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Full text of "Compte rendu à l'Assemblée nationale, par M. Saint-Léger, commissaire civil pour l'île de Saint-Domingue, le 2 juin 1792, l'an IV de la liberté. Imprimé par ordre de l'Assemblée nationale."

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COMPTE  RENDU 

A  L'ASSEMBLÉE  NATIONALE, 

Par  M.   SAINT-LÉGER,   Commissaire  civil 
pour  l'isle  de  Saint-Domingue , 

Le  2  juin  1792  >  l'an  4'«  de  la  liberté. 

Imprimé  par.   ordre  de  l'Assemblée  Nationale. 


A    PARIS, 

DE   L'IMPRIMERIE   NATIONALE, 

1792. 


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COMPTE  RENDU 

A  L'ASSEMBLÉE  NATIONALE, 


Par  M.   S  A  I  N  T-LÉGER  ,  Commissaire  civil 

igue., 


pour  l'île  de  Saint-DominsUe 


Le  2  juin  1792,  l'an  4e.  de  la  liberté  j 
Imprimé  par  ordre  de  l'Assemblée  Nationale. 


Mess  i  e  u  r  s  7 


Exvoyé  à  Saint-Domingue  avec  MM.  Ronme 
et  Miibt  ck  pour  l'exécution  de  Ja  loi  du  11  février 
17.91  ,  pour  y  maintenir  l'ordre  et  la  tranquillité 
j)i>idjqne  ,  y  faire  resp>  crer  la  volon  e  nationale, 
et  essruer,  à  l'omi  re  do  ta  paix,  Hpncj.^.ité  d'une 
cks  pins  rich  s  parties  de  l'empire  :  je  ne  patois 
cependant  aujourd'hui  que  pour  tous  présenter  le 
spectacle  <ie   gea  i.  ;mx. 

J"  s  '  :!  •'  ■•■'  »s  f'-'nestes  se  sdnt  conju.ées  pour  la 
Colonies,  ii°.  3i.  A 


ruine  de  cette  Colonie  -.'elles  paraissent  agiter  le  plus 
grand  nombre  :  elles  semblent  ne  connoître  au- 
cun frein  :  les  haines  violentes  qu'elles  ont  allu- 
mées ne  veulent  s'éteindre  que  dans  le  sang  : 
l'esprit  de  destruction  se  répand  d'une  manière 
effrayante  ,  et  les  mots  de  paix  et  &  humanité  sont 
proscrits  comme  criminels. 

En  vain  la  loi  essaye  t-elle  de  se  faire  entendre: 
son  autorité  est  méconnue  ;  ou  si ,  par  un  feint  res- 
pect pour  elle  et  pour  la  souveraineté  nationale , 
on  s'étaye  de  ces  noms  sacrés,  c'est  pour  trouver 
plus  sûrement  le  moyen  d'en  éluder  l'empire,  ou 
pour  parvenir  à  réaliser  le  système  absurde  d'une 
folle  puissance. 

Longtemps  mes  collègues  et  moi  ,  nous  avons 
opposé  à  ces  sinistres  eftbrts  toute  l'influence  que 
nous  devions  attendre  du  caractère  dont  nous 
étions  revêtus,  toute  la  résistance  dont  nous  avons 
été  capables  :  forts  des  pouvoirs  que  l'Assemblée 
nationale  et  Je  roi  nous  ont  confiés ,  nous  avons 
tenté  de  rappeler  le  bonheur  dans  cette  Colonie , 
en  cherchant  à  y  rétablir  l'ordre  et  le  'règne  de 
la  loi.  Nous  avons  pressé  tous  les  pouvoirs  cons- 
titués de  nous  seconder  dans  cette  entreprise  ; 
nous  avons  invité  tous  les  vrais  Français  à  se  réunira 
nous  ;  mais  ne  pouvant  nous  dissimuler  enfin  que 
nous  étions  réduits  à  nos  seuls  moyens  ,  nous 
avons  eu  encore  la  douleur  de  voir  s'élever  con- 
tre nos  opérations  une  grande  partie  de  ceux 
mêmes  que  leurs  devoirs  appelloient  à  nous  se- 
conder, ceux  qui,  parleurs  obligations  envers  le 
peuple,  dévoient  chercher  à  nous  environner  de  la 
confiance  de  leurs  concitoyens. 

Oui,  Messieurs,  les  obstacles  que  l'autorité  na- 
tionale a  rencontrés  ,  ont  été  produits  ,  pour  la 


(3) 

plupart,  par  les  actes  mêmes  des  corps  populaires  ; 
dénomination  que  les  corps  administratifs  et  mu- 
nicipaux de  Saint-Domingue  ont  adoptée  :  en  vertu 
de  cette  dénomination  erronée  ,  et  du  caractère 
de  représentation  qu'ils  s'arrogent  ,  ils  exagèrent 
les  principes  ?  ils  confon  ent  les  pouvoirs,  et  pa- 
roissent  tendre  souvent  à  les  usurper  tous. 

Leurs  actes  destructifs  de  toute  organisation 
ont  empêché  que  la  paix  ne  s'établît  sur  des  fon- 
demens  solides  ;  ils  n'ont  que  trop  éloigné  l'espoir 
de  la  voir  renaître» 

Ces  corps  administratifs  nous  ont  enlevé  ,  aux 
yeux  du  peuple  de  la  Colonie  ,  la  force  morale 
dont  l'Assemblée  nationale  et  le  Roi  nous  ont  in- 
vestis ,  en  nous  supposant  des  erreurs  ,  des  fautes 
et  des  intentions  coupables.  Leur  conduite  a  prêté 
de  grands  avantages  au  parti  qui  lutte  aujour- 
d'hui contre  eux,  et  qui ,  peut-être  dans  l'origine 
des  troubles  ,  n'étoit  opposé  à  ces  corps  que 
parce  que  ceux-ci  l'étoient  eux-mêmes  au  nouvel 
ordre  de  choses  qui  s'est  établi  en  France.  Us 
ont  fourni'  à  ce  parti  le  prétexte  de  justifier  des 
violences  ,  et  de  s'armer  de  la  loi  même  pour  la 
combatrre  plus  sûrement. 

Au  milieu  de  tous  ces  chocs  ,  nous  restions 
inébranlables  dans  les  principes  et  dans  notre  de- 
voir ;  mais  les  écarts  des  corps  administratifs  et 
municipaux  détruisoient  chaque  jour  l'efficacité 
des  moyens  qui  pouvoient  seuls  con venir  à  notre 
ministère  de  paix.  Eh  !  devions  nous  employer 
d'autre  voie  que  colle  de  !a  persuasion  et  de'  la 
fermeté:  Toute  avUre  mesure,  sans  assurer  l'exé- 
cution de  la  loi  ,  auroit  armé  à  .Saini-Domingue 
une  portion  de  ses  habitant  contre  l'autre,  e.  mis 
aux   prises  deux  partis  qui  s'excitoient  journei- 

A  a 


_(  4) 

lement  ,    et  qu'il    étoit  de  notre  devoir  de  rap- 
pj?<  cher. 

Sans  doute  ,  il  ûtoît  loin  du  cœur  de  mes 
collègues  comme  du  mien  ,  de  .souiller  de  sang 
la  mission  en  quelque  sorte  sacrée  qui  nous  étoit 
confiée  ,  et  de  donner  le  signal  de  la  guerre  civile  j 
ma's  la  loi  étant  par-tout  éltrlée  on  repoussée  , 
les  moyens  dont  nous  pouvions  disposer  étant 
devenus  insufiisans  contre  des  actes  réduit»  en 
système  par  les  corps  administratifs  ;  l'autorité 
nationale  s'affoiblissant  de  jour  en  jour  par  l'effet 
de  ces  acres;  l'esprit  de  parti  ,  les  passions  tu- 
multueuses s'emparant  de  l'initiative  de  tontes  les 
délibérations  ,  de  toutes  les  décisions  ,  de  toutes 
les  démarches  ;  les  premiers  succès  que  la  loi 
avoit  obtenus  à  mon  arrivée  dans  la  province  de 
l'Ouest,  étant  détruit»;  enfin,  au  milieu  de  la 
confusion  des  pouvoirs  ,  ma  présence  ne  parais- 
sant désirée  que  pour  autoriser  les  hostilités  aux- 
quelles on  se  disposait  de  toutes  parts  ,  j'ai  ctu 
que  mon  devoir  me  prescrivoit  impérieusement  de 
venir  rendre  à  l'Assemblée  nationale  un  compte 
de  la  situation  de  cette  impoi  tante,  mais  infor- 
tunée Colonie  ,  qui  portât  sur  elle  Jes  regards  de 
la  Nation  entière. 

Je  n'ai  point  à  vous  retracer  ,  Messieurs  ,  les 
événemens  qui  ont  eu  lieu  dans  la  Colonie  avant 
la  fin  de  décembre  17.91.  Mes  collègues  et  moi 
nous  en  avons  métrait  le  ministre  par  nos  dé- 
pêches des  3o  novembre  et  29  décembre  derniers. 
A  cette  époque  ,  quoi  jue  nos  soi.".s  fussent:  diri- 
gés vers  les  moyens  d'arrêter  ou  d'appaker  dans 
la  province  du  Nord  ,  la  révolte  des  noirs  dont 
les  progrès  devenoient  effrayans  ,  notre  sollici- 
tude chef  choit  encore  à  préparer  le  regue  de  la 


(5) 
loi  ,  en  faisant  respecter  la  souveraineté  natio- 
nale dans  les  pouvoirs  qu'elle  avoit  constitués 
pour  3a  Colonie,  par  la  loi  du  28  septcmbte;  ruais 
n'étant  pas  suffisamment  informés  de  la  situation 
des  provinces  de  l'Ouest  et  du  Sud,  nous  avions 
cru  devoir  rester  réunis  au  Cap. 

Cependant,  de  nouveaux  troubles  survenaient 
dans  les  provinces.  Les  blancs  ,  les  hommes  de 
couleur  étbient  armés  les  uns  contre  les  aunes. 
Ici  des  coalitions  locales  ,  scit  pour  la  sûreté 
commune  ,  soit  comme  prétexte  pour  se  maintenir 
en  armes  ;  là  ,  l'incendie  et  le  pillage  j  presque 
par  tout  les  travaux  de  l'agriculture  suspendus  , 
les  opérations  du  commerce  entravées  :  tel  étoit 
l'état  déplorable  de  la  Colonie,  et  sur-tout  de  la 
province  de  l'Ouest  ,  que  les  députés  de  divers 
quartiers  envoyés  vers  nous  ,  nous  exposoieift 
chaque  jour  ;  déjà  la  torche  avoit  embrasé  plu- 
sieurs propriétés  :  elle  les  menaçoit  toutes  d'une 
dévastation  totale.  Dispersés  dans  1er»  habitations  , 
les  blancs  a  voient  tout  à  redouter,  ou  du  brigan- 
dage qui  s'appuvoit  d\n\  prétexte  de  parti  ,  ou 
petit  être  d'un  Système  atroce  qui  sembloit  les 
avoir  impitovablement  condamnés  à  disparoî  re 
de  la  surface  de  cette  terre.  En  effet,  chaque  jour 
voyoit  tomber  de  nombreuses  victimes  de  la  fu- 
reur du  fanatisme,  de  la  cupidité,  de  la  soif  des 
vengeances.  Au  milieu  de  tant  d'atrocités,  on  c  n- 
trevoyoit,  pour  ainsi  dire,  le  dernier  résultat  de 
ces  dis, en  lions  horribles  qui  ,  donnant  aux  noirs 
le;  moyens  de  briser  tout'  lien  et  de  s'armer  , 
ouroient  confon  lu  Indistinctement  tous  les  l\oia* 
mes  libres  dans  une  égale  dy9v| 

Cependant  les  rheillettri  rfr<*'»ne     •.  5    ,    ,, 

1        i  1      c      1      •    ,<  -yens  entraînes  d  3- 

I  par  la  fatale  influence  de  ces  trinn,     • 

A3 


treux,  mais  las  enfin  de  combattre  ,  effrayés  de  ne 
plus  appercevoir  que  Ces  ruines  ,  et  désirant  sans 
doute  la  prospérité  de  la  Colonie  et  de  la  France  , 
cherchoient  une  issue  à  tant  de  maux.  Ecoutant 
la  raison  et  sachant  ménager  l'amour- propre  de 
leur  parti ,  ils  indiquèrent  ,  comme  un  remède 
certain  ,  les  décisions  et  la  présence  des  commis- 
saires nationaux  civils.  Les  députés  qui  se  ren- 
doient  près  de  nous  ,  nous  répétoient  sans  cesse 
que  l'ordre  et  la  paix  suivroient  infailliblement 
nos  pas  ;  qu'autrement  la  province  de  l'Ouest  al- 
loit  devenir  Je  théâtre  de  tous  les  crimes. 

Ces  considérations  justement  appréciées  par  mes 
collègues  et  par  moi  ,  nous  déterminèrent  à  ar- 
rêter qu'un  de  nous  se  transporteroit  dans  les  pro- 
vinces de  l'Ouest  et  du  Sud  ,  pour  y  faire  con- 
noître  et  respecter  la  volonté  nationale  ,  exiger 
la  soumission  à  la  loi  ,  y  porter  des  paroles  de 
paix  ,  rapprocher  des  hommes  aigris  par  le  senti- 
ment de  leurs  maux,  et  leur  rappeler  que  les  succès 
d'une  guerre  civile  ne  sont  que  des  désastres,  et 
ne  produisent  d'autres  fruits  que  des  remords. 

Nous  décidâmes  ,  mes  collègues  et  moi ,  que 
je  tenterois  de  remplir  cette  mission.  Nous  prîmes 
le  12.  janvier  un  arrêté  qui  fut  communiqué  à 
l'assemblée  coloniale  ,  et  à  M.  le  lieutenant  au 
gouvernement  -  général.  (  Pièces  justificatives, 
n°.  i.  ) 

M.  Elanchelande  fut  prié  de  prendre  les  me- 
sures propres  à  effectuer  mon  départ  dans  le  plus 
court  délai.  Une  gcëlette  fut  frétée  :  je  m'embar- 
quai le  2.1  janvier;  et  le  29  du  même  mois,  j'ar- 
rivai au  Port-au  Prince,  accompagné  de  M.  Adet, 
secrétaire  de  la  commission  ,  avec  lequel  je  suis 
revenu  en  France,  et  dont  le  zèle  et  les  talens 


(?) 

ont  parfaitement  justifié  le  choix  que  le  Roi  a 
daigné  faire  de  lui. 

Un  immense  quartier  de  cette  malheureuse  ville 
ne  laissoit  voir  que  des  cendres  et  des  débris  : 
elle  présentoit  le  spectacle  d'une  place  entourée 
d'ennemis:  des  fortifications  élevées  à  la  hâte  sur 
tous  Jes  points  d'une  vaste  enceinte  ,  exigeoient , 
et  le  jour  et  la  nuit,  de  la  part  des  troupes  de  li- 
gne et  des  kabitahs  ,  un  service  extrêmement  pé- 
nible. Toute  subsistance  de  l'intérieur,  toute  com- 
munication étoit  interceptée;  le  marché  n'offroit 
plus  d'alîmens,  la  ville  étoit  privée  des  eaux  sa- 
lubres  qui  descendent  des  mornes  ;  la  viande  de 
boucherie  manquoit  même  pour  les  hôpitaux  ; 
sans  les  vivres  des  magasins  de  l'État  ,  et  ceux  que 
l'administration  demandoit  et  exigeoit  du  com- 
merce ,  la  famine  se  seroit  bientôt  fait  sentir;  et 
cependant,  malgré  Ja  possibilité  du  retard  ou  de 
l'insuffisance  des  ressources  sur  lesquelles  on  pou- 
voit  compter,  il  régncit  dans  cette  partie  une  di- 
lapidation excessive  ;  la  ville  conservoit  à  la  vé- 
rité sa  communication  avec  la  mer  ,  mais  sans 
qu'elle  lui  présentât  aucune  ressource  certaine  ; 
et  la  municipalité  et  l'assemblée  provinciale  de 
l'Ouest ,  m'exprimoient  journellement  leurs  alar- 
mes sur  tous  les  dangers  dont  elle  étoit  envi- 
ronnée. 

Croira-t-on  que,  dans  de  telles  extrémités  ,  les 
mots  de  paix  ,  de  conciliation  fussent  repoussés 
à  l'égal  du  crime?  Voici  peut-être  l'explication  de 
cet  étrange  phénomène  :  les  pertes  ,  le  malheur 
àes  uns  ,  le  brigandage  r!ont  on  accusoit  les  autres  , 
l'espérance  d'une  fortune  dont  en  secret  se  flat- 
toit  un  grand  nombre  ;  tout  ce  bouleversement 
dans  les  relations  d'inteiêt,  les  esprits  dans  une 

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(8) 

fermentation  qui  leur  faisoit  adopter  sans  examen 
tous  es  genres  d'accusation,  et  on  fe  driminde.it 
que  des  vidiines.  Il  est  trop  vrai  malheureuse- 
ment qu'il  a  existé,  qu'il  exisioit  encore  lors 
de  mon  départ  de  la  Colonie  ,  un ■*  soif  de  sang  , 
de  prosCriptîoM  dans  la  ville  du  Port  au  Prince  , 
contre  laquelle  n'ont  pas  été  employés  les  moyens 
confiés  aux  corps  administratif'  et  municipal. 

Puisse  le^rèspéçï  .pour  Ja  loi , 'dans  cette  v;]:e 
aujourd'hui  si  malheureuse  ,  atténuer  un  jour 
l'horreur  dont  on  seroit  pénétré,'  s'il  falloit  pré- 
senter le  tableau  de  ces  proscriptions  atroces  et 
de  leurs  circonstances  !  Des  citoyens  français  ,  des 
blancs  ,  des  liormrieS  de  couleur  ,  des  femmes 
même  (  pièces  justificatives  ,  nw.  2  )  ont  été  im- 
moles sans  qu'en  ait  cru  avoir  besoin  de- recou- 
rir à  aucune  formé  ,  sans  autre  juge  que  la  baire, 
sans  antre  preuve  que  ctile  epue  la  prévention  pou- 
voit  offrir  à   la  férocité. 

Les  confédérés  de  la  Croix-des-Fouquets,  que 
le  Port-au-Prince  regardait  comme  ses  ennemis 
les  plus  redoutables  ,  éto'ent  mai-Ires  de  la  plaine 
du  Cul-de-Sac.  Ce  rassemblement  nombreux,  voi- 
sin des  montagnes  du  Mirebalais  ,  exisioit  sous 
le  titre  d'armée  combinée  de  la  province  de 
l'Ouest  5  il  s'étoit  formé  des  hommes  de  couleur 
chasses  de  la  ville,  du  Port-au-Prince  ,  de  ceux 
qui  avoient  épousé  la  même  cause  ,  et  d'un  grand 
nombre  de  proscrits,  habit  ns  de  la  plaine  du  Gui- 
de Sac  ,  ou  des  paroisses  qui  avoient  accédé  au 
concordat  et  traité  de  paix  fait  avec  les  hommes 
de   c;  uieur. 

Ce  rassemblement ,  dont  le  but  parbissoît  com- 
mun ,  ë:oit  mu  par  des  causes  diverses.  Beaucoup 
vouloient  garantir  leurs  propriétés  ,   d'autres  te- 


(9.) 
noient:  do  bonne  foi  aux  plâtrées  d^  ces  acte* 
déclarés  illégaux  par  l'Assemblée  c<7ion*n^e  ;  l'on 
y  mamfestqii:  ouvertement  de  l'opposition  pour 
cette  Assemblée,  dont  on  confeitoir  d'a'lleur^ 
l'existence  légale,  parce  qu'on  lui  supposoît  eue 
continuation  de  principes  dont  les  coméqn-nres 
auroient  été  iifnfesJ:e"S  à  la  Colonie  ;  pont -être 
existent  il  des  vues  coupables  pïtis  éte'rtdu<  s  en- 
core ,  et  qui  ne  ponvoient  acquérir  de  cons'sriitce 
qu'à   la  faveur^1  os  troubles. 

Quelque  origine  qu'on  puisse  attribuer  à  cotte 
opposition  aux  actes  de .  l'Assemblée  càlonîaîè  " 
il  en  résultait  cependant  urc  aimée  organisé  , 
pourvue  d'armes  et  de  munirions  de  gne;  -  , 
ayant  des  chefs  ,  un  conseil  d'administration  ;  et 
les  paroisses  coalisées  y  entretenu!,  nt  dos  com- 
missaires. Cette  armée  correspon  luit  lifjrermrit 
avec  d'autres  postes  qui  bloquoient  étroitement 
la  ville;  elle  ponvoit  les  fai<e  agi)-  de  concert  : 
ainsi,  la  dispersion  de  ce  foyer  principal,  Sur- 
tout par  le  seul  effet  de  l'autorùe  nation  île,  q  ù 
s'appuie  sur  ta  foi,  devoit  nécessairement 
de  la  guerre  civile  la  province  de  l'Ouest,  tf  ar 
ter  en  même  -  temps  par  l'exemple  dans  la  pro- 
vince du  Sud  ,  le  ravage  et  les  meurtres  qui 
s'y  comme ttoient   journellement. 

D'ailleurs  ,  je  de  vols  calculer  l'influence  qn'ân- 
roient  sur  leurs  corcitov*  hs  de  ^rais  Français 
menus   plus  éclairés,   après   s'être   inipru lemuieni 
livrés  à  une  cause  réprouvée  par  i* Assemblée  colo- 
niale ;  pouvoir  lég\tîmement  constitué  au  mo 
de  la  loi  du  28  septembre  1791. 
■  Pénétre   des  principes  qui    dirigent    le    peuple 
içiis,  résolu  à  ne  déployer  ta  force  que  « 
des  ennemis  qui   là  provoquent-,   ou  contre 


(  io  ) 
rebelles  qui  se  déclareroient  tels  en  repoussant 
obstinément  la  loi ,  j'ai  cru  ne  devoir  jamais  fer- 
mer entre  des  citoyens  les  voies  de  conciliation 
et  de  rapprochement  ;  et  rien  n'étoit  plus  dans 
le  devoir  de  mon  ministère,  que  de  parvenir  à  ame- 
ner le  règne  de  la  loi,  en  obtenant  une  preuve 
éclatante  de  soumission  pour  elle. 

Tel  étoit  l'état  des  choses ,  lorsque  ,  le  premier 
février ,  les  personnes  réunies  à  la  Croix-des- 
Bouquets  me  demandèrent  une  entrevue ,  si  je 
pouvois  promettre  sûreté  entière  dans  le  Port-au- 
Prince  à  la  personne  de  leurs  députés  chargés 
de  me  donner  des  témoignages  de  leur  obéissance 
à  la  loi.  (Pièces  justificatives  ,  n°.  3.  ) 

J'ai  communiqué  la  lettre  à  la  municipalité  du 
Port-au-Prince  et  aux  commissaires  que  l'assem- 
blée provinciale  avoit  destinés  à  maintenir  avec 
moi  une  correspondance  active.  J'ai  bientôt  pres- 
senti les  difficultés  que  j'aurais  à  combattre  dans 
la  suite  ,  lorsque  j'ai  appris,  par  leurs  réponses, 
que  ces  députés  ne  pouvoient  être  reçus  chez  moi 
sans  être  exposés  à  des  humiliations ,  à  des  ou- 
trages 9  et  peut-être  sans  avoir  leur  sûreté  indivi- 
duelle %ienacée  ,  quoique  l'assemblée  provinciale 
m'eût  promis  de  prendre  un  arrêté  à  cet  égard,  et 
d'y  donner  toute  la  publicité  possible. 

Il  a  donc  fallu  assigner  le  rendez -vous  dans 
une  maison  située  hors  de  la  ville  ,  sous  le  canon 
du  fort  Saint-Joseph.  (Pièces  justificatives,  n°.  \.  ) 
La  députation  étoit  composée  de  quatre  blancs  et 
d'un  homme  de  couleur  propriétaire. 

Instruit  de  leur  arrivée,  je  suis  sorti  de  la  ville 
avec  MM.  Beraud  et  Poncet  ,  membres  de  l'as- 
semblée provinciale  ;  la  compagnie  de  grenadiers 
du  quatrième  régiment  étoit  avec  nous ,  destinés 


r  11  ) 

à  protéger  les  personnes  envoyées  vers  moi.  Ega- 
rés par  je  ne  sais  quels  conseils,  ces  grenadieis 
ont  prétendu  assister  à  la  conférence  ;  ils  se  prc- 
inettoient  des  instances  pressantes  et  réitérées  j 
mais  dès  que  je  leur  eus  montré  que  ma  mort  pré- 
céderoit  ienr  déshonneur  ,  ils  se  sont  rappelés 
qu'ils  étoient  soldats  français. 

Au  nom  de  l'armée  ,  des  commissaires  réunis 
des  paroisses  de  l'Ouest  ,  des  citoyens  blancs  et 
des  nommes  de  couleur,  la  députation  m'assura 
que  tous  recouroient  avec  empressement  à  la  pro- 
tection de  l'autorité  légitime  ,  et  que  ,  pour  l'ob- 
tenir ,  ils  fer  oient  à  la  loi  et  à  la  paix  tous  les 
sacrifices  qui  devicndroient  nécessaires.  Ces  sen- 
timens  m'étoient.  confirmés  par  différentes  lettres 
des  chefs  que  se  sont  donnés  les  hommes  de  cou- 
leur. (Pièces  justificatives ,  n°.  5.  )  Us  sont  éga- 
lement consignés  dans  les  lettres  des  commis- 
saires des  diverses  paroisses.  (Pièces  justificatives, 
n».  6.  ) 

On  me  dénonçoit  dans  deux  pièces  diiTérenles 
un  acre  de  )a  part  du  Port-an  Prince,  qui  ne  pré- 
sageoit  pas  ur,c  é^ale  volonté  de  faire  cesser 
d'aussi  funestes  hostilités.  On  y  disoit  qu'instruite 
de  mon  arrivée  prochaine  dans  la  province  de 
l'Ouest  ,  et  ayant  le  désir  de  voir  un  terme  aux 
actes  hostiles  qui  continuoient  malgré  la  procla- 
mation que  nous  avions  faife  à  notre  arrivée  au 
Cap  ,  en  vertu  de  la  loi  du  2.8  septembre  ,  l'armée 
de  la  Croix-des-Bouqners  avoit  envoyé  au  Port- 
au-Prince  des  députés  porteurs  de  paroles  de  paix, 
et  que  pour  toute  réponse  ,  m  avoit  envoyé  des 
bombes  sur  eux.  (Pièces  justificatives-,  n°.  7.) 

La  députation  est  facilement  convenue  que  ,  loin 
tle  se  rebuter  d'un   accueil  si  propre  à  rallumer 


(  t*> 

plus  vivement  les  animosités  et  les  vengeances  ," 
il  falloit  redoubler  d'effort  pour  prouver  au  Port- 
au-Prince  la  s^ncéii  é  de  ces  sentimerts  de  paix. 
Je  les  ai  déterminés  en  conséquence  à  rendre  à 
la  ville  1rs  eaux  ''ont  elle  étoit  privée  ,  à  s'oc- 
cuper des  moyens  de  rétablir  la  communication 
avec  la  pkiine  ,  et  d'assurer  la  libre  circulation  des 
denrées  et  des  subsistance*. 

On  m'a  demandé  sûreté  pour  les  ouviers  qui 
ré  abliroient  les  canaux.  lis  auroit-nt  é.é  exposés 
au  feu  d'une  batterie  dirigée  versla  source  :  rien 
n 'étoit  plus  juste  ;  et  je  la  promis. 

Mon  premier  soin  en  rentrant  au  Port-au- 
Prince,  fut  de  requérir  le  commandant  militaire 
de  donner  des  ordres  positifs  pour  qu'aucune 
bombe,  aucun  boulet  ne  fut  dirigé  sur  la  source; 
je  lui  expliquai  mes  motifs.  (Pièces  justificatives, 
nc.  8.  )  . 

11  s'empressa  de  se  conformer  à  ma  réquisition  : 
il  envova  les  ordres  nécessaires  aux  bostes  oc- 
cimes  par  les  troupes  de  ligne  ,  et ,  conformément 
à  la  loi  sur  l'organisation  de  !a  force  publique, 
mise  à  exécution  par  l'assemblée  coloniale,  il  la 
fit  passer  à  M.  Caradeux  ,  commandant  de  la  garde 
ration-' le,  pour  qu'il  la  fit  exécuter  dans  les  postes 
qui   lui   étoient- confiés. 

C  est  à  cette  époque,  c'est  à  l'occasion  de  cette 
com'gue  que  M.  Caradeux  ,  en  sa  qualité  de  com- 
mandant de  la  garde  nationale  ,  a  élevé  et  sou- 
tenu des  prétentions  dont  il  ne  s'est  point  dé- 
paili  depuis,  malgré  mes  réquititions.  (Pièces  jus- 
tifiâmes ,  n°.  9.  ) 

A  l'appui  de  ces  prétentions,  le  peuple  étoit 
ap.ité  par  des  bruits  ,  par  des-  discours  ,  par  des 
motions,  et  même  par  des  démarches.  Un  arrêté 


.  (.13) 

de  l'assemblée  provinciale  a  approuvé  depuis  le 
mépris  de  la  consigne  donnée  pur  le  commandant 
militaire.  (Pièces  justificative*,   n°.    10.) 

Cependant .  la  Croix-  des  -  Bouquets  annorrçovl; 
dans  toute  sa  correspondance  le  désir  soutenu  de 
voir  rétablir  la  paix  et  les  lois  :  on  a  voit  rendu 
le  cours  aux  eaux  ,  ma'gré  les  hostilités  conti- 
nuées  du  Poit-au?Pnnce.  (^  Pièces  justificatives, 
n°.  11.) 

Lorsque  je  répandois  ers  nouvelles  propres  à 
ramener  Je  calme  ,  on  rendoit  ma  conduite  sus- 
pecte; le  peuple  s'agitoit  ;  et  au-lieu  de  dissiper 
ses  craintes  ,  ies  corps  administratif  et  muni  i;»al 
y  donnoient  fondement,  en  paraissant  les  parta- 
ger. Quelques  membres  de  la  municipalité  duPort- 
an-r Prince ,  plusieurs  membres  de  l'assemblée  pro- 
vinciale, avec  l'expression  de  l'efirôi ,  m'annon- 
cent publiquement  que  les  hommes  de  couleur 
descendes  du  Mirebalais,  et  ceux  des  autres  quar- 
tiers ,  venoient  en  Joule  et  se  réunissaient  en  arm^s 
à  la  Croixrdes  Eonquets  ;  qu'on  y  conduisent  des 
cp.iions  ,  des  mortiers,  toutes  sortes  de  munitions 
de  guerre  ;  qu'on  y  elevoit  des  forts  ,  et  que  les 
préparatrfs  de  guerre  s'y  faisoient  avec  une  ac- 
tivité ate  5  que  c  étoit  à  tort  que  je  me 
reposois  sut  les  promesses  des  blancs  et  des  hom- 
mes de  couleur  réunis  à  la  Cioix-dcs-Eouquets  ; 
qu'ils n'avoient  point  n  ^or»c>e:à  leur  projet  d'exter- 
miner les  habitans  duPort  au-PrJnce.  et  que, 
compromettre  mon  caractère  ,  i^  ne  pouvois  de- 
i  r  i;L  paix  pour  des  assassins  et  pour  des  re- 
belles à  la  loi. 

Ma  confi  rence  avec  eux  étoit  à  peine  finie,  que 
M.    Caradeux   est  venu  nie    parler  à   son   toi 
ce  prétendu  rassemblement  dc6  hommes  de  cou- 


(  H  ) 

leur.  Le  pins  grand  danger  ,  disoit  il ,  menacent 
le  Port-au-Prince  j  et  ma  conduite  ,  qui  n'étoit  pas 
propre  à  écarter  les  craintes  ,  n'étoit  pas  à  l'abri 
au  soupçon,  ajoutoil-il ;  je  n'avois  le  droit  ni  d'a- 
voir des  conférences  avec  les  ennemis  du  Port* 
au-Prince  ,  ni  d'entretenir  avec  eux  une  corres- 
pondance dont  je  ne  rend  ois  pas  compte  au  Pu- 
blic. Son  devoir  enfin  l'obligeoit  de  sauver  la  Co- 
lonie, et  il  me  prévenoit  en  son  nom,  et  au  nom 
de  la  garde  nationale  ,  qu'il  f'eroit  arrêter  mes  pa- 
quets. (Pièces  justificatives  ,  n°.   12.) 

Je  l'ai  d'abord  1  appelé  aux  principes  ,  dont  il 
s'écartoit  d'une  manière  si  étrange.  Enfin  ,  j'ai 
été  contraint  de  lui  annoncer  que  je  me  plain- 
drois  hautement  de  l'intention  qu'il  maniféstoit 
avec  tant  de  publicité  ,  de  violer  les  lois  ,  et  de 
mépriser  les  autorités  légitimes  5  que  s'il  leur  de- 
voit  du  respect  comme  citoyen  ,  il  en  devoit  en- 
core l'exemple  ,  puisqu'il  étoit  commandant  de 
gardes  nationales.  Ayant  enfin  terminé  cette  pé- 
nible et  scandaleuse  conférence  ,  j'ai  écrit  à  la 
Croix-des-Bouquets  sur  les  faits  qui  m'étoient  dé- 
noncés (pièces  justificatives  ,  nu.  10  )  ;  et  bientôt i 
réduits  à  leur  juste  valeur  ,  ces  faits  sont  devenus 
des  bruits  sans  fondement.  (  Pièces  justificatives , 
n».  14  )- 

Que  de  réflexions  s'offroient  à  ma  pensée  sur 
la  nature  des  obstacles  que  j'aurois  à  vaincre  avant 
que  d'arriver  au  but  que  mon  devoir  et  mon  mi- 
nistère me  prescrivaient  de  chercher  à  atteindre  ! 
Un  seul  sentiment  paroissoit  dominer  toutes  les 
opinions  de  la  ville  :  c'étoit  la  crainte  de  voir  les 
troubles  se  terminer  autrement  que  par  des  voies 
de  sang  et  de  proscription.  Le  peuple  ,  entretenu 
dans  l'inquiétude ,  envisageoit  comme  un  état  plus 


(  ta  ) 

alarmant  que  la  guerre,  cette  tranquillité  dont  il 
commençoit  à  jouir  3  et  l'audace  du  commandant 
de  la  garde  nationale  à  manifester  ses  écarts  de 
principes  sur  la  borne  qui  sert  de  rempart  au  pou- 
voir civil  contre  les  attentats  de  la  force  publique  ; 
cette  audace  ,  dis -je,  étoit  une  tyrannie  réelle 
sur  les  opinions  ;  elle  imposoit  silence  à  tous  ceux 
qui  ne  partagoient  pas  l'opinion  d'une  multitude 
qu'il  étoit  si  facile  de  conduire  et  d'égarer  par  la 
licence. 

On  s'attend  à  trouver  dans  les  actes  de  l'Assem- 
blée provinciale  de  l'Ouest  ,  l'emploi  des  moyens 
que  la  loi  lui  départit  ;  on  croit  que  cette  Assem- 
blée va  ramener  aux  principes  ceux  qui  s'en  écar- 
tent ;  qu'elle  emploiera  la  confîancs  du  peuple  , 
dont  elle  jouit ,  pour  rétablir  l'ordre  ,  calmer  l'ef- 
fervescence ,  et  coopérer  avec  moi ,  dans  la  pro- 
vince de  l'Ouest  ,  aux  mesures  de  conciliation  et 
de  paix.  Si  elle  ,  ni  la  municipalité  du  Port-au- 
Prince  ,  n'ont  pu  empêcher  les  atrocités  sanglantes 
dont  on  souille  cette  ville  ,  on  s'atten  '  k  voir  ces 
deux  corps  se  réunir  en  délibérations  ce  munes  , 
pour  donner  plus  d'efficacité  aux  moyens  d'en 
prévenir  le  retour  ;  ou  si  ,  par  d'inconcevables 
Circonstances  ,  ils  sont  contraints  de  suspendre 
des  recherches  d'où  résulteroient  de  plus  grands 
malheurs  ,  c'est  alors  qu'un  acte  commun  et  solem- 
nel  doit  frapper  de  l'indignation  publique  les  cri- 
minels auteurs  de  ces  barbares  spectacles  ,  dont 
l'affreux  effet  est  de  porter  une  multitude  aveugle , 
une  portion  égarée  d'un  bon  peuple ,  à  se  repaître 
de  sang. 

Mais  pourquoi  donc  tant  de  ménagement  pour 
un  pareil  délire  PSeroient-elles coupables, l'Assem- 
blée provinciale  de  l'Ouest  et  la  municipalité  du 


(  1 6  ) 
Port-au-Prince  ?  on  plutôt ,  sont-elles  contraintes 
et  entraînées  par  des  moteurs  hors  de  leur  sein  ? 
Mon  devoir,  quo;  (ju'ii  en  .«-oit,  est  de  dénoncer  /or- 
nu  liement  des  actes  qui  se  sont  oppcîsés  au  retour 
du  calme  et  de  l'ordre  dans  la  colonie  ,  au  retour 
de  la  concorde  ,  et  qui  tendent  à  envahir  là  sou- 
veraineté naiicnale  ,  et  à  rompre  l'unité  de  l'em- 
pire fiançais. 

L'Àsseînblée  provinciale  de  l'Ouest  s'est  arroge 
le  droit  de  prononcer 'la  destitution  de  tons  les 
jnp.es  ,  d'après  des  accusations  particulières  ,  et 
sur  des  dénonciations  dont  le  mérite  n'est  pas 
prouvé. 

Dans  une  foule  de  circonstances,  sur  sa  délibé- 
ration spontanée  ,  sur  des  déclarations  dont  la 
preuve  n'éloit  pas  acquise,  sur  l'initiative  des  $( 
ciétés  qui  n'on!  droit  à  exercer  aucune  action  hi>W 
les  choses  m5bliqu.es  ,  elle  a  entrepris  hors  de  sa 
compétence  ,  tant  sur  le  commerce  que  sur  lapai  lie 
militaire  et  administrative  de  la  guerre  et  de  la 
marine  ;  elle  s'est  immiscée  directement  oans  le 
mode  d'exécution  qui  appartient  à  la  force  mili- 
taire :  elle  a  aiiihi  interverti  tons  les  principes  po- 
litiques. 

l.ile  a  mis  des  embargo  ruineux  pour  le  com«- 
merce  ;  elle  lui  a  donné  des  entraves  dont  il  ne 
pou v oit  se  dégager  qu'au  moyen  de  permissions 
d'autant  plus  arbitraires  ,  qu'être  expédié  de -tel 
ou  tel  autre  port  de  la  métropole  ,  pouiroit  dé- 
crier des  préférences  ou  des  refus.  (Pièces  jus- 
tificatives ,  u°.  12.  ) 

1.11e  a  fait  enlever  dans  un  des  ports  de  la  Co- 
lonie, par  des  réquisitions  formelles  et  réitérées 
au  commandant  de  la  station  ,  un  bâtiment,  du 
commerce  d'une  grande  importance.  (Pièces  jus- 

lilicatives, 


(  '7  ) 
tifica.tives  ,  n°.  i3.  )  Par  un  de  ces  arrê'és,  elle 
annonce  que  le  commandant  militaire  chargé  de 
cette  exécution,  ne  s'en  est  point  acquitté,  lorsque 
ce  commandant  croit  avoir  a»i  conforment  nt.àla 
loi  ,  en  ne  se  permettant  point  d'attenter  à  la  pro- 
priété ,  sans  se  mettre  lui-même  à  l'abri  de  la 
responsabilité.  Ce  commandant  militaire  a  de- 
mandé qi:e  l'assemblée  prît  en  considération  l'ar- 
rêté pour  ce  qui  le  concerne  personnellement  , 
et  il  attend  encore  l'effet  de  sa  juste  réclamation. 
Sur  v,n  nouvel  ordre  positif,  auquel  sont  jointes 
les  réquisitions  de  l'assemblée  provinciale,  ce  na- 
vire enlevé  au  commerce  a  ete  conduit  au  Port- 
au-Prince,  et  remis  (entre  .les  mains  de  l'ami- 
rauté ,  etc. 

.  Elle  a  fait  arrêter  et  conduire  au  Porl-au  Prince 
un  bâtiment  de  l'État(i),  faisait  panie  d'une  autre 
mission,  et  occupé  de  son  radoub  dans  la  rade  de 
Saint-Marc.  Une  dénonciation  ,  la  demande  sôlt  m- 
nelle  du  commandant  de  la  garde  nationale  ,  et  une 
pétition  de  la  société  des  amis  de  la  constitution, 
présentée  par  une  députât  ion  aduai^e  à  l'honneur 
de  la  séance  ,  ont  terminé  cette  mesure.  (  Pièces 
justificatives  ,  n°.   14.  ) 

Au  lien  de  former  une  accusation  légale  contre 
les  individus  qu'elle  supposoit  coupables  ,  ou  de 
renvoyer  au  commandant  de  la  station  la  dénon- 
ciation d'actes/  que  Ton  supposoit  laits  par  un 
bâtiment  de  l'Etat  contre  !a  tranquillité  publi- 
que ,  alin  qu'il'  eût*  à  les  réprimer  ou  à  les 
punir;  la  réquisition  prescrivoit  une  arrestation» 
rail  i  ta  ir«,  sans  exprimer  de  moàf-j  l'assemblée  fixe 

(j)  Os  pièces  sont  entre  les  nui  m  s  ùe  M.  Cambis,  comman- 
dant la  GaliiiIuV . 

Coin  '■!  ppr  M'  de  Sautf-Léger.      B 


(i8) 
le  mode  d'exécution ,  désigne  la  partie  de  la  force 
navale  qui  doit  agir  ,  le  nombre  et  l'espèce  de 
moyens  qu'on  fera  concourir ,  sans  indication  pré- 
cise, lia  réquisition  désigne  des  rebelles  à  la  loi  ; 
ce  qui  donne  à  la  force  publique  agissante  dans 
l'intérieur  une  latitude  arbitraire  d'exécution. 
Ainsi ,  le  vrai  et  paisible  citoyen  attaché  à  ses 
foyers  ,  soumis  d'intention  à  la  loi  dont  il  voudroit 
provoquer  l'établissement,  confondu  dans  cette  dé- 
nomination de  rebelles  à  la  loi  ,  quoique  la  terre 
ne  soit  pas  déclarée  ennemie  ,  sera  peut-être  en- 
veloppé dans  les  désastres. des  discordes  civiles, 
en  sera  peut-être  la  seule  victime. 

M.  le  commandant  de  la  station  m'a  communi- 
qué les  sages  réflexions  du  commandant  de  la  fré- 
gate la  Galathée,  qui  de  voit  agir  dans  l'arresta- 
tion de  ce  bâtiment.  (Pièces  justificatives,  n°.  i5.  ) 
Elles  ont  déterminé  des  conférences  de  commis- 
saires de  l'assemblée  provinciale  avec  moi  ;  et 
quoique  l'assemblée  ait  persisté  dans  sa  réquisi- 
tion ,  (pièces  justificatives,  no.  16.)  les  change- 
mens  qu'elle  y  a  apportés  ont  épargné  à  la  Co- 
lonie les  maux  qui  en  eussent  été  la  suite  ,  si 
la  réquisition  eût  été  exécutée  dans  sa  première 
teneur. 

J'espérois  à  cette  occasion  qu'un  heureux  ac- 
cord de  principes  feroit  désormais  concourir  l'as- 
semblée aux  mesures  qui  pouvoient  rallier  les  opi- 
nions à  la  loi  ,  et  qui  dévoient  opérer  le  retour 
de  l'ordre  public  dans  la  province  de  l'Ouest;  mais 
c'est  en  vain  que  je  m'en  flattois  :  chaque  jour 
amenoit  de  nouveaux  obstacles  ;  l'on  di;  oit  hau- 
tement ,  Ton  répandoit  par-tout  ,  que  j'usurpois 
une  autorité  qui  ne  m'appartenoit  pas.  Dans  le 
sein  même  de  l'assemblée,  on  avoit  agité  si  j'a- 
vois  quelque  pouvoir.  Pour  prémunir  contre   le 


('9)    - 

but  coupable  de  ces  discours  ,  et  pour  éclairer 
et  ne  laisser  aucun  doute,  j'ai  enyôyérà  l'assem- 
blée provinciale  les  provisions  que  je  lenois  du  roi, 
pour  qu'elle  les  fît  transcrire  sur  ses  procès-ver- 
baux ,  afin  d'en  transmettre  ia  connoissance  lé- 
gale ,  et  pour  qu'elles  eussent  une  'incontestable 
authenticité.  (  Pièces  justificatives,  n°.  17.) 

L'Assemblée  a  répondu  à  ma  lettre  d'une  ma- 
nière précise  et  conforme  en  font  aux  principes, 
{  pièces  justificatives  ,  n°.  18.  )Elle  y  exprime  son 
devoir  de  suivre  la  loi  :  elle  y  exprime  aussi  le 
désir  du  peuple  pour  son  entière  exécution  5  mais 
malheureusement  les  faits  ne  correspondent  point 
avec  des  déclarations  si  louables.  On  continuoit 
à  maintenir  publiquement  la  nullité  de  mes  pou- 
voirs; ce  qui  n'étant  plus  ui^  erreur,  marquoit 
un  but  que  Ton  connoîtra  parles  faits.  Pourroit-il 
donc  y  avoir  quelque  doute  sur  leur  réalité  ,  ou 
bien  n'en«avois  -  je  aucun  ,  lorsqu'il  étoit  notoire 
qu'en  vertu  de  la  loi  du  11  février  1791  ,  je  ve- 
nois  de  suspendre  au  Port  au-Prince  un  ingénient 
criminel  ,  par  la  nécessite  de  ne  pas  a:gnr  un  partf 
que  tant  de  personnes  alloient  abjurer  en  rentrant 
sous  le  règne  de  la  loi ,  et  pour  ne  point  augmen- 
ter les  difficultés  de  la  conciliation  entre  des 
hommes  armés,  dont  quelques-uns  peut-être 
étoient  disposés  à  exercer  des  vengeances  sous  la 
dénomination  injuste  et  cruelle  de  représailles  ? 
(Pièces  justificatives,  n°.    19.) 

Il  étoit  public  au  Port-au-Prince  que  mes  sou- 
haits les  plus  ardens  ,  que  mes  démarches  ,  que 
mes  actes  tendoient  absolument  à  ramener  à  la 
loi  et  dans  le  sein  de  l'autorité  légitime  'a  Croix- 
des-Bouquets ,  considérée  comme  un  foyer  d'op- 
position aux  actes  de  l'assemblée  coloniale  ;  que 

B  2. 


(  so  ) 
la  marche  que  je  me  proposois,  étoit  dé  rétablir 
par-tout  successivement ,  si  je  ne  le  pouvois  dans 
dans  le  même  temps  ,  les  autorités  légales  ,  afin 
de  maintenir  l'ordre  ,  et  de  diriger  conformé- 
ment à  la  loi  les  citoyens  armés  pour  la  défense 
commune  ;  que  j'avois  Je  dessein  de  me  trans- 
porter dans  disque  paroisse  ,  d'y  exposer  les  suites 
funestes  de  la  discorde  civile  ,  d'y  présenter  les 
bienfaits  de  la  loi,  et  la  prospérité  qui  suit  le  ré- 
tablissement de  l'ordre  5  que  cet  ordre  ne  pour- 
roit  se  maintenir  efficacement  que  par  la  chaîne 
qui  devoit  se  former  entre  les  corps  administratifs 
et  l'assemblée  coloniale  ,  sous  la  souveraineté  de 
la  iNatLoii  entière, et  par  l'oubli  glorieux  des  inimi- 
tiés. 

Toutes  mes  démUrches  ,  toutes  mes  intentions^ 
etoien.t  sans  voile  :  on  savoitque  j'avois  fait  passer 
a  la  Croix  des- Bouquets  l'arrêté  de  l'assemblée 
coloniale  du  29  décembre  1791,  sur  le  rétablisse- 
ment et  la  formation  des  municipalités,  et  que  je 
rappelois  que  la  loi  ordonnoit  de  s'y  conformer. 
(Pièces  justificatives,   n«.  20.  ) 

On  n'ignoroit  pas  que  le  vœu  du  plus  grand 
nombre  ne  fut  pour  s'y  décider  :  on  ne  fut  surpris 
que  de  là  promptitude  avec  laquelle  d'aussi  heu- 
reuses dispositions  furent  exécutées. 

«Te  fns  bientôt  instruit  que  la  commune  de  la 
Croix-des-J^ouquets  alîoit  être  convoquée  en  as- 
semblée primaire.  (  Pièces  justificatives,  n°.  21,) 
Je  ne  tardai  pas  à  apprendre  la  formation  et  l'ins- 
tallation de  lu  municipalité.  (  Pièces  justificatives , 
iiû.  22.  ) 

3 'appris  que  cette  municipalité  envoyoit  à  ras- 
semblée coloniale  ^  outre  le  procès  verbal  de  son 
élection  et  de  son  installation  ,  une  adresse  par- 


(>1  ) 

ticulièré  (pièces  justificatives  ,  $?,.  a3.)  pour  lui 
exprimer  sa  soumission  à  .la  loi,  et  que  la  com- 
mune alloit  s'occuper  du  choix  de  ses  députés  à 
l'assemblée  provinciale  de  l'Ouest  et  à  l'assem- 
blée coloniale  5  depuis  ,  ils  y  ont  pris  séance.  On 
voit  dans  les  actes  de  ma  correspondance  avec 
la  Croix-des  Bouquets  ,  que  j'avois  fait  sentir  a  la 
municipalité  de  cette  paroisse  combien  l'accélé- 
ration du  retour  de  l'ordre  pouvoit  dépendre  de 
la  promptitude  de  ces  mesures.  (  Pièces  justifi- 
catives ,  n°.   2.4-  ) 

Des  commissaires  des  paroisses  de  l'Ouest  m'é- 
crivoient  alors  ,  qu'animés  du  même  dosir  de  se 
soumettre  à  la  loi ,  ils  alloient  se  rendre  dans  leurs 
paroisses  ponr  y  porter  les  mêmes  paroles  de  paix  , 
(pièces  justificatives,  n°.  2,5.  )  et  les  hommes  de 
couleur  enfrr?  me  notifièrent  aussi  qu'ils  alten- 
doient  avec  une  soumission  absolue  ,  que  l'as- 
semblée coloniale  prononçât  .sur  leur  état  politique. 
(  Pièces  justificatives  ,  n°.   2,6.) 

Un  concours  aussi  général   vers   l'autorité  légi- 
time ,  me  lit  écrire  à*  la  municipalité  de  la  Crcix- 
des-Bouquets ,  qu'elle  eût  à  s'occuper  sur-le-champ 
de  faire  cesser  sur  son  territoire  tout  armement , 
tout  campement ,  même  routes  les  apparences  hosti- 
les qui  avoient  eu  lieu.  Je  l'invitais  à  user  de   son 
influence   sur  les  hommes  de  couleur,  pour  que 
dans  un  quartier  différent  du  sien  ,   l'on  vît  en- 
fin   un    terme    aux    brigandages    qui  s'exerçoient 
sous   prétexte    de    parti    :    011  n'appercevoit  alors 
rien  d'hostile  dans  le  Port-  au-  Prince  ;   je  m'en 
applardissois  ,  et  j'en  faisois   part  à  la  muni* 
lité  de  la  Croix-des-Bonquets,  comme  d'un    mo- 
tif pour  redoubler  de  zèle,  et  presser  le  rétablis- 
sent de  l'ordre.  (Pièces  justificatives ,  n°.   27.) 


Mais  la  fermentation  sourde  contre  les  mesures 
qui  tendoient  à  la  paix,  n'avoit  pas  discontinué: 
elle  prit  un  caractère  violent  ,  d'après  des  nou- 
velles qui  étoient  parvenues  dans  la  ville.  On  di- 
soit  que  des  citoyens  avoitnt  été  égorgés  au  Mire- 
balais  :  on  nommoit  les  victimes  ;  on  «iésignoit  des 
particuliers  comme  retenus  de  force  à  la  Croix- 
des-Bouqucts  ;  je  demandai  des  ëclaircissemens  sur 
ces  brui  s  à  la  municipalité  de  ce  bourg.  (Pièces 
justificatives  ,  n°.  28.  )  Sa  réponse  confirma  qu'en 
effet  des  citoyens  avoient  péri  dans  le  Mirebalais; 
qu'en  apprenant  ces  atrocités,  les  hommes  de  cou- 
leur, à  qui  elles  inspiroient  une  juste  indignation, 
s'étoient  réunis  aux  blancs  ;  que  leurs  soins  com- 
muns àvoient  mis  un  terme  à  ces  assassinats  ,et  ré- 
tabli la  tranquillité.  Elle  m'envoya  les  déclarations 
des  personnes  que  l'on  disoit  détenues  ,  et  qui 
étoient  entièrement  libres  j  mais  elle  manifestait 
aussi  des  inquiétudes  sur  le  départ  précipité  des 
hommes  de  couleur  ,  qui  s'étoient  décidés  à  la 
retraite  ,  d'après  la  lettre  que  j'avois  écrite  à  la 
municipalité ,  et  qui  occasionnoit  cette  réponse  de 
sa  part.  (Pièces  justificatives,  n°.  29.  ) 

A  cette  époque  ,  les  hommes  de  couleur  me 
marquoient  que  ,  pour  se  soustraire  aux  persé- 
cutions qu'ils  craigr.oient  de  voir  se  diriger  contre 
eux,  et  plutôt  que  de  les  repousser  par  la  force, 
ils  avoient  formé  le  dessein  de  chercher  un  asyle 
dans  des  montagnes  inhabitées  et  sauvages.  (Pièces 
justificatives,  nQ.  do.) 

Rassuré  par  ces  explications  ,  je  nourrissois 
l'espoir  de  voir  la  paix  renaître  ;  j 'attend ois  tout 
du  temps  ,  du  langage  de  la  raison  et  de  l'huma- 
nité j  cle  la  considération  des  intérêts  communs. 


(23) 

Je  comptois  aussi  que  je  serois  secondé  par  les 
corps  administratifs  ;  que  la  municipalité  du  Port- 
au-Prince  ne  m'opposeroit point  d'obstacle, et  que 
chacun  d'eux  dirigeroit  ses  démarches  vers  ce  but  , 
comme  tout  leur  en  faisoit  un  devoir.  Le  corps 
municipal  de  la  Croix  des-Bouquets  s'efforçoit  d'é- 
tablir avec  le  Port-au-Prince* ,  une  correspondance 
propre  à  faire  renaître  la  confiance  entre  les  citoyens 
des  deux  paroisses,  à  atténuer  le  souvenir  de  leurs 
maux  ,  et  à  provoquer  le  retour  de  la  prospérité  : 
les  chemins  étoient  libres  -,  les  denrées,  les  sub- 
sistances ,  les  rafraîchissemens  dont  la  ville  avoit 
été  si  long  temps  privée,  circuloient  en  abondance; 
le  commerce  se' ranimoit,  et  les  habitans  du  Port- 
au-Prince  serendoient  à  laCroix  des  Bouquets  avec 
une  liberté  et  une  sûreté  entières. 

La  municipalité  du  Port-au-Prince  a*  refusé  au 
contraire  de  correspondre  avec  celle  de  la  Croix- 
des  Bouquets  :  elle  arguoît  de  sa  soumission  à  un 
arrêté  de  l'assemblée  provinciale  de  l'Ouest,  ar- 
rêté aussi  impolitique  que  coupable  ,  puisqu'il 
cause  les  maux  dont  est  affligée  cette  partie  de  la 
Colonie  ;  arrêté  qui  n'est  appuyé  sur  aucun  droit 
positif  ;  arrêté  par  lequel  rnéçonnoissant  le  but 
de  son  institution  ,  qui  lui  impose  le  devoir  sacré 
d'employer  tous  les  moyens  de  confiance  pour  le 
maintien  de  l'ordre,  le  rétablissement  de  la  trau- 
quilité,  et  le  rapprochement  des  citoyens,  l'as- 
semblée n'a  jeté  entre  eux  qu'un  germe  de  dis- 
corde ;  et  c'est  dans  un  temps  où  les  passions  étoient 
exaltées,  qu'elle  a  préjugé  une  scission  qui  a  donne* 
une  nouvelle  activité  aux  haines  et  aux  vengeances 
que  je  venois  d'assoupir  ,  et  qui  ,  propres  à  con- 
duire au  désespoir  une   classe  nombreuse  et  ar- 

B4 


(  H) 

mée  ,  fonrnlssoit  des  moyens  aux  mal-intention- 
nés ,  aux  brigands  ,  aux  ennemis  du  bien  public, 
en   leur  laissant  un   prétexte  de  discorde. 

Oui,  malgré  sa  feinte  modération,  sa  soumis- 
sion apparente  à  ce  que  décidera  Y  assemblée  co- 
loniale ,  je  ne  puis  m'empêcher  de  considérer 
comme  coupable  cet  ati  été  de  l'assemblée  provin- 
ciale ,  où  elle  s'interdit  avec  im  corps  municipal 
librement  élu  ,  contre  lequel  aucun  citoyen  ne  s'é- 
levoit,   une  corre .•:  6e  qu'e'le  au roi t  dû  sai- 

sir avec  avilit  ?  ,  comme  un  moyen  de  pacification 
et  de  concorde  ,  comme  un  lien  qui  devoit  unu* 
des  hcîmmes  dont  la  division  éloit  ime  source  de 
désastres.  (Iièces  justificative?  ,  n°.  3i.) 

Le  corps  adrni.  islraiii*  et  le  corps  municipal  ne 
pouvoient  plus  se  dissimuler  l'heureux  changement 
que  chaque*  jour  amenoit  dans  l'état  des  choses; 
mais  leurs  actes  journaliers  détruiscient  aussi  la 
confiance,  à  mesure  qu'elle  commençoit  à  renaître. 
Sans  égard  à  ma  demande  et  aux  conséquences 
que  pouvoit  avoir  la  disette  des  vivres  propres  aux 
ateliers  de  la  plaine  du  Cui-ue-Sac,  au  lieu  de  rem- 
plir l'obligation  importante  de  veiller  à  leur  libre 
circtdatior:  ,  l'assemblée  provinciale  s'en  reposoit 
sur  hr  prndence  de  la  municipalité  du  Port-au- 
Prince  :  elle  arrêtoit  qu'elle  ne  devoit  pas  exiger 
cette  circulation  avant  que  les  hommes  de  couleur, 
réunis  en  armes  sur  l'étendue  de  la  paroisse  du 
Port-au-Prince  ,  et  de  là  Croix-des-Bouquels  ,  ne 
fussent  entièrement  disposés  :  elle  fei^noit 
de  ne    pas  remarquer   que  parmi  ci  aies  en 

armes v  se  trou v -vient  des  hommes  de  couleur, 
dont  les  maisons  situées  au  Port-au-Prince,  croient 
occupées  par  ceux  qui  \cs  en  avoient  expulsés  , 
et  que  ï>rescrire    leur    retour    dans    leurs  foyers  , 


(25) 

e'éloit  prononcer  contre   eux  un  arrêt  de   mort. 
(Pièces  justificatives,   n°.  02.) 

La  municipalité  du  Port  aju- Prince  ,  oubliant  la 
fonction  précieuse  dont  elle  est  chargée  ,  de  pro- 
téger 1rs  citoyens,  et  de  s'élever  contre  les  déten- 
tions arbitraires  ,  soufTroit  que  l'on  emprisonnât,  . 
et  iaisoit  elle-même  arrêter  et  détenir  dans  les  pri- 
sons, comme  suspectes,  les  personnes  de  la  plaine 
que  leurs  affaires  appeloient  à  la  ville  ,  sans  (égard 
aux.  passe- ports  de  leurs  municipalités  ,  ni  aU5 
sauf-conduits  que  j'avois  envoyés,  sur  les  demandes 
qui  m'en  avoient  été  faites. 

Aussi  ,  quoique  ma  propre  confiance  dût  dimi- 
nuer chaque  jour  ,  pressé  par  mon  devoir  ,  je  sur- 
montois  les  dégoûts  ,  les  eha&rins  ,  tous  les  senti-) 
mens  qm  pouvoient  m  arrêter  au  milieu  de  ma 
carrière  ;  suites  trop  naturelles  de  la  coiht 
des  obstacles  et  d<  \  os  que  je  voyois  appoi  peç 

i  toutes  mes  mesures  pour  opérer  le  bien.  Je  d; 
mulois  les  tO]  >e  chargeoit  I1 

vin  Ci  a  le,  parce  x\ue  j'espé]  e, 

du  temps,  de  la  connoissance  qu'ainoit  !' 
u'ée   nationale  de  la   situation  de   la  a  ,  et 

des  opérations  de  l'Assemblée  coloniale.    Je  no 
ige<  is  aucune  démarche  poui  raj  les 

habitans  de  ia  plaine  de  ccu:i  du  Poj 
Je  cherchois  à  répandre  des  paroles  i  ,  et 

à  fixer  le  salut  de  tons  par  l'exécution  de  la  loi 
dans  la  province  de  l'Ouest  ,  dont  la  ton  , 

toujours  plus  affligeante  ,  ne  présentoir  presque 
par- tout  que  le  meurtre  ,  le  piiln^e  et  ["incendie. 

Delavilledc  Jacmelince:  i  laut  uneactiou 

qui  a  eu  lieu  entre  les  hommes  blancs  et  les  hom- 
mes de  couleur,  il  ne  restait  qu'un  fort  occupé 
par  les  blancs.;  il  ri'axi&toït  que  quelques  rui 


clés  habitations  voisines  de  son  enceinte.  Les  blancs 
étaient  assiégés  dans  ie  fort  ;  Jes  attaques  et  les 
sorties  ensanglantaient  toujours  la  plaine  ;  les  suc- 
cès des  uns  et  des  autres  étoient  toujours  des  dé- 
sastres pour  la  chose  publique. 

Les  esclaves  de  la  ville,  armés  par  leurs  maîtres, 
combattaient  pour  eux.  Une  parue  de  ceux  de  la 
plaine  était  retirée  au  fort  avec  les  blancs  ,  ou 
réunie  aux  hommes  de  couleur  ;  l'autre  ,  eriant 
çà  et  là  au  gré  de  son  caprice  ,  ou  en  proie  au 
besoin  ,  se  livroit  aux  plus  grands  excès  :  tous  ap- 
prenoient  à  répandre  le  sang  des  hommes  libres. 

Au  milieu  de  cette  horrible  confusion  ,  le  chef 
cîcs  hommes  de  couleur  ,  le  député  de  Jacmel  à  la 
Croix-des-Bouquets  ,  me  prièrent  d'interposer  ma 
médiation  pour  faire  cesser  des  horreurs  dont  l'hu- 
manité avoit  tant  à  gémir.  (  Pièces  justificatives  , 
il0.  33  ).  J'engageai  le  chef  des  hommes  de  couleur 
à  cesser  toute  hostilité  (pièces  justificatives,  n°.  34 )  j 
j'invitai  plusiei  rs  fois  les  habitant  de  Jacmel  à  la 
même  mesure  (  pièces  justificatives  ,  n°.  34  êis  )  j 
mars  ce  fut  toujours  sans  aucun  succès.  (  Pièces 
justificatives  ,  n°.  35  ). 

Les  paroisses  voisines  de  Jacmel  se  ressentaient 
pins  ou  moins  de  l'effet  des  troubles  qui  l'agitoient , 
et  la  paix  avoit  fui  de  la  chaîne  de  montagnes  qui 
s'étend  jusqu'au  Port-au-Prince.  Les  enclaves  y 
étoient  révoltés  ,  les  habitans  livrés  au  pillage  ;  et 
les  blancs,  pour  conserver  leur  existence,  avoient 
abandonné  leurs  propriétés. 

Ce  sou'èvem  ni  d  esclaves  ,  auxquels  de's  succès 
pouvoient  rai'irr  ceux  qu'on  avoit  si  imprudem- 
ment armés  ,  portait  le  mal  à  son  plus  affreux 
période.  Il  menace  it  de  s'étendre  de  tous  côtés, 
tî  ià  ville  et  le  quarUer.de  Léogane  en  avoient 


particulièrement  tout  à  craindre  :  bâtie  dans  une 
riche  plaine,  cette  ville ,  ouverte  de  tous  côtés, 
éloignée  de  la  mer  ,  n'avoit  aucun  moyen  de  dé- 
fense ;  elle  ne  pouvoit  pas  même  compter  sur  les 
bras  de  ses  habitans  ;  ils  restaient  en  petit  nom- 
bre •  et  depuis  le  21  novembre  1791  ,  les  blancs  , 
désarmés  par  des  hommes  de  couleur  ,  vivoient 
dans  des  alarmes  continuelles. 

Dans  les  hauts  de  la  plaine  deLéogane  ,  il  s'étoit 
formé  un  rassemblement  redoutable  ;  il  étoit  com- 
posé presque  entièrement  d'esclaves  séduits  ou 
arrachés  de  leurs  ateliers  ,  campé  dans  une  vallée 
peu  étendue  ,  profonde  ,  d'un  accès  difficile  ,  en- 
tourée de  montagnes  ;  il  étoit  mû  par  les  volontés 
d'un  griffe  espagnol  ,  nommé  Romaine.  Ce  chef, 
alliant  le  fanatisme  à  ht  férocilé  et  à  l'ignorance  , 
se  décorant  du  titre  ridicule  de  prqphétesse  ,  se  di- 
sant le  filleul  de  la  vierge,  accompagnoit  de  pieuses 
cérémonies  les  ordres  de  sang  qu'il  faisoit  exécu- 
ter. O'étoit  au  nom  du  Ciel  qu  il  commandoit  le 
meurtre  et  le  pillage  ;  c'étoit  par  le  prestige  d'une 
superstition  grossière  qu'il  dominoit  de  malheu- 
reux esclaves  aussi  crédules  qu'ignorans.  Jm  lotir 
promettant  la  liberté  ,  des  victoires  certaines  sur 
les  blancs  ;  en  les  assurant  qu'ils  seroient  à  l'abri 
de  leurs  coups,  il  le  i  :  à  des  actes  de  cruauté 

dont  le  récit  glaçeroit  d'horreur.  Ions  ses  efforts 
avoient  pour  but  d'étendre  son  influence  et  d'aug- 
menter ses  forces.  Pendant  que  ses  émissaires  tra- 
vailioient  les  ateliers  de  la  "plaine  de  Léogane, 
des  ciétachemens  armés,  sortis  de  son  camp,  ve- 
n oient  porter  dans  la  ville  le  trouble  et  l'épou- 
vante ;  ils  venoieiit  en  en!  force  ce  qu'ils 
jugei                      lire  à  leurs  besoins. 

L'audace  de  Romaine  et  de  i>es  cruels  satellites 


f  28  ) 

s'accrut  à  \u\  tel  point  ,  les  craintes  des  citoyens 
de  Léogane  ,  en  raison  de  leur  foibiesse  ,  devin- 
rent telles  ,  que,  par  un  tredté  particulier,  ce  chef 
fanatique  lut  reconnu  commandant  des  habitons 
réunis  de  Léogane. 

Il  falloit,  pour  sauver  le  quartier  ,  subir  cette 
humiliation  passagère  ;  il  falloit  alors  obéir,  ^ans 
se  plaindre  ,  à  des  ordres  tyranniques  ;  il  falloit 
recevoir  dans  la  ville  une  garnison  commandée 
par  un  suppôt  de  Romaine.  Retenus  captifs  dans 
leurs  propres  maisons  ,  les  blancs  voyoient  sus- 
pendre sur  leurs  têtes  le  elaive  qui  avoit  immolé 
tant  de  victimes  ,  et  leur  existence  dépendre  d'un 
soupçon. 

Les  hommes  de  couleur  de  la  vide  é' oient  par- 
!  d'opinion  ,  quoique  la  majeure  partie  fût 
réunie  sous  les  ordres  de  chefs  également  recom- 
mandables  par  la  pureté  de  leurs  intentions  ,  et 
par  leurs  vertus  fi).  Ils  étoient  forces  de  gémir  en 
silence  sur  la  position  des  blancs  ,  sur  les  dangers 
qu'ils  conroient ,  et  dont  eui-mêmes  n'étoient  pas 
garantis  :  l'autre  portion,  avant  des  intelligences 
secrètes  avec  le  camp  de  Romaine  ,  étoit  toujours 
disposée  à  seconder  ses  perfides  desseins. 

L'horreur  de  cette  situation  étoit  augmentée 
par  la  disette  des  vivres  ,  et  Léogane  étoit  privée 
des  consolations  de  l'espérance  ,  par  le  refus  pro- 
noncé de  l'Assemblée  provinci  !e  ,  de  statuer  sur 
la  pétition  de  ses  habitans.  (  Pièces  justificatives  , 
n°.  36  *.  Cette  mê*m%  Assemblée  ,  qui  accumuloit 
si  facilement  des  dénonciations  ,  qui  les  accrédi- 
toit  de  l'honneur  de  sa  séance  ,  se  refusoit  au  de- 

(1)  MM.  la  Buissonnfère  ,  la  Fitur  Via  la  ,  Alvarès,  Le- 
ytaire,  Bnyiet  >  cet. 


_  (  *9  ) 
voir  sacré  de  pourvoir  à  l'existence  de  ses  malheu- 
reux concitoyens  _,  et  s'étayoit  du  vain  prétexte 
qu'une  intention  perfide  avoit  empêché  ces  Mes- 
sieurs de  s'adresser  directement  à  elle.  Elle  répon- 
doit  à  ce  vœu  c]ue  lui  transmettait  xm  pouvoir 
légitime  et  national  (  pièces  justificatives  ,  n°.  2>y  ) , 
par  un  arrêté  dérisoire  qui  me  renvoyoit  la  péti- 
tion ,  ma  sagesse  devant  sans  doute  me  procurer 
Les  moyens  dont  V Assemblée  manquait.  (  Pièces 
justificatives  ,  n°.  38  ). 

S'il  y  a  de  Tég?. rement  dans  les  actes  de  l'As- 
semblée provinciale  ,  peut -on  ne  pas  y  appercc- 
voir  l'influence  coupable  qui  les  détermine  ?  Ces  ' 
membres  ignoroient-ils  que  par  ces  actes  l'Assem- 
blée s'étoit  emparée  de  tous  les  ressorts  du  pou- 
voir exécutif,  qu'elle  faisoit  mouvoir  à  son  gré  dans 
Jes  parties  militaires  de  la  guerre  et  de  la  marine  ? 
Jgnoroient  -  ils  le  plan  illégal  conçu  ,  adopté  et  ri- 
goureusement suivi  par  l'Assemblée  nationale, 
d'entasser  toutes  les  subsistances  au  Port-au  Prince, 
pour  en  avoir  l'entière  disposition  ?  Pn  effet ,  les 
batimens  que,  contre  toutes  les  lois  ,  elle  a  armés  , 
qui  croisent  ,  qui  sont  en  station  ,  qui  ravagent 
les  côtes  ,  qui  regardent  connue  ennemis  ,  qui 
mettent  les  navires  français  à  contribution,  inter- 
ceptent leurs  marchandises  ,  attentent  à  ia  liberté 
des  personnes  ,  forcent  les  navires  venant  de 
France  de  se  rendre  au  Port-au-Prince  ,  par  des 
m  uaces  on  par  dés  mensonges.  (  Pièces  justifica- 
tives ,  nu.  38  bis  ). 

Ainsi  ,  malgré  ces  extrémités  cruelles  ,  Léo- 
gane    éioit   donc   réduite  à  ses   propres-  movens  j 

tte  ville  ne  voyoit  plin>  arriver  aucun  navire  de 
France.  Le  nombre  de  ceux  qui  étoient  dans  sa 
rade  ,  et  son  éloignement  du  bord  de  ia  mer,  ne 


(3o) 
îaissoîent  pas  la  perspective  d'un  asyle  assuré  pour 
les  femmes  ,  les  en  fan  s  ,  les  vieillards  ;  elle  ne 
devoit  son  existence  qu'aux  ressources  précaires  et 
humiliantes  dont  elle  étoit  obligée  de  se  servir. 
Elle  ne  pouvoit  revenir  à  la  loi  qu'en  s'appuyant 
d'une  main  secourable  ,  et  l'Assemblée  provinciale 
refusoit  de  la  lui  présenter.  Croira-t-on  qu'il  exis- 
tât dans  cette  Assemblée  trois  membres  députés 
de  Léogane ? 

Comme  toutes  les  autres  paroisses  de  la  pro- 
vince de  l'Ouest ,  Léogane  avoit  accepté  le  concor- 
dat et  le  traité  de  paix.  Sa  .municipalité  avoit  été 
détruite  par  violence.  11  existoit  sans  doute  encore 
dans  le  sein  de  la  ville  de  coupables  auteurs  des 
atrocités  qui  avoient  accompagné  cette  destruction 
illégale  ;  mais  le  bureau  de  police  substitué  à  la 
municipalité  ,  quoique  réprouvé  par  la  loi ,  étoit 
devenu  un  point  de  ralliement  pour  de  malheu- 
reux liabitans  ,  existant  sans  aucune  force  au  mi- 
lieu de  mille  dangers  que  le  moindre  caprice  pou- 
voit réaliser. 

La  plus  saine  partie  des  blancs  et  des  hommes 
de  couleur  ,  desiroient  de  voir  l'autorité  légitime 
se  rétablir  ;  mais  leur  sûreté  individuelle  empê- 
choit  qu'ils  ne  fissent  connoître  d'aussi  salutaires 
dispositions.   (  Pièces  justificatives  ,  n°.  3o,  ). 

J'avois  cru  prudent,  et  même  nécessaire  ,  de  ne 
point  compromettre  à  Léogane  les  personnes  avec 
qui  j'étois  en  correspondance ,  afin  de  ne  pas  attirer 
sur  elles  les  premiers  périls.  J'avois  écrit  au  mar- 
guillier  de  la  paroisse  une  lettre  ostensible  ,  en 
lui  envoyant  l'arrêté  de  l'Assemblée  coloniale  du 
^décembre;  jel'engageois  às'y  conformer  (pièces 
justificatives  ,  n°.  4°  )  >  et  par  la  communication 
que  j'en  donnai  aux  membres  de  l'Assemblée  pro- 


(3.  ) 

vinciale  ,  elle  ne  pouvoit  ignorer  aucune  des  me- 
sures que  je  croyois  propres  à  opérer  le  retour 
de  la  paix. 

Je  prévoyois  avoir  besoin  de  la  frégate  la  Gala- 
thée  pour  la  sûreté  de  Léogane  ;  ce  motif  s'éteit 
joint  aux  véritables  principes  qui  m'avoient  déter- 
miné à  inviter  l'Assemblée  provinciale  à  revenir 
sur  son  arrêté  relatif  à  l'enlèvement  du  bateau 
le  Courier  ;  mais  ,  sans  égard  aux  lettres  que  je  lui 
avois  écrites  ,  à  celles  que  j'avois  reçues  de» Léo- 
gane (pièces  justificatives  ,  n°.  41  )  >  sans  égard 
pour  les  personnes  de  Léogane  qui  venoient  récla- 
mer ,  au  nom  de  leurs  concitoyens  ,  la  protection, 
des  autorités  légitimes  ;  sans  égard  pour  les  alar- 
mes exprimées  dans  la  pétition  des  citoyens  blanc» 
de  cette  ville  (  pièces  justificatives  ,  n°.  66  )  ,  elle 
a  préféré  de  persister  dans  son  arrêté  relatif  à 
l'enlèvement  du  Couiier  (  pièces  justificatives  r 
n°.  3j  )  ,  et  il  a  eu  son  exécution. 

La  municipalité  et  les  habitans  de  Léogane ,  aux- 
quels je  dois  ici  un  témoignage  éclatant  pour  leur 
attachement  à  la  mère-patrie  et  au  bien  général , 
loin  d'inspirer  le  sentiment  que  l'on  doit  à  des 
concitoyens  malheureux  ,  n'étoient  vus  au  Port- 
au-Prince  que  comme  des  ennemis  de  la  colonie  , 
comme  les  fauteurs  et  partisans  d'une  coalition 
funeste  ,  et  l'on  ne  manifestent  pour  eux  que  l'in- 
dignation due  à  des  rebelles. 

Au  moins  telle  étoit  l'excuse  pour  les  repousser, 
pour  leur  refuser  des  secours  -,  ce  que  l'Assemblée 
coloroitdu  prétexte  de  défaut  de  moyens.  Mais  bien- 
tôt, par  une  contradiction  bizarre*  que  les  passions 
turbulentes  de  ceux  qui  influent  sur  ses  actes  ,'  ou 
qui  les  décident,  peuvent  seules  ne  pas  appercevoir, 


(  ji) 

on  lui  verra  tenir ,  à  l'égard  de  Léogane  ,  une  coh^ 
Oui  te  bien  opposée,. 

Ji  ufétoit  facile  d'user  des  pouvoirs  que  l'As- 
semblée nationale  et  le  Roim'avoient  confiés  ;  je 
devpis  sans  doute  protection  aux  citoyens  ,  aux 
ha  bilans  ,  aux  Français  de  ce  malheureux  quar- 
tier ;  mais  il  falloit  tout  calculer.  Je  craignois  ,  en 
développant  des  moyens  qui  eontraieroient  ceux 
qu'avoit  adoptés  1  Assemblée  provinciale,  qu'elle 
ne  se.  perlai  à  dès  écarts  que  la  multitude  auroit 
bientôt  partagés. En  voulant  faire  exécuter  les  lois, 
remplir  trop  rigoureusement  mon  ministère  ,  je 
devois  craindre  de  me  trouver  entraîné  loin  du  but 
\ers  lequel  j'étois  obligé  de  diriger  ma  marche  , 
et  de  devenir  le  témoin  passif  de  mille  excès  aux- 
quels je  ne  pouvrois  rien  opposer. 

Je  voyois  au  Port-au-Prince  le  contre-coup  de. 
toutes  les  secousses  quiagiroient  les  différens  quar- 
tiers de  la  province  de  l'Ouest  ;  je  yôyois  les  suc- 
cès ou  les  désastres  du  parti  opposé  ,  y  produire 
la  fermentation  la  plus. vive  ,  rallumer  plus  forte- 
ment le  désir  des  proscriptions  contre  la  caste  en- 
tière des  hommes  de  couleur.  Dans  ces  momens , 
malheur  aux  hommes  pacifiques  qui  auroient  élevé 
la  voix  en  faveur  de  la  modération  !  Le  mot  de  paix 
paroisso.it  attentatoire  à  l'intérêt  de  la  colonie  ,  sor- 
tant même  de  la  bouche  d'un  délégué  de  laNation 
et  du  Roi  ,  envoyé  exprès  pour  en  exercer  le 
ministère. 

Cette  disposition  éclata  d'une  manière  violente 
et  sans  ménagement  ,  à  l'occasion  d'un  forfait 
atroce  arrivé  ciaji§  la  plaine  de  l'Artibonite  ,  jus- 
qu'alors tranquille  ,  et  avec  laquelle  js  n'avoîs 
encore  eu  aucune  relation. 

Dans  la  nuit  du  17  février .  des  -hommes  de  cou- 
leur , 


(33) 
leur ,  poussés  ,  soit  par  de  perfides  instigations , 
soit  par  des  motifs  de  vengeance  ou  de  pillage  , 
portèrent  le  massacre  sur  les  habitations  de  l'Arti- 
bonite  ;  ils  s'emparèrent  en  même  temps  du  bourg 
de  la  petite  rivière  ,  des  canons  déposés  dans  la 
sacristie  de  l'église  ,  et  qui  y  restoient  sans  usage  , 
chacun  se  reposant  sur  la  foi  commune. 

•  La  proscription  frappoit  indistinctement,  et  les 
citoyens  blancs  qui  n'avoient  manifesté  aucune 
opinion  politique  ,  et  même  ceux  qtA  avoient  paru 
favorables  aux  demandes  des  hommes  de  couleur. 
Dix -sept  blancs  furent  égorgés  ;  un  plus  grand 
nombre  échappa  avec  peine  ;  on  se  réunit  en  armes 
de  tous  côtés.  Les  hommes  de  couleur  prirent 
poste  au  bourg  de  la  petite  rivière  ;  les  blancs  se 
retranchèrent  sur  l'habitation  Ségur. 

A  la  nouvelle  de  ce  sinistre  événement ,  je  suis 
publiquement  accusé  ,  au  Port-an  -Prince ,  aêtre 
l'auteur  ne  tous  ces  maux.  «  Ses  paroles  de  \>alx  y 
35  disoit-on  ,  encouragent  au  crime  les  hommes  de 
:»  couleur  :  voilà  la  cause  de  ces  assassinats  qui  se 
»  renouvellent  avec  plus  de  ferveur  depuis  son 
»  arrivée  au  Port  au  Prince.  Si  sa  présence  cause 
»  des  maux  ,  nous  y  remédierons  en  l'éloignant 
»  de  notre  ville  ,  en  le  faisant  embarquera».  Tels 
étoient  les  cris  que  l'on  entendoit  dans  la  galerie 
même  du  lieu  des  séances  de  l'Assemblée  provin- 
ciale. 

Un  de  ses  membres  met  en  motion  la  proposi- 
tion exaltée  de  la  multitude  ;  on  invoque  alors  la 
question  préalable  ,  et  elle  passe  à  une  majorité 
de  huit  voix  contre  six. 

Je  tiens  ce  détail  d'un  membre  de  l'Assemblée, 
qui  ,  par  amendement  ,  voulok  qu'on  m'invitât  à 
m'embarquer. 

Compte  rendu  par  M.  St.- Léger.  C 


(34) 

Je  ne  pouvois  dissimuler  un  pareil  scandale  :  pour 
rallier  au  pouvoir  légitime  les  honnêtes  citoyens , 
pour  éclairer  ceux  qui  étoient  dans  l'erreur  ,  et 
pour  rappeler  enfin  aux  vrais  principes  et  clans  les 
bornes  de  leurs  devoirs  ,  les  corps  administratif 
et  municipal  du  Port-au-Prince ,  j'écrivis  le  lende- 
main à  l'Assemblée  provinciale  ,  que  je  me  reti- 
rons de  cette  ville  :  j'en  déduisois  les  motifs  ;  je 
me  plaignoïs  hautement  de  la  conduite  de  l'Assem- 
blée ,  et  de  l'illégalité  des  actes  des  deux  corps 
dans  diverses  circonstances.  (Pièces  justificatives, 

J'envoyois.  en  même  temps  une  réquisition  à 
Saint-Marc ,  au  commandant  de  la  frégate  la  Gala- 
thée  ,  qui  devoit  revenir  au  Port-au-Prince  ,  pour 
qu'il  visilât  toutes  les  embarcations  sur  sa  route  : 
car  telle  étoit  la  licence  effrénée  des  mesures  que 
Ton  proposoit  ouvertement  ,  que  je  crus  impor- 
tant de  songer  à  tous  les  moyens  de  mettre  à  cou- 
vert le  dépôt  des  opérations  que  j'avois  faites  dans 
la  province  de  l'Ouest.  (  Pièces  justificatives  , 
n°.  45). 

L'effet  de  ma  lettre  fut  prompt  :  les  deux  corps 
administratif  et  municipal  ,  après  une  délibération 
dont  ils  me  donnèrent  copie  (  pièces  justificatives, 
n°.  44)  »  m'envoyèrent  chacun  une  dépuration 
pour  m'inviter  à  rester  ,  protestant  de  tous  leurs 
désirs  de  ne  point  s'écarter  de  la  loi.  Les  officiers 
des  corps  militaires  ,  de  l'artillerie  ,  des  4  >  9  et 
49me  régimens  ,  plusieurs  sous- officiers  et  soldats 
de  ces  divers  corps  ,  à  l'exception  des  soldats  du 
neuvième  régiment ,  vinrent  m'assurer  du  dévoue- 
ment avec  lequel  ils  rempliroient  leurs  devoirs 
pour  maintenir  la  Constitution  et  l'exécution  des 
lois.    Nombre  de  citoyens  Tinrent  m'exposer  les 


(35) 
mêmes  principes  ,  et  me  conjurer  de  ne  pas  perdre 
de  vue  le  désordre  qui  pourroit  résulter  de  ma 
retraite  précipitée.  L'espoir  que  je  me  plaisois  à 
conserver  ,  que  le  retour  à  l'ordre  pourroit  s'opé- 
rer encore  par  le  concours  de  tant  de  personnes 
qui  s'y  montraient  disposées  ,  me  détermina  à 
continuer  d'agir  au  Port-au-Prince  ,  et  je  fis  part 
de  cette  détermination  à  l'Assemblée  provinciale 
et  à  la  municipalité.  (Pièces  justificatives,  n°.  4-5 )• 

Je  me  rendis  à  la  Croix-des-Bouquets  pour  exhor- 
ter les  chefs  des  hommes  de  couleur  à  persister 
dans  la  soumission  qu'ils  avoient  manifestée  ,  et 
dans  le  désir  qu'ils  avoient  montré  de  voir  tour 
le  monde  s'y  soumettre  ,  à  en  donner  des  preuves 
authentiques  ,  en  renvoyant  à  la  Croix-des-Bou- 
quets  des  canons  qui  en  avoient  été  enlevés  ,  et  à 
suivre  sans  relâche  les  démarches  qui  dévoient 
éteindre  les  animosités  ,  en  cherchant  sur-tout  à 
pourvoir  aux  besoins  de  la  ville  ,  et  en  veillant  à 
ce  que  la  viande  de  boucherie  n'y  manquât  plus. 
J'obtins  d'eux  facilement  ces  demandes. 

Je  devois  croire  que  la  confiance  alioit  s'établir 
entièrement  :  l'Assemblée  provinciale  ne  me  laissa 
pas  long-temps  cette  douce  illusion.  On  continuoit 
à  parler  de  sorties  militaires  ;  je  conjurois  en  parti- 
culier les  membres  de  l'Assemblée  provinciale  ,  et 
ceux  de  la  municipalité  ,  tous  les  citoyens  amis 
de  la  paix  ,  à  user  de  leur  influence  pour  éloigner 
cette  idée  funeste  ;  je  représentais  "  qu'avec  les 
meilleures  intentions  possibles  ,  l'appareil  mili- 
taire porte  avec  lui  un  caractère  effrayant  ;  que 
dans  les  circonstances  actuelles  ,  une  secousse 
donnée  aux  ateliers,  soit  par  un  defaut'de  subor- 
dination ,  soit  par  une  résistance  marquée  ,  on  un 
éloignement  manifeste  du  travail  ,   amèneroit  la 


Pv 

destruction  de  la  plaine  ,  intacte  jusqu'alors.  Ces 
motifs  paroissoient  faire  impression  sur  les  parti- 
culiers ;  mais  leur  volonté  venoit  échouer  et  dis- 
paroître  dans  la  fermentation  générale  qui  animoit 
la  multitude. 

Que  doit-on  penser  d'un  comité  général  et  secret 
pour  moi  ,  tenu  le  jour  même  où  je  m'étois  rendu 
à  la  Croix-des-Bouquets  ,  pour  assurer  à  la  ville 
du  Port-au-Prince  des  subsistances  en  viande  fraî- 
che ,  etc.  ,  dont  elle  avoit  si  long- temps  manqué , 
et  dans  lequel  l'Assemblée  provinciale  a  arrêté,  le 
24  février,  de  requérir  le  commandant  militaire 
d'envoyer  par  terre  5oo  hommes  à  Léogane  ?  Où, 
sont  les  motifs  de  cette  mesure  ?  Uix  jours  aupa- 
ravant, le  défaut  de  moyens  empêchoit  l'Assem- 
blée provinciale  de  laisser  partir  quelques  sol- 
dats pour  cette  ville  ,  dont  je  lui  faisois  connoître 
la  malheureuse  situation ,  et  tout-à-coup  elle  y  des- 
tine un  envoi  considérable  de  forces  ,  et  par  terre, 
sans  craindre  qu'une  marche  de  dix  lieues  ne  fasse 
naître  des  événemens  propres  à  ramener  la  dis- 
corde ,  et  sans  aucun  égard  à  la  suite  constante  de 
mes  opérations  pour  la  paix. 

Pourquoi  d'ailleurs  ne  pas  consulter  les  habitans 
de  Léogane  ,  leurs  craintes  trop  justement  fondées, 
et  la  sûreté  de  leur  existence  dépendante  d'un 
soupçon?  ÀVoit-ôn  pris  des  mesures  pour  arrêter 
l'effet  terrible  qui  pouvoit  en  résulter  pour  la  riche 
plaine  de  Léogane ,  où ,  malgré  les  malheurs  de 
ce  quartier  ,  cinquante  deux  sucreries  intactes 
étoient  un  aliment  précieux  pour  la  prospérité 
réciproque  de  la  Colonie  et  de  la  France  ? 

A  l'appui  de  ces  réflexions  que  je  £s  à  des 
commissaires  de  l'Assemblée  provinciale  ,  lorsque 
je  fus  instruit  par  le  Public  de  son  arrêté,  je  leur 


(37) 

communiquai  les  nouvelles  que  j'avois  reçues  de 
cette  ville  ,  où  l'on  me  marquoit  de  justes  appré- 
hensions sur  le  choix  des  troupes  que  l'Assemblée 
provinciale  y  destinoit ,  et  qui  faisoient  craindre 
que  des  haines  qui  commençoient  à  s'assoupir  , 
ne  se  réveillassent  avec  plus  de  fureur.  J'engageai 
l'Assemblée  provinciale  à  attendre  que  les  nabi  tans 
indiquassent  eux-mêmes  le  nombre  de  troupes  qui 
leur  paroissoit  suffisant  pour  les  aider  et  les 
soutenir  dans  le  rétablissement  de  l'autorité  légi- 
time. 

Je  communiquai  an  commandant  militaire  l'ap- 
préhension de  ces  habitans  sur  le  choix  des  sol- 
dats. (Pièces  justificatives  ,  ri°.  46).  Il  n'en  pou  voit 
exister  aucune ,  si  100  hommes  du  quatrième  régi- 
ment étoient  envoyés  à  Léogane  ,  puisque  leur 
arrivée  dans  la  Colonie  étoit  postérieure  à  l'époque 
où  les  discussions  avoient  pris  un  caractère  hostile: 
sur  cette  communication  ,  et  en  vertu  de  la  loi 
militaire  appliquée  à  Saint-Domingue  par  l'As- 
semblée coloniale  ,  le  commandant  militaire  écri- 
vit à  l'Assemblée  provinciale  qu'une  compagnie 
de  grenadiers  et  de  fusiliers  du  quatrième  régi- 
ment seroient  prêta  a  marcher  pour  Léogane. 

Le  commandant  m'a  donné  connoissance  de  la 
réponse  de  l'Assemblée  :  on  la  voit  persister  à 
s'immiscer  dans  les  dispositions  militaires  ,  et 
sur-tout  on-  y  voit  bien  textuellement  prononcé 
le  caractère  de  représentation  si  expressément  dé- 
fendu aux  administrateurs.  (Pièces  justificatives  , 
II".   47  )•('); 

La  conduite   de    l'Assemblée    dans    ses   actes , 


(1)  Voyez  la  Chemise,  intitulée  Lettres  de  M.  de  Gers. 


(38  ) 

dans  ses  démarches  indiscrètes  ,  n'offre  que  Tin- 
conséquence  de  délibérations  tumultueuses  ,  ou 
le  but  d'annuller  de  fait  tout  pouvoir  qui  peut 
contenir  le  sien;  chaque  jour  meconfirmoit  que  je 
imiltiplierois  vainement  les  avertissemens  et  les 
réquisitions  ,  pour  la  maintenir  dans  l'enceinte  de 
la   loi.  J'en  eus  bientôt  une  nouvelle  preuve. 

Malgré  toutes  les  démarches  que  je  faisais  pour 
la  paix  ,  quoique  la  ville  du  Port-au-Prince  ,  jouît 
d'une  communication  avec  la  plaine  qui  aidoit  à 
sa  subsistance,  on  continuoit  toujours,  et  souvent 
sans  aucun  prétexte  ,  d'envoyer  des  boulets  des 
différens  postes.  Sur  mon  observation  ,  le  com- 
mandant militaire  Favoit  défendu  par  une  Con- 
signe expresse  ;  elle  avoit  été  portée  dans  tous 
les  postes.  Mon  but  étoit  moins  d'éviter  un  gas- 
pillage de  munitions  de  guerre  ,  que  celui  d'éloi- 
gner tout  obstacle  qui  pourroit  opposer  à  la  paix 
une  apparence  hostile  ,  qui  n'étoit  d'aucun  effet 
pour  la  sûreté  de  sa  place  :  cette  consigne  étoit 
violée  ouvertement  dans  les  postes  confiés  à  la 
garde  nationale  ;  et  les  administrateurs  ,  et  les 
officiers  municipaux  ,  s'en  reposant  sans  doute  sur 
le  commandant  militaire  ,  n'en  prenoient  aucune 
connoissance  :  vainement  ce  commandant  em- 
ployoit-il  les  moyens  de  douceur  pour  y  ramener 
par-tout  ;  il  fallut  essayer  la  voie  ue  la  discipline. 

La  consigne  ayant  éié  violée  dans  un  poste  con- 
fié à  des  troupes  de  ligne  ,  le  sergent  qui  y  corn- 
mandoit  fut  puni  militairement,  et  convint  de  la 
justice  exercée  à  son  égard  ;  il  demanda  que  le 
sieur  Pialoto  ,  arrivé  l'année  précédente  en  qua- 
lité d'aide  cannoii'er  sur  un  des  vaisseaux  de  l'Etat, 
se  décorant  du  titre  de  commandant^  de  l'artilJe- 
rie  nationale  ,  et    d'ingénieur  des  fortifications , 


(39) 
qui  lui  même  avoit  mis  le  feu  au  canon  ,  fût  éga- 
lement puni.  Cette  réclamation  fut  portée  au  com- 
mandant des  gardes  nationales  et  à  la  municipalité 
(  pièces  justificatives  ,  n°.  4$  )  ,  et  resta  sans 
effet.  Je  passe  sous  silence  mille  détails  scandaleux 
relatifs  à  cet  événement ,  mais  je  ne  puis  dissi- 
muler que  l'Assemblée  provinciale  a  répondu  à 
la  réquisition  qu*e  je  lui  ai  faite  à  cet  égard  ,  par 
un  arrêté  approbatif  de  ce  désordre  (  n°.  48  bis). 

Ainsi  l'Assemblée  provinciale  ,  la  municipalité  , 
le  commandant  de  la  garde  nationale  paroissoient 
se  jouer  des  efforts  que  je  faisois  pour  arrêter 
les  maux  de  la  province.  Ils  éludoient  la  loi  en 
protestant  qu'ils  vouloient  la  suivre  ;  ils  n'appor- 
toient  jamais  d'oppositions  aux  fluctuations  de  la 
multitude  5  ils  en  suivoient  constamment  le  cours, 
et  leurs  démarches  faisoient  naître  constamment 
des  obstacles  à  la  paix  :  j'annonçai  de  nouveau 
que  je  me  retirois  de  la  ville  ,  et  je  déclarai  à 
l'Assemblée  provinciale  que  l'imprudence  de  sa 
conduite  lui  préparoit  une  grande  responsabilité. 
(Pièces  justificatives  ,  n°.  49.  ). 

Dans  sa  réponse  ,  elle  est  surprise  de  ma  résolu- 
tion ;  elle  ne  croit  pas  s'être  écartée  de  la  loi ,  me 
dit  que  j'aurois  de  grands  reproches  à  me  faire  , 
si  ma  retraite  occasionnoit  de  grands  malheurs  , 
et,  quelle  que  soit  ma  détermination,  elle  ïoecu- 
pci*a  sans  relâche  du  rétablissement  de  l'ordre. 
(  Pièces  justificatives  ,  n°.  5o  ). 

Pour  ne  fournir  aucun  prétexte  à  de  nouveaux 
excès  ou  à  ceux  qui  dévoient  suivre  infailliblement 
un  tel  désordre,  je  continuai  à  agir  avec  la  même 
suite  que  si  j'avois  été  sincèrement  secondé  j  je 
ne  négligeai  aucun  moyen  de  confiance  pour 
ramener  vers  le  but  commun  tant  de    pouvoirs  , 

C   4 


(4°) 

tant  Je  citoyens  égarés  :  mais  le  temps  qui  s'écou- 
loit  saris  cesse  ,  re  je  toit  au  loin  mon  espérance  5 
de  nouvelles  atiocités  se  passoient  sons  mes  yeux. 

Un  citoyen  blanc  ,  échappé  déjà  deux  fois  à  la 
fureur  populaire  (1)  ,  et  par  conséquent  du  nombre 
de  ceux  que  l'on  désignoit  comme  proscrits,  ar- 
rive par  mer  :  il  est  massacré  en  débarquant.  Le 
hasard  a  voit-il  rassemblé  cette  multitude  furieuse, 
au  moment  où  il  mettoit  pied  à  terre  ?  non  :  elle 
parcît  s'être  portée  sur  le  rivage  ,  lorsqu'un  bateau 
armé  par  l'Assemblée  provinciale  ,  entrant  en 
rade  avec  les  marques  distinctives  d'un  bâtiment 
de  l'Etat ,  s'est  permis  un  salut  d'artillerie  extraor- 
dinaire ,  et  très  -  expressément  interdit  par  les 
ordonnances. 

Le  lendemain  on  célébroit  par  un  fête  publique 
l'anniversaire  de  l'arrivée  de  la  station  ,  par  le 
bruit  de  triples  décharges  de  canon  j  et  le  Jour  et 
la  veille  de  la  fête,  et  par  le  moyen  d'une  dépré- 
dation des  vivres  de  l'Etat  .,  le  peuple  du  Port-au- 
Prince  s'exdloit  ,  se  conlirmoit  de  plus  en  plus 
dans  l'opinion  que  rien  n'çtoit  plus  dans  l'intérêt 
de  la  Colonie  ,  que  de  repousser  avec  indignation 
toute  avance  ,  tout  moyen  qui  pourroit  rappeler 
à  la  loi  une  cas  Le  qu'on  vouloit  absolument  pros- 
crire. 

Dans  de  telles  circonstances  ,  je  recherchois  le 
parti  qui  pouvoit  produire  la  paix  dans  la  Colo- 
nie ,  ou  en  éloigner  des  désastres  ;  je  croyois 
qu'une  absence  momentanée  du  Port-au-Prince 
pourroit  arï'oihiir  la  fermentation  :  vivement  sol- 
licité par  les  habitans  de  Léogane  ,  qui  avoient 

(1)  Il  se  nommoit  Casenave^  et  éloit  originaire  Je  Bordeaux. 


t.4i  ) 

eu  le  courage  de  braver  tous  les  périls  pour 
rétablir  parmi  eux  l'autorité  légitime  ,  je  leur 
devois  tous  les  moyens  que  les  lois  et  les  circons- 
tances laissoient  à  ma  disposition. 

Je  prévins  !e  commandant  militaire  que  je  lui 
adresserois  une  réquisition  pour  faire  embarquer 
sur  la  Galathée  les  deux  compagnies  du  quatrième 
régiment  ;  mais  je  fus  forcé  de  changer  ma  réso- 
lution ,  quand  MM.  la  Pievcteri^  et  Montrecel  , 
capitaines  de  ces  deux  compagnies,  m'apprirent 
de  vive  voix:  que  leurs  soldats  disoient  tout  haut 
ne  vouloir  point  aller  à  Léogane ,  et  paroissoient 
disposés  à  désobéir  aux  ordres  qui  leur  seroient 
donnés  par  leur  chefs,  d'api  es  ma  réquisition. 

Une  désobéissance  prononcée  de  la  part  àes 
soldats  pou  volt  être  le  signal  du  plus  grand  dé- 
sordre :  je  ne  devois  point  courir  les  risques  de 
cette  épreuve.  Il  m  étoit  démontré  d'ailleurs  que 
parmi  ces  soldats  •,  un  grand  nombre  étoient  c  - 
rés ,  et  qu'en  sYc<rtant  de  leurs  devoirs,  ils  pou- 
voient  encorf  se  croire  dans  le  sens  de  la  loi  et 
de  la  constitution  :  je  ne  vouîols  pas  rompre  le 
loibie  lien    qui   les   retenoit  encore. 

Tant    d'obstacles    insurmonî:. 
Prince  pour  le   maintien  de  Tord  e  et  de  là  su 
des  propriétés )  les  instances  toujours  plus    | 
tantes  des  habitants  de  Léogane  ,  qui  se  \ 
à  la  merci  de  leurs  esclaves ,  dont  dispofioit   Jlo- 
maine  ,  me  décidèrent  à  écrire  à  MM.    P inchina t 
et    Beâuvaîs  ,   hommes   de  couleur  ,    d'en 
leur  influence  et  leur  crédit  ,  pour  c  7  oo 

d'entre  v  é  rendre  à   Lé<  gâriè  pour  le  dr- 

ue en  cas  d'attaque,  de  ia  ë  Ramai 

et  conserver  ce  malheureux  quai. 

MM.  Pinchînaî  et  Beauvais  m'annoncèrent  Pern- 


(-•*  ) 

pressement  avec  lequel  les  100  hommes  se  ren- 
droient  à  Léogane ,  pour  y  montrer  leur  respect 
à  la  loi.  La  fidélité  à  remplir  leur  promesse  ,  en 
faisant  ramener  des  canons  à  la  Croix-des-Bou- 
quets  j  les  soifis  qu'ils  prenoient  pour  approvi- 
sionner les  boucheries  du  Port-au-Prince  ,  m'étoient 
un  garant  de  la  sincérité  de  leurs  intentions.  (  Piè- 
ces justificatives,  nQ.  Si. 

Ainsi  ,  après  de  nouvelles  recommandations  aux 
chefs  des  hommes  de  couleur ,  d'employer  conti- 
nuellement leur  influence  pour  que  1  ordre  pu- 
blic ne  fût  point  troublé  ;  après  avoir  prévenu  l'As- 
semblée provinciale  de  mon  départ ,  après  avoir 
requis  M.  de  Grimouard  de  me  fournir  les  moyens 
nécessaires  qui  étoient  à  sa  disposition  (  pièces 
justificatives  ,  n°.  Si  )  ,  je  suis  parti  pour  Léogane 
sur  la  frégate  la  Galatht'e ,  en  laissant  des  réquisi- 
tions à  l'Assemblée  provinciale  ,  à  la  municipalité 
du  Port-au-Prince  ,  pour  qu'il  ne  se  fît  aucune 
sortie  militaire  pendant  mon  absence.  (Pièces  jus- 
tificatives ,  n°.  53.  ) 

On  voit,  par  tous  ies  éyénemens  qui  ont  précédé, 
quel  étoit  l'objet  général  de  cette  réquisition  j 
mais  des  faits  dont  j'aveis  connoissance  ,  justi- 
fient encore  plus  la  nécessité  de  cette  mesure:  dans 
plusieurs  circonstances  ,  des  nègres  armés  ,  quoi- 
que esclaves,  sortoientla  nuit  de  la  viiie,  et,  exci- 
tés par  des  instigations  ,  par  l'amour  du  pillage  ,  ou 
peut-être  par  des  ordres  positifs  de  mai-intention- 
nés, ils  alloient  porterie  trouble  dans  les  environs. 
Ainsi,  dès  mon  arrivée  au  Port-au-Prince,  le  feu 
avoit  été  mis  à  des  batimens  de  l'habitation  Mar- 
quissant ,  à  demi-portée  de  canon  de  la  ville  ,  et 
il  resteit  indécis  si  ce  fait  étoit  celui  des  hommes 
de  couleur,  ou  s'il  falloit  l'attribuer  à  des  esclaves 


(43) 
de*Ia  ville  qui  y  avoient  été  envoyés  pour  fournir 
le   prétexte  de  dire  que  les   hommes   de  couleur 
méprisoient  l'autorité  nationale, 

Les  corps  administratif  et  municipal  ne  s'occu- 
pcient  pas  du  soin  de  réprimer  des  <  xcès  d'une 
nature  si  dangereuse  ;  d'un  autre  côté  ,  la  multi- 
tude parloit  de  sorties  miiitàir'és  dans  la  plaine  du 
Cui-de-Sac  ;  !  es  gardes  nationales  en  avoient  effec- 
tué une  ,  sans  réquisition  des  corps  civils  ,  sans 
les  ordres  du  commandant  militaire  (i)  :  d'ailleurs, 
ce  n'étoit  pas  non-seulement  un  droit,  mais  un 
•  de  ma  mission ,  de  pourvoir  à  tout  ce  qui 
pourroit  donner  atteinte  à  la  tranquillité  pu- 
blique. 

Les  habitons  de  Lèogarie,  pour  rétablir  l'auto- 
rité légale,  avoient  formé  leur  municipalité  :  le 
procès-verbal  me  fut  adressé  ;  il  le  fut  aussi  à  l'As- 
semblée provinciale  (  pièces  justificatives i  n°.  54) , 
qui  arrêta  que  cette  nomination  n'étoit  point  cou- 
forme  aux  dispositions  de  l'arrêté  du  2a  décembre 
de  l'Assemblée    coloniale.  (Pièces  justificatives, 

Des  que  la  commune  eut  connaissance  de  cet 
arrêté,  elle  s'empressa' de  rectifier  son  erreur; 
elle  rappela  les  anciens  membres  ,  qui  reprirent 
leurs  fonctions  :  (Pièces  justificatives  ,  n°.  56  )  : 
mais  se  trouvant  en  trop  petit  nombre  par  la  mort 
ou  la  démissiorr  de  leurs  collègues,  et  ne  pouvant 
suffire,  dans  ces  circonstances  épineuses,  aux  pé- 
nibles fonctions  qui  leur  étoient  confiées  ;  ne  pou- 
vant trop  se  Làter  de  nommer  aux  places  vacantes 


(i)  Vers  la  source  Tugeot,  il  y  eut  douze  hommes  de  troupes 
de  ligne  de  tués  ou  de  blessés  dans  cette  affaire. 


(  44  ) 
sur  toutes  ces  considérations  bien  développées  à' 
Ja  commune,  dans  un   discours  de  M.  Inginac  , 
premier  officier  municipal ,  faisant   fonctions  de 
inaire  (  pièces  justificatives  ,  n».  5j  ). 

Je  trouvai  à  mon  arrivée  cette  municipalité  com- 
plet te.  Elle  me  remit  son  nouveau  procès-verbal 
d'installation;  il  fut  arrêté  qu'il  seroit  procédé 
tout  de  suite  par  la  commune  au  remplacement  des 
places  vacantes  (  pièces  justificatives  ,  n°.  58  ) , 
(  pièces  justificatives  ,  n°.  5<)  ).  Elle  me  fit  con- 
noître  ,  dans  le  plus  grand  détail ,  le  danger  auquel 
les  habitans  restcient  exposés  ,  et  montra  le  dé- 
vouement le  plus  entier  à  ses  pénibles  fonctions  , 
pour  ramener  et  maintenir  l'ordre  à  Léogane. 

Les  hommes  de  couleur  me  manifestèrent  de 
leur  côté  la  plus  grande  soumission  à  la  loi,  et 
la  ferme  résolution  de  périr  dans  la  défense  de  la 
cause  commune. 

Les  blancs  me  montrèrent  des  sentimens  d'hu- 
manité et  de  modération  auxquels  je  rendis  tout 
l'hommage  qu'ils  méritoient  ;  ils  me  parlèrent  de 
leur  malheureuse  position  ,  de  l'impossibilité  où 
ils  étoient  de  se  défendre  ,  dans  le  cas  d'une  atta- 
que de  la  part  de  Romaine  ;  je  leur  distribuois  des 
armes  que  j'avois  obtenues  de  M.  Grimouard  , 
commandant  le  vaisseau  de  l'Etat  le  Borée.  Qu'il 
mq  soit  permis  ,  Messieurs  ,  de  m'arrêter  ici  un 
instant,  pour  faire  un  {uste  éloge  de  la  conduite 
invariable  de  cet  officier  qui,  après  avoir  mérité 
l'estime  de  la  France  ,  et  celle  même  des  ennemis 
qu'il  combattit  si  glorieusement  durant  la  dernière 
guerre,  sait  encore  se  rendre  recommandable  par 
son  respect  pour  la  loi ,  et  par  la  modération  si 
précieuse  dans  un  chef,  lorsque  les  citoyens  d'un 
même  empire  ont  le  malheur  de  s'armer  les  un* 


{45  ) 

contre  les  autres  :  je  dois  même  ,  puisque  ce.1 
sentimens  sont  communs  à  son  Etat-major  de  son 
vaisseau,  associer  les  officiers  qui  le  composent 
a  la  justice  que  je   lui  rends. 

Tous  mes  soins  tencloient  à  resserrer  les  noeuds 
d'une  confiance  réciproque  entre  tous  les  habi- 
tans  de  Léogane  ;  ils  n  étoient  pas  sans  succès;  des 
députationsdugtaiidetdupetitGoavejdeBayenette 
et  de  quelques  autres  paroisses  voisines,  vinrent 
m'annoncer  de  la  part  de  leurs  concitoyens  une 
entière  soumission  à  la  loi.  Il  m'en  vint  une  du 
Trou-Cof'fi ,  lieu  où  étoit  campé  Romaine.  Elie 
Courlonge  ,  son  colonel  général ,  m'assura  que 
toutes  les  démarches  de  Romaine  et  les  siennes 
ne  tendroient  désormais  qu'au  rétablissement  de 
l'ordre.  Craignant  d'irriter  le  caractère  féroce  de 
ce  scélérat  et  de  ses  cruels  compagnons  ,  si  je  lui 
parlois  de  ses  crimes  avec  l'horreur  qu'ils  m'inspi- 
roient,  je  dissimulai,  et  je  tachai  de  l'engager 
par  m  nouceur  a  cesser  tout  armement,  et  a  iaire 
rentrer  les  esclaves  dans  le  devoir.  Il  parut  se 
rendre,  et  s'obligea  à  se  soumettre  à  un  arrange- 
ment fait  entre  lui  et  les  hommes  de  couleur  de 
Léogane  ,  par  lequel  il  s'étoit  imposé  la  loi  de 
faire  revenir  les  esclaves  sur  les  habitations  de 
leurs  maîtres ,  dans  un  délai  de  trois  jouis.  (Pièces 
justificatives  ,  n°.  60  ). 

J'exigeai  que  les  conditions  de  cette  espèce  rie 
traité  fussent  exécutées  ;  mais  il  m'étoit  impossible 
de  rien  prescrire  de  rigide  contre  Romaine  et 
Elie  :  les  forces  de  Léogane  ne  pouvoient  leur  en 
imposer,  et  j'étois  persuadé  que,  dans  un  temps 
plus  calme ,  la.  loi  sauroit  bien  atteindre  tous  les 
coupables. 

Ou    attendoit  l'expiration   du  délai    accordé  k 


(  *«  ) 
Romaine  et  à  Elle  ;  on  se  livroit  à  l'espérance 
de  voir  la  paix  se  rétablir  dans  le  quartier  g  mais 
l'événement  le  plus  affreux  parut  devoir  l'en  bannir 
pour  long-temps.  Une  troupe  de  nègres  descendue 
du  Trou-Colli,  surprend  la  ville  pendant  Ja  nuit 
du  11  au  11  mars,  pénètre  dans  son  intérieur, 
s'empare  de  tous  les  postes,  de  la  maison  com- 
mune ,  des  canons  qui  en  defendoient  l'accès', 
égorge  plusieurs  citoyens  et  plusieurs  hommes 
de  couleur  dans  leurs  lits  ,  en  massacre  d'autres 
dans  les  rues  ,  enfonce  les  portes  des  maisons ,  Jes 
pille,  et  annonce  par  ses  oris  forcenés  quelle  ne 
veut  épargner  personne. 

On  se  rend  avec  précipitation  vers  ma  maison 
gardée  par  les  ico  hommes  qu'a  voient  envoyés 
MM.-  Pincliinat  et  Beau  vais  ,  dont  le  chef  étoit 
Baptiste  Boyer  :  on  délibère  tumultueusement  sur 
le  parti  qu'il  convient  de  prendre  ;  on  me  presse 
de  me  rendre  à  bord  Ja  frégate  la  Galathée ,  pour 
me  soustraire  au  danger  dont  je  suis  menacé  : 
mais  c'en  étoit  fait  de  Léogaiie  ,  et  de  ses  habîtaris, 
si  j'eusse  quitté  la  ville  :  j'exhortai  donc  tous  les 
citoyens  qui  m'environnoient  à  marcher  contre 
les  nègres  réunis  sur  la  place  de  la  ville  ,  et  à 
faire  tous  leurs  efforts  pour  les  repousse-  \  mes 
exhortations  ne  furent  pas  sans  succès  :  les  100 
hommes  de  couleur  s'avancent  avec  plusieurs 
blancs  ,  avec  les  hommes  de  couleur  de  Léogane  ; 
le  combat  s'engage  enlre  eux  et  les  nègres,  qui 
bientôt  sont  obligés  de  fuir  ,  d'abandonner  l'inté- 
rieur de  la  ville  ,  et  ils  se  contentent  de  former 
un  cordon  autour  d'elle  ;  ils  sont  bientôt  repous- 
sés de  tous  côtés  par  l'équipage  "de  la  frégate  la 
Galathée. 

j_>ès  le  premier  moment  où  le  bruit  qui  rcVnoit 


(47) 
dans  la  Yille  s'étoit  Fait  entendre  dans  la  rade, 
le  commandant  delà  Galathée,  militaire  également 
recommandable  par  ses  talens,  ses  vertus  et  son 
amour  pour  son  devoir. et  sa  patrie  ,  avoit  l'ait 
préparer  tout  son  monde  à  descendre  à  terre  :  je 
lui  fis  parvenir  une  réquisition  ,  pour  qu'il  envoyât 
à  Léogane  le  plus  du  monde  armé  qu'il  pourroit. 
(Pièces  justificatives  ,  n°.  61  ). 

Et  on  vit  bientôt  voler  au  secours  de  cette  malr 
heureuse  ville  les  officiers  de  la  Galathée  et  l'équi- 
page de  cette  frégate.  11  seroit  presque  impossible 
d'exprimer  tout  ce  que  la  Colonie  et  la  Métropole 
doivent  au  zèle  et  au  courage  que  ces  précieux 
marins  ont  montrés  dans  toutes  les  circonstances, 
en  donnant  l'exemple  d'une  subordination  qui  les 
a  rendus  encore  mille  fois  plus  utiles. 

Léogane  étoit  dans  ce  moment  délivré  de  la 
fureur  de  ses  ennemis  ;  mais  il  avoit  besoin  de 
nouveaux  bras  pour  être  à  l'abri  de  toute  insulte, 
mais  il  manquoit  de  vivres  et  de  munitions  de 
guerre  :  je  requis  donc  l'Assemblée  provinciale  d'v 
envoyer  tous  les  secours  [nécessaires.  (  Pièces  jus- 
tificatives ,  n°.  62  ).  J'écrivis  en  même  temps  aux 
grand  et  petit  Goave  ,  pour  engager  leurs  ,  habi- 
tans  à  venir  au  secours  de  leurs  concitoyens  :  ils 
se  rendirent  à  mon  invitation  ,  et  le  lendemain 
un  fort  détachement  arriva  à  Léogane,  qui  venok 
d'essuyer  une  seconde  attaque. 

Pendant  que  l'équipage  de  la  Galathée  veillcit 
avec  une  activité  peu  commune  à  la  défense 
de  la  ville,  ce  détachement  se  transporta  dans  la 
plaine  avec  la  garde  nationale  et  les  hommes  de 
couleur  de  Léogane  :  l'ordre  fut  rétabli  dans  les 
ateliers;  et  peu  de  jours  après  son  arrivée,  les 
nègres  ,  dont  la  presque-  totalité  éioit  restée  fidèle, 
avaient  repris   les  travaux  de  Ja  culture. 


(  48  ) 

Léogar.e  n'avoir,  donc  plus  à  craindre  quele  camp 
duTrou-Cofii,  qui  subsistoit  toujours:  j'engageai  en 
conséquence  les  chefs  des  hommes  de  couleur  de 
Léogane  ,  et  les  commandans  des  detachemcns  des 
grand  et  petit  Goave  ,  à  le  détruire.  Sous  les  or- 
dres de  Singlar,  nègre  libre,  dont  la  conduite  sou- 
tenue mérite  des  éloges  distingués,  ils  marchèrent 
avec  quatre  canonniers  de  la  (régate  c<  utre  Ro- 
mai  ne  y  dissipèrent  son  camp,  prirent  sa  lemrne, 
sa  fille,  ie  nommé  Boursicot ,  homme  de  couleur 
trop  fameux  pour  avoir  massacré  dans  la  paroisse 
de  Daynette  trente  blancs  dans  un  seul  jour,  et 
qu'iis  conduisirent  avec  elles  à  Léogane  ,  où  je 
les  fis  mettre  à  bord  d'un  navire  du  commerce  , 
pour  y  rester  comme  otages  de  la  sûreté  de  ce 
quartier  ;  dans  la  même  expédition  ,  après  s'être 
emparé  des  munitions  de  guerre  et  avoir  encloué 
les  canons  ,  on  désarma  tous  les  nègres,  et  on  les 
renvoya  dans  leurs  différens  ateliers  :  je  savois 
qu'ils  n'étoient  qu'égarés.,  et  j'en  prévins  le  mas- 
sacre. 

Quel  parti  l'assemblée  provinciale  prenoit-elle 
dans  ces  circonstances  r  Je  l'avois  instruite  de 
la  position  de  Léogane  ;  elle  m'annonça  qu'elle 
s'occupoit  du  soin  de  sauver  les  tris i  es  restes  de 
ce  quartier  ;  mais  quels  secours  lui  auioit  elle 
donnés?  Elle  avoit  arrêté  d'y  envoyer  cinq  cents 
hommes  j  mais  d'après  les  bruits  publics  ,  et  d'a- 
près des  lettres  particulières  ,  .(  pièces  justifica- 
tives ,  n°.  62.  )  c'étok  cinq  cents  conjurés  qui  raar- 
choient  vers  celte  malheureuse  \iiie,  pour  ciive-, 
Iopper  dans  la  même  proscription  les  blancs  et 
les  hommes  de  couleur ,  et  le  commissaire  civil 
avant  tous. 

Instruit  des  intentions  sinistres  que  manifestait 

le 


(49)  ' 
le  Port  -an-Prince,  je  me  hâtai  d'en  prévenir  1rs  ef- 
fets j  des  réquisitions  furent  envoyées  ci  l'assem- 
ble- provinciale  ,  au  c<  ftrmandant "militaire  ,  à  la 
municipalité  du  Port-au-Prince .,  pour  (jue  l'as- 
semblée provinciale  ne  mît  pas  <vi  exécution  l'ar- 
rêté conformément  auquel  cincj  cents  hommes  dé- 
voient se  rendre  à  Léogane  ,  pour  cjue  Je  com- 
mandant militaire  n'y  envoyât  que  cent  cinquante 
hommes  de  troupes  de  ligne  ,  pour  que  la  mu- 
nicipalité" ne  laissât  peint  sortir  d'amies  soldats 
du  rort-au  Prince, 

Je  requérois  en  outre  les  corps  administratif  et 
municipal  ,  de  faire  passer  à  I  éngane  les  viv jt s 
et  les  munitions  de  guerre  qui  lut  éioient  si  né- 
cessaires. 

J'avois  eu  soin  en  même  temps  d'écrire  au  com- 
mandant; de  la  station  ,  et  au  commandant  des 
bâti  mens  du  commerce,  (t  de  les  requérir  de  fiire 
fournir  deux  hommes  par  chaque  bâtiment  du 
commerce,,  pour  aider  dans  leurs  travaux  les  équi- 
pages de  la  Galatltée  ,  et  des  navires  mouillas 
dans  la  rade  de  Léogane, 

Quel  fut  le  succès  d ■  ■  ces  réquisitions?  L'Assem- 
blée ,  après  avoir  n  çu  la  premiè  e  ,  a  voit,  comme 
je  l'ai  déjà  dit,  arrêté  uu  envoi  de  troupes.  Elle 
me  L'annonçoit  dans  la  réponse  quelle  me  fil; 
bientôt  je  reçus  une  lettre  qui  m  appreuoit  que 
l'envoi  de  secours  quelle  avoit  projette  ,  n'auroit 
pas  lieu,  etc.  Ile  nccusoii.  le  commandant  militaire  de 
ce  qu'il  la  mettoit  dans  l'impossibilité  dû  faite  exé- 
cuter son  premier  arrête.  (  Pièces  justificatives, 
n°.  63). 

Je  la  requis  de  nouveau  d'envoyer  cent  hommes 
de  troupes  de  ligne  à  Léogane  ,  pour  garder  un 
fort  situé  sur  le  bord  de   la  mer  :  ma  réquisition 
Compte  rendu  par  M.  de  Saint  Léger.        D 


(5o) 

étoit  appuyée  sur  des  considérations  puissantes  ; 
elle  fut  sans  effet.  (  Pièces  justificatives  ,  n°.  64  ). 
Que  peut- on  conclure  delà  conduite  de  l'Assem- 
blée provinciale  ,  en  examinant  ses  actes  dans  ces 
circonstances  ? 

En  rn'annonçant,  dans  la  réponse  qu'elle  envoie 
à  ma  première  réquisition ,  que  des  secours  seront 
envoyés  à  Léogane  ,  elle  paroît  attribuer  à  mes 
démarches  les  malheurs  de  ce  quartier  5  elle  me 
suppose  l'intention  de  pallier  les  fautes  dont  les 
hommes  de  couleur  ont  pu  se  rendre  coupabesj 
elle  me  suppose  une  opinion  dont  rien  ne  pour- 
roit  me  faire  soupçonner  ;  et  mettant  la  sienne 
en  opposition  avec  celle  qu'elle  me  prête  ,  elle  dit 
que  ce  n'est  pas  le  moment  de  s'occuper  de  dis- 
cussions ;  que  le  salut  de  la  colonie  doit  faire  ou- 
blier tous  les  intérêts  particuliers  ,  pour  ne  songer 
qu'aux  moyens  de  prévenir  de  plus  grands  mal- 
heurs. (  Pièces  justificatives  ,  n°.  65). 

De  quels  intérêts  particuliers  voulok  parler 
rAssemblée  provinciale  ?  Doit- elle  connoître  des 
intérêts  qui  lui  soient  particuliers  ?  Doit- elle  avoir 
d'autre  intérêt  que  l'intérêt  public  ? 

Elle  parloit  de  s'occuper  des  moyens  de  pré- 
venir de  grands  malheurs  :  mais  ,  loin  de  les  pré- 
venir, n'en  augmentoit-elle  pas  la  sommer 

S'élevant  contre  un  pouvoir,  national ,  seul  ca- 
pable de  réprimer  ses  écarts ,  d'arrêter  le  cours  de 
«es  vengeances,  et  peut-être  de  ses  sanglantes  pros- 
criptions j  usurpant  la  souveraineté  nationale  clans 
toute  sa  plénitude  ;  s'arrogeant ,  conjointement 
avec  la  municipalité  du  Port-au-Prince,  un  carac- 
tère de  représentation  qui  n'appartient  qu'au 
corps  législatif  ,  elle  condamnoit  par  une  décla- 
ration illégale ,  les  actes  d'un  pouvoir  soumis  au 


, (  51  ) 

seul  jugement  de  l'Assemblée  nationale  ,  et  du 
roi.  EUe  déciaroit  avec  la  municipalité  que  les 
commissaires  nationaux  civils  ne  peuvent  en  au- 
cune manière  requérir  les  corps,  tant  civils  qua 
militaires ,  dans  tout  ce  qui  a  trait  aux  hommes  de 
couleur  et  nègres  libres. 

Elle  déciaroit  conjointement  avec  la  munici- 
palité du  Port-au-Prince,  qu'elle  regardoit  ces  ré- 
quisitions comme  nulles  et  attentatoires  à  l'auto- 
rité que  l'Assemblée  constituante  avoit  confiée  à 
l'assemblée  coloniale. 

Elle  arrêtoit  en  outre  que  pour  conserver  les 
droits  conférés  à  l'assemblée  coloniale  ,  et  aux 
corps  populaires  légalement  constitués  ,  elle  f'ai- 
soit  cette  déclaration,  et  que  le  commandant  mi- 
litaire seroit  requis  de  faire  mettre  la  troupe  de 
ligne  sous  les  armes,  pour  en  entendre  la  lecture  , 
qui  lui  seroit  faite  par  trois  commissaires  de  l'as- 
semblée provinciale  ,  et  trois  de  la  municipalité. 
(  Pièces  justificatives  ,  n°.  66). 

Et  qui  avoit  pu  provoquer  un  acte  aussi  illé- 
gal, aussi  attentatoire  à  tous  les  principes:  Les 
réquisitions  que  j'avois  envoyées  à  l'assemblée  prt  - 
"vinciale  ,  à  la  municipalité  du  Port  au-Prince  ,  au 
commandant  militaire  ,  aux  commandnns  de  la  sta- 
tion ,   et  des  bâtimens  du  commerce  ? 

Dans  le  considérant  de  cette  déclaration  ,  on 
disoit  que  ces  réquisitions  étoient  relatives  aux 
insurrections  des  hommes  de  couleur  libres  ,  et  des 
esclaves  coalisés;  on  disoit  que  l'assemblée  colo- 
niale avoit  seule  le  droit  de  prononcer  sur  le  sort 
des  hommes  de  couleur  et  des  enclaves  ,  et  que 
la  conséquence  nécessaire  de  cet.e  faculté  légis- 
lative étoit  ,  qu'à  elle  seule  appartenoit  le  droit 
de  réprimer  les  mouveraens  séditieux  de  ces  dii- 

D  a 


(5>) 

férentes  clnssrs  d'individus  ;  que  les  corps  popu- 
laires établis  par  l'assemblée  coloniale  ,  en  vertu 
de  la  constitution ,  avoient  seuls  le  droit  de  dé- 
terminer les  mesures  de  sûreté  que  peuvent  né- 
cessiter ces  différentes  insurrections.  (Pièces  jus- 
tificative?, n".  66.  ) 

Mais  si  l'assemblée  provinciale  ,  si  la  munici- 
palité avançoicnt  des  principes  si  erronés  ,  leur 
aveuglement  n'étoit-il  pas  volontaire  ? 

Pou  voient-ils  ignorer  ces  deux  corps  ,  qu'ils  sou- 
tenoient  un  principe  faux  ,  en  disant  que  l'assem- 
blée coloniale  avoit  seule  le  droit  de  prononcer 
sur  le  sort  des  hommes  de  couleur  et  des  es- 
claves ?  Ne  savoient-ils  pas  que  les  assemblées  co- 
loniales n'avoient  que  le  droit  de  statuer  sur  l'état 
politique  des  hommes  de  couleur  libres,  que  le 
droit  de  faire  deslois  relatives  aux  esclaves,  et  que 
ces  deux  classes  d'hommes  n'ont  pas  été  aban- 
données à  leur  discrétion  ?  Avoient-ils  oublié  qu'il 
falloit  que  le  roi  concourût  par  sa  sanction  à  la 
confection  de  ces  lois  ,  ou  ,  avoient-ils  envie  de 
confondre  dans  les  mains  de  l'assemblée  coloniale 
deux  pouvoirs  distincts. 

Comment  l'assemblée  provinciale  et  la  munici- 
palité pouvoknt-elles  dire  que  les  corps  popu- 
laires ont  seuls  le  droit  de  déterminer,  sous  la 
surveillance  immédiate  de  l'assemblée,  les  moyens 
de  sûreté  que  peuvent  nécessiter  les  insurrections 
dont  il  s'agit  ? 

Mais  sans  s'arrêter  à  ce  que  cette  dénomination 
de  corps  populaires  a  de  vicieux,  on  pourroit  de- 
mander à  l'assemblée  provinciale  et  a  la  munici- 
palité du  Port  au  Prince  ,  où  la  constitution  leur 
donne  ce  droit  ?  par  quelle  faveur  elle  les  excepte 
de  la  surveillance  du  pouvoir  exécutif  ,  elle  les 


(  53  ) 
dérobe  à  l'action  d'un povivoir,  aucjnel  l'assemblée 
coloniale  est  subordonnée,  ali  pouvoir  qui  a  été 
confié  aux  commissaires  civils  par  la  loi  du  11  fé- 
vrier 1791  ? 

En  effet,  la  loi  du  24  septembre  dernier  a-t-elle 
détruit  la  loi  du  11  février,  ou  l'a-telle  modifiée 
dans  ce  qui  étoit  relatif  au  rétablissement  de 
l'ordre?  a-t  elle  spécifié  que  les  commissaires  se- 
roient  sans  ad  ion  dans  les  mouvemens  qui  au- 
roient  lieu  ent:e  les  blancs  et  les  hommes  de  cou- 
leur ?  Cette  loi  a-t  elle  borné  l'influence  du  pour- 
voir des  commissaires  aux  querelles  des  blancs? 
Lorsqu'elle  leur  a  accordé  la  faculté  de  suspendre 
l'exécution  des  jugemens  criminels  rendus  pour 
des  faits  relatifs  à  la  révolution  ,  ne  parloit  elle 
que  des  jugmnens  contre  les  blancs  ?  l'ordre  et 
la  tranquillité  ne  pouvoient-ils  elie  troublé  que 
par  les  blancs?  ou  s'ils  l'étoient  par  les  hommes 
de  couleur  et  les  esclaves  ,  les  commissaires  de- 
voient-ils,  dans  une  ch  constance  ,  avoir  une  ac- 
tion qui  auroit  cessé  dans  une  autre  circonstance 
absolument  semblable"  Si  nous  avions  le  droit  de 
requérir  la  force  publique,  ne  devions-nous  la  re- 
quérir que  contre  les  blancs?  Etoit  ce  attenter  à 
la  faculté  législative  ,  attribuée  à  l'assemblée  co- 
loniale ,  que  de  requérir  les  corps  ,  soit  civils  , 
soit  militaires,  pour  faire  cesser  des  troubles  qui 
menaçoient  de   ruiner  une  partie  de  l'empire: 

Est-ce  porter  atteinte  à  cette  même  faculté  lé- 
gislative ,  que  de  rappeler  à  leurs  fonctions  les 
corps  administratifs  ou  municipaux  ,  lorsqu'ils 
s'en  écartent  ,  ou  de  les  leur  indiquer  s'ils  les 
méconnoissent  ?  Enfin  pour  marquer  assez  de  res- 
pect à  une  autorité  créée  par  là  puissance  natio- 
nale ,  falloit-il  laisser  porter  par-tout   le  fer  et  le 

D3 


(  H  ) 

feu,  et  livrer  à  des  coups  assassins  de  trop  mal- 
heureuses victimes,  tandis  que  l'Assemblée  natio- 
nale et  sa  majesté,  nous  avoient  imposé  l'obli- 
gation sacrée  de  réprimer  de  pareils  désordres? 

Après  avoir  vu  l'assemblée  provinciale  porter 
un  coup  aussi  audacieux  à  l'autorité  nationale , 
rien  ne  pouvoit  m'étormer  de  sa  part  ;  aussi  n'ai-je 
point  été  surpris  de  ce  qu'elle  faisoit  échouer 
toutes  les  mesures  que  j'avois  prises  pour  la  sû- 
reté de  Léogane  ,  en  mettant  un  embargo  sur  les 
bâtimensde  la  rade  du  Port-au-Prince.  (Pièces  jus- 
tificatives, n°.  6y). 

Et  en  se  chargeant  elle-même  contre  toutes  les 
lois,  de  faire  exécuter  cet  arrêté  ;  (pièces  justifi- 
catives, n°.  68.  )  en  écrivant  au  commandant  de 
la  station  ,  pour  qu'il  ne  laissât  point  partir  les 
deux  hommes  que  chaque  bâtiment  du  commerce 
devoit  fournir  sur  ma  réquisition  ;  (  pièces  justifi- 
catives, n°.  69  );  en  refusant  de  donner  des  vivres 
à  Léogane,  elle  colore  son  refus  du  prétexte  de 
la  disette  que  le  Port-au-Prince  éprouve;  (pièces 
justificatives,  n°.  70).  Mais  peut-elle  se  dissimu- 
ler la  déprédation  des  vivres  qu'elle  avoit  per- 
mise ?  N'a  voit- on  pas  donné  double  ration  aux 
équipages  des  bâtimens  de  l'Etat  en  rade  au  Port- 
an  Prince  ,  dans  le  temps  où  les  cominandans  de 
ces  bâtimens  avoient  à  se  plaindre  de  l'insubor- 
dination de  ces  mêmes  équipages  ?  Mais  n'avoit- 
elle  pas  souffert  ,  l'assemblée  provinciale  ,  que 
l'on  célébrât  l'aniversaire  de  la  station  ,  par  un 
repas  que  proscrivoit  la  loi ,  sur  l'organisation  de 
la  force  publique  ? 

Mais  si  cette  disette  de  vivres  étoit  réelle  ,  on 
pouvoit  donc  la  regarder  comme  une  suite  de  son 


C  S5  ) 
peu  de  surveillance  ;  c'étoit  encore  un  tort  qu'on 
avcit  à  lui  reprocher. 

Léogane  ,  malgré  ses  malheurs,  malgré  le  grand 
nombre  de  personnes  qu'il  avoit  à  nourrir,  se  vit 
donc  refuser  des  subsistances  par  le  Port-au- 
Prince,  et  bientôt  après,  les  troupes  qui  lui  étoient 
nécessaires  pour  son  entière  sécurité ,  l'assemblée 
provinciale  s'appuya,  dans  cette  occasion,  d'un 
prétexte  qui  annonçoit  ouvertement  l'esprit  do 
parti  qui  la  dominoit. 

Elle  m'écrivit  qu'elle  ne  pouvoit  requérir  le 
commandant  militaire  d'envoyer  i5o  hommes  de 
troupes  de  ligne  ,  parce  que  ce  petit  nombre  de 
soldats  seroit  sacrifié  o«  entraîné  dans  une  coali- 
tion coupable  avec  des  hommes  de  couleur  ,  au- 
teurs de  tous  les  désastres  de  la  colonie.  (  Pièces 
justificatives  ,  n°.  7-1   h 

Mais  par  qui  ces  soldats  auroient-ils  été  sacri- 
fiés ?  par  les  nègres  révoltés  ?  Mais  ils  étoient  ren- 
trés dans  le  devoir  ;  l'Assamblée  ne  l'ignoroit  pas. 
D'ailleurs  ,  i5o  hibirans  du  grand  et  du  petit 
Goave  avoient  suffi  pour  arrêter  et  étouffer  l'in- 
surrection des  atteliers  de  la  plaine.  Quatre-vingts 
hommes  de  la  frégate  la  Galalhcc  ,  avoient  re- 
poussé loin  de  la  ville  les  nègres  qui  l'entouroient 
lors  de  l'attaque  de  Léogane.  L'Assemblée  étoit 
instruite  de  ces  détails. 

Dans  quelle  coalition  coupable  ces  soldats  au- 
roient-ils été  entraînés  ?  Il  n'en  existoit  point  à 
Léogane  ;  les  hommes  de  couleur,  soumis  à  la  loi, 
n'étoient  armés  que  pour  la  défense  commune  , 
n'étoient  dirigés  que  par  la  municipalité.  Suivant 
l'Assemblée  provinciale  ,  il  existoit  donc  toujours 
une  coalition  coupable  là  où  il  existoit  des  hommes 
de  couleur. 

D4 


(  56  ) 
La  lettre  par  laquelle  elie  m'annonçoil  que  Lqo- 
gane  n'auroit  pas  les  soldats  nue  j'avois  demandés 
pour  la  gardd  du  fort  ,  m'apprenait  que  les  forces' 
du  Port-au-Prince  àlloient  se  porter  à  la  Croix  des- 
Bo.uqUets  ,  pour  maintenir  dans  !e  devoir  les  atte- 
liez tie  la  pjainie  du  Cu!-de-sac,  <jui  ,  disc/t-clle  ,  ' 
se  trouvoient  fortement  travaillés  par  les  hommes 
de  couleur  et  nègres  libres.   [  Pièces  justificatives , 

"°-  ?*)•  ,. 

R  ien  n'indiquoit  cependant  qu'il  existéit  aucune 

ferm.  ntation  dans  ces  a1  U  Tiers  ,  et  que  les  hoaumes 

de  couleur  ci ierc liassent  à  les  soulever. 

Les  lettres  de  la  municipalité  annonçoiepit  que 
la  plus  grande  tran  îuii'.ilé  régnoit  dans  son  terri- 
toire ^  «mais  elle  craignoit  les  suites  de  La.,sortle  que 
l'on  se  propos  oit  de  faire  du  Port-au-Prince*)  r 
la  plaine  du  Cul-de-sac.  (Piècesjustifi&àtÎA  es,n*\  j'à). 
Sur  les  premiers  bruits  de  celle  nouvelle  alarmante , 
eHe  s'etoit  empressée  d'écrire  à  la  municipalité  du 
Porr-au  Piince,  et  à  l'Assemblée  provinciale,  pour 
les  engager  à  ne  point  envoyer  des  troupes  sur  la 
paroisse  de  la  Croix-des-Bouquets.  (  Pièces  justi- 
ficatives ,  n°.  y 4  ). 

En  ;mt  copie  de'  ces  lettres  ,    elle  me 

confiât  ses  alarmes  (  pièces  jus'ificatives,  u°.  y5)9 
qui  h'étoû  nt  que  trop  justifiées  par  la  conduite  que 
l'Assemblé*  provinciale  et  ia  municipalité  ao.i  rt 
tenue  ,  en  sou  If.  dut  que  des  nègres  armés  ,  sortis 
de  la  ville  pendant  la  nuit ,  portassent  l'épouvante 
dans  les.  environs  ,  et  vinssent  ensuite  donner  dans 
son  en  c  i  te  un  sue;  tacle  de  sang,  eu  y  prome- 
nant des  têtes  de  mulâtres  mises  au  bout  d'une 
pique.  (Pièces  justificatives,  n°»  ?6). 

'  L'Assemble*  provinciale  trouva  cependant  des 
obstacles  à  l'exécution  de  ses  desseins  ,  dans  la 


(5?) 
fermeté  ducomm  an  fiant  militaire.  Il  avoit  repoussé 
la  déclaration  du  18  mars  ;  il  s'étoit  refusé  de 
"prêter  ,  suivant  l'expression  de  l'Assemblée  pro- 
vinciale et  de  la  municipalité  ,  200  hommes  de 
troupes  de  ligne  ,  pour  aller  avec  400  hommes  de 
gardes  nationales,  s'établir,  à  poste  fixé,  à  laCroix- 
dcs- Bouquets  ;  il  avoii .-résisté  à  beaucoup  d'orages, 
mais  on  en  suscita  de  nouveaux  contre  lui. 

JLe  înairc-.du  Port-au-Prince  ,  et  des  membres  de 
l'Assemblée  provinciale  ,  vinrent  lire  à  la  treupe 
assemblée  un  arrêtédfiS  TA' semblée  coloniale  ,  non 
approuvé,  par  lequel  le  lieutenant  au  gouverne- 
ment général  éroit  requis  d'ordonner  à  tous  les 
commandons  militaires  de  se  conformer  aux  réqni- 
si lions»  de  tous  les  corps  populaires  ,  sans  qu'au- 
cune influence  de  .MM.  les  commissaires  natio- 
naux civils  tm pût? empêcher  ou  suspendre  l'effet  des 
autorités  légales  établies  dans  la  partie  française 
de  Saint  Dotiiingue.  (  Pièces  justificatives!  n°.  Jj)- 

Le  commandant  militaire  refusa  de  se  confor- 
mer à  cet  an  été  ,  le  regardant  comme  un  acte  nul 
et  illégal  ,   puisqu'il  n'éioit  pas  approuvé   par  le 
lieutt  riant  an  gouvernement  général ,  et  i!  persista 
dans  le  refus  qu'il  avoit  déjà  l'ait,  de  donnepdes 
soldats  de  troupes  de  ligne  pour  la  sertiu  que  l'on 
proiettoiC  de  faire  à  la  Croix -des- Bouquets.  Mais 
V Assemblé 8  provinciale  et  la  municipalité  ,  après 
lui  avoir  iait  une  nouvelle  réquisition  ,  commune 
à  cet  égard,   à  laquelle  il  s'opposa  avec  la  ;. 
fermeté,  le  destituèrent  ne  son  commander 
qui ,  oiiert  successivement  à  t<  us  les  officiers  ,  fut 
successive  w'ent  refusé.  Us  forcèrent  M.  de  Gers  , 
Commandant  militaire  ,    de   recevoir   leur  ci 
sien  ,   et    les  trofi]  jaises  en   garnison  au 

Port  au-Prince,son  t  restées  sous  le  commande  nient 


(  58  ) 
de  M.  Costevi  ,  lieutenant  au  neuvième  régiment, 
ejni  n'a  pas  suivi  l'exemple  de  ses  camarades  ,  et 
qui  a  cédé  aux  désirs  de  l'Assemblée  provinciale 
et  de  la  municipalité  ,  en  se  mettant  à  la  tête  des 
troupes. 

Je  ne  pourrois  ,  sans  injustice,  refuser  à  M.  de 
Gers,  commandant  militaire  du  Port-au-Prince, 
et  à  MiYI.  les  officie rs  des  4e  ,  9e  et  48e  régiment , 
ie  juste  tribut  d'éloges  qu'ils  ont  tous  mérité, 
en  montrant  pour  les  lois  et  pour  leur  devoir 
l'attachement  qui  caractérise  les  Français  qui  veu- 
lent ,  de  bonne-foi ,   la  prospérité  de  l'Empire. 

Le  nouyeau  commandant  militaire  s'est  coït- 
formé  à  la  réquisition  de  P Assemblée-  provinciale 
et  de  la  municipalité  ;  la  sortie  a  eu  lieu  ;  mais, 
comme  je  Pavois  prévu  ,  elle  a  eu  les  suites  les 
plus  funestes.  J'ai  appris  d'une  manière  indirecte 
que  les  nègres  de  la  plaine  du  Cul-de-sac  ,  après 
avoir  enveloppé  le  Bourg  de  la  Croix  dès-Bouquets, 
avoient  attaqué  et  massacré  une  grande  partie 
des  800  hommes  que  le  Port-au  Prince  avoit  en- 
voyés dans  ce  Bourg. 

D'autres  nouvelles  aussi  affligeantes  venoient 
encore  ajouter  aux  sentimens  douloureux  que  la 
première  avoir  fait  naître.  La  paroisse  de  Larca- 
jbaie  ,  rentrée  dans  le  sein  de  la  loi  (  pièces  justi- 
ficatives ,  n°.  78  ) ,  avoit  vu  ses  esclaves  se  révolter 5 
ï:.j  bldnc, ,  à  la  tête  d'une  troupe  d'esclaves  armés  , 
avoit  porté  le  meurtre  dans  une  partie  de  cette 
paroisse  ,  qui  seroit  devenue  le  théâtre  des  plus 
grands  désordres  ,  sans  le  courage  des  citoyens 
blancs  et  des  hommes  de  couleur  qui,  quoiqu'aban- 
donriés  par  la  municipalité  ,  .n'ont  rien  négligé, 
pour  rappeler  l'ordre  et  la  paix.  (  Pièces  justifica- 
tives ,  ns'.  79  ). 


(%) 

Mais  le  mal  menaçoit  d'arriver  à  son  comble  , 
clans  les  paroisses  de  Saint-Marc  ,  de  la  Petile- 
Riviere  et  des  Verettes.  Des  députés  de  Saint- 
Marc  étoient  venus  à  la  Croix-des  liouquets  ,  d'où 
ils  m'envoyèrent  solliciter  a  Léo.^ane  ,  de  la  ma- 
nière la  plus  pressante  ,  de  céder  aux  vœux  de 
leurs  concitoyens,  qui  me  prioifnt  de  me  trans- 
porter dans  leur  quartier.  (Pièces  justificatives, 
n°.    79   bis.  ). 

La  conduite  que  tenoient  les  assemblées  colo- 
niale et  provinciale  ne  m'y  promettoient  pas  de 
grands  succès,  mais  je  devois  essayer  de  remédier 
au  mal  j  je  me  déterminai  donc  à  me  rendre  aux 
instances  des  ciioyens  de  Saint- Marc. 

Après  avoir  pris  toutes  les  mesures  qui  dépen- 
doient  de  moi  ,  pour  aiïermir  la  tranquillité  que 
j'avois  rétablie  à  Léogane,  je  m'embarquai  sur  la 
Galathée,  et  j'arrivai  à  Saint-Marc ,  le  3o  mars. 

Depuis  long  temps  une  division  funeste  avoit 
banni  la  paix  de  cette  ville  ,  la  municipalité  avoit 
été  détruite  ,et  remplacée  par  un  bureau  de  police; 
les  membres  de  l'ancienne  municipalité  s'étoient 
éloignés  de  Saint-Marc  ,  un  grand  nombre  d'ha- 
bitans  s'étoient  retirés  de  la  ville  ;  réunis  à  la 
grande  Saline  de  l'Artibonite ,  ils  ne  paroissoient 
disposés  à  retourner  dans  leurs  foyers  ,  qu'au  mo- 
ment où  ils  y  verroient  l'autorité  légitime  rétablie  , 
et  où  ils  pourroient  compter  sur  une  entière  sé- 
curité. Le  bureau  de  police  de  Saint-Marc  regar- 
i    •  i  *    •  D- 

doit  cette  reunion  de  citoyens,  comme  contraire 

à  la  loi,  s'en  plaignoit  hautement,  et  paroissoit 
craindre  des  actes  hostiles  de  sa  part.  (  Pièces  jus- 
tificatives ,  n°.  8o  )   (î). 

(0  Voyez  la  cote  n°.  38. 


(Ko) 

La  lettre  que  j'adressai  aux  habitans  de  Saint- 
Marc  fut  mai  interprétée,  ainsi  que  t'arrête  le 
l'Assemblée  coloniale  sur  le  rétablissement  de* 
municipalités  ,'  et  l'Assemblée  primaire  de  'a  pa- 
roisse de  Saint-Marc,  convoquée  par  le  bureau  de 
police,  forma  une  nouvelle  municipalité,  au  lieu 
de  rappeler  l'ancienne.  (  Pièces  justificatives  , 
n*.  81  ).  J 

Aussitôt  que  les  anciens  officiers  municipaux, 
et  les  citoyens  réunis  à  la  Saline  _,  furent  instruits 
de  l'intention  qu'avoienr  les  habitans  de  Saint- 
Marc,  d'élire  une  nouvelle  municipalité  ,  ils  pro- 
testèrent contre  la.  convocation  de  l'Assemblée 
primaire.  (Pièces  justificatives,»0.  82).    . 

Je  reçus  le  procès-verbal  de  la  nomination  de 
cette  municipalité  (  pièces  justificatives  ,  n°.  8  S  )  ; 
je  liraprouvài  ,  et  elle  reçut  aussi  l'improbation 
de  l'Assemblée  provinciale.  (  Pièces  justificatives, 
n°.  $4  ). 

L'ancienne  municipalité  fut  invitée  ,  d'après  ma 
lettre  aux  habitans  de  Saint-Marc  ,  à  venir  repren- 
dre ses  fonctions  (  pièces  justificatives  ,  n°.  85  )  5 
elle  s'y  refusa  ,  consigna  ses  motifs  dans  son  ar- 
rêté du  27  février  (pièces  justificatives  ,  n°.  86  )  , 
après  avoir  consulté  l'Assemblée  coloniale  sur 
le  parti  qu'elle  avoit  à  prendre  dans  ces  circons- 
tances (  pièces  justificatives  ,  n«.  87  )  (1).  L'assem- 
blée coloniale,  par  son  arrêté  du  7  mars  }  lui  a 
laissé  la  liberté  de"  rentier  dans  ses  fonctions, 
quand  les  circonstances  lui  paroitroient  conve- 
nables (pièces  justificatives  ,  n°  88  )  (2)  ;  elle  les  a 


(1)   Voyez  le  n°.  86,  et  les  pièces  qui  y  sont  àncx^cs. 
(i)  Voyez  les  pièces  jointes  au  n°.  86. 


reprises  à  la  grande  Saline  ,  ainsi  que  le  prouve 
son  procès-verbal  du  i3  mars. (Pièces  justificatives, 
n°.   Sy  ).    _ 

Les  habitans  de  Saint-Marc ,  supposant  que  les 
anciens  officiers  municipaux  avoient  ,  dans  la 
réponse  faite  à  l'invitation  de  rentrer  dans  leurs 
fonctions  ,  prononcé  un  refus  formel  de  les  re- 
prendre ,  s  empressèrent  alors  de  nommer  défini- 
tivement une   municipalité.  (  Pièces  justificatives, 

Tandis  que  l'ancien  maire  et  des  officiers  muni- 
cipaux, étoient  réunis  et  campés  à  la  Saline  avec  un 
grand  nombre  d 'habitans  de  Saint-Marc  ,  la  mu- 
nicipale provisoire  exerçoit,  comme  je  l'y  avois 
autorisée- ,  les  fondions  municipales  ,  en  attendant 
que  l'autre  vînt  les  reprendre.  (  Pièces  justifica- 
tives, n°.  91  ).  Eile  correspondoit  avec  moi, 
m'instruise  ir  de  ce  qui  se  passoit  dans  la  paroisse  , 
et  ce  fut  elle  qui  me  confirma  l'événement  affreux 
;  à  la  Petite-Rivière  ,  et  qui  m'apprit  qu'il  y 
avoit  eu  depuis  nue  suspension  d'hostilités  entre 
les  blancs  et  les  hommes  de  couleur.  (  Pièces  jus- 
tificatives ,  no.  Q2  ).  Eile  se  plaignoit  amèrement 
dans  ses  lettres  ,  du  camp  de  la  Saline;  elle  lui 
prêloit  des  vues  hostiles,  disoit  que  la  ville  étoit 
fortement  menacée  par  ies  personnes  qui  formoient 
ce  rassemblement,  acensoit  un  sieur  Dumontel- 
lier  de  s'être  porté  avec  un  détacbement  au  bourg 
des  Yerettcs  ,  d'y  a\oir  causé  du  trouble  jelle  ac- 
cusoit  des  déîachemens  de  ce  camp  d'avoir  fait  des 
incursions  sur  les  babitations  :  elle  me  faisoit  passer 
des  déclarations  de  diverses  particuliers  qui  dénon- 
çaient des  vexations  qu'ils  en  avoient  (-prouvées; 
(  pièces  justificatives  ,  n°.  q3  )  ;  et  dans  le  mêma 
Umps  la  municipalité  de  Saint-Marc  ,  séante  à  la 


Saline ,  supposoit  les  mêmes  vues  hostiles  aux  ha- 
bitans  réunis  dans  la  ville  avec  les  hommes  de  cou* 
leur.  (Pièces  justificatives,  n°.  94). 

La  défiance  et  la  division  régnoient  entre  ces 
deux  partis ,  dont  le  but  paroissoit  être  de  se  trou- 
ver réciproquement  coupables. 

Les  mêmes  dissentions  qui  menacoient  la  pa- 
roisse  de  Saint  Marc  de  toutes  les  horreurs  d'une 
guerre  civile,  apitoient  les  paroisses  des  Verettes, 
de  la  Petite-Rivière  ,  depuis  l'événement  du  17 
février.  Ces  deux  paroisses  étoient  en  armes.  Les 
blancs  de  la  Petite  -Rivière  étoient  campés  sur 
l'habitation  Ségur.  Les  hommes  de  couleur  occu- 
poient  le  bourg. 

M.  Borel ,  habitant  des  Verettes  avoit  formé  un 
camp  chez,  lui.  Il  s'étoit  porté  à  des  mesures  hos- 
tiles contre  les  hommes  de  couleur  j  accompagné 
de-gens  armés  ,  il  avoit  attaqué  un  de  leurs  corps- 
de-garde,  et  en  avoit  enlevé  des  canons  :  la  muni- 
cipalité des  Verettes  m'avoit  dénoncé  ce  fait ,  en 
m'envoyant  des  pièces  qui  sembloient  lui  prou- 
ver que  M.  Borel  n'a  voit  d'autre  dessein  que  de 
troubler  l'ordre ,  tandis  que  par  toutes  ses  mesures 
elle  tendoit   à  le   rétablir.  (  Pièces  justificatives  , 

n°'  93)-  . 

J'écrivis' alors  à  la  municipalité  des  "Verettes  de 

tout  faire  pour  ramener  et  assurer  la  tranquillité 
publique  ,  de  faire  cesser  toutes  dispositions  hos- 
tiles ,  en  attendant  que  je  rne  transportasse  dans 
le  quartier  de  Saint-Marc.  Je  l'engageai  à  commu- 
niquer ma  lettre  à  M.  Borel  ,  que  je  rendois  res- 
ponsable de  tout  ce  qu'il  pourroit  entreprendre 
contre  Tordue  et  la  paix.  (  Pièces  justificathes , 
nv.  96). 

Malgré  ces  précautions  ,  la  défiance  et  les  ani- 


(63) 

mosités  qui  régnoient  de  toutes  parts  ,  produi- 
sirent un  nouveau  choc  entre  M.  Borel  et  les  hom- 
mes de  couleur.  (  Pièces  justificatives  ,  nc.  97  ).  La 
ville  de  Saint- Marc  ne  cessoit  d'exprimer  les  alar- 
mes rjue  lui  donnoit  le  camp  de  la  Saline  5.  elle 
craignoit  sa  réunion  avec  le  camp  de  M.  Borel  ^ 
avec  i5o  hommes  de  troupes  de  ligne  arrivés  dans 
le  quartier  de  la  Petite  -Rivière  ;  elle  craignoit  enfin 
de  se  voir  assiégée.  (  Pièces  justificatives  ,  n°.  98). 
J'écrivis  donc  à  la  municipalité  de  Saint-Marc, 
et  je  lui  faisois  passer  une  lettre  pour  le  comman- 
dant de  détachement  des  troupes  de  ligne  ;  je  le 
requérais  de  n'exercer  aucune  hostilité  :  il  s'est 
conformé  à  nia  réquisition .  (  Pièces  justificatives, 
no.  99  ) 

Tel  étoit  l'état  des  choses  quand  je  suis  arrivé 
à  Saint-Marc.  Je  me  suis  empressé  d'écrire  aux 
«nciens  officiers  municipaux,  réunis  a.  la  Saline, 
pour  les  inviter  à  céder  aux  désirs  de  leurs  conci- 
toyens ,  à  rentrer  dans  la  ville  pour  y  reprendre 
l'exercice  de  leurs  fonctions.  J'écrivis  tfi  même 
temps  à  M.  Borel  pour  lui  demander  les  motifs 
qui  l'avoient  engagé  à  former  un  camp  ;  je  lui 
demandois  quelle  autorité  l'avoit  armé  :  il  me  ré- 
pondu que  c'éto't  l'Assemblée  coloniale  qui  lui 
avoit  donné  les  premiers  secours  en  munitions  de 
guerre  ;  que  c'étôit  cette*  Assemblée  qui  l'autori- 
soit  à  se  tenir  en  armes  ;  que  son  assentiment  lui 
Bufjfîsoit.  Il  ajoutoit  qu'il  lalloit  que  les  gens  de 
couleur  fussent  désarmés  pour  que  les  hostilités 
cessassent  ;  qu'il  fallôit  que  tous  les  coupables  fus- 
sent punis  (pièces  justificatives  ,  n°.  100)  ;  que 
d'ailleurs  ,  il  ne  se  faisoit  point  illusion  sur  l'éten- 
due de  mes  pouvoirs  ;  et  il  terminoit  sa  lettre  en 
m'annoneant  qu'il  souorettroit  la  mienne  aux  tri- 


(  m 

brnaux  supérieurs  légalement  constitués  ,  et  qui 
seuls  a  voient  droit  d'en  connoître, 

cutives  ,  n°.  100  ). 

Il  étoit  aisé  de  calculer  ,  d'après  cette  r  «pon  e  , 
^influence  que  la  conduite  de  V 
cia!e  ,  à  mou  égàri  ,  avoit  sur  roi  i       i ,  sur 

les  personnes  quisoutenoient  ses  opi  dons,  lille  se 
montroit  aussi ,  cette-  influence  ,  dansées  lettres 
de  la  Saline  (  pièces  justificatives  ,  n°.  101     , 
celles  de  la  municipalité  de  la  Petite- Rivière.  (Pièces 
justificatives  ,  n°.  102). 

Je  voyois  qu'il  m'étoit  impossible  de  ramener 
à  des  principes  de  modération  des  hommes  que  les 
circonstances  ,  les  préjuges,  leurs  ^passions,  leurs 
inté  êts  en  éîoignoient  ;  je  voyois  que  >.i  je  cher- 
chois  à  agir  successivement  sur  chaque  p  >int  de 
la  masse,  dont  il  falioit  changer  le  mouvement, 
tous  mes  efforts  seroient  superflus  ;  que  je  consu* 
nierois  un  temps  précieux  en  tentatives  mal  ti- 
reuses ,  ou  d'un  succè*  peu  certain  ,  et  que  j'aug- 
menteroite  la  dépense  extraordinaire  d'environ  six 
milie  livres  ,  dont  j'ai  été  foncé  de  grever  le  trésor 
par  la  nécessité  de  payer  au  poids  de  l'or  Jes 
moyens  de  sauver  ma  correspondance  des  mains 
de  ceux  qui  1  épioient ,  et  de  procurer  à  des  mal- 
heureux ,  privés  de  toute  ressource  ,  de  quoi  échap- 
per a  l'horreur  des  premiers  besoins.  Je  me  suis 
donc  arrêté  à  une  mesure  générale ,  et  j'aladcessé 
aux  corps  administra  ifs  ,  à  tontes  les  municipa- 
lités ,  à  tous  les  nabitans  des  provinces  de  1  Ouest 
et  iu  Sud,  une  proclamation  pour  les  inviter  à 
suspendre  toute  ho  tilt  té. 

Que  pouvois-je  faire  encore  ,  au  milieti  d'un 
chaos  qui  se  couvroit  chaque  jour  de  iênèh  es 
plus  épaisses  ?  Aucune  des  autorités  connues  dans 

la 


(65) 

la  colonie  ,  ne  vouloit  me  prêter  les  secours  né- 
cessaires pour  remédier  à  tant  de  maux  3  toutes 
paroissoient  vouloir  agir  dans  un  sens  opposé. 
L'Assemblée  coloniale  secondoit  les  desseins  de 
l'Assemblée  provinciale  de  l'Ouest ,  et  de  la  muni- 
cipalité du  Port-au-Prince  ,  ou  plutôt  montroit 
ouvertement  ses  vues  et  le  but  qu'elle  comptoit 
frapper. 

Une  lutte  plus  longtemps  continuée  .  n'eut  fait 
qu'accroître  des  désastres  auxquels  il  falloit  re- 
médier promptement. 

A  ces  causes  s'en  réunissaient  encore  ,  dont  on? 
ne  pouvoic  accuser  qu'une  sorte  de  i'ataliré.  Les 
secours  envoyés  par  les  ordres  de  l'Assemblée 
nationale  et  du  Pv.oi ,  avolent  été  retardés  par  des 
traversées  dont  la  longueur  étoit  presque  un  phé- 
nomène, puisque  plusieurs  bàlimcns  ont  été  80  et 
90  jours  dans  le  trajet.  Mais,  quoiqu'arrivés  tardi- 
vement et  par  parcelles  ,  ils  auroient  pu  encore 
assurer  le  succès  de  ma  mission  ,  s'ils  11' 1  voient 
été  distribués  d'une  manière  qui  me  démontroit 
que  ce  succès  étoit  compté  pour  rien  dans  la  répar- 
tition qu'on- en  a  faite. 

Les  idées  les  plus  exagérées  se  manifesi oient  de 
toutes  parts  j  l'arrivée  des  troupes  raniraoit  d| 
pérances  contraires,  parce  que  chaque  parti  comp- 
tait se  les  attacher.  Les  hommes  de  couleur ,  que 
dans  l'origine  les  concessions  les  plus  simples  au- 
froient  satisfaits  ,  dont  l'exécution  du  décret  du  i5 
mai  auroit  surpassé  l'attente  ,  ne  prenoient  plus, 
idepuis  la  circulation  de  certains  écrits  répandus 
Tdans  la  colonie  ,  et  les  vexations  qu'ils  ont  éprou- 
vées ,  d'autres  termes  pour  leurs  désirs,  que  celui 
ioù  ils  n'en  auroient  plus  à  former  5  et  la  haine  do 
;eux  qui  ont  juré  leur  perte  ,  s'en  irritoft  encore. 

L 


(66) 
Les  esclaves  ,  profitant  de  ces  dissentions  ,  ajou- 
tèrent  encore  des  traits  sinistres  à  cet  ensemble 
effrayant.  Il  existait  cependant  par-tout,  et  dans 
toutes  les  classes,  des  hommes  modérés ,  amis  de 
la  paix  ,  chérissant  la  patrie  avec  enthousiasme  , 
combattant   même   avec   courage   les  résolutions 
dangereuses  des  corps  constitués  ;  mais  une  majo- 
rité furieuse  rendoit  tous  leurs  efforts  impaissans  : 
ainsi  la  souveraineté  nationale  outragée  ,  les  lois 
méconnues  ,   l'humanité  souffrante  ;  en  un  mot , 
l'intérêt  de  la  colonie  ,  et  celui  de  la  France  en- 
tière, qui  en  est  inséparable  -,  tout  m'a  semblé  invo- 
quer le  secours  de  la  justice  delaNationau  milieu 
de  tant  de  calamités  et  de  désastres  ;  j'ai  cru  enten- 
dre la   voix  impérieuse  du  devoir  ,    me  crier  de 
quitter  Saint-Domingue,  pour  venir  mettre  sous  les 
yeux  du  roi  et  de  l'Assemblée  nationale, le  tableau 
déchirant,  mais  fidèle,  des  évènemens  qui  se  sont 
passés  dans  les  provinces  de  cetteColonie,où  j'avois 
été  spécialement  chargé  de  travailler  au  rétablisse- 
ment de  l'ordre  ;  pour  présenter  les  alarmes  que 
ces  évènemens  inspirent  pour  l'avenir,  et  appeler 
encore  une  fois  sur  une  partie  de  l'empire  français, 
arrosée  d(  puis  plus  de  neuf  mois  et  de  pleurs  e% 
de  sang,  la  sollicitude  du  corps  législatif  et  celle 
du  roi. 

Fait  à  Paris  ,  ce  2  juin  1792.  Saint-Léger.