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Full text of "Considérations sur les droits par lesquels la nature a reiglé les mariages"

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-^îÉiMf 


Ma 


BIBLIOTHfCA 


'-.v-;v     TT^,,.  ■■ 


^.    M  i 


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Y' 


l    4']'-'      : 


CONSIDERATIONS 

LES  DROITS 

PARLESQVELS 

LA  NATVRE  A  REI- 

G  L  E'    LES 

MARIAGES 

Vil  M  or  SE   AMTB,AtrT. 


A     S  A  y  M  F  K, 

Chés  ISAAC   DESBORDES, 

Imprimeur  &  Libraire. 

^M.  DC.  XLVIIL 

UICI  lOTWCrA 


U-cf\^ 


A   MONSEIGNEVR  ' 

LE    G  O  V  X; 

SEIGNEVR  DE 

LA    BERCHERE,&c. 

Premier  Presidentav- 
Parlement  de  Grenoble. 


ONSEIGNEFR, 


%>4yantily  d  dcf-ja  long-temps, 
cvn  grand  dejir  de  donner  quelque  têmn- 
gnage  au  public  ^  tant  de  ï'eflime  extra- 
ordinaire  que  te  fais  de^ojlre  excellente 
yertu^cpie  durejjentiment  queidjdc 


a2. 


E  P  I  s  T  R  E 

thomeurde  voflrc  bonne  "volonté  enutù 
ptoy^ilafallHouei'ydyc  apporté  plus 
de  ctrconJpeÛïon  au  "vn  autre  n^eufiefié 
oblige  défaire.  Si  d'n^n  ccflêy  M  o  N- 
s  E I G  N.E V  R ,  ie  "VOUS  eujfe  offert 
"vn  hure  plein  de  ces  controuerjes  qui 
nousfeparent  en  la  Religion j  autant  que 
çeufl  eflê  ojn  prejent  dign  e  de  ma  condi- 
tion y  autant  peut  eflre  l'cufl  on  iugemal 
conucnahle  a  laprofejjion  que /vous  fai^ 
tes.  Si  de  lautre  i  eujfe  choifi  quelque 
matière  de  cette  Jurijprudence^  qui  con- 
fifle  en  ladecifion  des  Loixy  ou  dans  It 
droiéi  eflahlipar  les  Couftumes  ^ par 
les  Ordonnances jcomme  on  ny  euflrien 
trouuê  a  redire  eu  égard  a  la  qualité  que 
"VOUS  portés  Je  ne  doute aujf  nullement 
que  la  plus-part  ne  l'eujfentpas  eflimee 
également  feante  a  la  mienne.  Enfin^ 
MONSEI  G  l^E'VKyfitcuJfe  taf 
ché  de  traitter  quelque  fuj et  tiré  de  U 
Philo fophie  ou  des  mies  lettres  j  parce 


Dedicatoîre. 

^ue  ce  font  chofesqui  ne  je  font f  oint  de  ^ 
cUrêes  pour  l'vne  ny  pour  l'autre  desR^e* 
tiglons  y  ^  aue  d  ailleurs  elles  font  indtf^ 
ferentmentbien  'venues  dans  nos  eflu^ 
des  j  (^  dans  'vos  Palais  ^  leujfcàla 
lierité  moins  eu  de  peine  à  excufer  le 
deffein  de  le  vous  dédier. Mais  ie  ncfçay 
fi  ceufl  ejlévne  chofè  agréable  a  lagra- 
deur  de  ^ojlre  génie  ^  que  ïay  connu 
fort  êlcué  au  dejfus  de  ces  ouurages  qui 
n'ont  pour  matière  que  des  mots  ^  ou  af 
fc^fortable  à  monaagef0  a  mon  in^ 
clination  ,  qui  déformais  nes'ajufleplus 
âuec  les  fubtilités  ç^  les  gentille jf es  de 
L'Efcole.     Ce  hure  que  i'ofè'vouspre^ 
yewffr,  MoNSElGNEVR  >  éuitera 
tous  ces  inconueniens.  Car  tant  s' en  faut 
me  ie  m*y  fois  propofê  d'y  faire  des  re^ 
marque  s  y  ou  d'y  donner  des  reigles  fur  ce 
mi  eflde  l' élégance  du  langage^  en  quel- 
que idiome  que  ce  fit  ^  que  ie  n'y  ay  eu 
mtrefoinfinonde  me  faire  entendre  en 

a  5 


Epistre 

mu  langue  naturellcyjkns  aflreindremon 
fiile  aux  loix  de  t éloquence  de  ce  temfs. 
Sts'ily  a  quelque  choje  delà  Philofo^ 
fhie  mejlê  Je  ne  crois  pas  qtiily  ait  fer- 
fonne  qui  s'y  entende  ^  qui  nappercoiue 
aifcment  que  t'y  ay  fui  tant  que  tay 
peu  cette  j-a,çonJcoldJ}ique,  qui  fubtilife 
trop  les  chojeSjOuqui  berijje  d' épines  les 
objets  de  la  raijon,  ^t^fantaufujet  du 
liure  en  gênerai ,  i'aduoue  qu'il  eji  en 
partie  de  Théologie ,  en  partie  de  lurif- 
prudencCj  dont  il  pourrait  fembler  que 
l  njne  excède  beaucoup  ma  portée  ^  f0 
que  l'autre  effort  différente  des  occupa- 
tions ordinaires  d'^un  perfoîinage  qui 
tient  de  père  en  fils  la  première  place  dans 
■vn  Parlement.  Adais  ny  en  l'vne  ny  en 
l'autre ie  ne puije  rien  d  ailleurs  que  des 
Jvurccsde  la  nature  mui  efl  commune  a 
tout  le  monde  ^(^  qui  n c  fert pas  moins 
de  haie  aux  reuelatwns  des  ^pojires, 
çpuaux  rcfponjcs  des  Sages  :,  c3r  aux'' 


O   *    I  C  A  t  O  r  k  eJ 

Ediflsdes  Prêteurs, Et  comme  poHvf étire 
le  lurïjconjulte ,  ainfiquc  ic  l'ayfait  en 
ce  liure,  il  nef  (tut  me  confiderervn  peu 
Joigneujcment  les  chofes  y^vjcr  rai- 
fonnablement  de  (on  e jf rit  :,  four iuger 
des  matières  de  Théologie  aue  ïy  traittc^ 
il  ne  faut  au  y  porter  attentiuementja 
fenjec  ,  (^  y  employer fon  bon  Cens* 
èh^nt  à 'VOUS  ,MONSEIGNEVR,' 
tout  le  monde  fcMt  que  fi  vous  prcnés  la 
peine  de  lire  ce  petit  ouurage  ^ponr  en 
examiner  les  fentimens  ^  njousy  appor- 
ter  es  vnc  intelligence fiib  lime  f0  ÇotiHC- 
rainement  èpuree  ^  oui  donne  toufiours 
des  y^rrefls^à  quelque  choje  que  vous  U 
vieillies  appliquer.  Pour  moy. ,  fi  celuy 
que  -vous  en prononcerês  y  m'cjlfauom- 
ble  3  ie  ne  crains  pas  le  iugement  que  les 
autres   feront   de  la.  mienne  ^^  con- 
•fentiray  volontiers  quelle  demeure fatifi 
faite  de  fc s  propres produÛions,  Cenefl 
f^  (cuiement  fiir  les  fleurs  de  lis  que 


A  a. 


ï  P  I  s  T  R  Ç 

'VOUS  rendes  des  deci/ions Jî equitMes] 
au  elles  ne peuuentr  eflre  contredites  par 
ceux  me  [mes  me  'vous  condamnes.  Par 
tout  ailleurs  il paroijl  tant  de  lumière  ^ 
de  iuflice  en  njos  opinions  j,  que  ce  que 
VOUS'  aués  eflime  digne  de  njojlre  appro^ 
hation ,  doit  auoir  celle  de  tous  les  hom- 
mes. Adais  quelque  dejlin  qu'ait  mon 
trauail ^  tefpere ,MoNsEIGNEVR, 
que  vous  me  feres  la  faueur  d'y  conjt- 
aérer  laffcBion  ^  la  reucrencc  auec 
laquelle  ic.  le  "vous  offre,  VajfeÛion  a. 
pour  motif  la  fouuenance  des  obligations 
queie  "VOUS  ay.  La  reucrence^naijf  a  la 
"Vérité  de  la  conjidcration  de  vofire  di- 
gnité y  que  nous  deuons  refpeclercom'' 
me  "vn  caraÛere  uiuant  de  lapuijjancc 
Royale.  Mais  ie  confejje ,  M  o  N  s  B  l- 
GK  EVR  ,  quelle  ne  tire  pas  moins  fon 
origine  de  la  connoijjance  que  lay  de 
voflrc  'Vertu  j,  qui  nia  toufiours  en  cela 
paru  au  dejfus  de  njofire  dignité  y  quelk 


Dedicatoire^ 
éi  eclané  extraordinaircment  d.tns  l'ob- 
fcm-ctjfement  de  l'autre.  Il  cflfcm  eftre 
plus  heureux  de  ne  foujfrir  iamais  d'e- 
clipfc  en  la  fplendcur  de  ja  condition; 
mais  il  ejl  indubitablement  plus  glorieux 
d'y  en  auoir  foujfert  quelque  tempSy 
quand  parla  grandeur  de  (on  courage 
on  s  ejl  maintenu  au  deffus  du  choq  de  ce 
quon  nomme  la  fortune.  Et  îay  touf- 
jours  creu  que  les  accidens  de  la  nature 
de  ceux  qui  vous  font  arriués  jjont  com- 
me des  ombres  ,  qui  releuentle  lujlre  des 
vertus  dont  l'Hifloire  des  grands  hom  • 
mes  ejï colorée.  Si  nous  auions  accouflu- 
Wf  j  MoNSEIGNEVRj  de  publier 
quijoyit  eeux  a  qui  nous  voulons  offrir 
nos  labeurs  ^  auant  quon  y  voyc  leurs 
noi?is  imprimes  /le  'ne  parlerais  pas  icy 
de  mon  chef  feulement  y  toute  la  ville  de 
Saumur  aurait  vne  grande  part  en  cet- 
te lettre.  Car  comme  vous  y  aues  laijje 
vne  infinité  de  traces  de  vojlre  bontés 


Epistre 

on  y  confèmc  aujjînjn  meruc>licupmenp 
doux  jouucnir  de  t honneur  de  "Vbtjlre 
cvnncijjancc.  Et  bien  que  le  rétoihLjTe- 
mcni  qui  uotis  a  rendu  la  place  que  njous 
occupés Jï digncmety  ait  mis prejque  tou- 
te la  France  entre  njous  CjT*  nous  :,jt  ejt~ 
ce  que  des  honncjles  gens  quijonticy^ 
^  que  vous  fçaués  eftre  en  bon  nombre^ 
îl n'y  en  a  aucun  qutncvous  aitprefent  , 
en  Jon  cœur  ^  &  qui  ne  ramené  conti- 
nuellemc/itla  douceur  de  vojlre  conuer- 
fation  en  (a  mémoire.  En  cff^cél  ^  on  m 
fçauroit  ajjés  admirer auec  quel  tempé- 
rament "VOUS  y  méfiés  la  courteïfie  (^ 
la  grauité  ^  dent  hvne  retient  dans  le 
relpePc  qui  efl  dcu  a  njos  eminentes  qua- 
lirés  y  l'autre  laignc  p puiffamment  les 
'affeéîions  ^  qu'on  s  en  troHue  inconti- 
nent lié  :,  comme  d'-vnc  cfpece  de  char- 
me. Pourmoy,  M  O  N  s  E I G  N  E  V  R,  ic 
conte  foumnt  entre  les  princïpiau^  bon- 
'  heurs  de  md  vie  ^  la  grâce  que  vous  m'a.- 


Ded  I  cÂtÔir  e; 

fies  faite  de  me  receuoir  a  "vojlre- com- 
munication _,  OH  ïay  ojcu  les  lumières 
naturelles  de  te  [prit  j  les  ornemens  ac- 
quis dujcauoir  y  les  vertus  intcllcfrueU 
les  j  les  belles  malités morales  j  larare 
jiijjifance  en  toutes  cbojcs  j  aucc  vne  elo- 
cjucfice  graue  f0  dizncde'vojlrerangy 
difputcr  le  prix  de  t  excellence  ,  (^don- 
ner enraiement  njne  finzulicrc  admira- 
tion.  'Aiais  ie  crains  au  cjj aj/ant  de 
'Z'ous  rendre  vne  Partie  de  la  loïianie 
cjae  ton  doit  a  'vos  njertus  ^  ie  n'en  of- 
fenfe  njne  mi  leur  donne  a  toutes  vn 
mcrueiReux  emhelhffcment.  C'ejl  celle, 
M  O  N  s  E I G  N  E  V  R ,  ^/«  «(?  ffjtiffrant 
pas  volontiers  mon  s'eflende  bien  an 
long  jiir  la  recommandation  des  au  - 
très  3  êuite  tant  au  elle  peut  mon  faffe 
mention  d'elle ,  cy  qu'on  la  nomme  par 
fin  nom.  D-e  forte  qu'au  lieu  que  dans 
lesintcrcflsd'autruy  ^  çy  par  tout  ou  il 
faut  rendre  a  chacun  ce  quib-ty  appdr- 


Ep  I  s  T  R  ,E 

tient ^njous  monftrês  "vn fi  h ei exemple 
d'vnemflice  inuariMe^  quand  il  s'agit 
de  njom  me  fine  j  ^dela  gloire  de  voflre 
nom  j  cette  vertu  qui  nousimpofefilcn- 
ce  y  engage  noftre  oheïfiance  dans  vnç 
ejf>ece  d'iniquité.  Ad ais puis  qu  elle  njouê 
efl  agréable  ^  il  faut  quelle Jeit  ouloUa- 
ble  3  ou  innocente  y  ç^  ainfi  jfians  en 
craindre  blafme  de  ferfonne ,  ie  la  com- 
mettray  en  me  taifant,  le  nadjoufieray 
donc  rien  a  cette  lettre  y  finon  que  iefuis 
nseritablementj^ 


monseignevr; 


Voftrc  trcs-humbk  àc  trcs*^ 
abcïflant  feruiteur^ 
AMYRAVX 

De  Saiïftim"  «îc  ij.  Aouft^ 


TABLE     DES    C  O  N^ 

SIDERA  TlON  s. 

CONSIDERATION  L 

^ue  c'ejl  que  Droit  de  nature,     Pag,  i. 

CONSIDERATION  II. 

Si  le  mariage  ejl  du  droit  de  nature, 
Pag.  73, 

CONSIDERATION  III. 

Sï  le  mariage  dt'vnauec  njne  „  efidu 
droit  de  nature.  P^g»  ^59' 

CONSIDERATION  IV. 

Si  four  rendre  le  mariage  légitime^  le 
droit  de  nature  veut  que  l'objet  [oit 
choifthorsde  U  confanguinité  O"  i$ 


TABLE. 

lU^nïié.  Pag.  107^ 

CONSÎDERATION  V. 

lufques  ou  la  nature  a  eJlcnduU  con- 
fanguinïté  ^  l'a^nitépour  empcf- 
cher  les  mariages,  Pag.zSy. 

CONSIDERATION  VI. 

Sùly  a  des  degrés  de  confanguinitê  & 
d'afjinite  dont  on  fuiffe  dijpenjèrj 
C^  a  qui  la  dijpcnjation  en  ap-^ 
partient,  Pag.  3^7. 


Fin  de  la  Table. 


ADVERTISSEMENT. 

QVifera  tant  foit  peu  ds  réflexion  Tur  la 
corruption  du  ficelé ,  ne  trouuera  nulle- 
ment étrange  que  Ton  écriue  des  liures  de  la 
nature  de  cèluy-cy.  La  débauche  ne  s'eft  pas 
arrcftéedansla  Conuoicife,  &  ne  s'eft  pas  con- 
tentéed'infcder  les  meurs  i  elle  a  faifi  iufqucs 
àTincelligence  des  hommes  ,  Se  peruerti  les 
plus  intimes  Se  les  plus  fpirituels  de  leurs  fen- 
timcns.  De  forte  qu'au  lieu  qu'autrefois  après 
auoir  commis  le  péché  en  cachette,  au  moins 
on  le  condamnoit  en  public  ,  aujourd'huyle 
vice  monte  deifus  le  théâtre,  &ofe  s'égaler  ou 
fe  préférer  à  la  vertu.  Car  en  difant  que  toutes 
chofes  font  indifférentes  de  leur  nature ,  Se  que 
iadiftindlionqu  onymet,  n'eft  qu'vne  niaife 
couftume  des  peuples,  ou  vne  fine  inuentioii 
des  Legifiateurs ,  il  ne  laiilc  à  la  vertu  aucun 
véritable  auantage  en  fa  beauté  naturell  e ,  pen- 
dant que  quât  à  lui  il  fe  prenant  de  ceiuy  qu'il  a 
dans  le  déreiglement  de  no&*S||>petits.  C'eft 
pourquoy  il  eft  necelfaire  d'examiner  bien  par- 
Jticulieremét  de  qu'elles  différences  le  droit  na- 
turel des  chofes  les  a  feparées,&:  pour  rendre 
l^YÏedes  henvnçs  djlfemblabls  de  celle  des^be». 


ftes ,  tafchei-  de  leur  faire  comprendre  qu  autf  0 
eft  l'inclination  de  la  fenfualicé ,  &  autre  le  iu-, 
gement  de  laRaifon.Ie  voudrois  que  les  beauît 
efprits  dont  nous  voyons  tant  de  productions 
beaucoup  moins  vtiles  en  ce  temps  ,  y  em- 
ployalîent  leurs  bonnes  heures  ,  &  qu'ils  ne 
iaillaflent  pas  ces  matières  à  ceux  qui  ont  leurs 
demeures  attachées  dans  les  Prouinces,ou  s'ils 
ont  quelques  bonnes  penfées ,  ils  ont  de  la  pei- 
ne à  les  énoncer.  Puis  qu'ils  ne  le  font  pas ,  ils 
doiuent  prendre  nos  efforts  en  bonne  part,  ôc 
cKcuIer  il  noftrc  langage  n'eft  pas  dans  la  iuftef' 
fe  de  leur  éloquence.  le  fupplie  le  Ledteur, 
de  fupporter  1  e  mien ,  &  de  corriger  les  princi- 
pales fautes  de  l'Imprimeur,  fuiuant  l'Errata 
qu'il  en  trouuera  à  la  fin  de  ce  liure.  Les  autres 
fe  corrigeront  allés  d'elles  mefmes,  s'il  y  vfc 
de  fon  équité. 


POrR   .APPROBATION. 

CE  liure  a  efté  veu  &:approuué 
par  <|faix  qui  en  auoyent  le 
droit.  Les  tefmoignages  en  font  Cliq- 
ue les  mains  de  l'Auteur. 


CONSIDERATIONS 

SVR  LES  DROITS 

PAR    LESQVELS   LA 

NàTVRE  a   REGLE    LES 

MARIAGES. 


CONSIDERATION     L 
P//e  cefl  que  Droit  de  Nature, 

E  que  Toil  nomme  commua 
ncment  du  nom  de  Droit, 
eftlareglcdelaiufticc  &dô 
l'honncftcté  qui  eft  dans  les  adions 
des  hommes.  Or  n'y  a  t'il  que  trois 
principes  à  qui  on  puifle  rapporter 

A 


%        Des  Droits  des  J^driAges 
Torigine  de  rétablifletnent  de  ce 
Droit,  &  de  l'irittitution  de  ces  rè- 
gles. Le  premier  efl:Dieu,qui  décla- 
re en  fa  Parole  ce  qui  eft  de  fa  vo- 
lonté. Le  fécond  elirhom me,  qui 
entreprend  de  faire  les  loixqu'ilefti- 
me  ncceffaires  pour  le  gouucrne- 
ment  &  la  conferuatio  delafocietc. 
Le  troifieme  finalement  eft  la  natu- 
re des  cliofes ,  qui  nous  fournit  d'el- 
le-mefme  les  enfeignemensde  lafa- 
çpn  en  laquelle  nous  deuonsagir  ,à 
ce  que  nos  a6bions  foyent  réputées 
bonnes  &  honneftes.     Quant  à 
ce  qui  eft  du  Droit  duquel  Dieu 
nous  a  donné  les  conftitutions  en 
fa  parole ,  ceux  qui  la  reconnoiflent 
pour  eftre  d'origine  celefte,commc 
font  tous  ceux  qui  font  véritable- 
ment Chreftiens  ,  n'ont  pas  beau- 
coup befoin  d'autres  inftrudions 
cncétégard.  Pour  ce  qui  eft  de  ce- 


Confderation  première,  3 

luy  que  les  hommes  eftabliflenc 
cux-mcfmes  pour  rentretenement 
de  leurfocietè  ,  comme  chaque  ré- 
publique en  di(po(e  par  fès  loix, 
chaque  honnefte  homme  s'y  affu- 
iettitaufli  volontairement ,  fans  fe 
beaucoup  enquérir  de  la  iuftice  de 
la  chofeen  elle  mefme.  Mais  quant 
à  ce  qui  eft  de  celuy  de  la  nature^ily 
a  des  gens  qui  n'en  reconnoiflent 
du  tout  point,  ôc  qui  veulent  que 
toutes  chofes  foient  indifférentes  & 
indéterminées  d  clles-mefmcs  ,  de 
forte  qu'il  n'y  ait  point  de  différen- 
ce entre  le  vice  &:  la  vertu  ,  finon 
celle  que  l'imagination  des  hommes 
y  a  mife.  Chofe  qui  mérite  bien 
qu'on  l'examine  diligemment ,  & 
qui  peut  beaucoup  feruir  à  Tefta- 
bliffement  &  à  reclarciffcment  de 
la  religion  mefme. 

Pour  le  faire,  il  me  femble  qu'il 

A   t 


4  Des  Droits  des  ^J^arlages 
cft  neceflaire  de  voirfî  rhomme  eft 
naturellement  deftiné  à  quelque 
fin  ,  &  fî  pour  y  paruenir  la  nature 
luy  a  donné  les  facultés  lefquelles 
y  font  necefTaires.Car  s'il  eft  deftiné 
àvnefin  qui  foit  certaine  &  déter- 
minée^ &  fi  la  nature  Ta  doiié  des 
puiflancesneceffairespoury  parue- 
nir, d'autant  qu'il  n'y  peut  parue- 
nir autrement  que  par  les  opéra- 
tions de  ces  facultés  ,  il  faudra  ne- 
cefTairement  que  ces  opérations 
aycnt  des  règles  certaines  &  déter- 
minées de  mefmes.  Ainfi  de  la  con- 
noiffance de  noftre fin,  refultera  la 
connoiflance  des  Droits  qui  doi- 
uent  régler  les  opérations  de  nos 
puilîances.  Qui  que  ce  foit  qui  ait 
formé  le  monde  ,  (car  nous  com- 
mençons à  raifonner  contre  ceux 
qui  doutent  s'il  a  efté  créé  de  la  main 
de  Dieu  J  il  appert  manifeftement 


l 


Conjideration  première,  5 

que  toutes  les  parties  en  ont  efté  de- 
ftinées  a  de  certaines  fins.  Car  les 
corps  fimples,  comme  les  Elemens, 
ont  des  qualités  fi  propres  a  fc  méf- 
ier les  vncs  aucc  les  autres ,  qu'on  ne 
peut  pas  douter  qu'ils  ne  foyent 
deftincsexpreiTément  à  la  produ- 
ction de  ceux  qui  font  compofés* 
Entre  les  compofés  il  cft  clair,  pour 
ne  parler  point  maintenant  des  au- 
tres ,  que  les  plantes  font  ordonnées 
pour  i'vfage  des  animaux.  Tant  de 
qualités  &  medecinales  ,&  princi- 
palement alimenteufes,  ne  leur  ont 
point  efté  données  pour  néant.  Et 
comme  ainfi  foit  qu'en  vne  plante 
toutes  les  parties  cofpirent  à  la  pro- 
duction de  fon  fruit,&ne  femblent 
eftre  faites  que  pour  cette  fin  ,  ôc 
que  le  fruit  ait  ordinairement  deux 
chofes^rvnc  eft  la  qualité  alimen- 
tcufej&rautrcle  gcrmepropre  pour 

A  I 


6  *Des  TDroits  des  JidarUges 
la  génération  d'vnc  autre  planrc 
quiluyferarcmblable,&  qui  pro- 
duira aufli  puis  après  des  fruits  de 
mefme  condition  ,  il  eft  hors  de 
doute  que  la  nature  a  eu  pour  but  en 
cette  forte  d'ouurage,&  la  nourri- 
ture des  animaux  prefens ,  &  Ten- 
trenement  de  ceux  qui  font  à  venir, 
afin  d'en  perpétuer  ainfi  les  efpeces. 
Pour  ce  qui  eft  des  animaux,  on  ne 
peut  douter  que  ceux  qui  font  de- 
ftituésdelarai(bn,neferuentàccux 
que  la  nature  en  a  pourueus.  Car 
nous  vfons  des  cheuauXj&des  mu- 
letSj&des  bœufs^à:  généralement 
prefque  de  toutes  les  autres  beftes, 
pour  les  neceflîtés  &  les  commodi- 
tés, &  mefmes  pour  les  voluptés  & 
les  contentemens  de  cette  vie.  Et 
que  les  vfages  que  nous  en  tirons 
foyent  conuenables  au  defl'cin  de 
îa nature  ,c'eft  chofc  trcs-éuidente 


Confderation  première.  j 

principalement  par  deux  raifons. 
La  première  cft  que  les  belles  onc  en 
la  ftrudturc  de  leurs  corps,&  en  tout 
l'ordre  de  leurs  facultés  6c  de  leurs 
parties,  des  marques  indubitables 
qu  elles  onteftc  faites  pour  cela. Car 
le  dos  des  cheuaux  eil  fî  iuftement 
fait  pour  porter  les  hommes  ^  que 
vous  dirics,  tant  ils  s'ajuftentbien 
cnfemble  ,   qu'ils  ne   compofent 
qu  vn  mefme  animal  ;  d  où  eft ,  ce 
femble  ,  venue  l'imagination  Ôc  la 
fable  des  Centaures.  Et  la  force  & 
patience  des  bœufs ,  monftre  que  la 
nature  les  a  deftinés  au  trauail.  Se 
particulièrement  à  tirer  ,  foitpour 
le  tranfport  des  grands  fardeaux, 
foit  pour  la  culture  de  la  terre.  Ec 
quand  nous  ne  regarderions  à  autre 
chofc  qu'à  la  corne  des  pi^ds  de  ces 
deux  fortes  d'animauxj&  la  manière 
en  laquelle  fgrtanc  &  s'engendranc 

A    4 


8  *Dcs  Droits  des<JMdnagcs 
de  rextremité  des  parties  qui  font 
merueiileufemêtfenfibles^ellcabou 
ûc  pourtant  &  fe  termine  ai  mfen- 
fibilité  ,  iufquesà  ettrc  capable  de 
receuoir  les  doux  àc  les  fers ,  afin 
d'eftre  d'vnc  plus  ferme  &  plus  du- 
rable defenfe^nous  en  iugerions  in- 
continent, fi  nous  ne  voulons  eftre 
aueugles,cjue  lanature, quelle  qu'elle 
foit ,  auoit  deftiné  ces  animaux  aux 
vfages  aufquels  nous  les  employons. 
Car  fi  elle  n'eufl:  eu  efgard  qu  a  eux, 
les  pieds  de  tant  d'autres  animaux 
qui  ne  font  pas  formés  pour  nous 
fcruir  comme  ceux-là,  nous  mon- 
trent affés  qu'il  n'eftoit  pasbefoin 
qu'ils  en  enflent  la  plante  fi  dure, 
L'autre  raifoneft,  que  cette  intelli- 
gence &  cefte  induftrie  que  la  na- 
ture nous  a  donnée  par  deflus  les  au- 
tres animaux  ,  paroift  manifefte- 
ment  faite  en  leur  égard  pour  Içs 


Confidcration  première,  <> 

gouuerner  &  leur  commander.  Vcu 
que  nonobftanc  leur  grande  force 
&  leur  grande  férocité ,  il  fe  trouue 
en  eux  vne  certaine  docilité  5  qui  les 
rend  capables  de  nos  commande- 
mens ,  de  forte  que  ne  pouuans  eux 
mcfmes  régler  leurs  mouuemens, 
ils  permettent  neantmoins  que 
nous  les  reglions^ô^  que  d'erratiques 
&  vagabonds  qu  ils  feroyent  autre- 
ment,  nous  les  reduifions  à  quelque 
ordre  ^  à  quelque  forme  qui  leur 
conuient  mieux,  cette  docilité  qui 
d'vn  cofté  eft  en  eux,  &  celle  indu- 
ftrie  de  la  régler  &  de  la  former  qui 
eft  en  nous  de  l'autre  ,  ne  peuuent 
cftre  ainfiajuftées  par  la  rencontre 
du  hazard^  &  faut  neceflairement 
qu'il  y  ait  du  deflein  de  la  nature. 
Toute  fubordination  fi  bien  agen- 
cée ,  &  qui  produit  de  fi  beaux  ef- 
fcts,&ficonftans,pourlacompo- 


y 


I o  Ves  Droits  des  Mariages 
fkion  de  chofes  extrêmement  diffé- 
rentes en  la  conftitution  de  leur 
cfi:re,cfl:  vn argument  indubitable 
de  Toperation  d  vne  intelligence, 
qui  vife  à  quelque  raifonnable  fin. 

Refte  donc  l'homme ,  que  deux 
chofes  entre  les  autres,demonftrent 
neceflaircment  auoir  efté  deftinc 
par  la  nature  à  quelque  but.  La  pre- 
mière efl:  que  fî  elle  s'eft  propofé 
quelque  but  en  la  production  de  Tes 
autres  ouurages,  il  n'y  ^  point  d'ap- 
parence de  raifon  qu'elle  ne  s'en 
foitdu  tout  point  propofé  encet- 
tuicy,  qui  efl:  fans  comparaifon  le 
plus  excellent  de  tous.  La  féconde, 
que  toutes  les  parties  defquelles 
l'homme  efl:  compofe,  ont  chacune 
leur  fin  particulière.  Et  quand  nous 
ne  regarderions  en  luy  aune  chofê 
que  la  main,  il  ne  leroit  point  be~ 
foin  d'cftrc  fi  fcauant  ni  fi  habik; 


Conjtdcration  première  ii 

que  Galicn  s'eft  monftré  en  la  def- 
cription  qu'il  en  a  faite  au  commen- 
cement du  hure  de  vjk  parttum^  pour 
reconnoiftre  que  s*ell  vn  admirable 
inftrument ,  exprefTément  dcftiné 
par  la  nature,pourferuir  par  fes fon- 
drions ôc  fes  mouuemens  aux  def- 
leins  &auxmtentions  de  la  raifoii. 
Or  faut  il  neceflairement  qu  vnc 
chofe ,  de  laquelle  chacune  des  par- 
ties eftcompofée  pour  vne  certaine 
&  cuidcnte  fin^foit  elle  mefmCj  con- 
fiderée  en  gênerai ,  deftinécà  quel- 
que but.  Car  1  intelligence  qui  fe  fe- 
ra déployée  en  la  formation  de  cha- 
cune des  parties  j  ne  fc  fera  pas  ou- 
bliée en  la  conftitution  du  tout^ 
Que  fi  quclqu  vn  vouloit  dire,  que 
l'homme  eftant  la  plus  excellente 
de  toutes  les  chofes  du  monde ,  eft 
auflî  par  confequent  la  dernière  de 
toutes  les  fins ,  à  laquelle  toutes  au- 


Il  DesD roits  des  Ma rUges 
très  cliofes  regardent  &  fe  termi- 
nent^  au  lieu  que  quant  à  elk^  elle  ne 
regarde  ni  ne  fc  rapporte  a  aucu- 
ne autre  fin ,  il  feroit  aifë  de  mon- 
ftrer  la  vanité  de  cette  penfée.  Pre- 
mièrement, ce  quinousafaitiuger 
que  les  autres  chofes  font  deftinécs 
à  certaines  fins  ,  eft  que  nous  les 
auonsveuës  douces  de  certaines  fa- 
cultés &  de  certaines  propriétés, 
dont  les  vfages  ne  fe  terminent  pas 
en  elles  mefmes  ,  mais  regardent 
quelque  chofe  qui  eft  au  dehors. 
Pource  que  comme  en  regardant 
la  conft  rudion  d  Vne  fcie,  &  la  figu- 
re de  fa  lame,  6c  la  difpofîtion  ainfi 
renuerfée  &alternatiuede  fes  dens, 
nous  voyons  bien  qu'elle  eft  faite 
pour  d'autres  chofes  que  pour  ce 
qui  la  concerne  elle  mefme  ;  ainfi 
en  regardant  dans  les  plantes  les 
qualités  alimenteufes  quelles  cm 


Conjtderation  première.  ij 
6c  donc  elles  ne  fe  ferucnt  point ,  & 
d^s,  les  animaux  des  formes  &  des 
mouucmcnsqui  ferucnt  ifànscom- 
paraifon  plus  à  nos  vfiges  qu  aux 
leurs,  nous  iugeons  de  rncfmes  que 
ccschofes  ont  leur  fin  hors  de  leur 
cftre  propre.  Or  voyons  nous  que 
l'homme  eft  ainfî  compofé.  Car 
pour  ne  parler  point  maintenant  de 
{es  fens,  qui  font  autant  de  feneftres 
ouuertes  en  dehors  pour  auoir  la 
connoiflance  des  choies  fenfibles 
qui  s  y  prefcntcnt  ,  cette  haute  & 
fublime  intelligence  dont  la  natu- 
re la  doué  5  ayant  des  fondions  dc 
des  o  perations  qui  paffent  bien  loin 
au  de  là  des  vfages  de  la  vie  prefente, 
paroift  manifellemét  formée  pour 
vacquer  à  la  contemplation  de  tou- 
tes forces  d'objets  tant  fenfibles 
qu'intelligibles.  Puis  après  ,  puis 
que  Ihommeeft  pourueu  d'vne  fi 


14  2)fj  Droits  des  AI aridges 

hautc&fi  capable  intelligence  ,  il 
faut  neceflairement  que  cette  na- 
ture ,  quelle  qu'elle  foit,  quiluya 
donne  fbn  eftre,  en  foit  douée  aufG. 
Et  pource  que  la  caufe,  en  telles  for- 
tes de  productions  ,  eft  toufiours 
plus  excellente  que  fon  efFe6t:,&  que 
pour  les  autres  ouurages  de  cette 
nature,  il  paroift  qu'il  y  a  en  elle 
vnc  intelligence  à  laquelle  toute  la 
capacité  &  toute  la  fublimitc  de  cel- 
le de  rhommenatteintpas,ilnya 
nulle  apparence  que  nous  eftimions 
l'homme  eftre  la  fin  de  toutes  les 
autres  chofes  qui  luy  font  inférieu- 
res, à  caufe  de  fon  excellence,  &  que 
neantmoins  nous  n'eftimions  pas 
queriioramemefme  ait  d'autre  fin 
hors  de  luy ,  puis  que  hors  de  luy  il  y 
a  quelque  autre  chofc  encor,laquel- 
leeft  incoparablemcnt  plus  excel- 
lente. Finalement,ce  qui  eft  la  fin  de 


Confderation  première,  ij 
toutes  autres  chofes  ôc  qui  n'a  point 
de  fin  lîors  de  foy,a  laquelle  il  fe  rap- 
porte^doit  élire  fouuerainemét  par- 
faiâ: ,  &  n'auoir  befoin  d'aucune 
autre  chofe  pour  fa  propre  félicité. 
Car  ce  qui  eft  la  fouueraine  fin  de 
toutes  cnofes ,  eft  aufli  leur  foiiue- 
lain  bien  ;  &  ce  qui  eft  le  fouuerain 
bien  de  toutes  chofes  doit  eftre 
fbn  propre  {buuerain  bien  à  luy 
mefme  ,  ôc  n'emprunter  point  fà 
félicité  d'ailleurs.  Il  en  eft  de  cela 
à  peu  près  comme  des  mouuemcns 
fouf  ordonnés  les  vns  aux  autres, 
où  on  monte  d Vn  mouucment  à 
Tautre ,  iufquesà  ce  qu'on  foit  venu 
à  vn  premier  moteur,  qui  quant  à 
luy  ne  fe  remue  point,  &  quiiouït 
d'vn  profond  repos  en  luy-  mefme. 
Or  eft  il  clair  par  l'expérience  que 
l'homme  n'cftpas  fon  propre  fou- 
uerain bien.  Il  l'eft  fipeu,quillc 


t  (j  i)cs  Droits  des  ^^Aridges 
cherche  par  tout  ailleurs  qu'en  luy 
mefme  ,  &  qu'il  ne  fçait  pas  bien 
certainement ,  fi  quelque  intelli- 
gence fouuerainc  ne  le  luyreucle, 
en  quoy  fon  fouucrain  biencon- 
fifte,&eft encore  après  a  Icchoifir 
entre  tant  de  diuerfcs  opinions  que 
les  Philofophes  ont  eues  fur  ce 
fujet. 

Eiftant  ainfi  pofc  que  Thomme 
a  vne  fin  hors  de  luy  mefinc  jà  la- 
quelle il  faut  qu'il  tendc^examinons 
vn  peu  en  quoy  elle  peut  confifter. 
Dans  les  chofes  artificielles,  ceft  de 
la  nature  de  la  fin  que  Touurier  tire 
les  règles  de  la  conftrudion  des 
chofes  lefquelles  y  tendent ,  &  par 
lefquelles  il  y  faut  paruenir.  Com- 
me s'il  faut  couper  quelque  chofe, 
l'ouurier,  pour  le  faire,  compofe  vn 
inftrument  tranchant.  Et  s'il  faut 
non  couper  proprement,  mais  fcier 

quelque 


Conjtâeration  premldre,  t-^ 
quelque  matière  dure,  qu  on  vueil- 
Icdiuiferfclon  certaines  lignes  feu- 
lement jlouurier  en  compofelm- 
ftrument  de  telle  forte ,  que  comme 
la  fin  a  requis  qu'il  fuft  ainfi  com- 
pofé ,  ainfi  Touuragc  mefme  dé- 
couure  quelle  eft  la  fin  à  laquelle  on 
le  deftine.  Partant  dans  les  chofes 
naturelles  qui  font  compoféesauec 
beaucoup  plus  d'intelligence  que 
ne  font  celles  de  l'art,  on  ne  fqauroic 
mieux  reconnoiftre  quelle  eft  leur 
fin  que  parleurs  opérations,  &par 
les  facultés  qui  leur  ont  eftc  don- 
néespour  les  faire.  Que  fi  on  y  re- 
marque diuerfes  facultés,  dont  dé- 
pendent diuerfes  opérations ,  on  en 
peut  recueillir  qu  elles  font  ordon- 
nées pour  diuerfes  fins,  mais  en  telle 
fac^on  pourtant  que  l'inégalité  des 
facultés ,  ôc  de  l'excellence  de  leurs 
opérations  ,  marque  d*entxe  cçô 

B 


i8  Des  Droits  dezS^driage 
fins  quelle  eft  la  plus  excellente  Ô^  la 
principale.  Quoy  que  comme  Ari- 
ftote  la  remarqué  ,  la  nature  a  eu 
cette  fagefle  de  deftiner  chacune 
choie  à  vne  feule  fin,  à  ce  qu'elle  y 
dêployaft  fes  opérations  auecplus 
de  vigueur  :  &  de  plus,  cette puif- 
fance  abondance  éc  fertihté  en  fes 
produdios^de  n'auoir  point  befoin 
d'employer  vne  mefmechofeàdi- 
uers  vfages.  Voyons  donc  quelles 
font  les  facultés  de  l'homme  & 
quelles  leurs  opérations.  L'homme, 
comme  il  paroit ,  eft  compofé  de 
deux  parties, l'vne  corporelle  &  vi- 
iible ,  qui  a  beaucoup  de  reffem" 
blanceà  celle  des  autres  animaux: 
l'autre  fpirituelle&  inuifible^quiTe- 
Icue  par  la  faculté  de  raifonner  au 
deffus  de  toutes  les  autres  chofes  du 
monde.  Or  ell  il  bien  vray  que  cette 
partie  corporelle  a   fes  facultés^ 


Confîderafion  frcmîerél  ty 

dont  chacune  a  fes  fon6tions.  Les 
vncsdeilinéesau  mouuement ,  les 
autres  au  fentiment,  &  s'il  y  a  enco- 
re quelque  autre  chofe  decette  na- 
ture Maisileft  indubitable  que  ce 
n'eft  pas  de  là  proprement  ,  qu'il 
faut  tirer  connoiflance  de  fa  fin. 
Premièrement,  parce  que,quelle  eft 
la  nature  du  fujet,  telle  ^  auffi  Tex- 
ccUence  de  fes  facultés,  &  des  opé- 
rations qui  en  dépendent.  Il  faut 
donc  que  puis  que  cette  partie  fpiri- 
tuelle  qui  entre  en  la  compofition 
de  Qoltre  eflre,  eft  infiniment  plus 
parfaite  &  plus  excellente  que  l'au- 
tre, fes  facultés  foyent  plus  excel^' 
lentes  aufli,  &,plus  excellentes  pa- 
reillement les  opérations  qui  en 
procèdent.  Puisapres^pourcequc 
ce  corps  auec  toutes  les  puiffanccs 
f^ui  raccompagnent,  eft  bien  vnei 
pajrtieeiTentielle  denoftrecftreàU 


2.0  Des  Droits  des  À^afiage 

vérité, mais  ncantmoins  ,  c'eft  en 
telle  fa^on  quil  cft  fous-ordonncc 
à  refprit ,  comme  ce  qui  fert,  a  ce 
quieftferuij&ce  qui  obéît  a  ce  qui 
commande  ;  en  cette  comparaifon 
lefprit  fcmble  aucunement  tenir 
lieu  de  fin  a  l'égard  du  corps  ,  &  le 
corps  tenir  lieu  de  chofe  laquelle/ 
cft:  deftinée.  Il  faut  donc  venir  à  la 
confideration  des  fa  cultes  de  Tame. 
Or  voyons  nous  qu'il  y  en  a  de  deux 
fortes.  Car  les  vnes  font  tellement 
meflces  auec  le  corps,  qu'où  bien 
elles  font  defl:inccs  à  fa  fubfifi:ance, 
comme  la  vertu  qui  efl:  employée  à 
le  nourrir ,  &  à  conuer tir  les  alimens 
en  fa  fubfliance  ,  ou  bien  au  moins 
les  peut  on  appeller  corporelles  au- 
cunement ,  comme  efl  la  faculté 
animale  ,  qui  fournit  au  corps  le 
moyen  de  fe  feruir  de  fes  organes  &c 
de  fes  fentimcns.    Les  autres  fem- 


Confdcnxtïon  première.  zi 

blcnt  bien  à  la  vcritc  auoir  quelque 
bcfoin  du  corps-  &  de  fes  inftru- 
mcns^pourexcrccrleurs  fondions 
&  leurs  opérations  ,  mais  ncant- 
moins  elles  font  en  celafeparces  du 
corps  j  quelles  ne  font  point  em- 
ployées à  fa  conferuation ,  ni  à  faire 
qu'il  exerce  les  fienncs  quanta  luy: 
mais  vacquent  &  font  employées  a 
Tentour  de  certains  objets,  qui  font 
abftraits&feparésdu  corps  duquel 
nous  fommes  compofés ,  ôc  mefmes 
quelque  fois  éloignés  de  toute  au- 
tre matière  fenfîble  ôc  corporelle. 
Or  ne  faut  il  pas  douter  que  cette 
dernière  forte  de  facultés  ne  foit  en 
l'homme  beaucoup  plus  excellente 
que  les  autres,  pour  ce  que  c'eftpar 
elles  proprement  que  nous  fommes 
hommes  ;  au  lieu  que  quant  aux  au- 
tres nous  les  auons  communes  auec 
les  animaux  dcftitucsdelaraifon. 

B  5 


ai  DesD  rohs  des  Al  aria  Te 

C'eft  donc  de  la  connoiflance  de 
ces  facultés  que  refulte  la  connoif- 
fance  de  nollre  fin.    Si  nous  nous 
conlîderons  bien   nous    mefmes, 
nous  trouuerons  que  ces  facultés 
font  deux  en  nombre ,  ou  au  moins 
que  ficen'eft  qu'vne  mefme  facul- 
té ,  elle  exerce  deux  diuerfes  fortes 
d'opérations, félon  les  deux  diuer- 
fes fortes  d'objets  fur  lefquels  elle 
fe  déployé.    Car  il  y  a  certams  ob- 
jets qui  ne  nous  prefentent  autre 
chofe  que  la  nature  deleureftreà 
contempler  ,  de  forte  que  quand 
nous  en  auons  acquisla  connoiifan- 
ce  nous  en  demeures  là,  la  nature  de 
l'objet ,  ni  la  connoiffançe  que  nous 
en  auons  ne  nousobligeat  àaucunc 
forte  d  a 6t ion.  Comme  fi  ie  recher- 
che quelle  peut  eftre  la  caufe  de  l'é- 
clipfedelaLunc,  &  qu  après  auoir 
bien  raifonné  ,  ie  trouue  qu'elle  fe 


Confideration  première.  23 
fait  par  l'interpofition  de  la  terre 
cntr'cUe  &  le  Soleil  ,  ayant  acquis 
cette  cognoi{rancej&  l'ayant  éta- 
blie en  mon  efprit  deflus  de  bonnes 
demonftrations^  ie  ne  paffe  pas  plus 
outre  y  &  ne  m'applique  à  aucune 
adlionen  conlequence.  Mais  il  y  a 
certains  autres  objets,  qui  nous  pre- 
fentent  tellement  la  nature  de  leur 
cftre  à  contempler,qu  ils  nous  obli- 
gent à  certaines  a6lions&:  à  certai- 
nes opérations,  après  que  nous  en 
auons  acquis  l'intelligence.  lufques 
àtelpointquelaconoiflancede  l'e- 
ftre  de  l'objet  ne  s'acquiert  propre- 
ment qu'à  caufe  de  l'opération  qui 
s'en  enfuit,  de  forte  que  l'opération 
doit  eftre  eftimée  tenir  lieu  de  fin 
&efl:re  plus  excellente.  Et  que  cela 
foit  ainfi  ,  il  en  appert  par  l'expé- 
rience de  tous  les  Arts ,  foit  qu'ils 
laiflent  après  eux  quelque  ouura- 

B  4  ~ 


14        *^^^  Dmits  des  JHaridges 
gcqui  fubfifte ,  comme  larchitc- 
durclesbaftimcns^foit  qu'ils  n'en 
laiflent  point ,  comme  l'arc  de  ioiier 
du  Lut  où  de  la  Guittarre.  Car  on 
n'apprend  l'art  de  iouer   du    Lut 
que   pour  en  iouer  ,  ni  Tart    de 
l'architedure  que  pour  baftir.  Et  fi 
quelqu  vn  apprend  l'art  deTarchi- 
tedurcfansdefTeindebaftir,  il  tire 
l'architedure  hors  de  fa  naturel 
d'entre  les  arts  ,&  en  fait  contre  fa 
propre  &  naturelle  conftitution, 
vne  fcience  purement  &  Ample- 
ment fpeculatiue.    S'il  lapprenoit 
entant  que  c'eft  vnart,  ilfaudroit 
necefiairemeut  qu  il  cufl  deffein  de 
le  réduire  en  pratique.  Or  comme 
i  ay  dit  cy  deflus  que  pourauoir  la 
connoifTance  de  la  propre  fin  de 
l'homme  par  la  confideration  de  (es 
facultés ,  ilfalloit  choifir  entre  fcs 
diuerfes  facultés  lesplus  excellentes, 


Conficration  Première,  15 
ainfi  di-je  maintenant  qu'après 
auoir  trouué  fcs  plus  excellentes  fa- 
cultés ^ilfautpourtrouuer  lavraye 
fin  de  rhomme  regarder  a  leurs  plus 
belles  opérations.  Car  comme  fi 
l'excellence  dVncheual  confiftcen 
la  force  &  en  l'agilité  de  fes  mouue- 
mens,fans  doute  les  plus  excellens 
de  fcs  mouuemens  feront  ceux  qui 
feront  employés  dans  les  occa- 
fions  les  plus  nobles  &les  plus  vti- 
les  tout  enfemblerde  forte  que  fi  ces 
occafions  les  plus  belles  &  les  plus 
nobles  font  les  militaires,  la  propre 
fin  d' vn  excellent  cheual  fera  de  fer- 
uiràrhomme&  dele porter dâs  les 
occafions  de  la  guerrrc.  Ainfi  fi  l'ex- 
cellence d  vn  homme  confifte  en 
Tvfagedefes  facultés  raifonnablcs, 
quife  déploycnt  ou  en  la  contem- 
plation ou  en  Tadion ,  les  plus  bel- 
les contemplations  &  les  plus  no- 


%6  DesT> roits  des  Mariages 
blés  adions  feront  celles  qui  feront 
employées  fur  les  fujetsles  plus  di- 
gnes &  les  plus  nobles  d'eux  mêmes. 
Et  partant  il  faut  cncor  voir  quels 
font  fes  objets  lesplus dignes  6«:les 
plus  beauXjfi  nous  voulonsbien  dé- 
terminer de  la  nature  denoftrefin. 
Nous  auons  veu  cy-deflus  que 
l'homme  eft  la  fin  des  choies  qui 
quant  à  l'excellence  &  à  la  dignité 
font  inférieures  à  fa  naturej&:  de  plus 
que  la  principale  excellence  de 
l'homme  confifte  en  ce  qu'il  eft 
d'oiié  d'intelligence  &  de  raifon. 
C'eft  donc  cette  faculté  de  l'intelli- 
gence qui  l'éleue  fi  haut  audeffus 
de  toutes  les  chofes  qui  n'en  ont 
point  y  qu'elle  luy  donne  lieu  de  fin. 
&  aux  autres  chofes,  lieu  de  celles 
qui  y  font  deftinées.  Nous  auons 
veu auflî  que  l'homme  eftant  doiié 
d'mtelligence  \  il  faut  neceffaire- 


Conjtderat'wn  première.         17 
ment  que  la  nature  ,  quelle  qu'elle 
foit,  qui  l'a  produit, en  foit  douée 
aulTij  &  mefines  d Vne  intelligence 
qui  non  feulement  furpaffe  celle  de 
l'homme  d'autant  que  lacaufedoit 
furpafler  fon  effet  ,  mais  encore 
d'autant  que  les  autres  effets  de  cet- 
te intelligence  là  ,  furpafTent  la  di- 
gnité des  effets  de  l'intelligence  hu- 
maine. De  forte  que  les  plus  belles 
ôc  les  plus  nobles  opérations  de  l'en- 
tendement humain ,  feront  celles 
qui  feront  employées  a  la  confide- 
ration  de  ces  deux  objets, chacun 
félon  la  nature  de  fa  dignité  5c  de 
fon  excellence.  Partant  la  fin  prin- 
cipale de  l'homme  confîftera  a  con- 
noiftre  cette  fouerainement  intel- 
ligente nature  qui  l'a  formé:  ôc  c'eft 
ce  que  nous  appelions  Dieu.  A  quoy 
vous  pouucs    adioufter     comme 
pour  fin  fubalterne&qui  eftcon- 


iS        Des  Dmn  des  t^artages 

tenue  dans  la  principale  la  connoiC- 
fancc  de  l'homme  mefmc  ,foit  que 
chacun  le  regarde  «n  foy  ^  ou  qu'il 
le  regarde  en  autruy ,  ce  que  com- 
munément on  appelle  le  prochain. 
Et  pource  que  ,  comme  i'ay  dit  cy 
deffus ,  il  y  a  de  deux  fortes  de  con- 
noiflances,  Tvnc  qui  incite  d'elle 
mefmeà  quelque aâion,&  l'autre 
non  ,  il  faut  encore  voir  de  quelle 
nature  eft  celle  dans  laquelle  nous 
mettons  la  fin  de  Thomme. 

Or  pour  ce  qui  eft  de  la  connoif- 
fance  qui  a  pour  objet  cette  fouue- 
raine intelligence,  lachofe  femble 
eftre  fans  difficulté.  Pource  qu*clle 
lie  peut  eftre  bonne  ,  ni  telle  qu'elle 
doit  eftre  ,fi  elle  n  embraffe  auffi 
fon  objet  tel  qu'il  eft.  Or  doit  il 
çftre  confideré  en  tous  les  égards; 
c'eft  à  fcauoir  abfolument  en  luy- 
mefme  ;  puis  après  entant  qu'il  a 


Conjtderation  première.  19 
<î«nncrcftre  à  toutes  chofes  ;  &  fi- 
lialement  entant  qu  il  les  conferuc. 
Confidcré  en  luy  mcfmc ,  puis  que 
c  eft  vnc  fouucrainc  intelligence,  & 
laquelle  necefTairementcft  accom- 
pagnée de  toutes  autres  fortes  de 
vertus  comme  nobles àla  conftitu- 
tiondcfon  eftrcj  elle  mérite  en  ces 
égards  de  l'eftime  &  de  Thonneur, 
de  la  part  de  ccluyqui  luy  eft  infé- 
rieur. Car  fi  les  beftesauoyent  quel- 
que intelligence  de  leur  eftre,  &  du 
noftrc  quant  &  quant ,  nous  les  efti- 
merions  obligées  de  reconnoiftre 
auec  honneur  l'emincnce  de  noftrc 
nature  au  deflus  de  la  leur.  C'eft 
pourquoy  encore  qu  Epicure  ait  dit 
des  chofes  non  fauflcs  feulement, 
mais  abfurdes  &  contradid;oires, 
quand  il  a  nié  la  Prouidence ,  &c 
neantmoins  reconnu  vne  diuinité, 
Cn'atilpaslaifle  de  dire  la  vérité. 


30  Ù es  Droits  des  Aiariages 
que  pofé  que  la  Diuinité  ne  gou- 
uerne  point  le  monde  par  faProui^ 
dence,  elle  mérite  pourtât  de  l'hon- 
neur à  caufè  de  Texellence  de  fa  na-* 
ture.  Or  honneur  eftla  defFerence 
que  l'on  rend  à  quelqu'vn  à  caufe 
defon  eminencefoit  en  qualité  foit 
en  vertu  -,  &  toute  telle  defFerence 
eft  vne  a6tion.  La  conoiflance  donc 
de  la  Diuinité  en  cet  égard ,  tire  vne 
adionenconfequence.Conlîderée 
entant  qu'elle  eft  caufe  de  l'eftre  de 
toutes  chofes  ,  elle  induit  encore 
d  auantage  à  ladion.  Car  outre  que 
toute  caufè  mérite^  entant  que  telle, 
de  l'honneur  de  la  part  de  fon  effet, 
pource  qu'elle  a  des  degrés  d'émi- 
nenceaudefTus  de  luy,  lacommu- 
nicatio  de  l'eftre  eft  vn  bien  inefti- 
mable ,  qui  requiert  de  la  gratitude 
de  la  part  de  celuy  qui  la  reçeu.  Or 

gratitude  eft  vn  mouuement  de  re^ 

& __. ._ .._, ,. ..  jj 


Conjïderation  première.  51 

connoiflance  ^  conjoint  auec  vn 
reflentiment  d'obligation  enuers 
celuyquonf^ait  cftrefon  bienfai- 
d:eur  ^  &  ce  mouuement,  pour  eftre 
bon  &:  receuable  ,  doit  eftre  pro- 
portionné à  la  grandeur  du  bien 
fait  mefme^en  yobferuant  quant 
&  quant  les  degrés  d'égalité  ou  d'i- 
negalité  qui  fe  trouue  entre  celuy 
quiarecjeu  le  bien  ,  &  celuy  qui  Ta 
fait,  Car  cette  confideration  adjou- 
fte  beaucoup  à  l'obligation  de  la 
gratitude  ,  ou  en  diminue  beau- 
coup demefme.  Etcemouuement 
là  n'eft  rien  autre  chofe  qu'vne 
adion  de  nos  efprits,  entant  qu'il  y 
aeneuxvne  certaine  faculté  qui  ne 
fe  contente  pas  de  la  nue  &fimple 
connoiflance  de  fes  objets.  Confî- 
derée  entant  qu  elle  conferue  l'cftre 
qu  ellea  donné  ,  la  Diuinité  induit 
à  i'aition  encore  ie  ne  fcay  com- 


51  'T>e$  Droits  deSt:^Jariagcs 
ment  plus  efficacement.  Car  outre 
qu'elle  mérite  cet  honneur  qu'on  la 
reconnoifle  pour  eftre  celle  de  la- 
quelle nous  dépendons ,  ce  qui  en- 
cloft  en  foy  de  la  reuerence  &  du 
lefpeâ:, l'amour  que  nous  portons 
à  nous  mefmes  nous  fait  dehrer  no- 
ftre  conferuation ,  6c  le  defîr  de  no- 
ftrc  conferuation  nous  porte  neccf- 
fairement  à  auoir  recours  à  l'objet 
que  nous  f(^auons  certainement  en 
pouuoir  eftre  la  feule  caufè.  Ainfî 
la  nature  des  cliofes nous  apprend 
que  la  connoifTance  delà  Diuinitc 
nous  induit  à  quelque  a6tion,  &  à 
quelque  opération  de  toutes  nos  fa- 
cultés raifonnables ,  entant  que  tel- 
les ,  &  que  c'eft  en  cela  que  confîfte 
noftrefouueraine  fin. 

Quant  à  ce  qui  eft  des  hommes, 
nous  les  pouuons  confîderer  ou  en- 
tant que  fuperieurs  j  où  entant  qu  e- 

gaux: 


Conpderation  première.  33 

gaux  :  fuperieurs  di-je  ,  ou  égauxj 
foir  en  la  nature,  foit  en  la  police  jcar 
il  y  en  a  qui  nous  font  égaux ,  ou  fu- 
perieurs en  l'vn  &  en  l'autre  de  ces 
égards.  Or  pour  ce  qui  eft  des  fupe- 
rieurs, la  mefme  raifon  qui  nous  a 
cy  deffus  fait  conclurre  comme 
nous  auonsfait,eu  égardàlaDiui- 
nité  ,  nous  fait  icy  conclurre  de 
mefmes  que  leur  fuperioritc  méri- 
te du  refpcâ:.  Vniuerfellement  le 
monde  Faduoue  en  ce  qui  regarde 
la  fuperiorité  des  pères  deflus  les 
cnfans ,  &:  qui  voudroit  difpenfer 
les  enfans  de  l'honneur  &  du  refpedb 
cnuers  ceux  qui  les  ont  engendres, 
feroit  eftimé  pire  quafiqueles  be- 
ftesfauuages.  Et  de  ce  que  la  nature 
cnfeigne  en  ce  quiejftdcs  pères ,  oa 
peut ,  nonraifonnablement  feule^ 
ment, mais  ncceffaircment  inférer 
ce  qui  cocerne  les  autres  fuperieurs. 

C 


^4  "ï^^-f  IDroits  des  AdariageS 
Car  ledeuoirdes  enfansenuers  les 
percs  n'eft  fondé  qu'en  la  fuperiori- 
té,&  partant  par  tout  où  il  y  aura  fu- 
periorité  ,  il  y  aura  deuou'd'hon^ 
neur&derefpecldemefme.  La  dif- 
férence ne  confiftera  qu'en  ce  que 
rvneft  peut  eftre  plus  grand  que 
l'autre  :  ou  en  ce  que  l'vn  eft  abfo- 
lument  inuiolable  en  vn  certain 
objet  5  pource  qu'il  eft  naturel  ,  & 
que  ceîuy  qui  vne  fois  a  cftémon 
père,  ne  peut ,  finon  par  la  mort, 
ne  l'eftre  pas  :  l'autre  peut  eitre  non 
abfolument  immuable  ,  pource 
que  les  relations  de  fuperieur  & 
d'inférieur  en  la  police  fepouuans 
changer  j  chacun  peut  commander 
&obeïr  à  fon  tour  ^  comme  dans 
les  republiques  populaires.  Ainfî 
de  l'honneur  qui  eft  deuàlaDiui- 
nité  ,  nous  defcendons  raifonna- 
blcmcnt  à  celuy  que  nous  deuons 


ConfiderMÎon  première,  35 
aux  hommes  nos  fuperieurs  j  feule- 
ment y  aura  t'il  d'ifference  en  Tcf- 
pece  de  Thoncur^àcaufe  de  la  dillan 
ce  mfinicqui  eft  entre  ces  deux  ob- 
jets, le  dis  refpece,  &  non  les  degrés. 
Car  Ihonneur  qui  eft  deu  aux  hom- 
mes, peut  bien  différer  en  degrés, 
cnefpece  non  ;  pourceque  ce  Ibnt 
tous  des  hommes  &  des  créatures, 
qui  quils  foyent  Mais  quant  à 
l'honneur  qui  eft  deu  à  la  Dminitc, 
il  n  a  peu  différer  de  celuy  qui  eft 
deu  aux  hommes  ,  quant  aux  de- 
grés feulement  >  il  faut  abfolument 
qu'il  diffère  en  l'efpece  mefmc.Pour 
ce  qui  eft  de  ceux  qui  font  égaux, 
puis  qu'ils  ne  nous  font  pointfupe- 
rieursninous  à  eux,  nous  ne  pou- 
uons  pas  tirer  d'argument  foit  da 
leur  cminence  foit  de  la  noftre, 
pour  monftrerque  nous  fommes 
obligés  d'exercer  enucrs  eux  quel- 

C  2. 


^6  Des  Droits  des  tJ^ariages 
ques  allions.  Mais  neantmoins  la 
chofeeft  claire  d'clle-mefmc ,  car 
ils  ont  vnmefmeeftre  que  nous ,  & 
font  conftitués  en  vnemefme  ex- 
cellence de  nature.  Or  eft  il  que 
nous  aimons  naturellement nottrc 
eftre  ;  ôc  par  confequent  naturelle- 
ment nous  deuons  aimer  le  leur. 
Seulement  y  doit  il  auoircette  dif- 
férence entre  cux&c  nous,  que  Ta- 
mour  que  nous  nous  portons,  eft  le 
premier,  &  l'autre  vient  après.  Ua- 
mour  que  nous  nous  portons  eft  la 
mefure  deceluy  que  nous  portons 
à  l'efti'e  de  nos  prochains ,  ôc  non 
celuy  que  nous  portons  à  nospro 
chains  la  mefure  du  noftrc.  Car  au 
refte  ce  que  nous  aimons  noftrc 
eftre,  cen'eftpas  proprement  pour 
ce  qu'il  cft  à  nous,  m  ais  pour  ce  qu'il 
eft  aimable.  Et  ce  qui  eft  à  nous,n'y 
adjoufterien  lînonlordrc&laprc- 


Confideratîon  première.  3^ 

rogatiue  de  pafTer  deuanr, âc  de  fer- 
uirdercgieà  celuy  que  nous  deuôs 
auoir  pour  les  autres  homes.  Mais  à 
quoy  faire  tous  ces  raifonnemens 
pour  monftrcr  que  cette  connoil- 
îàncc  tirencccffiiremcnt  après  ioy 
latSlion?  Certainement  nousauons 
monftré  cy  deffus ,  qu'au  moins  à 
regard  de  Tintellcd: ,  la  connoif- 
fance  delà  Diumité  eftla fouuerai- 
ne  fin  dç  l'homme.  Ou  donc  il  faut  ' 
que  la  Diuinité  foit  aufli  la  louue- 
rainc  fin  de  l'homme  à  l'égard  de  la 
volonté,  dont  lesfondlions  &  les 
opérations  confident  en  ce  quei'ay 
cy  deffus  appelle  a6tion  j  ou  la  vo- 
lonté de  l'homme  n'a  point  de  fou - 
ueraine  fin.  Or  eftil  contre  toute 
forte  de  raifon  quel'homme  ait  vne 
fouueraine  fin  à  l'égard  de  fon  intcl- 
le6t,&  qu'il  n'en  ait  pointàl'égard 
defa  volonté.  Premièrement  pour 


38  T) es  Droits  des  Mariages 

ce  que  l'intelled  eft  la  plus  excel- 
lente partie  de  nos  âmes,  dont  par-^ 
tant  1  autre  doit  fuiure  la  condi-. 
tion.  Puis  après  pourceque  la  vo- 
lonté dépend  de  rintelled  en  fes 
opérations.  Or  eft  il  abfurd  &  mal- 
accordant auec  foy  mefme  ^  que  la 
volonté  dépende  de  l'intelleft ,  & 
lintelled:  de  la  Diuinité  comme  de 
fa  dernière  fin  ,  6^  que  neantmoins 
la  volonté  ne  dépende  pojnt  de  la 
Diumité  en  cette  qualité.  En  fin 
comme  la  perfe6lionderintelle6t 
côfifte  en  fes  plus  belles  opérations, 
^  fes  plus  belles  opérations  en  la 
contemplation  du  plus  excellent 
objet  5  la  perfection  de  la  volonté 
doit  pareillement  confifter  en  fes 

Elusnoblesadions,  6c  fes  plus  no- 
ies a6tions  en  ce  qu'elle  dé- 
ployé fes  afFe6tions  fur  la  meilleure 
&la  plus  aimable  de  toutes  les  cho- 


C onjidcration  première.  39 
fcsquiluy  peuuent  élire  prefentees. 
Par  meime  raiion  noftreprocham 
cil  vil  ob.)ec  qui  doit  exciter  les 
mouuemens  de  les  opérations  de 
nollre  volonté ,  puis  qu'cftant  pro- 
polcirintelleâ; ,  l'intelledy  trou- 
ue  des  qualités  qui  luyfontiuger&: 
prononcer  qu'il  n'eft  pas  de  la  natu- 
re de  ceux  de  la  connoiiTance  fpe- 
culatiue  defquels  on  fe  contente  pu- 
rement j  mais  de  ceux  qui  induifent 
naturellement  à  l'adlion  par  l'entre- 
mife  de  la  connoiiTance. Refte  donc 
que  nousvoïonsfi  cette  mefmena- 
turequinousa  amenés  iufquesicy, 
nous  pourra  encore  conduire  iuf- 
ques  à  l'intelligence  des  règles  fur 
lefquelles  fe  doiuent  former  ces 
actions  &  ces  opérations  de  nos  fa- 
cultés raifonnables. 

Certainement  que  la  nature  le 
doiue  faire  ^  c'eft  chofe  ,  trop  éui- 

C4 


40  T)cs  Droits  des  çJMaridgcs 
dente  par  la  raifon  Car  li  elle  a  eu  le 
foin  de  le  faire  pour  les  facultés  des 
chofes  qui  font  beaucoup  moins 
excellentes  que  l'homme  ^  &  à  l'é- 
gard defquelles  il  tient  lieu  de  fin,  il 
n'y  a  pomt  d'apparence  qu'elle  fe 
fuft  11  fort  oubliée  en  ce  qui  le  con- 
cerne. Dans  les  plantes  nous  voyons 
qu'il  y  a  certaines  règles  eftablies 
parla  nature  à  chaque  efpece,  félon 
lefquelles  elles  fe  doiuent  conduire 
en  leurs  opérations.  De  forte  que  fî 
vn  poirier  produit  vue  noix  ,  on 
tiendra  cela  pour  monftrueux  ,  & 
s'il  produit  vne  poire  d'vne  autre 
forte  que  la  fienne,  bien  que  cela  ne 
foit  pas  tenu  pour  j(i  monftrueux^ 
pour  ce  qu'il  n'a  pas  paffé  d'vne  eC- 
pecc  en  l'autre  ,  fî  dit-on  qu'il  a 
dégénéré  ^  ou  ,  quoy  que  c'en  foit, 
on  trouue  la  produdion  eftrange, 
pour  ce  que  là  nature  l'aaoit  deter- 


Confderatwn  Première.  41 

miné  à  vn  autre  fruit.  Dans  les  ani- 
maux deilitués  de  la  railon,  vous 
voyez  ces  règles  de  la  nature  encore 
plus  expreflement  determmées ,  à 
mefure  que  l'el-tre  des  animaux  eft 
plus  excellent  que  celuy  des  plantes. 
Car  fi  vne  vache  fait  vn  poulain^ 
ceft  vn  prodige  qui  cftonne^  &: 
pour  lequel  on  preparoit  autrefois 
des  expiations.  S'il  naiil  vn  veau 
auec  des  ailles  j  tout  le  monde  en  eft 
raui  en  admiration,  comme  dVne 
merueillcufe  extrauagance  de  la  na- 
ture. Et  quoy  que  dans  le  refte  de 
leurs  opérations  les  animaux  ne  for- 
tentdutout  point  hors  de  leuref- 
pece  5  fi  eft  ce  qu'il  y  a  certaines  re-t 
gles  naturellement  cftabliesà  leurs 
ad:ions&  à  leurs  facultés  3  qui  font 
qu'on  les  dit  bonnes  ou  mauuaifcs, 
félon  qu'elles  s'y  conforment  ou 
qu'elles  s'en  éloignent.  Selon  ces  rc- 


41  Des  Droits  des  tJMarlages 
giesvn  boeuf  doit  eftrcfort  &  pa- 
tient ,  autrement  il  ne  vaut  rien;  vn 
cheual  viftc  &  vigoureux ,  autre- 
ment on  le  rejette  comme  inutile; 
vn  chien  doit  auoir  laiambebon- 
ne,  &  le  fentimcnt  exquis  ,  autre- 
ment ileft  rebuté  par  les  chafleurs,  | 
&  ainfi  des  autres.  Et  qui  diroit  | 
qu'en  ces  chofcs  la  conftitution  des 
facultés efl;  indéterminée  par  la  na- 
ture, &  qu  il  elt  indiffèrent  qu  vn 
cheual  foit  vifte&  vigoureux  ,  ou 
non  ,  feroit  eftimé  n'eltrepas  afies 
enfonbon  fens.  En  Tvfagede  ces 
facultés  mefmes  ,  quoy  que  natu- 
rellement bien  conftituées,  il  y  a 
certaine  fa<^ on  ^certaines  règles  ou 
mefuresdes  mouuemens,  dans  la- 
quelle confîfle  leur  bien  ou  leur 
mal  5  leur  vertu,  di-je  ,ou  leur  vice. 
Car  fi  de  deux  chenaux  également 
villes  ô^  vigoureux,  Tvn  court  dou- 


Confderation  première.  43 
cernent  &  rondement ,  &  l'autre  a 
le  train  rucle&  incommodant, on 
dira  de  IVn  abfolument  quil  eH: 
bon,  &  de  l'autre  on  ne  le  dira  pas, 
pource  qu'au fli  n'eft-ilbon  finon  à 
certaine  forte  de  gens  ,  que  la 
force  naturelle  de  leurs  corps  ou 
l'accouftumance  à  rendus  moins 
fenfibles  à  ces  incommodités.T  anc 
il  eft  vray  que  la  natureaefténon 
feulement  foicrneufc ,  mais  mefmes 
fcrupuleufe  à  déterminer  les  règles 
defquelles  dépend  le  bien  ou  le  mal, 
le  vice  ou  la  vertu  des  facultés  ou  des 
mouuemens  des  animaux.  L'hom- 
me donc  eftant  fans  comparaifon 
plus  excellent  qu'aucun  d'eux ,  au- 
roit  il  efté  tellement  abandonné  de 
la  nature,que  de  n'auoir  receu  d'elle 
aucune  détermination  des  fîenncs? 
l'ay  dit  cy  deflus  que  l'homme  eft 
compofé  d'ame  &  de  corps ,  &  que 


44        ^^^  Droits  des  Apanages 
le  corps  eft  des  parties  qui  le  com - 
pofenc  la  moins  excellence  de  beau- 
coup. Cependant  il  eil  certain  que 
la  nature  a  déterminé  de  certaines 
règles  fcs  facultés  ôc  les  opérations 
qui  en  dépendent.  Premièrement,  ■) 
en  ce  que  lesorcranes  où  elles  refi- 
dentneleconrondent  lamais.  Car 
iamais  homme  ne  vid  des  pieds,  ni 
ne  marcha  des  yeux.  Et  s'il  cftoit  ar- 
riué  à  quclquVn  d'auoir  les  yeux  où 
il  a  les  pieds,  &  les  pieds  ou  il  a  les 
yeux,  onappclleroit  cela  enluy  vn 
prodigieux  renuerfement  de  la  na- 
ture.Puis  après,  en  ce  que  ces  orga- 
nes ont  certaine  façon  d'exercer 
leurs  fondions,  hors  des  termes  de 
laquelle  leur  nature  eft  violée.  Car 
il  vn  homme  auoit  les  iarrets  plies 
en  auant ,  Se  les  o-enoux  releucs  en 
arriere,bien  qu'il  peuft  aucunement 
marcher,  fi  eft- ce  que  fon  allure  fe- 


Confderdtion  première,  45 
rok  incommodée  &  non  naturelle. 
Que  fî  cela  lobligeoit  à  marcher 
pluiloft  en  arrière  qu'en  auant,  nul 
ne  nieroit  que  l  économie  de  la  na- 
ture ne  faft  en  cet  é^ard  troublée  en 
fcs  mouucmens  j  &  Icroit  eftimé  in- 
fcnfé  qui  tieadroit  cette  imperfc- 
{kion  pour  naturellement  indiffé- 
rente. Si  donc  la  nature  a  eu  foin  de 
régler  les  mouuemes  de  nos  corps, 
auroitelle  oublié  de  nous  prefcrirc 
la  fa(^on  de  laquelle  il  faut  que  nous 
rcelions&compofionsceuxde  nos 
efprits?  Maisconfiderons-les  vn  peu 
de  plus  près  en  eux  mefmeSj&  voyos 
premièrement  s'il  y  a  quelques  rè- 
gles naturelles,  félon  lefquelles  l'en- 
tendement doiue  conduire  fes  ope- 
rations  ,  en  recherchant  la  connoiC 
fance  de  fes  objets.  Certainement 
pour  ce  qui  eft  des  objets  de  la  pure 
eonnoiffancc  defquels  l'entende- 


4^  T>es  Droits  des^Iàriages 
ment  demeure  content  fans  pafleK 
outre  à  l'adion ,  il  n'y  a  perfonne 
qui  puifle  nier  que  la  nature  mefme 
a  prefcrit  certaines  loix  félon  lef- 
quelles  l'entendement  doit  agir  fur 
eux,  autrement  ils  ne  font  rien  qui 
vaille.  C'eftdccesfources-làqu'A- 
riftote  a  puisé  les  règles  qu  il  nous^ 
donede  bien  raifonncr^&ilnc  les  a 
pas  forgées  à  fa  fantaifîe.Et  qui  vou-* 
droit  nier  que  Teuidence  de  la  véri- 
té qui  paroift  dans  les  demonftra- 
tions,  refultaft  de  la  nature  des  cho- 
fes  mefmes ,  6c  affirmer  que  natu- 
rellement il  n'y  a  nulle  différence 
entre  vn  paralogifme  &  vne  bonne 
ratiocination^il  faudroit  neceflairc-' 
ment  qu'il  euft  la  ceruelle  renuer- 
fée.  Si  cela  eftoit  il  n'y  auroit  nulle 
différence  naturelle  entre  lesfagcs 
&  les  fols,  &  pour  croire  cette  extra- 
uagance ,  il  faudroit  certes  eftre  fol 


Conjtderation  première.  47 
^  non  pas  fage.  La  vertu  donc  de 
l'operacion  de  Tentendement  en  cet 
égard,  eft  de  confidcrer  fon  objet, 
&de  raifonner  deflusdetelleoude 
telle  fa^on  y  &c  la  vertu  de  la  fciencc 
&:dela  connoifTance  qui  refulte  de 
cette  opération  ,  eft  fa  conformité 
auec  la  nature  de  l'objet  mefme.  Et 
au  contraire  ,  le  vice  naturel  des 
opérations  confifte  ,  en  ce  quelles 
s'écartent  des  règles  que  la  nature 
prefcritj&levicequien  refulte, eft 
que  l'opinion  que  l'entendement 
coçoit  de  fon  objct,ne  s'accorde  pas 
auec  fa  nature.  De  là  il  eft  clair  quel 
iugcment  nous  deuons  faire  des 
opérations  de  l'entédement ,  quand 
il  contemple  les  objets ,  qui  outre  la 
connoiffanccdeleureftre,  incitent 
à  l'acStion.  Car  puis  que  l'objet  eft  tel 
de  fa  nature,  que  no  feulemé t  il  doit 
cftre  confideré  comme  ce  qui  pre- 


48  DesD  roits  des  Àdarlages 
fente  vne  certaine  vérité  à  connoi- 
ftre  à  l'entendement  ,  mais  auffi 
comme  ce  qui  doit  inciter  la  volon- 
té àvne  certaine  forte  d'adion^  la  ' 
vertu  de  la  connoifTance  que  l'en-  ; 
tendementenaura^confiftcra  enfa 
conformité  aucc  l'objet  en  tous  ces 
deux  égards  j  &  le  vice  au  contraire 
confifteraen  ce  que  l'entendement 
iVapprehendera  pas  fon  objet  fous 
ces  deux  relations.  Cotrarieté  entre 
ces  deux  fortes  de  connoifl'ancc  qui 
eft  naturelle  clairement,  puis  qu'el- 
le dépend  de  la  conftitution  natu- 
relledel'objetmefme.  Or  comme 
la  perfedion  de  la  connoifTance 
quand  elle  eft  conforme  à  fon  objet 
eft  déterminée  par  la  nature  j  auftî 
les  opérations  de  l'entendement 
par  laquelle  il  paruient  à  cette  con- 
noifTance, doiuent-ellcs  dépendre 
de  certaines  règles  naturellement 

déterminées. 


Conjideration  première,  4^ 
déterminées.  Gar  ces  connoiflan- 
ces  ôc  ces  conceptions  de  nos  efprits 
font  des  images  des  chofes  mcfmcs. 
Pofé  donc  que  deux  Peintres  aycnt 
entrepris  de  peindre  le  beau  Nireus, 
&  que  l'vn  le  reprefente  au  naïf  ^  & 
l'autre  le  peigne  fi  mal  _,  qu'il  le  faifc 
reflembler  à  Therfite ,  la  différence 
qui  fera  entre  ces  deux  tableaux  dé- 
pendra 5  non  du  iugement  de  celuy 
qui  les  regardera,  mais  de  leurpro- 
pre  conftitution  à  eux-mefmes.  Et 
pareillement  la  différence  qui  aura 
efté  entre  les  coups  de  pinceau  ,  & 
entre  les  traits  Se  les  lignes  que  les 
deux  Peintres  auront  faites,  aura 
efté  dans  la  chofe  mefmc,  &  non  en 
l'imagination  feulement  de  ceux 
quilesaurontveus  trauailler.  Ainfi 
les  ratiocinations  qui  ont  produit 
vne  fauflc  opinion ,  auront  efté  fai- 
ces  elles-mefmcs  contre  les  règles 

D 


j o  Des  Droits  de çj^arïages 
prefcrites  par  la  nature.  Décela  i]| 
s'enfuit  mamfeftcment  qu'il  y  aauCl 
fi  des  relies  naturelles  félon  leC' 
quelles  il  faut  conduire  les  â6tion{|j;i 
de  la  volonté ,  qui  dépendent  de  c^jL 
iuo;emens  de  l'entendement.  De» 
forte  que  qui  ne  les  fuit  pas  ,  parle 
^contre  les  loix  de  la  nature.  Et  cela 
li  prouuc  par  ce  que  la  volonté  eft 
vne  faculté  qui  dépend  deTenren- 
dément.  Car  fi  j  pour  exemple  J'ob- 
jct  de  la  Diuinité  fe  prefente  à  moy 
comme  digne  d'honneur  ,  ainfi 
qu'indubitablement  il  eft  ,  &  que 
mon  entendement  par  de  bonnes 
^  raifonnables  opérations  paruien- 
ne  iufquesà  le  connoiftre  tel  qu'il 
cil: 3  &  à  fe  perfuader  viuement& 
profondement  qu'il  eft  véritable- 
ment digne  d'honneur ,  ou  il  faut 
que  deflors  ma  volonté  le  porte  ef- 
fediuement.à  l'honorer  ,  ou  fi  elle 


Conjideration  première,  ji 

nes'y  porte  pas, elle  ne  dépend  pas 
de  cette  faculté  fuperieure  qu'on 
appelle  Mntelligence:  comme  fî  en 
deux  roues  fubordméeslVne  à  l'au- 
tre ,  la  fubordination  n'efl:  point 
telle,  que  l'inférieure  fuiue  necef^ 
faircment  le  mouuement  de  celle 
quieft  audeffus^onnc  peut  pas  di- 
re véritablement  que  l'vne  foir  de- 
pendâte  de  l'autre.  Mais  cela  paroi- 
llra  encore  plus  nettement  parvne 
autre  raifon.  Quand  nous  difons 
que  l'objet  de  la  Diuinité  ,  pour 
exemple  ,  eft  de  la  nature  de  ceux 
qui  incitent  à  vne  action,  nous  vou- 
lons dire  deux  chofes.  L'vne ,  qu'il 
incite  à  vnc  certaine  forte  d'adion 
déterminée,  comme  eft  l'honneur: 
fautre,  qu'il  incite  l'homme  à  agir 
ainfi ,  &r  non  proprement  les  facul  - 
tés  qui  font  en  l'home.  Car  l'hom- 
me eft  le  principe  qui  agit^  bien  que 

D    2. 


52.  Des  Droits  des  Mariages 
fcs  facultés  foyent  les  chofès  pail 
rentremife  defquelles  il  agit ,  (elonl 
que  les  objets  Imcitent.  L'hommeï 
donc  agifïant  par  (a  volonté  ,  fi  { 
Tobjet  l'incite  à  vne  certaine fortci 
d'adion  naturellement  determi-j 
née,  comme  à  honorer  Dieu  ,  il  y  al 
certaines  règles  déterminées  parla; 
nature  pour  lesaâ:ionsdelavolon-; 
té  de  l'homme-,  autrement  il  y  au- 
roitdes  règles  pour  les  a6tions  de 
l'homme,  &  fi  il  n'y  en  auoit  point 
pour  les  adions  de  fa  volonté  ,  qui 
fontchofes  diredemcnt  contradi- 
ctoires. Or  cequei'ayainfi  prouuc 
des  a6lions  qui  regardent  la  Diui- 
nitéjfe  doit  pareillement  entendre 
de  celles  qui  regardent  le  prochain, 
puis  que  le  prochain  eft  aufïi  vn  ob- 
jet qui  de  fa  nature  porte  à  certaines 
actions  réglées  &  déterminées.  Et 
véritablement  ie  m'eftonnc  com-r 


Confderation  première.  53 

ment  il  y  peut  auoir  des  gens  qui 
reuoquent  en  doute  des  chofesqui 
fontd'vnefi  euidente  vérité.  Caril 
n  y  a  perfonne  qui  ne  puifle  aifé- 
ment  comprendre  qu'il  faut  confî- 
derer  en  l'homme  trois  chofe  di- 
ftmd:ement.  Les  facultés,  qui  font 
l'entendement  &la  volonté  ilesha- 
bitudes,  qui  font  la  conftitution  des 
facultés,  félon  laquelle  elles  font  en- 
,  clines  à  vne  certaine  forte  d'a6bion, 
pluitoft  qu'à  l'autre  ;  &  les  opéra- 
tions de  adionsqui  procèdent  des 
facultés ,  mais  qui  font  conformes 
aux  habitudes,  defquelles  les  facul- 
tés mcfmes  font  reueftuës.  Qua^^ 
aux  facultés,  il  n  y  a  nulle  doute  que 
leur  eftre  eft  certain  &c  determiné,& 
différent  par  fa  nature  mefme  de 
toutes  autres  fortes  d'eftre.  Telle- 
ment que  quand  nous  difons  ,  vn 
homme,  &  vn  chetal ,  nous  preten- 

D3 


^"4  Des  Droits  dcs^Aiarlages 
donsdire  deuxcliofès ,  non  diftin- 
d:es feulement ,  mais  elTentiellemcc 
différentes ,  en  ce  que  l'vne  a  la  fa- 
culté de  la  raifon  &:  delmtelligen- 
ce  ,  &  l'autre  ne  l'a  pas.  Comme 
donc  CCS  deux  natures  fonteffen- 
tiellement  différentes ,  aufliy  a  t'il 
certaines  recèles  de  la  conftitution 
de  leur  eflre  ,  qui  fonteffentielle-' 
mentdifferentespareillement.  De 
forte  que  fi  les  animaux  ie  faifoyent 
en  les  lettant  en  moule  ,  il  faudroit 
neceffuirement  que  le  moule  dans 
lequel  l'homme  iè  formeroit ,  fuft 
véritablement  différent  de  celuy 
dans  lequel  lechcual  prendroitfon 
eftre.  Ce  qui  eft  proprement  auoii: 
desloixde  fa  conftitutiô  naturelle- 
ment differentes.Pour  ce  qui  eft  des 
habitudes  il  en  eft  tout  de  mefme.. 
Ca  r  non  feulement  celles  qui  appar- 
tiennent à  diucrfes  facultés  font  na- 


Confidcration  prcmicre.  j^ 

turcUement  differcnccsj  comme  au- 
tLcsfont  les  habitudes  de  lentende- 
menc,  Vautres  celles  des  parties  in- 
férieures de  noftre  amc  ;  mais  celle 
dVne  meime  faculté  font&diuer- 
fes  ô^mefmcscontraires.Comme  en 
lentendement,  non  feulement  ces 
deux  vertus  qu'on  appelle  prudence 
&  intelligence  ,  font  diuerfes  en- 
tr'ellcs&a  l'égard  de  leurs  objets  & 
de  leurs  operations,mais  la  pruden- 
ce, ôi  l'imprudence  font  des  habi- 
tudes directement  oppofées.     De 
iorte  que  fi  les  habitu des  fe  iettoyéc 
en  moule  pareillement^  ilferoit  ab- 
folument  impoflible  qu'vn  mefme 
\  moule  peuft  feruir  à  la  formation 
de  deux  qualités  (i  contraires.Ce  qui 
eft  proprement  auffi  auoir  fesloix 
déterminées  par  k  nature.   Enfin, 
pourcequi  ell  des  opérations ji'ay 
défia  dit  qu'elles  fiiiuent  la  nature  Ôc 

D4 


5^  DesD  roits  des  Mariages 
la  condition  des  habitudes  donc 
elles  procèdent.  Car  il  n'eft  pas  poCr 
fîble  qu Vne  adion  d Imprudenco 
procède  de  la  prudence,  ni  que  l'im- 
prudence en  produife  vne  d  autre 
nature  qu'elle  mefme.  Corne  donc 
c'eft  la  nature  mefme  des  chofes  qui 
détermine  ces  deux  habitudes,  c*eft 
aufli  la  nature  mefme  des  chofes  qui 
en  détermine  les  opérations.  Ce- 
pendant comme  la  perfection  & 
l'excellence  de  l'homme ,  à  compa- 
rer fes  facultés  aueç  les  facultés  des 
autres  animaux  ^  n'eft  pas  vnauan- 
tage  imaginaire  j  mais  réel  &  natu- 
rel ,  qui  a  (on  fondement  en  ce  qu'il 
eftdouéd'mtelled:^  Ainfi  la  perfe- 
ction ô^l'excelience  de  l'homme  j  à 
comparer  fes  habitudes  les  vnes 
auec  les  autres  y  ne  fera  pas  vn  auan- 
tage  imaginaire,  mais  réel  &  natu- 
rel, qui  aura  fon  fondeniLent  en  ce 


iT 


Confideration  première.  yy 

qu'il  a  certaines  habitudes  de  pru- 
dence, defagefle,  de  vertu,  que  les 
autres  n'ont  pas.  Et  finalemcjit  la 
perfection  6c  1  excellence  de  l'hom- 
me  confillera  en  ce  qui  eft  de  fes 
opérations  ^  en  vne  chofe  non  ima- 
ginaire ,  mais  réelle  encore  ;  c'cft 
qu'il  agit  conformément  à  ces  ha- 
bitudes de  vertu,  ce  que  les  autres  ne 
font  pas.  Derechef  il  n'y  a  perfon- 
ne  qui  ne  puifle  aifément  de  la  com- 

Faraifon  des  parties  ,  defquelles 
homme  eftcompofé ,  à  les  confe- 
rer  Tvne  auec  l'autre,  reconnoiftre 
que  comme  il  y  a  certaine  perfe- 
6bion  naturellement  déterminée 
pour  le  corps  ,  ainfî  y  en  a  t'il  cer- 
taine autre  naturellement  deterini- 
riée  pour  l'efp rit.  Et  l'appelle  main- 
tenant perfedion  du  corps ,  celle 
qui  confifte  non  pas  feulement  à 
guqir  tous  les  membres  qui  font  ne- 


58  TDcs  Droits  des  zJ^ariages 
ceffaires  pour  fa  conflrudion  ,  6c 
dans  chacun  de  Tes  membres  toutes 
les  puiffances  qui  font  neceffaires 
pour  leurs  opérations  ,  mais  auffi 
celle  qui  confifte  en  la  légitime 
conformation  de  chacune  de  fes 
parties,  6c  en  leur  décent  &  raifon- 
nable  agencement  &  compolîtion. 
enfemble ,  d'où  refulte  ce  qu'on  ap- 
pelle la  bonne  mine, (S^ la  beauté. 
Car  encore  qu'il  y  ait  en  la  beauté 
certaines  petites  particularités  ,def- 
quelles  on  doute  fi  elles  font  du 
droit  de  la  nature  pu  non,  &  où  les 
iugemens  font  fi  differens  que  vous 
diriés  que  la  chofe  en  elle  mefme 
eft  indifFerentc,  comme  d'auoir  les 
yeux  bleus ,  ou  de  les  auoir  noirs,  fi 
eft-ce  qu'il  n'y  a  perfonne  fi  cnnemy 
de  cette  crcance,que  la  nature  a  cer- 
taines règles  déterminées  qu'elle 
fuit  en  la  côpofition  des  chofes^  qui 


C on fi aération  première,  jp 

n'aduouëj  corne  ie  lay  dicailleurseii 
quelque  lieu,  que  Nireus  &c  Achillcs 
clloyeuc  naturelleméc  plus  beaux 
queTherfîce,  ainfi  qu  Homère  les 
nous  décrit  cous.  Et  figurés  vous 
qu'vnnain  euil  la  tefteaulligrofle 
qu'il  faudroic  pour  élire  propor- 
tionnée à  la  ftature  de  Hercules, 
ôc  les  bras  auffi  petits  qu  vn  Pig- 
inée  ,  refchine  du  dos  tournée  en 
arc  ,  le  ventre  extraordinairement 
eminent  ,  les  ïambes  grefles  &c 
tortues  >  afTeurément  il  ne  fera  pas 
neceflaire  de  beaucoup  raifon- 
ner  pour  conclure  que  naturelle- 
ment ileft  laid,  principalement  fi 
auec  cela  il  a  les  traits  du  vifage  ou 
detrauersou  confondus,  &:  la  cou- 
leur de  la  peau  diuerfemenc  érnail- 
lée.  Aulieu  que  la  beauté,  principa- 
lement quand  elleefl:  excellente,  fe 
fait  d  abord  cftimer  04  admirer  ,  3c 


<>o        Des  Droits  des  t^ariages 
donne,  mefme  fans  autre  connoif- 
fance,  &  fans  autre  raifonnement, 
la  première  naiflance  à  l'amitié  &c  à 
la  bien-veillance.  Que  fi  le  corps, 
qui  eft  de  beaucoup  la  moindre  par- 
tic  de  noftreertre,  a  cette  forte  de 
perfedion  fi  naturellement  déter- 
minée j  ce  feroitchofeeftrangeque 
lame  mefme  n'en  euft  point ,  ôc 
qu'il  luy  fuit  indiffcrent  d'eftre  con - 
ftituée  comme  elle  a  efté  en  Socratc 
ou  en  Phocion  ,  ou  comme  elle  la 
efté  en  Néron  ou  en  Sardanapale; 
dtCont  queTeftimeque  nous  fai- 
fonsdelavertu  desvnSj&ladmira- 
tion  en  laquelle  nous  l'auons  ^  ôc 
l'horreur  que  le  vice  des  autres  cau- 
fe  à  nos  efprits ,  ne  vienne  point 
d'ailleurs  que  de  la  faintaifie  ou  de 
l'accouftumance.  En  fin  iln  y  a  per- 
fonne  qui  ne  puiffe  tirer  les  mefmes. 
raifonnemens  de  la  comparaifon 


Conjidcration  première^  ^i 

des  facultés  de  lame  iVne  auec  l'au- 
tre. Car  Ivne,  corne  i'ay  dit^conjQfte 
en  intelligcnce,&:  l'autre  envolonte 
&  en  appétit.  Or  laperfediô  delm- 
telligenceconfifteenlacônoiflance 
de  laveritéjlaquelleverité  a  fon  eftre 
déterminé  par  la  nature.Car  ce  n  eft 
pas  chofe  arbitraire  j  ou  qui  dépen- 
de de  l'imaemation  des  hômes.fi  vn 
triâgle  doit  auoir  trois  angles  égaux 
à  deux  droits,  ou  non  jc'eftvne 
chofe  d'vnc vérité  confiante, im- 
muable &  éternelle.  Ce  n'eft  pas 
chofe  arbitraire  ou  qui  dépende  de 
l'imagination  ,  s'il  y  a  eu  vn  Iules 
Cefar  ou  non  ;  c'eft  vue  chofe  qui 
pource  qu  elle  eft  faite  &c  aduenue, 
ne  peut  en  fac^on  quelconque  ne  l'e- 
ftre  pas ,  non  pas  ,  comme  difoit 
Agathon  autresfois ,  par  la  puiflan- 
ce  de  la  Diuinité  mefme.  La  vérité 
donc  ayant  fon  eftre  déterminé  par 


62.         Des  Droits  des  Aiariages 
la  nature,  la  connoifTance  qu  on  en 
a  eft  pareillement  déterminée  ,  &c 
par  confequent  la  perfedion  de 
l'entendement ,  qui  confîfte  en  cet- 
te connoifTance  j  déterminée  encO' 
re.  De  forte  qu'entre  vn  entende- 
ment bien  imbu  de  la  connoiflance 
de  la  vérité,  ôcvn  autre  qui  en  eft 
entièrement  io;norant,ou  tout  à  fait 
préoccupe  d'opinions  erronées ,  il 
y  a  vne  différence  qui  ne  dépend  pas 
de  noftre  imagination ,  mais  de  la 
nature  des  chofes  mefmes.  Com- 
ment feroitil  donc  pofTible  qu'il  y 
euft  naturellement  quelque  chofe 
déterminée  à  eftre  la  perfection  de 
noftre  intelled: ,  &  qu'il  n'y  en  euft 
point  pour  eftre  la  perfedrion  de 
nos  volontés  &  de  nos  affeâiions? 
Que  la  nature,  di-je ,  nous  euft  quat 
aux  connoiffances  de  rintelle6l:,in~ 
finiment  efleués  au  deffus  de  la  con- 


Conjîderation  première,  6^ 

dition  des  autres  animaux,  &  que 
quant  à  ce  qui  eft  de  nos  ad:ions^clle 
les  nous  eull  lailTées  indifférentes, 
comme  aux  belles  brutes  ? 

le  n'adiouceray  plus  à  tout  cela 
que  deux  confiderations.L'vne,que 
la  nature  a  donné  à  l'homme  vne  in- 
clmation  manifefte  à  la  Religion, 
l'autre,  qu'elle  nous  a  tous  formes  à 
la  locieté  :  de  forte  que  l'homme 
n'eftpasfi  toll animal  raiionnable, 
qu'il  ne  le  foit  pareillement  politi- 
que.Or  pour  ce  qui  eil  de  la  premiè- 
re de  ces  inclinatios.elle  cft  claire  en 
ce  que  nonfeulemtles  nations  po- 
lies &;cultiuées  de  quelque  ciuilité, 
mais  les  plus  barbares  mefmcs ,  en 
ont  retenu  quelque  fenriment.  De 
façon  qu'il  ny  a  iamais  eu  aucune 
foc  le  té  d'homme,  qui  ait  vefcu  fous 
quelque  forme  de  gouucrnemcnt, 
pour  imparfaite  ôc  barbare  quelle 


64-  DesDroitsdesAdarîages 
fuft ,  qui  n  ait  eu  quelque  reuercri- 
GepourlaDiuinité,  &  quelques  rc^ 
gles  pour  luy  en  donner  des  témoi- 
gnages. Ce  qui  ne  peut  eftre  venu 
d'ailleurs  finon  de  ce  que  i'ay  re- 
marqué cy  defTus ,  que  l'homme 
pour  aueugle  &  corrompu  qu'il 
foit  ,  n'a  peu  qu'il  n'ait  apperc^eu 
cette  vérité  ^  qu'il  y  a  vne  intelligen- 
ce infiniment  éleuée  au  defl'usdela 
fienne  ,  qui  fc  fait  connoiftre  en 
toutes  les  parties  de  l' vniuers ,  &  qui 
mérite  que  toutes  autres  chofes  l'ho- 
norent. Car  encore  qu'il  fe  reneotre 
en  chacune  de  ces  focietés ,  quelque 
peu  de  particuliers  qui  peut  eftre 
prennent  plaifir  à  aller  contre  ce 
commun  fentiment ,  cela  ne  doit 
pasempefcherquenousne  croïon^ 
qu'il  vient  de  quelque  impreffion 
de  la  nature.  Comme  encore  qu'il 
naiffe  des  monftres,  la  nature  ne 

laifle 


Confderatïon  première.  Cf 
laiffe  pas  pour  cela  d  auoir  détermi- 
né les  efpeces  des  chofes.  Et  encore 
qu'il  y  ait  certains  corps  humains 
d'vne  température  fi  particulière  & 
fi  extrauagante,  qu'ils  ne  fc  peu- 

i  uent  nourrir  finon  de  poifons  ou 
de  leurs  propres  excremens,  il  ne 

Is'enfiiit  pas  non  plus  que  la  nature 
ne  fi)it  caufe  de  cette  proportion 
qui  (è  rencontre  entre  les  facultés 
de  nos  corps ,  qui  font  deftinées  à 
leur  nourriture ,  &:  les  bons  fucs  ^ 
les  qualitez  alimenteufes  des  cho- 
fes. De  cela  donc  iinfere  deux  con- 

dufions.  L'vne,  que  rendre  hon- 
neur à  la  Diuinité  eft  tellement  du 
droit  de  la  naturc,qu  il  ne  peut  eftre 

\  indiffèrent  de  ne  luy  en  rendre  pas. 
Car  puisque  l'eftre  de  la  Diuinité 
n'cft  pas  arbitraire  5  mais  d'vne  na- 
ture excellente  ,  &:  qui  mérite  de 
l'honneur,  6»:  que  la  reuelation  que 

E 


(;6        Des  Droits  des  a^ariages 
la  Diuinité  donne  de  foy  n'eft  pas 
arbitraire  auflî,  mais  fi  claire  &  fi; 
manifefte  qu'il  faut  que  les  hom- 
mes la  reconnoiflent,  l'honneur  qui; 
dépend  de  cette  connoiflance  ne 
peut  eftre  arbitraire  ni  indifférente: 
non  plus  5    c'eft  la  nature  mefine 
qui  nous  enfeigne  à  le  luy  rendre.; 
Ainfi  qui  ne  le  luy  rend  pas  ^  pèche 
contre  le  droit  de  la  nature.  L'au- 
tre conclufion  eft,  qu'il  y  a  certai- 
nes règles  eftablies  par  lanature/e- 
lon  leiquelles  il  nous  faut  condui- 
re en  luy  rendant  cet  honneur,  de 
forte  que  fi  nous  ne  nous  y  con- 
formons pas,  nous  péchons  contre 
la  nature  encore.  Car  tout  objedt 
qui  mérite  de Ihonneur, équipât 
confequent   oblige  ceux  qui  luy 
font  inférieurs  à  luy  en  rendre,don- 
neluy  mefmela  mefurc  de  cet  hon- 
neur, en  partie  en  la  nature  de  fe s 


Conjtderation  première.  Cy 
quâlités,en  partie  en  leurs  degrez  & 
en  leur  étendue.  Pour  exem  pie ,  fi 
les  vertus  militaires  font  d'elles 
mefmes  plus  excellentes  que  les  ci- 
uilcs  &  les  politiques,  Cefar  (ans 
doute  a  mérité  plus  d'honneur  que 
Ciceron.  Et  pource  qu'entre  les 
vertus  foit  politiques,  foit  militai- 
res, il  y  a  des  degrez  ^  fi  les  vertus 
militaires  ont  efté  plus  eminentes 
en  Cefar  qu'en  aucun  autre  Capi- 
taine, Cefar  mérite  de  1  honneur, 
non  feulement  plus  que  Ciceron, 
mais  encore  plus  qu'Alexandre. 
Ainfi  ce  fera  Cefar  luy-mefme,qui 
en  partie  en  la  qualité  de  fes  vertus, 
en  partie  en  leur  degré  fureminent, 
donnera  lamefure,  &:  par  manière 
de  dire,  la  tablature  de  Ihonneur 
qu'on  luy  doit  rendre,  &qui  ne  le 
luy  rendra  pas  ou  conuenable  à  la 
qualité  de  fes  vertus,  ou  propor- 

E  i 


(J8  T)es  D  roits  des  Maridges 

tionné  à  leur  grandeur  ,  péchera 
contre  ces  mefures.  Puis  donc  que 
laDiuinité  fe  manifefte  aux  hom- 
mes, &  qu'en  elle  fe  reueler&ma- 
nifefter  fes  vertus ,  &c  fcs  proprie- 
tez ,  n'eft  qu  vne  mefme  chofe,  au- 
tant qu'elle  nous  en  donne  de  re- 
uelation,  autant  nous  donne  t'ellc 
de  règles,  &de  la  nature  de  Thon- 
neur,&  de  la  fa(^on  de  laquelle  nous 
le  lui  deuons  rendre  )  règles  qui  puis 
qu  elles  dépendent  de  la  conftitu- 
tion  de  noftre  obje6t ,  &  non  de 
noftre  volonté,  font  naturellement 
inuiolables.  Quant  à  l'autre  confi- 
deration  ,  cette  inclination  que 
nous  auons  naturellement  à  la  fo- 
cieté,  eft  encore  plus  abfolument 
vniuerfelle  ;  &c  a  efté  bien  dit  par 
Aritlote  autrefois ,  que  qui  ne  l'ai- 
me pas  ,  il  faut  qu  il  foit  plus 
qu'homme^  puis  que  non  plus  que 


Confideratîon  première,         Cs> 
Dieu  il  n'a  point  befoin  du  com- 
merce   ni  de  là  communication 
d'autruy,  mais  (iiffit  à  foy-mefme 
pour  fa  propre  félicité  :  ou  moins 
qu'homme^  puis  que  non  plus  que 
lesbefteSjiln'a  point  cette  inclina- 
tion ,  foit  à  goufter  le  contente- 
ment de  la  focieté,  foit  à  commu- 
niquer à  autruy  pour  le  foulage- 
mcnt  de  fa  neceffitc,  les  choies  que 
quant  à  luy  il  poffede.    Or  fi  Tin- 
clination  à  la  focieté^  eft  de  la  na- 
ture, la  focietè  fans  doute  eft  de 
la  nature    encore.    C'eft  à  dire, 
qu'il  eft,  non  du  droit pofitif  éta- 
bli par  leshommesj  qu'ils  puiflent 
abroger  quand  il  leur  plaira,  mais 
de  Tinftitution  de  la  nature  mefme, 
laquelle    eft   inuiolablc  ,      qu'ils 
viuent  en  quelque  focieté.    Et  fi 
la  focieté  eft  de  la  nature  ,  il  faut 
que  les  chofes  qui  font  neceffaires 

E3 


yo  T)es  Droits  des  ^lariagcs 
pourfa  conferuation,  foyent  delà 
nature  pareillement.  Car  ce  qui 
donne  Teflre  aux  chofes,  efl  cela 
mefme  qui  les  conferue.  Comme 
ce  n'eftpas  de'hazard,  mais  de  l'art 
&  de  Imduftrie  qu vne  machine 
artificiellement  compofée  de  plu- 
fieurs  pièces  a  eftè  conftruitepour 
certaines  opérations  &  certains 
mouuemens,  auffi  n'eft-ce  pas  du 
hazard,  mais  de  l'art  &  de  l'indu - 
ftrie  encore,  qu'elle  Te  maintient 
en  fon  eftre ,  &  qu  elle  continue  fes 
mouuemens.  Or  peut -il  y  auoir 
diuerfes  chofes  neceffaires  à  la  con- 
feruation  de  cette  focieté  ;  mais  il 
n  y  en  a  point  qui  le  foit  plus  ma- 
nifeftement  que  cette  vertu  qu'on 
appelle  la  luftice  ,  &  cette  autre 
chofe  qui  eft  neceflaire  pour  l'ad- 
miniftration  de  la  luftice ,  c'cft  à 
f^auoir ,  l'ordre  conjoint  auec  au- 


Conjîderation  première.         yi 
torité.     Permettez  à  l'injuftice  & 
à  la  violence  de  régner,  la  iocieté 
cft  rainée  j  ôc  les  hommes  s'entre- 
mangeront  comme  bettes  lauua- 
ges.    Laiflez  les  hommes  en  vne 
abfoluë  égalité  ,  de  forte  qu'il  n'y 
ait  aucun  qui  ait  autorité  deffus 
l'autre  ,  comme  les  hommes  font 
naturellement  compofez,  la  pluf- 
part  fe  laiflcront  emporter  à  leurs 
partions,  &  ainfi  Tinjudice  &  la  vio- 
lence régnera.   Partant  ou  la  fo- 
cieté  des  hommes  n'eft  pas  du  droit 
de  la  nature  ,  &de  fpn  inftitution, 
ou  la  Iufl:ice&  l'ordre  qui  la  main- 
tient, 6c  qui  la  fait  fubfifter  ,  eft 
du  droit  de  nature.  Or  eft  -  ce  af- 
fez  d'auoir   prouué    qu'il  y  a  vn 
droit  de  nature.  Mon  deflein  ne 
me  portant  pas  à  examiner  parti- 
culièrement tous  les  fujets  dans  lef- 
quels  il  fe  répand  >  mais  feulement 


72i       T^es  Droits  des  tJ^arUgcs 
à  rechercher  comment  il  règle  la 
conjonétion  de  l'homme  auec  la 
femme,  ie  pafTeray  maintenant  \ 
vnç  autre  Confideration% 


73 

CONSIDERATION 

SECONDE. 


Si  le  mariage  efl  du  Droit  de  Nature^ 
f0  comment, 

VI  confiderera  lame  de 
l'homme  attentiuemenc,  il 
y  reconnoiftra  aifémenc 
trois  fortes  de  puiflances.  Car  les 
vnes  font  abfolument  raifonnables, 
comme  l'entendement  ô^  la  vo- 
lonté j  les  autres  abfolument  irrai- 
fonnables ,  &  fur  lefquelles  il  ne 
femblc  pas  que  rcntendcment  & 
la  volonté  ayent  aucune  jurifdi- 
ûion ,  comme  font  les  facultés  vi- 


74  O^-^  Droits  des  Mariages 
taies,  quiparoifTent  au  mouuement 
du  cœur  &  du  pouls,  &  les  natu- 
relles qui  feruent  à  la  nourriture  & 
à  la  feparation  des  excremens  ;  ÔC 
les  autres  finalement  d'vne  nature 
aucunement  entremoyenne,  pour- 
ce  qu'elles  n'ont  point  d'intelligen- 
ce &  deraifon  en  clles-mefmes  à  la 
vérité  j  mais  neantmoins  elles  font 
fujettes  à  l'empire  de  la  raifon  ,  & 
font  naturellement  capables  de  luy 
obeïr.  Or  quant  à  celles  qui  font 
abfolument  raifonnables ,  ce  dcfir 
qui  porte  les  hommes  &  les  femmes 
à  fe  conjoindre  n'y  peut  pas  eftre 
rapporté,  comme  s'il  y  refidoit.  Les 
intelligences  qui  font  entièrement 
feparées  de  la  matière ,  n'en  font 
point  touchées  ;  &  au  contraire  , 
nous  le  voyons  dans  les  belles  que 
la  nature  apriuées  de  la  raifon.  Par- 
tant ces  facultés  abfolument  raifon- 


Conjtdcration  féconde.  yj 

nables  de  l'homme, ne  doiuenticy 
dire  confiderées  (mon  entant  que 
les  autres  dépendent  de  leur  em- 
pire &  de  leur  gouuernement.  Pour 
le  regard  de  celles  qui  font  abfo- 
lument  irraifonnables ,  i'ay  dit  qu'il 
ne  femble  pas  que  l'entendement 
&  la  volontéj  ayent  dcllus  elles  au- 
cun pouuoir.  De  fai6t  ^  fi  l'efto- 
mach defire  de  la  nourriture,  vous 
aurez  beau  raifonner  alencontre, 
vous  ne  le  ferez  pas  taire  pourtant. 
Et  la  force  de  la  raifon  pourra  bien 
aller  iufques  -là,  que  de  vous  faire 
porter  la  faim  patiemment,  mais 
neantmoins  elle  ne  la  vous  oftera 
pas,  &n'y  aura  difcours  ni  médi- 
tation qui  accouftume  iamais  vo- 
ftreeftomach  à  fe  pafler  d'aliment. 
Et  de  mefme  nul  effort  de  ratioci- 
nationnepeutnihafterni  retarder, 
foit  l'élaboration  du  chile  dans  le 


^C  Des  Droits  deçJMdriAges 
ventricule,  foit  l'attraétion  qui  s'en 
fait  par  les  veines  mefaraïques,  foit 
la  fanguification  qui  fe  fait  dedans 
le  foye,  foitladiftribution  du  fang 
par  les  veines,  &:  fon  aflimilation  , 
comme  on  parle,  auec  toutes  les 
diuerfcs  parties  du  corps,  foitla  fe- 
paration  qui  fe  fait  des  ferofitez  du 
fang  par  l'entremife  des  rongnons, 
foit  en  fin  cemouuementdcs  inte- 
ftins  qu'ils  appellent  periftaltique, 
quifert  àTexpulfion  des  plus  gros 
excremens  de  l'aliment.  Toutes 
ces  chofes  là  font  abfolument  hors 
de  nodre  puiffance.Etneantmoins 
pourceque  l'homme  eft  vn  animal 
raifonnable,  &  que  la  raifon  a  eftc 
mi(è  en  luy  comme  le  gouuernail 
dansvnnauire,  ou  le  cocher  furvn 
chariot  ,  il  conuient  fans  doute  à 
la  conftitution  de  fon  cftre  ,  &  à 
Tcxcellence  de  fa  nature ,  d'étendre 


Confderatïon  féconde.  7-7 

tant  qu'il  peut  fur  toutes  ces  chofes, 
le  eouuernement  &  l'autorité  de  fa 
railon.  De  forte  qu  autant  qu'il  fe 
peut,  il  rende  en  foy  raifonnables 
les  chofes  mefmes  qui  ne  le  font 
pas.  Car  c'eft  le  propre  ô<:le  natu- 
rel des  chofes  fouuerainement  ex- 
cellentes &:  efficacieufes ,  de  trans- 
former autant  qu'il  eft  polïible  en 
leur  nature,  toutes  celles  auec  lef- 
quelles  elles  ont  communion.  Voi- 
la pourquoy  ie  ne  me  feruiray  que 
de  cet  exemple.  Encore  que  la  na- 
ture ait  également  aflujetti  les  hom- 
mes &  les  belles  à  la  neceifité  de 
rendre  les  excremens  de  leurs  ali- 
mens,  fi  eft-  ce  qu'en  la  fa^on  de 
le  faire,  les  hommes  ont  toufiours 
eftmié  qu'ily  dcuoit  auoir  entr'eux 
&  les  beftes  beaucoup  de  diftm- 
6tion.  C'eft  pourquoy  au  lieu  que 
les  beftes  le  font  indifcrettement 


yS  DesD roîts  des  Mariages 
en  tous  temps ,  &  en  tous  lieux  ;  les 
hommes  ont^  s'ils peuuent,  certains 
temps  &  certains  lieux  déterminez 
pour  cela,  afin  de  ne  pécher  point 
alencontre  de  la  bien-feance,  qui 
conuient  naturellement  à  des  ani- 
maux doués  de  raifon,  de  laquelle 
les  autres  animaux  ne  peuuent  auoir 
aucune  intelUgence.  Et  qu'en  cela 
ils  (uiuent  les  enfeignemens  de  la 
nature,  il  en  appert  afles,  en  par- 
tie par  la  confîderation  de  lachofe 
en  elle-mefme,  pource  que  toute 
telle  excrétion  a  quelque  chofe  de 
deshonnefle,  en  partie  par  la  façon 
mefme  de  laquelle  elle  a  compofé 
nos  corps.  Car  comme  dans  nos 
corps  elle  a  recule  le  plus  loin  de  nos 
narines,  &  caché  le  plus  profonde- 
ment qu'elle  a  peu  ,  l'endroit  par 
lequel  nous  nous  defehargeons  du 
plus  fale  de  no5  excremens,  afin  que 


Confîdcrdt'wn  féconde,  jf 

les  fon6tions  de  nos  fens  n'en  fuf- 
fentque  le  moins  qu'il  fe  pourroit, 
offenfees ,  aufli  a  t'clle  voulu  par 
là  nous  donner  à  entendre  que 
nous  ne  deuons  pas  en  céc  égard 
auoir  moins  de  fom  de  ceux 
auec  lefquels  nous  entretenons  fo- 
cieté  ,  pour  compoler  en  quelque 
fac^on  vn  mefme  corps,  qu'elle  en  a 
voulu  elle  mefme  auoir  de  nous,  en 
cet  agencement  des  parties  qui 
nouscôpofent  Et  de  fait,  fi  la  mala- 
die nous  empefche  d'y  obferuer  cet- 
te honneftetéjnous  en  auons  du  dé- 
plaifir  ;  fi  la  folie  ou  la  frenefie  en 
ofte  la  connoiflance  à  quelqu  vn, 
nous  en  auons  compaflion^comme 
dVne  marque  qu'ayant  perdu  IV- 
fage  de  l'entendement,  il  n'en  fait 
plus  les  fonctions  honnefl:es&  rai- 
fonnables  Et  fi  nous  voyons  quel- 
qu'vn  qui  fans  vne  abfoluë  neceflî- 


Sô         D es  Droits  des  Mariagfs 
té,  néglige  ces  règles  de  rhôncfteré, 
ou  qui  volontairement  vfe  en  cet 
égard  de  la  licence  de  laquelle  les 
beftes  vfent ,  nous  nous  offenfons 
de  fon  impudence  ,  &  auons  de 
l'horreur  de  ce  qu'il  (e  priue  luy- 
mefme  de  l'vfage  de  fa  raifon,  & 
imite  la  brutalité  des  chofes  qui  en 
font  deftituées.Quand  donc  cet  ap- 
pétit de  la  conjond:ion  de  l'iiom- 
me  &^  de  la  femme  enfemble,  feroit 
de  lanature  de  ces  facultés  abfolu- 
ment  irraifonnableSj,  encorey  au- 
roit  il  certaines  reglesày  obferuer, 
fi  nous  ne  voulions  nousabbailTer 
audedous  de  l'excellence  de  noftre 
nature,  6c  renoncer  à  la  prerogati- 
ue  d  cftre  animaux  doiiés  deraifon» 
Et  véritablement  il  ne  fe  peut  pas 
nier  ,  qu'il  n'y  ait  en  luy  quelque 
chofequi  a  de  l'affinité  auecles  fa- 
cultés qui  font  deftinées  à  lexpul- 

îîou 


Confderation  féconde,  gi 

lîon  des  excremens :  d'où  vient  auflî 
qu'il  y  a  en  luy  quelque  obfcenicé, 
fur  laquelle ,  pour  la  cacher  ,  il  con- 
uient  a  l'excellence  de  la  nature  hu- 
maine ,  d'étendre  le  manteau  de 
Ihonnefteté  &  de  la  bien-feance. 
Mais  neantmoins  très  aflcuremenc 
cen'eft  pas  à  cette  forte  de  facultés 
que  cet  appétit  fe  rapporte. Dequoy 
on  pourroir  alléguer  diuers  argu- 
mens.  Car  premièrement,  comme 
ainiî  foit  que  ces  facultés  qui  font  en 
nous  non  raifonnables  en  elles  m  eC- 
mes  ,  mais  neantmoins   capables 
d'obeir  à  la  raifon  ,  ayent  ce  chara- 
6tere  certain  &  indubitable,  qui  les 
difccrnedes  autres,  qu'encore  qu'il 
ne  foit  pas  abfolument  en  noftre 
puiflance  ,  &  qu'il  ne  doiue  pas 
mefmes  eftre  en  noftrevolonté  d'en 
efteindre  tout  à  fait  les  mouue- 
niens ,  pourcc  que  lespaiTions  nous 

F 


St  D es  Droits  des  Afariages 

font  naturelles,  &  que  Dieu  eft  au- 
theur  de  la  nature,  îî  eft-ceque  ces 
mouuemens  là  ,  s'ils  font  ou  trop 
languides  j  ou  trop  vehcmens,peu- 
uent  eftre  amenés  &  réduits  à  la  mé- 
diocrité par  l'effort  de  la  raifon,  de 
mefmes  tellement  gouuernés,  fi  cet 
effort  de  la  raifon  s'y  déployé  (ou- 
uent  &  de  bonne  forte  ,  qu'ils  en 
viennent  par  l'accouftumance  à  ne 
s'émouuoir  que  quand  il  faut  6c 
comme  il  faut,  ôc  encore  auec  la 
modération  conuenable.f^Pouuoir 
que  nous  n'auons  du  tout  point  del- 
fus  ces  autres  facultés  dont  nous  ve- 
nons de  parler  )  cet  appétit  peut 
eftre  gouuerné  de  la  mefme  fa^on, 
ôcreceuoirles  mefmes  impreflions 
&  les  mefmes  habitudes.  Aufli  n'y 
eutiliamais  de  Philofophe  moral, 
qui  traittant  des  vertus  de  tempé- 
rance ôc  de  continence,  n'aie  range 


donfidcration  féconde.  Çj 

'cet  appétit  entre  les  chofes  dans 
lefquellcs   cette  vertu  peut  auoir 
lieu.    Puis  après,  bien  qu'en  certain 
égard  cet  appétit  femble  auoir  quel- 
que affinité  auec  ces  facultés  defli- 
nées  à  la  fepatation  des  relies  des 
alimens  j  fîeft-ce  quen  vn  autre 
égard  il  enefl:  infiniment  différent. 
Car  en  lafeparation  desexcremens, 
la  nature  n'a  autre  but  que  de  dé- 
charger l'animal  de  ce  qui  luy  eft 
nuifible.  Cela  fait ,  Texcrement  ne 
produit  rien  qui  foit  d'aucune  vti- 
litè.   Icy  la  fin  propre  à  laquelle  la 
nature  tend,  eft  la  génération d'vn 
autre  animal  femblable,  afin  de  le 
perpétuer  en  refpece  s'il  ne  le  peut 
eftre  en  fon  indiuidu.  Ainfi  ces  au- 
tres defirs  de  fe parer  d'auec  foy  fes; 
cxcremens,  font  purement  &  fim- 
plement  naturels,  &:dépendansdes 
facultés  naturelles, c'eft  à  dire,  nu- 

F    2. 


84        T^esT)  roits  des  Àdariages 
tritiues  feulement.    Cettuy-cy  cft 
proprement  vn  defir  animal^&qui 
conuient  à  1  animal  en  tant  que  tel. 
Or  eft  -  il  bien  vray  que  dans  les 
animaux  deftitués  de  la  raifon,ces 
appétits  font  merueilleufèment  ef- 
frénés.   En  l'homme  ^  ils  doiuent 
eftre  fujets  à  la  raifon  ,  aufli  bien 
que  les  autresappetits,qued  ailleurs 
nous  auons  communs  auec  les  be- 
lles.   Finalement,  lesmouuemens 
de  ces  autres  facultés  ont  leurs  cau- 
fes  purement  &:  fîmplement  inté- 
rieures, foit  en  labondanccj  foit en 
la  qualité  de  l'excrément,  qui  pic- 
que  ou  qui  charge  les  vaiffeaux  qui 
le  contiennent.    Au  heu ,  que  les 
caufes  des  mouuemens  de  cet  appé- 
tit icy,  font  aufli,  voire  mefme  prin- 
cipalement externes ,  &con(îftent 
en  la  reprefentation  des  objets ,  que 
la  nature  a  rendus  capables  de  les 


Conftderahon  féconde.  Sy 

exciter  Or  efl:  il  bien  vray  encore 
que  danslesanimaux  defticués  de  la 
raifon.  ces  mouuemens  font  mer- 
ueiUcufement  puiflans  :  pource  c|ue 
leurproprceftantd'exciterla  facul- 
té par  Tentremife  de  Timaginatioa 
qui  les  reçoit ,  &:  n'y  ayant  en  eux 
aucune  faculté  au  deffus  de  celle  de 
l'imagination  qui  la  règle ,  &  qui  la 
gouuerne  ,  elle  fe  lame  tout  à  fait 
faifir  de  l'objet ,  fi  ce  n'eft  que  la 
douleur  des  coupsy  en  engendre  vn 
autre ,  qui  le  reprime  &:  qui  en  dimi- 
nue &:  affoiblifle  l'efticace.  Mais 
parce  qu'en  l'homme  il  y  a  vne  fa- 
culté fuperieure  à  l'imagination,  de 
l'opération  de  laquelle  doit  dépen- 
dre l'efficace  des  objets  qui  s'y  reçoi- 
uent  comme  c'eft  a  elle  à  vfer  de  (on 
raifonnement^pour  ne  permerrre 
pas  à  fes  objets  d'agir  deltas  h  f\a- 
taifie ,  finon  au  lieu ,  au  temps ,  &  en 


^s*. 


^6  Des  Droits  des  e^^rrAtefi" 
la  médire  qu'il  faut  ,  aufîi  eft-ce 
d'elle  que  dépend  le  gouuernemenc 
&Ia  modération  de  rappetitmef- 
me.  Cet  appétit  donc  eft  de  la  natu- 
re de  ceux  qui  font  fujets  à  l'empire 
&c  au  crouuernement  de  la  raifon. 
Orla.ffe-je  icy  à  part  tous  les  autres 
égards,  félon  lefquels  la  raifon  doit 
vier  de  ce  ficn  empire  pour  gouuer- 
ner  cet  appétit  j  pour  marrefter  au 
principal ,  qui  eft  le  chois  de  l'objet 
qui  luycft  deftmé  pour  fe  conten- 
ter. 

Et  premièrement ,  à  peine  y  a  t'il 
aucun  fi  brutal  ,  &  en  qui  tous  les 
fenrimens  de  la  nature  humaine 
foyent  tellement  éteints,  quinere- 
connoifî'e  bien  qu  il  ne  luy  eft  pas 
permis  d'en  chercher  ailleurs  que 
dans  l'enceinte  de  fonefpece.  Les 
beftes  mefmes  n'en  cherchent  pas 
volontiers  ailleurs ,  ôc  fi  elles  s'ac^ 


Confideration  féconde.  S7 

couplent  de  diuerfes  efpcces  pour  la 
génération  des  hibrides,  ce  n'eft  pas 
la  plufpart  du  temps  de  leur  inftin6t 
ni  de  leur  mouuemenc  ,  c'eft  par 
Tinduftrie  de  rhonime.  Or  com- 
me lene  voudrois  pas  dire  que  les 
hommes  pèchent  en  les  accouplant 
ainfi ,  pource  que  les  belles  mefmes, 
quand  elles  lefont,  ne  pechentpas, 
le  chois  qu'elles  font  de  leurs  objets 
dépendant  d Vne  nature  brute  ab-  ^ 
folument,&par  confequent inca- 
pable de  pécher  :  aufli  dirai  je  pour- 
tant que  ces  coniondions  là  font 
contre  les  loix&  la  difpofition  de 
la  nature.  Dequoy  elle  mefme  nous 
fournit  vn  argument ,  en  ce  qu  elle 
n'a  pas  voulu  que  les  animaux  hi- 
brides, &  produits  de  cet  accouple- 
mentjfufl'ent  capables  d'engendrer, 
afin  de  ne  confondre  paslescfpeces 
des  animaux,  qu'elle  a  voulu  de- 

F  4 


88      *Des  Drohs  des  ^larUfrcs 

meurer  perpétuellement  diftin  aies. 
Or  fi  elle  n  a  pas  voulu  que  les  efpe- 
ces  des  beltes  fe  côfondiflent ,  quoy 
qu  elles  conuiennent  toutes  en  ce 
qu  elles  font  deftituées  de  la  raifon, 
beaucoup  moinsa  t'elle  permis  que: 
refpcce  de  Thomme  fe  meflaft  auec 
celle  de  la  belle  ^  c  eft  à  dire,  la  rai- 
fon auec  ce  qui  n'en  a  point.De  fait, 
bien  que  les  animaux  hibrides  ne 
conftituent  aucune  efpece  propre- 
ment ,  ainfi  dite  en  la  nature,  (  car 
toute  efpccc  proprement  dite  a  la 
Vertu  de  fe  perpétuer ,  )  fi  eft-ce  que 
ni  la  nature  ne  les  reiette  pas  hors 
de  fon  enceinte  comme  les  mon- 
ftres ,  ni  la  police  des  hommes  ne  les 
eftim  e  pas  inutiles  à  leur  focieté .  On 
en  tire  du  feruice.comme  des  autres 
animaux  que  la  nature  a  deftinés  à 
l'vfage  de  Thom  me.  Mais  quant  à  ce 
qui  naiftroit  de  la  copulation  de 


«.«.< 


Confderation  fccondc,  S^ 

riiomme  auec  les  beftes ,  ni  il  ne 
fc^auroit  eftre  aucune  forte  de  mon- 
ftrefi  terrible  ni  fi  prodigieux  ,  ni 
la  focieté  humaine  rie  la  pourroit 
fouflfrir ,  foit  comme  partie  de  fon 
corps,  ou  comme  inltrumentde- 
ftiné  à  fes commodités  &àfes  vfa- 
ges.  Ainfilefaudroitil  exterminer. 
Or  quelle  peut  eftre  la  conjondtion 
dont  le  fruit  eft  digne  d'horreur  & 
d'abomination  ,  finon  damnable 
&  abominable  elle  mefme  ?  loignés 
à  cela  qu'en  toute  conjondlion  foit 
politique  foitnaturelle  ,  mais  par- 
ticulièrement dans  les  conion6tions 
naturelles,  les  chofes  conjointes  ont 
telle  communion eufemble, qu'el- 
les s'entre-communiquent  en  quel- 
que fac^on  leur  eft  r€,&  dcuiennent 
cntr'elles  ce  que  (ont  lesparties  en 
la  compofition  dVn  tout.  Or  bien 
que  les  parties  en  tant  que  parties 


pQ        Des  Droits  des  Adarîages 
ayeni  chacune  fa  nature  particulier 
te,  de  forte  qu'on  ne  peut  pas  dire 
quelepied entant  que  pied,  fbit  la 
main  en  tant  que  relie  ,  fi  e(l-ce 
qu'entant  qu'elles  fe    ioignent   fi 
étroitement  pour  la  compofition 
dVne  feule  chofe,  elles  ont  vne  cer- 
taine nature  commune  ,  félon  la- 
quelle elles  font  aufli  vne  mefmç 
cîiofc  en  quelque  fa^on.    D  où  eft 
venu  ce  terme  de  1  Ecriture  en  la 
matière  du  mariage, que  Ihomme 
&  la  femme  ne  fontqu'vne  mefmc 
chair^  ôç  cette  loy  vniuerfelle   en 
toutes  les  polices  de  la  terre,  que 
telle  qu'cil  la  condition  du  mary  à 
l'égard  des  autres  hommes,  telle  eft 
à  peu  prés  la  condition  de  la  fem- 
me à  regard  des  autres  femmes,  à 
caufè  de  cette  communion  fi  étroi- 
te ,  qui  les  fait  en  quelque  fac^on 
vn  tous  deux.   Quand  donc  nous 


Confideration  féconde.  5)1 

n'aurions  point  d'égard  à  l'horreur 
de  la  nionîtruofité  du  fruit,  la  con- 
jondiion  d'elle -rnefme  eR  mon- 
Itrueufc  ',  non  en  ce  qu'elle  éleiie 
les  belles  à  la  condition  des  hom- 
mes (  car  cela  ne  fe  peut  J  mais  en 
ce  qu'elle  rabbaille  l'homme  à  la 
condition  des  belles;  ce  qui  ne  fe 
peut  faire  lans  crime  contre  les loix 
de  lanature,&  la  dignité  de  la  rai- 
fon.  Et  ce  crime  eft  de  telle  atro- 
cité j  que  celuy  qui  l'a  commis  s  e- 
ftant  tiré  hors  de  la  nature  des  hom- 
mes, s'eft  luv  mefme  iu2;é  indio-ne 
de  tenir  aucune  place  en  leur  to- 
cieté.  Ainfi  eft- il  du  droit  de  la 
nature,  que  l'homme  fe  contienne 
en  fon  efpece,  en  ce  qui  eft  du  chois 
de  fon  objet.  Palfons  outre 

Comme  ainh  foit  qu'en  Teipece 
des  hommes  il  y  ait  deux  fexes,  c'eft 
chofe  indubitable   qu'ils  ont  efté 


5)1         Des  Droits  des  Mariages 
faits  IVri  pour  l'autre,  &  que  la  con- 
jondion  de  deux  indiuidus  de  met 
me  fexe,  cft  contre  les  loix  de  la 
nature 6<:  delà  raifon.  Car  premiè- 
rement cet  appétit  là  nous  ayant 
elté  donné  par  la  nature  pour  la 
procréation  delà  lignée,  puis  qu'il 
eft  clair  &  èuident  qu'il  elt  contre 
l'inftitution  de  la  nature ,  qu'il  fc 
produife  rien  de  tel  par  la  con- 
jonction d'vn  mefme  fexe  ,  il  eft 
clair  &éuidentde  mefme quela  na- 
ture la  défend.    Car  c'cft  détour- 
ner vn  appétit,  &diuertir  les  ope- 
rations  qui  s'en  cnfuiuentjde  la  fin 
à  laquelle  elle  les  a  deftinèes.  Puis 
après,  veu  que  l'amour  de  lafocie- 
té  &  de  fa  conféruation  eft  naturel- 
le à  l'homme  ,  ces  copulations  y 
contreuiennent ,  pource  qu  eftans 
inutiles  à  la  procréation,  il  ne  tient 
pas  à  elles  que  la  race  des  hommes 


C  onfîderation  féconde,  53 

ne  fe  tarifle ,  &  que  par  confequenc 
U  focicté  ne  perifle  tout  à  fait.  Car 
il  eft  bien  vray  certes,  que  celuy  qui 
ne  fent point  cet  appétit  qui  porte 
les  hommes  à  la  génération,  &:qui 
parconfcquent  ne  defire  point  cet- 
te conjon£l:ion  dont  elle  dépend, 
n  eft  point  neceflairement  obligé 
à  la  rechercher ,  pour  prouigner 
Tefpece  des  hommes  &  en  conferuer 
la  focieté.  La  nature  ne  luy  en 
ayant  point  donné  le  defir,  il  nela 
fruftre  point  de  Tqs  intentions,  s'il 
ne  recherche  point  la  fin  pour  la- 
quelle elle  le  donne.  Mais  quant 
à  celuy  qui  le  fent ,  pource  que  fé- 
lon rinftitution  de  la  nature,  il  eft 
donné  pour  la  génération  ,  il  pè- 
che contre  le  droit  de  fes  loix  s*il  le 
perd  en  des  objets,  dcfquels  il  eftaf- 
feuré  par  la  mefme  difpofition  de 
la  nature  ,  qu'il  le  perdra  inutile- 


5)4  ^^^  Droits  des  tj^ariages 
ment,  ôc  qui  n'ont  point  efté  deftî- 
jiéspar  elle  pour  le  rédrc  frudueux. 
En  fin^quandon  n'auroit  point  icy 
d'cgard  àlagenerationj&  qu'on  n'y 
confîdereroit  autre  cliofe  finon  que 
cette  conjon6l:ion  eft  vn  remède  à 
l'incontinence  ,  préparé  pour  le 
foulagemèntde  la  fragilité  liumai- 
ne ,  par  la  iouyffance  de  la  volupté, 
la  feule  coftitution  des  objets  mon - 
ftrc  aflés  que  ces  deux  fexes  ont  eflé 
deftinésTyii  pour  l'autre  feulement. 
Car  la  nature  a  mis  dans  le  fexe  fc 
minin  non  feulement  les  parties  ne- 
ce  (Taires  à  la  génération  5  mais  des 
attraits  à  la  volupté  quine  font  nul- 
lement en  l'autre.  Ou  s'il  y  en  a 
quelques  vns en  l'autre  fexe  ,  ils  ne 
font  naturellement  capables  d'ex- 
citer ce  defir  finon  dans  les  femmes 
feulement.  Si  les  hommesenfont 
alluméslcsvi^senuers  les  autres,  h 


Confideratîon  jèconde.  ^f 

nature  mefme  crie  que  cela  eft  con^ 
tre  fon  inftitution  ,  &:  contre  lare 
ligion  de  Tes  loix.  Aufïi  a  ce  pè- 
che quelquefois  efté  puni  des  fiâmes 
celeftes  mefmeSj&  bien  qu'il  ait  efté 
trop  commun  parmi  les  Grecs  ôc 
les  autres  Payens ,  &  qu'entre  quel- 
ques vns  de  ceux  qui  portent  le  nom 
deChreftiens  il  n'y  en  ait  que  trop 
d  exemples,  nul  fieclene  futiamais 
pourtant  fi  vniuerfellement  coi- 
rompu,  qu'on  ne  l'ait  iugé  &  appel- 
lé  contre  nature.  Mais  toute  que- 
ftion  n'eft  pas  encore  vuidée.  Car  il 
refte  de  fcauoir  fi  après  s'eftre  inuio- 
lablement  determmé ,  &c  à  fon  efpc- 
ce  ,  &  au  fexe  différent  du  fien,  pour 
le  chois  de  fon  objet ,  l'homme  eft 
obligé  par  les  loix  de  la  nature,de  (e 
déterminer  encore  à  certains  indi- 
uidus,  par  cette  forte  de  confente- 
met  6c  d'obligation  qu'on  appelle 


^6  Des  Drohs  des  cy^ariages 
mariage.  Car  il  y  en  a  quelques  vns 
qui  ont  pené  à  fe  perfuader  que  la 
paillardife  foit  deféduc  par  le  droit 
de  la  nature ,  &  Platon  mefme  vou- 
loit  introduire  en  fa  Republique 
toute  forte  de  comunauté.  Or  pour 
commencer  par  Platon  ,  bien  qu  il 
ait  creu  que  la  communauté  des 
femmes  pouuoit  auoir  lieu  en  la 
République  ,  il  n'a  pourtant  pas 
condamné  le  mariage  comme  con- 
traire à  la  loy  de  nature  &àlaraifô. 
Et  partant  il  a  penfé  vne  chofe  ex- 
trêmement raifonnable,&  à  laquel- 
le nul  ne  peut  refîfter ,  que  quand  la 
nature  n  auroit  point  expreffémenc 
prefcritquonfe  mariaft,  c'eft  à  di- 
re qu'on  fedeterminaft  pardespro- 
meflesinuiolablesà  de  certains  ob-» 
jets,  fi  eft-ce  qu  elle  ne  la  point  dé- 
fendu auflî ,  &ainfi  ,  qu'il  eft  per- 
mis ôc  aux  hommes  &  aux  femmes 

defc 


j  Confderatïon  féconde.  «j^ 

ide  fe  déterminer  de  la  force  ,  fi  ils 
itrouuenc  des  objets  qui  s'y  obligent 
réciproquement.  Et  de  là  s'enfiii- 
uent  neceflairement  deux  cbofes* 
L'vne  ,  que  le  vrolement  n  eft  pas 
permis  par  les  loix  de  la  nature.  Car 
la  liberté  de  choifir  fdn  objet  pour 
Inenchanger  point,  encloftneceC- 
fairement  ert  foyla  liberté  de  rejet- 
jter  la  conjonction  de  celuy  qui  né 
nous  plaift  pas.  Celuy  donc  qui  par 
la  force  nous  rauit  cette  liberté, 
nous  ofte  ce  que  la  nature  nous  a 
donné  ,  Se  pèche  contre  fes  règles; 
Et  le  péché  eft  d'autant  plus  grand, 
que  la  chofe  qui  nous  eft  rauie  eft 
plus  eftimée  de  nous  ,  &  de  pluâ 
grande  importance  ,  principale- 
ment en  deux  fâchons.  LVne^  qu'en 
toute  autre  violence  par  laquelle  les 
hommes  oftent  les  vns  aux  autres 
leur  liberté ,  la  tyranaie  pourtant- 

G 


5?8        DesD  roits  des  Mariage  s 
me  lailTetelqueiefuiSj&nemefai 
point  deuenir  vne  partie  dVn  autre 
que  i'ay  à  contre-cœur  de  en  lior 
reur.  Au  lieu  qu'en  cette  conjon 
6tion,  comme  nous  auons  veu  cy 
defluSjCeux  qui  font  conjoints  de 
uicnnent  partie  l'vn  de  l'autre.  D 
forte  qu'il  arriue  parce  moyen  e;: 
quelque  façon  que  celle  à  qui  la  vio 
lence  a  efté  faite  fe  haïra  elle  mef 
me  j  &  au  lieu  que  la  nature  a  vou- 
lu tremper  cette  conjondion  dan 
les  affed:ions  les  plus  ardentes  ôcle 
plus  véhémentes  qui  foyent ,  la  vio 
lence  les  trempera  dans  vne  hain(| 
implacable.  L'autre  eft^que  lacon-[( 
jonâ:ionquife  fait  par  violence  n<l 
l.iiffepas  quelques  fois  de  produire 
la  creneracion.  Or  de  la  s'enfuiueni 
des  inconucniens  tres-confid éra- 
bles. Car  premièrement  vne  fem- 
me demeure  ainfi  malgré  Qu'elle  Cf. 


C  on fiderMion  féconde.  jp*^ 

ait,  aftreinte  aux  incommodités  de 
la  gro{refle&  de  l'éducation,  à  quoy 
elle  n'a  point  deu  eftre  obligée  ,  iî- 
non  par  vn  confentcment  volon- 
taire. Puis  après  ,  comnie  ainfifoit 
que  ce  qui  foulage  ordinairement 
cesincommoditésjfoit  latendrefTe 
desaffediôsdes  mères  enuers  leurs 
enfans,  il efl;  extrêmement  difficile 
qu'elles  ayent  ces  tendreffes  pour 
ceux  qu  elles  ont  con^eu  par  vio- 
lencercar  nous  auons  naturellement 
toute  forte  de  contrainte  en  telle 
horreur  ,  que  la  haine  s'en  répand 
mefmes  deffus  les  chofes  qui  en  ont 
efté  produites  Et  ainfîlamerenon 
feulemét  demeure  chargée  de  beau- 
coup de  foins&de  trauaux  fans  con- 
folation,  mais  mefme  eft  aucune- 
ment réduite  à  cette  neceffité  ,  de 
(èntir  efteindre  en  elle  les  afFeâ:ions 
de  la  nature  ,  &  conuertir  (es  ten- 

BIBLIOTHECA 
0(tavi©n»»V 


loo       Des  Droits  des ç^arhges 
drefles  en  haine  &  en  indignation. 
Enfin,  pource  qu'il eft de  ladifpo- 
fîtion  de  la  nature  ,  que  les  pères  & 
les  mères  laiflent  leurs  biens  à  leurs 
cnfans,  fi  par  la  loy  de  la  police  ceux 
qui  naiflent  deviolement  fiiccedent 
au  bien  de  leurmerc,  celuy  quil'a 
violée ,  luy  a  donné  vn  héritier  mal- 
gré qu'elle  en  euft  ;  ce  qui  n'eftpas 
de  l'équité  ni  de  laraifon.  S'ils  n'y 
fiiccedent  pas ,  l'ordre  de  la  nature 
demeure  troublé  par  ce  moyen  ;  & 
la  nicrc  outre  l'iniuftice  qu'elle  a 
fouiferte  en  fii  perfi^nne,  re(^oit  en- 
core ce  defauantage  ^  denelaiffer 
pasfelonladifpofitionde  la  nature 
l'héritage  de  fi^n  bien  à  fi)n  enfant. 
L'autre  chofe  qui  s'enfiiitde  ce  que 
le  mariagCjS  il  n  eft  commandé,  au 
moins  eft  il  permis  parla  nature, 
eft  que  l'adultère  cft  contre  fesloix. 
Et  cela  conftepremierement  de  ce- 


Conjidcration  féconde.  lor 

luy  qui  fe  commet  entre  vne  per- 
fonne  mariée,  3c  vne  qui  ne  l'cil:  pas. 
Car  la  perfonne  manée  viole  la  ioy 
qu  elle  auoit  donnée  auparauant,de 
denefe  conjoindre  pouit  à  d'autre 
objet.  Or  la  violation  de  la  foy ,  ôc 
encore  folemnellement  donnée  en 
chofes  efquelles  on  la  peut  donner, 
cft  contre  le  droi6b  de  la  nature.  Ec 
la  perfonne  qui  ne  l'eft  pas  ofte  à  ce- 
luy  au  preiudice  duquel  l'adultère  fe 
commet,cequiluy  appartient,  non 
feulement  fans  fon  confentement, 
mais  5  comme  il  eft  neceflairement 
àprefumer,  contre  fa  volonté  bien 
certaine  ôc  bien  véhémente.  Ce 
qui  eft  contre  la  iuftice  :,  ôc  la  iuftice 
eft  du  droi6l  de  nature  ,  comme 
nousauonsveu.  Puis apres,il  confie 
encore  &:  en  plus  forts  termes  d?  ce- 
luy  qui  fe  commet  entre  perfonnes 
qui  font  mariées  des  deux  coftés. 

G    3 


îoi  Des  Droits  des  Aï ariagcs 
Car  ainfi  il  y  a  des  deux  coftés&  vio- 
lation de  foy,&  iniuftice.  EtàlVa 
&  à  l'autre  vous  pouués  adiouter 
cette  condderation  ,  qu'on  fup- 
pofeàceluy  aupreiudicede  cjui l'a- 
dultère fe  commet ,  desenfans  qui- 
ne  font  pas  fiensj  pour  auoir  la  pei- 
ne ^lefoin  de  leur  nourriture  &  de 
leur  éducation  j  &les  introduire  en 
fa  fuccefTion ,  contre  toute  forte  dç 
raifon&deiuftice. 

Mais  voyons  vn  peu  fur  quelles 
raifons  Platon  a  fondé  cette  com- 
munauté des  femmes.    Si,difoit  il, 
les  femmes &:  les  enfans  eftoient  cô- 
muns  j  il  fâudroit  que  les  biens  le 
fuffent  aufli3&  fi  les  biens l'eftoyenr, 
on  auroit  tranché  dans  la  racine  la- 
uarice  &c  l'ambition   de  ccnx  qui 
veulent  poffeder  plus  que  les  autres, 
ê^fenuie  de  ceux  quinepofledenç 
pas  tant.    Or  eft-ccordinwemenç 


ConfiderMion  Jccondc.  lo  3 

de  ces  deux  fources  que  viennent  les 
defordres  ai  les  feditions  dans  les 
Républiques.  Derechef ,  dic  il,  ft 
toutes  chofes  eiloyent  communes, 
^mefines  les  femmes  (5s:lesenfans, 
toute  la  republique  n'eftant  qu  vne 
famille  j  il  y  auroit  entre  tous  les  ci- 
toyens autant  d'aftedion  &:  d'ar- 
deur de  bonne  volonté  ,  qu  oa  en 
void  ordinairement  entre  les  frères 
&les  fœurs  en  vne  mefme  mai(or. 
Au  lieu  que  les  affections  eftans  rcf- 
ferrées  dans  les  familleSjOu  au  moins 
dans  les  parentés^  comme  les  maria- 
ge les  compofent  ,  le  relie  des  ci- 
toyens font  eftrangers  les  vns  aux 
autres,  6c  par  conlequent  fort  peu 
affectionnés  entr'eux.  Quant  à  la 
première  de  ces  raiions ,  le  ne  me 
contenteray  pas  de  d  ■  re  que  la  com* 
munautédes  biens  ellablolumenc 
impoffible  à  introduire  dans  lesRe- 

G4 


ÏG4        Des  T)mts  des  Àdariaies 
publiques  5  ni,  comme  Ariîtoterd 
fçmarqué,  qu'elle  rendroit les liom- 
pies  negligens^comme  on  void  pat 
expérience  que  les  chofes  que  Ion 
pofîede,  ou  que  Ion  doit folliciter 
en  commun,  font  ordinairement 
abandonnées,  chacun  fe  repofant 
deflusfoncompagnône  diraymef- 
|ne  qu'elle  eft  contre  le  droit  de  la 
nature.  Car  les  biens  font  pour  la 
nourriture  èc  la  fubfiftancedesin- 
4iuidus  particuliers,  èc  la  commu- 
nauté ne  fe  nourrit  point  autre- 
ment, finon  que  tous  les  indiuidus, 
chacun  en  fon  endroit,  ont  de  quoy 
viure.   Il  faut  donc  neceffairemenc 
que  le  bien  qui  fe  recueillera  d Vn 
champ  commun,  fe  diuife  entre  les 
particuliers ,  &  ainfi  encore  que  le 
fonds  foit  commun,  les  fruits  en 
feront  diuifez  pourtant.   L  air  mef- 
ge  que  nous  refpirons,  qui  ell  la 


Conjideration  Jecande.  105 

thofela  plus  commune  du  monde 
après  la  lumière ,  fe  diuife  par  la 
reipirarion  ^ &  à  mefure que  le lac- 
lire  dans  mon  poulmon^ilperd  fa 
condition  de  commun,  Ôc  me  de- 
uient  particulier  &c  propre.  Et  fi 
quelqu Vn  m'empefchoit  de  1  atti- 
rer à  moy,  ou  pour  le  diuertir  ^  ou 
pour  fe  le  vendiquer,  il  feroit  en 
cela  contre  le  droit  delà nature^qui 
me  donne  cette  partie  de  lair  qui 
eft  la  plus  prochaine  de  moy,  pour 
le  rafraichifTement  de  mon  poul- 
mon.  Il  y  a  plus.  l'eftimeque  la 
diuilion  du  fonds  mefme,  eft  du 
droit  de  nature  ,  eu  égard  à  lacon- 
ftitution  des  chofes  humaines.  Car 
peut  cftre  n'eft-il  pas  impofïible 
qu'en  vne  communauté  de  vingt 
ou  trente perfonnes  feulement,  vn 
fonds  puifle  eftre  tellement  pofTedé 
par  indiuis,  que  les  fruits  puis  après 


io6  "Des  Droits  des  z^drlagcs 
fe  diuifent  aux  parciculiers  ,  fans 
qu'il  arriue  du  defoidre,  pource 
qu'il  ne  fera  peut-eflre  pas  extrê- 
mement difficile  de  proportionner 
en  la  diftribution,la  melure  du  fruit 
à  la  mefure  du  labeur  que  chacun 
aura  pris  en  la  culture.  Mais  en 
vne  République  toute  entière,  où 
les  eftatsô*^  les  conditions  des  hom- 
mes font  a  différentes ,  où  les  vns 
font  Laboureurs  ,  &:  les  autres 
Soldats,  &  les  autres  Marchands, 
&  les  autres  Magifl:rats,&  les  autres 
feruiteurs,  foit  des  Soldats  ,  ou  des 
Magiftrats,  ou  des  Marchands  en- 
core, quel  moyen  y  a  t'il  de  telle- 
ment adjufter  &  proportionner  les 
chofes,  que  ceux  qui  ne  labourent 
point,  re-cueillent  &  partagent  les 
fruits  de  la  terre  pofledée  par  in- 
dmis,auecles  Laboureurs, &  que  les 
Laboureurs  participent  ou  au  gain, 


Confideration  féconde.  1Q7 

des  Marchands,  ou  aux  gages  des 
MacTiftrats,ou  à  lafolde  &  au  butin 
des  Soldacs,auec  telle  proportiô  que 
persône  ne  fe  puiile  plaindre  que  l'é- 
galité ny  ait  pas  elU  gardée?  Et  fi  ce- 
la eft  impofllble  en  vne  République 
quia  toutsô  peuple  en  l'enceinte  de 
Tes  murailles,  &  tout  fon  territoire 
trois  ou  quatre  lieues  à  lentour, 
comblé  le  lérat'il  plus  encore  dans 
les  grands  empires  ?  le  dis  donc  qu'il 
eft  du  Droit  de  la  nature ,  que  cha- 
cun poffededela  terre  ce  qu'il  en  a 
iuftement  de  légitimement  acquis 
parles  voyes  railbnnables  ,  ôc  qui 
donnent  vniufte  tiltreà  lapoflef- 
fion  deschofes.  Or  fila  commu- 
nauté des  biens  n  a  point  de  lieu ,  le 
fondement  fur  lequel  Platonvou- 
loit  baftir  la  communauté  des  fem- 
mes &  des  cnfans  n'en  a  point 
non  plus.  Et  fi  la  poffelTion   des 


io8         Des  Droits  des  A^ariages 
biens  delà  terre  par  portions  diui- 
fées  felôlesiuftes  tiltres  qu'on  en  a, 
eftdu  droit  de  nature ,  la  diuifion 
&  pofTefîion  particulière  des  fem- 
mes &  des  enfans ,  félonie iulle til- 
tre  de  mariage  par  lequel  on  (è  les 
efl:  acquis,  eft  du  Droit  de  nature  de 
mefme.    Ce  que  ie  prouue  par  ces 
raifons.  Premièrement  ,  l'homme 
&  la  femme  font  tellement  rendus 
parties  l'vn  de  l'autre  par  cette  con- 
jonélion^qu'ilsnefont  envne  cer- 
taine façon  quVne  mefme  chofe 
Et    s'ils  ne  font    qu'vnc    mefme 
chofe  ,  il  eft  du  Droit  de  nature, 
qu'ils  communiquent    aux  biens 
Tvn  de  l'autre,  ce  qui  ne  peut  eftre 
files  femmes  font  communes,&:les 
biens  diuifés  aux  particuliers.    Puis 
après ,  il  eft  du  Droit  de  la  nature 
que  les  pères  nourriifent  leurs  en- 
fans  ,  ôc  que  les  enfans  lucc^dent  au 


Conjideration  jeconde.  lop 
bien  de  leurs  pères.  Or  comment 
cil- ce  que  cela  fe  fera  fi  lesenfaas 
font  communs ,  de  forte  qu'il  foie, 
comme  il  fera,  impoflible  abfolu- 
ment  de  les  alïigner  chacun  au  père 
qui  les  a  engendrés rEn  fin^fi  la  iuftc 
pofleifion  d  vne  chofe  quei'ayac- 
quife  ,  la  rend  tellement  mienne 
qu'il  foit  contre  le  Droit  de  la  natu- 
re de  m'en  dépofTeder,  ou  delà  vou- 
ioirpoffederauec  moy  communé- 
mentjCertesleschofesqueiacquiers 
ou  de  mon  trauail  ou  de  mon  ar- 
gent, ne  font  pas  tant  à  moy,  que  la 
femme  que  ie  me  fuis  acquife  par 
cette  conjondièn  ,  ni  que  les  cn- 
fansquienfont  procédés.  De  for- 
te quil  fera  encore  beaucoup 
plus  contre  le  Droit  de  la  nature^ 
que  quelqu'vn  me  les  olle,  ou  pour 
les  polfeder  communément  aucc 
moy  ,  ou  pour  me  les  rauir  tout  à 


iîô  T>es  Droits  des  aJ^Iariages 
fait.  Que  fi  quelquVn  difoit  icy  qu'il 
n'eft  point  contre  le  Droit  de  la  na- 
ture, quVn  autre  vienne  auec  moy 
iôiiir  en  commun  du  bien  que  ie 
pofrcde,pourueu  que  i'y  confente^ 
&  qu'il  en  fera  ainfî  de  la  commu- 
nauté des  femmes  &:  des  enfans, 
pourueuque  tous  y  apportent  leur  ; 
contentement ,  il  y  a  deux  chofes  à 
refpondre.  LVneque  nousprefup- 
pofons  icy  ce  que  aousauons  prou- 
ué  cy  deifus  ,  que  la  diuifion  des 
biens  eil;  du  Droit  de  nature.  Ot 
n'implique  t  il  pas  contradidtionà 
la  vérité 5  qu'vn  homme  en  admette 
deux  ou  trois  autres  à  la  poifeifion 
de  fon  bien  par  indiuis^ô»: que  neât- 
moins  les  biens  demeurent  en  quel- 
que façon  partagés  &  diuifés.  Car 
s'ils  font  indiuis  entre  ces  trois ,  au 
moins  font  ils  diuifés  à  Tégard  de 
tous  les  aucres.Mais  d'admettre  vni- 


Conjideration  féconde.  tn 

ueifellement  tout  le  monde  à  la 
coinunautédemesbiens3&  neant- 
moins  les  pofleder  en  particulier  jCe 
font  chofes entièrement  répugnan- 
tes &conrradi6loires.  Or  veut  Pla- 
ton 5  non  qu'vne  ,  ou  deux ,  ou  trois 
femmes, foyent  communes  à  deux 
ou  trois  hommes  feulement  j  mais 
qu'elles  foyent  communes  indife- 
remmenr.Comme  donc  ie  ne  fcau- 
rois  par  le  droit  de  la  nature  ,  don- 
ner de  confentement  à  l'abfolue 
communauté  de  mes  biens,  ainfî 
^ie  n'en  f(^aurois  donner  à  l'abfolue 
communauté  des  femmes  Se  des  en- 
fans.  La  féconde  eft,  que  l'homme 
parlaconjondion  auec  la  femme, 
fe  l'acquiert  en  telle  fac^on ,  auela 
femme  (e  l'acquiert  auili  au  réci- 
proque.   De  forte  que  le  mariage 
n'acquiert  pas  feulement  au  mary 
ivti  certain  droit  qui  luy  oblige  fa 


uz  Des  Droiéîs  des  Mariages 
femme  ;  la  femme  y  en  acquiert 
aufli  vn  qui  luy  oblige  fon  mary. 
Et  bien  quily  ait  vne  grandiflime 
différence  entre  la  relation  des  en- 
fans  au  père ,  &  celle  de  la  femme  au 
mary,  en  ce  que  la  relation  de  la 
femme  au  mary  cft  en  quelque  fa- 
<^on  d'égalité  :,  au  lieu  que  celle  des 
enfansau  père  eft  d'inégalité  toute 
entiere.Ia  nature  pourtant  ne  laiffe 
pas  d'auoir  conftitué  certains  droits 
entr'eu  x ,  contre  lefquels  le  père  pè- 
che s'il  les  viole.  Car  pour  exemple, 
vn  père  ne  peut  pas  defauoùer  &  re- 
jetter  vn  fils  fans  bonne  raifon, 
quand  il  n  a  commis  aucune  defo- 
beiffance  ni  rébellion ,  &  s'il  le  fait, 
il  pèche  contre  les  droits  delà  natu- 
re. Ni  le  mary  donc  ni  le  père  n'a 
pas  tel  droit  deffus  fa  femme  ni  def- 
fusfes  enfans,pour  donner  de  tels 
confentcmens.,  quVn  Seigneur  a 

delTus 


Confiàcration  féconde,  115 

deflus  fon  héritage,  fur  lequel  il  a  tel 
droit  que  l'héritage  n  en  a  point  du 
tout  defl'us  luy  j  mais  dépend  ^  pour 
cequieftd'efirepofledédeluy  j  ou 
de  ne  Tellrc  pas,  de  fa  volonté  tou- 
te pure.  Ainfi  ne  peut  on  donner 
ce  confentement,  fans  difpofer  des 
chofes  qui  ne  font  pas  en  noflrc 
puiffance  abfolue ,  fans  violer  la  iu- 
ftice,6^  par  confequént  fans  pécher 
cotre  les  droits  de  la  nature.Poutce 
qui  eft  de  la  féconde  raifonde  Pla- 
ton ,  autre  eft  Taffedion  que  nous 
portons  à  nos  concitoyenSjentanc 
que  ce  font  nos  concitoyens,  &  au- 
tre celle  que  nous  portonsà  nos  pa- 
rens,  à  caufe  de  l'affinité  ou  de  k 
confanguinité.  LVne  eft  fondée  fur 
cette  confideration  ,  qu  eftant  tous 
dVn  mefme  corps  politique  j  qui 
tend  à  vne  mefme  félicité  politique 
demefmc,  nous  deuons  touscnâ-» 

H 


114  Des  Droits  des  <iJMarîages 
cun  en  fon  endroit  contribuer  à  ce 
huty&c  par  confequent  eftre  bieni: 
d'accord  les  vns  auecjes  autres ,  &i 
nous  entre-vouloir  &  procurer  du 
bien.  L'autre  ne  dépend  pas  de  là, 
niais  de  ce  qu'eftant  defcendus  d'vn  \i 
niefmeeftoc^nousfommesen  quel- 
que fac^on  vn  en  luy,  &  ^  comme  dit 
l'Efcriture,  chair  de  la  chair,  &os^ 
des  os  les  vn  s  des  autres.  C'eft  a  dire,i 
que  nous  auons  entre  nousvnetellç 
communion  de  fang,  qu'aimer  nos 
parensj  c'eft  en  quelque  fac^on  ai- 
mer noftre  propre  chair  &  nous 
niefmcs.  Or  eft  il  bien  vray  que  plus 
on  peut  rendre  cette  aiFecStion  poli- 
tique inuiolable,  &  plusenreuient 
il  de  bien  à  la  focieté;  mais  il  faut 
que  ce  foit  par  des  raifons  ^  des 
confiderations  prifes  du  but  auquel 
la  police  tend ,  qui  eft  la  félicité  de 
la  republique,  dans  laquelle  celle  do 


Conjideration  féconde,  115 

chaque  citoyen  eft  enclofe.  Pour  ce 
quieftde  l'affedtionquivient  de  la 
confanguinité,clIe  n'y  eft  pas  ne- 
ceflaire    Mais  quand  elle  y  appor- 
teroit  quelque  vti  lité,  tant  s'en  faut 
que  la  communauté  des  femmes  y 
contribuaft,  qu'elle  y  eft  directe- 
ment contraire.  Car  les  affedtions 
que  le  mariage  engendre  font  ou 
deconfanguinité ,  qui  feprouigne 
par  lesenfans  5  ou  d'affinité  ,  qui  lie 
auec  nous  les  parens  des  femmes 
aufquelles  nous  nous  conioignons 
par  mariage.  Pour  ce  qui  eft  de  la 
confanguinitéj  ni  les  pères  ne  peu- 
uent  auoir  de  vrayes  affedtions  pout 
leurs  enfanSj  ni  les  enfans  pour  leurs 
pères  ,  s'ils  ne  s'entreconnoifTent 
point.  Or  comment  s'entreconnoi- 
ftroyent-ils  en  cette  naiflance  fî 
confufe,&  fi  indéterminée  quivicnc 
delacomunautédes  femmes  ?  Cela 

H  X 


ii6       D  es  T)roits  des  Maria^^es 
donc  eft  retrancher  les  affedioni 
de  confanguinité  dans  la  racine. 
Quant  aux  freres,ils  ne  fe  reconnoi- 
(Iront  frères  que  de   mère  feule- 
ment ,  fi  au  moins  l'éducation  leur 
permet  de  fc^auoir  de  quelle  merc 
ils  auront  efté  enfantés.  Et  pour  ce 
qui  eft  des  oncles  &  des  coufins  ger- 
mains, ils  n'auront  aucune  con- 
noiffanceles  vns  des  autres  ,  finon 
extrêmement  tenebrculè ,  impar- 
faite, &  douteufe,  ce  qui  ruine  en- 
tièrement lafFedion.  Pour  ce  qui 
eft  l'affinité^comme  on  dit  que  ceux 
qui  pafTent  p;vr  les  hoftelleries  en 
voyageant ,  font  beaucoup  de  con- 
noiflances,  &  peu  d'amis,  pourcc 
quel  amitié  ne  s'acquiert  que  parla 
conuerfation  dVn  temps  afles  con- 
fiderable ,  ainfi  pourroit  on  bien 
dire  que  ceux  qui  fe  ioignent  à  plu- 
fieurs  femmes,  font  beaucoup  d  af- 


Conjtderation  féconde.  ny 

finîtes  ,  mais  qui  ne  font  fuiuies 
d'aucunes  affections ,  pourcc  que  le 
fréquent  changement  les  empcichc 
de  s'enraciner.  Comment  de  s'en- 
raciner? La  communauté  des  fem- 
mes les  empefche  de  germera  de 
naiftre  en  fa^on  quelconque.  Car 
fila  femme  à  laquelle  ie  me  con- 
joins^eft  née  dans  cette  communau- 
té j  ne  connoiflant  point  fon  père, 
ie  ne  connoiftray  point  fes  parens 
paternels,  &  bien  que  ie  connoifle 
là  mère ,  ie  n'auray  ppis  plus  de  con- 
noiflance  de  fes  parens  maternels 
que  des  autres.  Que  fi  quelqu'vn  di- 
foit  icy  pour  Platon,qu  encore  qu  o 
ne  connoifle  pas  fes  plus  proches,  fi 
iqait-on  en  gênerai  qu'on  eft  tous 
parens,  il  fera  aifé  de  luy  refpondre 
que  les  parères  vagues  &  indctermi- 
nées,&:defquelles  nous  auons  peu  de 
diftin6te  connoiflance  ,  n  engen- 


1 18  DesD  roits  des.  Mariages 

drent  aucune  affection  3  &  que  meA 
mes  les  parentés  certaines ,  à  mefure 
qu'elles  s'éloignent,  les  laifTentef- 
facer  déteindre  tout  à  fait.  De  for- 
te qu'en  vne  republique  tant  foie 
peupopuleufe^oùla  communauté 
des  femmes  auroit  lieu,  la  parenté 
n'auroit   pas  dauantage  de  vertu 
pour  créer  de  rafFe6lion:,quela  con- 
iideration  de  cette  commune  con- 
fanguinké,quilie  tous  les  hommes 
entr'eux,  en  produit  maintenant 
entre  ceux  qu^  ont  cette  créance, 
que  nouslommes  tous  formés  d'vn 
mefme  fang  ,  &  defcendus  d'vn 
mefmepere.Ce  quin'empefchepas 
les  querelles  entre  les  ellrangers,  ni 
lesfeditions  entre  les  concitoyens, 
entre  qui  neantmoinsil  eft  impof- 
fîble  que  cette  ancienne  parenté  ne 
fe  foit  renouuelée  par  diuerfes  al- 
liances,  le  dis  donc  au  contraire. 


Confderation  féconde,  iip 

que  la  détermination  de  certains 
objets,  auec  qui  on  le  conioigne, 
eftplus  capable  de  contribuer  à  ce 
qu'il  y  ait  aftcdbion  &:  bonne  intelli- 
gence entre  les  concitoyens,  que  la 
communauté  des  femmes.  Pour  ce 
que  les  parentés  eftans  dillin6les&: 
dilHn6tement  connues  ,  chacune 
redouble  les  affedions  entre  ceux 
qui  s'entiretiennent  par  le  fang^  6c 
les  alliances  qui  fc  font  de  parenté  a 
parenté  ,  les  lient  eftroittement  les 
vnsauec  les  autres.  Mais  confide- 
rons  la  cliofe  vn  peu  de  plus  prés^  &: 
voyons  fi  la  conjondlion  de  l'hom- 
me &  de  la  femme  hors  le  maria^-é^ 
eftabfolument  illicirepar  ledroi6t 
de  la  nature.  Cette  conjondtion 
donc,  difent  les  lurifconfultes,  eft 
ordonnée  pour  deux  fins  L'vneeft 
la  procréation  des  enfans  \  l'autre 
eft  le  foulagement  de  la  fragilité 

H   4 


no  Des  Droits  des  ty^^ritiges 
qui  paroift  en  l'incontinence  de 
^^on^mc  ,  par  la  iouy fiance  dVnc 
légitime  volupté.  Or  quant  à  ce  qui 
clïde  la  première,  dmerfes  raifons 
nous  induifent  à  croire  que  le  droiç 
de  la  nature  rend  le  mariage  necef- 
faire  en  cet  égard.  Premièrement, 
Te^jccellence  de  noftre  eftre  au  def- 
fus  des  belles ,  requiert  neceflaire- 
ment  qu'il  y  ait  quelque  diftmdion 
entr'elles  àc  nous^  pour  la  procréa- 
tion de  nos  enfans.  S  i  donc  nous  les 
femons  indeterminément  en  tou 
tes  fortes  d'objets,  qu'elle  différence 
yatilençet  égard  entre  nous  &  les 
belles  f  Puis  après,  le  père  &  la  mè- 
re concourent  tellement  à  la  géné- 
ration ^  que  le  père  neantmoms  y 
cft  confideré  comme  la  principale 
caufe.  Si  donc  il  eil  du  droit  de  la 
nature  ^  comme  aucun  ne  le  peut 
nier,  s'il  ne  veut  cftre  redargué  pat 


Confiderdtion  féconde.  iti 

les  belles  mefmes,  que  l'engendrant 
^ime  ce  qui  eft  engendré  de  luy.ces 
affedions  naturelles  doiuent  eilrc 
au  père  &:  en  la  mère  égale ment.Or 
comment  le  trouueront  elles  dans 
les  pères  jS  ils  n'ont  point  de  certai- 
nes connoiflances  que  tels  ôc  tels 
foyent  leurs  enfans  ?  Et  comment 
enpeuuent  ilsauoir  s'ils  (e  meflent 
indifféremment  auec  toutes  fortes 
d'objets,  qui  feront  aufli  communs 
à  vne  infinité  d  autres?  Entre  les  be- 
lles, à  la  vérité  les  malles  ne  paroif 
fent  pas  auoir  ces  affeâ:ions  comme 
les  femelles.  Mais  c  eft  pource  que 
n  ayans  point  de  raifon  ,  ils  n'ont 
point  d'objet  determiné,ni  decmi- 
noiflancc  de  la  production  de  leur 
femçnce.  Que  fi  la  nature  leur  auoit 
donné  quelque  cftincellc  de  raifon 
ôc  d'intelligence ,  ils  feroient  tout 
çç  qu'ils  pourroicnt  pour   auoir 


lit  Des  Droits  des  Mariages 
quelque  certitude  du  fruit  quils  au- 
loyent  engédré  Et  pource  que  cela 
ne  fe  peut  autrement  que  par  la  dé- 
termination de  certains  objets,  ils 
cilayeroien  t  à  fe  les  aftedler  particu- 
lièrement par  quelque  efpece  de 
mariage.  Puis  donc  que  l'homme 
a  receUj  non  vne  étincelle  feule-^  ; 
ment,  mais  vne  grande  abondance 
d'intelligence  &  de  raifon,  il  dé- 
générée ferabaifle  infiniment  au 
deffous  de  l'excellence  de  fa  natu- 
re, s'il  néglige  d'auoir  vne  certaine 
connoiffance  de  fon  fruit.  En  troi- 
fîefme  lieu,  outre  ce  que  les  affe-  - 
(Sbions  naturelles  portent  ceux  qui 
engendrent  à  la  nourriture  de  ce, 
qu'ils  ont  engendré,  le  droit  de  la . 
nature  les  y  oblige  ,  quand  ils  n'y 
feroient  pas  fi  afFe6tionnés.  Et  de 
cela  elle  nous  a  fourni  vn  enfeigne- 
ment  indubitable  j  en  ce  qu'elle  a 


Conftderatïon  féconde.  1x5 

donné  des  mammelles  aux  fem- 
mes ,  qu'elle  remplit  elle  mefme 
de  leur  propre  fang ,  elabouré  de 
telle  force ,  qu'il  ferc  à  ces  créatures 
«ncore  cendres,  d'vn  merueilleufe- 
nient  excellent  &  conuenable  ali- 
jiienr.    De  manière  qu'elle  a  vou- 
lu _,  non   qu'elles  nourriifent  leur 
fruit  feulement ,    mais  qu'elles  le 
nourriffent  de   leur  propre    fub^ 
fiance.    Or  ce   qu'elle  a  pratiquç 
à  l'endroit  des  femelles,  eil  vn  en- 
feignement  indubitable  aux  martes, 
du  deuoir  auquel  ils  font  obligez, 
car  ils  ne  font  pas  moins  auteurs  de 
l'eftre  de  leur  fruits  qu'elles  \  Ôc  lî 
la  nature  les  a  defcliargezôc  de  l'in- 
commodité de  porter  eux-mefmes 
leurs  enfans  dans  le  ventre,  &:  de  la 
peine  de  les  nourrir  de  leur  propre 
làng  ,  ils  n'en  font  que  plus  étroi- 
tement obligés  d'employer  l'indu- 


114        "Des  Droits  des  Q^arlages 
ftrie  de  laquelle  la  nature  les  a  pour^ 
ueus ,  à  fournir  à  la  merc ,  qui  ne 
peut  trauailler    pendant  tout   ce 
temps,  dequoy  faire  du  fang  pour 
nourrir  leurs  communs  enfans,  &" 
reparer  la  fubftance  qu'ils  empor- 
tent.   Deuoir  au  refte  duquel  ils  ne 
fè  peuuent  acquitter ,    s'ils  n*ont 
point  de  certaine  connoiflance  qu« 
tels  &  tels  enfans  leur  appartien- 
nent 5  &  ainfi  ils  manqueront  aux 
affedions  de  la  nature,  ôi  commet- 
tront  vne  injuftice  quant  ôc  quant , 
en  ne  fourniflant  point  aux  enfans 
ce  qu'ils  leur  doiuentj&laiflant  à  la 
mère  cette  charge  toute  entière,  au 
lieu  que  par  le  droit  de  la  nature 
elle  n'en  deuroit  porter  que  fa  part. 
Finalement ,    comme  nous  auons 
veu  cy-defTus,  l'homme  eft  né  pour 
la  police,  6c  pour  la  religion ,  &  doit 
auoir  naturellement  des  incUna*^, 


Conjtderation  féconde,  ti$ 
tions  pour  la  conferuationdervne 
ôc  de  l'autre  ;  pource  que  l'vnc  eft  ce 
qui  luy  communique  la  félicité 
dont  il  eft:  capable  en  la  terre  ,  & 
l'autre  luy  donne  lafleurance  de 
celle  qu^il  peut  defirer  au  Ciel.  Et 
derechef,  pource  que  IVnea  pour 
but  le  bien  des  autres  hommes  fes 
femblables,  aufquels  il  efl;  obligé 
par  beaucoup  dedeuoirs>,  &  l'autre 
a  pour  objet  la  Diuinité,  à  laquelle 
il  efl;  tenu  de  toutes  chofcs.  Or  ces 
inchnations  ni  ces  deuoirs  ne  fe  ter- 
minent pas  enfaperfonne,  ilspaf- 
fent  aufii  iufques  deflus  fes  cnfans, 
&$'il  eft  tenu  de  les  nourrir  pen- 
dant leur  basaage,  il  eft  encore 
plus  obligé  de  les  inftruire^quand 
ils  font  capables  dmftru6i:ion5à  ce 
qu'ils  puiffent  deuenir  tels  qu'ils  doi- 
ucnt  eftre  pour  s'acquitter  de  leurs 
deuoirs  en  tous  ces  deux  égards,  ô^ 


Il  (>       DesD  roits  des  Ad  aria  les 

o 

paruenir  à  la  iouiflance  de  1  Vne  & 
de  l'autre  félicité ,  que  ces  deux  for- 
tes  de  focieté,  politique  &  religieu- 
fe,  promettent.  Et  comme  cette  in- 
ftitution  eft  propre  à  l'homme  à 
caufe  de  l'excellence  de  (a  nature,  au 
lieu  que  la  nourriture  par  le  fang,  & 
les  autres  chofesdeftinéesàcela,luy 
eft  commune  auec  les  autres  ani- 
maux ,  la  nature  qui  nous  a  faits 
hommes,  nous  a  encore  beaucoup 
plus  eftroittement  obligés  en  cet 
égard ,  quelle  n'a  fait  en  l'autre ,  en- 
tant qu'elle  nous  a  faits  animaux. 
Or  comment  s'acquittera  l'homme 
de  ce  deuoir  fî  fa  pofterité  luy  eft  in- 
connue ?  Le  mariage  donc  eft  abfo- 
lument  du  droit  de  la  nature,  eu 
égard  à  la  première  de  ces  fins.Reftc 
la  féconde,  fur  laquelle  nous  auons 
à  faire  diuerfes  confiderations.  La 
première  eft  que  la  nature  doit  eftrc 


Confderation  Jccondc,  nj 

confiderée  en  deux  manières  jc'eft 
à  fçauoir,  entière  ôc  vuide  de  vice  & 
de  corruption  i  &c  puis  après, alté- 
rée par  quelque  deprauation.  Or 
quelle  que  foit  la  caufe  qui  nous  a 
produits  en  eftref&  nous  auons  veu 
cy  defTus  quil  faut  que  ce  foit  la  Di- 
uinité  j  il  n'y  a  point  de  doute  qu  el- 
le nous  a  produits  en  ce  premier 
eftat.  Elle  eft  trop  bonne,  trop  Tagc, 
trop  fainâ;e,&  trop  puifTante,  ayant 
deflein  de  créer  vne  nature  ,  dont 
Texcellencc  des  facultés  leleue in- 
finiment au  deflus  de  toutes  les 
autres  vifibles  ,  pour  la  créer,  non 
imparfaite  feulement  ,  mais  en- 
core corrompue  &  vicieufe.  Or 
en  cet  eftat  de  perfection  ^  à 
proprement  parler ^  iln'ypouuoit 
auoir  d'incontinence,  tous  les  ap- 
pétits corporels  eftans  entièrement 
aflujettis  a  la  raifon.    Ainfi  la  fin 


Ïi8     T>es  Droits  des  ^dria^es 
de  la  conjoncSVion  de  l'homme  aued 
la  femme,  euft  efté  vnique  pour  la 
génération  des  enfans  j  &c  partant 
cette  féconde  n'eft  que  fubalterne, 
&c  furuenuë  par  laccident  de  la 
Corruption ,  de  laquelle  la  nature 
humaine  eft  altérée.  Si  donc  le  ma- 
riage eft  abfolument  du  droit  delà- 
nature,  eu  égard  a  cette  première 
fin^de  fac^on  que  hors  de  luy  la  con- 
jon6tion  de  l'homme  &  de  la  fem- 
me foit  entièrement  ilUcite,  il  n'y 
peut  auoir  aucune  raifon  que  cette 
fin  fubalterne  ,  qui  n'eft  venue  que 
par  l'accident  de  la  corruption,  la 
rende  légitime  &  non  vicieufe.    Il 
faut  que  la  chofe  demeure   telle 
qu'elle  eftoit  en  elle  mefme,  &  que 
s'il  y  furuient   quelque    chofe  de 
nouueau  ,  ce  foit  la  liberté  d'vfèr 
du  mariage  pour  la  volupté,  au  lieu 
quauparauant& félon  la  première 

iufticution 


Conjîderation  féconde,  115) 
inftitution  delà  nature,  iln  en  fal- 
loir vfer  que  pour  la  procréation  de 
la  lignée.  La  féconde  efl:,que  quand 
^ne  chofe  a  deux  fins ,  l'vne  princi- 
pale &  plus  naturelle  ,  l'autre  qui 
i'eft  moins ,  il  ne  conuient  pas  à 
i'inftitution  de  la  naturejors  qu'on 
i  la  connoilfancedel'vne&del'au- 
:re  de  ces  fins,  d'y  fuiure  la  moins 
principale, à l^entiere  exclufion  de 
:elle  qui  I'eft  dauâtage.  Pour  exem- 
ple, la  nature  a  mis  dans  les  viandes 
deux  chofes  :  l'vne  eft,  la  qualité 
ilimenteufe  qui  les  rend  capables 
Je  fuftenter  nos  corps  :  l'autre  eft 
la  douceur  du  gouft  ^  qui  cha- 
LoiiiUe  de  quelque  volupté  quand 
jnen  vfe.  le  dis  donc  que  fi  la  na- 
ture ne  nous  défend  pas  en  cher- 
chant dans  lesalimensnoftre nour- 
riture, d'y  auoir  par  acceflbire  quel- 
que égard  à  la  volupté ,  au  moins 

I 


I 


0 


11 


130  TDes  Droits  des  Aiariagcs 
certes  nous  défend  elle  d'y  auoit 
tellement  égard,  que  nous  n'yfaf- 
fions  aucune  confîdcration  de  no- 
flie  nourriture  ,  &  du  befbin  que 
nous  en  auons.  Autrement  c'cft 
pcruertir  la  dcftination  de  la  natu- 
re, &  conuertir  en  principal  ce  qui 
n'cftoit  que  Taccefloire feulement 
&  faire  fi  peu  de  cas  du  principal^ 
que  mefmes  on  n'enfaffe  pas  vn  ac- 
ccflbirc.  Veu  donc  que  la  princi- 
pale &  plus  naturelle  fin  de  la  con- 
jon6tion  de  l'homme  auec  la  fem- 
me ,  eft  la  génération,  la  nature 
nous  défend  d'en  vfer  fans  y  faire 
aucune  confideration  delà  généra- 
tion, &  des  enfans  qui  en  peuucnt 
naiftre.  De  fait, quiconque  fe  con- 
joint à  vne  femme  hors  mariage,  (c 
met  en  vneuident  péril  d'encourii 
tous  les  mcoucnicns  que  nous  auon! 
cy-delTus  remarqué  dépendre dV 


ConfderatUn  féconde.  131 

ne  eeneration  vague  &  indecermi- 

n  /  ri 

née.  La  croifieme  Conuderation 
eft,  que  quand  la  nature  nous  au- 
roic  permis  de  ne  regarder  en  cette 
adion  finon  à  la  volupté  feule- 
ment ,  fi  eft  -  ce  que  puis  que  nous 
femmes  hommes,  cette  volupté  de- 
uroiteftre  fujette  au  gouuernement 
de  la  raifon.  Car  elle  eft  de  la  natu- 
re de  ces  chofes  fur  lefquelles  nous 
aaonsveucy-deflus  que  la  raifon  a 
delà  domination.  Orbienquela 
raifon  doiue  déterminer  des  autres 
circonftances  qui  doiuent  régler 
l'vfage  de  cette  volupté ,  comme  eft 
le  lieu,  le  temps,  l'occafion,  &  le* 
autres  chofes  femblables,  fi  n'y  en 
a  t'il  aucune  en  qui  il  luy  conuien- 
ne  tant  de  faire  paroiftre  fon  intel- 
ligence dans  les  règles  de  ce  qui  eft 
honnefte  &  beau,  quela  détermi- 
nation de  l'ob j et.    Non  feulement 

I  2. 


1 


Cl 


13 1  Des  D roits des  JUarUocs 
parce  qu'en  toutes  les  allions  mo 
raies  elle  a  principalement  égard; 
la  nature  de  l'objet,  mais  encore 
pource  que  quand  elle  n'y  auroi 
pomt  tant  d'égard  dans  les  autre 
aurions  morales  5  elleyendoitauoi 
vn  particulier  en  celle  cy.  Et  la  rai 
fon  en  eft ,  que  de  toutes  les  circon 
fiances  dont  lobferuation  ou  h 
négligence  peut  contribuer  quel 
que  chofe  à  rendre  cette  a6lion  01 
bonneftc  ou  deshonnefle  morale- 
rnent  ,  il  n'y  en  a  aucune  ou  qu 
nous  approche,  ou  qui  nous  reçu 
le  tant  de  la  nature  des  beftes,  que 
la  détermination  ou  l'indetermina 
tion  de  l'objet.  Car  il  n'y  a  rien  qu 
témoigne  tant  en  cela  la  brutalité 
&la  feniualité  des  chenaux ,  que  der 
hennir  &  de  s'emporter  vniuerlelle 
ment  à  toutes  rencontres.  La  qua- 
triefme  finalement  eft,  que  ceux! 


il 


C onjtdcnttion  féconde.  135 

|ui  fe  conjoigiiearj  le  font,  ou  à  in- 
cntion  dauoir  des  eufans  ^  ou  à  in- 
:cnaon   leulemenc    de   contenter 
CUL"  conuoitife  par  la  volupté.    Si 
j'elt  à  intention  d'auoir  des  en- 
LvAs,  ceft  de  l'inllindt  Ôiàxi  mou-. 
Liemenc  de  la  nature  qu'il  arriue, 
ique  tous  ceux  qui   font  ailociés 
en  la  production  de  quelque  ou- 
urage^acquierent  par  cette  commu- 
nication certaines  aftedlions ,  qui 
demeurent,  mefmes  après l'opcra- 
ition.  Les  collègues  dans  les  char- 
ges, ceux  qui  trauaillent  enfemble 
idans  les  ouura2:es  des  Arts,  &:o-ene- 
ralement  tous  ceux  qui  contribuent 
chacun  de  leur  part  à  la  produdion 
de  quelque  effe6t  confîderable  ,  en 
y  vniffant  leurs  foins  &  leurs  tra- 
uauXj  y  vniiTent  aufli  leurs  afFeôtiôs 
&leurs  incUnatiôs  enfemble.  Or  eft: 
la  génération  des  enfans  ,  fansdif- 

13 


ÎJ4        '^^^  Droits  des  Adariagcs 
ficultéjlc  plus  bel  ouurage  du  mon- 
de.  Et  partant  ,   il  conuknt  aux 
mouuemens  de  la  nature,  que  ceux 
qui  fe  conjoignent  pour  y  contri- 
buer ,  y  acquièrent  des  affedions 
réciproques  ,  qui  demeurent  per-l 
manentes ,  melmes  après  l'ade  de 
la  génération.  Et  ce  d'autant  plus, 
que  dans  tousles  autres  ouurages  lesJ 
ouuriers  ne  ioignent  que  leurs  foins  " 
de  le  trauail  de  leurs  mains,  au  lieu 
quen  cettuy-cy  l'homme  &  la  fem- 
me deuiennent  en  quelque  façon 
vne  mefme  chofe  entr'eux  ^  ôc  s'v- 
niffent  tellement  en  leurs  enfans, 
qu  ils  n'y  compofent  abfolument 
qu'vne  mefme  perfonne ,  dans  la-  ^ 
quelle  ils  fe  font  prouignés  égale- 
ment. Et  véritablement  la  nature 
parle  icy  merucilleufement  haut. 
Car  dans  les  perfonnes  raifonna- 
bles^  auant  cette  coniondion ,  il  y 


Conjtderation  féconde.  13J 

'  a  de  merueiUeufement  ardentes  af- 
fections ,  &  qui  iurpailent  les  forces 
ôild véhémence  déroutes  les  incli- 
nations du  monde. Et  depuis  la  con- 
jondion ,  cesafFe6tions  demeurent 
Il  fermes  ,  &c  fi  confiantes  dans  le 
mariage  ,  qu'il  n'y  a  point  de  ii 
eftroit  lien  dans  la  (ocieté  de  tout  le 
f^enre  humain.  Or  en  ces  conjon- 
cl:ions  vagues,  &  qui  changent  fou- 
uent  d'objet,  ni  il  n'en  eft,  ni  il  n'en 
peut  pas  élire  ainfi.  Quelque  ardeur 
qu'il  y  ayt  dans  les  aftections  auant 
la  conjondlion,  elles  demeurent  en- 
tièrement éteintes  après ,  &  mefmes 
fe  toui^nent  afles  fouucnt  en  haine 
&:  en  me(pris  ,  ce  qui  eft  dired:e- 
ment  contre  la  difpofition  de  la  na- 
ture. Si  ce  n  eft  point  à  intention 
d'auoirdesenfansj  mais  feulement 
pour  aflbuuir  la  conuoitifejpuis  que 
toutauflî  toft  quelle  eft  afTouuie, 

14 


13 <?       Des  Droits  des  JMarïages 
ceux quife font  approches  fefepa- 
rentauflîvuidesd'affedion  que  les 
animaux    delhtués   de   la  raifon, 
(  quoy  que  les  Naturaliftes  difenc 
qu'entre  quelques  vns  il  y  a  quelque 
elpece  de  mariage  ,  comme  entre 
les  tourterelles, &  les  clephans  )& 
que  feparés  qu'ils  font  de  la  forte ,  ils 
Viennent  après  pour  les  mefmes  rai- 
fons,  à fe coupler  auec  d'autres  ob- 
jets ,  &  puis  à  d'autres,  &  puis  à  d'au- 
tres encore  fans  dil1:ina:ion&  fans 
arreft  ,  iene  voy  pas  qu'elle  diffé- 
rence il  y  ait  en  cet  égard  entre  les 
hommes  ôiles  bell:es,qui  n'ont  auilî 
point  d'autre  but  en  leurs  adions, 
que  laffoumiTement  de  leur  vo- 
lupté, &n  ont  point  d'autre  règle 
pour  le  chois  des  objets  auec  lef- 
quels  elles  la  veulent  affouuir  ,  que 
celles  que  leur  fournit  vne  paffion 
erratique  &  {ans  iugement,  ou  vnç 


Confideration  Jccondc,  137 

rencontre  fortuite  Ôc  vagabonde. 
Veu  donc  que  comme  le  Tay  re- 
marqué diuerfes  fpis  ,  la  conjon- 
dion  de  1  homme  ôc  de  la  femme 
lie  de  Tvn  à  lautre  vne  ii  étroite  cô  - 
munion,  qu'ils  deuienncnt  en  quel- 
que iorte  partie  l'vn  de  l'autre  réci- 
proquement, elle  ne  peut  eftre  ainii 
volage,  indiicrecte,  &  ians  arrell,  6c 
dépendante  de  la  volupté  ,  comme 
de  lonvnique  fin  ,  que  première- 
ment chacun  ne  s'abaifle  bien  loin 
audelîous  de  la  dicrnité  de  Teftre 
que  Dieu  luy  auoit  donné.  Puis 
après  qu'il  ne  fe  deshonore  encore, 
eu  Te  faifant  volontairement  os  des 
os  de  chair  de  la  chair  d  vne  perfon  - 
nequis'eil  ainfi  auilie  bienloinau 
deflbus  de  l'excellence  de  fa  nature. 
Partant  foit  que  Amplement  on  y 
recherche  des  enfans ,  foit  qu'on  y 
aitaufliégardàla  fragilité  humai- 


i^S  Des  Droits  des  Aîariages 
ne,  félon  le  droit  de  la  nature  cette 
forte  de  coniondrion  doit  eftre  en- 
tre les  objets  déterminés  ik  choifis 
auec  meureté  de  iugement ,  &  refo- 
lution  de  demeurer  ferme  en  l'cle- 
d:ion  quî  en  a  vne  fois  elle  faite. 
Maintenant  il  nous  faut  parler  du 
nombre  de  ces  objets,  &:  voir  s'il  cft 
permis  d'en  auoirplufîeursenmel- 
me  temps ,  ou  fi  n'en  auoir  qu'vn 
eft  de  la  difpofition  du  droit  de  na- 
ture. 


»35> 


fil  fi\  ti\ 


CONSIDERATION 

TROISIESME. 


Si  le  mariage  d'ojn  auec  ojne  cFl  àa 
'Uroit  de  Nature. 

L  faut  examiner  quatre 
queftioRs  en  cetteConfi-» 
deration.Sil  eft  permis  d'a- 
uoir  plulieurs  femmes  fiiccefime- 
ment  les  vnesaux  autres,  quand  les 
premiers  mariages  ont  efté  diflous 
par  la  mort.  S  il  eft  permis  d*en 
auoir  plufîeurs  fucceilmement  les 
vnes  aux  autres  fans  mort^  le  maria- 
ge cftantdiffous  par  lediuorce  fèu- 
îtmcnt.   S'il  eft  pcrm.is  d'en  auoir 


140  Des  Droits  des  (J^'^y'tages 
plufieurs  en  mefme  temps,  mais 
d'inégale  condition,  les  vnes  fem- 
mes &  les  autres  concubines.  Et  en 
fin  ,  s'il  ell  permis  d'en  auoir  plu- 
fieurs en  melmc  temps,  toutes  éga- 
les en  condition.  Or  quant  à  la  pre- 
mière de  ces  quefl:ions,queIques  vns 
ont  autrefois  condamné  les  fécon- 
des noces  entoures  fortes  de  per~ 
fonnes,comme  Tertullien,&  main- 
tenant il  y  en  a  encore  qui  ne  les  ap- 
prouuent  pasen  certaine  forte  de 
gens,  tels  que  font  les  Miniilres  de 
l'Eglife.  Ce  qui  fans  doute  a  cité  auf 
fi  le fentiment de  plufieurs  en lan- 
tiquité.  Pour  ce  qui  ell  de  Tertullic, 
très  afleurement  il  n'a  pas  bien  con~ 
fideréce  qui  eft  du  droit  delà  dif- 
pofition  de  la  nature.  Car  puisque 
le  mariage  eft  conftitué  pour  ces 
deux  fins  ,  l'vn  la  génération  des 
enfans ,  l'autre  ,  le  remède  à  l'ia- 


Confideration  troijiejme.  141 
continence,  fi  la  mort  d'vne  pre- 
mière femme  oftoitàfonmary  qui 
(uruir  ,  ledefir  d'auoir  des  enfans, 
ou  fi  elle  luy  donnoit  le  don  de  con- 
tinence, peuteilrelobligeroit  elle 
en  quelque  manière  à  ne  fe  rema- 
rier pas.  Mais  puis  qu'il  peut  arriuer 
quelemary  fiiruiuant,  demeure  par 
ledecésde  fa  Femme,  pour  ce  qui 
regarde  ou  le  befoin  ou  le  defir  d'a- 
uoir des  enfans ,  au  mefmeeftat  au- 
quel il  cftoit  lors  qu'il  s'eft  marié 
premièrement ,  il  elt  de  la  difpofi- 
tion  du  droit  de  la  nature  qu'il  y 
pouruoyc  auffi  de  la  mefme  fac^on. 
Car  tout  ce  qui  peut  empefcher  que 
la  conjondVion  d'vn  homme  auec 
vne  femme  foit  licite  ,  les  circon- 
ftances  du  temps ,  du  lieu ,  èc  s'il 
y  en  a  encore  quelque  autrc,y  eflans 
obferuées,  confifte  au  chois  de  lob- 
jet.    Et  n'y  peut  auoir  de  vice  au 


14 i  T^es  Droits  des  tJHariagcs 
chois  de  lobjet, fînon  ou  qu'il  cfl: 
vague  &  indéterminé  ^  ou  qu'en- 
core qu'il  foie  déterminé  comme  le 
mariage  le  requiert ,  par  les  affe- 
(Stions  &par  la  promefTe,  fi  eft-ce 
que  celuy  qui  le  choifit  n'eft  pas  en 
fa  propre  puiflance.  C'eft  à  dire , 
qu'eftant  défia  conjoint  à  vn  autre, 
il  n'eft  pas  le  maiftre  de  fon  corps , 
puisqu'il  l'a  engagé  ailleurs  par  la 
foy  de  mariage.  Or  icydefi^rmais 
nous  fiippofons  que  l'objet  eft  dé- 
terminé comme  il  faut.  Et  quant  à 
e(keen  fa  propre  puiflance,  à  la  vé- 
rité tandis  que  la  femme  vit, le  ma- 
ry  n'eft  pas  le  maiftre  abfolu  de  fon 
propre  corps;  mais  elle  morte,  qui 
peut  douter  qu'en  mourant  elle  ne 
l'ait  laifle  en  vne  liberté  toute  en- 
tière ?  La  mort  deftruifant  l'eftre 
de  laperfonncj  détruit  auffi  toutes 
fes  relations,  &  annuUe  toutes  ces 


Conftdcration  trolfcfme.  145 
fortes  de  liaifons  &  de  communions 
qu  elle  pouuoit  auoiren  la  vie.  Or 
ce  que  ie  dis  du  mary ,  doit  eftrc  en- 
tendu de  la  femme  pareillement  >  la 
raifon  en  eftant  tout  à  fait  fembla- 
ble.  Ce  n'eft  pas  qu  il  n'y  ait  icy 
quelques  bienfeances  à  obferuer, 
qui  pource  que  ce  font  des  bien- 
feances ,  font  aufli  en  quelque  fa- 
çon du  droit  de  la  nature.  Caren- 
cor  que  la  mort  diflolue  le  lien  du 
mariage  en  vn  moment ,  il  n  eft  pas 
de  rhonneftcté  pourtant  ,  qu'elle 
diflolue  en  vn  moment  les  afFe^bios 
&  le  fouuenir  de  l'alliance  précé- 
dente. Naturellement  lesamitiésj& 
toutes  forces  daffedions  bien  &  lé- 
gitimement contrariées,  nes'abo- 
liflcnt  que  par  trait  de  temps,  &nc 
fe  détachent  finon  lentement 
des  facultés  de  nos  efprits  ou  elles 
seftoyent  attachées,    C'eft  pouf;^ 


Î44       -^^-^  DroiÛs  des  Mariages 
quoyileftde  1  honnefteté  delana- 
ture ,  de  laifTer   écouler    quelque 
temps  raifonnable  auant  que  de  fc 
remarier.  Et  les  femmes  y  font  en- 
cor  plus  obligées  que  les  hommes, 
pour  deux  railbns.  LVne,  que  la  na- 
ture leur  doit  auoir  donné  plus  de 
retenue  en  l'accomplifTement  de  ce 
defir.  L'autre  qu'il  eft  neceflairede 
fçauoir  s'il  ne  refte  point  en  elles 
quelque  fruit  de   la  conjondtion 
précédente.    Car  Ci  le  mary  a  laifTé 
fa  femme  enceinte,  pourccqu'il  re- 
uit  dedans  fon  enfant,  &  que  tan- 
dis que  l'enfant  eft  au  ventre,  il  n  eft 
réputé  qu  vne  mefme  chofe  auec  la 
mère,  elle  demeure  encore  en  quel- 
que fac^on  vne  mefme  chofe  auec 
fon  mary,  iufques  à  ce  que  l'enfant 
eftant  feparé  d'elle  parlanaiffance, 
tous  ces  liens  coiugaux  qu'elle  auoit 
auec  fon  mary,  foient  rompus.  De 

forte 


ConfideTcttlon  troîfejme.  145 
forte  que  c'eftauec  beaucoup  defa- 
^e (le  qu'on  a  eftabli  ces  conftitu- 
tions  Ecclefîaftiques  ,  qui  défen- 
dent aux  femmes  les  fécondes  no- 
ces ,  iufques  à  ce  qu'il  (e  foit  paffé 
vn  temps  affcs  raifonnable  pour  fai- 
re connoiftre  entièrement  fi  elles 
font  enceintes  ou  non.  Mais  cette 
bienfeance  obferuée  ,  il  ne  peut 
refter  de  doute  que  par  les  loix  de 
la  nature ,  le  fécond  mariage  ne  foie 
permis.  Car  quant  aux  fpeculations 
queTercuIlien  fait  là  deffus^ccfont 
pour  la  plufpart  ieux  de  fon  efprit, 
&  s'il  y  en  a  quelques  autres  qui  ne 
méritent  pas  abfolument  ce  non  de 
ieux,tantyaqu elles  n'ont  aucune 
folidité  confiderable.  Ors'ileftdu 
droit  de  la  nature  indifféremment 
pour  toutes  fortes  de  gens,  qu'il  foie 
permis  d'auoir  plufieurs  femmes^ 
pourueu  qu'on  les  aie  fucceffiue- 


i4<î  Des  D  roits  des  Addriages 
ment  ^  ie  ne  voy  point  de  raifori 
pourquoy  on  doiue  priuer  de  cette 
liberté  ceux  qui  font  employés  au 
minifterede  l'Eglife  ,  pourcequd 
le  miniftere  de  l'Eglife  de  foy  ni 
n'empefche  pas  en  eux  le  befoin ,  ni| 
néteintpas  ledefirdesfecodesnop 
ces.  l'aduoue  que  comme  en  toutes 
autres  chofes ,  en  cellecy  encore  no- 
tamment, ils  doiuent  vfer  de  plu^ 
de  retenue  &  de  circonfpe6tion  que 
les  autres,  à  caufè  de  la  granité  de 
leur  chai  ge.Ie  ne  nie  pas  mefm e  que 
i\  abfolument  ils  fe  pouuoyent  paC- 
ferde  mariage,  il  nefuftplus  expé- 
dient pour  eux  ,afin  de  sacquiter 
des  fondlions  de  leur  miniftere  plus 
alaigrement,  de  renoncer  non  feu- 
lement aux  fécondes ,  mais  mefmes 
de  s'abftenir  des  premières  nopces 
Mais  puis  que  le  defir  d'auoir  des 
enfanseft  naturel,  iln'eft  pas  con- 


ConJiJeration  troïjicfme.  t^y 
uenable  aux  loix  de  la  nature  de  leur 
en  ofter  la  liberté ,  fi  eux-mefincs 
n'y  renoncent  volontairement.  Et 
puis  que  cette  forte  d'incontinence 
eil:  vnc  efpece  de  maladie  y  à  la  gue- 
rifon  de  laquelle  le  mariage  a  efté 
deftiné ,  s'ils  n'en  font  pas  guéris ,  il 
ne  femble  pas  non  plus  eftre  de  l  e- 
quitéde  la  nature  y  delespriuerdu 
remède.  Auflî  fcait  on  bien  dans 
quels  inconueniens  l'ordre  Eccle- 
fiaftique  eft  tombé  ,  pour  auoir  en 
cela  voulu  fuiure  des  loix  qui  ne 
s'accordent  pas  auec  les  difpofîtions 
delà  nature.  Venons  maintenant  à 
la  féconde  queftion. 

Pource  que  le  diuorce  a  efté  per-^ 
mis  entre  les  Grecs  &  les  Romains, 
natiôsquifemblent  auoir  le  mieux 
reconnu  ce  qui  cft  des  droits  de  la 
nature,  comme  il  paroiftpar  les  li- 
ures  qu'ils  ont  écrits  de  la  Philofo-; 


148  T^cs  Droits  des  ^^artages 
phie  morale ,  &  par  la  lurifpruden- 
ce  qui  a  donné  tant  de  réputation 
principalement  aux  derniers  ,  il 
pourroit  fembler  à  quelques -vns 
qu'il  n'y  a  rien  qui  en  choque  la  dif- 
pofition  en  cette  couftume  qu'ils 
ont  pratiquée,  de  fe  remarier  après 
s'eftrefeparésd'vne  première  fem^- 
me^pendant  qu'elle eft  viuante  Et 
pource  que  Dieu  mefme  l'auoit 
ainfi  permis  parmi  le  peuple  d'I- 
fraël  5  il  pourroit  fembler  encor  que 
k  iugement  qu'ils  en  on  fait,auroit 
efté  confirmé  par  l'authorité  de 
Dieu  mefme.Mais  pour  ce  que  lefus 
Chrift  par  reftabliflement  de  la  re- 
ligion dont  il  eft  auteur ,  a  condam- 
né le  diuorce  j  excepté  celuy  qui  (è 
fait  pource  que  l'vn  des  conjoints  a 
violé  fa  foy,  il  faut  neceffairement 
que  ce  qu'ilenaordené  foit  fondé, 
ou  bien  fur  ce  quil  a  voulu  donner 


I 


Conftderation  troifefme.        149 
à  ceux  qui  fuiuroyenc  fa  religion, 
desregles  de  leurs  deportemenSj  qui 
éleualient  leur  faiiicteté  au  délias 
de  la  meiure  6c  de  Tellenduë  de  cel- 
le qui  eit  prefcrite  par  la  nature ,  oa 
qu  yayanc  dans  le  diuorce  quelque 
choie  contre  le  droit  de  nature  ,  il 
ait  voulu  réduire  l 'S  chofes  aux  ter- 
mes de  leur  origine,  &:  de  la  premiè- 
re antiquité.   Or  trois  raifonsnou-s 
font  voie  manifeftement  que  c'eit 
I  fur  cette    féconde    confideration 
!  qu'il  a  fondé  fa  deftenle  de  feparer 
:  le  mariage  par  le  diuorce ,  excepté 
i  en  cas  de  violation  de  lafoy.  L  vne 
I  efl:  qu'il  dit  aux  luifs  que  Moyfe 
i  le   leur  a  ainlî  accordé   à  caufe 
i  de  la  dureté  de  leurs  cœurs.  C  eftà 
dire,  que  s'il  n'y  euft  point  eu  de 
mauuaife    difpofition    dedans  le 
cœur  des  luifs,  &  encore  mauuaife 
difpofition  déterminée  &  comme 

K3 


ijO  TDes  T)  roits  des  Àdariages 
iiiuinciblc^Ie  Legiflateur  en  cuft  dif- 
polé  autrement,  il  faut  donc  que 
cette  conilitution  air  efté  accom- 
modèe^  non  aux  droits  de  la  natu- 
re, de  laquelle  fî  lesluifseuffentfui^ 
ui  les  mouuemens  par  la  raifon  :.  ils 
n'euflent  point  eu  befoin  de  cette 
loyj  mais  à  la  prudence  politique , 
qui  permet  quelquesfois  vn  moin- 
dre mal  pour  en  cuiter  vn  plus  grâd^ 
ou  qui  ne  pouuant  retrancher 
le  mal  tout  à  fait ,  le  limite  &  le 
rétreint  entre  certaines  bornes  ,  à 
cequil  nedeuienne  pas  pernicieux 
à  la  focieté.  Et  comme  ainfî  loit 
qu'il  y  ait  de  deux  fortes  de  permif- 
fîons  d'vne  chofe  ;  l'vne ,  qui  la 
rend  licite,  de  forte  que  celuy  qui 
la  fait  ne  pèche  point  i  l'autre,  qui 
confifteen  vne  certaine  indulgen- 
ce, qui  déclare  feulement  que  s'il 
jrriue  à quclquVn  de  la  faire,  pour 


.    C onfideratien  troijicfme.  iji 

quelques  raifons  politiques  on  ne 
le  punira  pas^cette  permiilion  a  deu 
eitre  de  cette  féconde  maniere.C'eil 
que  Dieu  en  qualité  de  Legiflateur 
(3c  de  Magiftrat  particulier  de  cette 
République,  déclare  que  tels&:  tels 
diuorces  demeureront  impunis,  en 
ce  qui  regarde  les  peines  eftablies 
par  les  loix  politiques  feulement , 
i  ms  neantmoins  prejudicier entant 
que  Dieu&  luge  de  toutlVniuers^ 
aux  premières inftitutions  de  la  na- 
ture.   La  féconde  raifon  eft  ^  que 
lefus  Clirift  dit  qu'au  commence- 
ment il  n'en  eftoitpas  ainfi.  Ceft 
a  dire,  qu'il  veut  qu'on  regarde  à  la 
première  inftitution  du  mariage^ 
idon  que  ce  mefmcMoyfenousen 
a  fait  le  récit.    Et  de  fait,  cela  pofé 
que  ce  récit  eft  véritable,    comme 
lefus  Chrift  &  ceux  àqui  U  parloic 
lefuppofoient  tel,  le  premier  ma- 

K  4 


iji  Des  Droits  des  ,JMariagcy 
riage  a  deu  dire  non  feulement  le 
modèle  de  tous  les  autreSj  mais  en- 
core le  tableau  danslequel  les  droits 
naturels  qui  le  concernent,  nous 
ontefté  reprefentés.  Car  d'vn  co- 
fté  l'homme  &  la  femme  n'ayans 
point  encore  de  mauuaife  difpofi- 
tion  en  leurs  efprits^iln  ejftoit  point 
befoin  que  Dieu  y  vfaft  de  cette 
condefcendance  politique,  dont  il 
a  vfé  enuers  les  luifs.  Et  de  l'autre, 
eftant  l'auteur  de  la  nature,  il con- 
uenoit  à  fa  Sageffe  qu'il  inllituaft 
le  mariage  ablolument  félon  les 
droits  qu'il  y  auoit  ellablis.  Puis 
donc  qu'il  conjoint  l'homme  &  la 
femme  ,  vn  auec  vne,  pour  eltre 
chair  de  la  chair  ;,  àc  os  des  os  l'vn 
de  l'autre,  &  cela  fi  étroittement 
qu'ils  ne  conftituent  qu'vne  mefme 
chair  j  il  eft  affés  clair  qu'il  nous 
veut  donner  à  entendre,  que  cette 


Conjtdcration  troijîcfrne.  1J5 

coii'ondion  ell  abiolument  infe- 
parable^  iî  ccn  eft  pour  le  cas  donc 
lelus  Chnlt   fait  mention ,  mais 
dont  il  n  elloit  m  necellaire  ni  à 
propos  que  Dieu  donnait  alors  au^ 
cunc  lignification  ^pource  qu'il  ne 
le  faloit  pas  meimc  ibupçonner  en 
cette  intégrité  de  la  nature.    La 
troilîelme  hnalement  eft^que  la  na- 
ture mefme   y  parle  afles    claire- 
ment. Car  premièrement  il  y  a  cet- 
te diiierence  entre  le  mariage  j   ôc 
toutes  les  autres  alliances  que  les 
hommes  contrarient    enfemble, 
quelles  qu'elles  foient^que  dans  les 
autres  il  n'y  interuient  rien  autre 
chofe  qu'vn  confentement  de  vo- 
lonté. Or  toutes  communions  con- 
tradées  par  le  feul  confentement 
de  la  volonté/ont  fans  doute  poli- 
tiques. Et  comme  elles  fcfontcon- 
iradées  par  le  confentement  mu;^ 


i5'4         Des  Droits  des  M anazes 
tuel  de  deux  diuerfes  volonccs,  la 
voye.  naturelle   de  les    diflbudrcj 
comme  difent  les  Iurifconfultes,eft 
par  le  confentementdemefme.  En 
celle-cy  au  contraire  il  interuient 
vne  certaine  a6lion  qui  la  rend  phy- 
lîque  &  naturelle.  Or  les  commu- 
nions &  liaifons  naturelles  ne  fe  dif- 
loluent  pas  par  le  confentement  des 
volontés  '■,    il  faut  neceflairement 
que  ce  foit  par  quelque  chofe  natu  - 
relie  de  melme.  Comme  donc  en- 
core que  le  père  &  le  fils  s'accorda!- 
fentenfemble  de  icparer  cette  cô- 
munionj&  d'éteindre  ces  relations 
qui  font  entreux,  (î  demeurent-ils 
tels  pourtant  \  telle  chofe  ne  dépen- 
dant pas  de  la  difpafition  de  la  vo  - 
lonté  de  l'homme  :  Ainfi  encorq 
qu  vn  mari  &  vne  femme  s'accor- 
daflent  à  n'eftre  plus  tels  refpedi- 
uement,  ils  ne  laifTeroient  pas  de 


Conjideration  troïJieGnc.  ijy 

Tcflre pourtant 5  leur  communion, 
entant  qu'elle  eft  naturelle,  ne  dé- 
pendant plus  déformais  de  leur  con- 
lêntement.  Et  comme  il  faut  cjue 
ce  foit  la  mort  qui  rompe  le  lien 
de  nature  qui  eit  entre  le  père  ^ 
l'enfant  j  il  faut  pareillement  que 
ce  foit  la  mort ,  ou  quelque  autre 
chofe  qui  ait  mefme  efncace  que 
la  mort,  qui  rompe  la  communion 
qui  ell:  entre  le.  mary  àC-  la  femme. 
Et  de  cela  s'enfuit  manifeiLcment, 
fans  que  i'en  aduertiife,  que  la  répu- 
diation qui  fefait  parl'vne  des  par- 
ties fculementjfans  le  confcntemcnt 
de  l'autre,  eft  encore  moins  iufte, 
félon  la  difpofition  de  la  nature, 
que  n'eft  le  diuorce  qui  (è  fait 
volontairement  des  deux  coftés. 
Car  fi  le  marine  peut  reprendre  le 
droit  de  fa  liberté,  bien  que  fa  fem- 
me le  luy  rende  par  fon  confeh- 


1^6        Des  Droits  des  Apanages 
tement,  comment  le  reprendroit  H 
IcgitimemeiiC  lors  qu'elle  le  retient 
&  qu'elle  y  refiite.  Puis  après,  nous 
allons  monftré   cy  defïus  que  la 
nourriture  &  Téducation  des  en- 
fans  ,  regarde  le  père  ôc  la  mère 
communément, &  eil  j  ce  femble^ 
clair  que  c'eftnon  feulement  com- 
munément mais  abiolument  par 
indiuis  encore.    Car  comme  ils  fe 
font  tellement  prouignés  en  leurs 
enfanSj  qu'il  eftimpoflible  de  di- 
ftinguer  mefme  parla  penfée  ce  qui 
y  eft  du  père  ,  &  ce  qui  y  eft  de  la 
mère;  &  derechef  ^  comme  les  en- 
fans  font  à  eux  de  telle  fac^on  que 
chacun  d'eux  les  polfede  tous  en- 
tiers, &  d'vn  droit  qui  ne  peutfouf- 
frirde  partage  j  ai nli  lesdeuoirs  par 
lefquels  ils  font  obligés  à  leur  nour- 
riture, &  à  leur  éducation,  fontin- 
diuifiblespareillement,&regardent 


Confideration  troijtejme.  157 

de  cofté  &  d'autre  les  enfans  tous 
entiers ,  fans  diftindion  quelcon- 
que. Orell  le  diuorcediredemervt 
contraire  à  cela.  Car  ou  bien  il  faut 
en  fe  feparant ,  partager  les  enfans, 
ou  bien  il  faut  qu'ils  demeurent  en 
la  charge  de  l'vn  feulement.  Le  pre- 
mier eft  contre  les  droits  de  la  na- 
ture, puis  qu'il  partage  ce  qu  elle  a 
voulucftre  indiuis.  Lefecondl'cft 
encore  plus,  pais  qu'il  tranfporte 
tout  à  vn  ce  que  la  nature  auoit  vou- 
lu cftre  commun  a  touslesdeuxen- 
femble.  Entroifiefmelieu  ,  fî  ledi- 
uorce ,  hors  la  caufe  de  l'adultère, 
cft  permis  par  le  droit  de  la  nature, 
ou  il  faut  qu'il  foit  abfolument  ôc 
vniuerfellement  permis^pour  chan- 
ger de  femme  tant  3c  fî  fouuent  que 
l'on  voudra ,  ou  il  faut  que  cela  foit 
limité  à  certain  nombre  de  fois ,  au 
delà  defquelles  il  ne  foit  pas  permis 


158  D  es  Droits  des  (JMariages 
de  répudier  fa  femme.  Or  quant  à 
ce  premier,  i'eftime  que  la  nature 
crie  hautement  à  l'encontre.  Car  s'il 
eft  permis  à  l'homme  de  Répudier  fa 
femme  à  toute  occafion^il  doit  eftre 
pareillementpermisà  la  femme  de 
répudier  fon  mary.  Bienquil  y  ait 
quelque  inégalité  entre  le  nlary&:  la 
femme  en  leur  conjon6lion  ,  fî  ne 
va  t'elle  pas  iufqu'à  tel  point,  que  de 
donner  au  mary  cette  liberté,  pour 
la  dénier  abfolumenc  à  la  femme. 
Or  en  cette  grande  légèreté  &  in- 
conftancede  Tefprit  humain,  &  en 
cette  grande  précipitation  de  cour- 
roux qui  fe  trouue  en  IVn  &  en  l'au- 
tre fexe ,  ne  vaudroit  il  pas  autant 
ou  que  toutes  les  femmes  fuffent 
communes,comme  Platon  le  vou- 
loit ,  ou  que  la  nature  n'euft  du  tout 
point  déterminé  l'objet  de  cette 
;;^dion  ^  ce  que  nous  auons  pour- 


Confderdtïon  troijiefme.  159 

tant  veu  clairement  cy  deffus  qu'elle 
a  fait  y  que  d'auoir  ouuert  la  porte 
à  cette  licence  fi  déréglée  ?  Et 
quand  on  ne  voudroitpas  o6troyer 
aux  femmes  la  mefme  liberté  de 
répudier  leurs  maris ,  au  moins  ne 
leur  f(^auroit-on  ofter celle  de  fe  re- 
marier, quand  elles  auroient  efté 
répudiées.  Car  de  quelle  iuftice  les 
maris  auroient-  ils  le  pouuoir  de  ré- 
pudier leurs  femmes  malgré  qu'el- 
les en  euflent,  pour  en  époufer  d'au- 
tres deuant  leurs  yeux,  pendant  que 
celles  qu'ils  auroient  répudiées  de- 
meureroient  obligées  à  garder  per- 
pétuellement leur  vefuage?  Ainfî 
pourrôit-il  arriuer  que  tel  homme 
auroit  eu  trente  ou  quarante  fem- 
mes viuantes  en  mefme  temps,  & 
que  d'autre  cofté  telle  femme  au- 
roit  eu  trente  ou  quarante  maris 
viuans  en  mefme  temps  de  mefmcs. 


î<jO       Des  Droicis  des  Jldariages 
Ce  qui  approche  fi  prés  denauoir 
point  de  règle  certaine  au  chois  de 
ion  objet  en  cette  conjonâ:ion,  que 
c'eft  quafi  vne  mefme  chofe.    Pour 
ce  qui  eft  du  fécond^  fi  le  diuorce 
cft  du  droit  de  nature  vne  ou  deux 
fois,  il  r,efl:  vingt  ou  trente  pareil- 
lement,  &c  ne  f(^auroit-on  ni  pré- 
cisément déterminer  ou  la  liberté 
d'en  vfer  fe  deuroit  arrefter,  ni  ren- 
dre de  pertinente  raifon  pourquoy 
il  auroit  efté  déterminé  de  la  forte* 
Que  fi  quelqu  vn  vouloit  dire  que 
pour  çmpefcher  ces  defordres,  il  fe- 
roit  nccelfaire  que  Tau to rite  du  Ma* 
giftrat  interuint ,  afin  de  iuger  des- 
iuftes  &  légitimes  caufes  du  diuor- 
ce ,  &  d'en  régler  l'vfage ,  de  forte 
qu'on  n'en  abufaft  pas^il  feroit  ai- 
sé de  luy  monftrer  que  ce  remède 
n'eft  pas  fuffifant  pour  arrefter  le 
cours  de  la  maladie.  Car  il  n'y  peut 

auoir 


Conjidemtion  troifefme.  i^i 

auoir  que  deux  caufcs  pourquoy  le 
Magiftrac  iugcaft  le diuorce  légiti- 
me. L'vne  eft  l^adultere  de  la  fem- 
me, &  l'autre  fà  mauuaife  humeur 
,  incompatible auec celle  defonma-. 
Iry.  Pour  ce  qui  cft  de  l'adultère, 
nous  auons déjà  dit,  que  lefusChrift 
raexcepté,&  nous  verrons  cy-:ipres 
j  comment  c'eftvne  m fte^  légitime 
caufe  de  diuorce.  Pour  1  au  cre,  qui 
dVn  codé  aura  égard  à  l'mfirnuté 
&à  la  fragilité  du  fexe  féminin,  & 
de  l'autre  à  l'humeur  tyrannique&: 
violente  de  beaucoup  d'entre  les 
hommes ,  verra  clairement  que  qui 
auroit  vne  fois  ouuert  la  porte  à 
cette  lurifprudence,  de  permettre 
le  diuorce  pour  de  telles  occafions, 
la  Lune,  par  manière  de  dire :,  ne 
changeroit  pas  plus  fouuent  de  fa- 
ite, que  les  femmes  changeroient  de 
Imaris,  &  les  maris  de  femmes.  Ce 

L 


i(Ji  Des  D roits des  Mariages 
qui  eft  manifeftement  contre  la  dif- 
pofitio  de  la  nature.  Ouy  mais,  dira 
icy  quelqu  vn,Icfus  Chrift  permet  le 
diuorce  quand  on  a  violé  la  foy  de 
mariage,&par  cofequent  il  n'en  efti- 
me  pas  le  lien  entieremet  indiflblu- 
ble.  Et  s'il  peut  eftrc  diflbut  pourvnc 
telle  occafion  ,  pourquoy  ne  k 
pourroit  il  pas  eftre  pour  d'autres- 
La  raifon  en  eft  aifée  à  rendre.  Nouî 
auos  dit  cy  deflus  que  le  mariage  efl 
vne  communion  naturelle ,  qui  fait 
rhommc  ô«:la  femme  vne^nefme 
chair.  Celuy  doc  des  deux  qui  com- 
met adultère,  en  fefaifant  vne  m  ef- 
me  chair  auec  vn  autre ,  rompt  en- 
tant qu  en  luy  eft  le  lien  de  commu- 
nion qull  auoit  auec  la  partie  auec 
laquelle  le  mariage  l'auoit  conjoint. 
Car  il  ce  lien  n'eftoit  rompu  par 
cettte  adion,  celuy  qui  la  commet 
feroit  en  mefme  temps  vne  mefm( 


Confderatïon  troïftejme.  i^ 
chair  auec  la  perfonne  auec  qui  il 
cft  marié ,  &  auec  celle  auec  qui  il 
commet  adultère.  Or  eft-il  qu'il  ré- 
pugne à  la  nature  qu'il  foit  vn  auec 
tous  les  deux  j  ces  deux  là  eftans  tel- 
lement diuifés  quant  à  eux  qu'ils 
ne  font  du  tout  rien  l'vn  à  l'autre.  Ec 
de  plus  il  répugne  encoràlanature, 
que  cette  forte  de  conjon6lioii  al- 
liant tellement  deux  pcrfonnes  en- 
femble  ,  que  celuy  qui  fe  donne  à 
l'autre ,  fe  donne  fans  aucune  refer- 
ue&  tout  entier,  il  demeure  enco- 
re neantmoins  fans  referue  ôc  tout 
entier  à  celuy  auec  lequel  il  auoit 
contracté  mariage.  De  forte  que 
c'eft  tout  à  fait  conformément  aux 
loix  de  la  nature ,  que  lefus  Chrift  a 
défendu  le  diuorce  pour  quelque 
I  autre  caufe  que  ce  foit^^  que  néant- 
moins  il  a  permis  à  qui  voudra  d'eu 
Yfcrpourla  caufe  d  adultère. 


1(^4       ^^^  Droits  des  J^ariages 

Quelques  vnes  de  ces raisôs  com- 
battent non  feulement  le  ciiuorce^ 
mais  auffi  le  concubinage  jqui  eft 
la  troifiefme  queftion  que  nous 
auons  à  exammer.  Mais  néant- 
moins  51I  nous  en  faut  icy  faire  vne 
confideratio  particulière.  Ce  qu'A- 
braham n'a  point  fait  de  difficulté 
d'auoir  vne  concubine  ,  eft  vn 
exemple  qui  pourroit  fembler  eftre 
de  merueiUeufement  grand  poids, 
pour  faire  iuger  la  chofe  permilè 
par  le  droit  de  la  nature.  Car  ce  per- 
fonnage  a  remporté  de  rares  témoi- 
gnages d'vne  finguliere  vertu,  &c  la 
choie  en  eft  dautantplus  confîde- 
rable  ,  que  laccointance  d'Abra- 
ham &c  d'Agar,  &la  naiifance  d'iC- 
maëlquieneftiffujOnt  ferui  de  ty- 
pe &  dereprefentation  àdeschofes 
qui  concernoyentla  religion,  fans 
doute  par  la  difpofition  de  la  volon- 


Confideration  troificfme.         16^ 
té  de  Dieu  mefme.    Ce  que  Dauid, 
pcrfonnage  félon  le  cœur  de  Dieu, 
^'Saloinon^Pnncedoiiéd'vnemer- 
ueilleulè  lapience,  non  ieulemenc 
ne  s'en  font  point  abllenus  ,  mais 
mefmes  ont  eu  des  concubines  en  (î 
grand  nombre^eit  capable  de  beau- 
coup aider  à  confirmer  ce  foupçon, 
que  ce  n'eft  pas  chofe  à  laquelle  la 
nature  ait  vne  fi  grande  Ôc  fi  in- 
uincible  répugnance  Et  véritable- 
ment il  ne  faut  pasnierqu  iln'y  ait 
de  la  dillindtion  entre  les  diuers . 
droits  de  la  nature.    Carileneilà 
peu  près  de  Tes  inftitutionsdans  les 
choies  morales  ,  comme  des  loix 
qu'elle  a  eftablies  dans  les  phyfi- 
ques.   Comme  Ariitote  l'a  remar- 
qué ,  ily  a  dans  la  Phyfique  certai- 
nes chofes  y  qui  fiDnt  dites  naturelles 
abfolument,  parce  qu'elles  ont  vne 
certaine  caufe  fi  abfi^Iument  deter- 


iC6  Des  T>Yohs  des  Mariages 
minée , qu'il  n'y  ardue  iamais  de  va- 
riation ni  de  changement.  Poui 
exemple  ,  c'eften  tous  lieux,  de  en 
tous  temps  que  les  chofes  pefantes 
defcendent  en  bas,  &  que  les  légères 
montent  en  haut.  Que  s'il  arriue 
que  les  chofes  pefantes  montent  en 
haut  par  violence ,  c'eft  diredleméç 
contre  la  nature,  entre  laquelle  ôc  la 
violence  iln  y  a  iamais d'accord.  Ec 
Il  derechef  il  arriue  que  les  chofes 
pefantes  montent  en  haut  pour  éui- 
ter  le  vuide  ,  ce  n'eft  pasàlaveritc 
contre  cette  loy  plus  vniuerfelle  de 
la  nature  ,  qui  veut  qu'entre  toutes 
les  parties  du  monde,ily  aitvnein^ 
uiolable  vnion ,  mais  ncantmoins 
c'êft  violemment  en  leur  égard,par- 
ce  que  leur  nature  particulière  eft 
d'aller  vers  le  centre.  Mais  il  y  a  cer- 
taines autres  chofes  qui  sot  dites  na- 
turelles, pource  qu'encore  que  leur 


Conjîderation  troificpric.        i6y 
caufcne  foit  pas  iî  ablolument  dé- 
terminée par  la  nature ,  qu'il  n  arri- 
uc  quelques  fois  3c  mefmes  affés  tou- 
ucnc  autrement  que  ne  porte  leur 
inftitution ,  &  cela  fans  aucune  vio- 
lence j  fi  eil-ce  que  la  difpofition 
commune  de  ordinaire  de  la  nature 
eftau  contraire  ,  6i  que  ce  qui  s'en 
excepte  ,  tombe  en  quelque  irré- 
gularité.   Comme  il  eft  naturel  à 
l'homme  de  le  feruir  .de  la  main 
droite  pluftoft  que  de  la  gauche, 
quoy  qu'il  y  en  ait  quelques- vns 
ambidextres ,  ô.:  encore  beaucoup 
dauantage  de  gauchers.  En  quoy  il 
ne  leur  eft  fait  aucune   violence. 
Car  les  ambidextres  le  peuuent  eftre 
par  l'abondance  delà  chaleur  natu- 
relle 5  qui  peut  également  fournir 
des  efprit«  a  Tadion  &  au  mouue- 
meat  des  deux  coftés.    Et  les  gau- 
chers peuuent  deuenir  tels  par  la 

L4 


ié8       Des  Droits  des  tJMarlages 
couftume,  qui  attire  les  efprits  & 
laforce  du  collé  gauche,  combien 
que  la  nature  les  dcttine  pluftoft 
pour  la  droite.    Or  ne  fc^auroit-on 
iamais  accouitumer  vnç  pierre  à 
monter  contremont,  nxàfetenir 
fufpenduë  en  l'air,  après  qu'on  l'y 
aiettée    Pour  donc  appliquer  cela 
aux  chofes  morales,  il  y  en  a  quel- 
ques vnes  tellement  eftablies  par 
lesloix  de  la  nature,  qu'elles  font 
abfolument  &:  entièrement  inuiola- 
bles.     Comme  ,    pour  exemple  , 
qu'il  faut   honorer  &  refpeder  la 
Diuinité.    Et  y  en  a  certaines  au- 
tres efquelles  on  ne  fcauroit  aller 
contre  fon  inflitution,  fans  tom- 
ber en  irrégularité  de  mefmesrmais 
neantmoins  la  faute  n'en  cftpasen 
fi  haut  degré  qu'eft  la  violation  de 
ces  droits,  que  la  nature  a  eftablis 
.djnc  façon  beaucoup  plus  indif- 


Conjideratien  troificfme.  j^c^ 
penfable.  Etla  raifon  decclan'eft 
pas  malaifée  à  rendre.Comme  Dieu 
cil  lacaule  de  toutes  les  choies  qui 
o;it  elle  ,  ôc  qui  exiftent  veritabie- 
ment  dans  la  Phylique  &c  dans  la 
Morale,  aulii  en  elt-il  la  mefure 
pareillement.  De  forte  que  cha- 
cune ypoffede  autant  deltre  non 
feulement  quil  luy  a  pieu  de  luy 
en  donner,  mais  encore  les  deo-rés 
de  Texcellence  de  fon  eftre,  à  pro- 
portion de  ce  qu'elles  s'approchent 
ou  scloignent  de  celuy  de  Dieu. 
Comme  donc  les  chofes  qui  font 
fimplement,reprefentent  Teflrede 
Dieu  en  vn  degré  feulement,  Scel- 
les qui  viuent,  en  deux,  6c  celles  qui 
fentent  en  trois,  Scelles  qui  enten- 
dent, en  vn  degré  plus  eminent  que 
toutes  les  autres  :  Ainfî  yat'il  cer- 
tains degré-s  en  la  reprefentationde 
lafainéleté  de  Dieu,de  laquelle  tou- 


f 

170       T>es  Droits  des  Adariages 
tes  les  cliofes  bonnes  dans  la  Mora-  1 
le  font  des  images  j  de  force  que  la 
pieté  enuers  Dieu  eft  bonne  en  vn 
louuerain  degré,  &  Temporte  ds 
bien  loin  fur  la  charité  enuers  le 
prochain^  &: dans  les deuoirs delà 
charité  enuers  le  prochain,  le  ref-  1 
pe6l  &  robeiffance  aux  parens^lem- 
porte  de  bien  loin  (iir  les  autres.  Et  . 
ainlî  confequemment.      Or  fi  la 
bonté  qui  confifte  en  la  conformi-  ; 
té  aux  loix  de  la  nature,  a  fes  degrés^  -. 
le  vice  qui  confifte  en  la  repugnan-  1 
ce  aux  loix  de  la  nature,  a  fes  degrés  ! 
de  mefmes.  l'oferay  donc  bien  di- 
re hardiment ,  que  l'adultère  com- 
mis auec  vne  perfonne  déjà  liée  par 
mariage  ,   eft  incomparablement 
plus  contre  les  droits  de  la  nature, 
que  le  concubinage  d'Abraham ,  &  3 
ne  mettray  pas  mefmc  ce  concubi- 1 
nage  au  rang  de  la  fimple  paillar- 


k 


Conjideration  troijicjmc.  171 
dife^filemotdepaillardife  fîgnifie 
cette  vague  &  indéterminée  con- 
jonction qui  ne  fe  fait  que  pour  la 
volupté  ieulemcnt  :,  fans  aucune 
obligation  de  foy ,  ni  aucune  re- 
folution  de  confèruer  à  l'aduenir 
des  afFedlions  réciproques.  Neant- 
moins  cette  diuerfité  de  degrés 
n'empefche  pas  que  le  mal  ne  foit 
«lal  à*le  confîderer  en  foy  ,  nique 
cette  forte  de  conjondlion^^qui  ad- 
joûte  vne  concubine  àvne  femme 
leeitimeme  foit  contre  les  droits  de' 
la  nature.  Carpremierement,com- 
me  ie  l'ay  dé)a  rçmarqué^ cette  c5- 
munion  qui  fc  contraàe  au  maria- 
ge, fait  que  l'homme  fe  donne  tout 
entier  à  là  femme,  &  la  femme  tou- 
te entière  à  fon  mary.  Non  par  la 
promeffe  feulement,  mais  parlV- 
nion  phyfique  &  naturelle  ,  qui 
vient  en  confequence  de  lapro- 


171         TDes  Droits-des  Ad ar'm^ 
inefTe.    La  nature  de  l'adion  mef- 
melemonilre  Carcen'eft  paspour 
la  phyiîque  iculement,  mais  auiïi 
pour  la  morale  ,   que  la  nature  a 
voulu  que  ce  que  l'homme  fepare 
de  foy  mefme  en  cette  conjondtion, 
fuil  ex|:raitvniuerfellement  de  tou- 
tes les  parties  de  fon  corps.   Oreltil , 
tout  a  fait  abfurd  que  Thomme  le 
donne  tout  entier  à  l'vne  ,  te  puiar 
^pres  tout  entier  à  l'autre,  &  que 
toutes  ces  deux  donations  puiffent 
eftre  valables  également.Que  fi  cet- 
te raifon  condamne  le  concubina- 
ge d'Abraham  ,  il  condamne  en 
plus  fort  termes  celuy  de  Dauid,  & 
celuy  de  Salomon  encore   beau- 
coup d'auantase.  Pource qu'il con- 
uient  moins  a la  nature  que  1  liom- 
mefe  donne  tout  entier  à  cent  qu'à 
deux  femmes  feulement.  Puis  après, 
dans  le  mariage  bien  6c  legitmie- 


C onfidcration  troîjtejme,  lyy 
ment  contrade  ,  bien  qu'il  y  aie 
quelque  inégalité  entre  le  mary^i 
la  femme,  à  caufe  de  l'excellence  du 
fexe,fi  eft-ce  que  la  femme  appro- 
che de  la  condition  du  mary,  &par 
confequent  de  Tégalité^toutautant 
quefon  fexele  luy  peut  permettre: 
D'où  vient  qu' Ariftote  dit  que  dans 
le  mariage  le  aouuernement  eft  au- 
Tunement  Ariilocrarique,&:diuife 
entre  le  mary  d:  la  femme  auec  éga- 
le authorité,  pour  eftreadminiftré, 
en  ce  qui  regarde  le  dehors  de  la 
maifon^  par  le  mary  ,  &  en  ce  qui 
regarde  le  dedans  par  la  femme. 
Que  s'il  y  a  quelque  chofe  ou  il  f  oit 
befoin  de  leurs  deux  aduis  conjoin- 
tement, s'ilss'y  accordent  j  la  refoJ 
lution,  &  l'exécution  qui  en  dépend 
eft  fondée  fur  l'authorité  de  leurs 
deux  fuff rages,  qui  y  font  confide- 
rés ,  non  comme  cgnfultatifs  feule- 


îy4  "^^^  Droits  deSzJMarïages 
ment ,  ainfi  qu'on  parle,  mais  com- 
me decififs  conjointement.  S'ils  ne 
s'y  accordent  pas ,  Tauantage  du 
mary  confîfte  en  cela  ^  que  fon  fuf- 
frage  l'emporte,  comme  fi  l'excel- 
lence du  fexe ,  &  la  plus  grande  me- 
fiire  de  prudence  qui  T'accompa- 
gne ,  luy  donnoit  deux  voix,au  lieu 
que  la  femme  n'en  a  quvne.Come 
en  certains  gouuernemens  Arifto- 
cratiques,la  voix  du  premier  Con- 
feiller  ,  ou  du  Prefident  eft  contée 
pour  deux.  Or  dans  le  concubina- 
ge, où  il  y  a  inégalité  entre  la  con- 
cubine 6c  la  féme  légitime ,  la  con- 
jon6lion  auec  la  concubine  n'éleue 
point  fa  dignité  ;  &  tant  s'en  faut 
qu'elle  l'approche  de  l'égalité  auec 
le  mary ,  que  mefmes  elle  demeure 
bien  loin  au  defTous  de  la  condition 
de  la  femme  légitime.  Or  eft  il  fans 
doute  que  cette  égalité  que  produit 


Confiderdtïon  troifejme.  175 
le  mariage  bien  &  légitimement 
contradté  ;,  eft  du  droit  de  nature. 
Car  elle  dépend  de  ce  que  par  le 
mariage ,  Miomme  &  la  femme  ne 
fontqu'vn.  Partant  l'incgalite  qui 
fera  entre  la  vraye  fcmme^  &c  la  con- 
cubine, fera  contraire  à  ce  droit,  &C 
par  confequent  illicite  &  illégitime. 
Finalement,  c'eft  auec  fort  bonne 
raifon  ,  que  les  lurifconfultes  ont 
décidé,  que  le  fruit  fuiuroitle  ven- 
tre. C'eftà  dire  ,  que  la  condition 
dcsenfans  fuiuroit  celle  de  la  mère, 
quand  il  fe  trouueroit  inégalité  à 
fon  defauantaore  entre  elle  ôc  fon 
mary.  Ainfî  dVn  homme  libre,  & 
dVne  femme  efclaue  ,  naifTent  des 
en  fans  fcrfs.  Pource  qu'encore 
qu  en-la  génération  l'homme  foie 
confideré  c5me  le  principal  agent, 
fî  eft-ce  que  le  fruit  eft  toufiours 
plus  certainement  attribué  à  telle 


1-16  Des  Droits  des  Atarlages 
mère  qu'à  tel  père.  loint  que  com- 
me en  la  conjond:ion  de  deux  pro- 
poficions  en  vn  fyllogifme^  il  eft 
de  la  difpofîtion  des  loix  de  la  vé- 
rité ,  que  la  conclu  (ion  qui  s*en 
produit  5  fuiue  la  moins  neceflai- 
re,  ainfîen  laconjonétiondedeux 
perfonnes  pour  la  génération,  il  eft 
de  la  difpofition  de  la  nature,  que 
la  condition  dn  fruit  fuiue  la  qua- 
lité de  celle  qui  eft  infeneure.Pour- 
ce  que  la  caufe  peut  bien  eftre  meil- 
leure que  fon  efFe6t,  maisleffeét 
ne  peut  pas  eftre  meilleur  que  fa 
caufe.  Ainfi  le  père  peut  bien 
eftre  de  meilleure  condition  qu© 
fon  enfant  ^  mais  l'enfant  ne  peut 
pas  eftre  de  meilleure  condition 
que  fon  père  ni  que  fa  mère.  Que 
s'il  arriue  que  d'vn  homme  efcla- 
ucj  Ôc  d Vne  femme  libre,  naiflc 
vn  enfant  de  libre  condition,  cela 

fe  fait, 


Confideration  troijîejme.  lyj 

fc  fait ,  non  fclon  la  difpofidon 
des  loix  de  la  nature ,  mais  felôa 
celle  de  la  police,  enfaueur  de  là 
liberté.  Comme  ainfi  foit  done 
qu'il  eft  des  inclinations  naturelles 
des  hommes,  de  laifftr  leurs  enfans 
non  feulement  de  mefme  condi- 
tionauec  eux,  mais deJeur  en  pro- 
curer, &c  de  leur  en  acquérir  vnd 
meilleure  s'il  eft  poflible  ,  c'eft 
contre  ces  droits  que  le  mary  fe 
joint  à  vne  concubine ,  dont  la 
condition  empefche  que  les  enfans 
ne  puifTent  égaler  celle  du  père  qui 
les  a  engendrés.  loint  que  la  na- 
ture voulant,  qu'entre  les  enfanâ 
dVn  mefme  père ,  il  y  ait  dé  l'égali- 
té ,  les  enfans  de  la  femme  légiti- 
me &  de  la  concubine  cftans  iné- 
gaux ,  la  nature  demeurera  encore 
violée  en  cet  ép-ard. 

Pour  ce  qui  eft  de  1  exemple  d'A- 

M 


178  TDes  Droits  des  ^Jariages 
braham ,  il  ne  s'enfuit  pas  fi  cett< 
faute  a  efté  tolérée  en  luy  ,  que  c» 
n'ait  pas  efté  vne  faute  pourtant 
&  elle  a  efté  d'autant  moindre  en  f; 
perfbnne,  qu  elle  ne  feroit  mainte 
nant  en  qui  que  ce  fuft^  que  le 
droits  de  la  nature  sot  à  cette  heun 
beaucoup  plus  éclaircis  parcesdi- 
uines  inftitutions  de  lefus  Chrift 
qui  ont  ramené  toutes  cliofes 
leur  première  origine.  Et  quanti 
ce  qui  eft  du  type  à  quoy  il  aplci 
à  Dieu  que  cette  conjon6bion  ai 
ferui,  il  ne  rend  nullement  la  clio- 
fe  légitime  en  elle  mefme.  Nor 
plus  que  le  premier  péché  del'hô 
me  ne  laifle  pas  d'eftre  péché,  quoj 
qu'il  ait  ferui  de  type  à  reprefen-i 
ter  Tobeiflance  de  Chrift  ^  par  la- 
quelle il  a  racheté  le  monde.  LîI 
matière  de  la  figure,  qui  eft  vicieu- 
fe  en  elle  mcfme^&quiconfifte 


Confideration  troifcfmf.  îy^ 
vue  mauuaifc  a6tion,cft  de  l'hom- 
me ,  qui  en  cft  l'auteur.  Les  traits 
&  les  Imeamens  dans  Icfquels  il  (c 
void  quelque  crayon  &  quelque 
ombre  des  chofès  futures,  qui  de- 
uoient  eftre  reuelées  en  vn  autre 
temps,  font  de  la  conduite  de  la 
prouidencc  de  Dieu,  qui  laifle tel- 
lement aller  les  hommes  à  leurs 
confeils ,  qu'il  fe  referue  l'autori- 
té de  prefider  deflus  toutes  leurs 
adions,  pour  s'en  feruir,  comme  il 
fait  toufiours  bien&  fagement,  à 
HUuftration  de  fa  vérité,  de  fa  fa- 
geffe,  &  de  fa  gloire.  Pour  le  re- 
gard de  Dauid  &  de  Salomon,  ils 
Font  d'autant  plus  blâmables  que 
na  elle  Abraham,  qu'ils  viuoienc 
cnvn  temps  plus  illuminé^  ne  fuft- 
ce  que  des  rayons  de  cette  diuine 
Sapience  que  Dieu  leur  auoit  com- 
muniquée à  tous  deux ,  &  particu- 

M* 


i8o  Des  D  roi  fi  s  des  Adarîages 
lierement  audernicrj&quc  neant^ 
moins  ils  (e  font  encore  fanscom- 
paraifon  égarés  plus  loin  que  luy 
hors  des  termes  de  la  nature.  Car 
il  eft  fans  doute  plus  clair  dans  fes 
cnfèignemens,  qu  il  n'eft  pas  per- 
mis de  fe  donner  à  plufieurs  cen- 
taines de  concubineSjOutrela  fem- 
me légitime  qu'on  a  déja^  qu'il  n'eft 
clair  qu'il  n'eft  pas  permis  de  fe 
donner  à  vne  concubine  toute 
feule. 

Refte  la  queftion  de  la  poly- 
gamie ,  en  laquelle  on  a  diuerfes 
temmes  toutes  de  mefme  condi- 
tion. Si  les  raifons  qui  combat- 
tent le  concubinage  n'eftoient  pri- 
fes  que  delà  confîderation  de  l'iné- 
galité qui  fe  rencontre  entre  la 
femme  légitime  &  la  concubine,  & 
entre  leurs  enfans,  ou  il  nousfau- 
droit  aJuoiier  que  la  polygamie 


.  Confdcratîon  troifcfme.         i8i 

;  qui  n'induit  point  Tincgalité,  n'eft 
pas  défendue  par  le  droit  de  lana- 
;  turej  ou  il  nous  faudroit  chercher 
dans  les  fources  de  la  nature,  quel- 
ques nouuelles  raifons  pour  l'atta- 
quer. Mais  nous  en  auons  alkgué 
quelques-vncs  qui  en  monftrent 
le  vice  également.  Car  pour  exem- 
ple ,  quand  nous  auons  dit  que  la 
nature  refifte  à  ce  qu  vn  homme 
fe  donne  tout  entierà  deux  ou  trois 
diuerfes  perfonnes,  cela  exclud  la 
polygamie,de  quelque  fa(^on  qu'el- 
le foit,  aufli  bien  celle  qui  eft  auec 
égalité^  que  celle  qui  eiiauec  iné- 
galité entre  les  femmes.  Toutesfois 
ie  fcray  encore  icy  quelques  confi- 
derations.  L'vne  eft,  que  fi  vous 
permettez  à  vn  mary  d'auoir  plu- 
ïîeurs  femmes,  il  n'y  a  nulle  rai- 
fon  d'empefcher  que  les  femmes 
îi'ayent  plufîeurs  maris.    Or  ou- 

M  5 


lît  'Des  Droits  des  Mariages 
trc  que  cela  equipolle  ,  ou  peu 
s'enfaut,  àla  communauté  laquel- 
le nous  auons  reiettée  comme 
manifeftement  côtraire  aux  droits 
delà  nature  ,  il  mettra  encore  en  lat 
République  vne  eftrange  confu- 
lion.  Pource  que  le  mariage  don- 
nant à  la  femme  la  qualité  du  ma- 
ry,  felouque  fon  fexe  le  peut  per- 
mettre^ autant  que  la  femme  aura 
de  maris,  autant  aura  t'elle  peut 
cftrede  différentes  qualités  incom- 

Î)atibles  lesvnes  auec  les  autres.  Or 
a  nature  aime  l'ordre  ^  &  deteftc 
la  confufion.  L*autre  eft  ^  que  le 
mariage  eftant  inltitué  &  pour  la 
génération  des  enfans ,  èc  pour 
remède  à  Imcontinence ,  posé 
qu'il  ne  foit  pas  permis  à  la  fcm-  ; 
me  d'auoir  plufieurs  maris,  com- 
me au  mary  d  auoir  plufieurs  fem-  I 
mes^ni  la  licence  eifrcnéc  de  l'hom-  ' 


Confideration  trotfepnc,  1S5 
me  ne  luy  permettra  pas  de  gar- 
der au  nombre  aucune  modéra- 
tion, puis  cjue  ce  fage  Salomon  en 
cil  venu  iulqucs  à  prendre  fept  cens 
femmes  &  trois  cens  concubines 
en  mefmc  temps ,  ni  la  nature  des 
hommes  ne  permettra  pas  que  i'v- 
ne  ni  l'autre  de  ces  deux  fins  ob- 
tienne fon  effe6b  en  toutes.  Or 
outre  que  cela  eft  plein  d'incon- 
ueniens,  &tire  quafi  neceflaire- 
ment après  foy  les  adultères,  il  eft 
contre  le  droit  de  la  nature  de  pri- 
ucr  fesinftitutionsde  leur  fin,  &  de 
les  rendre  fruftratoires.  La  troi- 
fiefmc  eft,  que  quand  on  netom- 
beroit  pas  en  ces  inconucniens , 
on  n'en  euitcroit  pas  vn  autre. 
C'ett  que  fi  le  mary  de  quatre- 
vingts  ou  cent  femmes,  a  tout  au- 
tant d'cnfans  d'elles  qu'elles  font 
capables  d'en  porter,  il  fera  quant 

M  4 


ij84       Des  IDroiÛs  des  Mariages 
a  luy  incapable  de  fournir  à  leur 
nourriture,  ôc  à  leur  éducation, 
à  laquelle  neantmoins  nousauons; 
veu  cy  deuant  qu'il  eft  obligé  par 
les  loix  de  la  nature,   Ainfi  en  fau- 
dra t'il  venir  à  la  pratique    des 
Turcs,  qui  permettent  à  chacun 
d'auoir  autant  de  femmes  qu'il  en 
pourra  nourrir ,  &  non  d'auantage. 
C'eft  à  dire  ,  qu'il  faudra  que  ce 
foyentlesreuenus  de  fes  terres, qui 
le  déterminent  au  chois  defesob- 
jets,  &  non  la  raifon  ôc  l'honnefteté 
naturelle.  Ce  qui  eft  vne  inftitutio 
vnpeu  plusquedemibarbare.Que 
fi  vn  homme  riche  viet  après  auoir 
époufé  quantité  de  femmes,  à  tom- 
ber en  calamité^  il  faudra  auoir  re- 
cours au  diuorce ,  dont  nous  auons 
cy  defllis  marqué  les  erreurs  &  le^ 
vices  contre  la  nature.   Laquatrié- 
ipe  finalement  ef^ ,  que  comme  IVr 


Confîdcratîon  troijtejme.  iSy 
nion naturelle  que  le  mariage  con- 
traire entre  le  mary  &  la  temme, 
elt  la  plus  eftroitte  qui  fe  puifle 
imaginer,  aufli  doit  eftre  fans  dou- 
te 1  vniond'afFedions  qui  raccom- 
pagne, la  plus  eftroitte  &  &:  la  plus 
inuiolable.  Car  il  n'eftpasconue- 
nable  que  la  nature  conioigne  li 
cllroittement&  fi  inuiolablement 
leurs  corps,  <S:  que  la  lailonne  foit 
pas  capable  d'vnir  de  mefmes  leurs 
âmes.  Or  ie  vous  prie  comment  eft- 
ceque  les  affections  du  mary  pour- 
ront élire  fi  grandes,&:  fi  véhémen- 
tes enuers  cent  ou  fix  vingts  fem- 
mes tout  à  la  fois  ?  LesPhilofophes 
mefmes  n'ont  ils  pas  reconnu  que 
quant  aux  amitiés  vulgaires,  ciuiles, 
&:  populaires  ,  elles  peuuent  bien 
cmbrafler  grande  quantité  d'ob- 
jçts  \  mais  que  quant  à  ces  intimes 
ô^  véritables  ,  qui  méfient  &  qui 


it6  Des  Droits  des  Mariages 
confondent  ,  par  manière  de  dire, 
les  hommes  en  vn  ,  il  eil  impofli- 
blc  qu'elles  fe  diuifenc  de  la  force? 
Or  auront  ils  beau  parler  de  l'ami- 
tié tant  qu'ils  voudront ,  fi  ne  fe- 
ront ils  iamaisque  cette  grande 
égalité  &  conformité  d'humeurs  àc 
d'mclinations,  qui  la  concilie  entre 
deux  hommes,  doiue  auoir  plus  de 
puifTance  deflus  leurs  efprits,  pour 
amener  toutes  leurs  affections  aie 
fondre  enfemble,  pour  ne  faire 
qu'vne  ame  d'eux  deux ,  que  la 
nature  &  la  foy  en  doiuent  auoir 
pour  lier  celles  du  mary  &  de  la 
femme  ,  àc  les  noiier  d'vn  nœud 
non  perdurable  feulement ,  mais 
abfolument  indiuifiblc.  De  plus, 
comment  cft-ceque  chacune  de 
ces  femmes  en  particulier  pourra 
auoir  pour  fon  mary  des  affedlions 
aufli  tendres  :,  &  auffi  véhémentes. 


Conjîderation  tmfiejme.  1S7 
que  fi  elle  le  pofledoit  toute  feu- 
le, vcu  qu'il  eft  entièrement  un- 
poffible  qu'elles  euitent  l'émula- 
tion, &  que  l'émulation  ne  pro- 
duife  le  débat,  &  que  fur  le  debac 
le  mary  ou  ne  partage  inégale- 
ment fes  inclinations ,  ou  ne  (oit 
foupc^onné  par  lesvnesde  lesauoir 
inégalement  partagées  à  Tauanta- 
ge  des  autres  ?  le  conclus  donc 
que  le  mariage  d'vn  auec  vne ,  Ôd 
encore  indiflblublc,  hors  la  caufè 
de  l'adultère  ,  eil  du  droit  de  la 
nature,  &  ne  voy  plus  rien  qui  ap- 
partienne à  cette  matière  finon 
vne  queftion  feulement.  C'efl 
qu'on  peut  demander  ,  fi  pour 
rendre  la  conjonction  de  l'hom- 
me &  de  la  femme  légitime,  il  fuf- 
fit  qu'ils  fc  donnent  réciproque- 
ment la  foy ,  ou  s'il  y  eft  encore 
bcfoin  de  quelques  autres  obfer- 


i88  T>es2)  roits  des  Adariages 
uationSj  comme  font  ce  qu'on  ap- 
pelle les  fiançailles  &  les  époufail- 
les  publiques,  Ô:  les  autres  cérémo- 
nies lefquelles  ontaccouftumé  de 
fe  pratiquer  en  ce  temps.  Car  il 
fembleque  ces  chofes  n'ayât  point 
eu  de  lieu  du  temps  des  Patriar- 
ches,  comme  il  appert  parleurs 
liiitoires,  elles  ne  font  pas  du  droit 
de  la  nature,  &  que  par  confequent 
on  s'en  peut  bien  diipenfer.  Pour 
bien  retbudre  cette  queilion  ,  ic 
penfè  quil  faut  confiderer  le  ma- 
riage en  trois  fâchons  :  Première- 
ment,  entant  que  l'homme  &  la 
femme  fe  conjoignent  purement 
&  Amplement  pour  fatisfaire  à  ce 
defir  naturel  d'auoir  desenfans,& 
de. remédier  à  la  fragilité  humai- 
ne- Puis  après,  entant  que  leur  fo- 
cieté ,  &  les  enfans  qui  s'en  produi- 
fent ,  font  non  feulement  vncpar- 


Conjtderation  trotftefme.  \%^ 
tic,  mais  la  première  6c  plus  fon- 
damentale partie  de  la  Républi- 
que, &  que  l'homme  y  doit  rap- 
porter fes  avions  entant  qu'il  eit, 
comme  on  parle,  animal  né  pour 
la  focieté.  Et  finalement,  entant 
que  leur  communion  &les  enfans 
qui  s'en  produifent^  font  partie 
&  font  la  pépinière  de  cette  autre 
police  religieufe  ,  en  laquelle  on 
fert  laDiuinité  ,  &  que  l'homme 
y  doit  pareillement  rapporter  ks 
allions,  eu  égard  à  ce  qu'il  a  vn  en- 
tendement capable  de  laconnoif- 
fanccdeDieu,  commedefafinder-  - 
niere  &  principale.  Si  donc  vous 
coniidercs  le  mariage  en  ce  premier 
égard,  il  faut  diftinguer  entre  les 
perfonnes  qui  fe  donnent  la  foy  l'v- 
ne  à  l'autre.  Car  il  y  a  certain  âge  6C 
certamcftat  auquel  les  hommes  ne 
font  point  encore  en  leur  propre 


15?»       "Des  Droits  des  çyfdaridges 
puifsace  5  ni  maiftres  dcleursa^tios, 
mais  font  en  la  puifTance  d'autruy, 
comme  des  pères,  Se  des  raercs,  des 
tuteurs  &c  des  curateurs ,  &  s'il  y  a 
encore  quelque  autre  (emblable  au- 
torité de  laquelle  on  dépende  en 
en  cette  occurrence.  Et  y  a  certain 
âge  &  certain  eftat  auquel  on  ne 
dépend  point  de  l'autorité  d  au- 
truy ,  mais  de  la  difpofîtion  de  (a 
volonté  toute  feule.  De  plus  ce  pre- 
mier âge  peut  encore  eftre  confide- 
ré  en  deux  périodes.    Car  il  y  a  le 
temps  qui  cil  au  defTous,  &  le  temps 
qui  eit  au  deiTus  de  la  puberté.  Pour 
ce  qui  eft  du  temps  qui  eft  au  def- 
Tous de  la  puberté  ^  il  eft  de  la  cou- 
ftume  de  toutes  nations, d'ofter  à 
ceux  qui  font  en  cet  âge ,  la  liberté 
de  leurs  adlions,  &  de  tenir  pour 
nulles  les  obligations  dans  lefquel- 
les  ils  s'engagent,  foit  de  parole/oit 


Conjideration  troifejme.  i^i 
^d'cffedt.  Et  la  raifon  de  cela  fc  tire 
delà  diff^fition  de  la  nature  mcf- 
me.  Car  les  opérations  de  qui  que 
cefoit ,  ne  doiuent  point  eftre  te- 
nues pour  parfaiteSjiufques  à  ce  que 
les  facultés  dont  elles  procèdent 
ayent  acquis  leur  perfection.  Et  les 
facultés  ne  peuuent  eftre  prefumées 
auoir  acquis  leur  pcrfeâion  ^  iuC- 
quesàce  que  la  chofe  mefme  dans 
laquelle  elles  refîdent ,  y  foit  parue- 
nue.  Orne  peut  elle  eftre  prefumée 
y  eftreparuenuë  iufque  à  ce  quel- 
le foit  capable  de  produire  toutes 
les  opérations  que  la  nature  luy  a  at 
Cgnées,  &  particulierementles  plus 
'  confidcrables.  Puis  donc  que  la  gé- 
nération eft  la  plus  belle  opération 
de  l'homme  ,  entant  qu'il  eft  ani- 
mal, &quiln'eft  point  capable  de 
la  génération  auant  l'âge  de  puber- 
cé ,  fes  facultés  ne  font  pas  encore 


ipi        Des  Droits  des  Aï arUgcs 
alors eftiméeseftrevcnuGs  à  laper-- 
fedlion  conuenable.poolproduire 
des  aâiions  qui  foyent  véritable- 
ment obligatoires.  Or  ce  que  la  lu- 
rifprudence  de  tout  le  monde  a  dé- 
terminé pour  toutes  fortes  d'adtios 
qui  peuuenteftre  produites  par  les 
enfanS:,  doit eftre  particulièrement 
appliqué  icy ,  puis  qu'il  eft  queflion 
nommément  de  cette  opération  de 
laquelle  ils  ne  font  point  encore  ca- 
pables.  Car  qu'elle  apparence  que 
celuy  qui  n'a  point  encore  la  facul- 
té d'engendrer,  ait  la  puiiTancc  de 
determmer  abfolument  de  l'objet 
auec  lequel  il  faut  qu'il  engendre? 
QiKint  au  temps  qui  eft  au  deffus  de 
la  puberté,  la  chofe  eft  plus  difficile. 
Car  nous  prefuppofonsque  Ihom- 
mee  liant  capable  d'engendrer,  à  la 
perfediondefon  eftre,  &  par  coiï^ 
fequent  de  fes  facultés.  Partant  lei 

operatiojttô. 


Confidcration  trot  fie  (me.  19^ 

opérations  drlesconfentemensqui 

;  en  dépendehCjdoiuentjCC  femble, 

.  eftre  tenus  pour  valides  &  obliga- 

•  itoires. 

.  i     Neantmoins  il  faut  icy  diftin- 
(  guer   deux  fortes    de  perfection, 
j  L'vne  s'eftend  iufques  à  produire 
[  telle  ou  telle  opération,  mais  non 
1  pas  encore  auee  toute  la  force  & 
;  toute  la  plénitude  conuenable  à  la 
.  nature.    L'autre  s'eftend  non  feu- 
'  lement iufques  à  laproduârion  de 
l'opération  ,  mais  auflî  iufques  à 
luy  donner  tous  les  degrés  qui  la 
Tendent  acheuee  &  accomplie  fe- 
I  Ion  la  nature.  Or  eft-il  bien  vray 
;  qu'au  deflus  de  laage  de  la  puber- 
té y  les  facultés  raifonnables  qui 
font  en  1  homme,  ont  ailes  deper- 
jfedionpour  produire  leursopera- 
j tiens  en  ce  premier  degré  :  mais 
<juant  au  fécond,  elles  fi'y  peuuenÊ 
•  N 


194        -^^^  Droits  des  Alarmgès 
pas  encore  atteindre.    Voila  pouj 
quoy  (^'a  efté  chofe  fag'ement  efta 
blie  par  les  loix  ,  qu'on  permett 
aux  ieunes  gens  quelque  chofe  e 
cet  aage  là ,   pourueu  qu'elle  r 
foit  pas  de  grande  importanc 
Mais  que  quant  à  celles  qui  for; 
de  confequencc^on  nelesremet^ 
pas  abfolument  à  la  conduite  c: 
leur  raifon  j  la  raifon,en  cet  âgi> 
ayant  encore,  à  caufe  de  fa  fo- 
blefle ,  befoin  d'eftre  gouuernée  : 
affermie   par    quelque   prudenc 
plus  grande  &  plus  expérimenté. 
Et  delà  viennent  les   emancip;- 
tions,  Ô^les  claufes  qu'on  y  appc- 
fc.  Il  y  a  donc  deux  raifons  qi 
lî-ionftrent  qu'il  neft  pas  conuf 
nable  ,  que  le  mariage    de  cc\% 
qui  font  venus  en  cet  âge  là^  s's 
ne  font  point  encore  paruenus  :l 
temps  auquel  leurs  facultés  pei- 


Conjîdemtten  troifcfmé.        j^J 

%ent  produire  leurs  operatios  auec 

'Htoure  forte  de  plénitude,  dépeiT- 

^'de  de  leur  volonté.    La  première 

^' 'cft ,  que contrader  mariage  eft  vnb 

^ichofe  de  fingulierement   grande 

^'importance,  &  plus  qu  aucune  au- 

'^itre  de  la  vie  ,  après  le  chois  de  k 

^'religion.    Et  partant  elle  leur  doit 

^icftre  interdite  ,  comme  les  autres 

r  adions  qui  font  iugécs  confidera- 

blés.  Et  s'il  n'eft  pas  permis  à  vn 

àeune  homme  émancipé  d'ahenef 

la  moindre  partie  de  fon  domai- 

-ne  auant  Taage  de  màiorité,  fans 

le  confenteraent  de  fes    parens, 

pource  qu'il  eft  ptcfumé  nauôir 

•pas  encore  alTés  de  raifoli  ni  de 

conduite  pour  cela,  comment  luy 

'pourroit-il  eftre  faifonriablement 

permis  de  safifener,  s'il  faut  ainfl 

•  dite ,  luy  mefnie,^  &  dé  faire  dona- 

'  ti^ïî  dé  fè  pcrfôiî/ie  toute  entière  ? 


157(3  Des  7)roitsdes  t^ triages 
La  féconde  eft,  qu'outre  queclia 
que  chofe  a  fon  temps prefix  &dc 
terminé  par  la  nature  ,  •  pour  ac 
quérir  fa  perfecfLion ,  ce  qui  em 
pefclie  principalement  que  la  rai 
fon  n'ait  en  cette  ieunefle  toute) 
conduite  neceffaire,  eft  qu'en  ce 
aage  là  plus  qu'en  aucun  autre,  oi 
eR  fujet  à  Pemotion  de  fes  pa( 
fions.  Et  d'entre  les  paflîons,  cet 
te  conuoitife  eft  peut  eftre  dansk 
ieunes  gens  la  plus  turbulente  d 
toutes,  De  forte  que  quand  le 
partions  donneroient  en  cet  âg 
là  quelque  moyen  à  la  raifon  d'à 
eir  faeemcnt  en  autres  occafions 
en  celle  cy  ,  du  chois  d'vn  objet 
elles  ne  le  luy  peuucnt  pas  permet 
tre.  Apres  cela  ie  ne  fais  point  d 
difficulté  de  répondre,  que  pou 
rendre  le  mariage  bon  &  légitime 
il  n'eft  befoin  que  de  la  foy  de 


Conjîdenttîon  troijicjme.  i^j 
deux  concradansj  pourueu  qu'on 
y  obferue  les  bienleances  conue- 
nablcs.  Car  le  mariage  eîtanc  vn 
tait  qui  concerne  tellement  la  per- 
ionne  qui  le  contrarie ,  que  neant- 
inoins  toute  fa  parenté  y  eil  in- 
tcreflee,  il  eft  raiionnabie  qu'elle 
y  donne  fon  approbation.  Qoe  fî 
elle  n'y  eft  abïolumentneceflaire, 
au  moins  certes  eft-il  du  deuoir 
de  la  demander.  Sur  tout  y  faut-il 
faire  grandiffime  confiderationdu 
père  &  de  la  mère  de  celuy  qui  s'al- 
lie de  la  façon.  Car  outre  les  au- 
très  comme  m  finies  raifons  qui 
nous  oblio-ent  à  toutes  fortes  de 
rcfpedts  &  de  déférences  en  leur 
endroit,  cette  confidcration  eft 
en  cette  matière  fouuerairieinent 
imporcante^que  le  mariage  de  leurs 
en  fins  leur  donne  des  héritiers 
qu'Us  nauoient  point  auparauant. 

N  5 


jt^Z  IDesD  roits  des  zy^ariages 
pr  quelle  apparence  d'introduii 
quiconque  ce  foit  en  leur  famille^  l 
leur  doner  des  héritiers  fans  leur  ce 
fentemétflleftdonc  neccflaired 
l'auoir,  au  moins  certes  iufques  à  t< 
point,  que  fi  on  ne  le  peut  obtenir 
rautorité  de  lapuiflance  politiqu 
y  foit  appellée ,  laquelle  aprç^  auoi 
pris  connoifl'ance  du  différent  qi:; 
eft  entre  le  père  &  le  fils  en  ce 
égard ,  le  règle  par  vne  raifon  fiipe 
rieure ,  qui  ne  ibit point  fuiette  à  1 
paflionni  delVnniderautre.  C 
quia  eftétresfagemenntainficon 
ftituéparlesloix.  Si  vousconfide 
rés  le  mariage  en  ce  fécond  égard 
il  n'y  a  nulle  doute  qu'il  n  y  failh 
quelque  folemnité  dauantage.  Cai 
les  enfans  naifl'cnt  pour  fuccedei 
au  bien  de  leurs  peres^  &poureftrc 
membfesdela  republique  &  auoij 
part  en  tous  fes  priuileges  ôc  en  tous 


Confdcrat'ion  troificjmc.       195) 
ifes  droits.     Diuerfes  raifonsdoii- 
iques,  lefquellesil  iVcil  pas  bcloin 
i  d  expliquer  icy,  voulans  que  ce  foie 
iraucorité  publique  &  fouueraine 
iqui  règle  les  fucceffions  des  parti- 
culiers, &:  les  droits  dontellesde- 
I  pendent  ,  il  faut  necelfairemenc 
i  qu  elle  ait  connoilTancc  de  ceux 
encre  les  mains  de  qui  elles  tom- 
bent ,  &:  par  confcquent  qu'elles 
foyent  informées  &  de  leurnaif- 
lance  &  de  leur  eftat ,  fi  par  raifon 
<S:  nature  ils  iont  capables  de  telles 
(5^  de  telles  (licceflions  ,  ou  non. 
Qnant  à  ce  qui  regarde  les  priuile- 
ges  de  la  république  ,  pourquoy  & 
comment  feroyentadmisày  parti- 
ciper ceux  dont  la naiiTancc  occul- 
te Ôiclandeftinecacheroit  la  con- 
dition ôcTeftat  ?  Eft-il  de  Tordre  de 
la  nature  j  qu'aucun  corps  tclqu  eft 
j  çeluy  de  la  République  ^  reqoiue  en 
'  N4 


2.00      "Des  Droits  des  Mariages 
foy  quelque  partie ,  fans  s'ellrc  bier 
informé  fi  elle  s'y  ajullera  bien,  & 
fi  elle  n  a  point  quelques  qualité' 
quilaluy  rendent  plulloftnuifiblc 
que  profitable?  Il  faut  donc  que  le 
Magiftrat.à  qui  ladminiflration 
de  la  Republique  eft  cômife,  pren- 
ne connoiflance  des  mariages.pour 
f^auoir  s'ils  ont  efté  bien  &  leo-iti- 
mement  contrariés ,  &  pour  con- 
noilire  les  enfans  qui  en  procèdent. 
Pour  ne  rien  dire  maintenant  de  ce 
qu'outre  linrereft  du  public, dont 
il  eft  depofitaire,  il  eft  encore  coiv 
feruatcurdeccluy  des  particuliers, 
&  obligé  de  pouruoiracc  qu'il  ne 
fc  faffe  rien  à  leur  def^eu  ,  qui  leur 
apporte  du  dommage.    De  là  s'en- 
fuit qu'il  y  doit  auoir  quelque  in-i. 
terualc  entre  la  promefle  du  maria- 
ge, &  fon  accompliifement^  à  co 
fjuc  non  ics particuliers  feulement^ 


Confideration  troificfme,  loi 
mais  encore  le  magiftrac ,  ait  le  loi- 
iîr  d'en  élire  inform  c,  par  les  voycs 
lefqucUes  il  iugera  luy  meime  expe- 
dicnres&railonnables. D'où  Vien- 
nent les  proclamations  en  lieu  pu- 
blic, afin  que  perionnen'en  puilFe 
prétendre  ignorance.  La  première 

f)romefledonc  eil  ce  qu'on  appel- 
e  fe  fiancer  ,  &  regarde  le  futur; 
laiflant  la  cliofe  en  tel  eftat^  qu'il  eil 
encore  en  la  puilTâce  du  Magiibat, 
s'ilenadebonnesraifons,  del'em- 
pefclier&  de  la  rompre.  Lafecon- 
deeftjCe  qu'on  appelle  s'époufer, 
qui  regarde  le  preient5&  qui  rend 
la  choie  alors  comme  abioluinenc 
indiiîoluble-  le  dis ^  comme  abio-» 
lumcnt.  Car  elle  ne  l'eft  pas  encora- 
à  1  égal  de  ce  qu'elle  cil  quand  le 
mariage  cft  conibmmc.  D'où  de- 
{)cnd  ia  folution  de  cette  queRion, 
Il  c'cft  le  fimplc  coJifeHtement  des 


loi     T}ùs  Droits  des  glanages 
parties  qui  fait  le  mariage  ,  ou  fi 
pour  le  paracheuer  il  ell  abfolu- 
menc  necefiaire  qu'il  interuienne 
conjondion.    Car  la  promeffe  du 
prefentjapres  tous  les  préalables  ne- 
ceflairesbien  &:  légitimement  ob- 
ferués  ,  allie  tellement  les  parties 
contrariantes  enfemble  ,  qu'elles 
font  naturellement  en  droit  IVne 
&rautre,de  fe  conioindre  légiti- 
mement. Et  en  cela  fait  elle  le  ma-* 
riage,  ce  que  la  promefle  de  futur 
ne  fait  pas.  Car  pour  s'eftre  donne 
parole  de  futur,  on  n'eft  pas  encore 
abfolument  dans  le  droit  de  venir 
à  la  conjonction,  l'autorité  publi- 
que n'y  ellant  point  interuenuë. 
Et  la  promeile  deprefenteftindif- 
foluble  pour  quelque  caufe  que  ce 
foit ,  fi  ce  n'eft  ou  qu  abfolument 
Tvne  des  parties  foit  incapable  de 
mariage,ou  qu  auantla  cofomma- 


Conjtderation  troïfiejme.  103 
tionellefedonneàvn  autre.  Car 
cette  dernière  caufe ,  comme  nous 
l'auonsveucy  deil'us,  rompt  le  ma- 
riage mefmes  confommé.  Et  cette 
première  monftre  quelespromef- 
les  ont  efté  nulles.  Pour  ce  que 
les  promefTes  font  de  fe  conioin- 
dre  pour  auoirdesenfans^  &pour 
remédiera  la  commune  fragilité, 
&  par  confequent  font  fondées  (ur 
la  fuppofition  qu'on  peut  auoir 
des  enfans,  ou  au  moins  que  cette 
alliance  remédiera  à  la  fragilité  de 
la  nature.  Cette  prefuppoiition 
donc  fe  trouuant  fauife,  le  fonde- 
ment de  la  proraefle  eft  ruiné  ,  &: 
par  confequent  la  promefl'e  mefme 
tombe  à  terre.  Mais  la  conion- 
ftion  fait  le  maiiage ,  non  com- 
me ce  qui  donne  le  droit  de  s'ap- 
procher j  mais  comme  la  chofc 
mefn^e  à  UqucUe  on  a  droit  par  la 


204  ^^-f  Droits  des  Mariages 
promeffe.  Finalement ,  fi  vous 
confijerés  le  mariage  en  ce  troi- 
fîéme  égards  diuerfes  raifons  obli- 
gent à  quelques  Gcremonies  autres 
que  les  iimples  promefTes ,  &  pour 
ce  qui  regarde  les  pères ,  &  pour  ce 
qui  regarde  les  enfans.  Pour  ce  qui 
regarde  les  pères  premièrement. 
Car  cftant  du  deuoir  de  cette  fo- 
cieté  reîigieufe ,  de  pouruoir  au- 
tant qu'en  elle  eft  ,  à  ce  que  les 
loix  de  la  politique  foient  bien  & 
légitimement  obferuées,  c'eft  àel- 
lesà  prendre  connoiflance  s'il  y  a 
efté  Citisfait  j  afin  de  retrancher  de 
(à  communion  ceux  qui  ne  s'y  af- 
fujeccilTent  pas ,  &:  d'élongner  au- 
tant quelle  pourra,  defoy,  leblaf- 
mc  de  la  dciobeïflance.  loignés 
à  cela  que  la  conjonction  &  habi- 
tation de  rhommeauec  la  femme, 
eilant  (candaleufe ,  iî  elle  n'eft  le- 


Confderdtïon  troifejmc.  loy 
gitime,  c'cit  à  la  fociecé  religieufc 
à  prendre  connoifTance  de  fa  le- 
gitimité,  afin  qu'il  n'arriue  point 
de  péché  contre  laDiuinitèjnide 
fcandale  qui  ofFenfe  ceux  quiTho- 
Dorent.  Pour  les  enfansaufli.  Car 
pource  que  cette  focieté  religieufe 
aufTi  bien  que  la  politique  a  fes  pri- 
uileges  &  fes  auantages,  qui  ne  doi- 
uent  pas  eftre  diftribués  témérai- 
rement, il  eft  de  fa  cohnoilfancc 
de  difcerner  qui  font  ceux  à  qui 
la  diftribution  en  doit  eftre  faite. 
Ce  qui  ne  fe-peut  fi  les  mariages 
n'eftoient  fondés  finon  deffus  des 
promeffes  clandeftines,  &  defquel- 
îes  on  n*euft  point  donné  de  con- 
noifTance ni  de  certitude  au  pu- 
blic. En  fin  ,  puis  que  le  mariage 
eft  de  l'inftitution  de  la  nature,  èc 
que  le  fruit  des  inftitutions  de  la 
nature  dépend  de  la  benedidion 


iù6  Des  Droits  des  z^^rtages 
de  fon  auteur,  les  pères  &  les  mè- 
res eftans  membres  de  la  foeieté 
religieufe,  &  lesenfans  qui  en  pro- 
céderont le  deuant  eflre  ,  il  n'y  a 
rien  de  plus  raifonnable ,  ni  de  plus 
conforme  aux  loix  de  la  nature 
mefme,  finon  que  par  la  commu- 
ne voix  de  cette  focieté,  foit  obte- 
nue iabenediâ:io  deDieUj  tantfiir 
les  perfonnes  qui  cotradtent  maria- 
ge, que  fur  celles  qui  en  doiuét  eftre 
procréées  par  la  génération.  Que 
Il  toutes  ces  chofes  n'ont  point 
efté  obferuées  aux  mariages  des  Pa- 
triarches, c'eft  que  ni  la  police  ciui- 
le ,  ni  la  police  religieufe^n  auoyent 
point  encore  cette  belle  forme 
dans  laquelle  nous  les  voyons  en  ces 
derniers  temps. 


CONSIDERATION 

QVATRIESME. 


Si  pour  rendre  le  mariage  légitime  ,  le 
droit  de  nature  veut  que  l'objet  fait 
choifihors  de  la  conjanguinite  (^  de 
l'ajjinitê. 

gj^^  lEN  que  toutes  les queftios 
Sl^^-  précédentes  méritée  qu'on 
^„w..=^^<(  Icscôlidere  attentiuemenr^ 
&  qu'on  les  examine  foigneufe- 
ment,  fi  ne  les  ay-je  quafi  entrepri- 
fesque  pour  feruir  de  fondement 
&  d  éclarciiTement  à  celle-cy,la  plus 
difficile  de  toutes  fans  doute,  &  fur 
laquelle  il  me  femble  que  les  Théo- 


,lo8        T) es  Droits  des  Ai arlat^s 
logiens  ,  les  lurifconfultes ,  &  les 
Philofophes  ont  le  moins  trauaillé, 
quoy  que  fon  importance  &  fon 
obfcunté  reqiiiflent  afles  qu'ils  y 
employaflent  leur  méditation  éc 
leur  pêne.  Trois  cliofes  principale* 
ment  ont  fait  dire  à  quelques  vns, 
qu'il  eft  douteux  fi  la  nature  en  a 
nen  déterminé  ,  &  qu'il  y  a  beau^ 
coup  d'apparence  que   ce  qu'on 
eftime  les  mariages  que  l'on  appel- 
le inceftueux  ,  c'eft  à  dire  contra- 
riés auec  fes  parens  en  vn  trop  pro- 
che degré  ,  illicites  &  vicieux,  eft 
du  droit  pofitif  feulement,  &  non 
de  l'inftitution  de  la  nature.  Le  pre- 
mier eft,  que  les  loix  que  Dieu  mef- 
me  en  a  données ,  font  couchées  au 
iiure  du  Leuitique,dans  lequel  eft  le 
corps  des  conftitutios  ceremoniel- 
les  qui  eftoyent  pour  le  peuple  d'if- 
raël  feulement,  &quinedeuoien^ 

durer 


Confideration  quatriefme.  zO^ 
Jurer  que  quelque  efpace  de  temps. 
La  féconde  eft ,  qu'il  y  a  eu  des  Nat- 
ions qui  n'onc  point  faitdediffi- 
nilté  de  contradber  des  mariages 
lans  les  degrés  de  parenté  qu'on 
ippeilederendus,&  mclmes  qui  loc 
îftimés  les  plus  facrés&  les  plus  in- 
liolables, comme  du  pereàlafille> 
k,  du  fils  à  la  mère  ,  ainfi  qu'il  s'eft 
)ratiqué  entre  les  Perfes  Car  fî  cela 
doit  du  droit  de  la  nature,  il  y  a 
pparence  que  toutes  nations  leuf- 
cnt  également  reconnu.  Latroifié- 
ne  finalement,  que  les  raifons  que 
on  a  iufques  icy  alléguées  pour 
nonftrcr  que  cela  eft  du  droit  de 
iature,font  fi  foibles  &c  fi  peu  con- 
laincantes  ,  que  tout  ce  qu'on  en. 
onclud  ,  doit  eftre  merueilleufe- 
uentfufpe6t,pource  qu'en  toutes 
utres  chofes ,  quoy  qu'il  y  en  aie 
le  beaucoup  moins  importantes 
\  O 


zio         Des  Droits  des  Aï driazcs 
qa'on  ne  s'imagine  celle-cy  ,  1 
droit  de  la  nature  eft  fi  clair  ^qu 
ne  peut  eftre   reuoqué  en  dout 
Ainfi  ne  veulent  ils  pasabfolumer 
que  ces  mariages  foyent  permis  ir 
différemment  ^  ils  aduoiient  qu' 
y  peut  auoir  quelques  raifons  pou 
quoy  la  puifTance  Politique  ou  E^,  . 
clefiaftique  les defcde.Mais  pour  <i,  - 
que  le  droit  de  nature  y  eft  à  leur  ad  „, 
uis  ou  nul;,ou  extrêmement  obfcui  , 
ils  veulent  que  la  mefme  puiflani 
qui  deffent  ces  mariages  puiffeil  i 
difpenfer  de   l'obferuation  de  | 
defenfe  ,  bc  rendre  ces  mariagi  , 
légitimes  ou  indiffcrens.  '< 

Or  quant  à  la  première  de  ces  ra- 
for  s ,  on  la  peut  aifément  réfuter  Cl 
diucrfes  manières.  Car  premier» 
ment ,  fi  tout  ce  qui  eft  défendu  ci 
commandé  dans  le  Leuitique  y  e; 
de  droit  pofitif  feulement,  ôc  efti- 


I  Confdcratîon  quatrie/me".       ni 

bli  pour  quelques  perfonnes ,  ^ 
pour  quelque  temps,  ridolattie  fe- 
ra de  mefme  condition  ,  car  elle  y 
eft  aulTi  défendue.    Or  comme  la 
,  nature  nous  apprend  a  adorer  la 
'  vraye  Diuinité  ,   auffi   nous  ap- 
'  prend  elle  à  n'en  adorer  qu  vnef 
^  &  par  confequent  elle  défend  pa- 
'reillement   de    rendre  Thonneur 
qui  luy  eft  deu  ,  aux  chofes  qui 
ne  pofledentpas  véritablement  la 
I  nature  diuine.  Puis  après,  ficela 
'  cftoit  de  droit  pofitif  feulement, 
'd'où  eft  -  ce   que  les    lurifcon- 
fuites  Tauroient  appris^  veu  qua 
,Rome  ,  &  en  Grèce ,  on  n  auoit 
aucune  connoiflance  Je  cette  loy 
particulière  que  Dieu  auoit  établie 
parmi  fon  peuple  ?  Certainement 
il  faut  que  (^'ait  efté  la  nature  mef- 
me qui  le  leur  ait  enfeigné  ;  &  dé 
fait  il  n'y  a  aucune  nation  d'entre 

O  X 


liL       Des  Droicls  des  Mariages 

o 

celles  qui  mettent  diftindlion  en- 
tre les  objets  du  mariage  parla  pa- 
renté, qui  encore  qu'elle  n'ait  au- 
cune connoifl'ance  de  la  parole  de 
Dieu,  ne  rapporte  fes  loix  en  cet 
égard  aux  inftrudions  de  la  nature. 
En  troifiéme  lieu,  Dieu  mefme 
m  onftre  alTés  à  quoy  il  regarde  dans 
les  loix  qu'il  en  établit ,  puisque 
dans  la  préface,  &: dans  la  clofture 
du  lieu  où  elles  font  contenues,  il^ 
dit  exprefsément  que  ces  conjon- 
<5tions  font  abominations, qui  ont 
efté  commifes  par  les  habitans  de 
Canaan,  àc  à  caufedefquelles  il  les 
Veut  exterminer  de  cette  terre.  Car 
pourquoy  n'ayant  point  de  con- 
noilîance  de  fes  loix ,  &  la  nature 
n'en  ayant  point  établi  en  cette 
matière ,  telles  conjondions  en- 
tr'eux  auroient  elles  efté  abomi- 
nable&l  Et  de  dire  que  la  dcfcftfë 


Confideratlon  quatriefme.  115 
en  auoit  efté  faite  à  leurs  prede- 
ccflcurs^  &  que  Dieu  les  veut  pu- 
nir de  ce  qu  elle  a  eité  ou  oubliée, 
ou  négligée  ;  outre  que  c'ell  deui- 
ner  vne  cholè  dont  on  n'a  lumiè- 
re quelconque,  il  n'y  a  pas  gran- 
de apparence  ni  que  Dieu  leur  euft 
défendu  ces  mariages  ii  fcuere- 
ment, (ans  que  la  nature  de  la  cho- 
fc  luy  en  fournil!:  aucune  railon, 
ni  qu'il  euft  imputé  aux  defcen- 
dans  Toublianced'vne  inftitution, 
qui  ne  fe  pouuoit  conleruer  vn 
bien  long  temps ,  puis  que  la  loy 
n'en  auoit  point  efté  donnée  par 
çcrit,  &  qu'elle  n'auoit  point  de 
racines  en  Tefprit  humain  par  les 
(cntimens  de  la  nature.  £n  vn 
mot ,  l'air  &:  la  fac^on  de  laquelle 
Dieu  prononce  ces  loix ,  &  la  qua- 
lité de  celles  aucc  lefquelles  ii  les 
mefle,  monftre  afsés  quiln'eftpas 

O3 


ai4  T)esT)roits  des  Adariages 
queftion  là  de  cérémonies  feule- 
ment, mais  de  chofe  qui  eft  telle- 
ment mauuaife  de  foy,  que  Dieu 
l'a  en  vne  horreur  &  en  vne  dete- 
ftation  extrême.  Et  ce  que  ces  loix 
font  écrites  au  Leuitique  ,  mon- 
ftreroit  pluftoft  l'atrocité  de  ce  qui 
y  eft  défendu.  Car  comme  ainfi 
foit  que  la  loy  fuft  composée  de 
trois  parties  :  C'eft  à  f(^auoir  j.  des 
çommandemens  moraux,  conte- 
nus dedans  les  deux  tables  j  de  ceux 
qui  cocernoient  le  feruice  de  Dieu  \ 
éc  finalement  de  ceux  qui  regar- 
doient  la  police  ciuile,  les  deux  ta- 
bles eftoient  comme  la  racine  &  le 
tronc  de  toute  la  loy  y  la  loy  Leui- 
tique &  la  Politique  eftoient  com- 
me les  deux  maiftreffcs  branches 
qui  en  fortoient,  &  qui  fe  répan- 
doient  puis  après  en  vne  infinité 
d'ordonnances  particulières.     Et 


Conjtdcration  quatricfme.         iiS 
cela  de  telle  force,  que  comme  la 
première  table  regarde  l'honneur 
que  la  nature  nous  oblige  de  ren- 
dre à  Dieu,  la  loy  Leuicique  s'en 
produit,  pour  expliquer  particu- 
lièrement la  faconde  laquelle  il  s'y 
faut  prendre.    Et  comme  la  fécon- 
de table  regarde  les  dcuoirs   qui 
nous  obligent  à  noftre  prochain, 
la  loy  politique  en  naift^pour  don- 
ner vne  defcripcion  plus  particu- 
lière des  chofes  efquelles  ils  conii- 
ftent.  Puisdonc  que  cescomman- 
demensqui  concernent  les  maria- 
ges, ne  pouuoient  entrer  ni  enlV- 
ne  ni  en  l'autre  de  ces  deux  tables, 
à  caule  de  leur  multitude  ck  de  leur 
longueur,  (car  Dieu  n'a  pas  lUgé 
à  propos  de  mettre  plus  de  quatre 
commandemen-s  en  l'vne,  de  plus 
defixen  l'autre)  il  filoic  neceflai- 
remént  qu'ils  entraflent  en  l'vne  de 

04 


ti6       Des  'Droits  des  AfarUges 
ces  deux  maiftrefles  branches  qu 
s'enproduifent.    Partant  le  maria 
ge  ayant  égard  à  la  focieté  politi- 
que Ô^  à  la  locieté  religieufe  pareil- 
lement, il  femble  que  Dieu  ait  vou- 
lu que  ces  loix  qui  le  règlent  en  ce 
quieft  de  la  détermination  de  1  ob- 
jetj  fuflent  pluftoft  écrites  dans  le 
corps  de  celles  qui  concernent  la 
religion   particulièrement ,    que 
dans  le  corps  de  celles  qu'il  a  éta- 
blies pour  la  focieté  j  afin  que  tout 
le  monde  iugeaft,  qu'encore  qu'en 
cette  forte  de  péché  le  prochain 
foit  intéressé,  iî  veut- il,  tant  l'a- 
trocité en  eft  grande,  qu'on  le  ré- 
puté en  quelque  façon  auoir  efté 
fait  contre  luy  mefme.    Mais  au 
refte  ,  &  politiques  &ceremonicK 
les,  &  naturelles  èc  non  naturelles  > 
toutes  fortes  de  loix  font  rappor- 
tées en  ce  liure  là ,  comme  il  ap-. 


Conjideration  quatriejme.  217 
pert  notamment  par  les  chapitres 
dix-neufîéme  &  vingtième  jôc  par- 
tant cette  première  raifon  n  a  pas 
mefme  la  moindre  apparence  de- 
ftre  folide  &  conuainquante. 

Pour  ce  qui  eft  de  la  féconde,  fi 
cette  queftion  icy  le  decidoità  la 
pluralité  des  voix ,  il  n'y  à  point  de 
doute  que  ladefence  des  mariages 
inceltueux  ne  paffaft  pour  naturel- 
le. Car  pour  vne  ou  deux  nations, 
peut eftrc, qui  n'ont  point  mis  de 
diltindtion  entre  les  mariages  ince- 
ftueux  &  non  incellueux,  combien 
cft  grand  le  nombre  de  celles  qui  y 
en  ont  mis  en  tous  les  fiecles  ?  Et 
s'il  faut  pefer  les  voix^  &  non  pas 
les  conter, de  combien  doitpreua- 
loir  le  lugement  des  Grecs  &:des 
Romains  par  deilus  celuy  des  Per- 
fes?  le  dis  donc  que  comme  encore 
qu'ilfefoitpeut  eftre  trouuéqueU 


2i8       Des  Droits  des  Mariages 
ques  republiques  parmi  lefquelles 
les  femmes  auoyent  entre  mains 
Tadminillration  de  la  fouueraine 
aucorité  j  ilne  iaiffe  pas  d'eftre  du 
droit  de  la  nature  que  ce  foyent  les 
hommes  qui  commandent  :  Ainfî 
encore  qu'il fe foit  trouué  quelques 
nations  qui  n'ont  point  mis  de  dif- 
férence entre  les  parens,  &  ceux  qui 
ne  le  font  pas,  il  ne  laiffe  pas  d'eftre 
du  droit  de  la  nature  qu'on  en  faile 
diftinâiion  dans  les  mariages.  Deux 
chofes  donc  ont  eftécaufe  de  Ter- 
reur des  Pcrfes,  &  des  autres  natiôs, 
s'il  y  en  à  encore  quelque  autre  qui 
fe  foit  éc^arée  des  droits  de  la  nature 
en  cette  matière.  L'vne  eft  que  danst 
les  Eftats  Monarchiques  on  a  touf- 
joursfaitvnmerueilleux  eftatdela 
perfonne  &  du  fang  des  Rois  :  com- 
me aulTi  de  leur  coftè  les  Roys  ont 
toufiours  eu  vne  merueilleufe  paP 


Confideranonquatricjrnc.  119 
fiondelaifler  leurseftatsà  leurs  de- 
fcendans  qui  feroyent  iflusderace 
royale.  Ainfi  ont-ils  prétendu ,  & 
les  peuples  ont  volontiers  conien- 
tij  qu'il  leur  fuft  permis  quelque 
choie  de  plus  qu  aux  autres  dans 
les  mariages.  Si  donc  le  dérè- 
glement de  leurs  afFe6lions  les  a 
f)ortés  à  des  objets  que  la  nature 
eur  euft  défendus,  ou  fi  toute  leur 
confanguinité  eftoit  réduite  à  fi 
peu,  que  s'ils  fe  fulTent  abftenus 
des  degrés  défendus,  ils  eulTentelté 
contraints  de  fe  mefailier,  comme 
on  parle,  d^  de  prendre  femme  hors 
de  la  Mailon  Royale ,  on  a  creu 
que  la  raifon  d'Eftat^  ou  l'affedion 
du  Prince  le  pouuoit  bien  empor- 
ter fur  les  droits  de  la  nature.  L'au- 
tre eft,  que  tels  exemples  paffent 
aisément  parmi  le  peuple;  dequoy 
les  Princes  mefmes  fotit  afsés  con- 


iio  Des  Droits  des  Mariages 
tens ,  afin  qu'il  ne  paroill'e  rien 
d'extraordinaire  en  la  nailFance  de 
leurs  enfans;  &  la  couilumepeu  à 
peu  etiace  tellement  lesenieigne- 
mens  de  la  nature  ,  qu'il  n'en  relie 
plus  i  la  fin  aucun  icntiment. Com- 
me il  a  paru  dans  la  paillardile  ,  & 
dans  la  polygamie, dans  le  diuorce, 
&  généralement  dans  toutes  les 
choies  que  nous  auons  cy  deflus 
veu  ertre  condamnées  par  les  droits 
de  la  nature, &  qui  neantmoins  ont 
eu  fi  grande  vogue  entre  plufieurs 
nations. 

Pour  ce  quiefl:  de  latroifiefme 
railon  ,i'aduouë  que  quelques  vnes 
des  chofes  que  l'on  a  iufques  icy 
alléguées  pour  caufes  de  la  prohibi- 
tion des  mariages  inceftueux ,  ne 
font  pas  telles  qu'on  en  puifle  clai- 
rement &  nettement  inférer  qne  ce 
foit  la  nature  mefme  qui  l'ait  faite. 


m 


Corjjidcration  quatriejmc. 
Quelques  vns  onc  dit  que  fi  on 
n'imprimoic  dans  les  efprits  des 
hommes  Thorreur  de  ces  conjon- 
ctions, la  conuerfation  continuelle 
des  frères  auec  lesfœurs,&:  de  tous 
ceux  généralement  qui  habitent  en 
vne  mefme  maifon ,  produiroit  in* 
dubitableméc  beaucoup  de  fcanda- 
les.  Cela  eft  bien  dit,&:la  prudence 
n'emDcfche  pa  squ'on  nVfe  de  telles 
precautios.  Mais  puis  qu'on  ne  fait 
point  de  difficulté  de  permettre  aux 
pères  &  mères ,  qui  fe  font  ioints  en 
fecodes  nopces,de  marier  enfembJe 
les  enfans  qu'ils  ont  eus  refpe6tiue- 
ment  de  leurs  premiers  lits ,  quoy 
qu'ils  les  ay  ent  éleués  en  vne  mefme 
maiso  onnepeutpasprefumerque 
cette  précaution  fafTe  vn  droit  in- 
uiolable  de  la  nature.  Et  de  fait,qui 
s  imagineroit  qu'vne  chofe  indif- 
ierentc  &  licite  d'elle  mefme,  deuft 


lit       Des  Droits  des  tj^aruges 
eftre  tenue   &  défendue  comme 
exécrable,  pource  que  fi  onlaper- 
mettoit,  l'intempérance  ou  l'im- 
prudence des  hommes  en  feroit 
peut  eftre  naiftre  quelques  incon- 
ueniens  ?  Quelques  autres,  com- 
me S.  Auguftin ,  ont  eftimé  ,  que 
Dieu  a  voulu  parce  moyen  proui- 
gner  la  charité  &  la  diledlion  par- 
mi le  genre  humain,  au  lieu  qu'elle 
demeureroit  renfermée  en  quel- 
ques familles ,  fi  les  proches  parens 
auoient  la  permiflion de  (e  marier 
cntr'eux.    Car  pourquoy  vn  père 
iroit-il  chercher  parti  pour  fes  en-^ 
fans  hors  de  famaifon^s'ilentrou- 
uoitdefortablesenfa  maifon  mef- 
me?  Celaeft  bon  encore  :  &  nous 
auons  veu  cy-deffus  que  ces  allian^ 
ces  ferucnt  à  la  paix  de  larepubli-^ 
que,  &  à  la  conferuation  de  lafo- 
cieté.  Mais  fi  à  prouigner  ainfi  les 


Conjtderat'ton  quattrepne.        115 
amitiés  par  ces  alliances,  il  fe  trou- 
uevn  plus  grand  bien,  il  ne  s'en- 
fuit pas  de  là  que  la  conjondtipn. 
entre  proches  parens  fuft  vn  mal, 
&  encore  vn  mal  digne  d'eftre  efti- 
xné  abominable.  loint  que  les  na- 
tions qui  n'ont  point  eu  de  vraye 
connoiflance  de  Dieu ,  ne  fèmblenc 
pas  auoir  eu  ce  foin  d'épandre  & 
de  faire  pulluler  les  amitiés,  quand 
elles  ont  fait  les  loix  touchant  les 
mariages.  Ariftote  en  allègue  vnc 
raifon  quifemble  contraire.  C'efl: 
qu'il  faut  qu'il  y  ait  de  la  médio- 
crité en  laffedion,  aufli  bien  que 
dans  les  autres  habitudes  de  nos 
âmes.    Veu  donc  que  laconfan- 
guinité  en  engendre  déjà,  fi  on  y 
adjoûte   encore    celle   que  cette 
conjonction  produit,  elledeuien- 
dra  excefliue.    Mais  il  a  eu  tort 
d'auoir  peur  dececofté-là.  Defoy 


114  ^^^  Droits  des  Mariages 
le  mariage  deuroit  engendrer  dô 
fore  grandes  ai  fort  véhémentes 
affections  :  mais  le  vice  &  la  cor- 
ruption du  monde  eft  fi  grande  ^ 
qu'il  feroit  fouuent  bien  befoin 
quelaconfanguinitéjfi  elle  y  peut 
quelque  chofe^introduifift  &  affer- 
mift  la  bonne  intelligence  dans  les 
mefnages.  Adjoûtés  à  cela  que  s'il 
n'y  a  point  d'autre  raifon,ie  veux 
qu'il  y  peuft  auoir  quelque  excès 
en  TaffeCtion ,  fi  eft-ceque  cela  ne 
pourroit  rendre  la  conjonction  di- 
gne de  deteftation  &  de  haine.  Car 
feroit  -  ce  vn  crime  que  la  nature 
deuft  auoir  en  exécration  ,  fi  le 
mary  aimoit  vn  peu  trop  ardem- 
ment fa  femme?  Plutarque  dit  en 
quelque  lieu ,  que  les  loix  ont  ainfi 
pourueu  au  fupport  des  femmes 
qui  font  mal  traittées  parleurs  ma- 
ris.   Pource  que  fi  elles  n  auoient  || 

poiftP 


I  Confderatwn  quatncjme,  zz^ 
point  d'autres  parcnsquelesparens 
de  leurs  maris,  elles  ne  fc^auroient 
à  qui  fe  plaindre.  Certes  pour  eftre 
parens  de  leurs  maris  ^  ils  ne  laifl'e- 
roient  pas  d'eilre  leurs  parens  auflî, 
ni  parconfequent  d*auoir  de  bon- 
nes inclinations  pour  leur  defen- 
fe.  Et  au  fonds,  celle  qui  feroit 
afTeurée  d'auoir  vn  bon  mary, 
pourroit  -  elle  donc  époufcr  Ton 
propre  frère  ?  Que  di~je  ,  frère? 
Puis  qu'il eft  naturel  auxperesd'ai- 
mer  ardemment  leurs  enfans ,  le 
père  pourroit  ainfi  époufer  celle 
qu'il  a  engendrée.  Car  elle  ne 
pourroit  iamais  auoir  meilleur  ni 
plus  affedbionné  mary  que  fon 
propre  père.  Et  neantmoins  c'efl: 
vne  conjondlion  que  la  nature  ab- 
horre. A  quoy  vous  pouués  adjoû- 
ter  que  quand  la  nature  a  conjoinc 
le  mary  &:  la  femme  pour  la  gêné-' 

P 


iz6       Des  Droits  des  cJ^artages 
ration  des  enfans,  elle  n'a  pas  far 
cloute  voulu  prefumer  qu'ils  s'ci 
tf -f battroient ,  ni  prendre  fes  mefi 
rcs  (iir  cette  prefuppofîtion ,  poi 
déterminer  les  loix   qui  render 
leur  coniondion  licite  ou  illicii 
félon  elle.    En  fin,  dans  les  mai 
uais  ménages  il  femble  qu'il  fo 
pluftojft  de  la  prudence^que  la  fen 
me  fe  plaigne  aux  parens  de  fc. 
miry,  qu'aux  fiens,  pource  qu'j; 
luy  doiucnt  eftre  moins  fufped; 
de  palïion  dz  de  partialité  pour  el]. 
Mais  quoy  ?  ie  veux  que  ces  raifoji 
là  ne  concluent  pas  bien  forti- 
ment  j  s'enfuit-il  delà  pourtant  qu 
la  nature  n'en  ait  point  eu  d'autre? 
La  mefure  de  noftre  connoifTan»; 
eft-elle  donc  neceffairement  la  m  - 
furc  descbofcs  mefmes  ?  Combici 
yen  a  t'il  dont  nous  n'apperceuoj; 
les  raifons  que  fort  conrusémeni, 


Confideration  qudtrïejrne,        iiy 
GUI  ne  laiflent  pas  d'engendrer  de 
fort  ardentes  &  véhémentes  émo- 
tions en  nos  âmes  ?    Vn  excellent 
.tableau  nous  rauit  en  admiration  j 
,&  neantmoins  bien  fouuent  nous 
ne  fc^aurions  dire  nettement  ce  que 
nousy  trouuons  debeau,  ni  quel- 
les perfections  nous  y  touchent* 
Tous  les  peuples  de  la  terre  ont  efté 
viuement  &  profondement  per- 
faadés   de  l'mimortahté   de  leurs 
cfprits ,  &  neantmoins  à  pêne  les 
raifons  en  peuuent-elles  eftre  bien 
nettement  exphquées  par  les  Phi- 
lofophes  mefmcs.     Si  donc  nous 
n'entendons  pas  icy  la  voix  de  la 
nature    hautement    ni  diilmde- 
ment  ,  il  faut  croire  que  c'eft  la 
fiirJité  de  nos  efprits,  6i  non  le  dé- 
faut de  fa  voix  qui  en  eftcaufe.  Et 
quand  fa  voix  y  feroit  d'elle  mef- 
•mc  obfcure  d>c douteuie^il  vaudroic 

P  % 


1 


ii8  Des  Droits  des  tJ^ariages 
pourtant  beaucoup  mieux  s'abftc 
nir  de  ces  conjonàions  j  de  ped 
de  violer  fes  loix,  que  de  s'y  porj 
ter^fous  ombre  que  nous  ne  voyonj 
pas  affés  clairement  lesraifons  q 
les  nous  défendent.  Car  comm 
en  vne  accufation  dont  les  preuucî 
font  ambiguës ,  les  mclinationsdc 
riiumanité  nous  doiuent  pluftofi 
porter  à  abfoudre  qu'à  condam 
ner,  pource  qu'il  vaudroit  mieux 
abfoudre  le  coupabIe,que  condam- 
ner iniuftement  l'innocent;  Ainfi 
en  l'obfcurité  des  raifons  fi  la  na- 
ture défend  Imcefte  ou  ne  le  dé- 
fend pas,  nous  luydeuonsce  re- 
fpect  de  nous  abftenir  pluftoft  des 
chofes  qu'elle  nous  permet,  que  de 
nous  licencier  à  celles  qu  elle  nous 
peut  auoir  défendues.  Mais  écou- 
tons icy  vn  peu  attentiuement  la 
voix  de  la  nature,  ôc  v oyons  fi  nous 


Conftdcnttîon  matriejme,       ii^ 
a  pourrons  difcerner.    C'eftelle, 
%:  non  pas  feulement  Ariftote,  qui 
lous  apprêd  qu  en  toutes  les  choies 
jui  ont  de  l'analogie  de  de  la  corre- 
pondance  lesvnesauec  les  autres, 
:e  qui  ell  le  plus  emment,  Se  qui 
:ientle  fouuerain  degré  ,  doit  eitre 
;onfideré ,  non  comme  la  règle  ôc 
amefureleulement ,  mais  mefmes 
ordinairement  comme  la  caufe  & 
origine  de  toutes  les  autres.  Ec 
)our  ne  fortir  point  hors  des  cho- 
cs morales,  ni  des  enfeigncmês  que 
a  nature  nous  y  donne  :,  fi  ie  veux 
:onnoiftrele  vice,  de  toutes  les  in- 
:emperances  qui   fe  commettent 
lans  la  vie ,  ie  n'ay  point  de  meil- 
eur  ni  de  plus  afleuré  moyen  d  y 
procéder  ,  qu'en  confiderant  ly- 
ireffe  au  plus  haut  point  de  fon  ex- 
remité.  Là  donc  ie  remarqueray 
notamment  deux  chofes.  L'vne  eft^ 

Pi 


2-30  T>esT)roits  des  Adariagcs 
la  caufe  delyurefre,  quieftl'excé 
en  vne  certaine  volupté  du  gouft 
L'autre effc  fon  effe6t,  qui  confilb 
en  ce  qu'elle  ofte  tout  à  fait  à  1  hom 
me  l'vfage  de  la  raifbn,  Lepremie 
rend  ce  vice  d'autant  plus  chaftia 
ble,  qu'encore  que  tous  autres  ex 
ces  dans  les  voluptés  corporelles 
foyentà  blafmer,  dautant  qu'elle: 
doiuent  eftre  toutes  gonuernée; 
par  la  raifon  „  ôc  retenues  entre  le: 
termes  de  la  modération  ;  cellec) 
eftant  des  plus  groflieres  ,  &  qu 
nous  approchent  le  plus  de  la  con- 
dition des  belles ,  doit  eftre  fujettc 
à  fon  empire  d  vne  fac^on particu- 
lière j  &  pluftoft  ramenée  audec^à 
de  la  médiocrité  ,  que  portée  au  de 
là  de  Tes  limites.  L'autre  le  rend  dau- 
tant plus  horrible,  que  tous  les  au- 
tres excès  des  voluptés  nous  laiffent 
quelque  vfage  de  la  raifon  :  ôc  s'ils 


Conjideration  quatriepnc,        131 
la  nous  oftent ,  ce  n  cil  que  pour  vn 
momencjen  cettuy-cyi'ccliplequi 
5'cn  fait  eil  fouuenc  de  longue  cu- 
rée. De  force  que  comme  s'il  falioic 
élire  conuerti  en  pourceau ,  il  y  au- 
roit  moins  d'horreur  à  Tell re  pour 
vn  moment  feulement,  qu'àreftre 
l'efpace  de    quinze  ou  vmgt  ansj 
ainiî  s'il  faut  perdre  IVfage  de  la  rai-. 
fon  par  quelque  volupté  ,  il  y  a 
moins  de  mal  aux  voluptésquila 
rauiifent  &  la  rendent  en  vn  in- 
ilant/s'il  n  y  a  rien  dauantagc  dans 
le  péché  qui  s'y  cornet)  qu'en  celles 
qui  la  retiennent  long  temps  après 
l'auoir  dérobée.  De  là  il  eft  défor- 
mais aifé  de  reconnoiftre  quel  iu- 
:  gement  on  doit  faire  de  tous  les  ex- 
cès ôc  de  toutes  les  débauches  ^  qui 
le  commettent  dans  le  vin.  Car  fé- 
lon qu'elles  s'approchent  plus  ou 
moins  de  ces  deux  maux  qui  pa- 

P4 


x^t  Des  Droits  des  Alartages 
roiilenc  &  en  la  caufe  &  en  l'effei 
plus  ou  moins  auffi  font  elles  con-'' 
damnables,  &  dignes  qu'on  lésai 
en  haine  &  en  aueriiô.  Et  cela  a  Iiei 
en  toutes  autres  chofes  pareille- 
ment. Il  faut  donc  voir  d'entre  le: 
inceltes  qui  e(i:  celuy  lequel  a  le 
plus  d  horreur  &  d'atrocite  ,  &  er 
examiner  les  raifons  ^  afin  de  re- 
cueillir de  là  quel  iugement  il  fau- 
dra faire  des  degrés  de  l'atrocité  de; 
autres. 

Celuy  que  tous  les  hommes  oni 
toufiourseule  plus  en  horreur,  eH 
fans  doute  celuy  qui  fe  commet  en- 
tre le  père  &  la  fille  ,  ou  cequieft 
Guafi  mefme  chofe  ,  entre  la  mère 
èc  foh  fils.  Aufli  eft-ce  celuy  dont  la 
defence  eft  au  liure  du  Leuitique, 
efcrite  à  la  tefte  de  tous  les  autres. 
Car  après  cette  prohibition  vniuei- 
felle  3  &  dont  la  fandion  s'cftend 


Confidcratîon  quatricjine.  x^ 
(ieflus  cous  les  inccllcs  en  gênerai, 
Nul  ne  s'approchera  de  celle  qui  cflja. 
proche  parente  ^  le  fuis  h  Eternel  y  Dieu 
voulant  defcendre  au  particulier, 
dit ,  77/  ne  dé couuriras point  la  njergon- 
gne  de  ton  père  j  m  la  vcrzpngne  de  ta 
mère  ^  ^c.  Comme  fi  c  citoit  là,non 
le  plus  horrible  detouslesinceftes 
feulement,  maisaufli  la  fource  d'où 
leur  vice  &  leur  atrocité  découle. 
Orn'yat'ilpas  vn  de  ceux  qui  dif- 
courent  raiionnablement  de  cette 
matière  ;  qui  n  allègue  à  ce  propos 
quelesenfansdoiuent  durelpeàà 
leurs  pères  &  à  leurs  mères ,  &:  qu'il 
eft  violé  par  cette  conion6tion. 
Puis  quand  il  eft  queftion  de  dire 
en  quoyconfifte  la  violation  de  ce 
refped:,  ils  en  tirent  l'explication 
de  ces  mots ^découurir  la  njergongnc^ 
àcaufedeTindecencede  la  nudité, 
indécence  laquelle  eft  dautant  plus 


234      ^^^  Droléîs  des  Mariages        P 
grande  &  plus  vicieufe ,  que  la  per- 
Ibnne  deuant  laquelle  on  Ce  décou-  || 
ure  mérite  de  l'honneur  &  du  ref- 
pe6t'    A  quoy  on  ne  manque  pas 
d'alléguer  cecte  obferuation  qui  fe 
trouue  dans  Valere  Maxime,qu'en- 
tre  les  Romains  il  n'cftoit  pas  per- 
mis aux  enfansde  fe  baigner  auec 
leurs  pères  \  fans  doute  à  caufe  de 
l'indécence  de  leur  nudité.    Afin 
doncdevoiriufquesoù  va  la  force 
de  cette  raifon  ,  il  faut  examiner 
comment  la  nudité  eft  naturelle- 
ment indécente. Car  fi  la  nature  dé- 
fend l'incefte  à  caufe  de  ce  qu'il  y  a 
de  deshonnefte  en  la  nudité  il  faut 
que  la  nudité  elle  mefme  foit  natu- 
rellement deshonnefte.  La  nudité 
donc  doit  eftre  confiderée  ou  en 
l'eftat  de  la  nature  laquelle  cft  en 
fon  entier ,  ou  en  l'eftat  de  la  nature 
.depuis  qu'elle  foit  corrompue  ^  ^ 


Confidcrdtïon  auatriepnc,        235 
qu'il  ert  arriué  du  defordre  en  fes 
affedions.Or  eft-ilbien  vray  qu'en 
l'ellat  delà  corruption  ,  il  elt  des- 
lionnefte  à  l'homme  de  dccouurir 
les  parties  que  la  nature  a  deftinées 
à  la  génération.     Pource  que  du 
delordrequieft  dans  les  autres  par- 
lions, il  n'en  paroift,  quand  elles 
s'emeuuent,  aucune  marque  dans 
le  corps  j  11  ce  neft  quelque  peu, 
quand  elles  font  extraordinaire- 
ment  excitées.     Comme  il  arri- 
ué en  la  colère,  alors  qu'elle  nous 
tranfporte  iufques  à  des  mouue- 
mens  &:  à   des  adions  qui  (ont 
bien  loin  au  delà  des  termes  de 
Texcellencede  la  nature  de  l'hom-f 
me,  6c  de  la  modération  qui  luy 
conuient.    Au  lieu  que  comme  ces 
parties  font  le  fîege  de  la  plus  tur- 
bulente de  toutes  les  conuoitifes, 
aufïi  nionftrcnc- elles  incontinent 


z^6  T)es  Droits  des  ^JMaridgcs 
les  émotions  qui  s'engendrent  en 
la  concupifcence  alcncontre  de  la 
raifon.  Mais  figurons- nous  la  na- 
ture en  vne  telle  intégrité,  qu'il  n'y 
ait  aucun  trouble  dansles  affed;ios, 
&  que  les  moindres  émotions  qui 
s'y  forment ,  foient  abfolument 
foumifesà  la  domination  de  la  rai- 
fon j  conmie  il  n'y  auroit  point  en 
ces  parties  de  marques  de  ce  def-  \ 
ordre ,  auffi  n'y  auroit  -il  point  fans 
doute  de  honte  ni  d'indécence  en 
leur  nudité.  Et  c'eft  ce  que  l'hi- 
ftoire  de  la  création  de  Thomme 
nous  enfeigne.  Si  donc  la  raifon 
de  la  prohibition  de  l'incefte  cft 
en  Tindecence  de  la  nudité,  les  in- 
celles  ne  font  défendus  que  depuis 
la  corruption  du  pechéj&  ils  n'euf- 
fent  point  eu  de  lieu  en  l'eftat  de 
l'intégrité  delà  nature.  Or  com- 
me l'inftitutiondu  mariage  prece-. 


Conjideratiun  qHatriefme.  137 
de  la  corruption  du  pechc,  auffi 
fans  doute  les  loix  de  la  deternii- 
nation  de  Ton  objet  ,  précèdent- 
elles  la  deprauation  de  noftre  na- 
ture. Et  certes  fi  découurir  la  ver- 
eon^ne  eft  vne  cliofe  honteufe  èc 
deshonnefte  d  elle-mefme,elle  l'eft 
auHibiendansIesconjonétions  lé- 
gitimes que  dans  les  inceftueufesj 
Et  ncantnioins  perfonne  ne  le  croie 
ainfi.  Si  découurir  la  ver^oncrne 
dans  les  coniondtions  légitimes 
n'efl:  pas  deshonnefte,  il  faut  que 
ce  qu'il  l'eft  dans  les  conion6lions 
inceftueufes ,  cela  ne  vienne  pas 
d'elle  mefme,  mais  de  la  nature  de 
la  conjondlion.  La  coniondion 
donc  eftant  deshonnefte  ,  la  dé- 
couuerture  de  la  vergongnc  qui 
l'accompagne  le  dénient  auflî  j  de 
forte  que  c'cft  l'incefte  qui  rend  en 
ce.  cas  la  nudité  indécente  ,  cane 


1^%  T)cs  Droits  des  çJMdrïdges 
s'en  faut  que  Tincefte  foit  incefte 
&  vicieux  par  l'indécence  de  la 
nudité.  Ceux  -  là  ont  approché 
beaucoup  plus  près  de  la  vérité,  qui 
ont  dit  qu'il  n'eft  pas  à  propos  de 
méfier  diuerfes  relations  les  vnes 
auec  les  autres  ,  &quienontad- 
jouté  cette  raifon  ,  qu'il  s'en  enfui- 
uroit  neceflairement  du  defordrcj 
pource  que  Çi  vous  mariés  la  tante 
auec  le  neueu,  le  neucuferalTujet- 
tira parle  mariage,  &  ainfi  celle  qui 
doit  tenir  lieu  de  mère  ,  &  auoir 
parconfequent  vn  rangconuena- 
ble  à  fon  de^ré ,  deuiédra  inferieu- 
reàceluyqui  fe  l'affujettit.  Oreft 
il  que  la  fuperioriré,&  l'infériorité, 
en  ces  relations  de  la  tante  au  ne- 
ueu, font  du  droit  inuiolable  de  la 
nature  ,  &  par  confequent  on  pè- 
che àlencontre  d'elle ,  fi  on  les  def 
truit.  C'eft  là,  à  mon  aduisjl'en- 


Conjtderation  ma,trïéfrne,  139 
trée  à  Texpli  cation  de  cette  difficU 
le  queftion,  pourueuquefur  cette 
obferuation  nous  faffions  deux 
confiderations  importantes.  Uvne 
eft ,  que  comme  amfi  foit  qu'il  y  ait 
de  deux  fortes  de  relations  entre 
parens,  les  vnes  qui  portent  égalité, 
&  les  autres  ineo-alité  auec  elles, 
ceux  qui  mettent  cette  raiion  en 
auant ,  ne  confiderent  icy  que  celles 
qui  confti tuent  les  perfonnes  iné- 
gales, de  forte  que  les  relations  qui 
•  jfbnt  entr'elles  ne  fe  peuuent  mefler, 
fans  fe  dcftruire  l'vne  l'autre  :  ce 
quelesloix  delà  nature  ne  permet- 
tent pas.  Pour  ce  qui  eft  de  celles 
qui  rendent  les  perfonnes  égales, 
ou  au  moins  qui  n'y  mettent  point 
de  notable  ineo-alité  ;  ilsne  rendent 
point  la  raifon  pourquoy  elles  ne 
fè  peuuent  mcflerenfemble  en  ceux 
à  qui  la  nature  a  dcfcndula  conjon- 


2.40  Des  Droits  des  M arîagéi 
€tion  ,  comme  entre  le  frère  &  k 
fœur.  Car  fî  vous  les  mariés  enfem- 
ble,  ils  tiendront  chacun  fon  rang 
naturel  ,  pource  que  Tcgalité  qui 
lî'eft  de  la  qualité  de  mary  &  de 
femme,  s'accordera  fort  bien  auec 
celle  qui  eft  fondée  en  la  fraterni- 
té. Et  quant  à  l'inégalité  du  fexe,  la 
lùperiorité  fe  trouuera  toufiours 
au  mary  comme  elle  eftoit  au  frère, 
&  l'infériorité  en  la  femme,  com- 
me elle  eftoit  en  la  fœur  auparauit. 
La  féconde  confiderationeft,  que 
quand  ceux  qui  parlent  ainfi,pro- 
pofent  l'exemple  de  la  tante  &  du 
neueUj  ils  rendent  bien  par  la  fu- 
jettion  à  laquelle  on  foumet  celle 
c|uidoit  eftre  fuperieure,  la  raifon 
du  defordre  qui  eft  en  cette  coii- 
ion6lion.  Mais  veu  que  fi  vous 
mariés  le  père  auec  la  fille,  en  ce 
mariage  chacun  ce  femble,  tierl- 

dra  le 


\ 


Conjtdcpation  quatriejrne.  t^i 
ira  le  rang  que  la  nature  luy  afli* 
Tnc  félon  ces  deux  relations,  dau- 
:ant  que  le  père  qui  eft  naturellc- 
nent  fuperieur,  deuenant  mari, 
ifTujettira  y  &  que  la  fille  qui  eft 
laturellementinferieure^deuenant 
emme ,  fera  aflujettie,  ou  il  faloic 
iduoiier  que  la  conjonction  du  pe- 
e  &  de  la  fille,  de  l'oncle  &  delà 
uece,eft  légitime  ;  ce  que  lanatu- 
e  a  en  horreur;  ou  il  faloit  rendre 
a  raifon  du  defordre  qui  fait  que 
:ette  conjondiion  eft  illegitim^e. 

Afin  donc  de  refpondre  à  ces 
lifficultês,  il  nous  faut  icy  foigneu- 
ement  examiner  quatre  chofes* 
Premièrement,  quelle  relation  le 
nary  &  la  femme  ont  entreux,  & 
pelles  en  font  les  dépendances^ 
iecondement,  quelle  relation  il  y  a 
;ntrele  père  &  l'enfant  ^  &  quelles 
es  fuites  qui  en  dépendent.    En 


i4^  Des  Droits  des  Aîdriages 
troifiéme  lieu,  s'il  peut  conuen- 
ou  non  aux  loix  de  la  nature,  qi 
ces  deux  diuerfes  relations  de  ma 
&  de  père,  ou  de  femme  &  d'ei 
Fant,  auec  leurs  confecjuences^ton 
bent  en  vn  mcfme  fujet.  Et  en  fii 
Il  parlesloixdelanature  elles  n 
peuuent  tomber,  que  c'eft  qui  se 
peut  recueillir  au  regard  des  autr 
relations,  ou  qui  y  ont  de  l'anale 
gie,  ouqui  en  dépendent.  Orpoi 
ce  quiefi:dupremier,bienqu'ent 
rhomme  Se  la  femme  qui  font  coi 
joints  ensemble  par  mariage,  il 
ait  de  rmégalité ,  tant  en  la  no'blc 
fe  du  fexe,qui  donne  au  mary  bcai 
coup  d'auantage,  en  ce  qui  eft  c 
la  prudence  &  de  la  force  du  raifoi 
nement,  qu*en  la  génération  me 
me,oii  il  eft  confiderécomme  prii 
cipal  agiflant,  fi  eft  -  il  clair  qiîc 
nature nousapprend  que  les  enfau 


ConJiJcration  matricfme.  143 
qui  fe  produifent  de  leur  conjon- 
âion,  font  leurs  cnfans  également. 
Et  pour  ce  qui  eft  de  leur  educa-' 
;ion ,  Ôc  de  l'adminiftration  de  la 
:amille ,  ou  il  leur  appartient  con- 
ointement ,  ou  s'il  fe  partage,  il 
e partage  Ariftocratiquemcnt,  en 
ittribuant  à  la  femme  ce  qui  re- 
garde le  me(nao;e,  à  l'homme  ce 
|ui  concerne  les  affaires  du  dehors. 
i)e  forte  que  comme  les  fujers  en 
m  gouuerncment  Ariftocratique, 
cgardcnt  l'autorité  fouueraine  de 
aquelle  ils  dépendent^comme  refi- 
lente  dans  leSenat  tout  entier;  ainiî 
la  l'adminillration  de  la  famille, 
es  enfans  &  les  feruiteurs  regar- 
dent l'autorité  à  laquelle  ils  font 
liTujettis, comme  refidente  dans  le 
Tiary  &dans  la  femme  conjointe- 
ment. AulTi  les  appellent-ils  père 
^  mere>  ôc  maijftre  Ôc  maiftreffe 


144  Des  Droits  des  AîarUges 
également.  Mais  comme  lî  dedan 
le  Sénat  mefme  il  arriue  qu'il  y  ai 
entre  ceux  qui  lecompofent,quel 
que  diflentiment,  la  partie  où  il  y  î 
le  plus  de  voix  l'emporte ,  pourc( 
qu'on  ne  peut  pas  autrement  iu 
ger  de  quel  cofté  il  y  a  plus  de  pru 
dence  &  de  raifon ,  fînon  par  L 
nombre  des  voix  ;  ainfi  quand  i 
arriue  de  la  diuerfité  d'opinion 
entre  le  mary  &  la  femme ,  pour  C( 
qui  eft  du  gouucrnement  de  la  mai 
fon,  l'aduis  du  mary  le  doit  empor 
ter.  Pourcequenepouuant  pasiu 
ger  de  la  prudence  par  le  nombru 
des  fiifFrages,  il  en  fautiuger  pa 
l'auantage  du  fèxe  ,  qui  naturelle 
ment  donne  celuy  de  la  raifon.  E 
cet  auantage  équipolleàla  plurali 
té  des  voix.  Or  n'eft  -  il  pas  mal 
aisé  de  monftrer  que  cela  eft  d(| 
rinftitution  delà  nature.  Car  pou 


Conftderation  qmtriefme.  14^ 
ce  qui  cil  de  1  inégalité  du  fexe  ,1a 
feule  conformation  du  corps,  la 
force  des  membres,  la  majeité  de 
la  prefence,  &  les  autres  auantages 
le  monftrent  fî  euidemment^  qu'il 
n'ell  fujet  à  aucune  conteftation.  Et 
qu'en  vn  corps  beaucoup  plusaua- 
cageufement  composé,  la  nature 
ait  logé  vne  raifon  plus  forte,  plus 
accomplie,  &  plus  exavSf  e,c'eft  cho- 
fe  raifonnaWe  en  elle  mefme,  &  fî 
la  nature  eult  fait  autrement ,  elle 
n  euft  pas  obferué  la  fagefle  ôc  les 
proportions  qu  elle  garde  en  tou- 
tes autres  fortes  d-e  fujets  Que  s'il 
fe  rencontre  des  femmes  qui  ayent 
1  entendement  meilleur  que  quel- 
ques vns  d'entre  les  hommes,  com- 
me il  ne  le  peut  pas  nier  qu'il  ne 
s'en  trouue  quantité,  c'eft  à  peu  prés 
comme  nous  auonsditcy-  deffus, 
qu'il  fe  trouue  des  gens  qui  ont  la 


i4^       DesT) rohs  des  Mariages 
main  gauche  plus  vigoureufe  qu 
la  droite,  &  plus  habile  en  fes  mou 
uemens  ;  quoy  qu'il  loit  de  l'infli 
turion  de  la  nature  au  contraire 
Mais  quant  à  cette  égalité  qui  naif 
de  leur  mariage  &  de  leur  conion- 
«Sion,  puis  que  la  nature  leur  don- 
ne à  peu  prés  pareille  autorité  def 
Jusleurs  enfans,il faut  que  leur  con 
dition  foit  à  peu  prés  pareille  de 
mefïnes.  Car  fî  deux  hgnes  qui  fe 
terminent  fur  vn  mefme  poinâ: , 
s'éleuent  au  deffus  de  luy  peu  s'en 
faut  également,  il  ne  peut  pas  y 
auoir  grande  différence  en  leur: 
étendue.  Partant ,  pour  me  feruir 
encore  de  la  coparaifon  des  mains^ 
comme  quand  nous  les  ioignons 
enfemble  pour  leuer  vn  mefme 
fardeaUjOU  pour  compofer  vn  mel- 
meouuragc^nous  leur  attribuons 
reffe(^  (qu'elles  produifent  à  peu 


'  Confidcration  qHatriefme,  147 
^rés  égaleaieat ,  pource  qu'encore 
nie  la  dfoice  y  contribue  quelque 
rhoie  de  plus.li  ell-ceque  ia  gau-, 
:he  n'eli;  pas  vn  mltiument  qui  luy 
.oit  fous- ordonné  ,  mais  vnecauis 
J;:;  niefmc  ordre  cn:  de  mefme  rang 
auec  cllci  ainfi  en  la  conionclion  de 
l'homme  &c  de  la  femme  pour  la 
crencration  j  6^  l'éducation  des  en- 
fans,  bien  qu'il  y  ait  raifon  pour^ 
quoy  le  mary  y  foie  plus  coniîde- 
rc ,  il  eft-ce  que  la  femme  eft  vne 
aide  qui  luy  ell  coniointe ,  pour 
eft re  tenue  comme  vne  caufc  de 
nature  toute  (emblable. 

Venons  à  cette  heure  au  fécond 
point.  La  mefme  nature  qui  a  enfeir 
gné  cette  vérité  à  Ariftote  ,  que  le 
mariage  conftitue  vn  gouuerne- 
inent  Ariftocratiqueparle  moyen 
de  l'égalité  ,  luy  a  encore  appris 
qu'entre  le  père  ôc  l'enfant  il  y  a  vne 

0^4 


148        Des  Droits  des  Mariages 
relation  tout  à  fait  différente.  Ca 
au  lieu  que  la  femme  eftvne  cauf 
conjointe  auec  le  majry,  pourl 
génération  &c  le  gouuernement 
l'enfant  eft  l'effeâ:  qui  feprodui 
de  leurs  concours ,  &  qui  ne  peut  er 
façon  quelconque  auoir  raifon  n 
nature  de  caufe.  C'eft  pourquoy  h 
mefme  Philofophe  dit  que  lautori 
té  du  père  de  (fus  l'enfant,  eft  Roya 
le.  De  fait,  pour  ce  qui  eft  de  la  naif 
fance&  de  la  génération  ,  l'enfant 
dépend  abfolument  du  père  ,  le  pè- 
re ne  dépend  en  aucune  façon  de 
l'enfant:  le  père  donne  l'eftreà  ce 
qui  eft  engendré  deluy,lefils  au 
contraire  te  peut  rien  contribuer  à 
la  conftitution  de  Teftredeceluy 
qui  l'engendre.  Comme  donc  les 
Cieux  font  dits  régner  furlescho- 
fes  inférieures  &  elementaires,pour 
ce  que  tout  ce  que  les  choies  ele- 


Conjîderatien  quatricjme,  149 
mentaires  font 5 elles  le  font  paria 
force  des  caufes celeftes,  au  lieu  que 
les  Cieuxnerecoiuentrien  du  tout 
des  créatures  d  icy  bas  :  ainiî  peut 
on  bien  dire  que  le  perc  règne  def- 
fus  fon  enfant  jpource  que  tout  ce 
que  l'enfant  eft ,  il  le  tient  de  luy ,  ôc 
qu'il  ne  luy  confère  du  tout  rien 
pour  la  fubfiftance  de  (on  eftre. 
Quanta  l'éducation ,  l'expérience 
nous  monftreafTés  que  lors  que  les 
cnfans  viennent  au  monde,  ils  font 
long-temps  qu'ils  n'ont  du  tout 
point  Tvlage  de  laraifon  ;  &:  pen- 
dant ce  temps-là  ils  dépendent  ab- 
folument  du  foin  de  leurs  pères. 
Quand  la  raifbn  commence  à  poin- 
dre en  eux  ,  elle  eft  long-temps  fi 
imparfaite  ,  ôc  fi  languilfante ,  & 
fi lujetteàlaconuoitifc  quilaflîege 
de  tous  codés  j  que  fans  la  conduite 
de  laraifon  du  père  5  qui  leur  com- 


i;o  D  es  Droits  des  Mariages 
mande  auec  vne  abfoluë  èc  entière 
autorité  ,  ni  pour  lors  ils  nepour- 
royent  agir  raifonnablemenc ,  ni 
pourl'aduenir  il  neieroitpas  pof- 
lîblequelaraifon  fefoiraall  telle- 
ment en  eux,  qu'elle  ne  demeurait 
très -imparfaite  &  très-  mutilée. 
Comme  donc  nous  difons  quel  en- 
tendement a  l'empire  defTus  les  ap- 
pétits, &  qu'il  les  gouuerneabfolu- 
ment, comme  s'il  en  eftoitlemo- 
narque  ,  ainfî  pouuons  nous  bien 
dire  que  la  raifon  du  père  règne  def- 
fusceile  de  l'enfant,  hc  qu'elle  a  def- 
fus  elle  vne  autorité  monarchique. 
Vne  chofe  pourroitauoir  icy  quel- 
que difficulté  \  Tçaiioir,  fi  le  gouuer- 
nemcnt  Royal  du  père  deflbs  l'en- 
fant, dure  encore  après  le  temps 
deftiné  à  fon  éducation ,  &  lors  que 
la  raifon  eft  deuenuë  fi  forte  en  luy> 
quefes  avions  peuuent  cflreabfo- 


Conjîdcration  auatricfmc .        151 
lumentremifes  à  fa  propre  condui- 
te. Car  pource  que  cet  empire  ell 
fondé  deflus  la  neceflicé  du  gou- 
uernement,  il  femble  que  legou- 
uernement  cefîelors  qu'en  ceilcla 
necellité  ,  d^  que  le  gouuernemenc 
cédant  ,  l'empire  ceflcde  mcfmc. 
Icy  donc  il  faut  apporter  vne  di- 
ftuidlion.  Car  ou  bienTenifcint  qui 
cil  venu  à  cefte  maturité  de  raiion, 
demeure  encore  en  la  maiion  de 
fon  père,  &  ne  fait  point  de  famille 
à  part  j  ou  bien  il  s'eft  feparé,^:  par 
le  mariage  il  fait  vne  famille  nou- 
uelle.  S'ileftence  premier  eilat ,  il 
n'y  a  nul  doute  que  quelque  ma- 
turité que  fa  raifon  ait  acquife  par 
le  temps  ^  neantmoins  l'autorité  du 
gouuernement  du  père  &  de  la  mè- 
re dure  encore  en  fon  é^ard.  Car  il 
eft  encore  réputé  comme  membre 
dcla.famille  dans  laquelle  il  cit  ^  &: 


^.ji  Des  Droits  des  tt^Jariages 
par  confequent  fujet  aux  loix  par 
lefqucUescile  cft  gouuernée.  Oreft 
il  que  lé  gouuernemenc  de  la  famil- 
leàlégard  du  chefeft  vn  gouuer- 
nemenc iouuerain  ,  &:qui  ou  bien 
eft  formé  iur  le  type  de  l'aucorité 
Royale ,  ou  qui ,  comme  il  ell  plus 
vray  femblable 5  à  donné  par  le  mo- 
delle  qu'il  en  prefente  ,  fa  première 
forme  à  la  Royauté.  Ainfi  donc  que 
dedans  les  monarchies  il  y  peut 
auoir  des  lujets  qui  ont  les  vertus 
propres  au  gouuernement  ,  peut 
cftre  en  aufli  haut  degré  que  ceux 
mefmesqui  lontaflls  deflus  le  trô- 
ne ,  qui  neantmoins  dépendent  ab- 
folu'nentdes  loix  derÈftat,  parce 
que  leur  condition  ne  les  efleuepas 
au  de  (Tus  du  nom  de  fujets:  De  mef- 
mcs  dedans  les  familles  il  y  peut 
auoir  des  enfans  qui  ont  autant  de 
prudence  ôc  de  raifon  que  le  perc 


C  on f aération  quatrîejme,        25-3 
&  la  mère  en  ont ,  &:  ncantmoins 
ils  n'ont  nulle  part  au  gouuerne- 
mentj  pour  ce  que  leur  condition 
ne  les  efleue  point  au  dcflus  de  la 
qualité  d'enfans.     Pour  ce  quieft 
de  ceuxquifefontfeparés,  les  loix 
des  Romains  ont  voulu  quenon- 
obltant  le  mariage  j  ils  fuflent  en- 
cor  en  la  puifl'anee  paternelle.  Tant 
cette  fage  republique  a  creu  qu  il 
falloir  attribuer  à  l'autorité  des  pè- 
res defTus  leurs  enfans.  Mais  quand 
nous  n'irions  pas  fi  auant  ^  il  ne  laif- 
fcroitpasd'yauoir  icy  deux  chofes 
indubitables.  L'vnc^que  ce  que  les 
enfansfontjilsle  font  de  par  leurs 
pères.  EulTent  ils  vefcu  cinq  cens 
ans  5  tant  y  a  que  l'origine  de  leur 
cftre  a  dépendu  de  leur  génération. 
Et  bien  quil  y  aittantolt  fix  mille 
ans  que  le  monde  cft  créé ,  fi  n'a  t'il 
du  tout  rien  perdu  de  cette  relation 


254  I^^^  Droits  des  t^ triages 
par  laquelle  il  fe  rapporte  à  Dieu, 
comme  l'effet  à  facaufe.  L'autre, 
qu'encore  quVne  autorité  ôi  vne 
puiflance  cefle  à  l'égard  de  fes  fon- 
étions  ,  la  dignité  pourtant  ÔC 
l'honneur  de  la  puiflance  ne  cef- 
fe  pas  ,  principalement  fi  ce  que 
les  fondrions  en  ont  cefle,  cela  vient 
de  ce  qu'elles  ont  amené  au  point 
deleurperfecStio  les  cliofes  fur  lef- 
quelles  cette  puiflance  auoit  eûé 
eilablie.  Car  il  y  a  notamment  de 
trois  fortes  de  chofes  dont  les  fon- 
élions  dcftméesà  vn  certain  effedb 
cefl'ent, lors  que  l'effedta  efté  pro- 
duit. Lesvnes  font  celles  qui  tien- 
nent feulement  lieu  de  moyens  en 
la  main  de  la  caufe  eflficientej  au  lieu 
que  l'effed  tient  lieu  de  fin  en  fon 
intention.  En  telles  natures  de  cho- 
fes, lors  que  la  fonétion  cefle ,  il  ne 
demeure  aucune  disinité  àlmftru- 

9 


Conjîderamn  tjuatrïefme.  255 
ment,  pour  ce  que  la  fin  eft  plus  ex- 
cellente cjue  luy  en  toutes  fâchons. 
Ainfi  après  qu'vn  palais  eftacheué^ 
on  en  ruine  les  chafFauds ,  &  quand 
la  voûte  eft  conftruice  ,  on  en  met 
le  cintre  bas.  Et  fi  le  palais  ou  la 
voûte  auoyent  du  fentiment  de 
leur  eftre  ,  ils  les  ruineroyent  eux 
mefmes,  fans  pécher  contre  lesloix 
dclanature.Pourceque  la  dignité 
de  la  fin  engloutit  tout  ce  que  d'ail- 
leursil  y  en  pourroit  auoir  dans  les 
choies  qui  font  fimplementmoyés. 
Les  autres  font  celles  qui  tiennent 
lieu  de  caufe  efficiente,  &  dont  Tef- 
fe6t  ne  peut  élire  proprement  la 
fin.  Caronnedira  iamaisque  l'ef- 
fe6i  foit  la  fin  de  fa  caufe.  On  dira 
bien  que  l'effeâ:  eft  la  fin  de  quel- 
ique  faculté  &:  de  quelque  propriété 
laquelle  eft  en  la  caufe:  mais  la  fin 
-de  la  caufe  ,  non.    Ncantmoin<s 


1^6  T>es  Droits  des  Ma  rïagts 
pource  que  la  caufe  ni  Teffed  n'eft 
point  doué  de  raifon,  &quedvn 
cofté  la  raifon  eft  la  feule  chofe  qui 
eft  digne  de  l'honneur ,  &  de  l'autre 
la  raifon  eft  la  feule  chofe  capable 
de  le  rendre,  auffitoft  que  les  fon- 
ctions de  ces  caufes  là  ceflent^tous 
les  fentimens  de  la  relation  qui  eft 
entre  la  caufe  &  l'effed  ceflent  auffi 
pareillement.  Ce  quife  void  mani- 
reftement  ainfi  ordonné  par  la  na- 
ture dans  les  beftes.  Car  pource  que 
Tinftindt  que  la  nature  a  donné  à 
vne  poule  ,  pour  auoir  foin  de  fes 
poulets  5  &:  que  Tinftindb  que  la  na- 
ture a  donné  aux  poulets  pour 
obeïr  à  la  voix  de  la  poule  &  pour 
l'aimer^eft  feulement  pour  le  temps 
qu'ils  ne  peuuent  ni  fe  nourrir,  ni  fe 
conduire  ,nife  défendre  eux  mef- 
mes  ;  tandis  que  ce  befoin  dure ,  ces 
inftincSs  durent  auffi,    Vient-il  à 

ceffer? 


Confiicmtion  cjuatriejmc,        z^y 
cefferPCes  inftinds  cèdent  de  met 
mes  ^  ôc  tous  les  relTentimens  s'en 
cftcignent  abfolument.  En  quoy 
nul  ne  dira  que  ni  la  poule  ni  les 
pouflins  commettent  quelque cho- 
fecontre  les  droits  de  la  nature.  Car 
ce  qui  eft  de  fon  inftitution  j  n'eft 
point  contre  fes  droits  :&:  ce  qui 
cft  vniuerfel  &  perpétuel  en  fes  ou- 
urages,  eft  de  fon  inftitution  fans 
doute.    Les  autres  font  celles  qui 
non  feulement  tiennent  lieu  de 
câufe  efficiente  ,  mais  qui  auflî , 
pource  qu  elles  font  doiiées  de  rai^ 
fon,  font  coniointes  auec  dignité. 
Et  de  celles  là,  bien  que  les  opéra- 
dons  &  les  fon6bions  viennent  à 

f.efler,  pource  qu'elles  ont  parfait 
es  chofes  aufquelles  elles  eftoient* 
deftinées^fieft-ce  quele$  relations 
en  demeurent,coniointement  auec 
les  relTcatimens  que  ces  relations. 

R 


ij8  T)es  'Droits  des  Adariages 
produifcnr.  La  raifon  donc  eftant 
d'vncofté  Tobjec  de  l'honneur,  & 
de  Tautre ,  ce  qui  feul  eft  capable 
de  le  rendre,  il  eft  de  Tinflitution 
de  la  nature  ,  qu'entre  ces  chofes 
qui  ont  de  telles  relations  qu'il  j 
en  a  entre  le  perc  &  le  fils,  la  digni- 
té demeure  d'vne  part,  àc  le  refped 
^  l'obeïffance  de  l'autre.  Que  s'il 
fe  rencontre  entre  les  beftes  quel- 
que trace  &  quelque  image  de  ce- 
la ,  ce  n'eft  pas  à  dire  qu'il  y  aii 
proprement  ni  de  telles  relations 
ni  de  tels  reflentimens.  Ce  fom 
feulement  autant  de  icuxde  lana- 
ture,&  comme  des  emblèmes  dan 
lefquels  elle  veut  donner  aux  hom 
mes  des  enfeignemens  des  chofè  i 
qui  conuiennent  à  leur  raifon. 

Pour  ce  qui  eft  delà  troifie(m( 
queftion  ,il  femble  que  déformai 
elle  n  eft  pas  mal-aifee  à  refoudre 


Conjiderapion  quatriefmc.  2^9 
Car  les  relations  qui ,  comme  i'ay 
(dit  cy  defîus,  portent  égalité  auec 
elles ,  tirent  fans  douce  des  confe- 
quences  qui  fe  peuuent  accorder 
enfemble  ,  &  qui  ne  fe  choquent 
nullement.  De  forte  que  plufieurs 
fe  peuuent  rencontrer  en  vn  mef- 
me  fujet ,  fans  que  les  fuites  qui  en 
naiffent  foyent  détruites  ,  fînoa 
qu'il  y  ait  quelque  autre  chofe  qui 
cmpefcheleurconjondion.  Ainfi 
dans  la  police  vn  mefme  homme 
peut  eftre  fans  difficulté  Roy  &  pè- 
re de  fes  enfans  ,&  vn  mefme  hom- 
me enfant  &  fujet  de  fon  père  tout 
enfemble.  Pource  que  les  fondios 
qui  dépendent  de  la  qualité  &  de 
père  &  de  Roy  ,  ne  fe  trauerfenc 
point IVne  l'autre,  maiss'entrai- 
dent  pluftoft  mutuellementj  &  que 
les  mouuemcns  d'honneur,  de  ref- 
ped  6c  d'obeilfance  ,  qui  depen- 

Rz 


i6o  Des  Droicls  des  Àdariazcs 
dent  de  la  qualité  des  enfans  &  des 
fujets,  fontde  nature  fi  femblables, 
quils  fe  conjoignent  admirable- 
ment bien,  pour  fe  rapportera  vn 
mefiiie  objet.  Et  pour  tirer  quelque 
illuftration  deschofes  d'efpcce  dif- 
férente ,  s'il  y  pouuoitauoir  quel- 
que relation  véritable  entre  vn 
homme  &  vn  clieual ,  toutes  celles 
cy  s'accorderoyent  fort  bien  en- 
femble  en  vn  mcfme  iujet,  d'eftre 
mairtre.  du  cheual ,  &  efcuyer  ,  6l 
gendarme  tout  enfcmble-  Entant 
que  maillre^il  vferoit  de  (on  cheual 
comme  fien  ^  entant  qu'efcuyer  51I 
en  vferoit  bien  &  félon  les  règles 
du  maneige  ;  tentant  que  gendar- 
me ,  il  rapporteroit  ce  bon  vfage  a 
vne  plus  noble  fin ,  qui  eft  de  feruir 
dansles  occafionsdela  guerre.  Et 
en  cela  tant  s'en  faut  qu'il  y  ait  quel- 
que chofe  qui  choque  la  diipofi-- 


Confdcrdtion  matriepric.  i6i 
tion  de  la  nature ,  cjue  comme  il  ap- 
perr  ,  tout  cela  s'accorde  mer- 
ueillculcmentbien.  Mais  les  rela- 
tions qui  portent  inégalité  ou  con- 
trariété enrr'elles  ^  ne  peuuent  pas 
raifonnablement  tomber  en  vn 
mefme  fujec.  Ainfi  dans  la  police 
vn  mefme  homme  ne  içauroiteitre 
tout  enfemble  (ujet  6c  fouuerain 
magiftrat.  Car  en  qualité  de  fouue- 
rain magiftrat  il  faut  qu'il  com- 
mande &  qu'il  gouuerne^  &  en  qua- 
lité de  fujet  il  tàut  qu'il  obeiffe& 
qu'il  foit  gouuerné.  Cela  donc 
eftantabfolument  incompatible  & 
contradictoire  ,  il  faut  neceflaire- 
ment  quel'vne  de  ces  qualités  ccde 
à  l'autre,  &  que  la  relation  de  magi- 
Itrat  l'emporte  pour  gouuerner  &: 
pour  commander,  ou  que  la  rela- 
tion de  fjjet  preualc  pour  eftre  fu- 
jet au  gouuernemct.  Et  danslafjb- 

R3 


i(j t       Des  Droits  des  Adaiiages 
ordination    des     chofcs   d'efpecc 
différente,  il  en  efl:  de  mefmes.  Car 
pour  me  feruir  du  mefme  exemple 
que  l'ay  cy  defTus  apporté,  en  la 
conjondion  de  l'homme   &  du 
cheual  ,  il  faut  que  l'homme  d e-- 
meure  homme  pour  manier  ,  &c  le 
cheual,cheual,  pour  eftre  manié. 
Etfî  vousvouliés  ioindreces  deux 
efpeces  enfemble, la  nature  s'y  op- 
poieroit^  &  ne  pourroit  fouffnr  que 
vous  formaffiés   vn  monllre   tel 
qu'on  s'imagine  les  Centaures.  Puis 
donc  que  nous  auons  fuppofé  cy 
deflus,  que  la  relation  de  mary  éc 
de  femme  eft  d'égalité  ^  &la  rela- 
tion de  père  &  d'enfant  d'inégalité 
très  grande ,  &:  que  ces  deux  rela- 
tions tirent  après  elles  des  confe- 
quences,  non  fi  diuerfes feulement^ 
maisencore  fi  contraires,  vous  ne 
kspouuésconjoindre parle  maria-- 


Conjtderation  quatriejrne.        x6^ 
ge,  fans  ruiner  ablolument  ou  l'vne 
ou  l'autre  ,  contre  Texpreffe  dilpo- 
fîcion  de  la  nature.    Car  fi  en  ma- 
riant le  père  auec  la  fille,  vous  vou- 
lés  qu'il  garde  l'autorité  paternelle 
qu  ilauoit  auparauant  ^  la  fille  de- 
uenant  fa  féme  n'acquerra  pas  cette 
égalité  que  le  mariage  donne  à  la 
femme  auec  fon  mary.  Ce  qui  eft 
contre  la  difpofition  du  droit  natu- 
rel. Et  fi  vous  voulés  que  la  fille  de- 
uenant  femme  acquière  cette  éga- 
lité que  le  mariage  doit  donner,  il 
faudra  que  le  père  deuenant  mary, 
perde  fon  authorité  paternelle.  Ce 
qui  eft  contre  le  droit  de  nature  en- 
core. Inconueniensquifetrouuent 
apeu  près  femblables  fi  vous  mariés 
lefilsaueclamere.    Car  ou  bien  il 
faudra  que  la  mère  conferuant  l'au- 
torité que  la  nature luy  donne, le 
mary  ne  trouue  pas  dans  le  mariage 

R  4 


2,^4       ^^s  TD^oîts  des  Mariages 
le  rang  qu'il  y  doit  auoir.  Ou  bien 
il  faudra  ,  s'il  y  veut  prendre  fon 
rang,  que  la  mère  perde  celuy  que 
la  nature  luy  donnoit  en  cette  qua- 
lité de  mère.    Or  qui  confiderera 
bien  attentiuement  l'importance 
de  la  chofe  ^  remarquera  aisément 
que  non  feulement  cette  conjon- 
(Sion  eft  illicite  ;  mais  que  d'entre 
les  coniondions illicites,  c'eft  celle 
où  il  paroift  plus  d  horreur  &d'a- 
rrocité.  Caria  puiflancc  paternelle 
cftfouuerainement  refpe6i:ablej  & 
ne  peut  eftre  le  moins  du  monde 
violée  fans  vn  grand  péché.    Aufli 
Dieu  la  t'il  tellement  recomman- 
dée ,  qu'il  a  voulu  que  ce  fuft  le  pre- 
mier comandement  de  laTable  où 
ilacompristousles  deuoirsdesho- 
mes  les  vas  enucrs  les  autres,&î  qu'il 
full  feul  honoré  dVne  promeiffe 
particulière,  pour  monftrcr  queK 


Conpdcration  quatriefrne.      16$ 
le  confideration  il  en  faifoir.  luf- 
qucslà  que  ne  donnant  point  d'au- 
tre commandement  en  cette  loy 
touchant  ledeuoir  des  fujets  enuers 
leurs  fuperieurs ,  quoy  que  ce  foit 
vnechofefi  facrée&  li  inuiolablc;, 
il  a  voulu  que  l'honneur  qu'il  attri- 
buoit  à  l'autorité  paternelle ,  fuft  le 
type  de  celuy  qu'on  rendroit  à  tou- 
te autre  fuperiorité.  Or  file  refped: 
qu'on  doit  à  l'autorité  paternelle 
efttel  qu'on  ne  le  peut  négliger  ni 
violer ,  mefmes  par  vne  (eule  ac- 
tion, fans  vn  grand  péché,  que  doit 
on  penferdescontradsparlefquels 
on  fait  vœu  &  promeffe  folennelle 
d'y  renoncer  abfolument  pour  tout 
le  refte  de  fa  vie  ? 

Refte  le  quatrième  poinâ:.  Ou- 
tre cette  maxime  générale,  laquel- 
le i'ay  déjà  remarquée ,  qu'en  tou- 
tes chofes  qui  ont  de  l'analogie  en- 


léè        Des  Droits  des  Maridgcs 
tr  elles,  celle  qui  tient  le  premier 
&  le  plus  haut  degré ,  eft  la  caufe 
de  toutes  les  autres,  diuerfes  rai- 
fons  doiuent  faire  pcnfer,  que  s'il 
y  a  quelque  chofe  de  deshonnefte 
&  de  nacurellement  vicieux  dans 
les  autres  conjondtions  défendues^ 
cela  découle  de  mefinefourcejC'eft 
à  (^auoir,  de  la  violation  de  cette 
authorité.    Et  premièrement ,  la 
raifon  commune  delaprohibitioïi 
'  de  ces  mariages ,   telle  que  Dieu 
mefme  &  les  hommes  l'allèguent 
en  leurs  loix  ^  eft  qu'il  y   a  entre 
les  perfonnes  qui  les  contractent, 
vne  trop  proche  parenté.  Or  lapa- 
rente  ,  foit  proche,  foit  éloigné©, 
ne  confifte  finon  en  cette  vnion, 
par  laquelle   plufieurs   perlonnes 
font  vnies  en  vn  commun  principe 
de  rorimne  de  leur  eftre^  duquel  ils 
font  defcendus  par  la  génération 


i 


Confderation  quatriejme.  i^y 
Car  les  hommes  ne  font  point  pa- 
ïens entr'eux  ,  finon  en  ce  qu'ils 
font  faits  d'vn  mefme  fang;  Ôi  ce 
fang  là  neft  point  vn,  finon  en- 
tant qu'il  eft  defcendu  d'vnleul, 
<S:  qu'il  vient  d'vne  mefme  veine. 
Or  eft- ce  vne  vérité  commune  & 
ordinaire  en  la  bouche  de  tout  le 
monde,  (|^e  ce  qui  eft  la  caufe  de 
la  caufe,  eft  auffi  la  caufe  del'effed:. 
De  force  que  fi  la  caufe  du  vice  de 
1  mcefte  eft  en  la  feule  parenté,  3c 
la  caufe  delà  parenté,  en  ce  feule- 
ment qu'on  eft  defcendu  d'vn  mef- 
me père  ,  le  vice  de  l'incefte  dé- 
pend de  là  mefme  neceffairement. 
Ainfi  faut-il  qu'il  y  ait  dans  le  vice 
de  ces  conjon6tions,  quelque  cho- 
fe  qui  correfponde  à  ceîuy  que 
nous  auons  remarqué  entre  leper# 
^  l'enfant.  Cependant ,  celuy  qui 
fe  commet  entre  le  père  ôc  l'enfant. 


2. ^8      Des  Droits  des  t^arhges 
^onfîfte  en  la  violation  de  cette 
autorité.  Et  partant  dans  les  au- 
tres confanguinitésTincefte  a  quel- 
que relation  à  cette  violation.  De 
plus,  tous  ceux  qui  ont  iamaisbien 
attentiuement  coniidcré  ces  ma- 
tières, ont  toufîours  mis  vne  très- 
grande  différence  entre  la  con fan- 
guinité  qui  fe  continue  en  ligne 
droite,  du  père  au  fils,  du  fils  au 
petit  fils,  &  à  l'arriére  fils  encore, 
&  ainfi  confequemment  :  &  celle 
qui  fe  prouigne  en  ligne  collaté- 
rale, des  deux  frères  à  leurs  enfans, 
qui  par  ce  moyen  deuiennent  cou- 
fins  germains, &:  de  ces  confins  ger- 
mains à  leurs  enfans,  qui  deuien- 
nent  iffus  de  germains.  Car  quant 
à  celle -cy,  elle  s  arrefte  fi  toft  pour 
ce  qui  regarde  la  légitimité  ou  illé- 
gitimité des  mariages,  que  iamais 
aucun  n'a  fait  difficulté  de  marier 


Conftdcration  quatricfme.  16^ 
.{liemblc  les  iflbs  de  germains''-'- 
pource  qui  eft  des  germains,ii  quel- 
ques vns  en  ont  fait  fcrupule,  Ccft 
à  tort,  puis  que  la  Loy  de  Dieu  ne 
le  défend  pas,  ÔcqueTanciennelu- 
rifprudence  le  permet ,  laquelle  a 
elle  puisée  des  fourcesde  la  nature 
mefme.  Mais  quant  à  l'autre,  ou 
bien  elle  fe  continue  iufques  à  per- 
pétuité ,  comme c'cft  l'opinion  de 
h  plufpart  des  lurifconfultes  ,  ou 
.ui  moms  s'auance  t'elle  fi  auant, 
qu'elle  pafle  de  bien  loin  les  degrés 
de  la  confanguinité  collatérale.  De 
forte  que  fi  Abraham  a  engendre 
Ifaac  ,  &c  Ifaac  lacob,  &:Iacob  lo- 
feph,  &:Iofeph  Manafsé  ,  &  MaJ 
nafsé  EliaKim,  6c  qu'EliaKim  en- 
gendre Anne;  puis  après,  qu'A- 
braham viue  encore  lors  qu'Anne 
eft  bonne  à  marier  ;  bien  qu'ils 
foient  éloignés  l'vn  de  l'autre  de 


lyo  ^cs  Droits  des  zJ^ariages 
jQx générations,  fieft-ceque  tout 
le  monde  cftimeroit  leur  conjon- 
ùiion  inceflueufe.  Or  ce  qu'elle  fe- 
roit  telle  vient  fans  doute  de  ce  que 
l'autorité  paternelle  fe  prouigne&: 
feconferue,  ou  toufiours ,  ou  au 
moins  vn  fort  long  temps  par  cet- 
te ligne  là.  Et  partant  ce  que  les 
mariages  ne  font  point  défendus 
entre  les  confanguins  en  ligne  col- 
latérale beaucoup  plus  prés  de  leur 
commun  efl:oc,cela  vient  de  ce  que 
la  confanguinité  s'éloignant  de  cet 
cHoc  paternel  dont  elledefcend, 
l'image  de  l'autorité  paternelle  fe 
va  diminuant ,  &  les  cbaradteres 
s'en  effacent.  En  rroifîéme  lieu, 
ie  n'examine  pas  à  cette  heure  le- 
quel de  ces  deux  incultes,  du  frère 
auec  la  fœur,  oudel  oncleauec  la 
nièce,  &:  de  la  tante  auec  ie  neueu, 
a  le  plus  de  degrés  d'horreur  ôc  d  a- 


Conjtderation  quatrieprie.       i^i 
crocicé.-mais  tant  y  a  que  corne  nous 
auôs  vcu  cy-deffuSjle  defordre  cotre 
nature  qui  cft  en  la  coniond:ion  de 
la  tante  auec  le  neueu,  vient  de  ce 
que  la  tante  eftant ,  entant  que  tan- 
te ,  naturellement  fuperieure  ,  le 
mariage  l'affuietit  à  fon  neueu  ,  Ôc 
ainfîluyfait  perdre  le  rang  que  la 
.  nature  luy  a  ordonné.  Où  cette  fu- 
perionté  de  tante  n'eft  confidera- 
txle,  iinon  en  ce  qu'elle  a  quelque 
reffèmblance  à  l'autorité  maternel- 
le,&quellecn  tire  quelque  chofe 
par  communication.    Et  partant 
c'eft  encore  le  mefpris  de  l'autorité 
paternelle  ôc  du  refped  qu'on  luy 
doit,  qui  rend  ce  mariage  condam- 
nable &c  mceftueux.  Et  par  mefme 
raifon  ce  fera  la  mefme  chofe  qui 
rendra  illicite  la  conjonction  de  la 
tante  auec  le  fils  de  fon  neueujpour- 
cc  qu'encore  que  le  fils  de  fon  nçueii 


171       Des  IDroits  des  Mariages 
s'éloigne  dauantage  d'elle,  fieft-cc 
que  cette  participation  &  commu- 
nication de  l'autorité  paternelle,  fe 
prouigne  iu(ques-là  &  encore  beau- 
coup plus  auant ,  à  l'imitation  de  ce 
qui  fe  fait  en  la  ligne  qui  eft  abfolu- 
ment  directe.  Et  dans  les  mariages 
qui  font  inceftueux  ,  non  plus  à 
caufe  de  laconfanguinité  ,  mais  de 
l'affinité  ,  il  en  eft  de  mefmes.    La 
belle  fille  ne  peut  époufer  fon  beau 
père,  ni  la  belle  mère  fon  beau  fils, 
pource  que  lalliance  ou  affinité 
imitant  la  confanguinité  ,  elle  les 
oblige  à  des  deuoirs  différons  &  in- 
compatibles, félon  la  différence  des 
relations  qui  font  entre  le  père  & 
l'enfant.  Or  fi  c'eft-là  la  nature  de  la 
caufè  de  la  plufpart  des  inceftes ,  il 
faut  que  ce  foit  la  nature  de  lacaufè 
de  tous.  Car  pourquoy  &  comment 
eft-ce  que  des  conjonctions  efti- 

mccs 


I 


Conjideration  matriejhie.       ty^ 
méesvicicufès  demefme  fac^on  ^  & 
qui  n'ont  quVn  nom  comun  pout 
defigner  la  nature  de  leur  vice  ,  au- 
royentdes  cau(èstoutà  fait  diffé- 
rences de  leur  defordre  Si  de  leur 
iniquité  ?  Cettes  bien  qu'il  y  euft 
diuerfès  fortes  de  diuorce ,  ee  fe- 
foyent  pourtant  toufiours  mefiries 
DU  (èrablables  caufes  qui  les  ren- 
iroyent   illégitimes  &    mauuais, 
;omme  les  diuerfes  forces  de  poly- 
gamie ont  deseaufes  communes  de 
eur  illégitimité.  Eteneflainfi  de 
outes  les  autres  différentes  efpeces 
le  péchés  quifepeuuent  commet- 
te dans  la  matière  des  mariages.  Il 
'  a  feulement  vne  chofe<fjui  peut 
lonnerde  la  peine.  C'eft  qu'il  y  a 
ertains  mariages  entièrement  in- 
eftueux ,  qui  (ont  entre  des  per- 
onnesdonc  les  relations  font  en 
)arfaite  égalité ,  2w  ou  par  confe- 

S 


174       TDcsDroits  des  Apanages 

quenrne  paroiftpas  cette  autoritc 

paternelle  ,  comme  du  frère  auecL 

fœur  5  du  beau  frère  auec  la  bcll<i 

fœur,c*e{làdire  ,  du  mary  auec  L 

fxur  de  fa  femme,  &r  tous  ceux  qu 

peuucnt  eftre  femblables.Ceux  qu 

parlent  le  plus  raifonnablementdi 

ces  matières ,  difent  que  le  maria 

geeft  défendu  entre  telles  perfon 

nés,  pource  qu  elles  s'entredoiuen 

de  l'honneur  &  du  refped  ,  leque 

eft  violé  par  la  conjon6bion  matri 

moniale.  Cela  eft  bien  dit  :  mais  i 

faloit  expliquer  en  quoy  confift 

cet  honneur ,  &  quelle  en  eft  la  eau 

fe.  Car  ilv  a  d'autres  gens  qui  s'en 

tredoiu^t  c^e  l'honneur  ,  à    qd 

pourtant  il  n'eft  pas  défendu  de  ( 

marier  enfemble.  Et  partant  il  fau 

qu'il  y  ait  quelque  chofe  de  particu 

lieren  cet  honneur, que  le  frère  ^ 

la  fœur  s'cntredoiucnt ,  qui  leu 


Confderàtton  quatriefme.  %*fç 
défende  cette  coniondion.  Ils  (c 
doiuentdonc  de  Thonneur  entant 
qu'ils  font  frère 6^  fœur,  &ne  font 
trere  &:  fœur  finon  entant  qu'ils 

'  font  defcendusd'vn  mefme  père. 
Et  partant  cet  honneur  qui  leur  dé- 
fend de  fe  marier  enfemble  ,  dé- 
pend de  là  mefme  ,  &  s'y  doit  rap- 
porter. Or  quel  honneur  peuuent- 
ilss'entreporter  en  cet  égard,  finon 

,  qu'ils  voycnt  l'vn  dans  l'autre  l'ima- 
ge &  la  reprefentation  de  ceux  qui 
les  ont  engendrés  y  &  qu'ils  n'y  en 
peuuent  voir  l'image  &  la  reprefen-. 
tation,qu'ilsnyapperçoiuentauf-. 
fi  quelques  rayons  de  cette  authori- 
té  paternelle  qui  leur  doit  eftre  fï 
augufte  &  fi  vénérable  ?  Comme 
donc  la  principale  raifon  qui  nous 
oblige  de  nous  abftenir  de  tremper 
nos  mains  dans  \z  farig  des  hom- 
mes, eft  qu'ils  font  l'image  de  Dieu^ 

S  2, 


i-^ïî  ^es  Droits  des  Mariages 
&C  qu'en  eux  nous  nous  Tentons 
obligés  de  refpeéter  le  modèle  &c  la 
caufe  qui  les  a  produits  âuec  quel- 
ques traits  de  fa  reprefentation;ain- 
fi  la  principale  &  peut  eftre  l'vnique 
raifon  qui  nous  empefche  de  nous 
conioindre  en  ce  degré  de  confàn- 
guinité,  eft  que  nos  frères  &  nos 
fœurs  portent  l'image  de  noftre  pè- 
re commun  ,  ôc  qu'en  eux  nous 
nous  eftimons  obligés  de  refpedter 
encore  l'autorité  de  ceux  qui  les 
ont  engendrés  auec  tant  de  traits 
de  leur  rcffemblance.  Et  cela  me 
femble  encore  fort  clair  par  deux 
raifons.  La  première  eft  ,  qu'on 
n'eftime  nullement  licite  dépoufer 
fon  oncle.  Et  bien  qu'il  foit  licite 
d'époufer  fon  coufîn  germain ,  fi 
eft-ce  que  quelquesvnsy  liefitent 
Se  penfent  que  la  chofe  n'cft  pas 
fansfcrupule.  Mais  quant  aux  cou- 


C onjldcration  quatrîejrhe.  177 
fins  iflus  de  germains,  nul  n'en  fait 
fait  aucune  difficulté.  Sans  doute 
pource  que  cette  image  du  père 
eitant  plusviue  &  plus  récente  en 
celuy  qui  eft  immédiatement  en- 
gendré de  luy ,  elle  s'efFace  &  perd 
beaucoup  de  fa  couleur  dans  la  fé- 
conde génération  i  &  encore  plus 
dans  la  troifiefme.  Pofé  donc 
qu  Efaii  engendre  Eliphaz ,  &  Eli- 
pliaz  Marie  j  &  que  laçob  engen- 
dre lofeph ,  lofeph  regardant  Efau, 
y  void  encore  l'image  de  fon  ayeul 
Ifaac  ,  fi  viuante  ôc  fi  récente,  que 
s'ilauoit  vne  tante  engendrée  dl- 
faac  également,  il  eftimeroitladc- 
uoir  honorer  &  refpefter  comme 
voyant  en  elle  vn  rayon  de  l'autori- 
té de  fon  grand  père  ,  &  croiroit 
pécher  contre  la  nature  s'il  (e  ma- 
rioitauec  elle,  pour  ce  que  le  ma- 
riage la  reduifant  à  l'égalité ,  cette 

S3 


tyS        Des  Droits  des  Mariages 
lumière  de  l'image  &  derautoritc 
paternelle  y  feroïc  violée.  Mais  s*il 
vient  à  regarder  Eliphaz  ,  pourcc 
qu'entre  Ifaac^,  qui  eit  la  fouche  de 
fon  efl:re,&  Eliphaz ,  Efaù  eft  en- 
tre-moyen 5  il  n'y  reconnoift  plus 
cette  image  fi  diftindement.Il  y  en 
void  bien  encore  afles  pour  le  re- 
connoiftre  pour  parent ,  mais  non 
pour  Teftimer  fi  re{peâ;able  qu  à 
ttizc  occafioniltiénepourabfolu- 
mentiîlicite  &  inceftueufela  con- 
jonction qui  la  terniroit  aucune- 
ment.   Ainfi  s'i)  faitfcrupule  de 
contrarier  mariage  en  ce  degré, 
c  eft  fcrupule  feulement ,  ce  n'eft 
pas  horreur  &  deteftation  de  cette 
coniondion ,  comme  fi  la  rcucren- 
ce  à  l'autorité  paternelle  y  çftoit 
entièrement  renuerfée.   V^Çï^^-i^  ^ 
regarder  Marie ,  laquelle  ^eftç  en- 
gendrée par  Eliphaz,  alQrsilyvoid 


Confier  action  qtta.tricfme,        179 
fi  peu  de  refte  de  cette  image  de  Ton 
ayeul,qu'ilnefera  diflicuité  quel- 
conque de  répouler  ;   beaucoup 
moins  delà  faire époufcr  à  Manaf- 
jé  fonfils,quine  luy  fera  point  au- 
trement parent,  que  comme  lesifr 
lusde  germain  le  lont  l'vn  à  l'autre. 
Ainfi  eil-ce  du  refpcd:  à  l'autorité 
paternelle  que  cela  dépend  ,    ref- 
pectquieft  ou  n'eft  pas  inuiolablc 
en  cet  égards  félon  que  les  marques 
&:  les  rayons  de  cette  autorité  font 
prés  ou  loin  de  leur  fburce.     La  fé- 
conde eft ,  que  dans  les  générations 
politiques ,  s'il  faut  ainii  parler ,  s'il 
vauoit  diuersdeo-rcs ,  il  en  arriue- 
roittoutdemefmes.  CarnvnRoy 
crée  deux  Ambalfadeurs  feparé- 
ment  ,  il  faut  qu'ils  fc  refpe6bent 
IVn  Tautre ,  à  caufe  de  l'autorité  du 
Prince  quilesa  créés,  &  laquelle  re-» 
lui t  en  la  perfonne  qu  il  enuoye.  De 

S4 


28o        D  es  Droits  des  Mariages 
fa(^on  qu'il  ne  faut  pas  qu'ils  agiP-P 
fenc  l' vn  enuers  l'autre  de  la  mefme 
façon  qu'ils  feroyent  enuers  ceux 
c|ui  n'ont  du  tout  point  de  relation 
ni  de  caradere  femblable.  Ainfi  le 
doiuent  ils  honneur  /^  reuerence 
rc{pc6fciuement ,  &  s'ils  ne  fe  le  ren- 
dent au  point  que  requiert  l'image 
de  l'autorité  dumailtre,  laquelle 
cft  fraifche  &  viuante  en  eux  ,  ils 
pèchent  contre  les  loix  de  la  police.  • 
Pofédonclecas,  ("car iefuis obligé 
de  faire  de  telles  fuppofitions ,  &  ie 
prie  le  lecteur  de  le  trouuer  bon, 
pouree  que  ie  nay  point  en  main 
d'autres  exemples  )  que  ces  deux 
Anibafladeurs  vinflentà  créer  deS' 
fiibftitutsQU  des  agens ,  pour  les 
employer  aux  mefmes  affaires  qui 
leur  ont  efté  commifcs ,  bien  que 
}e  Prince  leur  en  ait  donné  l'auto- 
jûé,  bien  quccçfoycnt  les  mefnies 


Confideratïon  qudtriepne.        t%i 
affaires  qui  ontefté  commifesà  ces 
Ambafladeurs  ,  que  cesfubdele- 
gués  traittent,  bien  que  peut  eftrc 
ils  foyenc  auffi  capables  que  les 
Ambafladeurs mefmes  de  les  bien 
gérer,  fi  ett-ce  qu'il  s*en  faut  beau- 
coup que  le  charadtere  du  Prince 
foit  fi  viucment  empraint  en  leurs 
perfbnnes.  Voila  pourquoy  ni  les 
Ambafladeurs  n'honoreront  pas 
chacun  de  ces  fubftituts  à  l'égal  de 
ce   qu'ils  s'honorent  réciproque- 
ment, ni  les  fiibdelegués  ne  fe  ren- 
dront pas  entr'eux  l'honneur  que 
les  Ambafladeurs  fe  doiuent  ren- 
dre l'vn  à  lautre.  Que  fi  cesfubde- 
legués  5  félon  le  pouuoir  que  les 
Ambafladeurs  leur   en  auroyent 
donné    ,   venoyent  encore  à  en 
fubdeleguer  de  leur  part,  alors  l'au- 
torité du  Prince  en  s'éloignant  fi 
loin  de  fon  principe,  fembleper- 


iSî,  Des  Droits  des  Mariages 
drc  tant  de  fa  vigueur,  qu'à  peine 
feroit  elle  reconnoilfable.  Et  dans 
la  ligne  diredtedeces  générations 
politiques  le  Prince  conferueroic 
bien  fon  autorité  non  fur  les  Am- 
bafladeurs  feulement  ,  mais  aufli 
fur  ceux  qui  auroyenc  efte  fubdele- 
gués  par  eux.  Mais  dans  l'autre ,  à  la 
troifiefme  génération  à  peine  les 
collatéraux  fc  refpe6teroyent  ils 
plus  les  vnsles  autres.  En  fin  cette 
confideration  tirera  à  mon  aduij 
tout  à  faitlaqueftion  hors  de  dou- 
te. S'il  y  a  naturellement  du  mal  en 
la  conion6liô  du  frère  auec  la  fœur, 
il  ne^canfifte  pas  en  ce  que  c'eft  vne 
conion6tion  d'vn  homme  auec 
vne  femme  j  car  elle  eft  toute  telle 
en  cet  égard  que  celles  efquelles  on 
ne  trouue  du  tout  rien  de  vicieux. 
Il  ne  confifte  pas  aufïî  en  ce  que  les 
circonftances  qui  doiuent  eftre  ob- 


Confdemtion  quatriejme.       183 
feruées  pour  rendre  le   mariage 
honnefte  ôc  légitime  y  ayent  elle 
oubliées:  car  on  les  y  peut  obfer- 
uer,  &  nouspouuons  icy  prefuppo- 
fer  qu  elles  y  ont  elle  gardées.    Il 
faut  donc  quil  confifte  en  quelque 
erreur  de  iugement,  &  en  quelque 
deprauation  d  afFeâ:ions  ,  qui  luy 
a  fait  porter  ce  defîr  d  auoir  des  en- 
fans  Jequcl  eft  honnefte  &legiti^ 
me  de  foy  ,  deflus  vn  autre  objet 
que  celuy  qui  luy  eftoit  raifonna- 
blemcnt  déterminé  par  la  nature. 
Que  manque  t'ildonc  à  cet  objet, 
pour  faire  dire  que  celuy  qui  le 
choifit  pour  cela  ,fe  foit  trompé  en 
fon  iugement,  &  qu  il  ait  eu  fes  af- 
fedionsdeprauées?    Ouqu'ya  t'il 
en  cet  objet  qui  empefche  que  l'ele- 
dbion  n*en  foit  légitime  ?  Ce  n'efl: 
pas  la  nature  de  l'oDJeticar  c'eftvn 
indiuidu  du  genre  humain  3  &par^ 


lS4  'T^cs  Droits  des  ij^ariages 
tant  celuy  qui  le  choifit  ne  fort 
point  hors  de  fon  efpece.  Ce  n'eft 
pas  le  fexei  car  nousprefuppofons 
que  c'eft  la  fœur  qui  cft  defirée  par 
le  frère  ;  &:  partant  il  n  y  a  rien  con- 
tre les  droits  de  la  nature  en  cet 
égard.  C'eft  qu  elle  cft  fa  fœur ,  c'eft 
à  dire  en  vn  mot ,  iffue  imuaediate- 
ment  d'vn  mefme  père.  Or  ne  peut 
on  confiderer  cette  relation  qu'en 
deux  façons.  Ou  bien  entant  qu'el- 
le conftitue  égalité  entre  le  frère  &: 
la  fœur ,  en  ce  qu'ils  ont  vne  mefmc 
nature  laquelle  ils  tiennent  d'vn 
mefme  eftoc,  de  forte  que  fi  vous 
les  comparés  entr'cux  ^  il  n'y  a  rien 
en  l' vn  qui  ne  foit  en  l'autre ,  excep- 
té la  diuerfîté  du  fexe.  Ou  bien  en- 
tant que  ces  relations  de  frère  ôc  de 
fœur  fe  rapportent  chacune  de  fon 
cofté  à  vne  tierce  qui  leur  eft  égale- 
ment fuperieure ,  c'eft  à  fçauoir  cci  - 


Confideration  quatrîejme.  igj 
le  du  père.  Si  vous  la  confiderez 
en  ce  premier  égard  ,  elle  ne  peut 
d  elle-mefme  empefcher  que  cette 
conjonction  ne  foit  légitime.  Car 
y  ayant  égalité  entre  le  mary  &  la 
femme  ,  ôc  de  mefmes  égalité  en- 
tre le  frère  &  la  fœur,  iln  ya  rien 
dans  les  fuites  de  fes  relations  qui 
empcfclient  qu'elles  ne  fe  puiflent 
fort  bien  accorder  en  vn  mefmc 
fujet.  Maisfi  vousla  confiderez  en 
la  féconde ,  pour  ce  qu'alors  le  frère 
neconfidere  plus  en  fa  fœur  ce  qui 
les  conftitue  en  égalité  ,  .mais  les 
charaderes  &:les  rayons  de  la  rela- 
tion du  père,  auec  lequel  il  cft  en- 
tièrement inégal ,  il  ne  peut  penfer 
à  lepoufer  fans  faire  tort  à  la  reue- 
rence  qu'il  doit  à  l'autorité  pater- 
nelle. Car  il  doit  refpedber  fon  perc 
&  fa  mère  iufques  à  tel  poind  j  qu'il 
porte  les  tcfmoignages  de  fon  rcC- 


2.^6  'Des  Droits  des  ty^arldges 
pcd  non  deflus  leurs  pcrfonncs 
feulement,  mais  encore  defTusles 
perfonncsquicn  font  immédiate- 
ment defcenduës.  Ainfi  le  vice  qui 
eft  au  mariage  de  l'oncle  auec  la 
nièce  ^  &:  de  la  tante  auec  le  neiieu, 
confifte  en  la  violation  de  l'auto- 
rité paternelle ,  dont  l'oncle  &  la 
tante  ont  vne  notable  participa- 
tion :  &c  le  vice  qui  eft  au  mariage 
du  frère  auec  lafûeur,  confifte  en 
la  violation  de  la  mefme  autorité, 
dont  chacun  d*eux^ortc  fur  fon 
front  la  reflexion  &  Timagc. 


CONSIDERATION 

CINQJ/IESME. 


liijqucs  m  la  nature  a  eflendu  la  con-- 
Janguinite  f0  l'afinitê^  pour  cm  - 
ùe [cher  les  mariages, 

*A  cfté  ingenieufemcnt  & 
iudicieufement  tout  en- 
femble,  qu'on  a  appelle  les 
fuites  des  confanguinités  èc  des  af- 
finités ,  des  lignes ,  pour  ce  que 
comme  vne  ligne  n'a  qu'vn  traitj 
la  continuation  de  la  confànguini- 
té,qui  va  dVn  feul  eftocà  fesdef- 
ccndans,  n'a  qu  vn  trait  de  mefmes. 
Et  bien  que  peut  cftre  cette  façoil 


2.88       Des  Droits  des  çS^artages 
déparier  foit  née  de  ce  que  vou- 
lant difpofer  en  ordre  ceux  qui 
s'entretiennent   enfemble  par  la 
confanguinitéjOna  tiré  vne ligne 
defTusfon papier, fur  laquelle  oti  û. 
appofé  les  perfonnes  qui  dépen- 
dent les  vnes  des  autres ,  cet  artifice 
pourtant  ne  lairîe  pas  de  s'accorder 
aueclanaturedelachofe&  auec  fa 
vérité.     C'a  efté  ingenieufement 
encore  qu  on  a  diuile  ces  lignes  en 
direde ,  collatérale  ^  àc  meflee.  Car 
la  directe ,  eft  la  fuite  du  père  à  l'en- 
fant ,  &  de  l'enfant  à  fon  enfant ,  & 
ainficonfecutiuement.chacun  fuc- 
cedant  diredement  à  fon  père ,  & 
engendrant  auflî  celuy  qui  diredc- 
ment  luy  doit  fucceder.  Quant  à  la 
collatérale ,  on  la  peut  regarder  en 
deux  façons.    Sivoiislaconfîderez 
precifément  en  elle-mefme ,  elle  eft 
auffidircde^&s'eftendde  mefmes 

que 


Co?ifideràtïon  cînatiiefme,  %%c) 
que  l'autre  par  le  moyen  de  la  gcne< 
ration.  Mais  fi  vous  en  comparés 
deux enfemble,  elles  feront  collaté- 
rales iVne  à  l'autre ,  pource  qu'elles 
n'entrent  pas  l'vne  dans  l'autre,  mais 
courent&seftendent  à  cofté.  Car 
ayant  leur  principe  en  vn  mefme 
z&oc,  ellesfe  diuifent  dans  les  frères, 
5:  fevont  continuant  en  leurs  enfans. 
Ainfi  la  reditude  de  la  ligne  fe  dit 
1  l'égard  de  1  eftoc ,  félon  que  chacun 
remontant,  va  droit  à  la  fouche  de 
laquelle  il  eft  defcendu.  Mais  la  col- 
lateralité  eft  entre  ceux  qui  font  def- 
cendus  dVn  mefme  eftoc,non  entant 
qu'ils  y  remontent  tout  droit,  mais 
entant  qu'ils  fe  regardent  les  vns  les 
autres.  La  meflée  tient  des  deux^com- 
me  eft  celle  de  la  confanguinité  qui 
eft  entre  les  oncles  &  les  neueux.  Caïf 
leneueu  eft  en  lio;ne  direde  à  leur 
commua   eftoc  ,  c'cft  à  dire  à  fort 

T 


ipo  *^^^  Droits  des  tJHariages 
grand  père  5  qui  eft  également  le  pei: 
de  fon  oncle,  àc  le  père  de  celuy  qui  1 
engendré.  L'oncle  cftoit  au  père  c 
fon  neueu  en  ligne  collatérale.  Ma  ; 
pourcequeToncle  eft  demeuré  en  i 
place  j  &  que  quant  au  neueu  il  e 
defcendu  au  deflbus  de  celuy  qui  1*2 
uoit  engendré  ,  fon  oncle  ne  le  pei 
regarder  ni  venir  à  luy  que  par  vne  1 
gne oblique,  meflée  de  la  direfte  l 
de  la  collatérale  tout  enfemble.  L 
raifon  en  eft  qu'ils  ne  font  pas  IV 
deflbus  l'autre,  comme  le  père  &  Ter 
fant  :  ne  l'vn  directement  à  cofté  d 
l'autre ,  comme  les  deux  frères  ;  mai 
en  partie  deflbus  &  en  partie  à  coftt 
ce  q  ui  fait  que  la  ligne  n  eft  ni  collatc 
raie  ni  directe  proprement ,  mai 
qu'elle  tient  en  fon  obliquité  quelqu 
chofe  de  IVn &  de  lautre.  Néant 
moins  i'cftimc  qu'il  cuft  efté  plus  i 
propos  de  ne  faire  que  deux  lignes 


'Con/tiieration  çinquîefme]  î^ 
iVne  dircde  ,  &  l'autre  collatérale^ 
^qui  elle  mefmc  eft  dircde  auflî  ,  fi 
vous  la  confiderésàpartj&coilate» 
raie,  fi  vous  la  comparés  à  celle  à  co- 
fté  de  laquelle  elle  s'eftehd.  Puis  après 
on  euftdiuifé  la  collatérale  en  égale 
&  inégale  ,  félon  les  diuerfes  fitua- 
[ionsdesperfonncs&  des  generatiost 
Car  proprement  l'oncle  ne  va  point 
au  neueu  par  d'autre  ligne  que  pat 
:elle  qui  remonte  à  fon  père  ,  &  puis 
:edefeend  à  fon  frère,  &  de  fon  frerc 
i  celui  qui  en  a  elle  engendré.  Efaii, 
ii- je,  ne  va  point  à  lofeph  finon  ert 
partant  par  Ifaac  fon  père  ,  &en  def- 
:cndant  d'Ilàacàlacob  ,  &  delacob 
i  lofeph  lequel  en  eft  iflu.  Ainfi  eft 
len  ligne  collatérale  auec  luy  ,  mais 
mejale  pourtant ,  en  ce  que  celle  qui 
dent  d'îfaac  àEfaii  n^aqu  vn  decrréi 
m  lieu  que  celle  qui  vient  d'îfaac  à  lo^ 
Teph  en  a  deux.  En  fin  c'eft  auectres^ 

Ta 


ss>%        Des  Droits  des  (J^dria^es 

one  railon  qu'on  les  a  diuifées  en  cei 

tains  clegrés,pource  que  par  les  degré 

on  monte  &  on  defccnd,  &  que  d'ail 

leurs  lesdegrés  ont  accouftumé  d'eftr 

également  diftans  les  vnsdes  autrej 

Car  en  la  ligne  direde ,  qui  eft  la  mai 

ftreflede  toutes^vous  pouuès  confidc 

rer  vn  mefme  home  ou  entantque  pe 

rCjOu  entant  que  fils.Si  vous  le  côfide 

rez  entant  que  fils  j  comme  en  mon 

tant  par  vn  efcalier  vous  allés  dupre 

mier  degré  fur  lequel  vous  aués  mar 

ché ,  à  celuy  qui  eft  au  deflus  imme 

diatemcnt ,  &  de  cettuy-là  a  vn  autre 

&decettuy  làà  vn  autre  encore,  iuf 

ques  à  ce  que  vous  (byés  venu  tout  ai 

hautoùilnya  plus  à  monter:  de  mef 

mes  de  celuy  que  vous  confidere; 

comme  fils,  vousre'môtésàfonpere 

&  de  fon  père  au  père  de  fonpere,  6 

de  cettuy-là  a  vn  autre  ,  iufquesà  c* 

que  la  ligne  fc  termine,  foie  en  la  ve 


Conjtderation  dnamejrric.  i^jp 
rite  de  la  chofe,  corne  en  la  généa- 
logie de  ChriltjOii  fàinCt  Luc  re- 
monte iniques  i  Adam  ,  foie  en  vo- 
llre  connoifTance  ^  qui  après  vn 
certain  degré  ne  trouueplus  les  tra- 
ces de  ceux  par  lefquels  il  faudroic 
aller  iufques  au  commun  principe 
de  tous.  Car  il  n'y  a  homme  en  la 
terre  qui  puifTe  fuiure  les  degrés  de 
la  généalogie  iufques  là.  Si  vous  le 
confîderés  entant  que  père  ;  ne  plus 
ne  moins  qu'en  defcendant  par  ^n 
ctcalier  vous  ne  vous  précipités  pas, 
mais  vous  allés  de  meimes  de  degré 
en  degré ,  ainfi  allés  vous  en  fuiuant 
les  defcendans  ,  de  génération  en 
génération  ,  Ôc  à  diltances  égales. 
Car  ces  diftances  ne  fe  mefiirenc 
pas  par  le  temps ,  mais  par  le  nom- 
bre des  perfonnes  qui  ont  elle  en- 
gendrées fuccefliueméc  les  vnes  des 
autres.    Quant  à  ces  autres  lignes 

T5 


%p^  Des  Droits  des  Mariage 
çoUaterales.çonfidereçs  entant  qu( 
celles,  &  obliques  ou  mçflees  de; 
deux ,  s'il  y  en  pouuoit  auoir  aucu- 
ne, ce  mot  de  degré  ne  leur  con, 
uient  pas  fi  bien  ,  &  s'y  pourroii 
trouuer  de  l'irrégularité  d'auâtage 
Neantmoins  pour  quelques  reffem 
blancesqui  fe  trouuent  entre  les  di- 
ftances  des  confanguinités  5<  dej 
affinités  entr'elles,  onaaufli  appel- 
lé  ces  diftances  du  nom  de  degrés, 
Orn'eft-çe  pas  mon  intention  d'e- 
xaminer cette  rnatiere  fi  particu- 
lieremem  que  quelques  autres  ont 
fait  j  ni  de  comparer  l'ordre  des  de- 
grés que  Icsluçifconfiiltcsont  fui- 
ui ,  auec  celuy  qui  ^  efté  eftabU  par 
les  Papes,  &  fuiui  par  les  Canoni- 
ftes,  Mondeffein  cft  feulement  en 
continuant  furies  erres  fur  lefquel- 
lesi'ay  marché  iufquesicy,  d'exa- 
ffl^:?î5Q5C|tç  conôderation  trois 


--vy . 


Conjîderation  ctnqfiîcfme.  i^.y 
queftions  importantes.  La  premiè- 
re,iufques  oiifelon  ledroit de  na- 
ture, fe  peut  eftendrc  dans  la  ligne 
diredeje  refpedde  l'autorité  pa- 
ternelle ,  pourempcfcher  le  maria- 
ge entre  les  afcendans  &  lesdefcen- 
dans.  Lafeconde,iufqucs  ou  natu- 
rellement cela  fe  doit  eftendre  dans 
la  ligne  collatérale  ,  foie  qu'on  la 
confidere  comme  égale  &  inégale, 
ou  qu'on  y  en  adjoute  vne  autre 
meflee  j  car  cela  n'a  aucune  impor- 
tance pour  noftrc  queftion.  La 
troifiefme,  file  droit  de  nature  eft 
auflî  bien  pour  l'affinité,  que  pour 
la  confanguinité,&  s'il  faut  faire  pa* 
reil  iu^ement  de  Tvn  que  de  l'autre. 
Or  quant  a  la  première  de  ces 
queftions,  on  la  peut  encore  pro- 
pofer  en  deux  manières,  félon  que 
ie  voy  qu'il  y  a  deux  opinions  fur 
ce  fuj«t.  Car  il  y  en  a  plufieurs  qui 

T  4 


%^6  IDes  Droits  dvs  Adariages 
eftiment  que  dans  la  ligne  dire61:e. 
la  confanguinité  d'entre  les  afcen- 
dans  &  les  defcendans  5  défend  la 
eon)onâ:ion  à  perpétuité.  De  forte 
que  fi  Adam  viuoit  encore  main- 
tenant ,  &  qu'Eue  full  morte ,  il  ne 
trouueroit  pas  auec  qui  fe  marier 
légitimement  en  toute  la  terre.  Les 
autres  eftiment  que  naturellement 
cela  ne  va  pas  fi  âuant,  &qu'auffi 
bien  en  la  ligne  directe  qu'en  la  col- 
latérale la  confanguinité  fe  termi- 
ne à  certains  degrez^  mais  qu'a  la 
vérité  elle  s'eftend  plus  loin  en  la 
direde.  Puis  quand  il  eftqueftion 
de  définir  iufques  où  elle  peut  aller 
pour  rendre  le  mariage  légitime  ou 
noii:,  ils  eftiment  que  cela  dépend 
de  la  mefure  de  la  vie  des  hommes  ; 
de  forte  quautresfois  5  lors  que  les 
Patriarches  viuoient  pluficurs  fie-^ 
çles  ^  les  degrez  défendus  alloient 


C onjtdcration  cinautefme.  %^-j- 
plusauant,  &  cette  écroitte  con- 
fànguinité  comprenoit  beaucoup 
plusdegeneratiôs.  Mais  que  main- 
tenant elle  en  comprend  moins, 
pource  que  la  nature  ajufte  cela  à 
la  longueur  de  la  vie  des  hommes, 
&  à  la  durée  de  la  vertu  generatiuej 
laquelle  eft  en  eux.  On  peut  donc 
ainlî  propofer  la  queftion  en  deux 
feçons.  S'il  eil  du  droit  de  nature, 
que  tandis  qu  vn  homme  vit ,  il  luy 
ibit  défendu  de  fe  marier  auec  Tes 
defcendans.  Ou  bien ,  s'il  eft  du 
droit  de  nature,  pofé  que  la  mort 
ne  fuft  point  venue  au  monde, 
que  la  confanguinité  qui  défend  les 
mariages,  dure  à  perpétuité  dans  la 
ligne  diredte.  Si  nous  la  confîde- 
tons  en  cette  première  manière :,& 
que  nous  ayons  égard  feulement  à 
la  durée  de  la  vie  telle  qu'elle  eft 
d  ordinaire  maintenant,  on  pour- 


15>S        IDes  t>roits  des  Mariages 
roit  dire  que  le  droit  de  la  nature 
en  cela  dépend  de  ce  que  la  vie  de 
riiomme  ne  peut  eftre  fi  longue^ 
qu'elle  p^iffe  au  delà  des  gcneratios 
dans  les  degrez  defquelles  fe  con- 
ferue  lautlioritè  paternelle  en  tellç 
forte,  qu'elle  ne  peut  eftre  violéqr 
fans  péché.    Car  le  terme  ordinai- 
re des  longues  vies,  eft  defoixante 
&  dix  ou  quatre-vingts  ans.Or  pen- 
dant ce  temps- là  qu'y  peut-i4auoir 
finon  deux  ou  trois  générations 
tout  au  plus?  Et  qui  feroit  fi  en- 
nemi du  refpeâ:  &  de  l'authorité  de 
ceux  qui  nous  ont  engendrés,  que 
depenfer,  fi  Dieu  nous  a  conferué 
noftre  bifayeul ,  qu'il  foit,  pource 
que  c'eft  noftrebifayeul,  fi  reculé 
de  nous,  que  nous  ne  le  deuions 
plus  reconnoiftre  pour  eftre  l'ori- 
gine de  noftre  eftre,  ni  plus  le  re- 
céder en  cet  égard?  Mais  s'il  n'y 


Conjtderation  cincjuiefme.  i^p 
ïiuoit  que  cela^ce  feroit  pluftoft  vne 
rencontre  qu  vn  defTein  de  la  natu- 
re. Pource  que  la  nature  ayant  dé- 
terminé la  durée  de  cette  çonfan- 
guinité  iufques  à  trois  générations, 
il  feroit  depuis  arriué  par  quelque 
accident  que  la  viedeThommene 
feroit  pas  de  plus  longue  durée.  Po- 
fé  donc  qu  vn  homme  vefcuft  cent 
cinquante  ans,  comme  il  s'en  trou- 
ue  des  exemples  dans  les  hiftoires, 
de  forte  qu'il  vift  iufques  à  la  cin-. 
quicfme  ou  fixiefmc  génération, 
cette  çonjon6lion  en  ce  degré  ne 
luy  feroit  pas  défendue  parle  droit 
de  la  nature.  Il  eft  vray  qu'on  peut 
dire  qu'encore  qu'on  viue  fi  long 
temps,  il  ne  s'enluit  pas  que  la  ver- 
tu generatiue  fe  mamtienne  aueç 
la  vie,  ni  qu'après  auoir  veula  cin- 
quiefmeoufixiefme  génération  de 
fo  enfans,  on  ait  befoiri  de  fe  re- 


50  o  Des  Droiêl s  des  Mariages 
marier  encore.  Maisaufîî  peut-on 
rcfpondre  que  fî  vn  homme  a  de  la 
vigueur  affés  pour  viure  cent  cin- 
quante ans,  il  y  a  beaucoup  d'ap- 
parence que  la  faculté  d'engendrer 
îè  conferue  long  temps  en  luy  :  & 
qui  plus  eft,  iln'eft  pas  dit  que  la 
vertu  de  la  génération,  &  Tappetit 
de  la  conjondtion  foient  entière- 
ment infeparables,  de  forte  que  la 
dernière  ne  puifle  fubfifter  fans  l'au- 
tre. Enfin ,  bien  que  la  nature  fem- 
ble  auoir  determmé  aux  femmes  vn 
certain  temps  pour  engendrer ,  lî 
n'en  a  t'elle  point  déterminé  aux 
hommes  de  telle  fac^on ,  qu'on  leur 
puifle  défendre  le  mariage  fous 
prétexte  de  tel  ou  de  tel  âge.  Et  quad 
ily  auroit  quelque  temps  clairemét 
défini  pour  cela,  ce  que  le  maria- 
ge leur  feroit  défendu  alors ,  cène 
feroiç  pas  pource  que  tel  ou  tel  ob- 


Cojijtctcratton  dnquïefmc,  301 
jet  fuft  illégitime  ,  à  caufe  de  k 
confanguinité  ou  de  l'affinité^  mais 
pourcequ'abfolument  le  mariage 
âuecquique  ce  foit ,  ne  leur  feroit 
pasconucnable.  Que  fî  le  nombre 
des  degrés  dans  lefquels  la  confan- 
guinité fe  proutgne ,  fe  multiplie  & 
s  augmente  à  proportion  de  ce  que 
leshommes  viuét  plus  long- temps, 
de  forte  qu'a  ceux  qui  ont  autrefois 
vefcu  fix  oufeptccnsans ,  ilaitefté 
défendu  de  fe  marier  auec  leurs 
defcendans,iufques  après  la  ving- 
tiefme  génération  ^  ily  a  certes  fujet 
de  s'eftonner  de  cette  difpenfation 
de  la  nature.  Car  puis  que  comme 
nous  auons  veu  cydefTus  ,  ce  qui 
empefche  la  conion6tion  du  père 
auec  fon  enfant ,  eft  le  refpe6l:  de 
l'autorité  paternelle  ,  comment 
cft-ce  que  pour  ceux  qui  ne  viuent 
que  quatre-vingts  ans ,  la  nature  a 


56t  Des 'Droits  des  tj^^rikges 
limité  le  refpcd  de  rautorité  pateti 
nelle  a  trois  ou  quatre  générations, 
&  que  pour  ceux  qui  viuct  huit  cens 
ans,  elle  le  prouigne  iufques  a  vingt 
ou  trente  générations  toutes  en- 
tières ?  Mais  quelle  que  foit  cette 
dilpenfation  ,  elle  nous  ameinc  à 
confiderer  la  queftion  en  cetto 
féconde  manière,  &  à  refoudre  que 
la  confanguinité  qui  empefche  la 
légitimité  de  la  conjonftion  ,  eft 
perpétuelle  en  la  ligne  directe.  Ce 
que  ie  prouue  par  deux  raifonsm- 
dubitables.  La  première  eft  tirée  de 
rhypothefè  de  ceux  là  meûncs  qui 
font  dans  cet  autre  fentiment.  Car 
fi  la  nature  a  déterminé  le  nombre 
des  degrés  de  confanguinité  qui 
rendent  la  coniondion  illégitime 
auec  les defcendans ,  à  la  mcmre  de 
la  vie  de  chacun,  elle  la  fait ,  fans 
doute ,  pource  qu  elle  ne  ^uloiC 


Conjîdcration  clntjuiefmi,  '  303 
pas  qu  homme  viuant  fc  conioi- 
gnift  par  mariage  auec  fes  defcen- 
dans  en  ligne  directe.  Pofé  donc 
que  l'homme  euft  vefcu  deux  mille 
ans ,  il  ne  luy  euft  pas  cfté  permis  de 
fe  remarier  ainfi  après  deux  mille 
ans  \  Ôc  quil  en  euft  vefcu  dix  mille, 
après  dix  mille  non  plus  ;  &  s'il 
euft  vefcu  à  perpétuité ,  à  perpétui- 
té il  en  euft  cfté  de  mefmes.  Or 
pourquoy  l'auroit  elle  ainfi  voulu, 
finon  pource  qu  à  perpétuité  cette 
forte  de  conjonction  eft  illégitime? 
La  féconde  eft ,  que  fi  vous  permet- 
tez à  vn  trifayeul,  ou  à  tel  autre  que 
vous  voudrez,  d'époufer  fa  petite 
fille  en  la  fixiefme  génération ,  le 
mariage  la  fait  en  quelque  faqon 
égale  auec  cduy  qui  lepoufe.  Or 
outre  que  cette  grade  inégalité  d  a- 
ge  répugne  auffi  en  quelque  façon 
acettc  égalité  de  condition,  il  s'en 


304  JPu  Droits  des  Mariages 
enfuiura  vn  inconuenient  irreme^ 
diable.  C'eft  qu  elle  deuiendra  fu- 
perieure  à  fori.  perè  &  à  fon  plus 
prochain  ayeul,  iufques  au  degré  le 
plus  proche  de  celuy  auec  qui  elle 
cft  mariée  j  quoy  que  Tordre  de  la 
naiffance  j  &  le  droit  de  lagenera- 
tiojla  leur  rendift  félon  les  loix  de  la 
nature ,  abfolument  inférieure. 

Venons  à  la  féconde  queftion. 
il  y  a  entre  la  ligne  directe  Ô^  la  li- 
gne collatérale,  desreffemblances 
&  des  différences  dignes  detonfit 
deration.  Et  pour  ce  qui  eft  des  ref- 
femblances ,  il  y  en  a  vne  notable 
entre  la  hgne  direde  &  la  Hgne  col- 
latérale inégale,  ou  metoyenne  & 
meflee ,  fi  vous  la  voulés  ainfi  nom- 
mer. Oeft  que  quelle  que  foit  la, 
propagation  de  confanguinité  qui 
s  y  fait  5  elle  imite  la  direfteen  cela, 
qu  elle  eft  perpétuelle ,  &  qu'elle  nç 

fe  termine 


Confi aération  dnauiejme.  305 
fè  termine  pas  à  certain  nombre  de 
générations.  Et  les  raifons  de  cet- 
te perpétuité  Font  à  peu  près  fem- 
blables  aux  précédentes.  Car  fi  la 
natiKe  s'accommode  à  la  durée  de 
la  vie  deshommeSj pour  prouigner 
la  confanguinité  prohibitiue  de  la 
conjonction  fi  loin,  que  pour  lon- 
gue que  foitla  vie, l'autre  la  furpaC 
fera  toufiours,il  eft  plus  que  raifon- 
nable  qu'il  en  foit  de  mefines  à  l'é- 
gard des  oncles  &  des  tantes.  De 
forte  que  fi  vn  oncle  venoit  à  viure 
dix  mille  ans,  &  iufques  à  perpé- 
tuité, la  nature  continùeroit  touf- 
jours  cette  propagation, pour em- 
pefclierà  perpétuité  cette  conjon- 
ftion,  comme  difproportionnée  Ô^ 
deshonnefte.  Puis  apres^  quand  cet- 
te propagation  de  la  confanguini- 
té ne  fe  feroitpas  de  la  fac^on,  tou- 
jours ce  defordre  s'enfuiuroit-il  de 


3 o ^  Des  D roits  des  MarUges 
cette  forte  de  conjondion  ,  que 
l'oncle  eftant  fuperieur  au  neueu, 
il  reft  auflî  à  larriere-neueu ,  &  à 
celuy  qui  vient  de  l'arriere-neueu 
encore,  &  en  fin ,  à  la  fille  qui  naift 
de  cet  autre  arriere-neueu. Et  quant 
à  la  fille,  elle  eft  naturellement  in- 
férieure &  à  celuy  qui  la  engendrée 
immédiatement,  6c  à  ceux  qui  ont 
engendré  fon  père.  Si  donc  elle 
vient  àefpouferfongrandoncle,le 
mariage  la  reduifant  aux  termes  de 
l'égalité  auecluy,  la  rend  fuperieu- 
re  à  tous  ceux  à  qui  elle  eftoitau- 
parauant inférieure  parle  droit  de 
la  nature.  Ce  qui  eft  vn  defordre 
manifette,  commis  alencontre  de 
fes  loix.  Mais  cela  paroiftra  encore 
mieux,  fi  nous  venons  àobfèruer 
les  différences  qui  font  entre  ces 
deux  lignes.  Or  y  en  a  t'il  deux 
tres-confiderables.  LVne  eft  celle 


Confideration  cînmiefme,  30'^ 
du  refped:  que  fe  doiucnc  les  ptr- 
fonnes  lefquelles  y  font  confli- 
tuées.  Car  en  la  ligne  djredtc,  le 
refpedt  que  l'enfant  doit  au  père  , 
eft  ab(olu ,  <fka  pour  vray  &  abfola 
objet,  la  perfonne  du  père  ,  &  la 
perfonne  del'ayeul,  &  la  person- 
ne du  bi(ayeul ,  &:  celle  du  triiayeul 
encore  ;  pource  qu'en  elles  relide 
véritablement  la  fuperioritt  &  l'au- 
thorité  paternelle.  Comme  en  cet- 
te fubordinationd'AmbafT.ideurs, 
dont  i  ay  cy-defTus  propofé  l'exem- 
ple ,  le  dernier  fubdelegué  honore 
celuy  qui  l'a  eltably ,  pource  qu'il 
void  en  luy  de  la  fuperiorité  à  fon 
égard,  &  honore  de  mefmesla  per- 
fonne du  Roy  qui  la  crée  ,  pource 
qu'il  y  en  void  auffi.  Mais  en  la  li- 
p-ne  collatérale ,  le  refpedt  que  les 
collatéraux  fe  doiuent  1  vn  à  l'autre, 
cft  relatif,  &n'a  pas  proprement  14 

V  a. 


5o8  Des  Droits  des  Marîdges 
perfonne  à  laquelle  il  fè  rend  pour 
objet ,  dautant  que  ce  n'eft  pas  en 
elle  que  la  fuperiorité  a  fon  propre 
fîege.  Il  fc  rapporte  à  leur  com- 
mun principe,  comme  à  fon  vray, 
naturel,  &  dernier  objet,  qui  a  en 
foy  la  fuperiorité ,  &  qui  la  com- 
munique aux  autres.  S'il  y  a  quel- 
que autre  forte  de  re{pe6b  pour 
quelques  qualités  qui  leur  fontper- 
fonnelles,  &:  qui  refident  en  eux 
proprement,  il  n'empefche  nulle- 
ment le  mariage  ,  s'il  n'y  a  de  la 
confanguinité.  Ceftle  refped  deu 
à  la  feule  confanguinité  qui  rend  la 
conjondlion  illégitime.  Puis  donc 
que  ce  qu'on  appelle  refpedt  &  hon- 
neur ,  reo;arde  fon  objet  comme 
quelque  chofe  de  fuperieur,chacun 
des  collatéraux  ferefpe6bant  com- 
me parent ,  il  faut  qu'ils  confîde- 
rent  cette  fuperiorité  ^  non  en  la 


Confédération  cinqmcjhie.  309 
perfonne  collatérale  proprement, 
:  mais  en  celle  en  qui  elle  a  (on  iîe- 
;  gCj  qui  elt  leur  commun  principe. 
L'autre  différence  eft  en  ce  qu'en  la 
ligne  direifle,  les  relations  qui  font 
entre  lepere&: l'entant,  (ont  iîm- 
ples:de  luperiorité,  delà  part  du 
pere^auec  le  droit  &:rauthorité  de 
gouuerner  :  d'inferiorité^de  la  part 
de  l'enfant,  auec  obligation  d'hon- 
neur ôc  d'obeïflance.  Dans  les 
collatéraux  il  y  a  deux  relations 
meflees.  L'vne  eft  celle  de  fupe- 
riorité,  à  caufe  du  principe  duquel 
ils  font  defcendus ,  qui  leur  com- 
munique Ion  image  ,  6c  félon  la- 
quelle chacun  des  collatéraux  doit 
de  l'honneur  à  fon  collateral^à  cau- 
fe de  l'authorité  paternelle  qu'il  re- 
prefente.  L'autre ,  celle  d'egalitè, 
entant  qu'ils  font  collatéraux  ,  & 
d'vne  condition  à  peu  près  pareil-- 

V  3  " 


3IO  T>es  Droits  des  zy^ariages 
le.  Car  dans  les  lignes  dans  lefquel- 
lesvous  les  conftituez,  vous  les  pou- 
uez  confiderer  ou  bien  félon  qu'ils 
fe  rapportent  au  père  ,  en  quoy  la 
fapenorité  paroift,  ou  bien  en  vne 
ligne  tranfuerfale,  qui  fait  qu'ils  (e 
regardent  IVn  l'autre  directement^ 
ôc  visa  vis ,  comme  ils  font  repre- 
(entez  en  ceDiacrramme, 

Ifaac 
[ 


û~"' — lacob 

Car  la  ligne  qui  les  conjoint  en 
Ifaac ,  fait  que  lacob  doit  confide- 
rer Ifaac  6c  EfaiijCommefice  ne 
ftoitàpeupresquVne  mefmecho- 
fe  j  à  caufe  de  l'autorité  paternelle 
qui  refide  proprement  en  Kn  ,  &: 
dontHmage  reluit  en  l'autre.  De 


Conjidcnttion  cinqmejme.  311 
forte  que  lacob  honore  Ifaac^com- 
meceluy  qui  eft  le  propre  ob;ec  de 
fon  relped  &c  de  la  vénération,  à 
caufedelafuperiorité  quirefide  en 
fa  perfonne  ;  ôc  honore  Elaii  d'vn 
honneur  comme  relatif;,  à  caiile  de 
rimage  de  cette  fuperiorité  qu'il 
porte.  Efaii  d'autre  collé  en  doit 
faire  de  mefme  à  l'égard  de  lacob, 
ôc  pour  les  mefmes  raifons  en  pareil 
degré ,  excepté  ce  qu'il  y  peut  auoir 
d'inégalité  entr'eux  à  caufe  du  droit 
d'aifneffe  ,  duquel  il  faudra  dire 
quelque  chofe  cy  après.  Mais  la  li- 
gne tranfuerfale,qui  fait  qu'ils  s'en- 
tre-regardentvisa  vis,  monftre l'é- 
galité qu'ils  ont  entr'eux  en  vn  au- 
tre égard  :  c'eft  que  véritablement 
ils  ne  font  point  procédés  1  vn  de 
l'autre,  &:  que  la  nature  lésa  collo- 
ques entant  que  frères  en  mefme 
rang.  Ainfi  il  y  a  des  relations  mef- 

V  4 


3u  "Des  Droits  des  AdarUges 
leesen  eux  ;  &  de  la  refultent  mani- 
feftementdeux  chofes.  L'vne  eft, 
ce  queie  difois  tantoft  de  la  relation 
qui  eft  entre  l'oncle  &  le  neueu, 
ç'eft  qu'elle  fe  prouigne  à  perpé- 
tuité, comme  celle  qui  eft  entre  le 
fils  &  le  père.  Pour  ce  que  la  ligne 
en  laquelle  eft  loncle  ,  nedeiçen- 
dant  pas  iufques  au  neueu  ,  le  ne- 
ueu  qui  dans  ce  Diagramme  eft 
ioleph  5  ne  Ifaac 

peut  bien  confî-      Ç       ^^     ^ 

derer  fon  oncle      '   ..      -    ^   '    . 

T^r  ••     r  tlau         lacob 

Eiau  ,  Imon  ou 

I 

enlapcrfonnede  lofeph 

fan  aycal  Ifaac,  duquel  ils  font  de- 
fcendus  comme  dVn  commun 
principe,  ou  en  laperfonne  de  fon 
père  lacob  ^  duquel  ils  ne  font  pas 
defcendus  tous  deux  à  la  vérité, 
mais  en  qui  neantmoins  il  eft  obli- 
ge de  l'honorer.  Ç^i"  lacob  mefuie, 


Conpdemtion  cinquîcfme.  335 
a  deu  honorer  Efaii ,  à  caufe  du 
rayon  de  l'autorité  <Sc  de  i  im.ige  pa- 
ternelle. Or  eil;  il  bien  raiioiinabie 
que  lacob  ait  tranlmis  cette  obli- 
gation à  fon  fils  Ioleph,&  qu'en 
cet  égard  loleph  honore  Eiaii  de 
rnefme.  Et  de  plus ^  la  nature  ayant 
fî  eftroittement  conjoint  Eiaii  & 
ïacobj  qu'ils  ne  font  quafi  qu  vne 
niefme  chofe  à  caufe  de  la  proximi- 
té de  leur  fang  ^  lofeph  ne  peut 
coniiderer  fon  père  commeildok 
auec  honneur  ôc  refpedt  ,  qu'il 
n  honore  Efaii  de  mefme.  N'y  ayat 
donc  entre  lofeph  &  Ef.iii  auciMic 
eealité,  ni  aucune  liî^ne  tranfocrfi- 
le  qui  f;ifle  qu  ils  fe  regardent  vis  à 
vis  en  vnefituation  pareille,  il  n'y 
en  aura  non  plus  entre  Eiaii  $z  les 
cnfans  de  lofeph  ,  ni  entre  Eiaii  & 
lesenfansdesenfans  de  lofeph  ,  ôj 
ainfi  iufques  à  l'infinité  des  gcne- 


3i4       -Df^  Droits  des  J[darîages 
rations  fubrequentes.  L'autre  chofe 
eft^que  dans  la  ligne  collatérale 
cgale ,  dans  laquelUe  il  y  a^  deux  re- 
lacions méfiées ,  celle  de  fuperiori- 
té  ,  qui  fe  confidere  à  l'égard  du 
commun  principe^  (e  va  naturelle- 
ment affoibliflant  jà  propornô  de 
ce  qu'on  s'éloigne  dufujetoù  pro- 
prement elle  refide  :  au  lieu  que 
l'autre  relation  d'eo:alité  fe  confer- 
ue  &  fe  fortifie.  Ce  qui  fait  que  tan- 
dis que  cette  image  de  l'autorité 
paternelle  eft  proche  de  fa  fource, 
comme  dansles  frères  immédiate- 
ment iffus  d  Ifaac  ^  elle  l'emporte 
par  delfus  la  relation  de  l'égalité ,  &: 
empefche  la  légitimité  de  la  con- 
jondiion.  Mais  quand  elle  s'en  ell 
éloio-nee.ens'affoibiiflant  &:fe  di- 
minuant  comme  i'ay  dit ,  &  l'autre 
fe  conferuant&fe  fortifiant ,  quoy 
que  peut  eftre  il  en  refte  affes  pour 


Confderation  cinquïcfme.  315 
obliger  à  reconnoiftre  quelque  pa- 
rente, fîeft-cequec'eft  en  telle  fa- 
çon qu  elle  n'empefche  pas  que  la 
conion6tion  entre  des  perionnes 
réduites  à  vne  fi  grande  égalité ,  ne 
foit  légitime.  Relient  donc  icy 
deux  difficultés.  L'vne,  comment 
cela  fe  fait  que  cette  image  de  l'au- 
torité paternelle  va  s'efFa^ant  en  s'e- 
loignant.  L'autre  ,  iufques  à  quel 
point  elle  fe  maintient  en  alFesdc 
vigueur  ,  pour  empefcher  que  la 
coriiondtion  ne  foit  légitime  ^  &: 
quand  elle  commence  à  eilre  telle- 
ment effacée,  qu'elle  ne  l'empefche 
plus  légitimement.  Or  quant  à  la 
première  de  ces  difficultés,  il  faut 
icy  mettre  grande  diilindion  entre 
la  propagation  deschofes  abfolues 
en  elle  mefmes ,  &  la  propagation 
desrelatiues.  Quant  aux  abfolues, 
elles  fe  prouignent  toutes  entières 


^i6  Des  Droits  des  tj^ariages 
par  la  génération  foit  naturelle,  fbk 
politique.  Naturelle  premiercm et. 
Gar  tout  autant  d'autorité  qu'vn 
père  a  deffus  fan  enfant ,  tout  au- 
tant en  aura  ee  fils  là  deffus  l'enfant 
qu'il  engendrera  ,  &cetroiGefme 
deiïus  vn  quatriefme,  iufques  à  l'in- 
fini ;  &  iamais  cette  autorité  ne  s'af- 
faiblira par  la  propagation.  Politi- 
que aufli.  Car  lautorité  Royale  eft 
toute  telle  en  la  perfonne  qui  règne 
auiourd'huy  ,  qu'en  celle  de  celuy 
qui  la  précédé  ^  &  fera  toute  telle 
encore  en  la  perfonne  de  celuy  qui 
viendra  après  ,  de  quelque  façon 
qu'il  luy  fuccede^foit  parla  naif- 
fance,ou  par  rele6tion:,  ou  en  quel- 
que autre  manière  que  ce  puiffe 
eltre.  Mais  quant  aux  relatiues, 
pource  qu'elles  ne  fe  communi- 
quent finonauec  quelque  diminu- 
tion de  ce  qu  elles  font  en  leur  prin- 


Confideration  cinquiejme.  317 
cipe  ,  il  cft  de  la  difpofîtion  de  la 
nature  qu'à  mefurc  qu'elles  s'éloi- 
enentdeleur  fource  ,elle  s'aillent 
aufTi  aflfoibliflant  &  diminuant  pa- 
reillement. Pource  que  le  premier 
principe  d'où  elles  découlent  y  ne 
les  peut  communiquer  toutes  en- 
tières ,  &  ne  les  prouigne  qu'auec 
quelque  déchet  de  leur  ettre  àc  de 
leur  vigueur  j  celuy  qui  ne  les  a^  par 
manière  dédire,  que  par  emprunt, 
les  comuniquera  beaucoup  moins 
entoutelaforce&en  toute  la  me- 
fure  dans  laquelle  il  les  a  receuifs. 
Fay  cy  deflus  nommé  ce  que  les  frè- 
res doiuent  refpcâ:er  les  vns  dans 
les  autres  5  de  ce  nom  de  reprefen- 
ration  &  d'image ,  &  ne  penfe  pas 
qu'on  puiffe  employer  vn  terme 
plus  propre  pour  cela.  Teflime 
donc  qu'il  eft  à  propos  que  nous 
voyions  fi  dans  la  nature  ,  &  dans 


3i8       Des  Droits  des  zy^arîages 
les  arts,  &  dans  la  police  encore,  oii 
ilfetrouuera  des  images  &desre- 
jSrefentations,  ce  que  ie  dis  ne  fc 
trouuera  pas  véritable. 

Pour  commencer  par  les  chofes 
naturelles,  la  lumière  eftvneinia* 
ge  des  corps  lumineux,&  celle  mef- 
me  du  Soleil,  n'eft  autre  chofeque 
l'image  de fon  corps,  lachofedu 
monde  la  plus,  &peut  eftre la  feu- 
le véritablement  lumineufe  d'elle 
mefme.  Or  cft-il  certain  que  cette 
image  là  ne  fe  communique  point 
fi  grande  aux  autres  corps  qui  la 
rec^oiuent ,  qu'elle  eft  dans  celuy 
du  Soleil  ,  comme  il  appert  de  là 
Lune  ,  dans  laquelle  elle  eft  fàns 
comparaifbn  plus  imparfaite  & 
plus  blafarde.  De  la  Lune  elle  fe 
refpand  tellement  deffus  les  autreâ 
corps  mferieurs ,  qu'il  ny  en  a  au- 
cun qui  par  la  reflexion  qui  s'y  ert 


C onftderation  c'mqmefme.  315^ 
fait,  la  rende  en  pareille  mefure  de 
force  &  de  fplendeur ,  qu'elle  eft 
dans  le  corps  delaLunemefme.  Et 
s'il  y  auoic  quelque  autre  corps  op- 
pofé  à  la  terre,  fur  lequel  la  lumiè- 
re que  la  terre  reçoit  de  la  Lune^ 
peufl:  rejailir,  elle  y  feroit  encore 
beaucoup  plus  fombre  &  plus  ob- 
fcure  qu'elle  n'eft  en  la  terre  mef- 
me.  Dans  les  arts  il  en  eft  ainfi» 
Vn  portrait  fait  fur  le  naturel,  eft 
vnouuragedu  Peintre  à  la  vérité, 
mais  c'elî  aufli  en  quelque  fa^on 
l'ouurage  du  vifage  naturel  dont  le 
Peintre  a  voulu  reprefenter  l'ima- 
ge. Pource  que  c'eft  luy  qui  a  mis 
dans  l'efprit  du  Peintre  l'idée  de  ce 
qu'il  eft,  &  qui  par  l'entremife  de 
fon  pinceau  la  imprimée  dedans  le 
portrait.  Mais  ni  l'idée  que  le 
Peintre  en  a  conceuë,  n'eftiamais 
entièrement  égale  au  naturel  ^  ni 


32.G  Des  Droits  des  Mariages 
celle  qu'il  imprime  dans  le  por- 
trait tiereprefen  te  iamais  parfaite- 
ment ce  qu'il  en  auoitconqeu  en  fa 
penfee.Ainfil'iniagequ'jlenadans 
la  fantaifie  eft  auec  déchet  du  natu- 
rel ,  &  le  portrait  qu'il  en  fait  eft 
auec  déchet  de  ce  qu'il  en  a  dans  la 
fantaifie.  Qu/vn  autre  peintre  faffe 
après  vn  autre  portrait  du  mefme 
vifage  deflus  ce  premier  là  ,  il  ne 
{çauroit  fi  bien  faire  qu'il  le  tepre- 
fente  entièrement,  &  y  aura  encore 
enfonouurage  quelque  defeâ:uo- 
fitéj  plus  grande  que  dans  l'image 
précédente.  Qu^vn  troifiefme  pein- 
tre trauaille  fur  ce  fécond  portrait, 
l'idée  du  naturel  y  fera  encore 
moins  bien  reprefentée,&  ainfi  à" 
mefare  que  les  ouurages  s'éloigne- 
ront de  leur  principe,  cette  image 
ira  tellement  fe  diminuant  & s'efFa- 
çant,  qu  en  fin  à  peine  y  demeurera 


Confderatiôn  c'mquiejhic.  ^iî 
t'il  aucun  trait  qui  luy  reffemble. 
Dans  la  police  finalement  il  en  va 
de  mefmes.Car  les  officiers  qui  font 
crées  immédiatement  par  le  Roy, 
repre(entent  bien  fon  autoritéimais 
ce  n'efl:  pas  en  la  plénitude  en  la- 
quelle elle  refide  en  fa  perfonne. 
Et  pofé  que  ces  Officiers  ayent  là 
puiiTance  d'en  créer  d'autres,  l'aii- 
torité  du  Roy  y  paroiftra  à  la  vé- 
rité, mais  ce  fera  beaucoup  moins 
encore  qu'en  ceux  quiauoient  efté 
crées  par  luy  immédiatement;  6c 
ainfi  confecutiuement  elle  fera  tel- 
lement afFoiblie  en  ceux  que  ces 
féconds  auront  inftituez,quà  pei- 
ne y  fera  t'elle  reconnoiflableo 
Pourquoydonc  en  cette  prbpaéa- 
tionde  la  confanguinité  dans  lalU 
gne  collatérale  ,  n'arriuerôit  -.  il 
poirtt  quelque  cb.ofede  fcmblable^, 

X 


^11  Des  Droicls  des  Mariaz^s 
•puis  que  cette  conlanguinité  n'efl 
rien  finon  l'image  de  l'authôritt 
paternelle_,  &  quelque  rcfplencleu] 
qui  en  reluit  fur  les  enfans  ?  El 
la  raifondecelane  femblepasmaL 
aifee  à  rendre.  Siauec  fa  lumière 
le  Soleil  communiquoit  fon  pro- 
pre corps ,  de  forte  qu'il  engen 
draft  vn  autre  Soleil^ce  fécond  So- 
leil auroit  autant  de  lumière  que  le 
premier,  &  le  troifiefme,  que  ce 
lècond  engendreroit,  autant enco^ 
re. .  Si  l'image  du  vifage  que  1 
Peintre  reçoit  en  fonimagination^ 
auoit  la  mefme  force  qu'a  la  fc- 
mence  que  la  femme  reçoit  en  con 
ceuant ,  comme  celle-cy  produit 
vne  nature  toute femblablc  à  celle 
de  l'engendrant j  celle-là  produi- 
rait vne  idée  parfaitement  égale  au 
naturel  mefme.    Si  le  Roy  creoitl 


Confideration  cinquîejrne.  51J 
vn  Officier  qui  fuft  Roy  comme 
îuy ,  comme  il  y  a  eu  des  Rois  &  des 
Empereurs  qui  en  om  alîocié  d'au- 
tres auec  eux  au  Royaume  &  à 
l'Empire ,  ce  fécond  Roy  âuroit 
égale  autorité  auec  luy,&  la  pour- 
roit  communiquer  égale  à  vn  troi- 
fiefme  Roy,  lequel  il  créeroit  en- 
'  core.  Mais  toutes  ces  chofes  ne  (e 
prouignent  point  elles  mcfmes 
réellement  ;  ce  font  leurs  images 
feulement  qu'elles  communiquent. 
Ccft  àdirejclles  neproduifentpas 
des  chofes  de  mefme  nature  auec 
elles,  elles  fe  contentent  de  répan- 
dre feulement  leurs  images  &  leurs 
reprefentations  fur  d'autres  fujets. 
Rendons  s'il  eft  pofïible  la  chofe 
comme  vifible  en  Texemple  d'Ifaae 
&dc  fes  en  fans. 


314     '^^^  Droits  des  limages 
ifaac 


lacob  Efàil, 

I  _  I 

lofepli,  Eliphaz 


Manafle  Teman. 

En  ce  Diagramme  lofeph  confi- 
derera  en  fon  père  l'autorité  pater-  | 
iielle  toute  entiere^pource  qu'elle  y  ' 
eft  telle  en  fon  égard ,  qu'elle  eil  en  j: 
Ifaac  à  l'égard  de  lacob.    Pourcc 
que  Ifaac  engendrant  lacob  :,  ôc  le 
produifanttoutfemblableà  foyen 
ce  qui  regarde  lofeph,  f  car  lacob 
eno^endre  lofeph  tout  de  mefmes 
qu'il  aefté  engendré  par  Ifàac  fon 
père)  l'autorité  paternelle  n'y  fouf- 


Confideration  cwquicfme.       311 
frc  diminution  quelconque.     Au 
lieu  qu  Eiciii  ne  la  coniiderera  en 
lacob  que  comme  vne  image  Ôc 
vne  choie  relaciue  ieulement,pour- 
ce  qu  à  1  égard  d'Efaii  liaac  n'a 
point  engendré  lacob  ,  entière- 
ment iemblable  à  foy  ,  c  eftà  dire 
auec  la  nature  ôclà  qualité  de  père. 
Car  lacob  n'engendre  point  E(aii, 
au  lieu  qu'il  engendre  ïoieph.  Ni 
lacob  ne  la  confiderera  non  plus 
finon  diminuée  ôc  relaciue  en  Eiaii, 
au  lieu  qu'Eliphas  la  confiderera  en 
Eiaii  toute  pleine  &:  toute  entière. 
I-ofeph  &  Eliphas  ne  laconfidere- 
ront  non  plus  IVn  en  l'autre  finon 
fortaifoiblie,  (5s:  beaucoup  moin- 
dre encore  qu^clle  n'eiloic  en  lacob 
Si  en  Efaii  quand  ils  s  entreregar- 
doyenc.    Manafle  &Temanla  re- 
connoiftront    encore    beaucoup 
moindre  l'vn  dans  l'autre  &  ainii 

■    X3 


3  2.C       Lhs  Droits  des  Mariages 
confêcutiuemenc  ceux  qui  vien-* 
dront  après  eux  jiufques  ace  qu'en 
fin  elle  fe  perde  tout  à  fait. 

Pour  ce  qui  cft  de  la  féconde  de 
ces  difficultés ,  deux  chofcs  font  icy 
fouuerainement  confiderables.L  V- 
ne  etl ,  que  dans  les  loix  que  Dieu 
a  données  au  dix-huidiefme  du 
Leuitique,  pourladefignation  des 
degrez  prohibez  dans  la  confan- 
guinité,  ilne  défend  point  la  con- 
jondtion  entre  les  coufins  ger- 
mains, ôc  en  fuite  de  ce  que  cela 
n'eft  point  défendu,  il  s'en  trouue 
en  la  parole  de  Dieu  des  exemples 
depuis  la  Loy  donnée.  Or  auons 
nous  veu  cy-deflus  que  les  loix  du 
Leuitique  en  cet  égard,  font  del'in-  : 
ftitution  de  la  nature  ,  Se  non  du 
droit  pofitif  De  forte  qu'il  y  à 
grand  fjjet  de  croire  ,  que  Dieu 
qui  eft  l'auteur  de  la  nature,  &  qui 


Conjideration  ànquiefiit,        317 
en  fixait  tous  les  tcnans  ck  les  abour 
tifùns,  nous  a  voulu  donner  à  en-, 
tendre  que  ce  rayon  derautlioritc 
paternelle, qui rciuic  dedans Icsén- 
fans,  s'arreltc  là  precifémcnt^pour 
cequieildefonefficace  à  rendre  les 
mariages  illégitimes.     Car  pour  lé- 
reilc,  il  eft  certain  que  la  confan- 
guinité  Ce  prouigne   plus  auanr, 
comme  pour  ce  qui  ell  des  autres- 
deuoirs  de  parenté,  ôc  melmes  du^ 
droit  des  fuccefllons,  dequoyie., 
n'ay  point  entrepris  de  parler  en  ce 
traître.     L'autre  chofe  confidcra- 
ble  icy  eft,  que  par  les  loix  des  lu- 
rifconfulres  le  mariage  d'entre  les 
frereseft  défendu  j  comme  auiïlce- 
luy  d'encre  l'oncle  <Sc  la  nicce  ,^  &  la 
tante  &  le  neueu.Car  quant  à  ce  que 
Claudius  fit  valider  ce  mariage  par 
ArrcftduScnat,afin  qu'il  peuft  el- 
poufer  fa  nièce  ,  fille  de  Gcrmani.^ 

X  4 


3i8        Ces  Lirons  des  Mnrîages 
eus,  c'eft  vne  cliofc  extraordinaire  ^ 
entreprife  contre  les  droits  de  la  na- 
ture ,  que  les  Romains  auoient  ob- 
feruez  lufques  alors  ,  àc  qui  a  elle 
corrigée  par  les  Empereurs  fuble- 
quens,  &  par  le  conientement  des 
Xurifconlultes.  Ce  qui  eft  encore  vi^^. 
argument  que  la  nature  leur  auoit 
appris  que  ces  mariages  lont  ince- 
ftueux.    Mais  quanta  ceux  d'entre 
les  coufins  germains,  il  en  a  bienau  - 
trefois  eftè  fait  quelque  fcrupule- 
entre  les  Romains  j  mais  néant-- 
moins  cette  opinion  ,    qu'ils  font= 
permis, Ta  vniuerfellemeut  empor-- 
tè  par  le  confcntement  des  fages.' 
Ainfi  n'en  eft- il  refté  doute  quel- 
conque ni  hefitation  entr'eux.  Eu 
quoy  femble  encore  paroiftre  l'iiv;, 
ftitution  de  la  nature  ,  &  ce  dau-' 
tant  plus  clairement,  que  les  lurif- 
confultcs  natioienc  du  tout  point 


C onjidcration  cinquielme,  319 
oiii  parler  de  laLoydeDieu,&n'a- 
uoienc  pu  receuoir  d'elle  aucun  pre- 
j-ugé  pour  en  difpofer  de  la  {orie. 
Certainement  ce  ne  peut  clbe  par 
hazardqu'Ufè  foit  rencotré  li  gran- 
de conuenance  entre  Dieu  Ôi  eux 
en  cet  égard.  Il  faut  que  Dieu  aie 
ainlî  donné  fes  loix  conformémenc 
à  la  nature,  pour  ce  qu'il  en  eil  l'au- 
tlieur  j  de  que  les  lurifconfultes 
l'ayent  ainfî  ordonné,  pource  qu'ils 
en  ont  apperceu  quelque  raifon  en 
la  mefme  nature  encore.  Quelle 
donc  pourr.oit  elle  eftre  ?  Pour  la 
trouuer,  iecroy  qu'il  fera  à  propos, 
de  repaffer  fur  les  exemples  que  l'ay 
cydeffus  mis  en  auantde  la  propa- 
gation des  chofes  relatiues  dans  la. 
nature,  dans  les  arts,  ôi  dans  la  por- 
lice  humaine  ;  pour  ce  que  de  là, 
nous  tirerons  quelque  éclaircilFe- 
mcHtpour  noftre  fujct.  Et  ie  prie. 


«o  J^cs  Droits  des  Aiarîaf^eî, 
encor  icy  le  lecteur  de  trouuer  bon- 
nes ces  reflexions,  pour  ce  que  ie  ne 
voyrien  de  plus  commode  pour 
riiluftration  de  ce  que  ie  veux  due. 
Cette  communication  de  lumière 
qui  fe  fait  du  Soleil  à  la  Lune  ,  elt 
de  telle  forte ,  que  quand  la  Lune  la 
nous  rcnuoye  deflus  la  terre  ,  nou& 
l'appelions ,  non  la  lumière  du  So- 
leil ,  mais  la  lumière  de  la  Lune.. 
Non  quefi  nous auons égard  à  foa 
premier  principe,  ce  ne  foit  la  lu- 
mière du  Soleil  ;  mais  pource  qu'il 
n'eft  pasdeladilpofition  de  la  na- 
ture 5  que  nous  recourions  aux 
principes  plus  éloignes  ^  quand 
nous  pouuons  regarder  aux  pto- 
cliaincrs  caufesdes  effcds  dcfquels 
nous  Tentons  l'eflicace.  Qlie  le  lec- 
teur me  permette  donc  de  me  figu- 
rer icy  qu'il  y  a  vn  Soleil  qui  ie  no- 
me Ifaac  ,  deux  Lunes  dont  l'vne , 


Conjidcratiên  cinquiefme,  331 
s'appelle  lacob  ôc  lautre Efaii ,  &c 
dcuxterresjdonc  i'vne  qui  s'appelle 
lofcph  re<^oiue  la  lumière  de  lacob. 
Se  l'autre  qui  s'appelle  Eliphaz  ,  re- 
(joiue  fa  lumière  d'Efaii,  félon  cet- 


EÎiphas 

le  dis  que  fi  lacob  regarde  vers 
Efaii,  il  dira  quUvoid  dans  Efaii  îa 
lumière  de  la  Lune  à  la  verité,pour- 
ce  qu'elle  y  refide  alors:  mais  il  dira 
auflî  que  c'eft  la  lumière  du  Soleil 


331  T>cs  Droits  des  ^^arïdges 
qui  y  refp lendit  j&  fi  Efaii  regarde 
vers  lacob ,  il  en  dira  de  mefme. 
Pource  que  &  Tvii  &  laucre  rec^oïc 
immédiatement  cciic  lumière  du 
Soleil.  Mais  fi  lofeph  regarde 
vers  Eliphaz  ,  6c  Eliphaz  vers  lo- 
feph ,  alors  Tvn  dira  quilvoid  en 
fon  collatéral  la  lumière  d'Efau,&: 
l'autre  qu'il  void  en  fon  collatéral 
la  lumière  de  lacob,  quoy  que  l'vne 
^ l'autre defcende  du  Soleil  Ifaac. 
Mais  pource  qu'elle  ne  dcfcend  à 
Eliphas  &  à  lofeph  que  par  l'entre- 
niife  d'Efaii  &  de  lacob ,  &  que  la^ 
nature  ne  veut  pas  qu'on  fiute  aux 
cau(ês  reculées  ,  quand  on  fepeut 
arrefter  fur  déplus  prochaines ,  il 
conuiétàfa  difpofition  &qu'ilsen 
oenfcnc  (S<  qu'ils  en  parlent  ainfi. 
Si  donc  cette  lumière  eft  l'image 
de  l'autorité  paternelle  ^  n'eftant 
plus  tant  confideree  en  lofeph  ^ 


Conjtdcratton  cinamefm'e.  335 
enEliphaz  comme  procédante  d'I- 
faac  que  comme  procédante  de  la- 
cob  éi  d'Efaii,  elle  n'y  doit  pas  auoir 
pareil  cffcd;  qu'elle  en  a  en  lacob  & 
en  Efaii ,  perfonnes  qu'îfaac  regar- 
de imincdiatemenc ,  &  fur  lefquel- 
les  il  répand  prochainement  fa  lu- 
mière. La  mefme  chofe  fe  peut  illu- 
ftrerparla  confiderationdece^qui 
arriue  dasles  arts. Car  le  portrait  qui 
eft  fait  fur  le  naturel ,  eft  le  portrait 
ou  l'image  de  l'a  chofe  reprefèntee. 
Celuy  qui  eft  fait  fur  cettuy -là,  por- 
te bien  à  la  vérité  Tim  âge  du  vifage 
qui  y  eft  reprefenté  :m  ais  tantya, 
comme  on  a^accouftumé  de  parler, 
c  eft  le  premier  qui  eft  le  portrait 
original ,  cettuy  cy  n'en  eft  feule- 
ment que  la  copie.  Et  s'il  eft  permis 
de  parler  en  termes  deTccolejab- 
folument&  par  foy  mefme  ,  c'eftlâ 
copie  dVn  original  j  pourceque  \t 


334  "^^-f  Droits  des  (J^anages 
peintre  a  eu  deflcin  de  rexprimer; 
par  accident,  c'eftHmage  deceluy 
que  loriginal  reprefente  ,  pourcc 
qu'il  eft  arriué  ainfi  que  cet  origi- 
nal que  le  peintre  a  voulu  expri- 
mer, auoit  les  traits,  &  le  teint,  &: 
les  lincamens  de  cevifage.  Donnés 
donc,  (  car  i'efpere  qu'en  ceschofes 
pour  lefquelles  ie  ne  puistirerde- 
clairciflement  d'ailleurs  que  de  ces 
fuppofitionsjon  me  permettra  de 
les  faire  J  donnés  ,  di-je  à  deux  ori- 
ginaux tirez  fur  vn  mefme  vifage, 
delaconnoiffanceôd  du  fentiment 
de  r  origine  de  leur  eftre ,  ils  s'entre- 
honoreront  reciproquemét^à  caufc 
de Timage deceluy  qu'ilsreprefcii- 
tent.  Maisdonncza  deux  copies 
tirées  fur  ces  deux  originaux,  quel- 
que intelligence  de  ce  qu  elles  fonr> 
pour  ce  qu  elles  rapportent  leur 
cftre  immédiatement  chacune  à 


Confâemtîon  cînquiejmè,  355 
fon  original^  &  que  ces  originaux 
ne  font  point  alternatiuement  la 
caafe  de  leur  propre  exiftcnce  ,  &c 
que  la  première  &  commune  cauft 
de  leur  exiftence  j  qui  eftle  naturel, 
eft  reculée  d'elles ,  éc  ne  vient  à  elles 
que  par  l'entremife  d'autruy ,  elles 
nepeuuentauoirentr'clles  les  mef- 
mes  reflentimens  qu'ont  les  deux 
originaux,quandils  feconfiderent 
refpeâ:iuement  Tvn  l'autre.  Finale- 
mctlamefme  chofeparoift  encore 
dans  la  police.Car  ces  deux  A  mbaf- 
fadeurs  créez  immédiatement  par 
le  Roy  ,  refpeâient  chacun  en  fon 
compagnon  le  charadere  &  Tau- 
thorité  du  Roy,  qui  y  reluit  clai- 
rement, pource  qu'elle  en  eft  im- 
médiatement decoulee.  Au  lieu 
que  leurs  fubdeleguez,  s'ils  en  font, 
quand  ils  viennent  à  confiderer 
qu'ils  n'ont  point  de  commun  prin- 


53<j  Des  T>roitsdes  ty^drîages 
cipe  de  leur  inftitution,  finon  efloi- 
gné,  &  qui  ne  leur  infpire  lauthori- 
té  que  par  l'entremife  de  ceux  qui 
lesontfubdelegutzfeparémentjS'e- 
ftiment  bien  obligez  de  refpe6ber 
chacun  celuy  qui  l'a  créé,  &  en  fa 
perfonne  1  authorité  du  Roy  enco- 
re ;  Mais  quant  à  s'entr'honorer 
rcfpediuement,  bien  qu'ils  le  faf- 
fent,  fi  le  font- ils  pourtant  beau-^ 
coup  plus  foiblement  que  ne  font 
les  deux  Ambaifadeuris  ,  en  qui 
l'impreflion  du  charadtere de  l'au- 
torité du  Roy,  eft  prochaine  &  im- 
médiate. 

Rcfte  la  troifiefme  queftion 
touchant  les  affinités,  fi  pour  elles, 
auffi  bien  que  pour  les  confangui- 
nités,  il  y  a  quelque  droit  eftably 
par  la  nature,  Icy  donc  il  faut 
tonfiderer  premièrement  le  fonde- 
ment dcsafiinites.    Secondement, 

les 


Confideratïon  clncmkfme,  ^y^ 
le's  affinités  mefines,  &  les  relatiom 
qu'elles  portent  auec  elles.  Et  fina- 
lement les  reflexions  de  ces  affinirés 
là ,  àc  iufqucs  où  elles  fe  peuuent 
eftcndre  par  le  droit  de  la  nature, 
pourempefcher  la  legitimitede  la 
Gofi^ondtion.  Pour  ee  qui  eft  du 
fondement  dei  affinité,  c'cille  ma- 
riage, qui  n'eft  pas  proprement  af- 
finité iuy-  mefme  entre  les  perfon- 
ncs  qui  le  concradent,  mais  la  caufe 
de  toutes  les  affinités  lefcjueUes  en 
defcendent.  Et  de  ce  mariage  nous 
auons  dit  cy- de  (Tus  qu'il  fait  les 
perfônnes  qui  le  contractent ,  & 
Vnes  entr'eiles ,  &  vnes  en  l'efFedl 
que  leur  conjondtion  produit,  à 
fçauoir  leurs  en  fans.  Vnes,  dy-je, 
non  d'vnion  politique  feulement; 
ce  qui  confille  en  quelque  cônjcn^ 
<àion  d'affections  &  de  volontés ,  1 
tâufe  de  la  com.munion  de  ccitai- 


338       T>esT)roïts  des  Adariages 
nés  loix  ,  &  de  la  focieté  qu'on  a  en 
quelques  certains  auantages.  Mais 
dVn  ion  naturelle  aulïi ,  ce  qui  con- 
fifte  en  la  participation  de  mefme 
chair  &  de  tnefme  fang.    De  forte 
que  comme  fî  les  mains  auoyent 
quelque   intelligence   &  quelque 
fentiment  de  leur  eflre^  iin'yau- 
roit  pas  feulement  vnion  politique 
cntr'elleSjen  cequ  elles  fe  ioindroyét 
enfemble  pour  la  production  d'vn 
mefme  ouurage  par  vne  cômune 
operatiôjElleslèroyentencorevnes, 
co  me  el  les  font,  parce  qu'elles  parti- 
cipent a  mefme  fang ,  à  mefmes  ef~ 
prits,&àmefmevie.Auflirhômeô<: 
la  femme  ne  (ont  pas  feulement  vne 
mefme  chofe  en  ce  qu'ils  fe  conjoi- 
gnent  volontairement  pour  la  pro- 
du6tiô  de  mefmesenfans^maisaujffi 
en  ce  qu'ils  deuiennent  effcd;iuemét 
participans  de  la  chair  6c  du  fang 


Confideratïon  cinauiejme.  335) 
IVn  de  l'autre.  Encore  y  a  t'il  cette 
différence  entre  ces  deux  commu- 
nions, que  les  deux  mains  ne  font 
que  quelques  vnes  des  parties  du 
tout  qu'elles  compofent,  &  donc 
elles  dépendent  comme  telles  i  il  y 
en  a  encore  plufieurs  autres  qui  ne 
font  pas  ni  moins  nobles,  ni  moins 
'  necejl'aires.  Au  lieu  que  l'homme 
&  la  femme  font  tellement  vn  en- 
femble  ,  qu'il  n'entre  rien  qu*eu3c 
en  leur  communion,  &:  qu'ils  font 
les  feules  parties  de  ce  tout  lequel 
ils  compofent  De  cette  vnion  , 
pour  venir  au  fécond  pôin^b^naif- 
lent  les  affinités,  &  les  relations  qui 
en  dépendent:  naiffent,dy-je,  c'eft 
à  dire,  fe  prouignènt  naturelle- 
ment^ car  cette  propagation  eftaf- 
feurément  du  droit  de  nature. 
Pourceque  fi  la  confano-uinitcqUi 

Ieft  entre  lofeph  &Dina,  êilnatu-^ 


340  Des  Droits  des  A^arUges 
relie, en  ce  qu  ils  font  frère  &  fœur. 
produits  dVn  mefme  père,  ôc  créez 
dVn  mefmc  fang,  &:  fi  la  conjon- 
ction entre  Sicliem  ôc  Dina.eft  na- 
turelle encore  ,  en  ce  qu  ils  font 
mary&femmej  il  faut  neceffaire- 
mentque  la  liaifon  entreIofeph& 
Sichem ,  laquelle  fe  produit  de  ces 
deux  communions,  foit  naturtUt 
de  mefmes,  ou  bien  qull  ne  s*cn 
produife  du  tout  point.  Ornyâ 
t'il  point  d'apparence  de  dire  C€ 
dernier.  Car  comment  le  mary  & 
la  femme  pourroicnt-ils  eftre  £ 
étroittement  conjoints,  qu'ils  m 
deuiennent  quvn,  fans  fe  rendre 
îvn  l'autre  participans  des  relationj 
que  la  nature  leur  auoit  aupara^ 
uant  acquifes^Cettes  ils  engendren 
tellement  leurs  enfans  conjointe 
ment,  qu'encore  que  ni  Tvn  ni  l'au- 
tre ne  foit  la  feule  caufe  de  la  pro- 


la 


î 


Confierai  ion  cinqulejme.  341 
duâiion  de  leur  eftre ,  ôc  qu'ils  y 
ayencleur  part  égalemeni,  iî  eft- 
te  que  la  confanguiniié  de  la  niere 
d  vn  coiié  5  ôc  laconfanguinité  du 
père ,  de  l'autre,  te  prouigne  dans 
îa  perfonne  touxe  entière  de  leur 
çnfant.  De  forte  que  IL  on  y  pou- 
uoit  diltinguer  ce  qui  y  eft  .du  pè- 
re d'auec  ce  qui  y  eft  de  la  mère  ^ 
ôc  leconfijderer  diuisément,cequi 
y  eft  du  père  demcureroit  partici^ 
pant  de  la  confanguinité  de  la  me- 
1X3  &  ce  qui  y  eft  delà  mer^,  par^ 
ticipant  de  la  confanguinité  du  pè- 
re de  mefmjes.  Ainfî  les  frères  du  , 
perc  ôcdela  mère  font  oncles  à  la 
perfonne  toute  entière  de  Tenfaîit 
-ègalemeHt;  &  la  raifonde  cela  eft, 
que  ce  qui  y  eft  du  père  3c  de  Ll  me- 
-re  y  eft  tellement  eo^ijoint ,  qu'il 
4ie  compofe  quVne  m^fme^chofe. 
Puis  donc  que  dans  leur  enfant^ 

Y3 


342'  1)6$  Droits  des  Ai ariages 
ôc  entre  eux  niefmes  encore,  à  caufe 
de  leur  fi  étroite  communion  ,  le 
mary  &c  la  femme  ne  compofent 
qu  vne  mefme  chofe,  il  eft  du  droit 
de  la  nature  pareillement,  que  les 
confânguinités  du  mary  fe  comi 
muniquentàla  femme  par  affinité-, 
^quejesconfanguinités  de  la  fem- 
me fe  communiquent  au  mary  de 
mefme  forte.  Or  font  ces  côfangui» 
nités  là  ou  bien  en  ligne  direéte^, 
ou  bien  en  ligne  collatérale.-  Et 
derechef  celles  qui  fonten  ligne 
direde,  font  ou  afcendantes,  com^- 
me  fi  du  fils  vous  remontez  au  pe^ 
re  i  ou  defcendantes ,  comme  fi  di^^ 
père  vous  venez  au  fils  &  au  petit 
£k.;  Et  celles  qui  font  en  lignecol- 
-latérale, Xont,  ou  en  ligtjie  égale-, 
feommc  fi  -^us-compâïrez  le  frè- 
re auec  la  foewr ,  ou  en  ligne  inega* 
le,  comme  fi  vous  comparez  l'oncle 


C  or f aération  cinquïcime.        3  43 
auec  la  mccc,&  U  caïuc  auec  le 
neueu..  Tels  donc  que  font  dans  la 
coniangumité  ,  qui  le  procrée  par 
la  génération  ,  les  droits  de  toutes 
CCS  relations ,  tels  doiuentils  élire 
pareillement  dedans  l'affinité  en- 
core,  Ainfi  il  ne  doit  pas  eftre  per- 
mis au  beau  père  d'épouier  la  fille 
de  iafcmine  ,  pour  ce  qu'il  eft  de- 
uenu  fon  père  par  le  moyen  de  ralfi- 
nité ,  ôcque  leurs  relations  de  maiy 
ècàc  femme, de  père  &:de  fille,  ve- 
nansàfe  meiler  ckà  le  confondre, 
elles  s'entreruineroyent,  &détrui- 
royent  également  les  confequen- 
cesquien  dépendent.  De  mefmes 
il  ne  doit.pas  eftre  permis  à  l'oncle 
d'épouier  la  nièce,  ou  à  la  tante  fon 
neueu,  non  plus  qu'en  la  conlan- 
guinité  ^  pource  que  les  relations 
de  fuperiorité  &  d  egalizé  ne  (e  peu* 
uent  non  plus  méfier  fans  s  entrer. 

Y4 


.544      ^^^  Droits  des  tJ^ariagfs 
dtilruire;  ce  qui  eft  contre  la  difpo- 
fition  du  droit  de  la  nature.  Et  fi- 
nalement il  ne  doit  pas  élire  permis 
au  beau   frère  d'époufçr  la  belle 
fcEur/c'ellàdire,  lalœur  de  fa.  fem- 
me défunte  3  pourcc  qu'cltans  par 
l'affinité  deuenus  frère  ôc  fœur  IVn 
à  lautrêjUs  fe  doiuent  refpetliue- 
ment  confiderer  ,  comme  portans 
quelques  traits  &  quelques  rayons 
de  Tautorit^  paternelle  ,  laquelle 
ieùr  doit  eftre  en  vénération  inuio^ 
Libie  réciproquement.     Refte  le 
froifiefme  j^  oint,  qui  femble  auoir 
é^  là  difficulté  dauantage.  Car  luf-. 
ques  icy  nous  n  auons  confi.dcré  ces 
affinitcZjfinôn  comme  dire^es  de 
i  m  m  ediates  entre  beau-pere  &  bel- 
le fille,  beau  frerc  ôc  belle  fœur,c  eft 
à  dire  ,  qui  ont  elpoufélc  frère  oui 
iâfoeur  IVn  de  l'autre  ,  &:  oncle  ôc 
îiicce,  ou  tante  &:neueu,oàlcvrçr. 


Conflderation  cinaukfme,      345 
lations  font  telles  qu'il  cft  aifé  de 
reconnoiflre  qucleneftle  droit  na- 
turel. Mais  il  y  en  aencore  quelques 
autres  qu'on  peut  appeller  réflexes, 
pource  qu'elles  ne  font  pasdire6i:e- 
ment  entre  ceux  qui  font  conjoints 
par  mariage  èc  leurs  proçhesçon- 
fânguins,  mais  entre  ceux  qui  font 
plus  éloignés,  de  forte  que  la  rela- 
tion y  fait  vn  pli,&  de  direâ:e  ^ 
immédiate  quelle  eftoit,  deuienc 
réflexe  &  reculée.   Pour  exemple, 
Piei-read  vn  premier  lit  engendre 
îianne,  &  Marie  a  d'vn  autre  pre- 
mier litengendrélacob. La  femme 
de  Pierre  &  le  Pier  ^«^— .    Mx 
mary  de  Marie     re   f^\\    }  ne 
cftans    morts,  x;;^^*^^ 

il  viennent  à  fe  I         \ 

marier  enfem.        leannc  lacob. 

ble  en  fccon- 

desnopces.  Ainfi-fccontradeaffi- 


34^      '^^s  Droits  des  glanages. 

nité,  non  pas  fc  ulem  ent  entre  Pier^ 

re &  lacob,  comme  de  beau  pcre  ^ 

beau  fils ^&  entre  Marie  &Ieanne, 

comme  de  belle  meie  à  belle  fille, 

mais  aufll  entre  leanne  6c  lacob, 

comme  d  vne  certaine  forte  de 

beau  frère  entr'eux.  .  Derechef, 

Jacques  &Re-   lacques Renée 

née  font  frère         1  1 

&  fœur.  lac-  .;      •        r>        t  / 

r      r    Henriette  Barnabe 

ques    eipoule  ..jr/Uiir 

Henriette  ,  &  Renée  époufe  Barfia- 
bé.  Ainfife  contracte  affinité,  non 
pas  feulement  entre  Henriette  & 
Renée  ,  comme  entre  deux  belle- 
fœurs.,  mais  auffi  entre  Henriette 
&Barnabé,  comme  entre  vne  cer- 
taine forte  de  beau  frère  dr.de  belljb- 
fœur  encore.  Car  qu'il  ny  ait  du 
tout  point  d  affinité  dans  le  premkr 
exemple  entre  leanne  àc  Iacob,c  eft 
chofe  à  laquelle  le  commun  fenti- 


ConJtJeration  cinquicfme.  ^^y 
ment  des  hommes  eft  contraire.  £c 
la  raifon  véritablement  y  elt  con- 
traire pareillement.  Car  puis  que 
Marie  eft  mère  de  Iacobj6<:  que  lea- 
ne  eft  fille  de  Pierre ,  il  iemble  qu'il 
conuient  à  la  nature  &  à  la  raifon, 
que  puis  que  Pierre  ôi  Marie, font 
mary  6c  femme ,  ôc  par  le  mariage, 
'^  cJeuenus  vn  ,  que  leanne  &c  lacob 
foyent  en  quelque  façon  fœur  & 
frère.  Et  qu'il  n'y  en  ait  du  tout 
point  entre  Henriette  &  Barnabe 
dansle  fécond  exemple  ,  c'eft  cho- 
fe  à  laquelle  ne  confcntiranon  plus 
le  commun  fentiment  des  hom- 
mes. Car  dans  le  lancraee  ordinaire 
du  monde  y  Henriette  &  Barnabe 
s'appellent  fœur  de  frère  ,  6c  fem- 
bleque  la  nature  &  la  raifon  veu^- 
4ent  aufli  qu'ils  le  faflent.Car  fi  lac- 
qucs  eft  fait  vne  mefme  chofe  auet 
Henriette,^  qijie  Barnabe  &Rc- 


34^  T^cs  Droits  des  tJMarUges 
née  foyent  faits  vne  mefme  choie 
entr'eux,  il  Temble  quelacques  & 
Renée  eftans  frère  &  fœur ,  Hen^ 
rictte  &  Barnabe  doiucnt  eltre  au- 
cunement frer.e  ôi fee^ur.  as  mtixnc. 
Et  lur  ces  deux  exemples  on  en 
peut  former  quantité  d  autres.  On 
peut  donc icy  demander  fi  comme 
il  n'eft  pas  permis  par  le  droit;  de  la 
nature  j  qiiQ  ceux  qui  font  en  pareil 
degré  d'affinité  que  font  lacques  èc 
Barnabe ,  fe  puiiTent  marier  cnfen^ 
ble,  il  n'eft  pas  permis  .non  plus  qùç 
Barnabe  ôc,  Henriecte  fe  consi- 
gnent par  mariage.  Et  derechef,  fi 
comme  il  n'eft  pas  permis  que 
ceux  qui  font  en  paresil  degré  d'aJH- 
nité  que  font  lacob  &  Pierre  ,  co|i- 
tra6tent  mariaecentr'eux  Ja  mef- 
me  nature  défend  la  conjondtion 
entre  lacob  6c  lanne.  Pour  rçfouv- 
dre  cette   queftion  ,  il  fauc  tirer 


Confiderati&n  cimHiefmç,       349 
quelque  lumière  dé  ce  que  nous 
auons  dit  cy  deflus  touchant  les 
confanguinitez  &  les  propagations 
des  rayons  de  rautorité  paternelle. 
Car  comme  nous  auons  obferué 
que  celle  qui  fe  fait  immediate- 
mcntdu  père  au  fils,  &  à  l'autre  fils 
encore,  c'eft  à  dire  ,  aux  deux  fre- . 
ïes  5  quand  il  eft  queftion  de  les 
comparer  entr'eux  ,  eft  de  toute 
autre  confideration  que  celle  qui  fe 
fait  du  grand  pcre  aux  petits  fils, 
ceft  à  dire  aux  coufins  germains, 
quand  il  les  faut  comparer  enfem- 
ble,  pourcequelà  elle  eft  immé- 
diate ou  prochaine  ,  icy  elle  eft     • 
médiate  ou  reculée  ^  Ainfi  faut  il 
faire  grande  diftinâ:ion  entre  l'af- 
finité qui  eft  entre  Pierre^  lacob^ 
lacques  &  Baruabé ,  darxs  les  dia- 
grammes de  cy  de  (Tus ,  (Se  celle  qui 
eft  entre  lanne  &  lacob ,  ài  Hcn- 


35©  Des  Droits  des  Alariages 
riette  &  Barnabe  encore.  Pource 
quelVne  eft  prochaine  ,  immédia- 
te &  (iireâ:e  ^  ôc  Tautre  éloignée, 
médiate  &c  réflexe  ou  indired:e. 
Car  Pierre  eftant  fait  va  auec  Ma- 
rie, va  immédiatement  à  lacobj  au 
lieu  que  leâne  ôc  lacob  ne  viennent 
l'vn  à  l'autre  finon  mediatemêt  par 
Pierre  &  par  Marie  ,  pource  qu'ils 
font  vn  enfemble.  Et  lacques  ^Bar- 
nabe vont  encore  immédiatement 
l'vn  a  l'autre,  pource  que  Barnabe 
&  Rence  ne  font  qu Vnj&  que  là 
ligne  de  Renée  à  lacques  eft  immé- 
diate. Au  lieu  que  l'affinité  ne  va  de 
Henriette  à  Barnabe  ,  finon  par 
l'entremifedela  ligne  qui  eft  entre 
Renée  &  lacques.  Sidoncdansles 
confanguinitésla  nature  a  mis  tel- 
le diftinLtiô  entre  ces  cliofes,  qu'el- 
le a  voulu  que  le  droit  qui  rend  la 
tonjondion  illégitime  ^  ne  s'cften- 


C onfdcration  cincjHiepne.  jji 
diflpas  au  delà  de  ce  qui  eft  pro- 
chain &  immédiat  j dans  les  affini- 
tés elle  fuiura  la  mefme  raifon,  & 
fe  terminera  pour  ce  qui  eft  de  ce 
droit,  dans  l'affinité  dire6i:e&  im- 
médiate. Et  véritablement  pour  ce 
qui  eft  du  premier  exemple,  il  y  a 
icy  vne  cho(è  fort  confiderable. 
C'eft  que  quand  lanne  &  lacob 
font  nés ,  Pierre  &  Marie  n  eftoyent 
point  encore  conjoints  enfemble; 
de  forte  qu  il  n'y  auoit  entre  lacob 
6c  lanne  aucune  forte  d'affinité. 
Quand  Pierre 6c  Marie  font  venus 
àfe  conioindre  ,  leur  vnion  à  bien 
peu  acquérir  vne  très  eftroitte  affi- 
nité entr'eux  &  les  enfans  l'vn  de 
l'autre  refpeâ:iuement  :  pource 
qu'en  vertu  de  leur  vnion  ils  font 
tenus  corne  vne  mefme  cliofe  feule- 
ment. Carl'aâiedeleurconjonârio 
avnea6tiuitéprefcnte,parlc  moyé 


5^2.  Des  Droits  des  çJMariàges 
de  laquelle  1  affinité  s'eftend  de 
Pierre  fur  l'enfant  de  Marie  &  de 
Marie  fur  l'enfant  de  Pierre  /&  en- 
gendre ces  relatios  qui  empcfchent 
la  conjonction.  Mais  quant  à  ce  qui 
eft  de  leurs  enfansentr*euX5fi  iV- 
^  niôn  de  Pierre  &:  de  Marie  a  quel- 
que vertu  pour  les  allier  ^  il  faut 
qu'elle  foit  en  quelque  façon  rêtro- 
àctiue  fur  la  génération  précéden- 
te par  laquelle  ils  les  ont  produits, 
poùrce  qu  il  n'y  peut  rien  auoir 
dans  leurs  enfans  que  ce  qu'ils  y  ont 
prouigné  par  elle  ,  &c  quand  Us  les 
ont  engendrés  ils  n'y  ont  rien  pro- 
uignéde  tel.  Car  ce  que  Pierre  dé- 
nient beau  père  à  lacob,  c'cft  pour- 
ce  qu'il  entte  en  k  communion  de 
Marie,  entre  laquelle  &  fôn  fils  il 
yadef  ja  vné  relation  acSluellement 
exiftenre,  &quine  commence pâS 
d'eilte  à  l'heure  de  ce  fécond  m^ria- 
..  ,    *      ge.  Mais 


Cohfî^O'atîàn  cînqHÎçfmi,       ^^y 
gc.  Mais  ۍ  que  lannciSc  lacob  de- 
uiennenc  bcau-frerc&  bellç-feur 
cntf  eux  ,  ce   ncft  finon   parce 
qu'en  leur  égard  la  conjondiorî  de 
Pierre  &  de  Marie  a  vjie  vcrcu  rer-i 
tra-admc  deflus  leui;  precçdençe 
generacipii  ,  pour  donner  à  kurs 
cnfans  des  relatios  qu'ils  n*auoyen(l 
point  lorsqu'ils  les  ont  engendrés,) 
Or  y  a  t'il  grande  diffetence  entré 
les  vertus  rétro -adiues  ,  &  les  G|^G^-!i[ , 
fcsqui  fe  rencontrent icy.  Çarceçtçl 
communion  qui  eft  entre Pierrçôi, 
Marie,  pQurçe quelle  eft  namrÊUei^ 
peut  bien  produire  dc^rejationis  na^^ 
turellcS:  ,  &:  qui  çftabUflent  ,:dc5 
droits  naturels  entre  Pierrç  &  la* 
cob.  Mais  lés  vertus  ret;ro-ad^iuçç 
femblent  auoir  vn^ffç'^^  G>^iJ.^ 
politique  feulement.  Gânl  eft  çOn*^ 
çrç l'orf drç deU nature^ que  les  c^uf* 
fes  naiurpUes  agiflent  ou  deuajii 


3^4"  Des  Droiâs  dcsMutrîagés 
q^è  »^'éxiftcr  aduellcmeiit  /  ou 
furies  temps  qui  ont  précédé  leur 
cxiftexicè.  Mais  quant  aux  caufcs 
ciuiles  &:  morales  ,  elles  peuuent 
bîèh  agir'dè  la  façon.  Pour  ce  qui 
eft^u  lecoUkd  exemple ,  il  y  a  enco-^ 
rtytic  autre  efaofc  qui  femble  n'e^" 
ftl;^pàs  de  moindre  confideration. 
G*e«  que  félon  la  difpofition  du 
dpoit  5  les  relations  directes  &  les  re- 
ftéîéè^  ont  en  truelles  vne  rncrueiU 
lêufëment  grande  différence»  •  Car 
éfitîc  deux  àflocics  il  y  a  'efrroitte» 
eôrtimuniôrt  pour  les  chôfes  dé 
leur  foc  leté;  Mais  entre  itï^oy  ôc  laf-; 
fbcié  de  moh  affôdié'i  il  ii  y  en  a  paiS? 
dé  mcfmcé.Leg:^^.  ff.de  re^listurih 
Ehtr«  moy  &  mèn  affrknclïî  il  y  s^ 
vïii^res-étroirte  rélation:entre  moy 
Â^^taffrahchi^^  dé  mon  affranchi, 
il' n^ri  eft'p^'  de  mefeés  nôffplus/ 
Dëforte  que  fî  par  tèftàment  i'ay 


Conjidemtion  ctnqukfme.  ^^jj» 
donné  Quelque  chofc  à  celuy  «jut 
iaymi^en liberté, il  ne  s'enfuit pAs 
de  là  que  ic  laye  donné  de  mefmes 

I  a  celuy  que  mon  affranchi  y  atitâ 
mis  j  Leg.  lo/.ff.  de  nj^rb.fgnif.  Ce 

!  qui  monftre  que  les  fages  qui  ont 
cftabli  ce  droit  y  ont  mis  différence 
entre  les  relations  dire6l:es&  les  ré- 
flexes, &  n'ont  pas  eftiméqu'vne 
relation  ea  produife  d'autres  necet 
fairement  ^  ou  fi  elle  en  produit, 
qu  elles  foycnt  de  mefme  vigueur 
&  de  mefme  efficace  auec  elle.  Or 
icy  il  y  a  quelque  cnofe  de  fem- 
blable.  Car  par  le  mariage  de  lac- 
ques  &  de  Henriette  ^  Renée  àt 
Henriette  deuicnnent  bien  eftroitr 
tement  alliées  à  la  vérité.  Mai^^uc 
cette  relation  en  produifevn^  au- 
tre entre  Henriette  &  Barnabe ,  qui 
foit  dVne  égale  vertu  y  c'efl  ehofe 
quih*eftpasde  ïi,  difpofitionde  la. 


^^6      Des  Droits  des  Mariages 
nature.   Et  de  celaic  nedirayrieri 
davantage;  parce ,  que  de  ces  exem- 
ples on  peut  tirer  efclarciffement 
;pour  tous  les  autres. 


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CONSIDERATION 

s  I  XI  E  s  M  E. 

S'ilji  a  quelques  degrés  de  conjàngui-^ 
ntté  ^  d^ affinité  dont  on  putffe  dif- 
■  ^.  penjcr^  (^  a  qui  U  dijfenjmon  en 
^    appartient, 

E  V  X  qui  difent  que  les  de-»- 
^rés  de  confanguinité  & 
d'affinité  font  du  droit  de 
nature^^:  qui  adiouftenc  que  neant- 
moins  ileitenla  puiflince  deDiea 
dendifpenfcr,  poarce  qu'il  eft  au- 
teur de  la  nature,  &  que  tout  Ma- 
giftrac  fouuerain  a  le  pouuoir  de 
difpenfer  de  robferuation  de  fes 


3jS        Des  Droits  des  Mariages 
proprcsloix  ,  s'engagent  dans  vne 
difficulté  beaucoup    plus  grande 
que  de  prim'abord  il  ne  lemble. 
Car  quant  à  cette  maxime  fî  çom- 
mune^que  toutLegiflateur  a  le  pou- 
uoirde  difpenfcrde  robferuation 
de  fes  propres  loix ,  elle  ne  peut 
eftre  véritable  ,  finon  qu  elle  foit 
bien  entendue.  Les  Princes  fouue- 
rains  font  de  deux  fortes  de  loix. 
Dans  leftabliflement  des  vnes  ils 
ne  font  rien  qu'expliquer  ce  qui  eft 
du  droit  de  Dieu  ôc  dç  la  nature,  le 
confirmer  de  leur  autorité,  &  dé- 
noncer alencontfe  de  la  transgref. 
fion  la  pêne  politique  qui  yéchet, 
comme  ils  le  iugent  expédient  pouf 
la  conferuation  de  l'eftat  ôc  deJa  re- 
publique. Dans  leftabliflement  des 
autres  ils  difpofent  feulement  des 
cbofes  qui   font  indifférentes  de 
kurnaturç,&en  ordonnent  com- 


Conjtdenîtion  fxi  efme.  ^59 

meilsiugencàpropospour  le  bieîi 
delafociecé.  Or  quant  à  celles  cy  ,  il 
n'y  a  nulle  douce  qu'ils  n'en  puif- 
fcnc  abfolumcnt  difpenrer  quand 
bon  kurfemble.  Car  puis  que  la 
chofecft  indifférente  de  fà nature, 
la  faire  ou  s'en,  abftenir  ne  peut 
eftre  ni  bon  ni  mauuais,  fînon  en- 
tant qu  ilell  commandé  ou  défen- 
du par  la  loy  du  Prince.  Vient  il  à 
abroger  l'autorité  de  fa  loy  ^  La 
cliofe  retourne  à  fa  première  natu- 
re ,  &  le  fujet  renient  en  fa  liberté 
d'en  vfer,  ou  de  n'en  vferpas,  à  ffi 
volonté.  Qoant  aux  autres  ,  il  y  a 
de  deux  fortes  de  difpenfe  de  Tauto- 
ritédes  loix.  L Vne  eft  prefuppofec 
donner  la  faculté  &  le  droit  de  fai- 
re quelque  cliofe ,  de  forte  qu  abfo- 
lument  en  la  faifant  on  ne  pèche 
point.  L'autre  ne  donne  pas  la  fa- 
culté ni  le  droit  de  faire  l'adion 

Z4 


5^o .       ^es  Droits  des  JUarîages 
dont  il  s*agic  ,  &  n*empefche  pas 
qu*elle  ne  (oit  mauuaife  en  elle  met 
meifeulementeiledeclare  que  pour 
quelques  bonnes  raifôns^  s  il  arriuc 
àquelquVn  de  la  faire  ^  il  ne  fera 
pas    puni  par  le  Magiftrat.    Or 
qUanc  à  cette  féconde  lorte  de  dif- 
petife  ,nous  voyons  bien que  Dieu 
en  a  vféquelquestois  dans  les  cho- 
çes  qui  font  du  droiç  de  nature^ 
comme  quand  il  a  permis  les  diuor- 
ces  parmi  le  peuple  dlfraél.  Car  la 
loy  qu'il  a  donnée  pour  cela,  eftoit 
vneloy  politique, qui  ne  tegardoit 
paslachofeau  fonds,  pour  la  ren- 
dre bonne  &  licite  par  Ion  autorité^ 
mais  qui  regardoit  feulement  la  pé+ 
ne  politique  ,  laquelle  Dieu  rclaf- 
choitpour  de  bonnes  raifpns,  le- 
ftat  de  la  Republique  ne  permet- 
tant pas,  que  Dieu  punift  alors  en 
qualité  de  Magiftrat  le  diiiorcc  de 


Conjideration  fxîe[me.  *  ^Ci 
la  femme  &  du  mary ,  qui  autre- 
ment félon  le  droit  de  la  nature  de- 
uoit  élire  puni ,  à  peu  près  comme 
ladultere  Mais  pour  ce  qui  eft  de 
la  première  ^  non  feulement  il  fem- 
ble  eftre  clair  que  les  hommes  ne 
peuuent  difpenler  desloixdc  Dieu, 
mais  mefmes  il  y  a  tresgrande  dif- 
ficulté à  comprendre  comment 
Dieu  pourroit  vferde  cette  difpen- 
fation  en  ce  qui  regarde  les  droits 
de  lanaturé.  Carnousauonsveucy 
dcflus  qu'ils  s'appellent  droits  de  la» 
nature  ,  pource  que  c'eft  la  nature 
deschofcs  mefmes,  &  non  l'auto- 
i^ké  du  Legiflateur  qui  les  determi- 
ne,en  cc^ue  nousappellonsla  Mo- 
rale. Or  eft  il  bien  vray  que  c'eft 
Dieu  qui  eft  l'auteur  de  toutes  les 
chofes  qui  exiftentau  monde  ,  & 
que  s'il  le  veut ,  il  leur  peut  ofter 
Texiftencc  qu'il  leur  a  dojnnéc.  De 


$6i  Des  Droits:  des  Mariages 
force  qu'il  ne  detneurerok  s'il  luy 
plaifoit  aucune  fubftanceen  TV- 
niucrs,  ni  par  confequenc  aucun 
accident  réellement  cxiftant  en 
aucune  fubftance.  Mais  quant  à 
l'effence  mefme  des  chofes,  com- 
me on  parle  ,  c'eftà  dire,  quant  à 
la  nature  qUi  s'exprime  par  la  défi- 
nition ,  &  quant  aux  rapports  & 
auxconuenances  ,  aux  diftcrences 
&  aux  diffemblances ,  qu'ellespeu- 
uent  auoir  les  vnes  auec  les  autres, 
c  eft  vne  chofe  tres-difficile  &  tout 
à  fait  impoffible  à  comprendre, 
comment  cela  dépend  de  la  li- 
bre volonté  de  Dieu.  Car  autre  eu 
la  dépendance  félon  laquelle  toutes 
cliofes  fe  rapportent  à  la  Diuinitc^ 
çntant  que  nous  laconfiderons  en 
foneffencc,  Vautre  celle  félon  la- 
quelle elles  fe  rapportent  à  Calibre 
volonté.  En  ce  premier  égards  tout 


Confideratîon  ftxicfme.  3^3 

eftre ,  quel  qu'il  (bit ,  découle  necet 
fairemenc  du  fouucrain  ,  ôc  eft 
comme  vnerefplcndeurdelon  ef- 
fcnce.  En  ce  fécond ,  il  elt ,  comme 
i'ay  ditjimpoiïiblede  comprendre 
que  la  libre  volonté  Diuinefoit  la 
caufe  de  tout  ce  qui  eft.  Prenons 
quelques  exéples  hors  de  la  Mora- 
le. Il  dépend  abfolument  de  la  libre 
volonté  de  Dieu  ,  de  permettre 
qu'il  fub lifte  aucune  fubftance 
triangulaire  en  TVniuers.  Mais 
quant  a  la  définition  du  triangle, 
que  c'eft  vne  figure  laquelle  a  trois 
angles  égaux  à  deux  droits  ,  fi  vous 
diliés  à  vn  Géomètre  qu'il  dépend 
de  la  volonté  de  Dieu  ,  de  faire  fi 
bon  luy  femblc  par  l'autorité  de 
quelques  loix ,  qu  il  y  ait  des  trian- 
gles qui  n'ayent  pas  trois  angles,  ou 
que  ces  trois  angles  ne  foyent  pas 
égaux  a  deux  droits,  il' troutieroic 


5^4  J^^^  Droits  des  Mariais 
que  ce  fèroit  vne  propofîcion  ex- 
trauagante.  C'ejft  chofe  certaine 
encore  que  fi  Dieu  vouloir  il  n  exil- 
teroit  a6tuellement  aucune  caufe 
efficiente ,  ni  aucun  efFedt  dansl'en- 
ceinte  de  ce  qu'on  appelle  la  Phyfi- 
que  communément.  Et  néant- 
moins  pour  ce  que  c'eft  vnechofc 
abfolument  déterminée  par  la  na- 
ture, que  dans  la  Phyfique  lacaufe 
efficiente  précède  Teffedt,  ou  en  or- 
dre de  temps,  ou  au  moins  en  or- 
dre de  nature,  fi  vous  diiiésà  vn 
Philofophe  que  Dieu  peut  faire  que 
l'efFeâ:  (oit antécédent  à  fàcaufc  ef- 
ficiente, iltiendroitcela  pour  vne 
propoficion  erronée  ,  &  indigne 
dVn  homme  de  bon  fens.  Oreltil 
qu'il  femble  que  le  droit  naturel 
n'eft  pas  moins  déterminé  dans  les 
chofcsMorales.quedanslaGeomc- 
trieôc^  dans  la  Phyfique,^  qu'il  n'eft 


Confderationpxtefme.  5^5 
pas  plus  certain  dans  laGcometric 
cju'vn  triangle  a  trois  angles  égaux 
à  deux  droits  ,  ni  plus  inuiolable 
dans  la  Pliyfique  <ju  vne  eaufc  eft 
antécédente  à  fon  cfFcâ: ,  qu'il  eft 
certain  &  indifpcnfablc  dans  la 
Morale  &  dans  la  Religion  ,  qu'il 
faut  que  la  créature  intelligente  ho- 
nore fon  Créateur  ,  &  quelle  s'a- 
donne à  la  vertu.  Certainement  fi 
leschofçs  eftoyent  bonnes  ou  mau- 
uaifes  feulement  pource  que  Dieu 
les  a  commandées ,  fa  dcfenfe  &  fon 
commandement  leué  ,  la  nature 
des  chofcs  fcroit  leuee  de  mefmes> 
&  de  bonnes  &  mauuaifes  qu'elles 
eftoyent  par  le  commandement  & 
par  la  dcfenfe  ^  elles  deuiendront 
indifférentes  comme  elles  eftoyent 
jiaturçUçment.  Et  qui  plus  eft.  Dieu 
aura  le  pouuoir  d  en  faire  des  con- 
(Utu.tiQA^  contraires  aux  preceden- 


5^(>  i^es  Droits  dcsAîarîagei 
tes  ,  de  forte  que  haïr  Dieu  de  tout 
fon  cœur,  ôc haïr fon  prochain au^ 
tant  quon  s'aime  foymefmej  dc- 
uiendront  chofês  bonnes  ôc  fain- 
éles  en  vertu  du  commandement. 
Ily  a  donc  beaucoup  plus  de  rai^ 
fon  de  dire  que  Dieu  les  a  com- 
mandées, pource  qu'elles  font  bon- 
nes en  elles  mcfmes,  ou  défendues 
pource  que  d'elles  mefines  elles  font 
mauuaifès.  Gomme  il  y  a  beaucoup 
plus  de  raifbn  de  dire  que  Dieu  a 
voulu  que  la  terre  tint  le  milieu  du 
monde.,  pource  c'eft  relemént  le 
plus  pefant,  que  non  pas  qu'elle  eft 
deucnuë  T  élément  le  plus  pefantj 
pource  qu'il  a  pieu  à  Dieu  qu'elle 
tint  le  milieu  du  monde.  Cepen- 
dant il  y  a  certaines  chofes  que  nous 
auonscy  dcfTus  {uppofecs&  demô- 
ftrees  eftre  du  droit  de  nature,  dont 
Dieufemble  auoàr  xnanifeftamënt 


Confderationfxtefme,  j6y 
difpcnfé.  Comme  dans  les  confan- 
guinitez  y  il  a  difpcnfé  de  la  prohi- 
bition du  mariage  dufrçrc  aucc  la 
fœur ,  danslcscommenccmensdu 
monde  -,  car  il  a  falu  neceflairemenc 
que  cela  fe  foit  pratiqué  entre  les 
cnfans  d'Adam.  Et  y  en  a  certaines 
autres  dont  il  ne  s'cft  pas  contenté 
de  difpenfcr,  il  les  a  commandées 
ce  femble  contre  le  droit  naturel, 
comme  dans  les  affinitez  ,  le  ma- 
riagie  du  frère  puifné  auec  la  femme 
de  (on  frère  aifiié  decedé,  que  nous 
àuons  dit  cy  deffus  eftre  auiïî  des 
chofes  que  la  nature  a  défendues, 
reftîme  donc  que  pour  ce  qui  eft 
delà  première  de  ces  difficultés,  il 
feut  diftingue^  entre  les  diucrfes 
fortes  de  droit  de  nature.  Car  il 
yavn  droit  de  nature  qu'on  peut 
àppellei:  intrinfequc  aux:  xhofcs 
mefmes,  &  s'il  faut  que  le  i^petc 


3^3  T)€S  Droits  des  Adaria^s 
encore  ce  terme,  abfolu  :  Et  il  y  en  ai 
vn autre  qu  on  peut  appeller  exté- 
rieure relatif.  Lç  droit  intrinfequè 
&  abfolu  eft  celuy  qui  refulte  du 
rapport  que  les  chofes  ont  naturel- 
lement entr'elles  ^Si  vous  venez 
à  lesçonfiderer  prçci{ement,§d  non 
entant  qu  elles  dépendent  de  telle 
ou  de  telle  autre  chofe  ,  dont  elles 
portent  l'image  &  le  caradere.  Et 
tel  eft  le  droit  de  nature  qui  eft  du, 
percàTenfant  ,&  del'enfantau  pè- 
re. Car  en  les  rapportant  ainfi  l'vn  x 
l'autre ,  vous  n'aués  égard  à  aucune 
autrechofe  qui  foit  au  dehors  d*euxj 
&  vous  terminés  abfolument  1*^ 
comparaifon  que  vous  en  faites^ 
dans  l'enceinte  de  cette  confidera- 
tion ,  que  l'vn  eft  père  ,&  l'autre  eft 
fils.  Le  droit  extérieur  &  relatif  eft 
celuy  qui  refulte  du  rapport  qUçles 
çhoîe^  Qnt  entrellçs ,  iî  vous  y ene§ 

a  les 


C  û  njîderation  fîxiejme.        ^ép 
aies  confiderer  entant  qu'elles  dé- 
pendent de  quelque  autre  chofe 
quieft  au  dehors ,  dont  elles  por- 
tent l'image  &  la  reffemblanee.  Ec 
teleft  le  droit  qui  eft  entre  les  frè- 
res 5  confiderez  entant  qu'ils  por- 
tent l'image  de  l'autorité  paternel- 
le j  chacun  en  fon  endroit.  Car  en 
les  rapportant  ainfi  iVn  à  l'autre, 
vous  auez  principalement  égard  au 
principe  dont  ils  font  defcendus,  ôc 
ne  termmcz  la  comparaifon  que 
vous  en  faites,  finon  dans  l'enceinte 
qui  comprend  le  père  qui  les  a  en- 
gendrez. De  forte  que  le  droit  qui 
eft  établi entr'eux,  ne  vient  pas  in- 
trinfcquement  de  leurs  perfonnes^ 
il  naift  du  commun  principe  du- 
quel ils  font  ifl'us.    L'vn  donc  a  fa 
racine  dans  les  perfonnes  mefmes 
pour  lefquelles  la  nature  l'établi  t^  5c 
ne  fc  répand  que  fur  elles  j  L'au- 

Aa 


370        ThsTyroîts  des  Mariages 
tre  a  fâ  racine  hors  des  perfonnes 
pour  Icfquelles  il  eft  eftabli,  &  ne 
les  regarde  ni  ne  les  oblige  finon 
entant    quelles   dépendent  d Vn 
commun  eftoc 3  &  qu'elles  en  tirent 
leur  eftre.    Or  que  cette  première 
forte  de  droit  foit  abfolument  in- 
difpenfable  j  &  la  féconde  ^  non, 
i*cftime  qu'on  le  peut  prouuer^pre- 
mierement  par  les  chofes  de  la  reli- 
gion, puis  après  par  celles  de  la  po- 
lice Ceftvn  droit  abfolument  éta- 
bli entre  Dieu  &  la  créature,  qu'il 
faut  quelle  l'honore,  &  que  quâtà 
luy  il  foit  honoré.  Et  comme  il  n'eft 
iamais  arriué,  aufli  ne  peut  il  iamais 
arriuer  que  Dieu  di(pen(è  la  créa- 
ture de  l'honneur  qu'elle  luy  doit 
de  cette  facjon  là.  C  eftoit  vn  droit 
relatif  eftabli  de  par  Dieu  par- 
mi le  peuple  d'ifraël  ,' qu'on  euft 
l'Arche  de  l'alliance  en  grande  ve- 


Confderat'ponfxîcjme,        371 
heration,  non  à  caufe  de r  Arche  en 
elle  mefmc ,  mais  relatiuement  à 
Dieu  ,  lequel  elle  reprefentoic,  & 
de  la  prefence  extra-ordinaire  du- 
quel elle  eftoit  vn  tefmoignage.Or 
n'y  a  t'il  aucun  qui  puifTe  douter 
que  Dieu  ,  s'il  eull  voulu  ,  n'euft 
bien  peu  difpenfer  quelqu Vn  par- 
mi le  peuple  d'Ifrael  ,  d'honorer 
l'Arche  en  cette  qualité  ,  &  de  luy 
rendre  les  refpcâsaufquelsles  au- 
tres Ifraëlites  eftoyént  obligez  en 
cet  égard.  Pourquoycèla?  Pource 
que  cette  difpenfe  n*abolit  pas  véri- 
tablement le  droit  naturel  ^  quieft, 
que  la  nature  honore  Dieu  5  feule- 
ment fait- elle  qu'à  l'égard  de  celuy 
à  qui  la  difpenfe  eft  faite, l'Arche 
n  eft  plus  vne  image  de  la  prefence 
de  Dieu ,  &  ne  refplendift  point  des 
rayons  &  des  cara6teresde  fa  gloi- 
re» Dans  la  police  onvoidle  lera- 

Aa  i 


372.      T>€S  Droits  des  Mariages 
blable.  C'eft  vn  droit  abfolu  établi 
entre  le  Roy  &  Tes  fujets^  que  le  Roy 
commande  &  gouuerne  ,  &  c  efk 
vn  objet  dVn  honneur  ciuil ,  le  plus 
grand   que  les   hommes  puiflent  t 
rendre  àaucune  perfonne d'icy  bas.  l 
Or  de  ce  droit  là  lesRoisnedifpen- 
fent  iamais  ^  &  il"  répugne  dire  dé- 
nient a  la  qualité  de  Roy  qu'ils  en 
difpenfènt.  Mais  c'eft  vndroid  re- 
latif cftabli  entre  tel  officier  duRoy 
&:  fes  autres  fujets,  que  ceux  cy  ho* 
notent  celluy-là,  &  qu'ils  reuerent 
en  luy  l'autorité  du  Roy  &  fbn  ca- 

,  radcre.  Or  n'y  a  t'il  perfonne  non 
plus  qui  puiffe  douter  qu'il  ne  foit 
tn  la  puijGfancedu  Prince,  dedif- 
penier  quelqu'vn  de  reconnoiftre 
aiuf  fou  caractère  en  tel  ou  en  tel 
officier  ,  quoy  que  les  autres  qui 

-  font  en  pareille  condition ,  le  luy 
doiuent  rendre.  Pourquoy  cela  en- 


Confldemùon  fxiefme,  373 

core  ?  Pource  que  cecce  difpenfa- 
tion  n'abolit  pas  le  droïc  abiolu  du 
Piince  fur  fou  fujet  ,   fcjlement 
faic-elie  qaa  l'égard  de  celuy  àqui 
ladifpenle  ell  donnée  ,  cetoiHcier 
ne  porte  pas  le  caractère  du  Prin- 
ce. Or  fi  cela  clt  dans  la  religion  & 
dans  la  police  ,  il  peut  bien  eftre 
dans  la  nature  pareillement.  Ceft 
que  Dieu  n'aie  iamais  difpenfé  au  - 
cun  àc  ne  puille  iamais  difpenfer 
qui  que  celbit  d'honorer  fon  père 
bc  fa  mère  :  mais  bien  de  refpeder 
en  fon  frère  ou  en  fa  fœur  l'autorité 
paternelle iufqu'à ce  point,  que  de 
s'abilenir  de  la  conjondion  matri- 
moniale a  caufe  d'elle.  Cequin'eft 
pas  abolir   Tautorité  paternelle  a 
l'endroit  de  fon  enfant  \  mais  feule- 
ment empefcher  qu'elle  ne  reluife 
pour  luY  de  telle  ou  de  telle  façon, 
dans  fa  fœur  ou  dans  fon  frère. 

Aa3 


374       Des  Droits  des  Mariages 

Il  eft  vray  qu'il  fe  prefenteky 
vne  difficulté.  Ceft  qu'en  l'exemple 
que  i'ay  cy  deiTus  propofé  pour  la 
religion,  le  chois  de  l'Arche,  pour 
y  faire  reluire  les  rayons  de  la  pre- 
fence  de  Dieu,  a  efté  de  fa  pure  vo- 
lonté. De  forte  que  luy  eftant  abfo- 
lumenc  hbre  de  choifir  ou  de  ne 
choifir  pas  cette  Arche ,  pour  eftre 
1  objetde  cet  honneur  relatif  qu'on 
luy  rendoit  en  elle ,  il  luy  a  efté  hbre 
pareillement  de  terminer  la  corn- 
inunication  de  ces  rayons  de  fa  pre- 
lence  &  de  fa  gloire ,  à  tel  degré  que 
bon  luy  fembloit,&  delcs  rendre 
obligatoires  ou  non  pour  la  défère- 
ce  de  l'honneur  à  l'égard  de  telles 
ou  de  telles  perfonnes,  ainfi  que  bo 
luy  a  femblé.  Dans  l'exemple  que 
i'ay  propofé  de  la  police  ,  il  en  eft 
tout  de  mcfmc.  Car  le  chois  de  telle 
perfonne  pour  en  faire  vn  officier. 


Conftdcranon  fixicfm  e.  57  j 

cicpendanc  de  la  libre  volonté  du 
Roy, lia  ce  femble  dépendu  de  fa 
libre  volonté  pareillement ,  de  la 
rendre  refpedable  ou  non  à  telles 
ou  à  telles  perfonnes.En  la  quetlion 
dont  il  s'agit, lien  va  autrement. 
Ce  que  le  hls  porte  l'image  de  l'au- 
torité paternelle,  cela  ell  de  la  dé- 
termination de  la  nature  descho- 
fes,  qui  ne  communique  point  fes 
rayons  à  ceux  que  le  père  n  a  point 
engendrés ,  mais  qui  les  communi- 
que neceflairement  à  ceux  qu'il  en- 
gendre, &:quice  femble  auifi  par 
confequent  ne  permet  pas  quayans 
efté  effediuement  communiques, 
lefrereoulafœur  foyent  difpenfez 
de  les  reconnoiftre.  Icy  donc  il  faut 
encore  adtouter  deux  chofes.    La 
première  ell,  que  comme  dans  le 
premier  établiflement  d'vne  Répu- 
blique ôc  dVne  focieté,  il  fe  fait  des 

Aa  4 


37^      -E)^^  D  roi  Si  s  des  Mariages 
cliofes  qui  font  eflimees  bonnes  & 
Icgicimes  alors  _,  à  caufe  de  la  ne- 
ceflîté,  pource  qu'il  n'y  a  point  en- 
core d  ordre  bien  &  lecritimement 
eftabli  ;  lefquelles  puis  après  font 
condamnées  par  l'ordre   public, 
quand  la  fociecé  a  pris  fa  bonne  ai 
légitime  forme.  Ainfidans  la  pre- 
mière conftitutionde  la  nature,  & 
nommémét  en  cette  partie  quicô- 
cerne  le  genre  humain  ,  il  a  peu  fe 
faire  des  chofes  qui  n'ont  point  efté 
mauuaifes,  pource  que  la  neceflité 
le  requeroit ,  qui  puis  après  font 
condamnées    par  l'ordre  naturel, 
depuis  que  la  nature  a  reçeufa  con- 
ftitution  pléne  &  parfaite.  Qu^il  fe 
fafle  quelque  chofe  de  tel  dans  la 
ccnftitution  des  Republiques,  il  en 
ap^^ert.    Car  au  commicncement 
que  les  hommes  fe  font  affemblcs 
pour  former  entr'eux  desCités,d  où 


Conjîderarion  fixiefme.  377 
eft  venue  la  vocanon  à celuy  quii  a 
le  premier  entrepris  ,  d^laucorité 
de  donner  desloix  à  tout  le  relie? 
Certes  il  femble  qu'il  n'en  auoic 
point.  Cependant  tant  s'en  faut 
que  celafoit  trouué  mauuais^qu  on 
l'eitime  quafi  héroïque.  Maisneat- 
moins  la  neceflité  ne  fubdftanc 
plus,  les  chofes  font  tellement  re- 
mifesà  la  conduite  de  l'ordre  pu- 
blic ^  que  qui  voudroit  entrepren- 
dre rien  de  tel  fans  vocation ,  (èroit 
ellimé  vn  brouillon  &c  vn  témérai- 
re. Pourquoy  donc  nelcrat'il  ou 
cxcu(c  ouapprouué,  qu'en  l'eta- 
bliffementde  la  nature  il  foit  arri- 
ué  quelque  chofe  defemblable  ?  Et 
véritablement  que  la  nature  mef- 
me  dans  le  commencement  de  la 
formation  de  fes  ouurages ,  faflc 
des  chofes  6c  fuiue  des  routes,  qu'el- 
le condamne  &:qu  elle  abandonne 


37S      Des  Droits  des  J^ariages 
lorsque  fesouurages  font. parfaits, 
il  en  appert  allés  par  la  dJuerfe  fa- 
çon dont  elle  nourrit  vn  cnfam  de- 
dans &z  dehors  le  ventre.  Car  de- 
dans, elle  le  nourrit  par  le  nombril, 
pource  qu'il  eft  encore  imparfait, 
&quelaneceflîtéle  veutainfî.  De- 
hors ,  elle  eft  fi  ennemie  de  cette  fa- 
çon de  luy  donner  l'aliment,  quel- 
le commande  abfolument  qu'on 
enétouppela  voye.La  féconde  eft, 
qu'autre  chofe  eft  de  commettre 
vn  mal  de  gayeté  de  cœur,  ôc  autre 
chofe  d'obmettre  vn  bien  pour  en 
procurer  vn  autre  beaucoup  plus 
grand  ôc  plus  confiderable.    C'eft 
vn  crime  contre  la  nature  que  de 
iettervn  homme  dans  l'eau  pour  le 
faire  noyer  :&  vn  autre  crime  qui 
approche  de  celuy-là ,  de  ne  le  fau^ 
uer  pas,  fi  vous  le  voyez  périr,  lors 
quevousenauéslapuiflance.  Mais 


Confderamn  fxiefmc,  375) 
fi  vous  voyés  en  mefme  temps  tom- 
ber en  l'eau  vn  honnefte  homme 
de  condition  priuee,  &  voftrc  Prin- 
ce, foubs  legouuerncment  duquel 
vous  viués  j  &  que  ne  vousellanc 
pas  poflîble  de  les  fauuer  tous  deux^ 
il  foit  neantmoins  en  voftre  pui(- 
lance  de  fauuer  iVn  ou  l'autre, 
fi  vous  abandonnés  celuy  qui  e(l 
de  condition  priuee  pour  fauuer  le 
Roy  j  non  feulement  vous  nielles 
pas  accufé  d  auoir  négligé  contre 
l'humanité  naturelle ,  le  faluc  de 
cettuy-là,  mais  fi  en  cette  occurrcn  - 
ce  vouslefecouriés,  on  nefc^auroit 
vousexcuferd'vne  efpecede  parri- 
cide contre  voftre  Prince.  Dieu 
donc  enreftabhffcmentdc  la  natu- 
re auoit  ces  deuxchofes  dcuancles 
yeux  j  ou  de  laiffer  ncglii:;er  le  ref- 
ped:  que  le  frère  doit  naturelle- 
ment à  fa  fœur ,  à  caufe  d  Vn  rayon 


38q  D es  Droits  des  Mariages 
de  rautorité  paternelle  qui  y  reluir, 
où  de  créer  pour  la  propagation 
du  genre  humain  encor  vn  autre 
homme  odvne  autre  femme  qu'A- 
dam &  Eue  ,  dont  les  enfans  n'a~ 
yant  point  de  confanguinité  auéc 
ceux  d'Adam  ,  fe  peulTent  plus  lé- 
gitimement allier.  S'il  euftprefcré 
le  fécond,  pource  que  tous  les  ho- 
mes ne  fullent  pas  defcendusd'vn 
mefme  cftoc ,  ils  n'euflent  pas  eu 
çntr'eux  cette  vniuerfelle  confan- 
guinité j  qui  les  conjomt  en  tous 
lieux  &  en  tous  temps ,  6c  qui  doit 
renouueler  en  eux  des  fentimens  de 
charité  &  d'humanité,  à  toutes  les 
fois  qu'ils  s'entre-regardent.  Pour 
ne  rien  dire  maintenant  de  l'image 
que  cette  économie  porte  de  la 
perfonne  de  lefus  Chrift  ,  &:  de  la 
communion  que  nousauonsauec 
luy  ,  comme  le  Saind  Apollre  la 


Confiderdtlonfxiejmc.         38Ï 
remarque.  Or  n  eftoit  il  pas  fans 
comparaifon  plus raifonnable, que 
les  enfans  d'Adam  ,  en  conferuant 
le  refpeâ:  abfolu  qu'ils  deuoyent  à 
faperfonnejobmiflentpour  le  cc- 
mencement  le  refpe6l  relatif  qu'ils 
luy  deuoyent  porter  chacun  en  la 
perfonne  de  fon  frère  &  de  fa  fœur, 
que  non  pas  que  nous  euflions  per- 
du ce  bel  argument  de  la  charité  & 
de  l'humanité  que  nous  nous  entre- 
deuons,  lequel  procédant  de  cette 
vniuerfelle  confanguinité  ,  à  luy 
mefme  ^  comme  ila  efté  remarqué 
cydeffus  ,  vne  manifefle  relation 
à  l'autorité  paternelle?    Et  dans  la 
Phyfîque  cette  mefme  nature  nous 
apprend  qu'elle  n'a  pas  cela  abfolu- 
menten  horreur  en  la  Morale.  Car 
il  eft  du  droit  de  la  nature  dans  la 
Phyfique  ,  que  les  chofes  pefantes 
tendent  en  bas ,  &  que  les  légères 


ifit  T>cs  Droits  des  <J^ària^es 
montent  en  haut  :  &  s'ilen  arriuc 
autrement, ceft  contre  la  difpofî- 
tion  de  fes  ordonnances.  Néant- 
moins  il  eft  aufli  du  droit  de  nature 
que  toutes  lés  parties  du  monde  en- 
tretiennent entr'elles  vne  parfaite 
vnion ,  Ik  qu'il  ne  fefaffe  point  de 
Vuidenide  rupture  entre  les  mem-^ 
bres  qui  le  compofent  Et  quand  il 
arriue  qu'il  faut  neceflairementjOU- 
qu'il  fe  fafle  du  vuide  en  la  nature, 
OU  que  les  chofèspefantes  montent 
en  haut,  ce  droit  particulier  de  la 
conftitution  naturelle  des  chofes 
pefantes  ,cede  au  droit  plus  gênerai 
du defir de  1* vnion,  ôc la conferua- 
tiondu  tout  l'emporte  fans  aucune 
diflicultéfur  les  inclinations  parti- 
culières de  telle  ou  de  telle  partie* 
En  quoytant  s'en  faut  que  l'ordre 
de  la  nature  foit  eftimé  renuerfé, 
qu'il  y  paroift  vne  mcrueilleufe- 


Conjtdcràtion  Jtxiefme.  383 
ment  belle  économie  pour  la  con- 
feruation  de  fon  eftre.  Hors  de  là, 
fi  Teau  montoit  contremont ,  on 
l'eftimeroit  vn  prodige.  Or  eft  cet- 
te vniuerfelle  confanguinité  que 
noustirosdVn  mcfmeeftoc, com- 
me cet  appctitdc  IVnionj  cereC- 
pe6l:  au  rayon  du  nom  paternel,  eft 
commelmclinationd  aller  en  bas, 
dans  les  chofcs  pefantes.  En  fin, 
i'adioufteray  encor  cette  confide- 
ration  icy  aux  précédentes.  Com- 
me ainfi  fbit  que  la  conionftioa 
du  mary  auec  la  femme, fi^it  vne 
action  externe,  elle  doiteftre,com- 
mc  toutes  les  autres ,  iugee  bonne 
ou  mauuaifè  (elon  la  conftitution 
de  rcfprit  qui  la  produit.  Or  cft-il 
que  la  conjond:ion  du  pcreà  1  en- 
fant ôc  de  l'enfant  au  père,  ne  fe 
peut  faire  fans  corrompre  la  confti- 
tution de  leurs  elprits.  Parce  que. 


3^4  Des  Droits  des  tj^darta^es 
comme  il  a  efté  veu  cy  deffus ,  il 
faut  neceflairemenc  ouqucleiprit 
de  l'enfant  le  dilpofc  à  perdre  le  ref- 
ped  qu'il  doit  à  Ion  père ,  en  fc  fai- 
îànt  égal  à  luy  ,  ou  que  l'efprit  du 
père  fe  difpofe  à  ne  rendre  pas  à  cel- 
le qu'il  époule,  l'amour  coniugal 
qu'il  luy  doit ,  en  luy  refufant  l'éga- 
lité à  laquelle  le  mariage  l'appelle. 
Mais  comme  quand  Dieu  a  com- 
mandé à  Abraham  de  tucrfon  fils, 
il  a  peu  fe  difpofer  à  Texecuter,  & 
l'euft  peu  exécuter  ejfFe6tiuement, 
il  le  commandement  euft  perfeue- 
ré,  par  pure  &  fimple  obeifTance, 
fans  lien  diminuer  pourtant,  quant 
àladifpofitionde  fon  efprit,defes 
affedions  paternelles.  (  Car  il  pou- 
uoit  bien  aimer  ardamment  fon 
enfant ,  &  neantmoins  faire  cette 
violence  à  fon  amour,  quant  à  l'a - 
<^ion  extérieure  ,  pour  céder  au 

com- 


Conjideration  (txiefme]  38^ 
mandement.  J  Ainfî,  fî  Dieu,  pour 
les  raifbns  que  l'ay  touchées  cy 
deflus  ,  a  commandé  aux  enfans 
d'Adam  de  fe  marier  entr'eux ,  ils 
ont  peu  le  faire  pareillement ,  fans 
corrompre  la  bonne  confiitution 
de  leurs  âmes.  Car  quant  à  leurs 
perfonnes  refpe^tiuement ,  ils  ont 
peufedifpoferà  fe  rendre  Tamour 
coniugal  auquel  l'égalité  de  la  rela- 
tion de  mary  &  de  femme ,  &  de 
frère  &  de  fœur,  les  appelloit  con- 
jointemét.Et  pour  ce  qui  eft  du  ret 
peâ:  auquel  ils  eftoyent  obligez 
cnuers  Adam ,  qui  les  cmpcfchoic 
d'en  retenir  la  penfee  inuiolable- 
mcnt,  encore  qu'ils  contracSbaffent 
cette  alliance  entr'eux  par  pure  & 
fimpleobeïflance?  Orfoitdifpen- 
fe/oit  commandement,  (  Car  celuy 
qui  leur  à  peu  commander  s'ils  n'y 
pcnfoyent  pas ,  leur  en  a  peu  don^ 


3?^  Des  Droits  des  fjkfariages^ 
nerla  difpenfe  s'ils  y  pcnfoyeiit;& 
fi,iufqueslà  ,  ils  cftoyent  retenus 
de  Tcxecurer  par  refpcâ:  à  limagà 
de  l'autorité  paternelle.  )  Soit ,  di-je^ 
difpenfe  ou  commandement, il  eft 
icy  {lngulierementàobferuer,quil 
n  y  a  que  Dieu  qui  puifle  donnet 
de  telles  difpenfcs ,  ny  faire  de  tels 
commandcmens  ,  &c  que  puisque 
non  feulement  il  ne  les  a  iamais  faits 
quVne  fois  feulement,  maisque  de- 
puis il  a  fi  feuerement  ôc  fi  conftam- 
ment  défendu  de  telles  conion- 
dios ,  il  faut  que  les  raifons  qu'il  en 
a  eues  alors ^  ayent  efté  tout  à  fait 
fingulieresàcetempslà,  &  à  l'eftat 
imparfait  du  mode  &  de  la  nature. 
Pour  ce  qui  eft  delà  féconde  des 
difficultés  que  i'ay  cy  deffus  propo- 
fees ,  ie  voy  que  pour  la  refoudre, 
quelques  vns  ont  recours  aux  types 
&  aux  figures ,  ôc  difent  que  Dieu 


Confderationfîxiejme,         ^^j 
a  égard  à  ce  que  noftrc  Seigneur  le- 
fus  eftantmort,  il  luy  deuoiceftre 
fufcité  vne  grande  lignée,  fuiuant 
ces  mots  5  Me  voicy ,  i^  les  enfans 
aucTDieu  m'a  donnes.  Or  ne  veux- je 
pas  examiner  fi  les  rapports  qui  doi- 
uent  eftre  entre  la  figure  &  la  chofe 
figurée, s'ajuftent  fort  bien  icy.  le 
defire  feulement  qu'on  me  permet- 
te d'y  faire  vne  confideration.    Ce 
n'eft  pas  chofe  étrange ,  ni  qui  puit 
fe  donner  du  fcandale  à  qui  que  ce 
foit  ,  que  Dieu  n'empefcliant  pas 
par  l'efficace  de  fon  Efprit  &  de  fà 
prouidencc  ^  qu'il  fe  faife  quelque 
chofe  contre  les  loix  de  la  nature  & 
du  deuoir  ,  il  en  gouuerne  neant- 
Hioins  tellement  l'éuenement^qu'il 
puiffe  feruir  de  figure  pour  repre- 
fenterleschofes  à  venir.    Nousen 
auons  vn  exemple  bien  illuftre  en 
a  coniondion  d'Abraham  &:  d' A- 

Bb  * 


388      Des  Droits  des  Mariages 
gar^donc  le  faind  Apoftrc  tire  de 
diuinemenc  beaux  enfeignemens 
allégoriques.  Mais  que  Dieu  com- 
mande cxprcflemcnt  qu  il  fe  faflc 
quelque  chofe  contre  le  droit  & 
rhonnefteté  de  la  nature ,  fîmple- 
mcnt  afin  d'y  éftablir  quelque  ty- 
pe pour  laduenir , c'eft  chofè  qui 
pourroit  à  bon  droit  fèmbler  au- 
cunement eftrange.    On  ne  peut 
blafmer  Dieu  qu'il  permette  le  pé- 
ché ,  puis  qu'il  n'eft  pas  tenu  de 
rempefcher.  Mais  qu'il  comman- 
de pour  vne  chofe  fi  libre  qu'cft 
rétabhffemcnt  d'vntype,  ce  qui 
de  fa  nature  eft  mauuais ,  c'cftcc 
qui  peut  donner  quelque  trouble  à 
la  confciencc.Quoy?N  at'ilpas  aC- 
fés  de  fageflc  &  de  puiflance ,  pour 
trouucr  des  types  dans  les  chofes 
bonnes  &  indifférentes  de  leur  na- 
ture ,  fans  auoir  recours  à  celles  qui 


Confderatiôn  Jîxiejmc,  38^ 
font  naturellement  mauuailes? 
Ceux  là  donc  à  mon  aduis  qmc  vifé 
plus  droitau  but,  qui  ont  dit , qu'il 
a  efté  ordonné,  qu'en  cas  dedetaut 
de  lignée,  lepuifné  épouferoit  la 
vefue  de  fon  aifné  defund:,  pour 
quelques  raifons  particulières ,  qui 
côcernoyentla  république  d'ifraël, 
ôc  la  police  par  laquelle  elle  eftoit 
gouuernee.  Mais  il  euft  efté  bien 
neceflaire  qu'ils  euflent  expliqué 
cnquoy  confiftoit  cette  raifon  par- 
ticulière ,  ôc  comment  la  police  y 
pouuoit  eftre  intereflee.  Qui  confi- 
dercrala  republique  d'lfrael,com- 
me  elle  fut  conftituee  au  premier 
cftablilfement  de  fes  loix ,  y  remar- 
quera aifément  deux  chofes.  La 
première ,  que  l'autorité  paternel- 
le y  eftoit  en  fouueraine  recom' 
mandation.  Ce  qui  paroift  en  ce 
que,  commeiay  remarqué  cy  def- 

Bb  3 


55?o  T)€S  Droits  des  ç^aruges 
fus  j  le  précepte  qui  la  recomman- 
de auoit  elle  mis  à  la  tefte  de  tous 
les  autres  commandemens  de  la  fé- 
conde table  de  la  loy  morale,  &  en 
ce  que  chaque  famille  eftoit  telle- 
ment conftituce^que  le  père  y  auoit 
quafi  vn  pouuoir  ablolu  fur  fes 
Icruiteurs  &  fur  fes  enfans.  La 
féconde  ,  qu'encore  que  l'image  & 
la  rcfpicndeur  de  cette  autorité 
paternelle,  fe  jépandift  ,  comme 
elle  fait  naturellement,  fur  tous  les 
enfans  dVnemcfme  maifon  ,  d'où 
dépend  la  prohibition  de  leur  ma- 
riage ,  fi  cil-ce  que  cette  autorité 
paternelle reluifoit  d'vne  fac^on in- 
comparablement plus  illuflre  & 
plusreconnoiflablc  en  laperfonne 
deTailné  ,  que  non  pas  en  celle  de 
tous  les  autres.  De  lotte  que  Taifne 
efloit  comme  vn  autre  chef  de  la 
faeiillcj  d'où  vient  que  Prcmicmé 


Conjtderatîonftxtcfme.  391 

en  la  langue  Hébraïque  ,  fignifie 
quelquefois  Seigneur   c3^  Ocm.na,^ 
tenr^comccn  ces  mots, qui  imitent 
le  ftUe  des  Hebrieux,  Chrift  efi  le 
premterne  de  toute  créature  :  &:quel- 
quesfois  rohujle  &cpmjfant,  ÔC  armé  de 
force  ç;^ d'autorité  ,  comme  en  ceux- 
cy ,  le  premier  né  de  la  mort,    Pource 
donc  que  le  premierné  eftoit  défi 
grande  confideration  en  ifraël  par 
linftitution  &  la  couftume  de  cette 
police,  &  qu'au  rcfte  mourir  fans 
enfans  eftoit  vne  calamité  eftimec 
beaucoup  plus   grande  parmi  ce 
peuple  là ,  qu'elle  n'a  iamais  efté  en 
aucune  autre  nation, Dieu  voulant 
conleruer  autant  que  faire  fepou- 
uoit,le  nom  de  l'aifnc,  &  en  ce  nom 
le  refpeâ:&  la  recommandation  de 

l'autorité  paternelle ,  à  voulu  que  le 
plus  proche  de  fes  frères  qui  luy 
furuiuoyentjluy fufcitaft  de  lapo- 

Bb4 


3:^2,       J^es  Droits  des  Mariages 
fterité  ,  laquelle  porioit  fon  nom, 
&  venoic  à  la  fiicceilion  du  père 
auec  le  tiltre  &:  les  auantagcs  de  fait 
nefIe,&envnmot^  jreprefentoit 
comme  s'il  eull  encore  actuelle- 
ment efté  viuanL  Car  pource  que  fa 
vefue  gardoit  encore  en  fon  vefua- 
ge  la  relation  de  ccluy  qui  eftoit  dé- 
cédé ^lautorité  delaloyy  interue- 
nant  ,  les  enfans  qu'elle  auoit  du 
frère  qui  luy  fuccedoit  immédiate- 
ment, pouuoyent  auec  grande  ap- 
parence de  raifon  jau  moins  quant 
àl'effe6lciuil&:  politique  de  la  fuc- 
cefïîonjreprefcnter  laperfonne  de 
celuy  qui  auoit  elle  le  premierné  de 
la  famille.  Et  que  c'en  fuft  là  la  rai- 
fon, il  en  appert  aiîez  de  ce  que  ce 
n*eftoyent  pas  feulement  les  frères 
qui  eftoyçnt  obligés  d'époufcr  la 
vefue  de  l'aifné  de  la  famille  par 
rautorité  delà  loy  ,  mais  aufli^a 


Conjtderatîan  Jtxicfme.  35)  ^ 
défaut  de  frères  ,  les  plus  proches 
parens ,  afin  de  conferuer  le  nô  &c 
Tautorité  de  la  pritnogeniture  ,  &c 
de  garder  au  reftcvne  règle  certaine 
en  la  diuifion  des  biens.Or  tant  s'en 
faut  qu'en  cela  l'autorité  paternelle 
ait  efté  ou  violée  ou  négligée  ,  qu'il 
n'yarienqui  la  recommande  tant 
que  cette  inftitution.  Cependant, 
bien  que  les  raifons  de  ces  deux  dit 
penfes  foyent  fi  manifeftes  6c  fi  per- 
tinentes y  iene  laifleray  pas  pour- 
tant &d'adjou  ter  ôc' de  repérer  icy> 
qu'il  n'y  auoit  que  Dieu  fèulà  qui 
peuft  appartenir  le  droit  de  les  don- 
ner. Car  comme  danslaPhyfiquc, 
il  n'y  auoit  que  luy  feul,ni  qui  peuft 
exactement  iuger  de  combien  de 
degrez  d'importance  l'appétit  de 
l'vnion  entre  les  cliofes  qui  compo - 
fent le  monde,  Temportoitliir  les 
inclinations  particulières  des  cho- 


35^4     ^^^  Droits  des  <J^ (triages 
fes  légères  ou  pefantes>  ni  qui  dan? 
la  rencontre  &c  le  conflid:  de  ces 
deux  inclinations ,  peuft  donner 
aux  chofes  pefantesla  vertu  de  mô- 
teren  haut,  &  aux  légères  cellesde 
deicendre  vers  le  centre  :     Ainfi 
dans  les  chofes  Morales  il  n'y  a  eu 
queluy  non  plus  qui  aitpeuiugcr 
aflez  exadement  de  combien  de 
degrés  d'importance  eftoit  la  caufe 
qui  1  Induifoit  à  la  difpenfe  ,au  del- 
fus  de  celle  qui  le  pouuoit  empef- 
cher  delà  donner  ,  ni  qui  ait  peu 
octroyer  à  fes  créatures  raifonna- 
blés  le  pouuoir ^  lautorité de paf- 
ferpardeffus  cette  forte  de  droits 
qu'il  auoit  établis  en  la  nature.  Joi- 
gnes à  cela  que  les  raifons  qui  l'ont 
induit  à  difpenfer  du  droit  de  natu- 
re en  ce  premier  exemple,  n'ayant 
lamais  eu  ^  ne  pouuant  iamais 
auoir  lieaqu'v.ne  fois,  ce  qui  fait 


Conjidcration  fxiefme,  35)5 
c]u*au{Iî  nous  ne  voyons  pas  que 
Dieu  air  iamaisdilpenféde  laiprte 
fîiion  cette  fois  là  feulement  ,  ce 
fcroir  vneaudacieufcj  téméraire,  & 
tout  à  fait  peruerfe  imitation  de  fon 
adion  ,  que  de  la  vouloir  tirer  ea 
confèquence.  Et  quant  à  ce  qui  eft 
du  fécond  ,  s'il  a  pieu  à  Dieu  que 
l'autorité  paternelle  reluifift  dans 
la  république  dlfraelen  laperfon- 
ne  de  l'aifné ,  au  delà  de  ce  que  por- 
te la  difpofîtion  precife  de  lanatu^ 
re ,  ce  qu'il  y  auoit  de  plus  eft  de 
droit  pofitiffeulementjô^a  dépen- 
du delà  pure  volonté  de  Dieu,  qui 
l'a  ainfi  ordonné  pour  des  raifons 
fans  doute  importantes ,  mais  dont 
leiugement  appartient  à  fa  feule  fa- 
pience.  Comme  donc  il  n'y  a  hom- 
me enla  terre  ,  qui  ait  le  droit  & 
Tautorité  de  donner  aux  enfans ,  ou 
àlVa  deux  ,  plus  de  rayons  de  la 


35?^  Des  T>roks  des  Mariages 
puiflance  paternelle  ,  que  la  natu- 
re mefme  n  en  donne  parle  moyen 
de  la  génération  ,  aufli  n  y  a  t'il  au- 
cun qui  fous  ce  prétexte,  ait  le  droit 
&  l'autorité  de  difpenfcr  des  de- 
uoirs  de  la  nature,  en  ce  qui  eft  de 
cette  affinité  qui  empefchela  con- 
jon6tion  auec  la  femme  de  fon 
frère. 

Qupy  donc  ?  dira  icy  quelqu  vn: 
n  y  a  t'il  rien  en  cette  matière  des 
mariages ,  dont  les  hommes  puif- 
fent  difpenfcr?  Et  fi  cela  eft  ^  quel 
iu^ement  doit  on  faire  de  tant  de 
dilpenfes,  qui  fe  donnent  depuis  fi 
long-temps ,  &  par  l'Eglifè  Se  par  les 
Princes?  C*efticy  la  dernière que- 
ftion  que  ie  me  fuis  propofé  de 
traitter ,  &  pour  l'explication  de  la- 
quelle il  eft  befoin  d'examiner  deux 
chofes.  Premièrement  ^  quelles  loix 
peuucnt  eftre  faites  par  les  hom- 


Cenjtderation  fxiejme.  397 
mes,  pour  là  prohibition  des  ma- 
riages que  le  droit  de  la  nature  n  a 
point  defeftdus.  Secondement ,  à 
qui  il  appartient  de  les  eftablir  ^  & 
par  confequent  d'en  donner  auflî  la 
difpenfe.  Or  quant  à  la  première  de 
ces  queftions,  on  en  peut  tirer  quel- 
que éclairciflcment  de  laconfîde- 
ration  de  Teftat  de  la  nature  ,  &  de 
la  conduite  de  la  Prouidence  qui  la 
gouuerne.  Car  dans  les  chofesef- 
quellesilnya  point  eu  defujet  de 
craindre  que  l'ordre  de  la  nature 
vintàfe  détraquer,  la  Prouidence 
s'eft  contentée  de  donner  a  cha- 
que partie  du  monde,  laconftitu- 
tion  de  fon  eftre,  fes  mouucmens, 
fes  fonctions ,  ôc  fes  opérations  par* 
fâitement  bien  réglées,  fans  autre 
précaution  d'aucune  chofe  hors 
d'elle  meûne ,  qui  feruifl;  a  la  con- 
feruation  de  fon  eftat.    Comme 


35)8^       *T>es  Droits  des  Ai. triages 
pour  exemple  ,  dans  les  Cieux,  là 
PLOuidence  a  mis  vne  nature  fi  con- 
fiante, vn  ordre  fi  permanent  ,  & 
des  mouuemensfi  bien  réglés,  qu'il 
n*a  point  falu  apporter  d'autre  cho- 
fe  pour  les  conferuer  ,  finon  les  in- 
telligences qui  les  meuuent,ou,  fi 
vousletrouués  mieux  ainfi,lana- 
turelle  forme  qui  leur  a  eftè  don- 
née ,  fur  la  conduite  de  laquellela 
{àgefle  de  la  Prouidence  prefide  ef- 
ficacement.   Ainfi  depuis  le  com- 
mencement du    monde    iufqu'à 
maintenant ,  leurs  courfes  fe  font  C 
vniformément  maintenues    fous 
Fautorité  &  dans  la  règle  desloix 
qui  leur  ont  efté  prefcrites ,  qu'il  n'y 
eft  point  arriué  dedefordreni  d'al- 
teration.  Mais  en  celles  ou  il  y  a  eu 
quelque  occafion  de  craindre  du 
dérèglement  ,  elle  y  a  apporté  des 
foins  tout  à  fait  particuliers ,  à  c« 


Confdcrdt'wn  fxiefme.  55)9 
que  les  loix  de  la  nature  ne  fuflcnc 
point  transgreflees.  Pour  exemple, 
fi  la  mer  n'euft  point  efté  fujette  a 
d'autres  mouuemens  qu'à  celuy  de 
fon  flux  &  de  fon  reflux  ,  pource 
qu'il  eft  déterminé  par  la  nature  ,& 
qu'il  ne  fe  peut  iamais  dérégler^ 
au  moins  d'vne  facjonqui  foit  tant 
foitpeuconfiderable,iln'euft  point 
cfté  befoin  que  la  Prouidence  mift 
alentour  d'elle  des  cofles  fi  hautes 
&fi  releuees  que  celles  que  nous  y 
voyons.Il  euft  fiiffi  feulement  qu'el- 
le luy  euft  creufé  fon  Ii6t  comme 
elle  a  fait ,  &  qu'elle  luy  euft  donné 
vne  eftendué  capable  de  la  rece- 
uoir ,  lors  qu'elle  vientàs'épandre 
iufquesoula  plus  haute  de  fes  ma- 
rées peut  atteindre.  Mais  parce 
que  la  mer  eft  fujette  à  l'agitation 
des  vents  j  qui  la  porteroyent  beau- 
coup plus  loin  que  ne  fait  fon  mou- 


400  T)es  Droits  des  Mariage 
uement  naturel ,  (î  la  Prouidence 
n'y  auoit  donné  ordre, elle  a  efté 
renfermée  entre  des  coftes,  comme 
entre  de  grands  ram parts  j  qui  ne 
l'empefclientpas  feulement  de  s*a- 
uancer  fur  les  terres  plus  qu*il  ne 
faut ,  mais  bien  fouuent  la  contrai- 
gnent Se  la  reflerrent  plus  à  1  eftroit 
c|uene  deuroit^ce  fcmble ,  porter 
l'abondance  de  fes  eaux ,  ôc  le  mou- 
uementqui  luy  a  efté  donné  p^r  la 
nature.  Et  cette  fagefle  delà  Proui- 
denceaefté  imitée  par  la  prudence 
des  hommes  en  diuerfes  occurren- 
ccs.Pource  que  le  monde  ne  fe  pou- 
uoit  maintenir,  finon  eftantdiuilé 
en  diuers  focietez  ,  il  a  falu  baftir 
des  villes  dans  lefquelles  elles  fe  re- 
cueilIiiTent  Et  pour  la  nourriture 
de  leurs  habitans  j  il  a  fallu  qu  elles 
ayent  eu  chacun  leur  territoire  (e- 
paré,dont  les  fruits  fuiTcnt portés 

dans 


Confiderdtlon  fxiejme.  401 
dans  la  ville  ,  &:  conleruez  pour  la 
nourriture  des  citoyens.  Si  donc  les 
hommes  ne  fc  laiflbyent  point  em- 
porter à  leurs  paflions,  ce  feroit  af- 
fez  pour  cela  d  auoir  quelque  légè- 
re defenfe contre  lesiniures de lair, 
&  les  incurfions  des  belles  fauua- 
ges,  &  ,  fi  vous  le  voulez  encore 
ainfi  5  contre  les  fecrettes  entrepri- 
fes  des  larrons.  Mais  parce  quel'in- 
juftice  &  la  violence  portent  les 
hommes  a  d'étranges  extremitez, 
il  a  fallu  outre  les  fimples  murailles, 
faire  des  foflez  bien  profonds,  &: 
des  remparts  bien  forts  &  bien  éle- 
uez,  &  porter  les  dehors  &  les  for- 
tifications bien  auant  dedans  les 
terres  ,  qui  autrement  eu/Tent  efté 
vtilement  employées  à  la  femence. 
Or  font  ces  dehors  &:  ces  defenfcç, 
autant  de  précautions  préparées 
cotre  la  pafiion  qui  porte  les  hon^-» 

Ce 


402.  Des  Droits  des  Mariages 
mes  au  de  là  des  termes  de  rinftitu- 
tion  de  la  nature.  Dans Icsloix  poli- 
tiques il  en  eft  de  mefmes.ll  eft  fans 
douterlerinftitutionde  la  nature, 
que  les  hommes  fe  relafchent&te 
diuertiflent  quelquefois  de  leurs  fc- 
rieufes  occupations  à  quelque  jeu, 
afin  que  comme  vn  arc  quia  efté 
quelque  temps  détendu^,  en  eft  plus 
fort  &  plus  vigoureux  lors  qu'on 
vient  aie  retendre ,  Tefprit  s*eftant 
vn  peu  relafché  par  la  récréation, 
apporte  plus  d'allegreffe  à  fes  ope- 
rations  quand  il  y  retourne.  De 
plus,  il  n'eft  pas  abfolument  contre 
les  loix  de  la  naturc,(au  moins  com- 
me plufieurs  le  veulent  eftimer/ 
qu'il  prenne  quelques  vues  de  fes 
récréations  dans  les  diuerfes  ren- 
contres du  hazard,  dont  la  variété 
&  la  bio-arrure  eft  merueilleufe.  Et 
firhommene  fe  iaiflbitpoiiittrop 


Conftderation  Jîxiejme.  405 
aller  à  fa  paifion  ,ilncferoitpoint 
neceflfaire  de  faire  là  deffus  des  loix 
qui  le  reglaflent.  De  luy  mefme  il  y 
apporteroit  aflez  de  règle  &  de  cir* 
confpecâion.  Mais  parce  qu'il  ne 
garde  aucune  modération  dans  les 
jeux  ,  &que  nommément  il  arriue 
le  ne  (cay  comment,  que  ceux  qui 
font  fondez  fur  le  hazard  5  le  trans- 
portent ordmairement  bien  loin 
au  delà  des  bornes ,  <^'a  efté  vne  fa- 
ge  précaution  aux  legiflateurs ,  que 
de  les  défendre  abfolument,  afin  de 
retenir  pluftoft  les  hommes  au  dec^a 
de  ce  que  la  nature  permet,  que  de 
leur  laiffer  l'occafion  de  s'empor- 
ter comme  ils  feroyent  autrement, 
bien  loin  au  delà  de  fes  loix,  &  de 
ce  quelle  ordonne.  Dans  la  mede^ 
cine  on  pratique  le  femblable.  Car 
on  ne  fe  contente  pas  d'ordonner 
des  remèdes  à  ceux  qui  font  mala- 

Ce  2. 


4-04       Des  PmtsdesAdànages 
descffeétmement  ;  on  donne  auffi 
despreferuatifs  à  ceux  qui  ne  le  font 
point  encore.  Et  bien  que  s'il  n'y 
^upitpointde  péril  oude  prendre 
du  mauuaisair  ,  ou  de  tomber  en 
quelque  inconuenient ,  on  n'obli- 
geroit  pas  les  hommes,  foit  à  Tv- 
fage  des  preferuatifs ,  foit  àl'exaéli- 
tude  du  régime ,  par  lefquels  on  va 
au  deuant  du  mal  pour  s'en  ga- 
rentir  ,  fi  eft-ce  que  quand  on  eft 
menacé  de  ces  dangers,  on  ne  feroit 
-pas  cttimé  bon  &  prudent  méde- 
cin j  fi  on  n'y  pouruoyoit  de  la  for- 
te. Dans  la  Morale  ^  Ariftotedit,&: 
la  nature  mefine  l'apprend  ,  qu'il 
fiifiît  de  ramener  les  paflîonsàla 
médiocrité  5  &  que  c'eften  cela  que 
confifte  la  vertu  qui  lesgouuerne. 
pt  neantmoins  lemefmePhilofo- 
phe  nous  aduertit,qi4epource  que 
nous  fommes  naturellement  en- 


Confderatioh  fixlejme.  405 
clins  à  la  volupté,  d:  que  nous  nous 
portos  beaucoup  pluftoftàl'excés, 
que  nous  ne  demeurons  dans  le  dé- 
faut ,  il  elT:  plus  expédient  de  nous 
réduire  par  l'exercice,  à  vler  moins 
de  la  volupté  que  la  nature  ne  nous 
permet,  afin  de  nous  retenir  plus 
aifément  dans  les  bornes  qu  elle 
nous  donne.  Comme  quand  vne 
plante  fe  courbe  trop  au  Midy,  on 
la  tire  vers  le  Septentrion  ,  dautant 
'  que  fa  naturelle  inclination  la  ra- 
mènera toufiours allez  au  milieu,&: 
que  fi  vous  vous  contentez  de  la  y 
redrefferjclle  ne  s'y  pourra  pas  te- 
nir ferme.  C'eft  pourquoy  il  dit 
qu'encore  que  la  volupté  ait ,  com- 
me Hélène  ,  de  grands  attraits,  ôc 
qui  empefchent  qu'on  ne  domc 
trouuet  étrange  que  les  jeunes  gens 
s'y  1  aident  amorcer,  ainfî  que  Paris 
auoit  fait  ;  fi  vaut  il  mieux  la  rea<- 

Ce  3 


406      Des  Droiâs  des  Mariages 
uoyer  tout  à  fait,  félon  le  confeil 
des  plus  vieux  ,  &  des  plus  fagesde 
Troye.     Ce  qui  eft  proprement 
faire  vn  peu  plus  que  la  nature  des 
chofes  ne  veut,  afin  de  pouvoir 
bien  exécuter  ce  qui  eft  de  fes  or- 
donnances. En  vn  mot ,  comme  les 
luifs ,  lors  qu'ils  prefcriuirent  de  ne 
bailler  que  trente  neuf  coups  pour 
quarante,  difoyent  qu'il  faloit  met- 
tre vne  haye  alentour  de  la  Loy, 
afin  qu'on  ne  vint  à  la  violer  plus 
aifément  ,  &  qu'on  ne  paffaft  le 
nombre  des  quarante  ,  ainfi  eft  il 
expédient  d  arrcfter  la  conuoitife 
de  l'homme  vn  peu  au  deçà  des 
droits  de  la  nature  ,  dans  la  matiè- 
re dont  il  s'agit ,  afin  quellene  s^è- 
mancipepasau  delà  de  ce  qu'elle  a 
voulu  nous  eftrehonnefte  &  légiti- 
me, l'ertime  donc  que  C'a  eftéauec 
beaucoup  de  prudence  qu  on  a  de- 


Conjtdcration  fxïefme.       407 
fendu  quelques  mariages  ,  non 
parce  que   d'eux  mefmes  Us  fuf- 
fenc   mauuais  ,  mais  parce  qu'ils 
auoifmenc  de  trop  près  ceux  qui 
font  mauuais ,  6c  qu'il  n'y  aqu  vn 
pas  gliffam  d'eux  à  la  violation  des 
droits  de  la  nature.  Ce  que  faind 
Auc^uftin  a  fagement  remarqué  en 
quelque  heu  de  fes  liuresdela  cité 
de  Dieu.  Seulement  feroit  il  à  déli- 
rer qu'on  y  eufteftéplus  retenu,  & 
qil  on  neuft  point  ellendu  la  cho- 
fe  fi  loin ,  qu'on  en  a  défendu  quel- 
quesvns^  qui  tant  s'en  faut  quils 
approchaffent  trop  prés  de  ce  que 
la  nature  défend  dans  les  confan* 
guinitez&:  dans  les  aftinitez  ,  quils 
ne  font  pas  mefmes  compris  dans 
l'enceinte  de  ces  noms  ,  pour  fi 
loin  qu  on  les  prouigne.  Deux  cho- 
fcsdonc  font  icy  fingulierement  a 
obferuer.    L'vne ,  que  ceux  à  qui 

Ce  À. 


4o8      T)ès  Droits  des  M^îages 
l'autorité  d'eftablircesloix  appar- 
tient, filTcnt  telle  confidcration  des 
droits  de  la  nature  en  cet  égard, 
quilsne  reftreignilTentpas  trop  la 
liberté  quelle  nous  a  donnée.  Car 
comme  il  y  a  de  la  témérité  &  de 
l'ofFenfe    contre    le  refped:    que 
nous  luydeuons, non  feulement  fi 
nous n'obferuons  pas fesloix,  mais 
mefmesfi  nousnefaifons  &n'efta- 
blifTons  toutes  celles  qui  font  rai- 
fonnablemét  neceffairesà  cequ'on 
les  obferuc  :  aufli  y  a  t'il  de  la  tyran- 
nie à  nous  rauirce  qu'elle  nous  a 
accordé,  lorsqu'il  n'y  a  point  de 
péril  d'en  malvfer,ni  de  commet- 
tre d'ofFcnie  alencontre  d'elle.  Et 
{èmble  qu'elle  nous  aducrtit  aflez 
d'elle  mefme  ,  que  ce  feroit  affez 
que  la  précaution  de  noftrc  pru- 
dence defendift  le  mariage  dans  les 
dcgrez  qui  font  les  plus  proches 


Confidcmt'wn  Jixicjnie.'  4C9 
de  ceux  qu'elle  mefine  a  défendus^ 
ôc  qui  les  touchent  immédiate- 
ment y  afin  de  ne  mettre  pas  hayc 
deflus  haye  alentour  de  la  Loy ,  & 
de  n'y  amonceler  pas  des  précau- 
tions inutiles.L'autrCj  que  lors  qu\l 
faudroit  relafcher  quelque  chofb 
de  ces  loix ,  &c  donner  difpenfe  de 
leurs  obferuationsj  on  le  fill:  de  telle 
façon, qu'on  cuitaft  toutfoupçon 
d'auoireu  plus  d'égard  à  Ion  profit 
particulier,  qu'à  la  reuerence  qui 
elldeuë  aux  mftitutions  de  la  na- 
ture. 

Pour  ce  qui  eft  de  la  féconde  de 
ces  queftions ,  à  qui  il  appartient  de 
faire  ces  loix  &  d'en  donner  les  dit 
penfes ,  il  n'y  a  perfonne  qui  ne 
fcache  la  différence  qu  il  y  a  entre 
donner  fon  aduis  fiir  ce  qui  ell  du 
droit,  &r  armer  cet  aduis  de  ce  nom 
de  Loy,  pour  en  rendre  lobferua- 


4TO      Des7)roîtsdes  ty^ariages 
tion  inuiolable.    Pour  IVn  ^  il  ne 
faut  que  de  la  prudence  6c  de  là 
connoifTance  de  la  nature  descho- 
fes  feulement.  Pour  l'autre ,.  il  faut 
de  la  puiflance  &  de  lautorité  -,  ce 
qui  ne  vient  que  de  leminence  de 
quelque  charge  que  l'on  a  foit  en 
l'Eglife ,  foit  en  la  République.  Et 
quanta  ce  qui  ell:  de  donner aduis 
fur  ces  loix  ,  puis  que  nousauons 
monftré  cy  deffus  que  la   nature 
nous  a  donné  fes  enfeignemensaf- 
fez  particulièrement  fur  toutes  les 
chofes  qui  concernent  le  mariage 
èc  fes  dépendances,  ôc  que  d'ailleurs 
la  conjon6tion  de  l'homme  auec  la 
femme ,  pour  la  génération  des  en- 
fans  ,  regarde  d'vn  cofté  la  religionj 
ôc  de  l'autre  la  focieté  politique ,  les 
PhilofopheSj&lesTheologiens,& 
les  lurifconfultes    peuuent    bien 
auoir  chacun  leur  part  en  Pexamen 


Confideratïon  fixiefmc.         411 
de  cette  matière,  à  cequelesloix 
en  foyêt  ellablies  auec  plus  d'intel- 
ligence &  de  circonlpettion.    Les 
Philolophes  3  parce  que  c'eftàeux 
^  à  bien  entendre  ce  que  c'eftquede 
la  Morale ,  &  iufques  ou  s'eftendent 
les  inftrudions  qu  elle  nous  donne, 
pour  conduire  toutes  nosa6tionsà 
la  voirtu.  Les  Théologiens  ,  parce 
que  Dieu  ayant  en  fa  Parole  déter- 
miné de  ce  qui  eft  du  droit  de  la  na- 
ture en  cet  égard,  ils  doiuent  mieux 
que  les  autres  entendre  les  caufes  àl 
les  motifs  de  cette  détermination. 
Et  dautant  que  d'ailleurs  cette  con^ 
fultation  qui  concerne  les  précau- 
tions qu'il  faut  apporter  à  ce  queles 
Loix  de  Dieu  &  de  la  nature  foyent 
inuiolablement  obferuees,  dépend 
en  grande  partie  de  la  connoifTance 
de  ce  qui  peut  leruir  à  édification, 
ils  y]  doiuent  eftre  entendus,  com- 


4n  Des  Droits  des  Apanages 
iiie  ceux  à  qui  la  charge  delapro^ 
curera  efté  particulièrement  com- 
mife.Lcs  lurifconfultes  finalement, 
parce  qu'outre  que  la  lurifpru- 
dence  eft  tirée  des  fources  de  la  na- 
turcjôv:  n'cft  rien  finon  vne  appli- 
cation des  reglemens  généraux  de 
Ja  Philofophie  Morale  ,  auxchofes 
&  aux  actions  particulières  ,  des- 
quelles toute  ladminiftration  &la 
conduite  delà  vie  des  hommes  dé- 
pend, c'cfta  eux  a  iugerde  ce  qui 
peut  apporter  ou  du  dommage  oi| 
delVtilitéau  public,  d  autant  que- 
ftans  perpétuellement  occupez 
dans  les  affaires  de  laviejlVlage  ôc 
l'expérience  des  chofes  leur  y  ac- 
quièrent des  connoifTances ,  que  les 
autres  ne  peuuent  pas  auoir  en  vn  fi 
haut  point.  Amfi  feroitil  befoin 
que  les  ordonnances  quife  font  à  ce 
itijet  j  fulTent  formées  en  desaf- 


Conpderat'îon  fxicpfie.  41$ 

fcmblccs  j  dans  lefquellesily  cuft 
des  sens  verfés  en  toutes  ces  fcien- 
ces.  Quant  à  ce  qui  eft  de  leur  don- 
ner l'autorité  &  le  nom  de  Loy, 
pourcequeles  loix  ne  font  rien  fi- 
non  les  communs  réglemens  faits 
en  chacune  focietc  pour  fon  gou- 
uernement  ,  par  l'autorité  de  la 
puiflance  fouueraine  qui  y  eft  éta- 
blie 5  il  n  y  a  nulle  doute  que  toute 
focieté  qui  fe  gouuerne  par  Ten- 
tremifedc  quelque  puiffancc,  n'ait 
droit  de  fc  conftituer  àelle  mefnie 
des  loix  en  cet  égard,  entant  &pout 
tant  que  le  mariage  la  concerne. 
Puisdoncque  nous  auons  pofé  cy 
.deflus  que  le  mariage  a  égard  a  la 
focieté  religieufe,  &  à  la  focieté  po- 
litique, Pvne  &  l'autre  doit  auoir  (es 
loix  pour  telles  conjondions,  afin 
qu'elles  ne  fe  faflent  que  bien  ôc 
légitimement.  Et  d'autant  que  tou- 


414       T^^^  Droits  des  Adariages 
te  loy  ordonnée  pour  le  gouuer- 
nemcnt  d Vne  focieté ,  eft  confti- 
mee  auec  dénonciation  de  peine, 
chacune  de  ces  deux  focietezpeut 
àc  doit  armer  ces  loix  de  la  fandion 
qui  porte  denqnciation  des  pênes 
qu'elle  a  puifTance  d'infliger ,  &  d5t 
lautorité  luy  a  cfté  raifonnable- 
ment  commife.  Partant,  la  focieté 
rcligieufe  eftant  toute  fpirituelle, 
doit  icyeftablir  des  pênes  lefquel- 
les  concernent  Tefprit  ,  telles  que 
font  les  cenfures  &  les  excommuni- 
cation s  j  &  la  focieté  politique  re- 
gardant plus  particulièrement  le 
corps ,  doit  eftablir  des  pênes  de 
mefrae  façon ,  c'eft  à  dire  qui  con- 
fident  en  priuation  de  biens  & 
d'honneur,  &j  fi  le  cas  y  échct,en 
pertemefmedelavie.  Pour  ce  qui 
cft  delà  relaxation  oudeladifpen-* 
fe  de  la  rigueur  de  ces  loix ,  on  peut 


•  Conjiderationfîxiefrne.  415 
faire  deux  demandes.  L'vne ,  s'il  eft 
iufte  qu'il  s'en  faffc  quelquesfois: 
L'autre ,  à  qui  il  appartient  de  les 
/aire.  Or  quant  à  la  première ,  puis 
que  les  loix  desquelles  nous  parlons 
ne  font  point  autrement  du  droit 
de  la  nature  ,  fînon  en  ce  que  ce 
font  des  précautions  que  l'on  ap- 
porte pourfaconfcruation,  ôc  que 
l'on  n'apporte  ces  précautions  fi- 
nonàcaufe  du  péril  qu'il  y  auroit 
autrement  que  les  inftitutions  de  la 
nature  ne  fuffent  pas  allez  religieu- 
fement  obferuecs,fi  par  l'attentiuc 
côfideration  des  circonftances  des 
chofes  ,  il  fe  trouue  que  de  la  dif- 
pcnfe  de  ces  précautions  il  ne  relul- 
te  point  de  péril  pour  ce  qu'il  y  a  de 
naturel  dans  les  loix  du  maria^e.ou 
qu'encore  qu'il  y  euft  quelque  pé- 
ril, on  y  puife  aifément  remédier, 
il  en  eft  de  celles- cv  comme  de  tou- 


^6  Des  Droits  des  tt^îarîages 
tesautres  loix  qui  ne  font  pasfon- 
decs  en  vn  droit  inuiolable  ,  c  cft 
que  ceftuy-  là  en  peut  difpenfer,  qui 
a  puilTance  de  les  faire.  Car  puis  que 
ces  loix  ne  font  eftablies  que  fur  la 
raifon  de IVtilité  qui  en  renient, IV- 
tilité  ceifant,  ou  la  puiffance  qui  les 
a  eftablies  y  pouruoyant  par  quel- 
que autre  voye  également,  ilny  a 
nulle  neceifité  dans  la  nature  des 
chofes,  ni  nulle  obligation  de  leur 
cftabliiTement  ,  qui  empcfche  que 
la  puiffance  qui  les  a  conftituecs, 
nen  l'cl^fclie  l'obferuation  félon 
les  occurrences.  Seulement  y  peut 
on  apporter  cette  circonfpe6bion, 
que  pource  que  les  fréquentes  rela- 
xations équipollent  quafi  à  l'abro- 
gation d Vneloy,  ou  fi  elle  n'y  équi- 
pollent entièrement,  en  fin  pour- 
tant elles  la  tirent  en  confequence, 
il  eft  de  la  prudence  de  ceux  à  qui 

apparticiit 


Confiderati&n  fxiejme.  417 
appartient  cette  adminiftration, de 
donner  ces  difpenfes  &  ces  relaxa- 
tions le  plus  rarement  qu'il  fe  peut 
faire.  Car  fila  nature  de  la  loy  faite 
^our  précaution,  eft  telle  ,  qu'elle 
puifle  fouffrir  de  fréquentes  rela- 
xations, elle  n'a  pas  grande  vtilité 
enfoy  ,&  par  confequentelle  peut 
bien  ou  n'eftre  point  eftablie  ,  ou 
cftre  entièrement  abroeee.  Mais 
s'il  en  reuient  vne  fi  grande  vtilité 
qu'elle  approche  de  laneceflité^les 
fréquentes  relaxations  ne  peuuent 
eftre  fans  préjudice  du  public ,  & 
par  confequent  elles  font  condam- 
nables.Pour  ce  qui  eft  de  la  féconde, 
il  eft  du  droit  commun  de  la  nature 
6i  de  tous  les  hommes,  que  ce  foit 
ceux  à  qui  il  appartient  de  faire  les 
loix  ,  qui  difpenfèntdeleurobfer- 
uation  ,  &qui  relafchentdela  li- 
gueur des  dénonciations  lefquelles 

Dd 


4  iS  Des  T>rohs  des  Mariages 
y  font  attachées.  Car  puis  que  les 
loix  font  ordonnées  pour  legou- 
uernemencde  lafocietéj&lcgou- 
uerneincnt  pour  fa  confèruation, 
s'il  cft  permis  a  quelques  autres  qu  à 
ceux  a  qui  ce  gouuernemcnt  appar* 
tient  ,  de  difpofer  des  loix  à  leur 
fantaifie  ,  il  faut  faire  eftat  que 
Tordre  &:le  gouucrncment  eftren- 
uerfé ,  &  par  confequent  la  fbcietc 
ruinée.  Partant  ,  puis  que  nous 
aaons  pofé  cy  deifus ,  que  la  focicté 
religieufc,  auflî  bien  que  la  politi- 
que, a  l'autorité  d'eftablir  certai- 
nes loix  pour  ce  qui  regarde  les  ma- 
riages 5  &  de  les  foûtenir  de  certai- 
nes fan6lions_,&  de  la  dénonciation 
de  certaines  peines, il eft  conuena- 
ble  à  nos  principes  que  nous  déter- 
minions qu'elles  ont ,  chacune  en 
fon  endroit,  l'autorité  d'endifpen- 
fèr,  en  y  apportantes  circonfpe- 


Conjtderation  Jixicfme.  419 
étions  &  les  égards  qui  font  necef^ 
faires,non  feulement  pour  le  con- 
tentement des  particuliers ,  mais 
auffi  principalement  pour  l'vtilité 
du  publiCj&:  pour  l'édificatio  com- 
mune. De  forte  que  quand  la  focie  - 
té  religieufe  difpenfe  de  ces  loix, 
,çlle  exempte  des  peines  fpirituelles 
qui  font  en  fi  puiflance.  Et  quand 
la  focieté  politique  le  fait  ,  elle 
exempte  de  celles  qui  font  ordon- 
nées pour  le  corps ,  ôc  qu'ainfî  elles 
n'enjambent  point  l'vne  fur  l'au- 
tre ,  &  n'entreprennent  point  fur 
leschofesquine  font  pas  de  leur 
iurifdidion. 

Icy  finira y-je  par  la  folution  dV- 
nc  difficulté  y  quifemble  bien  im- 
portante. Qupy  donc?dira  icy  quel- 
qu'vn-.silarriue  contention  entre 
ces  deux  lurifdidions  Aque  l'vne 
vueille  difpenfer ,  ôc  que  l'autre  ne 

Dd  1 


42 o      T^es  Droits  des  z^arUges 
Jeyueille  pas,  quel  moyen  de  ter- 
miner ce  différend ,  ou  laquelle  des 
deux  le  doit  emporter  par  deffus 
l'autre  ?  Nous  auons  iufques  icy  po- 
fé,quecesIoixque  nous  appelions 
de  précaution ,  ne  font  de  1  inftitu- 
tion  de  la  nature  ,  finon  autant 
qu  elles  (ont  vtiles  pour  ièruir  à  la 
conferuationdefes  droits.  Et  par- 
tant elles  font  de  chofès  qui  de  leur 
nature  font  indifférentes,  &  qui  de- 
uiénnent  bonnes  ou  mauuaifes  feu- 
lement par  les  circonfl:anceS:,&:  par 
l'autorité  du  Legiflateur  qui  les  éta- 
blit. Or  efl:  il  bien  vray  que  les  per- 
fonnes  priuees&  particulières, font 
obligées  de  s'affujettir  aux  loix  que 
la  focieté  religieufe  ordonné  tou-  1. 
chant  l'vfage  ou  rabftmcnce  des  l 
chofes  indifférentes  de  leur  nature.  \ 
Car  dVncoftéil  eft  de  la  modeftic  ;; 
de  chacun  des  particuliers,  d'auoir 


Con  flJemùon  fxicfhj  e.  411 

cette  opinion,  que  ceux  à  qiu  la 
conduite  de  cette  îbcute  reLif  icuic 
eftcommite,  ont  vne  plusgrci/iJ.e 
mcfurede  prudence,  pour  ic,g':rijr 
les  dmeries  circonitances  dcsoc- 
currences,decequi  eil  expédient, 
&quipeutreruiraedification.C'eft: 
pourqaoy  j  necomprifTent  ils  pas 
entièrement  la  raifon  de  Iiconiti- 
tution  de  l'Eglife  en  telles  chofes ,  il 
cft  de  leur  deuoir  de  luy  déférer  au- 
tant en  telles  occafionsj  que  les  en- 
fans  défèrent  à  leurs  mères  en  beau- 
coup de  chofes  ,  pource  qu'ils  ont 
cette  bonne  opinion  d'elles,  qu'el- 
les ont  plus  de  fageffe  &c  plus  de  rai- 
fon qu'eux.  Et  de  l'autre  collé, 
quand  les  perfonnes  particulières 
auroyent  vne  pleine  connoifiaace 
que  l'Eglifc  fe  feroit  trompée  en 
quelquvne  de  fes  conftitutionsen 
cet  égard ,  fi  doiuent-ils  cela  a  la  re- 

Ddz 


42.L     Des  Droits  des  çSMa^nnies 
uercnce  de  l'ordre  que  Dieu  a  eftaJ 
blien  cette  focietè  ,  que  pour  des 
chofes  indifférentes  en  elles  mef- 
mes^&dontilsfe  peuuent  fort  ai- 
fémentabftenir,  ils  ne  remuent  pas 
la  tranquilité  de  la  focieté  toute  en- 
tière ,  &  ne  donnent  pas  de  mauuais 
exemples  dlrreuerence  &  de  rébel- 
lion. Car  l'Eglifeeft  comme  le  mé- 
decin de  nos  âmes.  Si  le  médecin  eft; 
fufpeOidempoifonnement,  il  faut 
regarder  de  bien  près  à  ce  qu'il  or- 
donne, afin  de  ne  mettre  pas  fa  vie 
en  vn  manifcfte  péril.-   Si  après  y 
auoir  bien  diligemment  pris  gai  de, 
il  fe  trouue  que  véritablement  au 
lieudemedeciner  ,  il  empoifonne, 
il  fe  faut  retirer  de  deffous fon  gou- 
uernement  ,  &  commettre  le  foin 
de  fa  vie  &  de  ^à  fanré  à  vn  autre. 
Mais  s'il  fe  trouue  qu'au  fonds  il 
donne  de  bons  remèdes  &  neceffai- 


ConfdcrAîlon  fxiefme,  4^3 
res  fclon  Tare ,  dont  le  malade  retire 
vn  foulage  ment  manifefte  ^de  for- 
te qu'il  n'y  ait  rien  à  redire  en  fa  pra- 
tique ,  finon  qu  il  charge  fon  mala- 
de de  trop  de  petites  ordonnances 
inutiles  ,  ou  au  moins  qui  ncpro- 
duifenr  pas  beaucoup  d'cffe<S^5  c*eft 
trop  d'impatience  que  de  le  rcjet- 
ter  pour  cela  j  le  bien  qui  en  vient 
au  principal,  mérite  bien  qu^on  en 
endure  quelque  peu  de  chofe  en 
racceflbire.  Mais  quant  à  cette  au- 
tre focteté  à  qui  eft  commiferad- 
miniftration  des  chofes  politiques, 
^  quant  aux  puiiiances  fouuerai^ 
nés,  entre  les  mains  defquelles  Dieu 
a  mis  l'autoritc  en  depoft  ,  il  y  a 
vue  merueilleufe  différence.  Car 
pour  ce  qui  eft  de  l'opinion  de  pru- 
dence, elle  peut  en  ces  chofes  cftrc 
aufli  grande  en  la  puiflance  Politi- 
qu'en  rEcclefiaftique:&:  bien  fou- 

Dd  4 


42-4       ^^^  Droits  des  Mariages 
uent  il  y  a  au  gouuernemcnc  des 
Eftats,  des  gens  beaucoup  plus  en- 
tendus au  iugemenc  des  circonftan- 
ees  particulières  des  chofes  qui  fc 
prelencent,  qu'il  n'y  en  a  entre  ceux 
qui  font  aflis  au  gouuernail  de  la  fo- 
cieté  qui  a  le  foin  de  la  conferua- 
tion  delà  pieté.  Qupy  que  c'enfoit, 
les  affemblees  des  peuples  dans  les 
Democraties.IesSenats  dans  les  Ari- 
ftocratieSj&danslesMonarchieslcs 
Confeils  des  Rois  &  les  Rois  mef- 
mes,  doiuent  eilrc  prefumés  ne  cé- 
der en  rien  du  tout  aux  pcrfonnes 
Eccleliadiques ,  en  ce  quieft  de  la 
prudence  &  de  la  fageffedu  gou- 
uernement.     Et  pour  ce  quiell  de 
la  reuerence  de  Tordre  ,  diucrfes 
chofesnous  obligent  à  dire  ,  qu'en 
cette  occafion  la  puifTance  l'ecu- 
liere  doit   prcualoir.     Première- 
n)ent5  puis  que  la  puiffance  com- 


Confideration  fxhjnie,  41  ^ 
mife  à  l'E^jUle  e-l  toute  fpirituelle, 
&  qu'elle  ne  peut  vanger  la  rebei- 
lion  coai.iiifc  aienconcre  de  les 
loix ,  finon  par  les  ccnfures  Si  les 
excommunications,  &  que  la  puif- 
fance  ftculiere  elt  armée  de  torcc 
&:  de  violence  pour  faire  exécuter 
fesvolontez  ,  ileft  de  la  prudence 
del'Eglifede  céder  au  plus  fort,  cC 
de  faire  taire  fes  canons  ,  où  ceux 
de  la  puiflance  fouueraine  ton- 
nent. Car  queferuira  de  fulminer 
des  excommunications,  lors  que  le 
louuerain  Magiftrat  foudroyera 
tout  de  bon  ceux  qui  luy  feront  re- 
fîllance?  Puis  apreSj  il  efl:  de  ion  de- 
uoir encore,à le  prendre  parla  con- 
fcience.  Certes  dans  les  chofes  que 
Dieu  &  la  nature  ont  inuiolable- 
mcnt  eftablies,(î  la  fouueraine  puiC- 
fance  nous  veut  obliger  à  les  violer, 
il  s'y  faut  oppofer  par  remonflrâces 


42  ^      T)£S  Droits  des  Jldarldges 
faites  auec  toute  iorte  dliumilitér 
&fi  on  ne  la  peut  fléchir  y  foufFrir 
plutoft  peiTecution  j  &fc  monftrer 
inuincibleenfa  patience.  Les  Apo- 
ftres  nous  ont  appris  àc  par  leur 
exemple  5 &  par  leurs  propos,  &  la 
nature  medneconfent  à  leurs  enfei- 
gnemens, qu'il  vaut  mieux  obeïr  à 
Dieu  qu'aux  hommes.  Mais  quand 
ileft  queftion  de  chofes  qui  font 
indifférentes  de  leur  nature^  &  où 
Dieu  ne  nous  a  point  donné  d'ex- 
prefle  déclaration  de  fà  volonté^ 
l'autorité  dont  il  areueftules  puif- 
fances  fuperieures  qui  gouuernent 
les  Eftats  ,  nous  doit  eilre  en  telle- 
recommandation  ,  que  qui  que 
nous  (oyons  ^  nous  leur  rendions 
vne  pléne  &  entière  obeïflance.  Ce 
n'eft  pas  qu'on  ne  leur  puiflere- 
monftrer^ou  le  dommage  qui  en 
peut  reuenir  aux  particuliers  ^  ou  le 


Confderation  fix'iefme.  42.7 
péril  qu'en  encourt  l'éditication 
commune.  Etcclas'eft  ainii  prati- 
qué en  tous  les  fiecles.  Mais  où  la 
voix  de  la  remonftrance  ne  produit 
rien ,  il  ne  refte  à  l'Eglife  en  telles 
occafions  fînon  la  gloire  de  l'o- 
beïflance.  En  fin ,  s'il  eft  en  queU 
que  façon  de  la  difpofition  de  la 
nature  ,  qu'on  vfe  de  quelque  pré- 
caution pour  empefcher  &  dans  les 
mariages ,  &  ailleurs ,  la  violation 
de  fes  loix,  il  eft  encore  plus  de  Im- 
ftitutionde  la  nature^  6c de  la  vo- 
lonté de  Dieu  ^  d'apporter  toutes 
lortesdefoins&de  coniiderations, 
àcequelatranquilité  &  del'Eglife 
&:dela  République  ne  foit  point 
troublée.  Or  ne  peuucnt  ces  deux 
focietés  entrer  enfemble  en  con- 
flid:,  qu'elles  ne  perdent  également 
leur  repos  jcnlaconferuation  du- 
quel gift  la  félicité  de  celle-cy,  ôc 


4iB  Des  T)roïts  des  tjfdariages 
en  fa  perturbation  :,  la  ruine  ôc  le 
reriuerfement  de  la  pieté  de  l'autre, 
le  conclus  donc  que  ces  deuxpuif- 
fances  doment  donner  leurs  difpen- 
fes  conjointement.  Mais  que  foit 
qu'elles  s'accordent  5  celle  qui  ert  de 
la  puifl'ance  fecuîiere  eft  toufiours 
de  beaucoup  fliperieure  en  autori- 
té i  foit  quelles  ne  s'accordent  pas, 
les  difpenfes  ou  les  defenfes  de  TE- 
ftat  j  le  doiuent  par  toutes  raifons 
emporter  par  deffus  celles  de  l'E- 
gUfe. 


FIN. 


■"yjïuvcfsitag 

BlbLIOTHOCA 

Oftaviens>* 


EKK^TA. 


PAge  zG.  lin.  1 8 .  Itfes  fin ,  &:. 
Pag.  19.  lin.  7.  Itfés  au  lieu  de  conimcno- 
blc ,  conuenables. 
Pag.  jo.  lin.  7.auli?ud?parle,///V/pechc. 
Pag.  J9.  lin.  10.  A/^^rcfpine. 
Pag.ii6.lin.  U-'/^S  dcTaffinité. 
Pag.  234.  lin.  dernière //y  <v  s' eft  coil-ompuc, 
Pag.  240.  lin./.  /?/^Miaift. 
Pag.  34<5.  lin.  7.  //^f  beaux  frères. 


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v^