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COMPTE RENDU
A L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
Par M. SAINT-LÉGER, Commissaire civil
pour l'isle de Saint-Domingue ,
Le 2 juin 1792 > l'an 4'« de la liberté.
Imprimé par. ordre de l'Assemblée Nationale.
A PARIS,
DE L'IMPRIMERIE NATIONALE,
1792.
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COMPTE RENDU
A L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
Par M. S A I N T-LÉGER , Commissaire civil
igue.,
pour l'île de Saint-DominsUe
Le 2 juin 1792, l'an 4e. de la liberté j
Imprimé par ordre de l'Assemblée Nationale.
Mess i e u r s 7
Exvoyé à Saint-Domingue avec MM. Ronme
et Miibt ck pour l'exécution de Ja loi du 11 février
17.91 , pour y maintenir l'ordre et la tranquillité
j)i>idjqne , y faire resp> crer la volon e nationale,
et essruer, à l'omi re do ta paix, Hpncj.^.ité d'une
cks pins rich s parties de l'empire : je ne patois
cependant aujourd'hui que pour tous présenter le
spectacle <ie gea i. ;mx.
J" s ' :! •' ■•■' »s f'-'nestes se sdnt conju.ées pour la
Colonies, ii°. 3i. A
ruine de cette Colonie -.'elles paraissent agiter le plus
grand nombre : elles semblent ne connoître au-
cun frein : les haines violentes qu'elles ont allu-
mées ne veulent s'éteindre que dans le sang :
l'esprit de destruction se répand d'une manière
effrayante , et les mots de paix et & humanité sont
proscrits comme criminels.
En vain la loi essaye t-elle de se faire entendre:
son autorité est méconnue ; ou si , par un feint res-
pect pour elle et pour la souveraineté nationale ,
on s'étaye de ces noms sacrés, c'est pour trouver
plus sûrement le moyen d'en éluder l'empire, ou
pour parvenir à réaliser le système absurde d'une
folle puissance.
Longtemps mes collègues et moi , nous avons
opposé à ces sinistres eftbrts toute l'influence que
nous devions attendre du caractère dont nous
étions revêtus, toute la résistance dont nous avons
été capables : forts des pouvoirs que l'Assemblée
nationale et Je roi nous ont confiés , nous avons
tenté de rappeler le bonheur dans cette Colonie ,
en cherchant à y rétablir l'ordre et le 'règne de
la loi. Nous avons pressé tous les pouvoirs cons-
titués de nous seconder dans cette entreprise ;
nous avons invité tous les vrais Français à se réunira
nous ; mais ne pouvant nous dissimuler enfin que
nous étions réduits à nos seuls moyens , nous
avons eu encore la douleur de voir s'élever con-
tre nos opérations une grande partie de ceux
mêmes que leurs devoirs appelloient à nous se-
conder, ceux qui, parleurs obligations envers le
peuple, dévoient chercher à nous environner de la
confiance de leurs concitoyens.
Oui, Messieurs, les obstacles que l'autorité na-
tionale a rencontrés , ont été produits , pour la
(3)
plupart, par les actes mêmes des corps populaires ;
dénomination que les corps administratifs et mu-
nicipaux de Saint-Domingue ont adoptée : en vertu
de cette dénomination erronée , et du caractère
de représentation qu'ils s'arrogent , ils exagèrent
les principes ? ils confon ent les pouvoirs, et pa-
roissent tendre souvent à les usurper tous.
Leurs actes destructifs de toute organisation
ont empêché que la paix ne s'établît sur des fon-
demens solides ; ils n'ont que trop éloigné l'espoir
de la voir renaître»
Ces corps administratifs nous ont enlevé , aux
yeux du peuple de la Colonie , la force morale
dont l'Assemblée nationale et le Roi nous ont in-
vestis , en nous supposant des erreurs , des fautes
et des intentions coupables. Leur conduite a prêté
de grands avantages au parti qui lutte aujour-
d'hui contre eux, et qui , peut-être dans l'origine
des troubles , n'étoit opposé à ces corps que
parce que ceux-ci l'étoient eux-mêmes au nouvel
ordre de choses qui s'est établi en France. Us
ont fourni' à ce parti le prétexte de justifier des
violences , et de s'armer de la loi même pour la
combatrre plus sûrement.
Au milieu de tous ces chocs , nous restions
inébranlables dans les principes et dans notre de-
voir ; mais les écarts des corps administratifs et
municipaux détruisoient chaque jour l'efficacité
des moyens qui pouvoient seuls con venir à notre
ministère de paix. Eh ! devions nous employer
d'autre voie que colle de !a persuasion et de' la
fermeté: Toute avUre mesure, sans assurer l'exé-
cution de la loi , auroit armé à .Saini-Domingue
une portion de ses habitant contre l'autre, e. mis
aux prises deux partis qui s'excitoient journei-
A a
_( 4)
lement , et qu'il étoit de notre devoir de rap-
pj?< cher.
Sans doute , il ûtoît loin du cœur de mes
collègues comme du mien , de .souiller de sang
la mission en quelque sorte sacrée qui nous étoit
confiée , et de donner le signal de la guerre civile j
ma's la loi étant par-tout éltrlée on repoussée ,
les moyens dont nous pouvions disposer étant
devenus insufiisans contre des actes réduit» en
système par les corps administratifs ; l'autorité
nationale s'affoiblissant de jour en jour par l'effet
de ces acres; l'esprit de parti , les passions tu-
multueuses s'emparant de l'initiative de tontes les
délibérations , de toutes les décisions , de toutes
les démarches ; les premiers succès que la loi
avoit obtenus à mon arrivée dans la province de
l'Ouest, étant détruit»; enfin, au milieu de la
confusion des pouvoirs , ma présence ne parais-
sant désirée que pour autoriser les hostilités aux-
quelles on se disposait de toutes parts , j'ai ctu
que mon devoir me prescrivoit impérieusement de
venir rendre à l'Assemblée nationale un compte
de la situation de cette impoi tante, mais infor-
tunée Colonie , qui portât sur elle Jes regards de
la Nation entière.
Je n'ai point à vous retracer , Messieurs , les
événemens qui ont eu lieu dans la Colonie avant
la fin de décembre 17.91. Mes collègues et moi
nous en avons métrait le ministre par nos dé-
pêches des 3o novembre et 29 décembre derniers.
A cette époque , quoi jue nos soi.".s fussent: diri-
gés vers les moyens d'arrêter ou d'appaker dans
la province du Nord , la révolte des noirs dont
les progrès devenoient effrayans , notre sollici-
tude chef choit encore à préparer le regue de la
(5)
loi , en faisant respecter la souveraineté natio-
nale dans les pouvoirs qu'elle avoit constitués
pour 3a Colonie, par la loi du 28 septcmbte; ruais
n'étant pas suffisamment informés de la situation
des provinces de l'Ouest et du Sud, nous avions
cru devoir rester réunis au Cap.
Cependant, de nouveaux troubles survenaient
dans les provinces. Les blancs , les hommes de
couleur étbient armés les uns contre les aunes.
Ici des coalitions locales , scit pour la sûreté
commune , soit comme prétexte pour se maintenir
en armes ; là , l'incendie et le pillage j presque
par tout les travaux de l'agriculture suspendus ,
les opérations du commerce entravées : tel étoit
l'état déplorable de la Colonie, et sur-tout de la
province de l'Ouest , que les députés de divers
quartiers envoyés vers nous , nous exposoieift
chaque jour ; déjà la torche avoit embrasé plu-
sieurs propriétés : elle les menaçoit toutes d'une
dévastation totale. Dispersés dans 1er» habitations ,
les blancs a voient tout à redouter, ou du brigan-
dage qui s'appuvoit d\n\ prétexte de parti , ou
petit être d'un Système atroce qui sembloit les
avoir impitovablement condamnés à disparoî re
de la surface de cette terre. En effet, chaque jour
voyoit tomber de nombreuses victimes de la fu-
reur du fanatisme, de la cupidité, de la soif des
vengeances. Au milieu de tant d'atrocités, on c n-
trevoyoit, pour ainsi dire, le dernier résultat de
ces dis, en lions horribles qui , donnant aux noirs
le; moyens de briser tout' lien et de s'armer ,
ouroient confon lu Indistinctement tous les l\oia*
mes libres dans une égale dy9v|
Cependant les rheillettri rfr<*'»ne •. 5 , ,,
1 i 1 c 1 • ,< -yens entraînes d 3-
I par la fatale influence de ces trinn, •
A3
treux, mais las enfin de combattre , effrayés de ne
plus appercevoir que Ces ruines , et désirant sans
doute la prospérité de la Colonie et de la France ,
cherchoient une issue à tant de maux. Ecoutant
la raison et sachant ménager l'amour- propre de
leur parti , ils indiquèrent , comme un remède
certain , les décisions et la présence des commis-
saires nationaux civils. Les députés qui se ren-
doient près de nous , nous répétoient sans cesse
que l'ordre et la paix suivroient infailliblement
nos pas ; qu'autrement la province de l'Ouest al-
loit devenir Je théâtre de tous les crimes.
Ces considérations justement appréciées par mes
collègues et par moi , nous déterminèrent à ar-
rêter qu'un de nous se transporteroit dans les pro-
vinces de l'Ouest et du Sud , pour y faire con-
noître et respecter la volonté nationale , exiger
la soumission à la loi , y porter des paroles de
paix , rapprocher des hommes aigris par le senti-
ment de leurs maux, et leur rappeler que les succès
d'une guerre civile ne sont que des désastres, et
ne produisent d'autres fruits que des remords.
Nous décidâmes , mes collègues et moi , que
je tenterois de remplir cette mission. Nous prîmes
le 12. janvier un arrêté qui fut communiqué à
l'assemblée coloniale , et à M. le lieutenant au
gouvernement - général. ( Pièces justificatives,
n°. i. )
M. Elanchelande fut prié de prendre les me-
sures propres à effectuer mon départ dans le plus
court délai. Une gcëlette fut frétée : je m'embar-
quai le 2.1 janvier; et le 29 du même mois, j'ar-
rivai au Port-au Prince, accompagné de M. Adet,
secrétaire de la commission , avec lequel je suis
revenu en France, et dont le zèle et les talens
(?)
ont parfaitement justifié le choix que le Roi a
daigné faire de lui.
Un immense quartier de cette malheureuse ville
ne laissoit voir que des cendres et des débris :
elle présentoit le spectacle d'une place entourée
d'ennemis: des fortifications élevées à la hâte sur
tous Jes points d'une vaste enceinte , exigeoient ,
et le jour et la nuit, de la part des troupes de li-
gne et des kabitahs , un service extrêmement pé-
nible. Toute subsistance de l'intérieur, toute com-
munication étoit interceptée; le marché n'offroit
plus d'alîmens, la ville étoit privée des eaux sa-
lubres qui descendent des mornes ; la viande de
boucherie manquoit même pour les hôpitaux ;
sans les vivres des magasins de l'État , et ceux que
l'administration demandoit et exigeoit du com-
merce , la famine se seroit bientôt fait sentir; et
cependant, malgré Ja possibilité du retard ou de
l'insuffisance des ressources sur lesquelles on pou-
voit compter, il régncit dans cette partie une di-
lapidation excessive ; la ville conservoit à la vé-
rité sa communication avec la mer , mais sans
qu'elle lui présentât aucune ressource certaine ;
et la municipalité et l'assemblée provinciale de
l'Ouest , m'exprimoient journellement leurs alar-
mes sur tous les dangers dont elle étoit envi-
ronnée.
Croira-t-on que, dans de telles extrémités , les
mots de paix , de conciliation fussent repoussés
à l'égal du crime? Voici peut-être l'explication de
cet étrange phénomène : les pertes , le malheur
àes uns , le brigandage r!ont on accusoit les autres ,
l'espérance d'une fortune dont en secret se flat-
toit un grand nombre ; tout ce bouleversement
dans les relations d'inteiêt, les esprits dans une
A4
(8)
fermentation qui leur faisoit adopter sans examen
tous es genres d'accusation, et on fe driminde.it
que des vidiines. Il est trop vrai malheureuse-
ment qu'il a existé, qu'il exisioit encore lors
de mon départ de la Colonie , un ■* soif de sang ,
de prosCriptîoM dans la ville du Port au Prince ,
contre laquelle n'ont pas été employés les moyens
confiés aux corps administratif' et municipal.
Puisse le^rèspéçï .pour Ja loi , 'dans cette v;]:e
aujourd'hui si malheureuse , atténuer un jour
l'horreur dont on seroit pénétré,' s'il falloit pré-
senter le tableau de ces proscriptions atroces et
de leurs circonstances ! Des citoyens français , des
blancs , des liormrieS de couleur , des femmes
même ( pièces justificatives , nw. 2 ) ont été im-
moles sans qu'en ait cru avoir besoin de- recou-
rir à aucune formé , sans autre juge que la baire,
sans antre preuve que ctile epue la prévention pou-
voit offrir à la férocité.
Les confédérés de la Croix-des-Fouquets, que
le Port-au-Prince regardait comme ses ennemis
les plus redoutables , éto'ent mai-Ires de la plaine
du Cul-de-Sac. Ce rassemblement nombreux, voi-
sin des montagnes du Mirebalais , exisioit sous
le titre d'armée combinée de la province de
l'Ouest 5 il s'étoit formé des hommes de couleur
chasses de la ville, du Port-au-Prince , de ceux
qui avoient épousé la même cause , et d'un grand
nombre de proscrits, habit ns de la plaine du Gui-
de Sac , ou des paroisses qui avoient accédé au
concordat et traité de paix fait avec les hommes
de c; uieur.
Ce rassemblement , dont le but parbissoît com-
mun , ë:oit mu par des causes diverses. Beaucoup
vouloient garantir leurs propriétés , d'autres te-
(9.)
noient: do bonne foi aux plâtrées d^ ces acte*
déclarés illégaux par l'Assemblée c<7ion*n^e ; l'on
y mamfestqii: ouvertement de l'opposition pour
cette Assemblée, dont on confeitoir d'a'lleur^
l'existence légale, parce qu'on lui supposoît eue
continuation de principes dont les coméqn-nres
auroient été iifnfesJ:e"S à la Colonie ; pont -être
existent il des vues coupables pïtis éte'rtdu< s en-
core , et qui ne ponvoient acquérir de cons'sriitce
qu'à la faveur^1 os troubles.
Quelque origine qu'on puisse attribuer à cotte
opposition aux actes de . l'Assemblée càlonîaîè "
il en résultait cependant urc aimée organisé ,
pourvue d'armes et de munirions de gne; - ,
ayant des chefs , un conseil d'administration ; et
les paroisses coalisées y entretenu!, nt dos com-
missaires. Cette armée correspon luit lifjrermrit
avec d'autres postes qui bloquoient étroitement
la ville; elle ponvoit les fai<e agi)- de concert :
ainsi, la dispersion de ce foyer principal, Sur-
tout par le seul effet de l'autorùe nation île, q ù
s'appuie sur ta foi, devoit nécessairement
de la guerre civile la province de l'Ouest, tf ar
ter en même - temps par l'exemple dans la pro-
vince du Sud , le ravage et les meurtres qui
s'y comme ttoient journellement.
D'ailleurs , je de vols calculer l'influence qn'ân-
roient sur leurs corcitov* hs de ^rais Français
menus plus éclairés, après s'être inipru lemuieni
livrés à une cause réprouvée par i* Assemblée colo-
niale ; pouvoir lég\tîmement constitué au mo
de la loi du 28 septembre 1791.
■ Pénétre des principes qui dirigent le peuple
içiis, résolu à ne déployer ta force que «
des ennemis qui là provoquent-, ou contre
( io )
rebelles qui se déclareroient tels en repoussant
obstinément la loi , j'ai cru ne devoir jamais fer-
mer entre des citoyens les voies de conciliation
et de rapprochement ; et rien n'étoit plus dans
le devoir de mon ministère, que de parvenir à ame-
ner le règne de la loi, en obtenant une preuve
éclatante de soumission pour elle.
Tel étoit l'état des choses , lorsque , le premier
février , les personnes réunies à la Croix-des-
Bouquets me demandèrent une entrevue , si je
pouvois promettre sûreté entière dans le Port-au-
Prince à la personne de leurs députés chargés
de me donner des témoignages de leur obéissance
à la loi. (Pièces justificatives , n°. 3. )
J'ai communiqué la lettre à la municipalité du
Port-au-Prince et aux commissaires que l'assem-
blée provinciale avoit destinés à maintenir avec
moi une correspondance active. J'ai bientôt pres-
senti les difficultés que j'aurais à combattre dans
la suite , lorsque j'ai appris, par leurs réponses,
que ces députés ne pouvoient être reçus chez moi
sans être exposés à des humiliations , à des ou-
trages 9 et peut-être sans avoir leur sûreté indivi-
duelle %ienacée , quoique l'assemblée provinciale
m'eût promis de prendre un arrêté à cet égard, et
d'y donner toute la publicité possible.
Il a donc fallu assigner le rendez -vous dans
une maison située hors de la ville , sous le canon
du fort Saint-Joseph. (Pièces justificatives, n°. \. )
La députation étoit composée de quatre blancs et
d'un homme de couleur propriétaire.
Instruit de leur arrivée, je suis sorti de la ville
avec MM. Beraud et Poncet , membres de l'as-
semblée provinciale ; la compagnie de grenadiers
du quatrième régiment étoit avec nous , destinés
r 11 )
à protéger les personnes envoyées vers moi. Ega-
rés par je ne sais quels conseils, ces grenadieis
ont prétendu assister à la conférence ; ils se prc-
inettoient des instances pressantes et réitérées j
mais dès que je leur eus montré que ma mort pré-
céderoit ienr déshonneur , ils se sont rappelés
qu'ils étoient soldats français.
Au nom de l'armée , des commissaires réunis
des paroisses de l'Ouest , des citoyens blancs et
des nommes de couleur, la députation m'assura
que tous recouroient avec empressement à la pro-
tection de l'autorité légitime , et que , pour l'ob-
tenir , ils fer oient à la loi et à la paix tous les
sacrifices qui devicndroient nécessaires. Ces sen-
timens m'étoient. confirmés par différentes lettres
des chefs que se sont donnés les hommes de cou-
leur. (Pièces justificatives , n°. 5. ) Us sont éga-
lement consignés dans les lettres des commis-
saires des diverses paroisses. (Pièces justificatives,
n». 6. )
On me dénonçoit dans deux pièces diiTérenles
un acre de )a part du Port-an Prince, qui ne pré-
sageoit pas ur,c é^ale volonté de faire cesser
d'aussi funestes hostilités. On y disoit qu'instruite
de mon arrivée prochaine dans la province de
l'Ouest , et ayant le désir de voir un terme aux
actes hostiles qui continuoient malgré la procla-
mation que nous avions faife à notre arrivée au
Cap , en vertu de la loi du 2.8 septembre , l'armée
de la Croix-des-Bouqners avoit envoyé au Port-
au-Prince des députés porteurs de paroles de paix,
et que pour toute réponse , m avoit envoyé des
bombes sur eux. (Pièces justificatives-, n°. 7.)
La députation est facilement convenue que , loin
tle se rebuter d'un accueil si propre à rallumer
( t*>
plus vivement les animosités et les vengeances ,"
il falloit redoubler d'effort pour prouver au Port-
au-Prince la s^ncéii é de ces sentimerts de paix.
Je les ai déterminés en conséquence à rendre à
la ville 1rs eaux ''ont elle étoit privée , à s'oc-
cuper des moyens de rétablir la communication
avec la pkiine , et d'assurer la libre circulation des
denrées et des subsistance*.
On m'a demandé sûreté pour les ouviers qui
ré abliroient les canaux. lis auroit-nt é.é exposés
au feu d'une batterie dirigée versla source : rien
n 'étoit plus juste ; et je la promis.
Mon premier soin en rentrant au Port-au-
Prince, fut de requérir le commandant militaire
de donner des ordres positifs pour qu'aucune
bombe, aucun boulet ne fut dirigé sur la source;
je lui expliquai mes motifs. (Pièces justificatives,
nc. 8. ) .
11 s'empressa de se conformer à ma réquisition :
il envova les ordres nécessaires aux bostes oc-
cimes par les troupes de ligne , et , conformément
à la loi sur l'organisation de !a force publique,
mise à exécution par l'assemblée coloniale, il la
fit passer à M. Caradeux , commandant de la garde
ration-' le, pour qu'il la fit exécuter dans les postes
qui lui étoient- confiés.
C est à cette époque, c'est à l'occasion de cette
com'gue que M. Caradeux , en sa qualité de com-
mandant de la garde nationale , a élevé et sou-
tenu des prétentions dont il ne s'est point dé-
paili depuis, malgré mes réquititions. (Pièces jus-
tifiâmes , n°. 9. )
A l'appui de ces prétentions, le peuple étoit
ap.ité par des bruits , par des- discours , par des
motions, et même par des démarches. Un arrêté
. (.13)
de l'assemblée provinciale a approuvé depuis le
mépris de la consigne donnée pur le commandant
militaire. (Pièces justificative*, n°. 10.)
Cependant . la Croix- des - Bouquets annorrçovl;
dans toute sa correspondance le désir soutenu de
voir rétablir la paix et les lois : on a voit rendu
le cours aux eaux , ma'gré les hostilités conti-
nuées du Poit-au?Pnnce. (^ Pièces justificatives,
n°. 11.)
Lorsque je répandois ers nouvelles propres à
ramener Je calme , on rendoit ma conduite sus-
pecte; le peuple s'agitoit ; et au-lieu de dissiper
ses craintes , ies corps administratif et muni i;»al
y donnoient fondement, en paraissant les parta-
ger. Quelques membres de la municipalité duPort-
an-r Prince , plusieurs membres de l'assemblée pro-
vinciale, avec l'expression de l'efirôi , m'annon-
cent publiquement que les hommes de couleur
descendes du Mirebalais, et ceux des autres quar-
tiers , venoient en Joule et se réunissaient en arm^s
à la Croixrdes Eonquets ; qu'on y conduisent des
cp.iions , des mortiers, toutes sortes de munitions
de guerre ; qu'on y elevoit des forts , et que les
préparatrfs de guerre s'y faisoient avec une ac-
tivité ate 5 que c étoit à tort que je me
reposois sut les promesses des blancs et des hom-
mes de couleur réunis à la Cioix-dcs-Eouquets ;
qu'ils n'avoient point n ^or»c>e:à leur projet d'exter-
miner les habitans duPort au-PrJnce. et que,
compromettre mon caractère , i^ ne pouvois de-
i r i;L paix pour des assassins et pour des re-
belles à la loi.
Ma confi rence avec eux étoit à peine finie, que
M. Caradeux est venu nie parler à son toi
ce prétendu rassemblement dc6 hommes de cou-
( H )
leur. Le pins grand danger , disoit il , menacent
le Port-au-Prince j et ma conduite , qui n'étoit pas
propre à écarter les craintes , n'étoit pas à l'abri
au soupçon, ajoutoil-il ; je n'avois le droit ni d'a-
voir des conférences avec les ennemis du Port*
au-Prince , ni d'entretenir avec eux une corres-
pondance dont je ne rend ois pas compte au Pu-
blic. Son devoir enfin l'obligeoit de sauver la Co-
lonie, et il me prévenoit en son nom, et au nom
de la garde nationale , qu'il f'eroit arrêter mes pa-
quets. (Pièces justificatives , n°. 12.)
Je l'ai d'abord 1 appelé aux principes , dont il
s'écartoit d'une manière si étrange. Enfin , j'ai
été contraint de lui annoncer que je me plain-
drois hautement de l'intention qu'il maniféstoit
avec tant de publicité , de violer les lois , et de
mépriser les autorités légitimes 5 que s'il leur de-
voit du respect comme citoyen , il en devoit en-
core l'exemple , puisqu'il étoit commandant de
gardes nationales. Ayant enfin terminé cette pé-
nible et scandaleuse conférence , j'ai écrit à la
Croix-des-Bouquets sur les faits qui m'étoient dé-
noncés (pièces justificatives , nu. 10 ) ; et bientôt i
réduits à leur juste valeur , ces faits sont devenus
des bruits sans fondement. ( Pièces justificatives ,
n». 14 )-
Que de réflexions s'offroient à ma pensée sur
la nature des obstacles que j'aurois à vaincre avant
que d'arriver au but que mon devoir et mon mi-
nistère me prescrivaient de chercher à atteindre !
Un seul sentiment paroissoit dominer toutes les
opinions de la ville : c'étoit la crainte de voir les
troubles se terminer autrement que par des voies
de sang et de proscription. Le peuple , entretenu
dans l'inquiétude , envisageoit comme un état plus
( ta )
alarmant que la guerre, cette tranquillité dont il
commençoit à jouir 3 et l'audace du commandant
de la garde nationale à manifester ses écarts de
principes sur la borne qui sert de rempart au pou-
voir civil contre les attentats de la force publique ;
cette audace , dis -je, étoit une tyrannie réelle
sur les opinions ; elle imposoit silence à tous ceux
qui ne partagoient pas l'opinion d'une multitude
qu'il étoit si facile de conduire et d'égarer par la
licence.
On s'attend à trouver dans les actes de l'Assem-
blée provinciale de l'Ouest , l'emploi des moyens
que la loi lui départit ; on croit que cette Assem-
blée va ramener aux principes ceux qui s'en écar-
tent ; qu'elle emploiera la confîancs du peuple ,
dont elle jouit , pour rétablir l'ordre , calmer l'ef-
fervescence , et coopérer avec moi , dans la pro-
vince de l'Ouest , aux mesures de conciliation et
de paix. Si elle , ni la municipalité du Port-au-
Prince , n'ont pu empêcher les atrocités sanglantes
dont on souille cette ville , on s'atten ' k voir ces
deux corps se réunir en délibérations ce munes ,
pour donner plus d'efficacité aux moyens d'en
prévenir le retour ; ou si , par d'inconcevables
Circonstances , ils sont contraints de suspendre
des recherches d'où résulteroient de plus grands
malheurs , c'est alors qu'un acte commun et solem-
nel doit frapper de l'indignation publique les cri-
minels auteurs de ces barbares spectacles , dont
l'affreux effet est de porter une multitude aveugle ,
une portion égarée d'un bon peuple , à se repaître
de sang.
Mais pourquoi donc tant de ménagement pour
un pareil délire PSeroient-elles coupables, l'Assem-
blée provinciale de l'Ouest et la municipalité du
( 1 6 )
Port-au-Prince ? on plutôt , sont-elles contraintes
et entraînées par des moteurs hors de leur sein ?
Mon devoir, quo; (ju'ii en .«-oit, est de dénoncer /or-
nu liement des actes qui se sont oppcîsés au retour
du calme et de l'ordre dans la colonie , au retour
de la concorde , et qui tendent à envahir là sou-
veraineté naiicnale , et à rompre l'unité de l'em-
pire fiançais.
L'Àsseînblée provinciale de l'Ouest s'est arroge
le droit de prononcer 'la destitution de tons les
jnp.es , d'après des accusations particulières , et
sur des dénonciations dont le mérite n'est pas
prouvé.
Dans une foule de circonstances, sur sa délibé-
ration spontanée , sur des déclarations dont la
preuve n'éloit pas acquise, sur l'initiative des $(
ciétés qui n'on! droit à exercer aucune action hi>W
les choses m5bliqu.es , elle a entrepris hors de sa
compétence , tant sur le commerce que sur lapai lie
militaire et administrative de la guerre et de la
marine ; elle s'est immiscée directement oans le
mode d'exécution qui appartient à la force mili-
taire : elle a aiiihi interverti tons les principes po-
litiques.
l.ile a mis des embargo ruineux pour le com«-
merce ; elle lui a donné des entraves dont il ne
pou v oit se dégager qu'au moyen de permissions
d'autant plus arbitraires , qu'être expédié de -tel
ou tel autre port de la métropole , pouiroit dé-
crier des préférences ou des refus. (Pièces jus-
tificatives , u°. 12. )
1.11e a fait enlever dans un des ports de la Co-
lonie, par des réquisitions formelles et réitérées
au commandant de la station , un bâtiment, du
commerce d'une grande importance. (Pièces jus-
lilicatives,
( '7 )
tifica.tives , n°. i3. ) Par un de ces arrê'és, elle
annonce que le commandant militaire chargé de
cette exécution, ne s'en est point acquitté, lorsque
ce commandant croit avoir a»i conforment nt.àla
loi , en ne se permettant point d'attenter à la pro-
priété , sans se mettre lui-même à l'abri de la
responsabilité. Ce commandant militaire a de-
mandé qi:e l'assemblée prît en considération l'ar-
rêté pour ce qui le concerne personnellement ,
et il attend encore l'effet de sa juste réclamation.
Sur v,n nouvel ordre positif, auquel sont jointes
les réquisitions de l'assemblée provinciale, ce na-
vire enlevé au commerce a ete conduit au Port-
au-Prince, et remis (entre .les mains de l'ami-
rauté , etc.
. Elle a fait arrêter et conduire au Porl-au Prince
un bâtiment de l'État(i), faisait panie d'une autre
mission, et occupé de son radoub dans la rade de
Saint-Marc. Une dénonciation , la demande sôlt m-
nelle du commandant de la garde nationale , et une
pétition de la société des amis de la constitution,
présentée par une députât ion aduai^e à l'honneur
de la séance , ont terminé cette mesure. ( Pièces
justificatives , n°. 14. )
Au lien de former une accusation légale contre
les individus qu'elle supposoit coupables , ou de
renvoyer au commandant de la station la dénon-
ciation d'actes/ que Ton supposoit laits par un
bâtiment de l'Etat contre !a tranquillité publi-
que , alin qu'il' eût* à les réprimer ou à les
punir; la réquisition prescrivoit une arrestation»
rail i ta ir«, sans exprimer de moàf-j l'assemblée fixe
(j) Os pièces sont entre les nui m s ùe M. Cambis, comman-
dant la GaliiiIuV .
Coin '■! ppr M' de Sautf-Léger. B
(i8)
le mode d'exécution , désigne la partie de la force
navale qui doit agir , le nombre et l'espèce de
moyens qu'on fera concourir , sans indication pré-
cise, lia réquisition désigne des rebelles à la loi ;
ce qui donne à la force publique agissante dans
l'intérieur une latitude arbitraire d'exécution.
Ainsi , le vrai et paisible citoyen attaché à ses
foyers , soumis d'intention à la loi dont il voudroit
provoquer l'établissement, confondu dans cette dé-
nomination de rebelles à la loi , quoique la terre
ne soit pas déclarée ennemie , sera peut-être en-
veloppé dans les désastres. des discordes civiles,
en sera peut-être la seule victime.
M. le commandant de la station m'a communi-
qué les sages réflexions du commandant de la fré-
gate la Galathée, qui de voit agir dans l'arresta-
tion de ce bâtiment. (Pièces justificatives, n°. i5. )
Elles ont déterminé des conférences de commis-
saires de l'assemblée provinciale avec moi ; et
quoique l'assemblée ait persisté dans sa réquisi-
tion , (pièces justificatives, no. 16.) les change-
mens qu'elle y a apportés ont épargné à la Co-
lonie les maux qui en eussent été la suite , si
la réquisition eût été exécutée dans sa première
teneur.
J'espérois à cette occasion qu'un heureux ac-
cord de principes feroit désormais concourir l'as-
semblée aux mesures qui pouvoient rallier les opi-
nions à la loi , et qui dévoient opérer le retour
de l'ordre public dans la province de l'Ouest; mais
c'est en vain que je m'en flattois : chaque jour
amenoit de nouveaux obstacles ; l'on di; oit hau-
tement , Ton répandoit par-tout , que j'usurpois
une autorité qui ne m'appartenoit pas. Dans le
sein même de l'assemblée, on avoit agité si j'a-
vois quelque pouvoir. Pour prémunir contre le
('9) -
but coupable de ces discours , et pour éclairer
et ne laisser aucun doute, j'ai enyôyérà l'assem-
blée provinciale les provisions que je lenois du roi,
pour qu'elle les fît transcrire sur ses procès-ver-
baux , afin d'en transmettre ia connoissance lé-
gale , et pour qu'elles eussent une 'incontestable
authenticité. ( Pièces justificatives, n°. 17.)
L'Assemblée a répondu à ma lettre d'une ma-
nière précise et conforme en font aux principes,
{ pièces justificatives , n°. 18. )Elle y exprime son
devoir de suivre la loi : elle y exprime aussi le
désir du peuple pour son entière exécution 5 mais
malheureusement les faits ne correspondent point
avec des déclarations si louables. On continuoit
à maintenir publiquement la nullité de mes pou-
voirs; ce qui n'étant plus ui^ erreur, marquoit
un but que Ton connoîtra parles faits. Pourroit-il
donc y avoir quelque doute sur leur réalité , ou
bien n'en«avois - je aucun , lorsqu'il étoit notoire
qu'en vertu de la loi du 11 février 1791 , je ve-
nois de suspendre au Port au-Prince un ingénient
criminel , par la nécessite de ne pas a:gnr un partf
que tant de personnes alloient abjurer en rentrant
sous le règne de la loi , et pour ne point augmen-
ter les difficultés de la conciliation entre des
hommes armés, dont quelques-uns peut-être
étoient disposés à exercer des vengeances sous la
dénomination injuste et cruelle de représailles ?
(Pièces justificatives, n°. 19.)
Il étoit public au Port-au-Prince que mes sou-
haits les plus ardens , que mes démarches , que
mes actes tendoient absolument à ramener à la
loi et dans le sein de l'autorité légitime 'a Croix-
des-Bouquets , considérée comme un foyer d'op-
position aux actes de l'assemblée coloniale ; que
B 2.
( so )
la marche que je me proposois, étoit dé rétablir
par-tout successivement , si je ne le pouvois dans
dans le même temps , les autorités légales , afin
de maintenir l'ordre , et de diriger conformé-
ment à la loi les citoyens armés pour la défense
commune ; que j'avois Je dessein de me trans-
porter dans disque paroisse , d'y exposer les suites
funestes de la discorde civile , d'y présenter les
bienfaits de la loi, et la prospérité qui suit le ré-
tablissement de l'ordre 5 que cet ordre ne pour-
roit se maintenir efficacement que par la chaîne
qui devoit se former entre les corps administratifs
et l'assemblée coloniale , sous la souveraineté de
la iNatLoii entière, et par l'oubli glorieux des inimi-
tiés.
Toutes mes démUrches , toutes mes intentions^
etoien.t sans voile : on savoitque j'avois fait passer
a la Croix des- Bouquets l'arrêté de l'assemblée
coloniale du 29 décembre 1791, sur le rétablisse-
ment et la formation des municipalités, et que je
rappelois que la loi ordonnoit de s'y conformer.
(Pièces justificatives, n«. 20. )
On n'ignoroit pas que le vœu du plus grand
nombre ne fut pour s'y décider : on ne fut surpris
que de là promptitude avec laquelle d'aussi heu-
reuses dispositions furent exécutées.
«Te fns bientôt instruit que la commune de la
Croix-des-J^ouquets alîoit être convoquée en as-
semblée primaire. ( Pièces justificatives, n°. 21,)
Je ne tardai pas à apprendre la formation et l'ins-
tallation de lu municipalité. ( Pièces justificatives ,
iiû. 22. )
3 'appris que cette municipalité envoyoit à ras-
semblée coloniale ^ outre le procès verbal de son
élection et de son installation , une adresse par-
(>1 )
ticulièré (pièces justificatives , $?,. a3.) pour lui
exprimer sa soumission à .la loi, et que la com-
mune alloit s'occuper du choix de ses députés à
l'assemblée provinciale de l'Ouest et à l'assem-
blée coloniale 5 depuis , ils y ont pris séance. On
voit dans les actes de ma correspondance avec
la Croix-des Bouquets , que j'avois fait sentir a la
municipalité de cette paroisse combien l'accélé-
ration du retour de l'ordre pouvoit dépendre de
la promptitude de ces mesures. ( Pièces justifi-
catives , n°. 2.4- )
Des commissaires des paroisses de l'Ouest m'é-
crivoient alors , qu'animés du même dosir de se
soumettre à la loi , ils alloient se rendre dans leurs
paroisses ponr y porter les mêmes paroles de paix ,
(pièces justificatives, n°. 2,5. ) et les hommes de
couleur enfrr? me notifièrent aussi qu'ils alten-
doient avec une soumission absolue , que l'as-
semblée coloniale prononçât .sur leur état politique.
( Pièces justificatives , n°. 2,6.)
Un concours aussi général vers l'autorité légi-
time , me lit écrire à* la municipalité de la Crcix-
des-Bouquets , qu'elle eût à s'occuper sur-le-champ
de faire cesser sur son territoire tout armement ,
tout campement , même routes les apparences hosti-
les qui avoient eu lieu. Je l'invitais à user de son
influence sur les hommes de couleur, pour que
dans un quartier différent du sien , l'on vît en-
fin un terme aux brigandages qui s'exerçoient
sous prétexte de parti : 011 n'appercevoit alors
rien d'hostile dans le Port- au- Prince ; je m'en
applardissois , et j'en faisois part à la muni*
lité de la Croix-des-Bonquets, comme d'un mo-
tif pour redoubler de zèle, et presser le rétablis-
sent de l'ordre. (Pièces justificatives , n°. 27.)
Mais la fermentation sourde contre les mesures
qui tendoient à la paix, n'avoit pas discontinué:
elle prit un caractère violent , d'après des nou-
velles qui étoient parvenues dans la ville. On di-
soit que des citoyens avoitnt été égorgés au Mire-
balais : on nommoit les victimes ; on «iésignoit des
particuliers comme retenus de force à la Croix-
des-Bouqucts ; je demandai des ëclaircissemens sur
ces brui s à la municipalité de ce bourg. (Pièces
justificatives , n°. 28. ) Sa réponse confirma qu'en
effet des citoyens avoient péri dans le Mirebalais;
qu'en apprenant ces atrocités, les hommes de cou-
leur, à qui elles inspiroient une juste indignation,
s'étoient réunis aux blancs ; que leurs soins com-
muns àvoient mis un terme à ces assassinats ,et ré-
tabli la tranquillité. Elle m'envoya les déclarations
des personnes que l'on disoit détenues , et qui
étoient entièrement libres j mais elle manifestait
aussi des inquiétudes sur le départ précipité des
hommes de couleur , qui s'étoient décidés à la
retraite , d'après la lettre que j'avois écrite à la
municipalité , et qui occasionnoit cette réponse de
sa part. (Pièces justificatives, n°. 29. )
A cette époque , les hommes de couleur me
marquoient que , pour se soustraire aux persé-
cutions qu'ils craigr.oient de voir se diriger contre
eux, et plutôt que de les repousser par la force,
ils avoient formé le dessein de chercher un asyle
dans des montagnes inhabitées et sauvages. (Pièces
justificatives, nQ. do.)
Rassuré par ces explications , je nourrissois
l'espoir de voir la paix renaître ; j 'attend ois tout
du temps , du langage de la raison et de l'huma-
nité j cle la considération des intérêts communs.
(23)
Je comptois aussi que je serois secondé par les
corps administratifs ; que la municipalité du Port-
au-Prince ne m'opposeroit point d'obstacle, et que
chacun d'eux dirigeroit ses démarches vers ce but ,
comme tout leur en faisoit un devoir. Le corps
municipal de la Croix des-Bouquets s'efforçoit d'é-
tablir avec le Port-au-Prince* , une correspondance
propre à faire renaître la confiance entre les citoyens
des deux paroisses, à atténuer le souvenir de leurs
maux , et à provoquer le retour de la prospérité :
les chemins étoient libres -, les denrées, les sub-
sistances , les rafraîchissemens dont la ville avoit
été si long temps privée, circuloient en abondance;
le commerce se' ranimoit, et les habitans du Port-
au-Prince serendoient à laCroix des Bouquets avec
une liberté et une sûreté entières.
La municipalité du Port-au-Prince a* refusé au
contraire de correspondre avec celle de la Croix-
des Bouquets : elle arguoît de sa soumission à un
arrêté de l'assemblée provinciale de l'Ouest, ar-
rêté aussi impolitique que coupable , puisqu'il
cause les maux dont est affligée cette partie de la
Colonie ; arrêté qui n'est appuyé sur aucun droit
positif ; arrêté par lequel rnéçonnoissant le but
de son institution , qui lui impose le devoir sacré
d'employer tous les moyens de confiance pour le
maintien de l'ordre, le rétablissement de la trau-
quilité, et le rapprochement des citoyens, l'as-
semblée n'a jeté entre eux qu'un germe de dis-
corde ; et c'est dans un temps où les passions étoient
exaltées, qu'elle a préjugé une scission qui a donne*
une nouvelle activité aux haines et aux vengeances
que je venois d'assoupir , et qui , propres à con-
duire au désespoir une classe nombreuse et ar-
B4
( H)
mée , fonrnlssoit des moyens aux mal-intention-
nés , aux brigands , aux ennemis du bien public,
en leur laissant un prétexte de discorde.
Oui, malgré sa feinte modération, sa soumis-
sion apparente à ce que décidera Y assemblée co-
loniale , je ne puis m'empêcher de considérer
comme coupable cet ati été de l'assemblée provin-
ciale , où elle s'interdit avec im corps municipal
librement élu , contre lequel aucun citoyen ne s'é-
levoit, une corre .•: 6e qu'e'le au roi t dû sai-
sir avec avilit ? , comme un moyen de pacification
et de concorde , comme un lien qui devoit unu*
des hcîmmes dont la division éloit ime source de
désastres. (Iièces justificative? , n°. 3i.)
Le corps adrni. islraiii* et le corps municipal ne
pouvoient plus se dissimuler l'heureux changement
que chaque* jour amenoit dans l'état des choses;
mais leurs actes journaliers détruiscient aussi la
confiance, à mesure qu'elle commençoit à renaître.
Sans égard à ma demande et aux conséquences
que pouvoit avoir la disette des vivres propres aux
ateliers de la plaine du Cui-ue-Sac, au lieu de rem-
plir l'obligation importante de veiller à leur libre
circtdatior: , l'assemblée provinciale s'en reposoit
sur hr prndence de la municipalité du Port-au-
Prince : elle arrêtoit qu'elle ne devoit pas exiger
cette circulation avant que les hommes de couleur,
réunis en armes sur l'étendue de la paroisse du
Port-au-Prince , et de là Croix-des-Bouquels , ne
fussent entièrement disposés : elle fei^noit
de ne pas remarquer que parmi ci aies en
armes v se trou v -vient des hommes de couleur,
dont les maisons situées au Port-au-Prince, croient
occupées par ceux qui \cs en avoient expulsés ,
et que ï>rescrire leur retour dans leurs foyers ,
(25)
e'éloit prononcer contre eux un arrêt de mort.
(Pièces justificatives, n°. 02.)
La municipalité du Port aju- Prince , oubliant la
fonction précieuse dont elle est chargée , de pro-
téger 1rs citoyens, et de s'élever contre les déten-
tions arbitraires , soufTroit que l'on emprisonnât, .
et iaisoit elle-même arrêter et détenir dans les pri-
sons, comme suspectes, les personnes de la plaine
que leurs affaires appeloient à la ville , sans (égard
aux. passe- ports de leurs municipalités , ni aU5
sauf-conduits que j'avois envoyés, sur les demandes
qui m'en avoient été faites.
Aussi , quoique ma propre confiance dût dimi-
nuer chaque jour , pressé par mon devoir , je sur-
montois les dégoûts , les eha&rins , tous les senti-)
mens qm pouvoient m arrêter au milieu de ma
carrière ; suites trop naturelles de la coiht
des obstacles et d< \ os que je voyois appoi peç
i toutes mes mesures pour opérer le bien. Je d;
mulois les tO] >e chargeoit I1
vin Ci a le, parce x\ue j'espé] e,
du temps, de la connoissance qu'ainoit !'
u'ée nationale de la situation de la a , et
des opérations de l'Assemblée coloniale. Je no
ige< is aucune démarche poui raj les
habitans de ia plaine de ccu:i du Poj
Je cherchois à répandre des paroles i , et
à fixer le salut de tons par l'exécution de la loi
dans la province de l'Ouest , dont la ton ,
toujours plus affligeante , ne présentoir presque
par- tout que le meurtre , le piiln^e et ["incendie.
Delavilledc Jacmelince: i laut uneactiou
qui a eu lieu entre les hommes blancs et les hom-
mes de couleur, il ne restait qu'un fort occupé
par les blancs.; il ri'axi&toït que quelques rui
clés habitations voisines de son enceinte. Les blancs
étaient assiégés dans ie fort ; Jes attaques et les
sorties ensanglantaient toujours la plaine ; les suc-
cès des uns et des autres étoient toujours des dé-
sastres pour la chose publique.
Les esclaves de la ville, armés par leurs maîtres,
combattaient pour eux. Une parue de ceux de la
plaine était retirée au fort avec les blancs , ou
réunie aux hommes de couleur ; l'autre , eriant
çà et là au gré de son caprice , ou en proie au
besoin , se livroit aux plus grands excès : tous ap-
prenoient à répandre le sang des hommes libres.
Au milieu de cette horrible confusion , le chef
cîcs hommes de couleur , le député de Jacmel à la
Croix-des-Bouquets , me prièrent d'interposer ma
médiation pour faire cesser des horreurs dont l'hu-
manité avoit tant à gémir. ( Pièces justificatives ,
il0. 33 ). J'engageai le chef des hommes de couleur
à cesser toute hostilité (pièces justificatives, n°. 34 ) j
j'invitai plusiei rs fois les habitant de Jacmel à la
même mesure ( pièces justificatives , n°. 34 êis ) j
mars ce fut toujours sans aucun succès. ( Pièces
justificatives , n°. 35 ).
Les paroisses voisines de Jacmel se ressentaient
pins ou moins de l'effet des troubles qui l'agitoient ,
et la paix avoit fui de la chaîne de montagnes qui
s'étend jusqu'au Port-au-Prince. Les enclaves y
étoient révoltés , les habitans livrés au pillage ; et
les blancs, pour conserver leur existence, avoient
abandonné leurs propriétés.
Ce sou'èvem ni d esclaves , auxquels de's succès
pouvoient rai'irr ceux qu'on avoit si imprudem-
ment armés , portait le mal à son plus affreux
période. Il menace it de s'étendre de tous côtés,
tî ià ville et le quarUer.de Léogane en avoient
particulièrement tout à craindre : bâtie dans une
riche plaine, cette ville , ouverte de tous côtés,
éloignée de la mer , n'avoit aucun moyen de dé-
fense ; elle ne pouvoit pas même compter sur les
bras de ses habitans ; ils restaient en petit nom-
bre • et depuis le 21 novembre 1791 , les blancs ,
désarmés par des hommes de couleur , vivoient
dans des alarmes continuelles.
Dans les hauts de la plaine deLéogane , il s'étoit
formé un rassemblement redoutable ; il étoit com-
posé presque entièrement d'esclaves séduits ou
arrachés de leurs ateliers , campé dans une vallée
peu étendue , profonde , d'un accès difficile , en-
tourée de montagnes ; il étoit mû par les volontés
d'un griffe espagnol , nommé Romaine. Ce chef,
alliant le fanatisme à ht férocilé et à l'ignorance ,
se décorant du titre ridicule de prqphétesse , se di-
sant le filleul de la vierge, accompagnoit de pieuses
cérémonies les ordres de sang qu'il faisoit exécu-
ter. O'étoit au nom du Ciel qu il commandoit le
meurtre et le pillage ; c'étoit par le prestige d'une
superstition grossière qu'il dominoit de malheu-
reux esclaves aussi crédules qu'ignorans. Jm lotir
promettant la liberté , des victoires certaines sur
les blancs ; en les assurant qu'ils seroient à l'abri
de leurs coups, il le i : à des actes de cruauté
dont le récit glaçeroit d'horreur. Ions ses efforts
avoient pour but d'étendre son influence et d'aug-
menter ses forces. Pendant que ses émissaires tra-
vailioient les ateliers de la "plaine de Léogane,
des ciétachemens armés, sortis de son camp, ve-
n oient porter dans la ville le trouble et l'épou-
vante ; ils venoieiit en en! force ce qu'ils
jugei lire à leurs besoins.
L'audace de Romaine et de i>es cruels satellites
f 28 )
s'accrut à \u\ tel point , les craintes des citoyens
de Léogane , en raison de leur foibiesse , devin-
rent telles , que, par un tredté particulier, ce chef
fanatique lut reconnu commandant des habitons
réunis de Léogane.
Il falloit, pour sauver le quartier , subir cette
humiliation passagère ; il falloit alors obéir, ^ans
se plaindre , à des ordres tyranniques ; il falloit
recevoir dans la ville une garnison commandée
par un suppôt de Romaine. Retenus captifs dans
leurs propres maisons , les blancs voyoient sus-
pendre sur leurs têtes le elaive qui avoit immolé
tant de victimes , et leur existence dépendre d'un
soupçon.
Les hommes de couleur de la vide é' oient par-
! d'opinion , quoique la majeure partie fût
réunie sous les ordres de chefs également recom-
mandables par la pureté de leurs intentions , et
par leurs vertus fi). Ils étoient forces de gémir en
silence sur la position des blancs , sur les dangers
qu'ils conroient , et dont eui-mêmes n'étoient pas
garantis : l'autre portion, avant des intelligences
secrètes avec le camp de Romaine , étoit toujours
disposée à seconder ses perfides desseins.
L'horreur de cette situation étoit augmentée
par la disette des vivres , et Léogane étoit privée
des consolations de l'espérance , par le refus pro-
noncé de l'Assemblée provinci !e , de statuer sur
la pétition de ses habitans. ( Pièces justificatives ,
n°. 36 *. Cette mê*m% Assemblée , qui accumuloit
si facilement des dénonciations , qui les accrédi-
toit de l'honneur de sa séance , se refusoit au de-
(1) MM. la Buissonnfère , la Fitur Via la , Alvarès, Le-
ytaire, Bnyiet > cet.
_ ( *9 )
voir sacré de pourvoir à l'existence de ses malheu-
reux concitoyens _, et s'étayoit du vain prétexte
qu'une intention perfide avoit empêché ces Mes-
sieurs de s'adresser directement à elle. Elle répon-
doit à ce vœu c]ue lui transmettait xm pouvoir
légitime et national ( pièces justificatives , n°. 2>y ) ,
par un arrêté dérisoire qui me renvoyoit la péti-
tion , ma sagesse devant sans doute me procurer
Les moyens dont V Assemblée manquait. ( Pièces
justificatives , n°. 38 ).
S'il y a de Tég?. rement dans les actes de l'As-
semblée provinciale , peut -on ne pas y appercc-
voir l'influence coupable qui les détermine ? Ces '
membres ignoroient-ils que par ces actes l'Assem-
blée s'étoit emparée de tous les ressorts du pou-
voir exécutif, qu'elle faisoit mouvoir à son gré dans
Jes parties militaires de la guerre et de la marine ?
Jgnoroient - ils le plan illégal conçu , adopté et ri-
goureusement suivi par l'Assemblée nationale,
d'entasser toutes les subsistances au Port-au Prince,
pour en avoir l'entière disposition ? Pn effet , les
batimens que, contre toutes les lois , elle a armés ,
qui croisent , qui sont en station , qui ravagent
les côtes , qui regardent connue ennemis , qui
mettent les navires français à contribution, inter-
ceptent leurs marchandises , attentent à ia liberté
des personnes , forcent les navires venant de
France de se rendre au Port-au-Prince , par des
m uaces on par dés mensonges. ( Pièces justifica-
tives , nu. 38 bis ).
Ainsi , malgré ces extrémités cruelles , Léo-
gane éioit donc réduite à ses propres- movens j
tte ville ne voyoit plin> arriver aucun navire de
France. Le nombre de ceux qui étoient dans sa
rade , et son éloignement du bord de ia mer, ne
(3o)
îaissoîent pas la perspective d'un asyle assuré pour
les femmes , les en fan s , les vieillards ; elle ne
devoit son existence qu'aux ressources précaires et
humiliantes dont elle étoit obligée de se servir.
Elle ne pouvoit revenir à la loi qu'en s'appuyant
d'une main secourable , et l'Assemblée provinciale
refusoit de la lui présenter. Croira-t-on qu'il exis-
tât dans cette Assemblée trois membres députés
de Léogane ?
Comme toutes les autres paroisses de la pro-
vince de l'Ouest , Léogane avoit accepté le concor-
dat et le traité de paix. Sa .municipalité avoit été
détruite par violence. 11 existoit sans doute encore
dans le sein de la ville de coupables auteurs des
atrocités qui avoient accompagné cette destruction
illégale ; mais le bureau de police substitué à la
municipalité , quoique réprouvé par la loi , étoit
devenu un point de ralliement pour de malheu-
reux liabitans , existant sans aucune force au mi-
lieu de mille dangers que le moindre caprice pou-
voit réaliser.
La plus saine partie des blancs et des hommes
de couleur , desiroient de voir l'autorité légitime
se rétablir ; mais leur sûreté individuelle empê-
choit qu'ils ne fissent connoître d'aussi salutaires
dispositions. ( Pièces justificatives , n°. 3o, ).
J'avois cru prudent, et même nécessaire , de ne
point compromettre à Léogane les personnes avec
qui j'étois en correspondance , afin de ne pas attirer
sur elles les premiers périls. J'avois écrit au mar-
guillier de la paroisse une lettre ostensible , en
lui envoyant l'arrêté de l'Assemblée coloniale du
^décembre; jel'engageois às'y conformer (pièces
justificatives , n°. 4° ) > et par la communication
que j'en donnai aux membres de l'Assemblée pro-
(3. )
vinciale , elle ne pouvoit ignorer aucune des me-
sures que je croyois propres à opérer le retour
de la paix.
Je prévoyois avoir besoin de la frégate la Gala-
thée pour la sûreté de Léogane ; ce motif s'éteit
joint aux véritables principes qui m'avoient déter-
miné à inviter l'Assemblée provinciale à revenir
sur son arrêté relatif à l'enlèvement du bateau
le Courier ; mais , sans égard aux lettres que je lui
avois écrites , à celles que j'avois reçues de» Léo-
gane (pièces justificatives , n°. 41 ) > sans égard
pour les personnes de Léogane qui venoient récla-
mer , au nom de leurs concitoyens , la protection,
des autorités légitimes ; sans égard pour les alar-
mes exprimées dans la pétition des citoyens blanc»
de cette ville ( pièces justificatives , n°. 66 ) , elle
a préféré de persister dans son arrêté relatif à
l'enlèvement du Couiier ( pièces justificatives r
n°. 3j ) , et il a eu son exécution.
La municipalité et les habitans de Léogane , aux-
quels je dois ici un témoignage éclatant pour leur
attachement à la mère-patrie et au bien général ,
loin d'inspirer le sentiment que l'on doit à des
concitoyens malheureux , n'étoient vus au Port-
au-Prince que comme des ennemis de la colonie ,
comme les fauteurs et partisans d'une coalition
funeste , et l'on ne manifestent pour eux que l'in-
dignation due à des rebelles.
Au moins telle étoit l'excuse pour les repousser,
pour leur refuser des secours -, ce que l'Assemblée
coloroitdu prétexte de défaut de moyens. Mais bien-
tôt, par une contradiction bizarre* que les passions
turbulentes de ceux qui influent sur ses actes ,' ou
qui les décident, peuvent seules ne pas appercevoir,
( ji)
on lui verra tenir , à l'égard de Léogane , une coh^
Oui te bien opposée,.
Ji ufétoit facile d'user des pouvoirs que l'As-
semblée nationale et le Roim'avoient confiés ; je
devpis sans doute protection aux citoyens , aux
ha bilans , aux Français de ce malheureux quar-
tier ; mais il falloit tout calculer. Je craignois , en
développant des moyens qui eontraieroient ceux
qu'avoit adoptés 1 Assemblée provinciale, qu'elle
ne se. perlai à dès écarts que la multitude auroit
bientôt partagés. En voulant faire exécuter les lois,
remplir trop rigoureusement mon ministère , je
devois craindre de me trouver entraîné loin du but
\ers lequel j'étois obligé de diriger ma marche ,
et de devenir le témoin passif de mille excès aux-
quels je ne pouvrois rien opposer.
Je voyois au Port-au-Prince le contre-coup de.
toutes les secousses quiagiroient les différens quar-
tiers de la province de l'Ouest ; je yôyois les suc-
cès ou les désastres du parti opposé , y produire
la fermentation la plus. vive , rallumer plus forte-
ment le désir des proscriptions contre la caste en-
tière des hommes de couleur. Dans ces momens ,
malheur aux hommes pacifiques qui auroient élevé
la voix en faveur de la modération ! Le mot de paix
paroisso.it attentatoire à l'intérêt de la colonie , sor-
tant même de la bouche d'un délégué de laNation
et du Roi , envoyé exprès pour en exercer le
ministère.
Cette disposition éclata d'une manière violente
et sans ménagement , à l'occasion d'un forfait
atroce arrivé ciaji§ la plaine de l'Artibonite , jus-
qu'alors tranquille , et avec laquelle js n'avoîs
encore eu aucune relation.
Dans la nuit du 17 février . des -hommes de cou-
leur ,
(33)
leur , poussés , soit par de perfides instigations ,
soit par des motifs de vengeance ou de pillage ,
portèrent le massacre sur les habitations de l'Arti-
bonite ; ils s'emparèrent en même temps du bourg
de la petite rivière , des canons déposés dans la
sacristie de l'église , et qui y restoient sans usage ,
chacun se reposant sur la foi commune.
• La proscription frappoit indistinctement, et les
citoyens blancs qui n'avoient manifesté aucune
opinion politique , et même ceux qtA avoient paru
favorables aux demandes des hommes de couleur.
Dix -sept blancs furent égorgés ; un plus grand
nombre échappa avec peine ; on se réunit en armes
de tous côtés. Les hommes de couleur prirent
poste au bourg de la petite rivière ; les blancs se
retranchèrent sur l'habitation Ségur.
A la nouvelle de ce sinistre événement , je suis
publiquement accusé , au Port-an -Prince , aêtre
l'auteur ne tous ces maux. « Ses paroles de \>alx y
35 disoit-on , encouragent au crime les hommes de
:» couleur : voilà la cause de ces assassinats qui se
» renouvellent avec plus de ferveur depuis son
» arrivée au Port au Prince. Si sa présence cause
» des maux , nous y remédierons en l'éloignant
» de notre ville , en le faisant embarquera». Tels
étoient les cris que l'on entendoit dans la galerie
même du lieu des séances de l'Assemblée provin-
ciale.
Un de ses membres met en motion la proposi-
tion exaltée de la multitude ; on invoque alors la
question préalable , et elle passe à une majorité
de huit voix contre six.
Je tiens ce détail d'un membre de l'Assemblée,
qui , par amendement , voulok qu'on m'invitât à
m'embarquer.
Compte rendu par M. St.- Léger. C
(34)
Je ne pouvois dissimuler un pareil scandale : pour
rallier au pouvoir légitime les honnêtes citoyens ,
pour éclairer ceux qui étoient dans l'erreur , et
pour rappeler enfin aux vrais principes et clans les
bornes de leurs devoirs , les corps administratif
et municipal du Port-au-Prince , j'écrivis le lende-
main à l'Assemblée provinciale , que je me reti-
rons de cette ville : j'en déduisois les motifs ; je
me plaignoïs hautement de la conduite de l'Assem-
blée , et de l'illégalité des actes des deux corps
dans diverses circonstances. (Pièces justificatives,
J'envoyois. en même temps une réquisition à
Saint-Marc , au commandant de la frégate la Gala-
thée , qui devoit revenir au Port-au-Prince , pour
qu'il visilât toutes les embarcations sur sa route :
car telle étoit la licence effrénée des mesures que
Ton proposoit ouvertement , que je crus impor-
tant de songer à tous les moyens de mettre à cou-
vert le dépôt des opérations que j'avois faites dans
la province de l'Ouest. ( Pièces justificatives ,
n°. 45).
L'effet de ma lettre fut prompt : les deux corps
administratif et municipal , après une délibération
dont ils me donnèrent copie ( pièces justificatives,
n°. 44) » m'envoyèrent chacun une dépuration
pour m'inviter à rester , protestant de tous leurs
désirs de ne point s'écarter de la loi. Les officiers
des corps militaires , de l'artillerie , des 4 > 9 et
49me régimens , plusieurs sous- officiers et soldats
de ces divers corps , à l'exception des soldats du
neuvième régiment , vinrent m'assurer du dévoue-
ment avec lequel ils rempliroient leurs devoirs
pour maintenir la Constitution et l'exécution des
lois. Nombre de citoyens Tinrent m'exposer les
(35)
mêmes principes , et me conjurer de ne pas perdre
de vue le désordre qui pourroit résulter de ma
retraite précipitée. L'espoir que je me plaisois à
conserver , que le retour à l'ordre pourroit s'opé-
rer encore par le concours de tant de personnes
qui s'y montraient disposées , me détermina à
continuer d'agir au Port-au-Prince , et je fis part
de cette détermination à l'Assemblée provinciale
et à la municipalité. (Pièces justificatives, n°. 4-5 )•
Je me rendis à la Croix-des-Bouquets pour exhor-
ter les chefs des hommes de couleur à persister
dans la soumission qu'ils avoient manifestée , et
dans le désir qu'ils avoient montré de voir tour
le monde s'y soumettre , à en donner des preuves
authentiques , en renvoyant à la Croix-des-Bou-
quets des canons qui en avoient été enlevés , et à
suivre sans relâche les démarches qui dévoient
éteindre les animosités , en cherchant sur-tout à
pourvoir aux besoins de la ville , et en veillant à
ce que la viande de boucherie n'y manquât plus.
J'obtins d'eux facilement ces demandes.
Je devois croire que la confiance alioit s'établir
entièrement : l'Assemblée provinciale ne me laissa
pas long-temps cette douce illusion. On continuoit
à parler de sorties militaires ; je conjurois en parti-
culier les membres de l'Assemblée provinciale , et
ceux de la municipalité , tous les citoyens amis
de la paix , à user de leur influence pour éloigner
cette idée funeste ; je représentais " qu'avec les
meilleures intentions possibles , l'appareil mili-
taire porte avec lui un caractère effrayant ; que
dans les circonstances actuelles , une secousse
donnée aux ateliers, soit par un defaut'de subor-
dination , soit par une résistance marquée , on un
éloignement manifeste du travail , amèneroit la
Pv
destruction de la plaine , intacte jusqu'alors. Ces
motifs paroissoient faire impression sur les parti-
culiers ; mais leur volonté venoit échouer et dis-
paroître dans la fermentation générale qui animoit
la multitude.
Que doit-on penser d'un comité général et secret
pour moi , tenu le jour même où je m'étois rendu
à la Croix-des-Bouquets , pour assurer à la ville
du Port-au-Prince des subsistances en viande fraî-
che , etc. , dont elle avoit si long- temps manqué ,
et dans lequel l'Assemblée provinciale a arrêté, le
24 février, de requérir le commandant militaire
d'envoyer par terre 5oo hommes à Léogane ? Où,
sont les motifs de cette mesure ? Uix jours aupa-
ravant, le défaut de moyens empêchoit l'Assem-
blée provinciale de laisser partir quelques sol-
dats pour cette ville , dont je lui faisois connoître
la malheureuse situation , et tout-à-coup elle y des-
tine un envoi considérable de forces , et par terre,
sans craindre qu'une marche de dix lieues ne fasse
naître des événemens propres à ramener la dis-
corde , et sans aucun égard à la suite constante de
mes opérations pour la paix.
Pourquoi d'ailleurs ne pas consulter les habitans
de Léogane , leurs craintes trop justement fondées,
et la sûreté de leur existence dépendante d'un
soupçon? ÀVoit-ôn pris des mesures pour arrêter
l'effet terrible qui pouvoit en résulter pour la riche
plaine de Léogane , où , malgré les malheurs de
ce quartier , cinquante deux sucreries intactes
étoient un aliment précieux pour la prospérité
réciproque de la Colonie et de la France ?
A l'appui de ces réflexions que je £s à des
commissaires de l'Assemblée provinciale , lorsque
je fus instruit par le Public de son arrêté, je leur
(37)
communiquai les nouvelles que j'avois reçues de
cette ville , où l'on me marquoit de justes appré-
hensions sur le choix des troupes que l'Assemblée
provinciale y destinoit , et qui faisoient craindre
que des haines qui commençoient à s'assoupir ,
ne se réveillassent avec plus de fureur. J'engageai
l'Assemblée provinciale à attendre que les nabi tans
indiquassent eux-mêmes le nombre de troupes qui
leur paroissoit suffisant pour les aider et les
soutenir dans le rétablissement de l'autorité légi-
time.
Je communiquai an commandant militaire l'ap-
préhension de ces habitans sur le choix des sol-
dats. (Pièces justificatives , ri°. 46). Il n'en pou voit
exister aucune , si 100 hommes du quatrième régi-
ment étoient envoyés à Léogane , puisque leur
arrivée dans la Colonie étoit postérieure à l'époque
où les discussions avoient pris un caractère hostile:
sur cette communication , et en vertu de la loi
militaire appliquée à Saint-Domingue par l'As-
semblée coloniale , le commandant militaire écri-
vit à l'Assemblée provinciale qu'une compagnie
de grenadiers et de fusiliers du quatrième régi-
ment seroient prêta a marcher pour Léogane.
Le commandant m'a donné connoissance de la
réponse de l'Assemblée : on la voit persister à
s'immiscer dans les dispositions militaires , et
sur-tout on- y voit bien textuellement prononcé
le caractère de représentation si expressément dé-
fendu aux administrateurs. (Pièces justificatives ,
II". 47 )•(');
La conduite de l'Assemblée dans ses actes ,
(1) Voyez la Chemise, intitulée Lettres de M. de Gers.
(38 )
dans ses démarches indiscrètes , n'offre que Tin-
conséquence de délibérations tumultueuses , ou
le but d'annuller de fait tout pouvoir qui peut
contenir le sien; chaque jour meconfirmoit que je
imiltiplierois vainement les avertissemens et les
réquisitions , pour la maintenir dans l'enceinte de
la loi. J'en eus bientôt une nouvelle preuve.
Malgré toutes les démarches que je faisais pour
la paix , quoique la ville du Port-au-Prince , jouît
d'une communication avec la plaine qui aidoit à
sa subsistance, on continuoit toujours, et souvent
sans aucun prétexte , d'envoyer des boulets des
différens postes. Sur mon observation , le com-
mandant militaire Favoit défendu par une Con-
signe expresse ; elle avoit été portée dans tous
les postes. Mon but étoit moins d'éviter un gas-
pillage de munitions de guerre , que celui d'éloi-
gner tout obstacle qui pourroit opposer à la paix
une apparence hostile , qui n'étoit d'aucun effet
pour la sûreté de sa place : cette consigne étoit
violée ouvertement dans les postes confiés à la
garde nationale ; et les administrateurs , et les
officiers municipaux , s'en reposant sans doute sur
le commandant militaire , n'en prenoient aucune
connoissance : vainement ce commandant em-
ployoit-il les moyens de douceur pour y ramener
par-tout ; il fallut essayer la voie ue la discipline.
La consigne ayant éié violée dans un poste con-
fié à des troupes de ligne , le sergent qui y corn-
mandoit fut puni militairement, et convint de la
justice exercée à son égard ; il demanda que le
sieur Pialoto , arrivé l'année précédente en qua-
lité d'aide cannoii'er sur un des vaisseaux de l'Etat,
se décorant du titre de commandant^ de l'artilJe-
rie nationale , et d'ingénieur des fortifications ,
(39)
qui lui même avoit mis le feu au canon , fût éga-
lement puni. Cette réclamation fut portée au com-
mandant des gardes nationales et à la municipalité
( pièces justificatives , n°. 4$ ) , et resta sans
effet. Je passe sous silence mille détails scandaleux
relatifs à cet événement , mais je ne puis dissi-
muler que l'Assemblée provinciale a répondu à
la réquisition qu*e je lui ai faite à cet égard , par
un arrêté approbatif de ce désordre ( n°. 48 bis).
Ainsi l'Assemblée provinciale , la municipalité ,
le commandant de la garde nationale paroissoient
se jouer des efforts que je faisois pour arrêter
les maux de la province. Ils éludoient la loi en
protestant qu'ils vouloient la suivre ; ils n'appor-
toient jamais d'oppositions aux fluctuations de la
multitude 5 ils en suivoient constamment le cours,
et leurs démarches faisoient naître constamment
des obstacles à la paix : j'annonçai de nouveau
que je me retirois de la ville , et je déclarai à
l'Assemblée provinciale que l'imprudence de sa
conduite lui préparoit une grande responsabilité.
(Pièces justificatives , n°. 49. ).
Dans sa réponse , elle est surprise de ma résolu-
tion ; elle ne croit pas s'être écartée de la loi , me
dit que j'aurois de grands reproches à me faire ,
si ma retraite occasionnoit de grands malheurs ,
et, quelle que soit ma détermination, elle ïoecu-
pci*a sans relâche du rétablissement de l'ordre.
( Pièces justificatives , n°. 5o ).
Pour ne fournir aucun prétexte à de nouveaux
excès ou à ceux qui dévoient suivre infailliblement
un tel désordre, je continuai à agir avec la même
suite que si j'avois été sincèrement secondé j je
ne négligeai aucun moyen de confiance pour
ramener vers le but commun tant de pouvoirs ,
C 4
(4°)
tant Je citoyens égarés : mais le temps qui s'écou-
loit saris cesse , re je toit au loin mon espérance 5
de nouvelles atiocités se passoient sons mes yeux.
Un citoyen blanc , échappé déjà deux fois à la
fureur populaire (1) , et par conséquent du nombre
de ceux que l'on désignoit comme proscrits, ar-
rive par mer : il est massacré en débarquant. Le
hasard a voit-il rassemblé cette multitude furieuse,
au moment où il mettoit pied à terre ? non : elle
parcît s'être portée sur le rivage , lorsqu'un bateau
armé par l'Assemblée provinciale , entrant en
rade avec les marques distinctives d'un bâtiment
de l'Etat , s'est permis un salut d'artillerie extraor-
dinaire , et très - expressément interdit par les
ordonnances.
Le lendemain on célébroit par un fête publique
l'anniversaire de l'arrivée de la station , par le
bruit de triples décharges de canon j et le Jour et
la veille de la fête, et par le moyen d'une dépré-
dation des vivres de l'Etat ., le peuple du Port-au-
Prince s'exdloit , se conlirmoit de plus en plus
dans l'opinion que rien n'çtoit plus dans l'intérêt
de la Colonie , que de repousser avec indignation
toute avance , tout moyen qui pourroit rappeler
à la loi une cas Le qu'on vouloit absolument pros-
crire.
Dans de telles circonstances , je recherchois le
parti qui pouvoit produire la paix dans la Colo-
nie , ou en éloigner des désastres ; je croyois
qu'une absence momentanée du Port-au-Prince
pourroit arï'oihiir la fermentation : vivement sol-
licité par les habitans de Léogane , qui avoient
(1) Il se nommoit Casenave^ et éloit originaire Je Bordeaux.
t.4i )
eu le courage de braver tous les périls pour
rétablir parmi eux l'autorité légitime , je leur
devois tous les moyens que les lois et les circons-
tances laissoient à ma disposition.
Je prévins !e commandant militaire que je lui
adresserois une réquisition pour faire embarquer
sur la Galathée les deux compagnies du quatrième
régiment ; mais je fus forcé de changer ma réso-
lution , quand MM. la Pievcteri^ et Montrecel ,
capitaines de ces deux compagnies, m'apprirent
de vive voix: que leurs soldats disoient tout haut
ne vouloir point aller à Léogane , et paroissoient
disposés à désobéir aux ordres qui leur seroient
donnés par leur chefs, d'api es ma réquisition.
Une désobéissance prononcée de la part àes
soldats pou volt être le signal du plus grand dé-
sordre : je ne devois point courir les risques de
cette épreuve. Il m étoit démontré d'ailleurs que
parmi ces soldats •, un grand nombre étoient c -
rés , et qu'en sYc<rtant de leurs devoirs, ils pou-
voient encorf se croire dans le sens de la loi et
de la constitution : je ne vouîols pas rompre le
loibie lien qui les retenoit encore.
Tant d'obstacles insurmonî:.
Prince pour le maintien de Tord e et de là su
des propriétés ) les instances toujours plus |
tantes des habitants de Léogane , qui se \
à la merci de leurs esclaves , dont dispofioit Jlo-
maine , me décidèrent à écrire à MM. P inchina t
et Beâuvaîs , hommes de couleur , d'en
leur influence et leur crédit , pour c 7 oo
d'entre v é rendre à Lé< gâriè pour le dr-
ue en cas d'attaque, de ia ë Ramai
et conserver ce malheureux quai.
MM. Pinchînaî et Beauvais m'annoncèrent Pern-
(-•* )
pressement avec lequel les 100 hommes se ren-
droient à Léogane , pour y montrer leur respect
à la loi. La fidélité à remplir leur promesse , en
faisant ramener des canons à la Croix-des-Bou-
quets j les soifis qu'ils prenoient pour approvi-
sionner les boucheries du Port-au-Prince , m'étoient
un garant de la sincérité de leurs intentions. ( Piè-
ces justificatives, nQ. Si.
Ainsi , après de nouvelles recommandations aux
chefs des hommes de couleur , d'employer conti-
nuellement leur influence pour que 1 ordre pu-
blic ne fût point troublé ; après avoir prévenu l'As-
semblée provinciale de mon départ , après avoir
requis M. de Grimouard de me fournir les moyens
nécessaires qui étoient à sa disposition ( pièces
justificatives , n°. Si ) , je suis parti pour Léogane
sur la frégate la Galatht'e , en laissant des réquisi-
tions à l'Assemblée provinciale , à la municipalité
du Port-au-Prince , pour qu'il ne se fît aucune
sortie militaire pendant mon absence. (Pièces jus-
tificatives , n°. 53. )
On voit, par tous ies éyénemens qui ont précédé,
quel étoit l'objet général de cette réquisition j
mais des faits dont j'aveis connoissance , justi-
fient encore plus la nécessité de cette mesure: dans
plusieurs circonstances , des nègres armés , quoi-
que esclaves, sortoientla nuit de la viiie, et, exci-
tés par des instigations , par l'amour du pillage , ou
peut-être par des ordres positifs de mai-intention-
nés, ils alloient porterie trouble dans les environs.
Ainsi, dès mon arrivée au Port-au-Prince, le feu
avoit été mis à des batimens de l'habitation Mar-
quissant , à demi-portée de canon de la ville , et
il resteit indécis si ce fait étoit celui des hommes
de couleur, ou s'il falloit l'attribuer à des esclaves
(43)
de*Ia ville qui y avoient été envoyés pour fournir
le prétexte de dire que les hommes de couleur
méprisoient l'autorité nationale,
Les corps administratif et municipal ne s'occu-
pcient pas du soin de réprimer des < xcès d'une
nature si dangereuse ; d'un autre côté , la multi-
tude parloit de sorties miiitàir'és dans la plaine du
Cui-de-Sac ; ! es gardes nationales en avoient effec-
tué une , sans réquisition des corps civils , sans
les ordres du commandant militaire (i) : d'ailleurs,
ce n'étoit pas non-seulement un droit, mais un
• de ma mission , de pourvoir à tout ce qui
pourroit donner atteinte à la tranquillité pu-
blique.
Les habitons de Lèogarie, pour rétablir l'auto-
rité légale, avoient formé leur municipalité : le
procès-verbal me fut adressé ; il le fut aussi à l'As-
semblée provinciale ( pièces justificatives i n°. 54) ,
qui arrêta que cette nomination n'étoit point cou-
forme aux dispositions de l'arrêté du 2a décembre
de l'Assemblée coloniale. (Pièces justificatives,
Des que la commune eut connaissance de cet
arrêté, elle s'empressa' de rectifier son erreur;
elle rappela les anciens membres , qui reprirent
leurs fonctions : (Pièces justificatives , n°. 56 ) :
mais se trouvant en trop petit nombre par la mort
ou la démissiorr de leurs collègues, et ne pouvant
suffire, dans ces circonstances épineuses, aux pé-
nibles fonctions qui leur étoient confiées ; ne pou-
vant trop se Làter de nommer aux places vacantes
(i) Vers la source Tugeot, il y eut douze hommes de troupes
de ligne de tués ou de blessés dans cette affaire.
( 44 )
sur toutes ces considérations bien développées à'
Ja commune, dans un discours de M. Inginac ,
premier officier municipal , faisant fonctions de
inaire ( pièces justificatives , n». 5j ).
Je trouvai à mon arrivée cette municipalité com-
plet te. Elle me remit son nouveau procès-verbal
d'installation; il fut arrêté qu'il seroit procédé
tout de suite par la commune au remplacement des
places vacantes ( pièces justificatives , n°. 58 ) ,
( pièces justificatives , n°. 5<) ). Elle me fit con-
noître , dans le plus grand détail , le danger auquel
les habitans restcient exposés , et montra le dé-
vouement le plus entier à ses pénibles fonctions ,
pour ramener et maintenir l'ordre à Léogane.
Les hommes de couleur me manifestèrent de
leur côté la plus grande soumission à la loi, et
la ferme résolution de périr dans la défense de la
cause commune.
Les blancs me montrèrent des sentimens d'hu-
manité et de modération auxquels je rendis tout
l'hommage qu'ils méritoient ; ils me parlèrent de
leur malheureuse position , de l'impossibilité où
ils étoient de se défendre , dans le cas d'une atta-
que de la part de Romaine ; je leur distribuois des
armes que j'avois obtenues de M. Grimouard ,
commandant le vaisseau de l'Etat le Borée. Qu'il
mq soit permis , Messieurs , de m'arrêter ici un
instant, pour faire un {uste éloge de la conduite
invariable de cet officier qui, après avoir mérité
l'estime de la France , et celle même des ennemis
qu'il combattit si glorieusement durant la dernière
guerre, sait encore se rendre recommandable par
son respect pour la loi , et par la modération si
précieuse dans un chef, lorsque les citoyens d'un
même empire ont le malheur de s'armer les un*
{45 )
contre les autres : je dois même , puisque ce.1
sentimens sont communs à son Etat-major de son
vaisseau, associer les officiers qui le composent
a la justice que je lui rends.
Tous mes soins tencloient à resserrer les noeuds
d'une confiance réciproque entre tous les habi-
tans de Léogane ; ils n étoient pas sans succès; des
députationsdugtaiidetdupetitGoavejdeBayenette
et de quelques autres paroisses voisines, vinrent
m'annoncer de la part de leurs concitoyens une
entière soumission à la loi. Il m'en vint une du
Trou-Cof'fi , lieu où étoit campé Romaine. Elie
Courlonge , son colonel général , m'assura que
toutes les démarches de Romaine et les siennes
ne tendroient désormais qu'au rétablissement de
l'ordre. Craignant d'irriter le caractère féroce de
ce scélérat et de ses cruels compagnons , si je lui
parlois de ses crimes avec l'horreur qu'ils m'inspi-
roient, je dissimulai, et je tachai de l'engager
par m nouceur a cesser tout armement, et a iaire
rentrer les esclaves dans le devoir. Il parut se
rendre, et s'obligea à se soumettre à un arrange-
ment fait entre lui et les hommes de couleur de
Léogane , par lequel il s'étoit imposé la loi de
faire revenir les esclaves sur les habitations de
leurs maîtres , dans un délai de trois jouis. (Pièces
justificatives , n°. 60 ).
J'exigeai que les conditions de cette espèce rie
traité fussent exécutées ; mais il m'étoit impossible
de rien prescrire de rigide contre Romaine et
Elie : les forces de Léogane ne pouvoient leur en
imposer, et j'étois persuadé que, dans un temps
plus calme , la. loi sauroit bien atteindre tous les
coupables.
Ou attendoit l'expiration du délai accordé k
( *« )
Romaine et à Elle ; on se livroit à l'espérance
de voir la paix se rétablir dans le quartier g mais
l'événement le plus affreux parut devoir l'en bannir
pour long-temps. Une troupe de nègres descendue
du Trou-Colli, surprend la ville pendant Ja nuit
du 11 au 11 mars, pénètre dans son intérieur,
s'empare de tous les postes, de la maison com-
mune , des canons qui en defendoient l'accès',
égorge plusieurs citoyens et plusieurs hommes
de couleur dans leurs lits , en massacre d'autres
dans les rues , enfonce les portes des maisons , Jes
pille, et annonce par ses oris forcenés quelle ne
veut épargner personne.
On se rend avec précipitation vers ma maison
gardée par les ico hommes qu'a voient envoyés
MM.- Pincliinat et Beau vais , dont le chef étoit
Baptiste Boyer : on délibère tumultueusement sur
le parti qu'il convient de prendre ; on me presse
de me rendre à bord Ja frégate la Galathée , pour
me soustraire au danger dont je suis menacé :
mais c'en étoit fait de Léogaiie , et de ses habîtaris,
si j'eusse quitté la ville : j'exhortai donc tous les
citoyens qui m'environnoient à marcher contre
les nègres réunis sur la place de la ville , et à
faire tous leurs efforts pour les repousse- \ mes
exhortations ne furent pas sans succès : les 100
hommes de couleur s'avancent avec plusieurs
blancs , avec les hommes de couleur de Léogane ;
le combat s'engage enlre eux et les nègres, qui
bientôt sont obligés de fuir , d'abandonner l'inté-
rieur de la ville , et ils se contentent de former
un cordon autour d'elle ; ils sont bientôt repous-
sés de tous côtés par l'équipage "de la frégate la
Galathée.
j_>ès le premier moment où le bruit qui rcVnoit
(47)
dans la Yille s'étoit Fait entendre dans la rade,
le commandant delà Galathée, militaire également
recommandable par ses talens, ses vertus et son
amour pour son devoir. et sa patrie , avoit l'ait
préparer tout son monde à descendre à terre : je
lui fis parvenir une réquisition , pour qu'il envoyât
à Léogane le plus du monde armé qu'il pourroit.
(Pièces justificatives , n°. 61 ).
Et on vit bientôt voler au secours de cette malr
heureuse ville les officiers de la Galathée et l'équi-
page de cette frégate. 11 seroit presque impossible
d'exprimer tout ce que la Colonie et la Métropole
doivent au zèle et au courage que ces précieux
marins ont montrés dans toutes les circonstances,
en donnant l'exemple d'une subordination qui les
a rendus encore mille fois plus utiles.
Léogane étoit dans ce moment délivré de la
fureur de ses ennemis ; mais il avoit besoin de
nouveaux bras pour être à l'abri de toute insulte,
mais il manquoit de vivres et de munitions de
guerre : je requis donc l'Assemblée provinciale d'v
envoyer tous les secours [nécessaires. ( Pièces jus-
tificatives , n°. 62 ). J'écrivis en même temps aux
grand et petit Goave , pour engager leurs , habi-
tans à venir au secours de leurs concitoyens : ils
se rendirent à mon invitation , et le lendemain
un fort détachement arriva à Léogane, qui venok
d'essuyer une seconde attaque.
Pendant que l'équipage de la Galathée veillcit
avec une activité peu commune à la défense
de la ville, ce détachement se transporta dans la
plaine avec la garde nationale et les hommes de
couleur de Léogane : l'ordre fut rétabli dans les
ateliers; et peu de jours après son arrivée, les
nègres , dont la presque- totalité éioit restée fidèle,
avaient repris les travaux de Ja culture.
( 48 )
Léogar.e n'avoir, donc plus à craindre quele camp
duTrou-Cofii, qui subsistoit toujours: j'engageai en
conséquence les chefs des hommes de couleur de
Léogane , et les commandans des detachemcns des
grand et petit Goave , à le détruire. Sous les or-
dres de Singlar, nègre libre, dont la conduite sou-
tenue mérite des éloges distingués, ils marchèrent
avec quatre canonniers de la (régate c< utre Ro-
mai ne y dissipèrent son camp, prirent sa lemrne,
sa fille, ie nommé Boursicot , homme de couleur
trop fameux pour avoir massacré dans la paroisse
de Daynette trente blancs dans un seul jour, et
qu'iis conduisirent avec elles à Léogane , où je
les fis mettre à bord d'un navire du commerce ,
pour y rester comme otages de la sûreté de ce
quartier ; dans la même expédition , après s'être
emparé des munitions de guerre et avoir encloué
les canons , on désarma tous les nègres, et on les
renvoya dans leurs différens ateliers : je savois
qu'ils n'étoient qu'égarés., et j'en prévins le mas-
sacre.
Quel parti l'assemblée provinciale prenoit-elle
dans ces circonstances r Je l'avois instruite de
la position de Léogane ; elle m'annonça qu'elle
s'occupoit du soin de sauver les tris i es restes de
ce quartier ; mais quels secours lui auioit elle
donnés? Elle avoit arrêté d'y envoyer cinq cents
hommes j mais d'après les bruits publics , et d'a-
près des lettres particulières , .( pièces justifica-
tives , n°. 62. ) c'étok cinq cents conjurés qui raar-
choient vers celte malheureuse \iiie, pour ciive-,
Iopper dans la même proscription les blancs et
les hommes de couleur , et le commissaire civil
avant tous.
Instruit des intentions sinistres que manifestait
le
(49) '
le Port -an-Prince, je me hâtai d'en prévenir 1rs ef-
fets j des réquisitions furent envoyées ci l'assem-
ble- provinciale , au c< ftrmandant "militaire , à la
municipalité du Port-au-Prince ., pour (jue l'as-
semblée provinciale ne mît pas <vi exécution l'ar-
rêté conformément auquel cincj cents hommes dé-
voient se rendre à Léogane , pour cjue Je com-
mandant militaire n'y envoyât que cent cinquante
hommes de troupes de ligne , pour que la mu-
nicipalité" ne laissât peint sortir d'amies soldats
du rort-au Prince,
Je requérois en outre les corps administratif et
municipal , de faire passer à I éngane les viv jt s
et les munitions de guerre qui lut éioient si né-
cessaires.
J'avois eu soin en même temps d'écrire au com-
mandant; de la station , et au commandant des
bâti mens du commerce, (t de les requérir de fiire
fournir deux hommes par chaque bâtiment du
commerce,, pour aider dans leurs travaux les équi-
pages de la Galatltée , et des navires mouillas
dans la rade de Léogane,
Quel fut le succès d ■ ■ ces réquisitions? L'Assem-
blée , après avoir n çu la premiè e , a voit, comme
je l'ai déjà dit, arrêté uu envoi de troupes. Elle
me L'annonçoit dans la réponse quelle me fil;
bientôt je reçus une lettre qui m appreuoit que
l'envoi de secours quelle avoit projette , n'auroit
pas lieu, etc. Ile nccusoii. le commandant militaire de
ce qu'il la mettoit dans l'impossibilité dû faite exé-
cuter son premier arrête. ( Pièces justificatives,
n°. 63).
Je la requis de nouveau d'envoyer cent hommes
de troupes de ligne à Léogane , pour garder un
fort situé sur le bord de la mer : ma réquisition
Compte rendu par M. de Saint Léger. D
(5o)
étoit appuyée sur des considérations puissantes ;
elle fut sans effet. ( Pièces justificatives , n°. 64 ).
Que peut- on conclure delà conduite de l'Assem-
blée provinciale , en examinant ses actes dans ces
circonstances ?
En rn'annonçant, dans la réponse qu'elle envoie
à ma première réquisition , que des secours seront
envoyés à Léogane , elle paroît attribuer à mes
démarches les malheurs de ce quartier 5 elle me
suppose l'intention de pallier les fautes dont les
hommes de couleur ont pu se rendre coupabesj
elle me suppose une opinion dont rien ne pour-
roit me faire soupçonner ; et mettant la sienne
en opposition avec celle qu'elle me prête , elle dit
que ce n'est pas le moment de s'occuper de dis-
cussions ; que le salut de la colonie doit faire ou-
blier tous les intérêts particuliers , pour ne songer
qu'aux moyens de prévenir de plus grands mal-
heurs. ( Pièces justificatives , n°. 65).
De quels intérêts particuliers voulok parler
rAssemblée provinciale ? Doit- elle connoître des
intérêts qui lui soient particuliers ? Doit- elle avoir
d'autre intérêt que l'intérêt public ?
Elle parloit de s'occuper des moyens de pré-
venir de grands malheurs : mais , loin de les pré-
venir, n'en augmentoit-elle pas la sommer
S'élevant contre un pouvoir, national , seul ca-
pable de réprimer ses écarts , d'arrêter le cours de
«es vengeances, et peut-être de ses sanglantes pros-
criptions j usurpant la souveraineté nationale clans
toute sa plénitude ; s'arrogeant , conjointement
avec la municipalité du Port-au-Prince, un carac-
tère de représentation qui n'appartient qu'au
corps législatif , elle condamnoit par une décla-
ration illégale , les actes d'un pouvoir soumis au
, ( 51 )
seul jugement de l'Assemblée nationale , et du
roi. EUe déciaroit avec la municipalité que les
commissaires nationaux civils ne peuvent en au-
cune manière requérir les corps, tant civils qua
militaires , dans tout ce qui a trait aux hommes de
couleur et nègres libres.
Elle déciaroit conjointement avec la munici-
palité du Port-au-Prince, qu'elle regardoit ces ré-
quisitions comme nulles et attentatoires à l'auto-
rité que l'Assemblée constituante avoit confiée à
l'assemblée coloniale.
Elle arrêtoit en outre que pour conserver les
droits conférés à l'assemblée coloniale , et aux
corps populaires légalement constitués , elle f'ai-
soit cette déclaration, et que le commandant mi-
litaire seroit requis de faire mettre la troupe de
ligne sous les armes, pour en entendre la lecture ,
qui lui seroit faite par trois commissaires de l'as-
semblée provinciale , et trois de la municipalité.
( Pièces justificatives , n°. 66).
Et qui avoit pu provoquer un acte aussi illé-
gal, aussi attentatoire à tous les principes: Les
réquisitions que j'avois envoyées à l'assemblée prt -
"vinciale , à la municipalité du Port au-Prince , au
commandant militaire , aux commandnns de la sta-
tion , et des bâtimens du commerce ?
Dans le considérant de cette déclaration , on
disoit que ces réquisitions étoient relatives aux
insurrections des hommes de couleur libres , et des
esclaves coalisés; on disoit que l'assemblée colo-
niale avoit seule le droit de prononcer sur le sort
des hommes de couleur et des enclaves , et que
la conséquence nécessaire de cet.e faculté légis-
lative étoit , qu'à elle seule appartenoit le droit
de réprimer les mouveraens séditieux de ces dii-
D a
(5>)
férentes clnssrs d'individus ; que les corps popu-
laires établis par l'assemblée coloniale , en vertu
de la constitution , avoient seuls le droit de dé-
terminer les mesures de sûreté que peuvent né-
cessiter ces différentes insurrections. (Pièces jus-
tificative?, n". 66. )
Mais si l'assemblée provinciale , si la munici-
palité avançoicnt des principes si erronés , leur
aveuglement n'étoit-il pas volontaire ?
Pou voient-ils ignorer ces deux corps , qu'ils sou-
tenoient un principe faux , en disant que l'assem-
blée coloniale avoit seule le droit de prononcer
sur le sort des hommes de couleur et des es-
claves ? Ne savoient-ils pas que les assemblées co-
loniales n'avoient que le droit de statuer sur l'état
politique des hommes de couleur libres, que le
droit de faire deslois relatives aux esclaves, et que
ces deux classes d'hommes n'ont pas été aban-
données à leur discrétion ? Avoient-ils oublié qu'il
falloit que le roi concourût par sa sanction à la
confection de ces lois , ou , avoient-ils envie de
confondre dans les mains de l'assemblée coloniale
deux pouvoirs distincts.
Comment l'assemblée provinciale et la munici-
palité pouvoknt-elles dire que les corps popu-
laires ont seuls le droit de déterminer, sous la
surveillance immédiate de l'assemblée, les moyens
de sûreté que peuvent nécessiter les insurrections
dont il s'agit ?
Mais sans s'arrêter à ce que cette dénomination
de corps populaires a de vicieux, on pourroit de-
mander à l'assemblée provinciale et a la munici-
palité du Port au Prince , où la constitution leur
donne ce droit ? par quelle faveur elle les excepte
de la surveillance du pouvoir exécutif , elle les
( 53 )
dérobe à l'action d'un povivoir, aucjnel l'assemblée
coloniale est subordonnée, ali pouvoir qui a été
confié aux commissaires civils par la loi du 11 fé-
vrier 1791 ?
En effet, la loi du 24 septembre dernier a-t-elle
détruit la loi du 11 février, ou l'a-telle modifiée
dans ce qui étoit relatif au rétablissement de
l'ordre? a-t elle spécifié que les commissaires se-
roient sans ad ion dans les mouvemens qui au-
roient lieu ent:e les blancs et les hommes de cou-
leur ? Cette loi a-t elle borné l'influence du pour-
voir des commissaires aux querelles des blancs?
Lorsqu'elle leur a accordé la faculté de suspendre
l'exécution des jugemens criminels rendus pour
des faits relatifs à la révolution , ne parloit elle
que des jugmnens contre les blancs ? l'ordre et
la tranquillité ne pouvoient-ils elie troublé que
par les blancs? ou s'ils l'étoient par les hommes
de couleur et les esclaves , les commissaires de-
voient-ils, dans une ch constance , avoir une ac-
tion qui auroit cessé dans une autre circonstance
absolument semblable" Si nous avions le droit de
requérir la force publique, ne devions-nous la re-
quérir que contre les blancs? Etoit ce attenter à
la faculté législative , attribuée à l'assemblée co-
loniale , que de requérir les corps , soit civils ,
soit militaires, pour faire cesser des troubles qui
menaçoient de ruiner une partie de l'empire:
Est-ce porter atteinte à cette même faculté lé-
gislative , que de rappeler à leurs fonctions les
corps administratifs ou municipaux , lorsqu'ils
s'en écartent , ou de les leur indiquer s'ils les
méconnoissent ? Enfin pour marquer assez de res-
pect à une autorité créée par là puissance natio-
nale , falloit-il laisser porter par-tout le fer et le
D3
( H )
feu, et livrer à des coups assassins de trop mal-
heureuses victimes, tandis que l'Assemblée natio-
nale et sa majesté, nous avoient imposé l'obli-
gation sacrée de réprimer de pareils désordres?
Après avoir vu l'assemblée provinciale porter
un coup aussi audacieux à l'autorité nationale ,
rien ne pouvoit m'étormer de sa part ; aussi n'ai-je
point été surpris de ce qu'elle faisoit échouer
toutes les mesures que j'avois prises pour la sû-
reté de Léogane , en mettant un embargo sur les
bâtimensde la rade du Port-au-Prince. (Pièces jus-
tificatives, n°. 6y).
Et en se chargeant elle-même contre toutes les
lois, de faire exécuter cet arrêté ; (pièces justifi-
catives, n°. 68. ) en écrivant au commandant de
la station , pour qu'il ne laissât point partir les
deux hommes que chaque bâtiment du commerce
devoit fournir sur ma réquisition ; ( pièces justifi-
catives, n°. 69 ); en refusant de donner des vivres
à Léogane, elle colore son refus du prétexte de
la disette que le Port-au-Prince éprouve; (pièces
justificatives, n°. 70). Mais peut-elle se dissimu-
ler la déprédation des vivres qu'elle avoit per-
mise ? N'a voit- on pas donné double ration aux
équipages des bâtimens de l'Etat en rade au Port-
an Prince , dans le temps où les cominandans de
ces bâtimens avoient à se plaindre de l'insubor-
dination de ces mêmes équipages ? Mais n'avoit-
elle pas souffert , l'assemblée provinciale , que
l'on célébrât l'aniversaire de la station , par un
repas que proscrivoit la loi , sur l'organisation de
la force publique ?
Mais si cette disette de vivres étoit réelle , on
pouvoit donc la regarder comme une suite de son
C S5 )
peu de surveillance ; c'étoit encore un tort qu'on
avcit à lui reprocher.
Léogane , malgré ses malheurs, malgré le grand
nombre de personnes qu'il avoit à nourrir, se vit
donc refuser des subsistances par le Port-au-
Prince, et bientôt après, les troupes qui lui étoient
nécessaires pour son entière sécurité , l'assemblée
provinciale s'appuya, dans cette occasion, d'un
prétexte qui annonçoit ouvertement l'esprit do
parti qui la dominoit.
Elle m'écrivit qu'elle ne pouvoit requérir le
commandant militaire d'envoyer i5o hommes de
troupes de ligne , parce que ce petit nombre de
soldats seroit sacrifié o« entraîné dans une coali-
tion coupable avec des hommes de couleur , au-
teurs de tous les désastres de la colonie. ( Pièces
justificatives , n°. 7-1 h
Mais par qui ces soldats auroient-ils été sacri-
fiés ? par les nègres révoltés ? Mais ils étoient ren-
trés dans le devoir ; l'Assamblée ne l'ignoroit pas.
D'ailleurs , i5o hibirans du grand et du petit
Goave avoient suffi pour arrêter et étouffer l'in-
surrection des atteliers de la plaine. Quatre-vingts
hommes de la frégate la Galalhcc , avoient re-
poussé loin de la ville les nègres qui l'entouroient
lors de l'attaque de Léogane. L'Assemblée étoit
instruite de ces détails.
Dans quelle coalition coupable ces soldats au-
roient-ils été entraînés ? Il n'en existoit point à
Léogane ; les hommes de couleur, soumis à la loi,
n'étoient armés que pour la défense commune ,
n'étoient dirigés que par la municipalité. Suivant
l'Assemblée provinciale , il existoit donc toujours
une coalition coupable là où il existoit des hommes
de couleur.
D4
( 56 )
La lettre par laquelle elie m'annonçoil que Lqo-
gane n'auroit pas les soldats nue j'avois demandés
pour la gardd du fort , m'apprenait que les forces'
du Port-au-Prince àlloient se porter à la Croix des-
Bo.uqUets , pour maintenir dans !e devoir les atte-
liez tie la pjainie du Cu!-de-sac, <jui , disc/t-clle , '
se trouvoient fortement travaillés par les hommes
de couleur et nègres libres. [ Pièces justificatives ,
"°- ?*)• ,.
R ien n'indiquoit cependant qu'il existéit aucune
ferm. ntation dans ces a1 U Tiers , et que les hoaumes
de couleur ci ierc liassent à les soulever.
Les lettres de la municipalité annonçoiepit que
la plus grande tran îuii'.ilé régnoit dans son terri-
toire ^ «mais elle craignoit les suites de La.,sortle que
l'on se propos oit de faire du Port-au-Prince*) r
la plaine du Cul-de-sac. (Piècesjustifi&àtÎA es,n*\ j'à).
Sur les premiers bruits de celle nouvelle alarmante ,
eHe s'etoit empressée d'écrire à la municipalité du
Porr-au Piince, et à l'Assemblée provinciale, pour
les engager à ne point envoyer des troupes sur la
paroisse de la Croix-des-Bouquets. ( Pièces justi-
ficatives , n°. y 4 ).
En ;mt copie de' ces lettres , elle me
confiât ses alarmes ( pièces jus'ificatives, u°. y5)9
qui h'étoû nt que trop justifiées par la conduite que
l'Assemblé* provinciale et ia municipalité ao.i rt
tenue , en sou If. dut que des nègres armés , sortis
de la ville pendant la nuit , portassent l'épouvante
dans les. environs , et vinssent ensuite donner dans
son en c i te un sue; tacle de sang, eu y prome-
nant des têtes de mulâtres mises au bout d'une
pique. (Pièces justificatives, n°» ?6).
' L'Assemble* provinciale trouva cependant des
obstacles à l'exécution de ses desseins , dans la
(5?)
fermeté ducomm an fiant militaire. Il avoit repoussé
la déclaration du 18 mars ; il s'étoit refusé de
"prêter , suivant l'expression de l'Assemblée pro-
vinciale et de la municipalité , 200 hommes de
troupes de ligne , pour aller avec 400 hommes de
gardes nationales, s'établir, à poste fixé, à laCroix-
dcs- Bouquets ; il avoii .-résisté à beaucoup d'orages,
mais on en suscita de nouveaux contre lui.
JLe înairc-.du Port-au-Prince , et des membres de
l'Assemblée provinciale , vinrent lire à la treupe
assemblée un arrêtédfiS TA' semblée coloniale , non
approuvé, par lequel le lieutenant au gouverne-
ment général éroit requis d'ordonner à tous les
commandons militaires de se conformer aux réqni-
si lions» de tous les corps populaires , sans qu'au-
cune influence de .MM. les commissaires natio-
naux civils tm pût? empêcher ou suspendre l'effet des
autorités légales établies dans la partie française
de Saint Dotiiingue. ( Pièces justificatives! n°. Jj)-
Le commandant militaire refusa de se confor-
mer à cet an été , le regardant comme un acte nul
et illégal , puisqu'il n'éioit pas approuvé par le
lieutt riant an gouvernement général , et i! persista
dans le refus qu'il avoit déjà l'ait, de donnepdes
soldats de troupes de ligne pour la sertiu que l'on
proiettoiC de faire à la Croix -des- Bouquets. Mais
V Assemblé 8 provinciale et la municipalité , après
lui avoir iait une nouvelle réquisition , commune
à cet égard, à laquelle il s'opposa avec la ;.
fermeté, le destituèrent ne son commander
qui , oiiert successivement à t< us les officiers , fut
successive w'ent refusé. Us forcèrent M. de Gers ,
Commandant militaire , de recevoir leur ci
sien , et les trofi] jaises en garnison au
Port au-Prince,son t restées sous le commande nient
( 58 )
de M. Costevi , lieutenant au neuvième régiment,
ejni n'a pas suivi l'exemple de ses camarades , et
qui a cédé aux désirs de l'Assemblée provinciale
et de la municipalité , en se mettant à la tête des
troupes.
Je ne pourrois , sans injustice, refuser à M. de
Gers, commandant militaire du Port-au-Prince,
et à MiYI. les officie rs des 4e , 9e et 48e régiment ,
ie juste tribut d'éloges qu'ils ont tous mérité,
en montrant pour les lois et pour leur devoir
l'attachement qui caractérise les Français qui veu-
lent , de bonne-foi , la prospérité de l'Empire.
Le nouyeau commandant militaire s'est coït-
formé à la réquisition de P Assemblée- provinciale
et de la municipalité ; la sortie a eu lieu ; mais,
comme je Pavois prévu , elle a eu les suites les
plus funestes. J'ai appris d'une manière indirecte
que les nègres de la plaine du Cul-de-sac , après
avoir enveloppé le Bourg de la Croix dès-Bouquets,
avoient attaqué et massacré une grande partie
des 800 hommes que le Port-au Prince avoit en-
voyés dans ce Bourg.
D'autres nouvelles aussi affligeantes venoient
encore ajouter aux sentimens douloureux que la
première avoir fait naître. La paroisse de Larca-
jbaie , rentrée dans le sein de la loi ( pièces justi-
ficatives , n°. 78 ) , avoit vu ses esclaves se révolter 5
ï:.j bldnc, , à la tête d'une troupe d'esclaves armés ,
avoit porté le meurtre dans une partie de cette
paroisse , qui seroit devenue le théâtre des plus
grands désordres , sans le courage des citoyens
blancs et des hommes de couleur qui, quoiqu'aban-
donriés par la municipalité , .n'ont rien négligé,
pour rappeler l'ordre et la paix. ( Pièces justifica-
tives , ns'. 79 ).
(%)
Mais le mal menaçoit d'arriver à son comble ,
clans les paroisses de Saint-Marc , de la Petile-
Riviere et des Verettes. Des députés de Saint-
Marc étoient venus à la Croix-des liouquets , d'où
ils m'envoyèrent solliciter a Léo.^ane , de la ma-
nière la plus pressante , de céder aux vœux de
leurs concitoyens, qui me prioifnt de me trans-
porter dans leur quartier. (Pièces justificatives,
n°. 79 bis. ).
La conduite que tenoient les assemblées colo-
niale et provinciale ne m'y promettoient pas de
grands succès, mais je devois essayer de remédier
au mal j je me déterminai donc à me rendre aux
instances des ciioyens de Saint- Marc.
Après avoir pris toutes les mesures qui dépen-
doient de moi , pour aiïermir la tranquillité que
j'avois rétablie à Léogane, je m'embarquai sur la
Galathée, et j'arrivai à Saint-Marc , le 3o mars.
Depuis long temps une division funeste avoit
banni la paix de cette ville , la municipalité avoit
été détruite ,et remplacée par un bureau de police;
les membres de l'ancienne municipalité s'étoient
éloignés de Saint-Marc , un grand nombre d'ha-
bitans s'étoient retirés de la ville ; réunis à la
grande Saline de l'Artibonite , ils ne paroissoient
disposés à retourner dans leurs foyers , qu'au mo-
ment où ils y verroient l'autorité légitime rétablie ,
et où ils pourroient compter sur une entière sé-
curité. Le bureau de police de Saint-Marc regar-
i • i * • D-
doit cette reunion de citoyens, comme contraire
à la loi, s'en plaignoit hautement, et paroissoit
craindre des actes hostiles de sa part. ( Pièces jus-
tificatives , n°. 8o ) (î).
(0 Voyez la cote n°. 38.
(Ko)
La lettre que j'adressai aux habitans de Saint-
Marc fut mai interprétée, ainsi que t'arrête le
l'Assemblée coloniale sur le rétablissement de*
municipalités ,' et l'Assemblée primaire de 'a pa-
roisse de Saint-Marc, convoquée par le bureau de
police, forma une nouvelle municipalité, au lieu
de rappeler l'ancienne. ( Pièces justificatives ,
n*. 81 ). J
Aussitôt que les anciens officiers municipaux,
et les citoyens réunis à la Saline _, furent instruits
de l'intention qu'avoienr les habitans de Saint-
Marc, d'élire une nouvelle municipalité , ils pro-
testèrent contre la. convocation de l'Assemblée
primaire. (Pièces justificatives,»0. 82). .
Je reçus le procès-verbal de la nomination de
cette municipalité ( pièces justificatives , n°. 8 S ) ;
je liraprouvài , et elle reçut aussi l'improbation
de l'Assemblée provinciale. ( Pièces justificatives,
n°. $4 ).
L'ancienne municipalité fut invitée , d'après ma
lettre aux habitans de Saint-Marc , à venir repren-
dre ses fonctions ( pièces justificatives , n°. 85 ) 5
elle s'y refusa , consigna ses motifs dans son ar-
rêté du 27 février (pièces justificatives , n°. 86 ) ,
après avoir consulté l'Assemblée coloniale sur
le parti qu'elle avoit à prendre dans ces circons-
tances ( pièces justificatives , n«. 87 ) (1). L'assem-
blée coloniale, par son arrêté du 7 mars } lui a
laissé la liberté de" rentier dans ses fonctions,
quand les circonstances lui paroitroient conve-
nables (pièces justificatives , n° 88 ) (2) ; elle les a
(1) Voyez le n°. 86, et les pièces qui y sont àncx^cs.
(i) Voyez les pièces jointes au n°. 86.
reprises à la grande Saline , ainsi que le prouve
son procès-verbal du i3 mars. (Pièces justificatives,
n°. Sy ). _
Les habitans de Saint-Marc , supposant que les
anciens officiers municipaux avoient , dans la
réponse faite à l'invitation de rentrer dans leurs
fonctions , prononcé un refus formel de les re-
prendre , s empressèrent alors de nommer défini-
tivement une municipalité. ( Pièces justificatives,
Tandis que l'ancien maire et des officiers muni-
cipaux, étoient réunis et campés à la Saline avec un
grand nombre d 'habitans de Saint-Marc , la mu-
nicipale provisoire exerçoit, comme je l'y avois
autorisée- , les fondions municipales , en attendant
que l'autre vînt les reprendre. ( Pièces justifica-
tives, n°. 91 ). Eile correspondoit avec moi,
m'instruise ir de ce qui se passoit dans la paroisse ,
et ce fut elle qui me confirma l'événement affreux
; à la Petite-Rivière , et qui m'apprit qu'il y
avoit eu depuis nue suspension d'hostilités entre
les blancs et les hommes de couleur. ( Pièces jus-
tificatives , no. Q2 ). Eile se plaignoit amèrement
dans ses lettres , du camp de la Saline; elle lui
prêloit des vues hostiles, disoit que la ville étoit
fortement menacée par ies personnes qui formoient
ce rassemblement, acensoit un sieur Dumontel-
lier de s'être porté avec un détacbement au bourg
des Yerettcs , d'y a\oir causé du trouble jelle ac-
cusoit des déîachemens de ce camp d'avoir fait des
incursions sur les babitations : elle me faisoit passer
des déclarations de diverses particuliers qui dénon-
çaient des vexations qu'ils en avoient (-prouvées;
( pièces justificatives , n°. q3 ) ; et dans le mêma
Umps la municipalité de Saint-Marc , séante à la
Saline , supposoit les mêmes vues hostiles aux ha-
bitans réunis dans la ville avec les hommes de cou*
leur. (Pièces justificatives, n°. 94).
La défiance et la division régnoient entre ces
deux partis , dont le but paroissoit être de se trou-
ver réciproquement coupables.
Les mêmes dissentions qui menacoient la pa-
roisse de Saint Marc de toutes les horreurs d'une
guerre civile, apitoient les paroisses des Verettes,
de la Petite-Rivière , depuis l'événement du 17
février. Ces deux paroisses étoient en armes. Les
blancs de la Petite -Rivière étoient campés sur
l'habitation Ségur. Les hommes de couleur occu-
poient le bourg.
M. Borel , habitant des Verettes avoit formé un
camp chez, lui. Il s'étoit porté à des mesures hos-
tiles contre les hommes de couleur j accompagné
de-gens armés , il avoit attaqué un de leurs corps-
de-garde, et en avoit enlevé des canons : la muni-
cipalité des Verettes m'avoit dénoncé ce fait , en
m'envoyant des pièces qui sembloient lui prou-
ver que M. Borel n'a voit d'autre dessein que de
troubler l'ordre , tandis que par toutes ses mesures
elle tendoit à le rétablir. ( Pièces justificatives ,
n°' 93)- .
J'écrivis' alors à la municipalité des "Verettes de
tout faire pour ramener et assurer la tranquillité
publique , de faire cesser toutes dispositions hos-
tiles , en attendant que je rne transportasse dans
le quartier de Saint-Marc. Je l'engageai à commu-
niquer ma lettre à M. Borel , que je rendois res-
ponsable de tout ce qu'il pourroit entreprendre
contre Tordue et la paix. ( Pièces justificathes ,
nv. 96).
Malgré ces précautions , la défiance et les ani-
(63)
mosités qui régnoient de toutes parts , produi-
sirent un nouveau choc entre M. Borel et les hom-
mes de couleur. ( Pièces justificatives , nc. 97 ). La
ville de Saint- Marc ne cessoit d'exprimer les alar-
mes rjue lui donnoit le camp de la Saline 5. elle
craignoit sa réunion avec le camp de M. Borel ^
avec i5o hommes de troupes de ligne arrivés dans
le quartier de la Petite -Rivière ; elle craignoit enfin
de se voir assiégée. ( Pièces justificatives , n°. 98).
J'écrivis donc à la municipalité de Saint-Marc,
et je lui faisois passer une lettre pour le comman-
dant de détachement des troupes de ligne ; je le
requérais de n'exercer aucune hostilité : il s'est
conformé à nia réquisition . ( Pièces justificatives,
no. 99 )
Tel étoit l'état des choses quand je suis arrivé
à Saint-Marc. Je me suis empressé d'écrire aux
«nciens officiers municipaux, réunis a. la Saline,
pour les inviter à céder aux désirs de leurs conci-
toyens , à rentrer dans la ville pour y reprendre
l'exercice de leurs fonctions. J'écrivis tfi même
temps à M. Borel pour lui demander les motifs
qui l'avoient engagé à former un camp ; je lui
demandois quelle autorité l'avoit armé : il me ré-
pondu que c'éto't l'Assemblée coloniale qui lui
avoit donné les premiers secours en munitions de
guerre ; que c'étôit cette* Assemblée qui l'autori-
soit à se tenir en armes ; que son assentiment lui
Bufjfîsoit. Il ajoutoit qu'il lalloit que les gens de
couleur fussent désarmés pour que les hostilités
cessassent ; qu'il fallôit que tous les coupables fus-
sent punis (pièces justificatives , n°. 100) ; que
d'ailleurs , il ne se faisoit point illusion sur l'éten-
due de mes pouvoirs ; et il terminoit sa lettre en
m'annoneant qu'il souorettroit la mienne aux tri-
( m
brnaux supérieurs légalement constitués , et qui
seuls a voient droit d'en connoître,
cutives , n°. 100 ).
Il étoit aisé de calculer , d'après cette r «pon e ,
^influence que la conduite de V
cia!e , à mou égàri , avoit sur roi i i , sur
les personnes quisoutenoient ses opi dons, lille se
montroit aussi , cette- influence , dansées lettres
de la Saline ( pièces justificatives , n°. 101 ,
celles de la municipalité de la Petite- Rivière. (Pièces
justificatives , n°. 102).
Je voyois qu'il m'étoit impossible de ramener
à des principes de modération des hommes que les
circonstances , les préjuges, leurs ^passions, leurs
inté êts en éîoignoient ; je voyois que >.i je cher-
chois à agir successivement sur chaque p >int de
la masse, dont il falioit changer le mouvement,
tous mes efforts seroient superflus ; que je consu*
nierois un temps précieux en tentatives mal ti-
reuses , ou d'un succè* peu certain , et que j'aug-
menteroite la dépense extraordinaire d'environ six
milie livres , dont j'ai été foncé de grever le trésor
par la nécessité de payer au poids de l'or Jes
moyens de sauver ma correspondance des mains
de ceux qui 1 épioient , et de procurer à des mal-
heureux , privés de toute ressource , de quoi échap-
per a l'horreur des premiers besoins. Je me suis
donc arrêté à une mesure générale , et j'aladcessé
aux corps administra ifs , à tontes les municipa-
lités , à tous les nabitans des provinces de 1 Ouest
et iu Sud, une proclamation pour les inviter à
suspendre toute ho tilt té.
Que pouvois-je faire encore , au milieti d'un
chaos qui se couvroit chaque jour de iênèh es
plus épaisses ? Aucune des autorités connues dans
la
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la colonie , ne vouloit me prêter les secours né-
cessaires pour remédier à tant de maux 3 toutes
paroissoient vouloir agir dans un sens opposé.
L'Assemblée coloniale secondoit les desseins de
l'Assemblée provinciale de l'Ouest , et de la muni-
cipalité du Port-au-Prince , ou plutôt montroit
ouvertement ses vues et le but qu'elle comptoit
frapper.
Une lutte plus longtemps continuée . n'eut fait
qu'accroître des désastres auxquels il falloit re-
médier promptement.
A ces causes s'en réunissaient encore , dont on?
ne pouvoic accuser qu'une sorte de i'ataliré. Les
secours envoyés par les ordres de l'Assemblée
nationale et du Pv.oi , avolent été retardés par des
traversées dont la longueur étoit presque un phé-
nomène, puisque plusieurs bàlimcns ont été 80 et
90 jours dans le trajet. Mais, quoiqu'arrivés tardi-
vement et par parcelles , ils auroient pu encore
assurer le succès de ma mission , s'ils 11' 1 voient
été distribués d'une manière qui me démontroit
que ce succès étoit compté pour rien dans la répar-
tition qu'on- en a faite.
Les idées les plus exagérées se manifesi oient de
toutes parts j l'arrivée des troupes raniraoit d|
pérances contraires, parce que chaque parti comp-
tait se les attacher. Les hommes de couleur , que
dans l'origine les concessions les plus simples au-
froient satisfaits , dont l'exécution du décret du i5
mai auroit surpassé l'attente , ne prenoient plus,
idepuis la circulation de certains écrits répandus
Tdans la colonie , et les vexations qu'ils ont éprou-
vées , d'autres termes pour leurs désirs, que celui
ioù ils n'en auroient plus à former 5 et la haine do
;eux qui ont juré leur perte , s'en irritoft encore.
L
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Les esclaves , profitant de ces dissentions , ajou-
tèrent encore des traits sinistres à cet ensemble
effrayant. Il existait cependant par-tout, et dans
toutes les classes, des hommes modérés , amis de
la paix , chérissant la patrie avec enthousiasme ,
combattant même avec courage les résolutions
dangereuses des corps constitués ; mais une majo-
rité furieuse rendoit tous leurs efforts impaissans :
ainsi la souveraineté nationale outragée , les lois
méconnues , l'humanité souffrante ; en un mot ,
l'intérêt de la colonie , et celui de la France en-
tière, qui en est inséparable -, tout m'a semblé invo-
quer le secours de la justice delaNationau milieu
de tant de calamités et de désastres ; j'ai cru enten-
dre la voix impérieuse du devoir , me crier de
quitter Saint-Domingue, pour venir mettre sous les
yeux du roi et de l'Assemblée nationale, le tableau
déchirant, mais fidèle, des évènemens qui se sont
passés dans les provinces de cetteColonie,où j'avois
été spécialement chargé de travailler au rétablisse-
ment de l'ordre ; pour présenter les alarmes que
ces évènemens inspirent pour l'avenir, et appeler
encore une fois sur une partie de l'empire français,
arrosée d( puis plus de neuf mois et de pleurs e%
de sang, la sollicitude du corps législatif et celle
du roi.
Fait à Paris , ce 2 juin 1792. Saint-Léger.