m'alïirme  que  tous 
les  mariages  célébrés  en  mars  ont  lieu  le  19,  jour  de  Saint- Joseph. 

Le  fait  que  la  population  entière  se  plie  à  de  telles  exigences  donne  la 
mesure  de  l'influence  ecclésiastique  et  l'on  sait  suffisamment  que  partout 
où  elle  est  ainsi  souveraine,  la  nuptiaUté  diminue.  M.  Bertillou  père  a  étabU 
depuis  longtemps,  à  propos  de  la  Belgique,  que  plus  il  y  a  de  couvents  dans 
une  province,  moins  la  population  laïque  y  présente  de  mariages. 

Une  seconde  cause  de  faiblesse  pour  la  nuptialité  est  évidemment  l'or- 
ganisation delà  famille,  qui,  en  attribuant  tous  les  biens  à  l'un  des  enfants, 
tend  à  retenir  les  autres  dans  le  céhbat,  par  la  crainte  de  déchoir,  de 
tomber  au  rang  de  domestique  ou  de  journalier. 

Les  eflfets  de  ces  deux  causes  se  superposent  et  finissent  par  entraîner 
la  plus  basse  nuptialité  qui  ait  jamais  été  constatée  sur  le  sol  français.  IJ 
est  possible  que  ce  soit  à  elles  qu'il  faille  attribuer  aussi  la  grande  fécon- 
dité des  mariages. 

Tout  se  tient  et  s'enchaîne  dans  le  déterminisme  des  phénomènes  démo- 
graphiques. Le  grand  nombre  des  célibataires,  corollaire  de  la  faible 
nuptialité,  entraîne  l'élévation  de  la  natalité  naturelle,  et  d'autre  part  la 
grande  fécondité  des  mariages  rend  inévitable  l'énorme  émigration  que 
nous  avons  constatée. 

Tous  les  i)ays  où  le  nombre  des  naissances  pour  un  mariage  est  très 
considérable,  comme  l'Angleterre,  l'Allemagne,  le  canton  de  Callac  dans 
les  Côtes-du-Nord,  sont  des  pays  d'émigration.  On  émigré,  en  ce  cas,  non 
par  la  séduction  d'un  idéal  social  plus  élevé,  mais  par  nécessité.  Ce  n'est 
pas  que  le  pays  manque  de  débouchés,  c'est  que  la  maison  n'offre  plus 
assez  de  place  pour  tous.  Le  foyer  qui  a  protégé  l'enfance  n'est  plus 
qu'un  lieu  d'oppression  pour  l'adulte  ;  il  y  étouffe,  dans  l'alternative  d'y 
demeurer  à  perpétuité  célibataire  ou  de  s'établir  dans  le  voisinage,  mais 
dans  une  condition  inférieure  à  celle  de  sa  famille.  Alors  il  fuit  au  loin. 


612  ANTHROPOLOGIE 

sans  avouer  le  motif,  mais  en  réalité  par  besoin  d'indépendance  et  d'air 
libre  autant  que  par  l'espoir  de  la  fortune. 

Conclusion.  —  Des  écrivains  étrangers  aux  études  démographiques  ont 
souvent  écrit,  dans  l'intention  d'en  faire  honneur,  soit  à  la  famille-souche, 
soit  à  l'influence  religieuse,  que  la  natalité  des  Basques  était  considérable. 
Ils  avaient  observé  qu'un  certain  nombre  de  ménages  avaient  beaucoup 
d'enfants  et  cela  leur  suffisait.  Ils  oubliaient  de  s'informer  de  la  nuptiahté. 

Le  Play,  qui  était  mathématicien,  est  inexcusable  d'être  tombé  dans  une 
telle  erreur.  Son  exemple  prouve  l'inconvénient  d'écrire  sur  une  matière 
sans  connaître  la  science  spéciale  dont  elle  fait  l'objet.  S'il  eût  eu  l'heu- 
reuse inspiration  de  faire  la  démographie  des  communes  au  sein  des- 
quelles se  meuvent  les  familles  dont  il  a  écrit  la  monographie,  ces  cons- 
ciencieuses études  eussent  certainement  tiré  de  là  une  portée  sociale  et 
une  valeur  scientifique  fort  supérieures.  Il  se  fût  aperçu,  en  outre,  que 
l'organisation  de  la  famille,  qu'il  propose  comme  un  modèle,  n'a  pas  le 
mérite  qu'il  lui  prête  d'assurer  la  fécondité  de  la  race.  Pour  remédier  à 
l'abaissement  de  notre  natalité,  c'est  bien  loin  de  là  qu'il  faut  chercher. 
J'ai  traité  ailleurs  ce  sujet  que  je  ne  puis  aborder  ici  incidemment. 

Nous  bornant  donc,  quant  à  présent,  aux  conclusions  négatives  de 
l'analyse  qui  précède,  nous  dirons  :  1''  ni  la  famille-souche  ni  l'influence 
religieuse  n'entraînent  une  forte  natalité  ;  2°  elles  concourent  pour  déter- 
miner une  monstrueuse  faiblesse  de  la  nuptialité  ;  3°  si  elles  tendent  — 
ce  qui  est  possible,  bien  que  restant  à  prouver  —  à  accroître  la  fécon- 
dité des  mariages,  par  contre  elles  ont  pour  effet  indirect  d'augmenter  le 
nombre  des  naissances  naturelles  et  de  rendre  à  peu  près  inévitable  l'émi- 
gration d'une  partie  de  ces  enfants,  qui,  sans  être  trop  nombreux  pour 
leur  pays,  le  sont  trop  pour  leur  famille.  Cette  émigration,  qui  offre  quel- 
ques avantages  dans  les  États  à  forte  natalité,  est  chez  nous  nuisible  sous 
tous  les  rapports. 

\,e  patriotisme  local  et  l'esprit  réactionnaire  ont  vanté  sans  mesure 
famille-souche,  influence  ecclésiastique  et  langue  basque.  Ces  trois  élé- 
ments d'une  culture  sociale  arriérée  ont  cela  de  commun  qu'ils  font 
obstacle  à  la  circulation  des  produits  et  des  idées,  qu'ils  entravent  le 
développement  des  individus,  paralysent  leur  activité  économique,  poli- 
tique et  intellectuelle.  Tous  trois  sont  en  voie  de  décroissance  spontanée, 
bien  que  trop  lente.  C'est  un  mouvement  dont  on  doit  se  réjouir  et  qu'il 
faut  activer  par  de  bonnes  lois  et  de  sages  mesures  administratives. 


BOSTEAUX-I'ARIS.   —    RÉSULTATS   DE  FOUILLES    AUX    ENVIRONS    DE    REIMS      613 


M.    BOSTEAÏÏX-PÂEIS 

Maire  à  Cern;iy-les-Reims. 


RESULTATS  DE   FOUILLES  AUX    ENVIRONS  DE  REIMS 


—  Séances  des  17  et  19  septembre  i892  — 

Découverte  d'une  tombe  a  char  gauloise  a  la  source  de  la  Congé 

A  Epoye  (Marne) 

Le  28  février  1892,  je  dirigeai  intentionnellement  mes  recherches  sur 
le  territoire  delà  commune  d'Epoye;  après  avoir  exploré  les  abords  d'une 
source  appelée  la  Congé  d'Epoye,  je  fixai  mes  recherches  principalement 
sur  un  petit  promontoire  qui  domine  presque  perpendiculairement  de 
30  mètres  l'endroit  d'où  la  source  sort  de  terre;  la  plate-forme  de  ce 
promontoire  a  servi  d'assise  à  un  clan  à  l'époque  gauloise,  à  en  juger 
par  les  nombreux  foyers  que  l'on  rencontre  en  sondant  le  sol.  Au  point 
culminant  de  ce  plateau,  à  130  mètres  au  sud  des  bords  de  la  source,  je 
rencontrai  par  le  sondage  un  cercle  concentrique  ayant  12  mètres  de  dia- 
mètre formé  par  un  fossé  creusé  dans  la  craie,  ayant  1  mètre  de  largeur 
sur  0^,60  de  profondeur  ;  au  milieu  de  ce  cercle  se  trouvait  un  terrain 
mouvant  ayant  2  mètres  de  largeur  sur  2  mètres  de  longueur,  ce  qui 
me  donna  de  suite  à  supposer  être  en  présence  d'une  tombe  gauloise 
qui   n'était  pas  ordinaire,   cette  tombe  était  orientée  du  nord-ouest  au 

sud-est. 

Ayant  commencé  la  fouille  immédiatement,  quelle  fut  ma  surprise  de 
rencontrer  le  frontal  d'un  squelette  à  0'",30  de  profondeur;  à  l'",20,  j'ar- 
rivai au  fond  du  centre  de  la  fosse  et  je  constatai  être  en  présence  d'une 
tombe  à  char,  ayant  de  chaque  côté  du  milieu  de  la  fosse,  où  reposait  le 
squelette,  deux  petites  fosses  parallèles  au  côté  du  terre-plein,  ayant  cha- 
cune 1  mètre  de  long,  O'",o0  de  large  sur  0'",40  de  profondeur  et  dans 
l'une  desquelles  je  retrouvai  une  goupille  d'essieu. 

La  partie  supérieure  du  corps  du  squelette  n'existait  plus,  cette  tombe 
avait  été  violée  jusqu'à  la  ceinture,  les  premiers  fouilleurs  avaient  enlevé 
le  char  et  probablement  le  casque  et  les  parures  de  ce  chef  gaulois.  Mais 


M%  ANTETROPOLOGIE 

à  partir  de  la  ceinture,  tout  était  resté  intact;  le  mobilier  restant  se  com- 
posait, le  long  de  la  cuisse  droite  : 

1°  D'une  épée  avec  son  fourreau  en  fer,  accompagnée  de  trois  glands  en 
bronze  près  de  la  poignée,  ces  glands  provenaient  probablement  de  la 
dragonne,  quelques  appliques  en  bronze  se  trouvaient  aussi  près  de  a 
poignée  ; 

2°  Un  long  couteau  de  chasse  de  0'",45  de  long  ayant  encore  son  manche 
en  corne  de  cerf  orné  de  dessins; 

3°  Un  petit  vase  à  boire  à  bord  droit  ; 

4°  Un  hanap  en  forme  de  poire,  en  terre  noire,  de  facture  très  fine  ; 

5°  Un  cratère  de  forme  élancée  en  belle  terre  noire,  orné  de  dessins- 
linéaires  creux,  peints  en  violet  et  bleu; 

6°  Une  jatte  en  terre  noire. 

Au  côté  gauche,  contre  la  paroi,  une  grande  mesure  à  grain  ornée  de 
dessins  en  feuilles  de  fougères;  ce  vase  était  brisé  par  la  pression.  Près 
de  la  cuisse  gauche,  un  petit  poignard  avec  son  manche,  huit  lances  et 
javelots  en  fer,  avec  douille  et  sans  douille  et  d'autres  petits  instruments. 

Aux  pieds  deux  ferrons  de  lacets  en  bronze,  quatre  grands  vases  de 
formes  diverses  avec  ornementations  et  un  mors  de  bride  de  cheval. 

Le  crâne  de  ce  guerrier  gaulois  est  très  étroit,  le  front  plat  et  fuyant  à 
partir  des  arcades  sourcilières;  ce  type  était  purement  dolichocéphale.  Je 
tiens  ce  frontal,  ainsi  que  la  partie  inférieure  du  corps,  à  la  disposition  de 
la  Société  d'Anthropologie. 

A  un  kilomètre  et  demi  de  cette  tombe  à  char,  vers  l'ouest,  se  trouvait 
celle  de  Berru,  découverte  au  lieu  dit  le  Terrage  par  M.  Gavet  de  Berru  ; 
cette  tombe  a  été  l'objet  d'un  rapport  fait  par  M.  A.  de  Barthélémy  à  la 
Société  des  Antiquaires  de  France,  et  son  mobilier  est  un  des  plus  riches 
du  musée  de  Saint-Germain. 

A  un  kilomètre  à  l'est  de  notre  tombe  à  char  de  la  Congé  existe  encore 
près  du  village  d'Epoye,  un  tumulus  surmonté  d'une  croix.  Ce  tumulus  a 
été  fouillé  en  187o  par  MM.  Lelaurain  et  Gavet;  au  centre  de  ce  tumulus 
a  été  également  trouvée  une  tombe  à  char,  et  tout  autour  du  monticule 
furent  fouillées  des  sépultures  appartenant  aux  époques  gauloise,  gallo- 
romaine  et  franque. 

Ce  tumulus,  qui  existe  encore  et  qui  recouvrait  une  tombe  à  char, 
prouve  bien  que  toutes  ces  tombes,  qui  étaient  entourées  d'un  fossé  en 
cercle,  étaient  recouvertes  d'un  tumulus,  et  c'est  par  ce  motif  que  toutes 
ces  sépultures  se  trouvaient  ainsi  indiquées  sans  recherches  aux  enva- 
hisseurs du  pays  aux  époques  franque  et  mérovingienne,  lesquels  les 
fouillèrent  en  partie  pour  en  extraire  les  parures  et  s'en  servir  eux- 
mêmes. 


BOSTEAUX-PARIS.    —  RÉSULTATS    DE    FOUILLES   AUX   ENVIRONS   DE  REIMS      61o 

MOBILIER  d'une  INCINÉRATION  DE    LA    FIN  DE   l'iN DÉPENDANCE    GAULOISE 
(Figurine  et  monnaies]  découvert  à  Cerna y-les-Reims . 

Le  28  novembre  1891,  au  territoire  de  Cernay-les- Reims,  au  lieu  dit  le 
Mont  de  Nogent,  en  pratiquant  des  fouilles  dans  un  sol  argileux  pour  en 
extraire  des  pierres  siliceuses,  un  coup  de  pioche  mettait  h  découvert  à 
la  surface  du  sol,  sous  une  touffe  de  genévrier,  une  petite  cavité  creusée 
dans  l'argile  et  remplie  de  sable  dans  lequel  se  trouvaient  les  débris  de 
deux  vases  brisés  dont  l'un  avait  contenu  les  cendres  d'une  incinération 
comprenant  encore  quelques  débris  d'os  calcinés  mêlés  à  la  cendre.  L'autre 


riG.  I  cl  i. 


vase,  brisé  également,  contenait  une  petite  figurine  en  bronze,  cinq  pièces 
de  monnaie  gauloise,  un  bracelet  en  bronze,  brisé  en  plusieurs  morceaux, 
une  rouelle  gauloise  à  deux  branches  croisées,  un  anneau  en  bronze  et  des 
morceaux  de  fer  oxydés  dans  lesquels  sont  incrustée  de  petits  anneaux  de 
bronze . 

Cette  intéressante  trouvaille  a  ceci  de  particulier,  c'est  qu'on  y  rencontre 
les  premiers  signes  de  la  religiosité  à  l'époque  gauloise  représentée  par  une 
figurine  en  bronze  associée  à  une  rouelle  gauloise  à  usage  de  monnaie; 
ces  divers  indices  peuvent  aider  à  fixer  sérieusement  les  usages  de  cette 
époque  très  reculée. 

Cette  petite  figurine  de  bronze  comprend  la  tète,  surmontée  de  deux 
cornes  dont  les  extrémités  qui  sont  cassées  sembleraient  s 'être  trouvées 
raccordées  pour  former  un  anneau  ;  au  lieu  d'un  buste,  cette  tète  se  trouve 
supportée  par  une  lamelle  (fig.  /  et  2). 


616  ANTHROPOLOGIE 

La  facture  d'art  de  cette  petite  tête,  qui  est  d'une  belle  patine  verte,  est 
d'art  purement  gaulois,  au  front  fuyant;  les  yeux  et  la  bouche  sont  tracés 
au  burin  avec  le  même  style  que  les  figures  qui  existent  sur  certains  tor- 
ques de  la  belle  époque  gauloise. 

Les  cinq  pièces  de  monnaie  sont  du  type  dit  Catalaunien,  représen- 
tant :  d'un  côté  l'hercule  en  marche  et  de  l'autre  le  taureau  cornupète. 

La  petite  figurine  semblerait  représenter  le  dieu  gaulois  Cernunos,  tels 
que  des  bas-reliefs  qui  ont  été  trouvés  à  Notre-Dame  de  Paris,  et  à  Reims 
dans  le  bas-relief  gaulois  trouvé  dans  la  rue  de  la  Prison  et  qui  se  trouve 
actuellement  à  l'hôtel  de  ville  ;  cette  divinité  ornée  de  corne  représente 
l'abondance  par  ses  attributs. 

Cette  sépulture  appartiendrait  au  dernier  siècle  de  l'indépendance  gau- 
loise; au  reste,  la  facture  de  l'objet,  l'incinération  et  l'usage  de  la  monnaie 
en  sont  trois  preuves  convaincantes. 

Les  endroits  sur  lesquels  on  rencontre  des  incinérations  de  cette  époque 
portent  souvent  le  nom  de  Bouveret;  l'endroit  sur  lequel  j'ai  trouvé  cette 
sépulture  s'appelle  aussi  les  Beuvrai  ou  les  BefTrai. 

Nouvelles  fouilles  du  cimetière  gaulois  de  Witry-les-Relms. 

Le  cimetière  gaulois  de  Witry-les-Reims,  déjà  tant  de  fois  exploré 
depuis  une  vingtaine  d'années,  vient  encore  de  nous  donner  quelques 
pièces  admirables  de  fart  gaulois  marnien. 

Le  15  février  1892  les  sondages  me  donnaient  une  nouvelle  sépulture  dont 
le  squelette  portait  au  bras  gauche  un  bracelet  en  bronze  ;  un  vase  en 
poterie  noire  entre  les  deux  jambes,  plus  une  assiette  à  bord  droit  accom- 
pagnée d'un  autre  vase,  se  trouvaient  près  de  la  cuisse  droite. 

Le  28  février  suivant,  d'autres  fouilles,  continuées  par  MM.  Boucton- 
Bosteaux  et  A.  Bourin,  dans  des  jardins  clos  avoisinant  le  cimetière 
exploré,  mirent  à  découvert  trois  autres  tombes  dont  le  mobilier  se 
composait  des  objets  ci-après  : 

Première  tombe.  —  Le  squelette  de  la  première  tombe  avait  été  enterré 
avec  un  collier  composé  de  grains  d'ambre  percés  de  trous,  de  petites 
boules  en  terre  cuite,  un  petit  anneau  en  bronze  et  une  petite 
figurine  (flg.  3)  en  matière  brune  ressemblant  beaucoup  à  de 
l'ambre,  les  yeux  et  les  sourcils  sont  en  émail  blanc  incrustés 
dans  la  pâte,  elle  porte  sur  le  haut  du  front  une  espèce  de 
diadème  de  couleur  jaune  dont  les  frisures  étaient  aussi  in- 
crustées de  grains  blancs  et  au  sommet  de  la  tête  était  un 
anneau  pour  pouvoir  passer  un  fil  qui  devait  suspendre  cette  tête  audit 
collier,  le  bras  droit  portait  un  bracelet  en  bronze  orné  de  spirales  en 
relief,  trois  vases  en  terre  étaient  à  ses  pieds. 


BOSTEALX-PARIS.    —  RÉSULTATS  DE  FOUILLES  AUX  ENVIRONS  DE  REIMS       CI  7 

La  deuxième  tombe  comprenait  comme  mobilier  de  parure,  un  torque 
à  tampons  orné  de  dessins  triangulaires  et  de  spirales,  une  fibule  en  fer, 
un  couteau  en  fer,  cinq  vases  brisés  et  un  petit  gobelet  en  terre  cuite 
conservé  intact. 

La  troisième  tombe  donnait  un  turque  en  bronze  arlistement  ciselé  et 
un  vase. 

Les  ossements  de  ces  trois  squelettes  sont  trouvés  trop  détériorés  pour 
pouvoir  être  conservés. 

Tous  ces  objets  sont  de  la  belle  époque  de  l'indépendance  gauloise,  et  ce 
qu'il  y  a  de  curieux,  c'est  cette  petite  figurine,  ce  fétiche  porté  par  le  collier 
de  perles  ;  ceci  serait  encore  un  signe  de  culte  ou  religiosité  analogue  à  la 
petite  figurine  en  bronze  de  la  tombe  gauloise  incinérée  de  Cernay. 

Fouilles  de  la  Tomelle  St-Pierre  a  Cauroy-les-Machault  (Ardenxes) 

Dans  la  partie  sud  du  département  des  Ardennes,  principalement  dans 
le  canton  de  Machault,  il  existe  sur  certains  plateaux  dominant  la  contrée 
des  lieuxdits  portant  la  dénomination  de  Tomelle  :àSaint-Etienne-à-Arne, 
il  y  a  la  Tomelle  et  la  Tomelle  des  Bourrées;  à  Cauroy-les-Machault,  il 
y  a  la  Tomelle  Jean,  la  Tomelle  Jean-Petit  et  la  Tomelle  Saint-Pierre. 

L'origine  de  cette  appellation  provient  de  ce  que,  anciennement,  dans 
ces  endroits,  qui  sont  presque  tous  éloignés  des  villages  actuels,  se  trou- 
vaient des  buttes  artificielles  assez  élevées  et  toujours  placées  aux  points 
culminants  de  la  contrée  afin  de  pouvoir  découvrir  au  loin.  Ces  buttes 
ont-elles  été  élevées  pour  un  motif  ayant  trait  à  la  défense  du  pays  ou 
pour  toute  autre  cause?  Presque  toutes  ces  buttes  artificielles  ont  disparu 
depuis  longtemps,  le  sol  ayant  été  nivelé  par  la  charrue.  Néanmoins  il 
en  existe  encore  une  à  Cauroy-les-Machault,  appelée  la  Tomelle  Saint- 
Pierre  ;  elle  est  située  à  la  cote  176  de  la  carte  de  l'État-Major,  à  égale 
distance  dans  le  milieu  du  triangle  formé  par  les  trois  communes  de 
Cauroy,  Machault  et  Saint-Etienne-à-Arne . 

Ce  tumulus  mesure  encore  16  mètres  de  diamètre  sur  2"',o0  d'épais- 
seur au  milieu,  au-dessus  du  niveau  du  sol;  voulant  savoir  ce  qu'elle 
contenait,  je  pratiquai  à  ce  tumulus  une  tranchée  en  croix  ;  cette  fouille 
ne  me  révéla  rien,  le  sol  naturel  se  trouvant  sous  la  butte  artificielle. 
L'idée  me  prit  de  faire  des  sondages  autour  de  cette  tomelle  ;  bien  m'en 
prit,  car  je  ne  tardai  pas  h.  rencontrer  à  la  base  de  cette  bulle,  vers  l'est, 
un  terrain  mouvant  dont  je  commençai  la  fouille  immédiatement  ;  après 
un  travail  assez  difficile  dans  une  excavation  en  forme  de  puits  {fîg.  4), 
j'arrivai  au  ferme  à  3'",o0  de  profondeur  ;  j'étais  tombé  par  la  voûte  dans 
une  antichambre  sur  laquelle  donnaient  quatre  ouvertures  orientées  aux 
quatre  points  cardinaux  ;  ces  ouvertures  donnaient  accès  à  deux  cellules  et 


618 


ANTHROPOLOGIE 


à  deux  souterrains  ;  l'entrée  de  Ja  cellule  du  côté  sud  avait  0'"45  de  largeur 
sur  O'^jGO  de  hauteur  et  l^'oO  de  longueur,  le  sol  de  cette  niche  se  trouvant 
de  0'",40  en  contre-bas  du  sol  du  vestibule. 

La  cellule  du  côté  nord  avait  0'",52  de  largeur  d'entrée,  O'^.GO  de  hau- 
teur, l'",50  de  longueur  et  un  mètre  de  largeur  au  fond. 

L'entrée  du  souterrain  du  côté  ouest  avait  0'",89  de  largeur  sur  0"',60  de 
hauteur;  ce  couloir,  qui  a  12  mètres  de  longueur,  va  en  contournant  vers 
le  sud  jusque  vers  le  centre  de  la  Tomelle  :  c'était  le  refuge.  Il  nous  reste 
encore  à  dégager  la  quatrième  ouverture  qui  donne  sur  le  palier  par  la 
voûte  duquel  nous  sommes  descendus  ;  l'entrée  de  ce  quatrième  souterrain 
a  0™,75  de  largeur  ;  cette  pièce  étant  dégagée  doit  nous  donner  accès  à 


Nord 


Ouest 


l'ouverture  de  la  descente  qui  se  prolonge  peut-être  assez  loin  dans  la 
plaine. 

La  question  reste  toujours  de  savoir  pour  quel  motif  ces  buttes  artifi- 
cielles et  ces  souterrains  ont  été  créés,  par  qui  et  à  quelle  époque;  ayant 
continué  mes  sondages  aux  alentours  de  cette  butte,  je  rencontrai  à  83  mè- 
tres au  sud  du  centre  de  la  tomelle,  un  fossé  rempli  formant  un  quadri- 
latère de  IS  mètres  de  côté  traversé  par  le  chemin  de  Saint-Pi erre-à-Arne 
à  Machault  et  dans  ce  carré  se  trouvaient  deux  sépultures  dont  je  relevai  les 
squelettes  sans  aucun  objet  pouvant  donner  quelques  indices  sur  l'époque 
de  leurs  inhumations,  excepté  quelques  clous  de  sandales;  ce  seul  indice 
nous  donnerait  à  supposer  des  sépultures  de  l'époque  gallo-romaine. 

Ces  buttes  paraîtraient  être  des  postes  d'observations  isolés  dont  les 
souterrains  servaient  de  refuge  aux  gardiens. 


D''  FR.  POMMEROL.  —  LES  PENDELOQUES    ET    LES    COLLIERS    AMULETTES      G19 


M.  le  F  François  POMMETIOL 

à  Gerzat  rPuy-de-Dôme). 


LES    PENDELOQUES    ET    LES    COLLIERS    AMULETTES 


—  Séance  du  2/  xeptemhre  I89i  — 

L'amulette  est  un  objet  que  l'on  porte  sur  la  personne  ou  le  vête- 
ment et  auquel  on  attribue  un  pouvoir  surnaturel.  Il  est  percé  d'un 
ou  plusieurs  trous  qui  permettent  de  le  fixer  à  un  lien  suspenseur.  Par- 
fois l'amulette  est  unique  ;  d'autres  fois  plusieurs  sont  attachés  ensemble 
et  forment  des  colliers,  des  anneaux,  des  bracelets.  Parmi  les  spécimens 
préhistoriques,  il  n'est  pas  toujours  facile  de  distinguer  l'amulette  de  la 
simple  parure.  Quand  l'objet  est  seul,  quand  il  est  fait  d'une  substance 
commune,  comme  le  bois,  l'os,  la  corne,  ou  d'une  substance  pour  laquelle 
on  éprouve  une  répulsion  naturelle,  comme  les  ossements  humains,  on 
peut  supposer  que  cet  objet  est  un  amulette.  Néanmoins  la  distinction 
n'est  pas  toujours  chose  facile  :  on  conçoit,  en  effet,  que  l'amulette  peut 
servir  de  parure,  et  la  parure  d'amulette. 

Aux  temps  quaternaires  allant  du  chelléen  au  moustérien,  on  ne  cons- 
tate que  rarement  la  pendeloque,  si  même  elle  existe;  les  sentiments 
rudimentaires  de  l'art  et  de  la  religiosité  ne  paraissent  pas  encore  s'ôlre 
développés.  Ce  n'est  qu'à  l'époque  suivante  ou  magdalénienne  qu'on 
rencontre  dans  les  cavernes  et  les  abris  des  objets  pouvant  être  consi- 
dérés comme  amulettes  et  qui  sont  ordinairement  des  dents,  des  coquilles, 
des  fragments  d'os  et  d'ivoire  percés. 

A  l'époque  néolithique,  les  idées  religieuses  semblent  prendre  un  cer- 
tain essor.  On  conserve  les  morts  dans  des  chambres  de  pierre  et  des 
cavernes  ;  on  fait  la  tréipanation  sur  le  vivant,  et  sur  les  crânes  trépanés 
on  détache  après  la  mort  des  rondelles  osseuses  qui,  percées  d'un  Irou 
seront  portées  'sur  la  personne.  D'autres  ossements  humains,  tels  que 
l'omoplate,  la  clavicule,  le  pisiforme,  ont  été  trouvés  roonis  d'un  trou 
de  suspension.  Ce  sont  là  de  véritables  amulettes  comme  l'ont  démontré 
Prunières  (1),  Broca  (2),  Pruner-bey  (3),  de  Mortillet  (4). 

(1)  Bull.  Soc.  Anthrop.  Paris  ;  1874,  p.  18:5-189.  —  Assov.  franc.,   fS-fi,  p.  r.7n. 

(2)  Bull.  Soc.  Anthrop.,  Paris  ;  p.  -iss-soa. 

(3)  Ibid,  1867,  p.  681. 

(4)  Rev.  d'Anlh.,  1S86,  n»  4.  —  Assoc.  franc.,  1876,  p.  368. 


620  ANTHROPOLOGIE 

Aux  âges  suivants,  duran  les  civilisations  du  bronze,  d'Hallstat  et  du 
fer,  au  temps  des  tumulus  comme  à  l'époque  gauloise,  la  pendeloque 
joue  un  grand  rôle  dans  le  costume.  On  voit  apparaître  les  perles 
d'ambre  et  de  terre  émaillée  que  l'on  trouve  jusqu'à  l'époque  des  inva- 
sions barbares  dans  les  cimetières  francs  (1)  et  mérovingiens  (^). 

A  l'époque  romaine,  les  représentations  phalliques  étaient  fréquem- 
ment portées  en  pendeloques;  il  en  était  de  même  des  monnaies  impé- 
riales. Ce  dernier  usage  s'est  conservé  jusqu'à  nos  jours  ;  on  l'a  cons- 
taté chez  des  paysans  d'Auvergne  (3). 

C'est  le  culte  de  l'effigie  impériale  qui,  sans  doute,  adonné  naissance 
à  nos  médailles  chrétiennes  qui  sont  portées  comme  de  véritables  amu- 
lettes. Dans  le  Limousin,  la  femme  fait  bénir  à  sa  messe  de  mariage  des 
pièces  de  monnaie  qu'elle  devra  toujours  conserver.  Et  la  superstition 
actuelle  de  posséder  un  sou  percé  pour  porter  bonheur  se  rattache  sûre- 
ment à  l'ancien  culte  des  empereurs. 

Les  sauvages  modernes  ont  grande  confiance  dans  la  vertu  des  amu- 
lettes. Les  naturels  du  Congo  (4)  et  des  Iles  de  l'Amirauté  (5)  ont  des 
colliers  de  dents  de  sanglier  ;  les  Negrilos  de  l'île  Luçon  (6),  les  sauvages 
de  l'Equateur,  les  Aztèques  (5)  portent  aux  bras  et  aux  jambes  des  pen- 
deloques de  cristal  de  roche,  de  jaspe,  d'ambre,  d'onyx.  Les  naturels 
des  îlesAndaman,  les  Tasmaniens,  les  Sioux-Dakotahs  (7)  se  parent  de 
colliers  faits  d'ossements  humains,  et  spécialement  de  phalanges  d'enfant. 
Ce  sont  de  précieux  talismans  contre  les  maladies,  les  esprits  méchants, 
les  fièvres  et  les  douleurs.  L'amulette  finit  donc  par  devenir  un  véri- 
table remède  surnaturel  :  ainsi  la  néphrite  au  moyen  âge  passait  pour 
guérir  les  affections  calculeuses  des  reins. 

Les  colliers  amulettes  ne  sont  pas  rares  parmi  nos  populations  rurales. 
En  Bretagne,  ils  portent  le  nom  de  Gougag  Pateren  (8);  ils  ont  parfois 
des  perles  en  pierres  de  serpent  (9).  Dans  les  Flandres,  des  colliers,  des 
bracelets,  servent  à  se  préserver  des  mauvaises  influences  (10).  Les  mon- 
tagnards de  l'Auvergne  possèdent  aussi  de  vieux  colliers  auxquels  ils 
attribuent  des  vertus  miraculeuses.  M.  Bertrand,  ancien  conseiller  général 
du  canton  de  Tauves,  a  bien  voulu  nous  montrer  et  nous  permettre 
d'étudier  un  certain  nombre  de  ces  colliers,  qu'il  avait  recueillis  dans  les 
villages  des  environs.   «Je  les  ai  trouvés,  nous  a-t-il  dit,  tantôt  à  l'état 

(1)  Mat.  pour  l'Hist.  de  Vhomme,  1886,  p.  032. 

(2)  L'Homme.,  |887,  p.  178. 

(3)  Assoc.  franc.,  1876,  p.  569. 

(4)  Rev.  scient.,  3  juillet  1886,  .p.  23. 

(5)  Collect.  du  Musée  du  Trocadéro. 
16)  Bev.  scient.,  8  août  iks7,  p.  233. 

(7)  L'Homme,  1887,  p.  200-202. 

(8)  Bev.  nrch.,  décembre  1865,  p.  433-437.  —  Mater.  1866.  p.  217. 

(9)  Bull.  Soc.  Anlhr.,  Paris,  18S7,  p.  290. 

(10)  L'Anthropologie,  1800,  p.  614. 


D'   FR.  POMMEROL.  —  LES  PENDELOQUES  ET  LES  COLLIERS  AMULETTES       621 

complet,  tantôt  par  grains  isolés.  Ils  gisent  presque  oubliés  dans  le  fond 
d'un  vieux  tiroir.  On  croit  cependant  qu'ils  possèdent  un  réel  pouvoir, 
aussi  fait-on  de  sérieuses  difficultés  pour  s'en  dessaisir.  Les  ancêtres 
tenaient  autrefois  à  honneur  de  s'en  orner  dans  les  circonstances  solen- 
nelles de  la  vie.  » 

Ces  colliers  sont  formés  par  la  réunion  de  quinze  à  vingt  perles  enfi- 
lées comme  des  grains  de  chapelet,  sur  une  chaîne  de  laiton.  Les  perles 
ont  la  dimension  d'une  olive,  d'une  noisette,  d'un  pois  :  elles  sont 
exactement  forées.  Elles  sont  généralement  d'ambre  jaune  ou  rouge,  et 
aplaties  aux  deux  extrémités  de  l'axe.  Le  plus  souvent  elles  sont  mal 
taillées,  mal  polies,  et  parfois  presque  brutes.  Il  est  aussi  des  grains  en 
silex  agate,  en  jaspe,  en  jayet,  en  cristal  de  roche  et  en  une  pierre 
d'apparence  granitique.  D'autres  sont  en  corail,  en  verre,  en  une  pierre 
rougeâtre  veinée  de  blanc.  La  plupart  sont  taillés  à  facettes,  mais  il  en 
est  qui  sont  à  côtes  longitudinales,  et  d'autres  en  forme  d'olive  polie  et 
allongée.  Les  grains  de  jayet  sont  généralement  de  forme  sphérique.  On 
observe  aussi  de  grosses  perles  olivaires  en  pâte  ou  verre  émaillé,  d'une 
couleur  bleu  pâle.  Elles  sont  régulières  et  parfaitement  polies;  quelques- 
unes  cependant  sont  d'apparence  assez  grossière. 

L'opercule  aplati  d'une  coquille,  ayant  la  forme  d'un  œil,  est  enchâssé 
dans  une  garniture  d'argent  à  bords  dentelés.  Cet  opercule,  quand  il 
n'est  pas  serti,  sert,  dans  les  campagnes  d'Auvergne,  à  expulser  les  corps 
étrangers  de  l'œil  ;  et,  pour  cela,  on  l'introduit  entre  le  globe  et  la  pau- 
pière. Cette  coquille  est  appelée  la  pierre  de  la  maille.  Elle  paraît  être 
la  même  que  celle  que  les  Italiens  désignent  sous  le  nom  d'oeil  de  sainte 
Lucie,  et  qui  appartient,  suivant  Belucci,  à  une  espèce  de  Trochus  (1). 
Nous  devons  rapprocher  de  ce  talisman  Vœil  d'Osiris,  amulette  de  verre 
qui  s'est  porté  à  Paris  ('2),  que  les  Égyptiens  nomment  oudja,  et  qui  se 
fabrique  encore  à  Hébron  (3). 

Outre  la  pierre  de  la  maille  qui  sert  à  combattre  les  maladies  de  l'œil, 
les  grains  ou  les  pendeloques  en  agate  ou  en  jaspe  rouge  sont  connus 
des  paysans  sous  le  nom  de  pierre  du  sang.  Elles  sont  employées  à 
rétablir  les  écoulements  naturels  du  sang,  et  guérir  les  maladies  où  ce 
liquide  semble  ayoir  une  certaine  influence.  Sur  un  des  colliers  de  Tauves 
se  trouve  une  pendeloque  de  4  centimètres  de  long  sur  3  centimètres 
de  large,  en  forme  de  cœur  allongé,  en  jaspe  rouge,  et  montée  en  argent. 
C'est  là  une  superbe  pierre  du  sang.  Les  grains  de  quartz   d'aspect  lai- 


(1)  Catalogue  d'une  collection  d'amulettes  italiennes  envoyées  à  l'Exposition  universelle  de  Paris  ; 
1889,  Pérouse,  in-s». 

Revue  dis  Trad.  pnp.;  1890,  p.  21 3,  21  G. 

(2)  Ibid.,  1888,  p.  332. 

(3)  Pbrrot,  Hiat.  de  l'Art,  t.  III,  p.  733. 


6^2  ANTHROPOLOGIE 

teux  sont  dits  pierres  du  lait.  On  les  porte  pour  guérir  les  engorgements 
du  sein  et  faciliter  la  venue  du  lait  (1). 

Ces  grains  présentent  une  surface  craquelée  par  l'usure  ;  ils  doivent  être 
très  anciens  et  avoir  une  vertu  en  rapport  avec  leur  âge.  Quelques  grains 
d'agate  ont  la  forme  de  cylindres  allongés  et  de  petit  diamètre.  Un 
grain  de  forme  ovoïde  présente  un  canal  garni  d'un  revêtement  de  cuivre 
ou  de  laiton  où  passe  la  chaîne  de  suspension. 

Enfin,  signalons  une  perle,  irrégulièrement  circulaire,  et  en  forme  de 
disque  aplati.  Elle  a  un  centimètre  de  diamètre  ;  le  trou  de  suspension 
est  foré  près  du  bord .  Elle  est  très  polie  par  suite  d'usure  et  faite  d'une 
roche  talqueuse  à  veines  brunes  et  bleues,  tachetée  de  points  brunâtres. 

Tels  sont  les  colliers  et  les  amulettes  du  canton  de  Tauves,  en  pleine 
montagne  du  Mont-Dore,  là  où  les  vieilles  coutumes  et  les  vieilles  tradi^ 
tions  se  sont  conservées  presque  intactes  jusqu'à  nos  jours.  Il  en  est  de 
même  dans  les  montagnes  du  Cantal;  et  M.  Delort  nous  a  entretenus 
autrefois  des  pierres  de  la  maille,  du  lait  et  du  sang  que  l'on  observe 
encore  dans  la  région  de  Saint-Flour. 

On  trouve  chez  certains  pharmaciens  des  colliers  amulettes  appelés 
colliers  de  dentition,  dont  on  orne  le  cou  des  enfants  qui  mettent  les 
dents.  Ils  sont  parfois  composés  de  grains  d'ambre  ou  de  succin,  mais 
d'autres  fois  ils  comprennent  un  certain  nombre  de  pendeloques  en  os 
taillées  en  forme  de  canines  de  chien  ou  de  loup  ;  ils  sont,  dit-on,  sou- 
verains contre  les  convulsions  qui  accompagnent  la  sortie  des  dents.  Les 
colliers  en  gousses  d'ail  servent  aussi  à  préserver  des  convulsions  causées 
par  la  dentition  ou  par  la  présence  des  vers  intestinaux  (2).  C'est  sans 
doute  parce  que  la  gousse  d'ail  a  la  forme  d'une  canine  de  carnassier 
qu'elle  est  employée  comme  amulette. 

Ainsi,  bien  des  usages,  bien  des  pratiques  populaires  existant  encore, 
trouvent  une  explication  naturelle  par  l'étude  comparée  des  objets  pré- 
historiques. Ces  usages  ne  sont  autres  que  des  survivances,  des  supers- 
titions des  anciens  âges. 


(1)  Les  colliers  faits  avec  dés  bouchons  de  liège  ont  une  propriété  contraire  ;  ils  font  disparaître  le 
lait  quand  la  mère  ne  veut  ou  ne  peut  nourrir. 

Sur  la  pieire  du  sang  et  la  pierre  du  lait  en  Italie.  V.  Rev.    Trud.  pop.,   1890,  p,  220;  Belucci.  — 
Op.  cit. 

(2)  Cette  pratique  existe  non  seulement  en  Auvergne,  mais  encore  en  Bretagne.  (Rev.  Trad.  pop., 
1892,  p.  600.) 


F.  DOUMERGUE.  —  LA  GROTTE  DU  CIEL  OUVERT,  A  ÔHAN      623 


M.  r.  LOÏÏMEEGÏÏE 

Professeur  au  Lycée  d'Oran. 


LA  GROTTE  DU  CIEL  OUVERT,  A  ORAN 


—  iséance  du  H  septembre  189i  — 

Cette  grotte  se  trouve  sur  le  versant  est  des  Planteurs.  Elle  est  située 
au  sommet  et  sur  le  versant  gauche  du  ravin  de  la  carrière  de  l'usine  à 
gaz.  Pour  s'y  rendre,  on  prend  le  chemin  qui  part  du  Château-d'Eau  et 
remonte  le  ravin  Raz-el-Aïn.  On  ne  tarde  pas  à  arriver  au  pied  du  plan 
incliné  de  la  carrière  précitée.  Cent  pas  plus  loin,  on  prend,  à  droite,  le 
chemin  de  la  carrière.  Près  de  l'entrée  de  celle-ci,  on  quitte  le  chemin 
pour  prendre,  à  gauche,  le  sentier  qui  s'engage  dans  le  ravin.  Pour  arriver 
à  la  grotte,  il  n'y  a  qu'à  suivre  le  fond  du  ravin,  sinon  on  risquerait 
fort  de  la  chercher  trop  longtemps. 

Topographiquement  la  grotte  du  Ciel  ouvert  est  située  dans  le  deuxième 
ravin  à  l'ouest  de  la  tour  xMaussion  et  à  500  mètres  de  ce  point  géodé- 
sique.  Son  altitude  est  d'environ  300  mètres.  Son  ouverture  regarde  le 
midi. 

Cette  grotte  est  creusée  dans  un  promontoire  rocheux  qui  a  environ 
20  mètres  de  longueur,  12  mètres  de  largeur  et  o  à  0  mètres  de  hau- 
teur au  sud  et  à  l'ouest.  Elle  se  compose  d'un  boyau  et  d'une  chambre. 
Le  boyau  a  environ  \0  mètres  de  longueur  jusqu'à  la  chambre  et  une 
largeur  moyenne  de  1"',80.  L'entrée,  de  forme  ogivale,  a  2'", 10  de  hau- 
teur et  2  mètres  de  largeur.  Le  boyau  se  rétrécit  à  deux  mètres  de  l'ou- 
verture et  sur  une  longueur  de  1"',20.  Il  reprend  ensuite  sa  largeur  nor- 
male. Sauf  dans  cet  étranglement,  on  peut  se  tenir  debout  dans  tout  le 
reste  du  boyau.  La  hauteur  du  plafond  varie  de  2  à  4  mètres.  A  la  sortie 
de  l'étranglement,  on  aperçoit  le  ciel  ouvert  dont  le  plafond  est  percé. 
Cette  ouverture  a  plus  d'un  mètre  de  diamètre  et  s'évase  vers  l'extérieur. 
Un  profond  sillon  creusé  dans  le  roc  y  conduit  les  eaux  de  pluie. 

A  dix  mètres  de  l'entrée,  le  boyau  est  joint  à  la  chambre  par  un  court 
embranchement.  II  se  continue  ensuite  dans  la  roche  vive  pour  finir  trois 
mètres  plus  loin. 

La  chambre  est  à  peu  près  circulaire.  Elle  a  un   di;i mètre  moyen  de 


624  ANTHROPOLOGIE 

6  mètres.  La  voûte  est  basse  et  l'on  ne  peut  guère  se  tenir  debout  qu'au 
centre.  Elle  est  à  peu  près  obscure.  Quelques  rayons  de  lumière  y  arri- 
vent, dans  la  matinée,  par  deux  petites  ouvertures  dont  la  voûte  est 
percée.  Ces  petites  lucarnes,  de  forme  ovale,  ont  à  peine  0'",10  et  0",20 
de  grand  diamètre. 

* 
*  * 

Passons  maintenant  à  l'étude  de  la  grotte. 

La  chambre  n'est  pas  encore  entièrement  fouillée.  Nous  n'en  dirons 
rien.  Nous  n'y  avons  d'ailleurs  trouvé  que  des  ossements  d'animaux 
actuels. 

Le  boyau  a  été  complètement  vidé.  C'est  du  résultat  des  fouilles  que 
nous  allons  vous  entretenir. 

Les  couches  étaient  au  nombre  de  trois  et  identiques  à  celles  de  toutes 
les  grottes  des  environs  d'Oran. 

L'inférieure,  d'épaisseur  très  variable  (0'",10  à  0",30),  était  formée  par 
un  terreau  calcaire  jaunâtre,  détritus  de  la  roche  helvétienne  dans  laquelle 
est  creusée  la  grotte.  L'âge  de  cette  couche  ne  peut  encore  être  déter- 
miné. 

La  moyenne,  d'une  épaisseur  de  0™,60,  était  formée  d'un  terreau  noir 
mêlé,  par  places,  de  cendres.  Elle  renfermait  une  grande  quantité  de 
grosses  pierres  qui  ont  rendu  les  fouilles  très  pénibles.  Cette  couche,  que 
l'on  retrouve  dans  toutes  les  grottes  d'Oran,  commence  à  être  bien  con- 
nue. Elle  appartient  probablement  à  la  période  néolithique. 

La  supérieure,  moderne,  n'avait  que  quelques  centimètres  d'épaisseur; 
elle  ne  nous  a  présenté  aucun  intérêt. 


FAUNE 

Comme  toujours,  la  couche  inférieure  nous  a  offert  d'assez  nombreux 
débris  d'os  indéterminables.  Toutefois  nous  avons  été  assez  heureux  pour 
en  retirer  : 

1°  Une  mâchoire  inférieure,  des  dents  séparées  et  deux  noyaux  osseux 
de  la  gazelle  dorcade  ; 

2°  Un  fragment  de  noyau  osseux  d'antilope  ; 

3°  Deux  prémolaires  inférieures  de  lait  d'un  hos. 

Nous  n'avons  pu  y  trouver  aucun  reste  d'industrie. 

La  couche  moyenne  était  bien  plus  riche.  Les  principaux  vertébrés 
signalés  dans  la  grotte  des  Troglodytes  par  MM.  Pallary  et  Tommasini 
(Congrès  de  Marseille,  1891)  y  étaient  représentés.  Nous  devons  toutefois 
signaler  l'absence  du  grand  bœuf. 


F.  DOUMERGUE.  —  LA  GROTTE  DU  CIEL  OUVERT,  A  ORAN      623 

M.  Pomel,  qui  a  étudié  le  produit  de  nos  fouilles,  y  a  reconnu,  en  outre, 
trois  espèces  fort  intéressantes. 

T,  —  Une  antilope  nouvelle  que  notre  vénéré  maître  décrira  plus  tard.  Cette 
espèce  était  de  grande  taille.  Elle  est  représentée  : 

i°  Par  une  superbe  paire  de  cornes  (noyaux)  ; 

2"  Par  deux  portions  de  mâchoire  inférieure:  l'une  avec  six  molaires,  l'autre 
avec  cinq  ; 

3°  Par  une  portion  de  mâchoire  supérieure  avec  quatre  molaires  ; 

4°  Par  les  deux  têtes  d'un  tibia  ; 

5"  Par  une  tète  inférieure  d'humérus. 

M.  Pomel  croit  que  cette  espèce  est  figurée  sur  les  rochers  de  la  région  des 
Ksours. 

II.  —  Antilope  Maupasi,  Pomel,  représentée  par  une  portion  de  mâchoire 
inférieure  avec  les  quatre  dernières  molaires.  Cette  espèce  n'était  connue,  jus- 
qu'à présent,  que  des  grottes  des  environs  d'Alger. 

III.  —  Struthio  camelus,  L.  Cette  espèce  est  représentée  : 
1°  Par  un  crâne  en  assez  mauvais  état; 

2«*  Par  une  tête  inférieure  de  tibia  ; 

3°  Par  deux  têtes  inférieures  de  tarses,  n'appartenant  pas  au  même  individu; 
4"  Par  une  première  phalange  brisée. 

M.  Pallary,  qui  a  fouillé  deux  fois  la  grotte  avec  nous,  en  a  aussi  retiré  une 
tête  inférieure  de  fémur. 

Jusqu'ici  on  avait  constaté,  dans  toutes  les  grottes,  la  présence  en  abon- 
dance de  fragments  d'oeufs  d'autruche.  Ces  débris  n'étaient  pas  sufQsants 
pour  affirmer  que  cet  oiseau  avait  vécu  sur  place.  Les  œufs  auraient  pu 
être  obtenus  par  voie  d'échange.  La  présence  des  os  réduit  aujourd'hui 
cette  supposition  à  néant. 

L'autruche  a  donc  vécu  sur  le  littoral. 

Nous  devons  ajouter  que  M.  Pomel,  qui  a  revu  depuis  les  collections 
de  M.  Pallary  provenant  des  autres  grottes  d'Oran,  y  a  trouvé  des  osse- 
ments du  grand  coureur.  Avec  les  restes  de  ces  trois  espèces,  nous  avons 
recueilli  aussi  une  molaire  supérieure  et  un  métatarsien  de  chien.  Nous 
n'oserions  pourtant  affirmer  que  ces  deux  pièces  ont  été  retirées  de  la 
couche  moyenne.  Peut-être  proviennent-elles  de  la  supérieure.  Toutefois 
nous  ferons  remarquer  que  la  présence  de  plusieurs  espèces  de  chiens  a 
été  constatée  par  M.  Pomel  dans  les  grottes  des  environs  d'Alger  (1).  Il 
n'y  a  donc  rien  d'extraordinaire  à  ce  qu'on  le  trouve  à  Oran. 

Nous  fouillons  actuellement  une  grotte  qui  nous  a  fourni  les  dents  de 
trois  ou  quatre  chiens. 

Malheureusement  nous  ne  pouvons,  pour  le  moment  du  moins,  élucider 

(i)  MM.  Pallary  et  Tommasini  (in  Bull.  Congrès  de  Marseille,  p.  645)  disent  ne  pas  avoir  trouvé  le 
chien  dans  les  gisements  quaternaires  algériens  et  que  probablement  il  nexislait  pas  aux  époques 
anciennes. 

40* 


^26  ANTHROPOLOGIE 

la  question,  la  grotte  paraissant  avoir  été  remaniée.  La  continuation  des 
fouilles  nous  permettra  peut-être  d'être  plus  précis. 

Mais  revenons  à  la  grotte  du  Ciel  ouvert.  Avec  les  restes  importants 
que  nous  venons  de  signaler,  nous  avons  encore  trouvé  : 

Bos  primigenius,  var.  mauretanims,  Thomas,  représenté  par  trois  mo- 
laires inférieures. 

A  citer  encore  quelques  dents  d'Equus...  de  sanglier,  de  porc -épie,  de 
gazelle  de  montagne,  deux  mâchoires  de  hétnsson,  les  phalanges  et  les 
griffes  d'un  grand  rapace,  enfin  de  nombreux  restes  de  ruminants  insuffi- 
sants pour  être  déterminés. 

Le  mouton  et  la  chèvre  se  sont  montrés  dans  toute  la  couche  moyenne. 
Rares  en  bas,  ils  étaient  plus  communs  dans  les  parties  supérieures  et 
abondaient  dans  la  couche  moderne. 

La  couche  moderne  renfermait  des  restes  de  mouton,  de  chèvre,  de 
bœuf,  d'âne,  de  rats,  d'oiseaux,  de  bufo  viridis. 


PRÉSENCE    DE  L  HOMME 


Quoique  nous  n'ayons  pas  trouvé  des  ossements  humains  dans  le 
boyau  de  la  grotte,  la  contemporanéité  de  l'homme  avec  les  animaux 
que  nous  venons  de  citer  n'est  pas  douteuse.  Elle  est  démontrée  : 

1°  Par  les  os,  qui  sont  tous  fendus  ou  brisés  dans  le  but  d'en  extraire  la 

moelle  ; 
2°  Par  les   cendres,  dans   lesquelles   on  trouve  les  restes  des  grands 

animaux  ; 

30  Par  les  autres  détritus  de  l'alimentation  de  l'homme; 

40  Par  les  silex  taillés  et  les  haches  polies  ; 

50  Par  les  fragments  de  poteries; 

6°  Par  quelques  autres  objets  manifestement  travaillés  par  l'homme. 

Les  détritus  de  l'alimentation  se  composaient  d'os  et  d'escargots.  Ces 
derniers  surtout  abondaient.  Les  poches  des  parois  en  étaient  remplies;  on 
les  trouvait  par  centaines.  Ces  poches  étaient  probablement  des  réserves. 
Toutes  les  espèces  trouvées  vivent  encore  aux  alentours  de  la  grotte.  Les 
coquilles  marines  n'étaient  représentées  que  par  de  rares  patelles, 
quelques  trochus  et  une  turritelle.  Les  moules  manquaient.  Cette  absence 
est  à  noter,  car  dans  la  plupart  des  grottes  d'Oran  ces  mollusques  abondent. 

Les  silex  étaient  relativement  peu  nombreux.  Ils  ne  nous  ont  guère 
offert  que  de  grossiers  fragments,  de  petite  dimension,  taillés  à  grands 
éclats  sur  une  seule  face,  sans  forme  définie. 

A  signaler  la  présence  de  quelques  rares  lames  peu  retouchées  et  de 
deux  ébauches  de  pointes. 

Ces  dernières,  longues  de  3  et  5  centimètres,  sont  épaisses  et  taillées 


F.    DOUMERGUE.    —    LA    GROTTE    DU    CIEL    OUVERT,    A    ORAN  627 

sur  les  deux  faces  ;  elles  sont  en  silex  couleur  de  cire  vierge.  Cette  espèce 
de  silex  se  rencontre  ici  rarement. 

Toute  classification  de  ces  silex  est  impossible. 

On  ne  peut  avancer  qu'une  seule  chose  :  c'est  que  la  couche  moyenne 
paraît  appartenir  à  la  période  néolithique.  Les  haches  polies  y  sont  rares  et 
les  pointes  de  flèche  encore  plus  rares.  Ces  instruments,  produits  d'une 
industrie  avancée,  ne  sont  peut-être  pas  aussi  anciens  que  les  couches 
qui  les  renferment. 

Dans  toutes  les  grottes,  la  couche  moyenne  est  tout  simplement  sur- 
montée d'une  couche  moderne  formée  toujours  de  déjections  de  ruminants 
domestiques.  On  ne  l'a  pas  encore  trouvée  recouverte  d'une  couche  stalag- 
mitique.  Rien  ne  prouve  donc  que  les  couches  moyennes  étudiées 
jusqu'ici  n'ont  pas  été  remaniées.  Nous  avons  même  de  fortes  présomp- 
tions pour  croire  qu'elles  l'ont  été.  Quant  à  l'assimilation  de  la  couche 
inférieure  avec  celle  du  Moustier,  elle  est  encore  bien  plus  problématique. 
Pour  notre  part,  nous  croyons  qu'elle  n'appartient  pas  à  la  période  quater- 
naire. Quelques  éclats  ne  peuvent  servir  en  aucune  façon  à  caractériser 
une  période  géologique.  Elle  n'appartient  pas  non  plus  à  l'époque  roben- 
hausienne.  M.  Tardy  {Congrès  de  Marseille,  l*^""  vol.,  p.  2G0),  qui  la  classe 
dans  le  campinien,  nous  paraît  fortement  présumer  la  vérité.  Nous  nous 
empressons  d'ajouter  que,  pour  le  moment,  l'assimilation  des  couches 
des  grottes  d'Oran  à  celles  des  grottes  de  l'Europe  centrale  n'est  que 
relative.  Le  jour  où  la  chronologie  pourra  être  suffisamment  établie,  ces 
couches  devront  recevoir  des  dénominations  différentes.  D'ailleurs,  cette 
opinion  n'est  pas  de  nous.  Elle  fut  émise  par  M.  Cartailliac  lors  du 
Congrès  d'Oran.  Depuis,  M.  Carrière  la  soutient  en  toute  occasion.  Nous 
l'avons  acceptée,  car  nos  observations  n'ont  fait  que  la  confirmer. 

Cette  digression  nous  a  encore  fait  oublier  la  grotte  du  Ciel  ouvert. 
Avec  les  silex  nous  avons  trouvé  deux  haches.  Elles  étaient  placées  côte 
à  côte  dans  une  poche  de  la  paroi  du  rocher,  à  quelques  centimètres  au-- 
dessous de  la  surface  et  dans  la  partie  supérieure  de  la  coucfie  moyenne. 

L'une,  en  forme  de  boudiu,  est  en  grès  rose.  Elle  a  0"',128  de  lon- 
gueur et  0'",034  de  diamètre. 

Le  tranchant  a  0"',03o  de  corde  et  0'",(JOG  de  flèche.  La  crosse  est  ré- 
trécie.  La  hache  a  une  face  légèrement  aplatie  sur  laquell(3  elle  peut  repo- 
ser d'aplomb.  La  face  opposée,  la  supérieure,  est  légèrement  cintrée. 
Toute  la  surface  est  piquetée,  sauf  le  tranchant  qui  est  poli. 

L'autre  hache,  de  forme  commune,  à  section  elliptique,  est  en  schiste 
gréseux  de  Santa-Cruz. 

Elle  est  polie  sur  toute  sa  surface.  Elle  a  0"',13  de  longueur,  0"',0o  de 
largeur  au  milieu  et  0"\042  de  grande  épaisseur.  La  corde  du  tranchant 
est  de  O'",047,  la  flèche  de  O^SOOQ.   Les  bords  sont  amincis  et   arrondis. 


G28  ANTHROPOLOGIE 

Ces  deux  haches  sont  intéressantes  en  ce  qu'elles  sont  faites  de  roches 
autres  que  la  diorite  avec  laquelle  sont  faites  presque  toutes  les  haches 
trouvées  à  Oran.  Celle  en  schiste  gréseux  est  remarquable  en  ce  que  la 
roch(î  est  très  tendre.  Elle  pouvait  donc  s'ébrécher  au  moindre  choc  sur 
un  corps  dur.  Les  deux  haches  ont,  d'ailleurs,  le  tranchant  intact; 
peut-être  n'ont-elles  pas  servi.  Seule  celle  en  schiste  est  détériorée  sur 
une  face  par  l'action  de  l'humidité. 

Les  débris  de  poteries,  qui  étaient  assez  communs,  ne  nous  ont  offert 
qu'un  morceau  intéressant.  C'est  un  fond  de  vase  de  forme  conique  sem- 
blable à  celui  des  amphores. 

Les  restes  du  travail  de  l'os  manquaient  ou  à  peu  près. 

La  grotte  recevant  l'eau  en  abondance  par  le  ciel  ouvert,  le  terreau  était 
très  humide.  Aussi  il  nous  a  été  impossible  d'en  retirer  un  seul  outil  en- 
tier en  os  poli.  A  peine  quelques  fragments. 

Citons  pourtant  un  objet  fait  d'un  morceau  de  tibia  de  carnassier  et 
non  poli. 

Cet  objet,  dont  on  voit  le   croquis  ci-contre,  est  de  forme  triangulaire, 
à  pointe  fortement  émoussée.  Il  porte  près  de  l'extrémité, 
r^         sur  le  bord  droit,  deux  entailles  faites  au  moyen  d'une  scie. 

I  "f^  Cet  objet  ressemble  un  peu  à  celui  que  MM .  Siret  ont  décrit 
et  figuré  dans  leur  ouvrage  sur  l'Espagne  (1),  et  qu'ils  soup- 
çonnent être  une  idole.  Notre  idole  serait  tout  simplement 
inachevée. 

Nous  croyons   que  l'objet  que  nous  signalons  était  plutôt 
un  petit  registre  de  comptes. 

A  signaler  encore  un  morceau  de  poterie  irrégulièrement  circulaire  de 
0™,05  de  diamètre  et  0'",008  d'épaisseur. 

Les  faces  sont  parallèles  et  paraissent  avoir  été  égalisées  par  le  frotte- 
ment. Cette  rondelle  est  percée  au  centre  d'un  trou  de  0'",006  de  dia- 
mètre. Quel  était  l'usage  de  cet  objet?  Était-ce  un  peson  de  fuseau? 

Tels  sont  les  résultats  des  fouilles  qu'il  nous  a  paru  intéressant  de 
vous  soumettre. 

Tous  les  ossements  et  tous  les  objets  que  nous  avons  retirés  de  la 
grotte  du  Ciel  ouvert  font  partie  des  collections  du  Musée  d'Oran  dont 
les  richesses  préhistoriques  augmentent  tous  les  jours. 

(1)  Les  premiers  âges  du  Métal  dans  le  tud-esl  de  l'Espagne.  Résumé,  p.  20,  pi.  II,  fig.  19. 


D'"  L.  MANOL'VRIER.   —  CERVEAU  d'lN  INDIGÈNE  DES  ILES  MARQUISES       629 


M.  le  W  L.  MÂIfOÏÏYRIEE 

Prof,  ù  l'École  d'Anthropologie,  à  Paris. 


DESCRIPTION  OU  CERVEAU  D'UN  INDIGÈNE  DES  ILES  MARQUISES 


—  Séance  du  SI  septembre  i892  — 

C'est  M.  Je  U""  H.  Gros,  médecin  de  deuxième  classe  de  Ja  marine,  qui 
a  fait  don  à  la  Société  d'Anthropologie  du  cerveau  décrit  dans  le  présent 
travail.  Ce  cerveau  est  celui  d'un  homme  adulte  nommé  Petorio,  origi- 
naire des  îles  3Iarquises,  qui  était  employé  comme  chauffeur  sur  un  navire 
français,  et  qui  mourut  à  l'hôpital  de  Papeete  (Tahiti),  d'une  dysenterie 
aiguë,  le  12  mars  1891. 

M.  le  D""  Gros  recueillit  le  cerveau  dans  un  vase  en  fer-blanc  rempli 
d'alcool  et  put  ainsi  le  transporter  en  France,  où  il  a  bien  voulu  me  le 
confier,  au  laboratoire  d'Anthropologie  de  l'école  des  Hautes  Études,  et  me 
laisser  le  soin  d'en  faire  la  description.  Il  m'a  remis,  en  outre,  quelques 
notes  recueillies  par  lui  à  la  salle  d'autopsie  et  desquelles  j'extrais  les 
renseignements  suivants  : 

Petorio  avait  une  taille  de  1°\"2  (mesurée  à  l'autopsie).  Il  était  très 
amaigri  au  moment  de  sa  mort,  mais  il  avait  dû  être  très  fortement 
musclé. 

Il  portait  sur  les  membres  supérieurs  des  inscriptions  tatouées  :  puacian, 
teluaraiali,  onitope,  hou,  kekua  kueke  kao,  Petorio,  —  opeke  hupa  ekipine. 

Diamètre  antéro-postérieur  maximum  de  la  tête  180;  transverse  maxi- 
mum loO  ;  indice  céphalique  83,3. 

Largeur  bizygomatiquc  14-2  ;  bicaronculaire  30  ;  bigoniaque  112. 

Longueur  de  la  clavicule  loO  ;  distance  des  épines  iliaques  :218  ;  des 
deux  trochanters  280;  longueur  totale  du  pied  230. 

Congestion  méningée  intense.  Membranes  adhérentes  au  cerveau  au 
niveau  de  la  scissure  de  Rolando.  En  ce  point,  se  trouvait  un  îlot  unique 
de  tubercules.  Écoulement  assez  abondant  de  liquide  séreux. 

Poids  total  de  Veticéphale  avec  la  pie-mère  1 .3o0  grammes. 

DESCRIPTION    DU    CERVEAU 

On  voit  que  le  poids  encéphalique,  mesuré  par  M.  le  D-"  H.  Gros,  est 
un  peu  inférieur  à  la  moyenne  des  Parisiens  malgré  la  stature  élevée  de 


630  ANTHROPOLOGIE 

Petorio.  Il  est  bon  d'observer  que  ce  poids  encéphalique  était  également 
un  peu  inférieur  à  la  moyenne  des  Polynésiens,  car  il  correspond,  d'après 
le  coefficient  (X  1-  l^J  indiqué  par  moi  dans  un  autre  mémoire  (1)  à 
une  capacité  crânienne  de  1.5o2  centimètres  cubes,  alors  que  les  110  crânes 
polynésiens  que  j'ai  cubés  ont  donné  une  moyenne  de  1.587  (2)  en 
rapport  avec  la  taille  exceptionnelle  de  cette  race.  Mais  la  taille  de  Petorio 
étant  inférieure  de  plusieurs  centimètres  à  la  taille  moyenne  des  Marqui- 
siens,  on  peut  admettre  qu'il  était  sensiblement  aussi  bien  partagé  que  la 
moyenne  de  ses  compatriotes  sous  le  rapport  du  poids  de  l'encéphale. 
C'est  là  un  fait  bon  à  noter,  à  défaut  d'autres  susceptibles  de  nous  ren- 
seigner sur  la  normalité  de  Petorio  par  rapport  à  ses  congénères,  car  si 
cet  homme  eût  été  inférieur  sous  le  rapport  du  poids  cérébral,  on  serait 
en  droit  de  soupçonner  que  l'infériorité  morphologique  de  son  cerveau 
était  un  fait  aussi  purement  personnel,  ce  qui  contribuerait  certainement 
beaucoup  à  affaiblir  la  signification  ethnographique  et  anthropologique  du 
cas  de  notre  cerveau  polynésien  jusqu'à  présent  unique. 

Après  dix-neuf  mois  de  séjour  dans  l'alcool,  l'encéphale  a  été  divisé  et 
exposé  à  l'air  libre  pendant  vingt-quatre  heures,  après  quoi  j'ai  obtenu  les 
poids  suivants  : 

Hémisphère  droit 3S5  gr.  )       ^ 

^  ,  oo-         692  grammes. 

—  gauche  .    ....    66  i       ) 

Cervelet 84 

Protubérance  et  bulbe 19 

Total  de  l'encéphale 795  grammes. 

Il  ressort  de  ces  chiffres  que  l'encéphale  a  perdu  dans  l'alcool  les 
412  millièmes  de  son  poids  et  que  l'hémisphère  droit  était  sensiblement 
plus  lourd  que  le  gauche.  La  comparaison  des  autres  poids  ne  donnerait, 
je  crois,  que  des  résultats  trop  sujets  à  caution. 

La  forme  générale  du  cerveau  a  dû  être  altérée  un  peu  par  le  séjour 
dans  l'alcool  et  aussi  par  une  compression  subie  dans  le  sens  antéro-pos- 
térieur.  La  courbure  très  forte  de  la  ligne  sagittale  me  paraît  cependant 
naturelle  et  conforme  à  la  forte  courbure  de  la  voûte  crânienne  dans  le 
type  polynésien. 

J'ai  pu  mesurer  sur  la  ligne  médiane  les  dimensions  suivantes,  en  sui- 
vant la  pratique  déjà  adoptée  dans  mon  étude  sur  le  cerveau  de  Véron  (3j. 

(1)  L.  Manouvrier.  Mém.    sur  l'interprétation  de  la  quantité  dans   l'encéphale.  (Mém.  de  la  Soc. 
d'Anihr.  de  Paris,  2°  s.,  t.  III.) 

(2)  Ibidem. 

(3)  Étude  sur  le   cerveau  d'Eugène  Véron  et  sur  une  formation    fronto-limbique.  (Bull,    de  la  Soc. 
d'Anihr.  de  Paris,  1892.) 


D'"  L.  MANOL'VRIER.  —  CERVEAU  d'lN  INDIGÈNE  DES  ILES  MARQUISES       631 

Je  dois  avouer  pourtant  que  la  correspondance  des  mesures  sur  des  cer- 
veaux différents  est  dilTicile  à  établir  et  un  peu  douteuse,  en  ce  qui  con- 
cerne les  limites  de  la  région  frontale  sur  le  bord  sagittal.  Ce  sont  là  de 
simples  essais  sur  la  valeur  desquels  on  ne  saurait  être  fixé  avant  de  les 
avoir  appliqués  à  un  assez  grand  nombre  de  cerveaux. 

Projections  : 

Droite.  Gauche. 

A.  Longueur  totale  en  projection 138'"»  139°"° 

A'.  Largeur  de  chaque  hémisphère 60  62 

B.  Longueur  du  corps  calleux 62  61 

C.  Projection  du  lobe  frontal  en  avant  des  corps  calleux.        26  25 

D.  Projection  en  arrière  des  corps  calleux 50  52 


Rapports 


Chez  E.  Véron. 


De  A'à  A  =  100 87.7  80.1 

De  B  à  A  =  100 44.2  46.4 

De  C  à  A  :^  100 18.7  19.2 

De  D  à  A  =  100 36.6  34.6 

Le  premier  de  ces  rapports  n'est  autre  chose  que  l'indice  «  cépha- 
lique  «  du  cerveau. 

Le  rapport  B  à  A  indique  Fétendue  relative  du  corps  calleux. 

Le  rapport  C  k  A  indique  l'étendue  relative  du  lobe  frontal  en  avant 
du  corps  calleux.  Ce  rapport  est  plus  élevé  chez  E.  Véron  que  chez  le 
Marquisien,  bien  que  le  corps  calleux  soit  moins  long  chez  ce  dernier. 

L'excédent  de  longueur  relative  du  corps  calleux  chez  Véron  est  tout 
entier  aux  dépens  de  la  projection  rétro-calleuse,  comme  l'indique  le 
rapport  D  k  A. 

Dans  le  calcul  de  ces  différents  rapports,  j'ai  pris  une  moyenne  entre 
les  mesures  du  côté  droit  et  du  côté  gauche  quand  ces  mesures  différaient 
entre  elles.  Au  cas  où  ces  rapports  donneraient  des  résultats  défini- 
tivement signilicatifs,  il  y  aurait  lieu  de  les  calculer  séparément  pour 
chaque  hémisphère. 


Courbe  médiane  antéro-postérieure. 


Droite  Gauche 


o.  De  l'extrémité  postérieure  du  sillon  olfactif  à  la  termi- 
naison du  premier  sillon  frontal 50                47 

h .  Du  dernier  point  à  la  rencontre  du  sillon  pré-rolandique.  l  U               128 

c.  Du  sillon  pré-rolandique  à  la  scissure  sous-frontale.  .   .  44                31 

d.  Longueur  du  lobule  quadrilatère 

e.  De  la  scissure  occipitale  au  pôle  occipital ^V 

T.  Total  de  la  courbe  médiane _^2ji 


23  23 

45 


632  ANTHROPOLOGIE 

Rapports  de  chaque  partie  à  r=100. 


a. 

b. 
c. 
d. 
e. 


MARQUISIEN 

E. 

VÉRON 

Droite 

Gauche 

Droite 

Gauche 

17.9 

17.2 

20.9 

23.0 

39.7 

46.7 

37.5 

33.0 

15.7 

11.3 

10.9 

12.4 

8.2 

8.3 

13.3 

12.5 

18.2 

16.4 

17.2 

18.9 

On  peut  trouver  peu  satisfaisant  de  voir  la  longueur  relative  du  lobe 
frontal  plus  faible  chez  Véron  que  chez  un  Polynésien  remarquable  par 
la  simplicité  de  son  cerveau,  comme  on  le  verra  plus  loin.  , 

Ce  fait  conduirait  à  mettre  en  doute  la  parfaite  homologie  physiolo- 
gique de  la  portion  cérébrale  envisagée  ci-dessus  ;  mais  il  est  permis  de 
supposer  que  cette  supériorité  du  Polynésien  constituait  une  compensa- 
tion partielle  à  l'infériorité  de  son  lobe  frontal  sous, d'autres  rapports. 

La  supériorité  relative  du  lobule  ovalaire  et  surtout  l'infériorité  du 
lobule  quadrilatère  chez  le  Polynésien  sont,  au  contraire,  exprimées  par  les 
chiffres  ci-dessus  d'une  façon  tout  à  fait  conforme  à  l'apparence  générale 
des  deux  cerveaux  et  aux  données  physiologiques  généralement  admises. 

Pour  exprimer  numériquement  le  développement  relatif  du  lobe  frontal 
mesuré,  non  plus  sur  son  bord  sagittal,  mais  à  sa  partie  inférieure  qui 
paraît  avoir  acquis  chez  l'homme  l'agrandissement  le  plus  marqué,  j'ai 
mesuré  la  largeur  (i)  de  chaque  lobe  frontal  au  niveau  de  la  partie 
moyenne  de  la  branche  ascendante  de  la  scissure  de  Sylvius,  sur  le  pli 
postérieur  du  cap  de  la  troisième  frontale,  et  j'ai  comparé  cette  largeur 
à  la  largeur  maxima  (o)  du  cerveau. 

En  outre,  j'ai  mesuré  au  ruban  la  distance  (F)  du  bord  sagittal  anté- 
rieur au  sillon  pré-rolandique,  au  niveau  de  la  portion  moyenne  du  pied 
de  la  troisième  frontale,  et  j'ai  comparé  cette  dimension  au  reste  (P)  de 
la  courbe  horizontale  allant  du  sillon  pré-rolandique  au  point  le  plus 
reculé  du  bord  sagittal  du  lobe  occipital.  Voici  les  résultats  de  cette  double 
comparaison  en  prenant  les  moyennes  des  deux  hémisphères. 


Largeur  i  ..::..   . 

Largeur  o  

Rapport  de  t  à  0  i:=  100. 
Courbe  antérieure  F  .  . 
Courbe  postérieure  P.  . 
Rapport  de  F  à  P  =::  100 


Jlarquisien 

Véron 

49 

50 

61 

61 

80.3 

81.9 

67 

72 

131 

131 

51.1 

54.9 

D*^  L.  MAXOUVRIER.  —  CERVEAU  d'uN  INDIGÈNE  DES  ILES  MARQUISES       633 

La  dernière  de  ces  comparaisons  me  paraît  avoir  le  plus  d'importance 
parce  que,  dans  l'évolution  progressive  du  lobe  frontal,  c'est  la  portion 
inférieure  de  ce  lobe  dont  l'agrandissement  a  été  le  plus  considérable. 
Or,  la  courbe  antérieure  F  mesure  cette  portion  précisément. 

Dislance  du  pôle  temporal  au  pôle  occipital  en  suivant  la  concavité  du 
lobe  temporal  :  droite  lOo,  gauche  Uo. 

Courbe  transversale  perpendiculaire  à  la  portion  moyenne  de  la  scis- 
sure de  Sylvius  : 

Droite  Gauche 

a.  Partie   sus-Sylvienne 77  78 

b.  Partie  temporale 105  115 

Rapport  dea  à  6  =  100 73.3         67.8 

Chez  E.  Véron,  ce  rapport  était  :  Droite,  86,9;  gauche,  89,0,  c'est-à- 
dire  que  la  courbe  frontale  transversale  était  relativement  beaucoup  plus 
développée  que  chez  notre  Polynésien;  cela  résultait  à  la  fois  de  la  su- 
périorité de  la  première  courbe  et  de  l'infériorité  de  la  seconde.  En  même 
temps,  la  distance  du  pôle  temporal  au  pôle  occipital  était  inférieure  chez 
Véron  (lOO'"""),  bien  que  la  longueur  totale  des  hémisphères  fût  très 
supérieure  chez  lui  :  loi  et  lo6  millimètres. 

Je  m'abstiendrai  de  conclusions  sur  ces  différentes  mesures  jusqu'à  ce 
que  j'aie  eu  le  loisir  de  les  comparer  sur  un  nombre  suffisant  de  cer- 
veaux. 

Au  point  de  vue  de  la  grandeur  des  différents  lobes,  le  cerveau  de 
notre  Marquisien  présente  plusieurs  caractères  appréciables  sans  le  secours 
des  instruments  et  saisissables  sur  les  figures  ci-jointes  qui  sont  des 
projections  dessinées  à  l'aide  du  stéréographe  de  Broca.  On  peut  voir,  par 
exemple,  que  la  grande  étendue  du  lobe  frontal  à  sa  partie  supérieure, 
indiquée  plus  haut  par  ses  mesures  comparées  à  celles  du  cerveau  de 
Véron,  n'est  pas" un  fait  purement  artificiel  dû  au  défaut  de  précision  des 
points  de  repère.  En  effet,  la  scissure  de  Rolando  est  très  oblique  dans 
sa  moitié  supérieure.  Elle  se  termine  bien  en  arrière  du  genou  du  corps 
calleux  sur  l'hémisphère  droit. 

On  peut  aussi  remarquer  la  situation  très  élevée  de  la  scissure  de  Syl- 
vius, autrement  dit  la  place  énorme  occupée  par  le  lobe  temporal  sur  la 
projection  latérale  des  hémisphères,  surtout  dans  l'hémisphère  droit,  et, 
sur  la  face  interne,  l'étroitesse  du  lobule  quadrilatère. 

SILLONS    ET   CIRCONVOLUTIONS. 

Un  fait  très  intéressant  apparaît  à  première  vue  :  c'est  la  grande  sim- 
plicité du  plissement  de  ce  cerveau.  Elle  n'est  pas  beaucoup  moindre 
que  celle    du  cerveau  schématique   de  Broca  et  il  n'y  a  pas  une  seule 


634  ANTHROPOLOGIE 

région  des  deux  hémisplières  qui  présente  un  degré  de  complication  mé- 
ritant d'être  appelé  un  degré  moyen. 

L'exactitude  des  figures    ci-jointes    me    dispensera   d'une   description 
détaillée . 

Face  externe. 

A   droite,   il   y  a  communication  entre  la  portion  ascendante  de  la 


FlG.    1. 


scissure  de  Sylvius  et  le  sillon  post-rolandique,  par  suite  de  l'obliquité 
singulière  de  la  portion  inférieure  de  ce  dernier  sillon. 


FiG.  2. 


Il  y  a  aussi  communication  du  deuxième  sillon  frontal,  transversalement 
dirigé,  avec  la  scissure  de  Sylvius. 

A  gauche,  la  scissure  de  Rolando  se  prolonge  jusqu'à  la  scissure  de  Syl- 
vius. Mais  en  écartant  largement  les  lèvres  de  cette  dernière  scissure,  on 


D""  L.  MANOUVRIER.  —  CERVEAU  d'uN  INDIGÈNE  DES  ILES  MARQUISES       63o 

aperçoit  dans  la  profondeur  le  pli  anastomotique  unissant  les  deux  circon- 
volutions ascendantes. 

Du  même  côté,  le  sillon  interpariétal  communique  avec  le  sillon  post- 
rolandique  et  avec  la  scissure  occipitale. 

Lobe  frontal.  —  Le  principal  sillon  longitudinal  de  ce  lobe  paraît  divi- 
ser la  deuxième  circonvolution  frontale  ;  c'est  un  cas  très  favorable  à 
l'opinion  suivant  laquelle  la  division  primaire  du  lobe  frontal  occupe 
cette  place,  opinion  adoptée  par  mon  collègue  M.  Hervé  (1),  d'autant  plus 
qu'il  s'agit  d'un  cerveau  dont  le  plissement  général  est  d'une  simplicité 
rare. 

Chez  notre  Marquisien,  en  effet,  il  existe,  sur  le  lobe  frontal  gauche, 
un  premier  sillon  frontal  bien  marqué  et  continu,  mais  qui  s'arrête  au 
niveau  de  la  courbure  antérieure  du  front.  A  partir  de  ce  niveau  il  est 
remplacé  par  un  profond  sillon  plus  externe  qui  fait  manifestement  suite 
à  un  sillon  supérieur  appartenant  à  la  deuxième  frontale  et  qui  descend 
jusqu'à  l'étage  orbitaire  où  il  s'infléchit  brusquement  vers  le  bord  sagittal. 
Quant  au  deuxième  sillon  frontal  classique,  il  n'existe  pas.  Il  est  rem- 
placé par  plusieurs  incisures  courtes  et  transversales  qui  n'établissent  pas 
une  délimitation  marquée  entre  la  deuxième  frontale  et  la  troisième.  La 
première  frontale  est  rattachée  à  la  frontale  ascendante  par  deux  racines 
a  et  6  (fig.  2),  situées  près  du  bord  sagittal. 

La  deuxième  frontale  nait  de  la  partie  la  plus  inférieure  de  la  frontale 
ascendante  par  une  large  racine  qui  occupe  la  place  ordinaire  du  pied  de 
la  circonvolution  de  Broca.  Il  en  est  de  même  sur  le  lobe  droit  où  le  pli  n 
(fig.  1)  appartiendrait  à  la  deuxième  circonvolution  et  non  à  la  première, 
d'ailleurs  assez  large. 

En  somme,  il  existe  sur  ce  cerveau  et  des  deux  côtés,  un  grand  sillon 
médio-frontal  laissant  au-dessus  et  au-dessous  de  lui  deux  larges  circon- 
volutions :  la  supérieure  incomplètement  divisée  par  un  sillon  longitudi- 
nal, l'inférieure  divisée  plus  incomplètement  encore  par  des  incisures 
transversales,  à  tel  point  que  tous  les  plis  de  la  troisième  frontale  se 
confondent  en  dedans  avec  les  plis  de  la  deuxième. 

La  Circonvolution  de  Broca  est  donc  très  imparfaitement  délimitée,  ce 
qui  contribue  à  donner  au  lobe  frontal  un  caractère  vraiment  grossier 
et  primitif. 

Cette  circonvolution  est  d'ailleurs  réduite  à  sa  plus  simple  expression. 

A  gauche,  son  pied  ne  s'attache  point  à  la  frontale  ascendante,  si  ce 
n'est  dans  la  profondeur  de  la  scissure  de  Sylvius,  et  elle  n'arrive  à  appa- 
raître à  la  surface  externe  du  cerveau  qu'à  un  centimètre  au-dessus  de 
cette  scissure.  Le  caf  est  divisé  par  une  incisure  qui  appartient  eu  grande 

(1)  La  circonvolution  de  Broca.  l\\it%e.  Paris  1888. 


636 


ANTHROPOLOGIE 


partie  à  la  deuxième  frontale.  En  avant  du  cap,  il  n'y  a  plus  qu'un  seul 
pli  très  court  appartenant  à  la  troisième  frontale  qui  disparaît  ainsi 
brusquement  vers  le  pôle  frontal. 

A  droite,  la  disposition  est  la  même,  si  ce  n'est  que  la  partie  inférieure 
du  pied  n'est  point  cachée  comme  à  gauche,  et  que  ce  pied  est  plus 
mince. 

Circonvolutions  ascendantes.  —  La  frontale  est  large  à  droite.  Les  sil- 
lons pré-rolandique  et  post-rolandique  sont  très  marqués. 


/ifi  /'Marquises 

FiG.  3. 


Circonvolutions  pariétales.  —  Simples  comme  les  autres.  Le  pli  courbe, 
à  droite,  est  très  peu  développé. 

Circonvolutions  occipitales.  —  Également  peu  compliquées.  Leur  con- 
tinuité avec  les  circonvolutions  temporales  est  assez  difficile  à  suivre,  à 
cause  des  interruptions,  d'ailleurs  fréquentes  en  général.  A  gauche,  le 
.sillon  parallèle,  interrompu  au  niveau  du  lobule  pariétal  inférieur,  est 
continué  par  un  sillon  qui  coupe  presque  entièrement  la  première  tem- 
porale à  sa  partie  supérieure.  Cette  coupure  transversale  semble  avoir 
pour  homologue,  à  droite,  une  rainure. 

Le  pli  de  passage  pariéto-occipital  supérieur  manque  à  gauche. 

Circonvolutions  temporales.  —  La  première  est  coupée,  à  droite,  vers 
sa  partie  moyenne,  par  un  sillon  transversal  peu  profond.  —  La  deuxième 


D""  L.   MANOUVRIER.  —  CERVEAU  d'un  INDIGÈNE  DES  ILES  MARQUISES      637 

est  remarquable  par  sa  largeur  sur  les  deux  hémisphères,  et  surtout  à 
droite.   —   La  troisième   est   large.  ~  La   quatrième  n'en  est  distincte 
qu'en  arrière. 
Le  lobe  temporal  est  vaste,  mais  simple  comme  tous  les  autres. 

Face  interne. 

La  simplicité  des  différents  lobes  est  plus  frappante  encore  sur  cette 
face  que  sur  la  face  extprne. 

L'étage  orbitaire  du  lobe  frontal  est  élevé. 

La  première  frontale  ou  frontale  interne  est  assez  large  à  droite,  et  il 
n'existe  pas,  de  ce  côté,  de  sillon  intra-limbique.  A  gauche,  la  circonvo- 
lution frontale  est  très  étroite,  encore  moins  divisée  qu'à  droite,  et  le  lobe 


FiG.  4. 


du  corps  calleux  atteint,  au  contraire,  une  grande  largeur.  Il  présente 
deux  incisures  longitudinales  du  genre  de  celles  dont  j'ai  étudié  la  signi- 
fication dans  un  autre  travail  (1). 

La  scissure  sous-frontale,  à  gauche,  est  ininterrompue.  Il  n'y  a  pas  de 
pli  de  passage  préovalaire.  —  A  droite,  elle  est  interrompue  deux  fois. 

Des  deux  côtés  cette  scissure  va  s'éloignant  du  bord  sagittal  à  mesure 
qu'elle  se  rapproche  du  lobule  ovalaire. 

Le  lobule  est  très  étendu  sur  les  deux  hémisphères. 

Le  lobule  quadrilatère,  est,  au  contraire,  très  étroit  et  divisé  par  une 
seule  incisure  transversale  dans  toute  sa  largeur.  La  scissure  sous-parié- 
lale  est  bien  marquée  et  longue,  c'est-à-dire  que  le  lobule  quadrilatère 
devient  large  au  voisinage  du  lobe  limbique. 

(1)  Élude  sur  le  cerveau  d'Eugène  Véron  et  sur  une  formation  fronlo-limhique . 


638  ANTHROPOLOGIE 

A  gauche,  la  scissure  calcarine  rejoint  incomplètement  la  scissure  occipi- 
tale, autrement  dit  :  le  pli  de  passage  cunéo-limbique  est  presque  super- 
ficiel. 

A  droite,  la  scissure  calcarine  est  complètement  interrompue,  avant  sa 
rencontre  avec  la  scissure  occipitale,  par  un  pli  superficiel  qui  n'est  pas 
le  pli  cunéo-Iimbique,  mais  bien  un  pU  anastomotique  unissant  les  deux 
dernières  circonvolutions  occipitales. 

Enfin,  le  bord  supérieur  de  la  circonvolution  de  l'Hippocampe  est 
entamé  par  l'incisure  limbique  de  Broca,  sur  l'un  et  l'autre  hémisphères. 

Telles  sont  les  principaux  faits  à  noter  sur  ce  cerveau  polynésien 
remarquable,  on  le  voit,  par  divers  caractères  d'infériorité  et  surtout  par 
son  degré  de  simplicité  qui  le  place  bien  au-dessous  de  la  moyenne  des 


FIG. 


Européens.  Il  ne  suffit  pas,  évidemment,  à  établir  des  conclusions  ethni- 
ques, car  il  est  très  possible  qu'il  soit  inférieur  aussi  à  la  moyenne  de  la 
race  polynésienne.  Cette  hypothèse  me  parait  même  très  vraisemblable 
en  raison  de  la  supériorité  très  sensible  de  la  plupart  des  autres  cer- 
veaux de  sauvages  de  diverses  provenances  que  j'ai  pu  examiner. 

Outre  les  particularités  intéressantes  indiquées  ci-dessus,  concernant  les 
divisions  du  lobe  frontal,  la  simplicité  de  la  circonvolution  de  Broca,  la 
grandeur  relative  des  différents  lobes,  l'exiguïté  du  lobule  quadrila- 
tère, etc.,  etc.,  il  me  paraît  important  d'observer  que  sur  ce  cerveau 
inférieur  l'infériorité  du  plissement  porte  à  la  fois  sur  toutes  les  régions, 
bien  que  notre  Polynésien  fût  robuste  et  de  haute  taille.  C'est  un  fait  de 
plus  à  ajouter  à  ceux  qui  tendent  à  démontrer  que  les  régions  cérébrales 
dites  motrices  n'en  sont  pas  moins  pour  cela  des  régions  intellectuelles. 
Les  unes  peuvent  présider  plus   particulièrement  que  les  autres  à  des 


D''  MAGITOT.    —   SUR    UNE   VARIÉTÉ   DE    CAGOTS    DES   PYRÉNÉES  639 

mouvements,  mais  les  incitations  motrices  parties  de  ces  centres  moteurs 
eux-mêmes  sont  des  phénomènes  intellectuels  et  sont  consécutives  à 
d'autres  phénomènes  intellectuels  prochains  ou  éloignés  dont  )a  com- 
plexité se  lie  à  une  complexité  du  plissement  cérébral  que  l'on  observe 
chez  les  hommes  bien  doués  intellectuellement,  sur  les  régions  motrices 
elles-mêmes  et  sur  tous  les  lobes  du  cerveau.  C'est  pourquoi  le  cerveau 
de  notre  Polynésien,  qui  était  celui  d'un  homme  robuste,  mais  proba- 
blement d'intelligence  médiocre,  n'est  pas  moins  simple  dans  les  régions 
(intellectuellement;  motrices  que  dans  la  région  frontale. 


M.  le  F  MAGITOT 

Membre  de  l'Académie  de  Médecine,  à  Paris. 


SUR  UNE  VARIÉTÉ  DE  CAGOTS  DES  PYRÉNÉES 


—  Séance  du  21  septembre  IS9i  — 

Pendant  un  assez  long  séjour  que  je  viens  de  faire  dans  la  région  des 
Pyrénées  et  en  particulier  dans  le  pays  de  Béarn,  je  fus  frappé  de  ren- 
contrer un  certain  nombre  d'individus  présentant  des  dispositions  toutes 
particulières  des  mains,  des  pieds  et  du  système  pileux. 

Ces  individus  appartenaient  soit  à  une  même  famille,  soit  à  deux  fa- 
milles issues  d'une  même  souche  originaire;  les  dispositions  qu'ils  pré- 
sentaient s'étaient  transmises  par  voie  d'hérédité  avec  des  caractères  à 
peu  près  identiques  et  ils  constituaient  dans  le  point  spécial  où  ils  furent 
rencontrés,  c'est-à-dire  le  canton  de  Salies -de-Béarn,  un  groupe  de  popu- 
lations auquel  les  gens  du  pays  donnaient  communément  le  nom  àccagots. 

En  quoi  consistent  les  dispositions  qu'ils  présentent? 

Le  voici  : 

Ixs  ongles  des  mains  et  des  pieds  sont  déformés.  Au  lieu  de  recouvrir 
la  face  dorsale  de  la  dernière  phalange  et  de  l'orteil,  ils  sont  arqués  en 
demi-cercle,  se  séparant  ainsi  de  la  matrice  de  l'ongle  à  leur  extrémité, 
et  formant  une  cavité  demi-circulaire  remplie   de  détritus    de  diverses 

sortes. 
Dans  une  autre  catégorie,  l'extrémité  unguéale  ne  s'est  pas  seulement 


640  ANTHROPOLOGIE 

séparée  de  la  matrice  sous-jacente,  elle  s'est  brisée  et  présente  alors  une 
échancrure  semi-lunaire  remplie  également  des  mêmes  détritus. 

Toutefois,  la  substance  même  de  l'ongle  paraît  normale;  il  n'y  a  ni 
fissure  dans  la  continuité,  ni  plaques  blanchâtres,  ni  taches  d'aucune  sorte. 
L'ono-le  a  sa  couleur  à  peu  près  ordinaire  ;  sa  consistance  semble  toute- 
fois amoindrie,  ce  qui  explique  la  fracture  du  bord  terminal,  brisé  sans 
doute  pendant  les  efforts  de  certaines  professions  manuelles. 

Les  deux  formes,  la  forme  arquée  et  la  forme  en  échancrure,  se  re- 
trouvent, d'ailleurs,  tantôt  sur  le  même  individu,  tantôt  sur  des  indi- 
vidus difïérents.  Ce  sont  deux  sous-variétés  accidentelles  ou  profession- 
nelles.   La    recherche  d'un    bacille   n'a   donné  jusqu'à  présent    aucun 

résultat. 

En  même  temps  que  cette  disposition  unguéale,  nous  observons  qu'au 
pourtour  de  l'ongle,  l'épiderme  présente  des  fissures  en  rayons  diver- 
gents, partant  de  la  matrice  pour  s'étendre  jusqu'au  niveau  de  la  pulpe 
des  doigts;  ces  fissures  sont  peu  profondes,  ne  dépassant  pas  la  surface 
du  derme,  mais  assez  sensibles  au  contact.  En  outre,  pendant  la  saison 
d'hiver,  elles  sont  très  douloureuses  ;  elles  s'ouvrent,  deviennent  san- 
guinolentes, s'ulcèrent  même,  suppurent  et  obligent  les  individus  à  se 
garnir  de  chiffons  les  extrémités  des  doigts. 

Les  substances  qui  emplissent  la  cavité  sous-unguéale  paraissent  être 
formées  de  débris  épithéliaux  mélangés  à  des  matières  les  plus  diverses. 
Chez  les  individus  qui  se  tiennent  proprement,  ce  qui  est  fort  rare,  cet 
amas  de  matières  est  blanchâtre  ou  grisâtre.  Chez  les  individus  mal- 
propres, c'est  une  masse  noirâtre  dans  laquelle  on  voit  s'agiter  parfois 
quelques  parasites  vermiculaires  à  la  présence  desquels  les  gens  attribuent 
leur  difformité. 

Pour  ce  qui  regarde  le  reste  de  la  main  ou  des  pieds,  il  est  normal. 
Aucune  déformation  ni  des  phalanges,  ni  du  carpe  ou  du  tarse,  pas  de 
nodosités,  pas  de  plaques  anesthésiques.  La  sensibilité  est  égale  sur  tous 
les  points  ;  pas  de  chapelets  ganglionnaires,  aucun  changement  de  cou- 
leur ou  d'aspect  à  la  peau.  En  un  mot,  la  difformité  noccupe  que  la  ré- 
gion unguéale  et  consiste  dans  une  incurvation  de  l'ongle.  Les  gens  du 
pays  donnent  à  cette  disposition  un  nom  pittoresque  et  exact  :  ce  sont, 
disent-ils  en  patois,  des  ouncles  de  carcoils  ou  ongles  en  colimaçon. 

Cette  première  constatation  faite  au  sujet  des  ongles,  nous  poursui- 
vîmes l'enquête  sur  le  reste  du  corps.  Nous  reconnûmes  alors  que  le  sys- 
tème pileux  était  frappé  d'une  réduction  plus  ou  moins  notable  dans  la 
quantité.  Les  cheveux  sont  rares,  clairsemés  et  d'une  finesse  toute  par- 
ticulière ;  ils  sont,  en  général,  roussâtres.  Ainsi  une  femme  d'une  qua- 
rantaine d'années  présentait  les  cheveux  d'un  enfant  nouveau-né.  Son 
cuir  chevelu  se  voyait  au  travers   d'une  maigre  couche  de  poils.  Les 


D""  MAGITOT.  —  SUR  UNE  VARIÉTÉ  DE  CAGOTS  DES  PYRÉNÉES     641 

autres  régiuns  du  corps,  aisselles,  pubis,  étaient  également  couvertes  de 
poils  rares.  Un  homme  adulte,  aux  ongles  déformés,  était  sans  barbe  et 
avec  les  poils  de  la  tête  el  du  corps  raréfiés,  ainsi  que  nous  venons  de  le 
dire. 

Nous  interrogeâmes  alors  le  système  dentaire,  dont  les  perturbations 
dans  l'ordre  tératologique  accompagnent  assez  souvent,  comme  on  sait, 
celles  du  système  pileux.  Nous  ne  pûmes  retrouver  aucune  anomalie 
particulière.  Les  individus  présentaient,  il  est  vrai,  des  altérations  par- 
fois fort  avancées  dues  à  la  carie  très  fréquente  en  ces  régions;  mais 
d'anomalies  de  nombre,  d'éruption  ou  d'autres  variétés,  point. 

L'altération  unguéale  et  pileuse  appartient  donc  exclusivement  au  sys- 
tème épidermique,  c'est  une  malformation  des  tissus  ectodermiques. 
Telle  est  la  désignation  sous  laquelle  il  convenait  provisoirement  de  la 
classer. 

Les  autres  parties  du  corps  étaient  dépoui-vues  de  toute  lésion  morpho- 
logique quelconque;  aucune  région  aneslhésiée  ou  hyperesthésiée,  pas  de 
chapelets  ganglionnaires  sur  aucune  région  du  corps;  aucune  modifica- 
tion du  lobule  de  l'oreille,  qui  était  normal  et  libre,  fait  assez  intéressant 
entre  autres,  car,  ainsi  que  nous  le  verrons,  il  a  été  invoqué  comme 
caractère  unique  chez  les  cagots  des  Pyrénées. 

En  interrogeant  toutefois  certaines  personnes  capables  de  nous  ren- 
seigner, les  médecins,  par  exemple,  nous  apprîmes  qu'on  avait  signalé 
dans  quelques  communes  des  environs  des  individus  qui,  en  outre  de  la 
déformation  des  doigts,  présentaient  certaines  courbures  ou  rétractions 
anormales  des  phalanges  et  quelques  plaques  cutanées  anesthésiées. 
M.  Lajard  aurait  même  retrouvé  dans  un  village  voisin  de  Salies,  à  An- 
drein,  chez  une  cagote,  un  cas  parfaitement  caractérisé  de  maladie  de 
Morvan  (\). 

Plusieurs  médecins  ont  noté,  en  outre,  la  fréquence  des  panaris  chez 
les  individus  ainsi  déformés;  puis  la  perte  de  la  dernière  phalange  et 
plus  souvent  des  abcès  et  des  ulcérations  dans  la  région  péri-uuguéale. 

Cette  description  des  caractères  observés  dans  cette  catégorie  de  cagots 
nous  conduit  à  indiquer  le  nombre  et  la  répartition  des  individus 
affectés. 

Or,  nos  observations  ont  porté  sur  deux  familles,  toutes  deux  origi- 
naires de  Salies-de-Béarn  ou  des  environs  et  issues,  d'ailleurs,  d'une 
souche  commune.  Elles  représentent  donc,  en  réalité,  une  seule  famille. 
C'est  à  elle  .que  nous  avons  emprunté  les  moulages  que  nous  plaçons 
sous  les  yeux  du  Congrès  et  qui  ont,  d'ailleurs,  été  reproduits  par  le 
dessin. 


(\)  Lajard,  Comptes  rendus  de  la  Soc.  de  Biologie,  1892,  p.  787. 

41* 


642  ANTHROPOLOGIE 

Nous  allons  les  commenter  en  indiquant  ainsi  la  généalogie  des  deux 
familles. 

Le  moulage  n°  1  a  été  pris  chez  une  fille  de  quarante-sept  ans,  Ma- 
rie C...,  native  de  Salies-dc-Béarn. 

Les  ongles  des  mains  sont  arqués  en  demi-cercle,  soulevés  à  l'extré- 
mité ;  c'est  le  type  des  «  ouncles  de  carcoils  ».  Au-dessous  de  l'ongle,  la 
matrice,  privée  sur  ce  point  delà  protection  de  l'ongle,  est  recouverte  de 
masses  noirâtres,  débris  d'épithélium  mélangés  à  une  foule  de  matières 
ou  saletés  accidentelles.  Tout  autour  de  l'ongle,  l'épiderme  est  fendillé, 
fissuré,   ce  qui   donne  une  certaine   sensibilité   à   la  région.    De   plus, 


Tir,.  1.  —  Marie  C...,  quaraale-sept  ans,  cagote  de  Salies-de-Béarn. 


Marie  C...  nous  apprend  que,  pendant  l'hiver,  les  fissures  s'ouvrent,  de- 
viennent saignantes,  ou  même  suppurent,  causant  d'assez  vives  douleurs, 
et  l'obligent  à  garnir  ses  doigts  de  pansements . 

Aux  pieds,  la  disposition  des  ongles  est  identique,  sauf  cependant  les 
deux  ongles  des  gros  orteils,  qui  sont  presque  de  forme  normale.  En 
outre  de  la  disposition  des  ongles,  les  cheveux  sont  rares,  clairsemés  et 
roussâtres.  Aucune  autre  tare  ou  signe  quelconque.  Lobule  de  l'oreille 
normal. 

Dans  les  ascendants  de  Marie  C...  nous  trouvons  : 

1°  Son  père,  qui  était  cagot  et  présentait,  dit-elle,  les  mêmes  altéra- 
tions ;  il  était  sans  barbe  ; 

2°  Sa  mère,  qui  était  normale. 

Marie  C...,  qui  n'est  point  mariée,  a  une  sœur  et  deux  frères. 


U""  MAGITOT.  —  SUR  UNE  VARIÉTÉ  DE  CAGOTS  DES  PYRÉNÉES     64.H 


Tableau  généalogique  de  Maine  C. 
Père  cagot.  —  Mère  normale. 


Marie    C...,    cagote, 
fille  sans  enfants. 


Amélie  C...,  cagote,  mariée  à 
S...,  normal. 


lils,  fille,  fils,  fille, 

8  ans,       10  ans,      16  ans,      14  ans, 
normal,      cagote.      normal.       cagote. 


FiG.  2.  —  Éloïse  L...,  cinquante  ans,  cagote  de  Salies-de-Béarn. 

Sa  sœur  Amélie  présente  identiquement  les  mêmes  dispositions  que 
Marie  ;  mariée  à  S...,  qui  est  normal,  elle  a  eu  quatre  enfants,  deux  filles 
et  deux  garçons  :  les  deux  filles,  âgées  de  dix  à  quatorze  ans,  ont  les  ongles 
déformés  ;  les  deux  fils,  huit  et  seize  ans,  sont  normaux. 

Les  deux  frères  de  .Marie  C...  sont  tout  à  fait  normaux. 

La  deuxième  famille  de  cagots  observée  par  nous  se  compose  de  : 

1"  Éloïse  L...,  cinquante  ans,  qui  présente  les  dispositions  unguéales 
du  moulage  et  du  dessin  n"  2.  Le  bord  libre  des  ongles,  au  lieu  d'être 
recourbé  et  entier,  s'est  brisé,  formant  une  sorte  d'échancrure  semi- 
lunaire,  découvrant  en  ce  point  la  matrice  de  l'ongle  recouverte,  comme 
dans  le  cas  précédent,  de  débris  épithéliaux  et  de  matières  diverses. 
L'épiderme  est  fissuré,  fendillé  comme  dans  le  cas  précédent,  et  donne 
également  lieu,  l'hiver,  à  des  douleurs  et  à  quelques  plaies  sui>purantes. 


64i  ANTHROPOLOGIE 

Les  cheveux,  chez  Éloïse,  sont  rares.  La  taille,  le  teint,  la  forme  du 
crâne,  ne  présentent  rien  de  particulier.  On  n'observe  aucune  tare  ou 
disposition  quelconque,  le  lobule  de  l'oreille  est  normal. 

Les  ascendants  d'Éloïse  se  composent  de  : 

1°  Sa  mère,  âgée  aujourd'hui  de  soixante- quatre  ans,  et  tout  à  fait 
normale  ; 

2°  Son  père,  mort  depuis  quelques  années,  et  présentant  les  ongles 
identiques  à  sa  fille. 

Éloïse  L...  est  fille  unique. 

Mariée  il  y  a  vingt  ans  à  V...,  tout  à  fait  normal,  eile  a  trois  enfants 
vivants  : 

l**  Un  fils,  André,  âgé  de  dix- sept  ans  ;  ongles  déformés,  cheveux 
rares  ; 

2°  Une  fille,  Marie,  âgée  de  seize  ans,  très  bien  conformée,  tout  à  fait 
normale  ; 

3°  Une  fille,  Lucie,  âgée  de  douze  ans,  avec  les  ongles  déformés  ;  les 
cheveux  sont  très  rares. 

Voici,  du  reste,  la  généalogie  résumée  d'Éloïse  L...  : 

Pierre  L,..,  cagot;  ongles  déformés,  cheveux  rares,  pas  de  barbe, 
Jeanne  L...,  normale. 

I 

Éloïse  L...,  cagote,  fille  unique,  mariée  à  V...,  homme  normal; 

elle  eut  trois  enfants. 


André,  Marie,  Lucie, 

17  ans,  16  ans,  12  ans, 

cagot.  normale.  cagote. 

Quelques  renseignements  puisés  dans  cette  dernière  famille  nous  appri- 
rent qu'un  cousin  germain  de  Marie  était  cagot  comme  elle,  et  qu'il  avait 
dix  frères  et  sœurs,  dont  cinq  étaient  déformés  comme  lui,  et  cinq  autres 
normaux. 

Si  nous  résumons  les  faits  ci-dessus,  nous  arrivons  aux  résultats  sui- 
vants :  ' 

Sur  un  nombre  de  vingt-cinq  individus,  appartenant  à  une  même  famille 
cagote,  avec  intervention  d'éléments  normaux,  par  suile  de  deux  mariages, 
quatorze  ont  présenté  la  disposition  dite  cagote  àes  ongles  et  des  cheveux, 
et  onze  étaient  normaux. 

L'altération  que  nous  avons  décrite  est  donc  transmissible  par  voie 
d'hérédité  ;  elle  ne  l'est  pas  fatalement,  ce  qui  est  dû  peut-être  à  cette 
circonstance  que  dans  les  familles  que  nous  avons  observées,  il  y  avait 
un  facteur  cagot  et  un  normal. 


D""    MAGITOT.  —   SUR   UNE   VARIÉTÉ   DE   CAGOTS   DES    PYRÉNÉES  64o 

Nous  sommes,  du  reste,  sans  documents  sur  les  résultats  de  l'union  de 
deux  cagots  entre  eux,  n'ayant  pas  rencontré  ce  cas  particulier. 

Nous  n'avons  pas  davantage  d'exemples  de  reproduction,  par  atavisme, 
de  la  disposition  cagote  que  nous  avons  décrite,  et  par  atavisme,  nous 
entendons  le  fait  de  la  naissance  d'un  individu  cagot,  porteur  de  la  lésion, 
bien  qu'issu  de  deux  facteurs  normaux. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'existence  d'un  groupe  d'individus  consanguins  et 
classés  sous  le  nom  de  cagots  repose  sur  un  nombre  considérable  d'obser- 
vations ;  car  si  nous  tenions  compte  des  renseignements  fournis  par  tel 
ou  tel  sujet  sur  ses  parents  plus  ou  moins  éloignés,  nous  parviendrions 
aisément  à  un  nombre  de  quarante  à  cinquante  individus  frappés  de  la 
déformation  décrite. 
Maintenant,  il  convient  d'aborder  un  autre  problème. 
Qu'entend-on  par  cagot? 

La  désignation  de  cagot,  agoi,  kakou,  cassot,  ou  l'une  quelconque  des 
innombrables  dénominations  analogues,  s'adresse,  d'une  manière  géné- 
rale en  France,  à  un  groupe  de  population  ou  à  une  famille  de  parias, 
à  une  race  maudite,  à  des  réprouvés  de  l'humanité. 

Considérés  dans  l'histoire,  les  cagots  ont  été  incontestablement  affligés, 
soit  d'une  tare  héréditaire,  soit  d'une  affection  transmissible  et  contagieuse 
et  forcés,  par  suite,  de  vivre  isolément,  en  hostilité  permanente,  au  milieu 
de  populations  auxquelles  il  leur  était  interdit  de  se  mêler,  et  con- 
damnés, en  outre,  aux  prescriptions  les  plus  humiliantes  et  les  plus 
méprisantes. 

Telle  peut  être,  ou  plutôt  telle  pourrait  être  la  définition  de  cagot  jus- 
qu'à la  fin  du  xvni«  siècle,  envisagé  en  particulier  dans  la  région  des 
Pyrénées  et,  détail  remarquable,  la  seule  catégorie  d'individus  auxquels 
la  tradition  réserve  ce  nom  aujourd'hui  est  précisément  celle  qui  présente 
les  dispositions  que  nous  avons  décriles. 

Hors  de  là,  le  nom  de  cagot  n'est  attribué  à  personne  et  nulle  distinction 
sociale  ne  permet  aujourd'hui  de  le  reconnaître.  Nous  dirons  même  que 
le  groupe  de  famille  que  nous  avons  observé  et  décrit,  bien  que  désigné 
communément  sous  le  nom  de  cagot,  n'est  réellement  plus  l'objet  d'au- 
cune réprobation  publique.  Ces  pauvres  gens  excitent,  il  est  vrai,  une  cer- 
taine mais  très  faible  répulsion,  qui  ne  s'adresse  plus  à  la  caste,  mais  à 
l'individu  déformé  exclusivement. 

Le  tableau  que  nous  donnions  tout  à  l'heure  du  cagot  du  moyen  âge 
est  donc  singulièrement  atténué  aujourd'hui,  si  atténué  même  que 
dans  beaucoup  de  localités  où  l'on  interroge  les  habitants  sur  l'existence 
actuelle  de  cagots,  on  répond  par  la  négative  :  il  n'y  a  plus  de  cagots. 

C'est  ainsi  que  le  professeur  Bouchard  (de  Bordeaux),  dans  sa  commu- 
nication sur  les  cagots,  est  arrivé  à  cette  conclusion  que,  à  l'époque 


646  ANTHROPOLOGIE 

actuelle,  les  cagots  ne  se  distinguent  par  aucun  signe  particulier  des 
populations  ambiantes,  si  ce  n'est  toutefois  par  un  caractère  auquel,  à 
défaut  d'autres,  M.  Bouchard  attribue  une  certaine  valeur  :  nous  voulons 
parler  de  l'adhérence  de  l'oreille  à  la  peau  et  l'absence  du  lobule  (1). 

Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  ce  signe  particulier  avait  été  invoqué 
pour  caractériser  les  cagots.  Le  D''  Guyon,  qui  voyait  en  eux  un  descen- 
dant des  Goths  (caas  Goth,  chien  de  Goth),  avait  fait  de  cette  disposition 
de  l'oreille  un  caractère  ethnique  (2). 

Cette  interprétation  n'est  pas  soutenable,  et  l'absence  de  lobule  de 
l'oreille  est  simplement  une  disposition  qui  se  présente  dans  toutes  les 
races  et  est  purement  accidentelle. 

Mais  si  les  cagots  ne  présentent  aucun  signe  distinctif,  seraient-ils  donc 
les  descendants  de  quelques  races  d'invasion,  les  Goths  ou  les  Sarrasins? 

L'hypothèse  de  leur  origine  gothique  s'appuie  sur  leur  désignation 
môme,  mais  c'est  à  peu  près  là  le  seul  argument,  et  il  ne  résiste  guère  à 
cette  considération,  que,  si  les  cagots  descendaient  des  Goths,  ils  en  auraient 
du  moins  gardé  quelques  caractères  ethniques,  et  qu'en  outre  on  ne  s'ex- 
pliquerait pas  la  réprobation  et  l'ostracisme  sous  lesquels  ils  ont  été  main- 
tenus pendant  des  siècles  (3). 

Il  faut,  en  outre,  tenir  compte  d'une  remarque  fort  juste  de  M,  La- 
gneau  (4),  qui  observe  que  les  Goths  n'avaient  point  inspiré  la  moindre 
répulsion  au  milieu  des  populations  envahies,  puisque  celles-ci  leur  avaient 
emprunté  certaines  de  leurs  lois  et  de  leurs  coutumes. 

D'un  autre  côté,  l'hypothèse  de  l'origine  sarrasine  ne  résiste  pas  aux 
mêmes  raisonnements.  Elle  se  trouve  d'ailleurs  surtout  indiquée  dans  les 
poèmes  et  chants  populaires  (5). 

Invoquera-t-on  une  parenté  entre  les  cagots  et  les  goitreux  ou  avec  les 
idiots?  De  telles  idées  ne  se  soutiennent  pas.  Ni  les  goitreux  ni  les  idiots 
n'ont  inspiré  la  répulsion  qui  frappe  les  cagots. 

Il  faut  chercher  une  autre  explication,  car,  en  définitive,  si  à  l'époque 
actuelle  et  de  l'aveu  de  la  plupart  des  auteurs,  on  ne  saurait  distinguer 
les  cagots  des  individus  au  milieu  desquels  ils  vivent  (6),  il  n'est  pas 
moins  évident  qu'ils  ont  dû,  aux  temps  écoulés,  en  différer  singuUère- 


(\)  Voir  Comptes  rendus  du  Congrès  de  Pau,  ^'■^  partie,  p.  2i3. 

(2)  Comptes  rendus  de  VAcadémie  des  Sciences,  12,  19  septembre  1842. 

Voir  aussi  quelques  poésies  locales  faisant  allusion  à  ce  mémo  signe.  Frais'CISOue  Michel,  Les 
Baces  maudites  de  France  cl  d'Espagne  ;  Varis,  I8'i7,  t.  II,  p.   136. 

(3)  Palassou,  Mémoire  pour  servir  à  l'histoire  naturelle  rfes  Pyrénées  et  des  pays  adjacents  ;  Pa.u, 
1813,  p.  317-389. 

(A)  Voyez  article  «  Cagot  »,  in  Dictionnaire  encyclopédique  des  Sciences  médicales. 

(o)  Voir  Francisque  Michel,  loc.  cit.,  t.  Il,  p.  139. 

(6)  C'est  ainsi  que  la  plupart  des  auteurs  modernes  formulent  des  conclusions  tendant  à  n'accor- 
der aucun  signe  physique  distinctif  à  cette  caste  et  cherchent  vainement  dans  les  considérations 
ethniques  et  dans  les  traditions  historiques  la  raison  de  l'infériorité  sociale  des  cagots,  infériorité 
qui,  il  faut  bien  le  dire,  s'efface  progressivement  tous  les  jours. 


D""  MAGITOT.  —    SUR   UNE   VARIÉTÉ   DE    CAGOTS    DES    PYRÉNÉES  641 

ment  pour  justifier  la  situation  sociale  qu'ils  occupaient,  la  haine,  le 
mépris  et  l'aversion  qu'ils  inspiraient,  la  crainte  et  l'horreur  qui  s'atta- 
chaient à  leur  contact  et  toutes  les  mesures  sociales  et  légales  qui  les 
accablaient. 

Cherchons  ces  différences,  et  si  nous  reconnaissons  aujourd'hui  qu'elles 
sont  singulièrement  effacées,  remontons,  au  moyen  des  documents  histo- 
riques et  des  traditions  locales,  assez  haut  dans  l'histoire  du  passé  pour 
nous  permettre  de  reconstituer  l'identité  complète  du  cagot. 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  poursuivre  longtemps  cette  enquête  sans  ren- 
contrer la  lumière. 

Pour  ne  parler  que  de  la  région  pyrénéenne  où,  vers  les  x®  et  xi^  siècles, 
les  cagots  étaient  très  répandus,  dans  toute  la  région  des  Pyrénées  on 
trouve,  dans  les  documents  historiques,  que  le  pays,  dès  avant  les  croi- 
sades, était  ravagé  par  la  lèpre,  et  que  la  maladie,  un  peu  atténuée  par 
le  temps,  éprouvait  à  chaque  retour  de  la  Terre  sainte  une  certaine  recru- 
descence. Ainsi  Gaston  IV  de  Béarn  avait  ramené  d'Orient  plusieurs 
lépreux  ;  la  maladie  reprit  alors  une  nouvelle  intensité. 

C'est  de  cette  époque  que  date  la  série  des  édits  ou  fors  de  la  Navarre 
et  du  Béarn  relatifs  aux  lépreux. 

Ces  édits  et  prescriptions  édictaient  des  mesures  non  seulement  pour 
venir  en  aide  aux  malheureux  malades,  mais  surtout  pour  réaliser  leur 
isolement  du  reste  de  la  population.  C'est  ainsi  qu'on  les  obligeait  à 
porter  sur  leur  vêtement  un  signe  particulier,  la  marque  en  rouge  d'un 
pied  d'oie  ou  de  canard. 

D'autres  édits  de  1606  et  1610  leur  interdisent  de  toucher  à  la  farine 
et  aux  diverses  substances  alimentaires  :  ils  ne  pouvaient  être  ni  meu- 
niers, ni  boulangers,  ni  éleveurs  de  bétail  ;  on  leur  permettait  seulement 
d'élever  un  cochon.  Les  seules  professions  qui  leur  fussent  permises 
étaient  celles  de  cordier,  de  charpentier,  de  menuisier.  Dans  la  vie  pu- 
blique ils  ne  pouvaient  se  mêler  à  la  population  dans  aucune  cérémonie 
ou  fête  ;  ils  n'entraient  à  l'église  que  par  une  porte  spéciale,  la  «  porte 
des  cagots  ».  Ils  devaient  se  tenir  pendant  les  offices  dans  un  enclos 
particulier,  avec  un  bénitier  exclusif.  Dans  les  processions  religieuses, 
ils  occupaient  toujours  un  rang  à  part,  et  si  on  leur  tendait  l'eau  bé- 
nite, c'était  au  bout  d'un  bâton  il). 

Telle  était  la  destinée  des  cagots  en  Béarn. 

Si,  d'autre  part,  nous  mentionnons  que  dans  le  Béarn  il  y  avait  dès 
le  xni''  siècle  trois  hôpitaux  de  lépreux  et  qu'en  outre  chaque  village  con- 
tenait deux  ou  trois  cabanes  spéciales  et  isolées,  destinées  aux  individus 
moins  malades  ou  seulement  suspects; 

(1)  Voyez  D"-  Rochas,  Les  Parias  de  France  el  d'Espagne.  Paris,  iî>7(j. 


648  ANTHROPOLOGIE 

Enfin,  si  nous  ajoutons  à  ces  considérations  une  preuve  tirée  de 
l'étymoJogie ,  nous  constaterons  que  le  terme  cagot  est  dérivé  de  cacou 
ou  caguou,  qui  veut  dire  ladre,  terme  celto-breton  désignant  les  descen- 
dants des  lépreux  ; 

Ainsi  se  trouvera  établie  l'identité  absolue  des  deux  termes  cagots  et 
lépreux,  identité  historique  qui  se  prolonge  du  x"  siècle  par  exemple 
jusque  vers  la  fin  du  xvn''  siècle. 

A  cette  dernière  date,  un  phénomène  se  produisit,  ou  pour  mieux  dire 
s'était  produit  depuis  un  certain  nombre  d'années  :  la  lèpre,  ne  recevant 
plus  d'aliment,  abandonnée  à  elle-même,  s'est  progressivement  amoin- 
drie, atténuée.  Les  préjugés  attachés  à  la  caste  se  sont  dissipés  non 
complètement,  il  est  vrai,  car  on  en  retrouve  quelques  traces  à  l'heure 
actuelle  ;  les  léproseries  se  sont  fermées  et  passèrent  à  l'état  de  souvenirs 
historiques.  Les  descendants  des  anciens  parias  purent  se  mêler  aux  po- 
pulations ambiantes  ;  ils  furent  admis  aux  rôles  et  aux  droits  des  autres 
habitants,  et  c'est  ainsi  que  le  voyageur  ou  le  touriste  qui  parcourt  ces 
régions  autrefois  ravagées  par  la  lèpre,  cherche  vainement  quels  carac- 
tères pourraient  faire  discerner  les  descendants  qu'ils  ont  laissés  des 
autres  peuples  qui  les  entourent. 

Voilà  donc  ce  qui  explique  que  des  savants  comme  le  professeur  Bou- 
chard, de  Bordeaux,  ne  trouvaient  d'autre  caractère  distinctif  des  cagots  que 
l'absence  du  lobule  de  l'oreille  (1)  et  que  le  D''  Guilbeau,  de  Saint-Jean- 
de-Luz,  cherche  leur  origine  dans  l'invasion  gothique  (2). 

D'une  façon  générale,  tous  les  auteurs  qui  depuis  deux  siècles  environ 
ont  cherché  le  lépreux  d'autrefois  dans  le  cagot  actuel  ne  l'ont  point  re- 
trouvé et  se  sont  par  suite  égarés  sur  l'interprétation  du  mot  cagots  dans 
une  foule  de  considérations  où  se  confondent  à  l'envie  les  hypothèses 
ethniques,  les  rapprochements  avec  les  goitreux,  les  crétins,  les  idiots  et 
tous  les  déshérités  que  la  tradition  populaire  range  aujourd'hui  encore 
au  rang  de  parias. 

C'est  ainsi  que  Rochas  s'écrie  dans  un  passage  de  son  remarquable 
travail  : 

«  Il  n'y  a  plus  de  cagots,  mais  seulement  des  descendants  de  cagots.  » 

C'est  sur  cette  assertion  que  nous  nous  arrêterons  avant  de  terminer 
cette  étude  : 

Non,  il  n'y  a  plus  de  cagots,  c'est-à-dire  qu'il  n'y  a  plus  de  lépreux 
au  sens  exact  du  mot,  mais  à  l'observateur  attentif  qui  explore  une  ré- 
gion autrefois  ravagée  par  cette  maladie,  se  révèle  l'existence  de  vestiges 
du  mal  ancien. 


(1)  Association  française  pour  l'avancement  des  sciences  :  Congrès  de  Pau,  1892,  Section  d'Anthropo- 
logie, séance  du  17  septembre. 

(2)  Les  Agots  du  pays  basque;  Bayonne,  1S78. 


É.    PIETTE.  — PHASES   SUCCESSIVES   DE    LA   CIVILISATIOX   DANS    LE   MIDI      649 

C'est  la  trace  de  cette  survivance  de  la  lèpre  en  Béarn  que  M.  Zambaco 
avait  d'ailleurs  soupçonnée  (1)  et  que  nous  croyons  avoir  retrouvée,  de 
même  que  notre  collègue  l'a  rencontrée  en  Bretagne,  ot  comme  on  la  ren- 
contrera sans  doute  dans  tous  les  pays  d'Europe  où  la  tradition  historique 
mentionne  l'existence  de  la  lèpre  à  l'état  endémique. 

Conclusions.  —  1°  Les  altérations  des  extrémités  des  doigts,  des  ongles 
et  du  système  pileux  observées  dans  le  pays  de  Béarn  seraient  des  ma- 
nifestations lépreuses  ; 

2"  Elles  représenteraient  les  lésions  les  plus  atténuées,  les  plus  effacées 
et  comme  les  traces  ultimes  de  la  maladie  ; 

3"  Elles  établiraient  la  survivance  de  la  lèpre  jusqu'à  l'époque  actuelle 
dans  la  région  pyrénéenne  ; 

4"  Les  preuves  de  l'exactitude  de  cette  interprétation  reposent  à  la  fois 
sur  l'histoire  de  la  lèpre,  ie  mécanisme  de  ses  atténuations  par  le  temps 
et  sur  les  documents  historiques,  étymologiques  et  philologiques,  ainsi 
que  sur  les  traditions  locales. 


M.    Edouard  PIETTE  '■ 

Juge  honoraire,  à  Rumigny  (Ardennes). 


PHASES  SUCCESSIVES  DE  LA  CIVILISATION  PENDANT  L'AGE  DU  RENNE,  DANS  LE  MIDI 
DE  LA  FRANCE  ET  NOTAMMENT  SUR  LA  RIVE  GAUCHE  DE  L'ARISE  GROTTE  DU  MAS 
D'AZIL  . 


—  Séance  du  29  septembre  4892  — 

Je  nomme  glyptique  (de  yXuTr-o;,  ouvrage  de  ciselure,  de  sculpture, 
de  gravure)  la  succession  des  temps  pendant  lesquels  l'homme,  sortant  de 
la  barbarie  primitive,  apprit  à  tailler  l'os  avec  le  silex,  inventa  une  foule 

(U  Voyez  :  Voyages  chez  les  Lépreux;  Paris,  1S9I.  —  Les  Lépreux  de  la  Bretagne  en  1892.  —  Bul- 
lelin  de  l'Aaidémie  de  Médecine,  23  août  I892. 

(2)  Il  semblerait  résulter  du  Compte  rendu  de  l'excursion  de  Brassempouy  publie  par  M.  Magitot 
tC  R.  du  Congrès  de  Pau,  \"  vol.,  p.  2oO)  qu'il  avait  été  convenu  avec  le  propriétaire  de  la  grotte, 
M.  le  comte  de  Puud^inx,  que  les  objets  de  grand  intérêt  et  d'une  certaine  valeur  découverts  pendant 
les  fouilles  de  l'Association  appartiendraient  aux  musées  de  la  région.  C'est  une  erreur:  M.  de  Pou- 
denx,  qui  a  une  belle  collectioa  préliislorique,  a  toujours  entendu,  au  contraire,  se  réserver  les  gra- 
vures et  les  sculptures. 

Il  semblerait  également  résulter  du  même  Compte  rendu  que  M.  Pielte  avait,  (juclques  jours  après 
le  Congrès,  ouvert  une  polémique  dont  la  presse  locale  avait  retenti  pendant  plusieurs  semaines. 
C'est  encore  une  erreur  :  Si  M.  Piette,  dans  des  conversations  particulières,  a  condamné  des  agisse- 
ments que  M.  Magitot  a  flétris  publiquement,  il  n'a  soulevé  aucune  polémique.  Pendant  le  Congres, 
d'ailleurs,  la  presse  locale  s'est  bornée  à  rendre  compte  très  succinctement  des  séances  des  Sections 
et,  après  sa  clôture,  les  journaux  n'ont  publié  aucun  article  sur  Brassempouy. 


650  ANTHROPOLOGIE 

d'instruments  ingénieux  et  s'adonna  aux  arts  de  la  sculpture  et  de  la 
gravure.  Ce  mot  est  une  définition.  Il  est  préférable  à  celui  de  magda- 
lénien mis  en  usage  par  M.  de  Mortillet  :  les  conglomérats  fouillés  dans 
la  grotte  de  la  Madelaine  ne  représentent  pas  toutes  les  phases  de  la  pé- 
riode glyptique. 

Cette  période,  qui  embrasse  toute  la  série  des  derniers  temps  de  l'ère 
quaternaire  primitive  écoulés  depuis  la  formation  des  assises  de  Solutré, 
comprend  deux  époques  bien  distinctes  dans  le  midi  de  la  France  :  celle 
des  amoncellements  équidiens,  où  prédominent  les  ossements  de  chevaux, 
et  celle  des  amas  cervidiens  où  les  ossements  de  renne  et  de  cerf  com- 
mun (Cervus  elaphus)  forment  la  masse  principale  du  conglomérat. 

Ces  deux  époques  diffèrent  à  la  fois  par  leur  faune,  leur  climat  et  leur 
industrie.  La  première  est  celle  de  la  sculpture  ;  la  seconde,  pendant 
laquelle  on  sculptait  encore,  fut  surtout  celle  de  la  gravure  ;  c'est  pen- 
dant sa  durée  que  furent  inventés  l'aiguille  et  le  harpon. 

Au  début  des  temps  équidiens,  le  lion  et  la  panthère,  hôtes  des  chaudes 
régions,  vivaient  encore  dans  le  pays  de  Gaule.  On  en  a  recueilli  des 
débris  au  Mas  d'Azil,  à  Lourdes  et  à  Brassempouy.  Ces  espèces  paraissent 
s'être  éteintes  avant  l'époque  cervidienne.  Il  en  a  été  probablement  de 
même  du  Rhinocéros  tichormus,  dont  on  ne  trouve  les  vestiges  que  dans 
les  gisements  de  la  plaine  et  des  plateaux.  Le  mammouth  a  duré  plus 
longtemps.  11  n'a  disparu  qu'au  seuil  des  temps  modernes. 

Au  commencement  de  la  période  glyptique,  le  renne  ne  prospérait  que 
dans  le  voisinage  des  montagnes.  La  plaine,  favorable  aux  lourds  élé- 
phants, était  trop  ensoleillée  pour  lui  ;  et  dans  les  pays  assez  voisins  des 
rivages  pour  que  l'influence  du  climat  maritime  s'y  fît  sentir,  il  faisait 
parfois  complètement  défaut.  C'est  ainsi  qu'à  Brassempouy,  dont  j'ai 
désigné  les  abris  à  l'Association  française  comme  assez  riches  pour  être 
le  but  d'une  intéressante  excursion,  l'absence  ou  plutôt  la  rareté  de  cet 
animal  a  forcé  l'homme  des  premiers  temps  équidiens  à  sculpter  l'ivoire 
au  lieu  du  bois  de  renne.  De  là,  dans  ce  gisement,  un  type  particulier 
d'industrie  :  le  type  éburnéen.  Dans  cette  station  humaine,  il  y  a  eu  trois 
sortes  de  foyers  successifs  qu'il  ne  faut  pas  confondre  : 

1°  Les  foyers  contemporains  de  ceux  de  Solutré,  avec  belles  pointes  de 
sagaie,  les  premiers  en  date  ; 

2"  Ceux  du  début  de  la  période  glyptique,  avec  silex  magdaléniens  et 
industrie  éburnéenne; 

3"  Ceux  plus  récents  dans  lesquels  on  trouve  des  sculptures  et  des  ins- 
truments en  bois  de  renne. 

Il  résulte  de  là  qu'au  début  de  l'époque  équidienne,  le  climat  du  midi 
de  la  France  était  tempéré  et  même  assez  chaud  pour  que  le  renne  n'y 
prospérât  pas  dans  la  plaine  et  la  désertât.  Il  était  alors  relégué  au  pied 


É.    PIETTE.  —    PHASES    SUCCESSIVES    DE    LA    CIVILISATION    DANS    LE    MIDI      651 

des  montagnes,  dans  les  plateaux  et  les  hautes  vallées  éloignées  des 
rivages.  Peu  à  peu  l'atmosphère  se  refroidit  et  l'aire  d'habitation  de  cet 
animal  s'agrandit  ;  il  put  descendre  même  en  été  dans  les  pays  de  col- 
lines basses  et  dans  les  vastes  plaines. 

Le  climat  fut  sec  sans  excès  pendant  toute  la  durée  de  l'époque  équi- 
dienne,  et  le  froid  augmenta  progressivement  jusqu'à  l'avènement  des 
temps  cervidiens.  Mais,  au  début  de  l'époque  glyptique,  la  température 
avait  été  assez  clémente  pour  que  l'homme  ait  habité  souvent  en  dehors 
des  cavernes.  A  Brassempouy,  pendant  les  temps  éburnéens,  il  avait 
adossé  ses  maisons  de  bois  ou  ses  tentes  de  peaux  à  un  petit  escarpement 
du  coteau,  comme  il  l'avait  fait  en  tant  d'endroits  à  l'époque  de  Solutré. 

Pendant  la  dernière  partie  de  la  période  quaternaire  primitive,  le  climat 
a  été  très  rigoureux  dans  le  midi  de  la  France,  au  voisinage  des  Pyrénées, 
mais  nullement  sec,  contrairement  à  ce  que  l'on  a  enseigné  jusqu'à  pré- 
sent. Dès  le  commencement  de  l'époque  cervidienne,  l'atmosphère  se 
chargea  d'humidité  froide.  Il  y  eut  des  frimas,  des  neiges  abondantes, 
puis  des  averses  glaciales,  des  pluies  continues  et  des  inondations  pen- 
dant une  longue  série  d'années.  Ce  fut  le  temps  où  la  chouette  harfang, 
la  grue  primitive,  l'eider  et  les  canards  des  régions  boréales  affluèrent 
dans  notre  pays,  où  les  chevaux  firent  place  au  renne  dont  les  palettes 
savent  creuser  la  neige  pour  y  découvrir  les  lichens  dont  il  fait  sa  nour- 
riture. L'humidité  finit  par  triompher  de  la  rigueur  du  climat  ;  alors  les 
neiges  se  fondirent  ;  le  renne  devint  plus  rare,  remplacé  par  notre  cerf 
commun  ;  puis  sous  l'influence  d'une  humidité  croissante  et  d'une  tem- 
pérature plus  douce,  il  souffrit  et  disparut.  Le  mammouth  s'éteignit 
presque  en  même  temps  que  lui.  L'heure  des  temps  quaternaires  modernes 
avait  sonné. 

La  succession  des  assises  sur  la  rive  gauche  de  l'Arise,  dans  la  grotte  du 
Mas  d'Azil,  ne  peut  laisser  aucun  doute  sur  la  réalité  de  cette  époque 
neigeuse  et  pluvieuse  ;  elle  raconte  en  traits  lumineux  l'histoire  des  der- 
niers temps  glaciaires. 

J'ai  constaté,  dans  la  plus  grande  des  tranchées  que  j'ai  fait  faire  au  Mas 
d'Azil,  sur  la  rive  gauche  de  la  rivière,  la  série  de  bas  en  haut  des  couches 
superposées  dont  voici  la  description  : 

Sur  le  calcaire  formant  l'aire  de  la  grotte,  entre  des  blocs  anguleux  qui 
semblent  provenir  de  la  voûte,  sont  des  traces  de  foyers  avec  charbons,  sur 
lesquels  repose  une  couche  de  terre  graveleuse,  jaunâtre,  à  éléments  grossiers  et 
anguleux,  renfermant  quelques  os  brisés  et  des  pierrailles  éparses,  assez  nom- 
breuses, provenant  de  la  colline.  Cette  couche  a  0™,90  d'épaisseur. 

0m^25.  —  Lit  de  pierres  détachées  de  la  voûte,  faisant  défaut  en  quelques 
i^'ndroits  et  ne  couvrant  le  sol  que  par  place.  11  est  incliné  vers  le  nord. 

ûm,3i.  _  Terre  graveleuse  semblable  à  celle  qui  est  à  la  base  des  dépôts. 


652  ANTHROPOLOGIE 

Oi^jSS.  —  Couche  noire  archéologique,  formée  de  terre  argileuse  compacte  à 
cléments  grossiers,  renfermant  du  gravier,  du  sable,  des  pierres  détachées  de 
la  voûte,  des  os  fracturés,  mais  non  roulés,  des  plaquettes  de  gré  micacé  sur 
lesquelles  on  a  fait  du  feu,  du  charbon,  des  silex  taillés,  des  instruments  en  os 
cassés,  parmi  lesquels  on  remarque  des  aiguilles  et  des  harpons  à  fût  cylin- 
drique. Cette  assise  paraît  avoir  été  remaniée  sur  place  par  les  eaux  débordées. 
Ses  éléments  n'ont  certainement  pas  subi  un  long  transport.  En  la  suivant 
à  quelques  mètres  vers  l'est,  dans  une  autre  tranchée,  on  en  trouve  un  petit 
îlot  qui  semble  intact.  Les  aiguilles  n'y  sont  pas  même  brisées.  Elle  date  de 
l'époque  élaphienne,  quoiqu'elle  renferme  des  vestiges  de  renne  assez  abon- 
dants. 

1™,50.  —  Limon  jaune,  sableux,  schistoïde,  plongeant  vers  le  nord-est,  se 
composant  d'éléments  très  fins,  semblables  à  ceux  du  loess,  auquel  il  semble 
avoir  pris  la  majeure  partie  de  ses  éléments.  Il  se  délite  en  minces  feuillets 
composés,  à  la  base,  de  grains  de  peroxyde  de  fer  et  de  calcaire,  et,  à  la  partie 
supérieure,  de  fin  limon.  C'est  un  dépôt  fluviatile. 

0™,30,  —  Lit  de  pierres  et  limon  graveleux,  rempli  de  pierrailles  détachées 
de  la  voûte,  d'ossements  brisés,  de  silex  taillés  et  d'instruments  souvent  entiers. 
C'est  le  reste  d'une  assise  archéologique  remaniée  en  cet  endroit  par  les  eaux. 
Lorsqu'on  en  suit  le  prolongement  au  sud  et  à  l'est,  on  la  voit  affleurer  intacte 
à  quelques  mètres  de  la  plus  grande  tranchée.  Là  elle  a  été  protégée  contre  le 
courant  de  la  rivière  débordée  par  une  avancée  de  la  roche  à  l'entrée  de  la 
grotte.  En  cet  endroit  elle  a  0,75  d'épaisseur.  Les  outils  les  plus  fragiles  y  sont 
restés  entiers.  Les  gravures  y  sont  nombreuses  ;  mais  on  n'y  trouve  pas  de 
sculptures.  Les  ossements  de  renne  y  sont  rares;  les  aiguilles  ne  sont  plus 
faites  en  bois  de  ce  ccrvidé,  mais  en  esquilles  d'os  :  aussi  ont-elles  un  fût  aplati 
au  lieu  d'un  fût  cylindrique  comme  celles  des  premiers  temps  de  l'époque  cer- 
vidienne.  Les  harpons  en  bois  de  renne  sont  encore  en  usage.  On  en  trouve 
quelques-uns  en  bois  de  Cervus  elaphus,  mais  ils  sont  à  fût  cylindrique  ou 
à  carène  et  n'ont  pas  la  forme  de  ceux  de  l'époque  subséquente.  On  ren- 
contre aussi  quelques  autres  outils  en  bois  de  cerf,  notamment  de  gros  polis- 
soirs.  Cette  assise  est  la  dernière  de  l'époque  glyptique  ;  elle  contient  des 
ossements  de  Cervus  elaphus  très  nombreux,  de  chevreuil,  de  bouquetin,  de 
chamois,  de  bœuf  primitif,  de  cheval,  d'ours,  de  sanglier,  de  renard,  de  loup, 
de  lynx,  de  lièvre.  Parmi  les  instruments  de  forme  magdalénienne,  on  re- 
marque de  petits  grattoirs  ronds  et  de  fins  silex  taillés  en  lame  de  canif, 
précurseurs  des  temps  nouveaux. 

0'",10.  —  Limon  jaune,  schistoïde,  se  délitant  en  minces  feuillets  qui  ont 
en  moyenne  un  demi-millimètre  d'épaisseur  et  sont  fomiiés  de  fins  éléments  à 
leur  partie  supérieure  et  de  grains  plus  grossiers  à  leur  partie  inférieure.  De 
minces  lits  sableux  ou  de  fin  gravier  sont  intercalés  dans  la  masse.  Ce  limon 
disparaît  presque  complètement  dans  les  endroits  où  la  couche  archéologique 
dont  la  description  précède  est  intacte  ;  son  épaisseur  est  plus  grande  là  où  elle 
est  ravinée;  il  atteint  jusqu'à  l™,2i5  de  puissance  quand  elle  a  été  lavée,  re- 
maniée et  enlevée  en  partie. 

0"»,65.  —  Assise  rougeàtre,  renfermant  des  amas  de  peroxyde  de  fer,  de 
grosses  pierres  tombées  de  la  voûte,  des  cendres  du  charbon,  des  ossements 
brisés  de  cerf  commun,  de  chevreuil,  de  bouquetin,  de  chamois,  de  bœuf  pri- 
mitif, de  cheval,  d'ours  commun,  de  porc,  de  blaireau,  de  chat  sauvage,  de 
castor,  d'oiseaux  divers,  de  truites,  de  brochets,  de  cyprins,  de  grenouilles, 


É.    PIETTE.  —  PHASES   SUCCESSIVES   DE    LA   CIVILISATION    DANS    LE   MIDI       6.")3 

des  silex  taillés,  de  nombreux  harpons  en  bois  de  cerf,  perfores  et  aplatis,  des 
galets  peints  en  grande  abondance,  des  poinçons,  des  colliers  en  dents  de  cerf 
percées  et  des  traces  d'herbe  ou  de  litière.  Le  renne  n'y  a  laissé  aucun  vestige. 
J'y  ai  rencontré  des  sépultures  de  squelettes  inhumés  après  avoir  été  décharm-s 
au  silex  et  colorés  en  rouge  au  moyen  du  peroxyde  de  fer.  Les  silex  sont 
presque  tous  de  forme  magdalénienne.  On  recueille  parmi  eux  de  ces  pelits 
grattoirs  ronds  et  de  ces  outils  en  lame  de  canif  déjà  signalés  dans  la  dernière 
couche  cervidienne  et  que  Ton  trouve  encore  dans  les  cendres  à  escargots, 

0'",60.  —  Cendres  rubanées  de  blanc,  de  rouge  et  de  gris,  contenant  des 
lits  lenticulaires  d'Hélix  nemoralis.  On  y  trouve  des  ossements  de  cerf,  de  bœuf, 
de  cheval,  de  porc,  des  silex  travaillés,  des  poinçons,  des  spatules,  des  racloirs 
polis,  des  polissoirs  en  grès,  des  noyaux  de  cerise  et  de  prune,  des  coquilles  de 
noisette  et  de  noix. 

O'^jSS.  —  Amas  de  pierrailles  tombées  de  la  voiîte  contenant  des  haches 
polies  et  des  débris  de  vases  néolithiques.  En  se  prolongeant  au  nord,  il  se 
transforme  en  une  couche  argileuse,  noirâtre,  contenant  des  os  de  porc,  de  bœuf, 
de  chèvre,  de  mouton,  de  cerf,  des  silex  taillés,  des  colliers  et  des  amulettes  en 
albâtre,  des  épingles  en  os,  des  poinçons,  des  spatules,  des  flèches  barbelées  en 
silex  et  des  flèches  en  os  avec  douilles.  En  un  endroit,  un  las  de  terre  à  poterie 
intercalé  dans  l'assise  prouve  qu'il  y  a  eu  là  un  atelier  de  céramique.  En  un 
autre  endroit,  il  y  avait  une  cachette  de  fondeur  avec  bracelets  de  bronze,  ex- 
trémité de  sceptre  ou  de  bâton,  culot  et  moule  à  fibules.  Dans  la  partie  supé- 
rieure de  l'assise,  il  y  avait  quelques  parcelles  de  bronze  et  des  débris  de  vases 
de  l'époque  calceutique. 

1  mètre.  —  Lit  de  pierrailles  tombées  de  la  voûte,  contetiant  des  débris  de 
yases  gaulois  et  même  de  poterie  vernissée.  En  se  prolongeant  vers  le  nord,  il 
se  transforme  en  une  couche  argileuse,  noirâtre,  séparée  de  la  précédente  par 
des  blocailles,  dans  laquelle  on  trouve  du  fer  et  des  os  de  cerf,  de  porc,  de 
mouton. 

Cette  coupe  est  pleine  d'enseignements.  Aux  dernières  assises  de  l'âge 
du  renne  que  l'on  peut  décrire  sans  crainte  de  les  confondre  avec  des 
amas  sous-jacents,  puisqu'elles  sont  isolées,  succèdent  une  couche  ren- 
fermant les  plus  anciennes  peintures  que  l'on  connaisse,  dans  laquelle  il 
n'y  a  plus  de  débris  de  renne  et  pas  encore  de  pierre  polie,  puis  des 
cendres  à  escargots  renfermant  les  premiers  essais  de  polissage,  et  enfin 
les  vestiges  laissés  par  les  civilisations  modernes  depuis  l'époque  néoli- 
thique jusqu'à  nos  jours.  Mais  ce  qui  est  le  plus  instructif,  ce  qui  jette 
un  jom-  nouveau  sur  le  climat  de  la  fin  des  temps  quaternaires,  c'est  la 
succession  des  minces  lits  de  limon  schistoïde  entre  les  dernières  assises 
de  l'âge  du  renne.  J'ai  compté  plus  de  huit  cents  de  ces  lits  ;  chacun 
d'eux  correspond  à  une  inondation  ou  à  une  recrudescence  dans  une 
inondation  ;  et  les  crues  étaient  considérables,  comme  l'atteste  l'altitude 
à  laquelle  ces  limons  se  sont  déposés.  Il  y  a  donc  eu  incontestablement 
à  la  fin  de  l'âge  du  renne,  une  époque  de  grande  humidité,  de  pluies 
torrentielles,  de  fonte  de  neiges,  de  puissantes  inondations.  C'est  à  cette 
époque  que  les  glaciers  déjà  très  réduits  au  commencement  de  la  période 


go4  ANTHROPOLOGIE 

glyptique  ont  reculé  définitivement  vers  le  sommet  des  montagnes  jusque 
dans  leurs  limites  actuelles. 

Les  abris  de  Brassempouy  et  la  grotte  du  Mas  d'Azil  éclairent  d'un 
jour  nouveau  le  commencement  et  la  fin  de  l'époque  glyptique.  Ces 
stations  se  complètent  l'une  l'autre  et  retracent  en  traits  lumineux  les 
phases  des  sociétés  humaines  sous  notre  ciel  pendant  la  dernière  partie 
des  temps  quaternaires  primitifs.  Elles  seront  minutieusement  décrites 
avec  leur  faune,  leur  outillage  et  leurs  objets  d'art  dans  mon  ouvrage  : 
Les  Pyrénées  pendant  l'âge  du  renne. 


M.  le  F  R.  COLLI&lfOIf 

Médecin  major,  à  Cherbourg. 


CONTRIBUTION  A  L'ÉTUDE  ANTHROPOLOGIQUE  DES  POPULATIONS  FRANÇAISES 
(CHARENTE,  CORRÈZE,  CREUSE,  DORDOGNE,  HAUTE-VIENNE) 


—  Séance  du  SI  septembre  1892  — 

L'Association  française  pour  l'avancement  des  sciences  a  bien  voulu 
nous  accorder  une  subvention  en  vue  de  poursuivre  des  recherches 
anthropologiques  sur  les  populations  françaises.  Nous  venons  lui  apporter 
le  résumé  très  condensé  des  résultats  acquis  dans  notre  campagne 
de  1892. 

Sur  notre  demande,  M.  le  médecin  inspecteur  Dujardin-Beaumetz, 
directeur  du  service  de  santé  au  Ministère  de  la  Guerre,  désireux  de  favo- 
riser ces  études,  avait  consenti  à  nous  attacher  cette  année  au  conseil 
de  revision  de  la  Dordogne.  C'est  pour  nous  une  dette  de  reconnaissance 
de  lui  apporter  ici  publiquement  nos  remerciements  et  d'annoncer  à  la 
Section  que  dans  la  suite  toutes  facilités  nous  seront  données,  encore 
grâce  à  lui,  pour  étudier  d'autres  régions.  Qu'il  nous  soit  permis  en  même 
temps  d'exprimer  ici  notre  gratitude  à  tous  ceux  qui,  militaires  ou  civils, 
ont  à  l'envi  facilité  notre  tâche,  nous  aidant  de  leurs  conseils,  de  leur 
compétence  spéciale  ou  de  leur  appui  moral  pendant  cette  tournée  scien- 
tifique. Trop  nombreux  pour  être  tous  nommés,  nous  leur  adresserons  un 
merci  collectif  seulement;  mais  nous  serions  coupable  de  ne  pas  citer 
nominalement  M.  le  général  de  Launay,  commandant  le  XIP  corps 
d'armée;  M.  Fournier,  préfet  de  la  Dordogne (1);  M.  Delahousse,  directeur 

(1)  Depuis  que  ces  lignes  sont  écrites,  M.  Fournier  est  mort,  prématurément  enlevé  à  l'affection  de 
tous  ceux  qui  l'ont  connu.  C'est  avec  un  profond  sentiment  de  tristesse  que  nous  rendons  ici  hom- 
mage à  sa  mémoire. 


D""    R.    COLLIGXON.    —    ÉTUDE   DES   POPULATIOiSS    FRANÇAISES  G.j5 

du  service  de  santé  du  XIl^  corps  d'armée,  et  enfin  nos  collègues,  MM.  les 
médecins-majors  Montané,  Renaut,  Lartigue,  Chrisly  et  Médieux  pour 
l'aide  directe  qu'ils  ont  bien  voulu  nous  donner. 

Ce  travail  comprendra  l'étude  des  cinq  départements  qui  forment  le 
Xll"  corps  d'armée.  Dans  la  Dordogne,  que  nous  avons  parcourue  canton 
par  canton,  il  portera  sur  l'ensemble  du  contingent.  Dans  les  quatre 
autres  départements,  nous  n'avons  pu  qu'aller  de  garnison  en  garnison 
mesurer  les  soldats  dans  les  casernes.  Nous  y  avons  cependant  réuni 
vingt  observations  en  moyenne  pour  chacun  des  110  cantons  qui  les  com- 
posent, sans  parler  des  mesures  de  taille  qui  ont  été  relevées  par  nos 
collègues  cités  plus  haut  sur  l'ensemble  des  conscrits  de  la  Charente,  de 
la  Corrèze  et  de  la  Haute-Vienne  (classe  1891;. 

Les  mesures  recueillies  sont  les  suivantes  : 

l''  Pour  la  Dordogne  :  La  taille,  la  couleur  des  yeux  et  des  cheveux. 
la  forme  de  la  courbure  du  nez  notées  sur  3.916  sujets  (tout  le  contingent), 
Sur  40  sujets  par  canton  (1.880  au  total),  les  facteurs  de  l'indice  nasal, 
hauteur  et  largeur  du  nez.  Sur  20  sujets  par  canton  (940  au  total),  les 
trois  diamètres  crâniens,  antéro-postérieur  maximum,  transversal  maxi- 
mum et  vertical,  la  largeur  bizygomatique  de  la  face,  sa  hauteur  propre- 
ment dite  (ophryon  à  menton)  et  enfin  la  hauteur  totale  de  la  tête  du 
vertex  au  menton  en  projection. 

Il  va  sans  dire  que  pour  chacun  des  mesurés  on  notait  à  part  le  lieu 
de  naissance,  la  taille,  la  couleur,  la  forme  du  nez  et  enfin  les  infirmités 
ou  les  particularités  physiques  qui  pouvaient  exister. 

Ajoutons  qu'accessoirement  nous  avons  relevé  sur  les  listes  de  recrute- 
ment des  dix  années  précédentes  (classes  1881  à  1890)  toutes  les  causes 
d'ajournement  ou  d'exemption,  canton  par  canton,  de  manière  à  pouvoir 
non  seulement  dresser  pour  chacun  de  ceux-ci  une  statistique  de  géogra- 
phie médicale  et  par  suite  les  comparer  les  uns  aux  autres,  mais  aussi 
rechercher  si  certaines  infirmités  sont  en  relation  avec  la  race,  avec  le 
sol  ou  avec  les  facteurs  sociaux  et  enfin  créer  une  sorte  de  moyenne 
fixe  qui  permît  une  étude  comparative  du  contingent  de  1892  et  de  ceux 
qui  l'ont  précédé.  Celui-ci  présente,  en  effet,  ce  grand  intérêt  démogra- 
phique d'être  la  génération  conçue  en  1871,  pendant  et  immédiatement 
après  la  guerre,  et  de  refléter  directement  les  modifications  que  la  mor- 
talité ou  les  misères  endurées  k  cette  époque  par  les  survivants  ont  pu 
imprimer  à  la  population  du  département. 

Nous  ne  pouvons  que  signaler  ici  cette  partie  toute  spéciale  de  nos 
recherches,  faute  d'avoir  eu  encore  le  temps  de  coordonner  tous  les  docu- 
ments réunis  qui,  ne  l'oublions  pas,  portent  sur  plus  de  48.000  indi- 
vidus. 

2°  Pour  les  quatre  autres  départements  que  nous  n'avons  pu  parcourir 


6o6  ANTHROPOLOGIE 

en  détail,  nous  n'aurons  que  les  caractères  suivants  relevés  sur  20  sujets 
par  canton  (1)  (2.200  sujets  environ)  :  les  facteurs  des  indices  céphalique 
et  nasal,  la  couleur  des  yeux  et  des  cheveux,  la  forme  de  la  courbure 
du  nez  et  la  taille,  enfin,  sur  tout  le  continrent  la  taille  individuelle  de  tous 
les  appelés  de  la  classe  de  1891. 

Les  mesures  adoptées  dans  ce  travail,  toutes  empruntées  aux  méthodes 
françaises,  font  partie  d'un  programme  plus  étendu  qu'avec  le  patronage 
de  la  Société  d' Anthvpologie  de  Paris,  nous  avons  cru  devoir  recom- 
mander au  choix  des  anthropologistes  de  toutes  nations  qui  voudraient 
entreprendre  des  recherches  sur  le  vivant  au  cours  des  opérations  de 
recrutement.  Nous  ne  dirons  donc  rien  ni  du  Manuel  opératoire,  ni  de  la 
mise  en  œuvre  des  matériaux,  l'un  et  l'autre  ne  présentant  rien  de 
particulier,  et  nous  passerons  immédiatement  à  l'examen  des  résultats 

obtenus. 

La  région  étudiée  présentait  pour  l'anthropologiste  un  intérêt  tout 
spécial.  D'abord,  elle  n'avait  jamais  été  l'objet  de  recherches  détaillées 
sérieuses.  En  outre,  il  résultait  des  faits  acquis  que  trois  des  départements 
qui  la  composaient,  Dordogne,  Charente  et  Haute-Vienne,  se  distinguaient 
par  un  indice  céphalique  extrêmement  dolichocéphale  par  rapport  k 
l'ensemble  de  la  population  française  (Ind.  moyen  de  79),  alors  que  les 
régions  occupées  par  la  race  blonde  (Kymris  de  Broca,  race  de  Hallstadt) 
si  dolichocéphale  pourtant,  telles  que  le  Nord,  le  Pas-de-Calais  ou  la  Nor- 
mandie n'avaient  que  des  indices  de  80,  81,  82  ou  83  (Collignonj.  D'autre 
part,  ces  départements  étaient  classés  les  derniers  en  ce  qui  concerne  la 
taille,  tant  par  le  petit  nombre  relatif  des  hommes  de  haute  stature  que 
par  la  quantité  considérable  des  exemptés  pour  défaut  de  taille  (Boudin, 
Broca).  Enfin,  les  cartes  de  répartition  de  la  couleur  (Topinard)  les 
rangaient  (sauf  la  Creuse)  dans  la  région  brune  modérée. 

En  raison  de  leur  proximité  de  l'Auvergne  on  avait  primitivement  at- 
tribué cette  faiblesse  de  taille  à  l'influence  prépondérante  de  la  race  cel- 
tique (Broca),  petite,  brune  et  brachycéphale  ;  mais  cette  opinion  avait 
reçu  un  coup  mortel  lorsqu'il  avait  été  établi  par  nous  que  la  masse  de 
la  population  était  dolichocéphale.  Il  en  résultait  donc  une  inconnue 
à  dégager  et  c'est  ce  qui  nous  avait  engagé  à  porter  nos  recherches  de 

ce  côté. 

Celles  ci  nous  montreront  que  le  problème  est  horriblement  complexe  et 
que,  bien  loin  de  n'avoir  affaire  qu'à  une  race  peu  croisée,  nous  sommes, 
au  contraire,  em^résence  d'une  population  profondément  mélangée,  avec 
ceci  de  particulier  que  ce  mélange,  au  lieu  de  porter  sur  deux  races, 

(1)  Militaires  en  activité  de  service.  Dans  la  Creuse,  la  série  de  vingt  n'a  pu  être  atteinte  partout 
et  j'ai  dû  çà  et  là  fusionner  les  cautous  deux  à  deux.  Pour  ce  départcmeut,  la  taille  des  conscrits 
nie  manque. 


h^    U.  COLLIGNON,  —  ÉTLDK  DES  POPULATIONS  FRANÇAISES      6o~ 

comme  en  Bretagne  ou  dans  le  nord  de  la  France,  porte  sur  trois,  sinon 
sur  quatre  et  que  nous  avons  à  opérer  sur  le  champ  clos  où  sont  venues 
se  heurter  toutes  les  races  dont  l'union  a  lait  la  France  moderne.  Leur 
fusion  s'est  effectuée  très  irrégulièrement  suivant  les  caprices  de  l'histoire 
ou  d'après  les  conditions  topographiques  locales.  Dans  telle  vallée,  la  pré- 
dominance reste  à  l'une,  dans  la  vallée  voisine  à  l'autre;  ailleurs,  des 
types  mixtes  se  sont  établis  ;  un  peu  plus  loin  les  races  ataviques  persis- 
tent sous  le  flot  des  envahisseurs  et  sur  certains  points  avec  une  fréquence 
relative  suffisante  non  seulement  pour  les  reconnaître  à  l'œil  chez  les  indi- 
vidus, mais  même  pour  influencer  les  moyennes  et  pour  permettre  d'ar- 
river à  déterminer  leur  aire  de  répartition  par  l'étude  minutieuse  de  cer- 
tains caractères  évalués  en  chiffres,  tels  que  la  série  des  indices  faciaux  ou 
celle  des  indices  verticaux  du  crâne  et  de  la  tête. 

Malheureusement  les  limites  qui  nous  sont  assignées  ici  ne  permettent 
guère  d'entrer  dans  les  détails  de  discussion  nécessaires  ;  nous  nous  borne- 
rons à  tracer  les  grandes  lignes  de  l'ethnographie  de  la  région  en  priant 
le  lecteur  que  le  sujet  intéresserait  de  vouloir  bien  se  reporter  au  mémoire 
m  extenso  qui  sera  publié  ultérieurement  dans  les  bulletins  de  la  Société 
d'Anthropologie  de  Paris. 

Le  premier  caractère  à  étudier  ici,  car  il  prime  tout  par  son  importance, 
est  l'indice  céphalique.  Sa  répartition  cantonale,  reproduite  plus  loin 
(carte  I,  PL  V)  trace  immédiatement  une  limite  nette  entre  deux  groupes 
chés  de  population  :  l'un  manifestement  brachycéphale,  l'autre  d'une  doli- 
chocéphalie  excessive  par  rapport  à  ce  qu'on  est  habitué  à  trouver  en 
France,  même  dans  les  départements  flamands  ou  normands.  L'écart 
porte  sur  12  unités  dans  les  moyennes,  de  Champagnac-de-Belair  (Dor- 
dogne)  qui  a  76,8  d'indice  céphalique,  à  Larche  et  à  Sainl-Privat  (Cor- 
rèze)  dont  la  brachycéphalie  s'élève  à  87,3  et  87,4. 

En  France,  notre  moyenne  relevée  sur  8.700  sujets  est  de  83, o7.  Si  nous 
traçons  sur  la  carte  du  XII"  corps  d'armée  une  ligne  de  séparation  entre 
les  indices  de  82  et  ceux  de  83,  nous  lui  voyons  remonter  en  la  suivant 
exactement  la  rive  méridionale  de  la  Dordogne,  puis  celle  de  la  Vézère 
jusqu'à  rentrée  de  cette  rivière  en  Corrèze.  Dès  lors  elle  suit  strictement 
la  frontière  des  deux  départements  (c'est-à-dire  l'ancienne  limite  du  Péri- 
gord  et  du  bas  Limousin,  des  Pétrocorii  et  des  Leraovicesj,  puis  sépare 
la  Haute-Yienne  de  la  Corrè/c  jusqu'à  la  hauteur  du  point  où  la  Vienne 
pénètre  dans  ce  département  et  remonte  au  nord  en  suivant  la  ligne 
de  faite  qui  sépare  les  bassins  de  la  Creuse  et  du  Cher.  Les  brachycéphales 
purs  sont  tous  au  sud  et  à  l'est  de  cette  ligne,  à  l'exception  d'une  petite 
enclave  de  quatre  cantons  près  de  Bcllac  (Haute-Vienne)  et  du  canton 
voisin  de  Chabanais  (Charente),  relié  d'ailleurs  au  centre  secondaire  de 
Beilac  par  l'indice  82,9  du  canton  intermédiaire  de  Coufolens. 

42* 


(358  ANTHROPOLOGIE 

Les  dolichocéphales  (j'appelle  ainsi  les  indices  inférieurs  à  80,0)  forment 
à  leur  tour  deux  groupes  compacts,  comprenant:  l'un,  toutes  les  vallées 
des  premiers  atlluents  de  droite  de  la  Dordogne  (Isle,  Dronneet  leurs  sous- 
affluents),  c'est-à-dire  le  véritable  Périgord,  puis  la  partie  sud  de  la  Cha- 
rente à  peu  près  jusqu'à  la  rive  gauche  delaTardoire  ;  l'autre,  Limoges  (1) 
et  les  sept  cantons  qui  l'environnent.  Le  reste  du  pays  forme  une  sorte 
de  zone  mixte,  à  propos  de  laquelle  on  remarquera  seulement  que  les  in- 
dices de  82  dominent  dans  l'est  de  la  Creuse  et  ceux  de  80  et  de  81  dans 
la  Charente,  c'est-à-dire  les  premiers  près  de  la  région  brachycéphale,  les 
derniers  près  des  contrées  dolichocéphales . 

Nous  avons  décrit  avec  précision  cette  répartition  parce  qu'elle  nous 
permet  dès  maintenant  de  nous  considérer  comme  éclairés  sur  l'ethnogra- 
phie de  toute  une  partie  du  territoire  étudié,  toute  la  zone  brachycéphale. 
Il  est  incontestable  que  c'est  la  race  celtique  de  Broca  avec  tous  ses  ca- 
ractères, si  bien  décrits  par  le  maître,  à  laquelle  nous  avons  affaire.  Dire 
qu'elle  est  pure,  évidemment  non  ;  partout,  et  c'est  dans  l'Europe  entière 
une  de  ses  caractéristiques,  elle  est  profondément  imprégnée  d'éléments 
blonds,  au  nord  de  la  région  surtout  (Creuse,  nord  de  la  Corrèze),  en  rai- 
son du  voisinage  de  populations  contenant  manifestement  une  importante 
proportion  de  sang  blond  ;  au  sud  de  la  Dordogne,  au  contraire,  l'adjonc- 
tion des  dolichocéphales  bruns  lui  imprime  sur  certains  points  un  cachet 
spécial  ;  mais  ce  sont  là  des  modifications  de  détail  qui  n'ôtent  rien  à 
l'évidence  de  cette  constatation.  Reste  donc  à  rechercher  si  nous  trouverons 
même  unité  de  race  chez  les  dolichocéphales. 

Il  suffit  d'avoir  parcouru  le  pays  pour  dire:  non.  Deux  races  au  moins, 
dolichocéphales  toutes  deux,  sont  en  présence  :  l'une  blonde  et  l'autre 
brune.  L'examen  des  cartes  de  la  couleur  vient  du  reste  de  le  prouver. 
L'insuffisance  des  documents  recueillis  sur  cette  question,  sauf  en  Dor- 
dogne, nous  a  contraint  à  réunir  les  cantons  trois  par  trois  pour  obtenir 
des  moyennes  présentant  quelque  stabilité.  L'unité  de  répartition  se  trou- 
vant ainsi  plus  grande,  certains  rapports  doivent  fatalement  être  masqués 
et  les  cartes  n'ofïrent  pas  une  netteté  de  rapports  comparable  à  celle  de 
l'indice  céphalique.  Il  en  ressort  pourtant  au  premier  coup  d'œil  que  la 
proportion  des  blonds  est  au  maximum  dans  la  Creuse  et  aux  environs  de 
Limoges  ainsi  que  dans  le  nord  de  la  Charente.  En  Dordogne  on  en  peut 
suivre  une  traînée  qui,  partant  de  Limoges  et  de  Saint-Yrieix,  vient  se 
répandre  sur  les  plateaux  boisés  qui  séparent  la  vallée  de  l'Isle  de  celle  de 
la  Dordogne  et  s'accuse  surtout  dans  les  cantons  de  Thenon,  Saint-Pierre- 
de-Chignac,  Vergt,  Villamblard  et  Laforce.  Enfin,  dans  la  Charente,  les 
environs  de  Confolens  (bruns  et   brachycéphales)  étant  mis  à  part,  les 

(1)  Ai-je  besoin  de  dire  que  j'ai  éliminé  tous  les  individus  affectés  de  déformations  crâniennes. 


D""   R.  COLLIGNON.    —    ÉTUDE    DES   POPULATIONS   FRANÇAISES  639 

blonds  nombreux  au  nord  semblent  décroître  graduellement  en  allant  vers 
le  sud  et  le  sud-ouest.  Les  bruns,  inversement,  dominent  dans  toute  la 
Corrèze,  dans  le  Sarladais  et  le  Bergeracois  (brachycéphales  tous  trois), 
dans  les  vallées  périgourdines  de  l'Isle  et  de  la  Dronne  (dolichocéphales 
bruns).  Des  centres  secondaires  se  montrent  aux  environs  de  Cognac,  de 
Confolens  et  de  Bellac,  de  Guéret,  de  Boussac  et  de  Bourganeuf. 

Enfin  les  cheveux  noirs,  très  rares  dans  la  région  blonde  (sauf  près  de 
Guéret),  et  même  en  Corrèze  où  leur  total  ne  dépasse  jamais   6,7  0/0, 
deviennent  très  fréquents  en  Dordogne,  surtout  au  sud-ouest  du  départe- 
ment où  ils  affectent  sur  certains  points  27  0/0  de  l'ensemble  du  contin- 
gent (Saint-Aulaye,  Villefranehe  de  Longchapt,  etc.)  Tous  les  cantons  de  la 
région  pauvre  et  marécageuse  qui  porte  le  nom  de  La  Double  sont  dans 
€6  cas,  phénomène  important,  car  la  pauvreté  de  ce  pays  et  son  climat 
malsain  en  font  ce  que  j'ai  appelé  un  «  refuge  de  vaincus  »  et  par  suite 
ont  pu  et  même  dû  le  préserver  relativement  des  conquêtes  et  des  colo- 
nisations.  Nous  aurons  donc  chance  d'y  retrouver  les  représentants  des 
plus  vieilles  races  du  pays,  des  Périgourdins  primitifs  et  dès  maintenant 
il  faut  noter  cette  fréquence   insolite  des  cheveux  noirs  et,  ajoutons-le, 
des  peaux  brunes  dans  cette  région . 

Ne  pouvant  multiplier  à  l'infini  les  cartes,  nous  donnerons  comme 
exemple  de  la  répartition  de  la  couleur  celle  des  quatorze  cartes  que  nous 
avons  établies  qui  peut  être  considérée  comme  la  synthèse  de  toutes.  Elle 
a  été  dressée  en  ramenant  tous  les  nombres  cantonaux  à  cent,  puis  en  addi- 
tionnant d'une  part  tous  les  yeux  et  tous  les  cheveux  foncés,  noirs  compris, 
de  l'autre  tous  les  yeux  bleus  et  les  cheveux  blonds  et  roux  réunis,  en 
divisant  ces  deux  totaux  par  deux  et  en  calculant  l'excès  des  uns  sur  les 
autres  (carte  II).  Certes,  elle  ne  remplace  par  les  autres  pour  les  détails; 
mais  dans  les  grandes  lignes  c'est  celle  qui  résume  le  plus  exactement  la 
-situation. 

Quelques  chiffres  aideront  d'ailleurs  à  fixer  les  idées. 


DEPARTEMENTS 


Haute-Vienne  .   . 

Creuse 

Charente  .... 

Corrèze  

Dordogne  .... 

Hojenae  des  9  départements. 


PROPORTION  0/0  DES 


Y  EUX 


liliMisirlairs 


3tj,T 
34,7 
33,8 
29,3 
3i,2 


33,7 


louc^s 


24,6 
23,3 
23,6 
23,3 
23,6 


23,7 


CHEVRUX 


blniidstriMiiL 


21,8 
21,9 
17,2 
15,4 
15.0 


18,3 


liriiiisi  noirs 


49,6 
53,9 
57,6 

58,4 
6G,3 


CHEVEUX 

noirs  seuls 


5,2 
6,1 
5,8 
3,8 
12,1 


6,6 


DEMI-SOMME 

des  yeux 
et  des  clieveux 


ctairs 


29,2 
28,3 
25,5 
22,3 
24,6 


26,0 


foncés 


37,1 

38,6 

40,6 

40,9" 

45.0 


40. 


EXCES 

des 
foncés 
sur  les 
clairs 


7,9 
10,3 
15.1 
18.6 
20.4 


li.4 


660  ANTHROPOLOGIE 

On  voit  par  le  tableau  ci-joint  que,  dans  la  région  étudiée,  les  cheveux 
foncés  dominent,  même  dans  les  départements  les  plus  blonds,  et  qu'en  ce 
qui  concerne  les  yeux,  les  teintes  claires,  tout  en  étant  plus  fréquentes 
que  les  teintes  nettement  foncées,  sont  pourtant  en  minorité  par  rapport 
aux  tons  moyens. 

Faisant  application  de  ces  données  au  problème  posé  plus  haut,  nous 
pourrons  conclure  que  nous  avons  affaire  à  deux  races  dolichocéphales 
au  moins:  l'une,  blonde,  en  minorité  là  même  où  elle  est  la  plus  nom- 
breuse, se  cantonnerait  dans  le  Haut-Limousin  et  dans  la  Marche,  ayant 
pour  centre  les  environs  de  Limoges  et  s'y  reliant  dans  l'est  avec  une 
poussée  parallèle  de  blonds  qui  remonterait  la  vallée  du  Cher;  l'autre, 
brune  ou  noire  de  cheveux  et  comprenant  peut-être  deux  types  spéciaux, 
serait  propre  au  Périgord  et  au  sud  du  département  de  la  Charente. 

Des  croisements  multiples  sont  intervenus  entre  ces  races,  créant  des 
'types  mixtes  locaux,  tels  que  les  brachycéphales  fréquemment  blonds 
des  environs  d'Aubusson  ou  que  les  dolichocéphales  mixtes  du  plateau 
de  Vergt  et  de  Savignac-les-Églises  (Dordognej,  etc.  Notons  seulement 
que  presque  toute  la  zone  à  indices  céphaliques  intermédiaires,  dont  nous 
parlions  plus  haut  (hidices  de  80  à  82,9),  est  surtout  formée  d'un  mé- 
lange de  blonds  et  de  brachycéphales.  Elle  se  rapproche  ainsi,  tant  par 
la  couleur  que  par  la  forme  crânienne,  des  autres  parties  de  la  France 
où  le  même  croisement  s'est  opéré  et,  pour  prendre  des  départements 
analogues  au  point  de  vue  du  chiffre  de  l'indice,  de  nos  départements 
réputés  très  hjmriques,  tels  que  :  Nord,  80,4  —  Pas-de-Calais,  80,4  — 
Calvados,  81,6  —  Manche,  83,1,  etc.,  avec  cette  différence  pourtant  que 
ceux-ci  sont  infiniment  plus  riches  en  cheveux  blonds  et  en  yeux  bleus. 

La  taille,  avons-nous  dit,  a  été  mesurée  sur  l'ensemble  du  contingent, 
sauf  dans  la  Creuse,  qui  par  suite  d'un  malentendu  regrettable  devra 
rester  en  blanc  sur  nos  cartes  jusqu'à  nouvel  ordre.  Nous  avons  dressé 
diverses  cartes  de  la  répartition  de  cet  important  caractère  :  taille 
moyenne  par  canton;  proportion  0/0  des  hautes  statures  (l'",70  et  plus), 
des  petites  tailles  (moins  de  1"%60),  des  ajournés  pour  défaut  de  taille 
(moins  de  l'",o4),  enfin  des  très  petites  tailles  (moins  de  1°\50). 

Toutes  concordent  dans  l'ensemble,  sinon  dans  les  détails.  Aussi  ne 
reproduirons-nous  ici  que  la  plus  importante  :  la  taille  moyenne  (Carte  III), 
Sur  toutes  on  voit  s'accuser  un  vaste  îlot  de  petites  tailles  qui,  partant 
des  hauteurs  comprises  dans  la  boucle  de  la  Charente,  entre  celle-ci  et  la 
Tardoire,  couvre  les  monts  du  Limousin  juste  à  la  limite  de  la  Haute- 
Yienne  et  de  la  Dordogne  et  vient  se  relier  à  l'est  aux  plateaux  de  Gen- 
tioux  et  de  Millevaches.  Des  îlots  détachés  accusent  çà  et  là  une  dimi- 
nution de  stature  dans  le  reste  de  la  région,  notamment  dans  le  montueux 
et  sauvage  Sarladais,  ainsi  que  sur  les  plateaux  qui  séparent  les  vallées 


D''    R.    COLLIGNON.    ÉTL'DE    DES    POPULATIONS    F HANÇAISES  661 

en  éventail  du  Périgord  proprement  dit,  ou  les  bassins  de  la  Charente 
et  de  la  Dordogne. 

Sur  certains  points  la  diminution  de  la  stature  est  excessive  :  Cantons 
de  Saint-Mathieu  (Haute-Vienne),  d'Uzerche,  de  Vigeois  (Corrèze),  taille 
moyenne  l™,o68  —  l'",o91  —  l'",o94.  Tout  autour  de  ceux-ci  les 
moyennes  n'atteignent  que  les  chiffres  fort  bas  de  4'",60  et  l'",61.  Inver- 
sement, sur  d'autres  points  tels  que  Eygurande  (Corrèze),  Le  Dorai  (Haute- 
Vienne)  ou  Villefagnan  (Charente),  on  obtient  les  chiffres  très  élevés  de 
l'",667  —  1",664  —  l"',6o6,  etc. 

Nous  sommes  bien  ici,  instruits  par  ce  qui  précède,  obligés  d'accepter 
la  brutalité  des  faits.  La  race  n'est  pas  seule  en  jeu  dans  cette  incroyable 
diminution  de  la  stature.  En  effet,  comparons  les  uns  aux  autres  les 
six  cantons  extrêmes  susdits  : 


CANTONS 

INDICF. 
oc'phaliqiie 

INDICE 

NASAL 

TAILLE 

MOYKNNE 

l'RorimrioN  o/u  i>ks 

TAILLES 

supiTifurcs 

inférieures 
à    l°',60 

iiiferieiires 

à  r',:;o 

S'-Matilicii  cH*«-Vicnnc) 

81,8 

71.0 

I"<5(i8 

l.i 

67.6 

8,8 

Uzerclie  (Corrèze)  .  .  . 

81,2 

()9,8 

1,591 

3,8 

54,7 

1,!^ 

Vigeois  (Corrèze)    .  .  . 

81,6 

71.5 

l,59i 

5,7 

i8,0 

2,9 

Eygurande  (Corrèze).  . 

8V,4 

09.9 

1,607 

i0,5 

13,5 

0 

Le  Dorât  (H"^-Vienne) . 

83,8 

66,6 

1,601 

26,8 

9,8 

0 

Villefagnan  (Charente). 

80,5 

69,0 

1,6.50 

31.1 

20,0 

0 

On  voit  que  hautes  et  faibles  statures  s'associent  à  des  indices  cépha- 
liques  sensiblement  égaux,  en  moyenne  83,5  et  82,9,  et  il  suffira  de 
regarder  les  cartes  de  la  couleur  pour  voir  que,  si  Uzerche  et  Vigeois  sont 
dans  la  région  modérément  brune,  Saint-Mathieu  est  dans  la  blonde  et 
qu'inversement,  Villefagnan   et   Eygurande  étant  blonds.  Le   Dorât   est 

plutôt  brun. 

Comment  expliquer  ces  faits  insolites?  J'entends  bien  qu'on  va  de  suite 
tenter  de  réveiller  la  fameuse  question  des  terrains  granitiques  et  cal- 
caires. Laissons-lui  dormir  son  dernier  sommeil;  car  si  notre  zone  de 
petites  tailles  est  bien  en  pays  granitique  ou  schisteux,  non  seulement 
elle  déborde  largement  celui-ci  pour  envahir  les  terrains  calcaires  (juras- 
sique, crétacé  et  tertiaire),  mais  en  outre  c'est  sur  ces  mêmes  terrains 
schisteux  ou  granitiques  que  nous  rencontrons  les  hautes  tailles  d'Eygu- 
rande,  du  Dorât  et  des  environs  de  Limoges,  ce  qui,  d'ailleurs,  ne  fait  que 
confirmer  les  observations  qu'il  nous  a  été  donné  de  faire  tant  en  Bre- 


662  ANTHROPOLOGIE 

tagne  (régions  de  Dinan  l"\65,  de  Lannion  l'",61)  qu'en  Normandie^ 
notamment  dans  le  Cotentin,  ce  bloc  de  schistes  et  de  granit  si  fertile 
pourtant  en  beaux  hommes. 

Nous  sommes  donc  conduit  à  attribuer  cet  abaissement  de  la  taille  auT 
facteurs  sociaux,  c'est-à-dire  à  la  misère,  à  l'insuffisance  de  nourriture, 
indéniables  dans  ces  pays  montagneux  et  pauvres,  où  les  châtaignes  font 
encore  la  base  de  l'alimentation  et  oîi  la  dégénérescence  organique  s'ac- 
cuse non  seulement  par  le  rabougrissement  de  la  race,  mais  encore  par 
le  nombre  considérable  de  tares  physiques  qu'elle  présente.  Un  seul 
exemple  suffira  à  le  prouver;  dans  certains  de  ces  cantons,  les  conseils 
de  revision  ont  à  éliminer  pour  infirmités  le  double  au  moins  de  jeunes 
gens  que  dans  les  cantons  riches. 

En  Dordogne  (je  n'ai  pas,  on  s'en  souvient,  de  renseignements  médi- 
caux pour  les  autres  départements),  prenons  deux  des  cantons  de  notre 
zone  de  faibles  tailles,  qui  d'ailleurs  ne  sont  pas  les  plus  déshérités  sous 
ce  rapport,  ceux  de  Jumilhac-le-Grand  et  de  La  Noaille,  et  comparons-les 
à  deux  cantons  jouissant  d'une  moyenne  de  taille  élevée  : 


Jumilhac-le-Grand  .  . 
La  Noaille 

TAILLE 

M  0  r  E  N  N  E 

AJOURiNÉS  ET  EXEMPTÉS  POUU 

INDICE 

CÉPHALIQUE 

\ 

DÉFAUT 

de  taille  o/O 

INFIRMITÉS 

0   0 

l™60i 
1,6K 

15.4 
15,6 

42,6 
41,3 

79,9 
81,4 

Issigeac 

Sigoulès 

1,611 

1,653 

6,4 
0 

27,4 
29,9 

84,4 
82,0 

Les  chiffres  parlent  d'eux-mêmes  et  notre  conclusion  sera  que,  seule,  la 
misère  est  en  jeu  dans  le  phénomème  que  nous  étudions,  constatation 
qui  tranche  un  des  problèmes  les  plus  ardus  de  l'ethnographie  française. 

Est-ce  à  dire  que  la  race  n'ait  pas  elle  aussi  sa  part  d'influence  en  ce 
cas?  Évidemment  si,  et,  en  soumettant  à  une  analyse  minutieuse  les 
chiffres  obtenus,  nous  arriverions  sans  peine  à  la  mettre  en  lumière; 
mais  cette  discussion  nous  entraînerait  trop  loin  ici  :  disons  uniquement 
que  dans  son  ensemble  la  race  dolichocéphale  brune  est,  toutes  conditions 
sociales  égales  d'ailleurs,  plus  petite  que  les  deux  autres. 

L'étude  de  la  face  n'a  pu  être  faite  en  détail  que  dans  la  Dordogne. 
Parmi  les  recherches  qui  s'y  rapportent,  seul  l'indice  nasal  a  été  pris^ 
pour  les  cinq  départements.  Sa  répartition  m'avait  de  prime  abord  fort 
embarrassé  (carte  IV).  Pour  l'expliquer,  il  faut  remarquer  : 


D''    R.    COLLIGNO.X.    —    ÉTL'DE    DKS    POPULATIONS    FUANÇ.USES  663 

1°  Que  toute  la  région  réellement  brachycéphale  du  sud  et  de  l'est  est 
mésorrhinienne  (indices  de  69,  70  et  71),  comme  c'est  la  règle; 

2"  Qu'en  sus,  il  existe  une  vaste  bande  d'indices  de  70  à  72  franche- 
ment mésorrhiniens,  qui  recouvre  très  sensiblement  toute  la  région  que 
nous  avons  vue  précédemment  occupée  par  les  petites  tailles  (ligne  de 
faîte  entre  les  bassins  de  la  Dordogne,  de  la  Charente  et  de  la  Vienne).  Il 
y  a  là  deux  phénomènes  connexes,  dont  jadis  j'avais  d'avance  donné  la 
loi  en  disant  que  :  «  Pour  une  même  race  l'indice  nasal  varie  avec  la  taille  : 
leptorrhinien  chez  les  sujets  grands,  mésorrhinien  chez  les  petits».  Au- 
trement dit,  cet  indice  est  dans  une  large  limite  sous  la  dépendance  des 
lois  de  croissance  du  corps;  si  celui-ci  est  très  grand,  le  squelette  entier 
participe  à  l'allongement  et  la  face  s'allonge,  surtout  dans  sa  région 
moyenne,  c'est-à-dire  dans  la  région  nasale;  or  si  l'on  songe  qu'un  milli- 
mètre d'augmentation  dans  la  longueur  du  nez  rend  l'indice  plus  élevé 
de  deux  unités  en  moyenne,  on  comprendra  facilement  que  1  énorme 
abaissement  de  la  taille  qui  existe  dans  cette  région  doive  se  traduire  par 
une  exagération  de  la  mésorrhinie.  11  y  a  donc  U  une  sorte  de  contre- 
coup assez  inattendu  du  facteur  «  misère  »,  qui  rend  l'interprétation 
ethnographique  de  ce  caractère  fort  ardue  en  ce  cas.  Il  reste  cependant 
certain  que,  celui-ci  mis  à  part,  les  races  dolichocéphales  sont  leptor- 
rhiniennes  et  la  race  brachycéphale  mésorrhinienne;  mais  nous  n'oserions 
en  tirer  aucune  conclusion  au  sujet  de  la  répartition  des  types. 

Plus  intéressantes  en  revanche  sont  l'étude  du  visage  et  celle  de  la  face 
proprement  dite.  Les  mesures  prises  sur  la  tête  en  dehors  des  précédentes 
étaient  :  les  hauteurs  :  1°  du  crâne  (vertex  à  centre  du  trou  auditif)  :  2°  de 
la  tête  totale  (vertex  à  menton)  ;  3°  de  la  face  proprement  dite  (ophryon 
à  menton),  et  enfin  la  largeur  bizygomatique.  Nous  avons  pu  à  l'aide  de 
ces  données  établir  divers  indices  ou  rapports  les  uns  déjà  usités,  d'autres 
nouveaux,  mais  qui  tous,  grâce  à  la  méthode  graphique  des  cartes  de 
répartition,  nous  ont  donné  des  résultats  aussi  imprévus  qu'encourageants. 

C'est  ainsi  que  nous  avons  étudié  le  crâne  dans  ses  trois  dimensions 
tant  à  l'aide  de  l'indice  céphalique  classique,  que  des  deux  indices  verti- 
caux: hauteur  (vertex  à  trou  auditif)  comparée:  1°  à  la  longueur  ;  2°  à  la 
largeur,  de  manière  à  apprécier  le  développement  en  hauteur  du  crâne. 
Ces  indices,  le  premier  surtout,  ont  classé  d'abord  nettement  les  cantons 
en  deux  groupes  tranchés,  exactement  comme  l'avait  fait  l'indice  cépha- 
lique, puis  en  outre,  et  la  région  brachycéphale  mise  à  part,  ils  nous  ont 
révélé  chez  les  dolichocéphales  l'existence  d'un  vaste  îlot  très  compact 
recouvrant  toute  la  partie  de  la  vallée  de  l'Isle  située  en  aval  de  Péri- 
gueux,  dans  lequel  une  platycéphalie  relative  s'unit  à  la  dolichocéphalie 
(voir  cartes  V  et  VI,  PL  VI).  Ce  fait  très  important  vient  corroborer  ce 
que  nous  pouvions  déjà  soupçonner  par  suite  de  la  fréquence  relative  des 


664  ANTHROPOLOGIE 

cheveux  noirs  dans  la  région  (voir  plus  haut)  et  tend  à  nous  prouver  une 
dualité  de  race  parmi  les  populations  que  jusqu'ici  nous  avions  appelées, 
en  bloc,  les  dolichocéphales  bruns. 
L'étude  de  l'indice  antérieur  total  du  visage       •    '^vg'^ma  iquc  x  ioo     ^^^ 

"      H'' totale  antérieure  de  la  tête 

venue  encore  confirmer  cette  opinion  en  nous  montrant  que  dans  cette 
même  vallée  de  l'Isle  la  tête  était  dans  son  ensemble  plus  basse  et  la  face 
plus  large  que  chez  les  dolichocéphales  bruns  également,  qui  l'avoisinent 
au  nord  et  au  sud  (carie  VII). 

L'indice  facial  proprement  dit  donne  au  contraire  des  résultats  bien 
moins  satisfaisants.  C'est  du  reste,  à  mon  avis,  un  rapport  d'un  intérêt 
médiocre  sur  le  vivant,  en  raison  surtout  de  la  difficulté  qu'on  éprouve 
à  déterminer  l'ophryon  avec  une  précision  rigoureuse.  Cependant,  lui 
aussi,  après  avoir  séparé  nettement  les  brachycéphales  (indices  de  96  à  101) 
de  l'ensemble  des  dolichocéphales,  crée  chez  ces  derniers  deux  groupes, 
l'un  de  faces  longues  (indices  de  92  à9o)  et  l'autre  de  faces  larges  (indices 
de  96  à  99).  La  région  de  la  Double,  la  vallée  de  la  basse  Isle  et  le 
Nontronais  se  rangent  dans  cette  catégorie. 

Restent  trois  indices  : 

Le  pariéto-vertical  total  de  la  tête    •  ranb\ersa  max.  x  too  j'jj^^jçg  latéral 

'^  h"'  lotale  antér.  de  la  lete 

j    ,     ,»,     D.   antt'ro-post.    max.  X  100     ,1  • .,  ,•  D.  lîizygomatiquex  100 

de  la  tête     ,    .  .  ,  — - — ,   ,  ... —  etleparieto-zygomatique— — ^-^^ ~, ' 

h'  totale  antér.  de  la  tête  ^  "^°  1  D.  transversal  niax. 

qui  tous  trois  modèlent  leur  répartition  sur  celle  de  l'indice  céphalique, 
montrant  une  fois  de  plus,  par  leur  coïncidence,  que  les  caractères  tirés 
de  l'étude  du  crâne  et  de  la  tète,  peu  influençables  par  les  facteurs  sociaux 
et  par  la  taille,  sont  les  véritables  bases  des  recherches  ethnographiques. 
Disons  en  passant  que  l'indice  pariéto-zygoma tique,  qui,  sous  une  autre 
forme,  n'est  que  l'angle  pariéto-zygomatique  de  M.  de  Quatrefages,  se  prête, 
lorsqu'on  en  fait  l'étude  approfondie,  à  d'intéressantes  considérations,  un 
peu  longues  à  exposer  cependant,  sur  la  morphologie  crânio-faciale  des 
dolichocéphales,  et  que,  d'autre  part,  l'indice  latéral  de  la  tête  vient  con- 
firmer une  fois  de  plus  l'écrasement  de  la  face  qui  se  rencontre  dans  la 
Double  et  dans  la  vallée  de  l'Isle. 

Aurai-je  besoin  d'insister  sur  l'importance  de  ces  constatations  ?  Une 
race  très  dolichocéphale,  légèrement  platycéphale,  très  brune  d'yeux,  de 
cheveux  et  de  peau,  douée  en  outre  d'une  face  large  et  basse,  n'a  pas  en 
Périgord  besoin  d'aller  bien  loin  pour  retrouver  à  Laugerie  et  à  Cro- 
Magnon  ses  ancêtres  directs. 

Dans  les  étroites  limites  qui  nous  sont  assignées  ici,  nous  n'avons  pu 
qu'ébaucher  les  grandes  lignes  de  notre  travail  et  nous  avons  dû  suppri- 
mer tous  les  chiffres  :  les  cartes  suppléeront  d'aiUeurs  dans  une  large  me- 
sure aux  lacunes  du  texte  ;  toutes  les  moyennes  y  sont  portées  et  les  diffé- 
rences de  teinte  en  accuseront  mieux  les  écarts  que  les  tableaux  les  plus 


P,    DELMAS.    LE    SANATOUIUM    TIIEUMAL    DE    DAX  603 

criblés  de  chiffres  et  de  pour  cent  ;  d'ailleurs,  comment  s'y  reconnaître 
autrement  lorsqu'on  se  trouve  en  présence  de  loi  unités  anthropologiques, 
chefs-lieux  de  canton  en  général  profondément  inconnus  et  dont  on  ne 
peut  à  la  lecture  apprécier  exactement  les  rapports  topographiques  ?  Nous 
pensons  cependant  que,  si  abrégé  qu'il  soit,  cet  exposé  aura  son  intérêt 
et  démontrera  celui  qu'aurait  une  étude  semblable  étendue  à  la  France 
entière.  Ce  serait  un  gros  travail  ;  en  attendant,  désireux  d'y  apporter 
tout  notre  concours,  nous  nous  efTorcerons  de  le  poursuivre  d'année  en 
année,  et  dès  maintenant  nous  pouvons  annoncer  à  nos  collègues  qu'en 
1893  nous  espérons  pouvoir  porter  nos  recherches  sur  la  région  basque 
(Basses  et  Hautes-Pyrénées)  et  peut-être,  si  la  chose  est  possible,  sur  les 
trois  autres  départements  du  XVIII'"^  corps  d'armée  :  Landes,  Gironde  et 
Charente-Inférieure,  de  manière  à  relier  en  un  tout  le  travail  accompli 
dans  les  deux  campagnes  de  1892  et  1893. 


M.    Paul  DELMAS 

Inspecteur  du  service  hydrolhérapique  de  l'hôpital  Saint-André,  à  Bordeaux. 


LE    SANATORIUM    THER^IAL    DE    DAX 


Séance  du  16   septembre   IS92 


I 


Le  cri  d'alarme  poussé  depuis  quelques  années  sur  les  ravages  do  la 
Tuberculose,  sous  toutes  ses  formes,  retentit  à  nos  oreilles.  Affection 
meurtrière  entre  toutes,  elle  attaque  l'enfance  dès  le  berceau  et  menace 
de  faucher  dans  sa  fleur  la  société  tout  entière. 

Le  premier  Congrès  de  la  Tuberculose,  dû  à  l'initiative  d'un  illustre 
chirurgien,  M.  Verneuil,  a  été  comme  une  révélation  de  ce  qu'il  y  avait 
ci,  faire,  mais  aussi  de  tout  ce  qu'on  pouvait  faire  d'efficace  pour  la 
combattre. 

Dans  la  préface  du  remarquable  ouvrage  du  docteur  Charles  Leroux 
sur  l'œuvre  nationale  des  hôpitaux  marins,  M.  Verneuil   fait  ressortir  le 


666  SCIENCES   MÉDICALES 

point  essentiel  suivant  :  a.  Si  la  Tuberculose  menace  tout  le  monde,  à 
son  début,  ses  formes  souvent  assez  bénignes,  superficielles,  limitées, 
dites  chirurgicales  sont  curables,  dans  la  proportion  inespérée  de 
75  0/0,  par  un  séjour  plus  ou  moins  prolongé  au  bord  de  la  mer  »  (1). 

Mais,  tous  les  enfants  atteints  de  Tuberculose  sont-ils  justiciables  de 
cette  médication,  hygiénique  avant  tout?  Tout  au  moins  ces  enfants  le 
sont-ils  toujours  dans  des  conditions  pratiques  ? 

Nous  ne  le  pensons  pas. 

D'après  les  statistiques,  il  est  démontré  que  le  séjour  dans  les  sanatoria 
et  hôpitaux  marins  est  en  moyenne  de  423  jours  (2).  Comme  à  l'heure 
présente  l'œuvre  nationale  des  hôpitaux  marins  ne  dispose  que  de 
1.800  lits  environ,  on  voit  qu'elle  ne  .peut  soigner  annuellement  que 
1.600  enfants,  lymphatiques,  scrofuleux  ou  rachitiques.  Ce  chiffre  est 
bien  infime,  si  on  le  compare  aux  milliers  d'enfants  plus  ou  moins  voués 
à  la  Tuberculose. 

Dans  ces  conditions,  nous  nous  sommes  demandé  si,  à  côté  de  l'œuvre 
des  sanatoria  et  des  hôpitaux  marins,  il  n'y  aurait  pas  lieu  de  pour- 
suivre la  création  àe sanatoria  d'un  autre  ordre  qui,  par  l' intensité  rapide 
de  leur  médicalion,  pourraient  préparer  favorablement  aux  sanatoria  et 
aux  hôpitaux  marins  la  clientèle  si  nombreuse  des  petits  tuberculeux 
gravement  atteints. 

En  France,  la  nature  a  été  prodigue  pour  nous  doter  de  sources  mi- 
nérales nombreuses,  comme  elle  nous  a  donné  une  étendue  considérable 
de  côtes  aux  climats  variés. 

Bien  des  sources  minérales  peuvent  à  bon  droit  revendiquer  le  mérite 
de  combattre  efficacement  les  diverses  manifestations  de  la  Tubercu- 
lose. 

Par  leur  mode  d'action  et  par  leurs  procédés  d'application,  la  théra- 
peutique des  eaux  minérales,  toute  différente  de  celle  des  bains  de  mer 
et  du  climat  marin,  peut  être  qualifiée  d'intensive.  Par  conséquent,  leur 
usage  doit  être  court,  comme  leur  énergie,  et  soumis  à  la  plus  grande 
surveillance. 

Avec  elles,  possibilité  d'aborder  le  traitement  des  tuberculeux  graves 
qui  seraient  une  très  lourde  charge  pour  les  sanatoria  et  les  hôpitaux 
marins;  et,  le  faisant  dans  un  temps  relativement  court,  d'en  soigner 
un  grand  nombre,  avec  des  installations  hospitalières  restreintes. 

Sur  ce  principe  repose  la  création  et  le  mode  de  fonctionnement  du 
Sanatoi'ium  thermal  de  Dax  fondé  en  1888  dans  les  circonstances  sui- 
vantes : 

(1)  Charles  Leroux,  l'Assistance  maritime  des  enfants  et  les  hôpitaux  marins.  Paris,  1892,  p.  6. 

(2)  Charles  Leroux,  loc.  cit.  p.  32. 


p.    DELMAS.    —    LE    SANATORIUM   THERMAL    DE    DAX  66" 

En  188",  l'Administration  des  hôpitaux  de  Bordeaux  avait  envoyé  à 
Salies-de-Béarn  un  groupe  d'enfants  lymphatiques  ou  scrofuleux.  Ces 
enfants  avaient  été  installés  dans  une  maison  particulière. 

Les  résultats  obtenus  furent  satisfaisants. 

L'année  suivante  l'Administration  voulut  envoyer  une  nouvelle  escouade 
d'enfants  plus  nombreux.  Ne  pouvant  y  réussir,  elle  fit  appel  à  notre 
concours . 

Notre  idée  première  fut  :  1°  de  créer  aux  Thermes  de  Dax  une  instal- 
lation spéciale  pour  le  traitement  salin  de  ces  petits  malades  ;  2°  de  de- 
mander à  M.  le  Maire  de  Dax  de  les  recevoir  à  l'hôpital  de  la  ville. 
Cette  proposition  n'ayant  pas  été  agréée,  le  11  juillet  suivant,  nous 
recevions  de  M.  le  secrétaire  général  des  hospices  de  Bordeaux,  une 
lettre  pressante,  nous  demandant  de  recevoir  les  enfants  soit  dans  les 
Thermes,  soit  dans  une  de  leurs  dépendances. 

Nous  nous  mîmes  à  l'œuvre  aussitôt.  Un  des  bâtiments,  situé  dans  un 
jardin  annexe  de  celui  de  l'établissement,  fut  choisi.  Les  murs  étant  en 
partie  élevés,  il  fut  possible  en  huit  semaines,  sur  nos  indications,  de 
faire  dresser  les  plans  par  M.  Sanguinet,  architecte,  d'arrêter  les  devis  et 
d'exécuter  une  construction  légère  et  solide.  Le  o  septembre  suivant,  met- 
tant à  profit  la  présence  aux  Thermes  de  M.  Proust,  l'éminent  inspecteur 
des  services  sanitaires,  nous  avions  l'honneur  d'inaugurer  sous  ses  aus- 
pices le  Sanatorium  de  Dax,  en  présence  des  chirurgiens  et  médecins  de 
l'hôpital  des  enfants  de  Bordeaux. 


II 


TOPOGRAPHIE.  —  PLAN.   —   EXPOSITION. 

L'édifice  est  placé  en  bordure  sur  le  boulevard  de  la  Marine  et  dans 
le  jardin  des  dépendances  des  Thermes,  dont  l'étendue  est  de  1.000  mètres 
carrés  environ.  Il  forme  un  rectangle  dont  les  deux  faces  principales 
sont  orientées  à  l'ouest  sur  le  boulevard,  à  l'est  sur  le  jardin.      . 

Ces  deux  façades  sont  protégées  des  ardeurs  du  soleil  par  les  arbres 
environnants. 

Les  logements  sont  disposés  au  premier  étage.  Au-dessous,  se -trou- 
vent un  grand  chais  à  bois,  des  magasins  et  un  vestibule-abri,  où  les 
enfants  peuvent  se  réfugier  en  cas  de  pluie,  et  prendre  leur  repas  du  soir, 
dans  les  grands  jours  d'été. 

On  accède  aux  appartements  par  un  escalier  et  une  galerie  longeant  la 
construction  à  l'est.  Elle  sert  pour  prendre  l'air  aux  plus  infirmes.  Recou- 


G68  SCIENCES    MÉDICALES 

verte  d'une  toiture  en  verre  opaque,  elle  leur  permet  d'en  jouir  en  tout 
temps, 

A  l'intérieur,  le  bâtiment  a  une  longueur  de  18'",20  et  une  largeur  de 
4"\70.  Cet  espace  a  été  divisé  en  cinq  pièces  d'égale  largeur,  soit  3'",G0 
pour  chacune. 

La  hauteur  du  plafond  est  limitée  à  3'",10,  hauteur  réduite.  Elle  était 
imposée  par  le  genre  et  la  rapidité  de  la  construction,  mais  corrigée  par 
les  dispositions  prises  pour  aérer  énergiquement  chaque  pièce. 

En  effet,  le  corps  de  bâtiment  est  simple.  Tout  en  se  communiquant 
entre  elles  pour  faciliter  la  surveillance  et  le  service,  les  pièces  sont  indé- 
pendantes. Chacune  a  accès  par  une  porte  s'ouvrant  sur  la  galerie  exté- 
rieure. A  l'opposé  de  celle-ci,  une  fenêtre.  L'une  et  l'autre  pourvues 
d'impostes  mobiles,  allant  jusqu'au  -plafond.  Dans  ces  conditions,  les 
deux  ouvertures  se  faisant  face,  la  ventilation  supérieure  est  bien  assurée 
par  les  impostes,  et  elle  se  fait  là,  où,  précisément,  entraînés  par  la 
légèreté  de  l'air  échauffé,  s'établit  de  préférence  la  zone  dangereuse 
des  germes  pathogènes. 

Sous  les  croisées,  au  niveau  du  plancher,  se  trouve  une  prise  d'air 
extérieure  ayant  0",30  de  hauteur  sur  0'",40  de  largeur;  son  opercule, 
s'ouvrant  de  bas  en  haut,  oblige  l'air  frais  à  raser  le  plancher  avant  de 
s'élever  et  de  s'échapper  par  les  impostes. 

Inutile  d'ajouter  que  fenêtres  et  portes  étant  ouvertes,  une  ventilation 
énergique  et  rapide  assure  une  aération  complète  des  appartements. 

Si,  fatigué  pour  une  cause  quelconque,  ou  trop  infirme,  un  enfant  est 
obligé  de  garder  le  lit  dans  la  journée,  on  peut  continuer  la  ventilation 
par  les  impostes  et  la  prise  d'air  froid  du  plancher,  portes  et  fenêtres  res- 
tant fermées,  car  les  lits,  étant  placés  aux  quatre  angles  des  pièces,  se 
trouvent  en  dehors  de  la  colonne  principale  d'air  animée  d'une  vitesse 
sensible. 

Ces  lits  sont  en  fer  avec  sommiers  à  lames,  et  ressort  en  cuivre,  sans 
garniture,  ni  étoffe,  du  système  de  Viguier  fils  de  Marseille.  Un  matelas 
de  laine,  une  toile  de  protection  en  caoutchouc,  un  oreiller,  une  chaise 
au  pied  du  lit  et  un  lavabo,  à  tiroir,  pour  serrer  les  effets,  complètent 
l'ameublement  sommaire  de  chaque  pièce. 

En  adoptant,  comme  hauteur,  la  dimension  ordinaire  de  nos  habitations 
et  en  disséminant  les  malades  par  petites  chambrées  de  cjuatre  lits,  il  en 
résulte  la  possibilité  de  réduire  d'un  bon  tiers  les  dépenses  de  la  cons- 
truction. 

Quoi  de  plus  logique  !  l'enfant  d'un  sanatorium  n'y  réside  guère  que  la 
nuit,  de  même  que,  dans  un  appartement  privé,  la  chambre  n'est  guère 
occupée  que  pendant  cette  période  des  vingt-quatre  heures. 

Le  Sanatorium  thermal  de  Dax,  avec  son  mobilier  et  son  appareil  de 


1>.  DELMAS.  —  LE  SANATORIUM  THERMAL  DE  DAX  G69 

chaufTage  et  de  ventilation  pour  l'hiver  a  coûté  8.000  francs,  soit  500  francs 
par  lit.  Ce  prix  est  presque  inférieur  de  moitié  à  celui  de  l'hôpital  modèle 
de  M.  Charles  Leroux,  dont  les  280  lits  reviendraient  à  930  francs  chacun. 
Il  est  vrai,  hàtons-nous  d'ajouter,  que  nous  ne  faisons  pas  entrer  en  ligne 
de  compte  ni  l'installation  balnéaire,  ni  les  services  généraux  fournis  par 
les  Thermes  eux-mêmes,  ni  la  valeur  du  terrain  occupé. 

L'impression  de  la  Commission  du  Conseil  de  surveillance  de  l'Assis- 
tance publique  de  Paris,  recueillie  pendant  son  voyage  en  avril  dernier 
aux  diverses  stations  thermales  ou  maritimes,  susceptibles  de  recevoir  les 
petits  malades  rachitiques  et  scrofuleux,  a  été  la  suivante,  traduite  par 
son  savant  rapporteur  le  D''  Millard  de  l'hôpital  Beaujon  :  «  Dax  ménageait 
à  la  Commission  une  surprise  favorable...  Disons  tout  de  suite  que  la 
Commission  tout  entière  a  été  très  favorablement  impressionnée  par 
les  richesses  balnéaires  qu'on  lui  a  montrées  et  qu'elle  ne  soupçonnait 
pas,  mais  aussi  par  le  petit  Sanatorium  bien  agencé  qui  pourrait  être 
mis  immédiatement  à  sa  disposition  (i).  » 

Puis  le  savant  rapporteur  rappelle  l'initiative  prise  par  Larauza  père  et 
nous  dès  1874  (et  même,  pourrions-nous  ajouter,  dès  1872j  pour  l'emploi 
combiné  des  eaux  mères  de  la  saline  de  Dax,  avec  les  eaux  et  les  boues 
minérales  chaudes  de  la  station. 


m 

DISCIPLINE.    —   NOURRITURE.    —    EXERCICE.  —  INSTALLATION    RALNÉAIRE 

Discipline.  —  Nourriture.  —  Annexé  à  un  hôtel  thermal  de  premier 
ordre,  les  petits  pensionnaires  du  Sanatorium  de  Dax  bénéficient  de  ce 
voisinage,  surtout  au  point  de  vue  de  l'alimentation.  Inutile  d'insister  sur 
ce  point. 

Les  enfants  se  lèvent  de  6  heures  et  demie  à  8  heures,  et  se  couchent 
de  7  à  8  heures  suivant  les  saisons.  Aussitôt  habillés,  ils  prennent  un 
premier  déjeuner  au  lait,  ou  au  chocolat,  ou  une  soupe.  Puis,  ils  descen- 
dent au  jardin  et  se  livrent  à  divers  jeux  jusqu'à  10  heures  et  demie, 
heure  des  bains  et  douches. 

A  midi,  dîner  composé  d'un  rôti  ou  d'un  ragoût  de  viande,  légume, 
dessert  et  vin  pour  boisson.  L'après-midi  est  réservée  pour  la  promenade 
et  un  deuxième  traitement  balnéaire  prescrit  à  quelques-uns.  Les  moins 

U)  Admiuislralion  générale  de  l'Assistance  publique  de  Paris.  —  Couseil  de  surveillance.  —Com- 
mission des  stations  tliermales  et  maritimes.  —  Arcachon.—  Cap-Bretou.—  Banyuls.—  Uax.  —  sulies- 
de-Béarn.  —  Pau.  — Saiut-Jean-de-Luz. 

Rapport  présenté,  au  nom  de  la  Commission,  par  M.  le  D»  Millard,  30  juin  1892,  p.  9. 

MM.  Emile  Ferry,  Navarre,  Risler,  Millard;  rapporteur,  D'  Millard  (loc.  cit.),  p.  lo. 


670  SCIENCES   MÉDICALES 

ingambes  restent  dans  le  jardin;  ceux  repris  d'accidents  aigus  reposent 
sur  leur  lit. 

A  6  heures,  souper,  avec  menu  analogue  à  celui  du  dîner. 

Le  coucher  a  lieu  peu  après  le  repas. 

Installation  balnéaire.  —  Celle-ci  a  été  organisée  dans  une  des  salles  de 
l'établissement  thermal.  Elle  renferme  sept  baignoires  spéciales  dont  cinq 
en  bois;  deux  douches  en  jet  et  en  pomme  d'arrosoir. 

Toutes  les  autres  salles  des  Thermes  sont  également  à  la  disposition  de 
ces  petits  malades.  Ils  accèdent  à  l'établissement  par  un  corridor  faisant 
suite  à  un  tunnel  traversant  la  rue. 

Pendant  les  trois  premières  années,  le  traitement  balnéaire  a  eu  pour 
base  exclusive  l'emploi  des  eaux  mères  des  salines  de  Dax,  combiné  avec 
celui  des  eaux  et  des  boues  minérales  chaudes  de  la  station. 

En  1891,  sous  l'influence  de  M.  Milliès-Lacroix,  maire  de  Dax,  une  Com- 
pagnie locale,  Dax-Salin-Thermal,  s'est  créée  pour  la  construction  d'un 
établissement  salin  et  d'un  casino  aux  proportions  monumentales,  afin 
d'exploiter  à  la  fois  les  eaux  mères  et  les  eaux  salées  de  Dax. 

Depuis  lors,  nous  recevons  nous-mêmes  ces  deux  catégories  d'eaux 
salines. 

Exercice.  —  Quelques  appareils  rudimentaires  de  gymnastique  et  di- 
vers jeux  permettent  aux  enfants  les  plus  ingambes  de  se  livrer  à  un 
exercice  salutaire  dans  le  jardin  des  dépendances,  lequel  leur  est  exclusi- 
vement réservé. 


IV 

FONCTIONNEMENT.    —    DURÉE   DU    SÉJOUR.    —   THÉRAPEUTIQUE. 

Créé  en  1888  et  en  1890,  mis  à  la  disposition  du  service  des  Enfants 
assistés  du  département  de  la  Gironde,  le  Sanatorium  de  Dax  a  pu  ré- 
pondre jusqu'à  ce  jour  à  toutes  les  demandes.  Il  reçoit  les  enfants  accom- 
pagnés d'une  infirmière  chargée  de  les  surveiller,  de  les  panser,  conduire 
au  bain  et  à  la  promenade.  Le  prix  de  journée  est  fixé  à  2  fr.  50  cent. 

En  1888,  la  durée  du  séjour  fut  limitée  à  vingt  jours,  sauf  pour  une 
enfant,  qui,  venue  après  les  autres,  resta  au  Sanatorium  pendant  deux 
mois. 

Il  fut  aisément  démontré  qu'un  traitement  salin  de  vingt  jours  était 
absolument  insuffisant. 

Les  années  suivantes,  la  durée  fut  portée  successivement  à  trente, 
trente  et  un,  trente-sept,  quarante  et  quarante-trois  jours.  Cette  dernière 


p.    DELMAS.    —   LE   SANATORIUM   THERMAL   DE   DAX  071 

limite  de  quarante-trois  jours  n'a  pas  encore  été  dépassée.  Pour  la  majo- 
rité, la  chose  eût  été  inutile.  ISéanmoins,  plusieurs  enfants  auraient 
retiré  un  avantage  certain  à  faire  un  séjour  de  deux  mois;  mais  à  la 
condition  de  scinder  en  deux  ou  trois  séries  le  nombre  total  des  séances 
balnéaires  par  des  intervalies.de  quatre  à  huit  jours  de  repos. 

Les  médecins  des  Thermes  appelés  à  soigner  ces  enfants,  plus  particu- 
lièrement aujourd'hui  le  D""  A.  Larauza,  ont  constaté  que  le  traitement 
salin  à  forte  dose  tel  qu'il  est  pratiqué  à  Dax,  soit  de  lo  à  40  0/0  d'eaux 
mères,  ou  d'eau  salée,  dans  l'eau  minérale  chaude  de  Dax,  provoque  rapide- 
ment des  effets  de  saturation.  Dès  les  premiers  jours,  il  y  a  augmentation 
d'une  suppuration  de  meilleur  aloi  et  retour  momentané  à  l'état  aigu.  — 
C'est  de  l'action  substitutive  au  premier  chef. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  saturation  obtenue,  l'enfant  est  fatigué  et  ne  retire 
plus  aucun  bénéfice  de  la  médication,  malgré  tous  les  ménagements  pris 
pour  retarder  ce  point  limite.  En  un  mot,  il  est  saturé  —  salé,  dirions-nous 
volontiers,  comme  notre  savant  confrère  M.  Charles  Leroux. 

La  clinique  thérapeutique  des  trois  premières  années  porte  sur  49  ma- 
lades. —  Elle  offre  un  intérêt  tout  particulier  en  raison  de  ce  que  pareille 
expérience  sur  le  traitement  salin,  avec  l'emploi  exclusif  des  eaux  mères 
d'une  saline,  mélangées  à  une  eau  minérale  sulfatée,  mixte,  hyperther- 
male,  ne  paraît  pas  avoir  été  fait. 

Depuis  1891  on  a  pu  employer  également  l'eau  salée  des  salines  de 
Dax  et  étalilir  ainsi  un  nouveau  procédé  de  comparaison. 


STATISTIQUE   MEDICALE 

Les  résultats  thérapeutiques  sont  fort  satisfaisants,  et  cependant  infé- 
rieurs à  ceux  du  remarquable  hôpital  de  Berck-sur-Mer,  pour  les  raisons 
suivantes  : 

l''  La  clinique  du  Sanatorium  de  Dax  a  pour  base  principale  des  cas 
toujours  plus  ou  moins  graves  de  scrofule  et  de  tuberculose  confirmés. 

"l"  Les  traitements  ont  été  trop  courts,  et  chez  plusieurs  malades  il  eût 
fallu  un  deuxième  traitement  salin,  sinon  plus,  pour  achever  la  cure  (1). 
Ces  réserves  faites,  voici  les  chiffres  recueillis  sur  109  malades  pour  les 
cinq  années  écoulées  : 

(1)  Dans  les  Ospizii  marini  de  l'Italie,  les  enfants  ne  font  qu'une  saison  de  quarante-cinq  jours, 
mais  ils  la  répètent  jusqu'à  sept  années  consécutives.  —  Van  Merris,  la  Scrofule  et  les  bains  de 
mer,  p.  66.  —  Paris,  J.-B.  Baillière  et  fils,  1886. 


67-2 


SCIENCES   MEDICALES 


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p.    DELMAS.    —    LE    SA.NAT0H1U.M    THERMAL    DE    DAX  673 

Dans  ce  tableau,  les  malades  classés  comme  très  fortement  améliorés  et 
fortement  améliorés  étaient  des  candidats  à  une  guérison  procliaine  ou 
imminente,  mais  non  encore  effectuée  à  leur  départ  du  Sanatorium.  Ils 
représentent,  avec  les  malades  guéris,  une  proportion  de  40  0/0. 

Ceux  classés  comme  simplement  améliorés  devaient  faire  encore  une 
ou  deux  saisons  au  moins  pour  rentrer  dans  les  catégories  précédentes. 
Ils  sont  au  nombre  de  30  0/0..  Ceux  classés  comme  légèrement  améliorés 
étaient  des  malades  moins  guérissables,  et  ceux  n'ayant  rien  obtenu  repré- 
sentent une  proportion  de  4  0/0. 

Des  J09  enfants,  le  plus  jeune,  un  garçon,  avait  trois  ans,  et  le  plus 
âgé,  une  fille,  dix-huit  ans  et  demi.  Ce  dernier  chiffre  est  exceptionnel, 
le  Sanatorium  de  Dax  étant  réservé  à  des  enfants  ayant  au  moins  trois  ans 
et  au  plus  quinze. 

L'âge  moyen  de  tous  ces  enfants  a  été  de  : 

En  1888 de  10  ans  2. 

En  1889 de  il    —  o. 

En  1890 de  11    —  o. 

En  1891 de  11    — 

En  1892 de  10   —   2. 


La  moyenne  des  cinq  années  s'est  élevée,  pour  les  o3  garçons,  à 
ilix  ans  ;  pour  les  56  filles,  à  onze  ans  deux  mois,  et,  pour  les  deux  sexes 
réunis,  à  dix  ans  et  demi. 

Le  tableau  suivant  donne  l'accroissement  du  poids,  la  diminution, 
l'état  stationnaire  de  108  enfants. 

Les  enfants  ont  été  pesés  à  l'arrivée  et  au  dépari;  82  sur  108  avaient 
gagné  0'',300  à  6  kilogrammes,  et,  en  moyenne,  l'',446  en  33  jours  06, 
durée  moyenne  du  séjour.  Chez  20 'enfants,  le  poids  était  le  même  et 
S  enfants  avaient  perdu  de  0'',o00  à  1  kilogramme. 

Les  moyennes  du  tableau  ci-dessous  ont  pour  base  : 

1°  Les  83  enfants  dont  le  poids  avait  augmenté  ; 

2"  En  y  comprenant  les  2o  enfants  dont  le  poids  était  resté  station- 
naire ou  avait  diminué. 


43* 


674 


SCIENCES   MEDICALES 


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P,  DELMAS.  —  LE  SANATORIUM  THERMAL  DE  DAX  675 

11  est  admis  que  le  poids  d'un  enfant  bien  portant,  ayant  de  six  à 
quatorze  ans,  s'accroît  en  moyenne  par  mois  de  loO  grammes  (1). 

D'après  cette  base,  on  obtient  les  résultats  comparatifs  suivants  pour 
les  83  enfants  ayant  gagné  en. poids  et  pour  les  108  enfants  formant  le 
chiffre  total. 


Troisième  Tableau. 


ANNÉES 

il 

7 

8 

8 
11 

5 
11 
12 
10 
11 

83 
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DIFFÉRENCE 

proportionnelle 

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14 
16 
16 

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Soi. 

DIFFÉRENCE 
proporlionuelle 

1888,  1"  convoi . 

1889,  1"      id. 

1890,  1"      id. 
Id.    2o       id. 
Id.    3«>       id. 

1891,  l-     id. 
Id.    2=       id. 

1892,  1"     id. 
Id.    2-       id. 

1^,755 
0'-,810 
1S335 
l'',230 
2^232 
l^OU 
OS  783 
lk,500 
ik,127 

OS  150 
OS  150 
OS  150 
■  OS  150 
OS  150 
OS  159 
OS  150 
OS  150 
OS  150 

+  10  lois. 
+    5 
+    8.5 
+    - 
+  U,8 
+    6,7 
+    5,2 
+  10 
+    7,5 

1S.755 
OS  540 
1S200 
OS  900 
2S232 
OS  795 
OS  669 
OS  937 
OS.  700 

os  150 
OS  150 
OS  150 
OS  150 
OS  150 
OS  15© 
OS  150 
OS  150 
OS  150 

+  10  fois. 
+    3,5 

—     8 
+    0 

+  ii,s 

+    5,1 

+    4,4 
+    6,2 
+    4,6 

5  années 

1S260 

» 

OS  150 

+    8,4 

OS  960 

OS150 

+    6,4 

3 

9  convois 

Il  résulte  du  tableau  ci-dessus  que,  sur  83  enfants,  l'accroissement  par 
mois  a  dépassé  la  normale  au  minimum  cinq  fois  et  au  maximum 
dix  fois  ;  et  sur  108  enfants,  ce  minimum  a  été  encore  de  trois  fois  et 
demie  et  le  maximum  dix  fois;  la  moyenne  a  été  de  six  fois  4  dixièmes. 
Autrement  dire,  les  enfants  du  Sanatorium  de  Dax  ont  gagné  en  moyenne 
près  de  1  kilogramme  par  mois. 

Le  classement  des  malades  est  donné  dans  le  tableau  suivant  : 


(1)  D^  Armaing.^ud,  Œuvre  de  l'enseignemenl  de  l'hygiène  et  des  sanatoria  et  hospices  maritimes 
n»  11890,  p.  7. 


6"  6 


SCIENCES   MEDICALES 


Quatrième  tableau. 

Classement  des  109  malades  reçus  au  Sanatorium  thermal  de  Dax. 
Pour  108  enfants  —  de  1888  au  mois  d'août  1892  (cinq  années) 
Durée  du  séjour  de  20  à  i3  jours.  En  moyenne,  par  enfant,  33,66 

(sauf  un,  deux  mois.) 


DIAGNOSTIC 


Anémie  rebelle 

L.vniphatisme  accusé  .  . 

Rachitisme 

Scrofulose 

Tuberculose  généralisée. 

Tuberculose   pulmonaire 

Pleurésie  chronique.  .  . 

Péritonilc  tuberculeuse . 

ArUiropathie  tuberculeuse 

Spina  venlosa 

Mal  de  Pott 

Adénites  et  scrofulides  suppur 

Ostéites  et  adénites^uppurées 
Résections.  —  Arthroxesis   . 

Coxalgies  suppurées.— Fistules 

Tumeur  blanche  du  genou  . 
Hydarthrose  chron.  du  genou 
Arthrite,  puis  ankylose  id. 
Ankylosetraumatique  du  coude 
Synovite  rhumatismale 
Rhumatismeart.  clir.  Insuff. mitralc 
Id.  musculaire  chron 
Ophtalmie.  —  Kératite  scrof 
Laryngite  et  Pharyngite  chron 

Chorée  chronique 

Paralysie  infantile.  ..... 

Atrophie  musculaire,  partielle 
Double  pied  bot  opéré.  .  .  . 

Incontinence  d'urine  .... 


NOMBRE 


15 

14 
2 
1 
1 
2 

1 

2 
8 
14 
13 
5 
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1 
1 
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1 
1 
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2 

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p.   DELMAS.    —   LE   SANATOUILM   THERMAL   DE   DAX  677 

Le  Sanatorium  de  Dax,  pourvu  de  16  et  bientôt  de  20  lits,  conserve  les 
enfants  en  moyenne  pendant  trente-cinq  à  quarante  jours,  et  peut  en  rece- 
voir ICO  par  an  en  séparant  chaque  envoi  par  sept  à  huit  jours  de  repos, 
pour  procéder  à  la  réfection  totale  de  la  literie  et  à  une  appropriation 
énergique  des  chambres. 

La  durée  moyenne  du  séjour  des  enfants  au  bord  de  la  mer  est,  d'après 
la  statistique  actuelle,  de  quatre  cent  vingt-trois  jours  (1).  Par  un  traite- 
ment joréa/a6/e  dans  un  Sanatorium  thermal,  nul  doute  que  cette  moyenne 
ne  fût  abaissée  considérablement. 

Mais,  en  l'absence  de  statistique  comparative  à  l'appui,  nous  n'insis- 
terons pas  sur  ce  point,  malgré  toute  son  importance. 

Qu'on  nous  permette  seulement  de  le  résumer  dans  la  formule  sui- 
vante : 

_  A  l'aide  d'un  traitement  thermal  intensif,  ramener  rapidement  les  petits 
scrofuleux  et  tuberculeux  confirmés  à  de  smples  candidats  à  la  tuberculose, 
justiciables,  surtout  alors,  des  sanatoria  et  hôpitaux  marins. 

Telle  est,  au  point  de  vue  économique,  la  meilleure  manière  de  résoudre 
cette  question  capitale,  à  l'ordre  du  jour  dans  tous  les  pays  :  régénération 
de  l'espèce,  en  guérissant  ou  en  protégeant  l'enfant  voué  à  la  tubercu- 
lose, héréditaire  ou  acquise. 


CONCLUSIONS 

1°  Aux  stations  des  eaux  minérales,  la  méthode  thérapeutique  intensive 
et  rapide,  pour  traiter  opportunément  les  diverses  manifestations  de  la 
tuberculose  grave  ou  confirmée,  surtout  dans  ses  manifestations  locales. 

2°  Aux  sanatoria  et  aux  hôpitaux  marins,  la  thérapeutique  progressive 
pour  sauver  les  candidats  à  la  tuberculose,  pour  achever  les  cures  ther- 
males, et  plus  encore,  pour  prévenir  les  rechutes,  en  transformant  l'orga- 
nisme lui-même,  par  un  séjour  prolongé,  au  bord  de  la  mer. 

3°  1)  est  à  désirer  que,  à  l'exemple  de  Dax,  on  crée  dans  les  princi- 
pales stations  thermales  des  Pyrénées  et  des  autres  régions  hydrologiques 
de  la  France,  des  sanatoria  thermaux  pour  seconder  l'œuvre  nationale 
de  l'assistance  maritime  des  enfants  par  les  hôpitaux  marins. 

(1)  Ch.  Leroux,  toc.  cit.,  p.  32. 


678 


SCIENCES   MEDICALES 


M.  A.  LAEAUZA 

Médecin  des  Thermes  de  Dax. 


DE  LA  MÉDICATION  SALINE  A  DAX  (CLINIQUE  HOSPITALIERE) 


—  Séance  du  16  septembre  1892  — 

Depuis  cinq  ans,  l'Assistance  publique  de  Bordeaux  et  le  Service  dé  - 
parlementai  de  la  Gironde  ont  adressé  au  Sanatorium  des  Thermes  de 
Dax,  pour  être  soumis  à  un  traitement  salin,  des  enfants  atteints  d'acci- 
dents divers  de  lymphatisme,  de  scrofule  et  de  rachitisme. 

En  effet,  indépendamment  de  ses  eaux  minérales  sulfatées  calciques  et 
de  ses  boues  végéto-minérales  hyper  thermales  auxquelles  Dax  doit  son 
antique  renommée,  la  station  possède  encore  deux  agents  thérapeutiques 
précieux  :  des  eaux  salées  et  des  eaux  mères. 

Ces  eaux  salées  et  ces  eaux  mères,  provenant  de  l'exploitation  des 
vastes  gisements  salifères  dont  l'étendue  en  longueur  et  en  largeur  est 
encore  ignorée,  présentent  une  composition  chimique  qui  a  les  plus 
grandes  analogies  avec  les  eaux  salées  et  les  eaux  mères  de  notre  remar- 
quable voisine,  Salies-de-Béarn. 

Les  analyses  faites  pour  V Annuaire  officiel  des  Eaux  minérales  de 
France,  par  M.  Wilm,  l'éminent  professeur  de  la  Faculté  des  Sciences  de 
Lille,  ont  donné  les  résultats  suivants  : 


Analyses  comparées  des  eaux  de  Dax  et  de  Salies  (Bayaa). 


Chlorures 

Bromures 

lodures 

Sulfates 

Carbonates   

Silice,    alumine   et   matières 
organiques 

Total  par  litre.   .   .   . 


EAUX  SALEES 


DAX 

soos^se: 

Traces 
Traces 
10s%33î 
» 


sioe^egs 


SALIES  (I) 

2478',770 
Os',161 
Traces 

05',341 

0f,945 
256s'-,2Û0 


EAUX  MÈRES  A  30» 


DAX 

315B%774 

Traces 
74ê'-,408 


396s'-,807 


SALIES 

312s%864 

îOs',313 

0»-,010 

548\700 


3778'-,887 


(1)  L'eau  salée  de  Salies  (Oraas)  contient  sois^os?  de  sels  divers  par  litre. 


A.    LARAUZA.    —    DE   LA    MÉDICATIOiN    SALINE    A    PAX  G79 

A  Salies,  comme  d'ailleurs  dans  la  plupart  des  stations  chlorurées 
sodiques  fortes,  les  eaux  salées  font  la  base  du  traitement  thermal,  et 
les  eaux  mères,  c'est-à-dire  les  eaux  résiduaires  résultant  de  la  fabrication 
du  sel,  ne  servent  que  d'appoint  ou  de  complément.  On  ne  les  a 
employées  jusqu'à  ce  jour  que  pour  pallier  les  effets  parfois  trop  exci- 
tants des  eaux  salées,  et,  dans  ce  cas,  la  dose  de  30  litres  par  bain  est 
rarement  dépassée. 

Mais  les  eaux  mères  ont-elles  réellement  les  propriétés  sédatives  qu'on 
leur  attribue  généralement?  La  chose  est  possible,  lorsqu'on  les  emploie 
à  si  petites  doses;  mais,  à  des  doses  plus  élevées,  notre  clinique  thermale 
nous  a  démontré  que  leur  action  générale  et  surtout  leur  action  topique 
était  plutôt  excitante..  Ce  dernier  fait,  d'ailleurs,  n'avait  pas  échappé  à  la 
sagacité  de  Gubler,  qui,  dans  ses  leçons  sur  le  traitement  hydrialique  des 
maladies  chroniques,  s'exprimait  ainsi,  en  parlant  du  traitement  du 
lymphatisme  et  de  la  scrofule  :  «  Au  reste,  l'action  topique  des  eaux  chlo- 
rurées sodiques  fortes  est  encore  généralement  augmentée  par  l'addition 
■des  eaux  mères  des  salines  dont  on  met  à  tort  les  effets  thérapeutiques  sur 
le  compte  d'une  proportion  insignifiante  d'iodures  et  de  bromures  alcalins 
ou  terreux.  » 

Dans  un  travail  que  nous  avons  présenté,  l'an  dernier,  à  la  Société 
d'Hydrologie  médicale  de  Paris,  nous  avons  fait  connaître  les  effets 
physiologiques  et  thérapeutiques  des  eaux  mères  de  Dax,  et  nous  avons 
établi  par  des  faits  chniques  que  leur  action  était  excitante,  en  même 
temps  que  tonique  et  reconstituante.  Nous  ne  reviendrons  pas,  aujourd'hui, 
•sur  ce  point;  cela  nous  entraînerait  trop  loin  et  dépasserait  notre  but. 
Pour  le  même  motif,  nous  ne  parlerons  pas  non  plus  des  effets  physiolo- 
giques et  thérapeutiques  des  eaux  salées  de  Dax.  Ces  dernières,  d'ailleurs, 
possèdent  les  mêmes  propriétés  que  les  eaux  salées  de  Salies,  ce  qui  n'est 
guère  surprenant,  puisque  leur  composition  chimique  est  pour  ainsi  dire 
analogue. 

Dans  cette  courte  communication,  nous  allons  surtout  nous  attacher  à 
faire  ressortir  les  résultats  obtenus  chez  les  petits  malades  que  nous  avons 
«u  à  soigner  pendant  ces  cinq  dernières  années,  et  à  donner  quelques 
indications  thérapeutiques  précises  sur  l'efficacité  des  eaux  salées  et  des 
eaux  mères  de  Dax,  employées  concurremment  avec  les  eaux  minérales,  et 
parfois  avec  les  boues,  dans  le  lymphatisme  et  la  tuberculose  infantiles. 

Disons  tout  d'abord  que  les  109  petits  malades  qui  nous  ont  été  adressés 
n'ont  pas  tous  suivi  le  même  mode  de  traitement. 

Pendant  trois  années  consécutives  (1888,  1889,  1890),  les  enfants  ont 
•été  traités  par  des  bains  d'eau  minérale  additionnée  d'eaux  mères  seules. 
En  1891,  nous  avons  employé   les   bains  d'eau  minérale  additionnée 
d'eau  salée  seule. 


680  SCIENCES   MÉDICALES 

Enfin,  en  1892,  nous  avons  expérimenté  un  traitement  mixte,  en 
employant  les  bains  d'eau  minérale  additionnée  tantôt  d'eau  salée,  tantôt 
d'eaux  mères. 

La  durée  du  traitement  n'a  pas  non  plus  été  la  même  pour  tous  ces 
malades  :  elle  a  été  de  vingt  jours  seulement  en  1888,  de  trente-sept  jours 
en  1889,  de  trente  et  un  à  trente-sept  jours  en  1890,  de  trente  jours  en 
1891  et  1892.  Une  seule  malade  est  restée  en  traitement  pendant  près 
de  deux  mois. 

La  quantité  d'eaux  mères  ou  d'eau  salée  mélangée  à  l'eau  minérale  a 
varié  suivant  les  lésions  et  l'âge  des  malades.  Mais,  d'une  façon  générale, 
nous  avons  toujours  commencé  le  traitement  par  de  petites  doses  que 
nous  avons  ensuite  augmentées  progressivement.   , 

Dans  un  bain  d'une  capacité  utilisable  de  200  litres,  la  dose  minîma  d'eau 
salée  ou  d'eaux  mères  a  été  de  30  litres  pour  170  litres  d'eau  minérale,  et 
la  dose  maxima  de  70  litres  pour  130  litres  d'eau  minérale,  soit  donc  au 
minimum  15  0/0  et  au  maximum  35  0/0  d'eau  salée  ou  d'eaux  mères. 

Avant  de  parler  des  résultats  thérapeutiques  obtenus  par  ces  divers 
modes  de  traitement,  nous  nous  permettrons  d'attirer  l'attention  de  nos 
savants  confrères  sur  les  deux  points  suivants  : 

1°  Les  vastes  gisements  salifères  de  Dax,  exploités  par  les  Salines,  ne 
donnent  pas  moins  de  sept  à  hait  mille  tonnes  de  sel  par  an.  On  peut 
juger  par  ce  chiffre  de  la  quantité  d'eau  salée  et  d'eaux  mères  qui  peuvent 
être  employées  pour  les  besoins  médicaux. 

2°  De  plus,  dans  notre  station,  la  haute  température  des  eaux  thermales 
(60°  centigrades)  permet  d'administrer  les  eaux  salées  et  les  eaux  mères, 
sans  qu'on  doive  avoir  recours  à  des  moyens  de  chautfage  artificiels. 
C'est  là  un  précieux  avantage  que  notre  station  possède  sur  les  stations 
similaires,  car,  aux  propriétés  des  eaux  salées  et  des  eaux  mères  viennent 
s'ajouter  celles  de  l'eau  minérale  elle-même. 

Les  cinquante  petits  malades  auxquels  nous  avons  prescrit  des  bains 
d'eau  minérale  additionnée  d'eaux  mères  seules  ont  presque  tous  retiré 
un  bénéfice  sérieux  de  leur  traitement,  en  ce  sens  que  leur  état  local 
ou  leur  état  général  a  toujours  été  plus  ou  moins  amélioré.  Sur  ces  cin- 
quante cas,  nous  avons  constaté  quatre  guérisons,  huit  améliorations  très 
fortes,  quinze  améliorations  fortes  et  vingt-huit  améliorations  simples. 
La  plupart  de  ces  malades  étaient  atteints  d'adénites  chroniques, 
d'ostéites,  de  mal  de  Pott,  d'accidents  articulaires  divers,  de  nature  tuber- 
culeuse, comme  on  pourra  le  voir  dans  le  tableau  ci-après  où  nous  avons 
mentionné,  avec  le  diagnostic,  les  résultats  obtenus. 


A.    LARAUZA.    —    DE    LA   MÉDICATION    SALINE   A    DAX  681 

RÉSULTATS 
DIAGNOSTIC  NOMBRE      G.  T. F. A.        F. A.  A.  (1) 


» 


Coxalgies  suppurées 3  »  2  1 

Adénites  scrofuleuses 7  r>  1  3  3 

Mal  de  Pott 5  »  »  1  4 

Scrofulose  généralisée  ....  5  »  »  1  4 

Ostéites  tuberculeuses  ....  6  1  1  i  2 
Ostéo-arthrites  tuberculeuses  .431»» 

Abcès  froid 1  »  »  1 

Péritonite  tuberculeuse.  ...  1  »  1  »  » 

Anémie 3  »  1  1  1 

Lymphatisine 7  »  »  3  4 

Ankylose 2  »  1  1  » 

Spina  ventosa 1  »  »  1  » 

Hydarthrose  chronique.    ...  1  »  »  1  » 

Paralysie  infantile 1  »  »  1  » 

Ophtalmie  chronique 1  »  » 

Rachitisme 2  »  » 


TOtacx 50 


» 

1 

1 

1 

17 

21 

rSous  passerons  sous  silence  les  observations  détaillées,  mais  nous  tenons 
cependant  à  en  résumer  quelques-unes  prises  comme  types. 

Dans  les  deux  premiers  cas,  il  s'agit  de  deux  jeunes  garçons  âgés  de 
sept  et  huit  ans,  qui  avaient  subi  la  résection  du  coude  pour  ostéo- 
arthrite  fongueuse.  A  leur  arrivée  au  sanatorium  de  Dax,  on  constatait 
la  présence  de  trajets  fistuleux  multiples  et  l'abolition  complète  des  mou- 
vements des  deux  articulations  du  coude.  Après  avoir  pris  trente  bains 
minéraux  additionnés  d'eaux  mères,  ces  deux  petits  malades  partirent  de 
Dax  presque  complètement  guéris. 

Ces  deux  observations,  remarquables  au  point  de  vue  du  résultat 
obtenu  dans  un  espace  de  temps  relativement  court,  ont  été  l'objet  du 
rapport  suivant,  adressé,  en  1890,  par  M.  le  professeur  agrégé  Piéchaud 
à  M.  le  président  de  la  Commission  administrative  des  hôpitaux  de 
Bordeaux  : 

«  Parmi  les  enfants  de  mon  service  envoyés  en  1889  au  sanatorium  de  Dax, 
deux  méritent  surtout  d'être  sérieusement  examinés.  Ce  sont  deux  garçons 
âgés  de  sept  et   huit  ans,  opérés  de  résection   du   coude   pour  osléo-arthrite 

fougueuse. 

j>  Les  autres  malades,  très  scrofuleux,  porteurs  de  scrofulides  multiples, 
ont  été  entièrement  améliorés;  mais  les  résultats  ne  sauraient  être  sufTisants 
après  une  seule  saison  pour  qu'il  en  soit  question  dans  ce  rapport. 

»  Quand  les  deux  opérés  sont  partis  pour  Dax,  ils  étaient  en  voie  de  guéri- 
son,  "mais  ils  portaient  encore  des  trajets  fistuleux  et  la  persistance  d'un  peu 
de  douleur  et  de  gonflement  faisait  craindre  un  retour  offensif  de  leur  tuber- 

(1)  G.,  giiérison  ;  T.F.A.,  trôs  forte  amélioration  ;  F.  A.,  forte  amélioration;  A.,  ami^lioration  simple. 


682  SCIENCES   MÉDICALES 

culose  locale.  Dès  leur  retour,  je  constatai  que  la  cicatrisation  était  enfin  obte- 
nue, que  le  gonflement  et  la  douleur  avaient  disparu  et  que  les  mouvements 
volontaires  avaient  gagné  en  force  et  en  amplitude. 

»  Ces  malades  ont  été  suivis  avec  soin  depuis  cette  époque  et  aujourd'hui 
nous  pouvons  les  considérer  comme  définitivement  guéris,  car  non  seulement 
les  fongosités  ne  se  sont  plus  reproduites,  mais  la  fonction  du  membre  est 
restée  complète.  » 

L'observation  suivante,  que  nous  allons  résumer  en  quelques  mots, 
représente  un  type  dans  lequel  l'emploi  simultané  des  applications  locales 
de  boucH  et  des  bains  d'eaux  mères  donne  le  plus  souvent  les  meilleurs 
résultats.  —  Il  s'agit  d'un  jeune  garçon,  âgé  de  dix  ans,  atteint  d'une 
ankylose  presque  complète  du  coude  gauche,  consécutive  à  une  fracture 
du  condyle  de  l'humérus  mal  consolidée  ;  les  mouvements  de  flexion  et 
d'extension  du  coude  sont  très  limités,  et  le  malade  est  dans  l'impossibi- 
lité absolue  de  soulever  avec  son  bras  un  poids  même  minime.  Après 
avoir  pris  trente-deux  bains  d'eaux  mères  et  huit  applications  locales  de 
boues,  suivies  de  douches  chaudes,  en  pomme  d'arrosoir,  localisées  sur 
l'articulation,  le  malade  peut  porter  avec  son  bras  gauche  un  poids  de 
5  kilogrammes;  de  plus,  les  mouvements  de  flexion  et  d'extension  se  font 
avec  la  plus  grande  facilité. 

Parmi  les  aff"ections  plutôt  médicales  que  chirurgicales,  nous  citerons 
le  cas  d'une  petite  malade,  âgée  de  douze  ans,  atteinte  de  péritonite  tuber- 
culeuse, au  sujet  de  laquelle  M.  le  docteur  Rondot,  médecin  des  hôpitaux, 
a  adressé,  en  1890,  à  M.  le  président  de  la  Commission  des  hospices  de 
Bordeaux,  un  rapport  ainsi  conçu  : 

«  Parmi  les  cas  de  mon  service  envoyés  à  Dax,  en  1889,  l'un  m'a  paru  suf- 
fisamment probant  pour  mériter  une  mention  spéciale  et  pour  corroborer  les 
remarques  si  judicieuses  qu'avait  présentées  mon  collègue  et  ami  le  docteur 
Piéchaud,  sur  l'efficacité  du  séjour  à  Dax  dans  le  traitement  des  tuberculoses 
chirurgicales  infantiles. 

»  La  petite  .Jeanne  S...  est,  en  effet,  un  bel  exemple  des  ressources  que  peut 
offrir  cette  cure  thermale  dans  une  des  localisations  les  plus  fréquentes  du 
bacille  tuberculeux  chez  les  enfants. 

»  11  s'agissait,  dans  ce  cas,  d'une  péritonite  tuberculeuse  nettement  carac- 
térisée et  qui  s'accompagnait  d'une  légère  pleuro-pneumonie  des  deux  som- 
mets. Après  deux  mois  de  séjour  à  l'hôpital  (du  3  avril  au  6  juin  1889).  les 
symptômes  pulmonaires  avaient  disparw,  en  même  temps  que  les  phénomèiies 
abdominaux  s'étaient  amendés  sous  l'influence  de  l'absorption  continue  du 
tannin  avec  l'application  d'une  pommade  iodoforniée  sur  le  ventre.  Mais  l'état 
général  laissait  à  désirer,  les  forces  restaient  chancelantes  et  les  sueurs  noc- 
turnes, bien  diminuées,  n'avaient  pas  entièrement  disparu. 

»  Le  séjour  à  Dax  me  parut  alors  indiqué  et  le  bénéfice  qu'en  retira  cette 
jeune  malade  fut  de  tous  points  remarquable,  car,  à  son  retour,  un  examen 
complet  corrobora  tous  les  détails  que  le  docteur  Larauza  me  fit  parvenir  à 
une  date  ultérieure. 


A.    LARAUZA.    —    DE   LA    MÉDICATION    SALINE    A    DAX  683 

»  Je  pus  m'assurer,  en  effet,  qu'avec  l'amélioration  de  l'état  général  et  des 
fonctions  digestives  coïncidaient  la  disparition  des  masses  ganglionnaires  indu- 
rées et  une  diminution  du  volume  de  l'abdomen  telle  qu'on  pouvait  le  consi- 
dérer comme  à  peu  près  revenu  à  la  normale.  Ahx  symptômes  d'une  anémie 
profonde  succédait  une  coloration  rosée  des  joues  et  des  muqueuses;  la  marche 
était  devenue  facile  et  la  malade  courait  sans  l'aligne,  alors  que  le  moindre 
effort  occasionnait,  à  son  arrivée  à  Dax,  une  lassitude  qui  la  rendait  complè- 
tement apathique.  Aucun  symptôme  insolite  n'existait  du  côté  de  l'appareil 
cardio-pulmonaire. 

»  Le  traitement,  parfaitement  supporté  et  très  habilement  gradué,  avait 
consisté  dans  l'emploi  de  trente-quatre  bains  minéraux  additionnés  de  40, 
puis  de  oO  litres  d'eaux  mères,  à  34°  centigrades,  et  d'une  durée  de  vingt  à 
trente  minutes. 

»  Deux  faits  bien  évidents,  dit  en  terminant  notre  très  distingué  confrère, 
ressortent  de  cette  observation  :  c'est,  d'une  part,  la  rétrocession  des  lésions 
abdominales;  de  l'autre,  l'amélioration  de  l'état  général  qui  donnerait  à  penser 
que  les  eaux  mères  de  Dax  possèdent  une  double  modalité  curative,  s'exerçant 
aussi  bien  sur  les  lésions  d'origine  bacillaire,  qu'elles  enrayent,  que  sur  l'en- 
semble des  processus  organiques  de  nutrition  au  ralentissement  de  laquelle 
^lles  semblent  s'opposer  dans  une  très  large  mesure.  » 

A  partir  de  1891,  nous  avons  eu  à  notre  disposition  les  eaux  salées  de 
Dax  et  nous  les  avons  employées  concurremment  avec  leurs  eaux  mères. 

Les  résultats  de  cette  médication  (bains  minéraux  additionnés  d'eau 
■salée  seule)  ont  été  analogues  à  ceux  obtenus  chez  notre  célèbre  voisine 
Salies.  Et  comme  cette  médication  a  été  l'objet  de  travaux  aussi  nom- 
breux qu'intéressants  de  la  part  de  nos  collègues  de  cette  station,  nous 
«erons  brefs  sur  cette  seconde  partie  de  notre  clinique.  Nous  nous  bor- 
nerons à  donner  le  tableau  suivant,  dans  lequel  nos  lecteurs  trouveront 
mentionnés,  avec  les  diagnostics,  les  résultats  obtenus  chez  les  vingt-huit 
petits  malades  traités  pendant  trente  jours  par  celte  méthode. 


DIAGNOSTIC 

Rachitisme 

Serofulose  généralisée.  . 
Adénites  tuberculeuses  . 
Tuberculoses  osseuses.  . 
Fistules  ostéopathiques  . 
Tumeurs  blanches.  .   .    . 

Mal  de  Pott 

Coxalgie 

Paralysie  infantile  .   .    . 

Chorée 

Anémie 

Laryngite  chronique  .  . 
Rhumatisme  musculaire. 


Totaux . 


G 

RESULTAT; 

F.  A 

XOMIÎRE 

T.F.A 

A 

4 

a 

» 

1 

3 

6 

» 

» 

1 

5 

3 

» 

» 

2 

1 

2 

» 

s 

1 

1 

1 

i> 

s 

1 

» 

3 

» 

» 

1 

2 

2 

» 

s 

» 

2 

1 

» 

» 

» 

1 

1 

» 

» 

» 

t 

1 

» 

» 

» 

1 

2 

» 

» 

» 

2 

J 

1 

» 

» 

1 

1 

28 

» 

]» 

8 

'20 

684  SCIENCES   MÉDICALES 

Avant  de  tirer  nos  conclusions  sur  ces  deux  premières  parties  de  notre 
clinique,  nous  tenons  à  faire  brièvement  connaître  les  résultats  obtenus,, 
cette  année,  chez  les  petits  scrofuleux  que  nous  avons  traités,  pendant  un 
mois,  par  l'emploi  simultané  des  bains  d'eau  salée  et  des  bains  d'eaux 
mères. 

Cette  troisième  partie  de  notre  clinique  comprend  trente-deux  cas  qui 
se  décomposent  de  la  façon  suivante  : 


RESUL' 
T.F.A 

TATS 

DIAGNOSTIC 

NOMBRE 

G 

F.  A 

A 

M.E 

Scrofulose 

5 

» 

» 

2 

3 

» 

Adénites  scrofuleuses .  .   . 

3 

» 

s 

2 

1 

» 

Ostéites  tuberculeuses  .   . 

5 

» 

» 

3 

2 

» 

Spina  ventosa 

1 

» 

» 

1 

» 

» 

ilal  de  Pott 

2 

» 

1 

» 

1 

» 

Rachitisme 

9 

» 

1 

1 

7 

» 

Kératite  scrofuleuse  .   .   . 

1 

» 

» 

j> 

1 

» 

Anémie 

3 
1 

B 

3 

» 

» 

Tuberculose  pulmonaire  . 

4 

Pleurésie  chronique  .    .   . 

1 

» 

» 

2 

» 

1 

Pharyngite  chronique  .    . 

1 

» 

}1 

1 

» 

)) 

Totaux  

32 

» 

2 

10 

18 

2 

Comme  on  le  voit,  les  résultats  obtenus  chez  ces  divers  petits  malades- 
sont  un  peu  différents  suivant  que  nous  avons  eu  recours  exclusivement 
aux  bains  d'eaux  mères,  aux  bains  d'eau  salée,  ou  à  l'emploi  combiné 
de  ces  deux  agents  et,  dans  certains  cas,  aux  applications  locales  de 
boues. 

D'après  les  faits  cliniques  observés,  les  eaux  mères  de  Dax,  employées 
exclusivement,  nous  semblent  avoir  agi  de  la  façon  la  plus  efficace  chez 
les  petits  malades  porteurs  d'affections  scrofuleuses  ou  tuberculeuses 
locales,  ayant  pour  la  plupart  nécessité  des  opérations  chirurgicales,  sans 
tendance  à  la  réparation,  chez  lesquels  la  vitalité  des  tissus  et  les  échanges 
nutritifs  avaient  besoin  d'être  stimulés,  et  qui  réclamaient  en  quelque 
sorte  un  coup  de  fouet  thérapeutique. 

En  effet,  les  eaux  mères  de  Dax  produisent  surtout  d'excellents  résul- 
tats dans  les  caries,  les  ostéites,  les  ostéo-arthrites  tubeixuleuses,  à  la 
condition  cependant  que  la  période  inflammatoire  soit  passée  et  qu'il  n'y 
ait  plus  de  fièvre. 

C'est  donc  principalement  à  la  période  d'état  ou  à  la  période  de  suppu- 
ration, lorsque  l'organisme  affaibli  a  besoin  d'être  fortifié,  que  les  eaux 
mères  de  Dax  doivent  être  prescrites.  Elles  répondent,  en  effet,  à  la 
double  indication  de  l'état  général  et  de  l'état  local.  Au  fur  et  à  mesure 
que,  sous  l'influence  des  bains   d'eaux  mères,  s'améliore   l'état    général, 


A.    LARAUZA.    —    DE    LA    MÉDICATION    SALINE    A   DAX  G8o 

les  suppurations  se  tarissent,  les  trajets  fistuleux  s'oblitèrent,  les  fongo- 
sités  disparaissent. 

Après  les  maladies  des  os  et  des  articulations,  les  affections  qui  nous 
ont  paru  retirer  les  meilleurs  effets  de  l'emploi  des  eaux  mères  sont  les 
adénites  chroniques  et  les  abcès  froids. 

Les  eaux  salées  de  Dax  nous  ont  donné  des  résultats  analogues  à  ceux 
signalés  par  nos  confrères  de  Salies  dans  les  diverses  manifestations  de  la 
tuberculose;  maij  elles  ne  nous  ont  pas  cependant  paru  avoir  une  action 
aussi  bien  déterminée  ou  tout  au  moins  aussi  rapide  que  les  eaux  mères 
dans  les  affections  tuberculeuses  des  os. 

La  combinaison  de  ces  deux  agents  thérapeutiques  ne  nous  a  pas  paru 
non  plus  augmenter  la  valeur  intrinsèque  des  eaux  mères  dans  les  tuber- 
culoses locales,  principalement  dans  celles  qui  ont  eu  pour  siège  le  périoste 
et  le  tissu  osseux. 

Les  boues  végéto-minérales  de  Dax,  employées  sous  forme  d'applica- 
tions partielles,  nous  ont  rendu  les  plus  grands  services  dans  les  ostéo- 
arthrites.  En  pareils  cas,  nous  avons  obtenu  tout  à  la  fois  une  action 
simultanée  locale  et  générale  des  plus  énergiques  que  les  eaux  salées  et 
les  eaux  mères  employées  seules  eussent  été  impuissantes  ou  tout  au 
moins  trop  longues  à  nous  donner.  De  là,  la  rapidité  de  certains  résultats 
avec  des  traitements  relativement  courts. 

CONCLUSIONS 

Il  y  a  lieu  de  distinguer  soigneusement  les  effets  des  eaux  mères  et 
des  eaux  salées  de  Dax,  employées  seules  ou  simultanément,  cl,  dans 
certains  cas,  secondées  par  les  applications  locales  de  boues  hyperther- 

males  : 

1"  Aux  premières  conviendront  les  tuberculoses  locales,  principalement 
les  tuberculoses  osseuses  ayant  réclamé  ou  non  une  intervention  chirur- 
gicale préalable. 

2°  Nous  réserverons  de  préférence  l'emploi  des  eaux  salées  au  lympha- 
lisme,  à  l'anémie  et  à  la  scrofulose  sans  détermination  localisée. 

3°  Les  applications  locales  de  boues  végéto-minérales,  employées 
simultanément  avec  les  eaux  salées  et  les  eaux  mères  de  Dax,  rendront 
les  plus  grands  services  dans  les  manifestations  articulaires  de  la  tuber- 
culose. 

En  procédant  ainsi,  on  obtiendra,  dans  une  catégorie  de  maladies  de 
l'enfance  caractérisées  par  la  lenteur  de  leur  évolution  et  leur  tendance  à 
la  chronicité,  des  résultats  plus  certains  et  plus  rapides  :  ce  qui  doit  avant 
tout  préoccuper  le  praticien. 


683  bClEiNCES   MÉDICALES 


M.  A.  MOULOIîaïïET 

Professeur   à   l'École  de  Médecine  d'Amiens. 


FRACTURE  DE  JAMBE  CHEZ  UNE  HYSTÉRIQUE—  PSEUDARTHROSE  —  SUTURE   OSSEUSE 

GUÉRISON 


Séance  du  16  septembre  1892 


Obs.  —  F.  L.,  vingt-quatre  ans,  fermière,  habituée  aux  gros  travaux  des  cliamps, 
est  une  grande  fille  très  forte,  lourde,  grasse.  En  tomlmnt  d'une  ciiarrette,  elle  se 
fracture  la  jambe  droite  et  la  clavicule  droite.  Son  médecin  place  le  bras  dans  une 
écharpe  de  Mayor,  la  jambe  dans  un  appareil  silicate.  Au  bout  de  vingt-cinq 
jours  la  clavicule  est  consolidée  sans  déformation  très  apparente,  mais  au  bout 
de  six  semaines  la  jambe  n'est  pas  solide  et  on  la  i-eplace  pendant  un  mois  dans 
un  appareil  silicate.  Au  bout  de  ce  temps  pas  de  consolidation.  On  laisse  la 
malade  couchée  et  la  jambe  libre  pendant  une  quinzaine  de  jours,  puis  troi- 
sième application  d'appareil  sans  résultat. 

Je  vois  la  malade  dix.  mois  api^ès  son  accident.  Elle  marche  avec  des  béquilles. 
Pas  de  troubles  de  nutrition  apparents  dans  la  jambe  malade,  pas  de  défor- 
mation. La  fracture  siège  au  niveau  du  tiers  inférieur  du  tibia.  Il  est  facile  de 
s'assurer  qu'il  n'y  a  point  de  consolidation  ni  de  trace  de  cal  osseux.  La  mobilité 
des  fragments  est  apparente,  mais  assez  limitée  par  le  péroné  qui  est  intact 
ou  qui,  s'il  a  été  fracturé,  s'est  consolidé.  Je  fais  de  nouveau  appliquer  pendant 
trois  mois  un  appareil  immobilisateur  et  je  donne  tous  les  jours  deux  grammes 
de  phosphate  de  chaux  à  la  malade.  Pas  de  modification  et  quatorze  mois  après 
la  fracture,  août  1890,  je  me  décide  à  faire  la  suture  osseuse. 

Longue  incision  sur  le  tibia  ;  les  extrémités  osseuses  sont  exactement  et 
parfaitement  en  contact  sans  interposition  de  muscles  ni  de  tendons.  En 
ouvrant  la  fracture,  enveloppée  d'une  gaine  fibreuse,  mon  bistouri  fait  sourdre 
deux  gouttes  de  liquide  synovial.  11  s'agit  d'une  fracture  oblique  en  bas  et  en 
dehors.  Les  extrémités  fragmentaires  sont  fibreuses,  recouvertes  de  synovie  : 
c'est  une  véritable  pseudarthrose.  Le  canal  médullaire  est  rempli  par  un  bou- 
chon de  tissu  spongieux.  Je  résèque  les  deux  fragments  jusqu'à  l'extrémité  des 
biseaux  et  fais  ainsi  une  perte  de  substance  de  trois  à  quatre  centimètres  ;  la 
section  des  deux  bouts  osseux  eet  horizontale.  Je  découvre  le  péroné  par  une 
incision  externe  el  je  le  trouve  incurvé  à  convexité  en  dehors.  Cette  convexité  a 
été  sans  doute  provoquée  par  le  poids  de  la  malade  essayant  de  marcher  sur 
une  jambe  non  consolidée.  Il  paraît  normal  et  n'a  point  dû  être  fracturé  ;  j'en 
résèque  une  longueur  égale  à  la  perte  de  substance  faite  sur  le  tibia  pour  pou- 
voir affronter  les  fragments.  Je  réunis  les  deux  extrémités  tibiales  bien  affrontées 
avec  deux  gros  fils  de  catgut  et  les  extrémités  du  péroné  avec  un  lil  de  catgut. 
Réunion  des  parties  molles  aux  crins  de  Florence,  deux  drains  de  sûreté  :  l'un 


A.    MOULONGUET.    —   FRACTURE    DE    JAMBE   CHEZ    UNE   HYSTERIQUE         687 

sur  la  face  externe,  l'autre  sur  la  face  interne.  Pansement  antiseptique.  Immo- 
bilisation dans  un  appareil  plâtré,  le  tout  recouvert  d'ouate  et  placé  dans  une 
gouttière  eu  fil  de  fer.  Suites  opératoires  des  plus  simples,  sans  fièvre  ni  sup- 
puration ;  au  bout  de  quinze  jours,  on  enlève  les  crins  et  les  drains.  L'immo- 
bilisation est  maintenue  pendaHt  trois  mois,  d'une  façon  consécutive, sans  résultat. 
Puis  massage,  électricité,  repos  au  lit  sans  appareil  ;  l'état  général  de  la  malade 
est  florissant,  elle  prend  un  embonpoint  considérable,  mais  pas  de  cal,  pas  de 
consolidation. 

En  juillet  1891,  c'est-à-dire  onze  mois  plus  tard,  je  me  décide  à  intervenir  de 
nouveau.  Je  trouve  les  fi-agments  du  tibia  en  contact,  entourés  de  tissu  fibreux  ; 
les  extrémités  sont  effilées,  le  canal  médullaire  rempli  de  tissu  spongieux.  Je 
débarrasse  les  extrémités  fragmentaires  de  leur  tissu  fibreux,  je  les  avive  en 
perdant  le  moins  de  substance  possible  et  je  les  affronte  après  les  avoir  taillées 
encore  horizontalement.  Je  les  suture  celte  fois  non  plus  aux  fils  de  catgut, 
mais  avec  deux  gros  fils  d'argent  perdus.  Quant  au  péroné  il  n'y  avait  pas  trace 
de  consolidation  entre  les  fragments.  Le  bout  supérieur  était  effilé,  le  bout 
inférieur  s'était  aminci  et  résorbé  en  partie  ;  il  était  réduit  à  une  partie  de  la 
malléole  externe,  et  je  ne  songeai  mémo  pas  à  jeter  un  fil  de  suture  sur  ce  petit 
fragment;  je  me  bornai  donc  à  aviver  les  surfaces  osseuses  du  péroné.  Kéunion 
immédiate  des  parties  molles,  un  seul  drain  dans  la  partie  déclive.  Suites 
opératoires  parfaites.  L'appareil  plâtré  reste  trois  mois  en  place.  La  consolida- 
tion était  obtenue.  La  malade  marchait  au  bout  de  cinq  mois  avec  un  raccour- 
cissement de  quatre  centimètres,  il  est  vrai.  Sa  jambe  était  solide  et  guérie, 
enfin  elle  pouvait  reprendre  sa  vie  ordinaire.  Les  mouvements  étaient  conservés 
dans  l'articulation  du  genou,  mais  très  limités  dans  l'articulation  du  cou-de- 
picd. 

Je  me  permets  d'attirer  votre  attention  sur  les  quelques  points  intéres- 
sants que  présente  cette  observation.  D'emblée,  en  même  temps,  la 
malade  se  casse  la  jambe  et  la  clavicule.  La  clavicule  se  consolide  nor- 
malement, la  jambe  non.  Et  cependant,  il  s'agissait  d'une  fracture  sans 
déplacement  avec  un  péroné  faisant  attelle;  il  n'y  avait  point  d'interi)o- 
sition  de  tissus  entre  les  fragments,  pas  d'esquilles,  et  je  crois  pouvoir 
affirmer  que  le  premier  appareil  silicate  avait  été  bien  appliqué  et  qu'on 
avait  obtenu  une  immobilisation  parfaite.  La  malade  n'était  ni  syphili- 
tique, ni  diabétique,  ni  albuniinurique,  ni  phosplialurique;  elle  était  jeune 
et  son  état  général  excellent.  Ma  première  opération  avait  été  absolument 
négative,  et  plutôt  nuisible,  puisque  j'avais  sectionné  un  péroné  intact  et 
que  la  suture  des  deux  fragments  ne  s'était  point  faite.  Enfin,  ma  se- 
conde opération  a  donné  un  excellent  résultat,  sans  autre  modification  au 
manuel  opératoire  que  de  remplacer  la  suture  aux  fils  de  catgut  par  la 
suture  perdue  aux  fils  d'argent. 

Je  tiens  surtout  à  signaler  une  seconde  particularité  que  des  faits  nou- 
veaux pourront  un  jour  bien  mettre  en  lumière.  J'ai  dit  que  ma  malade 
ne  présentait  aucune  des  tares  organiques  qu'on  s'accorde  à  reconnaître 
capables  d'empêcher  la  consohdation  des  fractures  :  pas  de  syphilis,  pas 


688  SCIENCES  MÉDICALES 

de  diabète,  pas  d'albuminurie,  pas  de  phosphaturie.  Je  n'avais  point  songé 
à  examiner  son  système  nerveux  et  j'affirme  que  les  apparences  ne  pou- 
vaient pas  me  mettre  sur  la  voie  de  cet  examen.  Le  hasard  seul  me 
servit. 

Le  soir  du  jour  où  j'avais  pratiqué  ma  deuxième  opération,  la  malade 
eut  une  attaque  violente  d'hystérie  suivie  d'une  contracture  persistante  des 
muscles  fléchisseurs  de  la  main  et  de  l'avant-bras  gauche.  L'interne  de 
garde,  inquiet,  me  fit  demander.  La  suggestion  à  l'état  de  veille  et  quel- 
ques frictions  sur  les  extenseurs  rétablirent  immédiatement  Tintégrité  des 
mouvements  dans  le  membre  contracture.  Les  jours  suivants,  il  nous  fut 
facile  de  nous  assurer  que  la  malade  présentait  les  stigmates  suivants  de 
l'hystérie  :  hémianesthésie  sensitive  et  sensorielle  gauche,  rétrécissement 
du  champ  visuel,  abolition  du  réflexe  pharyngien  et  elle  avait  déjà  eu 
des  attaques  antérieures. 

Peut-on  faire  jouer  un  rôle  à  l'hystérie  dans  la  non-consolidation  des 
fractures?  Le  fait  me  parait  très  possible  en  songeant  aux  troubles  pro- 
fonds et  variés  de  nutrition  qu'on  observe  chez  ces  malades.  Dans  l'ob- 
servation actuelle,  il  me  paraît  impossible  d'invoquer  une  autre  cause. 
On  peut,  il  est  vrai,  ne  voir  là  qu'une  simple  coïncidence;  mais  j'avoue 
aimer  mieux  établir  entre  ces  deux  faits  — hystérie  et  pseudarthrose  —  une 
relation  de  cause  à  effet  plutôt  que  d'avoir  recours  à  une  prétendue  dis- 
position, à  une  idiosyncrasie,  —  à  la  non-consolidation.  J'estime  donc  que, 
dans  des  cas  analogues  et  lorsqu'il  ne  sera  point  possible  de  déterminer 
la  cause  de  la  non-consolidation,  il  faudra  examiner  avec  grand  soin 
l'état  du  système  nerveux. 


M.  rEREAT 


à  Evreux. 


ACTION  DE  L'EAU  DU  NEUBOURG  DAIMS  LE  TRAITEMENT  DES  DIABÉTIQUES 


—  Séance  du  i6  septembre  /892   — 


La  petite  ville  du  Neubourg,  située  dans  le  département  de  l'Eure, 
est  bâtie  sur  un  plateau  d'une  très  grande  étendue  qui  porte  le  nom  de 
Campagne  du  Neubourg.  Nous  sommes  là  en   plein  terrain  secondaire. 


FERRAY.  —  l'eau  DU  NEUBOURG  DANS  LE  TRAlTEiMENT  DES  DIABÉTIQUES      689 

Le  puils  au  fond  duquel  jaillil  la  source  en  question  est  situé  au 
point  inférieur  d'un  pli  de  terrain,  à  environ  10  à  12  mètres  en 
eontre-bas  des  altitudes  voisines,  soit  130  mètres  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer. 

Depuis  la  surface  du  sol  où  le  forage  a  été  pratiqué  jusqu'à  une  pro- 
fondeur de  32  mètres,  on  rencontre  successivement  : 

1°  Une  couche  de  terre  arable l'",50 

2°  Argile  rouge 4'",  » 

3°  La  même  argile,  mélangée  de  silex  et  de  sable  ocreux.    .         2™,   « 
4°  Marne  blanche,  prenant  une  teinte  de  plus  en  plus  grise  à 
mesure  que  la  profondeur  augmente  ;  de  même  la  dureté  de  la 

roche  va  s'accroissant 18"',  » 

5"  Même   roche    dure,  mêlée  de  veine  d'argiles  vertes,   de 
sables  verts  imperméables 4'",  » 


Total 32"SoO 


L'examen  de  cette  eau  a  fait  l'objet  d'un  long  et  consciencieux  travail 
présenté  à  l'Académie  des  Sciences,  le  14  octobre  1861,  par  M.  Jacquelain, 
préparateur  de  chimie  à  l'École  centrale  des  Arts  et  Manufactures. 

Des  analyses  nombreuses  ont  été  faites,  notamment  en  18o8;  celles-ci 
ont  porté  sur  des  eaux  puisées  les  15-22  janvier,  12  octobre  et  12  dé- 
cembre, s 

La  composition  en  principes  fixes  est  la  suivante  : 

Chlorure  de  ijotas^^iuiu Os^OOOô 

Phosphate  de  chaux 06--,0128 

Alumine  et  oxyde  de  fer Os'-,(I200 

Silice 0^-,0140 

Sulfate  de  chaux 0"--,0348 

Chlorure  de  magnésium Us^OSSS 

Nitrate  de   magnésie Os-'jOST.S 

Carbonate  de  chaux 06',721U 

Dans  des  analyses  récentes  que  nous  avons  faites  nous-même,  nous 
avons  trouvé  que  l'eau  du  Neubourg  renferme  l^%2o  d'oxygène;  nous 
devons  dire  dès  maintenant  que  la  présence  de  cette  quantité  d'oxygène 
n'est  pas  constante. 

Si  nous  comparons  le  volume  d'oxygène  contenu  à  celui  que  l'on 
rencontre  ordinairement  dans  les  diverses  eaux,  nous  pourrons  constater 
que  l'eau  du  Neubourg  est  la  plus  riche. 

44* 


690  SCIENCES   MÉDICALES 

En  effet  : 

1°  En  ce  qui  concerne  les  eaux  courantes,  nous  avons  : 

Le  Rhin,  à  Strasbourg 7'^%4 

Le  Rhône,  à  Genève 8^%» 

La  Loire,  à  Orléans 7",» 

La  Garonne,  à  Toulouse 7*^  ,9 

Le  Doubs 9'^',^ 

La  Vesle 6^%8 

2"  En  ce  cjui  concerne  les  eaux  de  source  : 

Celles  de  Fontfroide a",^ 

Il  est  bien  entendu  que  nous  n'envisageons  ici  que  les  eaux  les  plus 
riches  en  oxygène. 

Dès  l'abord,  il  a  paru  intéressant  de  rechercher  la  cause  de  la  pré- 
sence en  aussi  grande  quantité  de  l'oxygène  dans  l'eau  du  Neubourg. 

Je  dois  dire  que  nous  ne  sommes  pas  d'accord  avec  ceux  qui,  avant 
nous,  ont  fait  la  même  étude. 

Suivant  ces  auteurs,  l'oxygène  trouvé  en  excès  serait  dégagé  par  les 
végétaux  cellulaires. 

Nous,  nous  croyons  purement  et  simplement  à  une  action  mécanique. 

M.  Daubrée,  de  l'Institut,  a  publié  récemment  un  ouvrage  sur  les  Eaux 
souterraines  à  l'époque  actuelle. 

Après  la  lecture  de  ce  travail,  on  est  étonné  de  voir  le  nombre  consi- 
dérable de  cavités  existant  dans  la  couche  terrestre,  immédiatement 
au-dessous  du  sol  que  nous  foulons,  constituant  ici  d'immenses  cavernes 
donnant  abri  à  des  lacs  considérables,  constituant  là  des  galeries,  véri- 
tables tunnels  naturels  d'une  longueur  démesurée,  livrant  passage  à  de 
véritables  rivières  dont  on  n'avait  pas  soupçonné  l'existence.  Tel  est,  dans 
cet  ordre  d'idées,  le  cours  souterrain  de  l'Iton  que  nous  avons  décou- 
vert et  exploré. 

Eh  bien,  je  suppose  que  le  régime  d'eaux  qui  alimente  la  source  du 
Neubourg  a  son  point  de  départ  dans  des  cavernes  de  cette  nature,  mais 
offrant  une  disposition  spéciale  qui,  sans  être  la  même,  présente  une 
grande  analogie  avec  le  système  qui  donne  naissance  aux  sources 
intermittentes. 

Il  s'agirait,  dans  l'espèce,  de  cavités  souterraines  présentant  dans  leur 
ensemble  la  disposition  de  l'appareil  autrefois  appliqué  dans  les  forges 
catalanes,  appliqué  de  nos  jours  dans  nos  laboratoires  et  auquel  on  a 
donné  le  nom  de  trompe.  L'air,  par  des  conduits  naturels,  serait  en- 
traîné avec  l'eau  pour  être  amené  dans  des  cavernes  qui,  dans  la  plujjart 


FEURAY.  —  l'eau  DU  NEUBOUKG  DAiNS  LE  TRAITEMENT  DES  DIABÉTIQUES      691 

des  cas,  ne  permettent  pas  le  départ  continu  de  l'air  ainsi  emmagasiné. 

Dans  ces  conditions,  la  pression  supportée  par  la  couche  inférieure 
dans  laquelle  l'eau  et  l'air  sont  en  contact,  déterminerait  la  dissolution 
d'une  quantité  d'air  plus  considérable  que  celle  que  l'on  rencontre  ordi- 
nairement dans  les  eaux  de  source. 

Or,  l'oxygène  est  plus  soluble  dans  l'eau  que  l'azote  :  de  là  la  quantité 
relativement  considérable  d'oxygène  dissous. 

Ceci  dit,  et  sans  nous  arrêter  davantage  sur  ces  considérations  qui 
Intéressent  plutôt  la  physique  du  globe,  ainsi  que  la  physique  générale, 
nous  devons  dire,  dès  maintenant,  qu'un  médecin  du  Neubourg,  le  doc- 
teur Desormeaux,  diabétique,  a  fait  usage  de  cette  eau,  et  que  son  affeclion 
a  été  heureusement  modifiée. 

Depuis,  cette  année  même,  de  nombreux  diabétiques  ont  fait  usage  de 
l'eau  du  Neubourg,  et  tous  en  ont  éprouvé  d'heureux  effets. 

Sans  entrer  dans  le  détail  des  observations  faites  à  ce  sujet,  nous  de- 
A^ons  dire  que  deux  malades  soumis  antérieurement  aux  traitements  en 
usage  en  semblable  occurrence,  et  qui  n'avaient  éprouvé  que  peu  d'effet  de 
ceux-ci,  ont  vu  leur  situation  tout  à  fait  modifiée. 

C'est  ainsi  que  chez  deux  d'entre  eux,  dont  nous  avons  conservé  les 
observations,  nous  sommes  arrivés  à  la  disparition  complète  du  sucre 
dans  leurs  urines. 

Chez  les  autres,  le  traitement  probablement  insuffisant  comme  durée, 
on  a  pu  constater  une  amélioration  considérable. 

C'est  ainsi  que  nous  sommes  passés,  chez  l'un,  de  76  grammes  de 
sucre,  dans  les  vingt-quatre  heures,   à  20  grammes. 

Chez  d'autres,  de  lo5  grammes,  dans  les  vingt  -  quatre  heures,  à 
13  grammes,  de  69s'-,7o  à  47s'-,2o. 

INous  n'avons  pu  recueillir  toutes  les  observations  des  malades  soienés 
notamment  à  Elbeuf  et  à  Urionne  ;  mais  nous  devons  dire  que  les  certi- 
ficats délivrés  par  les  médecins  traitants  indiquent  que  l'emploi  de  l'eau 
du  iS'eubourg  a  été  très  favorable  à  leurs  clients. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'action  de  l'oau  du  Neubourg  est  évidente.  Com- 
ment agit-elle?  nous  ne  le   savons. 

C'est  là  un  point  qu'il  serait  intéressant  d'établir.  On  ne  peut,  en  effet, 
supposer  que  les  il  centimètres  cubes  d'oxygène  dissous  dans  chaque 
litre  d'eau  soient  un  comburant  suffisant  pour  brûler  le  sucre  que  nous 
voyons  disparaître  en  grande  quantité  chez  les  malades. 

Il  y  a  là  une  action  physiologique  spéciale.  Ce  ne  sera  qu'à  la  suite 
d'observations  très  exactes,  très  nombreuses,  d'examens  sérieux,  que  l'on 
pourra  peut-être  arriver  à  déterminer  le  mode  d'action  de  cette  nouvelle 
eau  minérale. 

Cependant  il  nous  paraît,  dès  maintenant,  qu'il  y  a  des  faits  acquis. 


692  SCIENCES   MEDICALES 

Le  propriétaire  de  la  source  a  fait  auprès  des  autorités  compétentes  les 
démarches  et  demandes  nécessaires  pour  obtenir  l'autorisation  d'exploi- 
tation. 

Ce  sera  peut-être,  pour  la  Commission  spéciale  chargée  d'examiner  le 
liien  fondé  de  l'intéressé,  l'occasion  de  rechercher  le  mode  d'action  qui 
nous  échappe  aujourd'hui. 


M.  E.  DÏÏHOIJECATJ 

Médecin    à   Cauluruts. 


TRAITEMENT      THERMAL      ET      CLIMATIQUE      DE      LA      PHTISIE,      COMBINE      AVEC      LA^ 
CAUTÉRISATION  PONCTUÉE   OU    LES  INJECTIONS  DE  LIQUIDES   ORGANIQUES 


Séance  du  16  septembre  1892  — 


I 


La  réputation  des  eaux  sulfureuses  des  Pyrénées  contre  la  phtisie 
pulmonaire  est  trop  bien  établie,  depuis  des  siècles,  et  l'action  bienfaisante 
du  climat  de  Pau  contre  ce  terrible  mal  date  de  trop  d'années,  pour  qu'il 
soit  nécessaire  d'apporter  de  nouvelles  preuves  de  la  valeur  curative  de 
ces  eaux  et  de  ce  climat. 

Expliquer  leur  action  serait  plus  difiîcile.  Pour  ma  part,  j'ai  maintes 
fois  cherché  à  mettre  en  relief  les  effets  des  eaux  de  Cauterets  sur  le  ba- 
cille phtisiogène  et  sur  le  terrain  qui  lui  sert  de  support. 

Au  Congrès  international  d'hydrologie  de  Biarritz,  dans  la  Revue  médi- 
cale d'hijdrologie  pyrénéenne,  fondée  et  dirigée  par  le  D"'  Garrigou  et  moi, 
comme  devant  la  Société  d'hydrologie  de  Paris,  etc.,  j'ai  voulu  montrer 
le  rôle  que  jouent,  entres  autres,  le  gaz  azote  et  la  matière  organique  que 
nos  eaux  tiennent  en  dissolution,  et  justiher  les  actions  spéciales  des  deux 
sources  les  plus  réputées  de  Cauterets,  la  Raillère  et  Mauhourat,  dans  le 
traitement  de  la  phtisie.  A  ce  même  Congrès  de  Biarritz  et  à  celui  tenu, 
l'an  passé  à  Bordeaux,  par  V Association  pyrénéenne,  i'aiv  rappelé  les  bien- 
faits et  les  indications  des  climats  du  sud-ouest  français,  et  en  particulier 
du  climat  palois,  contre  la  tuberculose  et  autres  maladies. 


E.  DUHOURCAU.  TRAITEMENT  THKRM.VL  ET  CLIMATIQUE  DE  LA  PHTISIE      693 

En  maintenant  et  affirmant,  avec  plus  de  conviction  pratique  aujour- 
d'imi,  les  conclusions  émises  à  différentes  époques,  dans  mes  écrits,  je 
veux  essayer  de  faire  voir  ici  que  l'action  curative,  tant  des  eaux  des 
Pyrénées  que  des  climats  du  sud-ouest,  peut  être  avantageusement  aidée, 
augmentée  et  fortifiée  par  des  moyens  que  tout  médecin  emploie  dans  sa 
pratique  journalière  ! 

II 

En  ce  qui  touche  aux  eaux  minérales,  je  heurterai  peut-être  les  opi- 
nions de  certains  confrères  qui  veulent  que,  dans  les  cures  auxquelles  il 
€st  appelé  à  prendre  part  pendant  un  temps  toujours  fort  court,  le  mé- 
decin hydrologue  se  contente  strictement  de  diriger  l'emploi  de  ses  eaux 
€t  recoure  le  moins  possible  aux  remèdes  pharmaceutiques  ou  aux  autres 
modes  de  traitement  extra-thermaux. 

Pour  le  médecin  climatologiste,  on  accordera  plus  facilement  qu'il 
intervienne  dans  la  cure  de  ses  malades,  ceux-ci  restant  des  mois  entiers 
sous  sa  direction  ;  mais  j'estime,  pour  ma  part,  que  quand  le  médecin 
thermal  a  la  conviction  de  pouvoir  aider  et  confirmer  l'effet  heureux  de  la 
cure  hydrique,  il  ne  doit  pas  hésiter  à  recourir  aux  autres  moyens  indi- 
qués, n'ayant  en  vue  que  l'intérêt  majeur  de  ses  malades.  Ce  que  demande 
d'ailleurs  le  confrère  qui  lui  adresse  ses  clients,  c'est  ([u'il  les  lui  ren- 
voie guéris,  ou  améliorés,  autant  que  faire  se  pourra  :  nul  de  ceux  qui 
m'entendent  ou  me  liront  ne  s'inscrira  assurément  contre  ce  précepte 
implicitement  contenu  dans  le  serment  d'Hippocrate . 

Donc,  j'estime  que  c'est  agir  convenablement  et  en  conscience  que  de 
recourir,  en  plus  du  traitement  climatique  ou  thermal,  pour  hâter  l'amé- 
horation  d'un  phtisique,  à  une  autre  médication  auxiliaire,  telle  que  la 
cautérisation  ponctuée  qui  dégage  plus  vite  les  poumons,  ou  à  une  mé- 
dication tonique  et  remQntante,  dont  les  injections  sous-cutanées  de  liquides 
-organiques  constituent  aujourd'hui  un  des  meilleurs  éléments. 


III 


Il  y  a  quelques  dix  ans,  la  lecture  d'un  instructif  mémoire  du  D'"  Vi- 
dal, sur  les  effets  heureux  de  la  cautérisation  ponctuée  dans  la  cure  cli- 
matérique  de  la  phtisie,  à  Ilyères,  me  donna  l'idée  de  recourir  à  ce 
même  moyen  pour  ceux  de  mes  malades  à  qui  il  pouvait  être  utile.  Je  ne 
manque  pas  d'en  user  à  Pau,  l'hiver,  dans  le  même  but  que  le  distingué 
médecin  d'Hyères,  mais  j'y  ai  eu  recours,  à  Cauterets,  dès  que  je  pressentis 
les  résultats  encourageants  qu'il  promettait. 


694  SCIENCES  MÉDICALES 

En  1882,  je  commençai  à  appliquer  hardiment,  pendant  la  cure  ther- 
male,  les  pointes  de  feu   à  ceux  de  mes  malades  qui  en  étaient  justi- 
ciables; et  l'un  des  premiers  pour  lequel  je  les  utilisai  ayant,  chose  rare, 
guéri  dans  des  conditions  qui  laissaient  peu  d'espoir,  j'ai,  depuis,  chaque 
année,  et  toujours  encouragé  par  mes  résultats,  continué  à  pratiquer  la 
cautérisation  ponctuée,  pendant  ou  à  la  fin  de  la  cure,    sur  un  certain 
nombre  de  mes  clients.  Le  malade  auquel  je  fais  allusion  était  un  bel 
exemple   de  la  contagion  de   la  phtisie  :   fils  de  parents   indemnes  de 
toute  tare  tuberculeuse,  il  avait  vu  deux  de  ses  sœurs  atteintes  de  ce  mal 
que  l'une  d'elles  avait  rapporté  du  dehors,  dont  elle  était  morte,  et  dont 
l'autre  vint,  après  lui,  se  soigner  avec  grand  profit  à  Cauterets.  Malgré  des 
lésions  très  nettes,   une  fièvre  assez  marquée,  qui  semblait  contre-indi- 
quer  les  eaux  sulfureuses,  une  première  cautérisation  pratiquée  au  crayon- 
feu,  dans  le  cours  de  la  cure  thermale,  et  une  seconde  quelques  semaines 
après,   ont   agi  si   favorablement  que  M,  l'abbé  C.  a  pu   continuer  son 
ministère  et  revenir,  quelques  années  plus  tard,  à  Cauterets.  complète- 
ment guéri  de  sa  phtisie.  Sa  sœur,  atteinte  avant  lui,  qui  partageait  son. 
existence  et  de  qui  il  avait  sans  doute  contracté  le  germe  du  mal,  —  celle-ci 
l'ayant  pris  elle-même  d'une  première  sœur  restée  malade  à  la  maison, — 
vint  se  soigner  à  son  tour  à  Cauterets  et  y  gagner,  par  les  mêmes  moyens, 
une  amélioration  considérable,  dont  je  n'ai  pu  malheureusement  connaître 
les    suites    ultérieures.  Mais  j'ai  la  conviction  si  profonde  d'avoir    fait 
beaucoup  plus,  pour  ces  deux  malades,  par  la  combinaison  du  traitement 
thermal  avec  la  cautérisation  ponctuée,  que  j'ai  largement  appliqué,  de- 
puis, ces  moyens  combinés  à  la  plupart  de  mes  phtisiques,  à  Cauterets. 
Chaque  année  s'accroît,  par  de  nouveaux  exemples,  cette  conviction  dans 
mon  esprit,  si  bien  que  je  n'hésite  pas  à  tenter  de  la  faire  partager  à  mes 
confrères,  en  leur  recommandant  ce  moyen  auxiliaire  dans  la  cure  thermale 
de  la  phtisie. 

Je  pourrais  citer  de  nombreuses  observations  consignées  dans  mes  ca- 
hiers, où  des  malades,  que  j'ai  revus  plusieurs  années  de  suite,  ont  tiré  le 
plus  grand  profit  de  la  cautérisation  ponctuée  appliquée  pendant  la  cure 
sulfureuse,  ou  à  Pau,  pendant  l'hiver.  Plusieurs  d'entre  eux  avaient  été 
soignés,  dans  des  saisons  précédentes,  par  les  eaux  seules,  et  l'améliora- 
tion plus  sensible,  pour  eux  comme  pour  moi,  obtenue  par  les  eaux 
combinées  aux  pointes  de  feu,  m'a  donné  la  certitude  que  la  réunion  de 
ces  deux  moyens  est  assurément  préférable.  Aussi,  chaque  année,  j'ap- 
plique fréquemment  des  pointes  de  feu  à  mes  malades,  et  souvent  ceux-ci, 
après  deux  ou  trois  applications,  les  réclament  eux-mêmes  comme  un 
moyen  excellent  et  plus  sûr  de  hâter  leur  guérison. 

Ce  n'est  pas  seulement  contre  la  phtisie  que  je  les  utilise;  je  traite  ainsi, 
et  avec  avantage,  certains  de  mes  pleurétiques  et  même  des  bronchi- 


E.  DUHOLRCAU.  TRAITEMENT  THERMAL  ET  CLIMATIQUE  DE  LA  PHTISIE       G9o 

tiques,  chez  lesquels  ramélioration  est  lente  et  le  catarrhe  trop  persistant. 
Les  pointes  de  feu  sont,  d'ailleurs,  un  excellent  révulsif,  très  pratique, 
facile  à  appliquer;  elles  agissent  plus  vite  et  plus  sûrement  que  les 
vésicatoires  en  usage,  depuis  longtemps,  dans  les  stations  thermales  ou 
hivernales,  comme  ailleurs,  et  elles  ont  bien  moins  d'inconvénients  que 
ces  derniers.  Je  ne  veux  pas  donner  ici  d'exemple  détaillé  démontrant  ce 
que  j'avance,  mais  j'ai  cru  devoir  profiter  de  la  venue  du  Congrès  pour 
l'avancement  des  sciences,  dans  la  région  pyrénéenne,  pour  faire  connaître 
à  sa  Section  médicale,  des  moyens  qui  me  réussissent,  dans  le  traitement 
de  la  phtisie  pulmonaire,  à  Pau  et  à  Cauterets. 


IV 


A  la  suite  des  expériences  qui  ont  été  publiées  par  M.  le  professeur 
Brown-Séquard  et  ses  adeptes,  sur  les  effets  revigorants  des  injections 
sous-cutanées  de  liquides  organiques,  j'ai  voulu  essayer  sur  mes  malades 
les  effets  de  la  lymphe  cérébrale  ou  testiculaire,  et  j'ai  été  amené  à  traiter, 
par  cette  dernière  surtout  et  concurremment  avec  la  cure  thermale,  quatre 
de  mes  malades,  dont  trois  tuberculeux. 

Les  résultats  ont  été  assez  nets  et  assez  encourageants  pour  que  je  le  fasse 
connaître  aussi  en  cette  occurrence!  Devant  l'impossibilité  de  me  procurer 
des  liquides  de  MM.  Brown-Séquard  et  d'Arsonval,  je  me  suis  servi  tout 
d'abord  de  liquide  testiculaire  préparé  par  le  laboratoire  de  physiologie 
de  M.  Pourquier,  de  Montpellier.  Ce  liquide,  extrait  de  testicules  d'animaux 
abattus,  était  limpide  et  clair,  absolument  incolore,  preuve  qu'il  prove- 
nait de  tissus  exsangues.  M'étant  adressé  ensuite  à  mon  estimé  confrère 
et  ami,  le  docteur  D.-J.  Ferran,  le  savant  directeur  du  laboratoire  microbio- 
logique municipal  de  Barcelone  (celui-là  même  qu'ont  rendu  fameux  les 
inoculations  préventives  contre  le  choléra,  pratiquées  sur  une  immense 
échelle  eu  188d,  et  si  étrangement  jugées  en  France),  je  reçus  de  lui  un 
liquide  spécial,  rosé  et  transparent,  sur  lequel  je  demande  à  dire  quelques 
mots.  Ce  liquide,  ou  cette  lymphe  testiculaire,  est  le  résultat  de  rapi)lication 
d'une  idée  originale  qui  me  paraît  fondée.  C'est  à  des  animaux  vivants  qu'il 
est  emprunté,  et  voici  comme  !  Au  laboratoire  de  microbiologie  du  docteur 
J.  Ferran  est  adjoint  le  service  de  la  fourrière  municipale  de  Barcelone,  où 
sont  amenés,  chaque  semaine,  plus  de  cinquante  chiens  de  toute  espèce, 
destinés  aux  expérimentations  du  médecin  catalan.  Partant  de  ce  fait, 
que  le  suc  testiculaire  d'un  animal  vivant  est  naturellement  plus  aseptique 
et  plus  actif  que  celui  d'un  animal  mort,  pour  si  récemment  abattu  qu'il 
soit,  pensant  aussi  qu'il  vaut  mieux  choisir  un  animal  réfractaire  à  la 
plupart  des  maladies  de  l'homme,  J.  Ferran  prend   ses   chiens,  fait  la 


696  SCIENCES  MÉDICALES 

ligature  du  cordon  et  les  châtre  vivants,  observant  toujours  l'antisepsie 
la  plus  rigoureuse.  Les  testicules,  qui  ont  conservé  du  sang,  sont  hachés 
»  et  piles  dans  une  machine  stérilisée,  et  la  pâte  qui  en  résulte  est 
additionnée  d'un  volume  égal  de  glycérine  concentrée  et  neutre.  Après 
quarante -huit  heures  de  contact,  la  pâte  glycérinée  est  mise  dans  une 
essoreuse  centrifuge  stérilisée,  afin  d'en  séparer  la  glycérine  avec  les 
albumines  qu'elle  a  dissoutes  ;  à  ce  liquide  on  ajoute  une  petite  quantité  de 
paratoluidine  et  on  le  conserve  dans  un  timbre,  à  une  basse  température. 
Ferran  monte  ensuite  plusieurs  bougies  de  Chamberland  dans  des 
éprouvettes  pleines  de  cette  glycérine  chargée  d'albumines,  et,  les  main- 
tenant à  une  basse  température,  il  opère  la  filtration  au  moyen  d'une 
pompe  de  Kœrting,  en  ayant  soin  d'interposer  entre  celle-ci  et  la  bougie 
filtrante  un  flacon  de  sûreté  :  la  bougie  se  remplit  de  liquide  filtré, 
que  l'on  transvase  dans  un  flacon  stérilisé. 

Ferran  prépare  ainsi  toutes  sortes  de  lymphes,  car  il  pense,  non  sans 
raison,  que  suivant  la  maladie  à  traiter,  on  devrait  employer  un  liquide 
distinct  :  contre  les  maladies  des  centres  nerveux,  la  lymphe  provenant 
du  tissu  nerveux  ;  —  contre  la  phtisie  pulmonaire,  la  lymphe  provenant 
des  poumons  d'animaux  réfractaires,  naturelfement  ou  artificiellement, 
à  la  phtisie,  etc.  !  Le  point  le  plus  vulnérable  par  où  un  animal  puisse 
contracter  la  phtisie  est  le  poumon;  quand  celui-ci  ne  pourra  pas  la 
contracter,  c'est  que  les  conditions  d'indemnité  existeront  dans  cet  organe 
d'une  façon  toute  particulière.  Par  suite,  les  albumines  retirées  de  ce 
poumon  devront  offrir  les  conditions  les  meilleures  pour  être  inoculées 
avec  succès. 

J'ai  traité,  pendant  qu'ils  faisaient  leur  cure  thermale,  deux  de  mes 
tuberculeux  avec  cette  lymphe  testiculaire  de  chiens  vivants.  Un  premier 
malade  fut  injecté  trois  fois  avec  le  liquide  de  Pourquier,  et  trois  fois 
avec  celui  de  Ferran  :  il  venait  d'avoir  quelques  hémoptysies  graves,  et 
s'il  n'était  pas  atteint  de  tuberculose  confirmée,  il  était  dans  un  état 
d'imminence  des  plus  à  redouter.  Du  23  juillet  au  1"  août,  il  reçut  six 
injections  d'un  centimètre  cube,  et  chaque  fois  il  ressentit  des  effets  to- 
niques nets,  une  augmentation  de  force  qu'il  accusa  spontanément  et  qui 
lui  faisaient,  à  la  fin,  demander  son  injection  :  au  départ,  l'état  du  poumon 
était  très  satisfaisant  et  l'état  général  bien  meilleur.  —  Chez  mon  second 
malade  les  effets  revigorants  furent  au  moins  aussi  marqués,  si  bien 
qu'il  demandait  lui-même  l'injection,  bien  qu'elle  fût  pour  ses  modestes 
ressources  un  surcroît  de  dépenses.  Il  reçut  ainsi,  du  10  au  27  août, 
neuf  injections  d'un  centimètre  à  deux  centimètres  cubes  du  liquide 
Ferran  :  et  il  déclara,  au  départ,  qu'aucune  des  quatre  cures  sulfureuses 
qu'il  avait  faites,  depuis  cinq  ou  six  ans,  à  Cauterets,  ne  lui  avait  procuré 
semblable  amélioration  ! 


E.  DUHOURCAU.  —  TRAITEMENT  THERMAL  ET  CLIM\T1QUE  DE  LA  PHTISIE      097 

Mon  troisième  sujet  fut  tout  aussi  affirmatif  et  son -aveu  est  précieux 
à  enregistrer,  car  c'est  celui  d'un  médecin,  qui,  venu  à  Cautcrets  en  1890 
et  1891,  pouvait  comparer  les  effets  de  la  cure  sulfureuse  faite  seule  dans 
ces  deux  années,  avec  celle  de  1892  augmentée  de  quelques  injections 
de  lymphe  de  Ferran.  Du  22  au  30  août,  le  docteur  N.,  de  V.,  reçut 
quatre  de  ces  injections,  contenant  de  ^SS  à  2  centimètres  cubes  de 
lymplie  testiculaire  de  chiens  vivants.  Et  il  accusa  à  chaque  fois,  malgré 
une  certaine  tension  douloureuse  qui  persistait  quelques  heures  dans  le 
membre  inférieur  injecté,  une  force  plus  grande  dans  ce  membre,  un 
remontement  général  assez  sensible,  et  surtout  une  augmentation  notable 
d'appétit,  coïncidant  avec  de  la  diminution  de  la  toux.  Mon  confrère  et 
client  me  déclara  être  convaincu  des  bons  effets  et  de  Futilité  de  ces  in- 
jections de  liquides  testiculaires  combinées  avec  la  cure  de  Cauterets,  et  il 
s'est  promis  d'en  user  de  nouveau,  à  l'occasion. 

Mon  dernier  malade  a  servi  à  me  prouver  l'innocuité  de  ces  injections, 
même  répétées  et  massives:  c'était  un  paralytique,  trahiant  la  jambe  droite 
depuis  quatre  ans,  et  cà  qui  je  fis  seize  injections  de  liquide  Ferran,  allant 
progressivement,  entre  le  18  août  et  le  7  septembre,  de  ^So  à  o  centi- 
mètres cubes,  sans  inconvénient  aucun,  mais  sans  autre  avantage  qu'une 
légère  augmentation  du  mouvement  dans  les  orteils  et  la  jambe  paralysée. 


V 


En  résumé,  je  crois  pouvoir  conclure  que  si  les  eaux  de  Cauterets  sont,  à 
juste  raison,  réputées,  depuis  des  siècles,  comme  excellentes  dans  la  cure 
de  la  phtisie,  si  elles  n'ont  pas  à  craindre  sous  ce  rapport  la  comparaison 
avec  leurs  similaires  des  Pyrénées  ou  leurs  émules  d'Auvergne,  —  d  est 
permis,  il  est  bon  même,  en  vue  d'une  amélioration  plus  considérable  ou 
d'une  guérison  plus  rapide,  que  le  malade  est  en  droit  d'attendre  toujours 
de  son  médecin,  il  est  bon  d'aider  et  de  compléter  l'effet  de  ces  eaux  par 
des  moyens  formant  de  puissants  auxiliaires,  tels,  par  exemple,  que  la 
•cautérisation  ponctuée  et  les  injections  de  liquides  organiques.  J'en  dirai 
autant  au  sujet  de  la  cure  climatérique  de  Pau,  pendant  laquelle  on  utili- 
serait ces  divers  moyens,  avec  plus  de  succès,  je  crois,  que  n'en  a  eu, 
l'hiver  dernier,  la  tubcrculine  de  Koch. 


698  SCIENCES   MÉDICALES 


M.  Y.  CÏÏALOT 

Professeur  de  clinique  chirurgicale  à  la  Faculté  de  Toulouse. 


TRAITEMENT  DE  L'ÉPILEPSIE  ESSENTIELLE  (GRAND  MAL) 
PAR  LA  LIGATURE  DES  DEUX  ARTÈRES  VERTÉBRALES  ET  PAR  LA  LIGATURE  INCOMPLÈTE 

DES  DEUX  CAROTIDES  PRIMITIVES 


—  Séance  du  16  septembre  1892  — 

Le  traitement  de  l'épilepsie  essentielle  commune,  c'est-à-dire  convul- 
sive,  par  la  ligature  de  l'artère  vertébrale  n'est  pas  nouveau  :  c'est  Alexan- 
der  (de  Liverpoolj  qui  l'a  employé  le  premier,  dès  1881,  sur  la  proposition 
de  Hughlings  Jackson  et  d'autres  chirurgiens.  D.  Spanton,  Sydney  Jones, 
Bernays,  V.  Baracz,  Heiberg,  Kïimmel,  ont  plus  tard  suivi  son  exemple, 
La  ligature  de  la  carotide  a  été  faite  elle-même  une  trentaine  de  fois  dans 
le  même  but  que  celle  de  la  vertébrale  par  Mac-Clellan,  Preston,  Hamil- 
ton,  etc.  Mais  ni  l'une  ni  l'autre  opération  n'a  donné  des  résultats  théra- 
peutiques satisfaisants.  Alexander  a  définitivement  abandonné  depuis 
plusieurs  années  la  ligature  de  la  vertébrale,  ainsi  qu'il  a  bien  voulu  m'en 
informer  le  29  août  dernier,  à  cause,  m'écrivait-il,  de  l'incertitude  et 
de  la  nature  temporaire  de  son  action.  La  ligature  de  la  carotide,  d'autre 
part,  n'est  plus  mentionnée  depuis  longtemps  qu'à  titre  purement  historique 
dans  nos  ouvrages  contemporains. 

En  somme  donc,  on  constate  que  personne  ne  songe  plus  à  tenter  la 
cure  de  l'épilepsie  en  réduisant  la  circulation  des  quatre  troncs  artériels 
qui  nourrissent  l'encéphale.  La  chirurgie  s'est  orientée  naguère  vers  des 
voies  nouvelles.  Ainsi,  d'accord  avec  la  théorie  cérébro-corticale,  qui  place 
surtout  dans  l'aire  motrice  le  siège  initial  de  l'épilepsie  vulgaire  comme 
celui  des  autres  épilepsies,  Benedikt  et  V.  Mosetig-Moorhof  (de  Vienne)  ont 
enlevé  chez  quatre  ôpileptiques  la  partie  de  l'écorce  cérébrale  qui  présidait 
aux  premières  convulsions  de  l'attaque.  Alexander,  s'inspirant  d'une  autre 
manière  de  voir,  imité  encore  par  Ktimmel,  a  extirpé  le  ganglion  cer- 
vical supérieur  du  grand  sympathique  de  chaque  côté  sur  vingt-quatre 
individus,  et  il  aurait  obtenu  six  guérisons.  Un  autre  confrère,  R.  Jacksch, 
a  proposé  de  réséquer  le  cordon  sympathique  au-dessus  du  ganglion  cer- 
vical inférieur  avant  de  lier  en  masse  l'artère  et  la  veine  vertébrales.  La 


V.    CHALOT.    TRAITEMENT    DE    l'ÉPILEPSIE    ESSENTIELLE  699 

thérapeutique  gagnera-t-ello  ou  non  quelque  chose  de  durable  à  ces  opé- 
rations ?  L'avenir  nous  le  dira. 

En  ce  qui  me  concerne,  devant  les  faits  actuellement  connus,  je  fais 
volontiers  une  large  part  à  la  théorie  cérébrale  dans  la  palhogénie  de 
l'épilepsie  idiopathique  et  des  attaques  épileptiques;  je  pense  qu'il  faut  aussi 
tenir  encore  grand  compte  du  rôle  du  mésocéphale  et  surtout  du  bulbe, 
centre  vaso-moteur,  centre  sans  lequel  les  convulsions  générales  et  symé- 
triques sont  impossibles,  ainsi  que  l'a  démontré,  il  y  a  longtemps,  l'expéri- 
mentation physiologique.  Le  premier  et  jusqu'à  présent  seul  en  France,  j'ai 
donc  repris  l'opération  primitive  d'Alexander  qui  a  pour  but  d'hypémier 
le  bulbe  et,  par  conséquent,  de  prévenir  ou  de  réduire  au  minimum  sa 
congestion  active  chez  les  épileptiques,  d'annihiler  ou  d'abaisser  son 
hyperexcitabilité  pathologique.  Mais  je  l'ai  d'abord  modifiée  en  ce  sens 
que  j'ai  toujours  fait  systématiquement  la  ligature  des  deux  artères  verté- 
brales, dans  une  seule  séance,  une  fois  seulement  à  intervalle  de  trois 
jours.  La  ligature  d'une  seule  artère  ne  peut  avoir  qu'un  effet  passager, 
sa  circulation  se  rétablissant  presque  aussitôt  par  les  artères  spinales,  par 
l'autre  vertébrale,  par  l'hexagone  de  Willis  ;  le  résultat  est  le  même  quand 
les  ligatures  des  deux  vaisseaux  sont  pratiquées  à  de  trop  longs  intervalles. 

Ces  deux  dernières  considérations  m'ont  même  conduit  à  une  deuxième 
phase  d'expérimentation  clinique,  c'est-à-dire  à  la  ligature  complémentaire 
et  incomplète  des  deux  carotides  primitives  :  addition  qui  transforme  l'opé- 
ration d'Alexander  et  lui  donne  un  caractère  tout  nouveau.  En  réduisant 
de  moitié,  par  exemple,  le  calibre  des  deux  carotides,  non  seulement  on 
diminue  beaucoup  la  pression  et  ra/jJux  du  sang  dans  l'écorce  cérébrale, 
ce  qui  me  paraît  très  important,  mais  on  restreint  et  ralentit  le  rétablis- 
sement de  la  circulation  dans  les  deux  artères  vertébrales  déjà  liées,  et 
l'on  maintient  mieux  l'anémie  relative  du  mésocéphale,  ainsi  que  sa 
moindre  pression  artérielle  :  le  mésocéphale  en  devient  moins  excitable, 
moins  apte  soit  à  provoquer  directement,  soit  à  traduire  l'attaque  épilep- 
tique.  Mes  deux  dernières  opérations  sont  nées  du  raisonnement  que  je 
viens  d'exposer. 

Je  n'ai  pas  le  temps  de  donner  ici  en  détail  mon  manuel  opératoire  qui 
peut  également  servir  pour  le  traitement  de  certains  anévrysines  cervicaux 
et  thoraciques  et  autres  lésions,  je  le  ferai  ailleurs.  Je  me  contenterai  de 
dire  que  je  fais  aujourd'hui  de  préférence  l'incision  entre  les  deux  faisceaux 
du  muscle  sterno-cléido-mastoïdien,  et  que  mes  points  de  repère  essen- 
tiels pour  la  ligature  de  la  vertébrale  sont  : 

1°  Le  relief  arrondi  du  muscle  scalène  antérieur  ; 

2°  Le  tubercule  carotidien  de  Chassaignac  ; 

3"  La  gouttière  angulaire,  reconuaissable  au  doigt,  formée  par  le  sca- 
lène antérieur  et  le  long  du  cou  avant  leur  insertion  commune  au  tubor- 


700  SCIENCES   MÉDICALES 

cule  de  Chassaignac  ;  l'artère  vertébrale  gît  a*u  fond  de  cette  gouttière  et 
un  peu  en  avant  contre  le  plan  osseux  vertébral  ;  une  seule  veine  ordinai- 
rewent  à  sa  face  externe  ; 

4°  Donc,  cette  même  veine,  dès  qu'on  a  déchiré  la  lame  aponévrotique  qui 
voile  la  gouttière  ; 

5°  Souvent  Vanse  formée  par  V artère  thyroïdienne  inférieure  et  la  veine 
satellite.  Celte  anse  forme  avec  les  deux  côtés  de  la  susdite  gouttière  un 
triangle,  que  je  nomme  triangle  vertébral  devant  mes  élèves,  et  dans 
lequel  on  est  également  sûr  de  trouver  l'artère  vertébrale,  sans  risquer  de 
se  perdre  vers  le  bas  du  cou.  Le  chargement  de  l'artère  vertébrale  est 
impossible  avec  les  aiguilles  ordinaires;  il  faut  une  aiguille  à  courbure 
très  étroite,  comme  celles  que  j'ai  l'honneur  de  vous  présenter  et  que  j'ai 
fait  faire  à  Toulouse. 

Je  lie  à  moitié  avec  du  gros  catgut  l'artère  carotide  correspondante,  en 
profitant  de  l'incision  déjà  faite  pour  la  vertébrale;  on  n'a  ainsi  qu'une 
cicatrice.  Les  vaisseaux  homologues  sont  liés  de  même  huit  ou  quinze 
jours  après. 

Ma  première  opération  a  été  faite  dans  mon  service  à  l'Hôtel-Dieu  de 
Toulouse,  le  o  juillet  1892.  Le  nombre  de  mes  opérés  est  de  six  jusqu'à 
ce  jour;  chez  les  quatre  premiers  (âgés  de  trente-huit  ans,  de  neuf  ans, 
de  huit  ans,  de  treize  ans),  j'ai  lié  seulement  les  deux  vertébrales  ;  chez 
les  deux  derniers  (âgés  de  vingt-six  et  vingt-quatre  ans),  j'ai  lié  en  outre  à 
moitié  les  deux  carotides  primitives. 

Les  suites  opératoires  ont  été  excellentes  chez  tous,  sauf  dans  mon 
•deuxième  cas  qui  s'est  terminé  par  la  mort,  le  quatrième  jour,  au  milieu 
de  phénomènes  méningitiques  avec  une  température  de  43  degrés;  une 
hémorragie  veineuse  grave  survenue  au  fond  de  la  plaie  pendant  le  char- 
gement de  l'artère  vertébrale  m'avait  obligé  à  précipiter  et  à  lier  vite  au 
jugé  les  vaisseaux  vertébraux  et  thyroïdiens  inférieurs,  et,  à  l'autopsie, 
j'ai  constaté  que  le  cordon  du  grand  sympathique  était  serré  dans  une  li- 
gature. Alexandera  perdu  trois  opérés  sur  trente -six:  hémorragie,  embolie, 
pleurite. 

Quant  aux  résultats  thérapeutiques,  je  tiens  à  avouer  qu'il  ne  m'est  pas 
encore  possible  de  donner  à  leur  sujet  des  renseignements  complets  et 
définitifs,  l'épreuve  du  temps  n'est  pas  suffisante.  Tout  ce  que  je  puis 
dire,  c'est  que  l'opération  n'a  aggravé  l'état  antérieur  d'aucun  malade  et 
qu'il  m'a  paru  y  avoir  une  amélioration  sensible  chez  plusieurs  pour  le 
nombre,  pour  l'intensité  et  la  forme  des  attaques,  de  même  que  pour  le 
développement  de  l'intelligence. 


TACHARD.  —  TRAITEMENT    DE    LA   PLEURÉSIE    SÉREUSE    PAR    LE    SIPHON      TOI 


M.  TACHAED 

Médecin  principal  de  deuxième  classe,  à  Moutaubao. 


TRAITEMENT  DE  LA  PLEURÉSIE  SÉREUSE   PAR  LE  SIPHON 


—  Séance  du  46  septembre  189i  — 

Le  traitement  de  la  pleurésie  séreuse  est  toujours  l'objet  de  discussions. 
La  consultation  publiée  par  M.  Baudouin,  dans  la  Semaine  médicale  du 
22  janvier  1892,  en  est  la  preuve.  Une  thèse  toute  récente  de  M.  Decourt, 
ayant  pour  litre:  />a  Thoracentèse  par  le  siphon,  me  détermine  à  démontrer 
que  M.  Decourt  et  M.  Duguet,  son  maître,  ont  été  devancés  par  moi,  il  y 
a  déj-i  longtemps,  dans  cette  voie. 

J'ai  publié,  en  effet,  ma  première  Note  sur  l'emploi  du  siphon  dans 
la  pleurésie  à  la  page  608  du  Recueil  des  Mémoires  de  médecine  et  de  chi- 
rurgie militaires  de  l'année  1874. 

Jusqu'à  cette  époque,  les  seules  applications  médicales  du  siphon,  en 
France  au  moins,  se  bornaient  à  celles  de  M.  Gripat  dans  le  traitement 
des  fistules  ur  in  aires. 

Si  je  reviens  sur  ce  sujet,  c'est  parce  que  l'application  du  siphon  au 
traitement  de  la  pleurésie  me  conduisit  à  formuler  quelques  règles,  qui 
n'avaient  guère  cours  alors,  et  qui  paraissent  réunir  aujourd'hui  les 
meilleurs  suffrages. 

Pour  démontrer  ce  que  j'avance,  il  n'y  a  qu'à  exposer,  en  suivant 
l'ordre  chronologique,  les  doctrines  défendues  à  l'Académie  ou  à  la  So- 
ciété médicale  des  Hôpitaux;  à  indiquer  les  perfectionnements  de  l'appareil 
instrumental  et  à  faire  ressortir  que,  sous  cette  double  influence,  la  tech- 
nique opératoire  est  devenue  rationnelle  et  clinique. 

Étant  démontré  qu'il  n'est  pas  avantageux  pour  le  poumon  de  rester 
longtemps  sous  pression,  la  thoracentèse  n'a  pas  besoin  d  être  défendue, 
elle  n'est  plus  en  question  aujourd'hui  ;  mais  il  n'est  pas  sans  intérêt  de 
suivre  le  chemin  parcouru  depuis  vingt-cinq  ans. 

Je  prendrai  donc  pour  point  de  départ  de  cette  étude  la  discussion 
de  1868,  dans  laquelle  Blachez  préconise  son  trocart  capillaire.  Avec  ce 
trocart,  l'évacuation  totale  de  l'épanchement  se  faisait  très  lentement  et 
le  poumon  pouvait  s'adapter  à  sa  nouvelle  situation  ;  dès  les  premières 
quintes  de  toux,  Blachez  terminait  l'opération. 


702  SCIENCES   MÉDICALES 

Hérard  déclara  qu'il  ne  trouvait  aucun  avantage  à  cet  écoulement  lent. 

Moutard-Martin  se  fit  le  défenseur  de  la  ponction  hâtive,  afin  d'éviter 
la  formation  d'une  coque  résistante,  empêchant  le  retour  du  poumon  à 
l'état  normal. 

Cette  discussion  peut  se  résumer  sous  la  forme  de  deux  propositions  : 

1°  Lenteur  de  l'écoulement  ; 

2°  Nécessité  de  la  ponction  hâtive. 

En  1869,  Dieulafoy  entre  en  scène.  Il  suffit  de  signaler  ses  remarquables 
travaux  qui  vulgarisèrent  immédiatement  l'aspiration  pneumatique. 

En  1872,  on  présente  de  tous  côtés  des  appareils  à  vide  préalable,  des- 
tinés à  opérer  le  plus  rapidement  possible. 

La  question  revient  à  l'ordre  du  jour  de  la  Société  médicale  des  Hôpi- 
taux, et  Potain,  qui  a  pris  une  part  si  active  à  toutes  les  discussions  sur 
la  pleurésie  et  la  thoracentèse,  préconise  l'emploi  des  trocarts  capillaires 
pour  réduire  le  traumatisme  au  minimum,  afin  de  pouvoir  répéter  la 
ponction  à  court  intervalle. 

Ceci,  dit-il,  «  me  paraît  devoir  être  tout  particuUèrement  utile  dans  les 
cas  d'épanchement  très  abondant  et  un  peu  ancien,  et  très  propre  à 
écarter  le  danger  de  la  syncope  ou  celui  des  congestions  pulmonaires  ». 

Décrivant  son  aspirateur  fonctionnant  avec  une  pompe  à  ventouse,  il 
dit  :  «  Cet  instrument.  Messieurs,  j'ai  cru  naïvement  l'avoir  inventé  »  ; 
mais  il  a  appris  après  coup  que  certaines  de  ses  dispositions  étaient 
de  pratique  courante  en  Angleterre  et  en  Amérique. 

C'est  à  la  séance  du  14  juin  que  Brouardel  défendit  la  thoracentèse 
hâtive,  en  se  basant  sur  les  indications  tirées  de  l'état  de  la  plèvre  et  du 
poumon.  «  Il  faut,  dit-il,  vider  la  plèvre  alors  que  le  poumon  peut 
reprendre  son  volume  normal»;  car,  au  bout  de  deux  ou  trois  semaines, 
le  poumon  est  enveloppé  d'une  véritable  carapace  cicatricielle  qui  s'oppose 
à  sa  dilatation.  Il  se  produit  une  pneumonie  interstitielle  et  un  épaississe- 
ment  de  la  plèvre  pariétale. 

Le  12  juillet.  Chauffard  accuse  la  thoracentèse  de  transformer  des 
épanchements  séreux  en  épanchements  purulents;  Bourdon  se  rangea 
cette  opinion,  que  combat  Moutard-Martin,  attribuant  cet  accident  au 
mauvais  entretien  des  instruments  employés. 

De  cette  discussion  ressortent  deux  nouvelles  propositions  : 

1*^  Nécessité  des  ponctions  multiples  ; 

2°  Reproduction  du  liquide  après  les  ponctions  tardives  par  suite  de 
l'épaississement  de  la  plèvre. 

En  1873,  la  Société  médicale  des  Hôpitaux  rouvre  encore  la  discussion, 
à  propos  des  causes  de  l'expectoration  dite  albumineuse.  L'étude  de  son 
mécanisme  et  la  gravité  de  cet  accident  conduisent,  contrairement  à  l'opi- 
nion de  Béhier,  à  cette  conclusien,  qu'il  ne  faut  pas  extraire  rapidement 


TACHARD.  —    TRAITEMENT   DE   LA    PLEURÉSIE   SÉREUSE  PAR    LE    SIPHON      703 

et  en  une  seule  séance  un  épanchement  considérable  comprimant  depuis 
longtemps  le  poumon. 

En  1874,  dans  ses  leçons  cliniques,  Bucquoy  se  fait  le  défenseur  de  la 
ponction  capillaire  avec  aspiration.  Pour  lui,  cette  opération  doit  être 
hâtive  pour  être  réellement  curalive  ;  et  si  l'épancliement  se  reproduit, 
rien  n'empêche  «  de  revenir  à  l'opération  aussi  souvent  qu'il  sera  néces- 
saire » . 

Tel  était,  trop  brièvement  résumé,  l'état  de  la  question  de  la  thoracentèse 
dans  le  traitement  de  la  pleurésie  séreuse,  lorsque,  le  26  juillet  1874, 
entra  dans  mon  service  un  militaire  atteint  depuis  dix  jours  de  pleurésie 
séreuse.  Le  31  juillet,  ne  possédant  aucun  aspirateur,  je  lui  pratiquai 
avec  le  trocart  de  Reybard  une  thoracentèse  qui  évacua  loOO  grammes 
de  sérosité.  Le  jour  même,  je  conçus  l'idée  de  construire  un  siphon  et 
le  4  août,  muni  de  cet  appareil,  je  pratiquai  une  seconde  ponction  ;  après 
une  quatrième  ponction  avec  le  siphon,  le  malade  était  rétabli. 

Cet  emploi  du  siphon  m'ayant  paru  pratique,  j'adressai  au  Conseil  de 
santé  des  armées  une  première  Note  qui  fut  publiée  dans  le  numéro 
de  novembre  (1874)  du  Recueil  des  Mémoires  de  médecine  et  de  chirurgie 
militaires.  Un  dessin  représentant  l'extrémité  d'une  aiguille  creuse  montée 
sur  un  tube  en  caoutchouc  et  plongeant  dans  la  cavité  pleurale,  ne  laisse 
aucun  doute  sur  l'application  que  je  faisais  du  siphon. 

Le  siphon  à  branche  unique  ayant  l'inconvénient  de  ne  pas  permettre 
le  lavage  de  la  plèvre,  je  fis  construire  par  Galante  l'aspirateur  hydrau- 
lique que  je  présentai  au  mois  de  janvier  187o  à  la  Société  de  Chirurgie  et 
que  je  fus  autorisé  par  Béhier  à  appliquer  dans  son  service  à  l'Hôtel-Dieu. 

Béhier  reprocha  à  cet  aspirateur  ce  qui  me  semblait  son  principal 
avantage,  d'évacuer  trop  lentement  les  liquides  épanchés. 

Résumant  mes  opinions  dans  un  Mémoire  lu  à  la  Société  de  Médecine 
de  Toulouse  et  publié  in  extenso  dans  la  Revue  de  cette  Société  (187o-76), 
je  préconisai  les  ponctions  primitives  et  multiples  pour  permettre  la 
dilatation  graduelle  du  poumon  ;  j'aflîrmai  qu'avec  une  aiguille  d'une  pro- 
preté absolue  on  ne  change  pas  la  qualité  du  liquide  renfermé  dans  la 
plèvre,  qu'il  ne  faut  évacuer  que  le  trop-plein  avec  lenteur.  Je  résumais 
dans  cette  formule  les  règles  de  la  thoracentèse  :  Pratiquer  des  jionctiotis 
primitives,  successives  et  lentement  évacuatrices. 

En  1874.  personne  ne  revendiqua  la  paternité  du  siphon  ou  de  l'aspira- 
teur hydraulique  qui  manquait  de  prestige. 

Revenant  à  la  revue  de  la  presse,  nous  trouvons,  en  1877,  Gueneau  de 
Mussy  conseiller  de  faire  plusieurs  ponctions  successives  pour  éviter  la 
sécrétion  albumineuse. 

La  même  année,  au  Congrès  du  Havre,  Potain  conseille  l'emploi  du  ma- 
nomètre pour  juger  de  la  tension  du  liquide  épanché.  Plus  tard,  en  1880, 


704  SCIENCES   MÉDICALES 

dans  ses  leçons  cliniques  (v.  Ga^.  Hop.,  p.  988),  il  dit  qu'il  essaya  d'adap- 
ter à  la  canule  un  siphon  avec  un  tube  en  caoutchouc,  très  long,  des- 
cendant jusqu'à  terre. 

C'est  la  première  fois,  en  1880,  que  je  trouve  cette  mention  du  siphon 
adapté  à  une  canule.  Je  n'accuserai  pas  M.  Potain  de  plagiat;  il  a  eu 
l'idée  du  siphon  tout  simplement;  le  moyen  était  simple  et  pratique,  et 
ie  ne  présume  pas  qu'il  ait  le  loisir  de  lire  la  Revue  médicale  de  Toulouse^ 

Arrivant  aux  conclusions  de  la  Clinique  (p.  1084),  il  dit  :  «  il  faut 
éviter  d'extraire  le  liquide  pleural  par  quantités  trop  considérables  à  la 
fois  sans  nouvoir  cependant  fixer  des  limites  absolues.  i> 

La  quantité  de  liquide  épanchée  étant  très  difficile  à  déterminer,  dans 
mon  Mémoire  de  1875  j'adoptai  une  formule  vague,  évacuer  le  ti-op-plein, 
c'est-à-dire  arrêter  l'écoulement  lorsque  la  pression  iiitra-pleurale  devient 
néo^ative,  ce  que  l'on  reconnaît  sans  manomètre  avec  l'aspirateur  hydrau- 
lique, quand,  élevant  l'orifice  intérieur  du  siphon  à  la  hauteur  de  la 
plèvre  perforée,  le  liquide  cesse  de  couler. 

Nous  ne  pouvons  ici  pousser  plus  loin  l'analyse  des  documents  fran- 
çais et  citer,  comme  ils  le  mériteraient,  les  travaux  de  Terrillon,  Peyrot, 
Grancher,  Relsch,  Vaillard,  etc.,  etc.,  qui  ont  si  bien  fait  la  lumière  sur 
cotte  question  et  qui  sont  connus  de  tous  ;  mais  avant  de  finir  il  n'est  pas 
sans  intérêt  de  résumer  l'opinion  des  Allemands. 

En  1886,  le  Congrès  de  médecine  interne,  tenu  à  Wiesbaden,  mit  à 
l'ordre  du  jour  le  traitement  de  la  pleurésie  séreuse. 

Frœntzel  ne  veut  de  la  ponction  qu'à  la  fin  de  la  deuxième  semaine,  pas 
plus  tard;  il  recommande  de  ne  faire  écouler  lentement  que  1300  grammes- 

de  sérosité. 

Friedler  ne  se  sert  plus  de  pompes  à  aspiration;  la  méthode  extrême- 
ment simple  d'aspirer  le  hquide  par  abaissement  d'un  tube  élastique  lui 
donne  de  bons  résultats,  et  lui  permet  d'évacuer,  en  une  fois,  deux  à 
trois  litres  de  sérosité. 

Heusner  ne  se  sert  même  plus  du  long  tube  de  Weber;  celui  dont  il  se 
sert  n'a  jamais  plus  de  60  centimètres. 

Voilà,  à  vrai  dire,  un  perfectionnement  capital,  et  comme  nos  lits  d'hô- 
pitaux n'ont  guère  plus  de  80  centimètres  de  hauteur,  je  suis  heureux 
d'avoir  presque  fait  du  Heusner  en  l'874.  Von  Heuss  fait  valoir  un  droit 
de  priorité  sur  l'appareil  Weber,  qu'il  a  déjà  décrit  en  1873.  J'en  sui& 
convaincu,  mais  je  ne  connaissais  alors  ni  M.  Heuss  ni  ses  travaux. 

Il  y  a  si  peu  à  glaner  à  l'étranger,  que  de  préférence  je  reviens  à  la 
presse  française.  ' 

Dans  ses  leçons  cliniques  à  la  Pitié  (1887),  Jaccoud  pose  les  indications 
de  la  thoracentèse  suivant  qu'elle  siège  à  gauche  ou  à  droite  :  «  Ne  videz 
jamais  entièrement  la  cavité  pleurale...  il  ne  faut  pas   faire  écouler   le 


TACHAUb.    —   TRAITEMEiNT    DE   LA    PLEURÉSIE   SÉREUSE    PAR    LE    SIPHON      703 

liquide  trop  vite  »  ;  en  n'oulîliant  pas  ces  précautions,  la  ponction  est  une 
opération  absolument  innocente. 

La  discussion  qui  a  eu  lieu  cette  année  même,  à  l'Académie,  est  telle- 
ment récente  qu'il  n'y  a  qu'à  relater  à  grands  traits  les  principales  opi- 
nions émises. 

Tandis  que  Hardy  ne  veut  guère  de  la  ponction  qu'à  la  dernière  extré- 
mité, Dieulafoy,  s'élevant  contre  l'assertion  de  Verneuil,  déclare  que  la 
pleurésie  n'est  pas  une  maladie  cyclique;  que  les  accidents  consécutifs  à 
la  thoracentèse  sont  dus  à  ce  qu'on  a  retiré  rapidement  et  en  une  seule 
séance  une  trop  grande  quantité  de  liquide.  Il  fixe  à  un  litre  la  quantité  à 
évacuer  ainsi  qu'il  l'avait  déjà  avancé  dans  son  article  du  Dictionnaire  de 
Jaccoud. 

Peter,  qui  est  pour  la  méthode  antiplilogistique  dès  le  début,  ne  ponc- 
tionne jamais  avant  le  vingt-unième  jour,  en  une  seule  fois  et  lentement. 

Potain  termine  cette  discussion  en  affirmant  l'utilité  et  l'innocuité  rela- 
tive de  la  thoracentèse,  qui  reste,  comme  toute  application  thérapeutique, 
affaire  d'indication  et  d'opportunité. 

Arrivé  au  terme  de  cette  étude  analytique,  que  j'ai  du  écourter  très  à 
regret,  il  est  temps  de  conclure  : 

C'est,  moins  pour  revendiquer  un  droit  de  priorité  dans  l'emploi  du 
siphon,  que  pour  affirmer  de  nouveau  l'importance  pratique  des  conclu- 
sions thérapeutiques  auxquelles  m'avait  conduit  le  siphon  en  1874,  que 
j'ai  cru  utile  de  grouper  quelques  unes  des  opinions  principales  émises 
dans  les  académies  et  dans  la  presse. 

Mon  expérience  et  l'étude  de  ces  documents  m'ont  confirmé  pleinement 
■dans  l'opinion  rationnelle  et  physiologique  que  j'avais  défendue  en  187o 
à  la  Société  de  Médecine  de  Toulouse  et  que  je  résumerai  ainsi  : 

1°  La  thoracentèse  aseptique  est  curative  et  sans  danger  ; 

2°  Elle  doit  être  primitive,  c'est-à-dire  hâtive,  avant  l'organisation  de 
l 'exsudât; 

3''  Elle  ne  doit  viser  qu'à  retirer  le  trop-plein,  en  faisant  cesser  toute 
tension  positive  intra-pleurale  ; 

4°  Il  faut  préférer  les  ponctions  multiples  et  successives  à  celles  qui 
vident  d'un  coup  tout  le  sac  pleural; 

o''  Il  y  a  lieu  d'opérer  toujours  avec  lenteur  pour  ne  pas  changer  brus- 
quement l'état  du  poumon  ; 

6'^  Pour  ce  qui  est  de  la  technique,  elle  est  facilitée  par  l'emploi  d'un 
siphon  quelconque,  opérant  avec  lenteur  et  régularité  le  transvasement  de 
l'exsudat,  ainsi  (^ue  je  l'ai  prouve  d'après  des  faits  cliniques,  dont  le  pre- 
mier en  date  est  du  mois  d'août  1874. 


45* 


106  SCIENCES   MÉDICALES 


M.  Félix  EE&NAÏÏLT 

à  Paris. 


MARIAGES  CONSANGUINS  —  DIFFERENTES  MANIERES  DE  LES   ENVISAGER  —EN  QUELS 

CAS  ON  DOIT  LES  ÉVITER 


—  Séance  du  i7  septembre  i892  — 

La  consanguinité  peut  être  entendue  de  diverses  manières  : 

1°  D'abord  deux  parents  proches  qui  se  marient; 

2°  En  second  lieu,  si  dans  une  commune  les  habitants  se  marient  tou- 
jours entre  eux,  même  en  évitant  les  mariages  entre  cousins,  je  crois  qu'en 
ce  cas  on  peut  dire  encore  qu'ils  sont  consanguins  ; 

3°  Enfin,  si  l'on  se  marie  toujours  dans  la  même  caste,  bien  qu'évitant 
tout  mariage  entre  parents  proches,  c'est  un  troisième  genre  de  consan- 
guinité. 

Sans  rechercher  ici  quels  sont  les  effets  de  la  consanguinité,  il  m'a 
semblé  que,  en  général,  plus  les  habitants  d'une  localité  se  mariaient 
enire  eux,  plus  ils  évitaient  les  mariages  entre  proches,  et,  d'autre  part, 
plus  ils  allaient  chercher  femme  au  loin,  moins  ils  se  souciaient  de  cette 
consanguinité.  Ainsi  j'ai  montré  qu'aux  Indes  les  habitants  se  mariaient 
hors  de  leur  village,  allaient  prendre  femme  au  loin  (voir  Bulletin  de  la 
Société  d'Anthropologie,  juillet  1891),  mais  se  mariaient  toujours  dans 
leur  caste,  ce  qui  amène  un  certain  degré  de  consanguinité. 

11  me  restait  à  faire  la  contre-partie  de  ce  travail,  c'est-à-dire  à 
rechercher  dans  quelles  proportions,  en  France,  le  villageois  se  marie 
dans  son  village.  En  effet,  chez  nous,  les  lois  contre  la  consanguinité 
sont  et  surtout  ont  été  rigoureuses. 

Il  me  fallait  donc  dépouiller  les  registres  d'une  mairie  de  village  ;  faire 
ceci  en  plusieurs  points  différents  du  territoire  pour  voir  si  les  résultats 
concordaient,  car  on  ne  doit  pas  généraliser  sur  un  seul  cas,  qui  peut  être 
influencé  par  des  causes  purement  locales.  Enfin,  autant  que  possible, 
prendre  des  séries  à  des  époques  diverses  des  xvni*^  et  xix^  siècles  pour 
VÉRIFIER  si,  à  mesure  qu'on  abandonnait  les  lois  contre  la  consanguinité, 
les  mariages  entre  habitants  de  localités  différentes  devenaient  plus  fré- 
quents. 


F.    REGNAULT.    —    MARIAGES   CONSANGUINS  TOT 

Ayant  eu  l'occasion  d'aller  en  Nonnandie  et  en  Savoie,  j'ai  fait  ces 
relevés,  d'une  part,  à  Offranville,  canton  du  pays  de  Caux,  et  au  Pollet, 
quartier  bien  connu  de  Dieppe  ;  et,  d'autre  part,  à  Aix-les-Bains.  Mon  ami 
iM.  Lajard,  ayant  de  plus  eu  l'obligeance  de  consulter  les  registres  de  la 
paroisse  de  Saint-Agricol,  à  Avignon,  nous  avons  ainsi  pu  réunir  un 
certain  nombre  de  documents  que  nous  comparerons  à  ceux  déjà  obtenus 
à  Pondichéry  et  à  Chandernagor,  aux  Indes. 


NOM 

DE     LA    C  0  a  M  l'  X  E 

ANNÉES 

NOMBBE 

M  A  m  ai;  Es 

NOMBRE 

DES    MARIAGES 

OÙ  les  deux  coiijoinls 

habitaiciil 

la  même  commune 

NOMBBE 

DES      CONJOINTS 

habitant 

au  moment  du  mariage 

la  commune  où 

ils  sont  nés 

\   1T3")  à   1750 
OFFRANVILLE 

(   1801  à   ISIO 
(Arrondis'  de  Dieppe. y   ) 

/   1873  à   1883 

ir,i 

125 

130 

122  ou  75,7  % 
82  ou  65,6  o/o 
71  ou  54,6  % 

p 
166  ou  66,4  O/o  (ij 
163  ou  62,6  O/o  (2; 

LE  PULLET           \   1845  et  1847 
(Quartier  de  Dieppe.)   )         1885 

72 
30 

64  ou  88,8  0/0  (■') 
24  ou  80  O/o  {■•} 

?  (•■•) 

AIX-LES-BAINS        \  1797  et  1799 
(Savoie)              )l875-7(jel  1880 

13i 

79 

95  ou  71  % 
40  ou  50,7  O/o 

204  ou  76,2  O/o  (6) 
97  ou  61,4  O/o  (T) 

\   1701  et  170() 
AVIGNON 

(          1721 
(ParoisscdeSt-AgricoI.)l 

y  1778  et  1779 

55 

24 
61 

45  ou  95,7  0^  (H) 
14  ou  87,5  O/o  (9) 
42  ou  80,7  O/o  (i«; 

i7  ou  94  O/o 
10  ou  40  O/o 
6C  ou  58,4  O/o 

VEDÈNES  (Vaucluse). 

1755  à  1770 

99 

67  ou  71,3  O/o  (II) 

153  ou  80,5  O/o 

(1)  Dans  un  seul  mafiage  les  coiijoiiils  ont  même  uom. 

(2)  Les  conjoints  sont  de  même  num  clans  trois- mariages.  Les  noms  sont,  du  reste,  très  variés. 

(3)  Dont  neuf  seulement  entre  le  Pollet  et  Dieppe  ;  tous  les  autres  entre  PoUetais. 

(4)  Dont  six  entre  Polletais  et  Dieppois. 

(5)  Le  lieu  de  naissance  n'est  pas  mentionné  sur  le  registre  de  l'église. 

(6)  Les  conjoints  ont  même  nom  dans  six  mariages. 

(7)  Synonymie  dans  aucun  mariage. 

(8)  Huit  mariages  sont  sans  mention  d'habitation  et  soi.xante-dix  conjoints  sans  mention  de  lieu 
de  naissance. 

(9)  Huit  mariages  sont  sans  mention  d'habitation  et  vingt-trois  conjoints  sans   mention  de   lieu 
de  naissance. 

(10)  Neuf  mariages  sont  sans   mention  d'habitation  et  seize  conjoints  sans  mention   de    lieu  de 
naissance. 

(H)  Cinq  mariages  sont  sans  mention  d'habitation   et  huit  conjoints  sans  mention  de  lieu  de 
naissance. 


708  SCIENCES   MEDICALES 

Examinons  chaque  commune  en  particulier. 

I,  —  Offranville  est  une  commune  rurale  sans  industrie,  de  1.634  habi- 
tants. Il  n'y  a  pas  d'étrangers  et  40  habitants  seulement  sont  nés  hors 
de  la  Seine-Inférieure  au  recensement  de  1890.  C'est  donc  une  popu- 
lation très  peu  mélangée,  et,  fait  important,  les  conditions  de  vie  n'y 
ont  guère  changé  depuis  un  siècle.  En  effet,  la  propriété  terrienne  est 
entre  les  mains  de  cinq  grands  propriétaires  qui  l'afferment  à  rentes 
fixes;  il  n'y  a  que  cinq  autres  petites  propriétés. 

Le  mouvement  de  la  natalité  est  plus  fort  que  dans  les  autres  pays 
normands;  il  y  a  beaucoup  de  familles  de  plus  de  trois  enfants. 

Pour  voir  dans  quelles  proportions  le  mélange  s'effectue,  nous  avons 
procédé  à  deux  ordres  de  recherches  : 

1°  Quel  est  le  nombre  de  mariages  où  les  deux  conjoints  habitaient  la 
même  commune? 

2°  Mais  un  des  deux  conjoints  peut  être  venu  du  dehors  et  ne  s'être 
fixé  que  récemment  dans  le  pays.  Il  fallait  donc,  pour  donner  à  cette 
première  partie  toute  sa  valeur,  chercher  le  nombre  de  conjoints  habi- 
tant au  moment  du  mariage  la  commune  où  ils  sont  nés. 

3°  Enfin  un  troisième  point  a  été  de  voir  si  les  noms  des  époux 
étaient  très  variés  et  en  quelles  proportions  il  y  avait  synonymie  dans  les 
noms  des  nouveaux  mariés. 

En  effet,  il  est  bien  difficile  de  connaître  le  nombre  de  mariages  con- 
sanguins dans  une  commune.  Bien  que  le  Ministère  de  l'Intérieur  le 
réclame  pour  ses  statistiques,  aux  mairies,  néanmoins  bien  souvent,  et  en 
particulier  à  Offranville,  le  secrétaire  ne  les  marque  pas  sur  le  registre 
de  la  mairie.  Connaissant  tous  les  habitants,  il  sait  le  nombre  des 
alliances  consanguines,  et  l'envoie  de  mémoire  au  Ministère. 

Sans  entrer  dans  l'examen  de  tous  les  chiffres,  on  voit  par  le  tableau 
comment  la  proportion  de  mariages  entre  conjoints  du  même  village 
a  diminué  depuis  le  dernier  siècle.  Presque  tous  les  mariages  se  font 
entre  conjoints  du  département,  les  grandes  distances  sont  exception- 
nelles. 

Dans  la  période  de  173o  à  1750,  elle  était  de  7o,7  0/0;  de  1801  à  1810, 
elle  est  encore  de  Q5,Q;  de  1873  à  1883,  elle  tombe  à  54,6. 

Quant  au  nombre  de  conjoints  habitant  au  moment  du  mariage  le 
village  où  ils  sont  nés,  je  n'ai  pu  le  prendre  au  siècle  dernier,  le  registre 
étant  tenu  dans  les  paroisses;  les  curés  ne  se  donnaient  généralement 
pas  la  peine  de  spécifier  ce  point,  ils  mettaient  simplement  un  tel  «  de 
cette  paroisse  »  ou,  en  cas  contraire,  «  de  telle  paroisse  ».  Les  registres 
étaient,  du  reste,  bien  ou  mal  tenus  suivant  le  curé,  et  les  formules 
employées  ont  varié  jusqu'en  173o. 

Pour  les  deux  autres  périodes,  on  voit  que  la  proportion  a  peu  varié  : 


F.    REGNAULT.    —   MARIAGES    CONSANGUINS  709 

de  66,4  au  début  du  siècle,  elle  est  encore  de  Q'2,iy;  le  paysan  vit 
encore  sur  le  sol  qui  l'a  vu  naître. 

Pour  le  troisième  point,  les  noms  des  mariés  étaient  très  variés  et, 
comme  partout  du  reste,  il  y  en  avait  peu  où  les  deux  conjoints  fussent 
homonymes  :  un  de  1801  à  1810  sur  cent  vingt-cinq  mariages  et  trois 
de  1873  à,  1883  sur  cent  trente. 

Donc,  à  mesure  que  nous  nous  rapprochons  de  l'époque  actuelle,  les 
mariages  entre  habitants  de  communes  différentes  sont  devenus  plus  fré- 
quents; or,  les  mariages  entre  cousins  et  proches  ont  été  de  plus  en  plus 
facilités,  alors  qu'ils  étaient  prohibés  avant  la  Révolution. 

II.  —  Le  registre  de  paroisse  du  Pollet  fournit  quelques  chiffres  remar- 
quables. 

Le  Follet  est  le  quartier  des  pécheurs  de  Dieppe.  On  a  dit  qu'ils  ne  se 
mariaient  qu'entre  eux,  conservaient  un  type  spécial  qu'ils  auraient  reçu 
d'une  origine  étrangère,  enfin  que  la  consanguinité  y  serait  fréquente. 
Or,  il  est  vrai,  surtout  autrefois,  que  les  pécheurs  poUetais  ne  se 
mariaient  qu'entre  eux.  Sur  soixante-douze  mariages  pris  sur  les  registres 
de  l'église,  en  184o  et  1847,  cinquante-cinq  se  pratiquaient  entre  gens  du 
même  quartier,  neuf  seulement  entre  gens  du  Pollet  et  de  Dieppe  :  ce 
qui  donne  une  proportion  de  88,8  0/0  de  mariages  entre  gens  de  Dieppe. 

Dans  ces  soixante-douze  mariages,  vingt-trois  marins  et  quinze  ou- 
vrières en  fdet;  de  ces  dernières,  treize  épousèrent  des  pécheurs. 

De  nos  jours,  les  mariages  entre  Polletais  sont  encore  fréquents  : 
dix-huit  entre  Polletais  et  six  entre  Polletais  et  Dieppois,  sur  trente  ma- 
riages célébrés  en  188o. 

Mais  les  grands  travaux  des  nouveaux  ports  ont  démoli  une  partie  du 
Pollet;  d'autres  industries  que  celles  des  pêcheurs  sont  venues  s'y  ins- 
taller, entre  autres  une  manufacture  de  cigares.  Les  pécheurs  préfèrent 
épouser  des  cigarières;  le  métier  d'ouvrières  en  filet,  moins  rémunérateur, 
reste  aux  plus  misérables. 

En  188o,  sept  marins  et  trois  ouvrières  en  filet  se  marièrent,  une  seule 
épousa  un  marin.  Du  reste,  les  usages,  les  traditions  et  le  costume  ont 
disparu,  et  il  ne  reste  du  Pollet  que  le  souvenir. 

Le  registre  des  paroisses  n'indiquait  pas,  en  18i5  et  1847,  le  lieu  de 
naissance  des  conjoints;  c'est  un  point  que  j'ai  dû  forcément  laisser  dans 

l'ombre. 

Mais  déjà  à  cette  époque,  les  marins  évitaient  la  consanguinité.  Je  n'ai 
trouvé,  en  184o  et  1847,  sur  ces  soixante-douze  mariages,  qu'une  seule 
dispense  de  l'église;  pas  une  en  188o;  le  curé  m'a  assuré  qu'autrefois, 
comme  aujourd'bui,  elles  étaient  exceptionnelles.  De  plus,  les  noms  y 
sont  très  variés  ;  je  n'ai  trouvé  qu'une  fois  deux  mariés  homonymes  en 
1845-1847,  et  une  en   188o,  et  ces  noms   sont  si  variés  que,   sur    les 


710  SCIENCES   MÉDICALES 

soixante-douze  mariages,  ils  se  répètent  très  peu  :  ainsi,  seul  le  nom  de 
Gondré  s'est  répété  cinq  fois,  celui  de  Cornu  trois  fois  et  celui  de  Levas- 
seur  deux  fois;  les  autres  n'étaient  inscrits  qu'une  fois  dans  tout  le  re- 
gistre de  ces  deux  années. 

On  peut  conclure  qu'il  n'y  a  jamais  eu,  au  Pollet,  une  race  spéciale 
de  pêcheurs  ne  se  mariant  qu'entre  eux;  tout  au  plus,  autrefois,  épou- 
saient-ils de  préférence  les  pêcheuses;  ce  fait  a  disparu  entièrement 
aujourd'hui. 

III.  —  L'exemple  du  Pollet,  quartier  de  pêcheurs  où  la  vie  est  si  spéciale, 
s'écarte  beaucoup  de  celui  d'Offranville.  Une  commune  que  nous  pourrons 
mieux  lui  comparer  est  celle  d'Aix-les-Bains.  Ici,  la  proportion  du  nombre 
des  mariés  habitant  la  même  commune  est  à  peu  près  égale  pour  la  même 
époque  :  71  0/0  en  1800  et  1802,  au  lieu  de  65,6  0/0  pour  la  période 
comparable  de  1801  à  1810,  dans  la  commune  d'Offranville;  et,  en 
1873,  1876  et  1880,  50,7  0/0  seulement,  tandis  qu'Offranville  donne,  de 
1873  à  1883,  54,6  0/0.  Donc,  dans  les  deux  cas,  même  décroissance 
rapide.  Quant  au  nombre  de  conjoints  habitant,  au  moment  du  mariage, 
le  village  où  ils  sont  nés,  de  76,2  0/0  au  commencement  du  siècle,  il 
tombe  à  61,4  en  1875-1880,  chute  un  peu  plus  rapide  qu'à  Offranville, 
mais  néanmoins  bien  comparable.  Là  encore  le  mélange  entre  habi- 
tants de  communes  voisines  s'accentue  de  plus  en  plus,  alors  que  les 
prescriptions  contre  la  consanguinité  ont  disparu  (1). 

IV.  —  Les  registres  de  la  paroisse  de  Saint-Agricol,  à  Avignon,  et  de 
Védènes,  commune  près  d'Avignon,  donnent  des  résultats  curieux  sur  le 
siècle  dernier. 

A  Avignon,  le  nombre  de  mariages,  au  siècle  dernier,  entre  habitants 
delà  même  ville,  a  toujours  été  très  élevé  :  95,7  0/0  en  1701  et  1706, 
87,5  0/0  en  1721  et  80,7  en  1778  et  1779,  quoiqu'on  remarque  une 
décroissance  à  rapprocher  de  celles  signalées  plus  haut. 

Mais  les  proportions  du  nombre  des  conjoints  habitant  au  moment  du 
mariage  la  commune  où  ils  sont  nés  donnent  des  résultats  très  différents. 
De  94  0/0  en  1701  et  1706,  elle  tombe  à  40  0/0  seulement  en  1721,  et 
n'atteint  que  58  0/0  en  1778  et  1779. 

C'est  qu'ici  nous  avons  affaire  à  une  ville,  et  qu'au  siècle  dernier, 
comme  de  nos  jours,  ou  mieux,  plus  que  de  nos  jours,  les  mauvaises 
conditions  hygiéniques  et  les  épidémies  amenaient  un  excédent  de  la 
mortalité  sur  la  natalité  ;  d'où  appel  aux  gens  de  la  campagne  qui  trou- 
vaient des  places  vides.  Cet  appel  a  surtout  été  fort  en  1721,  après  la 

(1)  Rapprochons  du  Pollet  Berck-sur-Mer,  village  de  marins,  dans  le  Pas-de-Calais.  Do  1771)  à  1790, 
sur  91  mariages,  97,8  0/0  habitaient  la  même  commune,  et  96,7  0/0  la  commune  où  ils  étaient 
nés.  De  1880  à  1890,  sur  104  mariages,  88,4  0/0  habitent  la  même  commune,  75,4  0/0  le  lieu  de 
naissance.  Chiffre  encore  considérable  et  dû,  comme  au  Pollet,  à  l'isolement  et  à  la  vie  spéciale 
des  marins.  (Chiffres  dus  à  l'obligeance  de  M.  Quertier.) 


F.    REGNAULT.    —   MARIAGES    CONSANGUINS  "Il 

peste.  Mais  ces  gens,  une  fois  établis,  se  mariaient  à  Avignon,  d'où  \ient 
que  les  chiffres  des  conjoints  habitant  la  même  ville  restaient  élevés. 

Au  contraire,  Védènes,  commune  des  environs,  a  eu,  vers  la  même 
époque  (17oJ>-1770),  une  proportion  élevée,  80, o  0/0,  de  nouveaux  mariés 
habitant  le  lieu  de  naissance,  alors  que  la  proportion  entre  conjoints 
habitant  la  même  commune  est  un  peu  plus  faible,  71,3  au  lieu  de  80,7 
à  Avignon. 

Ce  rapprochement  prouve  bien  que  les  villes,  au  siècle  dernier,  fai- 
saient déjà  appel  aux  gens  de  la  campagne. 

Au  siècle  dernier,  dans  le  Comtat-Yenaissin,  on  prenait  plus  généra- 
lement qu'aujourd'hui  femme  dans  sa  commune,  et,  restriction  faite 
des  époques  d'épidémie,  on  se  mariait  là  où  on  était  né. 


CONCLUSION 

De  ces  divers  exemples,  nous  pouvons  tirer  une  conclusion  ferme,  à 
savoir  que  l'on  se  marie  de  plus  en  plus  entre  personnes  de  counnunes 
différentes  et  que  la  proportion  entre  gens  prenant  femme  dans  la  même 
commune,  qui  était  d'environ  deux  sur  trois  au  siècle  dernier,  n'est  plus, 
dans  nos  campagnes,  que  de  un  sur  deux. 

Ces  faits  d'observation  auraient  pu  se  déduire  du  seul  raisonnement. 
A  mesure  que  les  années  passent,  les  facilités  de  communication  s'ac- 
croissent. Déjà,  au  siècle  dernier,  les  routes  sont  de  mieux  en  mieux  soi- 
gnées et  entretenues  ;  enfin  les  chemins  de  fer  arrivent  chaque  année  plus 
nombreux,  amenant  cette  extrême  facilité  de  déplacement.  Si  on  avait 
pu  remonter  plus  haut  sur  les  registres  et  arriver  ainsi  au  moyen  âge, 
où  les  territoires  étaient  morcelés  et  tout  voyage  dangereux,  on  aurait 
trouvé  que  presque  tous  les  habitants  naissaient,  se  mariaient  et  mou- 
raient dans  leur  village.  Or,  on  sait  que  la  consanguinité,  à  cette  époque, 
était  soigneusement  évitée  et  proscrite  par  les  lois  religieuses,  les  seules 
faisant  autorité. 

Si  on  se  déplace  plus  facilement  pour  prendre  femme,  néanmoins  nos 
paysans  ne  quittent  guère  encore  le  village  qui  les  a  vus  naître.  La  pro- 
portion a  faibli  sur  autrefois,  mais  dans  des  proportions  bien  moindres. 
Comparons  ces  chiffres  à  ceux  que  j'ai  obtenus  aux  Indes. 

L'Indien  vit  et  meurt  au  lieu  de  sa  naissance,  au  village  qui  l'a  vu 
NAITRE.  A  Chandernagor,  sur  754  conjoints,  de  1852  à  1883,  j'ai  trouvé 
une  proportion  de  89  0/0  habitant,  au  moment  du  mariage,  leur  vil- 
lage natal.  A  Pondichéry,  pour  6.340  conjoints,  la  proportion  est  de 
96  0/0. 

Mais  presque  toujours  ils   prennent  femme  hors  de  leur   commune. 


712  SCIENCES   MÉDICALES 

ACIiandernagor,  9,4  0/0  des  conjoints  habitent  le  même  quartier  (le  quar- 
tier correspond  à  peu  près  à  la  commune  française),  et  29  0/0  des  con- 
joints habitent  tous  deux  le  territoire  français  :  la  différence,  on  le  voit, 
est  énorme  en  comparaison  des  communes  françaises. 

A  Oulgate  (territoire  de  Pondichéry),  21  0/0  des  conjoints  habitaient  le 
même  village,  39  0/0  la  même  commune. 

Or,  le  mariage  entre  gens  de  même  caste  est  absolument  rigoureux,  ce 
qui  amène  une  consanguinité. 

Si  tout  mariage  consanguin  entre  cousins  et  personnes  de  même  nom 
est  rigoureusement  proscrit  dans  le  Nord,  en  pays  Tamoul  le  mariage  est 
autorisé  entre  enfants  de  frères  et  de  sœurs  (car  alors  ils  n'ont  pas  vécu 
ensemble  sous  le  même  toit,  n'étant  pas  de  la  même  famille)  alors  qu'il 
est  interdit  entre  descendants  de  frères  ou  descendants  de  sœurs. 

Aux  Indes,  alors  qu'il  y  a  endogamie  de  castes,  le  mariage  est  proscrit 
entre  parents,  et  il  y  a  exogainie  topogj^aphique,  c'est-à-dire  mariage,  entre 
gens  n'habitant  pas  le  môme  territoire. 

En  France,  il  y  avait  autrefois  endogamie  topographique,  les  lois  empê- 
chaient les  mariages  consanguins  ;  aujourd'hui  V endogamie  topographique 
diminue  et  ces  lois  tombent  en  désuétude. 

De  ces  conclusions  certains  induiront  que  l'auteur  juge  que  la  consan- 
guinité est  chose  mauvaise  en  soi  et  que  l'exogamie  topographique  en 
atténue  les  défauts. 

11  n'en  est  pas  ainsi.  Je  prends  simplement  deux  faits  sociaux  :  alliances 
consanguines,  endogamie  topographique,  et  je  remarque  qu'iLS  sont  en 
relations  inverses  chez  les  peuples  civilisés;  en  d'autres  termes,  que  les 
alliances  consanguines  sont  d'autant  moins  défendues  qu'il  y  a  plus  d^exo- 
gamie  topographique. 

Quant  à  la  question  de  la  valeur  de  la  consanguinité,  on  admet  aujour- 
d'hui qu'elle  n'est  qu'un  cas  de  l'hérédité.  Si  les  ascendants  sont  bons, 
les  produits  seront  bons,  sinon  non.  Mais  les  ressemblances  fort  grandes 
qui  existent  entre  parents  consanguins  font  que  leurs  qualités  ou  défauts 
seront  plus  marqués  chez  le  produit,  d'où  le  danger  des  alliances  consan- 
guines quand  les  parents  ont  quelque  tare. 

Ainsi  s'expliquent  fort  bien  les  faits  contradictoires  qu'on  a  jusqu'au- 
jourd'hui apporté  pour  ou  contre  la  consanguinité. 

Il  me  semble  qu'il  faut  pousser  les  recherches  plus  loin. 

D'oîi  viennent  les  qualités  ou  défauts  des  parents  comme  ceux  que  l'en- 
fant prend  en  grandissant?  Du  milieu,  c'est  au  milieu  qu'il  faut  toujours 
revenir,  le  grand,  le  seul  facteur  agissant  dans  la  variation  des  espèces 
comme  des  individus. 

Si  dans  un  village  existent  quelques  facteurs  d'affaiblissement  de  la 
race  qui  l'habite  (comme  par  exemple  un  pays  où  les  fièvres  pernicieuses 


F.    REGXAULT.    —    M.VniAGES    CONSANGUINS  713 

sont  fréquentes,  où  la  scrofule  règne),  et  si  les  gens  y  pratiquent  l'exo- 
gamie  topographique,  l'apport  d'un  sang  nouveau  peut  suffire  ;  encore 
faut-il  que  ces  causes  de  déchéance  ne  soient  que  peu  développées.  Au 
contraire,  en  se  mariant  entre  eux,  ils  s'ahâtardiront  rapidement.  Mais  si 
le  pays  est  dans  de  bonnes  conditions  hygiéniques  et  que  les  professions 
des  habitants  ne  prédisposent  pas  à  la  dégénérescence,  la  consanguinité 
n'aura  pas  mauvaise  action;  exemples  :  Bourg  de  Batz,  cité  par  Voisin; 
Fort-.Mardyck;  étudié  par  Lancry,  etc.,  etc.  Tout  ceci  n'est  pas  une  simple 
hypothèse,  je  citerai  le  fait  suivant  qu'a  bien  voulu  me  fournir  M.  le 
D""  Paul  Reclus. 

A  Orthez  (Basses-Pyrénées),  les  protestants  se  marient  entre  eux.  Or, 
les  bourgeois  protestants  sont  généralement  malingres  et  chétifs  et  n'ont 
qu'un  petit  nombre  de  rejetons  :  bien  que  ceci  lui  semble  dû  plutôt  aune 
restriction  volontaire. 

Mais,  fait  capital,  ils  ont  un  grand  nombre  d'épileptiques,  à  tel  point 
que,  dans  les  maisons  de  protestants,  il  existe  une  chambre  spéciale,  à 
eux  réservée. 

L'épilepsie  trouve  un  milieu  favorable  chez  ces  bourgeois  qui,  de  père 
en  fils,  s'adonnent  à  des  occupations  ne  mettant  en  jeu  que  le  cerveau;  il 
est  naturel  que  l'organe  fonctionnant  le  plus  soit  le  plus  sujet  aux  ma- 
ladies. Tout  ceci  diminue  depuis  les  chemins  de  fer;  il  se  fait  plus  de 
mariages  croisés,  quoique  toujours  entre  protestants. 

Ainsi  s'explique  comment,  par  la  pratique  d'exogamie  topographique, 
les  peuples  évitent  les  dangers  possibles  de  la  consanguinité  au  cas  oîi  les 
parents  auraient  des  tares. 

11  eût  été  utile  de  recueillir  un  plus  grand  nombre  d'exemples.  Mais 
jusqu'à  présent,  dans  ce  genre  de  recherches,  on  n'a  jamais  tenu  compte 
de  l'influence  du  milieu.  Rassembler  de  nombreux  documents  est  une 
œuvre  considérable.  J'espère  que  ceux  qui  me  liront  feront  des  recher- 
ches chacun  dans  sa  sphère,  et  que  plus  tard,  en  comparant  leurs  travaux, 
on  pourra  arriver  à  établir  ce  point  d'une  façon  définitive.  . 


LOIS 


loi  1.  —  La  consanguinité  rentre  dans  l'hérédité  ;  selon  que  les  ascen- 
dants sont  bons  ou  mauvais,  les  produits  seront  bons  ou  mauvais.  Les 
qualités  ou  défauts  des  parents  se  transmettent  aux  enfants. 

Loi  IL  —  La  puissance  héréditaire  est  exagérée  par  la  consanguinité. 
Les  consanguins  ont,  en  effet,  nombre  de  qualités  et  défauts  semblables. 
Ces  qualités  et  défauts  sont  exagérés  chez  leurs  enfants. 

Loi  III.  —  3Iais  les  qualités  d'un  être  sont  acquises  par  lui  grâce  au 


714  SCIENCES    MÉDICALES 

milieu  où  il  vit;  ou,  en  d'autres  termes,  les  propriétés  d'un  être  vivant 
dérivent  du  milieu  où  il  vit. 

L'hérédité  transmise  chez  les  descendants  est  seulement  les  qualités 
dues  au  miheu  fixées  chez  les  ascendants. 

Si  deux  consanguins  vivent  séparés  l'un  de  l'autre  en  deux  milieux  dif- 
férents, ils  seront  moins  semblables  qu'habitant  sous  le  même  toit.  Et 
les  efTets,  bons  ou  mauvais,  de  la  consanguinité  se  feront  moins  sentir. 


M.  EIETJZÂIDE 

Ancien  interne  des  hôpitaux  de  Paris,  à  Lectoure. 


OBSERVATIONS    D'OSTEOMYELITE 


—  Séance  du  //  septembre  1892  — 

J'ai  l'honneur  de  présenter  à  la  Section  cinq  observations  d'ostéo- 
myélite qui  offrent  un  certain  intérêt  en  ce  sens  qu'elles  ont  toutes 
donné  lieu  à  des  erreurs  de  diagnostic. 

Deux  en  1889.  —  La  première,  ostéomyélite  aiguë;  la  deuxième,  ostéo- 
myélite chronique. 

Troin  en  1892.  —  La  troisième,  ostéomyélite  aiguë;  la  quatrième,  ostéo- 
myélite traumatique;  la  cinquième,  ostéomyélite  subaiguë. 

Obs.  L  —  Ostéomyélite  aiguë.  —  Ferdinand  J.,  âgé  de  dix-huit  ans,  cordonnier, 
s'était  loué  pour  les  travaux  de  la  moisson.  Le  18  juillet,  il  fut  obligé  d'inter- 
rompre son  travail,  il  éprouvait  des  douleurs  vives  dans  la  région  tibio-tarsienne 
droite. 

Soigné  à  domicile  pour  une  arthrite  rhumatismale,  il  avait  une  fièvre  très 
vive,  du  déUre  et  poussait  des  cris  continuels  nuit  et  jour.  Le  28  juillet,  il  entra 
à  l'hôpital  et  fut  opéré  le  lendemain  d'une  ostéomyélite  de  la  partie  inférieure 
du  tibia  à  la  jonction  de  la  diaphyse  et  de  fépiphyse.  Je  trouvai  un  abcès  sous 
le  périoste  et  pratiquai  sur  la  face  interne  du  tibia,  avec  le  trépan,  deux  ou- 
vertures qui  donnèrent  lieu  à  un  écoulement  de  pus  bien  lié. 

Après  l'opération,  le  pouls  tomba  de  120  à  80  et  les  douleurs  disparurent 
complètement.  Grâce  à  l'antisepsie,  la  plaie  guérit  assez  rapidement,  mais  il 
resta  une  fistule  qui  a  mis  un  an  à  se  cicatriser...  Depuis  lors  il  est  complète- 
ment guéri. 


DIEUZAIDE.    —    OBSERVATIOîtS   d'oSTÉOMYKLITE  llS 

Obs.  II. —  OstéomxjéUle  chronique .  — M"^  Marie  D.  fut  traitée,  à  l'âge  de  qua- 
torze ans,  en  juin  1870,  pour  un  abcès  froid  de  la  partie  moyenne  de  la  cuisse 
gauche,  par  l'incision,  le  drainage  et  les  injections  de  teinture  d'iode.  Elle  gué- 
rit très  bien  et  fit  deux  saisons  à  Barègcs  pour  consolider  la  guérison.  Treize 
ans  après,  elle  entre  au  service  d'une  famille  de  Bordeaux,  et,  en  octobre  1889, 
elle  est  prise  de  douleurs  dans  la  partie  supérieure  de  la  cuisse  gauche.  Il  y 
eut  un  gonflement  considérable  et  un  abcès  s'ouvrit  spontanément.  Le  médecin 
de  la  famille  la  renvoya  à  Lectoure  sans  soupc^onner  l'ostéomyélite. 

Elle  entre  à  l'hôpital  en  novembre,  conservant  une  fistule  qui  s'ouvrait  à  la 
partie  moyenne  et  externe  de  la  cuisse.  Le  stylet  pénétrait  à  une  profondeur 
de  huit  centimètres,  mais  ne  tombait  pas  sur  une  portion  de  l'os  qui  parut  ma- 
lade. Je  crus  à  l'ostéomyélite  et  je  mo  décidai  à  ouvrir  le  trajet  pour  aller  à  la 
recherche  du  point  que  je  supposais  atteint.  Arrivé  à  la  limite  du  trajet,  je 
tombai  sur  l'os  qui  paraissait  sain  ;  mais  le  stylet,  introiuit  de  nouveau  dans 
une  direction  différente,  pénétrait  le  long  du  fémur  à  sept  centimètres  plus  haut 
jusqu'à  la  l^ase  du  grand  trochanter.  Je  me  décidai  à  aller  jusqu'à  la  limite 
extrême  et  alors  je  tombai  sur  le  point  malade.  Il  y  avait  à  la  base  du  grand 
trochanter  une  carie  formant  une  ouverture  circulaire  de  deux  centimètres 
de  diamètre.  Je  ruginai  fortement  les  bords,  et  l'instrument  pénétra  sans  la 
moindre  pression  dans  la  cavité  médullaire. 

11  est  certain  qu'il  eût  mieux  valu  tomber  directement  sur  le  foyer  et  épar- 
gner à  la  malade  une  incision  d'une  longueur  peu  ordinaire;  mais  aucun  indice 
ne  révélait  la  situation  de  la  carie. 

La  plaie  traitée,  antiseptiquement,  guérit  bien,  mais  a  laissé  une  petite  fistule 
qui  l'a  obligée  à  faire  deux  saisons  de  Barèges.  A  part  cette  fistule  qui  donne 
lieu  de  temps  en  temps  à  l'écoulement  de  quelques  gouttes  de  pus,  la  malade 
vaque  à  ses  occupations  ordinaires.  Les  médecins  de  Barèges  lui  ont  promis  de 
la  guérir  sans  une  nouvelle  intervention  chirurgicale. 

Obs.  III.  —  Ostéomyélite  aiguë;  abcès  séreux  aigus.  —  M.  P.  F.,  procureur  de 
la  République,  âgé  de  trente-cinq  ans,  fut  pris,  le  27  mars  1892,  de  douleurs 
vives  dans  la  partie  supérieure  et  postéro-externe  de  la  cuisse  droite.  Ces  dou- 
leurs s'étendaient  à  toute  la  cuisse.  Son  beau-père,  docteur  en  médecine,  diag- 
nostiqua une  névralgie  sciatique.  Appelé  à  le  soigner,  je  fis  le  même  diagnostic. 
Nous  l'avons  soigné  par  les  injections  de  morphine  en  lui  faisant  prendre  tous 
les  remèdes  vantés  dans  cette  affection  sans  aucun  résultat  favorable.  Il  refusait 
toute  autre  médication  externe. 

Le  2  mai  il  part  pour  Dax.  Les  médecins  de  cette  station  lui  promirent  de 
le  guérir  de  .<a  sciati(iue.  Il  rentra  à  la  fin  de  mai  dans  une  situation  plus  mau- 
vaise et  quand  je  le  revis,  le  8  juin  seulement,  je  trouvai  la  cuisse  malade  très 
-gonflée  dans  la  région  du  grand  ti'ochanler.  Il  y  avait  à  ce  niveau  des  douleurs 
très  vives  et  je  crus  trouver  de  la  fluctuation.  Je  posai  le  diagnostic  d'ostéomyé- 
lite et  déclarai  qu'il  y  avait  déjà  un  commencement  dinfeclion  et  que  je  ne 
prenais  pas  la  responsabilité  d'un  retard  de  plus  de  vingt-quatre  heures.  Le 
lendemain,  je  lui  fis  une  longue  incision  sur  la  face  externe  du  grand  trochanter, 
il  s'écoula  de  la  sérosité  et  pas  de  pus.  Arrivé  à  la  surface  de  l'os,  je  trouvai  un 
point  rugueux  et  dépouillé  du  périoste.  Je  pratiquai  trois  ouvertures  avec  le 
trépan  perforatif.  Les  deux  jiremières  ne  donnèrent  que  de  la  sérosité,  la  troi- 
sième, la  plus  inférieure,  donna  un  sang  noir  épais  comme  de  la  mélasse. 

Le  malade  fut  soigné  antiseptiquement  et  se  trouva  soulagé.  Il  soutirait  de 
la  large  plaie  qui  avait  été  faite,  mais   il   reconnaissait   que  ce  n'était  pas  la 


716  SCIENCES   MÉDICALES 

même  douleur  que  celle  qu'il  éprouvait  auparavant.  Cette  amélioration  fut  pas- 
sagère. M.  le  professeur  Lannelongue  fut  mandé  auprès  de  lui,  confirma  le  diag- 
nostic et  reconnut  en  outre  un  foyer  secondaire  qui  s'était  formé  dans  la  fosse 
iliaque  droite. 

Il  déclara  qu'il  fallait  ouvrir  ce  foyer  pour  éviter  l'infection  générale.  Comme 
nous,  il  croyait  trouver  du  pus  et  ne  trouva  qu'un  foyer  plein  de  sérosité. 

M.  le  professeur  Démons  nous  a  déclaré  qu'il  lui  était  arrivé  également 
d'opérer  des  ostéomyélites  sans  trouver  de  pus. 

M.  le  docteur  Nicaise  a  communiqué  à  l'Académie  de  Médecine  une  note  sur 
les  abcès  séreux.  La  cause  prochaine  de  ces  abcès  séreux  aigus  n'est  pas  encore 
élucidée. 

C'est  une  question  de  bactériologie  à  l'étude. 

Malgré  tous  les  soins  dont  il  a  été  entouré,  le  malade  a  succombé  à  l'infec- 
tion le  3  juillet. 

Obs.  IV.  —  Fracture  par  écrasement  de  Vextrémité  supérieure  de  la  jambe.  — 
Ostéomyélite  consécutive  et  évidement  de  l'extrémité  supérieure  du  tibia.  —  Réparation 
de  la  perte  de  substance  intra-osseuse  au  moyen  des  corps  aseptiques  (procédé 
Dijplay).  —  Jean  B.,  métayer,  a  fait,  le  18  mai,  une  chute  de  voiture  et  est 
tombé  sur  langle  d'une  pierre  de  taille. 

Le  tibia  et  le  péroné  au-dessous  du  genou  gauche  ont  été  écrasés  et  subluxés 
en  arrière.  La  peau,  au  niveau  de  la  fracture,  présentait  seulement  un  petit 
pertuis  circulaire  de  trois  ou  quatre  millimètres  de  diamètre  qui  donnait  lieu 
à  un  écoulement  de  sang  assez  abondant.  Je  fis  un  point  de  suture  après  avoir 
désinfecté  le  foyer;  le  point  de  suture  ne  tint  pas  et  le  foyer  sanguin  devint 
purulent  ;  je  plaçai  un  drain  et  prescrivis  des  lavages  antiseptiques  quotidiens. 
Le  membre  avait  été  placé  dans  un  appareil  plâtré. 

Le  10  juillet,  au  moment  oîi  je  croyais  la  consolidation  presque  complète,  je 
dus  inciser  largement  le  foyer  et  je  tombai  sur  un  amas  d'os  écrasés  avec 
décollement  du  périoste  sans  trace  de  consolidation.  Le  malade  n'avait  pas 
souffert  et  rien  ne  nous  faisait  prévoir  ce  résultat. 

Je  dus  enlever  des  fragments  nombreux  représentant  l'exti^émité  supérieure 
du  tibia  et  un  fragment  inférieur  de  dix-neuf  centimètres  de  longueur  dont  le 
périoste  était  complètement  décollé.  Le  tissu  spongieux  de  l'extrémité  supé- 
rieure fut  ruginé  fortement,  de  telle  sorte  qu'il  resta  une  large  et  profonde 
excavation.  Le  fragment  inférieur  à  la  limite  du  décollement  du  périoste  fut 
enlevé  avec  le  ciseau  et  le  maillet  après  une  perforation  sur  sa  face  interne 
avec  le  trépan  perforatif.  Il  s'écoula  une  quantité  considérable  de  pus  par  le 
canal  médullaire. 

L'ostéomyélite  s'étendait  un  peu  plus  bas  et  j'ai  dû  désinfecter  le  canal  médul- 
laire par  des  irrigations  antiseptiques  quotidiennes.  Le  membre  fut  mis  dans 
une  gouttière.  Le  malade  se  trouva  mieux  et  la  réparation  marcha  très  bien  ; 
mais  la  cavité  osseuse  formée  par  l'évidement  de  l'extrémité  supérieure  se 
comblait  lentement.  Le  péroné  s'était  consolidé  et  avait  échappé  à  l'ostéomyélite. 
C'était  une  circonstance  favorable  et  qui  devait  permettre  la  réparation  du 
tibia  sans  trop  de  raccourcissement,  le  péroné  servant  d'attelle.  Seulement  la 
subluxation,  qui  s'était  très  facilement  réduite,  s'était  reproduite,  les  fragments 
supérieurs  n'offrant  aucune  résistance  à  la  contractilité  musculaire. 

Pour  combler  la  cavité  provenant  de  l'évidement  du  tibia,  je  crus  que  c'était 
le  cas  d'appliquer  la  méthode  de  réparation  des  pertes  de  substance  intra-osseuse 
à  l'aide  des  corps  aseptiques.  J'écrivis  à  M.  le  professeur  Duplay,  qui  partagea 


DIEUZAIDE.    —    UBSEUVATIONS   D'oSTÉOMVÉLlTt;  717 

ma  manière  de  voir.  J'avais  désinfecté  fortement  le  foyer  avec  des  lavaf^es  au 
sublimé,  à  l'acide  pliénique  et  enfin  avec  la  solution  au  chlorure  de  zinc  an 
dixième.  Le  10  août,  je  tamponnai  la  cavité  avec  la  gaze  iodoformée.  Le  lende- 
main, la  gaze  est  entièrement  souillée;  je  l'enlève  et  fais  une  nouvelle  appli- 
cation. Au  bout  de  quelques  jours,  les  couches  de  gaze  les  plus  profondes  étaient 
devenues  adhérentes  et  je  les  laissai  en  place  ne  changeant  que  les  couches 
superficielles.  Bientôt  je  ne  renouvelai  le  pansement  qu'au  bout  de  deux,  trois 
et  quatre  jours  d'intervalle  et  la  réparation  n'en  marchait  que  mieux. 

A  cette  heure,  l'ouverture  de  la  cavité  osseuse  est  comblée  par  la  gaze  qui 
paraît  adhérente. 

La  réparation  de  la  diaphyse  est  complète,  la  consolidation  obtenue,  et  le 
malade  commence  à  marcher  avec  des  béquilles. 

M.  le  docteur  Serres  me  demande  si  je  n'ai  pas  eu  un  raccourcissement  consi- 
dérable...? Le  tibia  s'est  reproduit  dans  toute  sa  longueur  sans  raccourcissement 
appréciable,  grâce  à  la  consolidation  du  péroné;  mais  il  existe  un  raccourcisse- 
ment de  quatre  centimètres  qui  est  la  conséquence  de  la  subluxation  que  je  n'ai 
pu  réduire. 

M.  le  professeur  Ollier  considère  ce  raccourcissement  comme  une  circons- 
tance très  favorable  en  raison  de  l'ankylose  du  genou  qui  était  inévitable.  Sans 
cela,  le  malade  aurait  buté  au  moindre  obstacle, 

Obs,  V,  —  Ostéomyélite  de  la  huitième  côte  droite.  —  Le  capitaine  L.  au 
3e  tirailleurs  algériens,  fut  pris,  en  janvier  189i,  d'une  fièvre  intermittente 
suivie  de  bronchite.  Le  malade  se  plaignait  souvent  du  côté  droit  et  la  toux 
avait  une  persistance  que  n'expliquait  en  rien  l'auscultation  du  poumon.  Le 
malade  est  venu  en  France  en  juin.  Je  l'ai  vu  avec  M.  le  professeur  Lannelongue 
le  19  juin  et  le  malade  nous  montra  une  tumeur  qui  s'était  développé'e  depuis 
peu  de  temps  au  niveau  du  point  douloureux  dont  il  s'était  plaint  si  souvent, 

M.  Lannelongue  posa  nettement  le  diagnostic  :  ostéomyélite  de  la  huitième 
côte;  séquestre  à  enlever;  attendre  quelques  jours  pour  que  le  séquestre  fût 
plus  mobile. 

Je  l'opère  le  2  juillet.  La  peau  incisée,  je  trouve  le  tissu  osseux  de  nouvelle 
formation  qui  se  laisse  couper  avec  des  ciseaux  et,  en  l'ouvrant  dans  une  étendue 
de  douze  centimètres,  je  tombe  dans  une  cavité  occupée  par  un  deliquium 
provenant  de  la  carie  de  la  côte  qui  a  disparu,  11  ne  reste  que  la  place  qu'elle 
a  occupée  et  qui  forme  une  rigole  qui  est  grattée  et  nettoyé(;  rigoureusement. 
La  plaie  est  drainée  et  réunie  avec  soin.  La  réunion  de  la  peau  a  eu  lieu  par 
première  intention  et  les  drains  ont  été  retirés  au  bout  d'une  huitaine  de 
jours, 

A  cette  heure,  le  malade  est  complètement  guéri. 


718  SCIENCES   MÉDICALES 


M.  IMBERT  DE  LA  TOUCHE 

à  Lyon. 


TRAITEMEMT  DE  LA  MIGRAINE  ET  DES  CÉPHALÉES  PAR  LA  DOUCHE  STATIQUE 


—  Séance  du  17  septembre  1892  — 

Parmi  les  malades  s'adressant  à  l'électricité  pour  obtenir  le  soula- 
gement de  leurs  souffrances,  j'ai  eu  l'occasion  d'en  observer  un  certain 
nombre  atteints  de  migraine  et  de  céphalées. 

Ces  phénomènes  nerveux,  ordinairement  sous  la  dépendance  d'une 
hérédité  spéciale  (arthritisme,  goutte,  nervosisme),  sont  très  fréquents 
et  résistent  à  la  plupart  des  médications.  Cette  insaffisance  thérapeutique 
m'a  suggéré  l'idée  de  soumettre  quelques  malades  à  la  douche  statique 
et  je  désire  attirer  l'attention  de  mes  confrères  sur  cette  méthode.  Je  dois 
avouer  que,  sauf  de  rares  exceptions,  mes  malades  ont  toujours  été  guéris 
ou  tout  au  moins  soulagés. 

Obs.  I.  —Femme  âgée  de  trente-deux  ans,  hémorroïdaire  et  fille  de  goutteux, 
soulTrant  depuis  dix  ans  environ  de  céphalées  avec  congestion  de  la  face.  Les 
accès  revenaient  plus  violents,  deux  ou  trois  fois  par  semaine,  au  moindre  écart 
de  régime  ou  d'hygiène. 

Tous  les  remèdes  étaient  restés  impuissants,  même  l'antipyrine,  dont  l'action, 
ellicace  au  début,  ne  parvenait  plus  à  enrayer  les  douleurs.  Je  lai  soumise 
aux  bains  électro-statiques  avec  douche  statique  sur  la  tête,  d'une  durée  de 
trente  à  quarante-cinq  minutes.  AméUoration  manifeste  dès  les  premiers  jours 
et  disparition  de  toute  douleur  après  vingt-cinq  séances.  En  même  temps 
que  l'état  local  s'était  amendé,  l'état  général  avait  bénéficié  de  l'intervention  ; 
une  phlébite  de  la  jambe,  avec  œdème,  qui  persistait  depuis  plusieurs  années, 
fut  sérieusement  améliorée.  La  pléthore  abdominale  diminua  dans  de  notables 
proportions  et  la  taille  s'efïila  de  plusieurs  centimètres;  les  insomnies  dispa- 
rurent aussi. 

En  soiume,  il  y  eut  un  etTet  sensible  sur  la  nutrition  et  la  circulation;  de 
plus,  amélioration  complète  de  l'économie. 

Obs.  il  —  Femme  de  cinquante-cinq  ans,  souiï're  depuis  plusieurs  années  de 
migraine  avec  vomissements  revenant  presque  tous  les  jours.  La  malade  est 
obligée  de  s'aliter  pendant  l'accès,  qui  débute  le  matin  et  dure  plusieurs  heures. 
De  plus,  dyspepsie  très  accusée.  Tons  les  médicaments  sont  restés  inefficaces. 


IMBKRT    DE    LA    TOUCHE.    —    TRAITEMENT    DE    LA   MIGRAINE  7J9 

Je  lai  ordonnai  la  douche  .staliiiue  sur  la  lèle.  Dès  les  premiers  jours,  je 
pus  constater  un  changement  ap]iréciable  dans  sa  situation  et  au  bout  de 
vingt-neuf  séances  la  malade  ne  ressentit  plus  ses  malaises.  Elle  ne  jouit  cer- 
tainement pas  d'une  santé  parfaite,  mais  elle  est  dt'-barrassée  de  souffrances 
presque  quotidiennes,  peut  manger,  digère  facilement  et  dort  mieux. 

OiiS.  III.  — M""^'  M.,  cinquante  ans,  se  plaignant  de  céphalées  depuis  plusieurs 
années,  prit  dix  douches  statiques  de  quarante-cinq  minutes.  Le  soulagement 
fut  rapide  et  la  guérisun  se  maintient. 

Obs.  IV.  —  M""-"  Ch.  était,  depuis  dix  ans  enviion,  en  proie  à  de  violentes 
céphalées,  caractérisées  par  une  sensation  de  constriction  et  de  poids  au  front  et 
à  la  nuque  (casque  neurasthénique),  avec  buurdunneraenl  d'oreilles.  Je  lui  admi- 
nistrai quelques  douches  et,  quoiqu'elle  dût  interrompre  le  traitement  presque 
au  début,  elle  resta  plusieurs  semaines  sans  éprouver  aucune  souffrance  ; 
actuellement, les  céphalées  reviennent  moins  fréquemment  et  avec  moins  d'in- 
tensité. Les  bourdonnements  d'oreilles  ont  presque  entièrement  disparu. 

Ous.  Y.  —  -M"*^  C,  vingt-six  ans,  se  plaignait,  à  la  suite  de  surmenage  intellec- 
tuel, de  douleurs  de  tète  quotidiennes  avec  la  sensation  de  consti'iction  et  de  lour- 
deur. Après  quelques  séances,  les  maux  de  tête  disparurent,  les  digestions  se 
régularisèrent,  l'appétit  revint  et  l'insomnie  fut  heureusement  combattue. 

Ous.  M.  —  M"'«  B..  vingt-huit  ans,  atteinte  depuis  quatre  ans  de  chlorose 
ayant  résisté  à  toutes  les  médications,  souffrait  d'une  céphalalgie  opiniîîtreavec 
insomnie.  Au  bout  de  douze  séances,  ses  douleurs  de  tête  diminuèrent.  En 
même  temps,  elle  reprit  ses  couleurs  et  ses  forces,  l'insomnie  disparut  et  la 
chlorose  guérit. 

Obs.  Vn.  —  M"*-"  V.,  trente  ans,  soulfnmt  de  migraine  avec  vomissements, 
dont  les  crises  se  renouvelaient  deux  ou  trois  fuis  par  semaine,  éprouva,  après 
quelques  semaines  de  traitement  par  la  douche,  une  grande  diminution  dans 
l'intensité  et  la  fréquence  des  accès.  Son  état  général  s'améliora  en  même 
temps  dans  de  notables  proportions. 


Technique  opératoire 

Le  patient  est  placé  sur  un  tabouret  isolant  à  pieds  rJe  verre  et  mis  en 
communication  avec  le  pôle  positif  d'une  machine  statique  :  il  est  enve- 
loppé de  fluide  électrique,  d'où  le  nom  de  bain  électi'o-slatique. 

On  dispose,  à  dix  centimètres  environ  au-dessus  du  cuir  chevelu,  une 
plaque  munie  de  pointes  aiguës,  d'où  se  dégagent  des  elïluves,  qui  en- 
vironnent complètement  la  tète.  Le  malade  perçoit  alors  une  sensation  de 
fraîcheur  indéfinissable.  Ces  effluves  constituent  une  sorte  de  douche" 
très  agréable,  qui  soulage  dans  la  majorité  des  cas  les  céphalées  les  plus 
violentes. 

L'appareil  doucheur,  dû  à  l'ingéniosité  de  notre  confrère  le  docteur 
Baraduc,  peut  être  construit  en  bois  ou  en  métal  de  diverses  espèces  et  de 


720  SCIENCES   MÉDICALES 

préférence  en  argent,  afin  d'utiliser  les  propriétés  spéciales  de  ce  métal. 
C'est  à  Pivati,  de  Venise,  et  à  l'abbé  Nollet  (1)  que  remontent  les  pre- 
mières études  sur  le  transport  des  médicaments  par  le  fluide  électrique. 
Ces  expériences  furent  reprises  à  Lyon  par  Beckensteiner  (2),  qui  attachait 
une  grande  importance  à  la  nature  du  métal  employé.  Cet  auteur  put 
constater  que  l'argent  exerçait  des  effets  calmants  spéciaux  sur  les 
céphalées.  «  Il  est  rare,  dit-il,  que  l'argent  ne  dissipe  point  instantanément 
les  douleurs  de  tête  les  plus  opiniâtres  et  ne  calme  l'insomnie  ».  J'ai 
donc  expérimenté  l'appareil  doucheur  en  argent  sur  plusieurs  malades 
et  il  m'a  semblé  qu'ils  obtenaient  par  ce  procédé  un  soulagement  plus 
rapide  ;  néanmoins,  un  grand  nombre  d'observations  seraient  nécessaires 
pour  fixer  définitivement  la  question. 

Contrairement  à  l'opinion  des  auteurs,  les  séances  doivent  être  assez 
longues  pour  obtenir  un  effet  curatif;  j'ai  toujours  remarqué  qu'une 
douche  de  cinq  à  dix  minutes  était  insuffisante  ;  trente  à  quarante  mi- 
nutes au  moins  sont  nécessaires.  Du  reste,  ce  n'est  guère  qu'au  bout 
d'une  demi-heure  environ  que  l'amélioration  se  fait  sentir  nettement. 

Les  séances  doivent  se  pratiquer  tous  les  jours,  puis  tous  les  deux  jours, 
afin  de  laisser  le  malade  le  plus  longtemps  possible  sous  l'influence  du 
traitement. 

Plusieurs  médecins  ont  appliqué  l'électricité  à  la  cure  des  migraines 
et  des  céphalées.  Entre  autres,  je  citerai  le  docteur  Arthuis  (3),  qui  met 
en  usage  le  souffle,  les  courants,  les  frictions  et  les  étincelles  dirigées  sur 
tout  le  corps,  de  la  tête  aux  pieds,  spécialement  sur  la  tète  et  sur  l'esto- 
mac ;  durée  de  la  séance  :  huit  à  dix  minutes. 

Le  docteur  Labbé  (4)  rapporte  un  cas  de  migraine,  datant  de  huit  ans, 
guérie  en  trente-quatre  séances  d'électricité  statique,  en  promenant  à 
quatre  ou  cinq  centimètres  de  la  région  douloureuse  un  excitateur  à 
pointes  multiples  et  en  tirant  quelques  petites  étincelles.  Il  termine  la 
séance,  d'une  durée  de  dix  minutes,  par  une  friction  électrique,  qui  con- 
siste à  présenter  au  contact  de  la  peau  un  excitateur  à  boule  recouverte 
de  flanelle. 

Ces  procédés  donnent  certainement  de  bons  résultats,  je  préfère  toute- 
fois celui  qui  fait  l'objet  de  ma  communication.  Il  est  des  cas,  cependant, 
où,  sans  être  exclusif,  on  peut  utiliser  comme  moyen  adjuvant  les 
courants,  sous  la  forme  de  la  galvanisation  centrale  ou  de  la  faradisation 
générale,  suivant  la  méthode  de  Beard  et  Bockwell  (o). 

(1)  Etudes  sur  Véleclricilé.  Nouvelle  méthode  pour  son  emploi  mcrfica/,  par  Beckensteineiv,  1832. 

(2)  Recherches  sur  les  causes  particulières  des  phénomènes  électriques,  Wi'i. 

(3)  Traitement  électrostatique  des  maladies  nerveuses,  des  a/feclions  rhumatismales  el  des  maladies 
chroniques,  par  le  docteur  Arlhuis,  1892. 

(4)  De  l'électricité  statique  dans  la  migraine,  par  le  docteur  Labbé,  1889. 

(o)  A  p radical  treatise  on  ttie  médical  and  surgical  uses  of  electricily,  by  Beard  and  Rockwell, 
seventh  éditioD,  1890. 


IMBERT    DE    LA    TOUCHE.    —    THAITEMENT    DE    LA    MIGRAINE  721 


Résultats 

Les  résultats  de  cette  méthode  sont  immédiats  ou  consécutifs. 

Résultats  immédiats.  —  Le  sujet  ressent  le  plus  souvent  un  soulagement 
immédiat  sous  l'influence  de  la  douche  statique  ;  la  sensation  de  fraî- 
cheur est  très  agréable  et  les  céphalées  les  plus  opiniâtres  sont  atténuées 
sinon  dissipées  complètement. 

Résultats  consécutifs.  —  L'insomnie,  si  fréquente  chez  les  névropa- 
Ihiques,  tend  à  disparaître,  les  digestions  se  régularisent,  l'appétit  s'amé- 
liore, la  constipation  est  combattue  et  la  circulation  modifiée. 

La  chute  des  cheveux  a  été  arrêtée  dans  quelques  céphalées,  en  même 
temps  que  diminuait  l'hyperesthésie  du  cuir  chevelu.  On  a  noté  aussi 
une  certaine  suractivité  dans  la  croissance  des  cheveux. 

En  somme,  la  supériorité  de  cette  méthode,  essentiellement  bénigne, 
réside  dans  ce  fait  que,  tout  en  agissant  d'une  façon  immédiate  sur 
l'état  local,  elle  s'adresse  directement  à  l'état  général  en  modifiant  l'éco- 
nomie et  en  combattant  le  ralentissement  de  la  nutrition. 


Conclusions 

'J°  L'électricité  est  d'une  efïïcacité  incontestable  dans  le  traitement  de 
k  migraine  et  des  céphalées. 

2"  La  méthode  est  basée  sur  l'emploi  du  bain  électro-statique  et  sur 
l'application  de  la  douche  statique  sur  la  tête. 

3°  Les  résultats  sont  locaux  et  généraux. 

Les  résultats  locaux  consistent  dans  le  soulagement  immédiat  des  cépha- 
lées les  plus  violentes. 

Les  résultats  généraux  consistent  dans  l'augmentation  des  forces  et  de 
l'appétit,  la  régularité  des  selles  et  la  disparition  de  l'insomnie,  phéno- 
mène si  fréquent  chez  les  gens  nerveux  ;  en  un  mot,  une  modification 
générale  de  l'économie. 

Ces  résultats  sont  obtenus  dans  la  grande  majorité  des  cas. 

4°  Ce  traitement,  qui  rend  de  réels  services  aux  anémiques  et  aux  sur- 
menés, n'ofïre  aucun  danger. 


46* 


722  SCIENCES   MÉDICALES 

M.    a.    THERMES 

à  Paris. 


DES     NÉVROSES    V E R M  I N E U S E S 


—  Séance  du  //  septembre  1302  — 

Les  névroses,  principalement  la  neurasthénie,  l'hystérie,  la  chorée,  Yépi- 
lepsie  ont,  le  pkis  souvent,  un  fond  commun  d'origine;  elles  font  partie 
d'une  même  famille  et  sont  unies  entre  elles  par  un  facteur  commun  : 
l'hérédité. 

Telle  est,  d'après  Môbius.  Charcot,  Féré,  Grasset,  Dejerine,  etc.,  la 
genèse  des  maladies  du  système  nerveux. 

Mais  s'il  est  vrai  que,  à  l'état  normal  comme  à  l'état  pathologique, 
l'hérédité  régisse  et  gouverne  les  phénomènes  biologiques,  crée  la  person- 
nalité neuropathique,  d'autres  éléments  pathogènes  viennent,  à  titre  de 
a  cause  occasionnelle  »,  provoquer  accidentellement  les  diverses  manifes- 
tations nerveuses  ressortissant  à  ces  névroses  restées  jusqu'ici  à  l'état 
latent.  Ainsi,  les  dépressions  psychiques ,  les  émotions  morales,  la  frayeur, 
certaines  intoxications  (alcool,  tabac,  mercure,  plomb,  sulfure  de  carbone), 
l'onanisme,  le  traumatisme,  les  accidents  de  chemin  de  fer. 

A  ces  divers  agents  psychiques,  physiques  et  chimiques,  il  convient,, 
selon  nous,  d'en  ajouter  un  autre,  animé  celui-ci,  et  dont  la  fréquence, 
pour  n'être  pas  grande,  n'est  point  toutefois  à  négliger  :  je  veux  dire  les 
parasites  intestinaux  de  l'homme. 

Les  helminthes  déterminent  assez  fréquemment  des  symptômes  locaux 
ou  à  distance,  par  suite  de  leur  migration,  symptômes  ordinairement 
légers,  parfois  graves;  mais  ils  donnent  encore  lieu,  quoique  plus  rare- 
ment, à  des  phénomènes  irritatifs,  puis  réllexes,  s'irradiant,  par  le  grand 
sympathique,  à  la  sphère  spino-bulbaire  et  môme  cérébrale.  A  cette  irri- 
tation pathogénique  ne  faudrait-il  point,  peut-être,  ajouter  dans  certains 
cas,  l'action  nocive  exercée  sur  la  cellule  nerveuse  par  les  toxines  sécrétées 
ou  excrétées  par  ces  vers?  Quoi  qu'il  en  soit,  il  nous  a  paru,  du  moins 
en  France,  que,  parmi  les  parasites  intestinaux  de  l'homme,  l'oxyure  ver- 
miculaire,  l'ascaride  lombricoïde,  letœnia  soliuni,  le  bothriocéphale  étaient 
les  vers  qui  provoquaient  d'ordinaire  ces  accidents  réflexes  et  peut-être 
toxiques. 


G.    THERMES.   —   DES   NÉVROSES   YERMIKEUSES  "23 

Ici  une  question  plus  délicate  se  pose.  Ces  troubles  nerveux  sont -ils 
l'expression  de  névroses  spéciales,  réflexes  ou  sympathiques,  comme  on 
disait  autrefois,  ou  bien  sont-ils  la  manifestation  de  névroses  centrales 
idiopathiques  ?  En  un  mot,  s'agit-il,  en  l'espèce,  de  névroses  vraies  ou  de 
névroses  fausses? 

Pour  nous,  lorsque  les  symptômes  nerveux  apparaissent  chez  des  sujets 
sans  antécédents  neuropathiques  positifs,  héréditaires,  lorsqu'on  ne  trouve 
chex  eux,  en  dehors  parfois  de  la  neurasthénie  acquise,  aucune  tare  phy- 
sique ou  psychique  de  dégénérescence,  on  doit  penser  tout  d'abord  à 
une  fausse  névrose  d'origine  réflexe,  à  point  de  départ  périphérique;  et 
bien  que  les  troubles  nerveux  simulent,  parfois  à  s'y  méprendre,  la  vraie 
neurasthénie,  la  petite  ou  la  grande  hystérie,  le  mal  comitial,  la  chorée, 
il  convient,  avec  les  auteurs,  de  dire  qu'il  s'agit  de  troubles  neurasthéni- 
formes,  hystériformes,  épileptiformes,  choréiformes.  Et  c'est  là,  d'ailleurs, 
le  cas  le  plus  fréquent. 

Mais  si  les  accidents  dits  réflexes  ou  sympathiques  se  produisent,  non 
plus  chez  des  personnes  indemnes  de  nervosisme,  mais  chez  des  hérédi- 
taires, chez  des  porteurs  de  stigmates  physiques  ou  psychiques  de  dégéné- 
rescence, il  ne  nous  paraît  pas  démontré  qu'on  puisse  croire  à  une  névrose 
spéciale  réflexe,  née  d'une  irritation  intestinale,  encore  moins  à  une 
névrose  symptomatique;  nous  estimons  qu'on  est  en  présence,  le  plus 
souvent,  de  névroses  vraies,  dont  l'helminthiasis  n'a  été  que  la  cause  occa- 
sionnelle, déterminante,  V ictus;  qu'il  s'agit  de  névroses  centrales,  céré- 
bro-spinale, bulbo-cérébrale,  spino-bulbaire,  de  neurasthénie  ou  d'hystérie, 
ou  dépilepsie  ou  de  chorée. 

Et  voici,  ce  nous  semble,  à  l'appui  de  cette  dernière  opinion,  quelques 
observations  résumées  de  névroses  vraies,  vermineuses,  relevées  chez  des 
malades  que  nous  n'avons  pas  perdu  de  vue,  depuis  une  ou  plusieurs 
années. 

A.  —  Neurasthénie. 


1»  M.  X.,  âgé  de  vingt-deux  ans.  Étudiant.  Antécédents  nerveux  héréditaires 
côté  maternel.  A  abusé  des  plaisirs  vénérions.  Peu  à  peu  sans  cause  apparente, 
troubles  de  neurasthénie  et  de  cérébrosthénic.  (Céphalalgie,  insomnie,  impuis- 
sance de  travail,  mélancolie  ;  un  peu  de  rachialgle,  troubles  digestifs,  boulimie, 
amyosthénie  générale,  faible. 

Traitement  :  liydrothérapic,  massage,  repos  physique  et  intellectuel.  Amélio- 
ration très  légère.  Puis  accentuation  de  tous  les  phénomènes  morbides  indiqués. 
Présence  d'ascarides  lombricoides  dans  les  garde-robes.  Traitement  antihelmintique 
(santonine,  huile  de  ricin).  Huit  némalodes  expulsés.  Cessation  des  accidents. 
Continuation  du  traitement  antérieur.  Grande  amélioration  et  disparition  des 
phénomènes  de  neurasthénie,  depuis  six  ans. 

20  M.  X.,  âgé  detrente-ciaq  ans.  Avocat.  Antécédents  héréditaires  des  ascendants, 


724  SCIENCES   MEDICALES 

se  surmène  quelquefois  intellectuellement.  Symptômes  modérés  de  cérébrosthénie. 
Traitement  classique;  en  outre,  électrothérapie  (électricité  statique).  Troubles 
gastro-intestinaux.  Dilatation  de  Testomac,  fringale.  Sans  cause  appréciable, 
ao-gravation  de  la  neurasthénie.  Présence  d'ascarides  lombricoïdes.  Traitement 
ad  hoc.    Amélioration  consécutive   notable,  puis  cessation  de  la  neurasthénie 

depuis  quatre  ans. 

30  jyiiie  X.,  âgée  de  trente-deux  ans.  Artiste.  Mère  nerveuse,  hystérie  légère. 
Vie  un  peu  agitée.  A  voyagé  en  Suisse,  en  Egypte.  Pas  d'émotions  morales  trop 
vives.  Pas  de  surmenage  intellectuel.  Plutôt  surmenage  physique.  Sans  cause 
connue,  émotivité,  tristesse,  diminution  de  la  mémoire.  Amyosthénie.  Pesanteur 
de  tête  (le  casque  occipito-frontal).  Troubles  gastro-intestinaux.  Traitement  de  la 
névrose;  amélioration,  puis  accentuation  de  tous  ces  phénomènes.  Rend  alors 
des  anneaux  de  tœnia  solium.  Traitement  spécial  (extrait  éthéré  de  fougère  mâle, 
huile  de  ricin).  Rend  le  ta;nia  avec  la  tête.  Cessalion  de  tous  les  accidents  depuis 
sept  ans,  mais  garde  un  fond  nerveux. 


B.  —  Hystérie. 

|o  j^iia  X.,  âgée  de  cinq  ans.  Antécédents  héréditaires.  Mère  a  été  hystéro- 
épileptique.  Pas  de  convulsions  au  moment  de  la  dentition.  Vers  l'âge  de  quatre 
ans,  quelques  accès  de  colère  suivis  de  pleurs.  Un  peu  d'insomnie.  Elle  con- 
tracte la  coqueluche  et  devient  plus  nerveuse.  Un  jour  elle  est  prise  d'une  petite 
attaque  d'hystérie.  On  constate  la  présence  de  quelques  oxyures.  Traitement  ad 
hoc.  Bientôt  hémianesthésie  sensitivo-sensorielle.  Rétrécissement  du  champ 
visuel.  Dyschromatopsie.  On  s'aperçoit  alors  que  les  oxyures  vermiculaires,  plus 
nombreux  à  l'anus,  ont  envahi  les  parties  génitales  et  que  quelques-uns  ont 
pénétré  dans  le  vagin.  Pastilles  de  santonine,  huile  de  ricin,  lavements  et  lotions 
d'eau  sulfureuse.  Continuation  du  traitement  hydrothérapique.  Disparition  des 
oxyures.  Cessation  des  accidents  nerveux,  depuis  quatre  ans. 

2°  M"«  X.,  âgée  de  seize  ans,  bien  réglée.  Mère  nerveuse.  Père  neurasthé- 
nique. Sœur  morte  de  tuberculose  pulmonaire.  Sans  cause  bien  appréciable, 
tristesse,  émotivité,  tachycardie,  troubles  digestifs.  Deux  ou  trois  petites  atta- 
ques d'hystérie.  Constatation  d'anneaux  de  to'/i«a  Inermis.  Au  traitement  de  l'hys- 
térie, nous  associons  celui  de  l'helmiothiasis.  Cessalion  des  attaques  qui  n'ont 
plus  reparu  depuis  trois  ans.   Diminution  et  disparition  des  troubles  nerveux. 


C.  —  Épilepsie 

M^"*  X.,  âgée  de  dix-sept  ans.  Antécédents  héréditaires  surtout  du  côté  pater- 
nel. Quelques  manifestations  neurasthéniformes  au  moment  de  la  puberté. 
Chloro-anémie  légère.  Hydrothérapie,  massage.  Eaux  thermales.  Amélioration 
de  l'état  général.  Un  an  après,  palpitations.  Troubles  digestifs.  Nervosisme  s'ac- 
centue. Valérianate  d'ammoniaque  de  Pierlot.  La  malade  s'aperçoit  qu'elle  rend 
des  anneaux  de  tœnia  solium.  Pelleliérine.  Une  nuit,  attaque  d'épilepsie  dont 
nous  sommes  témoins:  perte  de  connaissance.  Spasme  tonique,  puis  quelques 
secousses  cloniques.  Morsure  de  la  langue.  Écume  sanguinolente  à  la  bouche. 
Miction  inconsciente.  Légère  hébétude  à  la  cessation  de  l'accès.  Le  lendemain 


ARIS.    —   PLAIE   PÉNÉTRANTE    DE   l'aBDOMEN    PAR    BALLE   DE   REVOLVER       72d 

pâleur  générale,  grande  fatigue.  Extrait  éthéré  de  fougère  mâle,  Teenia  rendu 
avec  la  tète.  Polybromure.  Plus  d'attaque.  Trois  mois  après,  accès  de  petit  mal 
(vertige,  absence,  pas  de  délire).  Plus  rien  depuis  huit  ans. 


D.  —  Chorée. 

M.  X.,  âgé  de  quatorze  ans.  Père  neurasthénique.  Dilatation  de  l'estomac. 
Pas  de  rhumatisme  chez  le  jeune  homme.  Légère  tendance  à  l'obésité.  Pas  de 
contagion  par  imitation.  Chorée,  surtout  hémichorée  droite.  Pas  d'ancsthésie  ni 
d'hyperesthésie.  Hydrothérapie,  massage,  bains  sulfureux  faibles.  Chorée  s'ac- 
centue. OEutsde  bothriocéphalt!  constatés  à  la  suite  d'un  traitement  aiitihelmin- 
thique,  entraînés  sans  doute  avec  les  derniers  anneaux  passés  inaperçus.  Amé- 
lioration notable.  Presque  plus  de  mouvements  choréiques  depuis  un  an. 

De  ces  observations,  il  nous  paraît  résulter  : 

1"  Ces  diverses  névroses  étaient  des  névroses  vraies,  provoquées  par  l'helmin- 
thiasis,  chez  des  personnes  ayant  des  antécédents  héréditaires  neuropatbiques; 

2°  Le  traitement  antihelminthique,  assurément,  n'a  pas  agi  sur  la  diathèse, 
sur  la  névrose,  mais  en  attaquant,  en  détruisant  la  cause  occasionnelle  :  le  ver, 
il  a  manifestement  amélioré,  fait  cesser  ou,  tout  au  moins,  éloigné  les  symp- 
tômes cérébro-spinaux,  spino-bulbaires  de  ces  diverses  névi'oses. 


M.  ARIS 

à  Pau. 


PLAIE    PÉNÉTRANTE    DE    L'ABDOMEN    PAR    BALLE    DE    REVOLVER.  —    PÉRITONITE 
TRAUMATIQUE.  —   GUÉRISON    SANS    OPÉRATION 


—  Séance  du  1~  septembre  1892  — 


Obs.  —  Le  9  novembre  1891,  j"ai  été  appelé  auprès  de  M"'«  D...,  qui  avait 
reçu  un  coup  de  revolver  dans  l'abdomen  cinq  heures  avant  mon  arrivée.  Je 
trouve  la  malade  dans  le  décubitus  dorso-sacré,  légèrement  inclinée  vers  le 
côté  gauche,  les  cuisses  fléchies  sur  le  bassin  et  les  jambes  sur  les  cuisses.  Le 
faciès  est  pâle  et  exprime  la  souffrance.  L'intelligence  est  nette;  elle  répond  à 
mes  questions  avec  assez  de  précision  ;  c'est  vers  cinq  heures  de  l'après-midi 
qu'elle  a  reçu  un  coup  de  revolver  tiré  par  si  m  mari  et  la  balle  l'a  frappée  au 
ventre.  On  me  présente  le  revolver  encore  chargé  de  cinq  balles,  le  calibre  est 


726  SCIENCES   MÉDICALES 

de  7  millimètres.  A  l'examen  je  constate,  à  trois  centimètres  au-dessous  de 
l'ombilic  et  à  un  centimètre  à  gauche  de  la  ligne  blanche,  une  tache  noirâtre, 
de  forme  à  peu  près  circulaire,  à  bords  mâchés,  du  diamètre  de  8  millimètres 
environ  et  formant  cicatrice  sur  la  plaie  qui  s'est  refermée  et  que  j'évite 
d'explorer.  C'est  la  plaie  d'entrée  du  projectile,  il  n'y  a  pas  de  plaie  de  sortie. 
La  baile  est  donc  logée  dans  la  cavité  abdominale.  Impossible  de  conjecturer 
son  trajet,  mais  la  pénétration  de  l'intestin  grêle  est  probable. 

Le  ventre  a  subi  un  commencement  de  ballonnement  général  et  présente  une 
partie  proéminente  correspondant  exactement  à  la  plaie  d'entrée  du  projectile 
représentée  par  la  croûte  noirâtre  qui,  examinée  de  profil,  est  en  relief.  Il  est 
très  douloureux  spontanément  et  au  palper  le  plus  délicat.  La  malade  a  des 
douleurs  paroxystiques  qui  lui  arrachent  des  cris. 

Après  avoir  reçu  le  coup  de  revolver,  la  malade  s'enfuit  dans  la  rue  et,  après 
quelques  pas,  eut  un  vomissement  alimentaire  composé  de  pain  et  de  frag- 
ments de  fruits  non  digérés  qu'elle  avait  mangés  quelques  instants  aupara- 
vant. Pas  de  sang  dans  les  matières  vomies.  Avant  mon  arrivée,  on  avait  donné 
un  peu  d'eau  à  boire  à  la  malade,  à  sa  demande,  et  son  ingestion  avait 
été  suivie  aussitôt  d'un  vomissement  composé  d'un  liquide  verdàtre. 

Un  frisson  violent  et  prolongé  avait  accompagné  et  suivi  le  premier  vomis- 
sement avec  sensation  subjective  de  froid  vivement  ressentie  par  la  blessée 
qu'on  avait  du  réchauffer  à  l'aide  de  linges  chauds. Température  axillaire,  38°,  1. 
Respiration  superficielle  à  14.  Le  pouls,  à  78,  est  faible  sans  être  filiforme  ;  il 
n'y  a  pas  de  sueurs  froides,  pas  de  collapsus.  L'hémorragie  interne,  si  elle 
existe,  doit  donc  être  insignifiante. 

Quant  à  la  recherche  par  la  percussion  et  par  le  palper  des  signes  physiques 
d'une  collection  sanguine,  elle  est  rendue  impossible  par  l'état  de  sensibilité 
exquise  de  la  paroi  abdominale;  le  sang  ayant  pu,  d'ailleurs,  dans  ce  cas, 
s'infiltrer  entre  les  anses  intestinales,  au  lieu  de  se  collecter,  je  nai  pas  cru 
devoir  insister  dans  cette  partie  de  mon  examen  sans  grande  utilité  et  qui  pré- 
sentait des  inconvénients. 

En  l'absence  des  symptômes  qui  annoncent  l'hémorragie  interne  —  col- 
lapsus,  pouls  filiforme,  sueurs  froides  — j'ai  rattaché  la  pâleur  de  la  face, 
trouble  vaso-moteur,  à  la  péritonite  traumatique.  La  matité  du  foie  est 
normale. 

Le  traitement  a  consisté  dans  l'immobilisation  du  bassin  et  de  tout  le  corps, 
immobihsation  de  l'intestin  par  l'opium  (un  centigramme  d'extrait  d'opium 
toutes  les  heures),  diète  absolue,  sauf  quelques  pilules  de  glace,  à  de  rares 
intervalles,  pour  modérer  la  sensation  de  soif  qui  est  très  vive.  Vessie  de  glace 
en  permanence  sur  le  ventre  ;  au  préalable,  antisepsie  de  la  petite  plaie  et  de 
son  pourtour,  et  son  occlusion  par  de  la  baudruche  trempée  dans  un  coUodion 
au  sublimé. 

40  novembre,  8  heures  matin.  —  Le  ballonnement  du  ventre  a  augmenté,  la 
douleur  abdominale  est  moins  aiguë;  la  malade  se  plaint  surtout  d'une  dou- 
leur continue  au  creux  épigastrique,  ses  pommettes  sont  fortement  colorées. 
Elle  a  pris  8  centigrammes  d'extrait  gommeux  d'opium  depuis  II  heures  la  veille 
au  soir.  Pouls  à  76,  température,  38°,'6.  Même  traitement  :  un  centigramme 
d'extrait  d'opium  toutes  les  deux  heures. 

H  novembre,  8  heures  matin.  —  La  nuit  précédente  a  été  relativement  bonne. 
La  douleur  épigastrique  et  le  ballonnement  du  ventre  ont  diminué.  La  tumé- 


ARIS.    —   PLAIE    PÉNÉTRANTE   DE    l'aBDOMEN   PAR    BALLE    UE    REVOLVER      "27 

faction  qui  avait  pour  centre  la  petite  plaie,  s'est  notablement  affaissée.  L'explo- 
ration méthodique  du  ventre  est  possible  ;  la  percussion  dénote  de  la  sonorité 
de  presque  toute  la  région  ballonnée  et  vers  le  petit  bassin.  Un  seul  point 
de  submatité  à  gauche  de  la  plaie.  Langue  humide  ;  les  pommettes  sont  moins 
injectées  qu'hier.  La  sécrétion  urinaire  était  tarie  depuis  l'accident;  ce  malin, 
la  malade  a  uriné  un  peu. 

Pouls  à  62;  température  axillaire,  37",3. 

La  malade  se  sent  bien  et  demande  à  manger  du  pain.  Fait  à  noter  :  ses  règles, 
qui  dataient  de  trente-six  heures  au  moment  de  laccident  et  qui  avaient  été 
brusquement  supprimées  alors,  ont  reparu  la  nuit  dernière,  moins  abondantes 
simplement  qu'à  l'état  normal.  Traitement  :  cessation  de  la  vessie  de  glace, 
continuation  de  la  médication  opiacée  et  de  l'immobilisation,  diète  absolue,  à 
l'exception  de  quelques  cuillerées  d'eau  froide. 

12  novembre,  au  matin.  —  La  journée  précédente  et  la  nuit  dernière  ont  été 
bonnes.  La  malade  a  bien  dormi  la  nuit.  Elle  a  rendu  quelques  gaz  par  l'anus 
(retour  des  mouvements  péristal tiques).  Elle  n'avait  pas  uriné  depuis  la  veille 
au  matin  o  heures,  et  très  peu;  or,  ce  matin,  à  7  heures,  elle  a  émis  environ 
500  grammes  d'une  urine  haute  en  couleur. 

Pouls  à  60  ;  température  axillaire,  37^, 3. 

13  novembre,  au  soir.  —  La  malade  a  dormi  six  heures  consécutives  la  nuit 
dernière;  elle  ne  souffre  plus.  Elle  a  uriné  deux  fois  :  oOO  grammes  d'urine  à 
9  heures  hier  au  soir,  et  250  grammes  aujourd'hui  à  4  heures.  Coloration 
normale  des  urines.  Elle  a  rendu  des  gaz  par  l'anus.  L'injection  des  pom- 
mettes a  disparu. 

Pouls  à  60;  température  axillaire,  37». 

Le  ventre  n'est  plus  sensible  à  un  palper  modéré,  la  sonorité  a  diminué  ;  la 
tuméfaction  persiste,  mais  plus  circonscrite. 

Traitement  :  lait  par  cuillerée  à  soupe  toutes  les  vingt  minutes  ;  6  cen- 
tigrammes d'extrait  gommeux  d'opium  dans  les  vingt-quatre  heures. 

La  malade  s'est  levée,  guérie,  le  treizième  jour  après  l'accident.  Je  l'ai  revue 
deux  mois  après  ;  on  sentait,  au  niveau  de  la  cicatrice,  comme  un  cordon 
traversant  la  paroi  abdominale.  La  guérison  était  parfaite,  sauf  un  degré  de 
parésie  intestinale  et  quedques  douleurs  liées  à  un  état  de  constipation.  J'ai 
prescrit  un  traitement  approprié  et  la  malade  n'est  plus  venue  me  consulter. 


Conclusion.  —  Le  siège  de  la  lésion  (région  sous-ombilicale,  à  un 
centimètre  de  la  ligne  blanche)  rend  probable  la  pénétration  de  l'intestin 

grêle . 

La  persistance  de  la  matité  du  foie  m'a  fait  rattacher  le  ballonnement 
du  ventre  au  simple  développement  des  gaz  dans  la  cavité  intestinale  et 
m'a  amené  à  exclure  l'hypothèse  d'un  envahissement  de  la  cavité  péri- 
tonéale  par  les  gaz  et  les  matières  contenues  dans  l'intestin;  soit  que 
l'exiguïté  de  la  plaie  ait  favorisé  l'oblitération  instantanée  par  hernie  de 
la  muqueuse  à  travers  la  musculaire  et  la  séreuse  ;  soit  que  des  adhé- 
rences rapides  aient  assuré  la  protection  autour  de  la  plaie  d'entrée  du 


728  SCIENCES   MÉDICALES 

projectile.  De  même,  les  principaux  symptômes  caractéristiques  de  l'hé- 
morragie interne  ont  fait  défaut. 

L'analyse  de  cette  observation  démontre  que  les  troubles  nerveux  de  la 
péritonite  ont  dominé  la  scène.  Le  choc  transmis  au  grand  sympa- 
thique par  le  plexus  nerveux  mésentérique  fait  toute  la  symptomatolo- 
gie  :  les  troubles  de  la  sensibilité  sont  caractérisés  par  la  douleur  exquise 
de  l'abdomen,  ceux  de  l'appareil  moteur  par  l'arrêt  des  contractions 
péristaltiques  de  l'intestin  (ballonnement  et  constipation)  et  par  l'appari- 
tion des  mouvements  antipéristaltiques  (vomissements  bilieux).  Enfin, 
les  troubles  vaso-moteurs  sont  manifestes  :  pâleur  de  la  face,  frissons, 
faiblesse  du  pouls,  embarras  de  la  respiration,  arrêt  momentané  de  la 
sécrétion  urinai  re. 

Dans  ces  conditions,  une  laparotomie  d'emblée  était  contre-indiquée,  et 
la  médication  par  l'opium,  qui  a  aidé  à  la  guérison,  m'a  paru  seule 
rationnelle. 


M.  ELEVY 

à  Biarritz. 


MÉTÉOROLOGIE    MÉDICALE    DE   BIARRITZ 


—  Fêance  du  17  septembre  1892  — 

Dans  un  récent  travail  intitulé  :  Du  Climat  marin,  Biarritz  bains  de  mer 
et  ville  d'hiver,  je  viens  de  publier  les  moyennes  des  principaux  élé- 
ments climatériques;  mon  but,  dans  cette  Note  nouvelle,  est  de  les  rappeler 
en  les  complétant  sur  certains  points.  Sans  aborder  les  questions  théo- 
riqueS;  je  ne  signalerai  ici  que  les  faits  acquis  les  plus  importants. 

Les  sources  auxquelles  j'ai  puisé  pour  mes  recherches  sont  les  suivantes  : 
observations  du  Sémaphore  communiquées  en  partie  directement  par  la 
bienveillance  du  Ministère  de  la  Marine:  —  relevés  de  M.  Sebie,  le  cons- 
ciencieux secrétaire  de  la  Société  de  Biarritz,  —  association  dont  l'hono- 
rable M.  O'Shea  est  président;  —  enfin  M.  le  commandant  Littré  a  bien 
voulu  me  communiquer  également  quelques  moyennes  qu'il  a  calculées 


ÉLEYY.    —    MKTÉOROLOGIE   MÉDICALE   DE    BIARRITZ  729 

pendant  son  dernier  séjour,  à  l'aide  des  observations  du  Sémaphore. 
En  raison  même  de  la  constance  du  climat  au  bord  de  la  mer,  ces 
moyennes,  tirées  d'un  certain  nombre  d'années  d'observation  que  nous 
établissons,  peuvent  être  considérées  comme  se  rapprochant  de  la  moyenne 
définitive. 

MÉTÉOROLOGIE   DE   BIARRITZ 


Température  annuelle  :  Morjenne  de  /.?  années  (de  décembre  à  décembre). 


1877-78 13,1 

1878-79 13,0 

1879-80 12,5 

1880-81 lô,0 

1881-82 13,4 

1882-83 13,5 

1883-84 13,8 


1884-85 l^'.O 

1885-86 13,9 

1886-87 13,6 

1887-88 12,6 

1888-89 13,4 

1889-90 13,4 


Moyennr  de  13  ans. 

Moyenne  des  niaxima 1"°)^ 

—  des  minima 9°, 6 

—  entre  maxima  et  minima.   .   .    .     13",5 

—  des  écarts  eatre  maxima  et  mi- 
nima des  vingt-quatre  heures  ....       "".S 

Fluctuation  annuelle  :  ou  t'cart  entre  la  moyenne  du  mois  le  plus  chaud  et 
le  plus  froid  de  l'année  (moyenne  de  13  ans)  =  14"  C. 

Moyenne  de  la  température  mensuelle  (13  années),  et  différence 
du  mois  antérieur. 


Moyenne 

DiOérenre 

Moyenne 

Diflérence 

Janvier.  . 

7,5 

4,3 

Juillet  .   .   . 

20,0 

2,0 

Février.   . 

8,4 

0,9 

Août.    .   .   . 

20,1 

0,1 

Mars.    .    . 

9,9 

1,5 

Septembre  . 

19,6 

0,5 

Avril.   .   . 

11,3 

1,4 

Octobre.  .   . 

15,3 

4,3 

Mai .... 

.    .          15,0 

3,7 

Novembre   . 

10,2 

5,1 

Juin  .    .    . 

18,0 

3,0 

Décembre.  . 

11,8 

1,6 

Moyenne  saisonnière. 


Hiver  (décembre,  janvier,  février) .   . 
Printemps  (mars,  avril,  mai)  .    .    .    ■ 

Été  (juin,  juillel,  août) 

Automne    (septembre,  octobre,    no- 
vembre)  


Maximum 
11,6 

11,0 
23,4 

19,2 


Minimum 

+  4,3 

+  8,1 

15,3 

10,6 


Moyenne 

7,9 
12,0 
19,3 

15,1 


730 


SCIENCES   MEDICALES 


Moyennes  mensuelles  des  écarts  quotidiens  de  2i  heures  entre  maxima  et  miniina 

(13  années.) 


Décembre 7,6 

Janvier 6,9 

Février 7,8 

Mars 8,0 

Avril 7,8 

Mai 8,9 


Juin 8,0 

Juillet 7,5 

Août 7,7 

Septembre 9,0 

Octobre 7,6 

Novembre.    .......  7,8 


Températures  extrêmes. 

Dans  l'espace  de  six  années,  le  minimum  absolu  moyen  (minimum  nocturne) 
a  été  en  moyenne  de  —  5°,5. 

Dans  le  même  temps,  le  maximum  absolu  moyen  a  été  de  +  3b°. 

Voilà  pour  les  températures  extrêmes  de  vingt -quatre  heures;  il  nous  a  paru 
intéressant  de  savoir  combien  de  fois  le  thermomètre  descend  à  zéro  ou  au-des- 
sous dans  la  journée  médicale,  à  Theurc  où  les  malades  peuvent  sortir. 

Dans  ce  but,  nous  avons  relevé  la  température  moyenne  entre  deux  observa- 
tions prises  à  10  heures  du  matin  et  4  heures  du  soir,  au  sémaphore,  pendant 
une  période  de  seize  années,  de  1870  à  1880  et  de  1886  à  1892. 

Et  d'abord,  la  moyenne  thermique  entre  10  heures  et  4  heures  du  soir,  de 
seize  années,  est  la  suivante  : 


Novembre 11,8 

Décembre 8,4 

Janvier 8,5 


Février 9,5 

Mars 11,1 

Avril 13,1 


Moyenne  des  six  mois  :  10,4. 


Dans  cette  période  de  seize  ans,  la 
au-dessous,  dans  la  journée  médicale  de 


température  n'est  descendue  à  zéro  ou 
10  heures  à  4  heures,  que  : 


En  1870. 

1871. 

1872. 
1873. 
1874. 

1875. 

1876. 
1877. 

1878. 


Neuf  fois  en  décembre. 

Deux  fois  en  janvier. 

Six  fois  en  décembre. 

Néant. 

Néant. 

Une  fois  à  zéro  en  décembre. 
(  Quatre  fois  à  zéro  en  décembre. 
I  Une  fois  à  zéro  en  novembre. 

Quatre  fois  en  janvier. 

Néant. 

Trois  fois  en  janvier. 


1879. 
1880. 

1886. 
1887. 

1888. 

1889. 

1890. 

1891. 
1892. 


Dixfoisen  décembre  (Min.j 

Deux  fois  en  janvier. 

Néant. 

Une  ibis  en  janvier. 
(  Une  fois  en  janvier. 
\  Deux  fois  en  février. 

Une  fois  en  décembre. 
(  Trois  fois  en  novembre. 
(  Trois  fois  en  décembre. 

Dix  fois  en  janvier, 
(jusqu'en  avril)  néant. 


-10 


Donc,  sur  seize  années,  pendant  cinq  ans  la  température  n'a  jamais  atteint 
Z2ro  dans  le  jour.  Pendant  toutes  les  onze  autres  années,  il  y  a  en  tout  soixante- 
sept  jours  de  température  à  zéro.  Ce  qui  fait  une  moyenne  de  quatre  jours  par 


ÉLEVY.    —    METEOROLOGIE   MEDICALE    DE    BIARRITZ 


:3i 


^n  de  froid  à  zéro  dans  la  journée  médicale.  —  Dans  l'hiver  si  terrible  de  1879, 
la  température  la  plus  basse  observée  dans  le  jour,  à  Biarritz,  a  été  de  —  4  degrés. 
Ce  n'est  que  dans  les  années  les  plus  froides,  1870,  1879  et  1891,  (jue  le 
•thermomètre  est  resté  plus  de  quatre  jours  au-dessous  de  zéro  dans  le  jour, 
pendant  tout  un  hiver. 


Pluviométrie 

De  1886  à  1892,  les  hauteurs  de  pluie  sont  en  moyenne  pour  chaque  mois 
•et  par  ordre  : 


Octobre  . 
Novembre 
Avril.  .  . 
Décembre. 
Mai  .  .  . 
Août.    .    . 


167 
149 
95 
95 
94 
91 


mmO 

0 


9 

2 
8 
9 


.Janvier  . 
Juin  .  .  . 
Mars.  .  . 
Juillet  .  . 
Février.  . 
Septembre 


80"»  ""ô 
79  6 
67  9 
67  8 
65  4 
58    3 


Moyenne  annuelle  de  hauteur  de  pluie  :  1.066'"°',19. 


Jours  de  pluie.  —  Nous  divisons  les  jours  de  pluie  en  jours  de  grande  pluie 
•au-dessus  de  3  millimètres  et  jours  de  petite  pluie  au-dessous. 


Avril.  .  . 
Octobre.  . 
Janvier.  . 
Décembre. 
Novembre 
Mars .    .    . 


A  reporter 


UBAN-DE  PLUIE 

PETITE  PLCIE 

Jours 

Jours 

8,8 

6.4 

9,8 

5,0 

9,0 

5,5 

8,5 

5,7 

9,8 

^,1 

7,3 

6,5 

53,2  33,2 


CnANDE  PLUIE     PETITE  PLUIE 


Report . 
Mai  . 
Février 
Août. 
Juin  . 
Juillet 
Septembre  . 

TOT.VL . 


Jours 

53,2 
6,5 
6,5 
6,5 
6,5 
4,5 
4,5 

88,2 


Jours 

33,2 

7,3 
5,0 
4,8 
4,7 
5,0 
2,3 

62,3 


ToT.\L  DE  l'.^nnée  (moyenne  de  six  années)  :  130,5  joui-s  de  pluie. 

Le  mois  le  plus  beau  est  le  mois  de  septembre,  où  l'on  observe  le  moins  de 
quantité  de  pluie  et  le  chiffre  le  plus  faible  de  jours  de  pluie.  C'est  aussi  le 
anois  le  plus  fréquenté  à  Biarritz. 

La  neige  est  très  rare,  à  peine  trois  fois  par  an. 


Pression  at.mospiiérique 


Le  baromètre  marque  en  moyenne  (six  années)  765,6.  La  pression  moyenne 
la  plus  forte  a  lieu  en  juillet,  768,7;  et  janvier,  767,3;  la  plus  faible  en  avril  et 
novembre,  7(>2,l. 


SCIENCES   MEDICALES 


VENTS     REGNANTS 


Vents  de  mer. 


rURECTIONS 


Jours  Joui's  Joiii-s  Jours 

Sud-ouest 19               15  20  21 

Ouest 13               13  17  14 

Nord-ouest 7  12  g                 9 

Nord 5               14  6                 9 

Totaux 44  54  51  53 


202 


Ce  chiffre  202  représente  la  totalité  des  jours  de  vents  qui,  à  Biarritz,  souf- 
flent de  l'Océan  (vents  de  mer). 


Vents  de  terre. 

DIRECTIONS 

HIVER 

PRINTEMPS 

ÉTÉ 

AUTOMNE 

Jours 

Jours 

Jours 

Jours 

Nord-est 

.  .  .           11 

14 

9 

8 

Est.    .   . 

.    .    .                  7 

9 
6 

5 

4 

8 
0 

Sud-est. 

.    .    .                  9 

Sud.  .   . 

.    .   .                16 

10 

9 

16 

Totaux.   .   . 

.   .   .                43 

39 

27 

32 

141 


Ce  chiffre  141  représente  le  chiffre  des  jours  des  vents  de  terre. 

Ainsi  l'on  voit  que  les  vents  dominants  sont  en  toute  saison  les  vents  d'ouest 
et  de  sud-ouest  venant  du  large  ;  ces  vents,  comme  on  sait,  rafraîchissent  l'air 
en  été  et  le  réchauffent  en  hiver. 

Les  vents  du  sud,  en  outre,  dominent  en  hiver  et  en  automne.  Au  printemps, 
on  observe  quelques  vents  du  nord  et  du  nord-est.  Les  vents  dest  et  de  sud- 
est  sont  rares  en  toute  saison.  En  été,  les  vents  de  terre,  qui  sont  les  vents 
chauds,  sont  moitié  moins  fréquents  que  les  vents  du  côté  de  l'Océan. 

Il  y  a  en  moyenne  trois  jours  de  bourrasques  à  l'ouest  au  mois  de  janvier. 
Le  reste  de  l'année  les  vents  sont  modérés. 

La  nébulosité  moyenne  est  de  5  pour  10.  Le  maximum  est  en  novembre, 
décembre  et  janvier,  ^^i  le  minimum,  en  septembre,  ■^. 

La  moyenne  ozonométrique  annuelle  est  très  élevée,  16  pour  21  de  l'échelle 
de  Jame.  Le  maximum  18  et  19  a  lieu,  en  octobre,  19,  et  novembre  et  dé- 
cembre, 18;  le  minimum,  en  septembre,  13. 

Ce  minimum  coïncide  avec  le  mois  le  moins  pluvieux. 

L'évaporomètre  de  Piche  marque  1  "V"  en  hiver  et  2  "V"  5  en  été. 

L'humidité  relative  annuelle  de  la  journée  de  12  heures  est  de  -^.  Le  maxi- 
mum est  en  juillet  ■^,  et  le  minimum  en  avril  ^. 


ÉLEVY.    —    MÉTÉOROLOGIE    MÉDICALE    DE    BIARRITZ  T33 


CLLMATOLOGIE 

1°  Le  climat  de  Biarritz  est  rangé,  dans  la  classification  de  Weber,  dans 
les  climats  insulaires  et  côtiors  d'humidité  moyenne,  dans  la  même 
catégorie  qu'Alger,  Tanger,  Ajaccio,  Lisbonne,  Arcachon. 

2°  La  topographie  de  Biarritz  fait  que  les  vents  dominants  du  large 
pénètrent  à  tous  les  étages  de  son  vaste  amphithéâtre. 

3°  L'air  de  Biarritz  est  pur,  privé  de  poussières  et  de  micro-organismes, 
très  chargé  d'ozone,  d'une  transparence  et  d'une  clarté  remarquable,  im- 
prégné de  principes  salins  et  véritablement  antiseptiques. 

4°  Située  entre  l'Océan,  les  Pyrénées  et  les  Landes,  Biarritz  doit  à  cette 
triple  influence  de  la  mer,  de  la  montagne  et  de  la  foret  un  climat  par- 
ticulièrement sain  et  fortifiant. 

5°  La  température  de  l'air  n'est  excessive  ni  en  été  ni  en  hiver.  La 
moyenne  hivernale  est  de  +  7°. 9.  Pendant  une  année  sur  trois  le  ther- 
momètre n'arrive  pas  à  zéro  dans  la  journée  d'hiver,  et  atteint  souvent 
en  hiver  16°  à  20°.  La  moyenne  des  écarts  quotidiens  de  température 
est  très  faible,  "°,8.  11  n'y  a  pas  de  variations  brusques  et  étendues  de 
température. 

6°  L'air  n'est  ni  trop  sec  ni  trop  humide  :  movenne  —  dans  le  jour. 

"100  "' 

7°  Les  pluies  sont  abondantes  aux  périodes  de  l'année  intermédiaires 
entre  les  saisons  d'été  et  d'hiver.  Elles  ont  lieu  surtout  sous  forme  d'a- 
verses nocturnes.  Par  sa  nature  poreuse  et  sablonneuse,  le  sol  absorbe  vite 
les  eaux  de  pluie  et  ses  pentes  rapides  facilitent  aussi  leur  écoulement.  11 
n'y  a  pas  d'humidité  secondaire  par  évaporation  de  l'eau  tombée. 

8°  Les  vents  ne  sont  très  violents  que  pendant  une  période  assez 
courte  de  janvier  ;  le  reste  de  l'année,  ils  sont  modérés. 

Qualités  du  cHniat.  —  De  l'ensemble  des  observations  et  de  mes  propres 
recherches,  on  peut  conclure  que  : 

1°  Le  climat  de  Biarritz  possède  la  qualité  sédative  commune  à  toutes 
les  stations  de  la  région  du  sud-ouest  océanien,  mais  à  un  degré  moindre  : 
son  caractère  distinctif  et  spécial  est  la  tonicité.  C'est  un  climat  lorlihant, 
favorisant  la  nutrition  organique  et  l'assimilation. 

2"  Cette  ville  est  en  même  temps  une  résidence  d'été  et  d'hiver  : 
refuge  d'été  pour  les  habitants  des  pays  chauds  et  tropicaux,  station 
d'hiver  pour  ceux  des  latitudes  plus  élevées . 

3°  Le  séjour  de  Biarritz,  hiver  comme  été,  est  prolitable  aux  valétudi- 
naires, aux  convalescents  et  aux  personnes  âgées,  en  général,  qui  peuvent 
y  éviter  les  grandes  variations  thermiques  et  les  refroidissements  qui  en 
sont  la  conséquence. 


734  SCIENCES   MÉDICALES 

4"  La  bronchite  chronique,  les  laryngites  et  pharyngites  sont  toujours 
améliorées  dans  ce  climat,  l'asthme  quelquefois.  Certaines  formes  de  la 
phtisie  pulmonaire  à  la  période  chronique  sont  influencées  favorable- 
ment dans  cet  air  pur  et  fortifiant.  Dans  la  phtisie  scrofuleuse,  et  surtout 
la  phtisie  arthritique  (fibroid  phtisis),  les  médecins  anglais  recomman- 
dent vivement  le  séjour  de  Biarritz. 

Ils  y  envoient  chaque  année  aussi  des  malades  atteints  d'hépatites  et 
autres  maladies  contractées  aux  Indes  anglaises  et  dans  lee  pays  inter- 
tropicaux. 

Nous  aussi  pourrions  utiliser  ce  climat  dans  les  affections  de  ce  genre 
contractées  par  nos  soldats  dans  les  colonies. 

Les  médecins  anglais  qui  ont  une  grande  expérience  de  notre  climat  de 
Biarritz  le  vantent  comme  un  excellent  séjour  d'hiver  pour  les  goutteux. 
Ainsi  le  D''  Burning-Yeo,  le  grand  climatologiste,  dit  en  propres  termes 
que  le  climat  de  Biarritz  est  le  climat  antigoutteux  par  excellence.  En 
effet,  l'analyse  chimique  m'a  prouvé  également  que  l'acide  urique  diminue 
rapidement  dans  les  urines  et  que  l'urée  augmente  après  un  court  séjour 
(Analyses  de  Campan,  publiées  dans  mon  livre). 

Ce  climat  est  aussi  utile  dans  le  diabète,  les  affections  du  rein  et  de  la 
vessie,  où  la  constance  et  l'égalité  thermique,  l'air  ozonique  sont  des 
éléments  importants  du  traitement. 

Ce  climat  est  toutefois  contre-indiqué  dans  le  rhumatisme  chronique 
non  goutteux  et  les  affections  névralgiques  aiguës. 

A  cause  des  hautes  pressions  barométriques,  le  bord  de  la  mer  et 
Biarritz  sont  très  favorables  aux  malades  atteints  de  lésions  du  cœur  pour 
lesquels  le  séjour  des  montagnes  est  funeste. 

En  résumé,  Biarritz,  réputé  surtout  pour  ses  bains  de  mer  en  été,  doit  en 
même  temps  à  son  excellent  climat  d'être  rangé  au  nombre  des  plus  impor- 
tantes stations  hivernales,  d'ailleurs  très  fréquentée  et  appréciée  surtout 
par  une  nombreuse  colonie  étrangère,  principalement  anglaise. 

Dans  cette  station  hivernale  sont  traitées  avec  avantage  toutes  les 
affections  justiciables  d'un  climat  maritime  chaud,  modérément  humide, 
non  sujet  à  des  variations  brusques  de  la  température,  climat  plutôt 
sédatif,  mais  surtout  tonique  el  rapidement  reconstituant. 

Celte  tonicité  me  parait  due  en  grande  partie  à  la  richesse  de  son  air 
en  ozone.  Aussi  je  propose  d'en  faire  le  type  de  stations  sanitaires  qu'on 
appellerait  stations  ozoniques. 


ROUVEIX.    —   TRAITEMENT    DE    LA   KÉVRALGIE    SClATlUUE  73d 


M.  ROTJYEIX 

Médecin  de  l'Hospice  de  Sainl-Germain-Lembron  (Puy-de-DGme). 


DE   L'EMPLOI    DES   COURANTS   CONTINUS    DANS    LE    TRAITEMENT    DE     LA    NEVRALGIE 

SCIATIQUE 


—  Séance  du  17  septembre  1893  — 

Nous  savons,  en  électrothérapie,  que  le  pôle  positif  est  généralement 
admis  comme  calmant,  décongestionnant;  que  le  pôle  négatif,  au  con- 
traire, est  irritant  et  congestif.  Le  sens  du  courant  a  donc  lui-même  une 
action  très  grande,  suivant  qu'il  sera  ascendant  (stimulantj  ou  descendant 
(sédatif). 

Sans  entrer  dans  les  détails  techniques  que  l'on  néglige  trop  souvent  de 
se  rappeler,  sur  la  marche  des  différentes  piles,  leur  entretien,  leur  résis- 
tance et  celle  que  peut  rencontrer  le  courant,  toutes  choses  f)arfaite- 
ment  indiquées  dans  les  traités  de  physique,  nous  dirons  seulement  que 
le  côté  pratique  parait  un  peu  négligé  dans  les  ouvrages;  on  a  trop 
compté  sur  des  instruments  tout  faits  et  devant  marcher  régulièrement. 
On  ne  lient  pas  assez  compte  des  mille  causes  pouvant  modifier  l'inten- 
sité du  courant  ;  l'influence  de  la  température  ambiante,  l'usure  plus  ou 
moins  régulière  des  éléments  composant  la  pile,  la  résistance  des  élec- 
trodes, du  sujet,  qui  est  plus  ou  moins  grande  suivant  les  individus  et  peut 
même  changer  chez  le  même  individu  dans  le  cours  d'une  même  séance. 
La  peau  n'a  pas  la  même  résistance  sur  tous  les  points.  Tout  cela  pré- 
sente cependant  une  importance  capitale,  étant  donnée  la  faible  inten- 
sité du  courant  employé  en  électrothérapie. 

11  faut  donc  être  absolument  sûr  de  son  courant,  pouvoir  le  modifier 
suivant  le  cas,  changer  la  forme  des  électrodes  suivant  les  circonstances, 
pour  obtenir  le  maximum  d'effet  utile  ;  en  être  maître,  en  un  mot, 
comme  le  chimiste  l'est  de  ses  réactifs. 

Pour  se  rendre  compte  d'une  façon  permanente  de  la  constance  et  de 
l'intensité  du  courant,  il  n'y  a  que  le  galvanomètre.  Lui  seul,  consulté 
régulièrement,  pourra  empêcher  de  compter  sur  un  courant  qui  n'aurait 
pas  passé! 

Pour  l'étude  qui  nous  intéresse,  nous  pouvons  considérer  à  la  névralgie 


736  SCIENCES   MÉDICALES 

sciatique  deux  phases  bien  distinctes.  Et  sans  rentrer  dans  toute  la 
symptomatologie  de  cette  afîection,  nous  les  indiquerons  de  la  façon 
clinique  suivante  : 

1°  Une  forme  aiguë,  caractérisée  par  une  douleur  extrêmement  vive 
et  sous  forme  de  paroxysmes,  siégeant  sur  un  point  c|uelconque  du  trajet 
du  nerf  sciatique. 

C'est  pouf  cette  douleur  extrêmement  vive,  qui  ne  laisse  aucune  trêve  au 
patient,  qu'il  vient  nous  consulter. 

2''  Une  forme  chronique,  surtout  marquée  par  l'absence  de  douleur 
vive,  par  la  difficulté  pour  étendre  le  membre  malade,  par  un  peu  d'atro- 
phie musculaire  et  surtout  caractérisée  par  cette  sensation  de  membre 
trop  court  et  qu'accuse  très  bien  le  malade. 

Nous  savons,  d'autre  part,  qu'au  début  de  la  maladie  il  existe  un  état 
inflammatoire  léger  du  nerf  sciatique,  état  congestif,  qui  pourra  consti- 
tuer à  la  longue  une  maladie  même  du,  nerf,  une  névrite. 

En  présence  de  ces  deux  phases  de  la  maladie,  nous  nous  sommes 
demandé  si  nous  pouvions  employer  toujours  le  courant  continu  dans  le 
même  sens. 

M.  Onimus,  de  Paris,  a  indiqué,  dans  une  communication  au  Congrès 
de  Grenoble,  que  les  courants  de  la  pile  avaient  une  influence  suivant 
leur  direction  et  que  c'était  le  courant  descendant  qui  avait  l'action  la  plus 
sédative.  Pour  les  partisans  de  la  méthode  polaire,  c'est  encore  le  pôle 
positif  qui  est  calmant.  Il  semble  donc  tout  indiqué  de  placer  le  pôle 
positif  sur  le  point  douloureux,  sous  peine  de  déboires. 

C'est,  en  effet,  ce  que  j'ai  observé  sur  les  malades  chez  lesquels  j'ai 
appliqué  les  courants  continus  pour  le  traitement  des  névralgies  sciatiques. 

Je  procède  de  la  façon  suivante,  pour  les  cas  aigus  caractérisés  par  une 
douleur  intense.  J'applique  le  pôle  positif  formé  par  un  électrode  de 
dimension  moyenne  sur  le  point  douloureux  ou  sur  le  point  d'émergence 
du  nerf  sciatique;  mais  le  pôle  négatif  constitué  par  une  lame  de  cuivre 
vient  tremper  dans  une  grande  cuvette  en  porcelaine  pleine  d'eau  salée 
tiède,  dans  laquelle  trempe  le  pied  du  membre  malade.  Et,  progressive- 
ment, je  fais  passer  le  courant,  jusqu'à  ce  que  le  malade  accuse  une  forte 
chaleur,  mais  n'éprouve  pas  de  sensation  pénible. 

D'habitude  je  commence  par  5  milliampères,  puis  10,  puis  lo,  et,  s'il 
est  possible,  20  pendant  quelques  minutes.  La  durée  de  la  séance  est  de 
quinze  minutes  en  moyenne  et  la  quantité  d'électricité  fournie,  toujours 
contrôlée  par  un  galvanomètre  de  Gaiffe. 

Après  la  première  séance,  il  y  a  toujours  une  diminution  notable  de 
la  douleur,  le  malade  peut  marcher  sans  soufi'rir,  la  douleur  reparait 
moins  forte  le  lendemain  et,  après  une  huitaine  de  séances,  elle  a  généra- 
lement disparu.  Mais  il  faut  être  prudent  à  ce  moment,  car  souvent  l'état 


ROUVEIX.    —    TR.VITKMENT    DE    LA    NÉVRALGIE    STATIQUE  737 

aigu  n'a  pas  complètement  disparu  et  si  on  change  le  sens  du  courant, 
si  l'on  met  le  pôle  positif  dans  la  cuvette  et  le  négatif  au  point  d'émer- 
gence du  nerf  sciatique,  la  douleur  reparaît  plus  forte,  et  le  malade  ne 
peut  venir  prendre  sa  séance.  Il  faut  absolument  pratiquer  une  in- 
jection de  morphine,  ce  qui  n'est  plus  de  lélectrothérapie ;  et  ce  n'est 
qu'après  quelques  jours  de  repos,  pendant  lesquels  on  aura  fait  quoti- 
diennement des  injections  de  morphine,  appliqué  des  pointes  de  feu,  que 
le  malade  pourra  sortir  de  nouveau,  il  faudra  alors  absolument  reprendre 
les  courants  descendants.  Puis,  en  tàtant  de  temps  en  temps  la  sensibilité 
du  nerf,  en  retournant  le  sens  du  courant,  on  pourra  être  sûr  de  la  fin 
de  l'état  aigu. 

Pour  la  seconde  phase  de  la  maladie,  celle  où  il  n'y  a  plus  de  dou- 
leur, mais  seulement  de  la  roideur  et  cette  sensation  de  membre  trop 
court,  on  n'obtient  absolument  rien  des  courants  descendants,  les  ascen- 
dants seuls  sont  utiles,  suppriment  cette  roideur  du  membre,  donnent  de 
la  force  aux  muscles  et  assurent  la  guérison.  Mais  chaque  fois  que  le 
malade  sera  repris  d'une  nouvelle  crise  névralgique,  il  faudra,  avec  un 
courant  extrêmement  faible,  tâter  la  sensibilité  du  nerf,  sous  peine  de 
déterminer  soi-même  une  rechute. 

Or,  dans  aucun  ouvrage  je  n'ai  trouvé  indiqué,  d'une  façon  précise, 
cette  marche  à  suivre  dans  l'emploi  du  sens  du  courant.  Et  cependant 
cela  a  une  importance  clinique  capitale. 

AiHsi,  dans  un  autre  ordre  d'idées,  les  courants  descendants  ne  m'ont 
jamais  donné  de  résultat  dans  le  traitement  de  la  cliorée,  et  les  ascendants 
m'ont  toujours,  dès  la  première  séance,  donné  une  modification  tangible. 
Il  y  a  donc,  au  point  de  vue  clinique,  une  différence  très  nette  suivant 
le  sens  du  courant,  comme  résultat  final. 

Une  condition  importante  dans  le  traitement  de  la  névralgie  sciatique 
par  l'électricité  est  la  nécessité  absolue  d'avoir  un  diagnostic  précis,  de 
ne  jamais  prendre  une  névralgie  symplomatique  pour  une  névralgie 
essentielle.  Car  l'électricité,  non  seulement  ne  produira  pas  d'effet  curatif, 
mais  pourra  déterminer  des  complications  qui  pourront  surprendre.  Il 
faut  être  sur  que  la  névralgie  n'est  pas  symptomatique  surtout  d'une 
affection  osseuse  de  nature  tuberculeuse.  Le  courant  électrique  avance  la 
marche  des  affections  de  nature  suppurative  et,  dans  certains  cas,  il 
pourrait  servir  de  pierre  de  touche  pour  éclairer  un  diagnostic  douteux. 

En  résumé,  nous  pouvons  affirmer  que  les  courants  descendants  et  le 
pôle  positif  étant  sédatifs  et  calmants,  auront  leur  application  tout 
indiquée  toutes  les  fois  que  nous  nous  trouverons  en  présence  de  l'élément 
douleur  et  d'un  état  aigu  (hypermorbide,  si  je  puis  employer  ce  mol). 

Qu'au  contraire,  les  courants  ascendants  et  le  pôle  négatif  étant  stimu- 
lants et  irritants,  auront  leur  application  dès  que  l'état  aigu  sera  passé 

47* 


738  SCIENCES   MÉDICALES 

et  que  nous  arriverons  à  un  état  chronique  (hypomorbide)  manquant  de 
stimulant  pour  arriver  à  complète  guérison. 

Au  point  de  vue  clinique,  c'est  en  tàtant  la  susceptibilité  du  nerf 
malade  par  des  courants  de  faible  intensité  que  l'on  pourra  trouver  le 
moment  précis  où  Ton  devra  changer  le  sens  de  ce  courant,  la  disparition 
ou  la  non-existence  du  symptôme  douleur  ne  donnant  pas  une  indication 
assez  précise. 

De  plus,  ne  jamais  oublier  que  la  dimension  des  électrodes  a  une 
influence  marquée  pour  la  tolérance  du  courant;  qu'avec  de  grands 
électrodes,  un  malade  supportera  plus  facilement,  par  exemple,  10  milli- 
ampères  qu'avec  de  petits  électrodes.  Enfin,  qu'il  ne  faut  jamais  em- 
ployer de  courants  continus  sans  avoir  un  galvanomètre  sous  les  yeux, 
instrument  aussi  indispensable  en  électricité  que  le  thermomètre  en 
clinique. 


M.  X.  AEÎfOZAI 

Professeur  à  la  Faculté  de  Médecine  de  Bordeaux. 


CONTRIBUTION  A  L'ÉTUDE  DU    NÉVROME  PLEXIFORWIE 


—  Séance  du  19  septembre  1892  — 

Dans  l'étude  des  névromes  plexiformes,  le  point  qui  a  surtout  préoccupé 
îes  anatomo-pathologistes,  c'est  l'examen  des  cordons  dont  l'intrication 
est  si  remarquable.  Ces  longs  filaments  sont-ils  vraiment  des  nerfs  ?  Ren- 
ferment-ils des  tubes  nerveux  parfaits  ou  de  simples  fibres  de  Remak  ? 
Sont-ils,  suivant  le  terme  consacré,  myéliniques  ou  amyéliniques?  Enfin, 
représentent-ils  simplement  des  filets  nerveux  préexistants,  mais  hypertro- 
phiés,ou  résultent-ils,  au  contraire,  d'une  production  véritablement  nouvelle 
de  tubes  nerveux?  Telles  sont  les  principales  questions  qui  ont  été  agitées. 
Elles  sont,  à  coup  sûr,  du  plus  haut  intérêt,  mais  elles  n'embrassent  pas 
toute  l'histoire  anatomo-pathologique  des  névromes  plexiformes.  Dans  ces 
singuliers  néoplasmes,  en  effet,  outre  les  cordons  nerveux  il  existe,  et  par- 


X.    ARNOZAN. CONTRIBUTION   A    l'ÉTUDE   DU   NÉVROME    PLEXIFORME      739 

fois  en  grand  nombre,  des  ganglions  nerveux  de  formation  pathologique. 
C'est  sur  eux  que  je  voudrais  retenir  quelques  instants  votre   attention. 

Dans  le  cours  de  ma  carrière  médicale,  j'ai  eu  occasion  de  rencontrer 
trois  cas  de  névrome  plexiforme,  de  cette  variété  de  névrome  plexiforme 
que  Valentine  Mott,  Tilbury  Fox  et  leurs  compatriotes  ont  décrite  sous  le 
nom  de  pachydermatocéle.  Le  premier,  je  l'ai  absolument  méconnu,  et  avec 
notre  confrère  le  D""  Prioleau  (de  Brives),  alors  interne  de  M.  le  professeur 
Pitres,  nous  l'avons  décrit  sous  le  nom  de  Dermalofibromes  congénitaux  et 
multiples  {Annales  de  Dej'matologie,  1883j.  Je  n'y  insiste  pas  davantage; 
je  me  borne  à  vous  soumettre  la  photographie  de  la  malade  pour  vous 
donner  une  idée  de  ce  qu'était  cette  tumeur. 

Le  second  cas  est  relatif  à  une  jeune  femme,  sœur  de  la  précédente. 
Comme  elle,  elle  portait  au  côté  droit  du  cou  des  tumeurs  en  forme  de 
larges  plis  cutanés,  dont  le  développement  datait  presque  de  sa  naissance. 
Opérées  une  première  fois  en  1868  par  M.  Denucé,  et  examinées  par 
M.  Démons  qui  les  reconnut  pour  des  névromes  plexiformes,  ces  tumeurs 
avaient  récidivé  et  formaient  de  lourdes  masses  pendantes  au-devant  de 
la  poitrine.  Ce  n'est  pas,  d'ailleurs,  à  leur  sujet  que  la  malade  était  venue 
àThôpital,  c'était  pour  des  douleurs  névralgiques  et  des  crises  nerveuses, 
qui  avaient  fini  par  déterminer  une  hémiplégie  incomplète.  Après  un 
long  séjour  à  l'hôpital,  la  femme  Z...  mourut  d'une  septicémie  consécu- 
tive à  un  phlegmon  gangreneux  développé  dans  l'une  de  ses  tumeurs. 
L'autopsie  (janvier  1883)  montre  qu'un  lien  imprévu  rattachait  les  néo- 
plasmes aux  troubles  nerveux  présentés  pendant  la  vie.  Le  poids  des 
tumeurs  avait  fini  par  faire  basculer  en  avant  l'atlas  et  l'axis  ;  ces  ver- 
tèbres et  la  troisième  cervicale  étaient  considérablement  usées  et  dé- 
formées. Les  altérations  osseuses  sont  d'ailleurs  très  fréquentes  dans  le 
névrome  plexiforme  :  >L\I.  Audry  et  Lacroix  en  font  la  remarque  très 
juste  dans  un  travail  récent  {Lyon  médical,  1891).  Dans  le  cas  actuel,  cette 
luxation  spontanée  de  l'axis  et  de  l'atlas  avait  amené  un  rétrécissement 
très  prononcé  du  canal  vertébral  et  une  compression  unilatérale  de  la  région 
supérieure  de  la  moelle  :  d'où  l'hémiplégie  (1). 

Quant  aux  tumeurs,  leur  structure  était,  à  n'en  pas  douter,  celle  du 
névrome  plexiforme.  Mais  en  dehors  des  particularités  habituelles  à  ce 
genre  de  lésion,  nous  trouvâmes  à  la  base  d'implantation  une  série  de 
corps  blanc  nacré,  à  enveloppe  lisse,  gros  comme  de  petites  olives,  ayant 
à  peu  près  l'aspect  de  ganglions  lymphatiques,  mais  ayant  une  consis- 
tance plus  ferme.  Ces  corps  étaient  situés  sur  le  trajet  des  nerfs  dont  ils 
constituaient  des  renflements  fusi formes;  ils  se  rencontraient  surtout 
aux  points  d'entre-croisement  et  de  bifurcation  des  cordons  et  consti- 

(1)  L'observation  sera  publiée  avec  tous  ses  détails  dans  un  Recueil  d'études  dermatologiques  que  je 
-ferai  prochainement  paraître. 


740  SCIENCES    MÉDICALES 

tuaient  de  véritables  petites  tumeurs  d'aspect  fibreux  venant  compliquer 
la  structure  déjà  si  complexe  du  névrome  plexiforme. 

La  structure  de  ces  corps  nodulaires  nous  arrêtera  dans  un  instant. 
Quant  à  leur  disposition  macroscopique,  à  leur  dispersion  irrégulière  dans 
le  réseau  nerveux  hypertrophié,  elle  nous  frappa  tellement  que  ce  sou- 
venir nous  a  permis  de  porter  d'emblée  le  diagnostic  dans  notre  troisième 
cas.  Une  jeune  fille  de  quinze  ans  nous  fut  adressée  par  notre  confrère 
et  ami  le  docteur  Lande.  Elle  portait  à  la  région  occipitale,  au  centre 
d'une  large  tache   pigmentaire,  une  vaste  tumeur   plus   grosse   que   le 
poing,  formée  par  un  large  repli  de  la  peau  et  qu'cà  un  premier  examen 
on  prenait  facilement  pour  un  molluscum   fibreux.    Mais  en  palpant  la 
tumeur,  on  sentait  courir  sous  les  doigts  une  série  de  petits  corps  don- 
nant l'impression  de  ganglions  lymphatiques  mobiles.  Leur  volume  va- 
riait de  celui  d'un  pois  à  celui  d'une  petite  noisette.  Cette  particularité 
nous  éclaira  immédiatement  et  nous  fit  reconnaître   un  névrome  plexi- 
forme, bien  qu'on  ne  sentit  à  travers  la  peau  aucune  espèce  de  cordons 
ou  de  paquets  de  cordons.  M.  Lande  partagea  cette  opinion;  quelques 
mois  plus  tard,  il  opéra  avec  succès  la  jeune  fille.  La  tumeur  était  bien 
un  névrome  plexiforme,    extrêmement    riche    en   corps  ganglionnaires. 
Outre  ceux  qui  furent  enlevés  avec  la  masse  principale  on  dut  en  énu- 
cléer  une   quarantaine,  qui   se  trouvaient   dispersés   sous  la  peau  saine 
à  la  limite  de  la  tumeur. 

Nous  n'avons  pas  la  prétention  de  faire  croire  que  nous  sommes  le 
premier  à  constater  la  présence  de  ces  corps.  Dès  les  premières  obser- 
vations, Depaul  la  signalait;  M.  Cartaz,  notre  collègue,  parle  très  explicite- 
ment des  névromes  disséminés  sur  le  trajet  des  cordons  nerveux  (1), 
Mais  la  plupart  des  observations  sont  muettes  à  ce  sujet;  d'autres  men- 
tionnent, sans  y  insister  autrement,  la  présence  de  ganglions  lympha- 
tiques; et  nous  nous  demandons  s'il  n'y  a  pas  eu  erreur  d'interprétation, 
car  ces  corps,  nous  allons  le  voir,  ne  sont  rien  moins  que  des  ganglions 
lymphatiques.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  auteurs  ne  parlent  pas  de  l'impor- 
tance de  ces  corps  au  point  de  vue  clinique  ;  or,  nous  croyons  que  la 
présence  de  petites  masses  dures,  indolentes,  mobiles  au  niveau  de  l'im- 
plantation d'une  tumeur  d'aspect  molluscoïde  et  en  dehors  des  régions 
normalement  pourvues  de  ganglions  lymphatiques  est  un  élément  considé- 
rable en  faveur  du  diagnostic  du  névrome  plexiforme.  Leur  non-constata- 
tion ne  sera  pas  inversement  une  preuve  que  la  tumeur  ne  mérite  pas  ce 
nom,  car  ces  corps  peuvent  être  peu  nombreux  et  trop  profondément 
enfouis  pour  être  accessibles  à  la  palpation. 

Intéressants  au  point  de  vue   clinique,  ces  corps  le  sont   davantage 

(1;  Archives  générales  de  Médecine,  1876. 


X.     ARNOZAN.    CONTniRLTION    A    l'ÉTUDE    DU    NÉVnOMK    PLEXIFORME      741 

encore  au  point  de  vue  anatomo -pathologique.  Sur  des  coupes  histolo- 
giques,  en  effet,  ils  se  présentent  non  pas  comme  des  fibromes,  non  pas 
comme  de  simples  hypertrophies  des  gaines  conjonctives  des  nerfs,  mais 
comme  de  vrais  gangUons  nerveux,  réalisant  d'une  façon  presque  parfaite 
la  structure  des  ganglions  rachidiens.  On  y  trouve,  en  effet,  une  enveloppe 
conjonctive,  un  stroma  fibreux,  des  faisceaux  de  tubes  nerveux  dépendant 
des  cordons  qui  se  rendent  dans  ce  renflement  ou  qui  en  émanent,  enfin 
de  grandes  cellules  nerveuses.  Ces  cellules,  de  dimensions  énormes,  sont 
tantôt  isolées  dans  le  stroma,  tantôt  agminées  en  groupes  plus  ou  moins 
étendus.  Mais,  isolées  ou  groupées,  elles  présentent  toujours  les  caractères 
suivants  :  chacune  d'elles  occupe  dans  la  gangue  conjonctive  une  petite 
loge  destinée  à  elle  seule,  elle  remplit  à  peu  près  complètement  cette  loge 
dont  la  paroi  interne  est  tapissée  d'une  couche  endothéliale  des  plus 
nettes;  elle  se  rattache  à  cette  paroi  par  plusieurs  prolongements  proto- 
plasmiques.  Cette  structure  rappelle  trait  pour  trait  celle  des  ganglions 
intervertébraux.  Ce  sont  de  vrais  ganglions  pathologiques  et  les  seules 
différences  qui  permettent  à  un  observateur  non  prévenu  de  ne  pas 
confondre  des  coupes  provenant  des  deux  espèces  de  ganglions,  c'est 
que  les  pathologiques  sont  de  dimensions  beaucoup  plus  considérables 
et  que  leurs  vaisseaux  ont  en  plusieurs  points  une  structure  embryon- 
naire. 

Ces  simples  détails  nous  semblent  ne  pas  être  indifférents  au  point  de 
vue  de  l'anatonne  pathologique  générale.  Virchow  a  divisé  les  tumeurs  en 
histioïdes  et  organoUles.  Les  premières  sont  celles  dont  la  structure  repro- 
duit simplement  un  tissu;  tissu  fibreux  (fibrome);  tissu  graisseux  (lipome). 
Les  secondes  sont  celles  dont  la  texture  plus  complexe  arrive  à  ébaucher 
un  organe  de  formation  plus  élevée,  avec  son  tissu  propre,  son  organi- 
sation spéciale  et  ses  éléments  de  nutrition,  le  carcinome,  par  exemple,  ou 
l'adénome.  Mais  nous  ne  croyons  pas  que,  dans  aucun  néoplasme,  la 
reproduction,  la  simulation  pour  ainsi  dire  d'un  organe  sain  soit  poussée 
aussi  loin  que  dans  ces  corps  ganglionnaires  du  névrome  plexiforme. 
C'est  à  ce  point  de  vue  que  la  néo-formation  d'un  ganglion  nerveux 
aussi  parfait  nous  paraît  mériter  une  place  à  part  dans  l'histoire  des 
tumeurs. 


742  SCIENCES   MÉDICALES 


M.  Mix  RE&IAÏÏLT 

à  Paris. 


LES  RELIGIEUSES  LAÏQUES  DANS  LES  HOPITAUX  DE  MARSEILLE 


—  Séance  du  i9  septembre  1892  — 

Les  malades  des  hôpitaux  doivent-ils  être  soignés  par  des  religieuses  ou 
par  des  laïques?  Cette  question  brûlante  a  soulevé,  depuis  quelques 
années,  bien  des  discussions  entre  les  partisans  de  chaque  système. 

Les  infirmières  laïques  sont  cupides  et  intéressées,  disent  les  uns;  elles 
cherchent  à  soutirer  de  l'argent  aux  malades;  elles  coûtent  cher  à  l'admi- 
nistration; enfin,  elles  ne  sont  pas  d'une  moralité  irréprochable.  —  Mais, 
en  revanche,  répondent  les  autres,  les  sœurs  pensent  plus  à  convertir  qu'à 
guérir;  elles  sont  pétries  de  préjugés  et  se  refusent  au  progrès;  de  plus, 
elles  ne  reconnaissent  d'autre  autorité  que  celle  de  leur  supérieure  et 
tiennent  pour  non-avenues  les  observations  des  médecins  et  de  la  direc- 
tion. Enfin,  elles  ne  servent  qu'à  commander,  puisqu'elles  ont  toujours, 
sous  leurs  ordres,  des  infirmiers  chargés  des  besognes  les  plus  répu- 
gnantes. 

Sans  prendre  parti  pour  aucun  camp,  nous  voulons  simplement  rappeler 
ici  qu'il  existe  un  troisième  système  (1),  celui  des  «  religieuses  laïques  ». 
On  trouve,  en  effet,  dans  les  hôpitaux  de  Lyon,  des  infirmières,  et  même 
quelques  infirmiers,  très  pieux,  très  dévoués,  peu  payés  (quarante  francs 
par  an),  qui,  malgré  leur  costume  religieux,  ne  forment  pas  une  congré- 
gation, ne  prononcent  pas  do  vœux,  sont  libres,  sans  supérieur  religieux, 
et  soumis  à  la  seule  autorité  du  médecin  et  du  directeur. 

Ces  créatures  généreuses  s'emploient  à  toutes  les  besognes,  suivent  la 
visite  le  cahier  à  la  main,  inscrivant  les  prescriptions.  Certaines  font  les 
accouchements  à  la  Charité  et  ont  le  brevet;  d'autres  ne  craignent  pas  de 
soigner  et  panser  les  vénériennes.  Enfin,  elles  fréquentent  les  cours  et 
s'instruisent.  Leur  dévouement,  sans  cesse  en  action,  n'a  pas  besoin 
pour  se  maintenir  d'un  serment  donné  à  une  congrégation  puissante. 
(Voir  Note  I.) 

H)  Ce  système  est  connu  dans  les  pays  protestants  sous  le  nom  de  «  sœurs  diaconesses  ».  Notre  but 
fst  de  prouver  ici  qu'il  peut  également  exister  dans  les  pays  latins. 


REGNAULT.  —  LES  RELIGIEUSES  LAÏQIES  DANS  LES  HOPITAUX  DK  MARSEILLE     743 

On  pourrait  croire  tout  d'abord  que  le  caractère  lyonnais,  intelligent 
et  positif  dans  la  pratique,  mais  idéaliste  et  utopiste  dans  la  pensée,  est 
seul  capable  de  réaliser  une  pareille  institution.  C'est  encore  à  Lyon,  en 
effet,  qu'on  la  retrouve  dans  V Association  des  Dames  veuves  du  Calvaire, 
fondée  pour  soigner  les  incurables.  Parmi  les  membres  de  cette  Société, 
les  unes  ne  font  que  venir  panser  les  malades,  mais  d'autres  résident 
dans  l'hospice.  Et  vêtues  d'un  costume  religieux,  mais  sans  vœu  et  sans 
maître,  elles  consacrent  librement  leur  vie  à  soigner  les  plaies  les  plus 
hideuses.  Enfin,  elles  trouvent  même  des  filles  de  service  qui  ne  sont  pas 
payées.  (Voir  Note  IL) 

Cette  admirable  institution  n'existe  actuellement  qu'à  Lyon;  mais  elle 
a  autrefois  prospéré  à  Marseille  et  il  n'aurait  tenu  qu'à  l'administration 
hospitalière  de  la  conserver. 

On  ne  voit,  à  première  vue,  dans  les  hôpitaux  de  Marseille,  que  des 
infirmiers,  sous  les  ordres  de  religieuses,  dites  Awjuslines.  Seul  le  per- 
sonnel peut  avoir  connaissance  de  quelques  vieilles  sœurs,  reléguées 
dans  les  coins  des  salles,  dont  le  costume  diffère  de  celui  des  Augustines 
et  qui  sont  répudiées  par  elles.  Ces  derniers  représentants  des  «  religieuses 
laïques  »  de  Marseille  sont  au  nombre  de  cinq,  mais  toutes  très  âgées 
et  ne  donnant  guère  de  renseignements.  L'administration,  ne  s'étanl 
jamais  officiellement  occupée  de  leur  existence,  les  archives  et  registres 
de  délibération  restent  muets  à  leur  sujet;  aucun  écrit  sur  une  institution 
indifférente  à  tous,  et  tandis  qu'ailleurs  on  rompt  mille  lances  pour  et 
contre  laïques  et  religieuses,  le  silence  s'est  fait  sur  ces  femmes  qui  ne 
voulaient  appartenir  qu'au  seul  camp  de  «  la  charité  ». 

Cependant,  en  recueillant,  à  droite  et  à  gauche,  des  renseignements,  les 
rapprochant  et  contrôlant,  nous  sommes  parvenus  à  reconstituer  à  peu 
près  leur  histoire. 

En  fructidor  de  l'an  XII,  les  sœurs  Augustines  furent  installées  solen- 
nellement, avec  moult  discours  à  l'appui,  dans  les  hospices  de  Marseille. 
Elles  devaient  y  assurer  le  service  hospitalier.  Néanmoins,  par  certains 
côtés,  cela  leur  était  difficile.  Elles  tenaient  bien  les  comptes  d'économat, 
la  pharmacie,  et  leur  supérieure,  chargée  de  l'agence,  présidait  à  la 
réception  des  malades  et  des  parents,  et  avait  réellement  la  direction  (1). 
Mais,  cloîtrées,  elles  avaient  besoin  d'aides  et  pour  l'achat  des  provisions 
et  pour  mener  les  enfants  aux  enterrements.  Je  m'explique  sur  ce  dernier 
point. 

Un  usage  barbare  existe  à  Marseille  :  les  convois  funèbres  y  sont  suivis 
par  des  théories  d'enfants  qui,  cierge  en  main,  chantent  des  cantiques 

(\)  La  tenue  des  comptes,  puis  la  pharmacie,  ont  été  par  la  suite  attribuées  à  des  laïques;  mais  la 
supérieure  reste  toujours  à  l'agence,  réglant  mille  détails  de  gestion  qni,  partout  ailleurs,  reviennent 
à  des  laïques  et  ne  sont  pas  dignes  du  caractère  ecclésiastique. 


744  SCIENCES   MÉDICALES 

lugubres.  Ainsi  l'enfant,  source  de  vie  et  de  gaieté,  joue  le  rôle  de  croque- 
mort!  Jusqu'en  I806,  les  hôpitaux  s'entendaient  avec  les  pompes  funèijres 
pour   faire  servir   les   enfants    trouvés  à  cette  besogne.  Cela   leur  rap- 
' portait  70.000  francs  par  an. 

Aujourd'hui,  une  congrégation  a  pris  la  suite  de  cette  affaire;  elle  ha- 
bille les  orphelins  en  bleu  et  jaune  et  c'est  chose  ridicule  et  pitoyable  que 
de  voir  passer  ces  pauvres  petits  serins  (expression  du  peuple),  la  figure 
contrainte,  les  yeux  baissés,  les  coins  de  la  bouche  tirés  en  bas,  l'attitude 
humble  et  triste.  Mais  on  reste  indifférent,  sauf  les  parents  du  mort  qui 
s'enorgueillissent  et  paient  d'autant  mieux  qu'il  y  a  plus  de  serins  à  l'en- 
terrement. 

On  s'étonne  si  vous  vous  indignez  ! 

Mais  trêve  de  digression.  Les  religieuses  ne  pouvaient  accompagner  ces 
enfants,  et  il  eût  été  «  inconvenant  de  les  confier  à  des  laïques  ».  Telle- 
ment la  convenance  est  relative  aux  individus  ;  car,  pour  nous,  la  suprême 
inconvenance  est  justement  la  présence  d'enfants  aux  cérémonies  mor- 
tuaires. —  Toutefois,  cette  raison  fit  accepter  par  les  religieuses  et  approu- 
ver par  l'évêque,  l'innovation  de  l'abbé  Féraud. 

L'abbé  Féraud  fut  aumônier  à  la  Charité  de  1827  à  1862.  Au  dire  de 
tous  ceux  qui  le  connurent,  c'était  un  saint  homme,  dur  à  lui-même,  et 
bon  aux  autres;  toujours  avec  les  malades,  il  ne  sortait  que  tous  les  deux 
mois  pour  aller  voir  son  frère,  prêtre  comme  lui..  Il  mourut  en  1862,  et 
voulant  après  sa  mort,  rester  ce  qu'il  avait  été  durant  sa  vie,  ignoré  de 
tous,  il  brûla  ses  papiers,  quand  il  sentit  la  fin  venir.  Ces  détails  m'ont 
été  fournis  par  sa  sœur,  religieuse  à  la  Charité. 

11  ne  reste  sur  lui,  dans  la  Semaine  liturgique  de  l'époque,  qu'une  ving- 
taine de  lignes,  exaltant  son  mérite  comme  prêtre.  Il  en  eut  pourtant  un 
plus  grand,  celui  d'avoir  montré  qu'on  peut  soigner  les  malades  aussi 
bien  que  les  sœurs,  tout  en  restant  laïque. 

Sans  faire  intervenir  l'administration,  mais  avec  son  approbation  tacite, 
il  institua  un  ordre  laïque,  y  accueillant  parmi  les  filles  abandonnées, 
toutes  les  âmes  de  bonne  volonté.  Il  réussit.  Les  recrues,  après  un  an  de 
noviciat,  pouvaient  prendre  l'habit  solennellement,  en  messe  dite  par 
l'abbé  Féraud.  Mais  il  n'y  avait  pas  le  délégué  de  l'évêque  qui  reçoit  le 
serment  des  sœurs  :  elles  n'en  prononçaient  pas  et  aucun  vœu  ne  leur  fai- 
sait un  crime  de  partir.  Elles  étaient  chargées  du  cortège  des  enfants  aux 
enterrements,  de  toutes  les  courses,  des  travaux  les  plus  fatigants  à  la  lin- 
gerie et  à  la  cuisine.  Enfin,  elles  servaient  partout  d'infirmières,  même 
aux  fous,  même  aux  vénériennes  !  Sous  les  ordres  des  religieuses,  elles 
restaient  toujours  servantes. 

A  première  vue,  c'étaient  des  religieuses,  car  elles  portaient  un  costume 
composé  d'une  robe  bleu  foncé,  d'un  châle  noir,   venant  se  croiser,  sur 


REGNAULT.  —  LES  RELIGIEUSES  LAÏQUES  DANS  LES  HOPITAUX  DE  MARSEILLE      14o 

la  poitrine  à  la  mode  d'Arles,  d'une  croix  en  cuivre  et  d'un  bonnet  en 
toile  blanche,  avec  un  cache-front  et  doux  visières,  descendant  de  chaque 
côté  de  la  figure  et  s'unissant  au-dessous  du  menton. 

Elles  allaient  tous  les  jours  à  la  messe,  communiaient  fréquemment, 
mais  ne  faisaient  que  trois  jours  de  retraite  au  lieu  de  huit  comme  les 
religieuses,  car  il  fallait  soigner  les  malades. 

On  les  appelait  et  on  les  appelle  encore  sœurs  tourières,  par  analogie 
avec  les  religieuses  ainsi  nommées,  qui  dans  les  ordres  cloîtrés,  peuvent 
seules  sortir  et  faire  les  commissions.  Cependant  elles  sont  bien  laïques 
et  il  ne  faut  pas  les  confondre  avec  les  véritables  sœurs  tourières  (1)  qui 
appartiennent  à  la  communauté,  mangent  au  couvent,  y  sont  soignées 
par  les  sœurs  en  cas  de  maladie,  et,  mortes,  sont  enterrées  dans  leur 
concession. 

Celles  que  nous  étudions,  au  contraire,  reniées  par  la  communauté, 
mangent  au  dortoir  avec  les  infirmières  laïques;  malades,  prennent  un 
lit  dans  les  salles  ;  mortes,  vont  à  la  fosse  commune  :  les  religieuses  les 
rejettent,  elles  ne  sont  pas  des  leurs. 

Les  religieuses  laïques  avaient  procuré  de  grands  bénéfices  à  l'admi- 
nistration qui  les  défrayait  de  tout,  mais  leur  donnait  seulement  quatre 
francs  par  mois.  Ne  formant  pas  une  congrégation,  elles  ne  reconnaissaient 
comme  autorité  que  celle  de  l'administration  civile  des  hôpitaux.  L'abbé 
Féraud  les  soutenait  de  son  mieux  dans  leur  tâche,  les  réunissant  tous  les 
mois  et  leur  faisant  une  petite  allocution  :  «  Quand  vous  mourrez,  leur 
disait-il,  toutes  ces  saletés  que  vous  ramassez  se  transformeront  en  une 
couronne  d'or.  »  , 

Elles  en  vinrent  à  être  quarante  ou  cinquante.  Peu  s'en  allèrent  et  presque 
toutes  moururent  à  leur  poste.  On  n'avait  quà  se  louer  de  leurs  ser- 
vices; et  aujourd'hui  encore  ce  n'est  qu'un  concert  d'éloges;  religieuses 
et  administration  sont  d'accord  sur  ce  point. 

Le  service  était  bien  fait  et  à  bon  marché,  que  pouvait-on  souhaiter  de 
mieux?  Et  cependant  cette  institution  admirable  a  aujourd'iiui  disparu  par 
la  négligence  des  uns  et  probablement  la  sourde  envie  des  autres.  Dans 
ia  séance  du  il  avril  I800,  l'administration  supprima  l'assistance  des 
enfants  aux  convois  funèbres.  Ce  fut  bien,  mais  on  en  tira  une  conséquence 
mauvaise.  Les  religieuses  firent  valoir  qu'il  n'y  avait  plus  nécessité  à  con- 
server les  tourières;  elles  se  chargeaient  désormais  de  pourvoir  à  tout. 
L'administration  n'avait  pas  du  reste  à  supprimer  par  décret  les  reli- 
gieuses laïques,  car  aucune  délibération  n'avait  présidé  à  leur  naissance. 
Elle  n'eut  qu'à  laisser  faire  et  c'est  une  chose  à  laquelle  toutes  les  admi- 
nistrations excellent. 

(1)  Larousse,  dans  son  dictionnaire,  assigne  ce  nom  de  sœur  tourière  à  la  portière;  mais  les  reli- 
gieuses cloîtrées  le  donnent  à  toutes  les  sœurs  qui  peuvent  sortir. 


746  SCIENCES    MÉDICALES 

L'abbé  Féraud  eut  donc  la  douleur  d'assister  à  la  ruine  de  son  œuvre  ; 
quand  il  mourut,  en  1862,  il  y  avait  plusieurs  années  qu'il  n'avait  plus 
consacré  de  sœurs  tourières.  Il  ne  réclama  pas,  ses  supérieurs  ecclésias- 
tiques lui  commandèrent  probablement  le  silence. 

Les  tourières,  n'étant  plus  renouvelées,  disparurent  peu  à  peu;  elles  fu- 
rent remplacées  par  des  religieuses  ou  par  des  infirmières  laïques.  Ce  qui 
aurait  dû  être  leur  sauvegarde,  l'absence  de  supérieure,  l'obéissance  abso- 
lue à  l'administration,  fut  précisément  leur  perte,  car  elles  n'eurent  per- 
sonne pour  les  défendre. 

Cette  étude  nous  a  paru  intéressante,  en  ce  qu'elle  montre  que  non  seule- 
ment à  Lyon,  mais  partout,  l'on  pourrait  constituer  un  personnel  pieux 
et  dévoué,  mais  non  syndiqué  en  congrégation,  reconnaissant  la  seule 
autorité  du  directeur  et  des  médecins  et  facilement  maniable.  Ces  reli- 
gieuses laïques  feraient  leur  service  fort  bien,  à  bon  marché,  et  avec  une 
volonté  toujours  consentante;  et,  n'ayant  les  défauts  ni  des  religieuses,  ni 
des  laïques,  elles  réuniraient  leurs  qualités. 


NOTES  JUSTIFICATIVES 


I.  —  On  trouvera  des  détails  sur  cet  ordre  dans  le  registre  des  délibérations- 
des  hospices  civils  de  Lyon,  séance  du  28  janvier  1880  dont  il  a  été  publié  un 
extrait  par  les  soins  de  la  Commission. 

On  y  voit  qu'il  y  a  trois  catégories  de  servantes  des  pauvres  : 
n)    Les  novices  prises  parmi  celles  qui  en  font  la   demande   à    l'administra- 
teur-directeur,  sur  présentation  de   l'aumônier.  Il  y   a,  m'a  dit  réconome  de 
FHôtel-Dieu,  toujours   beaucoup  plus  de  demandes  que  d'admissioûs.  On  peut 
déjà  faire  un  choix  au  double  point  de  vue  physique  et  moral. 

b)  Elles  deviennent  prétendantes  au  bout  d'une  année  révolue,  et  ont  un 
costume  spécial.  Elles  reçoivent  un  traitement  de  quatre-vingts  francs  par  an 
et  doivent  fournir  leurs  vêtements.  (Jn  peut  les  renvoyer. 

c)  Au  bout  de  douze  à  quinze  ans,  elles  deviennent  sœurs  croisées,  elles 
portent  alors  une  croix.  On  n'a  le  droit  de  les  renvoyer  que  pour  un  motif 
grave,  mais  elles  peuvent  se  retirer  si  elles  le  désirent,  car  il  n'y  a  pas  de 
vœu  ;  en  tous  cas,  le  directeur  peut  les  changer  de  service  sur  la  plainte  d'un 
chef.  Et  l'on  a  souvent  vu,  m'a-t-ondit,  des  cheftaines  (femmes  chefs  de  salle) 
changées  de  service  parce  qu'elles  ne  savaient  pas  bien  pratiquer  l'antisepsie. 

II.  —Cette  œuvre  a  été  étudiée  par  Maxime  du  Camp  dansla Revue  des  Deux 
Mondes.  Il  y  décrit  les  origines  de  l'œuvre  et  distingue  deux  catégories  de 
dames  veuves  :  les  unes  plus  nombreuses  qui  consacrent  simplement  quelques 
heures  dans  la  semaine  pour  venir  faire  les  pansements  ;  les  autres,  qui  se 
consacrent  entièrement  à  cette  œuvre  et  séjournent  dans  l'hôpital. 

A  l'instar  de  Lyon,  de  nombreuses  maisons  ont  été  créées  dans  les  autres  villes. 
Il  en  existe  ainsi  une  à  Marseille.  Les  filles  de  service,  comme   à  Lyon,   sont 
prises  à  l'essai  pendant  un  an  en  moyenne  :  après  lequel  on  contracte  vis-à-vis- 
d'elles,  si  on  est  satisfait  de  leurs  services,  l'engagement   de  ne   les  renvoyer 


GILS.    —   ÉTUDE   DE    l'ÉTIOLOGIE   DES    ANÉVRYSMES    DE   l'aORTE  747 

que  pour  des  motifs  très  graves.  Elles  font  alors  définitivement  partie  de  la 
maison.  Elles  sont  défrayées  de  tout,  mais  on  ne  leur  donne  aucun  argent.  Et 
cependant  on  trouve  des  filles  généralement  jeunes.  A  l'hospice  de  Marseille, 
la  plus  âgée  n'a  pas  quarante  ans.  La  directrice  m'a  avoué  qu'elle  avait  cherché 
à  Marseille  de  ces  filles  de  service  et  qu'elle  n'avait  pu  en  trouver  qui  soient 
restées.  Elles  étaient  toutes  parties  ou  on  avail  été  forcé  de  les  renvoyer.  Ac- 
tuellement, les  filles  de  service  vieiment  toutes  du  Rhône  ou  de  la  Loire. 

Il  faut  remarcjuer  qu'il  n'y  a  pas  là  contradiction  absolue  avec  la  suite  de 
notre  récit.  Les  filles  qui  faisaient  en  effet  le  service  des  hôpitaux  étaient  soi- 
gneusement recrutées  par  l'aumônier,  parmi  les  enfants  trouvés  ;  il  pou\ait 
mieux  faire  son  choix  dans  un  milieu  qu'il  connaissait. 


M.  &ILS 

Médecin -Major  de  H"  classe,  à  Pau. 


CONTRIBUTION  A  L'ÉTUDE  DE  L'ÉTIOLOGIE  DES  ANEVRYSMES  DE  L'AORTE 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 

J'iii  eu  l'occasion  d'observer  quatre  malades  atteints  d'anévrysmes  de 
l'aorte. 

Les  deux  premiers  ont  succombé  à  un  anévrysme  de  la  crosse  dont  ils 
faisaient  remonter  l'origine  à  une  chute  de  cheval.  Chez  les  deux  autres, 
la  tumeur  siégeait  à  la  région  abdominale  et  reconnaissait  pour  cause, 
d'après  leurs  dires,  une  fièvre  typhoïde  longue,  dilïïcile,  à  convalescence 
pénible  et  dune  durée  indéfinie. 

Ces  assertions  sont-elles  fondées  et  peut-on  scientifiquement  les  ad- 
mettre ? 

L'étiologie  des  anévrysmes  aortiques  est  généralement  établie  avec  assez 
de  vague  pour  qu'il  m'ait  paru  intéressant  d'étudier  l'inlluence  des  causes 
invoquées  par  ces  quatre  malades.  Il  est  des  cas,  en  effet,  où  cette 
question,  d'apparence  purement  doctrinale,  présente  un  intérêt  majeur  : 
en  médecine  légale  notamment. 

Une  lésion  organique  développée  à  la  suite  d'un  accident  survenu  dans 
un  service  commandé  donne  droit  à  des  dédommagements  spéciaux. 


748  SCIENCES    MÉDICALES 

Les  règlements  militaires  et  administratifs,  la  législation  sur  la  respon- 
sabilité des  patrons  imposent  parfois  le  problème. 

Cette  considération  suffit  pour  faire  ressortir  le  côlé  pratique  de  cette 
étude. 

ANÉVRYSMES    DE   LA   CROSSE    DE     l'aORTE 

Le  cœur,  organe  essentiellement  mobile,  exécute  dans  le  médiastin 
antérieur  trois  variétés  de  mouvements  : 

1°  Des  mouvements  spiroïdes  autour  de  son  axe  ; 

2°  Des  mouvements  produisant  le  choc  précordial  dans  le  plan  hori- 
zontal ; 

3"  Des  mouvements  verticaux. 

Les  deux  premiers  genres  résultent  à  la  fois  de  la  disposition  de  ses 
fibres  musculaires  et  de  ses  fonctions  ;  les  derniers  sont  dus  aux  con- 
r.exions  du  péricarde  avec  le  diaphragme. 

Ces  mouvements  répondent  à  des  dispositions  anatomiques  spéciales. 
La  crosse  aortique,  à  l'extrémité  inférieure  de  laquelle  le  cœur,  suivant  la 
comparaison  classique,  est  appendu  comme  une  sonnette  à  un  ressort, 
se  trouve  fixée  à  son  sommet  par  les  trois  gros  troncs  qu'elle  émet  :  tronc 
brachio-céphalique,  carotide  primitive  et  sous-clavière  gauche  dont  les 
branches  diverses,  s  étendant  au  loin  dans  les  tissus,  constituent  pour  elle 
de  solides  ligaments  à  distance  qui  la  maintiennent  en  lui  laissant  une 
certaine  mobilité.  L'axe  aortique,  suivant  lequel  s'opèrent  les  mouvements 
du  cœur,  n'est  pas  tout  entier  dans  le  même  plan.  Ce  n'est  pas  une  spire, 
comme  le  ressort  de  sonnette  auquel  on  l'a  comparé.  A  son  origine,  en 
effet,  l'aorte  se  dirige  d'avant  en  arrière  et  de  gauche  à  droite;  de  là, 
elle  se  coude  et  remonte  verticalement.  Son  axe  représente  donc  une  ligne 
brisée,  se  continuant  à  sa  partie  supérieure  par  une  courbe  et,  comme 
ces  diverses  parties  sont  dans  des  plans  différents,  cet  axe  décrit  donc, 
en  résumé,  une  hélice.  Cette  disposition  angulaire  de  l'extrémité  infé- 
rieure de  l'axe  aortique  est  capitale.  Si  elle  n'existait  pas,  si  le  cœur  se 
continuait  directement  avec  la  crosse  suivant  une  ligne  droite,  c'est  au 
point  fixe  supérieur,  à  la  portion  recourbée  que  se  transmettraient  les 
effets  et  dans  les  prolongements  des  carotides  et  des  sous-clavières  qu'ils 
se  feraient  sentir.  Ce  coude  joue  là  le  rôle  d'une  sorte  de  symphyse 
cardio-aortique  ;  il  est  le  heu  principal  des  mouvements  du  cœur  autour 
de  l'axe  aortique. 

A  l'extrémité,  le  levier  aortique  peut  avoir  à  supporter  des  tiraillements, 
des  impulsions,  des  pressions  produisant  des  modifications  du  rayon  de 
courbure  de  la  crosse,  portée  soit  en  flexion,  soit  en  extension,  soit  en 
torsion  forcées  et  susceptibles  de  produire  des  lésions  pouvant  aller  jusqu'à 
la  déchirure,  à  l'arrachement  des  tuniques  artérielles. 


GILS.    —   ÉTUDE   DE   l'ÉTIOLOGIE   DES   ANÉVRYSMES   DE   l'aORTE  749 

L'extension  forcée  de  l'axe  aortique  paraît,  de  prime  abord,  une  vue 
purement  théorique  et  mécaniquement  irréalisable.  En  effet,  le  voisinage 
de  la  paroi  thoracique  contre  laquelle  le  cœur  vient  battre  à  chaque  pul- 
sation s'oppose  normalement  à  toute  distension  en  avant.  Mais,  dans  une 
chute  sur  le  dos,  la  compression  de  la  région  postérieure  projette  en  avant 
la  paroi  antérieure  que  le  cœur  suit  dans  son  mouvement.  Cette  impul- 
sion sera  d'autant  plus  vive  que  la  cage  thoracique  aura  mieux  conservé 
son  élasticité,  c'est-à-dire  que  le  sujet  sera  plus  jeune.  Dans  ces  conditions, 
les  tuniques  artérielles  présenteront,  de  leur  côté,  d'autant  plus  de  sou- 
plesse et  courront  moins  de  risques  de  déchirures  ou  de  ruptures. 

D'une  façon  générale,  on  peut  donc  estimer  que  la  lésion  de  la  crosse 
aorlifjue  par  extension  forcée,  due  à  une  violence  extérieure,  est  difficile 
à  produire.  Lorsque  cette  extension  forcée  se  réalise,  elle  est  contenue 
dans  de  si  étroites  limites  qu'il  paraît  rationnel  de  la  considérer  comme  ne 
pouvant  guère  déterminer  une  lésion  sérieuse, 

La  flexion  forcée,  dont  le  mécanisme  est  inverse,  semblerait  devoir  se 
produire  avec  plus  de  facilité,  par  suite  de  l'oscillation  du  cœur  à  l'extré- 
mité du  levier  aortique.  Dans  toute  chute,  en  effet,  le  cœur,  en  vertu  de 
l'accélération,  tend  à  se  porter  dans  le  sens  de  la  chute.  Dès  que  le  corps 
touche  terre,  brusquement  le  mouvement  s'arrête  en  pleine  tension  de 
l'arc  aortique  (flexion  quand  la  chute  se-  fait  en  supination  ou  par  pro- 
jection en  arrière;  distension  quand  la  chute  se  fait  par  projection  «n 
avant  ou  en  pronation).  Le  cœur,  par  l'effet  de  la  vitesse  acquise,  continue 
son  mouvement  et  la  flexion  se  force  en  proportion  de  la  vitesse  de 
chute, 

A  cette  action  du  pendule  cardiaque  vient  encore  s'ajouter  celle  de  la 
compression  thoracique  résultant  de  l'aplatissement  élastique  des  parois, 
sous  l'influence  du  choc.  Simple  quand  la  compression  ne  porte  que 
sur  un  seul  plan,  indirecte  quand  elle  porte  sur  le  plan  dorsal,  directe  si 
elle  agit  sur  le  plan  antérieur  où  le  cœur  peut  être  comprimé  presque 
immédiatement;  cette  action  est  double,  si  le  thorax  se  trouve  comprimé 
à  la  fois  sur  ces  deux  plans  opposés,  par  exemple,  lorsque  le  cavalier  sup- 
porte en  tombant  le  poids  de  son  cheval.  Toutes  les  conditions  se  trouvent 
réunies  pour  obtenir,  dans  ce  cas,  la  flexion  maxima  et  réaliser  de 
sérieuses  lésions  aortiques. 

Enlm,  il  est  facile  de  se  rendre  compte  que  l'exagération  du  mouvement 
de  torsion  se  produit  par  là  projection  du  corps  sur  l'un  des  plans  la- 
téraux. 

Les  plus  graves  accidents  et  aussi  les  plus  fréquents  sont  produits  par 
les  tiraillements  de  la  crosse;  ces  tiraillements  résultent  de  l'action  du 
diaphragme  sur  le  péricarde.  Cette  enveloppe  séreuse  repose,  en  effet,  par 
sa  base  sur  le  centre  phrénique  auquel  elle  adhère  intimement,  surtout 


730  SCIENCES   MÉDICALES 

dans  sa  moitié  antérieure.  Elle  revêt,  par  son  sommet,  la  partie  ascen- 
dante de  l'aorte,  dans  sa  moitié  inférieure  et  oblique.  Toute  contraction 
du  diaphragme  doit  donc  produire  sur  l'aorte  une  traction  d'autant  plus 
énergique  que  le  point  d'application  de  la  force  est  ici  perpendiculaire  à 
la  surface,  le  péricarde  se  développant  verticalement  et  la  moitié  infé- 
rieure de  la  crosse  de  l'aorte  présentant  une  direction  qui  la  rapproche 
sensiblement  de  l'horizontale.  Cette  traction  diaphragmatique  est  puissam- 
ment renforcée  par  le  poids  des  viscères  abdominaux  et  notamment  du 
foie  et  de  la  rate  que  les  ligaments  suspendent  directement  au  diaphragme. 
Efforts  violents,  compression,  tout  ce  qui  tend  à  déplacer  les  organes 
abdominaux  exerce  sur  l'aorte  son  action.  Et,  dans  la  chute,  cette  action 
sera  d'autant  plus  marquée  que  le  poids  de  ces  organes  aura  fait  sentir 
plus  vivement  sa  traction.  Minima  dans  les  chutes  sur  le  dos,  plus  accentuée 
dans  les  chutes  sur  le  plan  antérieur  où  les  viscères  sont  refoulés  par 
compression,  elle  atteindra  naturellement  son  maximum  dans  le  cas  de 
chute  sans  projection  où  la  précipitation  se  fera  debout  et  selon  la  verti- 
cale. La  section  des  tuniques,  dans  ces  cas,  peut  être  complète  et  la 
mort  instantanée. 

Lésions.  —  Il  est  évident  que  ces  deux  mécanismes  :  modification  du 
rayon  et  traction,  ne  sauraient  être  suivis  des  mêmes  effets.  Les  lésions 
devront  se  produire  au  point  mathématique  influencé,  c'est-à-dire  à  la 
jonction  des  portions  horizontale  et  verticale,  si  elles  résultent  de  la 
traction  du  péricarde;  dans  le  segment  sphérique  de  la  crosse,  si  elles 
proviennent  d'une  flexion  forcée.  Dans  la  pratique,  les  deux  mécanismes 
n'agissent  jamais  isolément:  ils  se  combinent. 

L'interposition  de  l'artère  pulmonaire  entre  les  deux  branches  de  la 
crosse  auxquelles  elle  sert,  en  quelque  sorte,  de  coussin  élastique,  dimi- 
nue notablement  l'arc  de  flexion  et,  par  suite,  la  facilité  des  lésions. 
Aussi,  les  lésions  par  traction,  c'est-à-dire  à  l'angle  aortique,  sont-elles 
beaucoup  plus  fréquentes  que  les  lésions  par  flexion,  à  la  région  curvi- 
ligne. D'ailleurs,  une  autre  déterminante  intervient  dans  nombre  de  cas  : 
l'état  d'intégrité  des  parois  artérielles.  Broca  les  a  trouvées  altérées  dans 
vingt-six  cas  sur  vingt-neuf  et  Chauvel  neuf  fois  sur  douze.  Quel  que  soit 
le  mode  d'ébranlement  de  la  crosse  aortique,  il  est  évident  que,  s'il  y  a  un 
point  athéromateux,  c'est  lui  qui  cédera  le  premier  :  c'est  là  que  se  déter- 
minera la  lésion.  Gaujot  pense  que  l'aorte  se  rompt  ordinairement  sur 
la  face  concave  et  postérieure  parce  que  c'est  là,  près  des  sigmoïdes, 
que  les  parties  sont  le  plus  minces;  mais  c'est  aussi  en  ce  point  que 
siègent  de  préférence  les  plaques  d'athérome. 

On  a  voulu  les  expliquer  par  le  choc  de  la  colonne  sanguine;  mais,  à 
ce  compte,  on  devrait  trouver  l'athérome  à  tous  les  coudes  artériels  et  les 
collatérales  se  détachant  de  l'aorte  à  angle  droit  (rénales,  intercostales 


GILS.    —    ÉTUDE   BE    l'ÉTIOLOGIE   DES   ANÉVRYS.MES    DE    L  AORTE  7Sl 

notamment)  seraient  toutes  athéromateuses  à  leur  origine.  Les  tractions  du 
péricarde,  tendant  incessamment  à  redresser  la  partie  horizontale  du  levier 
aortique  me  paraissent  expliquer  d'une  manière  plus  satisfaisante  la  cause 
du  développement  de  l'athérome  et  la  production  habituelle  des  ruptures 
au  coude  formé  par  la  portion  horizontale  et  la  portion  verticale  de  l'aorte 
ascendante.  En  effet,  dans  un  tube  rigide  circulaire  qu'on  essaie  de  rendre 
rectiligne,  c'est  la  partie  inscrite  de  la  paroi  qui  se  fausse  tout  d'abord.  De 
môme,  dans  ce  redressement  de  l'aorte,  la  région  du  conduit  la  plus  courte 
est  celle  qui  supporte  la  plus  forte  tension,  la  région  interne. 

C'est  donc  elle  qui  cédera  la  première. 

Appliquons  ces  données  au  cas  spécial  de  cette  étude. 

D'après  les  expériences  de  Clifton  Wintringham,  la  résistance  des  parois 
aortiques  près  du  cœur  serait  de  119  livres  5  onces  anglaises;  soit 
44\o68  grammes.  Partant  de  ce  chiffre,  il  est  facile  d'établir  les  formules 
de  vitesse  de  chute  pouvant  produire  la  rupture  de  l'aorte.  Si  l'on  ne 
tient  compte  que  de  l'action  du  cœur  appendu  à  l'extrémité  du  levier 
aortique,  on  trouve  que,  pour  produire  cette  rupture,  il  faudrait  une  vi- 
tesse de  chute  de  290  mètres  à  la  seconde.  Ce  chiffre  correspond  à  une 
chute  de  plus  de  4.500  mètres  de  hauteur  et  à  la  vitesse  d'un  train  mar- 
chant à  105  kilomètres  à  l'heure.  Il  suffit  à  prouver  combien,  dans  une 
chute  ordinaire,  cette  oscillation  du  cœur  en  torsion  ou  en  flexion  a  par 
elle-mêjne  peu  d'influence  sur  une  artère  saine.  Mais,  comme  je  l'ai  dit, 
l'effet  prédominant  dans  la  chute  est  la  traction  des  viscères  abdominaux 
sur  le  péricarde  par  l'intermédiaire  du  diaphragme  et  cette  action  est 
maxima  lorsque  la  chute  se  fait  sur  les  pieds  et  suivant  l'axe  vertical  du 
corps.  Une  vitesse  de  10  mètres  par  seconde  suffît  alors  pour  produire  la 
rupture  d'une  aorte  saine  (1). 

Or,  cette  vitesse  est  souvent  atteinte  tout  d'abord  par  un  cheval  em- 
ballé. La  chute  sur  les  pieds  est,  il  est  vrai,  exceptionnelle,  dans  ces  cas, 
le  cavalier  se  décrochant  généralement  par  un  mouvement  de  projection 
parabolique.  La  traction  directe  est  moins  vive;  mais,  en  échange,  l'aorte 
est  soumise  à  l'énorme  compression  que  détermine,  sur  le  thorax  et  l'ab- 
domen, la  chute  du  corps  lancé  du  haut  du  cheval  avec  une  pareille 
accélération.  Traction,  flexion,  compression  et  torsion  peuvent  agir,  dans 
certains  cas,  simultanément  sur  la  courbure  aortique.  Il  est  donc  rationnel 
d'admettre  que  des  lésions  |)lus  ou  moins  accentuées  puissent  en  résulter, 
surtout  si  le  cavalier,  par  son  âge  ou  sa  constitution,  a  perdu  la  souplesse 
vasculaire  et  présente  des  tendances,  a  fortiori  un  commencement  d'athé- 
rôme. 


(I)  Ces  résultats  sont  obtenus  par  la  formule  :   V  =  i/^^  _  .(cgr  dans  laqupllo  V  représente  la 

vitesse  de  chute;  g,  l'actioTi  de  la  pesanteur;  y,  le  poids  du  cœur  et  des  viscères  abdominaux;  e,  la 
hauteur  de  chute. 


752  SCIENCES   MÉDICALES 

Symptômes.  —  De  même  que  les  lésions  pourront  varier  de  la  simple 
distension  des  tuniques  à  la  section  artérielle,  les  symptômes  objectifs 
iront  de  la  syncope  légère  à  la  mort  subite.  Dans  les  cas  à  évolution  fou- 
droyante ou  rapide  (anévrysme  disséquant),  la  liaison  entre  la  chute 
et  la  lésion  s'imposera  par  l'instantanéité  et  le  développement  aigu  des 
symptômes.  Mais,  lorsque  l'évolution  sera  plus  lente  (anévrysme  mixte 
interne),  la  relation  sera  plus  délicate  à  établir.  On  aura  à  rechercher  le 
début  brusque  des  accidents,  leur  continuité,  leur  aggravation  progres- 
sive et  ininterrompue  depuis  la  chute  invoquée  comme  cause. 

ANÉVRYSMES   DE    l'aORTE   ABDOMINALE 

D'après  Siredey,  les  ganglions  mésentériques  qui,  à  l'état  sain,  ne  sont 
pas  plus  volumineux  qu'une  lentille  et  sont  éloignés  les  uns  des  autres, 
acquièrent,  dès  le  premier  septénaire  de  la  fièvre  typhoïde,  les  dimensions 
d'une  noisette  ou  d'une  noix.  Ils  se  présentent  sous  forme  de  tumeurs 
étalant  au-devant  de  la  colonne  vertébrale  de  véritables  chaînes  gan- 
glionnaires. Les  glandes  rétro -péri  tonéales  sont  atteintes  comme  les  glandes 
mésentériques.  Les  mésocoliques  peuvent  être  altérées;  mais  elles  le  sont 
moins  souvent  et  moins  profondément  que  les  mésentériques  dont  l'alté- 
ration est  constante.  Elle  est  presque  toujours  en  rapport  avec  celle  de 
l'intestin  grêle.  On  découvre  souvent,  à  l'incision,  des  points  jaunâtres 
de  suppuration  disséminés  dans  leur  tissu  ;  mais  il  est  très  rare  de  trouver 
le  pus  réuni  en  foyer. 

Lebert  a  observé  que  les  anévrysmes  de  l'aorte  abdominale  siègent, 
cinquante-six  fois  sur  cent,  au  voisinage  du  tronc  cœliaque.  C'est  préci- 
sément   dans  cette  région  que  siégeaient  les  deux  anévrysmes  que  j'ai 

traités. 

D'un  autre  côté,  pour  Cruveilhier,  les  ganglions  les  plus  volumineux 
sont  à  l'origine  de  l'artère  mésentérique  supérieure.  On  les  distingue  en 
trois  groupes  principaux  : 

1°  Iléo-cohques  ; 

2°  Duodénaux; 

3°  Mésocoliques. 

Les  plexus  lymphatiques  se  rendant  au  canal  thoracique  enlacent  l'aorte 
d'un  véritable  réseau. 

Il  est  logique  d'admettre  que  l'inflammalion  des  ganglions  entourant 
l'aorte  et  spécialement  de  ceux  qui  présentent  l'inflammalion  la  plus 
vive,  le  groupe  iléo-cohque,  puisse  déterminer  dans  certains  cas,  par 
action  de  voisinage,  celle  des  tuniques  de  l'aorte,  donnant  ainsi  naissance 
à  une  périartérite,  à  la  suite  de  laquelle  la  tunique  moyenne  disparaît. 
L'artère  se  laisse  distendre  sur  ce  point  et  l'anévrysme  est  constitué. 


G.  THKRMES.  —  LE  CLIMAT  d'aUGELÉS-GAZOST  AU  POINT  DE  VUE  MÉDICAL      7o3 

Les  deux  cas  que  j'ai  observés  se  rapportent,  l'un  et  l'autre,  à  des  fiè- 
vres typhoïdes  graves,  longues,  à  convalescence  d'une  lenteur  indéfinie. 
Dans  l'un  et  l'autre,  l'évolution  du  processus  terminé,  le  rétablissement 
des  forces  ne  s'est  pas  fait,  les  malades  sont  restés  débiles,  malgré  leur 
robuste  constitution  antérieure  et  peu  à  peu  les  symptômes  spéciaux  se 
sont  développés,  sans  que  les  sujets  aient  pu,  un  seul  jour,  se  réjouir 
d'un  retour  à  la  santé  dont  rien  ne  semblait,  au  début,  expliquer  la 
lenteur.  Ici,  entre  l'anévrysme  effet  et  la  fièvre  infectieuse  cause  déter- 
minante, on  ne  peut  saisir  la  moindre  interruption.  Depuis  la  fièvre,  les 
malades  ne  se  sont  jamais  remis. 

Cet  épiphénomène  de  la  fièvre  typhoïde  est  rare,  en  somme,  tandis  f[ue 
l'inflamination  ganglionnaire  est  constante.  La  cause  est  certaine;  mais 
il  semble  qu'elle  n'agisse  que  dans  des  conditions  spéciales  et  peu  ordi- 
naires. La  suppuration  du  ganglion  serait-elle  nécessaire  pour  produire  la 
périaortite  ?  L'observation  anatomique /»o.s/  wo/*^em  peut  seule  fournir  une 
explication  satisfaisante.  Elle  manque  et  c'est  une  lacune  regrettable,  car 
elle  serait  ici  dun  poids  décisif. 

L'observation  clinique  révèle  l'existence  d'anévrysmes  de  l'aorle  qui 
semblent  s'être  développés  à  la  suite  de  la  fièvre  typhoïde.  Une  logique 
rigoureuse,  basée  sur  l'anatomie  et  la  pathologie,  permet  d'admettre  cette 
étiologie  avec  les  conséquences  médico-légales  qui  en  découlent. 

C'est  à  l'anatomie  pathologique  qu'il  appartient  de  rechercher  et  de 
fixer  les  conditions  spéciales  de  développement  de  ces  anévrysmes  secon- 
daires. 


M.    &.   THERMES 

à  Paris. 


LE     CLIMAT    D'ARGELES-GAZOST    AU     POINT    DE     VUE   MEDICAL 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 

Il  y  a  environ  deux  ans,  nous  avons  publié  une  notice  sur  le  climat  phy- 
sique ou  climatotechnie  d'Ârgelès-Gazost  ;  aujourd'hui,  nous  esquisserons 
la  climatothérapie,  c'est-à-dire  l'action  médicale,  les  effets  curatifs  de  ce 
climat,  particulièrement  dans  les  névroses,  les  affections  des  voies  respira- 
toires et  les  cardiopathies. 

48* 


754  SCIENCES   MÉDICALES 

Et  tout  d'abord,  des  diverses  données  météorologiques,  hypsométriques, 
orograpliiques,  etc.,  recueillies  sous  notre  contrôle,  depuis  six  ans,  surtout 
de  l'action  physiologique  du  milieu  ambiant,  il  résulte,  à  notre  avis,  que  le 
climat  d'Argelès  peut  être  rangé  au  nombre  des  climats  mixtes.  Ce  n'est 
pas.  en  effet,  un  climat  excitant,  comme  celui  franchement  stimulant  et 
tonique  du  littoral  méditerranéen  (franco-ligurien,  franco-pyrénéenj  ;  ce 
n'est  pas  non  plus  un  climat  sédatif,  comme  le  climat  de  certaines  villes 
du  sud-ouest  français,  c'est  un  climat  mixte,  participant  à  la  fois  des 
climats  sédatifs  et  toniques,  plutôt  sédatif,  mais  légèrement  tonique,  se 
rapprochant  du  climat  de  Pau  et,  peut-être  mieux,  de  celui  d'Amélie-les- 
Bains. 

Ce  climat  toni-sédatif,  Argelès  le  doit,  en  particulier,  à  la  pureté  et  à  la 
douceur  de  l'air,  aux  vicissitudes  atmosphériques  peu  marquées,  aux 
variations  saisonnières  graduelles,  à  la  moyenne  annuelle  peu  élevée  de 
la  température,  aux  oscillations  limitées  de  la  colonne  barométrique  dans 
ses  mouvements  diurnes  mensuels. 

Cette  caractéristique,  ressortissant,  en  grande  partie  du  moins,  à  des 
circonstances  topographiques  locales,  constitue  pour  Argelès- Gazost  une 
spécialisation  climatérique,  s'adaptant  à  celle  de  Pau,  et  que  le  médecin, 
en  tant  qu'hygiène  thérapeutique,  peut  avantageusement  utiliser  en 
certains  cas.  Qu'il  nous  soit  permis  d'appeler  à  cet  égard  votre  bienveil- 
lante attention. 

Nous  disons  donc  qu'Argelès-Gazost,  par  son  atmosphère  neutre,  par 
sa  sécheresse  moyenne,  sans  humidité  libre,  par  sa  faible  ozonisation,  par 
le  calme  habituel  de  l'air,  est  un  climat  toni-sédatif  approprié  aux  enfants 
excitables,  aux  vieillards  réagissants,  aux  surmenés  non  épuisés  et  ayant 
des  indications  dans  quelques  maladies,  particulièrement  les  affections 
nerveuses,  des  voies  respiratoires  et  les  cardiopathies. 

Examinons  brièvement  les  ressources  hygiéno-thérapiques  que  ce  milieu 
offre  à  ces  diverses  catégories  de  maladies. 

1°  Névroses 

Les  névroses,  principalement  la  neurasthénie,  l'hystérie,  l'hystéro- 
épilepsie  surtout,  l'épilepsie  idiopathique,  récente,  à  crises  convulsives 
pas  trop  fréquentes,  la  chorée,  la  maladie  de  Basedow  sont  amendées  à 
Argelès-Gazost.  Les  malades  y  trouvent,  avec  un  air  pur,  semi-tonique, 
sédatif,  le  changement  de  milieu,  l'isolement  relatif,  le  repos  physique  et 
le  calme  de  l'esprit  ;  enfin,  s'il  y  a  lieu,  des  promenades  variées  et  gra- 
duées, sans  compter  le  massage,  l'électrothérapie,  les  pratiques  liydro- 
thérapiques  et  hydro-minérales.  Ici,  le  climat  calme  l'excitabilité  cérébro- 
spinale sans  la  déprimer,  et,  aidé  de    la  médication  balnéo-électrique,  il 


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G.  THERMES.  —  LE  CLIMAT  D  ARGELES-GAZOST  AU  POINT  DE  VUE  MEDICAL       iOO 

tend  à  favoriser  la  nutrition  générale  et,  en  dernier  lieu,  celle  de  l'élément 
cellulaire. 
Les  saisons  préférables  sont  :  le  printemps  et  Vautomne. 

•         2°  Affections  des  voies  respiratoires 

a)  Rronchiles.  —  Les  bronchitiques,  même  à  forme  arthritique  et 
goutteuse,  grâce  à  l'état  hygrométrique  de  l'air,  aux  faibles  variations  de 
température  diurnes  et  nocturnes  d'auri/  à  octobre,  au  voisinage  médiat 
des  forêts  de  pin,  aux  nombreuses  journées  ensoleillées  de  cette  période, 
bénéficient  du  climat  d'Argelès.  L'atmosphère  sèche,  pendant  l'été  et  une 
partie  de  l'automne,  facilite  la  fonction  de  sudation,  élimine,  chez  les 
arthritiques  ayant  eu  des  poussées,  les  sels  uriques,  ranime  la  circulation 
périphérique,  décongestionne  les  viscères  ;  elle  permet,  en  outre,  l'exercice 
quotidien  au  grand  air,  lequel  facilite  le  jeu  des  articulations,  augmente 
l'activité  de  réduction  de  l'oxyhémoglobine,  coïncidant  avec  l'amplitude 
plus  grande  de  la  respiration,  en  même  temps  que  l'air  semi-balsamique 
stimule,  modifie  les  sécrétions  bronchiques  et  diminue,  apparemment, 
dans  les  bronchites  microbiennes,  la  vitalité  des  bacilles  variées  et  nocives 
qui  existent  dans  les  bronchites,  dans  les  broncho-pneumonies  consécutives 
aux  maladies  infectieuses, 

b)  Asthme  catarrhal.  —  Relevant  de  la  névrose  vaso-motrice  que  pré- 
pare l'inflammation  catarrhale  par  les  nerfs  vaso-dilateurs,  l'asthme 
catarrhal,  comme  les  bronchites  bénéficient  du  climat  d'Argelès-Gazost  ; 
toutefois,  quand  il  perd  son  caractère  humide  ou  muqueux  et  tend  à 
n'être  que  l'expression  symptomatique  de  la  névrose  par  excito-motricité 
bulbaire,  quand  il  est  sec,  en  un  mot,  le  climat  d'Argelès-Gazost  n'a 
plus  d'indication  formelle;  l'asthme  sec  se  dérobe  à  nos  prévisions; 
l'individualité  morbide,  seule,  nous  instruit  et  nous  éclaire.  11  est,  en 
effet,  des  susceptibilités  personnelles,  des  idiosyncrasies  qui  réclament, 
tantôt  le  climat  toni-sédatif  cà  altitude  modérée,  comme  celui  d'Argelès, 
tantôt  le  climat  sédatif  de  Pau  et  parfois,  enlln,  le  climat  tonique  et 
excitant  de  la  mer. 

c)  Tuberculose  pulmonaire.  —  En  l'état  actuel  de  la  science,  aucun 
moyen  thérapeutique  systématisé,  qu'il  s'adresse  directement  ou  indirec- 
tement à  l'agent  pathogène,  infectieux,  bacillaire  (R.  Koch),  ou  qu'il  vise 
l'état  général  ou,  à  la  fois,  l'état  local  et  l'état  général,  ne  guérii  radica- 
lement la  phtisie  confirmée.  Le  climat,  à  lui  seul,  n'a  pas  non  plus  cette 
prétention  ;  et  sans  vouloir  dire  que,  par  l'un  de  ses  éléments,  l'oxygène 
—  sans  compter  l'ozone  —  il  stérilise  les  germes,  annihile  les  micro- 
organismes  primitifs  ou  consécutifs,  affaiblit,  atténue  ou  détruit  la  viru- 
lence de  leurs  sécrétions,  il  n'en  est  pas  moins  établi  que.  par  son  unité 


756  SCIENCES   MÉDICALES 

climatérique,  par  son  action  d'ensemble,  sur  le  terrain  plus  que  sur  la 
o-raine  sur  le  malade  plus  que  sur  la  maladie,  le  climat  tend  à  modifier 
heureusement  l'état  général  d'abord,  l'état  local  ensuite.  Oui,  ce  n'est 
pas  la  tuberculose  qui  guérit,  mais  bien  le  tuberculeux.  Et  n'est-ce  pas, 
peut-être,  le  cas  d'appliquer  au  climat,  aidé  de  l'hygiène  thérapeutique, 
ces  paroles  que  les  vitalistes  répétaient  à  l'occasion  de  la  nature  médi- 
catrice  :   conamen  naturœ,  in  œgrisalutem,  omni  ope  molientis. 

Pour  cela  il  convient  de  faire  un  choix  judicieux  du  climat,  d'adapter 
ce  climat  au  malade  tuberculeux,  à  la  forme  de  sa  maladie.  Ici,  ce  sera 
le  climat  d'altitude  (Davos,  Samaden,  Saint-Moritz)  ;  là,  le  climat  mari- 
time (continental,  insulaire,  marin)  ;  plus  loin,  les  climats  chauds  de 
plaine,  des  bords  du  Nil,  etc. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  climat  d'Argelès  s'adresse  plus  particulièrement  à 
la  tuberculose  pulmonaire  semi-éréthique,  avec  poussées  congestives, 
lesquelles  sont  fréquemment  suivies  d'hémoptysie,  au  premier  et  au 
deuxième  degré,  à  cette  tuberculose  mixte  ou  commune  (Ferrandj  chez 
les  malades  à  système  nerveux  irritable,  à  bronches  susceptibles,  à  épi- 
sodes subaigus,  s'accompagnant,  matin  et  soir,  de  fièvre  modérée.  Il 
s'adresse  également  à  cette  tuberculose  à  la  troisième  période,  pourvu 
que  les  tuberculeux  n'aient  que  la  fièvre  vespérale,  ne  soient  pas  atteints 
de  diarrhée  et  que  leur  état  général  ne  soit  pas  affaibli. 

Le  climat  d'Argelès-Gazost  est  particulièrement  approprié  à  une  cure 
de  printemps,  d'été  et  d'automne  ;  non  cependant  que,  durant  l'hiver,  les 
conditions  climatériques  ne  soient  favorables  aux  tuberculeux  de  la  caté- 
crorie  désignée  —  le  climat  d'Argelès  est  bon  en  toutes  saisons,  —  mais  les 
essais  timides,  dus  à  l'initiative  éclairée  de  la  veuve  d'un  médecin,  aidée 
d'un  petit  groupe  de  philanthropes,  bien  qu'heureux  et  encourageants, 
n'ont  pas  encore  trouvé  d'imitateurs  généreux.  Et  cependant,  Falkenstein, 
Gorsberdof,  le  Vernet  parlent  haut  et  témoignent  de  l'influence  salutaire 
de  la  vie  à  l'air  libre,  de  la  suralimentation,  du  repos,  de  l'exercice  mo- 
déré et  gradué. 

3°  Cardiopathies 

Lès  hautes  pressions  atmosphériques  ralentissent  le  cœur  et  abaissent 
la  tension  artérielle,  tandis  que  les  basses  pressions  augmentent  cette 
tension  et  excitent  le  cœur.  Les  malades,  atteints  d'affections  organiques 
du  cœur,  de  cardiopathies  artérielles,  ainsi  que  les  tachycardiques,  sans 
lésions  matérielles,  doivent  donc,  en  général,  rechercher  les  stations 
situées  le  moins  haut  possible  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  L'altitude 
ne  doit  pas,  d'ordinaire,  dépasser  600  mètres.  Mais,  à  côté  de  l'altitude, 
il  importe  de  tenir  compte  des  effets  sédatifs  du  chmat,  plutôt  que  de 


F.  BOÉ.  —   DU    TRAITEMENT    DE    L.V    RÉTINITE    SYPHILITIQUE  757 

ses  effets  excitants.  C"est  ainsi  que,  dans  les  cardiopathies  artérielles, 
le  séjour  au  bord  de  la  mer  produit,  parfois,  une  excitation  circulatoire 
pouvant  être  très  défavorable  (H.  Huchard). 

La  vallée  d'Argelès  est  à  une  altitude  variant  de  420  à  oOO  mètres  ; 
elle  est  à  l'abri  du  vent  et  des  variations  trop  grandes  et  trop  brusques 
de  température  ;  son  climat  est  toni-sédatif.  Aussi,  les  cardiopathes  anoxé- 
miques,  catarrheux,  les  cardio-mitraux,  qui  sont  à  la  période  d'hypersys- 
tolie  ou  l'ont  dépassée,  ceux  avec  tendance  aux  congestions,  aux  troubles 
modérés  de  l'hématose  et  tendance  à  l'hydropisie,  les  cardiopathes  artério- 
scléreux  utilisent-ils  l'action  toni-modératrice  du  climat  ;  ils  y  font,  au 
printemps  et  en  automne,  cette  cure  d'air  déterminant  le  ralentissement 
du  pouls,  une  respiration  plus  profonde  et  moins  fréquente,  un  léger 
abaissement  de  la  température  centrale  et  modifiant  lentement  l'altération 
nutritive  ;  ils  y  pratiquent,  parfois,  quand  le  cœur  est  compensé,  la  cure 
du  terrain,  proportionnée  à  la  force  du  muscle  cardiaque  :  ils  y  font, 
plus  souvent,  cette  gymnastique  musculaire  par  les  mouvMnents  actifs 
ou  passifs,  par  le  massage,  et  cette  gymnastique  cutanée  par  les  frictions 
excitantes  et  stimulantes,  les  bains,  les  affusions  et  plus  rarement  les 
douches  à  l'eau  sulfureuse  chlorurée  sodique  faible  d'Argelès-Gazost. 

Et  cela,  sans  oublier  le  régime  alimentaire  et  les  préceptes  d'hygiène 
générale  et  locale,  inhérents  au  climat,  préceptes  si  essentiels  et  pourtant 
si  souvent  méconnus. 


M.  r.  BOE 

à  Paris. 


CONTRIBUTION  A  L'ÉTUDE  DU  TRAITEMENT  DE  LA  RÉTINITE  SYPHILITIQUE 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 

Obs.  —  Le  23  juin  dernier,  un  malade  âgé  de  trente-huit  ans,  menuisier 
de  son  métier,  vint  à  ma  clinique  se  plaindre  que,  depuis  trois  semaines,  sa 
vue  avait  baissé  ;  il  avait  un  lirouillard  devant  les  yeuv:  tout  dabord  je  cons- 
tate à  l'œil  2;auclie,  au  voisinage  du  bord  externe  et  inférieur  de  la  cornée,  une 
trace  d'une  ancienne  perforation  ;  synrchie  antérieure;  il  y  a  vingt-cinq  ans,  le 
malade  reçut  dans  l'œil  un  éclat  de  porcelaine  ;  l'œil  resta  bandé  une  dizaine  de 
jours,  il  n'en  a  plus  soullert  depuis;  pas  de  larmoiement,  pas  d'injection  péri- 
cornéenne,  pas  de   photophobie  ;  pas  de  douleur  à  la  pression  ;  l'œil  droit  ne 


758  SCIENCES   MÉDICALES 

présente  rien  non  plus  à  noter  au  premier  aspect.  L'œil  droit  est  emmétrope- 
et  son  acuité  visuelle  égale  1,  l'œil  gauche  est  également  emmétrope  et  son 
acuité  égale  1/3. 

A  l'éclairage  oblique,  les  deux  pupilles  réagissent  bien  à  la  lumière  et  se  con- 
tractent par  le  fait  de  l'accommodation;  celle  de  l'œil  gauche  néanmoins  tout 
autant  que  la  synéchie  qui  la  déforme  le  lui  permet  ;  aucune  trace  d'irite  récente 
ou  ancienne. 

A  i'ophtalmoscope,  le  fond  des  deux  yeux  s'éclaire  bien,  celui  de  l'œil  droit 
paraît  d'un  rouge  plus  sombre  que  celui  de  l'œil  gauche.  L'attention  est  de 
suite  attirée  par  l'aspect  que  présentent  les  papilles,  surtout  celle  de  l'œil  droit; 
la  limite  du  côté  interne  se  laisse  plutôt  deviner  qu'apercevoir  ;  toute  la  partie 
qui  se  trouve  en  dedans  des  vaisseaux  est  plus  rouge  qu'à  l'état  normal,  et 
cette  rougeur  se  confond  avec  celle  de  la  choroïde  ;  si  l'on  suit  les  vaisseaux 
avec  attention  en  haut  et  en  bas,  ils  sont  toujours  bieu  visibles;  cependant  plus 
on  s'éloigne  de  la  papille,  plus  leur  contour  apparaît  nettement,  sans  qu'oa 
puisse  cependant  préciser  le  point  où  ils  sortiraient  brusquement  de  dessous  un 
voile  ;  cette  netteté  du  contour  s'observe  plus  vite  pour  les  branches  supérieures- 
que  pour  les  branches  inférieures  ;  veines  et  artères  ont  conservé  leur  volume 
normal.  Ni  la  région  de  la  macula  ni  la  périphérie  du  fond  de  l'œil  ne  pré- 
sentent rien  de  particulier  à  noter.  Le  malade  déclare  avoir  contracté  la  syphi- 
lis il  y  a  huit  ans  :  chancre,  roséole,  maux  de  gorge,  pertes  de  cheveux  par 
îlots;  il  a  pris  pendant  longtemps  des  pilules  de  protoiodure  de  mercure,  pas 
de  paralysie  des  muscles  de  l'œil;  depuis  un  an,  il  est  devenu  sourd  du  côté  droit. 

Je  prescris  1  gramme  d'iodure  de  potassium  à  prendre  quotidiennement  les 
huit  premiers  jours. 

7  juillet.  —  Le  malade  lit  avec  difficulté  la  dernière  ligne  de  l'échelle  de 
Snellen  ;  il  a  remarqué  que  quand  il  ouvre  l'œil  droit  après  l'avoir  tenu  un 
instant  fermé,  il  voit  un  rond  d'un  gris  foncé  qui  disparaît  quelques  secondes 
après.  —  4  grammes  d'iodui-e  de  potassium  à  prendre  par  jour. 

43  juillet.  —  L'acuité  visuelle  de  l'œil  droit  n'est  plus  que  de  1/3  ;  celle  de 
l'œil  gauche  est  restée  la  même  qu'auparavant  c'est-à-dire  égale  à  1/3.  Quand  le 
malade  voit  de  son  œil  droit  le  ciel  à  travers  les  feuilles  des  arbres,  il  lui  paraît 
vert  aussi  bien  que  les  feuilles;  cet  œil  distingue  toujours  le  même  cercle  et 
cette  fois,  dans  ce  cercle  se  montrent  de  petits  points  lumineux  qui  dansent;  le 
cercle  disparaît  toujours  quelques  secondes  après  que  l'œil  est  ouvert.  Frictions 
mercurielles  tous  les  jours  avec  1  gramme  d'onguent  napolitain. 

23  juillet.  —  L  acuité  visuelle  de  l'œil  droit  est  complètement  rétablie,  elle 
égale  1  ;  le  malade  lit  les  lettres  de  la  dernière  rangée  de  l'échelle;  il  voit  encore, 
en  fermant  l'œil  droit  et  en  l'ouvrant  à  nouveau,  un  rond,  mais  celui-ci  n'est 
plus  d'un  noir  foncé,  il  est  gris  au  centre,  blanc  à  la  périphéi^ie  ;  le  ciel  cesse 
de  paraître  vert  vu  à  travers  les  feuilles  des  arbres. 

//  août.  —  Le  malade  se  plaint  de  ressentir,  depuis  cinq  ou  six  jours,  une 
douleur  sourde  à  la  région  frontale  du  côté  droit;  il  l'attribue  aux  frictions  qu'il 
se  fait  parfois  en  ce  point.  L'acuité  visuelle  reste  bonne. 

i3  août.  —  La  douleur  que  ressent  le  malade  à  la  région  frontale  est  cons- 
tante, mais  elle  est  légère  ;  elle  ne  s'aggrave  pas  pendant  la  nuit  ;  le  malade  a 
la  sensation  de  quebiu'un  qui  aurait  reçu  un  coup  sur  l'œil  quelques  jours  au- 
paravant ;  pas  de  gêne  dans  les  mouvements  du  globe,  pas  de  douleur  en  le 


F.  BÛÉ.  - —    DU    TRAITEMENT    DE    LA    RÉTINITE    SYPHILITIQUE  7o9 

refoulant  en  arrière  :  aucune  injection  de  la  conjonctive.  Je  note,  d'autre  part, 
que  le  malade  marche  avec  assurance,  qu'il  n'a  jamais  d'embarras  de  la  parole, 
qu'il  n'a  jamais  eu  de  convulsions  avec  perle  de  connaissance. 

Bien  que  l'acuité  visuelle  soit  redevenue  normale,  le  malade  remarque  que 
la  flamme  d'une  bougie  lui  paraît  plutôt  rouge  vue  avec  l'œil  droit,  plutôt 
blanche  vue  avec  l'œil  gauche. 

25  août.  —  La  veille,  l'œil  gauche  a  été  touché  par  la  main  d'un  de  ses  cama- 
rades en  jouant  :  il  y  a  eu  beaucoup  de  larmoiement;  aujourd'hui  aucune  dou- 
leur; l'œil  n'est  pas  rouge,  mais  le  rond  sombre  que  le  malade  n'apercevait 
plus,  déjà  depuis  la  tin  du  mois  de  juillet,  quand  il  ouvrait  l'œil  droit,  a  reparu 
dans  cet  œil  ;  l'acuité  visuelle  a  un  peu  baissé  ;  les  lettres  de  la  dernière  rangée 
de  l'échelle  ne  sont  plus  vues  aussi  distinctement  que  les  jours  précédents  et. 
fait  curieux,  le  champ  visuel,  dont  je  n'ai  pas  encore  parlé  et  sur  le  compte 
duquel  je  vais  revenir,  s'est  rétréci  à  nouveau. 

27  août.  —  L'acuité  visuelle  de  l'œil  droit  est  redevenue  parfaite;  celle  de  l'œil 
gauche,  qui  a  été  pendant  longtemps  égale  à  1/3.  est  aujourd'hui  égale  à  1.  Ce  fait 
nous  démontre  que  bien  que  le  malade  ait  attiré  constamment  notre  attention 
sur  l'tt'il  droit,  l'œil  gauche  a  été  également  malade;  l'ophtalmoscope,  dès  les 
premiers  jours  de  l'observation  nous  avait  montré  d'ailleurs  que  le  côté  interne 
de  la  papille  présentait,  quoique  à  un  degré  moindre,  la  même  rougeur,  la  même 
absence  de  délimitation  nette  que  celle  de  l'œil  droit. 

L'étude  du  champ  visuel  reprise  cha(iue  fois  que  le  malade  s'est  représenté 
nous  a  montré  qu'au  début  il  était  rétréci  dans  les  deux  yeux,  aussi  bien  du 
côté  externe  que  du  côté  interne;  puis  quand  l'acuité  visuelle  est  revenue,  il  a 
repris  toute  son  étendue  dans  chaque  œil  du  côté  temporal;  au  31  août,  il  ne 
reste  qu'un  léger  degré  de  rétrécissement  du  côté  interne,  .l'insisté  encore  sur 
ce  fait  singulier  que  la  feuille  périmétrique  du  23  août,  celle  qui  fut  prise  le 
lendemain  du  jour  du  traumatisme  à  l'œil  gauche,  accuse  pour  l'œil  droit  un 
rétrécissement  plus  considérable  du  côté  interne  que  les  feuilles  du  11,  du  14, 
du  27  et  du  31  août,  et  de  plus,  que  du  côté  temporal  elle  accuse  également 
pour  le  même  œil  un  rétrécissement  qu'on  ne  retrouve  pas  sur  les  autres. 

31  août.  —  L'état  présent  du  malade,  en  résumé,  est  le  suivant  : 

Il  reste  encore  un  peu  de  rétrécissement  du  champ  visuel  du  côté  interne. 

L'acuité  visuelle  est  excellente  ;  cependant,  si  on  plonge  la  chambre  dans  une 
demi -obscurité,  elle  tombe  à  1/3,  tandis  que  moi-même  je  peux  encore  voir  les 
plus  petits  caractères  de  l'échelle. 

Le  fond  de  l'œil  droit  est  toujours  d'un  rouge  plus  sombre  que  celui  de  l'œil 
gauche. 

L'aspect  de  la  papille  est  resté  !e  môme. 

Avec  le  miroir  plan,  après  avoir  dilaté  la  pupille,  je  cherche  en  vain  à 
découvrir,  principalement  dans  les  parties  inférieures  du  corps  vitré,  les  opacités 
fines  en  poussière  signalées  dans  des  cas  semblables  par  les  auteurs  ;  dans  la 
région  de  la  macula,  j'aperçois  de  petites  taches  d'un  jaune  orange,  rondes  ou 
légèrement  ovales. 

Je  me  suis  trouvé  évidemment  en  présence  d'un  cas  de  neuro-rétinite 
syphilitique;  tout  le  prouve;  d'abord  la  légèreté  même  des  altérations 
de  la  rétine,  l'héméralopie  et  surtout  le  retour  rapide  de  la  vision  grâce 


760  SCIENCES   MÉDICALES 

à  l'emploi  du  traitement  spécifique.  Le  malade  n'a  d'abord  qu'un  simple 
brouillard  devant  les  yeux  ;  l'acuité  visuelle  est  encore  bonne;  il  prend 
1  gramme  d'iodure  de  potassium  pendant  huit  jours,  elle  baisse  légère- 
ment ;  il  en  prend  4  grammes  par  jour  la  semaine  suivante,  elle  tombe 
à  1/3  ;  je  prescris  alors  des  frictions  mercurielles  avec  1  gramme  d'on- 
guent napolitain  ;  sept  jours  plus  tard,  l'acuité  visuelle  est  revenue;  je 
n'avais  pas  imposé  au  malade  le  séjour  dans  la  chambre  noire. 

Cette  amélioration  rapide  a  été  obtenue  le  23  juillet  et  se  maintient 
depuis  ce  temps-là;  la  vue  baissera-t-elle  de  nouveau?  il  serait  difficile 
de  se  prononcer  dès  maintenant  sur  ce  point;  à  la  vérité,  ni  la  persis- 
tance de  l'héméralopie,  ni  l'aspect  du  fond  de  l'œil  resté  le  même,  ni 
même  le  léger  degré  de  rétrécissement  du  champ  visuel  du  côté  interne 
qui  s'observe  encore  ne  nous  imposent  particulièrement  cette  réserve  ; 
mais  il  faut  compter  avec  le  génie  même  de  la  syphilis  qui  peut  amener 
des  rechutes  plus  graves  que  la  première  atteinte  ;  et  j'ai  pensé  qu'il 
convenait  maintenant  de  faire  prendre  au  malade  6  grammes  d'iodure 
de  potassium  par  jour  ;  j'espère  qu'impuissant  à  conjurer  le  début  du 
processus,  ce  remède  servira  à  maintenir  les  bons  effets  obtenus  par 
les  frictions  mercurielles.  Le  but  de  la  présente  communication  n'est  pas 
de  faire  ressortir  la  plus  grande  vertu  curative  du  mercure  dans  le  trai- 
tement de  la  rétinite  syphilitique;  on  pourrait  objecter  que  si  j'avais 
employé  une  plus  forte  dose  d'iodure  de  potassium,  6  grammes  par  jour 
au  lieu  de  4,  j'aurais  vu  l'acuité  visuelle  se  rétablir  comme  après  l'em- 
ploi des  frictions;  je  n'ai  pas  eu  le  temps  de  poursuivre  cette  expérience, 
j'ai  vu  que  l'acuité  visuelle  baissait  et  je  me  suis  empressé  de  recourir 
au  traitement  que  tout  syphiliographe  prescrit  quand  la  syphilis  menace 
d'une  destruction  prochaine  des  tissus  ou  un  organe  de  premier  ordre,  au 
traitement"  le  plus  énergique,  à  celui  dont  faction  est  la  plus  prompte, 
au  traitement  par  les  frictions  mercurielles.  Sous  ce  rapport,  mon  obser- 
vation ne  fait  que  confirmer  le  fait  signalé  par  d'autres  ophtalmologistes 
et  notamment  par  M.  Fôrster  ;  le  vrai  traitement  de  la  rétinite  syphili- 
tique est  le  traitement  par  les  frictions  mercurielles.  L'arme  est  dange- 
reuse, mais  c'est  celle  qui  porte.  Je  ferai  seulement  remarquer  combien, 
dans  mon  cas,  la  rétinite  se  trouve  être  une  manifestation  tardive  de  la 
syphilis;  l'infection  date  de  huit  ans.  Plus  on  avance  dans  la  diathèse,  dit 
M.  Mauriac,  plus  le  mercure  doit  s'effacer  devant  la  souveraineté  incon- 
testable de  l'iodure  de  potassium.  Tel  ne  paraît  pas  être  le  cas  pour  la 
rétinite  spécifique. 

Les  frictions  mercurielles  ont  pu,  chez  mon  malade,  rétablir  complète- 
ment, dans  l'espace  de  sept  jours,  la  vision  déjà  réduite  au  tiers  de  la 
vision   normale  ;    tel  est  le  fait  que  je  voulais   surtout  mettre  en  relief. 

Voici   un  cas   d'amblyopie   de   nature   syphilitique  et  pour  lequel  la 


p_    BOK.    DU    TRAITEMENT    DE    LA    RKTI.NITE    SYPHILITIQUE  76i 

médication  par  le  mercure  n'a  pas  tardé  à  manifester  son  action  bienfai- 
sante ;  j'avais  hésité  à  la  prescrire  et  j'étais  décidé,  si  mie  amélioration 
<}uelconque  ne  s'accusait  pas  promptement,  à  la  faire  cesser  ;  celle-ci  s'est 
accusée  et  comme  la  vue  devenait  meilleure  tous  les  jours,  le  malade  a 
pu  continuer  les  frictions  mereurielles  six  semaines  durant  ;  il  les  a 
interrompues  tout  aussitôt  que  l'acuité  visuelle  est  redevenue  normale. 

Depuis  longtemps  les  vieux  maîtres  nous  ont  appris  à  ne  faire  usage 
du  mercure  dans  les  affections  syphilitiques  du  fond  de  l'œil  qu'avec  la 
plus  grande  réserve.  «  Il  n'est  pas  sûr,  disait  de  Graefe,  que  tous  les  pro- 
cessus pathologiques  qui  se  présentent  chez  un  syphilitique  soient  de 
nature  syphilitique  et  réclament  la  médication  spécifique.  »  Bien  mieux: 
y  a-t-il  un  commencement  d'atrophie  consécutive  à  une  névrite  môme 
syphilitique,  le  mercure  peut  aussi  bien  en  activer  qu'en  retarder  la 
marche  ;  c'est  une  arme  à  deux  tranchants  ;  l'on  a  vu  parfois  après  les 
premières  frictions  l'acuité  visuelle  baisser  promptement. 

D'autre  part,  si  l'on  n'a  pas  recours  à  ces  dernières,  la  cécité  peut  surve- 
nir; l'embarras  est  grand  pour  le  praticien. 

Notre  premier  devoir  reste  évidemment  d'essayer  d'abord  le  traitement 
par  les  frictions,  le  traitement  efficace  par  excellence;  mais  le  second  est 
de  les  faire  cesser  très  vite  précisément  si  cette  efficacité  reste  en  défaut. 

J'ai  tout  lieu  de  me  réjouir  d'avoir,  dans  le  présent  cas,  appliqué  la 
première  partie  de  cette  règle  ;  les  frictions  mereurielles  ont  fait  promp- 
tement revenir  une  vision  déjà  tombée  au  tiers  de  l'acuité  visuelle  nor- 
male; elles  seules  ont  conjuré  la  cécité  menaçante. 

Je  voudrais,  par  contre,  n'avoir  pas  fait  si  longtemps  usage  du  traite- 
ment mercuriel  chez  un  autre  malade  qui  avait  eu,  lui  aussi,  plusieurs 
années  auparavant,  des  accidents  spécifiques  et  que  je  présentais  le  mois 
de  mai  dernier,  à  l'Académie  de  Médecine.  A  la  fin  de  mars  1891,  ce 
malade  perdit  en  huit  jours  la  vue  de  l'œil  droit,  celle  de  l'œil  gauche  ne 
tarda  pas  à  baisser  à  son  tour;  ni  les  frictions  mereurielles,  ni  l'iodure  de 
potassium  ne  purent,  pendant  plus  de  deux  mois ,  arrêter  le  rétrécisse- 
ment progressif  du  champ  visuel;  non  seulement  ce  rétrécissement  n'aug- 
menta plus,  mais  encore  le  champ  visuel  s'élargit  un  peu  lorsque  j'eus 
renoncé  complètement  à  cette  médication  et  que  je  prescrivis  le  lactate  de 
zinc.  Depuis  un  an,  la  cécité  n'a  plus  progressé  ;  c'est  là  sans  doute  un 
heureux  résultat,  mais  ne  serait-il  pas  meilleur  encore  si  la  médication 
spécifique  avait  fait  place  plutôt  au  traitement  par  le  lactate  de  zinc? 

J'ai  pensé  qu'il  pourrait  être  intéressant,  pour  l'étude  du  traitement 
des  affections  du  fond  de  l'œil  et  des  amblyopies  d'origine  syphilitique 
^Taie  ou  supposée,  de  rapprocher  deux  cas  où  j'ai  été  bien  loin  d'obtenir 
avec  les  mêmes  frictions  mereurielles,  les  mêmes  effets. 


762  SCIENCES    MÉDICALES 


M.  E.  lîICAISE 

Agrégé  à  la  Faculté  de  Médecine  de  Paris,  Chirurgien  de  l'hôpital  Laënnec. 


DE  LA  SUTURE  DES  SPHINCTERS  DANS  L'OPERATION  DE  LA  FISTULE  A  L'ANUS 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 

La  fistule  à  l'anus  est  une  lésion  fréquente,  de  causes  variées,  d'un 
traitement  délicat  et  qui  récidive  facilement.  Elle  a  bénéficié  des  progrès 
accomplis  dans  la  thérapeutique  chirurgicale  ;  on  l'exécute  plus  métho- 
diquement et  on  cherche  à  obtenir  une  cicatrisation  plus  rapide.  M.  Quénu, 
entre  autres,  a  fait  à  la  Société  de  Chirurgie  (1887j  une  communication 
sur  la  réunion  primitive  dans  le  traitement  de  la  fistule  à  Vanus. 

L'opération  doit  être  faite  méthodiquement,  sans  que  l'on  ait  à  lutter 
contre  la  contraction  des  sphincters  et  du  releveur  ;  l'anesthésie  est  néces- 
saire et  aussi  l'emploi  d'un  spéculum  ani  qui  étale  le  champ  opératoire 
et  le  maintient  sous  les  yeux  de  l'opérateur  jusqu'à  la  fin.  J'ai  présenté 
en  1881,  à  la  Société  de  Chirurgie,  un  spéculum  ani  qui  est  particuliè- 
rement utile  dans  ce  cas  (\). 

Aujourd'hui,  je  désire  appeler  l'attention  sur  le  moyen  de  remédier 
aux  inconvénients  de  la  section  des  sphincters  ;  déjà  plusieurs  de  ceux 
qui  ont  préconisé  la  suture  après  l'incision  de  la  fistule  anale  ont  fait 
valoir  les  avantages  que  présentait  la  réunion  immédiate,  en  prévenant 
l'incontinence;  je  veux  y  insister  particulièrement  et  dire  que  si  on 
peut  discuter  sur  l'utilité  de  la  suture  dans  certains  cas,  elle  doit  être  de 
règle  et  de  nécessité  q-aand  les  sphincters  ont  été  incisés  en  partie  ou  en 
totalité. 

A  ce  point  de  vue,  on  peut  distinguer  les  fistules  anales  en  trois  classes  : 

La  première  comprend  les  fistules  sous-cutanéo-muqueuses,  dont  l'opé- 
ration n'intéresse  pas  les  sphincters  ;  il  n'y  a  jamais  d'incontinence  à 
craindre,  nous  ne  nous  en  occupons  pas  ici. 

Dans  la  deuxième  classe  se  trouvent  les  fistules  qui  traversent  soit  le 
sphincter  externe,  soit  les  deux  sphincters  ;    dans  l'opération,  la  portion 

(1)  NicAisE.  —  1874.  Des  fistules  ano-périnéales  {Gaz.  Méd.  de  Paris,  p.  134). —  M»{. Spéculum  ani 
(Bul.  Soc.  Chir.,  p.  5G8i. 


E.  NICAISE.  —    l'opération    DE   LA.   FISTULE   A   l'aNUS  763 

des  sphincters  qui  est  au-dessous  de  la  fistule  doit  être  incisée.  Selon 
que  la  fistule  remonte  plus  ou  moins  haut,  la  section  des  sphincters  sera 
plus  ou  moins  grande;  s'il  reste  au-dessus  de  la  fistule  un  anneau  sphinc- 
térien  assez  considérable,  l'incontinence  sera  évitée,  au  moins  celle  des 
matières  solides. 

Dans  la  troisième  classe  se  trouvent  les  fistules  qui  s'ouvrent  au-dessus 
des  sphincters,  soit  après  les  avoir  traversés,  soit  en  passant  en  dehors 
d'eux.  Ici  l'opération  est  plus  grave,  car  on  est  obligé  de  couper  toute 
la  hauteur  des  sphincters  et  si,  plus  tard,  ils  ne  se  réunissent  pas,  il  y  a 
incontinence. 

Comme  on  le  voit,  celle-ci  peut  se  présenter  dans  les  deux  dernières 
classes  de  fistules,  et  la  chirurgie,  avec  sa  précision  actuelle,  doit  remé- 
dier à  cet  inconvénient.  Dans  ces  cas,  la  suture,  du  moins  celle  des 
sphincters,  est  une  nécessité  et  on  devra  y  procéder  avec  soin,  spécia- 
lement par  une  suture  profonde,  perdue,  à  points  séparés;  celle-ci  sera 
recouverte  par  une  suture  superficielle  réunissant  les  lèvres  de  la  mu- 
queuse et  de  la  peau.  Si  on  n'obtient  pas  toujours  une  cicatrisation 
immédiate  totale,  la  suture  n'en  aura  pas  moins  été  avantageuse,  si  on 
s'est  placé  dans  les  conditions  d'une  chirurgie  antiseptique  rigoureuse. 

Depuis  que  l'on  applique  la  suture  au  traitement  de  la  fistule  anale, 
plusieurs  chirurgiens  ont  déjà  cherché  à  rétablir  la  continuité  des  muscles 
coupés.  M.  Gérard-Marchant,  chirurgien  des  hôpitaux,  qui  est  mon  assis- 
tant dans  mon  service  de  l'hôpital  Laënnec,  s'est  aussi  préoccupé  de  ce 
point  et  il  a  appliqué  cette  pratique  sur  un  malade  de  mon  service,  chez 
lequel  se  trouvait  une  indication  nette.  Il  a  fait  deux  étages  de  suture, 
une  suture  perdue  pour  les  sphincters  et  une  suture  superficielle  pour 
la  peau  et  la  muqueuse  ;  le  résultat  ra  été  favorable,  malgré  un  léger 
écartenient  consécutif  des  lèvres  superficielles. 

En  résumé,  l'opération  de  là  fistule  anale  doit  être  faite  méthodique- 
ment après  anesthésie,  la  région  étant  étalée  par  un  spéculum  uni. 
Après  la  section  du  trajet  et  l'ablation  de  la  surface  on  devra  faire  une 
suture  profonde  réunissant  les  sections  musculaires  et  une  suture  super- 
ficielle cutauéo-muqueuse. 


'64  SCIENCES   MÉDICALES 


M.  ARIS 


a  Pau. 


FRACTURE     DU     PARIÉTAL     DROIT    —    TROUBLES     TROPHIQUES     ET     MOTEURS 
TRÉPANATION     NEUF     ANS     APRÈS     L'ACCIDENT 


—  Séance  du  21  septembre  1892  — 


Obs.  —En  juillet  1890,  j'ai  été  appelé  auprès  de  M"«  L...  par  mon  ami  le 
docteur  Dassieu,  qui  avait  vu  la  malade  pour  la  première  fois  quelques  jours 
auparavant.  M'ie  L...,  âgée  de  treize  ans,  a  fait,  à  l'âge  de  trois  ans  et  demi, 
une  chute  d'un  deuxième  étage,  avec  fracture  du  pariétal  droit,  ayant  entraîné 
une  perte  complète  de  connaissance  de  deux  heures  de  durée,  puis  un  état 
fébrile  et  une  suppuration  de  la  plaie  contuse  du  cuir  chevelu  pendant  près 
de  deux  mois,  d'après  les  commémoratifs. 

Quand  les  accidents  aigus  eurent  cédé,  on  s'aperçut  que  la  fillette  était 
paralysée  du  côté  gauche  :  paralysie  des  deux  membres  avec  paralysie  flasque 
du  membre  supérieur  (le  bras  pendait  le  long  du  thorax  et  l'avant-bras  était 
balancé  pendant  la  marche). 

A  mesure  que  l'enfant  avançait  en  âge,  on  remarqua  une  différence  de  lon- 
gueur de  plus  en  plus  notable  entre  le  côté  gauche  et  le  côté  droit  :  très  sen- 
sible au  membre  supérieur,  moins  accusée  au  membre  inférieur. 

La  différence  la  plus  grande  existait  à  la  main  gauche,  où  prédominaient 
les  troubles  trophiques  osseux,  ainsi  que  le  démontrent  les  mensurations  en 
longueur  relevées  ci-après. 

Depuis  deux  ans,  la  main  gauche,  au  dire  des  parents,  reste  stationnaire 
(la  miette  gante  le  même  numéro  de  ce  côté)  et,  depuis  cette  même  époque, 
un  élément  symptomatologique  nouveau,  la  contracture,  est  survenu. 

Pour  le  membre  inférieur,  nous  avons  relevé  ce  fait  qu'on  dut  réapprendre 
la  marche  à  l'enfant. 

L'état  actuel  est  caractérisé  par  des  troubles  trophiques  très  pi'ononcés  des 
systèmes  osseux,  musculaire,  cutané  et  vasculaire. 

A.  —  Les  troubles  trophiques  osseux  sont  exprimés  par  les  mensurations 
en  longueur,  dont  voici  le  tableau  comparatif  : 

Pour  la  main  (de  l'extrémité  du  médius  au  niveau  de  l'interligne  articulaire). 
—  Main  droite,  16  centimètres;  main  gauche,  13  centimètres. 

Avant-bras.  —  Différence  d'un  centimètre  et  demi. 

Bras.  —  Différence  de  2  centimètres  et  demi  environ. 

Fémur.  —  Un  centimètre  de  différence. 

Tibia.  —  Un  centimètre  de  différence. 


ARIS.   —    FRACTURE    DU    PARIKTAL    DROIT  —  TROUBLES  TROPHIQUES       765 

PiirimHre  thoracique.  —  Mensuration  horizontale  de  l'appendice  xyphoide  à  la 
ligne  des  apophyses  épineuses  : 

Côté  droit 35  centimètres. 

Côté  gauche 33         — 

«.  —  Les  mensurations  circulaires  suivantes  (au  ruban  métrique)  indiquent 
approximativement  les  troubles  trophiques  musculaires. 


Mensurations  de  la  cuisse. 

A  10  centimètres     (  Côté  droit  (normal).  38  centimètres, 

au-dessus  de  la  rotule. |  Côté  gauche  ....  34  — 

A  20  centimètres      (  Côté  droit 44  — 

au-dessus  de  la  rotule.  I  Côté  gauche   ....  42         — 

•  Le  pli  fessier  est  effacé  à  gauche. 

C.  —  Troubles  trophiques  cutanés.  —  Rougeur  érythémateuse  de  la  peau  au 
niveau  de  la  partie  postérieure  du  bras  (decubitus  chronicus)  ;  la  pression,  en 
cet  endroit,  détermine  une  décoloration  de  la  périphérie  du  point  comprimé 
avec  persistance  d'une  zone  centrale  colorée  à  la  façon  d'un  extravasat  san- 
guin; la  partie  de  la  peau  momentanément  anémiée  prend  une  coloration 
rouge  vineux  assez  durable  par  action  vaso-dilatatrice  et  paralytique  des 
vaisseaux. 

Mêmes  phénomènes,  à  un  degré  moindre,  au  membre  inférieur. 

Apparition  d'engelures,  au  côté  gauche,  chaque  hiver,  et,  en  1888,  d'une 
ulcération  de  Tépiderme  et  du  derme  qui  a  laissé  à  sa  suite  du  tissu  cica- 
triciel. La  thermométrie  locale  comparative  n'a  pas  été  faite,  mais  il  existe 
une  réfrigération  appréciable  du  côté  gauche.  Les  ongles  sont  plus  courts  et 
sti'iés. 

D.  —  Troubles  trophiques  vasculair es.  — Lartère radiale  gauche  paraît  rétrécie 
et  Fondée  sanguine  y  est  diminuée. 

Nous  avons  constaté  l'intégrité  de  la  sensibihté  générale  dans  tous  ses  modes 
et  des  sens  spéciaux. 

Les  troubles  de  la  motilité  sont  très  importants. 

Au  membre  supérieur  : 

1»  Parésie  simple  des  muscles  de  Tépaule  pour  les  mouvements  voulus  ;  la 
malade  parvient,  en  se  renversant  en  arrière  et  à  droite,  à  amener  sensiblement 
le  bras  à  la  position  horizontale;  elle  communique  aussi  le  mouvement  de 
flexion,  presque  complet,  à  l'avant-bras  sur  le  bras;  celui  d'extension  est  plus 
limité.  —  Les  mouvements  communiqués  de  flexion  et  d'extension  sont  pos- 
sibles et  ne  provoquent  aucune  douleur  musculaire  ni  articulaire. 

i"  Paralysie  complète  des  mouvements  d'extension  des  doigts,  presque  com- 
plète de  leur  flexion,  qui  n'est  possible,  à  un  léger  degré,  qu'en  vertu  d'un 
mouvement  associé  de  la  main  droite. 

En  résumé,  degré  différent  de  paralysie  pour  les  divers  segments  du  membre 
supérieur  :  parésie  à  la  racine  du  membre,  paralysie  à  son  extrémité. 

En  outre,  cette  paralysie  prédomine  sur  les  extenseurs,  d'où  le  type  de  flexion  : 


766  SCIENCES    MÉDICALES 

le  bras  est  appliqué  contre  le  thorax,  verticalement;  l'avant-bras  est  fléchi  à 
peu  près  à  angle  droit,  la  main  est  ramenée  vers  la  ligne  médiane  du  corps 
et  elle  présente  une  griffe  selon  une  courbe  régulière,  sans  aucun  angle,  et 
facilement  réductible  par  l'extension  communiquée.  Le  pouce  est  habituel- 
lement fléchi  dans  la  paume  de  la  main  et  sa  dernière  phalange  est  placée 
entre  l'index  et  le  médius.  La  main  est  fléchie  dans  son  ensemble,  vers  le 
bord  cubital. 

Il  n'y  a  pas  de  rétractions  musculaires,  môme  au  biceps  ;  pas  de  contrac- 
ture des  antagonistes  :  le  triceps  brachial  ne  s'oppose  pas  à  la  flexion  forcée  et 
ne  durcit  pas.  Le  biceps  devient  rigide  quand  on  place  l'avant-bras  dans  l'ex- 
tension; mais  celle-ci  est  possible  avec  un  effort  moyen,  un  peu  prolongé. 

Le  type  actuel  de  flexion  ne  remonte  qu'à  deux  ans  environ,  d'après  les 
renseignements  et  d'après  une  photographie  antérieure  où  la  fillette  présente 
son  bras  en  résolution  musculaire  et  en  paralysie  flaccide. 

Au  membre  inférieur  gauche,  comme  au  membre  supérieur,  mais  à  un  degré 
moindre,  il  existe  une  parésie  des  mouvements  volontaires  vers  la  racine  du 
membre  :  la  flexion  et  l'extension  de  la  cuisse  sur  le  bassin  sont  diminuées 
et  engourdies  ;  la  flexion  et  l'extension  de  la  jambe  sur  la  cuisse  sont  encore 
possibles,  mais  moins  étendues  et  moins  actives. 

La  flexion  volontaire  du  pied  est  nulle,  ainsi  que  la  flexion  communiquée 
par  le  fait  de  la  contracture  des  jumeaux  et  du  soléaire.  Le  pied  est  à  angle 
obtus  sur  la  jambe  et  en  equin  valgus.  Donc,  pour  le  membre  inférieur,  le 
type  d'extension  est  réalisé  par  la  contracture  des  extenseurs. 

Du  côté  du  rachis,  on  constate  une  lordose  dorso-lombaire,  avec  scoliose 
commençante  par  action  musculaire  de  compensation,  car  les  ti|)ophyses  épi- 
neuses reprennent  la  ligne  droite  dès  qu'on  fait  coucher  l'enfant  à  plat-venlre, 
les  bras  en  croix.  La  claudication  est  manifeste. 

Je  remarque  la  déviation  conjuguée  de  la  fa^ce  et  des  yeux.  La  fillette  porte 
son  cou  fléchi  sur  l'épaule  gauche  par  suite  de  la  contracture  du  sleruo-iuas- 
toïdien  et  du  trapèze  gauches  (innervation  du  spinal);  le  menton  est  en  rota- 
tion à  droite  et  les  yeux  et  la  face  regardent  la  lésion  encéphalique  (strabisme 
externe  de  l'œil  droit  et  strabisme  interne  de  l'œil  gauche). 

Pas  de  rétractions  musculaires,  pas  de  contracture  douloureuse;  on  peut 
amener  la  tête  au  contact  de  l'une  et  de  l'autre  épaule  sans  trop  de  difficulté  et 
sans  déterminer  la  moindre  douleur. 

De  môme,  la  rotation  de  la  tête  n'est  ni  rigide  ni  douloureuse. 

Ces  mêmes  mouvements,  la  fillette  peut  les  exécuter  volontairement,  mais  ils 
n'ont  pas  toute  leur  étendue  ni  toute  leur  énergie.  Quand  je  ramène  artifi- 
ciellement la  tête  de  la  malade  vers  la  ligne  médiane  ou  vers  le  côté  gauche, 
elle  se  remet  instinctivement  en  rotation  à  droite,  après  un  moment.  L'enfant 
peut  spontanément,  par  un  effort  d'attention  et  de  volonté,  amener  ses  yeux 
soit  vers  la  ligne  médiane,  soit  vers  l'angle  opposé,  mais  ils  ne  conservent  pas 
longtemps  celte  position  et  ils  reviennent  en  déviation  conjuguée  à  droite. 

Cette  déviation  conjuguée  de  la  face  et  des  yeux  est  d'APPAarnoN  réceiste. 

Le  réflexe  musculo-cntané  abdominal  est  diminué,  mais  non  aboli,  à  gauche. 
Le  réflexe  musculo-cutané  plantaire  n'existe  à  gauche  que  pour  le  mouvement 
d'extension  des  orteils;  la  plante  du  pied  étant  rayée  par  l'ongle  d'arrière  en 
avant,  il  en  résulte,  du  côté  normal,  un  mouAement  de  flexion  des  orteils 
suivi  de  leur  extension;  la  même  excitation,  à  gauche,  produit  l'extension  seule 
des  orteils. 


ARIS .   —    FRACTURE    DU    PARIÉTAL    DROIT  —  TROURLES  TROPHIQUES       '67 

Le  réflexe  tendineux  rotulien  est  exagéré  à  gauche  ;  il  n'y  a  pas  de  trépida- 
tion épileptoïde. 

Les  pupilles  réagissent  également  bien  à  la  lumière  et  à  l'accommodation. 
■  La  malade  a  des  mouvements  associés  ;  ainsi  les  mouvements  de  flexion  volon- 
taire de  la  main  droite  (côté  normal)  déterminent,  quand  ils  sont  énergiques, 
un  mouvement  de  flexion  rudimentaire  de  la  main  paralysée,  et  quand  je 
fais  soulever  par  la  fillette  un  poids  de  deux  kilogrammes  avec  sa  main  droite, 
je  sens  la  pression  de  ses  doigts  s'accentuer  sur  les  miens  placés  dans  la  paume 
de  sa  main  gauche. 

L'action  de  se  gratter  avec  la  main  droite,  ou  le  simple  bâillement,  amène, 
du  côté  gauche,  une  flexion  des  doigts  plus  forte  que  l'action  de  lever  un  poids 
de  deux  kilogrammes. 

Pour  l'extension  des  doigts,  les  mouvements  associés  sont  nuls  ;  nuls  égale- 
ment pour  la  flexion  et  l'extension  au  membre  inférieur. 

Pendant  le  sommeil  de  l'enfant,  la  mère  a  vu  ses  doigts  s'étendre  jusqu'à 
l'extension  complète,  tout  en  s'écartant  simultanément  ;  cette  persistance  des 
mouvements  réflexes  doit  être  rapprochée  de  ïabolition  des  mouvements  voulus, 
par  lésion  de  la  zone  psycho-motrice  droite. 

Jamais  on  n'a  remarqué  des  mouvements  convulsifs  ou  des  convulsions.  Les 
réactions  électriques  des  nerfs  et  des  muscles,  au  faradisme  et  au  galvanisme, 
sont  normales  pour  le  membre  supérieur,  pour  le  membre  inférieur  et  pour  la 
face  et  le  cou.  L'examen  comparatif  avec  le  côté  sain  a  été  fait,  et  les  réactions 
électriques  ont  été  soigneusement  notées.  11  n'y  a  pas  de  réaction  de  dégéné- 
rescence :  celle-ci  a  été  recherchée  par  la  méthode  monopolaire  avec  dix  milli- 
ampères  d'intensité. 

Il  me  reste  à  noter  Vattitude  des  lèvres  et  des  joues  au  repos  et  pendant  la 
mastication.  Les  aUments  séjournent  entre  les  joues  et  les  dents,  et  la  mastica- 
tion est,  de  ce  fait,  longue  et  difficile.  La  malade  laisse  parfois  s'écouler  la 
salive  par  la  commissure  labiale  gauche,  qui  est  la  plus  déclive  (inertie  fonc- 
tionnelle de  l'orbiculaire  des  lèvres).  Il  n'y  a  pas  de  déviation  de  la  langue  ni 
de  la  luette.  Les  lèvres  sont  comme  en  ectropion,  surtout  l'inférieure,  qui 
semble  gonflée  et  allongée.  Les  plis  verticaux  sont  effacés  (parésie  des  buccina- 
teurs)  et  leur  effacement  donne  à  la  bouche  un  aspect  maussade  caractéristique, 
de  même  que  la  déviation  conjuguée  communique  à  la  physionomie  une 
expression  inmiobile  et  presque  dure. 

L'intelligence  est  celle  de  la  moyenne  des  enfants  du  même  âge  ;  la  fillette  est 
simplement  apathique  ;  ses  maîtresses  de  classe  ne  la  trouvent  inférieure  qu'au 
point  de  vue  de  Vattention  prolongée.  Son  aptitude  à  comprendre  est  normale. 
En  somme,  l'intégrité  relative  des  facultés  psychiques  fait  contraste  à  l'intensité 
des  troubles  de  trophicité  et  de  la  motilité. 

Les  règles  ont  paru  à  l'âge  de  quatorze  ans  —  c'est-à-dire  il  y  a  un  an  — 
pour  la  première  fois,  et  depuis  lors  la  menstruation  a  été  normale. 

Le  7  août  4890,  trépanation  pratiquée  par  mon  distingué  confrère,  le  docteur 
Devalz,  avec  notre  aide  et  celle  des  docteurs  Dassieu  et  Doassans. 

Trois  couronnes  de  trépan  sur  le  trait  de  la  fracture,  dans  la  moitié  anté- 
rieure du  pariétal  :  la  première  couronne,  en  arrière,  représente  une  mince 
lamelle  où  le  diploé  et  les  deux  tables  interne  et  externe  paraissent  s'être  en 
partie  résorbés  ;  la  deuxième  rondelle  ressemble  à  celle  qui  est  extraite  la 
troisième  et  n'en  diffère  que  par  ses  moindres  dimensions;  celle-ci  est  consti- 
tuée par  un  tissu  osseux  de  formation  pathologique,  présentant  en  un  de  ses 


768  SCIENCES    MEDICALES 

points  une  épaisseur  de  plus  de  dix  millimèti-es  et  composé  d'une  série  de 
couclies  superposées  en  stratifications  convergentes  vers  la  cavité  crânienne; 
c'est  surtout  aux  dépens  de  la  table  externe  que  se  sont  développés  ces  ostéo- 

phytes. 

Du  liquide  céphalo-rachidien  s'étant  écoulé  pendant  l'extraction  de  cette 
rondelle  partiellement  adhérente  à  la  dure-mère,  celle-ci  s'est  affaissée,  et  nous 
avons  eu  sous  les  yeux  une  excavation  considérable,  au  fond  de  laquelle  celle 
enveloppe  apparaissait  flottante.  La  pulpe  de  l'index  s'engage  librement  à  droite 
et  à  gauche,  ainsi  qu'en  avant,  oii  elle  rencontre,  avec  des  ostéophytes  qui  ne 
compriment  plus  rien,  la  dure-mère  qui  leur  est  adhérente.  En  arrière  de 
la  place  occupée  par  la  rondelle  postérieure,  le  doigt  sent  le  contact  de  la 
masse  cérébrale  à  travers  la  dure-mère  qui  se  réfléchit  sur  elle. 

Une  crise  de  trémulation  de  l'avant-bras  gauche  a  eu  lieu,  sous  l'anesthésie 
chloroformique,  pendant  l'opération  pratiquée,  d'ailleurs,  selon  les  règles  d'une 
antisepsie  et  d'une  asepsie  rigoureuses. 

Huit  heures  après  l'opération,  à  6  heures  du  soir,  la  température  axillaire 
était  38«,6;  pouls  à  130. 

A  9  heures  du  soir,  température  axillaire,  38  degrés  ;  pouls  à  120. 

8  août.  —Température  axillaire,  37°,2  ;  pouls  à  110. 

iO  août.  —  Température  axillaire,  37°,4  ;  pouls  à  106. 

Le  pansement  antiseptique  est  renouvelé. 

12  août.  —  La  salive  ne  s'écoule  plus  par  la  commissure  labiale  gauche,  au 
dire  des  parents,  et  la  malade  qui  ne  savait  plus  se  moucher  à  temps  perce- 
vrait la  présence  des  sécrétions  nasales. 

Les  résultats  éloignés  de  l'opération  ont  été  nuls. 


APPUECIATION 

De  l'analyse  de  cette  observation  il  résulte  que  le  traumatisme  a  pro- 
duit des  lésions  devenues  destructives  sur  la  plus  grande  étendue  de  la 
partie  supérieure  de  la  zone  psycho-motrice  droite,  comprenant  le  lobule 
paracentral,  le  tiers  supérieur  de  la  frontale  ascendante  et  les  deux  tiers 
supérieurs  de  la  pariétale  ascendante.  L'hémiplégie,  due  à  ces  lésions 
destructives,  et  qui  s'est  compliquée  tardivement  (après  sept  ans)  de  dé- 
o-énérescence  secondaire  de  la  moelle,  est  permanente  et  incurable;  la  con- 
tracture et  l'exagération  des  réflexes  tendineux  sont  vraisemblablement 
liées  à  de  la  sclérose  descendante  du  cordon  latéral.  L'absence  d'anesthésie 
prouve   que  la  partie  postérieure  de  la  capsule  interne  n'est   pas  inté- 


o 


ressée. 

La  déviation  conjuguée,  survenue  après  sept  ans,  doit  être  rattachée  à 
l'extension  des  lésions  au  pli  courbe.  Si  elle  ne  se  modifie  pas  ultérieu- 
rement, ce  fait  démontrera  que,  dans  les  lésions  d'un  hémisphère  céré- 
bral, quand  la  déviation  conjuguée  existe,  le  malade  regarde  sa  lésion, 
si  celle-ci  est  destructive,  selon  la  loi  formulée  par  Grasset. 

L'arrêt  de  développement  du  côté  gauche,  contemporain  du  traumatisme^ 
dénote  l'origine  primitivement  encéphalique  des  troubles  de  nutrition. 


ARIS .   —   FRACTURE   DU    PARIÉTAL    DROIT  —  TROUBLES  TROPHIQUES       769 

Bien  qu'on  ne  connaisse  pas  encore  le  siège,  dans  les  circonvolutions, 
■des  noyaux  des  centres  de  trophicité,  il  semble  que  la  zone  psycho- 
motrice en  possède  pour  les  membres. 

Cette  question  des  désordres  trophiques  et  des  centres  de  trophicité 
est  rendue  complexe  par  ce  fait  que,  depuis  l'apparition  des  con/rac/wres, 
l'arrêt  de  croissance  du  côté  gauche  semble  presque  définitif,  ce  qui  indi- 
querait une  participation  secondaire  de  la  moelle,  c'est-à-dire  une 
amyolrophie  spinale  secondaire. 

L'existence  d'une  ébauche  de  mouvement  du  côté  paralysé  en  vertu 
d'un  mouvement  associé  du  côté  sain  parait  reposer  sur  le  fait  anatomique 
de  la  communication,  par  les  fibres  commissurales,  entre  les  noyaux 
d'origine  des  nerfs  moteurs  des  deux  hémisphères.  La  suppléance  fonc- 
tionnelle est  le  résultat  de  la  communication  commissurale. 

A  côté  de  l'intégrité  relative  des  facultés  intellectuelles,  nous  avons 
signalé  une  diminution  de  la  faculté  d'attention  et  l'existence  de  la  fatigue 
cérébrale  survenant  rapidement;  cela  nous  amènerait  à  penser  que  les 
centres  cortico-moteurs  qui  président  aux  mouvements  voulus  pourraient 
n'être  pas  étrangers  à  la  production  de  l'effort  intellectuel  volontaire,  qui 
s'appelle  l'attention  ;  —  que  si  cette  hypothèse  de  localisation  cérébrale 
est  rejetée,  le  cerveau  droit,  que  nous  savons  capable  de  suppléance  pour 
la  parole  et  pour  la  pensée,  nous  apparaît,  dans  le  travail  intellectuel, 
comme  un  organe  de  renfort  destiné  à  éviter  l'épuisement  précoce  de  son 
congénère. 

Cette  observation  offre  le  tableau  symptomatologique  de  l'atrophie 
cérébrale  d'origine  traumatique  de  la  zone  cortico-motrice  droite.  Nous 
avons  eu  sous  les  yeux,  avec  l'atrophie  de  la  masse  cérébrale,  l'agent  de 
la  compression  qui  a  déterminé  cette  nécrobiose  :  ce  sont  des  ostéophytes 
à  couches  superposées  en  stratifications  dont  le  nombre  exprime  en 
quelque  sorte  l'âge  de  la  lésion,  comme  les  couches  concentriques  d'un 
tronc  d'arbre  expriment  ses  années. 

La  conclusion  pratique  et  clinique  est,  qu'après  un  traumatisme  crâ- 
nien, il  faut,  si  l'on  veut  être  utile  à  son  malade,  trépaner  pour  lever 
l'agent  de  la  compression,  dès  l'apparition  de  l'hémiplégie  et  des  autres 
symptômes  de  compression. 

Lors  d'une  intervention  tardive,  on  s'exposera  à  trouver  une  table 
interne  proéminente  et  développée,  ayant  autrefois  comprime,  mais  ne 
comprimant  plus  rien,  le  processus  nécrobiolique  se  trouvant  alors  réa- 
hsé,  avec  le  retrait  parallèle  de  la  substance  nerveuse. 

Dans  le  cas  actuel,  le  choix  de  la  date  de  l'intervention  ne  nous  a  pas 
appartenu,  puisque  nous  n'avons  vu  la  malade  pour  la  première  fois  qu'un 
mois  environ  avant  l'intervention. 


49* 


770  SCIENCES   MÉDICALES 


M.  Adolphe  BLOCH 

Ex-Médecin  de  l'hôpital  du  Havre,  ancien  Interne  des  hôpitaux  de  Paris,  à  Paris, 


PATHOGÉNIE    DES   ÉROSIONS    ET  AUTRES    ANOMALIES   DENTAIRES 


—  Séance  du  2/  septembre  1892  — 

Poursuivant  mes  recherches  sur  l'étiologie  de  certaines  anomahes  orga- 
niques, au  sujet  desquelles  j'ai  fait  une  première  communication,  en 
1889,  au  Congrès  de  l'Association,  à  Paris  (La  forme  du  doigt  et  les 
nodosités  de  Bouchard),  puis  une  deuxième  en  1890,  au  Congrès  de 
Limoges  (Pathogî-nie  des  affections  cardiaques  de  croissance  et  de  surme- 
nage), je  viens  étudier,  aujourd'hui,  la  pathogénie  des  érosions  et  des 
autres  anomalies  dentaires. 

Je  pense  que  ces  sortes  de  lésions,  qui  sont  du  domaine  de  la  patho- 
logie interne,  n'attirent  pas,  suffisamment,  l'attention  des  praticiens.  On 
néglige  l'examen  clinique  des  dents,  parce  qu'on  croit  que  ce  n'est  pas 
l'affaire  du  médecin,  et,  cependant,  ces  organes  peuvent,  au  même  titre  et 
pour  les  mêmes  raisons  que  les  autres  parties  du  corps,  présenter  des 
anomalies,  dans  leur  forme, dans  leur  structure,  dans  leur  direction,  etc. 
Il  importe,  donc,  de  les  connaître,  d'autant  plus  que  d'autres  maladies 
héréditaires,  distinctes  de  la  syphilis,  peuvent  les  occasionner,  ainsi  que 
nous  nous  proposons  de  le  démontrer. 


I 


Qu'est-ce  que  l'érosion  dentaire  ? 

Je  dirai  que  l'érosion  est  un  vice  de  conformation,  et  de  structure,  de 
CM-taines  dents,  caractérisé  par  un  manque  de  substance,  sur  une  surface 
et  une  profondeur  variables. 

En  effet:  1°  la  dent  est  malformée,  parce  qu'elle  ne  s'est  pas  norma- 
lement développée,  dès  le  début;  2°  elle  présente,  en  même  temps,  une 
•lésion  de  structure,  appréciable  au  microscope  ;  3°  il  n'y  a  que  certaines 
dents  qui  peuvent  être  érodées  ;  4"  enfin,  il  y  a,  par  place,  manque  de 
substance. 


A.  BLOCH.  —  PATHOGÉNIE  DES  ÉROSIONS  ET  AUTRES  ANOMALIES  DENTAIRES      ~71 

En  réalité,  l'on  ne  peut  pas  dire  qu'il  y  ait  perte  de  substance,  pro- 
prement dite,  car  la  portion  de  substance,  qui  fait  défaut  sur  la  dent, 
n'a  jamais  existé,  l'altération  s'étant  produite,  telle  quelle,  avant  que  la 
dent  ait  paru  au  dehors  (1). 

Ce  sont  les  dents  permanentes  qui,  généralement,  se  trouvent  affec- 
tées d'érosions,  et  parmi  elles,  l'on  remarque,  surtout,  les  premières  grosses 
molaires,  puis  les  canines,  les  incisives  elles  petites  molaires. 

Quant  aux  deuxièmes  et  troisièmes  grosses  molaires,  elles  en  sont  tou- 
jours exemptes.  Les  dents  de  lait  présentent,  plus  rarement,  ce  genre 
d'altération,  que  j'ai  cependant  rencontré,  au  plus  haut  degré,  chez  un 
enfant  de  deux  ans,  qui  n'était  pas  syphilitique,  et  qui  n'avait  jamais  eu 
de  convulsions.  Voyons  les  caractères  principaux  de  l'érosion  : 

L'aspect  extérieur  de  la  dent  diffère,  suivant  que  la  lésion  siège  sur  la 
couronne  même,  ou  à  son  extrémité. 

1"  Dans  le  premier  cas,  l'érosion  peut  être  arrondie  ou  linéaire. 

a)  Si  elle  est  arrondie,  elle  se  montre  sous  la  forme  d'excavations, 
plus  ou  moins  étendues  en  surface  et  en  profondeur,  et  dont  le-j  bords, 
nettement  limités,  sont  ordinairement  taillés  à  pic.  Il  y  a  de  ces  cavités 
qui  ne  se  révèlent  que  par  un  simple  pointillé,  n'intéressant  qu'une  très 
petite  épaisseur  de  l'émail  ;  d'autres  sont  plus  grandes  qu'une  tête 
d'épingle,  et  peuvent  entamer  toute  l'épaisseur  de  l'émail,  jusqu'à  l'ivoire 
(éî'osiom  en  cupules)  ;  d'autres,  enfin,  sont  beaucoup  plus  larges  et 
peuvent  même  envahir  une  partie  de  l'ivoire  (érosions  en  nappe) .  En 
somme,  ce  sont  des  espèces  d'entailles  creusées  dans  le  tissu  de  la  dent, 
comme  par  un  emporte-pièce.  (On  peut  évidemment  reconnaître  la  pro- 
fondeur des  érosions  au  moyen  d'un  stylet  de  trousse  ;  mais,  au  point  de 
vue  purement  clinique,  cet  examen  n'est  pas  indispensable.)  Le  fond  de 
ces  cavités,  qui  sont  plus  ou  moins  nombreuses,  est  presque  toujours 
noirâtre,  et  quand  elles  siègent  sur  la  face  antérieure  des  incisives  mé- 
dianes supérieures,  celles-ci  ont,  absolument,  l'aspect  d'une  pièce  d'un  jeu 
de  dominos.  Cette  coloration  noirâtre  des  anfractuosités  est  due  à  un 
dépôt  particulier  que  laissent  les  aliments  solides  ou  liquides,  qui  passent 
dans  la  bouche  ;  on  peut  facilement  l'enlever,  mais  il  se  reproduit  aussi 
très  vite.  Il  n'a  aucun  rapport  avec  la  carie  dentaire.  Quant  au  reste  de 
la  dent,  il  est  souvent  jaunâtre. 

Il  y  a  encore  une  variété  d'érosion,  qui  se  rapproche  des  précédentes, 
mais  dans  laquelle  l'excavation  n'est  pas  taillée  à  pic  ;  elle  va,  au  con- 
traire, en  diminuant  à  sa  circonférence,  sous  forme  de  godet.  C'est 
l'érosion  en  facettes. 

b)  Les   érosions  linéaires  forment  une  raie  ou  un   sillon  transversal, 

(1)  Il  va  sans  dire  que  la  carie  dentaire  ne  rentre  pas  dans  cette  élude. 


712  SCIENCES   MÉDICALES 

entourant  complètement  la  couronne,  à  peu  de  distance  de  son  extrémité 
libre;  c'est  une  espèce  d'étranglement  circulaire  delà  surface  externe  de 
la  dent,  qui,  tantôt  est  unique,  tantôt  multiple.  Ainsi,  il  peut  y  avoir 
trois  sillons  superposés  (sillons  en  escaliers  ou  en  étages),  entre  lesquels 
l'émail  forme  une  légère  saillie.  Leur  profondeur  varie  suivant  les  cas  ; 
même,  chez  certains  sujets,  l'émail  n'est  déprimé  que  très  superficielle- 
ment, de  sorte  que  la  surface  de  la  couronne  n'en  est  que  sensiblement 

peu  modifiée, 

2"  Lorsque  l'érosion  occupe  l'extrémité  de  la  dent,  celle-ci  est  encore 
plus  malformée  que  dans  le  cas  précédent. 

Considérons  d'abord  une  petite  ou  une  grosse  molaire. 

a)  La  lésion  occupant  la  face  triturante  de  la  dent,  les  saillies  naturelles 
de  cette  extrémité  se  trouvent  modiliées,  et,  à  leur  place,  l'on  remarque 
des  pointes  plus  ou  moins  aiguës,  ou  de  petits  tubercules  arrondis,  entre 
lesquels  se  voient  des  anfractuosités  traversant  l'émail,  dans  une  épaisseur 
plus  ou  moins  grande.  Lorsque  l'érosion,  au  lieu  de  rester  limitée  à 
l'extrémité  même  de  la  dent,  empiète  sur  le  corps  de  la  couronne,  on 
observe  une  démarcation  très  nette,  entre  la  partie  érodée  et  la  partie 
saine,  en  sorte  que  la  première  paraît  emmanchée  dans  l'autre,  comme 
dans  une  virole,  parce  qu'elle  est  beaucoup  plus  étroite  que  le  reste  de 

la  dent. 

b)  Quand  les  érosions  se  présentent  au  bord  hbre  d'une  incisive,  elles 
affectent  plusieurs  formes  différentes  suivant  les  sujets. 

Dans  les  cas  les  plus  simples,  on  ne  remarque  qu'une  petite  entaille  en 
forme  de  V.  D'autres  fois,  les  découpures  sont  plus  nombreuses,  et  l'inci- 
sive offre,  à  son  bord  libre,  de  petites  aspérités  dont  la  réunion  constitue 
ce  que  l'on  appelle  la  dent  en  scie. 

Lorsque  la  partie  érodée  s'étend  sur  le  corps  de  l'incisive,  celle-ci 
paraît  atrophiée  à  son  extrémité,  où  elle  n'offie  qu'une  lame  mince  de 
tissu  dentaire,  extrêmement  fragile;  d'autres  fois,  l'on  y  remarque  des 
petites  pointes  verticales,  plus  ou  moins  épaisses,  qui  représentent  une 
sorte  de  moignon  qu'on  dirait  enchâssé  dans  le  reste  de  la  dent. 

C'est  ainsi  qu'apparaît  l'incisive  au  sortir  de  son  alvéole;  mais  au  bout 
d'un  certain  temps,  le  moignon  est  modifié  par  des  actions  physiques 
(chocs,  frottements  réitérés),  ou  par  des  actions  chimiques  (salive,  ma- 
tières introduites),  et  finalement,  on  peut  la  voir  s'émietter  et  se  détacher 
par  petites  parcelles.  C'est  alors  que  l'incisive  présente,  à  son  bord  libre, 
une  échancrure  semi-lunaire,  limitée  par  un  bourrelet  saillant  d'émail. 
Outre  cela,  elle  n'a  pas  son  volume  normal;  elle  est  beaucoup  plus  petite 
que  d'ordinaire,  dans  son  ensemble,  et  sa  forme  n'a  pas  non  plus  celle 
des  incisives  saines.  Les  médecins  anglais  l'ont  comparée  à  un  tournevis^ 
parce  que  la  dent  est  souvent  élargie  à  son  extrémité  voisine  de  la  gen- 


A.  BLOCH.  —  PATHOGÉME  DES  ÉROSIONS  ET  AUTRES  ANOMALIES  DENTAIRES      113 

cive,  et  rétrécie,  au  contraire,  à  son  bord  libre.  Cette  dent  ainsi  altérée,' 
qui  est  souvent  aussi  déviée  en  dedans,  s'appelle  la   dent  cf Hutchinson, 
que  ce  médecin  considère  comme  patbognomonique  de  la  syphilis  héré- 
ditaire. 

La  canine  peut  aussi  être  atrophiée  à  son  sommet  ou  présenter  une 
entaille  en  forme  de  V.  Enfin,  l'on  peut  rencontrer,  sur  une  même  dent, 
plusieurs  espèces  d'érosions,  et  celles-ci  sont  parfois  tellement  étendues 
qu'elles  rendent  la  dent  méconnaissable.  Un  auteur  anglais  a  dénommé 
cette  dernière  :  dent  en  gâteau  de  miel. 

M""*"  Sollier  a  appelé  l'attention  sur  une  variété  de  sillons,  qu'elle  a 
souvent  remarquée  chez  les  idiots,  outre  les  érosions,  et  qu'elle  appelle 
sillons  longitudinaux,  pour  les  distinguer  des  autres  sillons  qui  sont  tou- 
jours transversaux.  Ils  correspondent,  dit-elle,  à  une  encoche  séparant  en 
trois  tubercules  le  bord  libre  de  la  dent.  Mais  au  bout  d'un  certain  temps, 
crénelures  et  sillons  doivent  disparaître  par  le  fait  du  développement  de 
la  dent,  et  leur  persistance  est  un  arrêt  de  développement  (1).  En  effet, 
au  moment  de  l'éruption,  dit  M.  Magitot  (2),  les  incisives  sont  surmontées 
de  trois  saillies  très  nettes,  très  accusées. 

J'ai  aussi  observé  ces  sillons  qui  se  montrent,  particulièrement,  sur  la 
face  antérieure  des  incisives  médianes  supérieures  ;  mais  1  email  ne  paraît 
pas  lésé,  il  est  simplement  déprimé. 

Tels  sont  les  caractères  que  présente  l'érosion  sur  la  face  antérieure  ou 
labiale  de  la  dent  ;  mais  on  retrouve,  également,  les  mêmes  lésions  sur  la 
face  opposée  ou  linguale  de  l'organe. 

Il  nous  reste  maintenant  à  mentionner  un  caractère  essentiel  de  l'éro- 
sion en  général,  qu'il  faut  connaître  pour  se  rendre  compte  de  la  patho- 
génie de  cette  affection.  Il  consiste  dans  ce  fait  que  la  lésion  n'est 
jamais  isolée  à  une  seule  dent,  comme  la  simple  carie,  mais  qu'elle 
occupe,  toujours  et  simultanément,  les  dents  homologues  d'une  même 
mâchoire  ou  des  deux  mâchoires  ;  ainsi,  lorsque  l'une  des  incisives  mé- 
dianes supérieures  est  érodée,  l'autre  l'est  aussi.  En  outre,  l'érosion  est 
située  à  la  même  hauteur,  et  offre  la  même  configuration  sur  chacune  de 

ces  dents. 

Dans  la  définition  que  nous  avons  donnée  du  terme  érosion,  nous 
avons  parlé  d'une  anomalie  de  structure.  En  effet,  l'émail  et  l'ivoire  pré- 
sentent des  altérations  anatomiques  que  l'on  constate  au  microscope  (glo- 
bules dentinaires  de  l'ivoire).  Mais  il  existe  de  ces  perforations  spontanées, 
que  l'on  remarque  sur  l'émail,  et  au  niveau  desquelles  il  n'y  a  pas  né- 
cessairement   d'altération  de  l'ivoire,  comme  l'a  démontré  M.  Magitot; 


(1)  A.  Sollier,  De  l'état  de  la  dentition  chez  les  enfants  idiots  et  arriérés,  (thèse  de  Paris,  1887.) 

(2)  Magitot  Traité  des  anomalies  du  système  dentaire  et  article  Dent  du  Dict.  encycl. 


774  SCIENCES   MÉDICALES 

nous  les  avons,  cependant,  rangées  au  nombre  des  autres  érosions,  car 
elles  se  montrent,  aussi,  avant  l'éruption  des  dents,  et  leur  pathogénie 
est  celle  de  l'érosion. 

Quant  aux  dents  érodées,  elles  sont  non  seulement  malformées,  mais 
elles  sont  aussi  plus  petites  qu'à  l'état  normal  ;  il  y  a  donc  en  même  temps 
anomalie  de  volume. 

Les  autres  espèces  d'anomalies  dentaires,  sont  les  anomalies  de  nombre, 
de  forme,  de  nutrition,  d'éruption,  de  volume,  de  direction,  de  siège 
et  de  coloration.  Nous  dirons  quelques  mots  des  principales  d'entre  elles, 
car  les  anomalies  des  dents,  quelles  qu'elles  soient,  ont  la  même  origine 
que  les  érosions,  et  elles  se  combinent  souvent  avec  ces  dernières. 

Anomalies  de  nombre.  —  Le  nombre  des  dents  peut  dépasser  la  normale, 
par  suite  de  la  présence  de  dents  surnuméraires.  Dans  d'autres  cas, 
au  contraire,  il  y  a  moins  de  dents,  à  cause  de  l'absence  de  certaines 
d'entre  elles,  comme  les  incisives  latérales  supérieures  ou   les  dents  de 


sagesse. 


Anomalies  de  forme.  —  Les  dents  sont  plus  ou  moins  transformées. 
Ainsi  les  canines  ne  sont  pas  pointues  et  les  incisives  ne  sont  pas  aplaties; 
d'autres  fois,  l'organe  est  tout  à  fait  difforme,  à  ce  point  que  l'on  ne 
reconnaît  plus  le  type  primitif  auquel  il  appartient.  (Parfois,  d'après 
Magitot,  certaines  dents,  comme  les  petites  molaires  permanentes,  se 
trouvent  malformées,  parce  que  les  molaires  temporaires,  qui  les  avaient 
précédées,  avaient  occasionné,  du  côté  de  l'alvéole  et  des  gencives,  des 
lésions  inflammatoires  dont  le  follicule  sous-jacent  avait  subi  le  contre- 
coup.) 

Anomalies  de  l'éruption.  —  L'éruption  précoce,  comme  l'éruption  tar- 
dive, a  été  remarquée  par  tous  les  médecins.  L'une  et  l'autre  sont  dues 
à  la  même  cause,  c'est-à-dire  à  une  maladie  héréditaire,  qui  a  troublé  le 
développement  régulier  des  organes  (1).  De  tout  temps  aussi,  on  a  signalé 
la  présence  d'une  ou  plusieurs  dents  chez  le  nouveau-né.  J'ai,  moi-même, 
observé  un  enfant  qui,  à  sa  naissance,  avait  une  dent  incisive  parfai- 
tement visible  et  appréciable;  11  n'y  avait  eu  aucun  cas  semblable  dans  la 
famille,  mais  la  mère  avait  été  atteinte  de  scarlatine,  vers  le  huitième  mois 
de  la  grossesse.  La  fièvre,  et  la  maladie  elle-même,  avaient,  sans  doute, 
hâté  la  calcification  de  cette  dent  chez  le  fœtus,  mais  il  faut  ajouter  que 
le  père  était  atteint  de  nervosisme. 

Anomalies  de  volume.  —  Certaines  dents  peuvent  être  beaucoup  plus 

(i)  Notons  que  dans  beaucoup  d'anomalies  organiques  il  peut  y  avoir  tantôt  excès,  tantôt  défaut 
de  développement;  c'est  l'évolution  qui  s'est  trouvée  déviée  soit  dans  un  sens,  soit  dans  un  autre; 
mais  les  deux  extrêmes,  malgré  leur  contraste,  ont  la  même  origine.  De  même,  dans  les  névroses, 
il  y  a  tantôt  augmentation,  tantôt  diminution  de  la  sensibilité;  c'est  le  juste  milieu  qui  n'a  pu 
être  conservé  pendant  le  développement  du  système  nerveux,  avant  ou  après  la  naissance.  Du 
leste,  anomalies  organiques  et  névropathies  sont  sœurs,  et  proviennent,  fréquemment,  d'une  seule 
et  même  cause,  qui  est  l'hérédité  morbide  dissemblable. 


A.  BLOCH.  —  PATHOGÉNIE  DES  ÉROSIONS  ET  AUTRES  ANOMALIES  DENTAIRES   "75 

grosses  ou  beaucoup  plus  petites  que  d'ordinaire.  De  là,  deux  espèces 
d'anomalies  de  volume,  lorsque  les  extrêmes  sont  très  prononcés  :  le 
géantisme  et  le  nanisme.  Ce  sont,  surtout,  les  incisives  médianes  supé- 
rieures que  l'on  voit  extraordinairement  développées,  dans  certains  cas. 
au  lieu  que,  dans  d'autres,  ce  sont  les  incisives  latérales  qui  présentent  la 
diminution  de  volume. 

Anomalies  de  direction.  —  Rien  de  plus  fréquent  que  de  voir  des  indi- 
vidus dont  les  dents  supérieures  font  saillie  en  avant  :  c'est  ïanléversion 
de  l'arcade  dentaire,  et  seulement  de  la  partie  qui  supporte  les  incisives 
et  les  canines.  Le  maxillaire  supérieur  conserve  généralement  sa  direc- 
tion normale,  mais  dans  quelques  cas,  la  région  incisive  de  cet  os  est 
également  projetée. 

D'autres  fois,  l'arcade  dentaire  est  déviée  en  arrière  (rétroversion). 

Parmi  les  anomalies  de  direction,  il  faut  citer,  encore,  Vinclinaison 
latérale,  la  rotation  sur  l'axe,  les  accidents  occasionnés  par  l'éruption 
•de  la  dent  de  sagesse  (Magitot). 

Anomalies  de  coloration.  —  Les  dents  n'ont  pas  toujours  leur  colorar 
tion  normale,  indépendamment  des  agents  chimiques  qui  peuvent  la 
modifier.  Il  y  a  des  dents  qui  sont  jaunâtres,  surtout  à  la  partie  voisine 
de  la  gencive,  au  lieu  d'être  normalement  d'un  blanc  nacré,  homogène  ; 
malgré  tous  les  soins  de  propreté,  cette  teinte  jaune  persiste  et  elle  coïn- 
cide fréquemment  avec  un  dépôt  de  tartre  qui  est  aussi  de  couleur  jau- 
nâtre et  qui  se  reproduit  ultérieurement,  si  on  l'enlève.  Il  est  évident 
qu'il  y  a,  là,  une  disposition  morbide  du  sujet  à  fabriquer  du  tartre,  et  qui 
■n'est  pas  toujours  due  à  une  altération  de  la  salive  ou  à  des  fermenta- 
tions buccales. 

On  voit  quelquefois,  sur  la  dent,  certaines  taches  ou  des  zones  de  cou- 
leur différente,  ou  encore  des  sillons  blanchâtres  transversaux,  alternant 
avec  des  zones  plus  transparentes. 

Enfin,  il  y  a  des  dents  dont  la  coloration  est  d'un  blanc  laiteux  ou 
•d'un  blanc  bleuâtre,  qui  indique  des  imperfections  de  structure  ou  des 
modifications  dans  leur  composition  chimique,  etc. 

La  friabilité  est  un  caractère  qui  se  rattache  à  ces  sortes  d'anomalies. 

Les  diverses  anomalies  que  nous  venons  de  passer  en  revue  sont  sou- 
vent associées  entre  elles  ;  elles  sont,  fréquemment  aussi,  accompagnées  de 
•malformations  des  maxillaires  supérieurs  ou  inférieurs  ;  quelquefois 
même,  certaines  de  ces  anomalies  sont  dues  à  des  vices  de  conformation 
des  mâchoires.  Ainsi,  lorsque  le  nombre  des  dents  est  au-dessous  de  la 
normale,  l'anomalie  peut  être  due  à  l'étroitesse  de  Tarcade  correspon- 
dante, dont  le  diamètre  transverse  est  diminué  (atrésie  du  maxillaire),  ce 
qui  se  remarque,  surtout,  à  la  mâchoire  supérieure.  D'autres  fois,  la  for- 
anule  dentaire  égale  bien  32;  mais,  en  raison  de  l'étroitesse  de  l'arcade, 


776  SCIEÎNCES    MÉDICALES 

les  dents  sont  trop  serrées,  et  empiètent  les  unes  sur  les  autres,  en  pre- 
nant toutes  sortes  de  directions  vicieuses. 

Par  opposition,  l'arcade  dentaire  peut  être  trop  large,  et  l'on  comprend 
que  les  dents,  se  trouvant  trop  écartées  les  unes  des  autres,  laissent  des 
vides  considérables  entre  elles. 

Enfin,  une  moitié  latérale  d'une  mâchoire  peut  être  plus  développée  que 
celle  du  côté  opposé,  d'où  l'asymétrie  des  maxillaires. 


II 


Les  médecins,  qui  ont  particulièrement  étudié  les  érosions  dentaires,  les 
attribuent  aux  maladies  suivantes  : 

Hutchinson  (1)  et  Parrot  (2),  à  la  syphilis  héréditaire  exclusivement; 

Magitot  (3)  et  ses  élèves,  aux  convulsions  de  l'enfance; 

Fournier  (4),  à  la  syphilis  héréditaire  principalement,  mais  en  admet- 
tant que  les  malformations  dentaires  sont  des  lésions  banales,  communes, 
susceptibles  de  dériver  de  causes  multiples  et  diverses. 

Enfin,  M""^  A.  Sollier  (3),  en  1887,  a  signalé  et  étudié,  chez  les  idiots, 
des  anomalies  dentaires  que  son  maître,  Bourneville  (6),  avait  déjà  fait 
connaître,  en  partie,  dès  l'année  1862. 

Suphilis.  —  La  syphilis  héréditaire  est  certainement  une  cause  de 
malformations  dentaires,  et  les  observations  si  précises  de  Fournier  ne 
laissent  aucun  doute  à  cet  égard.  Du  reste,  une  maladie  si  variée  dans 
ses  localisations  et  dans  ses  lésions,  soit  pendant  la  vie  intra-utérine,  soit 
après  la  naissance,  ne  pouvait  pas  épargner  le  système  dentaire. 

Mais,  à  l'exemple  de  Fournier,  j'ai  rencontré  des  individus,  porteurs 
d'érosions  dentaires,  qui,  malgré  cela,  furent  atteints  de  syphilis  acquise, 
bien  manifeste.  Il  faut  donc  admettre  que  ces  érosions  n'étaient  sûrement 
pas  de  nature  syphilitique,  car  elles  auraient  dû  procurer  l'immunité  à 
ceux  qui  les  possédaient,  en  les  préservant  d'une  nouvelle  syphilis. 

Ce  fait,  à  lui  seul,  prouve  déjà,  que  la  syphilis  n'est  pas  la  seule  cause 
d'érosions.  Bien  plus,  on  a  signalé  l'érosion  dentaire  chez  certains  ani- 
maux, comme  le  bœuf  et  le  chien. 

Ainsi,  M.  iMagitot,  en  1881,    a  présenté  au  Congrès  de  Londres  une 

(1)  Hutchinson,  É<U(Ze  clinique  sur  certaines  malaiies  de  l'œil  et  de  l'oreille  consécutives  à  la  sypJiilis 
héréditaire.  (Trad.  par  le  docteur  Herraet.  Paris,  1881.) 

(2)  Parrot,  Leçons  sur  la  syphilis  héréditaire.  (Progrès  médical,  1881.) 

(3)  Magitot,  Traité  des  anomalies  du  système   dentaire   (Paris,    1877),   et  article  Dent    du  Dict. 
encycl. 

(i)  Fournier,  La  Syphilis  héréditaire  tardive.  Pans,  1886- 

(,5)  SoixiER,  De  l'étal  de  la  dentition  chez  les  idiots,  etc.  (Thèse  de  Paris,  1887)  (ouvrage  déjà  cité). 
(6)  BouRNKViLLE,  De  la  condition  de  la   bouche  chez    les    idiots.  (Journal  des  connaissances    médi- 
cales et  chirurgicales,  I8tj2  et  1863-) 


A.  BLOCH.  — PATHOGÉNIE  DES  ÉROSIONS  ET  AUTRES  ANOMALIES  DENTAIRES      777 

mâchoire  de  bœuf,  dont  deux  incisives  étaient  affectées  d'un  sillon  égale- 
ment symétrique. 

Puis  en  1883,  M.  Capitan  a  fait  voir,  à  la  Société  d'Anthropologie,  un 
crâne  de  chien,  sur  lequel  les  deux  maxillaires  portaient  des  dents  mani- 
festement érodées.  La  lésion  ne  différait,  en  rien,  de  celle  qu'on  observe 
sur  l'homme,  et  comme  les  animaux  ne  sont  pas  sujets  à  la  syphilis, 
leurs  érosions  doivent  être  attribuées  à  d'autres  affections. 

D'après  M.  Trasbot,  professeur  à  l'École  vétérinaire  d'Alfort,  les  érosions 
dentaires  seraient  fréquentes  chez  le  chien,  notamment  sur  les,  incisives 
et  les  canines,  et  de  plus,  elles  reconnaîtraient,  pour  cause  unique,  la  va- 
riole (vulgairement  maladie  du  chien)  survenant  avant  l'issue  des  dents 
d'adulte,  c'est-à-dire  avant  le  sixième  mois  (1). 

On  a  même  découvert  les  érosions,  dans  l'espèce  humaine,  sur  dés 
squelettes  très  anciens,  et  jusque  sur  des  dents  préhistoriques,  c'est-à-dire 
sur  des  pièces  remontant  à  des  époques  où  l'on  suppose  que  la  syphilis 
n'existait  pas  encore. 

L'une  de  ces  pièces  concerne  le  maxillaire  inférieur  d'un  jeune  sujet 
de  l'époque  mérovingienne,  qui  provenait  d'un  ancien  cimetière  gallo- 
romain,  et  que  l'on  peut  voir  au  musée  Broca.  On  y  remarque,  en  effet, 
un  double  sillon  transversal,  aux  incisives,  et  un  sillon  unique  aux  canines, 
ainsi  qu'aux  prémolaires.  Quant  aux  dents  préhistoriques,  Broca  en  avait 
fait  l'objet  d'une  communication  à  la  Société  d'Anthropologie  en  1876. 

Il  avait  examiné  un  grand  nomljre  de  dents  isolées,  provenant  des  sé- 
pultures de  l'époque  néolithique  (âge  de  la  pierre  polie),  et  sur  cent  deux 
dents  canines  ou  incisives,  il  en  avait  trouvé  deux  sur  lesquelles  M.  Magitot 
et  lui  avaient  constaté  la  marque  caractéristique  de  l'érosion  (2).  On  voit 
donc  qu'il  ne  manque  pas  de  preuves  attestant  la  fréquence  de  l'érosion 
en  dehors  de  la  syphilis  héréditaire. 

Ainsi  M"'^  Sollier,  sur  une  centaine  d'enfants  idiots  ou  arriérés,  et  por- 
teurs d'érosions  ou  d'autres  anomalies  dentaires,  n'a  pas  vu  un  seul  cas 
bien  avéré  de  syphilis  héréditaire,  et  cependant  elle  observait  ces  malades 
à  l'hospice  de  Bicêtre,  dans  un  milieu  où  vient  converger  toute  espèce  de 
dégénérescence  physique,  de  nature  héréditaire.  Pourquoi  la  syphilis  y 
ferait-elle  exception? 

De  mon  côté,  sur  un  même  nombre  de  sujets  de  toutes  sortes,  je  n'ai 
vu  qu'une  seule  fois  l'hérédo-syphilis  se  présenter  comme   cause  réelle 

d'érosion . 

C'est  qu'il  y  a  d'autres  maladies  héréditaires,  bien  plus  répandues  que 
la  syphilis,  qui  peuvent,  aussi,  amener  une  dégradation  plus  ou  moins 


(1)  FouRNiEB,  loc.  cil.,  p.  m  (extrait  d'une  note  remise  par  M.  Trasbot). 

(2)  Bull.  Soc.  Anthropol,  1876,  IH,  2'  série,  p.  434. 


778  SCIENCES   MÉDICALES 

prononcée  de  l'organisme,  et  par  suite,  une  altération  déterminée  du  sys- 
tème dentaire. 

Ces  affections,  qu'on  peut  appeler  les  maladies  héréditaires  régnantes, 
sont,  avec  leurs  diverses  transformations:  la  tuberculose,  le  nervosisme  et 
l'alcoolisme.  Or,  ce  sont  précisément  ces  maladies  qui,  d'après  nos  obser- 
vations, engendrent  le  plus  souvent  les  érosions  et  autres  anomalies 
dentaires.  Ou  c'était  la  mère  qui  était,  soit  tuberculeuse,  soit  névropathe, 
ou  c'était  le  père  qui  était  alcoolique,  s'il  n'était  pas  atteint  de  tuberculose 
ou  d'une  maladie  du  système  nerveux. 

Le  descendant  d'un  tuberculeux  n'est  pas  toujours  tuberculeux  lui-même; 
il  peut  être,  simplement,  atteint  d'érosion  dentaire  ou  de  toute  autre  ano- 
malie organique,  parce  que  la  tuberculose  ancestrale  a  troublé  le  dévelop- 
pement régulier  de  l'organisme;  il  en  est  de  même  du  descendant  d'un 
névropathe  ou  d'un  alcoolique.  C'est  de  Vhérédité  morbide  dissemblable, 
et  celle-ci  est  bien  plus  fréquente  que  l'hérédité  similaire. 

Nous  avons  remarqué,  aussi,  que  les  sujets  qui  étaient  atteints  d'érosions, 
et  qui  appartenaient  à  une  famiile  tuberculeuse,  névropathique  ou  alcoo- 
lique, présentaient,  souvent,  d'autres  anomalies  concomitantes,  telles  que 
des  asymétries  crâniennes  ou  faciales,  des  vices  de  conformation  des 
oreilles,  ou  d'autres  difformités  dans  diverses  régions  du  corps,  sans 
compter  les  malformations  des  maxillaires.  Enfin,  l'on  observe,  encore, 
qu'ils  sont  souvent  affectés  de  nervosisme. 

En  définitive,  les  sujets,  porteurs  d'anomalies  dentaires,  sont  des  dégé- 
nérés chez  lesquels  la  tare  héréditaire  a  été  la  cause  du  développement 
vicieux  de  l'organisme . 

Mais  il  ne  faudrait  cependant  pas  s'exagérer  la  portée  de  ce  mot  dégé- 
nérescence, en  croyant  que  tous  les  dégénérés  sont  voués,  dans  un  avenir 
plus  ou  moins  prochain,  à  une  déchéance  certaine. 

11  y  a  divers  degrés  de  dégénérescence,  sous  le  rapport  du  pronostic. 

En  effet,  la  tuberculose  et  le  nervosisme  ne  sont  pas  fatalement  trans- 
missibles  à  travers  les  générations,  et  leur  action  peut  se  borner,  comme 
nous  venons  de  le  dire,  à  produire  une  légère  anomalie  chez  les  descen- 
dants. Rien  de  plus  grave  ne  peut  survenir  ultérieurement,  et  celui  qui 
est  issu  d'une  de  ces  familles  dont  nous  venons  de  parler,  peut  four- 
nir une  heureuse  carrière,  et  procréer  des  enfants  parfaitement  bien  cons- 
titués . 

La  nature,  autant  que  possible,  cherche  à  reprendre  son  équilibre 
normal. 

Je  dois  démontrer  maintenant  que  les  convulsions  ne  sont  pas  la  cause 
des  érosions  dentaires,  comme  le   soutiennent  Magitot  et  ses  élèves. 

Il  est  parfaitement  vrai  qu'un  certain  nombre  de  sujets,  ayant  des 
érosions  aux  dents,  ont  pu  être  atteints  de  convulsions  dans  leur  enfance  ; 


A.  BLOCH.  —  PATHOGÉNIE  DES  ÉROSIONS  ET  AUTRES  ANOMALIES  DENTAIRES      779 

mais  comme  ce  sont  aussi  des  névropathes,  pour  la  plupart  du  temps, 
il  n'est  pas  étonnant  qu'ils  aient  pu  être  affectés  d'éclampsie.  par  suite  de 
leur  prédisposition  nerveuse.  Mais  je  ne  pense  pas  que  l'effet  des  convul- 
sions soit  tel  qu'il  puisse  entraîner  une  altération  du  système  den- 
taire. 

Les  lésions,  consécutives  aux  convulsions  infantiles,  portent  plutôt, 
€omme  on  le  sait,  sur  le  système  musculaire  ou  sur  le  système  nerveux. 
De  plus,  il  ne  faut  pas  oublier  que  certaines  de  ces  convulsions  sont  sou- 
vent trop  courtes,  et  trop  peu  nombreuses,  pour  pouvoir  exercer  une 
action  fâcheuse  sur  l'organisme.  Ainsi,  celles  qui  peuvent  se  manifester 
au  début  des  fièvres  éruptives,  disparaissent  rapidement  pour  faire  place 
à  des  symptômes  d'une  autre  nature. 

Pour  nous,  les  convulsions  et  les  érosions  sont  le  résultat  d'une  seule 
•et  même  cause  qui  est  la  tare  héréditaire  tuberculeuse,  névropathique  ou 
alcoolique. 

C'est  la  maladie  ancestrale  qui  a  troublé  la  calcification  régulière  des 
■dents,  comme  elle  peut  troubler  le  développement  régulier  de  tout  autre 
organe,  même  après  la  naissance. 

''Mais  en  défalquant  les  cas  précédents,  on  trouve  qu'il  y  en  a  beaucoup 
d'autres  où  les  érosions  n'ont  jamais  été  précédées  de  convulsions,  ainsi 
•qu'il  résulte  du  témoignage  des  mères  que  l'on  doit  naturellement  inter- 
roger à  ce  sujet.  Tel  est  aussi  l'avis  de  Sollier  qui  conclut  en  disant  :  que 
les  érosions  sont  plus  fréquentes,  sans  convulsions,  qu'avec  convulsions. 
Mais  puisque  l'érosion  est  un  arrêt  momentané  de  la  dentification, 
•examinons  le  phénomène  au  point  de  vue  tératologique,  en  étudiant  le 
mode  de  production  de  l'anomalie  et  le  moment  de  sa  formation. 

La  première  grosse  molaire  commence  à  se  calcifier  dès  le  sixième 
mois  de  la  vie  intra-utérine,  et  son  chapeau  de  dentine  ou  d'ivoire  a  déjà 
deux  millimètres  de  hauteur  à  la  naissance  (Magitot).  Or,  il  arrive,  fré- 
quemment, que  ces  premières  molaires  sont  atrophiées  à  leur  extrémité 
libre  ;  c'est  donc  déjà  pendant  la  grossesse  que  le  chapeau  de  dentine  et 
l'émail  ont  été  troublés  dans  leur  formation,  par  conséquent,  à  une 
époque  où  l'on  ne  pouvait  pas  encore  songer  aux  convulsions.  Ainsi, 
Parrot  avait  fait  l'autopsie  d'un  enfant  de  vingt  et  un  mois,  et  il  avait 
trouvé,  enfermée  dans  son  alvéole,  une  première  molaire  malade  sur  toute 
la  hauteur  de  la  couronne  qui  était  de  six  millimètres.  L'influence  patho- 
logique avait  donc  agi,  sans  discontinuer,  depuis  la  vingt-cinquième 
semaine  de  la  vie  intra-utérine  jusqu'au  vingt  et  unième  mois  de  la  nais- 
sance, c'est-à-dire  pendant  sept  cent  vingt-huit  jours  (1). 

Ce  sont  même  les  premières  grosses  molaires  qui  sont  le  plus  souvent 

(1)  Progrès  médical,  1881. 


780  SCIENCES   MÉDICALES 

atteintes  d'érosions;  après  elles,  viennent  les  incisives  et  les  canines,  les- 
quelles, comme  nous  le  savons  déjà,  ne  se  calcifient  qu'au  premier  et  au 
troisième  mois  qui  suivent  la  naissance,  [-e  phénomène  tératologique,  qui 
a  débuté  pendant  la  vie  intra-utérine,  se  continue  donc  après  la  nais- 
sance, car  l'on  ne  peut  pa's  soutenir  que  les  incisives  et  les  canines  se 
trouvent  érodées  pour  une  autre  raison  que  les  molaires.  Avant  et  après 
la  naissance,  la  palhogénie  de  cette  malformation  doit  être  la  même. 

En  effet,  ainsi  que  je  l'ai  démontré  dans  mes  communications  anté- 
rieures, les  anomalies  ne  sont  pas  toutes  congénitales,  car  il  en  existe  un 
certain  nombre  qui,  sous  l'influence  de  l'hérédité  morbide,  apparaissent 
seulement  après  la  naissance,  pendant  que  l'organisme  est  encore  en  voie 
de  développement.  Les  convulsions  étant  hors  de  cause,  c'est  à  un  autre 
genre  de  maladies,  susceptibles  de  troubler  le  développement  de  l'orga- 
nisme, qu'il  faut  rapporter  la  genèse  des  érosions  et  des  autres  anomalies 
dentaires.  Je  pense  même  que,  dans  certains  cas,  les  incisives,  les  canines, 
et  avec  elles  les  prémolaires,  sont  atteintes  d'érosions,  parce  que  l'évo- 
lution des  dents  a  déjà  subi  quelque  trouble  pendant  la  vie  intra-utérine, 
bien  que  leur  calcification  n'ait  lieu  qu'après  la  naissance. 

Les  dents  ainsi  érodées  (surtout  les  incisives  et  les  canines  inférieures) 
sont  souvent  beaucoup  plus  petites  que  les  dents  saines  et  un  simple  coup 
d'œil  suffit  pour  s'en  convaincre.  On  peut  également  remarquer  que  ces 
mêmes  dents,  outre  leurs  érosions,  n'ont  pas  toujours  une  forme  normale. 
Or,  le  bulbe  dentaire,  peu  de  temps  après  son  apparition  chez  le  fœtus,  a 
déjà  la  configuration  de  la  dent  future,  même  avant  la  genèse  de  l'ivoire 
et  de  l'émail;  et  ces  derniers  éléments  se  groupent  sur  le  bulbe,  comme 
sur  un  moule  qui  fixe,  d'une  manière  invariable  et  définitive,  la  forme  de 
la  couronne  (Magitot).  Si  donc,  les  incisives,  les  canines  et  les  prémo- 
laires se  sont  mal  développées  après  la  naissance,  c'est  que  leur  follicule 
correspondant  était,  probablement,  déjà  lésé  dans  l'origine. 

Comme  le  fait  remarquer  M.  Dareste,  dans  ses  intéressantes  recherches 
sur  la  tératogénie  expérimentale,  les  simples  anomalies,  comme  les 
monstruosités,  se  manifestent  de  très  bonne  heure,  et  elles  sont  toujours  la 
conséquence  d'une  modification  de  l'évolution  embryonnaire,  'et  non, 
comme  on  l'a  dit,  le  résultat  de  la  lésion  accidentelle  d'un  organe  pri- 
mitivement bien  conformé  (1). 

Scî'ofide.  —  Nous  avons  souvent  rencontré  l'érosion  et  d'autres  ano- 
malies dentaires  chez  les  scrofuleux,  et  le  fait  a  été  signalé  aussi  par  divers 
auteurs.  Or,  on  sait  que  la  scrofule  provient  souvent  de  la  tuberculose  des 
ascendants,  et  notre  théorie  de  l'origine  tuberculeuse  de  l'érosion  se  trouve 
donc  confirmée  par  la  clinique. 

(1)  Dareste,  Recherches  sur  la  production  artificielle  des  monstruosilés.  Paris,  1892. 


A.  BLOCH.  —  PATHOGÉ.ME  DES  ÉROSIONS  ET  AUTRES  ANOMALIES  DENTAIRES      781 

Mais,  en  dehors  des  affections  héréditaires  que  nous  avons  étudiées,  n'y 
a-til  pas  d'autres  causes  qui  puissent  occasionner  les  anomalies  dentaires? 

L'on  ne  peut  nier  que,  dans  un  certain  nombre  de  cas,  il  ne  se  ren- 
contre aucune  maladie  ancestrale,  bien  caractérisée,  qui  puisse  expliquer 
la  présence  des  érosions;  mais  quelquefois,  en  recherchant  bien  les  condi- 
tions morales  et  physiques,  dans  lesquelles  la  mère  s'est  trouvée  pen- 
dant la  grossesse,  on  remarque  que  la  gestation  a  pu  être  profondément 
troublée,  d'une  façon  ou  d'une  autre.  Chez  l'une,  c'est  une  émotion  vive, 
comme  une  forte  frayeur,  qui  a  retenti  sur  le  système  dentaire  du  fœtus  ; 
chez  l'autre,  c'est  une  chute;  chez  une  troisième,  enfin,  c'est  une  maladie 
aiguë  survenue  pendant  la  grossesse.  Le  résultat  est  toujours  le  môme, 
c'est-à-dire  une  perturbation  dans  le  développement  du  foetus  ;  mais  l'or- 
gane qui  se  trouve  atteint  peut  différer  suivant  les  cas,  comme  aussi 
plusieurs  organes  peuvent  être  affectés  en  même  temps. 

Une  seule  et  même  cause  peut  frapper  d'anomalie  n'importe  quelle 
partie  du  corps,  molle  ou  dure.  Il  en  est  de  même  dans  la  production  arti- 
ficielle des  monstruosités;  quelque  soit  le  procédé  employé  pour  amener 
des  monstres,  les  résultats  tératologiques  sont  indifféremment  vœriés  dans 
leur  nature  (1). 

Distinctions  entre  les  érosions  d'origines  différentes.  —  Existe-t-il  une 
différence  d'aspect  entre  les  érosions  d'origine  syphilitique,  tuberculeuse, 
névropathique  ou  alcoolique? 

Entre  les  trois  dernières,  il  ne  paraît  pas  y  avoir  de  distinction  notable. 
Le  nombre  des  érosions  et  des  dents  affectées  est,  sans  doute,  en  rapport 
avec  la  gravité  de  la  maladie;  mais,  pour  la  première,  il  y  aurait  ce  fait 
particulier,  déjà  signalé,  que  la  dent  d'Hutchinson  serait  beaucoup  plus 
fréquente  chez  les  hérédo-syphili tiques.  Cela  provient  de  ce  que  les  dents 
de  ces  sortes  de  dégénérés  sont  beaucoup  plus  friables  que  les  autres  ; 
elles  s'émiettent  plus  facilement,  d'où  la  forme  échancrée  que  présente  la 
dent  en  question.  Il  semble  que  la  syphilis  attaque  les  tissus  dentaires 
plus  profondément  que  les  autres  maladies  dont  nous  avons  parlé. 

La  dent  syphilitique  présente,  en  outre,  ce  caractère  essentiel,  qu'elle 
s'associe  fréquemment  avec  des  lésions  particulières  de  l'œil  et  de  l'oreille  : 
c'est  la  triade  d'Hutchinson,  qu'on  n'observe  jamais  dans  les  érosions  qui 
ne  sont  pas  d'origine  syphilitique. 

Il  n'est  pas  inutile  de  se  demander,  au  point  de  vue  de  la  pathogénie, 
pourquoi  certaines  maladies  de  l'enfance,  comme  les  fièvres  éruptives,  le 
rachitisme  ou  les  diarrhées  prolongées,  qui  exercent  toujours  une  action 


(I)  Bertram  C.-A.  Windle,  Recherches  sur  la  téralogénie  artificielle.  (Sociélr  philosophique  de 
Birmingham,  1890.  —  C'est  sur  l'œuf  de  poule  que  les  expériences  de  Daresteet  de  Windle  ont  été  laites. 
Il  est  évident  que,  là,  il  ne  peut  être  question  d'érosions  dentaires,  mais  ces  expériences  n'en  sont  i)as 
moins  applicables  au  sujet  qui  nous  occupe. 


78â  SCIENCES   MÉDICALES 

fâcheuse  sur  la  nutrition  générale,  ne  produisent  pas  d'érosions  dentaires. 

D'abord,  les  fièvres  éruptives  n'atteignent  généralement  pas  l'enfant, 
au  moment  même  où  les  premières  dents  permanentes  commencent  à  se 
calcifier. 

Pour  ce  qui  est  du  rachitisme,  qui,  cependant,  devrait  arrêter  la  denti- 
fication  comme  il  arrête  la  calcification  des  os,  l'on  n'y  remarque  pas 
non  plus  d'érosions.  Cette  maladie  peut  entraîner  des  modifications  dans 
la  structure  générale  de  la  dent,  mais  ce  n'est  pas  l'érosion  véritable 
qu'elle  produit.  Il  faut  ajouter,  aussi,  que  le  rachitisme  ne  se  montre  pas, 
ordinairement,  dès  les  premiers  mois  de  la  naissance,  puisqu'il  est  sou- 
vent le  résultat  d'une  cachexie  ou  d'une  affection  grave  ultérieure. 

L'érosion  dentaire  peut-elle  être  transmise  directement  de  père  en  fils, 
c'est-à-dire  par  hérédité  similaire?  La  chose  est  possible,  mais  elle  est 
certainement  peu  ordinaire,  car  c'est  l'hérédité  morbide,  dissemblable ,  qui 
est  le  facteur  le  plus  habituel  de  cette  sorte  d'anomaUe,  comme  de  beau- 
coup d'autres. 

CONCLUSIONS 

L'érosion  dentaire  provient  généralement,  par  hérédité  morbide,  dis- 
semblable, de  la  tuberculose,  du  nervosisme,  ou  de  V alcoolisme,  et  plus  rare- 
ment de  la  syphilis  des  parents. 

Si  cette  anomalie  se  rencontre  aussi  chez  les  scrofuleux  et  les  idiots, 
c'est  que  la  scrofule  et  l'idiotie  sont  souvent  le  résultat  d'une  tare  hérédi- 
taire, névropathique  ou  autre. 


M.  Edmond  CHAÏÏMIEU 

à  Tours. 


UN   CAS   DE    PSEUDO-PARALYSIE    SYPHILITIQUE  TERMINÉ   PAR    LA   GUÉRISON 


—  Séance  du  H  septembre  i892  — 

Bien  que  les  observations  de  pseudo-paralysie  syphilitique  ne  soient 
pas  très  fréquentes,  je  ne  vous  aurais  pas  communiqué  un  cas  que  j'ai 
eu  l'occasion  d'observer  cette  année,  s'il  n'offrait  une  particularité  fort 
remarquable. 


E.  CHAUMIER.  —  PSEUDO-PARALYSIE  SYPHILITIQUE  TERMINÉ  PAR  LA  GUÉRISON      783 

Parrot,  qui,  le  premier,  a  décrit  cette  affection,  croyait  qu'elle  était  tou- 
jours mortelle.  Il  est  vrai  qu'il  observait  aux  Enfants  assistés  et  qu'à  cette 
époque  la  mortalité  était  énorme  dans  cet  établissement. 

Depuis,  on  a  cité  un  certain  nombre  d'enfants  guéris. 

Voici  maintenant,  en  deux  mots,  l'observation  dont  il  s'agit  : 


Obs.  —  Ou  m'amène  un  jeune  enfant  manifestement  syphilitique.  Les  fesses 
présentent  de  larges  ulcérations  sur  la  nature  desquelles  on  aurait  peut-être 
pu  hésiter  à  se  prononcer;  mais,  à  côté  de  ces  lésions,  on  en  remarque  d'autres 
qui  ne  sauraient  laisser  le  moindre  doute  :  l'exfoliation  de  la  face,  le  coryza, 
et  surtout  des  fissures  verticales  des  lèvres,  nombreuses  et  profondes. 

Cet  enfant  est  élevé  au  sein  par  sa  mère.  A  part  ses  manifestations  syphili- 
tiques, il  a  l'air  de  se  bien  porter. 

Trois  ou  quatre  semaines  auparavant,  la  mère  remarqua  que  l'enfant  ne 
remuait  plus  une  jambe,  puis  l'autre.  Ces  membres  étaient  comme  paralysés. 
Les  genoux  étaient  gonflés.  Puis,  bientôt,  les  bras  se  prirent  à  leur  tour,  tandis 
que  les  jambes  allaient  mieux. 

Lorsque  je  vis  l'enfant,  une  jambe  avait  presque  recouvré  complètement  ses 
mouvements;  les  autres  jointures  étaient  en  voie  d'amélioration.  Seul,  un 
bras,  le  dernier  pris,  était  presque  inerte.  L'exploration  des  genoux  dénota 
des  mouvements  de  latéralité  des  jointures  ;  aux  coudes,  les  radius  avaient  de 
semblables  mouvements. 

Le  traitement  par  l'iodure  de  potassium  et  les  frictions  mercurielles  fit  dis- 
paraître eu  très  peu  de  temps  les  larges  ulcérations  des  fesses,  les  fissures  pro- 
fondes des  lèvres,  le  coryza,  l'exfoliation  épidermique  des  joues. 

En  même  temps,  les  mouvements  des  membres  redevinrent  normaux. 


Le  point  sur  lequel  je  veux  insister,  c'est  la  diminution  spontanée,  sans 
aucun  traitement,  de  la  pseudo-paralysie.  Une  jointure  était  presque 
guérie  au  moment  où  j'ai  vu  l'enfant;  les  autres  étaient  en  voie  d'amé- 
lioration. 

Je  ne  sache  pas  que  ce  fait  ait  déjà  été  noté,  c'est  pourquoi  j'ai  cru 
utile  de  le  signaler. 


784  AGRONOMIE 


M.  Eugène  PETIT 

Naturaliste,  à  Pau. 


L'EXPLOITATION    DU    CAOUTCHOUC    DANS    LES    ILES    FLOTTANTES    DU     FLEUVE 
DE  L'AMAZONE;  SON  IMPLANTATION  DANS  NOS  COLONIES  TROPICALES 


—  Séance  du  16  septembre  1893  — 


DU  CAOUTCHOUC 


Le  caoulchouc  est  un  produit  végétal  devenu  indispensable  à  l'indus- 
trie universelle;  dans  ces  dernières  années  surtout,  et  à  mesure  que  les 
progrès  de  la  science  ont  permis  de  découvrir  ses  propriétés  et  de  les 
appliquer  à  nos  usages,  l'emploi  du  caoutchouc  a  pris  une  grande  extension. 
Grâce  à  ses  propriétés  d'élasticité,  d'imperméabilité,  il  sert  d'enveloppe 
protectrice  et  isolante  aux  fils  télégraphiques  et  téléphoniques,  aux  grands 
câbles  sous-marins;  on  l'emploie  dans  la  fabrication  des  tampons  de 
machines,  des  soupapes,  des  ligatures,  des  tissus  imperméables,  des  chaus- 
sures, des  vélocipèdes  ;  la  physique,  la  chimie,  l'électricité,  la  chirurgie, 
en  un  mot  toutes  les  sciences,  toutes  les  industries  ont  besoin  du  caout- 
chouc. 

Le  caoutchouc,  à  létal  brut,  se  vend  très  cher;  il  coûte  de  9  â  10  francs 
le  kilogramme  dans  nos  ports.  Comment  se  fait-il  que  ce  produit  si 
indispensable  à  l'industrie  française,  nous  ne  puissions  l'acquérir  qu'à  un 
tel  prix?  C'est  que  l'arbre  du  caoutchouc,  qui  vient  si  bien  dans  notre 
colonie  de  la  Guyane,  puisque  son  nom  scientifique  est  YHevea  guyanemis, 
c'est  que  cet  arbre  précieux,  découvert  par  un  Français,  étudié  par  un 
Français,  n'est  ni  cultivé  par  nos  colons,  ni  transporté  chez  nous  par  nos 
navires  du  commerce..  Des  compagnies  anglaises  et  allemandes,  comme 
je  vous  le  montrerai  tout  à  l'heure,  ont  le  monopole  du  commerce  du 
caoutchouc  :  ce  fait  seul  explique  comment  nous  le  payons  si  cher.  Les 
compagnies  étrangères  et  rivales  s'enrichissent  à  nos  dépens,  et,  qui  pis 
est,  à  notre  barbe. 

Notre  expérience  personnelle  acquise  par  un  long  séjour  à  la  Guyane 
et  dans  le  pays  de  l'embouchure  de  l'Amazone,  pays  de  prédilection  du 
caoutchouc";   nos  observations  faites  pendant  un  voyage  entrepris  tout 


E.  PETIT.  —  IMPLANTATION  DU  CAOUTCHOUC  DANS  NOS  COLONIES  TROPICALES    785 

dernièrement  nous  font  un  devoir  de  signaler  à  votre  patriotisme  les  torts 
que  portent  h  nos  colonies  et  à  la  France,  au  point  de  vue  commercial  et 
industriel,  l'abandon  où  nous  laissons  la  culture  du  caoutchouc,  la  rivalité 
frauduleuse  des  compagnies  étrangères,  et  de  vous  montrer  ensuite  quel 
remède  facile  et  sûr  il  convient  d'apporter  à  la  situation  actuelle,  en 
cultivant  le  caoutchouc  dans  toutes  nos  colonies  tropicales. 

Tout  d'abord,  il  importe  de  faire  connaître  l'arbre,  la  manière  dont  on 
l'exploite,  et  les  immenses  revenus  qu'en  retirent  les  compagnies  qui  en 
font  le  commerce. 

Ce  sont  les  académiciens  Bouguer  et  La  Condamine  qui,  les  premiers, 
ont  fait  connaître  le  caoutchouc  au  retour  d'un  voyage  dans  l'Amérique 
du  Sud  en  1750.  Les  botanistes  l'ont  rangé  dans  la  famille  des  Euphor- 
biacées  et  le  connaissent  sous  le  nom  de  Siphonia  elastica  ou  YHevea 
guyanensis.  Il  ne  faut  donc  pas  le  confondre  avec  le  caoutchouc  du  genre 
Ficus  dont  les  grandes  feuilles  vertes  et  brillantes  ornent  nos  salons  et  nos 
vestibules;  les  feuilles  de  YHevea  guyanensis  sont,  au  contraire,  ternes, 
d'un  vert  cendré,  à  trois  folioles  articulées  sur  un  long  pédoncule  grêle  ; 
les  graines  sont  renfermées  dans  une  capsule  à  trois  compartiments 
réunis  renfermant  trois  graines  qui,  pour  la  grosseur  et  la  couleur, 
ressemblent  à  des  œufs  de  perdrix. 

L'Hévéa  se  plaît  dans  les  pays  à  la  fois  chauds  et  humides  ;  les  deux 
conditions  se  trouvent  remplies  dans  le  versant  de  l'Amérique  équatoriale, 
c'est-à-dire  dans  la  Guyane  et  le  Brésil.  De  l'immense  fleuve  de  l'Ama- 
zone, dont  les  eaux  sont  en  contact  avec  l'air  chaud  sur  une  large  super- 
ficie, s'élèvent  constamment  des  vapeurs  qui  chargent  le  ciel  de  nuages; 
c'est  là,  sur  les  deux  rives,  que,  sans  culture,  par  sa  seule  spontanéité 
naturelle,  YHevea  naît,  croît,  se  reproduit.  Du  sein  même  du  fleuve 
semblent  surgn-  d'innombrables  forêts  de  caoutchoucs  :  ce  sont  les  îles 
flottantes  de  l'Amazone. 

Les  indigènes  exploitent  le  caoutchouc  comme  l'on  exploite  le  pin  dans 
nos  Landes.  Dès  que  l'arbre  a  atteint  un  certain  âge  (dix  à  douze  ans) 
et  s'est  suffisamment  développé,  ils  pratiquent  dans  le  tronc  des  incisions 
microscopiques  d'où  découle  un  suc  laiteux  ;  seulement  les  habitants, 
pressés  de  faire  des  gains  avantageux,  renouvellent  trop  fréquemment  ces 
incisions  et  affaiblissent  le  végétal  ;  puis  les  arbres,  déjà  presque  épuisés, 
abandonnés  à  eux-mêmes  pour  qu'ils  reprennent  des  forces,  sont  de 
nouveau  mis  à  contribution  par  les  pillards  qui  viennent  à  leur  tour 
saigner  les  malheureux  caoutchoucs  et  qui  vendent  ensuite  à  vil  prix  le 
produit  de  leurs  rapines.  Les  caoutchoucs,  privés  du  suc  nourricier, 
dépérissent  et  meurent,  et  les  naturels,  profitant  du  présent  sans  assurer 
l'avenir,  ne  songent  même  pas  à  faire  de  nouvelles  plantations. 

C'est  à  Para  ou   Belem,   ville   située  à  l'embouchure  de  l'Amazone, 

50* 


786  AGRONOMIE 

qu'arrive  tout  le  caoutchouc  des  îles  et  des  rives,  à  qui  il  sert  de  débouché. 
Cette  ville  a,  peut-on  dire,  le  monopole  du  caoutchouc  ;  des  compagnies 
anglaises  ou  allemandes  y  ont  établi  de  vastes  entrepôts;  grâce  à  ce 
commerce,  la  ville  a  pris  un  grand  développement,  pendant  que,  dans 
notre  colonie  de  la  Guyane,  Cayenne  reste  stationnaire;  la  ville,  à  la 
recherche  de  l'or,  semble  morte  d'inanition.  Pourquoi  donc  Cayenne 
n'a-t-elle  pas  de  commerce?  Le  port  n'est  pas  moins  bon  que  celui  de 
l^ara;  il  n'est  pas  plus  éloigné  de  l'Europe;  les  conditions  climatériques 
y  sont  sûrement  meilleures,  puisque  Para  n'est  situé  qu'à  1  degré  de 
latitude  sud,  et  que  Cayenne  se  trouve  par  4°, 5  de  latitude  nord.  La 
situation  de  Cayenne  est  donc  préférable,  et  pourtant  les  navires  vont  à 
Para  ;  c'est  que  Para  a  le  commerce  du  caoutchouc,  c'est  au  caoutchouc 
que  Para  doit  sa  prospérité. 

Ainsi,  de  l'autre  côté  de  l'Amazone,  s'effectue  un  commerce  fort  actif  dont 
nous  ne  profitons  pas  et  qui  fait  tort  au  port  de  Cayenne  délaissé,  et  par  suite 
à  toute  notre  colonie;  mais,  ce  qui  est  encore  plus  humiliant  pour  nous, 
c'est  la  manière  dont  les  transactions  se  font  à  Paris  ;  les  compagnies 
étrangères,  qui  achètent  le  caoutchouc,  effectuent  leurs  paiements  beau- 
coup moins  en  argent  qu'en  nature,  en  objets  manufacturés,  en  con- 
serves alimentaires,  et  surtout  en  alcools  de  qualité  très  inférieure,  mais 
portant  des  marques  contrefaites  des  meilleures  maisons  françaises.  C'est 
en  vain  que  Brésiliens,  Indiens,  immigrants  portugais,  qui  ont  fondé 
d'importantes  colonies,  comme  Manao,  recherchent  nos  marques  com- 
merciales qu'ils  ne  peuvent  se  procurer  à  prix  d'or  ;  car  ces  bons  habi- 
tants des  îles  n'ignorent  pas  que  tous  les  produits  qu'on  leur  vend  en 
échange  du  caoutchouc,  et  qui  portent  des  marques  françaises,  ne  sont 
que  de  mauvaises  contrefaçons .  C'est  donc  à  bon  marché  que  les  com- 
pagnies anglaises  et  allemandes  se  procurent  le  caoutchouc  à  l'état 
naturel  ;  leurs  vapeurs  de  Liverpool  et  de  Hambourg  en  font  leur  char- 
gement, puis  viennent  le  consigner  au  Havre  en  masse  homogène  et  le 
livrent  au  prix  de  9  à  10  francs  le  kilogramme. 

C'est  donc  à  nos  dépens  que  les  compagnies  étrangères  font  d'im- 
menses bénéfices  ;  elles  viennent  nous  revendre  très  cher  un  caoutchouc 
que,  grâce  à  la  contrefaçon  grossière  de  nos  marques,  elles  achètent 
très  bon  marché.  Il  est  à  souhaiter  que  ce  rôle  de  dupes  ne  dure  pas 
plus  longtemps.  Pour  l'intérêt  de  notre  colonie,  si  avantageusement 
située  et  pourtant  immobile  dans  son  développement  ;  pour  notre  intérêt 
à  nous,  il  faut  que  nous  fassions  nous-mêmes  l'exploitation  du  caout- 
chouc, et  qu'au  lieu  d'être  acheteurs,  nous  soyons,  pour  nous  des  four- 
nisseurs, pour  les  autres  nations  des  marchands.  Dès  lors,  Cayenne  sera 
ce  qu'elle  peut  et  doit  être,  le  premier  port  de  la  côte  nord-est  dans 
l'Amérique  méridionale.  Enfin,  non  seulement  la  Guyane,  mais  toutes 


E.  PETIT.  —  IMPLANTATION  DU  CAOUTCHOUC  DANS  NOS  COLONIES  TROPia\LES    787 

nos  colonies  des  tropiques  sont  propres  à  l'implantation  du  caoulcliouc, 
et  cette  implantation  sera  pour  chacune  d'elles  une  nouvelle  source  de 
revenus. 

*  * 

Nous  avons  essayé,  dans  notre  région  même,  dans  les  départements 
des  Basses-Pyrénées  et  des  Landes,  de  faire  des  implantations  de  caout- 
chouc et  nous  avons  donné  à  plusieurs  personnes  des  graines  de  VHevea, 
rapportées  de  notre  dernier  voyage  ;  les  graines  ont  levé,  et,  avec  quel- 
ques soins,  ces  essais  d'acclimatation  auraient  parfaitement  réussi.  On  peut 
voir  un  échantillon  de  VHevea  chez  M.  Morin,  l'habile  horticulteur  de 
Pau.  Mais  les  personnes  à  qui  nous  avions  donné  des  graines  de  VHevea 
pour  faire  des  essais  de  plantation  ont  bien  vu  l'arbre  du  caoutchouc 
venir  eu  pleine  terre;  seulement,  remarquant  sans  doute  la  pâleur  gri- 
sâtre des  feuilles  de  VHevea,  au  lieu  des  brillantes  feuilles  du  Ficm 
qu'elles  s'attendaient  à  voir,  et  déçues  dans  leur  espoir,  elles  ont  aban- 
donné ces  arbres  jeunes  et  frêles  à  leurs  seules  ressources  ;  les  racines 
des  uns  ont  été  entamées  par  les  vers  blancs,  les  feuilles  par  les  limaces, 
d'autres  ont  été  tués  par  notre  hiver  trop  froid.  Il  est  certain  que,  si  on 
leur  avait  donné  les  soins  qu'il  convenait  sous  un  climat  inconnu,  si  on 
les  avait  abrités  dès  le  commencement  pour  les  acclimater  peu  à  peu, 
les  caoutchoucs,  devenus  plus  robustes,  auraient  grandi  et  prospéré,  et 
nos  efforts  seraient,  à  l'heure  actuelle,  couronnés  de  succès. 

Cette  expérience  montre  néanmoins  comment  il  serait  facile  d'im- 
planter le  caoutchouc  dans  nos  colonies.  Puisque,  avec  quelques  soins 
donnés  à  l'arbre  dans  sa  première  jeunesse,  il  pourrait  croître  sous  notre 
-ciel  et  s'acclimater  à  notre  pays,  combien  peu  d'efforts  coûterait  sa  culture 
dans  nos  colonies,  sous  des  climats  chauds  et  humides.  L'arbre  y  vien- 
drait tout  naturellement  ;  il  suffirait  de  ne  point  l'affaiblir  par  des  sai- 
gnées excessives  et  de  laisser  la  nature  réparer  ses  pertes  et  lui  donner 
une  vigueur  nouvelle.  Ainsi,  de  sacrifices  minimes  nous  tirerions  très 
o-rand  profit.  Nous  pouvons  affirmer  que  si  l'administration  pénitentiaire 
de  la  Guyane  avait  employé  seulement  le  quart  des  hommes  transportés 
à  la  plantation  du  caoutchouc,  les  revenus  couvriraient  actuellement  les 
frais  que  coûte  au  budget  l'administration  des  pénitenciers  dans  nos 
colonies.  Les  transportés  libérés  à  l'expiration  de  leur  peine  trouveraient 
dans  cette  exploitation  de  grands  avantages.  Enfin,  nos  colonies  des 
Antilles,  qui  luttent  péniblement  contre  la  concurrence  étrangère  pour 
le  sucre,  le  coton,  cultures  maintenant  universelles,  recevraient  un  bel 
appoint  commercial  par  l'implantation  et  l'exploitation  du  caoutchouc. 
Nous   crovons  avoir  suffisamment  montré  l'avantage  énorme  qu'il   y 


78.8  AGRONOMIE 

aurait  pour  la  France  à  cultiver  Dous-mêmes  cet  arljre  si  précieux,  au 
lieu  d'acheter  le  produit  de  l'exploitation  à  des  compagnies  étrangères; 
nous  serions  heureux  si  M.  le  Sous-Secrétaire  d'État  aux  colonies  prenait 
en  considération  ces  conseils  que  nous  suggèrent  trente-cinq  années  d'ob- 
servation passées  dans  nos  colonies,  soit  dans  l'armée,  soit  dans  l'élément 
civil;  et  si  l'on  faisait  dans  toutes  nos  colonies  tropicales  des  plantations 
de  caoutchouc,  nous  aurions  conscience  d'avoir  travaillé  utilement  pour 
notre  patrie,  puisque  nous  venons  de  voir  dans  la  culture  du  caoutchouc 
une  source  de  la  richesse  nationale. 


M.  Michel  PEREET 

ITésideiit  hoiioniire  du  Conseil  départemental  d'agriculture  de  l'Isère,  à  Paris. 


ROLE  DE  L'HUMUS   DANS  LA  VÉGÉTATION 


—  Séance  du  17  septembre  1892  — 

Le  rôle  que  joue  l'humus  dans  les  phénomènes  de  la  végétation  est 
trop  incertain  pour  qu'il  soit  possible  d'émettre  une  appréciation  défini- 
tive sur  les  fonctions  multiples  qu'il  remplit  dans  la  nutrition  des  plantes. 
Sans  doute,  Saussure  a  exagéré  son  importance  et  l'opinion  trop  absolue 
qu'il  a  émise  a,  en  grande  partie,  provoqué  la  réaction  qui  s'est  produite 
peu  après  lui.  par  laquelle  plusieurs  savants  ont  supposé,  à  tort,  qu'une 
alimentation  exclusivement  minérale  devait  suffire  aux  plantes. 

De  nos  jours,  la  question  a  été  envisagée  avec  moins  de  parti  pris  et 
l'on  arrive  à  reconnaître  que  les  minéraux  seuls  ne  remplissent  pas  toutes 
les  conditions  d'assimilation  imposées  aux  plantes,  et  que  celles  mêmes 
qui  paraissent  le  mieux  se  prêter  à  l'alimentation  exclusivement  minérale^ 
souffrent  de  la  privation  d'humus. 

Cette  question  m'a  de  tout  temps  intéressé;  j'ai  donc  suivi  avec  atten- 
tion ces  revirements  d'opinion,  et  j'ai  voulu  me  rendre  compte,  par  moi- 
même,  de  l'action  de  l'humus  sur  le  blé  ;  dans  ce  but  j'ai  poursuivi  pen^ 
dant  dix-sept  ans  l'expérience  suivante  : 

Sur  une  parcelle  de  bonne  terre,  traitée   par  de  l'engrais  chimique 


M.    PERRET. ROLE    DE    l'hUMUS    DANS    LA    VÉGÉTATION  "80 

complet  (phosphate,  azote  et  potasse),  sans  matières  organiques,  j'ai  fait 
succéder  des  cultures  de  blé  sur  blé.  Pendant  les  premières  années, 
l'humus  dû  au  fumier  répandu  sur  les  cultures  antérieures,  prolongea 
son  action  et  la  récolte  ne  fut  pas  sensiblement  différente  de  la  moyenne 
obtenue  sur  l'ensemble  du  domaine,  cultivé  avec  engrais  chimique  et 
fumier.  Mais  ces  rendements  se  sont  peu  à  peu  amoindris  et  de  30  hecto- 
litres à  l'hectare,  sont  tombés  à  10  hectolitres  au  bout  de  dix  ans. 

Je  n'hésitai  pas  à  attribuer  ce  fait  à  la  perte  de  l'humus,  perte  bien 
caractérisée  par  l'état  physique  du  sol,  qui,  de  meuble  et  de  léger,  était 
devenu  compact  et  dur,  comme  une  sorte  de  terre  à  briques  et,  par 
conséquent,  peu  apte  à  faciliter  le  développement  physique  des  racines 
du  blé  et  la  pénétration  des  agents  atmosphériques. 

Cette  hypothèse  était  facile  à  vérifier  :  il  suffisait  de  mettre  de  l'humus 
dans  le  sol,  afin  de  savoir  si  la  fertilité  reviendrait  sous  son  influence  ; 
c'est  ce  que  je  fis,  en  apportant  une  certaine  quantité  de  matière  humique 
prise  dans  une  prairie  marécageuse.  Le  résultat  fut  immédiat  et  le  rende- 
ment s'est  accru  dannéc  en  année,  jusqu'à  égaler  le  rendement  primitif 
de  30  hectolitres  à  l'hectare  sous  la  double  influence  de  l'engrais  chimique 
et  de  fumier  chargé  de  débris  végétaux  de  toutes  espèces. 

Cette  expérience  prouve  donc  que  l'humus  agit  sur  l'état  physique 
du  sol.  Mais  il  a  d'autres  fonctions  encore,  et  j'ai  depuis  longtemps  appelé 
l'attention  sur  l'une  d'elles,  car  j'y  attache  une  grande  importance  : 
l'humus,  par  sa  facilité  à  absorber  les  liquides,  comme  le  ferait  une 
éponge,  sert  de  réservoir  à  l'aliment  chimique  soluble,  et  ne  le  cède  aux 
racines  des  plantes,  qu'à  mesure  de  sa  propre  destruction  dans  le  sol; 
il  remplit  donc  la  fonction  d'un  régulateur  de  l'alimentation,  analogue 
au  fumier,  dont  les  eff"ets  sont  excellents  parce  qu'ils  sont  mesurés  au 
besoin  des  plantes. 

Les  plantes  absorbent  nécessairement  tous  les  liquides  qui  leur  sont 
présentés;  mais  ehes  n'utilisent  que  la  quantité  d'aliments  qu'elles 
peuvent  assimiler,  en  sorte  que  tout  ce  qui  n'est  point  assimilé  est 
perdu.  Il  y  a  donc  une  grande  importance  à  régler  la  marche  d'absorp- 
tion et,  pour  éviter  ce  que  j'appelle  un  gaspillage,  il  faut,  en  un  mot, 
proportionner  la  vitesse  de  so'.ubilimlion  des  aliments  à  la  vitesse  d'assimi- 
lation des  plantes. 


790  AGRONOMIE 


M.  Pierre  LESA&E 

Doct.  es  se,  Prép.  à  la  Faculté  des  Sciences  de  Rennes. 


LE    CHLORURE     OE     SODIUM     ET     LE     CHLORURE     DE     POTASSIUM 
DANS     LE     RADIS     ET     LA     CRESSONNETTE 


—  Séance  du  17  septembre  1892  — 

L'an  dernier,  au  Congrès  de  Marseille,  j'ai  présenté  les  principaux  résul- 
tats de  cultures  faites  avec  des  radis  soumis  à  des  arrosages  salés.  J'avais 
surtout  en  vue  d'étudier  les  différences  morphologiques  et  anatomiques 
déterminées  par  le  sel  marin.  A  la  Section  d'Agronomie,  des  questions 
m'ont  été  posées  sur  le  mode  d'action  de  ce  sel  (1).  N'agit-il  pas  tout 
simplement  en  favorisant  la  diffusion  de  la  potasse  et,  si  les  radis  ont 
souffert,  n'est-ce  pas  d'une  trop  grande  absorption  de  chlorure  de  potas- 
sium, comme  M.  Dehérain  a  pu  le  constater  dans  des  expériences  faites 
par  lui-même  sur  des  haricots  ? 

Les  moyens  trop  réduits  dont  je  dispose  ne  m'avaient  pas  permis  de 
répondre  à  ces  questions,  que  je  m'étais  posées  sous  une  autre  forme 
depuis  un  certain  temps  déjà.  Grâce  à  l'obligeance  de  M.  Lechartier, 
professeur  de  chimie  à  la  Faculté  des  Sciences  de  Rennes,  j'ai  pu  acqué- 
rir des  renseignements  précis  sur  le  sujet. 

J'ai  montré,  dans  une  note  à  l'Académie  des  sciences  (2),  que  les  élé- 
ments du  chlorure  de  sodium  pénètrent  dans  les  tiges  du  Lepidium  sativum 
et  dans  les  tubercules  du  radis  en  quantité  beaucoup  plus  grande  quand 
ces  plantes  ont  été  arrosées  avec  des  solutions  de  sel  marin  que  quand 
elles  n'ont  reçu  que  de  l'eau  de  Vilaine.  Le  sodium  et  le  potassium  ont 
été  dosés  au  laboratoire  de  chimie  de  la  Faculté  par  la  méthode  de 
Deville  et,  par  exemple,  pour  30  grammes  de  radis  frais  épuisés  par  l'eau, 
voici  les  quantités  de  K  et  de  Na  données  en  poids  des  chlorures  corres- 
pondants : 

Arrosage  à  l'eau  de  Vilaine,  IGI-^'^'^SIS  de  KCl  et  45'»™s,7  de  NaCl  ; 


(1)  p.  Lesage,    Aclion    du  sel  marin  sur  les  plantes  {Association  française  pour  l'avancement  des 
sciences,  Compte  rendu  de  la  XX'^  session,  v  partie,  p.  341,  1891). 

(2)  P.   Lesage,    Le   Chlorure   de  sodium  dans    les  plantes    (Comptes    rendus    de    l'Ac.  des   Se, 
18  janvier  1892). 


p.  LESAGi:.  —  LE  CHLORURE  DE  SODIUM  ET  LE  CHLORURK  DE  POTASSIUM   791 

Arrosage  contenant  l,o  0/0  de  NaCl,  (30  milligrammes  de  KCl  et 
161"""g,4  deNaCl. 

Celte  année,  j'ai  repris  la  culture  en  pots  du  radis  en  le  soumettant  à 
des  arrosages  au  KCl  et  au  NaCl  dans  des  proportions  variées,  mais  com- 
parables. Je  n'ai  point  l'intention  de  rendre  compte  de  cette  culture, 
les  matériaux  ne  sont  pas  encore  tous  à  point,  j'en  détache  seulement 
un  fait  qui  donnera  plus  de  poids  encore  à  la  conclusion  que  je  veux 
tirer  des  renseignements  qui  précèdent. 

Pour  en  arriver  là,  reportons-nous  à  quelques  données  fournies  par 
MM.  Contejean  et  Councler  sur  la  répartition  de  la  soude  et  de  la  potasse 
dans  une  même  plante. 

M.  Contejean  (1)  dit  «  que  presque  toujours  la  soude  reste  accumulée 
dans  la  partie  souterraine  du  végétal  et  diminue  d'abondance  au  fur  et  à 
mesure  qu'on  s'élève  dans  la  partie  aérienne,  de  façon  que  la  fleur,  et 
même  les  bractées,  les  rameaux  et  le  haut  de  la  tige  n'en  donnent 
aucun  indice,  tandis  qu'on  en  trouve  dans  le  bas  de  la  tige  et  les  feuilles 
inférieures  et  plus  encore  dans  la  racine.  Les  halophytes  elles-mêmes 
n'échappent  point  à  cette  loi,  et  plusieurs  ne  renferment  pas  de  soude 
dans  la  fleur  ». 

C.  Councler  (2),  ayant  analysé  séparément  diverses  parties  de  VAsfej' 
Tripofium,  trouve  que  la  soude  est  le  plus  abondante  dans  la  racine, 
baisse  un  peu  dans  la  tige,  diminue  considérablement  dans  les  feuilles 
radicales  et  caulinaires,  mais  cependant  est  encore  supérieure  à  la  potasse, 
tandis  que  celle-ci  et  l'acide  phosphorique  sont  emmagasinés  dans  les 
fleurs.  Pendant  que  la  soude  décroît  de  bas  en  haut,  la  potasse  aug- 
mente dans  la  même  direction. 

Ces  données  m'ont  porté  à  compléter  mes  dosages  en  recherchant  le 
sodium  dans  les  fruits  du  radis,  certain  que  si  je  l'y  trouvais,  je  pourrais 
affirmer  son  absorption  par  la  plante  et  dans  des  proportions  notables. 
J'ai  donc  pris  10  grammes  de  fruits  frais  déjà  très  développés,  je  les 
ai  épuisés  pendant  deux  heures  dans  de  l'eau  bouillante  renouvelée  et 
j'ai  étendu  à  200  centimètres  cubes. 

Après  avoir  mélangé  et  liitré,  avec  le  nitrate  d'argent,  j'ai  dosé  les 
chlorures  sur  une  portion  du  filtrat;  enfin,  j'ai  prélevé  3  centimètres 
cubes  de  ce  dernier  pour  les  traiter  par  un  excès  de  chlorure  de  platine 
et  mettre  à  évaporer.  Considérons,  par  exemple,  les  fruits  provenant  de 
radis  arrosés  avec  une  solution  à  0,5  0/0  de  NaCl  (n"  1),  une  solution  à 
0,5  0/0  de  KCl  (n"  2)  et  de  l'eau  de  Vilaine  (n°  3). 


(1)  Contejean,  La  Soude  dans  les  plantes    Comptes   rendus   de  l'Ac.   des  Se,  1878,    t.  LXXXVl, 
p.Hol). 

(2)  C.  Coi'NCLER,  Aschenanalysen  der  einzelneii  Telle  von  Aster   Tripolium   (Bot.  Ccnlralbl.,  \ml 
VII,  p.  245-49). 


792  AGRONOMIE 

J'ai  constaté  la  présence  d'une  plus  grande  quantité  de  chlorures  dans 
les  fruits  arrosés  aux  solutions  salines  que  dans  ceux  qui  n'avaient  reçu 
que  de  l'eau  de  Vilaine.  Mais  le  point  intéressant  concerne  le  sodium  et 
le  potassium.  J'avais  mis  les  liqueurs  à  évaporer  dans  des  verres  de 
montre  placés  à  côté  les  uns  des  autres.  Après  dessiccation  complète,  j'ai 
pu  voir  à  l'œil  nu  des  baguettes  fines  nombreuses  de  chloroplatinate  de 
sodium  dans  le  verre  n°  1 ,  tandis  que  rien  de  pareil  ne  se  trouvait  dans 
les  autres.  Il  y  avait  des  cristaux  de  chloroplatinate  de  potassium  dans 
les  trois  cas  ;  mais  ils  étaient  très  nombreux  dans  le  verre  n°  2,  nom- 
breux dans  le  n°  3  et  en  plus  faible  quantité  encore  dans  le  n"  1.  J'insiste 
sur  la  comparaison  du  n°  3  avec  le  n"  1.  Si  réellement  le  NaCl  avait 
pour  effet  de  déterminer  la  formation  dans  le  sol  de  KCl  absorbable, 
dans  le  verre  n°  1,  il  pourrait  y  avoir  des  traces  de  chloroplatinate  de 
sodium,  à  la  rigueur,  mais  le  chloroplatinate  de  K  devrait  s'y  trouver  en 
plus  grande  abondance  que  dans  le  n"  3.  Ce  n'est  pas  le  cas  et,  de 
plus,  il  n'y  a  pas  des  traces  de  chloroplatinate  de  Na  dans  le  verre  n°  1 , 
mais  une  quantité  très  comparable  à  celle  du  chloroplatinate  de  K. 

En  résumé,  dans  les  cas  particuliers  considérés  et  d'autres  qu'il  n'est 
pas  nécessaire  d'énumérer  en  ce  moment,  les  éléments' du  sel  marin 
pénètrent  en  assez  grande  abondance  dans  le  radis  et  la  cressonnette  ; 
le  sodium  se  retrouve  en  quantité  appréciable  môme  dans  les  fruits,  au 
moins  dans  ceux  du  radis.  Il  me  paraît  rationnel  de  dire,  après  cela,  que 
le  sel  marin  agit  directement  sur  ces  plantes  pour  y  déterminer  les  modi- 
fications que  j  ai  signalées. 


M.   André   DE  LLÂÏÏRADO 

Ingénieur   eu  chef  du  District  forestier  de  Madrid. 


SUR     LA    CULTURE    DES    DUNES    EN    ANDALOUSIE 


—  Séance  du  20  septembre  /69i 


De  l'embouchure  du  Guadalquivir  à  Rota,  en  touchant  les  villes  de 
Bonanza,  San  Lucar  et  Chipiona,  s'étend,  le  long  de  la  côte,  une  bande 
de  terre  d'une  largeur  moyenne  de  2.500  mètres,  formée  en  grande 
partie  de  sables  mouvants  extrêmement  fins,  qui   sont  entraînés  par  le 


\ 


A.  DE  LLAURADO.  —  SUR  LA  CULTURE  DES  DUNES  EN  ANDALOUSIE    793 

mointlre  souffle  de  vent  et  qui  forment  une  chaîne  de  dunes  désignées 
dans  le  pays  sous  le  nom  d'Algaidas  ou  Meganos. 

Ces  sables,  interrompus  sur  quelques  points  par  les  argiles  bleuâtres  et 
le  calcaire  fossilifère,  doivent,  pour  la  plupart,  leur  origine  à  des  dépôts 
post-pliocènes,  charriés  par  le  Guadalfiuivir.  Le  plus  grand  développe- 
ment de  cette  région  correspond  à  la  zone  de  trois  kilomètres  comprise 
entre  le  fort  de  l'Espiritu  Santo  et  le  port  de  Bonanza.  C'est  dans  cet 
espace  que  s'est  formée  autrefois  une  ligne  de  dunes  qui,  poussées  par  les 
vents  violents  de  l'ouest,  menaçaient  d'ensevelir  une  partie  de  la  ville  et 
avaient  déjà  envahi  une  de  ses  rues.  On  ne  voyait  aucun  moyen  d'arrêter 
ce  fléau,  et  toutes  les  mesures  de  protection  s'étaient  montrées  insufïï- 
santes,  lorsque  le  hasard  fournit  un  moyen  simple  de  fixer  les  sables 
mouvants  d'une  manière  permanente  et,  en  même  temps,  de  convertir 
ces  terrains  stériles  en  fertiles  huertas,  qu'on  désigne  dans  le  pays  sous 
le  nom  de  navazos.  Voici  comment  s'est  opérée  cette  singulière  et  rapide 
transformation  : 

En  1742,  la  misère,  produite  par  une  longue  et  extrême  sécheresse, 
inspira  à  quelques  paysans  l'idée  de  mettre  en  culture  les  dunes  du  bord 
de  la  mer.  Pour  y  parvenir,  on  commença  par  creuser  des  fossés  dans  les 
monticules  de  sable,  et  les  surfaces  choisies  furent  déblayées  jusqu'à 
oO  centimètres  au-dessus  de  la  nappe  d'eau  souterraine.  Le  déblai, 
retroussé  autour  de  la  fouille,  forma  un  rempart  autour  de  la  surface 
à  exploiter.  Au  fond  de  l'excavation  et  tout  autour  du  sol  à  cultiver,  on 
creusa  un  fossé  d'assainissement  jusqu'au  niveau  des  eaux  souterraines, 
et,  lorsque  la  surface  était  assez  grande,  on  y  joignit  quelques  fossés 
transversaux  ;  ces  mesures  étaient  destinées  à  assurer  l'écoulement  des 
eaux  de  pluie  et  de  l'excès  des  eaux  d'infiltration  remontant  par  capillarité 
dans  le  sol.  L'évacuation  de  ces  eaux  excédantes  se  fait  dans  un  puisard 
maçonné  qui,  par  l'intermédiaire  de  tuyaux  en  terre  cuite,  se  déchargent 
directement  dans  la  mer.  Ces  tuyaux  sont  parfois  posés,  sous  le  cordon 
de  dunes,  à  sept  mètres  de  profondeur.  Souvent,  on  laisse  à  ciel  ouvert 
les  fossés  d'assainissement;  d'autres  fois,  on  les  remplit  de  pierres  cassées 
à  arêtes  vives.  Une  fois  la  caisse  du  navazo  ouverte,  le  premier  soin  à 
prendre  est  de  fixer  les  sables  à  l'entour,  pour  éviter  le  comblement  de 
l'encaissement  et  des  fossés  qui  l'assainissent.  Pour  cela,  on  plante  sur 
la  face  extérieure  du  rempart  des  vignes  et  des  arbres  fruitiers,  et  sur 
la  face  interne,  par  bandes  horizontales,  des  aloès  et  des  roseaux.  Après 
qu'on  a  achevé  ces  travaux  de  défense,  on  procède  à  la  culture  du  fond 
du  navazo,  en  variant  les  opérations  suivant  les  conditions  particulières 
où  l'on  se  trouve.  Les  navazos  sont  répartis  en  trois  catégories  distinctes. 
La  première  comprend  ceux  qui  subissent  rinfluencc  du  flux  et  du  reflux 
de  l'Océan  ;  on  les  désigne  sous  le  nom  de  navazos  à  marée.  La  seconde 


794  AGRONOMIE 

catégorie  comprend  les  navazos  qui,  sans  être  influencés  par  l'action  de 
la  marée,  ont  cependant  un  écoulement  naturel  de  leurs  eaux  d'assainis- 
sement vers  la  mer.  La  troisième  catégorie  comprend  les  navazos  qui  ne 
remplissent  aucune  de  ces  conditions. 

Les  navazos  de  marée  sont  les  plus  estimés.  La  mer,  en  s'élevant 
deux  fois  par  jour,  repousse  à  chaque  fois  la  nappe  souterraine,  qui 
fournit  aux  racines  des  plantes  l'humidité  nécessaire,  et  cette  circonstance 
est  surtout  favorable  à  l'époque  des  grandes  chaleurs  ;  elle  permet  de 
récolter  des  produits  qui,  dans  le  voisinage,  ne  peuvent  être  obtenus 
pendant  l'été. 

Pour  les  navazos  de  seconde  catégorie,  le  niveau  des  eaux  souterraines 
éprouve  seulement  des  variations  accidentelles  suivant  les  saisons.  On 
règle  la  profondeur  de  la  surface  cultivée  d'après  ce  niveau.  On  n'admet 
dans  les  fossés  d'assainissement  des  navazos  de  première  et  de  seconde 
catégorie  que  20  centimètres  de  profondeur  d'eau  ;  le  surplus  est  écoulé 
au  dehors,  à  la  volonté  du  cultivateur. 

Les  navazos  de  troisième  catégorie  n'ont  aucun  moyen  d'écoulement 
naturel.  Aussi  restent-ils  généralement  inondés  après  l'hiver,  et  la  culture 
ne  peut  y  être  introduite  avant  que  les  eaux  n'y  aient  été  entièrement 
enlevées  par  l'évaporation. 

Les  labours  commencent  en  avril  ou  en  mai,  suivant  la  marche  de  la 
saison.  On  donne  d'abord  à  la  terre  un  labour  profond,  avec  une  fumure 
copieuse  d'environ  20  kilogrammes  de  fumier  de  ferme  par  mètre  carré. 
Le  labour  doit  atteindre  aux  deux  tiers  de  la  profondeur  du  sol  et  doit 
ramener  à  la  surface  les  couches  humides  de  l'intérieur.  Le  terrain  étant 
ainsi  préparé,  on  procède  à  l'ensemencement  ou  à  la  plantation  des 
plantes  potagères  d'après  la  saison.  On  fait  subir  au  terrain  un  nouveau 
labour,  sans  nouvelle  fumure,  sauf  lorsqu'on  plante  des  pastèques,  des 
melons,  des  citrouilles,  ce  qui  exige  alors  une  nouvelle  dose  d'engrais. 

Il  est  assez  ordinaire  d'obtenir  des  navazos  deux  récoltes,  une  d'été  ou 
d'automne,  une  d'hiver  ou  de  printemps,  et  l'on  s'arrange  pour  que 
chacune  de  ces  cultures  donne  trois  espèces  de  produits  à  débit  échelonné. 
On  plante  pour  cela  trois  espèces  dont  l'activité  de  végétation  soit  diverse 
et  graduelle,  de  telle  sorte  que,  quand  l'une  atteint  sa  maturité,  la  sui- 
vante ait  déjà  acquis  un  développement  sufTisamment  grand.  Les  plantes 
choisies  de  préférence  sont  le  maïs,  les  pommes  de  terre,  la  laitue, 
les  petits  pois,  les  oignons,  les  choux,  les  citrouilles,  melons  et  pas- 
tèques, etc. 

La  végétation  dans  les  navazos  est  d'une  activité  surprenante.  La 
fraîcheur  du  terrain  permet  d'y  récolter,  même  en  été,  des  pois  qui,  sous 
ce  climat,  ne  réussissent  généralement  pas  au  delà  du  printemps.  L'en- 
grais, la  chaleur  et  l'abri  y  font  prospérer  les  tomates.  Tous  les  produits 


HOUDAILLE   ET   SEMICHON.    —    PERMÉABILITÉ   ET   DIVISION   DES   SOLS         795 

s'y  font  remarquer  par  leur  iqualité  et  leur  beau  développement.  Le  maïs  y 
acquiert  une  hauteur  de  3  mètres  et  demi  entre  la  racine  et  le  sommet 
de  la  fleur.  On  y  a  récolté  des  choux  pesant  H  kilogrammes  et  demi,  des 
pastèques  de  20  kilogrammes,  des  citrouilles  de  45  kilogrammes.  Une 
surface  de  2S  ares  de  navazo,  cultivée  comme  il  vient  d'être  dit,  fait 
vivre  une  famille  et   donne  de  l'occupation  continue  à  deux  ouvriers. 

Les  paysans  de  Chipiona  et  de  Rota,  stimulés  par  l'exemple  de  leurs 
voisins  de  San  Lucar  et  voulant  obtenir  les  mêmes  bénéfices,  ont  entre- 
pris la  culture  des  navazos  avec  un  succès  égal.  La  production  des  na- 
vazos  suffit,  non  seulement  aux  besoins  des  villes  voisines,  mais  à  un 
trafic  considérable,  qui  se  fait  par  le  Guadalquivir  et  par  la  mer,  pour 
Séville  et  pour  tous  les  ports  de  la  baie  de  Cadix. 

Mais  à  mesure  que  la  culture  des  navazos  faisait  des  progrès,  les  habi- 
tants de  San  Lucar  remarquèrent  que  le  voyage  des  sables  avait  cessé 
et  que  le  fléau  de  l'ensevelissement  n'était  plus  à  craindre.  Le  problème 
était  résolu,  et  l'entreprise  prit  de  jour  en  jour  des  proportions  de  plus  en 
plus  considérables.  La  municipalité  de  San  Lucar  et  quelques  proprié- 
taires se  préoccupant  des  intérêts  du  pays,  imitèrent  l'exemple  des  pre- 
miers Navaceros  (on  appelle  ainsi  les  cultivateurs  de  navazos)  et  complé- 
tèrent l'œuvre  de  ceux-ci  par  d'autres  moyens.  Les  vastes  terrains  de  sal)le 
compris  sur  la  rive  droite  du  Guadalquivir,  de  Bonanza  à  Trebugéna, 
ont  été  plantés  en  pins  pignons,  lentisques,  alaternes  et  autres  essences,  et 
cette  région,  autrefois  stérile  et  qui  constituait  un  vrai  danger  pour  le 
pays,  est  aujourd'hui  transformée  d'une  manière  absolue  et  définitive. 


MM.  HOUDAILLE  et  SEMICHOI 

Professeur  de  Physique  et  de  (iéologie  Ri-pétiteur  de  Physique  et  de  Géologie 

à  l'École  d";igriculture  de  Mont[)i'llier. 


RECHERCHES  SUR  LA  PERMÉABILITÉ  ET  L'ÉTAT  DE  DIVISION   DES  SOLS 


—  Séance  du  H  septembre  189S  — 


L'un  des  buts  poursuivis  par  les  diverses  méthodes  d'analyse  physique 
des  terres  arables  est  de  déterminer  la  proportion  de  parties  grossières 
(sables  gros)  et  de  parties  fines  (sables  fins,  argile  et  humus)  qui  rentrent 


796 


AGRONOMIE 


dans  leur  constilution.  On  en  déduit  une  indication  approchée  du  degré 
de  perméabilité  qu'elles  peuvent  présenter  à  l'eau  et  à  l'air  atmosphérique 
dont  la  circulation  intéresse  directement  la  fertilité  des  sols. 


DETERMINATION    DE    LA    l'ERMEADILITK 


La  structure  d'un  sol  peut  être  assimilée,  au  point  de  vue  de  la  circu- 
la,tion  des  fluides,  à  une  masse  homogène  dont  la  densité  correspondrait 
à  la  densité  moyenne  de  ses  éléments  constitutifs  et  qui  serait  criblée 
-d'orifices  capillaires  dont  la  section  moyenne  serait  celle  des  interstices 
moyens  qui  existent,  pour  un  état  déterminé  de  compression,  entre  les 
particules  constitutives  du  sol. 

Pour  un  môme  sol  et  pour  un  même  état  de  compression,  le  diamètre 
moyen  des  canaux  capillaires  doit  être  constant  et  le  volume  d'air 
débité  sous  une  pression  h  au  travers  d'une  section  s  du  sol  sous  une 
épaisseur  e,  définit  sa  perméabilité.  La  méthode  expérimentale  que  nous 
proposons  définit  par  suite  la  perméabilité  par  le  nombre  de  centimètres 
cubes  d'air  débités  par  minute  sous  une  pression  de  20  centimètres  d'eau, 
soit  de  /4'"",7  de  mercure  au  travers  de  2  grammes  de  terre  sèche  com- 
primée sous  une  pression  de  IQO  kilogrammes^  sous  une  section  de  4  centi- 
mètre carré. 

Appareil  de  mesure.  —  L'appareil  de  mesure  comprend  un  cylindre 
en  bronze  foré  intérieurement  d'un  canal  d'un  diamètre  de 
11°"", 3  correspondant  à  une  section  de  1  centimètre  carré 
(fig.  1).  Le  fond  du  cylindre  est  percé  d'un  orifice  de  2  mil- 
limètres; il  reçoit  intérieurement  un  piston  en  bronze  de 
1 1  millimètres  foré  intérieurement  d'un  orifice  de  4  milli- 
mètres qui  se  réduit  à  2  millimètres  à  sa  partie  inférieure. 
Les  2  grammes  de  terre  à  essayer  sont  introduits  sous  le 
piston  dans  le  cylindre  et  séparés  des  orifices  inférieur  et 
supérieur  par  deux  rondelles  de  toile  métallique  de  laiton 
à  mailles  assez  fines,  afin  que  l'air  amené  sous  pression 
à  l'orifice  supérieur  se  répartisse  sur  toute  la  section  du 
>  cylindre  de  terre  comprimée.  Un  petit  disque  obturateur 
en  acier  avec  intercalation  d'une  rondelle  de  cuir  ferme  le 


Fig.  1. 


sommet  du  piston  et  reçoit  l'extrémité  d'une  vis  de  pression 
faisant  partie  d'un  levier  de  50  centimètres  et  fixée  à  10  cen- 
timètres du  point  d'oscillation.  L'extrémité  du  levier  reçoit 

un  poids  de  20  kilogrammes;  la  pression  exercée  sur  la  tête  du  piston 

est  de  100  kilogrammes  (fig.  2). 

Un  réservoir  d'air  comprimé  consistant  en  une  cloche  de  verre  immergée 

dans  un  bocal  sous  une  colonne  d'eau  de  20  centimètres   communique 


HOUDAILLE  ET  SEMICIION.    —    PERMÉABILITÉ    ET    DIVISION    DES    SOLS         797 

par  un  tube  de  caoutchouc  avec  le  canal  intérieur  du  piston  de  com- 
pression. L'air,  chassé  sous  pression  constante,  traverse  le  sol,  s'échappe 
par  l'orifice  inférieur  et  se  rend  par  un  tube  de  dégagement  sous  une 
éprouvette  graduée  remplie  d'eau  servant  à  le  mesurer.  Pour  éviter  les 
fuites  entre  le  piston  et  le  cylindre,  celui-ci  est  fileté  à  sa  partie  supérieure 
et  reçoit  un  écrou  qui  comprime  sur  le  cylindre  une  rondelle  de  cuir. 
La  partie  supérieure  de  cet  écrou  est  elle-même  filetée  et  reçoit  un 
deuxième  écrou  qui  applique  et  coince  contre  la  tige  du  piston  un 
anneau  de  cuir.  Les  deux  écrous  étant  fortement  serrés  à  l'aide  d'une 
clef,  on  obtient  un  joint  parfaitement  étanche.  On  peut,  du  reste,  remar- 
quer qu'une  légère  fuite  ne  saurait  fausser  la  mesure  pourvu  que  l'air 
conserve  à  ce  niveau  la  pression  de  20  centimètres  d'eau  qu'il  possède 
dans  la  cloche. 


FiG.  2.  —  Appareil  pour  la  mesure  de  la  permc5abilité  des  sols. 

Manuel  opératoire.  —  La  terre  étant  séchée  à  l'étuve  à  HO  degrés  est 
broyée  avec  précaution,  puis  passée  au  tamis  de  1  millimètre.  On  en 
prend  2  grammes  que  l'on  dépose  au  fond  du  cylindre  sur  une  double 
rondelle  en  toile  métallique.  On  les  tasse  légèrement  à  la  main  à  l'aide 
d'un  bourroir  en  laiton  de  même  diamètre  que  le  piston;  on  dépose 
au-dessus  deux  rondelles,  de  toile  métallique,  puis  on  introduit  le  piston  de 
compression.  Après  avoir  engagé  légèrement  les  écrous  de  serrage,  on 
abaisse  le  levier  et  l'on  suspend  le  poids  de  20  kilogrammes.  Après 
quelques  minutes  on  serre  définitivement  les  joints  à  l'aide  d'une  clef. 

A  ce  moment,  on  vérifie  la  pression  de  l'air  dans  la  cloche  et,  prenant  en 
main  un  chronomètre  à  pointage,  on  laisse  écouler  10  à  20  centimètres 
cubes  d'air  en  notant  la  durée  de  l'écoulement.  On  obtient  ainsi  le  débit 
par  minute  qui  définit  la  perméabilité. 


RÉSULTAT    DES    EXPÉRIENCES 

Influence  de  la  compression  du  sol.  —  La  pression  du  sol  modifie  consi- 
dérablement la  perméabilité  ainsi  que  le  montrent  les  chiffres  du  tableau 
suivant  donnés  par  une  terre   argilo-calcaire  de  médiocre   perméabiUté. 


798 


AGRONOMIE 

RMÉABILITÉ 

PRESSION 

ipar  centimèlre  carré) 

PERMÉABILITÉ 

54cc^2 

100'^  g 

'1^^,83 

j7cc^4 

125kg 

2^%11 

7«,33 

150kg 

1<=S57 

4",3S 

PRESSION 
centimètre 

IQkg 

25kg 

50kg 

75kg 


On  remarquera  que  la  perméabilité  décroît  rapidement  pour  les  faibles 
pressions,  puis  plus  lentement  pour  les  pressions  élevées.  Cela  paraît 
signifier  que  le  diamètre  des  canaux  capillaires  tend  à  devenir  invariable 
pour  une  pression  suffisante.  Les  particules  du  sol  se  rapprochent  le 
plus  possible  en  prenant  une  position  finale  d'équilibre  qui  réduise  à  un 
minimum  la  capacité  des  espaces  intraparticulaires.  Ce  minimum  se  rédui- 
rait à  zéro  dans  le  seul  cas  où  les  particules  du  sol  pourraient  se  briser 
sous  une  pression  suffisante  ou  bien  seraient  élastiques  et  déformables. 

A  la  pression  de  100  kilogrammes  par  centimètre  carré,  on  obtient 
des  conditions  de  compression  assez  favorables  qui  réalisent,  pour  un  assez 
grand  nombre  de  sols,  un  état  plus  ou  moins  voisin  du  tassement 
maximum.  Ce  résultat  est  d'autant  mieux  atteint  que  les  particules  sont 
plus  grossières.  Avec  les  sols  argileux,  la  limite  de  compression  corres- 
pondant au  tassement  maximum  est  certainement  de  beaucoup  supérieure 
à  100  kilogrammes.  Quelle  que  soit,  du  reste,  la  valeur  de  cette  pression 
limite,  la  mesure  du  débit  sous  pression  de  100  kilogrammes  donne  des 
indications  de  perméabilité  parfaitement  comparables  pour  les  divers  sols 
soumis  à  l'expérience.  A  cette  pression,  l'écrasement  des  fragments  de 
particules  agrégées  obtenus  par  le  tamisage  est  assez  bien  réalisé  pour 
que  la  terre  comprimée  extraite  du  cylindre  ne  forme  qu'un  bloc  et  pré- 
sente l'aspect  d'une  pâte  très  homogène. 

Valeurs  de  la  perméabilité.  —  Les  valeurs  obtenues  pour  la  perméabi- 
lité des  divers  sols  mis  en  expérience  présentent  des  différences  considé- 
rables qui  témoignent  de  la  sensibilité  de  la  méthode.  Voici  l'indication  de 
quelques-uns  de  nos  résultats. 


NATURE  DES  TERRES 


PERMEABILITE 


Sable  des  dunes  de  Palavas 

Sable  des  dunes  d'Agde 

Sable  tertiaire  de  Montpellier 

Terre  dérivant  d'un  tuffa  basaltique 

Terre  n"  30  (Marne  sableuse) 

Terre  à  vigne  (formation  du  diluvium  alpin).   . 
Terre  à  vigne  (succès  du  sulfure  de  carbone).   . 

Terre  à  vigne  (formation  du  Lœss) 

Terre  à  vigne  (insuccès  du  sulfure  de  carbone). 

Plâtre  fin  ordinaire 

Terre  n"  7  franche  d'alluvion  de  l'Orb 

Terre   d'alluvion  (embouchure  de  l'Hérault)  .   . 
Terre  argilo-marneuse  (marnes  bleues  tertiaii'es) 


600" 
550" 
412" 
66" 
37" 
25" 
15" 

Hcc 

G" 
0 
G 
0' 


» 
» 
4 

9 

3 
1 

3 
91 
53 
53 
39 
19 


HOUDAILLE    ET   SEMICHON.  —    l'ERMÉABILITÉ    ET   DIVISION    DES   SOLS         799 

La  comparaison  de  ces  résultats  avec  ceux  donnés  par  l'analyse  i)hy- 
sique  révèle  une  certaine  indépendance  entre  la  perméabilité  et  la  pro- 
portion des  éléments  fins  et  grossiers.  La  terre  n°30est  en  effet  composée 
(analyse  physique,  méthode  Schlœsing,  communiquée  par  M.  Lagatu)  de 
3o6  parties  sable  grossier  et  624  parties  éléments  fins  ;  elle  devrait  être 
moins  perméable  que  la  terre  n"  7  où  l'analyse  indique  437  parties  sable 
grossier  et  o4o  parties  éléments  fins.  Or,  la  mesure  de  la  perméabilité  donne  : 

Terre  n^  30 37",  » 

Terre  ii°     7 O-'sS 

Cette  discordance  apparente  provient  surtout  de  ce  que  les  dimensions 
moyennes  du  sable  grossier  et  des  éléments  fins  ne  sont  pas  indiquées 
par  l'analyse  physique  et  sont  probablement  différentes  pour  les  lots 
homologues  de  chacune  des  terres  soumises  à  la  comparaison. 


EVALUATION    DE   L'ÉTAT   DE    DIVISION    D  UN    SOL 

L'état  de  division  d'un  sol  peut  se  définir  par  divers  procédés.  On  peut 
«e  proposer  en  etTet,  pour  le  déterminer,  ou  bien  d'évaluer  le  diamètre 
moyen  des  particules  constituantes,  ou  bien  le  nombre  des  particules 
comprises  dans  un  poids  ou  dans  un  volume  donné,  ou  bien  la  surface 
totale  extérieure  de  ces  mêmes  particules. 

Les  deux  premières  indications  peuvent  être  recherchées  par  l'emploi 
du  microscope  ou  par  un  comptage  direct  ;  la  troisième  estimation  peut 
■être  obtenue  en  s'adressant  à  des  phénomènes  qui  sont  liés  aux  actions 
de  surface .  Parmi  ces  phénomènes  on  peut  citer  l'adhérence  superficielle 
des  gaz  aux  solides,  la  vitesse  d'écoulement  des  fluides  dans  les  canaux 
capillaires  qui  est  liée  à  la  quatrième  puissance  de  leur  diamètre,  d'après 
la  loi  de  Poiseuille.  C'est  à  ce  dernier  phénomène  que  nous  nous 
sommes  adressés. 

Application  de  la  loi  de  Poiseuille.  —  Le  volume  d'air  v  exprimé  en 
millimètres  cubes  qui  s'écoule  au  travers  d'un  tube  capillaire  de  longueur/ 
■et  de  diamètre  (/,  sous  une  pression  de  h  millimètres  de  mercure,  est  : 

,   hd' 

V  z=  li 


l 


l  eld  étant  exprimés  en  millimètres. 

k  est  un  coefficient  de  débit  qui  dépend  de  la  valeur  du  frottement 
«prouvé  par  l'air  sur  lui-même  ou  contre  les  parois  du  tube.  IVous 
avons  déterminé  A-  pour  un  tube  en  verre  de  1  mètre  de  long  et  de  i  milli- 


800 


AGRONOMIE 


mètre  de  diamètre.  A  la  température  de  25  degrés  où  ont  été  faites  nos 
expériences,  k  —  551.000. 

En  appliquant  ces  données  au  débit  des  n  canaux  capillaires  de  dia- 
mètre d  constitués  par  les  interstices  du  sol,  nous  obtenons  une  première 
équation: 

r  =  /.■  —  (1) 


longueur  du  cylindre  constitué  par  les  deux  grammes  de   terre 
comprimés  sous  la  pression  de  100  kilogrammes. 

V  =  débit  en  millimètres  cubes  par  seconde,  se  déduit 
de  la  mesure  de  la  perméabilité. 

/i  =  14""", 7.  Les  inconnues  sont  n  et  d. 
D'autre  part,  on  peut  déterminer  par  expérience  la  sec- 
tion moyenne  des  canaux  capillaires  en  mesurant  la  valeur 
totale  des  interstices  du  sol  et  la  divisant  par  la  hauteur  du 
cylindre  de  terre  comprimée.  Cette  mesure  a  été  obtenue  en, 
saturant,  sous  pression  de  100  kilogrammes,  deux  grammes 
de  terre  introduits  dans  un  cylindre  de  bronze,  dont  le  fond 
est  fermé  par  plusieurs  rondelles  de  papier  buvard  et  im- 
mergé, pendant  dix  à  douze  heures  dans  un  godet  en  laiton 
rempli  d'eau  (fiQ.  S).  Pendant  la  durée  de  cette  imbibition, 
la  terre  sèche  comprimée  s'affaisse  lentement,  le  glissement 
des  particules  devenant  plus  facile.  On  doit  par  suite  ajouter 
au  volume  d'imbibition  le  volume  de  cet  affaissement  pour  obtenir  le 
volume  total  des  interstices  qui  existent  dans  la  terre  sèche  comprimée 
sous  100  kilogrammes. 

On  obtient  par  cette  détermination  une  deuxième  équation  : 


FiG.  3. 


7}izd'' 


(2> 


En  combinant  l'équation  (1)  avec  l'équation  (2)  on  obtient: 


16Ms^ 


n 


TZ' 


'■Iv 


et       d  = 


/4£  _      /  T.vl 


La  connaissance  de  n  et  de  d  permet  de  calculer  la  surface  latérale 
des  canaux  capillaires,  s  =  n%dL  Cette  surface,  dans  le  cas  de  molécules 
sphériques  ne  se  touchant  que  par  des  surfaces  de  contact  sans  dimen- 
sions appréciables,  se  confond  avec  la  surface  totale  extérieure  des  éléments 
parliculaires  du  sol. 


HOUDAILLE    ET    SEMICHON.  —   PEUMÉABILITÉ    ET   DIVISION    DES    SOLS         801 

]\ous  avons  trouvé,  par  cette  méthode  de  calcul,  les  résultats  suivants: 


NATURE  DES  TERRES 


n 

(par  cciil.  carré) 

(pour  2  giammes) 

106.000 

936cq 

1.526.370 

3.198cq 

530.333.000 

6't.528cq 

Sable  des  dunes  de  Palavas.  .  .  0°"°',0201 
Terre  alluvion  sableuse  de  TOrb.  0""'',0051 
Terre  argilo-uiarneuse 0"'"',00031 


Mais  il  faut  remarquer  que  nous  avons  fait  jusqu'ici  plusieurs  hypo- 
thèses qui  ne  sont  que  partiellement  vériliées  par  l'expérience.  La  pre- 
mière consiste  à  assimiler  la  résistance  à  l'écoulement  des  espaces  intra- 
particulaires  à  celle  de  n  canaux  rectilignes  présentant  leur  dimension 
moyenne.  La  seconde  est  d'admettre  que  le  coefficient  de  dépense  de  l'air 
écoulé  au  travers  des  canaux  capillaires  irréguliers  du  sol  est  le  même 
que  celui  observé  dans  le  tube  de  verre  rectiligne  qui  a  servi  à  la  déter- 
mination de  A:. 

Or,  la  résistance  éprouvée  par  l'air  dans  un  tube  présentant  des  étran- 
glements successifs  est,  on  le  sait,  notablement  supérieure  à  celle  éprouvée 
par  l'air  dans  un  tube  uni  présentant  un  diamètre  constant  égal  au 
•diamètre  moyen  du  tube  précédent.  La  valeur  assignée  à  k  est  donc 
trop  grande  et  les  surfaces  des  particules  calculées  par  les  formules  précé- 
dentes sont  donc  plus  grandes  qu'en  réalité.  Il  y  a  lieu  d'opérer  une 
correction  et  de  déterminer,  si  possible,  la  valeur  de  k  pour  des  subs- 
tances présentant  des  canaux  capillaires  de  structure  analogue  aux 
interstices  des  sols. 

Contrôle  et  correction  des  résultats  précédents.  —  Pour  opérer  cette 
correction,  nous  nous  sommes  adressés  à  des  substances  dont  les  sur- 
faces particulaires  pouvaient  être  directement  déterminées.  Nos  essais 
ont  porté  sur  du  plomb  de  chasse  n°  12  et  sur  un  sable  à  grains  réguliers. 

Pour  le  plomb  n°  12  la  perméabilité  a  été  mesurée  sur  une  colonne  d'un 
mètre  de  longueur  contenue  dans  un  tube  de  12  millimètres  de  diamètre.  Le 
poids  total  du  plomb  employé  était  de  792s'',9ÛO.  En  divisant  ce  nombre 
par  le  poids  d'un  grain  de  plomb  (Os%022)  on  obtenait  le  nombre  des 
grains  de  plomb  contenus  dans  une  colonne  d'un  mètre.  On  en  déduisait 
le  nombre  des  grains  par  centimètre  cube  et  la  valeur  de  leurs  surfaces 
•extérieures  dans  le  même  volume  qui  s'élevait  à  23'^'J,89. 

D'autre  part,  les  mesures  de  la  perméabilité  et  de  la  section  moyenne 
des  canaux  capillaires  dans  la  masse  conduisent  à  la  valeur  :  s  =:  09'^%9. 

Le  rapport  des  valeurs  données  par  le  calcul  et  par  la  mesure  directe 
<est  dans  ce  cas  : 

69'"''  91 


ol 


* 


gQ2  AGUONOMIE 

Pour  le  sable  trié  à  l'aide  de  deux  tamis  de  diamètres  de  mailles  voisins 
nous  avons  compté  le  nombre  de  grains  pour  10  milligrammes.  La 
connaissance  de  leur  densité  moyenne  (2,65)  permettait  de  calculer  leur 
volume  et,  par  suite,  leur  surface  en  leur  attribuant  une  forme  géomé- 
trique déterminée. 

La  surface  totale  extérieure  des  grains  contenus  dans  1  centimètre  cube 

a  été  trouvée  égale  à   : 

En  les  supposant  sphériques.   .    .     175  centimètres  carrés. 

—  cubiques.  ...     213  — 

—  tétraédriques.    .     2(jo  — 

La  détermination  de  cette  même  surface  par  la  mesure  de  la  perméa- 
bilité et  de  la  capacité  intérieure  du  sable  a  donné  s  =  665"'  pour 
1  centimètre  cube. 

Le    rapport    des    valeurs    données    par    le   calcul  et  par  la   mesure 

directe  est  : 

,  .  •  665 

Dans  le   cas  des   grams    sphenques  ....     jn^  =  o,m 


cubiques 213  "^  ^'^^ 

1  ■  665        ^  „„ 

tétraédriques  .    .    .     ^777;  =  ^,02 


On  peut  remarquer  que  la  constitution  et  le  mode  d'agrégation  des 
particules  des  sols  est  plus  voisine  de  celle  des  grains  de  sable  que  de 
celle  des  grains  de  plomb  et  que  la  forme  la  plus  généralement  réalisée 
par  les  particules  de  sable  est  voisine  de  la  forme  cubique.  Nous  admet- 
trons donc,  comme  rapport  le  plus  probable  de  la  surface  des  particules 
déterminée  par  le  calcul  ou  par  une  mesure  directe,  le  chiffre  3,12,  assez 
voisin  du  reste  de  celui  2,92  obtenu  pour  le  plomb. 

Si  nous  appliquons  cette  correction  aux  résultats  rapportés  plus  haut, 
nous  obtiendrons  les  valeurs  suivantes  pour  les  surfaces  extérieures  libres 
des  particules  des  sols  précédemment  étudiés. 

NATURli  DES  TERRES  subface  totale  des  éléments 

_  (pour  1  centim.  cube) 

Sable  des  dunes  de  Palavas 213  centimètres  carrés 

Terre  alhivion  sableuse  de  TOi'b 784  — 

Terre  argilo-marneuse 16.540  — 

^ous  ne  prétendons  pas   que  les  valeurs  ainsi   obtenues  représentent 
exactement   la  surface   libre  des  éléments   particulaires  des   sols,  mais 


V.  SALLENAVE.    —   l'lNFLUENCE  DES   SULFATES  SUR  LA  FERTILITÉ  DU  SOL        803 

nous  pensons  qu'elles  donnent  une  idée  approchée  de  l'ordre  de  grandeur 
des  surfaces  d'échange  sur  lesquelles  opèrent  les  liquides  et  les  gaz  qui 
circulent  dans  le  sol.  Ps'ous  nous  proposons  de  faire  l'application  de  notre 
méthode  à  la  détermination  du  degré  de  division  des  phosphates  triturés 
par  l'industrie,  ainsi  qu'à  la  mesure  des  phénomènes  qui  dépendent 
de  la  perméabilité,  tels  que  ceux  de  la  circulation  des  eaux  et  de  la 
diffusion  des  vapeurs  (sulfure  de  carbone)  dans  les  interstices  capillaires 
du  sol. 


M.  Yictor    SALLEÎÎAYE 

chimiste  expert,  à  Pau. 


L'INFLUENCE     DES     SULFATES,     SUPERPHOSPHATES,    CHLORURES 
SUR  LA  FERTILITÉ   DU  SOL 


—   Séance   du    21   septembre    1892   — 

Nous  empruntons  à  certains  agronomes  l'idée  de  la  stérilisation  du 
sol  par  les  engrais  chimiques,  substitués  aux  vieilles  fumures,  marnages, 
chaulages,  même  l'écobuage. 

La  question  est  de  savoir  si  une  terre  présentant  une  bonne  consti- 
tution suffisamment  humide,  drainée  et  irriguée,  placée  sous  un  climat 
favorable,  peut  être  impropre  à  la  culture,  si  elle  renferme  des  matières 
solubles  capables  de  nuire  h  la  végétation. 

L'emploi  généralisé  des  produits  chimiques  dans  la  culture  des  céréales, 
et  fourragères,  tels  que  les  sulfates,  nitrates,  chlorures,  dont  les  bases  sont 
le  fer,  la  chaux,  la  potasse  et  la  soude,  a  appelé  dans  plusieurs  cas  notre 
attention  sur  la  quantité  notable  d'acidité  libre  qu'ils  contiennent,  et  qui, 
sous  l'influence  physique  et  chimique  du  sol,  réagissent  nécessairement 
les  uns  au  détriment  des  autres,  pour  former  des  doubles  sels,  en  mettant 
tout  leur  acide  en  liberté.  Cet  acide,  devenu  libre,  s'accumule  dans  les 
terrains  imperméables,  d'une  mince  couche  arable  et  privés  de  calcaire, 
ou  d'éléments  capables  de  le  saturer;  brûle  et  détruit  les  matières  orga- 
niques, s'infiltre  dans  les  terrains  perméables,  entraînant  avec  lui  les  sels 
formés,  qui  concourent  au  besoin  de  la  végétation. 

Les  eaux  de  source  sont  quelquefois  saturées  d'éléments  chimiques, 
souvent  très  acides,  ce  qui  leur  donne  un  caractère  de  minéralisation  qui 
peut  devenir  quelquefois  pernicieux  dans  la  consommation  économique. 


804  AGRONOMIE 

Si  les  sels  chimiques  agricoles,  ou  leur  acidité,  peuvent  entraîner  dans  une 
période  plus  ou  moins  longue  la  stérilisation  du  sol,  il  faut  aussi  ad- 
mettre que  l'accumulation  de  l'acidité  et  l'infiltration  dans  une  terre  ne 
se  produisent  pas  toujours  d'une  égale  façon  :  son  altitude,  son  inclinaison 
et  le  drainage  sont  des  causes  physiques  qui  lui  permettent  de  se  débar- 
rasser de  son  acidité. 

A  ce  sujet,  prenons  pour  exemple  le  résultat  de  quelques  expériences 
sur  les  eaux  de  pluie,  qui  s'écoulent  des  terrains  en  culture,  et  sur  les 
eaux  stagnantes  dans  les  sols  argileux. 

Dans  les  eaux  de  pluie,  la  moyenne  de  l'acidité  totale  a  été  de  2  à 
3  0/00,  et  de  1  à  20/00  d'acide  sulfurique  libre;  parce  que  sans  doute  ces 
terres  avaient  reçu  des  proportions  notables  de  sulfates  ou  de  superphos- 
phates, car  on  ne  pourrait  pas  l'attribuer  autrement,  il  n'y  avait  pas 
d'autre  déperdition  aqueuse  provenant  de  terrains  tourbeux,  bruyères, 
landes,  ou  en  défriche,  qui  ont  aussi,  comme  on  le  sait,  l'avantage  de 
transporter  des  quantités  d'acide  libre. 

Dans  les  eaux  stagnantes,  la  moyenne  de  l'acidité  totale  a  été  de  8  0/00, 
acide  carbonique,  acétique  et  sulfhydrique  compris. 

Voici  encore  le  résultat  de  l'analyse  d'une  eau  de  source  : 

Acide   carbonique 0,013  par  litre. 

Sulfate  de  chaux 0,663      — 

Acide  sulfurique 0,203      — 

Chlorure  non  dénommé  .    .  0,030      — 

Cette  expérience  peut  nous  être  discutée,  parce  qu'il  ne  nous  a  pas  été 
possible  de  nous  rendre  compte  de  la  nature  du  terrain  que  cette  eau  avait 
parcouru  ;  mais  dans  l'hypothèse,  nous  avons  conclu  à  l'infiltration 
acide  de  la  couche  arable  à  travers  un  banc  calcaire,  et  que  la  chaux, 
sous  l'influence  de  l'acide  sulfurique  libre,  s'y  est  combinée  et  transformée 
en  sulfate  de  chaux. 

En  terminant  ces  considérations,  et  suivant  une  série  d'analyses  de 
terres  de  notre  département,  pratiquées,  en  1885,  par  M.  Aubin,  depuis 
poursuivies  par  nous,  nous  pouvons  établir  cette  comparaison  que  nos 
terres  du  département  sans  engrais  chimiques  fournissent  une  moyenne 
de  0,60  0/0  d'acide  sulfurique,  que  l'excédent  qu'on  y  rencontre  provient 
sans  doute  de  l'emploi  des  engrais  sulfatés. 

Il  est  donc  facile  de  comprendre  quelle  sera  la  conséquence  des  ter- 
rains, qui  par  leur  pouvoir  absorbant,  reçoivent  annuellement  de  fortes 
quantités  d'engrais  chimiques  qui  s'accumulent  d'année  en  année ,  mais 
comme  il  y  a  divergence  sur  cette  question,  nous  laissons  à  l'École  natio- 
nale d'Agronomie  le  soin  de  poursuivre  cette  étude. 

,Nous  arrivons  aux  engrais  qui  tendent  le  plus  à  se  vulgariser.  Beau- 


V.   SALLENAVE.  —  l'iNFLUENCE  DES  SULFATES  SUR  LA  FERTILITÉ  DU  SOL      805 

coup  de  praticiens  persistent  à  croire  que  le  superphosphate  doit  sa 
supériorité  à  l'état  soluble,  sous  lequel  il  présente  à  la  plante  l'élément 
phosphaté.  [Is  se  figurent  que  ses  conditions  circulent  dans  le  sol,  comme 
s'il  s'agissait  d'un  nitrate  ;  ce  qui  précède  montre  combien  cette  idée  est 
fausse. 

Tous  les  sols  rendent  insolubles  les  phosphates  acides  ;  s'il  en  était  au- 
trement on  constaterait  des  pertes  d'acide  phosphorique  par  les  eaux  de 
drainage,  et  l'emploi  des  superphosphates  serait  dangereux  par  l'action 
de  leur  acide  sur  les  racines;  partout  où  son  acidité  ne  peut  être  saturée, 
dans  les  sols  de  nature  acide,  comme  les  vieilles  prairies,  le  superphos- 
phate devient  un  véritable  poison  pour  les  plantes  et  pour  les  sables 
très  pauvres  en  chaux;  il  en  est  de  même  si  on  ne  le  répand  pas  assez 
longtemps  avant  les  semailles  pour  lui  donner  le  temps  de  perdre  sa 
réaction  acide. 

Le  superphosphate  de  chaux  du  commerce  a  trois  équivalents  de  base 
unis  à  l'acide  phosphorique  :  deux  se  combinent  à  l'acide  sulfurique  pour 
former  du  sulfate  de  chaux,  c'est-à-dire  du  plâtre,  et  il  ne  reste  qu'un  équi- 
valent de  chaux  combiné  à  l'acide  phosphorique  pour  faire  un  phosphate 
monocalcique  3,  CaO,  PHO"^  +  %  S0^  HO,  =  2CnO,  S0\  +  CaO,  2H0,  PHO% 
de  plus  la  réaction  entre  l'acide  sulfurique  et  le  phosphate  n'est  jamais 
intégrale,  il  reste  de  l'acide  sulfurique  libre  et  du  phosphate  non  attaqué. 

Le  sulfate  de  fer  dont  les  producteurs  ont  préconisé  l'usage  agricole,  qui 
s'est  répandu  dans  ces  dernières  années,  contient  toujours  plus  de  son 
équivalent  d'acide  sulfurique  qui  est  de  29  0/0.  Introduit  dans  la  terre 
acide ,  où  le  calcaire  manque,  il  a  toujours  des  effets  fâcheux  pour  la 
végétation.  Dans  les  terres  peu  perméables  surtout  où  l'air  pénètre  déjà 
si  difficilement,  le  sulfate  de  fer  s'empare  de  l'oxygène  et  brûle  l'humus 
qui  concourt  à  donner  aux  plantes  l'humidité,  les  humâtes  de  potasse 
d'ammoniaque,  etc.,  et  la  vie  végétale  devient  impossible. 

L'infertilité  de  certains  sols  est  souvent  attribuée  à  la  présence  naturelle 
du  sulfate  de  fer,   lorsque  la  proportion  de  ce  sel  dépasse  1/2  à  1  0/0. 

Nous  empruntons  à  M.  Vœlker  cet  exemple  frappant,  un  sol  pourvu 
de  principes  fertilisants,    mais  contenant  du  sulfate   de   fer;    voici  son 

analyse  : 

Matières  organiques.    .    .    .  147,  « 

Azote 5,-20 

Acide  phosphorique  .    ...  2,70 

Potasse 5,30 

Carbonate  de  chaux.    ...  »     » 

Sulfate  de  fer 7,40 

Bisulfure  de  fer 7,10 

Sable  insoluble 823,20 

Total.    .   .    .     lOOU,  » 


806 


GEOGRAPHIE 


L'expérience  a  démontré  qu'après  un  chaulage  de  labours  légers,  on  a 
rendu  ce  terrain  productif. 

Personne  ne  devrait  ignorer  que  le  fer  est  un  des  éléments  les  plus 
répandus  dans  la  terre,  et  il  y  en  a  peu  dans  lesquelles  on  n'en  trouve 
pas  des  quantités  notables,  et  si  nous  considérons  le  fer  seulement  au 
point  de  vue  de  la  nutrition  des  plantes,  nous  pouvons  dire  qu'il  existe 
en  telle  quantité  dans  le  sol  que,  dans  aucun  cas,  on  n'a  pas  à  se  préoc- 
cuper de  sa  restitution  comme  engrais. 

JNous  désirerions  vulgariser  l'emploi  général  des  engrais  neutres,  phos- 
phates de  potasse,  de  soude,  d'ammoniaque,  des  superphosphates  doubles 
de  chaux,  dont  on  a  substitué  avec  raison  l'acide  phosphorique  minéral 
à  l'acide  sulfurique  des  pyrites,  des  nitrates  de  potasse,  de  soude,  les 
scories  et  les  phosphates  riches  de  chaux  naturels  ;  dans  de  telles  condi- 
tions, nous  espérerions  le  relèvement  de  l'agriculture  nationale. 


M.  le   Capitaine  TRIYIEE 

Explorateur. 


VOYAGE    EN  HAÏTI    ET    COLOMBIE 


—  Séance  du  IG  septembre  t89i  — 

Le  19  janvier  189:2,  je  prenais  passage  à  bord  du  steamer  Colombie  et, 
le  2  février  au  matin,  nous  apercevions,  à  toute  vue,  la  petite  île  de 
Sombrero,  ou  mieux  le  phare  qu'on  y  a  élevé,  car,  par  suite  de  l'extrac- 
tion des  phosphates  de  chaux  dont  est  composé  le  sol  de  l'île,  c'est  à 
peine  si  elle  apparaît  au-dessus  des  eaux.  Le  même  jour,  nous  arrivions 
à  Saint-Thomas,  la  capitale  des  Antilles  danoises,  autrefois  riche,  floris- 
sante, aujourd'hui  triste  et  pauvre. 

Par  sa  situation  géographique,  la  profondeur  de  ses  eaux,  la  sûreté  de 
sa  rade,  Saint-Thomas  était  jadis  l'entrepôt  de  tous  les  produits  des 
Antilles,  produits  apportés  par  de  petits  bâtiments  de  trop  faible  tonnage 
pour  oser  tenter  la  traversée  de  l'Atlantique.  Et  c'était  là,  à  Saint-Tho- 
mas, que,  par  milliers,  les  navires  d'Europe  se  rendaient  pour  y  charger. 


CAPITAINE    TRIVIER.    VOYAGE    EN    HAÏTI    ET   COLOMBIE  807 

Puis,  les  planteurs  de  Cuba,  du  Mexique,  du  Yucatan,  de  la  Côte- 
Ferme,  etc.,  etc.,  se  sont  avisés  de  faire  venir  dans  leurs  eaux  les  navires 
européens  pour  y  charger  directement.  De  la  sorte,  ils  évitaient  et  le 
bateau  intermédiaire  et  les  frais  de  magasins  dans  l'île  danoise. 

Néanmoins,  pendant  ces  dernières  années,  Saint-Thomas  comptait 
encore  de  trente  à  quarante  arrivages  par  jour,  car  les  négociants  de 
l'île,  s'ils  n'avaient  plus  de  marchandises  à  charger,  n'en  étaient  pas 
moins  restés  les  correspondants  des  producteurs.  Un  navire  quelconque, 
en  quête  de  fret,  n'avait  qu'à  se  présenter  dans  les  eaux  danoises  et 
repartait  douze  heures  plus  tard  avec  sa  charte  partie. 

Malheureusement  pour  les  Danois,  les  Anglais  détournèrent  à  leur 
profit  le  commerce  maritime  de  toute  cette  partie  du  monde  et,  aujour- 
d'hui, bien  qu'à  proprement  parler  il  n'y  ait  pas  de  rade  à  la  Barbade, 
bien  qu'il  n'y  ait  pas  de  port  et  qu'on  y  soit  mouillé  en  pleine  mer, 
c'est  à  la  Barbade  que  se  rendent  tous  les  voiliers  non  affrétés  d'Europe. 

C'est  surtout  à  sa  position  au  vent  de  toutes  les  Antilles  que  la  Barbade 
doit  sa  prospérité.  Eu  effet,  de  la  Barbade  on  peut,  grâce  aux  vents 
alizés  du  nord-est,  se  rendre  rapidement  à  n'importe  quel  port,  tandis 
que  Saint-Thomas  est  déjà  trop  sous  le  vent  pour  permettre  à  un  navire 
de  se  rendre  à  la  Guadeloupe,  ou  à  la  Martinique,  ou  à  la  Trinidad. 

En  ces  parages,  les  possessions  danoises  comportent  :  1°  Saint-TlH> 
mas,  résidence  du  gouverneur  et  de  la  troupe  ;  2°  Sainte-Croix,  très  fer- 
tile, située  à  40  milles  marins  au  sud  de  la  précédente;  3°  Saint-Jean, 
qui  n'est  qu'un  rocher  à  peu  près  inhabité. 

Saint-Thomas  ne  produit  rien,  n'a  que  peu  de  terre  végétale  et  pas  d'eau 
douce.  Chaque  maison  possède  sa  citerne  particulière,  assez  vaste  pour, 
à  l'époque  des  pluies,  contenir  la  provision  de  toute  l'année.  A  l'époque 
de  sa  prospérité,  Saint-Thomas  s'était  plus  particulièrement  attaché  à 
bien  s'outiller  en  choses  de  la  marine  :  dock  flottant,  paient  slip,  char- 
pentiers, forgerons,  voiliers,  etc.,  etc.  Aujourd'hui,  l'outillage  est  bien 
resté  le  même  ;  mais,  dans  les  chantiers  déserts,  l'enclume  est  muette  et 
la  hache  ne  résonne  plus. 

A  mon  passage  à  Saint-Thomas,  j'ai  entendu  dire  qu'il  était  question 
de  céder  l'île  ou  aux  États-Unis,  ou  aux  Allemands.  Je  ne  sais  jusqu'à 
quel  point  ce  racontar  est  vrai  ;  mais  si  l'une  de  ces  puissances  possédait 
Saint-Thomas,  nul  doute  qu'elle  ne  transformât  bientôt  son  admirable 
rade  en  station  navale  de  premier  ordre.  La  langue  officielle  a  beau  élro 
le  danois,  personne  ne  le  parle;  aussi  les  arrêtés  municipaux  sont-ils 
imprimés  et  en  anglais  et  en  scandinavien.  A  Saint-Thomas,  on  parle 
surtout  l'anglais,  le  français,  l'espagnol  ;  à  Saint-Thomas,  ville  libre  par 
excellence,  on  ne  connaît  aucune  de  ces  formalités  douanières,  paperas- 
sières,  encombrantes  et  inutiles   qui  devaient  nous  accueillir  le  4   au 


808  GÉOGRAPHIE 

matin,  à  l'heure  même  où  nous  jetions  l'ancre  dans  le  beau  mais  vaseux 
port  de  Saint-Jean-de-Puerto-Rico. 

Et  eux  aussi,  les  Espagnols,  ont  eu  un  beau  mouvement  !  Et  eux*  aussi, 
ils  ont  voulu  posséder  leur  chemin  de  fer  !  Mais,  dans  ce  pays-là,  les 
fonds  sont  toujours  en  baisse  et  la  voie  ferrée  se  traîne  languissante. 
C'est,  du  moins,  ce  qui  m'a  été  dit  par  un  conducteur  des  travaux, 
M.  L...,  que  j'ai  vu  à  mon  passage  à  Saint-Jean. 

Il  faudrait  certainement  un  volume  pour  parler  de  Puerto-Rico  dans 
tous  ses  détails.  Sous  une  administration  pratique  et  libérale,  Puerto-Rico 
serait  une  merveille.  Elle  en  est  loin. 

Le  5  au  matin  me  voyait  à  Puerto-PIala,  le  seul  port  important  que  la 
république  Dominicaine  possède  dans  le  nord  de  l'Ile  et  point  d'arrivée 
de  la  voie  ferrée  qui,  plus  tard,  devra  aboutir  à  Santo-Domingo,  en  tra- 
versant le  pays.  Pour  le  moment,  il  y  aurait  12  kilomètres  de  ligne,  ce 
qui  m'a  paru  excessif. 

Et,  à  propos  de  la  Dominicanie,  en  mars  dernier,  il  était  fortement 
question  qu'une  transaction  financière,  impliquant  virtuellement  la  main- 
mise des  États-Unis  sur  Saint-Domingue,  venait  d'être  passée,  par  l'inter- 
médiaire de  la  maison  de  banque  hollandaise  Westerndorff. 

Voici  les  faits  :  Tout  le  monde  géographique  se  rappelle  certainement 
l'emprunt  de  700.000  livres  sterling  que  fit,  il  y  a  quelques  années,  le 
gouvernement  dominicain,  ainsi  que  des  obligations  à  5  0/0  qu'il  donna, 
en  garantie  de  cet  emprunt,  aux  porteurs,  en  partie  Hollandais,  Anglais  et 
Relges.  La  situation  financière  du  pays  étant  fort  embarrassée,  les  obli- 
gataires, craignant  pour  leurs  capitaux,  formèrent  une  Société  dont  les 
promoteurs  furent  le  baron  d'OIgar  et  M,  Isaacs,  fils  de  l'ancien  lord- 
maire  de  Londres.  Ces  directeurs  auraient,  dit-on,  négocié  leur  conces- 
sion et  transféré  leurs  droits  à  une  Compagnie  américaine,  derrière  laquelle 
on  retrouve  MM.  Blaine,  Mills,  Gould  et  d'autres  notabilités  américaines, 
tous  grands  partisans  de  la  création  de  colonies  pour  les  États-Unis. 

Saint-Domingue  ayant  engagé  tous  ses  revenus  pour  le  paiement  de  sa 
dette  et  n'étant  pas  à  même  de  tenir  ses  engagements,  on  craint  que  les 
nouveaux  porteurs  d'obligations  dominicaines  n'occupent  l'île,  en  vertu 
de  droits  établis  et  sans  qu'aucune  nation  ait  à  intervenir. 

Je  ne  sais  jusqu'à  quel  pointées  bruits  sont  fondés;  je  n'ignore  rien 
de  l'emprunt,  ni  des  conditions  particulières  dans  lesquelles  il  a  été 
souscrit;  je  sais  que  M.  Isaacs  y  est  tout  particulièrement  mêlé  et  j'ai 
entendu  parler  de  l'occupation  de  la  baie  de  Samana  par  les  Américains 
jusqu'à  parfait  paiement  de  leur  créance.  Mais  il  y  a  vingt  ans  que 
j'entends  parler  de  l'annexion  dominicaine  par  les  yankee,  qui,  jusqu'à 
ce  jour,  se  sont  bornés  à  de  petites  démonstrations  sans  résultats.  Ils 
semblent  tâter  le  terrain. 


CAPITAINE    TrUVIKR.    —    VOYAGE   EN    HAÏTI    ET    COLOMBIE  809 

IVéanmoins,  il  y  a  certainement  quelque  chose  sous  roche,  car  ce  n'est 
pas  pour  rien  que,  tout  dernièrement,  ils  ont  tenté  de  s'emparer  du 
iMôlo  de  Saint-Nicolas  en  Haïti. 

Jusqu'à  ce  jour,  la  grande  république  transatlantique  n'avait  jamais 
voulu  entendre  parler  de  colonies  pour  son  propre  compte,  estimant 
qu'il  valait  mieux  les  exploiter  que  les  entretenir.  Maintenant,  il  s'est 
formé  là-bas,  sur  les  bords  de  l'IIudson,  un  groupe  colonial  qui  fait  rapi- 
dement boule  de  neige  et  qui,  un  beau  jour,  fera  avalanche  sur  les  Antilles. 
Inutile  de  vous  dire  ce  que  nous  y  perdrons. 

Bien  qu'ils  n'y  eussent  aucun  droit,  au  mépris  du  droit  des  gens,  le& 
Américains  se  sont  déjà  établis  dans  l'île  de  La  IS'avaze  pour  y  exploiter 
ses  phosphates. 

Demain  ce  sera  sans  doute  à  Samana  qu'ils  apparaîtront,  puis  viendra 
le  tour  du  Môle-Saint-Nicolas.  Engagée  par  ses  deux  extrémités,  l'île 
sera  bientôt  américaine.  Quant  à  Cuba,  c'est  une  question  de  temps. 

Il  va  de  soi  que  ce  sont  mes  appréciations  personnelles  que  je  vous 
donne  ici;  mais  j'ajoute  que,  tout  comme  pour  le  Congo  belge,  la  révolte 
des  Arabes,  l'annexion  du  xMatabelé  et  de  l'Ouganda  par  les  Anglais,  je 
ne  crois  pas  me  tromper. 

Puerto-Plata  n'est  pas  un  port,  tant  s'en  faut;  c'est  une  échancrure 
qui  rentre  un  peu  plus  dans  les  terres,  et  c'est  tout.  La  côte  est  bordée 
de  rochers  sur  lesquels  se  voient  encore  de  nombreuses  épaves,  car  le 
navire  à  l'ancre  à  Puerto-Plata  est  en  perdition. 

Lorsque  la  voie  ferrée  pénétrera  plus  avant  dans  l'intérieur  et  que  les 
produits  pourront  arriver  à  la  côte,  à  bon  marché,  Puerto-Plata,  malgré 
les  dangers  de  ses  eaux,  deviendra  certainement  un  des  points  les  plus 
importants  de  l'île. 

Quelques  heures  après  avoir  quitté  le  port  dominicain,  nous  passions 
par  le  travers  de  la  Pointe  Isabelle  où,  le  6  décembre  1492,  retour  de  , 
Cuba,  Christophe  Colomb,  premier  Européen,  prenait  terre. 

Enfin,  le  6  au  matin,  nous  étions  au  Cap-Haïtien,  cette  ville  où,  le 
2  novembre  1803,  le  général  Leclerc,  beau-frère  de  Bonaparte,  succom- 
bait aux  atteintes  de  la  fièvre  jaune. 

L'histoire  d'Haïti  est  encore  trop  vivace  dans  tous  les  souvenirs  pour 
que  je  me  permette  de  la  retracer  ici  ;  mais  ce  qu'il  m'est  défendu  de 
passer  sous  silence,  ce  que  beaucoup  ignorent  certainement,  c'est  que  la 
cause  première  de  l'insurrection  générale  de  1791  a  été  surtout  les  mau- 
vais traitements  infligés  par  les  colons  à  leurs  esclaves. 

Par  son  commerce  d'exportation,  cafés  et  campêches,  produits  qui  ont 
surtout  le  Havre  pour  destination,  le  Cap  Haïtien  est,  en  importance, 
la  seconde  ville  de  la  république.  Sa  rade,  en  dedans  des  cayes  et 
dans  laquelle  on  pénètre  par  un  étroit  goulet  qui  passe  sous  les  canons 


810  GÉOGRAPHIE 

absents  du  fort  Picolet,  est   sûre   et  accessible  à  toutes   les  calaisons. 

Autrefois,  le  Cap  Haïtien  et  son  annexe,  le  fort  Liberté,  passaient,  à 
juste  titre,  pour  les  premiers  ports  d'Haïti  quant  à  l'exportation  du  cani- 
pêche;  mais  les  embarquements  ont  été  si  nombreux  que,  pour  satisfaire 
aux  demandes  européennes,  il  faut  désormais  aller  bien  loin,  bien  loin, 
dans  l'intérieur  de  l'île.  Or,  les  voies  de  communication  manquent,  non 
pas  complètement,  mais  elles  sont  si  mal  entretenues  qu'il  est,  pour  ainsi 
dire,  impossible,  pendant  la  saison  hivernale,  d'y  faire  passer  les  convois 
■de  bois.  Si  Haïti  possédait  une  voie  ferrée,  les  richesses  de  son  sol  iné- 
puisable seraient  centuplées,  car  il  n'y  a  guère  que  les  côtes  de  cet  admi- 
rable pays  qui  soient  cultivées. 

A  notre  départ  du  Cap,  nous  faisons  route  directement  à  l'ouest  et 
quelques  heures  plus  tard,  nous  sommes  à  moins  d'un  mille  de  l'île  de  la 
Tortue,  cette  corbeille  de  verdure.  La  Tortue,  la  Tortue...  que  de  souve- 
nirs français  ce  nom-là  ne  réveille-t-il  pas  en  nous  !  C'est  dans  cette  île 
qu'en  1630,  les  flibustiers  chassés  de  Saint-Christophe  s'étaient  établis, 
sous  la  conduite  de  leur  chef  Enambuc.  C'est  de  cette  île  qu'ils  partirent 
pour  s'emparer  d'Haïti,  conquête  que  le  traité  de  Ryswick,  en  1697, 
consacra.  Haïti,  à  l'époque  où  Colomb  la  découvrit,  était  alors  habitée  par 
une  race  autochtone,  dont  le  pays  s'appelait  Quisqueya,  c'est-à-dire  pays 
de  montagnes. 

A  6  heures  du  soir,  nous  passons  au  large  de  Port-de-Paix,  et,  à 
10  heures,  nous  doublons  le  Môle-Saint-Nicolas,  admirable  port  naturel, 
dont  voulurent  s'emparer  les  Américains  il  y  a  deux  ans.  Absolument 
abritée  de  tous  les  vents,  la  rade  du  Môle  est  une  des  plus  belles  du 
monde.  C'est  là  qu'aboutit  le  câble  sous-marin  venant  de  Cuba  et,  par 
suite,  d'Europe. 

Après  le  Môle,  nous  arrivons  aux  Gonaïves,  d'où  s'expédie  la  première 
qualité  de  café  d'Haïti  ;  puis  nous  gagnons  le  large  pour  parer  les  bas- 
fonds  qui  obstruent  l'embouchure  de  l'Artibonite,  cette  artère  haïtienne 
navigable  sur  un  parcours  de  plus  de  deux  cents  kilomètres.  Nous  sommes 
bientôt  à  Saint-Marc,  bien  connu  sur  le  marché  du  Havre  par  ses  cafés 
et  ses  cotons,  et,  au  jour,  nous  jetons  l'ancre  sous  le  fort  l'Ilet,  dans  la 
rade  de  Port-au-Prince. 

Vue  du  large,  la  ville  paraît  immense.  Elle  part  du  bord  de  la  mer  et 
va,  s'étageant  insensiblement,  jusqu'aux  premiers  contreforts  des  mon- 
tagnes de  l'est.  Les  maisons,  presque  toutes  en  bois,  n'ont  qu'un  étage  ; 
les  rues  sont  larges,  droites,  tirées  au  cordeau,  et  se  coupant  à  angles 
droits.  Malgré  leur  état  de  malpropreté,  malgré  les  flaques  stagnantes 
d'eaux  verdàtres  sur  lesquelles,  de  loin  en  loin,  on  a  jeté  un  primitif 
pont  en  planches  ;  malgré  les  détritus  qui  s'accumulent  devant  toutes  les 
portes,  le  pays  est  sain  et  on  n'y  connaît  aucune  de  ces  épidémies  qui 


CAPITAINE    TRIVIER.    —    VOYAGE    EX    HAÏTI    ET   COLOMBIE  811 

désolent  ordinairement  les  pays  tropicaux.  La  fièvre  elle-même  n'y  fait 
que  de  bien  rares  apparitions. 

Aux  mois  de  janvier  et  de  février,  les  nuits  sont  très  fraîches  et  la  cou- 
verture se  laisse  facilement  supporter.  La  grande  chaleur  commence  en 
mai,  mais  alors  il  fait  réellement  chaud.  Eli  bien!  malgré  l'état  de  trans- 
piration continuelle  où  l'on  est,  malgré  les  30  ou  3'i  degrés  centigrades 
qu'indique  presque  toujours  le  thermomètre  de  votre  chambre,  la  chaleur 
est  beaucoup  plus  supportable  que  celle  que  nous  subissons  en  juillet  et 
août  en  France.  En  Haïti,  la  chaleur  est  forte,  c'est  indéniable,  mais  elle 
■est  sèche  ;  on  ruisselle  de  toutes  parts,  c'est  encore  vrai  ;  au  bout  d'un 
quart  d'heure,  la  chemise  est  réduite  à  l'état  d'épongé  mouillée,  je  ne  dis 
pas  le  contraire;  mais  on  peut  aller,  venir,  marcher,  travailler,  écrire, 
causer,  lire,  monter  à  cheval,  sans  ressentir  ces  lourdeurs  de  tête,  celte 
indolence,  ce  manque  d'énergie  que  Ton  éprouve  pendant  notre  été 
•européen.  En  France,  la  chaleur  est  humide  ;  elle  vous  pénètre,  vous 
envahit,  vous  enlève  toute  force,  toute  volonté,  et  c'est  absolument  forcé 
et  sans  enthousiasme  que  l'on  se  met  au  travail. 

En  Haïti,  la  vie  est  facile,  à  bon  marché,  et,  grâce  à  ses  diverses  alti- 
tudes, on  y  récolte  presque  tous  nos  légumes,  nourriture  indispensable  à 
TEuropéen  depuis  longtemps  absent  de  son  pays. 

En  mai  dernier,  j'avais  journellement,  à  ma  guise,  à  mes  repas  du 
matin,  radis,  artichauts  frais,  choux-fleurs,  choux,  céleri,  salades, 
melons,  etc.,  etc. 

Il  est  véritablement  malheureux  pour  nos  compatriotes  que  le  gouver- 
nement haïtien  ne  revise  pas  l'article  7  de  sa  Constitution,  article  qui 
interdit  à  tout  blanc  la  possession  du  sol,  car  nos  travailleurs  des  champs 
trouveraient  facilement,  dans  ce  pays  qui  nous  est  si  dévoué,  une  porte 
•de  sortie  à  la  misère  qui  les  étreint  en  Europe. 

Je  sais  bien  que  la  loi  haïtienne  se  laisse  facilement  tourner,  puis- 
qu'elle accorde  des  concessions,  pour  quatre-vingt-dix-neuf  ans,  à  qui  lui 
en  fait  la  demande  ;  mais  cette  disposition  toute  spéciale  n'est  pas,  selon 
moi,  suffisante.  Le  cultivateur  qui  s'expatrie,  et  surtout  celui  de  nos 
contrées,  veut,  avant  tout,  être  propriétaire  de  sa  terre.  Se  sentir  maître 
chez  lui,  c'est  l'idéal  rêvé.  Il  veut  bien  travailler,  mais  il  désire  que  le 
fruit  de  son  travail  lui  reste.  Il  veut  surtout  amasser  pour  lui  et  ses 
descendants,  aussi  l'arrière-pensée  que  ses  petits-fils  pourraient  être 
expropriés  à  l'expiration  du  terme  convenu  l'arrêtera-t-elle  toujours  dans 
ses  projets  d'émigration.  Au  lendemain  de  la  prise  d'armes  des  noirs,  en 
1804,  l'article  7  de  la  Constitution  haïtienne  avait  certainement  sa  raison 
d'être,  alors  qu'on  pouvait  encore  craindre  l'invasion  blanche;  mais 
aujourd'hui,  cette  disposition  particulière  n'est  plus  que  de  la  routine  à 
mettre  au  rancart  ;  elle  disparaîtra  avant  peu. 


812  GÉOGRAPHIE 

Quant  à  la  population,  en  général,  elle  est  bonne,  honnête,  charitable,, 
et,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  écrit  dans  quelques  journaux,  l'hospitalité  haï- 
tienne n'a  rien  à  envier  au  pays  d'Ecosse.  N'était  la  politique,  Haïti  serait 
un  véritable  paradis  terrestre.  Mais...  il  y  a  la  politique.  Que  de  pays 
européens  ressemblent  à  Haïti  ! 

Néanmoins,  il  est  juste  de  dire  que  l'étranger  qui  se  tient  à  l'écart  de 
toute  intrigue  est  toujours  respecté. 

Après  quarante-cinq  jours  passés  à  étudier  cette  population  de  grands 
enfants,  je  m'embarquais,  le  13  mars,  sur  le  steamer  anglais  Alvina,  et, 
le  15  au  soir,  après  avoir  traversé  la  mer  des  Caraïbes,  nous  jetions 
l'ancre  à  Puerto-Colombia,  improprement  appelé  Savanilla.  Ce  dernier 
nom  est  celui  de  toute  la  baie  et  non  pas  d'un  endroit. 

A  mon  arrivée  en  ce  port,  on  était  en  train  de  construire  une  longue 
jetée  en  fer,  véritable  chef-d'œuvre  d'élégance  et  de  solidité,  qui,  une 
fois  terminée,  permettra  aux  grands  steamers  d'y  accoster  pour  y  déchar- 
ger. Lorsque  ce  travail  sera  fini,  le  w^harf  s'avancera  certainement  à 
deux  kilomètres  en  mer. 

A  peine  à  terre,  nous  prenons  à  l'assaut  une  misérable  auberge  qui 
s'élève,  seulette,  au  milieu  des  sables  brûlants,  et  commandons  un  dé- 
jeuner quelconque,  car  nous  mourions  littéralement  de  faim.  Et  il  le  fut 
quelconque,  ce  déjeuner- là! 

Malgré  la  soif  inextinguible  qui  nous  possédait,  nous  dûmes  nous 
rationner,  car  ce  pays  béni  n'a  pas  d'eau  douce;  aussi,  chaque  jour,  le 
chemin  de  fer  est-il  obligé  d'en  apporter  de  la  Magdalena  aux  travail- 
leurs du  wharf. 

A  4  heures  du  soir,  nous  prenions  enfin  le  train  et,  en  deux  heures^ 
nous  franchissions  gaillardement  les  17  milles  qui  nous  séparaient  de 
Barranquilla. 

Quand  j'écris:  gaillardement,  cet  adverbe  est  certainement  mis  par 
euphémisme,  car,  par  deux  fois,  pendant  le  trajet,  nous  avons  dû  nous, 
arrêter  pour  laisser  monter  la  pression. 

De  Puerto-Colombia  à  Barranquilla,  c'est  sur  du  sable  que  l'on  roule,, 
c'est  du  sable  qu'on  respire,  ce  sont  des  plaines  de  sable  qu'on  a  pour 
horizon. 

Barranquilla  elle-même,  grande  ville  de  30.000  habitants,  et  entrepôt 
de  transit  de  toutes  les  marchandises  de  ou  pour  la  Colombie,  est  ense- 
velie dans  les  sables  et,  malgré  le  temps  écoulé,  malgré  la  bonté  native 
de  ses  primitifs  habitants,  c'est  presque  en  frissonnant  que  je  me  rap- 
pelle les  quinze  jours  que  j'y  ai  passés.  Voici,  d'ailleurs,  les  lignes  que 
je  relève  sur  mes  notes  de  voyage  : 

N'était  une  volumineuse  correspondance,  je  deviendrais  certainement 
enragé  dans  ce  pays  où  je  ne  connais  personne,  ou  je  suis  absolument 


CAPITAINE   TRIVIER.  —    VOYAGE    EN  HAÏTI    ET   COLOMBIE  813 

étranger,  où  rien  ne  me  parle,  où  je  n'ouvre  la  bouche  que  pour  manger 
ou  fumer.  Heureusement  pour  moi,  j'ai  ma  plume  et,  en  causant  lon- 
guement avec  les  parents,  les  amis  et  le  public,  la  journée  s'écoule,  len- 
tement, il  est  vrai,  mais  enfin  elle  s'écoule. 

Le  terrible  !...  c'est  le  soir  !!  A  Barranquilla,  il  n'y  a  pas  d'endroits  où 
l'étranger  puisse  aller  l  Ni  cafés  convenables,  ni  théâtres,  ni  promenades, 
ni  journaux  européens  ;  aussi  en  suis-jc  réduit  à  rester  sur  mon  balcon,  à 
humer  les  quelques  molécules  d'air  frais,  saturées  de  sable,  ou  à  me  mettre 
à  écrire. 

Ah  bien  oui,  écrire!...  si  encore  je  le  pouvais!  A  Barranquilla,  en 
fait  d'insectes,  il  y  a  de  tout  :  des  mouches,  des  moustiques,  des  marin- 
gouins  et  toute  cette  classe  de  diptères  qui  s'infiltrent  dans  les  effets,  vous 
laissant  par  tout  le  corps  une  démangeaison  insupportable  et  sur  le  derme 
de  grosses  bouffissures  blanches  qui  vous  brûlent  douloureusement  ! 
A  Barranquilla,  les  insectes  grouilleurs,  suceurs  et  bourdonnants  se 
comptent  par  milliers  dans  les  maisons  !  A  Barranquilla,  et  surtout  dans 
ma  chambre  d'hôtel,  c'est  par  vol  compact  que  les  gros  cancrelats  rouges 
aux  longues  ailes  hyalines,  s'abattent  sur  mon  cou,  sur  ma  tète  et  sur 
mon  papier  !  Dans  de  pareilles  conditions,  comment  faire  de  la  bonne 
iittérature  ! 

El  voilà  pourquoi  je  les  ai  trouvées  si  lourdes,  ces  soirées  colom- 
biennes pendant  lesquelles  on  ne  peut  se  distraire  ni  par  la  lecture,  ni  par 
le  travail. 

Enfin,  l'heure  de  la  délivrance  sonna    et,  un  beau  matin,  je  m'en- 
barquai  sur  le  steamer  colombien   J.-B.  Elbers  qui  devait  me  conduire 
jusqu'à  Yeguas,  point  terminus   de   la   navigation   du  bas  cours  de   la 
Magdalena.  Disons,  en  passant,  que  ce  nom  de  J.-B.  Elbers  est  celui  de 
i' Allemand  qui  inaugura  le  service  fluvial  de  la  grande  artère  colombienne. 
La  navigation  de  la  Magdalena,  fleuve  que  mit  trois  mois  à  remonter 
M.  de  Humboldt  et  que  suivit  le  malheureux  docteur  Crevaux ,  n'a  rien 
de  bien  particulier  que  l'horrible  chaleur  et  les  nombreux  moustiques  et 
caïmans  qui  agrémentent  la  longue  traversée.  Pendant  les  deux  premiers 
jours,  jusqu'à  l'endroit  dénommé  El  Banco,  voire  même  jusqu'à  Puerto- 
Nacional,  tête  de  ligne  de  la  route  qui  conduit  à  Ocana  et  à  Bucaramangua, 
on  navigue  jour  et  nuit,  ne  s'arrètant   qu'aux  nombreux  dépôts  de  bois 
accumulés  sur  les  berges,  car  tous  les  vapeurs  de  la  Magdalena  chauffent 
au  bois.    Ces  steamers  sont  de  grands  chalands  en  fer,  calant  à  peine 
l'",2o  au  maximum  et  sur  le  pont   desquels   on   a    élevé  une    double 
construction.  La  supérieure  est  réservée  aux  passagers  qui  ont  des  ca- 
bines  moyennant  finances  ou  qui  couchent  sur  le  pont.    Au-dessous  se 
trouvent  les  marchandises,  le  bois  à  brûler,  la  chaudière  et  la  machine. 
Ces  steamers  sont  mus  par  une  roue  actionnée   à  l'arrière  du  navire. 


814  GÉOGRAPHIE 

La  vitesse  moyenne  contre  le  courant  va  jusqu'à  six  milles  à  l'heure. 

A  l'époque  de  la  sécheresse,  il  faut  un  pilote  bien  expérimenté  pour 
pouvoir  conduire  son  navire  au  milieu  de  ce  dédale  de  canaux,  de  bancs, 
d'îlots.  Je  me  hâte  d'ajouter  que  les  pilotes  de  la  Magdalena  connaissent 
fort  bien  leur  affaire. 

Partis  le  20  mars  de  Barranquilla  nous  arrivions  le  27  à  Yeguas,  où 
s'arrête  toute  navigation;  car  au  delà,  le  cours  du  fleuve  est  si  tour- 
menté, les  roches  si  nombreuses  et  si  aiguës,  le  courant  si  rapide  que 
les  risques  seraient  trop  grands.  J'ajoute  qu'à  quelques  milles  de  Yeguas, 
vis-à-vis  la  station  du  chemin  de  fer  à  Honda,  le  fleuve  est  obstrué  par 
un  banc  de  roches  formant  en  aval  de  véritables  rapides  impossibles  à 
franchir. 

Le  28  mars,  à  11  heures  du  matin,  j'étais  à  Honda.  Immédiatement  je 
m'enquis  de  deux  mules,  une  pour  mes  colis,  l'autre  pour  me  servir  de 
monture  et,  à  3  heures,  j'étais  en  route  pour  Sania-Fé-de-Bogota.  A  un 
mille  en  avant  de  Honda,  à  Arrauca-Pluma,  il  me  fallut  traverser  la 
rivière  dans  un  bac  parfaitement  compris  sur  lequel  les  mules  passent 
sans  décharger. 

A  8  heures  le  soir,  j'étais  à  las  Cruces. 

Ces  cinq  premières  heures  de  mules  ont  été  assez  rudes  !  Tantôt  il 
nous  fallait  nous  glisser  dans  un  défilé  de  rochers  coupés  à  pic,  sur  un 
sol  de  cailloux  où  ma  rnule  ne  posait  le  pied  qu'en  tremblotant  et  en  im- 
primant à  tout  son  corps  un  mouvement  de  lihration  que  je  ressentais  par 
contre-coup.  Tantôt  il  nous  fallait  nous  plonger  dans  une  mare  de  boue 
de  laquelle  ma  bête  ne  se  retirait  qu'à  grand'peine  et  en  m'éclaboussant 
de  la  belle  manière  !  Quelquefois,  le  défilé  rocheux,  qui  s'élevait  sous  un 
angle  de  25  degrés,  était  juste  assez  large  pour  nous  laisser  passer  et, 
bien  souvent,  malgré  le  peu  d'épaisseur  de  ma  jambe,  elle  a  été  cruelle- 
ment froissée  aux  parois  rocheuses .  Parfois,  la  route  (en  admettant  que 
l'on  puisse  employer  ce  substantif)  est  tellement  à  pic  qu'on  a  dû  y 
construire  de  larges  gradins  empierrés  sur  lesquels  la  mule  louvoie 
comme  un  navire  au  plus  près. 

Le  29,  à  6  heures  du  matin,  je  reprenais  la  voie  douloureuse  et  passais 
de  nombreuses  posadas  visitées  par  les  arrieros.  A  11  heures,  j'étais  à 
Guaduas,  grande  ville  de  4.000  habitants,  Le  soir,  surpris  par  la  pluie, 
je  dus  m'arrêter  à  Buena-Vista,  dans  une  de  ces  auberges  dont  je  parle 
plus  haut. 

Au  jour,  le  lendemain,  j'étais  en  route,  passant  rapidement  Villetta, 
Agua-Larga,  pour  arriver  enfin  très  tard  à  Facotativa,  où  commence  la 
ligne  du  chemin  de  fer  qui  aboutit  à  Bogota. 

Après  Villetta,  tout  passe  l'imagination  !  On  ne  fait  que  monter  et 
descendre  !  Et  quelles  montées  !  I  quelles  descentes  !  !  par  quels  chemins  1 1 1 


CAPITAINE  TRIVIEU.  —   VOYAGE    EN    HAÏTI    ET    COLOMBIE  81o 

Tantôt,  comme  au  pic  du  Sergent,  mon  baromètre  accusait  2.700 
mètres  d'altitude  au-dessus  du  niveau  de  la  mer  ;  tantôt,  comme  à 
Villetta,  nous  n'étions  qu'à  8o0  mètres,  pour  remonter  bientôt  au-dessus 
de  2.000  mètres.  Et  ce,  pendant  douze  heures  de  temps.  Pour  mieux 
dire,  il  y  a  pas  de  route;  c'est  un  éboulement  du  massif  rocheux  qui,  en 
s 'écroulant,  a  nivelé  le  terrain  sous  une  pente  de  20  à  2o  degrés  et  y  a 
laissé  ses  pierres  coupantes  au  milieu  desquelles  les  mules  ont  à  passer. 

Mais  aussi  quels  paysages,  quelles  perspectives,  quel  pittoresque  sur 
ces  hauts  sommets  des  Andes  couverts  de  neige  aux  chatoiements  de 
satin!  Quelle  luxuriante  végétation  dans  ces  vallées  qui  semblent  per- 
dues dans  la  verdure!  quel  caractère  grandiose  n'ont-ils  pas  ces  rochers 
rougeâtres  surplombant  le  chemin  et  paraissant  vouloir  s'abîmer  sur  le 
voyageur  ! 

En  quelques  mots,  je  résume  mes  quatre  étapes  de  la  route  : 

De  Honda  à  las  Gruces,  le  chemin  est  mauvais  ; 

De  las  Gruces  à  Buena-Vista,  il  est  atroce  ; 

De  Buena-Vista  à  Agua-Larga,  il  est  horrible  ; 

D'Agua-Larga  à  Bogota,  il  est  bon  ; 

De  Facotativa  à  Bogota,  c'est  la  Savana. 

En  deux  heures  et  par  2.700  mètres  d'altitude,  le  chemin  de  fer  par- 
court les  40  kilomètres  qui  conduisent  à  la  capitale. 

Ce  n'est  certes  pas  devant  des  savants  tels  que  ceux  qui  se  rendent  au 
Congrès  de  Pau  que  j'irai  faire  l'historique  de  cette  république  qui 
compte  à  peine  quatre-vingts  ans  d'existence  et  qui,  malgré  le  temps 
écoulé,  se  ressent  toujours  du  joug  espagnol. 

C'est  de  l'inédit  et  du  nouveau  que  je  vous  ai  promis,  aussi  passerai-je 
rapidement  sur  Bogota.  Je  ne  dois  point  oublier,  néanmoins,  de  men- 
tionner  la  promenade  que  je  fis  au  saut  de  Tequendama,  cette  admi- 
rable chute  qui,  de  loO  mètres  de  hauteur,  tombe  dans  le  rio  Bogota. 
La  vue  de  cette  merveille,  surtout  avant  le  lever  du  soleil,  —  car  après,  on 
ne  voit  plus  que  des  vapeurs  —  ne  souffre  pas  de  description. 

Après  un  court  séjour  à  Bogota,  je  pris  la  route  du  retour.  Ayant  été 
envoyé  en  mission  pour  juger  des  diCTérents  chemins  conduisant  à 
Bogota,  je  résolus  de  suivre  un  autre  itinéraire. 

Le  6  avril,  je  quittais  Bogota  et,  quelques  heures  plus  tard,  le  chemin 
de  fer  de  Facotativa  (c'Qst  d'ailleurs  le  seul)  me  jetait  à  Cerésuela,  mieux 
connu  sous  le  nom  de  Madrid,  petit  village  où  je  pris  mes  mules  en 
route  pour  la  Mesa  oîi  j'arrivais  à  o  heures  du  soir.  Malgré  les  pluies 
torrentielles  qui,  chaque  soir,  depuis  mon  arrivée  à  Bogota  s'abattaient 
sur  le  j)aya,  cette  route  de  la  Mesa  est  de  beaucoup  préférable,  pour  la 
commodité  du  voyageur,  que  celle  que  j'avais  prise  à  l'aller.  La  route 
par  la  Mesa  est  large,  facile,  presque  agréable  et  sur  ce  chemin,  pendant 


816  GÉOGRAPHIE 

•cette  journée  du  6  avril,  j'ai  certainement  rencontré  plus  de  l.SOO  mules 
chargées  de  produits  de  la  province  de  Tolima  :  maïs,  farines,  miel, 
cacao,  café,  etc.,  etc.,  se  rendant  au  marché  de  la  capitale.  Le  7  avril, 
je  remontais  sur  ma  mule  et  à,  11  heures,  après  avoir  passé  la  Chica  et 
Napoïa,  j'étais  à  Junta  de  Apulo,  confluent  des  deux  rivières  Apulo  et 
rio  Bogota  et  tête  de  ligne  de  la  voie  ferrée  de  40  kilomètres  qui  aboutit 
à  Girardot  sur  le  haut  cours  de  la  Magdalena,  où  j'étais  à  3  heures  du 
soir. 

Cette  route,  selon  moi,  est  bien  la  meilleure  pour  gagner  Bogota,  bien 
qu'elle  demande  beaucoup  plus  de  temps. 

A  Girardot,  le  vapeur  qui  dessert  ordinairement  cette  station  étant 
reparti  pour  Arrauca-Pluma-Honda,  et  ne  sachant  quand  il  me  serait 
donné  de  quitter  cette  localité  où  je  perdais  mon  temps,  je  fis  construire 
—  selon  l'habitude  du  pays  -^  un  radeau,  que  l'on  dénomme  balsa,  et 
le  8  avril,  deux  hommes  ayant  consenti  à  m'accompagner,  nous  nous 
lancions  au  courant  descendant. 

Grossi  outre  mesure  par  les  dernières  pluies  torrentielles  de  la  saison 
hivernale,  le  rio  Magdalena  courait  avec  une  vitesse  de  cinq  ou  six  milles 
à  l'heure.  Après  quatre  heures  d'une  navigation  assez  tourmentée,  nous 
accostions,  non  sans  difficulté,  la  berge  de  Guataquy  pour  y  passer  la 
nuit.  C'est  en  vain  que  nous  nous  présentâmes  à  toutes  les  auberges  de 
la  ville,  personne  ne  voulut  nous  recevoir.  En  général,  la  population 
colombienne,  bien  que  bonne  et  honnête,  est  assez  arriérée  ;  mais  ici,  à 
Guataquy,  elle  est  presque  sauvage. 

Force  nous  fut  donc  de  nous  coucher  à  la  belle  étoile,  sous  la  véranda 
d'une  maison  qui  nous  eût  peut-être  protégés  de  la  pluie.  Commodément 
installé  sur  la  terre  nue,  j'envoyai  mes  hommes  chercher  des  vivres  et, 
l'eau  du  fleuve  aidant,  nous  fîmes  un  repas  qui  eût  peut-être  fait  honte 
à  feu  LucuUus,  mais  que  nous  dévorâmes.  Sous  la  garde  des  étoiles,  le 
revolver  en  ceinture,  bien  que  cette  précaution  fût  tout  à  fait  inutile, 
nous  nous  endormîmes  de  ce  sommeil  que  le  voyageur  de  métier  n'appelle 
jamais  en  vain.  A  11  heures,  ce  fut  un  branle-bas  général!  Un  troupeau 
de  pourceaux  attirés  par  les  reliefs  de  notre  festin  fourrageaient  abomina- 
blement parmi  nos  bagages  et  force  nous  fut  de  livrer  bataille,  le  bâton 
à  la  main.  Le  reste  de  la  nuit  se  passa  tranquillement  et  le  9,  à  5  heures 
du  matin,  nous  quittions  Y  hospitalière  cité  colombienne. 

A  10  heures,  nous  prenions  terre  à  Ambalema,  importante  ville  dont 
le  principal  commerce  consiste  surtout  dans  la  fabrication  de  ses  cigares 
et  dérivés.  Après  un  déjeuner  des  plus  sommaires,  nous  repartions  et, 
à  1  heure,  touchions  terre  à  la  Trocha-de-Cambao,  tête  de  ligne  de  la 
troisième  route  qui  conduit  à  Bogota  en  passant  par  San-Juan.  Le  soir, 
à  8  heures,  j'étais  à  l'abri  à  Honda. 


CAPITAINE   TRIVIKR.  VOYAGE    EN    HAÏTI    ET    COLOMBIE  817 

La  descente  de  la  Magdalena  se  fit  sans  encombre  et  le  17-  avril  me 
Toyait  à  Barranquilla,  que  je  quittais  peu  après  pour  m'euibarquer  sur 
le  steamer  anglais  /1/ra/o  du  Royal  Mail.  Le  2t),  j'étais  à  Colon. 

L'occasion  était  trop  belle  pour  ne  pas  visiter  les  travaux  du  canal, 
aussi  le  surlendemain  soir  écrivais-je  les  lignes  suivantes  sur  le  voyage 
-  que  je  fis  à  travers  l'istbme  : 

«  J'arrive  de  Panama  !  de  Panama,  le   tombeau  des  milliards  !  Quels 

souvenirs  n'évoque-t-il  pas  ce  nom  de  ville  dans  l'esprit  des  mallieureux 

actionnaires  qui  espèrent  encore  !  C'est  ici  surtout,  sur  le  fronton  de  cette 

officine  de  M.  de  Lesseps,  devant  laquelle  se  dresse  la  statue  de  Colomb, 

-que  devrait  être  inscrit  ce  vers  du  Dante  : 

Lusciate  ogiii  speranzu,  vol  di   enlntle. 
(Laissez  derrière  vous  l'espérance,  vous  qui  entrez.)  » 

A  partir  de  Colon,  les  travaux  sont  réels,  importants...  pendant  une 
iringtaine  de  kilomètres  ;  puis  après,  plus  rien,  que  quelques  tranchées 
où  déjà  les  herbes  et  les  arbustes  croissent  à  profusion,  où  les  sables 
drainés  parles  pluies  torrentielles  delà  saison  d'hiver  s'amoncellent  en 
sillons  superposés. 

Le  seul  résultat  du  canal  aura  été  de  ruiner  l'épargne  française  et  de 
peupler  ce  coin  de  la  Colombie.  Sous  ce  dernier  rapport,  il  n'y  a  pas 
à  dire  le  contraire,  les  progrès  ont  été  rapides  et,  de  Colon  à  Panama, 
les  petites  maisonnettes  en  bois  sur  pilotis,  couvertes  en  zinc  gondolé, 
se  touchent  presque  sans  solution  de  continuité.  On  n'y  parle  qu'an- 
glais dans  ces  maisons-là,  devenues  les  demeures  des  travailleurs  tirés 
de  la  Jamaïque.  J'ai  eu  l'occasion  de  causer  avec  plusieurs  de  ces  mal- 
heureux qui,  comme  Mignon,  mais  moins  poétiquement,  ne  cessent  de 
regretter  la  patrie. 

—  Mais  pourquoi  donc  ne  partez-vous  pas  ?  disais-je  à  ces  exilés,  la 
Jamaïque  est  très  près  d'ici  et  les  communications  avec  votre  île  sont 
presque  journalières.  Pourquoi    ne  pas  vous  réclamer  de  votre  consul? 

—  Si  près  que  nous  soyons  de  notre  pays,  me  répondaient-ils,  et  si 
peu  d'argent  qu'il  faille  pour  s'y  rendre,  il  en  faut  néanmoins,  et  nous 
n'en  avons  pas  I  Les  travaux  ayant  été  suspendus,  beaucoup  des  nôtres 
sont  sans  ouvrage  et  ceux  que  l'on  occupe  encore  gagnent  de  6  à 
8  réaux  colombiens  (environ  3  francs),  au  lieu  des  8  ou  10  francs  qui 
nous  étaient  alloués  aux  jours  de  la  bombance.  Ah  !  c'était  le  bon  temps, 
ajoutaient-ils,  d'un  accent  de  regret,  l'or  regorgeait  partout  et  n'avait 
plus  de  valeur.  On  dépensait  sans  compter,  certain  de  combler  bientôt 
Jes  vides  de  la  bourse.  Aujourd'hui,  nous  attendons  la  reprise  des  tra- 
vaux, mais  seront-ils  jamais  achevés  !  Quant  à  nous  faire  rapatrier  par 


818  GEOGRAPHIE 

notre  consul,  il  nous  est  défendu  d'y  songer  ;  il  n'a  rien  à  faire  avec 
nous,  cet  homme-là;  nous  sommes  venus  de  nous-mêmes,  de  notre 
propre  volonté,  le  gouvernement  ne  nous  connaît  pas  et  restera  parfai- 
tement sourd  à  notre  appel  quand  bien  même  nous  implorerions  sa 
pitié. 

Et  il  en  est  de  même  pour  nos  Martiniquais  qui  ont  abandonné  leur 
petit  joyau  des  Antilles  pour  augmenter  le  nombre  des  malheureux. 

Parti  le  26  de  Savanilla,  j'étais  le  27  à  Colon,  qui  de  loin  a,  ma  foi, 
fort  bon  air.  Mais  quelle  désillusion  au  fur  et  à  mesure  qu'on  approche  ! 
En  voyant  ces  maisons  en  bois  bâties  sur  des  pilotis  rongés  par  la  mer 
et  verts  de  moisissure,  il  me  semblait  que  j'allais  y  lire,  comme  dans 
Port-Tarascon  :  Pharmacie  Bezuquet. 

Et  en  effet,  ici  comme  là-bas,  c'est  bien  la  même  histoire,  un  même 
duc  de  Mons,  des  mêmes  capitaux  français  envolés,  perdus  et  des  morts 
à  pleurer  qui,  le  cas  échéant,  auraient  eu  leur  place  dans  l'armée 
nationale. 

En  ville,  à  chaque  pas,  on  rencontre  ou  un  café,  ou  un  débit,  ou  une 
auberge,  établissements  qui  aujourd'hui  semblent  péricliter  abomina- 
blement. Dans  les  rues,  les  vides  sont  nombreux,  car,  à  l'instar  de  cer- 
taines comètes,  les  incendies  se  reproduisent  périodiquement  dans  ces 
constructions  en  bois  surchautTées  par  le  soleil  d'été. 

A  Colon,  on  parle  toutes  les  langues,  mais  l'anglais  a  tout  envahi  ; 
il  gagne  toujours,  toujours,  et  finira  certainement  par  couvrir  tout  le 
pays. 

Pauvre  Colon!  Et  lui  aussi  regrette  le  temps  passé!  Reviendra-t-il,  ce 
temps  où  la  roulette  battait  son  plein,  où  les  débits  retentissaient  jour  et 
nuit  des  hurlements  avinés,  où  les  querelles  dégénéraient  en  coups  de 
couteaux,  où  l'or  était  partout,  dans  toutes  les  poches? 

Au  temps  de  sa  splendeur,  Colon  contenait  jusqu'à  20.000  habitants  ; 
aujourd'hui,  c'est  à  peine  si  3.000  âmes  grouillent  dans  ses  rues  boueuses. 
Autrefois,  vingt  trains  suffisaient  à  peine  chaque  jour  au  nombreux  per- 
sonnel du  canal.  Hier,  je  suis  revenu  de  Panama,  nous  étions  cinq 
voyageurs  ! 

Le  28,  par  une  belle  matinée  (chose  rare  !)  bien  ensoleillée,  je  prenais 
le  train  à  7  heures  et  demie,  et.  tour  à  tour,  bride  abattue,  à  toute  vitesse, 
à  l'américaine  en  un  mot,  je  passais  Galun,  Lagarto,  Bugio,  Buena-Vista, 
San-Pablo,  Malachin,  pour  arriver,  deux  heures  plus  tard,  à  la  Culebra, 
petite  colline,  contrefort  de  la  Cordillère  des  Andes  et  ligne  de  partage 
des  eaux  du  Pacifique  et  de  l'Atlantique.  Jusqu'alors  nous  avions  vu  le 
courant  du  Chagres  se  diriger  vers  l'est.  A  partir  de  la  Culebra,  les 
rivières  dévalent  vers  le  Pacifique. 

Do  même,  Dieu  dit  un  jour  à  l'Océan  :  u  Tu  n'iras  pas  plus  loin  »  ;  de 


CAPITAINE   TRIVIER.    —    VOYAGE    EN    HAÏTI    ET    COLOMBIE  819 

même  laCulebra  clama  aux  ingénieurs  (Ju  canal  :  «  Slop  !  »  et  l'on  stoppa. 

Près  de  la  station  du  chemin  de  fer,  on  voit  bien  encore  un  semblant 
de  tranchée  où  gisent,  embourbées  dans  les  herbes,  deux  machines  à 
vapeur  au  ventre  noir  :  c'est  tout!  Coût  :  un  milliard  et  demi!! 

A  10  heures,  j'étais  à  Panama.  Après  un  déjeuner  pris  à  la  hâte  au 
Grand  Hôtel  Central,  vis-à-vis  la  cathédrale,  je  roulais  rapidement  sur  la 
route  qui  mène  à  la  Boca,  à  ce  point  précis  où,  libres  des  entraves  de 
l'isthme,  les  navires  de  la  vieille  Europe  devaient  s'élancer  sur  les  eaux 
du  Pacifique.  A  11  heures  et  demie,  je  descendis  de  voiture,  la  marée 
étant  basse,  complètement  basse  (par  la  date  et  l'heure  que  je  donne 
ici,  il  est  facile  de  vérifier  mon  dire)  et  je  pus,  à  pieds  secs,  traverser 
l'embouchure  du  Rio  Grande  qui  n'avait  alors  aucune  communication 
avec  la  mer. 

Quant  aux  travaux  de  creusement,  d'endiguement,  de  port,  de  jetées, 
etc.,  etc.,  je  n'ai  rien  vu  parce  que  rien  n'a  été  fait.  En  amont,  ou 
mieux,  à  ma  droite,  pendant  que  je  traversais  le  Rio-Grande,  j'ai  bien 
remarqué  deux  petits  vapeurs  dormant  à  l'ancre.  Trois  autres  chaloupes 
à  vapeur,  peintes  de  frais,  étaient  déhalées  au  sec  sur  la  rive  gaucho,  près 
du  patent  slip,  où  un  vapeur  un  peu  plus  grand  était  en  réparation;  c'est 
tout  ce  que  j'ai  vu. 

Du  matériel,  beaucoup  de  matériel  gisait  çà  et  là  dans  les  chantiers 
déserts,  attendant  un  nouveau  bon  mouvement  de  ce  peuple  français  si 
riche  et  si  confiant. 

Écœuré,  je  repris  le  chemin  de  la  ville.  Le  soir,  j'étais  de  retour  à  Colon. 
Tel  a  été  le  résultat  de  cette  journée  du  28  avril.  J'ai  bien  encore  appris 
que  les  actions  du  chemin  de  fer  Panama-Colon,  qui,  avant  la  venue  de 
M.  de  Lesseps,  étaient  au-dessous  du  pair  (elles  avaient  été  émises  à 
100  dollars),  avaient  été  achetées  pour  le  compte  des  actionnaires  français 
à  "âtiG  dollars,  mais  personne  n"a  pu  ou  voulu  me  dire  pourquoi  cette 
hausse  subite  de  plus  de  loO  0/0  du  jour  au  lendemain. 

L'enquête  ordonnée  à  cet  effet  nous  l'apprendra  certainement. 

Et  c'est  après  une  pareille  leçon  que  nous  irions  follement  engager  nos 
économies  dans  une  autre  entreprise,  à  peu  près  pareille,  le  transsaharien  ; 
dans  cet  improductif  et  désert  Sahara  aux  tribus  sauvages  !  C'est  sur  les 
bords  marécageux  et  malsains  du  Tchad,  si  nous  en  appelons  aux  témoi- 
gnages de  Barth,  Nachtigall  et  Yogel,  que  nous  enverrions  nos  gros  sous 
si  péniblement  amassés!  Alors,  oui,  ce  serait  à  désespérer  du  pays. 

Le  29,  je  quittais  Colon,  en  route  pour  Kingston,  résidence  du  gouver- 
neur de  la  Jamaïque,  où  nous  arrivions  le  1^'"  mai.  Le  4,  je  débarquais  à 
Jacmel  et  le  6,  après  avoir  traversé  à  cheval,  sans  autre  escorte  que  mon 
guide  pour  m'indiquer  le  chemin,  sans  autre  arme  qu'un  canif,  le  plus 
charmant  pays  du  monde,  je  faisais  de  nouveau  mon  entrée   à  Port-au- 


820  GÉOGRAPHIE 

Prince,  heureux  de  revoir  les   bons  amis  que  j'avais   quittés  quelques 
mois  auparavant. 

Le  28  mai,  je  prenais  de  nouveau  la  mer  et,  après  les  nombreuses 
escales  de  la  route,  le  steamer  Saint-Laurent  me  débarquait  à  Saint- 
Nazaire,  le  19  juin  dernier. 


M.  le  D'  ÏÏA&Eîf 

Médecin  de  la  marine,  à  Cherbourg 


VOYAGE    AUX    ILES    SALOMON 


—  Séance  du  16  septembre  I89i  — 

L'intérêt  qui  s'attache  à  l'archipel  des  îles  Salomon  est  purement  géo- 
graphique ;  en  efTet,  ces  îles  ne  sont  pas  soumises  à  l'influence  française, 
le  commerce  de  nos  nationaux  n'y  est  pas  directement  engagé  et  nos 
navires  de  guerre  n'y  font  que  des  apparitions  fort  rares. 

Cependant,  comme  ce  groupe  d'îles  est  peu  connu,  j'ai  pensé  que 
quelques  renseignements  pourraient  intéresser  les  membres  du  Congrès 
pour  l'avancement  dos  sciences. 

De  plus,  l'annexion  relativement  récente  d'une  partie  d'entre  elles  à 
l'Empire  d'Allemagne,  leur  voisinage  avec  la  colonie  française  de  la 
Nouvelle-Calédonie,  avec  l'île  Yanikoro  où  périt  notre  malheureux  com- 
patriote La  PeyrousC;  et  avec  la  Nouvelle-Bretagne  à  qui  l'expédition  du 
marquis  de  Rays  a  donné  un  si  triste  renom,  toutes  ces  raisons  donnent 
de  l'attrait  au  groupe  des  îles  Salomon  et  m'ont  engagé  à  publier  le 
résultat  de  mes  observations. 

Peu  de  voyageurs  français  ont  écrit  de  visu  sur  cet  archipel  ;  il  faut 
remonter  aux  voyages  d'Entrecasteaux  et  de  Dumont  d'Urville  pour  obtenir 
quelques  renseignements.  Je  pourrais  aussi  citer  un  petit  opuscule  qui 
parut  en  1848  et  dont  l'auteur  était  un  missionnaire,  le  père  Verguet. 
C'est  tout  ce  que  nous  possédons;  la  littérature  étrangère  est  peu  riche 
aussi,  et  ce  n'est  que  dans  ces  trois  dernières  années  que  deux  auteurs, 
Woodiord  et  Guppy,  ont  fait  connaître  ce  pays  au  public  anglais. 


D''  HAGEN.  —  VOYAGE  AUX  ÎLES  SALOMON  821 

11  m'a  été  possible  de  visiter  ces  îles;  j'y  ai  fait  un  voyage  qui  a  duré 
plusieurs  mois  et  j'en  ai  rapporté  quelques  notes.  Je  n'ai  pas  la  préten- 
tion d'être  complet,  mais  celle  d'être  exact  et  de  donner  une  idée  géné- 
rale de  cet  archipel,  dont  quelques  îles  sont  grandes,  fertiles  ei  habitées 
par  une  population  nombreuse. 

Ce  groupe  est  situé  en  Océanie,  entre  le  4*^  et  le  l'â^  degré  de  latitude 
sud  et  les  152«  et  161^  degrés  de  longitude  est.  900  milles  environ  le 
séparent  de  la  Nouvelle-Calédonie. 

Les  îles  qui  le  composent  sont,  du  nord  au  sud,  Bougainville,  Chokeul, 
Isabel,  MaJaijta,  Floride,  Guadalcanar  et  San-Cristoval.  Comme  îles  plus 
petites,  nous  pouvons  citer:  Sauta-Anna,  Sania-Catalina,  Hougué,  Savo, 
Shortland,  Nouvelle-Géorgie.  Je  passe  sous  silence  d'autres  petites  îles 
inhabitées  et  n'ofïrant  aucun  intérêt. 

Cet  archipel  resta  indépendant  jusqu'à  l'époque  actuelle.  Le  navigateur 
espagnol  Mendana,  qui  le  découvrit  en  1564,  ne  fit  qu'un  acte  de  souve- 
raineté platonique  en  déclarant  ces  îles  possession  de  Sa  Majesté  Catho- 
lique, en  y  élevant  des  croix  et  en  y  faisant  des  processions. 

Il  donna,  suivant  l'habitude  du  temps,  des  noms  de  saints  à  quelques- 
unes  de  ces  îles,  et  fit  même  sur  l'île  Isabel  une  tentative  de  colonisa- 
tion ;  elle  échoua  piteusement.  Là  se  borne  l'essai  de  prise  de  possession 
espagnole  au  xvi«  siècle. 

Mais,  dans  ces  dernières  années,  chaque  nation  européenne  s'est  efforcée 
de  créer  des  colonies  dans  toutes  les  parties  du  monde,  et  l'Allemagne, 
dernière  venue,  a  manifesté  maintes  fois  son  désir  de  s'adjuger  les  terres 
restées  indépendantes.  C'est  ainsi  qu'elle  s'est  annexée  une  partie  de  la 
Nouvelle-Guinée. 

Les  îles  Salomon  étaient  voisines  de  ce  pays  ainsi  que  des  îles  Samoa, 
où  les  Allemands  possèdent  des  établissements  commerciaux  importants. 
L'Allemagne  déclara  donc  officiellement  son  intention  de  planter  son 
pavillon  dans  ces  îles. 

L'Angleterre  fit  alors  valoir  des  prétentions  identiques  basées  sur  les 
visites  que  ses  navires  de  guerre  faisaient  dans  le  groupe,  sur  les  tenta- 
tives de  catéchisation  essayées  par  ses  missionnaires  et  sur  la  présence  de 
ses  nationaux.  Mais,  fidèle  à  sa  politique  de  concession  à  tout  prix,  quand 
il  s'agit  de  l'Empire  d'Allemagne,  elle  ne  tarda  point  à  lui  reconnaître- 
des  droits  sur  une  partie  de  ces  îles. 

C'est  alors  que  survint,  en  188o,  entre  les  deux  nations  un  accord 
en  vertu  duquel  les  îles  situées  au-dessus  du  8''  degré  latitude  sud  étaient 
recotmues  possessions  allemandes,  tandis  que  l'Angleterre  réservait  ses- 
droits  sur  le  reste  de  l'archipel  et  se  promettait  de  les  faire  valoir  en 
temps  opportun.  Bougainville,  Shortland,  Choiseul,. Isabel,  Nouvelle-Géorgie 
furent  annexées  par  l'Allemagne  ;  quelques  mois  après,  cette  dernière  île 


822  GÉOGRAPHIE 

était  échangée  contre  la  baie  des  Mille-Vaisseaux  qui  dépassait  les  limites 
du  8«  degré . 

Le  reste  du  groupe,  Malayta,  Guadalcanar,  San-Cristoval,  Nouvelle- 
Géorgie,  conserva  son  indépendance  primitive  et  les  traitants  n'y  furent 
soumis  à  aucune  juridiction. 

Je  n'ai  pas  besoin  d'ajouter  que  les  indigènes  ne  furent  pas  consultés  ; 
l'Allemagne  n'a  pas  ces  faiblesses  gouvernementales  ni  de  tels  préjugés 
politiques  ;  elle  reste,  en  Océanie  comme  en  Europe,  fidèle  à  son  mépris 
du  droit  quand  il  n'est  pas  soutenu  par  la  force. 

Le  pavillon  germanique  fut  hissé  dans  chaque  île,  des  poteaux  indica- 
teurs furent  élevés  portant  la  marque  :  «  Possession  de  l'Empire  d'Alle- 
magne »  ;  le  terrain  fut  confisqué  aux  indigènes  et  donné  à  la  Compagnie 
d'Océanie  subventionnée  par  le  gouvernement.  Aucun  représentant  offi- 
ciel, consul,  résident  ou  gouverneur,  n'habite  le  pays;  seul,  un  navire 
de  guerre,  détaché  de  la  station  des  Samoa,  vient  y  faire  une  visite  an- 
nuelle. 

La  superficie  de  cet  archipel  est  égale  à  neuf  fois  celle  de  la  Corse.  Je 
donne  ici,  d'une  façon  approximative,  la  longueur  et  la  largeur  des  îles 
principales  : 

Longueur  Liir^eur 

Bougainvillo 127  kilomèlres  40  kilomètres 

Choiseul 74  —  20  — 

Isabel 106  —  27 

Malayta 91  -  25  - 

San-Christoval G8  —  22  — 

Guadalcanar 74  —  28  — 

Nouvelle-Géorgie    ...  69  —  24  — 

Malgré  son  étendue  et  son  importance,  cet  archipel  n'est  relié  d'une 
façon  régulière  à  aucun  pays  civilisé.  La  Nouvelle-Guinée,  la  Nouvelle- 
Bretagne  ont  des  communications  avec  l'Australie  ;  il  en  est  de  même 
des  Nouvelles-Hébrides  ;  les  îles  Salomon  seules  ont  été  délaissées  et  le 
voyageur  désireux  de  les  visiter  se  demande  quelle  voie  il  doit  prendre 
pour  y  arriver. 

Cette  absence  de  relations  suivies  avec  les  pays  voisins  a  laissé  à  ces 
îles  leur  originalité  primitive:  l'ethnographe  y  observe  des  mœurs  et 
des  habitudes  nouvelles,  le  naturaliste  peut  y  faire  une  moisson  abon- 
dante de  plantes  inconnues,  d'insectes  non  classés. 

Ce  groupe  attira  cependant  l'attention  du  gouvernement  français  ;  il  y 
a  quarante  ans,  on  manifesta  l'intention  de  faire  de  ces  îles  un  lieu  de 
déportation  politique  ;  ceux  qui  devaient  y  être  envoyés  doivent  se  féliciter 
qu'on  n'ait  pas  réalisé  ee  projet. 

La  voie  la  plus  courte  pour  arriver  aux  îles  Salomon  est  la  suivante  : 


D""    IIAGEN.    —  VOYAGE   AUX   ÎLES    S.VLOMON  823 

Aller  en  Australie  ou  en  Nouvelle-Calédonie  par  un  de  ces  magnifiques 
paquebots  que  la  Compagnie  des  Messageries  maritimes  met  à  la  disposi- 
tion des  voyageurs.  Dès  qu'on  est  arrivé  dans  un  de  ces  deux  pays,  il 
faut  profiter  du  départ  des  petites  goélettes  qui  vont  chercher  du  coprah 
ou  recruter  des  travailleurs.  Malheureusement,  ces  communications  sont 
aléatoires  et  plusieurs  mois  peuvent  s'écouler  sans  qu'aucune  occasion  se 
présente. 

Au  point  de  vue  géographique  pur,  la  connaissance  de  ces  îles  est  fort 
imparfaite;  les  côtes  apparaissent  sur  les  cartes  en  pointillé;  l'excel- 
lence des  mouillages  est  hypothétique,  et  seule  l'expérience  des  vieux 
routiers  du  Pacifique  garantit  la  sécurité  de  la  navigation. 

Ces  îles  sont  de  formation  volcanique;  les  plus  petites,  Santa-Anna, 
Hougué,  Santa-Catalina,  sont  d'origine  mi-volcanique,  mi-corallienne. 
11  n'existe  plus  de  volcan  en  activité,  mais  on  remarque  des  sources  sulfu- 
reuses, notamment  à  Bougainville. 

Cette  origine  volcanique  a  donné  un  aspect  mouvementé  à  la  constitu- 
tion physique  du  sol.  On  rencontre  rarement  de  larges  vallées  ;  le  plus 
souvent,  ce  sont  de  petites  collines  qui  encaissent  des  vallées  étroites, 
sinueuses,  sans  étendue,  dans  lesquelles  coulent  des  rivières  peu  pro- 
fondes. Quelques  montagnes  atteignent  une  certaine  hauteur:  je  citerai 
le  mont  Balbi  (3.0G7  mètres)  à  Bougainville,  et  le  mont  Lammas 
(2.440  mètres)  à  Guadalcanar. 

La  végétation  est  magnifique  et  florissante  toute  l'année  ;  nous  avons, 
en  effet,  la  chaleur  et  l'humidité,  excellentes  conditions  pour  permettre 
aux  plantes  de  se  reproduire  et  de  se  développer  en  toute  liberté. 

La  nature  du  sol  est  variable.  Dans  les  îles  d'origine  corallienne,  il  est 
purement  calcaire  et,  de  plus,  il  est  très  bien  irrigué  ;  au  contraire,  dans 
les  îles  d'origine  volcanique,  le  sol  est  argileux,  poreux,  et  on  n'y  voit 
que  des  ruisseaux  peu  importants. 

La  botanique  n'a  guère  été  étudiée  que  dans  ces  dernières  années, 
grâce  aux  colleciions  rapportées  en  1887  et  1888  par  deux  voyageurs 
anglais,  Woodford  et  Guppy. 

Parmi  les  arbres  d'une  certaine  hauteur,  on  peut  citer  le  cocotier,  le 
tamarinier,  le  sandalier,  l'amandier,  le  banian,  l'arekier,  le  corozo;ony 
remarque  dfS  lianes  de  toutes  espèces,  des  rubiacées,  des  orchidées,  etc. 
Quant  aux  plantes  et  aux  fruits  qui  entrent  dans  l'alimentation  des  indi- 
gènes, nous  avons  le  taro,  l'igname,  la  patate,  la  banane,  l'ananas,  la 
canne  à  sucre.  Je  n'insiste  pas  davantage  sur  celte  partie  qui  demande 
une  compétence  spéciale  pour  être  traitée. 

Les  animaux  qu'on  y  rencontre  peuvent  se  diviser  en  deux  groupes  : 
ceux  qui  vivent  à  l'état  domestique  et  ceux  que  l'on  trouve  dans  les 
forêts  à  l'état  sauvage. 


824  GÉOGRAPHIE 

Dans  la  première  classe  nous  n'avons  que  le  porc,  le  chien  et  la  poule; 
il  n'y  a  ni  bœufs,  ni  moutons,  ni  chèvre?.  Parmi  ceux  qui  vivent  en 
liberté,  nous  pouvons  citer,  l'opossum,  des  reptiles,  des  lézards,  des  cra- 
pauds, des  serpents  dont  la  piqûre  n'est  pas  redoutée  par  les  naturels. 

Les  rivières  renferment  des  crocodiles  dont  quelques-uns  atteignent 
une  longueur  de  1  mètre  à  l"\oO.  Ils  n'attaquent  pas  l'homme. 

Dans  les  petites  îles  peu  habitées,  on  trouve  souvent  une  grande  quan- 
tité d'œufs  placés  dans  le  sable  et  d'une  certaine  grosseur;  ils  seraient 
pondus  par  une  très  petite  poule  qui  vole  difllcilement,  mais  court  assez 
rapidement  pour  qu'on  l'atteigne  avec  peine  ;  on  a  signalé  la  présence  de 
cette  poule  dans  un  seul  point  des  Nouvelles-Hébrides,  à  l'île  Tanna, 
autour  du  volcan. 

La  population  de  l'archipel  est  assez  dense;  mais  comme  dans  toutes 
les  îles  del'Océanie,  on  remarque  une  décroissance  notable  dans  le  nombre- 
d'habitants  ;  on  l'attribue  à  différentes  causes  telles  que  :  maladies  syphi- 
htiques,  infanticide,  émigration,  abus  des  boissons  spiritueuses.  Toutes 
ces  causes,  prises  isolément,  sont  insuffisantes  pour  expliquer  cette  dimi- 
nution, mais  elles  constituent  un  ensemble  de  conditions  qui  permettent 
de  comprendre  pourquoi  telle  île,  autrefois  très  peuplée,  ne  contient  plus 
que  de  rares  habitants. 

On  ne  saurait  donner  un  chiffre  môme  approximatif  concernant  la 
population;  mais  il  me  semble  que  le  chiffre  de  200.000  habitants  n'est 
pas  très  éloigné  de  la  vérité.  L'intérieur  est  plus  peuplé  que  le  littoral;  il 
en  est  du  moins  ainsi  à  Malayta  qui  est  l'île  relativement  la  plus  habitée. 
Les  indigènes  constituent  une  race  saine,  assez  vigoureuse.  Les  hommes 
ne  sont  pas  taillés  en  athlètes,  mais  leurs  formes  sont  bien  prises  ;  le  type 
moyen  est  trapu,  très  peu  sont  chétifs,  malingres  ou  affligés  de  dif- 
formités. 

Leur  origine  a  été  très  discutée.  Mais  la  linguistique  et  l'anthropologie 
ont  permis  de  reconnaître  que  cette  population  est  le  résultat  du  mélange 
des  trois  races  polynésienne,  malaise  et  mélanésienne.  L'indigène  de  l'in- 
térieur a  surtout  conservé  l'aspect  physique  du  mélanésien  qui  a  dû  pri- 
mitivement peupler  cet  archipel;  l'habitant  du  littoral  semble  avoir  plus 
de  globules  de  sang  malais  ou  polynésien. 

A  quelle  époque  ce  mélange  s'est-il  fait?  Par  quelle  voie  ces  indigène» 
se  sont-ils  transportés  d'une  île  à  l'autre?  Je  renverrai  le  lecteur  au  livre 
des  migrations  océaniennes  de  M.  de  Quatrefages. 

Au  point  de  vue  anthropologique,  je  me  bornerai  à  dire  que  ces  natu 
rels  sont  plutôt  dolichocéphales    que   brachycéphales,   mais   qu'ils    son 
surtout  mésocéphales.  Leur   taille  moyenne   est   d'environ  l'",6i;    leurs 
cheveux,  quelquefois  crépus,  sont  souvent  lisses  et  assez  longs  ;  leur  nez 
peu  épaté;   le  prognathisme  accentué  légèrement  chez  quelques-uns,  très 


D''    HAGEN.    —   VOVAGE   AUX   ÎLES    SALOMON  82.> 

fortement  chez  d'autres;    leur  couleur  se  rapproche  beaucoup  de  la  cou- 
leur dite  chocolat. 

Leur  intelligence  est  un  peu  supérieure  à  celle  des  habitants  des  îles 
voisines  :  Nouvelles-Hébrides,  archipel  de  Sanla-Cruz;  leur  sentiment  artis- 
tique est  plus  développé,  leur  estime  de  la  femme  plus  grande.  Néanmoins 
ils  sont  encore  peu  civilisés  et  placés  très  bas  dans  l'échelle  des  races- 
humaines. 

Les  indigènes  de  chaque  île  sont  dangereux;  à  tout  instant,  des  catas- 
trophes se  produisent  qui  rappellent  au  voyageur  que  l'archipel  qu'il 
visite  est  situé  aux  antipodes  de  la  civilisation  et  que  c'est  à  main  armée 
qu'il  doit  assurer  sa  sécurité. 

Ainsi,  l'île  San-Christoval  passe  pour  la  plus  avancée  du  groupe  et  on 
s'accorde  à  reconnaître  qu'on  peut  la  parcourir  dans  tous  les  sens  et  visiter 
l'intérieur  sans  être  inquiété.  Or,  sans  remonter  jusqu'à  l'année  184o, 
époque  à  laquelle  furent  tués  et  mangés  trois  missionnaires  français,  je 
dirai  qu'il  y  a  deux  ans  à  peine  l'agent  du  gouvernement  d'un  navire  des 
îles  Fidji  y  fut  tué  à  coups  de  casse-tête. 

Moi-même,  je  me  rappelle  être  débarqué  dans  la  baie  de  Wannoni  sur 
la  côte  nord  et  avoir  été  entouré  par  cent  cinquante  à  deux  cents  indigènes 
tous  armés  de  sagaies  et  de  massues.  A  un  certain  moment,  quelques 
discussions  s'élevèrent  au  sujet  du  départ  de  Canaques  engagés  cependant 
d'une  façon  régulière;  les  naturels  s'excitèrent  peu  à  peu  et  nous  pûmes 
difficilement  regagner  le  bord  sans  avoir  été  assaillis  et  atteints  par  les 
sagaies  qu'ils  commençaient  à  diriger  sur  notre  embarcation. 

L'île  Guadalcanar  a  aussi  la  réputation  d'être  tranquille.  Cependant 
l'Européen  devra  choisir  avec  prudence  les  points  oiî  il  voudra  débarquer: 
ici  s'impose  avec  rigueur  le  respect  des  croyances  et  des  superstitions 
des  indigènes. 

Les  îles  Choiseul,  Isabel,  Bougainville  ont  été  souvent  le  théâtre  d'actes 
de  piraterie  commis  par  des  blancs;  les  naturels  savent  se  souvenir,  et 
ils  ont  fait  payer  aux  innocents  les  fautes  des  coupables. 

Mais,  entre  toutes  ces  îles,  Malayta  est  considérée  comme  la  plus  dan- 
gereuse; ses  habitants  ont  été  assez  audacieux  pour  s'emparer  de  vive 
force  de  bateaux  de  iOO  à  loO  tonnes,  tuer  l'équipage,  piller,  puis 
incendier  le  navire. 

La  côte  de  Piou  est  particulièrement  redoutable  et,  à  l'heure  actuelle,  il 
serait  imprudent  d'y  débarquer. 

Je  suis  obligé  de  reconnaître  que  cette  hostilité  des  indigènes  a  eu 
pour  cause  la  conduite  de  certains  Européens  envers  eux.  Trop  sou- 
vent des  actes  arbitraires  ont  été  commis  et  il  en  est  résulté,  dans  l'ar- 
chipel, une  animosité  à  l'égard  des  blancs  qui  explique  les  agressions 
dont  ils  sont  les  victimes. 


826  GÉOGRAPHIE 

Aussi,  si  l'on  veut  connaître  d'une  façon  exacte  le  naturel  de  ces  îles, 
il  faut  le  considérer  dès  qu'on  le  transporte  hors  de  son  pays  natal  et 
qu'on  l'emploie  dans  les  plantations  de  maïs  des  îles  Samoa,  dans  les 
usines  à  sucre  de  Queensland  ou  dans  les  mines  de  nickel  de  la  Nouvelle- 
Calédonie. 

Il  y  rend  de  réels  services,  il  est  travailleur,  obéissant,  et,  si  on  le 
soumet  à  un  régime  alimentaire  convenable,  il  peut  accomplir  des  ou- 
vrages pénibles  et  fatigants. 

Ces  qualités  le  font  apprécier  en  Queensland  et  aux  îles  Fidji;  le  prix 
d'engagement  d'un  indigène  des  îles  Salomon  est  de  cinquante  à  cent 
francs  supérieur  à  celui  d'un  habitant  des  Nouvelles-Hébrides. 

Le  naturel  qui  habile  sur  le  littoral  diffère  aussi  comme  caractère  de 
celui  qui  vit  dans  l'intérieur  des  terres.  Par  suite  de  leur  contact  avec 
les  trafiquants  européens,  de  leurs  rapports  avec  les  navires  qui  fréquen- 
tent l'archipel,  les  populations  de  la  côte  sont  plus  douces,  plus  affables, 
plus  hospitalières.  Ces  indigènes  ont  fait  des  voyages  dans  les  colonies 
anglaises,  allemandes  et  françaises  del'Océanie;  ils  ont  contracté  quelques- 
unes  de  nos  habitudes  et  ils  peuvent  rendre  des  services  comme  matelots 
ou  comme  interprètes. 

Au  contraire,  le  Canaque  de  l'intérieur,  l'homme  de  la  brousse  (bush- 
man)  n'a  pas  varié  depuis  le  jour  où  le  premier  de  sa  race  est  venu 
construire  sa  hutte  dans  ces  îles  éloignées;  il  considère  toujours  l'Euro- 
péen d'un  air  défiant,  il  est  prêt  à  engager  le  premier  la  lutte  avec  lui; 
les  rares  transactions  commerciales  qu'il  opère  sont  faites  avec  prudence 
et  les  rapports  qu'on  est  obligé  d'avoir  avec  lui  empreints  de  la  plus 
grande  méfiance. 

L'attrait  d'un  fusil  et  de  quelques  cartouches  l'engage  quelquefois  à 
s'expatrier;  mais  dès  qu'il  est  revenu  au  pays  natal,  il  reprend  vite  ses 
habitudes  primitives  et  redevient  bientôt  la  brute  qu'il  était  avant  son 
départ. 

Ces  naturels  vivent  par  tribus  disséminées  sur  le  littoral  et  dans  l'in- 
térieur; ils  obéissent  à  des  chefs  particuliers;  ce  n'est  que  dans  les  îles 
Shortiand  que  quelques  indigènes  ont  pu  se  créer  des  royaumes  de  sept 
à  huit  mille  sujets. 

Dans  les  autres  îles,  chaque  tribu  est  soumise  à  l'autorité  d'un  chef; 
cette  dignité,  souvent  héréditaire,  s'acquiert  quelquefois  par  la  richesse. 
Celle-ci  s'estime  par  le  nombre  de  dents  de  chien  qu'un  individu  possède 
et  par  les  cadeaux  que  tout  habitant  est  obligé  de  faire  les  jours  de  fêtes 
publiques.  C'est  alors  que  chacun,  au  risque  de  périr  de  faim,  à  la  suite 
de  sa  prodigalité,  apporte  le  plus  d'ignames,  de  taros,  de  porcs  qu'il  lui 
est  possible,  afin  de  ne  pas  être  taxé  du  crime  de  pauvreté,  le  moins  par- 
donné dans  ces  îles. 


D""   HAGEN.    —    VOYAGE    AUX   ÎLES    SALOMON  827 

Le  chef  ne  reçoit  aucun  honneur  spécial ,  mais  il  a  le  droit  de  choisir 
dans  la  tribu  telle  femme  qui  lui  plaît,  il  est  chargé  de  fixer  et  déter- 
miner les  défenses  religieuses,  de  tabouer  tel  ou  tel  endroit,  tel  ou  tel 
objet. 

Au-dessous  de  ce  premier  chef,  il  en  existe  un  autre  qui  occupe  une 
position  influente,  c'est  le  chef  de  guerre.  Il  a  gagné  son  rang  par  son 
Kîourage,  sa  force  physique  et  ses  instincts  belliqueux.  Ses  fonctions  sont 
loin  d'être  purement  honorifiques;  il  est  obligé  de  payer  de  sa  personne 
•et  doit  faire  preuve  d'une  vaillance  et  d'une  adresse  supérieures  à  celles  des 
autres  hommes  de  sa  tribu. 

Les  occasions  lui  manquent  rarement;  les  indigènes  des  îles  Salomon  sont 
très  guerriers  et,  pour  eux,  tout  est  prétexte  à  déclaration  de  guerre: 
tantôt  c'est  le  désir  d'avoir  des  esclaves  qui  travailleront  sur  leurs  planta- 
tions, ou  des  prisonniers  qu'ils  sacrifieront  le  jour  du  lancement  d'une 
nouvelle  pirogue;  tantôt  le  rapt  d'une  femme  qui,  nouvelle  Hélène,  sus- 
■cite  une  autre  guerre  de  Troie. 

Enfin,  en  troisième  lieu,  vient  le  sorcier  ou  chef  religieux,  analogue  au 
Ta-ka-ta  des  tribus  de  la  Nouvelle-Calédonie;  il  prédit  l'avenir,  guérit  les 
maladies,  et  produit  la  pluie  et  le  beau  temps.  La  crédulité  des  indigènes 
dans  la  science  de  leur  sorcier  ne  se  laisse  rebuter  ni  par  les  insuccès  ni 
parles  échecs.  Il  intervient  aussi  dans  les  cas  de  vol,  d'assassinat  :  c'est 
Je  grand  justicier  du  pays.  Inutile  de  dire  que  sa  perspicacité  se  laisse 
souvent  influencer  par  des  cadeaux  intéressés. 

Telle  est  la  constitution  politique  d'une  tribu;  il  n'y  a  que  de  légères 
différences  d'une  île  à  l'autre.  C'est  seulement  dans  les  îles  Shortland  et 
peut-être  à  Malayta  que  l'autorité  d'un  indigène  est  reconnue  à  cinquante 
ou  soixante  milles  du  lieu  de  sa  résidence  habituelle. 

Le  cannibalisme  et  l'esclavage  sont  les  deux  plaies  de  ces  îles.  Depuis 
longtemps,  l'accusation  d'anthropophagie  a  été  portée  contre  les  habitants 
-de  cet  archipel.  L'historien  du  voyage  de  Mendaua,  le  pilote  Gallego,  avait 
déjà  rapporté  qu'ils  offraient  en  vente  des  quartiers  de  chair  humaine  ; 
Bougainville  affirme  le  même  fait  et  raconte  avoir  vu  des  débris  humains 
au  fond  d'une  pirogue. 

Malgré  leurs  rapports  plus  fréquents  avec  les  nations  civilisées,  malgré 
la  répugnance  que  voyageurs  et  missionnaires  se  sont  efforcés  de  leur 
inspirer,  ils  ont  conservé  cette  coutume  et  continuent  à  la  mettre  en  pra- 
tique. 

Les  prisonniers  de  guerre  sont  réservés  pour  ces  festins  ;  lors  de  la 
construction  d'une  nouvelle  case  publique,  un  indigène  est  sacrifié,  son 
corps  dépecé  est  distribué  aux  principaux  de  la  tribu.  Je  n'ai  pas  cherché 
à  constater  ces  faits  de  vhu,  mais  des  témoins  dignes  de  foi  me  les  ont 
rapportés. 


828  GÉOGRAPHIE 

Avant  d'être  immolés  dans  un  sacrifice,  les  prisonniers  de  guerre  sont 
esclaves  ;  leur  condition  ne  serait  pas  trop  mauvaise  s'ils  n'étaient  pas^ 
menacés  à  tout  instant  du  sort  que  je  viens  de  décrire  ;  en  effet,  ils 
jouissent  d'une  certaine  liberté  dans  la  tribu,  travaillent,  c'est  vrai,  sur 
les  plantations  de  leurs  maîtres,  mais  ils  reçoivent  de  la  nourriture  en 
abondance,  ne  subissent  aucun  mauvais  traitement  et  ne  sont  pas  tenus  en 
mépris  par  les  autres  indigènes. 

A  Guadalcanar,  le  père  vend  souvent  son  enfant  comme  esclave;  c'est 
ainsi  que  nous  avons  rencontré,  à  l'île  San-Christoval,  un  jeune  garçon 
âgé  de  dix  ans  abandonné,  sans  parents.  Nous  avons  pu  le  ramener  à 
Nouméa  où  il  travaille  aujourd'hui  ;  il  ne  demande  pas  à  revoir  sa  patrie 
qui  lui  est  absolument  inconnue  ou  qui  ne  lui  a  laissé  que  des  souvenirs 
désagréables. 

*En  dehors  de  ses  expéditions  de  guerre  et  de  ses  chasses  à  l'homme  et 
à  l'esclave,  le  naturel  vit  d'une  façon  monotone  ;  il  aime  à  se  tenir  sur  le 
devant  de  la  maison  commune,  il  discourt,  palabre  et  s'entretient  avec 
les  autres  de  choses  indifférentes  ;  il  va  aussi  à  la  pêche  et,  dans  ses 
heures  de  loisir,  fabrique  ses  armes,  ses  plats  incrustés  de  nacre  et  tous 
les  objets  qui  font  la  joie  des  collectionneurs. 

Le  rôle  de  la  femme  est  plus  ingrat  ;  elle  semble  n'avoir  en  partage 
que  les  labeurs  et  les  fatigues.  Cependant,  je  ne  serais  pas  éloigné  de 
croire  qu'elle  occupe  aux  îles  Salomon  une  situation  plus  élevée  qu'aux 
Nouvelles-Hébrides  et  en  Nouvelle-Calédonie.  Il  m'a  paru  qu'elle  jouissait 
d'une  plus  grande  liberté,  n'était  pas  confinée  dans  un  coin  spécial  du 
village,  partageait  la  vie  commune  avec  son  mari  et  ses  enfants.  La 
polygamie  est  permise,  c'est  vrai,  mais  elle  est  rarement  mise  en  pratique; 
s'il  existe  des  chefs  qui,  aux  îles  Shortland  et  à  Bougainville,  possèdent 
quarante  à  cinquante  femmes,  le  naturel  n'a  généralement  (ju'une  seule 
épouse. 

La  femme  s'achète  et  se  paie  en  monnaie  indigène,  dents  de  chien  et  de 
roussette  ;  il  est  rare  aussi  qu'un  père  ne  cède  pas  sa  fille  quand  on  lui 
apporte  en  cadeau  une  dizaine  de  porcs.  Le  type  est  quelquefois  joli; 
quelques-unes  ont  les  traits  assez  fins,  la  chevelure  longue,  soyeuse,  les 
formes  bien  prises;  malheureusement  leur  visage  est  vite  déparé  à  cause 
de  l'habitude  qu'elles  ont  de  cliiquer  du  bétel:  leurs  dents  deviennent 
noires  et  leur  bouche  prend  la  couleur  de  l'écrevisse  cuite,  comme  dit 
Rochas. 

Elles  sont  aussi  très  vite  fanées;  chez  les  chefs  qui  en  possèdent  un 
grand  nombre,  quelques-unes  conservent  lem*  jeunesse  assez  longtemps; 
ce  sont  sans  doute,  celles  que  leur  situation  de  favorites  exempte  des  tra- 
vaux pénibles. 

L'avortement  et  l'infanticide  sont  fréquents.  Peu  de  famiilles  ont  plus 


D''  HAGE.V.  VOYAGE  AUX  ÎLES  SALOMUN  829 

<le  deux  enfants  ;  le  père  donne  à  son  fils  un  nom  qui  varie  suivant  les 
<litïérents  âges  de  la  vie  :  Sohiina,  Toro,  Obouna,  Catarrho. 

Les  corps  des  décédés  sont  enterrés  avec  accompagnement  de  cris  et 
■de  pleurs;  quelques  mois  après  la  cérémonie,  ils  sont  exhumés,  les  têtes 
des  chefs  sont  séparées  du  tronc  et  enfouies  dans  une  case  spéciale  dont 
les  indigènes  ne  s'approchent  qu'avec  respect,  dont  ils  écartent  les  étran- 
gers et  dans  laquelle  les  femmes  ne  sont  pas  autorisées  à  pénétrer. 
Dans  cette  même  case  on  voit  des  poissons  en  bois  sculpté,  incrustés  de 
nacre  et  ayant  la  forme  de  requins  ;  chacun  d'eux  est  dédié  à  tel  ou  tel 
chef. 

Je  serai  bref  sur  leurs  croyances  et  leurs  superstitions;  il  est  d'ailleurs 
très  difïicile  d'obtenir  des  renseignements  exacts,  et  tout  voyageur  respec- 
tueux de  la  vérité  doit  être  circonspect  avant  d'exposer  quelles  sont 
leurs  idées  morales  et  religieuses.  Ces  idées  sont  généralement  fort  confuses 
dans  leur  esprit  ;  la  langue  qui  sert  à  les  exprimer  est  souvent  très  rudi- 
menlaire  et  se  refuse  à  traduire  des  abstractions  telles  que  l'immortalité 
de  l'âme,  la  vie  future  ou  l'existence  d'un  Être  suprême.  Je  laisse  donc 
de  côté  cette  question. 

Les  deux  sexes  font  un  fréquent  usage  du  bétel.  A  tout  instant  on  les 
voit  mordre  un  morceau  de  noix  d'arec  et  les  feuilles  du  piper  bétel,  et 
porter  à  la  bouche,  au  moyen  d'une  spatule  en  bois,  la  chaux  qu'ils  ont 
dans  un  étui  en  bambou.  Leur  nourriture  est  surtout  végétale  ;  elle  con- 
siste en  taros,  ignames,  bananes.  La  seule  viande  qu'ils  mangent  est  celle 
du  porc,  ils  élèvent  cet  animal  à  Tétat  domestique  ou  bien  ils  le  chassent 
dans  les  forêts  avec  des  arcs  et  des  flèches.  La  pêche  se  fait  avec  des 
filets  de  fabrication  indigène  ou  avec  une  ligne  munie  d'un  hameçon  de 


même  origme. 


Ils  ne  préparent  aucune  boisson  fermentée,  pas  même  le  kava  dont 
l'usage  est  si  fréquent  dans  le  Pacifique  ;  mais  les  boissons  spiritueuses 
d'importation  européenne  exercent  sur  eux  beaucoup  d'attraction. 

La  latitude  sous  laquelle  vivent  ces  insulaires  ne  leur  impose  pas  la 
nécessité  de  vêtements  bien  compliqués  :  les  hommes  se  bornent  à  porter 
autour  des  reins  une  ceinture  en  écorce  ou  en  lianes  ;  le  costume  des 
femmes  est  encore  plus  rudimentaire.  A  San-Cristoval,  dans  la  baie  de 
l'Étoile,  elles  se  présentent  sur  la  plage  absolument  nues  et  l'œil  indiscret 
de  l'étranger  ne  semble  pas  les  effaroucher. 

^Néanmoins  la  coquetterie  ne  perd  pas  ses  droits  ;  il  est  de  bon  ton  de 
se  piquer  dans  le  nez  une  dent  de  chien  recourbée  ou  de  se  pendre  aux 
narines  des  boucles  en  écaille  de  tortue;  les  oreilles  sont  souvent  percées 
d'une  ouverture  assez  grande  pour  permettre  à  l'indigène  d'y  cacher  sa 
pipe,  son  bâton  de  tabac  et  ses  allumettes  (détail  absolument  exact  et 
bien   compréhensible  pour  quiconque  a  pu  constater    les   déformations 


830  GÉOGRAPHIE 

considérables   auxquelles    les   indigènes    du   Pacifique  soumettent  leurs 
enfants). 

La  coiffure  varie  suivant  le  caprice  de  chaque  habitant;  tantôt  les 
cheveux  sont  en  vadrouille,  tantôt  rasés  complètement,  ou  bien  tressés 
en  forme  de  natte. 

Ces  naturels  vivent  dans  des  villages  situés  sur  le  bord  de  la  mer  ou 
bien  établis  dans  l'intérieur  sur  le  flanc  des  collines;  des  bouquets  de 
cocotiers  seuls  en  révèlent  remplacement  et  les  sentiers  qui  y  mènent 
sont  escarpés,  tortueux  et  à  peine  praticables  pour  le  pied  d'un  Européen. 

Il  paraîtrait  qu'à  l'île  Isabel,  les  indigènes  construisent  leurs  huttes 
dans  les  arbres  ;  je  n'ai  pas  constaté  le  fait. 

Les  cases,  dans  lesquelles  ils  s'abritent,  eux  et  leur  famille,  sont  cons- 
truites d'une  façon  fort  simple  :  quelques  poteaux  reliés  par  des  Uanes 
soutiennent  la  toiture  en  paille  et  laissent  une  ouverture  à  chaque  extré- 
mité; telle  est  leur  maison,  qui  ne  contient  que  quelques  ustensiles  de 
cuisine,  des  plats  en  bois  et  quelques  sagaies  et  casse-têtes. 

L'architecte  donne  libre  cours  à  son  talent  quand  il  s'agit  de  construire 
les  cases  publiques  dans  lesquelles  on  abrite  les  pirogues  de  guerre  ;  elles 
sont  élevées  de  quatre  mètres  au-dessus  du  sol  et  soutenues  par  des 
colonnades  en  bois  ;  le  peintre  et  le  sculpteur  de  la  tribu  y  dessinent  soit 
un  cheval,  soit  un  vaisseau,  ou  bien  un  moniteur  indigène  lisant  son 
bréviaire,  ou  encore  un  guerrier  dans  l'ardeur  du  combat. 

Une  visite  à  ces  cases  est  réellement  intéressante  et  donne  une  idée  du 
sentiment  esthétique  des  habitants. 

L" industrie  est  encore  à  un  degré  inférieur.  Les  naturels  se  bornent  à 
fabriquer  des  pirogues  avec  ou  sans  balancier,  elles  sont  incrustées  de 
nacre  et  quelques-unes  assez  grandes  pour  contenir  cinquante  à  soixante 
passagers  ;  leurs  armes  sont  des  sagaies  et  des  casse-têtes  variant  suivant 
chaque  île;  à  Malayta  et  à  Bougainville,  ils  se  servent  aussi  d'arcs  et  de 
flèches. 

Je  ne  saurais  m'associer  à  l'opinion  généralement  répandue  qui  veut 
que  ces  flèches  soient  empoisonnées;  aucune  observation  concluante  n'a 
été  faite  et  les  expériences  médicales  n'ont  pas  permis  de  reconnaître  la 
présence  d'un  toxique  particulier. 

Ils  travaillent  d'une  façon  primitive  et  grossière  le  silex,  savent  fabri- 
quer quelques  haches  en  pierre,  a  arête  peu  tranchante,  mais  n'ont 
aucune  idée  de  l'extraction  du  minerai  et  de  la  préparation  des  métaux. 
Aussi  peut -on  dire  que  ces  indigènes  sont  encore  à  Yâge  de  pierre. 

Le  climat  des  îles  Salomon  a  la  réputation  d'être  malsain  ;  je  ne  puis 
accepter  complètement  cette  manière  de  voir. 

Quelques  Européens  habitent  le  pays  depuis  cinq,  huit  et  même  douze 
ans:  ils  n'ont  jamais  été  atteints  de  la  fièvre  paludéenne,  si  fréquente  et 


D''    HAGE.N.    —    VDVAiiE   AUX   ÎLES    SALOMON  831 

si  tenace  dans  les  archipels  voisins  de  Santa-Cruz  et  des  Nouvelles- 
Hébrides.  Leur  faciès  dénote  peut-être  le  léger  degré  d'anémie  qui  atteint 
tout  blanc  vivant  dans  les  colonies  tropicales  même  salubres,  mais  leurs 
forces  physiques  n'ont  pas  sensiblement  diminué  et  leur  état  général  est 
excellent. 

La  dysenterie  et  les  affections  hépatiques  n'y  sont  pas  remarquées 
d'une  façon  notable.  Les  indigènes  sont  fréquemment  atteints  de  lèpre  et 
de  cette  maladie  de  la  peau  analogue  à  l'herpès  circiné  qu'on  appelle  le 
«  Tokelau  ».  Ils  sont  aussi  très  sensibles  aux  intempéries  et  aux  change- 
ments brusques  de  température. 

Je  ne  veux  pas  insister  davantage  sur  la  constitution  médicale  du  pays 
et  me  propose  d'en  faire  prochainement  une  étude  plus  complète. 

Les  saisons  se  divisent  :  en  saison  pluvieuse,  du  mois  de  mai  au  mois 
d'ocloijre,  et  en  saison  sèche,  de  novembre  à  avril.  Les  cyclones  sont 
inconnus  dans  la  latitude  sous  laquelle  sont  placées  ces  îles,  mais  les 
ouragans  y  sont  souvent  très  violents. 

La  température  s'élève,  pendant  la  saison  sèche,  à  39  degrés  et  ne 
descend  jamais  au-dessous  de  25  degrés  dans  la  saison  pluvieuse. 

La  densité  de  la  population,  la  richesse  du  sol  et  la  salubrité  relative 
du  pays  y  ont  attiré  depuis  longtemps  les  Européens  ;  les  premiers  en 
date  sont  les  missionnaires  maristes  qui  vinrent  s'y  installer  en  184o  au 
nombre  de  sept  prêtres  et  de  six  frères.  Mais  ces  établissements  n'eurent 
qu'une  courte  durée  signalée  par  quelques  catastrophes  ;  l'évêque  Epalle 
lut  massacré  sur  l'île  Isabel  dans  la  baie  des  Mille- Vaisseaux^  et  à  San- 
Cristoval  même  trois  missionnaires  furent  tués  et  mangés.  Aussi  les  essais 
de  catéchisation  cessèrent  en  août  l84"  et  les  îles  furent  abandonnées. 

La  place  ne  resta  pas  inoccupée  ;  il  y  a  vingt-cinq  ans  environ,  l'évêque 
anglais  protestant  Selwyn  et  plus  tard  son  successeur,  l'évêque  Patteson, 
commencèrent  à  parcourir  ces  îles  et  à  se  mettre  en  rapport  avec  les 
indigènes.  En  1872,  un  de  leurs  missionnaires  s'établit  à  Savo,  un  autre 
à  Floride,  un  troisième  à  San-Cristoval  et,  depuis  cette  époque,  ils  cher- 
chent à  s'insinuer  dans  l'esprit  des  indigènes. 

Mais  il  paraîtrait  que  le  terrain  ne  sera  pas  laissé  uniquement  entre 
leurs  mains;  je  viens  d'apprendre  que  les  pères  d'Lssoudun,  chargés  de 
catéchiser  ces  îles,  sont  relevés  de  leurs  fonctions  et  la  Société  de  la 
Propagation  de  la  Foi  les  a  confiées  de  nouveau  aux  maristes, 

La  race  blanche  est  représentée  aux  îles  Salomon  par  une  dizaine 
d'Européens,  de  nationalités  diverses  :  anglaise,  allemande,  russe. 

J'ai  rencontré  deux  forçats  évadés  de  la  iNouvelle-Calédonie  ;  ils  étaient 
venus  chercher  dans  l'archipel  un  refuge  à  l'abri  des  sévérités  du  bagne. 

Quelques  Américains  résident  à  l'île  Guadalcanar. 

Tous  ces  colons  s'occupent  de  commerce.  Aucune  tentative  de  coloni- 


832  GÉOGRAPHIE 

salion  agricole  n'a  jamais  été  tentée  et  les  blancs  qui  habitent  ces  îles 
ne  font  même  pas  de  culture  pour  leurs  besoins  personnels. 

Autrefois,  ce  commerce  était  entre  les  mains  d'une  compagnie  anglaise 
de  Sydney,  dont  le  représentant,  nommé  Fergusson,  habitait  l'île  de  la 
Nouvelle-Géorgie  ;  il  recevait  ses  marchandises  d'Australie  et  remettait 
ses  produits  à  de  petites  goélettes  venant  de  ce  continent. 

Fergusson  fut  tué  par  les  indigènes  et  la  maison  anglaise  cessa  ses 

opérations. 

Actuellement,  le  commerce  porte  sur  les  articles  suivants  : 

Le  coprah,  produit  de  dessiccation  de  la  noix  de  coco,  est  préparé  par 
les  indigènes  et  par  les  blancs.  Bien  que  l'archipel  de  Salomon  soit 
supérieur  en  étendue  à  celui  des  Nouvelles-Hébrides,  il  ne  fournit  pas 
autant  de  coprah  que  ce  dernier.  Je  ne  veux  pas  insister  sur  le  mode  de 
préparation  du  coprah,  le  cadre  qui  est  imposé  à  cette  communication 
ne  le  permet  pas;  je  me  bornerai  à  dire  que  la  tonne  de  coprah  vaut 
actuellement  175  francs  sur  les  marchés  de  Sydney,  Marseille,  Hambourg, 
Liverpool.  Son  prix  de  revient  est  de  80  francs  environ. 

Vient  ensuite  la  brioche  de  mer  qu'on  rencontre  surtout  sur  les  côtes 
de  San-Cristoval  ;  on  la  fait  dessécher  et  on  l'expédie  en  Chine  ;  les  habi- 
tants de  ce  pays  apprécient  fort  ses  vertus  aphrodisiaques.  Son  prix  de 
vente  varie  suivant  les  différentes  qualités,  depuis  800,  1.200  et  même 
2.000  francs  la  tonne. 

Les  coquillages,  l'écaillé  de  tortue  sont  expédiés  en  grande  quantité  à 
Sydney  et  sont  vendus  au  prix  moyen  de  250  francs  la  tonne. 

Enfin  on  trouve,  dans  les  forêts  de  ces  îles,  le   corozo   dont  le  fruit 
'{pomme  d'ivoire)  sert  à  la  fabrication  de  boutons  de   fausse  nacre,  de 
pommes  de  canne,  etc.  Son   prix  avait  considérablement  baissé  lors  de 
mon  séjour  dans  le  groupe.  La  tonne  vaut  environ  200  francs. 

Il  est  excessivement  rare  que  ces  différents  produits  soient  achetés  contre 
argent  aux  indigènes.  Ceux-ci  préfèrent  les  marchandises  dites  de  traite  : 
ce  sont  les  fusils,  munitions,  boissons  spiritueuses,  tissus  et  surtout  le 
tabac  et  les  allumettes. 

Ils  sont  très  friands  de  tabac  et  cette  plante  est  indispensable  à  tout  Eu- 
ropéen qui  fréquente  ces  îles  par  esprit  de  lucre  ou  par  désir  de  curiosité. 

Les  naturels  font  aussi  entre  eux  un  commerce  d'échanges  portant  sur 
les  porcs,  ignames,  taros,  armes  indigènes.  La  monnaie  qui  sert  à  leurs 
transactions  consiste  en  dents  de  chien;  deux  surtout  ont  de  la  valeur 
(1  franc),  ce  sont  celles  immédiatement  adjacentes  aux  molaires;  les 
autres  ne  servent  que  comme  objets  d'ornements.  On  rencontre  fréquem- 
ment des  jeunes  lilles  dont  le  seul  vêtement  et  la  seule  parure  consistent  en 
colliers  de  dents  de  chien  qu'elles  portent  autour  du  cou  et  des  reins. 
Les  hommes  préfèrent  les  dents  de  mâchoire  humaine. 


D""    HAGKN.    —   VOYAGE    AUX   ILES    SALOMON  833 

Enfin,  dans  ces  dernières  années,  les  terrains  des  îles  Salomon  ont 
donné  lieu  à  quelques  tentatives  de  spéculation.  Une  compagnie  de  la 
Nouvelle-Zélande  a  acheté  les  principaux  ports  et  mouillages  de  la  partie 
indépendante  de  l'archipel;  une  maison  de  Nouméa  s'est  rendue  aussi 
acquéreur  de  plusieurs  points  importants  dans  les  îles,  notamment  à 
San-Cristoval. 

Telle  est  la  situation  économique  de  ce  groupe  à  l'heure  actuelle. 

Je  ne  voudrais  pas  terminer  cette  courte  étude  sans  émettre  une  opinion 
personnelle  sur  l'avenir  de  ce  pays  et  sans  parler  des  ressources  que 
pourra  présenter  plus  tard  cet  archipel. 

Aujourd'hui  les  îles  Salomon  ne  donnent  lieu  qu'à  un  commerce  peu 

important  ;  je  ne  crois  pas  que  l'on  y  brasse  jamais  de  grandes  afTaires  et 

qu'on  y  fasse  une  fortune  rapide  ;  la  nature  du  pays,  son  éloignement  de 

.  tout  centre  civilisé,  l'infériorité  de  la  race  qui  l'habite  seront  toujours  un 

obstacle  au  développement  économique  de  ces  îles. 

11  faudrait  qu'un  courant  d'émigrants  se  dirigeât  vers  cet  archipel;  les 
nouveaux  venus  mettraient  en  exploitation  la  richesse  du  sol,  la  fertilité 
des  terres;  ils  introduiraient  des  cultures  de  café,  coton,  canne  à  sucre, 
dont  le  succès  serait  bien  problématique. 

Je  ne  conseillerai  donc  à  personne  de  diriger  son  activité  vers  ce  pays 
et  d'en  faire  le  centre  de  ses  affaires  commerciales. 

Le  colon  qui  s'expatrierait  dans  ce  but  regretterait  vite  notre  vieille 
Europe  si  décriée. 

Néanmoins,  notre  intluence  économique  dans  le  Pacifique  exige  que 
nous  ne  délaissions  pas  les  îles  Salomon  ;  notre  colonie  si  française  de  la 
Nouvelle-Calédonie  doit  profiter  de  son  voisinage  avec  ce  groupe  pour 
étendre  ses  relations  et  y  chercher  ce  qu'elle  ne  trouve  pas  chez  elle,  le 
coprah,  par  exemple. 

La  Nouvelle-Calédonie  est  reliée  à  la  France  par  différentes  lignes  de 
bateaux  à  vapeur.  Ces  steamers  viennent  charger  à  Nouméa,  pour  l'Europe, 
du  minerai  de  nickel;  mais  la  nature  de  ce  fret,  qui  est  lourd,  ne  leur 
permet  pas  de  prendre  leur  chargement  en  totalité.  Ils  sont  dans  l'obliga- 
tion de  compléter  leur  cargaison  avec  du  fret  léger  qu'ils  vont  chercher 
en  Australie. 

Ce  trafic  serait  donc  plus  avantageux  pour  les  armateurs  et  les  consigna- 
taires,  si  la  colonie  pouvait  leur  fournir  ces  deux  sortes  de  frets,  lourd 
et  léger. 

Le  coprah  peut  constituer  ce  dernier  fret  ;  il  faudrait  donc  que  notre 
colonie  océanienne  ait  des  communications  plus  régulières  avec  les 
archipels  voisins  des  Nouvelles-Hébrides,  Santa-Cruz,  Salomon,  3Iarschal 
et  Gilbert.  11  serait  alors  possible  aux  négociants  de  Nouméa  de  drainer 
les  produits  de  ces  différentes  îles  et  d'accaparer  la  totalité  du  coprah. 

53* 


834-  GÉOGRAPHIE 

Grâce  à  l'exploitation  du  nickel,  qui  amène  tant  de  bateaux  dans  le 
pays,  ils  pourront  écouler  cette  matière  sur  les  marchés  d'Europe,  à  des 
prix  défiant  toute  concurrence. 

Je  soumets  cette  idée  à  ceux  de  nos  compatriotes  qui  ont  des  intérêts 
dans  le  Pacifique  et  reste  convaincu  qu'en  la  mettant  à  exécution  ils 
feront  œuvre  utile  pour  eux-mêmes  et  pour  notre  chère  et  bien-aimée 
patrie. 


M.  J.-Y.  BAEBIEE 

Secrétaire  général  de  la  SociéLé  de  Géographie  de  l'Est,  à  Nancy. 


L'iMDO-CHINE  VUE  PAR  UN  MISSIONNAIRE  LORRAIN  IL  Y  A  CINQUANTE   ANS 


4 

—  Séance  du  16  septembre  1892 


Les  quelques  notes  que  nous  allons  essayer  de  résumer  n'étaient  point 
destinées  à  la  publicité  ;  bien  plus,  leur  auteur,  en  nous  les  communi- 
quant à  l'époque  où  nous  préparâmes  notre  Livre  d'or  dans  PEst  de  la 
France  (1880),  ne  voulut  point  être  cité  dans  cette  publication  De  mis- 
sionnaire il  était  devenu  simple  curé  de  village,  car  l'état  de  sa  santé 
ne  lui  permettait  plus  de  séjourner  davantage  en  Indo-Chine.  11  était 
modeste  entre  tous,  et  tout  ce  que  nous  pouvons  dire,  sans  trahir  son 
nom,  c'est  qu'il  est  mort  dans  la  petite  commune  de  Saint-Baslemont 
(Vosges),  où  il  était  né,  après  y  avoir  exercé  pendant  une  quarantaine 
d'années  le  saint  ministère. 

Le  manuscrit,  d'apparence  régulière  comme  rédaction,  n'est  point  paginé. 
Tout  au  plus,  l'auteur  mit-il  un  certain  ordre  dans  la  succession  de  ses 
impressions.  Çà  et  là,  il  a  cru  devoir  ajouter  quelques  mots,  lorsqu'il 
s'est  résolu  à  nous  envoyer  son  récit,  pour  nous  signaler  la  différence  que 
le  temps  a  apportée  aux  choses,  ou  fournir  quelques  éclaircissements. 
Mais  ces  additions  ôtent  plus  qu'elles  n'ajoutent  à  la  physionomie  et  à 
l'intérêt  d'observations  faites  il  y  a  un  demi-siècle. 

C'est  de  but  en  blanc  qu'il  nous  transporte  d'abord  à  Saigon  : 

((  La  ville  de  Saigon  est  aussi  bâtie  à  l'européenne,  avec  des  rem- 
parts entourés  de  fossés  ;  mais  elle  est  petite.  On  y  remarque  surtout  le 
palais  du  vice-roi,  qui  est  très  beau,  avec  plusieurs  autres  édifices  couverts 


J.-V.    BAUmEK.    L  INDO-CHLNE    IL    Y     V    CINQUANTE    AXS 

en  tuiles,  ce  qui  est  un  luxe  pour  ce  pays,  car  autrefois  on  n'en  con- 
naissait encore  (pas)  la  fabrique.  Dans  le  reste  de  la  Cochinchine,  la 
plupart  des  autres  villes  et  même  des  forts  ne  sont  que  de  simples 
redoutes.  » 

Il  passe  tout  de  suite  au  climat  : 

«  La  température  de  ce  pays  est  très  chaude.  Cependant  les  chaleurs 
se  font  moins  sentir  en  Basse-Cochinchine  que  dans  la  Haute,  à  cause 
des  pluies  abondantes  qui  y  rafraîchissent  l'atmosphère  pendant  l'été  et 
sans  lesquelles  cette  province,  si  proche  de  la  ligne,  serait  presque  inha- 
bitable, surtout  à  cause  des  vapeurs  malignes  qui  s'élèvent  continuelle- 
ment de  ses  marais...  » 

Mais  le  climat  a  déjà  été  tant  de  fois  décrit  depuis  qu'il  n'y  a  pas 
lieu  d'insister.  Cependant  il  est  à  noter  que  notre  auteur  constate  qu'à 
Hué  les  chaleurs  sont  plus  fortes,  mais  moins  malsaines  qu'à  Saigon. 
Citons  pourtant  encore  ce  passage  qui  est  topique  sous  le  rapport  du 
peu  d'«  entraînement  »  auquel  on  soumettait  les  jeunes  missionnaires 
(il  n'avait  guère  que  vingt  ans)  pour  les  préparer  à  supporter  les  incon- 
vénients du  climat  : 

«  ...  En  un  mot,  les  chaleurs  de  la  zone  torride  altèrent  singuliè- 
rement le  tempérament.  On  s'en  aperçoit  dès  qu'on  est  arrivé  au  tro- 
pique du  Cancer  pour  la  première  fois.  On  sent  un  malaise  par  tout  le 
corps.  Peu  à  peu,  après  quelques  mois  de  séjour,  les  humeurs,  comme 
durcies  (sic)  et  encrassées  (?)  dans  le  corps  humain  par  les  froids  de 
l'Europe,  fermentent  (?)  considérablement,  et  (on  est)  fort  heureux  quand 
on  en  est  quitte  pour  une  bonne  maladie  dont  on  ne  se  guérit  qu'à  la 
longue  par  de  fréquentes  et  abondantes  purgations...  Faute  d'un  pareil 
régime,  plusieurs  missionnaires,  qui  sont  arrivés  robustes  et  bien  por- 
tants... sont  morts  à  la  Heur  de  leur  âge.  D'après  l'avis  des  vieux  mis- 
sionnaires, on  ne  doit  presque  rien  faire  (d'autre)  pendant  les  trois  pre- 
mières années  que  de  s'acclimater,  étudier  la  langue  et  les  usages  du 
pays...  » 

Puis  l'auteur  passe  aux  productions  : 

«  Les  productions  principales  du  pays  sont  le  riz,  le  coton,  le  sucre, 
la  soie,  le  chanvre,  le  tabac,  le  poivre,  le  gingembre,  le  safran,  le  tama- 
rin, l'indigo,  l'ébène.  On  y  trouve  aussi  grande  quantité  de  fruits  excel- 
lents ;  des  oranges,  des  limons,  des  mangues,  des  cocos,  des  grenades, 
■des  bananes,  des  ananas.  On  y  cultive  aussi  des  haricots,  des  fèves,  des 
pommes  de  terre  de  différentes  espèces,  des  pistaches,  de  la  moutarde, 
des  courges,  des  melons  d'eau  très  rafraîchissants,  des  aulx,  des  oignons, 
des  poireaux,  la  laitue  chinoise,  quelques  choux  «  à  l'huile  »,  des  raves 
excellentes;  j'en  ai  vu  une  espèce  très  grosse  et  d'un  goût  exquis  ;  elles 
peuvent  avoir  un  pied  de  long  et  4  pouces  de  diamètre, 


836  GÉOGRAPHIE 

»  Le  café  y  vient  fort  bien...  le  blé  également.  On  prétend  que  le 
cacao  y  viendrait  aussi  très  bien.  On  a  planté,  en  plusieurs  provinces, 
le  manioc  des  Africains;  mais,  faute  de  savoir  le  préparer,  plusieurs 
s'empoisonnent.  La  racine  de  cette  plante  étant  vénéneuse,  il  faut  )a 
macérer  dans  l'eau  et  la  sécher  au  soleil  ;  on  en  prend  ensuite  la  farine 
pour  en  faire  des  gâteaux .  On  a  aussi  apporté  de  Siam  à  Dông-Naï  (  I  ) 
plusieurs  fruits  excellents,  entre  autres  le  mangoustan  et  le  tou-rieng  (?) 
de  l'Inde.  Le  tou-rieng,  qui,  pour  l'extérieur,  ressemble  à  un  petit 
(.(  jacque  »  (2),  est  d'une  odeur  détestable  ;  il  sent  à  peu  près  ce  que  je 
n'oserais  nommer.  La  première  fois  qu  on  en  mange,  on  n'en  aime  pas 
le  goût  ;  mais  on  prétend  qu'à  la  longue  on  le  trouve  délicieux.  J'en  ai 
goûté  une  seule  fois,  mais  je  n'ai  pas  réitéré  l'expérience. 

»  On  trouve  dans  toutes    les    provinces  le  «  jacque  »,  dont  le  fruit 
croît,  non  pas  sur  les  branches,  mais  sur  le  tronc  de  l'arbre.   Ces  fruits 
sont  si  gros  que  deux  suffisent  quelquefois  pour  la  charge  d'un  homme. 
C'est  comme  un  sac  rempli  de  châtaignes  qui  sont  enveloppées  d'une 
chair  jaune  et  tendre  que  l'on  mange.   On  en  fait  une  grande  consom- 
mation. Les  pauvres  gens  mangent  aussi  les  châtaignes  (du  jacque).  Le 
bois  du  «  jacque  >■>  sert  beaucoup  pour  la  charpente  et  la  menuiserie  ;  il 
est  surtout  précieux  parce  qu'il  est  inaccessible  aux   fourmis   blanches, 
qui,    dans  ce  pays,   dévorent  tout.  Les  oranges,    ici,    sont    comme  les 
pommes  en  France...  L'espèce  la  plus  grosse,  qu'on  appelle  aussi  «pam- 
plemousse »,  est  enveloppée  d'une  écorce   très   épaisse   et  se  conserve 
longtemps...  On  en  voit  qui  sont  aussi  grosses  que  la  tête.  Aussi  dit-on, 
en  proverbe,  que  d'une  main  on  ne  peut  tenir  deux  pamplemousses,  ce 
qui  signifie  :  «  Qui  trop  embrasse  mal  étreint.  »  Les  habitants  se  servent 
des  cocos  pour  bien  des  usages...  Aussi  les  cocotiers  sont  ici  d'un  grand 
revenu.  Le  pays  le  plus  fertile  en  toutes  sortes  de  fruits,  c'est  le  Dông- 
Naï.  On  y  entretient  sur  les  arbres  une  espèce  de  fourmi  qui  laisse  le 
fruit  intact  et  dévore  tous  les  autres  insectes  qui  pourraient  leur  nuire.  On 
les  appelle  «  fourmis  d'or  »,  sans  doute  à  cause  de  leur  grande  utihté. 
Ceux  (les  habitants)  qui  n'en  ont  point  sont  obligés  d'en  acheter.  » 

Un  long  chapitre  est  consacré  au  riz.  Dans  d'autres  paragraphes,  notre 
missionuaire  parle  du  coton,  du  sucre,  des  arbres  à  huile  et  à  vernis,  des 
bois  de  construction.  Entre  ces  derniers,  il  cite  le  trac,  le  sao  et  le  lim, 
([ui  sont  réservés  pour  le  roi  et  auxquels  les  mandarins  eux-mêmes  n'ose- 
raient toucher.  «  Le  bois  mûong  a  le  cœur  noir  et  est  enveloppé  d'une 
autre  couche  tendre  et  blanche.  Il  contient  une  grande  quantité  de  pous- 
sière noirâtre,  qui  est  un  remède  contre  la  gale  et  dont  les  Chinois  se 


(1)  Il  faudrait  le  D  barré  de  l'écriture  des  missionnaires  pour  le  mot  Dông. 
(2j  Exactement  «  jaque  »,  plus  connu  sous  le  nom  d'à  arbre  à  pain  », 


J.-V.    lîARBIER.  —    l'j.NDO-CHINE   IL    Y   A    CINQUANTE  ANS  837 

servent  pour  une  teinture  qui  ne  se  ternit  jamais.  Les  cendres  de  ce  bois 
contiennent  une  certaine  quantité  de  sel.  Quand  ils  sont  au  dépourvu, 
les  sauvages  les  lessivent  pour  en  retirer  ce  sel  et  font  ensuite  bouillir 
l'eau  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  considérablement  réduite.  .Jen  ai  fait  l'ex- 
périinice,  mais  il  faut  une  grande  quantité  de  cendres  pour  obtenir  seu- 
lement une  pinte  d'eau  salée... 

»  Dans  la  partie  nord  du  Dông-Naï,  on  trouve  une  vigne  sauvage, 
dont  les  raisins  sont  petits  et  donnent  un  vin  aigre  qu'on  ne  peut  con- 
server et  boire  qu'en  y  mêlant  une  grande  quantité  de  sucre.  A  Siam,  il 
y  en  a  une  autre  espèce  dont  les  grappes  sont  aussi  grosses  que  celles 
que  rapportèrent  de  la  Terre  promise  les  espions  des  Israélites.  Le  vin, 
auquel  on  mêle  aussi  du  sucre,  en  est  potable.  On  a  demandé  à  Rome  si 
on  pouvait  s'en  servir  pour  la  messe  ;  mais  depuis  longtemps  Rome  n'a 
encore  rien  décidé. 

»  Il  y  a  certains  arbustes  rampants  qui  deviennent  très  longs  et 
flexibles,  qui  sont  des  liens  naturels  presque  aussi  solides  que  des  cordes  ; 
on  en  fait  un  grand  usage. 

»  J'ai  vu  aussi  un  arbre  dont  je  ne  connais  pas  le  nom,  mais  dont  les 
feuilles  se  métamorphosent  quelquefois  en  animal.  La  tête  de  la  feuille 
devient  une  tête  entièrement  organisée,  le  dos  s'épaissit  et  forme  le  corps 
ou  le  ventre  de  l'animal,  la  feuille  peu  à  peu  se  découpe  et  les  petites 
ramures  se  changent  en  pattes  ;  enfin  l'animal  est  organisé,  vit  et  se 
promène  (1)...  » 

En  observateur  sincère,  mais  malheureusement  très  incompétent,  notre 
auteur  décrit  ensuite  les  plantes  médicinales  :  rien  ne  lui  échappe.  Cepen- 
dant, il  fait  des  efforts  pour  donner  un  caractère  scientifique  à  ses  obser- 
vations. 

«  Il  y  a  encore,  écrit-il  à  la  suite  d'un  long  paragraphe,  un  grand 
nombre  d'autres  plantes  connues  des  Chinois  et  qu'on  trouverait  peut- 
être  en  partie  au  Tonquin,  en  Cochinchine  ou  chez  les  sauvages,  si 
quelqu'un  s'en  donnait  la  peine  et  si  on  laissait  les  Européens  libres  d'y 
voyager.  Comme  il  y  en  a  plusieurs  dont  le  «  Dictionnaire  de  Noël  » 
ne  me  donne  pas  la  signification,  je  vais  la  mettre  ici  en  latin...  »  (Suit 
une  liste  alphabétique  d'environ  trois  cents  plantes.) 

Le  chapitre  consacré  aux  animaux  n'offre  point  grande  originalité. 
L'auteur  cite  cependant,  à  propos  de  l'intelligence  de  l'éléphant,  les  faits 
suivants  qui  méritent  peut-être  confirmation  :  «  Un  certain  éléphant 
devenait  de  jour  en  jour  plus  difficile  et  de  mauvaise  humeur  ;  on  ne 
pouvait  plus  le  faire  obéir.  On  fut  longtemps  avant  d'en  deviner  la  causa. 
Enfin,   on    sut   (?)  qu'il    était    mécontent  de  voir  son   conducteur  mal 

(1)  Depuis  longtemps  nos  botanistes  ont  donné  la  cause  de  cette  illusion  d'optique. 


838  GÉOGRAPHIE 

habillé:  cela  lui  faisait  honte.  On   donna  à  celui-ci   un  habit  neuf  et, 
dès  lors,  l'éléphant  fut  toujours  docile.  Le  vice-roi  du  Dong-Naï  en  avait 
(un)   qu'il  faisait  combattre  avec  le  tigre  pour  l'exercer  à  la  guerre.  Il 
faut,   pour  lors,  couper  les  griffes  et  les  dents  au  tigre...  Le  moment 
du  combat  arrivé,  le  vice-roi  le  faisait  venir  (l'éléphant)  pour  lui  donner 
ses  ordres,  lui  recommander  d'être  courageux...  L'éléphant  l'écoutait  avec 
beaucoup  d'attention  et,  à  chaque  proposition,  répondait  «  da  »,  qui  est 
un  mot  dont  se  servent  les  Annamites  pour  marquer  le  respect  et  l'obéis- 
sance. La  monition  faite,   il  faisait  une  grande  révérence  au  vice-roi  et 
marchait  au  combat...  » 

Une  grande  partie  du  manuscrit  est  consacrée  aux  habitants,  aux  us  et 
coutumes,  aux  costumes  et  aux  habitations.  Après  les  nombreux  récits 
des  voyageurs,  après  surtout  l'Exposition  universelle  de  1889,  il  ne 
semble  pas  qu'on  ait  beaucoup  à  apprendre,  en  France,  sur  les  Anna- 
mites. Cependant  il  y  a,  au  milieu  de  nombre  de  choses  qui  ne  sont 
point  nouvelles,  —  et  qui  prouvent  combien  les  populations  de  l'Ex- 
trême-Orient sont  figées  dans  leur  manière  d'être,  —  des  observations 
inédites  ou  qui  ont  besoin  d'être  confirmées.  On  en  jugera  par  les  cita- 
tions suivantes  où  nous  n'avons  supprimé  que  ce  qui  n'est  point  néces- 
saire à  l'unité  du  récit,  laissant  la  plupart  des  expressions  qui  témoi- 
gnent à  la  fois  de  la  sincérité  et  de  la  candeur  du  missionnaire  : 

('  Les  Annamites  sont  de  taille  moyenne  ;  ils  ont  le  visage  rond  et  leur 
teint,  sans  être  basané,  est  cependant  moins  blanc  et  moins  déhcat  que 
celui  des  Européens.  Quelques-uns  même  ont  la  peau  assez  noirâtre.  Ils 
ont  les  yeux  et  les  cheveux  noirs,  le  nez  écrasé  et  petit,  les  pieds  petits  (?) 
et  les  mains  mal  faites  avec  des  doigts  renversés.  Ils  ont  le  corps  droit 
et  les  membres  assez  dégagés.  Souvent,  pour  s'éviter  la  peine  de  se 
baisser  pour  ramasser  quelque  objet,  ils  le  saisissent  avec  le  pied  pour  le 
porter  à  la  main.  On  ne  voit  chez  eux  que  très  peu  d'estropiés.  Ils  ont  la 
vue  moins  perçante  que  les  Européens  :  nous  pouvons  encore  lire  lorsqu'ils 
n'y  voient  goutte.  On  voit  des  hommes  très  forts;  mais,  en  général,  ils  le 
sont  beaucoup  moins  que  les  peuples  du  Nord  (?;,  ce  qui  vient  sans 
doute  de  la  chaleur  du  climat  et  de  leur  nourriture  légère...  Ils  n'ont 
point  de  favoris,  mais  seulement  une  barbiche  au  menton  avec  de 
longues  moustaches  qu'ils  laissent  croître  seulement  sur  les  coins  de  la 
lèvre.  Ce  n'est  que  vers  l'âge  de  trente-cinq  à  quarante  ans  qu'ils  laissent 
croître  la  barbe.  Il  siérait  mal  à  un  jeune  homme  d'en  avoir... 

)>  Le  naturel  dominant  des  Annamites  est  le  flegmatique.  Ils  sont  pai- 
sibles, doux,  lents.  Sans  être  paresseux,  ils  ne  sont  pas  actifs;  (ils)  ne 
se  pressent  point...  et  ne  se  trouvent  jamais  mieux  que  quand  ils  sont 
couchés  ou  assis.  Les  enfants  même  n'ont  ni  l'ardeur  ni  la  pétulance 
des  Européens  ;  ils  sont  graves  dès  le  bas  âge.  Ils  (les  Annamites)  ont 


I 


J.-V.    BARBIER.    —    l'iNDO-CHINE   IL   Y    A    CINQUANTE   ANS  839 

peu  de  soucis  et  ne  portent  pas  loin  leur  prévoyance.  Ils  sont  un  peu 

indifîérents.  ont  peu  d'afifection  et  de  sensibilité.  Aussi  ne  connaissent -ils 

guère  ce  que  c'est  que  l'amitié.  Ils  voient  mourir  un  père,  une  mère, 

un  mari,  une  épouse  presque  d'un  œil  sec.  Ou  s'ils  éprouvent,  pour  le 

moment,  ([uelque  douleur,   ce  sentiment  a  disparu   au  bout  de  peu  de 

jours...  Ils  ont   le  jugement  assez  juste   et  entendent  assez  facilement 

raison.  Une  attention   soutenue  leur  émousse  l'esprit  ;  aussi  ne  sont-ils 

nullement    capables  de  cultiver   les    sciences   abstraites,   telles   que  la 

métaphysique.  Ils  se   pénètrent  peu  des  vérités  terribles  de  la  religion  ; 

aussi  ne  trouve-t-on  que  peu  de  personnes  timorées  et  presque  point  de 

scrupuleuses.    Ils    ne   sentent   même  la    grièveté    des    crimes    les  plus 

énormes  que  parce  qu'ils  sont  punis  par  les  lois  du  royaume  ou  parce 

qu'on  leur  impose  quelque  pénitence  publique  et  frappante.  Ils  ne  sont 

pas  capables  de  vertus  héroïques  et  souffrent  avec  peine  le  jnug  de  la 

discipline,  ce  qui  provient  aussi  beaucoup  du  défaut  d'instruction  ;  car, 

ici,  point    d'écoles  pour  former  les  mœurs...  Saint  François-Xavier  a 

dit,    en  parlant  des  Asiatiques,  qu'ils  étaient   d'un  si  mauvais  naturel 

qu'on  ne  pouvait  jamais  les  amener  à  une  exacte  observation  des  vertus 

chrétiennes.  Rome  défend  d'ordonner  les  prêtres  annamites  avant  l'âge  de 

trente  ans,  et  l'expérience  prouve  que  c'est  encore  trop  tôt...  Ils  parlent  le 

plus  souvent  à  double  sens,  afin,  si  on  les  prend  d'un  côté,  de  pouvoir 

s'échapper  de  l'autre.  Ils  y  sont  exercés  de  très  bonne  heure  :  on  voit  des 

enfants  qu'on   ne  saurait  convaincre  de  faute,  tant  ils  sont  habiles  à  se 

défendre.  Quand  ils  disent  qu'un  homme  est  très  prudent,  c'est  qu'il  est 

très  habile  à  mentir  et  à  tromper.  Les  grands,  comme  les  petits...,  tout 

le  monde  ment.  Comme  ils  ne  se  croient  guère  entre  eux,  ils  font ,  des 

serments  et  se  parjurent  à  tout  propos.  Mais  ils  ne  font  pas  de  cas  du 

serment.  Eux-mêmes    avouent  leur    faiblesse  à  cet  égard,   de  manière 

qu'on  peut  dire  d'eux,  sans  leur  faire  injure,  ce  que  saint  Paul  disait  des 

Cretois  : 

Malœ  besfiœ  venir is  pigri  semper  mendaces. 

»  Ils  ont  encore  une  propension  déclarée  pour  l'orgueil  ;  ils  veulent 
être  honorés  coûte  que  coûte  et  ne  cherchent  en  tout  qu'à  (se)  préva- 
loir... S'ils  rencontrent  un  inconnu  et  que  la  conversation  s'engage,  ils 
décriront  leur  généalogie,  ils  seront  parents  ou  alliés  d'un  tel,  homme 
riche,  puissant,  constitué  en  dignité  ;  ils  auront  été  employés  en  telle 
afiaire,  un  mandarin  les  appellera  souvent  pour  leur  confier  quelque 
mission  ;  ils  auront  été  loués  ou  reçus  quelque  part  avec  beaucoup 
d'honneur.  Et  autres  misères  pareilles  qui  ne  s'effacent  jamais  de  leur 
mémoire  et  dont  ils  veulent  que  tout  le  monde  soit  instruit...  Les  supé- 


840  GÉOGRAPHIE 

rieurs  sont  obligés  d'avoir  beaucoup  de  gravité  ;  ils  ne  peuvent  point  user 
de  familiarité  avec  les  inférieurs,  car  ceux-ci  sont  toujours  à  examiner  le 
degré  d'honneur  et  d'estime  qu'on  leur  accorde  et  chercher  toujours 
(à  monter)  plus  haut  pour  pouvoir  ensuite  se  familiariser.  Après  quoi, 
ils  méprisent  l'autorité  qu'ils  ne  savent  mesurer  que  par  l'air  de  gran- 
deur et  de  gravité  dont  celle-ci  s'environne.  Un  missionnaire,  par 
exemple,  ne  mangera  ni  ne  s'assoiera  jamais,  môme  avec  les  premiers 
catéchistes,  quand  môme  ceux-ci  seraient  de  respectables  vieillards  ;  tout 
le  monde  en  serait  très  scandalisé... 

»  Les  Annamites  sont  moins  hébétés,  moins  fainéants  et  moins  volup- 
tueux que  les  Cambodgiens,  mais  ils  ne  sont  ni  si  spirituels,  ni  si  actifs, 
ni  si  industrieux  que  les  Chinois.  Et  parmi  les  Annamites,  les  Cochm- 
chinois  sont  intérieurs  aux  Tonquinois.  En  Cochinchine  même,  les  pro- 
vinces du  midi  ne  valent  pas  celles  du  nord.  Cependant,  les  Annamites 
sont  bien  plus  guerriers  et,  je  crois,  moins  voluptueux  que  les  Chinois. 
Les  Cochinchinois,  sans  être  aussi  cérémonieux  que  les  Tonquinois,  ont  plus 
de  bon  sens  (1)  et  de  droiture  naturelle.  Les  mandarins  de  Cochinchine,  que 
le  roi  envoie  au  Tonquin,  ne  «  voient  quelquefois  que  du  bleu  »  (sic) 
dans  les  procès,  tant  les  Tonquinois  sont  retors  et  captieux  pour  «  en- 
tortiller »  une  affaire.  Les  femmes  y  ont  au.ssi  (au  Tonquin  sans  doute) 
beaucoup  d'éloquence  naturelle...  » 

Dans  le  chapitre  du  costume,  nous  ne  voyons  à  citer  que  quelques 
passages  : 

«  ...On  laisse  les  garçons  nus  jusque  vers  l'âge  de  quatorze  ans  et  les 
filles  jusque  vers  l'âge  de  dix  ans.  quand  ils  sont  à  la  maison  ou  qu'ils 
vont  paître  les  troupeaux  ;  mais,  quand  ils  sont  quelque  part,  on  a  cepen- 
dant soin  de  les  faire  habiller.  Les  ouvriers,  quand  ils  travaillent,  ne 
gardent  que  leur  culotte,  ou  même  simplement  le  langoiiti,  dont  se 
servent  principalement  les  Tonquinois;  en  Cochinchine,  il  n'est  guère 
d'usage.  C'est  une  ceinture  qu'on  fait  passer  entre  les  jambes  et  qu'on 
noue  ensuite  très  proprement.  Le  langouti  est  en  usage  chez  beaucoup 
d'autres  peuples  d'Orient.  Les  femmes,  surtout  dans  leur  ménage,  ne 
gardent  aussi  que  la  culotte.  Plusieurs,  cependant,  se  couvrent  le  sein 
d'un  voile  ou  pectoral  qu'elles  attachent  en  haut,  sur  le  cou,  par  deux 
cordons,  et  en  bas,  ilerrière  le  dos,  par  deux  autres  cordons.  D'autres 
rehaussent  leur  culotte,  qui  est  très  grande,  pour  se  couvrir  le  sein... 

«  Les  femmes  annamites  ne  diffèrent  des  hommes,  pour  le  costume, 
qu'en  ce  que  leur  habit  est  beaucoup  plus  long,  leur  culotte  un  peu  plus 
étroite,  leurs  boulons  et  leur  chapeau  un  peu  plus  petits  ;  quoiqu'elles 

<1)  Cette  observation  semble  en  contradiction  avec  celle  qui  précède  quatre  lignes  plus  haut; 
mais  il  nous  paraît,  d'après  les  mots  qui  suivent,  que  les  mots  de  bon  sens  sont  mis  ici  pour  sim- 
plicité. 


J.-V.    BARBIER.  —    l'iNDO-CHINE    IL    Y    A     CINQUANTE   ANS  841 

aient  le  turban  (?),  elles  ne  (se)  couvrent  pas  la  tète  comme  les  hommes. 
11  y  a  aussi  des  hommes  qui  ne  (se)  la  couvrent  pas.  Les  deux  sexes  peu- 
vent se  servir  et  se  servent  quelquefois  indifféremment  des  habits  de  l'un 
de  l'autre.  Des  gens  mariés,  qui  sont  pauvres,  n'auront  peut-être,  pour 
les  deux,  qu'un  seul  habit  de  soie:  celui  des  deux  qui  va  à  la  messe 
prend  l'habit  et  l'autre  garde  la  maison.  Si  on  ne  voit  pas  la  figure,  il 
est  parfois  difficile  de  distinguer  les  hommes  des  femmes.  Pour  les  en- 
fants de  dix  à  douze  ans,  j'ai  été  souvent  fort  embarrassé  de  savoir  s'ils 
étaient  du  genre  (sexe)  masculin  ou  du  genre  féminin....  Les  vêtements 
de  dessous  sont  généralement  très  sales,  car  ils  (les  Annamites)  ne  savent 
pas  faire  la  lessive.  Ils  les  lavent  cependant  à  l'eau  claire,  mais  ils  ne 
viennent  pas  à  bout  de  les  décrasser.  Assez  souvent,  si  le  vêtement  est 
encore  bon  et  qu'il  n'y  ait  plus  d'autres  ressources  ils  le  teignent  en  cou- 
leur d'écorce  (?)  ou  couleur  jaune...  » 

En  ce  qui  concerne  Fhabitation  : 

«  Leurs  maisons  ne  sont  guère  que  des  tentes.  Elles  peuvent  se  mon- 
ter, se  démonter,  se  transporter  comme  on  veut.  Aussi  comptent-elles 
parmi  les  objets  mobiliers.  Elles  n'ont,  pour  l'ordinaire,  point  de  plancher 
supérieur  ou  inférieur.  Sur  sa  tête  on  a  le  loit,  et  à  ses  pieds  la  terre 
nue.  Quelques-uns  cependant  font  une  espèce  de  cellier  pour  y  mettre  des 
provisions  ou  des  effets...  Les  maisons  sont  couvertes  en  paille  ou  en 
branches  de  cocotier.  En  Basse-Cochinchine,  plusieurs  riches  particuliers 
ont  des  couverts  (couvertures)  en  tuiles,  dont  on  ne  connaît  l'usage  que 
depuis  un  certain  nombre  d'années.  Pour  construire  les  murs,  ils  com- 
mencent par  élever  un  échalas  de  lattes  (lattis?)  en  bambous  qu'ils  en- 
duisent de  terre  ou  de  boue  pétrie,  de  l'épaisseur  de  trois  à  quatre  pouces. 
Les  voleurs  percent  ces  murs  bien  facilement  avec  un  simple  instru- 
ment de  bois.  Les  mandarins  et  quelques  personnes  riches...  ont  des 
cloisons  en  planches  avec  de  petits  ornements  sculptés.  Il  n'y  a  que  les 
édifices  publics  qui  soient  bâtis  en  briques  ou  en  tuf...  » 

Après  le  logis  et  quelques  détails  sur  le  mobilier  très  sommaire  dont 
les  nattes  et  les  phans  forment  la  partie  essentielle,  viennent  quelques 
observations  sur  les  us  et  coutumes. 

«  Ils  (les  Annamites)  dorment  peu,  se  couchent  assez  tard  et  se  lèvent 
au  point  du  jour.  Si,  pour  quelque  affaire,  ils  n'ont  pas  dormi  la  nuit,  ils 
n'en  sont  pas  beaucoup  gênés;  ils  se  jettent  dans  un  coin  où  ils  dorment 
une  heure  ou  deux...  Dans  les  maisons  qui  ont  un  plancher,  on  s'assied 
et  mange  sur  le  plancher.  Dans  les  autres  on  se  pourvoit  du  phans  qui  con- 
siste en  quelques  planches  unies  ensemble  et  élevées  (au-dessus)  de  terre 
d'environ  6  à  8  pouces  par  le  moyen  de  trois  traverses  qui  servent  de  pieds. 
Ces  phans  sont  assez  larges  pour  tenir  cinq  à  six  personnes.  On  les 
couvre  de  nattes  plus  ou  moins  belles  et  précieuses  selon  la  dignité  des 


842  GÉOGRAPHIE 

personnes.  Quand  quelqu'un  de  distingué  entre  dans  la  maison,  le  maître 
fait  immédiatement  préparer  une  grande  natte,  bordée  ou  à  fleurs.  Ils 
s'assiéent  en  croisant  les  jambes...  Les  inférieurs  ne  peuvent  pas  s'as- 
seoir sur  une  môme  natte  avec  un  supérieur,  ce  serait  lui  manquer  essen- 
tiellement de  respect.  Quelquefois  cependant,  quand  la  distance  n'est  pas 
très  grande,  le  supérieur,  un  mandarin  par  exemple,  pour  marquer  de 
la  considération  à  un  homme  respectable,  le  fera  asseoir  avec  .lui.  Les 
mandarins,  pour  l'ordinaire,  sont  assis  sur  des  plateaux  élevés  de  boi& 
dur  et  d'un  poli  luisant,  sans  y  ajouter  de  nattes,  mais  seulement  un 
accoudoir  (?).  Quelquefois  on  fait  asseoir  les  hôtes  sur  des  chaises  que 
leur  vendent  les  Chinois.  On  a  aussi  des  bancs  et  des  tabourets,  mais  ce 
n'est  guère  l'usage,  de  s'en  servir.  Dans  un  repas  ou  dans  une  grande 
compagnie,  les  plus  dignes  sont  les  plus  près  de  la  porte;  chacun  sait 
précisément  le  rang  qu'il  doit  tenir  à  raison  de  son  âge  ou  de  quelque 
autre  titre.  Mais  lorsqu'un  supérieur  est  assis  isolément,  les  plus  dignes 
en  doivent  être  naturellement  les  plus  rapprochés.  Assez  souvent  par  res- 
pect, ils  ne  font  que  de  s'abaisser  sans  croiser  les  jambes  ni  appuyer  le 
derrière.  S'ils  ont  des  chaussures  ils  ont  du  les  laisser  à  la  porte.  Pour 
l'ordinaire  on  salue,  même  les  supérieurs,  par  une  simple  inclination.  Le 
grand  salut,  suivant  le  cérémonial  chinois  n'est  d'usage  que  dans  certaines 
circonstances,  comme  quand  ou  offre  des  présents,  quand  on  veut  faire 
une  pétition,  ou  remercier,  ou  demander  pardon,  ou  même  quand  on  se 
présente  devant  un  supérieur  qu'on  n'a  pas  vu  depuis  longtemps  ou  qui  part 
pour  un  long  voyage.  Voici  comment  se  pratique  ce  salut  :  11  faut  d'a- 
bord se  mettre  en  grand  costume.  Les  hommes,  debout,  joignent  les  mains, 
les  élèvent  au-dessus  de  la  tête  de  la  longueur  des  bras,  les  rabaissent 
vers  la  poitrine,  les  étendent  en  forme  de  cercle  à  la  même  hauteur, 
puis  se  mettent  à  genoux,  posent  leurs  mains  ainsi  jointes  et  appuient  la 
tête  dessus,  comme  pour  frapper  la  terre  de  leur  front.  Puis  ils  se  relè- 
vent et  répètent  plusieurs  fois  ce  salut  selon  la  dignité  du  supérieur.  On 
salue  le  roi  cinq  fois.  Ensuite  on  fait  une  inclination  ordinaire.  Les  femmes, 
après  s'être  assises,  non  en  croisant  les  jambes,  comme  les  hommes 
mais  en  les  repliant  du  côté  gauche,  se  prennent  les  poignets,  étendent 
ainsi  les  bras  en  forme  de  cercle  à  la  hauteur  du  front  et  font  une  ou 
plusieurs  inclinations  de  tête.  Assez  souvent,  au  lieu  d'étendre  ainsi  les 
bras,  elles  se  contentent  de  tenir  les  mains  jointes  sur  leurs  genoux.  Ce 
n'est  pas  ici  l'usage  de  se  saluer  en  se  souhaitant  le  bonjour  ou  le  bon- 
soir. Si  on  se  rencontre  par  les  chemins,  on  n'ôte  pas  son  cliapeau,  à 
moins  qu'on  ne  se  trouve  en  face  d'un  supérieur.  Alors  il  faut  aussi 
abaisser  les  bourses  qu'on  porte  en  besace  sur  son  épaule .  Si  on  est  à 
cheval  ou  en  palanquin  on  descend...  Ce  n'est  pas  l'usage  de  se  prendre 
par  la  main.  Il  serait  indécent  de  s'embrasser...  Un  enfant,  même  après 


HENKI  d'oRLÉANS.  —  EXCURSION  EN  INDO-CHINE  —    DE  HANOÏ  A  BANGKOK      843 

une  longue  absence,  ne  s'avisera  jamais  d'embrasser  son  père  et  sa  mère... 
On  ne  se  prend  jamais  par-dessous  le  bras  et  les  personnes  de  dilTérent 
sexe  ne  doivent  point  s'asseoir  sur  une  même  natte  (à  moins)  qu'elles  ne 
soient  proches  parentes  ou  d'un  âge  avancé.  » 

On  voit  avec  quelle  minutie  notre  missionnaire  a  observé  les  Annamites. 
D'assez  longs  chapitres  sont  consacrés  encore  aux  repas,  aux  jeux,  au 
calendrier  annamite,  aux  monnaies  et  mesures.  Mais  nous  ne  saurions 
abuser  plus  longtemps  des  instants  de  la  Section.  Si  les  extraits  que  nous 
venons  de  lui  communiquer  lui  ont  paru  avoir  quelque  intérêt  et  quelque 
originalité,  nous  tâcherons  de  lui  donner  la  suite  de  ces  notes  à  la  pro- 
chaine session. 


Le  Prince  Henri  d'ORLÉAÎfS 

à  Paris. 


UNE  EXCURSION  EN  INDO-CHINE  —  DE  HANOI  A  BANGKOK 


—  Séance  du  17  septembre  1892  — 

A  la  fin  de  notre  long  voyage  à  travers  l'Empire  chinois,  nous  avons  eu, 
M.  Bonvalot  et  moi,  la  chance  de  déboucher  au  Tonkin;  après  la  tra- 
versée du  Thibet,  peu  peuplé,  du  Setchuen  occidental  bien  misérable, 
du  Yunnan  montueux  si  aride,  le  delta  du  Song-Koï  nous  a  semblé 
un  pays  enchanté,  un  nouvel  Eden;  n'étions-nous  pas  l'objet  d'un  mirage? 
Avions-nous  bien  le  droit  de  juger  avec  nos  précédents  souvenirs  comme 
point  de  comparaison?  Et  la  richesse  de  la  colonie  française  ne  nous 
a-t-elle  apparu  qu'en  raison  de  la  pauvreté  des  régions  déjà  parcourues  ? 
Autant  de  questions  qu'il  m'importe  de  résoudre. 

De  prime  abord  admirateur  du  Tonkin,  j'y  retournerai  pour  avoir  le 
droit  d'en  parler;  il  me  faut  en  effet  mieux  le  connaître  que  par  le  séjour 
d'un  mois  ;  mes  impressions  doivent  s'appuyer  sur  autre  chose  que  des 
renseignements  vagues,  sur  des  faits  et  des  chiffres;  une  sorte  d'enquête 
est  à  faire  ;  c'en  est  le  résultat  que  je  veux  vous  soumettre  ici. 

Ma  conférence  se  divisera  naturellement  en  trois  parties  :  dans  la  pre- 


844  GÉOGRAPHIE 

mière,  je  vous  dirai  mon  séjour  dans  le  bas  Tonkin;  j'essayerai  de  vous 
faire  en  quelques  traits  un  tableau  de  ce  qui  a  déjà  été  créé,  vous  verrez 
facilement  à  côté  ce  qui  reste  à  faire  et  c'est  beaucoup. 

La  seconde  nous  conduira  dans  le  haut  pays;  ici,  trois  directions  nous 
sont  indiquées  par  le  cours  des  eaux  :  à  l'est,  la  voie  de. la  rivière  Claire; 
de  ce  côté,  la  pacification  est  loin  d'être  achevée  ;  les  travaux  de  che- 
min de  fer  ne  sont  guère  avancés,  et,  d'ailleurs,  les  rapports  de  notre 
consul  de  Lang-Tchéou,  de  l'agent  anglais  de  Pakoï,  des  employés  des 
douanes  chinoises,  nous  donnent  des  chiffres  précis,  qui  nous  permettent 
d'estimer,  dans  l'état  actuel  de  la  question,  le  commerce  possible  du  Tonkin 
avec  le  Quang-Si  et  le  Quang-Toung. 

Au  nord,  le  fleuve  Rouge,  l'artère  principale  du  Tonkin,  qui  coule  du 
Yunnan  droit  comme  un  i  jusqu'à  Hanoï.  Nous  avons  eu  la  chance  de  le 
descendre  dans  mon  précédent  voyage. 

Reste  à  l'ouest,  la  rivière  Noire,  encore  peu  connue  du  public,  malgré 
les  nombreuses  traversées  de  la  mission  Pavie;  c'est  elle  que  nous  allons 
remonter.  A  côté  des  renseignements  commerciaux  que  nous  pourrons  y 
glaner,  nous  trouverons  d'autres  avantages;  les  races  qui  peuplent  ses 
bords,  sa  formation,  sa  faune,  sa  flore  sont  à  peine  étudiées;  il  y  aura 
matière  à  nombreuses  collections. 

Enfin,  la  montée  du  Song-Ro  nous  mènera  auprès  du  Laos. 

Dans  la  troisième  et  dernière  partie  de  ma  conférence,  je  me  propose 
de  vous  dire  deux  mots  de  cette  région  encore  mal  définie  et  dont  le 
nom  semble  pourtant  devoir  revenir  souvent  dans  l'histoire  de  l'Lido- 
Chine  moderne.  Un  syndicat  français  cherche  à  mettre  cette  contrée  en 
exploitation;  des  rivaux  nous  y  disputent  un  terrain  occupé  par  un  tiers, 
et  la  poudre  jetée  aux  yeux  du  public  n'a  souvent  pour  but  que  de  lui 
cacher  des  convoitises  plus  grandes. 

On  peut  dire  du  Laos,  en  étendant  son  nom  à  la  région  que  traverse 
le  3Iékong,  de  la  frontière  du  Cambodge  à  celle  de  Chine,  qu'il  est 
actuellement  la  clef  de  la  question  d'Extrême-Orient;  c'est  derrière  le 
masque  du  Laos  que  les  Anglais  cherchent  à  nous  couper  les  voies  de 
pénétration  en  Chine  et  à  nous  devancer  sur  le  grand  marché  du  Céleste- 
Empire...  (et  ils  marchent  à  grands  pas).  La  question  est  brûlante,  com- 
plexe, difficile  à  résoudre  diplomatiquement  dans  un  pays  où  chacun  peut, 
avec  justesse,  invoquer  des  droits,  passionnante  pour  nous,  car  d'elle, 
peut-être,  dépend  l'avenir  de  notre  empire  colonial  en  Indo-Chine. 

En  quelques  mots.  Messieurs,  j'ai  essayé  de  vous  indiquer  le  but  que 
j'ai  poursuivi  en  retournant  au  Tonkin.  Je  n'ai  plus  qu'à  aborder  le  récit 
même  de  l'excursion,  en  sacrifiant  souvent,  pour  plus  de  brièveté,  les 
détails  de  la  route  au  désir  de  vous  exposer  à  quelques-uns  des  résultats 
généraux  qu'il  me  semble  avoir  constaté. 


HENRI  d'oULÉANï;.  —  EXCURSION  EN  INDO-CIIINE  —  DE  HANOÏ  A  BANGKOK      84o 


LE    BAS    TONKIN.      —     LES    CHARBONNAGES.      —      LA    PIRATERIE    ET    LES    MOYENS 

DE    LA    COMBATTRE. 

Arrivé  à  la  fin  de  décembre  à  Honi;-lvong,  j'ai  la  chance  d'y  assister  à 
des  essais  qu'on  fait  du  charbon  du  Toiikin;  ce  dernier  est  brûlé  à  bord 
de  plusieurs  ferrys  de  la  rade  et  dans  les  fourneaux  de  l'usine  Jardine  et 
Matheson.  Le  feu  doit  être  entretenu  avec  soin.  Mais  le  combustible  pro- 
duisant, à  quantité  égale,  plus  de  calorique  que  celui  du  Japon,  on 
réalise  à  son  emploi  une  économie  de  près  d'un  tiers  sur  le  japonais. 
Des  chiffres  donnent  ainsi  la  mesure  de  succès  du  charbon  de  notre 
colonie. 

Quelques  jours  plus  tard,  une  chaloupe  mise  à  ma  disposition  par  un 
des  capitalistes  de  Hong-Kong  les  plus  convaincus  de  l'avenir  du  Tonkin. 
M.  Cheater,  me  transporta  de  Haïphong  à  Hong-Hay  ;  de  cette  excursion 
dans  les  charbonnages,  j'ai  déjà  envoyé  un  compte  rendu  détaillé  à  la 
Société  de  Géographie  commerciale. 

Qu'il  nous  sutrise  de  dire  ici  que  deux  gisements  principaux  exploités, 
l'un  en  galerie  et  l'autre  à  ciel  ouvert,  comme  une  simple  carrière,  et 
reliés  au  port  par  une  quinzaine  de  kilomètres  de  chemin  de  fer  à  voie 
d'un  mètre,  donnent  actuellement  cent  cinquante  tonnes  de  charbons  par 
jour  et  que  dans  quelques  mois,  lorsque  les  derniers  kilomètres  de  rails 
seront  posés,  on  pourra  compter  sur  un  rendement  journalier  de  trois 
cents  tonnes. 

Au  mois  de  décembre  1891,  six  mille  tonnes  ont  déjà  été  envoyées  à 
Hong-Kong;  et  lorsque  j'ajouterai  que  la  production  totale  d'un  des  cen- 
tres d'exploitation  (il  y  en  a  trois  principaux  dans  la  concession  seule  de 
Hong-Hay)  est  évaluée  à  plus  de  quarante  millions  détonnes,  je  crois  que 
j'aurai  dissipé  toute  crainte  qu'on  pourrait  avoir  d"un  rapide  épuise- 
ment de  la  mine. 

Plus  loin,  Kébao,  dont  les  travaux  ont  été  commencés  plus  tard  et 
avec  un  moindre  capital,  suit  pourtant  honorablement  l'exemple  donné 
par  son  aînée  Hong-Hay;  les  deux  exploitations  sœurs  sont  appelées  à 
un  grand  avenir. 

L'île  de  Kébao  ferme  la  rade  profonde  de  Tien -Yen;  les  vaissaux  ca- 
lant sept  mètres  pourront  y  trouver  abri  et  venir  aux  plus  basses  marées 
jusqu'au  pied  de  la  falaise.  Sur  les  îlots  semés  à  l'entrée  de  la  baie, 
comme  des  sentinelles  aux  avant-postes,  des  batteries  vont  être  établies 
et  derrière  celles-ci  sera  créé  un  port  de  ravitaillement  pour  la  marine 
militaire  :  peut-être  alors  ceux  qui  ont  invoqué  l'abandon  par  la  France 
de  la  clef  de  l'océan  Lidien,  le  canal  de  Suez,    comme   argument  contre 


846  GÉOGRAPHIE 

l'occupation  du  Tonkin,  comprendront-ils  l'immense  avantage  pour  la 
patrie  d'être  seul  avec  la  Russie  à  posséder  un  grand  port  militaire  dans 
l'Extrême-Orient;  et  qui  se  souvient  de  la  position  critique  dans  laquelle 
le  manque  de  combustible  avait  mis  notre  flotte,  sous  le  commandement 
de  l'amiral  Courbet,  sentira  la  force  qu'elle  se  donne  en  contruisant  ses 
appontemenls  sur  des  assises  de  charbon . 

En  quittant  Hong-Hay  et  Kébao,  nous  n'en  avons  pas  fini  avec  la 
question  de  la  houille  au  Tonkin  :  la  prochaine  carte  géologique  du 
pays  sera  marquée  d'une  large  bande  noire  traversant  la  colonie  dans  sa 
plus  grande  étendue,  du  sud-est  au  nord-ouest;  apparaissant  dans  l'île 
de  Haïnan,  le  charbon  est  connu  à  Kébao,  à  Hong-Hay,  puis  dans  le 
Dong-Trieu,  à  Quang-Yen  et  encore  sur  les  bords  du  fleuve  Rouge,  à  Yen- 
Bay,  à  Lao-Kaï,  où  les  essais  ont  révélé  un  combustible  égal  au  meilleur 
cardiff;  ces  charbonnages  montent  plus  haut  jusque  dans  le  Yunnan,. 
formant  de  véritables  montagnes  sur  lesquelles  le  sabot  du  cheval  se 
heurte  à  chaque  pas  au  combustible.  Je  ne  vous  parlerai  pas  des  traces 
connues  et  que  j'ai  moi-même  relevées  sur  la  basse  et  haute  rivière 
Noire;  je  ne  vous  entretiendrai  pas  de  ce  qui  est  encore  à  trouver,  de 
ce  qu'on  découvre  encore  en  ce  moment;  je  ne  vous  conduirai  même 
pas  aux  célèbres  exploitations  de  l'Annam;  je  me  bornerai  à  ce  que  je 
viens  de  vous  énumérer  au  Tonkin  même,  il  y  a  quelques  instants,  et  je 
demanderai  à  chacun  de  vous,  quelque  opinion  qu'il  puisse  avoir  sur  la 
question  coloniale,  s'il  n'est  pas  tenté  de  joindre  sa  voix  à  celle  d'un  étran- 
ger, d'un  Anglais,  de  lord  Connemara,  pour  dire  avec  lui  : 

«  Le  Tonkin  est  appelé  à  jouer  dans  l'Extrême-Orient  le  rôle  que  joue 
l'Angleterre   en  Europe;   ce   sera  le   grand  producteur  de  charbon   de 

l'Asie.  » 

Puisque  j'en  suis  à  invoquer  les  avis  de  nos  rivaux  en  matière  colo- 
niale, il  me  plairait  de  me  mettre  encore  ici  sous  le  couvert  d'un  journa- 
liste anglais  pour  vous  parler  de  Haïphong;  je  serais  ainsi  en  garde 
contre  l'accusation  de  partialité;  des  citations  vous  intéresseraient  peut- 
être,  des  faits  vous  parleront  plus  éloquemment. 

En  1886,  le  Haïphong  français  se  composait  de  quelques  cabanes  de 
planches  et  de  bambous  dressées  au  milieu  des  marais  :  la  mortalité  était 
grande  dans  ce  centre  infectieux. 

En  1892,  des  esprits  facétieux  (il  s'en  trouve  partout)  annoncent  que 
pharmaciens  et  médecins  sont  sur  le  point  de  se  mettre  en  grève.  Sans 
croire  cette  âge  d'or  arrivé,  je  me  contenterai  de  vous  faire  remarquer 
qu'en  cet  année  bienheureuse  un  seul  décès  est  constaté  dans  la  popu- 
lation européenne  de  la  ville;  nous  ne  comprenons  pas  dans  celle-ci,  bien 
entendu,  les  soldats  malades  évacués  du  haut  Tonkin.  Les  mares  ont  été 
comblées  avec  des  mottes  de  terre  apportées  les  unes  après  les  autres  par 


HENRI  d'orLÉANS.  —   EXCURSION  EN  INDO-CHINE  —  DE   HANOÏ  A  BANGKOK      8i7 

•des  coolies  ;  sur  ces  moites  une  ville  s'est  élevée  :  des  canaux  ont  été  creu- 
sés, et  le  voyageur  qui  suivrait  les  quais  serait  étonné  de  voir  dans  les 
<îliantiers  qui  bordent  le  fleuve  Houge  les  carcasses  de  navires  construits 
de  toutes  pièces  à  Haïphong  pour  la  montée  des  rivières  du  Tonkin. 

C'est  un  de  ces  navires,  appartenant  à  la  Compagnie  des  Messageries 
fluviales,  dont  les  bateaux  sillonnent  la  contrée,  qui  nous  conduira  en 
quinze  heures  à  Hanoï.  Il  me  faudrait  plusieurs  journées  pour  vous  pro- 
mener dans  la  ville  et  ses  environs,  vous  montrer  partout  les  résultats 
étonnants  obtenus  en  peu  d'années  par  des  colons  énergiques  et  tra- 
vailleurs; le  parti  qu'on  a  su  tirer  de  quelques  produits  déjà  utilisés,  le 
dressage  qui  a  été  fait  d'indigènes,  bien  dilïérents  de  nous,  mais  labo- 
rieux et  intelligents,  mis  avec  succès  à  des  travaux  entièrement  nouveaux 
pour  eux;  le  temps  me  presse,  et  pourtant  vous  éprouveriez,  j'en  suis 
sûr,  un  bien  légitime  sentiment  d'orgueil  national  à  visiter  l'imprimerie, 
la  typographie  et  la  fabrique  de  papier  de  MM.  Schneider,  la  fabrique 
■d'allumettes  de  M.  Courtois,  les  filatures  de  soie  de  MM.  Dorel  et  Bour- 
goin-MeilTre,  les  broches  à  coton  nouvellement  arrivées  de  ce  dernier,  les 
ateliers  de  confection  de  M.  Charpentier,  que  sais-je?  Plus  loin  le  Jar- 
din botanique,  dirigé  avec  tant  d'intelligence  et  à  si  peu  de  frais  par 
M.  Martin,  jardin  où  chacun  peut  trouver  à  un  extrême  bon  marché  les 
jeunes  plants  nécessaires  à  tous  les  essais;  et,  plus  loin  encore,  à  quel- 
ques heures  de  bateau,  les  carrières  de  marbre  et  les  cultures  de  café  de 
Kécheu,  dirigées  par  les  frères  Guillaume;  le  vaste  établissement  agricole 
créé  par  le  regretté  monseigneur  Puginier,  dont  la  figure  plane  dans  l'his- 
toire de  la  colonisation  française  en  Indo-Chine  au-dessus  des  partis  et  des 
croyances  ;  les  plantations  de  coton  du  Syndicat  anglo-français  et  tant  d'en- 
treprises diverses  dont  la  mise  en  œuvre  suffit  seule  à  réduire  à  rien  les 
dénégations  de  ceux  qui  refusent  à  la  race  gauloise  le  génie  colonisateur. 

Je  m'arrête  ici  pour  essayer  de  répondre  à  une  question  que  je  sens 
posée  sur  les  lèvres  de  chacun. 

—  Si  l'on  a  déjà  tant  fait,  me  direz- vous,  que  reste-t^il  à  faire? 

Beaucoup,  tout  même,  et  c'est  là  que  j'arrive  au  revers  de  la  médaille. 

Hong-Hay,  Haïphong,  Hanoï,  et  une  zone  environnante  ne  constituent 
pas  tout  le  Tonkin  ;  à  droite  et  à  gauche  s'étend  le  Delta,  oij  la  popula- 
tion grouille,  le  Delta  fertile  avec  ses  rizières;  et  au-dessus  du  Delta,  les 
plateaux  encore  non  cultivés  ;  plus  haut  encore  les  collines  couvertes  de 
forêts.  Dans  ces  régions  le  colon  ne  se  fixe  pas  ;  c'est  à  peine  s'il  les  par- 
court de  temps  à  autre. 

A  part  les  charbonnages  et  quelques  gisements  d'antimoine,  proches 
de  ces  derniers,  les  mines  ne  sont  pas  exploitées. 

Les  grandes  cultures  ne  sont  guère  tentées  ;  de  vastes  espaces  de  terre 
arable  sont  encore  vierges  du  contact  de  nos  charrues. 


S48  GÉOGRAPHIE 

Tandis  qu'à  l'ouest,  nous  voyons  les  Anglais  aller  chercher  leurs  rubis 
dans  les  districts  les  plus  reculés  de  la  haute  Birmanie,  ou  faire  descendre 
leurs  radeaux  de  teck  de  forêts  éloignées  ;  tandis  qu'au  sud  les  Néerlan- 
dais retirent  de  leurs  vallées  des  centaines  de  millions  sous  la  forme  de 
feuilles  de  tabac  ou  de  balles  de  sucre;  tandis  qu'à  l'est,  les  Espagnols  de 
Manille  chargent  des  navires  entiers  de  chanvre  dit  de  Manille  ou  de  jute, 
pour([uoi  nos  compatriotes  du  Tonkin  ne  produisent-ils  que  sur  une  si 
petite  échelle  encore?  Pourquoi  ne  se  hasardent-ils  guère  en  dehors  d'une 
bande  de  terrain  si  étroite,  alors  que  le  pays  est  si  grand? 

C'est,  dira-t-on,  qu'il  y  a  peu  de  routes;  que  les  capitaux  manquent; 
que  beaucoup  de  préventions  qui  ont  accompagné  l'occupation  du  Tonkin 
subsistent  encore.  Tout  ceci  est  exact;  et  pourtant  là  n'est  pas  encore  la 

vraie  réponse  : 

Nous  sommes  en  retard,  parce  que  le  pays  n'est  jms  encore  pacifié. 
Les  pirates  sont  partout.  Leur  existence  est  la  cause  de  notre  faiblesse. 

Des  travaux  dans  une  mine  ont-ils  été  interrompus?  une  récolte  dé- 
truite? un  convoi  arrêté?  un  commerçant  a-t-il  disparu?  Chaque  malheur, 
chaque  catastrophe,  chaque  désastre  est  l'œuvre  des  pirates,  force  invisible 
mystérieuse,  sans  cesse  combattue  et  renaissant  sans  cesse  de  ses  propres 
débris,  semblable  à  ces  annélides  dont  les  tronçons  sectionnés  à  l'infini 
reforment  toujours  des  corps  nouveaux. 

Il  ne  m'appartient  pas  de  faire  ici  une  étude  de  la  piraterie,  de  vous 
montrer  la  différence  entre  les  contrebandiers  et  les  rebelles,  d'examiner 
les  sentiments  qui  les  animent,  les  moyens  d'en  venir  à  bout;  c'est 
'parmi  nous  qu'il  faut  chercher  la  raison  de  leur  durée  et  de  leur  force  ; 
on  ne  peut  la  préciser  et  on  la  trouverait  un  peu  partout  :  dans  l'éta- 
blissement de  la  ferme  d'opium,  qui  fait  naître  les  contrebandes;  dans 
le  peu  d'unité  d'action;  dans  la  trop  longue  rivalité  qui  s'est  produite 
entre  les  pouvoirs  civils  et  militaires;  dans  le  trop  petit  nombre  de  troupes 
européennes. 

Dans  une  contrée  grande  comme  la  France,  où  nous  ne  pouvons  pas 
opposer  à  douze  millions  d'habitants  plus  de  trois  mille  soldats  français, 
une  position  obtenue  ne  peut  être  gardée  ;  tout  est  sans  cesse  à  recom- 
mencer; est-on  parvenu  à  acculer  Lou-Ky  dans  le  Dong-Trieu,  quil 
faut  l'abandonner,  lui  laissant  les  moyens  de  se  reconstituer,  pour  porter 
l'attaque  dans  le  Yen-'ihé  ;  et  ces  opérations  sur  la  rive  gauche  du  tleuve 
Rouge  permettront,  à  l'ouest,  aux  bandes  du  Doc  Ngu  de  gagner  du 
terrain  et  d'infliger  de  sérieux  échecs  à  nos  troupes,  trop  faibles  sur  ce 

point. 

Je  devrais  mentionner  encore  ici  la  difficulté  des  communications  ;  je 
sais  que  nous  devons  au  gouverneur  général  la  construction  de  nom- 
breuses routes;  mais  il  reste  sur  ce  point  beaucoup  à  faire;  ne  serait-il 


HENKI   d'oRLKANS.— EXCURSION  EN  INDO-CHINE  — DE  HANOÏ  A  BANGKOK      849 

pas  temps  de  songer  à  des  chemins  de  1er,  de  commencer  des  travaux 
plus  sérieux  que  ceux  du  Decau ville  qui  doit  transporter  les  marchan- 
dises de  Phu-lang-Thuong  à  Lang-Son,  et  dont  le  spectacle  est  un  scandu/e, 
il  faut  dire  le  mot,  exposé  à  la  vue  de  tout  voyageur  venant  au  Tonkin; 
je  regrette  d'avoir  laissé  écliapper  ce  mot,  et  pourtant  après  vous  avoir 
montré  22  kilomètres  de  voie  de  60  centimètres  posés  en  deux  ans,  je 
voudrais  pouvoir  vous  transporter  en  Birmanie  et  mettre  sous  vos  yeux 
i20  kilomètres  de  voie  d'un  mètre  établis  en  un  an  dans  la  vallée  de 
riraouaddy,  entre  Rangoon  et  Mandalay.  Les  chiffres  parlent;  ils  seraient 
encore  plus  éloquents  si  nous  abordions  le  chapitre  des  dépenses. 

La  recherche  des  causes  de  la  piraterie  vient  de  m'entrainer  plus  loin 
que  je  n'aurais  voulu,  et  pourtant  je  voudrais,  avant  de  la  quitter,  vous 
indiquer  un  autre  aspect  de  la  question  :  celui  de  notre  situation  entre  la 
Chine  et  le  Siam  ;  des  deux  côtés  du  Tonkin,  la  frontière  est  ouverte, 
et  nos  voisins  ont  tout  intérêt  à  soutenir  les  pirates;  les  proteslalions 
de  bonne  amitié  du  Tsong-li-Yamen  ou  de  la  cour  du  Siam  sont  fré- 
quentes; je  veux  bien  que  Pékin  et  Bangkok  ne  soient  pour  rien  dans  les 
agissements  de  leurs  provinces  frontières  des  nôtres;  mais  est-ce  une 
raison  pour  nous  de  laisser  passer  des  faits  graves  sans  rien  dire? 

Xe  pouvons-nous  demander  ce  que  sont  devenus  les  assassins  de 
M.  Haitce?  ne  nous  dounera-t-on  pas  des  explications  sur  la  présence  en 
Chine,  près  de  Mong-Kay,  au  printemps  de  cette  année,  de  deux  Euro- 
péens, trafiquant  avec  Lou-Ky  de  nos  fusils  Lebel  ?  et  pourquoi  laisser 
Tuyet,  à  Canton,  toucher  une  pension  de  300  piastres  par  mois,  du 
Tonkin,  alors  que  nous  venons  de  céder  à  la  Chine,  sur  sa  prière,  un 
mandarin  fuyard  du  Céleste  Empire,  qui  s'était  rendu  à  nous  avec  ses 
armes,  se  fiant  à  notre  parole? 

Et  à  Bangkok,  pourquoi  ne  pas  redemander  les  chefs  annamites  faits 
prisonniers,  en  1891,  sur  notre  propre  territoire?  Pourquoi  ne  pas  élever 
la  voix  lorsque  les  Siamois  insultent  notre  drapeau  et  nos  représentants, 
ou  font  venir  chez  eux,  pour  leur  prêter  secrètement  serment,  des  chefs 
nniongs,  dépendant  de  nous  directement? 

Pour  les  Orientaux,  comme  pour  d'autres,  d'ailleurs,  le  silence  équivaut 
souvent  à  l'aveu  d'impuissance. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'étudier  des  sujets  aussi  com- 
plexes sur  lesquels  j'avais  voulu  simplement  attirer  votre  attention. 

Mon  désir  de  rester  impartial,  qui  me  les  a  fait  aborder,  m'oblige, 
après  ces  mots  de  critiques,  d'indiquer  certaines  considérations  qui 
dégagent  singulièrement  notre  responsabilité. 

Nous  ne  devons  pas  oublier  que  la  piraterie  a  été  la  plaie  endémique  du 
Tonkin  avant  notre  venue,  que  nous  sommes  dans  un  pays  montueux, 
coupé,  broussailleux,  rocheux,  difficile,    en  présence  de  douze  millions 

54* 


850  GÉOGRAPHIE 

d'hommes,  et  que  nous  n'y  sommes  que  depuis  six  ans.  Si  nous  nous  repor- 
tons aux  efforts  que  nous  avons  dû  faire,  aux  soldats  que  nous  avons  sacritiés, 
à  l'argent  qu'il  nous  a  fallu  employer,  et  pendant  de  longues  années,  en 
Algérie,  nous  reconnaîtrons  que  nous  ne  sommes  pas  au  Tonkin  dans 
une  position  anormale.  Loin  de  désespérer  de  l'état  de  choses,  nous 
saurons  nous  imposer  de  nouveaux  sacrifices  et  les  supporter  avec 
patience,  en  raison  de  la  grandeur  du  but  à  atteindre  :  donner  à  la  patrie 
dans  l'Extrême-Orient  ce  qu'elle  a  déjà  de  l'autre  côté  de  la  Méditerranée; 
faire  une  seconde  France  aux  portes  de  la  Chine  ;  créer  à  côté  de  l'empire 
anglais,  sur  les  bords  du  Pacifique,  un  empire  français  solide,  durable, 
riche;  tel  est  le  résultat  que  nous  voulons  atteindre,  et  l'édifice  sera 
impérissable,  parce  que  ses  pierres  de  taille  sont  faites  des  os,  et  son  ciment 
du  sang  des  Français! 


LA    RIVIERE   NOIRE.  —   LES    CULTURES    ET    LES    HABITANTS.  —   LES    VOIES 

COMMERCIALES. 

Nous  venons  de  faire  peut-être  un  trop  long  séjour  dans  le  bas  Tonkin. 
Le  temps  me  manque,  et  pourtant  je  désirerais  vous  faire  entrevoir  un 
coin  du  haut  pays.  Pour  être  bref,  et  vous  épargner  les  ennuis  d'un 
voyage  souvent  fatigant,  marqué  de  peu  d'incidents  saillants,  laissez-moi 
vous  transporter  à  Laïchau,  le  poste  français  le  plus  reculé  sur  la  rivière 
Noire,  à  six  journées  de  marche  de  la  frontière  de  Chine.  Nous  sommes 
à  la  fin  de  février,  le  thermomètre  marque  11  à  15  degrés  la  nuit,  et  de 
''lo  à  45  degrés  dans  l'après-midi,  suivant  qu'on  est  à  l'ombre  ou  en 
plein  soleil. 

La  montée  de  la  rivière  Noire  m'a  pris  dix-huit  jours  :  on  fait  route  en 
pirogues  poussées  à  la  perche,  ou  halées  à  la  cordelle  ;  en  comptant  les 
arrêts  dans  les  postes  et  les  excursions  à  droite  et  à  gauche,  j'ai  par- 
couru pendant  trente-cinq  jours  la  vallée  du  Song-Bo. 

Les  eaux  sont  basses  et  les  rapides  nombreux;  c'est  par  douze  ou 
quinze  que  je  les  ai  parfois  comptés  dans  la  même  journée  ;  les  rives  sont 
montueuses,  généralement  couvertes  de  forêts  épaisses  ou  de  bambous  ; 
les  schistes  qui  forment  ces  collines,  rarement  interrompus  par  des 
granits,  font  plus  souvent  place  à  de  hautes  falaises  calcaires,  à  pic,  qui 
encaissent  le  courant  et  le  dominent  parfois  de  plusieurs  centaines  de 
mètres.  Les  crêtes  sont  souvent  si  rapprochées  que  c'est  à  peine  si  elles 
laissent  passer  un  mince  filet  de  jour  qui  vienne  au  fond  de  la  gorge, 
tout  en  bas,  montrer  au  batelier  la  direction  à  prendre  au  milieu  des 
bouillons  écumants  du  torrent.  Rien  de  plus  beau  et  en  même  temps  de 
plus  terrible  que  ces  longs  et  profonds  couloirs  d'érosion  dont  les  deux 


HENRI  d'ORLÉANS.  —  KXCURSIOîS  E.\  INDO-CHINE  —  DE  HANOÏ  A  BANGKOK      851 

parois,  portant  encore  l'empreinte  l'un  de  l'autre,  semblent  avoir  été 
violemment  séparés  dans  des  temps  relativement  récents.  Nous  sommes 
en  présence  de  cette  formation  de  calcaire  carbonifère,  unique  en  son 
genre,  je  crois,  qui.  donnant  naissance  aux  îlots  bizarres  et  à  la  fois 
grandioses  des  baies  de  Fitz-Along  et  d'Along,  s'étend  à  travers  le 
Tonkin  et  vient  former  ici,  au  milieu  des  plateaux,  des  cirques  naturels, 
véritables  atolls,  rappelant  les  récifs  polynésiens  :  c'est  au  fond  de  ces 
cuvettes  qu'on  rencontre  les  alluvions  aurifères,  peut-être  produites  par 
la  décomposition  des  schistes.  Tel  semble  du  moins  être  le  cas  des  sables 
de  Molou,  à  quelques  journées  de  Sonia,  sur  la  rive  droite  de  la  rivière. 

Le  rendement  ne  m'a  pas  paru  ici  très  grand;  quelques  lavages  que  j'ai 
fait  faire  m'ont  donné  une  moyenne  de  un  gramme  un  dixième  d'or  à 
la  tonne;  il  est  vrai  que  les  travaux  exécutés  à  la  main,  sans  l'emploi 
du  mercure,  sont  grossiers,  mais  je  ne  m'explique  pourtant  les  bénéfices 
obtenus  jadis  par  les  patrons  chinois  à  la  tête  de  près  de  huit  cents 
ouvriers,  avant  l'arrivée  des  Pavillons-Noirs,  que  par  le  bon  marché  de  la 
main-d'œuvre;  les  travailleurs  étaient  payés  avec  de  l'opium. 

Si  l'or  donne  peu,  ici  les  gisements  de  cuivre  semblent  devoir  être  plus 
productifs;  j'ai  vu  des  échantillons  de  cuivre  presque  pur  d'un  poids  de 
près  de  douze  kilos,  provenant  du  plateau  de  Tafine;  des  chefs  m'ont 
dit  qu'on  y  trouve  des  blocs  de  près  d'un  mètre  cube;  d'autres  minerais  de 
cuivre  fort  riches  ont  été  récoltés  sur  la  rive  droite  de  la  rivière  Noire, 
presque  en  face  du  confluent  du  Nam-Ma;  dans  cette  région  on  trouve 
également  de  nombreuses  mines  de  plomb  argentifère.  Comme  dans  la 
basse  rivière  Noire,  j'ai  constaté  des  traces  de  charbon,  sans  avoir  de 
données  sur  la  richesse  possible  du  gisement,  ou  la  qualité  du  combustible 
des  couches  inférieures. 

Des  mines  étaient  jadis  exploitées  dans  les  pays  de  Deo  Van  Tri 
autour  de  Laichau;  on  y  cherchait  du  cuivre  et  du  plomb  pour  la 
consommation  locale;  plus  tard,  les  pirates  y  prirent  la  matière  de  leurs 
balles,  et  maintenant  abandonnées,  ces  exploitations  attendent  pour  être 
reprises  par  l'élément  français  que  les  voies  de  communication,  devenues 
plus  praticables,  rendent  le  transport  moins  coûteux. 

Ce  n'est  pas  seulement  des  mines  que  les  provinces  du  pays  muong 
sont  appelées  à  tirer  leurs  richesses  :  les  hauts  plateaux  élevés  sur  des 
assises  calcaires,  exposés  à  une  température  plus  constante  que  dans  le 
Delta,  conviendront  à  des  cultures  diverses.  Déjà  le  coton  y  pousse  partout, 
sans  aucun  soin,  comme  une  mauvaise  herbe.  Après  un  incendie 
préalable,  il  est  semé  par  les  indigènes  qui,  dès  lors,  ne  s'en  occupent  plus 
que  pour  la  récolte;  les  arbustes  atteignent  un  mètre  cinquante.  La  pro- 
duction poursuivie  est  limitée  aux  simples  besoins  de  consommation  de 
l'habitant.  Mais  le  colon  qui  se  fixerait  dans  ces  régions  ne  devrait  pas 


852  GKOGRAFHIE 

oublier  que  les  Chinois  du  Yunnan  s'en  viennent  chercher  le  colon  jusque 
dans  les  Étals  chans  de  la  Birmanie,  en  faisant  vingt-cinq  et  trente 
étapes  de  caravane  pour  rapporter  leurs  balles  à  la  capitale.  Ils  payent 
ainsi,  si  l'on  accepte  les  chiffres  donnés  par  Halelt,  plus  d'un  franc  de 
transport  par  livre.  De  Yen-Bay,  sur  le  fleuve  Rouge,  ou  de  Van-Bou,  sur 
la  rivière  Noire,  à  Yunnan-Sen,  le  prix  serait  près  de  moitié  du  précédent. 
Pour  ne  rien  omettre  ici,  je  devrais  mentionner  la  concurrence  que  nos 
filés  pourraient  faire  à  ceux  qui  viennent  de  Shanghaï  jusqu'à  iVlong-Tzé, 
ville  située  à  douze  jours  de  Laïchau  et  à  cinq  de  Lao-Kaï. 

A  côté  des  plantes  indigènes,  que  de  cultures  nouvelles  à  introduire  ! 
Un  simple  coup  d'œil  sur  les  Indes  néerlandaises  suffirait  à  nous  montrer 
les  résultats  qu'a  su  atteindre  un  travail  persévérant  et  opiniâtre;  je 
n'en  veux  qu'un  chiffre  pour  exemple  :  une  seule  compagnie  de  tabac,  à 
Bornéo,  produit  par  an  pour  plus  de  80  millions  de  francs. 

Le  terrain  est  bon,  les  herbages  hauts;  des  bestiaux  pourront  égale- 
ment trouver  leur  nourriture  sur  les  plateaux  du  haut  Tonkin. 

Plantation  ou  herbage,  quoi  qu'y  tente  le  colon,  il  ne  sera  pas  restreint 
à  une  zone  étroite;  son  entreprise  pourra  être  développée  à  loisir,  car  les 
mêmes  conditions  de  terrain,  d'altitude  et  de  climat  se  répètent  sur  un 
vaste  espace,  des  deux  côtés  de  la  rivière  Noire,  depuis  le  Bavi  jusqu'à 
Laïchau,  pour  ne  parler  que  de  l'ouest  du  Tonkin;  près  de  ce  dernier 
poste,  le  plateau  atteint  1.600  mètres.  J'y  ai  vu  la  température  descendre 
à  —  4  degrés  la  nuit;  le  froment,  le  maïs,  les  arbres  fruitiers  y  donnent 
d'excellents  résultats.  C'est  peut-être  le  plateau  Tafine,  ainsi  nomme-t-on 
ces  hauteurs,  qu'on  donnera  un  jour  comme  sanatorium  à  nos  troupes  et 
aux  colons  anémiés;  ils  y  trouveront  un  climat  européen. 

Au-dessous  des  rochers  calcaires  se  développent  généralement  les 
grandes  forêts  vierges  au  milieu  desquelles  domine  le  gigantesque  ficus, 
aux  racines  étalées  comme  les  tentacules  d'un  poulpe  démesuré;  de  nom- 
breuses essences  pourraient  être  exploitées.  Près  de  Laïchau,  se  rencontre, 
m'a  assuré  un  chef  du  pays,  le  teck,  ce  bois  si  précieux,  qui  est  appelé 
à  disparaître  d'ici  à  quelques  années  des  forêts  de  Siam. 

Les  arbres,  et  du  reste  toute  la  flore  de  la  région  avoisinant  le  Song-Bo, 
se  rapprochent  des  espèces  de  Cochinchine  et  de  Malaisie;  il  n'en  est 
pas  de  même  de  la  faune  qui  parait  tenir  de  près  à  celle  de  l'Hymalaya. 
Il  semble  qu'une  même  zone  de  vie  animale  commençant  aux  monts 
du  nord  de  l'Inde,  s'étend  à  travers  l'Assam,  les  États  laotiens,  pour 
aboutir  sur  la  rivière  Noire  et  le  fleuve  Rouge,  se  laissant  à  peine 
entamer  par  les  faunes  de  Chine  au  nord  et  de  la  péninsule  au  sud. 

Champ  d'études  particulièrement  intéressant  pour  les  naturalistes,  la 
partie  du  Tonkin  comprise  entre  le  Delta  et  le  Yunnan  a  encore  plus 
d'attraits    pour   l'ethnographe    et  l'historien.    Dans    la   péninsule   indo- 


HENRI  d'orLÉANS.  —  EXCURSION  EN  INDO-CHINE  —  DE  HANOÏ  A  BANGKOK      853 

chinoise,  en  eftet,  peut-être  plus  que  dans  l'Inde,  ils  trouveront  la  solution 
des  grands  problèmes  qu'ont  fait  naître  les  migrations  des  peuples 
d'Extrême-Orient  ;  ils  y  verront  l'aborigène  coudoyant  le  conquérant, 
souvent  sans  se  mêler  à  lui  ;  ils  feront  sortir  de  la  foule  où  ils  se  trou- 
vent ensevelis  et  questionneront  encore  les  débris  des  anciens  empires 
que,  peu  à  peu,  a  démembrés  ou  détruits  l'invasion  chinoise;  ils  sauront, 
au  milieu  des  éléments  les  plus  divers,  démêler  la  langue  et  l'histoire 
propre  de  chacun;  travail  lourd  et  difficile,  que  le  savant  peut  entreprendre 
dès  maintenant,  et  pour  lequel  il  est  du  devoir  de  chacun  de  porter  sa 
somme  de  renseignements. 

Bien  que  la  classification  soit  loin  d'être  faite,  on  s'accorde  générale- 
ment à  reconnaître,  en  partant  du  bas  pays,  les  éléments  suivants  : 

D'abord,  à  la  limite  du  Delta,  le  Moi,  peut-être  autochtone  du  Tonkin, 
refoulé  par  le  Giao-Chi.  Plus  loin  le  Thaï,  rameau  de  la  branche  laotienne 
et  siamoise,  encore  vierge  des  traditions  bouddhistes  et  adonné  aux 
croyances  primitives  des  esprits;  sur  les  hauteurs,  les  sauvages  yunna- 
nais,  les  Méos  au  large  turban,  portant  chez  les  femmes,  comme  parmi 
les  Lolos,  la  petite  jiipe  plissée  ;  avec  les  Yaos,  dont  les  manuscrits  hiéro- 
glyphiques préoccupent  l'ethnographe  à  un  si  haut  point,  ils  paraissent 
d'origine  quangtoungnaise  ;  les  Khas,  au  teint  foncé,  population  inférieure 
et  de  petite  taille,  apparentés  aux  Penombs  et  aux  Stiengs  du  Cambodge 
et  du  bas  Laos,  frères  des  Négritos  d'Australie,  semblent  former  l'élément 
le  plus  ancien,  aborigène  peut-être  de  l'Indo-Chine. 

La  question  des  races  de  la  péninsule  est  trop  complexe,  trop  peu 
connue,  et  moi-même  suis  trop  ignorant  en  la  matière  pour  vous  en 
entretenir  plus  longtemps. 

Avant  d'aborder  le  Laos,  il  importe  d'examiner  ce  que  la  rivière  Noire 
peut  promettre  comme  voie  de  communication;  à  mon  avis,  un  grand 
mouvement  commercial  ne  pourra  s'y  créer  d'ici  bien  longtemps  ;  à  un 
développement  dans  ce  sens  s'opposent  le  trop  grand  nombre  de  rapides, 
la  lenteur  de  la  montée  qui  ne  peut  pas  même  être  tentée  pendant 
plusieurs  mois  de  l'année,  les  dangers  de  la  navigation  (nos  postes  en 
savent  quelque  chose),  le  prix  des  transports. 

Le  Laos,  ainsi  que  je  me  propose  de  vous  le  dire  ultérieurement,  peut 
d'ailleurs  être  atteint  par  un  chemin  plus  court  et  à  moins  de  frais. 

Le  Song-Bo  n'est  qu'un  fort  torrent  comparé  au  fleuve  Rouge  et  vous 
savez  déjà  toutes  les  difficultés  que  la  Compagnie  des  Messageries  fluviales 
a  trouvées  à  envoyer  ses  bateaux  jusqu'à  Lao-Kaï,  en  dépit  du  courage  et 
de  l'opiniâtreté  qu'elle  a  apportés  dans  cette  entreprise. 

En  dehors  du  ravitaillement  de  nos  postes,  la  voie  de  la  rivière  Noire 
peut  être  utilisée  pour  la  mise  en  communication  du  district  chinois  de 
Ibang  avec  le  Tonkin;  les  rapports  sont  déjà  établis  ;  M.  Bourgoin-Meifîre, 


834  GÉOGRAPHIE 

que  sa  hardiesse  et  sa  persévérance  peuvent  placer  au  premier  rang  des 
pionniers  de  la  colonisation  française  au  Tonkin,  a  conclu  un  traité 
avec  l'intelligent  chef  de  Laï,  Deo  Van  Tri,  pour  la  descente  du  thé, 
appelé  de  Puehr;  plus  de  150  piculs  ont  déjà  pris  la  route  de  Hanoï. 

Les  deux  parties  contractantes  sont  également  satisfaites  de  leur  marché; 
et  un  courant  tend  à  s'établir  pour  emmener  le  commerce  de  cette  partie 
du  Yunnan  vers  le  Tonkin. 

Je  suis  heureux  de  vous  signaler  ce  résultat  qui,  espérons-le,  n'est  que 
le  point  de  départ  d'un  commerce  plus  important;  reste  à  charger  les 
pirogues  qui  ont  descendu  le  thé  jusqu'à  Cho-Bo,  d'articles  français  pour 
Ibang,  et  ainsi  sera  créé  un  mouvement  d'échanges  entre  la  Chine  et 
Hanoï  par  la  rivière  Noire. 


LE  LAOS.  —  LA  FORMATION  d'uN  PEUPLE.  —  LE  COMMERCE  UE  LA  CONTREE 

De  Laïchau,  deux  routes  principales  peuvent  mener  au  Mékong  :  l'une 
au  nord,  pénible,  montueuse,  longue,  traverse  durant  vingt-huit  jours  les 
Sibsompanas  et  finit  par  atteindre  Xien-Houng.  Cet  itinéraire  me  semble 
bien  tentant  avec  les  mulets  que  m'offre  Deo  Van  Tri,  et  peut-être  aurais-je- 
le  moyen  de  pousser  à  l'ouest  du  grand  fleuve  jusqu'au  passage  de 
Kunlon  sur  le  Salouen  et  gagner  la  route  de  Theinni  à  Bhamo.  C'est 
bien  à  regret  que  je  me  vois  forcé,  par  des  circonstances  indépendantes  de 
ma  volonté  (la  saison  trop  avancée,  le  manque  de  temps  et  surtout  le 
défaut  d'un  bon  interprète),  de  renoncer  à  ce  projet. 

Dix-huit  jours,  dont  trois  d'arrêt  au  poste  français  de  Dieu-Bien- fou, 
me  conduisent  par  la  route  du  sud  à  Luang-Prabang  ;  plus  courte  que  la 
voie  du  nord,  cette  dernière  ne  lui  cède  en  rien  pour  les  difficultés  qu'elle 
oppose  au  trafic:  étroite,  accidentée,  mal  débroussaillée  sur  terre,  sur 
l'eau,  elle  est  coupée  de  plus  nombreux  et  de  plus  dangereux  rapides 
que  ceux  de  la  rivière  Noire  ;  les  membres  de  la  mission  Pavie  ne  sont 
pas  sans  se  souvenir  du  courant  du  Nam-Ou,  et,  encore  maintenant, 
M.  Massie,  qui  me  précède  de  huit  jours,  y  fait-il  deux  fois  naufrage, 
perdant,  sauf  une,  toutes  ses  caisses. 

Passé  de  deux  jours  le  poste  de  Dien-Bien-fou,  on  se  trouve  déjà  en 
territoire  siamois,  ou  du  moins  effectivement  occupé  par  des  postes  sia- 
mois. Ici  commencement  des  difficultés  d'un  nouvel  ordre  pour  le 
voyageur  qui  n'est  muni  que  d'un  simple  passeport,  rempli  à  Hanoï, 
papier  comportant  toute  la  série  des  peines  que  le  gouvernement  siamois 
est  en  mesure  de  lui  infliger  ;  il  n'y  a  pas  de  tracasseries  qui  ne  soient 
imaginées  contre  lui,  et,  pour  pouvoir  continuer,  force  lui  sera  de  passer 
sous  les   fourches  caudines  de  l'arbitraire  en  se  résignant  à  donner  les 


HENRI  d'oRLÉANS.  —  EXCURSION  EN  INDO-CHINE  —  DE  HANOÏ  A  BANGKOK      855 

prix  les  plus  déraisonnables  aux  coolies,  sous  peine  d'être  laissé  en  place. 
Je  n'avance  ici,  Messieurs,  que  des  faits.  Nos  commerçants  n'ont  pas 
même  la  ressource  d'invoquer  les  traités.  Celui  de  1867,  qui  nous  assure 
la  libre  navigation  du  Mékong,  semble  être  lettre  morte.  De  quelque 
côté  que  nous  cherchions  à  aborder  le  fleuve,  il  nous  faut  un  passeport, 
c'est-à-dire  un  permis  du  Siam.  Ceci  dit,  revenons  au  Nam-Ou. 

Quatre  heures  au-dessous  de  son  confluent  avec  le  Mékong,  sur  les 
bords  de  ce  fleuve,  s'étale  la  petite  ville  de  Luang-Prabang,  capitale  de 
l'État  laotien  de  ce  nom.  Luang-Prabang  est  le  centre  le  plus  important, 
sur  le  Mékong  depuis  Pnom-Penh  jusqu'à  Xien-Houng  et  même  au  delà  ; 
on  y  compte  de  douze  à  quatorze  mille  âmes  :  nous  sommes  loin  des 
soixante-iiix  mille  dont  nous  parlait  M'"'  PallegoiK. 

Malgré  le  petit  chitfre  de  la  population,  quinze  jours  et  même  plus  passés' 
au  milieu  d'elle  ne  sont  pas  perdus  pour  le  voyageur.  Nous  sommes  en 
effet,  ici,  en  présence  d'une  race  intelligente,  formant  un  tout  autonome, 
vivant  de  ses  propres  lois,  ayant  son  esprit  et  ses  mœurs  à  elle  ;  les  Lao- 
tiens ne  sont  pas  encore  en  contact  direct  avec  notre  civilisation  euro- 
péenne, qui,  qualifiée  de  bienfaisante,  ne  fait  que  démorahser  et  détruire 
lorsqu'elle  s'attaque  à  des  races  inférieures. 

A  qui  veut  bien  regarder,  les  voyages  n'enseignent  pas  seulement  la 
géographie,  ils  montrent  comment  l'histoire  s'est  faite.  Les  peuples  passent 
par  une  série  de  phases  analogues  qui  sont  comme  les  âges  de  leur  vie. 
On  retrouvera  chez  ceux  qui  sont  moins  avancés  que  nous  les  périodes 
correspondant  à  celles  qu'ont  traversées  nos  ancêtres. 

Si  l'un  de  vous  a  suivi  mon  ami  M .  Bonvalot  dans  son  récit  au  Lob- 
Nor,  il  aura  certes  songé  malgré  lui  à  la  fondation  de  Rome  ou  de  telle 
autre  cité,  en  voyant  dans  l'oasis,  auprès  d'anciens  pâturages  transformés 
en  champs,  une  ville  s'élever,  construite  par  des  nomades  devenus 
sédentaires. 

Ici",  ce  n'est  pas  une  ville  que  nous  verrons  bâtir,  c'est  un  peuple  qui 
se  formera  d'éléments  divers,  isolés  jadis  les  uns  des  autres,  groupés 
maintenant  par  les  mêmes  intérêts  et  une  défense  commune.  Il  semble 
que  nous  soyons  à  l'âge  des  petites  républiques  grecques.  Ne  reconnaissons- 
nous  pas  un  citoyen  d'Athènes,  dans  ce  Laotien  indépendant  d'humeur, 
instruit,  brillant  causeur,  paresseux,  qui  passe  son  temps  à  faire  passer 
sa  chique  de  bétel  d'une  joue  à  l'autre  tout  en  chantant  ou  en  récitant 
des  vers  aux  jeunes  filles,  tandis  que  ses  esclaves  les  Khas,  moins  mal- 
heureux que  les  Ilotes  de  Sparte,  travaillent  la  terre  pour  lui?  S'il  n'est 
pas  bon,  le  Laotien,  il  n'est  pas  méchant  non  plus  ;  ni  bien  riche,  ni 
bien  pauvre;  les  fortunes  ne  sont  guère  tranchées  dans  cette  contrée 
singulière,  dont  les  lois  n'ont  pour  but  que  d'assurer  la  libre  pratique  de 
l'amour  et  où,  il  y  a  quelques  années    encore,    un    règlement  interdisait 


856  GÉOGRAPHIE 

d'enrôler  un  jeune  homme  parce  que  la  meilleure  partie  de  sa  vie  devait 
être  consacrée  à  rendre  les  jeunes  filles  heureuses. 

Assurément,  vous  penserez  que  cet  amour,  ce  culte  de  la  femme 
engendreront,  comme  chez  les  Grecs,  le  sentiment  du  beau.  Il  n'en  est 
rien;  pourquoi?  Problème  grave,  dont  la  solution  est  peut-être  si  in- 
timement jointe  à  la  caractéristique  de  la  race  jaune,  qu'on  ne  peut 
l'isoler. 

Les  sémites  connaissent-ils  l'art  proprement  dit  dans  ce  qu'il  a  de  plus 
élevé  hors  de  l'industrie?  Je  ne  le  crois  pas.  Comme  le  Chinois,  le  Lao- 
tien ne  se  sent  pas  le  besoin  d'idéal  qui  nous  agite  ;  il  ne  tend  pas  vers 
l'au-delà.  C'est  par  le  matérialisme  pratique  qu'il  se  rapproche  donc  de 
r  «  enfant  de  Han  »  ;  mais  là  est  peut>être  le  seul  point  commun.  Une 
paresse  innée  d'un  côté,  l'esprit  de  travail  de  l'autre  ;  ici  l'indifférence  en 
matière  d'argent,  pourvu  que  le  nécessaire  soit  assuré;  là  le  désir  cons- 
tant du  lucre,  le  sacrifice  de  tout  le  reste  à  l'ambition  de  s'enrichir  sont 
autant  de  traits  qui  séparent  nettement  les  deux  frères .  Avoir  de  quoi 
vivre  suffît  au  Laotien;  la  richesse,  à  ses  yeux,  ne  compense  pas  l'effort  à 
donner  pour  l'obtenir. 

Cette  tendance  d'esprit,  chez  les  habitants,  fera  forcément  du  Laos  un 
mauvais  débouché  pour  nos  produits,  surtout  pour  les  articles  français 
qui,  supérieurs  aux  camelotes  anglaises  ou  allemandes,  ne  peuvent  riva- 
liser de  bon  marché  avec  celles-ci.  A  Luang-Prabang,  c'est  à  peine  si 
quelques  Chinois,  débitant  les  articles  européens,  arrivent  à  réaliser  de 
minces  bénéfices.  Leurs  marchandises  viennent  de  Bangkok,  par  voie  de 
Korat  et  Non-Kay,  ou  d'Outaradit  et  Paklay,  et,  dans  leurs  stocks,  je  ne 
vois  la  marque  française  que  sur  quelques  boutons,  et  sur  des  bouteilles 
d'encre,  provenant  de  la  mission  Macey.  Encore  se  plaignent- ils  de  les 
vendre  difficilement;  pour  pouvoir  lutter  avec  avantage  contre  les  Alle- 
mands et  les  Anglais,  il  nous  faudrait  produire  et  fabriquer  en  vue  de 
l'Extrême-Orient  l'article  d'exportation;  c"est  ce  que  nous  n'avons  pas 
encore  fait.  Bien  que  n'admirant  pas  les  Chinois,  je  leur  crois  pourtant 
une  compétence  commerciale  de  premier  ordre  et  je  m'en  rapporterais 
assez  volontiers  aux  réponses  à  mes  questions,  invariablement  les  mêmes 
depuis  Luang-Prabang  jusqu'à  Bangkok. 

«  Pourquoi  ne  vendez-vous  pas  des  articles  français  ?  —  Trop  beau  et 
trop  cher.  » 

Pauvres  acheteurs,  les  Laotiens  n'ont  eux-mêmes,  maintenant,  que 
peu  de  produits  indigènes  à  écouler:  le  benjoin,  dont  l'importance 
diminue  avec  la  baisse  du  prix;  des  racines  et  des  peaux  pour  médecines 
chinoises,  des  teintures,  de  la  cardamome,  de  l'ivoire,  des  bois  de  cerf 
et  des  cornes  de  buffle. 

Les  chiffres  fournis  par  quatre  commerçants  chinois  établis  à  Paklay 


HENRI  d'orLÉANS. — EXCURSION  EN  INDO -CHINE  — DE  HANOÏ  A  BANGKOK      857 

nindiqueraient,  tout  compris,  qu'un  envoi  annuel  à  Bangkoiv  de  sept  à 
huit  tonnes  de  ces  produits. 

L'or  n'est  guère  acheté,  étant  vendu  par  les  indigènes  plus  de  trente 
fois  son  poids  d'argent.  Le  teck  n'est  pas  encore  exploité  ;  un  essai  de 
transport  de  ses  troncs  par  voie  du  Mékong  va  être  tenté  par  les  deux 
Français  résidant  à  Luang-Prabang. 

En  somme,  si  l'on  songe  que  cette  principauté  est  considérée  comme 
une  des  parties  les  plus  peuplées  du  Laos,  on  sera  amené  à  conclure  que 
le  commerce  dans  la  contrée  ne  peut  actuellement  donner  de  grands 
résultats.  Cette  opinion  que  je  me  suis  faite  sur  place  demande  à  être 
appuyée  sur  quelques  chiffres;  je  serais  heureux  de  livrer  ceux  que  j'ai 
pu  noter  à  la  connaissance  des  intéressés  ;  mais  un  travail  en  ce  sens 
me  semble  devoir  prendre  place  ailleurs  qu'ici. 

LE  SIAM  ET  SES  PROGRÈS.  —  NOS    FRONTIÈRES    ET   NOS   DROITS 

Ayant  terminé  ce  que  je  me  proposais  de  vous  dire  du  Laos  propre- 
ment dit,  il  ne  me  reste  plus  qu'à  gagner  Bangkok  par  le  plus  court 
chemin;  quatre  jours  par  eau,  dix  étapes  à  éléphant  et  dix  journées  sur 
le  Meïnam  et  nous  arriverons  à  la  capitale  de  Siam. 

Combien  cette  route  du  retour  me  semble  différente  de  celle  que  je 
viens  de  prendre  à  la  montée!  Le  Mékong  est  descendu  jusqu'à  Paklay 
sur  de  grands  et  confortables  radeaux  où  l'on  peut  se  promener  et  se 
tenir  debout;  à  éléphant,  la  fatigue  n'est  due  qu'à  la  monture  elle-même; 
mais  la  route  est  bonne,  droite,  courant  à  travers  des  futaies  aux  arbres 
-espacés  ;  durant  le  trajet  entre  les  deux  grands  fleuves,  mon  baromètre  ne 
marque  pas  de  différences  de  niveau  de  plus  de  deux  cents  mètres  ;  enfin 
«ur  le  Meïnam,  la  descente  se  fait  tranquille,  sans  aucun  rapide  ;  elle  est 
si  aisée  qu'aux  hautes  eaux  les  vapeurs  remontent  sans  obstacle  jusqu'à 
Pitchaï.  Avec  la  facilité  des  moyens  de  communication  diminuent  les  frais 
de  transport;  en  comparant  les  frais  à  la  montée,  ceux  au  retour,  et 
ceux  qui  me  sont  fournis  sur  les  autres  routes,  je  puis  formuler  l'assertion 
suivante  : 

La  voie  la  plus  économique  pour  l'envoi  d'une  tonne  de  marchandises 
européennes  à  Luang-Prabang  est  actuellement  celle  de  Bangkok,  et  elle 
restera  telle,  jusqu'à  ce  que  des  vapeurs  français,  franchissant  les  rapides 
de  Khôn.  viennent  porter  notre  pavillon  à  côté  de  celui  qu'arborent 
actuellement  les  canonnières  de  Siam,  ou  qu'un  chemin  de  fer  de  Vint  à 
Houten  mette  en  communication  directe  le  golfe  du  Tonkin  et  les  rives  de 
Mékong  ;  il  en  est  malheureusement  des  chemins  de  fer  comme  des 
vapeurs,  des  vapeurs  comme  des  cartes  ;  tandis  que  nous  faisons  des  pro- 


858  GÉOGRAPHIE 

jets,  ou  que  nous  tirons  des  plans  sur  le  papier,  le  Siam  parle  moins,. 
mais  agit,  et,  à  cette  heure,  les  premiers  travaux  sont  déjà  entrepris 
pour  la  voie  ferrée  de  Bangkok  à  Korat,  Si  nous  restons  inactifs  et 
laissons  les  Anglais  prendre,  au  nom  de  la  fraternité,  les  intérêts  du  Siam, 
poser  avec  désintéressement  sans  doute  ses  rails  jusqu'à  Korat,  puis 
pousser  plus  loin  jusqu'à  Non-Kay,  sans  opposer,  de  notre  côté,  une 
entreprise  semblable  sur  notre  territoire,  ce  sera  fait  de  l'avenir  de  la 
France  sur  le  Mékong  ;  nous  n'aurons  plus  qu'à  replier  bagage  et  nous> 
contenter  de  quelques  ports  sur  la  côte  d'Annam. 

En  fait,  nous  en  sommes  bien  un  peu  là,  et  je  voudrais  à  ce  sujet 
pouvoir  vous  mettre  sous  les  yeux  deux  cartes  que  j'ai  devant  moi  en 
écrivant  ces  lignes  :  l'une  est  de  M.  Macey,  du  syndicat  du  haut  Laos  ; 
elle  a  paru  dans  le  premier  numéro  du  Bulletin  de  la  Société  de  géographie 
commerciale  de  1892  ;  ici  l'Indo-Chine  française,  marquée  d'une  teinte 
rose,  maculée  de  rondelles  et  de  drapeaux  tricolores,  non  seulement 
s'étend  jusqu'à  la  rive  gauche  du  Mékong,  aux  Sibsompanas,  mais  plus 
bas,  passe  sur  la  rive  droite,  comprend  les  principautés  de  Luang-Pra- 
bang,  de  Nan,  puis  rejoint  la  limite  du  Cambodge  en  englobant  Korat. 
Il  est  très  facile  de  marquer  des  possessions  sur  un  atlas.  Tant  qu'à  faire, 
j'aurais  voulu  étendre  notre  influence  jusqu'au  golfe  du  Bengale...  sur  le- 
papier.  Je  qualifie  ce  genre  de  carte  d'imaginaire. 

Déployons,  à  côté  de  ces  dernières,  cdle  du  Siam,  par  le  topographe 
anglais  Mac  Carthy,  nous  trouverons  la  frontière  du  Siam  suivant  la  ligne 
de  faîte  des  eaux  du  Mékong  et  du  golfe  du  Tonkin,  enserrant  ainsi,  à 
partir  du  Cambodge,  tout  le  bassin  du  grand  fleuve,  dont  non  seulement 
la  rive,  mais  les  affluents  de  gauche  ne  seraient  pas  sous  notre  pouvoir  ; 
il  ne  nous  resterait  qu'une  bande  d'à  peine  une  trentaine  de  kilomètres 
de  large  sur  la  côte  d'Annam . 

En  dépit  des  paroles  prononcées  le  26  octobre  1891  à  la  tribune,  la 
carte  anglo- siamoise  est  exacte  ;  elle  indique  simplement  ce  qui  est.  Si 
nous  pouvons  y  relever  une  erreur,  en  ce  qui  concerne  le  poste  de  Theng, 
en  revanche,  elle  est  au-dessous  de  la  vérité  du  côté  du  Cambodge,  puis- 
qu'elle n'englobe  pas  la  pointe  du  Samit,  où  un  poste  siamois  a  été 
établi  en  plein  territoire  français.  Strung-Treng,  sur  la  rive  gauche  du 
Mékong,  a  son  commissaire  siamois  et  le  pouvoir  de  Siam  s'étend  sur 
Attopeu,  sur  le  plateau  des  Pou'on,  des  Boloven,  etc.  Nos  rivaux  font 
même  sentir  sur  ces  régions  leur  autorité  d'une  manière  effective  et  à 
nos  dépens.  Le  département  des  affaires  étrangères  en  est  certainement 
informé. 

Reprenons  la  même  carte  et  jetons  les  yeux  à  l'ouest,  du  côté  de  la 
haute  Birmanie  :  pas  une  ligne  de  délimitation,  pas  de  frontière  marquée; 
les  Anglais  se  gardent  un  champ  libre  sur  le  haut  Mékong.  N'ont-ils  pas 


HENRI  d'oRLÉANS.  —  EXCURSION  EN  INDO-CHINE  —  DE  HANOÏ  A  BANGKOK      8o9* 

déjà  obtenu  soumission  de  l'État  indépendant  de  Xien-Tong;  et  le  lieute- 
nant Ehlers,  qui  vient  de  passer  à  Xien-Tong,  ne  nous  dit-il  pas  que  cette 
principauté  paye  tribut  à  Ja  Chine  et  à  l'Angleterre?  Les  visées  de  lord 
Lamington,  si  nous  n'y  prenons  garde,  seraient  près  de  se  réaliser.  Un 
Français,  qui  venait  de  descendre  le  Mékong  à  Luang-Prabang,  m'a 
raconté  avoir  déjà  trouvé  l'influence  anglaise  s'établissant  à  Mong-Yu, 
État  à  cheval  sur  le  Mékong,  entre  Xiangsen  à  Xianghoung.  Il  est  vrai  que 
M.  Archers  et  lord  Lamington  y  ont  séjourné  un  mois.  .Nos  voisins  d'outre- 
Manche  seraient  donc  sur  le  point,  si  ce  n'est  déjà  un  fait  accompli,  de 
franchir  cette  rive  du  Mékong,  à  laquelle  nous  avons  des  droits  incontes- 
tables, mais  non  défendus  par  nous  et  dont  nous  sommes  encore  loin  ! 

11  est  enfin  une  troisième  carte  qu'il  nous  faudrait  consulter  ici,  celle 
de  l'Annam,  en  1838,  par  M'""  Taberd,  rééditée  dans  Y  Empire  d'Annam 
de  Sylvestre  :  nous  y  retrouverions  les  droits  de  l'État  dont  nous  nous 
sommes  engagés  à  défendre  la  politique  extérieure  ;  il  serait  intéressant 
d'examiner  au  profit  de  qui  nous  avons  laissé  ainsi  s'amoindrir,  sans 
protester,   l'empire  de  Già-Long  qui  avait  confié  ses  intérêts  à  la  France. 

Le  Laos  est  pauvre,  je  le  sais  ;  à  mon  avis,  le  commerce  a  plus  à  gagner 
en  cherchant  à  pénétrer  en  Chine  par  les  belles  voies  naturelles  qui 
s'ouvrent  à  son  expansion  à  travers  le  Tonkin  ;  mais  à  côté  de  la  ques- 
tion commerciale  se  dresse  la  question  politique.  Sans  négUger  le  présent, 
il  faut  songer  à  l'avenir,  et  que  penser  d'une  armée  qui  chercherait  à 
engager  la  bataille  sans  garder  ses  derrières? 

Protecteurs  des  droits  de  l'Annam,  nous  devons  les  faire  valoir  et 
montrer  à  nos  ambitieux  voisins  que  la  possession  de  la  rive  gauche  du 
Mékong,  indiquée  par  un  de  nos  ex-ministres  à  ses  agents  comme  le 
minimum  de  nos  prétentions,  n'est  pas  une  simple  déclaration,  mais  que 
telle  est  la  volonté  du  peuple  français. 

Avant,  Messieurs,  de  vous  remercier  de  l'attention  que  vous  avez  bien 
voulu  me  prêter,  je  veux  vous  dire  quelques  mots  du  résultat  personnel 
de  mon  excursion  :  parti  avec  le  désir  de  voir  et  de  regarder  le  plus 
possible,  d'amasser  le  plus  de  documents,  de  renseignements,  de  maté- 
riaux, d'informations  que  je  trouverais,  j'ai  pu  rapporter  une  série  de 
huit  cent  cinquante  photographies  contenant  des  types  de  face  et  de  profil 
des  différentes  peuplades  que  j'ai  rencontrées;  quelques  itinéraires  parti- 
culiers encore  imparfaitement  relevés  ;  des  collections  d'histoire  naturelle 
comprenant  une  vingtaine  de  mammifères,  deux  cent  cinquante  oiseaux, 
quelques  poissons  ;  de  nombreux  lépidoptères  ;  cent  cinquante  espèces  de 
plantes;  une  série  de  roches  et  de  minerais;  une  collection  ethnographique 
de  costumes,  d'instruments  divers  ;  quelques  manuscrits  ;  enfin,  j'ai  réuni 
des  échantillons  accompagnés  des  prix  de  vente  des  articles  européens 
que  j'ai  trouvés  sur  les  marchés;  et  j'ai  joint  à  ceux-ci  des  spécimens 


860  .        GÉOGRAPHIE 

des  différents  produits  indigènes  dont  il  me  semble  que  nous  puissions 
tirer  un  profit. 

Je  me  permets  d'énumérer  ces  quelques  résultats,  si  minimes  qu'ils 
soient,  de  mon  voyage,  parce  que  je  compte  les  réunir  bientôt  en  une  petite 
exposition  à  Paris,  et  que  je  serais  très  heureux  de  les  tenir  à  la  dispo- 
sition de  qui  voudrait  les  consulter.  Mon  but  est  avant  tout  de  contribuer 
pour  ma  part  à  répandre  parmi  nous  la  connaissance  de  nos  colonies 
d'Extrême-d'Orient  et  de  vulgariser  l'idée  du  grand  avenir  de  l'Indo-Chine 
française  qui  nous  est  offerte,  si  nous  voulons  en  profiter. 


M.  E.   SCHEÂDER 

Directeur  des  Services  cartographiques  de  la  Maison  Hachette,  à  Paris, 


LES   LEVÉS    DES    PYRÉNÉES-  —  TRANSFORMATION    DE   L'OROGRAPHE 

EN  TACHÉOGRAPHE 


—  Séance  du  17  septembre  1892  — 

M.  Schrader  présente  l'ensemble  des  levés  qu'il  a  effectués  dans  les 
Pyrénées  espagnoles  depuis  vingt  ans  environ.  Il  rappelle  que,  depuis 
1881 ,  année  où  il  présenta  à  la  session  d'Alger  son  orographe,  il  a  per- 
fectionné cet  instrument  et  quadruplé  à  peu  près  l'étendue  de  son  tra- 
vail. La  bande  de  tracés  au  g^^,  que  M.  Schrader  déploie  devant  la  réu- 
nion, mesure  environ  4'", 50  de  longueur  sur  un  mètre  en  moyenne  de 
hauteur  ;  c'est  l'équivalent  de  la  moitié  de  la  Suisse  ou  des  trois  quarts 
de  la  Belgique . 

En  réponse  aux  questions  des  membres  présents,  M.  Schrader  analyse 
la  partie  de  la  chaîne  pyrénéenne  qui  figure  sur  ses  levés.  11  fait  ressortir 
les  traits  les  plus  saillants  de  Torographie  pyrénéenne  et  les  rapproche  de 
la  contexture  géologique  de  la  chaîne,  en  même  temps  qu'il  dépose  sur 
le  bureau  une  brochure  extraite  de  Y  Annuaire  du  club  alpin  français 
intitulée  :  Aperçu  de  la  géologie  des  Pyrénées,  et  pour  laquelle  il  a  col- 
laboré avec  M.  Emm.  de  Margerie. 

Sur  la  demande  du  Président,  M.  Schrader  donne  quelques  détails  sur 
le  nouvel  instrument  qu'il  vient  de  faire  construire  et  auquel  il  donne  le 
nom  de  tachéographe.  Le  tachéographe  est,  pour  ainsi  dire,  une  trans- 
formation de  l'orographe;  mais,   tandis  que  l'orographe  est  destiné  au 


F.  SCHRADER.  —  LES  LEVÉS  DES  PYRÉNÉES  8()1 

lové  des  régions  peu  accessibles  par  l'intersection  graphique  de  rayons 
menés  de  points  différents,  le  lachéographe  aborde  le  problème  par  un 
tout  autre  côté  et  inscrit  graphiquement  l'emplacement  de  tout  point 
visé,  pourvu  que  ce  point  soit  accessible  au  porteur  d'une  mire  de 
dimension  connue.  Par  la  création  du  tachéographe,  M.  Schrader  a 
cherché  à  obtenir  le  tracé  direct  des  directions  et  des  distances,  c'est-à- 
dire,  en  dernière  analyse,  le  tracé  direct  du  plan  et  du  nivellement.  11 
supprime  ainsi  toutes  les  opérations  du  levé  et  passe  directement  de  la 
visée  au  résultat.  Pour  y  arriver,  M.  Schrader  s'est  borné  à  matérialiser 
les  trois  éléments  de  toute  visée  dirigée  vers  un  point  quelconque  : 
l'élément  vertical,  qui  correspond  à  la  différence  de  niveau;  l'élément 
horizontal,  qui  correspond  à  la  distance  planimétriqae  ;  enfin  l'hypoté- 
nuse de  ce  triangle  rectangle,  qui  correspond  à  la  direction  du  rayon 
visuel.  Trois  organes  glissant  à  frottement  doux  et  susceptibles  de 
prendre  toutes  les  positions  amenées  par  la  direction  du  rayon  visuel 
correspondent  aux  trois  côtés  du  triangle  tracé  à  chaque  instant  dans 
l'espace  par  la  ligne  de  visée  et  les  deux  autres  côtés  vertical  et  hori- 
zontal. Pour  déterminer  l'échelle  du  plan,  c'est-à-dire  le  rapport  du 
triangle  matérialisé  avec  le  triangle  réel,  il  suffît  que  chaque  longueur 
développée  de  l'hypoténuse  corresponde,  par  un  artifice  très  simple,  avec 
un  écartement  proportionnel  des  deux  fils  d'un  micromètre  mobile 
situé  dans  l'axe  de  la  lunette.  L'écartement  des  fils  pour  chaque  longueur 
de  l'hypoténuse  est  proportionnel  à  la  dimension  apparente  d'un  objet 
connu  situé  à  l'extrémité  du  rayon  visuel;  la  longueur  du  côté  hori- 
zontal sera  proportionnelle  à  la  distance  planimétrique  de  cet  objet,  la 
longueur  du  côté  vertical  à  la  différence  de  niveau  entre  le  point  de 
station  et  l'objet.  La  distance  s'inscrira  automatiquement  sur  le  plateau 
circulaire  de  l'appareil,  la  différence  de  niveau  se  lira  directement  sur 
une  échelle  verticale  à  l'aide  d'un  vernier.  L'opération  du  levé  sera  donc 
instantanée;  quant  à  la  vérification,  les  trois  règles  étant  graduées,  elle 
se  fera  instantanément,  chaque  fois  qu'on  le  désirera,  par  la  lecture 
simultanée  du  carré  de  la  longueur  développée  sur  l'hypoténuse  et  de 
la  somme  des  carrés  du  développement  des  deux  autres  côtés  du  triangle. 
En  somme,  l'instrument  nouveau  de  M.  Schrader  ne  renferme  pas  autre 
chose  que  la  réalisation  directe  des  théorèmes  très  simples  et  universelle- 
ment connus  qui  ont  servi  de  tout  temps  à  la  mesure  du  triangle  rectangle 
et  au  calcul  géométrique  de  la  surface  du  terrain.  Il  est  remarquable  que, 
pour  obtenir  un  résultat  aussi  complet,  l'inventeur  du  nouvel  appareil 
n'ait  eu  qu'à  revenir  pour  ainsi  dire  au  point  de  départ  de  la  topographie 
et  à  donner  une  existence  matérielle  aux  lignes  et  aux  proportions  qui" 
n'étaient  prises  avant  lui  que  comme  éléments  géométriques. 


862  GÉOGRAPHIE 


M.  J.  &AÏÏLTIER 

Éditeur  géographe,  à  Paris. 


LES  LEVERS  TOPOGRAPHIQUES   PAR  LA   MÉTHODE  PHOTOGRAPHIQUE 


—  Séance  du  17  septembre  i892  — 

Les  méthodes  employées  pour  lever  les  plans  topograpliiques  sont  peu 
nombreuses;  elles  relèvent  toutes  des  mêmes  principes  :  la  mesure  directe 
des  distances  et  l'observation  des  angles. 

Les  opérations  effectuées  sur  le  terrain  sont  délicates,  l'installation  des 
instruments  nécessite  de  grandes  précautions,  les  lectures  des  résultats, 
les  croquis  demandent  une  attention  soutenue  que  les  variations  du  temps 
rendent  souvent  difficiles. 

Une  méthode  qui  réduirait  ces  inconvénients,  qui  simplifierait  les  opé- 
rations du  terrain,  offrirait  de  grands  avantages,  puisqu'elle  éliminerait 
des  chances  d'erreurs. 

La  photographie  remplit  ce  but. 

Étant  donnée  une  image  des  contrées  à  lever,  est-il  possible  d'en  déduire 
un  plan  topographique  ?  Tel  est  le  problème  à  résoudre. 

De  multiples  expériences  ont  été  entreprises  en  France  et  à  l'étranger; 
les  travaux  de  M.  le  colonel  Laussedal  sur  cette  question,  l'historique 
qu'il  en  fait  dans  ses  ouvrages  montrent  que  cette  application  de  la  pho- 
tographie au  lever  des  plans  a  son  berceau  en  France  et  que  les  premières 
tentatives  datent  d'une  trentaine  d'années  environ. 

La  question  de  la  réfection  du  cadastre  ayant  été  posée,  le  problème 
présentait  un  nouvel  intérêt.  Il  fallait,  étant  données  des  exigences  tech- 
niques nouvelles,  établir  une  méthode  offrant  toute  garantie  de  précision, 
dune  application  facile  et  présentant  des  résultats  économiques  satis- 
faisants , 

Ce  sont  les  moyens  employés  pour  satisfaire  à  ces  conditions  qui  sont 
exposés  dans  cette  note  et  que  nous  allons  décrire  sommairement  : 

Tout  d'abord,  cette  méthode  ne  peut  être  assimilée  à  ce  qui  existe; 
elle  dérive  de  principes  ayant  la  photographie  pour  base. 

Comme  elle  ne  s'applique  qu'aux  levers  de  grande  étendue,  le  terri- 
toire de  la  commune  servira  d'unité  et  de  champ  d'expérience. 


J.    GAULTIER.   —    LES    LEVERS    TOPOGRAPHIQUES  863 

Supposant  un  territoire  communal  de  10  kilomètres  carrés,  on  divi- 
sera ce  territoire  en  sections  mesurant  environ  100  hectares.  Les  sections, 
leur  configuration  sont  déterminées  suivant  la  structure  topographique 
du  terrain,  en  rapport  avec  les  exigences  photographiques.  Ainsi,  en  vue 
des  opérations  d'ensemble,  on  s'assurera  que  trois  ou  quatre  stations 
choisies  sont  bien  en  vue  les  unes  des  autres  et  se  relient  avec  les  sta- 
tions des  sections  voisines. 

Aux  stations  photographiques,  des  signaux  sont  installés;  ils  sont 
constitués  par  un  mât  blanc  et  noir  de  4  mètres  environ  de  hauteur, 
soutenant  une  voile  blanche,  triangulaire,  portant  une  grande  lettre  noire. 
D'autres  signaux  formés  par  des  jalons  de  l'^jSO  de  hauteur,  portant 
un  voyant  blanc  sur  lequel  un  numéro  noir  est  inscrit,  sont  posés  aux 
angles  des  parcelles,  aux  changements  de  direction  des  voies  de  commu- 
nication, des  cours  d'eau;  aux  angles  des  maisons,  entin,ils  indiquent 
tous  les  lieux  utiles  à  la  construction  du  plan. 
Le  terrain  est  ainsi  géométriquement  analysé. 

L'instrument  de  photographie  employé  est  composé  d'une  chambre 
noire,  métallique,  munie  d'un  objectif  aplanétique  embrassant  un  grand 
angle,  4o  degrés.  A  la  face  opposée  est  installé,  à  poste  fixe.  Tunique 
châssis  destiné  à  contenir  les  glaces. 

La  partie  photographique  de  l'instrument  est  placée  sur  un  plateau 
tournant  sur  un  socle  circulaire,  muni  de  vis  calantes.  Le  tout  est  sup- 
porté par  un  pied  à  pompe,  à  translation. 

L'instrument  est  muni  de  niveaux  qui  en  assurent  l'horizontalité  et 
de  pièces  accessoires  servant  au  réglage  de  l'appareil. 

Après  la  mesure  d'une  base  située  entre  deux  stations,  opération  effec- 
tuée avec  toute  garantie  d'exactitude,  les  travaux  photographiques  sont 
entrepris. 

On  commence  par  l'un  des  termes  de  la  base.  L'instrument,  mis  en 
station,  est  placé,  à  l'aide  de  niveaux  et  de  vis  calantes,  dans  un  plan 
horizontal. 

Chaque  glace  placée  dans  le  châssis  embrasse  un  angle  de  oO  grades  ; 
huit  glaces  forment  donc  un  tour  d'horizon.  Le  cercle  fixe,  portant  une 
vis  d'arrêt,  divise  en  huit  parties  égales  le  cercle  supérieur;  chaque  glace 
trouve,  par  conséquent,  sa  place  vraie  dans  le  tour  d'horizon. 
A  l'autre  terme  de  la  base,  on  opère  de  même. 

On  poursuit  ainsi,  à  chacune  des  stations,  l'opération  photographique; 
chacune  d'elles  comportant,  soit  un  tour  d'horizon  complet,  soit  une 
partie  seulement. 

C'est  ainsi  qu'on  désigne  par  points  de  premier  ordre  ceux  qui  com- 
prennent   un  tour  entier  ou  huit  glaces  ;    points  de  second  ordre,  les 
_  points  ne  comportant  qu'une  portion  de  tour,  et  enfin  points  de  troi- 


864  GÉOGRAPHIE 

sième  ordre  ceux  qui,  n'étant  pas  stations,  acquièrent  une  position  par- 
faitement déterminée  par  plusieurs  recoupements  successifs. 

Lorsque  la  disposition  du  terrain  exige  de  petites  opérations  partielles, 
on  choisit  des  points  auxiliaires  marqués  par  des  jalons  placés  convena- 
blement ;  on  distingue  ces  nouveaux  points  en  ajoutant  au  signal  un 
disque  blanc  et  noir. 

Plusieurs  sections  sont  préparées  à  l'avance,  afm  de  permettre  à  l'opé- 
ration photographique  de  se  poursuivre  sans  interruption. 

Otant  les  jalons  dans  les  sections  terminées,  on  laissera  les  signaux 
des  stations  ainsi  que  les  jalons-limites  de  sections  ;  ceux-ci  portent  à 
leur  partie  supérieure  un  triangle  blanc  et  noir. 

L'opération  sur  le  terrain  est  terminée,  le  travail  de  cabinet  commence. 

On  procédera  au  développement  des  glaces  en  employant  l'hydro- 
quinone.  Très  peu  développées,  les  images  présenteront  une  finesse 
extrême,  une  clarté  excessive  dans  les  détails  et  des  horizons  très  purs. 

Une  machine  spéciale  permet  de  développer  un  grand  nombre  de 
plaques  dans  un  court  espace  de  temps. 

Les  clichés  sont  ensuite  classés. 

Un  tableau  indicateur  portant  le  nom  de  la  commune,  le  numéro  de 
la  section,  la  lettre  de  la  station,  le  numéro  du  cliché  et  enfin  la  date 
de  l'opération,  a  été  posé  devant  l'instrument  de  photographie  à  chaque 
partie  de  tour  d'horizon  ;  le  cliché  porte  donc  toutes  les  désignations 
utiles  à  son  classement. 

On  mettra  à  part  les  clichés  de  chaque  section,  les  divisant  par  sta- 
tions et  enfin  par  numéros  d'ordre. 

On  pourra  ensuite  construire  le  plan. 

Le  détail  de  la  construction  nécessitant  de  longs  développements,  il 
suffira  d'en  énoncer  le  principe. 

Les  traces  des  plans,  vertical  et  horizontal,  passant  par  l'axe  optique 
de  l'instrument,  sont  marquées  sur  la  feuillure  du  châssis  sur  laquelle 
s'applique  la  glace  photographique  ;  ces  traces  sont  donc  indiquées  sur 
chaque  cliché.  Les  lignes  qui  en  dérivent  ont,  par  conséquent,  une  même 
origine.  Telle  est  la  raison  pour  laquelle  un  seul  châssis  est  utilisé  ;  elle 
rend  nécessaire  l'emploi  d'une  tente-laboratoire  dans  laquelle  on  change 
les  plaques  photographiques  :  elle  suit  l'instrument  pendant  les  opérations. 

Étant  données  la  ligne  horizontale  marquée  sur  le  cliché  et  la  ligne 
d'intersection  des  deux  plans,  horizontal  et  vertical,  qui  se  confond  avec 
l'axe  optique  de  l'objectif,  on  considère  la  première  comme  étant  la 
tangente  d'un  cercle  dont  la  seconde  est  le  rayon;  plus  tard,  on  déter- 
minera la   valeur  de  ce  rayon. 

Si,  de  tous  les  points  signalés  sur  le  terrain  et  qui  figurent  sur  les 
clichés,  on  abaisse  sur  la  ligne  horizontale  du  cliché  des  lignes  perpendi- 


J.    GAULTIER.    —    LES   LEVERS   TOPOGRAPHIQUES  865 

culaires  à  cette  dernière,  on  obtiendra  la  projection  horizontale  de  chacun 
des  points  signalés.  Ce  sont  ces  points,  ou  plutôt  leurs  traces,  qui  servi- 
ront à  la  construction  du  plan. 

Dans  cette  méthode,  le  plus  grand  obstacle  résidait  dans  la  construc- 
tion, non  par  les  difficultés  qu'elle  offre,  mais  parce  qu'il  est  nécessaire, 
pour  obtenir  une  grande  exactitude,  de  faire  concorder  la  précision  pho- 
tographique avec  les  procédés  graphiques. 

On  peut  donc  dire  sûrement,  et  les  faits  le  prouvent,  que  si  d'intéres- 
santes tentatives  ont  été  faites,  tant  en  France  qu'à  l'étranger,  si  elles 
n'ont  fourni  que  des  résultats  incomplets,  cela  tient  à  ce  que  la  rnéthode 
graphique  n'a  pas  été  assez  étudiée,  que  les  données  photographiques 
précises  ont  toujours  été  mal  reportées. 

De  là  la  défaveur  dans  laquelle  le  principe  même  est  demeuré  et 
l'oubli  auquel  il  était  voué. 

Ce  sont  ces  procédés  graphiques  qui  ont  été  scrupuleusement  étudiés, 
ils  ont  été  portés  au  plus  haut  degré  de  perfection  et  mis  en  rapport 
avec  la  précision  photographique. 

11  a  fallu  écarter  les  instruments  de  dessin  en  usage,  le  crayon,  le 
tire-ligne,  et  n'employer  que  la  pointe  très  finement  aiguisée.  Le  dessin 
se  grave  sur  une  substance  qui  se  laisse  peu  influencer  par  les  varia- 
tions atmosphériques,  la  toile  cirée.  Les  plus  grands  écarts  hygromé- 
triques ne  font  guère  varier  de  plus  de  0"^000l  une  ligne  d'un  mètre. 
Tracée  à  la  pointe  sur  une  toile  cirée  blanche,  la  ligne  apparaît  fine  et 
précise,  lorsqu'elle  a  été  frottée  légèrement  avec  un  tampon  imprégné 
d'une  poudre  colorante.  Toute  ligne  tracée,  soit  sur  le  cliché,  soit  sur 
la  toile  cirée,  ne  mesure  guère  plus  d'un  vingtième  à  un  vingt-cin- 
quième de  millimètre. 

Ceci  établi,  le  travail  devient  facile. 

Reprenant  le  principe  même  de  la  méthode,  on  imagine  aisément 
comment  sont  constitués  les  tours  d'horizon.  Ceux-ci  sont  formés  par 
huit  tangentes  de  longueurs  difTérentes,  limitées  par  des  sécantes  cor- 
respondant chacune  à  des  points  communs  de  raccords.  Ces  raccords 
sont  pris  sur  des  détails  des  clichés,  représentés  par  des  points  précis, 
jalons,  clochers,  cheminées,  pignons  de  maisons,  etc. 

l^e  rayon  du  cercle,  fonction  de  la  tangente,  connu  approximativement, 
est  détermmé  avec  la  dernière  exactitude  au  moyen  de  trois  opérations 
de  tâtonnement. 

Lorsque  le  rayon  du  cercle  est  connu,  les  tangentes  sont  tracées  ainsi 
que  la  projection  des  points  signalés.  Par  chacun  de  ces  points  et  par 
le  centre  du  cercle,  on  fait  passer  des  lignes  droites  qui  représentent  les 
directions  vraies  des  points  utiles.  Il  est  de  toute  nécessité  que  la  règle 
employée  soit  en  acier  et  qu'elle  soit  constamment  vérifiée. 

55* 


866  GÉOGRAPHIE 

Il  n'y  a  dans  cette  méthode  aucune  lecture  à  faire,  rien  à  apprécier; 
un  point  toujours  vérifiable  est  donné,  il  détermine  une  direction. 

Il  est  à  remarquer  que  ce  point  est  placé  sur  la  tangente  d'un  cercle 
de  0'°,3014  de  rayon,  lequel  rayon  représente  à  l'échelle  cadastrale  d'un 
millième,  une  longueur  de  301'°, 4. 

La  station  voisine  est  l'objet  d'un  travail  semblable.  Les  mêmes  points 
signalés  et  de  nou^-eaux  points  ont  leur  direction  déterminée.  Le  point 
de  rencontre  de  deux  directions  appartenant  au  même  signal  donne  la 
position  de  ce  signal. 

D'une  autre  station,  la  direction  de  ce  même  signal  est  donnée  et  ce 
nouveau  recoupement  de  vérification  tombe  au  même  point;  il  en  est 
ainsi  pour  un  troisième,  un  quatrième  recoupement.  Que  les  points 
soient  rapprochés  des  stations  ou  qu'ils  soient  éloignés  ou  même  situés 
à  de  grandes  distances,  les  résultats  restent  identiques. 

Mais,  d'une  méthode  quelconque,  on  ne  peut  en  apprécier  la  précision 
que  si  on  compare  les  mesures  prises  sur  le  plan  aux  longueurs  cor- 
respondantes mesurées  sur  le  terrain  entre  des  points  fixes.  Si,  à  l'échelle 
d'un  millième,  on  fait  cette  vérification  dans  toutes  les  directions  du 
plan,  on  constate  une  précision  rigoureuse.  La  différence  flotte  entre 
4  et  S  centimètres  sur  des  longueurs  quelconques;  c'est-à-dire  que  cette 
erreur  s'applique  aussi  bien  à  une  distance  de  10  mètres  qu'à  des  dis- 
tances de  100.  500  et  1.000  mètres.  En  outre,  cette  erreur  ne  se  trans- 
met pas,  elle  ne  se  propage  pas,  elle  ne  s'additionne  pas.  Si,  par  suite 
d'une  erreur,  un  point  offre  une  position  indécise,  il  ne  porte  aucun 
préjudice  aux  autres  points,  lui  seul  est  moins  bon,  car  il  ne  peut  y  avoir 
de  point  irrémédiablement  mauvais. 

Ces  appréciations  sont  le  fruit  d'expériences  et  d'essais  souvent  répé- 
tés ;  c'est  par  la  suite  non  interrompue  de  résultats  concluants  qu'on  a 
été  conduit  à  propager  cette  méthode  qui  est  appelée  à  rendre  d'impor- 
tants services. 

Facilité  d'opérer  sur  le  terrain,  travail  de  bureau  peu  pénible,  réduc- 
tion du  temps  dans  l'ensemble  des  opérations,  par  conséquent  économie 
dans  les  dépenses,  telles  sont  les  qualités  fondamentales  de  la  méthode 
photographique,  indépendantes  de  la  précision  qui  atteint  un  haut  degré. 
Si.  au  point  de  vue  scientifique,  la  méthode  photographique  appliquée 
à  la  topographie  est  intéressante  et  destinée  à  rendre  de  grands  services 
aux  sciences  géographiques,  quelle  importance  n'acquiert-elle  pas  quand 
on  considère  l'œuvre  qui  se  prépare,  la  réfection  du  cadastre  français! 

Là,  tous  les  facteurs  acquièrent  une  importance  considérable,  la 
moindre  erreur  dans  les  fondements  de  l'opération  compromet  l'œuvre 
elle-même.  11  est  de  toute  nécessité  d'envisager  nettement  la  grandeur 
de  l'opération  et  de  lui  opposer  des  moyens  suffisants.  Dans  les  grandes 


CH.    LALLEMAND.  DÉTERMINATION    DU    NIVEAU    .MOYEN    DE    LA    MER      867 

choses,  il  ne  faut  mettre  à  profit  que  de  grandes  idées,  sinon,  nul 
résultat. 

C'est  ainsi  que  la  méthode  photographique  doit  être  la  base  du  cadastre 
nouveau;  elle  doit,  dans  un  laps  de  temps  relativement  restreint,  doter 
la  France  d'une  carte  aussi  précise  dans  les  détails  que  dans  l'ensemble; 
elle  doit  encore  donner  ces  résultats  en  absorbant  la  moindre  dépense. 

Malgré  les  obstacles  qu'on  érigera  de  tous  côtés,  malgré  la  funeste 
routine,  quoi  qu'il  advienne  enfin,  ces  résultats  seront  acquis  et  ce  sera 
une  gloire  nouvelle  pour  notre  pays  d'avoir  montré,  une  fois  encore,  le 
chemin  du  progrès  scientifique. 


M.  CL  LALLEMÂÎfl) 

Ingénieur  en  chef  du  Service  du  Nivellement  général  de  la  France,  à  Paris. 


LA    DÉTERMINATION    DU    NIVEAU   MOYEN  DE    LA    MER   PAR    LE    MÉDIMARÉMÈTRE 


Séance  du  77  septembre  1892  — 


Onde 


On  sait  l'intérêt  qu'il  y  a  pour  la  géodésie,  la  navigation  et  la  géologie  à 
connaître  le  niveau  moyen  de  la  mer  le 
long  des  côtes.  Les  comptes  rendus  de 
la  session  de  Marseille,  en  1891,  con- 
tiennent l'intéressante  description  d'un 
observatoire  spécial  créé  dans  ce  port, 
depuis  quelques  années,  pour  l'étude 
des  mouvements  de  la  mer,  et  dans  le- 
quel un  ingénieux  appareil,  appelé 
warégraphe  totalUaleur,  fait  automati- 
quement le  calcul  du  niveau  moyen. 
Mais  cet  instrument,  par  lui-même  et 
par  l'installation  qu'il  exige,  est   très 

.,  •-    A.    ^      KiG.  1.  —  Appareil  démonstratif  du  principe 

coûteux  et,    par    suite,    ne   pouvait  être  fondamental  du  médimarémètre. 

multiplié  autant  qu'il  était  nécessaire. 

Nous  avons  gimainéun  nouvel  appareil,  appelé  médimarémètre  (mesure 


8G8 

de  la  mer  moyenne) 


ÎMédiinai'émrtre.  Erhflle   1 


li;gende  : 

S,  Tube  en  cuivre  (diamètre  intérieur 
fi™,02:i),  d'une  longueur  suffisante  pour 
que  la  base  D  étant  placée  à  0"",.'rO  en- 
viron au-dessous  du  niveau  moyen  pré- 
sumé de  la  nier,  le  sommet  éincrgc 
au-dessus  des  plus  hautes  eaux. 

C,  Couvercle  servant  à  fermer  l'ori- 
fice supérieur,  pour  empêcher  l'iniio- 
duction  intempestive  d'eau  ou  la  chute 
de  cnrps  étrangers  dans  le  tube. 

P,  P'.  P",  Colliers  à  griffes  scellées 
dans  la  maçonnerie.  Le  collier  P',  sup- 
portant lépaulement  E  du  tube,  est  mis 
en  place  seulement  lorsque  la  position 
à  donner  au  diaphragme  est  complète- 
ment arrêtée. 

Q,  Plongeur  divisé  en  deux  parties 
par  une  cloison  poreuse  V  en  porce- 
laine dégourdie. 

B,Tuyau  reliant  le  plongeur  au  tube  S. 

R,  Kivct  en  bronze,  fixé  sur  la  mar- 
gelle du  puits  ou  sur  le  couronnement 
du  mur  pour  permettre  de  contrôler  la 
fixité  du  tube. 


r,ÉOGR.\PHIE 

qui  échappe  à  cet  inconvénient  et  qui  permet 
d'obtenir,  sans  le  secours  d'aucun  méca- 
nisme et  avec  une  dépense  insignifiante  (1  ) , 
le  niveau  moyen  de  la  mer  en  un  point 
donné. 

Cet  instrument  est  basé  sur  le  f;iit  sui- 
vant: une  onde  liquide  se  transmettant 
par  un  canal  capillaire,  ou  mieux  à  tra- 
vers une  paroi  poreuse,  diminue  d'am- 
plitude et  se  trouve  retardée  dans  ses 
phases,  sans  que  le  niveau  moyen  de  (a 
nappe  éprouve  de  changement. 

Ce  fait,  que  la  théorie  explique,  est 
facilement  mis  en  évidence  à  l'aide  d'un 
appareil  composé  de  deux  tubes,  A  cl  H 
(fig.  /j,  communiquant  ensemble  par  un 
canal  capillaire  C.  Par  un  mécanisme 
convenable,  le  niveau  du  liquide,  dans  le 
tube  de  gauche,  est  animé  d'une  oscilla- 
tion régulière  de  30  centimètres  d'ampli- 
tude (amplitude  moyenne  de  la  marée  à 
Marseille)  ;  dans  l'autre  tube,  on  voit 
l'eau  se  déplacer  de  10  à  1-5  millimètres 
seulement  de  part  et  d'autre  du  niveau 
moyen  (2),  avecjun  retard  de  près  d'un 
quart  de  période  dans  les  phases. 

Le  médimarémètre  se  compose  d'un 
tube  étanche  S  (fig.  2)  que  l'on  fixe  ver- 
ticalement, au  moyen  de  colliers  à  griffes 
P,  P',  P",  dans  un  puits  communiquant 
avec  la  mer  ou  contre  un  mur  de  quai. 
Ce  tube  est  en  relation,  par  un  tuyau  B. 
avec  un  plongeur  Q  immergé  au-dessous 
du  niveau  des  plus  basses  mers.  Ce  plon- 
geur est  divisé  en  deux  parties  par  une 
cloison  poreuse  V  en  porcelaine  dégour- 
die. Le  compartiment  extérieur  est  rempli 
de  sable  et  son  enveloppe  percée  latéra- 


(1)  L'installation  de  l'observatoiie  marégraphique  de  .Alarseille  n'a  pas  coûté  moins  d'une  quaran- 
taine de  mille  francs,  landisqu'un  médimarémètre,  mis  en  place,  revient  rarementà  plus  de  20n  francs 
avec  les  accessoires. 

(2)  Une  réduction  |ilus  forte  de  l'amplitude  pourrait  être  obtenue  facilement,  mais  elle  aurait 
l'inconvénient  de  masquer  la  relation  existant  entre  les  mouvements  de  l'eau  dans  les  deux  tubes. 


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r,H.    LALLEMAND.     DÉ TEKiVIINATION    DU    NIVEAU    MOYEN    DE    l,A    MER       869 

lement  de  trous  pour  l'accès  de  l'eau.  La  surface  poreuse  est  réglée  de 
manière  que,  dans  le  tube,  la  marée  journalière  soit  réduite  à  une  oscil- 
lation insignifiante.  Une  observation  par  jour 
suilit,  dès  lors,  pour  déterminer  la  variation 
lente  du  niveau  intérieur  avec  le  temps. 

La  mesure  de  la  hauteur  de  l'eau  s'effectue 
au  moyen  dune  sonde  divisée  (fig.  3),  sur 
laquelle  on  fixe  latéralement,  au  moyen  de 
bagues  mobiles  BB',  une  bande  de  papier 
sensibilisé  au  sulfate  de  fer  et  à  la  noix  de 
galle.  On  descend  à  fond  cette  sonde  dans  le 
tube  jusqu'à  ce  qu'elle  vienne  buter  contre 
la  base  D  (fi;j.  2)  ;  une  ou  deux  secondes 
après,  on  la  remonte  ;  la  partie  mouillée  du 
papier  est  devenue  noire,  ce  qui  permet  de 
lire  facilement  la  cote  de  l'eau. 

En  rapprochant  les  bandes  et  en  alignant, 
comme  le  montre  la  figure  4,  les  points  de 
repère  marqués  dans  le  papier  par  le  poinçon  c 
de  la  sonde,  on  constitue  un  diagramme  qu'il 
suffit  de  réduire  au  dixième,  par  exemple,  et 
de  planimétrer  ensuite,  pour  en  déduire  la 
hauteur  du  rectangle  équivalent,  de  même 
base,  c'est-à-dire  la  cote  cherchée  du  niveau 
moyen. 

Le  premier  médimarémètre  a  été  installé 
en  1885,  à  Marseille,  dans  le  puits  même  du 
marégraphe  totalisateur.  Ifei^JjB' 

Le  diagramme  ci-après  (fig.  o),  relatif  à  une 
période  de  trois  années  et  demie  d'observa- 
tions, du  1"'  juillet  188o  au  l*^-"  janvier  1889, 
montre  que  le  niveau  moyen  depuis  l'origine 
(moyenne  de  toutes  les  hauteurs  relevées  de- 
puis la  mise  en  fonction  de  l'appareil),  calculé 
à  la  fin  de  chaque  mois  d'après  les  indica- 
tions du  médimarémètre,  concorde  parfaite- 
ment avec  celui  donné  par  le  marégraphe 
totalisateur.  La  même  concordance  s'est  main- 
tenue depuis,  sans  que  l'appareil  ait  jamais 
subi  aucun  nettoyage.  Ce  fait  prouve  que  l'envahissement  de  la  cloison 
poreuse  par  les  végétaux  et  les  animalcules  marins  n'est  pas  aussi  rapide 
qu'on  pouvait  le  craindre  a  priori.  Le  remplacement  du  filtre,  auquel  on 


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870 


GEOGRAPHIE 


aurait  eu  recours  s'il  avait  été  nécessaire,  constitue,  d'ailleurs,  une  opéra- 
tion prévue,  rendue  très  simple  et  U-ès  rapide  par  la  construction 
même  de  l'appareil  et  n'entraînant  qu'une  dépense  insignifiante. 


Ligne  des  repères 


Profondeur  (en  (enliiii.).         50-'îà 


Janvier  iîî.<^7 


FiG.  i.  —  Variation  du  niveau  diurne.  —    Diagramme  oljtenu  par  juxtaposition  des  bandes 
journalières  impiessionnéss  et  réduction  du  tout  à  l'iVlielle  de  i/io. 

Les  bons  résultats  obtenus  à  Marseille  ont  déterminé  la  Commission  du 
Nivellement  général  de  la  France  à  faire  installer  des  médimarémètres 
en  de  nombreux  points  du  littoral,  notamment  à  Nice,  Marseille,  Cette, 


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1865  1886  ^  1887  1888 

FiG.  ;•>.  —  Résultats  donnés  par  le  médimarémèlre  de  Marseille. 

Niveau    moven  I  D'après  le  médimarémèlre  (trait  plein). 

^       (  —        marégraphe  totalisateur  (trait  discontinu). 

Port-Vendres  et  Oran  dans  la  Méditerranée;  à  Saint-Jean-de-Luz,  Biar- 
ritz, La  Palice,  les  Sables-d'Olonne,  Quiberon  et  le  Camaret  (goulet  de 
Brest)   dans  l'Atlantique  ;    à  Cherbourg  et  à  Boulogne  dans  la  Manche. 


p.    DE    COUBERTIN.    —    l'eNSEIGNEMEN T    DE    LA    GÉOGRAPHIE  871 

De  son  côté,  le  Service  géographique  de  l'armée  en  a  fait  établir  d.-iix 
autres  à  la  Goulette  (Tunisie)  et  à  Bône  (Algérie). 

Enlin,  la  Belgique  en  a  installé  un  à  Ostende  ;  le  Danemark  a  fait 
(le  même  sur  les  rives  du  Jutland  et  l'Italie  en  a  placé  six  sur  les  côtes 
de  l'Adriatique  et  de  la  Méditerranée. 

D'intéressants  résultats  ont  déjà  été  obtenus  en  France  avec  ces  appa- 
reils. Ils  ont  notamment  permis  de  constater  que  la  .Méditerranée,  l'Océan 
et  la  Manche  sont  de  niveau,  à  très  peu  près,  contrairement  à  ce  qu'on 
croyait  jusque-là. 

Cette  constatation  s'est  trouvée  contîrmée  par  des  observations  ana- 
logues faites  à  l'étranger  sur  d'autres  mers,  telles  que  la  Baltique,  la  mer 
du  Nord  et  l'Adriatique,  dont  les  niveaux  coïncideraient  aussi,  à  quelques 
centimètres  près  ;  de  sorte  qu'aujourd'hui  on  se  trouve,  semble-t-il,  en 
présence  d'une  loi  générale,  les  variations  constatées  dans  la  densité  de 
l'eau  des  mers  apparaissent  comnie  purement  superficielles,  et  l'ancienne 
liN^othèse  de  l'uniformité  du  niveau  des  océans  se  trouve  réhabilitée. 


M.  Pierre    DE    COÏÏBEETO 

secrétaire  général  de  l'Union  des  Sociélés  de  sports  athlétiques,  ;i  Paris. 


L'ENSEIGNEMENT  DE  LA  GEOGRAPHIE 


—  Séance  du  49  septembre  I89Î  — 

La  question  de  l'enseignement  de  la  géographie  est  à  l'ordre  du  jour. 
C'est  une  de  celles  qui  ont  provoqué  au  récent  Congrès  de  Lille,  les  dis- 
cussions les  plus  nourries  et  les  plus  intéressantes.  Deux  courants  contraires 
se  sont  dessinés  parmi  ceux  qui  y  ont  pris  part.  L'on  a  vu  en  pré- 
sence les  partisans  de  la  «  science  pure  »  et  les  défenseurs  de  «  l'idée 
commerciale  ?..  Les  premiers  ont  ceci  de  particulier  qu'ils  sont,  en  géné- 
ral, satisfaits  de  la  manière  dont  on  enseigne  la  géographie  aux  jeunes 
gens  et  qu'ils  n'aperçoivent  ni  la  nécessité  ni  le  moyen  d'en  tirer  de 
meilleurs  résultats  pédagogiques.  Les  seconds  semblent  avoir  constaté 
le  caractère  étrangement  fictif  de  cet  enseignement,  dont  les  procé- 
dés sont  restés  à  peu  près  stationnaires  alors  que  la  science  qui  en  est 


872  GÉOGRAPHIE 

l'objet  progressait  d'une  manière  ininterrompue.  Mais  j'avoue  ne  pas 
avoir  foi  dans  l'efficacité  des  remèdes  qu'ils  proposent,  et  c'est  pourquoi, 
m'écartant  ici  des  positions  occupées  par  les  troupes  des  deux  écoles, 
scientifique  et  commerciale,  —  je  voudrais  faire  une  courte  reconnaissance 
aux  environs,  persuadé  qu'il  ne  sera  pas  difficile  d'y  trouver  pour  la  ba- 
taille finale  un  terrain  plus  avantageux  et  mieux  préparé. 


On  lit  dans  tous  les  manuels  que  la  géographie  a  pour  objet  la  des- 
cription de  la  terre.  C'est  là  cfuelque  chose  de  très  vaste  puisque  cette 
toute  petite  planète  qui  roule  parmi  les  mondes  renferme  de  quoi  nous 
occuper  et  nous  intéresser  depuis  des  milliers  d'années  et  que  nous  n'avons 
pas  achevé  de  la  conquérir,  ni  même  de  la  découvrir.  La  géographie  est 
donc  une  science  d'ensemble  ;  son  domaine  comprend  les  glaces  polaires 
et  les  forêts  tropicales,  le  régime  des  eaux  et  des  vents,  Tinventaire  des 
richesses  du  sol,  les  établissements  et  les  œuvres  des  hommes.  IVaturelle 
et  sociale  à  la  fois,  pratique  et  philosophique,  elle  a  son  martyrologe,  l'un 
des  plus  beaux  et  des  plus  purs  de  l'humanité;  en  elle  on  trouve  tout 
ce  qui  peut  actionner  les  intelligences,  forger  les  caractères  et  élever  les 
âmes.  Contemplez-la  maintenant  dans  les  programmes  de  l'instruction 
publique,  dans  les  manuels  d'examens.  Dépouillée  de  toute  vue  d'en- 
semble, de  toute  idée  générale,  scindée,  découpée  et  fractionnée  à  l'infini, 
elle  n'est  plus  qu'une  sèche  nomenclature  que  l'élève  s'assimile  au  moyen 
du  procédé  le  plus  misérable,  le  procédé  mnémotechnique.  Interrogez-le. 
Il  vous  dessinera  sur  le  tableau  noir  des  lignes  de  partage  des  eaux  tout 
à  fait  étonnantes  et  n'ayant  jamais  existé  que  dans  l'esprit  des  géographes 
élémentaires.  Il  se  croirait  perdu  s'il  oubliait  quelque  chaîne  de  col- 
lines qui  portent  sur  la  carte  un  nom  souvent  inconnu  dans  le  pays  où 
d'ailleurs  elles  ne  forment  qu'une  suite  de  hauteurs  insignifiantes.  Mais  ne 
faut-il  pas  une  ligne  départage?  Périsse  la  géographie  plutôt  qu'un  prin- 
cipe !  Quant  aux  caps  ils  défilent  en  bataillons  serrés,  suivis  d'un  régiment 
de  golfes  et  l'image  de  ces  sinuosités  des  côtes  se  grave  dans  la  mémoire 
de  l'écolier  au  détriment  de  leur  configuration  réelle.  Le  cap  de  Bonne- 
Espérance,  après  tout,  ne  constitue  pas  plus  1'  «  extrémité  »  de  l'Afrique 
que  le  cap  Horn,  l'extrémité  de  l'Amérique,  et  le  golfe  du  Mexique  est 
une  mer  intérieure,  tandis  que  le  golfe  de  Gascogne  n'est  rien  du  tout. 
Que  sera-ce  si  vous  posez  à  votre  candidat  bachelier,  que  je  choisis  à  des- 
sein parmi  les  «  forts  »  de  sa  classe,  des  questions  d'un  autre  ordre?  — 
Pourquoi  les  États-Unis  n'ont-ils  pas  de  colonies?  Quels  sont  les  établisse- 


p.    DE    COUBERTIN.   —   l'enSEIGNEMENT   DE    LA    GÉ05KAPH1E  873 

ments  européens  que  l'on  rencontre  sur  la  route  de  Marseille  à  Melbourne? 
De  quel  intérêt  peuvent  être  pour  les  puissances  européennes  la  construc- 
tion du  Transsaharien  et  celle  du  Transsibérien?  Quelles  sont  les  rivalités 
en  présence  dans  le  bassin  de  la  Méditerranée?  De  quoi  se  compose  l'Em- 
pire britannique?  Quelles  sont  les  proportions  comparées  de  la  Hollande 
et  de  ses  colonies,  de  la  France  et  du  Tonkin,  de  la  Russie  et  de  la 
Chine?  Quelle  était,  il  y  a  cent  ans,  et  quelle  est  aujourd'hui  la  popula- 
tion des  principales  nations  d'Europe  et  d'Amérique  ? 

Certains  me  feront  peut-être  observer  que  ce  n'est  pas  là  de  la  géo- 
graphie «  selon  les  programmes  ».  Mais  cette  objection  se  condamne 
elle-même  par  son  étroitesse  et  sa  futilité.  Les  programmes  d'ailleurs 
sont  plus  élastiques  qu'on  veut  bien  le  dire  et  vous  n'avez  qu'à  suivre 
une  session  de  baccalauréat  à  la  Sorbonne  pour  vous  en  rendre  compte. 
Les  examinateurs  ne  demanderaient  pas  mieux  que-  de  suivre  les  élèves 
sur  le  terrain  des  vues  intelligentes,  des  idées  personnelles,  de  Va  initia- 
tive intellectuelle  » .  Mais  ce  plaisir  est  bien  rare  pour  eux  et  c'est  pour- 
quoi ils  doivent  se  contenter  le  plus  souvent  de  demander  la  longueur 
kilométrique  des  grands  fleuves  ou  l'altitude  exacte  des  montagnes, 
choses  inutiles  par  excellence.  C'est  l'opinion  qui  le  veut  ainsi.  Elle  par- 
donne au  petit  Français  d'ignorer  jusqu'aux  noms  de  Dunedin.  d'Hobart, 
de  Brisbane,  de  Vancouver,  de  Kimberley,  mais  s'il  ne  sait  pas  dire  dans 
quels  départements  se  trouvent  PugeL-Théniers,  Baume-les-I)ames,  Can- 
nât, Boussac,  Marvejols,  Espalion,  Sarlat,  elle  le  classera  d'emblée  parmi 
les  ignorants.  Or,  de  toutes  ces  cités,  lesquelles,  je  vous  prie,  méritent 
d'attirer  l'attention  de  nos  enfants?  Les  unes  ne  seront-elles  pas  demain 
des  centres  importants,  les  capitales  de  puissantes  républiques  qui  feroiit 
grande  figure  dans  le  monde  alors  que  les  autres  n'auront  pas  cessé 
d'être  de  petites  sous -préfectures  françaises,  à  moins  pourtant  quelles 
n'aient  perdu  leur  unique  originalité  qui  est  d'avoir  des  sous-préfets. 

L'enseignement  de  la  géographie  est  basé  —  comme  beaucoup  d  autres 
—  sur  cette  idée  qu'il  y  a  une  proportion  à  établir  entre  les  «  horizons  »; 
que  l'on  doit  connaître  très  exactement  son  pays,  à  peu  près  ceux  qui 
l'entourent  et  que,  pour  le  reste  du  monde,  un  rapide  coup  d'oeil  suffit. 
Si  mesquine  qu'elle  soit  en  elle-même,  cette  manière  de  concevoir  l'élude 
de  la  planète  avait,  jadis,  sa  raison  d'être.  L'homme  vivait  à  l'ombre  de 
son  clocher  et  s'il  s'en  écartait  par  hasard,  c'était  pour  y  revenir  bien- 
tôt. Il  n'éprouvait  pas  le  besoin  de  placer  son  amitié  non  plus  que  ses 
capitaux  hors  des  frontières  de  son  pays.  Les  nouvelles  du  dehors  lui  arri- 
vaient rarement  et  lentement.  11  ne  vivait  que  de  la  vie  nationale  et  l'in- 
ternationalisme ou,  si  vous  voulez,  le  cosmopolitisme  n'existait  pas  pour 
lui,  parce  qu'il  ne  pouvait  pas  exister.  Bien  entendu,  on  peut  citer  des 
exceptions  sans  lesquelles  du  reste  la  géographie  n'aurait  pu  se  former. 


874  GÉOGRAPHIE 

Mais  les  exceptions  ne  servent  qu'à   confirmer  la  règle  générale  et  telle 
était  alors  la  règle  générale. 

Or,  la  vapeur  et  l'électricité  ont  modifié  tout  cela  d'une  manière  radi 
cale.  La  chronique  d'un  grand  journal  du  commencement  du  siècle,  com- 
parée à  celle  d'un  grand  journal  de  notre  époque  indique  très  nettement 
l'abîme  qui  s'est  creusé,  la  révolution  formidable  qui  s'est  opérée  et  sur 
laquelle  on  ne  saurait  assez  méditer,  car  ici  les  leçons  de  l'expérience  ne 
servent  plus,  le  passé  ne  contenant  rien  d'analogue  au  chemin  de  fer  et 
au  télégraphe.  La  chronique  d'hier  était  faite  des  nouvelles  de  l'intérieur; 
dans  celle  d'aujourd'hui  les  nouvelles  de  l'extérieur  tiennent  la  première 
place.  Les  oscillations  de  ce  grand  pendule  qu'on  appelle  la  Bourse  s'ins- 
crivent  simultanément  à  Stockholm  et  à  Yokohama,  et  lorsqu'un  Russe 
fait   deux   kilomètres  sur  le  plateau  de  Pamir,  le  fait  est  commenté  le 
lendemain  à  Paris  et  à  Chicago.  Alors  laborieusement,  devant  tous  ces 
noms  exotiques,  devant  toutes  ces  civilisations  qui  se  lèvent,  en  présence 
de  ces  merveilles  dont  il   s'étonne  et  dont  parfois  il  a  peur,  le  Français 
de  cinquante  ou  de  soixante  ans  refait  son  éducation  géographique.  Il 
cherche  dans  les  dictionnaires,  s'égare  dans  les  atlas  et  constate  que  tous 
ces  pays  nouveaux  n'ont  point  apparu  soudainement  comme  si  une  trappe 
leur    eût  donné   passage.    Ils  existaient  au    temps  de  sa  jeunesse,  mais 
jamais  son  regard  n'avait  appris  à  se  diriger  vers  eux  et  il  en  est  encore 
à  voir  en   pensée   des  troupes  de   chevaux  sauvages  galoper  dans    les 
plaines  de  la  République  Argentine  et  des  chercheurs  d'or  établir  leurs 
misérables  huttes  sur  le  sol  d'Australie.  Pourtant  on  lui  a  demandé  son 
argent  pour  des  entreprises  lointaines.  Les  mines  de  l'Uruguay,  les  défri- 
chements du  Manitoba,  le  chemin  de  fer  des  Andes  l'ont  successivement 
séduit  grâce  à  l'éloquence  d'un  ami  lui  vantant  ces  «   affaires  magnifi- 
ques ».  —  Mais,  voilà,  qu'est-ce  que  c'est  au  juste  que  l'Uruguay?  Pousse- 
t-il  quelque  chose  dans  le  xManitoba  ?  Le  chemin  de  fer  des  Andes  sera-t-il 
productif?  Il  est  bien  incapable  de  se  faire  une  opinion  là-dessus  et  s'en 
rapporte  aux  prospectus  trompeurs  et  aux  bulletins  de  journalistes  inté- 
ressés. 

On  se  mettra  peut-être  très  facilement  d'accord  sur  l'utilité  de  ces 
connaissances,  mais  il  sera  moins  aisé  de  s'entendre  pour  leur  faire  une 
place.  Ce  n'est  pas  tout  de  décider  qu'une  matière  doit  figurer  dans  un 
programme  lorsque  ce  programme  est  déjà  bien  rempli.  C'est  vouloir 
mettre  du  lait  dans  une  tasse  déjà  pleine  de  chocolat.  Enlevez  au  préa- 
lable du  chocolat  et  l'opération  deviendra  possible.  Il  faut  donc,  non  point 
allonger  le  programme,  mais  le  remanier,  et  pour  cela  quelques  sacri- 
fices sont  nécessaires.  Ils  devront  porter,  bien  évidemment,  sur  la  France 
elle-même,  étudiée  par  nos  enfants  avec  un  luxe  de  détails  très  exagéré. 
Je  ne  songe  pas  seulement,  en  disant  cela,  à  ces  sous-préfectures  dont 


p.    DE    COUBERTI.N.    LENSEIGNEME.NT    DE    l.A    CÉOGRAPHIE  875 

la  liste  peut  s'apprendre  —  tout  comme  la  table  de  multiplication  — 
pendant  la  première  enfance,  mais  à  ces  réseaux  de  chemins  de  fer,  à 
cette  litanie  de  petits  canaux,  à  toutes  ces  industries  locales,  nourriture 
indigeste  pour  l'esprit  et  incapable  de  produire  la  moindre  vue  générale, 
d'engendrer  la  moindre  impression  d'ensemble.  Se  font-ils  une  idée  du 
transit  de  ces  chemins  de  fer,  du  mouvement  de  navigation  sur  ces 
canaux,  de  la  puissance  industrielle  de  la  France,  les  pauvres  collégiens 
qui  récitent  ce  chapelet  géographique?  Quelle  trace  peut  laisser  en  eux 
un  passage  comme  celui-ci,  que  j'emprunte  au  manuel  d'un  maître 
estimé  et  regretté  :  «  Le  chef-lieu  est  Evreux,  sur  l'Iton.  affluent  de 
l'Eure,  siège  d'un  èvêché  et  l'une  des  succursales  de  Rouen  pour  la  fabri- 
cation des  cotonnades.  Les  quatre  sous-préfectures  sont  :  Les  Andelys, 
patrie  du  peintre  Nicolas  Poussin  ;  Bernay,  important  par  ses  filatures 
et  son  commerce  de  grains,  de  lins  et  de  chevaux  ;  Louviers,  sur  l'Eure, 
l'une  dps  métropoles  de  l'industrie  des  draps,  des  lainages  et  de  la 
construction  des  machines,  et  Pont- Aude  mer,  sur  la  Rille  (tanneries  et 
papeteries).  » 

Il  y  a  évidemment  un  malentendu  dans  le  but  que  l'on  se  propose.  .l'ai 
souvent  ouï  dire  qu'il  était  bon  de  faire  son  droit,  même  lorsque  cette 
étude  ne  devait  pas  avoir  d'utilité  immédiate,  parce  que  cela  donnait  une 
idée  d'ensemble  et  qu'ensuite  «  on  savait  où  aller  chercher  les  renseigne- 
ments dont  on  peut  avoir  besoin  o.  Ne  serait-ce  pas  un  résultat  ana- 
logue qu'il  conviendrait  d'atteindre  en  ce  qui  concerne  la  géographie  ? 
N'y  a-t-il  pas  une  "  idée  géographique  »  qu'il  importe  avant  tout  de 
faire  saisir  à  l'élève?  Des  noms  et  des  chiffres,  il  les  oublie,  mais  il  lui 
est  facile  de  les  retrouver  quand  il  le  veut  ;  en  comprend-il  la  valeur  ? 
Toute  la  question  est  là.  S'il  possède  ce  qu'on  pourrait  appeler  la  «  table 
des  matières  »  de  la  géographie,  s'il  a  la  juste  notion  de  ce  que  sont 
dans  chaque  pays  la  nature  et  l'homme,  s'il  connaît  la  c  proportion  » 
des  pays  entre  eux,  s'il  a  saisi  une  seule  fois  Vharmonie,  Véquilibre  du 
globe,  toute  statistique  placée  sous  ses  yeux  deviendra  vivante,  toute 
découverte  qui  lui  sera  signalée  prendra  pour  lui  sa  portée  véritable,  le 
moindre  renseignement  d'ordre  technique  l'intéressera.  C'est  en  cela  que 
consiste  la  géographie  et  iTon  pas  en  une  série  de  nomenclatures  arides. 
Elle  doit  être  une  culture  pour  l'esprit  et  ne  point  aspirer  à  remplacer 
V  Indicateur . 

Mais  il  y  a  toujours  devant  nous  cette  objection  que  la  patrie  a  droit 
à  une  place  plus  grande  que  celle  des  autres  pays.  C'est  une  objection  de 
sentiment.  Elle  n'a  plus  de  raison  d'être,  ainsi  que  je  l'ai  indiqué  plus 
haut,  parce  que  les  circonstances  ont  changé  et  qu'aujourd'hui  le  meil- 
leur moyen  de  bien  servir  sa  patrie  est  de  connaître  à  fond  celle  du 
voisin.  Il  y  a,  du  reste,  un  ordre  de  connaissances  qui  ne  s'acquièrent 


876  GKOGRAPHIE 

pas  dans  les  livres,  mais  bien  par  la  vie  de  chaque  jour,  et  celui  qui 
réside  en  France  peut  toujours  en  savoir  plus  long  sur  la  France  que 
sur  l'Angleterre  ou  l'Alieniagne.  Raison  de  plus  pour  que,  pendant  son 
éducation,  ses  regards  aient  été  dirigés  le  plus  souvent  possible  hors  des 
frontières.  Nous  vivons  en  un  temps  d'invasion,  et  s'il  importe  que 
l'officier  connaisse  les  rivières  et  les  montagnes,  les  cols  et  les  gués  du 
pays  dont  il  médite  la  conquête,  il  importe  plus  encore  que  le  financier, 
l'industriel,  le  commerçant  soient  à  même  de  juger  spontanément  de  la 
portée  d'une  entreprise  et  ne  se  disent  pas,  en  hésitant,  devant  quelque 
afTaireà  tenter:  L'Australie  !...  c'est  bien  loin  !...  qui  sait  ce  qui  s'y  passe?... 
11  importe  encore  que,  familiarisés  avec  la  distance,  les  Français  de 
demain  fassent  fructifier  ce  troisième  Empire  colonial,  que  la  Hépubliquc 
est  en  train  d'édifier  sur  les  ruines  des  deux  autres.  Il  importe  qu'ils 
puissent  suivre  dans  leurs  audacieuses  campagnes  les  Binger,  les  Mizon? 
les  Bonvalot.  11  importe  qu'ils  connaissent  tous  les  points  du  monde  où 
un  groupe  quelconque  d"étres  humains  parle  notre  langue.  C'est  ainsi 
qu'ils  serviront  le  mieux  cette  patrie  dont  le  génie  a  fécondé  l'Europe 
et  qui,  à  diverses  reprises,  a  empli  le  monde  du  bruit  de  ses  victoires. 

II 

.l'ai  tenté  d'établir  que  les  jeunes  Français  apprenaient  en  géographie 
bon  nombre  de  choses  inutiles  et,  par  contre,  n'apprenaient  point  beau- 
coup de  choses  fort  utiles  :  voilà  pour  les  programmes.  Demandons-nous 
maintenant  quel  est  le  procédé  d'enseignement  qui  fixera  le  mieux  dans 
leur  mémoire  ce  qu'ils  apprendront. 

En  nous  donnant,  dans  son  Roman  d'un  Enfant,  une  page  de  péda- 
gogie imprévue  et  charmante,  Pierre  Loti  a  attiré  notre  attention  sur  le 
rôle  du  «  suggestif  »  en  matière  d'éducation  et  d'enseignement.  Le  «  sug- 
gestif )),  c'est  là  un  mot  fait  pour  inquiéter  les  savants,  lesquels  estiment 
que  rien  ne  vaut  la  science  avec  ses  renseignements  précis,  ses  classifica- 
tions bien  ordonnées,  ses  procédés  logiques  et  ses  déductions  positives. 
Ils  veulent  qu'on  lui  mène  les  enfants  sans  retard  et  ne  s'effrayent  pas 
pour  eux  de  sa  mine  parfois  rébarbative  et  de  son  visage  un  peu  sévère. 
Elle  seule,  disent-ils,  pourra  les  civiliser;  il  faut  qu'ils  s'habituent  à 
recourir  à  elle  en  toute  circonstance,  à  lui  demander  l'explication  de 
toutes  choses,  à  la  considérer  comme  l'astre  polaire  de  leur  firmament. 
Le  suggestif  !  mais  c'est  le  culte  de  l'imagination,  de  cette  faculté  endia- 
blée, cause  de  tant  d'illusions  et  d'erreurs,  à  laquelle  sont  imputables 
tant  de  chutes  et  d'accidents  et  sans  laquelle  le  monde  marcherait  sans 
secousses,  comme  une  machine  bien  graissée. 

A  y  regarder  de  près,  voilà  le  champ  de  bataille  de  la  pédagogie  roc- 


I 


p.    DE    COUBERTIN. l'eNSEIGNEMENT    DE    [,.V    OÉOGliAPHIE  817 

derne.  Sur  ce  terrain  s'est  engagé  le  combat  mené  par  les  états-majors 
scientifiques  allemands  contre  les  vieilles  «  humanités  »  de  nos  pères. 
L'attaque  a  lieu  sur  tous  les  points.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  sciences 
positives  que  l'on  donne  comme  susceptibles  de  former  l'esprit,  voire 
même  de  «  l'orner  »,  comme  disait  le  bon  Rollin  ;  on  prétend  encore 
appliquer  la  même  méthode  aux  chefs-d'œuvre  de  la  pensée  antique,  et, 
sous  prétexte  d'en  tirer  des  beautés  cachées,  on  dessèche  systémati- 
quement, par  une  analyse  impitoyable,  cette  terre  si  riche  et  si  fertile. 

La  vérité  est  qu'il  y  a  des  procédés  positifs  et  des  procédés  suggestifs, 
et  que  ces  si  derniers  ne  sont  pas  susceptibles  d'être  employés  lorsqu'il  s'agit 
de  certains  cerveaux,  ce  n'est  pas  une  raison  pour  les  exclure  là  où  ils 
peuvent  produire  de  bons  résultats.  .Je  ne  prétends  pas  ici  établir  un 
parallèle  entre  le  génie  français  et  le  génie  allemand.  La  science  alle- 
mande est,  par  les  œuvres  admirables  qu'elle  a  produites,  au-dessus  de 
toutes  les  attaques,  et  son  influence  sur  la  science  française  a  été  de  tous 
points  salutaire.  Mais  je  crois  que  l'on  pousse  trop  loin  l'admiration  en 
voulant  appliquer  ses  procédés  à  l'éducation  de  la  jeunesse.  D'un  esprit 
français  vous  ne  ferez  jamais  un  esprit  germanique.  Ils  sont  aux  anti- 
podes l'un  de  l'autre  et  les  méthodes  qui  conviennent  au  second  ne  sau- 
raient convenir  au  premier.  Le  «  suggestif  »  n'a  pas  de  prise  sur  l'Alle- 
mand. Le  Français,  au  contraire,  est  sous  son  empire.  L'Allemand  sait, 
raisonne,  s'assimile  ;  le  Français  vibre,  imagine,  invente. 

Ces  procédés,  que  j'appelle  «  suggestifs  »,  conviennent  à  la  géographie 
lorsqu'il  s'agit  d'écoliers  français,  et  il  est  regrettable  qu'ils  n'aient  pas 
été  encore  employés.  La  géographie  est  peut-être  une  science  exacte  ; 
son  caractère  philosophique  et  artistique  est.  néanmoins,  très  facilement 
saisissable.  Elle  englobe  tant  d'autres  sciences  et  son  domaine  est  si 
vaste  ! 

Expliquez  à  l'enfant  la  formation  de  la  terre  selon  les  données  nou- 
velles qui  en  reculent  l'origine  dans  un  lointain  si  grandiose.  Exposez- 
lui  l'harmonie  du  monde  sidéral,  les  immensités  peuplées  d'astres,  les 
phénomènes  si  mystérieusement  simples  de  la  succession  des  jours  et  des 
nuits,  de  l'hiver  et  de  l'été,  toute  cette  «  vie  des  choses  »  qui  l'envi- 
ronne si  bien,  qu'il  oublie  de  la  remarquer  par  lui-même.  Puis  décrivez- 
lui  cette  planète  qu'il  habite.  Énumérez-lui  ses  étrangetés  et  ses  richesses  ; 
qu'avant  de  posséder  une  seule  dor)née  technique,  d'avoir  appris  par 
cœur  une  seule  de  vos  nomenclatures,  il  ait  la  notion  des  t;randes  éten- 
dues terrestres  et  marines,  des  solitudes  glacées,  des  déserts  brûlants, 
des  monts  et  des  forêts.  Montrez-lui,  en  passant,  ces  ponts  jetés  sur  des 
al)îmes,  ces  câbles  immergés  dans  les  profondeurs  des  océans,  ces  villes 
immenses  qui  peuplent  les  continents,  et  ces  postes  avancés  construits 
au  milieu  de  tous  les   périls  par  les  pionniers  de  la  civilisation.   Sans 


878  GÉOGRAl'HIE 

en  connaître  encore  la    longue  histoire,  l'enfant   sentira  derrière  lui   le 
poids  de  l'humanité  dont  il  est  l'héritier  et  le  continuateur. 

Racontez  alors  la  lente  et  sublime  conquête,  les  premières  audaces  des^ 
anciens  et  celles  de  nos  compatriotes,  les  Cousin,  les  Arago,  les  Jacques 
Cartier;  le  cercle  polaire  franchi  en  1497  par  Sébastien  Cabot;  Barentz, 
en  1596,  entrevoyant  le  Spitzberg;  James  Ross  apercevant,  il  y  a  cin- 
quante ans,  les  hautes  cimes  volcaniques  du  pôle  Sud.  Insistez  surtout  sur 
l'épopée  de  Christophe  Colomb  faisant  apparaître  soudain  un  continent 
gigantesque,  et  aussi  sur  cette  Afrique,  hier  encore  ignorée  de  tous, 
aujourd'hui  percée  à  jour.  Quel  poème  admirable,  susceptible  de  trans- 
porter de  jeunes  esprits,  d'ouvrir  les  intelUgences  des  petits  Français  et 
même  de  déposer  en  eux  le  germe  nécessaire  entre  tous  à  l'époque  où 
nous  sommes,  le  germe  de  l'action  ! 

Il  va  sans  dire  que  cet  exposé,  ce  «  tableau  »  géographique  ne  peut 
constituer  que  la  base  d'un  enseignement  sérieux.  Cet  enseignement,, 
quelle  forme  lui  donner?  J'ai  vu  fréquemment,  à  l'étranger,  employer 
une  forme  originale  qui  me  paraît  des  plus  recommandables  ;  elle  per- 
met de  varier  les  sujets  à  l'infmi,  de  ne  jamais  lasser  l'attention  et  peut, 
en  outre,  exciter  au  plus  haut  degré  l'émulation.  Le  professeur  voyage 
avec  ses  élèves;  il  s'entoure  de  tout  ce  qui  peut  donner  à  ceux-ci  l'il- 
lusion d'un  voyage  véritable  :  guides,  indicateurs,  vues  photographiques 
(projetées  parfois  au  gaz  oxyhydrique),  renseignements  de  tous  genres. 
Cela  rappelle  l'organisation  de  l'enseignement  commercial  dans  les  Busi- 
w'ss  Collèges  des  États-Unis  (1),  et  il  faut  s'efforcer  de  ne  pas  tomber 
dans  l'exagération  qu'ont  atteinte  certains  de  ces  établissements.  Mais  le 
principe  est  bon. 

Je  suppose  que  le  premier  voyage  soit  consacré  à  l'Empire  britannique. 
C'est  là  une  locution  jusqu'ici  inconnue  du  petit  Français.  Il  ignore  abso- 
lument ce  qu'est  l'Empire  britannique  ;  mais  par  contre  il  s'est  déljattu 
dans  les  noms  des  comtés  d'Angleterre,  que  les  Anglais  eux-mêmes  ne 
savent  pas  et  qui  ne  sont  d'aucune  utilité.  Le  Cap  n'est  pour  lui  qu'une 
montagne  en  forme  de  table  recelant  des  diamants  jaunes.  Les  odyssées 
des  Boërs.  la  formation  des  républiques  de  l'Orange  et  du  Transvaal,  les 
efforts  des  Allemands  pour  se  rejoindre  au  nord  des  possessions  anglaises, 
tout  cela  est  de  l'hébreu  pour  lui.  Pourtant,  à  la  lueur  de  ces  faits, 
combien  la  géographie  de  ces  contrées  devient  intéressante  ;  le  relief  du 
sol,  le  cours  des  fleuves,  la  nature  des  terrains  prennent  aussitôt  une 
raison  d'être.  La  carte  se  transforme  en  un  échiquier. 

Le  massif  étrange  de  l'Australie  avec  son  désert  central  et  sa  ceinture 
d'États  se  présente  sous  un  aspect  très  différent.  Nulle  pari,  peut-être. 


(1)  Voir  Universités  tiansaUanliqties .  —  Hacliell^  et  C'«. 


F.   DE    COUBERTIN.     LENSEIGNEMENT   DK    LA    GÉOGHAPIUE  87'J 

riiomme  n'est  destiné  à  être  à  ce  point  l'esclave  de  la  nature.  L'Hin- 
doustan  a  d'autres  caractères,  mais  l'œuvre  accomplie  là  n'est  pas  moins 
étonnante.  Au  Canada,  les  questions  de  race,  de  climat,  de  débouchés 
s'entremêlent  de  la  façon  la  plus  curieuse,  et  tous  ces  problèmes  épais 
ont  presque  toujours  une  cause  géographique.  La  géographie  permet  d'en 
retrouver  l'origine  el  parfois  d'en  pressentir  la  solution.  N'ayez  garde 
d'oublier,  en  passant,  Hong-Kong,  Singapour,  Maurice,  Aden,  Chypre, 
Malle,  Gibraltar,  ces  stations  qui  jalonnent  la  route  des  paquebots  an- 
glais. Et  quand  vous  serez  de  retour  à  Marseille,  embarquez-vous  à  Bor- 
deaux pour  visiter  les  républiques  espagnoles.  Les  États-Unis  viendront 
ensuite,  puis  la  Chine  trop  longtemps  dédaignée  par  nous  et  qui  n'évoque, 
pour  la  plupart  de  nos  enfants,  que  l'image  de  mandarins  en  satin  jaune 
assis  dans  des  tours  de  porcelaine.  Que  de  choses  vous  leur  apprendrez 
encore  en  leur  faisant  faire  le  tour  de  la  Méditerranée,  où  se  concentrent, 
avec  l'éternelle  question  d'Orient,  un  nombre  infini  d'autres  questions 
d'ordre  européen  !  Le  tour  des  puissances  continentales  viendra  enfin 
et,  lors({u'ils  auront  ainsi  parcouru  le  monde,  ils  seront  à  même  de  visiter 
les  colonies  françaises  en  se  rendant  compte  de  leurs  avantages  et  de  leurs 
désavantages  géographiques. 

On  va  m'objecter  qu'en  tout  ceci  j'entremêle  l'histoire  et  la  géogra- 
phie. IN'e  sont-elles  pas  sœurs?  Ce  qui  est  le  plus  surprenant,  c'est  qu'on 
ait  eu  la  pensée  de  les  séparer,  et  malgré  tout  elles  arrivent  à  se  rejoindre 
en  maintes  circonstances.  Tout  ce  que  je  viens  de  dire  de  la  géographie, 
je  le  dirais  de  l'histoire,  car  il  me  paraît  tout  à  fait  étrange  que  cer- 
tains peuples  et  certaines  époques  soient  étudiés  avec  un  soin  minutieux, 
tandis  que  d'autres  peuples  et  d'autres  époques  sont  laissés  dans  l'ombre, 
lien  est  des  siècles  comme  des  terres  ;  la  proportion  est  absolument  faussée. 
Au  lieu  d'avoir  des  connaissances  générales  sur  le  passé  de  Ihumanité  et 
sur  la  constitution  du  globe,  notre  mémoire  ne  contient  le  plus  souvent 
que  des  chronologies,  des  dates  de  bataille,  des  noms  de  caps  et  de 
golfes. 

S'il  m'est  permis  d'évoquer  un  souvenir  personnel,  je  mentionnerai 
trois  cartes  historiques  dressées  par  M.  Albert  Sorel  pour  le  cours  d'his- 
toire diplomatique  qu'il  professe  à  l'École  des  sciences  politiques.  L'Eu- 
rope de  1789,  celle  de  iSlo  et  celle  de  ISSo,  ainsi  représentées,  ont  gravé 
profondément  dans  mon  esprit  l'histoire  générale  du  siècle.  Comment  n'en 
pas  saisir  les  grandes  lignes  lorsqu'on  voit,  unifiées  en  ISSo,  cette  Italie 
et  cette  Allemagne  qui  apparaissaient  en  1789  et  même  en  ISlo,  subdi- 
visées en  une  multitude  de  petits  États,  et  d'autre  part  la  péninsule  des 
Balkans  suivre  une  marche  inverse  et  se  désagréger  rapidement!  Quel- 
ques années  avant,  à  l'examen  oral  de  Saint-Cyr,  on  m'avait  interrogé  sur 
les  crises  ministérielles  du  règne  de  Louis-Philippe,  sur  les  principaux  som- 


880  GÉOGRAPHIE 

mets  du  département  des  Hautes-Alpes.  Voilà  les  deux  écoles  en  présence  : 
l'école  des  «  grands  courants  »  et  celle  des  «  petites  minuties  ».  Qu'entre 
les  deux  nos  cœurs  ne  balancent  pas.  Mettons  des  idées  à  la  place  des 
mots,  rétablissons  l'équilibre  entre  l'étude  dès  différentes  parties  du  globe 
et  la  géographie  scolaire  deviendra  réellement  ce  qu'elle  n'a  été  jusqu'ici 
que  par  étymologic  :  la  description  de  la  terre. 


M.  Georges  PAROISSE 

Professeor  de  l'Université,  chargé  de  Missions  scientifiques,  à  Paris. 


LA  RIVIÈRE  COMPOIMY  (GUINÉE  FRANÇAISE) 


—  Séance  du  7.9  septembre  IS02  — 

Bien  que  son  embouchure  ait  été  découverte  dès  le  milieu  du  xv"  siècle 
par  les  navigateurs  portugais,  le  Compony  est  resté,  jusqu'à  une  époque 
toute  récente,  le  plus  mal  connu  de  ces  cours  d'eau  que  l'on  «içlésigne  ha- 
bituellement sous  le  nom  de  Rivières  du  Sud. 

Les  premières  connaissances  précises  que  nous  possédions  sur  ce  fleuve 
datent  du  passage  de  la  mission  qui,  en  1888,  procéda,  sous  la  direction 
du  capitaine  Brosselard-Faidherbe,  à  la  délimitation  des  territoires  de  la 
Guinée  française  et  de  la  Guinée  portugaise. 

En  1891,  j'ai  eu  l'occasion  de  visiter  le  cours  inférieur  du  Compony 
et  de  le  remonter  jusqu'à  Kandiafara,  point  qui  jusqu'ici  n'a  été  dépassé 
par  aucun  Européen,  sur  le  fleuve;  c'est  le  résumé  de  mes  observations 
que  je  présente  ici. 

Le  Compony  est  le  premier  cours  d'eau  de  la  Guinée  française  que  l'on 
rencontre  en  venant  du  nord.  La  frontière  qui  sépare  notre  colonie  de  la 
Guinée  portugaise  est  ici  une  ligne  idéale  tracée  entre  le  Cassini  et  le  Com- 
pony, à  égale  distance  des  deux  fleuves. 

A  son  embouchure,  le  Compony  présente  comme  un  vaste  estuaire, 
large  de  six  à  sept  kilomètres,  ouvert  entre  des  rives  basses,  couvertes 
d'épais  fourrés  de  palétuviers.  Des  bras  secondaires,  détachés  de  la  rive 
droite,  entourent  les  îles  Tristao,  terres  d'alluvion  qui  représentent  une 
sorte  de  delta  latéral  du  fleuve. 

Orienté  d'abord  du  nord  au  sud,  l'estuaire,  à  quelques  kilomètres  de  la 
mer,  s'infléchit  à  l'est  en  diminuant  rapidement  de  largeur  et  fmit  par  se 


0.    PAROISSE.     —    LA    RIVIÈRE    COMPONY    (GULNÉE    FRANÇAISE)  881 

resserrer  dans  un  élranglement  de  600  mètres  de  large  que  des  amas  de 
roches  entassées  le  long  des  rives  rétrécissent  encore. 

Un  peu  avant  d'arriver  à  cet  étranglement,  on  aperçoit  de  nombreuses 
tètes  de  roche  disséminées  dans  le  lit  même  du  fleuve  où  elles  consli- 
luent  de  dangereux  écueils.  Les  roches  paraissent  faire  partie  d'un  grand 
banc  qui  s'étend  obliquement  d'une  rive  à  l'autre;  disloqué  par  l'action 
des  courants,  ce  banc  laisse  ouvertes  de  nombreuses  passes  ;  néanmoins, 
en  l'absence  de  tout  balisage,  un  navire  un  peu  gros  ne  se  risquerait  pas 
sans  danger  à  le  franchir. 

En  amont  de  l'étranglement,  le  Compony  reprend,  à   quelques  détours 
près,  la  direction  générale  du  nord;  sa  largeur  est  de  un  à  deux  kilomètres, 
jusqu'à  la  hauteur  du  village  de  Bassia,  où  il  s'épanouit  en  un  vaste  bas- 
.  sin  circulaire,  semé  de  quelques  ilôts. 

Jusqu'à  Hassia,  le  Compony  traverse  des  plaines  basses,  marécageuses, 
couvertes  d'une  brousse  épaisse,  dans  les  parties  les  plus  sèches,  et  de 
palétuviers  partout  où  pénètrent  les  eaux  saumàtres  refoulées  par  la  ma- 
rée. Des  palmiers  assez  nombreux  émergent  du  sein  de  ces  brousses,  les 
autres  arbres  sont  rares. 

A  partir  de  Bassia,  le  relief  du  sol  commence  à  s'accuser,  des  coteaux 
se  profilent  dans  le  lointain  et  envoient,  de  distance  en  distance,  des  con- 
treforts jusque  sur  les  rives  du  fleuve  qui,  pour  les  contourner,  décrit  de 
vastes  méandres. 

La  végétation  change  aussi  de  caractère  :  les  grands  arbres  sont  plus 
nombreux,  sans  toutefois  arriver  à  former  de  véritables  forêts;  les  palmiers, 
en  revanche,  sont  plus  clairsemés.  Peu  serrée  au  voisinage  de  Bassia,  la 
brousse,  à  mesure  qu'on  s'enfonce  vers  le  nord,  devient  de  plus  en  plus 
épaisse  et  impénétrable  ;  les  bambous  couvrent  de  vastes  étendues. 

»En  amont  de  Bassia,  la  largeur  du  Compony  diminue  assez  rapidement; 
à  une  vingtaine  de  kilomètres  de  ce  point  elle  n'est  plus  que  de  400  mè- 
tres, mais  ensuite  elle  ne  subit  plus  que  de  faibles  variations.  La  profon- 
deur reste  supérieure  à  quatre  mètres  ;  elle  varie  d'ailleurs  suivant  l'heure 
de  la  marée,  qui  pénètre  fort  loin  dans  le  fleuve.  A  Kandiafara,  à  7o  kilo- 
mètres de  l'embouchure,  la  différence  est  de  plus  de  deux  mètres,  entre 
les  niveaux  correspondant  à  la  haute  et  à  la  basse  mer. 

Cependant  l'eau  est  douce  pendant  toute  l'année  devant  Kandiafara; 
la  limite  extrême  atteinte  par  les  eaux  saumàtres,  au  fort  de  la  saison 
sèche,  alors  que  l'apport  des  eaux  douces  de  la  rivière  atteint  son  mini- 
mum, est  le  confluent  de  la  rivière  de  Babali,  à  quelques  kilomètres  au- 
dessous  de  Kandiafara. 

Avant  môme  d'arriver  à  ce  point,  on  voit  peu  à  peu  disparaître  les 
palétuviers  qui,  plus  l)as,  formaient  sur  les  rives  d'épaisses  bordures.  Les 
pandanus  les  remplacent  sur  les  terrains  marécageux. 


882  GÉOGRAPHIE 

Entre  Bassia  et  Kandiafara  le  Compony  ne  reçoit  que  des  affluents  peu 
importants,  le  principal  est  la  rivière  de  Tomboïa,  ailluent  de  gauche  qui 
vient  du  nord-est.  Cette  rivière  est,  au  dire  des  noirs,  navigable,  au  moins 
pour  des  chaloupes,  sur  un  assez  long  parcours. 

Au-dessous  de  Bassia,  le  Compony  ne  reçoit  pas  d'affluents  ;  il  envoie 
au  contraire,  à  droite  et  à  gauche,  des  marigots  plus  ou  moins  importants 
qui  reviennent  dans  le  lit  majeur  ou  vont  s  anamostoser  avec  ceux  qui 
se  détachent  du  Rio-Nunez  et  du  Cassini,  les  deux  estuaires  entre  lesquels 
se  trouve  celui  du  Compony. 

J'ai  pu,  en  utilisant  l'un  de  ces  marigots,  faire  passer  mon  canot  du 
Compony  au  Nuiiez,  sans  sortir  en  mer. 


POPULATIONS 

Les  rives  du  Compony,  du  Kandiafara  à  la  mer,  sont  peu  peuplées  ; 
mais  parmi  les  indigènes  on  rencontre  des  représentants  de  plusieurs  races 
fort  différentes. 

Dans  les  plaines  marécageuses  du  littoral,  on  trouve  quelques  villages 
peuplés  de  Bagas.  C'est  là,  je  crois,  l'extrême  limite  atteinte,  vers  le  nord, 
par  cette  race  dont  on  rencontre  de  petites  colonies  dispersées  le  long  de 
la  côte  jusqu'à  la  Dubréka. 

Les  Bagas  du  Compony  me  paraissent  être  les  plus  arriérés  des  représen- 
tants de  cette  race  qui,  autrefois  maîtresse  du  pays,  a  été  refoulée  dans 
les  marais  voisins  de  la  mer  par  les  envahisseurs  de  race  Sou-sou. 

Les  Bagas  ne  se  rencontrent  pas  aux  îles  Tristao  dont  la  population 
est  composée  en  majeure  partie  de  Nalous  venus  de  la  rive  droite  du  Rio- 
Nunez.  Le  nombre  de  ces  réfugiés  s'est  beaucoup  accru  pendant  ces  der- 
nières années,  à  la  suite  des  guerres  suscitées  par  Dinah-Salifou,  le  chef 
Nalou  que  l'on  a  vu  en  France  lors  de  l'Exposition  de  1889. 

Le  gros  bourg  de  Capken,  sur  l'île  Robert,  est  le  plus  important  des 
centres  habités  des  îles  ïristao.  Sur  l'île  Aube,  on  ne  trouve  pas  de  véri- 
tables villages,  chaque  famille  groupant  ses  cases  à  part.  A  l'extrémité 
nord-ouest  de  cette  île  se  trouve  l'établissement  commercial  et  agricole  de 
Franceville,  fondé  en  1890  par  la  Compagnie  française  des  îles  Tristao. 

En  remontant  le  Compony,  on  trouve  sur  la  rive  gauche  le  village  de 
Bassia  dont  nous  avons  déjà  cité  le  nom.  Bassia  se  compose  de  plusieurs 
groupes  de  cases,  au  bord  du  fleuve  ;  il  n'y  en  a  que  quelques-unes  habi- 
tées par  des  traitants,  sénégalais  ou  sierra-léonais,  placés  là  par  les  mai- 
sons de  commerce  françaises  et  anglaises  du  Rio-Nuiîez.  En  s'éloignant  du 
rivage,  on  rencontre  un  autre  hameau  peuplé  par  des  captifs  chargés  de 
cultiver  les  terrains  environnants  et  enfin,  à  deux  kilomètres  du  fleuve, 


G.    PAROISSE.     —    L.\    UIVIKRF    COMPONY    (GLINKE    FRANÇAISE)  883 

on  arrive  au   village  proprement   dit,    celui  qu'habite   le    chef  M'Fàli. 

Ce  village  est  entouré  d'une  double  palissade,  renforcée  à  la  base  par 
un  parapet  en  terre,  percé  de  meurtrières.  Il  a  repoussé  victorieusement 
l'attaque  des  bandes  de  Dinah-Salifou  :  les  crânes  des  guerriers  Nalous 
restés  sur  le  terrain  ornaient  encore,  lors  de  mon  passage,  les  palissades, 
de  chaque  côté  de  la  porte. 

Les  habitants  de  Bassia  et  des  environs  se  disent  Djolas  et  parents  des 
Mandingues. 

En  amont  de  Bassia,  le  pays  traversé  par  le  Compony  est  inhabité, 
jusqu'à  Kandiafara.  Le  village  de  Boufira.  fondé  par  une  colonie  de  Sou- 
sous  sur  un  promontoire  de  la  rive  gauche,  non  loin  de  Bassia,  a  été  ré- 
cemment abandonné  par  ses  habitants.  Plus  haut,  sur  la  rive  droite,  on 
voit  l'emplacement  de  Caxham,  village  Nalou  détruit  par  les  gens  du  Fo- 
réah,  dont  les  incursions  ont  fait  un  désert  de  toute  cette  fertile  région. 

Kandiafara  même  n'est  qu'un  comptoir  commercial,  habité  par  trois  ou 
quatre  traitants  sénégalais  qui  trafiquent,  pour  le  compte  des  factoreries 
du  Nunez,  avec  les  habitants  du  Foréah. 

J^es  premiers  villages  du  Foréah  ne  se  rencontrent  qu'à  une  certaine 
distance  de  la  rive  droite  du  Compony  ;  leurs  habitants  sont  des 
Foulahs  noirs,  c'est-à-dire  que,  chez  la  plupart  d'entre  eux,  le  sang  de  la 
race  Foulah  est  fortement  mêlé  à  celui  des  peuplades  ambiantes. 

En  remontant  la  rivière  de  Tomboïa,  que  nous  avons  signalée  comme 
alïluent  de  gauche  du  Compony,  après  avoir  traversé  une  zone  déserte 
d'une  quinzaine  de  kilomètres  de  largeur,  on  arrive  chez  les  Tandas, 
petite  peuplade  dont  le  chef  réside  à  Tomboïa.  Ce  chef  est  vassal  du  roi 
des  iS'alous  du  Nunez,  mais  ce  vasselage  est  aujourd'hui  purement  nominal. 


COURS    SUPÉRIEUR    DU    COMPONY 


En  amont  de  Kandiafara,  aucun  Européen  n'a  remonté  le  Compony,  qui 
cependant  est  encore  facilement  navigable  jusqu'à  une  distance  probable- 
ment très  grande. 

En  1880,  M.  Olivier  de  Sandervale  traversa,  directement  à  l'est  des 
sources  du  Rio-Nunez,  à  plus  de  deux  cents  kilomètres,  à  vol  d'oiseau,  de 
Kandiafara,  une  série  de  ruisseaux  qui,  après  un  court  trajet  vers  le  nord, 
se  réunissaient  dans  un  lit  commun,  courant  à  l'ouest.  C'étaient  les  sources 
du  Cogon,  la  branche  maîtresse  du  Compony. 

En  1860,  Lambert  avait  déjà  traversé  le  Cogon  à  quatre-vingts  kilomètres 
plus  bas,  près  de  Kitala.  Là  il  coule  vers  le  nord-ouest,  direction  qu'il 
conserve  probablement  pendant  une  centaine  de  kilomètres.  Pendant  ce 


884 


GEOGRAPHIE 


trajet  il  reçoit  un  important  aflluent,  le  Teliri,  qui  a  été  entrevu  par  Hec- 
quard  et  Olivier  de  Sanderval. 

Arrivé  à  une  faible  distance  du  Kroubal,  le  grand  fleuve  de  la  Guinée 
portugaise  qui  alimente  l'estuaire  do  Géba,  le  Compony  tourne  encore 
brusquement  à  angle  droit,  ainsi  que  l'a  reconnu  le  capitaine  Brosselard- 
Faidherbe,  et  se  dirige,  au  sud-ouest,  vers  Kandiafara,  d'où  il  coule  au 
Sud,  vers  la  mer. 

La  longueur  totale  du  Compony,  sans  tenir  compte  des  petits  méandres 
du  lit,  paraît  être  d'environ  trois  cent  cinquante  kilomètres,  mais,  par 
suite  de  l'énorme  détour  qu'il  fait  vers  le  nord,  la  distance  en  ligne 
droite,  des  sources  à  l'embouchure,  n'est  guère  que  de  deux  cent  trente 
kilomètres. 

Par  la  longueur  de  son  cours,  la  richesse  et  la  fertilité  de  la  vallée  qu'il 
arrose,  ce  fleuve  est  certainement  appelé  à  jouer  un  grand  rôle.  Lorsqu'il 
sera  mieux  connu,  il  deviendra  bientôt  une  des  artères  les  plus  impor- 
tantes de  la  Guinée  française. 


M.    II.    COTJDItEATJ 


Cliargé  du  Missions  si'iuiilHiiiiics,  à  Paris. 


ETUDE     DE     LA     CHAINE     DES     MONTS     TUMUC-HUMAC 


Smticc  du   ly  sepleiiibve  IS92  — 


Les  Tumuc-Humac  m'ont  coûté  beaucoup  de  mal. 

On  pense  bien  que  ce  n'est  pas  avec  mes  seuls  itinéraires  que  j'ai  pu 
établir  ma  carte  de  ces  moiïtagnes.  Les  itinéraires  ne  laissent  qu'une 
ligne  étroite  sur  la  carte  et  ne  donnent  aucune  idée  de  l'ensemble.  C'est 
par  les  hauts  points  de  vue,  les  panoramas  que  l'on  peut  juger  de  la 
configuration  générale  d'un  système  orographique,  et  des  renseignements 
qu'il  faut  constater  et  discuter  viennent  brocher  sur  le  tout. 

Les  panoramas  sont  rares  dans  les  Tumuc-Humac. 


II.    COL'DUEAL'.    ÉTUDE    DE    LA    CIIAIN'E    DES    MONTS    TUMUC-llI  MAC         88o 

Il  m'est  arrivé  souvent,  tant  au  Maroni  qu'à  l'Oyapock,  de  faire  deux  ou 
trois  jours  de  marche  pour  arriver  à  quelque  haut  sommet  dont  m'avaient 
parlé  les  Indiens.  En  route,  je  n'avais  qu'un  maigre  itinéraire  :  les  petits 
aflluents  de  quelque  crique  dont  nous  suivions  la  vallée  à  mi-côte. 
Arrivé  au  sommet,  rien,  pas  une  éclaircie  dans  la  forêt  serrée  ;  je  faisais 
alors  abattre  des  arbres,  ce  qui  dégageait  le  paysage,  mais  des  collines 
prochaines  me  cachaient  le  lointain,  et  je  n'apercevais  autour  de  moi 
que  de  vagues  masses  bleues  entre  les  branchages  des  éminences  voi- 
sines, ou  bien  encore  deux  ou  trois  petites  montagnes  peu  éloignées  qui 
me  cachaient  tout  l'horizon,  En  hiver,  c'est  pis  encore;  d'épais  brouil- 
lards pèsent  sur  les  hauteurs  :  il  faut  souvent  attendre  deux  ou  trois 
jours  qu'une  éclaircie  se  fasse  dans  ce  ciel  de  grisaille. 

Pour  jouir  d'un  panorama  d'ensemble,  il  faudrait  trouver  de  hautes 
montagnes  au  sommet  dénudé  ;  mais  dans  cette  région  sans  savanes  et 
aux  faibles  altitudes,  ces  montagnes  sont  très  rares,  je  n'en  ai  découvert 
que  trois  sur  plus  de  deux  cents  que  j'ai  escaladées  ou  vues  :  Mitaraca, 
dans  les  hauts  de  Marouini  ;  Tayaouaou,  aux  sources  de  l'Oyapock,  ei 
Témomairem,  aux  sources  de  Coulécoulé  et  de  .Mapahony.  Encore,  la  pre- 
mière et  la  dernière  seules  donnent-elles  un  point  de  vue  parfait,  per- 
mettant de  prendre  un  excellent  tour  d'horizon. 

Mitaraca  est  terminée  par  une  énorme  roche  granitique  en  forme  de 
cône,  roche  si  complètement  dénudée  qu'on  n'y  trouve  même  pas  une 
touffe  d'herbe  pour  s'aider  à  grimper.  Le  sommet  de  la  roche  est  à 
o80  mètres  d'altitude.  L'ascension  est  difficile  et  périlleuse  ;  la  roche, 
étant  presque  à  pic  et  nue,  donne  le  plus  beau  panorama  que  j'aie  vu 
pendant  ces  deux  ans  ;  celui  des  Ïumuc-Humac,  de  Maroni,  à  près  de 
vingt  lieues  à  la  ronde.  Mitaraca  est  un  des  géants  de  Tumuc-Humac  et 
la  seule  montagne  de  la  chaîne  qui  présente,  je  crois,  un  aussi  beau  bel- 
védère. De  son  sommet,  le  système  orograplhque  de  la  contrée  se  dé- 
couvre tout  à  coup  dans  son  ensemble,  comme  à  un  brusque  lever  de 
rideau. 

Tayaouaou,  élevée  seulement  de  450  mètres,  est  terminée,  au  cou- 
chant, par  une  muraille  granitique  perpendiculaire,  de  100  mètres  d'élé- 
vation. Tayaouaou  donnerait  un  aussi  beau  point  de  vue  que  Mitaraca 
si  elle  était  déboisée  à  son  sommet.  Mais  on  est  obligé  de  profiter  de  diffé- 
rentes éclaircies  qui  existent  sur  le  pourtour  pour  embrasser  successive- 
ment les  différents  points  de  l'horizon.  Toutefois,  moins  élevée  que 
Mitaraca,  son  champ  visuel  ne  s'étend  qu'à  douze  ou  quinze  lieues 
alentour,  jusqu'à  la  chaîne  d'Eureupoucigne  au  nord  ;  aux  montagnes  des 
sources  de  l'Oyapock  au  sud,  et  à  la  petite  chaîne  d'Agamiouare  au 
sud-est, 

Témomairem  donne  un  point  de  vue  presque  aussi  beau  que  celui 


I 


886  GÉOGRAPHIE 

dont  on  jouit  du  sommet  de  Milaraca.  Pour  arriver  à  Témomaïrem,  sur 
le  sentier  de  Mapahony-ltany,  on  rencontre  une  série  d'éminences  en 
gradins  successifs,  éminences  que  domine  la  roche  de  Témomaïrem. 

Au  pied  de  la  roche  s'étendent  des  terrains  granitiques  sur  lesquels 
aucun  arbre  n'a  poussé.  C'est  une  petite  savane,  belvédère  naturel,  d'où 
l'œil  embrasse  distinctement,  par  un  ciel  clair,  l'horizon  de  Timo- 
takem  et  de  son  groupe,  et  celui  des  montagnes  du  chemin  du  Parou. 

Gravit-on  la  roche  élevée  d'une  cinquantaine  de  mètres  au-dessus  du 
dernier  gradin  du  plateau,  on  découvre  (si  on  ne  s'est  pas  rompu  le 
cou  en  faisant  l'ascension  des  rochers  à  pic)  un  horizon  splendidement 
élargi.  Par  delà  les  vagues  verdoyantes  de  la  mer  des  forêts  vierges,  on 
embrasse  les  piliers  de  l'immense  arène  circulaire;  de  grosses  masses 
aux  sommets  blancs  de  quartz  servent  de  soubassement  à  l'azur.  A 
l'ouest,  on  voit  jusqu'à  Teïrokem  sur  le  chemin  du  Parou  ;  à  l'est,  on 
saisit  nettement  les  groupes  de  Mitaraca,  de  Timotakem  et  de  la  chahie 
de  Chimichimi.  Témomaïrem  et  Mitaraca  valent  à  elles  seules  le  voyage 
de  Paris  en  Guyane  centrale . 

Tayaouaou,  Mitaraca  et  Témomaïrem  m'ont  suffi  pour  jeter  les  bases 
d'une  première  triangulation  des  Tumuc-Humac.  De  chacun  de  ces  trois 
sommets,  je  prenais,  au  théodolite,  les  angles  des  sommets  visibles  et  je 
mesurais  ensuite,  au  podomètre,  le  plus  de  bases  que  je  pouvais.  Tout 
cela  est  approximatif  et  grossier,  sans  doute,  mais  encore  cela  est-il  fait. 

Je  puis  aujourd'hui  donner,  sans  crainte  de  me  tromper,  une  des- 
cription géographique  sommaire  de  l'ensemble  de  la  chaîne  des  Tumuc- 
Humac  (planche  VU). 

L'ensemble  de  la  chaîne  fait  est-sud-est  environ  ;  par  conséquent, 
elle  est  à  peu  près  parallèle  à  la  côte.  Il  n'y  a  pas  de  chaîne  de  sépa- 
ration des  eaux.  Les  Tumuc-Humac  se  composent  de  chaînons  brisés, 
jetés  sur  les  plateaux  comme  au  hasard  et  sans  logique  apparente. 

Les  Tumuc-Humac  occidentales,  ou  du  Maroni,  se  composent  de  deux 
chaînes  sans  parallélisme,  distantes  l'une  de  l'autre  de  quarante  kilomètres 
environ,  et  ayant  chacune  plusieurs  contreforts.  La  chaîne  du  nord 
commence  aux  montagnes  de  la  Haute-Itany,  passe  par  le  piton  Apoiké, 
Palourouimènepeu,  Mitaraca  et  le  pic  d'Amana,  et  compte  une  vingtaine 
de  sommets  principaux .  La  chaîne  du  sud  commence  aux  montagnes  du 
Parou  et  passe  par  Timotakem  ;  elle  compte  une  douzaine  de  sommets. 
Mitaraca  est  le  pic  le  plus  élevé  de  la  chaîne  nord,  et  Timotakem  est  le 
plus  élevé  de  la  chaîne  sud.  Timotakem  peut  avoir  800  mètres  d'altitude 
absolue.  L'altitude  maximum  des  Tumuc-Humac  françaises  est  donc  à 
Timotakem.  La  chaîne  nord  envoie  entre  Itany  et  Marouini  un  im- 
portant chaînon  qui  a  quinze  ou  vingt  sommets  principaux  et  qui  s'em- 
branche à  Mitaraca.  Elle  envoie  de  là,    entre  Itan^  et   Mapahony,  un 


H.  COUDREAU.   —    ÉTUDE    DE    LA    CHAINE   DES    MONTS    TUMUC-HUMAC         887 

chaînon  de  sept  sommets  qui  s'embranche  à  Tenének-Patare,  par  où 
passe  le  sentier  de  Mapahony.  A  l'est,  les  deux  chaînes  sont  reliées  en- 
semble par  plusieurs  chaînons  faisant  nord-est,  chaînons  que  j'ai  vus  se 
prolonger  jusque  non  loin  de  Paritou,  sur  les  rives  de  l'Araoua,  et  qui 
>ont  l'amorce  de  la  grande  chaîne,  haute  comme  les  Tumuc-Humac,  qui, 
par  les  chaînons  du  Haut-Sinnamary  et  de  la  Montagne  de  Plomb,  court 
du  sud  au  nord  de  la  Guyane  française,  des  Tumuc-Humac  à  l'Atlan- 
tique. 

Au  delà  des  chaînons  latéraux  nord-est,  où  s'embranche  la  grande 
chaîne  sud-nord  de  la  Guyane,  les  Tumuc-Humac  ne  donnent  plus  leurs 
eaux  aux  affluents  du  Maroni,  mais  à  ceux  de  l'Oyapock  ;  ce  sont  les 
Tumuc-Humac  de  l'Oyapock  ou  les  Tumuc-Humac  orientales. 

Les  Tumuc-Humac  orientales  se  composent  de  trois  chaînes  disposées 
en  éventail,  plus  écartées  les  unes  des  autres  que  les  chaînes  des  Tumuc- 
Humac  occidentales,  et  s'écartant  de  plus  en  plus  à  mesure  qu'elles 
avancent  vers  le  levant,  La  chaîne  nord  semble  s'embrancher  aux  pro- 
longements orientaux  de  Timotakem  et  passer  par  Tapiirangnannawe  et 
Eureupoucigne-Iouitire  ;  elle  paraît  élevée  de  plus  de  5.000  mètres.  J'en 
ai  vu  cinq  grands  pics  au  nord  de  la  rivière  d'Eureupoucigne.  La  chaîne 
centrale  s'embranche  à  Tapiirangnannawe  et,  par  de  petites  collines, 
arrive  aux  montagnes  de  Tacouaudewe  et  de  Tayaouaou  et  se  poursuit 
par  les  collines  de  Moutaquouère  pour  finir  aux  montagnes  du  bas 
Ourouaïtou,  J'y  ai  compté  plus  de  cinquante  sommets  principaux.  Les 
plus  grandes  altitudes  paraissent  être  de  oOO  mètres.  La  chaîne  sud 
passe  pour  être  la  plus  élevée  ;  elle  s'embranche  à  Timotakem  et,  coupant 
les  hauts  de  Couyary  et  de  Kouc,  elle  se  poursuit  par  les  montagnes  de  la 
tête  d'Ourouaïtou,  de  Mapari,  de  Caroni  et  d'Araguary.  Je  lui  connais 
une  quinzaine  de  sommets  principaux.  Elle  envoie  un  chaînon  nord-est 
rejoindre  la  chaîne  du  centre.  C'est  à  ce  chaînon  que  l'Oyapock  prend  sa 
source,  beaucoup  plus  au  sud  que  ne  l'avait  supposé  Crevaux.  La  chaîne 
sud  se  continue  est-sud-est  jusque  dans  le  bas  Araguary,  où  je  la  vis,  en 
1883.  lors  de  mes  premiers  voyages  dans  les  régions  de  l'Amérique 
équinoxiale . 

Pour  ce  qui  est  des  sources  des  plus  grands  cours  d'eau,  je  me  bornerai 
aux  certitudes  que  j'ai  acquises.  L'itany  prend  sa  source  beaucoup  plus 
à  l'ouest  qu'on  ne  l'avait  supposé,  à  quinze  lieues  au  moins  du  village 
d'Apoiké.  Marouini  vient  de  fort  loin  dans  le  sud,  probablement  de 
Timotakem  qui  donne  aussi  la  source  de  Pilili.  Ouanapi,  grand  affluent 
de  droite  de  Marouini,  Camopi,Yaroupi,  Kerindioutou,  Kouc  et  Couyary 
viennent  du  massif  de  Tapiirangnannawe. 

Le  régime  des  sources  de  l'Oyapock  est  singulier.  Changeant  trois  fois 
de  nom,  s'appelant  d'abord  Kerindioutou,   Ouaatéou,  puis  Souanre,   le 


888  GKOGRAPHIE 

haut  Oyapock  avance  entre  Koiiapir  et  Piraruuiri,  atïluents  du  Yary, 
qui  prennent  leurs  sources  à  quatre  ou  cinq  jours  de  marche  plus  au  nord 
que  lui.  L'Oyapock,  sous  le  nom  de  Souanre,  descend  du  mont  Ouata- 
guampa,  au  sud  du  point  oi^i  Crevaux  s'embarqua  dans  Ourouari  (en 
oyampi  :  Ourouareu),  branche  de  Rouapir  qu'il  prit  pour  cette  grande 
rivière  et  qui  lui  coûta  les  difficultés  que  l'on  sait.  Un  des  affluents  de 
gauche  de  Souanre,  Teïtétou-Iioyâwe,  communique,  l'hiver,  par  un 
marais  avec  Ourouari,  sous-affluent  du  Yary,  unissant  ainsi  les  eaux  de 
rOyapock  à  celles  de  l'Amazone, 

Au  sud  de  Ouataguampa,  qui  se  trouve  sur  le  chaînon  reliant  la  chaîne 
centrale  à  la  chaîne  du  sud,  le  fleuve  Cachipour,  sous  le  nom  d'Ourouaïtou, 
reçoit  ses  premières  eaux.  Deux  grands  affluents  de  droite,  Mapari  et 
Caroni,  et  un  affluent  de  gauche,  Agamiouare,  prennent  également  leurs 
sources  dans  les  grandes  montagnes  de  la  chaîne  du  sud.  En  continuant 
au  levant,  on  traverse  deux  affluents  du  Yary,  Inipocko  et  Moucourou. 
Enfin,  un  peu  plus  loin,  à  une  forte  montagne  de  la  môme  chaîne  du 
sud,  auwmont  Icawe.  l'Araguary  prend  sa  source  dans  le  versant  nord  du 
pic,  tandis  que  le  versant  sud  donne  naissance  h,  l'Iratapourou,  grand 
affluent  de  gauche  du  bas  Yary.  L'Araguary  coule  d'abord  nord-est, 
parallèlement  à  l'Ourouaitou,  puis  ce  dernier  fleuve,  à  un  grand  saut 
qui  se  trouve  à  environ  deux  jours  en  aval  du  confluent  de  rOarouaïtou 
et  du  Mapari,  envoie,  dit-on,  un  bras  rejoindre  l'Araguary  qui  ne  coule 
qu'à  un  jour  de  là.  A  partir  de  ce  point,  l'Ourouaitou  (ou  Cachipour) 
coule  dans  sa  direction  première,  c'est-à-dire  parallèlement  à  l'Oyapock; 
mais  l'Araguary  tourne  brusquement  à  l'est  pour  couler  est-sud-est,  lon- 
geant ou  coupant  la  chaîne  des  Tumuc-Humac. 

C'est  le  haut  Araguary  que  j'ai  donné  pour  frontière  orientale  à  mes 
investigations. 

Des  lacs,  dont  j'avais  entendu  parler  par  de  vieux  auteurs,  point.  Seu- 
lement des  pripris,  marécages  de  très  petite  étendue,  pouvant  à  peine 
figurer  sur  une  carte  à  grande  échelle  et  qui  se  dessèchent  presque  com- 
plètement pendant  l'été;  marais,  pripris  d'ailleurs  jamais  particuliers  à 
la  région,  et  que  l'on  trouve  assez  fréquemment,  à  peu  pré'-  parlout  dans 
les  Guyanes,  de  l'Atlantique  à  l'Amazone.  Je  n'ai  découveu  qu'un  seul  lac 
permanent,  celui  de  Tacouandewe,  qui  a  tout  au  plus  trois  kilomètres 
de  long  sur  cinq  cents  mètres  de  large. 

A  côté  de  cette  esquisse  oro-hydrographique  des  chaînes  et  des  chaînons 
des  Tumuc-Humac,  je  ne  donnerais  point  une  description  de  paysagiste 
qui  ne  pourrait  être  que  fastidieuse.  Je  me  proposais  d'en  rapporter  des 
photographies;  j'avais  appris  de  mon  mieux  mon  métier  de  photographe 
et  j'avais  obtenu  à  Cayenne  des  résultats  satisfaisants.  Je  pris,  dans  les 
Tumuc-Humac,  quatre-vingts  paysages  et  types.  Pour  ne  pas  m'encom- 


H.    COUDREAU.  —  ÉTUDE    HE    L.V  CHAINE  DES  MONTS  TUMUC-HLMAC         889 

brer,  je  n'avais  pas  emporté  les  produits  nécessaires  pour  tirer  les  positifs, 
je  conservais  mes  clichés  en  plaques  impressionnées,  soigneusement 
enfermées  dans  des  boîtes  à  l'abri  de  l'humidité.  Mais  rien  n'est  à  l'abri 
de  l'humidité  dans  ces  hivernages  aux  Ïumuc-Kumac,  et  lorsque  je 
voulus  révéler,  la  gélatine  avait  coulé  et  je  n'obtins  aucun  résultat  pré- 
sentable. Heureusement  que  j'avais  dessiné  les  doubles  de  tout  ce  que 
j'avais  pris.  Les  papiers  pour  les  positifs  se  gâtent  au  bout  de  trois  ou 
quatre  mois  de  séjour  en  Guyane,  Les  photographes  amateurs  de  Cayenne 
le  savent  bien.  Pour  opérer  aux  Tumuc-Humac,  il  faudrait  une  série  de 
ravitaillements  rapides  et  bien  organisés. 

Les  paysages  des  Tumuc-Humac  ne  sont  point,  d'ailleurs,  mouve- 
mentés, pour  la  plupart  du  moins.  Qu'on  se  représente  des  vallées  pro- 
fondes entre  des  pentes  abruptes,  des  marécages  au  fond  des  ravins.  Sur 
les  montagnes,  une  haute  futaie,  rembourrée  d'épais  taillis  ;  sous  ces 
taillis,  des  petits  palmiers,  des  plantes  grasses,  des  feuilles  mortes.  C'est 
un  dédale  de  plusieurs  centaines  de  sommets  hauts  de  400  à  800  mètres, 
ne  dessinant  des  chaînes  que  par  à  peu  près,  avec  des  criques  au  fond 
des  brèches,  beaucoup  de  chutes  d'eau  dans  ces  criques,  beaucoup  de 
marais  de  ruisseau  à  ruisseau,  un  labyrinthe  où  il  faut  la  moitié  du 
temps  patauger  dans  la  boue  ou  escalader  des  montagnes,  et,  par-dessus 
la  tête  du  voyageur,  une  épaisse  masse  de  verdure  sans  une  éclaircie, 
pas  de  soleil  pendant  le  jour  et  pas  d'étoiles  pendant  la  nuit.  La  vie  se 
manifeste  dans  ces  déserts  par  des  grouillements  d'insectes,  des  ren- 
contres de  reptiles  de  toute  nuance  et  de  toute  taille,  des  gambades  de 
macaques,  de  couatas  et  de  singes  rouges  qui  causent  à  leur  manière  dans 
les  hautes  branches,  à  quarante  mètres  de  hauteur  ;  de  rares  défilés  de 
lioccos,  d'agamis,  de  cochons  marrons,  animaux  sociables  qui  vont  par 
bandes;  de  rares  tête-à-tête  avec  des  solitaires,  tels  que  le  tigre  ou  le 
caïman.  Et  parfois  on  marche  deux  ou  trois  jours  sans  trouver  rien  à 
mettre  au  bout  du  fusil:  pas  un  agami,  pas  un  petit  oiseau.  Telles 
apparaissent  actuellement  les  Tumuc-Humac  et  telles  elles  se  montreront 
jusqu'à  l'heure  lointaine  où  on  les  aura  déboisées. 


890  GÉOGRAPHIE 


M.  ÏÏOÏÏEST 

Lieutenant  de  vaisseau,  à  Toulon. 


PROJET  D'EXPLORATION  DU  COURS  MOYEN  DU  NIGER 


—  Séance  du  19  septembre  i892 


HISTORIQUE 


Sous  l'appellation  «  neilos  »  qui  devait  plus  tard  prêter  aux  confusions 
géographiques  les  plus  extraordinaires,  le  Niger  a  été  évidemment  connu 
des  anciens  au  moins  par  les  récits  des  indigènes  avec  lesquels  les 
Égyptiens,  les  Carthaginois  et  plus  tard  les  Romains  se  trouvèrent  en 
rapport. 

Ibn-Batouta  le  suivit  dans  une  partie  de  son  cours  et  parle  du  fameux 
Malli  ou  Melle,  empire  indigène  sur  la  position  duquel  on  est  assez  mal 
fixé. 

Mais  il  faut  arriver  jusqu'à  Mungo-Park  pour  avoir,  sur  le  grand 
fleuve  africain,  des  détails  précis  et  non  des  racontars  semi-légendaires  où 
le  fantastique  se  mêle  au  réel  de  façon  à  l'obscurcir  parfois. 

Dans  un  premier  voyage  qu'il  dut  interrompre  à  Silla,  le  voyageur 
écossais  fît  connaître  à  l'Europe  le  cours  du  Niger  entre  Bamako  et  ce 
point. 

Dans  un  deuxième  séjour,  l'intrépide  explorateur  entreprit  de  com- 
pléter son  étude.  11  sut  se  concilier  le  fama  Mansong  qui  régnait  à 
Ségou  sur  les  Bambaras  et  partit  de  Sansanding  sur  une  pirogue  qu'il 
avait  gréée  et  voilée  en  goélette. 

Les  dernières  nouvelles  qu'on  ait  reçu  de  sa  main  datent  de  ce  point. 
A  partir  de  ce  moment  c'est  aux  dires  de  son  guide  Amadi  Fatouma  qu'il 
faut  se  fier.  D'après  cet  indigène,  Park  aurait  atteint  Boussa,  où,  assailli 
par  les  indigènes,  pris  dans  les  rapides  qui  existent  en  ce  point  il  aurait 
p  éri  noyé  après  avoir  vu  ses  compagnons  succomber  sous  les  coups  des 
noirs. 

L'enquête  à  laquelle  s'est  livré  Barth,  les  récits  des  frères  Lander  ont 
confirmé  dans  ses  parties  les  plus  saillantes  les  récits  du  guide  de  Park 


HOURST.  —   PROJET   D  EXPLORATION    DU    COURS    MOYEN   DU  NIGER         891 

et  il  paraît  constant  que  la  pirogue  de  l'explorateur  a  pu  suivre  jusqu'à 
Boussa  le  cours  du  Niger. 

Depuis,  et  jusqu'à  nos  jours,  un  seul  voyageur  a  aperçu  le  fleuve  au 
delà  de  Tombouctou  et  jusqu'à  Say. 

Dans  son  magnifique  voyage,  alors  que,  après  un  séjour  à  Tombouctou, 
Barth  redescendait  vers  le  Haoussa  avec  le  sauf  conduit  et  l'escorte  qui 
lui  avaient  été  donnés  par  Sidi-Beckay,  cheik  de  Tombouctou,  sa  route 
lui  a  fait  côtoyer  à  peu  de  distance  la  rive  gauche  du  Niger. 

Il  faut  remarquer  que  Barth  voyageait  au  mois  de  juin  lorsqu'il  s'en- 
quit  des  conditions  de  navigabilité  du  Niger. 

Même  à  ce  moment,  d'après  lui,  un  seul  passage  était  impraticable, 
celui  d'Ikeriziden,  mais  le  fait  du  passage  de  Park,  avec  une  embarca- 
tion aussi  rudimentaire  que  celle  qu'il  possédait  prouve  bien  que  la  crue 
couvre  les  roches  d'une  hauteur  d'eau  assez  grande  pour  ouvrir  passage 
à  un  bâtiment  de  faible  calage.  L'époque  de  la  plus  grande  crue  doit 
être  vers  la  fin  de  décembre. 

Partout  ailleurs,  et  jusqu'à  Say,  des  rapides,  des  roches,  mais  rien  qui 
rende  absolument  impraticable  la  descente. 

Entre  Say  et  l'embouchure  du  N'guilbi  Sokoto,  on  n'a  aucun  rensei- 
gnement sur  la  navigabilité  du  fleuve  si  ce  n'est  le  fait  du  passage  de  Park. 

Enfin,  plus  bas,  les  cartes  anglaises  n'indiquent  aucune  chute. 

Le  véritable,  le  seul  obstacle  reste  donc  Boussa,  encore  que  d'après 
tous  les  renseignements  il  n'y  existe  pas  aux  hautes  eaux  de  chute  à 
proprement  parler,  mais  bien  des  rapides,  très  difficiles  il  est  vrai  mais 
peut-être  possibles  à  redescendre  avec  quelque  adresse  s'ils  ne  peuvent 
être  remontés. 

ENTREPRISES    CONTEMPORAINES 

Dans  les  instructions  données  à  Mage  par  le  général  Faidherbe,  il  lui 
recommandait  s'il  était  possible  de  redescendre  le  cours  du  Niger  et  de 
l'explorer.  Mage  avait  même  emporté  à  cet  effet  une  embarcation.  On  sait 
que  ce  canot  dut  être  laissé  à  Bafoulabé  et  que  les  événements  politiques 
ne  permirent  pas  à  Mage  de  dépasser  le  Ségou . 

Depuis,  l'idée  de  l'illustre  général  fut  reprise  dès  les  débuts  du  Soudan 
et,  en  1883,  une  canonnière  le  Niger,  fut  transportée  par  morceaux  et 
montée  à  Bamako  par  l'enseigne  de  vaisseau  Froger. 

Les  moyens  de  transport,  fort  rudimentaires  encore  maintenant,  n'exis- 
taient pour  ainsi  dire  pas  en  1883  et  malgré  toute  l'énergie  de  son  com- 
mandant Je  Niger  ne  put  dépasser  Koulikoro,  à  70  kilomètres  en  aval  de 
Bamako,  son  chantier  de  construction. 

Le  lieutenant  de  vaisseau  Davoust,  qui  succéda  à  Froger,  atteignit  Nou- 
hou  dans  le  Massina  au  delà  du  marigot  de  Diakha. 


892  GÉOGRAPHIE 

Mais  ce  ne  fut  qu'en  1887  que  le  lieutenant  de  vaisseau  Caron  put 
atteindre  Korioumé,  port  de  Tombouctou  sur  le  Niger. 

En  1888,  M.  Davoust,  accompagné  de  l'auteur  de  cette  communication, 
amenaient  à  Manambougou  une  deuxième  canonnière,  le  Mage,  construit 
sur  les  mêmes  plans  que  le  Niger. 

Davoust  avait  pu  apprécier  par  expérience  tous  les  inconvénients  du 
Niger  ;  il  essaya  de  les  atténuer  sur  le  Mage  en  construisant  autour  de 
sa  coque  en  fer  une  deuxième  coque  en  bois  destinée  à  augmenter  la 
stabilité  de  la  canonnière,  à  donner  du  logement  à  l'équipage  et  à  per- 
mettre l'embarquement  d'une  plus  grande  quantité  de  vivres  et  de  com- 
bustible. 

Mais  un  pareil  travail  au  milieu  des  marais  de  Manambougou  et  en 
plein  hivernage  ne  put  être  fait  qu'au  prix  d'un  retard  considérable  qui 
fit  manquer  l'exploration  de  cette  année.  Treize  Européens  sur  dix-huit 
que  comptaient  les  équipages  des  deux  canonnières  périrent  de  fièvre  ou 
de  dysenterie.  Davoust  lui-même  en  fut  une  victime. 

En  1889  M.  Jaime  renouvela  le  voyage  de  Caron,  il  atteignit  Korioumé 
mais  ne  dépassa  pas  ce  point.  Les  résultats  de  ce  voyage  furent  nuls, 
nuisibles  même,  car  il  jugea  devoir  ouvrir  le  feu  sur  les  Touaregs  de 
N'Gouna,  un  des  plus  puissants  chefs  des  tribus  auxquelles  est  soumis  Tom- 
bouctou, lui  tua  un  homme,  et  changea  en  haine  profonde  les  sentiments 
de  N'gouna  qui  jusque-là  nous  avait  été  moins  hostile  que  ses  compa- 
triotes . 

Depuis  ce  dernier  échec  plus  rien  n'a  été  tenté  et  les  canonnières  ont 
été  exclusivement  employées  par  l'autorité  supérieure  du  Soudan  à  des 
besognes  politiques  ou  militaires  toutes  locales  sans  qu'elles  aient  dépassé 
la  limite  des  pays  directement  soumis  à  notre  protectorat  et  à  notre  au- 
torité, limite  qui  se  trouve  à  une  soixantaine  de  kilomètres  à  l'ouest  de 
Diafarabé. 

De  toute  nécessité,  d'ailleurs,  il  fallait  donner  aux  canonnières  un  abri 
sûr,  construire  des  logements  à  terre  pour  leur  équipage,  édifier  un  ate- 
lier pour  les  réparations,  en  un  mot  leur  donner  un  port,  ce  que  l'on 
avait  négligé  de  faire  jusque-là  devant  les  considérations  d'exploration  qui 
avaient  tout  primé  d'abord. 


INCONVENIENTS  DES   CANONNIERES 

C'est  en  partie  ;\  ce  trop  d'empressement  qu'il  faut  attribuer  les  minces 
résultats  qu'a  donnés  la  flottille  du  Niger  eu  égard  aux  sommes  considé- 
rables qu'elle  a  coûté  et  coûte  encore. 

Neuf  ans  de  travail,  plusieurs  millions  dépensés,  un  nombre  considé- 


HOURST.  —   PROJET    d'eXPLORATIOïV    DU    COURS   MOYEN   DU    NIGEIl         893 

rable  de  vies  humaines  perdues,  et  en  regard  une  seule  exploration,  celle 
de  1887  donnant  des  résultats  sérieux  du  moins  au  point  de  vue  géogra- 
phique, car  les  résultats  politiques  furent  nuls,  vraiment  c'est  trop. 

Aussi  doit-il  forcément  exister  d'autres  vices  fondamentaux  dans  l'or- 
ganisation des  expéditions  fluviales  sur  le  Niger,  et  il  est  facile  de  les 
trouver  dans  les  canonnières  elles-mêmes,  qui  par  leur  construction  sem- 
blent être  la  négation  des  qu.ilités  à  attendre  de  bâtiments  d'explo- 
ration. 

Les  deux  grands  dangers  qu'ont  à  redouter  les  canonnières  sont  les  tor- 
nades et  le  manque  de  bois  de  chaufïage. 

Qu'on  se  représente  sur  un  fleuve  qui  atteint  plusieurs  kilomètres  de 
large  des  lames  de  plus  d'un  mètre  soulevées  par  un  A'ent  qui  atteint  la 
force  de  nos  ouragans  les  plus  violents.  Pour  leur  résister  une  embarca- 
tion de  18  mètres  de  long,  manquant  de  stabilité  et  qui,  sous  la  double 
impulsion  du  vent  et  du  courant  qui  la  prennent  en  sens  contraires, 
présente  aux  vagues  déferlantes  sa  hanche  dont  la  hauteur  de  franc  bord 
au-dessus  de  l'eau  n'est  guère  que  de  O'",2o.  On  aura  une  idée  de  ce 
que  peut  être  Le  Niger,  mouillé  en  plein  fleuve  au  milieu  d'une  tor- 
nade. 

Il  n'est  point  besoin  d'être  marin  pour  voir  à  quel  terrible  danger  la 
canonnière  et  son  équipage  se  trouvent  exposés. 

Aussi  n'est-il  dans  une  pareille  occurrence  qu'une  chance  de  salut, 
c'est  d'aller  chercher  à  terre  dans  une  crique,  dans  l'embouchure  d'un 
marigot,  ou  simplement  au  pied  de  la  berge  du  côté  d'où  vient  le  vent, 
un  abri.  Encore  faut-il  avoir  soin  de  s'amarrer  solidement  à  terre,  la 
tenue  des  ancres  étant  souvent  insuffisante  pour  résister  à  la  violence 
du  vent. 

Fort  heureusement  l'aspect  du  ciel  permet  environ  une  demi-heure  à 
l'avance  de  se  préparer  à  recevoir  l'orage  et  de  faire  la  manœuvre  que 
je  viens  d'indiquer,  car  ce  serait  folie  d'attendre  la  tornade  au  mouillage  en 
plein  fleuve  et  encore  plus  sans  vapeur. 

En  pays  ami  ou  désert  il  n'y  a  aucune  difliculté  et  il  suffit  d'un  peu 
de  prudence.  Mais  qu'en  veuille  bien  considérer  ce  qui  pourrait  arriver 
en  pays  hostile  si  les  naturels  vous  empêchaient  par  leur  feu  d'accoster 
la  rive. 

Que  serait-ce  donc  si  on  avait  en  même  temps  à  se  prémunir  contre 
la  tempête  prochaine  et  à  repousser  une  attaque  contre  laquelle  la  dou- 
zaine d'hommes  qui  constitue  l'équipage  d'une  canonnière  et  même  les 
canons-revolvers  placés  au  ras  du  pont  et  dominés  par  les  berges  se- 
raient (le  bien  faibles  moyens  de  défense. 

On  peut  supposer,  il  est  vrai,  que  les  riverains  ne  se  livreraient  pas 
contre  nous  à  ces  actes  d'hostilité,  qu'on  saurait  s'en  faire  des  amis,  ou 


894  GÉOGRAPHIE 

que  dans  .es  pays  où  la  chose  est  impossible,  la  crainte  presque  supersti- 
tieuse des  bateaux  à  vapeur  saurait  les  retenir. 

Mais  reste  la  question  du  combustible.  Le  Niger  peut  prendre  tout  au 
plus  trois  ou  quatre  heures  de  bois  de  chauffage,  il  est  forcé  de  remorquer 
des  chalands  qui  augmentent  le  danger  couru  pendant  les  tornades  ;  Le 
Mage,  il  est  vrai,  grâce  à  sa  coque  en  bois  en  prend  une  dizaine,  mais 
cela  ne  donne  pourtant  à  ces  canonnières  qu'un  rayon  d'action  de  100  à 
120  kilomètres  plus  ou  moins  le  courant. 

En  certains  points  les  rives  du  Niger,  basses,  inondées  sont  peu  ou 
point  boisées.  On  voit  dans  la  relation  du  voyage  de  Caron  à  quel  point 
le  manque  de  combustible  fut  son  grand  souci  et  quel  immense  danger 
il  peut  faire  courir  au  bâtiment.  Il  n'a  été  trouvé  d'autre  remède  à  cet 
éfat  de  choses  que  d'emporter  une  petite  réserve  de  charbon  en  briquettes, 
mais  cette  réserve  est  forcément  bien  minime,  à  peine  sufTisante  pour 
franchir  la  distance  de  Safay  à  Tombouctou,  oîi  le  bois  manque  absolu- 
ment. Qu'arriverait-il  si  le  même  fait  se  reproduisait  au  delà? 

On  voit  donc  qu'un  bâtiment  à  vapeur,  s'il  présente  bien  des  avantages 
comme  commodité  et  célérité,  offre  le  grand  inconvénient  s'il  ne  possède 
un  rayon  d'action  étendu,  d'être  à  la  merci  d'un  déboisement  des  rives 
ou  même  de  l'hostilité  des  indigènes  qui  peuvent  l'empêcher  dç  se  ravi- 
tailler de  combustible. 

J'ajouterai  que  les  canonnières  Mage  et  Niger  calent  environ  un  mètre. 
Ce  tirant  d'eau  beaucoup  trop  fort,  limite  leur  navigation  entre  le 
15  juillet  et  le  15  décembre,  année  moyenne  dans  les  parages  du  Niger 
avoisinant  Ségou. 

En  outre,  la  crue  du  fleuve  subit  un  retard  à  mesure  que  l'on  des- 
cend son  cours,  retard  qui  est  de  trois  mois  entre  Tombouctou  et 
Ségou. 

Ce  n'est  donc  que  pendant  cinq  mois  que  les  canonnières  pourraient 
naviguer , 

En  admettant  qu'en  un  si  court  laps  de  temps  elles  puissent  aller  à 
Say  et  en  revenir,  ce  qui  n'est  point  impossible,  à  condition  d'être  parti- 
culièrement favorisé  par  le  hasard,  ce  n'est  plus,  à  proprement  parler,  un 
voyage  d'exploration  que  l'on  ferait,  mais  une  sorte  de  course  au  clocher 
où  l'on  ne  pourrait  pas  recueillir  grands  renseignements  et  pendant  la- 
quelle il  serait,  en  tous  cas,  absolument  impossible  d'établir  de  bonnes 
relations,  sûres  et  de  durée  avec  les  chefs  riverains.  Ce  n'est  qu'à  force 
de  patience  qu'on  peut  espérer  obtenir  des  résultats  durables  avec  les 
noirs,  gens  pour  lesquels  le  temps  n'existe  pour  ainsi  dire  pas,  et  qui 
ne  comprennent  pas  ce  que  c'est  que  d'être  pressé. 

J'avais  proposé  à  la  fin  de  1888  d'entreprendre  l'exploration  du  Niger 
avec  une  des  canonnières,   Le   Mage,   sacrifiée  d'avance,  soit  qu'on  fût 


I 


HOURST.    —    PROJET   D  EXPLORATION    DU    COURS    MOYEN    DU    NIGER       89o 

obligé  de  l'abandonner  en  route  à  Boussa,  soit  qu'on  put  franchir  ce  point 
et  atteindre  l'embouchure  du  Niger. 

L'autorité  supérieure  n'a  pas  cru  devoir  faire  l'abandon  d'un  bâtiment 
qui  avait  coûté  fort  cher  et  pouvait  rendre  maints  services  dans  la 
partie  du  Niger  qui  coule  dans  nos  possessions. 

L'expérience  que  j'ai  acquise  depuis  fait  que  je  ne  puis  regretter  celte 
détermination . 

Je  pense  pouvoir  démontrer  tout  à  l'heure  qu'à  bien  moins  de  frais  et 
dans  de  bien  plus  grandes  conditions  de  sécurité  on  peut  explorer  le 
Niger  jusqu'cà  Say. 


NECESSITE  DE   L  EXPLORATION    DU    NIGER 

Cette  exploration  est  bien  souhaitable;  par  la  convention  du  5  août  1890, 
la  France  et  l'Angleterre,  seules  en  présence  dans  cette  partie  de  l'Afrique 
ont,  d'un  commun  accord,  pris  pour  bmite  entre  leurs  possessions  pré- 
sentes ou  à  venir,  Say  sur  le  Niger.  Les  Anglais,  remontant  le  fleuve  ne 
sont  pas  loin  de  leurs  frontières,  mais  nous,  nous  n'en  sommes  militai- 
rement parlant,  encore  qu'à  la  frontière  du  Massina,  et  commercialement 
à  peine  à  Kita.  Notre  espoir  déçu  par  les  explorations  des  canonnières, 
mais  toujours  vivant,  d'atteindre  et  d'explorer  les  limites  de  notre  port  du 
continent  africain,  ont  fait  prendre  à  nos  explorateurs  d'autres  voies. 

C'est  Mizon  pénétrant  dans  l'Adamaoua,  Monteil  atteignant  Say  en  tra- 
versant la  boucle  du  Niger  par  sa  corde.  Tous  deux  ont  prouvé  une 
chose,  c'est  que,  dans  ces  parages  éloignés,  on  nous  voyait  venir  sans 
défiance  et  même  avec  quelque  sympathie. 

Reste  maintenant  à  explorer  l'intérieur  de  ce  territoire  qu'ils  ont  enve- 
loppé et  la  voie  la  plus  sûre  et  la  plus  commode  est  sans  contredit  cette 
belle  artère  fluviale  du  Niger  qui  semble  un  chemin  ouvert  à  la  civili- 
sation pour  pénétrer  au  cœur  du  Soudan  occidental. 

Est-ce  à  dire  que  le  fait  pour  un  bateau  et  pour  un  explorateur  fran- 
çais d'avoir  redescendu  le  Niger,  suffirait  à  ouvrir  à  notre  commerce  les 
pays  arrosés  par  ce  fleuve?  Non  certes,  et  de  bien  plus  grands  efforts  de 
tous  genres  sont  nécessaires  pour  arriver  à  ce  but.  Mais  de  même  qu'une 
armée  ne  s'avance  pas  au  hasard  sans  explorer  le  terrain  devant  elle,  de 
même  notre  civilisation,  notre  commerce,  sous  peine  d'éprouver  des  échecs 
inattendus  ne  doivent  pas  se  porter  en  avant  sans  détacher  devant  eux 
quelques  enfants  perdus  pour  reconnaître  la  situation  et  permettre  de  mar- 
cher à  coup  sûr. 

C'est  dire  implicitement  qu'une  mission  pareille  doit  avant  tout  songer 
à  être  pacifique. 


896  GÉOGRAPHIE 

Lever  une  carie  du  Niger  moyen  en  dessous  de  Tombouctou  et  de  ses 
affluents  navigables,  étudier  scientifiquement  et  commercialement  le 
pays,  engager  partout  où  cela  sera  possible  de  bonnes  relations  avec  les 
riverains,  en  ne  passant  de  traités  que  là  où  la  proximité  de  rivaux  les 
rend  nécessaires,  rester  sourd  aux  provocations  tant  qu'elles  ne  mettent 
pas  la  mission  en  péril,  séjourner  partout  où  bon  accueil  vous  sera  fait 
et  en  profiter  pour  étendre  latéralement  son  champ  d'explorations  et  rap- 
porter en  France  un  faisceau  de  documents,  de  cartes,  de  collections  de 
tout  ordre,  en  laissant  à  l'initiative  gouvernementale  ou  privée  le  soin 
d'en  tirer  parti  :  voilà,  il  me  semble  dans  ses  grandes  lignes  la  conduite  à 
suivre. 


DESCRIPTION    D  L'iN    CHALAND   D  EXPLORATION 

La  première  chose  à  chercher  c'est  l'outil,  je  veux  dire  l'embarcation, 
le  moyen  de  transport  qui  réalise  le  maximum  de  commodité,  de  sécurité 
et  de  bon  marché  compatible  avec  les  ressources  sur  lesquelles  on  peut 
raisonnablement  compter. 

Par  ce  que  j'ai  dit  plus  haut  on  a  pu  voir  que  je  repoussais  en  principe 
l'embarcation  à  vapeur. 

Certes,  si  on  pouvait  monter  sur  le  Niger  une  canonnière  vaste, 
commode,  bien  armée,  sûre  ayant  un  rayon  d'action  étendu,  ce  serait 
l'idéal  souhaitable,  mais,  avec  le  transport,  un  pareil  bâtiment  reviendrait 
au  moins  à  200  ou  250.000  francs  et,  comme  nous  l'avons  vu  il  serait 
peut-être  nécessaire  de  l'abandonner  si  l'on  rencontrait  un  obstacle  infran- 
chissable. 

Dans  ces  conditions  on  doit  estimer  que  la  somme  dépensée  serait  en 
désaccord  avec  le  résultat  à  obtenir. 

Je  pense  du  moins  que  tel  serait  l'avis  du  Parlement  si  on  lui  deman- 
dait de  si  forts  crédits  et  je  crois  qu'il  est  préférable  d'être  plus  modeste 
pour  être  plus  facilement  écouté. 

On  peut  ajouter  d'ailleurs  que  l'entretien,  la  conduite  des  machines 
nécessitent  absolument  un  personnel  européen  et  qu'il  faut  réduire  au 
minimum  le  nombre  d'existences  exposées. 

Les  plans  ci-joints  donnent  l'avant-projet  d'un  chaland  canonnière  en 
bois  dont  les  éléments  principaux  sont  les  suivants  : 

Longueur  de    perpendiculaire  en  perpendiculaire 15  mètres. 

Largeur  hors  bordé 4  — 

L.-irgeur  du  tableau  à  hauteur  du  [loiit 2  — 

Creux  sur  quille  au  maître 1  — 


IIOURST.    PUOJET   d'exploration    DU    COURS    MOYEN   DU    NIGER       897 

Comme  on  le  voit,  le  système  de  construction  est  des  plus  simples, 
analogue  à  celui  des  chalands  que  tous  les  ouvriers  noirs  de  Saint-Louis 
savent  construire.  C'est  en  effet  exclusivement  par  des  noirs  que  la  cons- 
truction devrait  s'effectuer  sur  place. 

La  membrure  serait  en  bois  du  pays  (vène  ou  cailcedrat),  que  l'on 
trouve  abondamment  sur  les  bords  du  Niger,  le  pont,  le  bordé  en  pitchpin 
apporté  de  France,  ainsi  que  la  toiture  des  roofs,  qui  serait  en  outre  re- 
couverte d'une  toile  peinte  pour  assurer  rétanchéité . 


Les  volumes,  les  poids  de  toutes  les  pièces  constitutives  du  bâtiment 
ont  été  calculés  séparément.  Il  serait  évidemment  oiseux  de  transcrire  ici 
l'ensemble  de  ces  calculs  et  je  me  bornerai  à  on  donner  les  résultats 
dans  le  tableau  ci-joint  : 

Devis  des  poids. 

Poids  de  coque  {serrage  et  calfatage   comiiris) 7.600  kilogrammes. 

Équipage  (dix  hommes  et,  leurs  sacs) 1.000 

État-ma.joi-  (deux  officiers,  leurs  effets,  iiislrunients,  etc.)  .    .  1.000  — 

Vivres  (dix  mois) innn  ~ 

Mâture  (voiles,  agrès,  etc.) oln  ~~ 

Tente ^0«  - 

Armes  et  munitions -(u\ 

Rechanges ^^ 

Chaînes  et  ancres ^"|^  ~ 

Divers •    •    ■         3U0  — 

Total  ....  17.000  kilogrammes. 

V  —  -i» 

5/' 


898  GÉOGRAPHIE 

Les  calculs  de  déplacement  montrent  que  le  poids  de  dix-sept  tonneaux 
correspond  approximativement  à  la  ligne  d'eau  de  80  centimètres. 

En  pleine  charge,  le  chaland  proposé  calera  donc  80  centimètres. 

Voici  la  distribution  des  locaux  en  allant  de  l'avant  à  l'arrière  : 

Coqueron  de  2'^,ë0  contenant  le  puits  à  chaîne  ; 

Logement  de  l'équipage  de  S"", 50  ; 

Cale  centrale  de  3  mètres  ; 

Logement  des  officiers  de  4  mètres  ; 

Coqueron  arrière  de  2  mètres. 

Les  planchers  des  logements  seront  surélevés  de  50  centimètres  au-dessus 
du  plan  supérieur  des  varangues  des  couples,  l'espace  ainsi  délimité  cons- 
titue de  petites  cales  supplémentaires,  enfin  sous  les  passavants  par  le  tra- 
vers des  roofs  on  établira  des  armoires  ou  des  étagères  pour  arrimer  les 
objets  d'usage  courant.  A  part  leur   couverture   en  pitchpin,    les  roofs 


seront  construits  en  doundoul,  bois  du  pays  très  léger,  ainsi  que  tous  les 
objets  d'aménagement  intérieur. 

Deux  mâts,  élevés  de  cinq  mètres  au-dessus  du  pont,  permettront  d'é- 
tablir des  voiles  goélettes  et  porteront  à  leur  partie  supérieure  dans  des 
hunes,  deux  canons  à  tir  rapide  de  37  millimètres. 

Tout  le  long  de  la  lisse  régnera  un  pavois  en  tôle  d'acier  de  40  centimètres 
de  haut  destiné  à  servir  de  pare-balles  et  augmentant  Ja  hauteur  des  œuvres 
mortes  dont  la  partie  supérieure  se  trouvera  ainsi  à  un  mètre  au-dessus 
de  la  flottaison,  hauteur  suffisante  pour  s'opposer  à  l'entrée  des  lames 
déferlantes. 

Quand  le  vent  sera  favorable  le  chaland  se  servira  pour  avancer  de 
ses  voiles  ;  dans  le  cas  contraire,  d'avirons,  pour  lesquels  huit  tolets  sont 
ménagés  ou  de  la  perche  si  le  fond  le  peut  permettre. 

Le  courant  seul,  dont  la  vitesse  moyenne  peut  être  évaluée  en  hiver- 
nage, moment  de  l'exploration,  à  4  kilomètres  environ  à  l'heure,  suffirait 
à  lui  faire  parcourir  une  quarantaine  de  kilomètres  par  jour. 


HOUKST.    —   PROJiri"   d'exploration    du    cours    moyen    du    NIGER         899 


PERSONNEL.   —  ARMEMENT 

Il  y  a  tout  intérêt,  et  nul  de  ceux  qui  ont  quelque  connaissance  du 
Soudan  ne  me  contredira,  à  diminuer  le  nombre  des  Européens  à  emme- 
ner dans  un  voyage  d'exploration. 

A  part  l'état-major,  composé  d'un  oilicier  de  marine  et  d'un  médecin, 
l'équipage  serait  entièrement  indigène. 

On  trouvera  facilement,  parmi  les  laptots  et  les  charpentiers  de  Saint- 
Louis,  des  gens  intelligents,  dévoués  et  audacieux  pour  composer  l'équi- 
page. 

Nous  avons  vu  que  les  mâts  permettaient  de  surélever  à  cinq  mètres 
au-dessus  du  pont  deux  canons  à  tir  rapide.  Quatre  emplacements  leur 
seraient  en  outre  réservés,  à  l'avant  et  à  l'arrière  et  des  deux  bords  par 
le  travers. 

Outre  l'artillerie,  on  emporterait  dix  carabines  Lebel  et  dix  revolvers. 
Cet  armement  paraît  peut-être  d'abord  un  peu  exagéré  ;  mais  il  faut 
songer  que,  suivant  le  cas,  on  peut  être  appelé  à  faire  usage  de  l'une  ou 
l'autre  de  ces  armes. 


EXECUTION     DE    LA   MISSION 

C'est  vers  le  mois  de  janvier  qu'il  faudrait  partir  de  Kayes  pour 
atteindre  le  point  du  Niger  où  serait  construite  l'embarcation.  Ségou,  à 
cause  de  l'arsenal  des  canonnières  qui  peut  fournir  d'utiles  secours,  me 
semble  indiqué.  Le  bois,  il  est  vrai,  y  est  rare,  mais  on  peut  facilement  le 
faire  venir  ù  pied  d'œuvre  par  le  fleuve. 

La  mission  apporterait  de  France  l'outillage,  les  ferrures,  les  boulons, 
clous,  etc.,  les  voiles,  le  gréement  et  les  tentes  tout  préparés,  les  mâts  et 
leurs  hunes,  les  avirons  et  perches,  les  rechanges  nécessaires,  les  instru- 
ments, les  cadeaux  et  objets  d'échange,  l'armement  et  les  munitions,  les 
chaînes  et  les  ancres. 

Elle  engagerait  à  Saint-Louis  ou  à  Kayes  son  personnel  indigène,  neuf 
matelots  ou  gradés  laptots  et  momentanément  quatre  charpentiers.  A 
Kayes  elle  prendrait  les  planches  de  pitchpin  (environ  50),  ainsi  que  les 
vivres  si  le  poste  de  Ségou  n'était  pas  suffisament  ravitaillé  pour  les  lui 
fournir. 

Je  compte  qu'il  faudrait  quatre  mois  environ  pour  faire  exécuter  par 
quatre  charpentiers  indigènes  un  peu  habiles  et  coutumiers  des  cons- 
tructions de  chalands  l'embarcation  projetée. 


900  GÉOGRAPHIE 

Les  «iipires  protégés  de  Ségoii  et  de  Sansaiiding  pourraient  sans  effort 
fournir  les  manœuvres  nécessaires  à  la  coupe  des  bois  et  à  leur  transport. 
On  trouverait  même  sans  peine  parmi  les  charpentiers  et  forgerons  indi- 
gènes d'utiles  auxiliaires. 

Tout  étant  prêt  vers  le  lo  juillet,  au  commencement  de  la  crue  on  se 
mettrait  en  route. 

Jusqu'à  Diafarabé,  il  n'y  aurait  aucune  difficulté,  de  là  et  jusqu'à  peu 
de  distance  de  Safay,  on  est  dans  les  eaux  du  .Massina.  C"est  là  le  point 
dangereux.  Caron,  on  le  sait,  fut  reçu  assez  mal  par  Tidiani,  chef  du 
Massina,  mais  enfln  fut  reçu.  En  1889,  les  Massinankés  ne  voulurent  avoir 
aucun  rapport  avec  les  canonnières,  mais  s'abstinrent  de  faire  franche- 
ment acte  d'hostilité.  Depuis,  la  situation  a  empiré;  chassé  de  Nioro  par 
nous,  Amadou  Cheikou  a  trouvé,  parmi  les  anciens  compagnons  de 
guerre  de  son  père  El  Hadj  un  refuge  et  un  royaume.  Il  est  inutile  de 
compter  nous  ramener  les  Toucouleurs  fanatiques  et  rancuniers  nos  enne- 
mis déclarés. 

Iront- ils  jusqu'à  attaquer  l'expédition?  Le  cas  est  trop  possible  pour  ne 
pas  le  prévoir.  Je  crois  pouvoir  allirmer  qu'à  condition  de  se  garder 
sévèrement  une  agression  serait  facilement  repoussée.  Mais  le  fait  de 
tirer  un  seul  coup  de  fusil  complique  la  situation  et  crée  fatalement  des 
difficultés  à  la  mission  pour  plus  tard. 

Aussi  devra-t-on  tout  faire  pour  éviter  un  combat.  Le  marigot  de 
Diakha  désert  permettra  peut-être  d'atteindre  sans  encombre  le  lac 
Debol  :  mais  au  delà  les  rapides  de  Toundoufarma  rendant  l'issa  Ber  à 
peu  près  impraticable,  il  faudra  passer  par  le  Bara  Issa.  Amadou  a-t-il  sur 
ses  riverains  une  autorité  suffisante  pour  leur  ordonner  d'attaquer  l'em- 
barcation? Il  est  permis  d'en  douter.  A  tout  hasard  et  si  la  chose  est 
possible,  il  serait  peut-être  bon  de  faire  convoyer  jusqu'à  Safay  le  cha- 
land par  les  canonnières  Mage  et  Niger.  L'ensemble  constituera  une  force 
assez  imposante  pour  que  j'estime  les  Toucouleurs  incapables  de  l'attaquer. 

A  Safay  on  se  trouve  en  contact  avec  les  Touaregs  avoisinant  Tom- 
bouctou.  Là  non  plus,  je  ne  pense  pas  qu'il  y  ait  rien  à  tenter  pour 
entrer  en  relations. 

Les  Touaregs  qui  vivent  des  impôts  arbitraires  prélevés  sur  les  cara- 
vanes ne  nous  verront  jamais  d'un  bon  œil  nous  approcher  d'eux.  Les 
'  marchands  marocains  entre  les  mains  desquels  est  le  commerce  de  transit 
de  Tombouctou,  seront  toujours  aussi  nos  ennemis.  Mais  là  du  moins 
la  sécurité  est  complète  à  condition  de  se  prémunir  contre  la  trahison  et 
de  ne  descendre  à  terre  que  si  on  est  sur  des  intentions  des  riverains. 

Les  Touaregs,  en  efîet,  ne  se  servent  point  d'armes  à  feu  et  quelques 
mètres  d'eau  constituent  entre  le  bâtiment  et  eux  une  sûre  barrière  der- 
rière laquelle  on  peut  à  soa  aise  rire  de  leurs  insultes. 


\ 


HOURST.    —    PROJET    d'eM'LORATION    DU   COURS    MOYEN    DC    NIGER  001 

liien  à  faire  donc  avec  Toiubouctou.  Deux  missions  précédentes  ont 
apijris  qu'il  n'y  avait  rien  à  attendre  de  ses  habitants  nos  enïiemis  ou, 
comme  les  Armas,  trop  faibles  pour  pouvoir  intluersurles  décisions  prises. 

Nous  n'avons  d'ailleurs  aucun  intérêt  à  entrer  en  relations  directes 
avec  Tombouctou.  C'est  en  ce  moment  un  point  de  transit  par  où  le  ÎSiger 
rcoit  les  produits  d'Europe  pour  les  déverser  dans  les  pays  riverain.. 
Notre  politique  doit,  pour  être  logique,  tendre  plutôt  à  le  remplacer  et 
c'est  ce  qui  arrivera  le  jour  où  le  cours  du  Heuve  sera  ouvert  à  la  navi- 
iîation  commerciale  et  où  un  chemin  de  fer  le  reliant  au  Sénégal  viendra 
le  rejoindre  en  quelque  point. 

Au  delà  de  Tombouctou  on  rentre  dans  l'inconnu.  Je  dis  l'inconnu, 
car  les  renseignements  de  Barth  sont  trop  anciens  pour  pouvoir  être 
logiquement  encore  tenus  comme  exacts. 

.jai  résumé  précédemment  la  façon  dont  il  faudra  agir.  D'après  ce  qu'on 
peut  inférer  des  voyages  de  Monteil  et  de  Mizon,  nombre  de  chefs,  sinon 
tous,  nous  accueilleront  bien  parce  qu'ils  n'ont  aucun  intérêt  à  mal  rece- 
voir un  étranger  qui  arrive  avec  des  cadeaux  et  des  paroles  de  paix. 

On  pourra  donc  se  livrer  à  l'étude  paisible  et  suivie  des  questions  inté- 
ressant notre  politique  coloniale  future  dans  cette  partie  du  Soudan.  Les 
explorations  latérales  dans  l'intérieur  des  terres  pourront  s'effectuer  sous 
la  protection  des  amis  qu'on  aura  su  se  créer  et  le  chaland  servira  de 
base  de  ravitaillement,  mais  de  base  mobile  se  transportant  à  volonté  et 
enjambant  les  obstacles  s'il  s'en  trouve  de  la  part  de  la  nature  ou  des 

hommes . 

En  mettant  tout  au  pis,  si  le  chaland  ne  pouvait  continuer,  s'il  se  per- 
dait, on  se  trouverait  dans  les  conditions  d'un  explorateur  quelconque, 
mais  avec  cette  différence  qu'on  aurait  ainsi  atteint  sans  perte  de  temps 
ni  de  moyens  d'action  le  centre  de  la  contrée  qu'on  se  propose  d'étudier. 

A  Say,^  lexploration  est  terminée.  On  entre  dans  les  eaux  anglaises.  Il 
appartient  au  gouvernement  de  la  Heine  de  donner  aide  et  protection  à 
un  bâtiment  d'une  nation  amie  naviguant  sur  un  Qeuve  ouvert  par  l'acte 
de  Berlin,  à  toutes  les  puissances. 

Je  ne  doute  pas  que  la  diplomatie  française  sache  faire  respecter  les 
traités  et  assurer  la  protection  d'une  mission  toute  pacilique,  qui  ne  ferait 
que  suivre  le  cours  du  bas  Niger  pour  retourner  dans  sa  patrie. 


CONt.LISIOXS 


Avec  une  dépense  qui  n'excéderait  pas,  je  crois,  une  cinquantaine  de 
mille  francs,  du  moins  si  les  divers  départements  voulaient  bien  concourir 
à  l'équipement  en  matériel  et  personnel  de  la  mission,  il  semble  possible 


902  GÉOGRAPHIE 

d'explorer  des   territoires  sur  lesquels  une  convention  européenne  nous 
donne  des  droits  virtuels,  mais  qui  sont  encore  à  peu  près  inconnus. 

Je  crois  que  ce  n'est  pas  trop  pour  éviter  l'inconvénient  de  se  lancer  à 
l'aveuglette  sans  renseignements  précis  dans  des  aventures  qui  peuvent 
causer  des  pertes  sérieuses  à  notre  commerce  et  amener  le  décourage- 
ment ou  bien  laisser  improductifs  des  territoires  susceptibles  peut-être  de 
donner  un  nouvel  essor  à  notre  prospérité  commerciale. 

Le  moment,  d'ailleurs,  me  semble  bien  choisi  ;  un  élan  général  porte 
les  Français,  qui  avaient  d'abord  paru  suivre  d'assez  loin  d'autres  peuples 
européens,  vers  le  commerce  colonial. 

Que  le  Soudan  actuel  tienne  ce  qu'il  promet  de  toute  évidence  à  ceux 
qui  ne  sont  aveugles  ni  involontairement  ni  volontairement  et  l'élan  sera 
donné.  Avec  une  ligne  ferrée  reliant  le  Sénégal  au  Niger,  on  verrait  nos 
produits  s'écouler  en  abondance  vers  le  cœur  du  continent  africain,  qui 
nous  renverrait  en  retour  les  siens  subvenir  aux  besoins  sans  cesse  crois- 
sants de  l'industrie  européenne. 

On  est  fixé  ou  à  peu  près  sur  ce  qu'on  peut  retirer  du  Soudan  français  : 
le  caoutchouc,  la  gutta,  l'or,  la  cire,  le  coton,  les  peaux,  le  karité,  pour 
ne  parler  que  des  objets  d'exportation  les  plus  importants,  constituent  des 
produits  assez  riches  pour  justifier  les  sacrifices  consentis  pour  les  amener 
jusqu'à  nous. 

Mais  au  delà,  dans  ces  contrées  presque  inconnues  de  l'Europe,  qu'y 
a-t-il?  Faut-il  faire  au  hasard  de  grands  sacrifices  d'hommes  et  de  ca- 
pitaux pour  aboutir  peut-être  à  une  déception?  Faut-il,  au  contraire,  consi- 
dérer systématiquement  ces  vastes  contrées  comme  improductives  et  s'en 
tenir  éloigné? 

Les  partisans  de  l'une  comme  de  l'autre  opinion  ne  peuvent  qu'être 
satisfaits  de  pouvoir  raisonner  sur  des  faits  et  non  sur  des  appréciations  en 
l'air  qui  se  trouvent  souvent  inexactes  le  jour  où  on  les  contrôle  expéri- 
mentalement. 

Quand  les  produits  du  Soudan  central  seront  déterminés  exactement 
dans  leur  espèce  et  leur  abondance,  quand  la  connaissance  suffisamment 
exacte  de  la  géographie  et  de  l'hydrographie  permettra  de  tracer  leurs 
voies  d'exportation  et  que  des  considérations  sur  la  densité  des  peuples  afri- 
cains et  leur  état  politique  feront  ressortir  la  plus  ou  moins  grande  facilité 
de  leur  extraction  sur  place,  la  question  pourra  être  résolue  mathémati- 
quement et  la  simple  logique  nous  dira  s'il  y  a  ou  non  avantage  à 
tenter  leur  exploitation. 

L'obtention  de  ces  données  premières  du  problème  de  la  colonisation 
dans  le  cas  particulier  des  pays  riverains  du  Niger  moyen  est  précisé- 
ment le  but  de  la  mission  dont  je  viens  d'esquisser  le  projet. 


A.  MINE,  —    LE    TRAFIC    DU    PORT    DE    DUNKERQUE  903 


M.  Albert  MnE 

Consul  de  la  République  Argentine,  à  Dunkerque. 


LE  TRAFIC  DU  PORT  DE  DUNKERQUE  (1) 


—  Séance  du  19  septembre  1892  — 

II 

DUNKERQUE   EN   1892 

RENSEIGNEMENTS  GÉOGRAPHIQUES  ET    HYDROGRAPHIQUES  —  APPROCHES 
DES  BANCS  DE  FLANDRE  —  BALISAGE  ET  ÉCLAIRAGE 

e 

Après  le  passage  du  Pas-de-Calais,  pour  attaquer  l'entrée  occidentale 

de  la  rade  de  Dunkerque,  les  navigateurs  trouvent,  aux  approches  des 

bancs  de  Flandre  ,  sept  grandes  bouées  en  tôle  qui  en  signalent  la  limite 

extérieure;  ces  bancs  sont  :  le  banc  de  Bergues,  le  banc  d'Out-Ruijtingen 

et  \e  petit  banc  cl' Out-Ruytingen  (fig.  4). 

Un  ponton  de  150  tonneaux  de  jauge,  peint  en  rouge  et  portant  le  nom 

Ruytingen,  inscrit  sur  ses  flancs  et  une  sphère  rouge  en  tête  de  mât,  est 

mouillé  à  l'entrée  de  la  passe  comprise  entre  les  deux   bancs  d'Ow/  et 

dlfi-Ruylingen.  Pendant  la  nuit,  un  feu  rouge  à  éclipses,  se  succédant  de 

trente  en  trente  secondes,  est  hissé  sur  le  mât  de  ce  ponton;  sa  portée 

lumineuse  est  de  41  milles  marins  ou  18  kilomètres  et  demi. 

RADE  —  BALISAGE  ET  ÉCLAIRAGE 

Trois  autres  lignes  de  bancs  protègent  la  rade  contre  les  plus  violents 
effets  de  la  tempête. 

Cette  rade  est  l'espace  compris  entre  les  bancs  appelés  Snouiv,  Brack- 
Bank,  HiVs  Bank,  Traepeger,  et  le  plateau  attenant  à  la  terre.  Elle  s'étend 

(I)  La  première  partie  du  travail  de  M.  Albert  Mine  comprend  un  Aperçu  historique  très  détaillé  du 
port  de  Dunkerque,  depuis  l'an  6/i6  jusqu'à  nos  jours. 


904  r.KOGHAPHIE 

depuis  la  frontière  de  Belgique  jusque  par  le  travers  de  Gravelines,  paral- 
lèlement à  la  côte;  sa  longueur  est  de  20  kilomètres  et  sa  largeur  de  plus 
d'un  kilomètre.  Son  brassiage  est  entre  40  et  oO  pieds,  sur  un  fond  de 
sal)le  vaseux,  dans  lequel  la  tenue  est  bonne. 

Quatorze  bouées  en  tôle,  espacées  l'une  de  l'autre  d'environ  un  mille, 
servent  de  balisage  à  la  rade  :  elles  sont  disposées  sur  deux  lignes  indi- 
quant :  l'une,  les  bancs  (bouées  noires)  ;  l'autre,  l'approplie  des  estraus 
(bouées  rouges j. 

Deux  passes  la  rendent  accessible  aux  navires  :  l'une  dite  de  V Ouest. 
qui   est  la  plus  fréquentée,  l'autre  dite  de  VEst  ou  de  Zuydcoote.  Cette 


FiG.  1.  —  Rade  de  Dunkerf|ue  et  détroit  du  Pas-de-Calais. 


dernière  est  balisée  par  cinq  bouées  portant  les  noms  de  Traepeger  (n°  1). 
Hil's  Bank  (n°^  2  et  4)  et  Brack  Bank  (n°^  6  et  8). 

Ce  balisage  est  complété  par  deux  pontons  peints  en  bandes  noires  et 


rouges 


Le  premier,  mouillé  à  l'entrée  et  au  milieu  de  la  largeur  de  la  passe  de 
VOuest,  est  un  ponton  de  150  tonneaux  de  jauge,  portant  le  nom  de 
Snouw  inscrit  sur  ses  flancs  et  une  sphère  rouge  en  tête  de  mât;  pen- 
dant la  nuit,  un  feu  fixe  rouge,  de  la  portée  de  sept  milles,  est  hissé  siu' 
le  mât  de  ce  ponton  ; 

Le  second,  ancré  à  six  milles  dans  l'Ouest  du  précédent,  est  un  pon- 
ton de  200  tonneaux  de  jauge  qui  porte  le  nom  Dyck  inscrit  sur  ses 
flancs  et  une  sphère  rouge  en  tête  de  ses  deux  mâts  ;  deux  feux  blancs, 
visibles  à  onze  milles,  sont  hissés  pendant  la  nuit  sur  les  mâts  de  ce 


A.   MIM:.  LE    TIIAFIC    1)1'    POIiT    DE    IH  NKKRQL'K  90o 

poiilon;  pris  l'un  par  lautre,  ces  deux  pontons  indiquent  le  gisement  de 
la  rade  de  Dunkerque,  depuis  son  entrée  à  l'Ouest  jusqu'à  l'Est  du  port. 

L'installation  de  ce  service  de  balisage  et  d'éclairage  de  la  rade  assure 
aujourd'hui  la  navigation  maritime  de  ces  parages  dans  les  meilleures  con- 
dilions  possibles. 

Dunkerque  est  le  seul  port,  depuis  Cherbourg  jusqu'à  la  frontière  belge, 
doté  par  la  nature  d'une  rade  où  les  navires  peuvent  rester  mouillés  en 
toute  sécurité  par  les  plus  mauvais  temps. 

Ce  port  a  rendu  de  précieux  services  à  la  France  pendant  et  après  la 
guerre  de  1870  par  les  nombreux  transports  de  vivres  de  toute  espèce,  de 
munitions,  darmes.  etc..  correspondant  aux  mouvements  et  aux  besoins 
de  l'armée  du  Nord,  et  par  des  embarquements  de  troupes  des  différents 
corps  qui  se  sont  opérés  sans  accident  sur  sa  rade  pendant  l'hiver;  puis, 
après  l'armistice,  c'est  à  Dunkerque  qu'est  venue  s'embarquer  toute 
l'armée  du  Nord,  avec  son  artillerie  et  tout  son  matériel,  envoyée  à 
Cherbourg  pour  former  le  noyau  primitif  de  l'armée  de  Versailles  destinée 
à  opérer  contre  la  Commune  insurrectionnelle  de  Paris;  enfin,  des  services 
de  voyageurs  furent  établis  par  vapeurs  entre  Dunkerque,  Cherbourg, 
Brest  et  Bordeaux  pour  parer  à  l'interruption  absolue  des  communications 
par  terre  entre  le  Nord  et  le  reste  de  la  France,  à  la  suite  de  la  bataille 
d'Amiens  et  de  l'occupation  de  Rouen. 

Dans  l'espace  de  douze  jours,  savoir  :  du  18  au  26  février  1871  inclu- 
sivement et  du  l""'  au  4  mars  inclusivement,  il  a  été  embarqué  en  rade, 
à  bord  des  vaisseaux,  frégates  et  corvettes  de  la  marine  militaire  et  de 
rjuatre  transatlantiques  envoyés  de  Saint-Nazaire  : 

20.249  hommes,  officiers,  sous-officiers  et  soldats; 
1.784  chevaux  de  cavalerie  et  d'artillerie; 

60  pièces  de  canon,  10  batteries  au  complet  ; 
226  voitures  d'artillerie  et  d'ambulance, 

non  compris  les  voitures  de  bagages  des  différents  corps  de  troupes. 


COURANTS 


Deux  principaux  courants  se  succèdent  de  six  heures  en  six  heures 
dans  la  rade  de  Dunkerque,  ce  sont  :  celui  de  flot  qili  porte  vers  l'Est, 
et  celui  de  jusant  qui  porte  vers  l'Ouest.  Il  en  résulte  des  courants 
secondaires  qui  offrent  peu  d'intérêt  au  point  de  vue  de  la  navigation. 

C'est  surtout  aux  époques  de  vives  eaux,  correspondant  aux  syzygies. 


906 


GEOGRAPHIE 


que  ces  courants  sont  le  plus  sensibles  :  leur  vitesse  atteint  alors  de  trois 
à  quatre  nœuds  ;  les  mortes  eaux  correspondent  aux  quadratures. 
La  durée  de  l'étalé  varie  de  quinze  à  trente  minutes. 


FiG.  2.  —  Tableau  graphique  des  hauteurs  d'eau  de  pleine  mer  par  rapport  au  point 
le  moins  profond  du  chenal  pendant  l'année  IROI  (^). 


VENTS 


Les  vents  qui  dominent  à  Dunkerque  sont  les  vents  d'Ouest;  mais, 
sous  leur  influence,  la  mer  n'est  jamais  très  grosse  dans  la  rade.  Ce  sont 
les  vents  de  N.-O.  au  N.-E,  qui  sont  les  plus  dangereux  au  point  de 
vue  de  l'accès  du  port. 

La  hauteur  du  baromètre  se  maintient  entre  710  et  780  millimètres. 

Pendant  l'hiver,  les  tempêtes  sont  assez  nombreuses;  elles  sévissent 
surtout  avec  intensité  aux  périodes  des  équinoxes.  L'observation  attentive 
des  variations  barométriques,  combinées  avec  celles  du  thermomètre, 
permet  de  les  prévoir;  ces  perturbations  atmosphériques  sont  d'ailleurs 
annoncées  régulièrement,  au  moyen  du  télégraphe,  par  l'Observatoire 
de  Paris. 


CLIMAT 


Le  cUmat  y  est  généralement  frais,  l'air  sain  et  vif;  cependant,  dans 
certaines  journées  d'été,  le  thermomètre  s'est  quelquefois  élevé  jusqu'à 
48  degrés  centigrades.  La  température  y  est,  de  plus,  très  variable,  et  il 
arrive  souvent  d'avoir,  dans  la  même  journée,  des  changements  brusques 


(I)  Les  profondeurs  d'eau  étant  indiquées  en  mètres  à  la  cote  —  2"',50,  qui  correspond  aux  points  les 
plus  élevés  du  chenal,  ou  obtiendra  les  hauteurs  d'eau  sur  le  radier  de  l'écluse  des  bassins  Freycinet 
•en  déduisant  o^jOS  des  nombres  mentionnés  sur  le  tableau. 


A.  MINE,  LE    TRAFIC    DU    PORT    DE    DLNKERQUE  907 

et  tout  à  t'ait  imprévus;  les  épidémies  y  sont  fort  rares  et  n'y  ont 
jamais  sévi  d'une  manière  redoutable,  ce  qui  tient  à  la  situation  parti- 
culière de  la  ville.  Placée  à  l'entrée  de  la  mer  du  Nord,  elle  reçoit 
l'intluence  bienfaisante  des  vents  qui,  en  y  renouvelant  l'air,  font  qu'il 
y  règne  souvent  une  grande  fraîcheur. 


PORT 


Le  port  de  Dunkerque,  situé  à  environ  14  kilomètres  à  l'Ouest  de  la 
frontière  de  Belgique,  se  compose,  dans  son  état  actuel,  de  : 

Un  chenal,  limité  par  deux  jetées  en  charpente  et  maçonnerie  ;  un 
fanal  se  trouve  à  l'extrémité  de  chacune  de  ces  jetées  :  celui  de  l'Ouest, 
dont  la  tourelle  en  fer  a  été  dressée  le  !22  mars  1878,  indique  la  hau- 
teur de  la  marée  ;  il  est  placé  à  lo  mètres  de  l'extrémité  de  la  jetée,  à 
8'", 22  au-dessus  de  son  tillac  et  à  10'",10  au-dessus  du  niveau  des  plus 
hautes  mers;  sa  portée  est  de  neuf  milles.  Celui  de  la  jetée  Est,  dont  la 
hauteur  au-dessus  du  niveau  des  plus  hautes  mers  est  de  8  mètres,  est 
un  feu  fixe  vert  dont  la  portée  est  de  trois  milles. 

La  longueur  du  chenal  est  d'environ  9o0  mètres,  il  aboutit  vers  le 
milieu  de  la  rade  ;  sa  largeur  est  de  70  mètres  ;  des  écluses  placées  à 
l'Ouest  et  à  l'Est  servent  pour  les  dessèchements  des  eaux  du  pays  et  pour 
les  chasses;  l'ouverture  de  celle  construite  au  Nord  du  phare,  qui  fonc- 
tionne depuis  l'hiver  4887-1888,  a  activé  l'évacuation  des  eaux  douces, 
qui  s'est  effectuée,  pendant  ces  dernières  années,  sans  difficulté. 

A  la  fin  de  l'année  1880,  la  passe  d'entrée  du  port  de  Dunkerque 
était  à  l'",oO  au-dessous  du  niveau  des  basses  mers  de  vives  eaux  ;  cette 
profondeur  donnait  de  6™,9o  à  7'",50  de  hauteur  d'eau  à  l'entrée  au 
moment  des  pleines  mers  de  vives  eaux,  et  5'",9o  en  mortes  eaux,  c'est- 
à-dire  que  des  navires  calant  de  ^"'jôS  à  7"°, 20  pouvaient  déjcà  y  entrer. 

Depuis  1884,  des  dragages  sont  opérés  dans  l'avant- port  et  sur  la 
passe  d'entrée  à  l'aide  de  trois  dragues-suceuses  qui  ont  extrait,  en  1891, 
un  cube  de  441.000  mètres,  ce  qui  permet  d'entretenir,  sur  la  passe, 
des  profondeurs  qui,  dans  presque  toute  la  longueur  du  chenal,  se 
rapprochent  de  la  cote  —  3  mètres  et  ne  se  relèvent  plus  que  rarement 
au-dessus  de  la  cote  —  2'",o0. 

Les  navires  peuvent  donc  pénétrer  actuellement  dans  le  port  de  Dun- 
kerque avec  des  tirants  d'eau  d'au  moins  6"", 50  en  morte  eau  et  7'", 50 
en  vive  eau,  situation  relativement  très  satisfaisante  que  l'on  espère 
pouvoir  encore  améliorer  dès  que  le  travail  de  reconstruction  de  la  jetée 
de  l'Est  sera  terminé. 

Un  avant  port  garni  d'estacades  en  charpente  avec  terre-pleins  bordés 


908  GÉOGRAPHIE 

de  talus  perreyés;  sa  longueur  esl  d'environ  650  mètres;  la  superficie 
d'eau  affectée  au  séjour  des  navires  est  de  trois  hectares.  Des  travaux, 
devant  comprendre  le  dégagement  de  l'entn'e  de  l'écluse  des  bassins  de 
l'Est,  sur  la  rive  droite  de  l'avant-port,  sont  provisoirement  ajournés. 

Un  port  d'échouage  de  670  mètres  de  longueur,  dont  600  mètres  sont 
garnis  de  quais  en  ])ierre  et  300  mètres  de  quais  en  bois;  il  est  séparé  de 
l'avant-port  par  l'ancien  débouché  de  l'écluse  du  fort  Revers,  qui  a  cessé 
d'être  en  service  depuis  le  10  octobre  1884,  et  par  celui  de  l'écluse  de  la 
Cunette.  Quatre  hectares  de  superficie  d'eau  y  sont  affectés  au  séjour  des 
navires.  Dans  le  fond  du  port  d'échouage  débouchent  deux  écluses  de  navi- 
gation maritime  (l'une  simple  de  21  mètres,  l'autre  à  sas  de  50  mètres  de 
longueur  sur  13  mètres  de  largeur),  qui  établissent  les  communications 
entre  le  port  et  les  anciens  bassins  à  flot  du  Commerce,  de  la  Marine  et  de 
l'Arrière-Port  ;  leur  buse  est  à  0"'.45  au-dessous  du  zéro  des  cartes  marines. 

Un  fjrand  phare,  situé  à  800  mètres  S.-E.  1/4  S.  de  la  tète  des  jetées, 
dont  le  feu  de  premier  ordre,  éclairé  à  la  lumière  électrique  depuis  le 
\"  octobre  1883,  est  placé  à  5"  mètres  an-dessus  du  niveau  du  sol  et  à 
59  mètres  au-dessus  du  niveau  des  hautes  mers,  éclaire  les  parages  de 
Dunkerque  dans  un  rayon  de  plus  de  40  kilomèfres;  les  appareils  four- 
nissent une  lumière  très  belle,  très  régulière,  dont  les  caractères  sont  par- 
faitement tranchés  jusqu'aux  limites  de  la  portée. 

Un  sémaphore  facilite  aux  navires  la  connnunicallon  télégraphique  avec 
la  terre,  aussitôt  leur  arrivée  sur  rade  ;  en  outre,  un  fil  spécial,  relié  avec 
Gra vélines,  permet  aux  capitaines  de  signaler  leur  passage  et  de  demander 
soit  im  remorqueur,  soit  la  visite  sanitaire,  soit  du  secours. 

Une  tour  des  Pilotes,  dite  du  Leughenaer,  est  placée  à  2.200  mètres  au 
S.  30°  E.  de  l'extrémité  des  jetées  ;  pendant  toute  la  durée  des  nuits,  un 
feu  fixe  blanc,  dont  la  portée  est  de  deux  milles,  est  allumé  à  son  sommet, 
qui  se  trouve  à  24  mètres  au-dessus  du  sol.  Étant  spécialement  destiné  à 
éclairer  le  chenal,  ce  feu  projette  sa  plus  vive  lumière  dans  la  direction  des 
jetées. 

BASSINS 

Dunkerque  possède  sept  bassins  à  flot,  non  compris  deux  bassins  d'évo- 
lutions, ce  sont  : 

Le  bassin  du  Commerce,  qui  présente  une  superficie  de  cinq  hectares  et 
demi  ;  il  est  bordé  d'une  ceinture  complète  de  9o0  mètres  de  quais  verti- 
caux en  pierres,  comportant  environ  deux  hectares  de  surface  de  quais 
atîectée  à  la  manutention  des  marchandises.  La  hauteur  d'eau,  sur  le  seuil 
de  ses  écluses,  est  de  ô'^jSo  en  haute  mer  de  vive  eau  ordinaire  ;  les  tra- 
vaux d'achèvement  de  ce  bassin,  approuvés  par  décision  ministérielle  du 
3  mai  1888,  ont  été  terminés  dans  le  courant  de  l'année  1889. 


A.   MLNE.   IJ-:    TKAFK.    DL'    PORT    hE    Kl WKEUQUE  909 

Lt'  bassin  de  la  Marine,  duiil  Ja  supfifKie  d'eau  t-sl  du  Irois  hectares;  le 
Ijoiiilour  entier  de  ce  bassin  est  Lordé  de  700  mètres  de  quais  en  pierre; 
il  C()nnnuni([ue  avec  le  liassin  du  Commerce  par  une  écluse  de  16  mètres 
de  largeur,  et  avec  le  bassin  de  lOuest  par  un  pertuis  de  21  mètres,  dont 
la  première  pierre  a  été  posée  le  8  juillet  1878  et  (|ui  a  été  terminé  en  1890. 
iSon  ipiai  Ouest  est  bordé  de  hangars  et  de  magasins  publics. 

Le  pertuis.  qui  réunit  le  bassin  de  !a  ^hiriiie  à  la  darse  n"  1  du  bassin 
Freycinet.  nest  pas  écluse;  mais  im  bateau-porte  permet  d'isoler  ces  deux 
bassins.  Ce  bateau-porte,  en  l'orme  de  trapèze  renversé,  mesure  24  mètres 
sur  son  pont  et  21  "".70  sous  sa  (piille  :  sa  hauteur  est  de  9  mètres  et  sa 
largeur,  au  maître-bau,  de  3"", 50.  Construit  tout  en  fer,  il  pèse  90.000  kilo- 
grammes, et  il  n'a  pas  fallu  inoins  de  7o.000  rivets  pour  l'assemblage  des 
jnèces  de  charpente.  Une  vaste  caisse  à  eau,  se  remplissant  par  l'ouverture 
de  robinets,  sert  à  le  couler,  et  une  caisse  à  air,  se  vidant  au  moyen 
d'une  pompe,  permet  de  le  mettre  à  Ilot. 

Le  bassin  de  l' Arriére-Port,  qui  présente  une  superficie  de  deux  hectares 
et  demi  ;  il  est  bordé  de  390  mètres  de  quais  en  pierres,  dont  220  mètres 
ont  été  terminés  en  188G.  et  de  123  mètres  de  quais  en  bois  ;  le  reste  de 
ses  rives  est  réservé  à  l'industrie  de  la  construction  et  de  la  réparation  des 
navires.  Il  conmmnique  avec  le  bassin  du  Commerce  par  un  pertuis  de 
16  mètres  de  largeur.  La  construction,  sur  la  rive  droite  de  ce  bassin,  de 
magasins  qui  ont  été  remis  à  la  marine  militaire  en  échange  des  magasins 
([u'elle  possédait  autour  du  bassin  de  la  Marine,  a  été  achevée  en  1887. 

Il  reste  à  compléter  les  quais  de  l'Arrière-Port  et  à  reconstruire  le  pont 
tournant  entre  ce  bassin  et  celui  du  Commerce,  mais  l'exécution  de  ces 
travaux  est  provisoirement  ajournée. 

Ces  trois  bassins  à  flot  sont  mis  en  communication  directe  avec  les 
i-anaux  de  navigation  intérieure  par  une  écluse  à  sas,  située  au  fond  de 
l'Arrière-Port.  dite  Écluse  de  Bergues;  ils  sont  entretenus  à  la  cote  —  0"',oO 
au-dessous  du  zéro  des  cartes  marines. 

Des  dragages  sont  effectués  dans  l'intérieur  des  bassins  et  dans  le  chenal 
à  l'aide  d'une  drague  à  godets  et  d'une  drague  à  cuiller  qui  ont  extrait, 
en  1891,  un  cube  de  162.000  mètres. 

Les  bassins  de  Freycinet  sont  composés  de  quatre  darses  : 

La  darse  n°  I  (précédemment  dénommée  bassin  de  l'Ouest)  est  bordée 
de  1.450  mètres  de  quais  affectés  au  commerce;  elle  s'ouvre  dans  le  port 
d'échouage  par  un  sas  de  21  mètres  de  largeur  et  de  117  mètres  de 
longueur  utile,  qui  présente  une  hauteur  d'eau  de  7'",4o  en  vive  eau  ordi- 
naire; la  cote  du  radier  est  à  —  l'",55  relativement  au  zéro  des  cartes; 
les  manœuvres  des  portes  d'écluse,  à  l'entrée  de  ce  bassin,  se  font  avec 
une  grande  rapidité,  grâce  à  l'application  de  moteurs  hydrauliques. 
La  superficie   de   cette  darse  est  de  huit  hectares   et   demi;  elle  est  en 


9i  0  GÉOGRAPHIE 

communication  avec  le  canal  de  l'Ile  Jeanty  par  une  écluse  à  sas  de 
33  mètres  de  longueur  sur  S'",!^  de  largeur,  qui  a  été  mise  en  service 
le  16  mai  1884. 

C'est  le  30  août  1880  qu'a  eu  lieu  l'ouverture  du  bâtardeau  à  l'abri 
duquel  a  été  construite  l'écluse  à  sas  d'entrée  du  nouveau  bassin  de 
l'Ouest,  et  le  lendemain  31,  que  les  eaux  y  ont  été  introduites.  L'inau- 
guration solennelle  de  ce  bassin,  auquel  la  reconnaissance  publique  a 
donné  le  nom  de  Freycinet,  a  eu  lieu  le  31  octobre  de  la  même  année  ; 


^  JtTjutl  ti poste 


BAfonrfij.  SO 


Légende 

1  Sau^-Préfcctiuv  ■ 

2  /rdtel-dn-nUe  . 

3  BantfUG  de  Fnciiic£- 
^  Fhlca^deJujtux-. 
5  7%éâtre  . 

Mètres 


FiG.  3.  —  la  ville  et  le  nouveau  port  de  Dunkerqui, 


cette  cérémonie  fut  présidée  par  M.  Sadi  Carnot,  alors  ministre  des 
Travaux  publics.  Une  flottille,  composée  de  trois  navires  de  l'État  :  le 
Coligny,  la  Mouette,  la  Lionne,  du  vapeur  baliseur  des  Ponts  et  Chaussées, 
des  remorqueurs  et  d'un  certain  nombre  de  vapeurs  et  voiliers  français 
et  étrangers,  franchit  l'écluse  vers  9  heures  et  demie  du  matin  et  fut  sa- 
luée à  son  passage  par  l'artillerie  de  la  place. 

Ce  fut  une  ère  nouvelle  de  prospérité  qui  s'ouvrait  pour  Dunkerque, 
quoique  ce  bassin  ne  dût  être  que  d'un  faible  soulagement  pour  le 
trafic  chaque  jour  croissant  de  son  port;  mais  la  perspective  que  les 
bassins  suivants  allaient  être  entrepris  avec  énergie  donnait  du  courage 


A.  MLNE.  —    LE    TRAFIC   DU   PORT    DE    DLNKERQLE  91t 

à  ses  habitants  doués  d'autant  de  patience  que  de  fermeté,  de  pereévé- 
rance  que  de  patriotisme. 

La  darse  n"  2,  y  compris  le  bassin  d'évolution  des  darses  1  et  2,  a 
une  superficie  de  dix  hectares  trente  ares  et  une  longueur  de  1.628  mètres 
de  quais;  elle  est,  ainsi  que  la  darse  n"  1 ,  approfondie  à  la  cote  —  2",S0, 
et  en  communication,  depuis  le  3  août  1890,  avec  le  canal  de  l'Ile 
Jeanty  par  une  écluse  à  sas  de  6  mètres  de  largeur  sur  38'", 50  de  lon- 
gueur pour  le  service  de  la  navigation  fluviale. 

La.darse  n°  3  présente  une  superficie  de  trois  hectares  vingt  ares;  un 
pertuis  non  écluse  de  16  mètres  de  largeur  met  en  communication  les 
darses  2  et  3. 

La  superficie  de  la  darse  n°  4,  y  compris  le  bassin  d'évolution  des 
darses  n"*  3  et  4,  est  de  neuf  hectares  ;  ces  deux  darses,  de  même  que 
leur  bassin  d'évolution,  sont  descendues  à  la  cote  —  4'",50,  et  la  lon- 
gueur totale  de  leurs  quais  est  de  2.018  mètres. 

A  différentes  époques,  ces  grandes  nappes  d'eau  ont  disparu  sous  les 
ponts  des  navires  qui  les  encombraient,  et  les  quais  sous  la  masse  de 
marchandises,  richesses  mouvantes,   qui  les  encombraient. 

Ces  quatre  bassins,  ou  darses,  dont  la  superficie  totale  est  de  quarante- 
deux  hectares,  sont  munis  de  quais  verticaux  en  pierre  sur  tout  leur 
pourtour,  à  l'exception  d'une  partie  de  la  rive  Ouest  d'amont  des  darses  3 
et  4  qui  ne  présente  qu'un  talus  perreyé.  Six  vastes  hangars  publics  ont 
été  construits  en  bordure  des  quais,  tout  en  laissant  libre  à  la  circulation 
et  aux  wagons  de  chemin  de  fer  le  terre-plein  de  ces  quais;  ils  sont 
terminés  et  en  exploitation . 

On  a  commencé  à  introduire  l'eau  dans  les  nouveaux  bassins  à  la  fin 
de  l'année  1889;  les  navires  ont  pénétré  dans  les  darses  2  et  3  le 
1"  août  1890. 

La  longueur  totale  des  quais  du  port  et  des  bassins  de  Dunkerque,  sus- 
ceptible d'être  affectée  au  stationnement  des  navires,  est  aujourd'hui  de 
8.166  mètres,  et  la  superficie  totale  des  terre-pleins  des  quais  pouvant 
recevoir  des  marchandises  est  de  cinquante-quatre  hectares  soixante-dix 
ares;  tous  ces  quais  sont  en  pleine  exploitation  et  ont  été,  à  diverses  re- 
prises, occupés  sur  toute  leur  longueur. 

Deux  autres  bassins,  prévus  par  la  loi  du  31  juillet  1879,  devant  être 
affectés  aux  navires  chargés  de  pétrole  et  aux  constructions  navales,  ont 
vu  leur  construction  ajournée  par  la  décision  du  9  août  1887  qui  a 
approuvé  le  projet  de  l'écluse  du  Nord;  ces  bassins  devaient  être  creusés 
à  l'Est,  sur  l'emplacement  des  anciennes  fortifications. 


912  GÉOGRAPHIE 


CANAUX 


Trois  canaux,  qui  présentent  une  condition  avantageuse  très  impor- 
tante pour  le  port  de  Dunkerque,  en  le  mettant  en  communication  facile 
et  continue  avec  les  voies  navigables  de  l'intérieur  de  la  France  et  de 
la  Belgique,  sont  : 

Le  canal  de  Bourbourg,  amenant  à  Dunkerque  toute  la  batellerie  de 
l'intérieur  de  la  France  ;  c'est  la  tète  de  ligne  de  la  navigation  fluviale 
vers  Lille,  Paris  et  l'Est  de  la  France.  Il  communique  avec  le  canal  de 
jonction  par  l'écluse  à  sas  du  Jeu-de-Mail;  son  mouillage  y  permet  la 
circulation  des  bélandres  ayant  l'",80  de  tirant  d'eau.  Il  existe,  sur  la  rive 
gauche  de  ce  canal,  des  chantiers  de  construction  et  de  réparation  de 
bélandres. 

Le  canal  de  Bergues  dessert  une  navigation  plus  restreinte  entre  Dun- 
kerque et  divers  points  de  l'arrondissement;  il  communique  directement 
avec  les  bassins  par  l'écluse  à  sas  située  au  fond  de  l' Arrière-Port, 

Ces  deux  premiers  canaux  sont  des  canaux  de  l'État  à  grande  section. 

Le  canal  de  Fumes  relie  le  port  de  Dunkerque  aux  voies  navigables  de 
la  Belgique;  c'est  un  canal  concédé. 

Lorsque  les  bateaux  de  canal  ont  pénétré  dans  les  bassins  maritimes, 
le  transbordement  s'opère  directement  dans  les  ou  hors  des  bélandres, 
bord  à  bord  avec  les  navires  de  mer,  ce  qui  constitue,  en  quelque  sorte, 
une  ligne  de  quais  flottants,  ressource  puissante  du  mouvement  com- 
mercial du  port  de  Dunkerque. 

11  y  a  en  outre  cinq  autres  canaux,  qui  sont  : 

Le  canal  de  l'Ile  Jeanly,  mettant  en  communication,  par  deux  écluses 
à  sas  situées  au  fond  des  darses  n°'  1  et  2,  les  bassins  Freycinet  avec  les 
canaux  de  l'intérieur;  c'est  un  véritable  bassin  de  navigation  fluviale,  de 
la  longueur  de  800  mètres  sur  40  mètres  de  largeur,  avec  un  terre- plein 
de  30  mètres  et  une  longueur  de  1.250  mètres  de  quais. 

Le  canal  de  Jonclion  ou  de  ceinture,  réunissant  entre  eux,  dans  l'inté- 
rieur de  la  ville,  les  canaux  précités  et  ceux  des  Moëres  et  de  Mardyck  ; 
il  a  une  longueur  de  1.100  mètres,  dont  900  mètres  sont  garnis  de  quais 
ou  talus  utilisables. 

Ce  canal  porte,  dans  son  parcours,  des  noms  différents  :  la  portion 
comprise  entre  le  pont  Saint-Martin  et  la  passerelle  de  bois  qui  conduit 
en  basse  ville  se  nomme  Port-au-Bois  ;  c'est  une  espèce  de  port  de  navi- 
gation intérieure,  garni  d'un  quai  sur  la  rive  septentrionale,  qui  sert  de 
stationnement  aux  bélandres  et  de  déchargement  à  celles  chargées  de 
charbon  ;  la  partie  de  ce  canal  comprise  entre  l'écluse  du  Pont-Rouge  et 


t 


A.  MINE.  —   LE   TRAFIC    DU    PORT    DE    DUiNKERQUE  <.H3 

l'écluse  du  Jeu-de-Mail  se  nomme  Reck-à-Voleurs  et  sert  de  stationne- 
ment aux  bateaux  vides. 

Le  canal  de  Mardyck,  qui  sert  de  dessèchement  et  de  réservoir  de 
chasse,  a  une  longueur  de  3.600  mètres  et  est  en  partie  envasé  ;  les  eaux 
de  dessèchement  du  pays  sont  envoyées  dans  ce  canal  par  les  fossés  des 
fronts  Sud  de  la  place,  en  passant  par  un  siphon  sous  le  canal  de  Bour- 
bourg.  Sur  sa  rive  Nord,  existent  des  chantiers  de  construction  et  de  répa- 
ration de  bèlandres. 

Le  canal  des  Moëres,  qui  sert  de  canal  de  dessèchement  ;  ses  eaux  pas- 
sent en  siphon  sous  le  canal  de  Furnes  et  coulent  dans  les  fossés  de  l'Est 
qui  les  conduisent  directement  dans  l'avant-port. 

Le  canal  de  la  Cunette,  qui  sert  à  déverser  les  eaux  des  Moëres  dans 
le  chenal. 

Un  sas  octogonal  à  quatre  écluses  met  en  communication  les  canaux 
de  Jonction,  de  la  Cunette,  de  Furnes  et  des  Moëres. 

En  1890,  les  buses  du  grand  passage  de  l'écluse  du  Pont-Rouge,  ainsi 
que  le  radier  du  pont  du  chemin  de  fer  sur  le  canal  de  Jonction,  ont  été 
abaissés  de  32  centimètres  afin  de  faciliter  l'écoulement  des  crues. 

Ces  travaux  ont  eu,  en  outre,  pour  effet  de  faire  du  canal  de  Bergues  un 
auxiliaire  du  canal  de  Bourbourg  et  une  branche  de  la  grande  ligne  de 
navigation  sur  l'Est  et  sur  Paris.  Des  dragages  ont  été  opérés  à  la  même 
époque  pour  approfondir  les  parties  du  canal  de  Jonction  les  plus  fré- 
quentées, ce  qui  a  permis  d'abaisser  le  plan  d'eau. 

Il  reste  à  compléter,  par  des  dragages,  l'approfondissement  des  canaux 
maritimes  situés  dans  l'intérieur  des  fortifications;  ces  travaux  ont  fait 
l'objet  d'un  projet  spécial  qui  a  été  approuvé  par  décision  du  o  août  1891 
et  sont  en  cours  d'exécution. 

Dunkerque  sert  ainsi  de  trait  d'union  entre  la  navigation  maritime  et 
la  circulation  intérieure,  celle-ci  étant  utilisée  pour  les  marchandises 
lourdes,  encombrantes  et  de  peu  de  valeur. 

CHEMINS    DE    FER 

Ce  port,  dont  la  situation  est  exceptionnelle,  a  derrière  lui  un  réseau 
de  voies  ferrées  qui  le  relie  aux  départements  du  Nord  et  de  l'Est,  c'est- 
à-dire  avec  les  provinces  les  plus  riches,  les  plus  fertiles  et  les  plus 
industrieuses  de  tout  le  territoire  français. 

Les  quatre  lignes  de  voies  ferrées  qui  y  prennent  naissance  sont  : 
Ligne  de  Dunkerque  à  Paris,  par  Hazebrouck,   Arras  et  Amiens;  — 
ligne  de  Dunkerque  à  Lille,  par  Hazebrouck;  —  ligne  de  Dunkerque  à 
Calais  ;  —  ligne  de  Dunkerque  à  Furnes. 

58* 


914  GÉOGRAPHIE 

Voici  la  comparaison  des  distances  de  Dunkerque  et  d'Anvers  aux  prin- 
cipaux centres  manufacturiers  et  de  consommation  de  la  région  : 

^_^_^   DISTANCES 

LOCALITÉS  A  DUNKERQUE  A  AKVERS 

kilomètres  kilomètres 

Lille 85  130 

Roubaix 90  120 

Tourcoing 93  118 

Valenciennes 133  140 

Cambrai 148  202 

Saint-Quentin 201  203 

Laon 251  255 

Reims 303  307 


OUTILLAGE 

Il  existe  à  Dunkerque  quatre  formes  de  radoub  qui  ont  les  dimensions 
suivantes  : 

No  2  No  3  No  4 

Ijo  1  ouverte  depuis      ouverte  depuis  inaugurée 

lin  avril  1801        fin  avril  18'dl  en  août  1891 


Longueui'  franche  . 
Largeur  aux  seuils. 
Cote  des  seuils   .   . 


lOQ- 

lOQ- 

84-»,40 

190- 

14™ 

14m 

14"' 

21°" 

—  0",55 

—  2", 05 

-  0°',55 

—  2'",10 

La  forme  n°  1,  quoique  complètement  terminée,  ne  pourra  recevoir 
des  bâtiments  de  grande  longueur  qu'après  l'enlèvement  du  bâtardeau 
qui  protège  l'écluse  du  Nord;  cette  forme  servira  aux  réparations  du 
matériel  de  l'État. 

Toutes  les  industries  locales  commencent  déjà  à  retirer  un  grand  prolit 
du  séjour  prolongé  dans  le  port  des  navires  qui  s'y  font  réparer  et  qui, 
précédemment,  se  trouvaient  dans  la  nécessité  de  se  rendre  à  Anvers  ou 
€n  Angleterre  pour  y  efîectuer  leurs  réparations. 

Une  cale  de  halage  (slip  way)  pour  le  hissage  hors  de  l'eau  des  navires 
mesurant  jusqu'à  75  mètres  de  quille  et  dont  le  poids  n'excède  pas 
1.000  tonnes;  la  hauteur  d'eau,  au  bas  de  la  cale,  est  de  7  mètres. 

Un  ginl  de  carénage  pour  les  navires  ne  dépassant  pas  400  tonneaux  de 
jauge  et  47  mètres  de  longueur  est  situé  sur  la  rive  gauche  de  l'avant- 
port;  il  sera  prochainement  reconstruit  et  reculé  pour  permettre  l'élar- 
gissement de  l'avant-port  en  cet  endroit. 

Deux  pontons  d'abattage  ou  de  carénage  exploités  par  des  particuliers 
qui  en  sont  propriétaires. 

Des  g?^ues  à  vapeur  mobiles,  placées  sur  différents  quais  des  bassins  et 
sur  des  pontons  flottants,  appartiennent  à  l'industrie  privée  et  sont 
employées  aux  opérations  de  chargement  et  transbordement  des  mar- 
chandises de  toute  nature.  Dunkerque  est  l'un  des  ports  où  les  opérations 
s'effectuent  avec  le  plus  de  rapidité. 


A.  MINE.  —    LE    TRAFIC    DU    PORT    DE   DUNKERQUE  915 

La  Compagnie  du  chemin  de  fer  du  Nord  possède,  en  outre,  deux  grues 
fixes  tournantes  de  la  force  de  10.000  et  de  30.000  kilogrammes,  ainsi 
qu'un  certain  nombre  de  grues  mobiles  de  l.oOO,  2.000  et  5.000  kilo- 
grammes, qui  sont  mues  à  bras  d'homme. 

Une  grue  flottante,  de  la  force  de  40.000  kilogrammes,  est  exploitée 
par  la  Chambre  de  Commerce  depuis  sept  ans  ;  elle  est  destinée  à  la  manu- 
tention des  lourds  colis  dans  les  différents  bassins  et  peut  servir  de  ma- 
chine à  mater. 

La  Chambre  de  Commerce  exploite  un  service  de  remorquage.  (Voir 
aux  renseignements  statistiques.) 

Un  élévateur  flottant  à  grains,  érigé  sur  un  ponton  d'environ  400  ton- 
neaux de  jauge,  sert  au  déchargement,  au  nettoyage  et  au  pesage  auto- 
matique des  cargaisons  de  grains  ;  il  appartient  à  un  particulier. 

Dunkerque  possède  un  entrepôt  réel  des  douanes,  trois  Sociétés  de 
magasins  généraux  agréés  par  l'État  et  un  grand  nombre  de  magasins 
particuliers,  dont  la  plupart  sont  situés  à  proximité  des  quais. 

LIGNES    DE    NAVIGATION 

Voici  quels  sont  les  services  réguliers  de  bateaux  à  vapeur  qui  des- 
servent le  port  de  Dunkerque  : 


DESTINATIONS 


Alger  et  par  connaissement  direct  tous  les  ^ 
ports  d"Algérieet  de  Tunisie,  Tripoli, 
Malte,   Ajaccio,   Gibraltar,   Tanger, 
Alicanle,  Carthagène 

Bayonne  

Belfast • 

Bilbao 

Bordeaux,  et  par  transbordement  pour 
les  principales  villes  de  la  Gironde, 
du  Gers,  de  la  Garonne,  des  Clia- 
rentes,  de  la  Dordogne,  du  Lot  et  du 
Tarn,  ainsi  que  pour  New- York,  le 
Sénégal,  les  Antilles,  Je  Mexique, 
Colon 

Brésil 


DATES  DES  DÉPARTS 


Trois  départs  par  mois,  les  10, 20, 30 

Deux  ou  trois  départs  par  mois. 

Deux  départs  par  mois. 

Trois  à  quatre  départs  par  mois. 


Cinq  départs  par  mois,  les  6,  12, 
18,  24  et  fin  de  mois. 


Un  départ  par  mois. 


\ 


916 


GÉOGRAPHIE 


Brest 

Buenos-Ayres. 

Cadix 

Cette. 

Dublin 

Glasgow,  Greenock 

Goole 

HaïphoDg 

Hambourg 

Havre  avec  connaissement  direct  pour 
les  principales  villes  de  la  Seine-In- 
férieure, de  la  Manche,  du  Calvados, 
du  Finistère,  etc 

Hong-Kong 

Hull,  en  correspondance  avec  toutes  les 
villes  du  nord  de  l'Europe  et  de 
l'Amérique 

La  Rochelle 

Leith  en  correspondance  pour  Dundee, 
Aberdeen,  Taisley,  Glasgow,  Gree- 
nock, Belfast,  Dublin,  toute  l'Ecosse, 
l'Irlande  et  le  nord  de  l'Angleterre. . 

Lisbonne 

Liverpoul 

Londres  en  correspondance  avec  toutes 
les  villes  de  l'Angleterre  et  de  l'Ecosse 

Malaga 

Marseille,  et  par  transbordement  pour 
tous  les  ports  de  la  Méditerranée  et 
de  la  mer  Noire,  ainsi  que  pour  la 
Réunion,  Mahé,  Maurice,  Adélaïde, 
Melbourne,  Sydney,  Nouméa,  Pondi- 
chéry,  Tonkin  et  Yokohama  .... 

Montevideo 

Nantes 

Oran 

Penang 

Philippeville 

Port-Vendres 


Un  départ  par  semaine. 

Trois  ou  quatre  départs  par  mois 

Un  départ  par  mois. 

Tous  les  six  jours. 

Deux  départs  par  mois. 

Deux  départs  par  mois. 

Un  départ  par  semaine. 

Un  départ  par  mois. 

Un  ou  deux  départs  par  mois. 

Un  départ  par  semaine. 

Un  départ  par  mois. 
Le  mercredi  et  le  samedi. 
Un  départ  par  semaine. 

Un  départ  par  semaine. 

Un  départ  par  mois. 

Deux  ou  trois  départs  par  mois. 

Deux  ou  trois  départs  par  semaine. 
Un  départ  par  mois. 


Un  départ  tous  les  six  jours. 


Trois  à  quatre  départs  par  mois 
Un  départ  par  semaine , 
Troisdépartsparmois,  leslO,  20, 30 
Un  départ  par  mois. 
Troisdépartsparmois,  les  10, 20, 30 
Tous  les  six  jours. 


A.  MIXE.  LE    TRAFIC    DU    PORT    DE    DUNKERQUE 


917 


DESTINATIONS 

DATES  DES  DÉPARTS 

Rochetbrf 

Rosario  et  tous  les  ports  du  Parana  .    . 
Rotterdam  en  correspondance  avec  l'Al- 
lemagne   

Saigon,  Shang-Haï,  Singapore  .... 
Saint-Nazaire 

Un  départ  par  semaine. 

Deux  à  trois  départs  par  mois. 

Un  départ  par  semaine. 

Un  départ  par  mois. 
Troisdéparts  par  mois,  les  1 0, 20, 30 

Un  00  deux  départs  par  mois,  esceptc  en  hiver. 

Saint-Pétersbourc: 

INDUSTRIE   MANUFACTURIERE 

Il  reste  à  dire  quelques  mots  de  l'industrie  dunkerquoise,  car  à  côté  de 
ce  Dunkerque  commercial,  dont  la  réputation  n'est  plus  à  faire,  grandit 
un  Dunkerque  industriel  dont  les  principaux  établissements  consistent  en 
■des  : 

Filatures  de  lin,  chanvre,  étoupes,  jute  et  coton;  tissages  mécaniques, 
manufacture  de  toiles  à  voiles  et  d'emballage,  et  de  bâches  imperméables  ; 
fabrique  de  filets  dépêche;  tonnelleries  où  se  confectionnent  annuellement, 
avec  une  grande  perfection,  les  !20.000  à  2o.000  tonnes  nécessaires  aux 
navires  qui  font  la  pèche  de  la  morue  à  Islande;  fabriques  d'huiles  de 
graines  et  épurations  d'huiles  de  foies  de  morues;  raffineries  de  sel  et  de 
pétrole;  scieries  mécaniques  de  bois;  corderies  mécaniques  pour  la  marine; 
forges  et  chantiers  de  construction  de  navires  ;  savonneries,  corroiries, 
brasseries,  malteries,  fabrique  d'hameçons,  distilleries  de  grains  et  de 
mélasses,  etc. 

La  facilité,  que  rencontrent  certaines  de  ces  industries,  de  recevoir  par 
le  port  de  Dunkerque  les  matières  premières  qui  leur  sont  nécessairet 
et  de  réexporter  par  la  même  voie  leurs  produits  manufacturés,  jointe 
aux  conditions  particulièrement  avantageuses  des  transports  par  eau 
vers  l'intérieur;  enfin,  le  bon  marché  relatif  de  la  houille,  amenée  tant 
de  nos  charbonnages  du  Nord  et  du  Pas-de-Calais  que  d'Angleterre  et  de 
Belgique,  permet  d'espérer  une  extension  de  ces  diverses  industries. 

TRAVAUX    EN    COURS    d'eXÉCUTION 


Toute  la  grande  navigation  s'effectue  actuellement  par  l'Écluse  de  la 
darse  n°  \  ;  mais,  par  suite  de  la  longueur  et  des  tirants  d'eau  de  plus  en 


918  GÉOGRAPHIE 

plus  considérables  des  navires  qui  fréquentent  le  port,  cette  écluse  est 
devenue  insuffisante. 

Une  nouvelle  écluse,  dite  Écluse  du  Nord,  non  comprise  dans  le  prin- 
cipe dans  le  vaste  plan  des  ouvrages  autorisés  par  la  loi  du  31  juillet  1879, 
dont  les  travaux  de  terrassements  et  de  maçonnerie  ont  été  commencés 
en  1888,  et  la  première  pierre  posée  le  1"  septembre  1889,  par  M.  Yves 
GuYOT,  alors  ministre  des  Travaux  publics,  est  actuellement  en  construc- 
tion à  proximité  du  phare,  sur  l'emplacement  de  l'ancienne  écluse  et  du 
bassin  des  chasses;  elle  débouchera  dans  le  chenal,  à  la  limite  de  l'avant- 
port,  en  amont  des  écluses  de  dessèchement  des  bastions  27  et  28. 

Les  dimensions  de  cette  écluse,  dont  le  projet  a  été  approuvé  par  déci- 
sion ministérielle  du  9  août  1887,  permettront  de  recevoir  les  plus  grands 
navires  en  tout  état  de  marée;  sa  longueur  utile  sera  de  170  mètres,  sa 
largeur  de  2o  mètres;  son  buse,  descendu  à  la  cote  —  5  mètres,  donnera 

9  mètres  d'eau  dans  les  marées  de  mortes  eaux  extraordinaires,  environ 

10  mètres  dans  les  mortes  eaux  ordinaires,  et  près  de  11  mètres  dans  les 
vives  eaux  ordinaires. 

Cette  écluse  sera  fermée  par  trois  portes,  ce  qui  permettra  de  consti- 
tuer soit  un  sas  unique,  soit  deux  sas  moyens  ayant  :  l'un  106  mètres, 
l'autre  70  mètres.  Les  portes,  vannes  et  ponts  seront  mus  par  des  mo- 
teurs hydrauliques;  la  vidange  et  le  remplissage  du  sas  s'effectueront 
rapidement  au  moyen  de  grands  aqueducs  longitudinaux  et  transversaux 
ménagés  dans  les  bajoyers. 

Le  chenal  étant  beaucoup  trop  étroit  pour  permettre  aux  grands  navires 
d'entrer  avec  sécurité  dans  le  port,  une  nouvelle  jetée  de  l'Est,  destinée  à 
porter  sa  largeur  à  120  mètres  à  l'aval  et  à  200  mètres  en  face  du 
phare,  est  en  cours  de  construction,  suivant  décret  d'autorisation  du 
26  août  1890.  Cette  nouvelle  jetée  aura  une  longueur  de  800  mètres;  ses 
fondations  sont  exécutées  au  moyen  de  caissons  foncés  à  l'air  comprimé.  Le 
fond  du  chenal  sera  d'abord  approfondi  à  la  cote  —  3  mètres  au-dessous  du 
zéro,  et  sera  descendu  ultérieurement,  s'il  y  a  lieu,  à  la  cote  —  3  mètres. 


III 

RENSEIGNEMENTS   STATISTIQUES   —  ANNÉE   1891 

POPULATION 

La  population  de  Dunkerque  est  de  39.498  habitants  suivant  le  recensement 
de  1891;  mais,  avec  les  villages  voisins  de  Rosendaël,  Malo-les-Bains,  Coudeker- 
que-Bi-anche,  Petite  Synthe  et  Saint-Pol-sur-Mer,  ragglomération  dunkerquoise 
atteint  le  chiffre  de  60.000  habitants. 


A.  MINE.  —   LE   TRAFIC   DU    PORT    DE    DUNKERQUE  919 


DROITS   DE  DOUANE   ET   DE  NAVIGATION 

La  perception  des  droits  de  douane,  pendant  les  deux  dernières  années,  a 
donné  les  résultats  ci-après  : 

1890  1091 

Droits  de  douane Fr.       10.608.729  18.932.373 

Droits  de  navigation 838.416  985.041 

Droits  sur  les  sels 3.339  94.739 

Droits  de  statistique 429.358  414.178 

Droits  accessoires 20.398  22.228 

Total    Fr.      11.900.2'i0  20.448.559 


soit  une  augmentation  de  8.548.319  francs  en  faveur  de  1891,  ou  72  0/0. 

Lois  et  décrets  autorisant  la  perception  des  droits  de  navigation. 

DROIT    DE  TONNAGE   PORTANT   SUR  LES  NAVIRES   FRANÇAIS  ET  ÉTRANGERS 

/"  Affecté  aux  travaux  d'amélioration  et  d'extension  du  port. 

U  juillet  1861.  —  Décret  ordonnant  l'exécution  des  travaux  nécessaires  pour 
l'amélioration  du  port  de  Dunkerque. 

20  iiuii  IS6S.  —  Loi  autorisant  l'offre  faite  par  la  ville  d'avancer  à  l'État  une 
somme  de  1-2  millions  pour  être  affectée  à  l'exécution  de  ces  travaux. 

4  juillet  IS6S.  —  Décret  établissant,  à  dater  du  l^i- janvier  1869,  un  droit  de 
tonnage  de  12  centimes  par  tonneau  de  jauge  sur  les  navires  français  et  étran- 
gers entrant  chargés  dans  le  port  et  venant  du  long  cours  ou  des  pays  étrangers. 
fî  décembre  1815.  —  Loi  qui  autorise  la  ville  de  Dunkerque  à  avancer  à  l'État, 
et  à  emprunter  dans  ce  but,  une  nouvelle  somme  de  12.600.000  francs  pour 
la  continuation  des  travaux  d'amélioration  du  port. 

Cette  loi  a  substitué,  à  partir  du  l^""  janvier  1876,  au  droit  de  tonnage  de 
12  centimes  établi  par  le  décret  du  4  juillet  1868  précité,  un  droit  de  .30  centimes 
par  tonneau  de  jauge  sur  tout  navire  français  ou  étranger  entrant  chargé  ou 
venant  prendre  charge  dans  le  port,  à  l'exception  des  navires  français  se  livrant 
au  petit  cabotage  entre  les  ports  français  ou  à  la  navigation  fluviale,  les  bâti- 
ments armés  à  la  grande  et  à  la  petite  pêche,  ainsi  que  le  matériel  naval  de  l'État. 
La  perception  du  droit  de  30  centimes  est  concédée  à  la  ville  de  Dunkerque  ; 
les  produits  en  seront  exclusivement  affectés  au  paiement  de  la  différence  entre 
le  taux  d'intérêt  payé  par  l'État  à  la  ville  (4  0/0)  et  celui  qu'elle  aura  elle-même 
pajé  aux  souscripteurs  de  l'emprunt  de  12.600.000  francs  que  la  dite  loi  du 
14  décembre  187o  l'a  autorisée  à  contracter  à  un  taux  qui  n'excède  pas  6  0/0. 
La  perception  de  cette  taxe  a  cessé  le  18  février  1882. 

H  décembre  1875.  —  Loi  qui  autorise  le  département  du  Nord  et  la  Chambre 
de  Commerce  de  Dunkerque  à  avancer  à  l'État,  et  à  emprunter  dans  ce  but,  la 
somme  de  5.900.000  francs  pour  être  affectée  à  des  travaux  de  réparations  au 
port  de  Dunkerque  jusqu'à  concurrence  de  5.495.000  francs,  et  à  celui  de  Gra- 
velines  pour  405.000  francs. 

La  loi  précitée  accorde  en  outre  à  la  Chambre  de  Commerce  la  perception 

d'un  droit  de  10  centimes   par  tonneau  de  jauge  sur  les  navires  français  et 

étrangers,  à  l'exception  des  bateaux  pilotes  et  remorqueurs,  de  ceux  employés 

à  la  pêche  côtière,  et  de  tout  le  matériel  naval  de  l'État. 

Le  produit  de  cette  perception  doit  être  exclusivement  affecté  à  couvrir  la 


920  GÉOGRAPHIE 

différence  entre  le  taux  d'intérêt  payé  par  l'État  (4  0/0)  et  celui  que  le  départe- 
ment du  Nord  et  la  Chambre  de  Commerce  de  Dunkerque  auront  payé  aux 
souscripteurs  de  l'emprunt  qu'ils  ont  été  autorisés  à  contracter  par  ladite  loi  à 
un  taux  d'intérêt  qui  n'excède  pas  6  0/0. 

La  perception  de  cette  taxe  a  cessé  le  18  février  1882,  par  suite  du  rembourse- 
ment anticipé  des  avances  faites  à  l'État  par  la  Chambre  de  Commerce. 

5  février  1882.  —  Décret  maintenant,  au  profit  de  la  Chambre  de  Commerce 
de  Dunkerque,  la  perception  de  la  taxe  de  tonnage  de  10  centimes  précédem- 
ment établie  au  profit  de  ladite  Chambre  par  la  loi  du  14  décembre  1875. 

La  perception  de  cette  taxe  a  commencé  le  19  février  1882  et  a  cessé  le  G  sep- 
tembre 1884. 

/«■•  septembre  l8Si.  —  Loi  autorisant  le  ministre  des  Travaux  publics  à  accep- 
ter, au  nom  de  l'État,  une  somme  de  31  millions  de  francs  offerte  par  la  Ville 
et  la  Chambre  de  Commerce  de  Dunkerque  pour  l'achèvement  des  travaux  du 
port  de  Dunkerque,  autorisés  par  la  loi  du  31  juillet  1879. 

Akï.  4.  —  Le  produit  du  droit  de  tonnage  perçu  au  port  de  Dunkerque  en 
vertu  du  décret  du  5  février  1882,  sera  porté  de  40  à  70  cantimes  par  tonneau 
de  jauge,  à  partir  de  la  promulgation  de  la  présente  loi,  et  sera  exclusivement 
affecté  au  remboursement,  en  capital  et  intérêts,  de  l'emprunt  contracté  par  la 
Ville  de  Dunkerque,  en  vertu  de  la  loi  du  7  avril  1880,  et  de  celui  à- conclure, 
en  vertu  de  la  présente  loi,  pour  la  continuation  et  l'achèvement  des  travaux 
d'amélioration  et  d'extension  du  port  de  Dunkerque. 

La  perception  du  droit  de  tonnage  cessera  immédiatement  après  l'entier 
accomplissement  des  obligations  contractées  solidairement  par  la  Ville  et  la 
Chambre  de  Commerce. 

La  perception  de  cette  taxe  a  commencé  le  7  septembre  1884. 

2°  Affecté  à  la  reconstruction  de  la  jetée  de  l'Est. 

26  août  1890.  —  Décret  autorisant  le  reconstruction  de  la  jetée  de  l'Est  au  port 
de  Dunkerque. 

Art.  ù.  —  Le  droit  de  tonnage  de  70  centimes  par  tonneau  de  jauge,  actuelle- 
ment perçu  au  port  de  Dunkerque,  en  vertu  de  la  loi  du  l*"""  septembre  1884  et 
du  décret  du  22  septembre  1885,  sera,  à  partir  de  la  promulgation  du  présent 
décret,  réduit  à  54  centimes  par  tonneau  de  jauge. 

La  perception  de  cette  taxe  a  commencé  le  30  août  1890. 

26  août  1890.  —Décret  autorisant  la  Chambre  de  Commerce  à  fournir  à 
l'État  un  subside  de  4.500.000  francs  pour  l'exécution  des  travaux  de  recons- 
truction de  la  jetée  de  l'Est  au  port  de  Dunkerque  et  établissant,  au  profit  de  la 
dite  Chambre,  un  droit  de  iQ  centimes  par  tonneau  de  jauge  sur  tout  navire 
français  ou  étranger  entrant  chargé  ou  venant  prendre  charge  dans  le  port  de 
Dunkerque. 

La  perception  de  ce  droit  cessera  immédiatement  après  l'entier  accomplisse- 
ment des  obligations  contractées  par  la  Chambre  de  Commerce  en  vertu  du 
présent  décret. 

La  perception  de  cette. taxe  a  commencé  le  30  août  1890. 

DROIT   d'outillage    AFFECTÉ  A  L'ÉTABLISSEMENT  d'uN  OUTILLAGE   PUBLIC   AU   PORT 

6  septembre  hS88.  —  Décret  autorisant  la  Chambre  de  Commerce  à  percevoir, 
sur  les  navires  français  et  étrangers  entrant  au  port  de  Dunkerque,  un  droit 


I 


A.  MINE.  —   LE  TRAFIC   DU   PORT    DE   DUiNKERQUE  921 

(le  10  centimes  par  tonneau  de  jauge  jusqu'à  concurrence  de  la  somme  de 
1.800.000  francs  qu'elle  a  été   autorisée  à  contracter  par  le  même  décret  pour 
l'établissement  d'un  outillage  public. 
La  perception  de  cette  taxe  a  commencé  le  10  septembre  1888. 

MOUVEMENT   DU   PORT 

Le  mouvement  du  port  de  Dunkerque  se  chiffre  comme  il  suit  pour  1891: 

Nombre  de  navires  entrés 3.024  navires, 

—  —  sortis 2.996      — 

Total    .       .   .  6.020  navires. 

Tonnage  de  jauge  à  l'entrée 1.592.768  tonnes. 

—  —        à  la  sortie 1.574.341       — 

ToTAT 3.167.109  tonnes. 

Tonnage  de  marchandises  à  l'entrée 2.015.639  tonnes. 

—  —  à  la  sortit 549.805      — 

Total    ....     2.565.444  tonnes. 

L'année  précédente,  le  nombre  total  des  navires,  à  l'entrée  et  à  la  sortie, 
s'était  élevé  à  6.433,  soit  une  diminution,  par  rapport  à  1890,  de  413  navires. 

Le  nombre  total  des  tonnes  de  jauge  correspondant  aux  navires  entrés  et 
sortis  a  été  de  2.982. "203  tonnes,  ce  qui  donne  une  augmentation  en  faveur  de 
1891  de  ISi.Oue  tonnes. 

Le  nombre  total  des  tonnes  de  marchandises  entrées  et  sorties  a  été  de 
2.301.833,  soit  pour  1891  une  augmentation  de  63.611  tonnes. 

Le  port  de  Dunkerque  n'avait  jamais  reçu  autant  de  marchandises  et  la 
Douane  n'avait  jamais  encaissé  autant  d'argent  qu'en  1891. 

NAVIRES   APPARTENANT   AU    PORT 

Le  port  de  Dunkerque  possédait,  au  31  décembre  1891,  228  navires  d"une 
jauge  totale  de  48.999  tonneaux,  dont  49  bateaux  à  vapeur  jaugeant  13.072  ton- 
neaux et  d'une  force  totale  de  8.577  chevaux. 

N.WIRES   ENTRÉS   AVEC    UN   TIRANT   d'eAU    ÉGAL  OU   SUPÉRIEUR    A    SI.\   MÈTRES 

Pendant  l'année  1891,  299  navires,  jaugeant  ensemble  477.267  tonneaux  et 
ayant  un  tirant  d'eau  égal  ou  supérieur  à  6  mètres,  sont  entrés  au  port  de 
Dunkerque,  savoir  : 

125  navires  calant  de  6'",  »     à  6", 25,  soit  19.8  à  20  pieds  6  pouces  anglais 

61                —  6>",25    à  6'",50,  —  20.6  à  21    —    4            — 

104                —  6'",50    à  7>n,  X.  —  21.4  à  23    — 

9               —  plus  de   7"\  »  —  plus  de  23    — 

La  part  proportionnelle  du  mouvement  des  navires,  dont  le  tirant  d'eau  est 
égal  ou  supérieur  à  6  mètres,  dans  le  mouvement  total  de  l'entrée,  s'est  élevé, 
pour  la  dite  année,  à  : 

10  0/0  du  nombre  des  navires  entrés. 
30  0/0  du  tonnage  — 


922 


GÉOGRAPHIE 


DEVELOPPEMENT    PAR   PAVILLONS 

Le  pavillon  français  figure  dans  le  total  général  du  mouvement  du  port  de 
Dunkerque  en  1891  (entrées  et  sorties  réunies)  pour  2.344  navires  d'un  tonnage 
de  jauge  de  958.335  tonnes  ayant  transporté  768.453  tonnes  de  marchandises. 

Les  pavillons  étrangers  correspondent  aux  chiffres  suivants  :  3.676  navires 
entrés  et  sortis,  jaugeant  ensemble  2.208.774  tonneaux  et  ayant  transporté 
1.796.991  tonnes  de  marchandises. 

TONNEAUX 
200. 000 


1889         1890 


FiG.  i.  —  Diagramme  du  mouvement  commercial  et  maritime  de  Dunkerque 
pendant  les  dix  dernières  années. 

De  sorte  que  le  commerce  par  pavillon  français  représente,  dans  la  fréquen- 
tation du  port  de  Dunkerque  : 

39  0/0  du  nombre  total  des  navires  entrés  et  sortis; 

30  0/0  du  tonnage  de  jauge  à  l'entrée  et  à  la  sortie; 

30  0/0  du  tonnage  de  marchandises,  à  l'entrée  et  à  la  sortie. 


TONNAGE   MOYEN 


Le  tonnage  moyen  des  navires  français  qui  fréquentent  le  port  de  Dunkerque 
est  de  408  tonneaux  ;  celui  des  bâtiments  étrangers  est  de  601  tonneaux,  et  le 
tonnage  moyen  de  la  fréquentation  du  port  est  de  326  tonneaux,  soit  une  aug- 
mentation de  8  0/0  par  rapport  à  1890. 


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GEOGRAPHIE 


Le  port  de  Dunkerque,  dont  le  trafic  s'est  considérablement  accru  pendant 
ces  dernières  années,  occupe  aujourd'tiui  le  troisième  rang  parmi  les  ports 
français  ;  il  vient  immédiatement  après  Marseille  et  le  Havre. 

Le  tableau  ci-dessus  donne,  pendant  la  dernière  période  décennale,  les  ren- 
seignements relatifs  au  nombre  et  au  tonnage  des  navires  de  mer  et  des  bateaux 
de  canal  qui  le  fréquentent,  ainsi  que  la  quantité  totale  des  marchandises 
transportées  par  mer,  par  canaux  et  par  chemins  de  fer,  ce  qui  permet  de  suivre 
les  conditions  dans  lesquelles  s'est  opéré  son  développement. 

Par  une  conséquence  forcée,  le  courant  d'exportation  suivra  la  loi  du  courant 
d'importation,  et  le  mouvement  ascensionnel  ci-dessus  constaté  se  continuera 
avec  l'achèvement  des  travaux  en  cours  d'exécution  et  lorsque  les  installations 
de  l'outillage,  qui  font  partie  intégrante  de  tout  établissement  maritime,  seront 
complétées. 


IMPORTATIONS 


Parmi  les  principales  marchandises  importées,  en  1891,  au  port  de  Dun- 
kerque, il  faut  citer  : 

Le  froment,  dont  il  est  entré  421.786  tonnes  contre  81.459,  en  1890,  soil  une 
augmentation  considérable  de  340.327  tonnes;  ces  froments  viennent  prin- 
cipalement des  États-Unis  d'Amérique,  des  Indes  Anglaises,  d'Australie,  de 
Roumanie,  de  Russie,  de  la  République  Argentine; 

Les  minerais,  dont  l'importation  n"a  atteint  que  213.050  tonnes  au  lieu  de 
274.076  tonnes  en  1890;  les  provenances  sont  l'Espagne  et  l'Algérie; 

La  houille  crue  ne  figure  dans  les  importations  de  1891  que  pour  189.929  tonnes 
contre  229.188  tonnes  en  1890  ;  c'est  l'Angleterre  qui  introduit  la  plus  grande 
partie  de  ce  combustible  dont  la  Compagnie  Parisienne  d'éclairage  au  gaz  s'ap- 
provisionne par  le  port  de  Dunkerque  ; 

Le  nitrate  de  soude,  dont  il  a  été  importé  170.073  tonnes,  en  1891,  au  lieu  de 
199.597  tonnes  en  1890,  et  qui  vient  du  Pérou; 

Les  graities  oléagineuses,  dont  l'importation  s'est  élevée  à  161.069  tonnes  contre 
169.075  tonnes  en  1890;  leurs  principales  provenances  sont  :  les  Indes  Anglaises 
pour  la  majeure  partie,  la  Russie,  la  Roumanie,  l'Egypte  et  la  République  Ar- 
gentine ; 

Les  orges  pour  brasseries  et  malteries  ;  leur  importation  s'est  élevée  à 
102.005  tonnes  en  1891  au  lieu  de  111.800  tonnes  en  1890;  elle  viennent  pour 
les  huit  dixièmes  d'Algérie,  puisdeRoumanie,Tunisie,Ég3'pte,  Russie,  Turquie, 
Danemark  ; 

Les  bois  du  Nord,  dont  il  a  été  importé  82.541  tonnes  contre  54.309  tonnes 
en  1890,  et  qui  viennent  principalement  de  Suède,  Russie,  Norwège  et  Dane- 
mark ; 

Les  laines  en  masse,  dont  Timportation  toujours  croissante  qui  alimente  les 
villes  manufacturières  de  Roubaix,  Tourcoing,  Fourmies,  Saint-Quentin  et 
Reims,  s'est  élevée  à  80.228  tonnes  contre  66.932  tonnes  en  1890;  les  prove- 
nances principales  sont  :  la  République  Argentine  pour  les  cinq  huitièmes, 
l'Australie,  l'Angleterre,  l'Uruguay,  l'Algérie,  le  Maroc,  la  Russie,  les  Indes  An- 
glaises, l'Espagne;  le  tableau  ci-après  montre,  par  provenances,  comment  s'est 
développée,  depuis  1881,  l'importation  des  laines  au  port  de  Dunkerque: 


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926  GÉOGRAPHIE 

Viennent  ensuite  :  le  moh  dont  riniportation  a  considérablement  diminué 
depuis  l'application  des  nouveaux  droits  de  douane,  le  lin,  la  mélasse,  le  jute, 
le  coton,  la  fonte,  les  huiles  de  pétrole,  les  huiles  lourdes,  les  grains  el  graines  de 
toute  espèce,  les  résines,  etc.,  etc. 

Dunkerque  peut  et  doit  devenir,  dans  un  avenir  prochain,  un  port  d'expor- 
tation des  produits  de  ragriculture  et  de  l'industrie  nationale,  un  entrepôt  où 
ces  produits,  acheminés  vers  la  mer  par  la  batellerie  fluviale,  viendront  s'échan- 
ger contre  les  productions  étrangères  apportées  en  France  par  la  navigation  ma- 
ritime. Lorsqu'un  fret  de  sortie  sera  assuré  aux  navires  se  rendant  à  Dun- 
kerque pour  y  décharger  leur  cargaisons,  ils  y  viendront  plus  nombreux,  et  ce 
sera  une  nouvelle  source  de  prolits  pour  tous,  car  un  port  ne  se  soutient  qu'à 
la  condition  de  progresser  sans  cesse. 


EXPORTATIONS 


Les  principales  marchandises  exportées  en  1801  par  le  port  de  Dunkerque 
ont  été  : 

Les  sucres  de  toute  espèce,  qui  ont  atteint  87.667  tonnes  contre  112.808  tonnes 
en  1890,  et  qui  ont  été  principalement  dirigés  sur  l'Angleterre  pour  la  majeure 
partie,  les  États-Unis  et  l'Italie  ; 

La  houille  crue,  dont  il  a  été  exporté  33.345  tonnes  en  1891,  au  lieu  de 
42.004  tonnes  en  1890  ;  les  principaux  pays  de  consommation  sont  l'Angleterre, 
l'Espagne,  le  Sénégal,  l'Algérie,  la  Russie,  l'Allemagne,  les  États-Unis,  la  Tuni- 
sie, la  Grande-Pêche,  la  Guyane  française  ; 

Les  fourrages  (foin  et  paille  comprimés),  dont  l'exportation  s'est  élevée  à 
14.116  tonnes  contre  19.802  tonnes  en  1890  ;  c'est  l'Angleterre  qui  consomme 
tous  ces  fourrages  ; 

Les  rails  en  fer  et  en  acier,  qui  ont  atteint  15.804  tonnes,  en  1891,  contre 
17.218  tonnes  en  1890,  et  qui  ont  été  dirigés  principalement  sur  la  République 
Argentine  pour  les  cinq  huitièmes,  le  Rrésil,  l'Algérie; 

Les  tourteaux,  dont  il  a  été  exporté  9.765  tonnes  au  lieu  de  5.449  tonnes 
en  1890  ;  les  principaux  pays  de  consommation  sont  :  l'Allemagne,  l'Angleterre, 
le  Danemark,  la  Suède  et  la  INorwège  ; 

Les  'phosphates,  dont  l'exportation  a  atteint  13.328  tonnes  en  1891  contre 
22.580  tonnes  en  1890,  et  dont  les  principaux  pays  consommateurs  sont  :  l'An- 
gleterre, l'Italie,  l'Allemagne,  la  Suède,  la  Norwège; 

Viennent  ensuite  les  saindoux  pour  la  Hollande  et  l'Angleterre,  les  farines 
pour  l'Angleterre  et  le  Portugal,  les  pommes  de  terre  et  les  légumes  secs  et 
verts  pour  l'Angleterre,  les  huiles  de  graines  principalement  pour  l'Angleterre 
et  la  Hollande,  les  bois  de  construction  pour  l'Algérie,  l'Angleterre  et  la  Côte 
occidentale  d'Afrique,  le  son  pour  le  Danemark  et  l'Angleterre,  les  fers  de 
toute  espèce  pour  de  multiples  destinations,  la  potasse  et  le  carbonate  de  potasse 
pour  l'Angleterre,  les  alcools  pour  l'Algérie  et  l'Angleterre,  les  verres  à  vitres 
et  en  bouteilles  principalement  pour  l'Angleterre  et  l'Algérie,  les  fils  de  jute, 
de  lin  et  de  chanvre  pour  l'Angleterre,  les  sacs  vides  pour  l'Angleterre,  l'Al- 
gérie et  la  Belgique,  les  machines  et  mécaniques  pour  la  République  Argentine, 
l'Algérie  et  l'Espagne,  les  futailles  vides  pour  l'Allemagne,  l'Angleterre,  les 
États-Unis,  etc.,  etc.,  etc. 


A.  MIiNE.  —    LE    TRAFIC   DU    PORT   DE   DUiNKERQUE 


927 


PORT  DE  DUNKERQUE 


IM:i>0RT.A.TI01SrS     DE     L'J^NNÉE     1880 


1 

2 

3 
4 
5 
6 

i 

8 
9 
10 
fl 
12 
13 
11 
Ih 
iC 
17 
18 
19 
20 
21 
22 


25 

26 
27 
28 
29 
30 
31 
32 
33 
Si 


PROVENANCES 


Angleterre. 
Russie 

États-Unis. 
Espagne.  . 
Algérie  .  . 
Suède .  .  . 


Baltique   . 
Mer  Koire- 


MATIERES 

ANIMALES 


Allemagne 

Indes  anglaises 

IN'orwège 

Pérou 

Chili 

Italie 

Australie 

Islande 

Portugal 

Indes  (Colonies  anglaises) 

Égvpte 

République  Argentine .   . 

Belgique 

Roumanie 

Sénégal  

États  Barbaresques  .   .   .   . 

Turquie 

Côte  occidentale  d'Afrique. 
Possessions  anglaises  d'itrique  .    .    .    . 

Pays-Bas 

Autriche 

Haïti 

rolouies  anglaises  (Amérique  du  ^ord).   . 

Grèce  

Uruguay  

Danemark 

Épaves 

Divers 


Etranger 
Cabotage 


Totaux. 


MATIERES 

VÉGÉTALES 


KILUG. 

13.013.50' 
6.Î.150 
3.719.214 
15.273 

» 

2.135.358 

9 

20.333 

100.030 

3.443 

12.592.000 


8.285.379 

6.574 

» 

4.000 

5.924.600 

474.970 


45.237 

Q/.    QQJ 


388.875 
560.000 


1.213.966 


82.294 

174.427 

6.811 

3.857 

35.523 

35.015 

28.789 

5.835 

2 

11.334 
9.846 
9.702 
» 
3.707 
7.471 
7.568 


MATIERES 

MINERALES 


KILUU. 


617.840 
56.420 

» 
10.978 


49.209.910 
4.215.40(1 


53.425.310 


.241 

.773 

.665 

.524 

.823 

.338 

.232 

.108 

.617 

.33 

.000 

.600 

.701 

.000 


161. 
3. 

5. 

82. 

32 

1 


FABRI- 
CATIONS 


.100 

.342 

20 


2.526. 
3.713. 
3.491. 

2.805. 

2.373. 

3.010, 

2.841 

1.228 

2.378 

1.888 

1.408 

» 

3 

240 


000 
252 
400 
269 
150 
,539 
.534 
.540 
.500 
.200 

.500 
.000 


12.244 


.589.678.794 
42.204.200 


631.942.94 


216.140 
143.812 

870.235 
,811.767 

.009.639 
.404.309 
316.000 


17  122.958 


917.970 


701.693 


25.333 


52.386 


713.994 


306.306.236 
6.442.600 


312.748.836 


TOTAIX 


KILOO. 

14.155.405 

45.665 

2.300 

12.498 

522.79 

» 

223.81 
421.839 

» 

6.619 

8.191.000 

730.000 

422.808 

» 

992.800 

4.801.146 

302.100 


231.334 


170.068 


173.753 


72.632 
15.836 


31.494.474 
18.127.500 


49.621.97 


233.621.293 

97.589.400 
86.016.179 
180.325.530 
90.146.38 
38.002.335 
37.151.338 
35.773.280 
28.889.647 
22.968.334 
20.785.000 
12.064.600 
11.187.539 
9.702.000 
9.278.179 
8.514.820 
7.773.442 
7.572.20 
5.924.600 
3.934.061 
3.713.000 
3.491.252 
3.194.275 
3.128.670 
3.010.150 
2.841.539 
2.668.639 
2.378.540 
1.888.. 500 
1.408.200 
713.99* 
621.340 
296.420 
72  632 
39.058 


976.689.41* 
71.049.700 


1.047.739.114 


928 


GÉOGRAPHIE 


PORT  DE  DUNKERQUE 


EXrOUT^^TIOlSrS     de     L'^^ISTISTEE     1880 


9 
10 

11 

12 
13 

u 

15 
16 
17 
18 
19 
■20 
21 
22 
23 
2i 
25 
26 
27 
28 
29 
30 
31 
32 
33 
34 
35 


PROVENANCES 


Angleterre 

Islande 

Belgique 

Danemark 

Russie  (Baltique^  .... 

Espagne 

Pays-Bas 

Algérie 

Allemagne 

France 

Italie 

Roumanie 

Suisse 

États-Unis 

Norwège 

Côte  occidentale  d'Afrique 

Sénégal 

Japon 

Portugal 

Egypte 

Pérou 

Brésil 

Indes  anglaises 

Autres  pays  d'Afrique  .   . 

Suède 

Ile  de  Réunion 

Grèce 

Mexique 

Guadeloupe 

États  Barbaresqnes  ... 

Haïti 

Ciilonics  anglaise»  (Am(5riquc  du  Nord). 

Possessions  espagnoles.  . 

Cocliinchine 

Guyane  

Étranger 

Cabotage  

Totaux 


MATIERES 

ANIMALES 


KILOC;. 

3.702.806 

36.029 

870.585 

2.770 
1.21 

602.786 

» 

1.718 


8.439 
1.100 


1.940 


5.229.417 
12.856.026 


18.085.443 


MATIERES 

VÉGÉTALES 


h  lu  11.. 

26.231.530 

767.436 

3.481.431 

3.605.200 

39.863 

111.662 

1.0S9.954 

208.394 

981.404 

» 

13.. 528 

» 

40.968 
50.394 
3.945 
18.600 
16.000 

» 

9.600 


5.550 


36.675.519 
6.739.174 


43.414.693 


MATIERES 

MINÉRALES 


KILUG. 

6.779.602 

63.800 

1.196.503 

» 

1.895.300 

2.076.473 
157.232 

1.073  467 
280.873 

1.292.400 
267.860 
500.000 
249.868 
97.200 
172.100 
128.100 
83.000 

19.00Û 


2.000 
6.240 
6.365 


2.000 
3.000 


16.352.389 
23.843.760 


40.196.149 


FABRI- 
CATIONS 


12.801.134 

6.713.220 

662.463 

» 

897.513 
376.525 
193.702 
519.909 
356.111 

480.014 
8.332 

180  652 
42.804 
13.026 
13.062 

»   . 

57.458 
13.331 
27.792 
18.629 
17.207 
15.000 
11.728 
1.626 
1.080 
» 

6.200 
5.959 
5.539 
2.116 

2.503 
1.746 
1.270 


23.447.651 
15.656.563 


39.104.214 


TOTAU.\ 


49.515.072 

7.580.485 

6.210.982 

3.605.200 

2.835.446 

2.565.904 

2.043.674 

1.801.770 

1.620.106 

1.292.400 

761.408 

508.332 

471.488 

198.83' 

190.171 

159.822 

99.000 

57.458 

41.931 

27.792 

18.629 

17.207 

15.000 

11.728 

11.116 

7.320 

6.365 

6.200 

5.959 

5.539 

4.116 

3.000 

2.503 

1.746 

1.270 


81.704.976 
59.095.523 


140.800.499 


A.  MINE.  —   LE   TRAFIC   DU    POIIT    DE   DUiNKERQUE 


929 


PORT  DE  DUNKERQUE 


IlVXFOItT^i^TIOlSrS    DE    L  '  ^!^  N IST  É  E    1891 


^  < 


S 

!) 

10 

11 

12 
13 
14 
15 
16 
17 
18 
19 
20 
21 
22 
23 
24 
25 
26 


29 
30 
31 
32 
33 
34 
35 
36 


PROVTENANCES 


ÀQgleterre 

Espagne 

Indes  anglaises  .   .   .   . 

États-Unis 

Bas-Pérou 

l  Baltique.  . 

Russie.  .  <  ,,      -,  . 

(  >!er  Noire. 

Algérie 

République  Argentine  . 

Suède 

Australie 

Roumanie 

Allemagni' 

Egypte 

Tunisie 

Norwège 

Indo-Chine  Française  . 

Turquie 

Uruguay   

Islande 

Portugal 

Sénégal 

Danemark 

Chili 

Pays-Bas 

Possessions  auglaiscs  en  Afrique .   . 
Possessions  angliiisps  on  Aaioriquc  . 

Aulriclie 

Maroc 

Haut-Péroi: 

Mexique 

Haïti 

Autres  pays  d'Afrique. 

Italie  

Belgique 

Diverses 

Épaves 

Étranger 

Cabotage 

Totaux.  . 


MATIERES 

ANIMALES 


KILUli. 

I1.025.' 
263. 
961. 

4, 

» 

3.585. 

519, 

2.593, 

52.737, 


765 

84(; 

443 
231 

184 
667 
962 
171 


10.864.369 


195, 

6 

38 

1.474 


7.822. 

6.388. 

29, 


889 
.500 
880 
340 


300 
514 

821 


803 

» 

149 

» 

2.123 


123. 

9. 


928 
977 
509 

250 

323 
524 


101.722.462 
3.926.000 


105.648.46: 


MATIERES 

VÉGÉTALES 


KILUG. 

31.023.926 

1.646.965 

260.692.241 

236.088.308 

6.200 

62.321.050 

40.483.428 

88.137.367 

19.856.610 

59.488.163 

24.830.831 

35.642.864 

34.105.144 

34.4i0.870 

12.712.495 

7.903.420 

11.509.450 

8.520.835 


1.6-54.763 
5.. 558. 666 
5.232.946 

» 

2.710.291 
3.535.966 
2.635.131 
2.262.028 
92 


1.029.544 

962.343 

30.433 


31.158 


995.0.53.528 
62. 9 iO. 300 


1.057.993.828 


MATIERES 

MINÉRALES 


KlLU.i. 

267.597.103 

263.023.7.59 

3.300 

11.858.682 

» 

338.157 
6.486.147 
1.952.209 

185.000 

» 

3.700 
127.135 

n 

2.250.100 
110.000 


13.497 


1.682.299 


198.319 

64.900 

720 


555.895.02 

7. 997.. 500 


FABRI- 
CATIONS 


KILUU. 

15.401.273 

725. 7 i6 

1.296 

47.403 

164.079.831 

2.008.994 

1.515 

3.273.284 

53 

94. 130 

1.198 

» 

1.067.008 
1.599 


1.183.. 39 
4.i:23.616 


4.172.378 
162.255 


18.000 

13 

1.830.961 


3.000 
27.076 
34.394 


198.758.221 
19.017.400 


563.892.52"; 


TOTAUX 


klLOCi. 

325.048.067 

265.660.316 

261.658.280 

247.998.624 

164.086.031 

(i8. 253. 385 

47. 490. 707 

95.956.822 

72.779.318j 

59.582.293 

35.700.098 

35.642.864 

35.495.176 

34.447.370 

12.752.974 

11.627.866 

11.509.467 

8.630.835 

7.822.300 

7.. 571. 911 

6.308.203 

5.558.666 

.5.232.946 

4.172.678 

3.688.971 

3.. 535. 966 

2.785.108 

2.280.028 

2.123.674 

1.830.961 

1.682.299 

1.029.544 

962.593 

228.752 

191.223 

68.478 

34.394 


1.851.429.238 

93.881.200l 


217.775.621 


1.945.310.438 


59* 


930 


GEOGRAPHIE 


PORT  DE  DUNKERQUE 


t:xi>oiîT7\.tions  de  i.'^nn:ée   issi 


PROVENANCES 


1  Angleterre 

2  Alsérie 

3  République  Arp;cntine.  .  . 

4  Allemagne 

5  Italie  

a  États-Unis 

7  Espagne 

8  Islande 

9  Pays-Bas 

10  Brésil. 

11  Danemark 

12  Sénégal 

13  Rade   

14  Indo-Chine  française.  .  .   . 

(  Baltique.  .  .  . 

15  Russie.  .  i  ,,      .,  . 

(  Mer  Noire.  .   . 

16  Belgique 

17  Norvvège 

18  Portugal 

10  Suède 

20  Tunisie 

21  Autres  pays  d'Afrique  .   .  . 

22  Uruguay    

23  Guyane  française 

24  Australie 

25  Mexique 

26  Maroc 

27  Bas-Pérou 

28  Élablissi'mcnts  franc,  dn  golfe  de  Kiiini!p 

29  lïoumanie 

30  Turquie 

31  Possessions  espagnoles  en  iraériTue  . 

32  Philippines 

33  Chili 

34  Diverses 

Étranger 

Cabotage 

Totaux.  . 


MATlIiRES 

ANIMALES 


KILOO. 

3.581.695 

158.386 

451 

517.579 

6.700 

3.012 

1.178 

46.835 

1.963.246 

4.777 

1.707 

1.100 


9.132 

306.850 

» 
» 
» 

10.000 


16.134 


6.628.782 


MATIERES 

VKGÉTALKS 


KILOG. 

117.716.605 

1.288.892 

111.665 

6.759.913 

1.456.300 

4.643.983 

53.166 

721.725 

2.682.272 

» 

4.139.442 
796.061 

» 

2.997 
15.344 

» 
966.266 
410.237 
655.000 
886.000 

» 

257.000 

26.316 

I.OOO 


1.042 
31.226 


143.622.452 


MATIERES 

MINÉRALES 


KILOG. 

24.696.275 

8.433.401 

12.329.527 

4.121.306 

5.443.816 

3.096.778 

5.408.587 

5.297.650 

243.382 

4.260.130 

157.285 

3.095.647 

3.530.800 

1.410.797 

1.027.500 

251.000 

20.000 

620.309 

378.000 

158.500 

754.454 

55.388 

297.527 

603.000 

406.000 

39.819 

100.000 

74.000 


5.000 
1.001 
3.459 


86.320.338 


FABRI- 
CATIONS 


18.945.760 

6.680.925 

2.101.743 

892.388 

1.441.534 

524.492 

1.382.21 

475.450 

185.028 

611.351 

» 

116.087 

» 

1.783.018 
311.848 

» 

155.488 
73.564 
24.10 

» 

121.796 
370.146 
334.8 
18.218 
150 
117.336 

» 

9.250 
29.234 
20.000 
13.367 
10.134 
1.400 
2.608 
70.27.1 


36.823.781 


TOTAUX 


164.940.335 

16.561.60 

14.543.386 

12.291.186 

8.348.350 

8.268.265 

6.845.148 

6.541.660 

5.073.928 

4.876.258 

4.298.43 

4.008.895 

3.530.800 

3.196.812 

1.363.824 

251.000 

1.448.604 

1.104.110 

1.057.104 

1.044.500 

886.250 

682.53 

658.71 

622.218 

406.150 

1.57.155 

100.000 

83.250 

29.234 

20.000 

13.36 

10.13 

6.400 

4.651 

121.093 


273.395.353 
276.922.769 


550.318.122 


A.  MINE.   —    LK    TRAFIC    DU    PORT    DE    DL.NKERUUE  931 


IMPORTATIONS    ET   EXPORTATIONS  —  STATISTIQUE  GENERALE 

Il  est  intéressani  de  compléter  ces  renseignements  en  indiquant  les  pays  qui 
viennent  en  premier  rang  dans  les  relations  commerciales  delà  France,  par  le 
port  de  Dunkerque,  pendant  l'année  1891  : 

Les  importations  d'Angleterre  se  sont  élevées  à  325,048  tonnes  et  nos  expor- 
tations dans  ce  pays  à  164.940  tonnes  ; 

Les  imi>ortations  d'Espagne  ont  atteint  2G5.660  tonnes  et  nos  exportations 
dans  ce  pays  6.845  tonnes  ; 

Les  Indes  anglaises  nous  ont  envoyé  261.658  tonnes  et  notre  exportation 
dans  ce  pays  est  nulle. 

Les  importations  des  États-Unis  se  sont  élevées  à  247.998  tonnes  et  nos  ex- 
portations à  8.268  tonnes  ; 

Les  importations  du  Pérou  ont  atteint  164.086  tonnes  et  nos  exportations 
83  tonnes. 

La  Russie  a  importé  chez  nous,  tant  de  la  Baltique  que  de  la  mer  Noire, 
115.744  tonnes,  et  nous  lui  avons  envoyé  1.615  tonnes; 

Les  importations  de  la  République  Argentine  se  sont  élevées  à  72.779  tonnes 
et  nos  exportations  à  14.543  tonnes  ; 

La  Suède  a  importé  59.582  tonnes  et  nous  y  avons  exporté  1.044  tonnes. 

Viennent  ensuite  l'Australie,  la  Roumanie,  l'Allemagne,  l'Egypte,  la  Tunisie, 
la  Norvvège,  llndo-Chine  française,  la  Turquie,  l'Uruguay,  l'Islande,  le  Portugal, 
le  Sénégal,  le  Danemark,  le  Chili,  les  Pays-Bas,  les  Possessions  anglaises  en 
Afrique,  les  Possessions  anglaises  en  Amérique,  l'Autriche,  le  Maroc,  le  Haut 
Pérou,  le  Mexique,  Haïti,  d'autres  pays  d'Afrique,  l'Italie,  la  Belgique,  etc. 

Les  tableaux  qui  précèdent  montrent,  pour  chacune  des  années  1880  et  1891? 
comment  se  sont  développées  ces  relations  commerciales. 


PECHE  A   ISLANDE 

Les  armements  pour  la  pêche  de  la  morue  ont  une  réelle  importance. 

Quatre-vingt-deux  navires  (goélettes,  lougres,  dogres,  etc.,)  jaugeant  en- 
semble 8.551  tonneaux,  montés  par  1.358  hommes  d'équipage,  ont  fait,  en  1891, 
la  pèche  de  la  morue  sur  les  côtes  d'Islande;  leur  départ  a  eu  lieu  vers  le 
le'- mars  et  leur  retour  dans  les  premiers  jours  de  septembre;  ils  ont  rapporté 
5.981.088  kilogrammes  de  morues  vertes  et  345.160  kilogrammes  d'huile  de 
morue,  d'une  valeur  totale  d'environ  3.500.000  francs. 


PECHE   COTIERE. 

Cent  deux  bâtiments,  d'une  jauge  totale  de  902  tonneaux,  montés  par  428 
hommes  d'équipage,  se  sont  livrés  à  la  pèche  côtière  qui  a  produit  830.918  ki- 
logrammes de  poisson  représentant  une  valeur  de  664.728  francs. 

Il  y  a,  dans  les  parages  de  Dunkerque,  deux  saisons  de  pèche  côtière  :  la 
première,  celle  du  hareng,  en  septembre  et  octobre;  la  seconde,  celle  du  ma- 
quereau, en  mai  et  juin. 


93? 


GÉOGRAPHIE 


Les  marins  se  livrent,  en  outre,  en  toutes  saisons,  à  la  pêche  au  chalut  et 
à  la  pêche  à  cordes;  la  première  produit  des  turbots,  des  soles,  des  raies,  des 
barbues,  des  limandes,  des  merlans,  des  rougets,  des  anguilles,  etc.  ;  la  seconde, 
des  raies,  des  morues,  des  anguilles,  etc. 

Des  marsouins,  appartenant  à  l'espèce  dite  des  souffleurs,  apparaissent  quel- 
quefois en  rade  et  sur  la  côte. 


CHAMIERS  DE   CONSTRUCTION 

Il  a  été  mis  en  chantier  dans  l'Arrière-Port,  en  1891,  quatre  navires  jaugeant 
ensemble  376  tonneaux. 


NAVIGATION   INTERIEURE 


Le  mouvement  des  bateaux  de  la  navigation  intérieure,  sur  les  canaux  com- 
muniquant avec  le  port  de  Dunkerque,  a  été  le  suivant  : 

Nombre  Tonnage 

de  bateaux.  absolu. 

Canal  de  Bourbourg  (longueur  20S929) H. 662  1.140.617 

Canal  de  Bergues        (       -          8VJ9]) 4.316  242.259 

Canal  de  Furnes         (       -        13^,210) '-"Q^  56.915 

20.683  1.439.791 


Les  relations  du  port  avec  les  canaux  sont  relevées  dans  le  tableau  ci-après, 
pour  l'année  1891  : 


ÉCLUSES 


z     .a 


De  l'Arrière  Port. 
De  la  darse  n'  1 . 
De  la  darse  n°"2. 


Totaux  de  1891 
Totaux  de  1890 


Différence  «q  laTcur 
de  1891..   .   . 


1.402 

2.T8.J 
3.257 


5.310 


2.134 


ENTREE 


c  i  a 


224.092 
640.571 
453.633 


1.318.296 
1.115.338 


202.958 


3~£ 


23.925  1.583 


223. 3U6 
43.661 


290.892 
284.516 


6.376 


2.69 
3.218 


7.495 

4.859 


2. 636 


SORTIE 


251.725 

609.510 
470.770 


TOTAUX 


S 


1.332.005 
967.422 


364.583 


78.210 
341.070 
286.463 


705.734 
610.306 


95.437 


Z      JS 


2.985 
5.479 
6.475 


14.939 
10.169 


4.770 


475.817 

1.250.081 

924.403 


2.0.50.301 
2.082.7611 


567.541 


102.135 
564.376 
330.124 


9116.635 
894.822 


101.813 


A.   MINE,  LE    TRAFIC    DI"    PORT    DE    IUNKERQUE  933 

La  comparaison  des  résultats  de  la  navigation  fluviale  en  1890  et  en  1S91, 
entrées  et  sorties  réunies,  donne,  pour  cette  dernière  année,  une  augmentation 
de  48  0/0  du  nombre  des  bateaux,  27  0/0  du  tonnage  de  jauge,  11  0/0  du 
tonnage  de  marchandises. 


PILOTAGE 

(Décret  du  30  juin  1883.) 


1890  1891 


Droits  de  pilotage  et  de  conduite  perçus.' Fr.  457.038  04  499. G80  60 

L'actif  de  la  caisse  des  pensions   du  pilotage  s'élevait,   au 

31  décembre  1891,  à "  547.621  85 

Celui  de  la  caisse  de  renouvellement  et  d'assurance  à.    .    .            »  111.264  67 


REMORQUAGE 

(Décret  du  28  août  et  décision  ministérielle  du  7  décembre  t88S.) 

1890  1891 

Total  des  recettes Fr.    197.681  48      184.969  47 

-     des  dépenses 216.301  90      202.687  80 


Excédent  de  dépenses  ....  Fr.       18.620  42        17.7!8  33 

Le  service  du  remorquage,  parfaitement  dirigé  et  muni  d'un  excellent  outil- 
lage, possède  sept  remorqueurs  d'une  puissance  totale  de  1.261  chevaux-vapeur. 
Il  se  prête  avec  une  précieuse  vigilance  aux  diverses  opérations  d'entrée  et  de 
sortie  des  navires,  de  visite  sanitaire  en  rade,  du  service  de  l'artillerie  pour  les 
écoles  de  tir  à  la  mer  et  d'assistance  des  canots  de  la  Société  centrale  de  Sau- 
vetage des  naufragés. 

Un  remorqueur,  de  la  force  de  1.000  chevaux,  est  actuellement  en  construc- 
tion aux  ateliers  de  la  Société  des  Forges  et  Chantiers  de  la  Méditerranée. 


IIALAGE 

(Arrêtés  préfectoraux  des  28  novembre  tSoi  et  29  juin  4883). 

1890  1891 

Produit  net  annuel Fr.       85.507  90        94.006  20 

^RX.  9.  —  io  Trois  centimes  par  tonneau  de  jauge  légale  pour  tout  navire 
passant  aux  écluses,  soit  pour  entrer  dans  le  bassin  du  Commerce  ou  dans  celui 
de  Freycinet,  soit  pour  en  sortir. 

Celte  taxe  comprend  les  communications  entre  les  bassins  pendant  la  durée 
réglementaire  du  séjour  journalier  des  haleurs  sur  les  écluses.  En  dehors  de 
cette  durée,  et  à  défaut  de  stipulations  entre  les  haleurs  et  les  capitaines,  il  sera 


^34  GÉOGRAPHIE 

payé  un  franc  par  navire  ayant  passé  d'un  bassin  dans  un  autre  et  par  homme 
ayant  contribué  au  halage. 

2°  Vingt-cinq  centimes  pour  toute  bélandre  ou  bateau  plat  qui  franchit  les 
écluses  d'entrée  du  bassin  du  Commerce  ou  de  celui  de  Freycinet,  dans  l'un  ou 
iautre  sens,  de  jour  ou  de  nuit. 

Art.  13.  —  2°  Les  haleurs  doivent  être  munis  de  huit  ballons  de  garde  pour 
les  flancs  des  navires  et  de  six  pièces  de  cordages  de  2S  mètres  de  longueur, 
dont  quatre  de  0'",16  de  diamètre  et  deux  de  0'",025  pour  le  service  du  halage. 


POSTE   AUX   LETTRES 


11  y  a  en  France  7.171  bureaux;  celui  de  Dunkerque  occupe  le  n°  61. 

Le  produit  net  de  la  taxe  des  lettres  s'est  élevé  à  318.639  francs  et  le  droit 
de  1  0/0  sur  les  articles  d'argent  à  9.475  francs  ;  celui  de  25  centimes  par 
25  francs  sur  les  mandats  internationaux  a  produit  1.829  francs,  et  le  droit  sur 
les  bons  de  poste  de  sommes  fixes  295  francs. 

Le  nombre  des  timbres-poste  vendus  a  été  de  2.518.940  qui  ont  produit 
292.795  francs. 

11  a  été  encaissé,  par  le  service  des  postes  de  Dunkerque  : 

12.152  effets  de  commerce  intérieur  d'une  valeur  totale  de  213.410  francs, 
et      326     —  —  internationaux        —         —  14.420     — 

11  est  arrivé  à  Dunkerque,  en  1891,  39.606  lettres  chargées,  et  il  en  a  été  ex- 
pédié 38.695  dont  31.879  sans  déclaration  de  valeur  et  6.816  contenant  des  va- 
leurs déclarées. 

Il  a  été  payé  : 

28.811  mandats  intérieurs  représentant  ensemble  735.479  francs, 
et   1.729        —      internationaux    —  —  79.022      — 

«et  reçu  : 

36.507  mandats  intérieurs  d'une  valeur  totale  de  918.172  francs, 
et  3.407        —       internationaux         —        —         136.412    — 

Le  nombre  des  bons  de  poste  de  sommes  fixes  émis  s'est  élevé  à  3.461  pour 
une  somme  de  27.831  francs  et  celui  des  bons  payés  à  1.924  s'élevant  ensemble 
à  18.761  francs. 

Le  fonctionnement  de  la  Caisse  nationale  d'épargne  a  été  le  suivant  : 


NOMBRE 

VALEUR 

Premiers  versements   .   .   . 

.   .        289 

62.092  francs 

Versements  ultérieurs  .    .   . 

.   .      1.693 

182.477     - 

Remboursements 

.    .        780 

182.973    - 

A.  MINE.  —    LE    TRAFIC.   DU    PORT    DE   DUNKERQUE  935 


TELEGRAPHE 


11  y  a  en  France  10.319  bureaux  ouverts  à  la  tclégrapliie  privée  ;  celui 
de  Dunkerque  occupe  le  cinquante  et  unième  rang  d'après  les  produits  et  le 
soixante  et  onzième  d'après  le  nombre  des  télégrammes  déposés. 

Le  bureau  de  la  ville  a  expédié  : 

Pour  la  France  77.934  dépêches  qui  ont  produit  57.624  fr.  10  c. 

Pour  l'étranger  33.160  dépêches  qui  ont  produit  48.782  fr.  47  c. 

Et  le  bureau  de  la  gare  a  expédié  7.791  dépêches  qui  ont  produit  6.923  fr.  05  c. 


TELEPHONES 


La  ville  de  Dunkerque  compte  149  abonnés  et  a  encaissé  en  1891  : 
26.401  fr.  59  c.  pour  le  produit  des  abonnements, 
4.874  fr.  25  c.  pour  le   produit    des   conversations ,  messages    et    cabines 
publiques. 

CHEMINS   DE   FER 

La  gare  de  Dunkerque  a  conservé  le  troisième  rang  d'importance  parmi  les 
stations  de  la  ligne  du  Nord  ;  elle  a  encaissé  8.326.613  francs  dont  7.604.947 
francs  proviennent  de  la  petite  vitesse;  119.370  francs  de  la  grande  vitesse  et 
002.296  francs  des  voyageurs,  dont  le  nombre,  tant  au  départ  qu'à  l'arrivée, 
s'est  élevé  à  275.998. 

La  gare  commerciale  de  Dunkerque,  réunie  à  la  gare  des  voyageurs,  étant 
devenue  tout  à  fait  insuffisante  par  suite  de  l'accroissement  du  trafic,  il  fut 
décidé  de  créer  à  Coudekerque-Branche,  é  3  kilomètres  environ  de  Dunkerque, 
une  gare  de  triage  qui  fonctionne  depuis  le  l'^''  novembre  1887. 

La  gare  de  Dunkerque  est  seule  affectée  au  service  commercial  proprement 
dit,  avec  les  voies  du  port  comme  annexes,  lesquelles  constituent  la  gare  mari- 
time ;  c'est  à  Dunkerque  que  se  fait,  indépendamment  du  service  des  voya- 
geurs, la  réception  et  la  livraison  des  marchandises  produites  par  l'industrie 
locale  ou  spécialement  destinées  à  la  consommation. 

La  gare  de  Coudekerque  est  une  gare  de  manœuvres  où  a  lieu  le  triage 
des  wagons  de  marchandises  et  la  formation  des  trains  ;  elle  occupe  une  super- 
ficie de  cinquante-deux  hectares  et  pn-sente  un  développement  de  voies  d'en- 
viron 10  kilomètres;  en  laissant  libres  les  voies  principales,  on  peut  y  garer 
1 .800  wagons. 

Chaque  jour,  il  arrive  à  Dunkerque  vingt-six  trains  de  marchandises,  et 
vingt-sept  trains  en  partent  pour  toutes  les  directions.  Le  mouvement  total, 
pendant  l'année  1891,  a  été  de  415.122  wagons  chargés,  soit  1.137  wagons  en 
moyenne  par  vingt-quatre  heures  ;  en  1880,  le  mouvement  journalier  était  de 
691  wagons  à  peine. 

La  gare  du  chemin  de  fer  est  réunie  à  tous  les  quais  du  port  et  des  bassins 
par  des  voies  ferrées  qui  les  desservent  directement  par  aiguilles,  et  sur  les- 
quelles les  trains  sont  manœuvres  par  des  locomotives. 


936  GÉOGRAPHIE 

La  longueur  des  rails  installés  sur  les  quais  du  port  de  Dunkerque  est  de 
32  kilomètres  200  mètres,  plus  3  kilomètres  230  mètres  de  voies  de  la  gare 
maritime  en  arrière  des  darses. 

L'organisation  de  la  gare  de  Dunkerque  comprend,  en  réalité  :  une  gare  lo- 
cale, une  gare  maritime  et  une  gare  de  triage  de  manœuvres. 

C'est  pendant  le  mois  d'avril  1892,  époque  à  laquelle  régnait  à  Dunkerque 
une  fiévreuse  activité  commerciale,  qu'ont  eu  lieu  les  plus  importants  mouve- 
ments de  wagons  sur  les  voies  ferrées  du  port  ;  voici  le  relevé  de  sept  journées  : 


DATES 

NOMBRE  DE  \VAGO>!S 

TOTAUX 

ENT 

chargés 

RÉS 

vides 

SORTIS 

charp(% 

IS92 

Avril 

6 

122 

781 

788 

1.691 

— 

8 

79 

822 

816 

1.717 

— 

12 

110 

673 

750 

1.433 

— 

13 

70 

748 

727 

1.545 

— 

20 

87 

732 

738 

1.557 

— 

22 

94 

725 

739 

1.558 



23 

95 

780 

792 

1.667 

Anvers  fait  une  concurrence  terrible  au  port  de  Dunkerque;  le  trafic  énorme 
des  marchandises  destinées  aux  centres  manufacturiers  de  l'arrondissement  de 
Lille  et  en  provenant  emprunte  la  voie  d'Anvers  et  partant  les  chemins  de 
fer  belges;  la  Compagnie  du  chemin  de  fer  du  Nord  en  est  donc  la  première 
victime. 

Nous  le  lui  avons  écrit  le  16  juillet  1889  et  lui  avons  rendu  visite  le  9  mars 
1892,  pour  l'engager  à  remédier  à  cet  état  de  choses  par  l'abaissement  de  ses 
tarifs  d'exportation.  En  consentant,  en  1874,  à  contribuer  pour  deux  millions 
aux  fiais  de  réparations  du  port  de  Dunkerque,  cette  Compagnie  a  montré 
qu'elle  comprenait  bien  ses  intérêts,  mais  il  reste  plus  encore  à  faire. 

Il  faut  que  les  exportateurs  trouvent  un  intéi'êt  à  se  servir  du  port  de  Dun- 
kerque pour  déroger  à  leurs  vieilles  habitudes;  Dunkerque  étant  aujourd'hui 
mis  en  état  de  recevoir  les  navires  du  plus  fort  tonnage,  qui  prennent  une 
place  toujours  plus  large  dans  la  navigation  maritime,  aucun  moyen  d'assurer 
son  avenir  ne  doit  être  négligé. 


BANQUE   DE   FRANCE 


La  succursale  de  Dunkerque  occupe  le  dixième  rang  dans  le  classement  des 
quatre-vingt-quatorze  succursales  suivant  l'importance  des  bénéfices,  et  le 
vingt-sixième  rang  d'après  l'importance  des  opérations. 


A.  MINE.  —    LE   TRAFIC   DU    PORT   DE    DUNKERQUE 


937 


Effets  escomptés  sur  : 

Paris Fr.        6.280.565 

Place 31.761.033 

Succursales 15.021.859 

Total.   .    .    .  Fr.      53.063. '.57 
Avances  sur  ; 

Effets  publics,  chemins  de  fer  et  obligations  du  Crédit 
Foncier Fr.       12.269.174 


PORT  DE  DUNKERQUE 

Exportation  des  laines  de  la  province  de  Buenos- Ayres  et  des  rivières,  du  1^^  octobre 
à  fin  septembre  de  chaque  année,  et  part  proportionnelle  du  porl  de  Dunkerque 
dans  l'importation  en  France  et  V exportation  de  la  Plata. 


l'ORTS  DE   DESTINATION 

■a      S 

ANNÉES 

FR.4ACE 

ë?1 

3  ~z 

EXPORTATION 
TOTALE 

S  5  5 
o  2  .^ 

D  —  >'. 

' 

MARSEILLE 

BORDEAUX 

HAVRE 

DUNKERQUE 

— '^       — 

»    ë 

balles. 

balles. 

balles. 

balles. 

balles. 

0/0 

balles. 

0,0 

1879-1880 

724 

2.640 

76.216 

7.341 

86.291 

8  1/2 

221.178 

3  Yy 

1880- 18S1 

851 

1.290 

82.096 

1.617 

85.854 

2 

206.011 

Vlx 

1881-1882 

798 

2.614 

67.044 

27.544 

98.000 

28 

255.342 

11 

1882-1883 

1.196 

2.743 

51.3.55 

58.046 

113.340 

51 

248.775 

23 

188:3-1884 

601 

1.804 

46.912 

104.080 

153.397 

68 

295.131 

35 

1884-188.5 

2.. 528 

2.173 

37.108 

138.866 

180.675 

77 

342.000 

40 

188.5-1886 

2.037 

2.117 

24.365 

1.38.038 

166.557 

78 

337.000 

41 

1886-1887 

124 

1.916 

17.597 

118.629 

138.266 

86 

307.867 

39 

1887-1888 

90 

1.333 

27.223 

128.512 

157.158 

82 

318.124 

40 

1888-1889 

5.30 

639 

15.661 

1.59.678 

176.508 

90 

311.924 

51 

1889-1890 

2.9<»4 

1.282 

17.9.50 

125.910 

148.136 

85 

2.35.942 

53 

1890-1891 

421 

1.172 

23.310 

122.080 

146.983 

83 

281.000 

44 

Le  total  génôral  du  commerce  franco-argentin  par  le  port  de  Dunkerque 
(importations  et  exportations  réunies),  qui  n'était  que  de  2.032.511  kilo- 
grammes en  1881,  a  atteint,  en  1890,  la  quantité  de  146.9o0.149  kilogrammes, 
soit  une  progression  de  7.230  0/0  dans  l'espace  de  dix  ans. 

Pour  ce  qui  est  relatif  à  ce  développement  extraordinaire  des  relations  com- 
merciales entre  la  République  Argentine  et  le  Nord  de  la  France  par  le  port  de 
Dunkerque,  depuis  1881  qu'elles  ont  pris  naissance,  nous  prions  de  vouloir  bien 
consulter  notre  Album  statistique  dédié,  le  9  mars  1892,  à  M.  Jules  Roche,  alors 
ministre  du  Commerce  et  de  l'Industrie,  et  à  M.  José  C.  Paz,  ministre  plé- 
nipotentiaire de  la  République  Argentine  en  France. 


938 


GEOGRAPHIE 


MOUVEMENT   DE   LA   NAVIGATION    DES   PRINCIPAUX    PORTS    DE   FRANCE 

Navires  chargés  venant  du  long  cours,  des  colonies  et  de  la  Grande  Pêche. 

1°  Pendant  l'année  1891 . 


1 

2 
3 
i 
5 
6 
7 
8 
9 
10 
11 


DESIGNATION 

des 

PORTS 


Marseille  .  . 
Le  Havre.  . 
Dimkerque. 
Bordeaux.  . 
Rouen  .  .  . 
Boulogne.  . 
Saint-^azairc 
Calais  .  .  . 
Cette.  .  .  . 
Dieppe .  .  . 
Nantes .   .  . 


PAVILLON  FIUNCAIS 


NAVIRES 


2.4.i0 
479 
422 
683 
115 
581 
317 
158 
203 
537 
184 


2.054.054 

579.938 

210.746 

387.631 

77.230 

18G  760 

194.401 

12.. 584 

93.759 

86.5i5 

33.862 


PAVILLONS  KTliANGERS 


NAVIRES 


2.309 
2.089 
1.629 

983 
1.703 
1.792 

584 
1.402 
1.080 
1.018 

150 


TONNAGE 


1.886.603 

1.779.839 

1.008.519 

646.904 

919.477 

485.788 

465.723 

644.590 

483.776 

410.325 

44.977 


MOCVEMEM  TOTAL 


NAVIRES 


4.749 
2.. 568 
2.051 
1.660 
I.SI8 
2.373 

901 
1.560 
1.283 
1.555 

334 


3.940 

2.359 

1.329 

1.034 

996 

672 

660 

657 

577 

496 

78 


.657 
.777 
.265 
.535 
.707 
.548 
.127 
.174 
..535 
.870 
.839 


Mouvement  total  du  port  d'Anvers  pendant  les  onze  premiers  mois  de  1891  : 
Entrée:  4.075  navires  jaugeant  4.367.965  tonneaux. 


2°  Pendant  le  i"  semestre  1892. 


DESIGNATION 

des 

PORTS 


Marseille. 
Le  Havre 
Dunkerquc 
Bordeaux. 
Rouen  .   . 


ENTREE 


2.075 
1.257 
1.005 

683 
686 


TONNAGE 


1.692.257 

1.205.186 

704.648 

463. 6G0 

377.097 


SORTIE 


NAVIRES 


1.966 
732 
584 
664 
335 


TONNAGE 


1.617.542 
737.139 

254.988 
460.610 
121.697 


MOUVEMENT  TOTAL 


TO.NNAGE 


4.041 
1.989 
1.589 
1.3i7 
1 .021 


3.309.799 

1.942.325 

959.636 

924.270 

498.794 


Dunkerque,  sentinelle  avancée  sur  la  mer  du  Nord,  tandis  qu'Anvers 
en  est  à  plus  de  cent  kilomètres,  est  merveilleusement  située  pour  servir 
d'entrepôt  à  toute  l'Europe  septentrionale  et  devenir  le  grand  grenier  des 
arrivages  de  tous  les  ports  russes  de  la  Baltique  ;  c'est  le  port  le  mieux 
placé  pour  lutter  contre  la  prépondérance  que  tend  à  prendre  Anvers 
dans  le  mouvement  maritime  de  la  zone  nord-ouest  du  continent  euro- 
péen. Dunkerque  est  le  port  de  France  le  plus  rapproché  de  Londres,  et 


A.  MINE.  —  LE  TRAFIC  DU  PORT  DE  DUNKERQUE  939 

Londres  est  le  plus  grand  entrepôt  du  globe  :  toutes  les  marchandises  de 
1  univers  sont  entassées  dans  ses  docks.  Dunkerque  est,  en  outre,  le  point 
naturellement  désigné  comme  devant  servir  de  centre  d'importation  pour 
alimenter  les  provinces  de  l'Est  et  l'Alsace-Lorraine,  et  son  importance 
est  évidente,  non  seulement  au  point  de  vue  du  commerce  général, 
mais  aussi  parce  qu'il  touche  à  la  région  du  Nord,  la  plus  riche,  la  plus 
industrielle  et  la  plus  productive  de  toute  la  France,  ce  qui  le  place  dans 
les  meilleures  conditions  pour  accroître  son  courant  d'afïaires,  qui  se  com- 
pose principalement  du  trafic  de  transit. 

La  Chambre  de  Commerce  de  Dunkerque  et  le  Conseil  général  du  Nord 
se  sont  de  tout  temps  préoccupés  de  la  situation  du  port  de  Dunkerque, 
dont  le  mouvement  maritime  s'est  considérablement  développé  depuis 
vingt  ans,  car  ces  deux  corps  constitués  savent  très  bien  qu'il  existe  un 
lien  étroit  entre  la  prospérité  commerciale  de  ce  port  et  la  prospérité 
industrielle  du  département  à  laquelle  il  faut  un  port  spacieux  et  rap- 
proché; cette  union  si  nécessaire  de  l'industrie  et  de  la  marine  existe 
aujourd'hui  et  permet  à  l'industrie  de  cette  région  d'entrer  avec  des 
armes  égales  dans  les  luttes  commerciales  avec  l'étranger. 

Il  s'agit  donc  de  mettre  Dunkerque  en  mesure  de  suffire  aux  besoins 
du  commerce  et  aux  exigences  de  la  navigation,  afin  d'éviter  que  le  port 
d'Anvers  continue  à  détourner  à  son  profit  tout  un  monde  de  marchan- 
dises qui  trouveraient,  dans  notre  grand  port  du  Nord,  des  avantages 
d'atterrissement,  de  déchargement,  d'écoulement  et  de  communications 
incomparables. 

En  considération  du  passé  glorieux  de  cette  ville  et  des  désastres  en- 
durés par  elle  pendant  le  siècle  dernier,  la  France  a  le  devoir  d'en  faire 
un  des  premiers  ports  de  France,  le  rival  d'Anvers  qui,  ne  le  perdons  pas 
de  vue,  a  largement  empiété  sur  le  territoire  naturel  du  port  de  Dun- 
kerque et  fait  de  plus  en  plus  le  commerce  de  notre  pays  ;  car  Anvers 
n'est  pas  seulement  le  port  de  la  Belgique,  de  l'Allemagne,  de  la  Suisse, 
il  est  aussi  celui  de  nos  provinces  de  l'Est  et  de  notre  département  du 
Nord,  ce  Lancashire  français.  Si  le  fret  est  plus  facile  à  Anvers  qu'à  Dun- 
kerque, c'est  que  Lille,  Roubaix,  Tourcoing,  etc.,  etc.,  vont  y  chercher 
les  intermédiaires  pour  l'exportation  de  leurs  produits  ;  mais  que  le  cou- 
rant commercial  rentre  dans  son  lit  naturel,  et  le  fret  reviendra  aussi- 
tôt à  Dunkerque. 

Il  y  a  là  une  véritable  question  d'intérêt  national,  car  c'est  une  cause 
essentiellement  française  que  de  nous  efforcer  d'empêcher  les  ports  étran- 
gers de  profiter  de  notre  situation  commerciale,  qui,  constatons-le  avec 
bonheur,  grandit  chaque  jour. 

Le  port  de  Dunkerque,  dont  le  mouvement  s'accuse  déjà  dans  des  pro- 
portions ascendantes  considérables,  deviendra,  dans  un  temps  peu  éloi- 


940  GÉOGRAPHIE 

gné,  si  les  pouvoirs  publics  l'y  aident  par  des  sacrifices  suffisants  et 
féconds  permettant  de  donner  une  impulsion  vigoureuse  aux  travaux  qui 
restent  à  exécuter,  un  des  agents  les  plus  actifs  de  notre  prospérité  natio- 
nale; mais,  pour  lutter  avantageusement  avec  Anvers,  pour  reprendre  le 
trafic  intérieur  qui  appartient  à  la  France  et  reconquérir  une  bonne  partie 
du  transit  que  le  port  belge  nous  a  ravi,  il  est  indispensable  qu'on 
abaisse  résolument  les  tarifs  de  chemins  de  fer  et  qu'on  atténue,  dans 
la  plus  large  mesure  possible,  les  frais  de  port. 

Sachons  donc  préparer  l'avenir  maritime  du  port  de  Dunkerque  en 
rompant  avec  les  vieilles  habitudes,  en  répudiant  ce  que  la  routine  a 
consacré,  et  en  leur  opposant  les  voies  efficaces  de  la  volonté,  de  la  science 
et  du  désintéressement  :  tels  sont  l'espoir  et  l'ambition  légitimes  de  tous 
les  Français  qui  ne  prennent  conseil  que  de  leur  patriotisme. 

Lorsque  tous  les  travaux  en  cours  d'exécution  seront  terminés,  et  si 
les  mesures  économiques  reconnues  indispensables  sont  prises,  Dunkerque 
verra  certainement  sa  population  s'accroître  et  deviendra  une  grande 
ville  comme  elle  est  déjà  un  grand  port;  bientôt,  celui-ci  passera  au 
second  rang  des  ports  français  et  sera,  au  Nord,  ce  que  Marseille  est  au 
Midi;  le  grand  entrepôt,  la  principale  place  maritime  de  la  France. 

C'est  ainsi  que  notre  chère  patrie  se  développe  et  se  relève  par  le  travaii 
de  ses  enfants. 


M.  C.  DELAYAUD 

Ancien  Président  de  la  Société  de  Géographie  de  Rochefort,  à  Pari 


UNE  VISITE  A  BROUAGE,  LA  VILLE  MORTE 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 

Les  villes  mortes  reçoivent  aujourd'hui  si  souvent  des  visiteurs,  savants 
ou  lettrés,  que  l'on  ne  peut  guère  y  glaner  des  faits  encore  inaperçus, 
y  ressentir  des  impressions  nouvelles.  Leur  étude  offre  l'avantage  sur 
celle  des  villes  vivantes,  considérées  aux  mêmes  époques,  qu'elles  n'ont 
pas  été  transformées,  modernisées,  et  rendues  méconnaissables,  comme 


C.    DELAVAUU.   — UNE    VISITE    A   BROUAGE,  LA    VILLE    MORTE  9il 

ces  dernières.  L'abandon  les  protège  contre  l'homme,  sinon  contre  la 
destruction  par  les  éléments  et  par  la  végétation.  Ces  réflexions  générales 
peuvent  s'appliquer  à  la  ville  de  Brouage.  Celle-ci  présente  cette  particu- 
larité qu'elle  n'est  pas  fort  ancienne,  et  que,  morte  déjà  depuis  assez 
longtemps,  elle  a  été,  pour  ainsi  dire,  éphémère  :  bien  différente  de  ces 
villes  du  golfe  du  Lion  dont  l'origine  se  perd  dans  la  nuit  des  temps, 
et  sur  l'emplacement  desquelles,  parfois,  d'autres  cités  ont  été  bâties, 
mortes  à  leur  tour.  Il  serait  intéressant  de  dresser  une  liste  des  villes 
mortes  selon  les  genres  de  mort  auxquels  elles  ont  succombé  :  soit  des- 
truction plus  ou  moins  brusque  par  la  mer,  les  volcans,  les  tremblements 
de  terre,  les  dunes,  la  guerre;  soit  abandon,  en  raison  de  l'insalubrité, 
du  changement  des  courants  commerciaux  ou  des  intérêts  défensifs  du 
pays. 

La  contrée  où  se  trouve  Brouage  est  des  plus  remarquables  au  point 
de  vue  des  modifications  qu'elle  a  éprouvées  même  dans  les  temps  histo- 
riques. Sur  ce  littoral  de  l'Aunis  et  de  la  Saintonge,  des  vihes  se  sont 
effondrées  dans  les  flots  (Monmeillan,  Chàtel-Aillon),  d'autres  ont  été  en- 
terrées sous  les  sables  (Anchoine,  l'ancien  Saint-Trojan)  ;  un  grand  nombre 
ont  eu  leurs  ports  envasés  et  atterris  :  tel  est  Brouage.  D'ailleurs,  la  main 
de  l'homme  a  contribué  à  ce  dernier  résultat.  Voici,  pour  Brouage,  en 
quelque  sorte  les  phases  de  la  maladie. 

Durant  les  guerres  de  religion,  obstruction  du  chenal  par  des  navires 
coulés  ;  puis,  par  suite  de  la  concurrence  des  sels  de  Bretagne,  cessation 
de  l'exploitation  d'une  grande  partie  des  salines  et  de  l'entretien  des  ca- 
naux, d'où  insalubrité  et  détérioration  du  port.  Selon  la  classification  do 
M.  Lenthéric,  la  période  marine,  ou  salubre  (en  y  comprenant  les  ma- 
rais salants),  a  fait  place  à  la  période  paludéenne  ou  insalubre  (marais 
gâts),  et,  actuellement,  on  entre  dans  une  troisième  période,  salubre,  dite 
agricole.  Mais,  en  admettant  que,  grâce  à  l'agriculture,  la  salubrité  et  la 
richesse  reviennent  au  pays,  Brouage,  comme  centre  d'agglomération, 
n'a  plus  de  raison  d'être  et  ne  recouvrera  pas  sa  prospérité  passagère; 
c'est  une  ville  qui  est  bien  morte.  Au  centre  de  ses  remparts  (monument 
historique)  qui  restent  debout,  elle  est  vouée  à  la  végétation,  qui  accom- 
plit son  œuvre. 

Brouage  est  situé  aux  deux  tiers  de  la  distance  de  Rochefort  à  Marennes, 
en  ligne  droite,  à  U  kilomètres  et  demi  de  la  première  ville  et  à  6'', 8 
de  la  seconde,  La  route,  qui  fait  peu  de  circuits  (19.763  mètres  au  total), 
passe  successivement  par  Soubise,  Moëze,  Brouage  et  Hiers.  Brouage  com- 
munique par  canaux  avec  la  Charente  (17'',240)  et  la  Seudre,  avec  la 
mer  (2'',700j  et  les  marais. 

Cette  ville  a  perdu  jusqu'à  sa  qualité  dechef-heu  de  commune.  Les  com- 
munes de  Brouage  et  de  Hiers,  village  distant,  sur  la  route,  de  2  kilo- 


944     ■  GÉOGRAPHIE 

en  plus  lent,  grâce  à  l'oscillation  séculaire  descendante.  Ce  léger  abaisse- 
ment, en  effet,  submergeant  la  digue  naturelle  qui  protégeait  le  golfe 
contre  l'invasion  des  limons  sortis  de  la  Gironde,  une  dénivellation  de 
quelques  centimètres  a  suffi  pour  donner  passage  à  la  mer  qui  a  trans- 
formé en  une  rivière  d'eaux  salées  et  vaseuses  la  région  nommée  aujour- 
d'hui les  coMreawa;  d'Oléron.  Ainsi  un  abaissement  de  peu  d'importance, 
graduel  ou  subit,  aura  suffi  à  relever  de  plusieurs  mètres  le  fond  d'une 
baie.  Quoi  d'étonnant  dès  lors  à  ce  qu'on  ait  dit  que  le  niveau  du  sol 
s'élevait?  (M.  Polouy). 

La  main  de  l'homme,  avons-nous  dit,  concourt  à  l'exhaussement  du  sol 
par  les  atterrissements  de  la  mer.  C'est  ce  qui  a  lieu  dans  l'opération  du 
valangage,  alors  que,  les  vannes  étant  soulevées,  le  flot  entre  dans  les 
bas-fonds  des  anciens  marais  salants,  et  y  dépose  son  limon  avant  de  se 
retirer  avec  le  reflux.  11  faut  avoir  soin,  par  le  jeu  des  écluses,  que  l'eau 
ne  se  répande  pas  par-dessus  les  digues  dans  les  endroits  cultivés,  qui 
deviendraient  improductifs  pour  plusieurs  années.  Par  cet  exhaussement, 
l'océan  fournissant  son  limon  là  où  il  avait  donné  ses  matières  salines, 
on  obtiendra  plus  tard  un  sol  pour  les  prairies.  On  rejette  aussi  dans 
ces  parties  déclives  la  vase  des  fossés.  A  l'occasion  de  ces  changements 
de  niveau,  nous  avons  entendu  émettre  par  les  anciens  du  bourg  de 
Brouage  une  opinion  qui  ne  nous  paraît  pas  admissible,  à  savoir  que  les 
remparts  se  sont  affaissés,  opinion  fondée  sur  des  observations  peu  précises. 
Ces  remparts,  bien  qu'ils  reposent  sur  un  terrain  marécageux  (comme  les 
autres  édifices  de  Brouage  d'ailleurs)  présentent  encore  leurs  longues 
lignes  selon  une  horizontalité  parfaite. 

Quoique  ces  préliminaires  nous  semblent  utiles  en  nous  préparant  à 
bien  voir  la  ville  étrange  de  Brouage,  il  est  temps  d'aller  la  visiter  et  de 
la  décrire.  Le  trajet  pourrait  se  faire  à  pied,  à  partir  de  Marennes,  sta- 
tion principale  de  l'embranchement  du  Chapus.  Il  va  sans  dire  qu'il  est 
plus  commode  de  louer  une  voiture  (prix  modique)  lorsqu'on  ne  dispose 
que  d'un  temps  limité.  La  route  est  belle  et  bien  entretenue.  Ce  sont 
d'abord,  à  droite  et  à  gauche,  des  prés,  des  vignes,  des  bois  de  chênes. 
Puis  on  entre  dans  le  marais.  Quelques  fossés  dégagent  bien  des  exha- 
laisons fétides,  mais  ils  sont  en  petit  nombre.  On  aperçoit  des  monticules 
coniques  blancs  et  brillants  de  sel,  encore  à  découvert  (  1"'  septembre)  ; 
la  récolte  a  été  faite  il  y  a  quelques  jours  ;  d'autres  sont  couverts  de 
paillassons  pour  les  mettre  à  l'abri  des  pluies  d'automne.  On  ne  peut 
résister  au  désir  de  visiter,  en  passant,  une  de  ces  salines  :  c'était  près  du 
chenal  de  Mérignac,  qui  était  en  ce  moment  presque  à  sec,  et  dont  les 
bords,  de  même  que  ceux  du  marais  salant,  sont  recouverts  d'une  végé- 
tation grasse  et  verte  de  salsolées.  On  ajoute  ici  à  un  bouquet,  déjà 
cueilli  dans  un  champ,  et  consistant  en  de  belles  fleurs  roses  de  la  gesse 


C.  DELAVAUD.  —  •  UNE    VISITE   A    BROUAGE,  LA    VILLE   MORTE  945 

à  larges  feuilles  (LatJu/rus  latifolius),  de  nombreux  corymbes  du  Statice 
Limoniuiu,  aux  petites  fleurs  violettes  scarieuses.  On  monte  pour  entrer 
à  Hiers,   dans  la  petite  île  d'Hiero   d'autrefois,  couverte   de   forêts    au 
xi**  siècle,  et  que  les  Normands  avaient  ravagée  en  867.  On  y  voit  des  bois 
et  des  vignes.  Son  aspect  est  encore  celui  d'une  île,  sa  base  se  détache 
nettement  des  marais  alluvionnaires  qui  l'environnent.  Il  était  intéressant 
de  prendre  tout  d'abord  une  idée  d'ensem  ble  de  Brouage,  ce  qui  est  aisé 
en  côtoyant  le  bord  de  l'île  d'Hiers  qui  regarde  de  son  côté.  On  voit  bien 
de  là  l'ancienne  ville,  avec  ses  remparts  et  ses  grands  arbres,  assise  au 
milieu  du  marais  et  à  son  niveau,  en  même  temps  que  la  vue  se  reporte 
au  loin  sur  la  grande  mer,  ses  îles  et  le  fort  Boyard.    Les  impressions 
personnelles  sont  variables  ;  en  outre,  les  circonstances,  soit  que  l'on  se 
trouve  seul  ou  avec  d'autres  personnes,  la  saison  et  le  temps  exercent 
leur  influence.  Mais  le  sentiment  général  d'étonnement  doit  être  le  même 
toujours,  quand  on  se  dit  qu'il  y  a  eu  là,   à  nos  pieds,  dans  cette  vaste 
plaine  triste  et  nue,  une  cité  qui  fut  riche  et  puissante,  et  que  maintenant 
«'est  son  tombeau  !  On  songe  à  ceux  qui  l'ont  habitée,  aux  guerriers  illustres 
qui  se  sont  disputé  ce  qui  n'est  plus  qu'une  ruine,  et  l'on  a  la  compréhen- 
sion intense  du  néant  et  de  la  courte  durée  de  l'homme  et  des  générations. 
De  ce  lieu   d'observation,  on  pourrait  presque  en  tracer  le  plan,  car 
ses  remparts  la  limitent  rigoureusement,  et  pas  une  habitation  n'existe 
•en   dehors,  il    n'y  a   nul  risque  qu'elle  s'épande  en  faubourgs  dans  la 
•campagne,  le  mausolée  est  bien  isolé.  On  a  voulu  les    détruire  ces  rem- 
parts, les  vendre  par  l'entremise  des  Domaines,  ou  plutôt  vendre  leurs 
matériaux.  C'était  en  1884,  et  il  en  était  question  depuis  une  vingtaine 
d'années.  Heureusement,  on  a  renoncé  à  ce  projet  devant  les  protestations 
^u'il  a  soulevées.  Ils  ont  été  déclarés   monument   historique,  et  confiés 
pour  leur  conservation,  sinon  pour  les  réparations,  à  la  municipalité  de  la 
commune.  Le  plan  actuel  de  Brouage,  ville,  havre  et  port  (deux  planches 
dont  une  ici  reproduite),  se  trouve  dans  la  notice  de  M.  Crahay  de  Fran- 
chimont  {Ports  maritimes   de  France,  VI,  I880).  Les   remparts  ont  un 
contour  hexagonal  très  ouvert,  formant  presque  un  carré  de  400  mètres 
de  côté;  ils  sont  flanqués  de  sept  bastions,  dont  les  principaux  ont  à  leur 
angle  saillant  de  petites  tourelles  suspendues  en  encorbellement,  polygo- 
nales et  élégantes.  Les  rues,  larges  et  tirées  au  cordeau,  se  coupent  à  angle 
droit.  11  en  est  deux,  situées  dans  la  partie  médiane,  qui  sont  dirigées 
parallèlement  selon  l'axe  de  la  ville  du  sud  17°  ouest  au  nord  17°  est.  Les 
rues  transversales,  de  même  longueur,  sont  au  nombre  de  huit.  On  compte 
une  vingtaine  d'îlettes,  y  compris  l'église  et   en  dehors  des  magasins  ei 
casernes  de  l'État.  La  route  départementale  de  Rochefort  k  Marennes 
emprunte  l'une  des  deux  rues  longitudinales,  en  passant  par  des  brèches 
pratiquées  dans  le  rempart  à  côté  des  portes  nord  et  sud. 

60* 


944     ■  GÉOGRAPHIE 

en  plus  lent,  grâce  à  l'oscillation  séculaire  descendante.  Ce  léger  abaisse- 
ment, en  effet,  submergeant  la  digue  naturelle  qui  protégeait  le  golfe 
contre  l'invasion  des  limons  sortis  de  la  Gironde,  une  dénivellation  de 
quelques  centimètres  a  suffi  pour  donner  passage  à  la  mer  qui  a  trans- 
formé en  une  rivière  d'eaux  salées  et  vaseuses  la  région  nommée  aujour- 
d'hui les  coureaux  d'Oléron.  Ainsi  un  abaissement  de  peu  d'importance, 
graduel  ou  subit,  aura  suffi  à  relever  de  plusieurs  mètres  le  fond  d'une 
baie.  Quoi  d'étonnant  dès  lors  à  ce  qu'on  ait  dit  que  le  niveau  du  sol 
s'élevait?  (M.  Polony). 

La  main  de  l'homme,  avons-nous  dit,  concourt  à  l'exhaussement  du  sol 
par  les  atterrissements  de  la  mer.  C'est  ce  qui  a  lieu  dans  l'opération  du 
valangage,  alors  que,  les  vannes  étant  soulevées,  le  flot  entre  dans  les 
bas-fonds  des  anciens  marais  salants,  et  y  dépose  son  limon  avant  de  se 
retirer  avec  le  reflux.  Il  faut  avoir  soin,  par  le  jeu  des  écluses,  que  l'eau 
ne  se  répande  pas  par-dessus  les  digues  dans  les  endroits  cultivés,  qui 
deviendraient  improductifs  pour  plusieurs  années.  Par  cet  exhaussement, 
l'océan  fournissant  son  limon  là  où  il  avait  donné  ses  matières  saUnes, 
on  obtiendra  plus  tard  un  sol  pour  les  prairies.  On  rejette  aussi  dans 
ces  parties  déclives  la  vase  des  fossés.  A  l'occasion  de  ces  changements 
de  niveau,  nous  avons  entendu  émettre  par  les  anciens  du  bourg  de 
Brouage  une  opinion  qui  ne  nous  paraît  pas  admissible,  à  savoir  que  les 
remparts  se  sont  affaissés,  opinion  fondée  sur  des  observations  peu  précises. 
Ces  remparts,  bien  qu'ils  reposent  sur  un  terrain  marécageux  (comme  les 
autres  édifices  de  Brouage  d'ailleurs)  présentent  encore  leurs  longues 
lignes  selon  une  horizontalité  parfaite. 

Quoique  ces  préliminaires  nous  semblent  utiles  en  nous  préparant  à 
bien  voir  la  ville  étrange  de  Brouage,  il  est  temps  d'aller  la  visiter  et  de 
la  décrire.  Le  trajet  pourrait  se  faire  à  pied,  à  partir  de  Marennes,  sta- 
tion principale  de  l'embranchement  du  Cliapus.  Il  va  sans  dire  qu'il  est 
plus  commode  de  louer  une  voiture  (prix  modique)  lorsqu'on  ne  dispose 
que  d'un  temps  limité.  La  route  est  belle  et  bien  entretenue.  Ce  sont 
d'abord,  à  droite  et  à  gauche,  des  prés,  des  vignes,  des  bois  de  chênes. 
Puis  on  entre  dans  le  marais.  Quelques  fossés  dégagent  bien  des  exha- 
laisons fétides,  mais  ils  sont  en  petit  nombre.  On  aperçoit  des  monticules 
coniques  blancs  et  brillants  de  sel,  encore  à  découvert  (  1*^''  septembre)  ; 
la  récolte  a  été  faite  il  y  a  quelques  jours  ;  d'autres  sont  couverts  de 
paillassons  pour  les  mettre  à  l'abri  des  pluies  d'automne.  On  ne  peut 
résister  au  désir  de  visiter,  en  passant,  une  de  ces  salines  :  c'était  près  du 
chenal  de  Mérignac,  qui  était  en  ce  moment  presque  à  sec,  et  dont  les 
bords,  de  même  que  ceux  du  marais  salant,  sont  recouverts  d'une  végé- 
tation grasse  et  verte  de  salsolées.  On  ajoute  ici  à  un  bouquet,  déjà 
cueilli  dans  un  champ,  et  consistant  en  de  belles  fleurs  roses  de  la  gesse 


C.  DELAVAUD.  —  ■  UNE    VISITE   A    BROUAGE,  LA    VILLE   MORTE  945 

à  larges  feuilles  (Lathyrus  latifolius),  de  nombreux  corymbes  du  Statice 
Limonium,  aux  petites  fleurs  violettes  scarieuses.  On  monte  pour   entrer 
à  Hiers,   dans  la  petite  île  d'Hiero   d'autrefois,  couverte   de   forêts    au 
xi^  siècle,  et  que  les  Normands  avaient  ravagée  en  867.  On  y  voit  des  bois 
et  des  vignes.  Son  aspect  est  encore  celui  d'une  île,  sa  base  se  détache 
nettement  des  marais  alluvionnaires  qui  l'environnent.  Il  était  intéressant 
de  prendre  tout  d'abord  une  idée  d'ensem  ble  de  Brouage,  ce  qui  est  aisé 
en  côtoyant  le  bord  de  l'île  d'Hiers  qui  regarde  de  son  côté.  On  voit  bien 
de  là  l'ancienne  ville,  avec  ses  remparts  et  ses  grands  arbres,  assise  au 
milieu  du  marais  et  à  son  niveau,  en  môme  temps  que  la  vue  se  reporte 
au  loin  sur  la  grande  mer,  ses  îles  et  le  fort  Boyard.    Les  impressions 
personnelles  sont  variables  ;  en  outre,  les  circonstances,  soit  que  l'on  se 
trouve  seul  ou  avec  d'autres  personnes,  la  saison  et  le  temps  exercent 
leur  influence.  Mais  le  sentiment  général  d'étonnement  doit  être  le  même 
toujours,  quand  on  se  dit  qu'il  y  a  eu  là,   à  nos  pieds,  dans  cette  vaste 
plaine  triste  et  nue,  une  cité  qui  fut  riche  et  puissante,  et  que  maintenant 
«'est  son  tombeau  !  On  songe  à  ceux  qui  l'ont  habitée,  aux  guerriers  illustres 
qui  se  sont  disputé  ce  qui  n'est  plus  qu'une  ruine,  et  l'on  a  la  compréhen- 
sion intense  du  néant  et  de  la  courte  durée  de  l'homme  et  des  générations. 
De  ce   lieu   d'observation,  on  pourrait  presque  en  tracer  le  plan,  car 
ses  remparts  la  limitent  rigoureusement,  et  pas  une  habitation  n'existe 
•en  dehors,  il    n'y  a   nul  risque  qu'elle  s'épande  en  faubourgs  dans  la 
■campagne,  le  mausolée  est  bien  isolé.  On  a  voulu  les    détruire  ces  rem- 
parts, les  vendre  par  l'entremise  des  Domaines,  ou  plutôt  vendre  leurs 
■matériaux.  C'était  en  1884,  et  il  en  était  question  depuis  une  vingtaine 
d'années.  Heureusement,  on  a  renoncé  à  ce  projet  devant  les  protestations 
^u'il  a  soulevées.  Ils  ont  été  déclarés   monument   historique,  et  confiés 
pour  leur  conservation,  sinon  pour  les  réparations,  à  la  municipalité  de  la 
commune.  Le  plan  actuel  de  Brouage,  ville,  havre  et  port  (deux  planches 
dont  une  ici  reproduite),  se  trouve  dans  la  notice  de  M.  Crahay  de  Fran- 
chimont  {Ports  maritimes   de  France,  VI,  I880).  Les   remparts  ont  un 
■contour  hexagonal  très  ouvert,  formant  presque  un  carré  de  400  mètres 
de  côté;  ils  sont  flanqués  de  sept  bastions,  dont  les  principaux  ont  à  leur 
angle  saillant  de  petites  tourelles  suspendues  en  encorbellement,  polygo- 
nales et  élégantes.  Les  rues,  larges  et  tirées  au  cordeau,  se  coupent  à  angle 
•droit.  Il  en  est  deux,  situées  dans  la  partie  médiane,  qui  sont  dirigées 
parallèlement  selon  l'axe  de  la  ville  du  sud  17°  ouest  au  nord  17°  est.  Les 
rues  transversales,  de  même  longueur,  sont  au  nombre  de  huit.  On  compte 
aine  vingtaine  d'îlettes,  y  compris  l'église  et  en  dehors  des  magasins  ei 
casernes  de  l'État.  La  route  départementale  de  Rochefort  à  Marennes 
•  emprunte  l'une  des  deux  rues  longitudinales,  en  passant  par  des  brèches 
pratiquées  dans  le  rempart  à  côté  des  portes  nord  et  sud. 

GO* 


946  GÉOGRAPHIE 

C'est  dans  le  havre  de  Brouage,  au  nord  de  la  ville,  que  se  trouve 
compris  le  port.  Ce  havre,  à  mi-distance  des  embouchures  de  la  Charente 
et  de  la  Seudre,  coule,  à  partir  de  l'écluse  de  Beaugeay,  de  l'est  à  l'ouest 
un  peu  nord.  Son  cours,  à  peine  sinueux,  comprend,  de  cette  écluse  au 
pont,  sur  lequel  passe  la  route,  3.440  mètres,  avec  une  profondeur 
moyenne  de  3™, 40  en  vives  eaux,  et  porte  des  navires  de  60  tonneaux  ; 
en  aval  du  pont  jusqu'à  la  mer,  son  parcours  est  de  2.700  mètres,  sa 
profondeur  moyenne  de  3"',9o  près  de  Brouage  et  de  5°^,!^  à  son  embou- 
chure; les  navires  qu'il  porte  peuvent  jauger  230  tonneaux;  dans  le  platin 
submersible,  sa  longueur  est  de  5.000  mètres  et  il  y  a  vingt  balises  sur  sa 
rive  droite.  Ce  havre  reçoit  plusieurs  chenaux  qui,  depuis  longtemps,  sont 


y/ifajtggr^Jb" 


impropres  à  la  navigation;  le  plus  important  est  celui  de  Grand-Garçon, 
abandonné  vers  1875.  A  l'écluse  de  Beaugeay  se  trouvent  deux  branches 
divergentes  est  et  sud-est,  se  reliant  avec  le  canal  de  la  Charente  à  la 
Seudre,  dont  la  portion  nord-est  porte  aussi  les  noms  de  canal  de  Brouage 
ou  de  Saint-Agnant;  la  branche  sud-est  se  continue  dans  cette  direction 
avec  le  canal  de  Broue,  parallèlement  au  vieux  havre,  bras  de  mer  atterri, 
de  Brouage.  Le  port  actuel  proprement  dit  ne  date  que  de  1842  ;  il  occupe 
un  peu  plus  que  la  largeur  de  la  ville,  vis-à-vis  le  côté  nord,  à  une  dis- 
tance d'environ  150  mètres,  avec  chaussée  empierrée,  embarcadère  sur  la 
rive  gauche,  appontement,  terre-plein  et  passerelles  nombreuses  sur  les 
divers  chenaux. 

C'est  à  ce  port  très  médiocre  que  s'est  réduit  celui  qui,  au  xvi^  siècle, 
était  un  des  plus  célèbres  de  l'Europe.  Mais  alors  le  havre  était  large  et 


C.  DELAVAUD.   —   UNE  VISITE    A  BROUAGE,    LA    VILLE    MORTE  947 

profond  et  les  salines  étaient  nombreuses  et  prospères.  Celles-ci,  qui  sont 
mentionnées  dès  le  vii^  siècle,  se  développèrent  durant  près  de  dix  siècles 
encore  avant  d'entrer  dans  une  période  de  décadence.  Dès  les  viii«  et  ix«  siè- 
cles, il  se  faisait  une  immense  exportation  de  sel  des  marais  de  Brouage. 
Telle  était,  dès  le  xii«  siècle,  la  quantité  de  bâtiments  étrangers  que  le 
commerce  des  sels  attirait  en  ce  point,  que  l'ancien  historien  de  Rochefort, 
le  P.  Théodore,  attribue  la  fondation  de  la  ville  de  Brouage  à  l'affer- 
missement de  cette  portion  du  marais,  par  suite  de  leurs  délestages.  Dans 
le  xv%  Charles  Le  Bouvier,  héraut  de  Charles  VU,  parle  de  ce  commerce 
comme  enrichissant  moult  fort  le  pays  ;  selon  une  lettre  de  L.  de  la  Tré- 
moille  à  Charles  VIII,  il  apparut,  en  1488,  aux  Sables -d'Olonne,  jus- 
qu'à 80  à  100  navires  qui  allaient  chercher  des  sels  à  Brouage  et  île  de 
Bé.  Dès  1493,  ce  roi  forma  le  projet  d'entretenir  quelques  vaisseaux  dans 
le  havre  de  Brouage,  projet  utile  pour  la  protection  de  la  côte  depuis  la 
Bretagne  jusqu'à  l'Adour,  mais  qui  échoua  par  les  remontrances  des 
Rochelais,  pour  des  raisons  commerciales. 

Brouage  tire  son  nom  (chemin  de  Broue,  d'après  Lesson)  du  voisinage 
de  Broue,  où  se  rendait  l'ancien  havre  permettant  des  communications 
faciles  entre  ces  deux  localités.  Quant  au  nom  de  Broue,  il  serait  cel- 
tique, signifiant  bom.  Il  est  fait  mention,  dès  1047,  de  Broue  «  comme 
forteresse  du  gouvernement  de  l'île  de  Marennes  et  Hiers  ».  La  tradition 
assure  que  c'était  une  ancienne  ville  et  que  ce  sont  les  Anglais  qui, 
iors  de  leur  domination  dans  la  Saintonge,  ont  ajouté  la  tour  au  château 
([ui  existait  déjà.  Brouage,  à  son  origine,  n'était  sans  doute  qu'un  hameau 
(ju  une  ferme  sur  le  bord  du  chenal  où  remontaient  les  bâtiments  de  la 
ineret  bien  au  delà.  Le  commerce  attira  dans  ce  lieu  un  certain  nombre 
d'habitants.  Le  terrain  appartenant  aux  comtes  de  Marennes  de  la  mai- 
son "de  Pons,  un  des  membres  de  cette  famille,  Jacques  de  Pons,  baron 
de  Mirambeau,  voulut  agrandir  le  village,  l'assujettir  à  un  plan  régulier, 
et  donna  à  ce  qui  fut  plutôt  une  notable  impulsion  qu'une  véritable 
fondation  une  date  précise  (1550  à  1535)  et  un  nouveau  nom,  celui  de 
Jacopolis,  qui  ne  prévalut  pas  sur  l'ancien.  INous  venons  de  parler  de 
l'affermissement  du  sol  marécageux  en  cet  endroit  par  les  délestages.  En 
effet,  ces  dépôts  sont  importants  et  composés  de  cailloux  et  pierres  d'es- 
pèces aussi  variées  qu'étrangères  à  ce  pays  (Le  Terme).  La  population 
s'accrut  rapidement,  le  port  fut  très  fréquenté  pendant  les  xvi^  et  xvii«  siècles 
par  les  marins  qui  y  venaient  charger  le  sel  :  on  y  entend  parler  toutes 
les  langues,  écrivait  Nicolas  Alain  en  1593,  et  ces  langues  étaient  fami- 
lières aux  habitants;  on  y  faisait  des  armements  pour  le  Brésil  et  le 
Canada.  C'est,  disait  La  Popelinière  dès  1572,  le  port  le  plus  assuré  et 
le  plus  commode  qui  soit  en  Europe.  Montluc,  Belleforét  en  parlent  dans 
le  même  sens. 


948  GÉOGRAPHIE 

A  sa  prospérité  commerciale,  Brouage  ajouta,  ou  plutôt  fit  succéder 
une  importance  militaire  considérable.  Malheureusement,  il  s'agit  ici  des 
guerres  civiles  de  religion.  Sous  le  règne  de  Charles  IX,  on  résolut  de 
fortifier  Brouage  et  de  le  mettre  hors  d'insulte.  Plusieurs  ingénieurs 
italiens  présidèrent  aux  travaux.  On  traça  la  ville  et  on  l'entoura  d'un 
grand  fossé  formant  un  carré  long,  puis  on  éleva  des  remparts,  qui  dans 
la  suite  furent  augmentés  de  quatre  bastions  ;  une  partie  des  ouvrages 
fut  construit  de  pierres  dures.  Puy taillé  en  ayant  reçu  le  gouvernement, 
ne  put  conserver  la  place,  qui  fut  prise  peu  après  par  les  calvinistes  que 
commandait  le  duc  de  La  Rochefoucauld  (lo70).  Cette  môme  année,  elle 
passa  successivement  aux  catholiques,  Puy  taillé  et  Ant.  de  Pons  l'ayant 
reprise,  puis  aux  protestants  sous  les  ordres  de  Pontivy,  à  qui  Jeanne 
d'Albret  avait  confié  le  commandement.  Le  gouverneur  Coconas,  succes- 
seur de  Puytaillé,  qui  était  mort,  fut  obligé  de  capituler.  Mais,  en  1577, 
Mayenne,  général  de  la  Ligue,  s'en  empara  et  y  laissa  une  forte  garnison. 
Henri  III,  en  1578,  l'acquit  de  François  de  Pons,  à  qui  il  donna  en  échange 
Mortagne  ;  sa  possession  fut  d'autant  plus  utile  à  la  couronne  qu'il  y  avait 
dans  la  région  un  grand  nombre  de  protestants.  En  158o,  le  prince  de 
Condé,  avec  l'aide  de  d'Aubigné,  vint  faire  le  siège  de  Brouage,  qui  sut 
résister,  grâce  à  l'énergie  de  son  gouverneur,  François  d'Espinay-Saint- 
Luc,  dit  le  bî^ave  Saint-Luc.  Mais  celui-ci  ne  put  empêcher,  en  1586,  les 
Rochelais  de  combler  le  port,  en  coulant  vingt  bâtiments  chargés  de  pierres 
à  l'entrée  du  havre,  par  l'ordre  de  Condé.  En  1587,  un  siège  d'amirauté 
et  un  siège  royal  y  furent  établis.  En  1597,  nouvelle  attaque  contre  sa 
prospérité  de  la  part  des  protestants,  dont  l'assemblée  réunie  à  la  Rochelle 
demanda,  mais  en  vain,  le  démantèlement  de  la  ville  de  Brouage.  Sous 
les  règnes  d'Henri  IV  et  de  Louis  XIII  et  sous  le  gouvernement  de  Mazarin, 
ce  fut  encore  un  de  nos  ports  de  commerce  principaux,  et  l'on  y  fit  la 
plupart  des  armements  pour  le  Canada.  En  16!2l,  la  guerre  civile  ayant 
recommencé,  les  Rochelais  voulurent  renouveler  leur  tentative  de  com- 
blement du  chenal,  qui  était  en  partie  désobstrué,  mais  cette  fois  ils  n'y 
purent  réussir,  le  gouverneur,  Timoléon  Saint-Luc,  fils  de  François, 
ayant  pris  ses  mesures  pour  les  repousser.  Après  la  prise  de  la  Rochelle, 
Richelieu  se  fit  nommer  gouverneur  de  Brouage  (1629),  et  fit  élever  par 
l'ingénieur  d'Argencourt  (1630-1640)  les  remparts  de  l'enceinte  actuelle, 
sur  lesquels  on  voit  encore  ses  armes  sculptées.  D'ailleurs,  le  système  de 
la  fortification  ne  fut  complété  que  quelques  années  plus  tard,  pendant 
les  troubles  de  la  Fronde,  par  le  comte  du  Daugnion.  Celui-ci,  vice-ami- 
ral du  Ponant  et  gouverneur  de  Brouage,  révolté  contre  l'autorité  royale, 
en  fit  le  centre  de  ses  opérations  militaires  et  de  ses  expéditions  mari- 
times (1649-1653).  En  1652,  eut  lieu  un  combat  naval  en  face  de  Brouage, 
où  la  flotte  française  l'emporta  sur  la  flotte  espagnole.  Du  Daugnion  se  ren- 


C.    DELAVAUD.   —  UNE    VISITE    A  BROUAGE,    LA    VILLE    MORTE  949 

dit  assez  redoutable  pour  que  Mazarin  achetât  sa  soumission  d'une  grosse 
somme  d'argent  et  du  bâton  de  maréchal,  en  même  temps  qu'il  prenait 
pour  lui-même  le  gouvernement  de  Brouage.  Il  y  installa  comme  intendant 
de  la  marine  Colbert  du  Terron  (IGoo).  En  1638,  il  exila  en  Aunis  sa  nièce 
Marie  Mancini,  qui  choisit  le  séjour  de  Brouage,  forteresse  triste  et  soli- 
taire, dit-elle,  mais  conforme  à  sa  tristesse. 

Colbert  pensa  d'abord  à  Brouage  quand  il  voulut  établir  dans  la  région 
un  grand  port  militaire  ;  la  crainte  de  l'envasement  du  chenal  l'en  dé- 
tourna ;  on  sait  que  Rochefort  ne  fut  choisi  définitivement  qu'après 
maints  autres  projets  (I660).  On  cura.inutilement,  en  1687,  171o  et  1716, 
le  port  de  Brouage  ;  le  chenal  se  combla  de  plus  en  plus  par  les  atter- 
rissements,  d'autant  que  l'on  cessa  d'entretenir  les  chenaux  secondaires 
à  mesure  que  la  concurrence  des  autres  marais  salants  de  France  devenait 
plus  grande.  La  décadence  de  la  saline  avait  commencé  dès  les  guerres 
civiles  du  xvi*'  siècle,  qui  troublaient  les  transactions  commerciales. 
Déjà  l'insalubrité  se  fît  sentir,  et  la  dépopulation  devint  marquée.  On  y 
fit  encore  cependant  quelques  armements  dans  le  cours  du  xvii*^  siècle  et 
on  y  laissa  un  gouverneur  particulier,  bien  qu'on  eût  rasé  en  1688  tous 
les  dehors  de  la  place.  Les  protestants  de  Brouage  se  convertirent  après 
une  longue  résistance  lors  de  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes.  En  1702, 
le  siège  d'amirauté  et  le  bureau  des  fermes  furent  transférés  à  Marennes. 
La  décadence  de  Brouage  fut  surtout  rapide  durant  ce  xviii^  siècle,  la 
ville  se  dépeuplait,  par  suite  de  l'atterrissement  et  des  circonstances  poli- 
tiques, rendant  son  port  moins  propre  au  commerce  et  moins  utile  pour 
les  opérations  militaires.  En  même  temps,  le  pays  devenait  insalubre 
par  les  miasmes  des  marais  salants  abandonnés,  et  la  fièvre  faisait  mou- 
rir et  chassait  ses  habitants.  En  1793,  on  emprisonna  dans  Broruage  plu- 
sieurs centaines  de  victimes  de  la  Révolution,  suspects  et  prêtres  non 
assermentés,  qui,  pour  la  plupart,  y  succombèrent. 

Des  tentatives  de  dessèchement  eurent  lieu  dès  1635,  mais  surtout  en 
1782,  sous  l'intendant  de  Reverseaux,  époque  à  laquelle  fut  commencé 
le  canal  de  Brouage,  artère  centrale  de  dérivation.  Elles  furent  continuées 
à  partir  de  I8O0,  sous  l'Empire  et  la  Restauration,  par  l'ingénieur 
Masquelez.  Le  sous-préfet  de  Marennes,  Le  Terme,  fit  paraître,  en  1818, 
d'utiles  règlements  et  provoqua  des  syndicats.  Le  pays  s'est  grandement 
assaini.  JNéanmoins  la  population  n'augmente  pas,  peut  être  y  a-t-il  lieu 
de  se  féliciter  qu'au  moins  elle  soit  stationnaire.  Son  ancienne  industrie 
a  disparu  à  peu  près  :  les  8.000  hectares  de  marais  salants  qui  existaient 
au  xvi^  siècle  sont  réduits  à  oOO  à  peine.  Une  industrie,  d'ailleurs  peu  éten- 
due ici,  c'est  la  culture  des  moules  sur  les  pieux  des  bouchots,  dans  les 
chenaux,  dont  ils  gênent  la  navigation,  mais  que  l'on  tolère,  et  qui  repré- 
sentent, pour  une  récolte  annuelle  de  1.27o.000  kilogrammes,  un  revenu 


9S0  GÉOGRAPHIE 

de  115.000  francs.  On  cultive  aussi  les  huîtres  portugaises.  Il  y  a  une 
vingtaine  de  marins  inscrits.  Le  mouvement  commercial  du  port  est 
presque  nul.  C'est  ainsi  que  le  nombre  de  tonnes  de  jauge  a  été,  en  1867, 
de  4.800  pour  l'entrée  et  de  4.860  pour  la  sortie,  et,  en  1876,  de  4.062 
pour  l'entrée,  de  4.  293  pour  la  sortie.  —  Sans  doute,  on  se  livre  à  l'élève 
des  chevaux  et  des  bœufs  dans  les  prairies,  mais  les  propriétaires  ne 
résident  point  à  Brouage,  ils  se  contentent  d'envoyer  dans  le  marais  des 
gardiens  de  bestiaux,  et  l'endroit  n'en  tire  guère  de  protit,  la  population 
n'en  est  point  accrue.  Le  lait,  le  beurre  y  sont  de  très  bonne  qualité;  il  n'y 
a  pas  d'établissement  de  beurrerie. 

Une  visite  de  quelques  heures  dans  une  localité,  quelque  peu  étendue 
qu'elle  soit,  ne  peut  que  laisser  des  regrets  d'avoir  omis  beaucoup  de 
points  intéressants  et  nous  engager  à  ouvrir  un  chapitre  des  desiderata. 
Toutefois  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  d'être  accompagné  dans  Brouage 
par  un  homme  érudit  d'une  obligeance  parfaite,  M.  Antoine  (Clément), 
instituteur  et  secrétaire  de  la  mairie  de  Hiers,  habitant  le  pays  depuis 
dix-sept  ans.  Nous  voici  bientôt  dans  cette  ville  déserte,  où  nous  entrons 
par  une  brèche,  près  de  la  porte  sud,  le  tout  offrant  l'aspect  de  ruines, 
les  pierres  du  rempart  entaillé  ont  été  rejetées  et  sont  amoncelées  sans 
ordre.  A  droite,  une  petite  place  herbeuse  avec  des  arbres,  à  gauche,  des 
magasins,  une  poudrière,  dite  de  Saint-Luc,  qui  vont  disparaître,  ayant 
été  vendus.  On  suit  la  rue  principale,  l'unique  rue  habitée,  c'est  la  route, 
peu  fréquentée  depuis  l'ouverture  de  la  ligne  du  Chapus  et  la  suppression 
de  la  poudrière;  nous  y  avons  vu  passer  une  charrette  et...  une  bicyclette! 
C'était  la  seule  route  (il  y  a  toujours  un  service  de  voitures)  que  l'on 
suivait  auparavant  pour  les  relations  de  l'île  d'Oléron  avec  Rochefort. 
Les  poudres  de  guerre  des  magasins  de  Brouage  ne  se  transportaient 
que  par  cette  communication,  lorsqu'elles  étaient  destinées  pour  le  nord 
de  la  France  ;  elle  servait  aussi  au  transport  d'une  partie  des  sels  récoltés 
dans  les  vastes  salines  de  l'arrondissement  de  Marennes.  Les  maisons  qui 
bordent  cette  rue  n'offrent  rien  de  particulier  dans  leur  architecture  :  il 
ne  faut  pas  oublier  que  cette  ville  morte  est  une  ville  moderne.  Elles  sont 
peu  élf^vées  et  à  un  seul  étage.  A  notre  droite,  voici  l'église;  elle  est  dédiée 
à  saint  Pierre  et  dans  le  style  du  xvi^  siècle,  elle  n'a  rien  de  remarquable  ; 
au-dessus  du  portail,  un  fronton  brisé  et  orné  de  trois  écussons,  en  des- 
sous duquel  on  lit  le  millésime  de  1608.  Elle  est  assez  spacieuse  et 
pauvre,  non  entretenue,  délabrée,  les  fidèles  y  sont  rares,  une  population 
dix  fois  plus  nombreuse  y  serait  à  l'aise.  Dans  des  fouilles  faites  à  cette 
église  en  183o,  on  a  trouvé  plusieurs  tombeaux  assez  curieux,  et  qui  sont 
bien  conservés.  Les  dalles  se  trouvent  disposées  sur  le  pavé  et  dans  l'allée 
principale,  ainsi  que  sur  les  côtés.  Nous  pouvons  lire  l'inscription  du 
tombeau  du    marquis   de  Carnavalet,  gouverneur  des  villes  et  pays  de 


C.  DELAVAIT».  —  UNE    VISITE    A    BROUAGE,  LA    VILLE    MORTE  951 

Brouage,  l'espace  de  dix-huit  ans,  et  qui  y  est  mort  le  10  septembre  1686, 
âgé  de  soixante-cinq  ans.  Ces  tombes  sont  toutes  vertes  de  moisissure, 
et  il  faudrait  les  frotter  longtemps  avec  précaution  pour  lire  ce  qui  s'y 
trouve.  C'est  ce  qui  a  lieu  pour  un  deuxième  tombeau  dont  nous  n'avons 
pu  déchiffrer  l'épitaplie,  fort  curieuse  :«  Ci-gît  Joseph  de  Gay...,  ancien 
lieutenant-colonel  du  régiment  de  Noailles-infanterie,  lieutenant...  de  la 
ville  et  gouvernement  de  Brouage,  a  servi  le  roy...  pendant  près  de 
quatre-vingts  ans  et  est  mort  le  17  septembre  1762,  âgé  de  environ 
cent  ans...  »  Il  en  est  un  troisième.  Nous  renvoyons  pour  ces  détails,  entre 
autres  ouvrages,  à  la  statistique  de  la  Charente-Inférieure,  par  Gautier 
(1839).  On  avait  découvert  aussi,  dans  les  combles,  un  autel  des  marins 
et  un  autre  de  la  Vierge,  où  sont  déposés  quelques  restes  d'ex-voto  des 
marins.  Le  clocher  et  l'horloge,  d'après  Le  Terme,  avaient  été  réparés 
vers  1823.  En  sortant,  nous  remarquons,  au-dessus  et  à  l'intérieur  du 
portail,  un  beau  bouquet  de  fleurs  artificielles  encore  frais  :  c'est  une 
couronne  que  les  membres  du  congrès  de  géographie  à  Rochefort  ont 
déposée,  en  1891,  sur  le  monument  de  Champlain.  Il  est  placé  devant 
l'église,  et  consiste  modestement  en  une  petite  colonne  élevée  en  1878  par 
le  conseil  général  du  département  à  la  mémoire  du  fondateur  de  Québec 
{1608).  On  y  a  ajouté  :  Relation  de  voyage,  1632;  mort  en  1635.  Ce 
monument  moderne  est  surmonté  d'une  sphère,  bien  préférable  ici  à  un 
buste  fantaisiste,  car  on  ignore  même  la  date  précise  de  la  naissance  de 
Samuel  Champlain,  vers  1570,  et  l'on  a  mis  en  doute  son  lieu  de  nais- 
sance. En  tout  cas,  où  était  et  qu'est  devenue  la  maison  qu'il  a  habitée 
à  Brouage  ? 

Une  douzaine  d'enfants  jouaient  sur  une  petite  place  plantée  d'arbres 
devant  l'église.  Ils  paraissent  bien  portants.  Jadis  les  enfants  avaient  le 
foie  hypertrophié,  le  ventre  proéminent,  le  lourtâ  ;  il  n'en  est  plus  de 
même  aujourd'hui,  l'état  sanitaire  s'est  bien  amélioré  depuis  une  tren- 
taine d'années,  comme  me  l'a  assuré  mon  ami  et  ancien  collègue  de  la 
marine,  le  docteur  Battandier,  de  Marennes.  Telle  est  aussi  l'opinion  de 
M.  Antoine  et  des  personnes  avec  qui  nous  nous  sommes  entretenus  à 
Brouage,  notamment  un  pêcheur  d'une  cinquantaine  d'années,  au  teint 
vigoureux,  à  la  barbe  bien  fournie.  L'aubergiste  chez  qui  nous  nous 
sommes  reposés  ('non  loin  de  l'auberge  est  un  débit  de  tabac)  nous  a  dit 
qu'il  existait  dans  l'endroit  une  femme  de  quatre-vingt-huit  ans,  et  plus  de 
vingt  vieillards  ayant  dépassé  soixante-dix  ans  et  dont  la  plupart  y  sont 
nés.  Je  ne  possède  pas  encore  les  chiffres  de  la  statistique  relativement  à 
la  natalité  et  à  la  mortalité,  et  que  j'ai  demandés  à  la  mairie  d'Hiers. 
De  1817  à  1832,  la  population  moyenne  des  seize  années  étant  68o,  le 
rapport  des  décès  avec  la  population  était  1  sur  17,  et  celui  des  naissances 
1  sur  20,  les  décès  dans  la  première  année  sur  100  naissances,  41.  Le 


952  GÉOGRAPHIE 

canton  tout  entier  de  Saint-Agnant  présentait  un  contraste  frappant  avec 
celui  de  la  Tremblade  où  la  mortalité  était  moitié  moindre.  Remarquons 
que  les  miasmes  se  localisent  et  qu'il  faut,  en  outre,  établir  une  distinc- 
tion entre  Brouage  et  Hiers.  Ayant  demandé  dans  cette  dernière  localité  à 
un  habitant  s'il  avait  la  fièvre,  il  me  fît  une  réponse  positive,  contre  mon- 
attente;  lui  et  sa  femme  en  étaient  atteints,  cependant  leur  fille  parais- 
sait forte  et  jouissant  de  belles  couleurs  et  elle  était  plus  développée  que- 
son  âge,  quatorze  ans,  ne  le  comportait.  Ces  gens,  à  vrai  dire,  habitaient 
sur  la  lisière  du  marais.  On  prétend  ici  qu'il  n'y  a  jamais  d'épidémies,  et 
l'on  a  en  vue  le  choléra.  Peut-être  ne  doit-on  pas  trop  se  lier  à  cet  anta- 
gonisme des  fièvres  palustres.  A  une  certaine  époque,  le  marais  de  Niort 
a  été  ravagé  par  l'épidémie  cholérique.  En  1652,  une  grande  épidémie 
dévasta  toute  la  contrée,  notamment  Niort  et  Brouage. 

A  côté  de  l'église  se  trouve  une  fontaine,  ou  plutôt  une  pompe,  installée 
récemment;  ce  n'est  qu'un  puits  comme  les  autres,  dont  l'eau,  dit-on, 
est  meilleure,  c'est-à-dire  moins  mauvaise.  L'eau  de  Brouage,  en  effet, 
a  une  saveur  fade  que  savent  discerner  les  personnes  qui  ne  boivent 
que  de  l'eau.  Elle  provient  d'une  profondeur  de  trois  mètres  seulement, 
des  alluvions,  non  des  roches.  J'en  ai  remis  un  échantillon  à  M.  Lapey- 
rêre,  pharmacien  principal  et  professeur  à  l'hôpital  de  Rochefort,  qui 
n'a  pu  encore  faire  qu'un  premier  essai,  vu  la  quantité  insuffisante  pour 
une  analyse  complète.  Le  degré  hydrotimétrique  a  été  44",  il  y  a  des  car- 
bonates et  sulfates  de  chaux  et  de  magnésie;  on  a  trouvé,  pour  un  litre, 
0,347  de  chlorure  de  sodium  et  0,03  de  matières  organiques.  Ce  serait 
une  eau  à  peine  potable.  Pour  celle  du  grès  vert  de  Hiers,  le  même  chi- 
miste a  trouvé  un  degré  hydrotimétrique  moindre,  mais  fort  élevé  encore, 
38°.  Ces  analyses  seront  reprises  dans  de  meilleures  conditions,  notamment 
au  point  de  vue  de  la  nature  des  matières  organiques,  des  microbes.  Jadis, 
les  eaux  d'Hiers  étaient  amenées  à  ia  forteresse,  aisément  d'ailleurs  en 
raison  de  la  différence  de  niveau,  par  des  aqueducs,  qui  furent  enlevés 
du  temps  de  l'Empire.  «  Les  dalles  mêmes,  disait  Le  Terme,  en  1826,  qui 
servaient  à  recevoir  et  à  diriger  les  eaux  pluviales  dans  les  citernes 
ont  eu  le  même  sort,  de  sorte  que,  dans  l'été,  cette  localité  est  absolu- 
ment privée  d'eau  potable.  » 

A  l'extrémité  de  la  rue,  où  ne  se  trouve,  sauf  le  bureau  de  tabac, 
aucune  boutique  de  marchand,  est  pratiquée  une  seconde  brèche  dans 
le  rempart,  à  gauche  de  la  porte  nord,  pour  donner  passage  à  la  route. 
Nous  y  passons,  afin  de  visiter  la  partie  extérieure  des  remparts.  Des 
crampons  de  fer  destinés  à  relier  les  pierres  de  taille  dont  ils  sont  bâtis 
ont  causé  leur  ruine  par  leur  oxydation,  concurremment  avec  le  sal- 
pêtre; des  éclats  s'en  détachent,  que  nous  recueillons.  Ces  pierres  pro- 
viennent, ainsi  que  la  plupart  de  celles  qui  ont  servi  à  bâtir  la  ville,  des 


C,  DELAVAUD.  —  UNE  VISITE  A  BROUAGE,    LA  VILLE  MORTE  953 

anciennes  carrières  de  Sainl-Sornin,  terrain  crétacé,  étage  cénomanien. 
Les  remparts,  hauts  de  quarante  pieds,  sont  vraiment  imposants,  remar- 
quables par  leur  épaisseur  et  leur  solidité.  On  y  voit  les  armes  de  Riche- 
lieu, que  traverse  une  ancre  de  marine.  En  divers  points,  ils  tombent 
en  ruines.  Près  du  bastion  royal  se  trouve  la  porte  du  côté  de  Rochefort  : 
c'est  par  les  portes  que  la  route  passait  il  y  a  une  trentaine  d'années, 
avant  qu'on  eût  ouvert  les  tranchées.  Celle-ci,  dont  le  fronton,  avec  écus- 
son,  a  de  l'élégance,  est  basse,  massive  et  profonde  ;  nous  ne  comptons 
pas  moins  de  vingt-cinq  pas  en  la  traversant  pour  rentrer  de  nouveau  en 
ville.  J'ai  omis  de  m'inlormer  des  fameux  anneaux  auxquels  on  amarrait 


les  navires,  preuve,  a-t-on  dit,  que  la  mer  venait  battre  ces  murailles.  La 
mer  s'était  déjà  retirée  à  l'époque  de  leur  construction,  comme  pour  les 
anneaux  d'Aigues-Mortes .  C'est  le  chenal,  ce  sont  les  fossés  qui  se  sont 
comblés  en  partie.  La  rue  qui  longe  les  remparts  à  l'ouest  de  la  porte 
s'appelait  la  rue  des  Orfèvres  ;  elle  n'avait  de  maisons  que  d'un  seul 
côté  ;  il  n'en  reste  plus  que  la  partie  inférieure  des  murs  de  façade, 
servant  de  clôture  à  des  jardins.  Ces  murs  montrent  des  portes  larges 
et  cintrées  bouchées  par  des  pierres  sèches.  Nous  entrons  dans  le  jardin 
du-  commandant  de  place,  près  des  ruines  de  l'ancien  gouvernement,  et 
qui  a  été  vendu  à  un  particulier.  Au  fond  se  voit  l'ouverture  bouchée 
d'une  excavation  oii  les  prêtres  emprisonnés  en  l'OS  disaient  clandesti- 
nement la  messe;  ils  avaient  orné  leur  chapelle  de  coquillages  :  nous 
recueillons  tout  auprès  une  de  ces  reliques . 


954  GÉOGRAPHIE 

'  Les  remparts,  sur  lesquels  nous  gravissons,  sont  plantés  d'ormeaux 
séculaires.  Du  côté  où  nous  sommes,  exposé  en  plein  aux  vents  de  la 
mer,  ils  sont  penchés,  la  cime  et  le  tronc,  dans  le  sens  opposé.  Jl  n'en 
est  pas  de  même  pour  ceux  qui,  situés  ailleurs,  sont  plus  ou  moins 
abrités.  En  voyant  ces  beaux  arbres,  on  songe  que  c'est  dans  les  plan- 
tations que  doit  être  l'avenir  de  ce  pays.  Le  Terme  insistait  avec  raison 
sur  les  plantations  d'arbres.  Un  marais  boisé  a  acquis  à  la  fois  salubrité 
et  prospérité.  Cependant,  du  haut  de  ces  remparts,  nous  n'apercevons 
qu'une  plaine  nue  aussi  loin  que  la  vue  peut  s'étendre,  et,  en  atten- 
dant, cette  même  végétation  exerce,  en  disjoignant  leurs  pierres  cimen- 
tées, une  action  destructive.  Des  souches  énormes  les  pénètrent  ;  la  com- 
mune, qui  n'a  pas  les  moyens  de  réparer  ce  monument  historique  dont 
elle  a  la  garde,  se  contente  d'en  faire  couper  les  branches  pour  ses  pauvres. 

Après  avoir  examiné  à  l'intérieur  les  élégantes  tourelles  des  bastions 
et  jeté  un  coup  d'œil  sur  les  canaux  et  sur  le  havre,  nous  visitons  un 
grand  égout,  qui  déversait  en  dehors  les  eaux  des  déjections  de  la  ville; 
il  a  cinq  mètres  de  large. 

La  rue  transversale  où  nous  descendons  ensuite  est  à  peu  près  inha- 
bitée, et  les  anciennes  maisons,  sauf  leur  mur  antérieur,  sont  remplacées 
par  des  jardins  potagers  et  fruitiers,  qui  ne  paraissent  pas  bien  régu- 
liers, et  par  des  enclos  mal  fermés  où  paissent  des  moutons.  L'herbe 
croît  sans  obstacle,  avec  des  mauves,  des  chardons,  de  l'absinthe.  Au 
dessus  d'une  ancienne  porte,  cintrée  et  en  pierres  de  taille,  nous  lisons 
en  lettres  gravées  :  «  A  la  croix  de  Malte.  Ici,  bon  vin.  »  11  existe  de 
semblables  inscriptions  au-dessus  d'autres  portes,  mais  le  plus  souvent 
illisibles. 

En  suivant  cette  rue  transversale,  nous  allons  voir  les  poudrières,  situées 
en  face,  tout  en  côtoyant  des  enclos  abandonnés  aux  arbustes  qui  les  ont 
envahis.  Les  Domaines  ont  vendu  ces  poudrières,  de  même  que  celle  de 
Saint-Luc,  déjà  mentionnée,  à  l'angle  sud-ouest,  et  aussi  les  ruines  du 
couvent  des  Récollets  de  Brouage,  qui  date  de  1(311,  le  bastion  ouest,  la 
maison  du  commandant  et  sept  parcelles  de  terre,  aux  enchères  publiques, 
en  janvier  1890.  Les  prix  ont  été  nécessairement  très  modiques.  Quel 
particulier  aurait  le  courage  de  venir  chercher  ici  un  séjour  d'agrément, 
même  en  l'embellissant  !  Cette  pensée  seule  donne  le  frisson.  Il  y  a 
pourtant  de  belles  bâtisses  et  de  vastes  enceintes,  entourées  de  murs 
solides,  toutes  les  constructions  en  pierres  de  taille.  La  petite  poudrière, 
surmontée  de  deux  paratonnerres  et  à  côté  un  corps  de  garde,  ont  été 
achetés,  avec  un  jardin,  pour  la  somme  de  300  francs.  On  a  payé  envi- 
ron 7.000  francs  la  grande  poudrière,  immense  bâtiment  dans  une 
double  enceinte,  protégé  par  quatre  paratonnerres.  Ces  locaux  sont  remar- 
quables par  leur  état  de  sécheresse,  permettant  une  bonne  conservation 


C.  DELAVAID.  —  UNE  VISITE  A  BROUAGE,    LA  VILLE  iMOUTE  955 

de  la  poudre.  Il  y  a  une  vingtaine  d'années,  il  s'en  trouvait  encore  une 
grande  quantité  ainsi  que  de  cartouches.  C'est  par  suite  de  la  suppres- 
sion de  la  poudrière  de  Saint- Jean-d'Angély  que  ce  bâtiment  est  devenu 
un  dépôt  de  poudres,  c'était  auparavant  un  magasin  aux  vivres.  Il  pou- 
vait contenir  plus  d'un  million  de  kilogrammes  de  poudre.  Son  absence 
d'humidité,  dans  un  terrain  aussi  marécageux,  ne  peut  être  attribuée 
qu'aux  dépôts  de  délestage  sur  lesquels  la  ville  est  bâtie. 

A  côté,  nous  entrons  dans  une  casemate,  remarquable  aussi  par  sa 
solidité,  et  nous  visitons  aussi  quelques  poternes.  Toutes  ces  fortifica- 
tions sont  vraiment  formidables  pour  l'époque. 

Nous  quittons  la  nécropole  où  dort  à  l'aise  le  pauvre  village.  De  retour 
à  Hiers,  nous  avons  remarqué,  sur  la  façade  d'une  maison,  un  bas-relief 
sculpté  représentant  sur  une  mer  agitée  un  trois-mâts  toutes  voiles  dé- 
ployées. A  gauche  et  plus  haut,  du  côté  de  la  proue,  un  bras  et  une 
main  tenant  un  drapeau,  vers  lequel  vogue  le  navire,  et  au-dessous  les 
initiales  H  B  et  I  G.  Sans  doute  un  fait  moderne,  soit  un  ex-voto,  soit 
mieux  une  action  héroïque,  ou  simplement  un  emblème. 

M.  Antoine  nous  montra,  à  la  mairie,  le  registre  (de  Brouage)  conte- 
nant l'acte  de  baptême  où  furent  parrain  et  marraine  Charles  Colbert 
du  Terron  et  Marie  Mancini.  La  signature  «  Marie  de  Mancini  »  est 
formée  d'une  écriture  longue  et  droite,  très  lisible.  Elle  avait  alors  vingt 
ans.  Nous  avons  vu  aussi  la  maison  qu'elle  habita,  dit-on,  dans  ce  bourg, 
maison  fort  ordinaire,  qui  ne  se  distingue  que  par  deux  longues  gar- 
gouilles hexagones  à  chaque  angle  et,  au-dessus  de  la  porte  cintrée,  par 
une  sculpture  en  relief  représentant  les  armes  de  la  dame  :  un  canon  sur 
son  affût,  au-dessus  deux  MM  (une  devise  !),  au-dessous  le  millésime 
de  sa  naissance,  1639. 

La  nouvelle  église  d'Hiers  ne  date  que  de  1862. 

L'avenir  de  Brouage,  sans  rivières  ni  ruisseaux,  est  nul,  du  moment 
que  la  mer  lui  fait  défaut.  Quant  à  l'avenir  du  pays  brouageais,  il  est 
certain,  et  se  trouvera  dans  le  boisement  et  dans  l'agriculture  ;  seule- 
ment il  est  lointain,  à  moins  que  la  main  de  l'homme  ne  le  rapproche. 


956  GÉOGRAPHIE 


M.    L.   DEAPEYEOI 

Directeur  de  la  Revue  de  Géographie, 
Secrétaire  gi^néral  de  la  Société  de  Topographie  de  France,  à  Paris. 


CALCUL  CHRONOLOGIQUE  ET  GEOGRAPHIQUE  DES  PERIODES  DE  L'HISTOIRE  DE   RUSSIE 

(862-1892) 


—  Séanrc  du  20  sepleinhre  1892  — 

Avant  862,  c'est-à-dire  avant  les  Yarègues  et  leur  chef  Rurik,  il  ne 
peut  être  question  de  la  Russie  ni  des  Russes. 

Certes,  les  Slaves,  auxquels  les  Russes  se  réfèrent,  avaient  déjà  joué  un 
certain  rôle  dans  l'histoire  générale  de  l'Europe  barbare.  Peut-être  faut-il 
les  assimiler  à  ces  Sarmates{l)  (parmi  lesquels  figuraient  les  Roxolans), 
dont  il  est  souvent  question  dans  les  auteurs  contemporains  de  l'Empire 
romain. 

On  connaît  la  chanson  militaire  du  milieu  du  ni«  siècle  où  apparaît  pour 
la  première  fois,  le  nom  des  Francs,  associé  à  celui  des  Sarmates  : 

Mille  Franros,  mille  Sarmatas  semel  occidimiis; 
Mille,  mille,  mille  Persas  pelimus. 

Ce  n'est  que  cinq  cents  ans  plus  tard  que  les  Slaves,  demeurés  si  long- 
temps les  souffre-douleur  des  Germains  et  encore  plus  des  Mongols,  d'oii 
l'acception  usuelle  du  mot  esclaves,  conduits  à  coups  de  fouet,  par  Attila, 
jusque  sous  les  murs  d'Orléans,  repoussés  avec  lui,  pour  leur  plus  grand 
bien,  à  la  journée  des  Champs  Catalauniques,  formèrent  un  État,  le  premier 
État  slave  que  l'on  connaisse,  celui  des  Wendes,  dans  les  Alpes  Carniques, 
qui  eut  pour  roi,  par  voie  d'élection,  le  Franc  Samo,  et  dont  notre 
Dagobert  ne  put  triompher,  par  suite  de  la  débandade  préméditée  de 
ses  troupes  austrasiennes.  Presque  au  même  moment,  l'empereur  byzantin 
Héraclius  appelait,  sur  la  rive  droite  ou  méridionale  du  Danube,  avec  mission 
de  la  défendre  contre  les  Mongols,  deux  peuples  slaves,  aussitôt  convertis 
au  christianisme,  les  Serbes  et  les  Croates  ;  ils  avaient  été  depuis  longtemps 

(1)  Pour  nous,  les  Sarmates  étaient  des  Slaves  et  les  Scythes  des  Mongols. 


L.  DRAPEYRON. —  CALCUL   DES    PÉRIODES    DE    l'iIISTÛIKE   DE    RUSSIE      957 

précédés  dans  le  diocèse  d'Illyrie  par  les  Slovaques,  leurs  congénères. 
Après  eux,  les  Bulgares,  population  finnoise  venue  du  Volga,  comme  le 
témoigne  leur  nom,  franchirent  à  leur  tour,  mais  en  ennemis,  le  Da- 
nube. Convertis  et  civilisés,  après  de  longues  luttes,  ils  sont  aujourd'hui, 
pour  la  langue,  assimilés  aux  Slaves.  Serbes,  Bulgares  et  surtout  Slo- 
vaques, divisés  moins  par  leurs  dialectes  que  par  leurs  aspirations,  con- 
stituent la  grande  majorité  des  habitants  de  la  Macédoine  actuelle.  La 
puissance  des  Serbes  et  des  Bulgares  a  été  parfois  grande  au  moyen  âge  : 
les  premiers,  parmi  les  Slaves,  ils  eurent,  à  l'instar  de  Byzance,  des  tsars 
(Césars)  ou  empereurs.  Il  y  eut  un  instant  où  presque  toute  la  péninsule 
des  Balkans,  y  compris  la  Grèce,  put  être  considérée  comme  slavisée. 
C'est  actuellemeni  dans  l'eyalet  de  Salonique,  dans  cette  Macédoine  que 
nous  venons  de  nommer,  que  peut  être  tracée  la  courbe  limitative  de 
l'élément  ethnographique  slave. 

Les  invasions  germaniques  avaient  eu  pour  conséquence  de  permettre 
aux  Slaves  de  s'étendre  à  l'est  jusqu'à  l'Elbe  et  jusqu'à  la  March.  C'est 
sur  les  bords  de  la  March  que  se  fixèrent  les  Moraves,  convertis,  sous  l'action 
de  Constantinople  et  de  l'Athos,  par  les  soins  de  saint  Cyrille  et  de  saint 
Méthode.  Dans  la  Bohème,  demeure  tour  à  tour  des  Celtes  Boiens  et  des 
Germains   Marcomans,  prépondérèrent  les   Tchèques,  et   aux  abords   de 
la  Bohème,    les  Lusaciens  et  les   Silésiens,    autres   populations   slaves 
englobées  ultérieurement  dans  les  biens  de  la  couronne  de  saint  Wen- 
ceslas,  mais  qui  ont  fini  par  être  germanisées,  de  même  que  les  Obotrites 
du  Mecklembourg,  les  Wiltzes  de   la   Poméranie    et  les  Prussiens  eux- 
mêmes.   Plus  à  l'orient,  les  Leckhes  furent  la  souche  des  Polonais  :   ils 
apparaissent  à  la  lumière  historique  peu  d'années  avant  les  Russes. 

On  remarquera  que,  parmi  tous  ces  peuples  slaves,  méthodiquement 
énumérés,  les  uns  durent  leur  conversion  à  Rome  et  à  ses  papes,  les 
autres  à  Constantinople  et  à  ses  autocrates.  De  là  l'antithèse  caractéris- 
tique, religieuse  et  politique,  des  Russes  et  des  Polonais. 
-  Qu'est-ce  donc  que  les  Russes?  L'excédent  des  Slaves  désignés  nominati- 
vement plus  haut,  restés,  si  j'ose  dire,  sans  emploi  et  inorganiques,  aux 
avant-postes  de  l'Europe  chrétienne.  Ils  embrassaient,  du  sud  au  nord, 
une  bande  très  longue  et  très  étroite,  enroulée  autour  du  trentième  degré 
de  longitude  est.  On  était  loin  alors,  on  le  voit,  de  cette  immense  Russie 
d'Europe  actuelle,  qui  se  prolonge  au  delà  du  cinquante-cinquième  degré. 

Ce  sont  ces  Slaves,  restés  presque  à  l'état  sauvage,  qui  se  trouvèrent  à 
la  disposition  des  Varègues  ou  conquérants  northmans,  apparentés  aux 
rois  de  mer  qui  allaient  se  fixer  dans  notre  Normandie,  et  aspirant  eux- 
mêmes  à  devenir  les  rois  des  grands  fleuves  de  l'Europe  orientale. 
Leur  but  immédiat  était  de  faire,  à  travers  le  vaste  continent,  si  accessible 
à  leurs  barques,  grâce  aux  cours   d'eau  interposés,  une  percée  jusqu'à 


9S8  GÉOGRAPHIE 

Constantinople,  tsaregrad.  Cette  percée,  ils  l'accomplirent  méthodiquement. 
En  862,  ils  étaient  à  Novogorod  la  Grande  sur  le  Wolkoff  (versant  de 
la  mer  Baltique)  ;  en  879,  ils  étaient  à  Kiev,  sur  le  Dnieper  (versant  de  la 
mer  Noire).  La  cité  de  Constantin  ne  tarda  pas  à  subir  leurs  attaques  répé- 
tées (depuis  l'an  907)  ;  mais  leur  princesse  Olga  y  vint  bientôt  recevoir 
le  baptême. 

De  Rurik  à  la  mort  de  saint  Wladimir,  le  premier  «  grand  prince  » 
chrétien  de  Russie  (862-1015),  il  s'est  écoulé  un  siècle  et  demi.  C'est  avec 
laroslav  le  Grand,  venu  immédiatement  après,  que,  sous  l'hégémonie  de 
Kiev,  sa  cité  sainte,  la  Russie  primitive  se  pourvut  d'une  législation;  elle 
entra  dans  le  concert  dynastique  chrétien,  se  rattachant  ainsi  à  l'Empire 
grec,  au  saint  Empire  romain-germanique,  et  même  à  la  France,  l'aîné  des 
royaumes  chrétiens  (1) .  Dans  le  moine  Nestor,  auteur  d'une  célèbre  chro- 
nique, elle  eut  son  Grégoire  de  Tours.  Cette  période  kiévienne,  toute 
byzantine,  se  prolongea  elle-même  cent  cinquante  ans.  Elle  se  termina  par 
la  ruine  de  Kiev  (1169). 

Cette  disparition  ou  plutôt  cette  déchéance  politique  de  Kiev  amena  le 
fractionnement  de  l'État  russe  en  petites  principautés,  circonstance  très 
favorable  aux  invasions  mongoles  sous  Gengis-Khan  et  ses  fils.  Les  Mongols 
opérèrent  au  midi  un  mouvement  tournant,  dont  le  but  évident  était 
l'occupation  des  fameuses  «  terres  noires  »,  tchernozième.  Il  en  résulta  un 
effet  imprévu,  qui  décida  des  grandes  destinées  de  la  Russie,  du  moins  en 
ce  qui  concerne  son  développement  dans  l'espace  :  les  petits  Russes,  déjà 
nombreux,  mais  très  tassés,  durent,  limités  qu'ils  étaient  du  côté  de 
l'occident  et  de  l'Europe,  se  projeter  vers  l'orient,  et  par  conséquent  vers 
l'Asie  (2),  englobant,  après  Wladimir,  Nijni-Novogorod,  Kazan,  Permet  pre- 
nant, comme  on  le  voit,  en  écharpe,  la  Russie  actuelle.  Coupés  de  la  mer 
Noire,  c'est-à-dire  du  sud,  les  grands  Russes,  postérité,  quelque  peu  mêlée, 
des  petits  Russes,  gagnaient  ainsi,  par  étapes  successives,  la  mer  Blanche, 
c'est-à-dire  le  nord. 

Après  une  nouvelle  période  d'un  peu  moins  d'un  siècle  et  demi  (1169- 
1303),  Moscou,  située  par  trente-cinq  degrés  longitude  est,  apparut  comme 
le  réduit  à  la  fois  de  l'expansion  ethnographique  et  de  la  défense  natio- 
nale :  aussi  fut-elle  élevée  à  la  dignité  de  capitale.  Elle  compta  parmi  ses 
héros  nationaux,  après  Alexandre  Newski,  contemporain  de  saint  Louis, 

(1)  Anne,  l'une  des  filles  d'Iaroslav,  épousa  notre  roi  Henri  \"  et  fut  la  mère  de  Philippe  l"'. 

(2)  Au  premier  Congrès  italien  de  géographie,  tenu  à  Gênes  en  septembre  1892,  M.  de  Séménoff, 
sénateur  de  l'empire  de  Russie,  président  de  la  Société  impériale  de  géographie  de  Saint-Péters- 
bourg, a  traité  cette  importante  question.  «  Au  moyen  âge,  dit  M.  Levasseur,  de  l'Institut,  dans  le 
compte  rendu  de  ce  Congrès,  le  Tanais  (Don)  était  la  limite  que  les  géographes  assignaient  d'ordi- 
naire à  l'Europe;  ils  avaient  raison,  car  à  l'Orient  il  n'y  avait  plus  que  des  hordes  asiatiques.  Ce 
sont  les  Russes  qui  les  ont  refoulées,  qui  ont  laijouré  le  sol  et  aujourd'hui  les  trente  millions 
d'habitants  qui  peuplent  le  pays  entre  ce  fleuve  et  la  Caspienne  doivent  être  considérés,  aussi  bien 
que  les  colons  d'Amérique,  comme  un  résultat  de  l'expansion  de  la  race  européenne  dans  les  temps 
modernes. 


L.    DRAPEYRON.  —  CALCUL   DES    PÉRIODES    DE   l'hISTOIRE   DE   RUSSIE      959 

Dinitri  Donskoï,  contemporain  de  Charles  V  le  Sage.  Toujours  menacés  et 
môme  opprimés  par  la  Horde  d'Or,  les  Russes  virent  se  prolonger,  durant 
une  autre  période  d'un  siècle  et  demi,  cette  situation,  pleine  à  la  fois  de 
périls  et  de  promesses  (1 303-1 4G2). 

A  cette  dernière  date  apparaît  Ivan  III,  le  Grand,  le  «  rassembleur  de 
la  terre  russe  »,  contemporain  de  Louis  XI.  Il  secoua  la  servitude  mon- 
gole. Au  xvi^  siècle,  la  Russie  chrétienne  atteint  Arkhangel  sur  la  mer 
Blanche;  elle  déborde  sur  l'Asie  par  la  Sibérie.  Ivan  IV  le  Terrible  prend 
le  titre  de  tsar  (1547)  ;  il  réunit  des  États  généraux.  Le  servage  fixa  au 
sol  les  paysans  (chrestianin)  restés  jusqu'alors  presque  nomades  comme  les 
Mongols  (1598).  Quand,  après  une  longue  anarchie,  les  Romanofï  rempla- 
cèrent la  maison  de  Rurik,  dont  ils  descendaient  en  ligne  féminine,  c'est 
une  autre  période  de  cent  cinquante  ans  qui  prit  fin.  Le  Volga  était  dé- 
sormais le  grand  fleuve  russe. 

De  lt313  à  1762,  date  de  l'avènement  des  Holstein-Gottorp,  actuelle- 
ment régnants  comme  issus  des  Romanoff,  il  s'est  écoulé  un  laps  de  temps 
égal  :  cent  cinquante  ans.  Le  point  culminant  de  cette  époque  est  marqué 
par  l'action  prodigieusement  énergique  et  féconde  de  Pierre  le  Grand.  On 
assiste  aux  efforts  de  la  Russie  pour  atteindre  successivement  toutes  les 
mers  par  lesquelles  cette  région  confine  à  l'Europe  et  à  l'Asie.  Au  milieu 
de  sa  fameuse  lutte  contre  la  Suède,  Pierre  s'installa  audacieusement  à 
Saint-Pétersbourg  et  à  Cronstadt,  en  face  de  Stockholm  ;  c'est  la  question 
de  la  Baltique  qu'il  tranchait  héroïquement,  malgré  sa  défaite  de  Aarva. 
Il  fut  moins  heureux  en  ce  qui  concerne  la  mer  Noire,  ayant  dû,  en 
dépit  de  sa  victoire  de  Pultava,  —  après  sa  déconvenue  du  Pruth,  —  aban- 
donner Azov  aux  Ottomans,  ces  héritiers  des  Mongols  dans  la  Russie 
méridionale.  Mais  l'occupation  de  Derbent  lui  assura,  avec  la  domination 
de  la  Caspienne,  une  prise  sur  la  Perse.  Parmi  tout  cela,  et  sous  l'action 
de  Pierre  le  Grand,  on  constate  la  germanisation  militaire,  administrative 
et  même  dynastique  de  la  Russie.  Fixés  à  Saint-Pétersbourg,  loin  des 
grands  et  des  petits  Russes,  les  tsars  se  germanisèrent  en  effet,  avant  de 
s'européaniser  d'une  façon  plus  large.  Mais,  par  Moscou,  leur  seconde 
capitale,  où  ils  furent  toujours  couronnés  et  qu'ils  visitaient  sans  cesse, 
ils  gardaient  le  contact  de  la  sainte  Russie. 

A  la  période  ultérieure,  la  période  en  cours,  qui  ne  compte  encore  que 
cent  trente  ans  révolus  (17G2-1892),  était  réservée  la  participation  de  la 
Russie  à  la  politique  et  à  la  vie  européenne.  Tout  d'abord,  elle  a  conclu, 
avec  deux  puissances  européennes,  la  Prusse  et  l'Autriche,  les  partages 
de  la  Pologne,  sous  le  règne  de  Catherine  IL  Le  même  règne  a  réa- 
lisé le  desideratum  de  Pierre  le  Grand,  rangé  sous  le  sceptre  russe  tout  le 
versant  septentrional  de  la  mer  Noire,  fondé  le  grand  arsenal  maritime 
de  Sébastopol.  La  Russie  a  pris  virtuellement  part  à  la  première  coalition 


960  •  GÉOGRAPHIE 

contre  la  France,  effectivement  à  la  seconde,  pénétré  jusqu'en  Italie 
avec  Souvaroff  ItalinsU,  atteint  Andrinople  sous  Nicolas  P'',  et  les  fau- 
bourgs de  Constantinople  sous  Alexandre  II.  Vaincue  par  la  France  à 
Austerlitz  et  à  Friedland,  alliée  à  cette  même  puissance  à  Tilsitt  et  à 
Erfurth,  envahie  par  Napoléon  jusqu'à  Moscou,  il  lui  a  été  donné  d'atteindre 
à  son  tour  Paris.  L'une  des  six  grandes  puissances  européennes,  mais  la 
première  de  toutes  sur  le  continent,  si  l'on  considère  son  étendue,  sa 
population,  le  nombre  de  soldats  dont  elle  dispose,  les  circonstances  ont 
fait  d'elle,  au  lieu  d'un  épouvantait  comme  naguère,  le  contrepoids  de 
cette  énorme  domination  germanique  édifiée  sur  les  défaites  successives  du 
Danemark,  de  l'Autriche  et  de  la  France,  Puissance  à  la  fois  européenne 
et  asiatique,  c'est  en  Europe  qu'est  concentrée  la  masse  de  sa  population, 
mais  c'est  du  côté  de  l'Asie  que  se  poursuivent  son  extension  territo- 
riale et  son  œuvre  civilisatrice. 

Sept  périodes  de  cent  cinquante  ans  chacune  environ  :  voilà,  peut-on 
•dire,  les  grandes  articulations  de  l'histoire  de  Russie,  depuis  ses  origines 
jusqu'à  ce  jour.  La  correspondance  du  temps  et  de  l'espace,  au  cours  de  ces 
périodes,  apparaît  nettement  dans  le  tableau  synoptique  qui  suit  : 

862-1019.  —  De  Rurik  à  laroslav.  Percée  du  nord  au  sud,  faite,  suivant  le 
30«  degré  longitude  est,  par  les  Northmans  Yarègues,  associés  aux  Russes. 

1019-1109.  —  Dlaroslav  à  la  ruine  de  Kiev.  La  petite  Russie  se  convertit  et  se 
police;  elle  se  concentre  autour  de  Kiev.  Elle  devient  l'État  slave  ori/iorfoa;e 
opposé  à  l'État  slave  catholique,  ou  Pologne. 

1169-1303.  —  De  la  ruine  de  h'iev  à  Moscou  capitale.  La  Russie,  envahie  par 
les  Mongols,  se  restreint  au  sud  et  à  l'ouest  ;  elle  se  développe  au  centre  et  au 
nord,  tendant  vers  l'Oural  et  la  mer  Blanche.  La  grande  Russie  se  prépare. 

11^03-1462.  —  De  Moscou  capitale  à  l'avènement  d'Ivan  III.  De  leur  observa- 
toire et  de  leur  forteresse  centrale,  Moscou,  les  grands  princes  luttent  avec  des 
alternatives  diverses,  mais  avec  constance,  contre  la  Horde  d'Or. 

1462-1613.  —  D'Ivan  III  aux  Romanoff.  Grande  expansion  territoriale  dans 
le  sens  indiqué  plus  haut.  La  Russie,  harmonieusement  distribuée  sur  le  Volga, 
en  tient  les  grands  affluents. 

1613-1762.  —  Les  Romanoff.  Marche  vers  les  quatre  mers  européennes  et 
asiatiques.  Pierre  le  Grand. 

1762-1892. —  Les  Holstein-Gottorp .  Hégémonie  slave  et  orthodoxe  de  la  Russie. 
Double  aspect,  européen  et  asiatique,  de  son  action. 

On  sera  certainement  frappé  de  Visochronisme  presque  constant  des 
grandes  «  pulsations  »  de  l'histoire  russe.  Faut-il  l'attribuer  à  une  loi  de 
l'évolution  historique,  loi  régissant  l'histoire  de  toutes  les  nations,  parce 
qu'elle  résulte  de  la  répartition  naturelle  et  nécessaire  entre  des  généra 
tiens  successives  de  questions  inéluctables,  d'une  importance  et  d'une 
-complexité  à  peu  près  égales,  questions  qui  s'engendrent  et  s'entretiennent 
les  unes  les  autres? 


ROUSSON  ET  WILLEMS.  —  LA  TERRE   DE    FEU    ET    SES   HABITANTS  961 

Faut-il,  dans  le  cas  particulier  de  la  Russie,  l'imputer  à  l'homogénéité 
topographique  (1),  sans  analogue  peut-être,  de  cette  immense  région, 
presque  indéfiniment  extensible,  dont  le  M.  le  général  Tillo  a  fixé  nette- 
ment les  traits  dans  une  carte  à  bon  droit  très  remarquée? 

Ces  deux  explications,  qui  ne  s'excluent  pas,  mais  qui  se  corroborent 
naturellement,  doivent  être,  suivant  nous,  admises. 


MM.    EOÏÏSSOI  et   WILLEMS 

Chargés  de  Missions  scientifiques,  à  Paris. 


LA  TERRE  DE  FEU  ET  SES  HABITANTS 


—  Séaiicz  du  20  septembre  I89i  — 

La  Terre  de  Feu,  cette  grande  île  qui  termine  au  sud  l'Amérique,  n'avait 
été  jusqu'ici  explorée  que  dans  quelques  endroits  où  des  navigateurs 
comme  Cook,  Fitz-Roy,  Dumont-d'Urville,  etc.,  avaient  atterri.  Dans  ces 
dernières  années,  un  navire  français,  la  Romanche,  envoyé  pour  observer  le 
passage  de  Vénus,  aux  environs  du  cap  Horn,  a  fait  de  nombreuses  et 
intéressantes  études  dans  les  îles  situées  au  sud  de  la  Terre  de  Feu  ;  mais 
aucune  expédition  ne  s'était  aventurée  à  l'intérieur  de  la  grande  île 
fuégienne,  sur  laquelle  on  ne  possédait  que  peu  de  renseignements.  Selon 
les  uns,  la  Terre  de  Feu  présentait  des  forêts  impénétrables  et  était  habitée 
par  une  race  d'Indiens  très  petits  et  rachitiques  ;  selon  les  autres,  les 
Indiens  étaient  d'une  stature  gigantesque.  D'autres  affirmaient  qu'ils 
n'avaient  pas  vu  d'arbres,  que  le  sol  était  stérile  et  dépourvu  de  toute 
espèce  de  végétation,  alors  que  certains  voyageurs  vantaient  la  fertilité  des 
terres  et  parlaient  de  l'aspect  pittoresque  des  vallées  et  des  montagnes. 

Toutes  ces  versions,  si  contradictoires,  formant  une  sorte  d'affirmations 
et  de  négations,  nous  ont  obligés  à  conclure  que  la  Terre  de  Feu  présentait 
un  climat,  une  végétation  et  des  habitants  d'un  caractère  extrêmement 
varié,  selon  l'endroit  oîi  l'on  avait  abordé. 

(\)  c'est  à  l'homogéûéité  lopograpliique,  non  moins  qu'à  la  tradition  historique,  qu'est  due  cette 
institution  culminante  de  la  Russie,  \e  grand  prince,  devenu  ensuite  le  tsar. 


Gi 


* 


962  GÉOGRAPHIE 

En  1890  et  1891,  nous  étions  chargés  d'une  mission  par  M.  le  ministre  de 
l'Instruction  publique  et  des  Beaux-Arts,  pour  explorer  la  Terre  de  Feu,  et 
voici  les  observations  que  nous  avons  recueillies  pendant  notre  expédition. 

La  grande  île  fuégienne  est  située  par  71  degrés  de  longitude  ouest  et 
34  degrés  de  latitude  sud. 

Elle  est  bornée  :  au  nord  et  à  l'ouest  par  le  détroit  de  Magellan  ;  à  l'est 
par  l'Océan  Atlantique  et  au  sud  par  le  canal  de  Beagle. 

Dans  la  partie  nord  de  l'île,  les  principales  baies  sont  :  la  baie  Saint- 


_._._. Itinéraire  suivi  par  la 
mission  Rousson  etWillems ,  1890-91 


EJKoffft/,St 


Sébastien  à  l'est;  les  baies  Lomas,  Felippe  et  Gente  Grande,  au  nord;  et  à 
l'ouest,  les  baies  Porvenir  et  Inutile.  Dans  la  partie  sud  de  l'île,  les  baies 
Policarpe,  Thétis,  Bon-Succès,  Yalentin,  Aguirre,  au  sud-est,  et  les  baies 
d'Ushuaïa  et  Deniste-Baie  au  sud. 

Trois  grandes  chaînes  de  montagnes  se  dirigent  parallèlement  de  l'ouest 
à  l'est. 

La  première  part  du  cap  Bouqueron  et  vient  mourir  au  cap  Spiritu- 
Santo.  Elle  atteint  oOO  mètres  d'altitude;  à  droite  et  à  gauche  se  détachent 
de  nombreuses  ramifications. 

La  seconde  chaîne,  dont  le  Pic  Nose  est  le  point  de  départ,  s'étend  entre 
la  pointe  sud  de  la  baie  Saint-Sébastien  et  le  cap  Penas. 


ROUSSON   ET    WILLEMS.    —  LA    TERRE  DE  FEU  ET  SES  HABITANTS  ^3 

La  troisième  chaîne  couirnence  à  la  presqu'île  Brecknock  et  se  termine 
au  cap  San-Diego.  Deux  monts  très  élevés  se  distinguent,  ce  sont  :  le 
mont  Darwin,  qui  a  plus  de  1.800  mètres  d'altitude,  et  le  mont  Sar- 
miento,  qui  atteint  2,073  mètres,  sur  lesquels  séjournent  les  neiges 
éternelles. 

Entre  les  chaînes  de  montagnes,  il  existe  d'immenses  plaines,  sur 
lesquelles  se  trouvent  de  grands  lacs  d'où  sortent  de  petites  rivières.  Mais 
plusieurs  d'entre  elles  se  tarissent  en  été  et  nous  n'indiquerons  que  les 
principales.  Au  nord,  la  rivière  de  l'Or,  qui  se  jette  dans  la  baie  Felipe  ; 
à  l'est,  la  rivière  CuUen,  qui  se  jette  dans  l'Océan  Atlantique,  ainsi  que  les 
rivières  Petite  (Rio  Chico),  et  Grande  (Rio  Grande). 

Le  climat  de  la  Terre  de  Feu  est  très  variable,  suivant  les  endroits  où  on 
l'observe.  Cependant  le  climat  n'est  pas  aussi  rigoureux  qu'on  pourrait  le 
supposer  ;  la  température  la  plus  basse  que  nous  ayons  eue  à  enregistrer 
a  été  —  6 degrés  au-dessous  de  zéro  et  la  température  maxima  23  degrés; 
mais  les  nuits  sont  toujours  froides,  car  dès  que  le  soleil  disparaît  de 
l'horizon,  la  température  baisse  beaucoup,  pour  atteindre  son  minimum 
vers  11  heures  du  soir. 

Le  baromètre  ne  donne  aucune  indication  précise  :  il  tombe  brusque- 
ment et  sans  cause  apparente  de  160  à  730  millimètres  ;  cela  doit  provenir 
■de  ce  que  les  couches  atmosphériques  supérieures,  chassées  par  les  vents 
du  sud  et  de  l'ouest  passant  sur  les  cîmes  neigeuses,  sont  très  froides, 
tandis  que  les  couches  inférieures,  s'échautfant  au  contact  du  sol,  montent 
et  produisent  de  grandes  oscillations  barométriques  en  rencontrant  des 
couches  de  densité  supérieure. 

Les  vents  sont  très  fréquents  ;  les  plus  violents  sont  ceux  de  l'ouest,  qui 
atteignent  une  vitesse  de  trente  mètres  par  seconde  ;  ces  vents  cessent 
presque  toujours  au  coucher  du  soleil,  mais  on  les  voit  reparaître  le  matin 
avec  lui. 

Dans  notre  expédition  du  nord,  nous  n'avons  eu  à  enregistrer  que  six 
jours  de  pluie  et  deux  jours  de  neige  ;  au  contraire,  dans  le  sud  de  la 
Terre  de  Feu,  il  y  a  eu  peu  de  jours  sans  pluie  :  aussi,  partout,  le  sol  est 
mouvant  et  spongieux. 

Trois  tribus  habitent  l'île  fuégienne  : 

Les  «  Onas  »,  le  nord  et  le  nord-est;  les  «  Alacalufes  »,  l'ouest  et  les 
«  Yaghans  »,  le  sud. 

Nous  ne  parlerons  que  des  «  Onas  »,  qui,  jusqu'ici,  étaient  restés 
inconnus. 

Les  Onas  sont  très  grands,  ils  atteignent  quelquefois  deux  mètres  ;  leur 
teint  est  cuivré,  leur  peau  est  onctueuse  au  toucher;  la  figure  ovale,  le 
front  étroit  et  peu  découvert,  les  cheveux  noirs  et  longs,  tombant  en 
mèches  sur  les  épaules,  souvent  mêlés  de  terre  argileuse  ;  ils  ont  de  petits 


964  GÉOGRAPHIE 

yeux  avec  des  cils  assez  forts,  les  pommettes  saillantes;  le  nez  convexe, 
un  peu  aquilin,  une  bouche  assez  grande,  de  grosses  lèvres  laissant 
entrevoir  de  petites  dents  jaunâtres.  Ils  sont  très  musclés  et  très  forts, 
vont  complètement  nus,  ne  portant  sur  leurs  épaules  que  de  mauvaises 
capes  de  guanaco  ou  de  renard  attachées  ensemble  à  l'aide  de  nerfs 
d'animaux  ;  les  hommes  portent  sur  le  front  un  morceau  de  cuir  triangu- 
laire, ce  qui  les  distingue  des  femmes,  qui  ont  comme  ornement  des 
bracelets  et  des  colliers  faits  de  coquillages  calcaires  ou  de  nerfs  tressés. 

Tout  le  travail  des  Onas  consiste  à  se  procurer  des  aliments  ;  pendant 
que  les  hommes  chassent  les  guanacos  et  les  renards,  les  femmes  vont  à  la 
plage  chercher  des  mollusques  ou  harponner  les  poissons  que  la  mer  a 
abandonnés  entre  les  rochers  en  se  retirant. 

Leurs  armes  et  leurs  ustensiles  sont  des  plus  primitifs  :  l'arc  est  en  bois 
de  roble  avec  une  corde  en  nerfs  de  guanacos  ;  les  flèches  sont  d'un  bois 
plus  dur  avec  une  pointe  en  silex  travaillée  par  éclats  ;  un  carquois  en 
peau  de  loup  de  mer  contenant  une  vingtaine  de  flèches  et  une  fronde 
complète  leur  armement;  les  femmes  sont  toujours  munies  d'un  petit 
harpon  en  os  et  d'un  panier  en  jonc. 

Elles  portent  les  charges,  préparent  les  campements,  entretiennent  le 
feu,  soignent  les  enfants.  Les  campements  se  composent  de  trous  circu- 
laires de  1  mètre  50  de  diamètre  et  40  centimètres  environ  de  profondeur, 
creusés  au  moyen  d'omoplates  de  guanacos  ;  ces  trous-abris  sont  ordinai- 
rement adossés  à  une  montagne  d'où  l'on  domine  les  environs  ;  autour  de 
ces  roues  sont  placés  verticalement  de  petits  bâtons  sur  lesquels  ils 
attachent  de  mauvaises  peaux  d'animaux  et  ayant  pour  plafond  la  croix 
du  sud  ;  au  centre,  un  feu  brûle  continuellement. 

Une  famille  composée  de  trois  ou  quatre  personnes  s'y  abrite;  elles, 
dorment,  serrées  les  unes  contre  les  autres,  avec  de  nombreux  chiens. 

Les  femmes  attachent  parfois  leurs  enfants  sur  des  morceaux  de  bois 
dont  l'un  des  montants  verticaux  est  plus  long  que  l'autre,  ce  qui  leur 
permet,  en  le  piquant  en  terre,  de  faire  tenir  l'enfant  debout  devant  le  feu 
et  de  le  déplacer  selon  la  nécessité. 

Les  Onas  sont  nomades.  Ils  se  déplacent  fréquemment,  surtout  lorsque 
la  chasse  devient  plus  rare  aux  environs  de  leurs  campements;  aussi, 
dans  la  partie  nord  de  la  Terre  de  Feu,  trouve-t-on  de  nombreuses  traces 
d'anciens  campements. 

Craintifs  devant  l'homme  civilisé  s'ils  sont  trop  faibles  pour  l'attaquer, 
ils  deviennent  féroces  lorsqu'ils  sont  en  nombre. 

Ils  sont  courageux,  braves  et  d'une  nature  guerrière.  Aussi  sont-ils 
continuellement  en  lutte  avec  les  tribus  du  sud  et  de  l'ouest. 

Plusieurs  voyageurs  croient  qu'ils  sont  anthropophages;  d'autres  certifient 
qu'ils  brûlent  les  cadavres  ;  mais  ce  sont  des  erreurs.  Nous  avons,  en  effet, 


ROUSSON  ET  WILLEMS.  —  LA  TERRE  DE  FEU  ET  SES  HABITANTS  96o 

trouvé  plusieurs  endroits  où  les  Fuégiens  avaient  enterré  leurs  morts,  et 
quant  à  l'incinération,  nous  avons  toujours  remarqué  des  débris  d'osse- 
ments calcinés  près  des  anciens  campements,  mais  ils  provenaient  tous 
d'animaux  dont  ces  sauvages  ont  l'habitude  de  brûler  les  déchets  pour 
entretenir  leur  feu. 

Les  Onas  croient  à  un  esprit,  comme  leurs  frères  les  Patagons,  qu'ils 
nomment  «  Wolitche  »  et  auquel  ils  attribuent  les  biens  et  les  maux. 

Ils  communiquent  entre  eux  au  moyen  de  grands  feux,  qu'ils  allument 
avec  de  la  pyrite  de  fer  et  des  champignons  séchés  ;  ils  étendent  ces  feux 
sur  une  grande  surface  par  l'intermédiaire  de  torches  faites  avec  des  racines 
de  plantes. 

C'est  à  cause  de  ces  feux,  qui  brûlent  quelquefois  sur  une  longueur  de 
plusieurs  kilomètres,  par  suite  des  vents  violents  et  qui,  le  soir,  se  voient  à 
plusieurs  milles,  que  les  premiers  navigateurs  franchissant  ces  côtes,  don- 
nèrent à  cette  île  le  nom  de  Terre  des  Feux,  et  par  extension  on  a  fait 
«  Terre  de  Feu  ». 

Nous  ne  croyons  pas  que  la  population  indigène  de  la  Terre  de  Feu  et 
de  l'archipel  fuégien  soit  supérieure  à  «  1 ,200  »  habitants. 

La  faune  est  pauvre.  Les  quadrupèdes  sont  peu  variés;  le  guanaco, 
le  renard,  le  chien  sauvage,  la  loutre,  le  rat,  la  souris  et  le  tuco-tuco, 
rongeur  qui  mine  le  terrain,  se  trouvent  en  grand  nombre;  les  oiseaux 
de  toutes  sortes  y  abondent  :  vanneau,  bécassine,  flamont.  perroquet,  oie, 
canard,  chouette,  grive,  merle,  cygne,  etc. 

La  flore  est  peu  riche  :  deux  espèces  de  robles  (fagus  betuloides)  et 
(fagus  antarctica)  ;  une  espèce  de  magnolia  (Drimys  Wlnteri)  ;  un  petit 
arbuste  du  genre  caceolaria  et  les  broussailles,  composées  en  grande 
partie  de  Berberidœ,  d'Empetrum  et  de  Myrtus  nummularia.  Les  plantes 
qui  poussent  dans  le  vaste  territoire  que  nous  venons  de  parcourir  sont 
assez  semblables  à  celles  de  la  Patagonie  méridionale. 

Le  fer  se  trouve  partout  en  très  grande  quantité. 

L'or  est  aussi  en  plusieurs  points  de  l'île  ;  mais  le  manteau  aurifère  se 
présente  à  des  profondeurs  souvent  trop  grandes.  Aussi  les  mineurs  ne 
cherchent-ils  ce  précieux  métal  que  dans  les  falaises  de  la  plage  ou  dans  le 
lit  des  rivières.  Du  lignite  de  mauvaise  qualité  présente  quelques  affleure- 
ments sur  la  côte  de  l'Océan  Atlantique,  à  dix  milles  environ  au  sud  du  cap 
Spiritu-Santo. 

L'Avenir  de  la  Terre  de  Feu.  —  Cette  île  est  appelée  à  devenir,  dans 
très  peu  d'années,  une  immense  ferme  ;  l'exemple  est  déjà  donné  par  les 
Anglais  qui  s'y  installent. 


966  GÉOGRAPHIE 


M.   EONTES 

à  Toulouse. 


SUR     UNE     ILLUSION     D'OPTIQUE 


—  Séance  du  20  septembre  189i  — 

Les  personnes  qui  m'ont  entendu  dire  que  le  Canigou,  comme  cela 
doit  être,  paraît  grandir  quand  on  s'élève  du  pied  des  Albères  vers  leurs 
sommets,  m'ont  souvent  demandé  la  raison  de  cette  illusion  et  ont  quel- 
quefois fait  des  objections  à  ma  réponse. 

Il  ne  sera  donc  peut-être  pas  inutile  que  je  donne  ici  une  explication 
mathématique  de  ce  fait,  qui  n'est  pas  isolé.  Je  ne  saurais  affirmer  être 
le  premier  à  l'avoir  trouvée,  car  elle  est  si  naturelle  qu'on  doi*  y  avoir 
pensé  longtemps  avant  moi  ;  mais  je  la  vois  si  peu  répandue  pour  ne 
pas  dire  inconnue),  que  je  tiens  à  la  fournir  rigoureusement  exacte. 

Quand  une  même  personne  regarde  des  montagnes  assez  éloignées  pour 
qu'elle  n'ait  aucune  donnée  sur  leur  distance,  elle  apprécie  inconsciem- 
ment leurs  hauteurs  en  les  rapportant,  faute  de  points  de  comparaison, 
à  la  distance  de  sa  vision  distincte,  c'est-à-dire  qu'elle  compare  les  di- 
verses hauteurs  qu'elle  observe  comme  si  un  écran  transparent  était  placé 
devant  elle  à  cette  distance  de  vision  distincte  et  comme  si  son  cône 
visuel  laissait  une  trace  sur  ce  tableau  (1).  En  outre,  comme  son  œil  est 
mobile  dans  son  orbite,  au  moment  où  il  apprécie  une  hauteur  au  moyen, 
de  l'angle  des  deux  rayons  visuels  qui  comprennent  le  haut  et  le  bas 
de  l'objet  considéré,  le  tableau  idéal  se  transporte  avec  l'œil  toujours 
normalement  à  la  bissectrice  de  cet  angle,  à  une  distance  invariable  pour 
chaque  individu,  comme  s'il  était,  en  fait,  tangent  à  une  sphère  qui 
aurait  cette  distance  pour  rayon. 

On  peut  énoncer  brièvement  le  fait,  en  langage  mathématique,  en 
disant  que  lorsque  l'œil  manque  d'éléments  d'appréciation  de  la  distance 
d'un  objet,  il  le  projette  perspectivement  sur  un  tableau  à  la  distance  de 
sa  vision  distincte. 

C'est  pour  cette  raison  que  M.  le  commandant  Prudent  (2_)  recommande 

(1)  On  a  tiré  parti  de  cela,  à  une  certaine  époque,  pour  un  procédé  de  dessin. 

(2)  Annuaire  du  Club  alpin  français,  1884,  p.  468  à /,73. 


FONTES.    —   SUR   UiNE  ILLUSION    d'oPTIQUE  967 

d'exécuter  les  dessins  à  ce  qu'il  appelle  V échelle  naturelle,  lorsqu'ils  ne 
doivent  pas  être  vus  à  une  distance  différente  de  celle  de  la  vision  dis- 
tincte, et,  en  ce  qui  concerne  les  photographies,  si  on  veut  obtenir  une 
reproduction  saisissante  de  la  nature,  de  les  tirer,  ou  tout  au  moins  de 
les  reproduire  avec  des  objectifs  d'une  distance  focale  de  0"',2oà  0'",30{1). 

Il  résulte  de  ce  que  je  viens  de  dire  que,  pour  l'œil  qui  n'a  pas  un 
point  déterminé  de  comparaison,  la  mesure  de  la  hauteur  AB  (voir  la 
fii^ure  1),  d'un  objet  éloigné  est,  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  la  lon- 
gueur de  la  petite  hgne  ab,  comptée  sur  une  normale  à  la  bissectrice  de 
l'angle  AOB,  et  qu'on  aurait  menée  à  une  distance  op  de  l'œil,  égale  à 
celle  de  la  vision  distincte.  Si  on  prend  cette  distance  pour  unité 
linéaire,  ab  n'est  autre  chose  que  le  double  de  la  tangente  trigonomé- 
trique  de  la  moitié  de  l'angle  AOB,  ce  que  les  physiciens  appellent  le 
diamèlre  apparent  de  l'objet. 

J'ai  ainsi  la  donnée  mathématique  qui  me  permettra  de  résoudre  la 
question  que  je  me  propose,  c'est-à-dire  de  savoir  comment  paraît  varier 
la  hauteur  d'une  montagne  éloignée  quand  on  s'élève  sans  faire  varier  sa 
distance  en  plan.  Il  me  suffira  d'étudier  les  variations  de  la  tangente  tri- 
gonométrique  de  l'angle  sous  lequel  celte  hauteur  est  vue  à  une  distance 
constiinte  et  à  des  hauteurs  différentes. 


Un  calcul  très  simple  démontre  que  cette  tangente  atteint  un  maximum 
quand  on  se  place  à  mi-hauteur  de  l'objet  considéré,  supposé  vertical. 

Soit,  en  effet,  AB  =  H  la  hauteur  à  mesurer,  D  sa  distance  horizontale 
à  l'œil,  X  la  hauteur  de  celui-ci  au-dessus  du  point  A,  pied  de  la  hauteur, 
AOB  =  2a  l'angle  des  rayons  visuels  extrêmes.  Si  je  mène  OP  perpen- 
diculaire à  AB,  j'aurai  2x  =  AOB  =  AOP"+  POB,  d'où  : 


tg  2a  =:  tg  (AOP  -^  POB) 


tg  AOP 


tgPOB 


1  —  tgAOPtgPOB 


(1)  Je  crois  nécessaire  d'insister  sur  ce  point,  qui  est  la  base  physiologique  du  calcul  qui  va  suivre. 
Un  dessinateur  muni  d'une  feuille  de  papier  sufDsamment  grande  pour  ne  pas  être  gêné  et  qui  na 
pas  de  raisoQ  de  se  servir  dune  échelle  donnée,  ne  reproduit  pas  un  objet  très  éloigné  à  une  échelle 
arbitraire.  Il  emploie  à  son  insu  l'échelle  naturelle,  qui  est  personnelle  et  varie  d'un  individu  à  un 
autre. 


968  GÉOGRAPHIE 

Or,  les  deux  triangles  AOP,  BOP  me  donnent  : 

X      .      -<^rr  H  —  X 


tgAOF  =  f-,   tgAOP  -= 


°  D'     ° D 

donc  : 

X       H  —  X 


tS  2a  =  - 


"^ ""  a;  (H  —  .g)       D^  —  x (H  —  a;)' 

Le  maximum  de  tg  a  (1)  dans  les  conditions  concrètes  habituelles  du 
problème,  où  2a  est  toujours  très  petit,  coïncidera  toujours  avec  celai  de 
tg  2a,  dont  l'expression,  à  dénominateur  seul  variable,  nous  montre  que 
le  maximum  aura  lieu  quand  l'expression  (supposée  ici  positive),  de 
a?  (H — x),  atteindra  elle-même  son  maximum.  Or,  celle-ci,  qui  est  le 
produit  de  deux  termes  de  somme  constante  H,  prendra  sa  plus  grande 
valeur  quand  ses  deux  termes  seront  égaux  entre  eux,  c'est-à-dire  quand 

on  aura  :  a;  =  H  —  x,  d'où  :  a?  =  — • 

2 

Nous  voyons  dès  lors  comment  nous  paraîtra  varier  la  hauteur  d'une 
montagne,  au  fur  et  à  mesure  que   nous  nous  élèverons  sans  nous  en 
éloigner  ni  nous  en  rapprocher.   Elle  nous  semblera  grandir  en  même 
temps  que  nous  monterons,  jusqu'à  ce  que  nous  ayons  atteint  la  moitié 
de  sa  hauteur.  C'est  de  là  qu'elle  nous  paraîtra  le  plus  élevée,  et  cette  sen- 
sation d'augmentation  de  hauteur  sera  d'autant  plus  sensible  qu'elle  se 
mesurera  par  une  tangente  trigonométrique,  qui  croît  plus  rapidement  que 
l'angle  lui-même.  A  partir  de  ce  point,  si  nous  pouvons  continuer  notre 
ascension,  notre  illusion  ne  peut  que  tendre  à  se  dissiper,  et  une  fois  à  la 
même  hauteur  que  le  sommet  B,  la  montagne  devra  nous  apparaître  avec 
la  même  hauteur  que  lorsque  nous  la  considérions  de  la  plaine.  Gardons- 
nous  alors  de  nous  diriger  vers  un  sommet  plus  élevé  quelle  (2).  C'en 
serait  fait  de  son  prestige.  C'est  ainsi  que,  du  haut  du  Campbieil  (3.17o), 
le   Néouvielle  (3.092)  si  imposant  vu  du  Montpelat  (2.500),  (d'où  l'on 
aperçoit  les  abords  du  lac  d'Aumar  (2.215)  et  du  lac  d'Orédon  (1.870),  ne 
nous  apparaissait  plus  que  comme  une  petite  saillie  dans  une  longue  crête. 
On  s'explique  par  ce  qui  précède  comment,  du  haut  des  sommets  qui 
dominent  toute  une  région,  on  n'éprouve   pas   toujours   les   sensations 

(1)  Dont  il  serait  facile  de  voir  que  l'expression  peut  s'écrire: 

HD 


tga  =  ' 


D2  —  ir  (H  —  X)  -i-  y/H2u2  —  [D2  —  a;  (H  —  a;;]^' 
(2)  Voir  plus  bas  l'expérience  du  chapeau. 


FONTES.  —  SUR    UNE    ILLUSION    d'oPTIQUE  969 

qu'on  se  promettait,  et  comment,  si  la  vue  ne  domine  pas  une  étendue 
de  plaine  considérable,  on  subit  une  sorte  de  déception,  tandis  que  la 
vue  prise  du  haut  de  certains  pics  intermédiaires,  convenablement  placés, 
laisse  une  impression  ineffaçable. 

Pour  en  revenir  à  l'exemple  concret  que  je  citais  au  début  de  cette 

étude,  le  Canigou  (2.78o),  déjà  si  beau  vu  de  la  plaine  du  Roussillon,  à 

,des  altitudes  qui  ne  dépassent  pas    100  mètres,  prend  des   proportions 

grandioses  et  semble  un  géant   quand   on   le   contemple   du   haut   des 

crêtes  des  Albères,  à  des  altitudes  variant  de  1.000  à  1.2.^7  mètres. 

Les  monts  Maudits,  dont  le  point  culminant  est  le  Néthou  (3.404), 
offrent  un  panorama  splendide  du  haut  du  port  de  Vénasque,  où  la  xue 
peut  s'abaisser  à  des  altitudes  rapprochées  de  1.700  à  2.000  mètres,  et 
tout  le  monde  est  d'accord  pour  s'extasier  sur  leurs  beautés  quand  on 
monte  au  pic  de  Sauvegarde  (2.787)  qui  se  rapproche,  plus  que  le  port 
de  Vénasque,  de  la  condition  de  vue  prise  à  moitié  de  la  hauteur  visible. 

Je  n'aurais  que  le  choix  des  exemples  comme  vérification  de  mon  petit 
calcul,  qu'il  faut  avoir  soin  de  ne  prendre  que  comme  une  grossière 
approximation,  le  brutal  absolu  mathématique  ne  se  montrant  que  par 
exception  dans  la  nature,  et  différant  en  général  autant  de  la  réalité  qu'il 
nous  est  donné  d'observer,  que  mon  aride  schéma  coté  D,  H,  x,  diffère 
d'un  croquis  de  Yiollet-le-Duc  ou  d'une  des  belles  photographies  de  notre 
collègue  Trutat. 


-&' 


Expérience  du  chapeau  (1).  —  On  a  contesté  que  l'illusion  d'optique 
qu'entraîne  la  vision  des  monuments  élevés  ait  son  explication  dans  des 
considérations  géométriques  analogues  à  celles  que  je  viens  d'exposer.  Si 
des  objections  du  même  genre  m'étaient  faites,  je  répondrais  Ijue  ma 
théorie  explique  complètement  le  jeu  du  chapeau,  ainsi  défini  par  M.  A. 
Rémy  dans  le  numéro  de  la  Revue  scientifique  du  2o  mai  1889  (2)  : 

«  Il  consiste  à  demander  à  une  personne  d'indiquer  le  long  d'un  mur 
ou  des  parois  d'une  chambre  la  hauteur,  le  niveau  qu'atteindra  un  cha- 
peau à  haute  forme,  lorsqu'il  sera  placé  à  terre  tout  près  de  ce  mur. 
On  peut  affirmer  que  plus  de  neuf  fois  sur  dix,  on  estimera  cette  hauteur 
double  de  ce  qu'elle  est  en  réalité.  » 

La  physiologie  serait  peut-être  quelque  peu  embarrassée  pour  trouver 
un  moyen  de  calculer  ou,  tout  ou  moins,  de  justifier  ce  rapport  constant 
de  2  à  1.  Mon  calcul  va  pourtant  me  le  fournir  très  approximativement. 

J'ai  été  victime  moi-même  de  la  mystification  du  chapeau  et  voici 
comment  je  l'explique  : 


(1)  (2)  Voir,  au  sujet  de  la  vision  des  monuments  ôlevés,  la  lievue  scientifique  de  1889  :  l'usera.: 
p,  668  et  suiv.,  A.  Rémy;  p.  763,  E.  Bourdon.  —  2°sem.  :  p.  26,  E.  Rogier;  p.  237,  A.  Rémy; 
p.  633,  F.  Rozier  ;  p.  743,  V.  Egger. 


970 
Mon 


GEOGRAPHIE 

chapeau  a  16  centimètres  de  hauteur.  Mes  yeux  sont  approxima- 
tivement à  1^,60  du  sol.  Si  je  cherche 
à  quelle  distance  je  dois  m'approcher 
du  mur,  quand  on  m'a  montré  à  la  hau- 
teur de  mes  yeux  mon  chapeau  haut  de 
forme  (dont  j'applique  la  hauteur  à  ce 
niveau  sur  le  mur)  pour  qu'une  hau- 
teur double,  comptée  du  pied  du  mur, 
me  paraisse  double  de  celle-là  à  mon 
échelle  naturelle,  je  suis  conduit  au  cal- 
cul suivant,  trop  simple  pour  que  j'entre 
dans  des  explications  spéciales. 


Or 

^  Tv"    " 

°j= 

s 
1 

. 

i^ 

.  î'r^JS    ..    . 

y 

_Jt . 

FIG.  2. 


tgcc 


f  0,16      0,08 


X 

tg2a' 


X 


tg2a 


2  X  0,08  X  X 
x-"  —  (0,08/^  ' 

tg  (AOA)  =r  tg  (BÔB  —  XÔH). 


Or 


d'où  : 


tg  AOB  = 


1.60 


X 


tg'AOH  = 


1,60  —  0,32       1,28 


X 


X 


tg  2a'  = 


(1,60  — 1,28)  X  a; 


0,32a; 


X'' 


1,60X1,28 


x^  —  2,048 
L'illusion  se  produira  si  a  =  a',  ou  si  tg  2a  =  tg  2a';  c'est-à-dire  si  : 

2  X  0,08  y<x  _    0,32  X  x 
a;^  — (0,08)^   ~£c^  — 2,048' 

d'où  je  tire  :    x""  =  2,048  -f  (0,08)^  X  2,    et  enfin  :     x  =  l'",433... 

C'est,  en  effet,  à  peu  près  la  distance  à  laquelle  on  doit  s'approcher  du. 
mur  pour  déterminer  le  point  cherché  et  le  marquer  en  faisant  un  pas 
en  avant  et  en  se  baissant  sans  s'accroupir .  On  détermine  ainsi  une  dis- 
tance un  peu  plus  ou  un  peu  moins  grande  que  le  double  du  chapeau, 
suivant  qu'on  s'est  approché  du  mur  d'un  peu  plus  ou  d'un  peu  moins 
de  l"',43o. 

Si  on  s'approche  beaucoup  plus  près,  on  est  surpris  de  voir  jusqu'où 
l'erreur  (alors  supérieure  à  celle  du  double)  peut  atteindre . 

N'est-il  pas  permis  d'avoir  foi  dans  une  explication  qui  rend  compte 
de  l'illusion  avec  cette  précision  et,  devant  cette  coïncidence,  est-on  bien 
en  droit  de  dire  avec  M.  Rémy  (1)  qu'il  y  a  dans  ces  bizarreries  «  une 
modification  purement  physiologique  de  l'image  rétinienne  à  laquelle  les 
sciences  malhématiques  n'ont  rien  à  faire  »  ?... 


(1)  Rev.  scient.,  24  août  1889,  p.  237  et  sniv. 


G.    PÉRÈS.    —    LE    CHEMIN   DE    FER    TRANSSIBÉRIEN  971 


M.  a.  PÉEÈS 


Membre  de  la  Société  africaine  de  France, 
Président  de  la  Section  de  colonisation  à  la  Société  de  Topographie  de  France,  à  Paris. 


LE     CHEMIN     DE     FER     TRANSSIBÉRIEN 


—  Séance  du  iO  septembre  1892  — 


Deux  œuvres  colossales,  représentant  deux  des  plus  grands  efforts  paci- 
fiques tentés  jusqu'ici  en  matière  de  domination  coloniale,  nous  montrent 
la  puissante  vitalité  et  la  sauvage  énergie  de  la  race  slave. 

De  ces  deux  œuvres,  l'une  est  un  fait  accompli  —  et  qui  se  poursuit  encore 
en  ce  moment  :  c'est  le  chemin  de  fer  transcaspien  jusqu'à  Samarcamle  et 
bientôt  jusqu'à  Tachkcnt,  capitale  du  Turkestan  russe  ;  —  l'autre  est  un 
projet,  déjà  en  pleine  exécution  dans  une  grande  partie  :  c'est  le  chemin 
de  fer  transsibérien,  qui  doit  réunir  les  rives  de  la  Baltique  aux  rivages 
de  l'Océan  Pacifique,  c'est-à-dire  mettre  en  communication  directe  la 
Russie  avec  l'extrémité  orientale  de  la  Sibérie. 

On  sait  à  quelle  occasion  (expédition  de  Gœok-Toppé,  1880)  et  dans 
quelles  difQcultueuses  conditions  fut  accompli  ce  travail  énorme  du  chemin 
de  fer  transcaspien,  adopté  par  le  général  Skobeleff,  de  glorieuse  mé- 
moire —  <(  ce  rude  entraîneur  d'hommes,  dont  les  soldats  admiraient 
l'ardeur  et  suivaient  avec  enthousiasme  l'uniforme  blanc  »  —  et  exécuté 
par  le  général  Annenkoff  et  ses  troupes  avec  une  hardiesse  et  une  célé- 
rité qui  ont  stupéfié  l'Europe. 

Nous  n'insisterons  donc  pas  autrement  sur  des  faits  bien  connus  de 
tous  ceux  qui  ne  se  désintéressent  pas  des  grands  travaux  accomplis  par 
le  génie  civil  ou  militaire.  Nous  dirons  seulement  que  c'est  le  succès  de 
ce  chemin  de  fer  transcaspien  qui  a  inspiré  aux  Russes  un  projet  plus 
grandiose  encore  que  celui  exécuté  par  le  général  Annenkoff  dans  les 
steppes  turkmènes.  Tl  s'agirait  de  traverser  toute  la  Sibérie. 

Une  voie  ferrée  ininterrompue  unirait  les  côtes  de  la  Baltique  aux  rives 
du  Pacifique. 


•1 


972  GÉOGRAPHIE 


DE    LA    SIBERIE, 

La  Sibérie  représente  une  surface  de  13  à  14  millions  de  kilomètres 
,  carrés. 

Au  nord,  les  toundras,  c'est-à-dire  des  plaines  désertes,  marécageuses, 
sans  culture  ;  pas  d'arbres,  pas  de  pâturages,  quelques  lichens  seulement  ; 
pas  de  bétail  :  seuls,  quelques  rennes. 

Plus  au  sud,  la  zone  boisée,  avec  les  larges  fleuves,  encombrés  d'îles, 
et  qui  inondent  les  plaines  à  chaque  crue  printanière,  zone  caractérisée 
par  l'exagération  des  températures. 

Enfin,  une  troisième  zone,  celle  des  forêts,  puissantes,  susceptibles  d'ex- 
ploitation, parsemées  de  prairies  ;  zone  (Sibérie  méridionale)  où  «  des  étés 
chauds  et  fécondants  succèdent  régulièrement  aux  rigueurs  d'un  hiver 
de  six  à  sept  mois,  et  qui  présente  les  conditions  requises  pour  la  réus- 
site des  cultures  de  première  nécessité  (froment,  orge,  seigle,  avoine,  etc.), 
l'installation  de  différentes  industries  métallurgiques,  la  création  d'une 
colonie  nombreuse  et  florissante  »  (1). 

Voilà  la  Sibérie. 

C'est  dans  cette  zone  méridionale  que  se  trouvent  concentrés  presque 
tous  les  efforts  de  la  colonisation  sibérienne.  Limitée  par  la  frontière 
chinoise,  s'étendant  de  l'Oural  à  l'Océan  Pacifique,  elle  a  une  longueur 
de  8  à  9.000  kilomètres  ;  elle  est  appelée  à  jouer  un  rôle  important  comme 
trait  d'union  entre  l'Europe  et  l'Asie. 

Le  contraste,  qui  caractérise  la  Russie,  est  remarquable  également  en 
Sibérie,  «  cette  exagération  de  la  Russie  ». 

Au  nord,  des  plaines  uniformes. 

Au  sud,  un  terrain  accidenté. 

La  partie  occidentale  diffère  aussi  de  la  partie  orientale. 

A  l'ouest  de  l'Iénisséi,  qui  les  sépare,  le  sol  est  plat,  bas,  marécageux  ; 
à  l'est  du  fleuve,  le  sol  est  caillouteux,  tourmenté. 

De  ce  contraste,  deux  divisions  anciennement  :  la  Sibérie  occidentale  et 
la  Sibérie  orientale  ;  la  première  avec  Omsk  pour  chef-lieu,  la  deuxième 
avec  Irkoutsk. 

Depuis  les  progrès  de  la  Russie  en  Asie  centrale  et  dans  le  bassin  de 
l'Amour  (1860),  on  sait  que  la  Sibérie  est  divisée  administrativement 
ainsi  : 

Sibérie.  —  Deux  gouvernements  :  Tobolsk  et  Tomsk. 

Gouvernement  de  la  Sibérie  orientale.  —  Chefs-lieux  :  Iénisseisk, 
Irkoutsk,  Iakoutsk. 

(1)  Edgar  BouLA?<GiER,  Notes  de  voyage  en  Sibérie. 


G.    PÉRÈS.   —   LE    CHEMIN    DE    FER    TRANSSIBÉRIEN  973 

Gouvernement  général  de  l'Amour  et  du  Littoral  (Kamtchatka  et  Sakha- 
line).  —  Chef-lieu  :  Rhabarovka. 

La  Sibérie  a  fait  de  grands  progrès  depuis  la  conquête  accomplie  par 
les  Cosaques.  La  légende  qui  représente  la  Sibérie  comme  un  vaste  désert 
de  neiges  et  de  glaces,  habité  par  des  ours  blancs,  a  fait  son  temps. 

Elle  n'est  pas  non  plus  le  vaste  bagne  que  beaucoup  de  personnes 
s'imaginent. 

Il  faut  lire,  dans  l'excellent  ouvrage  déjà  cité  :  Notes  de  voyage  en  Sibérie, 
de  M.  Edgar  Boulangier,  le  distingué  ingénieur  des  Ponts  et  Chaussées 
qui  a  parcouru  la  Sibérie  en  savant  et  en  philosophe,  le  mode  tout  à  fait 
pratique  et  humanitaire  avec  lequel  sont  traités,  en  Sibérie,  les  condamnés 
politiques   et  de  droit  commun  transportés  dans  ces  lointaines  régions. 

On  y  verra  que  le  régime  de  la  transportation  a  contribué  aux  progrès 
de  la  Sibérie  en  fournissant  à  l'industrie  et  à  l'agriculture  les  bras  qui 
leur  manquaient  absolument. 

Des  colons  libres,  en  même  temps  que  des  colons  libérés,  se  sont  dé- 
finitivement fixés  en  Sibérie  occidentale  et  aussi  en  Sibérie  orientale, 
dans  la  vallée  de  l'Amour,  dans  les  plaines  de  l'Oussouri,  où  l'on  trouve 
le  climat  et  la  végétation  de  l'Extrême-Orient,  et  qu'on  a  appelées  le 
jardin  de  la  Sibérie. 

Des  établissements  d'instruction  ont  même  été  fondés  :  Tomsk  a,  de- 
puis 1888,  une  université. 

Indépendamment  de  régions  d'une  admirable  fécondité,  la  Sibérie  a  des 
mines  d'or,  des  mines  de  fer,  de  houille,  d'argent,  de  cuivre,  malheu- 
reusement mal  exploitées,  dans  l'Oural  et  dans  les  hauts  bassins  fluviaux. 

L'Oural  a  des  ressources  presque  inépuisables. 

En  1874,  on  a  découvert  le  bassin  houiller  d'Ekatérinebourg. 

Il  y  a  là  des  richesses  naturelles  qui  demanderaient  à  être  mieux 
exploitées,  mais  qui,  faute  de  bras  suffisants,  faute  de  moyens  de  com- 
munication indispensables,  restent  comme  abandonnées  par  l'industrie 
humaine. 

Car  ce  qui  manque  à  ce  pays  (la  Sibérie  méridionale)  appelé  à  un 
grand  avenir  industriel  (que  M.  Boulangier  n'hésite  pas  à  qualifier,  pour 
cette  raison,  de  véritable  Eldorado),  ce  qui  manque,  disons-nous,  à  ce 
pays,  ce  sont  les  voies  de  communication  faciles  Qi  rapides. 


INSUFFISANCE    DES    VOIES   DE   COMMUNICATION 

Les  fleuves  sibériens  se  jettent  dans  une  mer  dont  la  plus  grande 
partie  est  pratiquement  inaccessible  et  ils  sont  tous  bloqués  par  les  glaces 
pendant  plus  de  cinq  mois  par  an. 


974  GÉOGRAPHIE 

La  Lena  a  20  kilomètres  de  large,  mais  elle  n'est  navigable  que  pen- 
dant quatre  mois. 

Vlénisséi  et  son  affluent  VAngar^a  sont  navigables  jusqu'au  lac  Baïkal, 
nappe  d'eau  soixante  fois  plus  considérable  que  le  lac  de  Genève,  d'une 
profondeur  moyenne  de  250  mètres,  qui  atteint  parfois  1,300  mètres, 
qui  a  1.200  kilomètres  de  long  sur  plus  de  100  kilomètres  de  large, 
qui  a  une  foule  de  tributaires  et  qui  s'écoule  dans  l'Angara  par  un  large 
rapide  semé  d'écueils  dangereux  pour  la  navigation. 

Un  affluent  du  Baïkal,  la  Sélenga,  longue  de  1.000  kilomètres,  conduit 
jusqu'aux  marchés  chinois,  mais  les  glaces  y  interdisent  la  navigation 
pendant  cinq  mois  de  l'année,  de  novembre  à  mai. 

L'Obi  réunit  les  eaux  d'un  bassin  de  trois  millions  de  kilomètres  carrés; 
pendant  la  belle  saison,  la  navigation  y  est  très  active;  Y  Irtych,  son  tri- 
butaire, est  navigable  jusqu'à  Seniipalatinsk;  par  le  Tobol,  on  peut  gagner 
Tioumen,  au  pied  de  l'Oural,  Tioumen,  ville  de  20.000  habitants,  qui 
est  réunie  par  un  chemin  de  fer  à  Ekatérinebourg  et  à  Perm,  à  travers 
l'Oural. 

D'autre  part,  une  voie  ferrée  conduit  de  Samara,  sur  le  Volga,  par 
Oufa,  à  Zlataoust,  relié  par  une  route  à  Omsk  et  àTomsk. 

Que  de  difTicultés,  d'obstacles,  de  solutions  de  continuité  dans  cette 
traversée  de  la  Sibérie  de  l'est  à  l'ouest  ! 

La  voie  indispensable  qui  servira  de  débouché  aux  produits  sibériens 
devra  être,  dans  ces  conditions,  une  voie  de  terre,  reliée  au  réseau  russe 
par  Oufa,  Samara,  c'est-à-dire  par  la  portion  de  la  Sibérie  la  plus  fertile 
et  la  plus  peuplée. 

Quelle  sera  cette  voie  ? 

Une  grande  roule  de  terre  relie  l'Oural  à  l'Océan  Pacifique  et  porte  le 
nom  caractéristique  de  Irakt  postal. 


LE    TKAKT    POSTAL 

C'est  une  route  suivie  e/i  toute  saison  ^a.?  ïe  courrier  postal  russe. 

Cette  route,  la  plus  longue  du  monde  entier,  part  de  Tioumen,  gagne 
Omsk,  puis  Tomsk,  puis  Krasnoïarsk  et  Irkoutsk;  —  elle  trouve  ensuite 
devant  elle  le  lac  ^aAAa/,  dont  nous  avons  tout  à  l'heure  fait  mention,  et 
elle  doit  contourner  cette  nappe  d'eau  par  le  sud. 

Si  le  lac  est  libre  ou  gelé,  on  le  traverse  en  bateau  ou  en  traîneau  ; 
pendant  la  période  de  l'embâcle  (automne)  et  pendant  la  période  de  la 
débâcle  des  glaces  (printemps),  il  faut  contourner  la  pointe  méridionale 
du  lac. 

De  l'autre  côté  de  ce  lac  (que  les  indigènes  s'indignent  d'entendre  ap- 


916  GÉOGRAPHIE 

peler  un  lac  et  qu'ils  appellent,  eux,  une  mer,  o  swatoïé  moi^e  »  la  mer 
sainte),  de  l'autre  côté  de  ce  lac  immense,  le  trakl  postal  s'enfonce  dans 
les  montagnes  de  la  Transbaïkalie,  traverse  la  chaîne  des  monts  Jablonoï, 
gagne  Tchita,  puis  Strétinsk  (sur  la  Chilka),  tête  de  ligne  de  la  navigation 
de  l'Amour. 

A  Strétinsk,  navigation  jusqu'à  Blagovetchensk  et  Khabarovka  (au  con- 
fluent de  l'Amour  et  del'Oussouri),  on  remonte  l'Oussouri  jusqu'à  Boussé: 
on  est  transbordé  ensuite  sur  des  bateaux  de  petit  tonnage  qui  vont 
jusqu'au  lac  Khanka;  de  ce  point,  il  reste  encore  une  étendue  de  213  kilo- 
mètres à  franchir  par  terre  pour  arriver  enfin  à  Vladivostok  «  la  Domina- 
trice de  rOrient  »,  le  grand  arsenal  militaire  russe  du  Pacifique. 

Or,  pendant  huit  mois,  l'Amour  et  son  affluent,  l'Oussouri,  sont  fermés 
à  la  navigation  et  il  n'existe  aucune  route  praticable  à  un  véhicule  quel- 
conque. 

De  Khabarovka  à  Vladivostok,  la  route  de  terre  est  impraticable  pendant 
quatre  mois  environ,  à  cause  de  la  chute  ou  de  la  fonte  des  neiges. 

Donc,  il  est  indispensable  d'établir  une  voie  de  communication  perma- 
nente  entre  la  Russie  et  ses  lointaines  provinces  orientales. 

De  plus,  et  c'est  là  un  fait  qui  saute  aux  yeux  dès  qu'on  jette  un  re- 
gard sur  une  carte  de  la  Sibérie,  V oi^ientation  transversale  des  fleuves  et 
des  rivières,  descendant  du  sud  au  nord,  et  disposés  perpendiculairement 
à-  la  route  que  nous  venons  de  tracer  tout  à  l'heure,  est  une  gêne  au 
transit  longitudinal  qui  aurait  pu  s'établir  de  l'orient  à  l'occident,  suivant 
ce  long  couloir  naturel  dont  nous  avons  parlé  en  commençant,  c'est-à- 
dire  suivant  cette  zone  de  la  Sibérie  méridionale,  fertile,  saine,  parfaite- 
ment habitable,  qui  court  horizontalement  de  l'ouest  à  l'est,  sur  une 
longueur  de  7.200  verstes  environ  depuis  l'Oural,  c'est-à-dire  près  de 
8.000  kilomètres  (1  verste  :=  1.067  mètres.) 


NECESSITE  DU  TRANSSIBÉRIEN 

Il  est  donc  de  toute  évidence  que  des  considérations  d'ordre  économique, 
c'est-à-dire  le  développement  agricole,  industriel,  commercial,  eu  même 
temps  que  des  considérations  d'ordre  sti^atégique,  c'est-à-dire  la  conserva- 
tion toujours  précaire  des  provinces  éloignées,  et  aussi  des  considérations 
d'ordre  politique,  c'est-à-dire  le  resserrement  des  liens  trop  flottants  entre 
la  Sibérie  et  la  Russie  d'Europe,  miUtent  de  la  plus  énergique  façon  en 
faveur  de  la  construction,  et  de  la  construction  rapide,  d'un  chemin  de 
fer  transsibérien,  joignant  l'Oural  à  l'Océan  Pacifique. 

On  peut  aisément  prévoir  les  immenses  résultais  qui  en  découleront. 


PÉRÈS.    —    LE   CHEMIN   DE   FER   TRANSSIBÉRIEN  977 


SES    AVANTAGES,    ETC. 

Saint-Pétersbourg  et  Moscou  seront  mis  en  communication  avec  l'Ex- 
trême-Orient et  avec  le  grand  port  militaire  russe  de  Vladivostok  dont  la 
défense  sera  ainsi  assurée;  les  Russes  pourront  ensuite,  dans  le  cas  d'une 
guerre  avec  la  Chine,  ce  terrible  voisin,  amener  une  armée  rapidement 
sur  les  frontières  de  l'Empire  chinois. 

Au  point  de  vue  commercial,  le  chemin  de  fer  transsibérien  assurera 
à  la  Russie  la  situation  d'intermédiaire  entre  l'Europe  et  les  contrées  de 
l'Extrême-Orient,  telles  que  la  Chine  et  le  Japon.  Il  transportera  les  voya- 
geurs et  une  bonne  partie  des  marchandises  qui  actuellement  empruntent 
la  voie  de  mer  pour  se  faire  transporter  de  l'Europe  à  l'Extrême-Orient 
et  réciproquement.  Ainsi  de  Shanghaï  à  Londres,  le  trajet  est  actuelle- 
ment de  quarante-quatre  jours  par  le  canal  de  Suez  et  de  trente-quatre 
jours  par  le  chemin  de  fer  transcanadien.  Il  ne  sera  environ  que  de  vingt 
jours  par  le  Transsibérien. 

Ce  sont  principalement  les  marchandises  représentant  sous  un  petit 
volume  une  grosse  valeur,  comme  le  thé  et  la  soie,  qui  auront  avantage 
à  se  faire  transporter  par  ce  chemin  de  fer.  Or,  le  thé  et  la  soie  comptent 
pour  les  deux  tiers  des  exportations  chinoises. 

Donc  le  Transsibérien,  en  accaparant  le  transport  de  la  soie  et  du  thé, 
absorbera  près  des  deux  tiers  du  trafic  de  la  Chine  à  l'exportation. 

D'autre  part,  il  donnera  l'animation  et  la  vie  à  l'immense  Sibérie  (14  mil- 
bons  de  kilomètres  carrés  et  5  millions  d'habitants)  qu'on  peut  considérer 
comme  séparée  du  monde  civilisé,  avec  lequel  les  Sibériens  ne  peuvent 
communiquer  qu'avec  la  ligne  télégraphique  installée  il  y  a  quelques 
années . 

Le  Transsibérien  traversera  des  fleuves  nombreux  et  navigables  une 
bonne  partie  de  l'année;  ces  fleuves  ne  seront-ils  pas  pour  lui  autant 
d'afiluents  qui  lui  amèneront  du  fret? 

Les  habitants  de  la  Sibérie  sont,  du  reste,  si  bien  habitués  aux  énormes 
trajets  qu'on  peut  admettre  que,  de  oOO  verstes  de  chaque  côté  de  la  ligne, 
on  viendra  y  concentrer  les  marchandises  à  transporter,  lesquelles  étaient 
jusqu'alors  confiées  à  ces  caravanes  qui  traversent  l'Asie  au  pas! 

OPINION   DU    GÉNÉRAL   ANiNENKOFF 

«  Quand  j'ai  fait  le  Transcaspien,  disait,  il  y  a  quelque  temps,  à  Paris, 
le  général  Annenkofï",  le  pays  où  j'ai  jeté  cette  voie  ferrée  de  quinze  cents 
kilomètres   nétait  qu'an  désert.   3Iaintenant  on  y  plante  du  coton  qui 

62* 


978  GÉOGRAPHIE 

réussit  fort  bien.  Notre  Asie  centrale  produit  dix  fois  plus  de  coton  que 
lorsque  j'ai  commencé  la  construction  de  la  ligne  transcaspienne.  » 

Et  le  général  ajoutait  : 

«  Ou  disait  que  le  Transcaspien  serait  toujours  une  mauvaise  affaire  ; 
maintenant  le  chemin  de  fer  donne  3  0/0  aux  capitaux  engagés  dans  l'en- 
treprise. J'ai  établi  les  calculs  pour  le  chemin  de  fer  sibérien,  d'après  des 
données  précises  et  en  profitant  de  l'expérience  acquise  dans  la  construc- 
tion de  la  ligne  transcaspienne.  Le  Transsibérien,  si  on  le  fait  d'après 
mes  plans,  donnera  4  0/0,  ce  qui  sera  un  joli  résultat.  » 


DIFFICULTES 

Si  l'on  a  prévu  —  et  avec  raison  —  les  résultats  immenses  qui  découle- 
ront de  la  création  du  chemin  de  fer  transsibérien,  on  ne  s'est  pas  dissimulé 
un  seul  instant  les  énormes  dilïïcidtés  qui  accompagneront  son  exécution. 

Parmi  les  grandes  œuvres  accomplies,  jusqu'à  ce  jour,  dans  le  domaine 
des  chemins  de  fer,  il  faut  rappeler,  pour  mémoire  : 

1°  Le  Grand  Central  'Américain  (6.000  kilomètres),  de  New- York  à 
San-Francisco,  traversant  toute  l'Amérique  du  Nord; 

2°  Le  Grand  «  Canadian  Pacific  »  (traversant  toute  la  région  septen- 
trionale de  l'Amérique  du  Nord)  allant  de  Québec  et  Montréal  à  Vancouver, 
sur  la  côte  de  la  Colombie  anglaise; 

3°  Le  Chemin  de  fer  Transcaspien,  d\me  longueur  de  1.700  kilomètres, 
à  travers  les  steppes  du  Turkestan  (d'Ouzoun-Ada,  sur  la  Caspienne,  à 
Samarcande  et  Tachkent); 

4°  Le  Réseau  ferré  de  l'Hindoustan,  d'une  longueur  totale  de  plus  de 
6.000  kilomètres  ; 

Le  Chemin  de  fer  Transsibérien  (7.200  verstes  ou  7.600  kilomètres 
depuis  rOural,  et  9.000  verstes  ou  9.600  kilomètres  depuis  Moscou), 
dépassera  en  grandeur,  comme  en  difficultés,  tout  ce  qui  s'est  fait,  dans 
ce  genre,  jusqu'à  ce  jour. 

Il  y  a  déjà  quelque  vingt  ans  que  cette  question  du  Transsibérien  a 
été  agitée. 

Abandonné  momentanément,  le  projet  fut  repris  après  le  succès  du 
Transcaspien  ;  mais,  cette  fois,  par  les  autorités  impériales  elles-mêmes. 
En  1887,  un  comité,  institué  par  l'empereur  de  Russie,  émit,  à  la  suite  de 
sérieux  travaux  préparatoires,  l'avis  unanime  «  que  le  Grand  Central 
Sibérien  présentait  un  caractère  d'urgence  sous  le  double  rapport  straté- 
gique et  commercial  ». 

L'itinéraire,  sa   longueur,  étaient   tels  que   nous   les   avons  indiqués 


G.    PÉRÈS.    —    LE    CHEMIN'    DE    FER    TRANSSIRÉRIEN  979 

précédemment,  suivant  le  trakt  postal  et  longeant  le  plm  près  possible  la 
frontière  chinoise. 

Comme  on  ne  songeait  pas  à  construire  d'un  seul  coup  cette  immense 
voie  ferrée,  on  l'a  divisée  en  six  sections  : 


1"  Zlataoust  à  Kol.wane 1-500  verstes 

2°  Kolyvane  à  Irkoulsk 1.600  — 

3°  Irkoutsk  à  Stretinsk 1-200  — 

4"  Stretinsk  à  Khabarovka 2.000  — 

5°  Khabarovka  à  lîoussé -450  — 

6"  Boussé  à  Vladivostok ^00      — 

Longueur  totale 7.150  verstes 


Or,  sur  ces  six  sections,  ledit  Conseil  déclarait  qu'il  n'y  avait  lieu 
d'étudier  immédiatement  que  les  sections  comprises  entre  Kolyvane  et 
Irkout.sk,  entre  Boïarski  (rive  orientale  du  lac  Baïkal)  et  Stretinsk,  et  enfin 
entre  Boussé  et  Vladivostok. 

Le  long  des  autres  sections,  c'est-à-dire  entre  VOwml  et  Kolyvane, 
entre  Irkoutsk  et  Boïarski,  entre  Stretinsk,  Khabarovka  et  Boussé,  les 
communications  fluviales  pourraient  provisoirement  suppléer  le  chemin  de 
fer,  pendant  quatre  à  cinq  mois  de  la  belle  saison. 

Les  études  définitives  portant  sur  les  sections  indiquées  comme  urgentes 
ont  permis  aux  ingénieurs  d'affirmer  que  le  Transsibérien  était  faisable, 
mais  non  sans  beaucoup  de  dépenses  (322  millions  de  roubles  environ) 
et  non  sans  de  grosses  difficultés. 

Trois  ordres  de  difficultés  :  les  unes  tiennent  à  la  configuration  du 
terrain;  dans  certaines  parties,  on  traverse  des  montagnes,  des  ravins,  des 
torrents,  des  fleuves  très  larges  et  rapides  qui  exigeront  de  nombreux 
ouvrages  d'art  :  ponts,  tunnels,  etc.  Dans  la  partie  occidentale,  la  ligne 
se  développe  dans  d'interminables  plaines,  mais  dans  la  partie  orientale, 
vers  le  lac  Baïkal,  et  au  delà,  dans  la  région  de  la  Transbaïkalie,  la  ligne 
rencontre  dans  les  massifs  montagneux  des  Jablonoï,  qui  se  redressent 
brusquement  vers  le  nord-est,  de  gros  obstacles  difficiles  à  vaincre  ou  à 

tourner. 

Les  autres  dilficLdtés  tiennent  au  climat.  Ainsi,  dans  la  région  située 
au  delà  de  Tomsk,  la  neige  qui  couvre  la  terre  sur  une  épaisseur  quel- 
quefois de  deux  mètres,  se  réduit,  sous  l'action  des  grands  froids,  en  une 
fine  poussière  qui,  poussée  par  le  vent,  se  met  à  marcher,  comme  disent 
les  habitants  du  pays.  Ces  derniers,  pour  l'arrêter,  doivent  élever  des 
palissades,  faire  des  plantations,  et  construire  même  des  murailles  avec 
des  blocs  de  neige  soudés  entre  eux  non  avec  un  enduit  hydraulique, 
mais  avec  de  l'eau. 


980  GÉOGRAPHIE 

Les  blocs  de  neige  bien  tassés  sont  arrosés  avec  de  l'eau  qui  se  gèle 
immédiatement  et  soude  les  blocs  entre  eux  mieux  que  le  meilleur 
ciment.  C'est  ce  procédé  dont  il  faudra  se  servir  pour  assurer  la  circulation 
des  trains  et  la  sécurité  des  voyageurs  sur  cette  section. 

Enfin,  un  troisième  ordre  de  difficultés  proviendra  des  hommes,  des 
travailleurs.  En  effet,  une  ligne  aussi  longue  ne  saurait  être  construite 
comme  les  lignes  d'Europe,  comme  le  Transcaspien  même,  c'est-à-dire  par 
avancement,  en  poussant  toujours  les  travaux  devant  soi  et  en  se  servant 
de  la  voie  déjà  construite  pour  amener  les  matériaux  de  la  voie  à 
construire.  Cela  demanderait  trop  de  temps.  Il  est  indispensable  (et  c'est  ce 
qui  se  pratique,  à  l'heure  qu'il  est)  d'amorcer  la  voie  par  divers  côtés  et 
d'ouvrir  plusieurs  chantiers. 

On  conçoit  que,  dans  ces  conditions,  il  faut  un  nombre  considérable 
d'ouvriers,  nombre  d'autant  plus  considérable  que  la  saison  propre  au 
travail  est  fort  courte  (quatre  mois  par  an  environ)  et  qu"il  faudra  mettre, 
pendant  le  temps  propice,  trois  et  quatre  fois  plus  d'ouvriers  que  si  l'on 
pouvait  travailler  tout  le  long  de  l'année. 

Ainsi  on  a  calculé  que,  pour  la  seule  section  de  Kolyvane  à  Irkoutsk 
(1.600  verstes, avons-nous  dit),  il  faudrait 9o. 000  ouvriers  et  5.000chevaux. 
Or  la  population  du  pays  ne  fournirait  jamais  plus  du  tiers  de  ce  nombre  ; 
il  faudra  donc,  soit  en  favorisant  par  des  conditions  exceptionnellement 
avantageuses  l'émigration  des  moujiks  russes,  soit  en  amenant  de  Russie 
des  travailleurs  qui  seraient  rapatriés  en  hiver,  enfin  par  des  moyens  qui 
sont  de  la  compétence  du  gouvernement  russe,  il  faudra  trouver  le  contin- 
gent des  travailleurs  indispensable  au  mieux  des  intérêts  du  Trésor  et  de 
la  colonisation  sibérienne. 


ÉTAT   ACTUEL  DES   TRAVAUX    (1892) 

Il  y  a  un  an  environ,  deux  cents  kilomètres  étaient  déjà  achevés  dans 
la  section  de  Boussé  à  Vladivostok,  la  sixième  section,  la  plus  urgente  de 
toutes  (aucune  voie  n'étant  praticable  à  un  véhicule  quelconque  dans 
cette  partie,  soit  au  moment  de  la  chute  des  neiges,  soit  au  moment  de 
la  fonte,  et  la  région  se  trouvant  de  ce  fait,  absolument  isolée  pendant 
deux  périodes  assez  longues  de  l'année). 

A  l'heure  où  nous  écrivons  ces  lignes  (septembre  1892),  un  décret  vient 
d'ordonner  l'inauguration  des  travaux  de  la  section  qui  va  de  Tchélia- 
binsk  à  Omsk,  par  Kourgan  et  Pétropawlosk,  soit  environ  480  kilomètres 
de  longueur,  dont  la  dépense  est  évaluée  à  56  millions  de  francs.  C'est 
le  gouvernement  lui-même  qui  se  charge  de  la  construction,  évitant  ainsi 
la  spéculation,  soit  russe,  soit  étrangère. 


G.  PÉRÈS.    —  LE  CHEMIN  DE    FER   THANSSIBÉRIEN  981 

On  peut  afUrmer  que  dès  à  présent,  en  Sibérie,  les  études  détaillées 
du  tracé  sont  terminées  sur  une  étendue  de  1.600  kilomètres  environ, 
dans  la  partie  occidentale,  jusqu'au  bord  de  la  rivière  de  Tom  (affluent  de 
rObi)  que  la  voie  franchira  à  80  vcrstes  à  peu  près  (c'est-à-dire  80  kilo- 
mètres) de  la  ville  de  Tomsk.  L'année  prochaine,  seront  effectués  les 
travaux  entre  Onisk  et  la  rivière  de  Tom.  Dès  maintenant,  de  Zlataoust 
(Oural)  à  Omsk,  les  travaux  sont  commencés  sur  une  longueur  de  900  kilo- 
mètres, et  (dans  la  partie  orientale)  de  Vladivostok  à  Grasskoé  sur  uni' 
étendue  de  plus  de  400  kilomètres;  on  étudie  le  passage  de  la  voie  au 
confluent  de  lAmour  et  de  l'Oussouri,  à  peu  de  distance  de  Khabarovka 
dans  une  portion  où  le  fleuve  Amour  atteint  une  largeur  moyenne  de 
8  kilomètres  ! 

L'été  prochain,  on  estime  que  1.600  kilomètres  de  voie  ferrée  seront 
déjà  livrés  à  la  circulation,  et  l'on  compte  établir,  à  la  même  date, 
7o0  kilomètres  de  voie  nouvelle.  Il  restera  encore  4.0OO  kilomètres  de 
voie  nouvelle  à  établir  ;  mais  il  ne  faut  pas  perdre  de  tue  qu'on  aura 
dès  lors  sous  la  main  tout  le  matériel  nécessaire  ;  le  Gouvernement  aura 
réuni  le  contingent  de  travailleurs  nécessaire  (émigrants,  russes  ou  chinois 
déportés,  etc.)  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure  ;  de  plus  on  aura  l'expé- 
rience acquise,  facteur  important,  et  les  premiers  bénéfices  de  la  voie  déjà 
livrée  à  la  circulation. 

Enfin,  les  ingénieurs  de  l'État  calculent  que  toute  la  ligne  serait  achevée 
dans  six  ans,  ce  qui  permet  de  croire  qu'en  1898  on  pourra  traverser  en 
wagon  toute  l'Europe  et  toute  l'Asie,  depuis  Cadix  jusqu'à  Vladivostok,  en 
face  des  côtes  du  .Japon  ! 

C'est  là  un  résultat  merveilleux  qui  permet  de  dire  hautement  que  si 
le  mot  impossible  n'est  pas  français,  ce  mot  n'est  pas  russe  non   plus. 


PROJKTS  DES   CHEMINS  DE  FEU  ANTAGONISTES    CHINOIS 

Nous  no  saurions  terminer  ce  court  aperçu  sur  le  chemin  de  fer  trans- 
sibérien sans  dire  un  mot  d'une  ligne  ferrée  qui,  pour  l'intérêt  général 
et  même  pour  l'intérêt  particulier  de  la  Russie,  eût  pu  rendre  peut-être 
plus  de  services  encore  que  le  Transsibérien.  C'est  la  ligne  qui  se  serait 
appelée  le  Grand  central  Asiatique.  Cette  ligne  bifurquant  avec  le  transsi- 
bérien à  Boïarski  (lac  Baïkal),  aurait  remonté  la  vallée  de  la  Sélenga, 
rivière  tributaire  du  lac  Baïkal,  aurait  franchi  la  frontière  chinoise,  en 
prenant  alors  une  direction  sud-est,  aurait  suivi  la  route  postale  qui 
traverse  la  Mongolie  et  va  de  Ourga  à  Pékin  (voir  le  croquis  p.  97o). 

Le  désert  de  Gobi  (qui  ne  renferme  pas  de  sables  mobiles)  aurait  rendu 
la  construction  relativement  très  facile. 


982 


GEOGRAPHIE 


Il  y  ëûl  eu  là,  pour  l'entreprise,  une  économie  de  temps  et  une  économie 
d'argent,  d'autant  mieux  que  cette  voie,  ne  devant  pas  passer  uniquement 
en  territoire  russe,  eût  eu  2.000  kilomètres  environ  de  moins  que  le  Grand 
central  Sibérien  adopté  otriciellement. 

On  aurait  pu  croire  un  moment  que  ce  projet  du  Gra^id  central  Asia- 
tique aurait  passé  à  l'exécution,  sans  que  les  Chinois  y  missent  d'opposi- 
tion. Les  Russes,  en  effet,  jouissent  auprès  du  Céleste  Empire  d'un  grand 
prestige  ;  les  Chinois  leur  ont  accordé,  au  point  de  vue  commercial 
(importation  et  exportation)  des  franchises  complètes;  le  service  postal 
jusqu'à  Pékin  a  été  confié  à  l'administration  d'employés  russes.  Malgré 
leur  prestige  cependant,  malgré  ces  avantages  exceptionnels  et  ces 
faveurs  largement  accordées,  il  eût  été  presque  certain  qu'au  moment 
de  demander  d'une  façon  définitive  à  la  Chine  l'établissement  de  cette 
voie  ferrée  sur  son  territoire,  les  Russes  s'en  seraient  vu  refuser  catégo- 
riquement l'autorisation. 

En  effet,  les'  autres  puissances,  ne  s'apercevant  pas  qu'elles  faisaient, 
dans  cette  circonstance,  le  jeu  de  l'Asie  contre  l'Europe,  ont  maladroite- 
ment excité,  à  ce  sujet,  les  inquiétudes  et  la  défiance  du  gouvernement 
chinois.  Elles  ont  poussé  ce  dernier  à  prendre  lui-même  l'initiative  des 
premières  voies  ferrées  ;  or,  ces  voies  ferrées,  loin  d'être  favorables  à  la 
pénétration  de  la  Chine  par  les  Russes,  peuvent  être  considérées,  au 
contraire,  comme  une  menace  directe  contre  l'arsenal  russe  de  Vladi- 
vostok. 

Deux  projets  sont  étudiés  : 

1"  De  Pékin,  par  Moukdeii,  Ghirine,  Ningouta,  à  San-Sing  ; 

2°  De  Pékin,  par  Bodouné,  à  San-Sing.  (Voir  le  croquis.) 

Avec  l'un  et  l'autre  tracé,  la  ligne  ferrée  chinoise  pénètre  en  Mandcliou- 
rie,  se  place  entre  Vladivostok  et  le  reste  du  territoire  russe,  si  bien 
qu'en  cas  d'une  guerre,  tandis  que  la  flotte  russe  de  Vladivostok  se  trou- 
verait immobilisée  par  un  puissant  allié  des  Chinois,  l'armée  continentale 
chinoise  s'efforcerait  d'empêcher  les  Russes  de  venir  de  l'ouest  au  secours 
de  leur  territoire  extrême-oriental. 

Bien  mieux,  il  pourrait  arriver  qu'un  jour,  suffisamment  formés  à  l'é- 
cole des  Européens,  excités  secrètement  par  quelqu'une  de  ces  maladroites 
puissances,  inconsidérément  égoïste,  dont  nous  parlions,  les  Chinois,  non 
contents  de  menacer  les  iiusses  en  Sibérie,  menacent  l'Europe  entière. 

Les  quatre  cents  raillions  de  Chinois  qui  somnolent  dans  une  demi- 
léthargie  ne  se  réveilleront-ils  pas  quelque  jour?  Et  alors  qui  peut  affirmer 
qu'un  nouveau  déluge  de  quelque  vingt  millions  d'hommes  jaunes  repre- 
nant, malgré  toutes  les  difficultés  topographiques  rencontrées,  sa  route 
habituelle,  n'inondera  pas  encore  l'Europe  civilisée,  détruisant  tout  sur 
son  passage  et  faisant  reculer  l'humanité  de  plusieurs  siècles  en  arrière  ? 


G,    PÉRÈS.  LE    CHEMIN    DE    FEU    TI'.ANSSIBÉRIEN  983 

La  rivalité  des  États,  leur  jalousie,  leurs  divisions  intérieures  et  le 
mercantilisme  aveugle  de  certains  seraient  autant  d'auxiliaires  de  ces 
nouveaux  envahisseurs. 

Et  ne  suffirait-il  pas  de  quelque  Asiatique  fanatique  et  doué  d'une  sau- 
vage énergie  pour  soulever  ces  masses  humaines,  comme  autrefois  Gen- 
gis-Khan  et  ses  hordes  mongoles? 


CONCLUSION 

Telles  sont  les  hypothèses  émises  par  M.  Edgar  Boulangier,  dans  son 
livre  Notes  de  voyage  en  Sibérie,  livre  si  instructif,  dont  nous  avons  déjà 
plusieurs  fois  fait  mention  et  dont  nous  recommandons  la  lecture  à  tous 
les  esprits  sérieux. 

Ces  hypothèses  ne  sont  pas  invraisemblables;  elles  valent  la  peine 
qu'on  y  prête  une  sérieuse  attention,  et  les  puissances  civilisées  de  l'Europe, 
au  lieu  d'inquiéter  la  vénérable  Chine  dans  son  sommeil,  devraient  se 
montrer  reconnaissantes  à  la  Russie  du  rôle  bienfaisant  qu'elle  peut  être 
appelée  à  jouer  un  jour  envers  la  civilisation  occidentale. 

En  effet,  dans  la  terrible  éventualité  d'une  guerre  non  seulement  avec 
la  Russie  en  Sibérie,  mais  encore,  comme  nous  venons  de  le  dire,  avec 
toute  l'Europe  peut-être,  le  chemin  de  fer  transsibérien  sera  d'une  sin- 
gulière efficacité  pour  repousser  l'invasion. 

Passant  heureusement  en  territoire  purement  russe,  complétée  par  la 
ligne  des  steppes  khirghiz  et  par  le  Transcaspien  prolongé  vers  l'Inde, 
la  ligne  transsibérienne  formera,  dit  très  bien  M.  l'ingénieur  Boulangier, 
<(  la  branche  maîtresse  d'une  gigantesque  tenaille  qui  enserrera  l'Empire 
chinois  par  le  nord,  par  l'ouest  et  le  sud-ouest;  voie  défensive  par  ex- 
ceWence, parce  qu'elle  loii(]e  la  frontière  chinoise,  elle  permettra  de  porter 
en  temps  utile  aux  brèches  qui  coupent  cette  frontière  les  armées  de  plus 
en  plus  nombreuses  que  la  Russie  pourra  mettre  sur  pied.  Les  chemins 
de  fer  khirghiz  et  transcaspien  joueront  le  même  rôle  en  face  de  la  Mon- 
golie. » 

Instinct  ou  longue  prévoyance  de  sa  part,  la  Russie  nous  paraît  accom- 
plir dans  cette  œuvre  colossale  du  Transsibérien  et  de  la  Colonisation  de 
la  Sibérie,  une  mission  bienfaisante  pour  l'humanité. 

Les  peuples  civilisés  du  monde  moderne  ont  le  devoir  d'applaudir  à. 
ses  efîorts,  d'admirer  son  énergie  dépensée,  ses  sacrifices  accomplis  en 
vue  du  progrès. 


984  GÉOGRAPHIE 


M.  Edouard  BLÂIC 

chargé  de   Mission   scientifique,   à   Paris. 


SUR  UNE  CAUSE  D'ERREUR  DANS  LES  LEVES  TOPOGRAPHIQUES  FAITS  DANS  LES 
RÉGIONS  DE  MONTAGNES  ET  PARTICULIÈREMENT  EN  ASIE  CENTRALE 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 

Parmi  les  pays  dont  la  géographie  est  à  l'ordre  du  jour  en  ce  mo- 
ment, on  peut  citer  en  première  ligne  le  Pamir  et  la  région  montagneuse 
qui  forme  le  centre  du  continent  asiatique.  A  ce  propos,  j'ai  l'honneur 
d'appeler  l'attention  de  l'Association  sur  un  phénomène  naturel  dont  les 
conséquences,  peu  marquées  dans  les  pays  européens,  peuvent  avoir  une 
grande  importance  quand  il  s'agit  de  la  cartographie  de  certaines  autres 
contrées. 

Si  l'on  considère  une  carte  d'Asie,  on  voit  que,  dans  aucune  région  du 
globe,  l'orographie  ne  présente  autant  d'importance  que  dans  la  partie 
centrale  de  ce  continent,  où  s'entre-croisent  les  chaînes  de  montagnes  les 
plus  considérables  du  monde,  non  seulement  par  leur  altitude,  mais  aussi 
par  leur  largeur,  par  leur  masse,  en  un  mot  par  l'ensemble  de  leur  relief. 

Grâce  aux  importants  travaux  cartographiques  qui  ont  été  exécutés 
durant  ces  dernières  années,  d'un  côté  par  les  Russes,  et  de  l'autre  par  les 
Anglais,  la  géographie  physique  de  l'Asie  centrale  commence  à  être  assez 
bien  connue,  et  l'on  possède  maintenant  des  cartes  assez  complètes  de 
ses  diverses  parties.  Si  l'on  jette  les  yeux  sur  l'une  de  ces  cartes  (sur  celles 
que  voici,  par  exemple,  qui  ont  été  dressées  avec  grand  soin  par  l'état- 
major  russe),  on  voit  que  les  points  les  plus  remarquables  sont  affectés 
d'une  cote  indiquant  leur  altitude.  Les  chiffres  de  ces  cotes  sont  très 
élevés  :  certains  de  ces  points  constituent  les  plus  hautes  saiUies  de 
l'écorce  terrestre:  ces  chiffres  sont  donc  importants,  non  seulement  au 
point  de  vue  de  la  topographie  locale,  mais  même  au  point  de  vue  de  la 
géographie  générale  du  globe.  Dans  ces  conditions,  on  est  porté  à  ad- 
mettre a  j)riori  que  ces  cotes  ont  été  déterminées  avec  le  plus  grand  soin 
possible,  et  c'est  en  effet  ce  que  l'on  s'est  efforcé  de  faire.  Cependant  si 
l'on  compare  entre  elles  plusieurs  cartes  des  mêmes  localités,  on  trouve 
entre  les  cotes  qu'elles  donnent  respectivement  pour  un  même  point,  des 
différences  considérables.  Pour  n'en  citer  qu'un  exemple  emprunté  à  la 


É.    BLANC.  —  LEVP'S  TOPOGRAPHIQUES  EN  ASIE  CENTRALE       98o 

partie  nord  du  Pamir,  je  dirai  que  le  eol  de  Terek-Davan,  qui  porte,  sur 
la  carte  à  — ' —  de  rétat-maior  russe,  la  cote  de  12. "00  pieds,  porte  sur 

.'i20. 0(1(1 

celle  du  général  Kouropatkine  la  cote  de  13.700,  et  les  observations  baro- 
métriques que  j'ai  faites  moi-même  en  ce  point  tendraient  à  indiquer  un 
troisième  chitïre. 

Le  même  désaccord  existe  en  ce  qui  concerne  les  cols  aussi  bien  que 
les  sommets  des  grandes  chaînes  de  l'Himalaya,  du  Tian-Chan,  etc.. 

D'aussi  grandes  différences  dans  l'altimétrie  semblent  peu  explicables, 
surtout  si  l'on  considère  avec  quelle  exactitude  relative  a  été  relevée  la 
topographie  planimètrique  des  mêmes  régions,  du  moins  dans  leurs  par- 
ties accessibles.  L'état-major  russe,  en  particulier,  a  couvert  certaines  par- 
ties du  massif  central  asiatique  d'un  véritable  réseau  trigonométrique  fort 
exactement  établi  et  dont  les  éléments  ont  été  calculés  avec  le  plus  grand 
soin  et  avec  une  remarquable  exactitude.  Les  observations  ont  été  ratta- 
chées par  des  chaînes  de  triangles  à  l'observatoire  de  Tachkent,  qui  est 
devenu  le  centre  géographique  le  plus  important  de  toute  l'Asie.  Or,  il 
semble  que,  tout  en  faisant  leurs  levés  trigonométriques,  les  topographes 
chargés  de  cette  tâche  devaient  pouvoir,  en  visant  les  principaux  som- 
mets des  montagnes  environnantes,  faire  une  série  d'observations  éclimé- 
triques  conduisant  à  des  résultats  très  suffisamment  précis,  et  ne  pouvant 
donner  lieu  à  des  erreurs  de  l'ordre  de  celles  qui  viennent  d'être  indi- 
quées plus  haut.  Il  n'en  est  rien,  et  toutes  les  cotes  si  importantes  que 
nous  voyons  marquées  sur  les  cartes  de  ces  contrées  ont  été  déterminées, 
paraît-il,  non  pas  par  des  nivellements  faits  de  proche  en  proche,  mais 
tout  simplement  par  des  observations  barométriques,  ce  qui  explique  leur 
inexactitude. 

Il  est  naturel  de  se  demander  pourquoi,  du  moment  que  des  topo- 
graphes ont  fait  dans  le  pays  de  nombreux  cheminements,  ils  n'ont  pas 
employé  de  procédés  plus  exacts  que  la  méthode  barométrique.  La  cause 
en  est.  tout  simplement  que,  dans  les  conditions  physiques  où  ils  opé- 
raient, la  méthode  des  visées  éclimétriques  aurait  donné  des  résultats  plus 
inexacts  encore  que  le  système  du  baromètre. 

Cette  aflîrmation  peut  paraître  paradoxale  ;  elle  est  cependant  exacte 
pour  les  régions  dont  il  s'agit. 

En  effet,  les  topographes  russes  ont  constaté,  et  j'ai  eu  l'occasion  d'ob- 
server par  moi-même,  que,  dans  la  région  montagneuse  qui  occupe  tout 
le  centre  du  continent  asiatique,  l'attraction  exercée  par  les  massifs  ou 
par  les  chaînes  de  montagnes  est  suffisante  pour  dévier  très  fortement  la 
direction  de  la  verticale  apparente.  Cette  cause  de  perturbation  dans  les 
instruments  géodésiques  était  déjà  connue  et  elle  a  déjà  été  signalée 
depuis  longtemps  à  propos  des  levés  faits  dans  les  régions  montagneuses 
de  l'Europe,  dans  les  Alpes  ou  dans  les  Pyrénées,  par  exemple. 


986  GÉOfiRAPH!!: 

Mais  les  plus  importantes  chaînes  de  l'Europe  sont  bien  inférieures 
aux  massifs  montagneux  de  l'Asie  centrale,  non  seulement  par  leur  hau- 
teur, mais  aussi  par  leur  épaisseur,  et,  ce  qui  contribue  encore  à  en  rendre 
l'action  moins  sensible,  c'est  que,  d'une  part,  leur  masse  est  moindre  et 
que,  d'autre  part,  l'on  n'y  trouve  jamais  d'escarpements  verticaux  com- 
parables en  dimensions  à  ceux  qui  sont  si  fréquents  dans  les  montagnes 
de  l'Asie,  c'est-à-dire  que  l'on  n'y  trouve  pas  de  masses  aussi  considé- 
rables exerçant  leur  action  sur  les  instruments  h  aussi  courte  distance, 
d'une  façon  aussi  directe  ni  aussi  dissymétrique.  Nous  n'avons  rien  en 
Europe  qui  soit  comparable,  comme  inégalités  dans  le  relief  terrestre, 
au  plateau  du  Thibet,  ni  au  nœud  montagneux  du  Pamir,  ni  aux  chaînes 
de  l'Himalaya,  de  l'Hindou-Kouch  ou  du  Tian-Chan.  Or  l'attraction  est, 
comme  on  le  sait,  inversement  proportionnelle  au  carré  des  distances 
oîi  elle  s'exerce. 

Cette  cause  d'erreur,  relativement  négligeable  dans  la  cartographie  euro- 
péenne, prend,  dans  les  montagnes  de  l'Asie  centrale,  une  telle  impor- 
tance que  l'altimétrie  exacte  en  est  pour  ainsi  dire  rendue  impossible  et 
qu'on  en  est  réduit  aux  insuffisants  procédés  barométriques,  à  moins  que 
l'on  ne  veuille  faire  des  cheminements  en  déterminant  en  chaque  point 
la  direction  véritable  de  la  verticale  par  des  observations  astronomiques, 
procédé  qui  exigerait  un  tel  temps,  qu'on  peut,  a  priori,  le  déclarer  à  peu 
près  inapplicable  dans  la  pratique. 

Cependant  la  connaissance  du  relief  exact  de  la  partie  de  l'écorce  ter- 
restre dont  il  s'agit  aurait  une  incontestable  importance  pour  la  géogra- 
phie, car  c'est  là  que  s'est  exercée  la  plus  grande  poussée  géologique  qui 
ait  refoulé  la  surface  du  globe,  c'est  là  que  les  phénomènes  de  défor- 
mation de  la  sphère  terrestre  ont  été  les  plus  intenses. 

Dans  ces  conditions,  ce  serait  à  ceux  qui,  comme  nous,  s'occupent  spé- 
cialement de  la  partie  théorique  de  la  géographie,  qu'il  appartiendrait  de 
remédier  à  l'obstacle  en  question  par  l'invention  d'instruments  ou  de 
méthodes  de  correction  convenablement  appropriés. 

Je  prends  la  liberté  d'appeler  sur  ce  point  l'attention  du  groupe  géo- 
graphique du  Congrès  et  en  même  temps  de  lui  signaler  sur  quelles 
bases  pourrait  être  établi,  selon  moi,  le  principe  d'un  instrument  comme 
celui  dont  il  s'agit.  A  première  vue,  lorsque,  sur  place,  j'ai  cherché  à 
combiner  une  disposition  permettant  de  corriger  l'erreur  en  question,  il 
m'a  semblé  qu'un  instrument  muni  de  deuxhmbes,  l'un  vertical  et  l'autre 
horizontal,  ou  bien  d'un  système  de  miroir  et  d'un  perpendicule  quel- 
conque pouvait  par  retournement  de  180  degrés  ou  par  rotation  autour 
d'un  axe  vertical,  indiquer  l'erreur  à  corriger.  En  effet,  sans  entrer 
dans  aucun  détail  d'opération  préjugeant  l'emploi  de  tel  ou  tel  instrument 
en  particulier,  il  est  bien  clair  que  si  l'on  stationne  au  pied  d'un  escar- 


É.  BLANC.  —  LKVÉS  TOPOGRAPHIQUES  EN  ASIE  CENTHALE      987 

pement  ou  d'une  masse  montagneuse  située  à  gauche  de  l'opérateur  par 
exemple,  et  exerçant  par  conséquent  sur  un  perpendiculo  adapté  à  son 
instrument  une  déviation  vers  la  gauche,  puis  si  l'on  retourne  la  lunette 
ou  l'alidade  de  180  degrés,  de  manière  à  avoir  la  même  montagne  à  sa 
droite,  en  visant  les  mêmes  points,  le  fil  à  plomb  sera  dévié  vers  la  droite 
de  l'opérateur  :  on  fera  alors  revenir  la  lunette  sur  le  point  visé  primitive- 
ment en  faisant  tourner  l'instrument  tout  entier,  et  il  sufïira  de  diviser 
par  2  l'écart  entre  ces  deux  positions  pour  avoir  la  déviation  absolue  de 
la  verticale.  Comme  cette  déviation  peut  ne  pas  être  dans  le  plan  vertical 
qui  est  normal  à  la  direction  de  visée,  on  peut  concevoir  que,  par  une 
rotation  lente  de  l'instrument  ou  par  deux  visées  faites  suivant  deux  dia- 
mètres conjugués  d'une  ellipse,  on  puisse  déterminer  dans  quelle  direction 
exacte  a  lieu  l'écart  maximum  et  quel  est  cet  écart.  Ce  procédé  paraît 
fort  simple  à  concevoir.  Malheureusement,  il  est  inapplicable,  car  il  com- 
porte une  pétition  de  principes.  En  effet,  il  suppose  implicitement  que 
l'on  a  réglé  horizontalement  un  limbe,  un  plateau,  ou  un  horizon  artifi- 
ciel quelconques.  Or,  la  déviation  dont  il  s'agit,  celle  qui  est  due  à  l'at- 
traction par  une  masse  voisine,  s'exerce  aussi  bien  sur  les  surfaces  hori- 
zontales que  sur  les  lignes  verticales.  La  bulle  d'un  niveau  ou  la  surface 
d'un  liquide  formant  horizon  artificiel  sont  aussi  bien  déviés  que  peut 
l'être  le  fil  d'un  perpendicule.  On  a  coutume  de  dire  dans  les  cours  de 
mathématiques  qu'il  y  a  deux  sortes  de  niveaux  :  les  niveaux  à  bulle  d'air 
€t  ceux  à  perpendicule.  Tous  deux  sont  fondés  en  réalité  sur  le  même 
principe,  celui  de  la  gravitation  terrestre,  et  l'on  ne  peut,  dans  le  cas 
particulier  qui  nous  occupe,  les  contrôler  l'un  par  l'autre,  car  c'est  la  gra- 
vitation même  qui  est  modifiée. 

La  solution  de  la  question  impliquerait  donc,  à  mon  avis,  l'emploi 
d'un  instrument  auxiliaire  spécial,  rendant  visibles  les  perturbations  d'une 
fonction  dont  les  variations  seraient  liées  par  une  relation  connue,  sinon 
par  un  simple  rapport  à  celles  de  la  pesanteur.  On  peut  concevoir,  par 
exemple,  un  instrument  quelconque  plus  ou  moins  semblable  au  galva- 
nomètre, fondé  soit  sur  le  magnétisme  terrestre,  soit  sur  les  courants  in- 
duits, et  dans  lequel  un  miroir  tournant  ou  un  autre  index  donnerait  un 
coefficient  permettant  de  faire  en  chaque  point  de  station  la  correction 
dont  il  s'agit. 

Je  me  borne  ici  à  signaler  ce  point  intéressant  à  l'attention  de  ceux 
de  nos  collègues  qui  sont  le  plus  spécialement  compétents  dans  la  ma- 
tière, sans  prétendre  donner  une  solution  dont  je  ne  fais  qu'indiquer  le 
principe  possible.  Mais  il  me  semble  que  l'invention  d'un  instrument 
répondant  au  but  qui  vient  d'être  indiqué  rentre  essentiellement  dans  les 
questions  que  notre  groupe  se  propose  de  résoudre  et  c'est  à  ce  titre  que 
j'ai  l'honneur  de  lui  soumettre  ce  problème. 


'^^^  •  GÉOGRAPHIE 

La  méthode  barométrique  est  d'autant  plus  inexacte  pour  l'apprécia- 
tion du  relief  de  l'Asie  centrale  et  la  mesure  directe  des  hauteurs  par 
chemmement  aurait  d'autant  plus  d'importance  dans  la  région  dont  il 
s'agit,   que   cette   contrée  doit  probablement  être  le   siège  d'un  phéno- 
mène particulier  qui  modifie   la  pression  atmosphérique.  En  efTet,  l'ap- 
préciation des  hauteurs  par  le  baromètre  est  fondée  sur  ce  principe  que 
le  relief  du  sol  est  indépendant  de  la  hauteur  absolue  de  l'atmosphère,  au 
point  donné,  par  rapport  au  niveau  des  mers;  cela  est  exact  pour' les 
reliefs  modérés,  ainsi  que  pour  les  chaînes  de  montagnes  même  très  hautes 
mais   suflisamment   isolées.    Mais   en  Asie,  toute  la  portion  centrale  du 
contment  est  tellement  surélevée  dans  son  ensemble  sur  une  étendue  si 
notable,  par  rapport  à  celle  du  sphéroïde  terrestre,  que  la  couche  atmo- 
sphérique doit  très  probablement  subir  une  déformation  au-dessus  de  cette 
région.   Elle   doit  se  modeler,  plus  ou   moins,  sur  cette  large  bosse  de 
l-écorce  terrestre,  de  telle  sorte  que  les  hauteurs  données  par  le  baromètre 
doivent  être  plus  faibles  que  celles  auxquelles  on  arriverait  en  ajoutant 
les  unes  aux  autres  les  hauteurs  successives  dont  on  s'est  élevé  depuis  le 
httoral,  en  admettant  que  ces  hauteurs  aient  été  mesurées  par  des  niveaux 
ou  par  des  instruments  éclimétriques.  La  méthode  barométrique  est  donc 
doublement  inexacte  et,  en  outre,  l'application  d'une  méthode  différente 
permettrait  de  résoudre  la  question  théoriquement  très  importante  qui 
vient  d'être  posée  relativement  à  la  déformation  de  l'enveloppe  gazeuse 
de  la  terre  dans  la  région  dont  il  s'agit. 
^  L'attraction  latérale  due  à  la  masse  des  montagnes  avoisinantes  n'est 
d'ailleurs  pas  la  seule  cause  qui  peut  motiver  les  fortes  déviations  cons- 
tatées, en  Asie  centrale,  dans  l'action  normale  de  la  pesanteur.  L'obser- 
vation a  démontré  récemment  qu'il  existe  des  régions  du  globe  éloignées 
de  toute  chaîne  ou  de  tout  massif  de  montagnes,  et  où  la  direction  du 
fil  à  plomb  subit  des  déviations  plus  ou  moins  fortes,  et  jusqu'à  présent 
inexpliquées.  La  plaine  du  sud  de  la  Russie,  l'une  des  contrées  les  plus 
basses,  les  plus  plates  et  les  plus  unies  qui  existent  au  monde,  est,  paraît-il, 
le  siège  d'un  phénomène  de  ce  genre  (1),  récemment  signalé. 

Il  est  possible  qu'une  pareille  cause  agisse  aussi  dans  certaines  parties 
de  l'Asie,  concurremment  avec  l'attraction  des  montagnes,  pour  produire 
les  fortes  perturbations  qui  ont  été  constatées  dans  le  centre  du  vieux 
continent. 

En  ce  qui  concerne  ce  dernier  point,  M.  Bouquet  de  la  Grye  (2),  en 
réponse  à  la  communication  que  nous  avons  faite  sur  cette  matière  à  la 
Section  mathématique  de  la  Société  de  Géographie  de  Paris,  a  fait  obser- 

(1)  Cf.  Comptes  rendus  des  .seVmw.s  de  la  Société  de  Géographie  de  Paris    1892 

(2)  Cf.  Comptes  remlus  des  séances  de  In  SocUilé  de  Géographie,  \  so-2. 


É.  BLANC.  —  LEVÉS  TOPOGRAPHIQUES  EN  ASIE  CENTRALE       989 

ver,  avec  toute  la  haute  compétence  qui  lui  appartient,  qu'il  ne  lui  sem- 
blait pas  qu'une  saillie  de  l'écorce  terrestre,  même  aussi  importante  que 
celle  dont  il  s'agit  ici,  pût  exercer  une  influence  appréciable  sur  l'enve- 
lojtpe  gazeuse  de  la  terre,  dont  l'épaisseur  totale  est  de  deux  à  trois  cents 
kilomètres. 

Assurément,  à  ne  considérer  que  la  surface  externe  qui  limite  celte 
enveloppe  gazeuse  du  côté  de  l'espace  interstellaire,  nous  ne  croyons  pas 
non  plus  que  les  aspérités  de  l'écorce  terrestre  puissent  avoir  une  influence 
appréciable  sur  la  forme  extérieure  de  l'ensemble  du  sphéroïde  gazeux^ 
Mais  il  n'en  est  pas  de  même  si  l'on  considère  exclusivement  les  couches 
inférieures  de  l'atmosphère  qui,  au  point  de  vue  de  l'épaisseur,  n'en  cons- 
tituent que  la  moindre  partie,  mais  qui,  étant  les  plus  denses,  sont  les 
plus  imjiortantes  au  point  de  vue  barométrique.  11  est  probable  qu'elles  se 
modèlent  dans  une  certaine  mesure,  sur  les  inégalités  de  l'écorce  terrestre, 
pourvu  que  celles-ci  aient  une  étendue  suffisante. 

Il  semble  établi  que  les  simples  chaînes  de  montagnes  européennes, 
n'ayant  qu'une  largeur  minime,  n'ont  pas  d'action  appréciable  dans  ce 
genre,  mais  il  n'en  est  peut-être  pas  de  môme  pour  la  vaste  saillie  for- 
mée par  le  massif  central  du  continent  asiatique.  Celle-ci  constitue  une 
véritable  asymétrie  du  sphéroïde  terrestre,  et  sa  base  est  assez  large  pour 
qu'elle  forme  à  la  surface  de  celui-ci  une  protubérance  dont  l'amplitude 
est  sinon  égale,  du  moins  comparable^  à  celles  qui  résultent  de  l'inégalité 
de  courbure  des  divers  méridiens,  lesquels,  on  le  sait,  ne  sont  pas  égaux 
entre  eux. 

Or,  cette  inégalité  de  courbure,  et  par  conséquent  de  longueur,  des  di- 
vers méridiens,  qui  empêche,  concurremment  avec  l'aplatissement  polaire, 
la  terre  d'être  une  sphère  parfaite,  n'est  connue  que  depuis  peu  d'années 
-et  n'a  pas  encore  été  complètement  étudiée,  ni  dans  ses  dimensions,  ni 
dans  toutes  ses  conséquences .  Mais  on  admet,  jusqu'à  présent,  que  l'at- 
mosphère se  modèle  sur  ces  inégalités  de  convexité  des  méridiens  du  sphé- 
roïde terrestre.  La  grande  saillie  qui  constitue  le  centre  du  continent 
asiatique,  et  qui  donne  à  toutes  les  grandes  chaînes  de  cette  région  une 
sorte  de  large  embase  commune,  est  de  même  ordre  et  doit,  dans  une 
certaine  mesure,  se  comporter  de  la  même  façon . 

On  peut  donc  croire  qu'il  se  produit,  au-dessus  de  cette  région,  une 
véritable  dénivellation  dans  les  couches  atmosphériques,  du  moins  dans 
les  couches  inférieures. 

Peut-être,  d'ailleurs,  et  tel  est  aussi  l'avis  de  M.  Bouquet  de  la  Grye, 
ces  déformations  des  couches  inférieures  de  l'atmosphère  ne  se  produiraient- 
elles  pas  à  l'état  statique,  c'est-à-dire  si  l'atmosphère  était  absolument 
hnmobile  par  rapport  au  globe  terrestre.  Mais  si  l'on  considère  les  masses 
d'air  à  l'état  mobile,  mises  en  mouvement  par  les  courants,  il  en  est  sans 


990  GÉOGRAPHIE 

doute  autrement  et  elles  doivent  remonter  les  pentes  du  large  empâtement 
montagneux  dont  il  s'agit. 

L'équilibre  hydrostatique  ne  règne  pas  dans  l'atmosphère  gazeuse  d'une 
façon  aussi  régulière  que  dans  un  liquide  incompressible,  tel  que  la 
masse  des  océans,  par  exemple  ;  les  niveaux  y  sont  moins  immuables, 
il  s'y  établit  des  compensations  et  il  s'y  exercer  des  compressions. 

La  mobilité  de  l'atmosphère  et  ses  mouvements  propres  sont  d'ailleurs 
des  éléments  essentiels  de  la  question,  et  il  n'en  saurait  être  fait  abstrac- 
tion dans  la  discussion  de  la  cote  barométrique  qui  est  la  résultante  de 
toutes  les  circonstances  de  cette  nature. 

La  conséquence  pratique  de  ce  phénomène  serait  que  si,  par  exemple,  la 
cote  assignée  actuellement  à  tel  ou  tel  point  du  plateau  thibétain,  est,  d'après 
les  observations  barométriques  faites  jusqu'à  ce  jour,  de  4.000  mètres, 
un  cheminement  éclimétrique  ayant  pour  point  de  départ  les  plaines  de 
rinde  ou  de  la  Sibérie  et  procédant  de  proche  en  proche  en  totalisant 
les  difl'érences  de  niveau  des  stations,  donnerait  peut-être  pour  cote  du 
même  point  4.200  ou  4.400  mètres.  Mais  pour  que  les  observations  ainsi 
faites  à  l'aide  d'un  théodolite  ou  de  tout  autre  instrument  éclimétrique 
soient  concluantes  et  pour  qu'elles  soient  réellement  préférables  aux  indi- 
cations barométriques,  il  faut  qu'elles  soient  corrigées  de  la  cause  d'erreur 
due  à  la  déviation  de  la  pesanteur,  c'est-à-dire  il  faut  qu'un  appareil  tel 
que  celui  dont  nous  venons  de  parler  soit  annexé  à  l'instrument  principal. 

J'ai  l'honneur  de  proposer  au  Congrès  d'encourager  ceux  qui  invente- 
ront des  instruments  remplissant  le  but  qui  vient  d'être  indiqué  et  même 
de  proposer  cette  invention  à  l'ingéniosité  des  spécialistes  constructeurs, 
aux  yeux  de  qui  son  utilité  a  pu,  jusqu'à  présent,  rester  inaperçue. 


M.  rOITES 

Ingénieur  en  chef  des  Ponts  et  Chaussées, 'à  Toulouse. 


ERREURS  PERSISTANTES  DANS  LA  GEOGRAPHIE  PYRENEENNE  —  RECTIFICATIONS 


Séance  du  21  sepleinhir  1892  — 


I 


Les  Pyrénées  sont  de  véritables  déshéritées  au  point  de  vue  de  la 
précision  géographique.  11  semble  qu'on  se  soit  donné  à  tâche  de  se  trans- 
mettre d'auteur  en  auteur  (si  je  puis  employer  un  mot  un  peu  trivial)  de 


FONTES.  —  ERREURS  PERSISTANTES  DANS  LA  GEOGRAPHIE  PYRÉNÉENNE   991 

véritables  bourdes  à  leur  sujet,  soit  dans  les  cartes,  soit  dans  les  descrip- 
tions. Certaines  personnes,  comme  M.  Schrader,  sont  arrivées  à  déraciner 
beaucoup  d'erreurs;  mais  c'est  en  vain  que  pour  d'autres  (de  véritables 
énormités),  elles  se  sont  évertuées  :  leurs  efforts  sont  restés  stériles  et  les 
auteurs  continuent  à  se  léguer,  pour  ainsi  dire,  les  plus  belles  inexacti- 
tudes. 

Je  viens  m'efforcer  d'en  signaler  ici  quelques-unes  à  la  fois  des  plus 
fortes  et  des  plus  tenaces,  afin  que,  grâce  à  la  publicité  des  travaux  du 
Congrès,  les  intéressés  puissent  faire  leur  profit  de  leur  divulgation. 
Je  tiens,  en  même  temps,  à  ne  nommer  personne,  mon  but  étant,  non 
pas  de  faire  le  procès  de  ceux  qui  se  sont  trompés,  faute  de  moyens  de 
contrôle  des  documents  auxquels  ils  s'adressaient,  encore  moins  d'éveiller 
des  susceptibilités,  mais  de  contribuer  à  l'exactitude  des  cartes  et  des 
descriptions. 

Je  me  bornerai  donc  à  vous  citer,  sans  nom  d'auteur,  les  principales 
erreurs,  écrites  ou  dessinées,  qu'il  m'a  été  donné  de  recueillir. 

1°  La  plus  invétérée,  la  plus  énorme  (il  s'agit  d'une  partie  importante 
de  la  Catalogne  :  l'Ampourdan)  est  celle  qui  s'applique  d'une  manière 
générale  au  versant  espagnol  des  Albères,  entre  la  dépression  du  Perthus 
et  le  Saiifort. 

En  vain  peut-on  lire  dans  l'excellent  ouvrage  du  commandant 
Fervel  (1),  qui,  dès  1851,  disait,  en  parlant  de  ce  versant  sud  : 

«  Le  versant  des  Albères.  —  Nous  avons  vu  que  ses  contreforts,  tous 
transversaux,  courts  et  abrupts,  sont  continués  par  des  enchaînements 
réguliers  de  collines,  parmi  lesquelles,  çà  et  là,  quelques  petites  plaines...  » 

En  vain  M.  Schrader,  dans  un  excellent  et  court  article  publié  en 
1889  (2),  nous  dit-il  : 

«  Mais  c'est  le  versant  méridional,  qui  était  le  plus  étrangement  défiguré 
sur  les  cartes.  A.u  lieu  de  longs  contreforts  que  tous  les  cartographes 
représentaient  descendant  de  la  crête  en  longues  barrières  se  prolongeant 
jusqu'au  milieu  même  de  l'Ampourdan,  les  Albères  tombent  brusque- 
ment sur  la  plaine  et  les  villages  perchés  sur  leurs  avant-monts,  s'éche- 
lonnent en  rangée,  directement  au  pied  de  la  crête  frontière.  » 
•  En  vain  notre  collègue  accompagne-t-il  le  texte  d'une  esquisse  topogra- 
phique très  lisible,  la  plupart  des  cartes,  même  les  plus  récentes,  conti- 
nuent à  couvrir  le  nord-est  de  la  Catalogne  de  contreforts  absolument 
imaginaires,  deux  fois  plus  importants  que  ceux  du  versant  français,  alors 
que  c'est  tout  le  contraire  qui  a  lieu.  De  plus,  dans  une  description 
générale  assez  récente  des  Pyrénées,  peu  postérieure,  nous  trouvons,  en 

(1)  Campagnes  de  la  Hrrolutioii  française  dans  les  l'ij renées  orienlalcs,  par  J.-N.  FervisL.  Paris, 
Pillet  lils,  1851.  2»  partie,  page  :i80. 

(2)  Annuaire  du  Club  Alpin  Français.  Quinzième  année,  18S8,  p.  S20.  F.  Sciiradeh. 


992  GÉOGUAPHIE 

ce  qui  concerne  les  Albères  proprement  dites,  c'est-à-dire  de  la  partie 
de  ces  montagnes  qui  va  du  col  de  Thourn  au  Perthus,  à  peu  près  en 
substance  ce  qui  suit,  à  savoir  «  que  leurs  crêtes  sont  nues,  dentelées, 
formées  de  parois  presque  verticales  ;  que  leurs  rameaux  sont  plus  allongés 
et  leurs  pentes  plus  douces  et  plus  boisées  sur  le  versant  espagnol  que 
sur  le  versant  français.  » 

C'est  absolument  faux,  et,  indépendamment  des  auteurs  qui  affirment  le 
contraire  et  que  je  viens  de  citer,  je  l'ai  constaté  à  diverses  reprises  de 
visu.  Il  se  passe  là  absolument  l'inverse  de  ce  qu'on  observe  sur  presque 
tout  le  reste  de  la  chaîne  des  Pyrénées.  C'est  du  côté  du  versant  français 
que  sont  les  contreforts  allongés,  couverts,  jusqu'auprès  des  sommets, 
d'uoe  végétation  luxuriante  dans  les  districts  de  Larroque-des-Albères 
(Bois  Noir),  de  Sorède  (forêt  de  Sorède),  de  Lavail  (quartier  de  Montbram), 
et  même  dans  la  partie  haute  du  cours  de  la  petite  rivière  de  la  Massane. 
Des  sources  abondantes  donnent  à  tous  ces  bois  un  charme  particulier 
pour  quiconque  quitte  la  plaine  quelque  peu  bridante  du  Roussillon,  en 
bravant  la  fatigue  d'une  longue  montée,  pour  aller  visiter  la  crête  fron- 
tière. Celle-ci,  au  contraire  de  la  description  que  je  tiens  à  rectifier,  est 
bordée,  de  Saint-Martin-de-l'Âlbère  au  Saillbrt,  d'une  vraie  pelouse  de 
gazon,  un  peu  pierreuse  parfois,  il  est  vrai,  mais  praticable  à  des  che- 
vaux ou  des  mulets,  et  de  bons  marcheurs  ordinaires  (je  ne  dis  même 
pas  «  de  très  bons  marcheurs  »)  font  fréquemment  la  course  du  Perthus 
à  CoUioure,  à  Port-Vendres  ou  à  Banyuls,  dans  une  journée. 

Quant  au  versant  espagnol,  la  sensation  que  j'éprouve  chaque  fois  que 
je  regarde  le  versant  du  haut  d'un  des  pics  de  la  frontière,  surtout  entre 
Puig-Neulos  et  le  col  del  Pal,  me  porterait  à  penser  qu'un  soulèvement, 
qui  aurait  d'abord  intéressé  les  deux  pentes,  aurait  progressé  jusqu'à  un 
peu  moins  de  moitié  de  la  hauteur  actuelle  de  la  crête.  Puis,  à  ce  niveau, 
une  fracture  se  serait  produite  suivant  la  crête  du  soulèvement,  dessinant 
la  ligne  qui  forme  aujourd'hui  la  frontière,  et  à  la  suite  de  cette  fracture, 
le  côté  français  aurait  continué  seul  à  s'élever  régulièrement  jusqu'à  la 
hauteur  qu'il  aiteint  actuellement,  en  intéressant,  du  côté  de  la  France, 
une  bande  de  terrain  proportionnelle  à  sa  hauteur. 

Je  ne  veux  pas  m'étendre  plus  longtemps  sur  ce  sujet,  mon  but  unique 
étant  de  dénoncer  l'erreur  et  d'indiquer  aux  cartographes,  ainsi  qu'aux 
géographes  écrivains,  les  sources  où  ils  pourront  puiser  leurs  reclili- 
cations. 

Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  je  parle  de  cette  étrangeté.  Je  l'aurais 
peut-être  passée  sous  silence  sans  la  vue,  il  y  a  peu  de  jours,  d'une  carte 
toute  nouvelle  qui  la  reproduit  magnifiquement,  plaçant  la  Junquera,  qui 
limite  au  sud  les  contreforts  espagnols  des  Albères  (à  peu  de  distance  du 
Perthus)  au  milieu  du  prolongement  de   ces   contreforts.   Je   me  hâte 


FONTES.  —  ERREURS  PERSISTANTES  DANS  LA  GÉOGRAPHIE  PYRÉNÉENNE   993 

d'ajouter  que  si  l'on  suit  la  chaîne  de  l'est  à  l'ouest,  le  faciès  de  ceux-ci 
devient  tout  différent  de  celui  que  je  viens  de  décrire,  du  Perthus  au  pic 
de  Costabonne,  qui  limite  à  l'ouest  le  prolongement  des  Albères. 

2°  Une  seconde  erreur  invétérée  contre  laquelle  j'ai  eu  plusieurs  fois, 
récemment  encore,  l'occasion  de  m'élever,  est  celle  qui  consiste  à  faire 
descendre  l'Ariège  du  massif  du  Carlitte,  en  même  temps  que  l'Aude, 
la  Têt  et  le  Sègre  de  Carol.  Celle-là  est  du  genre  bizarre.  Elle  n'est  éditée 
que  par  les  ouvrages  descriptifs  dus  aux  plumes  les  plus  autorisées  et 
n'est  généralement  pas  partagée  par  les  cartographes,  qui  ont  pour  les 
guider  la  carte  de  l'État-major,  laquelle  fait  avec  raison  descendre  l'Ariège 
du  pic  de  Font-Nègre,  au  sud-est  du  col  de  Puymorens,  à  17  kilomètres 
en  ligne  droite  du  pic  de  Carlitte.  Je  me  suis  demandé  par  suite  de 
quelle  aberration  les  géographes  descriptifs  les  plus  sérieux  avaient  pu 
rééditer  aussi  souvent  ce  roman,  qui  se  reproduit  souvent  sous  la  même 
forme.  On  parle  «  du  curieux  massif  de  Carlitte,  d'où  s'écoulent  dans  des 
bassins  différents  l'Ariège,  la  Sègre,  la  Tôt  et  l'Aude  ».  Je  ne  puis  me 
l'expliquer  que  d'une  manière,  qui  la  rend  très  excusable.  Il  existe  une 
rivière  que  peu  de  cartes,  sauf  celle  de  l'État-major  au  ^^^-^,  appellent  de 
son  vrai  nom  d'Oriège,  car  elle  est  généralement  indiquée  sous  le  nom  de 
«  rivière  d'Orlu  »  plus  généralement  encore  représentée  sans  nom.  Son 
cours  est  assez  difficile  à  suivre  en  entier,  car  il  ne  faut  pas  réunir  moins 
de  quatre  carrés  différents  (Foix,  Quillan,  Prades  et  l'Hospitalet;  pour 
l'avoir  en  entier.  C'est  cette  rivière  daquelle,  par  la  forme  de  son  confluent 
avec  l'Ariège,  mériterait  de  donner  son  nom  à  la  réunion  des  deux  cours 
d'eau)  qui  prend  sa  source  au  pied  du  pic  de  Lanoux,  dans  le  petit  étang 
Fauzy,  au  nord  du  grand  lac  de  Lanoux,  dans  le  pâté  de  montagnes 
formé  d'éléments  très  distincts  au  point  de  vue  géologique,  auquel  les 
géographes  donnent  le  nom  de  massif  du  Carlitte. 

Eh  bien  !  il  aura  suffi  d'une  simple  coquille  d'un  typographe,  mettant 
un  A  au  lieu  d'un  0,  pour  faire  endosser  une  première  fois  l'erreur  à  un 
de  ces  auteurs  dont  on  ne  vérifie  pas  les  assertions,  et  pour  que  la  coquille 
ait  été  reproduite  pendant  longtemps  par  d'autres  auteurs  sérieux  n'ayant 
pas  visité  cette  partie  des  Pyrénées. 

Je  n'entrerai  pas  ici  dans  une  description  du  cours  de  l'Oriège  qui  n'y 
serait  pas  à  sa  place.  Je  renvoie  ceux  qui  désireraient  le  connaître  en 
détail  aux  bulletins  de  la  Société  de  Géographie  de  Toulouse  (l),  où 
l'erreur  est  dénoncée. 

Je  ne  tiens,  dans  le  moment  présent,  qu'à  une  seule  chose,  c'est  à  signaler 
celle-ci  pour  permettre  à  ceux  qui  l'ont  commise  de  la  corriger  dans  leurs 
prochaines  éditions,  et  je  m'estimerai  heureux  si  j'obtiens  ce  résultat. 

(1)  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie  de  Toulouse,  année  1892.  Un  cours  d'eau  méconnu,  p.  123. 

63* 


994  GÉOGRAPHIE 

3°  Une  erreur  fréquente,  qui  continue  à  se  perpétuer  malgré  les  travaux 
de  M.  Schrader  et  de  ses  cartes  des  Pyrénées  centrales,  concerne  le  val 
d'Aran,  en  dépit  des  rectifications  apportées  aux  cartes  récentes  de  TÉtat- 
major  au  ^„. 

Cette  erreur  provient  elle-même  des  fautes  des  anciennes  cartes  de  cette 
région  qui  ont  été  reproduites  dans  la  partie  blanche  du  carré  au  ^-^^  de 
Ludion.  Ce  dernier  restreint  et  déplace  tellement  le  cours  du  Rio  Inola 
ou  Juela,  que  les  cartes  réduites  font  mieux  :  elles  le  suppriment  tout  à  fait 
ainsi  que  la  vallée  secondaire  où  il  coule.  Ce  n'est  pourtant  pas  un  infini- 
ment petit  négligeable  que  ce  curieux  val  de  l'Inola,  dont  la  direction  est 
nord-sud  et  qui  demande  environ  six  heures  de  marche  (arrêts  non 
compris)  à  un  bon  piéton  pour  être  descendu  en  entier,  des  étangs  de  Liât 
à  Salardu.  Les  plas  de  Liât  et  del  Tour,  dont  les  eaux  vont  s'engouffrer 
avec  fracas  dans  une  sorte  de  souterrain,  laissant  pendant  assez  longtemps 
le  thalweg  sans  le  plus  mince  ruisseau,  la  source  qu'on  retrouve  plus 
bas,  d'où  s'échappe  doucement  une  eau  qui  parait  très  différente  de  celle 
qu'on  a  vu  se  perdre  à  l'amont  (à  tel  point  qu'il  semble  difficile  que  ce 
soit  la  même,  même  filtrée;,  sont  des  particularités  dignes  d'intérêt  de 
cette  région  qui  mériterait  de  n'être  pas  supprimée  ou  réduite  à  un  état 
voisin  de  zéro. 

C'est  pourtant  ce  que  font  encore  aujourd'hui  bien  des  cartes  nouvelles, 
nombre  d'atlas  débités  par  souscription. 

11  est  curieux  de  constater  sur  la  carte  de  Stiehler  de  1876  (publiée,  il 
est  vrai,  avant  les  travaux  de  M.  Schrader),  la  suppression  complète  du  val 
de  riiïola  dont  le  cours  devrait  occuper  près  d'un  centimètre.  11  s'agirait 
d'un  pays  presque  inconnu  qu'on  ne  se  tromperait  pas  mieux.  Mais  en 
voilà  assez,  peut-être  trop,  sur  ce  sujet. 


II 


Il  ne  me  reste  à  vous  signaler,  plutôt  comme  exemples  que  comme 
rectifications,  que  quelques  points  de  détail  sur  lesquels  certains  auteurs, 
aussi  autorisés  que  recommandés  par  le  soin  qu'ils  apportent  à  leurs  pro- 
ductions, ont  commis  des  erreurs  assez  grosses  pour  provoquer  l'étonne- 
ment. 

1°  Je  lis,  par  exemple,  dans  un  ouvrage  didactique  qui  a  acquis  une 
juste  notoriété,  que  «  la  Neste  descend  du  cirque  de  Troumouse  »  dont 
toutes  les  eaux  (il  est  facile  de  s'en  convaincre,  la  carte  de  l'État-major 
à  la  main)  vont  s'écouler  dans  le  gave  de  Pau,  tandis  que  toutes  les 
Nestes  envoient  leurs  .eaux  à  la  Garonne.  La  confusion,  pour  quelqu'un  qui 


FONTES.  —  ERREURS  PERSISTANTES  DANS  LA  GÉOGRAPHIE  PYRÉNÉENNE   99o 

n'a  pas  visité  cette  région,  peut  s'expliquer  comme  suit  :  On  peut  soutenir 
que  la  principale  des  Nestes,  la  Neste  d'Aure,  descend  des  lacs  de  Barroude 
€t  prend  sa  source  au  pied  du  pic  de  Troumouse,  fort  peu  connu,  tandis 
que  le  cirque  de  ce  nom  a  une  certaine  célébrité.  On  a  fort  bien  pu 
écrire  correctement  dans  un  brouillon,  après  avoir  consulté  la  carte,  que 
la  Neste  descendait  du  pic  de  Troumouse,  puis,  à  la  correction  des  épreuves, 
avoir  cru  à  un  lapsus,  à  cause  du  peu  de  réputation  du  malheureux  pic, 
et  de  cette  façon  avoir  commis,  d'un  trait  de  plume,  une  énormité  en 
croyant  réparer  une  erreur. 

S'"  Une  carte  récente  de  la  Haute-Garonne,  rédigée  à  une  échelle  qui 
n'aurait  pas  dû  permettre  cette  faute,  place  le  pic  de  Cagire  à  une  assez 
grande  distance  (3  ou  4  kilomètres)  de  sa  véritable  position,  à  l'emplace- 
ment et  avec  la  cote  que  fixe  l'État-major  pour  la  montagne  de  Cagire. 
Si  l'auteur  de  la  carte  eût  été  un  Pyrénéen,  il  n'eût  pas  confondu  le 
mot  montagne,  qui  a  pour  nous  le  sens  d'Afp,  pâturage  élevé  (1),  avec  le 
mot  pic,  et  il  aurait  su  que  le  mot  de  Cagire  est  celui  qu'on  attribue  dans  le 
pays  au  sommet  dénommé  Piquepoque  sur  le  — — ^  (probablement  pic  où 
il  y  a  une  poche,  un  trou,  à  cause  d'une  particularité  remarquable  de  ce 
sommet)  et  que  les  mots  de  «  montagne  de  Cagire  »  signifient  :  «Pâturages 
élevés  dépendant  de  Cagire  ».  Quelque  chose  d'analogue  se  retrouve  dans  la 
vallée  d'Aure,  où  la  «  montagne  de  Badet  »  est  assez  éloigné  du  pic 
«Badet». 

J'en  passe  et  des  meilleurs,  car  je  n'ai  choisi  que  les  très  bons  auteurs, 
et  si  j'en  venais  à  certaines  encyclopédies  récentes,  je  vous  ferais  voir  bien 
des  choses  plus  curieuses,  par  exemple  que  «  le  département  de  la  Haute- 
Garonne  renferme  le  point  culminant  des  Pyrénées,  le  pic  de  Néthou 
(3.482  mètres)!!...  » 


HI 


Je  m'arrête  dans  cette  voie,  car  je  n'ai  pas  ici  pour  but  de  provoquer 
voire  hilarité.  Mes  intentions  sont  moins  frivoles.  Ce  à  quoi  je  tiens,  c'est 
à  signaler  une  fois  de  plus  aux  géographes  sérieux  les  diflicultés  de  la 
description  cartographique  ou  écrite  des  Pyrénées  qui,  au  point  de  vue 
de  l'exactitude  géographique,  n'ont  été  réellement  découvertes  que  récem- 
ment. 11  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  les  cartes  des  Pyrénées  du  siècle 
dernier,  ou  de  lire  l'intéressant  article  du  commandant  Prudent  sur  les 
erreurs  de  la  carte  de  Capitaine  (2),  pour  s'en  convaincre. 


(1)  'Ay-fi   e;  "A').T.ii;  Ta;  i>  o;i:   xi3  IIuîT.vaiu  ouri;    —    PROCOPE.) 

(2)  Annuaire  du  Club  Mpiri  Français,  année  18"7,  p.  41"  à  422. 


996  GÉOGRAPHIE 

Les  documents  absolument  exacts,  surtout  dans  le  détail,  sont  encore 
très  peu  nombreux  en  ce  qui  concerne  les  Pyrénées.  Mais  ils  sont  indis- 
pensables à  consulter.  Comme  cartographie,  notre  État-major  défie  encore 
la  critique,  au  moins  dans  ses  grandes  lignes,  pour  le  versant  français. 
Pour  le  versant  espagnol,  MM.  Wallon  et  Schrader  ont  rectifié  bien  des 
erreurs  et  même  l'esquisse  topographique  des  Albères  de  ce  dernier,  déjà 
citée,  n'est  pas,  comme  on  l'a  vu,  à  négliger.  Quand  on  peut  se  les  pro- 
curer, il  est  bon  de  consulter  les  belles  cartes  de  M.  le  colonel  Coëllo. 
Enfin,  dans  les  annuaires  du  Club  Alpin  Français,  bien  des  travaux  d'alpi- 
nistes, dont  il  serait  trop  long  de  citer  les  noms,  sont  plus  que  dignes 
d'attention,  comme  texte  et  comme  cartes. 

Parmi  les  documents  écrits,  je  citerai  les  ouvrages  de  M.  le  comte 
Russell  et  la  carte  descriptive  de  M.  Packe,  assimilable  à  un  itinéraire. 
Enfin,  le  Guide  Joanne,  qui  autrefois  contenait  beaucoup  d'erreurs,  est 
devenu,  grâce  aux  patientes  rectifications  apportées  à  ses  éditions  succes- 
sives, un  monument  géographique  respectable  et  qu'on  ne  saurait  néghger. 

Enfin,  une  fois  ces  précautions  prises,  je  conseillerai  à  ceux  qui,  étran- 
gers à  la  région  pyrénéenne,  tenteraient  de  reproduire  sur  carte  ou  de 
décrire  tout  ou  partie  de  cette  région,  de  soumettre  après  coup  leur  travail, 
avant  de  le  publier,  à  la  critique  de  personnes  connaissant  quelque  peu 
(le  visu  le  terrain.  C'est,  je  crois,  en  l'absence  d'un  Institut  géographique 
pyrénéen,  le  seul  moyen  d'éviter  de  commettre  de  grosses  erreurs,  comme 
celles  que  je  viens  de  signaler,  erreurs  cependant  aussi  difficiles  à  éviter 
a  distance  que  faciles  à  critiquer  sur  les  lieux,  comme  je  le  fais  en  ce 
moment . 

Je  le  fais  cependant,  croyez-le  bien,  sans  arrière-pensée  malveillante,  en 
n'ayant  en  vue  que  le  désir  de  procurer  à  nos  belles  montagnes,  qu'on  ne 
saurait  fréquenter  sans  les  aimer,  la  «  pourtraicture  »  fidèle  à  laquelle  elles 
ont  droit,  et  non  sans  m'étre  dit  qu'une  fois  que  j'aurai  terminé  mon  réqui- 
sitoire contre  les  erreurs,  on  pourra  fort  bien  me  poser  telle  question  qui 
me  force  à  répondre,  comme  l'oiseau  de  la  fable  : 

Messieurs,  je  sifiïe  bien,  mais  je  ne  chante  pas. 


H.    DUPONT.   —  LE    BASSIN    COMMERCIAL    DE   LA   SEINE  997 


M.  ïï.  DÏÏPOIfT 

Vice-Président  de  la  Section  de  Géologie  de  la  Société  de  Topographie  de  France,  à  Paris. 


LE    BASSIN   COMMERCIAL    DE    LA    SEINE 


—  Séance  du  2/  septembre  4892  — 


Le  bassin  parisien  est  une  vaste  enceinte  presque  circulaire,  dont  le 
contour  est  marqué  par  une  série  de  collines  interrompue  par  la  Manche 
et  appartenant,  pour  la  plupart,  au  terrain  jurassique.  Leurs  plus  hauts 
sommets,  le  grand  Montarnu  (847  mètres)  et  le  haut  Folin  (900  mètres) 
se  trouvent  dans  le  Morvan,  bastion  avancé  du  massif  central.  Cette 
enceinte  en  renferme  elle-même  deux  autres,  crétacée  et  tertiaire,  à  peu 
près  concentriques.  Ces  bandes  de  terrain  sont  comme  les  gradins  d'un 
amphithéâtre  que  traversent  successivement  la  Seine  et  ses  affluents. 
Si  cette  région  n'est  pas  la  plus  grande,  puisqu'elle  ne  mesure  que 
7.800  kilomètres  carrés,  c'est  du  moins  la  plus  régulièrement  disposée  et  la 
plus  importante.  Comparativement  aux  autres,  elle  est  peu  accidentée, 
hormis  entre  Reims  et  Provins,  espace  qui  fut  le  théâtre  des  principales 
batailles  de  la  campagne  de  France,  et  entre  Troyes  et  Joigny,  où  se 
trouve  la  forêt  d'Othe;  mais  les  plaines  si  remarquables  par  leur  perméa- 
bilité, les  vallées,  les  forêts,  les  coteaux,  les  montagnes  forment  un  en- 
semble admirable  qui  se  marie  agréablement  sous  un  climat  dont  la 
température  moyenne  est  de  10°,9.  Au  nord,  il  rappelle  les  brumes, 
mais  aussi  l'humidité  féconde  de  la  Hollande  et  des  Iles- Britanniques  ; 
au  sud,  la  tiède  température  de  la  Touraine  ;  à  l'est,  les  froids  de  l'Alle- 
magne ;  à  l'ouest,  l'égalité  des  climats  maritimes  maintenue  par  le  Gulf- 
Stream.  A  part  la  Champagne  pouilleuse,  le  paysage,  malgré  la  sobriété 
de  ses  lignes,  varie  à  l'infini  et  revêt  je  ne  sais  quelle  grâce  qui  se  reflète 
sur  les  habitants.  Les  alentours  de  la  capitale  sont  charmants.  Où  trouver, 
en  effet,  des  sites  plus  enchanteurs  qu'à  Fontainebleau,  Versailles,  Saint- 
Germain,  Compiègne,  Montmorency,  etc.  ?  Les  tableaux  des  paysagistes 
Corot,  Rousseau,  Millet  nous  donnent  bien  la  note  de  cette  nature  élégante, 
discrète  et  pleine  d'une  intime  poésie.  La  Normandie,  si  bien  dépeinte  par 
Flaubert,  a  aussi  ses  attraits  dans  ses  pâturages,  ses  forêts  et  ses  plages. 


998  GKOGRAPHIE 

Dites,  Messieurs,  de  tels  sites  ne  sont-ils  pas  faits  pour  y  fixer  une  popu- 
lation laborieuse? 

Nulle  part,  l'agriculture  n'y  a  reçu  un  plus  grand  développement, 
aussi  les  céréales,  les  légumes,  les  fruits,  les  fourrages  y  viennent  en 
quantité  et  favorisent  en  partie  l'élevage  des  bestiaux;  l'industrie  s'y 
manifeste  sous  mille  formes  :  elle  produit  des  articles  comme  les  tissus, 
les  meubles,  les  tapis,  les  porcelaines,  les  bijoux,  les  instruments  de 
précision,  les  fleurs  artificielles,  etc.,  dont  le  fini  rend  jaloux  tous  les 
États  de  l'Europe  ;  le  commerce,  soutenu  par  des  institutions  de  crédit 
de  premier  ordre,  éclairé  par  les  Chambres  de  commerce  et  la  Société  de 
Géographie  commerciale,  fonctionne  avec  une  activité  fiévreuse  et  se 
déploie  selon  les  règles  de  l'équité  et  de  l'honneur,  qui  inspirent  à  l'uni- 
vers entier  une  confiance  absolue,  comme  l'attestent  tous  nos  emprunts. 
Aussi,  lorsque  te  marché  parisien  éprouve  une  secousse,  tous  les  autres- 
en  ressentent  le  contre-coup.  Paris,  qu'on  le  veuille  ou  non,  est,  autant 
que  Londres,  un  marché  régulateur.  Ses  transactions  influent  énormé- 
ment sur  la  richesse  de  tout  le  bassin.  Son  appoint  de  quatre  milliards 
lui  donne  de  ce  chef  une  prédominance  sur  les  autres.  Paris  doit  tout  à 
sa  position.  «  Ce  n'est,  dit  Élie  de  Beaumont,  ni  au  hasard,  ni  à  un 
caprice  de  la  fortune  que  Paris  doit  sa  splendeur,  mais  à  son  assise  géo- 
logique, et  ceux  qui  sont  étonnés  de  ne  pas  trouver  la  capitale  de  la 
France  à  Bourges  ont  montré  qu'ils  n'avaient  étudié  que  d'une  manière 
imparfaite  la  structure  de  leur  pays.  »  Cette  région  réunirait  toutes  les 
conditions  si  elle  possédait  quelques  mines  et  un  plus  grand  nombre  de 
sources  minérales;  mais  elle  présente  des  ressources  si  variées,  des  plaisirs 
si  divers  et  si  répétés  qu'on  oublie  vite  ce  qui  lui  manque. 

L'importance  de  ce  bassin  ne  saurait  échapper  à  personne.  Il  est  situ.é 
sur  la  Manche,  arrosé  par  quatre-vingts  cours  d'eau,  dont  douze  seulement 
de  navigables.  Cette  insufTisance  est  rachetée  par  vingt  canaux,  secondés 
eux-mêmes  par  cinq  réseaux  de  chemins  de  fer  qui  étendent  leurs  nom- 
breuses lignes  secondaires  sur  toutes  les  parties  de  son  territoire,  par 
quarante-cinq  routes  qui  sont  autant  d'artères  qui  portent  la  vie  là 
où  elles  passent,  ayant  pour  auxiliaires  la  poste  et  le  télégraphe.  Il  est. 
en  outre,  desservi  par  dix-huit  ports,  dont  le  principal  est  le  Havre,  qui 
communique  avec  six  cents  autres  disséminés  dans  tous  les  pays  du 
monde.  Ceux-ci,  avec  les  différentes  voies  fluviales  et  terrestres,  con- 
courent à  lui  donner  des  débouchés  faciles.  Leurs  chiffres  d'affaires 
dépassent  deux  milliards.  Ce  n'est  pas  sans  raison  que  J.-B.  Say  dit  : 
«  Les  moyens  de  communication  favorisent  le  commerce  précisément  de 
la  même  manière  que  les  machines  qui  multiplient  les  produits  de  nos 
manufactures  et  en  abrègent  la  production.  Ils  procurent  le  même  produit 
à  moins  de  frais.  Ce  calcul,  appliqué  à  l'immense  quantité  de  marchan- 


H.    DUPONT.  LE    BASSI.N    COMMERCIAL    DE    LA    i^EINE  999 

(lises  qui  couvrent  les  routes  d'un  État  populeux  et  riche,  depuis  les 
légumes  qu'on  porte  au  marché  jusqu'aux  produits  de  toutes  les  parties 
du  globe,  qui,  après  avoir  été  débarqués  dans  les  ports,  se  répandent 
ensuite  sur  toute  la  surface  d'un  continent;  ce  calcul,  dis- je,  s'il  pouvait 
se  faire,  donnerait  pour  résultat  une  économie  presque  inappréciable 
dans  les  frais  de  production,  La  facilité  des  communications  ('-quivaut  à  la 
richesse  naturelle  et  gratuite  qui  se  trouve  en  un  produit  lorsque,  sans 
la  facilité  des  communications,  cette  richesse  naturelle  serait  perdue.  » 
Comme  on  le  voit,  notre  bassin  jouit  d'immenses  avantages.  Que 
sera-ce,  si  le  projet  de  Paris  port  de  mer  et  celui  du  canal  du  Nord 
reçoivent  leur  exécution?  C'est  à  nous  qu'il  convient  de  préparer  les 
pouvoirs  publics  à  les  entreprendre,  puisque  leurs  soucis  sont  moindres 
depuis  l'ouverture  des  canaux  de  l'Est,  du  Havre  à  Tancarville  et  de  l'Oise 
à  l'Aisne. 

Permettez-moi  de  laisser  ces  considérations  générales  pour  entrer  dans 
des  détails  plus  précis,  afin  de  faire  valoir  toute  l'importance  de  la  vraie 
région  de  la  Seine. 

Grâce  à  son  immense  population  et  à  la  facilité  des  transports,  Paris  en 
est  le  plus  grand  marché  : 

1°  Pour  les  denrées  alimentaires  qui  viennent,  de  tous  les  points  du 
territoire  et  des  circon voisins,  s'entasser  soit  dans  les  Halles  Centrales,  la 
Halle  au  Blé,  les  Entrepôts  de  Bercy,  soit  au  marché  de  la  Villette  et 
les  marchés  secondaires  (viandes,  67  millions  de  kilogrammes  ;  pois- 
sons, 40  millions  de  kilogrammes  ;  fruits  et  légumes,  16  millions  de  kilo- 
graumies  ;  beurre,  œufs,  fromages,  34  millions  de  kilogrammes  ;  grains 
et  farines,  12.000  quintaux  ;  introduction  de  près  de  3  millions  de 
têtes  à  la  Villette  ;  de  plus,  4  millions  d'hectolitres  de  vinj.  Les  denrées 
coloniales  sont  également  fort  prisées  sur  cette  place. 

2"  Pour  les  matières  premières  (alcools,  huiles,  raisins  secs,  combus- 
tibles, matériaux  de  construction,  suifs,  asphalte,  bitume,  cuirs). 

3°  Pour  son  industrie  parisienne  Cmeubles,  joaillerie,  bijouterie,  orfè- 
vrerie, bronzes,  quincaillerie,  porcelaine,  papiers  peints,  carrosserie, 
librairie,  fleurs  artificielles,  produits  chimiques,  modes,  parfumerie,  tissus, 
vêtements,  lingerie,  passementerie,  chapellerie,  cuirs  ouvrés,  objets 
d'ameublements). 

Pour  l'ensemble  des  divers  produits  susceptibles  de  taxe,  l'octroi  perçoit  • 
137  millions. 

En  résumé,  on  peut  dire  que  Paris  est  le  centre  et  le  foyer  de  la 
grande  et  de  la  petite  industrie  française  et  qu'il  exerce  toutes  les  pro- 
fessions, sans  en  excepter  une  seule.  La  banlieue,  les  départements  de  la 
Seine,  de  Seine-et-Oise  et  de  Seine-et-Marne  se  rattachent  si  étroitement 
par  leur  commerce  au  sien  qu'il  nous  est  impossible  de  les  en  séparer  : 


1000  GÉOGIlAl'HIE 

ils  ne  travaillent  que  pour  lui,   de  sorte  que,   réunis,  leur  mouvement 
représente  le  liuitième  de  notre  commerce  intérieur. 

C'est  de  Paris  que  nous  devons  nous  placer  pour  embrasser  d'un  coup 
d'œil  l'ensemble  des  principaux  marchés  de  ce  bassin. 

Au  nord,  nous  avons  Beauvais,  sur  le  Thérain  (18.441  habitants),  ville 
desservie  par  cinq  lignes  et  remarquable  par  ses  manufactures  de  tapis, 
de  couvertures,  de  draps,  de  mérinos,  de  boutons  de  nacre,  de  brosserie 
fine,  ses  papeteries  (1.443.000  francs),  par  son  marché  de  céréales,  de 
bestiaux,  de  laines  et  de  poteries,  etc. 

Amiens,  sur  la  Somme  (80.288  habitants),  centre  traversé  par  huit 
lignes,  important  pour  ses  articles  particuliers  :  anacoste,  escots,  cache- 
mires, reps,  popelines,  qui  lui  procurent  un  bénéfice  de  12  millions, 
velours  de  coton  et  d'Utrecht.  A  ces  cinquante  filatures,  occupant 
125.000  broches, se  joignent  d'autres  établissements  renommés  de  bonne- 
terie (!2o.000  ouvriers),  de  produits  chimiques,  de  papeteries,  etc. 

Saint-Quentin,  sur  la  Somme  (47.3o3  habitants),  traversé  par  trois 
lignes  et  par  le  canal  de  la  Somme  à  l'Escaut,  dont  la  production  en 
tissus  de  toutes  sortes,  en  produits  chimiques  et  en  sucres  indigènes, 
atteint  90  millions  de  francs. 

A  l'est,  Chalons-sur-Marne  (23.648  habitants),  pour  ses  vins  et  ses 
lames,  ses  papiers  peints  (GOO. 000  rouleaux  par  an). 

Reims,  sur  la  Vesle  et  le  canal  de  l'Aisne  à  la  Marne  (97.903  habitants), 
desservie  par  cinq  lignes,  qui  doit  sa  fortune  à  ses  tissus  de  flanelles,  de 
mérinos  (valeur  80  millions),  pour  lesquels  on  emploie  30  à  36  millions 
de  matières  premières,  ses  vins  de  Champagne  (60  millions),  à  sa  mer- 
cerie, son  épicerie  en  gros,  ses  massepains  et  biscuits,  etc. 

Au  sud,  Troyes,  sur  la  Seine  (46.972  habitants),  desservi  par  trois 
lignes,  estimé  pour  sa  bonneterie  (40  millions),  sa  charcuterie  et  son 
commerce  de  laines,  céréales,  vins  et  blanc  de  Troyes,  exportant  la  phi- 
part  de  ses  produits  en  Suisse  et  en  Amérique. 

CiiAUMONT,  sur  la  Marne  (12.852  habitants),  renommé  par  sa  ganterie 
(100.000  douzaines,  3  millions),  ses  tanneries,  qui  partage  avec  Saint- 
Dizier,  un  des  marchés  régulateurs  de  la  métallurgie  française,  et  Langres, 
le  commerce  des  grains,  des  cuirs,  des  toiles,  des  fers  et  surtout  de  la 
coutellerie  (10.000  ouvriers,  3  millions). 

.  Auxerre,  sur  l'Yonne  (17.456  habitants),  qui,  avec  Avallon  (6.335  habi- 
tants), servent  d'entrepôts  aux  bois  flottés,  aux  vins,  céréales,  chanvres, 
briques  de  Bourgogne  septentrionale. 

Chartres,  sur  l'Eure  (21.903  habitants),  desservi  par  six  lignes,  centre 
du  commerce  des  grains  et  des  laines  de  la  Beauce,  remarquable  par 
ses  manufactures  de  vitraux  peints,  ses  mégisseries  et  ses  fonderies 
de  fer. 


II.    DUPONT.    LK    BASSIN    COMMEHC.l.VL    DE    LA    SEINE  1001 

EvREux,  sur  l'Iton  (16.^05  habitants),  qui  centralise  avec  Bernay  le 
commerce  des  grains,  des  bestiaux,  des  laines  et  des  chevaux. 

A  l'ouest,  Rouen,  sur  la  Seine  (107.163  habitants),  le  plus  grand 
marché  de  la  Normandie,  grâce  aux  sept  lignes  qui  le  traversent.  Cette 
ville  a  remplacé  Mulhouse  pour  les  colonnades,  dont  le  produit  atteint 
80  millions.  Autour  d'elle  se  groupent  :  Yvetot  et  Bolbec,  pour  les  céréales  ; 
Neufchàtel,  pour  les  fromages  et  la  volaille;  Caudebec,  pour  les  fruits 
et  les  légumes;  Elbeuf  (90  millions  d'affaires)  et  Louviers,  pour  leurs 
draps.  Les  villages  qui  entourent  Rouen  sont  des  centres  industriels 
très  importants  qui  lui  fournissent  un  gros  contingent  dans  la  fabrication. 

Ce  faible  aperçu  peut  déjà  donner  une  idée  de  la  puissance  de  ces 
différents  facteurs,  si  nous  voulons  tenir  compte  de  ce  qui  se  passe  dans 
leur  rayon.  Mais  si  on  désire  la  résumer  d'une  manière  à  la  fois  simple 
et  précise,  on  peut  dire  que  la  Normandie  envoie  à  Paris  ses  bestiaux  et 
le  pi'oduit  de  ses  basses-cours,  le  Nord  ses  étoffes  et  son  charbon,  l'Ile- 
de-France  ses  pierres  de  construction  et  ses  légumes,  la  Champagne  et 
la  Bourgogne  leurs  vins,  le  Morvan  son  bois,  la  Beauce  le  blé  qui  doit 
le  nourrir. 

Maintenant,  nous  allons  passer  brièvement  en  revue  ce  que  sont  dans 
ce  bassin  l'agriculture,  l'industrie  et  le  commerce. 

L'agriculture,  avons-nous  dit,  fournissait  un  grand  contingent  à  sa 
richesse.  En  effet,  nous  pouvons  estimer  à  4  milliards  ses  productions 
tant  animales  que  végétales,  en  y  comprenant  la  main-d'œuvre  qui  est 
relativement  bon  marché.  Les  céréales  entrent  dans  ce  chiffre  pour 
713  millions  et  demi  ;  c'est  surtout  l'Eure-et  Loir,  l'Aisne  et  l'Oise  qui  en 
fournissent  le  plus.  Viennent  ensuite  les  pommes  de  terre  pour  91  mil- 
lions, avec  Seine-et-Oise  au  premier  rang.  Les  animaux  de  ferme  y 
figurent  pour  un  milliard  et  demi,  les  vignes  pour  143  millions,  les  bette- 
raves pour  60  millions,  cultivées  en  grand  dans  les  départements  de 
Seine-et-Marne,  de  Seii^e-et-Oise,  de  l'Aisne  et  de  l'Oise.  Dans  cette  sta- 
tistique manque  le  produit  des  forêts,  des  fruits  de  table  et  des  fleurs. 
Notons  que  treize  départements  produisent  pour  7o  millions  de  cidre. 
Malgré  la  création  de  nombreuses  fermes  modèles,  d'écoles  d'agriculture, 
de  comices  et  de  sociétés  agricoles,  l'établissement  des  Concours  régionaux 
et  des  Expositions  agricoles,  notre  région  est  loin  d'être  aussi  productive 
que  l'Angleterre  et  certaines  contrées  de  l'Amérique  du  Nord,  dont  le  sol 
est  plus  neuf,  il  est  vrai  ;  mais  il  faut  espérer  que,  dans  un  avenir  pro- 
chain, elle  arrivera  à  de  meilleurs  résultats  si  elle  fait  un  plus  grand  usage 
des  machines,  des  engrais,  et  surtout  si  ses  enfants,  attirés  trop  souvent 
par  le  gain  facile  qu'offrent  les  grandes  villes,  restent  attachés  au  sol  qui 
les  a  vus  naître. 

L'industrie,    réputée  16  milliards  dans  toute   la  France,   occupe   une 


1002  GÉOGRAPHIE 

place  considérable  dans  ce  l)assin.  Domergue  l'estime  à  près  de  5  mil- 
liards. D'après  lui,  ce  sont  .les  départements  de  la  Seine,  de  la  Seine- 
Inférieure,  de  l'Eure,  de  l'Aisne,  des  Ardennes  et  de  la  Marne  qui  l'em- 
porteraient comme  production  industrielle;  mais  nous  croyons  qu'il  est 
très  difficile  d'en  donner  une  évaluation  bien  précise,  vu  les  données 
qui  nous  manquent  pour  certaines  industries.  Ainsi,  pour  les  matières 
textiles  si  utilisées  dans  la  Seine-Inférieure,  l'Eure,  l'Aube,  l'Aisne  et  la 
Marne,  on  ne  peut  donner  que  le  nombre  de  broches  et  d'ouvriers,  soit 
2.7oo.933  et  103.349.  ou  le  tiers  de  toutes  les  broches  françaises  en 
activité  ;  pour  les  appareils  à  vapeur,  nous  ne  pouvons  accuser  que  celui 
des  machines  et  de  leur  force  en  chevaux-vapeur,  soit  18.457  et  ^22.0.78, 
ou  le  tiers  de  toutes  les  machines  à  vapeur,  surtout  très  nombreuses 
dans  la  Seine  et  les  départements  avoisinants.  L'Annuaire  statistique  est 
moins  discret  pour  les  suivants  :  les  combustibles  minéraux  donnent 
224  millions,  le  gaz  83  millions,  les  minerais  400.000  francs,  la  produc- 
tion métallurgique  près  de  60  millions,  les  industries  du  logement  (céra- 
mique, verrerie,  glaces)  6i  millions,  les  industries  chimiques  (bougie, 
savon,  alcool)  94  millions,  les  raffineries  245  millions,  le  papier  et  le 
carton  près  de  22  millions.  Le  tabac  rapporte  au  fisc  lOo  millions.  Avec 
les  produits  minéraux,  on  pourrait  arriver  à  un  milliard,  chiffre  encore 
inférieur  à  la  production  réelle.  Peut-être  les  différentes  chambres  de 
commerce  de  la  région  pourraient-elles  nous  aider  à  combler  cette  diffé- 
rence !  Lors  de  notre  dernière  Exposition  universelle,  nous  avons  pu 
nous  convaincre  de  notre  force  industrielle  et  constater  avec  un  légitime 
orgueil  que  la  plupart  de  nos  articles  pouvaient  rivaliser  avec  ceux  des 
autres  nations,  quand  ils  ne  les  dépassaient  pas. 

Le  commerce,  pour  effectuer  ses  échanges,  a  besoin  d'intermédiaires, 
comme  les  monnaies,  les  poids  et  mesures,  les  routes,  les  chemins  de  fer, 
les  canaux,  auxquels  il  faut  ajouter  le  télégraphe,  la  poste  et  le  téléphone 
pour  les  grandes  villes. 

Le  commerce  qui  s'exerce  sur  les  produits  naturels  du  sol,  sur  ceux 
de  nos  usines,  fabriques  et  ateliers,  et  sur  toutes  les  marchandises  impor- 
tées de  l'étranger,  s'élève  pour  la  France,  selon  H.  Mager,  à  plus  de 
80  milliards. 

Pour  notre  commerce  général  de  1888,  l'Annuaire  accuse  10  milliards 
et  pour  notre  commerce  spécial  8  milliards. 

Nous  ne  chercherons  pas  à  évaluer  le  trafic  opéré  par  les  messageries 
sur  les  routes  qui  sillonnent  notre  bassin.  Il  est  toujours  relativement 
considérable  aux  environs  des  grands  centres.  Nous  nous  occuperons  sur- 
tout des  chemins  de  fer,  dont  le  tonnage  atteint  près  de  8  millions  de 
tonnes  et  dont  les  recettes  s'élèvent  à  121  millions  de  francs,  ce  qui 
représente    le  huitième   du   trafic  de  toutes    les  lignes  françaises  ;  des 


H.    DUPONT.    LE    15.VSS1N    COMMEllClAL    DE    LA    SELNE  1003 

tramways,  qui  par  334  kilomètres  perçoivent  23  millions  comme  produit 
brut  sur  35  millions  résultant  de  l'exploitation  totale;  des  bateaux  pari- 
siens, qui  ont  transporté  en  1887  plus  de  16  millions  de  voyageurs  et 
rapporté  plus  de  2  millions  à  la  Compagnie;  des  canaux  qui  transportent  : 
combustibles  minéraux,  matériaux  de  construction,  engrais  et  amende- 
ments, bois  à  brûler  et  bois  de  service,  machines,  industrie  métallique, 
produits  industriels,  agricoles,  denrées  alimentaires,  divers,  bois  llotlés 
de  toute  espèce;  soit  un  total,  pour  1889,  de  24.059.182  tonnes,  nombre 
qui  excède  de  739.482  tonnes  celui  de  l'exercice  précédent. 

Examinons  la  répartition  des  transports  par  lignes  de  navigation. 

1°  Vers  la  frontière  belge,  une  des  plus  grandes  voies  : 

L'Oise  canalisée,    le   canal  latéral  à  l'Oise,  le  canal  de  Manicamp, 
le  canal  de  Saint-Quentin  ont  transporté..   Tonnes.       605.304 

2"  Vers  la  Meuse  : 

L'Aisne  canalisée,    le   canal   latéral   à  l'Aisne,  le  canal 
des  Ardennes 267.490 

3°  Vers  la  frontière  de  l'est  : 

La  Marne,  de  Charenton  à  Dizy,  le   canal  latéral  à  la 
Marne 274.455 

4°  Vers  l'Océan  et  le  sud  : 

La  Seine,  du  Havre  à  Rouen.    .  Tonnes.  54.826 

—  de  Rouen  à  l'Oise 935.669 

—  de  l'Oise  à  la  Rriche 69.748 

—  de  la  Rriche  à  Paris 90.965 

—  Traversée  de  Paris.    .        .    .  -.  1.017.483 

—  de  Paris  à  Corbeil 1.166.902 

—  de  Corbeil  à  Montereau.   .    .    .  174.889 

—  de  Montereau  à  Laroche  ...  48.016  , 

§0  Yçj.g  ]j^  Loire  : 

Canal  du  Loing Tonnes.       198.896 


3.758.498 


Soit,  pour  la  région,  un  total  de  plus  de  5  millions  de  tonnes;  ce  qui 
fait  un  peu  plus  du  quart  de  notre  navigation  intérieure.  En  estimant 
à  40  centimes  par  tonne   et  par   kilogramme  le   prix  du  transport,  on 


1004  GÉOGRAl'HIE 

arrive  à  un  chiffre  respectable,  mais  pourtant  assez  difficile  à  calculer, 
vu  les  prix  divers  sur  chaque  tronçon,  l'époque  de  l'année  et  la  con- 
currence. 

Nous  mentionnerons  pour  mémoire  le  tonnage  des  canaux  qui  nous 
a  voisinent  : 

Canal  de  l'Ourcq Tonnes.         450.285 

—  Saint-Denis. 1.718.239 

—  Saint-Martin 712.413 

Notons  que  la  part  du  trafic  revenant  à  la  navigation  à  vapeur  est 
très  faible  (325  tonnes)  :  c'est  un  peu  plus  que  la  moitié  du  transport 
total  par  bateaux  à  vapeur. 

Les  routes,  les  chemins  de  fer,  les  cours  d'eau  desservent  et  approvi- 
sionnent les  places  ou  les  marchés  des  grandes  villes;  mais  l'excédent 
des  denrées  ou  des  marchandises  est  réservé  aux  contrées  qui  en  man- 
quent et  dirigé  à  cet  effet  vers  les  ports  qui  se  chargent,  au  moyen  de 
leurs  vapeurs  et  de  leurs  voiliers,  de  les  faire  parvenir  à  destination. 

Le  principal  débouché  de  la  région  est  le  Havre,  qui  offre  une  sur- 
face d'eau  de  64  hectares  et  près  de  10  kilomètres  de  quais.  Les  docks 
s'étendent  sur  28  hectares  et  peuvent  contenir  150.000  tonnes  de  mar- 
chandises. 14.000  navires  entrent  et  sortent  chaque  année  de  ce  deuxième 
port  de  France. 

Le  chiffre  de  ses  exportations  est  de  927.677.575  francs.  En  première 
ligne  viennent  : 

Les  tissus,  passementerie,    rubans  de   soie,  bourre   de 

soie Fr.  145.487.520 

Les  tissus,  passementerie  et  rubans  de  laine 90.806.259 

Les  tissus,  passementerie  et  rubans  de  coton 86.575.199 

Le  café 84.364.872 

Les  peaux  préparées 69.941.171 

Les  vêtements 30.253.877 

Enfin,  citons  la  tabletterie,  les  éventails,  la  brosserie,  les  peaux  et  les 
pelleteries  brutes,  la  soie  et  la  bourre,  les  outils,  le  coton,  l'horlogerie, 
les  extraits  de  bois  de  teinture,  la  bijouterie  fausse,  les  vins,  le  beurre 
qui  figurent  pour  une  valeur  comprise  entre  20  et  10  millions; 

Le  papier-carton,  les  tissus  de  lin  et  de  chanvre,  les  médicaments, 
les  machines,  la  plume  de  parures,  les  poteries,  les  produits  chimiques, 
les  modes,  les  meubles,  les  fromages,  le  sucre,  la  parfumerie,  les  cha- 
peaux, pour  une  valeur  comprise  entre  10  et  3  millions. 


H.    DUPOiNT.    LE    TUAFIC    COMMERCIAL    DE    LA    SEINE  iOOo 

Le  cliifîrc  de  ses  importations  est  de  8o9.903.289  francs  ;  elles  con- 
sistent en  coton,  café,  laines,  tissus  divers,  huiles,  graisses,  cuivre,  soie 
et  bourre,  indigo,  tabac,  horlogerie,  houille,  bois  commun,  fromages, 
viandes  fraîches,  eau-de-vie,  dont  la  valeur  est  comprise  entre  13(3  et 
4  millions. 

Valeur  de  la  pêche  :  230.071  francs. 

Autour  de  ce  satellite  gravitent  : 

1°  Rouen,  port  de  mer  au  môme  titre  que  Bordeaux  et  Nantes.  11 
exporte  pour  37.833.791  francs  de  marchandises;  ce  sont  :  sucres,  drilles, 
meubles,  outils,  peaux  brutes,  produits  chimiques,  bimbeloterie,  semences, 
bitume,  coton  ou  laine,  cuivre  pur  (de  4  à  1  million),  blé,  fruits,  vins, 
alcool,  suif,  huiles,  etc.;  il  importe  pour  159.53G.9I5  francs  de  coton, 
houille,  fers  d'Angleterre,  marbres,  plomb  et  laine  d'Espagne,  zinc,  etc. 

Valeur  de  la  pèche  :  29.053  francs. 

2°  Dieppe  (23.0o0  habitants),  dont  le  port  est  excellent.  Ses  exporta- 
tions montent  à  156. 075.486  francs,  ses  importations  à  80.370.713  francs. 
Les  premières  consistent  en  peaux  (19  millions),  tissus  de  soie,  plumes, 
œufs  (6  millions),  fruits,  Heurs,  fils,  bimbeloterie,  beurre,  horlogerie, 
fromage,  outils,  céréales,  articles  de  Paris,  vins,  poteries,  papier,  légumes 
verts,  etc.  Les  secondes,  en  bois  Scandinaves,  fers  de  Suède,  chanvre  de 
Russie,  laines,  houilles,  fontes  anglaises,  etc. 

Valeur  de  la  pêche  :  1.288.585  francs. 

3°  Fécamp  (13.000  habitants),  le  port  le  plus  profond  de  la  Manche 
(19'°,30  à  la  hauteur  mer  de  vive  eau)  et  le  plus  important  pour  les  arme- 
ments de  la  pêche  à  la  morue,  du  maquereau  et  du  hareng.  11  reçoit  de 
la  Baltique  les  bois  de  construction,  les  charbons,  les  grains;  il  expédie 
le  galet  noir  et  la  marne  pour  les  usines  anglaises,  la  liqueur  dite  Béné- 
dictine, Son  mouvement  maritime  comprend  500  navires  et  60  bâtiments 
destinés  à  la  pêche  de  la  morue. 

Valeur  de  la  pêche  :  6.376.755  francs. 

4°  Saint- Valéry -en-Caux  (5.000  habitants),  qui  fait  les  mêmes  arme- 
ments, exporte  les  produits  de  l'arrondissement  d'Yvetot,  le  galet  noir 
pour  la  fabrication  de  la  porcelaine  anglaise,  et  importe  les  charbons, 
les  bois  du  Nord,  les  grains. 

Valeur  de  la  pèche  :  631.870  francs. 

5°  Le  Tréport  (4.000  habitants)  exporte  la  farine,  le  froment,  les  tour- 
teaux, les  biscuits  de  mer:  importe  la  houille,  les  bois  du  Nord,  le  lin 
de  Russie,  les  ardoises  et  les  grains. 

Valeur  de  la  pèche  :  857.268  francs. 

6°  Eu  (4.500  habitants)  exporte  les  farines  provenant  des  minoteries  de 
la  localité  et  importe  les  charbons  et  bois  du  Nord. 

1°  Etretat  (1.650  habitants),  petit  port  de  |>êche. 


lOOG  GÉOGRAPHIE 

8°  Veilles  et  Yport  (1.700  habitants),  ports  d'échouage. 

9"  Harfleur.  Tancarvillc,  Villequier,  Caudebec,  Duclair,  la  Meilleraye, 
qui  ont  peu  d'importance  ;  Quillebeuf,  dont  le  tonnage  n'est  que  de 
o.OOO  tonnes  par  an. 

10°  Pont-Audemer  flj.lGS  habitants),  qui  exporte  du  cidre,  des  toiles  et 
des  bestiaux. 

11°  Honfleur  (10.000  habitants)  complète  cette  série  de  ports;  il  exporte 
10  millions  de  kilogrammes  d'œufs,  4  millions  de  beurre,  2  millions  de 
fruits  de  table,  des  chevaux,  des  animaux  de  boucherie,  des  céréales, 
des  huiles  de  graine,  des  papiers,  de  la  verrerie,  de  !a  porcelaine,  du 
cuir,  des  fromages;  il  importe  des  bois  du  ,Nord,  les  charbons  anglais, 
les  fontes  et  fers  de  Suède. 

Valeur  de  la  pêche  :  397.470  francs. 

Tous  les  produits  de  la  région  ne  s'écoulent  pas  tous  par  les  ports 
précités,  d'autres  partent  par  Dunkerque,  Boulogne  et  Calais.  Aussi 
croyons-nous  utile  de   les  faire  participer  pour  un   tiers  dans  le   trafic 

total . 

Pour  ce  qui  concerne  la  poste,  le  télégraphe  et  le  téléphone,  nous  nous 
contenterons  d'en  accuser  les  produits  nets  (64  millions  145.000  francs). 

Quant  aux  douanes,  elles  dépassent  de  moitié  la  perception  totale,  qui 
monte  à  337  millions  et  demi. 

Nous  pourrions  montrer  les  relations  de  ces  différents  ports  avec  tous 
les  pays  du  monde,  mais  nous  ne  voulons  pas  abuser  de  votre  extrême 
bienveillance. 

Tel  est  l'exposé  succinct  de  ce  bassin,  exposé  que  nous  aurions  désiré 
rendre  plus  complet,  si  nous  n'avions  été  arrêté  par  des  difficultés  de 
toutes  sortes.  Les  chiffres  que  nous  avons  donnés  sont  de  la  plus  rigou- 
reuse exactitude,  grâce  aux  documents  que  notre  collègue  M.  Turquan 
a  daigné  nous  signaler.  Si  nous  ne  craignions  d'être  désapprouvé  par 
les  membres  du  Congrès,  nous  oserions  bien  donner  15  milliards  comme 
chiffre  d'affaires  de  la  région  de  la  Seine,  mais  nous  craignons  d'être 
en  deçà  ou  au  delà  de  la  vérité. 

Nous  serions  heureux  pourtant  de  voir  ce  travail  pris  en  considération 
et  étudié  dans  ses  grandes  lignes  par  ceux  qui  s'occupent  de  géographie 
économique  ;  car,  avant  de  songer  à  notre  expansion  coloniale  à  laquelle 
nous  ne  sommes  pas  opposé,  il  faut  songer  aux  besoins  de  la  France, 
afin  de  lui  permettre  de  lutter  avec  succès  contre  les  nations  rivales  sur 
le  champ  de  bataille  commercial. 


E.    ROSTAND.    DES    CAISSES    d'ÉPARGNE    FRANÇAISES  1007 


M.    Eugène  EOSTAID 

Lauréat  de  l'Institut,  Président  de  la  Caisse  d'épargne  de  Marseille. 


DE    LA    REFORME     DE    LA    LEGISLATION    SUR    LE    RÉGIME    D'EMPLOI    DES    CAISSES 

D'ÉPARGNE  FRANÇAISES 


—  Séance  du  16  septembre  1892  — 

Si  j'ai  tenu  à  présenter  au  Congrès  la  question  de  la  réforme  du  ré- 
gime légal  d'emploi  des  caisses  d'épargne  françaises,  c'est  qu'elle  est 
une  des  grandes  actualités  économiques  du  moment,  qu'elle  touche  à  des 
intérêts  immenses,  un  capital  de  trois  milliards  et  demi,  la  destinée  de 
plus  de  o40  institutions,  et  qu'il  y  a  dans  notre  économie  sociale  à 
ce  point  de  vue  une  déviation,  un  arriéré  qui  appellent  lin  avancement 
nécessaire  —  l'objet  propre  de  votre  Association.  —  Cet  exposé  me  sera 
plus  facile  sous  l'autorité  des  idées  générales  que  viennent  d'indiquer  une 
fois  de  plus,  à  propos  du  rôle  de  l'action  privée  et  des  limites  de  l'inter- 
vention de  l'État,  MM.  Léon  Say  et  Frédéric  Passy. 

En  quels  termes  se  pose,  pour  la  science  économique,  pour  une  éco- 
nomie publique  saine,  le  problème  de  l'emploi  des  capitaux  maniés  par 
ces  institutions  qu'on  appelle  des  caisses  d'épargne  ? 

Elles  tiennent  de  leur  nature  même  et  de  leur  but  deux  fonctions  : 
recueillir  les  épargnes  populaires  pour  les  préserver,  employer  ces  épargnes 
à  l'avantage  des  déposants  et  du  pays. 

On  est  d'accord  sur  cette  notion. 

On  l'est  aussi,  théoriquement  au  moins,  sur  les  conditions  auxquelles 
les  emplois  doivent  satisfaire  pour  que  l'objectif  soit  atteint. 

Les  emplois  devront  : 

1°  Offrir  le  plus  de  sécurité  possible; 

2°  Permettre  une  disponibilité  suffisante  pour  pourvoir  aux  retraits  ; 

3°  Par  une  fructification  prudente,  produire  assez  pour  ne  pas  décou- 
rager l'économie  populaire,  pour  faciliter  la  marche  et  le  perfectionnement 
des  institutions,  pour  leur  procurer  des  réserves  ; 


1008  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

4"  Échapper  aux  stagnations,  aux  emplois  passifs,  faire  concourir  les 
épargnes  du  peuple  à  la  circulation  économique,  à  l'activité  locale,  au 
mieux-être  des  laborieux  qui  les  ont  formées. 

Comment  le  problème  a-t-il  été  résolu,  en  fait,  expérimentalement? 

D'après  deux  conceptions  : 

L'une,  qu'on  peut  qualifier  d'universelle,  puisque  c'est  celle  qu'ont 
admise  à  peu  près  toutes  les  nations  dans  les  deux  mondes  ; 

L'autre,  qui  n'existe  absolue  que  dans  notre  pays. 

La  conception  universelle  peut  se  formuler  ainsi  : 

a.  Pour  les  dépôts,  régime  de  libre  emploi  sur  place  par  les  insti- 
tutions, réglementé  plus  ou  moins  largement,  avec  les  variantes  nationales, 
par  la  loi  ou  les  statuts,  en  vue  de  répondre  le  mieux  possible  aux 
conditions  que  j'ai  énoncées  ; 

b.  Pour  les  bénéfices  de  la  gestion  de  ces  dépôts,  emploi  d'une 
partie,  suivant  les  mêmes  règles,  à  la  constitution  de  solides  réserves,  et 
restitution  du  surplus  au  peuple  créateur  de  ces  bénéfices  en  contribution 
sous  mille  formes  à  l'amélioration  de  la  condition  morale  ou  matérielle 
de  ce  peuple . 

En  a-t-il  été  de  même  en  France  ? 

En  aucune  façon. 

La  conception  française,  —  encore  le  mot  n'est-il  pas  assez  exact,  car 
M,  Léon  Say  soutient  (et  c'est  une  idée  qui  lui  est  chère)  que  telle  ne 
fut  point  la  conception  originelle,  qu'elle  s'est  altérée  avec  le  temps,  — 
nous  pouvons  la  définir  comme  voici  : 

a.  Pour  les  dépôts,  adduction  intégrale  à  une  caisse  d'État,  la  Caisse  des 
Dépôts  et  Consignations,  et  emploi  par  cette  Caisse  seule  exclusivement 
en  titres  de  la  Dette  d'État  ou  en  compte  courant  au  Trésor  d'État  ; 

b.  Pour  les  bénéfices  de  la  gestion  de  ces  dépôts,  même  absorption, 
même  emploi,  sans  que  rien  en  profite  aux  déposants. 

J'ai  démontré  ailleurs  comment  cette  solution  répond  aux  conditions 
dont  nous  avons  parlé.  Il  suffit  d'indiquer  : 

Pour  la  sécurité,  que  les  crises  générales  de  nos  caisses  d'épargne  en 
1848  et  en  1870  confirment  les  données  du  sens  commun,  que  l'accrois- 
sement du  risque  suit  parallèlement  celui  du  stock,  qu'il  s'aggrave  encore 
dans  l'hypothèse  d'un  État  tombant  en  des  mains  téméraires  ; 

Pour  la  disponibilité  à  vue,  que  l'atermoiement  légalisé  aux  époques  où 
cette  disponibilité  est  la  plus  nécessaire  est  la  base  môme  du  système; 

Pour  la  productivité,  qu'elle  diminue  constamment  à  mesure  que 
l'emploi  s'opère  en  rentes  achetées  plus  cher,  et  que  même  à  une  fixité 
factice,  arbitraire,  du  taux  d'intérêt,  il  faudrait  préférer  (je  vais  ici  un 
peu  plus  lom  que  M.  Dumond,  dont  l'excellente  communication  a  précédé 
la  mienne)  le  revenu  normal  que  se  fait  chaque  institution; 


E.    ROSTAND.   —   DES    CAISSES   d'ÉPAUGNE   FRANÇAISES  1009 

Pour  Vutilité,  que  le  système  en  est  la  négation,  noyant  des  milliards 
d'épargne  dans  le  passif  de  l'État. 

En  préférant  à  un  semblable  régime  celui  qu'elles  ont  choisi,  les  autres 
nations  ont  été,  au  fond,  dans  la  vérité  économique  et  morale.  Dès  1S83 
dans  l'admirable  petit  livre  si  suggestif  que  vous  connaissez,  M.  Léon 
Say,  racontant  ce  qu'il  venait  de  voir  dans  les  caisses  d'épargne 
italiennes,  et  comparant  leur  méthode  d'emploi  à  la  nôtre,  n'hésitait  pas 
à  écrire  :  «  Il  n'est  pas  un  économiste  qui  ne  doive  déclarer  la  méthode 
italienne  très  supérieure.  » 

Soixante-dix  années  do  fonctionnement  du  système  français  ont  produit 
des  efïets  qui  commencèrent  d'apparaître,  sous  l'aspect  surtout  du  danger 
pour  l'État,  à  mesure  que  le  mouvement  ascensionnel  normal  de  l'épargne 
populaire  a  porté  le  total  des  dépôts  aux  environs  de  trois  milHards. 

Je  me  borne  ici  à  résumer,  en  quelques  traits  principaux,  ces  effets 
du  régime. 

i"  Pour  le  pays  :  il  a  détourné  un  peu  partout,  dans  plus  de  1.500  loca- 
lités, la  masse  des  petites  épargnes  de  l'agriculture,  de  l'industrie,  du 
commerce,  des  travaux  publics  départementaux  et  communaux,  de  toutes 
les  formes  de  la  production  et  de  l'activité  régionales  ;  —  il  a  fait  affluer 
toutes  les  épargnes,  même  de  nos  colonies,  en  un  centre  encombré,  créant 
l'apoplexie  pour  le  cerveau  et  la   paralysie  pour   les  membres  ;  —  il  a 
rendu    le  plus  mauvais  service  au  crédit    public,    sous    couleur   de   le 
servir,  en  le  surmenant  par  des  achats  forcés  sans  terme,  sauf  à  l'écraser 
en  cas  de  crises  par  des  ventes  en  baisse  ;  enfin,  à  un  point  de  vue  sur 
lequel  je  voudrais  appeler  l'attention  des  membres  présents  du  Parlement, 
il  crée  en  cas  de  guerre,  par  la  nécessité  d'énormes  remboursements,  une 
infériorité  redoutable  sur  les   pays  de  libre  emploi  comme  l'Allemagne, 
■où  lÉtat  n'est  pas  le  banquier  responsable  des  caisses  d'épargne  et  dispo- 
serait de  ses  ressources  sans  complication  de  ce  côté. 

2°  Pour  les  classes  populaires  :  il  a  empêché  leur  éducation  économique 
que  la  gestion  sur  place  aurait  facilitée,  il  les  a  habituées  à  un  taux 
arbitraire  de  loyer  de  leurs  épargnes,  il  a  tué  en  elles  toute  confiance 
en  autre  chose  que  l'État;  il  ne  leur  a  rien  restitué  des  bénéfices  de  la 
gestion,  et  a  ainsi  contribué  à  un  prodigieux  arriéré  pour  les  progrès 
sociaux  pratiques,  coopération,  habitations  améliorées,  crédit  populaire, 
crédit  agricole,  etc.. 

Pour  les  classes  aisées  :  il  leur  a  inspiré  les  mêmes  fétichismes  étatistes: 
il  les  a  isolées  ;  il  les  a  acoquinées  à  l'égoïste  besogne  de  commis  drainant 
pour  l'État  sans  songer  à  rien  de  plus,  et  épouvantés  de  toute  initiative 
libre. 

3°  Pour  les  institutions  :  il  a  abouti  ;V  des  caisses  d'épargne  médiocres, 
simples  agences  d'encaissement  pour  l'État,  pauvres  tout  en  n'ayant  jamais 

64* 


1010  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

rien  donné,  et  à  réserves  vraiment  nulles  par  rapport  aux  réserves  des 
caisses  à  libre  emploi  qui  ont  pourtant  répandu  les  bienfaits  dans  leurs 

régions. 

4*^  Pour  l'État  lui-même  :  il  lui  a  imposé,  par  l'obligation  profondément 
fausse  de  placer  toutes  les  épargnes  des  citoyens  et  de  les  rembourser  en 
numéraire,  une  responsabilité  colossale,  et  dont  on  n'aperçoit  pas  le  point 
terminus;  il  a  transformé  une  énorme  part  de  sa  dette  perpétuelle  en 
dette  exigible  ;  il  l'a  poussé  et  le  pousse  par  l'absorption  assurée  d'em- 
prunts nouveaux  au  moyen  des  caisses  d'épargne, à  des  émissions  qui  faci- 
litent l'excès  de  dépenses  et  qui  alourdissent  sans  cesse  une  Dette  déjà 
arrivée  à  trente-deux  milliards. 

D'un  régime  dont  les  vices  sont  si  complexes,  si  nombreux  et  si 
graves,  que  devrait,  théoriquement,  être  la  réforme? 

Le  libre  emploi  restitué  aux  caisses  d'épargne  ordinaires,  sous  des  régle- 
mentations légales,  et  le  placement  en  rentes  avec  garantie  d'Etat  con- 
servé par  la  Caisse  d'épargne  postale  à  ceux  qui  y  tiendraient:  d'un  côté 
la  Caisse  postale  offrant  la  signature  de  l'État,  mais  la  faisant  payer  par 
un  taux  très  abaissé  d'intérêt,  et,  de  l'autre,  les  caisses  ordinaires  pour 
les  déposants  qui  préféreraient  l'utilisalion  locale  avec  une  productivité 

supérieure. 

A'oilà  la  solution  intégrale,  qui  remettrait  les  choses  en  leur  place  et 
referait  de  la  vé-rité  complète. 

Mais  tout  s'oppose  à  une  réforme  aussi  radicale  :  la  résistance  de  l'Etat, 
la  résistance  des  institutions,  la  résistance  des  habitudes  générales, 

11  faut  faire  un  premier  pas  en  comptant  avec  le  passé,  avec  les  faits 
acquis.  On  pourra  avancer  moins  craintivement  ensuite,  lorsqu'on  aura 
pu  juger  des  résultats,  vers  la  transformation  graduelle  du  régime. 

Comment  avons-nous  procédé  pour  introduire  et  acclimater  l'idée,  ainsi 
circonscrite,  de  la  réforme  ? 

Par  quatre  moyens  :  l'enquête  à  l'étranger,  une  formule  de  solution 
adaptée  et  acceptable,  des  brèches  ouvertes  dans  le  système  en  vigueur, 
la  propagande. 

1°  Noire  enquête.  —  Non  seulement  il  n'existait  en  France  aucun 
ouvrage  qui  permît  de  se  rendre  compte  du  régime  d'emploi  des  caisses 
d'épargne  étrangères,  mais  les  documents  publiés  par  ces  établissements 
ne  se  trouvaient  dans  aucune  bibliothèque  publique.  Nous  résolûmes  de 
rassembler  ces  documents.  M.  Say  avait  tourné  nos  yeux  vers  l'Italie. 
Notre  enquête  a  porté,  outre  ce  pays,  sur  l'Angleterre,  l'Allemagne, 
l'Australie,  l'Autriche-Hongrie,  la  Belgique,  le  Canada,  le  Danemark, 
l'Espagne,  les  États-Unis,  la  Hollande,  la  Norvège,  le  Pérou,  le  Portugal, 
la  Russie,  la  Suède,  la  Suisse. 

Nous  avons  recueilli  les  statuts,  les  comptes  rendus  d'un  grand  nombre 


E.    UOSTAXD.    —    DES    CAISSES   d'ÉI'ARGiNE    FRANÇAISES  1011 

de  caisses  d'épargne  de  ces  nations  si  dissemblables,  et  créé,  dans  la 
bibliothèque  technique  de  la  Caisse  d'épargne  de  Marseille,  un  fonds 
étranger,  qui  est  d'un  intérêt  extrême,  tel  que  ne  le  soupçonnent  pas  les 
admirateurs  entêtés  de  notre  statu  quo.  11  s'en  est  dégagé  des  conclu- 
sions décisives.  Elles  ont  fait  l'objet,  avec  la  démonstration  de  doctrine 
que  je  viens  de  résumer,  d'un  ouvrage  en  deux  volumes  que  j'ai  publié 
sous  le  titre  la  Réforme  des  caisses  d'épargne  françaises,  et  que  connais- 
sent quelques-uns  de  mes  bienveillants  auditeurs.  En  somme,  le  régime 
de  libre  emploi  n'est  pas  du  tout,  comme  on  a  prétendu  le  faire  croire, 
un  régime  italien:  c'est  un  régime  à  peu  près  universel. 

2°  Solution  adaptée.  —  Puisqu'on  ne  pouvait  songer  à  offrir  cette 
liberté  à  un  pays  qui  depuis  si  longtemps  livre  à  l'Etat  toutes  ses  épargnes 
populaires  et  ne  croit  qu'en  la  rente,  nous  présentâmes  une  formule  de 
solution  très  circonspecte:  un  libre  emploi  facultatif,  réglementé,  limité  à 
une  fraction  des  dépôts.  Nous  pûmes,  au  prix  de  grands  efforts,  la  faire 
admettre  à  la  délégation  des  caisses  d'épargne  à  la  fin  de  mai  1888; 
traçant  la  réglementation,  elle  proposa  de  borner  l'emploi  libre  au  quart 
des  fonds  reçus  au  31  décembre  du  dernier  exercice,  conservant  pour  les 
trois  quarts  le  compte  courant  à  la  Caisse  d'État,  puis  de  limiter  l'emploi 
du  quart  disponible  à  certains  placements,  valeurs  garanties  par  l'État, 
obligations  négociables  des  départements,  des  communes,  des  chambres 
de  commerce,  prêts  sur  première  hypothèque,  opérations  de  crédit  agricole, 
industriel  ou  populaire  dans  la  région,  ces  deux  derniers  modes  ne  pou- 
vant excéder  le  quart  du  quart  disponible.  Depuis  j'ai  précisé  davantage, 
j'ai  proposé  pour  les  emplois  du  quart  disponible  une  liste  limitative. 
La  délégation  des  caisses,  qui  avait  échappé  un  moment  au  joug  des 
obstinés  Étatistes,  émit  en  1890  un  vote  contraire  au  premier.  Mais  le 
groupe  réformiste  a  continué  de  soutenir  la  solution  moyenne  qui  a  été 
la  base  de  toute  notre  action. 

3°  Brèches  ouvertes.  —  Une  doctrine  d'innovation,  pour  devenir  intel- 
ligible à  l'esprit  public,  pour  prouver  sa  praticabilité,  a  besoin  de  se 
traduire  en  réalités  vivantes.  Il  importait  de  montrer  par  des  faits  à  quoi 
le  libre  emploi,  même  à  l'état  d'exception  autorisée  et  d'embryon,  peut 
servir  :  les  conclusions  se  dégageraient  d'elles-mêmes.  La  caisse  d'épargne 
de  Lyon,  avait  en  1886,  sans  tirer  d'ailleurs  de  son  acte  d'induction 
générale,  placé  une  part  de  sa  réserve  dans  la  Société  des  logements  éco- 
nomiques, s'estimant  libre  sur  ce  point  en  vertu  de  ses  statuts.  La  caisse 
de  Marseille  conçut  un  autre  dessein  :  ouvrir  une  brèche  dans  le  système 
au  seul  point  où  le  permettait  la  tutelle  de  l'État,  c'est-à-dire  l'emploi 
soit  de  la  fortune  personnelle,  soit  des  bonis  annuels  ;  et  tout  en  reven- 
diquant pour  la  généralité  des  caisses  une  législation  moins  étroite, 
concilier  la  législation  existante  sur  ce  point  où  la  chose  était    possible 


1012  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

avec  quelques  essais  rendus  acceptables  aux  plus  timorés  par  les  garanties 
de  la  tutelle  administrative  et  le  fiat  de  TÉtat.  Ces  essais  ont  été  de  deux 
sortes  :  emploi  autorisé  par  les  trois  décrets  successifs  des  13  août  1888, 
4  février  1889,  30  juillet  1892,  d'une  partie  de  la  réserve  ou  fortune 
personnelle  en  interventions  pour  l'amélioration  des  logements  ouvriers, 
disponibilité  autorisée  par  le  ministre  du  Commerce  d'un  dixième  des  bo- 
nis annuels  en  œuvres  utiles  au  développement  de  l'épargne.  Je  n'entre 
dans  aucun  détail  sur  les  résultats  favorables  de  ces  essais,  n'en  parlant 
ici  qu'au  point  de  vue  de  la  méthode  suivie  pour  introduire  l'idée  de  la 
réforme. 

40  Propagande.  —  Enfin,  par  la  publication  des  deux  volumes  que  j'ai 
rappelés  tout  à  l'heure,  pleins  de  documents  connus  pour  la  première  fois 
du  public  français,  et  par  une  série  de  conférences  à  Paris,  à  Bourges, 
à  Bordeaux,  à  Lyon,  nous  avons  répandu  autant  que  possible  dans  le 
pays  les  faits  qui  ressortaient  de  l'enquête  à  l'étranger,  des  types  de  lois 
et  de  statuts  des  caisses  à  libre  emploi,  les  résultats  de  notre  propre  essai 
si  timide,  si  restreint,  et  nous  avons  analysé  les  idées  fausses  qui  ont 
cours  sur  le  sujet,  entretenues  beaucoup  plus  par  l'ignorance  ou  l'esprit 
de  routine  que  par  des  convictions  raisonnées. 

Dans  cet  exposé,  que  j'ai  voulu  très  sommaire,  je  ne  crois  pas  devoir 
aborder  la  discussion  de  ces  idées  fausses  et  l'examen  des  objections 
opposées  à  la  réforme  :  mieux  vaut,  il  me  semble,  me  réserver  de  le 
faire  si  quelqu'un,  dans  ce  compétent  auditoire,  m'invitait  à  répondre  à 
telle  ou  "telle  de  ces  objections. 

Le  mouvement  a  abouti  au  projet  de  loi  qui  a  fait  l'objet,  cette  année, 
du  21  mai  au  9  juin,  d'un  long  débat  à  la  Chambre  des  députés  :  pour 
marquer  les  vues  dont  ce  projet  de  loi  s'est  inspiré,  il  suffit  de  rappeler 
que  M.  Léon  Say  faisait  partie  de  la  commission  qui  l'a  préparé,  et  qu'il 
l'a  soutenu  à  la  tribune  avec  l'éminent  rapporteur,  M,  Aynard,  député  de 
Lyon  et  M.  J.-Ch.  Houx,  le  dévoué  député  de  Marseille,  tandis  que 
MlVI.  Hubbard  et  Lockroy,  par  une  intervention  où  se  voit  quelle  sorte 
de  rôle  utile  pourrait  jouer  la  politique  radicale  dans  un  Parlement,  les 
secondaient  en  présentant  la  thèse  de  la  réforme  intégrale. 

De  ce  premier  débat,  qu'est-il  sorti  ?  Un  texte  légal  sur  lequel  la  presse 
s'est  un  peu  méprise,  semble-t-il,  en  le  critiquant  comme  mauvais  et  en 
y  dénonçant  un  échec  des  idées  de  réforme.  C'est  pourquoi  je  tiens  à 
préciser  en  terminant. 

Il  reste  de  la  première  délibération  plusieurs  points  acquis  pour  le 
mouvement  réformiste  : 

a.  L'élargissement  de  la  charte  d'emplois  de  la  Caisse  des  dépôts  et 
consignations  ; 

h.    La  règle  que  cette    Caisse    allouera  aux    institutions  d'épargne  le 


i:.  ROSTAND.  —  Dr:s  CAISSES  d'épargne  françaises  1013 

revenu  effectif  de  son  portefeuille,  au  lieu  d'un  intérêt  arbitraire  dont  on 
avait  tenté  de  faire  un  bénéfice  pour  ie  budget,  c'est-à-dire  le  triomphe 
de  ce  principe  :  ni  r/ain  ni  perte  sur  fa  gestion  des  épargnes  populaires 
par  VÉLat  ; 

c.  La  création  définitive  d'une  réserve  générale; 

d.  La  répartition  facultative  des  rentes  du  portefeuille  de  la  Caisse 
centralisante  ; 

c.  Le  libre  emploi  réglé  des  réserves  ou  fortunes  personnelles  des- 
caisses d'épargne  ; 

/".  La  disponibilité  généralisée  et  légalisée  du  dixième  des  bonis 
annuels  en  œuvres  locales  de  bien  social. 

Ce  sont  là  des  résultats  dont  l'importance  a  échappé  à  la  presse,  mais 
est  considérable. 

Il  reste  à  conquérir  un  point  plus  important  encore  :  le  libre  emploi 
d'une  partie  des  fonds  de  dépôts,  facultatif,  limité  au  quart  de  ces  fonds, 
restreint  aux  caisses  autonomes  par  un  véritable  excès  de  prudence  (car 
à  l'étranger  les  caisses  municipales  ne  sont  pas  soumises  à  un  autre 
régime),  réglementé  avec  une  circonspection  extrême.  Même  sur  cette 
partie  décisive  de  la  réforme,  l'adoption  n'en  a  été  empêchée  que  par  des 
erreurs  de  scrutin  le  lendemain  rectifiées,  mais  irrévocables.  Aussi  la 
commission  renouvelle-t-elle  sa  proposition  en  vue  de  la  deuxième 
lecture. 

Entre  temps,  un  fait  caractéristique  s'est  produit,  qui  donne  raison  une- 
fois  de  plus  à  l'école  réformiste.  La  rente  3  0/0  a  atteint,  a  dépassé  le 
pair,  en  sorte  que,  dans  l'emploi  des  fonds  des  caisses  d'épargne,  l'État 
achète  ses  propres  valeurs  au-dessus  du  pair,  ce  qui,  en  vérité,  ne  serait 
pas  licite  à  une  société  commerciale,  el  ce  qui  abaisse  chaque  jour  da- 
vantage la  productivité  des  emplois. 

Ainsi  les  faits  corroborent,  ils  corroboreront  de  plus  en  plus,  comme 
on  peut  dire,  vous  l'avez  constaté,  que  l'expérience  universelle  confirme^ 
les  vues  de  la  science  économique  sur  la  grande  question  dont  je  viens 
de  tracer  les  lignes  essentielles.  J'attache  infiniment  de  prix  à  ce  que 
votre  Association  scientifique  apporte  l'autorité  doctrinale  de  son  assen- 
timent aux  efforts  de  ceux  qui  poursuivent  en  ce  sens  une  réforme  né- 
cessaire, et  notamment  de  l'illustre  président  d'honneur  de  cette  Section, 
M.   Léon  Sav. 


1014 


ECONOMIE    rOLITIQUE 


M.  É.  CHEYSSOIî 

Inspecteur  géne'ral  des  Ponts  et  Chaussées,  Vice -Président  de  la  Société  française  des  Habitations 
à  l3on  marché.  Président  delà  Société  des  Habitations  économiques  d'Aiiteuil,  à  Paris. 


LES    HABITATIONS    A     BON    MARCHÉ 


—  Séance  du  16  septembre  1892  ■ — 

Parmi  les  questions  qui  rentrent  dans  le  domaine  du  quatrième  groupe 
de  ce  Congrès,  le  groupe  des  Sciences  économiques,  il  n'en  est  peut-être 
pas  de  plus  importante  que  celle  de  l'habitation  populaire  et  de  plus 
digne  de  fixer  l'attention  de  l'Association  française. 

Je  ne  reviendrai  pas  sur  les  dangers  de  toute  sorte  que  présente  l'insa- 
lubrité du  logement,  sur  l'hygiène  domestique,  sur  la  santé  publique,  sur 
la  moralité  des  familles,  sur  la  paix  sociale  :  aveugle  qui  ne  les  verrait 
pas.  Je  ne  dirai  rien  non  plus  des  admirables  tentatives  qui  ont  été 
faites  de  divers  côtés,  parles  classes  aisées,  par  les  patrons,  pour  amélio- 
rer le  logement  du  peuple,  depuis  les  Sociétés  de  Mulhouse  jusqu'à  celles 
du  Havre,  de  Rouen,  de  Lyon,  de  Marseille  et  de  Paris.  De  nombreuses 
descriptions  (1)  nous  ont  familiarisés  avec  ces  combinaisons  philanthro- 
piques :  il  s'agit  plutôt  aujourd'hui  de  les  pratiquer  que  de  les  faire  con- 
naître. 

Mais  il  existe  pour  lutter  contre  le  taudis,  deux  autres  facteurs  très 
puissants,  dont  le  rôle  est  encore  resté  en  France  sans  application, 
tandis  qu'il  se  montre  ailleurs  très  efficace.  Ces  deux  facteurs  sont  l'État 
et  l'intéressé  lui-même.  Le  mal  à  combattre  est  si  profond  et  si  grave 
qu'il  faut  faire  appel  à  l'action  concourante  de  toutes  les  forces,  sans  en 
négliger  aucune.  Que  les  théoriciens  à  système  discutent  la  préférence  à 
donner  à  l'une  ou  à  l'autre  de  ces  forces,  —  grammatici  certent,  —  les 
hommes  de  bon  vouloir,  ceux  qui  tendent  surtout  au  résultat  pratique, 
écartent  toute  exclusion  dogmatique  et  prennent  leur  bien  où  ils  le 
trouvent. 

Je  voudrais  dire  en  quelques  mots  ce  qu'ont  fait,   dans  ces  derniers 


(I)  Voir,  entre  autres,  la  Qucslion  de  l' lui  bi  ta  lion  ouvrière  en  France  et  à  l'étranger,  par  M.  É.  Cheysson. 
(Masson.) 


É.    CHEYSSON.    LKS    IIAIUTITIONS    A    liO.N    MAliCllK  lOlo 

temps,  des  pays  voisins,  en  mettant  en  jeu  l'initiative  de  l'État  et  celle 
des  ouvriers,  et  en  dégager  un  enseignement  pour  nous-mêmes.  Tel  sera 
l'objet  de  cette  rapide  communication. 


I.  —  L'Etat. 

Qu'on  s'en  applaudisse  ou  qu'on  s'en  afTlige,  l'État  tient  une  place 
énorme  dans  nos  sociétés  contemporaines  :  on  le  rencontre  à  chaque 
pas  ;  il  faut  compter  avec  lui.  Aussi  bien  dans  la  question  des  ha- 
bitations ouvrières  que  dans  toutes  les  autres,  on  a  besoin  de  ne  pas 
l'avoir  contre  soi,  et  l'on  peut  même  faire  appel  à  son  concours,  pourvu 
qu'on  ne  l'attire  pas  hors  de  sa  sphère  et  qu'on  n'empiète  pas  sur 
celle  de  l'effort  personnel. 

L'État  exerce  une  action  légitime  et  nécessaire,  tant  qu'il  la  limite  aux 
intérêts  généraux  qui  ne  seraient  pas  assurés  sans  lui,  ou  tant  qu'il  se 
borne  à  suppléer  soit  à  l'impuissance,  soit  aux  défaillances,  soit  au  mau- 
vais vouloir  de  l'initiative  privée,  en  prenant  momentanément  sa  place  ; 
mais  à  la  condition  qu'il  cherche  avec  sincérité  à  s'effacer  graduellement 
devant  elle,  à  s'abstenir  et  à  se  rendre  inutile. 

C'est  cette  disposition  intime  qui  sépare,  comme  par  un  abîme  ,  ie 
socialisme  d'État  et  ce  qu'on  pourrait  appeler  «  le  libéralisme  d'État  »  :  le 
premier,  tendant  sans  cesse  à  accroître  ses  attributions  et  s'irritant  de  toute 
velléité  d'indépendance  comme  d'une  atteinte  à  ses  prérogatives  ;  le  second 
s'applaudissant,  au  contraire,  des  progrès  de  tout  mouvement  saiutau-e. 
même  s'il  y  a  été  étranger,  ou  s'il  n'y  est  intervenu  au  début  que  par 
quelque  encouragement  ou  par  «une  chiquenaude  initiale  ». 

Ces  deux  politiques  de  l'État  :  Tune  malfaisante,  l'autre  souhaitable,  se 
retrouvent  très  nettement  aux  prises  sur  le  terrain  des  habitations 
ouvrières. 

Tout  d'abord,  on  comprend  que  l'État  ne  se  désintéresse  pas  de  cette 
question.  Il  a  le  devoir  et  le  droit  de  ne  rester  ni  indifférent  ni  inactif 
devant  ces  logements  oii  sont  violées  les  régies  les  plus  élémentaires  de 
l'hygiène  et  qui  sont  à  la  fois  privés  d'eau,  d'air  et  de  lumière.  Dans  de 
pareils  milieux,  les  corps  s'atrophient  et  contractent  le  germe  de  mala- 
dies qui  abâtardissent  et  déciment  la  race,  sans  parler  des  dangers  qu'y 
courent  les  âmes  et  les  cœurs. 

Ce  n'est  pas  seulement  la  santé  et  la  moralité  individuelles  des  ouvriers 
qui  sont  menacées  par  de  tels  logements  :  c'est  aussi  la  santé  et  la  mo- 
ralité publiques.  Le  taudis  se  venge  et  exerce  sur  les  quartiers  riches  de 
terribles  représailles  par  ses  menaces  d'épidémie  et  d'agitations  popu- 
laires. «  Ce  n'est  pas  seulement  de  la  vertu,  a  dit  avec  force  M.  le  D'  Du 


1016  ÉCO'OMIE    POLITIQUE 

Mesnil,  c'est  encore   de   l'héroïsme  qu'il  faudrait  à  tout  ce  monde  pour 
ne  pas  contracter  dans  ces  bouges  la  haine  de  la  société.» 

Il  est  donc  nécessaire,  à  tous  ces  points  de  vue,  que  l'État  se  préoccupe 
d'améliorer  une  telle  situation. 

En  premier  lieu,  il  est  tenu  de  faire  la  môme  guerre  aux  logements 
insalubres  qu'aux  aliments  malsains.  Un  propriétaire  ne  doit  pas  pouvoir 
plus  impunément  porter  atteinte  à  la  santé  de  ses  locataires  qu'un  épicier 
à  celle  de  ses  clients.  Malheureusement,  combien  ne  restet-il  pas  ;"i  faire 
pour  que  l'État,  dans  la  plupart  des  pays  et  en  particulier  dans  le  nôtre, 
s'acquitte  pleinement  de  ce  devoir! 

L'Étal  peut  encore,  sans  se  heurter  à  aucune  objection  de  principe,  ni  à 
aucune  susceptibilité  doctrinale,  contribuer  efïicacement  à  l'amélioration 
du  logement  ouvrier,  en  procédant  à  des  enquêtes  qu'il  est  seul  en  mesure 
de  mener  à  bien,  tant  par  l'ampleur  de  ses  ressources  que  par  celle  de  son 
autorité. 

C'est  le  procédé  qu'ont  suivi  nos  voisins,  notamment  en  Angleterre  et  en 
Belgique,  chaque  fois  qu'il  s'est  agi  d'un  mal  à  guérir,  d'une  réforme  à 
opérer.  Il  a  surtout  montré  son  efficacité  précisément  en  matière  de  loge- 
ments ouvriers,  où  rien  ne  vaut  l'observation  directe  des  faits.  Quand  on 
les  a  vus  par  soi-même,  on  en  rapporte  une  impression  ineffaçable.  Il  est 
de  ces  choses  —  disons  le  mot  :  de  ces  horreurs  —  qui  ne  subsistent  que 
parce  qu'on  les  ignore;  le  jour  où  l'on  se  décide  à  les  regarder  bien  en 
face,  elles  sont  plus  d'à  moitié  guéries.  Des  enquêtes  de  ce  genre  secouent 
la  torpeur  publique  par  les  révélations  qui  les  accompagnent.  C'est  comme 
un  examen  de  conscience  qui  précède  les  résolutions  généreuses. 

L'État  nous  rendra  donc  un  signalé  service,  le  jour  où  il  voudra  bien 
entreprendre  celte  œuvre  d'enquête  qui  dépasse  nos  forces  et  qui  serait 
une  admirable  préface  à  une  campagne  décisive  contre  les  mauvais  loge- 
ments. 

Il  peut  encore  la  seconder  :  par  la  création  d'un  musée  d'économie 
sociale,  qui  mette  sous  les  yeux  du  public  des  plans  et  des  modèles  et  qui- 
fasse  ainsi  son  éducation;  par  l'établissement  de  métropolitains  qui  assurent 
des  relations  économiques  et  rapides  entre  le  centre  des  villes  et  leur  ban- 
lieue et  permettent  ainsi  à  la  population  ouvrière  d'aller  chercher  au  loin, 
après  sa  journée  de  travail,  des  maisons  édifiées  sur  de^s  terrains  à  bas 
prix,  de  l'espace  et  de  l'air. 

Enfin,  en  tant  que  patron,  —  et  il  est  le  plus  grand  de  tous  les  patrons, 
—  l'État  peut  et  doit  donner  le  bon  exemple  en  se  préoccupant  d'amé- 
liorer le  logement  du  personnel  de  ses  manufactures  et  de  ses  ateliers. 
Venant  de  haut,  un  tel  exemple  serait  contagieux  dans  les  pays  où  tous 
les  regards  sont  tournés  vers  l'État,  et  où  chacun  semble  attendre  de  lui 
l'impulsion. 


É.   C.IIEYSSON.  LES    IIAUITATIONS    A    BON    MARCHÉ  1011 

Est-ce  là  tout  ce  que  nous  avons  ù  demander  à  l'État?  lN"a-t-il  pas  plus 
et  mieux  à  faire? 

Si  nous  consultons  l'exemple  des  pays  étrangers  qui  nous  ont  devancés 
dans  cette  voie,  nous  voyons  que,  mis  en  présence  de  la  question  des  habi- 
tations ouvrières  et  sommé  par  la  nécessité  de  la  résoudre,  l'État  n'a  pas 
hésité  ù  recourir  à  des  mesures  d'intervention  plus  directes  et  moins 
discrètes. 

La  première  idée  qui  se  présente  naturellement  à  l'esprit  est  celle  de 
faire  construire  des  maisons  par  l'État.  Éloignant  tout  calcul  de  spécu- 
lation, ne  s'inspirant  que  de  l'intérêt  du  peuple,  il  réalisera,  dit-on,  des 
prodiges  d'économie  par  la  masse  même  des  constructions  du  même  type, 
par  la  bonne  entente  des  détails,  par  la  concentration  de  l'œuvre,  par  la 
suppression  des  intermédiaires;  il  assurera  à  ses  locataires  des  logements 
salubres  et  à  très  bas  prix;  en  même  temps  et  par  voie  de  répercussion 
bienfaisante,  il  condamnera  à  la  modération  les  propriétaires  de  droit 
commun,  aujourd'hui  si  âpres  à  la  curée. 

Voilà,  pris  sur  le  vif,  le  socialisme  d'État,  l'État  providence.  l'État  père 
de  famille.  C'est  cette  fausse  conception  du  rôle  et  des  devoirs  de  l'État  qui 
a  engendré  tant  de  systèmes,  dont  1  histoire  nous  a  démontré  les  dangers, 
et  entre  autres  ce  fameux  «  pacte  de  famine  »,  erreur  économique  bien  plus 
qu'odieuse  spéculation  sur  la  misère  du  peuple. 

C'est  cette  même  conception  qu'on  retrouve  encore  dans  une  loi  anglaise 
toute  récente  (18  août  1890),  où  nos  voisins  ont  essayé  de  refondre  et  de 
codilier  leur  législation  si  toutfue  et  par  endroits  si  incohérente  sur  les 
logements  insalubres. 

La  première  partie  de  cette  loi  se  réfère  aux  îlots  insalubres  (un- 
healthy  areas);  la  seconde,  aux  habitations  insalubres  (unhealthy  chvellin;/ 
houses);  la  troisième,  aux  habitations  ouvrières  (ivorking  class  lodging 
houses). 

Au  milieu  de  dispositions  excellentes,  cette  troisième  partie  en  con- 
tient de  beaucoup  plus  contestables,  nettement  empreintes  de  socialisme 
d'État ,  ou  plutôt  —  ce  qui  ne  vaut  guère  mieux  —  de  socialisme  mu- 
nicipal . 

«  L'autorité  locale,  dit  l'article  59,  peut,  sur  tout  terrain  acheté  ou 
aménagé  par  elle  à  ses  frais,  construire  des  maisons  propres  à  recevoir 
des  ménages  ouvriers  ou  transformer  à  cet  effet  des  maisons  existantes;  elle 
peut  également  modifier,  élargir,  réparer  ou  améliorer  les  mêmes  locaux, 
ainsi  que  les  disposer,  les  meubler,  les  garnir  de  tout  le  mobilier,  des  acces- 
soires et  des  commodités  désirables.  » 

Voilà  du  coup  la  ville  transformée  en  constructeur  de  maisons,  bien 
mieux  encore,  en  logeur  en  garnis,  étape  importante  vers  cet  idéal  caressé 
par  plusieurs  écoles  en  iste.  où  la  commune,  en  excellente  mère,  aima  mater, 


1018  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

voudra  bien,  après  «  le  bon  gîle  »,  nous  procurer  aussi  «  le  bon  souper 
et  le  resle  ». 

Malheureusement,  l'insupportable  logique  des  choses  vient  se  mettre 
en  travers  de  tous  ces  beaux  plans.  S'ils  devaient  se  réaliser,  l'on  verrait 
encore  une  fois  «  se  recommencer  l'histoire  ».  Découragés  par  cette  ingérence 
officielle  qui  s'alimente  dans  les  coffres  inépuisables  du  Trésor  public,  les 
entrepreneurs  libres  et  les  simples  particuliers  se  garderaient  d'entamer 
une  lutte  inégale  et  s'abstiendraient.  On  sait  que  «  quand  le  bâtiment  va, 
tout  va  ».  Or,  le  bâtiment  n'irait  plus  :  tout  mouvement  s'arrêterait  en 
dehors  des  chantiers  municipaux.  Il  faudrait  donc  s'enfoncer  de  plus  en 
plus  dans  cette  voie  de  l'intervention  à  outrance,  pour  répondre  aux  besoins 
d'une  clientèle  toujours  plus  nombreuse  et  plus  exigeante. 

Sous  cette  poussée  irrésistible,  on  serait  fatalement  conduit  à  baisser 
le  taux  des  loyers,  à  améliorer  «  le  mobilier  et  les  accessoires  »,  à  mul- 
tiplier «  les  commodités  désirables  »  suivant  les  expressions  de  la  loi 
anglaise,  pour  plaire  au  plus  grand  nombre,  c'est-à-dire  à  mettre  à  mal 
les  finances  municipales,  à  encourager  le  gaspillage  et  à  étouffer  l'industrie 
libre  sous  Tétreinte  de  l'État,  qui  fait  mal  et  chèrement  la  besogne  du 
commerce  et  de  la  liberté. 

* 

Tout  autre  est  l'esprit  d'oîi  procèdent  d'autres  lois  récemment  inter- 
venues sur  le  même  sujet  et  aux  mêmes  fins,  en  Autriche  et  en  Bel- 
gique, c'est-à-dire,  la  loi  du  9  février  1892,  pour  le  premier  de  ces  deux 
pays,  la  loi  du  9  août  1889,  pour  le  second. 

Ces  lois,  animées  par  le  libéralisme  d'Klat,  mettent,  il  est  vrai,  la 
puissance  publique  au  service  de  la  grande  cause  des  habitations 
ouvrières,  mais  sans  la  faire  sortir  de  ses  attributions  légitimes.  Bien  loin 
de  tarir  les  initiatives  privées,  elles  s'efforcent  de  les  provoquer,  de  les 
encourager  et  de  les  guider.  Autant  une  loi  d'intervention  directe  est  per- 
nicieuse en  faisant  le  vide  autour  d'elle,  autant  ces  lois  belge  et  autri- 
chienne sont  bienfaisantes,  en  donnant  libre  essor  à  ces  forces  confuses 
et  latentes,  à  «  ce  potentiel  »  qui  n'attend,  pour  jaillir,  qu'une  étincelle 
excitatrice. 

Pour  imprimer  un  grand  élan  aux  habitations  ouvrières,  il  faut, 
d'abord,  des  hommes  de  bien  qui  prennent  la  tête  du  mouvement,  qui 
soient  à  la  fois  des  moniteurs  et  des  remorqueurs;  il  faut,  en  second  lieu, 
de  l'argent  à  bas  prix. 

La  loi  belge  a  donné  une  heureuse  solution  à  chacun  de  ces  deux  pro- 
blèmes. 

Les  hommes  de  bien  ne  manquent  pas  :  ce  qui  les  stérilise,  c'est 
leur  isolement  et  leur  inexpérience;  ce  qui  leur  fait  défaut,  c'est  une  pro- 
vocation qui  les  révèle  à  eux-mêmes  et  aux  autres;  c'est  une  direction 


K.     THEYSSON.    I.KS    HABITATIONS    A    BON    MAKCHK  1019 

qui  les  groupe  et  les  mette  en  œuvre.  Que  de  germes  ainsi  étouffés!  que 
d'activités  en  puissance,  que  de  bons  vouloirs  qui  se  rouillent,  surtout  en 
province,  comme  des  épées  au  fourreau! 

Pour  tirer  parti  de  toutes  ces  forces  qui  sommeillent,  la  Belgique  a  eu 
l'idée  de  se  couvrir  d'un  réseau  de  comités  de  patronage,  institués  dans 
chaque  arrondissement  administratif  et  chargés  précisément  d'être  les 
initiateurs  et  les  guides  du  mouvement  local.  Ces  comités  doivent  être  des 
foyers  de  propagande  pour  l'idée  des  habitations  ouvrières  et  concourir  à 
sa  réalisation  pratique.  Ils  forment  une  sorte  de  trait  d'union  entre  l'État, 
qui  est  trop  grand,  et  l'individu,  qui  est  trop  petit;  ils  font  parvenir  à 
l'Etat  les  demandes  individuelles  et  canalisent  ses  faveurs,  pour  qu'elles 
arrivent  sûrement  et  utilement  à  leur  destination.  Ils  répandent  partout 
l'expérience  chèrement  acquise  çà  et  là  ;  ils  épargnent  les  erreurs  et  les 
tâtonnements  qu'on  a  subis  ailleurs  et  permettent  ainsi  d'appliquer  du 
premier  coup  les  solutions  éprouvées.  Ils  donnent  un  aliment  à  tous  ces 
bons  vouloirs  qui  s'atrophient  dans  l'inaction  et  contribuent  à  recréer  une 
vie  locale,  en  ranimant  dans  l'organisme  social  les  membres  plus  ou 
moins  engourdis  et  en  diminuant  la  congestion  du  cerveau. 

Après  avoir  ainsi  pourvu  à  l'organisation  de  ce  patronage,  la  loi  belge 
a  su  également  renverser  le  second  obstacle  que  rencontrent  les  entreprises 
de  maisons  ouvrières  :  celle  d'obtenir  de  l'argent  à  bon  marché.  En 
général,  les  capitalistes  ne  se  sentent  guère  attirés  de  ce  côté  par  l'étiquette 
de  l'œuvre,  et  les  Sociétés  qui  s'y  dévouent  ont  peine  à  réaliser  les  res- 
sources nécessaires  à  leur  action.  En  même  temps,  à  côté  de  cette  diffi- 
culté de  se  procurer  des  capitaux  pour  ce  genre  de  placements,  se  dresse 
celle  de  trouver  des  emplois  fructueux  aux  milliards  de  l'épargne,  qui 
s'entassent  stérilement  dans  les  coffres  du  Trésor.  Il  semble  donc  naturel 
de  résoudre  la  première  difficuité  par  la  seconde,  c'est-à-dire  de  mettre 
les  fonds  de  l'épargne  à  la  disposition  des  entreprises  d'habitations  à  bon 
marché. 

C'est  précisément  ce  qu'a  fait  la  loi  belge  du  9  août  1889,  qui  a  autorisé 
la  Caisse  générale  d'épargne  et  de  retraite  à  employer  ainsi  une  partie  de 
ses  fonds  disponibles,  après  avoir  pris  l'avis  du  comité  de  patronage.  Un 
règlement  du  31  mars  18yl  fixe  à  3  0/0  le  taux  des  prêts  et  avances  aux 
Sociétés  anonymes  ou  coopératives  de  constructions  et  le  réduit  à  2  1/20/0 
pour  les  Sociétés  de  crédit,  qui,  sans  construire  elles-mêmes,  font  des 
avances  aux  ouvriers. 

Avec  de  l'argent  à  2  1/2  0  '0,  il  en  coûte  moins  cher  pour  s'assurer  en 
vingt  ans  la  propriété  d'une  maison  saine  et  confortable  que  pour 
acquitter  le  loyer  annuel  d'un  taudis  infect. 

Peut-on  imaginer  un  circuit  plus  bienfaisant  que  celui  de  cette  épargne 
du  peuple,  qui  retourne  au  peuple  pour  améliorer  son  logement?  Et  quel 


1020  ÉCONOMIE    POLITIQUK 

contraste  avec  notre  système  de  l'adduction  forcée  dans  les  caisses 
de  l'État,  avec  tous  ses  embarras  et  ses  dangers  à  la  fois  politiques, 
économiques  et  sociaux!  Aussi  ne  saurait -on  souhaiter  trop  vivement 
que  les  caisses  d'épargne  soient  enfin  dotées  d'une  autonomie  sagement 
réglementée,  qui  leur  permette,  à  l'instar  de  leurs  sœurs  des  autres 
pays ,  de  consacrer  une  partie  de  leurs  ressources  à  cette  salutaire 
destination. 

Outre  cet  avantage  de  l'argent  à  bas  prix,  les  lois  récemment  intervenues 
en  Belgique,  en  Angleterre  et  en  Autriche,  accordent  aux  opérations  dont 
il  s'agit  des  immunités  fiscales,  en  entourant  ces  faveurs  de  précautions 
destinées  à  empêcher  qu'elles  soient  détournées  de  leur  objet  et  que  des 
spéculateurs  puissent  se  glisser  à  travers  les  mailles  de  la  loi. 

Enfin,  pour  dissiper  l'hésitation  naturelle  qui  pourrait  arrêter  un  père 
de  famille  prudent,  au  moment  d'entamer  une  campagne  qui  doit  se  cou- 
ronner seulement  au  bout  de  vingt  ans  et  plus  par  la  propriété  de  la 
maison,  la  loi  belge  comporte,  au  profit  de  cet  acquéreur,  une  combi- 
naison très  économique  d'assurance  sur  la  vie  qui  décharge  la  famille  de 
tout  paiement  et  la  rend  immédiatement  propriétaire  dès  la  mort  du 
père,  si  cette  mort  survenait  avant  sa  libération,  serait-ce  même  le  len- 
demain de  la  signature  du  contrat. 

Telles  sont  les  principales  dispositions  de  celte  loi  belge,  qui  répond 
à  toutes  les  données  essentielles  du  problème,  qui  laisse  l'État  dans  les 
bornes  de  son  domaine  légitime  et  respecte  les  droits  de  l'initiative  privée^ 
à  laquelle  il  donne  un  vigoureux  appui. 


II.  —  L'association  coopérative  à  l'étranger. 

En  dehors  de  l'État  et  du  patron,  les  ouvriers  peuvent  beaucoup 
pour  améliorer  leur  logement,  et  ils  l'ont  bien  prouvé  dans  divers  pays 
où  ils  ont  obtenu,  par  leurs  propres  efforts,  des  résultats  qu'on  peut,  sans 
exagération,  qualifier  de  merveilleux. 

C'est  surtout  en  Angleterre  que  ce  groupement  des  ouvriers  s'est 
montré  le  plus  fécond,  en  prenant  la  forme  de  Sociétés  de  construction 
(Building  Socielies),  qui  constituent  leur  capital  par  les  cotisations  men- 
suelles ou  hebdomadaires  de  leurs  membres. 

Le  dernier  compte  rendu  du  Registrar  Office  constate  que,  au  1"'  jan- 
vier 1893,  le  total  des  Sociéiés,  dans  le  Royaume-Uni,  était  de  2.7(57, 
avec  587.856  membres  (1).  Le  montant  des  versements  effectués  en  1892 


(1)  Bon  nombre  de  Sociétés  n'ont  pas  envoyé  leurs  comptes  rendus  et  ne  sont  pas  comprises  à  ce 
total. 


É.    CHEYSS©N.  —  LES    HABITATIONS    A    BON    MARCHÉ  1021 

s'est  élevé  à  un  demi-milliard;  l'actif,  y  compris  les  créances  hypothé- 
caires, atteignait  1.300  millions  de  francs. 

C'est  par  milliers  que  surgissent  les  maisons  ouvrières  sous  la  puis- 
sante impulsion  de  ces  Sociétés.  Elles  en  avaient,  dès  1863,  construit 
8.000  à  Birmingham,  18.000  à  Leeds. 

Aux  États-Unis,  mêmes  résultats.  En  1888,  le  nombre  des  coopérative 
building  and  loan  Associations  était  évalué  à  3.500;  leur  capital,  à 
un  milliard  et  demi  de  francs;  leurs  épargnes,  fixées  en  immeubles,  à 
deux  milliards  et  demi. 

En  Belgique,  la  loi  du  9  août  1889,  dont  j'ai  analysé  plus  haut  les 
dispositions  principales,  s'est  attachée  à  susciter  ces  Sociétés  coopératives 
par  des  faveurs  fiscales  et  des  facilités  de  crédit,  et  elle  y  a  réussi  ample- 
ment. 

Un  dixième  du  capital  souscrit  sullU  pour  la  constitution  régulière 
d'une  de  ces  Sociétés.  Les  actions  étant  nominatives,  l'engagement  pris 
par  des  souscripteurs  sérieux  constitue  un  gage  solide  sur  lequel  la  Caisse 
générale  d'épargne  et  de  retraite  prête  moitié  du  capital  souscrit  et  non 
versé.  Elle  avance,  en  outre,  la  moitié  ou  les  trois  cinquièmes  de  la  valeur 
des  immeubles,  suivant  qu'il  s'agit  d'une  Société  de  constructions  ou 
de  crédit. 

Il  résulte  de  ces  dispositions  que,  moyennant  le  versement  de  10.000  fr. 
sur  un  capital  souscrit  de  100.000  francs,  une  Société  anonyme  de  cons- 
tructions obtiendra  une  avance  égale  à  ce  capital  (1).  S'il  s'agit  d'une  Société 
anonyme  de  crédit,  le  même  versement  de  100.000  francs  sur  un  capital 
souscrit  de  100.000  francs  leur  donnera  droit  à  un  prêt  de  loo.OGO  francs. 
Ainsi,  avec  un  simple  déboursé  de  10.000  francs,  les  actionnaires  pourront 
disposer  de  183.300  francs  et  procurer  une  maison  de  3. 000  francs  à  61 
ouvriers,  sous  la  condition  que  chacun  de  ces  derniers  dispose  dune 
épargne  de  300  francs  pour  cette  acquisition. 

Il  est  bien  entendu  que  la  loi  prend  des  précautions  pour  n'accorder 
ses  faveurs  et  ses  facilités  qu'aux  Sociétés  anonymes  faisant  œuvre  de 
philanthropie  et  non  de  spéculation,  et,  par  exemple,  limitant  à  3  0/0 
du  capital  versé  le  dividende  à  distrilxier  à  leurs  actionnaires. 

Bit-n  (jue  la  loi  soit  récente,  on  compte  déjà  en  Belgique  trente-huit 
Sociétés  de  ce  genre,  dont  trente-deux  anonymes  et  six  coopératives.  Un 
grand  nombre  de  Sociétés  nouvelles  sont  en  voie  de  formation,  non 
seulement  dans  les  grandes  villes,  mais  même  dans  de  modestes  localités 
rurales.  Au  26  novembre  1892,  la  Caisse  générale  d'épargne  avait  prêté, 

(1)  Soit  N  le  capital  sousei-it.  La  formule  qui  donne  le  prêt  P  en  fonclion  de  N  est  la  suivante  : 

P  - 1  -L  5    ■    II        N/ 1         1   _  l.\-y 

10     '     2  "'"  10  "^  2V2  ^     »    '     ■■■   2"/ 


1022  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

pour  la  construction  d'habitations  ouvrières,  1.914.000  francs  à  2  1/2  0/0 
et  276.000  à  3  0/0. 

Le  prix  de  revient  de  ces  maisons  est  plus  bas  en  Belgique  qu'en 
France,  à  cause  du  bon  marché  relatif,  dans  le  premier  de  ces  deux 
pays,  de  la  main-d'œuvre,  des  matériaux  et  de  la  vie  eu  général,  bon 
marché  qui  s'explique  en  partie  par  l'absence  de  droits  de  douane.  J'ai 
vu  à  Bruxelles  même  un  type  de  maison,  construit  par  mon  ami  M.  Lagasse. 
directeur  au  Ministère  de  l'Agriculture  et  du  Commerce,  et  qui  ne  dépas- 
sait pas  1.400  francs.  A  Alost,  une  maison,  y  compris  un  grand  jardin, 
n'atteignait  pas  "2.000  francs.  Avec  de  l'argent  à  2  1/2  0/0,  la  propriété 
d'une  telle  maison  devient  aisément  accessible  à  un  ouvrier  économe. 
Elle  est  dégrevée,  d'ailleurs,  de  toutes  ces  charges  fiscales  qui,  en  France, 
pèsent  si  lourdement  sur  ces  combinaisons  et  stérilisent  tant  de  bons 
vouloirs.  Enfin,  l'assurance  mixte  est  mise  par  la  Caisse  d'épargne  à  la 
disposition  du  ménage  ouvrier  et  le  garantit,  ainsi  que  je  l'ai  dit 
plus  haut,  contre  le  danger  résultant  de  la  mort  prématurée  du  père  de 
famille. 

Afin  d'assurer  à  lui-même  le  paiement  d'une  somme  de  1.000  francs, 
à  la  fin  du  contrat,  ou  à  sa  famille  ce  même  paiement  s'il  meurt  avant 
ce  terme,  un  ouvrier  de  trente  ans  doit  payer  comme  prime  annuelle  : 

Pour  une  durée  du  contrat  égale  à  lo  ans  ...     o9  fr.  99  c. 

—  20  ans  ...     44  fr.  lo  c. 

—  •  2o  ans  .    .    ,     3o  fr.  13  c. 

Si  on  y  ajoute  l'intérêt  à  3  0/0.  soit  30  francs,  on  trouve ,  suivant 
la  durée  du  contrat,  des  sommes  respectivement  égales  à  89  fr.  99  c, 
74  fr.  lo  c,  6o  fr.  13c.;  de  sorte  quejîour  une  maison  de  3.000  francs, 
dont  un  dixième  a  été  acquitté  comptant,  les  charges  pour  les  2.700  francs 
restant  à  payer  seront  les  suivantes  : 

Durée  du   contrat:  lo  ans 242  fr.  97  c, 

—  20  ans 200  fr.  20  c. 

—  2o   ans 17o  fr.  8o  c. 

Moyennant  cette  annuité,  la  famille  est  assurée  d'obtenir  la  propriété 
de  la  maison  qu'elle  occupe,  alors  même  qu'elle  aurait  le  malheur  de 
perdre  son  chef  avant  qu'il  n'ait  eu  le  temps  de  parachever  l'œuvre  de 
cette  acquisition.  Dès  le  lendemain  de  la  mort  du  père,  la  maison,  quitte 
de  tout  paiement  ultérieur,  appartient  à  ses  héritiers. 


É.     CHKYSSON.    —   LES    HATîITATION>    \    liON    MA»U;h1^  1023 

III.   —  La  Pierre  du  foyer  à  Meu-seille. 

Pendant  que  les  SociéUjs  coopfîrativfô  de  construction  prenaient  tane 
telle  extension  dans  les  autres  pa\s  et  y  réalisaient  de  si  grands  bienfaits, 
il  y  avait  lieu  de  s'étonner  et  rnème  de  s'affliger  que  nos  ouvriers  fran- 
çais n'eussent  pas  su,  jusqu'ici,  imiter  cet  exemple.  Ils  ont  tout  laissé 
à  faire  aux  initiatives  patronales  et  bourgeoises  et  se  sont  abstenus  de  les 
seconder,  encore  moins  de  les  suppléer.  Leur  abstf;ntion  dans  cett<* 
matière  a  d'autant  p>lus  lieu  de  surprendre  qu'elle  contraste  avec  le  sen- 
timent d'indépendance  jalouse  et  p?irfois  ombrageuse  qui  les  anime, 
même  \is-a-vis  du  patron  le  mieux  disposé  et  le  plus  bienveillant. 
C'est  ainsi  qu'ils  préfèrent  les  Sociétés  cof>pératives  de  consr>mmation 
gérées  par  eux-mêmes  aux  économats  administrés  par  k«  chefs  d'indus- 
trie. .\vec  de  telles  dispositions,  comment  s'expliquer  que,  pour  une 
question  primordiale  comme  a;lle  de  rhabilAtion,  qui  touche  aux  fibres 
les  plus  profondes  et  les  plus  intimes  de  leur  pcrsonnalitc;  et  de  leur 
famille,  ils  aient  pris  le  parti  de  s'en  désintéresser  et  desennipporteraux 
t>ourger)is  du  soin  de  la  résoudre,  sans  y  intf;r\enir  par  leurs  propres 
efïort.s  ? 

Hf'ureusement,  nous  n'en  sommr»  plus  aujourd'hui  réduits  aux  regrets 
stérik^.  Une  fjremière  Société  coof>éralive  de  conslniclion,  la  Pkrre  du 
ffryer,  s'est  constituée  à  Marseille  le  18  décembre  1891,  grâce  à  l'ini- 
tiative de  M.  Eugène  Rostand  ,  le  dévoué  ]jromoleur  de  nombreuses  et 
excellentes  mesures  dans  l'intérêt  des  ouvriers. 

Le  capital  social  a  été  fixé  à  ao..35()  francs,  divisé  en  1.107  ai::tions  d< 
50  francs,  reparties  entre  88  actionnaires. 

C'est  la  SofriéU-  qui  construit  elle-même,  mais  f>our  le  cf^rnpte 
du  futur  locataire.  Supfiosons  que  la  maison  doive  coûter  o.OOO  francs. 
H  devra  souscrire  KXJ  actions  de  5f)  francs,  libérées  d'un  dixième  et 
s'engager  à  verser  au  moins  10  centim<ïs  par  mois  et  par  action,  c'est- 
à-dire  \^)  francs  f>ar  an  pendant  une  p«''riode  suffisante  pr^ur  l'amortis-se- 
inent  de  sa  délie.  La  durée  de  cette  périrxle  sera,  par  conséquent,  variable 
avec  le  versement  mensuel  et  le  rendement  des  aclions  (1),  et  pouna 
être  sensiblement  abrégée,  si  le  locataire  affecte  à  sa  lifiération  des  ver- 
semeats  supplémentaires,  provenant  de  successions,  de  gratifications,  de 
bcAÎs  coofiéralifs,  en  un  mot  d'aubaines. 

Les  charges  annuelles  du  locataire  s'établissent  comme  il  suit  : 

(*)  Si  1  intérêt  acîm  itix  acuoiii  tëSi  àt  %  h/b,  ct-Ut  pénuae  a  iaif/rUiweifiWi!  icra  : 

Di-  2S  aiis  avec  un  veatmeui  meustHi  ât:  ib  cetiUau* 
tft:  il  Mtë  —  1S       — 

Dt  13  aa»  —  fê      ^ 


1024  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

Loyer  proprement  dit  —  4  0/0  sur  o.OOO  francs.    .  Fr.       200 
Frais  généraux  (1)        —  2  0/0  —  ....       100 


Loyer Fr.       300 

Amortissement 120 


Annuité Fr.       420 


Quand  l'amortissement  est  complet,  les  actions  sont  «  mures  »,  d'après 
l'expression  américaine;  le  locataire  les  transfère  à  la  Société,  qui  les 
annule  et  qui  lui  transfère  en  échange  la  propriété  de  sa  maison  (2). 

Par  suite  des  anticipations  consenties  par  certains  actionnaires,  les  ver- 
sements sur  les  actions  s'élèvent  actuellement  à  22.2S0  francs  et  ont 
permis  d'entreprendre  la  construction  de  trois  maisons  sur  des  types  diiïé- 
rents  et  concertés  avec  les  acquéreurs. 

Ces  trois  maisons,  dont  les  plans  sont  parfaitement  combinés  et  font 
grand  honneur  à  l'architecte  (3),  sont  en  voie  d'achèvement  et  vont  être 
incessamment  inaugurées  (4).  Des  négociations  sont  ouvertes  pour  une 
quatrième  maison,  qui  serait  construite  par  le  locataire  lui-même,  la 
Société  jouant  vis-à-vis  de  lui  le  rôle  de  banquier  à  la  façon  des  Sociétés 
belges  et  des  building  Socielies  anglo-saxonnes. 

Les  promoteurs  et  les  directeurs  de  la  «  Pierre  du  foyer  »,  en  nous 
envoyant  ces  détails,  nous  expriment  leur  foi  dans  l'avenir  de  cette 
institution,  qui  répond,  disent-ils,  à  un  véritable  besoin  et  qui  est  accueillie 
avec  sympathie  par  l'opinion  publique.  Avec  eux,  nous  croyons  que  cette 
initiative  sera  féconde  et  nous  lui  souhaitons  de  grand  cœur  tout  le 
succès  qu'elle  mérite. 


IV.  —  Projet  de  loi  sur  les  habitations  ouvrières. 

Pour  assurer  la  réalisation  de  ce  vœu  et  pour  secouer  l'engourdissement 
des  initiatives  ouvrières  dans  cette  direction,  nous  croyons  nécessaire  de 
faire  appel,  comme  en  Belgique,  aux  incitations  et  aux  encouragements 
de  la  loi.  En  présence  du  mal  si  grave  et  si  général  auquel  il  s'agit  de 
porter  remède,  on  ne  peut,  comme  nous  l'avons  dit,  se  passer  du  concours 
de  l'État,  à  la  condition  qu'il  se  renferme  dans  sa  sphère  légitime  d'action. 

C'est  en  s'inspirant  de  cette  idée  et  des  modèles  fournis  par  les  légis- 

(1)  Ces  frais  généraux  comprennent  les  frais  d'entretien,  redevances  annuelles...  Si  le  montani 
n'atteint  pas  2  0/0,  l'excédent  est  inscrit  au  crédit  du  compte  courant  du  locataire  pour  hâter  sa 
libération. 

(2)  Voir,  pour  de  plus  amples  détails  sur  ce  mécanisme  et  sur  la  constitution  de  la  Société,  la 
Pierre  du  foyer,  par  É.  Cheysson.  (.Masson.) 

(3)  Ces  plans  ont  été  primés  dans  le  concours  ouvert  par  la  Société  française  des  Habitations  à  bon 
marché. 

(4)  L'inauguration  en  a  eu  lieu  le  27  septembre  1892. 


É.    CIIEYSSON.     LES    HABITATIONS    A    BON    MARCHÉ  1025 

lations  étrangères  que  la  Société  française  des  Habitations  à  bon  marché  (i) 
a  élaboré  une  proposition  de  loi  déposée,  le  o  mars  1892  à  la  Chambre 
par  son  président,  M.  Jules  Siegfried,  et  signée  avec  lui  par  soixante- 
quatorze  de  ses  collègues. 

Comme  la  loi  belge,  cette  proposition  constitue  des  comités  locaux  de 
patronage;  elle  autorise  les  caisses  d'épargne  et  diverses  autres  caisses 
publiques  à  faire,  dans  des  limites  prudentes,  des  prêts  aux  Sociétés  ano- 
nymes ou  coopératives  de  construction  de  maisons  ouvrières;  elle  facilite 
et  subventionne  les  combinaisons  d'assurance  mixte  en  cas  de  vie  et  de 
décès  au  profit  du  locataire  ;  elle  accorde  certaines  immunités  fiscales; 
enfin  elle  apporte  à  notre  droit  successoral  un  tempérament  en  faveur  de 
la  maisonnette  pour  l'empêcher  de  sortir  de  la  famille  à  la  mort  du  père. 

La  Chambre  a  voté  en  seconde  lecture  ce  projet  de  loi,  qui  est  aujour- 
d'hui devant  le  Sénat.  Elle  a  également  voté  le  projet  de  loi  sur  les 
Sociétés  coopératives,  qui  comprend  les  Sociétés  coopératives  de  construc- 
tion, et  les  fait  bénéficier  des  encouragements  attribués  aux  autres  formes 
de  la  coopération. 

L'idée  fait  donc  son  chemin  à  la  fois  dans  la  loi  et  dans  les  mœurs. 
Le  2:2  juin  dernier,  la  Société  d'hygiène  et  de  médecine  publique,  qui  a 
compté  parmi  ses  présidents  notre  cher  et  éminent  secrétaire  général, 
M.  Gariel,  votait  la  résolution  suivante  : 

«  Considérant  l'intérêt  que  présente  pour  la  santé  publique  l'hygiène 
de  l'habitation  et  en  particulier  celle  du  logement  du  pauvre; 

»  Considérant  les  efforts  législatifs  qui  viennent  de  se  produire  en  Bel- 
gique, en^  Angleterre,  en  Autriche  pour  combattre  l'insalubrité  des  petits 
logements  et  développer  la  construction  de  maisons  salubres  et  à  bon 
marché, 

»  Émet  le  vœu  que  la  France  entre  sans  tarder  dans  la  même  voie  et 
appuie  le  principe  du  projet  de  loi  actuellement  déposé  devant  la  Chambre 
des  députés  en  vue  d'obtenir  l'amélioration  des  petits  logements.  » 

Sans  ralentir  les  méritoires  efforts  du  patronage  et  des  Sociétés  philan- 
throphiques,  ce  qui  importe  surtout  aujourd'hui,  c'est  d'associer  les  ou- 
vriers à  l'œuvre  qui  s'adresse  aux  profondeurs  mêmes  de  leur  vie  domes- 
tique et  à  l'intimité  de  leur  famille;  c'est  d'importer  chez  nous  la  Société 
coopérative  de  construction  avec  les  merveilles  qu'elle  a  faites  ailleurs; 
c'est  aussi  de  développer  ce  mouvement,  au  moins  au  début  et  pour 
vaincre  le  frottement  initial,  par  des  dégrèvements  et  des  facilités  de 
crédit,  qui  exigent  l'intervention  de  la  loi. 

(1)  Celle  Sociéltî,  reconnue  dutililé  publique,  s'esl  donné  pour  lâche  de  provoquer  et  de  guider  les 
initiatives  locales  eu  faveur  du  logement  ouvrier.  Elle  met  à  leur  disposition  des  modèles  de  statuts, 
des  plans,  des  conseils  et  son  appui  moral.  Elle  publie  un  bulletin  très  documenté,  institue  des  con- 
cours, ouvre  des  enquêtes  et  tient  la  tète  du  mouvement  qui  s'accentue  de  ce  côté.  (Son  siège  social 
est  15,  rue  de  la  Ville-l'Evèque.j 

6o* 


1026  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

Attirer  les  ouvriers  de  ce  côté,  en  dépit  des  meneurs  qui  veulent  les 
entraîner  ailleurs,  — j'entends  les  mauvais  meneurs,  puisque,  paraît-il,  on 
a  découvert  qu'il  y  en  avait  de  bons  (1),  —  obtenir  du  Parlement  des 
mesures  analogues  à  celles  que  viennent  d'édicter  l'Autriche,  l'Angleterre 
et  la  Belgique,  tel  est  le  double  vœu  que  je  prends  la  liberté  de  recom- 
mander aux  sympathies  de  l'Association  française  (2).  Sa  voix  a  dans  le 
pays  un  retentissement  si  grand  et  si  légitime  qu'elle  sera  certainement 
écoutée  si  elle  veut  s'élever  en  faveur  de  cette  noble  cause  :  l'amélioration 
du  logement  populaire. 


M.   Erédéric  PASSY 

Membre  de  l'Académie  des  Sciences  morales  et  politiques,  à  Neuilly-sur-Seine. 


LE  CONGRES  ET  LA  CONFERENCE  DE  BERNE 


—  Séance  du  16  septembre  iS92  — 

J'ai  parlé  plus  d'une  fois,  dans  les  réunions  de  notre  Association  comme 
ailleui's,  de  la  guerre  et  des  procédés  recommandés  pour  remplacer,  par  des 
solution  amiables  ou  juridiques,  les  solutions  coûteuses  et  précaires  de  la 
force.  Je  ne  voudrais  pas  reprendre  la  question  à  ce  point  de  vue  et  je 
n'essaierai  ni  de  faire  une  fois  de  plus  le  procès  à  la  guerre,  ni  de 
démontrer  que  les  nations,  comme  les  individus,  sont  tenus  de  respecter 
dans  leurs  relations  la  justice  et  la  morale.  Je  voudrais  seulement,  sur 
l'invitation  de  notre  Président,  marquer  où  en  est  aujourd'hui  en  fait  la 
question  et  enregistrer,  comme  autant  de  points  acquis  au  débat,  les 
principaux  résultats  des  réunions  qui  se  sont  tenues,  il  y  a  quelques 
semaines,  à  Berne. 

(1)  Voir  in  Journal  des  Economistes  (numéro  d'août  1892)  la  discussion  qui  a  eu  lieu,  les  août 
dernier,  devant  la  Société  d'Économie  politique  sur  ï utilité  des  meneurs  dans  les  ateliers  de  la  grande 
industrie. 

(2)  Ce  vœu  est  en  bonne  voie  de  réalisation.  Le  projet  de  loi  Siegfried  a  été  voté  par  la  Chambre 
des  députés,  en  première  lecture,  le  is  mars  |.S03,  et  en  seconde  lecture,  huit  jours  après,  le 
23  mars.  (Noie  du  Secrétariat  de  l'Association.) 


F.  l'ASSY.  —  LE  CONGRÈS  ET  LA  CONFÉUENCE  DE  BERNE      1027 

Je  dirai  peu  de  chose  de  la  première  de  ces  réunions  :  Le  Congrès 
universel  des  Sociétés  de  la  paix.  Non  que  je  considère  comme  de 
médiocre  importance  les  efforts  de  ces  sociétés  et  l'habitude  qu'elles  ont 
prise  depuis  1889  de  tenir  chaque  année,  dans  une  des  principales  villes 
du  monde  civilisé,  une  session  extraordinaire.  Ce  sont  elles,  à  vrai  dire, 
qui  ont  donné  le  signal  de  la  croisade  entreprise  aujourd'hui,  sur  toute  la 
surface  du  globe,  contre  la  guerre  et  contre  cette  dangereuse  paix  armée 
qui  n'est,  en  quelque  sorte,  qu'une  guerre  dissimulée.  Elles  ont  poussé  les 
premiers  cris,  d'abord  au  milieu  de  l'indifférence  et  des  railleries,  puis  en 
face  d'une  opinion  qui  commençait  à  s'émouvoir  et,  peu  à  peu,  elles  ont 
fait  monter  leurs  voix  jusqu'à  l'enceinte  des  parlements  et  jusqu'aux 
oreilles  des  gouvernements.  La  plus  grande  gratitude  leur  est  due  pour  ces 
services  et  le  moment  n'est  pas  encore  venu,  il  s'en  faut,  de  cesser  leur 
généreuse  propagande.  Mais,  pour  nombreuses  qu'elles  soient,  pour  rapide 
que  soit  le  développement  de  leur  influence,  ce  ne  sont  que  des  voix  qui 
formulent  des  vœux,  et  ces  vœux  ne  peuvent  devenir  efllcaces  quà  la 
condition  d'être  entendus  et  accueillis  par  les  gouvernements  ou  par  les 
parlements. 

Les  conférences  interparlementaires  qui,  elles  aussi,  sont  annuelles 
depuis  quatre  ans,  ont  un  autre  caractère.  Si  elles  ne  sont  pas,  à  propre- 
ment parler,  un  parlement  international  ;  si  l'on  ne  saurait,  sans  exagéra- 
tion, les  qualifier,  comme  l'ont  fait  d'autres  personnes,  d'«  États  généraux 
de  l'humanité  »,  elles  sont  tout  au  moins  des  réunions  d'hommes  investis 
d'une  influence  réelle  et  directe  sur  la  conduite  des  affaires  publiques 
puisqu'ils  ont,  par  leur  situation  même,  le  pouvoir  de  transformer  en 
proposition  de  loi  et  en  appel  à  l'action  des  gouvernements  les  vœux 
relativement  platoniques  des  Congrès. 

Aussi,  me  bornant  à  mentionner,  parmi  les  résolutions  du  Congrès,  un 
appel  au  peuple  en  faveur  d'un  pétitionnement  général  contre  le  système 
actuel  d'armement  universel;  un  appel  au  Parlement  en  faveur  de  l'exten- 
sion de  l'arbitrage  et  un  appel  aux  jeunes  gens  pour  les  encourager  à  relier 
entre  eux,  par  des  relations  amicales,  les  grands  centres  universitaires  des 
divers  pays,  je  passerai  tout  de  suite  aux  votes  principaux  de  la  conférence 
interparlementaire. 

Il  y  en  a  trois  qui  sont,  à  ce  qu'il  me  semble,  d'une  importance 
•capitale  : 

Parle  premier,  la  conférence  prie  ses  membres  d'engager  les  parlements 
à  faire  reconnaître,  par  une  conférence  internationale,  comme  principe  du 
droit  des  gens,  l'inviolabilité  de  la  propriété  privée  sur  mer  en  temps  de 
guerre.  On  peut  dire  que  ce  vote  n'est  pas  précisément  dirigé  contre  la 
guerre,  puisqu'il  la  suppose;  et  que  ce  serait  plutôt  un  article  de  ce  code  de 
la  civilisation  de  la  guerre  dont  se  préoccupait  le  vénérable  Charles  Lucas. 


1028  ÉCONOMIE  POLITIQUE 

On  ne  peut  méconnaître  cependant  que  la  proclamation  de  ce  principe  ne 
fût  déjà  une  amélioration  considérable,  puisque,  en  mettant  à  l'abri  des 
conséquences  de  la  guerre  les  personnes  et  les  choses  qui  n'y  prennent 
point  part,  elle  en  circonscrirait  le  terrain  et  peut-être  réduirait  d'autant 
les  tentations  qui  y  portent  et  les  malheurs  qu'elle  entraîne. 

Par  un  second  vote  qu'il  m'a  été  donné  de  faire  étendre  et  compléter, 
l'assemblée  a  invité  tous  les  gouvernements  civilisés  à  introduire  la  clause 
d'arbitrage  dans  les  traités  de  commerce  de  navigation  et  de  protection  de 
la  propriété  industrielle,  littéraire  et  artistique.  Ce  n'est  pas  seulement, 
comme  on  l'a  maintes  fois  remarqué,  réduire  les  occasions  de  conflit  en 
déférant  d'avance  à  l'arbitrage  une  partie  notable  des  questions  à  propos 
desquelles  ils  peuvent  surgir.  C'est  aussi,  et  cela  n'est  pas  moins  digne 
d'attention,  préparer  le  moment  où  d'autres  causes  de  conflit  plus  sérieuses 
pourront  être  de  même  soustraites  à  la  brutale  juridiction  du  canon. 
D'une  part,  ce  n'est  pas  à  l'importance  du  litige  initial  que  se  mesure 
l'importance  lîuale  des  querelles.  Des  moines  grecs  et  des  moines  latins  se 
sont  disputé  l'honneur  ou  le  privilège  de  réparer  la  coupole  d'un  temple 
de  Jérusalem.  Le  fait  en  lui-même  devait  sembler  peu  de  chose.  Et  c'est 
pour  cette  ridicule  question,  a  pu  dire  en  plein  Parlement  l'illustre  Henri 
Richard,  que.  grâce  à  l'incroyable  sottise  des  gouvernements,  la  Grande- 
Bretagne,  la  France,  la  Turquie  et  la  Russie  en  sont  venues  aux  mains  ; 
que  des  milliards  ont  été  dépensés;  que  des  centaines  de  mille  hommes 
ont  été  massacrés;  et  que  des  germes  de  division,  d'oîi  sont  sortis  de 
nouveaux  conflits,  ont  été  semés  dans  le  champ  de  la  politique  européenne. 
D'autre  part,  il  y  a,  en  matière  d'arbitrage,  comme  en  d'autres  matières,  un 
apprentissage  à  faire  et  des  habitudes  à  prendre.  On  commence  par  régler 
pacifiquement  une  petite  difTiculté,  on  apprend  ainsi  à  en  régler  une 
moins  petite  et,  de  proche  en  proche,  on  arrive  à  constater  la  possibilité 
de  résoudre  honorablement,  sans  recours  aux  armes,  des  conflits  qui,  à 
d'autres  époques,  auraient  paru  absolument  insolubles,  comme  l'affaire  de 
l'Alabama  ou  celle  des  Carolines.  Et  ainsi  se  forme  —  comme  me  l'écri- 
vait, après  la  sentence  de  Genève,  l'éininent  comte  Sclopis,  —  un  esprit 
général  de  raison  et  de  justice.  Ainsi  l'on  s'enhardit  à  faire  monter 
jusqu'aux  oreilles  de  ceux  qui  décident  du  sort  des  nations,  le  cri  de  la 
conscience  humaine,  avec  assez  de  force  pour  vaincre  —  comme  le  disait 
encore  le  comte  Sclopis  —  jusqu'aux  surdités  volontaires. 

Le  troisième  vote  est  plus  significatif  encore  et  il  a  presque  le  caractère 
d'une  décision  internationale.  Le  mot  même,  comme  on  va  le  voir,  se 
trouve  dans  le  texte.  En  voici  les  termes  : 

«  La  quatrième  conférence  interparlementaire,  considérant  que  les  États- 
Unis  d'Amérique  ont  proposé  la  conclusion  de  conventions  d'arbitrage, 
aux  divers  gouvernements  des  pays  civilisés  qui  voudraient  les  accepter; 


F.  PASSY.  —   LE   COIN'GRÈS    ET   LA   CONFÉRENCE    DE   BERNE  1029 

«  Que  les  conventions  d'arbitpage  paraissent  un  des  moyens  les  plus 
efTicaces  d'assurer  la  paix  entre  les  États  du  monde  ; 

»  Décide  : 

7>  Les  membres  de  chacun  des  parlements  représentés  à  la  Conférence 
■sont  invités  à  saisir  les  assemblées  dont  ils  font  partie  d'une  demande 
tendant  à  faire  accepter  par  leurs  gouvernements  respectifs  la  proposition 
des  États-Unis  relative  k  la  conclusion  entre  eux  et  les  pays  qui  voudraient 
y  adhérer,  des  contrats  généraux  d'arbitrage.   » 

Je  crois  inutile  d'afîaiblir  par  aucun  commentaire  la  portée  de  ces 
résolutions.  Mais  il  ne  l'est  peut-être  pas  de  rappeler  dans  quelles  condi- 
tions se  sont  tenues  les  deux  réunions  dont  je  viens  de  parler  et  à  quelle 
déclaration  de  la  part  des  hommes  d'Etat  de  ce  pays  par  excellence  neutre 
et  libre,  elles  ont  tour  à  tour  donné  lieu  :  «  Ici,  dit  à  l'ouverture  du 
Congrès,  son  président,  M.  Ruchonnet,  ancien  Président  de  la  Confédéra- 
tion, vivent  en  paix  des  peuplades  de  races,  de  langues  et  de  religions 
différentes.  Leurs  mœurs  ne  sont  pas  les  mêmes,  leurs  intérêts  ne  sont 
pas  toujours  semblables  et  cependant  ils  forment  une  même  nation  et 
c'est  avec  la  même  énergie  qu'ils  défendraient  au  besoin  leur  patrie 
commune.  » 

M.  Droz,  ancien  Président  de  la  Confédération,  lui  aussi,  et  ministre 
des  Affaires  étrangères,  n'a  pas  craint,  en  souhaitant  la  bienvenue  à  la 
Conférence,  de  rappeler  que  ce  n'est  jamais  impunément  qu'un  gouverne- 
ment ou  un  peuple  préfère  aux  solutions  juridiques  le  recours  à  la  violence 
et  qu'une  fatalité  s'attache  aux  œuvres  qui  sont  uniquement  dues  au 
triomphe  de  la  force  sur  le  droit.  «  Ce  sont,  a-t-il  dit,  comme  des  échardes 
envenimées  qui  entretiennent  dans  le  corps  social  un  état  de  fièvre  et 
■et  de  suppuration.  Le  peuple  suisse  en  a  eu,  de  ces  échardes,  et  il  ne  s'est 
guéri  qu'en  s'en  débarrassant  par  de  sages  et  judicieux  compromis.  » 

Non  moins  net  a  été  le  langage  du  docteur  Gobât,  qui  présidait  la 
conférence  :  «  Maintenir  la  paix  par  la  peur,  a-t-il  dit,  c'est  un  moyen, 
mais  ce  n'est  pas  le  bon.  Les  alliances  contiennent  toujours  en  elles- 
mêmes  le  germe  de  la  guerre,  parce  qu'elles  appellent  inévitablement 
des  contre-alliances.  Dailleurs,  elles  imposent  aux  nations  des  charges 
ruineuses,  absolument  incompatibles  avec  la  prospérité  publique.  Et  le 
grand  mal,  c'est  que  les  nations  pacifiques  sont  aussi  forcées,  de  leur  côté, 
d'assumer  ces  charges.  La  Suisse  neutre,  solennellement  reconnue  neutre 
par  l'Europe,  obligée  de  dépenser  pour  le  militarisme  proportionnellement 
plus  que  l'Italie,  est  une  preuve  vivante  que  la  paix  par  l'intimidation 
est  un  mal.  11  s'agit  donc  de  trouver  une  autre  formule  :  le  repos  de 
l'Europe,  la  prospérité  pul»lique,  la  confiance  dans  l'avenir,  si  profondé- 
ment, ébranlée,  sont  à  ce  prix.  » 


iOol)  ÉCONOMIi:    l'OLlTlULlE 

Dans  un  autre  passage,  le  même  personnage,  insislanl  sur  la  nécessité  de 
maintenir,  dans  l'intervalle  des  sessions,  un  lien  entre  les  membres  des  difîé- 
rentes  nations,  a  exprimé  la  pensée  que  la  Conférence  interparlementaire, 
pour  devenir  une  institution  solidement  assise,  un  rouage  du  mécanisme  qui 
dirige  l'action  des  gouvernements,  devait  être  représenté  par  un  comité 
permanent.  Et  la  Conférence,  faisant  droit  à  cette  proposition,  a  constitué 
en  effet,  sous  la  dénomination  de  «  Bureau  intcrparlementaire  pour  l'arbi- 
trage international  »,  un  comité  permanent  dont  la  résidence  est  à  Berne, 
comme  celle  du  bureau  central  des  Sociétés  de  la  paix. 

Ce  comité  est  chargé  de  pourvoir  à  l'exécution  des  résolutions  de  la 
.  Conférence  et  de  prendre,  comme  organes  communs  des  groupes  parlemen- 
taires, toutes  les  mesures  propres  à  favoriser  l'avancement  de  l'œuvre 
commune.  Les  frais  doivent  être  supportés  proportionnellement  par  les 
diiTérents  groupes.  On  voit,  sans  que  j'y  insiste,  quel  pas  important  a  été 
accompli  par  cette  dernière  décision. 

Je  ne  mentionnerai  plus,  parce  que  je  tiens  à  abréger,  que  les  paroles 
prononcées,  à  la  fin  du  banquet  d'adieu,  à  Intcrlaken,par  le  vice-président 
en  exercice  de  la  Confédération.  M.  Schenck.  après  avoir  exprimé  sa  satis- 
faction de  voir  réunis,  au  centre  de  son  pays,  tant  d'hommes  distingués  et 
tant  d'amis  de  l'humanité  :  «  Je  serais  plus  heureux  encore,  a-t-il  dit,  le  jour 
oîi,  dans  cette  même  Suisse,  je  verrais  réuni  un  congrès  de  diplomates  de 
toutes  les  nations  pour  régler  définitivement  et  pacifiquement  toutes  les 
questions  qui  troublent  la  tranquillité  de  l'Europe.  J'espère  que  ce  jour 
viendra  et  que  la  Suisse,  après  avoir  vu  prononcer  le  célèbre  arbitrage 
de  l'Alabama,  deviendra  le  siège  du  tribunal  permanent  d'arbitrage  auquel 
seront  déférés  tous  les  différends  de  l'avenir.  » 

Telle  a  été,  dans  ses  traits  essentiels,  cette  Conférence  de  Berne.  C'était, 
on  le  sait,  la  quatrième  depuis  celle  de  1889  et  il  n'y  a  pas  quatre  ans,  à 
l'heure  qu'il  est,  que  l'idée  de  cette  réunion  annuelle  avait  été  sérieusement 
introduite  dans  le  monde.  C'est  à  la  fin  de  1888,  le  31  octobre,  que  sur  un 
appel,  dont  l'initiative  revient  à  M.  Cremer,  et  dont  j'avais  pris  avec  lui  la 
responsabilité,  une  douzaine  de  membres  du  Parlement  anglais  et  une 
trentaine  de  députés  français,  auxquels  s'était  joint  un  sénateur,  M.  Jules 
Simon,  réunis  pour  la  première  fois  dans  une  salle  du  Grand-Hôtel,  à 
Paris,  ont  décidé  de  convoquer  en  session  internationale  pour  l'année 
suivante,  1889,  tous  les  membres  des  diiTérents  parlements  qui  seraient 
disposés  à  s'associer  à  leurs  efforts.  C'est  à  Paris  encore  qu'a  eu  lieu, 
dans  une  salle  de  l'Hôtel  Continental,  la  première  conférence  interparle- 
mentaire proprement  dite.  La  seconde  s'est  tenue  à  Londres,  où  elle  a  été 
ouverte  par  un  ancien  lord  chancelier,  rappelé  depuis  à  ce  poste,  lord 
Herschell.  La  troisième  a  siégé  au  Capitole,  où  elle  était  reçue  solennelle- 
ment par  le  syndic  de  la  Ville  Éternelle  et  ses  débats  ont  été  dirigés  par  le 


D.-.V.  CASALONG.V.    —    SLR    LES   BREVETS   d'iNVENTION  1031 

président  de  la  Chambre  des  députés  d'Italie,  M,  Biancheri.  La  quatrième 
a  été  ce  que  je  viens  de  dire  et  la  cinquième,  celle  de  l'année  prochaine, 
est  attendue  à  Christiania,  où  elle  a  été  invitée  ofllciellement  par  le  gouver- 
nement de  la  Norvège  et  par  le  président  du  Stortliing,  M.  Ulmann,  présent 
à  Berne  et  membre  du  comité  permanent. 

Voilà  ce  que  peut  devenir,  en  moins  de  quatre  années,  une  idée  traitée 
par  les  soi-disant  sages  et  soi-disant  politiques  pratiques,  d'irréalisable 
et  de  chimérique.  Voilà  comment,  avec  un  peu  de  persévérance,  on  peut 
transformer  en  réahté  du  lendemain  une  utopie  de  la  veille.  N'est-ce  pas 
le  cas  de  rappeler  le  mot  d'un  soldat,  ennemi  de  la  guerre  comme  beau- 
coup d'autres,  le  général  Turr  :  «  Nous  avons  planté  l'arbitrage  dans  le 
monde,  il  faut  qu'il  devienne  un  grand  arbre,  à  l'ombre  duquel  toutes  les 
nations  pourront  enfin  reposer  en  paix.  » 


M.  D.-A.  CASALOIdA 

Ingénieur-Conseil,  à  Paris. 


OE  QUELQUES  PRINCIPES  GÉNÉRAUX  DES  LOIS  FRANÇAISE    ET  ÉTRANGÈRES   SUR    LES 

BREVETS    D'INVENTION 


—  Séance  du  16  septembre  1892  — 

La  société  contemporaine  est,  plus  qu'aucune  de  ses  devancières,  fon- 
dée sur  le  travail  industriel,  dans  lequel  est  compris  le  travail  agricole. 
Aussi  la  propriété  industrielle,  branche  de  la  propriété  intellectuelle, 
surtout  celle  garantie  par  brevet  d'invention,  a-t-elle  pris,  de  nos  jours, 
et  tend-elle  à  prendre  davantage  encore,  une  importance  considérable, 
basée  non  seulement  sur  les  appareils  et  organes  actuels  de  l'industrie, 
mais  surtout  sur  les  perfectionnements  que  l'on  apporte  sans  cesse  à  ces 
divers  engins  pour  fomenter  de  nouveaux  progrès. 

L'esprit  humain,  dans  quelque  direction  qu'il  se  dirige,  ne  peut  rester 
dans  la  simple  station  contemplative.  Il  lui  faut  mettre  au  jour  des 
moyens  tangibles  pour  favoriser  ses  recherches,  réaliser  ses  hypothèses 
ou  ses  conceptions  :  de  là  la  naissance  de  ces  appareils,  machines  ou 


1032  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

instruments,   dès  l'abord  plus  ou  moins  parfaits,  qui  ont  tant  contribué 
à  ses  conquêtes. 

On  ne  peut  nier  que  ces  appareils  divers,  s'ils  sont  nouveaux,  ou  si 
même  étant  connus  sont  rendus  meilleurs,  ou  aptes  à  certaines  applica- 
tions pour  lesquelles  on  ne  les  appliquait  pas  précédemment,  sont  et 
doivent  être  la  propriété  de  leurs  auteurs. 

Cette  propriété,  de  tout  temps  vaguement  reconnue,  n'a  été  cependant 
réglementée  suivant  certains  principes  de  droit,  que  depuis  environ  un 
siècle.  Et  tout  au  début  de  cette  réglementation  se  sont  posées  les  ques- 
.tions  de  principe  suivantes  : 

1°  L'invention,  d'un  appareil  ou  d'un  procédé  nouveau,  constitue-t-elle 
une  propriété? 

2°  Si  oui,  celte  propriété  peut-elle  être  assimilée  à  la  propriété  foncière 
ou  mobilière? 

Sur  le  premier  point,  certains  économistes,  au  nombre  desquels  Micbel 
Chevalier,  ont  prétendu  que  l'invention  émanait  d'un  état  actuel  de  l'in- 
dustrie, laquelle,  après  lui  avoir  donné  naissance,  lui  permettait  seule  d'être 
utilisée  ;  et  que,  faire  de  cette  invention  une  propriété,  c'était  enlever  au 
domaine  public  industriel  une  partie  de  lui-même,  en  s'en  servant  pour 
l'entraver.  L'inventeur  avait  tout  au  plus  droit  à  une  récompense  nationale. 

Cette  doctrine,  après  avoir  été  sérieusement  examinée  et  finalement  re- 
poussée par  les  juristes  et  les  auteurs  les  plus  compétents,  ne  se  discute 
plus.  Non  seulement  on  a  reconnu  l'impossibilité  de  pouvoir,  pratique- 
ment et  équitablement,  récompenser,  par  la  nation.  Fauteur  d'une  in- 
vention ou  d'une  découverte,  mais  encore  on  a  reconnu  que  l'inventeur 
avait  droit  à  la  propriété  de-  son  invention,  propriété  sacrée  entre  toutes, 
étant  celle  de  son  intelligence  et  lui  étant  essentiellement  personnelle. 

Sur  le  second  point,  d'aucuns  ont  trouvé  que  cette  propriété,  justement 
en  raison  de  ce  qu'elle  est  une  émanation  de  l'esprit  humain,  était  aussi 
respectable,  si  ce  n'est  plus,  que  la  propriété  foncière,  et  devait  lui  être 
assimilée,  en  tous  points,  notamment  au  point  de  vue  de  la  perpétuité. 

D'autres,  au  contraire,  ont  pensé  qu'en  raison  des  circonstances  qui 
l'ont  fait  naître,  cette  propriété  devait  être  temporaire  et  établie  sur  la 
base  d'un  contrat,  à  durée  limitée,  entre  l'inventeur,  qui  a  conçu  ou  com- 
biné des  moyens  nouveaux,  et  l'industrie  du  domaine  public,  qui,  non 
seulement  lui  en  fournit  toujours  les  éléments,  mais  qui  seule  permet 
l'utilisation  de  l'invention,  laquelle,  sans  cela,  resterait  stérile. 

C'est,  dans  tous  les  pays,  le  principe  de  la  propriété  temporaire  qui  a 
prévalu;  et  malgré  que  bien  des  esprits,  d'ailleurs  très  distingués,  l'aient 
combattu  énergiquement  et  se  préparent  à  lui  donner  un  nouvel  assaut,  il 
est  peu  probable,  je  crois,  que  le  principe  de  la  pérennité  de  l'invention 
soit  jamais  accueilli. 


1».-A.    CASALONC.A.    SUH    LES    BKKVKTS    d'i.NVKMION  1033 

Je  me  garderai  bien  de  discuter  à  fond  ici,  les  motifs  que  font  valoir 
les  deux  écoles  opposées  pour  faire  valoir  leur  doctrine. 

Je  viens  déjà  d'esquisser  ceux  qu'invoquent  les  partisans  de  la  propriété 
temporaire,  et  qui  sont  un  peu  ceux-là  nu^'ines,  bien  qu'appliqués  différem- 
ment, des  partisans  hostiles  à  toute  propriété.  On  ajoute,  par  ailleurs, 
que  tout  progrès  serait  paralysé  par  un  tel  système  do  perpétuité. 

Quant  aux  partisans  de  la  propriété  perpétuelle,  ils  font  valoir,  outre 
l'argument  de  principe,  inhérent  à  l'essence  même  de  la  propriété  de  Tin- 
venlion.  cette  double  considération  que  la  propriété  industrielle  n'est  pas 
moins  méritante  que  la  propriété  artistique  et  littéraire,  traitée  pourtant 
différemment  et  avec  plus  de  faveur;  qu'elle  n'est  pas,  non  plus,  ni 
moins  méritante,  ni  moins  utile  que  le  bien  foncier  ou  l'objet   mobilier. 

Je  me  permettrai  de  dire  en  passant,  que  l'assimilation  de  l'invention 
à  la  propriété  foncière  paraît  être,  pour  le  moins,  l'exagération  d'une 
pensée  généreuse. 

Non  seulement  il  faut  reconnaître  :— que  l'invention  est  suggérée,  fomen- 
tée, par  l'industrie  appartenant  au  domaine  public,  et  représentant  la 
communauté  sociale;  —  que  cette  industrie  seule,  après  lui  avoir  donné 
naissance  en  fournissant  la  plupart  de  ses  moyens,  peut  seule  l'utiliser  et 
lui  faire  produire  ses  effets  ;  —  mais  encore  :  —  que  ce  qui  fait  l'objet  d'une 
invention  ne  représente  pas  un  corps  unique  et  nécessairement  défini  pour 
toujours  ;  —  que  l'objet  même  résultant  de  l'invention,  destiné  à  s'user,  si  ce 
n'est  à  se  transformer,  est  susceptible  d'être  reproduit  presque  toujours  à 
un  nombre  d'exemplaires  quelquefois  considérable  ;  —  qu'il  emprunte 
ses  éléments  constitutifs  au  domaine  public,  et  que  l'invention  ne  réside 
que  dans  la  combinaison  de  ces  éléments;  —  que  ces  mêmes  éléments 
peuvent,  à  un  moment  donné,  être  combinés  différemment  et  donner  des 
résultats  différents,  assez  supérieurs  aux  premiers  pour  rendre  la  pre- 
mière combinaison  si  inutile  qu'on  puisse  la  considérer,  dès  ce  moment, 
€omme  inexklante;—  qu'au  surplus,  l'objet  même  résultant  de  l'invention, 
tout  en  conservant  à  l'inventeur,  à  perpétuité,  sa  part  de  mérite,  puis- 
que son  nom  y  est  incorporé,  devient  un  objet  mobilier  constituant,  par 
lui-même,  une  propriété  qui  possède  tous  les  attributs  de  la  propriété  fon- 
cière et  mobilière,  puisqu'il  peut  être  cédé  plusieurs  fois  successivement, 
ou  rester  à  perpétuité  la  propriété  tangible  soit  de  l'inventeur,  soit  de 
tout  acquéreur  l'ayant  régulièrement  acquis. 

L'invention,  avec  son  double  aspect,  n'a  donc  pas  le  caractère  unique 
de  la  propriété  tangible;  et  si  l'on  tient  compte  :  des  deux  parts,  antérieure 
et  ultérieure,  que  le  domaine  social  possède;  de  la  nécessité  où  ce  domaine 
se  trouve,  tout  en  tenant  compte  de  la  part  revenant  à  l'inventeur,  de 
réserver  sa  liberté  pour  permettre  à  d'autres  membres  de  la  communauté 
d'utiliser  à  nouveau,  la  variété  infinie  de  ses  moyens,   on  reconnaîtra 


1034  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

que  le  principe  de  la  pérennité  ne  peut  pas  être  appliqué  à  la  partie  juste- 
ment intellectuelle  de  l'invention;  et  cela  encore  même  qu'on  pût  l'ad- 
mettre pour  la  propriété  artistique  et  littéraire  ;  car,  bien  qu'une  certaine 
similitude  se  présente  à  l'esprit,  de  prime  abord,  on  ne  peut  pas  assimiler 
une  invention  à  un  livre,  surtout  à  une  statue,  à  un  iliodèle,  à  une  marque, 
objets  caractérisés  intellectuellement  par  un  aspect  ou  une  forme  bien 
définis  et  ne  varie tur. 

Le  principe  de  la  limitation  de  la  durée  étant  admis,  quelle  devra  être 
cette  durée? 

Pour  la  déterminer  aussi  équitablement  que  possible,  il  faut  recourir  à 
l'expérience,  laquelle  résulte  justement  des  conditions,  de  la  manière 
d'être  et  d'évoluer,  de  l'industrie.  On  a  pu  tout  d'abord  en  déduire,  jus- 
qu'ici, qu'une  durée,  qui  est  actuellement  de  quinze  ans,  en  moyenne, 
serait  suffisante  pour  dédommager  ou  récompenser  l'inventeur. 

Mais  des  cas  nombreux  ont  montré  que  ai  cette  durée  est  sufTi santé  pour 
certaines  catégories  d'objets  menus,  et  de  menue  importance,  par  contre 
elle  est  insuffisante  pour  la  plupart  des  inventions  d'appareils  ou  machines 
qui  exigent  des  efforts  considérables,  des  essais  longs  et  coûteux,  surtout 
si,  à  leurs  débuts,  elles  rencontrent  des  difficultés  d'un  ordre  particulier. 
Certains  pays,  comme  l'Amérique  du  Nord,  l'ont  portée  à  dix-sept  ans; 
d'autres  tels  que  la  Belgique,  l'Espagne,  l'ont  portée  à  vingt  ans;  c'est 
aussi  la  durée  adoptée  et  conseillée  par  le  Syndicat  des  ingénieurs-conseils 
français  en  matière  de  propriété  industrielle. 

Quant  à  moi,  si  je  n'ai  pu  me  rallier  encore  au  principe  de  la  «  pérennité» 
par  contre  je  serais  assez  disposé  à  conseiller  la  concession  d'une  durée 
plus  longue  encore:  celle  de  vingt-cinq  ans  ne  me  paraîtrait  nullement 
exagérée,  et  je  ne  verrais  aucun  inconvénient  bien  sérieux  à  aller  même 
jusqu'à  trente  ans.  Peu  d'inventions,  du  reste,  étant  donné  que  le  principe 
d'une  taxe  progressive  serait  admis,  atteindraient  cette  limite;  et  si  elles  en 
profitaient,  c'est  qu'elles  auraient  un  mérite  et  une  importance  tels  qu'ils 
justifieraient  cette  durée. 

DE    LA    MATIÈRE    BREVETABLE 

Les  nouveaux  produits  industriels,  les  nouveaux  moyens,  ou  l'applica- 
tion nouvelle  de  moyens  connus,  pour  obtenir  un  résultat  industriel  meil- 
leur ou  nouveau,  sont  brevetables  en  France  ;  sont,  au  contraire,  exclus, 
et  véritablement  sans  raison,  les  produits  pharmaceutiques. 

Cette  définition  de  la  matière  brevetable  est  claire.  Et  si  on  y  admettait 
les  produits  pharmaceutiques,  on  pourrait  l'adopter  comme  une  des 
meilleures.  On  peut  seulement  dire  que  le  principe  de  la  nouveauté  y  est 
posé  et  compris  d'une  manière  trop  absolue. 


n.-A.   CASALONGA.   —   SrR    LKS    BREVETS    d'i.NVENTION  i03o 

L'invention  étant  un  bienfait,  il  ne  faudrait  pas  être  trop  rigoureux 
pour  celui  qui  l'apporte,  tout  en  réservant  les  droits  des  tiers.  A  ce  point 
de  vue  celui  qui  mettrait  au  jour,  à  un  moment  opportun,  une  invention 
oubliée,  ou  tombée  en  désuétude,  rend  également  à  l'industrie  un  service 
qui,  s'il  n'est  aussi  méritoire,  est  au  moins  aussi  grand  que  si  l'invention 
était  nouvelle. 

C'est  dans  cet  ordre  d'idées,  bien  que  fort  mitigé,  que  les  États-Unis 
d'Améiique  garantissent  le  droit  de  l'inventeur,  et  l'on  en  retrouve  comme 
un  vif  reflet  plus  dans  la  législation  autrichienne-hongroise,  et  dans  la 
récente  loi  allemande. 


DE    LA   TAXE 


Est-il  dû  une  taxe?  —  devrait-elle  être  unique,  ou  graduelle,  ou  pério- 
tlique?  —  Tous  ces  systèmes  sont  aujourd'hui  appliqués  tantôt  dans  un 
pays,  tantôt  dans  un  autre. 

Le  système  de  la  taxe  unique,  adopté  notamment  par  les  États-Unis, 
ne  fait  peser  sur  le  brevet,  une  fois  délivré,  l'obligation  d'aucune  taxe. 
L'inventeur  n'a  aucun  intérêt  à  renoncer  à  un  brevet  qui  ne  supporte  aucune 
charge,  même  s'il  n'en  peut  tirer  aucun  profit.  Il  existe  ainsi  une  masse 
de  brevets  jouissant  d'une  existence  légale  et  n'ayant  aucune  valeur,  même 
aux  yeux  de  leurs  auteurs.  Il  en  résulte,  pour  le  domaine  public,  un  véri- 
table encombrement.  Le  système  des  taxes  périodiques,  surtout  celui  des 
taxes  annuellement  progressives,  est  certainement  préférable;  il  se  lie 
intimement  à  la  valeur  de  l'invention  et  au  profit  qu'elle  procure,  à  la 
fois,  à  l'inventeur  et  à  l'industrie.  11  désencombre  le  stock  de  patentes 
virtuellement  abandonnées  par  leurs  auteurs. 


DE    L  EXAMEN    PRÉALABLE 


La  thèse  de  l'examen  préalable  est  susceptible  d'un  grand  développe- 
ment qu'elle  ne  peut  prendre  ici.  Pratiqué  depuis  longtemps  aux  États- 
Unis,  ce  système  a  été  adopté  en  1877  en  Allemagne  et  depuis  en  Suède. 
La  Russie,  l'Autriche-Hongrie  le  pratiquent  aussi  dans  une  certaine 
mesure,  et  le  Danemark  semble  aussi  vouloir  l'adopter  dans  la  nouvelle, 
loi  en  préparation. 

L'examen  préalable  est  un  véritable  attentat  à  la  liberté  de  l'invention; 
il  est  le  fléau  de  l'inventeur,  qu'il  prétend  cependant  protéger  et  qu'il  ré- 
gente sans  rien  lui  garantir.  C'est  un  attirail  aussi  coûteux  qu'inutile, 
dépensant  un  temps  et  des  efforts  considérables  à  examiner  des  inventions 
qui,  délivrées  sous  forme  de  patente,  après  un  rigoureux  examen,  des 


1036  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

discussions  fréquentes,  et  de  grands  retards,  sont  abandonnées,  de  suite 
après,  par  Ja  moitié  environ  des  demandeurs. 


DE   L  OBLIGATION    D  EXPLOITER 

La  plupart  des  lois  obligent  l'inventeur  à  exploiter  son  invention  dans 
un  temps  dotmé,  qui  varie  de  1  à  3  ans,  sous  peine  de  déchéance.  Cette 
obligation  est  aussi  rigoureuse  qu'injuste.  L'inventeur  est  le  premier  inté- 
ressé à  exploiter  son  invention,  laquelle,  d'ailleurs,  ne  fait  de  mal  à  per- 
sonne. S'il  ne  l'exploite  pas,  c'est  qu'il  ne  le  peut  pas.  Pourquoi  le  punir 
d'une  telle  inaction  et  chercher  à  le  dépouiller,  étant  donné  qu'il  est  as- 
treint à  payer  une  taxe  qui  devient  tous  les  ans  plus  onéreuse  si  elle  est 
progressive  ?  Qu'on  l'incite  à  exploiter,  et  mieux  encore  qu'on  l'y  aide, 
c'est  plutôt  ce  que  l'on  devrait  chercher  à  faire;  mais  sans  même  songer 
à  frapper  son  titre  d'une  déchéance  imméritée. 


DE   L  OBLIGATION    DE    NE    PAS    INTRODUIRE 

La  défense  d'introduire,  dans  le  pays,  l'objet  breveté  fabriqué  eu  pays 
étrangers,  n'est  pas  plus  juste  que  l'obligation  d'exploiter;  et,  même, 
-contrairement  à  une  opinion  accréditée,  elle  favorise  le  progrès  industriel 
régnicole  au  lieu  de  lui  nuire.  La  faculté  d'introduire  fait  connaître,  mieux 
et  plus  rapidement,  l'existence,  la  nature,  les  avantages  de  l'objet 
breveté.  Celui-ci  procure  des  produits  meilleurs  et  obtenus  plus  écono- 
miquement; et  il  est  de  l'intérêt  même  de  la  construction  que  cet  objet 
breveté  ne  tombe  pas  dans  le  domaine  public;  car,  personne  ne  recherche 
un  objet  qui  est  à  tout  le  monde. 


DE    L  OBLIGATION    DE   CONCEDER   DES    LICENCES    D  EXPLOITATION 

Cette  obligation  est  de  même  ordre  que  les  deux  précédentes;  du 
moins  elle  procède  des  mêmes  principes.  L'inventeur,  je  le  répète,  est 
le  premier  intéressé  à  exploiter  ;  mais  il  doit  agir  et  traiter  en  toute  li- 
berté, sans  aucune  contrainte. 

On  a  adopté,  dans  certaines  législations,  le  principe  de  la  licence  obli- 
gatoire ;  jusqu'ici  l'application  de  ce  principe  est  restée  purement  plato- 
nique, et  il  ne  saurait  en  être  autrement,  excepté  dans  des  cas  très  fares. 
Ceux  qui  l'invoquent  s'en  servent  comme  d'une  machine  de  guerre, 
pour  battre  en  brèche  le  droit  fondamental,  au  brevet,  qu'a  l'inventeur. 


D.-A.  CASALONGA.  —    SUK    LES   BREVETS    d'iNVENTION  1037 

Toutes  les  entraves  créées  à  l'invention  et  à  l'inventeur,  ont  leur 
source  dans  une  pensée  primordiale  hostile  à  l'invention,  et  qui  n'ayant 
pu  parvenir  à  empêcher  celle-ci  d'exister  à  l'état  légal,  s'évertue  à  la 
faire  déchoir  ou  à  l'annuler. 


DE   l'obligation    DE    CONCENTRER   l'iNVENTION    DANS    DES    REVENDICATIONS 

Cette  obligation,  sans  avoir  le  caractère  coercitif  des  précédentes,  n'est 
pas  non  plus  cependant  bien  recommandable.  Qu'il  soit  bon  et  utile  de 
concentrer  l'invention,  en  des  revendications  restreintes,  venant  à  la 
suite  de  la  description,  d'accord.  Mais  que  l'on  fasse,  comme  on  le  fait, 
consister  exclusivement  l'invention  dans  les  revendications,  sans  tenir 
aucun  compte,  à  ce  point  de  vue,  de  la  description,  c'est  évidemment 
excessif.  Le  système  des  revendications  obligatoires,  appliqué,  d'ailleurs,, 
très  différemment,  suivant  les  pays,  a  déjà  donné  lieu  à  bien  des  difficultés 
d'interprétation. 

DE  LA  date  réelle  DU  BREVET 

La  date  réelle  du  brevet  doit  être  celle  du  dépôt  de  la  demande^ 
excepté  à  l'égard  de  la  contrefaçon  de  bonne  foi,  contre  laquelle  la  date 
de  délivrance  doit  seule  être  véritable.  Une  telle  manière  de  voir  ne 
s'accorde  pas  avec  le  principe  de  l'examen  préalable;  mais  aucune  pensée 
libérale  ne  saurait  s'accorder  avec  ce  principe  déplorable. 


DES    CERTIFICATS    D  ADDITION 

Il  existe  des  pays,  tels  que  la  Russie,  l'Angleterre,  les  États-Unis,  qui 
n'admettent  pas  les  certificats  d'addition,  et  qui  exigent,  pour  tous  les  per- 
fectionnements apportés  à  une  première  invention,  des  demandes  de  bre- 
vets distincts.  Ce  système  est  moins  avantageux  pour  l'inventeur  :  c'est 
déjà  dire  qu'il  est  moins  libéral,  moins  juste  que  le  système  des  certi- 
ficats d'addition,  surtout  lorsque  les  taxes  du  brevet,  ou  les  dépenses 
inhérentes,  sont  élevées. 

Bien  d'autres  points  seraient  encore  à  signaler  et  à  examiner,  si  je 
n'étais  obligé  de  restreindre  l'étendue  de  cette  communication.  —  Je 
mentionnerai  seulement  :  la  Complexité;  —  la  Transmissibilité ;  —  la 
Procédure;  —  la  Compétence  et  la  composition  des  tribunaux. 


1038  ÉCONOMIE    POLITIQUE 


DE   LA   COMPLEXITE 

La  complexité  résulte  de  ce  que,  dans  une  môme  demande,  existeraient 
deux  inventions  distinctes,  ou  plus,  ce  qui  blesse  le  principe  de  la 
fiscalité  appliqué  aux  inventions.  Elle  est  actuellement,  dans  la  plupart 
des  législations,  un  sujet  de  rejet,  à  la  fois  dangereux  et  onéreux  pour 
l'inventeur.  Lorsque  les  droits  de  la  demande  sont  réservés  par  la  con- 
servation de  la  date  d'origine,  le  danger  est  moindre,  et  l'inventeur  peut, 
moyennant  une  aggravation  dans  la  dépense,  conserver  sa  propriété; 
mais  il  est  des  cas  oîi  le  rejet  entraîne  la  perte  de  cette  date  d'origine, 
ce  qui  peut  avoir  de  bien  fâcheuses  conséquences.  Cette  date  devrait 
être  conservée  dans  tous  les  cas,  que  l'inventeur  restreigne  sa  première 
demande,  ou  qu'il  la  divise  en  autant  de  demandes  qu'il  convient. 

J'ajouterai  que,  dans  certains  pays,  comme  en  Autriche-Hongrie  et  aux 
États-Unis,  on  fait  de  la  «  complexité  »   un  abus  quelquefois  excessif. 

DE  LA  TRANSMISSIBILITÉ 

La  transmissibilité  du  titre  du  brevet,  et  des  droits  qui  s'y  rattachent, 
facile  en  certains  pays,  l'est  peu  dans  d'autres.  C'est  en  France  où  elle 
est  la  plus  onéreuse  à  effectuer,  par  suite  de  l'obligation  d'acquitter,  au 
moment  du  contrat  régulier,  la  totalité  des  annuités  restant  à  payer,  du 
brevet  qui  fait  l'objet  d'une  cession.  Un  simple  droit  fixe  d'enregistre- 
ment suffit  en  beaucoup  de  pays,  et  devrait  de  même  suffire  au  législateur 
français  qui  a  trop  exagéré  les  précautions  qu  il  a  voulu  prendre  pour 
sauvegarder  les  droits  des  cessionnaires. 

DE  LA  PROCÉDURE 

La  procédure,  telle  qu'elle  est  pratiquée  en  France  et  en  divers  autres 
pays,  non  pas  par  voie  de  plainte  au  parquet,  mais  par  voie  de  saisie 
pratiquée  discrètement  par  huissier,  assisté  d'un  expert  et  au  besoin 
du  commissaire  de  police,  ensuite  d'une  autorisation  du  président  du 
tribunal  civil,  offre  toutes  garanties  à  l'inventeur,  et  peu  d'inconvénients 
pour  le  prétendu  contrefacteur. 

DE  LA  COMPÉTENCE  OU  JURIDICTION 

La  plupart  des  questions  de  contrefaçon  réelle  ou  présumée  pourraient 
être  conciliées.  Un  préliminaire  de  conciliation  n'est  inscrit  actuellement 
dans  aucune  législation   sur  la  matière.  C'est  un    préambule   utile   qui 


J.  ARNALLT.  —  DE  l'ÉTAT  CIVIL  DES  PERSONNES  ET  DES  PROPRIÉTÉS        1039 

manque  aux  contestations  naissantes  en  matière  de  propriété  industrielle. 
Les  chambres  syndicales  des  divers  métiers  pourraient  apporter  un  con- 
tingent utile  à  rinstitution  d'un  préliminaire  de  conciliation. 

DE  LA  COMPÉTENCE  ET  DE  LA  COMPOSITION  DES  TRIBUNAUX 

La  contrefaçon,  en  matière  de  brevets  d'invention,  tant  que  la  fraude 
OU  la  mauvaise  foi  n'est  pas  établie,  ne  saurait  être  assimilée  à  un  délit 
et  être  déférée  à  la  juridiction  correctionnelle.  Seuls  les  tribunaux  civils 
doivent  en  connaître.  Que  si  on  prétend,  par  la  correctionnalité,  mieux 
défendre  les  intérêts  de  l'inventeur,  il  est  préférable  de  le  faire  par  le 
texte  de  la  loi  et  par  une  amélioration  du  fonctionnement  des  tribunaux 
civils.  Ceux-ci  pourraient  encore  recourir  à  l'expertise;  mais  il  serait  dési- 
rable que  les  juges  de  droit  commun  fussent  assistés  de  juges  auxiliaires 
techniques,  avec  voix  consultative.  Dans  ces  conditions,  les  expertises 
seraient  plus  rares,  ou  plus  rapides  et  plus  précises,  les  jugements  et 
arrêts  seraient  mieux  éclairés,  sans  que  l'indépendance  des  experts  et  des 
juges  fût  entravée  en  aucune  manière. 

Telles  sont  les  considérations  générales  ([ue  j'ai  cru  devoir  soumettre  à 
la  Section  d'Économie  politique,  en  y  attachant  d'autant  plus  d'importance 
qu'il  se  fait  autour  et  en  faveur  de  la  propriété  industrielle,  un  travail 
considérable,  notamment  à  l'étranger,  où  l'on  paraît  en  comprendre,  mieux 
qu'en  France,  toute  l'utilité  et  l'etlicacité.  Et  j'ose  espérer  que  le  temps 
est  proche  où  la  revision  de  la  loi  française  du  o  juillet  1844  sera  heu- 
reusement revisée. 


M.  Jules  ARMÏÏLT 

iDspeclt'ur  (II'  l'EiiiuKislreiiieiil  et  des  Domaines,  à  Oran. 


L'ORGANISATION  DE  L'ÉTAT  CIVIL  DES  PERSONNES  ET  DES  PROPRIÉTÉS 


—  Séance  du  17  septembre  1892 


La  conservation  des  hypothèques,  au  point  de  vue  économique,  est 
une  industrie  dont  l'État  a  le  monopole,  mais  dont  il  aurait  pu,  dans 
chaque  circonscription  administrative,  concéder  l'exploitation  à  des  com- 
pagnies ou  à  des  particuliers  différents. 


1040  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

En  supposant  que  cette  idée  eût  été  mise  à  exécution  on  eût  pu  varier 
l'unité  territoriale  formant  la  circonscription  adminislrative.  Chaque 
conservation  d'hypothèques  aurait  pu  comprendre  tantôt  une  seule  ville, 
tantôt  un  ou  plusieurs  cantons  ou  communes,  tantôt  un  arrondissement 
ou  même  tout  un  département.  On  eût  pu,  également,  décider  que  l'en- 
treprise des  conservations  d'hypothèques  serait  donnée  à  l'adjudication  ou 
au  concours,  et  que  chaque  entrepreneur,  en  se  conformant  à  un  pro- 
gramme établi  à  l'avance,  aurait  eu  la  faculté  d'organiser  sa  conservation 
au  mieux  de  ses  intérêts  et  de  ceux  du  public. 

Au  moment  où  le  gouvernement  et  l'opinion  se  préoccupent,  à  si 
juste  titre,  de  préparer  la  réforme  de  notre  régime  hypothécaire,  il  n'(3st 
peut-être  pas  indifférent  de  se  placer,  pendant  quelques  instants,  dans 
rhypothèse  que  nous  venons  d'indiquer  et  de  nous  demander  quel  serait, 
en  cas  de  concours  ou  d'adjudication  au  rabais,  le  système  de  conservation 
d'hypothèques  qui  aurait  le  plus  de  chances  d'être  favorablement  accueilli. 


Mais,  d'abord,  demandons-nous  quel  devrait  être  le  programme  à 
imposer  aux  concurrents? 

11  est  évident  que,  plus  ce  programme  sera  simple,  tout  en  restant 
complot,  plus  les  concurrents  auront  les  coudées  franches  pour  présen- 
ter des  systèmes  variés  parmi  lesquels  le  gouvernement  aurait  à  choisir 
celui  qui  lui  paraîtrait  le  plus  parfait  ou  le  plus  approprié  aux  besoins 
territoriaux  de  chaque  circonscription. 

Or,  si  l'organisation  d'une  conservation  des  hypothèques  est  chose 
compliquée  et  dilTuile,  du  moins  en  apparence,  on  peut  formuler  le  but  à 
atteindre  en  quelques  lignes.  11  n'y  a  qu'à  considérer  le  conservateur 
des  hypothèques  pour  ce  qu'il  est  et  pour  ce  qu'il  doit  être  :  liour  un 
marchand  de  renseignements,  tenant  boutique  ouverte  dos  indications 
utiles  aux  personnes  qui  veulent  faire  des  transactions  immobilières,  en 
achetant,  en  vendant,  en  hypothéquant,  etc.,  des  propriétés  qui  leur 
appartiennent  ou  qui  ne  leur  appartiennent  pas. 

Si  chaque  concurrent  se  pénétrait  bien  de  cette  idée,  il  en  arriverait 
à  rechercher,  pour  chaque  nature  de  contrat,  quels  sont  les  renseigne- 
ments dont  les  parties  lui  feraient  la  demande  afin  de  se  mettre  en  mesure 
de  se  les  procurer.  La  définition  même  du  droit  de  propriété  nous  fera, 
d'ailleurs,  connaître  immédiatement  que  ces  renseignements  peuvent  tous 
être  classés  en  trois  catégories  distinctes. 

Le  code  (article  544)  définit  la  propriété  «  le  droit  »  —  pour  les  per- 
sonnes —  «  de  jouir  et  de  disposer  des  choses  ».  MM.  Aubry  etKau  «   le 


J.  ARNAULT.  —  DE  l'ÉTAT  CIVIL  DES  PERSONNES  ET  DES  PROPRIÉTÉS      1041 

droit  en  vertu  duquel  une  chose  se  trouve  soumise  d'une  manière  exclu- 
sive et  absolue,  à  la  volonté  et  à  l'action  d'une  personne  »,  T.  II,  §  190, 
p.  169,  et  Merlin  «  le  droit  par  lequel  une  chose  appartient  en  propre  à 
quelqu'un  ».   {Répertoire,  T.  X,  p.  2t)0.) 

L'idée  de  propriété  comprend  donc  trois  termes  : 

Le  sujet,  qui  est  le  propriétaire  ; 

L'objet,  qui  est  la  propriété, 

Et  la  relation  du  sujet  à  l'objet,  du  propriétaire  à  la  chose  possédée, 
qui  est  le  droit  de  propriété. 

Nous  en  concluons  nécessairement  que  tout  régime  de  publicité,  en 
matière  de  constitution  et  de  transmission  de  droits  réels  immobiliers, 
doit  se  proposer  pour  but  et  avoir  pour  efîet  de  révéler  aux  tiers  : 

1°  Le  véritable  propriétaire  de  l'immeuble  ainsi  que  sa  capacité  de 
contracter  et,  spécialement,  son  état  civil  et  son  droit  de  vendre  et  d'hy- 
pothéquer des  immeubles  ; 

2°  La  consistance  de  l'immeuble,  c'est-à-dire  sa  détermination  phy- 
sique ; 

3°  La  nature  et  l'étendue  du  droit  du  propriétaire  sur  l'immeuble, 
€'est-à-dire  la  détermination  juridique  de  chaque  héritage. 


II 


Le  problème  ainsi  posé  —  et  il  l'est,  semble-t-il,  d'une  manière  aussi 
-complète  que  possible,  —  une  première  question  vient  à  l'esprit  : 

Est-il  désirable  et  possible  de  classer  tous  ces  renseignements  sur  un 
livre  unique,  qui  sera  le  livre  foncier  idéal  ? 

L'atlirmative  n'a  pas  paru  douteuse  à  nombre  de  bons  esprits  qui, 
voyant  plutôt  le  but  à  atteindre  que  les  moyens  d'y  parvenir,  ont  pro- 
posé de  condenser  sur  le  livre  foncier  tous  les  renseignements  nécessaires 
pour  assurer  la  sécurité  des  transmissions  immobilières.  C'est  là,  suivant 
nous,  une  erreur,  et  comme  les  conséquences  peuvent  aller  jusqu'à 
entraîner  l'insuccès  de  la  réforme  projetée  nous  demandons  la  permission 
de  donner,  avec  quelques  développements,  les  motifs  de  notre  opinion. 

Avant  tout,  il  s'agit  d'une  question  de  comptabilité. 

Or,  il  est  de  l'essence  de  toute  comptabilité  de  reposer  non  sur  un 
seul  livre,  mais  sur  un  ensemble  d'écritures  qui  se  complètent  et  se 
contrôlent  les  unes  les  autres  et  permettent  de  faire  toutes  les  recherches 
nécessaires  sous  quelque  point  de  vue  que  l'on  envisage  chaque  affaire. 
11  est  matériellement  impossible,  dans  la  pratique,  sous  peine  d'une  inex- 
tricable confusion,  de  n'avoir  qu'un  livre. 

GG* 


1042  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

Écoutons  ce  que  nous  dit  à  ce  sujet  J.-B.  Say  (1)  : 

«  Les  livres  de  compte  des  négociants  (et  tous  les  entrepreneurs  d'in- 
dustrie peuvent  passer  pour  des  négociants),  leurs  livres,  dis-je,  se  tiennent 
suivant  deux  méthodes  qu'on  nomme  parties  simples  et  parties  doubles. 

»  Un  néo-ociant  qui  tient  ses  livres  en  parties  simples,  couche  sur  un 
registre  qui  se  nomme  journal,  toutes  les  opérations  de  son  commerce,  à 
mesure  qu'elles  se  présentent. 

»  C'est  là  le  fondement  de  tous  ses  comptes.  En  tenant  note  ainsi  de 
toutes  les  affaires  qu'il  fait,  à  mesure  qu'elles  se  font,  le  négociant  est  sûr 
de  ne  pas  en  omettre.  Mais  comme  une  liste  de  beaucoup  d'affaires 
successives  ne  lui  donnerait  aucune  idée  de  ce  qu'il  doit  à  chacun  de  ses 
correspondants,  ni  de  ce  qui  lui  est  dû  par  eux,  il  relève  chaque  article 
en  particulier  et  le  porte  sur  son  grand-livre,  au  compte  du  correspondant 
que  cette  affaire  rend  son  créancier  ou  son  débiteur.  Le  grand-livre 
peut  passer,  comme  on  voit,  pour  le  classement  ou  le  répertoire  du  journal. 

»  Tel  est  le  fond  de  toutes  les  écritures  d'un  négociant  ;  mais  pour 
mettre  un  plus  grand  ordre  dans  les  détails  de  son  affaire,  il  a  plusieurs 
autres  registres  au  moyen  desquels  il  peut  se  rendre  compte  en  détail  de 
chaque  partie  :  il  a  un  livre  de  caisse...,  il  a  un  livre  d'entrée  et  de  sortie 
des  marchandises...,  les  négociants  ont  encore  un  registre  où  sont 
copiées  toutes  les  lettres  qu'ils  écrivent,  etc. 

»  Toutefois,  vous  concevez  que  si,  par  oubli  d'un  commis  ou  une  erreur 
de  plume,  tel  article  est  omis  ou  s'il  a  été  mal  couché,  on  n'est  pas 
nécessairement  averti  de  l'erreur.  Dans  la  tenue  des  livres  en  parties 
doubles,  chaque  article  est  contrôlé  par  un  autre  article  correspondant^ 
tellement  qu'il  faudrait  commettre  deux  erreurs  précisément  de  la  même 
somme,  et  qui  se  balançassent  l'une  par  l'autre,  pour  qu'on  n'en  fût  pas 
averti.  La  même  méthode  permet,  en  outre,  qu'on  se  rende  compte  beau- 
coup plus  exactement  du  résultat  de  chaque  opération,  ou  de  chaque 
nature  d'opérations,  parce  qu'on  les  personnifie  pour  ainsi  dire,  on  leur 
demande  compte  de  ce  qu'elles  doivent,  et  on  leur  tient  compte  de  ce 
qu'on  leur  doit.  » 

III 

Remarquez  cette  idée  admise  sans  conteste,  en  matière  de  comptabilité 
commerciale  et  qui  consiste  à  ^jer-sonni^^e/-  chaque  opération  ou  chaque 
nature  d'opération.  C'est  l'idée  que  l'on  a  eue  en  voulant  immatriculer 
chaque  immeuble. 

Cette   idée  est  excellente,  mais  de  même  que  chaque  commerçant  a 

(\)  Cours  d'économie  poUllque,  \>.'i'iO. 


J.  ARNAULT.  —  DE  l'ÉTAT  CIVIL  DES  PERSONNES  ET  DES  PROPRIÉTÉS       1043 

une  comptabilité  en  parties  doubles  dont  chacune  se  contrôle  récipro- 
quement par  l'autre,  de  même  nous  estimons  que  la  comptabilité  foncière 
devrait  être  en  parties  doubles. 

Tout  système  législatif,  en  effet,  doit  être  le  développement  d'un  prin- 
cipe. «  Lorsque,  a  dit  M,  Laromiguière,  nous  pouvons  observer  une  suite 
de  phénomènes  ordonnés  les  uns  par  rapport  aux  autres,  et  tous  par 
rapport  à  un  premier,  alors,  d'un  même  regard,  nous  voyons  un  principe 
et  un  système  :  le  principe  dans  le  premier  des  phénomènes,  le  système 
dans  leur  ensemble.  Le  système,  lorsqu'il  est  porté  à  sa  perfection,  est 
le  plus  haut  degré  de  l'intelligence  de  l'homme.  En  nous  montrant  réunis 
une  multitude  d'objets  que  la  nature  semblait  avoir  séparés,  en  les  ra- 
menant à  l'unité,  il  enferme  une  science  entière  dans  une  seule  idée, 
dans  un  seul  mot.  Mais  combien  les  bons  systèmes  sont  rares  et  com- 
bien d'illusions  peut  faire  naître  l'attrait  de  la  simplicité.  »  {Leçons  de 
philosophie,  I,  61.) 

Cette  règle  générale  des  connaissances  humaines  peut  trouver  son  appli- 
cation dans  le  droit  et,  en  particulier,  dans  la  matière  des  hypothèques, 
où  il  y  a  un  réel  danger  à  vouloir  trop  de  simplicité. 

Dans  le  système  allemand,  une  règle  domine  toutes  les  autres  :  c'est 
qu'à  chaque  mutation  le  nouveau  possesseur  demande  à  l'État  une  sorte 
d'investiture  qui  forme  le  titre  de  la  propriété.  Le  droit  dérive  de  l'inta- 
bulation,  c'est-à-dire  «  de  l'inscription  du  propriétaire  et  du  créancier  sur 
un  registre  public  où  chaque  fonds  a  un  compte  ouvert  auquel  son 
portés  tous  les  droits  réels  qui  viennent  soit  le  grever,  soit  l'augmenter. 
(V.  Accolas,  III,  p.  643,  qui  cite  en  note  :  Bluntschli,  Deutsches  Privât 
Recht,  §  100,  «  Neueres  ht/ pothekars  y  s  tem  »,)  L'hypothèque  y  est  spéciale 
parce  que  le  législateur  a  envisagé  la  terre,  le  fonds  plutôt  que  l'homme. 
Le  droit  actuel  découle  encore  du  régime  féodal  qui  était  fondé  sur  la 
hiérarchie  des  terres.  (V.  Rondel,  La  Mobilisation  du  sol  en  France,  p.  31.) 
Ce  système  ne  saurait  être  importé  en  France,  où  un  principe  profondé- 
ment enraciné  dans  les  mœurs  est  que  la  propriété  se  transmet  par  le 
simple  consentement  des  parties  et  où  l'État  n'intervient  pas  pour  sanc- 
tionner le  droit  de  l'acquéreur. 

Le  principe  du  système  français  est  un  principe  de  publicité.  Je  me 
hâte  d'ajouter  que  j'entends  ce  mot  lato  sensu,  car  ce  que  l'on  reproche, 
à  juste  titre,  au  système  français,  c'est  l'organisation  insuffisante  de  la 
publicité,  ce  sont  les  hypothèques  occultes,  les  clauses  résolutoires  in- 
connues des  tiers.  Mais  de  ce  que  le  législateur  n'a  pas  su  tirer  toutes 
les  conséquences  de  son  principe,  de  ce  qu'il  en  a  fait  de  maladroites  et 
d'incomplètes  applications,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  n'ait  pas  eu  une  règle 
générale  de  conduite.  Cette  règle  est  de  ne  pas  faire  intervenir  un  agent 
de  l'État  pour  faire  valider  le  droit  dans  la  personne  du  nouveau  posses- 


1044  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

seur,  mais  de  révéler  aux  tiers,  soit  par  une  inscription  aux  registres  des 
hypothèques,  soit  par  une  disposition  législative,  tous  les  droits  réels  qui 
grèvent  les  propriétés. 

Si  les  hypothèques  légales  sont  occultes,  ce  n'est  pas  que  le  code  ait 
voulu  les  dissimuler  aux  tiers.  «  C'est  à  regret,  dit  M.  Baudry-Lacanti- 
nerie,  que  le  législateur  s'est  décidé  à  admettre,  en  faveur  de  l'hypo- 
thèque légale  des  mineurs,  interdits  et  femmes  mariées,  une  exception  au 
grand  principe  de  la  publicité,  exception  qui  a  été  considérée  comme  indis- 
pensable pour  que  ces  incapables  fussent  protégés  d'une  manière  efficace.  » 
(Précis,  m,  n"  13o0.)  Les  articles  2136  et  suivants  du  code  civil  témoi- 
gnent de  l'intention  du  législateur  de  concilier  le  principe  de  la  publicité 
avec  la  protection  due  aux  incapables. 

Il  n'a  pas  réussi  :  personne  ne  le  conteste  et  on  peut  dire  qu'il  ne  s'est 
pas  fait  illusion  à  lui-même  sur  le  succès  de  ses  efforts.  La  question,  dit 
M.  Troplong,  se  posa  ainsi  :  «  Faut-il  que  les  prêteurs  qui  peuvent  dicter 
la  loi  du  contrat  soient  traités  plus  favorablement  que  les  femmes  et  les 
mineurs  qui  ne  peuvent  pas  se  défendre?  Ramenée  sans  cesse  à  ces 
termes  par  la  vigoureuse  dialectique  du  premier  consul,  la  solution  du 
problème  ne  pouvait  être  douteuse  et  il  fut  décidé  que  la  sûreté  de  la 
femme  et  du  mineur  devait  être  préférée  à  celle  des  acquéreurs  et  des 
prêteurs  ;  rien  ne  saurait  ébranler  ce  résultat,  si  conforme  aux  règles  de 
la  Justice.  »  {Hijp.,  Préface,  p.  xiv.) 

C'est  une  question  de  comptabilité,  une  difficulté  d'écritures,  qui  a 
arrêté  le  législateur  dans  l'application  du  principe  de  publicité,  lequel 
domine  néanmoins  tout  notre  droit,  comme  celui  de  la  force  probante  de 
l'intabulation  domine  le  droit  allemand. 

Et  voici  qu'au  lieu  d'essayer  de  résoudre  la  difficulté  qui  a  arrêté  les 
auteurs  de  nos  codes,  au  lieu  de  corriger  et  de  compléter  les  articles 
2136  et  2145  du  code  civil,  on  propose  la  suppression  pure  et  simple  des 
hypothèques  légales.  On  veut  soumettre  toutes  les  hypothèques  au  prin- 
cipe de  la  publicité  et  de  la  spécialité,  confondant  ainsi,  dans  une  unique 
formule,  deux  questions  bien  distinctes,  car  il  semble  très  possible  de 
donner  une  publicité  suffisante  aux  hypothèques  légales  sans  les  sou- 
mettre à  la  règle  de  la  spécialité. 

Si  je  sais  que  mon  voisin  Pierre  est  marié  sous  le  régime  dotal  et  que 
la  dot  et  les  reprises  de  sa  femme  sont  de  50.000  francs,  je  suis  suffisam- 
ment renseigné  pour  traiter  en  toute  sécurité  avec  lui  et  prendre  mes 
précautions  :  purger,  exiger  des  remplois,  ne  pas  prêter  ou  ne  pas  acheter. 
Point  ne  sera  besoin  que  chaque  propriété  de  Pierre  soit  grevée  d'une  hy- 
pothèque spéciale.  Si  l'hypothèque,  quoique  par  sa  nature  ne  frappant 
que  les  immeubles,  est  inscrite  contre  la  personne,  il  n'est  pas  nécessaire 
de  rijiscrire  contre  chaque  immeuble. 


J.  ARNALLT.  —  DE  l'kTAT  CIVIL  DES  PERSONNES  ET  DES  PROPRIÉTÉS      1045 

Les  auteurs  du  code  ont  jugé  inutile  de  faire  cette  inscription,  «  Si  l'on 
no  veut,  a  dit  Troplong,  une  inscription  que  pour  faire  savoir  au  public 
que  tels  immeubles  appartiennent  à  un  homme  marié  ou  à  un  tuteur,  il 
faut  avouer  qu'on  se  donne  bien  du  mal  et  qu'on  met  en  péril  bien  des 
intérêts,  pour  constater  un  fait  qui,  le  plus  souvent,  n'est  pas  ignoré  de 
ceux  qui  veulent  acheter  ou  prêter,  et  qu'au  surplus  ils  ont  toujours  le 
moyen  de  vérifier,  »  {Hyp.,  Préface,  p.  xix  ij.) 

Cette  dernière  assertion  n'a  jamais  été  rigoureusement  exacte  et  elle 
le  devient  tous  les  jours  d'autant  moins  que  les  familles  tendent,  de  plus 
en  plus,  à  se  diviser  et  à  se  disperser  sur  tout  le  territoire,  et  môme  à 
l'étranger,  l.e  remède  à  cette  insuffisance  de  la  notoriété  publique  et  de 
l'organisation  de  l'état  civil,  pour  assurer  la  publicité  des  hypothèques 
légales,  consiste  à  perfectionner  notre  système  par  l'adoption  de  quelques 
règles.  Pour  conclure,  je  propose  d'adopter  les  principes  suivants  : 

1°  La  publicité  n'est  efTicace  qu'à  la  condition  d'être  permanente. 

2"*  Il  n'est  pas  possible  d'assurer  la  publicité  des  droits  réels  sans  avoir 
organisé  celle  des  incapacités  des  personnes. 

3°  L'organisation  la  plus  pratique  paraît  consister  à  immatriculer  chaque 
personne  et  chaque  héritage  et  à  leur  ouvrir  un  compte  et  un  dossier. 

4"  Par  une  fiction  de  la  loi,  l'immatriculation  de  la  personne  ou  de 
l'héritage  sera  la  repré^ntation  de  la  personne  ou  de  l'héritage. 

5°  La  règle  absolue,  sans  aucune  restriction  ou  exception,  sera  que  les 
incapacités  ou  les  droits  réels  ne  seront  opposables  aux  tiers  que  s'ils  ont 
été  mentionnés  sur  l'immatriculation  de  la  personne  ou  (1)  de  l'héritage  ; 
—  en  sorte  que  les  inscriptions  faites  sur  le  livre  des  personnes  (grand- 
livre  des  droits  civils)  ou  sur  le  livre  des  héritages  (livre  foncier)  seront 
comme  des  écriteaux  placés  sur  les  personnes  ou  les  héritages  et  révélant 
aux  tiers  tout  ce  qu'ils  ont  intérêt  à  connaître. 


IV 


Voici  maintenant  dans  la  pratique  comment  fonctionnerait  ce  système: 
Il  y  aurait  une  table  alphabétique  par  nom  de  propriétaire.  Cette  table 
renverrait  au  compte  de  chaque  personne.  Ce  compte  renverrait  au  livre 
foncier.  Le  livre  foncier  renverrait  à  l'état  des  sections  où  chaque  par- 
celle serait  classée  par  ordre  numérique.  Chaque  fraction  de  parcelle  sérail 
numérotée  et  placée  à  son  rang.  Par  exemple,  si  la  parcelle  540  de  la  sec- 

(I)  Toute  l'innovation   est  résumée  dans  ce  mot  ou  qui  indique  les  facilités  qui  seront  données  de 
révéler  aux  tiers  la  situation  d'une  personne  ou  d'un  immeuble. 


1016  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

tien  B  n'était  pas  divisée  et  que  la  parcelle  541  de  la  même  section  le  fût, 
on  lirait  sur  l'état  de  section  : 


Section  B, 

N°  540 

-   B, 

N°  541  - 

-  1 

-   B, 

N°  541  - 

_  -7 

-   B, 

N«  541  - 

-  3 

etc. 

-   B, 

N°  542 

-   B, 

N»  543 

etc. 

En  marge  de  chaque  numéro  de  parcelle  ou  de  fraction  de  parcelle,  on 
lirait  le  numéro  de  la  consignation  en  bloc  de  rhéritage  ou  des  folios 
correspondants  au  livre  foncier  et  à  la  matière  cadastrale. 

Ces  deux  documents,  quoique  en  concordance,  seraient  indépendants 
l'un  et  l'autre,  ce  qui  permettrait  d'effectuer  la  réforme  hypothécaire  sans 
attendre  la  réfection  complète  du  plan  cadastral.  L'un  donnerait  la  déter- 
mination juridique,  l'autre  la  détermination  physique,  dont  on  peut  à  la 
rigueur  se  passer  pour  réaliser  la  réforme  hypothécaire. 

11  va  d'ailleurs  sans  dire  qu'un  livre-journal,  ou*registre  de  dépôts^  assu- 
rerait la  date  certaine  aux  formalités  et  que  ce  livre  serait  en  concordance 
avec  les  grands-livres  d'immatriculation  des  personnes  et  des  héritages. 

En  sens  inverse,  l'examen  du  terrain  renverrait  au  plan,  le  plan  à  l'état 
de  section,  à  la  matrice  cadastrale  et  au  livre  foncier,  celui-ci  au  grand 
livre  des  droits  civils  au  casier  civil  et  celui-ci  à  la  table.  On  aurait  une 
chaîne  ininterrompue  de  renseignements  se  complétant  les  uns  les  autres 
et  il  sufiîrait  par  le  rappel  d'un  simple  numéro  ou  d'un  nom  de  tenir  un 
anneau  de  cette  chaîne  pour  reconstituer  l'état  civil  d'une  personne  ou 
d'un  héritage  quelconque. 

Provisoirement,  on  se  contenterait  des  renseignements  que  l'on  aurait, 
mais  au  fur  et  à  mesure  que  l'on  en  recueillerait  de  nouveaux  on  com- 
pléterait ceux  que  l'on  aurait  déjà  et  tandis  que  le  cadastre,  seul,  va 
toujours  en  vieillissant,  la  comptabilité  en  partie  double,  constamment 
rajeunie  par  des  reconnaissances  sur  le  terrain  après  chaque  mutation, 
irait  en  s'améliorant  avec  le  temps,  jusqu'à  ce  que  son  fonctionnement 
prolongé  l'eût  amené  à  l'état  de  perfection  absolue. 

Avec  cette  organisation  on  pourrait  indifféremment  trouver  l'immeuble 
quand  on  connaîtrait  la  personne,  ou,  réciproquement,  trouver  la  per- 
sonne quand  on  connaîtrait  l'immeuble.  La  publicité  serait  complète  et 
absolue  et  on  pourrait  greffer  sur  cette  comptabilité  tous  les  progrès  : 
force  probante,  mobilisation  des  titres,  réfection  du  plan  cadastral,  spé- 


Y.  GUYOT.  —  «  L  ACT  TORUEMS  »  EN  FRANCE  ET  DANS  LES  COLONIES   1047 

cialité  des  hypothèques,  abornemeats  généraux,  etc.,  que  l'on  a  l'inten- 
tion d'apporter  au  régime  de  la  propriété  en  France. 

On  s'en  convaincrait  facilement  en  faisant  l'expérience  de  ce  système 
d'écritures.  Il  ne  faudrait  que  quelques  semaines  et  quelques  centaines  de 
francs  pour  l'organiser  dans  une  commune  quelconque  et  en  rendre  le 
mécanisme  évident. 


M.  Yves  GÏÏYOT 

Député,  à  Paris. 


LES  APPLICATIONS  DE  «  L'ACT  TORRENS  »  EN  FRANCE,  EN  TUNISIE 
ET  DANS  LES  COLONIES 


—  Séance  du  17  septembre  1892  — 

Depuis  longtemps  les  jurisconsultes  sont  frappés,  en  France,  des 
inconvénients  que  présente  notre  régime  de  constitution  et  de  trans- 
mission de  la  propriété  foncière  et  des  hypothèques  et  que  M.  Dupin 
résumait  ainsi  en  1836  :  «  Celui  qui  achète  n'est  pas  sûr  d'être  proprié- 
taire, celui  qui  paye  de  n'être  pas  obligé  de  payer  deux  fois  et  celui  qui 
prête  d'être  remboursé.  »  Convaincu  que  la  sécurité  du  titre  de  la  pro- 
priété et  sa  facilité  de  transmission  sont  les  meilleurs  moyens  d'améliorer 
les  conditions  du  crédit  de  la  propriété  et  d'en  augmenter  la  plus-value, 
j'étais  préoccupé  des  méthodes  employées  dans  les  pays  étrangers,  de  la  loi 
prussienne  de  18~2  qu'avait  fait  connaître  M.  Paul  Gide,  de  la  réforme 
hypothécaire  que  la  Belgique  nous  avait  empruntée  en  1851,  mais  que 
nous  n'avions  pas  eu  le  courage  de  réaliser,  nous  bornant  à  la  loi  sur  la 
transcription  de  I800,  quand,  en  1877,  comme  rédacteur  en  chef  de  la 
Réforme  Economique,  je  reçus  et  publiai  une  étude  sur  VAct  Torrem  en 
Australie  qui  me  frappa  vivement.  Je  me  procurai,  grâce  à  des  amis  an- 
glais qui  eux-mêmes  l'ignoraient,  les  documents  concernant  le  système 
de  Tî'ansfer  of  land,  appliqué  d'abord  à  Adélaïde  en  I808,  depuis  s'étant 
étendu  à  toute  l'Australasie,  puis  à  la  Colombie  britannique,  à  l'Étal 
d'Howa  (États-Unis)  et  devenu  si  populaire  qu'il  a  pris  le  nom  de  son 
auteur  ;  je  fus  mis  en  rapport  avec  Sir  Robert  Torrens,  qui  est  mort  en 
1883,  et,  ainsi  préparé,  en  188:2,  au  Congrès  de  la  Rochelle,  j'en  saisis 


1048  ÉCOiNOMIE  POLITIQUE 

l'opinion  publique.  L'année  suivante,'  en  1883,  voyageant  en   Tunisie, 
j'en  parlai  à  M.  Cambon,   à  qui  je  soumis  les  documents  australiens. 
M.  Cambon,  dans  un  avant-projet,  plus  simple  et  meilleur  que  le  projet 
qui  est  devenu  la  loi  de  I880,  l'adopta.  En  1884,  M.  Charles  Gide  ex- 
posa le   système  australien  dans   une  importante   communication  à  la 
Société  de  Législation  comparée;  en  I880,  M,  Dain,  professeur  à  l'École 
de  droit  d'Alger,  en  fit  une  étude  très  complète,  en  vue  de  son  applica- 
tion à  l'Algérie;  M.  Daniel,  avocat  général  à  Bourges,  le  prit  pour  sujet 
de  son  discours  de  rentrée  ;  M.  Defrance  de  Tersant,  le  premier  conser- 
vateur de  la  propriété  foncière  en  Tunisie  sous  le  nouveau  régime,  publiait 
une  traduction  du  rapport  que  M.  Maxwell  avait  fait  après  une  enquête 
en  Australie.  De  nombreux  ouvrages  venaient  compléter  les  travaux  qui 
avaient  déjà  paru  sur  cette  importante  question.  Nous  citerons  parmi  les 
livres  antérieurs,  celui  de  M.  Challamel,  en  1878,  Su?-  les  Hypothèques, 
puis  en  1888,  nous  trouvons  de  M.  E.  ^^'o^ms,  La  Propriété  consolidée; 
de  M.  Flour  de  Saint-Genis,  une  Élude  sur  les  H!/potltéques;de  M.  Georges 
Rondel,  La  Mobilisation  du  sol  en  France.  La  Faculté  de  droit  de  Paris 
mettait  au  concours  le  sujet  de  prix  suivant  :  «  Du  meilleur  régime  de 
publicité  en   matière  de  constitution  et  de  transmission  de  droits  réels 
immobiliers.  »  Les  concurrents  devront,  à  cet  effet,  exposer  et  apprécier  les 
systèmes  adoptés  en  France  et  a  l'étranger,  notamment  le  système  alle- 
mand et  celui  de  VAct  Torrens.  Le  prix  fut  donné  au  travail  de  M.  Besson, 
sous-chef  à  la  direction  de  l'enregistrement,  intitulé  :  les  Livides  fonciers  et 
la  Réforme  hypothécaire,  qui  est  devenu  le  vade-mecum  indispensable  de 
toutes  les  personnes  qui  s'occupent  de  ces  questions.  On  y  trouve  l'ex- 
posé et  la  critique  des  doctrines  aussi  bien  que  tous  les  faits  concernant 
le  régime  de  la  propriété  dans  tous  les  pays. 

La  même  année,  il  fut  décidé  que  parmi  les  congrès  de  l'Exposition  de 
1889,  aurait  lieu  un  Congrès  ayant  pour  objet  l'étude  de  la  Transmission 
de  la  Propriété  Foncière.  Son  président,  M.  Duverger,  professeur  hono- 
raire de  la  Faculté  de  droit  de  Paris,  en  dirigea  les  travaux  avec  la 
conviction  de  la  nécessité  de  transformer  le  régime  de  la  propriété  fon- 
cière existant. 

Dans  sa  séance  d'ouverture,  il  disait  : 

«  Le  propriétaire  a  droit  à  la  certitude  de  ne  pouvoir  être  évincé 
quand,  de  bonne  foi,  il  s'est  conformé  aux  dispositions  de  la  loi  pour 
acquérir;  il  a  le  droit  de  ne  pas  être  gêné  ni  pour  aliéner  ni  pour  hypo- 
théquer ;  il  a  le  droit  de  ne  pas  être  exclu,  par  le  vice  de  la  loi,  du  prêt 
à  long  terme,  remboursable  par  annuités.  La  société,  d'autre  part,  est 
fondée  à  réclamer  une  circulation  des  immeubles  telle  que  la  propriété 
foncière  arrive  le  plus  tôt  possible  aux  mains  de  ceux  qui  sauront  le 
mieux  en  tirer  parti.  » 


Y.  GUYOT.   ('   l'aCT  TORRENS   »   EX  FRANCE  ET  DANS  LES  COLONIES       1049 

Ce  premier  Congrès  ne  pouvait  donner  une  solution  définitive  aux  ques- 
tions si  nombreuses  et  si  vastes  soulevées  par  ce  programme  ;  mais  les 
principes  qu'il  a  établis  sont  des  jalons  qui  tracent  nettement  la  route 
que  doivent  suivre  tous  ceux  qui  voudront  s'occuper  de  cette  question, 
en  se  dégageant  des  préjugés  et  des  intérêts  qui  peuvent  l'obscurcir. 

Établissement  d'un  livre  foncier,  réel  et  non  personnel,  avec  le  prin- 
cipe de  la  force  probante  ou  principe  de  la  légalité  ;  l'inscription  au  titre 
foncier  constituant  le  titre  irrévocable  du  droit,  manifesté  par  l'inscrip- 
tion à  l'égard  de  toute  personne  intéressée  ;  publicité  et  spécialité  de 
toutes  les  hypothèques  et  privilèges  ;  publicité  étendue  aux  actes  décla- 
ratifs et  aux  mutations  par  décès  ;  constatation  de  l'immatriculatiou  par 
un  certificat  de  titre  remis  au  propriétaire,  et  de  la  cession  de  sa  propriété 
à  un  tiers  par  un  acte  authentique  de  transfert  ;  toutes  les  inscriptions 
du  registre  foncier  portées  sur  le  certificat  du  titre  :  tel  est  le  résumé  des 
résolutions  du  Congrès  de  1889, 

Il  a  examiné  également  la  réfection  du  cadastre,  et,  à  ce  sujet,  il  a 
envisagé  deux  hypothèses  :  celle  où,  pouvant  être  effectué  à  bref  délai 
aux  frais  de  l'État,  le  cadastre  entraînerait  simultanément  la  confection 
des  livres  fonciers  et  la  réforme  hypothécaire  avec  immatriculation  obli- 
gatoire pour  les  immeubles  ;  celle  où  il  serait  ajourné,  et,  dans  ce  cas,  la 
réforme  hypothécaire  et  l'établissement  de  livres  fonciers  devraient  être 
faits  immédiatement  après  une  triangulation  opérée  par  l'État:  ici  l'im- 
matriculation serait  facultative. 

Les  conclusions  auxquelles  a  abouti  le  Congrès  de  1889  prouvent  qu'il 
a  senti  vivement  la  nécessité  de  la  réforme  de  notre  svstème  immobilier. 

Avant  de  se  séparer,  il  nomma  une  commission  permanente  chargée 
de  préparer  des  rapports  sur  plusieurs  des  questions  soulevées  et  de  con- 
A'oquer  un  nouveau  Congrès.  M.  Duverger  étant  mort,  la  commission  per- 
manente a  bien  voulu  me  choisir  comme  président,  et  j'ai  l'honneur  de 
vous  annoncer  que  la  prochaine  session  du  Congrès  international  de  la 
Propriété  Fonciètx  se  tiendra  à  Paris  du  17  au  22  octobre  prochain. 

Je  puis  annoncer  que  le  rapport  sur  l'Immatriculation  des  immeubles, 
de  M.  Emile  Dansaert,  président  du  Crédit  foncier  de  Belgique,  et  de 
M.  Hubert  Brunart.  commissaire  du  Crédit  foncier  de  Belgiqlie,  tous  les 
deux  délégués  par  le  gouvernement  belge  ;  que  le  rapport  sur  les  Opéra- 
tions cadastrales,  de  M.  Charles  Piat,  chef  du  service  topographique  en 
Tunisie  ;  que  le  rapport  de  M.  Jules  Challamel  sur  les  Privilèges  et  hypo- 
thèques, et  celui  de  M.  Flour  de  Saint-Genis  sur  l'Organisation  des  bu- 
reaux d' hypothèques,  sont  prêts. 

J'ajoute  que,  par  décret  du  30  avril  1891,  M.  le  ministre  des  Finances  a 
nommé  une  commission  extraparlementaire  du  cadastre.  Le  rapport  qui 
précède  le  décret   détermine  qu'elle  n'a  pas  seulement  un  intérêt  fiscal. 


lOoO  ÉCONOMIK   POLITIQUE 

mais  une  étude  «  de  la  réforme  du  mode  de  transmission  de  la  propriété 
immobilière  et  de  constatation  des  hypothèques  et  droits  réels  ». 

a  La  création  de  livres  fonciers  analogues  à  ceux  en  usage  dans  plu- 
sieurs pays  étrangers,  continue  le  Rapport,  a  été  préconisée  par  de  nom- 
breux économistes  et  des  jurisconsultes  autorisés;  elle  a  été  réclamée, 
d'une  manière  formelle,  par  la  commission  d'étude  instituée  au  Ministère 
de  l'Agriculture  en  vertu  de  l'arrêté  du  11  juin  1889  et  par  le  Congrès 
international  de  la  propriété  foncière  tenu  à  Paris  en  1889.  Enfin,  le 
Parlement,  lors  de  l'examen  et  de  la  discussion  du  budget  de  l'année  1891, 
a  nettement  indiqué,  conformément  à  la  proposition  du  gouvernement, 
sa  volonté  de  voir  mettre  à  l'étude  l'organisation  des  livres  fonciers. 

»  Dans  ces  conditions,  il  n'est  pas  douteux  que  les  études  du  gouver- 
nement doivent  comprendre  non  pas  seulement  la  réforme  de  notre  sys- 
tème hypothécaire,  mais  l'ensemble  de  la  question  immobilière.  » 

Déterminer  la  propriété,  conserver  les  effets  de  cette  détermination  : 
voilà  le  problème.  Les  effets  de  la  détermination  physique  et  juridique 
de  l'immeuble  doivent  être  constatés  dans  un  document  public  et  authen- 
tique. Quelle  sera  la  valeur  de  ce  titre  de  propriété  ?  Aura-t-il  le  caractère 
d'un  acte  ordinaire  susceptible  d'être  annulé  ou  rescindé  conformément 
au  droit  commun  ?  Ou  bien  sera-t-il  inattaquable  et  aura-t-il  pour  effet  de 
conférer  à  son  détenteur  un  droit  à  l'abri  de  toute  contestation  ? 

Voilà  la  question  bien  posée.  Par  qui  ?  par  le  ministre  des  Finances, 
par  M.  Boutin,  le  directeur  des  Contributions  directes,  et  par  d'autres  émi- 
nents  fonctionnaires.  Mais,  du  moment  que  cette  question  est  posée,  c'est 
celle  de  l'application  du  principe  de  VAct  Torrens  dont  on  peut  résumer 
l'économie  générale  en  quelques  mots. 

Tout  propriétaire,  en  Australie,  qui  veut  mettre  sa  propriété  sous  le 
régime  de  VAct  Torrejis  en  fait  la  déclaration  au  bureau  de  l'Enregis- 
trement. Après  une  purge  plus  ou  moins  longue,  s'il  n'y  a  pas  d'opposi- 
tion, on  inscrit  son  titre  de  propriété,  avec  plan  à  l'appui,  sur  un  registre. 
On  lui  en  délivre  le  double.  Ce  titre  a  force  probante.  Il  a  la  valeur  d'un 
titre  nominatif  de  Rente.  Il  est  inattaquable,  sauf  le  cas  de  dol  évident. 
Si  quelque  réclamalion  justifiée  se  produit  après  sa  délivrance,  le  récla- 
mant est  indemnisé  en  espèces  sur  un  fonds  d'assurance  dont  la  consti- 
tution est  d'autant  moins  onéreuse  qu'on  n'y  a  presque  jamais  recours. 
Le  propriétaire  peut  transmettre  sa  propriété  par  voie  d'endossement, 
sans  se  déplacer,  sous  la  seule  condition  d'envoyer  son  titre  au  bureau 
d'Enregistrement  pour  que  la  transmission  soit  enregistrée.  Dans  ce  sys- 
tème, il  n'y  a  pas  d'hypothèques  occultes  ni  indéterminées  :  toutes  les 
hypothèques  sont  spécialisées  et  publiques. 

Le  propriétaire  veut-il  emprunter  sur  nantissement?  rien  de  plus  facile. 
Il  dépose  son  titre  dans  une  banque,   et  comme  il  ne   peut   rien   faire 


UE  CASSANO.  ADOPTION  d'lNK  HEURE  UNIQUE  lOol 

de  sa  propriété  sans  son  titre,  on  lui  avance  la  somme  dont  il  a  besoin 
pour  attendre  une  récolte  ou  des  cours  plus  avantageux  pour  la  vente 
de  sa  récolte  ou  de  son  bétail. 

Si  la  propriété  est  démembrée,  le  titre  primitif  est  annulé,  et  il  est 
constitué  autant  de  titres  qu'il  y  a  de  parts  de  propriétés. 

Voilà,  Messieurs,  l'économie  générale  de  VAct  Tojrem,  du  système  à 
livres  fonciers  avec  titres  ayant  force  probante.  Cet  exposé  suffit  pour 
montrer  les  avantages  qui  résulteraient  de  son  adoption  en  France. 
Comme  je  viens  de  le  rappeler,  depuis  l'époque  où,  au  Congrès  de  la  Ro- 
chelle, j'en  ai  exposé  le  mécanisme,  des  études  très  importantes  ont  été 
faites  :  la  Faculté  de  droit  de  Paris  s'en  est  occupée  et  dans  le  sens  de  la 
réforme  indiquée.  La  Chambre  des  députés  l'a  réclamée;  M.  Noël  Pardon, 
le  gouverneur  de  la  Nouvelle-Calédonie,  en  a  fait  un  projet  d'application 
complet  pour  cette  colonie;  une  Commission  extraparlementaire  dont  la 
section  juridique  a,  à  sa  tête,  notre  honorable  collègue,  M.  Léon  Say, 
poursuit  ses  travaux  avec  le  désir  d'aboutir  à  une  réforme  aussi  complète 
qu'étudiée,  et  déjà  elle  a  voté  les  principes  fondamentaux  de  la  réforme  : 
la  constitution  de  livres  fonciers  réels  avec  force  probante  pour  les  titres 
établis  et  la  publicité  de  tous  les  droits  réels. 

Je  tenais.  Messieurs,  à  venir  au  Congrès  de  V Association  Française  à 
Pau,  dix  ans  après  ma  communication  du  Congrès  de  la  Rochelle, 
montrer  que  les  paroles  dites  dans  sa  Section  d'Éonomie  politique  ont  de 
l'écho  et  qu'elles  peuvent  être  le  point  de  départ  d'importants  mouve- 
ments d'opinion  publique  et  de  réformes  de  premier  ordre. 


M.  le  Prince  DE  CASSAIO 

i\  Paris. 


ADOPTION     D'UNE    HEURE     UNIQUE    DANS    L'INTÉRÊT     DU     COMMERCE 
ET  DES  RELATIONS  INTERNATIONALES 


—  Séance  du  19  septembre  1892  — 

Je  ne  vous  ferai  pas  la  théorie  de  l'heure  universelle  et  encore  moins 
l'histoire  de  cette  question  qui  a  été  agitée  en  maints  congrès  et  en  maintes 
réunions  savantes,  commerciales  et  politiques.  M.  Romannet  du  Caillaud 


4052  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

Ta  d'ailleurs  exposée  d'une  façon  lumineuse  au  dix-neuvième  Congrès 
de  votre  Association  tenu  à  Limoges  en  1890,  et  vous  avez  émis  un  vœu 
concluant  à  ce  que  la  transaction  proposée  par  l'Académie  de  Bologne 
«  soit  bientôt  adoptée  par  toutes  les  puissances  civilisées  et  qu'on  arrive, 
enfin,  à  l'unification  dans  la  mesure  du  temps  ». 

Je  me  bornerai  à  traiter  le  sujet  au  point  de  vue  pratique  et  à  montrer 
le  danger  qu'il  y  a  pour  la  France  de  se  tenir  dans  une  réserve  voulue, 
pendant  que  de  tous  côtés  on  marche  vers  une  solution  qui,  loin  d'apla- 
nir les  difTicuités  du  passé,  menace  d'en  créer  de  nouvelles  et  de  plus 


graves. 


Lorsque  le  gouvernement  italien,  prenant  en  main  les  propositions  de 
l'Académie  de  Bologne,  invitait  les  puissances  à  une  conférence  pour  l'uni- 
fication de  l'heure,  il  y  eut  un  mouvement  peu  sympathique  dans  la  presse 
française  qui  gagna  peu  à  peu  les  sphères  administratives.  Si  le  gouver- 
nement, par  politesse,  avait  accepté  l'invitation,  les  bureaux  n'étaient  pas 
fâchés  des  objections  qui  s'élevaient  contre  le  projet  de  Bologne  à  cause 
du  choix  du  méridien  et  du  pays  qui  le  patronnait.  On  oubliait  de  la 
sorte  que  le  méridien  de  Jérusalem  avait  été  proposé  pour  la  première  fois 
en  France  au  Congrès  international  de  géographie  de  Paris,  tenu  en  187o, 
et  que  l'Académie  de  Bologne  l'avait  indiqué,  non  pas  choisi,  comme 
celui  qui  offrait  le  plus  d'avantages. 

Malheureusement  la  guerre  au  projet  de  l'Académie  de  Bologne  n'était 
pas  faite  seulement  hors  d'Italie,  mais  aussi  dans  la  Péninsule  des  savants 
et  des  publicistes  attaquaient  avec  la  dernière  violence  ce  qu'on  appelait 
l'invention  religieuse  d'un  prêtre  italo-français.  Le  Saint-Sépulcre  et  la 
robe  du  P.Tondini  di  Quarenghi,  le  véritable  apôtre  de  l'heure  universelle, 
remplissaient  de  crainte  le  cœur  de  certains  «  irrédentistes  »  d'un  nouveau 
genre  qui  voyaient  déjà  dans  l'adoption  du  méridien  de  Jérusalem,  une 
sorte  de  rétablissement  du  pouvoir  temporel.  Dès  lors,  les  polémiques 
allaient  leur  train,  les  accusations  les  plus  absurdes  étaient  lancées  contre 
le  modeste  savant  que  plusieurs  d'entre  vous  connaissent,  et  l'Académie  de 
Bologne,  aussi  bien  que  le  gouvernement  italien,  étaient  représentés  comme 
hypnotisés  par  un  moine  retors  qui  cachait  sous  le  couvert  d'une  question 
scientifique  les  plus  noirs  desseins  contre  l'indépendance  de  la  patrie  et 
la  liberté  de  la  pensée. 

Je  n'ai  pas  à  prendre  ici  la  défense  du  méridien  de  Jérusalem  et  à  mon- 
trer les  avantages  qu'il  offre  à  cause  de  sa  situation  politique,  climatolo- 
gique  et  géographique;  je  ne  rappellerai  pas  non  plus  que  l'accord  de  la 
mesure  du  temps  avec  les  dates  de  l'histoire  n'est  pas  chose  négligeable. 
Tout  ayant  été  dit  et  prouvé  d'une  façon  irréfutable,  je  n'ai  vraiment  pas 
besoin  d'y  revenir  encore  une  fois.  Personnellement,  d'ailleurs,  je  n'ai 
aucune  préférence  et  j'accepterai  aussi  bien  la  Mecque  ou  Behring  que 


DE   CASSANO.    —   ADOl'TION    d'uNE    HKLRE    UNIQUE  1033 

Jérusalem  pourvu  que  l'on  tombe  d'accord  sur  un  méridien  initial  et  que 
l'on  adopte  une  heure  unique  pour  les  chemins  de  fer,  les  télégraphes, 
les  téléphones  et  le  droit  international  privé. 

Le  système  des  fuseaux,  qu'on  a  voulu  donner  comme  une  transac- 
tion, est  un  compromis  n'ayant  aucune  portée  pratique,  car  les  inconvé- 
nients qui  résultent  de  la  différence  des  heures  ne  sont  {»as  évités.  La 
mesure  du  temps  n'est  pas  un  fait,  mais  une  convention,  donc  il  faut 
l'unifier  afin  que  cette  convention  soit  facile  à  retenir  étant  la  même 
pour  tous. 

Aujourd'hui  nous  savons  que  les  Bourses  de  presque  tous  les  pays 
ouvrent  à  midi  et  ferment  à  trois  heures,  mais  cela  ne  nous  dit  pas  si  la 
Bourse  de  Londres  commence  ses  opérations  avant  ou  après  celle  d'Odessa. 
C'est  parce  que  nous  n'ignorons  pas  que  l'heure  d'Odessa  est  en  avance 
de  2  h.  3'  :26"  sur  Londres  que  nous  pourrions  donner  encore  des  ordres 
à  Londres  à  la  fermeture  de  la  Bourse  d'Odessa  et  que,  par  contre,  nous 
ne  pourrions  faire  aucune  opération  avec  cette  ville  après  la  clôture  de 
Londres.  Le  jour  où  Londres  et  Odessa  auraient  la  même  heure,  nous  au- 
rions un  tableau  de  toutes  les  Bourses  nous  indiquant  le  fait  que  Londres 
ouvre  à  X  heures  et  Odessa  à  (X  —  2)  heures.  En  regardant  notre  montre 
nous  saurions  immédiatement,  sans  aucun  calcul,  s'il  est  temps  ou  non  de 
donner  des  ordres  de  l'une  à  l'autre  Bourse. 

Supposons  un  oncle  fantaisiste  qui  meure  en  laissant  deux  neveux:  l'un 
établi  à  Naples  et  l'autre  à  Constantinople.  Il  lègue  sa  fortune  par  testa- 
ment à  celui  qui  se  sera  mis  le  premier  à  table  le  jour  de  sa  mort.  Celui 
de  Naples  s'y  asseoit  à  six  heures  et  demie,  l'autre  à  sept  heures.  Qui  a 
commencé  le  premier?  Avec  les  heures  locales,  et  même  avec  les  fuseaux, 
on  peut  ergoter  à  l'infini,  avec  une  heure  universelle  il  n'y  a  pas  d'erreur 
possible,  l'héritier  de  Naples  est  en  retard  de  28'o3"  sur  celui  de  Constan- 
tinople. 

Il  me  reste  encore  à  répondre  à  une  objection  qui  est  souvent  faite  par 
les  adversaires  d'une  heure  unique.  Ils  disent  :  «  Vous  ne  pouvez  pas  pré- 
tendre qu'il  soit  midi  à  Lisbonne  et  à  Vienne  en  môme  temps,  d  C'est  leur 
plus  fort  argument  et  la  remarque  m'a  été  faite  par  des  personnes  ayant 
de  l'érudition.  J'avoue  qu'elle  m'a  étonné.  —  Est  ce  que  midi  a  jamais 
marqué  quelque  chose  dans  la  vie  civile  des  peuples  ? 

Tout  le  monde  sait  que  les  Romains  divisaient  le  jour  en  quatre  parties 
égales  appelées  prime,  tierce,  sexte  et  none.  Chacune  de  ces  parties  était 
d'environ  trois  heures,  plus  ou  moins  longues  suivantla  saison.  Ils  faisaient 
de  même  pour  la  nuit.  Les  heures  du  jour  s'appelaient  hoîxe,  du  sanscrit 
ra  qui  veut  dire  «  clair  »;  celles  de  nuit  s'appelaient  viyHiœ  (veillées)  et 
indiquaient  les  changements  des  sentinelles.  Il  n'est  jamais  question  de 
midi  ni  de  minuit  dans  leur  histoire. 


•10o4  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

Les  juifs  qui  comptaient  les  heures  d'après  les  prières,  avaient  adopté 
le  même  système  après  la  conquête  de  Pompée.  Lors  de  la  mort  du  Christ 
qui  a  .eu  lieu  à  l'heure  sexte,  on  ne  connaissait  pas  le  midi.  Plus  tard,  on 
a  pu  établir  que  cette  mort  étant  arrivée  à  l'équinoxe  du  printemps, 
l'heure  sexte  correspondait  à  notre  midi;  mais  si  le  fait  se  fût  produit  au 
solstice  d'été,  il  aurait  été  onze  heures,  et  une  heure  au  solstice  d'hiver. 

En  Italie,  dans  les  campagnes,  j'ai  vu  pendant  mon  enfance  compter 
les  heures  de  1  à  24  à  partir  de  la  fin  du  crépuscule.  Le  midi  tombait  à 
16,  17,  18  ou  19  heures,  suivant  la  saison  et  il  ne  servait  qu'à  marquer 
l'heure  de  YAiigelus.  Lorsque  les  paysans  entendaient  les  cloches  de  l'é- 
glise sonner  midi,  ils  indiquaient,  sans  jamais  se  tromper,  l'heure  corres- 
pondante suivant  la  mode  dite  «  itaUenne  ».  Depuis  qu'on  a  multiplié  les 
chemins  de  fer,  on  a  adopté  partout  l'heure  moyenne  de  Rome,  même 
pour  les  usages  civils.  Le  changement  n'a  offert  aucune  difficulté,  tout 
le  monde  s'étant  mis  à  compter  les  heures  de  la  même  façon.  L'église 
elle-même,  qui  est  en  général  lente  à  accepter  les  changements,  a  tout 
de  suite  réformé  les  heures  et  aujourd'hui  les  cloches  de  la  cathédrale 
de  Palerme  sonnent  V Angélus  en  même  temps  que  celles  du  dôme  de 
Milan,  malgré  la  différence  de  seize  minutes  qu'il  y  a  entre  les  méridiens 
de  ces  deux  villes.  Les  Turcs  comptent  les  heures  d'un  coucher  de  soleil 
à  l'autre  et  appellent  heures  à  la  franque  celles  qui  sont  comptées  d'après 
le  système  ordinaire. 

En  somme,  l'importance  du  midi  n'est  due  qu'à  l'église  et  à  l'usage  des 
horloges  solaires,  mais  depuis  l'adoption  de  l'heure  moyenne  il  n'existe 
plus  qu'à  l'état  de  fiction.  Le  jour  où  l'on  comptera  les  heures  de  1  à  24 
en  se  basant  sur  un  méridien  initial  et  que  l'on  appliquera  la  méthode 
aux  chemins  de  fer,  elle  passera  plus  vite  qu'on  ne  pense  dans  les  mœurs. 

Je  ne  puis  pas  comprendre  que  l'urgence  de  cette  réforme  ait  échappé 
à  la  Commission  chargée  par  M.  le  ministre  de  l'Instruction  publique  et 
des  Beaux-Arts  de  préparer  les  résolutions  à  porter  au  nom  de  la  France 
devant  la  Conférence  internationale  de  Washington.  Le  rapport  dit  dans 
ses  conclusions  : 

«  A  l'égard  de  l'unification  de  l'heure,  la  Commission,  après  s'être 
éclairée  de  Tavis  des  personnages  les  plus  autorisés  dans  la  marine,  le 
commerce,  les  télégraphes,  les  chemins  de  fer,  pense  que  l'intérêt  réel  de 
cette  réforme  est  pratiquement  très  faible  ». 

Je  ne  mets  pas  en  doute  la  compétence  des  personnages  qu'on  avait 
consultés,  mais  je  déplore  que,  dans  l'enquête,  on  ait  oublié  le  public  qui 
a  lui  aussi  quelque  autorité  et  quelques  droits.  Ceux  qui  voyagent,  ceux 
qui  envoient  et  reçoivent  des  dépêches  ont  des  intérêts  fort  respectables 
et,  si  l'on  s'était  donné  la  peine  de  les  interroger,  ils  auraient  peut-être 
ouvert  à  la  Commission  des  horizons  nouveaux. 


DE   CASSANO.    —    ADOPTION   d'uNE    HEURK    UNIQUE  lOoO 

Si  l'on  avait  compris  alors  l'utilité  de  la  mesure,  on  aurait  insisté  pour 
faire  voter  tout  d'abord  le  principe  de  l'heure  universelle  avant  toute  dis- 
cussion sur  le  clioix  du  méridien  initial.  On  aurait  ainsi  évité  l'apparente 
contradiction  qui  se  rencontre  dans  les  votes  de  Washington,  par  lesquels 
vingt-deux  États  sur  vingt-cinq  se  prononcent  pour  l'adoption  du  méridien 
de  Grecn.wich  lorsqu'il  s'agit  de  l'unification  des  longitudes,  et  quatorze 
seulement  l'acceptent  pour  fixer  l'heure  universelle.  Je  viens  de  dire  que 
la  contradiction  est  plus  apparente  que  réelle  et,  en  effet,  elle  s'explique 
par  le  fait  que  le  premier  vote  était  plutôt  la  consécration  d'une  habitude 
déjà  suivie,  tandis  que  le  second*  aurait  donné  à  Greenwich  une  nouvelle 
suprématie  que  rien  ne  justifie. 

Mais  il  ne  suffisait  pas  de  voter  contre  Greenwich.  Il  fallait  insister  pour 
le  choix  d'un  méridien  neutre  et  l'on  aurait  ainsi  évité  l'absurde  système 
des  fuseaux  qui  est  bien  la  chose  la  moins  scientifique  et  la  moins  pratique 
qu'on  ait  jamais  imaginée.  Il  maintient  tous  les  inconvénients  des  heures 
multiples  et  il  en  ajoute  de  nouveaux. 

Malheureusement  on  a  cru,  en  France,  que  le  meilleur  moyen  de  com- 
battre les  prétentions  de  l'Angleterre  était  de  retarder  la  solution  de  la 
question.  Or,  il  est  arrivé  juste  le  contraire  et,  à  l'heure  qu'il  est,  les 
deux  tiers  des  chemins  de  fer  de  l'Europe  sont  réglés  sur  le  temps  de 
Greenwich. 

En  effet,  que  voyons-nous  maintenant? 

La  Belgique,  la  Grande-Bretagne  et  les  Pays-Bas  ont  adopté  l'heure  de 
Greenwich  qu'on  appelle  l'heure  de  l'Europe  occidentale. 

L'Alsace-Lorraine,  le  Luxembourg,  le  grand-duché  de  Bade,  le  Pala- 
tinat,  le  Wurtemberg,  la  Bavière,  l'Autriche,  la  Serbie  et  Salonique  ont 
l'heure  de  l'Europe  centrale  qui  avance  d'une  heure  sur  la  première. 

La  Roumanie,  la  Bulgarie  et  la  Turquie  ont  l'heure  de  l'Europe  orientale 
qui  avance  d'une  heure  sur  la  seconde. 

Or,  si  l'on  songe  que,  depuis  la  Crimée  jusqu'au  cap  de  laRoca,  àl'extré- 
mité  occidentale  du  Portugal,  il  n'y  a  pas  plus  de  4o  degrés,  il  faut  recon- 
naître que  le  partage  de  l'Europe,  au  point  de  vue  horaire,  a  été  fait  d'une 
manière  indiscutablement  adroite  à  l'aide  des  trois  sections  que  je  viens  de 
rappeler. 

Et  il  ne  faut  pas  oublier  que  tous  ces  arrangements  ont  eu  lieu  à  la 
suite  des  paroles  prononcées  par  le  maréchal  de  Moltke,  quelques  jours 
avant  sa  mort,  au  Bcichstag  le  16  mars  1891,  soit  vingt-quatre  heures 
après  publication  à  l'Officiel  de  la  loi  sur  l'heure  nationale  française.  Le 
■<  grand  silencieux  »  disait  : 

«  Or,  le  méridien  qui  nous  conviendrait  davantage  est  celui  du  quin- 
zième degré  Est  de  Greenwich  ;  ce  méridien  coupe  la  Norvège,  la  Suède, 
l'Allemagne,  l'Autriche  et  l'Italie  ;  peut-être  pourrait-il,  éventuellement, 


1056  ÉCONOMIE  POLITIQUE 

servir  aussi  pour  l'adoplion  d'une  heure  unique  dans  toute  l'Europe  du 
milieu,  »  Autrement  dit:  l'heure  de  la  Triple -Alliance.  Deux  mois  et  demi 
après,  l'heure  de  l'Europe  centrale  était  un  fait  accompli. 

La  Belgique  adoptait  à  son  tour  l'heure  de  Greenvvich  et,  pour  bien 
marquer  que  c'était  la  création  d'un  second  fuseau,  on  l'appelait  :  heure 
de  l'Europe  occidentale. 

Mais,  il  n'y  a  pas  à  s'y  tromper,  sous  toutes  ces  appellations  euphé- 
miques, un  fait  reste  acquis,  c'est  que  le  régulateur  de  toutes  les  heures 
du  système  américain  sera  l'horloge  de  Greenwich  ;  car  le  fuseau  initial, 
fixé  à  l'antiméridien  de  Greenwich,  ne  rencontre  en  tait  de  terres  que 
l'extrémité  orientale  de  l'Asie,  où,  pour  le  moment,  il  n'y  a  pas  d'obser- 
vatoire et  peut-être  pas  même  d'horloge. 

Que  fera  donc  la  France  en  présence  d'un  pareil  fait  accompli  ?  Conti- 
nuera-t-elle  à  se  désintéresser  de  la  question  ?  Mais  alors  l'Italie,  qui  n'a 
pas  encore  adhéré  à  la  convention  de  Dresde  dans  l'espoir  de  voir  ses 
ouvertures  prises  en  considération,  cédera  aux  instances  pressantes  qui 
lui  sont  faites  en  ce  moment  par  l'Europe  du  centre.  La  Suisse,  qui  n'a 
pas  d'araour-propre  à  garder,  fera  de  même  et  la  France  restera  toute 
seule  avec  son  heure  nationale. 

Pensez  donc.  Messieurs,  aux  conséquences  d'un  tel  isolement.  Vous 
savez  bien  que  la  concurrence  profite  de  tout,  que  le  protectionnisme  a 
atteint  les  dernières  limites  du  permis,  s'il  ne  les  a  pas  déjà  dépassées,  que 
des  services  internationaux  pourraient  être  détournés  de  votre  territoire 
sous  le  fallacieux  prétexte  des  horaires  de  vos  chemins  de  fer.  Lorsque 
les  intérêts  sont  en  jeu,  tout  sophisme  devient  un  argument,  et  qui  sait  si 
la  malle  des  Indes,  qu'on  avait  déjà  tenté  d'enlever  à  Brindisi,  ne  sera 
pas  donnée  à  Salonique  via  Ostende  à  la  suite  des  menées  de  l'Angleterre. 

Pour  moi,  toute  vanité  patriotique  à  part,  je  suis  heureux  de  constater 
que  mon  pays  offre  en  ce  moment  le  moyen  de  tout  remédier  et  je  con- 
jure les  législateurs  qui  sont  ici  à  penser  à  l'importance  que  pourrait 
avoir  la  réunion  de  la  Conférence  dont  le  cabinet  de  Rome  a  pris  l'ini- 
tiative. 

Convaincu,  pour  ma  part,  que  l'union  évite  la  guerre,  tandis  que  les 
alliances  y  conduisent  tôt  ou  tard,  je  rejette  le  système  des  fuseaux  comme 
un  élément  nouveau  de  coalition  et  je  propose  à  votre  approbation  le 
vœu  suivant  : 

c<  Le  Congrès  émet  le  vœu  qu'on  arrive  le  plus  tôt  possible  à  l'adoption 
d'une  heure  unique  dans  l'intérêt  du  commerce  et  des  relations  interna- 
tionales, tout  en  garantissant  à  chaque  État  le  libre  usage  de  son  méridien 
national  dans  la  marine,  l'astronomie  et  les  travaux  topographiques.  » 


V.  TURQUAN. 


DÉNOMBREMENT  DES  ÉTRANGERS  EN  FRANCE    1037 


M.  V.  TÏÏRQUAI 


Chef  du  Bureau  de  la  Statistique  au  Ministère  du  Commerce,  à  Paris 


DENOMBREMENT  DIS  ÉTRANGERS  EN  FRANCE 


—  Séance  du  19  septembre  i892  — 

M.  TuRQUAN  fait  connaître  les  résultats  du  dernier  dénombrement  de 
la  population  au  point  de  vue  de  la  répartition  des  étrangers  en  France. 
Il  présente,  à  l'appui  de  cette  étude,  une  série  de  cartogrammes  manus- 
crits, établis  par  ses  soins,  qui  font  ressortir  les  groupements  les  plus 
intéressants  par  nationalité,  ainsi  que  l'allure  générale  de  l'immigration 
étrangère  en  France. 

En  I80I,  l'on  avait  compté  380.831  étrangers  de  toute  nationalité; 
en  1891,  il  en  a  été  recensé  1.130.211,  Leur  effectif  a  donc  triplé. 

Voici,  d'ailleurs,  les  chiffres  qui  ont  été  trouvés  à  chacun  des  dénom- 
brements : 


ETRANGERS 

PROPORTION' 

ETRANGERS 

PROPORTION 

Chiffres  absolus 

!>.  100  habitants 

Chiffres  absolus 

p.  100  habitants 

1X51  .    . 

.    .       380.831 

1,06 

1876  .    . 

801.754 

2,17 

1861  .    . 

.    .       497.091 

1,33 

1881  .    . 

1.001.090 

2,67 

1866  .    . 

.    .       635.495 

1,67 

1886  .    . 

.       1.126.531 

2,97 

1872  .    . 

.    .       740.668 

2,03 

1891  .    . 

.       1.130.211 

2,97 

Pour  le  dernier  dénombrement  la  répartition  des  étrangers  par  nationa- 
lités a  été  la  suivante  : 


Anglais, Écossais,  Irlandais. 
Américains  du  Nord   .    .    . 


du  Sud. 


Allemands  .  .  . 
Autrichiens.  .  . 
Hongrois  .... 

Belges 

Hollandais  .  .  . 
Luxembourgeois 

Italiens 

Espagnols  .  .  . 
Portugais.    .    .    . 

Suisses 

Russes 


39.687 
7.024 
4.828 
333 
648 
,2(>1 
860 
,078 
248 
,042 
,736 
331 
117 
,357 


83 
9 

2 

465 

9 

31 

286 

77 

1 

83 

14 


A  reporter 


1.115.550 


Report.    .    .  1.115.550 


Suédois. 


Norvégiens 

Danois 

Grecs 

Roumains,  Serbes,  Bulgares  .    . 

Turcs 

Africains 

Chinois,  Japonais  et  autres  Asia- 
tiques   

Antres  nationalités 

Nationalités  inconnues 

Total  dds  étrangers  de  toute 
n.xtionai.ité 


1.155 

915 

741 

2.035 

1.677 

1.851 

813 

343 

1.908 
3.223 


1.130.211 


67* 


1058  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

Les  étrangers  qui  ont  le  plus  augmenté  par  rapport  à  leur  effectif 
initial,  en  1851,  sont  les  Italiens  ;  ils  ont  presque  quintuplé.  Les  Italiens  se 
tiennent  surtout  dans  les  départements  du  sud-est,  des  Alpes-Maritimes 
à  l'Hérault,  et  remontent  le  cours  du  Rhône  pour  aller  former  un  noyau 
très  considérable  dans  le  département  de  la  Seine. 

Les  Belges  ont  passé,  depuis  quarante  ans,  de  128.000  à  465.000  ;  c'est 
de  la  Belgique  que  vient  le  plus  gros  contingent  d'étrangers.  Les  Beiges, 
qui  sont  près  de  300.000  dans  le  seul  département  du  Nord,  semblent 
s'arrêter,  dans  le  flot  de  leur  immigration,  à  la  Seine.  Néanmoins,  un 
certain  nombre  d'entre  eux  s'établissent  entre  la  Seine  et  la  Loire.  Le  reste 
de  la  France  en  compte  fort  peu.  Les  Allemands  avaient  dépassé  le 
chiffre  de  100.000  avant  la  guerre  de  1810,  et  en  1886,  mais  par 
l'effet  de  la  naturalisation,  leur  nombre  a  sensiblement  diminué.  L'on  en 
rencontre  surtout  dans  les  départements  de  la  Meurthe-et-Moselle,  des 
Vosges,  de  Belfort,  de  la  Meuse,  de  la  Marne,  et  dans  le  nord-est  de 
Paris.  Les  Anglais  —  que  l'on  a  recensé  surtout  dans  les  départements  du 
nord-ouest  baignés  par  la  Manche,  et  dans  les  grandes  villes,  surtout 
dans  les  villes  d'eaux  ou  de  plaisir  —  ont  doublé  depuis  quarante  ans  : 
^20.000  en  1851,  40.000  en  1891.  C'est  le  Pas-de-Calais  et  la  Seine  qui 
en  comptent  le  plus. 

La  presque  totalité  des  Luxembourgeois  se  trouve  dans  les  Ardennes, 
la  Meurthe-et-Moselle,  la  Marne,  la  Meuse;  l'on  en  compte  31.000,  ce  qui 
semble  énorme  lorsqu'on  pense  que  le  Luxembourg  compte  211.000  habi- 
tants seulement. 

Les  Espagnols  ont  plus  que  doublé,  mais  depuis  quelques  années 
restent  en  nombre  à  peu  près  stationnaire.  Ils  se  trouvent  surtout  dans 
les  Basses  et  les  Hautes-Pyrénées,  le  Lot-et-Garonne,  le  Gers,  la  Gironde, 
et  du  côté  de  la  Méditerranée,  dans  les  Pyrénées-Orientales  et  l'Aude.  En 
dehors  de  cette  région,  il  y  en  a  fort  peu,  sauf  à  Paris,  et  dans  la  Marne. 

Les  Suisses,  qui  ont  passé  de  25.000,  en  1851,  à  83.000,  en  1891,  se  sont 
répandus  dans  la  moitié  de  la  France  et  sont  entrés  chez  nous  par  l'Alsace, 
par  le  Jura  et  par  le  Rhône.  —  Ils  se  sont  établis  tout  le  long  de  la  vallée  de 
la  Seine  jusqu'au  Havre,  et,  en  descendant  vers  le  Midi,  ils  occupent  le 
cours  du  Doubs,  de  la  Saône  et  du  Rhône. 

Des  cartes  présentées  par  M.  Turquan,  il  résulte  que  les  étrangers  ont 
envahi  pacifiquement  le  pourtour  de  la  France,  en  laissant  à  peu  près 
désert  le  centre  et  l'ouest.  Ils  se  concentrent  surtout  le  long  des  fleuves 
où  ils  trouvent  les  grandes  villes.  Mais  il  est  à  remarquer  que  le  nombre 
d'étrangers  nés  en  France  et  ayant  demandé  la  naturalisation  devient  tous 
les  jours  de  plus  en  plus  considérable,  et  que  ce  nombre  devient  plus  con- 
sidérable proportionnellement  au  fur  et  à  mesure  que  l'on  s'éloigne  de 
la  frontière  et  que  l'on  se  rapproche  du  cœur  du  pays. 


V.  TIRQUAN.   —    UK.NO.MBKEMENT    DES    ÉTIiA.NGEltS    Ei\    FRANCE  1059 


II.  —  Français  a  l^ étranger. 

M.  Turquaii  expose  les  principaux  résultats  du  dénombremeut  dos 
Français  à  l'étranger.  11  commence  par  examiner  comment  a  varié,  et 
comment  s'est  développée,  pendant  ces  dernières  années,  l'émigration 
française  et  signale  vers  quels  pays  les  Français  tendent  à  se  diriger,  et 
quels  sont  les  départements  qui  fournissent  le  plus  gros  contingent  à 
l'émigration. 

C'est,  bien  entendu,  le  pays  basque,  les  Basses  et  les  Hautes-Pyrénées 
([ui  ont  envoyé  le  plus  grand  nombre  d'émigrés  ;  mais  les  Alpes,  la  Corse, 
le  Massif  central  et  surtout  la  Franche-Comté  et  l'Alsace  ont  fourni, 
d'autre  part,  une  grosse  part  à  l'émigration. 

Cette  émigration  s'est  dirigée  en  partie  vers  les  pays  voisins,  Belgique, 
Espagne,  Algérie,  Suisse;  mais  on  compte  beaucoup  de  Français  aux 
États-Unis  et  à  la  République  Argentine. 

Au  contraire  d'une  idée  généralement  répandue,  il  y  a  peu  ou  même 
point  d'émigration  aux  colonies  ;  les  quelques  milliers  de  Français  qui 
s'y  trouvent  sont  des  militaires,  marins  et  fonctionnaires,  fort  peu  sont 
des  colons.  Ce  n'est  donc  pas  du  coté  des  colonies,  lesquelles  offrent 
d'ailleurs  fort  peu  de  ressources  économiques  et  possèdent  un  climat 
contraire  au  peuplement  et  à  l'établissement  de  familles  européennes  et 
surtout  françaises,  qu'il  convient  de  songer  à  diriger  nos  émigrants  :  c'est 
plutôt  vers  l'Algérie  et  la  Tunisie  qu'il  faut  penser  à  le  faire. 

Voici  les  résultats  sommaires  du  dénombrement  des  Français  à 
l'étranger  : 


'D^ 


En  Europe 200.000  Français  environ. 

—  Afrique 30.000  (non  compris  l'Algérie). 

—  Asie 15.000 

—  Amérique  du  Nord  120.000 

—  —        du  Sud.  40.000 

—  Océanie 3.000 

Total  .    ."  408.000 


La  Suisse  et  la  Belgique  sont  les  pays  qui  comptent  le  plus  de  Français, 
(oO.OOO  à  oo.OOO).  Les  États-Unis  en  comptent  106.000.  Mais  on  sait 
que  le  nombre  de  Français  indiqué  par  le  recensement  ne  saurait  être 
considéré  que  comme  un  aperçu,  beaucoup  de  Français,  en  Amérique 
surtout,  évitant  ou  négligeant  de  se  faire  connaître  au  Consulat. 


1060  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

M.  Turquan  estime  que  le  nombre  de  Français  établis  à  l'étranger  ne 
dépasse  guère  un  demi-million  d'individus. 

il  considère  les  différentes  causes  de  cette  émigration  qui,  chez  nous, 
n'est  pas  toujours  provoquée  par  la  misère,  comme  cela  est  constaté  en 
Italie,  en  Allemagne  et  en  Irlande,  et  se  félicite  de  ce  qu'un  nombre  de 
plus  en  plus  considérable  de  Français  aillent  porter  ailleurs  leur  activité, 
car  ils  établissent  certainement  un  courant  de  commerce  entre  la  mère 
patrie  et  leur  lieu  d'élection.  Néanmoins,  il  convient  de  faire  quelques 
réserves  et  de  n'encourager  l'émigration  que  de  gens  capables  de  coloniser 
et  de  prospérer.  Le  gouvernement  ne  saurait  empêcher  l'émigration,  mais 
il  peut  la  réglementer  et  surtout  la  protéger  contre  les  abus  des  compa- 
gnies qui  se  sont  fondées  pour  exploiter  les  émigrants. 


M.  Arsène  DÏÏMOIT 

à  Caen. 


DE   L'UTILITÉ   DES    LISTES  NOMINATIVES   ET   DE    LA    NÉCESSITÉ  DE  PRÉVENIR 

LEUR  DESTRUCTION 


—  Séance  du  49  septembre  1892  — 

En  prenant  la  parole  devant  la  Section  de  Statistique,  je  la  prie  de 
me  pardonner  d'improviser  une  communication  que  je  n'avais  pas  en- 
core, il  y  a  quelques  jours,  l'intention  de  lui  adresser.  Mon  excuse  sera 
la  gravité  du  fait  que  je  désire  signaler. 

Lundi  dernier,  aux  archives  de  Bordeaux,  voulant  étudier  la  natalité 
dans  le  riche  canton  de  Paulliac  et  constater  les  phénomènes  démogra- 
phiques concomitants  qui  sont  susceptibles  d'en  rendre  compte,  je  deman- 
dai les  deux  séries  de  documents  indispensables  pour  ce  travail  :  d'une 
part,  les  recensements  quinquennaux  devant  fournir  le  chiffre  de  la  popu- 
lation, et,  d'autre  part,  les  tables  décennales  sur  lesquelles  j'ai  coutume  de 
compter  le  nombre  des  mariages,  des  naissances  et  des  décès.  Les  tables 
décennales  me  furent  aussitôt  communiquées;  quant  aux  recensements, 
ce  fut  impossible,  ils  n'existaient  plus.  Une  circulaire  ministérielle  avait 


A.    DUMONT.    —    DE   l'uTILITÉ    DES   LISTES    NOMINATIVES  1061 

autorisé  à  les  détruire  comme  encombrants  et  ils  avaient  été  anéantis  (I). 

Je  connaissais  l'existence  de  cette  circulaire  ;  mais  je  croyais  tous  les 
archivistes  résolus,  comme  certains  d'entre  eux,  à  ne  pas  proliter  de  la 
liberté  qu'elle  leur  donnait.  C'était  une  erreur,  la  Gironde  n'a  déjà  plus  de 
listes  nominatives  pour  les  recensements  antérieurs  à  celui  de  1891  et  ce 
grand  département  n'est  pas  le  seul  dans  ce  cas.  J'en  sais  d'autres  où 
■ces  pièces  sont  dès  à  présent,  ou  détruites,  ou  mises  au  rebut  pour  être 
Hvrées  au  pilon.  Avant  peu  d'années,  l'œuvre  de  destruction  aura  gagné 
Ja  plus  grande  partie  du  pays  (2). 

Or,  ce  serait  se  tromper  que  de  compter  sur  les  listes  nominatives  qui 
doivent  être  conservées  en  double  dans  les  communes.  Depuis  douze  ans 
que  je  poursuis  dans  les  campagnes  mes  études  sur  la  dépopulation,  j'ai 
pu  constater  que  ces  documents  sont  généralement  égarés  ou  détruits 
quinze  ou  vingt  ans  tout  au  plus  après  leur  confection,  et,  quant  aux 
tableaux  récapitulatifs  des  recensements  que  Ton  pourrait  au  moins  con- 
server, ils  sont  presque  invariablement  encartés  dans  les  listes  nomina- 
tives et  partagent  leur  sort. 

Ce  n'est  pas  devant  la  Section  de  Statistique  qu'il  faut  insister  sur  les 
désastreuses  conséquences  de  cette  perte.  Désormais,  pour  calculer  la 
nuptialité,  la  natalité  et  la  mortalité  des  communes,  le  démographe  aura 
bien  les  tables  décennales  qui  lui  donnent  les  mariages,  les  naissances  et 
les  décès  ;  mais  il  n'aura  plus  les  recensements  qui  lui  auraient  fourni  le 
•chiffre  exact  de  la  population.  Il  aura  un  dividende  sûr  ;  il  n'aura  plus 
qu'un  diviseur  incertain.  Ce  diviseur  ne  manquera  pas  absolument,  car 
on  peut  le  trouver  dans  les  annuaires  départementaux  qui  partout  —  du 
moins  je  le  présume  —  contiennent  le  chiffre  de  la  population  commune 
par  commune.  .Mais  il  sera  incertain,  d'abord  parce  que  ces  annuaires 
contiennent  de  fréquentes  erreurs,  ensuite  parce  qu'on  ne  sait  jamais  ce 
que  comprend  le  chiffre  de  population  qu'ils  indiquent.  Embrasse-t-il  la 
population  à  part,  les  résidents  absents  ou  seulement  les  résidents  pré- 
•sents  ?  C'est  une  question  à  laquelle  l'annuaire  ne  répond  pas.  De  sorte 
que  pour  calculer  l'émigration,  par  exemple,  on  se  trouve  très  empêché. 
Le  rédacteur  de  l'annuaire  a-t-il,  il  y  a  trente-cinq  ans,  compté  les  élèves 
de  telle  pension,  de  tel  séminaire,  la  garnison  de  telle  caserne,  les  ma- 
lades de  tel  hôpital  actuellement  supprimé  ?  On  ne  sait,  et  cette  ignorance 
s'oppose  à  tout  raisonnement  valable.  Et  combien  étaient  ces  élèves, 
«es  soldats  ou   ces  malades?  On  voit,   sans  qu'on  y  insiste,  les  incon- 


(I)  Circulaire  du  minisire  de  l'Instruclion  publique  (signc%  Spuller)  relative  à  la  suppression,  dans 
les  archives  des  préfectures  et  sous-préfectures,  des  papiers  inutiles.  12  août  1887.  In  Bullelin  des 
Bibliothèques  et  des  Archives,  année  1887,  page  222. 

(2;  Les  tableau.x  du  mouvement  de  la  po|)ulation,  indispensables  pour  le  calcul  de  la  natalité  illé- 
4,'itime,  de  la  natalité  et  de  la  mortalité  par  mois,  de  la  mortalité  par  âge  et  par  état  civil,  etc., 
sont  le  plus  souvent  traités  comme  les  listes  nominatives  et  condamnés,  eux  aussi,  à  disparaître. 


1062  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

vénients,   lorsqu'il  s'agit   du   calcul   des  mouvements  de  la  population. 

Mais  il  est  deux  autres  informations  que  seules  peuvent  rendre  possibles 
les  listes  nominatives  ;  elles  peuvent  servir  :  1°  à  faire  l'onomatologie 
de  la  France  ;  2°  à  faire  la  distinction  de  la  population  fixe  et  de  la  popu- 
lation instal)lo. 

Dans  la  population  d'une  commune  rurale,  le  nombre  de  ses  membres 
n'est  pas  la  seule  chose  intéressante.  La  répartition  de  cette  population 
en  familles  l'est  au  moins  autant.  Il  y  a  des  familles  stables  existant  sur 
le  sol  depuis  des  siècles  et  des  familles  qui  sont  venues  s'y  fixer  depuis 
une  ou  deux  générations  seulement.  Or,  telles  communes  ont  une  majo- 
rité de  familles  de  la  premi("'re  sorte.  On  voit  dans  certaines  com- 
munes cinq  ou  six  noms  propres  former  à  eux  seuls  la  majorité  des  habi- 
tants. D'autres  communes,  au  contraire,  sont  formées  d'une  population 
d'alluvion  récemment  immigrée  et  qui  émigrera  comme  elle  est  venue. 
Selon  qu'une  population  comprend  beaucoup  de  familles  stables  ou  n'en 
comprend  aucune,  son  intérêt  pour  le  démographe,  qui  recherche  non 
seulement  les  faits,  mais  leur  cause,  est  extrêmement  variable.  Or,  il  ne 
suffit  pas,  pour  s'en  rendre  compte,  de  compter  sur  les  tableaux  récapitula- 
tifs des  recensements  le  nombre  des  habitants  nés  dans  la  commune,  car 
le  fils  d'un  fonctionnaire,  d'un  ouvrier  de  passage  peut  fort  bien  être  né 
dans  la  commune  et  n'appartient  pas  pour  cela  au  noyau  de  familles  per- 
manentes. Pour  connaître  celles-ci,  il  faut  absolument  comparer  les  listes 
nominatives  les  plus  anciennes  avec  les  plus  récentes  que  l'on  possède. 

Il  est  intéressant,  d'autre  part,  de  connaître  les  noms  mêmes  des  habi- 
tants. On  travaille  en  ce  moment  au  dictionnaire  topographique  de  la 
France,  département  par  département,  c'est-à-dire  au  relevé  de  tous  les 
noms  de  lieu  du  pays,  avec  leur  forme  contemporaine  et  les  diverses 
formes  qu'ils  ont  eues  dans  le  passé.  Un  jour  viendra  certainement  où 
l'on  sentira  l'intérêt  de  faire,  commune  par  commune,  le  relevé  des  noms 
d"hommes.  Ces  noms,  par  leur  aspect  seul,  sont  une  révélation.  Si  l'on 
trouve  en  Normandie  des  Héribel,  des  Le  Planquois,  des  Le  Herquois  et 
des  Lecauf,  on  est  sûr  qu'ils  sont  les  descendants  d'immigrés  bas-bretons. 
Si  l'on  rencontre  dans  une  population  d'alluvion  (comme  Deauville),  des 
Anchartechahar  et  des  Choutchourrou,  on  est  sûr  qu'ils  sont  venus  du 
pays  basque.  11  n'est  nullement  indifîérent  pour  le  linguiste,  l'anthropo- 
logiste,  le  démographe,  l'ethnographe,  qu'une  population  soit  composée 
d'autochtones  ou  d'étrangers. 

Aujourd'hui,  par  exemple,  le  canton  basque  de  Baïgorry  ne  contient 
guère  que  des  noms  basques,  les  quelques  noms  français  qui  s'y  ren- 
contrent ne  sont  qu'une  infime  minorité.  Or,  si,  dans  un  siècle  ou  deux, 
les  Iturbide  et  les  Etchegoyen  actuels  étaient  remplacés  par  des  Leloutre 
et  des  Lecrosnier,  par  des  Yaldès  et  des  Hernandez,  ce  serait  l'indice  d'un 


A.    DUMONT.    —    DE    l'cTILITK    T>ES    TJSTES    NOMINATIVES  1063 

fait  social  suffisamment  grave  pour  qu'on  en  doive  tenir  compte  dans  tous 
les  ordres  de  recherches  concernant  l'homme,  sa  race,  sa  langue,  ses 
mœurs,  ses  idées,  ses  aspirations  esthétiques. 

Pour  tous  ces  objets  la  conservation  des  listes  nominatives  s'impose.  Les 
registres  de  l'état  civil  ne  suffisent  pas  : 

1''  Parce  qu'ils  ne  contiennent  pas  tous  les  noms,  un  individu  pou- 
vant fort  bien  avoir  passé  une  longue  vie  dans  une  commune  sans  y  être 
né  et  sans  y  mourir  ; 

"2'^  Parce  que  les  noms  n'y  figurent  pas  dans  leur  proportion  réelle, 
telles  familles  ayant  proportionnellement  beaucoup  plus  de  naissances,  de 
mariages  et  de  décès  que  telles  autres  cependant  plus  nombreuses  ; 

3°  Enfin,  parce  que  les  listes  nominatives  sont  plus  faciles  à  consulter 
rapidement. 

Il  est  d'ailleurs  exagéré  de  les  prétendre  très  encombrantes.  L'ensemble 
des  listes  d'un  recensement,  pour  un  département  entier,  forme  environ 
un  quart  de  mètre  cube  de  papier,  soit  cinq  mètres  cubes  en  tout  un  siècle, 
trois  mètres  cubes  seulement  depuis  1831  jusqu'aujourd'hui,  ce  qui  n'a 
rien  d'excessif. 

On  conserve  avec  soin  une  grande  quantité  de  documents  moins  impor- 
tants. Les  archivistes  se  donnent  souvent  la  plus  grande  peine  pour  recons- 
tituer l'histoire  de  quelques  familles  ou  de  quelques  administrateurs  qui 
ont  jadis  rendu  des  services  à  quelque  localité  de  leur  département.  Ce- 
pendant ce  n'est  là  que  de  l'histoire  locale  ou  plutôt  encore  de  la  chro- 
nique qui  reste  forcément  sans  conclusion.  11  n'y  a  point  là  matière  à 
science.  «  Pas  de  science  de  l'individuel  »,  disait  déjà  Aristote  et  ce  mot 
de  bon  sens  restera  éternellement  vrai.  Il  y  a  donc  le  plus  grand  incon- 
vénient à  ce  que  les  archivistes  paléographes  ne  soient  pas  doublés 
d'archivistes  démographes,  chargés  de  conserver  les  archives  modernes, 
de  faire  la  démographie  des  départements,  de  surveiller  les  opérations 
des  secrétaires  de  mairies  relatives  aux  mouvements  de  la  population  et 
aux  recensements.  Ce  ne  serait  certes  pas  une  sinécure.  Leurs  études  sur 
la  démographie  formeraient  en  outre  les  bases  inébranlables  de  la  socio- 
logie scientifique. 

Mais  ce  sont  les  matériaux  mêmes  de  ces  études  que  l'on  détruit 
aujourd'hui  en  livrant  au  pilon  les  listes  nominatives.  Tous  les  membres 
de  cette  Section  voudront,  j'en  suis  sûr,  user  de  toute  leur  influence  près 
du  ministère  compétent  pour  l'amener  à  revenir  sur  une  décision  aussi 
déplorable.  Dans  un  milieu  comme  celui  où  je  parle,  je  plaide  une  cause 
gagnée  (1). 

(1)  Ce  vœu  a  été,  en  effet,  adopté  par  l'Association  française  pour  ravaiK\'meiU  des  sciences  dans 
son  assemblée  générale. 


1064  •  ÉCONOMIE    POLITIQUE 


M.  Daniel  BELLET 


à  Paris. 


LES  PROGRÈS  DE  LA  VAPEUR  EN  FRANCE  DE   1840  A    1890 


—  Séance  du  20  septembre  t89î  — 

Il  me  semble  que,  parmi  les  nombreux  sujets  qui  peuvent  rentrer  sous 
le  titre  de  notre  Section,  celui  que  j'ai  choisi  est  d'un  réel  intérêt. 
Depuis  que  la  machine  à  vapeur  a  été  créée  dans  son  principe,  on  ne 
saurait  s'empêcher  de  rester  émerveillé  devant  les  services  sans  nombre 
qu'elle  sait  rendre,  les  usages  si  variés  auxquels  elle  s'applique;  c'est  un 
auxiliaire  tout-puissant  que  l'homme  a  trouvé  moyen  d'asservir  et  de 
plier  à  la  satisfaction  de  ses  besoins.  Aujourd'hui,  et  depuis  nombre  d'an- 
nées déjà,  la  machine  à  vapeur  est  devenue  le  facteur  non  seulement 
du  progrès  industriel,  mais  du  progrès  sous  toutes  ses  formes.  C'est  elle 
qui  a  permis  aux  manufactures  de  se  développer  comme  elles  l'ont  fait, 
et  c'est  grâce  à  elle  que  les  prix  de  la  plupart  des  objets  de  consom- 
mation ont  pu  baisser  dans  une  énorme  proportion  :  c'est  donc  grâce  à 
elle  que  les  classes  peu  aisées  ont  pu  et  peuvent  se  procurer  quantité  de 
jouissances  qui  étaient  auparavant  hors  de  leur  portée.  C'est  à  elle  que 
nous  devons  les  chemins  de  fer  et  l'établissement  de  ces  communications 
rapides  entre  les  différentes  parties  d'une  même  nation  (1)  et  entre  les 
différents  peuples  ;  c'est  elle  encore  qui  permet  de  franchir  les  océans  avec 
une  rapidité  et  une  sécurité  qu'on  n'aurait  jamais  espérées  au  siècle  dernier. 
Si  elle  venait  à  disparaître,  il  nous  semblerait  retomber  en  pleine  barbarie. 
Aussi  suivre  les  progrès  de  son  emploi  dans  une  contrée  déterminée, 
c'est  suivre  en  réalité  le  progrès  économique  de  cette  contrée;  et  c'est  pour 
cela  que  nous  voudrions  montrer  comment  la  France  est  dotée  à  ce  point 
de  vue,  en  faisant  surtout  une  statistique  comparative,  c'est-à-dire  en 
montrant  comment  la  machine  à  vapeur  a  su  acquérir  peu  à  peu  droit 
de  cité  dans  nos  industries,  sur  nos  chemins  de  fer  et  pour  l'établis- 
sement de  nos  lignes  de  navigation. 

(1)  Voir  les  si  remarquables  planches  de  ÏÂlbum  de  statistique  graphique  de  notre  éminent  collègue 
M.  Cheysson. 


D.  BELLÉT.  —  LES  PROGRÈS  DE  LA  VAPEUR  EN  FRANCE  DE  1840  A  1890   1065 

Nous  allons  prendre  les  appareils  à  vapeur  au  moment  même  où  ils 
commençaient  à  s'introduire  en  France  et  nous  suivrons  pas  à  pas  la 
généralisation  de  leur  emploi.  La  besogne  nous  est,  du  reste,  rendue 
facile  par  les  excellentes  statistiques  (1)  que  publie  le  Ministère  des  Tra- 
vaux publics  depuis  plus  d'un  demi-siècle;  elles  constituent  une  mine 
de  renseignements  présentés  sous  la  forme  la  plus  claire,  surtout  depuis 
que  M.  Keller  est  à  la  tête  de  ce  service.  Des  statistiques  de  cette  valeur 
permettent  de  faire  avec  profit  des  enquêtes  portant  sur  une  très  longue 
période  et  basées  sur  des  données  auxquelles  on  peut  se  fier. 


Bien  entendu,  pour  rendre  plus  claire  cette  étude  un  peu  longue,  nous 
n'envisagerons  pas  de  prime  abord  d'une  façon  générale  l'emploi  de  la 
vapeur  dans  l'ensemble  de  ses  applications,  et  nous  recourrons  auparavant 
à  une  distinction  toute  naturelle  :  nous  verrons  quel  rôle  joue  la  vapeur 
dans  les  diverses  industries,  puis  nous  examinerons  la  puissance  qu'elle 
représente  dans  la  navigation,  et  enfin  dans  les  chemins  de  fer.  Il  ne  nous 
restera  plus  ensuite  qu'cà  faire  la  totalisation  des  chiffres  que  nous  aurons 
produits. 

Nous  n'avons  guère  besoin  d'expliquer  pourquoi  nous  commençons  par 
la  vapeur  dans  l'industrie  :  c'est  qu'en  1840,  année  où  nous  faisons  re- 
monter notre  étude  rétrospective,  chemin  de  fer  et  bateau  à  vapeur  n'ont 
qu'une  importance  fort  secondaire.  En  outre,  nous  n'avons  pas  cru  devoir 
remonter  avant  l'année  1840,  parce  qu'auparavant  la  vapeur  joue  un  rôle 
encore  par  trop  effacé. 

Du  reste,  les  chiffres  mêmes  de  1840  nous  semblent  presque  enfantins  : 
à  ce  moment,  toutes  les  industries  de  la  France  entière  possèdent  ensemble 
2.591  appareils,  représentant  une  force  de  34.3o0  chevaux-vapeur  (et 
cependant,  comme  nous  le  verrons  quand  nous  entamerons  la  quatrième 
partie  de  cette  étude,  ce  total  de  34.350  chevaux  formait  à  peu  près  les 
deux  tiers  de  la  force  de  toutes  les  machines  qui  étaient  en  service  en 
France).  Mais  il  ne  devait  pas  falloir  longtemps  à  nos  industriels  pour 
comprendre  le  parti  qu'ils  pourraient  tirer  du  nouveau  moteur  qui  s'offrait 
à  eux. 

Un  coup  d'oeil  sur  un  tableau  d'ensemble  va  bien  nous  le  prouver,  en 
laissant  au  lecteur  le  soin  de  déduire  toutes  conclusions  de  ces  données 
numériques. 

(1)  Statistique  annuelle  de  l'industrie  minèmle  et  des  appareils  à  vapeur.  Imprimerie  nationale. 


1066 


ÉCONOMIE    POLITIQUE 


lNNÉES 

APPAREILS 

CHEVAUX-VAPEUR 

1840 

2.591 

34.350 

1845.     .  .  . 

4.114 

50.187 

1850 

5.322 

66.642 

1855     .  .  ■ 

8.879 

112.278 

1860 

14.513 

177.652 

1865 

20.947 

255.673 

1870 

27.958 

341.443 

1875 

32.008 

400.756 

1880 

41.772 

544.152 

1885 

50.979 

718.000 

1890 

58.749 

863.007 

Nous  ne  pouvons  nous  allonger  en  fournissant  des  chiffres  sur  le  nombre 
des  chaudières.  Nous  ajouterons  qu'en  1860  nos  industries  employaient 


INDUSTRIE 


Echelle 


1mm    pour   2  000   app 
Imm    pour  20000chev 


CHEV.VAP. 


APPAR 


18W  1850  1860  1870  1880  1890  ANNEES 

FiG.   1. 


17.181  chaudières  calorifères,  et  qu'aujourd'hui  on  compte  26.695  réci- 
pients de  vapeur  de  plus  de  100  litres,  sans  parler  de  ceux  qui  ne  sont 
point  sujets  à  déclaration.  Nous  n'insisterons  pas  sur  les  pertes  résultant 
de  la  guerre  de  1870,  que  nous  avons  su  rapidement  réparer.  Disons 
encore  qu'en  187S  l'industrie  algérienne  ne  possédait  que  170  appareils 
représentant  en  tout  1.456  chevaux.  Notre  petit  graphique  (fig.  1)  mel 
tous  ces  faits  en  lumière  :  on  en  tirera  aussi  la  conclusion  que  la  force 
des  machines  augmente  plus  vite  que  leur  nombre,  ce  qui  correspond 
à  un  accroissement  de  la  force  unitaire. 

Le  dernier  chiffre  que  nous  avons  fourni  est  celui  du  31  décembre  1890; 
au  31  décembre  1891  on  compte  58.967  machines  et  916.086  chevaux. 
|-;  Il  nous  semble  utile  de  compléter  ces  renseignements  en  indiquant 
comment  la  force  totale  que  représentent  les  machines  existant  en  France 
se  répartit  entre  les  diverses  branches  d'industries,  en  dressant  un  tableau 
comparatif  pour  1890  et  1879. 


r».  BELLET.  —  LES  PROGRÈS  DE  LA  VAPEUR  EN  FliANCE  DE  1840  A  1890      1067 

EN  1879  EN  1890 

INDUSTRIES  —  — 

—  Chevaux-vapeur         Chevaux-vapour 

Tissus  et  vêtements 101.542  172.999 

Usines  métallurgiques 103.720  167.584 

Mines  et  carrières 84.572  130.273 

Industries  alimentaires 80.947  106.167 

Entreprises  de  travaux 27.236  91.416 

Agriculture  (1) 33.596  88.932 

Industries  chimiques  et  tanneries .  28.278  42.323 

Papeterie,  objets  mobiliers  ....  32.700  37.632 

Services  publics  de  l'État 13.851  25.681 

Remarquons,  en  le  déplorant,  l'importance  de  plus  en  plus  grande  que 
prennent  les  services  de  l'État.  On  voit  immédiatement  que  le  classement 
de  1890  n'est  plus  le  même  que  celui  de  1879  et  que  certaines  industries 
ont  recouru  plus  que  d'autres  à  l'emploi  de  la  vapeur. 

Une  autre  comparaison  sera  peut-être  instructive  entre  les  années  1860 
et  1890.  Voici  quelle  était  la  force  en  chevaux-vapeur  de  certaines  indus- 
tries spéciales  (nous  donnons  ces  indications  sous  forme  de  tableau  pour 
qu'elles  soient  plus  résumées)  : 

1860  1890 

Chevaux-vapeur  Clievaux-vapeur 

Mines  de  combustible 28.170  87.711 

Exploitation  des  mioerais  métalliques.    .    .    .  1.711  3.638 

Exploitation   des  carrières,  ardoisières,  etc..  998  3.590 

Hauts  fourneaux,  forges,  aciéries 28.570  105.975 

Battage  des  grains 4.381  73.344 

Teintureries,  apprêts 2.909  17.831 

Papeteries 2.582  13.997 

Tanneries 1.2.38  10.558 

Manufactures  de  drap? 1.932  3.568 

Verreries,  etc 1.784  5.310 

Filatures  et  tissages 36.133  127.266 

Enfin,  il  est  bon  que  nous  ajoutions  à  toutes  ces  données  l'indication  de 
la  répartition  des  appareils  à  vapeur  dans  les  différents  départements 
français  en  1860  et  en  1890  ;  et,  pour  cela,  nous  indiquerons  combien  de 
chevaux- vapeur  représentaient  les  différentes  machines  en  activité  à  ces 
deux  époques  dans  les  départements  les  plus  intéressants  à  étudier.  En  l'an- 
née 1860,  c'est  le  département  du  Nord  qui  dispose  de  la  plus  grande  force 
motrice,  30.936  chevaux,  ce  qui  est  énorme  pour  cette  époque.  La  Loire, 
qui  vient  en  deuxième  ligne,  n'en  compte  que  la  moitié,  exactement 
lo.298.  Nous  citerons  ensuite  la  Seine,  avec  13.653  ;  puis  le  Haut-Rhin, 
avec  8.8o9  ;  la  Seine-Inférieure  en  compte  8.718  ;  le  Pas-de-Calais, 
7.684;  la  Saône-et-Loire,  6.117.  On  relève  ensuite  5.934  chevaux  dans  le 
Rhône,  5.697  dans  la  Moselle,  4.207  dans  l'Aisne,  3.925  dans  le  Gard. 
Nous  ne  prolongeons  point  cette  énuméralion,  qui  nous  entraînerait  trop 

(0  Voir,  à  ce  sujet,  une  élude  publiée  par  nous  dans  le  Journal  de  l'Agriculture. 


1068  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

loin  ;  mais  nous  indiquerons  les  départements  où  l'emploi  de  la  vapeur 
t'tait  presque  inconnu  en  18G0  :  nous  voulons  dire  le  Gers,  où  l'on  trouvait 
un  total  de  21  chevaux-vapeur,  et  les  Hautes-Pyrénées,  où  la  statistique 
n'en  pouvait  relever  que  8. 

Aujourd'hui  (nous  entendons  par  là  le  commencement  de  1891),  c'est 
encore  le  Nord  qui  tient  la  tête,  avec  115.700  chevaux  :  nous  sommes  loin 
du  chifTre  de  4860.  Au  deuxième  rang,  cette  fois,  se  trouve  la  Seine,  avec 
71.000;  puis  nous  voyons  le  Pas-de-Calais  avec  55.214,  lui  qui  n'en 
comptait  que  7.700,  en  1860  ;  la  Seine-Inférieure  avec  39.000,  et  la  Loire 
avec  40.000.  Nombreux  sont  aujourd'hui  les  départements  qui  comptent 
de  20.000  à  30.000  chevaux  ;  nous  ne  citerons  donc  que  ceux  qui  sont  re- 
marquablement arriérés  au  point  de  vue  qui  nous  occupe  :  tels  seront,  par 
exemple,  les  Hautes-Pyrénées,  où  l'on  ne  compte  que  .j42  chevaux,  et  la 
Corse,  où  il  n'y  en  a  que  184,  Enfin,  n'oublions  pas  de  faire  remarquer 
qu'actuellement  le  département  d'Alger  en  possède  3.540. 

On  peut  légitimement  penser  qu'au  moment  présent,  à  l'instant  où  nous 
exposons  ces  résultats,  l'industrie  française  possède  un  ensemble  de  plus 
de  62.000  appareils  et  de  plus  de  920.000  chevaux,  si  la  proportion  d'ac- 
croissement est  demeurée  sensiblement  égale  à  ce  qu'elle  était  dans  les 
périodes  précédentes.  Nous  sommes  loin  des  2.591  appareils  et  des 
34.350  chevaux  de  1840;  mais  il  faut  bien  être  persuadé  que  l'industrie 
française  pourrait  suivre  le  progrès  de  plus  près  qu'elle  ne  l'a  fait,  et 
qu'elle  n'est  pas  arrivée  à  employer  la  vapeur  partout  où  ce  puissant 
auxihaire  devrait  être  eu  usage. 


II 


Nous  abordons  la  deuxième  partie  de  l'étude  que  nous  avons  entreprise, 
l'examen  de  l'emploi  de  la  vapeur,  autrefois  et  aujourd'hui,  dans  la  navi- 
gation soit  maritime,  soit  fluviale.  Nous  serons  forcément  assez  bref  dans 
cet  examen,  parce  que,  malheureusement,  comme  on  peut  immédiatement 
s'en  convaincre  en  jetant  un  coup  d'oeil  sur  le  deuxième  de  nos  gra- 
phiques (fig.  2),  la  navigation  à  vapeur  ne  s'est  que  bien  faiblement 
accrue  en  France  :  sur  nos  fleuves  et  canaux,  parce  que  notre  système  de 
navigation  intérieure  laisse  beaucoup  à  désirer  ;  sur  mer,  parce  que,  en 
dépit  des  primes  de  toutes  sortes  dont  on  espérait  merveille,  notre  flotte 
marchande  ne  se  développe  nullement.  Une  seconde  remarque  que  sug- 
gère ce  graphique,  c'est  que  l'emploi  de  la  vapeur  dans  cette  branche  de 
l'activité  nationale  a  été  très  variable,  ce  qu'indique  une  série  d'oscilla- 
tions dans  la  courbe  de  ce  graphique  :  rien  n'y  est  régulier,  bien  loin  de  là. 

Si  nous  remontions  plus  haut  que  1840,  nous  verrions  que,  en  1833 


D.  BELLET.  —  LES  PROGRÈS  DE  LA  VAPEUR  EN  FRANCE  DE  1840  A  1890   1069 

(première  année  pour  laquelle  les  statistiques  fournissent  des  renseigne- 
ments), la  France  ne  possédait  que  7o  navires  à  vapeur  d'une  force  globale 
de  2.635  chevaux-vapeur.  Si  Ion  passe  tout  de  suite  à  1840,  on  est  porté 
à  croire  que  l'emploi  de  la  navigation  à  vapeur  va  vite  .se  généraliser. 
car  on  peut  compter  déjà  211  bateaux  et  une  force  de  11.42"2  chevaux; 
cinq  années  plus  tard,  les  totaux  correspondants  sont  respectivement  de 
2o9  et  de  18.050.  Mais  on  n'avait  jusque-là  osé  installer  des  machines 
motrices  à  vapeur  que  sur  des  bateaux  d'un  assez  faible  tonnage,  et  voici 
qu'en  1850  on  se  hasarde  à  en  agir  autrement,  puisque  le  nombre  absolu 
des  bateaux  tombe  à  252  et  que  cependant  la  force  totale  dont  ils  dis- 


B ATE AUX 


CHtV.  VAP. 


BAT 


18W 


1850 


1860 


1870 


1880 


1890  ANNEES 


FiG.  2. 


posent  monte  à  22.023,  la  force  unitaire  augmentant,  par  conséquent. 
dans  une  assez  notable  proportion. 

Nous  ne  pouvons  qu'exposer  brièvement  un  tableau  général  de  la  situa- 
tion de  la  marine  à  vapeur  française  : 

ANNÉES  BATEAUX    CHEVAUX-VAPEUR 

1855 370  40.932 

18G0 377  36.690 

1865 487  50.504 

1870 572  60.000 

1875 736  90.774 

1880 954  286.000 

1885 1.172  493.000 

1890 1.240  590.000 

1891 l.:533  636.784 

En  1860,   les  chemins  de  fer  sont  venus  faire  une  rude  concurrence 
aux  bateaux  ;  enlin,  de  1875  à  1880,  il  s'est  produit  une  rapide  progression 


1U70 


KCONOMIE    l'OLIÏIQUE 


qui  n'est  guère  explicable.  En  tout  état  de  cause,  on  ne  peut  qu'être  péni- 
blement affecté  en   songeant  aux  6.000  navires  que  possède  la  Grande- 


Bretagne  (1). 


m 


Il  nous  faut  maintenant  examiner  l'emploi  de  la  vapeur  sur  les  chemins 
de  fer.  Comme  le  chemin  de  fer,  au  moins  jusqu'à  présent,  ne  peut  pas 


CHEMINS      DE     FER 


Echelle: 

1mm   pour    200  locom 
lm.m  pour  ¥0000  chev- 


CHEV.  VAP. 


LOCOM 


18M)  laSO  1860  1870  1880  1890  ANNEES 

FiG.   3. 


exister  sans  le  secours  de  l'appareil  à  vapeur  sous  forme  de  locomotive, 
c'est  un  peu  étudier  le  développement  des  chemins  de  fer.  Mais  c'est 
autre  chose  aussi,  car  le  nombre  des  locomotives  en  service  sur  une  ligne 
dépend  de  l'intensité  de  trafic  sur  cette  ligne.  Disons  tout  de  suite  que 
nous  laissons  absolument  de  côté  les  appareils  à  vapeur  fixes  installés  dans 
l'enceinte  des  chemins  de  fer  [fig.  S). 

Au  commencement  de  la  période  que  nous  avons  voulu  étudier  devant 
vous,  en  1840,  la  France  ne  possédait  que  430  kilomètres  de  chemins  de 


1)  Nous  renverrons  à  une  étude  de  nous  dans  le  Journal  dus  Economistes  de  1892. 


D.  lîELI.KT.^ —  LKS  PROGRÈS  DE  L.V  VAPEUR  EN  FRANCE  DE  1840  A  1890   1071 

ter,  et,  pour  ce  réseau  modeste,  il  suffit  de  14'2  locomotives,  représentant 
une  force  de  14.200  chevaux.  Cinq  années  plus  tard,  le  réseau  a  doublé  à 
peu  près,  atteignant  881  kilomètres,  et  l'effectif  des  locomotives  est  de 
310,  d'une  force  de  31.000  chevaux  ;  en  I8o0,  les  chiffres  correspondants 
sont  de  973  et  de  97.300.  On  peut  le  remarquer  tout  de  suite,  on  prend 
uniformément  dans  ces  statistiques  la  force  unitaire  d'une  locomotive  à 
100  chevaux  :  c'est  ce  dont  on  peut  se  convaincre  en  regardant  le  tableau 
suivant,  qui  n'est,  en  somme,  que  le  résumé  des  statistiques  officielles  jus- 
qu'en 1875  : 

ANNÉES  LOCOMOTIVES   CHEVAUX- VAPEUR 

1855 1.855  1857500 

1860 3.101  310.100 

1865 3.963  396.300 

1870 4.835  483.500 

1875 5.916  591.600 

Cela  pouvait  être  vrai  en  1840  ou  même  en  1850,  mais  cela  n'est  point 
demeuré  exact  par  la  suite  ;  c'était  un  errement  toujours  suivi  par  l'Admi- 
nistration de  ne  point  demander  la  force  exacte  pour  chaque  locomotive, 
et  de  prendre  la  base  de  convention  de  100  chevaux.  Cet  errement  nous  a 
semblé  une  erreur  :  nous  nous  sommes  donc  permis  de  la  rectifier  en  sup- 
posant, ce  qui  est  fort  vraisemblable  si  l'on  tient  compte  des  modifications 
subies  par  la  locomotive  depuis  1855,  qu'en  1855  la  force  unitaire  des  ma- 
chines dépassait  un  peu  100  chevaux,  qu'elle  atteignait  150  chevaux  en 
1860,  200  en  1865,  250  en  1870  et  300  en  1875.  Nous  obtenons  ainsi  la 
statistique  très  vraisemblable  suivante,  qui  se  traduit  dans  notre  graphique 
par  une  courbe  ascendante  rapide,  mais  qui  ne  laisse  pas  subsister  le  res- 
saut énorme  que  produirait,  en  1880,  un  graphique  dressé  servilement  sui- 
vant les  tableaux  officiels  tels  qu'on  les  a  imprimés  : 

0 

ANNÉES  LOCOMOTIVES    CHEVAUX-VAPEUR 

1850 973  97.300 

1855 1.855  200.000 

1860 3.101  460.000 

1>^65 3.963  790.000 

1870 4.835  1.200.000 

1875 5.916  1.770.000 

1880 7.289  2.495.251 

1885 9.155  3.2H9.623 

1890 9.909  3.6.56.577 

1891 10.226  3.738.529 

En  Algérie,  on  compte  267  locomotives  et  92.885  chevaux-vapeur.  Enfin , 
dans  notre  dernier  total,  la  part  des  chemins  de  fer  d'intérêt  local  est  de 
335  machines  et  34.498  chevaux  ;  les  chiffres  correspondants  sont  de  361 
et  20.724  pour  les  chemins  industriels;  de  248  et  13.296  pour  les  tramways. 

Il  ne  nous  reste  plus  maintenant  qu'à  totaliser  les  chiffres  divers  que 
nous  avons  fournis,  et  nous  allons  le  faire  rapidement,  mais  de  façon  du 


1072  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

moins  à  permettre  une  vue  d'ensemble  sur  les  progrès  de  l'emploi  de  la 
vapeur  dans  toutes  ses  applications  depuis  cinquante  années  (1). 


IV 


Pour  dresser  cette  totalisation,  dont  notre  dernier  graphique  (fig.  4) 
donne  un  résumé,  nous  nous  reportons  aux  chiffres  que  fournissent  les 
statistiques  ofTicielles  ;  mais  nous  les  corrigeons  suivant  l'indication  don- 


EFFECTIF      TOTAL 


Eche  Ile: 

l/nm   pour  2.000   app 
1mm   pour  80000  chev 


CHEV.VAP. 


APPAR. 


18W  I8if5    1850  18S5  1860    1865  1870  1875  1880   1885  1890  ANNEES 
Fifi.  4. 

née  tout  à  l'heure,  en  tenant  compte  de  la  majoration  justifiée  de  la  puis- 
sance en  chevaux-vapeur  des  locomotives  de  nos  chemins  de  fer. 

Nous  obtenons  le  tableau  suivant,  qui  peut  se  passer  de  tout  com- 
mentaire : 

ANNÉES  .  APPAREILS        CHEVAUX-VAPEUR 

1840 2787.3  56.422 

1845 4.873  91.533 

1850 6.832  186. .363 

1855 11.620  354.500 

1860 18.726  673.900 

1865 26. .376  1.103.000 

1870 33.761  1.580.000 

1875 40.052  2.280.000 

1880 52.543  3.341.971 

1885 6B.517  4.528.979 

1890 75.749  5.17.^.996 

1891 76.549  5.362.725 

(I)  Ceux  qu'intéresseront  les  questions  techniques  de  la  provenance  ou  du  mode  de  conslruclioi» 
des  locomolives,  pourront  se  reportera  un  article  que  nous  avons  publié  sur  ce  sujet,  en  I8'J2,  dans 
les  Annales  industrielles. 


A.    PICHE.   —   DE    LA  SOCIOLOGIE  J073 

Aujourd'hui  il  est  légitime  de  penser  que  la  vapeur  fait  marcher  en 
France  à  peu  près  79.000  appareils  représentant  une  armée  de  5  millions 
400.000  chevaux-vapeur.  Et  il  est  bien  certain  que  la  vapeur  n'est  pas 
près  de  perdre  l'importance  considérable  qu'elle  a  su  acquérir  dans  toutes 
les  branches  de  l'activité  humaine.  Sans  doute  l'électricilé  parait  être  la 
reine  du  jour  ;  mais  il  ne  faut  pas  oublier,  comme  le  faisait  remarquer 
Edison  dans  une  récente  conversation,  que  la  vapeur  est  encore  le  meil- 
leur auxiliaire  pour  la  production  de  l'électricité,  et  que,  sans  doute,  vapeur 
et  électricité  vivront  toujours  côte  à  côte. 


M.  A.  PICHE 

Président  de  la  Société  d'Éducation  populaire  des  Basses-Pyrénées,  à  Pau. 


DE  LA  PLACE  DE  LA   SOCIOLOGIE  DANS  L'ENSEMBLE    DES  CONNAISSANCES    HUMAINES 
DES  MUSÉES  SOCIOLOGIQUES  ET  DE  CELUI  DE    PAU    EN  PARTICULIER 


—  Séance  du  20  seplembre  1892  — 

Bien  que  j'aie  fait  hier  une  communication-conférence  à  la  Section  de 
Pédagogie,  je  ne  suis  pas  un  pédagogue;  président  de  la  Société  d'Édu- 
cation populaire  départementale,  ex-adjoint  de  la  ville  de  Pau,  je  serais 
plutôt  un  anthrop-agogue,  un  démagogue,  dans  le  bon  sens  étymolo- 
gique du  mot. 

J'offre  de  conduire  les  gens  sur  le  chemin  de  la  vérité  politique  et  sur 
la  route  du  progrès  social.  Avocat  sans  causes,  je  loue  gratuitement  mon 
fiacre  à  l'heure  ou  à  la  course,  trop  heureux  de  trouver  des  voyageurs. 

Les  congressistes  étant  gens  pressés,  vous  surtout.  Messieurs  les  écono- 
mistes, qui  devez  épargner  le  temps,  dont  vous  savez  tout  le  prix,  je  vous 
parlerai  à  la  course,  m'efforçant  de  vous  dire  beaucoup  de  choses  utiles 
en  peu  de  mots.  Je  tâcherai  surtout  d'être  clair  et  pas  trop  ennuyeux. 

Je  m'étais  proposé  de  vous  entretenir  principalement  des  Musées  ethno- 
graphiques et  sociologiques  départementaux,  qu'il  est  nécessaire  de  fonder 
aujourd'hui  en  corrélation  avec  le  Musée  d'Économie  sociale  de  France, 
qui  s'organise  à  Paris  en  ce  moment;  de  ces  Musées  en  général,  dis-je,  et 
de  celui  que  nous  formons  à  Pau  en  particulier.  Accessoirement,  je  vous 
aurais  entretenu  de  quelques  miennes  idées  sur  la  sociologie  ;  mais,  en 
route,  j'ai  retourné  mon  sac  et  changé  mon  fusil  d'épaule. 

Ce  Musée  embryonnaire,  je  pourrai  vous  le  montrer  tantôt,  si  vous  le 
désirez . 

G8* 


1074  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

Ne  serait-il  pas  plus  piquant,    ce  matin,  que  je  vous  fisse  la  brève 
contre-partie   scientifique  de  la  belle  conférence  littéraire  qui  vous  est 
annoncée  pour  ce  soir?  Ce  serait,   pour  ainsi  dire,  l'anatomie  du  sque- 
lette que  M.  Léon  Say  vous  présentera  sous  les  contours  les  plus  sédui- 
sants, ornés  des  plus  fines  couleurs. 

DIEU      (  Idéede  Cause  1  ^f'' ) 

Théologie    ou    doxie. 


c 


Anges  ou  Esprits    ?         \o 


Science  ou  GnOSie: 
Cosmo- 


Pneumalo   doxie  ? 
^Aètap^Tyslque . 

Ames  des  morts. 


007 


Il  a  choisi  pour  sujet  :  De  l'Économie  politique  dans  ses  rapports  avec 
les  autres  sciences;  je  prendrais  volontiers  pour  titre  de  ma  causerie  :  Delà 
place  des  sciences  sociales  dans  l'ensemble  des  connaissances  humaines. 

Ceci  est,  tout  simplement,  une  petite  ruse  de  guerre  pour  vous  pré- 
senter mon  enfant  chéri,  mon  dernier-né,  le  .  cercle  des  connaissances 
HUMAINES  »,  qui  vous  plaira,  je  l'espère,  par  sa  simplicité. 

_  Ici  le  conférencier  dessine  au   tableau  noir ,   sa   classification  des 


A.     PICHE.    —    DE    LA    SOCIOLOOIE 


1073 


sciences  en  zones  concentriques  coupées  par  de  nombreux  secteurs, 
et  poursuit  ainsi  : 

Vous  le  voyez,  ce  système  de  représentation  est  fort  simple  :  il  place 
«  le  moi  »  au  centre  de  l'Univers,  ou  non  moi,  et  lui  fait  examiner  succes- 
sivement toutes  les  classes  d'êtres  qui  l'entourent  et  toutes  les  classes  de 
phénomènes  que  présentent  ces  classes  d'êtres,  prises  deux  à  deux.  De  là, 
ces  douze  secteurs  blancs  figurant  les  sciences  naturelles  ou  ontologiques, 
entrecoupés  de  ces  douze  secteurs  gris,  qui  représentent  les  sciences  ration- 
nelles ou  phénoménales.  Et  les  huit  zones  concentriques,  embrassant  tous 
ces  secteurs  et  les  subdivisant,  expriment  les  méthodes  d'investigation, 
qui  s'étendent  au  fur  et  à  mesure  du  développement  de  l'esprit  humain. 

Ce  tableau  vous  permet  d'embrasser  d'un  seul  coup  d'œil  la  répartition 
des  sciences,  leurs  noms  actuels,  la  nouvelle  nomenclature  que  j'en  pro- 
pose, la  distribution  intérieure  et  les  rapports  de  voisinage  de  ces  sciences. 

Laissant  de  côté,  pour  ne  pas  vous  fatiguer,  les  sciences  mathématiques, 
physico-chimiques  et  l'histoire  naturelle,  je  ne  veux  examiner  avec  vous 
que  les  sciences  vitales,  historiques,  sociales,  morales  et  humaines  qui 
vous  préoccupent;  voici,  selon  moi,  leur  ordre  : 


O  N  T  0  L  0  G  10  t  E  s 


SCIENCES 

PHENOMENALES 


BOTANIQUE 

(Plantes; 


ZOOLOGIE 

(Animaux; 


ANTHROPOLOGIE 
(Uouimts) 


ETHNOGRAPHIE 

ll'L'Uplmi) 


Etres. 


BIOLOGIE 

Pli.  vitaux; 


PSYCHOLOGIE 

Ph.  psychiques; 


SOCIOLOGIE 

^Pli.  sociaux; 


DICEOLOGIE 

t^Ph.  moraux; 


Phénomènes. 


ONTOLOGIQUES 


SCIENCES  f suite 

P  H  É  X  0  M  É  .\  A  L  E  s 


ECCLÉSIOGNOSIE 

(Églises; 


SOPHIGNOSIE 

(Écoles; 


H  U  M  A  N  I  T  0  G  N  0  S  I  E 
(Humanité; 


COSMOGNOSIE 

•  lUiiiveiS; 


Etres. 


THAUMATOLOGIE 

(Ph.  crus  surnaturels; 


CALLISTOGNOSIE 

(Les  chefs-d'œuvre) 


lOEOGNOSIE 

(Ph.   idéaux; 


Phénomènes. 


Si  cette  classification  est  vraie,  ou  tout  au  moins  se  rapproche  de  la 
vérité,  comme  je  le  crois,  vous  pouvez  constater  combien  les  Sections 
de  notre  Association  pour  l'avancement  des  sciences  sont  incomplètes. 
mal  nommées  et  mal  réparties. 

Les  scieîices  médicales  devraient  s'appeler  :  biologie  et  comprendre 
comme  sciences  appliquées,  l'hygiène  et  la  médecine  publiques. 

La  Section  de  Pédagogie  devrait   s'appeler  Psychologie  et  c'est  avec 


1076  ÉCO.XOMIK    POLITIUUK 

raison  que,  hier,  ses  membres  protestaient  contre  le  titre  qu'elle  porte 
actuellement.  Seules  l'anthropologie  et  la  zoologie  sont  bien    nommées. 
Vous,    Messieurs,  vous  devriez  constituer  la  Section  de  Sociologie;  car 
l'Économie  politique,  votre  titre  actuel,  n'est  qu'une  faible  partie  de  la 
science  si  vaste  des  phénomènes  sociaux.  La  géographie  pohtiqac,  ren- 
voyant la  géographie  physique  avec  la  géologie,  devrait  former  l'Ethno- 
graphie et  s'adjoindre  sa  sœur,  l'Histoire,  aujourd'hui  non  représentée. 
Hemarquez  enfm,  Messieurs,  que  notre  Association   n'a  aucune  Section 
pour  l'étude  de  ces  grandes  personnalités  sociales,   qui  s'appellent  les 
Églises,   les  Écoles  philosophiques,  l'Humanité  (1),  ni  pour  l'étude  des 
phénomènes  communs  si  importants  cependant  que  présentent  les  Peuples 
et  les  Églises:  (droit  et  devoir,  jurisprudence  et  morale);  les  Églises  et 
les  Philosophies  ;  (croyances  dogmatiques  ou  doctrinales  explicatives  de 
l'Univers,  phénomènes  merveilleux  crus  surnaturels);  les  Philosophies  et 
l'Humanité    (merveilleux  humain,  chefs-d'œuvre  artistiques  des  hommes 
de  génie)  ;  enfin,  l'Humanité  et  l'Univers  (les  idées  qui  mènent  le  monde). 
Pourquoi  les  hommes  de  droit  et  de  loi,  législateurs,  magistrats,  avocats, 
non  plus  que  les  moralistes,  leurs  frères  du  devoir,  n'ont-ils  pas  place, 
parmi  nous,  à  légal  des  médecins  et  des   ingénieurs  ?  Et  tous   ces  tra- 
vailleurs de  province,  qui  se  livrent  à  de  savantes  recherches  sur  l'his- 
toire locale,  pourquoi  n'ont-ils  aucune  section  qui  leur  soit  ouverte  ?  En 
sommes-nous  encore  à  croire  qu'il  n'y  ait  pas  une  science  du  droit  et  de 
la  morale,  et  que  l'histoire  ne  soit  pas  une  science? 

11  y  a  là,  Messieurs,  d'énormes  lacunes  que  les  intéressés  ni  ont  chargé 
de  vous  signaler,  en  attendant  que  nous  en  saisissions  le  Conseil  d'admi- 
nistration et  au  besoin  la  Société  elle-même. 

Et  encore  je  laisse  volontairement  de  côté  ce  monde  supérieur  des 
âmes  des  morts,  des  esprits  incorporels,  et  de  la  divinité,  être  suprême, 
qui  sont,  non  plus  objet  de  science,  mais  de  croyances,  bien  que  ces 
croyances  aient  joué,  jouent  et  doivent  jouer  encore  un  si  grand  rôle 
dans  la  marche  de  l'humanité. 

En  effet,  bon  nombre  de  gens  sérieux  prétendent  qu'il  y  a  encore  là 
deux  sciences  ontologiques,  en  rapport  avec  celle  de  l'Univers  :  la  Pneu- 
matologie  et  la  Théologie;  mais  je  les  appellerais  plus  volontiers  des  doxies 
que  des  sciences. 

Redescendons,  si  vous  le  voulez  bien,  sur  la  terre,  dans  le  domaine  de  la 
connaissance  positive,  et  entrons  un  peu  plus  avant  dans  le  royaume  des 
sciences  sociales.  Bien  que  je  ne  les  aie  pas  étudiées  spécialement.  Mes- 
sieurs, j'y  ai  beaucoup  réfléchi;  laissez-moi  vous  communiquer  certaines 

(1)  L'Humanité,  cet  être  synthétique  supérieur,  n'est-il  pas  en  train  de  s'organiser,  d'établir  son 
système  circulato'ire  (chemins  de  fer  et  bateaux  à  vapeur)  ,  son  système  nerveux  (télégraphes  et 
téléphones),  et  de  prendre  conscience  de  lui-même  dans  les  Expositions  et  Congrès  internationaux? 


A.    PICHR.     DE    LA    SOCIOLnr.IE  1077 

idées  personnelles;  peut-èlre  y  trouverez-voiis  quelque  grain   de  vérité. 

J'estime  que  l'homme  animal,  dernier  terme  de  la  série  zoologique, 
doit  être  étudié  dans  la  Zoologie. 

Les  facultés  psychiques  qui  so  manifestent  dans  les  animaux  et  qui 
s'élargissent  dans  l'homme,  seront  la  matière  delà  Psychologie  tout  au 
moius  objective. 

L'homme,  être  social,  remplit  le  cadre  de  I'Amhuopologie;  c'est  dans 
cette  science  que  j'examinerais  les  rapports  naturels  nécessaires  des  indi- 
vidus :  leurs  ébats  (jeux  du  hasard  et  de  l'amour),  leurs  débats  d'intérêts, 
leurs  combats,  leurs  échanges  de  marchandises  et  de  bons  procédés,  leurs 
commerces  de  tous  genres,  leur  industrie,  leurs  collaborations,  leurs 
coopérations,  leurs  alliances. 

Dans  I'Ethnographie,  je  ferais  l'histoire  naturelle  de  tous  les  peuples 
qui  existent  ou  ont  existé;  leur  histoire  et  leur  géographie  ;  leur  classifi- 
cation chronologico-logique. 

Je  les  analyserais  au  moyen  de  ces  instruments  scientifiques  qu'on 
appelle  l'archéologie  et  la  linguistique,  examinant  leur  épigraphie,  leur 
numismatique,  sigillographie,  iconographie,  bibliographie,  leurs  costumes, 
leurs  mœurs,  leurs  institutions,  leurs  lois,  leur  gouvernement,  leur  admi- 
nistration, leurs  cultes,  leurs  écoles  philosophiques,  littéraires,  artistiques, 
scientifiques;  puis  avec  ces  éléments,  je  ferais  la  synthèse  de  leur  organi- 
sation agissante. 

J'établirais  la  théorie  ou  les  diverses  théories  possibles  de  leur  évolu- 
tion et  chercherais  à  reconstituer,  par  l'art  de  la  conjecture,  la  vie  des 
peuples  disparus  sans  laisser  de  documents  historiques;  vous  savez  qu'on 
y  parvient  à  Taide  des  seuls  vestiges  préhistoriques. 

J'expérimenterais  sur  les  sociétés  animales  et  sur  les  groupes  humains 
qui  consentiraient  à  mes  expériences. 

Et  j'arriverais  ainsi  peu  à  peu  à  la  découverte  des  lois  qui  régissent  la 
marche  des  peuples. 

Il  en  résulterait  de  nombreuses  et  importantes  applications,  et  au  fur 
et  à"  mesure  du  progrès  et  de  la  science,  une  philosophie  plus  com- 
préhensive  de  l'histoire. 

J'appliquerais  les  mêmes  procédés  d'investigation  aux  Églises  de 
croyants,  de  fidèles,  ou  communions  d'àmes  organisées  en  religions, 
avec  culte  et  hiérarchie,  êtres  sociaux  dun  ordre  plus  étendu,  plus  général, 
plus  élevé  que  les  peuples,  puisqu'ils  comprennent  souvent  plusieurs 
peuples  et  tendent  à  l'universalité. 

J'étudierais  de  même  les  Écoles  philosophiques  dont  les  doctrines,  mo- 
numents orgueilleux  de  la  raison  humaine,  cherchent  à  expliquer  l'uni- 
vers, doctrines  contradictoires,  parce  qu'en  cet  immense  sujet  elles  n'em- 
brassent qu'une  face  des  choses. 


1078  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

Enfin,  l'Humanité,  cet  être  synthétique,  qui  prend  peu  à  peu  conscience 
de  lui-même  et  du  globe,  son  domaine,  en  la  personne  des  hommes  de 
génie  et  qui,  selon  la  belle  parole  du  Père  Gratry,  semble  avoir  pour  mis- 
sion de  disposer  ce  globe  dans  l'équité  et  la  justice. 

Passons  aux  sciences  sociales  qui  étudient,  non  plus  les  êtres,  mais  les 
phénomènes  que  ces  êtres  manifestent  : 

J'ai  dit  qu'entre  l'Anthropognosie  et  l'Ethnognosie,  il  y  avait  une 
science  rationnelle,  abstraite,  des  phénomènes  de  vie  sociale  qu'offrent 
à  la  fois  les  animaux,  les  hommes  groupés  en  familles  et  les  peuples, 
ces  gigantesques  polypiers  formés  de  familles,  qui  comprennent  dans 
leur  sein  tant  de  groupements  artificiels  secondaires,  et  tant  d'individus 
qui  constituent  ces  immenses  communions  de  foi  ou  d'idées  dont  je  par- 
lais tout  à  l'heure,  ainsi  que  ces  innombrables  associations  de  tout  genre  (1). 

Cette  science  est  la  Sociologie  (ou  mieux  Cœnognosie,  pour  ne  pas 
allier  deux  racines  de  langues  différentes). 

Voici  comment,  en  la  comparant  à  la  Biologie,  je  suis  arrivé  à  dresser 
son  vaste  plan,  son  programme  et  pour  ainsi  dire  sa  table  de  matières  : 

Graphie.  —  Énumération  par  ordre  alphabétique  de  tous  les  mots  de 
la  langue  française  (pour  nous  autres  Français,  bien  entendu)  représen- 
tant un  phénomène  social. 

Description  sommaire  ou  définition  de  ces  phénomènes. 

LoGiE.  —  Histoire  et  géographie  de  ces  phénomènes,  c'est-à-dire  leur 
distribution  dans  le  temps  et  dans  l'espace. 

Classifications  possibles,  classification  chronologico-logique. 

Questions  et  problèmes,  réponses  a  priori,  dissertations,  méthodes  d'ob- 
servation scientifique. 

ScopiE.  —  Application  de  la  méthode  d'observation  aux  phénomènes 
sociaux  à  l'aide  de  cet  instrument  intellectuel  qu'on  appelle  la  Statistique. 

1°  Analyse  des  phénomènes  de  vie  normale  et  pathologique  qu'offrent 
l'ensemble  des  êtres  sociaux  :  familles  de  minéraux,  de  plantes,  d'animaux, 
d'hommes.  Cités,  États,  Églises,  Écoles  philosophiques,  artistiques  ou 
scientifiques  : 

a.  Au  point  de  vue  statique; 

b.  Au  point  de  vue  dynamique; 

c.  Au  point  de  vue  embryogénique. 

2°  Synthèse  de  ces  phénomènes  biosociologiques. 

Théorie.  —  Vues  de  l'esprit,  explicatives  des  phénomènes  de  vie  sociale. 


(1)  La  clarté  du  discours  gagnant  beaucoup  à  la  précision  du  langage,  je  voudrais  que  les"  groupe- 
ments naturels  qui  se  forment  spontanément,  sans  statuts  délibérés,  portassent  le  nom  de  Sociétés, 
tandis  qu'on  réserverait  le  mot  Associations  pour  les  groupements  artificiels,  volontaires. 


A.    PICHE.    —   DE   LA    SOCIOLOGIE  1079 

1  °  Doctrines  ou  systèmes  logiques  possibles  : 

a.  Gouvernementales:      b.  Administratives:      c.  Économiques  :       d.  Sociales  : 
Autoritarisme.  Centralisation.  Protection.  Socialisme. 

Libéralisme.  Décentralisation.  Libre-échange.  Individualisme. 

2"  Évolution  historique  de  l'autorité  et  de  ses  formes  : 

Théocratie.  Patriarchie.  Royauté. 

Aristocratie.  Oligarchie.  République  aristocratique. 

Autocratie.  Monarchie.  Empire. 

Démocratie.  Anarchie.  République  démocratique. 

3°  Critiques  et  controverses  des  théories.  —  Méthodes  pour  les  dépar- 
tager, plans  d'expériences. 

PiRiE.  —  Seule  la  méthode  expérimentale  tranchera  entre  les  diverses 
théories,  en  cette  science  comme  dans  toutes  les  autres.  Mais  peut-on 
expérimenter  en  sociologie,  comme  on  le  fait  en  biologie,  en  physique  ou 
en  chimie? 

Évidemment  cela  est  plus  difficile,  car  les  phénomènes  sont  plus  com- 
pliqués; les  expériences  seraient  plus  coûteuses,  plus  longues,  et  de  même 
•qu'on  ne  peut  faire  de  la  vivisection  humaine,  il  serait  non  moins  incon- 
venant de  faire  de  la  \dvisection  de  sociétés  humaines. 

Mais  de  même  qu'en  biologie  et  en  médecine  on  se  livre  à  des  expé- 
riences sur  des  animaux  avant  d'expérimenter  sur  l'homme,  de  même  eu 
sociologie,  nous  pouvons  faire  des  expériences  sur  les  sociétés  animales 
et  en  tirer  des  conclusions  extensibles  à  toutes  les  sociétés,  y  compris 
celles  humaines. 

Toute  une  mine  d'expériences  nous  est  d'ailleurs  ouverte  par  les  légis- 
lateurs, les  politiciens,  les  hommes  de  guerre,  qui  expérimentent  sans  y 
penser  sur  les  phénomènes  sociaux;  nous  n'avons  qu'à  observer,  au 
point  de  vue  scientifique,  les  conséquences  de  leurs  entreprises. 

Enfin,  je  ne  verrais  aucun  inconvénient  (je  verrais  de  grands  avan- 
tages, au  contraire)  à  suivre  la  méthode  proposée  par  M.  Donnât  dans  sa 
Politique  expérimentale,  et  j'aimerais  que  nos  hommes  d'État  expérimen- 
tassent, dans  de  bonnes  conditions  et  sur  une  échelle  restreinte,  leurs 
réformes  avant  de  les  généraliser  et  de  les  étendre  à  tout  un  pays. 

NoMiE.  —  Sans  doute,  le  bon  sens  populaire  et  quelques  hommes  de 
génie  ont  déjà  trouvé  des  lois  sociologiques  formulées  en  proverbes  ou  en 
préceptes. 

Le  peuple  vous  dira  :  Charbonnier  doit  être  maître  chez  lui,  et  point 
de  société  sans  chef. 

IVous  trouvons  dans  la  Bible  la  loi  du  travail  et  dans  l'Évangile  cette 
règle  sociale  :  «  Toute  société  divisée  périra.  » 


1080  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

On  parle»  enfin  tous  les  jours  de  la  loi  du  progrès. 

La  science  a  constaté  des  influences  réciproques,  des  relations,  des 
rapports  nécessaires;  mais  ils  n'ont  pas  encore  été  mesurés  et  condensés 
dans  une  formule  scientifique. 

Les  économistes,  dans  leur  petit  domaine  de  la  richesse,  disent  bien 
avoir  trouvé  des  lois,  bien  que  je  sois  plus  porté  à  croire  qu'ils  les 
cherchent  encore. 

Auguste  Comte,  l'inventeur  de  la  sociologie,  tout  au  moins  de  son 
nom,  avait  foi  dans  sa  loi  des  trois  états  (théologique,  métaphysique,  po- 
sitif), loi  si  controversable  et  si  controversée. 

Enfin,  je  retrouve  dans  mes  notes  une  loi  formulée  par  un  auteur  peu 

connu  (1)  : 

«  Le  bien-être  général,  ou  bonheur  (social),  est  en  raison  directe  de 
la  vertu^'des  individus  et  en  raison  inverse  de  leurs  vices.  » 

J'estime  que  nous  ne  sommes  encore  qu'au  seuil  de  la  Sociopirie,  d'oîi 
nous  pouvons  seulement  entrevoir  la  terre  promise'  de  la  Socionomie  en 
vertu  de  la  loi  :  Cherchez,  vous  trouverez. 

Technie.  —  Ce  sera  une  bien  belle  chose  que  la  découverte  des  lois 
qui  régissent  les  phénomènes;  quand  on  les  aura  trouvées,  on  sera 
maître  de  changer  l'ordre  de  la  nature,  dont  on  tiendra  la  clef  en  sa 
main.  Il  n'y  aura  plus  qu'à  les  appliquer  aux  besoins  des  hommes  et  des 
sociétés. 

Nos  descendants  verront  un  jour  le  règne  des  ingénieurs  sociaux  se 
substituer  à  la  domination  des  hommes  d'État  empiristes  et  surtout  des 
charlatans  politiques,  auxquels  nous  accordons  encore  trop  souvent 
créance. 

Il  y  aura  alors  des  sciences  sociales  appliquées,  une  hygiène  et  une 
médication  sociales  vraiment  scientifiques. 

Sophie.  —  Il  existe  enfin,  et  surtout  il  existera  de  plus  en  plus  une  phi- 
losophie des  phénomènes  sociaux,  qui  consistera  à  faire  la  saine  critique 
de  ces  phénomènes  et  à  envisager  leurs  rapports  harmoniques  avec  les 
phénomènes  relevés  par  les  autres  sciences;  k  considérer  leur  beauté  et 
leur  moralité,  enfin  les  devoirs  positifs  que  nous  impose  la  connaissance 
de  la  vérité  totale  ou  science. 

—  Vous  voyez,  Messieurs,  quel  vaste  cadre  offre  la  Sociologie  ainsi 
comprise;  à  vous  de  juger  si  je  suis  dans  le  vrai  ou  si  je  m'abuse. 

Je  pourrais  appliquer  également  ma  méthode  de  subdivision  intérieure 
d'une  science  ontologique  ou  phénoménale  à  ces  autres  êtres,  les  Églises, 
les  Écoles  doctrinales,  l'Humanité,  ou  aux  phénomènes  qui  leur  sont  com- 
muns. 

(1)   A.  Bellaigue,  La  Science  morale,  é\,v\dQ  piiilosophique  et  sociale. 


A.    PICHE.  DE   L.V    SOCIOLOGIE  1081 

Maintenant  que  vous  connaissez  ma  méthode,  vous  l'appliquerez  si  cela 
vous  intéresse;  pour  ne  pas  abuser  de  votre  patience,  je  finis  avec  la 
théorie  et  j'aborde  la  pratique. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  dire  que  les  études  socioloi;iques  plus  encore 
que  celles  météorologiques  ou  biologiques,  dépassent  les  forces  d'un 
homme;  ce  sont  des  monuments  auxquels  nous  ne  pouvons  apporter 
qu'une  pierre  taillée;  mais  déjà  nos  architectes  sociaux  pourraient  en 
exposer  le  plan  général  et  nous  donner  les  détails  d'exécution,  ouvrant 
ainsi  le  chantier  du  travail  collectif. 

Dans  notre  petite  Société  d'éducation  populaire  des  Basses-Pyrénées, 
nous  avons  résolu,  tout  en  essayant  de  nous  tenir  au  courant  de  la 
science  générale  des  sociétés,  de  n'étudier  que  les  êtres  sociaux  et  les  phé- 
nomènes que  nous  avons  sous  la  main  ou  qui  se  passent  sous  nos  yeux, 
ceux  du  département. 

Voici  comment  nous  y  avons  été  amenés;  j'insiste  un  peu  sur  ce  point, 
car  il  nous  donne  l'histoire  de  l'introduction  des  études  sociologiques  dans 
notre  sud-ouest. 

Il  y  a  vingt-deux  ans,  un  Parisien,  M.  Tourasse,  vint  se  fixer  dans  notre 
cité,  apportant,  comme  Bias,  tout  avec  lui  :  sa  haute  intelligence,  sa 
volonté  ferme  et  persévérante,  et  ses  biens  réalisés,  deux  millions. 

Incapable  de  conférer  avec  ses  semblables  à  raison  d'une  extrême  sur- 
dité, il  résolut  d'employer  ses  moyens  à  faire  des  expériences  sur  les 
plantes  et  sur  les  hommes.  Il  acheta  aux  portes  de  Pau  un  terrain  de 
dix-huit  hectares,  l'entoura  de  hauts  murs,  s'y  fit  construire  une  maison 
simple,  mais  confortable,  et  des  laboratoires  horticoles  pour  ses  expé- 
riences d'acclimatation,  de  mise  à  fruit  hâtive  par  la  taille  des  racines, 
de  surgreffe  et  d'obtention  de  variétés  nouvelles  par  sélection  et  semis 
multipliés.  Il  mit  le  reste  de  sa  fortune  en  viager,  se  faisant  ainsi  cent 
cinquante  mille  francs  de  rente  pour  ses  expériences  d'arboriculture  et  de 
viriculture  intensives. 

En  matière  sociopirique,  il  voulait  développer  les  idées  d'association  et 
d'éducation  populaires,  substituer  peu  à  peu  l'esprit  de  prévoyance  à  la 
charité  et  se  rendre  compte  de  l'action  qu'on  pouvait  avoir  sur  ses  con- 
citoyens par  des  encouragements  pécuniaires  bien  conçus. 

Il  y  travailla  dix  ans,  jusqu'à  sa  mort,  sans  obtenir  des  résultats  bien 
sensibles;  car  ce  n'est  guère  qu'aujourd'hui  que  commence  à  se  faire 
sentir  l'influence  heureuse  de  ses  efforts. 

Pour  moi,  satellite  obscur,  entraîné  peu  à  peu  dans  l'orbite  de  cet 
astre  supérieur  en  puissance  attractive,  je  devins  son  collaborateur,  puis 
son  ami,  et  trop  tôt,  hélas!  le  successeur  et  le  continuateur  de  ses  œuvres. 

Pour  perpétuer  sa  mémoire  et  son  action  bienfaisante,  d'accord  avec 
nos  amis  conununs,  je  créai  et  dotai  de  cent  mille  francs  la  Société  d'édu- 


1082  KCONOMIE    POLITIQUE 

cation  populaire,  dont  les  revenus,  grossis  de  nos  cotisations,  servent  à 
encourager  les  Associations  libérales  du  d(''partement,  qui  font  preuve 
d'initiative,  de  bon  fonctionnement  ou  de  progrès. 

Mais,  pour  les  bien  récompenser  il  faut  les  connaître,  et  pour  les  con- 
naître il  faut  les  étudier  avec  soin. 

Ainsi  avons-nous  été  conduits  à  faire  l'histoire  naturelle  de  toutes  les 
associations  du  département  qui  poursuivent  un  but  d'amélioration  ci- 
vique, et  à  présenter  ce  travail  à  l'Exposition  d'Économie  sociale  de  1889. 

Au  premier  examen,  nous  avons  trouvé  un  tel  nombre  et  une  telle 
variété  d'associations,  que  nous  avons  été  fort  embarrassé  pour  les  coor- 
donner. 

Aucun  traité  ne  nous  fournissant  de  classification  sur  la  matière,  nous 
avons  cherché  h,  faire,  dans  un  tableau  synoptique,  la  synthèse  de  tous 
.  les  groupements  sociaux  possibles. 

Voici  ce  tableau,  dont  nous  mettons  des  exemplaires  à  votre  disposition. 
De  haut  en  bas,  vous  trouvez  les  genres  de  groupements  rangés  par  ordre 
d'apparition  et  de  complexité  croissante  : 

1°  Les  rencontres  ou  groupements  fortuits,  dus  au  hasard  (passants, 
voisins)  ; 

2°  Les  unions  sympathiques  dues  à  l'amour  (familles,  amis); 

3"  Les  ententes  professionnelles  qui  ont  pour  mobile  l'intérêt  (syndi- 
cats, corporations)  ; 

4°  Les  communions  spirituelles  (sectes  religieuses,  philosophiques); 

5°  Les  sociétés  politiques  naturelles  ou  artificielles  (cités,  états); 

6°  Les  compagnies  scientifico-industrielles,  qui,  tout  en  cherchant  à  ga- 
gner de  l'argent,  poursuivent  un  but  d'amélioration  matérielle  ; 

7°  Enfin  les  associations  libres,  philanthropiques,  désintéressées,  qui  se 
subdivisent  en  paternelles  ou  patronales,  et  fraternelles  ou  mutuelles. 

Et  tous  ces  genres  de  groupements  peuvent  s'appliquer  (suivez  mainte- 
nant la  ligne  d'en  tète  horizontale  du  tableau)  : 

1°  Aux  phénomènes  économiques  (consommation,  production,  circu- 
lation); 

2°  Aux  phénomènes  sportifs  (délassement,  exercice,  agrément);  (on  se 
délasse  après  le  travail)  ; 

3°  Aux  phénomènes  progressifs  (beaux-arts,  lettres  et  sciences)  ;  il  faut 
loisir  d'occupations  matérielles  pour  se  livrer  aux  travaux  de  l'intelligence; 

4°  Aux  phénomènes  du  mal,  agressifs,  perturbateurs; 

5"  A  ceux  de  défense  corporelle,  intellectuelle  ou  morale  ; 

6^  A  ceux  d'assistance  des  malades  et  blessés  dans  le  combat  de  la  vie  ; 

7°  A  ceux  de  médication  o.u  réparation; 

8°  A  ceux  de  prévoyance; 

9°  A  ceux  de  libération  ou  de  salut,  quand  la  prévoyance  a  échoué. 


A.  PICHE.    —  DE    LA    SOCIOLOGIE  1083 

Bon  ou  mauvais,  j'avais  trouvé  un  ordre  qui  me  permettait  de  ranger 
dans  ses  cases  tous  les  groupes  sociaux.  Ainsi,  dans  celte  table  de  Pylha- 
gore  d'un  nouveau  genre,  le  corps  des  sapeurs-pompiers  doit  se  trouver 
lia  oîi  se  croisent  la  colonne  horizontale  «  Groupements  politiques,  d'ordre 
civique  ou  communal  »  et  la  colonne  «  phénomènes  de  défense  matérielle». 
Le  groupe  Compagnie  de  Jésus  se  trouvera  au  croisement  de  la  colonne 
horizontale  «Communions  spirituelles  ou  Églises,  ligne  des  congrégations  o 
et  de  la  colonne  verticale  des  phénomènes  de  «  défense  intellectuelle  »,  les 
Jésuites  ayant  été  institués  pour  défendre  l'Église  contre  les  agressions 
de  la  réforme. 

Ce  tahleau  me  servit  de  fil  conducteur,  de  préface  pour  l'Atlas  de  Sodé- 
tologie  départementale  que  je  voulais  faire  ;  mais  n'ayant  pas  le  temps 
d'embrasser  l'étude  de  tous  ces  groupements,  je  me  bornai  à  la  représen- 
tation et  à  la  statistique  graphique  des  associations  libres,  philanthropiques 
et  laïques,  celles  qui  forment  la  dernière  colonne  horizontale  de  ce  tableau. 

Voici,  du  reste.  Messieurs,  l'allas  que  nous  exposâmes  et  qui,  joint  aux 
OEuvres  Tourasse,  nous  valut  une  des  plus  hautes  récompenses. 

Il  renferme  autant  de  cartes  départementales  qu'il  y  a  dégroupes  d'asso- 
ciations, dont  il  montre  la  répartition  géographique  et,  entre  les  cartes, 
sont  des  tableaux  gTai)hiques,  de  notre  invention,  qui  retracent  les  condi- 
tions d'existence  et  l'évolution  des  principales  sociétés.  Je  puis  mettre 
à  votre  disposition  des  modèles  lithographies  de  ces  cadres  pour  études 
sociétologiques. 

Enfin,  nous  avions  pensé,  depuis  quelque  temps  déjà,  que  ces  êtres  et 
ces  phénomènes  sociaux  pouvaient  être  exposés  utilement  dans  un  Musée 
d'histoire  naturelle,  à  la  suite  des  collections  de  pierres,  de  plantes  et  d'ani- 
maux; et,  dès  1882,  nous  proposions  à  la  Société  des  Sciences  de  Pau 
d'adjoindre  au  Musée  des  salles  d'Ethnographie  béarnaise  et  de  Sociologie 
départementale.  Ce  n'est  pas  sans  peine  que  nous  parvînmes  à  faire  ac- 
cepter ces  vues  par  la  Société  et  par  la  Municipalité. 

Trois  salles  furent  mises  à  notre  disposition,  au-dessus  du  Musée,  et  nous 
fîmes  faire  des  vitrines  qui  commencent  à  se  remplir.  Si  nous  les  avions 
eues  quelques  années  plus  tôt,  bien  des  objets  préhistoriques,  résultat  des 
fouilles  de  MM.  de  Nadaillac  et  Paul  Raymond,  n'auraient  pas  été  dispersés. 

La  première  salle,  consacrée  à  l'Ethnographie,  contient  douze  vitrines 
rangées  par  ordre  chronologique  et  qui  renferment  les  monuments  du 
peuple  béarnais  et  les  reliques  des  peuplades  qui  l'ont  précédé. 

Elle  embrassera  donc  l'archéologie  locale  :  (épigraphie,  iconographie. 

sphragistique,  numismatique,  etc.,  toutes  sciences  de  détail)  et  la  néologie 

même  y  sera  représentée;  cardans  les  dernières  vitrines,  nous  plaçons 

des  objets  qu'on  fabrique  encore  dans  le  pays,  mais  qui  sont  sur  le  point 

de  disparaître.  C'est  la  salle  du  Passé. 


1084  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

La  deuxième  salle  contient  quatre  bureaux  à  pupitre  incliné,  au  pied  de 
quatre  grands  panneaux.  Les  bureaux  renfermeront  les  documents  de  la 
statistique  otïicielle  municipale  et  départementale;  les  pupitres  porteront 
nos  atlas,  les  panneaux  développeront  le  graphique  des  principaux  phéno- 
mènes. C'est  la  salle  du  Présent. 

La  troisième  salle  exposera  la  préparation  de  l'Avenir  par  le  travail  des 
sociétés  libres;  elle  aura  autant  darmoires  qu'il  existe  de  groupes  d'asso- 
ciations. 

Voici,  IVfessieurs,  le  plan  de  ce  Musée  et  des  notices  sur  ce  nouveau 
genre  d'institution  dont  nous  avons  été,  paraît-il,  les  précurseurs  (1). 

Vous  savez,  d'autre  part,  qu'en  ce  moment  MM.  Léon  Say,  Ch.  Robert, 
Cheysson  et  GofTinon  fondent  à  Paris  un  Musée  d'Économie  sociale  avec 
les  documents  précieusement  conservés  de  l'Exposition  de  1889. 

Il  nous  semble  qu'ils  ne  pourront  arriver  à  constituer  un  Musée  national 
complet  et  tenu  au  courant  (et  plus  tard  un  Musée  international  ou  humain) 
que  si  les  Musées  départementaux  se  généralisent  et  se  tiennent  en  cor- 
respondance avec  le  Musée  de  Paris. 

Pour  que  nos  maîtres  de  la  capitale  fassent  la  synthèse,  il  faut  que  nous, 
les  ouvriers  obscurs,  nous  fassions  l'analyse.  Et  qu'ils  me  permettent  res- 
pectueusement de  le  leur  dire,  leur  cadre  de  Musée  d'Économie  sociale  est 
trop  étroit,  il  faut  qu'il  embrasse  l'étude  de  tous  les  êtres  sociaux  et  de 
tous  les  phénomènes  qu'ils  ofïrent  à  nos  regards. 

Déjà,  en  1889,  j'avais  été  amené,  malgré  moi,  à  critiquer  l'étroitesse  de 
cette  Section  économique  qui  laissait  de  côté  tant  d'autres  phénomènes 
sociaux  plus  importants.  J'ai  vu  avec  plaisir  qu'à  Chicago  on  avait  élargi 
les  programmes  et  fait  place  aux  phénomènes  juridiques,  moraux,  religieux 
et  scientifiques. 

Je  ne  vois  plus  guère  de  lacune  que  pour  les  écoles  philosophiques, 
artistiques,  littéraires  et  scientihques,  ainsi  que  pour  leurs  doctrines. 

Mais  je  m'aperçois  que  j'abuse  de  vous;  j'occupe  indûment  la  place  de 
confrères  qui  ont  à  faire  des  communications  plus  intéressantes  que  celle-ci. 
Aussi  je  coupe  court,  d'autant  que  mon  esprit  se  fatigue  et  voit  moins  clair 
dans  ce  dédale  des  phénomènes  sociaux  où  il  est  si' facile  de  se  perdre. 

Je  me  tiendrai,  cette  après-midi,  au  Musée,  à  la  disposition  de  ceux  qui 
voudraient  le  visiter.  Ils  y  verront  le  buste  en  marbre  de  Pierre  Tourasse, 
qui,  je  puis  le  dire,  a  été  le  promoteur  des  études  sociologiques  dans  ce 
département;  je  conduirai  ensuite  à  la  propriété  Tourasse  ceux  qui 
voudraient  visiter  ses  pépinières  et  ses  jardins. 

(1)  L'éminent  sociologiste  et  philanthrope,  M.  Ch.  Robert,  a  bien  voulu  nous  donner  ce  titre  dans 
une  Conférence  faite,  en  1889,  à  l'occasion  de  l'Exposition  d'Économie  sociale.  Il  avait  bien  voulu, 
également,  exposer  les  Œuvres  de  Tourasse  et  les  travaux  de  la  Société  d'éducation  dans  le  beau  pavil- 
lon de  la  Société  pour  l'élude  de  la  Participation  aux  bénéfices. 


A.    DE   FOVILLE.    —   LE    MORCELLEMENT    DEPUIS   DIX   ANS  1085 


M.  A.  LE  rOYILLE 


Professeur  au  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers,  Délègue  du  Ministre  des  Finances 
au  Congrès  de  Pau,  à  Paris. 


LE   MORCELLEMENT   DEPUIS   DIX   ANS 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 

Notre  Président  m'a  invité  à  venir  traiter  ici  un  sujet  tout  à  la  fois  très 
spécial  et  très  complexe...  Je  me  ferai  une  loi  d'être  fort  court,  parce  que, 
sans  cela,  je  risquerais  d'être  beaucoup  trop  long,  la  question  du  morcelle- 
ment étant  de  celles  qui  peuvent,  chemin  faisant,  en  soulever  cent  autres. 
J'ai  voulu,  il  y  a  huit  ou  dix  ans,  lui  consacrer  une  brochure  et  la 
brochure  a  pris  les  proportions  d'un  volume;  j'aurai  soin  que  ma  commu- 
nication d'aujourd'hui  ne  prenne  pas  les  proportions  d'une  conférence. 

Voilà  bientôt  trois  quarts  de  siècle  que  le  morcellement,  en  France, 
préoccupe  les  jurisconsultes,  les  économistes,  les  moralistes  même,  et  les 
hommes  d'État.  Le  sol  français  était  déjà  très  divisé  sous  l'ancien  régime  ; 
il  l'était  davantage  après  la  Révolution  ;  il  l'est  plus  encore  à  l'heure 
qu'il  est.  Les  uns  disent  :  c'est  un  mal;  les  autres  disent  :  c'est  un  bien. 
A  mes  yeux,  c'est  plutôt  un  bien  qu'un  mal,  quoiqu'il  puisse  évidemment 
y  avoir  excès  en  cela  comme  en  toute  chose.  Mais  je  veux  aujourd'hui 
laisser  de  côté  tout  ce  qui  est  système  ou  théorie  pour  ne  m'occuper  que 
des  faits.  Les  faits  eux-mêmes,  malheureusement,  ont  été  longtemps  déna- 
turés, tantôt  dans  un  sens,  tantôt  dans  l'autre;  et,  tout  en  le  regrettant,  il 
n'y  a  pas  à  s'en  étonner,  parce  que  la  question  du  morcellement  est  pleine 
de  pièges,  pleine  de  trompe-l'œil,  et  qu'il  faut  vraiment  être  du  mélier 
pour  ne  point  se  laisser  égarer,  en  cette  matière,  par  les  petites  perfidies 
du  langage  administratif  et  de  la  statistique  officielle. 

Je  vais  vous  donner  tout  de  suite  un  exemple  des  mauvais  tours  que 
la  statistique,  quand  elle  n'est  pas  sûre  d'elle-même,  peut  jouer  à  ceux 
qui  l'interrogent. 

Vous  savez  tous  ce  que  c'est  qu'une  cote  foncière.  C'est  la  part,  la  quote- 
part  d'impôt  foncier  incombant,  dans  une  commune,  à  quiconque  y  pos- 
sède un  ou  plusieurs  immeubles. 

Le  premier  recensement  dont  les  cotes  foncières  aient  été  l'objet,  au 
cours  de  ce  siècle,  date  d'une  époque  fort  troublée.  C'est  en  1816,  au 


1086  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

lendemain  de  Waterloo,  au  milieu  de  l'invasion,  que  le  comte  Corvetto 
avait  prescrit  l'opération,  et  nous  savons  maintenant  qu'elle  fut  très  mal 
faite.  Dans  toute  une  série  de  départements,  par  suite  d'un  vrai  quiproquo, 
les  propriétés  bâties  furent  comptées  deux  fois,  le  sol  d'abord,  la  propriété 
ensuite,  et  le  nombre  total  des  cotes  foncières  de  la  France  se  trouva  ainsi 
majoré  de  près  de  10  0/0.  Cette  grosse  bévue  a  fini  par  être  dénoncée 
et  reconnue  ;  mais,  pendant  longtemps,  on  avait  tenu  pour  bon  ce  chiffre 
qui  ne  valait  rien  et  quand  on  le  compara  aux  constatations  beaucoup  plus 
correctes  de  1826  et  de  183S,  on  crut  pouvoir  admettre  que  le  nombre  des 
propriétés  n'avait,  pour  ainsi  dire,  pas  augmenté  sous  la  Restauration  : 
c'est  une  méprise  qui  a  fait  faire  fausse  route  à  des  esprits  d'ordinaire 
clairvoyants,  comme  Hippolyte  Passy,  Rossi,  Michelet,  Léonce  deLavergne, 
Wolowski,  Cochut,  etc 

Puis,  par  cela  même  que  les  progrès  du  morcellement  avaient  d'abord 
été  masqués,  ils  ont  paru  doublement  rapides  quand  on  a  pu  suivre,  d'une 
manière  à  peu  près  exacte,  le  mouvement  des  cotes  foncières.  Pendant  le 
second  et  le  troisième  quart  de  ce  siècle,  elles  progressaient  à  raison  d'en- 
viron 100.000  par  an,  un  million  en  dix  ans.  C'était  marcher  vite  et  les 
inquiétudes  n'ont  pas  tardé  à  se  manifester.  Dès  1836,  Léon  Faucher, 
passant  d'un  extrême  à  l'autre,  montrait  la  terre  de  France  réduite  en 
miettes  :  «  La  propriété  tombe  en  poussière»,  s'écriait-il  d'un  ton  presque 
tragique;  et  ce  cri  d'alarme  a  trouvé,  vous  le  savez,  beaucoup  d'écho. 
Nous  avons  tous  lu  vingt  fois  —  et  nos  pères  l'avaient  lu  avant  nous,  — 
que  la  grande  propriété  était  morte,  que  Ja  moyenne  propriété  était 
mourante  et  qu'il  n'y  aurait  bientôt  plus,  de  l'Atlantique  aux  Vosges  et  de 
la  Manche  aux  Pyrénées,  que  des  lambeaux  de  terre  impropres  à  toute 
culture,  à  toute  exploitation  sérieuse.  On  allait  jusqu'à  comparer  la  France 
de  l'avenir  à  un  grand  cimetière  découpé  en  petites  concessions  d'un 
mètre  sur  deux  ou  de  deux  mètres  sur  quatre.  Si  vous  voulez  voir  jus- 
qu'oîi  peut  aller,  en  cette  matière,  l'exagération,  relisez  le  roman  de 
Balzac  intitulé  les  Paysans,  lequel  date  de  184o.  Balzac  y  traite  les  éco- 
nomistes d'imbéciles,  ce  qui  est  déjà  une  exagération;  mais  il  y  en  a 
bien  d'autres  :  ainsi  il  prédit,  de  la  manière  la  plus  affirmative,  que  la 
France,  faute  d'espace,  n'aura  bientôt  plus  ni  chevaux,  ni  bétail,  en  sorte 
que  «  non  seulement  le  peuple,  mais  encore  la  bourgeoisie,  devront,  avant 
la  fin  du  siècle,  renoncer  à  l'usage  de  la  viande  » , 

Sans  se  laisser  entraîner  à  de  pareilles  énormités,  la  plupart  des  adversaires 
de  notre  régime  successoral  —  et  ils  sont  nombreux  —  étaient  unanime» 
à  parler  à  la  France  du  morcellement  comme  d'une  maladie  mortelle, 
et  l'école  de  Le  Play  —  où  je  m'honore,  d'ailleurs,  de  compter  d'excellents 
amis  —  n'avait  pas  peu  contribué  à  généraliser  cette  manière  de  voir. 

Lorsque  je  me  suis  mis  à  creuser  la  question,  en  toute  liberté  d'esprit,. 


A.    DE    rOVILLE.    I.E    MOKCELLEMENT    DEPUIS    DIX    ANS  1087 

j'ai  été  stupéfait  de  voir  sur  combien  d'équivoques,  et  sur  combien  d'erreurs 
matérielles  reposait  le  prt^ugé  qui  veut  que  la  France,  à  bref  délai,  périsse 
ou  du  moins  dépérisse  par  le  morcellement.  En  relisant  les  discussions 
parlementaires  et  autres  des  soixante  dernières  années,  vous  verriez  que, 
même  en  haut  lieu,  on  a  souvent  commis,  sans  que  personne  soit  venu 
crier  gare,  les  plus  fâcheuses  confusions.  On  confondait  couramment  les 
cotes  foncières  avec  les  parcdies  cadastrales,  qui  sont  dix  fois  plus  nom- 
breuses. On  prenait  couramment  le  nombre  des  cotes  foncières  comme 
représentant  le  nombre  des  propriétaires  fonciers,  qui  sont  moitié  moins 
nombreux.  Le  mot  de  morcellement  était  lui-même  à  double  sens  :  en 
parlant  de  morcellement,  les  uns  avaient  en  vue  la  multiplication  des  pro- 
priétaires ;  les  autres  la  discontinuité  et  l'enchevêtrement  des  biens  ruraux, 
ce  qui  est  tout  autre  chose.  On  aurait  pu  se  croire  à  la  tour  de  Babel. 

La  lumière  qui  s'est  faite  autour  de  ce  problème  est  due  en  piartie  aux 
patientes  analyses  d'un  savant  spécialiste,  M.  Ch.  Gimel  ;  en  partie  aussi  à 
l'enquête  que  M.  lîoutin,  directeur  général  des  contributions  directes,  a  bien 
voulu  prescrire,  en  1884,  à  la  demande  de  la  Société  de  Statistique  de  Paris. 

J'ai  essayé,  à  mon  tour,  en  1885,  d'éclaircir  ce  qui  restait  obscur,  de 
préciser  ce  qui  avait  cessé  d'être  douteux,  et  je  vais  vous  dire  très  briève- 
ment quelles  étaient  alors,  en  ce  qui  concerne  les  faits,  mes  principales 
conclusions  et  mes  principales  prévisions. 

Je  montrais  et  je  crois  pouvoir  dire  que  je  démontrais  l'importance 
considérable  conservée  par  la  grande  propriété.  En  faisant  commencer  la 
grande  propriété  à  cinquante  hectares,  je  trouvais  qu'elle  avait  encore  à 
elle,  sous  une  forme  ou  sous  une  autre,  près  de  la  moitié  du  territoire 
national.  La  petite  propriété,  limitée  à  six  hectares,  ne  représentait  encore 
que  le  quart  du  sol  français.  Enfin,  la  toute  petite  propriété,  au-dessous 
de  deux  hectares,  bien  que  fournissant  plus  de  dix  millions  de  cotes, 
n'absorbait  cependant,  à  raison  de  son  exiguïté  même,  qu'un  dixième 
environ  de  la  superficie  totale  du  pays. 

Quant  au  nombre  des  propriétaires  fonciers,  aux  diverses  époques,  voici 
quelles  étaient  mes  indications  : 

Avant  la  Révolution,  un  peu  plus  de  4  millions  de  propriétaires. 

Vers  18;2o,  un  peu  plus  de  6  millions  de  propriétaires. 

Vers  18o0,  environ  7  millions  de  propriétaires. 

Actuellement,  environ  7  millions  et  demi  de  propriétaires. 

A  ce  compte,  le  nombre  des  propriétaires  n'aurait  pas  doublé  depuis 
cent  ans,  mais  il  ne  s'en  faudrait  guère.  Les  trois  derniers  chiffres  sont 
peu  contestables  et  peu  contestés.  Le  premier  des  trois,  quand  j'ai  cru 
pouvoir  le  mettre  en  circulation,  avait  contre  lui  la  plupart  des  historiens 
ou  des  économistes  qui  s'étaient  prononcés  sur  ce  point  capital.  Mais  il 
a  reçu,  depuis  le  jour  où  je  l'avais  produit,  une  précieuse  confirmation. 


1088  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

M.  Gimel,  dans  les  derniers  temps  de  sa  laborieuse  existence,  s'était 
essayé  à  reconstituer,  avec  le  secours  des  archives  départementales,  les 
rôles  de  l'ancien  impôt  des  vingtièmes,  dont  Necker  a  dit  avec  raison 
que  «  c'était  le  plus  territorial  de  tous  ceux  de  l'ancien  régime».  Si 
l'on  avait  le  dossier  complet  de  cette  contribution,  on  arriverait  à  une 
évaluation  très  approximative  du  nombre  des  propriétaires  fonciers  sous 
Louis  XVI.  Les  recherches  de  M.  Gimel  n'ont  abouti  que  dans  vingt-cinq  ou 
trente  départements  ;  mais  ces  départements  appartiennent  à  des  régions 
très  différentes  :  Pas-de-Calais  et  Hautes-Pyrénées,  Finistère  et  Meuse, 
Orne  et  Drôme»  etc.;  de  sorte  que  les  proportions  obtenues  ont  une 
valeur  réelle.  Or,  dans  le  mémoire  qu'il  a  lu  à  l'histitut  international  de 
statistique,  réuni  à  Paris  en  1889,  M.  Gimel  fixe  à  4.250.000  le  nombre 
probable  des  propriétaires  fonciers  à  la  fin  de  l'ancien  régime.  Vous  voyez 
que,  sans  le  vouloir,  notre  regretté  confrère  venait  exactement  confirmer, 
en  1889,  mon  chiffre  de  188o  ;  et,  comme  nous  étions  loin  d'avoir  suivi 
la  même  méthode,  il  y  a  bien  des  chances  pour  que  notre  commune 
évaluation  s'éloigne  peu  de  la  vérité. 

Voici  un  second  point  sur  lequel  j'ai  aussi  obtenu  gain  de  cause.  Il  s'agit 
du  fractionnement  parcellaire,  autrement  dit  du  nombre  des  parcelles 
cadastrales.  Mais,  d'abord,  qu'est-ce  qu'une  parcelle  cadastrale  ?  Pour  bien 
des  gens,  ce  qui  distingue  nécessairement  une  parcelle  de  la  parcelle  voisine, 
c'est  que  le  propriétaire  n'est  pas  le  même.  Et  cette  interprétation,  qui  est 
fausse,  est  du  moins  excusable,  car  elle  a  pour  elle,  entre  autres  autorités, 
le  Dictionnaire  de  l'Académie  française  et  le  Dictionnaire  de  Littré.  Mais  le 
cadastre  lui-même  nous  impose  une  autre  définition.  Le  Recueil  méthodique 
des  lois,  décrets  et  règlements  sur  le  cadastre  appelle  parcelle  «  une  portion 
de  terrain,  plus  ou  moins  grande,  située  dans  un  même  canton,  triage  ou 
lieudit,  présentant  une  même  nature  de  culture  et  appartenant  à  un  même 
propriétaire  ».  Si  donc  j'ai  fait  de  mon  carré  de  terre  quatre  emplois  diffé- 
rents, labour  et  prairie,  vigne  et  bois,  j'aurai  quatre  parcelles  contiguës.  Et 
ce  n'est  pas  tout  :  un  champ  ou  un  pré  divisé  en  deux  parties  par  un 
cliemin  public,  un  ruisseau,  un  mur,  un  fossé,  une  haie...,  représente  deux 
parcelles,  bien  que  le  propriétaire  soit  le  môme  et  le  mode  de  culture 
aussi.  Enfin,  la  superficie  des  maisons  et  bâtiments  forme  encore  parcelle. 
De  sorte  qu'une  ferme  d'un  seul  tenant  peut  fournir  cent  parcelles  cadas- 
trales, alors  que  l'Académie  française  et  Littré  n'en  compteraient  qu'une. 

Les  parcelles  ainsi  définies  étaient ,  lors  de  la  confection  du  cadastre, 
au  nombre  de  126  millions  (I24,o  pour  le  territoire  actuel  de  la  France)  et 
l'on  admettait,  de  confiance,  que  ce  genre  de  fractionnement  avait  dû 
faire,  depuis  cinquante  ans,  d'énormes  progrès.  Mes  recherches  de  1885 
m'avaient  amené  à  une  conviction  contraire.  Je  disais  :  «  S'il  y  a  aujour- 
d'hui 140  millions  de  parcelles,  c'est  tout  le  bout  du  monde.  »  Or,  trois 


A.    DE    FOMLLi:.    LE    AIOUCEIJ.K.MKNT    DKI'Ils    |)i\    ANS  1089 

ans  après  mon  livre,  en  1888,  paraissait  la  grande  enquête  du  Ministère  de 
l'Agriculture,  dite  enquête  décennale,  et  elle  accuse  13omillionsde  parcelles 
seulement,  dont  123  millions  de  parcelles  culturales.  A  ce  compte,  loin 
de  rester  au-dessous  de  la  vérité,  je  me  serais  encore  montré  trop  Géné- 
reux. I.e  noml)re  des  parcelles  n'aurait  même  pas  augmenté  de  10  0/0,  ce 
qui  paraît  bien  peu  de  chose,  quand  on  sait  combien  se  sont  multipliés 
les  constructions,  les  chemins,  les  clôtures  et  même  les  cultures  spéciales 
vignes,  prairies  artificielles,  etc..  C'est  à  croire  que  l'enchevêtrement  et 
la  discontinuité  des  domaines  ruraux,  loin  de  s'aggraver,  ont,  au  con- 
traire, diminué  très  sensiblement  depuis  le  cadastre,  car  sans  cela  il  de- 
vrait y  avoir  trente,  quarante,  cinquante  millions  peut-être  de  parcelles 
nouvelles,  résultant  non  de  la  désagrégation  des  propriétés,  mais  du  tra- 
vail de  l'homme  et  des  progrès  de  l'agriculture. 

Quant  au  nombre  même  des  propriétaires  fonciers,  qui  donne  la  vraie 
mesure  de  la  division  de  la  propriété,  je  disais,  il  y  a  dix  ans  :  «  Il  n'au^-- 
mente  plus  guère  et  il  se  peut  que  bientôt  il  n'augmente  plus  du  tout.  » 

Cette  opinion,  comme  les  précédentes,  paraissait  paradoxale  :  mais  elle 
se  trouve,  elle  aussi,  pleinement  justifiée  par  les  faits.  Suivons  la  marche 
des  cotes  foncières  depuis  1820,  en  réduisant  les  chiffres  à  leur  plus 
simple  expression,  millions  et  dixièmes  de  millions  : 


NXÉES 

MILLIONS  DE  COTES 

AXXÉES 

MILLIONS  DE 

1826 

lu,:J 

1858 

13,1 

1835 

10,9 

1861 

13,7 

1842 

11,5 

1865 

14,0 

1848 

12,1 

1871 

13,8 

1851 

12,4 

1875 

14,1 

avec  Nice  et  la 
Savoie. 

déduclion  faite  de 
rAlsace-Loiraine. 


Ainsi,  en  un  demi-siècle,  la  population  de  la  France  n'ayant  augmenté 
que  de  lo  0/0,  soit  moins  d'un  sixième,  le  nombre  des  cotes  s'était  accru 
de  30  à  37  0/0,  soit  plus  d'un  tiers.  Mais,  depuis  une  quinzaine  d'années, 
l'allure  est  tout  autre,  ainsi  qu'on  en  va  juger  : 


ANNÉES 

MILLIONS  UE  COTES 

ANNÉES 

MILLIONS  DE  COTES 

1876 

14.117.000 

1884 

14.221.000 

1878 

14.204.0U0 

1886 

14.259.000 

1880 

14. 26 't.  000 

18»8 

14.238.000 

1882 

14. 33». 000 

1890 

14.141.000 

(maximum) 

1891 

14.122.000 

Ainsi,  à  partir  de  1876,  nous  ne  montons  plus  guère  et,  à  dater  de  1882, 
non  seulement  nous  ne  montons  plus  du  tout,  mais  nous  descendons  un 
peu.  Le  chiffre  actuel  reste,  en  somme,  inférieur  de  plus  de  200.000  cotes 
au  maximum  d'il  y  a  dix  ans. 

G9* 


1090  ÉCONOMIE    POIJTIQUE 

A  vrai  dire,  il  y  a  encore  là  un  certain  mirage  et  il  ne  faudrait  pas  prendre 
au  pied  de  la  lettre  les  indications  de  ce  tableau.  Théoriquement,  la  cote 
foncière  doit  comprendre  tous  les  immeubles  dont  une  même  personne  ou 
un  même  ménage  est  propriétaire  dans  le  périmètre  d'une  commune  :  si 
donc  j'achète  le  bien  de  mon  voisin  ou  si  j'épouse  ma  voisine,  les  deux 
cotes  d'hier  n'en  devront  plus  faire  qu'une  aujourd'hui.   Mais,  dans  la 
pratique,  ce  principe  de  la  cote  unique  était  souvent  méconnu.  Pourquoi  ? 
D'abord  parce  que,  sur  un  territoire  très  divisé,  dont  les  plans  cadastraux 
ne  donnent  plus  qu'une  image  infidèle,  les  mutations  deviennent  labo- 
rieuses et  que  l'identité  des  propriétés,  comme  aussi  l'identité  des  proprié- 
taires, y  est  parfois  fort  difficile  à  saisir.  Puis,  il  faut  bien  le  dire,  le 
percepteur  est  loin  d'avoir  intérêt  à  éviter  les  doubles  emplois,  attendu 
que  le  nombre  des  cotes  à  recouvrer  est  un  des  éléments  dont  son  salaire 
tient  compte  :  chaque  article  de  rôle  lui  vaut  vingt-deux  centimes;  ce 
n'est  pas  énorme,  mais  c'est  assez  pour  qu'il  n'éprouve  aucune  répugnance 
à  rencontrer  plusieurs  fois  le  même  nom  sur  son  registre.  Lorsqu'en  1884, 
on  classa  les  cotes  foncières  par  catégories  de  contenances,  le  minutieux 
dépouillement  auquel  il  fallut  se  livrer  pour  cela  fit  déjà  tomber  plus  de 
100.000  cotes  indûment  dédoublées,  et  il  en  subsistait  encore  beaucoup. 
L'Administration  supérieure,  dans  un   double   intérêt  d'économie  et  de 
sincérité,  s'est  mise  à  faire  la  chasse  à  ce  gibier  d'un  nouveau  genre. 
L'instruction  générale  du  2  mars  1886  (art.  49),  puis  les  circulaires  des 
10  novembre  188"  et  18  mai  1888  ont  intéressé  à  la  réunion  des  cotes 
multiples  la  vigilance  des  contrôleurs,  des  inspecteurs,  des  directeurs;  et 
de  là  vient  surtout  la  réduction  continue  du  nombre  officiel  des  cotes 
foncières  depuis  1886.  Il  y  aurait  donc  quelque  témérité  à  affirmer  que  le 
nombre  des  propriétés  ou  des  propriétaires  français  est   effectivement 
moindre  en  1892  qu'en  1882.  Disons  seulement,  pour  être  sûr  de  ne  rien 
dire  de  trop,  qu'aux  progressions  rapides  d'autrefois  a  succédé  un  état  de 
stagnation,  absolue  ou  relative. 

C'est  là  une  constatation  dont  il  me  semble  que  les  amis  et  les  adver- 
saires du  morcellement  doivent  également  reconnaître  l'importance. 

Maintenant,  il  est  bien  entendu  que  quand  nous  parlons  de  stagnation, 
c'est  en  considérant  l'ensemble  du  territoire  national  et  en  faisant  un  bloc... 
C'est  un  résultat  moyen. 

Si  l'on  interroge  les  départements  un  à  un,  on  en  trouve  où  le  morcelle- 
ment se  poursuit  d'une  manière  très  appréciable  et  d'autres  où  s'accuse, 
au  contraire,  une  tendance  manifeste  à  la  concentration  de  la  propriété. 

La  carte  que  vous  avez  devant  les  yeux  distingue  les  parties  de  la  France 
qui,  depuis  1883,  perdent  des  cotes  de  celles  qui  en  gagnent  encore,  et 
la  guerre  que  l'Administration  fait  aux  doubles  emplois  n'empêche  pas  cette 
image  de  donner  une  assez  juste  idée  de  la  marche  des  choses. 


A.    DE    KOVILLE.    —    LE    MORCELLEMEM    DEI'LIS    DIX    ANS  1091 

Elle  montre  que  les  contrées  où  la  terre  continue  à  se  subdiviser  sont 
généralement  celles  où  il  restait  beaucoup  à  faire  à  cet  «'gard.  Dans  un 
dt'partement  où  la  grande  propriété  régnait  presque  partout,  comme  le 
Cher,  on  ne  peut  que  la  féliciter  de  laisser  venir  à  elle,  çàet  là,  les  petits 
propriétaires  :  elle  y  gagne  plus  comme  valeur  qu'elle  n'y  perd  comme 
étendue.  De  même  dans  l'Allier,  dans  l'Indre,  dans  Loir-et-Cher,  et  dans 
presque  toute  cette  région  du  Centre,  où  le  progrès,  pour  bien  des  raisons, 
a  été  lent  à  s'éveiller.  De  même  encore  dans  les  Bouches-du-Rhône,  dans 
le  Var,  dans  les  Alpes-Maritimes,  et  de  l'autre  côté  du  golfe  méditerranéen, 
dans  les  Pyrénées-Orientales  et  dans  rAriège.  Ailleurs,  la  persistance  du 
morcellement  s'explique  par  l'accroissement  de  la  population,  comme 
autour  des  grandes  villes  ou  dans  les  provinces  dont  la  natalité  se  soutient, 
Bretagne  et  Flandre,  par  exemple. 

Le  résultat  contraire  s'observe  dans  celles  de  nos  campagnes  qui  vont 
ou  se  dépeuplant,  ou  s'appauvrissant,  notamment  dans  la  basse  Normandie, 
dans  les  Hautes-Alpes  et  les  Basses-Alpes,  sur  les  deux  rives  du  Rhône,  en 
aval  de  Lyon,  et  plus  encore  dans  le  bassin  de  la  Garonne.  L'influence 
de  la  crise  phylloxérique  est  très  sensible  dans  le  Midi.  La  vigne  y  avait 
activement  contribué  à  la  diffusion  de  la  propriété  et  les  cotes  foncières 
pullulaient  d'une  mer  à  l'autre.  Le  phylloxéra  les  a  mangées  par  cen- 
taines, par  milliers,  et  là  même  où  s'opère  maintenant  la  reconstitution 
des  vignobles,  l'opération  étant  coûteuse,  c'est  plutôt  la  grande  propriété 
qui  s'en  charge  que  la  petite. 

En  somme,  les  faits  accomplis  depuis  une  dizaine  d'années  ne  font  que 
confirmer  les  vues  de  ceux  qui,  dans  la  discussion  d'un  phénomène  com- 
plexe, avaient  su  se  défendre  à  la  fois  contre  les  pièges  de  la  statistique  et 
contre  les  entraînements  du  parti  pris.  Que  le  morcellement  ait  été  poussé  à 
l'excès  sur  certains  points  du  sol  français,  je  ne  l'ai  jamais  contesté  ;  mais, 
quand  on  affirmait  que  la  France  entière  allait,  tôt  ou  tard,  se  trouver 
réduite  à  l'état  moléculaire,  ceux  qui  restaient  incrédules  n'avaient  pas  tort. 
La  réaction  que  l'on  jugeait  impossible  est  déjà  venue  et  telle  commune  où 
l'émieltement  des  héritages  ne  connaissait  plus  de  bornes  il  y  a  vingt  ans, 
a  su  y  mettre  bon  ordre  elle-même.  A  ce  point  de  vue,  comme  à  tant 
d'autres,  il  s'en  faut  que  tout  soit  pour  le  mieux  dans  le  meilleur  des 
mondes  ;  mais  tout  ne  va  pas  non  plus  si  mal  que  les  pessimistes  le  disent. 
J'estime  qu'en  ce  qui  concerne  le  sort  de  la  propriété  française,  Léon 
Faucher  et  Balzac  étaient  plus  loin  de  la  vérité  que  Benjamin  Constant 
lorsque,  dès  182(),  il  disait  à  la  tribune  de  la  Chambre  des  députés  :  «  Le 
morcellement  des  terres  s'arrêtera  toujours  au  point  au  delà  duquel  il 
deviendrait  funeste.  » 


1092  ÉCONOMIE   POLITIQUE 


M.   ETCHEYEEET 

Député,  à  Paris, 


L'ÉMIGRATION  DAIMS  LES  BASSES-PYRENEES  PENDANT  SOIXANTE  ANS 


—  Sckince  du  SI  septembre  4892  — 

Le  Congrès  qui  nous  réunit  siège  dans  le  déparlement  de  France  qui 
émigré  le  plus  depuis  soixante  ans.  Il  a  paru  intéressant  de  rechercher 
quel  a  été  approximativement  le  chiffre  de  cette  émigration,  quelles  ont 
été  ses  causes  et  ses  conséquences. 

C'est  vers  1832  que  l'émigration  a  commencé.  11  y  a  eu  des  émigrants 
auparavant,  se  dirigeant  vers  l'Espagne  ou  vers  les  colonies  espagnoles  ; 
il  y  en  a  eu  de  temps  immémorial  ;  mais  c'est  à  partir  de  cette  date  qu'un 
courant  important  s'est  dessiné  vers  l'Amérique  du  Sud.  Les  premiers 
départs  eurent  lieu  à  l'instigation  de  la  maison  anglaise  Lafone  and  Wil- 
son  qui  cherchait  à  peupler  une  colonie  agricole  à  Montevideo.  Voici  le 
tableau  des  départs  constatés  officiellement  de  1832  à  1891,  à  l'aide  des 
passeports  délivrés,  des  renseignements  préfectoraux  ou  des  relevés  des 
commissaires  spéciaux  créés  par  le  décret  du  13  janvier  18oo: 

DÉPARTS  MOYENNE  ANNUELLE 

1832-1835  (  4  ans) 828  ^08 

1836-1845  (10  ans) 10.162  1.016 

1846-1855  (10  ans) 16.111  1.614 

1856-1864  (  9  ans) 12.833  1.425 

1865-1874  (10  ans).    .....  17.7.50  1.775 

1875-1883  (  9  ans) 5.157  573 

1884-1891  (  8  ans) 16.421  2.052 

Total  en  60  ans 79.262  1..321 


Tel  est  le  bilan  officiel  de  l'émigration  dans  notre  département,  mais 
il  n'est  pas  complet.  Tous  ces  chiffres  doivent  être  majorés,  sauf  ceux  de 
la  dernière  période.  En  premier  lieu,  à  l'émigration  constatée  au  moyen 
des  passeports  délivrés  il  faut  ajouter  une  émigration  clandestine  qui 
s'est  effectuée  par  les  ports  d'Espagne.  Elle  comprenait  des  jeunes  gens 
auxquels  l'Administration  refusait  des  passeports  parce  qu'ils  étaient 
entrés  dans  leur  dix-neuvième   année.   Des  armateurs   de  Bayonne  ont 


ETCHEVERRY.    l'ÉMIGRATIO-N    DANS    LES    liASSES-l'YRÉNÉES  1093 

aussi  donné  rendez-vous  au  port  de  Passajès  à  une  partie  de  leurs  pas- 
sagers que  les  règlements  édictés  en  1855  et  1860  ne  leur  permettaient 
pas  dembarquer  en  France  sur  leurs  bateaux  encombrés.  Depuis  que 
Tobligation  du  passeport  est  supprimée,  les  seuls  moyens  de  contrôle  de 
l'émigration  sont  les  relevés  opérés  dans  les  ports  d'eml)arquement  par 
des  commissaires  spéciaux.  Mais  la  Compagnie  des  Messageries  mari- 
times était  affranchie  de  la  surveillance  des  commissaires.  Les  nombreux 
émigrants  qu'elle  a  transportés  à  la  Plata  n'ont  donc  pas  figuré  dans  les 
relevés  olficiels.  Ce  n'est  qu'en  1884  que  la  Compagnie  elle-même  a  classé 
des  passagers  d'entrepont.  Aussi  la  moyenne  annuelle  de  notre  départe- 
ment a  passé  de  513  à  2.052.  C'est  l'effet  des  constatations  nouvelles  plus 
que  d'un  redoublement  d'émigration. 

Si  on  veut  prendre  une  idée  plus  complète  de  l'importance  de  l'émigra- 
tion, il  n'y  a  qu'à  considérer  le  vide  survenu  dans  la  population  de  notre 
département  depuis  1832,  en  tenant  compte  des  excédents  des  naissances 
sur  les  décès  qui  se  sont  produits  durant  cet  intervalle  de  soixante  ans. 
Le  département  avait,  en  1831,  428.401  habitants;  le  dernier  recense- 
ment de  1891  relève  423.662  habitants.  C'est  une  perte  nette  de  4.739  ha- 
bitants seulement.  Comment  a  été  couverte  notre  formidable  émigra- 
tion ?  Elle  l'a  été  d'abord  par  les  excédents  des  naissances  sur  les  décès 
qui  ne  représentent  pas  moins  de  88.131  unités,  chiffre  supérieur  à  celui 
des  départs  officiellement  relevés.  La  moyenne  annuelle  des  départs  a  été 
de  1.321  pendant  les  soixante  années  :  la  moyenne  des  excédents  a  été 
de  1.468  (1). 

En  second  lieu,  deux  communes  des  Landes,  Saint-Esprit  et  Le  Bou- 
can, ont  été  rattachées  au  département  en  1861,  apportant  8.314  habi- 
tants. En  troisième  lieu,  depuis  le  recensement  de  1861,  qui  indique 
I)our  la  première  fois  le  lieu  de  naissance,  jusqu'en  1891,  on  constate 
que  22.369  individus,  nés  hors  du  département,  sont  venus  s'y  fixer  pen- 
dant ces  trente  années  (2). 

*Au  total,  ces  nouveau-nés,  ces  annexés,  ces  immigrants  ont  pris  la 
place  de  118.804  émigrants.  Et  en  ajoutant  la  perte  de  4.739  habitants,  le 
déplacement  de  nos  compatriotes  représente  plus  de  123.000  unités. 

{^ne  portion  notable  a  émigré  vers  les  villes,  Bordeaux  et  Paris,  en  par- 
ticulier,  mais  il  faut  en  rattacher  une  bonne  part  encore  aux  79,000  émi- 


(1)  Excf'dent  mnypn  de  1831  à  I8.'r0 2.211 

—  —    do  18AI  à  18d0 l.fiOO 

—  —    de  -1851  à  1860 561 

—  —    de  1861  à  1870.  .  .  . '.  1.369 

—  —    de  1871  à  1880 I.;i3l 

—  —        de  1881  à  1890 1.309 

(2j                                En  1801.  .    .    .     U.360  habitants  ni^s  hors  dn  di'parlomcnt ; 

En  1891.  .    .    .     37.719          —              —                      — 


1094  ÉCONOMIE    POUTTQUK 

grants  d'outre  mer,  constatés  ofTiciellement  ;  ce  sera  la  part  de  l'inconnu, 
la  part  de  lémigration  clandestine  et  des  embarquements  des  Messageries 
maritimes  jusqu'en  1884. 

L'émigration  n'a  pas  suivi  un  cours  uniforme  durant  ces  soixante  ans. 
De  1831  à  1845,  dans  les  quinze  premières  années,  le  courant  s'est  établi 
lentement  ;  il  n'empêche  pas  la  population  de  s'accroître  considérable- 
ment et  d'atteindre  son  maximum  en  1846.  Le  mouvement  se  précipite 
singulièrement  de  1846  à  '18oS,  avec  la  disette  de  1847,  la  révolution  de 
1848,  la  crise  viticole  provoquée  par  l'oïdium.  Buenos-Ayres  commence 
à  ouvrir  aussi  aux  émigrants  d'immenses  perspectives.  Le  département 
perd  19.000  habitants  pendant  ces  dix  années,  sans  compter  6.000  excé- 
dents de  naissances  qui  sont  absorbés.  Entre  1858  et  1864,  l'émigration 
extérieure  se  ralentit,  si  l'émigration  vers  les  villes  se  développe.  Ces  deux 
émigrations  réunies  absorbent  les  excédents  de  naissances  et  l'augmen- 
tation provenant  de  l'annexion  de  deux  communes  des  Landes;  elles 
laissent  la  population  à  peu  près  stalionnaire.  De  1865  à  1874,  recrudes 
cence  de  l'émigration  sous  l'influence  de  la  guerre,  du  perfectionnement 
des  moyens  de  transport  et  de  l'abaissement  des  prix.  La  population  perd 
encore  4.000  habitants;  9,665  naissances  en  excédent  et  19.000  immi- 
grants venus  du  dehors  comblent  à  peine  les  vides  d'autant  d'émigrés. 
De  1875  à  1886,  le  département  reste  à  peu  près  stationnaire  ;  les  départs 
sont  compensés  par  19.000  excédents  de  naissances  ;  mais  pendant  les 
cinq  dernières  années,  de  1886  à  1891,  il  perd  6  à  7.000  habitants;  5  à 
6.000  excédents  de  naissances  sont  également  absorbés. 

Les  cinq  arrondissements  du  département  n'ont  pas  contribué  égale- 
ment à  l'émigration.  Le  département  renferme  deux  populations  distinctes  : 
les  Béarnais  peuplent  les  arrondissements  de  Pau,  Oloron  et  Orthez  ;  les 
Basques  occupent  presque  seuls  l'arrondissement  de  Mauléon  et  forment 
la  majorité  de  l'arrondissement  de  Bayonne,  où  un  certain  nombre  de 
Gascons  habitent  les  bords  de  l'Adour. 

Les  Basques  constituent  à  peu  près  le  quart  de  la  population  du 
département.  Ils  ont  fourni  environ  les  deux  tiers  des  émigrants.  Cette 
proportion  est  absolument  établie  pour  les  années  antérieures  à  1858  ; 
l'arrondissement  de  Bayonne  a  fourni  22  émigrants  sur  100  ;  celui  de 
Mauléon  45.  Elle  serait  supérieure,  si  on  pouvait  classer  l'émigration  clan- 
destine, car  les  deux  arrondissements  basques  sont  les  plus  rapprochés  du 
littoral  espagnol,  par  suite,  le  plus  à  portée  d'en  user.  A  partir  de  1858, 
l'arrondissement  d'origine  des  émigrants  ne  nous  est  pas  connu;  maison 
peut  maintenir  les  proportions  précédentes  comme  minima.  11  est  incon- 
testable que  le  pays  basque  a  continué  à  alimenter  les  départs,  beaucoup 
plus  que  les  autres  parties  du  département.  Les  Gascons  du  bord  de 
l'Adour  ont  été  retenus  par  la  prospérité  de  Bayonne  et  de  Biarritz.  Les 


ETCHEVERRV.  —    l'ÉMIGIîATION    DANS    LES    BASSES-PYRÉNÉES  1095 

Béarnais  ont  été  principalement  attirés  vers  Pau,  vers  Bordeaux  et  Paris, 
à  l'exception  d'une  faible  portion  des  arrondissements  d'Oloron  et  d'Ortliez 
qui  a  suivi  les  Basques  à  l'extérieur.  Dans  les  pays  basques,  les  habi- 
tants du  littoral  ont  vu  leurs  stations  balnéaires  se  développer  et  ont  peu 
émigré.  Ce  sont  les  cantons  montagneux  de  l'arrondissement  de  Bayonne 
et  surtout  ce  sont  les  cantons  de  l'arrondissement  de  Mauléon  qui  ont 
envoyé  la  grande  majorité  des  émigrants. 

Résultat  :  L'arrondissement  de  Mauléon  a  perdu  12.000  habitants  entre 
1831  et  1891,  sans  compter  les  excédents  de  naissances  que  nous  ne 
pouvons  chiffrer,  mais  qui  ont  été  considérables  ;  l'arrondissement  de 
Mauléon  est  celui  où  la  natalité  est  le  plus  développée. 

Revenons  aux  statistiques  officielles  pour  les  analyser  rapidement  au 
point  de  vue  de  la  destination,  du  sexe,  de  l'âge  et  de  la  profession  des 
émigrants.  Malheureusement  les  statistiques  ne  nous  permettent  d'analyser 
ces  caractères  de  l'émigration  par  département  que  jusqu'en  1877  environ. 

Quelle  a  été  d'abord  la  destination  des  émigrants?  Avant  1856,  sur 
100  départs,  72  avaient  lieu  pour  les  rives  de  la  Plata.  Montevideo  était  le 
port  de  débarquement  exclusif  jusqu'en  1849,  où  on  commença  à  débar- 
quer à  Buenos-Ayres  également.  Une  vingtaine  de  mille  individus  ont  cette 
destination,  dont  les  quatre  cinquièmes  sont  Basques.  Un  millier  se  dirige 
vers  les  autres  parties  de  l'Amérique  du  Sud.  L'Amérique  du  Nord  (le 
Mexique,  la  Californie,  la  Louisiane),  en  reçoit  autant.  Des  Béarnais  et 
quelques  rares  Basques  vont  coloniser  l'Algérie,  au  nombre  d'environ 
2.000.  Les  autres  colonies  françaises  glanent  quelques  centaines  de  colons. 
Le  reste  demeure  sur  le  continent  européen ,  en  Espagne  de  préférence. 
Entre  1836  et  1891,  l'Algérie  attire  peu  d'émigrants.  Buenos-Ayres  de- 
vient le  but  de  l'immense  majorité.  Montevideo  vient  en  seconde  ligne, 
mais  très  loin  derrière  ;  puis  le  Chili,  la  Californie,  le  Mexique,  le  Brésil, 
Je  Pérou,  la  Bolivie,  etc.  Les  deux  républiques  de  la  Plata  et  la  Cali- 
fornie attirent  surtout  les  agriculteurs,  les  pasteurs  ;  les  autres  pays  ne 
reçoivent  guère  que  les  commerçants  et  quelques  artisans. 

Comme  dans  toute  période  de  tâtonnement,  les  femmes  figurèrent  en 
petit  nombre  parmi  les  émigrants  des  premières  années,  à  peine  16  sur 
100  émigrants  de  1832  à  1840.  En  18o4  et  18oo,  elles  représentent  24  0/0 
de  l'émigration  générale,  30  0/0  de  l'émigration  basque  considérée  à  part. 
Dans  les  années  qui  suivent,  leur  proportion  monte  à  38  sur  100  émi- 
grants adultes.  De  186o  à  1874,  on  ne  relève  que  24  femmes  sur  100  émi- 
grants majeurs.  De  1875  à  1877,  30  femmes  partent  pour  70  hommes. 
Ce  doit  être  la  proportion  actuelle  que  les  états  administratifs  ne  nous 
permettent  plus  de  constater  par  département.  Presque  toutes  les  femmes 
se  dirigent  vers  les  rives  de  la  Plata,  siège  de  notre  colonie  la  plus  an- 
cienne et  la  mieux  assise. 


1096  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

Les  statistiques  renferment  peu  de  renseignements  sur  l'âge  de  nos  émi- 
grants.  Nous  savons  seulement  par  les  recensements  qu'un  grand  nombre 
de  ménages  emmenant  des  enfants  quittent  le  département  entre  1846  et 
4861.  Les  rapports  sur  l'émigration  de  1865  à  1874  et  de  1875  à  1877 
nous  donnent  un  classement  détaillé  à  l'aide  duquel  nous  pouvons  com- 
parer le  caractère  que  l'émigration  a  possédé  à  cette  époque  dans  notre  dé- 
partement avec  celui  qu'elle  revêtait  dans  le  reste  de  la  France.  Les  dé- 
parts de  zéro  à  dix  ans  sont  moins  nombreux  dans  notre  département 
que  dans  le  reste  de  la  France  ;  comme  cette  catégorie  ne  peut  émigrer 
qu'en  famille,  il  faut  en  conclure  que  l'émigration  a  pris  chez  nous  un 
caractère  plus  individuel  qu'en  France,  et  ce  caractère  tend  à  s'accentuer. 
En  second  lieu,  la  catégorie  de  dix  à  vingt  ans  fournit  40  0/0  d'émi- 
grants  chez  nous,  quand  elle  ne  fournit  en  France  que  17  à  18  0/0.  Le 
recensement  de  1870  accusait  pourtant  un  accroissement  d'enfants  au-des- 
sous de  l'âge  nubile  par  rapport  à  1866.  C'est  donc  entre  quinze  et  vingt 
ans  que  beaucoup  de  jeunes  gens  et  de  jeunes  filles  sont  partis  seuls.  C'est 
l'émigration  de  la  jeunesse,  chose  presque  inconnue  dans  le  reste  de  la 
France.  Le  service  militaire  n'arrête  pas  les  garçons  chez  nous  comme  ail- 
leurs. Ils  commencent  ainsi  la  vie  de  colons  d'aussi  bonne  heure  que  les 
Anglais.  L'émigration  dans  les  Hautes-PyrénfJes  et  dans  la  Haute-Garonne 
présente  un  aspect  semblable  à  la  nôtre. 

Pendant  les  vingt-cinq  ou  trente  premières  années,  la  majorité  des  émi- 
grants  paraît  s'être  recrutée  parmi  les  artisans.  A  défaut  des  statistiques  de 
l'Administration,  muettes  sur  ce  point,  nous  trouvons  ce  fait  indiqué  par 
les  recensements.  Entre  1846  et  1856,  la  population  urbaine  perd  11  0/0 
de  ses  habitants  tandis  que  la  population  rurale  ne  perd  qu'un  peu  plus  de 
3  0/0.  La  proportion  de  la  population  agglomérée,  à  laquelle  appartiennent 
d'ordinaire  les  artisans,  baisse  dans  le  département  pendant  que  celle  de 
la  population  éparse  s'accroît.  A  partir  de  1856  ou  1861,  c'est  la  classe 
rurale  qui  fournit  le  plus  d'émigrants.  De  1865  à  1874,  les  professions  in- 
dustrielles comptent  15  départs  sur  100;  dans  le  reste  de  la  France,  elles 
en  comptent  30.  Sur  100  émigrants,  il  y  a  53  agriculteurs,  quand  en 
France  il  y  en  a  30  seulement.  De  1875  à  1877,  la  France  envoie  la  même 
proportion  d'émigrants  agriculteurs  ;  notre  département  en  envoie  encore 
44  sur  100. 

CAUSES   DE   l'émigration 

Les  directeurs  de  la  Sûreté  publique,  chargés  de  présenter  périodique- 
ment un  rapport  au  ministre  de  l'Intérieur  sur  le  Mouvement  de  rémigration 
en  France  ne  se  lassent  de  s'étonner  de  la  part  prépondérante  des  Basses- 
Pyrénées  dans  les  départs.  «  Ce  département,  lisait-on  dans  le  dernier  rap- 


ETCHEVERRY.  —    l'ÉMIGRATION    DANS    LES    BASSES-PYRÉNÉES  1097 

port  {Jou7'nal  officiel  du  31  août  1 880),  ne  figure  ni  au  dernier  rang  sur 
les  tableaux  de  la  richesse  publique,  ni  au  premier  pour  la  densité  de  la 
population.  L'émigration  n'y  est  donc  pas  provoquée  par  les  causes  qui  la 
produisent  ordinairement  dans  les  pays  pauvres  et  populeux.  11  faut  l'at- 
tribuer à  l'entraînement  auquel  se  livrent  les  agents  recruteurs  et  à  la  con- 
tagion de  l'exemple.  Les  montagnards  des  deux  versants  des  Pyrénées  sont 
très  recherchés  comme  colons  par  les  États  de  l'Amérique  du  Sud,  qui 
mettent  tous  les  moyens  en  œuvre  pour  les  attirer.  Les  premiers  émigrants 
séduisent  leurs  compatriotes  restés  sur  le  sol  natal,  par  le  récit  des  succès 
obtenus  de  l'autre  côté  de  l'Oct-an.  » 

Les  agents  d'émigration  placés  à  Bayonne  et  à  Bordeaux,  assistés  de  nom- 
breux sous-agents  disséminés  dans  tous  les  cantons  du  pays  basque,  ont  eu 
en  effet  une  influence  décisive  pour  amorcer  le  courant  de  l'émigration. 
Ils  ont  contribué  à  le  précipiter  à  certaines  époques  par  des  facilités  de 
crédit  exceptionnelles,  par  leurs  ardentes  excitations,  quelquefois,  dit-on, 
par  des  procédés  blâmables.  Encore  aujourd'hui  ils  rendent  les  départs  plus 
aisés.  Mais,  à  quelque  époque  qu'on  se  place,  leur  action  aurait  été  bornée, 
s'ils  n'avaient  trouvé  dans  le  pays  des  causes  intrinsèques  poussant  à  l'émi- 
gration. La  contagion  de  l'exemple  signalée  dans  le  rapport,  les  appels  des 
émigrés  à  leurs  parents,  à  leurs  amis,  sont  déjà  une  première  cause  qui  a 
secondé  très  vite  leur  propagande.  La  pauvreté  de  certaines  régions,  accrue 
par  les  transformations  économiques  ou  par  des  crises,  a  mis  dans  leurs 
mains  des  catégories  entières  de  familles,  chassées  du  pays  natal  par  la  mi- 
sère. Comme  transformations  économiques  il  faut  citer  la  fermeture  de 
quelques  forges  qui  occupaient,  non  seulement  des  ouvriers,  mais  des  mu- 
letiers pour  le  transport  des  bois  et  du  minerai,  des  charbonniers  pour  la 
confection  du  charbon  de  bois.  Citons  aussi  la  disparition  de  la  contre- 
bande qui  était  une  véritable  industrie  pour  des  milliers  d'individus.  Les 
crises  ont  été  l'anéantissement  momentané  des  vignes  par  l'oïdium,  cer- 
taines vexations  forestières  nuisibles  au  régime  pastoral,  le  renchérisse- 
ment des  grains,  en  1847  notamment.  Ces  causes  ont  agi  particulièrement 
sur  les  familles  qui  n'étaient  pas  rattachées  au  soi  par  un  lien  solide  ;  elles 
ont  souvent  amené  le  départ,  non  seulement  d'individus  isolés,  mais  de 
familles  entières  d'ouvriers,  d'artisans,  de  métayers,  de  petits  propriétaires. 

La  moyenne  propriété,  de  six  à  cinquante  hectares,  très  répandue  dans 
le  département,  a  été  plus  résistante.  Elle  a  fourni  à  l'émigration  son  élé- 
ment le  plus  régulier  et  en  même  temps  celui  qui  se  renfermait  dans  les 
bornes  les  plus  raisonnables,  grâce  à  nos  mœurs  successorales.  Dans  l'état 
actuel  de  ces  mœurs,  reste  des  vieilles  coutumes,  un  seul  enfant,  l'aîné 
d'ordinaire,  est  fait  héritier  exclusif  ou  héritière  du  bien,  avec  disposition 
en  sa  faveur  de  la  quotité  disponible  que  le  code  a  malheureusement  trop 
réduite.  Cet  enfant  est  retenu  sur  le  domaine  ;  il  n'émigre  pas  à  moins  de 


1098  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

vicissitudes  extraordinaires.  Un  on  deux  autres  enfants  demeurent  pour 
Paider  ou  pour  épouser  un  héritier  ou  une  héritière  du  voisinage.  Le  sur- 
plus des  enfants,  des  cadets,  pour  les  appeler  par  leur  nom,  est  libre  pour 
l'émigration  avec  une  petite  avance  en  argent  sur  ses  droits  successifs.  Or, 
le  département  compte  30  familles  sur  100  ayant  quatre  enfants  et  au- 
dessus,  quand  la  France  en  compte  à  peine  19.  L'arrondissement  de  Mau- 
léon  en  compte  môme  50  sur  100.  Supposez  que  sur  les  30.000  familles 
ayant  quatre  enfants  et  au-dessus,  il  y  en  ait  10.000  de  moyens  proprié- 
taires, elles  auraient  20  ou  30.000  enfants  disponibles  pour  l'émigration  à 
chaque  génération.  Voilà  la  cause  permanente  et  éminemment  honorable 
d'une  partie  de  l'émigration. 

Deux  exemples  vont  faire  toucher  du  doigt  les  causes  de  l'émigration  et 
son  intensité  : 

Voici  un  village  où  existait  un  haut  fourneau  en  1856.  Le  recensement 
de  cette  année-là  relève  146  ménages  ;  le  haut  fourneau  est  fermé,  et  celui 
de  1^<81  n'en  relève  que  104,  soit  42  de  moins.  Là-dessus,  grand  émoi  des 
pessimistes!  Mais,  si  on  regarde  de  près,  que  voit-on  ?  La  fermeture  du 
haut  fourneau  a  amené  fatalement  la  disparition  de  vingt-quatre  ménages 
d'ouvriers  et  de  muletiers  qui  étaient  employés  dans  cette  industrie.  Que 
vouliez-vous  que  fissent  ces  ménages,  sinon  disparaître,  puisqu'aucune 
autre  industrie  ne  remplaçait  celle  qui  les  faisait  vivre?  Ce  n'est  pas  tout. 
La  contrebande  a  disparu  aussi  dans  ce  village  et  l'Administration  des 
douanes  a  restreint  son  personnel  ;  d'où  la  disparition  encore  forcée  de 
neuf  ménages  de  douaniers.  On  peut  regretter  ces  braves  douaniers,  mais 
il  faut  bien  se  résigner  à  leur  départ.  Restent  treize  ménages  dont  il  faut 
expliquer  la  disparition.  Il  y  a  cinq  ménages  de  tisserands.  Leur  dispari- 
tion n'étonne  pas  au  moment  où  la  toile  des  grandes  fabriques  vient 
prendre  partout  la  place  de  la  toile  fabriquée  sur  place.  Il  y  a  un  ménage 
de  meunier.  Un  meunier  de  moins!  Cela  s'explique  par  l'envahisse- 
ment naissant  des  grandes  minoteries.  Deux  ménages  de  charpentiers  de 
moins  !  Cela  peut  être  encore  attribué  à  la  fermeture  du  haut  fourneau. 
Les  cinq  ménages  encore  disparus  sont  des  ménages  de  petits  métayers  ; 
ce  sont  les  seuls  qui  sont  probablement  victimes  de  la  misère.  Veut-on 
savoir  ce  que  sont  devenus,  pendant  ce  temps,  les  paysans  moyens  pro- 
priétaires de  ce  village?  Il  y  en  avait  44  ménages,  comprenant  268  per- 
sonnes en  1856;  il  en  reste,  en  1881,  43  comprenant  261  personnes.  Un 
seul  est  parti,  remplacé  par  des  métayers.  La  moyenne  d'individus  par 
ménage  restant  est  égale  et  même  supérieure  à  celle  de  1856. 

Voilà  l'émigration  des  familles  entières  prise  sur  le  vif.  Elle  enlève  les 
petits  ménages,  dont  le  travail  dépend  des  circonstances  économiques  et 
qui  ne  tiennent  pas  à  la  terre  ;  elle  respecte  les  ménages  importants  qui 
reposent  sur  la  traditionnelle  possession  du  sol. 


ETCHEVERUY.   —  l'ÉMIGRATIOK    DANS    LES   BASSES-PYRÉNÉES  1099 

Voici  rémigration  individuelle  comparée  dans  ces  deux  mêmes  catégo- 
ries de  familles.  J'ai  analysé,  d'une  part,  dix  familles  prises  au  hasard  de 
petits  propriétaires,  métayers,  journaliers,  artisans  ;  d'autre  part,  dix  fa- 
milles paysannes  de  moyens  propriétaires.  Le  premier  groupe  comptai! 
35  enfants  émigrés  sur  53,  ayant  dépassé  l'âge  adulte  ;  le  second  groupe, 
27  émigrés  sur  57.  Il  restait  chez  les  moyens  propriétaires  trois  enfants 
en  moyenne  par  famille;  chez  les  autres  1,70.  Ce  rapprochement  montre 
exactement  dans  quelle  proportion  les  deux  catégories  de  famille  ont  con- 
tribué à  l'émigration  individuelle. 


CONSÉQUENCES    DE    l'ÉMIGRATION 

Nos  80.000  ou  100.000  émigrants  ont  créé  en  Amérique  spécialement 
sur  les  bords  de  la  Plata,  une  colonie  naguère  florissante.  Ils  ont  con- 
tribué, comme  commerçants,  industriels,  propriétaires  ruraux,  surtout 
comme  travailleurs,  au  développement  de  ces  États  naissants.  Pour  citer 
leur  œuvre  capitale,  ce  sont  nos  pasteurs  qui  ont  introduit  dans  la  pampa 
l'élevage  du  bétail,  source  d'une  étonnante  richesse.  En  travaillant  pour 
le  Nouveau-Monde,  nos  compatriotes  ont  travaillé  pour  l'humanité,  dont 
le  bien-être  général  profite  de  tout  progrès  accompli  sur  un  point  de  la 
surface  terrestre  ;  mais  ils  ont  travaillé  aussi  pour  la  France.  On  peut  leur 
attribuer,  en  partie,  l'accroissement  si  remarquable  du  commerce  fran- 
çais avec  la  République  Argentine,  avec  l'Uruguay,  avec  la  plupart  des 
États  de  l'Amérique  du  Sud.  Les  commerçants  en  rapport  avec  ces 
contrées,  les  économistes,  les  patriotes  ont  souvent  proclamé  leur  bien- 
faisante influence.  Parmi  les  populations  françaises,  celles  qui  ne  trouvent 
pas  sur  le  sol  l'emploi  de  toute  leur  activité  tournent  le  surplus  vers 
l'industrie,  vers  le  commerce  intérieur;  presque  seuls,  les  Basques  et 
Béarnais  se  sont  consacrés  à  la  colonisation,  au  commerce  extérieur. 
Tâche  essentiellement  méritoire  dans  ce  siècle,  oi^i  les  nations  euro- 
péennes, par  leur  expansion  admirable  qui  contraste  tant  avec  celle  de  la 
France,  menacent  de  ravir  à  cette  dernière  les  profits  que  procure  la  mise 
en  exploitation  des  pays  neufs. 

Ces  résultats  ont-ils  été  obtenus  au  détriment  du  déparlement  ?  A-t-il 
épuisé  sa  vitalité,  compromis  sa  prospérité  dans  cet  effort  colonisateur? 
C'est  ce  qu'il  nous  reste  à  examiner. 

Trois  prédictions  ont  été  faites  à  notre  département  au  sujet  de  l'émi- 
gration. On  a  dit  et  répété  :  «  Les  terres  vont  rester  en  friche.  »  Puis  : 
«  Il  n'y  aura  plus  de  soldats  ;  il  n'y  aura  que  des  insoumis.  »  Enfin,  on 
a  dit  :  «  Les  villages  vont  devenir  des  déserts,  où  erreront  seulement  les 
vieillards  trop  âgés  pour  partir.  » 


1100  ÉCONOMIE   POLITIUUK 

Voyons  ce  qui  est  advenu  de  ces  trois  sombres  prédictions. 

L'agriculture,  d'abord,  a-t-elle  dépéri?  Nous  trouverons  la  réponse 
dans  la  comparaison  des  statistiques  agricoles  de  1840  et  de  1882.  La 
superficie  du  territoire  non  cultivé  atteignait  338.596  hectares  en  1840; 
elle  est  tombée  à  281.667  hectares  en  1882.  La  culture  a  donc  gagné 
près  de  57.000  hectares. 

La  culture,  si  elle  a  gagné  en  étendue,  est-elle  moins  soignée,  moins 
productive?  Deux  chiffres  suffiront  pour  répondre  :  les  chiffres  de  la 
récolte  de  blé  et  de  la  récolte  de  maïs,  les  deux  principales  récoltes  du 
pays.  Le  rendement  par  hectare  était  évalué,  en  1840,  à  10  hectolitres 
et  demi  de  blé  et  à  16'^', 36  de  maïs  ;  les  chiffres  correspondants  sont  de 
14,36  de  blé  et  20,32  de  maïs,  soit  quatre  hectolitres  de  plus  par  hec- 
tare pour  les  deux  céréales.  Le  département  récolte  174.631  hectolitres 
de  plus  de  froment  et  157.543  hectolitres  de  plus  de  maïs.  Et  l'élevage, 
la  principale  branche  de  l'économie  rurale  du  département,  a-t-elle  souf- 
fert davantage  de  l'émigration?  Non.  On  a  pu  craindre  que  le  départ  des 
pasteurs  de  nos  montagnes  nuirait  à  l'élevage  de  la  race  ovine,  et  nos 
effectifs  de  cette  catégorie  ont,  en  effet,  diminué  ;  mais  cette  diminution 
est  insignifiante  si  on  la  compare  à  la  diminution  de  la  race  ovine  en 
France.  L'ensemble  de  tous  nos  animaux  était  de  698.480  têtes  en  1840  ; 
il  est  de  821.505  en  1882,  soit  123.025  têtes  de  plus. 

L'émigration  n'a  donc  fait  de  tort  ni  à  notre  agriculture  ni  à  notre 
élevage.  On  serait  plutôt  autorisé  à  dire  qu'elle  les  a  servis.  En  regard 
des  départs,  il  y  a  eu,  en  effet,  des  retours  d'Amérique.  Les  retours,  sans 
doute,  ont  été  beaucoup  moins  nombreux  que  les  départs,  mais  ils  ont 
apporté  dans  le  pays  un  élément  qui  lui  manquait  plus  peut-être  que  les 
bras,  à  savoir  des  capitaux.  Qui  dira  la  part  de  ces  capitaux  d'Amérique 
dans  le  relèvement  des  maisons  paysannes  moyennes  obérées,  dans  les 
défrichements,  dans  les  mises  en  culture,  dans  les  progrès  de  l'agriculture 
et  dans  les  perfectionnements  de  l'élevage? 

Si  nous  abordons  le  second  grief  invoqué  contre  l'émigration,  celui 
tiré  de  l'insoumission,  la  réponse  sera  moins  aisée.  Il  faut  reconnaître  que 
l'insoumission  a  fait  des  ravages  parmi  nous  ;  elle  en  a  fait  à  des  époques 
particulièrement  douloureuses.  Depuis  que  le  service  militaire  est  réduit, 
depuis  qu'il  se  fait  dans  des  garnisons  moins  lointaines  qu'autrefois, 
depuis  que  la  langue  française  pénètre  par  les  écoles  dans  les  villages 
basques,  la  plaie  de  l'insoumission  se  rétrécit  et  se  cicatrise.  On  attend 
plus  facilement,  du  moment  qu'il  faut  attendre  moins  longtemps  et 
dans  des  conditions  moins  dures  qu'autrefois,  d'avoir  fait  son  service 
pour  émigrer. 

L'article  50  de  la  nouvelle  loi  militaire  permet  aussi,  à  ceux  qui  sont 
plus  pressés,  de  s'établir  avant  dix-neuf  ans  en  Amérique,  sans  s'exposer 


ETCHEVERUY.    —    l'ÉMIGRATION    DANS    LES    BASSES-PYRÉXÉES  1101 

à  être  considérés  comme  insoumis.  Quand  cet  article  sera  bien  connu  des, 
émigrants  et,  s'il  nous  est  permis  d'ajouter,  bien  connu  des  agents  consu- 
laires, linsoumission  deviendra  un  fait  très  rare,  au  moins  tant  que  l'état 
de  paix  durera. 

En  attendant  ce  jour  béni  où  l'insoumission  ne  viendra  plus  assombrir 
l'émigration,  jetons  un  coup  d'oeil  sur  le  passé  et  voyons  s'il  n'y  aurait 
pas  des  circonstances  atténuantes  à  plaider. 

On  a  dit,  autrefois,  que  le  département  ne  fournirait  plus  un  soldat. 
Eh  bien!  il  se  trouve  que  les  contingents  du  département  comptent 
parmi  les  plus  beaux  de  France.  Si  on  examine  les  classes  de  1881  et 
1882,  on  voit  que  le  département  figure  au  quatorzième  rang  pour  le 
chitTre  des  inscrits  et  au  quinzième  pour  le  chiffre  des  jeunes  gens 
reconnus  propres  au  service,  quoique  le  chiffre  de  sa  population  française 
ne  le  mette  qu'au  vingt-neuvième  rang  dans  la  liste  de  tous  les  départe- 
ments. 

La  moyenne  des  inscrits  représente  11,21  sur  1.000  habitants  français, 
quand  la  moyenne  en  France  est  de  8,38  ;  la  moyenne  des  maintenus 
est  de  9,51  dans  le  département,  de  7,91  en  France.  Je  n'ai  pu  avoir 
le  chiffre  des  insoumis  de  ces  deux  années  ;  mais  en  prenant  le  chiffre 
le  plus  fort  des  années  précédentes,  il  reste  une  proportion  de  jeunes 
soldats  supérieure  de  0,50  à  1  0/0  à  celle  du  reste  de  la  France. 

Loin  de  moi  la  pensée  d'excuser  les  défaillances  individuelles  ;  mais, 
enfin,  malgré  ces  défaillances,  le  département  a  fourni  au  pays  un 
chiffre  de  soldats  qui  sauve  son  honneur  et  rassure  un  peu  notre  pa- 
triotisme. 

Ce  que  je  viens  de  dire  du  contingent  militaire  montre  que  l'émigra- 
tion n'a  pas  épuisé  les  forces  vives  du  pays,  qu'elle  n'a  pas  tari  les  sources 
de  sa  vitalité.  C'était  la  troisième  prédiction  ;  c'est  la  troisième  erreur 
qu'un  coup  d'œil  sur  la  composition  et  le  mouvement  de  la  population 
permettra  de  réfuter. 

On  a  dit  qu'il  n'y  aurait  plus  que  des  vieillards  dans  nos  villages.  En 
effet,  nous  avons  plus  de  vieillards  qu'en  France:  14i  individus  au- 
dessus  de  soixante  ans  sur  1.000  habitants  contre  110  en  France. 
Mais  c'est  peut-être  que  noire  air  est  très  bon  et  notre  eau  très  pure. 
On  vient  se  soigner  chez  nous  ;  on  y  trouve  des  fontaines  de  Jouvence. 

Nos  vieillards  respectables  ne  nous  empêchent  pas  d'avoir  un  lot 
d'adultes  de  vingt  à  soixante  ans  très  convenable  ;  nous  en  avons  un  peu 
moins  qu'en  France,  478  sur  1.000  habitants,  contie  520;  mais  nous  eu 
avons  plus  qu'en  Angleterre  (462)  ;  cela  nous  suffit,  il  me  semble.  Nous 
n'avons  pas  la  prétention  de  rivaliser  avec  le  commerce  et  l'industrie 
anglais.  Et  nous  avons  plus  d'enfants  et  de  jeunes  gens  de  zéro  à 
vingt  ans  qu'en  France  :  377  contre  3o2.  Cela,  c'est  l'avenir  assuré. 


1102  ÉCONOMIE   l'OLITlQLE 

Si  nous  continuons  l'examen  des  recensements,  que  voyons-nous  encore? 
Sous  l'influence  de  l'émigration,  nous  avons  une  population  de  femmes 
supérieure  à  celle  de  la  France.  Tandis  qu'il  y  a  502  femmes  sur  1.000  ha- 
bitants en  France,  nous  en  avons  ol4  dans  les  Basses-Pyrénées.  Nous 
ne  nous  plaignons  pas  de  la  surabondance  de  ces  dames.  C'est  à  peu  près 
la  proportion  de  l'Angleterre  (ol5).  11  y  a  eu  un  moment  où  nous  en 
avons  eu  peut-être  un  peu  trop:  522  sur  1.000  habitants  en  18(36.  A 
cette  époque,  sur  1.000  habitants,  pour  121  célibataires  adultes  du  sexe 
masculin,  il  y  avait  170  célibataires  adultes  du  sexe  féminin.  A'os 
jeunes  hlles  manquaient  d'épouseurs.  Elles  ont  pris  le  parti  d'aller  les 
chercher  en  Amérique  ou  dans  les  grandes  villes.  Aujourd'hui,  l'écart 
entre  les  célibataires  adultes  des  deux  sexes  est  tombé  de  49  à  30  unités  : 
107  hommes  contre  137  femmes  sur  1.000  habitants. 

Passons  au  mouvement  de  la  population.  On  se  marie  chez  nous  plus 
qu'avant  l'émigration.  Près  de  la  moitié  de  la  population  passe  par  le 
mariage  :  45  0/0  en  1886  au  lieu  de  39,50  0/0  en  1831.  C'est  l'eff'et  de 
l'émigration  qui  a  enlevé  beaucoup  de  célibataires  ;  c'est  aussi  l'effet  de 
l'accroissement  de  la  population  urbaine  où  on  se  marie  plus  que  dans 
la  population  rurale.  Si  nous  comparons  la  période  quinquennale  qui  a 
suivi  les  débuts  de  l'émigration  (1831-1835)  à  celle  qui  a  précédé  le 
recensement  de  1886  (1881-1885),  il  y  a  eu  plus  de  mariages  dans 
la  dernière  période  que  dans  la  première.  Le  chiffre  moyen  de  la 
population  a  été  sensiblement  le  même  à  ces  deux  époques,  avec  ten  - 
dance  à  monter  dans  la  première  période  et  tendance  à  baisser  dans  la 
seconde.  Et  la  natalité  a-t-elle  faibli?  Oui,  mais  beaucoup  moins  qu'en 
France.  Il  y  a  eu  426  naissances  de  moins  en  moyenne  par  an.  Mais  sur 
ce  chiffre,  il  n'y  a  que  150  naissances  légitimes  de  moins  ;  cela  tient  ;'i 
l'accroissement  de  la  population  urbaine  ;  si  on  s'y  marie  davantage,  les 
mariages  ont  moins  d'enfants.  Ce  qui  a  faibli  le  plus,  c'est  la  natalité 
naturelle.  On  sent  là  l'influence  de  la  disparition  de  nombreux  céliba- 
taires adultes  que  l'émigration  a  entraînés.  Sur  100  naissances,  il  y  en 
avait  8,43  naturelles  en  1831-1835;  il  n'y  en  a  plus  que  6,11  en  1881- 

1885.  Au  total,  la  natalité  n'a  baissé  que  de  1  0/00  habitants  dans  le 
département,  quand  il  a  baissé  de  5  0/00  dans  la  France  entre  1831  et 

1886.  Les  excédents  de  naissance  ont  atteint  4,3  0/00  de  1881  à  1885, 
quand  ils  ont  été  en  France  de  moitié  environ.  L'arrondissement  de 
Mauléon,  où  on  a  émigré  le  plus,  avait  eu,  en  1883-1884,  un  excédent 
de  6  0/00;  il  a  eu,  ces  trois  dernières  années,  malgré  l'influenza,  un 
excédent  de  5,40  0/00. 

Il  me  semble  que  la  France  se  trouverait  bien  d'avoir  beaucoup  de 
départements  comme  les  Basses-Pyrénées  et  beaucoup  d'arrondissements 
comme  celui  de  Mauléon.  Ce  maintien  satisfaisant  de  la  natalité  confirme 


ETCIIEVERRY.  LÉMIGRAÏIOX    DANS    LES    BASSES-PVRÉNKES  1103 

ce  mot  d'un  historien  sagace  de  fémigration  an  xix"  siècle,  M.  Jules 
Duval,  quand  il  disait  :  «  Je  vois  le  peuple  qui  émigré  redoubler  d'edorts 
pour  remplir  les  vides.  » 

Il  justifie  aussi  la  préoccupation  de  Paul  Bert  qui  voulait  développer  la 
politique  coloniale  pour  développer  la  natalité  française.  S'il  entendait  par 
là  qu'il  fallait  créer  des  colonies  de  peuplement  habitables  aux  émigrants, 
il  y  a  longtemps  que  notre  département  s'est  créé  sa  colonie,  une  colonie 
libre  qui  n'a  rien  coûté  à  la  mère  patrie.  Et  c'est  par  cela  même  qu'il  a  sa 
colonie  déjà  bien  établie  qu'il  en  abandonnera  diiricilemeni  le  chemin, 
quoi  qu'on  fasse,  pour  aller  dans  d'autres  pays  qui  ne  peuvent  lui  olfrir 
les  mêmes  conditions  de  climat  sain  et  de  chances  heureuses.  On  ne  peut 
contester  que  l'existence  de  cette  colonie  a  encouragé  nos  robustes  monta- 
gnards à  avoir  des  familles  nombreuses.  Si  nos  propriétaires  moyens 
(honneur  et  force  du  pays)  sont  rassurés  sur  l'avenir  de  leurs  enfants  par 
l'existence  d'un  débouché,  il  faut  aussi  qu'ils  soient  rassurés  sur  l'avenir 
de  leurs  beaux  domaines  ;  qu'ils  ne  craignent  pas  de  les  voir  partagés, 
disséqués  entre  des  cohéritiers  avides  et  égoïstes.  Tant  que  nos  mœurs 
successorales  subsisteront,  ils  n'auront  pas  cette  crainte.  Souhaitons 
qu'elles  se  maintiennent  contre  les  tendances  contraires  du  reste  de  la 
France.  Souhaitons  que  nos  cadets  respectent  l'intérêt  général,  assurent 
le  maintien  du  domaine  familial  par  la  modération  de  leurs  exigences, 
qu'ils  ménagent  leur  aîné  et  qu'ils  trouvent  au  dehors  la  compensation 
de  leur  désintéressement. 

Messieurs,  je  me  résume. 

Notre  département  a  envoyé  19.000  émigrants  outre  mer  en  soixante  ans. 
Il  a  été  soumis  aux  excitations  les  plus  violentes  des  agents  d'émigration, 
aux  tentations  les  plus  fortes  par  le  spectacle  de  pays  où,  pendant  long- 
temps, on  s'enrichissait  facilement.  Cependant,  il  n'a  perdu  que  4. 729  habi- 
tants et  sa  vitalité  est  restée  intacte.  Prenons,  au  contraire,  un  riche 
département  de  Normandie,  l'Orne,  par  exemple.  Ce  département  a  perdu, 
en  soixante  ans,  87.000  habitants.  Il  avait  13.000  habitants  de  plus  que 
nous  en  1831  ;  il  en  a  69.000  de  moins  aujourd'hui.  Et  il  n'a  pas  la  con- 
solation de  penser  que  tous  ces  habitants  perdus  représentent  autant 
d'émigrés  qui  fécondent  les  terres  vierges  des  pays  neufs,  développent 
le  commerce  de  la  France  et  accroissent  le  patrimoine  de  l'humanité. 

Si  notre  département  a  résisté  à  une  émigration  aussi  intense,  il  le 
doit  à  la  forte  constitution  de  la  famille  et  de  la  propriété.  La  diffusion 
de  la  propriété,  surtout  de  la  propriété  moyenne,  sa  transmission  inté- 
grale ont  retenu  sur  le  sol  natal  un  noyau  de  familles  résistantes  et  pro- 
lifiques. L'existence  de  ces  familles,  que  Le  Play  appelait  les  familles- 
souches,  a  été,  dans  le  passé,  notre  seule  barrière  contre  les  excès  de 
rémigration  ;  leur  maintien  nous  en  préservera  encore.  Et  cependant  ces 


1104  ÉCONOMIK   POLITIQUE 

familles  continueront  à  fournir  à  la  civilisation  de  précieux  renforts,  dans 
le  trop-plein  de  leurs  rejetons,  partout  ou  la  civilisation  aura  besoin 
de  bras  robusles,  de  l'esprit  avisé  des  Béarnais  et  du  cœur  vaillant  des 
Basques . 


M.  Paul  TISSEEAITD 

à  Saint-Dié. 


LES     INDUSTRIES     DE     SAINT-DIE 


—  Séance  du  2i  septembre  1892  — 

Les  recherches  et  les  études  qui  ont  été  faites  sur  Saint-Dié  et  sur  l'ar- 
rondissement dont  il  est  le  chef-lieu,  par  MM.  les  membres  de  la  Société 
philomalique  sont  aussi  complètes  que  possible.  On  a  discuté  sur  les  ori- 
gines ethnographiques  et  préhistoriques,  on  a  rétabli  son  histoire  d'après 
des  documents  authentiques,  éclairci  un  grand  nombre  de  points  longtemps 
restés  obscurs,  en  sorte  qu'il  suffit,  pour  les  résumer,  de  puiser  dans  ce 
recueil,  de  désigner  les  auteurs  de  ces  travaux,  d'indiquer  leurs  dates,  leurs 
titres  pour  les  trouver  dans  les  numéros  des  Bulletins  que  cette  Société 
publie  depuis  une  quinzaine  d'années  pour  se  renseigner,  car  ces  travaux 
sont  toujours  intéressants  et  très  étudiés. 

Saint-Dié  est  une  jolie  petite  ville  bâtie  sur  les  deux  rives  de  la  Meurthe, 
dans  une  vallée  assez  large  à  laquelle  on  a  donné  le  surnom  de  val  de 
Galilée,  en  souvenir  de  celle  qui,  en  Palestine,  porte  ce  nom.  Aujourd'hui 
cette  ville  n'est  plus  ignorée  comme  elle  l'a  été  pendant  des  siècles  ;  depuis 
l'annexion  et  le  traité  de  Francfort,  elle  est  tout  à  fait  rapprochée  de  la 
frontière  allemande  et  le  nombre  de  ses  habitants,  qui  ne  dépassait  pas 
lechiffrede  8.000  en  1868,  a  plus  que  doublé  depuis  cette  malheureuse 
guerre  de  1870  (il  est  de  18.450,  recensement  1891).  Cette  augmentation 
s'explique  par  le  grand  nombre  d'industriels  qui  se  sont  établis  sur  le 
versant  occidental  des  Vosges,  après  avoir  quitté  leur  pays,  et  qui  ont 
emmené  avec  eux  les  ouvriers  qui  vivaient  de  leur  industrie.  Ils  se  sont 
ainsi  installés  dans  notre  belle  vallée. 

Belle!  elle  l'a  toujours  été,  car  l'aspect  que  présentent  nos  montagnes 
boisées  n'a  pas  changé  depuis  des  siècles  et  les  superbes  sapins  qui  les 


p.    TISSERAND.   —    LES    INDUSTRIES    DE    SAINT-DIÉ  11  Oo 

couvrent,  de  la  base  au  sommet,  nous  en  cachent  les  nudités  abruptes;  — 
belle  !  mais  riche  aussi,  parce  qu'on  a  tiré  de  ce  milieu  charmant  tout  le 
parti  que  le  travail  de  l'homme  peut  en  tirer;  c'est  pourquoi,  du  haut  des 
promenades  qui  l'environnent,  on  aperçoit  aujourd'hui,  disséminées  le  long 
de  la  rivière  et  sur  ses  deux  rives,  une  cinquantaine  de  cheminées  qui 
projettent  dans  les  airs  leurs  immenses  panaches  de  fumée. 

Des  usines  et  des  ateliers  se  sont  élevés  de  tous  les  côtés,  et  les  ouvriers, 
au  nombre  de  8  ou  9.000  environ,  sont  enfermés  dans  ces  vastes  établisse- 
ments où  ils  travaillent  pendant  toute  la  journée  et  quelquefois  pendant 
la  nuit. 

Les  matières  premières  telles  que  le  fer,  la  fonte,  les  bois,  les  peaux, 
les  tissus  de  toute  sorte  et  de  toute  qualité,  y  sont  transformés  en  objets  de 
consommation  pour  être  livrés  au  commerce  sous  les  formes  les  plus 
variées. 

Si  nous  remontons  à  l'origine  de  ces  industries,  nous  sommes  obligés 
de  constater  qu'elles  n'existaient  pas  avant  la  Révolution  et  que,  sous 
le  premier  Empire,  elles  n'avaient  pas  fait  leur  apparition  en  ce  pays. 
C'est  à  partir  de  la  Restauration  seulement,  de  1820  à  1830,  qu'elles 
commencent  à  se  montrer. 

Avant  la  Révolution,  il  y  avait  bien  quelques  moulins  sur  les  cours  d'eau, 
des  tanneries  sans  importance  et  une  tuilerie  qui  consommait  ses  produits 
dans  la  localité  même;  tout  cela  appartenait  au  Chapitre,  qui  était  le  seul 
grand  propriétaire  et  le  maître  du  pays.  —  La  vente  des  biens  du  clefgé 
fit  passer  la  propriété  de  ces  biens  entre  les  mains  des  anciens  fermiers 
qui  cherchèrent  à  en  tirer  les  meilleurs  avantages. 

La  plus  ancienne  de  toutes  est  aujourd'hui  située  près  d'un  joli  petit 
ruisseau  qu'on  appelle  le  Robache,  à  cause  de  ses  eaux  rougeâtres.  C'est  une 
vaste  tuilerie  qui  fonctionnait  déjà  avant  la  Révolution,  sous  la  direction' 
du  Chapitre,  mais  elle  était  bâtie  un  peu  plus  au  nord,  dans  le  fond  de  la 
vallée.  —  Elle  appartient  aujourd'hui  à  la  famille  Ferry,  qui  l'exploite 
depuis  un  siècle. 

La  terre  rouge,  argileuse,  que  l'on  pétrit  comme  de  la  pâte,  se  trouve 
dans  les  terrains  environnants  ;  des  moules  en  plâtre  lui  donnent  des 
formes  diverses,  et  quand  elle  a  été  cuite  dans  des  fours  spéciaux,  cette 
terre  acquiert  une  solidité  à  toute  épreuve.  On  pourrait  en  tirer  parti 
pour  la  fabrication  des  tuyaux  de  drainage  et  pour  l'aménagement  des 
eaux  de  fontaine  ;  mais  on  ne  s'en  occupe  plus  guère  en  ce  moment,  parce 
qu'ils  sont  remplacés  par  des  tuyaux  en  grès,  beaucoup  plus  résistants. 

On  y  fabrique  aussi  des  ouvrages  artistiques  confectionnés  à  la  main  par 
des  ouvrières  habiles,  qui  donnent  à  cette  terre  malléable  des  formes 
diverses  de  fleurs  et  d'animaux. 

Les  tanneries,  assez  nombreuses,  étaient  échelonnées  le  long  de  la  rive 

70* 


1106  ÉCONOMIE    POLITIQUE 

gauche  de  la  Meurthe,  en  face  du  quai  du  parc;  celle  de  M.  Gustave  Chré- 
tien, qui  est  devenue  une  des  plus  importantes  de  la  région  de  l'Est,  les  a 
fait  disparaître  peu  à  peu,  parce  qu'elles  ne  pouvaient  lutter  contre  une 
maison  qui  avait  perfectionné  son  outillage. 

Les  produits  qui  en  sortent  font  prime  sur  les  premiers  marchés  de 
cuir.  On  y  emploie  pour  la  confection  de  ces  marchandises  une  force 
hydraulique  de  vingt-cinq  chevaux  et  une  force  mécanique  de  cinquante 
chevaux- vapeur.  Cette  immense  tannerie  est  alimentée  par  un  canal 
dérivé  de  la  Meurthe  dont  les  eaux,  ingénieusement  aménagées,  vien- 
nent se  réunir  dans  des  réservoirs  préparés  pour  recevoir  les  peaux.  Sa 
fabrication  est  d'environ  40.000  peaux  par  année,  de  provenance  fran- 
çaise, allemande,  belge,  hollandaise,  danoise,  suédoise  et  norvégienne. 
Le  tannage  des  peaux  qu'elle  reçoit  est  d'environ  trois  millions  de  kilo- 
grammes, provenant  de  l'intérieur  de  la  France,  de  l'Espagne  et  de  l'Al- 
o-érie.  Les  seize  ou  dix-huit  tanneries  qui  existaient  ont  peu  à  peu  disparu 
et  ont  laissé  la  place  à  celle  qui  existe  actuellement;  elle  avait  déjà  une 
certaine  importance  lorsque  le  père  vivait,  mais  son  fils  lui  a  donné  la  vita- 
lité, la  richesse,  et  le  renom  dont  elle  jouit. 

Le  premier  atelier  de  construction  qui  a  été  créé  dans  ce  centre  date 
de  1850  ;  c'était  une  usine  d'abord  peu  importante,  qui  a  pris  tout  à  coup 
des  proportions  considérables.  On  y  fabriquait  des  ouvrages  en  cuivre,  des 
robinets,  des  tuyaux  de  chauffage,  des  appareils  à  colle,  des  pompes  à 
incendie,  le  nombre  des  ouvriers  augmentait  à  mesure  que  l'écoulement 
de  ces  produits  se  répandait  au  loin,  il  atteignait  le  chiffre  de  1-20  lorsque 
le  patron  et  le  créateur  de  ce  grand  établissement  mourut  laissant  à  ses 
héritiers  une  fortune  évaluée  à  plusieurs  millions.  Sa  mort  a  laissé  un 
o-rand  vide,  car  personne  n'a  voulu  ou  su  reprendre  la  suite  de  ses  affaires. 

D'autres  ateliers  se  sont  créés  depuis,  et  ont  remplacé  celui-là  ;  des  fon- 
deurs d'abord,  puis  des  constructeurs-mécaniciens,  se  sont  établis  et  ont 
peu  à  peu  perfectionné  l'outillage  qu'il  faut  avoir  pour  manipuler  le  fer 
et  la  fonte,  en  sorte  qu'aujourd'hui  on  peut  compter  quatre  établissements 
de  ce  genre  :  ceux  de  MM.  Werner,  Burlin,  Goly,  et  du  mécanicien  Beyer. 

Il  serait  difficile  aujourd'hui  d'énumérer  le  nombre  de  filatures,  tissages, 
apprêts,  bonneteries  qui  se  sont  multipliés  à  l'infini  depuis  trente  ans  et 
qui  sont  mus,  les  uns  par  la  force  hydraulique,  que  l'on  utilise  le  plus 
possible,  les  autres  par  la  force  de  vapeur  seulement,  et  quelques-uns  par 
les  deux  forces  réunies  se  suppléant  selon  le  cours  des  saisons  et  l'abon- 
dance des  eaux. 

Mais  l'industrie  la  plus  ancienne,  celle  qui  a  fait  le  plus  de  progrès  depuis 
le  commencement  du  siècle,  c'est  la  fabrication  des  tissus  en  laine,  fil  et 
coton.  Des  fabricants  sont  venus  s'établir  dans  ces  parages,  il  y  a  quelque 
soixante-dix  ans,  sous  la  Restauration  et  sous  le  règne  de  Louis-Philippe.  Celui 


p.    TISSEKA.ND.    LES    I.NDUSÏRIES    DE    SAINT-DIÉ  1107 

qui  a  débuté  est  M.  Lehr  ;  il  s'était  installé  sur  l'emplacement  où  se  trou- 
vait le  grand  séminaire.  Lorsque  le  gouvernement  vendit  cet  établissement 
ecclésiastique  pour  bâtir  celui  qui  existe  actuellement,  et  qui  est  placé  à 
un  kilomètre  de  la  ville,  ce  fabricant  profita  de  l'occasion  pour  monter 
une  manufacture;  elle  était  sur  la  place  Stanislas.  A  partir  de  1830,  d'autres 
industriels  encore  peu  nombreux  essayèrent  de  l'imiter,  ils  réussirent, 
puisque  la  plupart  d'entre  eux  se  sont  enrichis.  On  ne  se  servait  à  cette 
époque  que  de  métiers  à  bras  mus  par  des  hommes  et  par  des  femmes,  tis- 
seurs, dévideurs.  Chacun  de  ces  fabricants  confectionnait  des  étoffes  pour 
robes,  pour  pantalons,  des  toiles  de  couleurs  et  de  dessins  variés  et  nou- 
veaux toujours  en  rapport  avec  les  goûts  et  la  mode  de  la  saison  ou  de 
l'armée.  Les  cotons,  les  laines,  les  fds  de  chanvre  ou  de  lin  entrent  dans 
la  composition  de  ces  étoffes  diverses  dans  une  proportion  en  rapport 
avec  la  valeur  des  tissus  dont  les  prix  étaient  à  la  portée  de  toutes  les 
bourses,  et  cependant  assez  rémunérateurs  ;  ils  pouvaient  ainsi  fournir  à 
toutes  les  classes  de  la  société  des  vêtements  chauds  ou  légers  à  des  prix 
peu  élevés.  Ces  usages  anciens  se  sont  conservés  dans  quelques  maisons, 
mais  maintenant  on  remplace  peu  à  peu  l'outillage  par  des  tissages  mé- 
caniques qui  font  vite  et  mieux.  Aussi  en  consomme-t-on  des  quantités 
énormes  qui  chaque  jour  sont  livrées  au  commerce. 

Ces  tissages  à  vapeur  ou  à  eau  sont  plus  nombreux  que  les  anciens  et 
ils  forceront  de  plus  en  plus  dans  leur  derniers  retranchements,  les  retar- 
dataires qui  croient  pouvoir  soutenir  la  concurrence  sans  transformer  leur 
ancienne  méthode,  qui  avait  toutefois  ceci  de  bon,  c'est  qu'elle  donnait  du 
travail  aux  gens  de  la  campagne  pendant  la  morte-saison  et  leur  permet- 
tait d'amasser  un  petit  pécule  pendant  l'hiver  au  lieu  de  passer  leur  temps 
inutilement  au  coin  du  foyer  familial. 

Maintenant,  les  ouvriers  sont  nombreux  ;  ils  entrent  dans  les  fabriques 
à  o  heures  du  matin  et  en  sortent  à  7  heures  du  soir,  avec  une  heure  de 
repos  pendant  le  courant  la  journée;  c'est  la  vie  ordinaire  de  l'ouvrier. 

Citons  aussi  les  bonneteries,  auxquelles  il  faut  attacher  une  grande  im- 
portance. 11  y  en  a  au  moins  douze.  On  y  confectionne  les  caleçons,  les 
gilets  à  bon  marché,  les  jerseys  et  autres  ouvrages  de  laine  excellents  pour 
préserver  la  poitrine  contre  les  froids  humides  ;  je  dirais  presque  remède 
préventif  contre  les  bronchites.  La  consommation  de  ces  objets  est  immense 
et  elle  se  répand  dans  les  pays  les  plus  éloignés.  Aussi  les  fabricants 
bonnetiers,  malgré  leur  grand  nombre  et  la  forte  concurrence,  s'enri- 
chissent par  un  labeur  qui  leur  procure  de  beaux  bénéfices. 

Ces  différentes  industries  ont  fait  naître  celle  de  la  teinturerie  ;  il  y  en 
a  dans  la  ville  au  moins  quatre  qui  fonctionnent  pour  les  fabricants,  et 
plusieurs  autres,  moins  importantes,  au  service  des  particuliers. 

Ajoutons  à  cette    nomenclature,   des   brasseries,    des  distilleries,  des 


HÛ8  ÉCd.NOMIK    l'OLlTIQUE 

scieries  à  vapeur  ou  à  eau,  dos  menuiseries  pour  la  préparation  des  bois 
de  construction.  Les  deux  grands  établissements  de  ce  genre  sont  ceux 
dirigés  par  les  frères  Frientz  et  par  les  frères  Rielle;les  magnifiques  sapins 
et  bois  d'autres  essences  fournissent  surabondamment  la  matière  première, 
que  l'on  trouve  partout  dans  les  environs,  et  qui  suffit  pour  alimenler 
les  grands  chantiers  de  bois  qui  remplissent  les  abords  de  la  gare. 

Nous  trouvons  aussi,  en  amont  et  en  aval  de  la  Meurthe,  un  certain 
nombre  de  féculeries  qui  donnent  i!i  la  pomme  de  terre  une  valeur  plus 
élevée. 

N'oublions  pas  non  plus  la  remarquable  manufacture  de  toiles  métal- 
liques de  M.  Rose,  ni  les  grands  ateliers  qui  servent  d'apprêts  pour  les 
étoffes  sorties  des  mains  de  l'ouvrier,  et  nous  aurons  donné  toutes  les  no- 
tions qui  concernent  l'industrie  locale.  Car  ce  travail  se  fait  dans  l'intérieur 
de  la  ville;  mais  si  nous  traversons  les  bourgs  et  les  villages  des  environs, 
le  nombre  de  ces  manuf^ictures  augmente.  En  amont  de  la  Meurthe,  sur 
le  cours  de  la  Fave  (flava),. nous  rencontrons  les  tissages  mécaniques  de 
Provenchères,  ceux  de  la  Croix-aux-Mines,  où  l'on  fabrique  des  étotfes  dans 
lesquelles  entre  la  peluche  de  soie;  et  sur  le  cours  de  la  Meurthe,  les  vastes 
établissements  de  Plainfaing,  de  Habaurupt,  de  Fraize,  la  papeterie  très 
importante  d'Anould,  et  en  aval  celles  d'Étival  et  de  Raon-l'Étape;  puis, 
en  remontant  le  cours  du  Rabodeau,  les  filatures  et  les  tissages  de  Moycn- 
moutier,  de  Senones,  de  Moussey  et  de  la  Petite-Raon. 

En  vérité,  ce  sont  de  riches  vallées  dans  lesquelles  on  trouve,  en  outre, 
des  pâturages  abondants  qui  nourrissent  un  grand  nombre  de  bestiaux  ; 
ils  produisent  du  lait  en  quantité  et  d'une  qualité  supérieure,  aussi 
fabrique-t-on  du  beurre  excellent  et  ces  fromages  succulents  dits  de 
Gérardmer,  dont  la  renommée  s'étend  jusque  dans  les  pays  les  plus 
éloignés. 

Telles  sont  les  industries  qui  enrichissent  cette  partie  des  hautes  Vosges, 
la  plus  montagneuse  et  dont  Saint-Dié  est  le  chef-lieu  d'arrondissement  et 
le  centre  principal  ;  aussi  tout  y  est  prospère,  et  si,  pendant  l'hiver,  le  froid  y 
est  rigoureux,  en  été  on  y  jouit  d'une  température  à  la  fois  douce  et  fraîche, 
entretenue  par  de  nombreuses  sources  qui  jaillissent  du  milieu  des  rochers; 
l'odeur  des  sapins,  qu'on  respire  avec  le  grand  air  des  montagnes,  dilate  les 
poumons  et  guérit  les  malades  affectés  de  toux  et  de  bronchites  chroniques, 
on  y  trouve  même  une  fontaine  d'eau  minérale.  Quant  au  coup  d'œil,  il  est 
admirable  ;  le  paysage  est  aussi  pittoresque,  aussi  varié,  aussi  gai  que  les 
plus  beaux  sites  de  la  Suisse. 

Maintenant  le  pays  est  découvert;  des  lignes  ferrées  le  sillonnent  dans 
tous  les  sens,  en  sorte  qu'il  est  devenu  d'un  facile  accès  pour  les  commer- 
çants comme  pour  les  touristes  ;  aussi  la  valeur  des  terrains  à  bâtir  aug- 
mente chaque  jour  dans  les  environs  de  la  ville,  à  mesure  que  le  chiffre  de 


A.    GUILBAULT.    —    LA    COMPTABILITÉ    d'uN    ARSENAL  1109 

la  population  s'élève.  L'annexion  de  l'Alsace-Lorraine  à  l'Allemagne  y  con- 
tribue pour  beaucoup,  mais  la  facilité  des  communications,  les  progrès  de 
l'industrie  y  sont  aussi  pour  quelque  chose.  Les  ouvriers  sont  très  nom- 
breux, car  il  en  faut  une  grande  quantité  pour  remplir  ces  vastes  ateliers. 
Aussi  a-t-on  construit  pour  eux  des  cités  ouvrières  dans  le  genre  de  celles 
de  Mulhouse  et  d'autres  grands  centres  industriels.  Cette  Société  alsacienne 
enrichit  le  pays  au  point  de  vue  de  la  production  et  de  la  consommation, 
mais  elle  est  aussi  une  charge  assez  lourde  pour  le  Bureau  de  bienfaisance 
qui  donne  ses  secours  à  bien  des  familles  malheureuses. 

ÎNous  voudrions  y  voir  un  plus  grand  nombre  d'amateurs,  des  artistes, 
des  poètes,  des  touristes  de  toute  sorte  ;  ils  seraient  enchantés,  nous  en 
sommes  certains,  de  visiter  nos  vertes  vallées,  nos  rochers  légendaires  :  la 
Pierre  des  Fées,  la  Roche  des  Chevaus,  Saint-Martin,  la  Bure,  le  Sapin-Sec, 
les  Molières,  etc.,  de  boire  du  lait  dans  les  chaumières  rustiques  que  l'on 
aperçoit  sur  les  flancs  de  nos  collines,  dans  le  fond  des  ravins,  au  milieu 
des  gorges.  Mais  il  y  faudrait  construire  quelques  hôtels  sur  le  sommet 
très  accessible  de  nos  montagnes,  au  milieu  desquelles  les  promenades  et 
les  sentiers  bordés  de  mousse  et  de  verdure  se  multiplient  et  se  croisent 
à  l'infini.  Peu  à  peu,  la  municipalité  acceptera  cette  idée  et  alors  notre 
jolie  cité  pourra  rivaliser  avec  Gérardmer,  Plombières  et  autres  stations 
hygiéniques  que  les  amateurs  recherchent  pendant  la  belle  saison. 


M.  A.  &ÏÏILBAÏÏLT 

Membre  du  Conseil  de  direction  de  la  Caisse  d'i^pargne  des  Bouches-du-Rhône,  à  Marseille. 


LA    COMPTABILITÉ    D'UN    ARSENAL 


—  Séance  du  2/  septembre  1892  — 

J'ai  eu  l'honneur  de  faire  partie  de  deux  Commissions  mixtes  chargées 
d'étudier  la  comptabilité  matières  et  le  service  administratif  des  arsenaux. 
On  avait  trouvé  bon  d'adjoindre  au  personnel  de  l'Etat,  un  spécialiste 
pour  représenter  l'industrie  privée  dans  les  Commissions  choisies  dans  le 
Ministère  de  la  Marine  et  parmi  les  députés  et  les  sénateurs. 

J'avais  organisé  les   services  administratifs   et  la  comptabilité   de   la 


1110  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

Société  des  Forges  et  Chantiers  de  la  Méditerranée,  qui  a  des  rapports 
directs  avec  un  arsenal;  car  on  y  fait  le  navire  armé  pour  la  guerre  ou 
pour  le  commerce  et  on  le  répare  ;  c'est  à  ce  titre  que  je  dus  de  pou- 
voir étudier  les  arsenaux  et  leur  fonctionnement,  reconnaître  combien  les 
méthodes  de  la  marine  diffèrent  de  celles  de  l'industrie,  et  proposer  des 
modifications  pour  utiliser  les  éléments  précieux  réunis  dans  ces  grands 
ateliers  d'État  et  dont  on  ne  tire  pas,  selon  moi,  tout  le  parti  possible. 

Les  deux  Commissions  dont  j'ai  fait  partie  n'ont  pas  abouti  parce  que 
les  ministres  ne  peuvent  consacrer  le  temps  nécessaire  à  leurs  travaux.  Un 
ancien  ministre  de  la  Marine,  membre  de  la  Commission  de  1 878,  a  fait 
un  livre  sur  le  sujet  qui  nous  occupe  et  l'a  publié  en  1882.  Comme  toutes 
les  études  antérieures,  cette  œuvre  remarquable  a  été  oubliée.  Enfin, 
dans  ces  derniers  temps,  on  y  est  revenu  à  propos  du  budget,  et  au 
mois  de  juillet  1892,  on  a  fait  prendre  une  décision  regrettable  sur  la 
comptabilité  des  matières. 

Économiquement  parlant,  ces  études  ont  une  réelle  importance,  et  je 
trouve  que  dans  le  public  et  dans  le  monde  gouvernemental  on  n'y 
attache  pas  l'importance  qu'elles  méritent.  Certes,  la  grandeur  et  la  dé- 
fense de  la  France  ne  dépendent  pas  de  l'organisation  plus  ou  moins 
parfaite  de  services  secondaires  ;  mais  la  question  des  économies  n'est 
pas  à  dédaigner  et  elle  se  lie  intimement  à  celle  des  responsabilités. 
Le  ministre  est  responsable  vis-à-vis  du  pays,  mais  ceux  qu'il  dirige 
sont  responsables  vis-à-vis  de  lui,  et  il  doit  endosser  la  responsabilité  de 
l'ensemble,  sans  pouvoir  suivre  convenablement  les  résultats  de  l'utilisation 
de  l'instrument  qu'il  a  dans  les  mains.  Si  les  détails  sont  assez  bien  coor- 
donnés pour  que  chaque  agent,  dans  la  sphère  des  opérations  qu'il  est 
chargé  de  diriger,  ne  puisse  donner  lieu  aux  critiques,  en  est-il  de  même 
pour  les  agents  supérieurs  dont  les  impulsions  ne  peuvent  être  con- 
trôlées, puisque  les  résultats  en  sont  insuffisamment  comptabilisés,  coor- 
donnés et  connus?  Toute  opération  se  résume  en  mouvements  détaillés 
de  valeurs  ;  mais  dans  les  affaires  gouvernementales,  la  division  qui  y 
est  non  seulement  de  principe  mais  encore  nécessaire,  n'est  pas  suffi- 
samment reconstituée  par  des  ensembles  précis  et  scientifiques.  La  comp- 
tabilité publique  est  celle  du  Ministère  des  finances,  c'est  celle,  du  vote 
et  de  la  réalisation  du  budget  ;  est-ce  suffisant?  Un  budget  représente  des 
mouvements  annuels.  Il  indique  seulement  les  sommes  votées  et  mises 
pendant  l'exercice  à  la  disposition  des  ministres.  Le  ministre  doit  con- 
naître l'emploi  qu'on  a  fait  de  ces  fonds.  Mais  cet  emploi  se  lie  au 
passé  et  doit  se  relier  au  budget  futur  si  l'on  veut  suivre  des  opérations 
dont  l'enchaînement  est  la  loi.  On  met  des  années  à  construire  un  vais- 
seau et  le  compte  des  dépenses  doit  rester  ouvert  pendant  le  même 
laps  de  temps,  si  l'on  désire  suivre  le  travail  avec  fruit.  Le  rôle  de  la 


A.    GUILBAULT.    —    LA    COMPTABILITÉ    d'uN    ARSENAL  IHl 

comptabilité,  comme  l^ase  des  études,  n'a  pas  été  assez  reconnu  par  les 
créateurs  de  la  science  de  l'économie  politique. 

En  industrie  la  question  d'organisation  est  claire:  travailler,  produire  et 
obtenir  un  bénéfice  de  l'activité  déployée.  Dans  celle  des  constructions 
navales,  dont  nous  nous  occupons,  on  procède  en  conséquence  pour 
arriver  au  résultat. 

Lorsque  l'armateur  ou  l'État  a  indiqué  ce  qu'il  désire  obtenir  du  navire 
à  construire  :  le  tonnage,  la  vitesse,  etc.,  l'ingénieur  fait  ses  calculs,  éta- 
blit ses  plans  et  ses  devis,  puis  le  constructeur  les  étudie,  en  y  ajoutant 
la  part  qui  doit  lui  revenir  comme  rémunération  de  son  œuvre.  Une 
fois  d'accord,  on  fait  un  traité  qui  engage  les  deux  parties,  et  le  construc- 
teur se  met  au  travail,  réunit  les  matériaux  qui  lui  permettront  d'édifier 
le  navire  et  les  ouvriers  qui  doivent  les  utiliser.  Mais  il  organise,  en  même 
temps,  la  surveillance  de  l'action  par  ses  contremaîtres,  l'ordre  et  la  comp- 
tabilité par  ses  employés.  Il  faut  qu'il  puisse  suivre  les  dépenses  depuis 
la  mise  en  place  du  premier  morceau  de  la  quille  jusqu'à  la  sortie  du 
navire  de  son  chantier.  Il  doit  à  tout  instant  savoir  où  il  en  est  pour 
la  bonne  économie  de  la  construction.  Quand  l'armateur  a  pris  possession 
du  bâtiment  terminé,  le  constructeur  met  en  regard  du  prix  de  revient 
le  prix  de  vente  du  navire  d'où  doit  ressortir  le  résultat  bénéficiaire. 
Eh  bien,  ces  opérations,  simples  au  premier  abord,  sont  assez  compli- 
quées pour  demander  la  plus  grande  attention. 

La  construction  du  vaisseau  nécessite  trois  genres  d'opérations  qu'il 
faut  nettement  déterminer  : 

a.  —  Réunion  des  matériaux ,  leur  prix  à  pied  d'œuvre  et  leur 
emploi  ; 

b.  —  Surveillance  de  la  main-d'œuvre,  et  notation   précise  du  travail; 

c.  —  Connaissance  et  imputation  des  frais  généraux,  capital  et  di- 
rection. 

a.  —  Le  règlement  général  de  la  comptabilité  publique  de  1862, 
œuvre  de  M.  d'Audifîret-Pasquier,  est  remarquable  ;  il  a  prévu  les  moyens 
d'acquérir  et  de  recevoir  les  matériaux  que  doivent  utiliser  les  arsenaux, 
ainsi  que  la  manière  de  régulariser  leur  emploi  sous  le  titre  de  compta- 
bilité des  matières.  Tous  les  mouvements  originaires  sont  réglés  avec  le 
plus  grand  soin  et  il  n'y  aurait  rien  à  innover  si  on  en  tirait  convena- 
blement parti.  Mais  par  suite  d'habitudes  prises,  ce  qui  se  fait  facilement 
et  simplement  en  industrie,  est  devenu  difficile  et  compliqué  dans  l'ar- 
senal. On  a  d'abord  comptabilisé  les  mouvements  des  matières,  seule- 
ment en  quantité  (règlement  de  1844),  puis  on  s'est  aperçu  des  difficultés 
qui  résultaient  du  calcul,  après  coup,  des  valeurs  appliquées  aux  quan- 
tités mouvementées  quand  on  voulait  savoir  le  prix  des  navires  construits. 
En  18o2,  on  a  décidé  de  tenir  les  comptes  de  matières  en  quantité  et  en 


1112  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

valeur,  et  on  a  fixé  des  prix  devant  s'appliquer  uniformément  aux  mêmes 
matières,  quel  que  soit  leur  prix  coûtant.  11  en  est  résulté  qu'il  a  fallu 
tenir  compte  des  différences  qui  se  produisaient  dans  les  écritures,  entre 
le  prix  réel  des  matières  utilisées  et  leur  prix  fictif;  c'est  ce  que  l'on  a 
appelé  le  compte  de  corrélation  dans  la  comptabilité  centralisée  du  Minis- 
tère de  la  Marine  à  Paris.  Enfin,  ce  compte  de  corrélations  devenant  diffi- 
cile à  débrouiller,  on  a  décidé  tout  récemment  de  l'annuler  en  revenant 
à  la  formule  de  1844,  comptabilisation  des  seules  quantités  :  c'était  reculer 
de  cinquante  ans. 

Pourquoi  la  Marine  ne  se  servirait-elle  pas  des  méthodes  de  l'industrie, 
dont  le  prix  réel  sert  à  la  comptabilisation  des  mouvements? 

Voici  comment  on  procède  pour  obtenir  le  prix  d'utilisation  pour  les 
matières  d'usage  commun  et  courant: 

Existant  à  une  date  quelconque Ke      1.000  pour      500  francs 

Acheté  et  entré  à  45  0/0 10.000     —    4.500      — 

Total Ks    11.000    —    5.000  francs 

Employé  à  45,45  0/0  ...   .  (Prix  moyen)      4.000     —    1.818      — 

Reste  à  45,45  .   ,    .Ke      7.000    —    3.682  francs 
Acheté  et  entré  à  45,70  .  .   .  (Prix  moyen i      G. 000    —    2.742      — 

Total  à  49,38  .    .    .  K-     13.000     —    6.424  francs 


En  prenant  un  mois  comptable  comme  base  de  calcul,  on  reste  tou- 
jours dans  des  moyennes  vraies  ne  donnant  lieu  en  comptabilité  à  aucune 
erreur,  ni  à  corrélation. 

S'il  s'agit  d'une  matière  pour  emploi  spécial,  c'est  le  prix  réel  de  l'achat 
qui  doit  entrer  en  compte  d'emploi;  et  quand  la  matière  a  toute  été 
utilisée,  le  compte  est  soldé  et  il  n'y  a  plus  besoin  d'établir  des  corrélations 
difTiciles,  sinon  impossibles. 

Quant  aux  formalités  d'achat  et  à  celles  de  demandes  pour  l'emploi, 
elles  sont  admirablement  réglementées  et  le  personnel  d'élite  qui  agit 
ne  laisse  rien  à  désirer. 

Cependant,  une  difficulté  surgit  qui  provient  précisément  du  règlement 
de  la  comptabilité  publique  de  18(52:  c'est  qu'une  fourniture  acceptée, 
reçue,  ne  peut  être  passée  en  compte  qu'après  ordonnancement  et  paye- 
ment. Or,  entre  les  deux  moments,  un  temps  souvent  assez  long  se  passe; 
il  s'ensuit  que  la  matière  est  consommée  avant  d'être  passée  en  compte 
de  dépenses,  d'oii  une  impossibilité  de  suivre  la  marche  de  la  construc- 
tion, comme  on  le  fait  en  industrie,  parce  que  le  magasin  d'industrie 
prend  en  charge,  quantité  et  valeur,  par  un  crédit  au  fournisseur,  lequel 
permet  d'attendre  l'ordonnancement  sans  fausser  l'avancement  du  revient 
des  travaux.  On  comprend,  jusqu'à  un  certain  point,  que  la  comptabilité 


A.     r.LlLBAULT.    LA    COMPTABILITÉ    d'uN    ARSENAL  1113 

publique  refuse  d'ouvrir  des  comptes  courants  aux  fournisseurs  ;  mais, 
ceci  admis,  il  y  aurait  des  moyens  de  comptabilité  très  simples  pour 
régulariser  les  opérations  des  magasins  des  arsenaux.  Les  comptes  d'ordre 
des  grandes  comptabilités  modernes  ont  été  inventés  pour  cela. 

Enfin,  il  serait  possible  de  spécifier  les  dépenses  et  de  faire  disparaître 
notamment  le  compte  unique  de  réparations  qu'on  a  dû  tenir,  dans  l'im- 
possibilité où  l'on  se  trouve  de  faire  connaître  leurs  dépenses  distinctes, 
ce  qui  constitue  une  erreur  économique  considérable,  qui  ne  permet  pas 
de  savoir  si  un  vaisseau  nécessite  des  réparations  et  un  entretien  plus 
considérables  qu'un  autre  de  môme  type. 

II.  —  Pour  la  main-d'œuvre,  la  difficulté  pour  l'arsenal  de  compta- 
biliser régulièrement  l'emploi  est  d'une  autre  nature.  Le  contrôle  du 
nombre  d'ouvriers  entrés  au  travail  se  fait  au  moyen  de  jetons  de  pré- 
sence pris  à  l'entrée  de  l'arsenal.  Mais  l'ouvrier,  une  fois  entré  à  l'atelier, 
est  mis  à  l'œuvre  par  le  contremaître  qui  tient  une  note  du  nombre  des 
ouvriers  qu'il  est  chargé  de  diriger  et  qui,  la  journée  finie,  indique  combien 
de  journées  ont  été  employées  à  telle  partie  ou  à  telle  autre  de  la  construc- 
tion et  dont  le  nombre  reproduit  le  total  des  hommes  entrés  à  l'atelier. 
Certes,  la  note  du  contremaître  a  une  valeur,  mais  ne  peut-il  faire  une 
erreur  de  détail,  ne  peut-il  instinctivement  favoriser  un  travail  au  détri- 
ment d'un  autre?  L'impartialité,  quand  un  intérêt  est  en  jeu,  est  difficile 
à  garder. 

Ce  n'est  pas  le  seul  point  faible  de  cette  manière  de  procéder  ;  il  est 
une  marche  bien  plus  irréguliére  suivie  dans  le  calcul  de  la  main-d'œuvre, 
c'est  dans  le  prix  de  la  journée  de  l'ouvrier,  et  voici  comment  on  procède 
à  l'arsenal  :  on  réunit,  chaque  quinzaine,  le  nombre  des  journées  et  l'on 
met  en  regard  la  somme  totale  payée  pour  en  tirer  un  prix  moyen,  c'est 
sur  ce  prix  moyen  qu'on  calcule  le  nombre  de  journées  indiquées  par 
les  maîtres  à  chaque  travail  effectué.  La  conséquence,  c'est  que  l'ouvrier 
spécialiste,  payé  cher,  fournit  une  dépense  inférieure  à  la  réalité,  puisqu'on 
fait  entrer  dans  le  calcul  le  prix  de  l'ouvrier  manœuvre  payé  beaucoup 
moins  et  que  Ion  fausse  ainsi  les  prix  de  revient  du  travail. 

En  industrie,  on  note  le  travail  heure  par  heure  et  on  le  calcule  le 
lendemain  au  prix  vrai  pour  chaque  ouvrier.  A  la  fin  de  la  huitaine, 
les  sonmies  imputées  ainsi  au  travail  sont  réunies  et  le  total  reproduit  celui 
de  la  feuill(3  de  paye.  Les  formules  diffèrent  donc  très  réellement  et  l'on 
comprend  de  suite  les  différences  économiques  qui  en  résultent. 

e.  —  Enfin,  les  frais  généraux  sont  calculés  d'une  manière  différente. 
On  y  fait  entrer  en  industrie  les  intérêts  et  l'amortissement  du  capital,  ce 
qui  n'a  point  lieu  dans  les  travaux  de  l'arsenal.  On  va  plus  loin,  l'État- 
major  du  service  a  un  état  personnel  en  dehors  de  celui  des  autres  agents 
et  est,  par  ce  fait,  distrait  de  la  dépense. 


1114  ÉCONOMIE   POLITIQUE 

On  voit  donc  combien  les  constructions  de  l'État  peuvent  différer  de 
prix  avec  celles  de  l'industrie.  L'un  ne  peut  fournir  des  revients  réels  et 
ne  peut  donner  que  des  approximations  à  de  longs  intervalles,  puisque 
les  comptabilisations  ne  sont  que  trimestrielles  quant  à  l'arrêt  des  calculs, 
semestrielles  quant  à  l'apurement  définitif,  et  annuelles  quant  au  budget 
des  dépenses. 

Mais  la  plus  grande  difficulté  de  la  comptabilité  des  arsenaux  n'est  pas 
encore  là,  elle  se  trouve  dans  le  morcellement  des  écritures  de  l'arsenal 
qui  compte  : 

1°  La  comptabilité  finances  tenue  au  commissariat  général  ; 

2°  La  comptabilité  matières,  tenue  par  les  magasins  et  centralisée  à 
Paris  au  Ministère  de  la  Marine  ; 

3°  La  comptabilité  des  travaux,  tenue  dans  les  bureaux  dépendant  du 
service  de  l'ingénieur  en  chef. 

Je  laisse  de  côté  les  vivres  et  l'armement,  sans  compter  l'artillerie,  les 
constructions  hydrauliques,  etc.  Il  y  a  de  plus  la  complication  qui  résulle 
de  la  division  des  magasins  divers  réunis  fictivement  sous  le  titre  de  ma- 
gasin général  ;  les  mouvements  intérieurs  donnent  lieu  à  des  écritures  non 
pas  compliquées,  mais  longues  et  coûteuses. 

Il  nous  semble,  cependant,  qu'en  appliquant  aux  arsenaux  les  méthodes 
scientifiques  actuellement  en  usage  dans  les  grandes  industries,  ou  dans 
les  chemins  de  fer,  on  simplifierait  le  travail  et  qu'on  mettrait  entre  les 
mains  du  ministre  des  situations  à  intervalles  réguliers,  le  renseignant 
sur  tout  ce  qui  l'intéresse.  On  rendrait  ainsi  un  véritable  service  au 
pays.  Ce  n'est  pas  par  des  états  dressés  à  grand  renfort  de  chiffres  et  à 
un  point  de  vue  souvent  loin  des  besoins,  que  se  trouve  la  vérité,  c'est 
dans  des  ensembles  réguliers,  se  contrôlant  les  uns  les  autres  et  logique- 
ment classifiés  comme  les  balances  synthétiques  des  grandes  compta- 
bilités actuelles,  qu'on  peut  trouver  des  éléments  d'amélioration. 

Comparons  l'arsenal  à  une  grande  direction  d'ateliers  se  reliant  à  leur 
centre  d'administration  qui  serait  le  Ministère,  et  voyons  sans  parti  pris 
d'attributions  de  grades  et  de  prépondérance,  ce  qui  arriverait. 

L'arsenal  serait  financièrement  représenté  par  le  Commissaire  général 
de  la  division  maritime,  condensant  dans  ses  livres  toutes  les  comptabilités 
éparses  et  reproduisant,  par  un  compte  ouvert  au  Ministère,  tous  les  mou- 
vements de  valeurs  qui  intéressent  la  Préfecture  maritime  :  argent,  ma- 
tières, virements  et  autres.  Sur  son  grand  livre  on  trouverait  le  détail  et 
le  montant  des  matières  de  toute  nature  mises  par  l'État  à  la  disposition 
de  la  division,  celui  des  valeurs  argent  dont  il  a  le  dépôt,  tant  dans  sa 
caisse  que  dans  les  délégations  qu'il  pourrait  faire. 

Chaque  magasin,  chaque  atelier  aurait  son  compte  ouvert,  débité  des 
remises  matières  et  argent  qui    lui  seraient  confiées  et  crédité  des  tra- 


A.  GUILBAULT.    —    LA    COMPTABILITK    d'uN    AUSENAL  1115 

Taux  exécutés,  soit  comme  travaux  neufs  en  augmentation  du  matériel, 
soit  comme  entretien  ou  réparation  de  ce'  matériel  au  titre  de  dépenses 
d'État  dans  le  compte  du  Ministère. 

Supposons  une  balance  mensuelle  de  ce  grand  livre,  adressée  au 
bureau  de  la  comptabilité  du  Ministère  et  réunie,  par  un  artifice  connu, 
aux  comptabilités  identiques  des  autres  commissaires  généraux,  et  chaque 
mois,  le  ministre  saurait  ce  qui  se  passe  dans  tous  les  services.  Aurait-il 
besoin  d'un  détail  sur  un  point  à  élucider?  sur  une  demande  par  télé- 
graphe ?  il  aurait  tous  les  documents  qui  peuvent  l'éclairer  sur  une  question 
quelle  qu'elle  soit. 

Alors  les  bureaux  de  Paris  n'auraient  plus  besoin  de  refaire  en  dupli- 
cata, souvent  en  triplicata,  des  écritures  parfaitement  faites  et  vérifiées 
dans  les  arsenaux.  La  tenue  détaillée  des  comptes  à  Paris  est  une  erreur 
économique,  dans  laquelle  ne  tombent  pas  les  directeurs  des  grandes 
associations  industrielles  de  l'époque.  On  tient  écriture  des  détails  là  où 
ils  se  produisent;  on  les  synthétise  au  centre.  Est-ce  que  ces  compagnies 
■ont  besoin  de  discuter  les  attributions  dévolues  aux  personnes?  11  faut 
laisser  les  responsabilités  agir.  L'ingénieur  fait  le  devis  d'un  vaisseau, 
il  est  lié  par  son  devis  et  les  écritures  de  l'exécution  doivent  lui  montrer 
à  chaque  moment,  s'il  ne  s'est  pas  trompé. 

Quand  un  vaisseau,  au  retour  d'une  mission,  entre  en  désarmement, 
il  faut  savoir  ce  que  cette  mission  a  coûté  à  l'État.  Quand  les  magasins 
demandent  des  approvisionnements,  il  faut  savoir  si  la  demande  est  bien 
légitimée. 

Le  Préfet  maritime  qui  doit  accepter  la  responsabilité  de  tout  ce  qui 
se  passe  dans  sa  division,  doit  viser  lui-même  la  situation  du  grand- 
livre  du  Commissaire  général,  qui  comprend  toutes  les  opérations  de 
détail  comptabilisées  dans  ses  écritures. 

Mais  là  nous  tombons  dans  le  domaine  de  la  haute  administration,  ce 
qui  n'est  pas  l'objet  de  cette  étude.  C'est  en  économiste  que  je  parle  et 
non  en  politicien. 

En  résumé,  nous  pouvons  affirmer  que  de  grandes  simplifications  sont 
possibles  dans  la  comptabilité  du  Ministère  de  la  Marine  et  que  des  éco- 
nomies en  résulteraient,  ne  fût-ce  que  par  la  détermination  précise  des 
responsabilités;  —  les  responsabilités  des  ordonnateurs  des  mouvements 
descendant  aux  services  de  détail  et  remontant,  par  la  comptabilisation 
des  faits,  au  ministre  responsable. 


111(j  PÉDAGOGIE 


M.  Adrien  PAUADIS 

Artiste  peintre.  Professeur  à  l'Association  polytechnique,  à  Paris. 


LE    DESSIN    PRÉCURSEUR    ET    COMPLÉWENTAIRE    DE    L'ÉCRITURE 


—  Séance  du  16  septembre  1S9i  — 

Œil  simple  et  qui  vois  les  objets  tels 
qu'ils  sont,  à  qui  rien  n'écliappe,  et 
qui  n'y  ajoute  rien,  combien  je  t'aime  î 
lu  es  la  sagesse  même/ 

(Lavater.) 

Comme  professeur  de  dessin  à  l'Association  polytechnique,  j'ai  eu,  tant 
dans  ma  pratique  personnelle  que  dans  les  cours  publics  où  j'ai  professé, 
l'occasion  d'étudier  l'évolution  suivant  laquelle  s'acquièrent  les  notions 
relatives  à  la  représentation  figurative  des  objets. 

J'ai  cru  pouvoir  condenser  en  quelques  lignes  le  fruit  de  mes  observa- 
tions pour  vous  les  soumettre. —  Le  sujet,  d'ailleurs,  n'est  pas  absolument 
neuf;  MM.  Taine  et  Pèrez  ont  étudié  la  représentation  des  objets  chez  les 
enfants,  et  distingué  l'apport  des  sens  et  celui  de  l'intelligence  dans  la 
perception. 

Plus  récemment  M.  J.  Passy  {Revue  philosophique,  1891)  s'est  occupé 
de  la  même  question. 

Je  ne  parlerai  pas  du  dessin  d'après  le  modèle  déjà  dessiné,  j'estime 
que  c'est  là  un  procédé  d'enseignement  insuffisant  et  défectueux  auquel  on 
doit  substituer  le  dessin  d'après  la  bosse  et  d'après  nature  d'emblée, 
quitte  à  ne  faire  copier  que  des  objets  d'une  grande  simplicité  au  début, 
c'est  du  moins  ce  que  je  me  suis  toujours  attaché  à  faire  dans  mes  cours. 

Avec  ceux  qui  ont  observé  dans  ces  conditions,  j'ai  pu  constater  que 
l'élève,  enfant  ou  adulte,  réalise  un  dessin  plus  ou  moins  satisfaisant  sui- 
vant les  positions  données  au  modèle.  —  C'est  ainsi  que  l'image  est 
d'autant  plus  exacte  que  les  lignes  essentielles  correspondent  plus  parti- 
culièrement aux  deux  coordonnées  de  l'espace,  hauteur-largeur,  c'est-à- 
dire  aux  deux  dimensions  dont  la  rétine  nous  donne  la  vision  brute,  la 
perception  primitive. 

Quant  aux  lignes  de  fuite  correspondant  à  la  troisième  dimension, 
profondeur,  elles  sont  généralement  rendues  par  les  commençants,  non 
plus  conformément  à  ce  qu'ils  voient,  mais  bien  aux  perceptions  acquises 


PARADIS.    —   LE    DESSIN    PnÉCURSElU    ET    COMPLÉMENTAIRE  DE  l'ÉCRITURE       1H7 

par  association  avec  le  contact  et  le  déplacement.  Ces  notions  paralysent 
le  travail  à  l'aide  duquel  l'œil  seul  arriverait  à  la  représentation  correcte 
perspective. 

La  suppléance  et  la  combinaison  des  données  des  autres  sens  font  que 
l'élève  tend  à  faire  non  ce  qu'il  voit,  mais  ce  qu'il  se  figure  d'après  ses 
expériences  antérieures.  —  De  là  l'oubli  de  certaines  parties  de  l'objet 
représenté,  ou,  au  contraire,  l'adjonction  de  détails  non  existants,  mais  qui 
ont  frappé  l'esprit  dans  d'autres  figures  analogues.  C'est  ainsi  que  les 
enfants  copiant  une  tête  de  profil,  tendent  à  y  placer  les  deux  yeux. 

En  dehors  de  ces  transpositions  naïves,  on  peut  citer  la  difficulté  pour 
établir  les  détails  par  rapport  à  l'ensemble. 

On  l'a  dit,  il  semble  que  ces  dessins  soient  le  résultat  d'une  collection 
d'impressions  disparates  (J.  Passy)  où  chaque  partie  est  dessinée  en 
elle-même  en  vraie  grandeur  sans  souci  des  relations  de  positions  qui  l'unis- 
sent aux  autres.  C'est  que,  au  lieu  de  faire  concorder  ce  qu'on  dessine 
avec  ce  qu'on  voit,  on  tend  à  négliger  la  nature  de  l'impression  visuelle 
et  sans  plus  l'analyser  on  généralise,  conformément  aux  données  antérieu- 
rement acquises.  Aussi  le  dessin  n'est-il  correct  qu'autant  que  l'impression 
visuelle  est  en  harmonie  avec  l'idée  que  l'on  su  faisait  d'abord  de  l'objet. 

Ce  phénomène  n'est  pas  spécial  aux  commençants.  Que  de  dessina- 
teurs et  de  peintres  de  profession  qui  se  stéréotypent  et  schématisent  leurs 
impressions  suivant  un  procédé  invariable,  toujours  le  même,  quelle  que 
soit  la  variété  des  sujets  traités.  Ils  en  arrivent  à  ne  plus  peindre  ce 
qu'ils  voient.  La  nature  ne  leur  est  qu'un  prétexte  à  l'application  de 
tel  procédé.  L'art  du  dessin  devrait,  au  contraire,  consister  essentielle- 
ment dans  l'opération  inverse,  c'est-à-dire,  l'oubli  de  la  notion  abstraite 
de  l'objet  pour  l'analyse   stricte  de  l'impression  visuelle  en  elle-même. 

Cette  recherche  sincère  développe  l'esprit  d'observation  sans  préju- 
dice pour  le  côté  abstrait  et  synthétique,  c'est  môme  le  plus  sûr  moyen 
d'atteindre  l'élément  émotionnel  inhérent  à  l'impression  vraie,  simple  et 
franche. 

Pour  en  revenir  au  côté  pratique  de  la  question,  les  tendances  actuelles 
de  la  pédagogie  vers  le  développement  de  l'enseignement  par  les  yeux 
et  les  leçons  de  choses  paraissent  impliquer  comme  complément  logique 
l'extension  correspondante  de  l'enseignement  du  dessin  d'après  nature. 

Ce  qu'on  fait  depuis  longtemps  pour  la  géographie,  on  peut  le  faire 
pour  tout  autre  ordre  de  connaissance.  —  Un  pas  a  été  fait  par  les  leçons 
de  choses,  il  s'agit  de  le  compléter  par  le  dessin  de  ces  mêmes  choses 
vues;  en  d'autres  termes,  c'est  la  vulgarisation  du  dessin,  non  plus  comme 
art  d'agrément  superflu,  mais  comme  moyen  de  développer  l'esprit  d'ob- 
servation positive  et  comme  mise  en  œuvre  d'un  élément  mnémonique 
fondamental. 


1118  PÉDAGOGIE 

En  effet,  l'aptitude  à  dessiner  prime  la  faculté  d'expression  par  l'écri- 
ture puisqu'elle  lui  est  historiquement  antérieure  et  que  cette  dernière 
n'en  est  qu'un  dérivé  immédiat.  Nous  n'en  voulons  pour  preuve  que 
les  dessins  des  primitifs  et  les  premières  manifestations  artistiques  da- 
tant d'une  époque  préhistorique  où  l'on  chercherait  vainement  en  re- 
vanche la  moindre  trace  d'un  langage  écrit. 

Que  l'on  considère  attentivement  les  magnifiques  échantillons  des  collec- 
tions Piette,  Marty,  Cartailhac,  etc.,  on  n'aura  pas  de  peine  à  se  convaincre 
de  l'esprit  d'observation  rigoureuse  qui  a  dû  présider  à  la  confection  de 
ces  premières  pages  de  l'histoire  de  l'humanité. 

Le  burin  de  silex  a  pu  ainsi  graver  sur  l'os  du  renne  les  premières 
éniotions  artistiques  éprouvées  par  l'homme  en  face  de  la  nature,  émotions 
dont  l'intensité  et  la  sincérité  ont  dû  faire  naître  le  besoin  de  perpétuer 
ces  sentiments  pour  les  transmettre  à  ses  semblables. 

Plus  tard,  nous  voyons  les  premières  tentatives  d'écriture  emprunter  à 
la  pictographie  pure  ses  modes  d'expressions.  C'est  ainsi  que  les  figures 
hiéroglyphiques  du  canon  égyptien  primitif  nous  montrent  la  transition 
du  dessin  à  l'écriture  proprement  dite. 


M.  PAYOT 

Médecin  principal  de  V.i  Marine  en  retraite,  à  Lorient. 


ÉTYMOLOGIE  FRANCO-LATINE.  — DE  LA  TRANSFORMATION  DES  CONSONNES  DANS  LEUR 
PASSAGE  DU  LATIN  AU  FRANÇAIS.  —  LE  FAIT  ET  LA  THÉORIE 


—  Séance  du  16  septembre  189^  — 

Lorsque,  prenant  comme  radical  le  mot  Cadentia,  j'en  obtiens  Cadence, 
Chance  et  Chevance,  je  note,  tout  d'abord,  que  la  voyelle  a  (celle  de  la 
syllabe  initiale)  se  retrouve  dans  le  premier  dérivé  français  ;  n'existe  plus 
dans  le  suivant  ;  et  s'est  modifiée  dans  le  troisième.  Puis,  si  je  considère 
la  consonne  d,  je  vois  qu'elle  donne  lieu  aux  mêmes  remarques. 

La  coïncidence  de  ces  divers  états  n'est  que  curieuse,  et,  par  ailleurs,  on 
sait  que,  passant  d'une  langue  à  une  autre,  une  lettre  quelconque  du  thème 
donné  peut  :  ou  se  maintenir,  ou  disparaître,  ou  se  transformer.  Mais  ce 


PAVOT.    —    ÉTYMOLOGIE    FRANCO-LATINE  1119 

qui  est  à  peu  près  inconnu,  ce  qui  n'est  point  enseigné,  c'est  avec  quelle 
grande  latitude  s'opèrent  les  transformations  ;  et,  par  ce  terme,  j'entends 
les  échanges  —  seuls  rationnels  —  entre  signes  alphabétiques  de  même 
nature.  Je  ne  saurais  trop  répéter  que  les  métamorphoses,  tant  prônées 
sous  les  rubriques  :  Consonnification  et  Vocalisation,  n'existent  point,  sauf 
comme  Irompe-l'œil. 

Au  sujet  des  Voyelles,  j'ai  établi  déjà,  lors  du  Congrès  de  Limoges,  que 
la  question  devrait  se  résumer  ainsi  :  N'importe  quelle  voyelle  latine  donne 
toutes  les  voyelles  françaises. 

Pour  les  Consonnes,  lesquelles  sont  spécialement  à  étudier  ici,  le  pro- 
téisme  ne  jouit  pas  d'autant  de  liberté.  Néanmoins,  son  domaine  est  très 
étendu  et,  surtout,  il  dépasse  en  maintes  directions  les  limites  tracées  par 
nos  étymologistes.  C'est  là  ce  que  je  me  propose  de  mettre  en  lumière  ; 
mais,  avant,  il  est  bon  de  rappeler  quelques  généralités. 


* 

*       : 


Ainsi  que  le  nom  l'indique,  la  consonne  n'est  pas  un  son.  Pour  qu'elle 
soit  perçue,  il  lui  faut  toujours  l'aide  d'une  voyelle,  et  ce  fait  si  simple  à 
constater  permet  aussitôt  de  conclure  qu'elle  est  foncièrement  inapte 
à  se  vocaliser. 

Et  non  seulement  elle  ne  deviendra  pas  une  voix,  mais  encore  il  est 
douteux  qu'on  puisse  l'appeler  un  bruit.  Dans  la  diction,  elle  me  paraît 
être  seulement  comparable  à  quelqu'un  de  ces  mécanismes  qui  mettent 
les  corps  en  vibration.  Je  m'explique.  Quel  que  soit,  en  musique,  l'artifice 
employé,  l'auditeur  sentira  :  1"  que  la  note  est  attaquée  plus  ou  moins  fort, 
et  2°  qu'elle  tient,  par  exemple,  d'un  archet,  un  caractère  que  tout  autre 
moyen  ne  lui  donnerait  pas.  De  même,  la  consonne  heurte  la  voyelle  avec 
une  intensité  variable,  —  et  imprime  son  propre  cachet  de  gutturale,  de 
dentale,  etc.,  à  la  syllabe  qu'elle  commande. 


* 


Suivant  qu'on  les  a  estimées  naître  de  tel  ou  tel  point  de  l'appareil  de 
la  phonation,  les  consonnes  ont  été  réparties  en  groupes  qui,  naturellement, 
ne  concordaient  pas  toujours  d'un  observateur  à  l'autre.  Pour  l'Étymologie, 
la  division  adoptée  en  quatre  Classes  ou  Ordres  est  la  suivante  : 

1°  Labiales P_F  — B  — V 

2»  Dentales T  — S(a;)  — D  — Z 

3°  Gutturales C{k,q)  —  ti{ch)  —  i 

4"  Liquides ]\_L— R  —  M 


H20 


PEDAGOGIE 


Les  Liquides  étant  écartées,  les  Ordres  ont  été,  chacun,  sectionnés  en 
deux  Familles:  une  forte,  et  une  douce,  et,  dans  chaque  famille,  on  a 
établi  deux  De!?rés,  la  lettre  étant,  ou  simple,  ou  aspirée. 

Ces  divisions  et  subdivisions  furent  autant  de  motifs  pour  légiférer,  mais 
les  édits  sont  si  étrangement  formulés,  absolus  tout  d'abord,  mitigés  peu 
après  ;  la  règle  posée  d'emblée  comme  inflexible  admet  bientôt  si  facile- 
ment l'exception,  que  tous  ces  préceptes  sont  plus  fâcheux  qu'utiles. 
«  Jamais —  dit-on  —  une  douce  latine  ne  devient  une  forte  en  français.  » 
Puis,  on  ajoute  :  «  C'est  de  la  forte  à  la  douce  que  s'opère  habituellement  le 
passage  des  consonnes  latines  en  consonnes  françaises.  » 

Est-ce  que  hahilueUement  ne  laisse  pas  entendre  que  l'échange  peut  se 
faire  en  sens  opposé?  Alors  pourquoi  débuter  par  Jamais? 

Je  ne  reproduirai  pas  toutes  les  déclarations  contradictoires;  ce  serait 
un  peu  long,  et  il  y  a  mieux  à  faire  :  c'est  de  montrer  que  le  principal 
article  de  la  loi  de  transition,  immuable  en  théorie,  est  infirmé  dans  la 
pratique. 


I 


Occupons-nous  des  Labiales  qui  sont  :  P  —  F  —  B  —  V.  Cet  ordre  com- 
prend deux  familles:  une  forte  (P  —  F),  et  une  douce  (B — V).  Enfin, 
chaque  famille  a  deux  degrés:  le  simple  (P  ou  B),  et  Vaspiré  (F  ou  V). 

On  saisira  mieux  la  marche  des  mutations  à  intervenir  en  disposant  les 
consonnes  de  celte  manière  : 


L  A  H  I  A  L  E  s 

SIMPLES 

ASPIRÉES 

fortes 

P 

F 

douces 

B 

V 

Maintenant,  voici  le  code  :  «  Les  transformations  s'effectuent  de  la  forte 
à  la  douce;  de  la  simple  à  Vaspirée.  »  Ainsi,  P  passe  à  B  ou  F,  et,  de  là 
seulement,  il  peut  aller  à  V.  L'intervalle  de  P  à  V  ne  doit  pas  être  franchi 
d'un  seul  coup.  «  Une  consonne  ne  change  pas,  à  la  fois,  de  famille  et  de 
degré.  »  Telle  est  l'ordonnance,  et,  pour  l'appuyer,  on  cite  saPonem  ayant, 
dans  un  texte  mérovingien,  cette  orthographe  :  saBonem  qui  conduit  nor- 
malement au  français  sa  Von. 

Je  ne  mets  pas  en  doute  l'existence  de  rinlermédiaire  B  ;  je  supposerai 
même,  si  l'on  veut,  que  lui  ou  F  s'est  toujours  rencontré  sur  le  chemin 


l'AVOT.    —    KTYMOLOGIE    FHANCo-L  A  UNE  n'ai 

de  P  à  V.  Mais  (el  voici  raciioppoiut'iil)  la  conclilion  si  capitale  de  la  loi 
de  transition,  que  devient-elle  quand  F,  dans  Con/luentes,  donne  le  B  de 
Cobientz,  et  lorsque,  réciproquement,  le  B  de  sihilare  est  F  dans  Siffler? 
Ces  labiales  ont,  cette  fois,  permuté  suivant  la  diagonale:  elles  ont  bien, 
dans  un  seul  temps,  changé  de  famille  et  de  degré.  En  présence  d'un  phé- 
nomène qui  s'affirme,  opter  pour  la  règle  qui  lui  défend  d'exister  me 
parait  impossible. 

Comme  atténuation,  les  théoriciens  chercheront-ils,  entre  B  el  F,  des 
mots  auxiliaires  offrant  P  ou  V  ?  Mais  comment  suivre  ce  trajet  anguleux 
sans  rebrousser  de  Vaspirée  à  la  simple,  ou  de  la  douce  à  la  fo?'te  —  allure 
prétendue  extraordinaire,  déviation  que  les  maîtres  ont  condamnée?  Eh  ! 
qu'importe  le  nom  d'un  savant  !  «  Dans  la  science,  il  n'y  a  pas  d'autre 
autorité  que  celle  des  faits.  »  (V.  Meumek.j 

Or,  elle  est  si  peu  insolite,  cette  marche  dite  à  rebours  qu'elle  a  mêmes 
raisons  d'être  que  l'autre.  Toutes  les  deux  sont  également  inévitables  et, 
pour  s'en  convaincre,  il  suffit  d'un  coup  d'oeil  jeté  sur  le  tableau  des  Labiales. 

En  voie  de  transformation  (aventure  commune  à  toutes  les  consonnes 
latines),  le  P  descendra  toujours  d'une  certaine  quantité.  C'est  forcé, 
puisque,  situé  au  point  culminant,  il  ne  peut  pas  s'élever.  Donc,  aussi, 
il  est  obligatoire  que  V,  son  antipode,  remonte  constamment  quand  il  se 
métamorphose. 

Dès  lors,  la  loi  de  transition  est  sans  utilité,  pouvant  être  lue  à  l'envers 
comme  à  l'endroit;  car,  si  P  se  change  en  B  ou  en  F  (duplus,  double; 
stupa,  éteuf),le  Va  des  avatars  identiques  [Suevia,  Souabe;  vapidus,  fade). 

Voici,  du  reste,  en  tant  que  labiales  françaises,  ce  que  nous  ont  donné 
les  consonnes  latines  du  m.ême  Ordre  : 

P  latin  =  P,  B,  F,  \  français 

B  .)     =  P,  B,  F.  V         « 

F  »     =   .    B,  F,  V         » 

V  »     =  .    B,  F,  V         » 

Je  n'ai  pas  trouvé  les  mutations  de  F  et  de  V,  eu  P;  mais  ce  n'est  pas 
une  preuve  qu'elles  n'existent  point.  Il  y  a  ces  deux  lacunes  seulement  à 
combler.  C'est  tout  ce  que  la  mémoire  d'un  chercheur  aurait  à  retenir  au 
sujet  des  relations  entre  Labiales,  puisque,  par  ailleurs,  les  échanges  se 
font  librement,  de  l'une  à  l'autre,  dans  un  sens  quelconque. 


Comme  les  Dentales  et  les  Gutturales  se  prêteni  à  des  considérations 
analogues,  je  me  borne  à  les  répartir  eu  sections,  puis,  à  noter  leur  ren- 
dement en  consonnes  françaises  de  même  ordre. 

74- 


1122 


PEDAGOGIE 


Il  ENTA  LES 


T 

S  i-r) 

D 

Z 

GUTTURALES 

C  (k,q)          j           H  (ch) 

G 

J 

T  latin 

S  .) 
D  » 
Z       )) 

C  la  lin 
H      .) 
G      » 
J       » 


D,  Z,  T,  S 

D,  Z,  T,  S 

D,  Z,  T,  S 

D,  Z,    .  S 

G,  J,  C,  U{ch) 
.    J,  C,  H 
G,  J,  C,  Ch 
.    J,  C,  H 


Présenter  ces  tableaux  m'a  paru  nécessaire,  mais  uniquement  par  ce 
motif  qu'on  aurait  pu  croire  les  Labiales  prises  cà  dessein  comme  le  plus 
maniable  des  groupes.  Autrement,  en  effet,  ces  spécimens  ne  serviraient 
qu'à  des  répétitions;  car  il  reste  entendu,  sans  eux  —  la  raison  le  dit,  et 
la  vue,  le  plus  intellectuel  de  nos  sens,  en  a  déjà  témoigné  —  que  les 
deux  consonnes  casées  aux  extrémités  dune  seule  diagonale  ne  se  dé- 
placent jamais  dans  le  même  sens. 

Je  n'ai  donc  pas  à  modifier  mes  appréciations  svu'  la  loi  des  échanges. 
La  direction  du  mouvement  pourra  être  quelconque,  de  proche  en  proche; 
et  souvent  aussi  de  pointe  en  pointe,  malgré  l'arrêt  qui  ne  veut  pas  de 
cette  évidence.  A  son  veto  précédemment  invalidé  chez  les  Labiales, 
j'oppose  : 

1°  Parmi  les  Dentales;  T  =  Z  :  Bœterrœ,  Béziers;  et  S  =  D  :  consuere, 
coudre. 

2°  Dans  les  Gutturales;  C  =  J  :  camitem  (ou  canthum)  jante  ;  et  G  =  Ch: 
Pergamena,  parchemin. 


* 
*  * 


il  ne  reste  plus  à  voir  que  les  Liquides  latines,  et  je  n'ai  que  quelques 
mots  à  en  dire.  On  n'a  pas  établi  pour  elles  de  catégories;  on  pourrait, 
par  là,  supposer  qu'elles  évoluent  en  toute  liberté;  on  se  tromperait. 
Elles  nous  ont  donné  en  consonnes  de  même  Ordre  les  égalités  suivantes  ; 

i\  latin  =  N,  L,  R,  M  français. 

L     »  =  N,  L,  R,  .         » 

R     »  =  N,  L,  R,  .         » 

M     »  =  N,  .  .  M        » 

Elles  offrent  donc  plus  de  lacunes  que  les  Classes  régentées  par  des 
prohibitions.  Mais  tous  ces  vides,  n'importe  où,  ne  sont  probablement 
que  temporaires,  car  bien  d'autres  qui,  pensait-on,  devaient  persister 
toujours  ont  cessé  d'exister...  pour  moi,  du  moins. 


PAVOT.    —    ÉTYMOLOGIE    FRANCO-LATINE  1123 


II 


Après  avoir  imaginé  d'entraver  les  relations  entre  individus  de  la  même 
famille,  entres  familles  de  la  même  classe,  on  ne  pouvait  pas,  entre  les 
différents  Ordres,  ne  pas  élever  des  barrières.  Ici  encore,  la  mesure  n'est 
pas  très  justifiée. 

Certes,  les  consonnes  pareillement  nommées  ont  licence  de  permuter 
ensemble,  et  il  est  regrettable  que  cette  vérité  n'ait  pas  été,  tout  d'abord, 
admise  aussi  largement  qu'il  convenait.  Mais,  puisque  l'on  reconnaissait, 
bien  à  contre-cœur,  que  leur  code  très  rigide  pouvait  cependant  avoir 
quelques  points  faibles,  il  eût  été  prudent  de  continuer  à  parler  ainsi.  Il 
est,  en  effet,  de  notoriété  publique  en  philologie,  que  tous  les  Ordres  ont 
des  transfuges.  Je  dirai  plus,  entre  clans  divers,  il  y  a  des  chasses-croisés, 
et  j'en  citerai  un  assez  grand  nombre  pour  qu'on  s'étonne  de  rencontrer 
encore,  dans  les  livres  classiques,  la  déclaration  que  voici  : 

«  C'est  entre  les  consonnes  de  même  organe  que  s'opèrent  habituelle- 
ment les  permutations.  Étant  donnés  les  trois  Ordres  des  Labiales,  des 
Dentales,  des  Gutturales,  jamais  une  Labiale  latine  ne  deviendra,  en  fran- 
çais, une  Dentale  ou  une  Gutturale  ;  b  latin  deviendra  en  français  b  ou  v, 
mais  ne  deviendra  jamais  s  ou  g,  par  exemple.  De  là  cette  règle  générale 
Les  ordres  de  lettres  ne  permulent  point  entre  eux.  » 

La  première  phrase  contient  un  habituellement  qui  semble  comporter 
quelques  vagues  réserves,  mais  la  deuxième  dissipe  cette  apparence.  Elle 
est  très  claire  :  «  Jamais  »,  dit-elle  par  deux  fois,  afin  qu'il  soit  bien  com- 
pris que  la  règle,  entièrement  soulignée,  est  générale  à  toutes  les  classes. 

Si  l'on  prétendait  qu'elle  n'est  pas  aussi  fermée  qu'elle  en  a  l'air,  qu'elle 
permet  de  supposer  des  exceptions,  cène  serait  toujours  là  qu'une  conces- 
sion très  insuffisante.  La  réalité  exige  bien  davantage.  Entre  consonnes 
dissemblables,  l'échange  est  mieux  que  possible,  c'est  un  fait  qu'il  est  aisé 
de  constater  dans  toutes  les  classes;  il  a  donc  trop  de  fréquence  pour 
être  considéré  comme  une  anomalie  simplement  acceptée  par  tolérance. 


Lauiales 


Au  congrès  de  Limoges,  à  propos  de  ce  tour  de  main,  la  Consonnifica- 
tion,  j'ai  soutenu  que  c'était  toujours  à  des  consonnes  latines,  et  non  à 
la  voyelle  i,  que  revenait,  de  droit,  la  genèse  des  Gutturales  françaises. 
Pour  cela,  j'opérais  sur  les  Labiales  tout  particulièrement  signalées  inaptes 
à  cette  transformation.  Et  l'on  a  pu  juger  ce  qu'il  en  est  de  leur  impuis- 
sance, quand  lui-même,  le  Dictionnaire  étymologique  à  l'usage  des  lycées  ne 


1124  PÉDAGOGIE 

cache  pas  —  pour  F,  B,  V  —  que  :  Hors  vient  de  foris;  Guimauve,  de 
bismalva  :  et  Guêpe,  de  vespa.  A  ces  trois  exemples  non  réousables,  je  n'ai 
qu'à  ajouter  —  pour  P  —  les  mots  :  Roche,  de  rupes,  Proche,  de  prope, 
et  je  puis  dire  alors  :  Toutes  les  labiales  latines  peuvent  se  changer  en 
gutlwales. 

Elles  ont  d'autres  métamorphoses  plus  ou  moins  connues  : 

F  =  la  dentale  D  :  r/onfus,  gond. 

B  =  la  liquide  M  :  sahbati  dies,  samedi. 

V  =  la  dentale  D  :  pulverem,  poudre. 

Les  Labiales  ne  restent  donc  pas  constamment  dans  leur  milieu,  et 
elles  fréquentent  dans  toutes  les  classes. 

Gutturales 

Les  Gutturales  ont  aussi  des  mutations  hors  de  chez  elles. 

G  =  les  dentales  D,  T,  S  :  ruga,  ride;  surgere,  sortir;  fraga,  fraise. 
De  plus,  G  devient  labiale  V  :  liguslicum,  livèche;  gijrare,  virer. 

G  =  toutes  les  dentales  D,  T,  S,  X,Z  :  cicera,  cidre  ;  carcerem,  chartre  ; 
cingula,  sangle;  decem,  dix;  lacertus,  lézard.  Déplus,  C  devient  labiale  V  : 
Bacacum  Bavay  (Belgique)  ;  cilo.  vite. 

Ch  =  la  dentale  S  :  brachin,  brasse  ;  pat-ochia,  paroisse.  (Si  l'on  pré- 
fère que  nos  deux  mots  viennent  de  parœcia,  et  du  fictif  bracia,  on  aura 
toujours  changement  d'une  gutturale  en  dentale,  de  C  en  S). 

Q  -^  dentale  S  :  coquina,  cuisine.  (Même  observation,  si  l'on  fait  choix 
de  cocina.) 

Dentales 

Les  Dentales,  de  même  que  les  Labiales,  ont  commerce  partout  : 

D  --  les  Gutturales  C,  G  :  aspidem,  aspic  ;  sedere,  siéger.  De  plus,  D 
devient  F  ou  V  (labiales;  :  pvdus,  fief;  gladium,  glaive,  —  et  encore  L 
(liquide)  :  cicada,  cigale. 

T  =.-  les  gutturales  C,  G  :  Iremere,  craindre;  localum,  louage.  Il  égale 
aussi  la  labiale  F  :  sitis,  soif,  et  la  liquide  L  :  ovatus,  ovale. 

Z  =  les  gutturales  J,  G  :  zelosas,  jaloux;  zingiber,  gingembre. 

S  :=  les  gutturales  C,  G,  Ch  :  sorbum,  corme;  Athesis,  Adige  ;  torsa, 
torche.  Il  égale  aussi  la  liquide  R  :  Massilia,  Marseille. 

Liquides 

Les  Liquides  ont,  à  l'extérieur,  les  relations  que  voici  ; 
L  =  les  dentales  ï,  D  :  nucella,  noisette;  amt/lum,  amidon. 
iM  =  les  labiales  B,  V  :  marmorem,  inarbre  ;  dumetum,  duvet. 
R  :=  la  dentale  S  :  rorem,  rosée. 


PAVOT.    —    ETYMOLOGIE   FRANCO-LATINK  H25 

Ces  quatre  exposés  pourraient  être  plus  complets;  ils  suffisent,  néan- 
moins, à  prouver  que,  d'un  Ordre  à  l'autre,  les  permutations  sont  loin 
d'être  rares.  Ces  rapports  s'établissent  en  vertu  d'aflinités  secrètes  qui 
déjouent  l'étroitesse  des  réglementations  actuelles,  et  s'afTirmen*^^  expres- 
sément par  rechange  réciproque  entre  deux  lettres  prétendues  inconci- 
liables, soient  :  B,  M  et  M,  B—  G,  S  et  S,  G  —  C,  T  et  T,  C  —  T,  L. 
etL,  T—  B.  S  et  S,  B,  etc.,  etc. 

III 

Je  reprendrai  quelques-unes  de  ces  équivalences  afm  que  l'on  voie 
combien  il  fat  injuste  de  les  reléguer  dans  l'ombre,  et  combien  un  tel  os- 
tracisme est  préjudiciable  aux  recherches  philologiques. 

Maintes  fois,  nos  étymologistes  ont  dû  accepter  comme  origine  de  mots 
français  un  radical  réfractaire  à  leurs  décrets.  Alors,  soucieux  de  laisser, 
quand  même,  force  à  la  loi,  ils  ont  sauvegardé  celle-ci  n'importe 
comment.  Tantôt,  la  dérogation  fut  attribuée  à  l'influence  d'un  idiome 
étranger;  tantôt,  elle  fut  qualifiée  d'insolite,  donc  dénuée  d'intérêt.  Enfin, 
comme  l'insolite  avait  chance  de  foisonner,  on  coupa  court  aux  récidives 
par  un  abusif  emploi  de  l'Intercalation.  Voici  des  exemples  : 

1°  On  dit  :  «  V  initial  devient  aussi  G.  vagina  (gaine)  probablement 
sous  l'influence  du  W  germanique  ».  L'allégation  n'est  pas  ferme,  c'est 
plutôt  une  insinuation;  mais,  émanée  de  haut,  elle  a  obtenu  tout  crédit, 
et  l'on  y  a  vu  comme  une  confirmation  de  l'arrêt  :  «  Une  labiale  latine 
ne  deviendra  jamais  une  gutturale  française.  »  Erreur  !  De  lui-même,  ou 
par  suggestion,  V  latin  nous  doniie-t-il  un  G?  Oui  !  Vasconia,  Gascogne; 
et  oui  !  encore, s'il  n'est  pas  initial  :  n'wosus,  neigeux. 

2"  Noter  que  la  forme  d'un  dérivé  est  insolite  ne  supprime  pas  son  droit 
d'exister;  c'est,  plus  ou  moins,  l'aveu  qu'elle  n'avait  pas  été  prévue. 
Même  seule  de  son  genre,  elle  aurait  certain  prix  ;  sa  valeur  augmente  si 
on  lui  trouve  des  pareilles.  Alors,  Chartre,  qui  est  carcrem  (carcerem), 
présentant  une  transformation  de  gutturale  en  dentale,  ne  devrait  pas 
être  négligé,  malgré  cette  note  :  «  changement,  tout  à  fait  isolé,  en  fran- 
çais moderne,  de  c  en  t.  »  Ce  Changement,  il  faudrait  en  tenir  compte 
pour  l'avenir,  l'apostille  fût-elle  exacte  présentement.  Or,  elle  ne  l'est  pas, 
car  l'auteur  même,  qui  déclare  unique  la  susdite  mutation,  en  donne  un 
second  exemple  avec  Cloporte,  de  clausus  porcus. 

3'  Cet  accident,  C=  T,  menaçait  de  contrarier  si  souvent  la  règle,  qu'on 
inventa  de  le  masquer  à  tout  jamais,  et  l'on  abusa  de  l'Intercalation,  qui 
n'est  pas  à  confondre  avec  la  Substitution. 

On  sait  que  tenera,  perdant  le  second  e,  devient  ten'ra  qui  ofîre  un 
vide  où  se  loge  le  d  de  tendre.  On.  sait  également  que,  faute  d'une  brèche  à 


1126  PÉDAGOGIE 

remplir,  le  parasite  ne  chôme  pas.  Il  se  fait  une  place,  témoin  N  dans 
Langouste,  de  locusta.  Des  deux  parts,  il  est  visible  que  le  français  compte 
toujours  une  consonne  de  plus  que  le  latin.  Être  en  surcroît  sur  le  point 
envahi,  c'est  là  ce  qui  dénonce  V intercalaire;  le  dérivé  n'en  contient  donc 
pas  s'il  a  même  chiffre  de  consonnes  que  le  radical. 

Dans  ce  dernier  cas,  les  changements  observés,  du  latin  au  français, 
entre  lettres  correspondantes,  sont  par  Transformation...  ou  par  Substitu- 
tion, et  sera  de  celte  espèce  toute  mutation  que  ne  consacre  pas  au  moins 
l'épithète  d'insolite. 

Ainsi,  de  d  à  n,  l'égalité  n'est,  ni  peu  ni  prou,  reconnue  officiellement. 
En  conséquence,  I'n  du  verbe  Rendre  est  dite  consonne  substituée  au 
premier  d  de  reddere:  tandis  que,  de  carcerem  à  Ghartre  il  y  a  transfor- 
mation d'un  G  en  T. 

Cette  vérité,  on  a  bien  voulu  l'admettre,  mais  pour  une  fois  seulement, 
parce  que  le  moyen  était  inventé  qui  menait  au  but  sans  violer  la 
règle  : 

Parmi  les  infinitifs  latins  passés  chez  nous  avec  leur  finale  ainsi  mo- 
difiée :  t?'e,  et  tous  pareillement  traités,  je  prends,  tel  qu'il  est  donné  en 
compagnie  du  vieux  français,  le  verbe  cresc're,  Groistre.  (V.  Ancêtre,  au 
Dictionnaire  d'Éti/mologie.)  Decrescre,  on  supprime  tout  d'abord  la  lettre 
gênante  G  ;  le  thème  n'est  plus  que  cres're.  On  dit  alors  que  le  groupe 
s'r  devient  str,  «  grâce  à  Tintercalation  euphonique  d'un  t  »,  et  l'on  a 
crestre,  d'où  le  primitif  Groistre,  aujourd'hui  Groître. 

Le  procédé  est  fort  commode  ;  on  retranche,  on  ajoute  où  l'on  veut. 
A  cette  manœuvre,  cependant,  les  dérivés  ne  gagnent  rien;  ils  ont  tou- 
jours même  nombre  de  consonnes  que  le  radical  :  str  pour  scr.  Donc,  il 
n'y  a  pas  intercalation. 

Y  aurait-il  plutôt  Substitution?  Pas  davantage.  Les  conditions  précé- 
dentes ont  été  faites  communes  à  crescere  et  à  essere,  Etre,  ce  qui  au- 
torise à  conclure  de  celui-ci  à  celui-là.  On  nous  montre  ess're  perdant  le 
second  s,  devenant  es're,  puis  estre  (vieux  français),  par  addition  d'un  t. 
Or,  S  dentale  commerce  naturellement  avec  T,  autre  dentale.  Par  là,  t, 
qui  déjà  n'est  pas  intercalaire,  n'est  pas  substitué  non  plus,  il  est  par 
métamorphose  d'un  S  de  essere,  —  comme  aussi  d'un  G  de  crescere.  En 
conséquence,  n'eût-on  à  mettre  en  avant  que  carcerem,  Ghartre,  G  égale  T  ; 
c'est  chose  acquise. 

lY 

La  classe  des  dentales  me  paraît  plus  que  toute  autre  commander  l'at- 
tention, et  seule  désormais,  elle  va  m'occuper  jusqu'à  la  fin  de  cette  étude. 
On  a  pu  voir  que  les  Dentales  sont  en  relation  avec  les  trois  autres 


PAVOT 


—    ÉTVMOLOGIE    FRANCO-LATINE  127 


classes.  Encore  n'ai-je  pas  montionrir  certaines  mutations,  notamment 
celles  de  S  et  de  D  en  liquide  .\,  dont  je  vais  dire  quelques  mots  parce 
qu3  la  question  intéresse  un  de  nos  sociétaires. 

L'an  dernier,  M.  Charrier-Fillon  (de  Fontenay-le-Comte)  me  fit  l'hon- 
neur et  le  plaisir  très  inattendus  de  me  demander  si  le  latin  Portus  Sicor 
pouvait  nous  avoir  donné  ce  nom  de  localité  :Pornic;  eu  résum3,  si  la 
dentale  S  avait  pu  transiter  en  liquide  N.  Après  réflexion,  je  répondis 
par  l'afTirmative.  Toutefois,  je  spécifiais  que  je  n'avais  pas  d'exemple 
topique  à  l'appui  de  mon  opinion  et  que  j'étais  guidé  seulem3nt  par  l'a- 
nalogie. J'avais  en  notes  :  Ordière  (de  orhitaria)  devenu  Ornière;  puis 
Borde  (petite  métairie  à  l'extrémité  d'un  village)  qu'on  assimilait  à  Borne, 
limite. 

Depuis,  j'ai,  par  deux  fois  nouvelles,  rencontré  D,  et  même  une  fois  Z, 
aboutissant  à  N.  Quant  à  S,  il  se  dérobe  encore,  mais  j'espère  que  ce 
n'est  pas  pour  toujours,  car  se  changer  en  Liquides  est  un  fait  dont  les 
Dentales  sont  plus  coutumières  qu'on  ne  veut  l'avouer.  C'est  un  point 
qu'il  faut  mettre  en  évidence. 

1°  Mutations  de  Dentales  en  Liquides,  de  S  en  R  ;  de  D  et  de  T  en  L 

Tout  singulier  qu.'on  l'estime,  le  changement  de  S  en  R  se  trouve 
inscrit  partout,  et  Massilia,  Marseille,  a  des  acolytes.  " 

Quant  au  passage  de  D  et  de  T  en  L,  on  l'a  évité  par  un  de  ces 
détours  que  j'ai  signalés  à  propos  de  I'Accent  Latin  (Congrès  de  1891). 
Avec  cicada  qui  est  Cigale  directement,  on  a  fait  le  diminutif  cicadu/a  doté 
de  la  consonne  voulue  l,  ce  qui  permet  d'éluder  la  lettre  malencontreuse  d. 
—  De  ovatus  (ovum,  OEuf)  à  ovale,  même  embarras  à  cause  du  t.  Ici,  le 
choix  d'un  trompe-l'œil  n'a  exigé  que  le  sacrifice  du  sens  vrai  ;  on  a  pris 
l'adjectif  de  ovis,  brebis,  et  ovalis  fait  toujours  florès. 

Que  penser  de  tant  d'ingéniosité  lorsque,  en  même  temps,  on  reconnaît 
que  le  grec  Odusseus  était  en  latin  Ulysses  ;  el  que  dingua,  cadamitas, 
dacrymœ  avaient  précédé  lingua,  calamitas,  lacrymœ'î...  Mais,  pour  la 
règle,  ce  ne  sont  là  que  des  corruptions.  En  somme,  on  ne  veut  pas  îa 
permutation  de  d  en  l,  pas  plus  que  celle  de  t  en  l  ;  or,  temonem,  qui 
est  timon,  donne  aussi  limon. 

Il  y  a  enfin,  pour  légitimer  ces  changements,  la  considération  qu'ils 
ont  des  réciproques  ;  L  =  D  et  L  —  T:  amylum,  amidon;  aureol  (us), 
Oriot  (Loriot).  Et  même,  entre  T  et  L,  l'alternance  est  visible  si  l'on  com- 
pare simplement  crotal  (um)  à  son  dérivé  Grelot. 

Par  tous  ces  motifs,  la  métamorphose  entre  Dentale  et  Li((uide  est 
indéniable  et  j'ai  bon  espoir  d'ajouter  quelque  jour  à  mes  relevés  le  chan- 
gement de  S  en  N  (Portus  Sicoî\   Pornic;. 


1128  pédagogie 

2"  Mutations  de  Dentales  en  Gutturales 

Une  modalilé  dans  le  protéisine  des  Dentales,  très  importante  à  mes 
yeux,  aussi  certaine  que  la  précédente  et,  non  moins  qu'elle,  négligée  ou 
mal  traitée,  c'est  leur  conversion  en  Gutturales. 

T,  D,  S  deviennent  C. 

T.  Si  l'on  a  taxé  d'insolite  la  mutation  de  C  en  T  {carcerem,  Chartre), 
ce  n'était  pas  pour  qualifier  mieux  celle  de  T  en  C.  Un  auteur  classique, 
parfois  moins  intransigeant  que  les  autres,  dit  ceci  : 

«  La  permutation  de  deux  lettres  d'un  caractère  différent  est  toujours 
assez  difficile  à  admettre.  Cependant  le  seul  exemple  connu  de  cette 
transformation  n'est  pas  douteux  ;  Craindre  vient  bien,  en  effet,  de  tremere. 
Il  est  probable  que  le  voisinage  de  r  a  facilité  ce  changement.  On  remarque, 
du  reste,  chez  les  paysans  des  environs  de  Paris,  une  certaine  propension 
à  prononcer  K  pour  T  ;  ils  disent  amikié  pour  amitié,  etc.,  etc....  Dans  le 
Médecin  malg?'é  lui,  Molière  n'a  pas  manqué  de  noter  cette  habitude...  » 

Cet  alinéa  méritait  d'être  copié  parce  qu'il  précise  l'état  de  la  question. 
Il  est  acquis,  avec  tremere,  Craindre,  que  le  T  est  devenu  C.  Mais  pourquoi 
de  semblables  mutations  sont-elles  toujours  d'acceptation  malaisée  ?  Est-ce 
que,  pour  se  former,  les  mots  sont  tenus  d'obéir  aux  couventions  des 
lettrés?  Connaît-on  vraiment  toutes  les  lois  qui  régissent  le  phénomène? 
Non  !  et  ce  n'est  pas  avec  difficultés,  mais  avec  faveur  que,  bien  constaté, 
le  fait  imprévu  devrait  être  accueilli,  car  il  ouvre  une  voie  de  plus  vers 
l'inexploré. 

Au  seul  exemple  connu,  je  crois  qu'on  peut  ajouter  juventam  et  neptem, 
donnant  Jouvence  et  Nièce  —  sans  aucune  intervention  de  la  consonne  r. 

Enfin,  le  peuple,  dont  le  langage  est  un  modèle  toujours  proposé,  rem- 
place T  par  K  (qui  est  l'articulation  du  C  latin).  Je  noterai,  de  plus,  que 
l'inverse  est  aussi  dans  ses  habitudes.  Au  lieu  de  cinquième  (étage),  il  pro- 
nonce cintième.  Nous  avons  encore  Czar  et  Tzar,  et  les  Romains  disaient 
marculus  et  martulus  pour  Marteau. 

Ainsi  T  égale  C,  et,  comme  il  y  a  réciproque  il  ne  m'étonne  point  que 
par  permutations  directes  —  et  non  par  transposition  dans  le  corps  du 
mot  —  Scintilla  ait  fait  Étincelle,  en  dépit  de  la  règle  qui  aurait  voulu 
Échintelle . 

D.  Cette  dentale  â,  même  fortune  que  la  précédente.  Elle  nous  donne 
la  gutturale  C  de  fundare  à  Foncer  ;  deaspidem  à  Aspic,  et  je  n'hésite  pas 
à  voir  une  alternance,  C  ==  D,  en  comparant  le  latin  sicra  au  français 
Cidre. 


PAVOT.    —    ÉTYMOLOGIE    FRANXO-LATINE  1129 

S.  Cette  dentale  devient  gutturale  C.  de  versare  à  Bercer;  de  sorbum 
à  Corme.  Je  dois  avertir  que  ces  étymologies  ne  se  trouvent  pas  partout,  et 
que,  d'ordinaire,  les  deux  mots  français  ont  la  mention  :  orUjine  inconnue  ; 
mais  versare  a  l'assentiment  de  Littré  ;  et  sorbus  domestica  est,  en  histoire 
naturelle,  le  nom  du  Cormier.  Dès  lors,  S  =  C  est  tout  aussi  évident,  à 
mon  avis,  que  l'inverse  Cr=S:  cingula,  Sangle;  racemus.  Raisin. 

T,  D,  S  deviennent  G. 

Ce  changement  n'est  pas  plus  difficile  à  constater  que  la  mutation  en  C. 
Je  commencerai  par  S  et  linirai  par  T,  non  pour  quelque  profit  de  la 
démonstration,  mais  parce  que  T  m'occupera  plus  longtemps  que  ?es 
similaires.  Et  puis,  il  doit  m'amener  à  l'examen  critique  du  suffixe  «/îcitm; 
il  vaut  donc  mieux,  avant  le  débat,  en  avoir  terminé  avec  S  et  D. 

S.  L'opinion  des  linguistes  étant  que  les  noms  propres  sont  d'un  secours 
précieux  en  étymologie,  le  changement  de  S  en  G  n'est  pas  douteux  avec 
Athesi.s,  Adige.  Cette  équivalence  conduira  sans  doute  à  tirer  de  l'ombre  plus 
d'un  mot  français  de  provenance  toujours  dite  inconnue.  Tel  est  Morgue. 
Il  y  a  deux  ans  que,  dans  un  livre  où  je  consignais  le  résultat  de  quelques 
recherches,  je  fis  voir  que  Morgue  est  le  latin  morsus,  radical  qui  a  servi, 
d'ailleurs,  à  la  création  de  Amorce  (pour  Rabelais,  Esmorche)  —  et  de 
Remorque  ;  trois  formes  à  désinence  gutturale. 

L'égalité  de  S  et  de  G,  bien  claire  dans  un  sens,  ne  l'est  pas  moins 
dans  l'autre  ;  de  gigerla  on  a  Gésier.  Mais  cette  conclusion  G  =  S,  je  ne 
m'attendais  pas  à  l'obtenir  du  Dictionnaire  classique.  Une  gutturale  passée 
à  dentale  !  On  renvoyait  au  mot  Fraise,  j'y  courus  ;  mais  au  lieu  de 
fraga,  jy  rencontrai  le  fictif  f ragea  suivi  d'un  nouveau  renvoi  au  verbe 
Agencer,  en  bas-latin  agentiare. 

Je  compris  alors  que,  derechef,  j'étais  en  présence  d'un  expédient  pour 
sauver  la  régie.  Nos  étymologistes.  je  le  répète,  ont  été,  plus  d'une  fois, 
dans  l'obligation  d'admettre  un  radical  non  taillable  à  merci,  mais,  après 
cette  concession  forcée,  ils  sont  revenus  de  suite  à  leur  système  avec  des 
sujets  rendus  maniables  à  volonté. 

Il  en  est  ainsi  de  Fraise  qu'on  semble,  tout  d'abord,  donner  comme 
appoint  à  Gésier,  et  qui  est  résolument  dépossédé  de  ce  rôle.  Le  thème 
latin  est  fragum  ou  fraga  ;  on  y  substitue  fragea,  puis  fragia  qui  permet 
d'avoir  fracia.  —  Cela  obtenu,  comme  les  Chartes  franques  (V.  Agencer) 
faisaient  égales  en  prononciation,  cia  et  lia,  de  fracia,  on  a  fratia  qui 
devient  Fraise  «  par  changement  de  ti  en  s  »,  prétendent  les  auteurs,  car 
ils  sont  unanimes  à  douter  que,  tout  seul,  T  puisse  parvenir  à  la  sifflante 
en  français.  Je  citerai  donc  Tabernœ,  Saverne. 

Ainsi,  pour  aller  du  vrai  radical  à  son  dérivé,  on  a  établi  ces  jalons  : 


1130  PÉDAGOGIE 

Fraga,  fragea,  fragia,  fracia  —  fratia.  Fraise,  parce  quoQ  ne  voulait 
pas  dire  que  G  =  S.  Or,  il  est  un  point  où,  de  toute  nécessité,  Ton  passe 
de  gutturale  à  dentale,  c'est  de  C  à  T.  Voici  qui  est  plus  curieux  encore  : 
cette  mutation,  dont  on  use  fort  bien  ici,  on  l'avait  tarée  comme  insolite, 
à  l'occasion  de  carcerem,  Chartre. 

D.  Cette  dentale  devient  G,  de  hordeum  à  Orge;  de  sedere  à  Siéger.  Cela 
n'est  pas  admis;  on  en  est  toujours,  sur  la  foi  des  auteurs,  à  s'expliquer 
la  présence  du  G  par  l'illogisme  décoré  du  titre  de  consonnification,  ou 
métamorphose  d'une  voyelle  en  consonne.  J'ai  dit,  en  d'autre  temps,  ces 
que  je  pense  d'une  telle  conception .    , 

Ici,  hordeum  et  sedere  sont  arbitrairement  remplacés  par  hordium  et 
sediare  qu'on  écrit  hordjum  et  sedjare;  on  élimine  la  dentale  importune, 
et  alors  horjum  et  sejare  font  Orge  et  Siéger. 

Ces  manipulations  ne  sont  vraiment  pas  acceptables,  et  je  me  demande 
comment  on  peut,  encore  aujourd'hui,  colporter  ce  modèle  du  genre  : 
diurnalis,  djurnalis,  journal.  Pour  voir  d'où  provient  notre  gutturale  J,  il 
suffit,  sous  le  latin  dimmus,  de  mettre  l'italien  giorno.  En  transition,  D  a 
donc  fait  G,  ou  J,  mais,  entre  le  latin  et  le  français,  on  n'a  jamais  cité  ce 
giorno  qui  nous  avait  donné  le  vieux  mot  jorne.  Et  pourtant,  on  ne 
manque  point  d'en  appeler  souvent  aux  vocabulaires  des  peuples,  plus 
directement  que  nous,  héritiers  de  la  langue  mère. 

L'ancien  provençal  est  un  de  ces  témoins  très  invoqués.  Eh  bien  !  à 
l'article  Fâcher  du  Dictionnaire  étymologique,  on  peut  lire  que,  de  fas- 
tid(ium)  le  provençal  avait  eu  fastig  (ennui),  encore  une  mutation  de  D  en 
G.  Enfm  de  podium,  qui  est  Puy,  il  a  tiré  deux  autres  formes  :  puig  et 
puecli . 

Par  là,  chez  nous  aussi,  l'accident  est  plus  que  probable;  je  le  tiens  pour 
réel,  et  il  a,  comme  pendant,  le  cas  inverse  G  =:  D  :  ruga,  Ride;  sur- 
gere,  Sourdre. 

T.  Cette  dentale  devient  G;  soient  :  natare.  Nager,  et  œtatem.,  Age.  J'ai 
l'alternance  G  =:  T,  avec  surgere  qui,  en  plus  de  Sourdre,  donne  Sortir, 
un  doublet  de  Surgir. 

Les  étymologies  que  je  présente  en  ce  moment  sont  trop  contraires  aux 
idées  courantes  pour  avoir  été  reconnues.  Personne,  que  je  sache,  ne  les 
a  patronnées,  tant  se  recommandent,  en  apparence,  les  deux  autres  thèmes 
intronisés  :  navigare  et  œtaticum. 

Mais  il  faut  convenir  que  navigare  est  simplement  une  expression  poé- 
tique. Dans  Ovide,  le  mot  fait  image,  assimilant  au  navire  en  marche 
l'homme  qui  se  meut  à  fleur  d'eau.  Ce  n'est  pas  à  coup  sûr,  un  tel  motif 
qui  a  guidé  les  théoriciens  du  langage  quand  ils  ont,  à  leur  tour,  préféré 
ce  verbe  à  nalare,  c'est  parce  que  sa  finale  était  de  forme  réglementaire, 
contenant  une  gutturale  qu'il  n'y  avait  même  pas  à  modifier. 


PAVOT.    —    ÉTYMOLOGIE   FRANCO-LATINE  1131 

Cette  raison  est  encore  plus  visible  avec  œtaticum,  bas-latin  douteux^ 
chargé  de  supplanter  œtatem,  de  représenter  le  substantif  Age  et  par  suite, 
de  monopoliser  la  genèse  de  notre  désinence  âge. 

Sur  œtaticum  devenu  âge. 

Je  reproduirai  fidèlement  le  plaidoyer  mis  au  service  de  cette  finale 
aticum,  mais  je  ne  le  ferai  pas  d'une  seule  tenue.  Il  y  aura  plus  de  clarté, 
je  crois,  si  j'expose  les  arguments  l'un  après  l'autre  en  faisant  suivre  cha- 
cun des  réflexions  qu'il  comporte. 

l*»  «  Le  suffixe  aticum  que  le  latin  classique  employait  assez  souvent  :  — 
silvaticus  (Varron),  aquaticus  (Pline),  fanaticus  (Juvénal),  umbraticus  et 
volaticus  (Cicéron),  viaticus  (Plante),  apostaticus  (TertuUien),  —  devint 
d'un  usage  commun  dans  le  latin  populaire,  vers  les  derniers  temps  de 
l'Empire  et  les  premiers  siècles  des  Mérovingiens...  De  ces  nombreux  dé- 
rivés en  aticum  sont  venus  les  correspondants  en  âge...  On  voit  comment 
volaticus,  par  exemple,  qu'employait  Cicéron,  au  sens  de  léger,  d'inconstant, 
est  devenu  volage,  huit  siècles  plus  tard  :  l'i  bref,  pénultième,  a  disparu, 
suivant  la  règle,  et  volaticus  a  donné  volatge,  par  changement  de  c  en  g, 
puis  volage.  » 

—  L'an  dernier,  lors  du  Congrès  de  Marseille,  dans  un  mémoire  sur 
1' Accent  latin,  j'ai  montré  que  laquantité  prosodique  est  sans  influence  sur 
le  mamtien  ou  la  disparition  des  pénultièmes.  Ainsi  placé,  i  bref  nous  a 
donné  les  toniques  de  Catane,  de  Modène,  de  Sycomore,  de  Peluche,  et 
j'ajoute  qu'il  s'est  maintenu  dans  Aride,  de  aridus. 

Donc,  sans  nier  que  «a'cw.s-  puisse  devenir  âge  [silvaticus,  sauvage),  je 
prétends  que  la  réduction  a  t'eus  n'est  pas,  à  tout  propos,  obligatoire.  De 
fanaticus,  on  eut  fanatique,  rien  de  plus.  C'est,  dira-t-on,  une  forme  sa- 
vante. Qu'importe  l'estampille  ?  N'est-il  pas  prouvé,  avec  aridus,  que  brève 
et  pénultième  la  voyelle  i  peut  —  comme  les  autres  —  passer  intacte  du 
latin  au  français?  Viatique  aussi  est  une  forme  normale,  bien  que  sa- 
vante, el  c'est  la  seule,  je  pense,  qui  nous  soit  venue  de  viaticum,  à  moins 
de  confondre  toujours  le  viatique,  la  provision  du  voyageur,  avec  le 
voyage  lui-même. 

2°  ('  Le  provençal  qui  transforme  aticum  en  atge  (comme  le  plus  ancien 
français)  et  qui  dit  carnatge,  messatge,  ramatge,  pour  Carnage,  Message, 
Ramage,  confirme  cette  règle  de  permutation.  » 

—  Ce  parler  du  Midi  n'est  pas  une  preuve  péremptoire.  J'ai  reconnu 
que  âge  pouvait  dériver  de  aticum,  mais  on  ne  saurait  attribuer  à  cette 
forme  latine  qu'une  part  dans  la  production  de  notre  désinence,  même 
eût-elle  le  cachet  méridional  atge.  En  blendes  cas,  en  efl'et.  le  Provençal, 
ainsi  que  l'Anglais,  fait  entendre,  devant  les  gutturales,  un  t  ou  un  d  que 


1132  PÉDAGOGIE 

den  ne  justilîo.  CesL  qu'il  a  uniformisé  son  langage,  sans  aucun  souci 
des  radicaux;  alors,  au  lieu  de  Mage,  Page,  Image,  il  dit  ma^^e,  patge, 
imatgc.  issus  pourtant  du  \2X\n1nagus,  pagina,  imago.  Le  dies  Jovis  (jeudi) 
est,  dans  la  langue  dOc  :  di...  djaous,  et  dies  rfomm/ca  (dimanche)  ou 
dominica  tout  seul,  est  dimendje.  On  le  voit  donc,  la  Dentale  ne  mérite 
pas  toujours  confiance. 

3'^  «  Vers  la  fin  duxi«  siècle,  quand  on  eut  perdu  le  sentiment  de  l'accen- 
tuation latine  et  que  la  langue  française  fut  formée,  les  formes  en  alicum 
disparurent,  et  nous  ne  trouvons  plus  que  des  formes  en  agium,  calque 
de  la  terminaison  française.  Ainsi,  au  xni«  siècle,  au  lieu  de  missaticum 
et  fonnaticum,  on  a  messagium  et  from.agium  qui  ne  sont  que  du  français 
affublé  de  latin  par  les  clercs,  alors  que  personne  ne  connaissait  plus 
l'origine  de  ces  mots,  ni  le  sultixe  formateur.  » 

—  Je  ne  m'arrêterai  pas  à  chercher  si  le  sentiment  de  l'accentuation 
latine  ne  s'est  perdu  que  vers  la  (in  du  x[«  siècle;  ce  qui  me  frappe,  dans 
cet  alinéa,  c'est  la  netteté  avec  laquelle  se  résume  la  Théorie  :  Il  doit 
être  entendu  que  aticum  nous  a  donné  âge,  et  que,  avec  âge,  on  a  fabriqué 
agiiun. 

Tout  d'abord,  il  est  au  moins  singulier  que  l'on  présente  comme  systé- 
matique l'emploi  de  agium,  quand  l'abus  que  l'on  a  fait  de  aticum, 
pour  créer  des  fictifs,  est  passible  du  même  reproche,  et  surtout  quand,  de 
nos  jours  encore  (je  l'ai  montré  ailleurs)  on  «  calque  »  du  français,  on 
«  affuble  »  des  mots  de  notre  langue  avec  un  latin  chargé  ensuite  de  les 
expliquer. 

Puis,  les  clercs  incriminés  n'ont  pas  inventé  agium,  forme  qui  existait 
en  latin,  aussi  vieille  que  aticum.  Ce  n'est  pas  de  Présage,  Naufrage, 
Adage...  que  sont  i\és  pi^œsagium,  naufragium,  adagium....  c'est  tout  le 
contraire. 

Que,  à  deux  siècles  de  distance,  on  ait  usé,  jusqu'à  l'excès,  de  aticum, 
en  première  date,  puis  de  agium,  c'est,  il  me  semble,  toute  la  morale  à 
tirer  de  l'historique.  Et  je  considère  comme  fâcheuse  l'actuelle  restau- 
ration d'une  finale  dont  l'omnipotence  ne  fut  jamais  réelle. 

A  ses  côtés,  et  mieux  qu'elle,  agium  menait  à  la  désinence  voulue.  J'ai 
cité,  y  conduisant  aussi  :  imago,  pagina,  magus.  L'on  sait  enfin  que, 
pour  étayer  laconsonnilication,  on  a  fait  venir  de  i  lagutturale  g.  Plus  d'une 
preuve  existe  donc  qui  s'élève  contre  l'universalité  d'action  dévolue  au 
suffixe  aticum.  Son  domaine  déjà  rétréci,  je  vais  le  diminuer  encore; 
mais  avant,  je  dois  faire  un  nouvel  emprunt  au  Dictionnaire  classique. 

4°  «  Age.  L'accent  circonflexe  de  âge  montre  qu'une  lettre  a  été  suppri- 
mée. Le  mot  est,  en  effet  éage  au  xvi«  siècle  ainsi  qu'au  xu'^;  édage  au  xi°; 
et  vient  du  latin  vulgaire  œtaticum,,  forme  dérivée  de  uHatem.  » 

—  Au   texte,    œtaticum   porte  un  astérisque,  habituel  indice  que   le 


PAVOT.   —    ÉTYMOLOGIE    IRANCO-LA  UNE  1133 

mot  n'est  pas  classique,  ou  encore  que  sa  forme  est  hypolhéti({ue. 
Ancien  ou  moderne,  c'est  un  fictif  composé  d'aj^vs  le  type  volalkus. 
Cette  condition  m'engageait  à  l'écarter,  et  je  fis  retour  vers  œtatem 
médisant  :  Pourquoi,  puisque  D  devient  G,  cette  autre  dentale,  presque 
pareille,  T,  n'aurait-elle  pas  même  latitude?  Malgré  nombre  d'enquêtes 
stériles,  je  continuais  à  croire  possible  cette  permutation,  et  longtemps 
j'en  restai  là,  ne  trouvant  rien  qui  put  confirmer  mon  pressentimt^nt. 

Le  hasard  de  mes  lectures  m'offrit  enfin  ce  que  je  ne  cherchais  plus  guère. 
Dans  son  livre  des  Divinités  génératrices  (p.  271),  Dulaure  parle  d'une 
pénitence  publique,  accomplie  pendant  une  procession  ;  Une  femme  qu'une 
autre  avait  insultée,  suivait  la  délinquante,  et  lui  piquait,  à  loisir,  certaines 
parties  charnues.  Le  fait  est  relaté  dans  le  glossaire  de  Carpentier,  à  l'ar- 
ticle Naticœ  qui  se  termine  ainsi  :  et  celé  la  poindra  en  la  nage  (fesse) 
d'un  aiguillon. 

Tiré  d'un  cartulaire  de  Champagne,  ce  mot  Nage  est  le  latin  natem. 
J'avais  donc,  très  authentique,  l'équivalence  de  T  et  de  G,  et  l'immédiate 
conséquence  de  cette  trouvaille  fut  que  je  restituai  Nager  à  natare.  Par 
natare,  j'obtenais  tout  ce  qu'on  peut  tirer  de  navigare,  plus  na tat us,  ^a.ge; 
natatorium  Nageoire;  ou  natge  et  uatgeoire,  à  la  provençale,  en  conser- 
vant le  premier  T. 

Ainsi,  aticum  perd  encore  du  terrain.  Déjà,  il  n'était  pas  toujours  in- 
dispensable à  la  production  de  âge,  et  voilà  que  dans  ce  rôle  atwn  peut 
souvent  le  remplacer  aussi.  Tous  les  vocabulaires  latins  disent  sans  pré- 
méditation :  locatuni,  Louage;  obsidatum  Otage;  viduatum,  Veuvage... 
Simples  traductions  qui,  maintenant  sont,  pour  moi,  de  véritables  étymo- 
logies. 

On  m'objectera,  peut-être,  que  les  finales  atus,  ata  doivent  se  résoudre. 
en  français,  par  É  ou  ée  {amata,  aimée).  C'est  l'habitude  seulement,  ce 
n'est  pas  constant  ;  rien  n'empêche  que  ata  devienne  ade  et,  comme  D 
égale  G,  on  pourrait  avoir,  en  définitive,  âge.  Mais  il  n'est  pas  besoin  de 
cette  filière.  Le  générateur  est  le  même  pour  âge  et  pour  ée,  car  nous  di- 
sons indifféremment  :  Pesage  et  pesée;  Passage  el  passée;  Ramage  et  ra?rtee; 
Arrivage  et  arrivée  ;  etc.  etc. 

Quant  à  œtatem,  latin  non  douteux,  s'il  est  confronté  avec  les  variantes 
de  notre  substantif  Age,  il  supporte,  fort  bien  cette  épreuve  décisive. 

Lettre  pour  lettre,  œtatem  est  Édage  ;  la  chute  du  premier  t  donnerait 
Eage,  par  contraction  Age.  En  suppriuiant  la  voyelle  médiale  a  de  notre 
accusatif,  on  arriverait  à  la  leçon  écrite  ou  parlée  Atge;  donc,  œtaticum 
est  tout  au  moins  une  superfétation. 

Je  me  résume.  Le  suffixe  en  cause  a  pu  nous  donner  âge,  puisqu'il  y  a 
plausibles  relations  de  sens  et  de  forme  entre  le  volaticus  de  Cicéron  et 


1134  PÉDAGOGIE 

notre  adjectif  volaye.  Mais  la  faveur  excessive  dont  il  a  joui  jusqu'à  la  fin 
du  XI*  siècle  ne  doit  pas  faire  méconnaître  qu'il  ne  régnait  pas  seul.  Au- 
jourd'hui surtout,  sa  plénière  souveraineté  est  inadmissible,  vu  les  multiples 
provenances  de  la  Gutturale  française.  Longtemps  il  m'a  manqué  la  mu- 
tation de  T  en  G  ;  cette  lacune  est,  je  crois,  comblée  désormais. 

En  tout  cas,  j'ai  montré  quel  grand  profit  on  aurait  en  préférant  toujours 
l'autorité  du  fait  à  la  vogue  d'une  tradition;  en  sacrifiant  au  respect  de 
l'évidence  des  théories  ingénieuses  seulement,  des  expédients  qui  passent 
pour  des  méthodes,  des  artifices  imaginés  pour  soutenir  la  moins  libérale 
des  réglementations . 


M.   Albert  PICÏÏE 

Vice-Président  de  la  Société  des  Sciences,  Lettres  et  Arts  de  Pau. 


LE  CERCLE  DES  CONNAISSANCES  HUMAINES 


—  Séance  du  19  septembre  1892  — 

Audax  Japeti  genus  ! 

Graphie.  —  Ne  faut-il  pas  toute  l'audace  présompteuse  d'un  ignorant 
pour  oser  présenter,  dans  une  réunion  savante  telle  que  la  vôtre,  un  travail 
aussi  ambitieux  en  apparence  qu'est  cet  atlas,  en  réalité  fort  modeste. 

N'a-t-il  pas  la  prétention  :  de  vous  offrir  la  classification  naturelle  de 
toutes  les  connaissances  humaines  :  conscience,  sciences,  croyances,  et 
d'indiquer  qu'au  delà  de  la  Connaissance,  il  y  a  encore  deux  autres  mondes 
intelligibles,  celui  de  l'Amour  et  celui  de  la  Vertu  bienfaisante  ; 

De  présenter  dans  ses  tableaux,  à  leur  place  logique  et  chronologique, 
êtres  et  phénomènes  qui  constituent  l'univers  :  personnes  et  choses,  hommes 
et  œuvres,  faits  et  gestes,  toutes  les  idées  humaines  représentées,  à  leur 
date  d'éclosion,  par  le  nom  des  grands  hommes  qui  les  ont  émises,  et  de 
pouvoir  donner,  rangés  en  ordre,  par  famille  et  par  genre,  tous  les  mots 
de  la  langue  française  qui  expriment  ces  idées  et  ces  hommes  ; 

Enfin,  de  montrer  la  subdivision  et  la  filiation  des  arts,  des  professions 
et  des  sciences,  dans  le  cours  de  l'humanité  et,  par  conséquent,  l'évolution 
du  travail  et  de  la  civilisation  sur  la  terre  ! 


A.    PICHE.   —    LK  CERCLE    DES    CON?iAlSSANCES    HUMAINES  1135 

Évidemment,  si  j'étais  mi  savant  véritable  et  surtout  un  savant  ofriciel, 
je  me  garderais  bien  de  me  compromettre  dans  une  entreprise  aussi 
téméraire  ;  mais  je  ne  suis  qu'un  amateur,  un  simpliste,  un  chercheur. 
un  songeur;  je  puis  me  montrer  fils  audacieux  de  Japhet;  Carnute,  qui 
ne  craint  pas  même  que  le  ciel  lui  tombe  sur  la  tête  (tout  au  plus  vos 
applaudissements)  ;  Béarnais  indépendant,  Basque  indomptable  (je  deviens 
tel  en  ce  pays  d'adoption)  ;  je  puis  donc  risquer  cette  communication  en 
toute  assurance. 

Audacem  fortuna  juvet  ! 

Protégez-moi  de  votre  bienveillance,  en  échange  de  laquelle  je  vous 
promets  trois  choses  :  de  parler  clair;  de  ne  pas  être  ennuyeux  (revêtant 
ces  idées  sérieuses  d'une  forme  légère)  et  de  me  taire  au  premier  signe 
de  M.  le  Président. 

LoGiE.  —  Je  vous  ai  exposé  sommairement  l'objet  de  ce  travail  ;  voici 
maintenant  comment  j'ai  été  conduit  à  le  faire,  en  deux  mots  :  son  histoire; 
je  voudrais  ajouter  :  son  histoire  en  deux  mots  ;  hélas  !  il  me  faudra  les 
multiplier  par  quelques  autres;  je  m'efforcerai,  cependant,  de  réduire  le 
multiplicateur  au  strict  minimum  nécessaire. 

Je  ne  remonterai  pas  au  déluge,  ni  même  avant  ma  naissance,  rassurez- 
vous  ;  mais  seulement  au  temps  du  collège,  ce  bon  temps,  dont  on  aime 
à  se  souvenir  en  raison  directe  du  carré  des  distances;  et  je  ne  le  fais  que 
parce  que,  parlant  devant  des  éducateurs,  je  leur  dois  l'évolution  psycho- 
logique de  mon  travail. 

Élève  très  ordinaire,  mais  sérieux  et  curieux,  j'avais  une  foi  absolue 
dans  la  parole  de  mes  parents  et  dans  la  science  de  mes  maîtres,  dont 
les  enseignements  étaient  pour  moi  plus  que  parole  d'évangile.  Sans 
doute,  ils  m'apprirent  beaucoup  de  choses  (ce  dont  je  leur  suis  infiniment 
reconnaissant),  et  surtout  ils  me  placèrent  dans  un  excellent  milieu  ma- 
tériel, intellectuel  et  moral,  condition  sine  qua  non  d'une  évolution  régu- 
lière; mais  ils  m'apprirent  tout  cela,  sans  le  coordonner  dans  mon  cerveau; 
et,  parfois,  leurs  contradictions  partielles  déroutaient  bien,  un  peu,  ma 
confiance  dans  leur  infaillible  doctrine. 

Au  sortir  du  collège  de  Chartres,  puis  du  lycée  Louis-le-Grand,  j'avais 
dans  la  tête  un  véritable  chaos  de  notions  confuses  :  on  m'avait  appris  à 
parler,  à  lire,  écrire  et  compter,  sciences  préliminaires  et  instrumentaires; 
on  m'avait  enseigné  langues  mortes  et  vivantes,  histoire  et  géographie, 
rhétorique  et  logique,  sciences  mathématiques,  mécaniques,  physiques  et 
chimiques,  histoire  naturelle  et  physiologie,  philosophie,  morale  et  reli- 
gion ;  on  m'avait  même  inculqué  la  métaphysique,  ce  qui  n'éclaircissait 
nullement  mon  ciel  brumeux  ;  car  vous  savez  le  mot  de  Voltaire  :  «  Quand 
l'auteur  ne  se  comprend  plus  lui-même,  c'est  de  la  métaphysique  !  » 


JPontiemlais  ^varier,  ea  o«m\  de  ivnt  autres  sacieiices  :  mM(i'>cine  et  juris- 
pnideiuv.  anaïomie  et  biologie.  amlm>pt>KT«gie  et  ethnc^rraphie,  iv<yehologie 
et  siXMole^e,  philolosrie.  èpismiphie.  numismatique,  sigilK^irraphie.  critique 
el  eï^thètique.  sans  compter  Ihistok^sàe  et  la  tèl«è«i>k^ie  : 

Ije  peu  de  grec  qu'on  m"a\-îiit  appris  me  servait  bien  à  soïqxvniKT  ce 
»jiril  Y  avait  sous  ces  noms  «étranges;  mais  quel  lien  y  avait-il  entre 
toutes  ces  scien»»st  étaient-elles  de  même  natune.  de  raéme  sanire,  de 
même  onire?  ax^ùent-elles  les  mêmes  mètlKxles?  ôtaienl-ee  même  dft^ 
sdeiKies?  d'aucuns  les  appelaient  dt>*i  arts,  dc^s  scienct^  appUquix^! 

Et  dans  uiïe  même  science,  on  ik>  rnavait  pas  enseigtu^  à  distinguer  net- 
tement les  faits,  des  opinions;  les  ol>ser\-ations,  des  théories:  les  expé- 
riences, des  lais;  les  applicïitions.  des  coosidérations  philosophiques.  En 
un  mot,  j'étais  vraiment  fort  emv>étrê.  jx»ur  jwler  le  lan^gn^  nouvivaxi 
qiH^  nvaitn^  Zola  doit  intrvxluîre  à  TAcadémie  frîm^aise  î 

On  ma>-ait.  notamment  donné  pour  argent  ci>mptant,  en  gt\>lcwïie.  la 
théorie  du  feu  central  :  aussi  fus-je  alxsohunent  dénu>ntê,  le  jour  où 
j'appris  que  des  s:ivants  tK»s  sérieux  niaient  s>i>n  existence  el  prétendaient 
prvMiver  mathémaliquement  son  impossibiUté,  J'en  fus  tmit  IxHilev^^rsé  : 
ma  foi  dans  la  scieiHV  en  fut  éhraixltv  ;  en  même  temps  sombrait  égale- 
ment ma  foi  leligieiise;  j'étais  triste,  m;ilheureux.  dtVsesjvrê,  d'autant 
qu'alors  nK»n  ix>ri^  était  atTaibli  par  une  maladie  grave  et  prx^longtv.  Je 
devenais  irritable,  insociable,  miscmlhrv^pe.  sauvage! 

Heureusement,  j'étais  alors  en  Italie,  ce  paj-s  des  ry^naiss;u\ivs  :  cet 
admirable  milieu  climatolc^ique  et  v>sYchoK^que  me  sauva  la  vie,  Tin- 
telligeiuv,  la  sociabilité,  l'humanité;  et  me  rendit  TidiNid.  ce  jxvin  del'ilme 
plus  nécessaire  au  K^iheur  que  le  pain  quotidien,  ne  l'est  à  !a  vie. 

Vu  jour,  à  Venise,  dans  un  café  de  la  Pi;uetta.  la  AVcmc  des  iVM.r  Moinit^ 
me  tombe  sous  la  main;  elle  œntenait  des  articles  de  Claude  Bernani  swr 
!a  méth€n1<^  ^jrperim^lah :  ce  fut  une  révélation:  alor^  je  cvMumencai  à 
distinguer  nettement  robserN-;\tiou  de  l'expérimentation .  les  faits  de  la 
théorie.  j'entr^\is  ce  qu'était  la  loi.  ses  applications  aux  besoins  de  l'homme, 
en  un  mot  l'enchainement  gtniéral  des  piirties  de  l'Univers. 

Cela  me  n monta  le  cvvur.  je  repris  vie.  et  goût  à  la  vie  et  je  me  mis  à 
recommencer  mes  études,  à  ma  façon  cette  fois:  non  plus  au  mode  litté- 
raire des  humanités,  mais  au  nKxie  scieutitique  des  rvnvlités. 

Je  lus  beauciHip.  j'olvserx^ii  le  plus  |^>ossible.  jexp»riment;ù  quelque  peu, 
aborvlant  successi\-ement  toutes  les  scienin?s,  rt^nuîuit  d  aU^rti  mes  acqui- 
sitions sur  des  cahiers,  piiis  les  notant  sur  des  feuilles  \x)lantes,  afin  de 
grouper  tout  ce  qui  comvn\ait  un  même  sujet. 

Bientôt  il  fallut  classer  des  ivnlaines  de  livres  et  dt^  milliers  de  notes 
pour  les  retrouver  au  besoin.  Cela  amena  mon  esprit  naturellement  logique, 
méthodique  et  encyclopédique  à  rechercher  ce  lien  secrtn  dt^  choses  qu'on 


a'avail  piis  su  mVniiHMtïtiur  el  qui  cijpuuilaiit  cousi.iJui»  hi  .wnmiw.  (Le»  luitk 
a  dit.  >Coute!H^ai«fu.  ^H.uJt  les  nipports  tti?cusvsurt»s  »jui  ii>cv>uii#ul  d»#  lu  tjuiluiv 
des  clit^s*^sJ 

i^  tninslormai.  ali^rs»  uui?  di'  rutfs  bibliu(tuh)Ui;i>  (MI  ujit^cistri  die  ttoU^ 
o«>orti»uiaiHî!4  «t  ds  fain?  uul«  cyiitairit*  du  carlablytk  t»u  foruiL»  dt?  vyluttti??*» 
où  je  scrnù  udUjs  e!  coupurws  d'iui;  rim»'s.  I«  tjnut  chissu  dmis^  k»  tui?'ttj«; 
onin*  ((ui»  lus  id«vs  darus  tnmi  ciTvuau,  aiusi  objuctivé.  Grjiud  avauia^f^» 
pour  uu  liotumi?  d«?piMirvu  du  m«'moin?. 

U  y  avajt  «lauf?  cuttu  annoiru  trui*  itraudus  divtsjgn:<  : 

l.  —  Trisfiiài  (lu  trîidilioM)  :  eu  quu  ui'avaiutU  UMt>u«(£t;u»  sur  choqtiKi' 
sciuueu,  pari?ats  ut  uuiîtn^s;  puis  lus  aotiout*  qui  s'yUuuni!  oJîi^rtJW  à  tmi 
dans  mus  voya^çus ut  surtA,mi  au  cours  du  eu  stroiul  voy a^u  quott  appuUt? 
lu  viu. 

It.  — Pt^rrt'phi  (rùujotiori)  :  eu  quu  |  a,v;ns  oprouvu  u«  nfluelnjssuuliaax 
trtuliiii...  mus  itïiprussions  du  v\iyajiu. 

lU.  —  Ht'(n:ia  (lurù'auLum*  r  lu  travail  int,ull<'iMm«l  d'ibonf  puis  u<l^*tit\ 
opûru  soas  liHupin;'  du  luruotion. 

Lus  duiix  pn'tui'Tus  eatù;jx)cius  eout.utuiutih  autant  dv  eartou:<  quu  du 
sciuneus.  dout  ju  tuétai*  oeeupû;  lu^/Cwwft*  su  suldiviwsaluut  atiwi.  d  aprv% 
uu  p;issa^  du  Julus  Simon  :  iduusv  prttjutsk  rusolutiioucs.  autKKi."*. 

El  lus  Actu^  plus  nom bruux  eueoru.  eontuuaiunt  lus^uutwpctJ*»;'*  ^vrs«.iu- 
Quilus.  et  ei'llus  rolluuUvus»  ou  travaux  uu  eollaboraliou. 

Aut;iut  dusNiis.  ou  du  ScK'i'lcs  dout  jûtai:>  membru  actif,  autattt  «.i^ 
doR<ii'rs,  tous  oHti[»tisi'<i  do  tuuillus  volantes,  dar.i.s  dus  ehcuiisus»  awc 
titru.  raugéus  ulius-mOmus  par  ordru'  k^iiique  et  ehrouoJotrtquu. 

Si  tious  ouvrions»  par  uxemplu.  lu  dossiur  du  la  Soetutu  du  la  Hiblivv 
thcquo  populaire  du  Pau.  nous  trouvunous  :  eouceptiou  du  I \uuvru.  juré- 
paraliou.  »l«)«,uuietils  sur  eu  qui  se  tfait  aiJleitrs.  lu{iisla6io*u  prop<.»s»tiou» 
fojidaliou.  aiitorisiition.  souscnptiotu  ehoi\  et  ariiùna^etuuntdki  Uval,  mobi- 
lier, catalotiiic*.  ehvnx  des  livres,  comptes  rendus  annuels  du  Fonetiouuu* 
meut,  eorrespoiulancc.  ftrochamu  scance  du  (îoaiité.  iduus  d'amélioration. 

Ln  des  avantages  pratit|uus  de  eu  syst'''a»u.  c'est  quu  vous  aw*  à  tra- 
vailU-r  un  sujet.  \i\Hts  purtea  pour  uuu  reuuiou  de  S,viétû.  vvhis  ii'avv* 
qu'à  pruutlre  lu  dossier,  vvvts  *Hus  armé,  et  prCt  à  rt'poudre  sur  tous  les 
points,  avec  preuvus  à  l'appui. 

Pour  mus  études  personnelles,  relatives  à  uuu  science,  l'ordre  était 
dilïérunt  :  étant  donné  un  t'l>jet  quelcoimue  ou  un  iiroujK"  d'objets  ;\ 
exammer  à  tous  les  ^H.>ints  de  vue.  lus  clu'mis<'s  étaient  cUisséus  il  après 
révolution  des  méthtxlus  d'iuvestiiration  du  l'esprit  humain,  théorie  quu 
ju  crois  avoir  invenlv'u  ut  que  j'ex^Kis^'rai  sommairement  tout  à  l'heur^'. 

Kn  avant  du  ces  cent  cartons,  il  y  avait,  dans  ma  bibliothèque,  sept 
ou  huit  boites  lon;:.ues.  pluiues  du  Uchus  de  la  taïUu  d'uuu  carte  à  jouer. 


1138  PÉDAGOGIE 

sur  lesquelles  je  me  bornais  à  noter  une  idée,  une  citation,  avec  renvoi 
au  volume  et  à  la  page  du  livre,  ou  au  numéro  de  la  revue.  Des  fiches 
plus  hautes,  et  de  diverses  couleurs,  permettaient  de  grouper  et  de  sous- 
grouper  les  notes  et  de  les  déplacer  au  besoin  par  paquets,  au  fur  et  à 
mesure  du  changement  d'ordre  de  mes  idées,  sans  cesse  en  évolution 
sous  l'action  de  mes  lectures,  conversations  ou  réflexions  personnelles. 
Ces  tâtonnements  m'amenèrent  à  étudier  de  çlus  près  les  classifications 
des  sciences  et  des  arts;  je  pris  connaissance  de  celles  d'Auguste  Comte, 
Herbert  Spencer,  Ampère,  Bain,  Charma,  etc.  ;  je  consultai  les  dictionnaires 
encyclopédiques,  ainsi  que  les  programmes  de  sections  des  Expositions  uni- 
verselles. Dans  chaque  système,  je  trouvais  du  bon  et  du  mauvais  (selon 
moi)  du  clair  et  de  l'obscur,  du  clair-obscur  surtout,  et  je  me  remettais  à 
tâtonner  et  à  remanier  fiches  et  cartons . 

Comme  j'avais,  d'autre  part,  la  passion  (mes  amis  diraient  la  manie)  des 
tableaux  synoptiques,  des  cartes  teintées,  des  graphiques  et  des  courbes, 
que  j'employais  pour  mes  études  météorologiques  (autre  passion  inoffen- 
sive), à  certain  jour  le  mot  cercle  des  connaissances  humaines  me  frappa 
et  me  fit  imaginer  une  classification  circulaire  et  essayer  d'inscrire  le  nom 
de  toutes  les  sciences  connues,  dans  des  cercles  concentriques,  divisés  en 
secteurs  par  des  rayons  (1). 

Au  centre,  le  moi  conscient  (moi  individuel  ou  humanitaire),  conscience 
sans  laquelle  il  n'y  aurait  pas  de  connaissance  ;  le  moi,  seule  personna- 
lité réelle  pour  chacun  de  nous,  le  reste  étant  le  non-moi,  autrui,  l'uni- 
vers ;  moi  conscient,  dis-je,  qui  d'abord  voit,  considère  les  êtres  maté- 
riels qui  l'entourent,  perçoit  les  phénomènes  manifestés  par  les  êtres  et 
qui  l'amènent  à  concevoir  l'intervention  d'êtres  invisibles  qu'il  appelle 
esprits  et  d'un  être  suprême  ou  cause  première  qu'il  nomme  Dieu.  Le 
moi  est  objet  de  conscience,  Dieu  est  objet  de  croyance,  seul  l'univers 
est  objet  de  science. 

Que  voit,  dans  FUnivers  dont  il  est  centre,  le  m®i  tournant  dans  sa 
pensée?  —  des  Corps  matériels  parmi  lesquels  il  distingue  les  Astres  et 
la  Terre;  et  sur  celle-ci,  des  pierres  ou  minéraux,  des  plantes,  des  ani- 
maux, des  hommes  (ses  semblables),  isolés  ou  groupés  en  corps  sociaux  : 
Nations,  Églises,  Écoles  philosophiques  et  qui  constituent  cet  être  supé- 
rieur, l'HuMANiTÉ  :  Et  ces  êtres,  ces  individus,  parties  du  grand  tout,  offrent 
à  sa  vue  Aqs phénomènes  ù&  qualité,  de  quantité,  de  mouvement,  de  trans- 
formation, de  combinaison,  de  vie,  d'iNTELUGENCE,  de  sociabilité,  de  mora- 
lité, de  religiosité,  de  beauté,  de  vérité,  d'idées  en  un  mot  qui  consti- 
tuent la  vaste  scène  du  monde,  où  il  est,  à  la  fois,  spectateur  ému  et 
acteur  passionné. 

1)  Voir  le  tableau  circulaire  à  la  Section  d'Économie  politique,  page  1074. 


A.    PICHE.    —    LE    CERCLE    DES    CONNAISSANCES    HUMAINES  li39 

Ces  êtres,  ces  phénomènes,  au  milieu  desquels  il  faut  s'ébattre,  se 
débattre  et  parfois,  hélas!  combattre,  l'œil  les  voit,  la  bouche  les  nomme, 
l'esprit  les  qualifie,  la  raison  les  lie,  par  le  verbe,  en  propositions  qui 
sont  déjà  des  lois;  et  tout  cela  s'opère  de  façon  spontanée,  inconsciente. 

Par  une  transition  insensible,  et  sous  la  pression  naturelle  de  la  curio- 
sité, naît  peu  à  peu  la  science  de  plus  en  plus  consciente,  et  voici  quelle 
est,  selon  moi,  l'évolution  des  facultés  ou  méthodes  investigatrices  de  l'es- 
prit humain.  (C'est  ma  théorie  de  l'évolution  de  la  science  dont  je  vous 
parlais  tout  à  l'heure.) 

Tandis  que  le  poète,  ému  par  le  spectacle  des  choses,  vibre  et  chante 
les  sentiments  qui  l'animent,  ouvrant  ainsi  aux  hommes  d'imagination 
la  vaste  carrière  des  beaux-arts,  l'esprit  curieux,  le  chercheur,  examine 
attentivement  êtres  et  phénomènes;  miroir  fidèle,  il  commence  par  les 
décrire,  employant  la  méthode  descriptive:  c'est  la  période  de  la  Graphie. 

Puis  il  réfléchit,  sa  raison  dénombre  les  objets  décrits,  les  compare,  les 
mesure,  les  suit  dans  le  temps  et  dans  l'espace  (histoire  et  géographie)  ; 
elle  se  pose  mille  questions  auxquelles  elle  fait  des  réponses  a  priori  plus 
nombreuses  encore;  on  disserte  à  perte  de  vue,  on  argumente,  on  cherche 
des  méthodes  rationnelles  pour  arriver  au  vrai:  c'est  la  période  de  laLoGiE. 

Bientôt,  on  observe  plus  attentivement  le  dedans  des  choses  et  leurs 
moindres  détails,  d'abord  à  l'aide  des  sens,  puis  avec  des  instruments 
qui  en  accroissent  la  puissance;  on  en  fait  l'analyse,  puis  la  synthèse, 
tant  au  point  de  vue  statique  qu'au  point  de  vue  dynamique:  c'est  la 
méthode  d'observation,  le  temps  de  la  Sgopie. 

Avec  ces  faits  bien  observés,  on échafaude  des  Théories;  on  bâtit  des 
hypothèses,  on  se  livre  à  de  savantes  conjectures;  on  reconstitue  le  passé, 
on  entrevoit  (ou  croit  entrevoir)  l'avenir. 

Hélas  !  les  théories,  même  scientifiques,  sont  trop  souvent  divergentes, 
parfois  même  opposées;  on  bataille,  on  polémique;  on  ne  peut  sortir  de 
ces  éternelles  controverses  qu'en  faisant  appel  à  l'expérience,  dont  il  faut 
auparavant  dresser  les  plans  et  préparer  le  matériel. 

L'expérience  bien  conduite,  ou  Pirie,  nous  montre  les  conditions  d'exis- 
tence des  êtres  et  des  phénomènes  et  nous  conduit  aux  lois,  à  la  Nomie, 
point  culminant  de  la  science  pure,  pour  chaque  science  spéciale. 

Comme  l'a  si  bien  dit  Claude  Bernard,  la  méthode  expérimentale  nous 
rend  maîtres  de  la  nature.  Nous  n'avons  plus  qu'à  appliquer  les  lois  à 
nos  besoins  :  c'est  le  temps  des  sciences  appliquées,  le  règne  de  l'ingé- 
nieur, la  période  de  la  Technie. 

Finalement,  on  philosophe  sur  la  science  spéciale,  en  la  rapprochant 
des  autres  sciences;  on  l'envisage  au  triple  point  de  vue  du  vrai,  du  beau, 
du  bien,  c'est  la  méthode  harmonique,  la  Sophie,  ou  conclusion  de  la 
science. 


1140  pf:dagogie 

Chaque  méthode  d'investigation  peut  donc  être  représentée  par  un  cercle 
concentrique,  tandis  que  chaque  espèce  à' êtres  peut  être -figurée  par  un 
secteur  (ou  part  de  gâteau),  formant  ainsi  les  sciences  ontologiques  ;  et 
ces  secteurs  doivent  nécessairement  être  entrecoupés  par  d'autres  secteurs 
(ceux  teintés  en  gris),  relatifs  aux  phénomènes  communs  manifestés  par 
les  êtres  appartenant  à  deux  classes  voisines  :  ce  sont  les  sciences  phéno- 
ménales. 

Ainsi,  tout  se  lie  dans  mon  tableau,  comme  dans  la  nature,  où  les  choses 
passent  de  l'une  à  l'autre  par  des  transitions  insensibles.  (Natura  non  facit 
saltus.) 

Maintenant,  traduisez  en  grec  le  nom  des  êtres  et  celui  des  phénomènes, 
dans  l'ordre  indiqué  plus  haut  :  cosmo,  somato,  astro,  géo,  métallo,  phyto, 
zoo,  anthropo,  ecclesio,  sophio,  humanito,  —  pour  les  êtres  ;  —  et  poio  (la 
qualité)  ;  poso  (la  quantité)  ;  cinési  (le  mouvement)  ;  dynamo  (la  force)  ; 
ATOMO  (l'afTinité  de  l'atome)  ;  bio  (la  vie)  ;  psvcho  (l'intelligence  ou  ùme) . 
socio,  ou  mieux  coeno  (la  sociabilité)  ;  diceo  (le  juste)  ;  thaumaïo  (le  mer> 
veiileux)  ;  callisto  (le  beau);  ideo  (l'idée),  — pour  les  phénomènes  ;  — 
ajoutez  successivement,  à  chacun  de  ces  mots,  le  nom  grec  des  méthodes 
d'investigation  :  graphie,  logie,  scopic,  théorie,  pi?-ie.  nomie,  technie  et 
Sophie,  le  tout  groupé  sous  le  nom  générique  de  gnosie  et  vous  aurez  une 
classification  naturelle  de  toutes  les  sciences  de  premier  ordre,  tant  onto- 
logiques que  phénoménales,  en  même  temps  qu'une  nomenclature  très 
simple  et  absolument  régulière  :  géo-graphie,  géo-logie,  géo-scopie,  géo- 
théorie, géo-pirie,  etc.,  etc.,  qu'on  peut  disposer  soit  en  cercle  comme 
dans  le  tableau  précédent,  soit  en  forme  de  table  de  Pythagore, 

La  forme  circulaire  est  plus  suggestive  et  plus  représentative  du  bloc 
des  connaissances  humaines,  qui  n'ont  ni  commencement  ni  fin;  la 
forme  rectangulaire  est  plus  commode  à  lire  et  à  étudier. 

Dans  son  discours  d'ouverture,  notre  président,  M.  Collignon,  criti- 
quait, avec  esprit,  l'abus  des  noms  nouveaux  ;  vous  remarquerez  que 
je  me  suis  efforcé  d'en  introduire  le  moins  possible,  me  souvenant  du  re- 
proche adressé  à  la  classification  d'Ampère  ;  je  me  borne  au  nécessaire  et 
surtout  à  régulariser  ce  que  la  tradition  nous  enseigne.  Presque  tous  les 
mots  que  j'emploie  existent  déjà  dans  la  langue  française.  La  plupart  des 
sciences  se  terminent  en  graphie  ou  logie;  nous  avons  la  spectro^co^fe ; 
nous  disons  théorie  de  la  terre,  a.sironomie,  zootechnie,  philosophie;  je 
n'ajoute  donc  que  le  mot  pirie  pour  éviter  la  périphrase  de  science  expé- 
rimenlale. 

Pourquoi  les  noms  actuels  des  sciences  se  terminent-ils  diversement, 
en  graphie,  logie,  nomie?  Laissez-moi  vous  donner,  en  passant,  cette 
explication  conjecturale  :  c'est  qu'ils  ont  été  créés  spontanément  par  les 
savants,  au  moment  oii  la  science  était  à  cette  période  de  son  évolution. 


A.    PICHE.    LE    CERCLE    DES    CONNAISSANCES    HUMAINES  1141 

Seule  la  science  des  astres,  qui  est  la  plus  avancée,  parce  (]ue  ses  lois 
sont  les  plus  simples,  porte  le  nom  de  nomie,  après  s'être  autrefois  ap- 
pelée astrologie  ;  la  plupart  des  sciences  en  sont  toujours  à  la  logie  ;  et 
d'autres  ne  méritent  encore  que  de  i)orter  le  nom  de  graphie,  telles  l'eth- 
nographie, et  ses  sous-sciences  :  l'épigraphie,  la  sigillographie,  etc. 

C'est  ce  tableau  circulaire  qu'un  ami,  un  bon  conseiller,  M.  le  doc- 
teur Meunier,  vit  affiché  sur  le  mur  de  ma  chambre,  il  y  a  vingt  ans  ; 
mais  alors  à  l'état  embryonnaire.  Car  vous  le  pensez  bien,  je  ne  suis  pas 
arrivé,  du  premier  jet,  au  tableau  que  je  vous  présente  aujourd'hui. 

Boileau  l'a  dit  :  «  Vingt  fois  sur  le  métier  remettez  votre  ouvrage  !  » 
J'ai  suivi  et  même  dépassé  son  précepte;  à  ce  compte,  mon  travail  de- 
vrait être  parfait.  Tantôt,  je  le  sortais  de  son  carton,  plein  d'enthousiasme, 
croyant  avoir  trouvé  une  idée  géniale.  Tantôt,  je  le  rentrais  avec  dépit, 
l'esprit  harassé,  écrasé.  Quelles  retouches  !  quelles  peines  !  Plusieurs  fois, 
je  crus  mon  travail  assez  avancé  pour  le  soumettre  au  public,  soit  en  con- 
férence, soit  en  congrès.  J'avais  même  demandé  un  emplacement  pour 
l'Exposition  universelle  de  1889...  je  ne  l'ai  pas  occupé;  en  examinant 
mon  soleil,  j'y  trouvais  toujours  d'énormes  taches.  J'aurais  même  renoncé 
à  ce  labeur  dépassant  mes  forces,  si  l'ouvrage,  malgré  ses  imperfections, 
ne  m'avait  successivement  fourni  des  applications  qui  prouvaient  son 
utilité. 

J'employai  ses  données  pour  la  classification  du  Musée  anthropolo- 
gique et  sociologique  des  Basses- Pyrénées,  dont  je  vous  entretiendrai 
à  la  Section  d'Économie  politique,  et  que  je  pourrai  vous  faire  visiter. 

Au  Congrès  climatologique  de  Biarritz,  j'osai  développer  mes  cercles 
concentriques,  sous  ce  titre  :  Évolution  des  méthodes  d'investigation  appli- 
quées à  la  climatognosie  en  général  et  au  climat  de  Pau  en  particulier. 

Cela  me  fit  imaginer  d'ouvrir,  à  la  Commission  météorologique  dépar- 
tementale, deux  dossiers  toujours  extensibles  de  travail  collectif:  l'un  des- 
tiné à  renfermer  tout  ce  qui  a  été  fait,  tout  ce  qui  se  fait  et  qui  se  fera  sur 
le  climat  de  Pau  ;  l'autre,  tout  ce  qui  concerne  les  météorologistes  et  la 
météorologie  des  Basses-Pyrénées. 

Pour  l'Exposition  de  1889,  je  pus  achever  le  tableau  de  l'évolution  des 
groupements  sociaux  et  présenter  l'atlas  de  toutes  les  associations  libres 
philanthropiques  du  dépattement,  avec  cartes  des  genres  d'associations  et 
graphiques  du  fonctionnement  des  principales  sociétés. 

Bientôt,  je  fus  amené  à  concevoir  un  atlas  de  la  langue  française  et, 
par  consé(jucnt,  des  idées  françaises  (analogue  à  l'atlas  de  géographie  gé- 
nérale de  Foncin)  ;  dans  ce  nouveau  dictionnaire,  les  mots  seraient  rangés 
par  familles  (1)  au-dessous  de  l'idée  qu'ils  représentent,  et  les  idées  d'ob- 

(1)  Pendant  que  je  rédigeais  ma  communication  pour  l'impression,  on  m'a  procurt'  le  Dictionnaire 
iynoptique  d'élymotogie  française,  de  Stappers,  qui  remplit  le  premier  de  mes  trois  desiderata. 


1142  PÉDAGOGIE 

jets  ou  de  phénomènes  seraient  traduites  en  dessins  et  en  mots,  rangés 
chronologiquement  dans  des  cercles  concentriques,  dont  l'extension  repré- 
senterait le  cours  du  temps  et  le  développement  de  l'esprit  humain,  tandis 
que  leur  ordre  logique  serait  développé  autour  des  cercles.  Il  y  aurait 
autant  de  pages  et  de  tableaux  qu'il  existe  d'arts  et  de  sciences,  dont  l'évo- 
lution a  introduit  les  mots  techniques  dans  la  langue,  au  fur  et  à  mesure 
de  la  marche  des  idées  et  du  progrès. 

Car,  avec  ma  manie  classificatoire,  vous  pensez  bien  que  mon  esprit 
ne  peut  être  satisfait  de  l'ordre  alphabétique  des  dictionnaires  ;  je  déplore, 
non  moins,  de  ne  pas  trouver  sous  un  nom  générique  la  liste  coordon- 
née de  tous  les  mots  et  idées  qu'il  renferme. 

Cherchez  dans  une  encyclopédie  le  mot  veiHu,  vous  n'y  trouverez  pas 
rénumération  complète  de  tous  les  mots  qui,  dans  notre  idiome,  repré- 
sentent les  vertus  et  leurs  nuances  si  nombreuses.  Et,  cependant,  Des- 
cartes, dans  sa  «  Méthode  »,  recommande  les  dénombrements  qui  épuisent 
la  matière. 

—  Enfin,  le  Congrès  vient  et  nous  force  à  conclure!  —  Je  le  note,  en 
passant,  c'est  là  un  des  principaux  avantages  produits  par  les  congrès,  de 
contraindre  les  provinciaux,  toujours  lambins  au  travail,  à  achever  les 
œuvres  en  projet,  ou  en  cours.  —  Le  désir  me  reprend  de  mettre  au  jour 
mes  petits  chefs-d'œuvre.  Plein  de  zèle,  je  dresse  la  liste  des  communi- 
cations joossiô/es;  je  trie  les  moins  mauvaises,  et,  me  défiant  de  moi-même, 
je  cours  consulter  mes  conseils.  —  Victoire  !  ils  m'autorisent  à  présenter 
ma  classification  des  sciences  ;  je  reviens  enchanté  d'eux  et  de  moi  et  je 
me  mets  au  travail  définitif;  car,  il  faut  sortir  des  ébauches  et  tailler  enfin 
la  statue. 

Fixé,  depuis  longtemps,  sur  mes  cercles  concentriques,  j'hésitais  encore 
sur  l'ordre  de  mes  secteurs,  quand  une  idée  nouvelle  vient  me  tirer  d'em- 
barras. 11  est  évident,  me  dis-je,  que  les  premiers  hommes  devaient  pour- 
voir, en  famille,  au  nécessaire  de  l'existence  ;  il  n'y  avait  pas  alors  de 
professions  distinctes,  tandis  qu'aujourd'hui  nous  en  avons  deux  mille, 
peut-être,  pour  satisfaire  à  des  besoins  toujours  croissants.  Il  faut  donc 
retrouver  l'origine,  la  division,  la  filiation  de  ces  professions,  au  cours  de 
l'évolution  civilisatrice.  Il  est  non  moins  certain  que  l'art  inconscient  a 
précédé  la  science  consciente  et  que  c'est,  parmi  les  artisans  s 'occupant 
de  la  plante,  par  exemple,  que  se  sont  trouvés  des  esprits  descripteurs  et 
observateurs  qui  ont  créé  peu  à  peu  la  science  des  végétaux,  ou  bota- 
nique. De  même,  il  n'y  aurait  point  de  zoologistes,  s'il  n'y  avait  eu  d'abord 
chasseurs  et  pêcheurs  ;  point  de  biologistes,  sans  vétérinaires  et  médecins 
antérieurs. 

Faisons  donc  autant  de  tableaux  qu'il  existe  de  classes  d'êtres  et  de  phé- 
nomènes, avec  lesquels  nous  avons  affaire  ;  inscrivons,  dans  ces  tableaux. 


A.    PICHE.  —    LE    CERCLE    DES    CONNAISSANCES    HUMAINES  1143 

à  leur  place  logique,  dans  le  sens  horizontal,  et  chronologique,  dans  le 
sens  vertical,  les  noms  des  hommes  (artisans,  artistes  ou  savants),  qui  se 
sont  occupés  de  ces  divers  sujets  ;  peut-être  trouverons-nous  mieux  l'ordre 
de  nos  secteurs. 

Ainsi  fut  fait  !  Tranquillement  installé  à  Eaux-Bonnes,  en  un  mois  je 
dressai  une  vingtaine  de  tableaux  coordonnés.  L'ordre  chronologique  était 
facile  cà  observer  ;  je  n'avais  qu'à  chercher  les  noms  d'hommes  célèbres 
dans  un  dictionnaire  d'histoire.  Pour  l'ordre  logique,  je  tâtonnais,  plaçant 
le  nom  à  droite  ou  à  gauche  du  tableau,  là  où  il  cadrait  le  mieux  avec  les 
noms  voisins.  Ces  tableaux  de  détail  éclairaient  mon  cercle  d'ensemble, 
dont  la  clarté  augmentée  rejaillissait  sur  eux,  à  son  tour.  Mais  il  passait 
encore  bien  des  nuages  sombres  sur  mon  ciel  bleu. 

Hier  encore,  je  subissais  les  hésitations  de  la  dernière  heure.  Ce  matin, 
me  rappelant  le  proverbe  que  «  le  mieux,  pour  nager,  c'est  de  se  jeter  à 
l'eau  »,  je  me  précipite  tète  baissée  : 

Aléa  jacta  est! 

Et  j'ai  fini,  Messieurs,  cette  trop  longue  histoire. 

ScopiE.  — Le  voici  donc  ce  travail,  cet  atlas  de  la  connaissance  humaine, 
de  la  classification,  de  la  nomenclature  des  sciences,  de  l'évolution  du 
travail  matériel  et  intellectuel  de  l'homme.  Permettez-moi  de  le  faire  pas- 
ser sous  vos  yeux  pendant  que  je  l'analyserai  brièvement,  en  retraçant  au 
tableau  noir  le  Cercle  d'ensemble,  et  l'un  des  vingt-quatre  tableaux  qui 
en  forment  le  détail. 

Comme  vous  le  voyez,  le  tableau  circulaire  se  compose  de  neuf  cercles 
concentriques,  coupés  en  vingt-quatre  secteurs,  alternativement  gris  et 
blancs  :  blancs  pour  les  sciences  ontologiques,  gris  pour  les  sciences  phéno- 
ménales. Dans  ces  secteurs,  j'ai  inscrit,  à  l'encre  noire,  le  nom  de  tous  les 
cours  professés  en  France  dans  nos  établissements  d'enseignement  supé- 
rieur. (J'en  ai  relevé  la  liste  dans  VAImanach  national.)  Les  nouveaux 
noms  que  je  propose  y  sont  inscrits  à  l'encre  rouge;  on  voit  donc,  d'un 
seul  coup  d'œil,  sur  ce  tableau  graphique,  d'une  part,  le  nom  et  la  place 
des  sciences,  telles  qu'elles  sont  actuellement  dénommées  et  enseignées,  en 
même  temps  que  mon  projet  de  nomenclature  nouvelle  et  de  classification. 
Cette  deuxième  partie  du  tableau  fût-elle  erronée,  la  première  serait  en- 
core curieuse  et  suggestive. 

Puis  viennent  vingt-quatre  tableaux  de  détail,  un  pour  chaque  science 
principale  ;  ils  sont  tous  construits  sur  le  modèle  ci-contre  : 


1144  PÉDAGOGIE 

Cadre  d'un  des  24  tableaux  de  l'évolution  des  Arts  et  Sciences. 


Origine  de  la  connaissance  :  actes  spontanés  sous  l'empire  du  besoin,  travail  instinatif 

devenant  insensiblement  art,  puis  science  consciente. 

^ , >^ 


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3 


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o 

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3 

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ni 
en 


Premier  besoin  :  Vivre. 
N»  9.  Pierres. 


LA   FAMILLE 

et 

LES    PLANTES 


N"  H. 
Animaux.  N»  13. 


CA 

a 

2    H 

E   (S 


ARBKES  HERBES 

Racines,  Tronc,  Branches,  Feuilles.  Fleurs,  Fruits,  Graines,  Tiges,  etc. 
Tressage.  Cueillette. 

Bùchage.        Tissage.  Culture. 

Labourage.  Élevage. 


EVOLUTION  CIIKO.N'OLOGIQUE  : 


a 

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H 

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s       c 
H       cd 


a> 

M) 

P  C 
Cl  V 


Eve  (et  la  pomme). 
Noé.  Isis.     Osiris. 

Bacchus. 
Jardins  de  Babylone.  etc.,  etc. 

Pierres  pour  écraser  le  grain. 
Fi'els  des  citt^-s  lacustres.) 


384,  Aristote,  322. 
23,  Pline,  79. 


Vigne  en  Bourgogne. 


c  Usage  du  linge. 

V 

O 

a      1543,  premier  Jardin  botanique  à  Pise.      1530,  Olivier  de  Serres,  1 61  î 
a:  1707,  Linné,  1778,  etc.,  etc. 

G.  Ville.  Engrais  chimiques 


X 

Vin 

VI 
IV 

II 

0 

II 

IV 

VI 

VIII 

X 

XII 

XIV 

XVI 

XVIII 

XX 


KLEVAGB 


I  —  ARTS  DE  LA  PLANTE  : 

TRAVAIL   DU   BOIS  TISSAGE  CULTURE 

Eaux  et  Forêts.  Sylvi.    Arbori.    Vili.    Horti.    Agri. 


II.  —  PIIOFESSIONS  ET  FONCTIONS 


3 
C 


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zi. 

u. 

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III.   —   SCIENCES  DE  LA  l'LANTE  : 

BOTANIQUE  ou  PHYTOÛNOSIE 

Géographie  botanique.  etc.         Organographie. 

Chimie  organique.  Science  appliquée  ou  Phytotechnie.  Physiologie. 


etc. 


5« 


Point  d'arrivée  des  arts  et  sciences  de  la  Plante  au  temps  présent. 


-Î8Î 


A.    PICHE.    —    LE    CERCLE    DES    CONNAISSANCES    HUMAINES  '      114o 

En  haut  du  tableau  je  mets  la  division  logique  du  sujet  :  Premier  besoin  : 
vivre...  ;  puis,  la  famille  et  la  plante  (c'est  le  titre  de  ce  tableau  choisi 
comme  exemple)  ;  et  je  divise  la  plante  en  arbres  et  herbes,  puis  en  ses 
parties:  racines,  souches,  troncs,  branches,  rameaux,  feuilles,  fleurs, 
fruits,  graines,  tiges,  etc. 

La  partie  médiane  du  tableau  donne  l'évolution  chronologique  des 
hommes  et  de  leurs  hauts  faits,  inventions,  actes,  œuvres.  A  gauche,  j'ins- 
cris, de  haut  en  bas,  les  périodes  :  temps  légendaires,  préhistoriques,  his- 
toriques ;  histoire  ancienne,  etc..  et  à  droite,  en  chiffres  romains,  les 
cours  des  siècles  historiques,  depuis  dix  siècles  avant  Jésus-Christ  jusqu'à 
nos  jours. 

Dans  ce  cadre,  je  mets  les  faits  à  l'encre  noire  ;  les  noms  d'artisans  ou 
d'artistes  en  bleu  ;  les  noms  de  savants,  en  rouge. 

Puisqu'il  s'agit  ici  du  tableau  de  la  plante,  le  premier  nom  d'artiste  est, 
naturellement,  celui  d'Eve,  qui  cueil/it  la  trop  célèbre  pomme.  Beaucoup 
diront  :  «  Mais  Eve  n'a  jamais  existé.  »  —  Je  leur  répondrai  que,  dans 
cette  partie  de  la  mathognosie  qu'on  appelle  mathologie,  je  n'ai  pas  à 
faire  la  critique,  mais  seulement  l'exposition  des  idées.  Qu'elle  soit  vraie 
ou  fausse,  histoire  ou  légende,  la  tradition  d'Eve  et  de  la  pomme  ne  peut 
être  ignorée,  pas  plus  que  celle  de  Noé  plantant  la  vigne,  d'Osiris  inven- 
teur du  blé,  ou  d'Isis  créatrice  de  la  charrue. 

Les  recherches  préhistoriques  nous  font  ensuite  connaître,  par  les  objets 
trouvés,  les  mœurs  et  coutumes  de  peuplades  disparues.  La  science  de  la 
plante,  enfin,  éclôt  en  Grèce  avec  Aristote  et  Théophraste,  pour  s'épanouir, 
depuis  la  Renaissance  jusqu'à  l'heure  présente  ;  pendant  que  les  arts  et 
professions  qui  s'occupent  de  la  plante  se  subdivisent  toujours  davantage. 

Au  bas  de  ce  tableau  chronologico-logique,  je  fais  la  statistique  de  ces 
arts,  de  ces  professions  et  de  ces  sciences  ;  j'écris,  à  l'encre  bleue,  le 
nom  de  tous  les  arts  qui,  à  l'heure  actuelle,  travaillent  ou  utilisent  les 
plantes  ou  leurs  parties  ;  je  pose  au-dessous,  à  l'encre  rouge,  le  nom  de  la 
science  et  de  toutes  les  sous-sciences  qui  traitent  de  la  plante,  comme  être, 
la  botanique  et  toutes  ses  subdivisions  théoriques  et  appliquées  ;  et,  entre 
les  deux,  je  couche,  à  l'encre  noire,  la  liste  de  toutes  les  professions,  ou 
fonctions,  qui  s'occupent  de  la  plante,  depuis  le  bûcheron  à  gauche,  du 
côté  de  l'arbre  et  du  tronc,  jusqu'à  l'herboriste,  à  droite,  du  côté  des  herbes. 

Théorie.  —  Je  ne  puis  faire  imprimer,  au  volume  du  Congrès,  les  ta- 
bleaux de  cet  atlas,  trop  grands  et  trop  nombreux  ;  je  me  borne  à  vous 
en  donner  un  spécimen  réduit  et  à  vous  en  livrer  la  clef.  Chacun  de  vous 
peut  prendre  une  feuille  de  papier  quadrillé  et  les  construire.  Il  suffit  de 
quelques  heures  pour  en  dresser  un,  et  le  garnir  de  tout  ce  qu'on  sait 
sur  un  sujet. 

Il  y  a  plus,  et  vous  le  comprenez  d'avance  ;  je  n'ai  pas  l'outrecuidance 


1146  PÉDAGOGIE 

d'avoir  la  science  infuse  et  de  me  croire  capable  de  remplir  ces  tableaux  ; 
je  ne  les  ai  esquissés  que  pour  vous  montrer  ce  qu'on  pourrait  faire  et  un 
peu  pour  ma  satisfaction  personnelle.  On  a  plaisir  à  ranger  en  ordre,  sur 
un  tableau,  toutes  les  notions  confuses  qu'on  a  en  tête  ;  que  dis-je,  on 
s'y  passionne!  Mais  pour  exécuter  cet  atlas  convenablement,  pour  faire 
sérieusement  ces  vingt-quatre  tableaux,  il  faudrait  s'adresser  à  des  spécia- 
listes. Je  me  borne  à  vous  exposer  le  procédé  pédagogique  que  j'ai  conçu, 
à  vous  en  présenter  un  échantillon  et  à  vous  en  donner  la  théorie. 

PiRiE.  —  Ce  travail  est-il  bon,  est-il  mauvais,  vrai  ou  faux,  utile  ou 
nuisible  ?  il  n'est  pas  facile  de  le  savoir,  surtout  pour  l'auteur  qu'aveugle 
toujours  l'amour  paternel.  Tantôt  il  me  paraît  admirable,  tantôt  bien 
faible  sur  un  trop  grand  nombre  de  points. 

L'expérience  décidera  !  Car,  remarquez-le  bien,  je  l'expérimente  au- 
jourd'hui sur  vous.  Si  vous  l'accueillez  favorablement,  sans  doute  cher- 
cherai-je  un  éditeur  pour  l'essayer  sur  le  grand  public,  moins  bienveillant 
que  vous,  à  coup  sûr,  et  dont  l'attention  est  plus  difficile  à  capter. 

NoMiE.  —  Vous  croyez  peut-être  que  je  suis  l'auteur  de  ce  travail  l 
Détrompez-vous  ;  c'est  l'œuvre  de  milliers  d'ancêtres  et  de  grands  oncles, 
agissant  sur  moi,  en  moi,  par  moi,  je  dirais  presque  malgré  moi. 

De  même  que  la  flamme  n'est  que  le  lieu  où  deux  gaz  se  combinent 
avec  dégagement  de  chaleur,  allant  jusqu'à  la  lumière  ;  de  même,  notre 
cerveau  n'est  guère  que  le  point  matériel  de  l'espace  où,  à  certain  moment, 
se  croisent  mille  idées,  qui  donnent  lieu  à  une  résultante  de  forme  nou- 
velle; seulement,  c'est  un  point,  non  seulement  matériel,  mais  conscient, 
et  même  libre  dans  une  petite  mesure,  j'ose  le  croire.  Les  idées  nous 
viemient,  disons-nous  avec  juste  langage  ;  notre  seul  mérite  est  de  leur 
avoir  préparé  un  terrain  favorable,  de  ne  pas  les  repousser,  d'ouvrir 
l'oreille,  d'écouter,  de  traduire.  Nous  sommes  des  phonographes,  des  idéo- 
graphes  conscients .  Voilà  tout  ! 

Technie.  —  Si  ce  procédé  d'exposition  coordonnée  des  connaissances 
humaines  a  réellement  quelque  valeur,  il  me  paraît  qu'employé  par  des 
hommes  compétents,  il  deviendrait  susceptible  d'applications  multiples  et 
utiles. 

Il  pourrait  servir  de  préface  ou  de  conclusion  aux  grandes  encyclopé- 
dies ;  on  pourrait  l'employer  pour  la  classification  de  bibliothèques,  d'ar- 
chives, de  musées,  et  pour  le  programme  d'une  Exposition  véritablement 
universelle.  On  peut  l'utihser,  comme  je  l'ai  montré  dans  le  volume  pré- 
paratoire du  Congrès  ( Météoi^ognosie  des  Basses-Pyrénées),  et  comme  je  le 
fais  ici,  pour  composer  la  monographie  complète  d'un  sujet. 

Enfin,  et  surtout,  il  servirait  merveilleusement  de  résumé  de  fin  d'études 
pour  nos  trois  ordres  d'enseignement,  et  il  y  aurait  lieu,  pour  un  éditeur 
intelligent,  de  publier  trois  atlas  :  l'un,  fort  simple,  pour  l'enseignement 


ROUSSELET.   DES    SANCTIONS    DISCIPLINAIRES  1147 

primaire  ;  l'autre,  de  moyenne  étendue,  pour  l'enseignement  secondaire  ; 
le  dernier,  aussi  complet  que  possible,  pour  l'enseignement  supérieur. 

Sophie.  —  Resterait  enfin  à  faire  la  philosophie  de  ce  travail  ;  c'est  à 
chacun  de  vous  que  je  laisse  le  soin  d'en  faire  la  critique,  de  l'apprécier 
au  point  de  vue  du  vrai.  Pour  moi,  si  j'en  avais  le  temps,  je  le  vérifie- 
rais, en  dressant  la  liste  complète  des  arts,  des  professions  et  des  sciences, 
d'après  un  dictionnaire  de  la  langue  française  et  en  examinant  si  tous 
ces  mots  figurent  sur  mes  tableaux.  Avec  de  la  patience,  en  rayant  les 
mots  un  à  un,  je  m'assurerais  qu'aucun  ne  manque  à  l'appel. 

Quelque  long  que  soit  déjà   ce  travail,  il  ne   constitue  qu'une   partie 

minime  de  la  mathognosie,  ou  science  des  sciences.  Venant  après  la  ma- 

thographie,  ou  description  alphabétique  des  sciences  existantes,  il  n'est 

qu'une  partie  de  la  inathologie,  puisqu'il  traite  de  leur  classification,  de 

leur  nomenclatu  re  et  de  leur  évolution. 

D  resterait  à  faire,  pour  chaque  science,  sa  scopie,  sa  théorie,  sa  pirie; 
à  découvrir  sa  nomie,  à  en  faire  la  technie  et  la  sophie. 

C'est  là  qu'on  apprécierait,  définitivement,  sa  valeur  et  son  mérite  au 
titre  de  science  vraie. 

La  mathognosie  exécutée,  les  sciences  de  la  conscience  et  de  la  croyance 
achevées,  il  resterait  encore  deux  autres  cercles  d'études  à  entreprendre, 
celui  de  I'Amour  :  —  car  ainsi  que  l'a  dit  Bossuet  dans  un  passage  qui  m'a 
frappé  :  «  Elle  est  stérile  la  connaissance  qui  ne  nous  porte  pas  à  aimer  »  ; 
—  enfin,  celui  delà  Bienfaisance,  ou  de  la  vertu  agissante,  —  car,  sem- 
blable à  la  Foi,  l'amour  qui  n'agit  point  n'est  pas  amour  sincère  !  Cela 
fait,  l'homme  connaîtrait  tout  son  devoir  ;  il  ne  lui  resterait  qu'à  le 
pratiquer  ! 


M.  EOUSSELET 

Agrégé  de  l'Université,  Principal  du  Collège  de  Brive. 


DES    SANCTIONS    DISCIPLINAIRES 


—  Séance  du  19  septembre  1893  — 

On  peut  ranger  en  deux  grandes  catégories  les  lois  auxquelles  l'homme 
doit  se  soumettre  : 

1°  Les  lois  naturelles,  dont  les  unes,  lois  physiques,  gouvernent  la  ma- 
tière, et  les  autres,  lois  psychiques,  sont  relatives  aux  âmes  ; 


1148  PÉDAGOGIE 

2°  Les  lois  humaines,  qui  sont  des  conventions  sociales. 
Les  lois  naturelles  portent  en  elles  une  sanction  immédiate  invariable, 
fatale,  qui  s'exerce  sans  avertissement  préalable.  Quiconque  n'obéit  pas  à 
la  loi  de  la  pesanteur  peut  se  rompre  le  cou.  Tel  qui  agit  contrairement  à 
l'idée  du  bien  qu'il  conçoit  se  prépare  un  cuisant  regret. 

Les  lois  humaines  sont  des  règlements,  des  conventions,  des  modes 
variables  avec  les  temps  et  avec  les  lieux.  Elles  peuvent  être  en  contra- 
diction avec  les  lois  naturelles  et  par  cela  même  devenir  caduques  puisqu'il 
ne  peut  exister  de  loi  contre  la  loi.  Ceux  qui  sont  chargés  de  les  appliquer 
peuvent  errer  dans  l'interprétation  ou  faiblir  dans  l'exécution.  11  suit  de  là 
que  les  sanctions  de  ces  lois  sont  incertaines,  variables,  et  qu'elles  man- 
quent du  caractère  fatal  des  précédentes. 

Cette  classification  paraît  assez  clairement  établir  que  les  lois  humaines, 
règles,  disciplines,  qui  président  ;\  la  vie  des  groupes  sociaux,  de  la  famille 
aux  plus  grandes  nations  ne  peuvent  déterminer  l'obligation  absolue  qu'à 
la  condition  de  se  trouver  en  harmonie  avec  les  lois  naturelles  dont  elles 
doivent  être  la  manifestation  et  la  réalisation,  et  de  posséder,  comme  elles, 
une  sanction  constante  et  impitoyable. 

Cette  nécessité  fournit  à  la  Pédagogie  le  précepte  disciplinaire  suivant  : 
éviter  les  menaces,  donner  des  ordres  précis,  renfermer  le  châtiment  dans 
la  faute. 

Les  menaces  sont  aussi  nuisibles  qu'inutiles.  On  se  moque  bien  vite 
d'une  punition  qui  reste  toujours  en  l'air  et  l'on  ne  tarde  pas  à  mépriser 
le  Jupiter  qui  fronce  les  sourcils  en  agitant  des  foudres  qui  n'éclatent 
jamais. 

Observons  la  nature.  Elle  ne  nous  avertit  jamais  de  l'existence  d'une 
loi  que  par  la  sanction  dont  nous  sommes  les  victimes.  La  nourrice  qui 
apprend  à  marcher  à  son  bébé  ne  fait  autre  chose  que  de  donner  connais- 
sance à  l'enfant  de  la  loi  d'équilibre  par  la  sanction  inévitable  qui  meurtrit 
le  nez  du  téméraire  :  s'il  transgresse  la  loi  de  la  pesanteur,  la  nature  le 
laisse  choir  sans  broncher.  Voilà  de  vraies  leçons.  Elles  sont  les  meilleures, 
sans  <loute  parce  qu'elles  coûtent  souvent  fort  cher  et  qu'il  faut  régler  la 
note  de  suite  sans  protester. 

Je  sais  bien  que  les  menaces  et  les  discours  qu'on  tient  d'ordinaire  à 
l'enfant  partent  d'un  bon  naturel.  On  a  l'expérience  des  choses  et  lui  ne  l'a 
pas.  On  voudrait  le  faire  bénéficier  de  cette  expérience.  Comme  si  cela  pou- 
vait être  complètement!—  Henri,  tu  vas  te  faire  mal  ;  Pierre,  tu  vas  tomber; 
Paul,  tu  vas  te  salir  ;  fais  ceci,  attention  à  cela,  ne  va  pas  là,  viens  ici,  ne 
fais  pas  cela,  et  patati  et  patata.  Comme  toutes  ces  paroles  sont  inutiles  et 
ne  valent  pas  une  bonne  petite  leçon  de  choses  de  la  nature,  la  plus  sérieuse 
des  gouvernantes  !  Pierre  va  tomber;  eh!  chers  parents,  laissez-le  se  risquer, 
qu'il  se  débrouille.  S'il  tombe,  ce  n'est  pas  grave  à  cet  âge  ;  il  en  deviendra 


ROUSSELET.   —   DES    SANCTIONS    DISCIPLINAIRES  1149 

plus  circonspect.  Vos  paroles  l'étourdissent  et  lui  enlèvent  le  bénéfice  de  la 
leçon. 

Il  faut  vraiment  que  lenfant  possède  la  merveilleuse  dose  de  patience 
que  nous  lui  connaissons  pour  ne  point  perdre  la  tête  sous  le  déluge  de 
paroles  et  de  recommandations  qui  l'accablent.  Il  est  vrai  qu'il  s'y  habitue 
comme  on  s'habitue  au  son  des  cloches,  au  bruit  des  voitures  de  la  rue,  ou 
au  tic  tac  d'une  horloge.  Occupé  à  un  jeu  qui  l'absorbe,  à  une  construction 
qui  développe  ses  facultés  bien  autrement  que  toutes  nos  fameuses  leçons, 
il  n'entend  pas  l'appel  de  sa  mère  et  répond  oui  pour  se  débarrasser  d'une 
intervention  qui  le  dérange  dans  ses  travaux.  —  Auguste,  viens  apprendre 
ta  leçon.  —  Oui.  maman...  Au  bout  de  cinq  minutes,  nouvel  appel. 
—  Oui,  maman...  Il  continue  son  œuvre.  — Auguste,  tu  m'agaces.  — Oui, 
maman.  —  Si  je  vais  te  chercher,  tu  me  le  paieras.  —  Oui,  maman...  La 
mère  se  dérange,  lui  tire  les  oreilles  en  mère  et  prend  sa  revanche  en 
paroles  terribles  :  Cet  enfant  tournera  mal,  il  me  fera  mourir...  Elle  n'en 
croit  rien,  ni  lenfant  non  plus  d'ailleurs.  On  a  simplement  eu  tort  de  lui 
laisser  contracter  la  mauvaise  habitude  de  ne  pas  obéir  au  premier  ordre, 
et  il  sort  de  là  des  paroles  inutiles,  des  agacements,  des  froissements, 
des  répulsions  et  quelquefois  de  la  haine.  Il  eût  été  si  simple  de  punir  à 
la  première  désobéissance. 

L'enfant  a  vite  fait  de  distinguer  le  commandement  ferme  de  l'obligation 
sentimentale  qui  ne  l'engage  point. 

L'ordre  a  été  donné  de  ne  pas  manger  avec  les  doigts.  Lenfant  a  oublié; 
il  trouve  d'ailleurs  que  c'est  plus  facile  et  plus  simple  que  de  manier  une 
fourchette.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  renouveler  l'ordre  ni  de  faire  grand  tapage 
en  exhalant  par  des  éclats  de  voix,  reproches  et  grandes  phrases,  une  colère 
inutile.  Une  chiquenaude  bien  appliquée  suffit  et  sera  renouvelée  s'il  y  a 
lieu. 

La  volonté  des  parents  est  la  seule  loi  de  l'enfance.  En  conséquence^  les 
parents  doivent  veiller  attentivement  à  ce  que  leurs  ordres  soient  précis  et 
qu'une  sanction  immédiate  atteigne  toujours  le  délinquant.  Nous  n'avons 
pas  la  prétention  d'indiquer  ici  la  nature  des  punitions  qui  varient  selon 
les  milieux  et  les  familles.  3Iais  il  est  bon  que  la  même  faute  soit  toujours 
suivie  de  la  même  réparation  et  qu'on  aperçoive  entre  elles  un  rapport 
étroit.  Une  répression  trop  sévère  pour  une  peccadille  découragera  le  patient 
de  même  qu'une  bienveillance  exagérée  dans  les  cas  graves  sera  dange- 
reuse pour  l'autorité. 

La  faute  doit  porter  en  elle  sa  punition.  L'enfant  a  été  gourmand  :  pri- 
vation partielle  ou  totale  de  dessert.  Il  s'est  mal  tenu  en  visite,  dans  la  rue  : 
la  promenade  dont  il  se  faisait  fête  sera  ajournée.  Il  s'est  montré  orgueilleux, 
brutal  :  un  petit  froissement  d'amour-propre  lui  sera  favorable.  11  a  fait  le 
paresseux,  un  surcroît  de  travail  lui  sera  infligé.  C'est  la  méthode  de  la 


1150  PÉDAGOGIE 

nature  :  procurer  à  l'enfant  un  plaisir  lorsqu'il  fait  un  effort  pour  remplir 
son  devoir  ;  lui  faire  supporter,  dans  le  cas  contraire,  une  privation  plus 
désagréable  que  n'eût  été  l'effort  lui-même.  Les  jeunes  enfants  qui  y  sont 
soumis  prennent  de  suite  de  bonnes  habitudes  de  conduite  aussi  facilement 
que  d'autres  mal  dirigés  en  contractent  de  mauvaises,  La  force  de  ces  habi- 
tudes s'accroît  à  mesure  que  l'élève  va  grandissant  lui-même. 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  nos  commandements  doivent  être  en  harmo- 
nie avec  les  lois  naturelles.  Si  l'accord  n'est  point  complet,  le  résultat  sera 
médiocre.  Par  exemple,  nous  savons  que  les  organes  du  corps  de  l'enfant 
ne  se  développent  pas  uniformément.  A  un  moment  donné  la  force  vitale 
agit  avec  plus  d'intensité,  tantôt  dans  la  formation  du  squelette,  tantôt 
dans  celle  du  système  musculaire,  d'autres  fois  sur  les  vaisseaux  et  sur  les 
nerfs.  Peut-on  croire  que  l'innervation,  facteur  des  études,  demeure  cons- 
tante au  milieu  des  modifications  incessantes  des  autres  fonctions  qui  s'ac- 
célèrent, se  ralentissent  et  parfois  même  s'arrêtent  ?  Évidemment  non.  Se 
préoccupe-t-on  de  ces  variations  pour  mesurer  la  résistance  à  un  instru- 
ment si  délicat?  La  marche  ordinaire  des  études  ne  le  fait  pas  supposer.  Un 
travail  quelconque  est  imposé,  qui  doit  être  bien  fait  dans  un  temps  déter- 
miné, selon  le  critérium  qui  convient  à  un  adulte.  Avant  de  nous  rendre 
compte  de  la  capacité  du  vase,  nous  versons  notre  science  pédante  et  nous 
exigeons,  insensés  !  que  le  vase  rempli  ne  déborde  point.  Pour  un  peu  nous 
ferions  avaler  un  bifteck  à  un  nouveau-né.  L'organisme  résiste,  naturelle- 
ment. Nous  décrétons  que  le  bifteck  entrera  quand  même.  Nous  mettons 
en  batterie  notre  prétendue  autorité.  Comme  elle  est  vaincue  par  la  loi 
psychique,  nous  appelons  à  l'aide  toutes  les  coercitions  qui  peuvent  être  le 
plus  désagréables  au  patient.  Nous  le  punissons  parce  qu'il  a  une  trop 
faible  capacité.  Cela  lui  apprendra  à  faire  des  os  ou  des  muscles  alors  que 
nous  voulons  du  flux  nerveux.  Pauvre  enfant  ! 

Tout  père  de  famille  rêve  pour  son  fils  Normale  ou  Polytechnique.  Si  les 
aptitudes  du  sujet  s'accordent  avec  les  exigences  des  examens,  on  peut 
tenter  l'épreuve.  Mais  s'il  n'en  est  pas  ainsi  ?  Eh  bien,  on  passe  outre  et 
l'orgueil  des  parents  courra  la  chance.  Au  lieu  d'un  citoyen  utile,  la  société 
comptera  un  déclassé  de  plus. 

Cet  excès  de  zèle  s'explique.  On  voudrait  voir  ses  enfants  de  suite  savants, 
riches,  heureux.  Hélas  !  la  science  s'acquiert  péniblement,  la  richesse  s'éva- 
nouit souvent  bien  vite  entre  les  mains  de  ceux  qui  ne  l'ont  point  amassée 
et  le  bonheur  est  fugitif  pour  les  âmes  qui  n'ont  pas  été  trempées  par  la 
dure  expérience  ! 

D'autres  fois  on  tombe  dans  l'excès  contraire  :  Pourquoi  ennuyer  les 
enfants  par  des  commandements  et  par  des  punitions  ?  La  vie  n'est-elle 
point  déjà  assez  dure  par  elle-même  pour  que  nous  rendions  malheureux 
ces  pauvres  jeunes  gens  ?  Il  faut  leur  donner  ce  qu'ils  désirent  quand  on 


ROUSSELET.    —     DES    SANCTIONS    DISCIPLINAIRES  1151 

le  peut.  Qu'ils  jouissent  d'abord  et  le  plus  possible,  ils  seront  assez  tôt  sevrés 
par  l'ingrate  nature. 

11  faut  avouer  que  cette  période  de  jouissances  constitue  un  singulier 
entraînement  à  la  lutte  pénible  de  la  vie  dans  laquelle  l'homme  n'assure 
son  bien-être  que  par  un  labeur  incessant  qui  exige  force,  science  et 
sagesse.  Que  vient  faire  ici  la  sentimentalité?  En  admettant  qu'elle  satis- 
fasse au  besoin  d'affection  d'un  vieillard  qui  va  disparaître,  ne  ruine-t-elle 
point  l'avenir  du  jeune  homme  qu'elle  met  dans  l'incapacité  de  se  con- 
duire et  de  gérer  ses  biens  autrement  que  par  un  conseil  judiciaire  ? 

Non,  ce  qui  manque  à  nos  jeunes  générations,  ce  n'est  pas  le  bien-être 
matériel,  ni  les  bons  maîtres,  ni  les  bons  conseils.  C'est  un  idéal.  Les 
jouissances  qu'on  a  présentées  au  jeune  homme  dans  sa  première  jeunesse 
comme  la  fin  de  toutes  choses  ont  émoussé  ses  appétits.  Elles  ont  tué  en 
lui  la  noble  aml»ition  et  les  vastes  pensées.  Il  est  incapable  de  savourer  le 
fruit  délicieux  du  devoir  accompli  dont  l'écorce  est  amère  parfois.  —  Le 
blé  a  été  mangé  en  herbe  et  l'impatient  ne  peut  jouir  du  triomphe  de  la 
moisson. 

L'expérience  démontre  tous  les  jours  qu'au  moment  oîi  surgissent  les 
périls  de  radolescence,le  jeune  homme  qui  n'a  point  été  habitué  dès  son  jeune 
âge  à  la  discipline  que  nous  préconisons  ne  trouve  pas  devant  lui  un  rem- 
part qui  le  protège  suffisamment  contre  les  assauts  furieux  des  passions 
naissantes.  Il  ne  sait  pas  conformer  ses  actes  aux  indications  de  la  cons- 
cience, qui  s'éveille  pourtant  alors  et  dont  les  voix  mystérieuses  parlent 
assez  haut  dans  tous  les  cœurs.  Cependant  le  bonheur  de  notre  vie  dépend 
de  l'accord  de  notre  volonté  avec  cette  puissance  secrète  qui  demeure  éter- 
nelle, tandis  que  les  passions  ont  jonché  notre  cœur  flétri  de  leurs  jouis- 
sances éphémères.  Heureux  les  adolescents  qui  obéissent  à  sa  voix!  Us 
peuvent  sans  trop  d'avaries  franchir  le  terrible  cap  des  tempêtes.  Mais  les 
autres  ?  Les  autres  seront  plus  ou  moins  entraînés  selon  la  violence  des 
tempéraments.  Quelques-uns  succomberont  définitivement.  Le  plus  grand 
nombre  survivra  et  formera  la  catégorie  des  médiocres  de  l'âme.  Ce  sont 
des  blessés  qui  portent  au  flanc  une  plaie  incurable.  Ils  traîneront  le  boulet 
d'une  vie  sans  idéal  où  les  besoins  grossiers  feront  la  loi,  vie  banale  qui 
desséchera  de  plus  en  plus  les  brillantes  facultés  de  l'âme. 

Non,  l'éducation  telle  que  nous  la  comprenons  et  la  pratiquons  ne  fait  pas 
le  malheur  de  la  jeunesse.  Au  contraire  ;  elle  donne  du  ressort  à  la  volonté, 
elle  établit  fermement  le  règne  de  la  conscience,  elle  affine  la  sensibilité; 
en  préparant  l'âme  à  tous  les  labeurs,  à  tous  les  sacrifices,  elle  la  rend 
capable  d'apprécier  les  suprêmes  jouissances  du  devoir  accompli  et  lui  fait 
goûter  les  aspirations  au  vrai,  au  beau,  au  bien  qui  constituent  la  vie  des 
plus  nobles. 


Ho2  PÉDAGOGIE 


M.  Frédéric  PASST 

Membre  de  l'Académie  des  Sciences  morales  et  politique?,  à  Neuilly-sur-Sdiie. 


L'ÉDUCATION    PHYSIQUE 


—  Séance   du   2/   septembre    t892  — 


C'est  à  la  Section  d'Économie  politique  que  je  devais  d'abord  parler  de 
l'éducation  physique.  C'est  à  la  Section  de  Pédagogie  que  je  me  trouve 
appelé  à  en  parler.  Après  tout,  la  question  intéresse  également  le  péda- 
gogue et  l'économiste,  et  l'importance  d'une  bonne  éducation  physique 
n'est  pas  moindre  au  point  de  vue  du  travail  intellectuel  et  de  la  valeur 
morale  des  générations  qu'au  point  de  vue  du  travail  matériel.  Mens  sana 
in  corpore  sano,  une  âme  saine  dans  un  corps  sain  :  voilà  l'idéal  ;  il  y  a 
longtemps  que  la  sagesse  antique  l'a  proclamé.  Non,  assurément,  que  la 
valeur  du  corps  fasse  toujours  la  valeur  de  l'âme.  Tels,  robustes  et  bien 
constitués,  ne  savent  ou  ne  veulent  faire  de  leurs  forces  un  emploi  utile. 
Tels,  au  contraire,  malgré  les  faiblesses  ou  les  défaillances  de  leurs 
organes  matériels,  arrivent,  à  force  de  volonté,  à  des  résultats  admirables. 
Mais  si  la  même  puissance  directrice  avait  à  son  service  des  instruments 
meilleurs,  elle  obtiendrait  davantage,  et  quand  la  monture  se  refuse  abso- 
lument à  porter  le  cavalier,  que  peut  le  cavalier? 

C'est  une  vérité  qui,  toute  simple  qu'elle  soit,  a  été  trop  longtemps 
oubliée,  au  moins  dans  une  partie  de  nos  établissements  d'éducation. 
A  l'époque  oîi  les  plus  vieux  d'entre  nous  étaient  au  collège,  on  encoura- 
geait outre  mesure,  on  tolérait,  tout  au  moins,  des  exc^s  d'études  perni- 
cieux pour  la  santé  et  peut-être,  en  somme,  peu  favorables  à  l'instruction 
elle-même.  Je  me  souviens  qu'un  homme,  dont  le  nom  était  alors  connu 
de  tous  les  écoliers  parce  qu'il  était  l'auteur  d'un  dictionnaire  grec  que 
beaucoup  avaient  maudit,  M.  Alexandre,  étant  venu,  comme  inspecteur 
général,  visiter  le  collège  Louis-le-Grand,  et  ayant  trouvé,  à  l'heure  de  la 
promenade  ou  de  la  récréation,  de  bons  élèves  enfermés  dans  une  salle,  à 
l'état  de  ce  que  l'on  appelait  la  retenue  volontaire,  il  entra  dans  une  véri- 
table fureur  et  demanda  au  proviseur  s'il  avait  juré  d'étioler  par  avance  la 
meilleure  partie  de  son  personnel,  déclarant  qu'ils  feraient  beaucoup  mieux 
leur  thème  grec  et  leur  discours  latin  s'ils  s'y  préparaient  par  quelques 
bonnes  parties  de  barres  ou  de  balles.  On  autorisait  aussi,  dans  les  hautes 


F.    PASSY.   —    LKnUCATION    PHYSIQUE  1  J  o3 

classes,  ce  quon  ajtpclait  des  veillées.  On  se  couchait  à  10  heures  au  lieu 
de  se  coucher  à  8  h.  4o.  On  s'endormait  sur  son  papier,  que  l'on 
retrouvait  maculé  d'encre,  et  parfois  même  on  s'était  endormi  avant 
le  souper,  jjarce  que  la  nature  réclamait  l'heure  de  sommeil  perdue 
la  veille. 

Je  crois  que  l'on  en  est  revenu,  aujourd'hui,  dans  les  lycées.  .le  ne  suis 
même  pas  bien  sûr  —  et  j'y  insisterai  tout  à  l'heure  —  que  l'on  n'ait 
pas  passé  la  mesure,  et  que  la  campagne  contre  le  surmenage  intellectuel 
n'ait  pas  abouti  quelquefois  à  un  surmenage  physique. 

Dans  la  sphère  de  l'instruction  primaire,  J'ai  bien  peur  qu'on  ne  soit 
encore  dans  la  période  du  surmenage  intellectuel.  On  voit  des  enfants  de 
onze  ans  tout  tiers  d'avoir  leur  certificat  d'études,  et  les  parents  et  les 
maîtres  encore  plus  fiers  que  les  enfants.  Nous  savons  bien  que  cela  ne 
suppose  pas  une  instruction  très  complète.  Combien,  cependant,  n'a-t-il 
pas  fallu  entonner  de  choses  dans  leur  mémoire  !  Et  combien,  pour  les  y 
faire  entrer  et  les  y  retenir,  au  moins  momentanément,  n'a-t-il  pas  été 
nécessaire  d'ajouter  aux  heures  de  classes,  d'heures  supplémentaires  de 
travail  à  la  maison  1 

Qu'est-ce  lorsque,  à  la  suite  de  ce  premier  certificat,  qui  donne  trop 
souvent  l'ambition  de  délaisser  les  professions  manuelles,  on  veut  con- 
quérir de  nouveaux  diplômes?  J'avoue  que  je  ne  suis  pas  bien  sûr  que  l'on 
n'ait  pas  multiplié,  outre  mesure,  ces  épreuves.  Et  je  ne  suis  pas  bien 
sûr  non  plus  qu'elles  soient  toujours  des  garanties  réelles  de  savoir  et 
surtout  de  capacité. 

Un  des  hommes  qui  se  sont  le  plus  occupé  d'enseignement,  un  de  ceux 
qui  ont  le  plus  fait  pour  l'instruction  primaire  et  pour  les  bibliothèques 
populaires,  M.  Laboulaye,  me  disait  un  jour  ce  mot,  que  je  n'oserais 
peut-être  pas  répéter  si  je  ne  pouvais  le  couvrir  de  son  autorité  :  «  Méfiez- 
vous  des  bétes  à  diplômes  ».  Il  n'est  pas  du  tout  certain,  en  effet,  que  la 
véritable  valeur  d'un  maître  ou  d'un  professeur  se  puisse  mesurer  à  la 
quantité  d'examens  qu'il  a  passés.  Enseigner,  ce  n'est  pas  seulement 
savoir,  c'est  jtosséder  l'art  de  transmettre  ce  qu'on  sait.  Élever,  c'est-à-dire 
former  à  la  fois  l'esprit  et  le  caractère,  ce  n'est  pas  seulement  débiter 
machinalement,  comme  un  phonographe,  des  notions  que  l'on  a  plus  ou 
moins  absorbées,  c'est  agir  par  toute  sa  personne  sur  la  petite  famille 
dont  on  doit  être  le  guide.  C'est  se  mettre,  par  un  travail  incessant  et 
incessamment  varié,  à  la  portée  des  jeunes  intelligences  auxquelles  on 
s'adresse.  C'est  atteindre  les  cœurs  en  môme  temps  que  les  esprits,  et 
susciter  les  volontés,  réveiller  les  indolences,  contenir  et  diriger  les  instincts 
encore  irréguliers.  De  même  qu'on  n'est  pas  un  médecin  parce  qu'on  sait 
la  médecine,  et  qu'à  côté  et  au-dessus  de  la  science,  sans  laquelle  on  est 
exposé  à  commettre  les  plus  graves  erreurs,  il  y  a  le  coup  d'œil,  le  sens 

73* 


1154  PÉDAGOGIE 

personnel  et  ce  qu'on  appelle  le  tact  médical,  que  la  science  aide,  mais  ne 
donne  pas  ;  de  même  il  y  a  ce  que  l'on  pourrait  appeler  le  tact  éducatif 
que  toute  l'instruction  du  monde  ne  saurait  donner.  11  y  a  la  personnalité 
et  il  y  a  l'expérience.  A  cet  égard,  je  crains  que  les  exigences  nouvelles  et 
excessives  d'examens  et  de  grades  n'aient  pas  toujours  profité  à  l'éducation. 
Je  leur  fais  un  autre  reproche  qu'il  eût  été  et  qu'il  serait,  il  est  vrai,  très 
facile  d'éviter,  c'est  d'entraîner  à  l'égard  de  l'ancien  personnel,  plus  ou 
moins  dépourvu  de  grades  que  l'on  n'obtenait  pas  lorsqu'il  est  entré  dans 
la  carrière,  une  défaveur  absolument  injuste  qui  a  pour  résultat  de  mettre 
trop  souvent  les  services  les  plus  éprouvés  au-dessous  des  parchemins  les 

plus  récents. 

Mais  je  laisse  cette  parenthèse  et  je  reviens,  ou  plutôt  j'arrive,  à  mou 

objet  principal. 

Une  réaction  s'est  produite  depuis  quelques  années  en  faveur  des  exer- 
cices physiques.  Elle  était  nécessaire  et,  à  la  condition  d'être  modérée  et 
raisonnée,  elle  ne  pouvait  être  que  salutaire.  L'a-t-elle  été  suffisamment? 
Et  n'a-t-on  pas  un  peu  passé,  suivant  notre  habitude  de  sortir  d'une 
routine  par  une  révolution,  d'un  excès  à  l'autre? 

Nous  avions  des  forts  en  thème  ou  en  discours  latin  que  l'on  cultivait 
spécialement  en  vue  du  concours  général,   sans  se  préoccuper  toujours 
suffisamment  de  l'ensemble  de  leurs  études.  Nous  avons  eu,  et  nous  avons 
encore  des  forts  en  course,  en  boxe,  en  vélocipède  ou  en  natation,  que 
l'on  cultive  de  même  au  détriment  de  leurs   études  parfois,  en  vue  du 
o-rand  jour  où  ils  devront  représenter  le  collège  ou  l'institution.  Dans  tel 
lycée  où  l'on  ne  permettait  pas,  il  y  a  quelques  années,  de  jouer  à  la  balle, 
aux  barres  ou  à  saute-moulon,  on  donne  aux  sujets,  qui  ont  du  biceps  ou 
du  jarret,  des  dispenses  d'études  pour  aller  s'entraîner,  et  on  leur  prépare, 
au  retour,  un  bifteck  de  faveur.  Aux  jours  des  épreuves,  des  exagéra- 
tions fâcheuses  sont  permises.  Sans  citer  des  faits  particuliers  qui  sont  à 
ma  connaissance  personnelle  et  qui  ont  eu  quelquefois  les  conséquences 
les  plus  graves,  croit-on  que  ces  défis  et  ces  paris  de  courses  en  véloci- 
pède, de  marches  excessives,  dont  on  entretient  le  public,    soient  sans 
inconvénient  et  sans  danger  ?  Us  surexcitent  outre  mesure  la  vanité  ;  ils 
donnent  à  certaine  supériorité  physique,  parfois  de  second  ordre,  parfois 
même  acquise  au  prix  de  déformations  véritables,  comme  celles  dés  jockeys, 
une  importance  absolument  ridicule.  Us  accoutument  à  jouer  et  à  parier 
sur  les  hommes  comme  sur  les  chevaux  et  contribuent  à  entretenir,  dans 
une  partie  de  la  population,  un  état  d'agitation  factice  et  de  mouvement  à 
vide  qui  n'est  certainement  pas  sans  inconvénient.  On  dit,  pour  excuser 
ces  abus,  que  cela  fortifie  les  générations,  prépare  les  hommes  aux  devoirs 
les  plus  sérieux  et  leur  donne  du  muscle  et  de  la  résistance.  Je  crains  que 
ce  ne  soit  précisément  le  contraire.  J'ai  souvenir  d'un  colonel  qui,  pendant 


VAUTHIER.  —  PROGRAMME  DE  l'eNSEIGNEMElNT  l'LBLIG  EN  DÉMOCRATIE    lloO 

une  période  de  vingt-huit  jours,  traitait  de  propos  délibéré  ses  réservistes 
avec  la  plus  grande  dureté,  l'orçanl  les  étapes  et  les  exercices,  ne  permet- 
tant pas,  quand  on  avait  reçu  la  pluie,  d'allumer  du  feu,  même  pour 
chauffer  la  soupe,  et  interdisant  d'ouvrir  les  sacs  pour  en  tirer  les  quelques 
provisions  qui  pouvaient  s'y  trouver.  «  Vous  en  verrez  bien  d'autres  à  la 
guerre  »,  répétait-il.  Un  des  hommes  mourut  à  la  peine;  d'autres  furent 
plus  ou  moins  malades.  A  la  lîn  de  la  période,  une  revue  fut  passée  par 
le  général.  Celui-ci,  qui  avait  fait  la  guerre  au  moins  autant  que  le 
colonel,  examina  les  hommes  avec  soin,  fit  ouvrir  les  sacs,  demanda 
pourquoi  les  provisions  qui  s'y  trouvaient  n'avaient  point  été  mangées  et, 
finissant  par  se  rendre  bien  compte  de  ce  qui  s'était  passé,  apostropha 
le  colonel  en  lui  demandant  ce  qu'il  pourrait  faire  de  ses  soldats  à  l'heure 
de  la  guerre  s'il  commençait  par  les  abîmer  en  temps  de  paix.  N'imitons 
pas  cet  excès  maladroit.  Ne  risquons  pas,  par  des  exagérations  impru- 
dentes, de  compromettre  la  santé  de  beaucoup  pour  produire  quelques 
prodiges.  Ce  ne  sont  point  des  athlètes  ou  des  coureurs  de  profession  que 
nous  avons  à  former,  ce  sont  des  hommes,  et,  même  au  point  de  vue 
purement  physique,  les  phénomènes  ne  sont  point  l'idéal.  Apollon,  souple 
et  harmonieux,  triomphait,  dit-on,  du  lourd  et  massif  Hercule,  comme 
dernièrement,  dans  cette  lutte  ignoble  qui  a  déshonoré  les  États-Unis, 
le  champion  de  la  boxe,  le  colosse  Sullivan,  a  été  mis  à  bas  par  le  jeune 
Californien,  qui  avait  pour  lui  l'agilité  et  le  coup  d'œil. 


M.  YATITHIEB, 

Ancien  Ingénieur  des  Ponts  et  Chaussées,  à  Paris. 


QUE  DOIT  ETRE  LE  PROGRAMME  DE  L'ENSEIGNEMENT  PUBLIC  EN  DEMOCRATIE 


—  Séance  du  ^1  septembre  1892  — 

Le  capital  intellectuel  d'un  e  nation  est  sa  plus  précieuse  richesse. 

Ce  sont  les  écoles  allemandes  qui  nous  ont  vaincus,  a-t-on  dit  après 
1870;  —  assertion  un  peu  forcée  peut-être,  mais  contenant  assez  de 
vérité  pour  mériter  attention. 


i loG  PÉDAGOGIE 

Ce  capital  intellectuel,  le  fonds  en  est  donné  par  la  nature.  C'est  la 
culture  qui  le  développe  et  le  porte  à  son  maximum  de  puissance. 

L'enseignement  public  doit  être  la  principale  préoccupation  d'un  peuple 
libre. 

Cet  enseignement,  comment,  dans  un  pays  démocratique,  en  concevoir 
l'organisation  ?  C'est  ce  que  nous  allons  essayer  de  rechercher,  en  tâ- 
chant de  nous  défendre  de  toute  utopie,  et  de  tenir  compte  des  difficultés 
et  nécessités  de  la  pratique. 

Le  développement  intellectuel  par  l'enseignement  peut  être  conçu 
comme  une  échelle  ascendante  continue  et  illimitée. 

Toutes  les  intelligences  sont-elles  aptes  à  gravir  cette  échelle  sans  limite 
assignable  ? 

Toutes  peuvent-elles  y  prétendre?  Malheureusement  non.  Par  infé- 
riorité cérébrale,  par  impuissance  de  volonté,  les  unes  s'arrêtent  en 
chemin.  D'autres,  pour  obéir  à  certaines  nécessités  pratiques,  sont  forcées 
de  subir  cet  arrêt. 

Ce  qui  vient  de  la  nature  doit  être  accepté  avec  résignation,  dans  tous 

•  les  temps  ;  ce  qui  vient  de  l'état  social  doit  l'être  aussi  tant  que  cet  état 

social  n'aura  pas  été  modifié;  et  nous  ne  voulons  pas,  même  de  loin,  à 

propos  d'un  programme  d'enseignement,  essayer  de  réformer  de  fond  en 

comble  la  société. 

Abstraitement  donc:  échelle  continue  et  sans  limite  déterminée;  pra- 
tiquement, échelle  ascendante  forcément  coupée  de  paliers  d'arrêt. 

Telle  est  l'idée  qu'on  peut  se  faire  de  la  position  rationnelle  du  pro- 
blème. 

Est-ce  bien  ainsi  qu'elle  est  comprise? 

Une  observation  avant  d'aborder  cet  examen. 

Sera-t-il  dieu,  table  ou  cuvette  ?  se  demande  le  statuaire  en  face  du 
bloc  qu'il  va  façonner.  Cela  est  son  droit.  11  travaille  une  matière  inerte. 
Le  résultat  à  obtenir  dépend  de  sa  volonté  seule  et  n'importe  en  rien  à 
l'élément  passif  sur  lequel  il  opérera. 

Une  telle  détermination  est-elle  légitime  lorsqu'il  s'agit  de  jeunes 
intelligences  à  développer?  Non  seulement  cela  semble  excéder  le  droit  de 
la  communauté,  mais  cela  même  est  contraire  à  l'intérêt  de  celle-ci. 

Tous  les  enfants  de  France  naissent  libres  et  égaux.  De  quel  droit,  pour 
quelle  utilité,  dire  à  l'un  :  voilà  jusqu'où  il  t'est  permis  de  développer  tes 
facultés  intellectuelles,  en  même  temps  qu'on  dit  à  l'autre  ;  toi  tu  devras 
forcément  t' élever  à  ce  haut  degré,  quelle  que  puisse  être  ton  impuissance 
naturelle? 

N'est-ce  pas  cependant  selon  ce  plan  qu"'est  organisé  l'enseignement 
public?  et  la  préoccupation  principale  ne  semble-t-elle  pas  être  de  créer 
des  arrêts   de  développements  successifs,  plutôt  que  de  porter   chaque 


i 


VAUTHIER.    —   l'ROGHAMME  DE  l'eNSEIGNEMENT  l'LBLIC  EN  DÉMOCRATIE    llo" 

intelligence    au    plus    haut  point   de  culture  qu'elle  puisse  atteindre? 

Ensei<j7iement  PHiyiAiHV..  enseignement  secondaire,  enseif/nement  supérieur, 
tels  sont,  d'après  une  pratique  ancienne  déjà,  les  trois  termes  échelonnés 
de  l'enseignement  public. 

On  a  récemment  introduit  dans  la  série  deux  éléments  mixtes  :  l'en- 
seignement primaire  supérieur  et  l'enseignement  secondaire  moderne, 
combinaisons  ambiguës,  dont  l'examen  jette  une  vive  lumière  sur  la  dis- 
position d'esprit  de  ceux  qui  président  à  la  direction  de  l'enseignement 
public:  ministre  et  corps  consultatifs  de  divers  ordres  qui  l'assistent. 

Envisagée  dans  son  expression  extérieure,  cette  sériation  des  enseigne- 
ments successifs  est  pleinement  rationnelle.  Elle  ne  discorde  pas  avec 
l'idée  abstraite  émise  plus  haut,  quand  on  tient  compte  des  nécessités  de 
la  pratique.  Il  convient  bien,  en  effet,  que  l'intelligence  qui  se  déve- 
loppe procède  par  étapes;  qu'elle  puisse  s'élever  par  échelons  jusqu'à  un 
certain  niveau  et  s'y  arrêter,  si  la  force  pour  aller  plus  haut  lui  manque, 
ou  que  des  nécessités  de  situation  l'y  contraignent. 

Mais,  ceci  admis,  si,  dautre  part,  la  conception  d'une  échelle  ascen- 
dante continue  est  juste,  ne  convient-il  pas  que,  dans  chacune  des  étapes 
à  franchir,  l'enseignement  soit  organisé  selon  la  formule  ci-après  :  fournir 
autant  que  possible  àl' élève  des  outils  pratiques  immédiatement  utilisables; 
en  second  lieu,  dans  un  ordre  gradué,  préparer  son  esprit  à  Vacquisition 
de  connaissances  plus  amples,  soit  par  ses  propres  efforts  dans  le  milieu 
ambiant,  soit  à  l'aide  d'un  nouvel  enseignement  dans  l'étape  suivante  ? 

Ce  sont  là,  sans  doute,  deux  objets  distincts,  qui  appellent  et  exigent 
l'emploi  de  procédés  pédagogiques  différents,  mais  qui  doivent  à  coup 
sûr  préoccuper  autant  l'un  que  l'autre.  N'est-il  pas  à  craindre  que,  sous 
l'impulsion  d'idées  dites  pratiques  et  par  réaction,  légitime  d'ailleurs, 
contre  un  système  d'enseignement  universitaire  qui  semblait  conçu  pour 
des  êtres  de  raison  n'ayant  à  tenir  nul  compte  des  besoins  réels  de  la  vie, 
on  ait,  en  se  préoccupant  trop  du  premier  terme  de  la  formule  ci-dessus, 
trop  négligé  le  second.  Voilà  certainement  un  point  qui  mérite  examen. 

Envisageons  d'abord  l'enseignement  primaire.  Quel  est-il  au  fond  et 
comment  se  présente -t-il  pour  ceux  qui  le  reçoivent? 

Nous  avons  dit  ailleurs  (1)  que  cet  enseignement  ne  contient  rien  de  la 
science.  Comme  toutes  les  assertions  trop  brèves,  celle-là  peut  être  con- 
testée. Nous  allons  la  confirmer  en  y  mettant  les  nuances  qui  conviennent. 
Mais  selon  nous,  le  tort  qu'on  a  serait  plutôt  de  ne  pas  se  résigner  plus 
absolument  à  cette  assertion  que  de  l'enfreindre. 

Toutes  les  disciplines  comportent,  pédagogiquement,  quoique  dans  des 
proportions  très  différentes  de  l'une  à  l'autre,  l'emploi  indispensable  de  trois 

(il  Congrès  de  Marseille.  —  Du  rôle  de  l'élude  des  langues  anciennes  dans  l'enseignement  secon- 
daire. 


i 158  PÉDAGOGIE 

modes  d'action  :  la  préparation  routinière;  l'enseignement  théorique;  la 
confirmation  pratique. 

De  ces  trois  termes,  l'intermédiaire  est  incontestablement  le  plus  haut 
en  dignité,  même  en  efficacité.  11  domine  de  beaucoup  les  deux  autres; 
cependant  on  échouerait  en  voulant  l'employer  seul.  Essayer  de  faire 
comprendre  les  théories  arithmétiques  à  qui  ne  sait  pas  calculer  serait  une 
tentative  vaine  ;  espérer  que  ces  théories  sont  bien  gravées  dans  l'esprit, 
si  on  ne  les  y  a  pas  fixées  par  des  exercices  et  des  applications  pratiques, 
ce  serait  une  illusion. 

La  routine  est  donc  à  la  racine  de  tout  développement  intellectuel. 
Le  plus  grand  tort  qu'on  puisse  avoir,  pédagogiquement  parlant,  c'est 
d'essayer  d'y  échapper,  ou  de  faire  du  moins  prématurément  appel  à 
l'enseignement  didactique;  et,  dans  l'enseignement  primaire,  pour  fournir 
aux  intelligences  enfantines  les  outils  immédiatement  utilisables  et,  dans 
tous  les  cas,  nécessaires  pour  s'élever  plus  haut,  c'est  surtout  la  prépa- 
ration routinière  à  laquelle  il  faut  faire  résohmient  appel. 

Sous  ce  rapport,  nous  sommes  disposé  à  croire  que  les  programmes  et 
leur  mise  en  pratique  ne  laissent  pas  trop  à  désirer  ;  et,  s'il  y  avait  à  cet 
égard  des  modifications  à  introduire,  des  lacunes  à  combler,  les  perfec- 
tionnements paraissent  possibles  dans  la  voie  où  l'on  est  entré. 

La  première  condition  de  la  formule  idéale  proposée  plus  haut  se  trou- 
verait donc  ici  satisfaite.  Mais  qu'en  est-il  du  second  terme?  Y  songe-t-on 
seulement  ?  et  la  seule  idée  de  préparer,  dans  l'étape  de  l'enseignement 
primaire,  les  jeunes  intelligences  qui  le  reçoivent  à  s'élever  plus  haut,  si 
elles  en  ont  la  force  et  en  sentent  le  besoin,  ne  va-t-elle  pas  sembler  aux 
praticiens  attitrés  de    l'enseignement  public  une  utopique  conception  ? 
La  question  cependant  vaut  la  peine  d'être  examinée.  Il  n'est  pas  indiffé- 
rent au  bien  du  pays  qu'on  obtienne,  à  la  fin  des  études  primaires,  de 
jeunes  cerveaux  frappés  d'une  sorte  d'arrêt  de  développement,  se  croyant, 
par  leur  certificat  d'études,  dans  l'ignorance    où  ils  sont  de  toute  autre 
chose,  à  l'apogée   des  connaissances  humaines,    ou  que  l'on    ait  pour 
résultat,  au  contraire,  de  petites  cervelles  éveillées,  ouvertes  à  toutes  les 
curiosités,  et  qui,  si  elles  ne  connaissent   encore  rien    de    la   science, 
savent  au  moins  qu'il  y  en  a  une. 

Les  outils  élémentaires  que  l'enseignement  primaire  fournit  sont  pré- 
cieux au  plus  haut  degré  pour  la  vie  pratique.  Mais,  si  utiles  qu'ils  puis- 
sent être  aussi  pour  le  développement  mental  ultérieur,  ils  ne  constituent 
pas  par  eux-mêmes  ce  développement.  Il  ne  faut  se  faire  aucune  illusion 
à  cet  égard.  Pour  peu  qu'on  ait  observé,  combien  n'a-t-on  pas  vu,  dans 
un  passé  que  nous  touchons  de  la  main,  d'intelligences  dénuées  de  toute 
culture  reçue  sur  les  bancs  de  l'école  l'emporter  en  combinaisons  fines, 
rapides  et  justes  sur  des  esprits  ayant  puisé  sur  ces  mêmes  bancs  l'habi- 


VAUTHIER.   —  PROGRAMME  DE  l'enseignement  PUlîLir.  EX    DÉMOCRATIE    1159 

tude  de  ne  rien  pouvoir  faire  que  le   crayon  et  le  papier   à  la  main. 

Il  est  excellent  que  tous  les  Français  sachent  lire  et  écrire;  mais,  ce 
résultat  obtenu,  on  n'aura  pas,  pour  cela,  élevé  dans  une  bien  forte  pro- 
portion la  moyenne  de  l'intelligence  nationale,  si  l'école  primaire  reste 
une  sorte  de  milieu  clos,  où  l'effort  mental  se  borne  à  l'acquisition  et  au 
maniement  de  certains  outils  pratiques.  A  travers  ces  parois  fermées,  il 
faut  pratiquer  des  ouvertures  donnant  des  échappées  de  vue  sur  le  vaste 
monde  du  dehors. 

11  y  a  là  un  problème,  problème  ardu,  car  ce  n'est  ni  dans  des  amusettes 
de  leçons  de  choses  ni  dans  de  superficiels  exposés  à  prétentions  encyclo- 
pédiques qu'il  en  faut  chercher  la  solution.  Cette  solution,  nous  ne  préten- 
dons nullement  la  donner  ici.  Elle  correspond  à  la  dilliculté  pédagosique 
la  plus  haute  peut-être  qui  soit  :  celle  de  mettre  à  la  portée  des  intelligences 
enfantines  les  principales  vérités  de  la  science,  sans  rien  faire  perdre  à 
celle-ci  de  sa  précision  et  de  sa  sévérité.  Cette  solution  exige,  en  outre,  non 
seulement  des  programmes  parfaitement  élaborés,  mais  des  professeurs 
aptes  à  les  développer  ;  et  cela  ne  s'obtiendra,  avec  l'aide  du  temps, 
qu'après  bien  des  tentatives,  des  recherches  et  des  efforts.  Seulement  ce 
problème,  il  faut  le  poser  et  tâcher  de  le  résoudre,  pour  donner  à  l'ensei- 
gnement national  sa  constitution  logique  et  toute  son  efficacité. 

Si  nous  passons  à  l'enseignement  secondaire,  les  observations  que  celui-ci 
suscite  prennent  un  autre  caractère.  Ici  l'emploi  judicieux  de  la  routine  a 
logiquement  perdu  du  terrain.  C'est  l'enseignement  méthodique  avec  toutes 
ses  ressources  qui  prend  toute  la  place.  N'en  prend-il  pas  trop?  Et,  en  don- 
nant à  l'abstrait,  dans  cette  étape,  l'importance  qui  lui  est  due,  ne  néglige- 
t-on  pas  un  peu  trop  le  concret?  Nous  l'avons  dit  ailleurs  (1),  renseigne- 
ment secondaire  semble  n'être  conçu  que  comme  un  moyen  de  s'élever 
vers  les  enseignements  complémentaires  supérieurs,  mais  il  n'aboutit  de 
lui-même  à  nul  palier  de  repos.  S'il  donne  en  effet  à  celui  qui  l'a  reçu  des 
diplômes  qui  constatent  le  fait,  et  servent  pour  l'accès  aux  fonctions 
publiques,  il  ne  lui  fournit  pas  des  outils  déterminés  immédiatement  utili- 
sables, dans  les  autres  domaines  de  la  vie  pratique.  Pour  l'enseignement 
primaire,  le  plafond  est  trop  bas  et  sans  prise  d'air.  Ici  c'est  le  grand  air 
et  il  n'y  a  pas  de  plafond  du  tout. 

Au  premier  défaut  signalé  pour  l'enseignement  primaire,  on  a  tenté  de 
parer  par  V  enseignement  primaire  supérieur  ;  au  second  par  l'enseignement 
secondaire  moderne.  De  l'échelle  ascendante  de  l'enseignement  qui,  logi- 
quement, devrait  être,  dans  une  société  égalitaire,  essentiellement  con- 
tinue, on  a  fait  partir  deux  branchements,  qui  ne  rejoignent  plus  la 
route  principale,  et  constituent  des  impasses.  Sauf  exceptions  rares,  en 

(1)  Congrès  de  Marseille.  —  Brochure  déjà  citée. 


1160  PÉDAGOGIE 

effet,  le  sort  intellectuel  de  ceux  qui  y  pénètrent  est  réglé.  Le  cadre  qui 
limite  leur  développement  cérébral  a  des  dimensions  immuables. 

Pour  l'enseignement  primaire  supérieur,  étant  donné  le  fait  actuel  de 
la  diversité  des  situations  sociales,  il  semble  malaisé  de  ne  pas  accepter, 
transitoirement  aii  moins,  la  donnée  particulière,  on  pourrait  dire  le  vice 
logique,  auquel  il  correspond.  Toutefois,  à  cet  enseignement  lui-même  pour- 
rait s'appliquer  en  partie  ce  qui  a  été  dit  ci-dessus  à  propos  de  l'enseigne- 
ment primaire;  et,  si  l'application  s'impose  moins  impérieusement,  ladifli- 
culté  en  ser>ait,  en  revanche,  ici,  beaucoup  moindre.  Quoiqu'il  y  ait,  à  l'ori- 
gine de  cette  impasse,  une  détermination  volontaire  de  ceux  qui  se  ré- 
solvent à  y  entrer,  quoiqu'ils  semblent  avoir,  d'après  des  considérations 
diverses  consenti  par  avance  à  un  arrêt  de  développement,  et  renoncé  à 
suivre  la  grande  route  des  hauts  sommets,  il  se  pourrait  que  des  aptitudes 
ignorées  se  révélassent  en  chemin.  Aussi,  tout  en  se  préoccupant  au  premier 
chef  des  outils  pratiques  à  fournir,  il  conviendrait  de  ne  pas  négliger  entiè- 
rement ce  qui  pourrait  préparer  une  élite  à  s'élever  plus  haut. 

Mais,  si,  pour  l'enseignement  primaire  supérieur,  la  nécessité  pratique 
de  sa  création  peut  être  plaidée,  celle  de  l'enseignement  secondaire  mo- 
derne paraît  plus  difficile  à  justifier.  On  peut  se  demander  si  tout  cet 
appareil  spécial  était  bien  nécessaire,  si  une  nouvelle  bifurcation  s'imposait 
et  si  la  solution  du  problème  n'était  pas  plutôt  dans  un  remaniement  de 
l'enseignement  secondaire  classique  consistant,  en  lui  infusant  à  plus  haute 
dose  le  sens  pratique  qui  y  fait  défaut,  à  lui  demander,  sans  rien  retrancher 
de  l'enseignement  méthodique  qui  fait  sa  force,  de  fournir  lui-môme  les 
outils  pratiques  en  vue  desquels  le  nouvel  enseignement  secondaire  a  été 
institué.  Et  ne  suffisait-il  pas  pour  cela  de  se  rappeler  que  tout  enseignement 
abstrait  a  pour  couronnement  logique  et,  peut-on  ajouter,  pour  auxiliaire 
des  plus  utiles,  les  applications  concrètes  qui  en  forment  la  confirmation 
pratique? 

Prenons  un  exemple  unique,  celui  des  langues  étrangères.  L'appren- 
tissage routinier  de  celles-ci  dans  la  première  enfance  n'a  qu'une  valeur 
limitée.  C'est  de  ce  point  de  vue  que  nous  nous  sommes  prononcé  pour 
le  maintien  de  l'enseignement  syntaxique  du  latin  et  du  grec,  et  nous 
jugerions  puéril,  avec  beaucoup  de  bons  esprits,  de  pousser  au  delà 
l'étude  des  langues  mortes  et  d'introduire,  dans  les  lycées  classiques,  le 
charabia  latin  dont  on  fait  encore  usage  en  certains  pays.  Mais,  s'il  est 
vrai  que  cette  étude  bien  dirigée  soit  pour  l'esprit  la  meilleure  des 
gymnastiques,  ce  n'est  qu'une  légère  surcharge  —  qui  d'ailleurs  lui  est 
imposée  déjà  aujourd'hui,  —  que  d'y  adjoindre  l'étude  d'une  ou  de  plu- 
sieurs langues  vivantes.  Seulement,  pour  ces  dernières,  à  l'enseignement 
syntaxique  devrait  s'ajouter,  ou  plutôt  marcher  parallèlement  avec  lui, 
la  pratique  de  la  langue  non  pas  à  l'aide  de  thèmes  écrits,  mais  parlée 


VAUTHIER.   —  PROGRAMME  DE  L  ENSEIGNEMENT  PUBLIC  EN    DÈMOCKATIE    1161 

et  appliquée  par  intermittences,  pendant  certaines  périodes  déterminées,  à 
l'ensemble  des  fonctions  de  la  vie  scolaire,  ainsi  que  cela  se  pratique  dans 
quelques  institutions  étrangères.  Loin  d'être  une  surcharge  pour  le  tra- 
vail syntaxique,  ce  lui  serait  plutôt  un  allégement. 

Si  nous  ne  devions  nous  borner,  nous  en  dirions  autant  de  l'étude  des 
sciences.  Les  applications  concrètes  sont  bientôt  saisies,  quand  la  théorie 
méthodique  est  bien  comprise. 

Devons-nous  aller  plus  loin? 

Au-dessus  de  l'enseignement  secondaire,  ce  qui  reste  à  gravir  de  Té- 
chelle  est  fait  pour  une  élite  restreinte.  Ce  qui  imprime  à  la  mentalité  de 
celte  élite  sa  direction  parait  devoir  moins  intéresser  la  masse  que  ce  qui 
se  passe  dans  les  échelons  inférieurs.  Il  n'en  est  rien,  car  c'est  dans  cette 
élite  que  se  recrute,  et  devrait  se  recruter  plus  largement  encore,  pour 
le  bien  du  pays,  le  personnel  dirigeant  de  la  société.  C'est  la  seule  aristo- 
cratie admissible  en  pays  démocratique.  Mais  elle  est  utile  et  bonne. 

Dans  cette  sphère  élevée,  les  idées  ci  dessus  développées  paraissent 
applicables.  La  routine  n'a  plus  ici  que  faire.  Il  est  pourvu  aux  applica- 
tions pratiques  par  des  écoles  spéciales.  Le  seul  défaut  serait  peut-être, 
dans  les  hautes  écoles  théoriques,  l'École  polytechnique  ou  l'École  nor- 
male supérieure;  les  seules  que  nous  visions,  qu'on  n'imprime  pas  à  l'en- 
seignement un  vol  assez  élevé  et  tout  à  fait  encyclopédique.  Loin  de 
nuire  à  la  préparation  de  praticiens  éminents,  ce  qui  est  le  but,  cela  ne 
pourrait  qu'en  former  de  meilleurs.  Ces  praticiens  oublient,  parce  qu'ils 
le  délaissent,  —  et  peut-être  font-ils  bien,  —  le  maniement  spéculatif  des 
hautes  théories  qu'ils  ont  apprises  et  comprises,  mais  sans  cette  intense 
gymnastique  cérébrale,  ils  n'auraient  pas  acquis  la  puissance  de  coordi- 
nation des  idées  qui  fait  leur  valeur. 

En  résumé,  on  ne  peut  guère,  croyons-nous,  beaucoup  différer  sur  le 
but  que  nous  avons  assigné  à  l'enseignement  public  en  démocratie  :  celui 
de  porter,  par  la  culture  qu'il  donne,  au  plus  haut  degré  de  valeur  possible 
le  capital  intellectuel  du  pays. 

.  Quant  au  meilleur  moyen  à  employer,  est-il  de  constituer  cet  enseigne- 
ment à  l'image  d'une  échelle  continue  que  tous  puissent  gravir  dans  la 
mesure  de  leur  force,  tout  en  établissant  dans  cette  échelle  sans  lin.  pour 
obéir  au.K  nécessités  de  la  pratique,  des  paliers  de  repos,  et,  dans  chaque 
étape  successive,  d'organiser  l'enseignement  de  façon  à  prépareras  intelli- 
gences à  parcourir  si  elles  le  peuvent  l'étape  suivante,  tout  en  leur  four- 
nissant, si  elles  ne  vont  pas  plus  haut,  des  outils  immédiatement  appli- 
cables aux  besoins  de  la  vie  pratique? 

Telle  est  notre  thèse.  Elle  est  livrée  à  la  discussion. 

On  a  beaucoup  parlé  d'enseignement  intégral,  sans  qu'il  ait  jamais  été 


1162  PÉDAGOGIE 

nettement  indiqué  ce  qu'on  entendait  par  là.  La  société  atteindra  peut- 
être  un  état  qui  permette  de  n'être  arrêté,  dans  la  constitution  de  l'ensei- 
gnement public,  par  aucune  nécessité  pratique  étrangère  à  la  force  propre 
de  chaque  intelligence,  et  de  donner  à  toutes  le  maximum  de  culture 
qu'elles  puissent  comporter,  ce  qui  ne  veut  pas  dire  que  ce  degré  de 
culture  sera  le  même  pour  toutes.  Si  c'est  là  ce  qu'on  entend  par  le  mot 
intégral,  il  corresponde  un  idéal  auquel  nous  ne  répugnons  pas;  mais, 
si  cet  idéal  peut  être  la  vérité  de  demain,  il  n'est  certainement  pas  celle 
d'aujourd'hui. 

Dans  tous  les  cas  d'ailleurs,  notre  thèse  n'y  contredit  pas.  Quelles  que 
soient  les  considérations  qui  déterminent  la  situation  des  paliers  de  repos, 
il  en  faudra  toujours.  Ce  que  notre  thèse  exclut  et  combat,  c'est  le  système 
des  arrêts  méthodiques  de  développement,  c'est  la  conception,  prétendue 
pratique,  qui  consiste,  afin  de  ne  pas  produire  de  déclassés,  à  détacher 
de  la  grande  voie  de  l'enseignement  des  branchements  qui  deviennent 
autant  d'impasses  pour  ceux  qui  s'y  engagent.  Loin  de  tendre  à  amoin- 
drir les  inégalités  sociales,  cette  conception  ne  fait  que  les  aggraver  et 
accentuer  encore  la  division  en  classes  qui  résulte  de  la  diversité  des  con- 
ditions économiques  de  chacun . 

Les  considérations  qui  président  à  la  position  du  problème  que  nous 
avons  abordé  sont  donc  dignes  des  méditations  les  plus  approfondies. 

L'université  française  s'est-elle  placée  en  face  de  ce  problème?  Malgré 
la  haute  et  incontestable  valeur  de  ceux  qui  par  leurs  conseils  ou  leurs 
décisions  dirigent  sa  marche,  est-elle  apte  à  le  résoudre  ?  Il  est  permis 
d'en  douter.  Il  y  a  là  de  difficiles  recherches  à  faire.  Elles  exigent  de  la 
compétence,  mais  aussi  une  complète  indépendance  d'esprit.  Les  pouvoirs 
officiels  paraissent  plus  faits  pour  l'application  d'idées  faites  et  contrôlées 
que  pour  les  investigations,  toujours  hasardeuses,  d'idées  nouvelles. 

Mais  si  la  tâche  n'incombe  pas  nécessairement  à  l'université,  elle  est 
parfaitement,  au  contraire,  du  domaine  naturel  des  grandes  institutions 
libres  qui  existent  en  France  telles  que  V Association  polytechnique,  V Asao- 
cialion  philotechnique  et  enfin  la  grande  Association  qui  accueille  cette 
note. 

Puisse-t-elle,  nonobstant  ses  lacunes  et  l'incompétence  de  son  auteur, 
appeler  l'attention  sur  un  sujet  d'une  si  haute  importanee  pour  l'avenir  du 
pays  ! 


D""  JEANNEL.  —  LA  DÉPOPULATION  DES  DÉPARTEMENTS  MONTAGNEUX        1163 


M.  le  F  J.  JEAlfIEL 

à  Villcfranche-sur-Mer  (Alpes-Mavitimes). 


LA  DEPOPULATION  DES  DEPARTEMENTS  MONTAGNEUX 


Séance  du  16  septembre  1892  — 


L'année  dernière,  j'ai  présenté  au  Congrès  de  Marseille  un  Mémoire  mli- 
tulé  :  Du  déboisement  considéré  comme  cause  de  dépopulation  et  des  m,oyens 
d'y  remédier.  —  Arbor  day  américain.  —  Société  des  amis  des  arbres. 

Après  avoir  démontré  que  toutes  les  régions  déboisées  sont  inhabitables 
et  qu'un  grand  nombre  de  contrées  autrefois  peuplées  et  civilisées  sont 
devenues  stériles  et  inhabitées  lorsque  les  forêts  y  ont  été  détruites,  j'énu- 
mérais  les  preuves  de  la  dépopulation  dans  nos  départements  ravagés  par 
le  déboisement.  La  population  spécifique  de  la  France  est  de  73  habitants 
par  kilomètre  carré;  elle  se  réduit  : 

Dans  les  Alpes-Maritimes,  à 64 

Dans  les  Hautes-Alpes,  à 22 

Dans  les  Basses-Alpes,  à 19 

Dans  l'arrondissement  de  Puget-Théniers,  à.    .  lo 

Dans  l'arrondissement  de  Barcelonnette,  à.    .    .  13 

D'après  le  recensement  de  1891  : 

82  communes  des  Alpes-Maritimes  ont  perdu  7  0/0  depuis  le  recense- 
ment de  1886; 

24  cantons  des  Hautes-Alpes  ont  perdu  6  0/0  ; 

30  cantons  des  Basses- Alpes  ont  perdu  o,8  0/0; 

72  communes  des  Bouches-du-Rhône  ont  perdu  4,7  0/0. 

M.  Rochard,  rapporteur  de  la  discussion  sur  la  dépopulation,  présentant 
à  l'Académie  de  Médecine,  le  14  avril  1891,  un  mémoire  manuscrit, 
s'exprimait  ainsi  : 


1164  HYGIÈNE    ET    MÉDECfiNE    PUBLIQUE 

«  Je  disais,  dans  mon  rapport,  que  le  problème  de  la  dépopulation  avait 
été  envisagé  sous  toutes  ses  faces,  au  cours  de  la  discussion  qui  vient  de  se 
terminer,  et  je  me  trompais.  Il  en  est  une  qui  nous  a  échappé.  C'est  là  le 
sujet  du  Mémoire  que  j'ai  l'honneur  de  présenter  à  l'Académie.  Il  a  pour 
titre  :  Du  déboisement  considétx  comme  came  de  dépopulation.  » 

Ces  faits  n'ont  pas  suffi  pour  convaincre  l'administration  supérieure 
ni  pour  éclairer  l'opinion  publique. 

Dans  son  rapport  sur  le  recensement  de  1891,  le  ministre  de  l'Intérieur 
(1*='  janvier  1892),  énumérant  les  causes  présumées  du  ralentissement  du 
mouvement  ascensionnel  de  la  population  française  ne  mentionne  pas  le 
déboisement  des  pays  montagneux. 

Tout  récemment,  le  18  juin  dernier,  un  groupe  de  quinze  députés  a 
présenté  à  la  Chambre  une  proposition  de  loi  sur  la  restauration  des 
terrains  en  montagnes  ;  la  dépopulation  causée  par  le  déboisement  n'est 
pas  mentionnée  dans  l'exposé  des  motifs  (1). 

Les  avertissements,  les  prédictions  des  agronomes,  des  économistes  et 
des  ingénieurs  les  plus  célèbres  sont  complètement  oubliés.  On  ferme  les 
yeux  à  cet  enchaînement  fatal  de  causes  et  d'effets,  signalé  par  Surell  en 
1842,  qui  commence  -par  la  destruction  des  forêts  et  se  termine  par  la  misère 
des  populations,  condamnant  thomme  à  jjartager  la  ruine  du  sol  qu'il  a 
dévasté. 

Je  me  crois  donc  autorisé  à  revenir  sur  la  question.  Du  reste,  j'apporte 
des  arguments  nouveaux,  des  preuves  numériques  fournies  par  le  dépouil- 
lement méthodique  des  statistiques  publiées  officiellement  à  la  suite  des 
recensements  de  1886  et  de  I89I. 

Le  sujet  du  présent  Mémoire  est  la  dépopulation  qui  se  produit  dans  les 
trente  départements  les  plus  déboisés  auxquels  s'appliquent  les  prescrip- 
tions de  la  loi  du  4  avril  1882  sur  la  restauration  des  terrains  en  mon- 
tagne. 

I.  _  D'après  le  recensement  de  1891,  la  population  française  a  augmenté 
de  124.289  habitants  depuis  le  recensement  de  1886. 

Quelle  est  la  part  des  trente  départements  ravagés  par  le  déboisement 
dans  ce  résultat  ? 

Le  tableau  suivant  n"  1  comporte  la  liste  de  ces  trente  départements,  et 
en  regard  les  augmentations  ou  les  diminutions  de  population  qui  y  ont 
été  constatées,  en  raison  du  rapport  des  naissances  aux  décès. 


(1)  Voyez  Examen  de  la  proposilion  de  lui  relative  à  la  restaurai  ion    des   terrains   en  montagne, 
(Bulletin-Journal  de  la  Société  d'Agriculture  et  de  la  Société  des  Amis  des  arbres;  1892;  Nice;  p.  210.) 


D""  JEANNEL.  —  LA  DÉPOPCLATION  DES  DÉPARTEMENTS  MONTAGNEUX.      II60 


TABLEAU    NI. 

Tableau  des  trente  départements  montagneux  ravagés  par  le  dé- 
boisement, offrant  en  regard  les  augmentations  et  les  diminutions 
de  population  qui  y  ont  été  constatées  par  le  recensenxent  de  1891. 

^Extrait  des  stutisliqucs  olJiciflles.)  (1; 

l'UPLLATIOX 
bÉI'AUTEMENTS  En 

Alpes  (Basses- 1 124 

Alpes  (Hautes- 1 115 

Alpes-Maritimes 2i8 

Ardècbe 371 

Ariège 227. 

Aude 317 

Aveyi'ou 400, 

Houches-du-Rhône 630 

Cantal 239 

Creuse 284 

Corrèzc 328 

Drùtne 306 

Gard 419 

Garonne  (Haute-) 472 

Gers 261 

Hérault 461 

Isère 572 

Loire 616 

Loire  (Haute-; 316 

Lot 253 

Lozère 135 

Fuy-Je-Dôme 564. 

Pyrénées  (Basses- 1 425 

l*y  rénées  i  Hautes- j 225 

Pyrénées-Orientale* 210. 

-Savoie 263. 

Savoie  (Hautes- 1 268 

Tarn 346 

Var 288 

Vaucluse 235 


TOTAU.X  . 


Diminution  proportionnelle  à  la  population.  .      0,89  0/0 

Je  joins  à  ce  tableau  celui  dos  grandes  villes  des  départements  mon- 
ta^neu.x  où  la  population  a  augmenté  depuis  le  recensement  de  1886. 


isai. 

En  1880. 

ilCMEXTATIONS 

DIÏINCTIOXS 

.285 

129.494 

» 

5.209 

.522 

122.924 

s 

7.402 

..571 

238.057 

20.514 

1, 

.269 

375.472 

s 

4.203 

.491 

237.619 

a 

10.128 

.372 

332.080 

B 

14.708 

.467 

415.826 

» 

15.359 

.622 

604.857 

25 . 765 

» 

.601 

241.742 

j> 

2.141 

.660 

284.942 

» 

282 

.119 

326.494 

1.625 

a 

.419 

314.615 

}> 

8.196 

.388 

417.099 

2.289 

» 

.383 

481.169 

a 

8.786 

.084 

274.391 

i> 

13.307 

.651 

439.044 

22.608 

» 

.145 

581.680 

» 

9.535 

.227 

603.384 

12.843 

» 

.735 

320.063 

» 

3.328 

.885 

271.514 

» 

17.629 

.527 

141.264 

» 

5.7.37 

.266 

570.964 

» 

6.698 

.027 

4.32.999 

û 

7.972 

.861 

234.825 

a 

8.964 

.125 

211.187 

» 

1.062 

.297 

267.428 

1} 

4.131 

.267 

275.018 

» 

6.751 

.739 

358.737 

» 

12.018 

.330 

283.689 

4.047 

j> 

.411 

241.787 

9 

6.376 

9.940.752        10.030.384 

90.290 

179.922 



90.290 

Dl.MIMiTION    ABSOLUE 

89.632 

(1)  \oyez  Dénombrement  de  la  population,  1891.  Imprimerie  nalionalp,  in-8»,  1892. 


1166 


HYGIÈNE    ET    MÉDECINE    PUBLIQUE 


TABLEAU    N"   2. 


CHIFFRE 

NOiMS  de 

des  villes  l'augmentaliOii 

Nice 10.795 

Marseille 27.606 

Nîmes 1.725 

Toulouse 2.174 

Montpellier  ....  12.493 

Grenoble 7.955 

Saint-Étienne  ...  15.568 

Clermont-FerramI.  .  3.401 

Pau 2.485 

Toulon 7.625 

Avignon 2.446 

Total.    .    .   .  94.273 


CAUSES  PRÉSUMÉES 

de 
l'augmentation 

Immigration  des  étrangers. 

Développement  du  commerce  et  de  l'industrie. 

Commerce  des  vins,  industrie. 

Commerce,  établissements  scientifiques. 

Commerce  des  vins,  établissements  scientifiques. 

Prospérité  industrielle. 

Prospérité  industrielle. 

Industrie. 

Station  hivernale  renommée. 

Progrès  des  établissements  maritimes. 

Progrès  industriels. 


Ce  tableau  démontre  que  les  augmentations  de  population  constatées 
dans  les  grandes  villes  des  trente  départements  dévastés  par  le  déboise- 
ment masquent  en  partie  les  diminutions  survenues  dans  les  communes 

rurales. 

Discussion.  —  L'augmentation  totale  de  la  population  française  de  1886 
à  1891  a  été  seulement  de  124.289,  d'après  les  tableaux  officiels  du 
recensement. 

Ce  chiffre  repré.sente  pour  les  quatre-vingt-sept  départements  une 
augmentation  moyenne  de  1.428  habitants  : 


124.289 
87~ 


1.428. 


Si  les  trente  départements  en  question  ne  se  trouvaient  pas  dans  des 
conditions  exceptionnellement  défavorables,  ils  auraient  contribué  à  l'aug- 
mentation de  la  population  pour  1.428X30,  soit  pour  42.828.  Or,  le 
recensement  démontre,  bien  au  contraire,  que  dans  ces  trente  départe- 
ments la  population  a  diminué  dans  une  proportion  considérable.  La 
diminution  totale  dans  ces  trente  départements  s'élève  à  89.632,  com- 
pensation faite  des  augmentations  uniquement  dues  aux  grandes  villes  de 
quelques-uns  d'entre  eux. 

En  effet,  le  chiffre  total  des  diminutions  s'élevant  à.    .    .    .     179.922 

et  celui  des  augmentations  à 9Q  •  ^90 

la  différence 89.632 

exprime  la  perte  absolue  qu'ils  ont  subie.  Cette  perte  est  en  moyenne 
pour  chacun  d'eux,  de  2.988  : 


89.632 
30 


2.988. 


D"^  JEANNEL.  —  LA  DÉPOPULATION'  DES  DÉPARTEMENTS  MONTAGNEUX      116" 

On  voit  par  là  que  si  les  quatre-vingt-sept  départements  avaient  pré- 
senté le  même  résultat  que  les  trente  départements  déboisés,  une  dimi- 
nution de  239. 9oG  eût  remplacé  l'augmentation  de  124.289  indiquée  par 
le  recensement  :  2.988  X  87  =  2o9.9o6. 

L'écart  entre  ces  trente  départements  et  les  cinquante-sept  autres  est 
donc  exprimé  par  le  chiffre  moyen  1 .428  qu'ils  auraient  dû  gagner,  plus  le 
chiffre  moyen  2.988  qu'ils  ont  perdu  :  1 . 428 -|- 2 . 988  =^  4.41G;  soit 
au  total  4.416  X  30  =  132.480. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  :  lorsque  l'on  se  borne  à  inscrire  en  bloc  les 
résultats  du  dénombrement  par  département,  les  augmentations  de  popu- 
lation qui  se  sont  manifestées  dans  les  grandes  villes,  et  qui  s'élèvent  au 
chiffre  de  94.273,  masquent  les  diminutions  qui  se  sont  produites  dans 
les  communes  rurales. 

La  diminution  dans  les  communes  rurales  se  trouve  donc  tout  simple- 
ment exprimée  par  le  total  formé  sans  opérer  la  soustraction  des  augmen- 
tations constatées  dans  les  grandes  villes. 

La  diminution  a  donc  été  réellement,  dans  les  communes  rurales  des 
trente  départements  en  question,  de  179.922  habitants,  selon  le  total 
figurant  au  tableau  ci-dessus  n"  1,  soit  en  moyenne  5.998  : 

'-^  ==  .5.988. 

En  résumé,  la  population  totale  de  ces  trente  départements  était,  en 
1886,  de  10.030.384;  la  diminution  ab.solue,  c'est-à-dire  malgré  l'aug- 
mentation dans  les  grandes  villes,  a  été  de  89.622,  soit  de  0,89  0/0; 

Et  la  diminution,  calculée  sans  tenir  compte  des  augmentations  dans 
les  grandes  villes,  a  été  de  179.922,  soit  de  1,79  0/0. 

La  population  totale  des  cinquante-sept  départements  où  le  reboisement 
n'est  pas  considéré  comme  urgent  est  de  28.188.519  habitants. 

Ces  cinquante-sept  départements  ont  fourni  la  totalité  de  l'augmentation 
de  la  population  française  constatée  par  le  recensement  de  1891,  soit 
124.289,  et,  de  plus,  ils  ont  comblé  le  déficit  constaté  dans  les  trente 
départements  déboisés,  soit  89.632. 

Le  total  124.289 +  89.632  ::-- 213.921  exprime  donc  l'augmentation 
de  population  dans  les  cinquante-sept  départements  où  le  reboisement 
n'est  pas  considéré  comme  urgent,  et,  proportionnellement  à  la  population 
de  ces  cinquante-sept  départements,   l'augmentation  a  été  de  0,75  0/0. 

Ainsi,  d'une  part,  diminution  0,89  0/0; 

Et,  d'autre  part,  augmentation  0,75  0/0. 

De  même  qu'il  est  facile  de  constater  l'existence  des  épidémies,  d'en 
mesurer  l'intensité  et  d'en  découvrir  les  causes  par  la  statistique,  de  même 


HG8  HYGIÈNE    ET    MEDECINE    PUBLIQUE 

il  est  facile  de  découvrir  et  de  mesurer  par  les  recensements  de  la  popula- 
tion la  désastreuse  influence  du  déboisement. 

Dix-sept  départements  sont  sifinalés  comme  réclamant  des  travaux  de 
reboisement  d'utilité  publique  obligatoires,  fet  treize  départements  des  tra- 
vaux facultatifs  subventionnés,  en  exécution  de  la  loi  précitée  du  4  avril 
1882.  C'est  là  précisément  que  la  dépopulation  se  prononce  avec  la  plus 
déplorable  intensité.  Certes,  le  déboisement  n'est  pas  l'unique  facteur, 
mais  il  est  assurément  l'un  des  facteurs  les  plus  évidents  de  la  dépopu- 
lation. 

Nous  pouvons  même  en  mesurer  à  peu  près  exactement  l'influence 
par  le  classement  des  trente  départements  les  plus  déboisés. 

C'est  ce  que  réalise  le  tableau  suivant  n°  3  : 


TABLEAU  N°  3. 

Tableau  des  trente  départements  les  plus  déboisés,  classés  selon  les 
diminutions  ou  les  augmentations  de  population  qu'ils  ont  présen- 
tées, d'après  le  recensement  de  1891,  depuis  le  recensement  de  1868. 


POPULATION 

DÉPARTEMENTS  m  18*5 

Lot ~ 271.514 

Aveyroii 415.826 

Aude 332.080 

Gers 274.391 

Tarn 358.757 

Ariège 237.619 

Isère 581.680 

Hautes  Pyrénées 234.825 

Haule-Garonne 481.169 

Drome 314.615 

Basses-Pyrénées 432.999 

Hautes-Alpes 132.924 

Haute-Savoie 275.018 

Puy-de-Dôme 570.964 

Vaucluse 241.787 

Lozère 141.264 

Basses-Alpes 129.494 

Ardéche  375.472 

Savoie 267.428 

Haute- Loire 320.063 

Cantal • 241.742 

Pyrénées-Orientales 211.187 

Creuse 284.660 

Corrèzc 326. 49i 

Gard 417.099 

Var  283.689 

Loire 603.384 

Alpes-Maritimes .  238.057 

Hérault 439.044 

Bouches-du-Rhùnc 604.857 

Totaux  10. 030 .384 

Report  des  augmentations.   .    .    . 
Diminution  absolue 


DIMINUTIONS  CONSTATEES 

on 

1891 

Absolues 

Pour  100 

AUGMENT.iTIONS 

17.629 

6,4 

» 

15.352 

3,6 

0 

14.708 

4,4 

•' 

14.307 

4,9 

i> 

12.038 

3,3 

» 

10.128 

4,2 

» 

9.5.35 

1,6 

tf 

8.964 

1,1 

à 

8.786 

1,8 

l» 

8.196 

2,6 

» 

7.972 

1,8 

» 

7.402 

6,2 

» 

6.751 

2,4 

» 

6.698 

1,1 

» 

6.  .376 

2,6 

J) 

5.737 

4,0 

>l 

5.209 

4,0 

u 

4.203 

1,1 

tt 

4.131 

1,5 

» 

3.328 

1,0 

»• 

2.141 

0,89 

» 

1.062 

0,3 

» 

282 

0.09 

i) 

» 

i> 

1.625 

» 

» 

2.289 

» 

» 

4.647 

» 

» 

12.843 

il 

» 

20.514 

» 

a 

22.607 

a 

» 

25.765 

179.922 

y> 

90.290 

90.290 

89.632 

U'    JEANNEL.  —  LA   DÉPOPULATION  DES  DÉPARTEMENTS  MONTAGNEUX      1169 

II. — Le  recensement  de  4886  concorde  avec  celui  de  1891  et  confirme 
pleinement  les  conclusions  qu'on  peut  tirer  quant  à  l'influence  du  dé- 
boisement sur  la  dépopulation. 

Le  tableau  suivant  n"  4  offre  comparativement  les  augmentations  et  les 
diminutions  de  population  dans  les  trente  départements  où  le  reboise- 
ment est  officiellement  considéré  comme  urgent. 


TABLEAU  N"  4. 

Tableau  des  augmentations  et  des  diminutions  de  population'consta- 
tées  dans  les  trente  départements  ravagés  par  le  déboisement, 
d'après  le  recensement  de  1886.  (Exirail  des  statistiqties  ofjicielles.) 

DÉPARTEMENTS  AUGMENTATIONS  DIMINLITON? 

Alpes  (Basses-) »  2.42't 

Alpes  (Hautes-) 1.137                              » 

Alpes-Maritimes. 11.436                                » 

Ardèclie »  1.395 

Ariège »  2.982 

Aude. 4.138 

Aveyion 751                               » 

Bouches-du-RliOne 15.839                                » 

Cantal 5.552                              » 

Corrèze 9.'r28                              » 

Creuse 6.160                                » 

Drôme 852                                » 

Gard 1.470                               » 

Garonne  (Haute-) 3.160                              » 

Gers »  7.141 

Hérault «  2.483 

Isère 1.409                                » 

Loire 3.548                              » 

Loire  (Haute-) 3.602                              » 

Lot »  8.755 

Lozère »  2.301 

Puy-de-Dôme 4.900                              « 

Pyrénées  (Basses-^ »  1.367 

Pyrénées  (Hautes-) »  1.649 

Pyrénées-Orientales 2.339                                « 

Savoie 990                              » 

Savoie  (Haute-) 931                             •> 

Tarn »                                       436 

Var »  4.888 

Vaucluse »  2.302 


Total  des  augmentations.  .  .     77.635 

Total  des  diminutions .    .  .  .     38.183 

Augmentation  absolue.   .  .  .    39.452 

défalcation  faite  des  diminutions.  == 


Totaux  77.635  38.183 


74* 


1170  HYGIÈNE  ET  MÉDECINE  PUBLIQUE 

Discussion.  —  Le  dénombrement  de  1886  a  constaté  une  augmentation 
totale  de  la  population  française  s'élevant  au  chiffre  de  546. 800. 

Cette  augmentation,  répartie  entre  les  quatre-vingt-sept  départements, 
donne  une  moyenne  de  6.283  : 

^«■«^^  =  6.283. 


87 


Si  les  trente  départements  en  question  ne  se  trouvaient  pas  dans  des 
conditions  exceptionnellement  défavorables,  ils  auraient  contribué  à  l'aug- 
mentation de  la  population  pour  6.283  ><  30,  soit  pour  188.490. 

Or,  le  recencement  démontre  qu'ils  n'ont  apporté  à  l'augmentation  que 
le  chiffre  de  39.452,  soit  chacun  d'eux  en  moyenne  1.315  : 

39  «2  ^  1.313. 


30 

On  voit  par  là  que  si  les  quatre-vingt-sept  départements  avaient  pré- 
senté le  même  résultat  que  les  trente  départements  déboisés,  l'augmenta- 
tion de  la  population  n'eût  été  que  de  114.405. 

Les  cinquante-sept  autres  départements  ont  contribué  à  l'augmentation 
pour  546.855  —  39.452,  soit  pour  507.403,  et  en  moyenne  pour  8.901. 

L'écart  moyen  entre  les  deux  catégories  de  départements  est  donc  de 
8  901  _  1.315  =  7.586,  et  l'écart  total  est  représenté  par  7.586  X  30 
=  227.580. 

En  résumé,  les  trente  départements  qui  auraient  dû  contribuer  à  l'aug- 
mentation proportionnelle  à  leur  nombre  (30  :  87)  pour  34,45  0/0  n'y 
ont  contribué  que  pour  7,3  0/0,  et  les  cinquante-sept  qui  n'auraient  dû 
contribuer  à  l'augmentation  proportionnelle  à  leur  nombre  que  pour 
6o,55  0/0  (57  :  87)  y  ont  contribué  pour  92,7  0/0. 

Proportionnellement  à  la  population  l'augmentation  dans  les  trente 
départements  n'a  été  que  de  0,38  0/0  ;  dans  les  cinquante-sept  l'augmen- 
tation a  été  de  1,8  0/0. 

L'augmentation  a  donc  été  cinq  fois  plus  forte  dans  les  cinquante-sept 
départements  non  déboisés  que    dans  les  trente  départements  déboisés. 

Il  est  donc  évident  que  le  mouvement  ascensionnel  de  la  population 
a  été  beaucoup  moindre  dans  les  trente  départements  déboisés  que  dans 
ceux  où  le  reboisement  n'est  pas  considéré  comme  urgent.  Il  est  encore 
légitime  de  faire  observer  que  l'écart  entre  les  uns  et  les  autres  serait  bien 
plus  grand  si  l'on  défalquait  l'accroissement  des  grandes  villes  pour  ne 
considérer  que  le  mouvement  de  la  population  dans  les  communes 
rurales. 


|-.    lilTTEU.   —    DE    LA    .MYOPIE    PLUS    FRÉQUENTE  AUJOUHd'iIUF  1171 

CONCLUSIONS 

1°  Le  déboisement  est  une  cause  puissante  de  dépopulation,  dont  il 
est  possible  de  mesurer  l'effet  par  la  statistique  démographique. 

2"  Les  recensements  de  1886  et  de  18!)1  donnent  le  moyen  de  démon- 
trer que  les  crédits  affectés  au  reboisement  sont  insuffisants,  et  que  la  loi 
du  4  avril  1882  sur  la  restauration  et  la  conservation  des  terrains  en 
montagne,  telle  qu'elle  est  appliquée,  ne  suffît  pas  à  prévenir  la  dépopu- 
lation causée  par  le  déboisement. 

S**  En  présence  d'un  danger  qui  menace  la  puissance  même  et  la  vita- 
lité de  la  France,  il  y  a  lieu  de  recommander  la  Société  des  Amis  des 
arbres,  institution  analogue  à  VArbor  day  américain,  qui  intéresse  tous  les 
citoyens  à  la  protection  et  à  la  multiplication  des  arbres  fl). 


M.  F.  EITTEE, 

Ingénieur  en  chef  des  Ponts  et  Chaussées  en  retraite,  à  Pau. 


DE  LA  MYOPIE  PLUS  FRÉJUENTE  AUJOURD'HUI 


—  Séance  du  17  septembre  I89i  — 

Depuis  une  quarantaine  d'années,  le  nombre  des  myopes  a  sensible- 
ment augmenté  en  France  et  ce  fait  a  été  signalé  plus  d'une  fois,  aux 
Facultés  de  médecine,  invitées  à  en  chercher  la  cause  et  à  indiquer  les 
moyens  d'y  porter  remède;  mais,  jusqu'à  ce  jour  on  n'est  arrivé  à  aucun 
résultat  décisif,  si  j'en  juge  par  quelques  communications  tombées  par 
hasard  sous  mes  yeux.  Je  ne  suis  pas  médecin,  mais  je  suis  myope,  et 
ce  défaut  de  la  vue  a  eu  pour  moi,  comme  pour  beaucoup  d'autres,  assez 
d'inconvénients  pour  attirer  mon  attention  et  exciter  ma  curiosité.  Ma 
place  est  dans  une  autre  Section  du  Congrès,  et  j'ai  longtemps  hésité  à 
vous  demander  ([uelques  moments  d'attention;  mais  je  suis  myope  et  ma 

(\)  chaque  sociétaire  s'engage  à  payer  une  cotisation  annuelle  de  2  francs,  à  planter  ou  à  faire 
planter  chaque  année  au  moins  un  arbre  et  à  protéger  les  plantations  d'arbres  fruitiers  uu  fores- 
tiers partout  où  elles  existent  Le  siège  de  la  Société  est  à  Nice,  place  Garibuldi,  n°  ii. 


^1-^2  HYGIÈNE  ET  MÉDECINE  PUBLIQUE 

mvopie  doit  excuser  ma  témérité.  Loin  de  moi  la  pensée  de  faire  une 
excursion  dans  le  domaine  de  la  physiologie  ;  je  resterai  dans  celui  des 
faits  dont  l'observation  m'a  conduit  à  attribuer  la  cause  de  la  plus  grande 
fréauence  de  la  myopie  principalement  à  un  surmenage  particulier  de 
l'œil,  pendant  les  études  dans  les  écoles  des  différents  degrés. 

La  vision  est  le  résultat  de  phénomènes  complexes  ayant  pour  effet  de 
disposer  à  chaque  instant  la  rétine  au  fond  de  Toeil,  de  manière  à  recevoir 
à  sa  surface  l'impression  distincte  des  images  lumineuses  des  objets  dans 
un  rayon  plus  ou  moins  étendu.  Si  le  sommet  des  faisceaux  lumineux 
émanés  de  ces  objets  toinbe  en  avant  de  la  rétine,  le  dc'faut  de  netteté 
des  images  constitue  la  myopie.  Cependant  l'œil  n'est  pas  un  organe  ^ 
rigide  •  il  est  disposé  k  ramener  instantanément  et  continuellement  le 
sommet  des  faisceaux  lumineux  sur  la  rétine  par  la  propriété  qu'il  possède 
de  s'accommoder  de  manière  à  rendre  la  vue  distincte.  Comment  s'opère 
ce  phénomène  ?  Il  est  plus  que  probable  que  les  nerfs  et  les  muscles  qui 
commandent  l'œil  concourent  tous  à  le  produire  :  la  dilatation  et  la  con- 
traction de  la  pupille,  celles  de  l'enveloppe  du  cristallin  en  augmentant  ou 
diminuant  la  densité  de  l'humeur  aqueuse  et  la  courbure  de  la  cornée. 
Les  modifications  de  la  densité  et  de  la  courbure  du  cristallin,  delà  densité 
de  l'humeur  vitrée,  de  la  courbure  de  son  enveloppe,  telles  sont  les  opé- 
ration» complexes  du  phénomène  de  l'accommodation  de  l'œil  à  la  vision 

distincte . 

Des  dispositions,  apportées  en  naissant ,  de  quelques  parties  de  l'organe 
visuel  qui  empêchent  ou  gênent  l'une  ou  quelques-unes  de  ces  opérations 
constituent  la  myopie  congénitale  ou  les  prédispositions  à  la  myopie,  et 
la  multiplicité  de  ces  causes  explique  pourquoi  la  médecine  a,  jusqu'à  ce 
jour,  et  sera  probablement  toujours  impuissante  à  la  combattre  et  à  la 


guérir. 


L'œil,  chez  chaque  individu,  a  une  forme  et  une  constitution  normales; 
après  s'être  accommodé  pour  voir  un  objet  hors  de  sa  portée  normale,  il 
revient,  en  vertu  de  son  admirable  élasticité,  à  son  état  normal.  Mais, 
comme  tout  organe  naturel  ou  artificiel  doué  d'un  état  normal  d'équilibre 
auquel  il  revient  en  vertu  de  son  élasticité,  s'il  est  dérangé  au  delà  des 
limites  de  cette  élasticité,  ou  s'il  est  maintenu  trop  longtemps  et  trop  fré- 
quemment en  dehors  de  son  état  d'équilibre  normal,  il  perd  son  élasticité 
et  reste  accommodé  à  l'état  anormal  qu'on  lui  impose;  c'est  ainsi  que,  par 
diverses  causes,  l'œil  perd  son  équilibre  normal  et  reste  accommodé  à  l'état 
anormal  qui  constitue  la  myopie.  Ces  causes  sont  assez  nombreuses,  mais 
la  première  que  je  vais  signaler  est  pour  moi  la  cause  prépondérante  de 
la  myopie  plus  fréquente  de  nos  jours,  et  pour  me  servir  d'une  expression 
devenue  à  la  mode,  cette  cause  est  le  surmenage  de  l'organe  visuel. 

Les  personnes  qui,  comme  moi ,  peuvent  reporter  leurs  observations  à 


F.    RITTER.  —    DE    L\    MYOPIE    PLUS    FRÉQUENTE    AUJOURD'HUI  11  "3 

plus  de  cinqiiaate  ans  en  arrière  peuvent  se  rappeler  que,  du  temps  de 
leur  jeunesse,  on  remarquait  parmi  les  jeunes  gens  ceux  qui  portaient 
lunettes  :  c'étaient  les  élèves  de  l'École  polytechnique  et  ceux  qui  se  pré- 
paraient à  cette  école.  On  s'occupait  alors  de  phrénologie  et  quelques-uns 
prétendaient  que  les  facultés  m.athématiques  étaient  localisées  dans  le  globe 
de  l'œil  et  caractérisées  par  son  bombement  ;  mais  je  n'ai  jamais  constaté 
que,  ni  moi  ni  mes  camarades,  nous  avions  le  globe  de  l'œil  plus  bombé 
que  les  autres  jeunes  gens  de  notre  âge.  Le  bombement  exagéré  de  l'œil 
est  une  cause  de  myopie,  mais  on  peut  l'observer  sur  des  personnes 
n'ayant  pas  les  moindres  aptitudes  pour  les  mathématiques. 

Par  la  spécialisation  de  leurs  études,  la  partie  de  la  jeunesse  dont  je  parle 
recevait  et  reçoit  encore  la  partie  la  plus  importante  de  son  enseigne- 
ment au  moyen  du  tableau  noir;  les  élèves  éloignés  du  tableau,  pour 
suivre  la  démonstration,  étaient  et  sont  encore  constamment  obligés  d'ac- 
commoder leur  œil  à  la  vision  au  delà  de  la  distance  normale  de  la  vue 
distincte;  cette  nécessité,  presque  habituelle  dans  des  conditions  anormales 
de  vision,  détruit  son  élasticité  et  modifie  les  conditions  normales  de  l'or- 
gane visuel. 

Plus  tard,  on  voit  un  plus  grand  nombre  déjeunes  gens  porter  lunettes; 
la  mode  même  s'en  mêle,  et  l'on  voit  les  jeunes  gandins  garnir  leur  œil 
d'un  verre  souvent  parfaitement  plan  et  s'astreindre  à  une  contraction 
grimaçante  qui,  pour  quelques-uns,  conduit  à  la  dégradation  de  l'organe 
et  à  la  myopie.  Enfin  aujourd'hui  ce  ne  sont  plus  seulement  les  élèves  des 
lycées  et  les  étudiants  en  plus  grand  nombre  qui  portent  lunettes,  mais 
les  jeunes  filles  revenant  des  cours  ou  élèves  des  lycées  qui  sont  obligées  de 
porter  lunettes,  et  plus  tard,  pour  ne  pas  conserver  sur  le  nez  cet  appen- 
dice disgracieux,  de  le  remplacer  par  le  binocle  qui  souvent  prend  place 
à  côté  de  l'éventail. 

Si  maintenant  on  se  reporte  aux  progrès  apportés  à  l'art  de  l'enseigne- 
ment, on  reconnaît  que  peu  à  peu  l'usage  du  tableau  noir,  réservé  jadis  au 
seul  enseignement  des  mathématiques,  s'est  successivement  étendu  aux 
autres  branches  de  l'enseignement:  grammaire,  géographie,  musique,  etc., 
et,  peu  à  peu,  et  parallèlement  a  pénétré  ce  que  j'appellerai  renseignement 
mural  au  moyen  de  tableaux  de  toutes  sortes  et  notamment  de  cartes  de 
géographie  murales. 

Dans  ces  conditions,  est-il  étonnant  que  l'œil,  dès  l'enfance,  constamment 
obligé  de  s'accommoder  en  dehors  des  limites  de  la  vision  normale,  perde 
son  élasticité,  et,  persistant  dans  des  conditions  anormales ,  devienne 
myope? 

L'emploi  du  tableau  noir  étendu  à  toutes  les  branches  de  l'enseigne- 
ment primaire  et  secondaire  et  l'usage  des  cartes  murales  et  tableaux 
analogues:  c'est,  à  mes  yeux,  la  principale  cause  qui  rend  myopes  un  cer- 


1 174  HYGIÈNE  ET  MÉDECINE  PUBLIQUE 

tain  nombre  d'élèves,  chez  lesquels  la  myopie  n'était  pas  congénitale. 

A  cette  cause  i>répondérante  j'en  ajouterai  quelques  autres  secondaires. 

Lorsque,  à  l'entrée  de  la  soirée,  les  élèves  sont  à  Tétude,  ou  s'ils  travail- 
lent chez  eux,  si  l'on  n'a  pas  soin  de  supprimer  par  un  éclairage  conve- 
nable cette  demi-obscurité,  leur  œil,  pour  lire  et  écrire  dans  ces  condi- 
tions, est  obligé,  de  s'accommoder  à  cette  demi-obscurité  comme  il  était 
obligé  de  le  faire  pour  s'accommoder  à  la  distance  trop  grande. 

Sans  m'arrêter  à  des  causes  plus  secondaires  encore,  comme  par  exemple 
la  mauvaise  impression  de  certains  ouvrages  en  usage  dans  les  écoles, 
j'ajouterai  que  la  myopie  est  encore  aggravée  et  souvent  produite  par 
l'usage  de  lunettes  ou  de  lorgnons  fabriqués  avec  des  verres  de  mauvaise 
qualité,  mal  calibrés,  n'ayant  pas  une  courbure  régulière,  vendus  à  bas 
prix  dans  les  bazars,  les  étalages  ambulants,  par  les  colporteurs,  alors 
que  les  conseils  d'un  opticien  ne  sont  pas  de  trop  pour  le  choix  judicieux 
de  verres  convenables  et  ne  présentant  aucun  danger  pour  la  conser- 
vation de  la  vue. 

Comment  remédier  aux  funestes  effets  des  causes  que  je  viens  de 
signaler?  Supprimer  l'emploi  trop  fréquent  du  tableau  dans  l'enseignement, 
il  ne  faut  pas  y  songer  ;  mais  on  pourrait  donner,  dans  les  classes,  des 
places  plus  ou  moins  rapprochées  du  tableau  aux  élèves,  suivant  la  portée 
de  leur  vue,  établie  par  un  classement  rationnel.  Il  suffirait,  pour  cela, 
de  faire  approcher  graduellement  chaque  élève  d'un  carton  portant,  im- 
primée en  caractères  de  huit  à  dix  millimètres  de  hauteur,  une  phrase, 
et  de  mesurer  avec  une  roulette  à  quelle  distance  il  peut  la  lire  distinc- 
tement. Veiller  rigoureusement  à  ce  que,  dans  les  classes  et  les  études, 
l'éclairage  artificiel  prévienne  la  demi-obscurité,  de  manière  que  les 
élèves  ne  soient  pas  obligés  de  lire  et  d'écrire  dans  un  espace  insuffi- 
samment éclairé. 

Diriger  et  conseiller  les  élèves  dans  le  choix  des  lunettes  et  des  lorgnons 
en  s'adressant  à  un  opticien  et  non  à  des  marchands  d'objets  quelconques 
dont  les  lorgnons  et  les  lunettes  sont  aussi  funestes  à  la  vue  que  les 
liqueurs  malfaisantes  des  cabarets  à  la  santé  des  consommateurs;  car, 
réglementer  la  vente  des  lunettes,  il  ne  faut  pas  y  songer. 


IV    11.  HENROT,  —    SUR  LES  VIANDES  LIVRÉES  A  LA  CONSOMMATION  iiTio 

M.  le  L'  H.  HEIROT 

Maire  de  Reims. 


DE   LA    NÉCESSITÉ  D'ÉTABLIR  UNE  SURVEILLANCE  ADMINISTRATIVE  SUR    LES  VIANDES 

LIVRÉES  A   LA  CONSOMMATION 


—  Séance  du  il  septembre  iS92  —  , 

Depuis  quelques  années,  on  attache  avec  beaucoup  de  raison,  une  grande 
importance  à  la  destruction  des  microbes  ou  des  bacilles  dans  les  eaux  de 
boisson  et  dans  les  déjections  ;  les  nombreux  faits  de  transmission  de  fièvre 
typhoïde  ou  de  choléra  par  ces  agents  justifient  ces  précautions.  Pour 
les  aliments,  et  particulièrement  pour  le  lait  et  pour  les  viandes,  la  question 
est  beaucoup  moins  avancée,  et  cependant  il  est  certain  que  le  lait  et  les 
viandes  peuvent  transmettre  des  maladies  bacillaires. 

.Nous  avons  présent  à  la  mémoire  le  fait  d'un  enfant  parfaitement  bien 
portant,  appartenant  à  une  nombreuse  famille  où  les  ascendants,  les  frères 
et  les  sœurs  étaient  dans  les  meilleures  conditions  de  santé,  qui  fut  placé 
à  la  campai;ne  où  il  prenait  le  lait  d'une  vache.  Au  bout  de  quelques  se- 
maines cet  enfant  mourut  tuberculeux,  peu  de  temps  après  on  constatait 
que  la  vache  qui  l'avait  nourri  était  tuberculeuse  ;  il  y  aurait  donc  lieu 
d'exercer  une  surveillance  spéciale  sur  les  vacheries. 

Pour  les  viandes  les  faits  de  contagion  sont  plus  difficiles  à  démontrer 
parce  fju'un  même  individu  ne  se  nourrit  pas  indéfiniment  de  la  viande 
du  même  animal,  mais  il  est  évident  et  le  fait  a  été  démontré  expérimenta- 
lement que  la  tuberculose  peut  se  transmettre  des  animaux  à  l'homme. 

En  présence  de  ces  faits  on  peut  se  demander  si  l'augmentation  continue 
de  la  mortalité  par  la  tuberculose  dans  les  grandes  villes,  lient  seulement 
à  la  transmission  de  l'homme  à  l'homme,  ou  si,  dans  une  mesure,  il  ne 
faudrait  pas  faire  entrer  la  transmission  des  animaux  à  l'homme  par  des 
viandes  altérées.  Sans  pouvoir  apporter  une  démonstration  certaine,  il 
semble  que  cette  transmission  est  tellement  vraisemblable,  qu'en  présence 
de  la  plus  effrayante  maladie  des  temps  moderne?,  de  celle  qui  fait  incontes- 
'tablement  le  plus  de  victimes,  il  y  ait  lieu  d'étudier  tous  les  moyens  d'en 
arrêter  la  propagation. 

Dans  les  abattoirs  placés  sous  la  surveillance  d'un  vétérinaire  directeur, 
tous  les  animaux  sont  examinés  vivants  lors  de  leur  entré,  toutes  les  viandes 


11 '6  HYG1È>E   ET  MÉDECINE   PUBLIQUE 

qui   en    proviennent  sont    ensuite  soumises  à  une  nouvelle   inspection, 
la  garantie  semble  donc  aussi  complète  que  possible. 

Les  viandes  foraines  qui  pénètrent  en  ville  par  morceaux  sont  sou- 
mises à  une  inspection  spéciale  et  estampillées  ;  dans  ce  cas  il  manque  un 
élément  de  diagnostic  important,  l'examen  de  l'animal  vivant;  il  y  a 
cependant  encore  un  contrôle. 

Pour  les  tueries  particulières,  au  contraire,  aucune  surveillance  n'est  exer- 
cée, tous  les  animaux,  dont  la  réception  à  un  abattoir  serait  douteuse  sont 
dirigés  vers  ces  tueries;  il  doit  y  avoir  par  conséquent  des  quantités  consi- 
dérables de  viandes  provenant  d'animaux  malades,  qui  sont  livrées  dans 
de  mauvaises  conditions  à  la  consommation  des  campagnes  ou  à  celle  des 
'villes  sous  le  titre  de  viandes  foraines. 

Étant  donné  l'intérêt  considérable  que  les  bouchers  ont  à  tirer  parti  des 
animaux  qu'ils  achètent,  et  la  perte  complète  qu'ils  subissent  quand  un 
animal  est  saisi,  il  est  de  toute  évidence  qu'à  moins  que  la  bète  ne  soit 
absolument  malade,  ces  industriels  feront  tous  leurs  efforts  pour  ne  pas 
éprouver  la  perte  complète  de  leurs  animaux. 

Ces  manœuvres  sont  si  développées  que  non  seulement  il  faut  s'efforcer 
de  saisir  les  viandes  altérées,  mais  que  l'administration  doit  encore  sur- 
veiller leur  destruction,  pour  éviter  toutes  ces  transformations  suspectes 
en  saucissons  ou  en  fromages  d'Italie. 

Dans  une  précédente  communication,  M.  Hcnrot  s'est  efforcé  de  dé- 
montrer quil  y  avait  lieu  d'exercer  une  surveillance  administrative  jus- 
qu'à destruction  complète  des  viandes  saisies.  Tout  dernièrement  encore 
on  se  contentait  de  les  dénaturer  en  y  jetant  quelques  gouttes  de  pétrole 
et  en  les  mettant  au  fumier,  mais  certains  morceaux  pouvaient  être  retirés 
et  après  une  ébuUition  spéciale  être  transformés  en  aliment  de  qualité 
inférieure  pour  les  pauvres. 

M.  Henrot  avait  songé  à  détruire  ces  viandes  dans  une  sorte  d'appareil 
crématoire,  mais  l'installation  en  était  excessivement  coûteuse;  l'acide 
sulfurique  pur  avait  aussi  ses  inconvénients.  Le  procédé  employé  aux 
abattoirs  de  Reims  est  simple,  rapide  et  économique,  il  consiste  dans 
l'emploi  simultané  de  la  vapeur  d'eau  et  de  l'eau  acidulée  avec  l'acide 
sulfurique;  en  une  heure  un  bœuf  peut  être  détruit  et  réduit  après  qu'on 
a  séparé  la  graisse  en  une  sorte  de  pulpe  qui  constitue  un  excellent  engrais. 

On  le  voit,  malgré  la  surveillance  exercée  sur  les  bêtes  vivantes,  sur  les 
viandes  et  sur  les  matières  saisies,  la  sécurité  est  illusoire  pour  les  habi- 
tants des  campagnes,  elle  n'est  pas  absolument  certaine  pour  les  habitants 
des  villes. 

Comment  pourrait-on  remédier  à  ces  dangers  ?  c'est  le  dernier  point 
que  M.  Henrot  voudrait  toucher. 

Il   y  aurait  lieu  tout  d'abord  de  multiplier  les  abattoirs  municipaux 


L.-L.    VAiriHIER.    —    COUP  d'oEIL  RAPIDE  SUR  l'aSSAIMSSEME.NT  DE  PARIS      H77 

et  de  les  imposer  aux  villes  ayant  par  exemple  plus  de  2.000  habitants; 
il  faudrait  aussi  encourager  le  groupement  de  plusieurs  petites  com- 
munes voisines  pour  organiser  un  abattoir  commun,  qui  serait  surveillé 
par  un  vétérinaire. 

E  y  aurait  lieu  d'interdire  l'établissement  de  tueries  particulières  dans 
un  rayon  à  déterminer  des  abattoirs  municipaux,  car  on  sait  par  expé- 
rience que  la  plupart  des  tueries  installées  dans  le  voisinage  des  abat- 
toirs sont  destinées,  le  plus  souvent,  à  recevoir  les  bêtes  malades  ou 
d'une  maigreur  excessive  qui  eussent  été  saisies  à  l'établissement  muni- 
cipal. 

Il  serait  entendu  que  les  viandes  sortant  de  l'abattoir  et  destinées  à  être 
consommées  en  dehors  de  la  ville  ne  payeraient  pas  de  droit  d'octroi,  et 
qu'elles  ne  supporteraient  qu'une  simple  taxe  d'abatage  et  un  droit  d'ins- 
pection . 

Enfin  toutes  les  tueries  particulières  installées  loin  des  centres  d'habi- 
tation devraient  être  l'objet  d'une  surveillance  exercée  par  un  vétt'-rinaire 
rétribué  pour  ce  service  spécial  par  l'administration. 

M.  Henrot  pense  qu'une  réglementation  générale  de  tous  ces  services 
s'impose,  pour  assurer  à  chaque  citoyen  l'usage  de  viandes  saines;  il 
est  convaincu  qu'un  certain  nombre  de  maladies  dites  de  misère ,  et 
de  maladies  bacillaires  pourraient  être  évitées  par  une  surveillance  effi- 
cace et  attentive   de  tous  les  aliments  d'origine  animale. 


M.  L.-L.  VATJTHIEE 

Ancien  Ingénieur  des  Ponts  et  Chaussées,  ;i  Paris. 


COUP     D'ŒIL     RAPIDE     SUR     L'ASSAINISSEMENT     DE     PARIS 


—  Séance  du  19  septembre  iS9i  — 


La  masse  énorme  de  déjections  et  détritus  de  toutes  natures  (pi'en- 
o-endre  incessamment  la  nutrition  de  Paris  se  partage,  quant  à  l'opéra- 
tion- générale  de  l'assainissement  ayant  pour  but  de  l'en  débarrasser, 
en  trois  catégories  distinctes,  que  différencie  surtout  le  mode  d'enlevage 
qui  y  est  appliqué. 


1178  HYGIÈNE   ET  MÉDECINE   PUBLIQUE 

Lu  première  comprend  les  ordures  ménagères  qui,  réglementairement, 
se  déposent,  le  soir,  sur  la  voie  publique,  dans  des  récipients  dont  le 
contenu  est  enlevé,  le  matin,  par  des  tombereaux. 

La  seconde  se  rapporte  aux  matières  excrémenlllielles,  presque  exclu- 
sivement reçues,  jusqu'à  une  époque  rapprochée,  dans  des  fosses  fixes 
vidées  périodiquement. 

La  troisième  enfin  embrasse  une  série  de  déjections  diverses,  dont  les 
eaux  ménagères,  provenant  de  l'habitation,  forment  l'élément  principal, 
auqu(4  s'ajoutent  les  eaux  résiduaires  produites  par  les  industries  exercées 
dans  l'enceinte  de  Paris,  et  les  souillures  de  toutes  sortes  que  déposent 
ou  rejettent  sur  la  voie  publique  l'homme  et  les  animaux  à  son  service 


ou  a  son  usage. 


C'est  particulièrement,  pour  l'entraînement  hors  la  ville,  avec  l'eau  pour 
véhicule,  des  déjections  de  cette  dernière  catégorie,  qu'ont  été  originai- 
rement créés  les  égouts;  et  les  trois  catégories  contiennent,  en  proportion 
plus  ou  moins  forte,  des  produits  organiques,  aussi  nombreux  que  variés, 
hygiéniquement  nuisibles  dès  les  premiers  moments,  ou  qui  le  deviennent 
après  un  certain  temps  de  repos  et  de  fermentation. 

Nous  ne  nous  occuperons  pas  ici,  néanmoins,  de  ceux  de  ces  produits 
que  peuvent  contenir  les  ordures  ménagères  qui,  envisagées  au  point  de 
vue  de  leur  utilisation  agricole,  ont  reçu,  dans  l'argot  maraîcher  de  la 
banlieue  de  Paris,  hi  nom  de  gadoue. 

Quoique  le  transport  de  ces  gadoues  ait  récemment  soulevé  dans  certaines 
communes  suburbaines  des  incidents  qui,  s'ils  se  renouvelaient,  complique- 
raient singulièrement  le  problème  de  l'assainissement  parisien,  et  quoique 
le  mode  d'enlèvement  suivi  ne  manque  pas  —  il  faut  l'avouer  —  d'une 
certaine  couleur  de  barbarie  quasi  mérovingienne,  peu  en  rapport  avec 
ce  qu'on  appelle  les  progrès  de  la  science,  nous  laisserons  entièrement 
de  côté  les  ordures  ménagères,  pour  ne  nous  occuper  que  des  deux  autres 
catégories  de  déjections.  Avec  celles-ci  seules,  la  tâche  de  l'assainissement 
est  déjà  fort  lourde. 

Parmi  les  éléments  insalubres  contenus  dans  les  déjections  excrémen- 
titielles  et  dans  la  catégorie  comprenant  les  enux  ménagères,  ce  qui 
domine,  (,'n  général,  quantitativement  et  appelle,  plus  fortement,  l'atten- 
tion, c'est  l'azote  engagé  dans  des  produits  organiques,  soit  qu'il  y 
préexiste  ou  s'y  développe  par  la  fermentation. 

D'après  cela,  obligé  dans  cet  exposé  rapide,  de  nous  borner  aux  points 
essentiels,  c'est  par  le  dosage  en  azote  —  ainsi  qu'on  le  fait  d'ailleurs 
d'ordinaire  —  que  nous  cai'actériserons  le  degré  de  souillure  des  matières 
dont  les  opérations  de  l'assainissement  ont  pour  objet  de  débarrasser 
Paris. 

Faisons  à  ce  point  de  vue  le  bilan  de  la  situation.    . 


L.-L.   VALTHIER.  —  COLP  d'oKIL  RAPIDE  SUR   (.ASSAINISSEMENT  DE  PARIS       1  I  79 

Quant  aux  matières  excivmentitielles,  on  admet,  d'après  les  observa- 
tions et  recherches  considérées  aujourd'hui  comme  les  plus  certaines, 
qu'elles  contiennent,  en  moyenne,  par  individu  et  par  jour,  une  quantilé 
d'azote  de  lls-'Sl,  disons  12  grammes,  dont  près  de  89  0/0  engagés  dans 
les  li(iuides,  et  un  peu  plus  de  11  0/0  dans  les  solides. 

D'autre  part,  d'observations  pratiques  remontant  à  un  grand  nombre 
d'années,  sur  le  dosage  des  eaux  d'égout  de  Paris,  on  déduit,  en  élimi- 
nant des  résultats  récents  la  part  d'azote  excrémentitiel  provenant  des 
appareils  diviseurs  de  diverses  sortes,  et  du  tout  à  l'égout  naissant,  (jue 
la  totalité  d'azote  provenant  des  eaux  ménagères,  des  eaux  industrielles 
et  des  souillures  de  la  voie  publique,  rapporté  au  chiffre  de  la  population, 
correspond  à  une  production  moyenne  de  5  grammes  par  tête  et  par 
jour. 

Paris  est  donc,  avec  sa  population  de  2.400.000  habitants  —  les  ordures 
ménagères  laissées  de  côté  —  un  colossal  producteur  d'azote,  pour  un 
chiffre  total  de  40.800  kilogrammes  par  jour,  dont  28.800  kilogrammes 
contenus  dans  les  matières  de  vidange,  et  12.000  kilogrammes  dans  l'en- 
semble de  toutes  les  eaux-vannes  étrangères  aux  excréments. 

Voilà  ce  dont  il  faut,  quotidiennement,  débarrasser  Paris,  dans  le» 
conditions  les  plus  favorables  à  la  santé  de  ses  habitants,  sans  nuire  à  celle 
de  ses  voisins. 

L'opération  est  vaste  et  difllcile. 

Le  passé  ne  s'en  occupait  guère,  et  surtout  était  bien  loin  de  se  poser 
le  problème  dans  sa  généralité  synthétique. 

Sans  remonter  bien  haut,  il  y  avait  la  voirie  de  Montfaucon.  Quelques 
égouts,  la  plupart  découverts,  drainaient  la  ville.  La  Seine  les  recevait. 
C'était  elle  le  grand  exutoire.  Mais  Paris  était  moins  peuplé.  La  banlieue 
surtout  l'était  beaucoup  moins.  Puis,  l'hygiène  n'était  pas  née,  la  presse 
non  plus.  Tout  allait,  tant  bien  que  mal,  cahin-caha,  avec,  de  temps  en 
temps,  quelques  petites  épidémies  à  la  clef. 

Montfaucon  a  disparu.  Bondy  l'a  remplacé  vers  la  vingtième  année  de 
ce  siècle.  Les  progrès  de  la  chimie  avaient  montré  que  l'exploitation  des 
vidanges  pouvait  être  une  industrie  lucrative.  Des  voiries  particulières  se 
formèrent,  et  bientôt,  dans  ces  établissements,  comme  à  Bondy,  qui  n'était 
là  que  comme  en  cas,  se  fabriquèrent  pour  les  besoins  de  l'agriculture, 
le  sulfate  d'ammoniaque,  la  poudrette  et  autres  engrais  artifu-iels  de  com- 
positions diverses. 

Telle  était  la  situation,  reprochable  par  beaucoup  de  côtés,  quand,  il  y 
a  une  quarantaire  d'années,  fut  commencée  la  vaste  opération  consistant 
à  débarrasser  la  Seine,  dans  la  traversée  de  Paris,  de  la  souillure  des 
égouts.  Par  les  collecteurs  de  Clichy  d'une  part,  de  Saint-Denis  de  l'autre, 
on  créa  de  nouveaux  émissaires  aux  eaux  polluées.  Paris  lui-môme  béné- 


H80  HYGIÈNE  ET  MÉDECINE  PUBLigiE 

fîciait  du  changement,  non  la  Seine.  En  concentrant  Jes  eaux  polluées 
sur  deux  points  rapprochés,  si  l'on  n'augmentait  pas  la  souillure  du 
fleuve,  on  ne  la  diminuait  pas  non  plus.  Le  mal  n'était  que  déplacé  et  deve- 
nait même  plus  apparent.  Rien  n'était  obtenu  en  somme  pour  l'assainisse- 
ment envisagé  dans  son  ensemble.  C'est  alors  que,  sous  l'influence  des 
études  faites  et  à  l'image  des  travaux  réalisés  à  l'étranger,  notamment  eu 
Angleterre,  la  ville  de  Paris  engagea  la  tentative  de  Gennevilliers. 

Les  faits  avaient  montré  ailleurs,  des  études  locales,  méthodiquement 
instituées  ici,  sur  échelle  réduite,  confirmèrent  les  deux  points  suivants  : 
le  premier,  que,  par  la  filtration  à  travers  une  couche  suffisamment 
épaisse  de  terrain  perméable,  avec  le  concours  de  drainages  au  besoin,  on 
pouvait  épurer  ù  haute  dose  —  l'azote  organique  se  minéralisant  dans  le 
trajet  à  travers  le  sol  —  les  eaux  polluées  des  égouts  de  Paris,  de  façon  à 
les  rendre  parfaitement  limpides  et  dégagées  de  principes  insalubres;  le 
second,  que  ces  mêmes  eaux  d'égout,  répandues  par  irrigation  sur  le  sol 
cultivé,  avaient  en  outre  la  propriété  d'activer  puissamment  la  végétation, 
surtout  celle  de  certaines  plantes,  sans  nuire,  mém(^  à  très  haute  dose,  ;i 
l'i'tat  sanitaire  des  territoires  irrigués. 

Avec  le  concours  spontané  de  la  culture  privée,  à  laquelle  était  livrée 
gratuitement  l'eau  fertilisante,  la  tentative  de  Gennevilliers  prit  de  l'as- 
siette, et  put  être  bientôt  considérée  comme  le  point  de  départ  et  le  modèle 
d'une  opération  édilitaire  pouvant  jouer,  dans  l'assainissement  de  Paris, 
un  rôle  des  plus  importants  et  des  plus  utiles.  Le  problème  semblait  en 
principe  résolu,  et  la  seule  difficulté  paraissait  être  de  trouver,  avec  ou 
sans  l'aide  de  la  propriété  agricole,  des  surfaces  de  terrain  assez  étendues 
pour  l'utilisation  ou, du  moins  la  purification  de  la  totalité  des  eaux,  sans 
dépasser,  pour  le  répandage,  de  sages  limites  que  l'expérience  avait  déjà 
permis  de  fixer  approximativement. 

Entre  temps,  où  en  était  la  question  de  l'assainissement  urbain  en  ce  qui 
se  rapporte  aux  matières  excrémentitielles?  Avec  quelques  défauts  plus 
graves,  tenant  à  l'absence  de  perfectionnements  récemment  réalisés  et 
qui  ont  été  longs  à  introduire,  la  question  en  était  au  point  dont  on 
peut  juger  par  ce  qui  se  passe  aujourd'hui  ;  car,  nonobstant  les  clameurs 
poussées  contre  le  tout  à  Végout,  celui-ci  n"a  pris  encore  qu'un  dévelop- 
pement extrêmement  faible. 

C'était  et  c'est  encore,  avec  coulage  clandestin  d'une  partie  des  liquides 
à  l'égout,  le  vidage  nocturne  des  fosses,  encombrant  la  rue  et  empuantissant 
l'air  d'engins  sordides,  sauf  cette  différence  qu'au  lieu  d'appareils  méca- 
niques attirant  rapidement  les  matières  dans  les  tonnes  de  transport,  c'est 
au  moyen  de  mauvaises  pompes  à  bras  qu'on  les  y  refoulait  alors  lente- 
ment et  bruyamment. 

C'était  et  c'est  encore  le  transport  de  ces  matières  au  dehors,  soit  par 


L.-L.   VAUTHIKK.   ■ —  COUP  DUEIL  U.VPIDE  SUll  l'aSSAIMSSEME.NÏ  DE  PAIUS       1181 

les  lourds  tombereaux  mêmes  portant  les  tonnes,  soit  par  la  Seine  et  les 
canaux,  après  transbordement  en  bateau  sur  les  ports,  le  surplus  allant  se 
vider,   pour  être  reibulù  vers  Bondy,  au  dépotoir  municipal  de  la  Vil- 

lette. 

C  étaient  et  ce  sont  encore  les  voiries  suburbaines  versant,  dans  l'atmos- 
phère, par  leurs  hautes  cheminées,  des  torrents  de  fumée  acre,  dans  la 
Seine,  par  leurs  aqueducs,  des  eaux  résiduaires  toujours  trop  chargées, 
malgré  toutes  les  surveillances,  et,  autour  d'elles,  de  nuit  comme  de  jour, 
par  toutes  leurs  ouvertures,  des  effluves  nauséabondes. 

C'était  enfin,  avec  ses  immenses  bassins  de  réception  à  l'air  libre,  la  dé- 
plorable voirie  de  Bondy,  usine  municipale,  où  l'on  espérait,  comme  d'une 
ferme,  tirer  des  millions  de  l'exploitation  de  cette  matière  plus  précieuse, 
disent  les  Chinois,  que  l'or  jaune,  et  qui,  sous  ce  rapport,  n'a  été  qu'une 
source  de  déconvenues  et  d'échecs.  Soit  dans  la  main  d'adjudicataires 
qui,  quelques-uns,  y  ont  fait  des  profits,  oii  les  autres  se  sont  ruinés,  soit 
sous  le  régime  d'exploitation  directe  par  la  Ville,  la  voirie  de  Bondy,  en 
tant  qu'organe  d'assainissement,  n'a  jamais  été  qu'un  immense  cloaque, 
insuffisant  encore  à  recevoir  toutes  les  eaux-vannes  qui  y  étaient  destinées, 
et  dont  une  fraction,  quelquefois  considérable,  s'écoulait  aussi  clandesti- 
nement que  forcément  à  la  Seine. 

Dans  cette  situation,  en  s'appuyant  d'autre  part  sur  les  faits  acquis, 
il  est  tout  naturel  qu'on  ait  conçu,  comme  méthode  rationnelle  d'assai- 
nissement urbain,  un  système  comprenant  méthodiquement  les  trois  opé- 
rations échelonnées  suivantes  :  projection  totale,  sans  exception,  des  matières 
excrémentitielles  à  l'égout,  qui  reçoit  forcément  déjà  les  autres  déjections 
dont  nous  avons  parlé  ;  entraînement  immédiat  du  tout  hors  la  ville,  à 
l'aide  d'un  volume  d'eau  suffisant;  enfin  purification,  également  immé- 
diate, de  cette  masse  d'eau  souillée  par  filtrage  à  travers  le  sol,  avec  ou  sans 
utilisation  agricole,  suivant  les  cas  et  les  possibilités. 

Nous  dirons  plus  loin  quelles  objections  peuvent  soulever,  à  Paris,  certains 
termes  de  cette  conception.  Ce  qui  n'est  pas  contestable,  c'est  que  le  pro- 
blème soit  ainsi  dessiné  avec  une  rigueur  logique  tout  à  fait  élémentaire. 

L'habitation,  sans  arrêt  ni  retard,  débarrassée  de  toutes  souillures  ;  la 
ville  jouissant  du  même  bienfait,  et  le  courant  impur  enfin,  n'ayant  de 
stagnation  nulle  part,  livrant  au  sol  et  à  la  végétation  qu'il  active  les  ma- 
tières qui  le  polluent,  pour  ne  porter  aux  thalvegs  naturels  que  des  eaux 
limpides  complètement  assainies.  C'est  là  une  évolution  complète,  aussi 
simple  que  satisfaisante . 

Le  problème  ainsi  posé,  quelles  sont  les  conditions  pratiques  nécessaires 
pour  en  assurer  la  solution  ?  De  quels  moyens  dispose-t-on  ?  Que  faut-il 
pour  les  compléter  ?  Tels  sont  les  points  qu'il  importe  d'examiner. 

Occupons-nous  des  eaux  tout  d'abord. 


1  182  HYGIÈNE  ET  MÉDECINE  PUBLIQUE 

Pour  nettoyer  les  étables  d'Augias,  Hercule  avait  sous  sa  main  légendaire 
le  fleuve  Alphée.  Où  est  le  fleuve  que  la  ville  de  Paris  peut  faire  passer 
à  travers  les  mille  conduits  souterrains  qui  la  drainent,  pour  se  débar- 
rasser de  ses  immondices? 

Paris  dispose  actuellement,  par  jour,  pour  ses  besoins  tant  publics  que 
privés,  d'un  volume  d'eau  total  pouvant  s'élever  à  500.000  mètres 
cubes  environ.  La  consommation  dépasse  parfois  ce  chiffre.  Le  Bulletin 
municipal  du  22  août,  que  nous  avons  sous  les  yeux,  nous  montre  que, 
le  jeudi  18  août,  la  distribution  s'est  élevée  à  près  de  593.000  mètres 
cubes.  Mais,  en  hiver,  la  dépense  est  moindre,  et,  tout  compte  fait,  en 
moyenne  annuelle,  on  peut  compter  aujourd'hui  sur  une  livraison  quoti- 
dienne de  500.000  mètres,  à  laquelle  les  eaux  pluviales  viennent  apporter 
un  contingent  supplémentaire  dépassant  un  peu  100.000  mètres  ;  ce  à 
quoi  il  faut  ajouter  qu'on  travaille  en  ce  moment  à  augmenter  le  volume 
disponible  de  100  à  150.000  mètres  cubes;  que  la  distribution  croîtra  en 
conséquence,  et  qu'on  ne  s"en  tiendra  pas  là. 

Cela  représente-t-il  le  volume  du  cours  d'eau  polluée  que,  par  leurs  col- 
lecteurs, les  égouls  portent  à  cette  heure  ou  porteront  plus  tard  hors  Paris? 
Ça  l'excède  un  peu.  Du  volume  total  des  eaux  distribuées  et  des  eaux  météo- 
riques, il  faut  déduire  une  fraction  d'un  quart  ou  d'un  cinquième  qui, 
pour  des  causes  diverses,  échappe  à  l'égout.  Cela  réduit,  pour  l'état 
actuel  des  choses,  le  débit  annuel  moyen  des  eaux  polluées  au  chiffre  de 
450  à  480.000  mètres  par  jour  (5"',200  à  5'",700  par  seconde),  et,  pour 
un  avenir  prochain,  à  un  chiffre  quotidien  variant,  comme  moyenne,  de 
525  à  600.000  mètres  (6'", 100  à  7  mètres  par  seconde),  le  tout  avec  des 
oscillations  pouvant,  en  été,  porter  le  débit  à  50  0/0  au-dessus  de  la 
moyenne  annuelle,  et  le  faire  descendre,  au  printemps  et  en  automne,  à 
20  0/0  au-dessous . 

Telle  est  la  puissance  actuelle  et  prochaine  de  l'agent  hydraulique  dont 
Paris  dispose  et  disposera  pour  son  assainissement.  Quel  est  l'état  actuel 
de  pollution  de  ce  courant,  et  que  sera  cette  pollution  dans  l'avenir,  une 
fois  le  tout  à  l'égout  réalisé?  Voilà  ce  qu'il  est  essentiel  de  savoir.  C'est  ce 
que  nous  allons  examiner,  en  nous  rapportant  seulement  au  dosage  en 
azote,  ainsi  que  nous  en  avons  averti. 

Il  y  a  vingt  ans,  alors  que  les  égouts  n'évacuaient  moyennement,  tout 
compris,  que  255.000  mètres  cubes  environ  d'eau  par  jour,  et  que  la 
population  de  Paris  n'atteignait  pas  tout  à  fait  deux  millions  d'habitants, 
chaque  mètre  cube  d'eau  expulsée  contenait  43  grammes  d'azote,  soit  en 
totalité,  par  jour,  10.965  kilogrammes.  Rapporté  à  une  population  de 
1.900.000  habitants,  ce  chiffre  dépasse  un  peu  (de  i^',6  à  peu  près),  par 
tête,  la  proportion  de  5  grammes  donnée  ci-dessus  pour  l'azote  extra-excré- 
mentitiel,  ce  qui  indique,  conformément  d'ailleurs   à  la  réalité,   qu'aux 


L.-L.  VALTHIEH.  COUl'  d'oEIL  U.VPIUE  SUR  I-  ASSAI.MSSEMEM    UE  l'AlUS       1183 

égouts  arrivait  déjà,  dès  lors,  une   certaine  proportion  de    matières  de 
vidanges . 

La  population  a  cru,  la  projection  à  l'égout  des  dites  matières  a  aussi 
augmenté,  mais  le  volume  d'eau  distribué  a  marché  plus  vite;  de  telle 
sorte  que,  dans  la  période  décennale  suivante,  allant  jusqu'en  1884,  avec 
un  volume  d'eau  évacué  s'élevant  à  3io.000  mètres,  le  dosage  en  azote 
est  descendu  à  iO  grammes  par  mètre  cube  ;  soit,  en  tout,  13.800  kilo- 
grammes, ce  qui,  pour  une  population  de  2.200.000  habitants,  signale, 
par  tète,  un  arrivage  à  l'égout  d'un  peu  moins  de  3  grammes  (exactement 
â^^Sj  d'azote  excrémentitiel. 

Portons-nous  à  quelques  années  en  avant.  Supposons  la  population 
parvenue  au  chifTre  de  '^.oOO.OOO  habitants,  et  le  tout  à  l'égout  universa- 
lisé, quel  sera  le  dosage  en  azote  des  ooO.OOO  mètres  cubes  d'eau  expulsée,- 
sur  lequel  on  peut  compter  d'après  les  indications  précédentes  ?  ■ 

Quoi  qu'on  fasse,  il  échappera  toujours  à  l'égout  une  certaine  propor- 
tion de  l'azote  excrémentitiel.  Près  des  neuf  dixièmes  de  cet  azote  figurent 
dans  les  urines.  Sans  suivre  indiscrètement  celles-ci  dans  les  incidents  de 
leur  évacuation,  il  sera  toujours  vrai,  nonobstant  les  progrè*  de  Ja  décence 
publique,  (|u'une  fraction  ne  se  canalisera  pas.  On  évalue  généralement 
la  proportion  d'azote  réfractaire  à  un  dixième,  ce  qui  réduit  à  10''',<j3  le 
contiDgent  d'azote  que  chaque  habitant  enverra  moyennement  à  l'égout. 
Il  y  arrivera  donc,  avec  les  o  grammes  non  excrémentitiels,  i.oOO.OOO  fois 
lo^',63;  soient  39.075  kilogrammes,  auxquels  correspondront  un  dosage 
en  azote  un  tant  soit  peu  supérieur  à  Tl  grammes  par  mètre  cube  d'eau 
évacuée. 

Un  volume  de  350.000  mètres  cubes  d'eaux  polluées,  titrées  en  azote  à 
raison  de  11  grammes  environ  par  mètre  cube.  Voilà,  pour  avoir  accompli 
sa  tâche,  ce  qu'il  faudra,  dans  un  avenir  prochain,  que  Paris  épure  jour- 
nellement, avec  ou  sans  utilisation  agricole. 

Il  convient  d'insister  sur  ces  derniers  mots. 

Par  le  rôle  utile  qu'ils  jouent  dans  la  végétation,  l'azote,  l'acide  phos- 
phorique  et  la  potasse  qu'entraînent  avec  elles  les  eaux  d'égout  de  Paris 
représentent  une  valeur  considérable.  Il  est  éminemment  fâcheux  qu'une 
telle  valeur  s'anéantisse,  sans  aucun  profit  pour  la  comiimnauté.  Toute- 
fois, si  l'on  peut  imposer  à  Paris  le  devoir  de  rendre  inolfensives  les  eaux 
qu'il  a  chargées  de  ses  déjections,  ce  serait  aller  un  peu  loin,  s'il  en  devait 
résulter  pour  lui  un  grief  financier,  que  de  le  contraindre  à  incorporer 
de  nouveau,  par  circidus  obligatoire,  aux  plantes  et  par  elles  aux  ani- 
maux, l'azote  et  autres  produits  utilisables  que  ces  eaux  portent  avec  elles. 
Ce  serait  surtout  là  une  prétention  difficile  à  justifier  pour  ceux  —  aux- 
quels nous  reviendrons,  —  que  hante  l'idée  fixe  du  tout  à  la  nier. 

Les  deux  problèmes  de  la  simple  purification  et  de  l'utilisation  agri- 


118i  HYGlÈxNE  ET  MÉDECINE  PUBLIQUE 

cole  n'impliquent  pas  d'ailleurs,  au  point  de  vue  des  surfaces  nécessaires; 
des  exigences  aussi  différentes  qu'on  pourrait  le  penser. 
*  Sur  des  terrains  bien  choisis,  comme  le  sont  les  dépôts  d'alluvions  plus 
ou  moins  anciennes  qui  forment  les  caps  et  les  presqu'îles  de  la  vallée  de 
la  Seine  en  aval  de  Paris,  et  à  condition  que  ces  terrains  soient  sufTisam- 
ment  élevés  au-dessus  des  nappes  souterraines  inférieures  et  des  nappes 
superficielles  voisines,  la  pratique  a  montré  qu'on  pouvait  largement  épurer 
SO.OOO  mètres  cubes  à  l'hectare  des  eaux  d'égout  souillées  de  Paris  avec 
leur  dosage  actuel  en  azote.  Des  expériences  poursuivies  depuis  de  longues 
années  par  un  savant  distingué  (1),  au  laboratoire  de  la  \  ille,  à  Clichy, 
celles  de  Frankland,  en  Angleterre,  ont  conduit  les  expérimentateurs  à 
admettre,  pour  la  même  surface,  une  puissance  de  filtration  continue  de 
90.000  à  120.000  mètres.  A  Gennevilliers  on  a  pu  aller  à  124.000  mètres, 
et,  par  irrigation  intermittente,  arriver,  en  Angleterre,  à  100.000  mètres. 

La  dose  de  50.000  mètres  pour  des  eaux  à  43  grammes  d'azote  est 
donc  parfaitement  normale.  Elle  devra  diminuer  lorsque  le  titre  en  azote 
s'élève,  et,  sans  que  la  parfaite  proportionnalité  puisse  être  rigoureuse- 
ment démontrée,  tout  la  rend  probable.  Le  répandage  pourrait  donc  aller, 
en  toute  sécurité,  pour  des  eaux  titrées  à  71  grammes  d'azote,  au  volume 
de  30.000  mètres  cubes  par  an.  C'est  moins  d'un  litre  par  seconde  à 
l'hectare  ;  c'est,  par  jour,  une  couche  d'eau  qui  excède  à  peine  8  millimètres. 

Dans  ces  conditions,  quelle  surface  de  terrain  bien  choisi  faut-il  avoir 
pour  épurer  les  530.000  mètres  d'eaux  d'égout,  chargées  comme  il  est  dit, 
que  le  colossal  Paris  va,  dans  un  avenir  plus  ou  moins  prochain,  évacuer 
chaque  jour?  Le  calcul  est  bien  simple  ;  il  conduit  à  6.690  hectares  et  une 
fraction.  Disons,  en  nombre  rond,  7.000  hectares. 

A  moins  que  le  volume  expulsé  n'arrive  à  dépasser  la  moyenne  annuelle 

de  550.000  mètres  cubes,  cette  surface  est  à  la  hauteur  des  besoins.  Pour  le 

.  moment,  au  titre  qu'ont  les  eaux,  avec  le  volume  évacué  aujourd'hui,  la 

moitié  de  cette  surface  est  largement  suffisante.  Elle  n'aura  besoin  décroître 

qu'avec  les  progrès  du  tout  à  l'égout . 

Passons  à  l'utilisation  agricole. 

D'analyses  chimiques  multipliées,  faites  dans  des  conditions  diverses,  et 
pratiquement  vérifiées  dans  leurs  résultats,  il  ressort  que,  pour  fournir  aux 
plantes  les  éléments  fertilisants  enlevés  au  sol  par  une  bonne  récolte,  il 
faudrait  par  hectare,  selon  le  titre  en  azote,  les  volumes  annuels  d'eau 
d'égout  suivants  : 

°  AU    DOSAGE  DE^ 

43  grammes  71  grammes 

mètres  cubes         mètres  cubes 
Cultures  maraîchères  (pour  trois  récoltes  annuelles)        31.800  19.200 

Prairies  et  plantes  fourragères 35.000  21.260 

Céréales,  froment  et  seigle 2.250  1.360 

(\)  M.  ScHLŒSiNG,  membre  de  l'Institut. 


L.-L.  VAUTHIER.  —  COUP  d'otIL  RAPIDE  SUR  L  ASSAIMSSEMEM'  DE  PARIS       II80 

Au  répandage  de  oO.OOO  mètres  dans  le  premier  cas,  de  30.000  mèlres 
dans  le  second,  ces  diverses  catégories  de  culture  recevraient  donc  de  l'en- 
grais en  excès,  s'il  n'était  démontré  en  ce  qui  concerne  spécialement  l'azote 
et  l'irrigation  des  prairies,  —  et  le  fait  est  plus  ou  moins  applicable  à  toutes 
les  cultures,  —  qu'un  tiers  seulement  de  l'engrais  porté  par  les  eaux  est 
réellement  utilisé,  le  reste  se  perdant  dans  le  sol  sans  produire  d'efïet, 
en  n'alimentant  que  des  plantes  parasites. 

Dans  ces  conditions,  on  voit  que,  pour  les  deux  premiers  modes  de  cul- 
ture, surtout  pour  le  second,  les  répandages  annuels  admis  seront  plutôt 
insuffisants  qu'excessifs,  et  que  c'est  seulement  pour  la  culture  des  céréales 
que  l'utilisation  complète  des  engrais  disponibles  exigerait  des  surfaces  nota- 
blement plus  étendues  que  celles  indiquées  plus  haut.  Mais,  il  n'y  a  pas  à 
craindre  que  ce  dernier  cas  se  produise.  Si,  même  au  voisinage  d'un  gigan- 
tesque consommateur  comme  Paris,  il  serait  peu  pratique  de  spéculer  sur 
un  trop  grand  développement  de  la  culture  maraîchère,  il  n'est,  d'autre 
part,  nullement  douteux  que  les  territoires  rapprochés  de  Paris  utiliseraient 
avec  grand  profit  la  production  de  quelques  miUiers  d'hectares  de  plus  de 
prairies  et  de  fourrages  artificiels. 

Dans  les  limites  de  superficie  auxquelles  nous  sommes  arrivés,  l'utilisa- 
tion agricole  des  éléments  fertilisants  que  roulent  avec  elles  les  eaux  que 
Paris  expulse  pourra  donc  toujours  avoir  lieu,  soit  par  les  cultures  privées, 
soit  par  celles  que  la  Ville  même  développerait  pour  son  compte. 

Vn  seul  point  nous  reste  à  examiner.  Où  trouver  les  3.000  ou  3.o00  hec- 
tares dès  aujourd'hui  nécessaires,  et  les  6.500  à  7.000  hectares  dont  il  fau- 
dra disposer,  le  tout  à  Tégout  une  fois  réalisé  ? 

Ce  côté  de  la  question  a  été  étudié  par  un  maître  en  la  matière  (1),  dis- 
posant des  éléments  d'investigation  les  plus  complets.  Or,  en  fait  de  terrains 
propres  par  leur  constitution  géologique  et  leur  situation  au  répandage  à 
haute  dose  des  eaux  d'égout,  ce  ne  sont  pas  7.000  hectares  seulement  que 
les  investigations  de  ce  savant  lui  ont  fait  découvrir,  dans  une  zone  peu 
étendue  autour  de  Paris,  mais  plus  de  oO.OOO  hectares  (exactement  53.000). 

Ces  terrains  sont  situés  à  des  distances  et  à  des  altitudes  diverses.  Dans 
une  circonscription  de  '25  kilomètres  de  rayon  autour  de  Paris,  il  en  existe 
19.000  hectares  ;  20.000  hectares  dans  une  zone  de  25  à  50  kilomètres  ; 
le  reste,  14.000  hectares  seulement,  à  plus  de  50  kilomètres  d'éloignement; 
et,  quant  à  l'altitude,  plus  des  trois  quarts  de  cette  surface  dominent  celle 
des  berges  de  la  Seine  de  10  à  75  mètres. 

De  là,  des  différences  marquées  dans  la  dépense  à  faire  pour  porter  les 
eaux  d'égout  sur  l'un  ou  sur  l'autre.  Et  de  là,  par  suite,  la  nécessité  d'ajou- 
ter aux  considérations  techniques  qui  précèdent  une  évaluation  linancière 

DM.  Adolphe  Cakuot,  ingénieur  en  chef  des  Mines,  sous-direcleur  et  professeur  à  PÉcole  nationale 
supérieure  des  Mines  de  Paris. 

75* 


H86  HYGIÈNE  ET  MÉDECINE  PUBLIQUE 

de  voies  et  moyens,  sans  laquelle  ces  indications  resteraient  incom- 
plètes. 

Mêlé  à  l'étude  de  ces  questions,  comme  membre  de  la  Commission  supé- 
rieure de  l'assainissement  de  Paris,  —  tombée  en  désuétude,  quoiqu'elle  n'ait 
jamais  rendu  compte  par  un  rapport  densemble  du  colossal  travail  accom- 
pli par  elle,  trois  années  durant,  —  l'auteur  de  cette  note  a  dii  rechercher, 
à  l'occasion  du  problème  ci-dessus  visé,  quelle  est  la  dépense  à  faire  pour 
porter  et  répandre  un  mètre  cube  des  eaux  d'égout  de  Paris  à  une  dis- 
tance et  à  une  altitude  déterminées. 

Une  étude  s'appuyani  sur  des  données  pratiques  complétées  par  quelques 
considérations  rationnelles  l'ont  conduit,  pour  expression  D  de  cette  dépense, 
en  désignant  par  h  l'altitude  en  mètres  au-dessus  des  bassins  de  puisage 
et  par  k  la  distance  en  kilomètres,  à  la  relation  empirique  : 

D  ^-  0f,004-f  CK,00005  h  +  0^,00192  k. 

Et,  si  quelques  ingénieurs  pensent  que  cette  formule  conduit  à  des  résul- 
tats un  peu  trop  élevés,  c'est  l'opinion  contraire  qui  se  lit  jour  dans  la 
sous-Commission  où  elle  fut  discutée  et  approuvée. 

Pour  des  altitudes  et  des  distances,  respectivement  exprimées  par  les 
nombres  10,  20  et  30,  et  nous  avons  vu  que  beaucoup  de  terrains  utilisables 
sont  placés  au  delà  de  ces  limites,  la  dépense  à  faire  par  mètre  cube  serait, 
respectivement  aussi  :  0^,0297  ;  0^,0556  ;  0^,0811. 

Appliquée  à  un  volume  moyen  journalier  de  350.000  mètres,  qui  donne 
pour  l'année  un  peu  plus  de  200  millions  de  mètres  cubes,  la  dépense  de 
refoulement  et  de  transport  varierait  donc,  suivant  les  zones  et  altitudes 
indiquées,  de  6  millions  à  11  milhons,  puisa  16.  Ce  ne  sont  pas  là,  même 
pour  un  puissant  budget  comme  celui  de  Paris,  des  quantités  négligeables  ; 
et  l'on  comprend  qu'il  importe  de  rechercher  quels  sont,  dans  la  série  des 
terrains  utilisables,  ceux  vers  lesquels  il  y  a,  sous  le  point  de  vue  de  la 
dépense,  le  plus  d'avantage  à  se  diriger. 

Dans  le  travail  visé  plus  haut,  cette  étude  a  été  faite.  Elle  montre  que,  si 
l'on  peut,  sans  dépasser  le  coût  au  mètre  cube  de  0^0461,  s'étendre  dans 
la  vallée  de  la  Seine  à  l'aval  de  Paris  jusqu'à  Limay  (45  kilomètres),  c'est 
vers  les  plateaux  de  graviers  diluviens,  situés  à  l'est,  entre  Paris  et  Claye, 
qu'il  faudrait  ensuite  se  porter,  en  subissant  une  dépense  de  0^0515  par 
mètre  cube.  Dans  ces  deux  directions  seules,  les  surfaces  disponibles 
s'élèvent  à  11.500  hectares,  ce  qui  dépasse  de  beaucoup  les  besoins.  Mais, 
si  des  considérations  étrangères  au  coût  d'exploitation  des  eaux  s'oppo- 
saient à  ce  qu'on  en  disposât,  dans  la  mesure  voulue,  c'est  au  nord-ouest 
de  Paris,  vers  les  5.000  hectares  de  sables  de  Beauchamps  des  plateaux  de 
Pierrelaye^  Méry,  et  nord  de  Pontoise,  qu'il  faudrait  se  diriger,  en  accep- 


L.-L.  VAUTUIER.  —  COUP  d'oEIL  RAPIDE  SUR  l'asSAINISSEMENÏ  DE  PARIS      1187 

tant  un  coût  de  transport  de  près  de  9  centimes  par  mètre  cube.  Au  delà 
et  dans  les  autres  directions,  la  dépense  serait  plus  forte  encore. 

De  plus  longs  développements  sur  ce  point  sortiraient  du  cadre  de  ce 
petit  travail.  Résumons-en  brièvement  les  indications. 

De  tout  point  de  l'habitation  où  se  produisent  des  matières  à  évacuer, 
des  déchets  à  enlever,  faire  partir  un  courant  d'eau  qui  entraîne  ces  matières 
à  l'égout,  et  traiter  de  la  môme  façon  chaque  point  de  la  voie  publique  qui 
exige  nettoyage;  diriger  ces  eaux  polluées  vers  un  ou  plusieurs  puisards, 
où  elles  sont  saisies  mécaniquement,  refoulées  en  conduites  fermées,  et 
dirigées  vers  des  champs  d'épuration,  où  elles  sont  rendues  inofîensives 
par  filtration  à  travers  le  sol,  avec  ou  sans  utilisation  agricole  des  principes 
fertilisants  qu'elles  contiennent  ;  tel  est  le  système  du  tout  à  l'égout  dans 
sa  contexture  élémentaire.  Rien  n'est  plus  simple.  Rien  ne  semble  plus 
logique.  Mais  cela  est  coûteux.  Cet  immense  volume  d'eau  qu'on  fait  passer 
comme  un  tleuve  à  travers  les  habitations,  il  ne  faut  pas  seulement  l'ame- 
ner à  grands  frais  ;  il  faut  ensuite  l'expulser  et  le  purifier.  C'est  là  un  pro- 
blème considérable,  si  considérable  qu'on  a  longtemps  reculé  et  qu'on 
recule  peut-être  encore  devant  l'examen  synthétique  de  la  solution  com- 
plète. D'ailleurs,  contre  l'application,  de  nombreuses  objections  ont  été 
faites.  C'est  seulement  après  les  avoir  examinées  que  nous  pourrons 
conclure. 

Quant  à  l'habitation,  point  de  départ  principal,  les  objections  n'ont 
jamais  été  bien  fortes.  Le  système  des  fosses  fixes,  avec  son  fétide  cortège 
de  conséquences,  n'a  guère  jamais  été  défendu  que  par  les  vidangeurs.  On 
a  vite  compris  que,  mise  en  relation  avec  l'égout  par  des  branchements 
que  des  siphons  hydrauliques  défendent  contre  toute  rentrée  d'air,  l'habi- 
tation serait  autrement  plus  saine  que  lorsqu'elle  comprend  à  sa  base  un 
réceptacle  dans  lequel  croupit  et  fermente  un  amas  de  matières  putrides, 
ou,  ce  t[ui  ne  vaut  guère  mieux,  une  batterie  de  fosses  mobiles.  Les  objec- 
tions n'ont  guère  porté  que  sur  l'eau  nécessaire,  comme  quantité  et 
dépense.  Pour  la  quantité,  on  n'a  jamais  craint  d'être  en  défaut,  le  volume 
disponible  dépassant  beaucoup  les  besoins  du  cabinet  quelque  fréquenté  (ju'il 
puisse  être  ;  mais  on  a  redouté  la  résistance  des  propriétaires  à  munir  d'eau 
suffisante  les  lieux  loués.  De  là,  pour  parer  à  cette  objection  et  à  celle  de 
la  dépense,  le  recours  à  des  mesures  édilitaires  réduisant  le  prix  de  l'eau, 
et  rendant,  sous  le  couvert  d'une  sanction  légale,  obligatoire  pour  tout 
appartement,  jusqu'aux  plus  minimes,  l'abonnement  aux  eaux. 

Une  autre  objection  pourrait  surgit*.  Nous  ignorons  si  elle  a  été  faite. 
Le  tout  à  l'éyout  établit  virtuellement  un  lien  de  solidarité  entre  tous  les 
membres  de  la  communauté.  11  impose  à  l'usager,  par  une  sorte  de  contrat 
moral,  l'obligation,  quand  il  se  débarrasse  de  ses  déjections,  de  fournir 
sa  quote-part  du  véhicule  qui  doit  les  voiturer.  iXonobstanl  les  dispositifs 


1188  HYGIÈNE    ET  MÉDECmE   PUBLIQUE 

adoptés  à  cet  effet,  c'est  une  obligation  à  laquelle  il  peut  matériellement  se 
soustraire  dans  une  certaine  mesure,  et  le  bon  fonctionnement  du  système 
pourrait  s'en  ressentir.  Cela  mérite  attention. 

Sauf  ce  point,  en  ce  qui  touche  l'habitation,  le  tout  à  l'égout  paraît 
défier  toute  critique.  Ce  n'est  pas  qu'il  n'ait  été  proposé  plusieurs  systèmes 
prétendant  le  remplacer.  Mais  ces  systèmes  se  rattachent  plus  intime- 
ment à  la  disposition  des  conduites  ou  galeries  souterraines  ;  c'est  à  propos 
du  cheminement  dans  les  égouts  dont  nous  allons  parler  que  nous  en 
dirons  quelques  mots. 

Les  égouts  de  Paris  n'ont  pas  été  construits  en  vue  de  recevoir  les 
matières  de  vidange.  Sauf  les  collecteurs  à  cunette  spéciale  et  débit  consi- 
dérable, où  l'on  active  l'entraînement  par  l'eau  des  matières  lourdes  à 
l'aide  de  vannes  portées  sur  chariots  à  rails  ou  sur  bateaux,  les  galeries 
courantes  ont  plutôt  été  conçues  comme  des  chemins  souterrains  que 
comme  des  lits  de  cours  d'eau  permanents.  Si  elles  se  prêtent  à  la  rigueur 
à,  cet  usage,  elles  s'y  prêtent  mal,  et,  sur  plusieurs  points,  elles  présen- 
tent, quant  à  leurs  pentes,  des  défectuosités  accusées.  Mais  l'idée  d'appli- 
quer sans  changement  ni  rectification  le  réseau  des  égouts  à  une  fonction 
nouvelle  n'étant  jamais  venue  à  personne,  ces  derniers  faits,  modifiables 
au  prix  d'une  certaine  dépense,  n'impliquent  pas  une  objection  de  prin- 
cipe. 

Nous  verrons  plus  loin  que  ces  galeries,  dans  leur  disposition  actuelle, 
en  soulèvent  une  de  même  nature  touchant  plus  au  fond  des  choses; 
mais  le  grief  principal  qui  leur  ait  été  opposé  c'est  que  lécouleraent  y  a 
lieu  à  l'air  libre,  en  communication  constante  avec  l'atmosphère,  et  c'est 
ce  grief  que  nous  allons  examiner  d'abord. 

D'après  des  idées  auxquelles  il  serait  difficile  de  refuser  tout  fonde- 
ment sur  la  transmission  par  l'air  de  germes  infectieux  contenus  dans 
les  déjections  de  certaines  maladies,  d'éminents  hygiénistes  soutenaient 
qu'il  y  avait  danger  à  recevoir  ces  déjections  dans  des  cunettes  d'égout 
où  elles  pouvaient  non  seulement  cheminer  en  contact  permanent  avec 
l'atmosphère,  mais  en  outre,  par  les  variations  de  débit  et  de  niveau,  se 
déposer  sur  les  parois,  y  sécher,  y  être  reprises  et  de  là  entraînées  en- 
suite dans  le  torrent  général  de  la  circulation  aérienne.  Dès  lors,  selon 
eux,  un  seul  procédé  parfaitement  sûr  :  l'abduction  du  courant  portant 
ces  matières  par  des  conduites  parfaitement  closes. 

De  longs  débats  ont  eu  lieu  à  cette  occasion.  Dans  notre  incompétence, 
nous  ne  voulons  pas  les  résumer  ici.  Remarquons  seulement  qu'admettre 
l'objection  ce  n'était  pas  seulement  abandonner  les  galeries  secondaires, 
mais  aussi  les  collecteurs.  C'était  entrer  dans  un  monde  absolument  nou- 
veau. 

Deux  systèmes   se   présentaient    pour  parer  à  l'objection,  tous  deux 


L.-L.  VAUTHIER.  —  COUP  d'oEIL  RAPIDE  SUR  LASSAINISSEMENT  DE  PARIS      H89 

employant  des  conduites  fermées,  avec  appel  par  le  vide.  Au  lieu  de  la 
simplicité  élémentaire  du  tout  à  l'égoiit,  où  la  gravité  agit  seule,  c'était, 
tant  pour  l'habitation  que  pour  la  canalisation  destinée  aux  matières 
excrémentitielles,  des  complications  mécaniques,  quelques-unes  délicates, 
très  exposées  par  suite  aux  dérangements,  devant  lesquelles  on  a  reculé. 

11  n'est  resté  de  ces  débats  qu'une  chose,  le  grave  inconvénient,  dans 
le  système  auquel  on  s'arrêtait,  d'avoir  des  galeries  secondaires  à  peu 
près  de  même  type,  correspondant  à  des  écoulements  de  débit  très  diffé- 
rents, ce  qui  entraîne  pour  partie  d'entre  elles  l'assèchement  intermittent 
des  radiers,  avec  tous  les  inconvénients  qui  se  rattachent  à  cette  cir- 
constance. 

Une  telle  conséquence  se  comprend  à  première  vue.  Un  bassin  d'égouts 
présente,  quant  à  son  alimentation,  l'analogie  la  plus  complète  avec  le 
bassin  d'un  fleuve.  Ici,  l'eau  météorique  tombe  sur  tous  les  points,  s'é- 
coule en  filets  qui  forment  les  petits  ruisseaux;  ceux-ci,  par  leur  réunion, 
forment  les  grands,  lesquels  forment  les  rivières,  et  celles-ci  le  fleuve. 
11  en  est  tout  à  fait  de  même,  quant  aux  volumes  à  écouler,  d'un  réseau 
d'égouts  auquel  les  habitations  envoient  de  tous  les  points  leur  contin- 
gent. Mais  là  l'analogie  cesse.  Tandis  que,  dans  le  fait  naturel,  c'est 
le  volume  affluent  qui  façonne  le  lit,  de  telle  sorte  que  les  dimensions 
de  celui-ci  résultent  du  débit  à  écouler,  il  n'y  a,  dans  le  réseau  artifi- 
ciel, que  le  fleuve  (le  collecteur)  et  les  grosses  rivières  (les  principaux 
affluents)  qui  aient  des  dimensions  spéciales.  Pour  le  reste,  petites  rivières, 
grands  et  petits  ruisseaux,  les  dimensions  du  lit  sont  les  mêmes  ou  se 
rapprochent  beaucoup  les  unes  des  autres. 

De  là  l'inconvénient  signalé.  Dans  l'ensemble  du  réseau  des  égouts,  la 
plus  grande  fraction  de  la  longueur  se  compose  de  galeries  élémentaires 
prenant  leur  source  dans  la  voie  publique  qu'elles  desservent,  dont  seules 
les  habitations  l'alimentent,  et  il  ne  saurait  en  être  autrement.  Ce  sont 
ces  galeries  élémentaires  et,  à  leur  suite,  selon  les  cas,  beaucoup  de 
galeries  secondaires  et  tertiaires  qui  prêtent  à  la  critique  par  la  largeur 
exagérée  de  leurs  radiers. 

On  essaie  de  bien  des  remèdes.  On  modifie  le  profil  des  radiers  pour 
que,  tout  en  continuant  à  se  prêter  à  la  marche,  ils  offrent  à  leau  un 
canal  plus  étroit;  on  munit  les  égouts  élémentaires  de  réservoirs  de 
chasse  balayant  par  intermittence  les  radiers.  Ce  sont  là  des  palliatifs. 
Comme  remède  plus  efficace,  il  avait  été  proposé,  et  celui  qui  écrit  ces 
lignes  s'était  fait  le  promoteur  de  cette  idée,  de  remplacer,  pour  l'abduc- 
tion des  matières  de  vidange,  dans  toutes  les  parties,  fort  étendues,  du 
réseau  où  l'écoulement  n'atteint  pas  un  certain  débit,  les  galeries  à  larges 
radiers  par  des  conduites  fermées,  de  faibles  dimensions  successivement 
croissantes.   Il  a  été  objecté  que  les  galeries  telles  qu'on  les  établit  ont 


1190  HYGIÈNE  ET  MÉDECINE  PUBLIQUE 

en  dehors  de  l'écoulement  des  eaux  souillées,  de  nombreux  emplois  ;  qu'on 
y  place,  outre  les  conduites  de  la  distribution  d'eau,  une  foule  de  fils 
ayant  des  usages  édilitaires  ;  que  des  galeries  sont  donc,  partout,  à 
Paris,  indispensables,  et  que  l'adjonction  de  conduites  fermées  consti- 
tuerait non  pas  seulement  un  excédent  de  d(^enses,  mais  de  nouvelles 
complications. 

Quoi  qu'il  en  soit  du  mérite  de  ces  observations,  on  subordonne  étroi- 
tement, si  l'on  s'y  rallie,  l'application  intégrale  du  lout  à  Végout  à  l'achè- 
vement du  réseau  des  galeries  souterraines,  ce  qui  n'est  pas  sans  incon- 
vénient; et,  dans  tous  les  cas,  il  est,  en  ce  qui  touche  l'ensemble  de  ce 
réseau,  deux  points  essentiels  qu'il  ne  faut  pas  perdre  de  vue.  Le  pre- 
mier, c'est  que  les  écoulements  intermittents  sont  toujours  hygiénique- 
ment  fâcheux,  et  entraînent,  quoi  qu'on  fasse,  pour  le  nettoyage,  un 
excédent  de  dépense  d'eau  et  de  force  qu'il  serait  désirable  d'éviter;  le 
second,  c'est  qu'il  convient  de  soustraire  le  plus  possible  l'atmosphère  de 
la  voie  publique  aux  émanations  provenant  des  égouts.  N'y  eùt-il  pas  la 
question,  fort  grave,  des  germes  infectieux,  les  mauvaises  odeurs  sont,  à 
elles  seules,  un  fléau  qu'une  ville  bien  tenue  doit  proscrire.  Les  bouches 
des  égouts  parisiens  sont  loin  d'être  exemptes  de  ce  défaut,  et  la  généra- 
lisation du  tout  àl'égout  ne  peut  que  l'accentuer,  si  l'on  ne  trouve  pas 
moyen  d'y  parer  efficacement. 

Il  nous  reste  à  parler  des  objections  qui  s'attachent  aux  champs  de 
répandage  et  de  filtration.  Celles-là  sont  nombreuses  et  variées.  Presque 
toutes  cependant  portent  plutôt  sur  un  point  de  fait  que  sur  une  ques- 
tion de  principe.  On  ne  conteste  généralement  pas,  ce  qui  serait  excessif, 
la  possibilité  de  la  filtration  par  le  sol  et  de  l'utilisation  agricole.  Les  doses 
seules  sont  objet  de  débat;  et,  par  réaction  contre  certaines  tendances  à 
exagérer  celles-ci  et  à  réduire  outre  mesure  l'étendue  des  champs  d'épan- 
dage,  d'autres  amplifient  cette  dernière  à  l'excès,  et  se  demandent  où 
trouver  les  énormes  surfaces  nécessaires. 

Les  indications  numériques  présentées  ci-dessus  réduisent  ces  objec- 
tions à  leur  véritable  valeur.  La  pratique  montrât-elle  que  la  dose 
admise  est  un  peu  forte,  il  n'en  résulterait  pas  un  empêchement  diri- 
mant,  puisque,  sans  faire  une  enjambée  jusqu'à  la  mer,  ni  sans  aller 
chercher  les  plaines  de  la  Champagne,  comme  l'ont  proposé  quelques 
esprits  aventureux,  on  est  certain  de  trouver,  dans  une  zone  parfaitement 
abordable,  des  surfaces  disponibles,  sept  ou  huit  fois  plus  étendues  qu'il 
n'est  nécessaire,  et  qije  la  dépense  seule  en  serait  augmentée  dans  une 
certaine  proportion. 

Mais  il  est  d'autres  objections  qui  portent  plus  directement  sur  la  base 
même  du  procédé;  ce  sont  celles  déduites  des  froids  de  l'hiver  et  des 
périodes  de  grandes  pluies.  A  quoi,  dit-on,  serviront  vos  irrigations  quand 


L.-L.  VAUTHIER.  —  COUP  d'oiîIL  RAPIDE  SUR  l'aSSAINISSEMENT  DE  PARIS       1191 

toute  végétation  a  cessé,  et  la  filtration  elle-même  sera-t-elle  possible  à 
travers  un  sol  congelé?  Enfin,  quand  des  pluies  diluviennes  auront 
détrempé  le  sol  outre  mesure,  allez-vous,  par  vos  épandagcs,  augmenter 
encore  le  mal  ? 

Sur  ce  dernier  point,  la  réponse  est  facile.  Quand  les  pluies  sont  abon- 
dantes, les  cours  d'eau  sont  en  crue.  La  Seine  débite  alors  non  plus 
40  ou  30  mètres  par  seconde,  comme  à  l'étiage,  mais  l.oOO  à 2.000 mètres, 
avec  une  vitesse  d'écoulement  considérable;  et,  s'il  est  extrêmement 
fâcheux  d'y  déverser,  en  basses  eaux,  un  courant  liquide  souillé  dont  le 
débit  est  le  dixième  du  sien,  il  est  parfaitement  admissible,  au  contraire, 
sans  nul  inconvénient,  qu'on  y  reçoive  cet  affluent  quand  le  volume 
auquel  il  se  mêle  est  trois  cents  à  quatre  cents  fois  plus  fort  que  le 
sien.  C'est  pour  cette  raison  que,  dans  les  grands  orages,  on  évacue 
directement  en  Seine,  dans  la  traversée  de  Paris,  le  trop-plein  des  col- 
lecteurs; et,  dans  les  grandes  crues,  l'inconvénient  est  nul  pour  l'aval 
jusqu'à  la  mer,  où  les  eaux  du  fleuve  arrivent  sans  que  la  marée  en  ait 
renversé  le  courant. 

Quant  aux  froids  de  l'hiver,  l'objection  aurait  quelque  valeur  si  l'in- 
tervention des  plantes  était  un  élément  indispensable  de  l'épuration. 
Mais  il  n'en  est  rien,  et  la  filtration  seule  suffit  pour  réaliser  celle-ci.  Les 
eaux  d'égout  conservent  une  température  relativement  élevée,  et,  si  l'on 
admettait  des  froids  assez  rigoureux  et  assez  prolongés  pour  faire 
redouter  la  congélation  sur  le  sol  de  l'eau  épandue,  il  n'y  aurait  pas 
encore  lieu  de  s'effrayer  beaucoup  de  cette  circonstance  exceptionnelle. 
Dans  les  grands  froids,  le  débit  des  égouts  se  réduit  au  minimum. 
L'épandage  ne  donnerait  sur  le  sol  qu'une  couche  de  quelques  milli- 
mètres, et  il  faudrait  qu'ils  persistassent  bien  longtemps,  —  ce  qui  est 
rare  en  nos  climats,  —  pour  que  cette  couche  atteignît  l'épaisseur  d'un 
décimètre. 

Ces  objections  sont  donc  loin  d'avoir  le  caractère  éliminatoire  que  leur 
prêtent  ceux  qui  les  soulèvent;  et  il  est  singulier  de  les  trouver  dans  la 
bouche  de  personnes  qui  préconisent  comme  remède  souverain  l'abduc- 
tion à  la  mer  par  un  canal  à  faible  pente,  où  la  vitesse  serait  presque 
nulle,  et  où  les  froids  vifs  amèneraient,  par  la  congélation,  avec  une 
incessante  alimentation  par  l'amont,  de  colossales  embâcles. 

Ces  points  examinés,  à  quel  degré  de  réalisation  pratique  la  question 
est-elle  arrivée  et  dans  quelles  conditions  marche-t-elle? 

On  travaille  à  amener  de  nouvelles  eaux  de  source,  et  l'extension  des 
irrigations  vers  Achères,  déclarée  depuis  deux  ans  d'utilité  publique, 
est  en  pleine  voie  d'exécution.  La  ville  de  Paris  poursuit  son  o-uvre. 
Entre  temps,  les  régions  suburbaines,  surtout  à  l'aval  de  Paris,  se  révoltent. 
Le  tout  à  Végout  empoisonne  la  Seine. 


1192  HYGIÈNE  ET  MÉDECINE  PUBLIQUE 

Des  hygiénistes  intempérants  se  lèvent,  déclarent  le  mal  arrivé  à  son 
comble,  et  l'on  ne  voit  qu'un  remède  à  la  situation,  c'est  de  porter  par 
un  canal  toutes  les  déjections  de  Paris  à  la  mer. 

Qu'y  a-t-il  de  fondé  dans  ces  clameurs?  Est-ce  le  système  même  du 
tout  à  l'égout  qui  est  en  cause,  ou  la  façon  dont  on  a  procédé  dans  l'ap- 
plication? Ce  sont  là  des  points  qui  méritent  d'être  examinés. 

Il  serait  difïicile  de  le  contester.  La  question  d'assainissement  de  Paris 
n'a  jamais,  jusqu'à  ce  jour,  été  envisagée  bien  en  face,  haut  le  front  et 
d'ensemble.  Qu'il  y  ait  eu  tâtonnements  au  début,  cela  se  comprend  et 
s'excuse.  Mais  il  a  pesé  sur  sa  marche  des  illusions,  prolongées  outre 
mesure.  On  a  toujours  semblé  vouloir  ruser  avec  elle.  Le  choix  de  Genne- 
villiers  au  début,  comme  territoire  d'essai,  était  techniquement  irrépro- 
chable; et  le  succès  y  a  dépassé,  dans  les  premiers  temps,  tout  ce  qu'on 
pouvait  espérer.  Faire  appel  au  concours  de  l'initiative  privée,  c'était  une 
idée  libérale  et  juste.  Cependant  ce  concours  n'a  pas  donné  tout  ce  qu'on 
en  attendait.  Les  faits  ont  bientôt  montré  que  l'extension  de  la  surface  irri- 
guée devenait  de  plus  en  plus  lente;  qu'en  face  d'une  eau  fertilisante 
qu'on  leur  offre  gratis,  ceux  qu'elle  enrichirait  la  dédaignent.  C'est  là 
l 'histoire  de  toutes  les  irrigations,  dans  les  pays  mêmes  où  elles  sont  le 
plus  indispensables.  Il  fallait  donc  que  la  Ville  eût  des  champs  à  elle,  dont 
elle  pût  disposer  librement. 

La  question  des  tirés  de  la  forêt  de  Saint-Germain  vers  Achères  est  née 
de  cette  conviction.  C'était  là  aussi  une  idée  juste;  seulement  près  de  vingt 
années  ont  été  nécessaires  pour  lui  donner  un  corps.  Il  y  fallait,  après 
l'adhésion  de  l'administration  des  forêts,  —  rudis  indigestaque  moles,  — 
l'approbation  de  l'État  et  la  sanction  des  pouvoirs  législatifs.  Paris  est 
resté  plus  de  dix  ans  hypnotisé  —  pour  employer  une  expression  devenue 
célèbre  —  devant  un  lambeau  de  forêt,  presque  sans  arbres;  et  le  débat 
a  pris,  pour  tout  un  département,  les  proportions  d'une  question  électorale 
de  premier  ordre.  Ce  nouveau  champ  de  800  hectares  est  disponible 
depuis  1889;  on  travaille  pour  l'utiliser.  Avec  les  800  hectares  de  Genne- 
villiers,  l'irrigation  pourra  s'étendre  à  1.600  hectares,  et  à  la  dose  de 
40.000  mètres  par  hectare,  parfaitement  admissible  dans  l'état  actuel  des 
eaux  d'égout,  on  aura  là  le  placement  de  64  millions  de  mètres  cubes. 
Mais  il  y  en  a  aujourd'hui  80  milhons  de  plus,  sans  compter  l'avenir. 

La  Ville  possède,  à  Méry-sur-Oise,  500  hectares  de  terrain,  coûteux  à 
atteindre,  mais  par  ailleurs  en  de  parfaites  conditions.  Là  encore  pour- 
ront se  loger  20  millions  de  mètres.  Où  ira  le  reste?  Nul  ne  le  sait.  Il 
faudrait  dès  à  présent  y  pourvoir.  C'est  une  dépense  à  faire,  mais  on  ne 
peut  reculer.  Elle  sera  toujours  moindre  que  si  l'on  attend  plus  longtemps. 

Que  la  culture  privée  prête  son  concours  à  la  ville  de  Paris,  cela  est  à  es- 
pérer, et  les  avances  de  celle-ci  en  seront  réduites.  II  faut  marcher  comme  si 


L.-L.  VAITHIER.  —  COUP  o'œiL  RAPIDE  SUlî  l'aSSAINISSEMENT  DE  PARIS      1193 

Ion  n'y  comptait  pas,  surtout  comme  si  l'on  n'en  avait  pas  besoin.  Le  cœur 
liumain  est  ainsi  fait.  L'eau  d'égout  renferme  un  engrais  précieux.  Cette 
eau  aura  plus  tard  un  prix  de  vente.  Ce  prix  ne  lui  sera  attribué  que 
quand  la  Ville  pourra  elle-même  l'utiliser  toute.  La  rareté  est  un  élément 
de  la  valeur. 

.Nous  venons  de  prononcer  le  mot  d'avance,  à  propos  des  dépenses  à 
faire.  11  n'y  a  pas  au  fond  autre  chose.  On  ne  peut  supposer  que  des 
terrains  irrigués  et  rendus  fertiles,  à  proximité  de  Paris,  restent  livrés  aux 
plantes  parasites.  La  Ville  les  affermera;  au  besoin,  elle  les  exploitera  elle- 
même,  en  régie,  ce  qui,  prati(]uement,  vaudrait  moins.  Dans  aucun  cas, 
la  dépense  d'achat  ne  restera  improductive.  Mais  il  faut  marcher  et 
marcher  carrément.  Le  plus  vite  sera  le  mieux,  et  pour  le  résultat  final, 
et  aussi,  convenons-en,  pour  rassurer  l'opinion  publique,  qui  dans  ses 
objurgations  dépasse  la  mesure,  mais  a  pourtant  des  griefs  fondés. 

Dans  ces  griefs,  c'est  surtout  le  tout  à  l'égout  qui  est  mis  en  cause.  Là 
est  le  point  faux,  et  ce  serait  à  faire  croire  à  une  émeute  de  vidangeurs. 
Sait-on,  en  ce  moment,  par  le  tout  à  l'égout  réglementaire,  en  dehors  de 
ce  qui  y  allait  avant,  ce  qui  arrive  à  l'égout  de  matières  excrémentitielles? 
Une  fraction  de  un  vingt-cinquième  —  chiffre  officiel  —  de  la  production 
totale  journalière  de  Paris.  Pour  les  vingt-quatre  vingt-cinquièmes  restants, 
c'est-à-dire  pour  presque  tout,  Paris  vit  donc  encore  sous  le  régime  des 
fosses  fixes  et  de  la  vidange. 

La  situation  est,  à  cet  égard,  on  le  voit,  bien  peu  différente  de  ce 
qu'elle  était  avant  l'admission  légale  du  tout  à  l'égout.  En  est-elle  meilleure? 
IN'on,  sans  doute.  Mais  c'est  à  tort  qu'on  rend  responsable  du  mal  un  procédé 
qui  joue  encore  un  si  faible  rôle  dans  la  question.  Si  la  Seine  est  souillée, 
c'est  l'ancien  système  qu'il  faut  en  accuser,  non  le  nouveau,  qui  ne  fonc- 
tionne pas  encore,  ou  sur  une  si  faible  échelle,  que  sa  part  de  responsa- 
liilité  est  négligeable. 

Cela  veut-il  dire  qu'il  soit  bon  qu'on  puise  des  eaux,  dites  potables, 
pour  l'alimentation  de  la  banlieue,  à  Épinay  ou  sur  tout  autre  point,  à 
l'aval  de  l'égout  d'Asnières  ?  Certainement  non.  Mais  lorsqu'on  a  pris  ce 
parti,  la  Seine,  dans  ces  régions,  était  aussi  chargée,  sinon  plus,  qu'au- 
jourd'hui, et,  dans  tous  les  cas,  le  tout  à  l'égout  n'y  est  pour  rien.  On 
peut  et  l'on  doit  exiger  que  Paris,  dans  le  délai  le  plus  bref,  ne  souille 
plus  la  Seine  de  ses  déjections,  ce  qui  permettra  d'avoir  la  môme  exigence 
pour  toutes  les  localités  qui  la  bordent;  mais  on  fait  au  tout  à  l'égout  une 
étrange  querelle  en  mettant  à  son  compte,  à  propos  d'un  état  sanitaire, 
que  les  fortes  chaleurs  dont  nous  souffrons  expliquent,  le  réveil  de  germes 
morbides  enfouis  depuis  plusieurs  années  à  l'état  latent  dans  la  presqu'île 
de  Gennel\^illiers  et  sur  le  territoire  des  localités  qui  s'alimentent  en  eau 
de  Seine  à  l'aval  de  Paris. 


1194  HYGIÈXE  ET  MKDECLNE  PUBLIQUE 

Reste  la  question  du  «  tout  à  la  mer  ». 

Ici  il  y  a,  bien  manifestement,  le  réveil  d'une  idée  qui  sommeille  dans  les 
esprits  et  renaît  par  secousses.  Les  grandes  enjambées  séduisent  l'ima- 
gination ;  puis  les  dimensions  de  l'Océan  sans  bornes  sont  telles  qu'elles 
semblent  réduire  à  un  insignifiant  filet  d'eau  le  torrent  d'eaux  souillées 
qu'il  s'agit  d'y  déverser.  Quant  aux  difficultés  de  la  solution  pratique  et  à 
la  dépense,  on  s'en  occupe  peu. 

Quelques  ingénieurs,  dans  le  passé,  ont  cependant,  en  termes  plus  ou 
moins  sérieux,  abordé  le  problème. 

L'un  d'eux,  M.  Passedoit,  taillait  en  plein  drap  :  il  ne  connaissait  pas 
d'obstacles.  Il  emmenait  les  eaux  de  Clichy  à  Quillebeuf  — ce  qui  n'est 
pas  tout  à  fait  la  mer  —  sans  relèvement  préalable  des  eaux,  par  un  large 
canal  à  ciel  ouvert,  bordé  d'un  chemin  de  fer  de  205  kilomètres  de  déve- 
loppement, avec  pente  de  0'",10  par  kilomètre.  Combien  devait  coûter 
ce  canal?  Absolument  rien,  répondait-il,  — à  la  condition  qu'on  lui  donnât 
le  moyen  de  faire  le  chemin  de  fer.  Ce  n'était  pas  plus  malin  que  ça. 

Un  autre,  M.  Brunfaut,  que  patronnait  un  député,  M.  Ducuing,  établis- 
sait aussi  un  canal  à  ciel  ouvert,  partant  de  Clichy,  arrivant  à  Canteleu, 
peu  en  aval  de  Rouen,  avec  140  kilomètres  de  développement  et  pente 
de  0,'"12  par  kilomètre.  Ce  canal  raccourcissant  beaucoup  sur  le  fleuve, 
et,  comportant  de  nombreux  tunnels,  coupait  huit  fois  la  Seine,  qu'il 
traversait  en  dessous,  au  moyen  de  siphons  formés  chacun  de  vingt-six 
tubes  de  1  mètre  de  diamètre.  Un  réservoir  de  marée  de  500.000  mètres 
cubes  de  capacité  était  établi  à  Canteleu;  le  tout  évalué  Ho  millions 
pour  un  débit  supposé  de  4  mètres  seulement  à  la  seconde. 

Canteleu,  distant  de  la  mer  de  120  kilomètres,  touche  presque  Rouen. 
C'est  seulement  la  marée,  non  la  mer,  que  M.  lîrunfaut  allait  chercher 
si  loin.  Nonobstant  son  réservoir  pour  retenir  les  eaux  de  Paris  pendant 
la  durée  du  flot,  les  Rouennais  eussent,  avec  raison,  poussé  de  beaux  cris. 
L'auteur  du  projet  ne  renonçait  pas,  d'ailleurs,  à  irriguer;  il  comptait 
trouver  en  chemin  12  à  13.000  hectares  propres  à  cet  usage,  et,  comme 
le  plan  d'eau  de  son  canal  était  généralement  beaucoup  au-dessous  du 
terrain,  c'est  sur  de  petits  moulins  à  vent  établis  sur  le  parcours  qu'il 
comptait  pour  relever  les  eaux.  L'imagination  est  une  belle  chose. 

Au  lieu  des  4  mètres  de  débit  sur  lesquels  tablait  M.  Brunfaut,  c'est 
—  nous  l'avons  vu  —  sur  un  débit  pouvant  aller  jusqu'à  10  mètres  qu'il 
faudrait  compter.  Inutile  de  dire  que  la  dépense  croîtrait  fort  de  ce  chef. 
Quant  au  canal,  sous  la  pente  indiquée,  avec  des  talus  à  -  et  une  pro- 
fondeur de  2  mètres,  il  aurait  H  mètres  de  largeur  au  plan  d'eau  et 
celle-ci  prendrait  une  vitesse  dépassant  peu  0'",60  à  la  seconde.  Ce  serait, 
par  les  dimensions,  presque  un  véritable  canal  navigable,  —  presque  un 
cloaque  par  la  lenteur  du  courant. 


L.-L.  VAUTHIER.  —  COUP  d'oEIL  RAPIDE  SUR  l'aSSAIXISSEMENT  DE  PARIS       1  J  9o 

Conduire  les  eaux  d'égoul  vers  la  mer  par  la  seule  pente  dont  on  dis- 
pose topographiquement  est  une  idée  radicalement  fausse. 

C'est  ce  que  pensait  M.  Aristide  Dumont,  ingénieur  distingué,  qui, 
vers  I880,  présentait  aussi  un  projet  de  canal  d'assainissement  de  Paris 
à  la  mer.  par  lui  soumis  à  l'appréciation  de  l'Académie  des  Sciences. 

Dans  ce  projet,  les  eaux  dirigées  non  plus  par  la  vallée  de  la  Seine 
mais  par  les  plateaux,  vers  Belleville-en-Mer,  situé  entre  Dieppe  et  le 
Tréport,  voyageaient  constamment  en  conduites  fermées. 

Relevées  successivement  par  trois  fois,  d'un  peu  plus  de  400  mètres,  à 
l'aide  de  machines,  elles  coulaient  ensuite  par  la  pente,  sur  la  majeure 
partie  de  leur  parcours  total,  de  156  kilomètres,  dans  un  tube  de  section 
circulaire,  pouvant  débiter  à  gueule  bée,  avec  une  vitesse  de  0"',96,  un 
peu  plus  de  5  mètres  par  seconde,  et  arrivaient  sur  le  versant  maritime  à 
une  altitude  de  6o  à  70  mètres,  de  manière  à  pouvoir  encore  y  fournir 
des  chutes  industrielles.  C'est  dans  le  tube  en  question  suivant  les  pla- 
teaux tantôt  à  fleur  de  sol,  tantôt  en  tunnel  ou  tranchée,  tantôt  porté  sur 
remblai  ou  viaduc  que  se  faisaient  les  prises  d'eau  d'irrigation  pour  les- 
quelles l'auteur  comptait  sur  une  surface  disponible  de  20  à  30  mille  hec- 
tares. Enfin,  ce  qui  eût  excédé  les  besoins  de  l'utilisation,  réuni,  au  voisi- 
nage de  la  mer,  dans  un  vaste  réservoir,  aurait  été  porté  au  large  par  des 
conduites  à  800  mètres  du  pied  de  la  falaise.  L'auteur  espérait  échapper 
ainsi  au  dangfir  de  tout  retour  des  eaux  souillées  vers  la  plage. 

Ce  projet  conçu  dans  des  visées  industrielles,  n'avait  pas  à  être,  en 
principe,  écarté  par  la  Ville,  quant  aux  propositions  de  concours,  rétribué, 
cela  va  sans  dire,  que  lui  offrait  une  entreprise  privée,  pour  la  débarrasser 
de  tout  ou  partie  de  ses  eaux  d'égout.  Mais,  sans  discuter  des  points  de 
détail  sur  lesquels  ce  projet  pouvait  être  critiquable,  on  en  a  contesté  la 
rationnante  même.  Pourquoi  aller  chercher  si  haut  et  si  loin  des  zones 
irrigables,  lorsqu'on  en  a  en  suffisance  bien  plus  à  portée  ?  Si,  dans  l'es- 
pèce, cela  s'explique  parce  qu'on  s'est  mis  en  route  vers  la  mer,  pourquoi 
viser  un  point  aussi  éloigné,  si  l'on  doit  laisser  toute  l'eau  en  chemin  ?  EL 
enfin  croit-on,  s'il  doit  arriver  à  la  mer  des  eaux  souillées  en  quantité 
notable,  qu'on  puisse  les  y  déverser  sans  inconvénient? 

A  la  nouvelle  du  projet  Dumont,  Dieppe  et  le  littoral  voisin  avaient 
poussé  de  hauts  cris.  Mais  sans  trop  s'arrêter  à  des  appréhensions  lo- 
cales qui,  en  fait  d'eau  d'égouts,  peuvent,  on  le  sait,  n'être  pas  toujours 
parfaitement  justifiées,  il  est  facile  de  se  rendre  compte  que  tout  n'est 
pas  dit  parce  qu'on  aura  atteint  la  mer,  et  qu'on  ne  se  sera  pas  radicalement 
débarrassé  d'ordures  pour  les  avoir  jetées  dans  l'Océan.  Qu'un  fleuve  en 
crue,  où  le  courant  n'est  pas,  dans  la  rt'gion  maritime,  renvereé  par  le 
jeu  des  marées,  puisse  sans  inconvénient  entraîner  et  porter  au  large  les 
eaux  souillées  qu'on  y  déverse,  diluées  dans   trois  ou  f|ualie  cents  fois 


1196  HYGIÈNE  ET  MÉDECINE  PUBLIQUE 

leur  volume  d'eau  pure,  cela  se  comprend.  Mais,  sur  une  plage  ouverte, 
il  n'en  est  pas  de  même.  La  masse  d'eau  est  immense;  mais,  sauf  par 
les  gros  temps,  les  autres  mouvements  auxquels  la  mer  est  soumise  n'im- 
pliquent que  des  déplacements  limités.  S'il  y  a  courant  littoral,  c'est  pa- 
rallèlement à  la  côte  que  L'  déplacement  a  lieu,  sans  mouvements  trans- 
versaux qui  mélangent  les  tranches.  Sous  cette  influence,  au  point 
même  que  M.  Dumont  avait  choisi,  on  a  vu  des  niasses  de  hannetons 
jetées  à  la  mer  à  Dieppe  arriver  au  Tréport,  en  bon  ordre,  quelques  heures 
après.  Et,  quant  au  jeu  des  marées  elles-mêmes,  par  temps  calme, 
transversalement  au  rivage,  leur  oscillation  d'exhaussement  et  de  retrait 
n'emporte  pas  au  loin  les  corps  flottants.  Ils  sont  entraînés  à  mer  bais- 
sante, mais  ramenés  à  mer  montante,  nonobstant,  bien  entendu,  le  mé- 
lange inévitable  de  liquides  de  densités  rapprochées.  Il  pourrait  bie'n 
être  ainsi  des  eaux  d'égout;  et  ceux  (jui,  il  y  a  quelques  années,  ont  pu 
observer  dans  quelle  mesure,  malgré  le  puissant  balayage  des  marées  à 
l'embouchure  de  la  Seine,  le  déversement  des  égouts  du  Havre  à  la  mer 
infectait  l'anse  de  Sainte- Adresse,  auront  quelques  doutes  sur  l'innocuité 
absolue  d'une  opération  qu'on  préconise  sans  suffisantes  réflexions. 

Assez  sur  ce  sujet  auquel  nous  avons  donn<''  trop  de  place. 

La  vaste  opération  de  l'assainissement  intégral  de  Paris  est  actuellement 
engagée  dans  une  voie  d'oii  elle  ne  peut  plus  sortir.  Il  faut  qu'elle  réus- 
sisse. Dans  les  termes  où  elle  est  conçue,  son  succès  dépend  de  deux  con- 
ditions essentielles  :  d'abord  une  alimentation  en  eaux  de  toute  nature, 
assez  puissante  pour  entraîner  avec  elles  toutes  les  déjections  que  produit 
une  population  de  2.500.000  habitants,  qui  dépassera,  —  cela  est  à 
craindre.  —  bientôt  ce  chiffre  ;  ensuite,  des  surfaces  de  terrain  suffisantes 
pour  épurer  et  rendre  inofl'ensives  les  eaux  souillées,  avec  utilisation 
agricole,  autant  que  faire  se  peut. 

On  travaille  à  augmenter  le  volume  d'eau  potable  destinée  à  lalimen- 
tation  privée.  Paris  disposera  dans  un  délai  rapproché,  en  eau  de  toutes 
provenances,  d'une  quantité  correspondant  à  plus  de  200  litres  par  jour, 
par  tête  d'habitant.  C'est  là  une  situation  magnifique.  Si  l'on  trouvait, 
après  cela  les  services  publics  un  peu  insuffisamment  dotés,  rien  ne  serait 
plus  facile  que  d'y  pourvoir,  et  il  n'y  aurait  nulle  raison  de  repousser 
pour  cet  usage  l'eau  puisée  en  Seine. 

Quant  aux  champs  d'épuration,  nous  avons  indiqué  le  programme 
auquel  satisfaire  :  3.000  à  3. 500  hectares  à  bref  délai,  portés  successive- 
ment au  double,  à  mesure  que  le  tout  à  l'égout  remplacera  progressi- 
vement les  fosses  fixes  et  la  sordide  vidange. 

Notre  prétention  n'est  pas  de  fixer  des  chiffres  absolus.  Mais  ceux  aux- 
quels on  s'arrêtera  ne  pourront  s'éloigner  beaucoup  de  ceux  qui  précèdent. 
Seulement,  il  ne  faut  pas  se  boucher   les  yeux  et  les  oreilles  —  nous  ne 


L,-L.  VAUTIIIEH,   —  COUP  d'œIL  RAPIDE  SUR  l'aSSAINISSEMEÎNT  DE  PARIS       1197 

parlons  pas  des  narines.  La  responsabilité  de  Paris  est  engagée.  Depuis 
vingt  ans  on  tatillonne.  C'est  là  ce  qui  excite,  avec  grande  raison,  les 
plaintes  des  populations  suburbaines  et  des  départements  voisins. 

Qu'ils  aient  tort  de  mettre  en  cause  le  tout  à  l'égout;  nous  l'avons 
démontré.  Que  le  dada  du  «  tout  à  la  mer  »  ne  soit  pas  une  monture  à 
enfourcher  par  des  gens  de  sens  rassis,  nous  le  croyons.  Mais,  quant  à 
secouer  la  torpeur  inqualifiable  des  pouvoirs  publics  parisiens,  ils  ont  mille 
fois  raison  de  le  tenter  et  ne  sauraient  crier  trop  fort. 

Il  y  a  une  forte  dépense  à  faire,  non  seulement  comme  frais  de  pre- 
mier établissement,  mais  comme  exploitation.  Nous  le  savons  bien. 

Il  faut  terminer  le  réseau  des  égouts,  auxquels  manquent  encore  quel- 
ques dizaines  de  kilomètres.  Sur  ce  point  nous  avons  dit  notre  pensée. 
Nous  croyons  qu'on  agirait  sagement  et  qu'on  arriverait  plus  vite  au  but 
poursuivi,  qui  est  de  recueillir  la  totalité  des  chutes,  en  substituant,  pour 
une  forte  fraction  du  réseau  complémentaire,  ne  fût-ce  que  comme  avant- 
garde,  même  à  titre  provisoire,  des  conduites  étanches  de  petite  dimen- 
sion aux  galeries  définitives  de  grande  section. 

En  même  temps  que  le  réseau  de  réception  se  termine,  il  faut  songer 
à  l'établissement  de  Clichy,  dont  la  puissance  dépasse  aujourd'hui  les 
besoins,  mais  qui  peut  devenir  insuffisant. 

Il  faut  se  procurer,  par  les  moyens  les  mieux  appropriés,  avec  le  con- 
cours de  l'initiative  privée,  si  possible,  sans  les  demander  à  l'État  et 
surtout  à  ladministration  des  forêts,  les  surfaces  de  terrain  nécessaires. 

Puis  enfin,  pourvoir  en  prévision,  au  budget  municipal,  à  la  dépense 
d'exploitation  qui  sera  forte. 

Tout  cela  pèsera.  Rien  n'est  plus  certain  ;  mais  on  sait  depuis  long- 
temps que  la  taxe  municipale  sur  les  chutes  à  l'égout  produira  une  re- 
cette annuelle  d'environ  9  millions.  Cela  donne  le  moyen  de  gager  un 
emprunt  respectable  et  de  se  procurer  des  ressources  ;  le  tout  sans  faire 
état  des  produits  certains  d'un  immense  domaine  de  plusieurs  milliers 
d'hectares. 

Quoi  qu'il  en  soit,  d'ailleurs,  la  Ville  de  Paris  a  un  devoir  étroit.  Il 
faut  qu'elle  le  remplisse.  Et  elle  a  tout  avantage  à  le  faire  délibérément, 
au  plus  vite,  les  yeux  bien  ouverts. 

Ce  sera  là  notre  conclusion. 


1198  HYGIÈNE  ET  MÉDECINE  PUBLIQUE 


M.  Léon  TEISSEEEIC  DE  BORT 

à   Paris. 


SUR    LA     NÉCESSITÉ    DE    FONDER    UNE    LIGUE    POUR    LA    PROTECTION    DES   ANIMAUX 

ET   DES    HOMMES   CONTRE    LA    RAGE 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 

L'exemple  de  la  plupart  des  pays  qui  nous  avoisinent  où  la  rage  est 
en  grande  décroissance  ou  même  complètement  éteinte,  montre  que  cette 
maladie,  si  terrible  dans  ses  effets,  peut  être  détruite  par  un  ensemble  de 
mesures  de  police  sanitaire  qui  sont  assez  simples. 

En  France,  les  lois  qui  existent  à  ce  sujet  ne  sont  pas  appliquées  dans 
la  plupart  des  cas  ou  appliquées  sans  suite  et  pour  la  forme.  L'apathie 
de  l'administration  d'une  part,  une  sensiblerie  mal  placée  chez  les  pro- 
priétaires de  chiens  (qui,  plus  que  tous  autres,  devraient  chercher  à 
préserver  leurs  animaux;  ont  empêché  les  lois  de  18o':2  ainsi  que  le 
décret  de  1882  de  produire  leur  effet  utile,  et  le  nombre  de  chiens  en- 
ragés se  maintient  très  considérable.  Il  semble  augmenter  même  à 
mesure,  que  le  bien-être  se  répandant,  le  nombre  des  personnes  qui  ont 
un  chien  croît  lui-même  (1). 

L'abatage  des  chiens  mordus  par  un  animal  enragé  est  la  seule  mesure 
qui  soit  assez  bien  observée,  mais  combien  d'animaux  sont  mordus  sans 
qu'on  le  sache,  ou  par  des  animaux  considérés  à  tort  comme  sains  ; 
dans  les  centres  populeux  surtout,  la  surveillance  des  chiens  est  à  peu 
près  impossible  sans  le  secours  de  la  muselière,  aussi  voyons-nous 
la  Seine,  la  Haute-Loire,  le  Rhône  présenter  chaque  année  des  cas  de 
rage  humaine. 

Lorsqu'on  présence  des  recommandations  pressantes  du  comité  d'hygiène 
ou  à  la  suite  de  véritables  épidémies  de  rage  canine,  l'administration  a 
voulu  imposer  le  port  de  la  muselière,  on  s'est  heurté  à  des  protestations 
très  vives  de  certaines  personnes,  furieuses  de  ce  qu'on  leur  enlevait  leur 
chien  pour  le  mener  en  fourrière  ;  des  agents  de  police  ont  été  maltraités 


(I)  Les  documents  statistiques  que  j'ai  joints  à  cette  note  donnent  une  idée  delà  fréquence  ec  de 
la  répartition  de  la  rage  en  France.  (Voir  l'appendice.) 


L.  TEISSERENC  DE  BORT. —  LIGUE  POUR  LA  PROTECTION  CONTRE  LA  RAGE        1199 

par  des  âmes  charitables  qui  paraissent  aimer  beaucoup  plus  les  chiens 
que  l'espèce  humaine. 

En  voyant  ces  obstacles  venant  d'une  partie  du  public  qui,  dans  ce  cas, 
pèche  par  insouciance,  par  ignorance,  il  m'a  paru  que  cet  état  de  choses 
fâcheux  pour  la  santé  des  bêtes  et  des  gens  ne  trouverait  son  remède 
qu'en  faisant,  en  quelque  sorte  l'éducation  du  public  au  point  de  vue  de 
la  prophylaxie  de  la  rage  et  en  cherchant  à  déterminer  un  courant 
d'()])inion  en  faveur  de  l'observance  des  lois  de  police  sanitaire,  quitte 
à  les  renforcer  par  des  dispositions  législatives  plus  complètes. 

Il  faudrait  faire  connaître  au  public  qu'à  Paris  la  rage  tue  environ 
400  chiens  par  an,  soit  i  chien  sur  400,  et  qu'en  y  joignant  le  nombre 
des  animaux  tués  comme  venant  d"étre  mordus  par  un  animal  enragé, 
on  arrive  à  un  total  de  S. 000  chiens,  soit  plus  de  6  0/0.  Voulez- vous  me 
dire  quelle  est  la  maladie  qui,  directement  ou  indirectement,  amène  une 
pareille  mortalité  et  cela  d'une  façon  régulière?  H  n'y  en  a  heureusement 
aucune.  On  peut  donc,  si  ces  faits  étaient  bien  connus,  espérer  que  les 
amis  des  chiens  se  rendant  à  l'évidence,  au  lieu  de  protester  contre  les 
règlements,  seraient  les  premiers  à  les  appliquer. 

Le  mouvement  d'opinion  dont  je  parle,  l'éducation  du  public  à  ce 
point  de  vue  spécial,  la  vigilance  qu'il  faudrait  exercer  pour  obtenir 
l'application  des  lois  sanitaires  ne  peuvent  être  confiés  qu'à  une  associa- 
tion comptant  un  grand  nombre  de  personnes  de  bonne  volonté  répandues 
dans  les  divers  départements  et  exerçant  une  action  puissante  comme 
celle  de  certaines  associations  qui  existent  déjà.  Il  faudrait  créer  en 
France  une  ligue  dont  le  but  ne  saurait  être  mieux  défini  que  par  son 
litre  même  : 

Ligue  pour  la  protection  des  animaux  et  des  hommes  contre  la  rage. 

Si  je  fais,  dans  ce  titre,  passer  les  animaux  avant  les  hommes,  c'est  afin 
de  marquer  qu'il  s'agit  de  bien  protéger  l'animal  d'abord,  puisque 
c'est  lui  qui  porte  le  mal,  et  aussi  pour  montrer  aux  amis  des  chiens  qu'on 
se  propose  de  protéger  le  chien  et  le  maître  à  la  fois. 

Une  pareille  ligue,  en  demandant  h.  ses  adhérents  une  très  faible  coli- 
sation  :  1  à  2  francs,  compterait  bientôt  un  grand  nombre  de  personnes 
se  pénétrant  de  l'utilité  des  mesures  proposées  et  s'intércssant  ainsi  à  la 
prophylaxie  de  la  rage. 

Supposons  cette  ligue  fondée  et  voyons  quels  seraient  ses  moyens  d'action. 

Ces  moyens  sont  de  divers  ordres.  • 

Mogens  persuasifs.  —  Tout  d'abord,  c'est  de  bien  faire  connaître  les 
dangers  de  contagion  de  la  rage,  dans  certains  départements  il  y  a  beau- 


1200  HYGIÈNE  ET  MÉDECINE  PUBLIQUE 

coup  à  faire  de  ce  côté  ;  d'apprendre  au  public  que,  contrairement  à 
l'opinion  erronée  très  répandue,  le  chien  enragé  boit  en  dehors  de  ses 
accès  de  rage,  que  sa  morsure  est  dangereuse  au  moins  trois  jours  avant 
qu'aucun  signe  extérieur  ne  mette  son  propriétaire  en  garde  et  qu'ainsi, 
puisqu'on  ne  peut  reconnaître  la  rage  que  tardivement,  il  faut  mettre 
l'animal  dans  des  conditions  où  il  ne  puisse  la  contracter. 

Ces  données  générales,  jointes  au  texte  des  lois  de  police  sanitaires 
pourraient  être  très  utilement  répandues  par  les  écoles  ;  il  suffirait  de  les 
publier  sous  forme  d'un  tableau  mural  avec  quelques  dessins  de  chiens 
muselés  pour  fixer  le  regard  des  enfants. 

On  instruirait  ainsi  les  enfants,  les  instituteurs  et  aussi  les  parents  par 
contre-coup.  Le  même  tableau  pourrait  être  affiché  dans  les  mairies 
dans  les  villes  ;  les  marchands  d'articles  pour  chiens  ne  manqueraient 
pas  de  l'alficher  comme  poussant  à  l'achat  des  muselières. 

Moyens  coercitifs. —  11  semble,  au  premier  abord,  qu'une  ligue  émanant 
de  l'initiative  privée  ne  peut  exercer  d'action  coercitivc  sur  le  public, 
c'est  une  erreur;  elle  peut,  au  contraire,  en  faisant  rendre  justice  aux 
personnes  victimes  de  la  rage,  à  un  titre  quelconque,  exercer  sur  le  public 
beaucoup  plus  qu'une  pression  morale. 

En  effet,  la  plupart  des  personnes  qui  ont  un  chien  mordu  par  un  animal 
enragé  et  se  voient  forcées  de  l'abattre,  demandent  rarement  des  dom- 
mages-intérêts au  propriétaire  de  l'animal  qui  a  causé  le  mal  ;  et  cepen- 
dant, il  est  responsable  au  même  titre  que  celui  dont  la  vache  va  paître 
chez  le  voisin,  dont  les  chiens  détruisent  les  récoltes  à  la  chasse,  etc. 
A  plus  forte  raison,  lorsque  la  morsure  a  été  faite  à  un  homme,  c'est 
tout  à  fait  assimilable  à  fusinier  qui,  par  sa  négligence,  amène  un  de 
ses  ouvriers  à  se  blesser. 

C'est  là  mi  acte  de  justice,  et  c'est  un  côté  de  la  (piestion  qui  a 
été  presque  complètement  négligé  parce  que  beaucoup  de  personnes 
reculent  devant  les  démarches  qu'il  faut  faire  pour  obtenir  judiciaire- 
ment une  indemnité,  et  aussi  parce  qu'on  pense  encore  dans  le  public 
que  la  rage  est  un  mal  inéluctable,  comme  un  tremblement  de  terre, 
tandis  que  nous  savons  maintenant  qu'il  dépend  de  l'homme  de  détruire 
cette  maladie. 

Supposez  la  ligue  établie  et  le  public  prévenu  qu'elle  se  charge  de 
poursuivre,  au  nom  des  particuliers,  le  propriétaire  de  chien  mordu, 
et  vous  verrez  bien  vite  s'établir  l'usage  de  demander  des  dommages 
et  intérêts  quand  oiï  est  mordu  ou  qu'on  perd  un  chien  qui  a  sou- 
vent un  grande  valeur  vénale,  comme  c'est  le  cas  pour  les  chiens  de 
chasse. 

L'action  de  la  ligue  s'exercerait  aussi  comme  s'exerce  celle  de  la  Société 


L.  TEISSERENC  DE  BOUT.  —  LIGUE  POUR  LA  PROTECTION  CONTRE  LA  RAGE        1201 

prolectrice  des  animaux   qui,  maintes  fois,  a  rappelé  le  public  à  l'obser- 
vation de  la  loi  Granmiont. 

Il  faudrait  aussi  publier  dans  la  presse  quelques  notes  sur  la  rage,  en 
profitant  des  accidents  qu'elle  détermine,  pour  appeler  l'attention  du 
public  sur  l'accident  survenu  et  les  moyens  d'en  éviter  le  retour. 

Avec  un  peu  de  persévérance,  on  trouverait  un  concours  très  sérieux 
dans  la  presse,  où  l'élément  scientifique  prend  chaque  jour  plus  d'im- 
portance et  qui  devient,  par  conséquent,  accessible  à  ce  qui  est  du 
domaine  de  l'expérimentation,  de  la  statistique  et  des  conséquences  qui 
en  découlent  logiquement. 

Il  y  a  quelques  mois,  lorsque,  sur  les  insistances  du  Conseil  d'hygiène, 
le  préfet  de  police,  avec  une  fermeté  qui  l'honore,  a  remis  en  vigueur  la 
loi  de  police  sanitaire  contre  la  rage,  un  grand  nombre  de  journaux  ont 
soutenu  l'opportunité  de  la  mesure  :  je  citerai  particulièrement  le  Temps, 
où  une  campagne,  appuyée  aussi  par  M.  Jules  Simon,  a  été  faite  avec 
beaucoup  de  persévérance  et  de  mesure  ;  le  Jour,  où  M.  Félix  Laurent  a 
montré  au  public  la  nécessité  des  mesures  prises  ;  le  Petit  Journal,  qui  a 
institué  un  concours  de  muselières  ;  la  Libei^té,  l'Estafette,  la  Petite  Répu- 
blique, la  Marseillaise,  \e  Paris,  etc.,  ont  montré  aussi  qu'ils  comprenaient 
le  véritable  intérêt  qui  s'attache  à  ces  questions  et  savaient  s'élever  au- 
dessus  des  criailleries  inévitables  qui  accompagnent  l'institution  de  toute 
espèce  de  règlements  d'utilité  publique. 

Telles  sont  les  grandes  lignes  du  rôle  de  l'association  contre  la  rage  que 
je  voudrais  voir  se  fonder  en  France  ;  je  serai  heureux  si  cet  exposé  a 
pu  déterminer  quelques-uns  d'entre  nous  à  prendre  part  à  cette  œuvre. 


APPENDICE 


Le  nombre  des  personnes  qui  se  font  traiter  à  l'Institut  Pasteur  donne  une 
idée  assez  exacte  de  la  fréquence  de  la  rage  chaque  année  et  la  répartition  des 
cas  de  morsure  suivant  les  départements  indique  à  peu  près  la  distribution  de  la 
maladie  en  France. 

M.  L.  Perdrix  a  donné,  dans  les  Annales  de  l'Instilut  Pasteur  de  mars  1890, 
une  note  très  détaillée  sur  les  résultats  des  vaccinations  antirabiques,  où  il 
montre  par  une  carte  et  des  tableaux  quelle  a  été  la  distribution  des  cas  de  mor- 
sure suivant  les  départements  et  aussi  suivant  la  densité  de  la  population  pour 
1887-88-89. 

Jui  fait  un  travail  analogue  en  le  complétant  et  l'étendant  aux  années  1890 

et  1891. 

76* 


1202 


HYGIÈNE  ET  MEDECINE  PUBLIULE 


La  figure  1  indique  la  proportion  annuelle  pour  100.000  habitants,  des  per- 
sonnes mordues  (d'après  la  moyenne  de  cinq  ans,  1887-91)  qui  ont  été  se  faire 
traiter  à  l'Institut  Pasteur. 

Cette  carte  montre  d'une  façon  évidente  que  ceriaines  régions  sont  beaucoup 
plus  frappées  que  certaines  autres  ;  le  midi  de  la  France  en  particulier  est  très 


Fu;.   I. 


éprouvé  et  on  compte  généralement  en  année  moyenne  plus  de  5  personnes  sur 
100.000  de  mordues  par  un  chien  enragé. 
Les  régions  les  plus  éprouvées  sont  : 

Nombre  de  persouiies  mordues 
pour  100.000  habitants. 


Les  Basses-Pyrénées. 

La  Seine 

Seine-el-Oise  .  .  . 
Bouches-du-Rhône . 
Lot-et-Garonne .  .  . 
Savoie 


9.0 
9,2 
8,5 

8,4 

"," 
7.0 


Les  régions  les  plus  indemnes  sont  tout  le  groupe  de  départements  qui  avoisi- 
ûeni  l'Eure,  savoir  :  la  Sarthe  0,2;  la  Mayenne,  rOrne0,3;  le  Calvados  0,6; 


L.  TEISSERENC  DE  BORT.  —  LIGUE  POUR  LA  PROTECTION  CONTRE  LA  RAGE        1203 

l'Eure-et-Loir,  0,8;  l'Yonne  et  la  Haute-Marne,  0,3;  la  Vienne,  les  Deux-SèvTes, 
la  Vendée.  Dans  la  région  méditerranéenne,  le  Var  l'ait  une  heureuse  exception 
avec  2  personnes  sur  iOU.OOO  mordues  au  milieu  des  autres  départements  du 
littoral  qui  présentent  une  proportion  triple.  De  plus,  nous  avons  indiqué  au- 
dessous  du  chiffre  des  mordus  par  100.000  habitants  la  proportion  du  nombre 


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Fil..  2. 


des  chiens  par  rapport  à  celui  des  habitants.  On  voit,  par  exemple,  que  la  Seine- 
et-Oise  possède  10  chiens  pour  100  habitants,  que  la  Seine  ne  renferme  que 
4  chiens  pour  100  habitants. 

La  Ogure  '1  indique  le  rapport  entre  le  nombre  des  personnes  mordues  dans 
l'année  moyenne  et  le  nombre  des  chiens  du  département. 

On  a  ainsi  la  proportion  des  animaux  qui  causent  des  accidents. 

Comme  le  nombre  de  chiens  et  le  nombre  d'habitants  sont  assez  variables, 
cette  carte  présente  un  assez  grand  intérêt. 

On  voit,  par  exemple,  que  dans  le  département  de  l'Eure  il  n'y  a  qu'un  accident 
sur  3;i.000  chiens,  que  dans  la  Seine  il  y  en  a  un  sur  460  chiens  ;  cela  donne, 
dans  une  certaine  mesure,  une  idée  de  la  répartition  des  cas  de  rage  canine. 


1204  HYGIÈNE   ET   MÉDECINE   PUBLIQUE 


M.  le  D'  CHOPIIET 

Médeciii-majcir   de    ^'^<'   classe,    à   Lérouville  (Meuse). 


DE  L'ÉTIOLOGIE  DU  GOITRE  ET  DU  CRÉTINISME  DANS  LES  PYRENEES  CENTRALES 


—  Séance  du  20  septembre  1892  — 

Lorsqu'on  parcourt  la  bibliographie  du  goitre,  et  du  crétinisme,  il  est 
impossible  de  ne  pas  être  frappé  du  nombre  et  de  l'importance  des  travaux 
qu'a  suscités  l'étude  de  cette  question  dans  les  Alpes  centrales,  et  en 
même  temps  de  la  pénurie  de  documents  scientifiques  analogues  se  rap- 
portant à  la  région  des  Pyrénées.  Et  cependant  les  vallées  pyrénéennes 
sont  loin  d'être  épargnées  par  ces  tristes  infirmités  et  elles  offrent  un 
champ  d'étude  d'autant  plus  intéressant  à  explorer,  à  ce  point  de  vue, 
qu'il  est  presque  vierge.  Aussi  croyons-nous  devoir  faire  connaître  le  fruit 
de  nos  observations,  poursuivies  pendant  près  de  dix  ans,  sur  l'endémie 
du  goitre  et  du  crétinisme  dans  les  Pyrénées  centrales,  et  les  conclusions 
auxquelles  nous  avons  été  conduit  sur  l'étiologie  de  ces  deux  maladies, 
qui  sont  évidemment  l'expression  d'une  cause  commune. 

Pour  étudier  cette  question  si  controversée,  nous  avons  puisé  à  plusieurs 
sources  d'informations  : 

1°  Visite  minutieuse  de  toutes  les  localités  réputées  pour  être  des 
foyers  de  l'endémie; 

2°  Renseignements  fournis  par  les  personnes  les  plus  compétentes  habi- 
tant la  région,  médecins,  instituteurs,  prêtres,  etc.  ; 

3*>  Documents  statistiques  empruntés  aux  archives  des  bureaux  de  re- 
crutement et  faisant  ressortir  le  nombre  des  exemptions  du  service  mili- 
taire actif  prononcées,  de  1850  à  1865  et  de  1873  à  1891. 

En  résumant  ces  diverses  données,  nous  avons  pu  nous  rendre  un 
compte  exact  de  la  situation  actuelle  de  l'endémie  et  déterminer,  en  outre, 
ses  variations  d'intensité  pendant  ces  quarante  dernières  années. 

Nous  ne  reproduirons  pas  ici  les  tableaux  statistiques  qui  résument  les 
résultats  de  nos  investigations  ;  nous  nous  contenterons  de  faire  passer  sous 
vos  yeux  les  deux  cartes  que  nous  avons  dressées  en  vue  de  représenter 
la  distribution  géographique  de  l'endémie  dans  la  région  où  nous  avons 
fait  nos  observations.  Cette  région  correspond  exactement  aux  Pyrénées 


D''  CHOPINET.  —  ÉTIOLOGIK  DU  GOITRE  ET  DC  CRÉTIMSME  DANS  LES  PYRÉNÉES    120o 

centrales  et  comprend  les  onze  cantons  de  l'arrondissement  de  Saint- 
Gaudens,  six  cantons  de  l'arrondissement  de  Muret  et  cinq  du  Saint-Gi- 
ronais;  ses  limites  se  confondent  avec  celles  de  la  subdivision  militaire  de 
Saint-Gaudens  (PI.  VIII). 

La  première  carte  a  été  établie  en  prenant  pour  base,  dans  chaque  can- 
ton, la  proportion  des  goitreux  exemptés  du  service  militaire  actif  pour 
1000  conscrits  examinés.  L'intensité  croissante  des  teintes  est  l'expression 
graphique  de  l'augmentation  du  nombre  des  exemptions.  Dans  la  deuxième 
carte,  nous  avons  représenté  par  des  cercles  noirs  les  localités  où  règne 
l'endémie;  la  largeur  du  cercle  est  en  rapport  avec  le  degré  de  sévérité 
du  mal. 

L'examen  de  ces  deux  cartes  permet  de  constater  tout  d'abord  ([ue  l'en- 
démie présente  son  maximum  dans  les  cantons  montagneux  les  plus  voi- 
sins de  la  ligne  de  faîte  des  Pyrénées.  Elle  va  en  décroissant  régulièrement 
à  mesure  qu'on  se  rapproche  de  la  plaine. 

Le  canton  le  plus  gravement  affecté  est  celui  de  Castillon,  où  la  pro- 
portion des  exemptions  pour  goitre  atteint  40,2  sur  1.000  examinés.  Mais 
il  est  à  remarquer  que  l'endémie  ne  frappe  pas  également  les  cinq  vallées 
dont  ce  canton  est  composé;  quatre  sont  presque  épargnées,  tandis  que 
la  cinquième,  la  Bellongue,  est  cruellement  éprouvée.  Le  village  d'Au- 
dressein,  silué  à  la  partie  la  plus  basse  de  cette  vallée,  au  confluent  de 
deux  rivières,  est  le.  foyer  le  plus  important  de  l'endémie.  Les  com- 
munes qu'on  rencontre  en  amont,  Argein,  Aucazein,  lUartein,  Augirein 
et  Orgibet,  se  signalent  également  par  la  fréquence  du  goitre  et  un  aspect 
tout  spécial  de  la  population  qui  offre  les  signes  d'une  dégénérescence 
manifeste. 

Les  villages  situés  sur  les  flancs  de  la  montagne  ont  beaucoup  moins 
à  souffrir  de  l'endémie  que  les  précédents.  Celle-ci  perd  de  son  intensité 
dans  la  partie  supérieure  de  la  Bellongue;  elle  est  très  bénigne  dans  les 
communes  de  Saint- Lary  et  Portet,  situées  presque  à  l'origine  de  la  vallée. 

Le  canton  de  Saint-Béat  (33,5  exemptés  pour  1.000  examinés)  vient  assez 
loin  dans  l'échelle  de  gravité  de  l'endémie,  après  celui  de  Castillon.  Le 
foyer  principal  était  naguère  la  commune  d'Arlos.  La  plupart  des  habitants 
étaient  affectés  de  goitre  et  presque  aucune  femme  n'échappait  à  cette 
affection.  Les  crétins  étaient  également  fort  nombreux  dans  cette  popu- 
lation profondément  dégradée.  Arlos  était  alors  le  village  le  plus  misérable 
de  toute  la  contrée.  Ses  habitants  vivaient  dans  des  masures  couvertes 
en  chaume,  dépourvues  de  fenêtres  et  de  cheminées.  Une  seule  pièce  ser- 
vait au  logement  de  toute  la  famille  et  abritait  souvent  les  animaux 
domestiques  eux-mêmes.  Les  maisons  étaient  très  humides  et  plusieurs 
parcourues  par  des  ruisseaux.  La  nourriture  était  grossière  et  la  viande 
n'entrait  que  pour  une  part  infime  dans  l'alimentation. 


1206  HYGIÈNE   ET   MÉDECINE   PUBLIQUE 

Telle  était  encore  la  situation  de  cette  malheureuse  population  vers 
1850.  Depuis,  le  tableau  a  bien  changé.  Le  village  d'Arlos  a  eu  la  bonne 
fortune  d'être  détruit  à  plusieurs  reprises  par  de  violents  incendies.  Se- 
courus largement  par  la  charité  publique,  les  habitants  ont  pu  construire 
de  belles  maisons  qui  ont  été  percées  de  nombreuses  fenêtres  et  couvertes 
en  ardoises.  Beaucoup  ont  émigré  vers  l'intérieur  de  la  France,  pour 
exercer  des  professions  pénibles  mais  lucratives,  et  ont  ainsi  réalisé  des 
économies  qui  leur  ont  permis  d'adoucir  le  sort  de  leurs  parents  restés 
au  pays.  Peu  à  peu  une  certaine  aisance  s'est  substituée  à  la  misère 
horrible  qui  régnait  dans  cette  commune  et,  en  même  temps,  on  a  vu  la 
santé  publique  s'améliorer  et  le  goitre  et  le  crétinisme  diminuer  rapide- 
ment de  fréquence. 

Les  communes  de  Fos,  Cierp,  Marignac,  toutes  situées  dans  des  bas- 
fonds  ou  à  proximité  des  cours  d'eau,  étaient  également  très  éprouvées, 
il  y  a  trente  ans  à  peine.  On  y  a  observé  une  atténuation  manifeste  de 
l'endémie  en  même  temps  que  l'aisance  augmentait  dans  toutes  les  classes 
de  la  population  et  que  les  conditions  d'hygiène  s'amélioraient. 

Le  canton  de  Luchon  occupe  le  troisième  rang,  après  Castillon  et  Saint- 
Béat,  avec  27,5  exemptés  pour  goitre  sur  1.000  examinés.  L'endémie 
présente  son  maximum  d'intensité  dans  la  vallée  de  Luchon  et  affecte 
principalement  les  villages  voisins  de  la  rive  droite  de  la  Pique,  Juzet- 
de-Luchon,  Montauban,  Salles  et  Pratviel.  Dans  les  vallées  d'Oueil  et  de 
Larboust,  le  goitre  et  le  crétinisme  ont  toujours  été  rares,  probablement 
en  raison  de  la  situation  élevée  de  la  plupart  des  villages.  On  ne  voit 
plus  guère  aujourd'hui  de  goitreux  que  dans  le  village  d'Oô  construit 
dans  un  bas-fond  à  l'extrémité  inférieure  du  val  d'Astau. 

Le  canton  de  Barbazan  (14,0  exemptés  pour  1.000  examinés)  comptait 
autrefois  un  très  grand  nombre  de  goitreux  et  de  crétins,  surtout  dans 
les  deux  villages  presque  contigus  d'Huos  etPointis-de-Rivière,  situés  dans 
la  belle  plaine  de  Rivière,  sur  la  rive  droite,  très  escarpée,  de  la  Garonne, 
et  dans  la  commune  de  Valcabrère,  qui  s'étend  le  long  de  la  rive  gauche 
de  la  Garonne,  au  pied  de  Saint-Bertrand-de-Comminges.  L'endémie  s'est 
beaucoup  atténuée  dans  tout  le  canton  et  surtout  dans  les  deux  communes 
d'Huos  et  Pointis-de-Rivière,  les  plus  éprouvées.  La  population  de  ces 
villages  s'affranchit  rapidement  des  infirmités  qui  la  rendaient  jadis  triste- 
ment célèbre,  la  santé  rayonne  sur  le  visage  des  enfants  et  des  jeunes  gens 
et  l'on  ne  peut  invoquer  que  les  progrès  de  l'aisance  et  de  l'hygiène 
générale  pour  expliquer  cette  heureuse  transformation. 

Le  canton  de  Saint-Girons  ne  donne  que  13,8  goitreux  exemptés  pour 
1 .000  examinés.  Il  ne  présente  pas  de  foyer  bien  localisé.  La  commune  la 
plus  fortement  atteinte  est  celle  de  Moulis,  située  sur  les  bords  du  Lez  et 
où  l'hygiène  laisse  beaucoup  à  désirer. 


D'"  CHOPINET.  —  ÉTIOLOGIE  DU  GOITRE  ET  DU  CRÉTINISME  DANS  LES  PYRÉNÉES    1207 

Dans  le  canton  de  Saint-Lizier  (13, 7  exemples  pour  1.000  examinés), 
il  existe  un  foyer  très  net  constitué  par  les  trois  villages  de  Bonrepaux, 
Lacavc  et  Labastide,  construits  tous  les  trois  sur  la  rive  droite  du  Salât  et 
où  l'atmosphère  et  le  sol  paraissent  être  constamment  saturés  d'humidité. 
Les  goitres  sont  si  nombreux  à  Bonrepaux,  au  témoignage  de  M.  le  D''  Foch, 
«  que  l'on  a  pu  dire  que  c'était  une  population  de  goitreux.  Les  habi- 
tants de  ce  village  ne  paraissent  pas,  sous  le  rapport  de  l'intelligence,  être 
au  niveau  des  populations  voisines  non  sujettes  au  goitre.  11  en  est  de 
même  des  gens  de  Labastide  et  de  Lacave  qui  ont  une  manière  de  parler 
à  eux,  des  réflexions  naïves  qui  leur  sont  propres,  un  langage  particulier, 
des  idées  enfin  qui  révèlent  une  intelligence  peu  développée.  » 

Bonrepaux,  le  plus  affecté  de  ces  trois  villages,  est  situé  au  pied  d'un 
massif  d'ophite,  lequel  n'est  peut-être  pas  étranger  à  la  gravité  particu- 
lière que  l'endémie  revêt  dans  cette  commune. 

Le  goitre  et  le  crétinisme  sont  exceptionnels  dans  les  communes  de  ce 
canton  qui  sont  éloignées  des  rives  du  Salât.  Dans  le  canton  de  Salies-du- 
Salat,  la  proportion  des  goitreux  exemptés  sur  1.000  examinés  est  de  12,09. 
L'endémie  frappe  particulièrement  les  communes  situées  dans  la  vallée 
du  Salai  et  k  proximité  de  la  rivière,  telles  que  Salies,  Mazères  et  Bo- 
quefort.  Au  contraire,  elle  épargne  complètement  les  villages  situés  sur 
.les  hauteurs,  comme  Montespan,  Touille,  Montsaunès  et  Figarol. 

Le  canton  de  Sainte-Croix  (11, o  exemptés  pour  1.000  examinés)  n'offre 
pas  de  foyers  distincts,  probablement  en  raison  de  ses  conditions  topogra- 
phiques qui  sont  à  peu  près  identiques  pour  toutes  les  communes;  celles-ci 
sont  réparties  à  la  surface  d'un  territoire  très  accidenté,  mais  sans  cours 
d'eau  important,  ni  vallée  large  et  profonde. 

Le  canton  d'Oust  (10,9  exemptés)  ne  présente  qu'un  petit  nombre  de 
communes  gravement  atteintes,  et  notamment  celles  de  Soueix,  Vie  et 
Gouflens  sur  les  bords  du  Salât. 

L'endémie  est,  au  contraire,  bien  localisée  dans  le  canton  d'Aspet 
(8,0  exemptés  pour  1.000);  elle  sévit  particulièrement  à  Soueich,  à  Arbaset 
dans  le  hameau  de  Fontagnères,  section  de  la  commune  d'Aspet.  Ces  trois 
foyers  ont  pour  caractère  commun  une  situation  basse  et  humide  et  l'état 
misérable  de  la  population.  C'est  là,  d'ailleurs,  que  toutes  les  épidémies 
(peste,  choléra...)  ont  fait,  de  temps  immémorial,  le  plus  de  ravages.  Le 
crétinisme  est  plus  fréquenta  Arbas  qu'à  Soueich,  mais  c'est  à  Soueich 
qu'on  rencontre  le  plus  de  goitres;  les  deux  tiers  des  femmes  environ  en 
sont  atteintes. 

Le  canton  de  Saint-Martory  (6,3  exemptés)  ne  présente  plus  aujourd'hui 
qu'un  foyer  éteint.  L'endémie  était  jadis  localisée  presque  exclusivement 
dans  la  portion  du  chef-lieu  de  canton  qui  est  située  sur  la  rive  droite  de 
la  Garonne.  Les  crétins  étaient  nombreux  dans  ce  faubourg,  habité  par 


1208  HYGIÈNE    ET  MÉDECINE   PUBLIQUE 

une  population  ouvrière  qui  a  longtemps  vécu  dans  les  conditions  d'hy- 
giène les  plus  défectueuses. 

Le  canton  de  Saint-Gaudens  (5,4  exemptés)  n'est  éprouvé  par  l'endémie 
que  sur  une  faible  étendue  de  son  territoire  et  principalement  dan?  les 
trois  communes  de  Valentine,  Miramont  et  Pointis-lnard  situées  sur  la 
rive  droite  de  la  Garonne. 

Dans  le  canton  de  Montréjeau  (4,1  exemptés),  le  foyer  principal  de 
l'endémie  correspond  aux  quatre  villages  de  Bordes,  Clarac,  Taillebourg 
et  Ausson,  situés  dans  la  plaine  de  Rivière  immédiatement  sur  la  rive 
gauche  de  la  Garonne,  en  face  des  deux  communes  de  Pointis  et  Huos, 
oii  l'endémie  était  autrefois,  nous  l'avons  vu,  très  sévère.  Ces  six  villages, 
groupés  sur  un  espace  restreint,  au  milieu  de  la  plaine  de  Rivière,  sur 
les  deux  rives  de  la  Garonne,  constituent  un  foyer  qui  a  été  jadis  le  plus 
important  de  l'arrondissement  de  Saint-Gaudens. 

Dans  le  canton  de  Cazères  (2,0  exemptés),  le  crétinisme  a  toujours  été 
rare;  mais  on  comptait  jadis  beaucoup  de  goitres  dans  les  communes 
de  Palaminy,  Mauran,  Bousseus  et  le  Fourc,  qui  sont  toutes  soumises  à 
l'influence  d'une  situation  basse  et  d'une  exposition  humide,  au  voisinage 
de  la  Garonne. 

L'endémie  n'est  plus  guère  qu'un  souvenir  dans  les  cantons  de  Carbonne, 
Boulogne,  Rieux,  Aurignac  et  l'Isle-en-Dodon.  On  y  observait  cependant, 
il  y  a  quelque  trente  ans,  un  certain  nombre  de  petits  foyers,  notamment 
dans  les  quartiers  bas  de  Rieux,  Carbonne  et  l'Isle-en-Dodon. 

L'endémie  est  d'ailleurs  en  décroissance  dans  tous  les  cantons;  ce  fait 
est  attesté  par  tous  les  observateurs  de  la  région  et  nous  l'avons  nous- 
même  constaté  très  nettement.  Il  suflît,  pour  le  mettre  en  évidence,  de 
consulter  les  statistiques  du  recrutement;  celles-ci  démontrent  que,  dans 
toute  la  contrée,  les  exemptions  pour  goitre  et  crétinisme  sont  beaucoup 
moins  nombreuses  qu'autrefois.  C'est  ainsi  que,  dans  les  cantons  de  Cas- 
tillon,  Saint-Béat  et  Saint-Lizier,.la  proportion  des  exemptés  pour  goitre 
sur  1.000  examinés,  qui  était  en  moyenne  de  59,6  —  47,7  —  30,0  pendant 
la  période  18o0-1865,  est  tombée  à  40,2  —  33,5  —  13,7  pour  la  période 
1873-1891.  L'atténuation  du  crétinisme  est  encore  plus  manifeste;  car, 
dans  cette  dernière  période,  le  nombre  absolu  des  crétins  exemptés  a  été 
de  27  seulement. 

Le  tableau  succinct  que  nous  venons  de  présenter  de  la  situation  de 
l'endémie  du  goitre  et  du  crétinisme  dans  les  Pyrénées  centrales  était 
nécessaire  pour  nous  permettre  d^aborder  la  question  que  nous  avons 
principalement  en  vue,  c'est-à-dire  l'étude  de  l'étiologie  de  ces  deux 
maladies.  Il  nous  suffira  de  laisser  parler  les  faits  pour  que  les  conclusions 
s'en  dégagent  d'elles-mêmes.  Si  nous  jetons  les  yeux  sur  la  carte  qui 
indique  la  distribution  géographique  de  l'endémie,  nous  observons  une 


ÉTIOLOGII::  DU  GOITRE  ET  DU  CRÉTIMSMK  DANS  LES  l'YRÉXÉES     1209 

particularité  constante,  c'est  que  tous  les  villages  atteints  sont  situés  dans 
des  bas-fonds,  au  voisinage  immédiat  d'un  cours  d'eau,  ou  au  confluent 
de  deux  rivières,  habités  par  une  population  pauvre  et  vivant  dans  les 
plus  mauvaises  conditions  d'hygiène,  etc.  C'est  dans  ces  milieux  que 
semble  se  plaire  l'endémie  et  il  est  rare  de  la  voir  envahir  les  localités 
éloignées  des  cours  d'eau,  jouissant  d'une  altitude  élevée  sur  les  pentes 
de  la  montagne  ou  au  sommet  des  collines.  Parmi  les  villages  affectés, 
les  plus  éprouvés  sont  ceux  qui  présentent  au  maximum  les  conditions 
d'insalubrité  résultant  de  la  situation  basse,  de  l'humidité  et  de  la  malpro- 
preté des  maisons,  d'une  alimentation  grossière,  etc.. 

Pendant  ces  trente  dernières  années,  l'aisance  a  pénétré  jusque  dans  les 
plus  misérables  de  ces  localités,  les  habitations  ont  été  améliorées,  mieux 
aérées,  mieux  préservées  de  l'humidité,  l'alimentation  est  devenue  plus 
substantielle...  et  en  même  temps,  comme  si  une  baguette  magique  était 
venue  toucher  ces  populations  disgraciées,  on  les  a  vues  se  transformer 
rapidement;  les  anciennes  générations  de  goitreux  plus  ou  moins  dégé- 
nérées ont  fait  place  à  de  nouvelles  couches,  saines  et  vigoureuses,  chez 
lesquelles  on  cherche  en  vain  la  tare  paternelle  et  maternelle.  Et  cette 
transformation  s'est  produite  sans  modification  de  la  constitution  du  sol 
et  de  l'exposition  des  villages,  sans  changement  notable  au  régime  des 
eaux  de  boisson  qui  sont  restées  partout  les  mêmes,  sans  travaux  d'assai- 
nissement ou  de  drainage  dans  les  communes  atteintes...  Que  deviennent, 
en  présence  de  ces  faits,  les  théories  exclusives  qui  ont  été  émises  pour 
expliquer  la  genèse  du  crétin isme  et  du  goitre  endémiques? 

La  seule  qui  mérite  d'être  discutée  est  celle  qui  a  été  proposée  par 
xMac-Clelland,  Grange,  Saint-Lager  et  Garrigou.  Elle  fait  jouer  le  rôle 
principal  à  la  constitution  géologique  du  sol  qui  agirait  sur  les  popula- 
tions par  l'intermédiaire  de  l'eau  issue  de  terrains  spécifiés. 

C'est  ainsi  que,  d'après  les  recherches  de  Saint-Lager  et  de  Longuel. 
dans  le  département  de  l'Isère,  l'endémie  goitreuse  est  très  exactement 
cantonnée  aux  formations  de  molasse  miocène,  de  lias  schisteux  et  acces- 
soirement du  keuper  liasiijue  et  des  marnes  néocomiennes  inférieures.  Il 
en  est  de  même  dans  la  Haute-Savoie  où  le  trias  jjaraît  jouer,  en  outre, 
un  rôle  important  comme  cause  du  goitie. 

Il  est  donc  nécessaire  d'examiner  les  relations  qui  peuvent  exister,  dans 
les  Pyrénées  centrales,  entre  la  distribution  géographique  de  l'endémie  et 
la  structure  géologique  du  sol.  Cette  question  présente  un  intérêt  d'autant 
plus  marqué  que  nous  trouvons  ici  quelques-uns  des  terrains  dont  la 
nocuité  serait  le  plus  manifeste,  à  savoir  :  le  lias  schisteux  dans  lequel  est 
creusée  la  vallée  de  la  Bellongue,  les  calcaires  dolomitiques  qui  occupent 
la  partie  supérieure  de  cette  vallée,  l'ophite  qui  forme  un  îlot  éruptif  à 
Bonrepaux  et  un  autre  à  Salies.  le  trias  enfin  qui  règne  à  Salies. 


l'aie  HYGIÈNE    ET    MÉDECINE    PUBLIQUE 

La  prédominance  toute  particulière  de  l'endémie  dans  la  Bellongue  con- 
firme certainement  l'opinion  qui  attribue  aux  schistes  liasiques  une  action 
goitrigène  ;  elle  vient  à  l'appui  de  la  loi  posée  par  Grange  et  qu'il  avait 
ainsi  formulée  :  «  L'intensité  maximum  du  goitre  et  du  crétinisme  s'observe 
toujours  au-dessous  des  grandes  formations  dolomitiques.  » 

La  gravité  de  l'endémie  à  Bonrepaux  et  autrefois  à  Salies-du-Salat 
fournit  également  une  nouvelle  preuve  aux  auteurs  qui  ont  accusé  le  trias 
et  l'ophite  de  produire  le  goitre.  Mais  si  l'on  poursuit  cette  enquête  dans 
les  autres  cantons,  on  rencontre  à  chaque  pas  des  faits  peu  favorables  à 
la  doctrine  hydro-tell urique,  ou  qui  la  mettent  en  défaut.  C'est  ainsi  que, 
à  Saint-Martory,  on  ne  peut  invoquer  la  structure  géologique  du  sol 
comme  une  des  causes  de  l'endémie  qui  éprouvait  jadis  un  des  quartiers 
de  la  ville.  Cette  commune  repose,  en  effet,  sur  des  alluvions  modernes. 
Or,  ces  alluvions  sont  ici  formées  par  des  débris  de  roches  granitiques  ou 
de  terrains  de  transition.  Ces  terrains  ont  été  jusqu'à  ce  jour  considérés 
comme  parfaitement  salubres  et  nous  ne  connaissons  qu'un  seul  auteur, 
Kratter,  qui  ait  attribué  une  influence  goitrigène  aux  terrains  granitiques. 
Ces  mêmes  alluvions  régnent  dans  les  communes  de  Pointis-Inard,  Les- 
piteau,  Miramont,  Pointis-de-Rivière,  Huos,  Clarac,  Bordes,  Ausson, 
Taillebourg,  Valcabrère,  toutes  localités  célèbres  dans  les  annales  du 
goitre  et  du  crétinisme.  Sur  ces  mêmes  terrains  sont  construits  les  vil- 
lages de  Boussens,  Roquefort,  Mazères,  Labastide,  etc.,  qui  ont  été  autre- 
fois des  foyers  de  l'endémie. 

Si  l'on  pénètre  dans  les  cantons  montagneux  de  la  Haute-Garonne  pour 
soumettre  au  contrôle  des  faits  la  valeur  de  la  doctrine  hydro-tellurique, 
on  voit  que,  dans  le  canton  de  Luchon,  le  foyer  le  plus  important,  com- 
prenant les  communes  de  Saint-Mamet,  Montaubsn,  Juzet,  Salles  et  Prat- 
viel,  s'étend  sur  les  terrains  de  transition,  cambrien  et  silurien,  qui  n'ont 
jamais  été  tenus  pour  suspects.  Dans  le  canton  de  Saint-Béat,  la  commune 
d'Arlos,  qui  fut  longtemps  le  foyer  principal,  appartient  au  terrain  cam- 
brien. 

Dans  le  canton  d'Aspet,  les  deux  foyers  d'Arbas  et  de  Soueich  reposent, 
le  premier  sur  le  terrain  quaternaire,  le  second  sur  le  jurassique. 

En  résumé,  si  nous  rapprochons  ces  faits  de  ceux  qui  ont  été  observés 
par  Auzouy  dans  les  vallées  d'Aspe  et  dOssau  (1)  nous  voyons  que,  dans 
les  Pyrénées  centrales,  l'endémie  forme  des  foyers  sur  les  terrains  de 
transition,  dévonien,  silurien,  cambrien,  sur  le  lias  schisteux,  sur  le  juras- 
sique, à  la  base  des  formations  dolomitiques  et  des  gisements  dophite,  et 
qu'elle  sévit  avec  le  plus  de  rigueur  sur  les  alluvions  modernes  ou  terrains 
quaternaires.  Devons-nous  en  tirer  la  conclusion  que  tous  ces  terrains  sont 

(1)   Arzouv,  Du  goitre  el  du  crétinisme  dans  les  vallées  d'Aspe  et  d'Ossau.  Congrès  de  Pau,  1873. 


D''  r.HOPINET.  —  KTIOLOGIE  DU  GOITRE  ET  DU  CRÉTLMSME  DANS  LES  PYRÉNÉES    1211 

goitrigènes  et  que  les  derniers  sont  les  plus  dangereux?  Mais  avant  de 
l'adopter,  il  faudrait  expliquer  pourquoi  l'endémie  épargne  la  plupart  des 
communes  comprises  dans  la  sphère  des  terrains  que  nous  venons  d'énu- 
mérer  et  frappe  seulement  celles  de  ces  localités  qui  sont  situées  au  voi- 
sinage des  cours  d'eau.  Pour  citer  un  exemple,  n'est-il  pas  évident  que, 
dans  la  plaine  de  Rivière,  constituée  entièrement  par  les  matériaux  de 
comblement  des  vallées,  c'est-à-dire  par  le  terrain  ([uaternaire,  le  goitre 
et  le  crétinisme  devraient  régner  également  dans  tous  les  villages  de  ce 
magnifique  bassin,  s'il  existait  entre  l'endémie  et  la  structure  géologique 
du  sol  un  lien  aussi  étroit  que  l'affirment  les  partisans  de  la  doctrine 
hydro-tellurique?  Or,  nous  avons  vu  que  les  seuls  villages  éprouvés  sont 
ceux  qui  occupent  les  rives  de  la  Garonne  et  dans  lesquels  les  lois  de 
l'hygiène  sont  le  plus  méconnues.  Cette  répartition  singulière  des  sévices 
de  l'endémie  est  donc  bien  indépendante  de  la  nature  du  terrain  et  il  est 
nécessaire  d'invoquer  d'autres  causes  pour  établir  une  étiologie  rationnelle 
et  conforme  à  la  réalité. 

Nous  sommes  ainsi  amené  à  examiner  la  doctrine  des  causes  multiples 
qui  attribue  la  genèse  du  goitre  et  du  crétinisme  à  des  influences  diverses, 
telles  que  :  l'air  humide  et  vicié,  la  situation  défectueuse  du  pays,  la 
malpropreté  des  maisons,  le  défaut  d'aération  et  de  lumière  solaire,  la 
mauvaise  qualité  des  eaux,  1  insuffisance  de  l'alimentation,  etc.. 

Cette  doctrine,  nous  l'avons  déjà  laissé  entrevoir,  est  celle  à  laquelle 
nous  nous  rallions.  Le  concours  de  plusieurs  conditions  nous  paraît  indis- 
pensable pour  provoquer  la  manifestation  de  l'endémie.  Parmi  les  plus 
puissantes,  nous  devons  citer  l'humidité  des  maisons  et  la  mauvaise 
hvsiène.  Si  à  ces  causes  d'insalubrité  vient  s'ajouter  l'action  tellurique, 

t.  O 

la  population  est  vouée  presque  fatalement  au  goitre  et  au  crétinisme. 
'  L'influence  du  sol  joue  un  rôle  important  dans  certaines  localités 
que  leur  belle  situation  sur  un  plateau  bien  ensoleillé  met  à  l'abri  de 
l'humidité,  par  exemple  Buzan  dans  la  Bellongue;  mais  ici  nous  retrou- 
vons comme  facteur  essentiel  une  misère  profonde  ayant  pour  conséquence 
une  hygiène  déplorable. 

Si  la  doctrine  des  causes  multiples  est  fondée,  nous  devons  constater 
une  atténuation  de  l'endémie,  partout  où  l'aisance  de  la  population  a 
augmenté  et  où,  par  suite,  l'hygiène  s'est  améliorée. 

C'est  en  efl"et  ce  qu'on  observe  d'une  manière  absolue,  dans  toute  la 
région  des  Pyrénées  centrales,  même  sur  les  terrains  nettement  goitri- 
gènes.  Dans  beaucoup  de  localités,  l'endémie  a  disparu,  sans  qu'il  soit 
possible  d'attribuer  cet  heureux  résultat  à  autre  chose  qu'aux  progrès  du 
bien-être  et  de  l'hygiène  générale. 

C'est  donc  par  l'hygiène  qu'on  doit  combattre  l'endémie,  en  faisant 
comprendre  aux  populations  l'importance  d'une  eau  de  boisson  parfaite- 


1212  HYGIÈNE  ET   MÉDECINE   PUBLIQUE 

ment  pure,  d'une  habitation  proprement  tenue,  bien  éclairée,  bien  aérée, 
pourvue  d'une  cave  et  d'une  bonne  cheminée,  suffisamment  éloignée  de 
l'étable,  de  la  porcherie  et  du  dépôt  de  fumier.  La  réalisation  de  ce  pro- 
gramme n'entraînerait  cerlainemenl  pas  de  bien  grosses  dépenses  et,  on 
peut  l'affirmer,  serait  bientôt  suivie  d'une  amélioration  très  sensible  de  la 
santé  publique  et  d'une  extinction  plus  ou  moins  rapide  de  l'endémie 
crétino-goitreuse. 

Nous  terminerons  par  les  conclusions  suivantes  qui  résument  les  ré- 
sultats de  nos  observations  : 

1°  Dans  les  Pyrénées  centrales,  le  goitre  et  le  crétinisme  s'observent 
presque  exclusivement  dans  les  localités  situées  au  fond  des  vallées,  au 
voisinage  des  ruisseaux. 

2°  L'intensité  de  l'endémie  va  en  croissant  depuis  l'origine  des  vallées 
jusqu'aux  derniers  contreforts  nie  la  chaîne;  elle  atteint  son  maximum 
dans  les  bassins  ou  les  portions  les  plus  larges  des  vallées.  Elle  décroît 
graduellement  à  mesure  que  le  cours  d'eau  s'éloigne  de  la  région  monta- 
gneuse. 

3°  L'endémie  s'atténue  dans  toute  la  contrée  et  elle  a  disparu  de  plu- 
sieurs localités  jadis  très  affectées.  Ce  mouvement  de  recul  d'un  mal 
séculaire  ne  peut  être  attribué  à  des  changements  apportés  dans  la  na- 
ture des  eaux  de  boisson.  Il  est  évidemment  la  conséquence  des  progrès 
de  l'aisance  et  de  l'hygiène  générale  dans  les  populations  autrefois 
atteintes. 

4°  La  constitution  géologique  du  sol  n'exerce,  en  général,  aucune  in- 
fluence sur  la  genèse  du  goitre  et  du  crétinisme.  Le  seul  terrain  dont  l'ac- 
tion nocive  ne  peut  être  contestée  est  le  lias  schisteux;  au  contraire,  le 
pouvoir  goitrigène  des  terrains  magnésiens,  ophitiques  et  triasiques  est 
très  contestable. 

5°  Les  causes  du  goitre  et  du  crétinisme,  dans  les  Pyrénées  centrales, 
sont  nombreuses.  Les  principales  sont  l'humidité  et  la  malpropreté  de& 
maisons,  le  défaut  d'aération  et  de  lumière  solaire,  la  mauvaise  alimen- 
tation, etc.. 

6'^  La  doctrine  des  causes  multiples  est  la  seule  qui,  dans  les  Pyrénées, 
ne  soit  pas  démentie  par  les  faits,  la  seule  qui  en  donne  une  explicatioi* 
rationnelle. 


ERKA  TA 


Pages.  Lignes.  .1"  lieu  de  :  lire  : 

9  8 au  petit  axe au  grand  axe. 

12  32 GX GY. 

13  20 (3n  +  l)ljr"-'a?-  .    .    .     (3v  +  l)!/""' +. 

14  21 GX GY. 

138  23 H  — l)et(n  +  l) (n  —  1)  et  (n  +  2). 

139  19 36.16 36.46. 

139  25 35.43 35.48. 

141  itig.  6.    4 60 6. 

lil.  6 b' a'. 

Id.  7 C b'. 

Id.  8 d' c'. 

142  31 4  3  8  I  13  12  17  I  4  3  8  .    .     4  3  8  |  13  12  17  |  22  21  26. 

146  11  (en  marge) .    .  23 123. 

315  Fig.  5 Les  lettres  C,  E',  M',  N',  D',  K',  L',  P' se  trouvent  répé- 

tées deux  fois;  elles  ne  devraient  figurer  qu'aux  som- 
mets situés  sur  les  lignes  O'B',  O'A'. 

786  17 Paris Para. 


Compte  rendu  du  Congrès  de  Pau,  i''  partie,  pages  243  et  244.  Par  suite' d'une  erreur 
de  mise  en  pages,  il  y  a  eu  interversion  dans  la  discussion  entre  les  observations  présen- 
tées par  M.  Magitot  et  celles  présentées  par  M.  J.  Lajard;  c'est  31.  Lajard  qui  a  pris  la 
parole  immédiatement  après  la  communication  de  M.  Abel  Bouchard  (de  Bordeaux). 


TABLE  ANALYTIQUE 


Dans  cette  table,  les  nombres  qui  sont  placés  après  la  lettre  p.  se  rapportent 
aux  pages  de  la  première  partie,  ceux  placés  après  l'astérisque  *  se  rapportent 
à  celles  de  la  deuxième  partie. 


Accouchvment  provoqué,  p.  275. 

Acide  propantijlique,  p.  189. 

jjhosphori(jue  dans  le  sol  des  Basses- 
Pyrénées,  p.  326. 

Acides  bromacritiqucs  stéréochimiques , 
p.  181. 

Acter  (Industrie  de  l'i,  p.  112. 

«  Act   Torrens  »,  ses  applications,  p.  352, 

*  1047. 

Acuité  visuelle,  p.  295. 
A/feclions  des  voies  respiratoires   (Traite- 
ment), p.  309. 
A/finités  de   la  langue   basque,    p.    238, 

*  573. 

Afrique  australe  (Diamants  de  1'),  p.  5. 
Age  de  la  pierre  en  Egypte,  p.  267. 

du  Renne,  pp.  248,  266,  *649. 

Aylot  (.\ppareU  de  dosage),  p.  187. 
Ayronoinie,  p.  320,  *  784. 
Air  chaud  cri'osoti'  (Insulllateur  à),  p.  283. 
comprimé  (Fondations  à),    p.    168, 

*  214. 

.lires    coniques    (Évaluation  des;,  p.  156, 

*  166. 

Alcool  nuHhylique.  p.   182. 

Alexis   Perrey   <  Listes  seismiques   de  M.), 

p.  204. 
Algèbre  modei-ne  (Son  inventeur),  |).   154, 

*  17. 

— ^  de  Mète,  p.  157,  *  177. 

Algérie  (Applications  de  IV  Act  Torrens  »), 

p.  352,  *  1047. 
Alglave.  —  Discussion  sur  la  journée  de 

huit  lieures,  p.  348. 
Discussion  sur  la  réforme  du  cadastre, 

p.  353. 


AlglaTc.  —  Discussion  sur  l'acquisition 
de  la  propriété,  p.  356. 

Discussion  sur  un  vœu  au  sujet   de 

l'émigration,  p.  360. 
Almaden  iSes  mines),  p.  184,  *  261. 
Alpes  (Flore  desi,  p.  214,  *  391). 
Alpes-Maritimes  (.Tuiuuli  de  Saint-Césaire), 

p   264. 
.4/?</«îne  (Séparation  du  fer  et  de  F),  p.  18!:». 
Amazone    (Exploitation    du    caoutchouc), 

p.  321,  *  784. 
Aniblynpie   d'origine  syphilitique,    p.   306, 

*  757. 
Amendernents,  p.  227,  *  507. 
American  istes  tCongrès  desi,  p.  358. 
Amet  (É.).  —  Verres  de  contact,  pp.  171, 

299. 

Calcul  des  objectifs,  p.  174. 

Amétropies  de  l'œil,  p.  295. 
Amnésie  rétrograde,  [>.  313. 
Amortissement  pour   faciliter   l'acquisition 

de  la  propriété,  p.  354. 
Amortisseur  cinématique,  p.  ICO. 
Amulettes,  p.  263,  *  619. 
Analyse  chimique   des   ossements,   p.  208, 

*  377. 
organographique     et    anatomi(|ue, 

p.  221,  *  470. 

de  l'essence  de  santal,  p.  221,  *  476. 

médicale  des  urines,  p.  318. 


—  . — ,   ^. .  „^, 

Anamorphose  mécanii|ue,  p.   160. 

Anatomie,  p.  225,  *  488. 

Andalousie  ^Culture  des  dunes),    p.    327, 

*  792. 
Aiidral.  —  Discussion  sur  l'auscultation 

du  cœur,  p.  294. 


1216 


TABLE    ANALYTIQUE 


Anémone  indigène,  p.  328. 

Aneslhésie  pharyngienne  et  êpiglotti(iue, 
p.  305. 

Anévrismes  de  l'aorte,  p.  293,  *  747. 

Aur/iàmes  (  l'>lectrolyse  des),  p.  288. 

Augot  (A.).  —  Photographie  des  nuages, 
p.  193,  *  284. 

Anhydride  camphorique,  p.  187. 

Anomalies  dentaires,  p.  314,  *  770. 

Anomoures,  p.  227,  2  ^03. 

Anthoine.  —  Discussion  sur  le  dénom- 
brement des  Français  à  l'étranger,  p.  357. 

Anthropologie,  p.  236,  *  555. 

criminelle,  p.  249. 

de  la  France,  p.  267. 

(Sa    place  dans    les    connaissances 


huTuaines),  p.  362,  *  1073. 
Aorte  (Anévrismes  de  F),  p.  293,  *  747. 

(Valvules  sigmoïdes),  p.  316. 

Apophyse  post  auditive   des  Chéiroptères, 

p.  229. 
Appareil  pour  décrire  la  droite,  p.  160. 

de  sûreté,  p.  162. 

Appareils  à  roulettes,  p.  157. 
Appendicite  (Cas  d'),  p.  301. 

Arbitrage  en  matière  industrielle,  ]),  363. 
Ardennes  (Tumulus  des),  p.  262,  *  617. 
Argelès-Gazost  (Excursion  à),  p.  505. 

(Son  climat  médical),  p.  309,  £  ''53. 

Arièqe  (Civilisations  de  la  rive  gauche  de 

l'Àrize),  p.  266,  *  649. 
Aris. —  Fracture  du  pariétal  droit,  p.  311, 

*  764. 

Plaie  par  balle  de  revolver,  p.  289. 

Arithmétique  (Suppression  de  la  division), 

p.  158,  *  182. 
Arize  (Assises  sur  la   rive   gauche  de   V), 

p.  205. 
(Civilisations  de  la  rive  gauche  de  F), 

p.  266,  *  649. 
Armagnac  (Préhistorique  de  l"i,  p.  263. 
Arniaingaud.  —  Discussion  sur  la  mé- 
dication saline,  p.  273. 
Arnault  (J.).  —  État  civil  des  personnes 

et  des  propriétés,  p.  352,  *  1039. 
Ariiozan.  —  Xévrome  plexiforme,  p.  291, 

*738. 
Arsenal  (Comptabilité  d'un),  p.  364,  *  1109. 
Art  de  l'Ingénieur,  p.  134. 

des    constructions    .  géométriques  , 


155,  *  36. 
didactique,  p. 


367. 


Artère  carotide  des  ruminants,  p.  228. 
Artères    vertébrales    (.Ligature),     p.    277, 

*  698. 
Asie  (Plateau  central),  p.  39. 

antérieure,  pp.  72,  79. 

centrale   (Fabrication    des   briques), 

p.  188,  *  267.  " 
(Levés    topographiques    eni, 

p.  341,*  984. 
Assainissement  de  Paris,  p.  382,  *  1177. 


Assemblée  générale,  p.  115. 

Association  française  en  1891-1892,  p.  142. 

(Ses  hnances),  p.  148. 

Astronomie,  p.  153,  *  1. 

Atlantique- Xord    (.Coloration    des    eaux), 

p.  198,  z  326. 
Audollent.  —  Traitement  par  les  eaux 

de  Cauterets,  p.  281. 
Audoyuaud.  —    Discussion    sur  le  rôle 

de  l'iiumus  dans  la  végétation,  p.  325. 
Répartition  de  l'acide  phosphorique 

dans  le  sol  des  Basses-Pyrénées,  p.  326. 
Auscultation  du  cœur  chez  l'enfant,  p.  293. 
Aveyron  (,\  travers  F),  p.  332. 
Azonlay. —  Auscultation  du  cœur,  p.  293. 

Étiologie  de  la  lèpre,  p.  307. 

Bactéridie  charbonneuse,  p.  296. 
Baqnères-de-Bigorre  (Observations),  p.  194, 

*  290. 

(Sanatorium),  p.  195,  *  291. 

Bagnères-de-Luchon  (Musée    de),    p.   212, 

*  390. 

Buigorry  (Basques  de),  p.  242,  *  597. 

Balandreau.  —  Droit  de  fabriquer  un 
pain  diiTérent  du  pain  taxé,  p.  350. 

Balnéation  chez  les  enfants,  p.  269. 

Bangkok  (De  Hanoi  à),  p.  331,  *  843. 

Barbier  (J.-V.)  —  L'Indo-Chine  il  y  a 
cinquante  ans,  p.  331,  *  834. 

Baromètre  enregistreur,  p.  196,  *  317. 

/Jases  insolubles  (  Déplacements  réci- 
proques), p.  185. 

Basques  de  Baïgorry,  p.  242,  *  597. 

(Démographie  des),  p.  242,  *  597. 

liasses-Alpes  (Cicindélides),  p.  232,  *  547. 

Bassin  commercial   de    la   Seine,    p.  342, 

*  997. 

Bassins  lactislres  pyrénéens,  p.  228,  *  516. 
Bayssellauce.  —  Discussion  sur  les  lacs 

des  Pyrénées,  p.  337. 
Beaucaire  port  de  mer,  p.  365. 


Beauregai'd. 


Artère  carotide  interne 


des  ruminants,  p.  228. 

Canal   curotidien   des  Chéiroptères, 

p.  229. 
Apophyse    post- auditive   des  Chéi- 
roptères et  des  ruminants,  p.  229. 

Discussion  sur  le  ténia  noir,  p.  229. 

Bedous  (Chemin  de  fer  de),  pp.  162,  163. 
Bedout  (L.j.  —  Compteur  densi-volumé- 

trique,  1».  183,  *  257. 
Bellet  (D.).  —  Progrès  de  la  vapeur  en 

France,  p.  361,  *  1064. 
Belloc  (É.i.  —  Lacs  pyrénéens,  p.  206, 
1  358. 

Discussion     sur    les    champignons , 

p.  215. 

Végétation    des  lacs   des   Pyrénées, 

p.  216,  *  412. 

Bassins   lacustres  pour   la  piscicul- 

ture, p.  228,  *  516. 
■  Montagne  de  FEspiaup,  p.  247. 


TABLE    ANALYTIQUE 


Belloe   ^É.).  —  Géograpliie  des  lacs  des 

l'vrénées,  p.  336. 
Bcnoist  (  F.  ) ,    Coastructeur    de   nouA  eaux 

verres  de  contact,  p.  299. 
Berg^eon.    —  Traitement    des    affections 

des  voies  respiratoires,  p.  309. 
Berg'onié.  —   Électrolvse    des  angiomes. 

p.  288. 
Discussion  sur  l'auscultation  du  cfrur, 

p.  294. 

Discussion  sur  un  optomètre,  p.  295. 

Rhéostat  continu,  p.  299. 

Berne  (^Congrès  et  conférences  de  la  paix). 


W, 


1026. 


p.  169, 
p.   Wt, 


Bernis   (P.).    —    Raccordement   parabo- 

li.iue,  p.  168,  *  212. 
Fondations  à  air  comprimé, 

*  214. 
Berreus.  —  Mines  d'Almaden, 

*  261. 
Berthiot    (L.).  Constructeur  de  verres  de 

contact,  p.  299. 
Biarritz  (Météorologie  médicale  de),  p.  289, 

-.  728.  ' 
Bier«'n8  de  Haan.    —  Correspondance 

de  Huygens,  p.  1.^6,  *  159. 
Biôtrix.  —  Matière  vivante  à  la  surface 

de  la  mer,  p.  232,  *  543. 
Bigot  (.\.).  — Trigoniosjurassiiiues,p.  213, 

^:392. 
Bilhères  (Knceintes  de  blocs  de),  p.  248. 
Biographie  de  Viéte,  p.  154,  *  17. 
Biraben.  —  L'électricité   appliquée  aux 

chemins  de  fer,  p.  162. 
Chemin  de  fer  de  Bedous,  p.  162. 

Souterrain  de  Sumport,  p.  162. 

Bize.  —  Discussion  sur  les  courants  ma- 
rins, p.  168. 

Blanc  (Éd.i.  —  Plateau  central  de  l'Asie, 

p.  39. 
Fabrication  des  briques,  p.  188,  *267. 

Levés  topographiques  en  montagnes, 

p.  341,  *984. 

Bladé  (J.-F.).  —  Les  Ibères,  p.  237. 
Bloch  IX.).  —  Pathogénie  des  anomalies 

dentaires,  p.  314,  ±  770. 
Blocs  erratiques  de  l'Espiaup,  p.  247. 
Boé.  —  .\mblyopie  d'origine  syphilitique, 

p.  306,  *  757. 
Boinet   (K.i.  —  Cirrhose  atrophique   du 

foie,  p.  317. 
Bois  secondaire,  p.  219,  *  456. 
Bolomètre,  p.  178. 

Bonaparte  iP"  R.).  —  Variations  pério- 
diques des  glaciers,  pp.  206,  330. 
Bonniei-  (G.).  —  Flores  des  Pyrénées  et 

des  Alpes,  p.  214,  *  396. 
Bordage  (Ê.  .  —  Myologie  des  crustacés 

décapodes,  p.  227,  fsOS. 
Bordeaux  (Épidémie  de  variole  h\  pp.  278, 

381. 
Bore  'Fluorure  de),  p.   182. 


1217 

-Tombe à  char, 


Bosfeaiiv-Paris  (Cii. 
p.  249,  2  6i;{. 

Tuiiiulus    de   Cauroy-les-MachauIt, 

p.  262,  *  617. 

Botanique,  p.  214,  *  .396. 
Bouchard  (A.  .—Discussion  sur  le  peuple 
basque,  p.  237. 

Discussion  sur  le  pays  basque,  p.  241. 

Sur  les  Cagots,  p.  243. 

Discussion  sur  les  squelettes  de  Men- 


ton, p.  247. 
Bouchard  ((].).—  Deux  cas  de  mixœdème, 

p.  292. 
Boudin.  —    Enseignements  classique   et 

moderne,  p.  368. 

Dernières  réformes  de  l'Université, 

p.  .371. 

Discussion     sur   l'enseignement    de 

l'histoire,  p.  372. 

Discussion  sur  Tliypnotisme  en  pé- 
dagogie, p.  374. 

Bourquelot.  —  Production  de  la  tréha- 
lose,  p.  180. 

La  Volémite,  p.  183. 

Tréhalose    dans    les    champignons, 

p.  217. 

Empoisonnement  par  les  champignons, 

.   pp.  223,  387. 

Bourses  de  session,  p.  129. 

Boutan  (L.).  —  Discussion  sur  les  bas- 
sins lacustres,  p.  228. 

Développement  de  l'Haliotide,  p.  229, 

*  522. 

Bouvet.  —  Discussion  sur  les  progrès  de 
la  vapeur,  p.  362. 

Bozouls  iTrou  de),  p.  332. 

Brachystémones,  p.  220,  *  460. 

Brassempoity  (Excursion  à),  pp.  208,  250. 

(Grotte  du  Pape  à),  pp.  254,  257. 

Breil.  —  Discussion  sur  les  plantes  four- 
ragères, p.  326. 

Discussion  sur   la   fertilité   du    sol, 

p.  328. 
Brevets  d' invention ,  p.  351,  *  1031. 
Briques  (Fabrication  des),  p.~188,  *  267. 
Broaage  (La  ville  moi-te),  p.  338,  *  940. 
Bureau  de  l'Association,  p.  120. 

des  1"^^  et  2°  sections,  p.  153. 

des  3"  et  4"  sections,  p.  162. 

de  la  5'  section,  p.  171. 

—     6«  section,  p.  180. 

—     7=  section,  p.  191. 

—     8'  section,  p.  204. 

-  •     —     9"  section,  p.  214. 

—  10°  section,  p.  225. 

—  11»  section,  p.  236. 

—   11'  section,  p.  269. 

_   13.^  seclion,  p.  320. 

—  14«  section,  p.  329. 

—  15°  section,  p.  345. 

—   16"  section,  p.  367. 

—  17'  section,  p.  376. 

77* 


1218 


TABLE    ANALYTIQUE 


Buzy  (Dolmen  dei,  p.  248. 
Cabadé.  —   Discussion   sur    la    phtisie, 
p.  273. 

Discussion  sur  la  variole,  p.  281 . 

Suffusion   sanguine  dans  Tépilepsie, 

p.  305. 

Discussion  sur  l'amnésie  rétrograde, 

p.  314. 

Cadastre  (Réfection  du),  p.  332,  *  862. 

(Réforme  du),  p.  353. 

Cagots  des  Pyrénées,  pp.  243,  266,  *  639. 
Caisses  d'épargne  françaises,  p.  346,  *  1007. 
Calcul  chronologique  et  géographique,  p.  339, 

*  956. 

Calderou.  —  Falsification  des  vins, 
p.  186. 

Étude  des  ptomaïnes,  p.  186. 

■  Liquides  pathologiques,  p.  189. 

Analyse  médicale  des  urines,  p.  318. 

Composition  de  liquides  patholo- 
giques, p.  319. 

Calice  ou  périanthe  simple,  p.  222,  *  479. 
Campaqna-de-Sault  i  Primaire  de),  p.  210, 

*  388. 

Canada  écotwmicjue,  p.  342. 

Canal  carotidien  des  Chéiroptères,  p.  229. 

Caoutchouc  (Exploitation  dui,  p.  321,  *  784. 

Caprines  du  crétacé  des  Pyrénées,  p.  211. 

Caraveii-Cachiii  (A.).  —  Plantes  nou- 
velles du  Tarn,  p.  219.  *  453. 

Carbonate  de  gaïacol  et  carbonate  de 
créosote  dans  la  phtisie,  p.  296'. 

Cardesse  (Le  Liodon  de'i,  p.  231. 

Carotides  primitives  (Ligature  des  deuxi, 
p.  277,  *  698. 

Carrés  magiques  de  8  et  de  9,  p.  155,  *  136. 

(Historique),  p.  158. 

Carfailhac  (É.).    —   Discussion    sur    le 

pays  hasque,  p.  241. 

Discussion  sur  les  squelettes  de  Men- 


ton, p.  246. 
Les  enceintes  de   blocs   à   Bilhères, 


p.  248. 
Age  de  la  pierre  en  Egypte,  p.  267. 

Vertèbre  lombaire   percée   par   une 

flèche  de  silex.  ]>.  310. 

A  travers  l'Aveyron,  p.  332. 

Carte  antipodale,  p.  204. 

des  silex  moustériens  de  Salies,  p.  249. 

■  du    grand-duché   de    Luxembourg, 

p.  333. 
Cauroy-les-Machault  (Tumulus  de),  p.  262, 

*  617. 
Cauterets   (Traitement   par    les   eaux  dei, 

p.  281. 

(Excursion  à),  p.  505. 

Cautérisation  ponctuée,  p.  276,  *  692. 
Casalonga  (D.-A.).  —  Locomotive  Francq 

et  Ménard,  p.  163. 

Discussion  sur  l'augmentation  de  la 

puissance  des  locomotives,  p.  166. 

Thermodynamique,  p.  172. 


C'asaloiïg-a  (D.-A.).  —  Brevets  d'invention, 

p.  351,  *  1031. 
Cassaiio  i  P"  dej.  —  Adoption  d'une  heure 

unique,  pp.  335,  358,  *  1051. 

Discussion   sur   la  journée  de   huit 

heures,  p.  348. 

Discussion  sur  le  dénombrement  des 

Français  à  l'étranger,  p.  357. 

Castonnet  des  Fosses.  — Question  du 
Soudan,  p.  343. 

Catillon.  —  Discussion  sur  la  phtisie, 
p.  274. 

Cavalier  aux  échecs,  p.  156. 

Cavités  dans  la  masse  des  glaciers,  p.  208. 

Cazaux  iD"'  M.).  —  Climat  des  Eaux- 
Bonnes,  p.  197. 

Discussion  sur  la  médication  saline, 

p.  272. 

Indications  thérapeutiques  des  Eaux- 
Bonnes  et  des  Eaux-Chaudes,  p.  295. 
Cépages  américains,  p.  323. 

de  Jurançon,  p.  322. 

Céphalées  (Traitement  des),   p.  285,  *  718. 
Ceratonia  siliqua  L.,  p.  220,  *  460. 
Certes.  —  Vitalité  des  germes,  p.  225. 

Proposition  de  vœu,  p.  322. 

Cerveau  de  C Hélix  usperu,  p.  234. 

d'un  Tahitien,  p.  265,  *  629. 

Cézérac.  —  Nouveau  stéthoscope,  p.  297. 
Chaleur  agent  de  désinfection,  p.  391. 
Chalot  (V.i.  —  Traitement  de  Tépilepsie 

essentielle,  p.  277,  *  698. 
Raccoui'cisiement  des  ligaments  ronds 

de  l'utérus,  p.  282. 
Chalut  (Pèche  au),  p.  226.  t  494. 
Champignon   (Matière  sucrée  dui,  p.  183. 

de  couche,  p.  214,  *  406. 

Champignons  (Trélialose  dans  lesi,  p.  217. 

Empoisonnement  par  les),  pp. 223,387. 

Chaper.  —  Les  mines  de  diamant,  p.  5. 
Char  (Tombe  à),  p.  249,  *  613. 
Charaiicey  (de).  —  Afîinités  de  la  langue 

.  basque,  p.  238,  *  573. 
Charente  (Démographie  de  la),  p.  266. 

lÉtude   de    la   population),    p.   267, 

*  654. 

— —  Inférieure  (Tumulus  de  laj,  p.  262. 
Charles  (Son  mémoire),  p.  352. 
Chauinier.   —  Discussion  sur  le  sanato- 
rium de  Dax,  p.  270. 
Traitement  de  la  phtisie,  p.  296. 

Pseudo-paralysie  syphilitique,  p.  316, 

■±  782. 

Chéiroptères  (Canal  carotidien  des),  p.  229, 

(Apophyse  post-auditive),  p.  229. 

Chemin  de  fer  de  Bedous,  pp.  162,  163. 

transsibérien,  p.  340,  *  971. 

Chemins  de  fer,  p.  40. 

(Électricité   appliquée  auxi,    p.  162. 

(Vitesse  des),  p.  170. 

Cheyssoii  (É.).  —  Habitations  à  bon  mar- 
ché, p.  3'.6,  *  1014. 


TABLE    ANALYTIQUE 


1219 


Chiaïs    D').  —  Climatologie,  p.  200. 

Maladies   de   la    nutrition   générale, 

p.  300. 

Chimie,  pp.  180,  392,  2  ^ÔT. 

organique  (Nomenclature),  pp.  189, 

392. 

Chlorure  de  })otassium  et  de  sodium  dans 
la  cresson  nette,  pp.  2H,  325,  ±  790. 

de    zinc    (Traitement    de    l'ozène) . 

p.  286. 

Chlorures  (Influence  sur  la  fertilité),  p.  328, 

*  803. 

Choc  des  corps  élastiques,  p.  153,  *  1. 
Chopiiiet  iD').  —  Étiulogie  du  goitre  et 

du  (  Titinisme.  p.  .389,  *  1204. 
Christian.  — Discussion  sur  une  fracture 

de  jambe,  p.  275. 
Christianisme  en  Basse-Ethiopie,  p.  343. 
Cicindé/ides   des    Basses- Alpes ,    p.    232, 

*  5i7. 

Cidaridées   de   ri''po(iuc    l'ocène,   p.    205, 

*  343. 

Cimetières  gaulois   île   la   Marne,  \)'.  249, 

Z  616. 
Cinrniomètre,  p.  157. 
Cirrhose  atro|ihiiiue  du  l'oie,  p.  317. 
Civilisation  de  la  vive  gauche  de  TArize, 

p.  266,  *  649. 
Climat   médical  d"Argelès-Gazost,   p.  753, 

li:  :^I9. 

des  Kaux-Bonnes,  p.  197. 

Climatologie,  p.  2U0. 

Climats  et  formes  végétales,  p.  220,  *  463. 
Clinique  hospitalière,  p.  271,  *  678. 
Cloche  flottante  (Manomètre  ài,  p.  160. 
Clos    D''  P.).   —  Calice  et  oAaire   infère, 

p.  222,  *  479. 
Cofcoz    I,  C').  —    Carrés  de  8  et   de   9, 

p.  155,  *  136. 
Cœur    Auscultation  dui,  p.  293. 
Collignoa  (Éd.).  —  La  science  et  l'art  de 

l'ingénieur,  p.  134. 

Choc  de  deux  corps  élastiques,  p.  1.53, 

*  1. 

Prohlénio    des   corps    flottants,     p. 

153,  *  7. 

C'ollls'uon  D'  1{...  —  Ktude  anthropolo- 
gique des  poi)u!atioiis  françaises,  p.  267, 

*  6.54. 

Colombie  (Voyage  en  i,  p.  330. 
Cobmies  tropicales  i Implantation  du  caout- 
chouc dans  nos),  p.  .321,  *  784. 

scolaires  de  vacances,  p.  367. 

Coloration   des   eaux   de   la   mer,   p.  198, 

*  326. 

du  ténia  noir,  p.  229. 

Colorimètre,  p.  233. 

Combes  Ch.).  —  Anli.vdridecamphoriijue, 
p    187. 

Comité  local  de  Pau,  p.  126. 

Commission  cxlraparlemcntaire  sur  la  ré- 
forme du  cadastre,  p.  353. 


Commission   internationale  de   la   nomen- 
clature ciiiiiiiipie,  p,  456. 
Commissions  permanentes,  p.  125. 
Comptabilité  d'un  arsenal,  p.  364,  *   1109. 
Compte  rendu  financier,  p.  148. 
Compteur     densi- volumétrique,    p.    183, 

*  257. 

Concentrations  (Mesureur  de),  p.  233. 
Conférences  faites  à  Pau,  pp.  465,  488. 

faites  à  Paris,  pp.    1,  5,  17,  25,  .39, 

40,  72,  79,  94,  112. 

et  congrès  de  Berne,  p.  347,  *  1026. 

Congrès  de  Pau,  p.  115. 

— — -  des  américanistes,  p.  .358. 

■ ■  chiiui([ue  en  1889,  p.  392. 

Connaissances    humaines     (Cercle     des), 

p.  369,  *  1134. 
oc  Conopodium  denudatum  »  Koch,  p.  217, 

*  445. 

Conseil  d'administration,  p.  120. 
Consonnes   (Transformation    des),    p.    369, 

*  1118. 

Construclions  <jéoniétriques,  p.  155,  ;k  ;}6. 
Consultcdions   charitables    (Fondateur  des), 

p.  25. 
Contemporanéité  des    ossements,    p.    208, 

■±  377. 
Coquelicots  (Préfloraisonj,  p.  221,  2  467. 
Corbières  (Étages  gypsifèresi,  p.  211. 

(Échinides  des),  p.  212. 

Cornet.  —  La  taxe  du  pain,  p.  348. 
Cornu  (M.).  —  Discussion  sur  les  lacs  des 

Pyrénées,  p.  216. 

Discussion  sur  la  tréhalose,   p.  218. 

— '—  Émission   d'eau   par    les    végétaux, 

p.  223. 
Corps  élastiques,  p.  153,  *  1. 
,  flottants,  p.  153,  *  7. 

isotropes    (Déformation  i , 

1^  190. 

aseptiques    (Tamponnement     par,, 

p.  284,  *  714. 
Correspondance  de  Huygens,  p.  156,  *  1.59. 
Corrèz-e  (Étude  de  la  jiopulation),  p.  267, 

*  654. 

Corijz-a  atrophique  (Traitement  du),  p.  286. 
Costnntin.  —  Parasite   du  champignon 

de  couche,  p.  214,  ;|;  406. 
Cotteau  (G.).   —  Cidaridées  de  l'époque 

.■•ocène,  p.  205,  *  34.3- 
Couberti»    P.  dei.  —  Enseignement  de 

la  géographie,  p.  333,  *  871. 
Couches  (Suite  dei,  p.  285. 
Coudreau    (H.).    —    Les    monts  Tuniuc- 

Humac,  p.  33'»,  *  884. 
Courants   marins,  pp.  167,  193,  338,  371. 

382. 

alternatifs,  pp.   169,   177. 

continus  dans  la  névralgie  sciatique, 

p.  290,  2  735. 

Courbes  unicursales,  |).   15'i,  *  25. 
de  la  forme  ?  =  Ky",  p.  160. 


159, 


1-220 


TABLE    ANALYTIQUE 


Courbes  des  vibrations,  p.  173,  *  242. 

de  Lissajous,  p.  174. 

Couveuse,  p.  275. 

Cressonnelte  (Chlorure  de  sodium  et  flilo- 

rure  de   potassium   dans   la},    pp.   222, 

325,  -  790. 
Crékicé  de  Saint-Sever,  ]>.  210,  t  382. 

des  Pyrénées,  p.  211. 

Crétinisme  lÉtiologie  dm,  p.  389,  *  1204. 
Creuse   (Étude   des   populations',   p.   267, 

*  654. 
Crova  iA.i.  —  L'Associati.)n  française  eu 

1891-1892,  p.  142. 
Photographie  et  méthodes  photomé- 

trifjues,  p.  171. 

Bolomètre,  p.  178. 

Crustacés  décapodes,  p.  227,  iH  503. 
Cultures  tropicales,  p.  340. 
Cumulus  isole  (Éclairs  lians  un,  p.  199. 
Cyphotiques    (Accouchement     provoqué), 

p.  275. 
Daignestou!«.  —  Préhistorique  du  Gers, 

p.  263. 
Daniel    L.  .  —  Greffe  dos  ])lantes  en  ger- 

uiination,  p.  220,  *  465. 
Darbas    L...  —  Station  de  Montcomfort, 

p.  267. 
Dax  (Sanatorium  thermal i,  p.  270,  *  665. 

(Médication  salinei,  p.  271,  *  678. 

Déclinaison  (Influence  de  la  lune  en),  p.  201 . 
Décret,  p.  I. 

Déformation  des   corps   isotropes,  p.  159, 

2  190. 
Dekterew    iD"-    de).    —    Hypnotisme   et 

pédagogie,  p.  373. 

Épidémie  cholérique  en  Russie,  p.  387. 

nelacre.  —  Tetraphényléthanone,p.  181. 
Uelavaud    (C).    —    Brouage,    la    ville 

morte,  p.  338,  *  940. 
Délégués  de  l'Association,  p.  121. 

des  sections,  p.  121. 

officiels,  p.  129. 

Délétie.  —  Mesure  des  volumes,  p.  157. 

Delmas.  —  Sanatorium  thermal  à  Dax, 
p.  270,  *  665. 

. Discussion  sur  les  courants  élec- 
triques, p.  291. 

Deltbil  (D"').  —  Traitement  de  la  phtisie 
pulmonaire,  p.  273. 

Accouchement  provo(iué,  p.  275, 

Adduction  des  eaux  potables  à  Paris, 

p.  376. 

Delvaille  (D'j.  —  Colonies  scolaires   de 

vacances,  p.  .367. 

Mission  en  Espagne,  p.  382. 

Démocratie  (Enseignement  public^  p.  375, 

*  1155. 
Démographie  des  Basques,  p.  242,  *  597. 

de  la  Charente,  p.  266. 

Démons.  —  Gangrène  de  l'épiploon,  p.  312. 
Dénombrement  des   étrangers   en   France, 

pp.  335,  361,  *  1057. 


Dénombrement  des  Français  à  l'étranger, 
p.  .357,  *  1057. 

Départements  montagneux,  p.  379,  *  1163. 

Déperdilomètre,  p.  195,  *  296. 

Dépupulaliun  des  départements  monta- 
gneux, ]).  .379,  z  1163. 

Oeppez  (M.i.  —  Appareils  à  rovdeltt-s, 
p.  1.57. 

Fonction  logarithmique,  p.  157. 

Cinémomètre     à    vis    différentielli-. 

p.  157. 

Appareil    ]>our    dé'crirc    la    riroite. 

p.  160. 

Amortisseur  cinématique,  p.  160. 

Pantographe,  p.  160. 

Augmentation  de  la   puissance  des 

locomotives,  p.  16'*. 
Transmission   de  la   force,  pp.  169. 

177. 
Marche     des     moteurs     à    vapeur, 

p.   174. 

Transmission  électrique  de  l'énergie, 

p.  177. 

Désinfection  publique,  p.  .390. 

(Chaleur  agent  de),  p.  391. 

Dessin  précurseur    <ie   l'écriture,    p.   368, 

*  1116. 
Deux-Sèvres  (;Météorologiei,  p.  191,  *  273. 
Devalz.   —  Discussion   sur  la  résection 

du  genou,  p.  303. 

Sanatoria  de  montagne,  p.  .304. 

Oevelay  (A.).  —  Autour  des  lacs  de  Yaa 

el  d'Ourmiah,  p.  72. 

Diabétiques  (Traitement  des),  p.  276,  *688. 

Diagnostic  différentiel  des  maladies  de  la 
nutrition,  p.  .300. 

Diamant  (Mines  de),  p.  5. 

Diatomées,  p.  218. 

Dieuzaide,  —  Discussion  sur  le  sanato- 
rium thermal  à  Dax,  p.  271 . 

. Ostéomyélite,  p.  284,  *  714. 

Dijon  (Listes  seismiques  de  M.  Perrey), 
p.  204. 

Diphtérie  (Étude  de  la),  p.  30». 

Dipterocarpacées,  p.  221,  *  47tJ. 

Discipline  (sanctions),  p.  371,  £  1147. 

Discours  du  Maire  de  Pau,  p.  133. 

du  Président,  p.  134. 

—  Secrétaire,  p.  142. 

—  Trésorier,  p.  148. 

Division  arithmétique,  p.  158,  *  182. 

Doléris.  —  Progrès  de  la  thérapeutique 
chirurgicale,  p.  298. 

Dollfus. — Isopodes  terrestres  des  Basses- 
Pyrénées,  p.  231,  ^535. 

Dolmen  de  Buzy,  p.  248. 

Domergue  (A.).  —  Dosage  par  une  mé- 
thode optique,  p.  187. 

Donnât  (L.).  —  La  journée  de  huit  heures, 
p.  347. 

Dordogne  i  Élude  des  populations),  p.  267, 
*  654. 


TABLE    ANALYTIQUE 


1221 


Di)sn(je  par  une  méthode  optique,  p.  187. 
Douclic  s<«</7'/('  Traitement  par  la),  p.  285, 

2:718. 
Itouniergne  (F.).  —  Grotte  du  ciel  ouvert 

à  Oran,  p.  264,  *  623. 
Wrapejroi»  iL.i. —  Périodes  de  l'histoire 

i\r  Kussie,  p.  339,  *  956. 
Iliib.-tleii.  —    Crétacé    de    Saint-Sever, 

p.  210,  *  382. 

Cirotte  de  Brassempouj-,  p.  254. 

Uiifet.  —  Mesure  des  indices,  p.  177. 
Diifour.  —  Parasite  du  champignon  de 

couche,  p.  214,  *  406. 
Ituliuurcau. —  Discussion  sur  la  médi- 
cation saline,  p.  273. 
Discussion  sur  le  traitement  des  dia- 

bétique<,  p.  276. 

Traitement    de   la   phtisie,  p.    276, 

2  692. 

Duniond  (J.i.  —  Sociétés  de  secours  mu- 
tuels et  loyer  d'argent,  p.  345. 

Ikunioiit  A.  .  —  Basques  de  Baïgorry, 
p.  242,  *  597. 

hémographie  de  la  Charente,  p.  266. 

Conservation  des  listes  de  recense- 
ment, p.  361,  *  1060. 

Dunes  d'Andalousie,  p.  327,  *792. 

dj  la  cote  de  Gascogne,  p.  209. 

Dunkerque  iTrafic  du  port  de),  pp.  335.361, 

2  903. 
Dupont  ,H.).  —  Bassin  commercial  delà 

.^eine,  p.  342.  *  997. 
Du  règne  (ÉA.   —   Dunes  de  la   côte  de 

Gascogne,  p.  209. 
Eatt.r- lionnes  (Climat  des),  p.  197. 

Thérapeutique,  p.  295. 

(Sanatorium  auKi,  p.  304. 

Kxcursion  aux),  p.  505. 

Eaux-Chaudes  iThérapeutique),  p.  295. 

(SpéciHhsation  thérapeutique),  p.296. 

(Excursion  auxi,  p.  505. 

Emtx  de  Cauterels  (Traitement  par  les», 
p.  281. 

chlorurées  sadiques,  p.  312. 

douces  et  salées  (germes),  p.  225. 

d'i'ijout,  p.  376. 

minérales  en  injections  hypoder- 
miques, p.  306. 

du  \eubourq,  p.  276,  z  688. 

pure,  p.  172,  2  -38. 

potables  à  Paris,  p.  376. 

£c/iec.s  (, Cavalier  aux),  p.  156. 
Échinides  de  l'éocène,  p.  212. 
Éeluirages    Mesure  des  faibles;:,  p. 


-IST 


176. 
199. 


Éclairs  dans  un  cumulus  isolé,  p. 
Économie  politique  dans  ses  rapports  avec 
les  autres  sciences   (Conférence),  p.  488. 

p.  345,2  1007. 

Éeoncmie     sociale     et     santé     publique, 

p.  364. 
Écriture  (.Ledessin  précurseurdel'i,  p.  368, 

*  1116. 


Eqijpte  (Age  de  la  pierre),  p. 
Élasticité  iKquilibre  d'),  p.  159,  *  190. 
Elevy.  —   Discussion   sur    le   traitement 

par  les  eaux  de  Cauterets,  p.  282. 
Discussion  sur  l'œdème  pulmonaire, 

p.  285. 
Météorologie   médicale    de   Biarritz, 

p.  289,  2  "72!^. 
Electricité  i Avenir  de  l'i,  p.  17. 

appliquée  aux  chemins  de  fer,  p.  162. 

Electrolijsi'  interstitielle,   p.  288. 

des  angiomes,  p.  288. 

Elcctrophore  à  rotation,  p.  179,  2  254.' 
Électrothérnpie    Ses  progrès),  p.  287. 

(Rhéostat  continu),  p.  299. 

Emigration  des  pays  basques,  p.  335. 
dans  les   Basses-Pyrénées,    p.    363, 

2  1092. 
Empoisonnement     par     les    cliampignons, 

pp.  223,  387. 
Émission  d'eau  par  les  végétaux,  p.  223. 
Enceintes  de  blocs  de  Bilhères,  p.  248. 
Enfants  (Balnéation  chez  les;,  p.  269. 
Enregistreurs  (Appareils),  p.  196,  2  317. 
Enseignement   de   la   géographie,   p.   333, 

2  871. 
de  la  numération,  p.  .369. 

français,  p.  372. 

public  en  démocratie,  p.  375,  *  1155. 

/?«seiV/Heme/i/s  classique  et  moderne,  p.  368. 
Eucène  (Échinides  de  F),  p.  212. 
Epidémie  cholérique  en  Russie,  p.  387. 

de  variole,  pp.  278,  381. 

Épilepsie  essentielle  ^Traitement),  p.    277, 

2  698. 

(Suffusion  sanguine;,  p.  305. 

Épiploon  (Gangrène  de  1'),  p.  312. 
Epoque  eocène,  p.  205,  2  343. 
Érosions  dentaires,  p.  314,  2  "'^0. 
Errata,  *  1213. 

Éruptions  volcaniques,  p.  331. 
Eskal-Herria,  p.  239,2  589. 
Espagne  (Frontière  d'),  pp.  162,  163. 

(Mission  en  .  p.  382. 

Espiaup  (Montagne  de  1'),  p.  247. 
Essence  de  santal,  p.  221,  2  '»'?6. 
Estomac  (Mouvements  de  F;,  p.  299. 
Étages  gypsifères  des  Pyrénées  centrales, 

p'.  211. 
Étamines  sessiles,  p.  220,  2  ^60. 
Elang  de  Berre    Utilisation  de  F),  p.  329. 
État  civil  des  personnes  et  des  propriétés, 

p.  352,  2  1039. 
Btcheverry.    —    Émigration     dans     les 

Basses-Pyrénées,  p.  363,  2  1092. 
Ethiopie  (Christianisme  en),  p.  343. 
Étiologie  du  goitre,  pp.  292,  389,  2  1204. 

des  anévrismes    de  l'aorte,  p.    293, 

=^  747. 

de  la  lèpre,  p.  307. 


Étrangers  (^D.nombreinent  des)  en  France, 
pp.  335,  361.  21057. 


1222 


TABLE    ANALYTIQUE 


Étude    antliropolorjifjiie    des    populations, 
p.  267,  *  654. 

Étymoliigic  franco-latine,  p.  369,  *  1118. 

Euphrate  (Vallées  de  l'i,  p.  79. 

Europe  (Influence  de  la   lune  en  déclinai- 
son), p.  201. 

Évaporation  des  solutions  de  KCl  et  NaCl, 
p.  172,  *  238. 

Excrétion  chez  les  Syllidiens,  p.  232,  *  539. 

Excursion    aux    grottes   de   Brassempouv, 
pp.  208,  250. 

en  Indo-Chine,  p.  331,  *  843. 

•  à  Tuque-Rouye,  p.   338. 

générale  à  Orthez,  Saint-Palais,  etc., 

p.  499. 

finale  à   Oloron,  Saint-Christau,  La- 


runs,  etc.,  p.  505. 
Exploration  du  Niger,  pp.  335,  361,  *  890. 
Expositions  d'art  didactique,  p.  367. 
Fabert  (L.).  —  Campagne  dans  les  Trar- 

zas,  p.  829. 
Fabre.  —  Discussion  sur  la  puerpéralité, 

p.  278. 

Airections    des    voies    respiratoires. 

p.  283. 

Faculté  libre  (Essai  de),  p.  25. 
Faisans.  —  Discours,  p.  133. 
Falsification  des  vins,  p.  186. 

de  l'essence  de  santal,  p.  221,  *476. 

Faune  pélagique,  p.  230,  *  526. 

quaternaire,  p.  246. 

Faure  (F.). — Discussion  sur  la  sociologie, 

p.  362. 
Fer  (Industrie  du),  p.  112. 

(Séparation   du)     et   de    l'alumine, 

p.  189. 

Ferray  (É.).  —  Eau  du  Neubourg,  p.  276, 
*688. 

Ferré.  —  Étude  de  la  Diphtérie,  p.  300. 

Fertilité  du  sol,  p.  328,  *  803. 

Féry  (Ch.).  —  Nouveau  réfractomètrc, 
p.  176,  *  245. 

Fièv)-es  pernicieuses  (Lésions  du  foie), 
p.  310. 

Pilaire  du  sang  de  la  grenouille,  p.  226, 
*  488. 

Filhol  (D'  H.).  —  Discussion  sur  la  vi- 
talité des  germes,  p.  225. 

Discussion  sur  les  bassins  lacusties, 

p.  228. 

Finances  de  l'Association,  p.  l'iS. 
Fines.  —    Discussion    sur  l'observatoire 
d'Orthez,  p.  193. 

Rapport  sur  l'observatoire  d'Orthez, 

p.  197. 

Fistule  à  l'anus  (Opération),  p.  310,  *762. 
Focomètre  grand  modèle,  p.  174. 
Foie  (Cirrhose   atrophique  du),  p.  317. 
Folliet  (M""  ]•].).  —   Discussion   sur   les 
champignons,  p.  215. 

Enseignement  des  langues  modernes, 

p.  372. 


Fonction  logarithmique  (Génération  de  la', 
p.  157. 

Fondations  k  air  comprimé,  p.  168,  2^14. 

Fondeville.  —  Vin  et  cépages  de  Ju- 
rançon, p.  322. 

Discussion  sur  le   rôle   de   l'humus 

dans  la  végétation,  p.  325. 

Fourrages  d  automne,  p.  328. 

Anémone  indigène,  p.  328. 

Fontaine  des  Fées,  p.  195,  *291. 
Fontaneau.    —  Déformation   des   corps 

isotropes,  p.  159,  *  190. 
Fontes.   —    Historique   des    carrés    ma- 
giques, p.  158. 

Division  arithmétique,  p.  158,  *182. 

Discussion  sur  les  lacs  des  Pyrénées, 

p.  338. 

Une  illusion  d'optique,  p.  340,  *966. 

Eri'eur   de   géographie   pyrénéenne, 

p.  341,  *990. 

Formes  végétcUes,  p.  220,  *  463. 

Fouilles  préhistoriques  de  la  Vézère,  p.  261. 

à  Saint-Césaire,  p.  264. 

Four  mobile  Berrens,  p.  184,  *261. 

Fourrages  d'automne,  p.  328. 

FoTîlle  (A.  de).  —  Morcellement  de  la 
France,  p.  363,  *  1085. 

Fracture  de  jambe  chez  une  hystérique, 
p.  274,  *686. 

— —  du  pariétal  droit,  p.  311,  *  764. 

Fraîiçais  (Dénombrement  des)  à  l'étranger, 
p.  357. 

France  (Aiijiiication  de  l"  a  Act  Torrens  »), 
p.  352,  *  1047. 

Fran^'ois-Franck.  —  Révulsion  cuta- 
née, p.  303. 

Fraucq  (L.).  —  Discussion  sur  la  puis- 
sance des  locomotives,  p.  165. 

Friedel  (Ch.).  —  Silicates  sulfuriféres, 
p.  185. 

Anhydride  camphorique,  p.  187. 

Friedel  (G.).  —  Silicatessulfuriféres,p.l85. 

Frolov  (G='  M.).  —  Résidus  quadratiques, 
p.  155,  *  136. 

Frossaril.  —  Zéolithes  des  Pyrénées, 
p.  210. 

Ophite  de  Pouzac,  p.  210. 

Flèche  de  silex  (Vertèbre  lombaire  pénétrée 

par  une],  p.  310. 
Fleur  hermaphrodite,  p.  220,  *460. 
Flinders  Pétrie  (Age  de  la  Pierre  en  Egypte), 

p.  267. 
Flores  des  Pyrénées  et   des  Alpes,  p.  214, 

*396. 
Flour  de  Saint-Genis  (Son  mémoire), p.  352. 
Fluides    (Mouvements    tourbillonnaires ) , 

p.  202. 
Fluorure  de  bore,  p.  182. 
Gaches-Sarraiite  (M"' 

d'œdème  pulmonaire,  p. 
Ciain  (Ed.).  —  Humidité 

*  433. 


D"").   —  Un  cas 

285. 
du  sol,  p.  216, 


TABLE    ANALTTIQIE 


12-2a 


Galante  [É.'.  —  Le>  linani-es  de  l'Asso- 

ciaticjii,  p.  l'»8. 
Ciiandy  J»"  .  —  Observations  à  Bagnères- 

de-Bigurre,  p.  194,  *  290. 
Gangrène  del'épiploun,  \).  312. 
Gurgas  (Grotte  supt-rieurci,  p.  249. 
Ciarrig;oa-Cag  range  (P.i.  —  Pression 

barométrique  ea  hiver,  p.  201. 

Mouvements    tourbillonnaires    dans 

les  fluides,  p.  2(i2. 

Gascogne  (Dunes  de  la  côte  de,  p.  209. 

Ciasselin.  —  Action  du  fluorure  de  bore, 
p.  182. 

Cîassend. —  Rapport  sur  la  question  pro- 
posée à  la  13"  Section,  p.  324. 

«auhe  f.J.  .  —  Sol  animal,  p.  227,  *507. 

<Saii(lry.  —  Le  liodon  de  Cardesse,  p.  231. 

Gaultier  (J. ..  —  Levés  t')pugraphiques, 
p.  332,  *  862. 

Gautier.  —  Progrès  de  l'électrothérapie, 
I).  287. 

Électrolyse  interstitielle,  p.  288. 

Gavarnie  (Excursion  à;,  p.  505. 

Gaz  delà  respiration,  p.  189. 

Gellie.  —  Discussion  sur  l'épidémie  cho- 
lérique en  Russie,  p.  388. 

Géneau  de  Laniarllère  iL.i. —  «  Co- 
nopodium  denudatum  »  Koch,  p.  217, 
*445. 

Genève  iSulzer,  de  l'Université  de),  pp.  171, 
299. 

Génie  civil  et  militaire,  p.  162,  *  212. 

Genis.    —  Discussion    sur    le    «  tout    à 


l'égout  »,  p.  384. 


P- 


301. 


Genou  (Résection  dui 
Géodésie,  p.  153,  *  1. 
Géof/raphie,  p.  329,  ±  806. 

(Enseignement  de  la),  p.  333,  ^  871. 

pyrénéenne,  p.  341,  *  990. 

Géologie  et  minéralogie,  p.  204,  %  343. 
Géométrie  du  triangle,  p.  155,  *  101. 

(Solutions  imaginaires),  p.  155,*  132. 

Géométrographie,  p.  155,  *36. 

Germes    des    organismes    microscopiques, 

p.  225. 
Geraiinidion  (GreSe  des  plantes  en),  p.  220, 

*  465. 
Gers  (Préhistorique  du),  p.  263. 
Gilles  de   la    Tourctte    D  ).  —  Essai 

d  -  Faculté  libre,  p.  25. 
Gils  (D'i.  —  Discussion  sur  une  fracture 

de  jambe,  p.  275. 
_ _  sur  le  traitement  par  les  eaux  de 

Cauterets,  p.  282. 
sur  le  traitement  de  l'ozènc,  p.  286. 

Étiologie  du  goitre,  p.  292. 

Ané\rismes  de  Taorte,  p.  293,  *  "^^7. 

Glacier  quaternaire  d'OO,  \>.  247. 
Glaciers  français  (Variations  périodiques), 

pp.  206,  330. 
(Cavités  dans  la  masse  des),  p.  208. 

des  Pyrénées,  p.  338. 


Globe  producteur  de  courants,  pp.  37,  167, 

193,  338,  382. 
Gobin.    —    Discussion    sur   les   courants 

marins,  pj).  167,  168. 
Discussion  sur  le  <r  tout  à  l'égout  », 

p.  386. 
Goitre  (Étiologie  du),  pp.  292,  389,  *12U4. 
Gordius,  p.  230,  *  529. 
Gourdon  (M.).  —  Musée  [>)  rem-en,  p.  212, 

*  3911. 

Gradient  vertical,  p.  198. 
Graisse  de  l'organisme,  p.  189. 
Grand  central  sibérien,  p.  340,  *971. 
Greffe  des  plantes  en  germination,  p.  220, 

*  465. 

Grenouille  (Sang  de  la),  p.  226,  *  ^88. 
Grimai  (M.)   Son  mémoire),  p.  352. 
Grotte  supérieure  de  Gargas,  p.  249. 

de  Brassempouy,  pp. 208, 250,254,257. 

du  Ciel  ouvert,  p.  264,  *  623. 

du  Mas-d'Azil,  pp.    205^  266,  ±  649. 

Grottes  des  fiaoussé-Roussé,  dites  de  Menton, 

pp.  205,  246,  *  347. 
Groupe  l",  p.  153,  *  1. 

2%  p.  171,  *238. 

3%  p.  204,  *  343. 

4' ,  ]).  320,  *  784. 

Guébharil  (T)'  A.).  —  Optomètre  à  lec- 
ture directe,  p.  178. 

Fouilles  de  tumuli  à  Saint-Césaire, 

p.  264. 

Guerne    (J.    de>.    —    Faune    pélagique, 

p.  230,  *  526. 
GuilbauFt    (A..  —    Comptabilité    d'un 

arsenal,  p.  364,  *  1109. 
Guilbean  (D^.—  L'Eskal-Herria,  p.  239, 

*589. 

Discussion  sur  les  cagots,  p.  244. 

Guimaraes      R.i.    —    Aires    coniques, 

p.  156,  *  166. 

Guinée  française,  p.  334,  *  880. 

Guiraut.  —  Discussion  sur  le  dénom- 
brement des  Française  l'étranger,  p.  357. 

Guyot  (Y.).  —  Discussion  sur  le  droit  de, 
fabriquer  un  pain  différent  du  pain  taxé, 
p.  .3.50. 

Rapport  sur  les  mémoires  de  MM. 

M.    Grimai,  É.  Worms,  Flour  de  Saint 
Genis,  Charles,  etc.,  p.  352. 

Application   de   V  «  Acl   Torrens  », 


p.  352,  2  1047. 
Gynécologie  (Eaux  chlorurées  sodiques  en), 

p.  312. 
Habitations  à  Ijon  marché,  p.  246,  *  1014. 
Hachette  tonkinoise  en  grès  vert,  p.  261. 
lla:;en  i  D').  —  Voyage  aux  îles  Salomon, 

p.  330,  *  820. 
Haïti  (Voyage  en),  p.  330,  *  806. 
Haliotide  (Développement  dei,  p.  229.  *522. 
Hanoi  (De;  à  Bangkok,  p.  331,  *843. 
Uanriot.  —  Isoxazols,  p.  180. 
Gaz  de  la  respiration,  |).  189. 


1224 


TABLE   ANALYTIQUE 


Hani'iot.  —  Graisse  de  Torganisme,  p.  189. 

Séparation   du   fer  et  de  l'alumine, 

p.  189. 

Hansen  (J.).  —  Carte  du  grand-duché  de 

Luxembourg,  p.  333. 
Hmife-Garonne   (Montagne  de   TEspiaup), 

p.  247. 

(Station  de  Monteomfort),  p.  267. 

(Vallée  de  la  Rouje),  p.  338. 

Haute-Vienne (Éiude  des  populations), p. 267, 

*654. 
Heckel.  —  Sexualité   du   «  Ceratonia  ^<i- 

liqua  L.  »,  p.  220,  *  460. 
Heini  (D').    —  Relinodendropsis  aspera, 

p.  221,  *470. 
■ Préfloraison    chez    les    coquelicots, 

p.  221,  *467. 
Hélix  aspera  Muller,  p.  234. 
Hemoptysies  (Tuberculeux  à),  p.  281. 
Henrot.  —  Discussion  sur  le  sanatorium 

thermal  à  Dax,  p.  271. 
Discussion  sur  la  variole,  p.  280. 

Discussion  sur   les  eaux    de    Paris, 

p.  277. 

Surveillance  administrative  sur  les 


denrées,  p.  380,  *  1175. 
Henry  (Ch.).  —  Photomètre  pour  faibles 

éclairages,  p.  176. 

■ Mesureur  de  concentiation,  p.  233. 

Herscher.  —  Discussion  sur  le  s  tout  à 

l'égout  »,  pp.  383,  385. 

Discussion  sur   la  ciialeur  agent    de 


désinfection,  p.  391. 
Heui-e  unique  (Adoption  d'une),  pp.   .335, 

358. 
Ilillairet. — Avenir  de  l'électricité,  p.  17. 
Histoire  de  Russie,  p.  339,  ±  956. 

(Enseignement  à  rebours),  p.  371. 

Homère  (La  Troie  d'i,  p.  1. 

Honnora (•Bastide   (Kd.-F.).   —  Cicin- 

délides  des  Rasses-Alpes,  p.  232,  *  547. 
Hôpitaux  de  Marseille,  p.  291,  *  742. 
lloudaille.    —    Perméal)ilité    des   sols. 
.   p.  327,  *  795. 
Houille  (Origine  de  la),  p.  94. 
Hoalbert  (C).   —  Valeur  systématique 

du  Bois  secondaire,  p.  219,  z  ^56. 
Hourst.  —  Exploration  du  Mger,  pp.  335, 

361,  *  890. 
Humidïté  du  sol,  p.  216,  *  433. 
et  structure    des    plantes,    \).    219, 

*  450. 

Humus  (Rôle  dans  la  végétation i,  p.  325, 

*  788. 

Huyçjens    (Correspondance    de),    j).    156, 

:l:  159. 
Hygiène,  p.  376,  *  1163. 
Hypnotisme  et  pédagogie,  p.  373. 
Hystérique    (Fracture   de  jambei,   p.   274, 

*  686. 

Ibères  (Les),  p.  237. 

Idiomes  des  deux  continents,  ]).  238,  z  ^'73. 


Iles  Marquises   (Cerveau   d'un   indigène), 

p.  265,  *  629. 

flottantes  de  l'Amazone,  p.  321,  *  784. 

Salomon  (Voyage  aux),  p.  .330,*  820. 

Illusion  d'optique,  p.  340,  *  966. 
Imbert  de  la  Touche.  —  Traitement 

de  la  migraine,  p.  285,  *  718. 
luchauspe.  —  Le  peuple  basque,  p.  236, 

*555. 
Indices  (Mesure  des),  p.  177. 
Indo-Chine  (Excursion  en),  p.  331,  *  843. 

il  y  a  cinquante  ans,  p.  331,  *  834. 

Ingénieur  (La  science  et  l'art  de  1'),  p.  134. 
Injections  de  liquides  organiques,  p.  276, 

î  692. 

du  suc  tliyroïdien,  p.  292. 

hypodermiques    d'eaux    minérales, 

]).  306. 

Insitfjlateur  à  aii'  chaud  créosote,  ]).  283. 

Intervention  chirurgicale  dans  l'appendi- 
cite, p.  301. 

Isopodes  terrestres,  p.  231,  *  535. 

Isoxazols,  p.  180. 

Izarii.  —  Appareil  de  Lissajous  modifié, 
p.  173,  *  242. 

Mécanisme  des  ondes  stationnaires, 

p.  173,  *  243. 

J/icottey  (P.).  (Album  des  services  mari- 
limes  i)ostaux),  p.  336. 

•Jeaniiel  (D').  —  Dépopulation  des  dépar- 
tements montagneux,  ]>.  379,  *  1163. 

Journalisme  (Fondateur  du),  p.  25. 

Journaux  repi'ésentés,  p.  131. 

Journée  de  huit  heures,  p.  347. 

Jura  (Végétation  des  lacs),  p.  215. 

Jurançon  (Empoisonnement  par  les  cham- 
pignons), pp.  223,  387. 

(Vin  et  cépages),  p.  "322. 

(M""').   —   Discussion   sui- 


Kergomard 


l'enseignement  français,  p.  370. 
—  Discussion    sur    l'enseignement 


l'histoire,  p.  372. 
— —  Discussion   sui'    renseignement   des 

langues  modernes,  p.  373. 
Lincaze-Dutliicrs    (de).   —   Discussion 

sur  l'Hélix  aspera,  p.  234. 
Lacs  de  Yan  et  d'Ounniali,  ]>.  72. 
pyrénéens  (Formation),  p.  206,  *  358. 

du  Juia,  p.  215. 

des  l'yrénées,  ]>p.  216,  336,  *  412. 

des  Hautes-Pyrénées,  p.  230,  z  526. 

■faisant  (C.-A.).  —  Courbes  unicuisales, 
|..  154,  *  25. 

Liajard  ?^.).  —  Discussion  sur  les  cagots, 
pp.  244,  245. 

Silex  moustériens  de  Salies,  p.  249. 

Lialanze  (E.).  —  Beaucaire  port  de  mei-, 
p.  365. 

I^allemand  (Ch.).  —  Niveau  moyen  de 
la  niei-,  [>.  333,  *  867. 

I.iaiiabère.  —  Reconstitution  des  vigno- 
bles dans  les  Landes,  p.  323. 


TABLE   ANALYTIQUE 


122o 


Landes  (Excursiun  à  Brasscmpoii\  i,  p.  250. 

(Reconslitutiuii  des  vii^'iiublesi,  p.  323. 

Liinrjtie  basque,  p.  236,  *  555. 

(ses  atlinités),  p.  238,  ±  573. 

Langues  modernes  (Knseignement),  p.  372. 
I^antier    (D').   —  Économie  sociale  et 

santé  publique,  p.  364. 
Laparotomies  pratiquées  à  l'hôpital  de  Pau, 


(de) 


—  La  grotte  du  Pape, 
de).  —   Origine   de   la 


Ijaporterie 

p.  257. 
I^apparent    (  A. 

liouille,  p.  94. 
Liarat.    —   Progrès   de  PéJectrothérapie, 

p.  287. 
L.avauza.  —  .Médication  saline,  p.  271, 

*  678. 
La  Rochelle  (Fouilles  de  Virson),  p.  262. 
Ijarrieu.    —    Discussion    sur    le    pays 

basque,  p.  240. 
fMruns  (Excursion  à),  p.  505. 
I^auj^a  {\)').    —   Épidémie   de   variole   à 

Bordeaux,  p.  278. 

Discussion  sur  la  surveillance  ad- 
ministrative des  denrées,  p.  380. 

Épidémie    de   variole    à    Bordeaux, 

|).  381. 

■..aussedat  (CoP'  A.i.  —  Piiotographic 
et  le\er  des  plans,  pp.  169,  333,  ±  215. 

Lavements  gazeux  (Traitement  par  les), 
|..  309. 

E,aTer5:ne.  —  Discussion  sur  la  médica- 
tion saline,  p.  272. 

E<ecornu  (L.).  —  Surfaces  d'égale  inci- 
dence, p.  156,  *  172. 

Législation  (Réforme  de),  p.  346,  *  1007. 

L<emuine  (É.).  —  La  géométrographie, 
p.  155,  *  36. 

('léoiiiétrie  du  triangle,  p.  155,  *  101. 

Ijéon    i.H.).    —    Observatoire    à    Orthez, 

p.  191,  *  279. 
•-  Sanatorium  dans  les  Pyrénées,  p.  195, 

2  291. 
Lron  Francqel  .lA'.s-«a-f/(Locomotive),  p.  163. 
Liéotard  (J.).  —  Température  à  Marseille, 

y.   199. 

ItilisationderétangdeBerre,  p.  329. 

JJ-pre  (Étiologie  de  la),  p.  307. 
Ije)»ase  (P.).  —  Évaporalion  des  solutions 
.jp  .\aCi  et  KCl,  p.  172,  *  238. 

Chlorure  de  potassium  et  de  sodium 

dans  la  cressonnette,  pp.  222,  32S  t  790. 

■..escarret  (J.-B.).  —Amortissement  pour 
faciliter  l'acquisition  de  la  propriété, 
p.  354. 

Lésions  du  foie  dans  les  fièvres  pernicieuses, 

p.  310. 
Lietort.  —  Le  Canada  économique,  p.  342. 
Leucocytes  (Action   de  la   bactéridie  cliar- 

bonneuse),  p.  296. 
Levasscur  (t.).  (Servicesmaritimes  postaux), 

p.  336. 


Leix'  dfs  plam,  pp.  169, 332,  333,  34 1 ,  2  215, 

860,  862,  984. 
liC  Verrier  (U.).  —  Industrie  du  fer  et 

de  l'acier,  p.  112. 
Levés  des  Pyrénées,  p.  332,  *  860. 

topograplùques,  p.  332,  *  862. 

—    en  montagnes,  p.  341,  *  984. 

Levures  du  vin,  p.  322. 

Ligaments  ronds  de  l'utérus,  p.  282. 
Ligature    des    deux    artères    vertébrales, 

p.  277,  *  698. 
Ligue  contre  la  rage,  p.  388,  *  1198. 
Linguistique    du    pays    basque,    p.    239, 

*  589. 
Liodon  de  Cardesse,  p.  231. 
Liquides  pathologiques,  pp.  189,  319. 
Lissa jous  (Apiiareil   à    excentriques   de), 

p.  173,  *  242. 

(Application  des  courbes  de),  p.  174. 

Listes  des  bienfaiteurs,  p.   xvi. 
fondateurs,  p.  xvii. 

—  membres  à  vie,  p.  xxiv. 

générale  des  membres,  p.  xxxvi. 

(les  délégués  uHiciels,  p.  129. 

savants  étiangers,  p.  129. 

—  bourses  de  session,  p.  129. 

■  Sociétés    savantes    représentées, 

p.  130. 

des  journaux,  p.  131. 

seismiques,  p.  204. 

l>ivon    (D"-).   —   Action    du    pnciimogas- 
triiiue,  1).  299. 

Discussion  sur  la    surveillance  des 

denrées,  p.  380. 

Discussion  sur  la  variole  à  Bordeaux, 

.     p.  381. 
• Discussion  sur  le  lysol,  p.  381. 

Avantages  du  «  tout  à  l'égout  »,  p.  383. 

LIaurado  (A.  de).  —  Culture  des  dîmes 

d'Andalousie,  p.  327,  *  792. 
Locomotives  Francq  et  Ménard,  p.  163. 

(Puissance  des),  p.  164. 

I^ofilalot-Bachoué  ide).  —  Valeur  thé- 

i-.ilieuliquedes  eaux  chlorurées  sodiques, 

p.  312. 
Liouge.  —  Préhistorique  de  l'Armagnac, 

1).  263. 
Lourdes  (Excursion  à),  p.  505. 
Loyer  de  l'argent,  p.  345. 
E^uetkens    (de).    —   Discussion    sur   les 

champignons,  p.  215. 
Discussion  sur  les  lacs  des  Pyrénées, 

p.  216. 
Lune  (Son  influence  en  déclinaison  ,  p.  201. 
Luxembourg   (Carte   du  grand-duché   de^, 

p.  333. 
Luz-Saint-Saureur  (Excursion  à,  p.  50.». 
Lysol.  (ses  applications  médicalesi,  pp.  308, 

381. 

Mabyre  (M.).  .Album  des  sersices  maritimes 

jiostaux),  p.  336. 
Maçonnei-ie  sur  rouet,  p.  169,  t  214. 


1226 


TABLE    ANALYTIQUE 


Discussion   sur  les  cagots, 


llagitot. 

p.  243. 
Kxcursioa  à  Brassempouy,  p.  250. 

Cagots  des  Pyrénées,  p.  266,  *  639. 

Discussion   sur   les   anomalies  den- 
taires, p.  314. 

Hagnin    (D'  A.).   —   Discussion  sur  les 

llores  des  Pyrénées  et  des  Alpes,  p.  214. 

Végétation  des  lacs  du  Jura,  p.  215. 

Discussion  sur  les  lacs  des  Pyrénées, 

p.  216. 

Discussion  sur  les  formes  végétales, 

p.  220. 

Végétation  des  recM/ëes,  p.  224. 

llalaquiii  (A.).  —  Absorption  et  excré- 
tion chez  les  Syllidieiis,  p.  232,  *  5.39. 

«  Manche  »  (Voyage  de   la),  pp.  198,  341, 

*326. 
Manomètres  à  cloche  flottante,  p.  160. 
llanouvrier  (L.i.  —  Cerveau  d'un  Tahi- 

tien,  p.  265,  *  629. 
lia  reliai.  —  Observations  thermométri- 
ques, p.  202. 
Mariages  consanguins,  p.  283,  *  706. 
Marne  (Cimetières  gaulois),  p.  249,  *616. 
Marseille  (Température  àj,  p.  199. 

(Hôpitaux),  p.  291,  *  742. 

llartia  (.1.).  —  Les  chemins  de  fer,  p.  40. 
Grandes  vitesses  des  chemins  de  fer, 

p.  170. 
Mas-d\izil  (Grotte  du),  pp.  205,266,  *  649. 
Alasséiiat.    —    Fouilles    de    la    Vézère, 

p.  261. 
Mathéinuliques,  p.   153,  *  1- 
Matière  vivante  à   la   surface  de  la   mer, 

p.  232,  *  543. 
Mauléon  (Kxcursion  à),  p.  499. 
llaurel.     —    Bactéridie    charbonneuse, 

p.  296. 
Mécanique,  p.  153,  *  1. 
Médecine^  p.  269,  *  665. 

publique,  p.  376,  *  1163. 

Médication  saline,  p.  271,  ^678. 
Médimarémètre,  p.  333,  *  867. 
saendez(E.).  —  Remous  atmosphériques, 

p.  196,  *  300. 

Éclairs  dans  un  cumulus  isolé,  p.  199. 

Menton  (Grottes   dites  de),   pp.   205,   246, 

*  347. 

(Squelettes  dei,  p.  246. 

Mer   (Coloration  des  eaux),   pp.  198,  341, 
*326. 

(Matière  vivante  à  la  surface),  p.  232, 

*  543. 

(Niveau  moyen),  p.  333,  *  867. 

Uléraii.  —  Discussion  sur  la  variole,  p.  280. 

Discussion  sur  la    reconstitution  des 

vignes,  p.  321. 

Discussion  sur  le  «  tout  à  l'égout  », 

p.  385. 

• Discussion  sur  l'étiologie  du  goitre, 

p.  389. 


Mercure  (Traitement  du),  p.  184,  *261. 
IMergfier.    —    Unités     en    photométrie, 
p.  172. 

Focomètre.  p.  174. 

Nouvel  optomèlre,  pp.  175,  295. 

Discussion  sur  l'emploi  des  courants 

continus,  pp.  290,  291. 

Discussion  sur  l'auscultation  du  cœur. 


p.  293. 
Mermis,  p.  230,  *  529. 
Mesnard    (Locomotive    Léon    Francq    et), 

p.  163. 
Mesnard  (E.).  —  Analyse  de  l'essence  de 

santal,  p.  221,  *  476. 
Mesure  des  indices,  p.  177. 
Métaux  nit.rés,  p.  182. 
Météorologie,  p.  191,  *  273, 

des  Deux-Sèvres,  p.  191,  *  273. 

dynamique,  p.  199. 

médicale  de  Biarritz,  p.  289,  *  728. 

Méiropolitain  de  Paris,  p.  166. 
Meunier.  —  Discussion  sur  le  traitement 

des  diabétiques,  p.  276. 

Discussion  sur  la  variole,  p.  280. 

M  iehou  (D--).  —  Reconstitution  des  vignes, 

p.  320. 
Microbisme  dû  à  une  alïection  générale, 

p.  278. 
Migraine  (Traitement  de  la),  p.  285,  *  718. 
.1///  chandelle,  p.  326. 
Mine    (A.).  —   Trafic  du  port   de   Dun- 

kerque,  pp.  335,  361,  *  903. 
Minerai  de  mercure  (sa  réduction),  p.  184, 

*  261. 

Minéralogie  et  géologie,  p.  204,  *  343. 
Mines  de  diamant,  p.  5. 

d'Almaden,  p.  18i,  *  261. 

Slireur. — Désinfection  publique,  p.  390. 

Mission  en  Espagne,  p.  382. 

Myxœdéme  (Deux  cas  de),  p.  292. 

Moisissure  cultivée,  p.  180. 

Môle  du  champignon  de  couche,    p.   214, 

*  406. 

Monod.  —  Amnésie  rétrograde,  p.  313. 
Montagne  (Sanatoria  de),  p.  304. 
Montagnes     (Réfraction     atmosphérique), 

p. 199. 
(Levés  topographiques  en),  p.   341, 

*  98 't. 

Montcomfort  (Station  de),  p.  267. 
Monts  Tumuc-Humac,  p.  334,  *  884. 
Monuments    mégalithiques    de    l'Espiaup, 

p.  247. 
Morcellement  de  la  France,  p.  363,  *  1085. 
llortillet  (G.  de).  —  Anthropologie  de  la 

France,  p.  267. 
■lossé.    —    Anesthésie  pharyngienne   et 

épiglottique,  p.  305. 
Moteurs  à  vapeur  à  grande  vitesse,  p.  174. 
Moti^tte'  (Troubles  de  la),  p.  315. 
lloulouguet.  —  Fracture  de  jambe  chez 

une  hystérique,  p.  274,  *  686. 


TAIJLK    A.NALYTIULE 


\m 


lloure  (É.-J.i.  —  Traitement  de  l'ozènc, 

p.  286. 
Moiioements  tourbillonnaires,  pp.  202,  203, 

*  3.36. 

vibratoires  rectangulaires,  p.  202. 

Musée  pyrrnren,  p.  212,  *  390. 
Musées  sociologiques,  p.  362,  ±  1073. 
lluNg-rave-Clay.  —   Discussion    sur   la 

médication  saline,  p.  273. 
Myoloi/ie  des  crustacés  décapodes,   p.   227, 

*  503. 

IVabias  (lî.  de).  —  Pilaire  du  sang  de   la 

grenouille,  p.  226,  f  488. 
— ■  Ténia  noir  cliez  riiomnie,  p.  229. 

Cerveau  de  THéli.x  aspera,  p.  234. 

Navigation,  p.  162,  *  212. 
Xéoplasmes  des  organes  génitaux,  p.  298. 
IV'epveu.  —  Lésions  du  foie,  p.  310. 
Xeubourg  iKau  du),  p.  276,  *  688. 
Neuriisihénie    (Troubles    de    la    niotilité), 

p.  315. 

Xévralgie  sciatique  (Traitement  par  cou- 
rant continu),  p.  290,  *  735. 

Névrome  plexi forme,  p.  291,  *  738. 

Névroses  vermineuses,  p.  286,  *  722. 

IVicaise  (E.).  —  Suture  des  sphincters 
dans  l'opération  de  la  fistule  à  l'anus, 
p.  310.  *  762. 

Niger  (Exploration  du),  pp.  335,361,  ^890. 

Nimbus^  p.  203. 

Nitrate  d'argent  (Traitement  de  l'ozènei. 
p.  286. 

Niveau  moyen  de  la  mer.  p.  333,  *  867. 

Nombres  triangtitaires,  p.  155,  *  136. 

Nomenclature  chimique,  pp.  189,  392. 

des  résidus,  p.  411. 

des  composés  à  fonctions  complexes. 


p.  414. 

des  dérivés 


substitués   du  benzène, 
p.  419. 
des  corps  à  chaînes  fermées,  p.  428. 

énoncialive  des  composés  de  la  série 

grasse,  p.  445. 

Nomographie,  p.  170. 

I\'oruiand  (C).  — La  Troie  d'Homère,  p.  1. 

iVor/HO«t/ie  (Trigonies  jurassiquesl,  p.  213, 

*  392. 
Nuages  (Photographie  des;,  p.  193,  *  284. 
Numératioii  (Enseignement  de  la),  p.  369. 
A\utrilion  générale  (.Maladies  de  la),  p.  300. 
Objectifs  de  photographie,  p.  174. 
Observations  à  travers  les  Pyrénées,  p.  175. 

thermomélriqiies,  p.  202. 

météorologiques,  p.  202. 

Observatoire  à  Orlhez,  pp.  191,  197,  *  279. 
Ocagne  (d').  —   Transformation  quadra- 
tique birationneile,  p.  156. 

La  nomograiihie,  p.   170. 

Oddo.   —    Anomalies   des   valvules    sig- 

moides  de  l'aorte,  p.  316. 
Œdème  pulmonaire,  p.  28». 
Œil  (.4métropio),  p.  295. 


Oger.    —    Humidité  du   sol  et   structuie 

des  plantes,  p.  219,  £  450. 
Ollier.  —  Résection  typique  du  genou, 

p.  301. 
Oloron -Sainte -Marie  (Excursion  à),  p.  505. 
Ondes  stationnaires,  p.  173,  *243. 
06  (Glacier  quaternaire  d'),  p.  247. 
Opérations  sur  le  terrain,  p.  162. 

économiques,  ç.'i^i. 

Ophite  de  Puuzac,  p.  210. 

Optique  (Méthode)  de  dosage,  p.  187. 
Optomètre,  p.  175. 

à  lecture  directe,  p.  178. 

portatif,  p.  295. 

Oran  (Grotte  du  Ciel  ouvert),  p.  264,  *  623. 
Orbitolines  du  crétacé  des  Pyrénées,  p.  211. 
CReilly.  —  Listes  seismiques  de  M.  Alexis 

Perrey,  p.  204. 

Éruptions  volcaniques,  p.  331. 

Organes  génitaux  iXéoplasmes  des),  p.  298. 
Organisme  (La  graisse  dans  1'),  p.  189. 
Organismes  microscopiques,  p.  225. 
Orléans  iP'^"  Henri  d').  —  Excursion  en 

Indo-Chine,  p.  331,  *  843. 
Orographe    transformé    en    tachéographe, 

p.  332,  *  860. 
Orlhez  (Observatoire  projeté),  pp.  191,197, 

*279. 

Brassempouy    près) , 


-  (Excursion 

208. 
(Excursion  à), 


p.  499. 
248. 


Ossou  (Vallée  d'i,  p. 

Ossements   (Contemporanéité  des),   p.  208, 

*  377. 
OsJéomyélite,  p.  284,  *  714. 
Ovaire  infère,  p.  222,  f  479. 
Ovariolomies  pratiquées  à  l'hôpital  de  Pau, 

p.  304. 
Ozéne  (Traitement  de  1'),  p.  286. 
Pain  (Taxe  du),  p.  348. 

différent  du  pain  taxé,  p.  350. 

l*aniard.  —  Discussion  sur  la  résection 

du  genou,  p.  303. 
I*autet.  —  Appareils  pour  l'enseignement 

de  la  numération,  p.  369. 
Pantographe,  p.  160. 
Papaver  rhœas    et   Papaver  Bracteatuni, 

p.  221,  *  467. 
Pape  rCrotte  du),  p.  257. 
Paradis.    —   Le   dessin    précurseur   de 

l'écriture,  p.  368,  *  1116. 
Parasite  du  champignon,  p.  214,  *  406. 
Paris  (Métropolitain  de),  p.  166. 

(Eaux  potables  de),  p.  376. 

(Conférences   faites  à),  pp.  1,  5,  17, 

25,  39,  40,  72,  79,  94,  112. 
Parinentier  (G'').    —    Le  cavalier  aux 

échecs,  ]>.  156. 
Paroisse    i,G.).  —  La   rivière  (!omiii)ii\, 

p.  334,  *880^ 
Passy  (F.).  —  Discussion  sur  les  sociétés 

de  secours  mutuels,  p.  345. 


1228 


TABLE    ANALYTIQUE 


Passy   F.}.  —  Congrès  de  la  paix  eu  1892, 

p.  347,  1 1026. 
Discussion   sur   la  journée  de   luiit 

heures,  p.  348. 

Discussion   sur    racquisition    de    la 

propriété,  p.  355. 

■  Discussion  sur  un  mpu  au  sujet  de 

l'émigration,  p.  360. 

Discussion  sur  les  progrès  de  la  va- 
peur, p.  362. 

Arbitrage    en   matière    industrielle, 

p.  363. 

■ Discussion    sur  renseignement   des 

langues  modernes,  p.  373. 

Éducation  physique,  p.  373,  2  1152. 

Pathogi'nie  des  anomalies  dentaires.~p.  314 

2  770.  '  ' 
Pau  I Congrès  de),  p.  115. 
(Comité  local  de),  p.  126. 

iÉlectrophoro  inventé  à  .p.  179.  £254. 

'Empoisonnement  à  Jurançon  près), 

p.  22.J.  "       ^      ' 

(Laparotomies  prati.iuées  à  ,  p.  304. 

(Musée  sociologique),  p.  362.  ■>  1073. 

— (Conférences  faites  à),  pp.  465.  488. 

Pavot.  —  Etj inologie  franco-latine,  p.  369 

2  1118. 
Pays  basque,  p.  239.  £  589. 

-.Émigration).  p~335. 

Pi-che  au  grand  chalut,  p.  226.  =:=  494 
Pédagogie,  p.  367,2.   HIH. 

[Hypnotisme  1,  p.  373. 

Pellin.   —   Réfractomètre   Férv,  p.   176. 

2-  245. 
Pendeloques  et  amulettes,  p.  263.  -  619. 
Penkillaria  spicata.  p.  326. 
Pérès  (G.I.  _  Le  Grand  C^ntj-al  sibérien 

p.  340,  2  971. 
PmoH//je  (Préfloraison  dm.  p.  221.  «467. 

simple,  p.  222,  *  479. 

Périloiiite  traumalique7p.  289 

Perret  ,M.).  -  Rôle  de  Thumus  dan<  la 

végétation,  p.  325,  2  788. 
Petit  (E.).  —  Discussion  sur  les  bassins 
lacustres  pyrénéens,  p.  228. 

Exploitation   du  caoutchouc,  n.  3-»l 
2  784.  '      ~  ' 

Piésentalion  de  la  trigonelle  bleue 

p.  326. 

Pevple  basque,  p.  236,  2  ôôô- 

Peyrusson.  —   Discussion    sur  les  pto- 

maines,  p.  186. 
Pliéinjlhi/drazine  (Son  action'i.  p.  187. 
Phonot/'lémèlre  du    capitaine    Thouvenin 

p.  339. 

Phosphorescence  du  sidfure  do  zinc.  p.  176. 


Photograpliie  appliquée  au  levé  dt 
pp.  169.  333,  2  215.  862. 

et  photométrie.  p.  171. 

(Objectifs  .  p.   174. 

des  nuages,  p.  193.  2  284. 

des  Pyrénées,  p.  338." 


plans. 


Photomètre  (faibles  édairagesl,  p.  176. 
Photométrie   -Application  de  la  photogra- 
phie), p.  171. 

(Détermination  des  unités),  p.   172. 

Phtisie  pulmonaire,  pp.  273.  283. 

-Traitement  thermal i,  p.  276,  *  692. 

(Tiaitement  intensif),  p.  296. 

Physiologie,  p.  225.  2  ^88. 
Physique,  p.  171,  *  238. 

du  globe,  p."  191.  2  273. 

Pic  (lu  Mid:.  p.  33G. 

Pîche   lA.i.   —  Êlectrophore  à   rotation. 


P 


179, 


zo'i. 


Discussion   sur   l'observatoire  d'Or- 

thez.  p.  192. 

Le  dèperditomètre,  p.  195.  2  296. 

Discussion  sur  le  globe  producteur 

de  courants,  p.  194. 

Place  de  la  sociologie  dans  les  con- 
naissances humaines,  p.  362,  2  1073. 

Discus-ion  sur  l'enseignement  clas- 
sique et  moderne,  p.  369. 

Cercle  des  connaissances  humaines, 

p.  369.21134. 

Pierre/itte  (Rxcursion  à),  p.  505. 
Piett»".  —  Grotte  du  Mas-d'Azil.  p.  205. 
Discussion  sur  les  squelettes  de  Men- 
ton, p.  246. 

Discussion  sur  la  montagne  de  l'Es- 

piaup.  p.  247. 

Ci\ilisation   de    la    rive   gauche  de 

TArize.  p.  266.  2  649. 

Pineau.  —  Hachetle  tonkinoise  en  grès 
vert.  p.  261. 

Tupiulus  de  Yirson,  p.  262. 

Pisricalture,  p.  228.  2  51t>- 

Pisson  (G.'.  —  Races  des  vallées  du 
Tigre  et  de  TEuphrale,  p.  79. 

5*îtres.  —  Troubles  de  la  molilité  dans 
la  neurasthénie,  p.  315. 

Plaie  par  balle  de  revolver,  p.  289. 

Plantations  des  pays  chauds,  p.  340. 

Planté.  (A.).  —  Discussion  sur  l'observa- 
toire d'Orthez,  p.  192. 

Émigration  des  pays  basques,  p.  335. 

Discussion  sur  le  dénombrement  des 

Français  à  l'étranger,  p.  357. 

Le  Congrès  des  Américanistes,  p.  358. 

Présentation  d'un   vœu  au  sujet  de 

rémigration,  p.  359. 

Plantes  nouvelles  du  Tarn.  p.  219,  *•  ^^3. 

—  fourragères,  p.  326. 

Plcuré&ie  séreuse  (Traitement  de  la),  p.  277, 

*701. 
Pneumogastriipie  -Action  du),  p.  299. 
Poisson  frais  (Pêche  du),  p.  226,  2  -494. 
Poissons  osseux,  p.  233. 
Po/i  (Influence  du  I.  p.  177. 
Poœier  (D'i.  —  Discussion  sur  lescagots, 

p.  245. 

Discussion  sur  l'œdème  pulmonaire. 


1).  285. 


TABLE    AN.VLYTliJLK 


12i2y 


Poiiiier(L)'i.  —  Discussion  sur  la  résection 
du  ficnou,  p.  303. 

L.iparutuniies  à  Pau,  p.  304. 

Poiunierol.   —  Discussion  sur  les  siiue- 

leltes  de  Menton,  p.  24G. 

Discussion  sur  letumulus  de  Virzon, 

p.  262. 

Pendeloques  et    amulettes,  p.  263. 


:^619. 

Discussion  sur  l'âge  de  pierre,  p.  267. 


Populations  fraiiçaiseï  (Étude  des^  p.  267, 

*654. 
Porte  d'Enfer  et  vallée  de  la  Rouye,  p.  338. 
Poiichet  iD"'  G.).  —  Coloration  des  eaux 

de  la  mer,  pp.  198,  341,  2  326. 

Histoire  des  diatomées,  p.  218. 

Discussion  sur  les  bassins  lacusties 

pyrénéens,  p.  22K. 

Poule  domestique,  p.  227,  £507. 

Pouzuc  (Opiute  de),  p.  210. 

Préfloraison  des  coquelicots,  p.  221,  *  467. 

Préliistorique  <lu  Gers,  p.  263. 

Présidents  des  sections,  p.  121. 

Pression  barométrique  en  hiver,  p.  201. 

Prévision  du  temps  pour  un  lieu  donné, 
p.  203. 

Primaire  de  Cauipagna-de-Sault,  p.  210, 
*,  388. 

PrioI(*aii.  —  Puerpéralité  due  à  une  af- 
fection générale,  p.  278. 

Programme  de  la  session,  p.  132.    • 

général  des    excursions  et   visites, 

p.  497. 

Pseudorlltrose,  p.  274,  *  686. 

Pseudo-paralysie  syphilitique,  p.  316,  *  782. 

Plomuines,  p.  186. 

Puerpéralité  due  à  une  affection  générale, 
p.  278. 

Puissance  des  locomotives,  p.  164. 

Pulvérisations  de  nitrate  d'argent,  p.  286. 

Pyrénées  (Observations  à  travers  les),  p.  175. 

(Sanatorium  dans  les),  p.  105,  *  291. 

(Lacs  des),  p.  206,  *  358. 

(Zéolithes  des),  p.  210. 

(Crétacé  des),  p.  211. 

(Flore  des),  p.  214,  *  396. 

(Végétation  des  lacs),  p.  216,  *  412. 

(Bassins  lacustres),  p.  228. 

(Cagots  des),  pp.  243,  266,  't  639. 

(Levés  des),  p.  332,  *  860. 

(Étude  géographique  des  lacs),  p.  336. 

(Glaciers  des),  p.  338. 

(Conférence  sur  les),  p.  465. 

(Société  électrique  des),  p.  517. 

■  f Basses-)  (Eaux- Bonnes  et  Eaux- 
Chaudes),  PI).  197,  295, 
505. 

—        Liudonde  Cardesse,  p.  231. 
—        Isopodes  terrestres,  p.  231 , 

*  535. 
_        (Acide    phosphorique    du 

sol),  p.  326. 


Pijrénées  (Basses-)  i  Émigration  i,  p.  363, 
z  1092. 

centrales  (Éta|.'es  gypsifères),  ji.  211. 

—         (Échinides/,  p.  212. 

—        i.Étiulogie  du  goitre),  p.  389, 

*  1204. 

espar/noies  (ÉTiologie  du  goitre),  p.  336. 

—        (Contribution    à  la  carte), 

p.  340. 

(Hautes-)  lOphite  de  Pouzac),  p.  210. 

—        (Faune  pélagique),  i).  230, 

*  526. 

—        (Grotte  de  Gargas),  p.  249. 

—        (Excursion  à Tuque-Rouyei, 

p.  338. 
Que^Uion  proposée   aux    3°   et  4'  sections, 
p.  170. 

à  la  !'■  section,  p.  203. 

à  la  13»  section,  p.  324. 

à  la  15"  section,  p.  365. 

Raccordement  parabolique,  p.  168,  z  -1-- 
Races  des  vallées  du  Tigre  et  ijc  TEuphrate, 

p.  79. 
Radis  (Chlorure  de  sodium  et  chlorure  de 

potassium  dans  lei,  pp.  222,  325,  *  790. 
Rage  (Ligue  contre  la),  p.  388,  *  1198. 
Blaoïil  (E.i  —  Cultures  trupirales,  p.  340. 
Rapport  sur  l'observatoire  d'Oriliez,  p.  197. 

sur  les  mémoires  de  MM.    Grimai, 

E.  W'orms,  etc.,  p.  352. 

Rapprochemenis  géologiques,  p.  208. 
Râteau.  —  Théorie  des  ventilateurs,  p. 154. 

Manomètres  à  cloche  flottante,  p.  160. 

Discussion     sur     la     nomographie, 

p.  170. 

Recensement  (Conservation  des  listes  de) 
p.  361,  *  1060. 

Recherches  zoologiques  au  moyen  du  sca- 
phandre, p.  229,  *  522. 

Reculées  (Végétation  des),  p.  224. 

Réflexion  totale  (Me^ure  des  indices  par;, 
p.  177. 

Reiraction  atmosphérique,  p.  190. 

entre  le  Pic  du  Midi  et  un  sommet 

espagnol,  p.  336. 

Réfraclomètre,  p.  176,  *  245. 
Règlement,  p.  vu. 

Régnard  P.).  —  Métropolitain  de  Paris, 
p.  166. 

Traction  mécanique  des   tramways, 

p.  170. 

Régnault  (F.;.  —  Grotte  supérieure  de 

Gai-gas,  p.  249. 

Photographies  des  Pyrénées,  p.  338. 

Rég^nault  (D-^  F.-L.).  —  Discussion   sur 

la  variole,  pp.  280,  281 . 
Mariages  consanguins,  p.  283,  *706. 

Religieuses     laïques    de    Marseille, 

p.  291,  il;  742. 

Discussion  sur  l'étiologie  de  la  lèpre, 

p.  308. 
Religieuses  laïques,  p.  291,  !;  742. 


1230 


TABLE    ANALYTIQUE 


Remous  atmosphériques,  p.   196,  ±  300. 
Renaud  (G.).  —  Discussion    sui-  la  taxe 

du  pain,  p.  349. 
• Discussion  sur  le  Congrès  des  Anié- 

ricanistes,  p.  348. 

Discussion  sur  le  dénombrement  des 


Français  à  l'étranger,  p.  357. 
Discussion  sur  l'adoption  d'une  heure 

unique,  p.  359. 
Discussion  sur  un  vœu    au  sujet  de 

l'émigration,  p.  360. 
Discussion  sur  l'exploration  du  Niger, 

p.  361. 
Discussion  sur   la   conservation  des 


listes  de  recensement,  p.  361. 

Discussion  sur  l'émigration  dans  les 


Basses-Pyrénées,  p.  364. 

Reiwe  (Objet  de  l'âge  du),  p.  248. 

(Civilisation  à  l'âge  du),  p.  266,  *  649. 

Résection  typique  du  genou,  p.  301. 

Résidus  quadratiques,  p.  155,  ±  136. 

Respiration  (Gaz  de  la),  p.  189. 

Rétinite  siiphilitique,  p.  306,  ±  757. 

Retinodendropsis  aspera,  p.  221,  *  476. 

Révulsion  cutanée,  p.  303. 

Rey-Uescure.  —  Rapprochements  géo- 
logiques dans  le  sud -ouest,  p.  208. 

Reyt.  —  Crétacé  de  Saint-Sever,  p.  210, 

*  382. 

Rhéostat  continu,  p.  299. 

Richard  (J.). —  Appareils  enregistreurs, 

p.  196,  z  317. 
Richard  (.!.).  —  Faune  pélagique,  p.  230, 

*  526. 

Ritfer  (F.).—  Biographie  de  Viète,  p.  154, 

*  17. 

Algèbre  de  Viète,  p.  157,  *  177. 

Trigonométrie    de    Viète,     p.    160, 

*  208. 

La  myopie  plus  fréquente,   p.  379, 

*  1171. 

Rivière  (É.).  —  Age  des  squelettes  des 
Baoussé-Roussé,  pp.  205,  246,  *  347. 

Ossements  humains  et  animaux  d'un 

même  gisement,  p.  208,  *  377. 

Rivière  Compony  (La),  p.  334,  *  880. 

Roche  (D").  —  Pêche  au  grand  chalut, 
p.  226,  :::  494. 

Roiiianet  du  Caillaud.  —  Christia- 
nisme en  basse  Ethiopie,  p.  343. 

Rostand  (E.).  —  Caisses  d'épargne  fran- 
çaises, p.  346,  *  1007. 

— —  Discussion  sur  les  habitations  à  bon 
marché,  p.  347. 

Rouet  (Maçonnerie  sur),  p.  169,  *  214. 

Rougerie  (M'"').  —  Globe  producteur  de 
courants,  pp.  167,  193,  338,  371,  .382. 

Roulettes  (Appareils  à),  p.  157. 

Rousseau  Maint-Philippe.  —  La  bal- 
néation  chez  les  enfants,  p.  269. 

Discussion  sur  la  médication  saline, 

p.  723. 


Rousseau-^iaint-Piiilippe.  —  Discus- 
sion sur  le  traitement  de  l'ozène,  p.  286. 

Roussel  (J.).  —  Primaire  de  Campagna- 
de-Sault^  p.  210,  *  388. 

Crétacé  des  Pyrénées,  p.  211. 

Étages  gypsifères  des  Pyrénées  cen- 
trales, p.  211. 

Éocène     des     Pyrénées     centrales, 

p.  212. 

Rousselet.  —  Sanctions  disciplinaires, 
p.  371,  *1147. 

Roussille.  —  Discussion  sur  le  vin  de 
.Tui'ançon,  p.  323. 

Rousson.  —  La  Terre  de  Feu,  p.  339, 
*  961. 

RouTeix.  —  Discussion  sur  la  douche 
statique,  p.  286. 

Névralgie  sciatique,  p.  290,    *   735. 

RouTière.  —  Discussion  sur  la  reconsti- 
tution des  vignes,  p.  321. 

Rouye  (Vallée  de  la),  p.  338. 
Ruminants    (Artère  carotide   desi,  p.  228. 

Apophyse  post  auditive,  p.  229. 

Russie  (Histoire  de),  p.  339,  ^i;  956. 

(Kpidémie  de  choléra),  p.  387. 

Sabatier  (P.).  —  Métaux  nitrés,  p.  182. 

Bases  insolubles,  p.  185. 

Kabrazès  (J.).  —  Pilaire  du  sang  de  la 

grenouille,  p.  226,  *  488. 

Sagot  (Manuel  des  cultures  tropicales), 
p.  340. 

>^aint-lllartin.  —  Météorologie  dyna- 
mique, )).  199. 

Saint-Pierre  (R.  dei.  —  Discussion  sur 
l'auscultation  du  cœur,  p.   294. 

Saint-Saud  (C"  de).  —  Pyrénées  espa- 
gnoles, p.  340. 

Saint-Césaire  (Fouilles  à;,  p.  264. 

Christau  (Excursion  à),  p.  505. 

Dié  (Industries  de),  p.  364,  *  1104. 

Ma/'im-sur-0»anne  (Observations  à), 

p.  202. 

Martory  (Station   de    Montcomfort), 

p.  267. 

Palais  (Excursion  à),  p.  499. 

Sever  (Crétacé  de),  p.  210,  *  382. 

Salies-de-  Béarii  (Silex  moustériens),  p.  249. 

(Excursion  à),  p.  499. 

Sallenare.  —  Discussion  sur   le  vin  de 

Jurançon,  p.  323. 

Discussion   sur  le   rôle  de  l'humus 


dans  la  végétation,  p.  325. 

Discussion  sur  les  chlorures  de  so- 


diurti  et  de  potassium  dans  le  radis  et 
la  cressonnette,  p.  325. 

Influence  des  sulfates,   superphos- 


phates et  chlorures  sur  la  fertilité  du  sol, 

p.  328,  *  803. 
fiambuc.  —  Formes  végétales  et  climats, 

p.  220,  z  463. 
Sanatorium    dans    les   Pyrénées,   p.    195, 

*  291. 


TABLE   ANALYTIQUE 


1231 


Sanaloriitm  thermal  à  l»a\,  p.  270,  :^  665. 

(le  montagne,  p.  304. 

Sang  de  la  grenouille,  p.  226,  ^  488. 
Saporomètre,  p.  233. 
Sauveterre  (Excursion  à),  p.  499. 
Savants  étrangers,  p.  129. 
Say  (L.).  —    Discussion   sur   les    sociétés 
(le  secours  mutuels,  p.  345. 

Discussion  sur  la  taxe  du  pain,  p.  345. 

Réforme  du  cadastre,  p.  353. 

■  Discussion    sur   l'acquisition    de    la 

propriété,  p.  355. 

Rapports    de     l'économie    politique 

avec  les  autres  sciences,  p.  488. 

Scaphandre  (Son  utilité  dans  les  recherches 

zoologiques),  p.  229,  f  522. 
Schrader  iF.). —  Projets  d'observations, 

p.  175. 
Réfraction  atmosphérique,  p.  199. 

Levés  des  Pyrénées,  p.  332,  ^  860. 

Réfraction   entre  le  Pic  du  Midi  et 

un  sommet  espagnol,  [>.  336. 

Sciences  économiques,  p.  320,  *  784. 

mathématiques,  p.  153,  *.  1. 

médicales,  p.  269,  *  665. 

-  naturelles,  p.  204,  *  343. 
Séance  générale  d'ouverture,  p.  133. 
Secrétaires  des  sections,  p.  121. 
Sections,  l"  et  2' ,  p.  153,  *  1. 

3-  et  4%  p.  162,  ±  212. 

Section  5%  p.  171,  *  238. 

6%  p.  180,  392,  *  257. 

7%  p.  191,  ±  273". 

8%  p.  204,  *  343. 

9»,  p.  214,  *  396. 

10%  p.  225,  *  488. 

11-,  |).  236.  *  555. 

12%  p.  269,  =i=  G65. 

13-,  p.  320,  *  784. 

14-,  p.  329,  *  806. 

15-,  p.  345,  *  1007. 

-  16%  |..  367,  i  1116. 
17-,  p.  376,  *  11 03. 


Sécurité  des  cl)emins  de  fer,  p.  40. 

SéjSfuler  (B°°).  —  Observations  météoro- 
logiques, i>.  202. 

Seine  (Rassin  commercial),  p.  342,  *  997. 

Semirhon.  —  Perméabilité  des  sols, 
p.  327,  :i;795. 

Serres.  —  Discussion  sur  l'ostéomyélite, 
p.  284. 

Discussion  sur  l'œdème  pulmonaire, 

p.  285. 

Services  maritimes  postaux,  p.  336. 

S?6ene  iGrand-Cenlral),  p.  340,  *  971. 

Sieur.  —  .Météorologie  des  Deux-Sèvres, 
p.  l'.il,  *273. 

SUex  moustérietis  de  Salies,  p.  249. 

Silicates  sidfurifi'res,  p.  185. 

Sirodot.-- Squelette  des  poissons,  p.  2.33. 

Société  électrique  des  Pyrénées  (Visite  in- 
dustrielle), p.  517. 


Sociétés  sarantes   représentées  au  Congrès 
p.  130. 

de  secours  mutuels,  p.  345. 

,  Sociologie  (.Sa  place  dans  les  connaissances 

humaines,  p.  362,  -^  1037. 
Sol   (Humidité   du'i,   pp.  216,  219     *    433 

450). 

animal,  p.  227,  jj;  507. 

Sols  (Perméabilité  et  division  des),  p.  327, 

*795. 

(Fertilité),  p.  328,  £  803. 

Solutions  imaginaires  en  géométrie,  p.  155, 

*  132. 

de  KCl  et  XaCl,  p.  172,  *  238. 

Soudan  (Question  du),  p.  343. 
Souterrain  de  Suraport,  p.  163. 
Spécialisation    thérapeutique    des     Eaux- 
Chaudes,  p.  296. 

Squelette  des  poissons,  p.  233. 

Squelettes  des  groites  des  Baoussé-Roussé, 

p.  205,  246,  *  347. 
Statuts,  p.  III. 

Station  de  Montcomfort,  p.  267. 
Statistique,  p.  345,  *  1007. 
Stéthoscope,  p.  297. 
Structure  des  plantes,  p.  219,  *  450. 
Substances'intra-ossruses  (Pertes de),  p.  284, 

*714. 
Suc  thyroïdien  (Injections  de),  p.  292. 
Suffusion  sanguine  dans  l'épilepsie,  p.  305. 
Sulfates  (Influence  sur  la  fertilité),  p.  328, 

*  803. 

Sulfure    de    zinc    'Phosphorescence    du), 

p.  176. 
Sulser  (Verres  de  contact  du  DO,  pj).  171, 

299. 
Sumport  (Souterrain  dei,  p.  163. 
Superphosphates  ^Influence  sur  la  fertilité), 

p.  328,  *  803. 
Surfaces  d'égale  incidence,  p.  156,  *  166. 
Surveillance  administrative  sur  les  denrées, 

p.  380,  *  1175. 
Suture  osseuse,  p.  274,  *  686. 

des  sphincters,  p.  310,  *  762. 

Syllidiens,  p.  232,  *  539. 

Syphilis  (.A.mblyopie  causée  par  la),  p.  306, 

*  757. 

Pseudo-paralysie,  |i.  316,  *  782. 

Table  des  matières  de   la   première  partie, 

p.  52. 
de  la  deuxième  partie,  ±  1234. 

analytique,  *  1215. 

Taehard.  —  Traitement  de  la  pleurésie 


séreuse,  p.  2/  /,  * 


701. 


Cas  d'appendicite,  p.  301. 
Tachéographe  (Orographe   transformé  en), 

p.  332,  *  860. 
Taliilicti  (Cerveau  dunj,  p.  265,  *  629. 
Tardy.  —  In  cas  de  tératologie,  ]>.  266. 
Tarn    Plantes  nouvelles  dui,  p.  219.  2  453. 
Tarry    G.).  —  Solutions   imaginaires  en 

géométrie,  p.  155,  *  132. 


1232 


TABLE    ANALYTIQUE 


TaTcrui.  —  Études  d'anthropologie  cri-   j 
minelle,  p.  249. 

Expositions  d'art  didactique,  p.  367. 

Discussion   sur  l'enseignement  clas- 
sique et  moderne,  p.  369. 

Enseignement  de  l'histoire  à  rebours, 

p.  371. 

Taxe  du  pain,  p.  348. 
Teisserenc  de    Bort  (L.).  —  Gradient 
vertical,  p.  198. 

Discussion     sur    la  ^  climatologie , 

p.  2U0. 

. Discussion  sur  les  nimbus,  p.  203. 

Mouvements  tourbillonnaires,  p.  203, 


■±  336. 

. Discussion  sur  les  dunes,  p.  210. 

■ Moyens  de  combattre  la  rage,  p.  388, 

*  1198.' 

Ténia  noir  chez  l'homme,  p.  229. 

Tératologie  (Un  cas  de,i,  p.  266. 

Terre  de  Feu,  p.  339,  *  961. 

Tétraphényléthanone  (Synthèsej,  p.  181. 

Thalassinidés,  p.  227,  *  503. 

Théophrasle  Renaudot,  p.  25. 

Thérapeutique  des  Eaux- Bonnes  et  des  Eaux- 
Chaudes,  p.  295. 

chirurgicale  (progrès),  p.'298. 

Thermes.  —  Discussion  sur  le  sanatorium 
thermal  à  Dax,  pp.  270,  271. 

Discussion  sur   une  fracture  de   la 

jambe,  p.  275. 

. Discussion    sur    le   traitement  des 

eaux  de  Cauterets,  p.  282. 

Discussion    sur  la  douche  statique. 


286, 


p.  286. 
Des   névroses  vermineuses,  p. 

*722. 

Injections  hypodermiques,  306. 

Discussion  sur  l'étiologie  de  la  lèpre. 


p.  307. 

Climat    médical     d'Argelès  -  Gazost , 


p.  309,  *  753. 
Thermodynamïque,  p.  172. 
Thermomètre  enreijistreur,  p.    196,  *  317. 
Thomas.  — Acides  bromacri tiques,  p.  181. 

Acide  propamylique,  p.  189. 

Thouvenin  ^  Fhonotélémètre  du  capitaine), 

p.  339. 

Tigre  (Vallées  duj,  p.  79. 

Tison  fD'  Éd.).  —  Discussion  sur  la  va- 
riole, pp.  280,  281. 

Le  lysol,  pp.  308,  381. 

Discussion  sur  les   eaux  de   Paris, 

p.  378. 

Discussion  sur  la  surveillance  admi- 
nistrative des  denrées,  p.  380. 

Discussion  sur  la  variole  à  Bordeaux, 

p.  381. 

■ Discussion  sur  le  «  tout  à  l'égout  », 

p.  384. 

Discussion     sur    l'épidémie    cholé- 


Tison(D'^Éd.). —  Discussion  sur  les  moyens 

de  combattre  la  rage,  p.  388. 
Discussion  sur  l'étiologie  du  goitre, 

p.  .389. 

Discussion  sur   la   désinfection    pu- 


rique  en  Russie,  p.  388. 


blique,  ji.  390. 

Tisserand  (P.  i.  —  Industries  de  Saint- 
Dié,  p.  364,  z  1104. 

Tombe  à  char,  p.  249,  *  613. 

Tomelle  Saint-Pierre,  p.  262,  *  617. 

Tonkin  (Hachette  du  Hà-Giam.  p.  261. 

Topographie  au  point  de  vue  colonial, 
p.  339. 

Tour  Moncade  i  Observatoire),  pp.  191,  197, 
*  279. 

Tout  à  Végoul  et  tout  à  la  mer,  p.  383. 

Trabaud.  —  Discussion  sur  l'enseigne- 
ment classique  et  moderne,  p.  369. 

Critique  de  l'enseignement  français, 

p.  .370. 

Traction  mécanique  des  tramways,  ]>.  170. 
Trafic  du  port  de  Dunkerqiie,  p.  335,  *  903. 
Tramways  (Traction  mécanique  des;,  p.  170. 
Transformation  quadratique  birationnelle, 

p.  1.j6. 
Transmission  de  la  force,  p.  169. 

électrique  de  l'énergie,  p.  177. 

Transsibérien,  p.  340,  *971. 
Trarzas  (Campagne  dans  les^  p.  329. 
Traumatisme  cérébral  grave   terminé   par 

la  guérison,  p.  313. 

Travail  interne  et  travail  externe,  p.  172. 

Travaux  imprimés  présentés  aux  1"  et  2=  sec- 
tions, p.  161. 

présentés  à  la    5=  section,  p.  179. 

—        à  la    7»      —       p.  203. 

—        à  la    8"      —       p.  213. 

—        à  la  10°      —       p.  235. 

—        à  la  11=      —       p.  268. 

—        à  la  14=      —       p.  344. 

—        à  la  \h'      —       p.  365. 

—        à  la  le-^     —       p.  375. 

Tréhalose  (Production  de  la),  p.  180. 

dans  quelques  champignons,  p.  217. 

Trépanation,  p.  311,  *  764. 

Triangle  (Géométrie  du),  p.  155,  *  101. 
Trigonelle  bleue,  p.  326. 
Trigonies  jurassiques,  p.  213,  *  392. 
Trigonométrie  de  Viète,  p.  160,  *  208. 
Trivier  (Cap"") .  —  Voyage  on  Haïti  et  en 

Colombie,  p.  330,  *  806. 
Troie  (La)  d'Homère,  p.  1. 
Troubles  trophiques  et   moteurs,   p.   311, 

*  764. 
Trutat  (E.).  —  Cavités  dans  la  masse  des 

glaciers,  p.  208. 

Les  Pyrénées  (Conférence),  p.  465. 

Tuberculeux  à  hémoptysies,  p.  281 . 
Tumuli  de  Saint-Césaire,  p.  264. 
Tumulus  de  Virson,  p.  262. 

Tunisie  (Applications  de  l'a  Act  Torrens»), 
p.  352,  *  1047. 


TABLE   ANALYTIQUE 


1233 


étrangers    en 


Tuque-Rouye  (Excursion  à),  p.  338. 
Turkeslan  russe  et  chinois,  p.  39. 
Tarquaa    (V.).   —  Dénombrement    des 

Français  à  l'étranger,  p.  JJT,  210^7. 
Dénombrement    des 

France,  pp.  335,  361,  *  1057 
Université  (Dernières  réformes),  p.  371. 
Urémie  éclamptique,  p.  317. 
Urines  (Analyse  médicale),  p.  318. 
Utérus  (Ligaments  ronds  de  1'),  p.  282. 
Vacances  (Colonies  scolaires),  p.  367. 
Vallée  d'Ossau,  p.  248. 


de  la  Vézère, 


261. 


Valvules  sigmoides  de  l'aorte,  p.  316. 
Vapeur  itccumulce  (Locomotive  à),  p.  163. 

en    France     (  Progrès  ) ,     p .   362 , 

*  1064. 

sous  pression    (Désinfection    par), 


p.  391. 

Variations  périodiques  des  glaciers,  pp.  206, 
330. 

Variole  (Épidémie  de),  pp.  278,  381. 

Vauthier  (L.-L.).  —  Programme  de  l'en- 
seignement public  en  démocratie,  p.  375, 
z  1155. 

Assainissement    de    Paris,    p.    382, 

*1177. 

Végétation  des  lacs  du  Jura,  p.  215. 

—      des  Pj  renées,   p.   216, 

Z  412. 

et  humidité  du   sul,  p.  216,  2  433. 

des  reculées,  p.  224. 

(Rôle  de  l'humus),  p.  325,  2  788. 

Verdeiial.  —  Spécialisation  thérapeu- 
tique des  Eaux-Chaudes,  p.  296. 

Verres  de  contact,  p.  171,  299. 

Vertèbre  lombaire  pénétrée  par  une  flèche 

de  silex,  p.  310. 
Vézère  (Fouilles  de  la),  p.  261. 
Viandes   (Surveillance    administrative    sur 

les),  p.  380,*  1175. 
l'ibert  (P.),  —  La  topographie  au  point 

de  vue  colonial,  p.  339. 
Vibrations  (Courbes  de),  p.  173,  *  242. 
Viète  (Biographie),  p.  154,  *  17. 

(Algèbrei,  p.  157,  ±  177. 

(Trigonométrie),  p.  160,  *  208. 

Vignes  (Reconstitution  des),   pp.  320,  323. 
Ville  morte  (Brouage),  p.  338,^940. 
Villes  maritimes  (Tout  à  la  mer),  p.  383. 


Villot  (A.).  —  Étude  comparée  des  .Mer- 

mis  et  Gordius,  p.  230,  *  529. 
Via  (Levures  du),  p.  322. 

de  Jurançon,  p.  322. 

Vins  (Falsification  des),  p.  186. 

ViiiBon. —  Discussion  sur  le  peuple  Lasque, 

p.  237. 
— —  Discussion    sur     le    pays     hascfue , 
pp.  2iO,  2'»l. 

Discussion  sur  les  cagots,  p.  2'»i. 

Discussion  sur  l'enseignement  fran- 


çais, p.  370. 
Virson  (Tumulus  de),  p.  262, 
Vis  différentielle  (Cinémomètre  i\\  p.  157. 
Visite  industrielle,  p.  517. 
Vitalité  des  germes,  p.  225. 
Vitesses  des  chemins  de  fer,  p.  170. 
Vœux  présentés  par  les  1"  et  2*  sections, 

p.  161. 
présenté  par  la    '"section,  p.  203. 

—      par  la  10=    —        p.  235. 

—      'par  la  12°    —       p.  319. 

—      par  les  14»  et   15"  sections, 

pp.  343,  365. 
—      parla  17=  section,  p.  391. 

—      au    sujet    de    l'émigration, 

p.  359. 

(Proposition  de),  p.  322. 

Voies  respiratoires  (Affections  des),  p.  283. 
Volé  mite,  p.  183. 
Vci/if^mes  (Àlesure  des),  p.  157. 
Voyage   en   Haïti    et    Colombie,    p.    330, 
2  806. 

aux  lies  Salomon,  330,  2  820. 

Willems.  —  La  Terre  de  Feu,  p.  339, 

2  961. 

Worms  (É.).  (Son  mémoire),  p.  352. 

Aambeu. —  Discussion  sur  la  reconstitu- 
tion des  vignes,  p.  321. 

Levures  du  vin,  p.  322. 

■  Discussion  sur  le  vin   de  Jurançon, 


p.  323. 
Discussion    sur 


les 


vignobles    des 


Landes,  p.  323. 

Discussion  sur  l'enseignement  clas- 
sique et  moiierne,  p.  369. 

Zéolitltes  des  Pyrénées,  p.  210. 

Zinc    (Phosphorescence    du    sulfure    de 
p.  170. 

Zoologie,  p.  225,  *  488. 


78-= 


TABLE  DES  MATIÈRES 


SECONDE  PARTIE 

NOTES    ET    EXTRAITS 


CoLLiGNON  (Éd.)-  —  Remarque  sur  le  choc  direct  de  deux  corps  élastiques  ....  1 

—               —  Problèmes  sur  les  corps  flottants 7 

RiTTER  (F.).  —  François  Viète,  inventeur  de  l'algèbre  moderne 17 

Laisant  (C.-A.).  — Quelques  remarques  sur  les  courbes  unicursales 25 

Lemoine  (É.).  —  La  Géométrographie  ou  l'Art  des  constructions  géométriques  .   .  36 
—          —  Résultats    et   théorèmes    divers    concernant    la    géométrie    du 

triangle lUl 

Tarrv  (G.).  —  Figuration   des   solutions   imaginaires    rencontrées   en    géométrie 

ordinaire 132 

Coccoz.  —  Des  carrés  de  8  et  de  9,  magiques  aux  deux  premiers  degrés,  des  carrés 

de  mêmes  bases  en  nombres  triangulaires 136 

Fkolov  (M.).  —  Sur  les  résidus  quadratiques 149 

BiERENS  DE  Haan.  —  Renseignements  sur  l'édition  de  la  correspondance  et  des 

œuvres  de  Chr.  Huygens 159 

GuiMARAES  (R.).  —  Sur  l'évaluation  de  certaines  aires  coniques 166 

Lecornu  (L.).  —  Sur  les  surfaces  d'égales  incidences 172 

RrfTER  (F.).  —  L'algèbre  nouvelle  de  François  Viète 177 

Fontes.  —  Sur  la  division  arithmétique,  possibilité  de  la  suppression  de  cette 

opération 182 

FoNTANEAU  (E.)-  —  Sur  la  déformation  des  corps  isotropes  en  équilibre  d'élasticité.  190 

Ritter  (F.).  —  La  Trigonométrie  de  François  Viète 208 

Berms.  —  Raccordement  parabolique  entre  deux  arcs  de  cercle  contigus  de  même 

sens 212 

—     —  Sur  les  fondations  à  air  comprimé  avec  chambre  en  maçonnerie  sur 

rouet 214 

Laussedat  (Le  Col"'  A.).    —  Historique  de  l'application  de  la  photographie  au 

lever  des  plans 215 

Lesage  (P.).  —  Évaporation  comparée  des  solutions  de  NaCl,  de  KCl  et  de  l'eau 

pure 238 

IzARN.  —  Modification  de  l'appareil  à  excentriques  de  Lissajous  pour  la  composi- 
tion de  deux  mouvements  vibratoires  rectangulaires 242 

—      —  Appareil  démontrant  le  mécanisme  des  ondes  stationnaires 243 

FÉRY  (Ch.).  —  Sur  un  nouveau  réfractomètre 245 

PiCHK  (A.).  —  L'électrophore  à  rotation 254 

Bedout  (L.).  —  Compteur  densi-volumétrique 257 


TABLE   DES   MATIÈRES  1235 

Berrens  (H.).  —  AInuulcii.  —  Ses  mines  de  mercure  et  ses  divers  systèmes  de 

réduction  du  minerai <,>gi 

Blanc  (Ed.i.  —  Sur  un  mode  particulier  de  cuisson  des  briques,  usité  dans  cer- 
taines parties  de  l'Asie  centrale 267 

Sieur.  —  Météorologie  du  département  des  Deux-Sèvres  et  de  la  région  du  sud- 
ouest  273 

LÉON  (H.).  —  Projet  d'observatoire  régional  de  la  Tour  Moncade  à  Orthez  ....       279 

AiNGOT  L4..).  —  Sur  l'étude  des  nuages  par  la  piiotographie 284 

r.ANDY  (Le  D').  —  Quatre  années  d'observations  à  Bagnères-de-Bigorre 2'JO 

LÉON  (H.).  —  Un  sanatorium  dans  les  Pyrénées.    —   Bagnères-de-Bigorre   et   la 

Fontaine-des-Fées 291 

PiCHE  (A.).  —  Le  déperditomètre 296 

Mendez  (E.).  —  Sur  les  remous  atmosphériques 300 

Richard  (J.i.  —  .\ouveau.K  appareils  enregistreurs 317 

PoucHET  (G.I.  —  Sur  les  eaux  vertes  et  bleues  observées  au  cours  du  voyage  de 

la  Manche 326 

Teisserenc  de  Bout  (L.).  —  Sur  la  théorie  des  mouvements  tourbillonnaires.   .    .  336 

C.OTTE.iu  (<;.).  —  La  famille  des  cidaridées  à  ré[)0(iue  éocène 343 

Rivière  (É.).  —  Sur  l'âge  des  squelettes  humains  des  grottes  des  Bnouss';- Housse, 

en  Italie,  dites  grottes  de  Menton 347 

Belloc  (É.K  —  Étude  sur  l'origine,  la  formation  et  le  comblement  des  lacs  dans 

les  Pyrénées 358 

Rivière  (E.).  —  Détermination  par  l'analyse  chimique  de  la  contemporanéité  ou 
de  la  non-contemporanéité  des  ossements  humains  et  des  ossements  d'animaux 

trouvés  dans  un  même  gisement 377 

Reyt  et  DuB.VLEN.  —  Sur  la  protubérance  crétacée  de  Saint-Sever 382 

Roussel  (J.i.  —  Sur  le  primaire  de  Campagna-de-Sault 388 

GouRDON  'M.i.  —  Le  Musée  pyrénéen  de  Bagnères-de-Luchon 390 

Bigot  (A.).  —  Sur  les  trigonies  jurassiques  de  Normandie 392 

BoN.NiER  (G.).  —  La  flore  des  Pyrénées  comparée  à  celle  des  Alpes  françaises  .   .  396 
CosT.^NTiN  et  DuFOUR.  —  Obscrvations  sur  la  môle,  champignon  parasite  du  cham- 
pignon de  couche 406 

Belloc(É.).  —  Aperçu  général  de  la  végétation  lacustre  dans  les  Pyrénées.   .   .   .  412 

Gain  (Ed.).  —  Influence  de  l'humidité  du  sol  sur  la  végétation 43;; 

GÉNEAU  de  Laxi.vrliére  (L.).  —  Sur  le  développement  du  Conopodiutn  denudalum 

Koch 445 

Oger  (A.).  —  Étude  expérimentale  de  l'influence  exercée  par  le  sol  humide  sur  la 

tige  et  les  feuilles '»50 

Caraven-Cachin  (A.).  —  Les  plantes  nouvelles  du  Tarn  (1874-1891) 453 

HouLBERT  (C).  — Sur  la  valeur  systématique  du  bois  secondaire 456 

Heckel  (E.).  —  Sur  un  Ceratonia  siliqua  L.  à  fleurs  uniquement  hermaphrodites 

et  à  étamines  sessiles  (Brachystémones) 460 

Sambuc.  —  Sur  les  relations  entre  les  formes  végétales  et  le  climat.   .   .^  .   .    .   .  463 

Daniel  (L.).  —  Sur  la  greffe  des  plantes  en  germination 465 

Heim  (F.).  —  Sur  quelques  cas  de  pn'floraison  anormale  chez  les  coquelicots.   .    .  467 

—        —  Sur  un  type  nouveau  de  diptérocarpacées,  re<modend/ops(S  asper«.   .  470 

Mesnard(E.).  — Recherches  sur  la  falsification  de  l'essence  de  santal 476 

Clos  (Le  D' D.).  —  Le  caUce  ou  le  périanthe  simple  et  l'ovaire  infère 470 

Nabias  (de)  et  Sabrazès.  —  La  filaire  du  sang  des  grenoudles.  —  Découverte  du 

mâle ^88 

RocHÉ  (G.).  —  Sur  la  décrudescence  des  rendements  de  la    grande   pêche  du 

«  poisson  frais  »  au  large  de  nos  côtes  du  sud-ouest 494 

BoKDAGE  (Ed.)  —  Myologie  des  crustacés  décapodes  en  général  et  comparaison  du 

système  musculaire  des  thalassinidés  et  de  celui  des  anomoures 50T 

Gaube  (J.).  —  Du  sol  animal.  —  Sol  de  la  poule  domestique.  —  Amendements.  507 


1236  TABLE   DES   MATIÈRES 

Belloc  (É.).  —  Utilisation  des  cuvettes  lacustres  pyrénéennes  pour  la  pisciculture.  516 
BouTAN  (L.).  —  Sur  le  développement  de  l'haliotide  et  sur  l'utilité  du  scaphandre 

dans  les  recherches  zoologiques 522 

GuERNE  (J.  de)  et  Richard  (J.).  —  Sur  la  faune  pélagique  de  quelques  lacs  des 

Hautes-Pyrénées , 526 

ViLLOT  (A.).  —  Études  d'anatomie  comparée  sur  les  mermis  et  les  gordius.   .   .   .  529 
DoLLFUS.  —  Sur   la    distribution   géographique   des   isopodes   terrestres   dans  la 

région  des  Basses-Pyrénées 535 

Malaquin  (A.).  —  Remarques  sur  l'absorption  et  l'excrétion  chez  les  syllidiens  .  539 
BiÉTRix.  —  Sur   un  nouvel  essai   de  mesure  de   la   quantité   de   matière  vivante 

existant  à  la  surface  de  la  mer 543 

HoNNORAT- Bastide  (Ed. -F.)-  —  Cicindélides  des  Basses-Alpes 547 

Inchauspe  (L'Abbé). —  Le  peuple  basque,  sa  langue,  son  origine 555 

Charencey  (Le  comte  de).  —  Des  affinités  de  la  langue  basque  avec  divers  idiomes 

des  deux  continents 573 

GuiLBEAU.  —  L'Eskal-Herria  ou  pays  basque.  Historique  et  linguistique 589 

DuMONT  (A.).  —  Natalité  des  Basques  de  Baïgorry 597 

Bosteaux-Paris.  —  Résultats  de  fouilles  aux  environs  de  Reims 613 

PoMMEROL  (Le  IV  F.).  —  Les  pendeloques  et  les  colliers  amulettes 619 

DouMERGUE  (F.).  —  La  grotte  du  Ciel  ouvert,  à  Oran 623 

Manouvrier  (LeD"  L.). —  Description  du  cerveau  d'un  indigène  des  îles  Marquises  629 

Magitot  (Le  D'').  —  Sur  une  variété  de  cagots  des  Pyrénées 639 

PiETTE  (É.).  —  Phases  successives  de  la  civilisation  pendant  l'âge  du  renne,  dans 

le  midi  de  la  France  et  notamment  sur  la  rive  gauche.de  l'Arise  (grotte  du  Mas 

d'Azil) 649 

CoLLifNON  (Le  D''  R.).  —  Contribution  à  l'étude  anthropologique  des  populations 

françaises  (Charente,  Corrèze,  Creuse,  Dordogne,  Haute- Vienne) 654 

Delmas  (P."i.  —  Le  sanatorium  thermal  de  Dax 665 

LAR.A.UZA  (A.).  —  De  la  médication  saline  à  Dax.  (Clinique  hospitalière.) 678 

MouLONGUET  (A.).  —  Fracture  de  jambe  chez   une  hystérique.  —  Pseudarthrose. 

—  Suture  osseuse,  guérisou 686 

Ferray.  —  Action  de  l'eau  du  ÎS'eubourg  dans  le  traitement  des  diabétiques.    .   .  688 
DuHOURCAU   (E.).  —   Traitement  thermal   et   climatique   de  la   phtisie,    combiné 

avec  la  cautérisation  ponctuée  ou  les  injections  de  liquides  organiques 692 

Chalot  (V.)-  —  Traitement  de  l'épilepsie  essentielle  (grand  mal)  par  la  ligature 
des  deux  artères  vertébrales  et  par  la  ligature  incomplète  des  deux  carotides 

primitives 698 

Tachard.  —  Traitement  de  la  pleurésie  séreuse  par  le  siphon 701 

Regxault  (F.).  —  Mariages  consanguins.  —  Différentes  manières  de  les  envisager. 

—  En  quels  cas  on  doit  les  éviter 706 

DiEUZAiDE.  —  Observations  d'ostéomyélite 714 

Imbert  de  la  Touche.  —  Traitement  de  la  migraine  et  des  céphalées  par  la  douche 

statique.  .    , 718 

Thermes  (G.).  —  Des  névroses  vermineuses 722 

Aris.  —  Plaie  pénétrante  de  l'abdomen  par  balle  de  revolver.  —  Péritonite  trau- 

matique.  —  Guérison  sans  opération 725 

Élevy.  —  Météorologie  médicale  de  Biarritz 728 

Rouveix.  —  De  l'emploi  des  courants  continus  dans  le  traitement  de  la  névralgie 

sciatique ; 735 

Arnozan  (X.).  —  Contribution  à  l'étude  du  névrome  plexiforme 738 

Regnault  (F.).  — Les  religieuses  laïques  dans  les  hôpitaux  de  Marseille 742 

GiLS.  — Contribution  à  l'étude  de  l'étiologie  des  anévrysmes  de  l'aorte 747 

Thermes  (G.).  — Le  climat  d'Argelès-Gazost  au  point  de  vue  médical 753 

BoÉ  (F.).  —  Contribution  à  l'étude  du  traitement  de  la  rétinite  sypliilitique  .   .   .  757 

Nicaise  (E.).  -    De  la  suture  des  sphincters  dans  l'opération  de  la  listule  à  l'anus  762 


TABLE    DES    MATIÈRES  1287 

Ahis.  —  Fracture  du  pariétal  droit.  —  Troubles  trophii|uos  ot  moteurs.    -  Tré- 
panation neuf  ans  après  l'accident 764 

Rloch  (A.).  —  Pathogénie  des  érosions  et  autres  anomalies  dentaires 770 

Chaumieh   (E.).  —   Un   cas  de  pseudo-paralysie  syphilitique  terminé  par  la  guc- 

rison 782 

Petit  iE.).  —  L'exploitation  du  caoutchouc  dans  les  îles  flottantes  du  fleuve  de 

l'Amazone;  son  implantation  dans  nos  colonies  tropicales 784 

Perret  (M.).  —  Rôle  de  l'humus  dans  la  végétation 788 

Les.vge  (P.).  —  Le  chlorure  de  sodium  et  le  chlorure  de  |)otassium  dans  le  radis 

et  la  cressonnette 790 

Llaurado  (A.  de).  —  Sur  la  culture  des  dunes  en  Andalousie 792 

HouDAiLLE  et  Semichon.  —  Recherches   sur  la  perméabilité  ot  l'état  de  division 

des  sols 793 

Sallenave  (V.).  —  L'influence  des  sulfates,    superphosphates,   chlorures  sur  la 

fertilité  du  sol 803 

Trivier  (Le  Cap-').  —  Voyage  en  Haïti  et  Colombie 806 

Hagen  (Le  D').  —  Vojage  aux  îles  Salomon 820 

Barbier  (J.-V.).  —  L'Indo-Chine  vue  par  un  missionnaire  lorrain  il  y  a  cinquante 

ans 834 

Orléans  (Le  P"  H.  d').  —  Une  excursion  en  Indo-Chine.  —  De  Hanoï  à  Bangkok.  843 
Schrader  (F.).  —  Les  levés  des  Pyrénées.  —  Transformation  de  l'orographe  en 

tachéographe  860 

Gaultier  iJ.1.  —  Les  levés  topographiques  par  la  méthode  photographique  .   .   .  862 
Lallemand  (Ch.).  —  La  détenninatiou  du  niveau  moyen  de  la  mer  par  le  médi- 

inarémètre 867 

CouBERTiN  {!'.  de).  —  L' enseignement  de  la  géographie 871 

Paroisse  (G.).  —  La  rivière  Compony  (Guinée  française) 880 

CouDREAu  (H.).  —  Étude  de  la  chaîne  des  monts  Tumuc-Humac 884 

HouRST.  —  Projet  d'exploration  du  cours  moyen  du  Niger 890 

Mine  (A.).  —  Le  traflc  du  port  de  Dunkerque 903 

Delavaud  (C).  —  Une  visite  à  Brouage,  la  ville  morte 940 

Drapeyron  (L.).  —  Calcul  chronologique  et  géographique  des  périodes  de  l'his- 
toire de  Russie 956 

RoussoN'  et  WiLLEMS  —  La  Terre  de  Feu  et  ses  habitants 961 

Fontes.  —  Sur  une  illusion  d'optique 966 

PÉRÈS  (G. \  —  Le  chemin  de  fer  transsibérien 971 

Blanc  (Éd.).  —  Sur  une  cause  d'erreur  dans  les  levés  topographiques  faits   dans 

les  régions  de  montagnes  et  particulièrement  en  Asie  centrale.   .    .   • 984 

Fontes.  -:-  Erreurs  persistantes  dans  la  géographie  pyrénéenne.  —  Rectifications.  990 

Dupont  (H.).  —  Le  bassin  commercial  de  la  Seine 997 

RosT.iND  (E.).  —  De  la  réforme  de  la   législation   sur   le   régime  d'emploi  des 

caisses  d'épargne  françaises 1007 

Cheysson  (É.).  —  Les  habitations  à  bon  marché 101 'i 

Passy  (F.).  —  Le  congres  et  la  conférence  de  Berne 1026 

Casalonga  (D.-A.).  —  De  quelques  principes  généraux  des  lois  française  et  étran- 
gères sur  les  brevets  d'invention 1031 

Arnault  (J.).  —  L'organisation  de  l'état  civil  des  personnes  et  des  propriétés  .    .  1030 
GuYOT  ;Y.i.  —   Les  applications   de  1'  «  Act  Torrens  »  en .  France,  en  Tunisie  et 

dans  les  colonies 10^7 

Cassano  (Le  P"  de).  —  Adoption  d'une  heure  unique  dans  l'intérêt  du  commerce 

et  des  relations  internationales 1051 

TURQUAN  (V.).  —  Dénombrement  des  étrangers  en  France 1057 

DiMONT  (A.).  —  De  l'utilité  des  listes  nominatives  et  de  la  nécessité  de  prévenir 

leur  destruction 'OnO 

Bbllei  (D.).  —  Les  progrès  de  la  vapeur  eu  France  de  1840  à  1890 1064 


1238  TABLE    DES   MATIÈRES 

Fiche  (A.).  —  De  la   place  de  la   sociologie  dans  l'ensemble  des  connaissances 

hunaaines,  des  musées  sociologiques  et  de  celui  de  Pau  en  particulier 1073 

FoviLLE  (A.  de).  —  Le  morcellement  depuis  dix  ans 1085 

Etcheveury.  —  L'émigration  dans  les  Basses-Pyrénées  pendant  soixante  ans.   .    .  109:2 

Tisserand  (P.),  —  Les  industries  de  Saint-Dié 1104 

GuiLBAULT  (A.).  —  La  comptabilité  d'un  arsenal 1109 

Paradis  (A.).  —  Le  dessin  précurseur  et  complémentaire  de  l'écriture 1116 

Pavot.  —  Etymologic  franco-latine.  —  De  la  transformation  des  consonnes  dans 

leur  passage  du  latin  au  français.  —  Le  fait  et  la  théorie 1118 

Pxche  (A.).  —  Le  cercle  des  connaissances  humaines 1134 

RoussELET.  —  Des  sanctions  disciplinaires 1147 

Passy  (F.).  —  L'éducation  physique 1152 

Vauthier.  —  Que  doit  être  le  programme  de  l'enseignement  public  en  démocratie.  1155 

Jeannel  (Le  D'  J.).  —  La  dépopulation  des  départements  montagneux 1163 

RiTTER  (F.).  —  De  la  myopie  plus  fréquente  aujourd'hui 1171 

Henrot  (Le  D"'  H.).  —  De  la  nécessité  d'établir  une  surveillance  administrative 

sur  les  viandes  livrées  à  la  consommation 1175 

Vaithier  (L.-L.).  —  Coup  d'œil  rapide  sur  l'assainissement  de  Paris 1177 

Teisserenc  de  Bort   (L.).  —  Sur  la   nécessité  de  fonder  une  hgue  pour  la  pro- 
tection des  animaux  et  des  hommes  contre  la  rage 1198 

Chopinet  (Le  D"^].  —  De  l'ètiologie  du  goitre  et  du  crétinisme  dans  les  Pyrénées 

centrales 1204 


TABLES 


Table  analytique 1215 

—    des  matières 1234 


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Charente  - 
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82 ,16 


_;-^°;a  8'*,f--86,6 


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^       Limite  entre  les  indices  céphaliques: 
V  S2,g  ft  S3,o -       I        ■ 


/?ordoffne- 80,70 

a¥  Vîeime. 80  ,93 


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TAILLE  MOYENNE  DES  CONSCRITS 
DE  LA  CLASSE   1891 


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CARTE    III 


JAinîtd'iiu  i/roupc  fi_-/Urul  des  tràr peiîhir 
tnilles'    ( teiche-  notre  àti  Lty/UJi/^-in  J. 


1T56HS  l,Siim  I^SSElSU  l,59l'  •  nll  l,60lilUilll  1,61LllJ 
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_A'.  S^forictc- .  -se 


D"  CO.LLI&NON_  ETUDE  ANTHKOPOLO 


T.  XXI  _  PI  V. 


EXCÈS  DE  U  DEMI  SOMME  DES  YEUX 

ET  DES  CHEVEUX  FONCÉS  RÉUNIS 

UR  CELLE  DES  YEUX  ET  DES  CHEVEUX  CLAIRS 


CARTE    II 


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Excès  des  bruns 
de  0  à  10 


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GARONNE      ,-'  deZOàSOCZ]      de30à40llii      plusdeW, 


RÉPARTITION  DE  L'INDICE  NASAL 


^-^RONNE         /indicesdeSSl 


tailles    f  tachet  7t<jire    tltt    Lùîiuitsin,  J 

70et.plus 


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JrThp./hiiveniiij,  fkiris 


UE  DES  POPULATIONS  FRANÇAISES. 


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