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Full text of "Constitution et puissance militaires comparées de la France et de l'Angleterre"

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HARVARD 
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COKSTÏTI TION 


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CONSTITUTION 


ET 


PnSSANCE   MILITAIRES 

COMPARÉES 

DE  LA  FRANCE  ET  DE  L'ANGLKTEKIE 

izsi  Lzmr 


Pnrif.  —  Imprimerie  de  E.  Martinit,  rue  Mignon,  2. 


CONSTITUTION 


ET 


PUISSANCE  MILITAIRES 

COMPARÉES 

DE  LÀ  FRANGE  ET  DE  L'ANGLETERRE 


L'ARMÉE  BRITANNIQUE 

SON  ORGANISATION,   SA  COMPOSITION  ET   SON   EFFECTIF, 

SA   FORGE   ET   SA   FAIBLESSE, 

SA  DISTRIBUTION  ENTRE  LA  MÉTROPOLE  ET  LES  COLONIES  ANGLAISES, 


Par  Ch.  MARTIN, 

Ueolciunl-colone],  officier  de  Tordre  imp^ial  de  la  Légion  dlionoesr 
•t  dflt  ordrei  rojaas  des  SS.  Maurice  et  La«re,  de  Léopold,  dfl  SasTcar,  etc.,  etc. 


ff  Thtts  vie  corne  tothe  conclntioo  that 

Enffland  is  very  badly  supplied   with  troopo  for 
défensive  ebjecl4  ;  tlint  if  PAïaïAMBNT  gave  ihe 

noney,  England  couid  not  get  the  men » 

{MUitary  $yttem  of  Great-Britain.) 


PARIS 

CH.  TANERA,  ÉDITEUR, 

LIBRAIRIE  POUR  L*ART  MILITAIRE,   LES  SCIENCES  ET  LES  ARTS, 

RUE   DU  SAVOIE,   6. 

1863 

Droits  de  tmdaetioo  et  de  reproduction  réservés. 


^Ba-  22  5.6] 


y  NARVMO  C0LLE6C  UB8AIV 

fllFT  OF  IME      .. 
HARVABO  UW  SCHOOL 
Hièi  3  ]d38 


r  " 


AVERTISSEMENT 


L'examen  du  système  militaire  de  la  Grande-Bretagne 
comprendra,  sous  quatre  titres  différents,  autant  d*études 
ééparées  et  distinctes: 

La  première  {l'j^rmée  érttonnt^tie)  est  consacrée  à 
Texamen  des  forces  de  terre  de  TAnglelerré  au  point 
de  vue  :  1*  du  commandement  et  de  Tadministration 
centrale;  9*  de  Torganisation  et  de  la  composition; 
A**  de  reffectif  et  de  la  distribution  des  troupes  entre  U 
métropole  et  les  colonies. 

La  seconde  {Instruction,  service  et  règlements  de  l'ar- 
mée  anglaise)  comprend  Texamen  critique  des  diffé- 
rentes armes  et  corps  administratifs  entrant  dans  la 
composition  de  Tarmée  britannique,  au  point  de  vue: 
1®  de  leur  instruction  ;  2"  de  leur  efiîcacité  ;  S*  de  leur 
service  ;  et  une  analyse  détaillée  de  leurs  règlements  et 
de  leurs  manœuvres. 


VI  AVERTISSEMENT. 

La  troisième  {Instilutions  militaires  de  la  Grande- 
Bretagne)  a  pour  objet  l'exposé  et  la  discussion  des 
institutions  militaires  de  la  Grande-Bretagne,  envisagées 
au  point  de  vue:  1"  du  recrutement;  2*  des  mœurs  et 
de  la  discipline  de  l'armée  ;  «V  de  l'avancement  ;  &*  de 
la  législation,  des  peines  et  des  récompenses;  5"  de  l'ad- 
minisl ration,  etc. 

La  quatrième  (Système  défensif  de  la  Grande^ 
Bretagne)  est  consacrée  à  la  géographie  militaire  de 
TAngleterrè  et  à  l'examen  de  ses  conditions  défensives, 
elle  comprend  :  l' la  description  topographique  du  terri- 
toire et  des  côtes  du  Royaume-Uni  au  point  de  vue  des 
obstacles  naturels  ou  arlificiels,  tels  que  montagnes, 
cours  d'eau,  places  fortes,  et  au  point  de  vue  des  com- 
munications, routes,  chemins  de  fer,  canaux, etc.;  "i!*  le 
tableau  général  des  établissements  militaires  de  l'Âugle*' 
terre,  de  l'Ecosse  et  de  l'Irlande, 


PRÉFACE 


Tempùn  nuiUiitiiret  mm  mntamiir  in  illis. 

Déterminer  consciencieusement  l'élat  des  torces  mi- 
litaires de  l'Angleterre  ;  —  comparer  leur  organisation 
avec  celle  de  l'armée  française,  et  chercher  d'utiles 
enseignements  dans  le  rapprochement  des  institutions 
militaires,  si  différentes  à  tant  d'égards,  des  deux 
pays  :  —  tel  est  le  but  d'une  série  d'études  que 
nous  avons  publiées  successivement,  depuis  deux  ans. 
Ces  études  n'étaient  pas  une  œuvre  de  circonstance. 
Encore  moins  ont-elles  été  entreprises  dans  un  but 
de  polémique.  Cependant,  si  Ton  considère  l'éternel 
intérêt  des  questions  qu'elles  embrassent,  peut-être 
ne  leur  refusera-t-on  pas,  dans  une  certaine  mesure, 
le  mérite  de  l'actualité,  cette  condition  essentielle  de 
tout  livre  du  momen^—  «  The  book  for  the  rtme,» 
comme  disent  les  Anglais. 

L'alliance  que  la  France  a  contractée,  depuis  bien- 
tôt dix  ans,  avec  l'Angleterre,  est  certainement  la 
preuve  la  plus  manifeste  du  changement  et  du  progrès 
accomplis  dans  l'esprit  des  nations  modernes.  11  suffît. 


VIII  PRÉFACE. 

pour  le  reconnaître,  d'un  simple  coup  d'œil  sur  la 
situation,  le  caractère,  et  Thistoire  passée  des  deux 
peuples. 

Lorsqu'on  réfléchit  aux  singuliers  accidents  géogra- 
phiques que  présente  la  surface  de  la  terre  ;  lorsque» 
parcourant  la  carte,  on  considère  les  élévations  et  les 
dépressions  qui  s'y  rencontrent  ;  lorsqu'on  songe  à  ces 
anciens  continents  transformés  en  mers  profondes,  ou 
à  ces  océans  immenses  aujourd'hui  desséchés  ;  —  on 
est  tenté  de  se  demander  ce  qui  serait  arrivé,  si,  au 
milieu  des  convulsions  de  notre  globe,  l 'insignifiant 
âétt-oît  qui  sépât^  là  Ptilttce  dé  TAngleterre  s*était 
exhaussé  dé  quelques  bl-asses. 

Qu'iiuraîl  gagné,  qu'aurait  pei'du  le  genre  humairt 
à  la  disparition  de  cet  étroit  bras  de  mer? 

Sans  doute,  Tun  des  deUx  gt*ands  idiomes  qui  pa- 
raissent devoir  se  partager  le  taonde  n'existerait  pas. 
et  le  lecleuf  moderne  devrait  se  passer,  soit  de  la  litté- 
rature fi*ïitlçai$e,  soit  de  la  littérature  anglaise;  — 
TistHstocfatid  ne  uous  offrirait  plus  son  type  le  plus 
parfait,  ou  la  démocratie  son  expression  la  plus  bril- 
lante 5  —  enflrt,  les  hommes  d'État  n'auraient  pas  à 
chercher  quel  est  le  meilleur  et  le  phis  sain  pour  les 
peuples,  de  la  liberté  restreinte  avec  l'égalité  absolue, 
ôu  de  l'inégalité  isociale  h  plu»  umustrueuse,  avec  la 
liberté  la  plus  illimitée. 

Comme  compeusalion,  cotnbierl  de  malheurs  eussent 
été  épargnés,  que  de  dé^stras  eussent  été  évités,  que 
de  traités  n'eussent  jamais  été  signés,  et  par  conséquent 
violés  !  Les  huit  cents  ans  de  guerres  qui  ont  divisé  la 


PJEIÉIF'AGE.  IX 

France  et  l'Angleterre  seraient  sans  doute  rayés  de 
leur  commune  histoire  ;  et,  si  ces  deux  reines  des  so- 
ciélés  modernes  n'avaient  pas  absiirdement  dépensé, 
Tune  contre  l'autre,  des  torrents  d'or  et  de  sang,  elles 
eussent  avancé  par  leur  union,  d'autant  de  siècles 
peut-être,  les  progrès  de  l'humanité  ! 

Sans  l'existence  de  ce  simple  fossé  jeté  entre  la 
France  et  l'Angleterre,  les  philosophes,  qui  font  naître 
l'association  de  la  proximité,  seraient  sans  doute  fort 
empêchés  d'expliquer  l'éternel  antagonisme  des  deux 
peuples.  Étrahge  influence,  cependant,  de  cette  mince 
barrière  !  Des  deux  nations,  l'une  est  teutonique  et 
Tautre  celtique  ;  —  l'une  est  restée  catholique,  l'autre 
est  devenue  protestante  ;  —  l'une  est  féodale,  l'autre 
est  classique  ;  —  Tune  est  aristocratique,  l'autre  dé- 
mocratique; —  enfin,  l'une  est  maritime  et  l'autre 
continentale.  Chacun  des  deux  peuples,  en  possession 
de  ce  qui  manque  à  l'autre,  a  dû  suivre  sa  voie  et 
tendre  au  progrès  par  des  moyens  diflFérents  ;  et  de 
cette  différence  môme  devait  naître  la  constante  oppo- 
sition qui  les  a  divisés.  Doit-on  s'étonner  si,  depuis  leà 
temps  les  plus  reculés,  leur  histoire  n'a  été  qu'une  lutte 
perpétuelle  et  toujours  indécise  (1)  ? 


(i)  Voîci  la  désolante  récapitulation  des  guerres  de  la  France  et 
de  r Angleterre,  avec  la  date  de  leur  origine  et  Tindicalion  de  leur 
durée  :  En  lloo,  guerre  de  deux  ans.  —  En  ilûl,  guerre  d'un  an* 
—  En  1161,  guerre  de  vingt-cinq  ans.  —  En  1211,  guerre  de  quinze 
ans.  —  En  1224,  guerre  de  dix-neuf  ans.  —  En  1294.  guerre  de 
cinq  ans.  —En  iâ39,  guerre  de  vingt  et  un  ans. —  En  1368, 
guerre  de  quarante-deux  ans.  —  En  1442,  guerre  de  quarante-ueulf 


X  PRÉFACE. 

Toujours  en  guerre,  TAugleferre  et  la  France,  il  est 
vrai,  ont  été  incapables  de  s'entre-détruire,  par  la  rai- 
son bien  simple  que  les  extrêmes  ne  peuvent  s'absorber 
ni  s'anéantir;  mais,  en  revanche,  que  de  misères  ac- 
cumulées pendant  ces  huit  siècles  employés  par  les 
deux  peuples  à  se  ruiner,  à  se  vouer  à  la  famine  et  à  la 
banqueroute!  Tandis  que  Français  et  Anglais  guer- 
royaient à  outrance  ou  se  coulaient  à  fond  pour  la  plus 
grande  gloire  des  deux  nations,  quel  retard  la  civilisa- 
tion n'a-t-elle  pas  subi  !  Quels  dommages  les  autres 
peuples  témoins  de  ces  discordes  n'ont-ils  pas  éprouvés  ! 

Pendant  huit  siècles,  l'Angleterre  et  la  France  se 
sont  donc  évertuées  à  tirer  parti  de  leurs  embarras 
mutuels,  et  n'ont  cessé  d'être  réciproquement  jalouses 
de  leur  prospérité.  Cette  altitude  paraissait  la  seule 
naturelle  aux  deux  nations.  Il  ne  manquait  même  pas 
de  gens  éclairés,  des  deux  côtés  du  détroit,  pour  les- 
quels cette  situation  avait  toute  la  valeur  d'une  néces- 
sité, et  qui  auraient  regardé  l'alliance  entre  les  deux 
peuples  comme  une  innovation,  une  expérience  hasar- 
dée et  dangereuse. 


ans.  —  En  U9'2,  guerre  d'un  mois.  —  En  1512,  guerre  de  deux 
ans.  —  En  1521,  guerre  de  six  ans.  —  En  15Zi9,  guerre  d'un  au.  — 
En  1557,  guerre  de  deux  ans.  —  En  1562,  guerre  de  deux  ans.  — 
En  1627,  guerre  de  deux  ans.  ■—  En  1660,  guerre  d'un  an.  ~  En 
1689,  guerre  de  dix  ans.  —  En  1702,  guerre  de  onze  ans.  —  En 
i7ûû,  guerre  de  quatre  ans.  —  En  1756,  guerre  de  six  ans.  — 
En  1776,  guerre  de  six  ans.  —  En  1793,  guerre  de  neuf  ans.  — 
Enfin,  en  1803  et  jusqu'en  1815,  guerre  de  douze  ans.  En  somme, 
deux  cent  soixante-cinq  années  de  guerres  dans  une  période  de  sept 
cent  trente  ans!!! 


PRÉFACE.  XI 

Pour  rompre  en  visière  à  un  préjugé  pareil,  il  fallait 
un  esprit  aussi  original  que  vigoureux,  aussi  ferme 
qu'indépendant.  Une  alliance  franco-anglaise  était  une 
combinaison  tellement  en  dehors  du  cercle  des  idées 
acceptées,  qu'il  fallait  plus  que  de  l'audace  pour  oser 
s'en  faire  Tapôtre. 

Napoléon  I"  l'a  tenté  à  deux  reprises,  mais  sans  y 
parvenir.  Quoiqu'on  ait  eu  la  mauvaise  foi  de  le 
peindre  comme  ayant  constamment  voulu  la  guerre. 
Napoléon,  dès  l'époque  où  il  traitait  à  Leoben  avec 
rAutricbe,  se  prononçait  hautement  pour  la  paix  avec 
l'Angleterre.  Depuis,  il  a  prouvé  dans  deux  circon- 
stances la  sincérité  de  ses  dispositions  à  cet  égard  :  à 
son  avènement  au  Consulat  et  à  l'Empire.  «  Le  monde 
est  assez  grand,  écrivait-il  vainement,  en  1799,  à 
Georges  III,  pour  que  nos  deux  nations  puissent  y 
vivre  sans  s'entre-nuire.  »  Couronné  Empereur,  il  re- 
nouvelait presque  aussitôt  cette  tentative  infructueuse 
en  proposant  encore,  le  2  janvier  1805,  au  roi  d'An- 
gleterre, de  mettre  un  terme  aux  hostilités  qui  divi- 
saient les  deux  pays.  Enfin,  parvenu  au  faite  de  la 
puissance,  ce  qu'il  désirait  pour  la  France,  Napoléon  V 
le  disait  au  général  Mack  après  la  capitulation  d'Ulm, 
et  dès  le  début  de  cette  guerre  que  l'Angleterre  avait 
réussi  à  lui  susciter  avec  l'Autriche  :  «  Je  ne  veux  rien 
sur  le  continent  ;  ce  sont  des  vaisseaux,  des  colonies, 
du  commerce  que  je  veux  ;  et  cela  est  avantageux  aux 
autres  nations  comme  à  la  France  (1).  » 

(I)  Voir  le  9»  Bulletin  de  la  grande  armée  (Elchîngen,  21  octobre 
1805). 


il[  PRÉFACE. 

Affaibli  par  l'âge,  dominé  par  des  conseillers  im- 
prudents, Georges  lU  repoussa  à  deux  reprises  les 
avances  de  Napoléon  P'.  On  sait  le  reste.  Les  violenbi 
efforts  que  l'Angleterre  a  faits,  au  commencement 
de  ce  siècle,  lui  ont  coûté  trop  cher  pour  ne  pas 
servir  au  moins  de  leçon  à  la  génération  actuelle. 
Une  dette  de  23  milliards  est  le  monument  de  sa 
folie  passée,  ce  devrait  être  aussi  le  gage  de  sa  sc^sse 
future. 

Ces  23  milliards,  l'Angleterre  les  a  dépensés  pour 
renverser  la  dynastie  napoléonienne,  et  c'est  un  autre 
Napoléon  qu'elle  voit  assis  aujourd'hui  sur  le  trône  à 
jamais  illustré  par  le  fondateur  de  cette  dynastie.  Bien 
plus,  par  un  singulier  retour  des  choses  d'ici-bas,  les 
paroles  de  paix  et  d'alliance  que  Napoléon  I"  n'avait 
pu  faire  écouter,  c'est  Napoléon  III  qui  devait  encore, 
à  un  demi-siècle  de  distance,  les  adresser  le  premier  à 
l'Angleterre  ! 

Hâtons-nous  de  le  dire,  cette  fois,  les  leçons  du  passé 
n'ont  pas  été  perdues.  Au  début,  l'Angleterre  s'est 
montrée  loyale.  Lorsque  la  volonté  nationale  a  changé 
non-seulement  la  forme  du  gouvernement,  mais  en- 
core la  dynastie  des  souverains  de  la  France,  nos  voisins 
ont  déclaré  que  la  seule  conduite  compatible  avec  les 
principes  du  peuple  anglais  était  de  respecter  le  désir 
et  la  volonté  du  peuple  français.  Spontanément,  sans 
hésitation,  l'Angleterre  a  reconnu  le  prince  que  la 
France  avait  appelé  à  r^ner  sur  elle.  Bien  que  d'au- 
tres puissances  ne  marchassent  pas  sur  ses  traces,  et 
hésitassent  à  suivre  son  exemple,  l'Angleterre  est  restée 


sourde  à  leurs  instigi^tions,  et  elle  a  reconnu  franche-^ 
ment  l'Empereur  et  TEinpire. 

U  France  ne  saurait  tenir  trop  compte  à  ses  voisins 
de  cette  loyale  conduite  ;  quant  à  son  souyeraîn,  quant 
à  Napoléon  IQ,  Vbistoire  dira  s'il  a  jamais  yarié  danq 
son  langage  ou  dans  ses  actes,  et  s'il  n'a  pas  toujours 
exprimé  la  conviction  que  c'est  non -seulement  la  meil- 
leure politique  de  la  France,  maisi  en  même  temps,  son 
plus  vif  désir  personnel  de  maintenir  une  alliance  cor* 
diale  avec  l'Angleterre. 

Certes,  il  fallait  dominer  de  bien  haut  les  bi^nes,  les 
rancunes  et  les  préventions  populaires  pour  tenir  un 
pareil  langage  ;  un  seul  bomme  était  assez  fort  pour 
l'oser.  Une  nouvelle  idée  internationale,  comme  une 
nouvelle  idée  financière,  un  nouveau  principe  en  ma- 
tière de  crédit  public,  de  commerce  ou  d'écbange, 
exige  de  la  part  d'un  bomme  d'État  une  confiance 
absolue  dans  son  propre  jugement.  C'est  bien  k 
Napoléon  III  que  l'on  doit,  en  réc^lité,  l'alliance  anglo- 
française*  Sans  doute  le  système  politique  du  gouver- 
nement de  Juillet  avait  créé  un  précédent  à  cet  ég^rd  \ 
«aais  combien  les  conditions  de  «  l'entente  cordiale  n 
étaient  différentes  de  celles  qui  règlent  actuellement  les 
relations  de  la  France  et  de  l'Angleterre  !  Napoléon  III 
pouvait  seul  inaugurer  la  politique  d'une  alliance  in- 
time et  complète  entre  les  deux  pays  ;  car  il  est  le 
premier  qui  ait  su  la  rendre  bonorable,  en  lui  assurant 
les  conditions  d'égalité,  de  force  et  de  solidité  par  les- 
quelles il  se  l'est  appropriée. 

L'union  de  la  France  et  de  l'Angleterre  a  été,  jus- 


XïV  PftËFAÉE. 

qu'ici,  tout  au  bénéflce  des  véritables  intérêts  de 
l'Europe.  Réunies,  elles  ont  pu  soutenir  et  faire  pré- 
valoir les  grands  principes  internationaux  sur  lesquels 
repose  l'avenir  des  peuples  modernes.  Elles  ont  prot^é 
le  faible  contre  le  fort.  En  repoussant  une  coupable 
agression,  elles  ont  consolidé  l'équilibre  européen, 
non-seulement  en  déclarant  et  en  prouvant  que  le 
temps  des  conquêtes  était  passé,  mais  en  proclamant 
le  devoir  étroit  qui  incombe  aux  grands  États  de  pro- 
téger et  d'encourager  la  paix,  la  liberté  et  le  progrès. 

On  ue  saurait  donc  le  répéter  assez,  il  importe  au 
genre  humain  tout  entier  que  la  France  et  l'Angleterre 
vivent  en  bon  accord;  et  tous  les  hommes  éclairés 
désirent  voir  se  resserrer  de  plus  en  plus  l'alliance  de 
ces  deux  grands  peuples.  Pour  que  cette  alliance  soit 
durable,  nous  l'avons  dit,  il  faut  qu'il  n'en  coûte  rien 
à  l'honneur  des  deux  parties.  Entre  elles  tout  doit  être 
égal.  Or,  il  faut  bien  le  reconnaître,  avec  le  peuple 
anglais,  excellent  à  tant  de  titres,  mais  jaloux  et  om- 
brageux à  l'excès,  il  faut  tenir  compte  d'uu  orgueil 
et  d'un  égoïsme  qui  peuvent  être  des  formes  de  son 
patriotisme,  mais  qui  n'en  rendent  pas  moins,  fort 
souvent,  les  relations  très  diflBciles. 

Depuis  1852^  dans  plusieurs  circonstances,  ces  rela- 
tions ont  pris  un  caractère  assez  alarmant  pour  inspi- 
rer  de  vives  inquiétudes  aux  plus  chauds  partisans  de 
l'alliance.  On  ne  peut  pas  dire  certainement  qu'il  soit 
rien  advenu  d'assez  grave  et  d'assez  persistant,  pour 
compromettre  irrévocablement  les  bonnes  relations 
entre  les  deux  pays;  mais  on  ne  peut  se  dissimuler 


PRÉFACE.  XV 

non  plus,  qu'à  plusieurs  reprises  les  liens  qui  les  unis- 
sent, au  si  grand  avantage  de  la  civilisation,  n'aient 
été  sur  le  point  de  se  relâcher. 

De  ces  dissentiments  passagers,  au  réveil  des  pas- 
sions d'un  autre  âge,  plus  d'une  fois  peut-être,  sans  la 
modération  et  la  prudence  des  gouvernements,  la 
transition  eût  été  imminente.  Or,  la  continuation  des 
relations  pacifiques  entre  les  deux  peuples  est  d'une 
importance  trop  haute,  pour  qu'il  ne  soit  pas  de  leur 
intérêt  réciproque  d'apprécier  impartialement  les  cir- 
constances qui  ont  fait  naître  un  pareil  danger.  C'est 
le  meilleur,  disons  mieux,  c'est  l'unique  moyen  d'en 
conjurer  le  retour. 

Depuis  l'avènement  du  second  empire,  et  de  l'aveu 
solennel  d'un  des  orateurs  les  plus  écoutés  de  l'autre 
côté  du  détroit,  «  il  est  impossible  de  (citer  un  seul 
»  acte  de  la  France  qui  «'ait  pas  été  amical  pour  l'An- 
»  gleterre.  Je  défie,  —  a  dit  M.  Bright,  —  je  défie  les 
»  six  cabinets  qui  se  sont  succédé  pendant  cette  pé- 
»  riode  de  me  démentir.  » 

L'Angleterre,  en  ce  qui  regarde  sa  conduite  vis-à-vis 
de  la  France,  peut-elle  faire  une  semblable  décla- 
ration ?  L'Angleterre  a-t-elle  le  droit  de  se  proclamer 
sans  reproches? 

Sans  sortir  de  la  sphère  des  événements  purement 
militaires,  qui  rentrent  plus  spécialement  dans  notre 
cadre,  établissons  le  bilan  des  deux  pays. 

Chaque  fois  que  l'Angleterre  s'est  trouvée  aux  prises 
avec  une  diflBculté,  —  et  chacun  sait  si  elle  en  a  eu  de 
sérieuses  à  traverser  depuis  1852,  —  la  France  n'a- 


XVI  t>EÉFACfi. 

t-elle  pas  prouvé  qu'elle  rompait  hautement,  franche- 
ment, avec  les  errements  du  passé,  en  s'abstenantd'en 
profiter?  Sans  remonter  aux  jours  des  Plantageneta 
ou  des  Tudors,  les  annales  contemporaipes  ne  nous 
ofirent-elles  pas  un  parallëlei  ou  plutôt  un  contraste 
bien  éloquent  dans  la  conduite  de  la  France  ? 

Sans  doute  on  ne  peut  comparer  la  révolte  des  colo- 
nies anglaises  de  l'Amérique  du  Nord  avec  Tinsur- 
rection  indienne.  Les  deux  mouvements  diffèrent 
essentiellement  de  caractèras,  de  causes  et  de  mo- 
teui*s.  Néanmoins,  il  y  a  entre  eux  cette  similitude 
que  ce  sont  deux  insurrections,  et  que,  dans  l'un 
comme  dans  l'autre  cas,  l'Angleterre  s'est  trouvée 
dans  une  position  des  plus  critiques.  Or,  quelle  fut 
la  conduite  de  la  Fraifte  lors  du  premier  de  ce$  évé?> 
nements?  Lafayette  et  Rochambeau  furent  envoyés 
au  secours  des  insurgés  américains. 

Ce  procédé  était  d'accord  avec  les  maximes  du  jour, 
L*uue  des  nations  cherchait  à  profiter  des  embarras  de 
l'autre,  et  T Angleterre,  bien  entendu,  n'était  pas  lopg- 
temps  en  reste  avec  nous.  Elle  nous  rendait  la  pareille 
au  début  de  la  révolution.  Tout  cela  était  parfaitement 
naturel  ;  c'était  la  conséquence  de  la  rivalité  séculaire 
que  nous  avons  esquissée  plus  haut  :  il  n'y  avait  entre 
les  deux  pays  d'autre  idée  que  de  se  faire  le  plus  de 
mal  possible. 

Comme  contraste  bien  significatif  avec  cet  acte  de 
la  France  lors  de  la  révolution  américaine,  quelle  a  été 
son  attitude  en  présence  de  l'insurrection  indienne? 
La  France  a  offert  le  libre  passage  à  travers  son  terri- 


pftÉFACË.  xrn 

toire  aux  troupes  destinées  à  reconquérir,  au  profit  de 
l'Angleterre,  ces  magnifiques  colonies  où  flotta  jadis 
notre  pavillon,  et  dont  la  perte  nous  sera  toujours  une 
cause  d'amers  regrets  ! 

Était-ce  le  fait  de  bons  alliés? 

I^  France  d'ailleurs,  dans  la  circonstance  capitale 
que  nous  venons  de  rappeler,  n'a  pas  borné  à  ce  con- 
cours passif  les  bons  offices  qu'elle  a  rendus  à  l'An- 
gleterre.  Elle  l'a  aidée  d'une  façon  plus  effective 
encore.  Lorsque  nos  voisins  ont  voulu  faire  la  guerre 
à  la  Chine,  à  la  suite  d'événements  qui  compromettaient 
leur  commerce,  pourquoi  la  France  les  a-t-elle  suivis? 
Nous  avions  sans  doute  un  motif  honorable,  celui  de 
venger  le  sang  de  nos  missionnaires,  mais,  au  même 
moment,  celui  des  membres  de  l'Église  annamite  cou- 
lait aussi  à  flots.  Nous  étions  libres  de  choisir  notre 
jour  et  notre  heure  ;  nous  pouvions  faire  tout  de  suite  ce 
que  nous  avons  fait  plus  tard  en  réunissant  nos  forces 
à  celles  de  l'Espagne.  Ces  forces,  nous  les  avons  en- 
voyées rejoindre  celles  des  Anglais  sous  les  murs  de 
Canton,  et  nous  avons  ajourné  le  juste  châtiment  des 
Annannites. 

A  cette  époque,  il  n'est  personne  dans  le  monde 
politique  ou  militaire  qui  ait  hésité  à  reconnaître  que 
nous  avions  aidé  puissamment  nos  alliés,  enleurper^- 
mettant  de  concentrer  toutes  leurs  forces  dans  la  ré- 
pression d'un  soulèvement  qui,  menaçant  de  soustraire 
l'Inde  à  leur  domination,  eût  porté,  s'il  eût  réussi,  un 
coup  terrible  à  leur  puissance  maritime. 
Certes  nous  sommes  loin  de  prétendre  qu'en  Chine 

b 


1«.  France  n'ait  pris  conseil  que  de  sa  générosité  ;  en 
politique,  une  abnégation  aussi  absolue  serait  une 
duperie  ;  nous  ne  partageons  donc  nullement  l'opinion 
des  gens  qui  ont  cru  qu'en  combattant  côte  à  côte  avec 
les  Anglais,  nous  avions  seulement  protégé  le  déve- 
loppement de  leur  marine  et  défendu  la  sécurité  de 
iQur  commerce.  Les  conditions  dans  lesquelles  notre 
pavillon  a  reparu  et  continue  à  se  maintenir  en  Asie, 
fieraient  une  compensation  suffisante  pour  les  sacrifices 
que  nous  avons  faits,  lors  même  que  les  résultats  ac- 
quis, dès  à  présent,  ne  seraient  pas  aussi  riches  eb 
promesses  pour  l'avenir.  Toutefois,  les  Anglais  ne 
doivent  pas  oublier  que  dans  cette  expédition  entre  - 
prise  en  commun,  tout  le  profit  mah^riel  et  immédiat 
devait  être  pour  eux.  Nous  étions  libres  de  nos  mouve- 
ments et  de  notre  action,  alors  qu'il  en  était  tout 
autrement  pour  l'Angleterie.  11  y  a  des  intérêts  tout- 
puissants  dont  on  ne  peut  ajourner  la  satisfaction  ou  la 
défense.  Pour  la  Grande-Bretagne,  ces  intérêts  lout- 
puissauts  sont  ceux  de  ses  fabriques  de  Manchester,  et 
la  vente  de  Topium,  qui  peut  seule  maintenir  à  flot 
les  caisses  publiques  de  Tlnde  épuisée.  Malaise  à  Tin- 
térieur,  insurrection  dans  les  provinces  extérieures, 
tel  est  l'aiguillon  sous  lequel  l'Angleterre  était  con- 
^trainte  de  combattre  sans  trêve  ni  repos.  L'opium  et 
1q  commerce  anglais,  voilà  quel  était,  pour  nos  voisins, 
le  grand  objet  de  la  guerre  avec  la  Chine. 

Qui  oserait  afiirmer  qu'eu  Italie  ou  au  Mexique, 
sans  parler  de  bien  d'autres  circonstances,  l'An- 
gleterre ait  pratiqué  l'alliance  avec  la  dignité  et  le 


PRÉFACE.  XDL 

désintéressement  dont  nous  lui  avions  donné  l'exemple? 

Ces  PANIQUES  tant  exploitées,  et  dont  il  a  été  fait  si 
grand  bruit,  n*ont-elles  pas  eu  de  ténébreux  mobiles? 
C'est  le  ministère  tory  de  1859  qui  a  été  le  premier  à 
les  répandre.  Pourquoi,  alors  que  toute  notre  attention 
et  nos  forces  étaient  tournées  du  côté  de  T  Autriche, 
lord  Derby  a-t-il  laissé  accréditer  la  pensée  d'une 
guerre  possible  avec  la  France?  Pourquoi  a-t-il  fait 
de  ces  craintes  chimériques  le  motif,  ou  plutôt  le  pré- 
texte d'une  augmentation  de  toutes  les  forces  déterre 
et  de  mer  de  T Angleterre?  N*est-on  pas  en  droit  de 
penser  que  ces  préparatifs  étaient  faits  dans  le  but 
d'épouser  la  cause  de  l'Autriche  ou  de  l'Allemagne,  si 
l'opportunité  s'en  présentait  ? 

En  1859,  si  TAngleterre  avait  nourri  pour  les 
Italiens  ces  sympathies  dont  elle  a  affecté  de  donner, 
depuis,  tant  de  bruyants  témoignages;  témoigna- 
ges, disons-le  en  passant,  plus  ou  moins  légaux, 
plus  ou  moins  conformes  au  droit  des  gens,  —  ne 
devait-elle  pas  suivre  la  France  lorsque  celle-ci  a  passé 
les  Alpes  pour  affranchir  l'Italie?  Au  lieu  de  cela, 
l'Angleterre  a  déclaré  ne  vouloir  donner  pour  l'Italie 
ni  un  homme,  ni  un  écu  ;  puis,  plus  tard,  lorsque 
l'Empereur  s'est  arrêté  au  milieu  de  ses  victoires, 
en  donnant  la  preuve  d'une  modération  sans  exemple 
peut-être  dans  l'histoire,  l'Angleterre  a  prétendu 
qu'il  n'avait  pas  assez  fait!  Certes,  si  ceux  de  ses 
hommes  d'État  qui  ont  exprimé  cette  opinion,  qui 
ont  applaudi  depuis  aux  injures  de  Garibaldi  contre  la 
France,  avaient  bien  voulu,  avant  la  guerre,  exprimer 


XX  PRÉFACE. 

les  mêmes  sympathies ,  il  est  fort  k  présumer  que  la 
question  italienne  aurait  été  résolue  par  la  diplomatie, 
et  que  rAutriche  n'aurait  pas  lancé  son  ultimatum. 

Non-seulement  TAnjçleterre  nous  a  laissé  tout  le 
fardeau  de  la  guerre  d'Italie,  mais  son  attitude,  loin 
de  nous  venir  en  aide,  a  plutôt  été  pour  la  France  un 
sujet  d'inquiétude. 

Est-ce  là  la  conduite  d'un  allié  fidèle? 

La  France  ne  s'est  cependant  pas  découragée.  Lors 
de  l'affaire  du  Trent  et  des  démêlés  de  l'Angleterre 
avec  les  États-Unis,  la  France  s'est  prononcée  loyale- 
ment, sans  hésiter,  alors  que  son  abstention  seule  eût 
suffi  peut-être  pour  faire  éclater  la  guerre  entre  les 
Américains  et  leur  ancienne  métropole. 

Comment  l'Angleterre  nous  en  a-t-elle  témoigné  sa 
reconnaissance  au  Mexique? 

Nous  ne  voulons  pas  reproduire  ici  un  procès  trop 
récemment  vidé  :  en  accompagnant  ou  plutôt  en  pré- 
cédant les  Espagnols  dans  leur  défection,  l'Angleterre, 
nous  le  reconnaissons,  avait  une  excuse.  Dès  le  début, 
elle  avait  montré  toutes  ses  répugnances  pour  une  ex- 
pédition dans  l'intérieur  du  Mexique.  L'Angleterre  n'a 
pas  de  troupes  disponibles.  Son  armée  est  insuffisante 
pour  l'occupation  et  la  protection  de  son  immense  do- 
maine extérieur.  La  faiblesse  du  contingent  qu'elle 
avait  envoyé  au  Mexique  ne  lui  eût  pas  permis  d  être 
représentée  dans  cette  campagne  comme  l'aurait  exigé 
le  rang  qu'elle  occupe.  Son  orgueil  ne  pouvait  se  plier 
à  cette  idée. 

Nous  souhaitons  qu'en  cherchant  à  éviter  une  ble^ 


sure  à  leur  amour-propre,  nos  voisins  n'aient  pas  porté 
une  atteinte  bien  plus  sérieuse  aux  sentiments  qui  sont 
l'honneur  et  le  juste  orgueil  de  toutes  les  armées.  Pour 
apprécier  les  faits,  et  caractériser  les  actes,  la  langue 
politique  peut  avoir  des  nuances  et  des  ressources  que 
ne  connaît  pas  la  langue  militaire.  Pour  quiconque 
parle  cette  dernière,  quand  plusieurs  nations  sont 
liées  par  une  convention,  et  poursuivent  par  la  guerre 
un  but  commun,  déterminé  d'avance,  Tunion  de  leurs 
drapeaux  constitue  en  quelque  sorte  un  seul  devoir, 
une  seule  discipline.  Si  Tune  d'elles  manque  à  Tinté* 
rèt  collectif,  il  y  a  violation  formelle  d'un  engagement 
d'honneur,  et  quand  un  pareil  fait  se  produit  en  face 
de  Tennemi,  quand  Tallié  abandonné  sur  le  champ  de 
bataille  est  à  2000  lieues  de  tout  secours,  de  tout  ren- 
fort, quel  nom  faut-il  donner  à  un  pareil  abandon  ? 

Or,  en  plein  parlement,  un  Anglais  s'est  levé  pour 
reprocher  à  ses  concitoyens  d'ayoir  abandonné  leurs 
alliés  au  Mexique.  Il  sera  toujours  pénible  pour  un 
grand  peuple,  que  sa  conduite  puisse  prêter  à  de  telles 
interprétations,  et  qu'un  de  ses  propres  enfants  puisse 

lui  jeter  à  la  face  un  pareil  reproche, ce  reproche 

fût-il  discutable.  L'honneur  militaire  d'une  nation  est 
comme  l'honneur  de  la  femme  de  César;  il  ne  doit  pas 
être  exposé  à  un  soupçon,  — ce  soupçon  fût-il  injuste. 

Nous  n'insisterons  pas  davantage  sur  une  question 
aussi  délicate;  mais  nou3  ferons  cependant  une  simple 
réflexion  :  c'est  que  l'orateur  dont  nous  venons  de  par- 
ler, aurait  pu  ajouter  que  ces  alliés  abandonnés  par 
l'Angleterre  étaient  ceux-là  mêmes  qui  l'avaient  se^ 


tXn  PRÉFACE. 

courue  àBalaklava  et  sauvée  à  Inkermann.  Peu  impor- 
tait le  nombre  des  auxiliaires,  peu  importait  le  chiffre 
des  troupes  que  les  Anglais  pouvaient  mettre  en  li-^ne 
à  côté  des  nôtres.  Quand  ils  n'auraient  eu  qu'un  capo- 
ral et  quatre  hommes  pour  porter  leur  drapeau,  nous 
laissons  aux  soldats  de  Crimée  que  l'armée  anglaise 
compte  encore  dans  ses  rangs,  le  soin  de  décider  où 
était  le  poste  d'honneur  de  ces  quatre  hommes,  et  si 
leur  premier  devoir  n*était  pas  de  payer  à  Puebla  la 
dette  contractée  par  leurs  camarades  le  5  novembre 

Que  pourrions-nous  ajouter?  L'Angleterre  est  évi- 
demment la  puissance  du  monde  la  plus  intéressée  à 
s'opposer  à  Tagrandissement  des  États-Unis;  or,  si 
notre  politique  au  Mexique  sMnspire,  dans  une  certaine 
mesure,  de  la  nécessité  d'opposer  une  digue  à  l'expan- 
sion des  États-Unis,  on  peut  se  demander  pourquoi 
TAngleterre  s*est  retirée  de  Taction,  et  pourquoi,  en 
même  temps,  elle  applaudit  si  fort  à  notre  persévé- 
rance. 11  s'est  passé  en  effet,  à  propos  du  Mexique, 
quelque  chose  d'analogue  à  ce  qui  se  produit  aujour- 
d'hui au  sujet  de  la  Pologne.  Par  l'organe  de  lord 
Russell,  l'Angleterre  a  déclaré  qu'il  ne  lui  apparte- 
nait pas  d'intervenir  dans  les  atikires  intérieures  du 
Mexique  ;  d'un  autre  côté,  par  l'organe  de  la  presse 
en  général,  et  de  son  plus  puissant  journal  en  particu- 
lier, l'opinion  publique,  de  l'autre  côté  du  détroit,  n'a 
cessé  de  nous  applaudir  et  de  nous  encourager  dans 
nptre  lutte  contre  Juarez. 

Cette  contradiction  demande  une  explication.  Nous 


PR^AcEi  xxik 

twfàm  qu'il  ne  faut  pas  se  Faire  illusion  ;  les  encoura- 
gements du  Times  pour  nous  faire  rester  au  Mexique, 
tout  comme  ceux  du  Morning^Posi  pour  nous  envovef 
en  Pologne,  sont  à  la  fois  égoïstes  et  sincères.  Laissonà 
la  Pologne  de  côté  ;  en  ce  qui  regarde  le  Mexique, 
nous  ne  pouvons  interpréter  la  conduite  et  les  vœux 
contradictoires  de  TAngleterfe  que  d'une  seule  façon  : 
les  forces  et  les  préoccupations  de  la  France,  détour»- 
nées  en  partie  de  TEurope  et  engagées  dans  une  entre^ 
prise  lointaine;  de  plus  un  conflit  possible  avec  les 
États-Unis;  voilà  certainement  des  perspectives  qui, 
de  quelque  manière  que  tournent  les  événements,  sont 
envisagées  très  philosophiquement  par  nos  voisins. 

La  facilité  avec  laquelle  TÂngleterre  a  semblé  nous 
convier  à  la  conquête  du  Mexique,  son  indifférence 
affectée  à  l'égard  des  résultats  que  la  France  peut  ob- 
tenir de  cette  entreprise,  ne  sont  rien  moins  que  natu- 
relles. Il  n'entre  pas  dans  les  habitudes  des  Anglais  de 
provoquer  ainsi  les  puissances  étrangères  (la  France 
surtout)  à  accroître  leurs  possessions  au  delà  des 
mers  ;  il  y  a  donc  très  probablement  chez  nos  alliés 
une  arrière^pensée. 

Si  cette  arrière-pensée  existe,  il  est  facile  d'en  me- 
surer la  portée.  Nos  voisins  espèrent  que  la  résistance 
des  Mexicains  pourra  nous  occasionner  de  grandes 
dépenses,  et  que  Tocoupation  de  ce  pays  pour  notre 
propre  compte  nous  causera  de  grands  embarras  ;  de 
sorte  que,  ayant  les  mains  liées,  nous  ne  pourrions 
gêner  la  politique  anglaise,  ni  à  Turin,  ni  à  Constan- 
tinople,  ni  en  Egypte,  ni  à  Madagascar  et  ailleurs. 


XXI\  PRÉFACE. 

Notre  politique  au  Mexique  ne  nous  Tera  rien  perdre 
de  notre  prépondérance  en  Europe.  En  revanche,  nos 
alliés  reconnaîtront  un  jour,  nous  l'espérons  bien,  que 
cette  politique  a  augmenté  notre  influence  dans  le 
nouveau  monde,  et  qu'en  nous  procurant  des  avantages 
certains  dans  le  présent,  elle  nous  a  assuré,  pour 
l'avenir,  les  garanties  non  moins  précieuses  que  l'An- 
gleterre et  l'Espagne  étaient  venues  chercher,  —  mais 
qu'elles  n'ont  pas  su  attendre  et  conquérir  avec  nous. 

Du  parallèle  que  nous  venons  d'établir  dans  la  pra- 
tique de  l'alliance  entre  la  France  et  l'Angleterre, 
n'est-on  pas  en  droit  de  conclure  que,  si  la  première 
a  su  dominer  ses  instincts  nationaux  et  rompre  défini- 
tivement avec  les  errements  du  passé,  la  seconde,  au 
contraire,  est  loin  d'avoir  répudié  avec  la  même  fran- 
chise les  traditions  de  sa  politique  extérieure  ;  —  cette 
politique  égoïste  et  surannée  que  les  amis,  même  les 
plus  dévoués  de  l'Angleterre,  n'ont  jamais  osé  <k  ni 
juger,  ni  surtout  défendre  »  (1)? 

On  ne  peut  le  méconnaître,  les  Anglais  sont  un  grand 
peuple.  Individuellement,  ils  sont  droits,  probes,  amis 
du  progrès  et  de  l'humanité.  On  les  trouve  accessibles 
à  tous  les  sentiments  élevés,  et  ils  s'enthousiasment 
volontiers  pour  les  grandes  idées  et  les  grandes  choses. 
Mais,. dans  tout  ce  qu'ils  pensent,  dans  tout  ce  qu'ils 
font  hors  de  chez  euœ,  on  chercherait  en  vain  le  reflet 
de  ces  généreuses  qualités  ;  on  y  reconnaît  au  con- 
traire, c'est  M.  de  Montalembert  qui  Ta  dit,  «  on  y 


(1)  Jh  Vavenir  politique  de  l'Angteterrê* 


PRÉFACE.  XXV 

»  reconoatt  ie  cruel  et  implacable  égoïsme  qui  a  carac- 
»  térisé  dans  Tbistoire  tous  les  peuples  conquérants,  et 
»  plus  que  tout  autre^  ce  peuple  romain  dontrAiigle- 
»  terre  reproduit  si  fidèlement  la  grandeur,  la  dureté; 
»  la  liberté  traditionnelle,  la  personnalité  superbe^  et 
»  rindomptable  énergie  (1).  » 

C'est  en  cédant  trop  Facilement,  trop  complaisam- 
ment,  à  ces  tendances,  que  TAngleterre  pourrait  bien 
s'exposer  à  mettre  l'alliance  française  en  péril.  Sans 
doute,  pour  maintenir  cette  alliance  et  conserver  des 
relations  cordiales,  les  deux  peuples  ne  sont  pas  obligés 
de  marcher  continuellement  bras  dessus  bras  dessous, 
la  main  dans  la  main,  et  de  se  suivre,  pas  à  pas,  dans  la 
voie  où  il  peut  plaire  à  Tun  d'eux  de  s'engager,  d'accord 
avec  son  propre  intérêt.  Il  serait  déraisonnable  de 
prétendre  que,  parce  que  sur  certains  points  la  poli- 
tique de  la  France  et  celle  de  l'Angleterre  offrent  quel- 
que divergence  ;  parce  que,  de  fait,  à  certains  moments, 
la  politique  et  l'intérêt  des  deux  pays  sur  des  objets 
particuliers  seront  différents;  il  serait,  disons-nous, 
absurde  de  prétendre  qu'on  est  à  la  veille  d'une  rup- 
ture, ou  que  l'un  ou  l'autre  des  deux  peuples  a  manqué 
à  ses  devoirs  de  fidèle  allié. 

Mais  il  eu  est  tout  autrement  des  grandes  questions 
et  des  intérêts  généraux  sur  lesquels,  en  politique  pas 
plus  qu'en  morale,  il  ne  peut  y  avoir  doux  manières 
de  voir.  Se  déjuger  dans  ce  cas,  ou  se  mettre  en  con- 
tradiction avec  les  déclarations  les  plus  solennelles,  avec 

(1)  Ik  l'avenir  politique  d0  l'Angleierre,  - 


tm  FAÉFACË. 

les  principes  les  plus  respectés,  est  aussi  iriexeusftblè 
che2  les  peuples  que  chez  les  individus. 

Sur  ce  terrain,  la  France  et  l'Angleterre  devraient 
être  toujours  d'accord,  «  parce  que  leurs  intérêts  et 
leurs  devoirs  doivent  être  identiques,  sur  tous  les 
points  du  globe,  lorsqu'il  s'agit  d'humanité  et  de  civi- 
lisation, y»  (1)  S'il  faut  tout  dire,  les  Anglais  ne  nous 
semblent  pas  aussi  convaincus  de  cette  nécessité,  qu*on 
peut  le  désirer,  ou  l'être  en  France  ;  et  ce  n*est  pas 
une  médiocre  cause  de  dissentiments. 

Prenons-en  un  exemple  :  Le  percement  de  Tisthme 
de  Suez  est  une  œuvre  à  laquelle  se  sont  associés  les 
capitaux  de  toute  l'Europe.  C'est  une  entreprise  uni- 
verselle, et,  il  est  impossible  de  le  contester,  une  œuvre 
de  civilisation  par  excellence. 

L'Angleterre  a  opposé  tous  les  obstacles  hnaginablek 
au  percement  de  l'isthme  de  Suez,  parce  que  ce  projet 
«'accorde  trop  bien  avec  les  principes  de  liberté  mari- 
time et  d^expansion  commerciale  qui  servent  en  réalité 
de  base  k  l'entreprise  de  M.  Lesseps. 

Ce  que  veut  l'Angleterre,  c'est  la  domination  absolue 
des  mers  à  son  proBl;  c'est  l'infériorité  ou  l'asservis- 
sement de  toutes  les  marines. 

Supposons  que  Ton  parvienne  à  arracher  à  la  com- 
pagnie universelle  la  concession  qu'elle  possède; 
supposons  que  l'Angleterre  devienne  maltresse  d'ou- 
vrir pour  son  propre  compte,  cette  communication 
qu'elle  repousse  aujourd'hui,  bien  qu'elle  ait  eu  soin 

(i)  Napolé(m  II!  et  VAngleîerfe,  iS69. 


d*en  prendre  la  clef  à  Tavance,  et)  s'emparant  àt 
Périm  ;  supposons,  enfin,  qu'elle  soit  libre  d'y  assuret 
sa  domination  exclusive,  et  Ton  verra  demain  cé 
canal  prétendu  impossible,  ce  canal  soi-disant  cbi- 
tnérique,  ce  canal  attentatoire,  dit- on,  à  la  souve- 
raineté du  sultan,  devenir  immédiatement  pratica- 
ble, facile,  productif,  et  s'ouvrir  comme  par  enchan- 
tement ! 

Tout  cela,  n'est*ce  pas  encore  la  vieille  politique 
anglaise,  qui  réparait  toujours,  tant  sont  puissants  les 
instincts  nationaux  et  la  force  des  traditions  ! 

Nous  rendons  cette  justice  à  nos  voisins  qu'il  existe, 
en  Angleterre  aussi  bien  qu*en  France,  nombre  de 
gens  comptant  parmi  les  plus  éclairés,  les  plus  in^ 
fluents,  les  plus  industrieux,  et  qui  ont  le  désir  le 
plus  sincère  d'éviter  tout  sujet  de  mésintelligence  entre 
les  deux  pays.  Cependant  ne  doit-on  pas  se  demander 
jusqu'à  quel  point,  de  l'autre  côté  du  détroit,  ce  désir 
peut  se  concilier  avec  les  attaques  de  certains  journaux, 
militaires  ou  autres,  avec  certaines  publications  notoi- 
rement injurieuses  pour  la  France  ou  son  souverain  ; 
avec  certains  discours  qui  apparaissent  de  temps  à 
autre  dans  le  parlement,  enfin  avec  cette  espèce  dé 
tocsin  que  nos  voisins  ne  cessent  de  sonner  depuis  trois 
ou  quatre  ansT 

Sans  doute,  il  serait  déraisonnable  d'attacher  trop 
d'importanee  aux  déclamations  capricieuses  de  tel  ou 
tel  journal,  ou  à  la  publication  de  tel  ou  tel  livre  ; 
cependant  n*est-il  pas  profondément  regrettable  quê 
Yw  Abu9e«  en  Angleterre»  ie  la  liberté  dont  on  joiiil 


XXyni  PRÉFACE. 

quant  à  la  libre  expression  de  la  pensée,  au  point  de 
dénoncer  et  d'injurier  sans  relâche  une  nation  dont 
l'Angleterre  est  l'obligée,  et  dont  elle  assure  vouloir 
rester  l'alliée? 

Comme  le  faisait  remarquer  tout  récemment  un  pu- 
bliciste  éminent,  la  principale,  sinon  Tunique  raison 
de  Tavénement  du  cabinet  actuel  en  Angleterre,  a  été 
le  désir  sincère,  de  la  part  de  nos  voisins,  de  raffermir 
Talliance  française,  compromise,  en  1859,  par  la  par- 
tialité du  cabinet  tory  pour  l'Autriche.  Eh  bien  ! 
n'est-il  pas  au  moins  étrange  que  la  période  écoulée 
depuis  celte  époque  soit  précisément  celle  où  il  aura 
été  fait  contre  la  France  les  démonstrations  les  plus 
belliqueuses,  et  les  dépenses  militaires  les  plus  consi- 
dérables ;  «  où  il  aura  été  parlé  de  la  France  de  la 
manière  la  moins  amicale,  où  il  aura  été  propagé 
contre  elle  le  plus  de  mauvais  vouloir  »  (1)  î 

Peut-on  espérer  que  depuis  quatre  ans,  la  persévé- 
rance de  ces  dispositions  ait  échappé  à  l'attention, 
ou  ait  été  sans  influence  sur  les  esprits?  Laissons  de 
côté  la  presse  et  les  journaux  ;  l'odieux  pamphlet  de 
M.  Kinglake  (2),  comme  les  meetings  plus  ou  nioios 
populaires  en  faveur  de  Garibaldi,  se  proclamant  l'en- 
nemi et  rinsulteur  de  la  France  :  —  mais  n'a-t-on  pas 
vu,  en  plein  parlement,  tantôt  à  propos  des  volon- 


(1)  Xavier  Raymond.  Les  marines  de  la  France  et  de  l'Angleterre 
depuis  1815  (Hachette,  1863). 

(2)  Grâces  à  Dieu!  M.  Kinglake  n'est  point  un  soldat.  Malgré  la 
peine  bien  regrettable  et  bien  inutile  que  les  journaux  militaires 
4*outre-liancbe  se  sont  donnée  pour  nier  et  rapetisser  les  dernières 


PRÉFACE.  XXIX 

taires,  taulôl  k  roccasion  du  bill  des  fortificationj^, 
n'a-t-on  pas  vu  le  premier  ministre  déclarer  ouverte- 
ment que  la  France  était  le  pays  contre  lequel  on  ar- 
mait, cx)ntre  lequel  il  fallait  se  tenir  en  garde  ! 

Supposons  qu'un  ministre  français  eût  fait  une  dé- 
clamation semblable,  nous  le  demandons,  qu'auraient 
dit  le  cabinet  anglais  et  le  parlement?  D'un  bouta 
l'autre  de  l'Angleterre  on  aurait  certainement  crié  à 
rinsulte.  Tous  les  hommes  d'État,  de  tous  les  partis, 
auraient  fait  chorus  et  partagé  l'indignation  générale. 

Nous  savons  que  nos  voisins  cherchent  à  justifier  ces 
discours  imprudents,  et  à  expliquer  leurs  volontaires, 
leurs  flottes  immenses,  leurs  préparatifs  gigantesques, 
en  affirmant  que  leur  unique  objet  est  de  compléter 
et  d'assurer  le  système  défensif  de  la  Grande  Bretagne. 
Soit  :  mais  alors,  dans  le  même  ordre  d'idées,  pourquoi 
ces  plaintes  toujours  renouvelées,  chaque  fois  que  nous 
ajoutons  un  vaisseau  à  notre  flotte?  Pourquoi  ces  dé- 
fiances perpétuelles  et  cette  surveillance  jalouse,  à 
l'endroit  de  notre  état  militaire  ?  La  France  n'a-t-elle 
pas,  comme  l'Angleterre,  ses  obligations  à  remplir  et 
des  nécessités  impérieuses  à  satisfaire? 

On  s'est  beaucoup  occupé,  depuis  quelques  années, 
de  la  peur  que  les  Anglais  affectent  d'une  descente  sur 
leurs  côtes.  C'est  une  vieille  histoire  ;  depuis  le  temps 

victoires  de  l*arinée  française  en  Italie,  nous  sommes  certains  qu'il 
D*y  a  pas  un  seul  officier  dans  Tarmée  anglaise  qui  ne  tienne  en  ua 
mépris  égal  au  nôtre  la  présomptueuse  ignorance  de  Fauteur  de 
V Invasion  de  la  Crimée,  et  qui  ne  répudie  toute  solidarité  dans  lès 
injures  qoMi  adresse  à  la  France. 


de  lord  Somers,  tous  les  cabinets  anglais,  à  tour  de 
rôle,  ont  plus  ou  moins  exploité  œs  terreurs.  Certes, 
c'est  une  grande  gloire  pour  la  marine  française,  de 
voir,  malgré  rinfériorité  numérique  de  ses  navires,  les 
appréhensions  sans  cesse  renaissantes  de  nos  voisins. 
Ces  craintes,  ou  plutôt  ces  paniques,  -^  nous  pouvons 
bien  leur  donner  ce  nom  devant  lequel  on  ne  recule 
pas  de  l'autre  côté  du  détroit,  ~  ces  paniques,  disons- 
nous»  en  présence  des  procédés  de  la  France,  ont  paru 
cependant  assez  extraordinaires,  pour  qu'on  se  soit 
demandé  si  elles  n'étaient  pas  tout  simplement  un 
prétexte,  mis  en  avant  par  les  Anglais,  pour  colorer 
1  accroissement  démesuré  de  leur  moyens  d'i^rmùm, 
en  les  déguisant  sous  le  nom  de  moyens  de  défense. 

En  définitive,  le  spectacle  que  nous  offre  l'Angle- 
terre, depuis  plusieurs  années,  a  un  caractère  qui 
mérite  bien  de  fixer  l'attention.  Partout,  ce  ne  sont 
qu'exercices  et  préparatifs  de  guerre,  si  bien  qu'à 
l'heure  où  nous  écrivons,  la  Grande-Bretagne  en  est 
arrivée  à  ressembler  beaucoup  plus  à  l'Angleterre 
d'Elisabeth  ou  de  Geoi^es  III,  qu'à  l'Angleterre  de 
Georges  IV  et  des  quinze  premières  années  du  règne 
de  la  reine  Victoria.  A  parler  franchement,  nous  ne 
sommes  guère  pusillanimes  en  France,  et  nous  avon^ 
appris  de  nos  pères,  à  ne  craindre  que  la  chute  du 
ciel.  Cependant,  en  voyant  nos  voisins  s'armer  ainsi 
d'un  bout  à  l'autre  de  leur  territoire,  bien  des  gens, 
iur  le  continent,  en  sont  venus  à  se  demander  jusqu*à 
quel  point  leurs  dispositions  étaient  pacifiques. 

De  fait,  nous  croyons  que  ce  ne  sont  ni  nos  actes,  u^ 


PRltFAGS,  n» 

nos  procédés  à  Tégard  dos  Anglais  qui  eioitont  tours 
slarmes  :  Tunique  cause  de  leurs  terreurs,  c'est  qu'ils 
nous  jugent  mieux  préparés  qu'eux.  Us  Qe  p^UTeQt 
s'empêcher  d*envier  la  supériorité  dç  ootre  Qrganisi(« 
tion  et  de  nos  institutions  militaires  )  et,  sous  rinfiuenw 
de  ce  sentiment,  ils  s'obstinent  à  nous  supposer  les 
projets  les  plus  invraisemblables,  par  cette  seule  raison 
qu'ils  nous  reconnaissent  le  pouvoir  de  les  exécuter* 

Que  pourrions-nous  pour  les  désabuser?  Malheureu- 
lemeot,  les  alarmistes  sont  comme  les  envieux  :  incu- 
rables et  insatiables.  C'est  ainsi  que  l'Angleterre  en  est 
arrivée  a  consacrer  30  miluons  steruno  aux  budget^ 
réunis  de  sa  flotte  et  de  son  armée  t 

Là  gît,  en  réalité,  le  danger  le  plus  sérieux  pour 
l'alliance  anglo-française.  On  ne  peut  se  dissimuler  le 
sentiment  d'irritation  que  cause  au  peuple  anglais 
l'aggravation  de  ses  charges.  Le  gouvernement  en  est 
arrivé  à  doubler  Vincome-tax^  et  nos  voisins  sont  ré- 
duits à  subir,  en  pleine  paix,  tous  les  maux  qui  font 
de  la  guerre  un  fléau.  Cette  irritation  bien  naturellç 
du  peuple  anglais»  son  gouvernement  a  l'habileté  de  la 
déverser  sur  la  France,  en  la  représentant  systématique- 
ment comme  un  épouvantail,  comme  un  danger  tou^ 
jours  imminent,  et  dont  il  faut  se  garantir  à  tout  prix. 

Quelle  sera  la  conséquence  probable,  pour  ne  pas 
dire  nécessaire,  d'un  pareil  système? 

S'il  n'existe  rien  de  pratique  et  d'assez  puissant  pour 
convaincre  l'Angleterre  de  la  sincérité  et  de  la  loyauté 
de  la  France,  où  cela  s'arrétera-t-il  ?  Cette  rivalité 
d'armements  est  un  cercle  vicieux  d'où  il  faudra'  ce- 


XXXit  PRÉFACE. 

pendant  bien  sortir.  Lorsque  le  peuple  anglais  se  trou^ 
vem  suffisamment  armé  et  préparé  au  prix  de  tant 
d'efforts,  sera-t-il  d'humeur  à  les  continuer?  Se  con- 
tenlerat-il  de  cette  attitude  défensive  qui  lui  coûte 
tant  de  sacrifices?  Si  l'Angleterre  prétend  que  ses 
défiances  actuelles  sont  excusables,  la  France,  à  son 
tour,  n'a-t-elle  pas  toute  raison  de  supposer  que  l'An- 
gleterre cherchera,  tôt  ou  tard,  à  supprimer  la  cause 
de  ses  craintes  et  de  ses  dépenses  présentes,  en  em- 
ployant d'une  manière  active  les  moyens  qu  elle  aura 
accumulés?  En  douter  un  instant,  serait  méconnaître 
complètement  son  caractère  et  son  histoire.  Nos  voisins 
ne  font  pas  d'ailleurs  difficulté  de  l'avouer,  si  tant  est 
même  qu'ils  ne  s'en  fassent  pas  gloire  :  dans  toutes 
leurs  guerres  avec  la  France,  ils  ont  été  les  premiers  à 
tirer  l'épée,  «  in  nearly  ail  theslrugglesbelween  France 
and  Englandy  xt  is  England  that  has  first  drawn  the 
sword.  » 

Si  le  changement  qui  s'est  accompli  dans  les  an- 
ciennes dispositions  du  peuple  français  vis-à-vis  de 
l'Angleterre,  n'est  pas  radicalement  complété  par  un 
mouvement  analogue  et  réciproque  de  l'esprit  public 
de  l'autre  côté  du  détroit,  il  est  évident,  pour  tout 
homme  sensé,  que  la  situation  aboutira  fatalement  à 
une  rupture,  et  cela,  en  dépit  de  toute  la  prudence  et 
de  toute  la  sagesse  des  gouvernements.  Il  n'est  pas  plus 
dans  la  nature  des  individus  en  particulier,  que  dans 
celle  des  peuples  en  général,  de  se  sentir  prêts  pour 
la  lutte,  et  de  résister  indéfiniment  au  désir  de  Tenta- 
mer.  Le  jour  arrivera,  pour  nous  servir  de  l'humoris- 


PRÉPAGK.  XXXin 

tique  expression  d'un  écrivain  d'outre-Manche,  où  les 
deux  nations  auront  une  telle  indigestion  de  la  paix, 
qu'elles  ne  réussiront  à  s'en  guérir  qu'au  moyen  d'une 
bonne  guerre,  «  the  time  must  corne  when  the  people  of 
one  or  hoih  countries  toitt  be  sick  of  peace  a^  a  war 
priée.  »  Et  que  faudra-t-il  pour  amener  l'Angleterre 
et  la  France  à  commettre  ce  crime  de  lèse-humanité, 
de  lèse^ivilisation  ?  Presque  rien  ;  un  incident  sans 
valeur,  un  malentendu  facile  à  arranger,  mais  qui 
viendra  une  complication  sérieuse  dans  l'état  de  dé- 
fiance et  de  susceptibilité  réciproques  où  l'on  vit. 

Une  pareille  perspective  est  assez  sombre  pour  qu'on 
y  réfléchisse.  C'est  uniquement  de  nos  voisins  qu'il 
dépend  de  l'éclaircir.  Pour  cela,  il  sufiBt  qu'ils  se  dé- 
cident enfin  à  nous  rendre  la  justice  qu'ils  rencontrent 
chez  nous.  Il  faut  qu'ils  prennent  leur  parti  de  notre 
prospérité;  qu'ils  assistent,  sans  envie,  aux  progrès 
que  nous  poursuivons,  que  nous  accomplissons  dans  la 
mesure  du  rôle  et  du  rang  qui  nous  appartiennent. 
Quant  à  l'influence  légitime  qui  en  résulte  pour  la 
France  dans  les  affaires  du  monde,  il  faut  enfin  que 

l'Angleterre  sache  l'admettre  de  bonne  grâce olu 

s'y  résigner,  si  cet  effort  est  trop  grand  pour  elle. 

En  ce  qui  regarde  notre  état  militaire  :  soit  que  les 
excitations  lui  viennent  de  ses  propres  gouvernants , 
soit  qu'elles  aient  pour  moteurs  les  alarmistes  quand 
même  qu'il  renferme  dans  son  sein,  ou  même  les  cer^ 
veaux  brûlés  que  nous  pourrions  compter  dans  le  nôtre, 
le  peuple  anglais,  s'il  pratique  loyalement  l'alliance, 
n'a  rien  à  redonter  de  notre  part.  Un  de  ses  orateurs 


XXXiV  raiFAGE. 

le  lui  a  affirmé,  et  nous  ue  saurions  mieux  faire  que 
de  répéter  ici  les  paroles  de  cet  homme éniinent:  «  Pour 
»  moi,  a  dit  M.  Lindsay,  je  suis  convaincu  que  nous 
*»  n'avons  rien  à  craindre  de  la  France,  que  la  France 
»  n'a  aucune  intention  d'attaquer  TAngleterre,  et  que 
»  l'Empereur  est  beaucoup  trop  éclairé  pour  ne  pas 
»  comprendre  qu'il  est  de  son  intérêt  et  de  l'intérêt  de 
»  l'Europe  que  la  France  demeure  en  paix  avec  rAn* 
»  gleterre  (1).  » 

Que  ce  soit  seulement  un  signe  du  trouble  des  temps 
où  nous  vivons,  ou  le  prix,  presque  toujours  obligé,  de 
tout  acheminement  vei*s  des  conditions  meilleures,  il 
est  de  fait  que  la  guerre  ou  les  bruits  de  guerre  sont 
sans  cesse,  depuis  quelques  années,  à  Tordre  du  jour. 
Peu  de  pays  peuvent  répondre  de  ne  |>as  être  engagés, 
au  premier  moment,  dans  une  de  ces  luttes  terribles 
que  toutes  les  théories  des  congrès  de  la  paix  ne  sau- 
raient détourner. 

Qui  eût  pensé,  après  la  guerre  de  Crimée,  que  le 
jour  où  la  France  et  TÂutriche  allaient  mesurer  leurs 
forces  sur  le  Tessin  était  aussi  proche  ;  —  que  TEspagne 
aurait  la  guerre  avec  le  Maroc  ;  —  TAngleterre  avec 
rinde  et  la  Nouvelle-Zélande  révoltée»  ;  —  la  France  et 
TAugleterre  avec  la  Chine  ;  —  la  France  et  l'Espagne 
avec  la  Cochinchine;  ~  le  Piémont  avec  Naples  ; — 
les  États-Unis  du  Nord  avec  les  États  confédérés  du 
Sud  ;  —  la  Turquie  avec  le  Monténégro  ;  —  la  France 
avec  le  Mexique,  etc. ,  etc.  ;  —  sans  parler  des  querelles 

(1)  Séance  de  !a  Chambre  des  commupes  du  16  avril  isaa. 


PRÉPAGB*  KU? 

arrangées  ou  ajournées  entre  la  Prusse  et  le  l)ane<» 
mark,  à  propos  des  duchés;  entre  la  France  et  le 
Portugal»  &  propos  des  émigrants  africains;  entre 
l'Angleterre  et  rAmérique,  à  propos  de  File  Juan  ou 
du  TrerU,  etc.,  etc.;  —  enfin,  sans  parler  encore  de 
toutes  les  questions,  de  toutes  les  difficultés  pendantes 
entre  T Autriche  et  la  Hongrie  ;  entre  Rome  et  l'Italie; 
entre  la  Prusse  et  le  Nationalverein,  entre  la  Russie  et 
la  Pologne  ! 

Il  faut  bien  le  reconnaître,  toutes  les  puissances  doi* 
vent  aujourd'hui  conserver  leurs  armes.  C'est  une  obli- 
gation regrettable,  mais  nécessaire,  dans  un  temps 
où  rhorison  est  partout  incertain  ou  menaçant,  et 
quand  nul  ne  peut  prédire  sur  quel  point  éclatera 
Forage. 

Quelle  que  soit  l'issue  de  cette  crise,  pour  ainsi  dire 
universelle,  la  première  puissance  militaire  de  l'Europe 
ne  saurait  rester  spectatrice  passive  des  commotions 
qui  peuvent  en  résulter. 

A  l'époque  actuelle,  les  grandes  armées  de  la  France 
sont  donc  justifiées  par  les  nécessités  de  la  situation 
européenne  ;  elles  sont  des  gages  d'indépendance  pour 
elle-même,  de  sécurité  pour  ses  voisins,  et  de  proteo 
tion  pour  les  nations  opprimées.  La  paix  est  une  con- 
séquence de  la  force  ;  pour  conserver  la  paix,  la  France 
doit  rester  forte.  Si  la  France  militaire  de  i  859  avait 
été  la  France  militaire  des  régimes  précédents,  le  Pié- 
mont serait  aujourd'hui  une  province  de  rAutriche,  et 
la  Turquie  une  province  russe.  La  guerre  d'Italie  et  la 
guerre  de  Crimée  eussent  été  impossibles,  et  à  l'heure 


XXXYI  RRÉFAGB. 

qu'il  est,  les  conseils  affectueux,  les  représeotatioDs 
amicales  que  la  France  peut  faire  entendre  au  sujet  de 
la  Pologne,  ne  pèseraient  pas  plus,  à  Saint-Pétersbourg, 
que  les  vaines  protestations,  \ingt  fois  renouvelées  dans 
nos  anciennes  assemblées,  en  faveur  de  cette  malheu* 
reuse  nation  (1). 

En  ce  qui  regarde  sa  marine,  la  France  veut  encore 
aujourd'hui  ce  que  Napoléon  V  réclamait  déjà  pour 
elle  en  1805  :  des  cx)lonies  et  des  vaisseaux,  parce  que 
les  unes  et  les  autres  sont  paiement  indispensables  à 
Textension  de  son  commerce  et  de  son  industrie.  Dotée 
de  600  lieues  de  côtes,  en  possession  d'un  territoire  à 
cheval  sur  les  deux  mers  les  plus  fréquentées  du  globe  ; 
la  France  a  non  pas  seulement  les  droits,  mais  aussi 
les  devoirs  d'une  puissance  maritime  de  premier  ordre. 
En  conclure  qu'elle  a  l'ambition  de  r^ner  sur  l'océan 
et  de  s'y  substituer  à  l'Angleterre  est  inadmissible  ;  la 
position  exclusivement  maritime  de  nos  voisins  leur 
impose  des  obligations  et  leur  assure  des  avantages 
qu'il  serait  puéril  de  contester. 

La  France  ne  prétend  donc  pas  à  la  domination  des 
mers,  mais  elle  réclame  leur  affranchissement ,  et  elle 
veut  que  dans  toutes,  son  pavillon  soit  libre  et  respecté. 

(1)  Voyez  la  discussion  des  adresses  au  roi  par  la  Chambre  des 
députés  :  en  1837  (séance  du  20  Janvier)  ;  en  1838  (15  janvier);  en 
1839  (20  janvier);  en  18/iO  (16  janvier);  en  18/i2  (30  janvier);  en 
1863  {!i  février);  en  18/iû  (29  janvier)  ;  en  18/i5  (29  janvier);  en  18i6 
(7  février);  en  l8/i7  (12  février);  en  1848  (lu  février).  C'est  tou- 
jours, ou  peu  s*en  faut,  le  même  texte  :  «  La  Chambre,  vivement 
émue  des  malheurs  de  la  Pologne,  renouvelle  ses  vœux  constants 
pour  un  peuple  dont  Tantiquc  nationalité...,  etc.,  etc.,  etc..  » 


PRÉFACE.  ÎXXVII 

Elle  ne  peut,  ni  elle  ne  veut  entretenir  des  vaisseaux 
aussi  nombreux,  ou  consentir  pour  sa  marine  des  sa- 
crifices aussi  grands  que  l'Angleterre,  car  la  principale 
garantie  de  son  indépendance,  de  sa  sécurité  et  de  son 
influence  repose  sur  son  armée,  et  non  pas,  comme 
pour  nos  voisins  insulaires,  sur  des  vaisseaux.  Mais, 
d'un  autre  côté,  aujourd'hui  que  l'expérience  des  der- 
nières guerres  a  démontré  les  avantages  et  la  nécessité 
de  Faction  combinée  des  flottes  et  des  armées  ;  aujour- 
d'hui qu'il  n'est  plus  de  puissance  indiscutable,  ou  de 
rôle  important  possible  pour  un  peuple,  sans  la  réunion 
de  ces  deux  éléments  de  force,  la  France,  pas  plus  sur 
mer  que  sur  terre,  ne  peut  reconnaître  à  une  autre 
nation,  et  surtout  à  une  nation  alliée,  le  droit  de  lui 
marchander  les  ressources,  ou  de  lui  limiter  les  moyens 
indispensables  à  sa  sécurité  et  à  la  conservation  de  son 
rang.  Le  cas  échéant,  la  France  veut  être  prête  à  se- 
courir en  tous  lieux,  et  à  toute  heure,  les  milliers  de 
nationaux  qu'elle  compte  répandus  sur  tous  les  points 
du  globe.  Cette  politique  doit  être  sa  gloire  comme  elle 
a  été  celle  de  l'Angleterre.  Les  principes  libéraux  de  la 
France,  en  matière  de  commerce  et  d'échange,  sont 
aujourd'hui  suflSsamment  attestés  ;  elle  n'ambitionne 
aucun  monopole,  mais  elle  prétend  poursuivre,  en 
toute  liberté,  le  développement  de  ses  forces  intellec- 
tuelles et  matérielles.  Le  commerce  ne  peut  vivre  sans 
protection ,  et  il  n'y  a  point  de  protection  pour  lui 
sans  une  marine  militaire  respectable.  La  France  veut 
donc  être  libre  d'augmenter  la  sienne,  et  de  la  faire 
concourir  à  l'extension  de  son  industrie,  sans  avoir  à 


XXXYIII  PRÉFACB. 

compter  sans  cesse  avec  les  défiances  injustes,  et  les 
jalousies  égoïstes  de  ses  voisins. 

N'est-ce  pas  à  sa  marine,  à  son  commerce,  à  son  in- 
dustrie, que  l'Angleterre  doit  la  richesse  qui  la  distingue 
aujourd'hui  entre  toutes  les  nations?  A  quel  titre  pré- 
tendrait-elle refuser  aux  autres  peuples  le  droit  de 
glaner  à  leur  tour  dans  ce  champ  où  elle  a  recueilli 
elle-même  de  si  splendides  moissons?  Que  ces  nouvelles 
tendances  lui  soient  un  aiguillon,  sans  doute  on  le  com^- 
prend;  mais  n'est-elle  pas  encore  la  mieux  armée, 
entre  toutes,  pour  les  luttes  pacifiques  que  ces  tendan- 
ces accusent?  D'ailleurs,  le  reste  du  monde  doit-il 
rester  station naire,  parce  que  l'Angleterre  est  satisfaite 
de  sa  position  et  de  son  lot?  Aucun  changement  ne 
doit-il  avoir  lieu,  si  désirable  et  avantageux  qu'il  puisse 
être  pour  les  autres  nations,  sans  exciter  les  jalousies 
de  l'Angleterre?  L'univers  doit-il  rester  immobile, 
par  cela  seul  qu'elle  est  assez  heureuse  pour  ne  sentir 
le  besoin  d'aucun  changement? 

Nous  n'ajouterons  rien  à  ces  considérations  :  nous 
croyons  avoir  exposé  impartialement  les  concessions 
que  devaient  se  faire  mutuellement  la  France  et  l'An- 
gleterre. Dieu  nous  garde  de  vouloir  fomenter  des 
animosités  que  nous  sommes  les  premiers  à  blâmer, 
et  que  trop  de  gens  s'efforcent  d'entretenir  de  l'autre 
côté  du  détroit!  Mais  nous  avons  pensé  qu'il  n'y  avait 
rien  à  gagner  à  des  réticences  hypocrites,  ou  à  feindre 
d'ignorer  ce  que  chacun  se  plaît  à  reconnaître.  Les 
avantages  de  l'union  des  deux  peuples  sont  tellement 
évidents,  ils  sont  si  hautement  démontrés  par  l'histoire 


PRÉFACE.  XXXIX 

de  ces  dix  dernières  années,  quMI  est  devenu  bien  sih 
perflu  d'en  faire  Tapologie.  Mais,  en  regard  de  ces 
avantages  méconnus  ou  inappréciés,  de  gaieté  de  cœur, 
par  certaines  gens,  il  nous  a  semblé  que  le  plus  grand 
service  à  rendre  à  la  cause  deValliance,  c'était  de  mon- 
trer à  ceux  de  nos  voisins  qui  travaillent  à  la  saper, 
retendue  des  dangers  qu'ils  pourraient  bien  ftiire  cou- 
rir à  leur  pays,  si  leurs  efforts  étaient  jamais  couronnés 
de  succès. 

C'est  dans  ce  but  que  nous  nous  sommes  livré  à  un 
examen  approfondi  des  forces  militaires  de  la  Grande- 
Bretagne.  Dans  cette  étude,  nous  n'avons  pas  cédé 
seulement  au  vaniteux  désir  de  faire  ressortir  la  supé- 
riorité de  notre  organisation  sur  celle  de  nos  voisins  ; 
nous  avons  voulu  connaître  la  portée  exacte  des  sacri- 
fices qu'ils  s'imposent  depuis  plusieurs  années.  La  part 
faite,  dans  cette  appréciation,  aux  craintes  chimériques 
et  aux  terreurs  sans  fondement,  nous  avons  dû  faire 
aussi  la  part,  la  grande  part  de  la  nécessité. 

Que  les  sacrifices  et  les  dépenses  de  TAngleterre 
soient  ou  ne  soient  pas  proportionnés  à  cette  nécessité, 
c'est  une  question  que  nous  ne  nous  chargeons  pas  de 
décider;  ceci  est  un  compte  à  régler  entre  nos  voisins 
et  leurs  gouvernants.  Pourvu  qu'à  notre  égard  l'atti- 
tude du  peuple  anglais  soit  amicale;  pourvu  que  ses 
dispositions  soient  bienveillantes,  pourvu  que  sa  con- 
duite sôit  droite  et  loyale,  le  reste  nous  importe  peu. 
Son  gouvernement  pourra  hérisser  de  canons  les  côtes 
de  l'Angleterre,  couvrir  son  territoire  de  volontaires. 


XL  PRÉFACE. 

et  la  mer  de  vaisseaux,  saos  que  la  France  eo  prenne 
le  moindre  sujet  d'inquiétude  ou  d'ombrage. 

Que  si  Ton  nous  objecte  maintenant,  qu'en  mettant 
ainsi  le  doigt  sur  le  défaut  de  Tarmure  de  nos  voisins, 
nous  avons  risqué  de  blesser  leur  amour-propre  ou  leur 
orgueil,  nous  répondrons  qu'il  est,  à  notre  connais- 
sance, quelque  chose  de  bien  plus  grand  que  l'orgueil 
du  peuple  anglais,  quelque  chose  de  bien  supérieur 
encore  à  son  amour-propre,  —  c'est  son  admirable  bon 
sens. 

C'est  à  ce  bon  sens  pratique,  qui  le  distingue  par 
excellence  entre  toutes  les  nations,  que  nous  nous 
sommes  adressé,  et  qu'on  ne  doit  jamais  craindre  de 
faire  appel. 


CONSTITUTION 


ET 


PUISSANCE     MILITAIRES 

COMPAKÉES 
M  LA  FRANGE  ET  DE  LAN6LETERKE. 


INTRODUCTION. 


R  Nolumus  leges  Angli^e  miilari.  m 

La  Grande-Bretagne  tient  la  première  place  parmi 
les  puissances  dont  il  importe  le  plus  en  France  de 
pouvoir  apprécier  exactement  les  ressources  et  le  sys- 
tème militaires.  Les  longues  guerres  qui  ont  signalé  la 
rivalité  des  deux  pays  dans  le  passé,  Talliance  qui  les 
unit  dans  le  présent,  enfin  les  éventualités  que  peut 
réserver  l'avenir,  sont  autant  de  motifs  qui  rendent 
cette  appréciation  ayssi  intéressante  que  nécessaire. 


2  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

Des  travaux  consciencieux  nous  ont  initiés  depuis 
longtemps  au  mécanisme  et  à  l'organisation  des  armées 
allemandes;  des  études  remarquables  ont  été  publiées 
sur  celles  de  la  Russie,  de  T  Autriche,  de  TEspagne,  etc. 
L'Angleterre  seule,  depuis  bientôt  un  demi-siècle, 
semble  avoir  échappé  aux  investigations  dont  le  régime 
militaire  de  presque  toutes  les  puissances  européennes 
a  été  l'objet. 

Publié  au  commencement  de  la  Restauration,  le 
grand  ouvrage  de  M.  Ch.  Dupin  est  resté,  depuis  cette 
époque,  le  seul  livre  qui  ait  fait  aulorité  en  France, 
malgré  les  modifications  profondes  qu'une  période  de 
quarante  années  a  dû  nécessairement  introduire  dans 
les  moyens  d'agression  et  de  résistance  dont  pouvaient 
disposer  nos  voisins  à  la  chute  du  premier  Empire. 
Nou^  ne  croyons  pas  porter  atteinte  au  mérite  des  tra- 
vaux de  notre  célèbre  ingénieur  en  disant  que  son 
œuvre  représente  l'armée  anglaise  telle  qu'elle  a  existé, 
mais  non  telle  qu'elle  est  de  nos  jours. 

En  Angleterre  et  en  France,  plus  que  partout 
ailleurs,  la  diffusion  des  lumières,  les  progrès  de  la 
science,  les  conquêtes  de  T industrie,  ont  exercé  leur 
influence.  Au  point  de  vue  politique  et  social,  comme 
au  point  de  vue  militaire,  les  conditions  d'existence  des 
deux  nations,  en  1860,  sont  bien  loin  d'être  les  mêmes 
qu'en  1815. 

Admirateur  enthousiaste  de  la  constitution  anglaise, 
passionné  pour  les  institutions  politiques  qui  venaient 
d'être  importées  en  France  à  l'époque  de  ses  voyages 
dans  la  Grande-Bretagne,  M.  Dupin,  par  la  nature  d« 


DE  LÀ  ^FHANGE  ET  DE  L^ANGLETEHlLE.  $ 

ses  travaux  aotérieurs,  par  la  disposition  de  son  esprit, 
était  plus  disposé  que  tout  autre  peut-être  à  subir  sans 
réserve  l'irrésistible  ascendant  que  ne  manque  jamais 
d  exercer  sur  les  étrangers  le  spectacle  grandiose  des 
établissements  industriels  et  maritimes  de  la  Grande 
Bretagne. 

Dans  la  partie  de  son  ouvrage  consacrée  à  Texamen 
du  système  militaire  de  nos  voisins,  M.  Ch.  Dupin  a 
déployé  tout  le  talent,  toute  la  science  qui  distinguent 
les  autres  chapitres  de  son  livre  et  qui  le  placent  parmi 
les  premiers  de  nos  publicistes;  mais  il  est  à  regretter 
que  les  préoccupations  et  Tengouemént  politiques  aient 
fait  tort,  en  plus  d'un  endroit,  à  la  justesse  de  ses  ap- 
préciations. Pourquoi,  du  reste,  hésiterions-nous  à  le 
dire? 

M.  Ch.  Dupin  n'était  point  militaire,  au  moins  dans 
la  stricte  acception  du  mot.  Or,  si  simples,  si  élémen- 
taires, si  accessibles  à  tous  que  puissent  paraître  la 
âcience  et  les  doctrines  militaires,  comme  toutes  les 
autres,  elles  ont  aussi  leur  philosophie,  elles  ont  leurs 
arcanes  qui  restent  fermés  pour  quiconque  n'est  pas 
complètement  initié,  leurs  mystères,  en  un  mot,  qu'un 
soldat  peut  seul  pénétrer.  L'état  militaire  a  ses  senti- 
ments, ses  exigences,  ses  aspirations  dont  le  secret 
n'appartient  qu'aux  cœurs  battant  sous  l'uniforme,  et 
cet  élément  particulier  de  puissance  ou  de  faiblesse  n'^ 
pas  encore  sa  colonne  marquée  dans  les  statistiques 
des  savants,  ma^-é  le  profond  désarroi  qu'il  jette  sou- 
vent dans  leurs  calculs. 

En  étendant  sans  réserve  aux  institutions  militaire^ 


â  CONSTITUTION   ET   PLiSSANCE   MILITAIRES 

de  la  Grande-Bretagne  Tadmiration  exclusive  et  louan- 
geuse dont  il  était  pénétré  pour  les  hommes  et  les 
choses  de  ce  pays,  M.  Dupin,  dans  certains  cas,  nous 
semble  avoir  fait  fausse  route.  Dans  sa  recherche  ar- 
dente «  de  ces  bases  équitables  sur  lesquelles  devaient 
reposer  nos  libertés,  après  avoir  été  le  jouet  de  l'anar- 
chie révolutionnaire  et  d'un  consulat  hypocrite,  du 
despotisme  impérial  et  des  réactions  féodales...  (1),  » 
l'auteur  des  Voyages  dans  la  Grande  Bretagne  s'est 
trouvé  conduit  à  préconiser,  à  propos  du  système  dé- 
fensif  de  nos  voisins,  des  doctrines  erronées,  de  véri- 
tables hérésies  militaires. 

C'est  à  la  pratique  persévérante  de  ces  dangereuses 
théories  que  l'Angleterre  a  dû  les  rudes  épreuves 
qu'elle  a  traversées  depuis  quelques  années.  A  force 
de  réduire  son  armée,  afin  de  réaliser  ces  économies 
qui  plaisaient  si  fort  aux  électeurs  et  à  M.  Dupin  ;  à 
force  de  l'amoindrir  moralement  en  s'obstinant  à  la 
composer  et  à  la  gouverner  de  la  manière  la  plus 
propre  à  diminuer  son  importance  et  la  considération 
accordée  à  ceux  qui  servaient  dans  ses  rangs,  l'Angle- 
terre a  fini  par  énerver  complètement  son  armée.  Un 
jour  est  arrivé  où  Ton  s'est  aperçu  qu'en  s' efforçant  de 
désarmer  le  souverain  pour  obéir  à  l'esprit  d'une  con- 
stitution ombrageuse  et  défiante  on  avait  abouti,  en 
réalité,  à  désarmer  la  nation  elle-même. 

Deux  fois,  à  des  intervalles  bien  rapprochés,  l'An- 
gleterre, pendant  ces  dernières  années,  a  reçu  de  sé- 

(I)  Vojfage  dans  la  Grande-Bretagne,  préface  de  Tédition  de 
1820. 


DE   LA   FRANCE   ET    DE   l'aNGLETERRE.  5 

vères  leçons.  Deux  fois  elle  a  pu  mesurer,  dès  les  pre- 
mières secousses  d'une  guerre  sérieuse,  toutes  les 
imperfections  de  son  système  de  défense.  La  guerre 
des  Indes,  malgré  tout  l'héroïsme  de  Tarmée  anglaise 
en  Asie,  a  confirmé  ce  que  la  campagne  de  Crimée 
avait  déjà  révélé. 

Aujourd'hui,  tout  le  monde  est  d'accord  en  Angle- 
terre sur  la  nécessité  d'introduire  de  nombreuses  et  sé- 
rieuses réformes  dans  l'organisation,  dans  la  législa- 
tion, dans  les  établissements  de  l'armée;  mais  tel  est  le 
résultat  de  la  constitution  politique  et  sociale  de  nos 
voisins,  que  la  plupart  de  ces  réformes  rencontrent  des 
difficultés  insurmontables. 

Le  principal  de  ces  obstacles  réside  dans  la  manière 
même  dont  l'armée  britannique  est  composée.  En 
Freinée  et  chez  toutes  les  grandes  puissances  du  conti- 
nent, le  système  de  la  conscription  militaire  est  adopté  : 
aussi  rencontre-t-on  dans  les  armées  continentales  des 
hommes  appartenant  à  toutes  les  classes  de  la  société  ; 
la  classe  moyenne  particulièrement  fournit  un  grand 
nombre  de  recrues  appartenant  aux  familles  les  plus 
respectables,  bien  que  n'ayant  pas  les  ressources  néces- 
saires pour  payer  un  remplaçant  militaire. 

L'armée  anglaise  se  recrute  exclusivement  par  l'en- 
rôlement volontaire.  La  solde  de  l'homme  qui  s'en- 
gage en  Angleterre  étant  de  beaucoup  inférieure  au 
salaire  que  gagnent  les  artisans,  le  temps  de  ser\ice 
étant  plus  long  qu'en  France,  enfin  la  discipline  et  les 
éventualités  de  la  vie  du  soldat  anglais  étant  plus  rigou- 
reuses et  plus  pénibles,  à  cause  du  service  des  colo- 


6  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

nies,  que  la  carrière  du  soldat  des  armées  continen- 
tales, appelé  à  servir  presque  toujours  dans  la 
mère-patrie  ;  il  résulte  de  toutes  ces  circonstances  que 
Farmée  anglaise  ne  reçoit  dans  ses  rangs  que  le  rebut 
et  l'écume  de  la  population  des  trois  royaumes. 

La  profession  de  soldat  est  tellement  déconsidérée, 
tellement  méprisée  en  Angleterre,  que  bien  souvent, 
lorsque  les  grandes  crises  industrielles,  qui  se  renou- 
vellent trop  fréquemment  dans  les  districts  manufao- 
turiers,  viennent  enlever  le  travail  à  des  milliers  d'ou- 
vriers et  les  jeter  sans  ressources  sur  le  pavé,  ils 
préfèrent,  pour  ne  pas  mourir  de  faim,  se  laisser  em- 
prisonner dans  les  maisons  de  travail  [work-hausé) 
plutôt  que  d'endosser  l'habit  rouge  qui  leur  assurerait 
la  subsistance  du  soldat. 

Si,  d'une  part,  le  soldat  anglais  est  le  rebut  de  la 
population,  d'un  autre  côté  l'oflBcier,  dans  Tarmée  bri- 
tannique, appartient  exclusivement  aux  classes  élevées 
de  la  société.  En  d'autres  termes,  cette  armée  n'admet 
que  les  extrêmes  dans  ses  rangs.  La  classe  moyenne, 
qui  compte  pour  une  si  grande  part  dans  les  armées 
continentales,  qui  fournit  même  en  France  la  majorité 
des  officiers,  la  classe  moyenne  n'est  pas  représentée 
dans  l'armée  anglaise . 

Dans  des  conditions  pareilles ,  on  comprend  quel 
abîme  doit  séparer,  chez  nos  voisins,  le  soldat  de  ses 
chefs,  et  combien  il  est  difficile,  pour  ne  pas  dire  im- 
possible, de  substituer  chez  eux  au  système  de  la  véna- 
lité des  grades  un  mode  d'avancement  reposant  sur  les 
principes  adoptés  en  France.  Il  est  à  peine  nécessaire 


DE   LÀ  FRANGE   ET   DE   l'aNGLETERBE.  7 

d'insister  sur  les  conséquences  d'un  pareil  état  de 
choses.  En  réalité,  il  n'est  pas  de  système  militaire  au 
monde  qui  soit  moins  libéral  que  celui  de  la  libérale 
Angleterre.  Sous  l'empire  des  lois  qui  règlent  la  com- 
position de  l'armée,  la  carrière  militaire  n'est  pas  une 
profession,  et  nul  individu  appartenant  à  la  classe 
moyenne  ne  peut,  en  y  entrant,  espérer  y  vivre  de  son 
métier.  Quelque  soit  son  zèle,  quels  que  soient  ses  ta^ 
lents,  l'avenir  n'en  restera  pas  moins  fermé  pour  lui  ; 
il  ne  pourra  jamais  faire  son  chemin.  Quant  à  l'officier 
qui  a  de  la  fortune  et  qui  entre  au  service  en  achetant 
sa  première  commission,  les  stimulants,  c'est-à-dire  la 
base  de  tout  progrès,  ne  lui  font  pas  moins  défaut 
qu'au  soldat.  Pour  conserver  sa  position,  l'officier, 
dans  l'armée  anglaise,  n'est  tenu  qu'à  l'accomplisse^ 
raent  le  plus  routinier  de  ses  devoirs  journaliers,  soit 
dans  les  quartiers,  soit  sur  le  terrain  de  manœuvres. 
C'est  de  sa  bourse  et  non  de  son  mérite  que  dépend  son 
avancement.  Si  cette  bourse  est  convenablement  gar- 
nie, il  arrivera,  avec  le  temps,  à  figurer  au  nombre 
des  généraux  de  l'armée.  Parvenu  à  ce  point,  s'il  n'a 
pas  des  amis  puissants,  s'il  ne  peut  faire  agir  des  in- 
fluences parlementaires,  sa  carrière  est  virtuellement 
terminée;  quels  que  soient  ses- talents,  il  ne  doit  pas 
espérer  obtenir  un  commandement,  et  son  nom  est 
enterré  à  tout  jamais  dans  les  colonnes  de  YJrmy- 
IÀst{i). 
Il  n'est  pas  de  progrès  ni  d'amélioration  possibles 

(1)  Annuaire  de  l'armée  anglaiie. 


8  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIBES 

dans  le  système  militaire  de  la  Grande-Bretafçiie  sans 
une  réforme  radicale  dans  la  manière  dont  l'armée  est 
recrutée  et  commandée.  Toute  modification  qui  ne 
s'appuiera  pas  sur  cette  base  sera  sans  portée  et  sans 
résultat,  et  un  changement  aussi  capital  implique  une 
sorte  de  révolution  chez  nos  voisins.  L'obstacle  le  plus 
sérieux  à  cette  révolution  réside  dans  rattachement  fa- 
natique du  peuple  anglais  pour  ses  vieilles  traditions, 
dans  sa  répulsion  exagérée  pour  toutes  les  mesures  qui 
tendraient  à  modifier  la  constitution  politique  et  l'or- 
ganisation sociale  du  pays. 

Les  hautes  classes,  qui  considèrent  l'armée  comme 
une  sorte  d'apanage,  qui  jusqu'ici  ont  eu  le  privilège 
d'occuper  tous  les  grades,  d'exercer  tous  les  comman- 
dements, se  résigneront -elles  à  laisser  désaristocratiser 
l'armée?  La  masse  de  la  nation  abdiquera-t-elle  ses 
répugnances  pour  le  système  de  recrutement  qui  fait  la 
force  des  puissances  continentales?  Acceptera- t-elle  le 
régime  delà  conscription  militaire?  Il  ne  faut  pas  que 
le  peuple  anglais  cherche  à  se  le  dissimuler  plus  long- 
temps, c'est  uniquement  sur  les  concessions  obtenues, 
sur  les  conquêtes  réalisées  à  ce  double  point  de  vue, 
que  doit  reposer  toute  amélioration  dans  l'état  militaire 
du  pays. 

Certes,  les  institutions  libres  ne  sont  pas  à  mépriser, 
et  l'on  ne  saurait  contester  que  la  conscription  mili- 
taire, si  elle  représente  une  institution  du  genre  le 
plus  démocratique  (puisqu'elle  soumet  tous  les  citoyens 
à  la  même  obligation),  n'en  porte  pas  moins  une  grave 
atteinte  à  la  liberté  individuelle  en  arrachant  le  jeune 


DE  LA   FRANCE   ET   DE   L* ANGLETERRE.  9 

soldat  à  la  profession  et  aux  occupations  de  sou  choix. 
Cependant,  tous  les  peuples  du  continent,  après  bien 
des  essais,  s'accordent  aujourd'hui  à  la  considérer 
comme  absolument  indispensable  au  maintien  de  leur 
état  militaire.  Si,  par  sa  répulsion  insurmontable  pour 
la  conscription,  l'Angleterre  arrive  à  partager  un  jour 
le  sort  de  Carthage  et  des  républiques  italiennes  dont 
elle  représente  aujourd'hui  la  richesse  et  l'esprit  trop 
exclusivement  mercantile,  que  deviendront  les  institu- 
tions libres  qui  la  rendent  si  fière?  Dans  tous  les  cas, 
rien  n'est  moins  digne  d'une  grande  nation,  rien  n'est 
moins  flatteur  pour  le  peuple  anglais,  rien  ne  démonti  e 
d'une  manière  plus  évidente  la  triste  situation  de  la 
Grande-Bretagne,  comme  puissance  militaire,  que  ces 
paniques  périodiques,  que  ces  cris  d'alarme  dont  le 
bruit  retentit  au  moindre  nuage  qui  vient  obscurcir 
l'horizon.  Il  y  a  là  un  symptôme  trop  significatif  du 
peu  de  confiance  que  la  nation  anglaise  accorde  k  son 
armée,  et,  dans  ce  sentiment  instinctif  qui  agit  si 
puissamment  sur  l'esprit  public  dans  ces  circonstances, 
les  penseurs  et  les  hommes  d'État  de  l'Angleterre 
doivent  puiser  plus  d'un  sujet  de  méditation. 


iO  GOIfSTITUTIOlf  ET  PUISSANCE  MILITAIUS 


CHAPITRE  PREMIER. 

Constitution  de  l'armée  anglaise.  —  Administration  centrale.  — 
Direction  et  commandement.  —  Organisation  et  attributions  do 
.    Ministère  de  la  guerre  et  du  Horse-Guards. 

En  France,  Tarmée  est  instituée  pour  assurer  à  Tin- 
térieur  le  respect  dû  aux  lois  et  pour  défendre  l'inté- 
grité du  territoire  et  l'indépendance  nationale  contre 
les  ennemis  du  dehors. 

Acceptée  ou  plutôt  tolérée  îdans  le  même  but  en 
Angleterre,  Tarmée  y  est  envisagée  cependant  sous  un 
tout  autre  point  de  vue. 

En  France,  Tidée  dominante,  en  ce  qui  touche  l'ar- 
mée, c'est  qu'elle  représente  une  des  gloires  les  plus 
précieuses  de  la  nation;  en  Angleterre,  c'est  qu'elle 
constitue  simplement  l'une  des  plus  lourdes  charges  du 
pays. 

Calculateurs  avant  tout,  nos  voisins  considèrent  vo- 
lontiers leur  budget  militaire  comme  une  prime  d'as- 
surance destinée  à  les  garantir  de  tout  dommage.  Dans 
cet  ordre  d'idées,  semblables  à  ces  propriétaires  tou- 
jours disposés  à  restreindre  le  chiffre  de  leur  contribu- 
tion volontaire,  dans  la  crainte  qu'elle  ne  soit  pas  en 
rapport  avec  la  valeur  de  leurs  biens,  ils  semblent 
beaucoup  moins  préoccupés  des  risques  qui  peuvent 
les  menacer  que  désireux  de  se  soustraire  aux  sacri- 
fices qui  doivent  les  conjurer. 

Comparativement  aux  autres  puissances  de  l'Eu- 
rope, le  rapport  qui  existe  en  Angleterre  entre  l'en- 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  L  ANGLETERRE.      11 

semble  de  la  population  et  Teffectif  de  Tannée  d'une 
part,  entre  le  budget  général  de  l*Ëtat  et  le  budget 
particulier  de  la  guerre  de  l'autre,  est  généralement 
moins  élevé  que  partout  ailleurs. 

Pendant  longtemps,  l'Angleterre  a  pu  se  contenter 
de  prendre  un  soldat  sur  V28  habitants,  et  son  budget 
militaire  n  a  pas  dépassé  le  sixième  de  son  budget  gé- 
néral. Depuis  les  épreuves  de  la  Crimée  et  de  l'Inde, 
elle  se  voit  obligée  de  renoncer  à  un  système  dont  Té- 
coiioniie  exagérée  a  contribué  pour  une  grande  part 
aux  imperfections  signalées  dans  son  état  militaire  par 
l'expérience  de  ces  dernières  guerres. 

En  1858  et  1859,  comme  nous  le  verrons  plus  loin, 
lorsque  nous  examinerons  en  détail  les  dépenses  mili- 
taires dans  les  deux  pays,  le  budget  de  l'armée,  en 
France  et  en  Angleterre,  s'est  presque  élevé  au  même 
chiffre. 

Si  le  contraste  que  l'Angleterre  a  longtemps  offert 
aux  puissances  continentales,  par  la  réduction  de  ses 
dépenses  militaires,  tend  chaque  jour  à  s'effacer  da- 
vantage, il  est  un  autre  côté  par  lequel  elle  continue  à 
se  distinguer  tout  particulièrement  de  ses  voisins:  nous 
voulons  parler  de  son  système  de  recrutement.  Tandis 
que,  chez  toutes  les  nations  européennes,  la  conscrip* 
tion  militaire  est  adoptée,  l'Angleterre,  encore  aujour- 
d'hui, s'obstine  à  recourir  exclusivement  à  l'enrôle- 
ment volontaire  pour  le  recrutement  de  son  armée* 
Nous  apprécierons  ailleurs  tous  les  inconvénients,  tous 
les  vices  de  ce  système  suranné  ;  disons,  dès  à  présent, 
qu'il  est  l'obstacle  insurmontable  à  tout  progrès  et  qu'il 


12  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE   MIUTAIRES 

doit  rendre  fatalement  inutiles  tous  les  efforts  que  tente 
depuis  quelques  années  le  gouvernement,  afin  de  rele- 
ver Tétat  militaire  de  la  Grande-Bretagne  à  la  hauteur 
que  comporte  î?on  rang  parmi  les  puissances  euro- 
péennes. 

Les  gardes-du-corps  attachés  à  la  personne  du  sou- 
verain ont  formé  le  premier  noyau  des  troupes  régu- 
lières en  Angleterre.  Les  gardes  à  pied  et  les  gentils- 
hommes pensionnaires  organisés  sous  le  rè^ne  de 
Richard  III  et  de  Henri  VIII  fui  ent  les  premiers  corps 
réguHèrement  entretenus  et  soldés.  Les  emplois  dans 
ces  corps  pouvaient  se  vendre,  et  le  système  du  Pur- 
chase  ou  de  Tachât  des  grades,  qui  est  encore  en  vi- 
gueur aujourd'hui  dans  Tarmée  anglaise,  na  pas 
d'autre  origine. 

A  une  époque  où  Thabituile  était  de  lever  seulement 
les  troupes  en  cas  de  guerre  et  de  les  licencier  à  la  fin 
de  la  campagne,  la  maison  militaire  du  souverain  était 
trop  peu  nombreust^  et  les  frais  de  son  entrelien  trop 
peu  considérables  pour  causer  aucune  appréhension. 
Plus  tard,  le  droit  du  souverain,  de  rassembler  et  d'en- 
tretenir une  force  militaire  permanente,  ayant  été  con- 
sacré, Vexercice  et  Textension  de  ce  droit  ne  tardèrent 
pas  à  exciter  les  craintes  de  la  nation.  Toutefois,  le  pré- 
cédent établi,  ce  n'était  pas  chose  facile  que  de  limiter 
le  pouvoir  de  la  couronne  à  l'égard  d'un  privilège  aussi 
essentiel.  Ce  fut  seulement  sous  le  règne  de  Guil- 
laume III  que  le  Parlement  parvint  à  établir  en  prin- 
cipe que  la  force  militaire  serait  placée  sous  son  con- 
trôle. L'acte  qui  apporta  cette  importante  restriction  à 


DE   L\   FRANCE  ET   DE   l' ANGLETERRE.  13 

Tautorité  royale  est  connu  sous  le  nom  de  Mutint/" 

L'esprit  et  le  principal  objet  de  ce  statut  sont  de 
rendre  l'existence  de  Tarmée  anglaise  complètement 
dépendante  de  la  volonté  de  la  nation,  dont  le  parle- 
ment est  rinterprète.  C/est  k  ce  point  de  vue  que  le 
premier  article  déclare  expressément  que  toute  levée 
de  troupe  sans  le  consentement  du  pouvoir  législatif 
constitue  un  acte  illégal. 

Tous  les  ans,  le  Mutiny-Àcl  est  confirmé  au  mo- 
ment de  la  présentation  du  budget  ;  après  avoir  rappelé 
dans  son  préambule  les  droits  du  Pai-lement  sur  la 
force  militaire,  la  loi  fixe  le  chiffre  des  troupes  qui 
doivent  être  entretenues  pour  Tannée.  Ce  chiffre  ne 
peut  être  dépcassé  sans  un  vote  s})é(ial. 

La  même  loi  présente  le  code  pénal  qui  devra  être 
suivi  pour  le  jugement  des  délits  militaires.  Elle  fixe 
les  limites  du  châtiment  que  chaque  délit  peut  encou- 
rir. Elle  étabUt  les  règles  qui  devront  être  suivies  pour 
le  recrutement  et  rincorporation  des  nouveaux  soldats. 
Enfin  elle  entre  dans  de  nombreux  détails  touchant  la 
condition  de  larmée  vis-à-vis  de  TÉtat,  toutes  ces 
prescriptions  ayant  pour  constant  objet  d'empêcher 
tout  empiétement  de  Télément  militaire  sur  les  lois  ci- 
viles du  pays  et  sur  les  droits  individuels. 

Au  milieu  de  ces  précautions  sans  nombre  destinées 
à  restreindre  l'influence  de  la  force  armée,  le^s  préro- 

(1)  Fomblanquc,  Treatise  on  tht  administration  and  organisation 
ofthe  briUsharmy, 


l&  GOltSTITUTION  ET   PUISSANCE  IflLItAmEâ 

gatives  de  la  couronne  demeurent  cependant  respec- 
tées. Le  M utiny- A  et  confère  chaque  année  au  Souve- 
rain le  droit  de  convoquer  les»  Cours  Martiales  i» et  de 
décréter  les  «  .4  rticles  de  Guerre.  »  En  fait,  cette  d isposition 
attribue  au  Souverain  \e  pouvoir  légal  d'exercer  lecom* 
mandement  suprême  de  l'armée  en  même  temps  que 
la  prérogative  royale  en  implique  le  droit  abstrait.  Cette 
suprématie  du  pouvoir  royal  sur  Tarmée,  telle  que  la 
loi  la  consacre,  est  encore  corroborée  par  le  serment 
que  chaque  soldat  est  tenu  de  prêter  et  qui  lui  impose, 
pour  tout  le  temps  de  son  service  militaire,  l'obligation 
d'une  fidélité  absolue  à  la  pei*sonne  du  souverain. 

Le  commandement  suprême  de  l'armée  appartient 
donc  à  la  couronne;  mais,  comme  le  Souverain  ne  peut 
se  tromper  («^Ae  Sovereign  can  do  not  wrong  »),  le 
Ministre  de  la  guerre  devient  l'agent  intermédiaire  et 
responsable  vis-à-vis  du  pays  pour  tout  ce  qui  a  trait 
aux  choses  militaires. 

Le  ministre  {the  Secretary  of  State  for  fVar)  est 
chargé  de  l'administration  de  l'armée.  11  doit  veiller  au 
maintien  de  Tétat  militaire  dans  les  conditions  les  plus 
propres  à  assurer  le  bien  du  service.  Il  est  responsable 
du  bon  et  régulier  emploi  des  fonds  qui  sont  votés  par 
le  Parlement.  11  dirige  par  lui-même  ou  au  moyen  de 
ses  agents  tous  les  services  administratifs,  tant  à  l'inté- 
rieur qu'à  l'extérieur.  11  surveille  tous  les  établisse- 
ments qui  dépendent  de  ces  sei'vices;  enfin,  bien  que 
n'étant  pas  revêtu  d'un  grade  militaire^  il  ne  puisse  s'im- 
miscer  en  aucune  façon  dans  les  détails  du  commandement 
des  troupes^  il  est  cependant  responsable  vis-^à-vis  dM 


t><   LA   FttANGE   ET   DE   L  ANGLEtERÉ.  l5 

Parlement  du  bon  état  de  l'armée  et  de  la  conduite  des 
opérations  militaires. 

A  l'époque  où  M.  Charles  Dupin  visita  la  Grande- 
Bretagne  (t),  les  attributions  du  Ministre  de  la  guerre 
étaient  loin  d'avoir  l'étendue  qui  leur  a  été  donnée  de 
nos  jours.  Jusqu'au  commencement  de  la  guerre  de 
Crimée,  le  Ministre  des  colonies  {the  Secretary  of  State 
for  the  Colonies)  était  chargé  de  l'administration  civile 
et  politique  de  l'armée.  Les  différentes  branches  du 
service  militaire  étaient  dirigées  par  un  certain  nombre 
de  départements  distincts  et  indépendants  les  uns  des 
autres.  Cette  organisation  rendait  l'unité  d'action  très 
difficile  ;  elle  nuisait  à  la  promptitude  dans  l'expédition 
des  affaires;  enfln  elle  tendait  à  égarer  la  responsabi- 
lité, ou  plutôt  elle  la  rendait,  de  fait,  impossible. 

Ainsi,  les  attributions  du  Commandant  en  chef  de 
l'armée  (the  Commander-in  Chief  of  the  Forces)  étaient 
purement  militaires  et  s'étendaient  à  la  cavalerie  et  à 
l'infanterie  seulement.  Le  Maître  Général  de  l'artillerie 
[the  M  aster  General  of  the  Ordnance)  était  à  la  tête  des 
armes  de  l'artillerie  et  du  génie.  Le  Secrétaire  de  la 
guerre  (the  Secretary  at  War)  dirigeait  les  finances  ; 
enfin  le/"ommimna^  qui  correspond  jusqu'à  un  cer- 
tain point  au  corps  de  l'intendance  militaire  en  France, 
dépendait  de  la  trésorerie  (Treasury). 

Les  difficultés  sans  nombre  que  devait  entraîner, 
pour  la  conduite  des  opérations  militaires,  l'emploi 
d'un  système  aussi  compliqué  et  aussi  décousu  se  révé- 

(i)  1816,  1«17,  1818  et  1819. 


16  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE   ItILIT AIRES 

lèreiit  en  Crimée  avec  d'autant  plus  d'éclat  que  le 
théâtre  de  la  guerre  était  plus  éloigné.  L'un  des  plus 
heureux  résultats  de  la  guerre  d'Orient,  pour  l'armée 
anglaise,  fut  sans  contredit  la  centralisation  des  divers 
départements  sous  la  direction  d'un  ministre  unique  el 
responsable.  Par  suite  de  cette  nouvelle  organisation, 
le  Secrétaire  d'État  des  Colonies  cessa  d'être  chaîné  de 
l'administrcation  civile  et  politique  de  l'armée;  l'emploi 
de  Maître  Général  de  l'artillerie  fut  aboli  ;  les  armes 
spéciales  passèrent  sous  là  direction  d"  Commandant 
en  chef;  les  bureaux  du  Secrétaire  de  la  guerre  furent 
absorbés  dans  la  refonte  générale  du  système;  enfin  le 
Commissariat  fut  placé  sous  la  direction  du  Ministre  de 
la  guerre. 

Département  de  la  guerre  {thc  IV ar  Department].  — 
l^s  premiers  fonctionnaires  du  ministère  de  la  guerre, 
sous  les  ordres  du  Secrétaire  d'État  de  ce  département, 
sont  : 

Deux  sous-secrétaires  d'État. 

Un  adjoint  sous-secrétaire. 

Un  secrétaire  chargé  de  la  correspondance  générale. 

La  direction  et  la  responsabilité  des  différents  ser- 
vices appartenant  au  ministère  de  la  guerre  sont  par- 
tagées entre  ces  hauts  employés. 

Dos  deux  sous-secrétaires  d'État,  le  premier  est 
chargé  de  représenter  le  Département  de  la  guerre  à  la 
Chambre  des  Communes;  il  fait,  en  conséquence,  par- 
tie du  Cabinet  et  change  avec  le  Ministre.  Lorsque  le 
Ministre  est  lui-même  membre  de  la  Chambre  des 
•  Communes,  le  premier  sous-secrétaire  est  choisi  parmi 


DE  LA   FRANCB  ET  DE   L'ANGLETEaRE.  17 

les  Pairs,  afin  que  le  Département  de  la  guerre  soit 
toujours  représenté  dans  les  deux  chambres. 

L'emploi  du  second  sous-secrétaire  d'État  est  per- 
manent. Afin  que  les  changements  politiques  ne  nuisent 
point  à  la  tradition  des  affaires,  ce  fonctionnaire  n'ac- 
compagne pas  les  ministres  dans  leur  retraite.  Ses  bu- 
reaux sont  organisés  de  façon  à  centraliser  tous  les 
renseignements  nécessaires  à  la  marche  du  ministère  *; 
ils  peuvent  suppléer  au  besoin  le  ministre  lui-même. 

Les  appointements  des  deux  sous-secrétaires  d'État 
de  la  guerre  sont  de  2,000  et  1,500  hvres  (50,000  fr. 
et  37,500  fr.). 

L'adjoint  sous-secrétaire  d'État  [the  Assistant  Under- 
Secretary  of  State)  et  le  secrétaire  chargé  de  la  corres- 
pondance générale  touchent  des  appointements  de 
1,500  livres  et  de  1,000  livres  (37,500  fr.  et 
25,000  fr.). 

Le  ministère  de  la  guerre  se  divise  en  17  bureaux 
ou  départements.  Chacun  de  ces  bureaiix  a  pour  le 
conduire  un  directeur  ou  autre  employé  supérieur  res- 
ponsable envers  l'un  des  deux  sous-secrétaires  d'État. 

Voici  la  nomenclature  de  ces  bureaux  : 

1*'  bureau  :  Correspondance  ayant  un  caractère 
politique  ou  confidentiel. —  Nominations,  promotions. 
—  Honneurs. — Décorations.  — Emplacement  et  dis- 
tribution des  troupes. 

2*  bureau  :  Affaires^  correspondance  et  appointe- 
ments relatifs  à  la  Milice,  à  la  Yeomanry  (1),   aux 

(1)  Yeomanry,  cavalerie  volontaire  composée  des  riches  habitants 
de  la  campagne  et  des  fermiers. 

2 


18  GONSTITUTlOTf  ET  PUISSANCE  lOLlTAIBES 

corps  de  \olontaires. — Préparation  des  rapports  parle- 
mentaires relatifs  à  ces  objets. 

y  bureau  :  Libérations.  —  Désertions.  —  Routes. 
—  Logement. — Application  du  MuUny-Act.  —  Enre- 
gistrement et  classement  des  archives  militaires. 

4'  bureau  :  Préparation  du  budget  de  Tarmée.  — 
Vérification  et  distribution,  suivant  leur  affectation,  des 
crédits  parlementaires. 

5*"  burea/a  :  Fortifications  et  défenses  à  l'intérieur  et 
dans  les  colonies.  —  Dépenses  du  génie  et  du  caser- 
nement. —  Budget  de  ces  services.  —  Plans  et  projets. 

6*^  bureau  :  Affaires  de  toute  nature  ayant  trait  à 
Tartillerie  de  campagne  ou  de  place. 

T  bureau  :  Direction  et  distribution  du  corps  niédi* 
cal  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur.  —  Nominations  et 
promotions  dans  ce  corps. — Service  des  hôpitaux. 

8*  bureau:  Organisation.  —  Équipement  et  paye- 
ment des  pensionnaires.  —  Correspondance,  œmptes 
et  affaires  relatives  à  ce  sujet. 

9*  bureau  :  Service  du  culte. — Afiaires  concernant 
les  chapelains  militaires  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur. 

10*  bureau  :  Surveillance  des  écoles  et  des  biblio- 
thèques militaires. —  Affaires  relatives  aux  établisse- 
ments d'éducation. —  Inventions  et  découvertes  scien- 
tifiques. —  Manufactures  militaires. 

11*  bureau  :  Magasins  militaires. — Examen  et  véri- 
fication des  comptes  de  magasins.  —  Munitions.  — 
Armes.  —  Équipement.  —  Préparation  des  rapports 
sur  ces  différents  objets.  —  Habillement  et  fournitures 
régimentaires. — Comptabilité* 


DE   LA   PRANCE  ET   DE   L  ANGLETERRE.  19 

12*  bureau  :  Offres  et  propositions  pour  les  fourni- 
tures des  divers  services  de  Tarmée. — Adjudications, 
correspondance  relative  à  cet  objet. 

IS^ bureau:  Commissariat. — Préparation  du  budget. 

—  Vérification  des  comptes  et  marchés  passés  par  le 
conunissariat.  — Fournitures  et  approvisionnements 
par  le  commissariat  dans  les  colonies. 

14'  bureau  :  Préparation  des  comptes  pour  le  Parle- 
ment.—  Enregistrement  des  recettes  et  des  dépenses. 

—  Allocations  et  gQstion  du  service  des  fonds  par  le 
commissariat  dans  les  colonies.  —  Payements  mili- 
taires de  toute  nature,  à  l'exception  de  ceux  qui  con- 
cernent les  corps  de  troupe.  —  Indemnités  de  route. 

—  Appointements  des  employés  du  ministère  de  la 
guerre.  —  Comptabilité  de  Thabillement  des  régi- 
ments. —  Vérification  d©  toutes  les  créances  pour  tra- 
vaux de  construction  ou  de  réparation  du  service  du 
génie;  pour  fournitures  de  provisions,  d'habillement, 
de  fourrage,  de  bois,  etc.  —  Lx)cation  de  bâti- 
ments et  magasins. —  Allocations  en  remplacement  du 
logement  en  nature. 

15*  bureau  :  Vérification  de  la  comptabilité  des  corps 
de  troupe.  —  Comptes  relatifs  aux  pensionnaires,  au 
corps  médical ,  aux  caisses  d'épargne  militaires.  — 
États  de  solde  régimentaire.  —  Agents  financiers  de 
l'armée  {Army-^gents).  —  États  de  solde  de  Tétat- 
major. —  Correspondance  à  ces  divers  titres. 

le*  bureau  :  Affaires  judiciaires.  —  Correspondance 
judiciaire  sur  les  matières  civijes  ou  criminelles  inté  - 
ressant  le  ministère  de  la  guerre. 


20  CONSTITUTION  ET   PUISSANCE  MIUTAIRES 

!?•  bureau  :  Service  topographique.  —  Reconnais- 
saDces,  projets,  mémoires,  cartes  et  plans. 

Chacun  des  bureaux  dont  nous  venons  de  résumer 
très  sommairement  les  attributions  est  sous  les  ordres 
d'un  chef  supérieur  dont  les  appointements  varient  de 
600  à  i  ,500  livres  (1 5,000  fr.  à  37,500  fr.),  et  chaque 
bureau  se  subdivise,  en  outre,  en  différentes  sections 
comportant  plus  ou  moins  d'employés. 

Le  nombre  des  employés  (Clerks)  du  ministère  de  la 

guerre  était  de  3(ift  en  1859.  Ils  étaient  classés  (quant  à 

leure  appointements,  qui  s'accroissent  chaque  année 

d'une  portion  de  la  différence  entre  le  maximum  et  le 

minimum)  de  la  manière  suivante  : 

13  employés  de  670  à  800  livres  (16,750  fr.  k  20,000  fr.]. 

33  —       de  520  k  650  livres  (13,000  fr.  à  16,500  fr.). 

80  —       de  315  à  500  livres    (7,875  fr.  à  12,500  fr.). 

218  —       de  100  à  300  livres    (2,500  fr.  à    7,500  fr.). 

3/i/i 

Des  employés  auxiliaires  sont  appelés  temporaire- 
ment dans  les  bureaux  lorsque  l'accumulation  du  tra- 
vail à  expédier  le  rend  nécessaire.  Pour  Tannée  1858, 
le  nombre  de  ces  auxiliaires  était  de  132.  Leur  salaire 
était  de  2,750  fr. 

Le  service  et  la  garde  des  bureaux  sont  confiés  à 
Û5  huissiers  et  messagers  dont  les  gages  varient  de  90  à 
200  livres  (2,250  fr.  à  5,000  fr.). 

La  dépense  totale  du  ministère  de  la  guerre,  en 
comprenant  les  gages  des  domestiques  et  les  frais  ac- 
cessoires, s'élève  à  161^000  livres  (environ  ft  millions 
de  francs)  par  an. 


DE  LA  FBANGE  ET  DE  L  ANGLETERRE.      21 

Bureaux  ou  département  du  Commandant  en  chef  (Office 
oftheCommander-in-Chief). —  La  direction  de  TanTiée 
anglaise,  au  point  de  vue  du  service  purement  mili- 
taire, est  confiée  au  général  commandant  en  chef. 
Nommé  directement  par  la  couronne,  le  Commandant 
en  chef  est  responsable  envers  le  Souverain  de  la  disci- 
pline et  de  l'accomplissement  des  devoirs  qui  incombent 
à  l'armée.  L'instruction  des  troupes,  la  direction,  la 
capacité,  l'emploi  des  officiers-généraux  et  inférieurs, 
l'économie  intérieure  et  l'organisation  tactique  de  l'ar- 
mée, appartiennent  à  son  contrôle. 

Le  Commandant  en  chef  a  la  disposition  des  nomi- 
nations ou  commissions  régimentaires;  il  présente  au 
Souverain  la  liste  des  officiers  proposés  pour  l'avance- 
ment, et  d'après  laquelle  la  promotion  de  ces  officiers 
doit  être  insérée  au  Journal  officiel  par  les  soins  du 
Ministre  de  la  guerre.  11  désigne  également  les  officiers 
pour  les  emplois  dans  l'état-major  ;  mais,  pour  les 
grades  supérieurs,  le  Commandant  en  chef  doit  se  con- 
certer avec  le  Ministre  (to  oblain  the  concurrence  of  ihc 
Secretary  of  State). 

La  désignation  des  officiers-généraux  pour  le  com- 
mandement en  chef  des  corps  expéditionnaires  est  faite 
exclusivement  par  le  Cabinet. 

Le  Commandant  en  chef  décide  toutes  les  questions 
relatives  aux  permutations,  aux  retraites,  en  un  mot  à 
la  position  des  officiers.  Il  approuve  et  confirme  les  ju- 
gements rendus  par  les  Cours  martiales  ;  il  reçoit  les 
rapports  des  officiers-généraux  ayant  un  commande- 
ment tant  à  l'extérieur  qu'à  l'intérieur;  il  promulgue 


22  GOIffirnTUTION  et  puissance  mUTAIEES 

les  règlements  relatifs  à  rinstruction,  à  rannement, 
aux  manœuvres,  à  Thabillement,  enfin  à  tous  les  dé- 
tails qui  appartiennent  à  Téconomie  intérieure  des 
Corps  de  troupes. 

Le  département  du  Commandant  en  chef  porte  le 
nom  de  Horse-Guaris.  Il  comprend  un  certain  nombre 
de  bureaux  dirigés  par  un  personnel  appartenant  à 
Tétat-major  de  Tarmée  : 

1*  Bureau  du  secrétaire  militaire,  —  Ce  bureau, 
qui  correspond  à  ce  que  l'on  appelle  en  France  le  Ca- 
binet du  Ministre,  est  dirigé  par  le  secrétaire  militaire 
du  Horse-Guards  (1).  11  se  compose  de  3  adjoints  civils 
{civil  assistants)  et  de  2t  employés.  Il  est  chargé  du 
travail  relatif  aux  nominations,  promotions,  permuta- 
tions {eœchanges),  retraites,  etc. 

2"*  Bureau  de  r adjudant- général .  —  Il  comprend 
ft  officiers  d'état-major  et  22  employés.  Le  bureau  de 
Tadjudant-général  a  dans  ses  attributions  la  discipline, 
la  promulgation  des  ordres,  les  congés  et  permissions 
d'absence,  les  rapports,  l'habillement,  etc. 

3"*  Bureau  du  quartier-mattre  général,  -^  Le  quar- 
tier-maître général  {the  Quartermaster  General)  a  sous 
ses  ordres  3  officiers  d'état-major  et  12  employés.  Il  a 
la  direction  du  mouvement  des  troupes  et  des  quartiers 
militaires.  Les  routes,  les  embarquements,  les  camps 

(i)  Le  secrétaire  militaire  du  Horse-Guards  est  ordinairement  un 
officier-général  ;  il  en  est  de  même  du  quartier-mattre  général  et  de 
Tadjudant-général.  Les  autres  bureaux  ont  à  leur  tête  des  officiers 
du  grade  de  colonel. 


DE  Là  FRANGB  R  DB  L'AMtETEHRB.  2ft 

et  les  itinéraires,  etc.,  sont  également  dans  ses  attribu- 
tions. 

k""  Bureau  du  député  adjudant^génércU  d'artillerie. 
— hdDeputy  adjutant^eneral  of  Àrtillery  àirige,  avec 
Taide  de  deux  adjoints,  tous  les  détails  du  service  de 
l'arUllerie. 

5""  Bureau  du  député  adjudant-général  du  génie.  — 
Le  Deputy  adjutant-general  ofEngineers^  secondé  par  un 
adjoint,  remplit,  pour  l'arme  du  génie,  les  mêmes 
fonctions  que  son  collée  du  bureau  de  Tartillerie. 

Les  officiers  employés  au  Horse-Guards^  soit  comme 
directeurs,  soit  comme  adjoints,  reçoivent  un  traite- 
ment particulier,  indépendamment  de  la  solde  régimen- 
taire,  de  la  demi-solde  ou  de  la  solde  de  disponibilité 
{unattached  pay)^  à  laquelle  leur  donne  droit  leur  posi- 
tion en  dehors  des  bureaux  du  Horse-Guards.  Le  total 
de  ce  traitement  spécial,  pour  tous  les  officiers  em- 
ployés dans  le  département  du  Commandant  en  chef, 
monte  annuellement  à  15,262  livres  (381,550  fr.). 

I^s  aJ)pointements  des  employés  civils,  en  y  compre- 
nant les  gages  des  domestiques  et  les  dépenses  acces- 
soires ou  éventuelles ,  montent  à  17,389  livres 
(43û,275fr.). 

La  dépense  totale  du  Horse-Guards  est  donc  de 
816,275  fr.  par  an. 


2Û  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

CHAPITRE   II. 

Comparaison  entre  les  dépenses  de  l'administration  militaire  en 
France  .et  en  Angleterre.  —  Économie  du  système  français.  — 
Imperfection  du  système  anglais.  —  Double  autorité  qui  régit 
Farmée  britannique.  —Situation  du  Commandant  en  chef.  —  Si> 
tuation  du  Ministre  de  la  guerre.  —  Absolument  parlant,  Tarmée 
anglaise  n'a  pas  de  chef.  —  La  marche  des  affaires  est  subor- 
donnée aux  bonnes  relations  entre  le  Ministre  et  le  Commandant 
en  chef.  —  Antagonisme  résultant  de  leur  autorité  divisée.  — 
Conséquences  de  cette  situation.— Un  ministre  de  la  guerre  cttn- 
lian,  —  Caractère  distinctif  des  institutions  militaires  de  la  France 
et  de  la  Grande  Bretagne.  —  Contraste  entre  les  résultats  des  deux 
systèmes.  —  Difflcultés  que  rencontrent  les  réformes  militaires 
dans  Torganisalion  politique  et  sociale  de  TAngleterre.  —  Néces- 
sité de  la  concentration  des  deux  départements  du  Horse-Guards 

.  et  du  War-Office.  —  Les  partisans  du  Ministre  de  la  guerre.  — 
Les  partisans  du  Commandant  en  chef.  —  Résumé  de  la  question. 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  comparer  les  dépenses  de* 
l'administration  centrale  de  la  guerre  en  France  et  en 
Angleterre.  Si  nous  récapitulons,  d'une  part,  ce  que 
coûtent  les  établissements  du  Horse-Guards  et  du  War- 
Office  chez  nos  voisins,  nous  trouvons  les  chiffres  sui- 
vants: 

Livres.  Francs. 

Département  du  Secrétaire  d*État  mi- 
nistre de  la  guerre;  employés,  do- 
mestiques, et  dépenses  éventuelles 
comprises 161,013:=     /ï,025,32ô 

Bureaux  du  Commandant  en  chef  et 
traitement  des  ofQciers  d'état - 
major  employés 15,262  =       381,450 

Employés  civils,  domestiques  et  dé- 
penseséventuellesduHorse-Guards.    17,389  &=        /i3A,725 

Totaux 193,66A  =     U,W  ,500 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.      25 

Indépendamment  des  appointements  régimentaires 
que  touchent  les  officiers  employés  dans  les  bureaux, 
l'administration  centrale  figure  donc  en  Angleterre 
pour  près  de  5  millions  sur  le  budget  général  de  la 
guerre. 

En  France,  le  Ministre  de  la  guerre  est  pris  parmi 
les  maréchaux  ou  les  officiers  généraux  ;  il  réunit  le 
commandement  effectif  de  l'armée  à  ses  fonctions  mi- 
nistérielles. L'armée  française  étant  environ  deux  fois 
plus  forte  que  l'armée  anglaise  (1),  ce  n'est  pas  sans  un 
étonnement  mêlé  d'une  satisfaction  bien  légitime  que 
Ton  voit  les  dépenses  de  l'administration  centrale  de  la 
guerre  atteindre  à  peine,  en  France,  la  moitié  du  chiffre 
réclamé  pour  le  même  objet  en  Angleterre.  Chez  nous, 
en  effet,  cinq  cent  trente  employés  (directeurs,  chefs, 
sous-chefs  de  bureaux  et  commis  de  différentes  classes) 
suflBsent  pour  le  travail  de  notre  immense  établisse- 
ment. Les  officiers  employés  dans  les  bureaux  ne  tou- 
chent pas  d'autre  traitement  que  celui  affecté  à  leur 
grade  dans  l'armée.  Toutes  les  dépenses,  en  y  compre- 
nant les  frais  éventuels  et  le  salaire  des  gens  chargés  de 
la  garde  et  de  l'entretien  des  locaux,  n'auront  pas  dé- 
passé 2,268,018  francs  pour  Tannée  1860. 

Il  est  vrai  que  l'armée  française,  malgré  son  chiffre 
supérieur,  n'est  pas  disséminée,  comme  l'armée  an- 
glaise, sur  tous  les  points  du  globe  ;  mais,  en  tenant 
compte  de  cette  circonstance,  il  faut  remarquer  aussi 

(1)  Le  chifTre  des  troupes  de  la  Reine  était,  l*année  derniëre,«de 
229,000  hommes,  dont  100,000  environ  employés  au  service  de 
ilnde. 


36  CONSTITUTION  ET  PUISSAN<^  MIUTAIEES 

que  la  gendannerie,  chargée  de  la  police  dans  toute 
rétendue  de  l'Empire,  dépend,  en  France,  du  Ministère 
de  la  guerre,  tandis  qu'en  Angleterre  le  Ministère  de  la 
guerre  n'a  dans  ses  attributions  aucune  force  de  cette 
espèce. 

Le  manque  d'économie  qui  semble  régner  en  Angle- 
terre dans  l'administration  supérieure  militaire  n'est 
pas,  du  reste,  la  seule  imperfection  qui  soit  à  reprocher 
à  cette  institution.  Nous  avons  dit  que  la  centralisation 
d'un  certain  nombre  des  anciens  départements  (1)  dans 
la  main  d'un  ministre  unique  et  responsable  avait  été, 
pour  nos  voisins,  l'un  des  plus  heureux  résultats  de  la 
campagne  de  Crimée. 

11  s'en  faut  de  beaucoup,  cependant,  que  cette  cen- 
tralisation soit  complète.  Lorsqu'on  passe  en  revue  les 
attributions  respectives  du  Horee-Guards  et  du  War- 
Office,  le  premier  fait  qui  frappe  tout  d'abord  c'est  la 
distinction  bizarre  établie  chez  nos  voisins  entre  le  Con- 
trôle suprémp  des  affaires  militaires  et  le  Commande- 
ment de  l'armée.  Habitués,  sous  l'empire  de  nos  idées 
françaises,  à  toujours  voir  ces  deux  attributions  réunies 
dans  les  mains  do  notre  Ministre  de  la  guerre,  nous 
avons  peine  à  comprendre  comment,  depuis  longtemps, 
le  Horse-Guards  n'est  pas  devenu  une  simple  direction 
du  War-Office,  ou,  plutôt  encore,  comment  le  War- 
Office  n'est  pas  venu  se  fondre  dans  le  Horse-Guards. 

C*est  dans  le  mécanisme  des  institutions  politiques 
de  la  Grande-Bretagne  qu'il  faut  chercher  l'explication 

(1)  Ordonnance,  Commissariat,  etc. 


DE  LA  FRATfGB  ET  DE    L  AN6LBTER11E.  37 

de  cette  anomalie.  Au  point  de  vue  de  ces  institutions, 
on  se  tromperait  fort,  en  effet,  si  Ton  pensait  que  nos 
voisins  peuvent,  en  toute  occasion,  se  contenter  de 
copier  servilement  ce  qui  se  pratique  sur  le  continent. 
La  première  condition  pour  qu'une  réforme  quelconque 
importée  de  l'étranger  puisse  être  acceptée  de  l'autre 
côté  du  détroit,  c'est  qu'elle  ne  blesse  en  rien  les  mœurs 
et  les  traditions  du  peuple  anglais;  il  faut  avant  tout 
qu'eUe  puisse  se  plier  aux  nécessités  particulières  résul- 
tant de  la  forme  de  son  gouvernement.  Les  prérogatives 
de  la  Couronne,  d'une  part,  les  pouvoirs  du  Parlement, 
de  l'autre,  sont  les  deux  limites  infranchissables  entre 
lesquelles  doivent  être  circonscrites  toutes  les  modifi- 
cations, toutes  les  améliorations  nouvelles.  Toute  me- 
sure paraissant  porter  atteinte,  même  de  la  façon  in 
plus  insignifiante,  à  l'inviolabilité  de  ces  barrières, 
quelle  que  soit,  du  reste,  son  utilité,  disons  même  son 
urgence,  devient  en  Angleterre  la  cause  d'une  émotion 
profonde,  et  rencontre  des  difficultés  insurmontables. 
C'est  à  ce  titre,  comme  nous  le  verrons  plus  loin,  que 
la  concentration  des  pouvoirs  militaires  dans  une  seule 
main,  soit  qu  elle  s'effectue  en  faveur  du  Commandant 
en  chef,  soit  qu'elle  ait  lieu  au  profit  du  Ministre  de  la 
guerre ,  est  envisagée  par  bien  des  gens  comme  un 
changement  radical,  comme  une  mesure  quasi-révolu- 
tionnaire. 

Dans  l'état  actuel  de  l'administration  centrale  mili- 
taire en  Angleterre,  les  deux  vices  les  plus  saillants 
sont  évidemment  le  manque  d'unité  et  le  défaut  de 
simplicité  résultant  précisément  de  ce  manque  d'unité. 


28  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

En  présence  de  la  confusion,  qui  se  traduit  jusque  dans 
les  divisions  générales  que  nous  avons  indiquées  au 
chapitre  P',  on  ne  se  demande  pas  seulement  si  la  i-a- 
pidité  de  mouvement  n'est  pas  interdite  à  une  pareille 
machine,  mais  encore  si  celle-ci  n'est  pas  exposée  à 
enrayer  à  tout  instant  par  la  complication  et  le  manque 
d'harmonie  de  ses  rouages. 

Aux  termes  de  la  constitution  anglaise,  d'un  côté,  le 
Commandant  en  chef  est  nommé  par  le  Souverain,  et 
n'est  responsable  qu'envers  la  Couronne;  de  l'autre, 
le  Ministre  de  la  guerre  est  l'homme  de  la  Chambre 
des  Communes,  et  les  pouvoirs  qui  lui  sont  délégués 
le  rendent  entièrement  responsable  vis-à-vis  du  Parle- 
ment. On  comprend  toutes  les  difficultés  qui  doivent 
résulter  d'une  situation  ainsi  définie,  et  il  y  a  long- 
temps que  l'Empereur  Napoléon  I"  a  dit  au  sujet  du 
commandement  des  armées  qu'un  seul  général,  même 
médiocre,  valait  mieux  que  deux  très  bons.  Absolu- 
ment parlant,  et  sous  l'autorité  divisée  qui  la  r^it, 
l'armée  anglaise  n'a  pas  de  chef.  En  dépit  de  toutes  1^ 
ordonnances,  de  tous  les  règlements,  de  tous  les  ordres 
et  de  tous  les  contre-ordres  qui  vont  s'accumulant 
sans  cesse,  et  au  moyen  desquels  on  tente  d'éclairer 
cette  fausse  situation,  l'armée  anglaise  continue  à  se 
mouvoir  dans  le  vague  et  l'incertitude  ;  elle  est  con- 
damnée à  ignorer  éternellement  si  le  commandement 
réside  de  fait  au  Horse-Guards  ou  au  War-Office. 

Que  se  passe-t-il,  en  effet,  quant  aux  attributions 
de  ces  deux  départements?  Prenons  l'un  des  détails  qui 
intéressent  le  plus  une  armée  :  les  promotions,  l'avan- 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  L  ANGLETERRE.      39 

cernent.  Certes,  la  désignation  au  commandement  d'une 
année  active,  par  exemple,  est  l'une  des  questions  les 
plus  importantes  qui  puisse  se  présenter.  Cette  désigna* 
tioii  sera-t-elle  confiée  à  V Administrateur  de  Tannée 
ou  au  Commandant  de  l'armée?  Émanera-t-elle  du 
War-OflBce  ou  bien  du  Horse-Guardsî  D  semblerait, 
vu  la  nature  des  conditions  à  remplir,  avant  tout,  par 
le  commandant  d'une  expédition,  que  Tappréciation  de 
son  aptitude,  de  sa  capacité,  de  ses  talents,  est  tout  à 
fait  du  ressort  de  l'autorité  exclusivement  militaire. 
En  France,  on  n'aurait  jamais  l'idée  de  faire  appel  à 
un  intendant  ou  à  un  comptable  militaire  pour  désigner 
le  commandant  d'un  corps  de  troupes!  En  Angleterre, 
il  en  est  tout  autrement.  C'est  le  Ministre  de  la  guerre, 
c'est  Y  Administrateur  qui  diceiid  mission.  Suivant  la 
théorie  de  MM.  Peel  et  Herbert,  le  Ministre  choisit  les 
oflSciers  généraux  auxquels  des  commandements  doi- 
vent être  confiés,  et  sa  seule  obligation  vis-à-vis  le 
Commandant  en  chef  de  l'armée  est  de  l'informer  de 
ses  choix  (1). 

Pour  les  emplois  d'officier  supérieur,  le  Commandant 
en  chef  ne  peut  faire  de  propositions  qu'avec  le  con- 
cours du  Ministre  de  la  guerre  {to  obtain  the  concurrence 
ofthe  Secretary  of  State) -^  il  faut  que  celui-ci  approuve 
ses  désignations  pour  qu'elles  puissent  devenir  r^u- 
lières  et  définitives.  Le  droit  d'approuver  impliquant 
nécessairement  la  faculté  de  désapprouver,  on  com  - 

(i)  La  désignation  du  Commandant  de  i*expédilion  de  la  Chine  a 
ôlé  faîte  dans  ces  conditions,  ainsi  qu1l  résulte  d*explications  de- 
mandées à  la  Chambre  des  Communes. 


30  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  HILITAIRBS 

prend  à  quoi  peut  se  trouver  réduite  l'initiative  du 
pouvoir  purement  militaire.  Investi  d'une  autorité  et 
de  droits  aussi  limités,  le  Ck)mmandant  en  chef  n'est 
que  nominalement  le  Chef  de  l'armée. 

Maintenant,  cette  autorite  suprême  et  incontestée, 
sans  laquelle  une  armée  ne  peut  marcher  qu'à  l'aven- 
ture, est-ce  au  Ministre  de  la  guerre  qu'elle  est  dé- 
volue î  Pas  davant^e  1  Les  pouvoirs  de  ce  fonctionnaire, 
dans  le  système  militaire  anglais,  sont  seulement  res- 
trictifs. Il  peut  an-êter,  entraver  l'initiative  du  Com- 
mandant en  chef,  mais  il  ne  peut  y  substituer  la  sienne. 
Il  ne  doit  pas  s'immiscer  dans  le  détail  du  commande- 
ment des  troupes.  Il  doit  agir  de  concert  avec  le  Com- 
mandant en  chef,  et  d'après  les  avis  que  celui-ci  (res- 
ponsable seulement  envers  la  Couronne).,.,  damnera 
lui  donner. 

n  est  évident  qu'une  pareille  situation  ne  doit  engen- 
drer que  comphcation,  lenteur  et  confusion.  Pour 
qu'une  impulsion  sérieuse  fût  imprimée  aux  aflaires 
militaires  par  le  War-Office,  il  faudrait  que  cette  posi- 
tion de  conseiller  en  titre  du  Commandant  en  chef  fût 
réglée,  vis-à-vis  du  Ministre,  comme  celle  de  l'Adju- 
dant-général,  que  nous  examinerons  plus  loin,  est  ré- 
glée vis-à-vis  du  Commandant  en  chef  lui-même.  Il 
faudrait,  en  un  mot,  que  le  Commandant  en  chef  fût 
subordonné  au  Ministre.  Or,  les  choses  sont  bien  loin 
d'être  réglées  de  cette  façon.  Par  son  rang  élevé,  qui 
le  place  le  plus  souvent  sur  les  marches  du  trône;  par 
la  nature  de  ses  pouvoirs,  qu'il  tient  constitutionnelle- 
ment  de  la  Couronne,  et  qui,  à  moins  de  cas  excep- 


DE   LA   FBAlfCE    ET   DE   l' ANGLETERRE.  SI 

tionneb  improbables,  ne  le  rendent  responsable  qu'en- 
vers la  Couronne  (1) ,  le  Commandant  en  chef  échappe 
entièrement  à  l'action  du  Ministre,  et  l'on  ne  saurait 
guère  concevoir  qu'il  puisse  en  être  autrement.  Le 
Ministre  ne  peut  donc  exiger  du  commandement  les 
lumières  dont  il  a  besoin;  il  n'a  d'autres  renseigne- 
ments pour  s'éclairer  que  ceux  qu'on  veut  bien  lui  don- 
ner; il  peut  empêcher  une  chose  ou  en  entraver  une 
autre,  il  n'a  l'initiative  d'aucune.  Bref,  pas  plus  qu'au 
Horse-Guards,  il  ne  faut  chercher  au  War-Office  le 
Chef  de  l'armée  anglaise,  car  la  faculté  de  défendre 
ne  peut  impliquer  l'idée  du  commandement  dans  Vac- 
oeption  militaire  du  terme,  que  quand  elle  est  réunie 
au  droit  d'ordonner. 

L'armée  anglaise,  ainsi  que  nous  le  disions  plus 
haut,  est  donc  virtuellement  sans  chef. 

Sans  doute,  le  bon  sens  pratique  de  nos  voisins  ne 
leur  fait  pas  défaut  pour  diminuer  autant  que  possible 
les  inconvénients  du  système  vicieux  que  nous  venons 
d'analyser.  Afin  d'éviter  les  conflits,  afin  de  mettre  un 
terme  à  des  correspondances  laborieuses  et  souvent 
d'un  carantère  peu  agréable,  le  Ministre  de  la  guerre, 
le  Commandant  en  chef,  TAdjudant-général,  le  Quar* 
tier-^mattre-général  (2)  et  les  sous-Secrétaires  d'État  se 

(1)  Ces  circonstances  improbables  qui  peuvent  obliger  le  Comman- 
dant en  chef  à  rendre  compte  de  sa  conduite  devant  le  Parlemeni, 
si  elles  sont  fort  ra^es,  ne  sont  pourtant  pas  sans  exemple.  —  \.v 
duc  d'York,  prince  du  sang,  comme  le  Commandant  en  chef  actuel, 
à  Toccasion  des  tripotages  de  sa  maîtresse  (mistress  Clarke)  dans  des 
affaires  de  nominations  et  d'avancement,  dut  résigner  son  ofûce. 

(2)  On  trouvera  plus  loin  les  attributions  de  ces  fonctionnaires* 


«^2         '    CONSTITUTION  ET   PUISSANCE  BOLITAIRES 

réunissent  fréquemment  en  une  sorte  de  comité  où 
sont  traitées,  vivà  voce^  les  affaires  de  nature  à  soule- 
ver des  difficultés.  Toutefois,  ce  palliatif  doit  remédier 
très  imparfaitement  à  ce  qu'ont  de  mal  défini  et  de 
contradictoire  les  pouvoirs  du  War-Office  et  du  Horse- 
Guards.  Rien  ne  fixe  d'une  manière  précise  les  affaires 
à  porter  devant  cette  réunion  ;  rien  ne  détermine  les 
questions  dont  le  Ministre  et  le  Commandant  en  chef 
pourront  se  réserver  exclusivement  la  solution.  Enfin, 
autour  de  la  table  de  ce  conseil,  il  reste  toujours  en 
présence  deux  autorités,  dont  Tune  est  responsable 
pour  toutes  les  affaires  militaires  vis-à-vis  du  Parle- 
ment, dont  l'autre,  indépendante  de  fait  de  la  prcr 
mière,  n'est  l'esponsable  que  vis-à-vis  la  Couronne, 
c'est-à-dire,  suivant  l'esprit  de  la  constitution  anglaise, 
n'est  en  réalité  aucunement  responsable- 
Grâce  à  la  double  autorité  qui  les  r^it,  la  marche 
des  affaires  de  la  guerre,  de  l'autre  côté  du  détroit,  est 
complètement  dépendante  de  la  similitude  d'opinion 
des  deux  chefs  qui  les  dirigent;  elle  est  subordonnée  à 
leur  courtoisie,  aux  relations  plus  ou  moins  amicales 
qui  peuvent  exister  entre  eux.  L'antagonisme  fatal  qui 
résulte  nécessairement  de  cette  autorité  divisée  peut 
sommeiller;  il  peut,  en  temps  ordinaire,  ne  produire 
que  des  lenteurs  préjudiciables;  mais,  en  cas  de  conflit 
sérieux,  il  peut  aussi  se  réveiller  tout  à  coup  de  la  façon 
la  plus  dangereuse.  Qu'une  pareille  situation  vienne  à 
se  déclarer  au  moment  où  l'Angleterre  aura  une  guerre 
à  soutenir,  et  l'on  peut  affirmer  à  l'avance  que  les  con- 
séquences en  seront  incalculables. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  L* ANGLETERRE.      d3 

Daiis  Pexamen  auquel  nous  nous  sommes  livré  jus- 
qu'ici, nous  avons  fait  abstraction  des  personnes,  nous 
avons  supposé  qu'aucune  des  qualités  éminentes  récla- 
mées dans  les  hautes  positions  de  Commandant  en  chef 
et  de  Ministre  de  la  guerre  ne  faisait  défaut  aux  fonc- 
tionnaires en  exercice.  Il  est  pourtant  un  point  sur  le- 
quel nous  ne  pouvons  nous  dispenser  d'insister  :  si, 
dans  les  régions  supérieures  de  l'administration  de  l'ar- 
mée anglaise,  l'expérience  et  les  talents  spéciaux  sont 
ordinairement  le  partage  de  l'élément  purement  mili- 
taire; si  le  Commandant  en  chef  est  à  la  hauteur  de 
ses  obligations,  il  peut  arriver,  au  contraire,  que  le 
Ministre  n'ait  jamais  été  militaire,  qu'il  n'ait  pas  même 
commandé  une  simple  compagnie.  En  France,  la  dési- 
gnation d'un  Ministre  de  la  guerre  complètement  étran- 
ger à  l'armée,  d'un  civilian^  comme  diraient  nos  voi- 
sins, paraîtrait  une  énormité.  En  Angleterre,  il  en  est 
autrement.  Les  fréquents  changements  de  Cabinet,  les 
exigences  des  partis  qui  divisent  le  Parlement,  la  né- 
cessité de  ne  pas  sortir  de  certaines  combinaisons  de 
personnes  imposées  par  la  politique  du  moment,  dé- 
terminent parfois  des  choix  aussi  illogiques,  et  l'on  voit 
des  Ministres  de  la  guerre  qui  n'ont  jamais  endossé  un 
uniforme  de  leur  vie. 

On  trouverait  fort  extraordinaire  certainement  qu'un 
militaire  fût  choisi  pour  remplacer  un  évoque  ou  un 
ministre  de  la  justice;  cependant,  à  tout  prendre,  avec 
un  sens  droit,  avec  les  idées  générales  que  peut  avoir 
sur  la  religion  et  la  législation  de  son  pays  l'homme  qui 
a  reçu  une  éducation  libérale,  un  militaire,  aidé  d'un 

3 


3&  CONSTlTtTMHI   ET  PUIflSAMCB  lOUTÂIKBS 

clergé  éclairé  ou  d'une  magistrature  iatètgre,  pourrait 
encore  ne  pas  être  impossible  dans  ces  positions.  Mais» 
il  est  bien  permis  de  le  demander»  qu^es  garanties 
peut  offirir  à  la  tète  d'une  armée  un  ministre  qui  n'a  ja^ 
mais  été  militaire?  Si  gi-and  que  soit  son  mérite^  si 
juste  que  soit  son  esprit»  si  étendues  que  soient  ses  con- 
naissances» quelle  direction  raisonnable  pourra-t-il  im- 
primer à  des  affaires  dont  le  détail  est  infini  et  pour 
lesquelles»  la  plupart  du  temps»  les  qualités  lea  j^us 
éminentes  ne  sauraient  tenir  lieu  de  l'expérience  pra- 
tique. 

Telles  sont  pourtant  les  étranges  conséquenoes  du 
système  politique  de  la  Grande-Bretagne»  que  teGoin- 
mandant  en  chef  de  l'armée»  fût-il  le  capitaine  le  plus 
distingué  de  sou  temps»  fût-il  un  Napoléon»  un  Ikbrlbo* 
rough»  un  Wellington»  peut  être  exposé  à  voir  ses  opi* 
nions  et  son  influence  en  matières  militaires  non-ae«i* 
lement  combattues»  mais  absolument  annihilées  par 
un  Ministre  de  la  guerre  dont  tout  le  mérite  aura  été 
d'appartenir,  à  point  nommé»  au  parti  wigh  ou  «ii 
parti  tory« 

On  objectera  sans  doute  qu'en  Angleterre»  pas  plus 
qu'ailleurs»  il  n'y  a  obligation  de  prendre  un  Myiistre 
de  la  guerre  en  dehors  de  l'armée;  ou  dira  qu'a  m 
manque  pas  à  la  Chambre  des  Communes  de  généraux 
auxquels  on  peut  s'adresser  pour  rempUr  cet  ùI&m. 
Peut-être  est-ce  le  moment  de  préswter»  dès  le  début 
de  cette  Étude»  certaines  considérations  générales  ipii 
noanseulement  répondront  à  ces  objections»  mais  ea- 
core  sont  de  nature  à  Jeter  quelque  lumière  sur  les  vé- 


DE  LA  PEANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.      85 

ritables  conditions  militaires  de  la  Grande-Bretagne; 
Nos  voisins  le  reconnaissent  eux-mêmes,  le  peuple 
anglais,  malgré  tout  Fhéroïsme  qu'il  sait  déployer  au 
besoin,  n'est  pas  une  nation  militaire.  Ses  aspirations 
ne  sont  pas  guerrières.  Que  le  développement  de  la 
prospérité  et  de  la  richesse  soit  la  cause  ou  le  résultat 
de  cette  disposition  de  l'esprit  public,  il  est  incontes- 
table que;  de  l'autre  côté  de  la  Manche,  toute  l'acti- 
vité, toutes  les  forces  intellectuelles  sont  dirigées  vers  le 
commerce,  l'industrie,  les  luttes  parlementaires,  et 
peu  ou  point  vers  le  métier  des  armes. 

Or,  M.  de  Tocqueville  Ta  dit  quelque  part  :  «  Quand 
Tesprit  militaire  abandonne  une  nation,  la  carrière 
des  armes  cesse  d'être  honorée,  et  ceux  qui  la  suivent 
arrivent  à  tomber  bientôt  au  dernier  rang  des  fonction- 
naires. »  Us  sont  moins  appréciés,  moins  estimés, 
parce  que  les  hommes  de  talent  n'entrent  plus  dans 
l'armée,  mais  ceux-là  seulement  qui  ne  se  sentent  pas 
la  force  de  soutenir  la  concurrence  dans  les  aub*es  car- 
rières, •*-  c'est-à-dire  les  hommes  médiocres  ou  sans 
valeur.  L'armée  se  trouve  dès  lors  enfermée  dans  un 
cercle  fatal  qu'elle  ne  peut  plus  franchir;  elle  perd  la 
conûdération  publique,  parce  que  les  gens  d'élite  lui 
font  défaut,  et  les  intelligences  supérieures  vont  de 
plus  en  plus  s'éloignant  d'elle  à  leur  tour,  parce  qu'elles 
savent  ne  pouvoir  plus  y  rencontrer  cette  même  consi- 
dération dont  elles  ont  soif. 

Dus  une  situation  ainsi  définie,  une  armée  cesse 
bientôt  détre  en  rapport  avec  le  reste  du  pays  ;  —  son 
niveau  s'abaisse  au-deasous  du  niveau  intellectuel  de  la 


36  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

uation.  Telle  est,  suivant  uous,  la  condition  présente 
de  l'armée  anglaise. 

Certes,  nous  sommes  bien  loin  de  prétendre  que 
cette  armée  n'ait  pas,  comme  toutes  les  autres,  ses 
illustrations  dont  elle  a  droit  d'être  fière.  Les  Bur- 
goyne,  les  Howard  Douglas,  les  Slrafford,  les  Comber- 
mere,  les  Campbell  et  bien  d'autres  encore  que  nous 
pourrions  citer  seraient,  dans  tous  les  pays  du  monde, 
l'honneur  de  la  profession  militaire  ;  mais  ces  brillantes 
individualités  n'altèrent  en  rien  notre  proposition.  Si 
l'aristocratie  de  naissance  et  l'aristocratie  de  fortune 
ont  leur  place  marquée  à  la  tête  de  l'armée  britan- 
nique, il  faut  bien  reconnaître  que  l'aristocratie  de 
talent  cherche  d'autres  débouchés;  en  outre,  par  le 
fait  même  de  sa  constitution,  ainsi  que  nous  l'avons 
expliqué  ailleurs,  cette  armée  ferme  complètement  ses 
rangs  à  tous  les  hommes  distingués,  à  toutes  les  intel- 
ligences hors  ligne  que  la  classe  moyenne  pourrait  lui 
apporter. 

De  tout  cela,  il  résulte  que  l'Angleterre  ne  choisit 
d'ordinaire  ni  ses  ministres,  ni  ses  diplomates,  ni  ses 
ambassadeurs  parmi  ses  généraux.  Chez  nos  voisins, 
pour  être  Secrétaire  d'État  d'un  département  quel- 
conque, il  faut  avant  tout  être  orateur  et  homme  poli- 
tique. Les  luttes  parlementaires,  le  soin  de  défendre 
une  position  sans  cesse  attaquée,  sans  cesse  battue  en 
brèche,  absorbe  le  meilleur  et  le  plus  clair  du  temps 
d'un  Ministre  anglais;  le  reste  (s  il  y  en  a)  est  donné 
aux  affaires  de  son  département.  Les  militaires  qui  oc- 
cupent un  siège  à  la  Chambre  haute  ou  à  la  Chambre 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.      37 

des  Communes  sont  loin  d'y  tenir  la  place  de  nos  géné- 
raux français  dans  nos  assemblées.  Beaucoup  plus  ha- 
biles (et  ce  n'est  pas  un  reproche  que  nous  leur  faisons) 
à  défendre  un  retranchement  qu'à  repousser  un  assaut 
parlementaire,  les  généraux  anglais  n'apporteraient, 
dans  ce  dernier  cas,  qu'un  concours  assez  maigre  à  un 
ministère;  aussi  les  voyons-nous  figurer  fort  rarement 
dans  les  Cabinets  qui  se  succèdent,  et  c'est  un  civilian 
qui  se  trouve  appelé  le  plus  souvent  à  présider,  Dieu 
sait  comme!  aux  destinées  de  l'armée  britannique. 

Nous  avons  déjà  dit  un  mot  des  lenteurs  résultant  ^n 
Angleterre  de  l'autorité  divisée  et  du  système  compli- 
qué qui  gouvernent  les  affaires  militaires.  Il  est  inté- 
ressant de  comparer  à  cet  égard  ce  qui  se  pîisse  chez 
nos  voisins  avec  ce  qui  se  pratique  en  Frana\  Lors- 
qu'on étudie  les  institutions  militaires  de  la  France,  ce 
qui  frappe  l'esprit  tout  d'abord,  c'est  la  simplicité»  et  la 
perfection  de  leur  mécanisme.  I^s  règlements  sont 
clairs,  précis,  et  toujours  en  harmonie  les  uns  avec  les 
autres.  On  sent  qu'ils  ont  été  élaborés  avec  soin,  dans  le 
calme  des  situations  raffermies,  en  dehors  de  toute 
pression  du  moment  et  de  toute  influence  étrangère  au 
bien  du  service;  aussi  offrent-ils  des  garanties  de  stabi- 
lité qui  les  mettent  à  l'abri  de  ces  changements  conti- 
nuels dont  nos  voisins  nous  donnent  le  triste  exemple 
et  qui  sont  le  plus  grand  olistacle  à  toute  fondation  du- 
rable. Cette  supériorité  incontestable  du  système  fran- 
çais tient  évidemment  à  la  concentration  de  l'autorité 
militaire  dans  une  seule  main,  à  la  centralisation  de 
Faction  dirigeante  dans  un  seul  et  unic{ue  département. 


58  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITÀIBBS 

Affranchi  de  ces  luttes  stériles  dans  lesquelles  le  Secré- 
taire d'État  du  War-Office  dépense  l'activité,  les  ta- 
lents, les  ressources  qu'il  emploierait  bien  plus  utile- 
ment à  la  conduite  de  ses  bureaux,  le  Ministre,  en 
France,  n'est  point  obligé  de  tout  subordonner  aux 
exigences  de  la  politique.  Il  conserve  toute  son  initia- 
tive; il  n  est  pas  réduit,  comme  en  Angleterre,  à  se 
traîner  sans  cesse  à  la  remorque  des  commissions  d'en- 
quête. Une  amélioration  quelconque  appelle-t-elle 
l'examen?  Immédiatement  des  officiers  instruits,  expé- 
rimentés, sont  chargés  de  l'étudier  et  de  la  discuter. 
Leur  travail  se  poursuit  sans  relâche;  leur  rapport  est 
fourni  sans  délai.  Le  Ministre  examine  à  son  tour,  ap- 
prouve ou  rejette  sans  qu'il  y  ait  de  temps  perdu. 

Chez  nos  voisins,  tout  marche  avec  une  lenteur  sans 
égale.  Les  obstacles  aux  améliorations  les  plus  urgentes 
semblent  naître  à  chaque  pas.  Quand  l'opinion  pu- 
blique vient  à  se  prononcer  trop  vivement  sur  la  né- 
cessité d'une  réforme,  la  tactique  ordinaire,  chez  nos 
voisins,  est  de  l'apaiser,  de  lui  faire  prendre  patience 
par  la  nomination  d'une  commission  d'enquête.  En 
France,  ces  sortes  de  commissions  servent  à  étudier  les 
questions  nouvelles,  à  résoudre  les  problèmes  nou- 
veaux. En  Angleterre,  les  commissions  d'enquête  con- 
sacrent ou  plutôt  perdent  leur  temps  à  examiner  des 
faits  que  tout  le  monde  connaît,  à  discuter  des  ques- 
tions déjà  cent  fois  jugées. 

Veut-on  savoir  maintenant  comment  procèdent  ces 
commissions?  Nous  supposons  que  le  Parlement  s'est 
décidé  à  désigner  ceux  de  ses  membres  qui  doivent 


DB  LA  FmANCI   R  DB  l'aMUTBII.  80 

bâte  ptrtie  de  Tuna  d'elles  :  l'enquAte  oommenœ  à 
marcher;  la  diacuasion  suit  son  coura;  Taffaire  est  élu- 
cidée; le  rapport  va  paraître Soudain,  un  change- 
ment de  Ministère  a  lieu,  ou  bien  le  Parlement  eat  di»* 
aotts,  et  tout  se  trouve  remis  en  question.  Pendant  un 
certain  temps,  le  pays  est  en  fermentation,  à  cause  des 
tiectîona;  toutes  les  affaires  sont  suspendues.  Les  se- 
mainea  s'écoulent,  et  il  faut  attendre,  pour  revenir  à 
l'enquête,  que  la  Chambre  soit  reconstituée.  Ce  mo- 
ment arrive  enfin  ;  mais,  nouvelle  difficulté,  plusieurs 
des  anciens  commissaires  ont  perdu  leur  siège  à  la 
Chambre.  Il  est  nécessaire  d'en  nommer  de  nouveaux, 
et  il  faut  attendre  qu'ils  se  soient  mis  au  courant  de  la 
question.  Enfin  ce  nouveau  délai  a  son  terme  :  la  com* 
mission  a  repris  ses  séances;  encore  une  semaine  ou 
deux,  et  tout  permet  d'espérer  que  son  rapport  va  pa- 

rattre L'automne  arrive  :  le  Parlement  prend  ses 

vacances,  les  commissaires  s'en  vont,  qui  aux  bains  de 
mer,  qui  dans  leurs  terres  ou  sur  le  continent,  et  en* 
quête,  réforme  ou  améliorations  sont  remises  à  la  gr&ce 
de  Dieu. 

Ce  qui  se  passe  au  Parlement  se  répète  sous  une 
autre  forme  dans  les  bureaux  de  la  guerre.  Qu'on  s'i* 
magine  un  moment  le  War^Offlce  recevant  350,000  let- 
tres dans  l'année,  près  de  1,000  par  jour!  dont  une 
bonne  partie,  grâce  à  la  complication  et  à  la  confusion 
qui  régnant  dans  les  attributions  des  deux  départements, 
lui  vient  précisément  de  son  voisin  le  Horse-Guards  (1). 

(1)  Pall  Mail  et  Saint-James's  Parle,  emplacements  respectifs  du 


ko  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE   MILITAIRES 

D'enregistrement  en  minute,  de  minute  en  expédition, 
d'expédition  en  approbation,  etc.,  la  moindre  affiiire 
met  dix  jours  avant  de  recevoir  une  solution.  Bien 
heureux  encore  sont  ceux  qu'elle  concerne  lorsque  le 
bureau  qui  devait  en  connaître  est  bien  celui  qui  en  est 
saisi  tout  d'abord  ! 

Souvent,  en  effet,  il  arrive  que,  pour  la  même 
affaire,  un  bureau  accorde,  tandis  qu'un  autre  refuse. 
Et  puis,  c'est  un  employé  qui  signe  aujourd'hui,  de- 
main c'est  un  autre,  le  surlendemain  un  troisième. 
Enfin,  pour  mettre  le  comble  à  toutes  ces  difficultés, 
c'est  le  War-Office  et  le  Horse-Guards  qui,  pour  cette 
même  affaire,  se  trouvent  adopter  un  point  de  vue 
complètement  différent. 

Si  du  domaine  des  considérations  générales  nous 
passons  pour  un  moment  dans  celui  des  faits,  quelle 
confirmation  ne  trouvons-nous  pas  de  toutes  les  imper- 
fections qui  viennent  d'être  signalées  dans  l'adminis- 
tration militaire  de  nos  voisins!  Chacun  a  pu  apprécier 
avec  quelle  rapidité  incroyable,  avec  quel  ordre  mer- 
veilleux la  France  a  su  marcher  au  secours  du  Piémont. 
Prise  au  dépourvu  par  le  mouvement  offensif  des  Au- 
trichiens, encore  sur  son  pied  de  paix,  dans  un  mo- 
ment où  tout  permettait  d'espérer  une  solution  paci- 
fique de  la  question  italienne,  il  ne  lui  a  fallu  cependant 
que  quelques  jours  pour  lancer  de  l'autre  côté  des 
Alpes  une  magnifique  armée  de  200,000  hommes. 


War-Offlce  et  du  Hopse-Guards,  ne  sont  pas  éloignés  Tiin  de  l'autre 
d'une  portée  de  fusil. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l'aNGLETERHE.  Al 

Plus  récemment,  et  bien  que  sur  une  plus  petite 
échelle,  elle  a  renouvelé  les  mêmes  prodiges  quand  il 
s'est  agi  de  l'expédition  de  la  Chine.  Que  Ton  compare 
maintenant  ce  qui  s'est  passé  en  France  dans  ces  deux 
circonstances  avec  les  lenteurs  interminables  qui  signa- 
lèrent l'envoi  de  la  première  expédition  d'outre-Manche 
contre  Canton  !  Les  doléances  de  la  presse  anglaise  à  ce 
sujet  sont  encore  présentes  à  tous  les  esprits;  mais  ce 
qu'on  n'a  jamais  su  qu'à  Wolwich  et  dans  quelques 
autres  établissements  militaires  de  la  Grande-Bretagne, 
ce  sont  les  efforts  inouïs,  les  labeurs  surhumains  que 
cette  petite  expédition  a  exigés. 

Ënumérer  tous  les  livres  bleus  (1),  toutes  les  en- 
quêtes, tous  les  mémoires,  tous  les  rapports  auxquels 
donne  lieu,  chez  nos  voisins,  l'administration  défec- 
tueuse des  affaires  militaires;  compter  tous  les  règle- 
ments, toutes  les  ordonnances,  tous  les  ordres,  tous  les 
contre-ordres  qui  en  résultent,  serait  un  travail  impos- 
sible. Un  étranger  qui  voudrait  connaître  l'armée  an- 
glaise en  compulsant  ce  monceau  de  documents  entre- 
prendrait une  tâche  aussi  fastidieuse  qu'inutile. 
L'obscurité,  le  vague,  les  contradictions  l'arrêteraient  à 
chaque  pas;  il  arriverait  bien  vite  à  cette  conclusion, 
qui  est  celle  de  tous  les  militaires  distingués  de  l'autre 
côté  du  détroit,  c'est  que  la  première  réforme  à  intro- 
duire dans  l'administration  de  la  guerre,  c'est  la  sup- 
pression ou  du  moins  la  diminution  de  cette  immense 

(1)  Les  rapports  des  commissions  parlementaires  ont  une  cou- 
verlure  bleue,  ce  qui  les  fait  désigner,  en  Angleterre,  sous  le  nom 
de  bitte  hooks. 


AS  GÔmTITUTION  ET  FDiaSANGE  MIUTÀIEBS 

fabrique  d'éoritures  inutiles.  L'actioo  <lirigeaDt6  ne 
pourra  s'exercer  sur  Varmée  anglaise  d'uue  manière 
effective  et  logique  que  le  jour  où  l'on  aura  balayé 
toute  la  partie  exclusivement  paperassière  de  cette  ad- 
ministration. 

Nous  avons  exposé,  sans  en  rien  dissimuler,  oooune 
aussi  sans  rien  exagérer,  les  défauts  du  système  mili* 
taire  de  F  Angleterre.  Nous  avons  été  simplement  Téobo 
fidèle  de  tout  ce  qui  se  dit  et  de  tout  ce  qui  s'écrit,  chez 
nos  voisins,  depuis  les  grandes  épreuves  de  la  Crimée 
et  de  rinde.  L'opinion  unanime  est  qu'une  pareille 
situation  met  le  pays  en  péril,  et  qu'elle  ne  peut  se  pro- 
longer; elle  explique  ces  paniques  indescriptibles  qui 
se  déclarent  à  tout  instant  en  Angleterre,  au  profond 
étonnement  du  reste  de  l'Europe.  Maintenant,  quels 
moyens  emploiera-t-on  pour  sortir  de  cet  état  transi- 
toire? Il  serait  fort  difficile  de  l'indiquer  à  l'avance- 
Dans  la  question  du  commandement  suprême  de  l'ar- 
mée, comme  dans  bien  d'autres  questions,  ainsi  que 
nous  le  reconnaîtrons  dans  le  cours  de  ces  Études  (1), 
les  habitudes,  les  mœurs,  le  respect  des  traditions  ren* 
dent  la  solution  fort  difficile.  Le  mécanisme  des  insti- 
tutions politiques  et  l'organisation  sociale  de  la  nation 
anglaise  sont  en  opposition  constante  avec  les  réformes 
militaires  les  plus  urgentes,  et  soulèvent  à  chaque  pas 
des  obstacles  qui  paraissent  insurmontables. 

Relativement  à  l'autorité  divisée  qui  régit  actuelle- 
ment l'armée  anglaise,  les  réformistes  se  partagent  na- 

(1)  Nousvoulonsparlerdu  recrutement,  de  rachat  des  grades»  etc. 


DI  LK  FRANGE   BT  DE  L*ANGLETBmB.  AS 

tureUement  en  deux  camps  :  d'un  c6té,  les  partisane; 
du  Commandant  en  chef  et  de  Tautonté  royale;  de 
l'autre,  ceux  du  Ministre  de  la  guerre  et  de  la  Chambre 
des  Communes.  De  part  et  d'autre  la  lutte  est  animée, 
et  les  arguments  produits  sont  sérieux. 

Au  Horse-Guards,  on  signale  hautement  la  tendance 
qui  se  manifeste  à  subordonner  le  Commandant  en  chef 
au  Ministre  de  la  guerre,  comme  un  attentat  contre 
l'autorité  royale.  Cette  tendance,  la  Chambre  desCom- 
munes  la  pourtant  consacrée,  en  quelque  sorte,  dans 
une  de  ses  séances,  bien  qu'à  une  majorité  insigni- 
fiante (1).  Les  partisans  du  Commandant  en  chef  voient 
pour  l'avenir  un  sérieux  danger  dans  le  débat  dont  le 
capitaine  Vivian  a  donné  le  premier  signal.  A  leur  avis, 
de  pareilles  discussions  sont  des  plus  périlleuses  pour 
les  institutions  constitutionnelles  ;  elles  exposent  celles-ci 
à  être  bouleversées  tout  aussi  bien  par  les  empiéte- 
ments de  la  démocratie  que  par  ceux  de  la  Couronne. 
Jusqu'ici,  dans  toutes  les  luttes  qui  ont  eu  lieu  sur  ce 
terrain,  on  doit  reconnaître  que  la  première  a  grande- 
ment pris  l'avance  sur  la  seconde.  D'années  en  années 
le  Souverain  s'est  vu  dépouiller  de  ses  prérogatives  les 
plus  réelles  ;  il  arrivera  bientôt  en  Angleterre,  si  l'on 
n'y  prend  garde,  à  être  complètement  annihilé.  Les 


.1)  La  motion  d'un  membre  du  Parlement,  le  capitaine  Vivian, 
ayant  pour  objet  la  nomination  d'une  commission  chargée  d'exami* 
ner  ropporlunité  de  la  concentration  de  tous  les  pouvoirs  militaires 
dans  les  mains  du  Ministre  de  la  guerre,  a  été  adoptée  k  la  magorité 
d^une  voix.  —  Depuis,  le  capitaine  Vivian  n'a  pas  étô  réélu  à  la 
Chambre  des  Communes. 


A&         antSTiTOTimi  et  puissance  militaires 

envahissements  de  la  Chambre  desG)mmunes,  au^con- 
traire,  ont  été  constants;  elle  ne  se  borne  plus  à  son 
rôle  de  pouvoir  législatif»  elle  tend  chaque  jour  davan- 
tage à  devenir  en  même  temps  pouvoir  exécutif. 

Est-ce  en  présence  d'une  pareille  situation,  lorsque 
l'influence  de  la  Chambreni^  Lords  comme  pouvoir 
restrictif  {resisting  body)  \a  sans  cesse  s'aflFaiblissant, 
lorsque  la  Chambre  des  Communes,  sous  le  coup  de  la 
réforme,  peut  se  trouver  reconstituée  d'im  instant  a 
Faulre  sur  des  bases  nouvelles,  et  ouverte  aux  plus 
humbles  artisans;  —  est-ce  quand  l'autorité  royale  de- 
vient chaque  jour  plus  limitée,  plus  menacée;  est-ce 
le  moment  de  renverser  le  dernier  boulevard  qui  la 
protège  encore,  en  privant  le  Souverain  ou  son  délégué 
du  commandement  de  l'armée?  L'Angleterre  est-elle 
donc  une  République,  et  n'existe-t-il  plus  ni  respect, 
ni  affection  pour  la  Royauté? 

Sous  le  régime  actuel,  ajoutent  les  partisans  du  Com- 
mandant en  chef,  la  surveillance  et  l'action  qui  appar- 
tiennent à  la  Chambre  des  Communes  sur  les  affaires 
militaires  ne  sont-elles  pas  suffisamment  exercées  au 
moyen  du  pouvoir  dont  jouit  le  Parlement  relativement 
aux  crédits?  La  Chambre  n'a-t-elle  pas  le  droit  de  dis- 
cuter* tous  les  chapitres  du  budget?  Une  fois  les  fonds 
votés,  à  l'autorité  militaire  seulement  doit  appartenir 
celui  d'en  diriger  remploi.  N'est-il  pas  préférable  de 
choisir  pour  une  pareille  tâche  le  pouvoir  qui  exerce, 
en  réalité,  le  commandement  direct;  celui  que  sa  posi- 
tion met  à  la  fois  à  l'abri  des  exigences  de  la  politique 
et  des  renversements  de  Cabinet? 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  L* ANGLETERRE.       &5 

La  surveillance,  dit-on  encore  au  Horse-Guards, 
n'est  pas  le  contrôle  absolu,  encore  moins  la  direction 
suprême.  Donner  cette  dernière  au  Ministre  en  ce  qui 
regarde  Tarmée,  c'est  introduire  un  changement  radi- 
cal dans  le  gouvernement.  C'est  une  question  de  ce 
genre  qui  décida  Charles  I"  à  dissoudre  le  croupion  (1). 
H  préféra  la  guerre  civile  à  un  sceptre  devenu  pure- 
ment nominal,  et  chacun  sait  quels  furent  les  résultats 
de  cette  décision.  Les  vrais  amis  de  la  Royauté  doivent 
méditer  cette  leçon  du  passé.  Le  présent  ne  doit  pas 
compromettre  l'avenir,  et  il  ne  faut  jamais  regarder 
comme  impossible  ce  qui  n'est  qu'improbable. 

Tant  que  la  Couronne  d'Angleterre  restera  en  pos- 
session du  Commandement  effectif  de  l'armée,  le  Sou- 
verain conservera  une  autorité  réelle  et  respectée.  Ije 
jour  où  cette  prérogative  lui  sera  arrachée,  son  der- 
nier prestige  tombera  avec  elle. 

A  l'objection  que,  pour  la  marine,  la  Couronne  a 
bien  consenti,  sans  qu'il  en  soit  rien  résulté  de  fâcheux, 
à  la  mesure  réclamée  aujourd'hui  pour  l'armée,  les 
partisans  du  Horse-Guards  répondent  avec  beaucoup 
de  justesse,  suivant  nous,  que  les  deux  cas  sont  fort 
différents.  Une  flotte  n'est  pas  un  instrument  politique 
dont  on  puisse  user  pour  aider  un  mouvement  popu- 
laire ;  on  sait,  au  contraire,  tout  ce  que  peut  l'armée 
en  pareil  cas.  D'ailleurs,  constitutionnellement,  le  Sou- 
verain peut  aujourd'hui  encore  nommer'un  lordGrand- 


(1)  The  Rump  Parlement,  le  Parlement  croupion  (voir  VHîstoire 
des  révolutions  d'Angleterre). 


46  GONSTlTUnOlf  BT   PU18SANGB  MILITAIRES 

Amiral  qui  serait,  le  cas  échéaut,  pour  les  forces  de 
mer,  ce  que  le  Commandant  en  chef  est  pour  les  forces 
de  terre. 

Quant  aux  excellents  résultats  de  la  centralisation 
militaire  à  Tétranger,  où  le  Ministre  de  la  guerre  est  le 
seul  chef  de  l'armée^  et  que  l'on  invoque  comme  un 
exemple  à  suivre,  les  défenseurs  du  Commandant  en 
chef  répondent  (ce  qui  est  vrai,  sans  être  plus  heureux 
pour  l'armée  anglaise)  que  le  système  militaire  de  la 
Grande-Bretagne  ne  peut  pas  plus  ressembler  à  ceux 
des  puissances  du  continent  que  ses  institutions  poli- 
tiques ne  ressemblent  elles-mêmes  à  celles  de  ces  puis- 
sances. En  France,  par  exemple,  le  Ministre  de  la 
guerre  est  nommé  par  le  Souverain,  qui,  virtuelle- 
ment, n'en  conserve  pas  moins  son  autorité  complète 
sur  l'armée.  Ensuite,  en  France,  le  Ministre  de  la 
guerre  est  toujours  un  général  habile,  expérimenté, 
qui  peut  être  à  la  fois  l'administrateur  et  le  chef  su- 
prême de  Farmée;  tandis  qu'en  Angleterre  lecm/ûm, 
que  les  manœuvres  parlementaires  amènent  parfois 
au  WarOffice,  n'a  souvent  aucune  expérience  des  de» 
voirs  du  commandement. 

Nous  n'aurions  présenté  qu'un  côté  du  débat,  dont 
Tarmée  britannique  est  l'enjeu,  si  nous  n'examinions 
pas,  à  leur  tour,  les  ai^uments  produits  en  faveur  du 
War-Office*  De  ce  côté  nous  pourrons  être  plus  court. 
Le  plaidoyer  est  plus  serré  sans  être  moins  ardent.  Les 
partisans  du  Ministre  de  la  guerre  se  renferment  dans 
le  dilemme  suivant,  dont  on  ne  peut  contester  la  valeur  : 
si  le  Secrétaice  d'Ëtat  de  la  guerre  est  responsable' vis- 


DB  lA   ntAnCB  ST  M  L'At^UKTfiMtfi.  &7 

à-vis  du  Purlemeiit  «l  de  la  nmtion  pour  la  omduîte  des 
opérations  et  la  bonne  direotioo  des  affaires  militaires^ 
ce  qui  est  confonde  à  l'esprit  et  à  la  lettre  de  la  coosti- 
tutîon  »  il  doit  avoir  évidemment  autorité  pleine  et  en* 
tière  sur  les  personnes  comme  sur  les  choses  de  son 
d^rtement.  DèsTinstantoù  Ton  admet  une  autorité 
militaire  indépendante  de  celle  du  Ministre  de  la 
guerre  ;<^  dès  l'instant  où  roe  aocepte  l'existence  d'un 
chef  militaire  qui  ne  sera  pas  responsible  envers  lui 
pour  tous  ses  actes^  et  qui  pourra  s'aflSranchir,  dans 
ime  mesure  (pielconque»  de  la  suboniinatîon  générale^ 
et  de  la  déférence  aux  mesures  émanant  de  la  sphèn* 
mifiîsténelle;  il  Suit  absolument  exonérer  le  Ministre 
de  kt  responsabilité  que  la  constitution  lui  impose. 

Que  deviendra  ta  prérogative  royale  avec  un  Ministre 
de  la  guerre  idief  unique  et  suprême  de  l'armée?  de- 
mande-t-oo  au  Horse-Guards.  —  Que  deviendront  les 
iiistitutioiis  et  les  libertés  constitutionnelles  avec  uii 
Gonmaudant  en  chef  indépendant  et  un  Ministre  non 
responsable?  répond-mi  au  WarOffice. 

he  graves  autorités»  M.  Sydney  Herbert  (1)  entre 
autres,  n'hésitent  pas  à  déclarer  que  le  Commandant 
ea  chef  doit  être  absolument  subordonné  au  Ministre. 
Accepter  la  bonne  entente  entre  ces  deux  hauts  fonc- 
tionnaires pour  seule  garantie  de  la  marche  des  affaires 
serait  par  trop  imprudent  et  absurde,  si  peu  que  l'on 
soqge  aux  désastreuses  conséquences  que  le  désaccoid 

(i)  M.  Herbert  est  le  Seciélaire  d*ÊUt  sCtseHemeat  h  la  tète  du 
War-COoeriuniiSO.) 


68  CONSTITUTION   KT   PUISSANCE  MILITAIRES 

de  ces  deux  hommes  pourrait  entraîner  pour  le  salut 
du  pays...  Il  serait  ridicule  de  compromettre  ce  salut 
par  un  respect  exagéré  pour  de  vieilles  traditions,  fus- 
sent-elles encore  mille  fois  plus  anciennes...  Les  gens 
sérieux  ne  peuvent  avoir  aucun  désir  de  voir  ces  tradi- 
tions, qui,  en  réalité,  ne  comportent  rien  de  bien  sub- 
stantiel quant  aux  prérogatives  de  la  Couronne  compa- 
rées  avec  l'autorité  indispensable  du  Parlement,  con- 
server cependant  assez  d'influence  pour  entraver  des 
réformes  aussi  utiles,  aussi  urgentes  que  celles  récla* 
mées  par  Tadrainistration  militaire  de  la  Grande-Bre- 
tagne. 

Nous  n'ajouterons  rien  à  l'esquisse,  nous  pourrions 
presque  dire  au  tableau  que  nous  venons  de  présenter 
du  système  militaire  de  la  Grande-Bretagne  en  ce  qui 
touche  à  la  délicate  question  du  Commandement  de 
Tarmée;  nous  croyons  n'avoir  omis  aucun  trait  impor- 
tant. Nous  nous  sommes  étudié  à  ne  point  charger  les 
couleurs.  Nul,  dit-on,  n'est  prophète  dans  son  pays, 
mais  bien  moins  encore. le  serait,  très  probablement, 
en  Angleterre,  celui  qui  chercherait  à  pressentir,  dès 
aujourd'hui,  la  façon  dont  nos  voisins  sortiront  de 
r impasse  où  ils  sont  acculés.  Pour  notre  compte,  nous 
déclinerons  tout  essai  à  cet  égard.  A  notre  avis,  si 
grandes  que  soient  les  imperfections  du  r^ime  actuel, 
et  si  vaines  que  soient  condamnées  k  rester  toutes  les 
tentatives  de  réforme  et  d'amélioration,  aussi  long- 
temps que  cet  état  persistera,  il  nous  est  impossible 
d'en  prévoir  le  terme.  C'est  de  la  tête  à  la  base  que 
léditîce  doit  être  remanié:  or,  les  difficultés  qui  s'op- 


DE  LA   FRANCE    ET  DE  l'aNGLETERRE.  &9 

posent  à  cette  entreprise  sont  tellement  grandes,  elles 
touchent  à  des  intérêts  si  considérables,  elles  ont  leur 
si^  dans  des  parties  si  vitales  de  l'organisation  poli- 
tique et  sociale  du  peuple  anglais,  que,  pour  bien  long- 
temps encore^  l'armée  anglaise  doit  se  résigner  à  les 
voir  peser  de  tout  leur  poids  sur  ses  destinées. 


50  CONSTITUTION  8T  PUISfiANGB  ||ILlTAIB]i6 


CHAPITRE  III. 

Rangs  et  grades  dans  Farmée  britannique.*^ Les  ofScters généraux, 
leur  cadre,  leur  position.— Du  grade  de  Général  d'armée  dan& 
Tarmée  anglaise.  —  Lacune  dans  la  hiérarchie  française.  —  Dis- 
proportion entre  le  nombre  des  officiers-généraux  et  Peffectif  de 
l'armée  britannique.  —  Organisation  de  TËtat-major  anglais*  — 
Elle  diffère  de  celle  des  États-majors  du  continent.— École  d*ÉUt- 
major  de  Sandhurst.  —  Tableau  des  emplois  d'État-major  dans 
Tarmée  anglaise.  —  Du  chef  d'État-major.  —  De  radjudant-géné- 
rai.  —  Du  quartier-mailre  général.  —  Du  major  de  brigade.  — 
État-major  de  fonctions  et  État-major  personnel.  —  Secrétaires 
militaires  et  aidesnle-camp.  —  État-major  des  places.  —  Prévôts- 
Maréchaux.  —  Cadre  général  de  Tétat-major  anglais. 

La  hiérarchie  des  officiers  exerçant  le  commande- 
ment, et  chargés  de  maintenir  ia  discipline  dans  l'ar- 
mée anglaise,  diffère  quelque  peu  de  celle  des  armées 
continentales.  Les  membres  qui  ia  composent  peuvent 
être  classés  dans  les  quatre  cat^ories  suivantes  : 
1**  Officiers-généraux  [gênerai  ofjicers)\ 
2**  Officiers  d'état-major  {staff  officers)] 
â**  Officiers  régimentaires  {regimental  officersy^ 
4**  Sous-officiers  {non-commissioned  officers). 

Officiers-généraux. 

Cette  classe  comprend  les  généraux,  les  lieutenants- 
généraux  et  les  majors-généraux. 

Le  rang  de  brigadier-général,  dans  certaines  circon- 
stances, est  conféré  à  des  colonels  placés  à  la  tête  d'une 
brigade  en  campagne,  ou  exerçant  quelque  fonction 


DB  LA   FRAlfCB    ET  DE   L  ANGLETERRE.  51 

d*un  ordre  supérieur.  Ce  rang,  toutefois,  est  seulement 
local  et  temporaire. 

Le  rang  le  plus  élevé  dans  l'armée  britannique  est 
celui  de  Feld-Maréchal(Fie/rf-iWarjAa/).  A  proprement 
parler,  on  ne  pQut  pas  le  considérer  comme  un  grade 
militaire  ;  comme  en  France,  c'est  plufaM  une  dignité 
éminente  conférée  aux  princes  du  sang,  ou  à  des  o£S- 
ciers-généraux  qui  ont  rendu  des  services  exception- 


Le  grade  de  major*général  correspond  au  grade  de 
général  de  brigade  dans  l'armée  française,  et  celui  de 
lieutenant-général  à  celui  de  général  de  division.  La 
hiérarchie  anglaise  présente,  en  outre,  un  grade  injter- 
niédiaire,  celui  de  général,  entre  le  commandant  de 
division  et  le  feld-maréchal.  L'absence  de  ce  grade 
intermédiaire  est  une  lacune  dans  la  hiérarchie  fran- 
çaise, et  peut-être  ne  serait-il  pas  sans  avantage  d'imi- 
ter, sous  ce  rapport,  nos  voisins  d'outre-Manche.  En 
effet,  il  arrive  souvent,  vu  le  nombre  très  restreint  des 
Maréchaux  de  France,  qu'un  corps  d'armée  doit  être 
commandé  par  un  général  de  division.  Dans  cette  posi- 
tion, ce  général  se  trouve  avoir  quelquefois  sous  ses 
ordres  des  collègues  plus  anciens,  ce  qui  constitue  une 
dérogation  au  principe  fondamental  sur  lequel  repose 
le  droit  au  commandement  à  égalité  de  grade.  Cette 
anomalie»  dont  on  comprend  la  nécessité  dans  certains 
cas,  disparaîtrait  tout  naturellement  si  la  hiérarchie 
française  admettait  (ainsi  que  cela  a  lieu  chez  la  plu- 
part des  puissances  étrangères)  le  grade  de  Général 
d'armé^^  intermédiaire  entre  la  dignité  de  Maréchal  de 


52  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MIUTAIRES 

France  et  la  position  de  simple  général  divisionnaire. 

En  temps  de  guerre,  les  armées  anglaises  sont  donc 
commandées  par  les  généraux,  les  divisions  par  les 
lieutenants-généraux,  et  les  brigades  par  les  majors- 
généraux.  Les  oflBiciers-géuéraux  reçoivent  à  l'intérieur 
le  commandement  des  districts  militaires  (divisions 
territoriales),  des  camps  d'instruction,  des  places  fortes 
de  premier  ordre,  etc. ,  etc.  Dans  ces  diverses  positions, 
ils  sont  responsables  de  la  discipline  des  troupes  placées 
sous  leurs  ordres,  et  de  l'exécution  du  service  et  des 
règlements.  Us  répondent  de  la  sécurité  des  postes  qui 
leur  sont  confiés.  Us  correspondent  directement  avec 
le  Çpmmandant  en  chef,  et  doivent  se  tenir  au  courant 
de  tous  les  détails  relatifs  à  la  topographie,  aux  res- 
sources et  à  l'organisation  locale  de  leurs  commande- 
ments. Ils  inspectent  les  troupes,  et  fournissent  tous 
les  six  mois  des  rapports  confidentiels  sur  Taptitude  et 
la  capacité  des  chefs  de  corps  et  des  oflBiciers  r^imen- 
taires,  sur  l'état  de  la  discipline,  sur  l'économie  inté- 
rieure et  la  condition  générale  de  chaque  corps  placé 
dans  la  circonscription  de  leur  commandement. 

A  l'extérieur,  mais  dans  certains  cas  seulement,  les 
généraux  anglais  réunissent  à  l'autorité  militaire  le  gou- 
vernement civil  de  quelques  colonies  et  autres  posses- 
sions étrangères.  Plus  communément,  ils  n'exercent 
pas  d'autorité  en  dehors  de  leurs  attributions  mili- 
taires, et  sont  placés,  au  contraire,  sous  la  juridiction 
des  gouverneurs  civils.  Ceux-ci  ne  peuvent  toutefois 
s'immiscer  dans  les  détails  du  service  des  troupes,  et, 
en  cas  de  guerre  ou  d'insurrection,  si  la  loi  martiale 


DE  LA  FRANGE    ET   DE  L'ANGLETERRE. 

(qui  équivaut  à  une  abdication  virtuelle  du  pouvoir 
civil)  est  proclamée,  le  commandant  militaire  devient 
alors  complètement  indépendant  des  autorités  civiles 
pour  la  conduite  des  opérations. 

Le  cadre  des  officiers-généraux  appartenant  à  la 
Garde,  à  la  Cavalerie  et  à  Tlnfanterie  de  ligne  a  été 
fixé,  par  une  ordonnance  royale  (Royal  Warrant)  du 
6  octobre  i85&,  aux  chiffres  suivants  : 

50  généraux. 
70  lieutenants-généraux. 
114  majors-généraux. 

Total....    234 

Le  cadre  des  généraux  de  TOrdonnance  (armes  spé- 
ciales), par  une  ordonnance  de  novembre  185&,  a  été 
également  limité  dans  les  proportions  suivantes  : 

ArUUtrie. 

Généraux 6 

Lieutenants-généraux.  • .    10 
Majors-généraux 16 

En  ajoutant  le  total  des  généraux  anglais  apparte- 
nant aux  armes  spéciales  à  celui  des  généraux  de  Tar- 
mée  de  ligne,  on  arrive  au  chiffre  énorme  de  282  gé- 
néraux pour  une  armée  qui  ne  s'élève  pas  à  la  moitié 
de  Tannée  française,  même  en  y  comprenant  les  troupes 
indigènes  de  Tlnde. 

En  France,  pour  une  armée  de  500,000  hommes  en 
moyenne,  le  nombre  des  généraux  de  division  en  acti- 
vité de  service  est  de  80,  et  celui  des  généraux  de  bri- 
gade de  160  seulement. 


IrgéniMrt. 

3 

Tolal, 
9 

5 

15 

8 

34 

5A  GONSTITimON  ET  PUISSANCE  HtLlTAIUS 

Sur  les  ââ&  généraux  de  Tarmée  anglaise,  ft2  seule- 
ment sont  employés  en  service  actif,  soit  comme  com- 
mandants des  troupes  mobilisées,  soit  comme  com- 
mandants des  districts  ou  des  camps  d'instruction  dans 
le  Royaume-Uni,  soit  enfin  au  quartier-général  de 
l'armée  ou  dans  les  colonies.  L'excédant  forme  une 
réserve  dans  laquelle  on  puise  pour  remplir  les  emplois 
qui  deviennent  vacants,  et  pour  satisfaire  aux  éventua- 
lités qui  peuvent  se  présenter.  Malgré  l'apparente  ri- 
chesse de  cette  réserve,  il  est  bon  d'ajouter  que,  sur  les 
23/i  généraux  de  l'armée  anglaise,  158  au  moins  ont 
dépassé  l'âge  de  soixante-cinq  ans,  auquel  les  généraux 
de  division  français  passent  dans  le  cadre  de  non-acti- 
vité. 

Le  nombre  des  généraux  anglais  susceptibles  d'être 
employés  activement  est  donc  infiniment  plus  limite 
que  ne  paraîtraient  l'indiquer  les  chiffres  imposants 
que  nous  venons  de  présenter.  A  ce  point  de  vue,  il 
semble  que  nos  voisins  auraient  tout  avantage  à  imiter 
ce  qui  a  lieu  en  France,  en  classant  dans  des  cat^ories 
distinctes  leurs  officiers-généraux,  suivant  leur  grade 
et  leur  aptitude  à  figurer  dans  le  cadre  d'activité  oii 
dans  le  cadre  de  réserve. 

Officiers  d' État-major. 

L'État-major  de  l'armée  britannique  présente  une 

organisation  qui  ne  ressemble  en  rien  à  celle  adoptée 

sur  le  continent.  Dans  la  plupart  des  armées  euro- 

.péennes,  l'Êtat-major  forme  un  corps  distinct,  dont  la 

hiérarchie  est  la  même  que  celle  des  officiers  régimen- 


Dfi  LA  FEANGB   ST  DB  L'AKGLBTSRRE.  ^5 

taires.  Tout  oflScier  qui  veut  faire  partie  de  ce  corps 
doit  suivre  un  cours  d'études  spéciales,  et  accomplir 
un  stage  d'une  durée  déterminée  dans  les  différentes 
armes,  afin  d'acquérir  la  connaissance  pratique  des 
différente  services  de  l'Infanterie,  de  la  Cavalerie  et  de 
l'Artillerie.  Il  faut  que  ce  stage  soit  terminé  pour  que 
l'officier  prenne  rang  d'une  manière  définitive  dans  le 
Corps  d'État-major,  et  pour  qu'il  puisse  occuper,  sui- 
vant son  grade,  les  différents  emplois  réservés  à  ce 
corps. 

Jusqu'à  ces  derniers  temps,  les  emplois  d'Ëtat^major 
étaient  conférés  en  Angleterre  à  des  officiers  de  troupe, 
sans  qu'aucune  condition  particulière  leur  fût  imposée, 
et  sans  que  leur  régiment  cessât  de  les  maintenir  sur 
ses  cadres.  Un  nouveau  règlement  semble  entrer  dans 
la  voie  suivie  par  les  armées  du  continent,  et  il  est 
permis  d'en  espérer  les  plus  heureux  résultats.  Con- 
formément aux  nouvelles  prescriptions,  la  première 
division  du  Collège  royal  militaire  de  Sandhurst  a  été 
convertie  en  École  d'État-major.  Trente  officiers  de 
l'armée,  choisis  parmi  ceux  qui  comptent  au  moins 
trois  ans  de  service,  sont  admis,  après  un  concours 
public,  à  faire  partie  de  cette  école.  Après  deux  ans 
d'études  comprenant  les  théories  les  plus  élevées  des  mar 
thématiques,  de  la  fortification,  de  Tartillerie,  de  l'ad- 
ministration ,  de  l'histoire  et  de  la  géographie  mili- 
taires, etc.,  les  candidats  qui  ont  satisfait  aux  examens 
sont  proposés  pour  des  emplois  d'État-major.Toutefois, 
avantd'être  définitivement  appelés  à  l'un  de  ces  emplois, 
chiique  officier  est  encore  obligé  de  servir  pendant  six 


56  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

mois  dans  chacune  des  armes  qui  lui  étaient  étran- 
gères au  moment  de  son  entrée  à  l'École. 

Ce  nouveau  règlement  ne  diffère  que  par  quelques 
points  de  détail  de  celui  suivi  dans  l'armée  française. 
Il  deviendra  un  grand  stimulant  pour  les  officiers  stu- 
dieux de  l'armée  anglaise,  et  il  semble  répondre  aux 
besoins  actuels  d'une  manière  assez  satisfaisante  pour 
que  la  formation  d'un  corps  distinct,  analogue  à  ceux 
des  états-majors  continentaux,  puisse,  sans  inconvé- 
nient, être  considérée  comme  une  simple  affaire  de 
temps. 

Constitué  tel  qu'il  l'est  aujourd'hui,  l'Êtat-major 
anglais  présente  les  classes  suivantes  : 

/Chef  d'État-major  {Ckiefofthe  staff i. 
\  Adjudant-général  {Adjutani-generci^, 
1*  Élat-major  général  J  Quartier-maitre  général  {Quartertnasier- 
I     gênerai.) 
\  Major  de  brigade  (Brigade-major), 

2*  Ëtat-major  parlicu-  j  Secrétaire  militaire  [MUitary-secretary). 
lier  ou  personnel,     j  Aide-de-camp  {aide-de-camp). 

I  Commandant  de  place  (7oum  commandant). 
Major  de  place  (Toton  or  fori  Major). 
Adjudant  de  place  (Toivn  or  fort  Àdju- 
tant], 

La  classification  que  nous  venons  de  donner,  nous 
avons  à  peine  besoin  de  le  dire,  ne  représente  nulle- 
ment des  grades,  des  titr^  hiérarchiques,  mais  sim- 
plement la  série  des  fonctions  ou  emplois  auxquels 
peuvent  être  appelés  les  officiers  de  Tétat-major  an- 
glais. L'organisation  française,  beaucoup  plus  simple, 
n'admet  qu'une  seule  de  ces  désignations,  celle  de  chef 
d' État-major;  dans  toutes  les  autres  positions,  les  offi- 


DE  LA  FRANGE    ET   DE  L'ANGLETERRE.  57 

ciers  sont  désignés  par  le  grade  qu'ils  occupent  dans  le 
corps. 

I  L  ^ÉTAT-MAiOR    GÉNÉRAL. 

Chef  d'état^majcr. 

En  France  et  dans  les  armées  continentales  où  l'Ëtat- 
major  forme  un  corps  scientifique  et  distinct,  le  Chef 
d'état-major  a  le  commandement  direct  des  officiers 
qui  en  font  partie,  en  même  temps  qu'il  est  l'intermé- 
diaire naturel  et  nécessaire  par  lequel  s'exerce  l'action 
du  général.  En  Angleterre,. où  l'Ëtat-major  est  com- 
posé d'éléments  variés,  étrangers  les  uns  aux  autres  et 
provenant  de  sources  différentes,  le  pouvoir  et  les  at- 
tributions du  Chef  d'état-major  dépendent  bien  plus 
des  dispositions  du  Général-commandant  que  des  rè- 
glements qui  devraient  les  définir.  Toutes  les  fois  que 
r Adjudant-général  et  le  Quartier-mattre-général  ont 
la  latitude  d'agir  indépendamment  l'un  de  l'autre  et 
indépendamment  du  Chef  d'état-major,  la  présence  de 
ce  dernier,  loin  de  servir  à  simplifier  et  à  centraliser, 
doit,  au  contraire,  contribuer  à  compliquer  le  service 
et  la  responsabilité.  Lorsque  le  Chef  d'état-major, 
comme  son  titre  même  l'implique  et  ainsi  que  cela  a 
fieu  actuellement  au  quartier-général  de  l'armée  in- 
dienne^ lorsque  le  Chef  d'état-major  est  bien  l'inter- 
médiaire responsable  de  l'exécution  des  ordres  du  Gé- 
néral; lorsqu'il  a  bien  la  haute  main  sur  les  différents 
services  de  l'armée^  il  occupe  alors  le  degré  le  plus 
élevé  dans  l'échelle  de  la  responsabilité  militaire,  et 


58        comTmmoN  bt  puibbangb  MitiTAmiss 

comme  en  France,  dans  bien  des  circonstances,  il  sup- 
plée le  Général  et  lui  vient  en  aide  pour  la  surveillance 
d'une  foule  de  détails  qui  absorberaient  tous  ses 
instants. 

Adjudant-général. 

La  position  occupée  par  TAdjudant-général  dans 
l'armée  anglaise  n'a  point  son  analc^e  en  France. 
Chez  nos  voisins,  l'ofiScier-général  auquel  cet  emploi 
est  confié  compte  de  droit  dans  l'état-major  personnel 
du  Souverain.  Il  remplit  des  fonctions  aussi  impor- 
tantes par  la  considération  dont  elles  sont  l'objet  que 
par  l'influence  qu'elles  exercent  sur  l'administration  et 
la  condition  générale  de  l'armée. 

L' Adjudant-général  est  l'intermédiaire  naturel  entre 
les  officiers-généraux  ou  commandants  et  le  comman- 
dant en  chef  de  l'armée,  pour  toutes  les  questions  tou- 
chant à  la  discipline  des  troupes  dont  la  police  générale 
lui  est  confiée.  Il  est  chargé  de  la  direction  du  recrute- 
ment, de  l'habillement,  de  l'armement,  de  l'équipe- 
ment et  des  manœuvres.  Il  promulgue  les  ordres  du 
commandant  en  chef,  ainsi  que  les  ordonnances  (toar- 
rants)  et  les  règlements.  H  traite  toutes  les  questions 
relatives  à  l'enrôlement  et  à  la  libération  des  soldats, 
ainsi  qu'à  la  désignation  pour  les  emplois  d'état-majorr 
Il  répond  aux  demandes  de  permission  et  de  congé  ;  il 
reçoit  les  rapports  confidentiels  dont  il  a  été  parlé  plus 
haut,  et  que  les  généraux  commandant  les  districts 
[circonscriptions  militaires]  ou  les  divisions  actives  sont 
tenus  de  fournir  tous  les  semestres  sur  la  situation  des 


DB  LA  FftAKCB   ET  DE  L'ANGLETERBE.  59 

corps  tenant  garnison  dans  leurs  commandements. 

Des  officiers  placés  à  poste  fixe  dans  les  divisions 
militaires,  tant  à  l'intérieur  du  royaume  qu'à  Texté- 
rieur,  remplissent  auprès  des  généraux  commandant 
ces  stations  des  fonctions  analogues  à  celles  de  l'Âdju- 
dant-général  vis-à-vis  du  Commandant  en  chef  de 
l'armée  anglaise.  Ces  officiers,  au  nombre  de  36, 
forment  le  cadre  suivant  : 

i  Adjudant-général  (Adjutant-general), 

9  Sous-adjudants-généraux   {Deputy-adjutants-ge- 
fierai)^ 
22  Adjudauts-généraux-adjoints  {Àssistant-adjutant- 
gênerai)^ 

A  Sous-adjudants-généraux-adjoints  {Deputy-assis- 
tant^jutants-general). 

Ces  dénominations  bizarres,  dont  la  longueur  et  la 
complication  s'accordent  trop  bien,  du  reste,  avecTor- 
ganisation  confuse  de  TÊtat-major  anglais,  ont  besoin 
d'une  explication. 

M.  Dupin  en  fait  remonter  Forigine  à  l'un  des  abus 
les  plus  pernicieux  introduits  avec  le  temps  dans  les 
services  publics  de  la  Grande-Bretagne.  «  Une  foule  de 
places  importantes  étant  accordées  à  des  hommes  dont 
la  naissance,  les  liaisons,  les  intrigues  ou  Tinfluence 
politique  suppléaient  au  talent  et  à  l'activité,  ils  ont 
accepté  le  salaire  et  les  émoluments  de  ces  emplois  dont 
ils  ont  fait  remplir  les  fonctions  par  un  délégué,  par  un 
député.  Ensuite  on  a  pris  l'habitude  de  donner  le  titre 
de  député  (deputy)  à  toute  personne  qui  sert  immédia- 
tement sous  les  ordres  d'un  chef  de  service.  » 


60  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

Le  cadre  des  oflBciers  employés  dans  le  département 
de  r Adjudant-général  n'est  point  immuable;  il  varie 
suivant  les  circonstances  et  les  besoins.  Ces  officiers, 
comme  tous  ceux  employés  à  un  service  d'état-major, 
continuent,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  à  compter  dans 
leurs  r^iments  jusqu'au  grade  de  capitaine  inclusive- 
ment. Indépendamment  de  leur  solde  régimentaire,  ils 
touchent  un  traitement  spécial  d'état-major.  A  partir 
du  grade  d'officier  supérieur  (major),  l'officier  qui 
veut  faire  partie  de  l'état-major  doit  quitter  sa  position 
régimentaire  et  permuter  {exchange)  avec  un  collègue 
en  demi-solde  {half-pay)  ou  en  solde  de  non-activité 
(tmattached'pay) . 

ÇuarUer-maître-général . 

Comme  rang,  le  Quartier-maltre-général  vient  im- 
médiatement après  r  Adjudant-général;  il  fait  partie, 
comme  celui-ci,  de  Tétat-major  particulier  du  Souve- 
rain. Vis-à-vis  du  Commandant  en  chef,  il  est  chaîné 
de  recevoir  tous  les  rapports  et  d'assurer  la  communi- 
cation de  tous  les  ordres  concernant  les  questions  de 
casernement  et  de  campement;  il  doit  prendre  toutes 
les  mesures  que  nécessitent  les  mouvements  de  troupes, 
ainsi  que  leur  embarquement  et  leur  débarquement. 
L'un  des  devoirs  les  plus  importants  du  Quartier- 
maltre-général  est  de  connaître  d'une  manière  appro- 
fondie, et  au  point  de  vue  des  opérations  militaires,  la 
topographie  du  territoire.  En  conséquence,  il  doit  être 
en  mesure  de  fournir  tous  les  renseignements  dési- . 
râbles,  non-seulement  sur  la  géographie  et  l'aspect  gé- 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.      Gl 

néral  des  différents  comtés,  mais  encore  sur  leur  popu- 
lation, sur  leurs  ressources,  sur  Tétat  des  routes,  des 
gués,  des  ponts,  en  un  mot  sur  les  facilités  que  présente 
le  pays  au  point  de  vue  des  communications  et  de  Tiu- 
stallation  ou  de  la  sécurité  des  troupes.  Il  surveille  la 
distribution  des  effets  de  campement^  la  réparation  et 
la  mise  en  service  des  casernes;  enfin  la  correspon- 
dance relative  aux  sciences  et  aux  reconnaissances  mi- 
litaires, aux  levés  topographiques,  aux  cartes  et  plans, 
appartient  encore  au  service  du  Quartier -maître- 
général.  Le  cadre  des  ofBciers  employés  dans  le  dépar- 
tement du  Quartier-maltre-général  se  compose  de 
29  officiers  : 

1  Quartier-maltre-général   {Quarter-^master-gene' 

rai), 
8  Députés-quartier-mattres-généraux   {Depuiy- 

quarler-master^^eneral), 
12  Àssistants-quartier-mattres-généraux  {^mslani- 

quarier'master-generat)^ 
8  Députés-assistants-quartier-mattres-généraux 

{DeptjUy'asststant^uarter'ma8terS''general) . 

Majors  de  brigade. 

Ces  officiers  d'état-major,  dans  les  brigades  de  lar- 
mée  anglaise,  tiennent  une  place  analogue  à  celles  de 
TÂdjudant-général  dans  Tannée,  de  TÂssistant-àdju- 
dant-général  dans  une  division,  de  F  Adjudant  dans  un 
régiment.  Ils  sont  responsables  envers  le  commande- 
ment de  la  discipline  générale  des  troupes  auxquelles 
ils  sont  attachés.  Ils  veillent  à  ce  que  les  ordres  du  gé- 


62  CONSTITUTION  RT  PUiaSANGS  MIUTAIHSS 

néral  soient  communiqués  ;  ils  tiennent  le  registre  du 
service  de  leur  brigade  ;  ils  inspectent  les  gardes  et  les 
piquets;  ils  ont  la  direction  générale  des  exercices  et 
des  évolutions.  Il  y  a  ordinairement  un  major  de  bri- 
gade auprès  de  chaque  Major--général  investi  d'uo 
commandement.  On  compte  30  majors  de  brigade 
dans  Tannée  anglaise;  ils  doivent  être  choisis  parmi 
les  capitaines  des  régiments,  et  ils  comptent  à  reffectit 
de  leur  corps  pendant  tout  le  temps  de  leur  serviœ 
d'état-major. 

S  n.  —  ÉTAT-MAJOR  PARTICULIER  {Personal  staff). 

Les  officiers  attachés  à  la  personne  d'un  général 
comptent  dans  ce  que  Ton  nomme,  en  Angleterre, 
Tétat-major  particulier  ou  personnel,  ainsi  nommé 
sans  doute  pour  le  distinguer  de  Tétat-major  de  fonc- 
tions dont  nous  avons  donné  les  divisions.  Le  secrétaire 
militaire  {military  secreiary)  fait  partie  de  Tétat-major 
personnel.  Il  est,  en  matière  de  finances,  le  conseiller 
(adviser)  du  général-commandant,  en  même  temps  que 
son  secrétaire  de  confiance.  Il  est  Tintermédiaire  re- 
lier dans  toutes  les  questions  relatives  aux  promotions, 
aux  retraites  (reiirement)  [1],  aux  permutations  {ex- 
changes)  des  officiers.  En  résumé,  ses  devoirs  em- 
brassent toutes  les  affaires  qui  ne  tombent  pas  dans  les 

(1)  U  mot  de  retraite  n'a  pas  en  Angleterre  la  [même  signifloi. 
lion  qu'en  France,  comme  nous  le  verrons  ailleurs.  L'officier  qui  se 
rc(tre  du  service,  vendant  la  commission  qu'il  a  achetée,  ne  reçoit 
pas,  daps  les  circonstances  ordinaires,  de  pension  ou  de  retraite  du 
gouvernemenr* 


attributiûDB  de  TAdjudaDlrgénéral  ou  du  Quartier^ 


Les  généraux  en  possession  d'un  commandement 
important  sont  pourvus  d'un  secrétaire  ou  d'un  assis- 
tant-secrétaire chargé  de  leur  correspondance. 

Anciennement,  le^  fonctions  de  secrétaire  militaire 
étaient  rangées  parmi  les  emplois  oivils.  Cet  office, 
d  une  importance  considérable  de  nos  jours,  est  remjdi 
par  un  officier-général  près  du  Commandant  en  chef 
de  Tarmée  anglaise. 

Près  des  généraux  commandant  les  districts  ou  les 
divisicms  actives,  les  secrétaires  militaires  sont  ordinai- 
rement des  capitaines  pris  dans  les  régiments,  quelque- 
fois des  officiers  supérieurs. 

On  compte  actuellement  6  secrétaires  et  10  assis- 
taotSHiecrétaires  dans  les  cadres  de  l'armée  britan** 
nique. 

Tout  officier-général  anglais  exerçant  un  comman* 
dément  a  droit  à  un  certain  nombre  d'aides-densamp, 
suivant  son  rang.  Le  Commandant  en  chef  en  a  cinq, 
un  général  en  a  trois;  les  lieutenants,  majors  et  briga-* 
dier&^énéraux  en  ont  un  seul 

Comme  en  France»  le  devoir  principal  des  aides^e- 
camp  consiste  à  communiquer  les  ordres  des  généraux 
auxquels  ils  sont  attachés;  -^  en  Angleterre,  la  position 
de  Taide-de-H^mp  vis-à-vis  de  son  général  est  uw 
poste  tout  à  fait  de  confiance  ;  il  vit  avec  son  chef  bien 
plutôt  comme  un  membre  de  sa  famille  que  comme  un 
subordonné. 

Les  aides-de-€amp  doivent  avoir  servi  au  moins  deux 


6&  CONSTITUTION   ET  PUISSANGB  mUTAIRES 

ans  dans  leur  riment  avant  de  pouvoir  être  attachés 
à  un  Qjfficier-général.  Ils  peuvent  être  capitaines  ou 
lieutenants  et  continuent  à  compter  dans  leurs  corps.  11 
y  a  actuellement  69  aides-de-camp  figurant  r^lière- 
ment  sur  l'Annuaire  militaire  anglais  {/érmy  list)'^ 
mais,  indépendamment  de  ce  chiflPre,  il  y  a  un  certain 
nombre  d'officiers  que  les  généraux  ont  été  autorisés  à 
attacher  à  leur  personne  et  qui  comptent  dans  les  états- 
majors,  mais  sans  en  toucher  le  traitement  spécial. 

Étal-major  des  garnisons  {Garrison-siaff). 

Le  Garrtjon-^to/f  correspond  à  notre  Ëtat-major  des 
places.  Gomme  en  France,  les  officiers  qui  en  font 
partie  sont  attachés  d'une  manière  permanente  aux 
places  et  forteresses,  et  non  plus,  comme  les  autres 
officiers  d'état-major  de  Tarmée  anglaise,  détachés 
temporairement  de  leurs  régiments. 

Les  emplois  de  l'Ëtat-major  des  places  sont  donnés 
à  de  vieux  officiers  méritants  ou  à  des  sous-officiers, 
comme  une  récompense  de  leurs  anciens  services,  et 
comme  une  position  honorable  au  moment  où  ils  quit- 
tent l'activité. 

On  distingue  dans  l'Ëtat-major  des  places  :  l""  les 
commandants  [Umn  commandants),  qui,  dans  leur  ju- 
ridiction, représentent  la  première  autorité  militaire, 
même  lorsqu'un  officier  d'un  grade  supérieur  se  trouvé 
temporairement  sur  les  lieux.  On  compte  18  comman- 
dants de  place. 

2*  Les  majors  de  place  [town  or  fort  majors),  qui, 
vis-à-vis  des  garnisons  sédentaires,  ont  les  mêmes  attri- 
butions que  les  majors  de  brigade  relativement  aux 


DE  LA  FRANGE    ET  DE  L'ANGLETERRE.  dS 

troupes  mobiles.  Ils  rassemblent  les  gardes  et  inspec- 
tent les  postes;  ils  tiennent  le  registre  du  service.  Les 
demandes  {applicatims)  pour  les  escortes,  les  travail- 
leurs, les  corvées,  etc.,  sont  adressées  aux  majors  de 
place.  On  en  compte  16. 

Les  adjudants  de  place  {lown  or  fort  adjutants)  sont 
employés  sous  les  ordres  des  commandants  de  place  ou 
dans  les  forts  d'une  importance  médiocre.  Ils  sortent 
tous  des  sous-officiers  [non-commissioned  officers). 

Il  y  a  16  adjudants  de  place,  qui,  ajoutés  aux  ma- 
jors et  aux  commandants,  donnent  un  total  de  A5  offi- 
ciers, composant  le  cadre  de  TÊtat-major  des  places 
de  Tannée  anglaise. 

Prévôts-maréchaux  {Prevost-marshals) . 

Dans  toutes  les  armées  du  continent,  il  existe  un 
corps  spécial  formé  d'hommes  pris  dans  toutes  les 
armes,  qui,  en  temps  de  guerre,  est  chargé  de  la  police 
des  camps,  et  à  l'intérieur  de  celle  des  garnisons. 
Cette  institution  vient  aussi  en  aide  aux  pouvoirs  civils 
pour  le  maintien  de  Tordre  et  la  police  générale  du 
pays.  La  nature  des  institutions  anglaises  proscrit 
remploi  de  tout  corps  militaire  comme  moyen  d'assu- 
rer l'administration  de  la  justice  et  le  respect  dû  à  la 
loi.  En  Irlande,  seulement,  vu  Tétat  particulier  de 
esprits  dans  cette  portion  du  Royaume-Uni,  on  a  orga- 
nisé une  troupe  de  police  {irish  constabxdary)  qui  offre 
quelque  analogie  avec  la  gendarmerie  française  ;  tou- 
tefois ce  corps  est  placé  complètement  en  dehors  de 
Tautorité  et  du  contrôle  militaire.  Il  n'existe  donc  pas 

5 


66        CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MlLlTAIEES 

de  corps  organisé  pour  le  maintien  de  Tordre  dans  les 
armées  anglaises  eii  campagne,  et  cette  lacune  ne  laisse 
pas  que  d'avoir  un  effet  très  préjudiciable  sur  la  dis- 
cipline générale  des  troupes.  Quand  une  armée  est  mo- 
bilisée chez  nos  voisins,  il  est  d'usage  de  commissionner 
un  officier  en  qualité  de  maréchal-prévôt ,  et  de  lui 
adjoindre  un  certain  nombre  de  sous-officiers  et  de 
soldats  pour  le  service  de  la  police. 

Les  fonctions  de  maréchal-prévôt  constituent  un 
emploi  d'état-major  tout  à  fait  temporaire.  Elles  sont 
remplies  habituellement  par  un  officier  subalterne  pris 
dans  un  régiment,  et  qui  continue  à  compter  à  l'effectif 
pendant  la  durée  de  sa  mission. 

La  récapitulation  de  tous  les  officiers  de  divers  grades 
employés  dans  l'armée  anglaise  à  des  fonctions  d'état- 
major  fournit  le  tableau  suivant  : 

Général  commandant  en  chef. 1' 

Lieutenaiils-généraux 9 

Majors-généraux 32 

Colonels 9 

Département  de  Tadjudant-général 36 

Département  du  quartier-maître-gêncral 29 

Secrétaires  et  assistants  secrétaires  militaires 16 

Aides-de-camp 69 

Majors  de  brigade 20 

Commandants  de  place i3 

Majors  de  place 16 

Adjudants  de  place 16 

(Quarliersrmaitres  de  garnison.  ) 2 

Total 278  (1). 

(1)  Les  chiffres  présentés  dans  le  tableau  de  TËlat-major  anglais 
sont,  comme  la  plupart  des  renseignements  statistiques  que  nous 


DÉ  LA  WANCE  ET  t)E  L'ANGLETÉftRÊ.  R7 

oiïriroBsau  lecteur,  exlrailsde  rAnnuaireofûciel  de  rarmcebrila- 
ûique  {Army  list  by  auihority\  L'excellent  ouvrage  de  M.  ICdw. 
BarringtOD  de  Fomblanque  (Treatise  on  tke  administration  and  or- 
ganisation of  the  british  army)  nous  a  fourni  également  de  précieux 
renseignements.  Telle  est  la  pauvreté  de  la  littérature  militaire  de 
PMtre  côté  de  la  Hanche  que,  jusqu'à  ces  dernières  années,  Tarmée 
anglaise  ne  possédait  pas  un  seul  ouvrage  présentant,  même  de  la 
fa^'OQ  Ta  plus  succincte,  le  tabK^au  de  son  organisation  générale  et 
de  ses  principaux  établissement?.  Inspiré  en  qiirlque  sorte  par  Pun 
des  ministres  delà  guerre  les  plus  distingués  qu'ait  jamais  eus  l'An- 
gleterre (lord  Panmure),  et  destiné  à  combler  une  lacune  regretta- 
ble, le  livre  de  M.  de  Fomblanque  devait  paraître,  dans  le  principe, 
sous  les  auspices  du  gouvernement.  Il  n'a  pas  obtenu  cette  faveur  à 
cause  de  quelques  jugements  un  peu  sévères  portés  par  l'auteur  sur 
certaine^  institutions  de  Tarmée  anglaise.  L'esprit  de  sage  critiqué 
qai  avait  dicté  ces  jugements  ne  pouvait  que  rendre  plus  précieux 
encore  pour  nous  l'ouvrage  de  M.  de  Fomblanque.  Bien  que  nous 
soyons  loin  de  partager  toutes  les  opinions  de  cet  écrivain  militaire, 
nous  n'hésitons  pas  à  le  recommander  comme  le  guide  le  plus  sur  U 
suirre  dans  Tétude  de  la  constitution  militaire  de  nos  voisins,  et 
nous  ne  saurions  asse2  reconnaître  toute  la  valeur  des  renseigne- 
ments qu'ils  nous  a  fournis. 

M.  de  Fomblanque  appartient  au  corps  du  Commissariat;  il  est  en 
quelque  sorte  le  «  Vauchelle  »  de  Tlntendance  anglaise       Cn.  M. 


68  CONSTlTUTIOK  ET  PCISSANCE  MtUTAIEES 


CHAPITRE  IV. 

Attributions  comparées  des  fonctionnaires  principaux  de  Tadminis- 
tration  militaire  centrale,  en  France  et  en  Angleterre.  —  Person- 
nel du  ministère  français.  —  Personnel  du  ministère  anglais.  — 
Agents  de  Tadministration  anglaise  qui  n*ont  point  leurs  sem- 
blables dans  Torganisation  française  :  Directeur  général  du  re- 
crutement, Chapelain  en  chef,  Directeur  général  des  magasins, 
Directeur  du  déparlement  médical.  Contrôleur  des  marchés,  Ingé- 
nieur en  chef  pour  les  canons  rayés,  etc.,  etc.  —  Observations  sur 
les  déparlements  civils  de  Tadministration  militaire  en  Angle- 
terre. ^  Hiérarchie  et  attributions  comparées  des  États-majors 

.  anglais  et  français.  —  De  Tâge  des  généraux  anglais.  —  Consé- 
quences de  Tabsence  d'un  cadre  de  réserve.  —  Résultats  de  la 
dissémination  de  Tarroée  britannique.  —  Les  généraux  anglais 
ne  sont  pas  manœuvriers.  —  Observations  sur  les  attributions  du 
Quartier-maitre  général,  au  point  de  vue  des  embarquements  et 
des  débarquements.  —  L'Angleterre  n'a  pas  de  corps  spécial 
chargé  de  la  police  militaire.  —  Organisation  défectueuse  du  ser- 
vice de  la  Prévôté  dans  les  armées  anglaises. 


§1-. 

Si  nous  résumons  le  parallèle  que  nous  avons  établi 
dans  les  chapitres  précédents,  nous  voyons  l'impulsion 
et  la  direction  imprimées  aux  affaires  de  la  guerre  éma- 
nant, en  Angleterre  comme  en  France,  d  une  autorité 
supérieure  dont  le  personnel  des  ministères  et  les  états- 
majors  sont  les  première  agents. 

Nous  avons  constaté  les  différences  profondes  qui 
existent  dans  les  deux  pays  quant  à  la  constitution  de 
cette  autorité.  —  Chez  nous,  unité,  centralisation, 
simplicité,  au  point  de  vue  du  Commandement  comme 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.      69 

à  celui  de  T  Administration  ;  —  chez  nos  voisins,  attri- 
butions mal  définies,  confusion,  antagonisme  nécessaire 
résultant  du  partage  de  l'autorité. 

Pour  compléter  ce  parallèle  et  constater  les  diflfié- 
rences  aussi  bien  que  les  analogies  qui  peuvent  exister 
encore  entre  notre  système  militaire  et  celui  d'Outre- 
Manche,  il  nous  faut  étendre  aux  agents  principaux  en 
relation  directe  avec  les  chefs  des  deux  armées  la 
comparaison  qui  n'a  embrassé  jusqu'ici  que  ces  chefs. 

Ces  agents  ou  intermédiain^s  du  premier  degré 
composent,  avons-nous  dit,  le  pei'sonnel  du  Horse- 
Guards,  tles  deux  Ministères  de  la  guerre  et  des  États- 
majors. 

En  France,  indépendamment  des  bureaux  de  la 
guerre,  dont  les  employés,  civils  ou  militaires,  sont 
chargés  de  l'expédition  des  affaires  courantes,  il  est  in- 
stitué sous  l'autorité  du  Ministre,  et  dans  chaque 
Jurande  division  de  son  département,  des  Comités  dits 
consultatifs^  à  l'examen  desquels  sont  renvoyées  toutes 
les  questions  importantes,  toutes  les  affaires  exigeant 
une  étude  approfondie. 

Les  Comités  consultatifs  sont  permanents. 

Composées  avec  un  soin  tout  particulier,  ces  com- 
missions comptent  dans  leur  sein  la  plupart  des  illus- 
trations de  l'armée  et  les  spécialités  d'une  expérience 
éprouvée.  En  outre,  elles  se  renouvellent  partiellement 
et  à  des  époques  déterminées,  de  manière  à  rester 
toujours  ouvertes  aux  progrès  et  aux  perfectionnements 
par  l'adjonction  des  hommes  jeunes  et  nouveaux. 
Cette  combinaison  logique  offre  ainsi  toutes  les  garan- 


70  C0NSTIT13TJQN  ET  PUISS4NPÏ  ||IL|TA|R£S 

ties  désirables,  no«-seulemeut  con|rp  l'esprit  de  routine 
dont  rexpérience  x\g  suffit  pas  toujpijr»  h  défeqdre  la 
vieillesse  et  rancienneb),  mais  apssi  contre  Tin^tabilité 
fàclieuse  qui  résulte  trop  souvent  de  Taccweil  enthou- 
siaste et  irréfléchi  fait  aux  idées  nouvelles. 

Chaque  corps  spécial  (1),  chaque  ^rme  (*-î)  ft  donc 
son  Comité  consultatif  chargé  d'exaniinor  et  de  discu- 
ter toutes  les  questions  qui  intéressent  ga  constitution, 
son  organisation,  son  service,  son  instruction  et  sa  dis- 
cipline. 

Ce  Comité  doit  donner  un  avis  motivé  $ur  toutes  les 
affaires  qui  sont  déférées  à  son  examen  par  le  Ministre. 
11  dirige  les  études  des  officiers  de  l'arme  et  celles  des 
élèves  qui  aspirent  à  en  faire  partie.  11  rédige  et  pro- 
pose au  Ministre  de  la  guerre  les  règlements  sur  Tor- 
ganisation  intérieure,  les  cours  et  le  régime  de  TËcole 
spéciale  destinée  à  former  ces  élèves  (3).  U  établit  les 
programmes  d'admission  et  de  sortie  pour  cette  école. 

Chaque  Comité  a  encore  pour  mission  de  coordon- 
ner les  règlements  spéciaux  de  son  corps  oq  de  son 
arme,  de  manière  a  les  mettre  eu  harmonie  avec  ceux 
qui  interviennent  pour  les  autres  armes.  De  \k  résulte, 
dans  l'ensemble  du  service,  cette  similitude  d'esprit  et 
de  tendances  qui  distingue  toutes  les  parties  deTarmée 

(1)  L'État-major,  Tlntendance,  la  Gendarmerie. 

(2)  L'Infanterie,  la  Cavalerie,  rArtillerie,  le  Génie. 

(3)  Outre  l'École  polytechnique  et  TÉcole  de  Saint-C>r,  Torgani- 
sation  militaire  de  la  France  comporte  trois  Écx>Ies  d'applicaUon  : 
pour  l'Êlat  major,  à  Paris  ;  —  pour  la  Cavalerie,  à  Saumur  ;  •—  pour 
rArtillerie  et  le  Génie  réunis,  ^  Metz. 


DB  LA  FIUNGE    ST  i>B  l'aNOLETBUB.  7t 

fraDçatse.  et  qui  contribue  si  heureusement  à  former 
ce  tout  admirable  dont  rhomogénéité  parfaite  décuple 
la  puissance. 

Plusieurs  Commissions,  composées  dans  le  même 
esprit  que  les  Comités  d'arme  et  ayant  le  même  carac- 
tère de  permanence,  sont  encore  instituées  pour  four-r 
nir  au  Ministre  de  la  guerre,  en  France,  tous  les  ren- 
seignements, toutes  les  lumières  nécessaires,  soit  sur 
des  questions  spéciales  et  qui  intéressent  larmée  sans 
être  pourtant  d'une  nature  absolument  militaire  (1), 
soit  sur  des  affaires  dont  la  solution  complexe  exige 
l'intervention  simultanée  du  Ministre  de  la  guerre  et 
de  certains  de  ses  collègues  (2). 

Nous  avons  vu  qu'en  Angleterre  ce  ne  sont  ni  les 
Comités  ni  les  Commissions  d'enquôte  qui  font  défaut. 
Leur  existence,  comme  leur  prodigieuse  fécondité, 
sont  suffisamment  attestées  par  les  innombrables  rap- 
ports (plue  books)  publiés  chaque  année.  Ce  qui  manque 
aux  commissions  anglaises  (sans  parler  des  inconvér 
nients  résultant  des  préoccupations  politiques  de  leurs 
membres,  toujours  choisis  dans  le  Parlement),  c'est 
cette  condition  de  permanence  sans  laquelle  la  tradition 
ne  peut  se  fonder.  Leur  instabilité  se  reflète  dans  leurs 
œuvres,  et  il  faut  avoir  passé  en  revue  les  continuels 
changements  qui  se  sont  succédé  depuis  quelques  an- 
nées dans  l'armée  britannique  pour  avoir  une  idée  du 

(1^  Commission  supérieure  de  la  dotation  de  rarmée  ;  —  Conseil 
de  santé  des  armées;  »  Commission  d'hygiène  tiippiquc. 

(*i)  Commission  consultative  de  l'Algérie; —  Commission  mixte 
deS  travaux  publics;  —  Commission  de  défense  des  o6tes. 


72  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  HILITiURES 

désordre  qui  règiie  aujourd'hui  dans  ses  institutions 
les  plus  importantes. 

Cette  confusion,  suite  inévitable  du  partage  de  l'au- 
torité militaire  et  administrative  entre  le  Ministre  et  le 
Commandant  en  chef,  se  révèle  à  la  simple  inspection 
du  personnel  du  Horse-Guards  et  du  War-Office.  Il 
suffit  d'un  coup  d'œil  sur  Y Army-List,  qui  présente  le 
tableau  détaillé  de  ce  personnel,  pour  pressentir  toutes 
les  difficultés,  tous  les  conflits  qui  peuvent  s'élever 
entre  les  deux  départements.  L'incertitude  qui  r^ne 
dans  leurs  attributions  est  telle  que  certain  service,  ce- 
lui de  rinspeclion  des  fortiflcations  par  exemple,  se 
trouve  figurer  à  la  fois  au  titre  du  Horse-Guards  et  au 
titre  du  War-Office,  à  cause,  sans  doute,  de  l'embar- 
ras où  s'est  trouvé  le  rédacteur  du  document  officiel 
pour  décider  celui  des  deux  départements  auquel  il 
convenait  de  le  rattacher. 

Nous  avons  dit  que  le  Secrétaire  militaire  (miliiary 
secretary)  [1]  tenait  à  peu  près,  dans  l'organisation  du 
Horse-Guards,  la  place  occupée  en  France  par  le  Chef 
du  cabinet  au  ministère  de  la  guerre.  Si  nous  pour- 
suivons cette  espèce  d'assimilation,  nous  voyons  que 
r^  rfjîirfanN^^n^ra/ représente  assez  exactement  notre 
Directeur  du  personfiel.  Toutefois,  en  France,  ce  der- 
nier est  en  même  temps  chargé  de  tout  ce  qui  a  trait 
à  l'emplacement  et  au  mouvement  des  troupes,  au 
service  de  route,  aux  gîtes  d'étapes,  etc.,  tandis  qu'en 
Angleterre  ces  détails  rentrent  exclusivement  dans  les 
attributions  du  Quartier-maître  général. 

(1)  Le  secrétaire  militaire  a  le  grade  de  lleutenanl-général. 


I»  LA  FRANGE   ET  DE    l' ANGLETERRE.  73 

Nos  quatre  directeurs  de  Tlnfanterie,  de  la  Cavale- 
rie, de  l'Artillerie  et  du  Génie,  sont  représentés,  chez 
nos  voisins,  par  quatre  inspecteurs-généraux  : 

V  Inspecteur-général  du  Génie  {Inspeçtor-geneial  of 
Fariificaixom)  [1]  ; 

2*  Inspecteur-Général  de  la  Cavalerie  {Inspector-- 
gênerai  ofCavalry)] 

3*  Inspecteur-Général  de  F  Artillerie  (Inspectùr-- 
gênerai  of  Jrlillery)  ; 

4"  Inspecteur-général  de  Tlnfanterie  {Inspeclar^ 
gênerai  oflnfanlry). 

Dans  la  hiérarchie  toujours  quelque  peu  féodale  de 
larmée anglaise  (2),  la  position  de  ces  fonctionnaires 
militaires  correspond  à  celle  de  nos  Colonels-généraux 
de  l'ancien  régime.  Us  cumulent,  d'ailleurs,  avec  les 
fonctions  purement  administratives  des  Directeurs  de 
notre  ministère  de  la  guerre,  les  attributions  de  nos 
Inspecteurs-généraux  annuels. 

L'Infanterie  de  la  Garde,  à  cause  de  son  régime  par- 
ticulier, n'est  pas  comprise,  en  Angleterre,  dans  l'in- 
spection de  l'arme.  Un  Major-général  {attached  io  ihe 
foot  guards)  est  chargé  spécialement  de  tout  ce  qui  la 
concerne. 

Le  seul  employé  supérieur  du  Horse-Guards  qui 

(1)  Des  quatre  inspecteurs  d'arme,  un  est  général,  un  est  lieute- 
naDt-général,  et  les  deux  autres  majors-généraux. 

(2)  H  n*y  a  pas  quatre  ans  que  la  charge  de  Maître-général  de 
rOrdoniiance  (qui  correspondait  exactement  à  celle  de  nos  Grands- 
maîtres  de  rartillerie  du  temps  passé)  a  été  abolie  dans  Tarmée 
britannique. 


7&  GOUSTITUTION  ET  PUISSAKGB  HILITAIRBS 

nous  reste  encore  à  uientibnner  estle  Directeur-général 
du  recrutement  (Superiniindent  of  the  recruiting  de-- 
parlement).  H* semblerait,  au  premier  abord,  que  ce 
service,  considéré  en  France  comme  purement  admi- 
nistratif, devrait  appartenir  au  War-OflBce  bien  plutôt 
qu'au  Horse-Guards.  1^  système  de  Tenrôlement  vo- 
lontaire, dans  lequel  ont  persévéré  jusqu'ici  nos  voi- 
sins, et  leur  coutume  de  laisser  aui  différents  corps  le 
soin  de  pour\'oir  eux-mêmes  à  leur  recrutement,  con- 
tribuent paiement  à  ranger  cette  opération  parmi  les 
détails  qui  doivent  rester  soumis  au  contrôle  direct  du 
Commandant  en  chef. 

Le  War-Office  présente  plus  de  difficultés  que  le 
Horse-Guards  pour  Fassimilation  de  ses  chefs  de  ser- 
vice avec  ceux  de  notre  Ministère  de  la  guerre.  La  rai- 
son en  est  facile  à  comprendre  :  les  procédés  employés 
pour  commander,  inspecter  et  faire  mouvoir  les 
troupes  sont,  à  peu  de  chose  près,  les  mêmes  chez  tous 
les  peuples  civilisés;  la  façon  de  les  administrer  peut, 
au  contraire,  différer  essentiellement  d'un  pays  à  un 
autre.  Or,  nous  l'avons  déjà  annoncé,  et  nous  aurons 
occasion  de  le  constater  bien  souvent  à  mesure  que 
nous  avancerons  davantage  dans  le  cours  de  cette 
étude,  rien  ne  ressemble  moins  à  l'organisation  et  à 
l'administration  militaire  de  la  France  que  l'organisa- 
tion et  l'administration  de  l'armée  britannique. 

L'absence  des  Ck)mité&  permanents  et  des  Commis- 
sions consultatives,  qui  sont  en  France,  pour  le  Mi- 
nistre de  la  guerre,  des  auxiliaires  si  utiles,  a  obligé 
nos  voisins  à  entourer  le  Secrétaire  d'État  du  War- 


PB  LA  FRANCK  ET    PE  L^NGtETER^.  75 

Office  d'uq  nomt>rp  assez  considérable  de  fonctionoaires 
spéciaux  qui  sojit  cliargés  de  l'éclairer,  pt  qui  o'ont 
point  leurs  semblables  dans  Torgapisation  française. 
On  conçoit  combien  ces  influences  individuelles,  si 
grande  que  soit  T^utorité  des  personnes  dont  elles 
émanent,  sont  loin  de  présenter  au  ministre  anglais 
les  garanties  que  trouve  notre  ministre  de  la  guerre 
dans  les  avjs  motivés  et  dans  lopinipp  collective  de  nos 
comités. 

A  l'exception  de  Y  Inspecteur-général  des  Fortifica- 
lions^  dont  les  attributions  présentent  une  certaine  ana- 
Ic^ie  avec  celles  de  notre  Directeur  du  Génie  et  de 
notre  Président  du  Comité  des  foi^tificationSy  mais  dont 
la  situation  est  assez  mal  définie,  puisque  nous  l'avons 
déjà  vu  figurer  dans  Tétat-major  général  du  Comman- 
dant eu  chef;  — àTexception  du  Commissaire-général 
en  chef  {Comfnissary-general  in  chief)^  qui  représente 
à  peu  près  notre  Directeur  de  l'administration;  — 
enpn  à  l'exception  du  Comptable  en  chef  {accountanl 
gênerai) ,  dont  les  fonctions  se  rapprochept  de  celles  de 
notre  Directeur  de  la  comptabilité  générale^  —  tous  les 
autres  fonctionnaires  supérieurs  du  Ministère  de  la 
guerre,  en  Angleterre,  à  commencer  par  les  deux  sous- 
secrétaires  d'État,  ne  sauraient  trouver  leur  place  dan» 
Toi^anisation  française. 

Ces  fonctionnaires  sont  classés  sur  YJrmy-Ust  dans 
Tordre  sqivapt  : 

Le  Directeur-général  du  département  médical  (Di- 
rector-general  of  the  army  médical  département), 

L' Aumônier  ou  chapelain-général(6'Afl|}/am-g'ewera/), 


76  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

Le  Président  du  comité  particulier  de  rOrdonnance 
{Président  of  Ordnance  sélect  committee\ 

Le  Directeur  des  magasins  et  de  l'habillement  (Di- 
rector  of  stores  and  clothing)^ 

Le  Directeur  des  marchés  {Director  ofcontrads), 

L'Ingénieur  pour  les  canons  rayés  {Engineer  for 
rifled  Ordnance). 

Le  Bureau  topographique  {Topographical  brahch)^ 
qui  répond,  mais  sur  une  échelle  bien  moindre,  à 
notre  Dépôt  de  la  guerre,  est  sous  la  direction  d'un 
colonel  du  génie.  Un  sous-directeur  [executive  ofjicer) 
et  un  adjoint  (assistant),  l'un  major,  le  second  capi- 
taine, composent  tout  le  personnel  dirigeant  d'un  ser- 
vice qui  occupe  en  France  un  oflBcier-général,  plusieurs 
colonels,  un  grand  nombre  d'officiers  d'état-major  de 
tous  grades,  et  qui  forme  l'une  des  directions  impor- 
tantes de  notre  Ministère  de  la  guerre. 

Les  différentes  divisions  du  War-OflBce.  portent  le 
nom  de  Départements  civils  de  l'armée  {civil  départe- 
ments ofthe  army),  dénomination  peu  exacte  et  tout  au 
moins  assez  bizarre,  miiis  qui  a  été  adoptée  sans  doute 
afin  de  les  distinguer  des  bureaux  du  Horse-Guards. 

Au  nombre  des  départements  civils  de  l'armée 
figurent  encore  certains  établissements  militaires  dont 
nous  parlerons  ailleurs  en  détail,  et  que  nous  citons 
seulement  ici  pour  mémoire,  afin  de  classer  leur  per- 
sonnel dirigeant  à  la  place  qui  lui  appartient  dans  la 
catégorie  des  fonctionnaires  dépendant  du  War-Office. 
Ces  établissements  sont  :  . 
La  Fonderie  royale  (Woolwich),  sous  la  direction 


DE  LA  FRANCE   ET  DE  l'aNGLETEARE.  77 

d'uD  inspecteur  en  chef  {superintendant  of  royal  gun 
factories)  ; 

L'Atelier  des  voitures  (Woolwich),  sous  la  direction 
d'un  inspecteur  en  chef  {superintendant  of  royal  car- 
fiage  département)  ; 

Le  Laboratoire  royal  (Woolwich),  qui  répond  à 
notre  école  de  pyrotechnie,  sous  la  direction  d'un  in- 
specteur en  chef  {superintendant  of  royal  laboratory)'^ 

La  Manufacture  royale  des  armes  portatives  (Enfield), 
sous  la  direction  d'un  inspecteur  en  chef  (superinten-^ 
dant  of  royal  factories  of  small  arms)  ; 

La  Poudrerie  royale  (Waltham-Abbey),  sous  la  di- 
rection d'un  inspecteur  en  chef  (superintendant  of  royal 
factory  ofgun-powder). 

Nous  mentionnerons  enfln,  pour  clore  la  série  des 
départements  civils  de  l'armée  anglaise  : 

1"  L'Office  du  payeur-général  [Paymaster-general); 

2"  Le  Département  du  juge-avocat -général  {Judge- 
advocate-general).  Ce  fonctionnaire  est  le  directeur  légal 
et  le  gardien  des  archives  de  la  justice  militaire;  il  est 
dépositaire  de  tous  les  dossiers  des  jugements  rendus 
par  les  cours  martiales; 

3"  Le  Conseil  d'éducation  [Council  of  éducation).  Ce 
comité,  qui  a  pour  président  honoraire  le  Comman- 
dant en  chef,  examine  et  discute  toutes  les  questions 
relatives  aux  Écoles  et  à  l'enseignement  de  l'armée. 

Ces  trois  institutions  n'ont  point  en  France  d'équi- 
valent exact;  la  place  qu'elles  tiennent  dans  l'organisa- 
tion militaire  de  nos  voisins  est  à  peu  près  occupée 
chez  nous  par  un  Fonctionnaire  des  finances,  par  le 


78  CONSTITUTION  ET  t»tJlSSANCE  MILITAIRES 

Bureau  de  k  justîc43  lîiiHtaire  au   ministère  de  là 
guerre  et  par  les  Comités  d'armes. 

§11. 

L'organisation  de  rÉtat-major  général  anglais  res- 
semble beaucoup  à  la  nôtre  quant  aux  fonctions, 
droits  et  attributions  des  officiers-généraux  comman- 
dant les  districts  ou  divisions  territoriales  à  Tintérieur, 
et  les  armées  ou  les  colonies  à  Textérieur;  mais  elle 
en  diffère  complètement  sous  les  autres  rapports. 

Ainsi,  d'une  part,  la  hiérarchie  de  rÉtat-major  gé- 
néral anglais  comporte  un  grade  intermédiaire  qui 
nous  manque,  entre  le  Maréchal  et  le  Lieutenant-géné- 
ral-, ce  qui  est  un  avantage  réel  ;  mais,  de  Tautre,  sa 
constitution  n'admet  pas  de  cadre  de  réserve,  ce  qui 
est  un  grave  inconvénient. 

Aucune  limite  d'âge  n'entraînant  chez  nos  voisins  la 
mise  à  la  retraite  ou  le  passage  dans  la  nori-activité, 
tous  les  officiers-généraux,  soit  disponibles,  soit  inca- 
pables de  faire  un  service  actif,  figurent  sans  distinc- 
tion sur  le  mèrne  cadre  et  continuent  à  y  compter  jus- 
qu'à leur  mort.  11  en  résulte  que,  malgré  le  chiffre 
considérable  (et  même  disproportionné,  eu  égard  à 
l'effectif  de  l'armée)  du  cadre  des  officiers-généraux  en 
Angleterre,  les  vacances  sont  si  rares  et  l'avancement 
tellement  retardé  que,  pour  récompenser  des  services 
exceptionnels,  le  gouvernement  se  trouve  souvent 
obligé  de  faire  des  promotions  excédant  le  complet  ré- 
glementaire indiqué  au  deuxième  chapitre. 


DC  LA  F&ANGB    BT  DS  L^ANGLEtEflftE.  79 

Dans  un  livre  intitulé  JAe  defhteeless  state  ùf  En- 
gland,  sir  Francis  Head  établit  un  curieux  rapproche- 
ment entre  l'âge  des  généraux  anglais  et  français.  Sui- 
vant cet  auteur,  en  1850,  l'âge  moyen  des  Ift  généraux 
de  division  et  de  brigade  (y  compris  le  gouverneur  ou 
général  en  chef)  qui  commandaient  les  troupes  fran- 
çaises en  Afrique  était  de  A3  ans  et  l/S.  A  la  même 
époque,  l'Angleterre  comptait  un  général  en  chef  de 
81  ans  1/2,  et  l'âge  de  ses  généraux  était  de  88  à 
68  ans,  celui  de  ses  lieutenants*généraux  de  75  à  63, 
celui  de  ses  majors-  généraux  de  70  à  Gl . 

Bien  que  la  campagne  de  Crimée  et  la  guerre  des 
Indes  aient  amené,  depuis  dix  ans,  un  certain  mouve- 
ment dans  les  grades  élevés  de  l'armée  anglaise,  l'a- 
lourdissement que  l'âge  détermine  dans  sa  tète  de  co- 
lonne existe  toujours;  ce  serait  un  désavantage  sérieux 
pour  nos  voisins  dans  le  cas  où  ils  auraient  à  com- 
battre contre  une  armée  dirigée  par  un  Êtat-major 
géaéTal  plus  jeune,  plus  alerte  et  plus  apte  à  supporter 
les  fatigues  de  la  guerre. 

Sans  vouloir  préjuger  en  rien  du  mérite  des  géné- 
raux anglais,  on  est  forcé  de  reconnaître,  en  outre, 
qu'ils  se  trouvent  placés  dans  de  plus  mauvaises  con- 
ditions que  ceux  de  n'importe  quelle  puissance  quant 
aux  occasions  d'acquérir  l'habitude  de  manier  de 
grandes  masses  et  quant  à  l'expérience  des  grandes 
manœuvres  de  guerre. 

Ainsi  que  le  fait  obsçrter  Tauteur  que  nous  citions 
plus  haut,  l'armée  britannique  est  tellement  divisée, 
tellement  disséminée  dans  les  quatre  parties  du  monde 


80  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITÂmtS 

par  les  nécessités  de  son  seiTice,  que  c'est  à  peine  si 
Ton  aurait  pu,  avant  la  guerre  d'Orient,  trouver  2  ou 
â,000  soldats  anglais  réunis  sur  un  même  point.  Pen- 
dant quarante  ans,  les  officiers  anglais  n'ont  pas  eu 
d'autre  champ  de  manœuvres  que  le  terrain  de  la  pa- 
rade et  des  exercices  r^imentaires.  L'inexpérience  de 
ces  officiers,  celle  de  l'État-major  général  surtout, 
pendant  la  campagne  de  Crimée,  en  ouvrant  les  yeux 
au  gouvernement  anglais,  a  déterminé  la  formation  de 
plusieurs  camps  où  ses  généraux  peuvent  aujourd'hui 
s'exercer,  mais  malheureusement  sur  une  bien  petite 
échelle.  Le  faible  effectif  de  l'armée  anglaise  ne  per- 
met pas  de  réunir  un  nombre  de  troupes  suffisant  pour 
que  ces  camps  soient  bien  profitables.  Quelle  compa- 
raison, en  effet,  peuvent  soutenir  les  maigres  divisions 
d' Aldershott,  de  Shorncliffe  et  de  Dublin  avec  les  corps 
d'armée  que  la  France  réunit  dans  ses  camps  de  Châ- 
lons,  de  Satory,  de  Saint-Omer,  de  Lyon,  etc.? 

Ce  nest  pas  avec  quelques  bataillons  ou  quelques 
brigades  réunies  à  grand' peine  dans  des  camps  dont 
l'installation  ne  diffère  en  rien  de  celle  des  troupes  en 
garnison  qu'officiers  et  soldats  peuvent  devenir  manœu- 
vriers; aussi,  à  l'exemple  de  sir  Francis  Head,  ne  trou- 
vons-nous rien  de  bien  surprenant  dans  l'assertion 
suivante  qu'il  prête  à  une  des  plus  hautes  autorités 
militaires  de  la  Grande-Bretagne  (  1)  :  «  Si  Ton  faisait 
entrer  70,000  hommes  dans  Hyde-Park,  je  ne  connais 
pas  cinq  généraux  dans  toute  l'armée  anglaise  qui 

(1)  WeUington,  très  probablemenu 


DE   LA   FBAKiCE    ET   DE   L  ANGLETERRE.  81 

soient  capables  de  les  en  tirer.  »  (/  don't  betieve  there 
are  five  gênerai  officers  in  our  service  who^  if  you  put 
70,000  men  inlo  Hyde-Park^  could  get  them  outagain.) 

Si  cet  aveu,  émanant  d'un  Anglais  (stated  by  the  hig- 
hest  atUhariêy)^  est  sincère,  il  faut  convenir  qu'il  doit 
rendre  quelque  peu  indulgent  pour  l'impertinente  ma- 
nière dont  les  Russes  qualifiaient  l'Êtat-major  général 
de  Tannée  de  lions  envoyée  par  l'Angleterre  sous  les 
murs  de  Sébastopol. 

Nous  avons  vu  que  nos  voisins  n'avaient  pas  de  Corps 
d'état-major  spécial;  les  fonctions  que  remplit  ce 
corps  sur  le  continent  sont  confiées,  en  Angleterre,  à 
des  officiers  tirés  des  régiments.  Nous  avons  indiqué, 
d'après  M.  Ch.  Dupiu,  l'origine  des  dénominations  in- 
teiminables  sous  lesquelles  les  officiers  de  l'État-major 
anglais  sont  désignés;  aucune  raison  valable  ne  peut 
être  invoquée  aujourd'hui  pour  le  maintien  de  ces  dé- 
nominations, et  il  serait  évidemment  beaucoup  plus 
simple  d'employer,  à  l'égard  de  ces  officiers,  les  titres 
ordinaires  qui  établissent  leur  rang  dans  l'armée. 
Quant  aux  fonctions  elles-mêmes,  elles  offrent,  jusqu'à 
lui  certain  point,  le  défaut  de  précision  et  de  clarté  re- 
proché aux  qualifications  de  ceux  qui  les  exercent. 

En  France,  tout  commandement  en  chef  ou  supé- 
rieur de  troupes  confié  à  un  officier-général  comporte 
un  Ètat-major.  Chacun  de  ces  états-majors  a  pour 
chef  immédiat  un  officier  (général  ou  supérieur,  sui- 
vant l'importance  du  commandement)  que  l'on  nomme 
Chef  d'élatrtnajor^  et  qui  est  assisté  par  un  certain 
nombre  d'officiers  de  grades  inférieurs  au  sien,  entre 

6 


82  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

lesquels  il  répartit  les  différents  travaux,  avec  chaîne 
de  présider  et  de  veiller  à  l'expédition  de  toutes  les 
affaires  dont  le  renvoi  lui  est  fait  par  le  Général-com- 
mandant. En  France,  le  chef  d'état-major  n'exerce  en 
son  pmpre  nom  aucune  autorité  en  dehors  de  ses  bu- 
reaux; mais,  homme  du  général,  il  possède,  à  leaxlu- 
sion  de  tout  autre^  qualité  pour  signer  et  transmettre 
les  ordres  que  celui-ci  ne  juge  pas  à  propos  de  signer 
lui-même. 

Jusqu'à  la  dernière  guerœ  de  Russie,  les  attribu- 
tions du  chef  d'état-major,  telles  qu'elles  sont  l'églées 
chez  nous,  se  trouvaient  partagées,  dans  l'armée  an- 
glaise, entre  Y  Adjudant-général  et  le  Quarlier-maUre- 
général.  Pendant  la  campagne  de  Crimée,  aflip  de  re- 
médier à  ce  défaut  de  centralisation,  qui  est  toujours  le 
vice  capital  de  l'organisation  militaire  chez  nos  voisins, 
il  a  été  créé  un  emploi  de  chef  d'état-major  au  quar- 
tier^énéral  anglais  ;  mais  cette  institution  ayant  dis- 
paru à  la  paix,  c'est  tout  au  plus  si  Ton  doit  la  consi- 
dérer comme  faisant  réellement  partie  de  l'organisation. 
Au  reste,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  fait  observer* 
l'État-major  en  Angleterre,  étant  composé  d'éléments 
distincts,  puisés  à  des  sources  différentes  et  indépen- 
dants les  uns  des  autres,  le  pouvoir  et  les  devoirs  d'un 
chef  d'état-major  ne  peuvent  avoir  la  précision  et  la 
netteté  qui  les  caractérisent  chez  nous;  la  volonté  du 
général  doit  suppléer  le  silence  ou  l'insuffisance  du  rè- 
glement pour  en  fixer  les  limites. 

Nous  avons  dit  que  les  attributions  de  l' Adjudant- 
général  6t  celles  du  Quartier-mattre-général  embns- 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.      83 

saieol,  sans  limite  ni  division  bien  définies,  les  devoii's 
que  remplit  chez  nous  le  chef  d'état-major.  Ce  défaut 
de  précision,  surtout  eu  ce  qui  regarde  la  position  du 
quartier-mattre-général,  a  eu  de  sérieux  inconvénients 
en  Crimée.  D'une  part,  cet  officier  a  été  conduit  par  la 
direction  donnée  aux  opérations  militaires  à  empiéter 
sur  les  droits  de  certains  chefs  de  service  dont  la  res- 
ponsabilité s'est  trouvée  engagée;  de  l'autre,  le  quar- 
tier-mattre-général s'est  vu  imposer  des  obligations  et 
des  devoirs  complètement  en  dehors  de  la  sphère  de 
ses  attributions  régulières.  La  presse  britannique,  à 
l'époque  des  désastres  qui  ont  éprouvé  l'armée  d'O- 
rient, s'est  montrée  fort  sévère  pour  sir  Richard  Airey 
et  pour  son  département;  mais,  en  réalité,  la  guerre 
était  nécessaire  pour  démontrer  tout  le  décousu  du 
système  anglais,  et  la  plupart  des  mécomptes  que  nos 
alliés  ont  rencontrés  sur  le  plateau  de  Chersonnèse 
doivent  être  attribués  à  l'imperfection  des  règlements 
bien  plutôt  qu'à  la  négligence  de  ceux  qui  devaient  les 
appliquer. 

En  résumé,  il  n'y  a  aucune  nécessité  à  distribuer 
entre  deux  officiel  différents  les  devoirs  et  la  respon- 
sabilité qui  incombent,  dans  l'organisation  anglaise,  à 
r Adjudant-général  et  au  Quartier-mattre-général,  et 
le  systèftie  français,  qui  réunit  leurs  attributions  dans 
les  mains  du  seul  chef  d'état-major,  a  prouvé -toute  sa 
supériorité  pendant  la  guerre  d'Orient. 

îl  est  pourtant  un  détail  du  service  du  Quartier- 
maltre-général  sur  lequel  nous  croyons  utile  d'appeler 
Taltention.  On  a  pu  apprécier,  pendant  la  campagne 


8'i  CONSTITUTION    KT    PUISSANCE   MILITAIRES 

de  Crimée,  et  plus  récemment  encore  pendant  la  cam- 
pagne d'Italie,  toute  l'importance  du  rôle  que  la  marine 
est  appelée  à  jouer  dans  les  guerres  modernes.  Aucune 
opération  sur  une  échelle  respectable  ne  sera  guère 
entreprise  désormais  sans  que  la  marine  apporte  son 
concoure  aux  armées  de  terre.  Les  flottes  à  vapeur 
modifieront  sans  doute  toute^s  les  anciennes  combinai- 
sons en  offrant  un  élément  de  puissance  et  d'action 
tout  nouveau  pour  les  opérations  militaires  dirigées 
contre  les  États  présentant  une  frontière  maritime. 

La  question  des  embarquements  et  des  débarque- 
ments, rinstallation,  Toi^anisation  et  la  discipline  des 
troupes  de  terre  sur  les  transports,  sont  des  détails 
appelés  à  prendre  une  grande  importance.  En  Angle- 
terre, le  Quartier-maître  en  est  chargé,  et  la  position 
insulaire  de  la  Grande-Bretagne  d'une  part,  de  l'autre 
les  nécessités  du  service  colonial,  ont  donné  à  TÉtat- 
major  de  nos  voisins  sur  cette  matière  une  expérience 
d'autant  plus  complète  qu'elle  est  basée  sur  une  pra- 
tique plus  fréquente. 

Il  serait  à  désirer  qu'en  France,  où  tout  ce  qui  a 
rapport  à  Farmée  est  réglementé  avec  tant  d'ordre  et 
de  soin,  ou  publiât  sur  l'embarquement  et  le  débai- 
(juement  des  troupes  de  terre  une  instruction  analogue 
à  celle  actuellement  en  vigueur  pour  leur  transport 
par  les  chemins  de  fer.  L'ouvrage  du  général  Gri- 
moard,  rédigé  à  l'époque  du  camp  de  Boul(^ne  sous  le 
premier  Empire,  est  un  modèle  que  le  général  sir  Ho- 
ward Douglas  cite  comme  un  livre  classique,  et  que 
tout  officier  d'état-major  anglais  devrait  avoir  en  sa 


DE   LA   FRANCIi:    ET   DE  L  ANGLKT£aRF.  f^^} 

possession.  Convenablement  remanié,  cet  ouvrage 
fournirait,  eu  effet,  de  précieuses  indications  pour  la 
rédaction  d'un  traité  nouveau  approprié  aux  conditions 
actuelles  des  années  de  terre  et  de  mer  (1). 

En  Angleterre,  comme  en  France,  le  principe  divi- 
sionnaire est  la  base  de  l'organisation  générale  et  tac- 
tique de  J'armée. 

Chaque  division,  dans  les  deux  pays,  comporte  deux 
ou  trois  brigades. 

Chaque  Mgade  est  formée  de  deux  ou  trois  régi- 
ments. 

Le  service  d 'État-major  étant  constitué  par  division, 
il  n'existe  pas  dans  Tarmée  française  d'emploi  analogue 
à  celui  occupé  dans  l'armée  anglaise  par  le  major  de 
brigade.  Chez  nous,  les  fonctions  de  cet  officier  d'état- 
major  sont  remplies,  en  ce  qui  regarde  la  transmission 
des  ordres,  par  l'^ide-de-camp  du  général  de  brigade  ; 
en  ce  qui  touche  à  la  discipline  des  corps,  aux  tours 
de  service,  aux  gardes,  parades,  etc. ,  par  les  adjudants- 
majors  des  régiinents. 


(1)  Traité  sur  le  service  de  V État-major  général  des  armées  ^  par 
le  géDéral  Giimoard,  1809. 

Le  lecteur  auquel  il  a  été  donné  d'assister  à  Timmense  dé- 
sordre dans  lequel  les  approvisionnements  et  le  matériel  de  Tarmée 
anglaise  ont  été  expédiés  en  Crimée,  et  aux  difficultés  sans  nombre 
que  radministration  française  a  dû  vaincre  dans  les  mêmes  circon- 
stances, verra,  au  chapitre  VUl  du  livre  que  nous  citons,  les  in- 
structions détaillées  qui  avaient  été  préparées  pour  rembarquement 
de  rarmée  de  Boulogne,  et  pourra  juger  de  l'ordre  et  de  la  régu- 
larité que  Ton  était  parvenu  k  établir  dans  tous  les  détails  de  cette 
gigantesque  opéraUon.  —  Nous  reviendrons  ailleurs  sur  ce  sujet. 


86  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

Le  major  de  brigade  est,  en  quelque  sorte,  Tadju^ 
dant-général  ou  le  chef  d'élat-major  de  la  brigade  an- 
glaise. Lorsque  celle-ci  opère  isolément,  par  exemple 
dans  les  conditions  des  brigades  mixtes  (1  )  employées 
dans  rinde  ou  détachées  dans  les  colonies,  le  major  de 
brigade  constitue  un  rouage  réellement  utile.  Dans  les 
circonstances  analogues,  on  détache  en  France  un  ou 
plusieurs  officiers  d'état-major  auprès  du  commandant 
de  la  brigade. 

Le  Secrétaire  militaire  {military  secretary)  n'a  pas 
de  position  marquée  dans  Torganisation  de  l'État-major 
français.  Chez  nous,  le  premier  aide-de-camp  est  le 
secrétaire  confidentiel  du  général,  et  celui-ci  n'ayant  h 
s'occuper  en  aucune  façon  des  questions  de  finances, 
qui  sont  dans  les  attributions  du  corps  de  l'Intendance, 
il  n'a  pas  besoin  de  conseiller  remplissant  auprès  de 
lui  les  devoirs  spéciaux  qui  incombent  au  secrétaire 
militaire  placé  près  des  généraux  anglais. 

Les  règlements  relatifs  aux  finances  militaires,  et 
dont  l'exécution  doit  être  surveillée  et  recommandée 
par  le  secrétaire  militaire,  sont  rarement  connus  des 
officiers  de  l'armée  anglaise;  il  en  résulte  que,  le  plus 
souvent,  on  est  obligé  d'attacher  aux  armées  et  aux 
corps  d'armée  des  membres  du  Commissariat  (2%  qui 

(i)  On  appelle  brigade  tnixie  celle  qui  comprend  de  Finfanterie, 
de  la  cavalerie,  et  quelquefois  même  de  rartillerie.  Notre  règlement 
sur  le  service  en  campagne  admet  Forganisaiion  de  ces  brigades 
pour  le  service  d'avant-garde  des  grandes  armées.  Elles  sont  fré- 
quemment, pour  ne  pas  dire  continuellement,  employées  en  Afrique. 

(2)  Corps  analogue  à  celui  de  Tlntendance  mUltaire. 


m  LA   FRANCE  BT   DE   L'AlfCLCTERRE.  87 

déchargent  alors  le  Secrétaire  militaire  de  la  partie  ad- 
ministrative de  son  service  et  lui  permettent  de  s'occu- 
per exclusivement  de  la  correspondance. 

Il  serait  infiniment  préférable  de  limiter  les  devoirs* 
du  secrétaire  militaire  aux  questions  purement  mili- 
taires et  d'instituer,  pour  la  partie  administrative,  un 
fonctionnaire  tiré  du  Commissariat  ou  de  la  Trésorerie, 
et  qui,  avec  le  titre  de  Secrétaire  financier,  serait 
chargé  d'éclairer  le  commandement  dans  toutes  les 
questions  entraînant  uiie  dépense.  Malheureusement, 
comme  nous  le  verrons  ailleure,  l'organisation  incohé- 
rente, mal  définie  du  Commissariat  anglais,  ne  se  prête 
que  très  imparfaitement  à  cette  combinaison,  malgré 
robligation  où  se  trouvent  nos  voisins  d'y  recourir  le 
plus  souvent. 

L'organisation  de  l'État-major  des  places,  en  An- 
gleterre, est  la  même  qu'en  France.  La  seule  diffé- 
rence, c'est  que,  chez  nous,  les  officiers  qui  en  font 
partie  forment  un  coi^ps  à  part,  tandis  (jue,  chez  nos 
voisins,  vu  leur  petit  nombre  (i),  ils  sont  confondus 
dans  l'ensemble  du  cadre  de  l'État-major. 

La  constitution  anglaise  s'opposant  à  l'enîploi  de 
toute  force  militaire  pour  la  police  intérieure  du 
royaume,  il  n'existe  chez  nos  voisins  aucun  corps  ana- 

(1)  Le  nombre  des  places  fortes,  comme  nous  le  verrons  ailleurs, 
a  été,  jusqu'ici,  très  limité  en  Angleterre.  —  Grâce  à  leur  position 
insulaire,  nos  voisins  ont  cru  pouvoir  négliger  complètement  leurs 
fortifications  ;  ils  ont  mis  toute  le^ir  confiance  dans  leurs  flottes. 
L'introduction  de  la  vapeur  dans  les  marines  militaires  du  conti- 
uent  modifiera  nécessairement  ce  système  de  défense. 


88  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

logue  à  notre  gendarmerie.  Nous  avons  vu  comment, 
en  cas  de  guerre,  il  était  suppléé  à  cette  utile  institu- 
tion de  l'autre  côté  du  détroit. 

I^s  organisations  accidentelles,  temporaires,  au 
moyen  desquelles  nos  voisins  cherchent  à  pourvoir  au 
service  de  la  police  dans  leurs  armées  actives  n'at- 
teignent que  très  imparfaitement  leur  but. 

Les  devoirs  des  Prévôts-maréchaux  {Provost^mar^ 
shaîs)  et  de  leurs  auxiliaires  ne  sont  pas  d'une  nature 
tellement  simple  qu'il  soit  facile  de  les  remplir  sans 
aucune  étude  préliminaire,  surtout  lorsqu'on  songe 
aux  conséquences  qui  peuvent  résulter  de  l'usage  mala- 
droit ou  abusif  des  pouvoirs  presque  illimités  qu'il  est 
nécessaire  de  leur  confier. 

Le  calme,  la  modération,  unis  à  un  jugement  droit, 
sont  aussi  nécessaires  que  l'intelligence  et  l'activité 
dans  l'accomplissement  des  fonctions  de  ces  agents.  Or, 
on  se  tromperait  fort  si  l'on  pensait  qu'un  supplément 
de  solde  insignifiant  peut  suffire  à  fissurer  la  réunion 
de  ces  qualités  chez  les  hommes  qui  se  proposent  vo- 
lontairement pour  un  service  assez  impopulaire  de  sa 
nature.* 

L'absence  d'un  corps  de  police  spécial  est  une  la- 
cune évidente  dans  l'oi^anisation  militaire  d'Outre- 
Manche;  il  est  clair  que  le  gouvernement  aurait  tout 
intérêt  à  entretenir  un  cadre  permanent  qu'il  lui  serait 
loisible  de  restreindre  en  temps  de  paix  et  qu'il  pour- 
rait élargir  en  temps  de  guerre,  suivant  les  besoins  du 
service. 

Wellington,  pendant  la  guerre  de  la  Péninsule,  a 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.       89 

exprimé  plus  d'une  fois  son  opinion  sur  la  mauvaise 
oiigaDisation  du  sei*vice  de  la  Prévôté  dans  les  armées 
anglaises;  c'est  pendant  cette  campagne  qu'il  écrivait  à 
I^rd  Castlereagh  :  «  Il  est  impossible  de  vous  exprimer 
»  toutes  les  infractions  à  la  discipline,  tous  les  désordres 
»  qui  se  commettent  dans  l'armée.  Nous  n'avons  pas 
»  moins  de  quatre  prévôts  adjoints,  indépendamment 
»  du  prévôt-maréchal  ;  malgré  cela,  il  n'est  pas  d'où  - 
»  trages  dont  les  soldats  ne  se  rendent  coupables  à  l'é- 
»  gard  d'une  population  qui  les  a  accueillis  comme  des 
»  ainis,  et  au  milieu  de  laquelle  ils  n'ont  pas  eu  un  in  - 
»  stant  à  souffrir  de  la  plus  petite  privation  (i).  » 

Daas  un  autre  endroit  de  sa  correspondance,  le  duc 
s'exprime  ainsi  :  «  Je  crois  véritablement  que  jamais 
»  armée  au  monde  n'a  commis  autant  de  brigandages 
»  et  de  crimes  que  la  nôtre.  Et  cependant,  je  n'ai  pas 
»  moins  de  sept  ou  huit  prévôts^  tandis  que  les  autres  ar^ 
»  mées  en  ont  seulement  deux  d'habitude  (2).  » 

Quelle  différence  avec  le  témoignage  que  l'Italie, 


(1)  «  It  is  impossible  to  describe  to  you  the  irregularities  and  ou- 
»  trages  committed  by  the  troops.  We  hâve  a  Provost  and  no  less 
»  tban  four  assistants,  and  yet  thei*e  is  not  an  outrage  of  any  des- 
»  crlplioD  which  has  not  beea  committed  on  a  people  who  hâve 
>•  uniformly  received  us  as  friends  by  soldiers  who  never  yet  for 
"  one  moment  suffered  the  sligbtest  want  or  the  smallest  priva- 
>>  tion.  »  (Dépêche  datée  d*Abrantès,  17  juin  1809.) 

(*2)  «  1  really  believe  that  more  plunder  and  outrages  has  been 
D  committed  by  this  army  than  by  any  other  that  ever  was  in  the 
»  field.  To  this  1  may  add  that  1  hâve  not  less  seven  or  cight  Pro- 
-  vosts,  other  armies  having  usually  two.  »  (Dépèche  datée  de  Ba- 
dajoz,  8  septembre  1809.)    ' 


90  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE  MILITAIBIS 

dans  des  circonstances  presque  semblables,  pourrait 
rendre  de  Tarmée  française  qui  lui  a  restitué  son  indé* 
pendance ! 

Cependant  on  n'a  jamais  entendu  dire  qu'il  ait  fallu 
fouetter  ou  pendre  un  soldat  français  pour  l'obliger  a 
respecter  les  personnes  ou  les  propriétés  des  Lom- 
bards (1). 

Sous  l'empire  de  la  panique  qui,  de  temps  à  autre, 
agite  nos  voisins,  il  est  devenu  de  mode,  dans  la  presse 
anglaise,  de  déblatérer  contre  la  prétendue  indiscipline 
de  nos  Zouaves  et  de  nos  Turcos.  Nous  recommandons 
aux  braves  cwkneys  de  Londres  (dont  on  stimule  le 
zèle  dans  ces  occasions,  tout  on  allégeant  leur  bourse) 
la  lecture  des  adresses  et  des  adieux  de  Brescia,  de  Mi- 
lan, dePavie,  etc.,  à  ces  terribles  ogres  dont  on  leur 
offre  périodiquement  Tépouvantail. 

La  situation  que  déplorait  Wellington  ne  s'est  pas 
modifiée.  Pendant  la  guerre  de  Crimée,  TinsufiSsance 
des  moyens  mis  à  la  disposition  des  généraux  anglais 
pour  assurer  la  police  de  leurs  troupes  n'a  été  que  trop 
révélée  dans  plusieurs  circonstances.  A  l'intérieur,  ne 
fût-ce  que  pour  anôter  le  nombre  toujours  croissant 
des  déserteurs,  l'organisation  d'un  corps  de  police  per- 
manent ne  serait  pas  moiri^  utile  qu'en  campagne, 
Tandis  qu'en  France,  grâce  à  la  bonne  direction  don- 
née au  service  de  notre  gendarmerie,  la  désertion  est 


(1)  Le  Prévôt-maréchal,  dans  Tarmée  anglaise,  a  le  droit  de  fouet- 
ter ou  de  i)endre  sur  place  {on  the  spot)  tout  soldat  surpris  eo  fla- 
grant délit  de  violences  ou  de  brigandage. 


P£  LA  PRANCfi  BT  DE  L  ANGLKTKRftB.      91 

presque  inconnue,  cette  plaie  honteuse  pout  Tannée 
anglaise  va  sans  cesse  en  se  développant,  et,  à  Theure 
où  nous  écrivons,  20  à  30,000  hommes,  chaque  année, 
suivant  les  documents  officiels,  abandonnent  illégale- 
ment  leur  drapeau  chez  nos  voisins, 


92  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MD^ITAIRES 


CHAPITRE.    V 

Notions  générales  et  communes  aux  différentes  armes  sur  Inorgani- 
sation régimentaire  de  l'armée  anglaise.  —  Proportion  comparée 
de  l*Infanterie,  de  la  Cavalerie»  de  l*ÂrtiUerie  et  du  Génie  dans 
l'armée  française  et  dans  Tarmée  anglaise.  —  Ordre  de  préséance" 
des  différentes^ armes  dans  Tarmée  britannique.  —  Corps  non 
classés  dans  le  tableau  des  préséances  (régiments  coloniaux).  — 
Signes  distinctifs  des  régiments  anglais.  —  Organisation  aristo- 
cratique et  féodale  dans  le  fonds  comme  dans  la  forme.  —  Le  co- 
lonel anglais;  il  est  le  commandant  a(2  honores  du  régiment;  ses 
anciens  privilèges,  sa  situation  actuelle. 

La  proportion  dans  laquelle  les  différentes  armes  de 
rinfanterie,  de  la  Cavalerie,  de  rArtillerie  et  du  Génie, 
entrent  dans  la  composition  de  Varmée  anglaise,  n*est 
pas  la  même  que  celle  généralement  adoptée  sur  le 
continent. 

En  France,  l'infanterie  étant  prise  pour  terme  de 
rx)mparaison,  la  cavalerie  compte  pour  un  peu  moins 
du  cinquième,  l'artillerie  pour  un  peu  plus  du  sixième, 
le  génie  pour  un  vingt-cinquième  environ. 

En  Angleterre,  la  proportion  de  la  cavalerie  est  beau- 
coup plus  faible,  elle  ne  dépasse  pas  le  huitième  de 
l'infanterie  (1).  En  revanche,  la  proportion  de  l'artil- 
lerie est  plus  grande,  elle  s'élève  à  plus  du  cinquième. 

Les  troupes  du  génie  entrent  dans  une  ^ale  propor- 
tion dans  la  composition  des  deux  armées. 

(l)  Pendant  les  guerres  du  premier  Empire,  la  cavalerie  anglaise 
égalait  en  nombre  le  sixième  de  rinfanterie. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.      93 

L  ordre  de  préséance  des  différentes  armes,  tel  qu'il 
est  établi  en  Angleterre  par  les  règlements  {Çueen's 
Régulations)^  est  le  suivant  : 

1"  Les  Gardes  du  corps  et  les  Gardes  à  cheval  {Life 
Guards  andllarse  Guards). 

2"  L'Artillerie  a  cheval  {Uorse  ArUllery). 

3*  La  Cavalerie  de  ligne  {Cavalry  ofihe  Une). 

4*  Le  Corps  royal  d'artillerie  {Royal  Jrlillery). 

5'  Le  Corps  royal  du  génie  {Royal  Engineers), 

6«  L'Infanterie  de  la  garde  {Fooi  Guards). 

7'  Les  Bataillons  de  vétérans  {Vétéran  battalions). 

8*  L'Inlanterie  de  ligne  {Infantry  of  the  Une)  dans 
l'ordre  de  numéro  de  ses  régiments,  avec  cette  excep- 
tion, cependant,  ([ue  l'infanterie  de  Marine  {The  Royal 
Marines) y  prend  rang  immédiatement  après  le  49"  ré- 
giment {The  Princess  Charlotte  of  W aies' s  Régiment j, 
et  la  brigade  de  Tirailleurs  {Rifle  Brigade)  après  le 
93'  {Highlanders). 

M.  Dupin,  en  faisant  allusion  aux  dispositions  qui 
précèdent,  croit  devoir  faire  remarquer  que  le  règle- 
ment anglais  est  contraire  aux  saines  doctrines  mili- 
taires, parce  qu'il  place  constamment  les  troupes  à  che- 
val avant  les  troupes  à  pied,  tandis  que  l'Infanterie  et 
l'Artillerie  doivent  être  considérées  comme  les  armes 
principales.  L'auteur  des  Voyages  dans  la  Grande-Bre- 
lagne  commet  ici  une  erreur.  Le  règlement  des  pré- 
séances ne  s'applique  qu'aux  parades  et  aux  revues  ; 
il  n'est  pas  constamment  obligatoire,  et  dans  toutes  les 
autres  circonstances  du  service,  à  plus  forte  raison  en 
campagne,  l'ordre  de  bataille  des  différents  corps  est 


9^1  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

entièrement  laissé,  en  Angleterre  comme  partout,  au 
libre  arbitre  du  général. 

Indépendamment  de  l'infanterie  de  Marine,  qui  ap- 
partient plus  spécialement  au  service  de  la  Flotte,  mais 
que  nous  voyons,  grâce  à  l'organisation  incohérente 
de  nos  voisins,  prenant  rang  au  milieu  de  Tinfanterie 
de  ligne  (1),  il  existe  un  certain  nombre  de  ooi-ps  ou 
régiments  qui  ne  figurent  pas  sur  le  tableau  des  pré- 
séances, quoique  faisant  partie  des  forces  de  terre. 

Il  est  nécessaire  de  les  comprendre  dans  un  cadre 
d'ensemble  de  l'armée  anglaise. 

En  première  ligne,  vient  le  Train  militaire  (MilUary 
Train)^  qui  marche  sur  VArtHy-List  après  le  corps  des 
Ingénieurs. 

2®  Trois  ï^iments  des  Indes-Occidentales  (  fVe$t 
India  Régiments). 

8*  Le  régiment  de  tirailleurs  de  Ceylao  (Ceylw 
Rifle  Régiment), 

4*  Les  tirailleurs  à  cheval  du  Cap  {Cape  mounted 
Riflemeh). 

5*  Les  tirailleurs  du  Canada  {Royal  Canadtan  Rifle 
Régiment), 

6**  Le  régiment  de  Sainte-Hélène  {St-Helena  Regi^ 
ment.) 

7'»  Les  compagnies  royales  de  Terre-Neuve  (Aoya/ 
Newfoundland  Companies.) 

(1)  L'Infanterie  de  Marine,  comme  nous  le  verrom  ailleurs,  ooii- 
pose  un  corps  fort  important  et  qui  comprend  de  l^artillerie.  L'ef- 
fectif des  Royal-Marines  au  moment  oti  nous  écrivons  dépasse 
1$  000  homtnes. 


DE  L\  FRANGE  ET  DE  l/ ANGLETERRE.      95 

6'  Le  corps  de  1  artillerie  de  la  Côte-d'Or  {Gold 
Coùst  ariillery  Corps.) 

9«  Volontaires  de  Malte  {Royal  Malta  Fendble  Régi- 
ment) . 

Les  différents  corps  dont  nous  venons  de  donner  la 
nomenclature,  à  Texception  de  Tinfanterie  de  Marine 
et  du  train  militaire,  appartiennent  spécialement  au 
service  des  colonies;  ils  ne  comptent  pas  dans  rarmée 
indigène.  Toutefois,  dans  une  étude  embrassant  toutes 
les  conditions  de  l'attaque  et  de  la  défense  de  la 
Grande-Bretagne;  il  est  nécessaire  de  pouvoir  se  for-- 
mer  une  idée  exacte  de  ces  forces  spéciales.  Cette  con- 
naissance permettra  de  juger  le  degré  de  résistance 
que  pourraient  offrir  les  divers  établissements  colo- 
niaux de  l'Angleterre,  s'ils  venaient  à  être  abandonné» 
à  eux-mêmes  dans  le  cas  d'une  guerre  avec  la  France. 
D'un  autre  côté,  l'examen  de  la  situation  militaire  de 
œs  établissements  disséminés  sur  toute  la  surface  du 
globe,  mettra  à  même  d'apprécier  dans  quelle  propor- 
tion TAngleterre  est  obligée  de  distraire  des  troupes  de 
l'armée  de  la  métropole,  afin  d'assurer,  en  temps  ordi- 
naire, leur  sécurité.  Ceci  s'applique  surtout  à  l'Empire 
des  Indes,  dont  l'armée  indigène  est  encore  à  réorga- 
niser. 

Les  régiments  de  chaque  arme,  en  Angleterre 
comme  en  France,  sont  désignés  par  des  numéros* 
Chez  nos  voisins,  indépendamment  de  son  numéro, 
chaque  corps  porte  encore  le  nom  de  son  colonel,  ou 
bien  celui  d'une  ville,  d'une  province,  etc.  La  plupart  • 
ont  en  outre  des  écussons,  des  armoiries,  une  sorte  de 


96  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

blason,  en  un  mot,  qui  caractérise  partaitement  l'es- 
prit féodal  et  essentiellement  aristocratique  qui  s'est 
perpétué  dans  l'organisation  militaire  de  la  Grande- 
Bretagne. 

Dans  l'armée  anglaise,  le  colonel  ne  sert  jamais  avec 
le  régiment  dont  il  n'est  que  le  chef  honoraire. 

Tous  les  colonels  titulaires  des  différents  corps  sont 
majors-généraux,  lieutenants-généraux,  généraux,  ou 
même  feld-maréchaux.  Autrefois,  les  colonels  anglais 
étaient  en  quelque  sorte  propriétaires  de  leurs  régi- 
ments. Leur  solde,  ou  plutôt  leur  revenu,  consistait 
principalement  dans  les  économies  réalisées  sur  les 
fonds  alloués  par  le  Gouvernement,  pour  l'habillement 
et  l'entretien  des  hommes.  Depuis  1854,  ce  système, 
aussi  peu  digne  pour  les  colonels,  que  contraire  aux 
intérêts  du  soldat  et  de  l'État,  a  été  enfin  aboli  (1). 
Toutefois,  l'organisation,  quant  au  reste,  n'a  pas  été 
modifiée.  Les  colonels  sont  toujours  des  chefs  ad  ho- 
nores, ou  in  parlibus  des  régiments;  ils  appartiennent 
toujours  à  l'État-major  général  de  l'armée. 

Il  arrive  même,  parfois,  que  le  même  personnage 
peut  cumuler  le  commandement  de  deux  régiments; 
—  bien  mieux,  de  deux  régiments  d'armes  diffé- 
rentes. 


(1)  La  sotde  des  généraux  cominandants  des  régiments  a  dû  èlit- 
réglée  de  manière  à  les  dédommager  de  la  perte  des  proflts  [offrec- 
konings)  qu'ils  réalisaient,  avant  185/i,  sur  rhabillcment.  Ces  pro- 
fils devaient  être  assez  beaux,  si  l'on  songe  que  c'est  entre  1000  et 
2200  livres  (25,000  et  55,000  fr.)  que  varient  leui*»  ap|>ointement!» 
actuels. 


DE  LÀ  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.       97 

Ainsi,  le  Prince  Albert  (the  Prince  Crnsori)  est  à  la 
fois  colonel  des  grenadiers  de  la  garde  et  colonel  en 
chef  de  la  brigade  de  tirailleurs. 

Le  vicomte  Gough,  ancien  commandant  en  chef  de 
Tannée  des  Indes,  est  à  la  fois  colonel  d'un  régiment 
de  cavalerie  (les  Horse-Guards)  et  colonel  du  60'  d'in- 
fanterie. 

Parmi  les  personnages  marquants  en  possession  de 
régiments  anglais,  nous  citerons  encore  le  duc  de  Cam- 
bridge, général  en  chef  de  Tarmée  et  colonel  (les  fusi- 
liers écossais  de  la  garde;  le  général  Simpson,  ancien 
commandant  en  chef  en  Crimée,  colonel  du  87"  ;  lord 
Clyde  (sir  Colin  Campbell),  général  en  chef  de  l'armée 
des  Indes,  colonel  du  93'  highlanders,  etc.,  etc. 


96  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIUB 


CHAPITRE    VI. 

g  1er,  _  Organisation  régimentaire  de  Tinfanterie  anglaise.  —  In- 
fanterie de  ligne.  -^  Tirailleurs.  —  Unité  tactique  et  nnlté  admi- 
nistrative. •*-  Le  bataillon  et  le  régiment  anglais.  ^  Tablaan  des 
leo  régiments  d  infanterie  de  ligne  avec  rindication  de  leurs  dé- 
nominations particulières  et  des  signes  houoriflques  ou  distinctifs 
qui  servent  à  les  désigner.  —  Brigade  de  tirailleurs.  —  Uniforme 
de  rinfanterie.  —  Ckjuleurs  dlstlncllves  des  régiments.  —  Régi- 
ments royaux. 

13.--  Personnel  d'un  régiment  dinfanterie  :  OMclen  de  TËtat- 
major.  —  Offlçiers  de  compagnie.  —  Sous-officiers  de  TËtat-na- 
jor.  —  Effectif  du  bataillon  normal  en  officiers,  sous-officiers, 
hommes  et  chevaux.  —  Du  lleuteuant-c^lonel  commandant  le  ré- 
giment. —  Ou  major.  **  De  Tadijudant.  —  Du  cbinirgien  «t  des 
aides-^irurgiens.  —  Du  payeur.  —  Du  quartier -naltr». 

§  3.  —  De  la  compagnie  d*infanterie  anglaise.  ~  Du  capitaine,  du 
lieutenant  et  de  renseigne.  —  Les  sous-officiers  sont  la  cheville 
ouvrière  de  Torganisation  régimentaire.  —  Du  sergent-major.  — 
—  Des  sergents  de  drapeau.  —  Effectif  nominal  et  effectif  réel  du 
régiment  anglais.  —  Des  non-valeurs.  —  De  la  musique.  —  Effec- 
tif  de  la  brigade  d'infanterie  ordinaire  en  officiers,  hommes  et 

.   chevaux. 

§  i"* 
L'infanterie  anglaise  indigène  (1)  comprend  : 
r  Cent  régiments  de  ligne  (2). 
!i'  Une  brigade  de  tirailleurs. 

(1)  On  emploie  ici  le  terme  d'infanterie  indigène  par  oppositiori 
aux  régiments  et  corps  coloniaux  dont  il  sera  parlé  plus  loin,  bien 
que  ceux-ci  soient  aussi  composés,  en  partie  au  moins,  d'Européens. 
H  en  est  de  même  de  l'armée  indienne. 

(2)  Dans  rinfanterie  de  ligne,  qui  fait  l'objet  de  ce  chapitre,  ne 
figurent  ni  rinfanterie  de  la  Garde  [Fool-Guards),  ni  l'infanterie  de 
Marine  (Raydl-Matines),  ni  la  Milice. 


DE  LA   PRANGE    BT   DE   LATfGLETERRE.  90 

Comme  en  France,  le  bataillon  est  l'unité  lactique 
adoptée  pour  l'infanterie  dam  l'armée  anglaise.  En 
principe,  oette  unité  tactique  se  confond,  chez  nos  voi- 
sins, avec  l'unité  administrative  ou  le  régiment;  en 
règle  générale,  leurs  corps  d'infanterie  sont  à  un  seul 
bataillon.  Cependant,  lorsqu'il  y  a  lieu  d'augmenter 
Teffectif  de  l'arméCi  ils  sont  obligés  de  se  départir  de 
ce  système,  malgré  ses  avantages  incontestables,  afin 
de  ne  point  aggraver  encore  les  charges  du  budget  par 
la  création  de  nouveaux  états-majors  régimentaires. 

Dans  Tétat  actuel,  les  régiments  portant  les  vingt- 
cinq  premiers  numéros  sur  VArmy  List  sont  à  deux 
bataillons  ;  les  soixante-quinze  derniers,  sauf  le  60*  [The 
Kmg's  Royal  Bifle  Corps),  qui  en  comporte  quatre, 
sont  à  un  bataillon. 

La  brigade  de  tirailleurs  [Brigade  of  Rifles),  comme 
le  60%  en  comprend  également  quatre. 

L'infanterie  de  ligne  anglaise  présente  donc  un  total 
de  cent  trente-deux  bataillons.  Les  régiments,  avons- 
nous  dit,  portent  des  noms  particuliers  sous  lesquels 
on  a  l'habitude  de  les  désigner,  plus  souvent  encore, 
peut-être,  que  par  leurs  numéros;  Il  est  indispensable, 
pour  pouvoir  se  rendre  compte  de  l'emplacement  et 
des  mouvements  des  différents  corps  de  Tarmée  an- 
^aûe,  tels  qu'ils  sont  enregistrés  dam  les  journaux  et 
même  dam  k»  ordres  officiels,  de  connattre  exactement 
ces  dénominations i  Nous  allons  en  donner  la  série,  en 
les  faisant  suivre,  à  titre  de  renseignement  complé- 
mentaire, de  rindicattoD  des  annoiries  et  devises  ptr« 
ticulières  à  chaque  régiment; 


100  CONSTITITION   ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

Liste  des  régiments  d'infanterie  de  ligne  de  l'armée  f/ritannif/ue, 
avec  indication  des  emblèmes  et  mentions  honorifiques  que 
chacun  d'eux  est  autorisé  à  porter  sur  son  drapeau  et  ses 
équipages  (1  ). 

Numéros. 

1.  The  Boyal  Régiment.  —Signes  disti  fictif  s  :  Le  chiffre  royal 

entouré  du  collier  de  Saint-André,  et  surmonté  de  la  cou- 
ronne d*  Angleterre  ;  le  sphinx  (2). 

2.  QueenU  Royal.  —  S.  d.  :  L*agneau  pascal  avec  la   devise, 

Pristinœ  virtutis  memor  ;  le  chiffre  royal  et  la  couronne  ; 
le  sphinx. 

3.  Xati  Kent.  The  Suffi.  —  6\  d.  :  Le  dragon. 

û.  King'i  Own.  —  S.  d.  :  Le  lion  d'Angleterre  et  le  chiffre  royal. 

5.  jrorthumherland    Tutilien.  — S.    d,  :   Saint -Georges  et  Ic 

dragon;  la  rose  et  la  couronne;  le  timbre  royal  avec  la 
devise,  Que  fata  vacant. 

6.  Boyal  Pirit  Warwîokihire.  —  S.  d.  :  Une  antilope,  la  rose 

et  la  couronne. 

7.  Boyal  Fusilien.  —  S.  d,  :  La  rose  entourée  de  la  jarretière 

et  surmontée  de  la  couronne;  le  cheval  blanc. 

8.  The  King'i  Régiment.  —  S.  d.  :  La  couronne  et  la  jarretière; 

le  cheval  blanc  et  le  chiffre  royal  ;  le  sphinx  avec  la  devise, 
Nec  aspera  terrent.        * 

9.  The  Zatt  Vorfolk.  —  S.  d.:  La  figure  symbolique  de  TAn- 

gleterre. 
10.  Vorth  Ziincoln.  —  &\  d.  :  Le  sphinx. 

{\)  Indépendamment  des  signes  honorifiques  mentionnés  dans  le 
tableau  ci-dessus,  chaque  régiment  est  autorisé  à  inscrire  sur  son 
drapeau  le  nom  des  campagnes  et  batailles  auxquelles  il  a  assisté. 

(2)  GerUins  signes  sont  communs  à  plusieurs  régiments,  ainsi  : 
le  Sphinx  est  commun  à  tous  les  régiments  qui  faisaient  partie,  en 
Egypte,  de  Tarmée  d'Abercrombie  ;  Tinscription  Montis  insignia 
calpe  au-dessous  d'une  tour  et  d'une  clef  est  commune  aux  régi- 
ments qui  ont  défendu  Gibraltar  ;  le  Tigre  royal  et  le  Dragon  se 
retrouvent  sur  le  drapeau  de  tous  les  régiments  ({ui  ont  fait  cer- 
taines campagnes  dans  rinde  et  en  Chine;  etc.,  etc. 


DE   LA   FRANCE   ET   DE   i/aNGLETERBE.  <01 

Niimêrofi. 
il.  Vorth  llevoïk.  —  S.  d.  :  Néant. 

l'i.  Sast  SulTolk.  — -S.c/.  ;  Une  tour  et  une  rlcf,  avec  IMnscriplion, 

Montis  insignia  calpe, 

13.  Vint  SomeneUhîre ,    Prince    Albert'i   Régiment    of    X.ight 

bifantry.  —  S.  d.  :  Le  sphînx,  une  couronne  murale. 
iU.  Maékm^MMaûùre.  —  S.  d.  :  Le  cheval  blanc,  le  tigre  royal, 
la  devise,  Nec  aspera  terrent, 

15.  Tork  Zati  Biding.  —  S.  (/.  :  Néant. 

16.  Bedforddiire.  —  S.  d.  :  Néant. 

17.  l«îoettenliire.  -  S.  d.  :  Le  tigre  royal. 

18.  Bayai  irîih.  —  S.  rf.  :  Le  lîon  de  Nassau  avec  Finscriptlon, 

Virtutis  namurcensis  prœmium;  le  sphinx,  le  dragon. 

19.  Tirtt  Tork  JTorth  Bîdîng.  — S.  d.  :  Néant. 

20.  Zast  Bevonshîre.  -^  S.  d.  :  Le  sphtnx. 

21.  Boyal  Vorth  Britiih  Tusilîert.  —  S.  d.  :  Le  cbardon  entouré 

du  collier  de  Saint-André,  le  chiffre  royal,  la  couronne  et 
la  devise,  Nemo  me  impune  lacessih 

22.  Tlie  Ghediire.  ^S.d.:  Néant. 

23.  Boyal  ^MTelob  Fnulîeri.  —  La  plume  du  prince  de  Galles,  la 

devise,  Ich  Dien  ;  le  soleil  levant,  le  dragon  rouge,  lo 
cheval  blanc,  le  sphînx  et  la  devise,  Nec  aapera  terrevL 

24.  2«  ^nrarwîekihîre.  —  S.  rf.  :  Le  sphinx. 

25.  Tlie  Hing'i  own  Bordereri.— Le  chiffre  roval  avec  la  devise, 

In  veritate  religionis  confido  ;  les  armes  d'Edimbourg  avec 
la  devise,  Nisi Dominus  frustra;  le  cheval  blanc  et  la  de- 
vise, Nec  aspera  terrent, 

26.  Cameroniant.  —  8.  d,  :  Le  sphinx  et  le  dragon. 

27.  lantduUing.  —  La  tour  dlnniskilling  et  retendant  de  Saint- 

Georges,  le  cheval  Wanc  avec  la  devise,  Nen  aspera  terrent; 
le  sphinx. 

28.  Vorth  CHoneetterahire.  —  5.  d.  :  Le  sphinx. 
29    'WoroeatcnliBre.  —  S.  d.  :  Néant. 

30.  Cambridgediûre.  —  S.  d.  :  Le  sphinx. 
31    HoUngdonshire.  —  S.  d.  :  Néant. 

32.  Gorawal  Ught  Infantry.  —  S.  d.  :  Néant. 

33.  Tlie  Ihike  of  -Wcilington'i  Begîment.  —  S.  d.  :  Le  timbre  e  t 

récusson  du  dernier  duc  de  Wellington. 
36.  Oumbcrland.  —  S.  d.  :  Néant. 


iO*2  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIUS 

Numéros. 

35.  Boyal  SoMes.  —  S.  d.  :  Néant. 

36.  Ber«rordiliife.  —  S.  d.  :  La  devise,  Ft'fm, 

37.  Vorth  Httnpdiire.  —  S.  <{.  :  Néant. 

38.  Tint  8uffoni0hîr«.  —  S.  d.  :  Néant. 

39.  HorMUhîre.  —  S.  d.  :  La  devise,  Primus  in  Indiif  une  tour 

et  une  clef  avec  l'inscription,  Montit  imigmiaotUpê. 

40.  2«  SomerseUhîre.  —  S.  d,  :  Le  sphinX, 

lii,  The  ^Weioh.  —  La  plumo  du  prince  de  Galles»  eC  la  devise, 

Gwell  angau  neu  Chwilydd^ 
[i%  Boyal  HigUand.  «,  S.  d.  :  Le  chardott  entouré  du  oofdon  de 

Saint-André  et  la  devise»  Nemo  meimpum  lac$mt. 
/i3.  KQnmoutlMhire  Ught  Iiif«ntry.  —  S.  d.  :  Néant. 
/|/i.  Zatt  Esiez.  -*  S.  J.  :  Le  sphinx. 

Ub,  VotUnghainshire.  -^  S.  d.  ;  Néant. 

46.  South  Bevonthîre.  — S.  d.  :  Néant. 

47.  The  lÉUMathûre.  —  S.  d.  :  Néant. 
/t8.  jrorthamptonshîre.  —  S.  d.  :  Néant* 

/j|9.  The    Vrîncett    Charlotte   of    "W^Ud'it  or   &Mii«dtlliM, — 

S.  d,  :  Le  dragon. 
50.  Queen's  Own.  ~  S.  d.  :  Le  sphinx. 
51«  2«  Torkthire  Wett  lUdiii(  or  .the  Siiif's  «im  lîg^  lafn- 

try.  —  S.  d.  :  NéanU 

52.  Oxfordihiie  lôght  Infanty.  —  S.  d.  :  Néant. 

53.  The  Shropdiire.  —  S.  d.  :  Néant. 

54.  West  Vorfolk.  —  S.  d.  :  Le  sphinx. 

55.  ^Weitmoreland.  —  S.  d.  ;  Le  dragon. 

56.  Wett  Esiex.  —  S.  d.  :  Une  tour  et  une  clef  avec  rinaeription, 

Montis  insignia  colpe. 

57.  Wett  Blûldletex.  —  S.  d.  :  Néant. 

58.  &aiiaiiddiîre.--  S.  d.  :  Une  tour  et  une  clef  vrûc  rimcriptlon, 

Montis  imignia  calpe, 

59.  2«  jrottînghamihire.  —  S.  4-  i  Néant. 

60.  The  Hiiig't  Royal  Bille  Ooq^.— 5.  d.  :  La  ém».  Mer  et 

audax. 

61.  Soath  CHouoetterthire.  —  S.  d.  :  Le  spMnx. 

62.  The  Wiluhîre.  —  S.  d.  :  Néant. 

63.  The  Wett  SoSblk.  ^S.  d.  :  Néant 
6â.  ^  Staffordthîre.  -^  S.  d,  \  Néant. 


01  hk  FIANGB  R  DE  L  AMQLBmRB.  iOS 

éôTÏ*  TorkihiM  «orlh  HUiaf.  ^  S.  d.  :  Le  UgM  lOjriK 

66.  Bwikthîie.  — S.  d.  :  Néant. 

67.  looth  Bn^dive.  —  S.  d.  :  Le  tigre  royal. 

68.  The  Harium  lOshi  Ialbslf]r. -*  S.  (i.  :  Ntellt 

69.  ImiUi  fiiiMwinthîrc.  —  S.  d.  :  NéanU 

70.  Tkm  SwNV.  —  S.  d.  :  NéaoU 

71.  Sgbknid  lÂghi  Infantry.  —  S.  d.  :  NéftnU 

72.  Duke  oT  AllMBy'i  own  Blghlandcft.  -«  S.  d.  t  Le  ohiffire  dtt 

duc  et  la  couronne  ducale. 

73.  (i)  S.  dL  :  Néant. 

76.  BSgUanden.  ^  S.  d.  :  Un  éléphant. 

75.  (1)  S.  d.  ;  Le  tigre  royal. 

76.  (1)  S.  d.  :  Un  éléphant. 

77.  smi  iBddietfix.  ^  S.  d.  :  La  plume  du  prince  de  Galles^ 

78    BîghUndert  AoMhbe  Bnffs.  —  S,  d.  :  Uq  éléphant- 
79.  Onnercm  SIghIaaden.  —  S.  d.  :  Le  sphInx. 
8ô.  guftf<tfcat<  TdwiMr*.  --  5.  d.  ;  Le  sphinx. 
8i.  moyiU  lôMoln'f  TelniMM.  ^  S.  d.  :  Néant, 

82.  The  Vrinoe  of  ^Vake't  Tolimleert. .—  S.  d.  :  La   plUDie  du 

prince  de  Galles. 
89.  Comly  «r  99^m.  ^S.  d.  :  Néant. 
U.  To«h  a^  Imm^mBim.  -*  S.  d.  :  Th$  Unùm  Jhêê. 
8&  Boelu  TelimieerB,  Uie  Xng't  I«ght  lafimlnr  BashMnl.  — 

S.  d.  :  La  devise,  Aucto  spUndore  resurgo. 

86.  Boyal  Ooimty  9owii.  —  S.  d.  9  La  harpe  et  la  couronne  avec 

la  devise,  Quis  êêparMt  ;  le  sphinx. 

87.  mofàk  Xrnh  Fmlierf .  ^  S.  d.  ;  La  plume  dtt  prince  de  Galles; 

la  harpe  surmontée  d*un  aigle  tenant  une  couronne  de 
lauriers. 

88.  Ctomuiiigh  Baagen.  -*  8.  d.  :  La  harpe  et  la  couronne  avec 

l'inscription,  Quis  separabit, 

89.  (1)  5.  d.  :  Le  sphinx. 

M.  Twihihîm  Tohmtem»  X«ski  Intotry.  *-  S.  d.  :  Le  sphinx. 
9i.  Argyishm.  ^  S.  d.  :  Néant. 

(1)  Ne  porte  pas  d'autre  nom  que  son  numéro.  Sept  régiments 
seulement,  dans  toute  l'armée  anglaise,  se  trouvent  dans  ce  cas  (73, 
75,  76,  89,  9A,  96,  98). 


lOft  CONSTITUTION  BT  PUISSANCE  MTUTAIKKS 

NamérM. 

92.  Highlttiiden.  —  S.  d.  :  Néant 

93.  Bighlandm.  •-  S.  d,  :  Néant. 
9/i.  (1)  S.  d.  :  Néant. 

95.  The  Herbyihire.  ~  S.  d.  :  Néant. 

96.  (1)  S.  d.  :  Néant. 

97.  Earl  of  mstar'i  Begîmcnt.  —S.  d.  :  La   devise  :  Quo  fas  et 

gloria  ducunt. 

98.  (1)  S.  d.  :  Le  dragon. 

99.  Irfuiadcihire.  —  S.  d.  :  Néant. 

100.  Pnnoe  of  "WAlet'i  Boyal  Gaïuuiiaii.  -^  S,  d.  :  Néant. 

Brigade  de  tirailleurs  {Rifle  brigade). 

'  Cette  brigade  comprend  h  bataillons,  et  constitue, 
avec  le  60*  de  ligne,  la  seule  véritable  infanterie  légère 
de  l'armée  britannique.  Nous  verrons  ailleurs  que  les 
autres  régiments  désignés  sous  ce  titre  n'en  portent,  en 
réalité,  que  le  nom. 

La  brigade  de  tirailleurs  a  pour  colonel  en  chef  le 
prince  Albert  {the  Prince  Consort),  Son  corps  d'oflB- 
ciers  se  compose  de  :  2  colonels  commandants ,  6  lieu- 
tenants-colonels, 8  majors,  48  capitaines,  60  lieute- 
nants, ftO  enseignes,  plus  un  état-major  de  payeurs, 
quartier-maîtres,  adjudants,  etc.,  en  rapport  avec  la 
loroe  (le  la  brigade. 

Uniforme. 

Toute  l'infanterie  anglaise,  k  l'exception  du  60'  et 
de  la  brigade  de  tirailleurs,  porte  l'habit  rouge.  Les 
légiments,  quant  à  l'uniforme,  ne  diffèrent  entre  eux 
que  par  la  couleur  des  parements  et  par  la  forme  de 
quelques  accessoires,  tels  que  plaques  de  shakos,  pom- 
pons, etc. 


DE   LA    FRANCE    ET    DE   ï/aNT.LETERRE.  105 

19  régiments  (n"'  1 ,  2,  A,  6,  7,  8,  4»,  18,  21 ,  23, 
25,  35,  42,  50,  51,  85,  86,  87,  100)  ont  les  pare- 
ments bleus  {blue)  (1). 

31  régiments  (n*'  9,  10,  12,  15,  16,  20,  26,  28, 
29,  30,  3û,  37,  38,  44,  46,  57,  67,  72,  75,  77,  80, 
82,  83,  84,  88,  91,  92,  93,  95,  tT),  99)  ont  les  pare- 
ments jaunes  {yellow). 

15  régiments  (n^*  11,  19,  24,  39,  45,  49,  54,  55, 
63,  66,  68,  69,  73,  79,  94)  ont  les  parements  verts 
{green). 

9  régiments  (n"'  17,  32,  41,  43,  47,  59,  65,  74, 
98)  ont  les  parements  blancs  {while) . 

4  r^iments  (n"  58,  64,  70,  89)  ont  les  parements 
noirs  [black). 

3  régiments  (n°*  33,  53,  76)  ont  les  parements 
rouges  (rcrf). 

Enfin  il  y  a  encore  :  1  régiment  (le  5^)  vert  clair 
[bright  green)\  1  (le  36*)  vert  foncé  [grass  green); 
1  (le  56*)  pourpre  {purple),  et  1  (le  97')  bleu  de  ciel 
^sky  blue) . 

I^  60*  porte  rhabit  vert  et  les  parements  écarlates. 

La  brigade  de  tirailleurs,  l'habit  vert  et  les  pare- 
ments noirs. 

(I)  Les  régiments  dits  royaux  portent  tous  le  parement  bleu. 
Comme  on  le  voit  par  le  tableau  ci-dessus,  et  comme  le  fait  obsener 
très  justement  H.  Dupin,  cette  qualification  honorable  de  «  régiment 
royal  »  est  beaucoup  trop  prodiguée  dans  Farmée  angfaise  ;  aussi  est- 
elle  à  peu  près  sans  valeur. 


106         CONSTITUTION  BT  FUIMANCB  MILITAIEIS 

Lorsque  les  circonstances  obligent  à  élever  reffectii 
de  l'armée  anglaise,  il  est  d'usage  d'augmenter  le 
nombre  des  bataillons  des  r^iments  existants,  au  lieu 
de  former  de  nouveaux  corps.  Parfois  l'accroissement 
réclamé  s'obtient  en  portante  i&  le  nombre  des  com- 
pagnies des  bataillons  ;  de  cette  manière,  l'effectif  se 
trouve  modifié  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  toucher  à 
Tétat-major  régimentaire. 

Voici,  dans  les  conditions  normales,  le  tableau  de  la 
composition  d'un  bataillon  d'infanterie  anglaise  : 

/  i  lteuteDaDt-coloDel(<»eti(0fiafit-colûiie/). 

V  (3  iD«Jor9  {majoTi). 

\   i  adjudant  (ad;titanO. 

Étal-major       <   i  chirurgien  {surgeon). 

régimentaire       J  3  aides-chirurgiens  (assistant-turgêons)* 

(ofllciers).         [   i  payeur  (fiaymiwlar). 

V  i  quartier-maitre  (quartermatUr). 

0  offlctors  d^état-ms^or  (#tajf  o/^Se^rt). 


^  (12  capitaines  {eaptains). 

Offlciers  l  iU  lieutenants  {lieutenants), 

de  compagnies.     (  10  enseignes  (enW^s). 


36  officiers  de  compagnie  (œmpany  officers), 
OfOcier  breveté  (1).   i   i  maître  d*école  (schoolmaster). 

(i)  Le  maître  d'école  {schoolmaster)  est  le  seul  officier  breveté 
{warrant  officer)  reconnu  dans  Tarmée  anglaise*  Le  rang  attribué  à 
cet  officier  est  de  création  toute  récente  ;  il  ne  faut  pas  confondre  le 
titre  qui  le  confère  avec  la  commission  ni  avec  la  promotion  ptr 
brevet  [brevet  promotion),  distinction  honorifique  dont  nous  parie- 
rons quand  nous  traiterons  de  Tavancement  dans  Tarmée  britan- 
nique. 


DE  LA  ntANCB  R  DE  L  ANOLISTBRM.  107 

1  lergent  mijor  (êêfjêaru  nuMor). 
i  quartlerlimattre  sergent  (quarUrma$ter 
êêrjeanï). 

Petit  état-m^gor    1  i  sergent  payeur  {paymaster  iêrjeant). 
ou  état-major      )  i  secrétaire  du  bureau  d'ordre  {orderiy  room 
des  aou&-ofliciers,   ]        clwk.) 

i  sergent  armurier  {armourer  serjeant), 
1  sergent  iuflrmier  {ho$pital  $êrj$mit), 
X   1  tambour  ou  clairon-major  (drum  or  bugle 
major).  . 

7  sons  officiers  d*é(atmdJor  { staff of  non 
a  mmisMoned  offkêrs* 

L'ensemble  de  rétat*major  d'un  régiment  d'infan- 
terie anglaise  à  un  bataillon  se  compose  donc  de  52  offi- 
ciers et  sous-officiers . 

Le  tableau  suivant  donne  la  composition  du. bataillon 
[rang  et  files)  (i). 


fWrfraU.     Caporaux.     Tambour».        5W)kbU. 

!•  eoflSfMignks  acUvcs.  .  .  45  45  23  810 

2       —  de  dépôt.  .  5  5  2  90 


Totiinx.  ...  &0  50  25  MO 

Ajoutant  a  ce  chiffre  celui  de  Tétat-major,  on  trouve 
que  la  force  totale  d'un  régiment  d'infanterie  anglaise 
est  de  1»077  officiers,  sousrofflciers  et  soldats  (2). 

.  (1}  Daas  l*évaluatioD  des  forces  briUnniques,  l*expression  rang  et 
fites  {ronk  and  file)  sert  à  désigner  tous  les  militaires  qui  restent 
constamment  dans  te  rang,  c'esi-à-dlre  les  soldats  et  les  caporaux. 

(2)  n  s'agit  ici  du  régiment  ordinaire  et  normal,  c'est-à-dire  k  un 
se«l  batalHoo.  Dans  les 26  premiers  régiraenls,  qui  makik% batail- 
lais» H  y  a  3  lieuleosAts-ooèoiiêis  et  à  majors.  Le  60*  (k  A  baUiUoas) 
a  7  NeulMiaiits-cokMiete  et  S  majors.  Les  réginanla  emptoyéa  an  ^* 
bors  ont  aussi  2  HeiileBatiii-colonels,  ij^e  quand  Us  n'ont  qu'utt 
bataillon. 


108  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

Nous  verrons  plus  loin  loi^ganisation  donnée  aux 
compagnies  de  dépôt  dont  la  réunion  forme  20  batail- 
lons spéciaux. 

Les  colonels  titulaires  étant  officiers  généraux,  ne 
sont  jamais  présents  à  leurs  corps,  et  c'est  le  lieute- 
nant-colonel qui,  dans  l'armée  britannique,  est  le  chet 
réel- du  régiment;  il  en  a  l'autorité  executive,  mais 
sans  en  avoir  les  avantages.  Il  est  responsable  de  la 
discipline  et  de  Ve/ficience  (1)  de  son  bataillon,  en 
même  temps  que  de  tous  les  détails  qui  intéressent  son 
économie  intérieure,  son  équipement,  son  organisation. 

Le  lieutenant-colonel  a  sous  ses  oi-dres  immédiats 
deux  majors,  également  officiers  supérieurs  (Jield  o/ft- 
cers),  et  qui,  dans  la  hiérarchie  régimentaire  de  l'ar- 
mée anglaise,  forment  le  chaînon  intermédiaire  entre 
le  commandant  supérieur  du  corps  et  les  capitaines  des 
compagnies. 

Quand  le  régiment  se  trouve  divisé,  le  commande- 
ment de  la  partie  détachée  {wing,  l'aile)  appartient  au 
major  le  plus  ancien. 

L'adjudant,  dans  le  service  général  et  journalier, 
représente  l'officier  commandant;  il  est  chai'gé  de  la 
correspondance  régimentaire.  Il  enregistre  et  commu- 
nique les  ordres;  il  reçoit  les  comptes  rendus,  les  mé- 
moires et  rapports.  H  tient  le  registre  du  service  ;  il 

(i)  Efficiency^  efficience  :  ce  mot,  qui  manque  à  la  langue  fran- 
çaise, et  dont  nous  nous  servirons  souvent,  exprime  parfaitement  la 
condition  dans  laquelle  doit  se  trouver  une  personne  ou  une  chose 
pour  répondre  à  une  nécessité  prévue,  ou  pour  remplir  efficacement 
une  mission  déterminée. 


D£   LA   FfiANCE    ET   DE  l' ANGLETERRE.  1U9 

exerce  une  surveillance  générale  sur  la  discipline  et 
l'ensemble  des  détails;  enfin  il  appuie  et  fait  exécuter 
eu  toutes  circonstances  les  ordres  du  lieutenant-colonel. 

L'adjudant  [adjutani),  dans  le  régiment  anglais,  est 
toujours  un  officier  subalterne  (lieutenant  ou  enseigne). 
Il  a  droit  à  une  solde  plus  élevée  que  celle  de  son  grade, 
en  raison  de  sa  responsabilité  et  de  ses  fonctions  spé- 
ciales. 

Le  chirurgien  et  les  aides-chirurgiens  {surgeon  and 
assistant  surgeons)  se  partagent  la  direction  de  Tinfir- 
merie  et  du  service  médical  régimentaires.  Pour  tout 
ce  qui  touche  à  leur  aptitude  professionnelle,  ils  dépen- 
dent du  directeur-général  du  département  médical 
{Director-general  ofthe  médical  département)  et  de  Tot- 
ficier  de  santé  le  plus  élevé  en  grade  de  la  localité  où 
se  trouve  leur  corps.  Pour  leui^  devoirs  militaires,  les 
chirui^iens  de  régiment  dépendent  du  lieutenant-colo- 
nel. Ils  doivent  accompagner  leur  troupe  en  toute 
circonstance,  même  au  feu,  et  dans  les  opérations  d'un 
siège  ils  la  suivent  à  la  tranchée. 

L'aide-chirurgien  doit  avoir  servi  cinq  ans  en  cette 
qualité  avant  de  pouvoir  être  nommé  chirurgien.  De 
ce  dernier  grade  il  ne  peut  être  promu  à  un  rang  supé- 
rieur avant  dix  ans  de  services.  Toutefois,  eu  cas  de 
mérite  distingué  et  de  services  exceptionnels  en  cam- 
pa^e,  cette  r^le  peut  être  modifiée. 

Les  officiers  de  santé  détachés  dans  les  régiments 
anglais,  bien  que  comptant  toujours,  comme  en  France, 
à  l'état-major  du  corps  médical  militaire  dans  les  rangs 
duquel  leur  promotion  les  fait  rentrer,  n'eu  font  pas 


110  GOWOTITUTIOlf   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

moins  partie  intégrante  de  Torganisation  régimentaire. 
Ils  doivent  s'identifier  autant  que  possible  avec  le  corps 
dont  ils  font  partie  ;  ils  ont  d'ailleurs,  à  cause  du  petit 
nombre  des  hôpitaux  généraux  dans  la  Grande-Bre- 
tagne, un  service  plus  important  que  les  oflSciers  de 
santé  régimentaires  en  France.  Cette  circonstance 
explique  d'ailleurs  leur  chiffre,  proportionnellement 
beaucoup  plus  élevé  que  dans  Tarmée  française. 

Le  payeur  {paymaster)  est  chargé  de  toucher  et  de 
distribuer  la  solde  des  officiers  et  des  soldats.  Il  tient 
la  comptabilité  relative  à  cet  objet.  Il  est  autorisé  de 
temps  à  autre  à  passer  des  revues  du  régiment.  Finan- 
cièrement, il  n'est  responsable  qu'envers  le  Ministre  de 
la  Guerre,  aux  bureaux  duquel  il  doit,  chaque  tri- 
mestre, rendre  ses  comptes. 

Les  payeurs  ou  trésoriers,  dans  l'armée  anglaise, 
sont  quelquefois  choisis  parmi  les  officiers  subalternes 
des  régiments.  Ces  officiers  en  prenant  leurs  fonctions 
abandonnent  tous  droits  à  l'avancement;  le  plus  sou^ 
vent  les  payeure  sont  des  civils  {eiviUans).  La  position 
des  trésoriers  est  assimilée  au  grade  de  capitaine.  Leur 
solde  s'accrott  en  proportion  du  nombre  de  leurs  an» 
nées  de  services,  et  quand  ils  prennent  leur  retraite  ils 
se  retirent  avec  le  rang  honoraire  de  major* 

Le  trésorier  régimentaîre  est  tenu  dé  fournir  un  eau* 
tionneraent  de  2,000  livres  sterling  (50,000  francs)  en 
entrant  en  fonctions^ 

Le  quartier-maitre,  dans  le  r^inlent  anglais,  est 
en  quelque  sorte  l'intendant,  l'hommes  d'affaires  du 
commandant  du  r^iment.  Cest  envers  lui  seul  qu'il 


DE  LA  nANCB    BT   DE  L'ANGLETERRE.  lii 

est  responsable  de  l'accomplissement  de  ses  devoirs. 
Ceux-ci  consistent  dans  la  réception  et  la  distribution 
de  toutes  les  denrées  et  effets  distribués  à  la  troupe, 
tels  que  :  fourrage,  avoine,  chauffage,  éclairage,  etc., 
habillement,  équipement,  etc.  Le  quartier-mattre  tient 
aoM  la  oompt^ilîté  relative  à  ces  divers  objets.  Il  est, 
en  outra,  chargé  de  la  surveillance  des  casernes  et 
aotroa  bâtiments  publics  mis  à  la  disposition  de  son 
corps;  les  fournitures  et  le  mobilier  dépendent  égale** 
ment  de  son  contrôle.  Le  quartier-mattre  doit  recevoir 
le  casernement  du  garde-quartier  {barraek-master) 
lorsque  son  régiment  arrive  dans  une  garnison  ;  il  doit 
le  remettre  au  même  employé  au  départ.  Le  quartiers- 
maître  accompagne  encore  le  garde-quartier  dans  les 
revues  mensuelles  du  casernement  que  doit  passer 
oelui-ci  ;  il  assiste  à  la  constatation  des  dommages  et 
dégradations  résultant  du  fait  de  la  troupe. 

Les  troupes  anglaises,  même  en  marche,  étant  lon- 
gées presque  toujours  dans  des  casernes,  et  le  logement 
otiea  Tha^tant  (bUleting)  n*étant  pratiqué  que  fort  ra- 
remeot,  on  comprend  toute  Timportance  que  doit  avoir 
le  service  du  quartier-mattre.  Cet  officier  est  encore 
responsable,  aux  termes  des  règlements  régimentaires, 
de  la  propreté  et  de  la  bonne  tenue  des  quartiers.  Il  a 
à  sa  disposition,  pour  ce  détail,  un  caporal  et  douze 
pionniers. 

L'miploi  de  quartiw-mattre  est  presque  invariable» 
inent  réservé  pour  les  sous-officiers  {non  tommimotîeîl 
^fj^CBny  n  donne  droit,  comme  ilssimilation^  au  rang 
de  tientenant  ou  d'enseigne.    Au  bout  d'un  certain 


112  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

temps  de  services,  le  titulaire  de  cet  emploi  peut  se  re 
tirer  avec  le  rang  de  capitaine  honoraire. 

§UI. 

Chaque  compagnie  d'infanterie  anglaise  est  com- 
mandée par  un  capitaine  responsable  de  la  discipline, 
deTinstruction  pratique,  des  armes  et  de  rhabillement 
de  ses  hommes. 

Comme  en  France ,  chaque  capitaine  d'infanterie 
a  sous  ses  ordres  deux  officiers  subalternes  qui,  bieu 
que  de  grade  différent  {Lieutenant  and  ensign)^  rem- 
plissent les  mêmes  fonctions  et  ont  la  même  respon- 
sabilité. 

Lorsque  nous  discuterons  Toi^anisation  r^imen- 
taire  de  la  Grande-Bretagne,  nous  apprécierons  le  rôle 
que  jouent  les  officiers  dans  le  détail  de  la  vie  des 
hommes  et  du  service.  Disons  dès  à  présent  que  les 
sous-officiers  {non  commissioned  officers)  constituent  la 
véritable  cheville  ouvrière  de  tout  le  système  militaire 
chez  nos  voisins.  Indépendamment  des  devoirs  qui 
leur  incombent  dans  toutes  les  armées,  les  sous-officiers 
anglais  exercent  sur  le  soldat  une  action  d'autant  plus 
gmnde,  d'autant  plus  décisive,  cju'ils  restent  avec  lui 
dans  un  contact  de  tous  les  insbmts,  taudis  que  les 
officiers,  pour  des  motifs  que  nous  aurons  à  analyser 
ailleurs,  non-seulement  ne  s'occupent  pas  des  intérêts 
de  leurs  hommes  et  n'interviennent,  pour  ainsi  dire, 
jamais  dans  les  circonstances  journalières  et  habituelles 
(le  leur  vie,  mais  évitent  même  avec  eux  tout  rappro* 


DE  LA   FBANGB    ET   DE  L  ANGLETBaRIs.  11 S 

chement  qui  \\esi  pas  commandé  par  une  absolue  né- 
cessité. 

Le  sergent-major  (Serjeanl-major)  occupe  le  pre- 
mier rang  parmi  les  sous*officiers  anglais;  comme 
l'adjudant  sous-officier  en  France,  il  est  le  chef  du 
petit  Êtat-major.  Son  rôle  a  la  même  importance. 
Dans  la  hiérarchie  anglaise,  il  représente,  de  fait,  une 
sorte  d'adjudant' non  commissionné;  ses  attributions 
sont  calquées  sui'  celles  de  cet  officier,  dont  il  partage 
la  responsabilité  pour  tout  ce  qui  regarde  le  service 
intérieur  du  régiment. 

11  y  a  peu  de  choses  à  dire  des  autres  sous-officiers 
(le  l'armée  anglaise.  Le  service  de  ces  utiles  intermé- 
diaires est  le  même  dans  toutes  les  armées  du  monde; 
toutefois,  comme  conséquence  de  cette  distinction  des 
classes  qui  caractérise  si  profondément  la  nation  aussi 
bien  que  l'armée  britannique,  on  a  dû  en  Angleterre, 
plus  que  partout  ailleurs,  s'efforcer  d'améliorer  la  con- 
dition des  sous-officiers.  Il  fallait  les  dédommager  du 
peu  de  chances  d'avancement  que  leur  ménage  le  sys- 
tème en  vigueur;  leur  situation  n'eût  pas  été  tolérabk 
sans  cette  précaution. 

L'institution  des  sei'gents  de  drapeau  (Colour-set- 
jeanU)j  qui  sont  choisis  parmi  les  sous-officiers  les  plus 
méritants  et  dont  le  poste,  sous  les  armes,  est  toujoui*s 
autour  de  l'étendard,  mérite  de  fixer  particulièrement 
l'attention. 

Le  ColoHf'Serjeant  porte  sur  son  uniforme  certains 
signes  honorifiques  (chevrons  et  sabres  cioisés  sur  les 

8 


i\h  CONSTITUTION   ET  PUISSANCB   MILITAIRES 

manches)  qui  servent  à  le  distinguer.  Il  a,  en  outre. 
une  solde  plus  forte  que  celle  des  autres  sous-ofBciers. 

Nous  avons  dit  que  trois  bataillons  formaient  la  bri- 
gade d'infanterie  anglaise;  deux  brigades  forment  une 
division. 

Bien  que  la  force  nominale  du  bataillon,  aux  termes 
de  l'organisation  régulière  de  campagne,  soit  de 
4,077  officiers  et  soldats  et  de  74  chevaux  (ceux  des 
bagages  compris),  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  la  force 
réellement  sous  les  armes  atteigne  ces  chiffres.  Une 
brigade  d'infanterie  en  service  actif  compte  rarement 
plus  de  2,500  hommes  et  200  chevaux;  et  Ton  se 
tromperait  encore  si  l'on  pensait  que  cet  effectif,  déjà 
si  réduit,  soit  celui  des  hommes  véritablement  dispo- 
nibles pour  le  cx)mbat.  Dans  un  autre  chapitre,  nous 
verrons  combien  sont  multipliées  les  causes  acciden- 
telles qui,  en  campagne,  viennoit  augmenter  outre 
mesure  le  chiffre  des  non-valeurs  d'une  année  an- 
glaise^  Pour  le  moment,  nous  mentionnerons  seulement 
les  causes  ordinaires  et  permanentes  de  ces  non- 
valeurs  : 

1°  Sur  la  force  totale  du  bataillon ,  un  caporal  et 
1*3  hommes  sont  choisis  comme  pionniers  pour  le  ser- 
vice du  quartier-mattre  ; 

2""  Chaque  officier  est  autorisé  à  prendre  un  soldat 
pour  son  service  particulier,  et  quelques-uns  ont 
même  droit  à  plusieurs;  or,  nous  n'avons  pas  compté 
moins  de  /i5  otiiciers  dans  cbm|ue  régiment  à  un  seul 
bataillon. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     115 

y  Un  sergent  et  20  hommes,  pris  sur  reflTectif  ré- 
glementaire, sont  enrôlés  pour  former  la  musique  (ihe 
band).  Le  Gouvernement  accorde  seulement  à  ces  mu- 
siciens la  solde  ordinaire,  et,  comme  il  serait  impos- 
sible, pour  un  pareil  traitement,  de  trouver  des  artistes 
convenables,  on  y  pourvoit  au  moyen  de  souscriptions 
annuelles  et  de  retenues  sur  les  appointements  des  offi- 
ciers. Ce  système,  autrefois  en  vigueur  dans  l'armée 
française,  est  aboli  depuis  longtemps,  et  Tarmée  bri- 
tannique reste  probablement  la  seule  armée  euro- 
péenne aujourd*bui  où  les  officiers  soient  obligés  de 
défrayer  la  musique  de  leurs  régiments. 

Les  changements  qui  se  succèdent  au  jour  le  jour 
dans  l'armée  anglaise,  soit  sous  la  pression  des  événe 
ments,  soit,  plus  souvent  encore,  sous  Tempire  des  pa- 
niques indescriptibles  dont  la  Grande-Bretagne  nous 
donne  le  spectacle  depuis  quelque  temps,  ces  change- 
ments, disons-nous,  modifient  sans  cesse  les  effectifs 
(au  moins  sur  le  papier).  Dans  un  des  derniers  cha- 
pitres de  cette  Étude  spécialement  consacré  à  la  statis- 
tique militaire  de  la  Grande-Bretagne,  nous  don-^ 
nerons  la  composition  numérique  de  Tarmée  telle 
qu'elle  nous  sera  fournie  par  les  derniers  documents 
officiels,  ainsi  que  sa  répartition  sur  les  divers  points 
du  globe. 

Pour  Tannée  1858,  Tinfanterie  de  ligne  de  l'armée 
anglaise  présentait  un  total  de  132  bataillons,  dont  58 
étaient  employés  dans  l'Inde,  et  7/i  fournissaient  le 
service  de  la  métropole  et  des  autres  colonies* 

Ces  132  bataillons  (sans  compter  ceux  de  la  garde) 


1  I  6  CONSTITUTION   ET    PUISSANCE   MILITAIRES 

donnaient,  pour  l'effectif  général  des  forces  britan- 
niques en  infanterie,  les  chiffres  suivants  : 

6,165  officiers. 
11,315  sous-officiers. 
139,550  soldats  (1). 

(l)^Ed.  Barrington  de  Forablanque,  Treatise  on  the  organisation 
of  the  british  army. 


DE    LA    FRANCK   ET   DE   l/ ANGLETERRE.  117 


CHAPITRE    VU. 

Oi^anisation  de  la  cavalerie  anglaise*  —  Grosse  cavalerie  et  cavalerie 
légère.  —  Tableau  des  25  régiments  de  cavalerie  de  ligne.  —  Dra- 
goon-Guards.  —  Liyht  Dragoons.  —  Lancers,  —  Hussars.  —  Les 
Anglais  n*ont  pas  de  cuirassiers.  —  Les  Life-Guarâs  et  les  Horse- 
Guards  font  partie  de  la  cavalerie  de  réserve.  —  Uniforme  de  la 
grosse  cavalerie.  —  Uniforme  de  la  cavalerie  légère  —  Unité  tac- 
tique et  unité  administrative  dans  la  cavalerie  anglaise.  —  For^ 
mation  de  Tescadron  de  manœuvre.  —  Ëtat-major  d*un  régiment 
de  cavalerie  de  ligne.  ~  Effectif  en  offlciers,  sous-officiers, 
bommes  et  chevaux.  —  Composition  de  la  compagnie  (troop).  — 
Effectif  général  de  la  cavalerie  anglaise  en  officiers,  sous-officiers, 
hommes  et  chevaux  (année  1858).  —  Brigades  et  divisions. 

La  cavalerie  anglaise  se  compose  de  â  régiments  de 
la  garde  et  de  25  régiments  de  ligne. 

Ces  derniers  portent  le  nom  générique  de  Dragons. 
Ils  se  divisent  en  grosse  cavalerie  {Heavy  Cavalry  ou 
Dragoan-^uards)  et  en  cavalerie  légère  {Lighl-Dra- 
goans). 

Les  régiments  de  cavalerie  ne  forment  pas,  comme 
ceux  d'infanterie,  une  série  de  numéros  régulière  et 
unique.  Comme  les  corps  de  cette  dernière  arme,  on 
les  désigne  par  des  noms  de  princes  ou  de  provinces  ; 
mais  on  les  distingue  surtout,  par  les  devises  et  les 
signes  honorifiques  qu'ils  sont  autorisés  à  porter  sur 
leurs  étendards,  en  souvenir  de  circonstances  mémo- 
rables ou  de  faits  glorieux. 

Voici  l'ordre,  passablement  confus,  dans  lequel  le» 
régiments  de  cavalerie  se  succèdent  sur  \ Army-Lisi. 


118  CONSTITUTION  ET  FmaSÀNGE  MIUTAIRKS 

Nous  reviendrons  ailleurs  sur  ce  que  présente  de  \}eu 
rationnel  et  de  bizarre  cette  nomenclature  officielle  : 


Première  série. 

i,  (Xing'f)  Dnigooii-aiiardf.  —  Signes  distinetifs  :  Le  chiffre 
royal  entouré  de  la  jarreUère. 

2.  (The  Queen't)  Bragoon-Ckuurds.  —  S,  d.  :  Le  chiffre  royal  CD- 

touré  de  la  jarretière. 

3.  (Tlie  Prince  of  Walet't)  Dragoon-Ouards.    —  5.  d.  :  La  plume 

du  prince  de  Galles,  un  soleil  levant  et  un  dragon  rouge. 

4.  (Boyal  Irish)  Bragoon-Ouardt.  —  S.  rf.  ;  La  harpe,  la  coufonne 

et  rétoiie  de  Saint-Patrick,  avec  la  devise  :  Quts  separabit, 
|5.  (Frinoefi  Oharlotte  of  Walet't)  lh>agooii-Ckiard«.  —  S.  d.  :  La 
devise  :  Vestigia  nulla  retrorsum. 
6.  Dragoon-Chiardt  (Carabinier •).  —  S.  d.  :  Néant. 
7.  (The  Vrincett  Boyal't)  l>ragoon-Chiardf.  —  S,  d.  :  Néant. 

Deuœième  série. 

1.  (Boyal)  Dragoont.  —  Signes  distinetifs  :  Les  armes  d*Ângle- 

terre  entourées  de  la  jarretière,  un  aigle  et  la  devise:  Spec- 
temur  agendo. 

2.  (Royal  Morth  Britith)  Dragoou.  —  S.  d.  :  Le  chardon  9Qtouré 

du  collier  et  de  la  légende  de  Saint- André;  un  aigle. 

3.  (Kîng'i  own  zûght)  i>ragoonf.  —  5.  d.  :  Le  chcval  blanc  en- 

touré de  la  jarretière  avec  la  devise  :  Nec  aspera  terrent. 
ft.  (The  Queen'f  own  Iiîght)  Bragoont .  —  S.  d.  :  Néant. 

5.  (aoyal  Irith  Xight)  |>ragoont  orl«iioert  (1).  —  S.  (i.  :  La  harpe 

et  la  couronne  avec  la  devise,  Quis  separabit. 

6.  (Xnnitkining)  Dragoont.  —  S.  d.  :  Le  chûteau  d'Inniskililug. 

7.  (The  King't  aoyal  IriahUght)   Dragoont    or   Hnttart  (2). — 

5.  d.  :  Le  chiffre  royal  entouré  de  la  jarrçUère. 

8.  (The  Queen't  own  X.ight)  Dragoont  or  9iittart.  —  S,  d.  :  U 

(i)  Lancers^  lanciers. 
(2)  Hussars,  hussards. 


liarpe  et  Hi  côttreniie  avec  U  deWse  :  PriBtifiw  virtuUs  me- 
mores» 
9.  (9vMD*t  Boyal  Iiîgkt)  Dragoont  or  I«aeen.  —  S.   d,   :   Le 

chîtTire  royal  et  le  Jarretière. 

or  HiMiMfc  —  8.  (/.  :  La  plume  du  priftoe  de  Galles  et  le 
dragon  rouge. 

11.  (Vrinoe  Alberi'f  own)  Huttart.  —  S.  d,  :  Le  SphlUX. 

12.  (Frinee  of  Walea'f  Royal)  I«noen.  —  8.  et.   :  U  pllline  du 

prince  de  (îalleB.unaolefI  levant  et  le  dragon  rouge;  le  sphinx. 

13.  (kôght)  Sragooat.  ^  S,  d*  :  La  devise  :  Viret  in  œtemum, 
iU.  (The  Kîog't  lifl;ht)  Dragooiit.  —  S,  d.  :  L*aigle  de  Prusse. 

15.  (Tkt  Kîng't  XÂght)  Dragooiu  or  ttoMan.  —  S,  d.  :  Les  armes 

d'Angleterre  entourées  de  la  jarretièee. 

16.  (tt»BeB'i)  bnoerf.  —  S.  d.  :  Le  chiffre  royal  entouré  de  la  jar- 

retière. 

17.  (Ktglit)  l>ra«ooa»  or  Irfwocrt.  —  S.  d.  :  Une  tète  de  mort  et 

rinscrlptlon  :  Or  aiory  (1). 

18.  (XÂght)  SragooM  or  ttwMWt.  ^  S,  d.  :  Néant. 


Si  nous  cherchons  à  ramener  à  des  termes  un  peu 
plus  clairs  le  tableau  qui  précède,  nous  voyons  que  la 
grosse  cavalerie  se  compose  de  dix  régiments  : 

6  régiments  de  dragons  gardes  (n°*  1, 2,  3,  U,  5,  7  de  la  1'*  série). 
1       —       de  carabiniers  (n*  6  de  la  1"  série). 

3  —       de  dragons  (n<>'  1,  2»  6  de  là  2«  série). 

10  régiments  de  ligne  de  grosse  cavalerie. 

La  cavalerie  légère  comprend  : 

4  régiments  de  dragons  légers  ou  chasseurs  (n*"*  3,  /i,  i:>,  iMe  la 

2«  série). 
6       —       de  lanciers  (n°»  5,  y,  1.2, 16, 17  de  la  2«  série). 
6       —       de  hussards  (n"»"  7, 8,  10, 11, 15,  18  de  la  2'  série). 

15  régiments  de  ligne  de  cavale He  légOre. 
(1)  Copistes  en  tout  des  pratiques  suivies  dans  les  armées  eonU 


120  CONSTITUTION   BT   PUISSANCE  MIUTÀIASS 

Les  Anglais  n'ont  pas  de  régiments  de  cuirassiei*s. 
].esHorseGuards  et  les  LifeGuards,  qui  composent  les 
trois  régiments  de  cavalerie  de  la  garde  et  comptent 
dans  la  grosse  cavalerie,  ont  eu  autrefois  la  cuirasse  ; 
mais  déjà  pendant  la  campagne  de  France ,  la  seule 
([uils  aient  faite  depuis  un  demi-siècle,  ils  avaient 
cessé  de  la  porter. 

Les  dragons-gardes,  malgré  leur  dénomination,  ne 
font  pas  partie  de  la  garde,  dont  nous  donnerons,  dans 
le  chapitre  suivant,  Toi^nisation  et  la  composition. 
Pour  le  service  comme  pour  la  solde,  ils  ne  diffèrent 
en  rien  des  autres  régiments. 

La  distinction  entre  la  cavaleiûe  légère  et  la  grosse 
cavalerie  consiste  plus  dans  le  nom  et  T uniforme  que 
dans  la  taille  des  hommes  et  des  chevaux. 

Les  dragons-gardes,  le  royal-dragons,  le  2*  dra- 
«»ons  et  les  dragons  d'Inniskilling,  c'est-à-dire  toute  la 
grosse  cavalerie,  sauf  les  carabiniers ,  portent  Thabit 
rouge. 

Les  \f*  1,  a  de  la  1"  série,  et  les  n^'  i  et  2  de  la 
2'  série,  ont  les  revers  bleus. 

Les  n"'  3  de  la  V"  série,  et  C  de  la  2%  ont  les  revers 
jaunes. 

Le  n"  2  de  la  T*  série,  a  les  revers  chamois. 

Le  n°  5  de  la  1''  série,  a  les  rêvera  vert-foncé. 

Le  n"  7  de  la  V"  série,  a  les  rêvera  noire. 


neiUaies,  les  Anglais  onl  imaginé  les  Lanciers  de  la  mort^  connue 
en  Franco  on  avait  autrefois,  et  comme  on  a  encore  aujourd'hui  en 
AllenKi{<ne  des  Hussards  de  la  mort. 


DE   L.%    FAANCe   KT   DE   LANGLKTËRK.  121 

Le  i*égiQieDt  de  carabiniers  (ir  6  de  la  V  série 
p<>rte  rhabit  bleu  avec  les  revers  blancs. 

Les  dragon»-légers  proprement  dits  portent  tous 
l'habit  bleu  et  les  revers  écarlates. 

Parmi  les  régiments  de*  lanciers,  les  n**"  5, 9,  12  (de 
la  2'  série),  ont  Thabit  bleu  et  les  revers  écarlates  ;  le 
n*  16  (2*  série)  a  l'habit  rouge  et  les  revers  bleus;  le 
n*  17  (2*  série)  a  Thabit  bleu  et  les  revers  blancs. 

Tous  les  régiments  de  hussards  portent  le  dolman 
bleu.  Le  r(^iment  du  Prince- Albert  est  bleu  et  cra- 
moisi. 

L'unité,  dans  la  cavalerie  anglaise,  est  la  compagnie 
troop)  qui  correspond  à  la  division  de  notre  esciidron 
français.  La  réunion  de  deux  troops  forme  Tescadron 
type {squadron),  qui  a  peu  d'étendue;  il  est  générale- 
ment de  trente-six  files.  (Vest  le  nombre  adopté  dans 
les  planches  du  règlement  de  la  cavalerie  anglaise  (1  )  ; 
quelquefois,  mais  rarement,  on  suppose  Tescadron  de 
quarante-huit  files. 

L'escadron  ainsi  constitué  est  l'escadron  ou  Tunilé 
tactique.  Administrativement,  la  force  ordinaire  d'un 
rt'ginient  de  cavalerie  de  ligne  est  de  six  compagnies 
ou  troops  de  C)8  hommes.  Sur  le  pied  de  guerre  {on 
active  service),  le  chiflFre  des  compagnies  est  poité  à 
huit  et  à  dix,  formant  quatre  et  cinq  escadrons. 

Le  personnel  du  régiment  de  cavalerie  ne  diffère  pas 
:ionsiblement  de  celui  du  régiment  d'infanterie.  A  Tex- 


(1)  Ordonnance  sur  rinslruction  et  les  Mouvements  de  la  eavale- 
He  anglaise,  du  30  janvier  1  s;33. 


1*22  CONSTITUTION   ET  FUISSANGC   NttJTAfBI» 

ception  du  titre  de  eomeUe,  cpii  reoipUbce  cehri  d'<ri- 
seigncy  les  dénominations  et  les  attributions  sont  les 
mêmes.  A  l'état-major,  il  ftuit  ajouter  toutefois  le 
maître  d'équitation  {Riding-^asêer)  et  les  vétérinaires 
[f^eterinary-surgetms).  Quelques  diflërenoes  insigni- 
fiantes sont  à  peine  à  mentionner  dans  les  grades  des 
soufW)flBciers. 

Le  tableau  suivant  présente  la  composition  et  la  force 
d'un  régiment  de  cavalerie  anglaisej 

2  lieutenants-colonels. 

2  majors. 
10  capitaines. 
23  subalternes  (lieutenants  et  corneiu»). 

i  payeur. 

1  adjudant. 

1  quarlîer-mattre. 

1  chirurgien. 

i  aide-chirurgien. 

i  vétérinaire. 


Ub  officiers. 
71  sous- officiers. 
67/i  soldats  (rang  et  files). 


790  hommes  et  703  chevaux. 

Dans  les  71  sous-officiers  figurent  :  un  chef  ou  ser- 
gent de  musique,  un  armurier  sergent,  un  sergent  sel- 
lier. Les  n^giments  de  la  garde  et  ceux  de  la  grosse 
cavalerie  ont,  en  outre,  un  timbalier.  Les  autres  em- 
plois, tels  que  :  sergent-payeur,  sei'gent-major,  ser- 
gent-quartier-maltre,  etc.,  etc.,  senties  mêmes  dans 
la  cavalerie  que  dans  Tinfanterie. 

L'effectif  de  la  compagnie  {iroùp)  comporte  :  1  ca- 


M   Lk  FRAKCE  EV  M  l'aNGLETERHE.  i^S 

pitaioe  et,  suivant  que  le  régiment  est  sur  le  pied  de 
paix  ou  sur  le  pied  de  guerre,  1  à  2  lieutenants,  i  cor- 
nette, S  à  6  sergents,  1  à  2  trompettes ,  5  caporaux, 
l  maréchal-ferrant,  et  de  42  à  68  hommes. 

Les  régiments  employés  à  l'extérieur  sont  toujours 
sur  le  pied  de  guerre. 

Comme  dans  l'infanterie,  trois  régiments,  dans  la 
cavalerie,  forment  une  brigade. 

Deux  brigades  forment  une  division. 

Il  arrive  quelquefois  qu'un  régiment  de  cavalerie  est 
attaché  à  une  division  d'infanterie  (1)  ;  mais,  en  règle 
générale,  chaque  arme  forme  ses  brigades  ot  ses  divi- 
sions indépendantes. 

Le  tableau  suivant  présente  l'ensemble  des  forces  de 
la  Grande-Bretagne  en  cavalerie  (année  1858)  (2). 

OffBciers.  Soiis-ofBciors.  BuMalt  cl  (MfMraiix,  Chevaine. 

Cavalerie  de  la  garde.       99  162  1,053  835 

Cavalerie  de  ligne  .  .      95/i         1,479         15,5U         13,736 


Totaux.  .  .    1,053  1,6/|l  16,567  1/i,561 

(1)  C'est  surtout  aux  Indes  que  la  nécessité  oblige  ik  former  des 
divisions  mixtes.  Des  eirconstances  de  guerre  presque  identiques 
déterminent  chez  nous,  pour  l'Algérie,  des  formations  du  même 
genre. 

(•>)  Fomblanque,  page  116. 


12Û  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE   MILITAIRES 


CHAPITRE   VIlî. 

Organisation  de  la  garde  royale  anglaise. 

§  1".  —  Composition  de  rinfanlerie  de  la  garde.  —  Colonels  des  ré- 
giments d*infanterie  et  de  cavalerie  de  la  garde.  —  Du  grade  su- 
périeur des  officiers  de  la  garde  dans  les  troupes  de  ligne.  — 
Effectif  de  Pinfanterie  de  la  garde  en  officiers,  sous-officiers  el 
soldats.  —  Uniforme. 

§  à*.  —  Organisation  el  composition  de  la  cavalerie  de  la  garde.  — 
Effectif  en  officiers,  sous-officiers,  hommes  et  chevaux.  —  Colo- 
nels des  régiments  de  cavalerie  de  la  garde.  —  Service,  privilèges, 
.  uniforme.  —  Distinction  à  établir  entre  Tinfanterie  et  la  cavalerie 
*le  la  garde  anglaise,  au  point  de  vue  des  services  de  guerre. 


§1 

En  Angleterre,  le  corps  spécialement  chargé  de 
veiller  à  la  sûreté  du  Souverain  se  compose  exclusive- 
ment d'infanterie  et  de  oavalerie.  Il  ne  comprend  ni 
artillerie ,  ni  génie ,  parce  que  ces  armes  sont  elles- 
mêmes  considérées  comme  des  corps  royaux. 

L'infanterie  de  la  garde  {Foot  Guards)  forme  une 
brigade  de  trois  régiments  : 

1"  l^s  Grenadier-Gxiards; 

2^  Les  Coldstream-Guards; 

3"  Les  Scots-fusilier-Guards. 

Le  premier  de  ces  régiments  compte  trois  bataillons 
de  huit  à  dix  compagnies  ;  les  2'  et  3'  se  composent 
de  deux  bataillons  seulement. 

Le  prince  Albert,  le  field-maishal  comte  de  Sti-af- 


DE   LA   FRANGE   ET   DE   L'ANGLETBRaE.  125 

foixl  ^1  )  et  le  duc  de  Cambridge,  commandant  en  chef 
des  forces  anglaises,  sont  les  trois  colonels  de  Tinfan- 
terie  de  la  garde. 

Comme  dans  la  ligne,  le  commandement  effectif  des 
régiments  est  exercé  par  les  lieutenants-colonels,  et 
chaque  bataillon  est  sous  la  direction  immédiate  d*un 
major.  En  Angleterre,  les  officiers  de  la  garde  jouis- 
sent dans  l'armée  de  ligne  d'un  grade  supérieur  à  celui 
de  leur  commission  régimentaire.  Ainsi  l'enseigne, 
dans  la  garde,,  est  lieutenant  dans  la  ligne ,  le  lieute  - 
nant  est  capitaine,  etc.  Dans  le  régiment,  ce  grade  su- 
périeur n'entratne  aucun  privilège;  mais  lorsque  les 
officiers  de  la  garde  se  trouvent  employés  dans  les 
camps,  en  garnison,  ou  en  détachement  avec  d'autres 
troupes;  ils  jouissent  alors,  quant  au  service  général, 
des  prérogatives  attachées  au  mng  effectif  qu'ils  occu- 
pent dans  l'armée. 

Ce  rang  supérieur  aaordé  aux  officiers  de  la  garde 
anglaise  n'est  pas  sans  exciter  quelque  jalousie  dans  le 
i-este  de  l'armée.  Cependant,  la  part  active  et  brillante 
que  ce  corps  a  toujours  prise  aux  guerres  entreprises 
par  la  Grande-Bretagne  a  contribué ,  autant  que  son 
admirable  discipline,  à  désarmer  l'envie  excitée  pai*  les 
privilèges  qui  lui  sont  concédés  (2).  Si  la  garde  avait 
borné  son  rôle  à  l'honorable,  mais  très  pacifique  mis- 

(i)  La  mort  du  comte  de  Strafford  vient  de  rendre  v;icant  le  coin- 
mandement  du  Cold$tream*Guard8* 

(3)  La  première  de  ces  observations  s^appltque  plus  particulière- 
ment à  Tinfanterie  de  la  garde  anglaise,  car  la  cavalerie  (Life-Guanh 
H  HarseGuards)  n'a  pas  fait  campagne  depuis  1^16. 


126  GOItSTITUTIOlf   ET  PUISSAfVGE  HlUTAIRES 

sion  que  comporte  son  institution  (I);  si  eHe  n'avait 
été  employée  qu'au  service  fort  agréable,  mais  fort  peu 
pénible  en  même  temps  de  la  maison  du  Souverain,  il 
y  a  longtemps  que  Tarmée  anglaise  aurait  protesté 
contre  la  dérogation  à  la  loi  commune  dont  ce  corps 
est  l'objet  ;  et  nul  doute  que  ces  réclamations  n'eus- 
sent trouvé  un  écho  dans  Topinion  publique.  Une  dis- 
position nouvelle  a  surtout  contribué,  dans  ces  derniers 
temps,  à  réconcilier  l'armée  anglaise  avec  les  privi- 
lèges de  la  garde.  C'est  la  mesure  adopjée,  à  l'exemple 
de  ce  qui  se  pratique  en  France,  d'ouvrir  ses  rangs,  à 
titre  de  récompense,  aux  officiers  de  la  ligne  qui  se 
distinguent  par  leurs  services. 

L'infanterie  de  la  garde  forme  une  brigade  de  sept 
bataillons  comprenant  :  25&  officiers,  ItbB  sous-offleien> 
et  5,600  hommes.  Ces  chiffres  donnent  à  peu  près 
la  proportion  de  5  officiers  et  8  sous«offlciers  pai* 
100  hommes. 

Le  personnel  et  l'organisation  des  bataillons  de  k 
garde  sont  les  mômes  que  dans  la  ligne.  L'uniforme 
est  l'habit  roùge  avec  les  parements  bleus;  c^te  der- 
nière couleur,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà  faitobM^ 
ver,  est  la  marque  distinetive  de  tous  les  nâgiments 
royaux. 

Les  trois  régiments  de  lagaitle  ont  fait  la  campagne 

(0  Eu  AûglMerre,  non-settlemeiU  le  Souverain  ne  se  net  jamais 
à  la  lête  des  armées  actives,  mais  l'héritier  iirésoniplif  de  UGoa- 
i^onne  ne  peul^  suivant  l'esprit  de  la  conatUBti€A«  ni  remplir  les 
fonctioas  de  coitt««odani  en  chei {Commander  in  Ckiêf),  ni  con- 
duire une  armée  contre  rennemi^ 


DE  LA   FRA1«CE   ET   DE   L  ANGLETERBE.  i27 

lie  Criniéd  et  ont  pris  pai*t  à  toutes  les  attires  qui  ont 
eu  lieu  pendant  le-  siège  de  Sél^astopol. 

§11 

Comme  T  infanterie  la  cavalerie  de  la  garde  anglaise 
tonne  une  brigade  de  trois  régiments. 

Les  deux  premiers  portent  le  nom  de  gardes  du 
corps  (1"  et  2*  Life-Guards),  le  troisième  celui  de 
chevau-gardes  (Horse-Guards)  (1). 

Chacun  de  ces  r^iments  se  divise  en  huit  compa^ 
gaies  (iroops)  de  ÛO  cavaliers.  Leur  état-major  est  le 
même  que  celui  des  régiments  de  cavalerie  de  ligne. 

L'ensemble  de  la  brigade  présente  un  effectif  de 
99  officiers,  162  sous-officiers,  1,053  hommes  et 
825  chevaux. 

I.ies  trois  colonels  de  la  garde  k  cheval  sont  actuel- 
lement :  pour  le  1"  régiment  des  Life-Guards  :  le  vi- 
comte de  Combermere,  le  seul  field-marshal  que 
compte  Tarmée  anglaise  depuis  la  mort  du  comte  de 
StrafFord  (2j;  pour  le  2'  Life-Guards  :  le  général  Seaton, 
commandant  en  chef  des  troupes  en  Irlande  ;  pour  les 
Horse-Guards  :  le  vicomte  Gough. 

La  cavalerie  de  la  garde  fournit  les  escortes  de  la 

(1)  Les  bâtimenls  dn  Saint-James  servaient  autrefois  de  (-aseinc 
aux  Horse-Guàrds  ;  Ils  sont  occupés  aujourd*hni  par  le  quarlier  g:é- 
néral  de  Tannée  anglaise.  De  là  vient  la  dénomination  assez  bizarre 
sous  laquelle  on  désigne  l'ensemble  des  bureaux  du  conimandani 
en  chef. 

^f2)  Les  autres  fleld-maréchaux  sont  Princes  ou  Souverains  (le  roi 
des  Belges  et  le  prince  All>ert}. 


128  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

Reine  dans  toutes  les  circonstances  solennelles  (ouver- 
ture du  Parlement,  etc.);  en  dehors  de  ces  occasions, 
elle  ne  fait  en  quelque  sorte  pas  de  service  actif.  Elle 
ne  sort  plus  du  royaume. 

Ses  officiers,  comme  ceux  de  la  garde  à  pied,  ont 
Tavantage  d'un  rang  supérieur  dans  Tannée;  mais  ce 
privilège  est  restreint  aux  officiers  supérieurs. 

Les  Life-Gtiards  et  les  Horse-Guards  ont  un  uni- 
forme différent.  I^s  premiers  ont  Thabit  rouge  avec 
les  parements  et  les  revei*s  bleus  ;  les  seconds  ont 
l'habit  bleu  avec  les  revers  rouges.  Les  uns  et  les  au- 
tres, comme  nous  l'avons  dit,  ne  portent  plus  la  cui- 
rasse ;  quant  à  Tensemble  de  la  tenue  (casque,  bottes 
fortes,  etc.),  elle  se  rapproche  beaucoup  de  la  tenue  de 
nos  Cent-Garde3. 


DE   LK   FRANGE  ET   DE   l/ ANGLETERRE.  129 


CHAPITRE    IX. 

Artillerie  anglaise.  —  Son  organisation  sous  Tancien  régime  du 
min'istère  de  rOrdonnanco.  —  Indépendance  du  grand  maître. 

—  Artillerie  à  pied,  artillerie  à  cheval. -—  Composition  des  batteries 
de  campagne  (field  batteries).  —  Effectif  en  officiers,  hommes, 
chevaux  et  voitures.  —  Composition  de  la  batterie  h  cheval  (horse 
artitlery).—  Effectif  en  ofliciers ,  hommes  et  chevaux.  —  Propor- 
tion et  effectif  de  Tartillerie  attachée  en  campagne  aux  divisions 
de  cavalerie  et  dinfanterie.  —Composition  des  anciens  bataillons 
d'artillerie  à  pied.  —  Effectif  de  rartillerie  à  pied  et  à  cheval  au 
moment  de  la  réorganisation  de  1859.  —  Conséquences  de  la 
suppression  du  ministère  de  TOrdonnance.  —  Suppression  des 
anciennes  dénominations  de^bataillons,  compagnies  et  troupes.— 
Réorganisation  de  Tartillerie  anglaise  en  brigades  et  batteries.  ^ 
Répartition  des  brigades  entre  la  métropole  et  les  colonies. 

—  Observations  relatives  au  quartier  général  de  Wooiwich.  — 
Instruction.—  Suppression  des  détachements  ou  dépôts  de  batail- 
lon [adjudant's  defac/iemenO* —Organisation  de  la  brigade  de 
dépôt.—  Service  des  renforts  {reliefs).  —  Ouvriers.  —  Musique. 
^  Force  de  rartillerie  à  cheval  employée  à  Tintérieur  et  à  Tex- 
térieur.  —  Force  de  rartillerie  à  pied  employée  à  l'intérieur  et  k 
l*extérieur.—  Nombre  des  batteries  de  campagne  disponibles  pour 
le  service  de  Tintérieur.  —  Calibres  de  rartillerie  anglaise.  —  Ils 
sont  plus  faibles  que  ceux  des  autres  puissances.—  Lord  Uardinge 
elles  batteries  de  Waterloo.  —Comparaison  entre  la  batterie  à 
cheval  et  la  batterie  de  campagne  de  même  calibre,  au  point  de 
vue  des  attelages,  des  canonniers  et  des  conducteurs.  —  Batteries 
de  position.—  Brigade  d*artillerie  de  côte.—  Sa  composition.  — 
Uniforme  et  drapeau  de  rartillerie  anglaise.  —  Récapitulation  et 
comparaison  des  effectifs  de  rartillerie  anglaise  en  1858  et 
en  1860. 

Notre  but,  dans  cette  Étude,  est  de  présenter  au 
lecteur  l'année  anglaise  telle  qu'elle  est  conslituée  de 

9 


lâO  COIVSTITUTION    ET   PUISSANCE  MiLITAlRBS 

nos  jours.  En  cherch«int  à  mettre  en  relief  les  nom- 
breuses imperfections  du  système  militaire  en  vigueur 
chez  nos  voisins,  nous  ne  prétendons  nullement  celer 
les  rares  avantages  qu'il  peut,  à  ceilains  égards,  sem- 
bler présenter  sur  le  nMre,  et  que,  de  loin  en  loin,  nous 
rencontrerons  dans  notre  course.  Seulement,  k  ce 
dernier  point  de  vue,  comme  à  celui  du  bénéfice  réel 
qui  doit  résulter,  suivant  nous,  d'une  connaissance 
plus  approfondie  des  ressources  militaires  delà  Grande- 
Bretagne,  nous  avons  considéré  connne  parfaitement 
inutile  tout  renseignement  n'ayant  pas  une  relation 
intime  avec  la  situation  actuelle.  Nous  nous  sommes 
abstenu,  en  conséquence,  de  tout  retour  sur  le  passé, 
même  lorsque  ce  passé  ne  datait  que  d'hier.  Nous 
avons  négligé  tout  détail  purement  historique  sur  les 
institutions  militaires  de  nos  voisins,  quel  que  fût  l'in- 
térêt de  curi<^sité  qui  pouvait  résulter  souvent  de  ces 
sortes  de  revues  rétrospectives. 

En  ce  qui  regarde  les  armes  de  l'artillerie  et  du  génie, 
nous  croyons  devoir  nous  départir  de  ce  système;  et  il 
en  sera  ainsi  chaque  fois  que,  pour  bien  sonder  la  fai- 
blesse militaire  de  nos  voisins  dans  le  présent,  ou 
expliquer  les  causes  de  leur  puissance  dans  le  passé, 
nous  aurons  à  nous  rendre  un  compte  exact  de  la 
portée  des  changements  introduits  depuis  quelques 
années  dans  leur  organisation. 

Au  nombre  des  modifications  militaires  les  plus 
sérieuses  et  les  plus  controversées  de  l'autre  ccMé  du 
détroit,  celle  qui  a  déterminé,  à  la  suite  de  la  guerre 
de  Crimée,  TaboUtion  de  l'ancien  département  de 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERKE.     131 

Y  Ordonnance  ou  des  armes  spéciales,  tient,  sans  contre- 
dit, la  première  place  (1). 

Aucune  réforme  ii  a  soulevé  plus  de  critiques,  et  n  a 
défrayé  avec  plus  de  suite  et  de  vivacité  la  polémique 
des  journaux  militaires  anglais.  Il  est  utile  de  pouvoir 
apprécier  ce  que  cette  opposition  a  de  fondé  à  une 
époque  où  lartillerie  tend  à  prendre,  chaque  jour,  un 
rôle  plus  important  dans  les  guerres  contemporaines. 

Pour  pouvoir  juger  avec  connaissance  de  cause  le 
débat  engagé  sur  les  avantages  ou  les  inconvénients 
de  l'ancien  et  du  nouveau  système,  nous  commence- 
rons par  analyser  aussi  sommairement  que  possible  la 
situation  de  lartillerie  et  du  génie  chez  nos  voisins 
avant  TaboUtion  du  régime  défunt. 

A  cette  époque ,  le  département  de  l'Ordonnance 
avait  à  sa  tête  un  grand-maître,  qui  était  en  môme 
temps  colonel-général  des  armes  spéciales. 

Pour  la  direction  et  l'administration  des  troupes  de 
l'artillerie  et  du  génie,  il  était  secondé  par  un  comité 
ou  conseil  supérieur  dont  la  présidence  lui  appartenait 
de  droit. 

Un  certain  nombre  de  bureaux  desservis  par  un 
personnel  assez  important  pour  faire  du  département 
de  l'Ordonnance  une  sorte  de  Ministère  à  part  étaient 
chargés  de  l'expédition  de  toutes  les  affaires  concer- 

(1)  Le  mol  Orc/nancc,  en  anglais,  signifie  artillerie,  canons,  etc., 
par  extension,  on  donnait  le  nom  de  département  de  l'Ordonnance 
aux  bureaux  et  au  personnel  chargé  non-seulement  de  l'organisation 
et  de  l*administration  du  matériel  de  rartiiierie,  mais  encore  de 
tous  lesdéiails  relatifs  aux  troupes  de  celte  arme  età  celle  du  génie. 


182  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

nant  le  personnel  et  le  matériel  des  deux  armes. 

Presque  tous  les  membres  du  conseil  de  TOrdon- 
nance  étaient  membres  de  la  Chambre  des  Communes. 
Aussi,  absorbés  par  les  préoccupations  politiques,  ils 
donnaient  lieu  trop  souvent,  il  faut  bien  le  dire,  aux 
observations  que  nous  avons  déjà  présentées  ailleurs, 
c'est-à-dire  que.  comme  beaucoup  d'autres  fonction- 
naires supérieurs  militaires,  ils  abandonnaient  à  des 
employés  (députés,  assistants,  etc.)  la  direction  du  ser- 
vice, et  se  bornaient  à  signer  les  pièces  qui  leur  étaient 
présentées. 

Le  département  de  l'Ordonnance  avait  son  budget 
spécial  et  distinct.  C'était  de  tous  celui  qui  donnait  lieu 
aux  observations  et  aux  discussions  les  plus  vives  dans 
le  Parlement. 

Si  ce  n'est  dans  certains  cas  prévus,  mais  fort  rares 
(quand  il  s'agissait,  par  exemple,  de  nouveaux  projets 
de  fortification),  le  grand-maître  de  l'Ordonnance  était 
parfaitement  indépendant  du  commandant  en  chef  de 
l'armée.  Là  résidait  évidemment  un  des  grands  vices 
de  l'organisation. 

Sous  le  régime  de  l'Ordonnance,  les  troupes  de  l'ar- 
tillerie formaient  un  corps  unique  désigné  sous  le  nom 
de  régiment  [Royal  Régiment  ofArlitlery).  Cette  déno- 
mination impropre  subsiste  encore  aujourd'hui. 

«  Ici,  comme  dans  une  foule  d'autres  circonstances, 
»  dit  M.  Dupin  (I),  nous  reconnaissons  cet  esprit  de 
»  routine  fondé  sur  un  respect  louable  pour  les  an- 

(I)  Voyages  dans  la  Ctrande- Bretagne,  p.  189, 


DE   L.\    FRANCK   tT    DE   l/ ANGLETERRE.  ISS 

y>  ciennes  institutions,  mais  qui  ressemble  à  l'enfance 
»  comme  Textrème  vieillesse,  lorsque  ce  respect  s'étend 
»  jusqu'à  la  conservation  d'un  ordre  apparent  qui  con- 
»  trarie  directement  la  régularité  du  nouvel  état  de 
»  choses.  Autrefois  toute  l'artillerie  de  la  Grande-Bre- 
»  tagne  ne  formant  qu'un  corps  de  la  force  d*un  régi- 
»  ment  ordinaire,  on  désignait  fort  convenablement  un 
»  tel  corps  sous  le  nom  do  régiment  d'artillerie.  Mais, 
»  aujourd'hui  que  la  force  du  personnel  de  cette  arme 
»  e^t  égale  à  celle  de  dix  régiments  d'infanterie  et  de 
»  plusieurs  régiments  de  cavalerie  réunis ,  il  est  ridi- 
»  cule  d'appeler  encore  régiment  un  pareil  corps. . .  » 

L'artillerie  anglaise,  depuis  la  fin  du  xvui"  siècle, 
comportait  deux  subdivisions  distinctes  :  l'artillerie  à 
pied  et  l'artillerie  à  cheval. 

L'artillerie  à  pied  était  organisée  en  bataillons; 
chaque  bataillon  se  composait  de  8  compagnies. 

L'artillerie  à  cheval  comprenait  8  troupes  {troops) 
ou  batteries. 

Pour  le  service  de  campagne,  on  attachait  habituel- 
lement deux  batteries  d'artillerie  à  pied  aux  divisions 
d'infanterie,  et  une  batterie  d'artillerie  à  cheval  à 
chaque  brigade  de  cavalerie. 

I>es  batteries  de  campagne  (  field  batteries  )  étaient 
composées  de  6  pièces,  et  commandées  par  un  capi- 
taine en  premier.  Cet  oflBcier  avait  sous  ses  ordres  un 
capitaine  en  second,  â  officiers  subalternes,  10  sous- 
officiers,  et  220  hommes  canonnicrs  et  conducteurs. 

L'effectif  en  chevaux  de  la  batterie  de  campagne 
était  de  210. 


ISÙ  CONSTITUTION   ET   PUISSANCK   MU.ITAIRES 

CeschiflFres  supposent  la  batterie  de  campagne  com- 
plète, c'est-à-dire  comprenant  28  voitures. 

Cet  équipage  était  le  matériel  réglementaire  (1  ),  mais 
il  était  extrêmement  rare  que  toutes  ces  voitures 
(forge,  wagons  à  médicament»,  fourragères,  etc.)  fus- 
sent au  complet. 

En  moyenne,  l'artillerie  attachée  à  chaque  division 
d'infanterie  pouvait  être  évaluée  à  ftSO  hommes,  offi- 
ciers compris,  et  à  020  chevaux. 

La  batterie  d'artillerie  à  cheval  attachée  à  une  bri- 
gade de  cavalerie,  et  sur  le  pied  du  complet,  compre- 
nait 6  bouches  à  feu,  comme  la  batterie  à  pied;  mais 
son  personnel  était  de  259  hommes,  officiers  compris  ; 
elle  avait  272  chevaux. 

Le  grade  de  major  (chef  d'escadron)  n'existait  pas 
dans  la  hiérarchie  de  l'artillerie  et  du  génie. 

Comme  en  France,  le  grade  de  capitaine  admettait 
deux  classes.  Le  grade  d'enseigne  [Ensùjn,  sous-lieu- 
tenant) était  supprimé.  Ces  dispositions  ont  été  con- 
servées dans  la  nouvelle  organisation. 
*  Le  petit  état-major  des  bataillons  d'artillerie  pré- 
sentait une  grande  analogie  avec  celui  des  corps  de 
cavalerie.  Les  sous-officiers  y  tenaient,  quant  à  leui-s 
attributions,  la  même  place  que  dans  les  autres  corps 
de  l'armée. 

On  comptait  dans  le  rang  les  caporaux  {CorporaU), 
les  artificiers  ou  canonniers  de  première  classe  {Bom- 


(1)  a  Hand  book  for  field  service,  »  Aide  mémoire  pour  le  service 
de  campagne,  public  par  le  Comité  du  corps  royal  d'artillerie. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     1  S5 

bardiers),  les  caiionniers  de  deuxième  classe  [Gunners] 
et  les  conducteurs  [Drivers), 

Tous  les  soldats  d'artillerie  étaient  exercés,  depuis 
la  suppression  du  train  de  Tartillerie  à  pied,  au  double 
service  de  canonniers  et  de  conducteurs. 

Le  département  du  train  de  campagne  consistait  en 
un  chef  commissaire,  auquel  étaient  adjoints  des 
Députés-Commissaires  et  des  Députés- Assistants-Com- 
missaires, chargés  de  la  conservation  et  de  la  distribu- 
tion des  approvisionnements  de  l'Ordonnance  en  cam- 
pagne. 

Après  avoir  varié  bien  des  fois  depuis  1815,  le  chiffre 
des  bataillons  d'artillerie  à  pied  était  de  14,  et  celui 
des  batteries  à  cheval  de  10,  au  moment  de  la  réorga- 
nisation effectuée  en  1859. 

Nous  ne  parlerons  que  pour  mémoire  des  Invalides 
de  l'artillerie,  dont  le  nom  seul  a  changé. 

Par  suite  de  la  suppression  des  bureaux  de  l'Ordon- 
nance et  de  l'abolition  de  la  charge  de  grand-maltre, 
Tartillerie  et  le  génie  ont  été  placés  exactement  sur  le 
même  pied  que  les  autres  armes.  Leur  organisation, 
leur  administration  et  leur  commandement  sont  tom- 
bés dans  les  attributions  du  Commandant  en  chef  de 
l'armée  et  du  Ministre  de  la  guerre.  Nous  aurons  à  exa- 
miner ailleurs  si,  par  suite  même  de  leur  constitution 
et  de  leur  nature  toute  spéciale,  l'artillerie  et  le  génie 
ne  sont  pas  exposés  à  subir,  dans  une  mesure  plus 
grande  que  les  autres  portions  de  Tarmée  anglaise,  tous 
les  inconvénients  qui  résultent  de  l'autorité  divisée 
placée  à  la  tête  de  celle-ci. 


J36  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE   BIILITAIRKS 

Jusqu'en  1857  ces  inconvénients  s'étaient  peu  fait 
sentir.  En  passant  sous  le  commandement  supérieur 
du  Horse-Guards,  et  sous  le  régime  administratif  du 
Ministère  de  la  guerre,  l'artillerie  anglaise  avait  con- 
servé, du  moins  quant  à  l'organisation  de  détail  d(^ 
troupes  de  l'arme,  toutes  les  traditions,  tous  les  erre- 
ments consacrés  par  l'ancien  système.  Le  flot  des 
réformes  n'était  pas  arrivé  jusqu'à  elle. 

Depuis  1857  cette  situation  s'est  modifiée.  Plusieurs 
mesures  émanant  du  Horse-Guards,  et  aussi  vivement 
critiquées  que  défendues,  ont  changé  complètement 
la  face  de  l'antique  édifice  légué  aux  directeurs  actuels 
de  l'armée  anglaise  par  le  département  de  l'Ordon- 
nance. 

Nous  aurons  à  examiner  l'esprit  et  la  portée  de  ces 
modifications,  qui  équivalent  à  une  réoi^anisation 
complète. 

Pour  le  moment,  nous  nous  contenterons  d'en  résu- 
mer les  principales  dispositions. 

En  1859,  le  commandant  en  chef  a  décidé  que  les 
anciennes  dénominations  de  bataillons,  troupes  (troops) 
et  compagnies  cesseraient  d'être  employées  dans  l'artil- 
lerie anglaise,  et  seraient  remplacées  par  celles  de  bri- 
godes  et  batteries.  Conformément  à  cet  ordre,  l'artil- 
lerie à  cheval  et  les  1  k  bataillons  d'artillerie  à  pied  sont 
devenus  : 

Brigade  d'arUUerie  à  cheval  :  état-major  à  Woolwich.    - 
1"  brigade  (artillerie  de  place)  :  étal-major  k  WoolwKii. 
2"       —      (artillerie  de  place)  :  étal-major  à  Douvres, 
o**       —      (artillerie  de  place)  :  étal-major  à  Plymoulh. 


DE   LA    FHANCE   ET   DE   l'aXiLETERRE.  1  â7 

à*  brigade  (artillerie  de  campagne)  :  état-major  à  Woohvich. 

5*  —  (artillerie  de  place)  :  état-major  à  Gibraltar, 

6*  —  (artillerie  de  place)  :  état-major  à  Malte, 

T  —  (artillerie  de  place)  :  état-major  k  Qu^>ec. 

8«  —  (artillerie  de  campagne)  :  état-major  k  Portsmouth. 

9«  _  (artillerie  de  campagne)  :  état-major  îk  Ballincollig. 

10*  —  (artillerie  de  plac«)  :  état-major  à  Guernesey. 

11*  *-  (artillerie  de  campagne)  :  état-major  au  Bengale. 

12«  —  (artillerie  de  place)  :  état-major  à  nie  Maurice. 

18"  —  (artillerie  de  campagne)  :  état-major  à  Bombay, 

iU*  —  (artillerie  de  campagne)  :  état-major  au  Bengale. 

La  réorganisation  dont  nous  venons  de  donner  le 
tableau  ayant  causé  une  sorte  de  révolution  dans  l'ar- 
mée anglaise,  et  soulevé,  comme  nous  Tavons  déjà 
dit,  une  opposition  très  vive,  nous  croyons  utile  de 
mettre  sous  les  yeux  du  lecteur  le  texte  même  du 
préambule  et  des  considérants  qui  accompagnent  le 
nouveau  règlement  émanant  du  Horse-Guards  : 

«  Horse-^uards,  —  Les  augmentations  successives 
»  de  Vartillerie  royale  ayant  déterminé  à  Woolwich 
»  Taccumulation  d'un  état-major  régimentaire  beau- 
»  coup  trop  considérable,  le  Gouvernement  de  Sa  Ma- 
1»  jesté,  sur  la  proposition  du  général  commandant  en 
»  chef,  a  décidé  que  cet  état- major  serait  distribué 
»  entre  les  différentes  stations  affectées  à  Tartillerie, 
»  tant  à  rintérieur  qu'à  Textérieur;  le  quartier-géné* 
»  rai  de  Tanne  demeurant  toutefois,  comme  par  le 
»  passé,  à  Woolwich  (1). 


(1)  «  The  successive  augmentations  to  the  royal  artillery  having 
»  caused  an  assemblage  at  Woolwich  of an  unwieldy  regimental  staiï, 
v  Her  Majesty's  Government,  on  the  recommendation  of  bis  Royal 


138  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

»  En  arrêtant  ces  nouvelles  dispositions,  dont  l'effet 
»  sera  d'éloigner  de  Wooi\Yich  l'état-major  du  plus 
»  grand  nombre  des  brigades  d'artillerie ,  le  comman- 
»  dant  en  chef  espère  qu'il  n'existe  aucun  doute  dans 
»  l'esprit  des  officiers,  des  sous-officiers  et  des  soldats 
»  de  cette  arme,  quant  au  caractère  que  doit  toujours 
»  conserver  l'établissement  de  Woohvich.  Cette  an- 
»  tique  et  honorable  institution  continuera  à  rester  le 
»  centre  principal  des  connaissances  scientifiques  et  de 
»  l'instruction  pratique  de  l'artillerie;  et  le  plus  vif 
»  désir  du  commandant  en  chef  est  de  contribuer  de 
»  tout  son  pouvoir  à  augmenter  l'action  qu'il  a  exer- 
»  cée  jusqu'ici  sur.  le  perfectionnement  de  l'artillerie. 
»  Quoique  le  régiment  soit  formé  en  brigades,  il  doit 
»  être  bien  entendu  que  le  commandant  en  chef  se 
»  réserve  la  faculté  d'apporter  de  temps  à  autre,  dans 
»  l'assiette  actuelle  de  ces  brigades,  les  modifications 
»  qu'il  croira  nécessaires  pour  le  bien  du  service, 
»  comme,  par  exemple,  de  faire  passer  le  personnel 
»  d'une  batterie  de  campagne  au  service  de  place,  et 
»  réciproquement,  ou  encore  de  changer  les  garnisons 
»  affectées  aux  différents  états-majors,  etc.,  etc.  » 

Aux  termes  des  nouvelles  ordonnances,  l'instruction 
des  hommes  dans  l'artillerie  doit  embrasser,  comme 
par  le  passé,  l'ensemble  du  service.  En  conséquence, 
les  officiers-commandants  veilleront,  sous  leur  respon- 

»  Highness  the  gênerai  comnianding-in-chief,  bas  decided  that  the 
»  staff  shall  be  distributed  to  the  several  stations  at  home  and 
»  abroad,  but  the  head  quaters  will  remain,  as  heretofore,  at  V^Tool- 
»  wich.  » 


DE  LA  FRANCK  ET  DE  L  ANGLETERRE.      139 

sabilité,  à  ce  que  les  canonniers  soient  exercés,  autant 
que  possible,  aux  devoirs  des  conducteurs,  et  les  con- 
ducteurs aux  devoirs  des  artilleurs. 

Le  service  des  renforts  (reliefs)  ou  détachements  doit 
être  fait  par  tour  de  brigade  constituée,  et  les  disposi- 
tions sont  prises  pour  que  chaque  brigade,  avant  de 
fournir  le  service  à  Textérieur,  tienne  garnison  au 
moins  pendant  douze  mois  à  Woolwich. 

Avant  la  nouvelle  organisation,  chaque  bataillon 
avait  à  Woohvich  ce  que  Ion  appelait  le  détachement 
de  l'adjudant  (JdjudanCs  détachement) ,  c'est-à-dire 
une  sorte  de  petit  dépôt  auquel  était  attaché  un  quar- 
tier-maître avec  le  cadre  de  sous-officiers  nécessaire 
pour  le  service.  Le  détachement  de  l'adjudant,  pour 
chacun  des  1  h  bataillons  d'artillerie,  se  composait  des 
recrues  et  d'un  certain  nombre  de  vieux  soldats,  soit 
retenus  à  Woolwich  pour  compléter  leur  temps  de  ser- 
vice lorsqu'ils  rentraient  des  colonies  avant  son  expi- 
ration, soit  détachés  pour  un  motif  ou  un  autre  de 
leurs  compagnies.  Ces  détachements  étaient  plus  ou 
moins  forts,  suivant  les  circonstances,  et  tenaient 
exactement,  dans  l'organisation  de  l'artillerie,  la  place 
que  tiennent  les  bataillons  de  dépôt  dans  celle  de  l'in- 
fanterie et  de  la  cavalerie. 

C'est  surtout  au  point  de  vue  de  l'installation  de  ces 
détachements  que  la  nouvelle  réglementation  a  déter- 
miné des  changements  importants.  Les  bureaux  du 
Horse-Guards  semblent  avoir  eu  en  vue  de  calquer 
l'organisation  de  l'artillerie,  quant  à  ses  dépôts,  sur 
celle  adoplce  pour  les  régiments  de  ligne.  L'avantage 


1/iO  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

de  cette  imitation  est  peut-être  contestable  ;  dans  tous 
les  cas,  les  détachements  commandés  par  les  adjudants 
ont  rejoint  leurs  bataillons,  et  une  sorte  de  dépôt  gé- 
néral, portant  le  nom  de  brigade  de  dépôt,  les  a  rem- 
placés. 

La  brigade  de  dépôt  se  compose  de  tous  les  officiers, 
sous-ofiBciers  et  soldats  employés  d'une  manière  per- 
manente à  Woolwich,  et  des  recrues  pour  les  brigades 
fournissant  le  service  dans  Tlnde  et  les  colonies.  La 
brigade  de  dépôt  comprend  huit  sections  ou  divisions 
de  canonniers  et  conducteurs. 

Les  ouvriers  d'artillerie  destinés  aux  brigades  de 
l'extérieur,  et  en  apprentissage  à  Woolvsich,  comptent 
dans  la  brigade  de  dépôt;  ceux  qui  font  partie  du  per- 
sonnel de  l'arsenal  sont  placés  dans  la  brigade  à  cheval 
ou  dans  la  brigade  d'artillerie  de  campagne. 

La  musique  de  l'artillerie  est  attachée  à  la  brigade 
de  dépôt.  Tous  les  ofiBciers  de  l'arme  payent  annuelle- 
ment deux  jours  de  solde  pour  son  entretien  (1). 

Il  résulte  du  tableau  de  répartition  que  nous  avons 
donné  plus  haut  que  les  brigades  de  l'artillerie  anglaise 
sont  distribuées  à  peu  près  également  entre  la  métro- 
pole et  les  possessions  extérieures  de  la  Grande-Bre- 
tagne. 


(1)  Si  Ton  veut  bien  remarquer  que  l'artillerie  anglaise  est  dis- 
persée non-seulement  sur  toute  la  surface  de  TAnglelerre,  mais  dans 
les  quatre  parties  du  monde,  on  arrive  à  cette  conclusion  que  la 
plupart  des  officiers  doivent  se  retirer  du  service  sans  avoir  entendu 
une  seule  fois  dans  leur  vie  la  musique,  pour  renlrelien  de  laquelle 
ils  ont  contribué  pendant  toute  leur  carrière. 


DB  LA  FRANGE  ET  DE  L.' ANGLETERRE.     l/|l 

La  brigade  d'artillerie  à  cheval  compte  actuellement 
dix  batteries.  Uétat-major  et  trois  de  ces  batteries 
tiennent  garnison  àWoolwich.  Des  7  autres  batteries, 
4  sont  dans  l'Inde,  2  en  Irlande,  1  à  Aldershott. 

Sur  les  6  brigades  d'artillerie  de  campagne  (/fc/rf- 
artillei^y),  S  résident  en  Angleterre  et  présentent  un 
total  de  24  batteries  avec  144  canons;  3  sont  em- 
ployées dans  rinde  et  comportent  25  batteries  et 
150  canons. 

Sur  les  8  brigades  d'artillerie  de  place  {Garrison 
arlillery),  4  (en  comptant  celle  des  lies  de  la  Manche) 
sont  en  Angleterre,  et  4  sont  réparties  entre  les  diverses 
colonies. 

Toutes  les  brigades  ne  sont  pas  d'une  force  égale  :  il 
y  en  a  à  7,  à  8,  et  même  dans  Tlnde  à  9  et  à  10  bat- 
teries. Ce  défaut  d'uniformité  dans  la  composition  des 
brigades  doit  nécessairement  entraîner  des  difficultés 
lorsque  deux  brigades  de  force  différente  doivent  se 
relever  réciproquement,  surtout  maintenant  que  le 
tour  de  servico  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur  est  réglé 
par  brigade  complète,  au  lieu  de  Tétre  par  batterie  ou 
compagnie,  ainsi  que  cela  se  pratiquait  antérieurement. 

Chaque  brigade  est  commandée  par  un  colonel 
ayant  tous  les  droits  des  chefs  de  corps  de  la  ligne  pour 
les  nominations  de  sous-officiers,  etc.,  et  communi- 
quant directement  avec  l'adjudant-général  de  l'armée. 
Il  a  4  lieutenants-colonels  sous  ses  ordres. 

L'état-major  de  chaque  batterie  se  compose,  comme 
par  le  passé,  de  2  capitaines  (r*  et  2«  classe)  et  de 
3  subalternes  (lieutenants). 


142  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE   MIUTAIHES 

Nous  avons  dit  que,  sur  le  pied  de  guerre,  ou  au 
complet,  la  batterie  anglaise  de  campagne  comportait 
5  officiers,  10  sous-officiers,  220  hommes  et  28  voi- 
tures (pièces  et  caissons). 

Une  brigade  d'artillerie  de  campagne  de  force 
moyenne  (8  batteries)  devrait  présenter,  d'après  c€tte 
hase,  2,040  sous-officiers  et  soldats,  224  voitures  et 
1,680  chevaux.  Il  s'en  faut  de  beaucoup  que  les  bri- 
gades d'artillerie  de  campagne  stationnées  dans  la 
Grande-Bretagne  offrent  de  pareils  effectifs  ;  c'est  tout 
au  plus  si  la  mieux  organisée  compte  2,000  hommes, 
1,000  chevaux  et  150  voitures  avec  le  matériel  et  les 
approyisionnements  de  ses  54  pièces. 

Les  calibres  de  l'artillerie  anglaise  sont  les  suivants: 

Canons  en  bronze,  de  3,  6,  9  et  1 2  livres  ; 

Canons  enfer,  de  18; 

Obusiers  en  bronze,  de  4  pouces  â/5,  4  pouces  1/2 
et  5  pouces  1/2; 

Obusiers  en  fer,  de  8  pouces. 

Les  fusées  anglaises  sont  de  6  livres  et  de  12  livrer. 

Ces  chiffres  ont  trait,  bien  entendu,  à  l'artillerie  de 
campagne.  L'artillerie  de  place  admet  les  calibres  les 
plus  variéç,  depuis  le  2/j,  et  le  nombre  en  augmente 
tous  les  jours. 

Après  avoir  servi  de  modèle  à  la  plupart  des  puis- 
sances européennes,  le  matériel  de  l'artillerie  anglaise, 
grâce  à  l'état  stationnaire  dans  lequel  cette  arme  est 
restée  pendant  tout  le  cours  de  la'longue  paix  qui  a 
succédé  aux  guerres  de  l'Empire,  est  peut-être  aujour- 
d'hui celui  qui  réclame  le  plus  d'améliorations. 


DK  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     14â 

Comme  cp,libre  et  portée,  rartillerie  anglaise  est  in- 
férieure à  celle  de  la  majeure  partie  des  puissances  du 
continent,  sinon  du  monde  entier.  Elle  se  compose  en 
presque  totalité  de  pièces  de  6  et  de  9. 

Pendant  la  guerre  de  Crimée,  lord  Hardingé,  prédé- 
cesseur du  duc  de  Cambridge,  a  déclaré  que,  lors  de 
sa  nomination  au  poste  de  commandant  en  chef  de 
l'armée  anglaise,  en  1852,  il  n'avait  trouvé  que  40  à 
50  batteries  de  campagne,  toutes  du  temps  de  la  ba- 
taille de  Waterloo  (1). 

Grâce  à  la  guerre  de  Crimée,  nos  voisins  ont  enfin 
donné  toute  leur  attention  à  cette  partie  si  défectueuse 
de  leurs  moyens  de  défense,  et  il  n  est  pas  de  pays 
peut-être  où  les  recherches  et  les  inventions  relatives  à 
l'artillerie  aient  été  poursuivies  depuis  avec  plus  de 
persévérance.  Nous  réservons  pour  un  chapitre  spécial 
l'examen  des  ré3ultats  obtenus  dans  cette  voie  et  tous 
les  détails  relatifs  aux  arsenaux,  aux  poudrières  et  à  la 
description  du  matériel  actuellement  en  construction 
ou  en  service.  Nous  nous  bornerons  à  indiquer  ici  la 
composition  des  diverses  batteries  quant  aux  différents 
calibres  en  usage,  ainsi  que  les  différences  essentielles 
qui  les  distinguent  sous  le  rapport  des  attelages  et  du 
personnel  nécessaire,  suivant  les  différents  cas. 

Sous  la  dénomination  générale  d'artillerie  de  cam- 
pagne, on  comprend,  eu  Angleterre  :  les  batteries  à 
cheval  {horse  artillery)^  les  batteries  de  campagne 
proprement  dites  [fieUl-batteries)   et  les  batteries  de 

(l)  Séance  du  Comiiéde  Sébastopol  (ii  mai  i855). 


Ihk  CONSTITOTIOH  ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

position  {batteries  of  position),  auxquelles  il  convient 
d'ajouter  encore  les^  batteries  dites  de  réserve,  dont  le 
parc  est  composé,  suivant  les  circonstances,  d'un  mé- 
lange des  trois  premières. 

La  batterie  à  cheval  est  composée  de  quatre  pièces 
de  6  et  de  deux  obusiers  légers.  A  l'époque  de  la 
guerre  de  Crimée,  Tartillerie  à  cheval  avait  reçu  du 
calibre  de  9,  dont  l'efficacité  plus  grande  avait  été  bien 
constatée  près  de  la  ferme  d'HoUgoumont,  en  1815; 
mais,  depuis  la  guerre  d'Orient,  on  lui  a  rendu  ses 
pièces  de  6. 

La  batterie  de  campagne  a  les  mêmes  calibres  que  la 
batterie  à  cheval  (6  ou  9),  et  son  matériel  en  voitures, 
caissons,  etc.,  ne  présente  aucune  différence.  C'est 
par  son  personnel  seulement  qu'elle  se  distingue  de  la 
batterie  achevai. 

Dans  celle-ci,  deux  des  servants  sont  portés  sur 
Tavant-train  du  canon,  et  les  sept  autres,  qui  com- 
plètent à  neuf  le  chiffre  des  hommes  nécessaires  pour 
la  manœuvre  de  chaque  pièce,  sont  montés.  Lorsqu'ils 
mettent  pied  à  terre  pour  mettre  en  batterie  et  tirer, 
leurs  montures  sont  tenues  en  main  par  d'autres 
hommes  qui  restent  à  cheval  pour  cet  objet.  On  voit 
de  suite  combien  doit  être  étendu  le  but  qu'une  batte- 
rie à  cheval  doit  offrir  aux  coups  de  l'ennemi.  Pour  le 
service  d'une  pièce  de  9 ,  il  ne  faut  pas  moins  de 
17  hommes  et  de  19  chevaux  répartis  de  la  façon  sui- 
vante :  A  conducteurs  et  8  chevaux  pour  la  pièce, 
2  servants  portés  sur  l'avant-train,  7  hommes  et  7  che- 
vaux représentant  les  autres  servants  et  leurs  mon- 


Dfi  LA  FRANCE  ET  DE  LANGLETERE.  1A5 

tures,  &  hommes  et  k  chevaux  pour  les  soldats  qui. 
tiennent  en  main  les  chevaux  des  servants;  total, 
17  hommes  et  19  chevaux. 

Dans  la  batterie  de  caiçpagne  ordinaire,  les  hommes 
qui  servent  les  canons  sont  à  pied  ;  ils  marchent,  sac 
au  dos,  autour  de  leurs  pièces.  Dans  certains  cas,  ils 
peuvent  monter  sur  lavant-train  et  sur  les  caissons. 
Le  service  d'une  pièce  de  9,  dans  la  batterie  à  pied, 
ne  réclame  que  8  chevaux  et  13  hommes  (4  conduc- 
teurs el  9  artilleurs).  L'énorme  différence  qui  existe 
entre  les  dépenses  de  Tartillerie  à  cheval  et  de  Tartille- 
rie  à  pied  n'a  pas  besoin  de  commentaire;  elle  est  la 
base  de  la  plupart  des  objections  soulevées  contre  l'en- 
tretien des  batteries  à  cheval. 

Les  batteries  de  position  de  l'artillerie  anglaise  sont 
ordinairement  composées  de  pièces  de  12  en  bronze, 
de  pièces  de  18  en  fer  et  d'obusiers  de  8  pouces. 
Leur  nom  indique  suffisamment  qu'elles  sont  em- 
ployées dans  les  opérations  défensives  ou  pour  for- 
tifier un  point  faible  d'une  ligne  de  bataille.  Elles 
ne  doivent  que  très  rarement  se  mouvoir  devant 
l'ennemi. 

Indépendamment  des  bataillons  réorganisés  au  mois 
d'avril  1859,  le  cadre  de  Tartillerie  anglaise  compre- 
nait encore  une  compagnie  d'invalides  dont  la  compo- 
sition et  l'effectif  avaient  subi  de  nombreuses  fluctua- 
tions sans  arriver  jamais  à  former  une  troupe  d'une 
utilité  bien  réelle.  Le  1"  novembre  1859,  la  compa- 
gnie des  invalides  ou  vétérans  de  l'aitillerie  a  été  dis- 
soute et  refondue  dans  l'organisation  d'un  corps  nou- 

10 


146  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

veau  qui  a  pris  le  nom  de  brigade  d'artillerie  de  côte 
{The  coasl  brigade  of  ariillery). 

Comme  l'indique  son  nom,  cette  brigade  est  répartie 
dans  les  forts,  batteries  et  tours  du  littoral.  Outre  le 
service  qui  incombait,  sous  ce  rapport,  à  la  compagnie 
d'invalides,  la  brigade  d'artillerie  de  côte  doit  concou- 
rir à  l'instruction  des  divers  régiments  d'artillerie  de  la 
milice. 

La  brigade  de  côte  comprend  huit  sections,  chacune 
sous  les  ordres  d'un  capitaine.  Son  état-major  com* 
porte  1  major  (le  seul  officier  de  ce  grade  dans  l'artillerie 
anglaise),  8  capitaines,  8  lieutenants,  1  sergent-major, 
\  quartier-maître-sergent,  5  sergents  d'état-major, 
2/i  sergents,  G  caporaux  et  9  artificiers,  auxquels  il 
faut  ajouter  le  cadre  de  l'ancienne  compagnie  d'inva- 
lides. 

L'uniforme  de  l'artillerie  anglaise  (dolman  bleu, 
revers  rouges)  ressemble  beaucoup  à  l'uniforme  des 
hussards;  c'est  aussi,  à  très  peu  près,  Tuniformc  de 
l'artillerie  delà  garde  impériale  en  France. 

Le  drapeau  de  l'artillerie  anglaise  a  pour  signes  dis- 
tinctifs  les  armes  d'Angleterre  et  un  canon;  — au- 
dessus  le  mot  U bique;  —  au-dessous  la  devise  :  Qxao 
fas  et  gloria  ducvnt. 

Comme  complément  des  divers  renseignements  con- 
tenus dans  ce  chapitre,  nous  donnerons,  pour'termi* 
ner,  l'étal  général  de  toutes  les  forces  de  l'artillerie  an- 
glaise, telles  qu'elles  sont  évaluées  dans  le  dernier 
budget  : 


DÉ  LA  FftANCK  BT   D£  i/aNGLETEBRB.  Ift? 

TABLEAU  DE  I/ARTILLERIE  ANGLAISE  [1859-1860]  (1). 

Corps.  Bri;;adet.  Baltrrie*.  EfTeclib.  ToUas« 

Artillerie  à  cheval.,  i  10  jSL'nî'îffir"  *1Sj  2."» 
Artillerie  à  pied....  iU  i.2  j ^^"ntttd?."'"*?;^! "'««^ 
Brig.  d*artill.dec(^te.    1         >  613 

16       122  2â,365 

Pour  l'année  1857-1858,  d'après  M.  de   Fom- 
Manque  (2),  rartillerie  présentait  les  chiffres  suivants  : 

Cor  pi.  Ofliciarf.     S«ut-offlct«ni.    8oldiil«.  Gfa«T««k« 

Artillerie  ^  cheval 70  1A6  2,lô/i  1,880 

Artillerie  il  pied 811        l,/i95         i9,/i3d  /i,374 


881         1,6Zii  21,587  6,254 

La  réorganisation  de  1859,  comme  on  peut  le  voir 
en  comparant  ces  deux  tableaux,  ne  s'est  pas  bornée  à 
changer  les  anciennes  dénominations  de  l'artillerie  an- 
glaise, elle  en  a  aussi  augmenté  très  notablement  l'ef- 
fectif. 

(1)  United  service  magazine. 

(2)  Treatîse  on  the  organisaUon  of  the  british  aruiy. 


148  CONSTITUTION  ET     UISSANGE  MIUTAIRES 


CHAPITRE   X. 

Un  mot  sur  le  corps  du  génie  anglais  pendant  les  guerres  de  TEin- 
pire.  --  Organisation  vicieuse  de  celte  arme.  —  Améliorations 
introduites  par  Wellington.  —  Elles  se  perdent  et  s'effacent  pen- 
dant la  paix  de  1815  à  i85/i.— Organisation  du  corps  des  sa|)eurs 
{corps  of  royal  sappers  and  miners).  —  L'école  de  Chatham  et  le 
général  Pasley.—Accroissement  du  corps  du  génie  anglais.  —  Son 
organisation  sous  le  régime  de  TOrdonnance.  —  De  Tinspecteur 
général  des  fortifications.  ~  Mode  d*élablissement  des  plans  ou 
devis.  —  Exécution  des  travaux.  —  Situation  de  Parme  du  génie 
au  moment  de  la  guerre  de  Crimée.—  Le  gouvernement  est  obligé 
de  recruter  des  travailleurs  civils  pendant  le  siège  de  Sébastopol. 
—  Inaptitude  du  soldat  anglais  pour  les  travaux  de  campagne  et 
de  siège.—  Opinion  du  général  Durgoyne.—  Les  sapeurs  et  mi- 
neurs à  Bomarsund,  à  Redout-Kaleh  et  à  Sébastopol.— Uur  fusion 
avec  le  corps  des  ingénieurs  (Royal  Engineers).—  Composition  de 
rétat-major  et  des  trou|)es  du  génie.  —  Effectif.  —  Transfert  du 
quartier-général  du  génie  à  Chatham.— Uniforme  et  drapeau  des 
troupes  du  génie. 

Nous  avons  exposé,  à  propos  de  rartillerie  anglaise, 
les  motifs  qui  nous  engageaient  à  donner  un  tableau 
sommaire  de  son  organisation  sous  l'ancien  régime  de 
Y  Ordonnance,  Les  mêmes  raisons  pouvant  être  invo- 
quées à  regard  du  génie,  nous  allons  passer  rapide- 
ment en  revue  les  diverses  phases  traversées  par  ce 
corps  depuis  les  guerres  de  TEmpire. 

Il  semble  qu'à  aucune  époque  les  avantages  résul- 
tant pour  une  armée  de  la  bonne  organisation  du  génie 
militaire  n'aient  été  appréciés,  en  Angleterre,  à  leur 
véritable  valeur. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     149 

En  lisant  les  journaux  des  sièges  entrepris  par  Tar- 
mée  anglaise  au  commencement  de  ce  siècle  (1),  on 
est  frappé,  à  chaque  instant,  de  l'insuffisance  du  per- 
sonnel spécial  mis  à  la  disposition  des  généraux  an- 
glais, et  plus  encore  peut-être  de  la  pénurie  et  de  la 
mauvaise  organisation  du  matériel  du  génie  mi- 
litaire. 

Pendant  presque  toute  la  durée  de  la  guerre  de  la 
Péninsule,  les  ouvriers-royaux-mililaires  {Royal  mili- 
tary  artificen),  comme  on  appelait  alors  les  troupes 
du  génie,  ont  été  mal  commandés,  mal  disciplinés  et 
mal  armés.  On  ne  pouvait  les  employer  que  rarement 
en  campagne,  et  comme  ils  constituaient  simple- 
ment, la  plupart  du  temps,  des  bouches  de  plus  à 
nourrir,  les  généraux  n'étaient  pas  fort  désireux  de 
les  compter  parmi  leurs  troupes.  Cette  organisa- 
tion défectueuse  et  ce  faux  point  de  vue  ont  eu  sou- 
vent des  conséquences  regrettables  pour  Tarmée  bri- 
tannique. 

On  ne  croirait  jamais  que  la  reprise  d'Olivença 
(avril  1841),  l'attaque  du  fort  Christoval  (mai  1811), 
le  siège  de  Badajoz  (mai  et  juin  1811),  le  siège  de 
Ciudad-Rodrigo  (1812),  le  second  siège  de  Badajoz 

(1)  Journaux  des  sièges  entrepris  par  les  Alliés  en  Espagne,  suivis 
de  deux  discours  sur  rorganisation  des  armées  anglaises,  et  sur  les 
moyens  de  la  perfectionner,  traduits  de  ranglais  de  John-Jones,  par 
Gosselin  (1821). 

Mémoire  sur  les  lignes  de  TorresVedras,  du  même  auteur  et  du 
même  traducteur  (183'2). 


150  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

(mars  et  avril  1812),  l'attaque  des  ouvrages  de  Sala- 
manque,  la  prise  du  Retiro  de  Madrid,  et  le  siège  de 
Burgos  (1812)  ont  été  entrepris  par  Tannée  anglaise 
sans  un  seul  sapeur  ou  mineur. 

A  Olivença  seulement  on  employa  deux  ouvriers 
militaires,  un  charpentier  et  un  maçon.  C'est  par  des 
officiers  d'infanterie  mis  à  la  disposition  d'un  qombre 
d'ingénieurs  tout  à  fait  insuffisant  que  les  travaux  des 
sièges  que  nous  venons  de  citer  furent  dirigés.  Au  lieu 
de  sapeurs  et  de  mineurs,  on  organisa  un  corps  de 
100  à  200  fantassins,  qui,  à  la  lettre,  n'avaient  jamais 
touché  une  fascine  ou  un  gabion.  Ces  hommes  furent 
dressés  à  la  hâte,  et  chargés  de  diriger,  de  jour  comme 
de  nuit,  des  corvées  de  leurs  camarades  montant  de 
1,000  à  2,000  hommes.  Ceux-ci,  comme  leurs  instruc* 
teurs,  n'avaient  pas  la  moindre  idée,  au  début,  de« 
travaux  de  tranchées,  de  mines,  de  sapes,  etc.,  aux- 
quels ils  furent  employés  (1). 

On  comprend  les  conséquences  nécessaires  d'un 
pareil  système,  et  les  Anglais  eurent  plus  d'une  fois  à 
les  subir.  Un  fait  incontestable,  selon  le  général  Bur- 
goyne,  c'est  que  le  château  de  Burgos,  qui  pendant 
plus  de  six  semaines  résista  à  tous  les  efforts  de  Wel- 
lington, n'aurait  pas  demandé  la  moitié  de  ce  temps 
pour  être  réduit,  si  l'armée  de  si^e  avait  eu  un  per- 


(1)  Ces  observations  empruntées  à  Fouvrage  de  sir  Francis  Uead 
(DefenceUss  state  of  England),  s'appliquent  aussi  bien  aux  sièges 
de  Sébastopol  et  de  Delhi  qu'aux  sièges  de  la  Péninsule* 


M  LÀ  FRANGE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     151 

sonnel  suffisant  en  officiers  du  génie  (1).  Générale- 
ment, le  plus  ou  le  moins  de  promptitude  apporté  dans 
la  réduction  d'une  place  forte  a  une  action  correspon- 
dante sur  la  liberté  de  mouvements  qui  en  résulte  pour 
l'armée  assiégeante.  La  réussite,  en  pareil  cas,  facilite 
en  outre  singulièrement  les  approvisionnements,  et 
augmente  les  ressources  de  toute  nature.  Lorsque  des 
résultats  aussi  importants  dépendent  uniquement, 
comme  ce  fut  le  cas  au  siège  de  Bui^os,  du  sucxës  ou 
de  rinsuccès  d'un  siège,  on  ne  saurait  en  calculer  trop 
soigneusement  les  dispositions  et  les  conséquences. 

Le  travail  et  la  direction  des  mines  exige  particu- 
lièrement des  hommes  exercés.  Pendant  la  guerre  de 
Ja  Péninsule,  les  opérations  de  ce  genre  étant  exécu- 
tées par  les  soldats  de  la  ligne,  demandaient  beaucoup 
plus  de  temps,  et  nécessitaient  une  surveillance  de 
tous  les  instants.  Ce  n'est  qu'en  se  multipliant  en 
quelque  sorte,  et  au  prix  de  fatigues  inouïes,  que  les 
ingénieurs  anglais  arrivaient  à  maintenir  la  direction 
convenable  donnée  aux  galeries.  Malgré  tous  leurs 
efforts  et  tout  leur  dévouement,  ils  ne  parvenaient  pas 
toujours  à  prévenir  les  accidents  et  les  éboulements  ' 
que  déterminaient  l'inexpérience  et  la  maladresse  des 
travailleurs. 

C'est  au  duc  de  Wellington  que  l'on  doit  attribuer  la 
première  organisation  sérieuse  du  génie  anglais. 

Frappé  des  conséquences  résultant  de  l'insuffisance 

(i)  Military  opinions  of  gênerai  sir  John  Fox  Burgoyne,  collected 
by  WroUesley  (Richard.BenUey.  London). 


152  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

des  officiers  de  ce  corps,  et  mieux  à  même  que  per- 
sonne de  constater  l'ignorance  et  l'inaptitude  des  ou- 
vriers royaux  {^oyai  military  arlificers),  il  ne  cessa  de 
réclamer  une  augmentation  d'effectif  pour  les  uns,  et 
une  éducation  plus  complète  pour  les  autres.  En  atten- 
dant l'effet  de  ses  représentations  auprès  du  ministère 
anglais,  il  s'occupa,  avec  sa  ténacité  et  sa  persévérance 
habituelles,  de  suppléer  autant  que  possible  à  l'insuf- 
fisance du  personnel  et  au  défaut  de  matériel  qui  en- 
travaient ses  opérations.  Il  donna  des  instructions 
détaillées  pour  la  formation  d'un  détachement  de  cent 
mulets  destinés  à  porter  les  outils  de  tranchée  à  la 
suite  de  son  armée.  Il  ordonna  de  réunir  et  de  classer 
dans  une  sorte  de  dépôt  de  siège  tout  le  matériel  né- 
cessaire dans  l'attaque  des  places.  Enfin  des  arrange- 
ments furent  pris  de  manière  à  pouvoir  mettre  ce  parc 
en  mouvement  sans  délai,  suivant  les  circonstances. 
Malgré  tous  ces  efforts,  l'organisation  défectueuse  de 
l'arme  du  génie,  pendant  la  guerre  d'Espagne,  conti- 
nua à  coûter  à  nos  voisins  d'immenses  sacrifices  d'ar- 
gent, sans  parler  de  la  vie  des  hommes.  C'est  à  la  suite 
du  second  siège  de  Badajoz,  en  4812,  où  l'armée 
anglaise  avait  eu  près  de  5,000  hommes  hors  de  com- 
bat, que  Wellington  écrivait  à  lord  Liverpool  (1  )  : 

«...  Pendant  que  j'en  suis  àrartillerie,  je  demanderai 
»  à  votre  seigneurie  la  permission  de  lui  représenter 

(1)  «  W^hile  on  the  subject  of  the  arlillery,  I  would  bog  to  suggesl 
to  your  Lordship  the  expediency  of  adding  to  the  Kngincers*  esta- 
blishment a  cor|)s  of  sappers  and  ininers.  It  is  inconccivable  with 
what  disadvantage  we  underlake  anything  likc  a  siège,  for  want  of 


DE  LA   FRANCE    ET   DE  l'aNGLETERBE.  ^53 

]»  combien  il  serait  essentiel  qu'un  corps  de  sapeurs  et 
»  de  mineurs  fût  régulièrement  organisé  pour  être  mis 
»  à  la  disposition  des  ingénieurs.  On  ne  saurait  imagi- 
»  ner  tout  le  désavantage  que  l'absence  d'un  pareil 
»  corps  entraîne  pour  nous  en  cas  de  siège.  Il  n'y  a 
»  pas  un  corps  d'armée  français  qui  n'ait  un  bataillon 
»  de  sapeurs  et  une  compagnie  de  mineurs.  De  notre 
»  côté,  pour  les  travaux  du  génie,  nous  sommes  forcés 
»  de  nous  adresser  aux  régiments  de  ligne.  Nos  hommes 
»  sont  braves  et  ne  manquent  pas  de  bonne  volonté, 
»  mais  ils  n'ont  ni  l'aptitude  ni  l'expérience  néces- 
»  saires.  Il  en  résulte  que  nous  perdons  à  la  fois  et 
»  beaucoup  d'hommes  et  beaucoup  de  temps  précisé- 
»  ment  pendant  la  période  la  plus  critique  de  nos 
»  sièges.  » 

Grkce  aux  pressantes  instances  du  duc  deWellington^ 
le  corps  des  sapeurs  et  mineurs  {Corps  of  royal  sappers 
and  miners)  vint  enfin  remplacer,  vers  181:2,  les  ou- 
vriers royaux  du  génie.  A  la  même  époque  fut  insti- 
tuée Técole  de  Chatham,  dont  nous  aurons  à  parler 
ailleurs,  lorsque  nous  passerons  en  revue  les  établisse- 
ments d'instruction  militaire  de  la  Grande-Bretagne. 
Sir  Charles  Pasley  fut  mis  à  la  tète  de  l'école  de  Cha- 


assistance  of  that  description.  There  is  no  French  corps  d'armée 
which  has  not  a  baUalion  of  sappers  and  a  companyof  miners.  But 
we  are  obliged  to  dépend  for  assistance  of  this  description  upon  ihe 
régiments  ofthe  Line;mù  although  the  men  are  brave  and  willing, 
they  want  the  knowledge  and  training  whicb  are  necessary.  Many 
casuaUies  among  them  consequently  occur,  and  much  valuable  time 
is  l06t  at  the  most  critical  period  of  the  siège»  (il  février  1812). 


1511  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

tham,  et  en  dirigea  pendant  vingt-cinq  ans  les  travaux. 
Les  théories  de  cet  oificier  distingué  ont  été  résumées 
dans  un  livre  qui  peut  être  cité  comme  un  modèle  de 
méthode  et  de  clarté,  et  qui  depuis  trente  ans  n'a 
pas  cessé  de  faire  autorité  dans  le  corps  du  génie 
anglais  (1). 

En  même  temps  que  le  corps  des  sapeurs  et  mineurs 
était  créé,  celui  des  ingénieurs  militaires  recevait  de 
son  côté  un  notable  accroissement. 

En  1819,  à  Tépoque  où  M.  Dupin  visitait  la  Grande- 
Bretagne,  Tétat-major  du  génie  était  quatre  fois  plus 
considérable  qu'en  1792.  «  On  se  rendra  compte  de 
»  cette  augmentation,  fait  observer  très  à  propos 
.  »  M.  Dupin,  si  Ton  réfléchit  au  grand  accroissement 
»  des  possessions  britanniques  en  Europe,  en  Asie,  en 
»  Afrique  et  en  Amérique.  Les  Anglais  se  sont  emparés 
»  successivement  de  toutes  les  positions  militaires  qui 
2>  pouvaient  leur  assurer  Tempire  de  la  mer.  Il  a  fallu 
i>  augmenter  et  tenir  sur  pied  les  forteresses  qui  font 
»  la  sécurité  de  ces  postes  impoilants,  et  par  consé- 

(4)  Rules  chiefly  deduced  from  experiment  for  conducting  the 
practical  opérations  of  a  siège,  by  lieutenant-general  sir  Charles 
W,  Pasley,  royal  engineers.  Conformément  au  désir  du  général 
Mann,  inspecteur  général  des  fortifications,  Touvrage  du  général 
Pasley  n'avait  pas  été  imprimé.  Pendant  longtemps,  on  s'était  cou> 
tenté  de  le  distribuer  autographié  aux  officiers  qui  suivaient  les 
cours  de  Técole  de  Chatham,  avec  prière  de  ne  pas  communiquer 
ces  feuilles.  Ces  précautions  n'ont  pas  empêché  que  le  livre  du 
générai  Pasley  ne  fût  traduit  en  français,  et  deux  édiUons  en  ont 
été  publiées  sous  le  titre  :  Règles  pour  In  conduite  des  opérations 
d'un  siége^  déduites  d'expériences  soigneusement  faites ,  par  sir 
Gh.  Pasley,  3  parties  in-S"^,  avec  planches.  (Paris,  iW.) 


DE   LA    FRANCK    ET   DE   i/aNGLETERRE.  155 

»  quent  accroître  de  beaucoup  le  corps  du  génie  mili-r 
»  taire.  » 

Jusqu'au  jour  où  le  Ministère  de  l'Ordonnance  a  été 
aboli,  le  chef  de  ce  département  a  été  le  colonel  titu- 
laire du  génie  militaire,  en  môme  temps  que  de  l'artil- 
lerie; mais  c'est  l'inspecteur  des  fortifications  qui  était 
le  véritable  commandant  des  officiers  et  des  troupes. 
C'est  par  ce  fonctionnaire  que  passaient  tous  les  ordres 
relatifs  au  personnel  et  au  matéiiel  du  génie. 

L'inspecteur-général  des  fortifications  avait  sous  ses 
ordres  un  député  ou  sous-inspecteur,  un  major  de  bri- 
gade et  un  adjudant.  Le  major  de  brigade  remplissait 
les  fonctions  de  chef  d'état-major  des  troupes  ;  il  rési- 
dait à  Woohvich,  quartier-général  des  troupes  de 
VOrdonnance.  L'adjudant,  spécialement  attaché  au 
corps  des  ouvriers  militaires,  résidait  à  Chatham. 

Nous  examinerons,  dans  un  autre  chapitre,  les  mo- 
difications introduites  dans  l'araie  du  génie  par  la  sup- 
pression du  Ministère  de  l'Ordonnance.  Pour  le  mo- 
ment, nous  constatons  seulement  que  l'un  des  sujets 
de  plainte  le  plus  fréquemment  invoqué  par  le  corps 
du  génie  comme  par  cdui  de  l'artillerie,  c'est  l'absence 
d'une  autorité  supérieure  assez  élevée  pour  représen- 
ter et  défendre  efficacement,  dans  les  bureaux  du 
Commandant  en  chef,  les  intérêts  et  les  droits  des  deux 
corps  spéciaux. 

Comme  en  France,  les  officiers  du  génie  militaire 
sont  disséminés,  en  Angleterre,  dans  les  différentes 
places  du  territoire  et  des  colonies.  Ils  sont  chargés  de 


456  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

préparer  les  plans  et  les  devis  relatifs  aux  travaux  à 
exécuter. 

A  l'intérieur,  les  mémoires  et  projets  sont  soumis  à 
rinspecteur-général  des  fortiOcations,  qui  les  corrige 
ou  les  approuve.  Lorsqu'il  s'agit  de  travaux  impor- 
tants, un  comité  spécial  est  chargé  des  études  prépa- 
ratoires. Dans  les  colonies,  c'est  aux  gouverneurs  terri- 
toriaux que  les  chefs  du  génie  doivent  soumettre  leurs 
plans. 

Les  projets  approuvés,  et  les  devis  estimatifs  arrê- 
tés, les  officiers  du  génie  font  exécuter  les  travaux. 
Autrefois,  tout  ce  qui  avait  trait  aux  dépenses  et  à  la 
comptabilité  des  services  du  casernement  et  des  forti- 
fications se  centralisait  dans  les  bureaux  de  l'Ordon- 
nance; aujourd'hui  c'est  au  5'  bureau  {ForiificaUon 
branch)  du  War-Office  que  vont  aboutir  tous  les 
comptes  du  génie.  Dans  l'établissement  de  ces  comptes, 
comme  pour  tous  les  détails  de  leur  service,  les  officiers 
du  génie  anglais  sont  assistés  par  un  certain  nombre 
d'employés  civils  dont  nous  reparlerons  ailleurs,  quand 
nous  nous  occuperons  des  départements  administratifs 
ou  civils  de  l'armée. 

L'impulsion  donnée  au  département  du  génie,  de 
1809  à  1 8<6,  par  le  duc  de  WeUington,  s'était  considé- 
rablement ralentie  pendant  les  quarante  années  de  paix 
qui  ont  suivi  les  guerres  de  l'Empire.  Au  moment  de 
la  campagne  de  Crimée,  bon  nombre  des  améliorations 
inaugurées  par  l'illustre  capitaine  avaient  successive- 
ment disparu.  Les  services  du  matériel  et  des  transports 
étaient  complètement  désorganisés;  il  ne  restait  pas 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     157 

trace  des  équipages  de  ponts  ramenés  en  Angleterre 
avec  l'armée  d'occupation,  et  dont  Torganisation  a 
cependant  servi  de  modèle  à  presque  toutes  les  puis- 
sances militaires  du  continent. 

Le  faible  effectif  du  génie  anglais  sous  les  murs  de 
Sébastopol  ne  contribua  pas  médiocrement  à  donner  à 
l'armée  britannique  le  rôle  secondaire  dont  l'amour- 
propre  national  a  eu  tant  à  souffrir.  Afln  de  remédier 
à  l'insuffisance  des  troupes  spéciales  mises  à  la  dispo- 
sition de  ses  ingénieurs,  le  gouvernement  anglais  en 
fut  réduit  à  engager  des  travailleurs  civils  pour  l'exé- 
cution de  certains  travaux  de  campagne  (1  ).  Nous  exa- 
minerons plus  loin  la  valeur  de  cet  expédient,  et  les 
objections  auxquelles  donne  lieu,  en  principe,  Tadop- 
tion  d'une  mesure  que  la  nécessité  pouvait  seule  jus- 
tifier. 

Si  nombreuses  que  soient  les  troupes  du  génie  dans 
une  armée,  elles  ne  peuvent  suffire  à  tous  les  travaux 
d'uD  siège  un  peu  important,  et  l'infanterie  doit  for- 
cément leur  venir  en  aide.  Or,  comme  nous  aurons 
occasion  de  le  constater  plus  loin  par  de  nombreux 
exemples,  le  soldat  anglais,  qui  a  certainement  tout 
autant  de  bravoure  que  n'importe  quel  autre  soldat, 
éprouve  une  répugnance  insurmontable  pour  les  tra- 
vaux du  génie,  et,  sous  le  feu  de  l'ennemi,  il  ne  se  fait 
aucun  scrupule  de  s'esquiver  de  la  tranchée  ('2).  Nous 

(1)  Le  chemin  de  fer,  les  défenses  de  Dalaklava,  etc. 

(*i)  Britîsh  soldiers ,  who  hâve  undoubtedly  as  inuch  spirit 

as  any  in  the  world,  should  not  be  ashamed  of  flinching  from  work 
underfire.  (General  Burgoyne  Military  opinions^  page  286). 


iSH  CONSTITUTION   ET   t»UISSANGE  lIlLlTAmES 

reviendrons  ailleurs  sur  cette  fâcheuse  disposition  du 
soldat  anglais.  Pour  le  moment,  nous  nous  bornons  à 
la  constater,  comme  aussi  la  regrettable  influence 
qu'elle  doit  nécessairement  exercer  sur  la  durée  des 
travaux  exécutés  en  campagne  par  nos  voisins. 

11  n'entre  pas  dans  notre  cadre  de  faire  ici  l'histo- 
rique du  génie  anglais  pendant  la  guerre  d'Orient,  bien 
que  les  services  rendus  par  les  troupes  de  cette  aïone 
aient  déterminé  la  dernière  et  flatteuse  transformation 
qui  devait  servir  de  couronnement  à  leur  carrière. 
M.  Conolly,  quartier-maître  des  sapeurs  et  mineurs, 
a  publié  un  livre  fort  intéressant  (1),  et  qui  sauvera 
certainement  ce  corps  de  Toubli,  malgré  la  dénomina- 
tion nouvelle  sous  laquelle  il  doit  être  désigné  désor- 
mais. Outre  le  détachement  principal  employé  aux 
travaux  du  siège  de  Sébastopol,  et  dont  l'elfectif  était 
de  953  hommes,  les  sapeurs  et  mineurs  ont  encore 
fourni,  pendant  la  guerre  de  Russie,  une  compagnie 
complète  à  l'escadre  de  la  mer  Noire  chargée  de  ré- 
duire la  ville  de  Redout-Kaleh.  Une  autre  compagnie, 
embarquée  sur  la  flotte  de  la  mer  Baltique,  a  pris  part 
à  l'attaque  de  Bomarsund,  et  prêté  un  concours  eflB- 
cace  au  corps  anglo-français  qui  a  occupé  les  îles 
d'Aland. 

Dans  son  désir,  sans  doute,  d'exphquer  le  triste  état 
et  la  lenteur  des  travaux  de  l'armée  anglaise  devant 
Sébastopol,  M.  Conolly  insiste  sur  les  difficultés  de 

(I)  Hîstory  of  the  royal  sappers  and  mioers,  from  the  formation 
of  the  corps  to  the  date  when  its  désignation  was  changed  t4)  that  of 
Royal  Engineers,  byT.-W.-J.  ConoMy. 


DB   LA   FRANCE    ET  DE  L^AIfGLETEERE.  15^ 

diverses  sortes  que  le  génie  eut  à  surmonter  pendant 
le  siège.  Au  nombre  des  circonstances  fâcheuses  qui 
retardèrent  ses  compatriotes  dans  raccomplissemeot 
de  leur  tâche,  il  faut,  suivant  cet  écrivain,  placer  en 
première  ligne  la  bévue  [mistake)  que  commirent  les 
généraux  anglais  en  cédant  à  l'armée  française  la  por^ 
tion  des  approches  la  plus  facile  à  remuer,  sous  le 
prétexte  que  les  outils  français  n'étaient  pas  assez 
solides  pour  entamer  le  terrain  rocheux  qui  devait 
nous  échoir.  Un  simple  coup  d'œil  sur  la  carte  suffît 
pour  faire  justice  de  cette  assertion.  La  base  d'opéra- 
tion des  Anglais  étant  à  Balaklava,  et  celle  des  Fran- 
çais à  Kamiesh,  il  eût  été  contraire  à  toutes  les  r^les 
de  placer  Tarmée  anglaise  aux  attaques  de  gauche^ 
c'est-ànlire  entre  l'armée  française  et  Kamiesh. 

Si  plusieurs  régiments  français  durent  partager 
avec  nos  alliés  le  sei^vice  de  leurs  propres  lignes,  les 
aider  à  ouvrir  leurs  routes  et  à  transporter  leurs  canons 
et  leurs  vivres  (ce  qu'ils  firent  de  grand  cœur,  du 
reste) ,  ce  n'est  pas,  probablement,  à  cause  des  diffi^ 
cultes  qu'offrait  le  terrain  attribué  à  l'armée  anglaise  ; 
chacun  sait  à  quel  état  elle  était  réduite  après  l'hiver. 
Les  deux  armées  se  devaient  une  assistance  mutuelle, 
et,  «  pour  noire  part,  nous  Tavons  donnée  avec  un 
entrain  et  une  bonne  volonté  dont  l'exemple  est  rare 
dans  l'histoire  militaire,  même  entre  combattants  d'une 
même  nation.  »  Quant  à  la  lenteur  de  leurs  travaux, 
les  Anglais  doivent  l'altiibuer  à  la  raison  que  nous 
avons  donnée  plus  haut,  c'est-à-dire  à  la  répugnance, 
à  l'inaptitude  de  leui-s  soldats  pour  le  service  des  tran- 


160  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

chées.  Quant  aux  désastres  qui  ont  semblé,  pendant 
quelque  temps,  menacer  l'armée  anglaise  d'une  ruine 
complète,  ils  ont  tenu  à  un  ensemble  de  causes  dont 
l'étude  fait  précisément  l'objet  de  ce  livre. 

Une  considération  qui  ne  peut  que  contribuer  encore 
à  augmenter  le  mérite  et  la  gloire  des  troupes  du  génie 
anglais,  et  que  nous  sommes  loin  de  contester,  c'est 
qu'elles  se  trouvèrent  privées  des  vigoureux  et  intelli- 
gents auxiliaires  fournis  au  génie  français  par  notre 
infanterie,  et  qu'elles  durent  se  suflBre,  en  qudque 
sorte,  à  elles-mêmes. 

Les  chiffres,  du  reste,  sont  plus  éloquents  que  la 
meilleure  apologie  :  sur  les  9â5  hommes  composant 
l'effectif  des  sapeurs  et  mineurs  anglais  devant  Sébas- 
topol,  445,  c'est-à-dire  la  moitié,  sont  morts  sous  ses 
murs.  Un  pareil  dévouement  méritait  une  récompense, 
elle  ne  s'est  pas  fait  attendre.  Le  17  octobre  1856,  la 
Reine  a  décidé  que  les  sapeurs  et  mineurs  seraient 
désignés  à  l'avenir  sous  le  nom  de  corps  royal  du 
génie  {Royal  engineers)^  et  partageraient  cette  nouvelle 
dénomination  avec  le  corps  des  ingénieurs  militaires, 
dont  ils  sont  devenus  partie  intégrante. 

L' état-major  du  génie  anglais,  tel  qu'il  est  constitué 
aujourd'hui,  comprend  : 

8  colonels  commandants. 
15  colonels. 

37  lieutenants-colonels. 
60  capitaines  en  premier. 
60  capitaines  en  second. 
tSO  offlciers  subalternes. 
Total...,       360 


DE  lA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     161 

La  troupe  est  organisée  en  compagnies  de  100  à 
110  hommes. 

L'effectif  total  de  ces  compagnies,  au  nombre  de  86, 
pour  Tannée  1 858-1 859,  était  de  339  sous-oflSciers  et 
3,&/i8  soldats. 

Autrefois  le  quartier-général  du  génie  anglais  était 
à  Woolwich.  Les  recrues,  pour  cette  arme,  étaient 
dirigées  d'abord  sur  cette  place,  puis,  lorsqu'elles 
avaient  i^u  un  degré  d'instruction  militaire  suffisant, 
on  les  envoyait  à  Chatham,  où  se  trouve  l'école  pra- 
tique des  sapeurs  et  mineurs.  Celte  division  de  l'in- 
struction entraînait  une  perte  de  temps  qu'on  eût 
évitée  en  décidant  que  les  deux  exercices  auraient  lieu 
dans  la  même  place.  C'est  ce  qui  a  lieu  depuis  la  sup- 
pression de  rOrrfonnancô.  Le  quartier-général  du  génie 
a  été  transféré  à  Chatham  en  1856.  Il  se  compose 
d'un  major  de  brigade^  d'un  adjudaut  et  d'un  quartier- 
mattre. 

L'inspecteur-général  des  fortifications,  le  sous-in- 
specteur et  les  deux  assistants-inspecteurs,  qui  forment 
comme  un  comité  supérieur  du  génie,  ont  leurs  bu-« 
reaux  à  Whilehall-Gardens  (Londres). 

L'uniforme  des  troupes  du  génie  est  l'habit  rouge 
avec  les  revers  en  velours  bleu. 

Le  drapeau,  comme  celui  de  l'artillerie,  a  pour 
signes  distinctifs  les  armes  d'Angleterre  avec  leurs 
supports  (le  lion  et  la  licorne),  et  le  canon  surmonté 
de  la  devise  «  U bique  ^  »  au  dessous  l'inscription  : 
«  Quo  fas  et  gloria  ducunt.  » 


11 


162  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 


CHAPITRE   ÎI. 

Organisation  des  porps  coloniaux  dans  les  possessions  anglaises.  — 
Forces  militaires  locales  :  l''  Sur  la  côte  occidentale  d'Afrique  et 
aux  Antilles;  —  2°  à  Ceyian  ;  —3°  au  Cap  de  Bonne-Espérance; 
—  û°  au  Canada  ;  —  5°  U  Sainle-Hélène;  —  6"  à  Malle;  —  7°  à  la 
Côle-d'Or;  8°  à  Terre-Neuve;  —  O*»  aux  lies  Falkland,  etc. — 
Corps  étrangers  à  la  solde  de  TAngleterre.  —  Pensionnaires 
militaires. 


Nous  avons  passé  en  revue,  dans  les  chapitres  pré- 
cédents, les  quatre  armes  principales  qui,  en  Anjçle- 
terre  comme  sur  le  Continent,  forment  la  base  de  toute 
armée.  Dans  le  tableau  général  des  forces  de  la  Grande- 
Bretagne,  doivent  figurer  encore  certains  corps  par- 
ticuliers dont  l'organisation  est  une  conséquence  de  la 
situation  insulaire  de  nos  voisins  et  de  la  constitution 
toute  spéciale  de  leur  puissance. 

Ces  corps,  dits  coloniauw  (1),  sont  chargés  de  con- 
courir à  la  défense  des  nombreuses  coloniesque  possède 
TAngleterre  dans  les  quatre  parties  du  monde.  Ils 
figurent  sur  YArmy  list  dans  Tordre  suivant  : 

(1)  En  règle  générale,  les  corps  coloniaux,  à  Texception  des  Fen- 
cibles  de  Malte,  sont  commandés  par  des  ofGciers  anglais.  Leur 
organisation  diffère  peu  de  celle  des  troupes  de  ligne.  Presque  tous 
sont  employés  dans  les  établissements  d'outre- mer  au  ser\ice  des 
garnisons  et  de  la  police.  Aux  termes  de  leur  organisaUon,  ils  ne 
sont  pas  obligés  de  servir  hors  des  limites  de  la  colonie  pour  laquelle 
ils  ont  été  levés. 


DE  LA  PHANCE    ET  DE  l'aNGLETEKRË»  163 

l"*  Régiments  des  indes  occidentales.   {PFest  India 
régiments.) 

Ces  corps  sont  au  nombre  de  3,  et  ne  sont  distingués 
entre  eux  que  par  leurs  numéros.  Leur  organisation 
est  absolument  la  même  que  celle  des  autres  régiments 
d'infanterie  anglaise.  Ils  sont  à  un  bataillon  seulement, 
et  commandés  par  un  colonel  et  deux  lieutenants- 
colonels.  Leur  état-major  ne  diffère  en  rien  de  celui 
des  bataillons  ordinaires. 

Les  régiments  des  Indes  Occidentales  sont  recrutés 
parmi  les  natifs  de  la  Côte-d'Afrique  et  parmi  les  habi- 
tants dés  Antilles.  Ils  tiennent  garnison  dans  les  pos- 
sessions anglaises  rangées  sous  ces  deux  titres. 

Leur  effectif  est  de  :  ISOoflBciers,  Îâ9  sous-officiers, 
â,000  soldats.  —Total,  3,&19  hommes. 

Le  1"  régiment  porte  les  revers  blancs;  le  2*  les 
revers  jaunes;  le  3*  les  revers  bleus. 

2'  Brigade  de  tirailleurs  de  Ceylan.   {Ceylon  rifle 
brigade.) 

.  Même  avant  l'abolition  du  Gouvernement  de  la 
Compagnie  des  Indes,  Tlle  de  Ceylan,  quoique  faisant 
partie  de  l'Empire  indien,  était  gouvernée  directement 
par  la  Couronne.  Cette  lie  n'a  jamais  été  comprise 
dans  le  domaine  administré  parla  Cour  des  Directeurs, 
et  la  force  militaire  chargée  de  pourvoir  à  sa  défense  a 
toujours  figuré  parmi  les  troupes  de  la  Reine. 
Cette  forco  locale,  recrutée  parmi  les  indigènes,  forme 


164  CONSTITUTION  ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

un  régiment  commandé  par  un  Ijeutenant-colonel  et 
deux  majors.  Son  effectif  est  de  :  79  oflSciers,  106  sous- 
officiers,  1,600  soldats.  —  Total,  1,58"^  hommes. 

L'uniforme  des  tirailleurs  de  Céylan  est  vert  avec 
les  revers  noirs. 

Une  compagnie  d'invalides  anglais  comprenant  : 
4  officiers,  6  sous-officiers  et  153  hommes,  complète 
les  moyens  de  défense  de  cette  colonie. 

â"   TiRAILLEUBS  A  CHEVAL  DU  CaP  DE  BoNNG-EsPÉRANCE. 

{Cape  mounted  riflemen.) 

Les  tirailleurs  du  Cap  forment  le  seul  corps  de 
cavalerie  faisant  partie  des  régiments  coloniaux.  Ils  sont 
recrutés  parmi  les  Hottentots  et  les  Européens.  Ils  ont 
à  leur  tête  deux  lieutenants-colonels  et  deux  majors. 
Leur  état-major  diffère  peu  de  celui  des  rc^iments  de 
cavalerie  de  ligne. 

Organisés  sur  un  pied  à  peu  près  semblable  à  celui 
des  spahis  de  l'armée  française,  les  tirailleurs  du  Cap 
sont  chargés  d'assurer  la  sécurité  des  routes.  On  les 
emploie  principalement  à  repousser  les  incursions  des 
indigènes  sur  le  territoire  de  la  colonie  anglaise. 

Leur  effectif  comprend  :  ASofficiers,  76  sous-officiers, 
960  soldats.—  Total,  1,084  hommes  etOOO  chevaux. 

Ils  se  remontent  très  facilement  avec  les  chevaux 
du  Cap  dont  la  race  offre  la  plupart  des  qualités  qui 
distinguent  les  chevaux  de  l'Algérie. 

L'uniforme  des  tirailleurs  du  Cap  est  vert  avec  les 
parements  noirs. 


DE  LX   FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     165 

A»  Régiment  royal  des  tirailleurs  du  Canada. 
[Royal  canadian  rifle  regimetit.) 

Les  tirailleurs  canadiens  forment  un  régiment  qui  a 
pour  colonel  honoraire  le  lieutenant-général  comman- 
dant en  chef  les  forces  anglaises  au  Canada. 

Le  commandement  effectif  est  exercé  par  un  lieute- 
nant-colonel assisté  de  deux  majors.  L'état-major 
régimentaire  est  le  même  que  dans  les  corps  d'infan- 
terie de  ligne. 

Les  tirailleurs  canadiens  sont  recrutés  au  moyen  de 
volontaires  tirés  des  régiments  anglais. 

Leur  effectif  est  de  :  39  oflBciers,  67  sous-offlciers, 
i  ,000  soldats.  —  Total,  1 ,106. 

Uniforme  vert  avec  parements  rouges. 

5°  Régiment  de  Sainte-Hélène.  {Sainl-HelenaregimerU.) 

Comme  les  tirailleurs  canadiens,  le  régiment  de 
Sainte -Hélène  se  recrute  au  moyeu  de  volontaires  pris 
dans  les  différents  corps  de  Tarmée  anglaise.  Ce  régi- 
ment ne  représente  guère  qu'un  demi-bataillon  com- 
mandé par  un  lieutenant-colonel  et  un  major. 

Son  effectif  est  de  :  21  officiers,  37  sous-officiers, 
375  soldats.  —  Total,  i3â  hommes. 

&*   Régiment  royal  des  milices  de  Malte.   {Royal 
MaUa  Feticible  régiment.) 

Ce  régiment  est  le  seul  corps  colonial  qui  ait  ses 
armoiries  particulières  ;  elles  se  composent  du  chiffre 
royal  et  de  la  Croix  de  Malte. 


166  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRCS 

I^s  Fencibles  maltais  se  recrutent  parmi  les  indigènes 
de  rtle. 

Ce  corps  présente,  relati\ement  aux  autres  régi- 
ments coloniaux,  une  différence  essentielle  :  tandis  que 
ces  derniers  n'admettent  que  des  officiers  anglais,  le 
régiment  de  Malte,  à  l'exception  du  lieutenant-colonel 
commandant,  est  exclusivement  recruté  d'officiers 
indigènes. 

Ces  officiers  n'ont  qu'un  rang  local  et  ne  figurent 
pas  sur  les  cadres  de  l'armée  régulière. 

Les  Fencibles  de  Malte  comprennent  :  25  officiers, 
49  sous-officiers,  56/i  soldats.  —  Total,  688  hommes. 

Ils  portent  l'uniforme  de  l'infanterie  avec  parements 
bleus. 

7"*  ARTILLERIE  DE  LA  Côte-d'Or.  {Gold  Coost  artUlcry 

corps.) 

Le  corps  des  artilleurs  de  la  Côte-d'Or  est  commandé 
par  un  major.  Son  personnel  en  officiers  comporte  un 
certain  nombre  de  capitaines,  de  lieutenants  et  d'en- 
seignés (ce  dernier  grade,  ainsi  que  nous  l'avons  vu, 
lorsque  nous  avons  passé  en  revue  les  troupes  de  l'Or- 
donnance, n'existe  pas  dans  Tartillerie  régulière). 

Les  artilleurs  de  la  Côte-d'Or  se  recrutent  parmi  les 
indigènes  du  pays. 

Leur  effectif  est  de  :  17  officiers,  22  §ous-officiers, 
812  soldats.  —  Total,  351  hommes. 


DE  hk   FRANGE  ET  DE  L  ANGLETEBRE.     467 

8"  Vétérans  de  Terre-Neuve.  {Royal  Newfoundland 
coynpafiies,) 

La  force  locale  de  Terre-Neuve  comprend  environ 
deux  compagnies  commandées  par  un  major,  et  recru- 
tées parmi  les  vétérans  de  Tarmée  anglaise. 

Leur  effectif  est  de  :  9  officiers,  20  sous-officiers, 
200  soldats.  —  Total,  229  hommes. 

9**  Iles  Falkland. 

Ces  Iles  reçoivent  un  détachement  dont  la  com- 
position est  analogue  à  celle  de  la  force  locale  de  Terre^ 
Neuve,  mais  dont  l'effectif  bctiucoup  moins  considérable 
comprend  seulement  \  officier,  l\  sous-officiers  et 
32  soldats  (i). 

Dans  la  récapitulation  que  nous  venons  de  faire  des 
diverses  troupes  placées  à  postes  fixes  dans  les  colonies 
anglaises,  et  chargées,  concurremment  avec  Tarmée 
régulière,  d'assurer  la  sécurité  de  ces  possessions, 
nous  n'avons  pas  parlé  de  Tarmée  indienne.  Cette 
armée,  dont  le  chiffre  avant  la  grande  insurrection 
de  1857  s'élevait  à  près  de  300,000  hommes,  a  subi 
de  profondes  modifications  depuis  l'abolition  du  gou- 
vernement de  la  Compagnie.  Sa  réorganisation  est 

(1)  Lfis  différents  effectifs  que  nous  avons  assignés  aux  corps  colo- 
niaux varient  nécessairement  comme  ceux  des  autres  corps  de 
l*armée  anglaise.  Les  chiffres  qui  flgurent  dans  le  tableau  que  nous 
avons  donné  de  ce^  tor[)s  sont  ceux  de  leur  orgîinisation  normale. 
\jes  autres  renseignements  sont  extraits  de  l^Annuaire  officie! 
{Army  list^  by  authority). 


168  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

encore  à  l'étude  aujourd'hui  chez  nos  voisins.  Les 
questions  qui  se  rattachent  au  remaniement  et  à  la 
constitution  définitive  de  la  force  locale  destinée  à  tenir 
l'Empire  anglo-indien  sous  le  joug  sont  tellement  mul- 
tiples, tellement  importantes,  elles  sont  pour  la  puis- 
sance britannique  d'un  intérêt  si  vital,  que  nous  croyons 
nécessaire  de  faire  de  leur  examen  l'objet  d'un  chapitre 
spécial. 

Nous  avons  cru  devoir  exclure,  quant  à  présent,  du 
tableau  général  des  forces  anglaises,  tous  les  corps  qui 
ne  fournissent  pas  en  ligne  des  combattants  effectifs. 
C'est  pour  ce  motif  que  nous  n'avons  pas  parlé,  du 
train  des  convois,  malgré  l'organisation  toute  militaire 
donnée  en  Angleterre  à  ce  corps,  depuis  la  guerre  de 
Crimée,  à  l'exemple  de  ce  qui  a  lieu  en  France  pour 
la  mémo  troupe. 

Le  train  militaire  [military  train)  aura  sa  place 
marquée  au  chapitre  des.  corps  ou  services  adminis- 
tratifs {civil  or  administrative  corps),  avec  l'intendance 
{commissariat) ,  le  personnel  médical  {médical  staff 
corps),  le  personnel  des  magasins  {the  military  slore), 
le  personnel  des  hôpitaux  {purveyors),  les  agents  du 
casernement  {barrack  masters),  etc. 

Si  ces  divers  corps,  bien  que  comportant  un  effectif 
assez  élevé,  ne  peuvent  pas  être  considérés  comme 
présentantune  force  réelle  et  disponible  pour  le  combat, 
il  est  des  auxiliaires  d'un  autre  ordre,  dont  l'organisa- 
tion plus  ou  moins  parfaite  est  appelée  à  suppléer,  dans 
des  circonstances  déterminées,  à  l'insuflinance  de 
l'armée   régulière.  Nous  voulons  parler  des  liions 


DE  L\  FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.      169 

étrangères,  des  pensionnaires,  de  Tinfanterie  de  marine, 
de  ia  milice  à  pied  et  à  cheval,  et  enfin  des  corps  de 
volontaires  dont  l'institution  a  pris  chez  nos  voisins, 
depuis  un  an  surtout,  des  développements  de  nature  à 
fixer  l'attention. 

A  l'exception  des  corps  étrangers  et  des  pensionnaires 
auxquels  nous  allons  consacrer  quelques  lignes,  nous 
renverrons  à  des  chapitres  distincts  l'étude  de  ces 
éléments  spéciaux  dont  il  importe  de  tenir  compte 
dans  l'appréciation  des  ressources  militaires  de  la 
Grande-Bretagne. 

L'emploi  des  troupes  étrangères  a  toujours  été  d'un 
usage  fréquent  en  Angleterre  sous  les  différents  gou- 
vernements qui  se  sont  succédé  jusqu'à  nos  jours, 
non-seulement  dans  les  temps  où  le  pouvoir  exécutif 
était  affranchi  de  tout  contrôle,  mais  même  depuis  que 
l'entretien  de  l'armée  permanente  a  été  placé  sous  la' 
surveillance  directe  du  Parlement.  Sous  le  règne  de  la 
reine  Anne,  l'effectif  des  corps  étrangers  dépassait 
/iO^OOO  hommes. 

Pendant  la  guerre  de  la  Péninsule,  l'Angleterre  eut  à 
sa  solde  plusieurs  corps  étrangers  composés  princi- 
palement de  Suisses,  d'Allemands,  de  Grecs,  de 
Siciliens,  etc.  En  1813,  à  la  fin  des  guerres  de  TEm- 
pire,  l'effectif  de  ces  corps  montait  à  30,000  hommes. 

Enfin,  pendant  la  guerre  de  Crimée,  le  recours  aux 
mercenaires  étrangers  devint  encore  indispensable 
pour  remplir  les  vides  que  la  maladie  et  les  décès 
avaient  déterminés  dans  l'armée  Anglaise,  campée  sur 
le  plateau  de  Chersonèse. 


170  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAMES 

Les  auxiliaires  que  la  Grande-Bretagne  prit  à  sa 
solde  dans  cette  dernière  circonstance,  formèrent  plu- 
sieurs légions  ou  contingents  dont  voici  la  liste  : 

1°  Le  Corps  turc,  composé  de  sujets  de  la  Porte, 
et  en  grande  partie  commandé  par  des  Anglais.  Ce 
contingent  présentait  un  effectif  de  2,0/i5  officiers, 
20,290  sous-ofliciers  et  soldats,  et  5,470  chevaux. 

2°  La  Légion  allemande,  composée  d'individus  ap- 
partenant aux  différents  Ëtatsde  T  Allemagne,  et  com- 
mandée par  des  Anglais  et  des  Allemands.  Ce  corps 
s'éleva  ;à  9,300  hommes,  dont  une  partie  est  restée  à 
la  solde  de  l'Angleterre,  et  forme  aujourd'hui  une 
sorte  de  colonie  militaire  au  cap  de  Bonne-Espérance. 
Cette  dernière  portion  présentait  en  1858  un  effectif 
de  59  officiers  (y  compris  un  major-général),  44  ca- 
dets, 120  sous-officiers  et  2,138  soldats  (1  ). 

3*  La  Légion  italienne,  levée  en  Sardaigne,  et  com- 
posée de  natifs  des  divers  Ëtats  italiens.  Ce  corps  était 
commandé  par  des  Anglais  et  des  Italiens  (ces  derniers 
l'emportant  d'ailleurs  de  beaucoup)  ;  son  effectif  varia 
entre  3  et  û,000  hommes. 

k""  La  Légion  suisse,  dont  l'effectif  était  d^ 
3,000  hommes. 

&"  La  Légion  polonaise,  dont  le  chiffre  s'éleva  au 
plus  à  1,500  hommes. 

Les  événements  imprévus  qui  terminèrent  brusque- 
ment la  guerre  d'Orient  ne  permirent  pas  à  l'Angle- 
terre d'employer  utilement  ses  corps  étrangers.  Toute- 

(i)  Fomblanque. 


DE  lA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     171 

fois,  leur  organisation  permettait  d*en  espérer  de  bons 
services,  et,  dans  tous  les  cas,  leur  composition  était 
bien  supérieure  à  celle  des  régiments  anglais,  dont  les 
recrues  n'étaient  plus,  à  la  fin  de  la  guerre,  que  de 
chétifs  jeunes  gens  (pour  ne  pas  dire  des  enfants)  com* 
plétement  impropres  au  service  militaire,  et  absolu-* 
ment  incapables  de  supporter  les  misères  et  les  fatigues 
de  cette  rude  guerre. 

Dans  le  cours  du  xvni*  siècle,  l'emploi  des  troupes 
étrangères  a  été  d'un  usage  presque  universel,  et  la 
France  elle-même  a  suivi,  pendant  cette  période, 
l'exemple  des  autres  nations.  Le  duc  de  Choiseul,  mi-^ 
nistre  de  Louis  XY,  avait  coutume  de  dire  qu'un  mer- 
cenaire étranger  valait  autant  que  trois  soldats  levés 
parmi  les  nationaux  :  suivant  cet  homme  d'État,  le 
mercenaire  recruté  par  le  gouvernement  français  non- 
seulement  fournissait  un  soldat  à  opposer  à  l'ennemi, 
mais  il  diminuait  d'autant  la  force  de  ce  dernier,  dont 
ce  même  mercenaire  eût  été  grossir  les  rangs  si  la 
France  ne  lavait  retenu  sous  son  propre  drapeau  ; 
enfin,  troisième  avantage,  il  permettait  de  laisser  un 
homme  de  plus  aux  travaux  de  l'agriculture  (1). 

Pendant  longtemps,  nous  l'avons  dit,  le  gouvenie- 
ment  anglais  a  suivi  les  errements  du  duc  de  Choiseul. 


(1)  Aujourd'hui,  la  France  ne  conserve  plus  qu'une  seule  légion 
étrangère  qui  ddt  toujours  être  employée  à  Textérieur.  CeUe  orga- 
nisation a  un  but  politique  ;  elle  permet  de  débarrasser  k  pays  des 
déserteurs  et  des  étrangers  sans  aveu.  Plusieurs  des  officiers  les 
plus  distingués  de  Tarmée  française  ont  commandé  successivement 
la  légion  étrangère  en  Afrique. 


172  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

Depuis  la  guerre  d'Orient,  l'opinion  publique  semble 
s'être  prononcée  d'une  manière  formelle,  en  Angle- 
terre, contre  l'emploi  des  troupes  étrangères.  Que  cette 
opinion  ait  pris  naissance  dans  les  embarras  multipliés 
qui  signalèrent  le  licenciement  des  corps  recrutés  pour 
la  campagne  de  Crimée,  ou  qu'elle  procède  d'une 
autre  source,  un  fait  incontestable,  cest  l'antipathie 
qui  s'est  révélée  parmi  le  peuple  anglais  à  l'égard  de 
ces  corps.  Cette  aversion  semble  tellement  profonde 
que,  pendant  la  grande  crise  indienne,  malgré  les  dif- 
ficultés sans  nombre  que  le  gouvernement  a  rencon- 
trées pour  dominer  la  situation  avec  le  seul  secours 
des  forces  régulières  et  normales,  il  n'a  !pas  été  fait 
appel  aux  auxiliaires  étrangers. 

Si  Ton  considère  la  situation  de  l'Empire  indien  de- 
puis l'apaisement  de  la  révolte,  et  les  nécessités  qui  en 
découlent  actuellement  pour  l'armée  de  la  métropole, 
il  est  permis  de  douter  que  l'Angleterre,  dans  le  cas 
d'une  guerre  générale  ou  de  quelque  durée,  soit  en 
mesure  de  supporter  la  lourde  charge  que  les  besoins 
du  recrutement  entraîneraient  pour  la  population. 

Après  les  corps  étrangers,  dont  l'effectif  aujourd'hui 
fort  restreint  est  borné,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  à 
la  Légion  allemande  employée  au  Cap,  les  Pension- 
naires militaires  figurent  en  première  ligne  au  nombre 
des  auxiliaires  sur  lesquels  l'armée  anglaise  croit  pou- 
voir compter  pour  la  défense,  tant  du  territoire  que 
des  colonies. 

L'origine  des  Pensionnaires  militaires  remonte  au 
règne  de  la  reine  Anne  (1703).  Ils  ont  formé,  dans  le 


DB  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     173 

principe,  quatre  divisions,  recrutées  parmi  les  soldats 
invalides  que  l'hôpital  de  Chelsea  (1  )  ne  pouvait  re* 
cueillir  à  cause  de  l'exiguïté  de  ses  ressources,  et  aux- 
quels un  secours  journalier  était  accordé  en  attendant 
que  rétablissement  pût  les  recevoir. 

La  position  de  ces  militaires  retraités  a  été  réglée 
par  de  nombreux  décrets,  et  nous  les  étudierons  som- 
mairement lorsque  nous  nous  occuperons  de  l'hôpital 
militaire  de  Chelsea. 

Le  nombre  des  Pensionnaires  militaires,  qui  était 
de  5,600  en  1744,  de  12,000  en  1782,  de  17,000 
en  1795,  de  47,180  en  1815,  s'élève  aujourd'hui  à 
63,634.  (Fomblanque,  Treatise  on  the  organisation  of 
ihe  british  army.) 

Afin  de  suppléer  autant  que  possible  à  l'insuffisance 
de  ses  troupes  actives,  l'Angleterre  a  soumis  ses  Pen- 
sionnaires militaires  à  certaines  obligations  compa- 
tibles avec  leur  âge  et  leurs  infirmités.  Disséminés,  ou 
plutôt  groupés  sur  différents  points  de  la  Grande-Bre- 
tagne et  des  Colonies,  ces  vétérans  ne  cessent  pas  d'être 
assujettis  aux  exercices  militaires,  et,  le  cas  échéant, 
seraient  requis  de  concourir  à  la  défense  du  pays. 

Un  état-major  de  1 1 3  officiers,  dont  72  sont  em- 
ployés en  Angleterre  et  en  Ecosse,  30  en  Irlande,  et 
11  dans  les  Colonies,  est  chargé  de  l'administration  et 
de  la  solde  des  militaires  pensionnés.  Ces  officiers  diri- 
gent et  surveillent  leurs  exercices  et  leurs  manœuvres 

(1)  Fondé  par  Charles  \h  ThàpiUl  de  Chelsea  est  THôtel  des 
invalides  de  Tarmée  anglaise. 


174  COKdtîTUTlOÏÎ  Et  PlTISSANCË  MILITAIRES 

périodiques;  ils  ont,  en  outre,  pour  mission  de  main- 
tenir la  discipline  dans  le  corps,  et  d'assurer  Texécu- 
tion  de  toutes  les  mesures  destinées  à  entretenir  et  à 
augmenter  la  somme  des  services  qu'il  peut  rendre. 

Nous  avons  à  peine  besoin  de  le  dire,  sur  les 
68,000  Pensionnaires  militaires  payés  par  le  budget  de 
l'Angleterre,  10,000  à  peine  seraient  en  état  de  porter 
les  armes  en  cas  de  guerre. 


DE  LA  FRANCE   ET    DE  L*ANGLETÊailE.  l75 


CHAPITRE    XII. 

Troupes  et  personnel  des  services  administratifs  dans  Tarmée 
anglaise.  -  §  T.  Train  militaire ,  organisation  et  efTectif.  — 
§11.  Personnel  du  corps  de  sanlé:  infirmiers. —§111.  Services 
administratifs.  -  Commissariat  ou  Intendance  militaire  ;  organi- 
sation et  composition.  —  Devoirs  financiers  et  devoirs  administra- 
tifs des  membres  du  Commissariat.  —  Services  spéciaux  dans  les 
colonies.  —  Cadre  du  Commissariat;  agents  inférieurs  subor- 
donnés au  Commissariat  pour  Texécution  du  service  des  subsis- 
tances. —  Département  médical.  —  Comptables  des  hôpitaux.  — 
Chapelains. —  Comptables  des  magasins  militaires  (armement, 
habillement,  équipement,  etc.  ).  —  Personnel  du  service  du  caser- 
nement. —  Personnel  civil  des  bureaux  du  génie. 

§  I". 

Par  analogie  avec  ce  qui  existe  dans  Torganisation 
française,  nous  rangeons  sous  le  titre  de  «  Troupes  de 
l'Administration  »  le  train  militaire  [military  train)  ^i 
le  personnel  des  ambulances  et  hôpitaux  de  Tannée 
anglaise  [médical  staff  corps),  bien  que  cette  dénomi- 
nation générale  ne  soit  pas  encore  adoptée  par  nos 
voisins. 

Les  troupes  de  l'Administration  sont  de  formation 
toute  récente  dans  l'armée  britannique.  Leur  création 
remonte  seulement  à  la  campagne  de  Crimée. 

Le  train  militaire  anglais  fut  organisé  au  début  de 
la  guerre  d'Orient,  et  porta  dans  le  principe  le  nom  de 
«  Corps  des  transports  par  terre  {land  transport  corps) .  » 
Jusqu'à  cette  époque^  le  Commissariat  {the  Commissa- 


176  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  mLITAIRES 

riat  Department)  avait  eu  la  mission  de  pourvoir  à 
toutes  les  nécessités  auxquelles  doit  satisfaire  la  troupe 
chargée  des  convois  militaires  dans  les  armées  conti- 
nentales. 

Vers  le  commencement  de  l'année  1857,  le  train 
militaire  reçut,  chez  nos  voisins,  une  organisation 
nouvelle  qui  l'assimila  aux  corps  de  cavalerie. 

Aujourd'hui  il  compte  7  bataillons,  et  figure  sur 
VArmy  list  à  la  suite  de  Tartillerie.  Il  est  sous  les  ordres 
d'un  colonel  commandant  (1). 

8  lieutenants-colonels  et  ft  majors  commandent  les 
bataillons. 

30  capitaines,  &0  lieutenants,  12  enseignes  et 
216  sous-officiers  forment  les  cadres  de  la  troupe. 

L'état-major  de  chaque  bataillon  comporte  un 
payeur,  un  quartier-maître,  un  chirurgien,  un  vétéri- 
naire et  un  adjudant. 

3  maîtres  d'équitation  {riding  masters)  et  un  instruc- 
teur pour  récole  de  tir  {instructor  ofmusketry)  complè- 
tent le  cadre  du  train  militaire  anglais. 

L'effectif  de  la  troupe  a  été  très  variable  depuis  la 
formation  du  corps;  au  moment  de  la  réorganisation, 
en  1857,  le  chiffre  des  hommes  dans  le  rang  {rank 
and  file)  était  de  1,500  environ.  Aujourd'hui,  l'efiectit 
général,  officiers  compris,  est  de  2,000  hommes»  et 
celui  des  chevaux  de  1,200. 

Gomme  en  France,  le  train  militaire  est  institué 

(1)  Le  colonel  Mac  Murdo,  qui  commande  en  chef  le  train  mili* 
taire  an^^lais,  en  esl  en  même  temps  le  premier  organisateur. 


DE  I^  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     177 

pour  effectuer  tous  les  convois  et  transports  de  l'armée 
anglaise,  particulièrement  ceux  qui  sont  organisés  par 
le  Commissariat  pour  les  approvisionnements.  Cette 
troupe,  sur  son  pied  actuel,  ne  peut  guère  être  consi- 
dérée que  comme  le  noyau  du  corps  définitif  que  récla- 
meraient les  besoins  de  Tarmée  en  temps  de  guerre. 
Son  effectif  devrait  être  augmenté  dans  une  proportion 
importante  pour  pouvoir  suffire  aux  exigences  du  ser- 
vice dans  le  cas  d'une  campagne  entreprise  sur  une 
arge  échelle. 

Comme  le  train  militaire,  le  personnel  des  auxi- 
liaires du  seiTice  de  santé  (médical  staff  corps)  est  de 
date  récente.  Ce  corps  a  été  formé  pendant  la  cam- 
pagne de  Crimée,  afin  de  combler  une  des  plus  regret- 
tables lacunes  qui  aient  jamais  existé  dans  le  service 
des  hôpitaux  militaires  anglais. 

Calquée  sur  le  plan  des  compagnies  d'infirmiers  mili- 
taires qui  existent  dans  l'armée  française,  l'organisation 
des  infirmiers  anglais  était  indispensable  en  campagne. 
Elle  est  appelée,  en  garnison,  et  sur  le  pied  de  paix,  à 
venir  en  aide  aux  officiers  de  santé  ;  mais  pour  que 
cette  institution  puisse  rendre,  chez  nos  voisins,  tous 
les  services  qu'on  lui  demande  en  France,  elle  a  besoin 
d'être  perfectionnée.  Jusqu'ici  le  dressage  et  T instruc- 
tion des  infirmiers  militaires  anglais  ne  semblent  pas 
avoir  obtenu  toute  l'attention  qu'ils  méritent.  La  force 
totale  du  corps  ne  dépasse  guère  un  millier  d'hommes. 
11  est  dirigé  par  2  officiers  seulement;  76  sous-offi- 

12 


478  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MlLITAmfô 

ciers,  en  1858,  commandaient  les  différents  détache- 
ments répartis  entre  les  hôpitaux  et  les  ambulances. 

§IIL 

L'armée  britannique  étant  considérée  au  point  de 
vue  de  la  double  direction,  ou  du  double  commande- 
ment qui  résulte  des  pouvoirs  attribués  au  Comman- 
dant en  chef  et  au  Ministre  de  la  guerre,  on  peut  con- 
sidérer les  départements  ou  services  administratifs 
[administrative  departments)  comme  remplissant,  vis- 
à-vis  du  second  de  ces  hauts  fonctionnaires,  le  rôle  que 
TÉtat-rnajor  général  et  les  officiers  d  etat-major  rem- 
plissent vis-à-vis  du  premier. 

Les  services  administratifs  de  Tarmée  anglaise  (au 
titre  du  personnel  de  Tétat-major  de  l'armée)  com- 
prennent : 

l"*  Le  Commissariat  [the  Commissariat  deparcment)'^ 

2°  Le  Corps  médical  (the  médical  department)  ; 

3'  Les  Comptables  des  hôpitaux  {the  Purveyors' 
departmetU)] 

4*"  Les  Aumôniers  militaires  [the  Chaplains'  depart- 
ment) . 

Au  titre  des  établissements  civils,  on  compte  : 

5°  Le  service  des  magasins  {the  military  store  départ- 
ment)  ; 

6°  Le  service  des  casernes  {the  barrack  department)] 

T  Le  service  auxiliaire  du  génie  {the  royal  enyineer 
department). 

Ces  différents  services,  bien  que  placés  sous  l'auto- 
rité commune  du  Ministre  de  la  guerre,  sont  indépeo- 


D6  LA  FBAMGB  ET  PB  L  ANÔLETBMB.    M  70 

dants  les  uns  des  autres.  Ils  fonctionnent  séparément, 
et  sous  la  responsabilité  particulière  et  distincte  des 
chefs  qui  les  dirigent.  Chacun  d'eux  est  régi  par  des 
règlements  spéciaux,  et  soumis  à  une  législation  parti- 
culière. Nous  verrons  ailleurs  quels  sont  les  inconvé- 
nients d'un  pareil  système. 

i""  Du  Commissariat  {the  CommissariiU). 

Réglementairement  parlant,  Torganisation  des  ap- 
provisionnements militaires  en  vivres  et  fourrages,  en 
tout  lieu  et  eu  toute  circonstance,  résume  le  service 
des  membres  du  Commissariat  anglais.  Tout  ce  qui  ne 
touche  pas  à  cet  objet  devrait  être  r^ardé  comme 
également  étranger  au  caractère  et  à  Tesprit  de  l'insti- 
tution (1).  Nous  verrons,  lorsque  nous  entreprendrons 
plus  loin  l'examen  critique  des  services  administratifs 
de  Tarmée  britannique,  par  quelles  voies  le  Commissa- 
riat anglais  a  été  conduit  à  se  trouver  chargé  (soit  en 
matière  de  finances,  soit  en  raison  des  localités)  de  de- 
voirs tellement  variés  et  multipliés  que  le  service  des 
approvisionnements  en  est  venu  à  ne  plus  constituer 
qu'un  des  moindres  détails  de  ses  attributions. 

Ce  qui  constitue  la  différence  essentielle  entre  l'or-r 
ganisation  du  Commissariat  anglais  et  celle  de  notre 
Intendance  militaire,  c'est  que,  dans  le  premier  de  ces 
deux  corps,  les  fonctionnaires  ont  le  double  caractère 
d'agents  financiers  et  de  contrôleurs  de  toutes  les  dé- 
penses qui  concernent  l'armée . 

(i)  Fomblanque. 


180*         COl^STITUTION   ET  l»UISSAPÎCE  HILtTAmES 

Ainsi  le  Commissariat,  responsable  avant  tout,  pour 
l'exécution  de  son  service  général,  envers  le  Ministre 
de  la  guerre,  est  subordonné,  quant  à  la  discipline  et 
à  l'accomplissement  de  ses  devoirs  journaliers  et  locaux, 
aux  autorités  militaires.  Comme  agent  financier,  il  a 
à  répondre  au  trésor  ;  en  matière  de  comptabilité,  il 
correspond  avec  le  bureau  de  la  trésorerie,  avec  le 
directeur  de  la  comptabilité  {accountant  gênerai)  du 
Ministre  de  la  guerre,  et  avec  le  payeur  général 
{paymaster  gênerai). 

A  rintérieur,  le  nombre  des  membres  du  Commis- 
sariat en  service  actif  est  très  limité.  Leurs  devoirs  se 
réduisent  presque  exclusivement  à  surveiller  les  four- 
nitures et  la  bonne  exécution  des  marchés  passés  par 
le  Ministre  de  la  guerre. 

Aux  armées  et  dans  les  possessions  extérieures  de  la 
Grande-Bretagne,  ces  devoirs  sont  beaucoup  plus  com- 
pliqués, comme  on  pourra  en  juger  par  l'aperçu  sui- 
vant : 

En  malière  de  trésorerie,  le  Commissariat  est  chaîné  : 
V  De  procurer,  soit  par  la  négociation  de  traites,  soit 
de  toute  autre  manière,  les  fonds  réclamés  par  les  be- 
soins de  l'armée. — 2°  Il  contrôle  les  dépenses  mili- 
taires dans  la  limite  des  crédits  îiccordés;  il  ordon- 
nance et  approuve  tous  les  payements  réguliers  pour  le 
service  de  l'armée.  —  S*"  Il  a  la  garde  de  la  caisse  du 
trésor,  qui,  prend  généralement  le  nom  de  caisse  mili- 
taire {mililani  cimt)  ;  il  fournit  sur  états  généraux  les 
fonds  nécessaires  aux  différents  départements  de  l'ar- 
mée; il  paye  en  détail  et  en  espèces  les  parties  pre- 


DE  LA  FRANCE  KT  DE  L* ANGLETERRE.     I8Î 

nantes  de  tous  les  services  militaires.  —  4*  Il  fournit 
les  fonds  accordés  aux  services  coloniaux  et  à  la  ma- 
rine par  les  règlements  en  vigueur. 

Les  devoirs  pour  lesquels  le  Commissariat  anglais 
est  responsable  envers  le  Ministre  de  la  guerre  sont  : 

r  L'organisation  des  approvisionnements  de  Tarmée 
en  vivres,  fourrages,  combustibles,  etc.,  etc.,  soit  au 
moyeu  d'adjudications,  de  marchés  k  Tamiable  ou  de 
réquisitions;  — la  distribution  a  la  troupe  des  diverses 
rations  fixées  par  les  tarifs.  —  2°  La  rédaction  et  l'éta- 
blissement, au  compte  du  Ministère  de  la  guerre,  des 
divei*s  contrats  ou  marchés  concernant  tous  les  services 
et  toutes  les  fournitures,  y  compris  la  location  des  ter- 
rains et  bâtiments  nécessaires  à  Tarmée,  et  les  dé- 
penses des  départements  du  casernement  et  du  génie. 
—  3°  L'organisation  des  transports  par  terre  (lorsqu'il 
n'y  a  point  de  train  militaire),  et  celle  des  transports 
par  eau  à  l'intérieur,  lorsqu'il  n'y  a  point  d'agent  de 
la  navigation  sur  les  lieux;  la  rédaction  des  conventions 
relatives  au  fret  des  navires  employés  pour  le  service 
de  l'armée.  —  4*  Le  payement  de  la  solde  des  corps  de 
l'artillerie  et  du  génie  (1).  —  5*   L'établissement, 
l'examen  et  la  rectification  des  différents  budgets  rela- 
tifs aux  dépeuses  de  tous  les  services  de  Tannée. 

(1)  L'ai'tiUerie  et  le  génie  sont  si  raromcnt  appelés,  en  Angle- 
terre, à  former  sur  un  même  point  des  détachements  d'une  certaine 
importance  quo,  jusqu'ici,  Torganisation  de  ces  armes  n'a  pas  com- 
porté d'officiers  payiuf s  ipay-moifters).  Une  mesure  récente  a  créé 
cependant  un  emploi  de  payeur  en  chef,  doiU  le  titulaire  réside  au 
quartier-général  à  VVoolvicb. 


182  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

Les  membres  du  Commissariat  sont  responsables 
envers  le  Ministre  de  la  guerre  pour  toutes  les  transac- 
tions relatives  à  des  fournitures  ou  à  des  dépenses  sou- 
mises au  contrôle  de  ce  ministre.  Ils  sont  responsables 
envers  le  bureau  de  la  trésorerie  pour  tout  ce  qui  re- 
garde le  service  des  fonds  proprement  dit,  et  pour  leurs 
devoirs  comme  agents  financiers.  Leur  correspondance 
avec  ces  deux  départements  doit  toujours  être  divisée 
et  conduite  d'après  ce  principe  fondamental. 

Indépendamment  des  devoirs  généraux  que  nous 
venons  de  récapituler,  les  membres  du  Commissariat 
anglais  sont  encore  chargés,  très  souvent,  de  services 
tout  à  fait  spéciaux,  et  qui  varient  suivant  les  colonies 
où  ils  sont  employés.  Ainsi,  par  exemple,  dans  les  co- 
lonies de  l'Australie,  à  Gibraltar,  aux  Bermudes,  les 
fournitures,  les  bâtiments,  les  magasins,  etc.,  des  éta- 
blissements de  convicts  (1),  sont  placés  sous  leur  sur- 
veillance. Au  Canada,  ils  sont  chargés  de  la  distribu- 
tion des  cadeaux  périodiques  que  l'Angleterre  fait  aux 
tribus  de  l'Amérique  du  Nord  en  échange  des  terri- 
toires qu'elles  ont  cédés  à  la  Couronne.  Il  en  est  de 
même,  dans  presque  toutes  les  possessions  extérieures, 
pour  le  payement  des  pensionnaires  de  Chelsea  et  des 
membres  de  la  magistrature  ou  du  clergé.  Enfin,  dans 
certains  cas,  le  Commissariat  est  encore  chargé  de 
rencaissement  et  de  la  comptabilité  des  fonds  colo- 
niaux (2). 

(i)  Convicts^  transporté. 

(2)  On  remarquera  Tanalogie  qui  existe  entre  les  fonctions  du 


DE  LÀ  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     18d 

Ainsi  que  nous  Tavons  dit  plus  haut,  à  Fintérfeur» 
le  Commissariat  anglais  a  pour  tout  service  la  surveil- 
lance des  fournisseurs  et  la  direction  des  approvision- 
nements. Les  différents  bureaux  du  Ministère  de  la 
guerre,  le  département  du  payeur- général,  enfin,  les 
agents  de  Tarmée  [army  agents)  (1),  se  partagent  les 
autres  attributions  qui  lui  sont  dévolues  hors  de  la 
Grande-Bretagne. 

Le  système  des  approvisionnements  et  des  fourni- 
tures, à  l'intérieur,  ne  ressemble  en  aucune  façon, 
comme  on  le  voit,  à  celui  suivi  à  Textérieur.  Il  en  ré- 
sulte que  les  devoirs  du  Commissariat,  sur  le  pied  de 
paix,  n'ayant  rien  de  commun  avec  ceux  qu'il  doit 
remplir  en  campagne,  le  passage  au  pied  de  guerre 
devient  toujours  le  signal  d'un  grand  désordre  dans 
l'administration  militaire. 

Les  cadres  du  Commissariat  ont  frckjuemmeut  varié 
dans  l'armée  anglaise  depuis  l'époque  de  sa  première 
organisation,  en  1808,  par  le  duc  de  Wellington. 


Commissariat  dans  les  colonies  anglaises,  et  le  service  dévolu  autre- 
fois aux  payeurs  militaires  de  notre  armée  de  T Algérie,  surtout 
pendant  les  premières  années  de  la  conquête. 

(I)  Nous  verrons  plus  loin,  lorsque  nous  examinerons  sommaire- 
ment radminislraiion  militaire  de  nos  voisins  au  point  de  vue 
financier,  ce  que  sont  ces  agents  de  Varmée,  et  les  raisons  qui  mili- 
tent pour  leur  suppression.  Disons  seulement,  dès  à  présent,  quHIs 
coûtent,  à  eux  seuls,  près  du  triple  de  c^  que  coûte  le  Commissariat 
employé  dans  les  possessions  extérieures.  Le  maintien  Aecesagents^ 
et  la  continuation  de  leur  monopole  si  onéreux  pour  riîitat,  prouve 
mieux  que  tout  ce  que  Ton  pourrait  invoquer,  ce  que  peuvent  en 
Angleterre  Finfluence  et  la  richesses  de  quelques  individus. 


174  COHWÎWTIOÎÎ  KT  t^lTISSATlCfi  HlLlTAmfô 

périodiques;  ilâ  ont,  en  outre,  pour  mission  de  main- 
tenir la  discipline  dans  le  corps,  et  d'assurer  l'exécu- 
tion de  toutes  les  mesures  destinées  à  entretenir  et  à 
augmenter  la  somme  des  services  qu'il  peut  rendre. 

Nous  avons  à  peine  besoin  de  le  dire,  sur  les 
68,000  Pensionnaires  militaires  payés  par  le  budget  de 
l'Angleterre,  10,000  à  peine  seraient  en  état  de  porter 
les  armes  en  cas  de  guerre. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L*ANGLETÊRHE.     l75 


CHAPITRE  ÎII. 

Troupes  et  personnel  des  services  administratifs  dans  l*armée 
anglaise.  -  !  1.  Train  militaire ,  organisation  et  efTectlf.  ~ 
§11.  Personnel  du  corps  de  santé:  infirmiers* —  § III.  Services 
administratifs.  —  Commissariat  ou  Intendance  militaire  ;  organi- 
sation et  composition.  —  Devoirs  financiers  et  devoirs  administra- 
tifs des  membres  du  Commissariat.  —  Services  spéciaux  dans  les 
colonies.  —  Cadre  du  Commissariat;  agents  inférieurs  subor- 
donnés au  Commissariat  pour  l'exécution  du  service  des  subsis- 
tances. —  Département  médical.  —  Comptables  des  hôpitaux.  — 
Chapelains.  ~  Comptables  des  magasins  militaires  (armement, 
habillement,  équipement,  etc.).  —  Personnel  du  service  du  caser- 
nement. —  Personnel  civil  des  bureaux  du  génie. 

Par  analogie  avec  ce  qui  existe  dans  Torganisation 
française,  nous  rangeons  sous  le  titre  de  «  Troupes  de 
V Administration  »  le  train  militaire  [military  train)  ^i 
le  personnel  des  ambul£fnces  et  hôpitaux  de  Tarmée 
anglaise  [médical  staff  corps),  bien  que  cette  dénomi- 
nation générale  ne  soit  pas  encore  adoptée  par  nos 
voisins. 

Les  troupes  de  l'Administration  sont  de  formation 
toute  récente  dans  l'armée  britannique.  Leur  création 
remonte  seulement  à  la  campagne  de  Crimée. 

Le  train  militaire  anglais  fut  organisé  au  début  de 
la  guerre  d'Orient,  et  porta  dans  le  principe  le  nom  de 
«  Corps  des  transports  par  terre  {land  transport  corps) .  » 
Jusqu'à  cette  époque,  le  Commissariat  [the  Commissa- 


186  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

2*"  Service  de  santé  (the  médical  Department) 

Cette  partie  importante  de  l'organisation  d'une  ar- 
mée se  divise  en  Angleterre,  quant  au  personnel,  en 
deux  sections  distinctes.  La  première  comprend  le 
corps  médical  militaire  ou  Tétat-major  des  officiers  de 
santé  de  l'armée  ;  la  seconde  est  composée  des  méde- 
cins et  chirurgiens  attachés  aux  différents  corps  de 
troupes.  Nous  ne  parlerons  pas  ici  des  attributions  de 
ces  derniers,  dont  nous  avons  donné  un  aperçu  dans 
le  tableau  de  l'organisation  régimentaire  de  l'armée 
anglaise. 

Le  corps  médical  militaire  (the  officers  ofihe  médical 
staff)  est  composé  de  la  façon  suivante  : 

5  Inspecteurs-généraux  {inspectors  gênerai  of  hospi- 
tais),  ayant  le  rang  de  brigadier-général,  et  après 
^  cinq  ans  de  grade  celui  de  major-général;  —  la  In- 
specteurs-généraux adjoints,  ayant  le  rang  de  lieute- 
nant-colonel, et  après  cinq  ans  de  grade  celui  de  co- 
lonel; —  21  Chirurgiens  [staff  surgeons)  de  première 
classe,  ayant  le  rang  de  major,  et  prenant,  après 
vingt  ans  de  services,  le  titre  de  chirurgien-major 
{surgeon  major  )\  —  Û8  Chirurgiens  de  deuxième 
classe,  ayant,  suivant  leur  ancienneté,  rang  de  lieute- 
nant ou  de  capitaine; —  enfin,  101  Aides-chirurgiens. 

Cette  composition  du  corps  de  santé  de  l'armée  an- 
glaise offre  beaucoup  d'analogie  avec  celle  du  même 
corps  dans  l'armée  française;  les  dénominations  et  la 
hiérarchie  sont  presque  identiques. 


DE  LA  FRANCK  ET  DE  L  ANGLETERRE.     187 

Les  fonctions  des  inspecteurs-généraux  et  des  inspec- 
teurs adjoints  sont,  en  quelque  sorte,  purement  adnii 
nistratives.  Les  officiers  de  santé  de  ces  deux  classes, 
en  Angleterre,  n'exercent  pas,  à  proprement  parler,  la 
médecine  :  ils  sont  chargés  de  la  surveillance  du  ser- 
vice de  santé  en  général  et  de  la  direction  des  hôpi- 
aux.  Ainsi,  un  inspecteur  de  santé  ne  traite  person- 
nellement un  malade  ou  un  blessé  que  dans  des  cas 
tout  à  fait  exceptionnels;  il  n'intervient  que  fort  rare- 
ment dans  le  mode  de  traitemtînt  adopté  à  l'égard  des 
malades  par  l'officier' inférieur  chargé  du  service  actif, 
et  celui-ci  conserve  toute  la  liberté  comme  aussi  toute 
la  responsabilité  de  ses  ordonnances  et  prescriptions. 
D'un  autre  côté,  les  hauts  fonctionnaires  du  corps  mé- 
dical, ayant  la  surveillance  et  la  direction  de  tout  ce 
qui  concerne  l'administration,  la  discipline  et  l'écono- 
mie générale  des  établissements  hospitaliers,  le  méde- 
cin chargé  de  soigner  et  de  guérir  se  trouve  affranchi 
de  tous  les  détails  qui  sont  étrangers  au  traitement  de 
ses  malades. 

En  réalité,  ce  sont  les  titulaires  des  grades  les  plus 
élevés  dans  la  hiérarchie  médicale  qui  jouent  en  An- 
gleterre, au  point  de  vue  administratif,  le  rôle  attribué 
en  France  aux  membres  de  l'Intendance  dans  l'organi- 
sation et  la  surveillance  des  hôpitaux.  Ceci  explique  le 
grand  nombre  d'emplois  supérieurs  que  comporte  celte 
hiérarchie  chez  nos  voisins,  eu  égard  à  l'effectif  peu 
considérable  de  leur  armée  et  au  nombre  restreint  de 
leurs  hôpitaux. 

Tout  candidat  qui  désire  entrer  dans  le  corps  médical 


188  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

militaire  doit  adresser  sa  demande  au  directeur-général 
du  service  de  santé.  Celte  demande  doit  être  accompa- 
gnée d'un  certificat  constatant  son  honorabilité  {respec- 
tability)  et  d'un  diplôme  délivré,  soit  par  les  Collèges 
royaux  des  chirurgiens  de  Londres,  de  Dublin  ou  d*É- 
dimboug,  soit  par  l'Académie  de  médecine  de  Glascow, 
soit  enfin  par  le  Collège  de  la  Trinité  de  Dublin.  Le 
candidat  est,  en  outre,  soumis  à  un  examen  public  qui 
détermine  son  admission  ou  sou  rejet.  Dans  le  premier 
cas,  il  est  attaché  à  T hôpital-général  de  Chatham,  où 
il  accomplit  un  stage  plus  ou  moins  long  destiné  à 
compléter  son  instruction,  en  attendant  qu'une  va- 
cance permette  de  l'admettre  dans  le  cadre  du  corps 
de  santé  ou  de  le  placer  comme  aide-chirurgien  dans 
un  régiment. 

Toutes  ces  dispositions  offrent  une  grande  ressem- 
blance avec  celles  qui  existent  dans  l'organisation  du 
corps  médical  militaire  en  France. 

S*"  Comptables  des  hôpitaux  {purveyor's  Deparimeni). 

Les  comptables  (purveyor's)  des  hôpitaux  militaires 
en  Angleterre  tiennent  la  place  de  nos  officiers  d'ad- 
ministration du  même  service  en  France.  Seulement, 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut  (et  nous  nous  propo- 
sons de  discuter  plus  loin  les  avantages  et  les  inconvé- 
nients de  ce  système),  ces  pourvoyeurs  ou  économes 
des  hôpitaux  anglais,  au  lieu  d'être  placés  sous  les 
ordres  de  l'Intendance  miUtaire,  c'est-à-dire  du  Com- 
missaiiat,  sont  complètement  subordonnés  aux  officiers 
de  santé  directeurs. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     189 

Cet  office  de  pourvoyeur  des  hôpitaux  fut  créé  dans 
la  dernière  partie  de  la  guerre  de  la  Péninsule  ;  mais, 
antérieurement  à  cette  époque,  les  intendants  ou  gé- 
rants d'hôpital  (hospital  stewards)  étaient  déjà  connus 
dans  l'armée  britannique  et  remplissaient  dans  les 
principaux  hôpitaux  militaires  des  fonctions  analogues 
à  celles  des  pourvoyeurs  actuels. 

A  la  paix  de  1815,  l'institution  des  pourvoyeurs  fut 
abolie,  et  ce  n'est  que  depuis  la  dernière  guerre  avec  la 
Russie  que  leur  service  a  été  réorganisé.  Pendant  la 
campagne  de  Crimée,  on  reconnut  qu'il  était  absolu- 
ment indispensable  d'affranchir  le  corps  médical  des 
détails  sans  nombre  qu'entraînaient  les  fournitures  et 
la  comptabilité  des  hôpitaux,  au  grand  détriment  de 
ses  devoirs  professionnels. 

Les  pourvoyeurs  ou  comptables  sont  chargés  d'ap- 
provisionner les  hôpitaux  de  toutes  les  denrées,  four- 
nitures, objets  mobiliers,  etc.,  que  réclame  le  service, 
et,  à  l'exception  des  médicaments,  de  distribuer  tout 
ce  qui  doit  être  fourni  aux  malades.  Ils  tiennent  les 
r^istres  d'entrée  et  de  sortie  des  militaires  admis  dans 
les  établissements  hospitaliers  ;  ils  reçoivent  dans  des  • 
magasins  ad  hoc,  leurs  armes  et  leurs  effets  d'habille- 
ment. Ils  tiennent  la  comptabilité  et  les  livres  de  dé- 
pense, dirigent  le  service  des  infirmiers  et  domestiques. 
Ils  rendent  compte  périodiquement  dé  l'état  des  locaux 
et  provoquent  les  réparations  nécessaires.  Ils  rédigent 
et  reçoivent  les  testaments  des  hommes  qui  meurent 
dans  leur  établissement,  et  prennent  les  dispositions 
réglementaires  pour  leur  inhumation;  enfin,  ils  ont  la 


190  CONSTITUTION   ET  t>UISSANCE  MtLlîAtRES 

police  et  la  surveillance  générale  des  hôpitaux  pour 
tout  ce  qui  touche  au  bon  ordre  et  à  la  propreté. 

Les  pourvoyeurs  sont  autorisés  à  réclamer  du 
Commissariat  toutes  les  fournitures  que  ce  départe- 
ment peut  procurer,  et  à  profiter,  pour  leur  ser\'ic«,  de 
tous  les  marchés  passés  par  lui.  Dans  les  circonstances 
urgentes,  les  pourvoyeurs  peuvent  aussi  passer  des 
marchés  particuliers;  il  leur  est  également  permis  de 
tirer  sur  la  caisse  du  Trésor  pour  les  besoins  de  leur 
service,  à  charge  par  eux  de  soumettre  leurs  comptes 
au  Ministère  de  la  guerre. 

Le  cadre  des  pourvoyeurs  comporte  les  grades  sui- 
vants : 

I  pourvoyeur  en  chef  {purveyor  in  chief),  ayant 
rang  de  major;  —  t  pourvoyeur  en  chef  adjoint  (rfc- 
puty  purveyor  in  chief)^  du  rang  de  capitaine;  — 
28  pourvoyeurs  du  grade  de  lieutenant,  et  prenant 
rang  de  capitaine  après  quinze  ans  de  services;  — 
89  sous-pourvoyeurs  (purveyor'*  clercks)^  ayant  le  rang 
d'enseigne. 

/r  Aumôniers  (the  chaplains  Department) 

II  serait  assez  difficile  de  fixer  Tépoque  à  laquelle  on 
a  attaché  pour  la  première  fois  des  chapelains  aux 
corps  de  troupes  en  Angleterre.  Sous  le  règne  de  la 
reine  Marie,  ils  figurent  déjà  sur  les  états  d'effectif  de 
l'armée  avec  une  solde  de  2  shellings  par  jour.  Sous  le 
règne  d'Elisabeth,  leur  traitement  est  réduit  à  1  shel- 
ling;  sous  le  règne  du  roi  Guillaume,  il  est  porté  à  4. 
Jusqu'au  commencement  du  xix*  siècle,  l'emploi  de 


DE  LA  PRANOE  £t  DE  i/aNGLETBRIUB.     fdl 

chapelain  pouvait  s'acheter,  et  bien  mieux,  le  titulaire 
n'était  pas  obligé  de  suivre  son  régiment  en  cam- 
pagne; il  était  autorisé  à  se  faire  remplacer  par  un 
suppléant  auquel  il  abandonnait  uue  partie  plus  ou 
moins  importante  des  émoluments  attachés  à  son 
oilice.  La  nomination  des  chapelains  régimentaires 
était  considérée  comme  constituant  une  source  de  re- 
venu si  légitime  pour  les  colonels,  que,  à  l'époque  où 
Ton  entreprit  de  réorganiser  le  service  religieux  dans 
l'armée  anglaise,  le  gouverneraenl  fut  obligé  de  payer 
700  livres  sterling  (17,500  fr.)  à  tous  les  chefs  de 
corps,  afin  de  les  indemniser  de  la  perte  du  revenu 
qu'ils  tiraient  de  cette  source. 

Une  paieille  situation  était  fort  regrettable,  et,  dans 
l'intérêt  même  de  la  religion,  malgré  la  lacune  qui 
existait  au  point  de  vue  de  l'exercice  du  culte  dans 
notre  armée  française,  nous  aurions  eu  bien  peu  à  en- 
vier ou  à  imiter  dans  l'organisation  de  l'armée  britan- 
nique. 

En  1796,  le  service  de  rAumônerie  tut  mis  sur  un 
meilleur  pied.  La  paye  des  chapelains  fut  élevée  à 
7  shellings  à  Tintérieur  et  à  10  shelliugs  dans  les  colo- 
nies. Un  chapelain -général  fut  placé  à  la  tête  du  corps 
des  aumôniers  militaires. 

Pendant  la  guerre  de  la  Péninsule,  le  service  du 
culte  fut  de  nouveau  réorganisé.  Les  chapelains,  au 
lieu  d'être  attachés  aux  régiments,  furent  appelés  à 
prendre  place  dans  l'élat-major  des  brigades.  C'est  à 
peu  près  ce  qui  a  lieu  attuellement  en  France,  où  les 
aumôniers  sont  nommés  temporairement  lorsque  les 


192  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

troupes  forment  des  corps  actifs  ou  sont  réunies  dans 
des  camps  de  manœuvres. 

Pendant  longtemps,  le  gouvernement  anglais  ne 
s'est  pas  occupé  de  procurer  aux  militaires  appartenant 
aux  cultes  dissidents  les  facilités  qui  étaient  données  à 
ceux  de  TÉglise  anglicane.  Les  seuls  chapelains  rétri- 
bués par  VÉtat  appartenaient  tous  à  la  religion  réfor- 
mée. Le  nombre  considérable  dlrlandais,  et  par  con- 
séquent de  Catholiques  romains,  qui  comptent  dans 
l'armée  britannique  a  forcé  de  modifier  cet  état  de 
choses. 

Pendant  la  dernière  guerre,  des  chapelains  presby- 
tériens et  catholiques,  placés  sur  le  même  pied,  quant 
à  la  solde  et  à  la  position,  ont  été  chargés  de  donner 
aux  militaires  de  leurs  communions  les  soins  spirituels 
et  rinstruction  religieuse  qui  leur  avaient  manqué  jus- 
que-là. Aujourd'hui,  dans  toute  l'étendue  du  Royaume- 
Uni  comme  dans  les  possessions  extérieures,  toutes  les 
mesures  sont  prises,  et  aucune  dépense  n'est  épargnée, 
pour  que  les  militaires  anglais,  quelle  que  soit  leur 
croyance,  puissent  concilier  lexercice  de  leurs  devoirs 
militaires  avec  celui  de  leurs  devoirs  religieux, 

M.  Fomblanque,  en  exposant  cette  situation  nou- 
velle et  en  félicitant  à  juste  titre  son  pays  de  l'avoir 
inaugurée,  commet  cependant  une  erreur  en  affirmant 
que  la  libérale  Angleterre  soit  la  seule  au  monde  qui  ail 
donné  l'exemple  d'une  pareille  tolérance  :  «  Même  dans 
les  pays  où  les  dissidents  sont  exemptés  de  l'obligatiou 
d'assister  aux  cérémonies  religieuses  du  culte  élahli, 
prétend  M.  Fomblanque,  aucun  soin  n'est  pris  pour 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     193 

leur  assurer,  à  leur  lit  de  mort,  les  se<:ours  et  les  en- 
couragements de  leurs  propres  pasteurs.  «Cette  obser- 
vation ne  saurait  s'appliquer  à  la  France  :  Catholiques, 
Juifs  ou  Protestants,  ont  toute  latitude  non-seulement 
de  suivre  leur  religion  sous  les  drapeaux  et  en  état  de 
santé,  mais  cette  facilité  les  suit  encore  dans  les  hôpi- 
taux, dont  l'accès  est  ouvert  aux  ministres  de  toutes  les 
religions  reconnues. 

Le  cadre  des  chapelains  de  Tarmée  britannique  offre 
les  chiffres  suivants  : 

1  Chapelain -général  ; 
22  Chapelains  brevetés  (commisstoned  chaplains)  ; 
<^5  Chapelains  adjoints  {assistant  chaplains). 

5'  Comptables  des  magasins  {the  military  store 
Department). 

Le  service  des  employés  de  ce  département  consiste 
dans  la  réception,  la  conservation  et  la  distribution  de 
tous  les  approvisionnements,  autres  que  de  bouche^  tels 
que  :  armes,  habillements,  équipements,  effets  de 
campement,  etc. 

Antérieurement  à  la  réunion  des  différents  services 
administratifs  sous  la  direction  du  Ministre  de  la 
guerre,  le  département  des  magasins  militaires  (on  ne 
sait  trop  pourquoi)  était  dans  les  attributions  du  bureau 
de  l'Ordonnance.  Dans  les  possessions  extérieures,  les 
comptables  des  magasins  étaient  membres  d'un  comité 
formé  par  les  officiers  du  génie  et  de  Tartillerie,  sous 
la  responsabilité  duquel  toutes  les  dépenses  du  service 
des  deux  armes  étaient  centralisées  et  contrôlées.  Les 

13 


19ft  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  BIIUTAIRES 

comptables  des  magasins  étaient  aussi ,  dans  les  colo- 
nies^  les  officiers  payeurs  de  Tartillerie  et  du  génie. 

Aujourd'hui,  le  devoir  de  ces  employés  est  borné  à 
la  réception  et  à  la  distribution  de  tous  les  objets  qui 
ne  sont  pas  de  consommation  proprement  dite.  Ils 
exercent,  en  outre,  une  surveillance  générale  sur  la 
comptabilité  des  employés  du  casernement  {barrack 
masters).  Ils  reçoivent,  par  l'intermédiaire  du  Com- 
missariat, les  fonds  nécessaires  pour  les  dépenses  acci- 
dentelles de  leur  service  et  rendent  leurs  comptes  au 
Ministère  de  la  guerre. 

Il  existe  une  analogie  presque  complète  entre  les 
officiers  d'administration  de  F  habillement  et  du  campe- 
ment de  notre  armée  et  les  comptables  des  magasins 
de  l'armée  anglaise.  Dans  l'organisation  du  service 
français,  il  y  a  toutefois  une  diflEérence  essentielle,  c'est 
que  la  fabrication,  la  conservation  et  la  distribution 
des  armes  appartiennent  exclusivement  à  l'artillerie. 

Les  comptables  des  magasins  militaires,  en  Angle- 
terre, sont  à  la  nomination  du  Ministre  de  la  guerre, 
qui  signe  leurs  commissions.  Ils  n'appartiennent  pas  à 
Tarmée  et  n'ont  qu'une  assimilation  de  convention  qui 
sert  de  base  pour  leurs  émoluments. 

Le  cadre  se  compose  de  : 

3  Comptables  en  chef  {military  prtnctpa/  ^iiorekeepers)  ayant 

rang  de  Ueutenant-colonel. 
7  Comptablesofdinaires,  ayant  aussi  rang  de  Ueiitenantroolonei. 
21  Gomptid)les  adjoints  (deputy  storekeepers  )  ayant  rang  de 
major. 

31  à  reporter. 


DE  LA   FRANCE  ET   DE  l' ANGLETERRE.  lOÔ 

31  Report. 

58  Sous-comptables  (assistant  storekeepers)  ayant  rang  de  ca- 
pitaine. 
70  Commis  de  1'*  claise  (elerks)  ayant  rang  de  lieutenant 
88  Commis  de  S*"  classe  (    —  )  ayant  rang  d^enseigne* 


347  Employés  civils  dont  le  salaire  figure  au  budget  de  l'armée 
anglaise  pour  la  somme  de  67,000  livres  (i,375»00Q  franc^, 

6»  Employés  du  casernement  (the  barraeh  Department). 

Tous  les  quartiers,  casernes,  et  en  général  tous  les 
bâtiofients  de  l'État  affectés  à  un  service  militaire,  sont 
confiés  à  un  employé  du  casernement  {barrackmaiter)^ 
qui  est  responsable  de  leur  conservation. 

Ces  employés  doivent  passer  des  revues  périodiques 
de  ces  bâtiments,  non-seulement  afin  de  provoquer  les 
réparations  qui  intéressent  leur  entretien,  njais  encore 
pour  constater  les  dégradiitions  commises  par  les 
troupes  qui  les  occupent,  et  les  évaluer  conformément 
aux  tarifs  en  vigueur.  Lès  employés  du  casernement 
sont  chargés  de  poursuivre,  de  la  part  des  corps,  |e 
payement  des  imputations  dûment  justifiées. 

Ils  ont  le  dépôt  et  la  garde  de  tous  les  objets  mobi- 
liers et  de  toutes  les  fournitures  que  renferment  les 
casernes.  Ils  sont  enfin  responsables  de  la  bonne  tenue 
des  locaux  qui  font  partie  de  leur  service  et  doivent  en 
assurer  la  propreté. 

Chez  nos  voisins,  les  employés  supérieurs  du  caser- 
nement, ainsi  que  nous  l'avons  déjà  fait  observer 
quand  nous  avons  examiné  l'organisation  des  différents 
corps  classés  à  l'État-major  de  Tarmée  britannique, 


496  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

sont  pris,  pour  le  plus  grand  nombre,  parmi  les  offi- 
ciers en  demi-solde  ou  retirés  du  service.  La  seconde 
classe,  de  beaucoup  la  plus  nombreuse,  ne  comprend 
que  des  sous-officiers. 

Voici,  quant  à  leur  assimilation,  le  cadre  des  em- 
ployés du  caseniement  : 

20  Employés  de  i^^  classe  ayant  rang  de  major. 
72       —      de  2«      —         —         de  capitaine. 
6       —      de  3*     —         —         de  lieutenant. 


98  Officiers  désignés  sous  la  dénomination  unique  de  barrack- 
masters. 


2  Commis  ou  secrétaires  du  caseiiiement  (6arracA:c/«rikf)soll9- 
ofQciers. 

164  Sergents  du  casernement  {barrack  serjeants)  de  l'«  classe. 

271       —  —         (  —  ideS"^    — 


/i37  Sous-offlciers  {non  commissioned  of/icers). 

L'organisation  du  service  du  casernement,  en  An- 
gleterre, diffère  peu  de  celle  du  même  service  en 
France.  Chez  nous,  toutefois,  c'est  le  porte-étendard 
qui  est  chargé,* dans  chaque  corps,  des  fonctions  dévo- 
lues, chez  nos  voisins,  au  barrack  master.  Il  y  a  là  une 
économie  dont  on  appréciera  l'importance  si  Ton  veut 
bien  remarquer  que  les  dépenses  du  personnel,  dans 
le  système  anglais,  figurent  annuellement  au  budget 
pour  la  somme  de  38,500  livres,  c'est-à-dire  pour  près 
d'un  million. 

Le  concierge  de  nos  casernes  est  représenté  très 
exactement  par  le  barrack  serjeant.  Dépositaire  des 
clefs  des  chambres  et  gardien  des  bâtiments  non  occu- 
pés, ce  dernier  est  aussi  responsable  de  tous  les  objets 
mobilieis. 


DE   LA    FRANCE    ET    DE   l'aNGLETKRRE.  197 

En  Angleterre,  le  personnel  du  casernement  a  la 
charge  de  tous  les  bâtiments  militaires  sans  exception. 
En  France,  la  garde  et  la  conservation  des  bâtiments 
affectés  aux  services  administratifs  sont  confiées  aux 
comptables  et  aux  entrepreneurs  de  ces  services. 

T  Service  et  bureaux  du  génie  (the  royal  engineer 
Department). 

Le  personnel  de  ce  département  est  composé  d'em- 
ployés  civils  attachés  au  corps  du  génie  pour  aider  les 
officiers  dans  la  partie  pratique  du  service  de  Tanne, 
dans  la  surveillance  des  ateliers,  dans  rétablissement 
des  comptes,  et  en  général  dans  tout  ce  qui  constitue 
le  travail  des  bureaux. 

En  France,  ce  service  est  militarisé.  Il  est  recruté 
parmi  les  sous-officiers  du  génie  qui  se  distinguent 
par  leur  zèle,  leur  bonne  conduite  et  leur  instruction. 
En  Angleterre,  où  la  qualité  des  hommes  fournis  par 
l'enrôlement  volontaire  est  bien  loin  de  valoir  celle  des 
recrues  que  nous  donne  la  conscription,  il  serait  fort 
difficile,  pour  ne  pas  dire  impossible,  de  tirer  des  rangs 
de  la  troupe  un  corps  analogue  à  celui  de  nos  gardes 
du  génie. 

Le  cadre  des  employés  auxiliaires  du  génie  anglais 

est  composé  de  la  manière  suivante  : 

1  Directeur  {superintendant), 
1  Directeur-adjoint  {deputy  surveyor), 
nu  Surveillants  des  travaux  {clerks  ofworks). 
6  Dessinateurs  (draughtsmen), 
97  Commis  (clerks). 

66  Employés  ou  conlre-mailres  temporaires  {temporary  fore- 
men  ofworks). 


198  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

La  solde  annuelle  de  ces  employés  figure  au  budget 
de  la  guerre  pour  la  somme  de  55,000  livres 
(1,875,000  fr.). 

n  n'est  pas  sans  intérêt  de  connaître  la  charge  im- 
posée au  gouvernement  anglais  par  Torçanisation  et 
l'entretien  du  personnel  des  divers  services  que  nous 
venons  de  passer  en  revue.  Cette  dépense  s'élève  à 
3 1/2  pour  100  environ  du  prix  que  coûte  l'armée  tout 
entière.  En  voici  le  tableau  : 

Livres. 

Personnel  administratif  (Commùsariat).    65,000 

—  médical  {Officiers  de  santé.  • . .    67,600 
^      des  hôpitaux  {Comptables) ....    19,800 

—  religieux  {Chapelains) 35,000 

—  des  magasins  {Comptables).  •  • .    67,000 

—  du  casernement  {Gardiens  des 

bâtiments) 38,000 

—  civil  du  génie  {Commis  des  bfp- 

reotco?,  etc.) » 55,000 

Total WyliOO  =  8,675,000  fr. 


DE   LA   FRANCE   ET   DE    l' ANGLETERRE.  199 


CHAPITRE    XIli; 

Districts  militaires  et  commandements  territoriaux  de  la  Grande- 
Bretagne.—  Un  mot  sur  l'organisation  administrative  de  TAngle* 
terre  et  sur  le  r61e  de  rarmé«  chez  nos  voisins.  —  Pourquoi  la 
gendarmerie  des  puissances  continentales  n'est-elle  représentée 
dans  Tarmée  anglaise  par  aucune  création  analogue?  ^  Pourquoi 
nriande»  seule,  a-t-elle  un  corps  de  police  armée?  —  Possessions 
extérieures  de  la  Grande-Bretagne.  *-  Effectif  de  Tannée  voté  par 
le  Parlement  pour  Tannée  1860-1861.  —  Inexactitude  des  docu- 
ments officiels  anglais  en  ce  qui  touche  à  la  guerre  et  à  la  marine. 
—  Distribution  des  commandements  et  répartitions  des  troupes  à 
rintérieur  de  la  Grande-Bretagne  —  Districts  de  TAngleterre,  d# 
TËcosse»  de  Tlrlande.  —  Camps  d'Aldersbott  et  de  Curragh.  —Di- 
visions actives  de  Shorncliff  et  de  Dublin.  —  Organisation  mili- 
taire des  colonies  ang1aises.--Gibraltar.— Malte.— Iles  Ioniennes. 
«*  Armée  indienne.-*  Ceylan.  —  Chine  et  Hong-Kong.—  Labiian« 
^  Australie.  —  Iodes  occidentales.  —  Amérique  du  Nord.  -*-  lle$ 
Falkland.  —  Colonie  du  Cap.  —  Établissements  de  la  c6te  d*Afri- 
que.  —  Maurice.  —  Sainte-Hélène. 

Dans  les  chapitres  qui  précèdent,  nous  etods  succes- 
sivement passé  en  revue  la  composition  et  l'organisa- 
tion  des  diffiirents  corps  de  Tarmée  anglaise.  Pour  com- 
pléter ce  tableau  général,  il  nous  reste  à  présenter  au 
lecteur  la  distribution  de  cette  armée  sur  le  territoire 
de  la  Grande-Bretagne,  et  sa  répartition  entre  les  nom- 
breuses colonies  que  possèdent  nos  voisins. 

Classée  par  sa  superficie  au  cinquième  rang  des 
Ëtats  de  premier  oidre,  c'est-à-dire  après  la  Russie, 
r Autriche,  la  France  et  la  Prusse;  —  classée  par  sa 
population  au  quatrième  rang,  c'est-à-dire  après  la 
Russie,  l'Autriche  et  la  France,  TAngleterre,  grâce  à 


200  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

rétendue  et  à  la  population  de  ses  possessions  exté- 
rieures, est,  en  réalité,  forte  de  200  millions  d'âmes, 
et  rétendue  de  son  territoire  n'est  pas  inférieure  à 
15,300,000  kilomètres  carrés. — Ainsi  l'Angleterre  dis- 
paraît, et  fait  place  à  YEmpire  britannique.  De  nos 
jours,  cette  immense  étendue,  ces  sujets  innombrables 
sont-ils  bien,  absolument  parlant,  pour  nos  voisins,  les 
éléments  sans  conteste  d'une  puissance  effective  et 
réelle?  La  multiplicité  même  de  c>es  possessions,  leur 
dissémination  sur  toute  la  surface  du  globe,  n'entrat- 
nent-elles  pas,  au  contraire,  des  chaînes  bien  lourdes, 
des  nécessités  impérieuses,  enfin  des  difficultés  si 
grandes  que  la  défense  de  cet  empire  gigantesque  peut, 
dans  telle  circonstance  donnée,  devenir  impossible? 
C'est  ce  que  nous  examinerons  plus  tard  et  à  loisir. 
L'importance  d'une  pareille  question  mérite  une  étude 
particulière,  et  nous  lui  consacrerons  un  chapitre 
spécial. 

Pour  le  moment,  nous  allons  nous  borner  à  pré- 
senter la  nomenclature  des  diverses  parties  de  l'Empire 
britannique,  cet  exposé  étant  indispensable  comme 
cadre  des  différents  groupes  entre  lesquels  se  décom- 
pose l'effectif  militaire  de  nos  voisins. 

ANGLETERRE   OU  ROYAUME   UNI. 

L'Angleterre,  en  comprenant  l'Ecosse  et  l'Irlande, 
présentait  au  4",  janvier  1857   une  population  de 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     20i 

28,416,058  âmes,  réparties  ainsi  (t)  :  Angleterre, 
19,30/1,000;  Ecosse,  â,064,566;  Irlande,  6,047,492. 

Administrativement,  l'Angleterre  se  divise  en  52  com- 
tés {caunty  ou  shire),  dont  12  pour  le  pays  de  Galles. 
A  la  tète  des  magistrats  et  fonctionnaires  de  chaque 
comté  maixhe  le  Lord  lieutenant,  le  seul  que  nous 
ayons  à  mentionner  ici,  parce  que,  au  point  de  vue 
militaire,  il  tient  une  place  importante  dans  la  consti- 
tution des  forces  de  la  Grande-Bretagne.  Le  Lord  lieu- 
tenant, dans  chaque  comté,  est  chaîné  de  la  levée  et 
de  l'organisation  de  la  milice,  il  en  nomme  les  officiers. 
Cette  troupe,  dont  on  se  ferait  une  idée  fort  inexacte  si 
on  la  comparait  à  notre  garde  nationale  de  France, 
constitue,  avec  la  Yeomanry  (milice  à  cheval)  et  les 
volontaireSy  un  élément  particulier  de  la  force  militaire 
chez  nos  voisins. 

Le  maintien  de  Tordre  et  la  police  rentrent,  en 
Angleterre,  dans  les  attributions  du  shériffet  des  juges 
de  paix.  Ces  magistrats,  tout  à  fait  spéciaux  à  l'Angle- 
terre, représentent  Tun  des  rouages  les  plus  puissants 
de  son  organisation,  et  ne  peuvent  exister  que  dans  un 
pays  où  l'ordre  social  est  essentiellement  aristocratique, 
et  où  la  liberté  est  assise  sur  des  bases  telles,  que  l'inter- 
vention de  l'autorité  militaire  ou  de  la  force  armée, 
dans  les  nombreuses  circonstances  où  elle  se  produit 
chez  les  nations  du  continent,  est,  en  quelque  sorte, 
impossible. 

Les  attributions  du  juge  de  paix  anglais  sont  fort 

(1)  Malte-Brun  (édition  de  1859,  revue  et  mise  au  courant  de  la 
science  par  Lavallce). 


202  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

complexes.  Elias  participent  à  la  fois,  au  point  de  vue 
de  la  police  générale  du  royaume,  de  celles  de  nos  pré- 
fets, de  nos  maires,  de  nos  commissaires  de  police,  etc. 
Pour  remplir  son  mandat,  quant  au  maintien  de  Tordre 
à  rintérieur  du  royaume,  le  juge  de  paix  anglais  est 
assisté  par  des  officiers  de  police  {constables),  qui  ont 
sous  leurs  ordres  des  agents  {policemen)  essentiellement 
municipaux,  et  dont  l'organisation,  toute  différente  de 
celle  de  notre  gendarmerie,  n'est  pas  militaire,  et  ne 
relève  en  rien  du  Ministère  de  la  guerre  (1). 

Ces  détails  nous  ont  semblé  utiles  pour  bien  faire 
mesurer  la  tâche  exacte  qui  incombe  à  l'armée  anglaise. 
Sur  le  continent,  l'armée  est  la  force  matérielle  orga- 


(1)  Nous  aurons  Toccasion  d'examiner,  dans  la  suite  de  cette 
étude,  si  Fabsence  d*un  corps  analogue  à  notre  excellente  gendar- 
merie, ne  consUtue  pas,  dans  certaines  circonstances,  telles  que,  par 
exemple,  une  émeute  grave,  la  recherche  des  déserteurs,  elc  ,  une 
véritable  lacune  dans  Torganisation  militaire  de  nos  voisins. 

En  Angleterre  et  en  Ecosse,  où  les  troubles  sont  rares,  les  agents 
de  police  peuvent,  sans  grand  inconvénient,  consener  ce  caractère 
exclusivement  civil  auquel  noft  voisins  sont  si  fort  attachés.  En 
Irlande*  où  la  résistance  dure  ioigours,  où  les  émeutes  sont  fié* 
quentes*  IMnsufâsance  d'un  corps  de  police  ainsi  constitué  devient 
plus  évidenle.  On  Ta  si  bien  compris  de  Taulre  coté  du  détroit,  que, 
en  dehors  de  l'armée  «  rig'tar  army  »  comme  ta  désignent  les 
Mandais»  le  gouvernement  a  insUUté  pour  rusâge  spéelai  de  la  verte 
Ertfiy  un  corps  de  police  particulier  (irish  rural  constabulary)  qui, 
au  nom  près,  ressemble  fort  à  noire  gendarmerie  à  pied. 

Les  constables  d'Irlande  sont  soumis  à  une  discipline  tout  à  fait 
militaire.  Au  Heu  du  petit  bâton  des  policemen  de  Londres,  Us  ont 
un  bel  et  bon  fusil  à  baïonnette;  au  lieu  de  l'habit  ou  de  la  longue 
capote  bourgeoise  de  ces  agents,  ils  portent  un  uniforme  qui  res- 
semble beaucoup  à  celui  de  la  brigade  de  tirailleurs. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     208 

nisée  pour  assurer  :  —  à  la  nation,  les  moyens  de  faire 
respecter  son  indépendance  et  ses  intérêts  extérieurs; 
—  à  ta  société  politique  et  civile,  les  moyens  de  main- 
tenir les  individus  dans  l'observation  de  leurs  devoirs, 
tant  envers  elle  qu'envers  leurs  semblables.  Des  deux 
termes  de  cette  mission,  le  premier  seulement  peut 
s'appliquer  à  l'armée  britannique.  Si  ce  n'est  dans  des 
circonstances  rares,  tout  à  fait  exceptionnelles,  la  force 
armée,  chez  nos  voisins,  ne  doit  jamais  intervenir  dans 
l'exécution  des  mesures  d'ordre  et  de  police  intérieure. 
Tel  est  le  respect  du  peuple  anglais  pour  la  loi,  bonne 
ou  mauvaise,  qui  le  régit,  que  jusqu'ici  son  gouverne- 
ment n'a  pas  eu  besoin  d'en  armer  les  représentants. 
Certes,  on  ne  saurait  le  nier,  un  pareil  spectacle  est 
digne  d'éloges,  et,  sans  compter  la  France,  il  doit  être 
un  objet  d'envie  pour  la  plupart  des  Ëtats  européens. 
Mais  cette  situation  durera- t-elle  toujours?  L'Angle- 
terre, sous  la  pression  des  idées  nouvelles,  pourra-t-elle 
se  soustraire  indéfiniment  aux  réformes  sociales,  aux 
modifications  politiques  et  militaires  que  son  aristo- 
cratie a  su  ajourner  si  longtemps?  Il  est  permis  d'en 
douter. 

Pour  le  moment,  cette  aristocratie  parvient  encore 
à  détourner  l'attention  du  peuple  anglais,  en  dressant 
chaque  jour,  devant  sesyeiix,  l'épouvantail  des  dangers 
trop  réels  qui  pourraient  lui  venir  de  l'extérieur  par 
suite  de  rimperfectionetderinsuffisancede  ses  moyens  - 
de  défense.  L'heure  n'est  pas  loin,  peut-être,  où  John 
Bull  comprendra  que  ces  dangers,  ce  sont  l'égoïsme  et 
Timpéritiede  ses  hautes  classes  qui  ont  le  plus  contribué 


20Û  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

à  les  accumuler  (1).  N'est-ce  pas,  en  effet,  à  l'absorption 
exclusive  par  les  classes  privilégiées,  et  sans  jus- 
tification d'aucune  condition  d'aptitude,  d'aucune 
preuve  de  mérite  ou  de  talent,  de  tous  les  grades 
dans  l'armée,  de  toutes  les  hautes  positions  dans  les 
affaires  militaires,  que  nos  voisins  doivent  leurs 
désastres  de  Grimée  et  les  paniques  incessantes  qui 
leur  ont  succédé? 

Pendant  longtemps  l'aristocratie  a  pu  donner  le 
change  au  peuple  anglais  ;  elle  a  pu  faire  diversion  à 
ses  aspirations  vers  une  égalité  sociale  beaucoup  plus 
substantielle,  quoique  tout  aussi  précieuse,  pour  le 

(1)  A  ceux  qui  douteraient  du  mouvement  des  esprits  dans  le  sens 
que  nous  indiquons,  nous  citerons  les  passages  suivants  d'un  pam- 
plilet  qui  vient  de  paraître  cliez  nos  voisins,  et  qui  porte  le  titre 
signiflcatif  de  The  army  and  the  peopU  : 

«  Now,  if,  by  uuiversal  consent,  english  aristocrats  and  pluto- 
»  crats  were  not  as  otlier  men;  if  ttie  museaditM  of  weaith  and 
»  fasliion  were  inconlestably  braver  and  l^eener  witted,  livelier  in 
»  action,  and  readier  of  resource  than  the  profanum  vtUgus:  if  in 
»  a  word,  an  offlcer*s  aptitude  for  command  were,  by  some  myste- 
»  rious  dispensation  of  providence,  in  proportion  of  his  halfhearly 
»  allowance  from  pater-familias,  there  migbt  be  a  iLind  of  justifica- 
»  tion  for  the  extraordinary  system,  which  dégrades  the  office  of 
»  commander  in-chief  into  a  broker  of  commissions.  Unluckily, 
»  nature is  dead  against belgravian  doctrine...» 

Dans  un  autre  endroit  :  «  The  vultur  clings  to  the  carcass,  and 
»  the  0  Caste  »  which  for  long  has  derived  advantage  from  buying, 
»  selling,  and  jobbing  the  commaud  of  british  troops,  is  not  Hkely 
»  to  let  80  good  a  thing  slip  through  its  Angers  without  a  tussel.  » 

On  chercherait  en  vain,  dans  une  traduction,  à  rendre  Péne^e 
et  Famertume  de  ces  lignes.  Nous  reviendrons  au  livre  d*où  elles 
sont  extraites  quand  nous  nous  occuperons  de  la  législation  sur 
l'avancement  dans  Tarmée  anglaise. 


DB  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     205 

moins,  que  cette  liberté  dont  elle  le  leurre,  et  dont  la 
jouissance  est  censée  compenser  toutes  les  misères, 
toutes  les  injustices,  tous  les  monopoles!  Nous  le  répé- 
tons, l'heure  n'est  pas  loin,  peut-être,  où  les  masses  se 
lasseront,  en  Angleterre,  de  l'ombre  qu'on  leur  aban- 
donne ,  et  réclameront  leur  part  de  ces  biens,  de  ces 
droits,  de  ces  places,  de  ces  grades  qui  ont  été  jusqu'ici 
le  partage  exclusif  des  classes  privilégiées.  Ce  jour- là, 
l'Angleterre  aura  grand'peine  à  éviter  les  commotions 
qui  ont  agité  les  autres  nations,  et  son  peuple  une  fois 
déchaîné,  ce  ne  sont  pas  ses  policemen  et  ses  constables 
qui  suffiront  à  l'arrêter.  Le  peuple  anglais,  avec  son 
bon  sens  pratique,  saura-t-il  conserver  une  juste 
mesure  dans  la  poursuite  de  cette  égalité  sociale  dont 
il  est  déshérité?  A  l'exemple  de  tant  d'autres  nations, 
au  contraire,  dépassera-t-il  le  but,  et,  non  content  de 
détruire  les  barrières  qui  l'arrêtent  dans  sa  route  vers 
une  condition  plus  équitable  et  meilleure,  voudra-t-il 
renverser  aussi  celles  qui  le  gardent  des  précipices  et 
des  abtmes? 

Si  ce  malheur  est  réservé  à  l'Angleterre,  son  année 
réoi^anisée,  reconstituée  sur  une  base  solide,  mais  en 
même  temps  sincèrement  libérale,  sera  sa  seule  ancre 
de  salut.  Alors  la  double  mission  que  cette  armée  aura 
à  remplir  ne  différera  plus  en  rien  de  celle  dévolue  aux 
armées  des  Ëlats  constitutionnels  du  continent.  Nous 
ne  chercherons  pas  à  deviner  celle  des  deux  alterna- 
tives que  l'avenir  réserve  à  nos  voisins  :  pour  nous,  ce 
qu'il  importait  de  caractériser  c'est,  à  l'heure  présente, 
le  rôle  oisif  et  incomplet  que  remplit  l'armée  anglaise 


206  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

à  rintérieur;  —  c'est  une  situation  pouvant  expliquer 
l'infériorité  du  nombre  des  troupes  entretenues  jus- 
qu'ici sur  le  territoire  de  la  Grande-Bretagne  (f). 

L'Ecosse  est  divisée  en  33  comtés,  subdivisés  el 
administrés  comme  ceux  de  l'Angleterre. 

L'Irlande  est  gouvernée  par  un  Lord-lieutenant  ou 
vice-Roi.  Nominativement,  elle  forme  4  grandes  pro- 
vinces :  Ijetnsler^  Munster^  Ulster  et  Connaught,  mais 
elle  se  partage  réellement  en  32  comtés. 

Les  Hes  de  Guernesey,  Jersey  et  Aurigny,  malgré 
leur  proximité  de  l'Angleterre,  sont  rangées  parmi  les 
possessions  britanniques,  parce  qu'elles  ont  leur  l^s- 
lature  particulière  et  ne  sont  pas  représentées  au  Par- 
lement. Ces  Iles,  comme  l'Ecosse  et  l'Irlande,  ont  leur 
milice  paj'ticulière,  dont  l'organisation,  toutefois,  pré- 
sente quelques  différences  dont  nous  parlerons  ailleurs. 

POSSESSIONS   EXTÉRIEURES   DE   LA   GRANDE-BRETAGNE. 

Les  dépendances  de  la  monarchie  britannique  pré- 
sentent plusieurs  modes  d'administration  :  ainsi,  les 
Iles  Ioniennes  forment  une  république  sur  laquelle 

(1)  Une  autre  raison  qui  motivait  encore  autrefois  l'effectif  peu 
élevé  de  l'armée  anglaise,  c'est  i'uUlité  insigniflaote  qu'on  lui  prê* 
tait  à  l*endroit  de  la  défense  du  territoire.  C'est  la  confiance  exclu- 
sive, absolue,  que  nos  voisins  mettaient  dans  leurs  flottes.  Aujour- 
d'hui, comme  nous  le  montrerons  ailleurs,  la  marine  à  vapeur  a 
modifié  du  tout  au  tout  les  conditions  sur  lesquelles  reposaient  la 
défense  et  la  sécurité  de  la  Grande-Bretagne. 


DB  LA   FRANGE    ET  DE   L'ANGLETERRE.  207 

FAngleterre  exerce  plutôt  un  droit  de  souveraineté 
qu'un  protectorat,  bien  que  cette  prétention  soit  en 
opposition  avec  la  lettre  des  traités. 

Le  vaste  territoire  concédé  à  la  Compagnie  de  la 
baie  d*Hudson  est  un  État  gouverné  e(  administré  par 
les  délégués  de  la  Compagnie  sous  le  contrôle  de  la 
métropole.  Il  en  était  à  peu  près  de  môme  des  vastes 
possessions  de  la  Compagnie  des  Indes,  avant  que 
Tadministration  de  ces  possessions  fût  passée,  à  la 
suite  de  la  grande  insurrection,  à  la  Couronne. 

Heligoland,  Gibraltar,  Malte,  le  Cap,  Sierra-Leone, 
la  Gambie,  Maurice,  la  Trinité,  Sainte-Lucie,  la 
Guyane,  Ceylan  sont  gouvernés  directement  par  ordon- 
nances royales  ;  toutes  les  autres  colonies  ont  leurs 
législatures  particulières. 

Lorsque  nous  examinerons  les  différentes  possessions 
extérieures  de  TÂngleterre  au  point  de  vue  militaire 
et  stratégique,  et  surtout  au  point  de  vue  des  liens 
qui  les  unissent  à  la  mère-patrie,  nous  entrerons  dans 
des  détails  complets  sur  les  conditions  de  défense  de 
chaque  colonie.  Pour  le  moment,  nous  nous  bornons 
à  présenter  simplement  le  tableau  de  ces  possessions, 
en  indiquant  leur  population,  leur  territoire  et  la  date 
de  leur  annexion  à  TËmpire  britannique. 


208  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

TABLEAU  DES  POSSESSIONS  BRITANNIQUES. 


POSSESSIONS. 


DATE 
de  l'ncqaîsilioD. 


SUPEBFICIE 

en 

milles  carres 

gëographt- 

ques. 


POPULàTlOH. 


Gibraltar 

Malte,  Gozzo,  etc. 

Heligoland 

Iles  Ioniennes . . . . 


io  En  Europe. 

1704 
iSOG 
1814 
1814 


Total  pour  TEurope ....  1 ,322 


6 
219 

1»092 


16,000 

128,360 

2,230 

240,000 


Ceylan 

Présidence  du  Bengale. 

EUts  du  Nord 

Présidence  de  Madras. . 
Présidence  de  Bombay. . 


20  En  Asie. 
.  I         1796 


ydel632àl860 


Total  pour  l'Asie. 

Etats  Indigènes  ou  posses-l 
sions  médiates 1 


Total  général  pour  l'Inde. 


1,067 
468,018 
105,759 
132,090 
131,545 


837,412 


627,919 


386,590 


1,627,850 
64,108,369 
33,655,193 
22,437,297 
11,790,042 


131,990,901 
48,376,247 


1,465,322    180,367,148 


Hong-Kong. 

Aden 

Labuan . . .  • 


Nouvelle  Galles  du  Sud. . 
Terre  de  Yan  Diemen . . . 
Australie  occidentale. . . . 
Australie  méridionale.  • . . 
Nouvelle  Zélande 


LeGapetNaUl. 
Sierra  Leone  . . 

Gambie 

Côte-d'Or 

Maurice 

Sainte-Hélène . . 

Ascension 

IlesSechelles.. . 
Fernando-Pd.  • , 


1840 
En  Anstralie. 

«787 
1803    , 
1829 
1836 
1839 

'  En  Afri^e. 

1806 
1797 
1632 
1661 
1814 


21,387 


1,043,000 


Total  pour  l'Afrique. 


6,223 

285,280 

14 

50,000 

» 

5,760 

» 

385,000 

33 

180,820 

2 

7,000' 

2 

2,400 

4 

7,000 

» 

m       \ 

6,377 

923,260 1 

DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE. 


209 


POSSESSIOIVS. 


DATE 
de  racqaisitioD. 


SUPERFICIE 

en 

milles  carrés 

grograpbi- 

que*. 


En  Amériiiiie. 

I         1763 
1713 


Canada 

Nouvelle  Ecosse 

Nouveau  Brunswick i 

Ile  du  Prince  Edouard (  Dix-septième 


Terre-Neuve. 

Nouvelle-Bretagne 

Ântigoa 

Barbades 

Dominique 

Grenade 

Jamaïque.  .* 

Montserrat 

Nevis 

Saint-Christophe 

Sainte- Lucie 

Saint-Vincent. .  • 

Tabago  

Tortola  et  les  Iles  Vierges. 

ÂnguîUa 

Trinité 

Bahamas 

Guyane  

Honduras 

Bermudes 

FalUand 


siècle. 

1632 

1605 

1763 

1763 

1635 

1632 

1628 

1623 

1803 

1763 

1763 

1665 

1650 

1797 

1629 

1803 

1670 

1609 


Total  pour  l'Amérique. .  • . 
rAgapitulation. 


19,302 
1,304 
883 
101 
2,690 
117,744 
6 
7 
13 
6 
302 
1 
3 
3 
3 
6 
9 
1 
4 
113 
207 
4,709 
1 


POPDLATION. 


147,695 


1,843,950 
193,800 
276,120 
62,680 
101,600 
185,000 
37,760 
135,940 
18,650 
30,000 
388,000 
7,800 
10,200 
23,180 
21,460 
27,250 
13,210 
8,600 
3,130 
60,320 
27,520 
127,700 
11,065 
11,100 
2,600 


3,628,635 


lies  Britaniques  (Angleterre  et  Irlande). .  28,416,058 

Possessions  d'Europe 386,590 

Possessions  d'Asie 1 80,367,148 

Possessions  d'Australie 1 ,043,000 

Possessions  d'Afrique 923,260 

Possessions  d'Amérique 3,628,635 

Total  général....  215,034,691 


Nous  allons  examiner  quelles  sont  les  forces  entre* 
tenues  par  l'Angleterre  pour  la  protection  de  ce  spleii- 
dide  empire  de  215,000,000  d'àmes. 

14 


310  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE   MILITAIRES 

L'effectif  voté  par  le  Parlement  pour  Tannée  1860- 
1861  se  décompose  de  la  manière  suivante  (l)  : 


DÉSIGNATIONS. 

HOMMES. 

CHEVAUX. 

Cavalerie  et  ArtiUerie  à  Cheval. 

1  Brigade  d'artillerie  à  cheval  (10  batteries). 

3  Régiments  de  cavalerie  de  la  garde 

t  H^imAnta  de  dracfons-flrapdfiS.  ■...••.«.• 

S,3SS 

1,338 
5,331 

12,679 

1,890 

823 

3.711 

9,020 

18  Régiments  de  cavalerie  de  ligne  (lanciers 
f>t  hiiRiards^ ..■•■■••... 

Totaux 

Infanterie  et  ArtiUerie  k^M. 

16  Brigades  d'artiUerie  à  pied  (à  7^  8,  9  et 
batteries) 

21,703 

21,531 
2,951 
1,209 
4,730 
2,020 
1,202 
6,300 

159,330 
5,150 

3,419 
5,394 

15.446 

5,792 

120 
1,162 

900 

1  Brigade  de  dépôt  (artUlerie) 

1  Brigade  d^artillerie  de  côte 

1  Goros  du  irénie*  ....«.•  .• é***»* 

1  Corps  du  train  des  équipages  (7  bataillons). 
Infirmiers  militaires   ...*.••.......*•. 

3  Régiments  d'infanterie  de  la  garde 

100  Régiments  d'infanterie  de  ligne  dont  74  à 
1  bataillon,    25  à   2  bataillons  et  1   à 
4  bataillons   

1  Brigade  de  tirailleurs  à  4  bataillons 

3  Régiments  dits  des  Indes-Occidentales  enrô- 
lés spécialement  pour  faire  le  service  de 
garnison  dans  les  Antilles  et   composés 
d*hommes  de  couleur.  •.« •«.... 

Corps  coloniaux  recrutés  à  Ceylan,  au  Cap, 
ttt  Canada,  à  la  Côte  d'Afrique,  etc 

Totaux 

235,852 

24,342 

Nota.  -  Dons  cet  efTectif  ne  fieareat   pit  lei  corps   iadicènet  recmlêi  dane 
rinde  et  qui  eotit  eatretentu  et  celMe  par  le  budget  de  TUde. 

(1)  Aftny  êêtifnatês,  budget  de  la  guerre  pourPanùée  1860-1861. 
Eo  Angleterre,  Fanoée  financière  commence  au  l***  ayril  et  finit  au 
31  mars  de  Tannée  qui  suit. 


DB  LA  FRANGE  BT  DE  l'aNGLETEREB.  911 

Les  chiffres  contenus  dans  le  tableau  qui  précède, 
présentent  quelques  différences  avec  ceux  que  nous 
avons  donnés  lorsque  nous  avons  analysé  l'organisation 
des  différentes  armes.  Ces  derniers,  nous  avons  eu  soin 
de  le  ikire  remarquer,  se  rapportaient  au  budget  de 
1858.  Les  augmentations  successives  votées  en  1869 
et  1860,  portent  Teffectif  entretenu  et  soldé  pour 
«860-1861,  à  285,852  hommes  et  9fi,a&achevaux« 

On  se  tromperait  fort,  du  reste,  si  Ton  pensait  que 
cet  effectif  existe  réellement  sous  les  armes.  Nous  ver- 
rons ailleurs,  lorsque  nous  envisagerons  tous  les  ob- 
stacles que  rencontre  le  recrutement  de  Tannée  an- 
glaise, combien  l'effectif  «ur  le  papier,  c'est-à-dire  voté 
par  le  Parlement,  diffère  de  l'effectif  disponible  pour 
le  service  (1). 

Sur  les  235,862  hommes  et  2&,8&2  chevaux  qui 


(i)  Le  ministère  anglais,  pour  tout  ce  qui  regarde  les  e(te6i\tA  de 
la  Marine  et  de  la  Guerre,  ne  se  fait  nullement  scrupule  de  fournit* 
au  Parlement  des  renseignements  inexacts.  Cette  façon  de  procéder 
et  de  grouper  les  chiffres  de  manière  à  les  mettre  en  rapport  arec 
les  exigences  du  moment,  ne  souiève  Jamais  d*obJectlons  dans  les 
Chambres.  11  y  a  une  sorte  d'accord  tacite  pour  ne  point  relerer  des 
inexactitudes  dont  on  ne  saurait  faire  Justice  sans  éclairer  trop 
intimement  les  étrangers  sur  des  questions  qu*il  importe  de 
dissimuler.  Comme  exemple  à  Tappui  de  ces  obsenrations,  et  pour 
mettre  H  même  de  Juger  du  degré  de  confiance  qu'il  contient  sou- 
▼ent  d'accorder  h  certains  documents,  nous  citerons  ce  qui  s^eat 
passé  à  propos  du  mémorandum  du  général  Peel. 

L*année  dernière,  dans  un  état  fort  détaillé  des  forces  militaires 
disponibles  pour  la  défense  du  territoire,  I*honorable  général  affir- 
mait que,  an  1"  juin  1SÔ9,  et  sans  compter  Tinfanlerie  de  marine, 
les  pensionnaires  et  les  recrue.s  destinées  aux  régiments  de  Tlndè, 


212  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MiLlTMRES 

composent  Tarmée  anglaise  pour  Tannée  courante, 
et  sont  à  la  disposition  du  Commandant  en  chef, 
92,&90  hommes  et  9,710  chevaux  sont  employés  dans 
rinde,  et  sont  entièrement  à  la  charge  du  budget  in- 
dien qui  les  défraye  de  tout,  même  du  transport,  aller 
et  retour  (1). 

Pour  subvenir  aux  besoins  du  service  à  l'intérieur 
et  dans  toutes  les  colonies  dont  nous  avons  donné  le 
tableau 9  Tlnde  seule  exceptée,  il  reste  donc  à  la  chaire 
du  budget  anglais  l/i3,â62  hommes  et  i&,&â2  che- 
vaux. Cet  effectif,  en  hommes,  semble  présenter, 
sur  Tannée  dernière,  une  augmentation  de  20,707, 
mais  en  réalité  Taugmentation  est  de  6,&56  seulement, 
parce  que  le  passage  de  Tarmée  de  la  Compagnie  sous 

refTeclif,  à  Fintérieur,  était  de  I09,6!i0  hommes,  et  en  retranchant 
la  milice  enrégimentée  {Embodied  Miliiia)^  de  86,422. 

Ainsi,  au  dire  dugénéral  Peel,  lacavalerie  comptait  11,698  hommes; 
rinfanierie  de  la  Garde  6,18/i  ;  l'infanterie  de  ligne  50,032  ;  Fartil- 
lerieà  cheval  17/i9;  rartillerie  à  pied  12,669;  le  corps  des  ingé- 
nieurs 185/i  ;  le  train  1861  :  le  corps  médical  375,  et  la  milice  23,218. 
-*  Total  :  109,6A0  hommes. 

Dans  un  arUcle  fort  détaillé  et  très  précis,  VUniied  service  ma- 
gazine (du  mois  d*aoûl)  a  établi,  chiffres  en  matn,  i^  que  Teffectif 
de  la  cavalerie  était  seulement  de  8,500  hommes  (1^,000  en  moins)  ; 
2»  que  reffectif  de  Finfanterie,  en  comprenant  les  dépôts  des  régi- 
ments employés  aux  colonies,  ne  pouvait  pasdépasser  32,000  hommes 
(18,000  de  moins  que  le  chiffre  présenté  dans  le  mémorandum  du 
général  Peel  !).  —  En  ce  qui  regarde  la  mUice,  la  Revue  militaire  que 
nous  citons,  sans  être  aussi  explicite,  Tévaluait  à  16,000,  au  lieu  de 
23*000.  —  L'effectif  du  mémorandum  était  donc,  en  réalité,  forcé 
de  28,00u  hommes,  c'est-à-dire  de  plus  d'un  quart!  ! 

(1)  Voy.  plus  loin  la  décomposition  de  cet  effectif  des  forces  euro- 
péennes absorbées  par  l'Inde. 


DE   LA    FRANGE    El^    DE   L'ANGLETERRE.  2lâ 

le  commandement  direct,  et  quelques  autres  augmen- 
tations, avaient  déjà  ajouté  1  ù,251  hommes  à  leffex^tif 
voté  pour  1859-1860  et  l'avaient  porté  à  136,906 
hommes. 
Cette  force  se  décompose  de  la  manière  suivante  : 

Officiers  généraux,  états-majors,  service  médical,  etc.  1,121 

Officiers  de  cavalerie  et  artillerie 681 

Officiers  d'infanterie 5«dô7 

Sous-officiers  de  toutes  armes 10,972 

Troupe  (cavalerie  rank  and  file) 11,529 

Troupe  (infanterie        id.         ) 113,702 

Total 143,362 

La  solde  et  l'entretien  de  cette  armée  (y  compris  les 
lA,&â2  chevaux)  figure  au  budget  pour  112,491 ,000. 

Lorsque  nous  donnerons  le  tableau  comparatif  et 
détaillé  des  budgets  militaires  de  la  France  et  de  l'An- 
gleterre, nous  verrons  que  pour  347,230  hommes, 
c'est-à-dire  pour  200,000  hommes  de  plus  que  nos 
voisins,  nous  ne  payons  en  Franceque  137,527,673  (1). 

§111. 

DISTRIBUTION    DES   COMMANDEMENTS    ET   RÉPARTITION   DBS 
TROUPES  A  l'intérieur  DE   LA  GRANDE-BRETAGNE. 

Nous  avons  vu,  quand  nous  avons  analysé  l'organi- 
sation militaire  de  nos  voisins,  que  le  Souverain  était 

(1)  Dans  les  chiffres  relatifs  à  la  solde  et  à  l'entretien  des  deux 
armées,  nous  n^avons  pas  compris  les  dépenses  pour  les  vivres,  le 
pain,  le  chauffage  et  Féclairage.  Voir  le  montant  de  ces  dépenses  au 
tableau  comparatif  des  deux  budgets. 


21 A  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MIUTAIRBS 

le  chef  officiel  de  rarmée  anglaise.  Nous  avons  donné 
la  composition  du  Ministère  de  la  guerre  d'où  émane 
Tadministration,  et  celle  du  Horse-Guards  (quartier 
général),  d'où  procède  le  commandement  des  troupes. 

Sous  le  rapport  militaire,  le  Royaume-Uni  est  par- 
tagé en  un  certain  nombre  de  districts  ou  divisions, 
dont  le  commandement  est  conûé  à  des  généraux^  Nous 
ne  reviendrons  pas  sur  ce  qui  a  été  dit  sur  les  attribu- 
tions des  commandants  de  districts,  et  sur  les  pouvoirs 
très  restreints  qui  leur  sont  donnés. 

Indépendamment  des  divisions  actives  qui  occupent 
las  camps  d'Aldershott  et  de  ShorncliflF  et  Douvres, 
rAngleteire  comprend  aujourd'hui  8  commandements 
territoriaux.  L'Ëoosseï  qui  en  comprenait  deux  autre- 
fois,  n  en  forme  plus  qu'un  seul.  L'Irlande  en  présente 
cinq  (la  division  active  de  Dublin  et  la  brigade  active 
de  Curmgb  comprises). 

GOMJUMDKIIENTS  TERRITORIAUX  OU  DISTRICTS  DE  L* ANGLETERRE. 

!•  Districts  du  Nord  {Northern  district)  comprenant 
les  comtés  de  Northumberland,  Durham,  Westmore- 
Und,  CumberUtnd,  Yojrkshire,  Lancashire,  Cheshiie, 
Dert^kysbire»  Nottinghamsbire,  Liocola,  D^nbigh, 
Flintshire,  Shropshire,  Staffordshire,  Warwickshire, 
Leicestershire,  Rutland,  Worcester  et  Northampton- 
shire. 

Le  district  du  Nord  est  commandé  par  un  lieute- 
nant-général (1)  qui  réside  à  Manchester,  Ua  assistant 

(1)  Le  lieutenant  général  J.-L*  i^DDefather. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     915 

adjudant-général  du  grade  de  colonel,  et  un  assistant 
quartier  mattre  général  du  grade  de  lieutenant*oolond 
sont  attachés  à  Tétal-major  du  district.  Le  comman- 
dant a  en  outre  deux  aides-de-camp. 

L'artillerie  du  district  est  sous  les  ordres  d'un  co- 
lonel remplissant  des  fonctions  analogues  à  celles  de 
nos  directeurs  de  Tartillerie  en  France,  et  qui  réside  à 
Manchester. 

Le  senrioa  du  génie  est  dirigé  par  quatre  colonels  ou 
UeutenantsH^lonels  qui  résident  à  Manchester,  New- 
castla,  Birmingham  et  York. 

9"  District  nu  Sin>-Effr  {SwtfhE^tem)  comprenant 
lea  comtés  de  Kent»  Surrey  et  Sussex,  à  l'exception  des 
troupes  de  Woolwich,  de  Chatham,  de  Sheroeis*  et 
celles  occupant  les  forts  et  batteries  de  la  Tamise. 
Maid^tone,  Aldersbott,  Croydon  et  Cbicbester  ne  rel^ 
yenA  pas  non  plus  du  district  du  Sud-Ëst,  bien  que 
faisant  partie  des  comtés  de  Kent,  Surrey  et  Susses 
État^mOfjor  :  1  lieutenant-général  commandant  (1); 
1  assistant  adjudant  général  (colonel)  ;  1  assistant 
quartier-maître  général;  2  aides-de-camp;  i  com- 
mandant de  l'artillerie  (colonel)  ;  2  chefs  du  génie 
(colonel  et  lieutenant-^lonel),  résidant  à  Dopvrçs  et  k 
Brighton. 

S*  District  du  Sud-Ouest  {South-Westem),  com- 
prenant les  comtés  de  Wilts,  Dorset  et  Hants,  l'Ile  de 
Wight,  et  les  troupes  en  garnison  à  Ghichester  et  à 
Littlehampton.  Éiat-major  :  \  major -général  com- 

(1)  Le  lieutenaBHléaéral  C  Mansei. 


216  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

mandant  du  district  (1),  résidant  à  Portsmouth;  1  com- 
mandant de  railillerie  (colonel),  résidant  àPortsmouth; 
2  chefs  du  génie  (majors),  résidant  à  Portsmouth  et  à 
Weymouth;  1  assistant  adjudant-général  (colonel); 
1  quartier  maître  général  (lieutenant-colonel);  1  major 
de  place  (lovvn-major). 

4*  District  de  l'Ouest  [fFesterti),  comprenant  les 
comtés  de  Devon,  Cornwall  et  Sommerset,  à  l'excep- 
tion de  Bristol  et  de  ses  dépendances.  Éta^majar  : 
i  major^énéral,  commandant  du  district  (2),  rési- 
dant à  Devonport  ;  1  major  de  brigade  ;  1  major  de 
place  ;  1  commandant  de  Tartillerie  (colonel),  résidant 
à  Devonport  ;  2  chefs  du  génie,  résidant  à  Devonport 
et  Exeter. 

5"  Commandement  de  Chatham. — État-major:  1  ma- 
jor-général commandant  (â) ,  à  Chatham  ;  1  colonel 
commandant  de  Tartillerie  àShemess;  1  colonel  chef 
génie;  1  major  de  brigade. 

6''  Commandement  de  Woolwich.  —  État-major: 
1  major-général  de  Tartillerie,  commandant  le  dis- 
trict (4);  1  chef  du  génie  (colonel)  r^idant,  comme  le 
commandant  du  district,  à  Woolwich;  1  major  de 
brigade;  1  député  assistant  quartier-mattre  général. 

T  District  de  Jersey  (Iles  de  la  Manche).  —  État- 
major  :  1  major-général  commandant,  et  ayant  le  titre 

(1)  Le  major  général  sir  J.-Y.  Scarlett. 

(2)  Le  major  (i^énéral  Hulchinson. 

(3)  Le  major  général  Henry  Eyre. 

(û)  Le  major  jiénéral  sir  J.  Dacres,  de  rarUllerie. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     217 

de  lieutenant-gouverneur  (1)  ;  1  colonel  commandant 
Tartillerie;  1  colonel  commandant  le  génie;  1  comman- 
dant et  adjudant  de  place  {fort  major  and  adjudant). 

8*  District  de  Guerneset  et  Alderney  (Hes  de  la 
Manche).  —  État-major:  l  major-général  comman- 
dant, et  ayant  le  titre  de  lieutenant-gouverneur  (2)  ; 
t  colonel  commandant  T  artillerie  ;  1  colonel  comnian- 
dant  le  génie  ;  1  major  de  place  faisant  fonctions  d'ad- 
judant ;  1  commandant  de  la  place  d'Âlderaey. 

Noca,  —  Un  certain  nombre  de  comtés  n'appartien- 
nent à  aucun  des  districts  que  nous  venons  de  nom* 
mer,  et  relèvent  directement  du  quartier-général.  Ce 
sont  :  Bedford,  Berks,  Bristol  et  ses  dépendances,  Bue- 
kingham,  Gloucester,  Hereford,  Middlessex,  Norfolk, 
Oxford,  Suffolk,  le  pays  de  Galles  (à  l'exception  de 
Dembigh  et  Flintshire). 

Les  troupes  stationnées  dans  ces  comtés  reçoivent 
sans  intermédiaire  les  ordres  du  commandant  en  chef. 

9**  Division  d'Aldershott.  —  Les  troupes  station- 
na à  Aldershott  forment,  avec  Tartillerie  de  Nor- 
thampton  et  la  cavalerie  de  Hounslow,  une  division 
active  placée  sous  le  commandement  d'un  lieutenant- 
général  (3). 

La  division  d' Aldershott  se  compose  d'une  brigade 
de  cavalerie  et  de  trois  brigades  d'infanterie  comman- 
dées par  des  majors-généraux. 

Chaque  subdivision  a  son  major  de  brigade. 

(1)  Le  major  général  G.-C.  Mundy. 

(t2)  Le  major  général  M.-J.  Slade. 

(3)  Le  lieutenant  général  W.  T.  KnoUys. 


218  CONSTITUTION   £T  PUISSANCE  MUJTAIRBS 

Un  état-major  nombreux  est  attaché  au  quartier* 
général  de  la  division,  et  comprend  les  chefs  des  diffé- 
rents services  de  Tartillerie,  du  génie,  etc. 

10°  Division  db  Douvres  et  Shornguff.  —  Ce  oona- 
mandement  comprend  les  troupes  de  la  division  active 
statioimée  à  Douvres  et  à  Shorncliff,  et  celles  de 
Brighton  et  de  Canterbury. 

Indivision  active  de  Shomcliff  a  pour  chef  le  com* 
mandant  supérieur  du  district  du  Sud*Est.  Elle  est 
formée  de  deux  brigades  d'infanterie,  commandées  par 
des  majors«généraux. 

DISTRICT  MILITAIRE  DE  L*éCOSSE. 

L'Ecosse  forme  un  seul  commandement  dont  le  titu* 
laire  (1)  porte  le  titre  do  gouvçmew  du  Château 
d'Edimbourg.  Ce  district  comprend  l'arrondissement 
militaire  de  Berwick.  Son  état-major  est  composé 
comme  celui  des  districts  de  TÀngleterre.  Le  comman- 
dant de  rartillerie  réside  au  fort  de  Leitb. 

DISTRICTS  MILITAIRES  DB  L*IRLANDB. 

Toutes  les  troupes  stationnées  en  Irlande  sont  sous 
les  ordres  d'un  commandant  en  chef  {commanding  ihe 
forces)^  dont  le  quartier-général  est  organisé  et  com- 
posé, bien  que  sur  une  échelle  moindre,  d'après  les 
mêmes  principes  que  les  divers  départements  du  Horse- 
Guards. 

L'Irlande  comprend  trois  commandements  territo- 
riaux : 

(1)  Le  général  lord  Seaton. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     3i9 

V  DisTRiOT  DE  Dublin  ou  du  Nord  {Dublin  or  Nor- 
thern), auquel  appartiennent  les  comtés  suivants  :  Do^ 
n^al,  Londonderry,  Antrim,  Tirone,  Fennanagh, 
Monaghan,  Armagh,  Down,  Sligo,  Leitrim,  Cavan, 
Louth,  Mayo,  Roscommon,  Longford,  Westmeath, 
Meath,  Wicklow  et  Gahvay. 

Ce  district  est  sous  les  ordres  d'un  major-général  (1) . 
Son  état-major  comporte  le  personnel  ordinaire.  Deux 
chefs  du  génie  (un  colonel  et  un  major)  résident  à 
Dublin  et  à  Belfast. 

2*  District  de  Cork  ou  du  Sud-Ouest  {Cork  or 
South' Western)^  comprenant  les  comtés  de  Limerick, 
Tipperary,  Kerry,  Waterford,  Cork,  Clare,  Kilkenny 
et  Wexford.  Ètat-major  :  Un  majoi^général  (i)  com- 
mandant supérieur,  un  commandant  de  trartillerie 
résidant  à  Cork ,  deux  chefs  du  génie  (lieutenants- 
colonels)  à  Cork  et  à  Limerick,  un  commandant  {de 
place  (au  fort  Charles).  Le  reste  du  personnel  comme 
dans  les  autres  districts. 

3*  District  de  Curragh  ou  du  Sud-Est  (Curragh 
or  South'Eç^ternjy  comprenant  les  comtés  de  Kildare, 
de  Carlow,  le  King  s  County  {comté  du  Roi)  et  le 
Queen's  County  {comté  de  ta  Reine).  Ètat-major  :  Un 
major-général  commandant  supérieur '(S)  et  le  per- 
sonnel ordinaire  des  autres  districts. 

Au  district  du  nord  de  Tlrlande  se  rattache  le  com- 


(1)  Le  major  général  Gascoigne. 

(2)  Le  major  général  Eden. 

(3)  Le  major  général  H.  Sbirley. 


220  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE    MILITAIRES 

mandement  de  la  division  active  de  Dublin,  formée  de 
deux  brigades  d'infanterie  et  d'une  brigade  de  cava- 
lerie. 

Au  district  du  Sud-Est  se  rattache  le  commande- 
ment du  camp  et  de  la  brigade  active  de  Curragh 
(infanterie). 

§IV. 

ORGANISATION  MILITAIRE   DES  COLONIES   ANGLAISEE. 

Les  possessions  extérieures  de  la  Grande-Bretagne, 
SOUS  le  rapport  militaire,  se  divisent  en  un  certain 
nombre  de  groupes  dont  Torganisation  et  l'administra- 
tion ne  sont  pas  soumises  à  un  système  uniforme.  Dans 
certains  cas,  le  gouverneur  est  en  même  temps  le 
commandant  effectif  des  troupes  de  la  colonie;  dans 
d'autres^  ce  gouverneur  n'est  point  militaire,  et  la 
direction  des  troupes  appartient  alors  à  un  officier  dont 
le  grade  varie  suivant  l'importance  de  la  colonie. 

Cette  dernière  situation  n'est  pas  quelquefois  sans 
inconvénients.  Des  difficultés  s'élèvent  fréquemment 
entre  les  autorités  civiles  et  militaires,  et  c'est  à  l'occa- 
sion  d'un  conflit  de  ce  genre,  soulevé  par  le  colonel 
Clarke,  du  1"  régiment  des  Indes  Occidentales,  que  le 
Horse-Guards  a  fait  paraître  en  1857  une  circulaire 
dont  nous  allons  donner  l'analyse  et  qui  définit  tant 
bien  que  mal  les  droits  des  différentes  autorités  colo- 
niales. 

«Il  est  arrivé  parfois,  dit  cette  circulaire,  que,  dans 
les  colonies  où  le  gouverneur  est  en  même  temps  in- 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     221 

vpsti  du  titre  de  commandant  en  chef,  des  doutes  se 
sont  manifestés  quant  à  l'étendue  des  pouvoirs  relatifs 
du  gouverneur  et  du  commandant  des  troupes.  Il  doit 
être  bien  entendu  que  ce  titre  de  commandant  en 
chef,  dont  un  gouverneur  civil  peut  être  revêtu,  ne  lui 
donne  aucun  pouvoir  et  aucune  autorité  directe  sur  les 
troupes  de  la  Reine. 

»D'un  autre  côté,  il  n'est  pas  douteux  que  c'est  à  ce 
même  gouverneur  qu'il  appartient,  dans  la  mesure 
des  pouvoirs  dont  il  est  légalement  investi,  et  pour  la 
défense  de  la  colonie  ou  le  maintien  de  Tordre,  de 
lever  tel  ou  tel  corps  dont  il  jugera  la  réunion  oppor- 
tune ou  nécessaire. 

»  Les  olBciers  désignés  pour  commander  ces  corps 
ne  peuvent  être  choisis  et  commissionnés  au  nom  de  la 
Reine  que  par  le  gouverneur  commandant  en  chef. 

n  C'est  au  moyen  des  mesures  prises  par  la  colonie 
eu  conséquence  d'un  acte  législatif  promulgué  ou  à 
promulguer  dans  ce  but  qu'il  doit  être  pourvu  à  l'ha- 
billement, à  la  solde  et  à  Tentretien  des  corps  ainsi  for- 
més. Au  cas  où  le  trésor  de  la  colonie  ne  pourrait 
pourvoir  à  ces  dépenses,  l'officier  commandant  les 
troupes  est  tenu  de  déférer  aux  réquisitions  du  gouver- 
neur en  mettant  à  sa  disposition,  sur  pièces  régulières, 
telle  portion  des  fonds  de  la  caisse  militaire  (military 
chest)  qui  peut  être  jugée  nécessaire. 

»  Si  tout  ou  portion  d'une  force  locale  vient  à  se 
réunir  aux  troupes  de  la  Reine,  soit  en  division,  bri- 
gade ou  détachement,  la  désignation  des  officiers  char- 
gés de  commander  ces  corps  mixtes  appartient  dès  lors 


222      [constitution  et  puissance  militaires 
exclusivement  à  Tofficier  commandant  les  troupes 
Taulières. 

»  Comme  il  est  indispensable  que  le  gouverneur 
d'une  colonie  soit  toujours  instruit  aussi  promptement 
que  possible  des  mouvements  des  troupes  et  des  événe- 
ments qui  en  résultent,  le  commandant  de  tout  poste 
ou  détachement  doit  adresser  au  gouverneur  copie  de 
tous  les  rappoiis  qui  lui  parviennent  à  lui-même. 

»  Si  une  expédition  militaire  vient  à  être  décidée 
dans  une  colonie,  le  gouverneur  a  le  droit  d'exposer 
au  commandant  des  troupes  la  politique  adoptée  par 
le  gouvernement  de  Sa  Majesté,  et  les  mesures  mili- 
taires par  lesquelles  cette  politique  doit  être  poursuivie. 
Quant  à  l'exécution  de  ces  mesures,  c'est  à  l'officier 
commandant  les  troupes  qu'elle  appartient.  » 

La  circulaire  que  nous  venons  de  résumer  est 
instructive,  en  ce  qu'elle  donne  une  idée  assez  exacte 
de  la  manière  dont  les  colonies  anglaises  sont  gouver- 
nées au  point  de  vue  militaire.  Malgré  les  détails  minu- 
tieux dans  lesijuels  le  rédacteur  de  cette  circulaire  a 
cru  nécessaire  d'entrer,  ou  plutôt,  à  cause  même  de 
ces  détails,  il  est  permis  plus  que  jamais  de  se  deman- 
der, après  sa  lecture,  si  les  conflits  et  les  tiraillemeuls 
auxquels  elle  prétend  mettre  fin  ne  sont  pas  impossibles 
à  éviter. 

Nous  allons  suivre  dans  le  détail  des  divers  comman- 
dements coloniaux  l'ordre  que  nous  avons  adopté  dans 
le  tableau  des  possessions  extérieures  de  la  Grande- 
Bretagne. 


DB   LA   FRANCE  BT   DE   L'ANGLETERRE.  323 

ORGANISATION  MILITAIRE  DES  POSSESSIONS  ANGLAISES  KN  EUROPE. 

1*  Commandement  de  Gibraltar.  -^  Poste  essentiel- 
lement  militaire,  Gibraltar  a  pour  gouverneur  et  com- 
mandant  eu  chef  un  lieutenant-général  (1).  Son  état- 
major  comporte  :  1  secrêtaire  militaire  >  3  aides-de^ 
camp,  1  assistant  adjudant-général,  1  quartier-malti'e 
de  la  garnison  et  1  adjudant  de  place  [town  adjutant)  ; 
3  colonels  appartenant  au  génie  et  à  Tartillerie  sont  à 
la  tète  de  ces  deux  services. 

Les  troupes  qui  gardent  cette  position  forment  une 
brigade  commandée  par  un  major-général.  Un  aide- 
de-camp  et  un  major  de  brigade  sont  attachés  à  la 
subdivision  des  troupes. 

Au  mois  d'août  1860,  la  garnison  de  Gibraltar  était 
ainsi  composée  :  5  bataillons  d'infanterie  appartenant 
aux  6%  7%  8%  25'  et  100'^  régiments;  1  brigade  d'ar- 
tillerie de  place  (la  5«)  ;  détachement  du  génie. 

2**  Commandement  de  Malte.  —  Position  militaire, 
comme  Gibraltar,  bien  plutôt  que  possession  coloniale, 
rile  de  Malte  a  également  un  lieutenant-général  pour 
gouverneur  et  commandant  en  chef  (2).  Son  état- 
major  comporte  :  2  aides-de-camp,  1  secrétaire  mili- 
taire, 1  assistant  adjudant-général,  1  député  quarlier- 
mattre  général,  1  major  de  place,  2  colonels  directeurs 
de  rartillerie  et  du  génie. 

I^es  troupes  forment  deux  brigades  commandées 

(1)  Le  Heutenftnt-général  sir  W.  Codrington. 
(3)  Le  UeuleDanl-général  sir  G.  I^e  Marchant. 


22ft  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

par  des  majors-généraux.  Un  aide-de-camp  et  un  major 
de  brigade  sont  attachés  à  chaque  subdivision. 

'Au  mois  d'août  1860,  la  garnison  de  Malte  était 
ainsi  composée  :  A  bataillons  appartenant  aux  3*,  15% 
22*  et  23*  régiments  d'infanterie;  1  bataillon  de  tirail- 
leurs (4*  de  rifle  brigade  )  ;  1  régiment  de  volontaires 
(Jencibles)'^  1  brigade  d'artillerie  de  place  (la  6"): 
détachement  du  génie,  etc. 

3**  Commandement  des  Iles  Ioniennes,  comprenant 
Corfou,Vido,  Paxos,  Sainte-Maure,  Céphalonie,  Zante, 
Ithaque,  Calamos  et  Cérigo. 

La  Grande-Bretagne  occupant  les  Iles  Ioniennes  à 
titre  de  protectorat  plutôt  que  de  propriété  efiFective, 
le  représentant  du  gouvernement  anglais  dans  ces  Iles 
non-seulement  n'appartient,  pas  à  l'armée,  mais  il  ne 
porte  même  pas  le  titre  de  gouverneur  ou  de  comman- 
dant en  chef  comme  dans  les  autres  possessions;  on 
le  désigne  sous  celui  de  Lord  Haut-Commissaire  {Lord 
High-Commissioner) . 

Ce  fonctionnaire  a  deux  aides-de-camp  militaires. 

Les  troupes  détachées  aux  Hes  Ioniennes  forment 
une  brigade  commandée  par  un  major-général.  1  aide- 
de-camp,  1  assistant  secrétaire  militaire,  1  major  de 
brigade,  l  député  quartier-maître  général  et  2  colo- 
nels, directeurs  de  l'artillerie  et  du  génie,  composent 
le  personnel  de  Tétat-major  de  la  station. 

Pour  l'année  courante,  la  garnison  des  Iles  Ioniennes 
comprend  :  à  Corfou,  3  bataillons  d'infanterie  appar- 
tenant aux  /r  et  9'  régiments;  à  Céphalonie,  l  batail- 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     225 

Ion  d'infanterie  du  2**  régiment;  des  détachements  de 
Tartillerie  et  du  génie. 

ORGAïaSATIÔN  MILITAIRE  DES  POSSESSIONS  ANGLAISES  EN  ASIE. 

l""  Commandement  des  Indes  ordentales.  —  Nous 
avons  donné,  dans  une  autre  Étude  (1)  sur  Tannée  des 
Indes,  des  renseignements  qui  nous  dispensent  d'entrer 
ici,  à  l'égard  de  cette  colonie,  dans  des  développements 
pour  lesquels  l'espace  nous  manque  d'ailleurs. 

Nous  rappellerons  seulement  que  la  conséquence  de 
la  grande  insurrection  de  1857  a  été  l'abolition  du 
gouvernement  de  la  Compagnie.  Les  forces  militaires 
entretenues  par  les  directeurs  ne  forment  plus,  comme 
autrefois,  une  armée  à  part,  et  sont  passées  sous  le 
commandement  de  la  Couronne.  Bien  que  le  dernier 
mot  de  la  réorganisation  de  ces  forces  ne  soit  pas 
encore  dit,  ainsi  que  nous  le  verrons  ailleurs,  l'Empire 
indien  peut  être  considéré  aujourd'hui,  au  point  de 
vue  militaire,  comme  étant  dans  les  conditions  com- 
munes à  toutes  les  colonies  anglaises.  Comme  les  autres 
possessions,  il  est  gardé  par  des  forces  locales  aux- 
quelles viennent  s'ajouter  les  renforts  envoyés  par  la 
mère  patrie.  La  seule  diflTérence  réside  dans  l'impor- 
tance du  chiffre  des  unes  et  des  autres,  et  aussi  dans 
cette  circonstance  particulière  que,  renfoiis  ou  forces 
locales  sont  à  la  charge  du  budget  de  l'Inde,  comme  à 
Tépoque  du  gouvernement  de  la  Compagnie,  et  non 
à  la  charge  du  budget  de  la  métropole. 

(1)  Puissance  militaire  des  Anglais  dans  Tlnde. 

15 


226  CONSTITUTION   BT  PUISSANCE  MILITADUE6 

Le  gouverneur-géiléral  de  llnde  (1)  est  en  même 
temps  gouveraeur  de  la  Présidence  du  Bengale.  Son 
état-major  particulier,  comme  celui  des  gouverneurs 
de  Madras  et  de  Bombay  (2),  se  compose  d'un  certain 
oombre  d'officiers  remplissant  les  fonctions  d'aides- 
de-camp  et  de  secrétaires  pour  la  correspondance  mili- 
taire, 

Le  commandant  en  chef  des  forces  de  l'Inde  (3) 
étend  sop  autorité  sur  toutes  les  troupes  des  trois 
Présidences.  Sou  état-major  particulier  comprend  : 
1  colonel  secrétaire  militaire,  2  majors  aides-de-camp, 

1  major^général  chef  d'état-^major  (4). 
L'état-major  général  de  la  Présidence  du  Bengale 

comprend  :  k  majors-généraux,  1  colonel  directeur 
du  génie,  l  colonel  directeur  de  l'artillerie,  1  adju- 
dant^énéral,  1  député  adjudant-général,  1  assistant 
adjudant-général,  etc. 
L'état-major  de  la  Présidence  de  Madras  comprend  : 

2  lieutenants-généraux,  l  major-général,  1  lieutenant- 
colonel  directeur  de  l'artillerie,  1  député  adjudant- 
général,  1  député  quartier-maître  général,  etc. 

L'étatrmajor  de  la  Présidence  de  Bombay  comprend  : 
1  lieutenant-général,  2  majors-généraux,  1  colonel 
directeur  de  l'artillerie,  1  lieutenant-cx)lonel  directeur 
du  génie,  etc. 

(1)  Lord  Canning. 

(2)  Sir  Trevelyan  et  lord  Elphinslon. 

(3)  Sir  Colin  Campbell  (lord  Glyde). 

(Il)  Cet  emploi,  quoique  reconnu  dans  rorganisalion,  est  le  soiil 
de  ce  genre  que  présente  Tarmée  anglaise. 


W  I#A  FRAKCB  R   DB  l'aNGLBTIRU.  327 

Su)*  l'effectif  de  335,852  hommes  et  2&,â&fi  che- 
vaux qui  figure  au  budget  de  la  Guerre  pour  1860- 
1861,  nous  avons  vu  que  92,490  hommes  et  9,710  che- 
vaux étaient  employés  dans  l'Inde. 

Cette  force  se  décompose  de  la  manière  suivante  : 

Artillerie  à  cheval 622  hommes  600  chevaux. 

Cayalerie  de  ligne. 7,StAd      —  6,472     ^ 

Artillerie  royale 4,860     —  2,288      — 

Infanterie  de  ligne .  66,282     — 

Infirmiers 63     — 

Dépôts  stationnés  en  Angleterre.  13,420     —  350     — 


Totaux 92,490  hommes    9,710  chevaux. 

L*artillerie  forme  3  brigades  (H*  et  14*  au  Bengale, 
et  13«  à  Bombay),  et  comprend,  de  plus,  4des  10  bat- 
teries de  la  brigade  à  cheval;  —  total  :  3  brigades  et 
demie  sur  15  que  comprend  l'ensemble  de  l'arme. 

La  cavalerie  se  compose  des  régiments  suivants  : 
dragons-gardes,  1",  2*,  3%  6%  7'; — cavalerie  de 
ligne  :  6«,  14*  dragons  légers;  —  7"  et  8*  hussards; 
—  12%  17**  lanciers;  —  total  :  Il  régiments  sur  28. 

L' infanterie  détachée  dans  l'Inde  représente  63  batail- 
lons, sur  les  139  qui  forment  la  totalité  de  l'infanterie 
anglaise.  Ces  bataillons  appartiennent  aux  régiments 
suivants  :  V\  l\%  5%  6%  7%  8%  13%  18%  19%  20%  23% 
24%  27%  28%  31%  33%  34%  35%  37%  38%  42%  48% 
46%  48%  51%  52%  53%  54%  56%  57%  60^  (les  trois 
premiers  bataillons),  64%  66%  68%  69%  70%  71%  72% 
73%  74%  75%  77%  78%  79%  80%  81%  82%  83%  87% 
88%  89%  90%  91%  92%  93%  94%  95%  97%  98%  99*, 


228  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MIUTAIIUBS 

—  plus  les  2*  et  S"  bataillons  de  la  brigade  de  tirail- 
leurs {rifle  brigade)  (1). 

2*  Commandement  de  Ceylan.  —  1  gouverneur  et 
commandant  en  chef  {civilian)\  état-major  :  1  major- 
général,  1  assistant  secrétaire  militaire,  i  aide-de- 
camp  ,  1  député  adjudant-général ,  1  assistant  quar- 
tier-maître général,  1  colonel  directeur  du  génie; 
l  lieutenant-colonel  directeur  de  Tartillerie. 

Garnison  :  1  régiment  d'infanterie  européenne, 
le  5  %  et  1  régiment  de  tirailleurs  indigènes  {Cej/km 
rifle  régiment)  ;  détachements  deTartillerie  et  du  génie. 

3°  Commandement  de  la  Chine  et  de  Hong-Kong.  — 
L'établissement  de  Hong-Kong  est  administré  par  un 
gouverneur  commandant  en  chef  {civilian),  assisté 
d'un  lieutenant-gouverneur  du  grade  de  lieutenant- 
colonel,  et  d'un  major  de  place. 

Avant  la  guerre,  Hong-Kong  n'avait  qu'un  bataillon 
de  garnison.  Depuis  les  derniers  événements  qui  se 
sont  accomplis  en  Chine,  cette  place  a  acquis  une 
grande  importance,  et  est  devenue  l'une  des  bases 
d'opération  de  l'armée  alliée. 

Le  corps  d'armée  anglais  qui  opère  sur  le  Peiho,  à 
l'heure  où  nous  écrivons,  est  sous  les  ordres  d'un  lieu- 
tenant-général (2),  dont  l'état-major  particulier  com- 
prend :  2  aides-de-camp  et  1  secrétaire  militaire; 
1  état-major  général  de  l'armée  compte  :  l  lieutenant- 
Ci)  Effectifs  extrait*^  des  documents  ofHciels  pour  le  mois  d'août 

isao. 

(2)  Sir  Hope  Grant. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     229 

général  (1).  i  major-général,  1  major  de  brigade, 
1  assistant  adjudant-général,  1  assistant  quartier- 
mattre  général,  1  député  quartier-maître,  2  aides-de- 
camp,  1  lieutenant-colonel  commandant  le  génie, 
1  colonel  commandant  Tartillerie,  et  1  commissaire . 
près  le  corps  d'armée  français  également  du  grade  de 
colonel. 

Le  corps  d'armée  anglais  formé  pour  la  campagne 
actuelle  a  été  tiré  presque  entièrement  de  l'armée 
indienne.  Il  comprend,  indépendamment  des  troupes 
indigènes,  en  infanterie,  cavalerie,  artillerie,  les  régi- 
ments d'infanterie  européenne  dont  les  numéros  sui- 
vent :  1",  3%  44%  67%  et  le  1"  bataiUon  du  train  des 
équipages. 

4*  Établissement  de  Labuan.  —  Ce  poste  est  confié 
à  un  gouverneur  civil  et  sa  garnison  se  compose  d'un 
simple  détachement. 

organisation  militaire  de  L'AUSTRALIE  A,NGLAISE. 

Les  possessions  anglaises  de  l'Australie  sont  admi- 
nistrées par  un  gouverneur-général  qui  réside  à  Sydney, 
chef-lieu  des  établissements.  Le  personnel  de  l'état- 
major-général  de  la  colonie  est  réparti  de  la  manière 
suivante  : 

Melbourne.  —  i  major-général  commandant  les 
troupes  ;  i  aide-de-camp;  1  assistant  secrétaire  mili- 
taire ;  i  député  adjudant-général. 

(i)  sir  MaDsfteld. 


fiSO  GOHSTITUTION   ET  PUISSANCE  HILITAIRES 

Nouvelle  Galles  du  Sud  {New  South  Wales).  — 

gouYorneur  en  chef  portant  le  titre  de  capitaine-gé- 
néral (c'est  le  gouverneur-général  de  toute  l'Australie); 
1  aide-de-camp;  i  major  de  brigade;  4  capitaine 
«commandant  l'artillerie.  Ces  autorités  résident  à 
Sydney. 

Victoria. —  1  capitaine^énéral  gouverneur;  I  se- 
crétaire militaire. 

Australie  méridionale  [South  AuslrcUia).  —  1  ca- 
pitfiine^énéral  gouverneur  [civilian)  et  1  secrétaire  en 
résidence  à  Adélaïde. 

Australie  occidentale  {WeêtemAastralia). — 1  gou- 
verneur commandant  en  chef  (civilian)  ;  1  comman- 
dant des  troupes,  lieutenant-colonel;  1  capitaine  di- 
recteur du  génie. 

QuEEN'fi^  Land.  —  i  capitaine-général  gouverneur 
(civilian). 

Terre  de  Van  Diemen  (Tasmania).  —  1  capitaine- 
général  gouverneur  (civilian)',  1  aide-de-camp;  1  as- 
sistant adjudant-général;  1  colonel  directeur  du  génie. 
Ces  autorités  résident  à  Hobart-Town. 

Nouvelle-Zélande  (New  Zeakmd).  —  i  gouverneur 
commandant  en  chef;  1  aid^en^amp;  1  colonel  com- 
mandant les  troupes;  1  major  de  brigade;  i  dépuié 
quartier-maître  général  ;  1  colonel  commandant  le  gé- 
nie, et  i  lieutenant  commandant  l'artillerie.  Ces  auto- 
rités résident  à  Auckland. 

Outre  les  détachements  de  l'artillerie  et  du  génie,  la 
force  militaire  détachée  en  Australie  comprend  2  ba- 
taillons du  12'  et  du  40'  de  ligne,  qui  sont  en  station 


DE   LA  FRANCIS    ET   DE  l' ANGLETERRE.  381 

dans  laNouvelle-Galles  du  Sud,  et  1  bataillou  du  65*  ré- 
giment, qui  tient  garnison  dans  la  Nouvelle-Zélande* 


ORGA;<(1SATION  militaire  des  INDES  OCCIDENTALES  ANGLAISES 
(WEST  INDIES). 

Les  possessions  anglaises  en  Amérique  présentent 
les  divisions  suivantes  : 

1*  Commandement  de  la  Jamaïque.  «^  1  capitaine 
général  gouverneur  ;  1  aide-de-camp  secrétaire  mili- 
taire. Élat-^ajor:  1  major^général  lietUmant^gouver- 
neur;  1  assistant  secrétaire  militaire  ;  1  député  adju^ 
dant-général  ;  t  adjudant  de  place  ;  1  capitaine  direc- 
teur de  l'artillerie;  1  lieutenant^^lonel  directeur  du 
génie« 

La  garnison  de  la  Jamaïque  se  compose  de  2  bataiW 
Ions  des  !&*  et  &1«  régiments,  et  du  2*  régiment  des 
Indes  Occidentales. 

BahamoB.  -^  1  gouverneur  commandant  en  chef; 
1  adjudant  de  place  ;  i  lieutenant-^colonel  chef  du 
génie.  Garnison  :  1^'  régiment  des  Indes  Occidentales. 

Honduras.  —  i  directeur  {superinimdant)  ;  I  ad* 
judant  de  place. 

Bay  Islands,*^  l  lieutenant  gouverneur  (c'est  te 
superintendant  de  Honduras). 

2®  Commandement  des  Iles  sous  le  Vent  {tVindward 
lêlandi),  des  Iles  au  Vent  (Leeward  lêlands),  de  la 
Trinité  et  de  la  Guyane.  Le  quartier-général  de  o6 
commandement  esta  laBarbade.  État  major:  i  major* 
générai  commandant  les  troupes  :  1  aide-de-camp  ; 


232  CONSTITUTION   £T   PUISSANCE  MILITAIRES 

1  secrétaire  militaire;  1  député  quartier-mattre; 
1  major  de  brigade;  1  colonel  chef  du  génie. 

Le  personnel  d'état-major  des  diverses  stations  est 
ainsi  réparti  : 

Iles  sous  le  Vent.  —  Barbade^  chef-lieu  militaire  et 
quartier-général  ;  Grenade,  l  lieutenant  gouverneur  ; 
Saint'Fincent ^  1  lieutenant  gouverneur;  TabagOy 
1  lieutenant  gouverneur  ;  Sainte-Lucie,  1  administra- 
teur (Administering  ihe  Government)^  et  1  adjudant  de 


Iles  au  Vent.  —  Antigua,  1  gouverneur  comman- 
dant en  chef;  Saint-Christophe,  1  lieutenant  gouver- 
neur; Dominique^  i  lieutenant  gouverneur  ;  Afont^er- 
rat^  1  président  du  conseil  de  Gouvernement  {Président 
oftheCouncil  administering  Government) -^  iVet>w,  id.; 
Isles  de  la  Vierge,  trf.;  Ik  de  la  Trinité,  i  gouverneur 
commandant  en  chef,  i  aide-de-camp,  i  adjudant  de 
place. 

Guyane  anglaise.  —  1  gouverneur  commandant  en 
chef;  1  adjudant  de  place.  La  garnison  de  la  Barbade 
fournit  les  différents  détachements  des  îles  et  de  la 
Guyane  anglaise  ;  elle  se  compose  des  21"  et  Ji9'  ré- 
giments d'infanterie  de  ligne  et  du  â*  r^iment  des 
Indes  Occidentales  {fFest  Indies  Régiment). 

COMMANDEMENT  DE  L' AMÉRIQUE  DU  NORD. 

Le  gouverneur  commandant  les  possessions  anglaises 
dans  r  Amérique  du  Nord  porte  en  même  temps  le  titre 
de  capitaine-général  et  gouverneur  en  chef,  etc. 

Ces  possessions,  que  nous  étudierons  en  détail  dans 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     3âS 

un  autre  chapitre,  à  cause  de  leur  importance,  com- 
prenuent  :  Le  Canada  (Montréal,  Kingston,  Québec, 
Toronto,  etc.);  la  Nouvelle-Ecosse  (Halifax),  le  Nouveau 
Brunswick  (St-Johns  et  Fredericton);  Terre-Neuve  et 
ses  annexes  ;  l'Ile  du  Prince  Edward  ;  les  Iles  Vancou- 
ver; la  Colombie  anglaise;  et  les  Iles  Bermudes. 

Chacune  de  ces  colonies  a  son  gouverneur  particu- 
lieur,  qui  dépend  du  gouverneur-général  du  Canada. 
Un  personnel  d'état-major  considérable  est  réparti 
entre  les  diverses  stations. 

Les  troupes  de  l'Amérique  du  Nord  forment  une  di- 
vision commandée  par  un  lieutenant-général  qui  a 
son  quartier-général  au  Canada,  à  Montréal.  La  por- 
tion de  ces  troupes  qui  occupe  la  Nouvelle-Ecosse  est 
sous  les  ordres  d'un  major-général. 

L'ensemble  de  ces  forces  comprend,  indépendam- 
ment des  milices  et  des  troupes  locales  {Boyal  Canadien 
rifle  régiment  y  Royal  Newfoundland  corps,  etc.),  4  régi- 
ments d'infanterie  de  ligne  :  89%  17%  62%  63%  Ces 
deux  derniers  occupent  la  Nouvelle  Ecosse. 
Le  âO*"  tient  garnison  aux  Bermudes. 
La  septième  brigade  (artillerie  de  place)  est  répartie 
entre  les  différentes  stations  et  a  son  état-major  à 
Québec. 

Iles  FaUcland.  —  Ces  îles,  situées  sur  la  côte  de  TA- 
mérique  méridionale,  forment  un  petit  établissement 
distinct  des  autres  colonies.  Elles  ont  un  capitaine  de  la 
marine  royale  pour  gouverneur;  c'est  paiement  un 
officier  du  grade  de  capitaine  qui  commande  les  dé- 
tachements composant  la  garnison. 


2â/i  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  KLITAIRES 

ÉTABLISSEMENTS  ANGLAIS  DÉPENDANT  DE  L' AFRIQUE. 

Ces  possessions  comprennent  : 

l*"  Le  COMMANDEMENT   DU   CaP    DE  BONNE-EsPÉE.VNCE 

(avec  son  annexe  Natal)  administré  par  un  gouverneur 
commandant  en  chef.  Les  troupes  de  cette  colonie  for- 
ment une  division  commandée  par  un  lieutenant-gé- 
néral. Le  quartier-général  est  au  Cap.  Outre  les  offi- 
ciers dont  nous  avons  donné  la  liste  pour  les  autres 
possessions  anglaises,  Tétat-major^comporte  un  certain 
nombre  de  commandants  de  place  {tawn  commandants), 
de  majors  de  place  {fort  majors),  et  d'adjudants  de 
place  répartis  dans  les  principales  villes  de  la  colonie, 
telles  que  :  Cap  Town ,  King's  William  Town ,  Port 
Elisabeth,  Fort  Beaufort,  Grabam's  Town,  etc. 

La  force  militaire  se  compose  de  cinq  régiments  d^in- 
fanterie  de  ligne  portant  les  numéros  2,  10,  13,  59 
et  85,  et  d'un  régiment  de  tirailleurs  montés  {Cape 
mounted  rifles), 

2*"  Commandement  de  la  côte  occidentale  {IFestern 
Coastof  Africa).  —  Les  comptoirs  de  Sierra  Leone^  de 
Gambie  et  de  la  Côte^d'Or  sont  administrés  par  un 
gouverneur  portant  le  titre  de  capitaine  général  ;  dans 
chaque  station  se  trouve  un  commandant  aasisté  de 
quelques  officiers  chargés  des  détachements.  A  l'ex- 
ception de  la  force  locale  de  la  Côte-d'Or,  aucun  corps 
constitué  n'occupe,  dans  ce  moment^  les  établisseatents 
de  la  côte  d'Afrique. 

3'  Commandement  de  l'Ile  Maurice.  —  Cette  impor- 


DB  LA  FRANGE    BT  DE  L'ANGLETERRE.     .      235 

tante  poflsessioD  est  du  nombre  de  celles  dont  nous  nous 
proposons  de  faire  une  étude  particulière.  Elle  est  ad- 
ministrée par  un  gouverneur  commandant  en  chef. 
Les  troupes  qui  la  gardent  sont  sous  les  ordres  d'un 
major-général  et  forment  une  brigade  composée,  pour 
Tannée  actuelle,  de  trois  bataillons  des  5%  W  et  61'  ré* 
giments  d'infanterie. 

La  12^  brigade  (artillerie  de  place)  tient  aussi  gar- 
nison à  Port-Louis.  L'état-major  de  l'Ile  Maurice  com- 
prend :  2  aides-de-camp ,  1  assistant  secrétaire  mili- 
taire, 1  député  quartier-maître  et  2  colonels  directeurs 
des  services  de  l'artillerie  et  du  génie. 

4*  COMBIANDEMENT  DE  SaINTE-HéLÉNE.   -—  CcttC  pOS- 

session,  de  laquelle  relève  l'île  de  r  Ascension,  est  admi- 
nistrée par  un  gouverneur  dont  Tétat-major  est  ainsi 
composé  :  1  aide-de-camp,  un  adjudant  de  place, 
1  colonel  commandant  Tartillerie,  1  lieutenant-colonel 
chef  du  génie. 

Sainte-Hélène  n'a  pas  dans  ce  moment,  à  part  ses 
détachements,  de  garnison  européenne.  Le  seul  corps 
constitué  est  la  force  locale  organisée  sous  le  nom  de 
«  régiment  de  Sainte-Hélène.  » 

Nous  aviœs  un  but  en  nous  livrant  à  cette  minutieuse 
étude  des  diflTérentes  positions  militaires  entre  lesquelles 
se  trouve  distribuée  l'armée  anglaise,  et  en  recherchant 
la  composition  ou  la  force  de  leurs  garnisons  respec- 
tives. Nous  voulions  en  déduire  le  chiffre  réel  des 
troupes  qui  restent  disponibles  pour  la  défense  de  la 
Grande-Bretagne  une  fois  que  l'on  a  défalqué  de  l'ef- 
fectif général  de  l'armée  les  innombrables  détachements 


2-^6      ^   CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

que  réclame^la  protection  des  Possessions  extérieures. 
Nous  avons  actuellement  réuni  tous  les  éléments  de 
ce  calcul  ;  il  ne  nous  reste  plus,  avant  de  les  mettre  en 
œuvre,  qu'à  expliquer  le  système  suivant  lequel  sont 
établies  les  relations  de  la  métropole  avec  les  corps  dé- 
tachés à  l'extérieur,  au  point  de  vue  du  recrutement, 
de  rinstruction,  etc. .  etc.  C'est  ce  que  nous  verrons 
dans  le  chapitre  suivant  en  expliquant  Torganisation 
des  dépôts-bataillons. 


CHAPITRE  XIY. 

OrganmatioQ  de  Tannée  anglaise  pour  le  service  extérieur.  —  For- 
mation desDépôts.  —Depot-Baftoitot».— Instruction  des  recrues 
et  des  jeunes  officiers.  —  Dépôt  de  cavalerie  de  Maidstone.  — 
Tableau  des  stations  occupées  en  1860  par  les  différents  corps 
de  Tarmée  britannique.  —  Cavalerie  et  infanterie  de  la  Garde. 

—  Distribution  des  régiments  d'infanterie  de  ligne  :  1*  dans  les 
places  de  la  Méditerranée;  2^  en  Asie;  3*  en  Afrique;  4*  en 
Amérique;  5®  en  Australie.  —  Effectif  de  Tinfanterie  disponible 
pour  le  service  à  Fintérieur.  —  Distribution  des  troupes  du  génie, 
stations  des  compagnies  à  Fintérieur  et  à  l'extérieur.  —  Répar*- 
tition  des  troupes  de  l'artillerie  entre  l'Angleterre  et  les  posses- 
sions extérieures.  —Tableau  général  de  l'armée  britannique  pour 
Tannée  1860-1861.  —  Tableau  des  forces  européennes  employées 
dans  l'Inde.  —  Tableau  des  forces  employées  dans  les  colonies. 

—  Force  disponible  pour  la  défense  du  territoire  de  l'Angleterre. 

Pour  assurer  la  défense  de  ses  possessions  exté- 
rieures, et  pour  faciliter  la  formation  des  nombreux 
détachements  qui  doivent  y  tenir  garnison,  TÂngleterre 
est  obligée,  administraUvement  parlant,  de  maintenir 
son  armée  sur  un  pied  de  guerre  en  quelque  sorte  per- 
manent. 

En  d'autres  termes,  chaque  corps  est  toujours  divisé 
en  deux  portions  distinctes  :  Tune  organisée  de  façon 
à  pouvoir  entrer  immédiatement  en  campagne  {service- 
companies,  troops,  batteries,  etc.);  l'autre  destinée  à 
recevoir,  à  équiper,  à  instruire  les  recrues,  pour  ali- 
menter la  première,  et  qui  porte  le  nom  de  dépôt. 

Cette  situation  est  la  condition  normale  de  tous  les 


238        CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

corps  de  Tarmée  britannique.  Tous,  à  l'exception  de  la 
cavalerie  de  la  Garde,  concourent  au  service  extérieur. 
A  part  quelques  différences  insignifiantes  dans  les  tours 
ou  dans  les  périodes  de  détachement,  et  qui  résultent 
de  l'organisation  spéciale  de  chaque  arme,  le  service, 
tant  à  rintérieur  qu'à  l'extérieur,  est  réglé  dans  toutes 
les  armes  conformément  au  même  principe. 

Pour  le  roulement  des  détachements,  pour  Tenvoi 
des  renforts,  pour  la  pratique  des  relations  entre  la 
portion  détachée  et  la  fraction  qui  réside  à  l'intérieur, 
l'infanterie  et  la  cavalerie  trouvent  des  facilités  et  une 
simplification  particulières  dans  l'établissement  d'un 
certain  nombre  de  dépôts  centraux  dont  l'institution 
est  de  date  encore  récente,  mais  dont  les  dernières 
guerres  ont  déjà  permis  d'apprécier  tous  les  avan- 
tages. 

Ces  dépôts  principaux,  qui  comprennent  les  dépôts 
particuliers  de  plusieurs  régiments,  et  qui  sont  chargés 
d'en  centraliser  Tadministration,  TinstructioD,  etc., 
sont  au  nombre  de  23  pour  Tinfanterie,  et  de  2  pour 
la  cavalerie.  Ils  sont  établis  dans  des  villes  dont  le  caser- 
nement offre  des  ressources  suffisantes  pour  satisfaire 
aux  besoins  des  effectifs  souvent  très  variables,  et  dans 
les  divers  camps  qui  ont  été  installés  sur  plusieurs 
points  de  la  Grande-Bretagne  à  la  suite  de  la  guerre 
de  Crimée  (1). 

(1)  On  se  ferait  une  idée  très  fausse  des  camps  anglais^  nous  le 
verrons  ailleurs,  si  on  les  regardait  comme  l'équivalent  de  nos 

camps  de  Chdlons,  de  Saint-Omer,  de  Satory,  etc Les  camps 

û^AUenhùt,  de  Shomcliff,  de  ColchesUr,  etc.»  sont  de  vastes  éta- 


DE  LA   FRANCE    ET   DE   l'aNOLBTERRE.  230 

Aux  termes  de  la  circulaire  qui  r^le  reflFectif  des 
rc^iments  d'infanterie  pour  l'année  1860,  tous  les 
bataillons,  tant  à  l'intérieur  qu'à  l'extérieur,  à  l'excep- 
tion toutefois  de  ceux  employés  dans  l'Inde,  se  divisent 
de  la  manière  suivante  :  —  Portion  active  :  10  com- 
pagnies, â  officiers  supérieurs,  lOcapitaines,  12  lieu- 
tenants, 8  enseignes,  6  officiers  appartenant  à  l'état- 
major  régimentaire ,  66  sergents  ,  21  tambours , 
àO  caporaux  et  760  soldats;  —  Compagnies  de  dépôt  : 
2  capitaines,  2  lieutenants,  2  enseignes,  10  sergents^ 
4  tambours,  10  caporaux,  IftO  soldats. 

L'état*major  des  dépôts  centraux,  ou  dépôts-batail- 
hns  pour  l'infanterie,  comprend  :  1  lieutenant-colonel 
commandant,  1  major,  1  adjudant  du  grade  de  capi- 
taine, 1  officier  chargé  de  l'école  de  tir  {instructar  qJ 
musketry),  1  payeur,  1  quartier-maître,  1  médecin  et 
1  aido-médecin. 

Les  compagnies  de  dépôt  des  bataillons  qui  servent 
dans  l'Inde  ont  été  réunies,  autant  que  possible,  dans 
les  mêmes  localités.  Elles  forment,  à  elles  seules,  7  des 
23  bataillons  de  dépôt;  ce  sont  :  les  V\  T  et  3%  qui 
tiennent  garnison  à  Chatham;  les  9"  et  10'  à  Col- 
chester;  le  15'  àButtevant  (Irlande);  le  19*àFermoy 
(Irlande). 

Les  autres  bataillons  de  dépôt  sont  repartis  à  peu 
près  en  nombre  égal  entre  l'Angleterre  et  llrlande  ;  ils 


blissements  où  la  troupe  ii*est  pas  à  proprement  campée ,  mais 
bien  installée  dans  des  bâtiments  pareils  aux  casernes  ordinaires, 
ou  peu  s'en  faut. 


2&0         CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  mUTÀIRES 

sont  généralement  placés  dans  des  villes  de  la  côte,  ou 
à  peu  de  distance  des  ports  d'embarquement. 

Ce  sont,  pour  TÀngleterre  :  le  &*  à  Canterbury;  le 
5'  à  Parkhurst  (dans  l'île  de  Wight)  ;  le  6*  à  Walmer; 
le  T  à  Winchester  ;  le  8*  à  Pembroke  ;  le  11'  à  Ply- 
mouth  ;  le  2f  à  Chichester  ;  le  22*  à  Stirling  (Ecosse), 
et  le  23'  à  Aberdeen  (Ecosse). 

Pour  rirlânde  ;.  le  12*  à  Athlone;  le  13*  à  Birr;  le 
14*  à  Belfast;  le  15'  à  Buttevant;  le  16*  à  Temple- 
more;  le  17*  à  Limerick;  le  19*^  à  Fermoy  ;  le  20*  à 
Cork. 

Les  dépôts  de  cavalerie  sont  concentrés  dans  les  deux 
villes  de  Maidstone  et  de  Canterbury.  L'instruction  des 
recrues  pour  cette  arme  exigeant  un  personnel  et  des 
chevaux  qu'il  y  aurait  tout  inconvénient  à  disséminer, 
les  régiments  de  cavalerie  employés  dans  l'Inde  sont 
les  seuls  qui  soient  représentés  à  Maidstone  et  à  Can- 
terbury. Ces  deux  établissements  sont  pourvus  de 
manèges,  de  carrières,  et  de  tous  les  accessoires  néces- 
saires à  une  école  d'équitation.  Ils  représentent,  jusqu'à 
un  certain  point,  les  divisions  de  cavalerie  de  nos  écoles 
de  Saint-Cyr  et  de  Saumur. 

Les  régiments  de  cavalerie  qui  servent  à  l'intérieur 
envoient  des  détachements  à  Maidstone  pour  le  dres- 
sage des  jeunes  chevaux,  et  pour  former  des  instruc- 
teurs et  des  écuyers.  La  composition  de  ces  détache- 
ments, les  conditions  que  doivent  remplir  les  hommes 
et  les  chevaux  désignés  pour  en  faire  partie,  sont 
l'objet  de  recommandations  détaillées  dans  les  r^Ie- 
ments  sur  le  service  de  la  cavalerie  anglaise.  Nous 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     241 

aurons  occasion  de  les  analyser  lorsque  nous  examine- 
rons ailleurs  les  mérites  et  les  défauts  de  cette  arme 
chez  nos  voisins. 

L'établissement  de  Maidstone  est  dirigé  par  un  colo- 
nel, assisté  d'un  lieutenant-colonel  remplissant  les 
fonctions  de  commandant  eu  second.  L'état-major,  fort 
peu  nombreux,  comprend  seulement  :  1  maître  d'équi- 
tation  {ridiny  master),  1  adjudant,  1  payeur,  1  quar 
tier-maître,  1  vétérinaire  et  1  médecin. 

Le  dépôt  de.Canterbury  comporte  :  1  colonel  com 
mandant,  2  majors,  1  maître  d'équitation,  1  instruc- 
teur pour  le  tir,  1  payeur,  1  quartier-maître,  i  méde- 
cin et  l  vétérinaire. 

L'idée  qui  a  présidé  à  l'établissement  des  dépôts 
centraux,  chez  nos  voisins,  est  heureuse.  Il  y  a  évidem- 
ment avantage  à  n'avoir  qu'une  organisation  pour  le 
pied  de  guerre  comme  pour  le  pied  de  paix,  et  à  pou- 
voir résumer  dans  un  simple  changement  d'eflTectif  les 
mesures  que  détermine  chez  nous  l'ouverture  ou  la 
cessation  des  hostilités.  Nous  reviendrons  ailleurs  sur 
cette  question. 

Dans  l'état  actuel,  le  dernier  mot  n'est  pas  dit,  chez 
nos  voisins,  sur  l'organisation  des  dépôts-bataillons. 
On  peut  les  considérer  comme  étant  en  cours  d'expé- 
rience ,  et  les  opinions  diffèrent  encore  quant  à  la  pro- 
portion qui  doit  exister  entre  eux  et  la  partie  active  de 
Tannée.  Quelques-uns  voudraient  que  cette  proportion 
fût  plus  élevée,  de  manière,  la  nécessité  échéant,  à  se 
prêter  plus  facilement  à  une  augmentation  de  l'armée 
par  la  formation  de  nouveaux  corps.  Somme  toute,  les 

16 


242  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

critiques  que  les  dépôts-bataillons  ont  soulevées,  les 
inconvénients  qui  ont  été  signalés  jusqu'ici  n'ont  rien 
de  bien  sérieux  en  présence  des  avantages  incontes- 
tables de  l'organisation.  Il  suffit  pour  répondre  aux 
unes,  et  pour  faire  disparaître  les  autres,  d'apporter  à 
certaines  dispositions  de  détail  des  améliorations  et  des 
perfectionnements  qu'une  bonne  réglementation  suflS- 
rait  à  assurer. 

Ainsi,  en  ce  qui  regarde  les  jeunes  officiers  qui, 
dans  l'armée  britannique,  peuvent  obtenir  leur  premier 
grade  [firsl  commission)  en  l'achetant,  ef  sans  avoir  été 
soumis  préalablement  à  aucun  apprentissage  militaire, 
il  est  évident  qu'il  y  a  tout  avantage,  dans  l'intérêt  de 
la  discipline,  à  ne  plus  donner  à  leurs  régiments  le 
plaisant  spectacle  de  leurs  débuts.  Leur  éducation  mili- 
taire sera  mieux  dirigée  dans  les  dépôts-bataillons  que 
par  les  soins  du  sergent,  aux  mains  duquel  ils  étaient 
remis  dès  le  jour  où  ils  avaient  rejoint,  et  qui,  le  plus 
souvent ,  ne  savait  choisir  aucun  terme  raisonnable 
entre  la  servilité  de  l'inférieur  et  l'insolence  d'un  tyran 
de  circonstance.  Pour  que  les  dépôts-bataillons  puis- 
sent devenir,  pour  les  hommes  comme  pour  les  offi- 
ciers, une  école  sérieuse,  il  faut  qu'un  soin  tout  parti- 
culier soit  apporté,  tant  dans  le  choix  des  v  fructeurs 
que  dans  celui  de  l'état-major  chargé  de  n>  diriger. 
Peut-être,  grâce  à  l'esprit  de  favoritisme  vi  au  patro- 
nage, qui  sont  la  plaie  de  l'armée  britanniijuc,  le  choix 
en  question  n'a-t-il  pas  toujours  été  suffisamment  sur- 
veillé. S'il  faut  en  croire  certains  journaux  militaires, 
les  dépôts-bataillons  sont  devenus  le  refuge  de  plus 


m  U  fRANGS  BT  DE  L'AlfGLETEIUifi.  2&5 

d'un  jeune  ofiBcier  supérieur  qui  avait  échoué  pour 
Tétat-major;  si  bien  que,  dans  maintes  circonstanoes, 
ce  sont  des  aveugles  qui  se  sont  trouvés  chargés  d'en 
conduire  d'autres  {Ihat  theblind  mighi  lead  the  blind). 

Les  vices  d*une  pareille  situation,  si  l'on  n'y  portait 
remède,  compromettraient  évidemment  tous  les  résul- 
tats qu'il  est  permis  d'espérer  de  l'organisation  des 
dépôts-bataillons,  et  les  chefs  de  corps  seraient  les 
premiers  à  demander  que  l'instruction  des  jeunes  offi- 
ciers et  des  recrues  fût  remise  entre  leurs  mains 
comme  par  le  passé.  11  est  facile,  heureusement,  de 
mettre  un  terme  à  des  imperfections  dont  il  fbut  accu- 
ser, non  pas  l'institution  elle-même,  mais  bien  les 
agents  chargés  de  la  faire  fonctionner.  Les  mesures 
ordonnées  par  le  Horse-Guards,  et  particulièrement 
celles  qui  concernent  les  examens  à  faire  subir  aux 
officiers  des  dépôts,  doivent  suffire,  si  elles  sont  pmc- 
iuellemêni  eœécutées,  à  assurer  à  ces  écoles  le  rôle  qui 
leur  appartient.  Aux  termes  du  règlement  actuelle- 
ment en  vigueur,  toutes  les  semaines  chaque  comman- 
dant de  dépôt  doit  examiner  et  interroger  les  officiers 
sous  ses  ordres.  Indépendamment  de  cette  première 
épreuve,  toutes  les  semaines,  également  à  un  jour  fixe, 
le  plus  ancien  capitaine  du  dépôt  doit  aussi  examiner 
les  jeunes  offlcierîî  dont  l'instruction  n'est  pa3  com- 
plète, et  les  interroger  sur  les  détails  de  leur  métier, 
non  pas  seulement  en  ce  qui  regarde  l'exercice  pro- 
prement dit,  mais  encore  sur  toutes  les  questions  qui 
touchent  à  la  solde,  à  l'habillement,  à  l'équipement 
des  hommes,  aux  pouvoirs  des  cours  martiales,  au 


2ftÙ  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MIUTAIRES 

code  pénal  militaire,  à  Vadministration  intérieure  des 
compagnies,  etc.,  etc. 

Nous  avons  terminé  Tanalyse  de  tous  les  éléments 
dont  se  compose  Y  armée  régulière  en  Angleterre.  Nous 
avons  successivement  passé  en  revue  toutes  les  posses- 
sions extérieures  de  la  Grande-Bretagne,  en  détaillant 
sommairement  la  garnison  attachée  à  chacune  d'elle. 
Il  nous  reste,  ainsi  que  nous  l'avons  annoncé  dans  le 
chapitre  précédent,  à  résumer  l'ensemble  des  forces 
militaires  absorbées  par  le  service  extérieur,  afin  d'en 
déduire  exactement,  en  le  retranchant  de  Teffectif 
général  voté  par  le  Parlement,  ce  qui  reste  réellement 
disponible  pour  le  service  et  la  défense  de  la  mère- 
patrie. 

Afin  de  rendre  cette  récapitulation  plus  facile  à  sai- 
sir et  à  embrasser  d'un  seul  coup  d'œil,  nous  la  pré- 
senterons sous  forme  de  tableaux,  et  par  arme,  en 
indiquant  la  position  de  chaque  corps  (portion  mobi- 
lisée et  dépôt). 

GARNISONS  OCCUPÉES  PAR   LES   DIFFÉRENTS  CORPS   DE 
l'armée  BRITANNIQUE,  AU  1"  JANVIER  1861  (1). 

Section  L  —  Cavalerie  de  la  Garde. 

1''  LifeGuards.  .  .  Régents  Park  (Londres). 
2«         —  HydePark  — 

Royal  Horse  Guards,  Windsor. 

(1)  Les  garnisons  extérieures  sont  distinguées  par  des  lettres 
italiques.  Lorsque  deux  garnisons  sont  marquées  pour  le  même 
corps,  la  première  est  celle  de  la  portion  mobilisée,  la  seconde  celle 
du  dép6L 


DE   LA   FRANCE   ET   DE   l'aNGLETERRE.  2&5 

Tous  les  régiments  de  cavalerie  de  la  Garde  {Home 
hold  Cavalry)  sont  stationnés  en  Angleterre  ;  leur  effec- 
tif est  de  l,8â8  hommes  et  825  chevaux. 

Section  IL  Cavalerie  de  ligne. 
i'^DragooD  Guards,lfadra«,  Ganterbury. 


2« 

— 

Bengal,  Ganterbury. 

3* 

— 

Bombay,  Ganterbury. 

A- 

— 

Birmingham. 

5« 

— 

Brighton. 

6" 

— 

Bengal,  Maidstone. 

?• 

— 

Bengale  Ganterbury. 

!•' 

Draguons.  .  . 

.  Dublin  (Irlande). 

2e 

— 

Dublin  (Irlande). 

3« 

— 

Dundalk  (Irlande). 

4« 

— 

Dublin  (Irlande). 

ô'' 

— 

.    .\Idershot. 

6« 

—    ' 

Bombay,  Maidstone. 

?• 

Hussards .  .  . 

.  Bengal,  Maidstone. 

8« 

— 

Bombay.  Ganterbury. 

9» 

Lanciers.  . 

.  Aldershot. 

10« 

Hussards. . 

.  Norwich. 

il» 

— 

Manchester. 

12« 

Lanciers.  . 

.  York. 

13« 

Light  Dragoons.  Edimbourg. 

W 

— 

Newbridge  (Irlande). 

i5« 

Hussards.  . 

.  Gahir  (Irlande), 

16» 

Lanciers.  . 

.  Hounslow. 

17» 

— 

Madras,  Maidstone. 

18« 

Dragoons. 

.  Aldershot. 

Sur  les  28  régiments  qui  composent  la  cavalerie  an- 
glaise (Garde  comprise),  on  en  compte  9  détachés  aux 
Indes  (à  805  hommes  et  720  chevaux),  6  en  Irlande, 
13  en  Angleterre  et  Ecosse  (à  645  hommes  et  û20  che- 
vaux). 


3A6  GONSTItUTtON  ET  PUISSANCE  MlUtAQlES 

Section  lil.l— -  Infanterie  de  la  Garde, 

Grenadiers  Guards.  i«'  bataillon,  Dublin  (Irlande)  ;  2%  Wellington 

Barracks  (Londres)  ;  3®,  Tower  (Londres). 
Goldstream  Guards.  1®'  bataillon,  St-Georges  Barracks  (Londres); 

2*,  Portman-Slreet  Barracks  (Londres). 
Scots  Fusiliers  Guards*  i«'  bataillon»  Wellington  BarradD  (Londres)  ; 

2%  Windsor. 

L'infanterie  de  la  Garde  ne  fournit  pour  le  moment, 
comme  la  cavalerie,  aucun  détachement  extérieur. 
Elle  est  concentrée  presque  tout  entière  à  Londres;  un 
seul  bataillon  sur  les  sept  tient  garnison  en  Irlande. 
L'effectif  de  la  garde  est  de  6,800  hommes. 

Section  IV.  -^^  Infanterie  de  ligne, 

!••  régiment,  !•'  bataillon,  Madras,  Colchester;  2«,  CMne^  Birr 

(Irlande). 
2«       —       !•'  bataillon,  Chine,  Walmer  ;  2%  Malte,  Walmer. 
3«       —       1"  bataillon,  Chine,  Llmerick  (Irlande)  ;  2«,  MaUe, 

Limerick  (Irlande). 
U*       —       1«  bataillon,  Botnhay^  Chatham  ;  2«,  Corfou,  Chi- 

cbester. 
6«       —        !•' bataillon,  Bengal,  Colchester;  2*,  tle  Maurice, 

Pembroke. 
6«       —       !•' bataillon,  Behgal,  Colchester;   2*,  Gibtaltar, 

Cork  (Irlande). 
?•       —       1"  bataillon,   Bengal,  Chatham;   2*,  Gibtaltar, 

Walmer. 
8«       —       !•'  bataillon,    Gosport,   Templemôre   (Irlande); 

2%  Gibraltxir,  Templemore  (Irlande). 
•*       -.       !«*  bataillon,  Corfou,  Limerick  (Irlande);  2*,  Cor- 

fùu,  Limerick  (Iriande). 
il«       ^       fer  tataiUon,  Aldershot,  Preeton  ;  2%  Cap  de  Botme^ 

Espérance,  Preston. 
li»       ^       1*'    bataillon,    Portsmouth,    Fermoy    (Irlande); 

2%  Portsmouth. 


DE   LA   FBANGE    ET   DE   L*AN6LETERRfe:.  2&7 

i2'  régiment.  1*'  bataillon.  Nouvelle  Galles  du  Sud,  Walmer; 

2%  Plymoutb. 
'l3«        —        i"  bataillon,' i^efiflfa/,  Fermoy  (Irlande)  ;  2%  Le  Gap, 

Fermoy  (Irlande). 
ili*       _       i»  bataillon,  La  Jamaïque,   Fermoy  (Irlande); 

2«,  Nouvelle-Zélande^  Fermoy  (Irlande). 
15«       —        1''  baUillon,  Cork  (Irlande),  Pembroke;  2%  Malte, 

Pembroke. 
16«       _       1»   bataillon,  Sborncliff,  Templemore  (Irlande); 

2«,  Gurragh  (Irlande). 
£7e       _       |er  bataillon,  Canada,  Limerick  (Irlande);  2%  Li- 

merick  (Irlande). 
18*       -.       i«r  bataillon,  Madras,  Buttevant  (Irlande)  ;  2%  Sborn- 

cliff,  Buttevant  (friande). 
i9«       ~       P'  bataillon,  Bengal,  Cbatham;  2%  Portsmouth. 
2o«       *       l^i*  bataillon,  Bengal,  Cbatham  ;  2%  Gurragh  (Ir- 
lande). 
21«       —        !••  bataillon,  La  Bardade,  Birr  (Irlande)  ;  2%  Shorn- 

clifr. 
22«       ~       1«'  bataillon,  Malte,  tarkburst;  2»,  ifa/fe,  Park- 

hurst. 
23«        —        1«'  bataillon,  Bengal,  Chatbaro  ;  2S  A/a/to,  Walmer. 
^9       —       1er  bataillon,  Bengal,  Cbatham;  2%  <fe  Maurice, 

Gork  (Irlande). 
25«       —       1«'  bataillon,  Gibraltar,  Âthlone  (Irlande);  2%  Al- 

dershot. 
26«       —  (1)  Dublin  (Irlande),  Belfast  (Irlande). 
27e       _       Bengal,  Cork  (Irlande). 
211''       —        Bombay,  Fermoy  (Irlande). 
29»       —       Aldershot,  Preston. 
30*        —       Jersey,  Parkhurst 
31*       —        Chine,  Cbatham. 
32«       —       Preston,  Aldershot 

(1)  Les  25  premiers  régiments  d'infanterie*  seulement,  sont  à 
2  bataillons,  le  60*'  et  la  brigade  de  tirailleurs  sont  à  U  bataillons 
(voir  le  chapitre  qui  traite  de  V Organisation  de  l'infanterie  an- 
glaise). 


2fi8  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

33«  régiment.  Bombay,  Fermoy  (Irlande), 

34*  —       Bengal,  Colchesler. 

35«  —       Bengal,  Chalham. 

36«  —       Dublin  (Irlande),  Alhlone  (Irlande). 

37»  —       Bengal,  Colchesler. 

38*  —       Bengal,  Colchesler. 

39«  —       Bermuda,  Templemore  (Irlande). 

ÛO"  —       Nouvelle-Zélande,  Birr  (Irlande). 

61**  —       Aldershot,  Preslon. 

Û2«  —        Bengal,  Stirling  (Ecosse). 

Û3«  —       Madratt,  Chalham. 

ûû*  —  Chine,  Colchesler. 

Û5«  —  Aldershot,  Parkhursl. 

/i6«  —  Bengal,  Bultevant  (Irlande). 

/i7«  —  Douvres,  Athloiie  (Irlande). 

48«  —  Bengal,  Cork  (Irlande). 

Û9«  —  Aldershot,  Belfast  (Irlande). 

50«  —  Ceylan  (Ile) ,  Parkhurst. 

51«  —  Bengal,  Chalham. 

52«  —  iîcn^a/,  Chatham. 

53«  —  Plyraouth,  Chichester. 

54®  —  5cnpa/,  Colchesler. 

ôS*»  —  Aldershot,  Preslon. 

56«  —  Bombay,  Colchesler. 

57*  —  Bombay,  Cork  (Irlande). 

58»  -  Sheffield,  Birr  (Irlande). 

59«  —  le  Cap,  Chichester, 

;  60«  -  iT  bataillon,  Douvres,  Winchester  ;  2«,  CWti«,  Win- 
chester; 3%  Madras,  Winchester  ;  U%  Dublin  (Ir- 
lande), Winchester. 

61«  -^  Plymouth,  Pembroke. 

62»  ^  Nouvelle-Ecosse,  Belfast  (ïriande). 

63«  -  ATouve/Zc-^Gowc,  Belfast,  (Irlande). 

64"  -  Bombay,  Canlerbury. 

65»  ^  Nouvelle-Zélande,  Birr arlande). 

66«  ^  -Varfrew,  Colchesler. 

67*  —  Chine,  Alhlone  (Irlande). 

68»  —  ^««'ï'a^,  Fermoy  (Irlande). 


DE   LA    FRANGE   ET   DE   l' ANGLETERRE.  2ft9 

69«  régiment  Madras,  Fermoy  (Irlande). 


70» 

— 

Bengal,  Canlerbury. 

71» 

— 

Bengal,  Stirling  (Ecosse). 

72* 

— 

Bombay,  Aberdeen  (Ecosse), 

73« 

— 

Bengaly  Chatham. 

7A* 

— 

Madras^  Aberdeen  (Ecosse). 

75« 

— 

Bengale  Chatham. 

76« 

— 

Waterford  (Irlande),  Belfast  (Irlande). 

77» 

— 

Bengal,  Chatham. 

78' 

— 

Edimbourg  (Ecosse),  Aberdeen  (Ecosse). 

79* 

— 

Bengal,  Stirling  (Ecosse). 

80« 

— 

Bengal,  Buttevant  (Irlande). 

81« 

— 

Bengal,  Chatham. 

82» 

— 

Bengal,  Canterbury. 

83« 

— 

Bombay,  Chatham. 

84* 

— 

Manchester,  Pembroke. 

85« 

— 

Le  Cap,  Pembroke. 

86« 

— 

Newry,  Templemore  (Irlande). 

87» 

— 

Chine,  Buttevant  (Irlande). 

88« 

— 

Bengal,  Colchester. 

89* 

— 

Bengal,  Fermoy  (Irlande). 

90* 

— 

Bengal,  Canterbury. 

91« 

— 

Madras,  Chatham. 

92« 

— 

Bengal,  Perlh  (Ecosse). 

93» 

— 

Bengal,  Aberdeen  (Ecosse). 

9Û* 

— 

Bengal,  Chatham. 

95« 

— 

Bombay,  Fermoy  (Irlande). 

96« 

— 

Dublin  (Irlande),  Chichester. 

97« 

— 

Bengal,  Colchester. 

98^ 

— 

Bengal,  Canterbury. 

99« 

— 

Chine,  Cork  (Irlande). 

100« 

— 

Gibraltar,  Parkhurst. 

Brigade  de  tirailleurs.  1«^  bataillon,  Aldershot,  Winchester.  2«,  iî«n- 

gai,  Winchester;  3%  Bengal,  Winchester; 

6*,  Malte,  Winchester. 

1"  régiment 

des  Indes-Occidentales.  Iles  Bahama. 

2« 

— 

—                    Jamaïque, 

3* 

— 

—                    La  Barbade. 

250  CONSTITUTION  ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

Tirailleurs  de  Ceylan Ceylan. 

Tirailleurs  à  cheval  du  Gap le  Cap. 

Tirailleurs  canadiens Canada. 

Régiment  de  Sainte-Hélène Sainiê-Hélène. 

Régiment  de  Terre-Neuve Terre-New)e. 

Volontaires  de  Malte. Malte. 

Compagnies  de  la  Côte-d*Or Cape  Coast  CasUe. 


C'est  pour  mémoire  seulement  que  nous  avons  in- 
scrit, à  la  suite  des  régiments  réguliers,  les  corps  colo- 
niaux oi^anisés,  à  titre  de  force  purement  locale,  dans 
certaines  possessions  de  TEmpire  britannique.  Notre 
but  étant  de  déterminer  les  forces  réellement  dispo- 
nibles et  employées,  tant  à  Tintérieur  qu'à  l'extérieur, 
nous  devions  tenir  compte  de  ces  corps»  qui  ont  kmr 
rôle  dans  la  défense  de  TËmpire,  bien  que,  aux  termes 
de  leur  organisation,  ils  ne  puissent  être  employés  hors 
du  territoire  de  la  colonie  où  ilë  ont  été  levés  (1). 

A  l'aide  des  éléments  fournis  par  le  tableau  qui  pré- 
cède, il  est  facile  de  constituer  les  groupes  principaux 
entre  lesquels  VinfarUerie  régulière  de  Tarmée  an^aise 
est  divisée. 


(1)  Cest,  du  reste,  Toccasion  de  le  remarquer  ici,  les  Angliis, 
malgré  leur  réputation,  se  sont»  k  oertains  éganls,  montrés  plus 
simplificateurs  que  nous.  Ils  font  dépendre  du  Ministère  de  la  gnorre 
rorganisatioQ  et  la  direction  de  toutes  les  forces  ifo  Urrê  qni  ooo^ 
courent  à  ta  défense  intérieure  ou  extérieure  du  royaume,  à  quelque 
titre  que  ce  soit  C*est  à  ce  point  de  vue  que  les  corps  coloniaux 
appartiennent  au  War  Office  et  au  Horse  Guards.  Llnfenterie  de 
marine,  elle-même,  bien  que  défrayée  par  le  budget  de  la  marine, 
a  son  rang  marqué  parmi  les  troupes  de  terre  ;  elle  marche,  en  ok 
de  réunion  avec  celles-ci,  après  le  /if9«  de  ligne. 


M  LA  VrANCB  Et  DÉ  L'AmLfitÊRHË.  251 

Le  chiffre  total  dés  bataillons  (Garde  eompriae)  étant 
de  159,  on  Irottte  : 

1*  Dam  les  placée  et  la  Méditéftànêe,  i5  bataillons 
ainsi  repartis  t  Gibraltar,  B  ;  Malte,  7;  Côrfou,  8. 

2*  fin  AHe ,  66  bataillons  ainsi  répartis  :  Prési- 
dence du  Bengale,  S8;  Présidence  de  Bombay,  9; 
Présidence  de  MadrasetCeylan,9;  corps  expédition- 
naire en  Chine,  9. 

S''  EnAf^iijwê,  6  bataillons  ainsi  répartis  \  Ile  Mau- 
rice, 2;  Cap  de  Bonne*Ëspéranee,  4. 

4"  En  AiMtùlie,  4  bataillons  ainsi  répartis  :  Nou- 
velle-Zélande, 3;  Nouvelle-Galles  du  Sud,  1. 

fiT  En  Amér^ue,  6  bataillons  ainsi  répartis  :  Canada, 
!  ;  Nouwlle-ÉcosBe,  2;  Antilles,  2;  Bermudes,  1. 

Total  général  des  bataillons  pour  les  possessions  ex- 
térieures, 96. 

Si  des  189  bataillons  actifs  qui  forment  l'ensemble 
de  l'infanterie  anglaise,  on  retranche  les  96  bataillons 
employés  dans  la  Méditerranée  ou  hors  d'Europe,  il 
reste,  pour  la  défense  du  Royaume-Uni,  nuamnte-tfois 
baiaiWms  : 

1*  fin  AngkterfB,  90  bataillons,  ainsi  répartis 
Londres,  6;  Windsor,  1;  Portsmouth,  5  ;  Plymouth,  à 
Shomcliff,  8;  Aldershot,  8;  Preston,  1;  ï)ôuvres,  2 
Shéffield,  1  ;  Manchester,  i  ;  Gosport,  4. 

2"*  Dans  les  tles  de  la  Manche^  i  bataillon  à  Jersey. 

d"*  En  Ecosse,  1  bataillon  à  Edimbourg. 

fl^JBn  Irlande,  11  bataillons  ainsi  répartis  :  Dublin, 
4;  Curragh,  2;  Limerick»  2;  Cork»  i;  Waterford,  1  ; 
Newry,  1.     ^ 


252  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE   MlUTAIRES 

Indépendamment  de  ces  43  bataillons  de  service 
(c'est-à-dire  à  dix  compagnies),  le  Gouveraement,  pour 
la  défense  du  territoire  de  l'Angleterre,  a  encore  à  sa 
disposition  tous  les  dépôts  { Depot-Companies)  des 
132  bataillons  qui  composent  l'infanterie  de  ligne  (1). 

L'ensemble  de  ces  dépôts  forme  un  total  de  264  com- 
pagnies, à  raison  de  deux  par  bataillon.  En  général, 
elles  occupent  des  garnisons  différentes  de  celles  des 
compagnies  de  service,  et  elles  sont  groupées  de  ma- 
nière à  former  les  dépôts  centraux  ou  bataillons-dépôu 
dont  nous  avons  donné  plus  haut  l'organisation. 

A  en  juger,  toutefois,  par  le  tableau  des  stations  de 
l'armée  anglaise  pour  la  fin  de  1860,  à  moins  de  con- 
sidérations qui  nous  échappent  et  qui  expliqueraient 
les  anomalies  dont  nous  avons  été  frappé,  il  nous 
semble  que  l'établissement  et  les  mouvements  des 
troupes  à  l'intérieur  ne  sont  pas  dirigés,  chez  nos  voi- 
sins, d'après  des  règles  bien  fixes  et  surtout  bien  lo- 
giques. 

Des  43  bataillons  actifs  qui  font  le  service  à  Tinté 
rieur,  8  sont  réunis  à  leurs  compagnies  de  dépôt;  35  en 
sont  séparés.  Ou  la  séparation  est  avantageuse  en 
principe,  au  point  de  vue  de  l'instruction  des  jeunes 
officiers  et  des  recrues,  ou  elle  est  sans  utilité  pour  les 
bataillons  qui  ne  sont  pas  détachés  dans  les  possessions 

(1]  L*organisaUoD  des  dépôts  régimentaires  à  deux  compagnies 
u'est  pas  invariable;  ces  dépôts  ont  été  formés,  tantôt  à  deux,  tan- 
tôt à  quatre  compagnies;  en  cela,  comme  en  beaucoup  d'autres 
choses,  la  dissémination  des  troupes  a  rendu  runiforraité  impos- 
sible. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     253 

extérieures.  Dans  ce  dernier  cas,  il  semble  que,  pour 
ces  corps,  la  concentration  de  toutes  les  compagnies 
dans  la  même  garnison  devrait  être  la  règle  générale. 

La  réunion,  ou  tout  au  moins  la  proximité  des  deux 
fractions  d'un  même  bataillon,  présentant  évidemment 
plus  de  facilités  pour  le  commandement,  pour  le  ser- 
vice, ix)ur  les  relations  entre  les  compagnies  de  service 
et  les  compagnies  de  dépôt,  on  a  peine  à  comprendre 
comment,  dans  Tassiette  et  la  répartition  des  troupes, 
on  place,  par  exemple,  en  Irlande,  les  dépôts  de  ba- 
taillons dont  les  compagnies  de  service  tiennent  garni- 
son en  Angleterre,  tandis  que,  d'un  autre  côté,  on  voit 
des  bataillons  qui  servent  en  Irlande  et  dont  les  com- 
pagnies de  dépôt  spnt  placées  en  Angleterre. 

Plymouth  figure  toujours  sur  les  situations  comme 
garnison  du  11*  dépôt-bataillon;  cependant,  si  les  reur 
seignements  où  nous  puisons  sont  exacts,  et  nous  avons 
tout  lieu  de  le  croire  (1),  il  n'y  avait  pas,  au  mois  de 
décembre  1860,  un  seul  dépôt  dans  cette  ville,  tandis 
quePreston  en  contenait  jusqu'à  cinq.  Si  l'état-major 
du  11*  dépôt-bataillon  réside  toujours  à  Plymouth,  à 
quoi  est-il  employé? 

Les  exigences  du  service  peuvent  être  pour  beau- 
coup dans  ces  dérogations  à  la  simplicité  et  aux  conve- 
nances qui  doivent  être  recherchées  dans  la  distribu- 
tion des  troupes;  cependant,  dans  telle  circonstance 
donnée,  elles  pourraient  bien  en  gêner  l'emploi.  En 
admettant  qu'elles  soient  sans  importance  et  qu'elles 

(l)  United  Service  Magazine  (n'»  de  décembre  1860). 


25&         CONSTITUTION  ST  PUISSANCE  lfa.ITAIRS3 

n'offrent  pas  lo^inconvéniento  que  nous  supposoiu,  et 
que  Ton  a  si  grand  soin  d'éviter  en  France,  il  est  incon- 
testable que  ces  anomalies  accusent  dans  la  direction 
des  mouvements  une  certaine  confusion,  une  absence 
de  méthode  qui,  en  multipliant  les  rouages,  ne  peut 
que  contribuer  à  les  compliquer. 

L'ensemble  des  i33  dépôts  de  T  infanterie  de  ligne 
constituant  une  force  assez  considérable  pour  présenter 
un  effectif  qui  varie  de  18  à  30,000  hommes,  nous 
allons  présenter  leur  distribution  entre  les  différantes 
parties  du  Royaume-Uni,  comme  nous  l'avons  Ux\ 
pour  les  bataillons  actifs  : 

i°  Dan$  les  places  de  l'Angleterre,  soixanta^quinie 
dépôts  ainsi  répartis  :  Chatham,  18;  Ganterbury,  &; 
Parkhurst,  6;  Walmer,  5;  Winchester,  8;  P«i- 
broke,  6;  Colchester,  lï;  Plymouth,  I;  Chicheater.  4; 
Preston,  5  j  Aldershot,  3  ;  Shomcliff,  i  ;  Portomouth,  3. 

2°  Dan^  les  places  de  V Jacasse,  huit  dépôts  ainsi  ré* 
partis  :  Aberdeen,  A;  Stirling,  3;  Penh,  1. 

ô'  DoM  les  garnisons  de  /'/rtefwte,  quaranto-neuf 
dépôts  ainsi  répartis  :  Âthlone,  &;  Qirr,  5;  Belfast»  5; 
Buttevant,  5;  Templemore,  5;  Limerick,  6;  Fer- 
moy,  Il  j  Cork,  6;  Curragh,  8. 

Srctioii  V.  «*  IVonDta  eu  gMio. 

Nous  avons  vu,  lorsque  nous  avons  analysé  Toiig^i- 
sation  militaire  des  possessions  eiLtérieures  de  la 
Grande-Bretagne,  combien  étaient  nombreux  les  offi- 
ciers du  génie  employés  dans  ces  colonies.  U  propor- 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     255 

tion  des  troupes  de  cette  arme  réclamée  par  le  service 
extérieur  n'est  pas  moins  considérable. 

On  se  rendra  compte  de  cette  nécessité  si  Ton  songe 
que,  depuis  un  siècle,  les  Anglais  se  sont  emparés  suc- 
cessivement de  toutes  les  positions  militaires  qui  pou«- 
vaient  leur  assurer  l'empire  de  la  mer.  Pour  tenir  sur 
pied  les  forteresses  qui  font  la  sécurité  de  ces  poste» 
importants,  on  a  dû  sacrifier  jusqu'à  un  certain  point 
le  service  intérieur  au  service  o^térieuri  à  cause  du 
personnel  restreint  dont  on  pouvait  disposer.  Aujour*-^ 
d'bui  qu'une  somme  de  300  millions,  demandée  parla 
Commission  de  défense,  est  accordée  par  le  Parlement 
pour  l'amélioration  des  places  et  pour  la  fortification 
des  côtes  de  l'Angleterre,  le  corps  du  génie  devient 
plus  insuffisant  que  jamais  en  maison  des  travaux  h 
exécuter. 

Aux  termes  du  mémorandum  présenté  à  la  fin  de 
juillet  1859  sur  les  elFectifs  disponibles  à  l'intérieur 
{home  establishment)^  par  le  général  Peel,  nous  avons 
vu  que  celui  du  génie  était  de  185&.  Ce  cbifire  (si 
nous  en  jugeons  par  ceux  du  même  document  que 
nous  avons  discuté)  doit  être  plutôt  au-dessus  qu'au^ 
dessous  de  la  réalité. 

Si  nous  le  conservons,  cependant,  comme  corres- 
pondant encore  à.répoque  actuelle,  nous  voyons  qu'il 
représente  un  peu  moins  du  tiers  de  l'effectif  total  voté 
pour  te  génie  par  le  Parlement  (Budget  de  1860-1861). 

Le  tableau  suivant,  emprunté  au  iWtWar»  Spemtor 
pour  l'année  1856,  peut  donner  une  idée  suffisante  de 


256  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

la  distribution  de  l'arme  du  génie  entre  T  Angleterre 
et  ses  colonies  (1). 

A  cette  époque,  sur  16  colonels,  7  étaient  employés 
à  rintérieur,  6  dans  les  possessions  extérieures,  â  en 
congé  ; 

Sur  48  lieutenants-colonels,  25  étaient  employés  à 
l'intérieur,  15 dans  les  colonies,  et  3  en  mission; 

Sur  28  capitaines  de  1"  classe  en  service  extraor- 
dinaire [particular  service)  ^  17  étaient  employés  à 
l'intérieur,  11  étaient  en  mission  à  l'extérieur; 

Sur  i  5  capitaines  de  2«  classe  du  service  extraordi- 
naire, aucun  n'était  employé  hors  de  l'Angleterre; 

Sur  40  capitaines  de  T'  classe  en  service  ordinaire 
{not  on  particular  service),  26  étaient  employés  à  Tinté- 
rieur,  14  dans  les  colonies  ; 

Enfin,  sur  46  capitaines  de  2''  classe  du  service  ordi- 
naire, 23  étaient  à  l'intérieur,  et  23  dans  les  posses- 
sions extérieures. 

Quant  aux  troupes,  les  32  compagnies  que  compor- 
tait le  corps  étaient  distribuées  dans  les  stations  sui- 
vantes (2)  (18  dans  les  possessions  extérieures  et  Ift  à 
l'intérieur)  :  1"  compagnie.  Malle;  2%  Gibraltar; 
3%  Shorncliffe;  4%  Bengal;  5%Woolwich;  6%  Nou- 
veUe-Zélande;  T,  Halifax;  8%  Chine;  9%  Carfou; 
10%  Chine;  11%  Bombay;  12%  Chatham;  13%  Dublin; 
14%  Kelso;  15% kCap;  16% Southampton  ;  17%  Malte; 
18%  Chatham;    19%   Glascow;   20%    Swan-River; 

(1)  Dans  ces  désignations,  comme  dans  toutes  ceHes  du  même 
genre,  on  a  distingué  en  lettres  italiques  les  stations  extérieures. 

(2)  The  military  Spectator,  1"  mai  1858. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     257 

21%  Bombay;  22%  Maurice;  23%  Bengal;  "01% Gibral- 
tar; 25«,  le  Cap;  26%  Bermudes{{les)'y  27%  Chatham; 
28-,  Aldershot;  29*,  Portsmouth;  30%  Chatham; 
31%  Chatham;  32%  Chatham. 

Section  VL  —  Artillerie. 

Nous  avons  vu  que  Tartillerie  anglaise  comprenait  : 
1  brigade  d'artillerie  à  cheval  {horse  artillei-y),  et 
lA  brigades  désignées  sous  la  dénomination  générale 
d'artillerie  à  pied  {foot  artillery),  et  comprenant  des 
batteries  de  place  et  des  batteries  de  campagne. 

Ces  brigades  sont  dispersées,  comme  le  reste  de 
Tannée  britannique,  dans  les  quatre  parties  du  monde. 
A  r  intérieur  comme  à  l'extérieur ,  chaque  brigade  a 
son  état-major  placé,  autant  que  possible,  au  centre 
des  provinces  ou  des  colonies  que  ses  détachements 
doivent  desservir  ;  les  stations  de  ces  états-majors  sont 
indiquées  dans  le  Lableau  suivant  : 

Brigade  d'artillerie  à  cheval  :  état-major  à  Woolwich. 

1"  brigade  (artillerie  de  place)  :  état-major  à  Woolwich. 

2«       — .     (artillerie  de  place)  :  état-major  à  Douvres. 

3*       -•     (arUllerie  de  place)  :  état-major  à  Plymouth. 

&«    .  —     (artillerie  de  campagne)  :  état-major  à  Woolwich. 

5*       —     (artillerie  de  place)  :  état-major  à  Gibraltar, 

6«       —     (artillerie  de  place)  :  état-major  à  Malte, 

?•       —      (artillerie  de  place)  :  état-major  à  Québec. 

8*       —     (artillerie  de  campagne)  :  état-ma^jor  à  Portsmouth. 

9«       —     (artillerie  de  campagne)  :  éut-major  à  Ballincollig 

(Irlande). 
10«     —     (artUlerie  de  place)  :  état-major  2i  Guemesey  (îles  de 

la  Manche). 

17 


258  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

11«  brigade  (artillerie  de  campague)  :  état-major  au  Bengale. 
12'      ^      (artillerie  de  place)  :  état-ms^or  à  rUe  Maurice. 
18*      ^      (artillerie  de  campagne)  :  état-major  à  Bombay. 
W     —     (artillerie  de  campagne)  :  état-major  au  Bengale. 

Il  résulte  du  tableau  qui  précède  que,  sur  les  1 A  bat- 
teries d'artillerie  à  pied,  8,  en  comprenant  celle  des 
lies  de  la  Manche,  sont  employées  à  l'extérieur,  et  6  à 
l'intérieur. 

Sur  les  6  brigades  d'artillerie  de  campagne  [fidd 
artillei-y),  2  sont  stationnées  en  Angleterre  et  1  en 
Irlande  ;  elles  présentent  un  total  de  24  batteries,  avec 
ibli  canons;  les  â  autres  sont  empFoyées  dans  llnde, 
et  comportent  25  batteries  et  150  canons. 

Sur  les  8  brigades  d'artillerie  de  place  {garrism 
artiUery),  ft  (celle  de  Guernesey  comprise)  sont  en 
Angleterre  et  4  sont  réparties  entre  les  diverses  colo- 
nies. 

La  brigade  d'artillerie  à  cheval  compte  10  batteries. 
3  de  ces  batteries  et  l'état-major  tiennent  garnison  à 
Woolwich  ;  des  7  autres,  4  sont  dans  l'Inde,  2  en 
Irlande,  1  à  Aldershot. 

Toutes  les  brigades  n'étant  pas  de  même  force, 
ainsi  que  nous  l'avons  fait  observer  quand  nous  avons 
étudié  Torganisation  de  l'artillerie  anglaise,  on  ne  peut 
les  prendre  pour  base  d'un  calcul  destiné  à  déterminer 
la  proportion  relative  de  l'effectif  employé  à  l'intérieur 
et  aux  colonies. 

Suivant  notre  calcul,  que  nous  avons  tout  lieu  de 
croire  exact,  parce  qu'il  est  établi  sur  les  états  officiels 
de  Tarme,  nous  trouvons  un  total  de  30  batteries  de 


M  LA  VltANGB  BT  DE    L  ANGLETERRB.  259 

campagne  (artillerie  à  pied  et  à  cheval  réunies)  en 
Angleterre.  En  exposant  les  projets  du  cabinet  Pal- 
merston-Russell,  quant  h,  l'emploi  des  augmentations 
de  crédit  demandées  le  14  juillet  1859,  M.  Sydney 
Herbert,  ministre  de  la  guerre,  annonçait  au  Parlement, 
comme  un  sujet  de  félicitations,  que  Tartillerie  active 
comptait  180  pièces  montées  et  attelées,  chiffre  qui 
n'avait  encore  été  atteint  à  aucune  époque.  C'est,  eu 
effet,  le  nombre  que  notre  calcul  nous  a  donné  plus 
haut  (30  batteries  à  6  pièces  par  batterie). 

Au  reste,  ce  n'est  pas  le  matériel  qui,  aujourd'hui, 
grâce  à  l'activité  dévorante  des  arsenaux  anglais,  doit 
faire  défaut  à  nos  voisins.  Nous  sommes  moins  com- 
plètement édifiés,  nous  Tavouons,  quant  à  l'exactitude 
des  chiffres  en  ce  qui  regarde  le  personnel  et  les  che- 
Taux. 

D'après  le  budget  de  1860-1861,  l'effectif  voté  pour 
l'artillerie  à  cheval  est  de  2,S55  hommes  et  1,890  che- 
vaux. L'effectif  des  û  batteries  dans  Tlnde  est  de 
622  hommes  et  600  chevaux.  En  le  diminuant  de 
l'effectif  général,  il  reste  l,73â  hommes  et  1,290  che- 
vaux pour  la  force  de  Yartillerie  à  cheval  servant  en 
Angleterre. 

D'après  le  même  budget,  l'artillerie  à  pied  (en  y 
comprenant  le  dépôt  de  Woolwich  et  la  brigade  d'artil- 
lerie de  côtes)  figure  pour  un  effectif  de  25,691  hommes 
et  5,792  chevaux.  L'effectif  de  l'artillerie  soldé  par  le 
budget  indien  étant  de  /i,860  hommes  et  2,288  che- 
vaux, il  re$le  pour  le  service  de  la  métropole  et  des 
diverses  eohnies  21,000  hommes  et  ô,500  chevauœ. 


260  CONSTITUTIOlf  ET  PUISSAKGE  HIUTAIRBS 

Nous  avons  vu  qu'une  brigade  de  campagne  à 
8  batteries ,  et  sur  le  pied  du  complet ,  nécessitait 
2,040  sous-oflBciers  et  soldats,  1,680  chevaux,  et 
225  voitures. 

Les  8  brigades  qui  servent  dans  llnde  sont  donc  loin 
d'être  au  complet,  puisqu'elles  n'ont  que  2,288  che- 
vaux au  lieu  de  Ii,0k0.  Quant  aux  3  brigades  de  cam- 
pagne qui  servent  à  l'intérieur,  il  leur  manque  540  che- 
vaux pour  être  également  au  complet,  en  supposant 
que  les  3,500  chevaux  de  TefiTectif  leur  soient  exclu- 
sivement affectés,  ce  qu'il  faut  conclure  de  la  déclara- 
tion de  M.  Sydney  Herbert  relativement  au  x  1 80  pièces 
attelées. 

En  ce  qui  regarde  la  distribution  des  21,000  hommes 
de  l'artillerie  à  pied  entre  la  métropole  et  les  colonies 
autres  que  l'Inde,  on  peut  la  déduire  des  calculs  sui- 
vants : 

U  y  a  en  Angleterre  : 


3  brigades  de  campagne  dont  Fensemble  demande.  .  .      6,120 

1  dépôt  d'artillerie  porté  au  budget  pour 2,951 

1  brigade  d*artillerie  de  côtes  pour 1,209 


qui  donnent  un  total  de.  ...  •    10,280 

Retranchant  ces  10,280  hommes  des  21 ,000  for- 
mant l'effectif  total,  la  différence,  10,720,  représen- 
tera le  personnel  des  8  brigades  d'artillerie  de  place, 
dont  3  servent  en  Angleterre,  et  5  dans  les  colonies, 
ce  qui  donne,  pour  l'effectif  moyen  de  chaque  brigade 
d'artillerie  déplace,  1,840  hommes  environ,  cest-à- 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     261 

dire  3,020  hommes  pour  les  3  brigades  d'artillerie  de 
place  résidant  à  l'intérieur  (Woolwich,  Douvres  et 
Plymouth),  et  6,700  pour  les  5  stationnées  dans  les 
possessions  extérieures  (Jersey,  Gibraltar,  Malte,  Qué- 
bec, île  Maurice). 

En  résumé,  si  Ton  défalque  de  l'effectif  général  voté 
pour  l'artillerie  au  budget  de  1860-1861  l'artillerie  de 
campagne  employée  dans  l'Inde,  et  l'artillerie  de  place 
disséminée  dans  les  autres  colonies,  il  reste  pour  la 
défense  de  l'Angleterre  et  de  l'Irlande  : 


CiMfaïa. 

3  brig.d*arUIIerie  de  campagne  (lAAptéceA  attelées)  6,120  3,500 

3  —  déplace. 3,020       » 

i  dépôtd'artillerietrecruesderiodeetdescolonies).  2,951       » 

1  brigade  d*artillerie  de  côtes  (vétérans,  luvalides).  1,209      » 

6  batteries  d'artillerie  à  cheval  (36  pièces  attelées).  1,733  1,290 

Total  général.  .  .  .  15,033    /ï,790 

Ces  chiffres  ne  diffèrent  pas  sensiblement  de  ceux 
consignés,  pour  l'année  1860,  dans  le  mémorandum 
du  général  Peel. 

Section  VIL —  États-majors  administratifs,  train  militaire^  com^ 
missariat^  infirmiers^  régiments  des  Indes-Occidentales^  corps 
coloniaux,  etc. 

Nous  rangeons  sous  ce  titre  tous  les  corps  figurant  à 
l'effectif  général  de  l'armée  payée  par  le  budget  anglais, 
et  qui;  jusqu'à  un  certaicr  point,  ne  comptent  pas  parmi 
les  combattants.  Les  régiments  organisés  dans  les  pos- 
sessions extérieures  comme  forces  locales,  et  qui  ne 
peuvent  concourir  à  la  défense  du  territoire  de  la  mé- 
tropole, sont  aussi  dans  ce  cas. 


262  CONSTITUTION  ET   PUISSANCE   MIUTAIRES 

Les  officiers  généraux^  intendance,  servicQ  médical, 
commandants  de  place,  etc.,  comportent  un  état-major 
de  1,121  officiers,  dont  la  moitié  au  moins,  à  cause 
de  leur  âge  (ceci  s'applique  aux  généraux),  ou  à  cause 
de  la  nature  de  leurs  fonctions  (commissariat,  méde- 
cins, etc.),  ne  constitue  pas  une  force  eflTective  à  mettre 
en  ligne.  Ainsi,  à  déduire  : 

HomfflM.  CbevML 

1»  Pour  la  moitié  de  cet  état-ma^or 550  « 

^  Commissariat  (troupe) 325  • 

3»  Infirmiers 1,002  » 

li^  Train  mUitaire  (sept  bataillons  dont  1  de  dépôt 
à  Aldershot,  1  en  Chine,  et  les  5  autres  à  Wool- 

wich,  Aldershot,  Shorncliff  et  Curragh)  (1).  .  2,020  1,162 

5»  Régiments  des  Indes^Occidentales 3,410  » 

6<>  Corps  coloniaux 5,304  000 

Total 12,710  2,062 

Il  faut  donc  défalquer  de  ce  total  l'ensemble  soldé  par 
le  budget  anglais,  comme  ne  constituant  pas  une  force 
effective  qui  puisse  entrer  en  ligne  pour  la  défense  du 
territoire  de  la  métropole.  Rien  n'est  plus  facile  que  de 
déterminer  maintenant,  avec  un  degré  d'approximation 
tout  à  fait  suffisant  pour  les  calculs  de  ce  genre,  les  res- 

(1)  Le  train  militaire,  en  Angleterre,  a  une  organisation  qui  res- 
semble trop  ^  celle  des  corps  de  cavalerie.  Dans  la  dernière  cam- 
pagne, en  Chine,  on  en  a  fait,  dans  quelques  circonstances,  un  oorpo 
militant  ;  c'est  à  tort.  Le  train  est  fait  pour  convoyer ^  iranspitrler, 
et  non  pour  combattre.  Cette  nécessité  commence  k  être  mieux  ap- 
préciée chez  nos  voisins,  et  le  jour  n^est  pas  loin  où  le  train  sera 
mis  entièrement,  comme  chez  nous,  à  la  disposition  du  commis- 
sariat. 


DE  LA  FRANGB    «ï  DE  L'ANGLETERRE.  263 

sources  de  toute  espèce  que  Tarmée  régulière  met  aux 
mainsdugouvernementanglais  pour  cette  défense.Cette 
appréciation  se  déduira  tout  naturellement  du  rappro- 
chement et  de  la  comparaison  des  tableaux  que  nou$ 
allons  présenter  au  lecteur,  et  de  la  discussion  faite 
plus  haut  des  différents  chiffres  qu'ils  contiennent. 

récapitulation  générale  des  forces  militaires  de 
l'Angleterre. 

(Tableau  n»  1.) 

Cavalerie: 

Honuset,  Ghevan. 

1  brigade  d'artillerie  à  cheval 2,355  1,890 

3  régiments  de  cavalerie  de  la  Garde.  .  .        1,338  825 

7  i*égiments  de  dragons  (grosse  cavalerie).       5,331  3,711 

18  régiments  de  dragons  légers 13,679  9,020 

Infanterie  : 

ià  brigades  d'artillerie  à  pied .  21,531  5,792 

1  dépôt  d'artillerie 2,951  » 

1  brigade  d'arUllerie  de  côtes. 1,209  • 

Corps  dugénie A,7dO  120 

Train  des  équipages *. 2,020  I,ia2 

luflrraiers  militaires. 1,002  » 

Infanterie  de  la  Garde  (7  bataillons)  .  •  .  6,300  » 

lofaDterie  de  ligne  (132  batailloos) 16A,/i80  » 

3  régiments  des  Indes-Occidentales 3»/il9  n 

Corps  coloniaux 6,89A  900 


Ce  qui  donne  un  effectif  général  de.  .      235,852     2/^,342 

Sur  ces  235,852  hommes  et  2kM'2  chevaux,  il  y  a 
w  service  (k  l'Inde  : 


26i 


CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MlLITAUlES 


(  Tableau  n*"  2.) 

Hommes.  Gbevaox. 

>rtillerie  ii  cheval 622  600 

Artillerie  à  pied A,860  2,288 

Cavalerie  de  ligne 7,243  6,A72 

Infanterie 66,282  » 

Inflrmiers 63  » 

Dépôts  en  Angleterre 13,420  350 


Total. 


92,490    9,710 


Si  nous  défalquons  ces  92,490  hommes  et  9,710  che- 
vaux de  Teffectif  général  du  tableau  1,  il  reste 
l/t3,362  hommes  et  14,632  chevaux  pour  le  service 
de  l'intérieur  et  des  colonies,  savoir  : 


(Tableau  n""  3.) 


DESIGNATION  OBS  CORPS. 


ÉUto-miQors  (corps  médical,  etc.) 

Artillerie  à  cheval 

Cavalerie  de  la  Garde 

Gnvalerio  de  la  ligne 

Artillerie  à  pied 

Génie 

Train  des  équipages 

Infanterie  da  la  Garde 

Inranterie  de  la  ligne.  ..... 

Inflrmiers 

Troupes  du  commissariat .... 
Régim.  des  Indes-Ocddentales. 
Corps  coloniaux 

Toteuz 


1121 

56 

99 

526 

819 

393 

123 

261 

3330 

2 

> 

180 

249 


7159 


il 


110 
186 
884 

1601 
383 
259 
439 

6029 

396 

41 

239 

405 


10972 


1557 
1053 
8919 

18532 
3954 
1638 
5600 

75350 

604 

284 

3000 

4740 


125231 


1121 

1723 

1338 

10329 

20952 

4730 

2020 

6300 

84709 

1002 

325 

3419 

5394 


143362 


1290 
825 

6709 

3626 
120 

1162 


900 


14682 


fr. 

8.253,000 

1.372.073 

i. 939,770 

9,599,100 

17.920.975 

S.039.375 

1,865.525 

5.134.060 

55,340,168 

659,508 

243,256 

2.411,300 

3,309,190 


113,362,375 


Si  nous  récapitulons  maintenant  les  troupes  em- 
ployées dans  les  colonies,  et  dont  nous  avons  donné  le 


I>B  LA   FEANGE  ET  DE  l'aNGLETEHRE.  265 

détail  pour  chaque  arme,  c'est-à-dire  :  31  bataillons 
d'infanterie,  31 ,000  hommes  ;  3  brigades  d'artillerie 
à  pied,  7,000  hommes;  18  compagnies  du  génie, 
2,000  hommes  (1),  nous  trouvons  un  premier  total 
de  &0,000  hommes,  auquel  il  faut  ajouter  les  non- 
valeurs,  corps  coloniaux,  corps  non  combattants,  et 
dont  nous  avons  évalué  l'ensemble  {section  6)  à 
12,71 0  hommes  et  2,062  chevaux  ;  ce  qui  nous  donne, 
pour  le  total  définitif  des  troupes  qui  ne  peuvent  être 
employées  directement  à  la  défense  de  TÂngleterre, 
52,710  hommes  et  2,062  chevaux. 

Cette  force,  retranchée  des  effectifs  du  tableau 
n"*  3,  donne  une  différence  de  90,000  hommes  et  de 
12,000  chevaux  de  toutes  armes,  qui  représentent  la 
portion  de  la  garnison  de  l'Angleterre  fournie  par 
Tannée  régulière  (2). 

Après  avoir  passé  en  revue,  dans  un  prochain  cha- 
pitre, les  auxiliaires  de  diverses  sortes  qui  viennent 
s'ajouter  à  cette  armée,  nous  aurons  à  examiner  jusqu'à 
quel  point  cet  ensemble  est  suflSsant  pour  assurer  la 
sécurité  de  nos  voisins. 

(1)  En  1859,  Tensemble  des  croisons  extérieures  était,  au  mois 
de  juiilel,  de  A2,5/i6  hommes. 

(2)  Nous  supposons  tous  les  hommes  présents  sous  le  drapeau,  ce 
qui  n*est  yrai  que  sur  le  papier  :  en  tenant  compte  des  déserteurs, 
des  malades,  des  hommes  employés  pour  le  service  des  officiers,  etc., 
ce  D*est  plus  90,000,  mais  70,000  hommes  au  plus  qu*il  faut  comp- 
ter comme  force  disponible. 


266         CONSTITUTION   BT  PUISSANCE  MILITAIRES 


CHAPITRE   XV. 

Composition  de  l'armée  de  seconde  ligne  en  Angleterre  ;  corps  mix»- 
liaires  et  réserves.  —  Section  !'•  :  Corps  des  Royal-marines.  — 
Différences  essentielles  dans  l'organisation  des  troupes  de  marine 
en  France  et  en  Angleterre.  Prétentions  et  griefs  des  marines 
anglais  ;  —  services  rendus  par  les  marines  pendant  les  dernières 
campagnes;  —  avantages  et  nécessité  de  Taaion  combinée  des 
armées  de  terre  et  de  mer  dans  les  guerres  contemporaines.  — 
Révolution  déterminée  dans  la  tactique  navale  par  Fadoption  de 
la  vapeur  comme  propulseur;  —  considérations  relatives  à  la 
composition  des  équipages;  —  le  rôle  des  matelots  appartient 
aujourd'hui,  pour  une  grande  part,  aux  chauffeurs  et  aux  méca- 
niciens; ^  esprit  qui  a  présidé  à  Torganisation  des  troupes  de 
marine  en  France  ;  —  le  général  Paixhans  et  le  général  sir  H.  Don* 
glas.  ^  Fluctuations  de  Topinion,  en  Angleterre,  au  sujet  de  la 
composition  des  équipages  et  de  l'emploi  des  artilleurs  des  ma- 
rines.  — Comparaison  des  systèmes  suivis  en  France  et  en  Angle- 
terre. —  Cadre,  lAiiforme,  état-major,  garnisons  des  marines.  — 
Détails  particuliers  aux  artilleurs  de  marine,  cours  suivis  par  les 
officiers  et  soldats.  —  Effectif  des  marines  non  embarqués  et  dis* 
ponibles  pour  le  service  territorial.  —  Budget  des  marines  an- 
glais. —  Budget  des  troupes  de  marine  en  France. 

Depuis  l'établissement  des  armées  permanentes,  la 
question  des  réserves  a  été,  dans  tous  les  pays,  Tobjet 
de  sérieuses  préoccupations.  En  effets  même  chez  les 
peuples  dont  Teffectif  militaire  >  en  temps  de  paix, 
atteint  le  chiffre  de  &00,000  et  500,000  hommes, 
Tarmée  permanente  n  a  jamais  été  considérée  comme 
pouvant  satisfaire  à  toutes  les  éventualités  qui  naissent 
de  la  guerre.  Dans  presque  tous  les  États  il  existe  une 
force  spéciale,  composée  de  citoyens  qui  peuvent  être 


DE  Lk   FRANGE  ET  DE  L  AKGLETBUIB.     267 

appelés  sous  les  anodes  lorsque  la  oéoessité  l'exige,  et 
dont  rorganisatioD  »  calculée  de  manière  à  être  peu  - 
onéreuse  pour  le  pays,  permet  cependant  de  milita- 
riser ces  auxiliaires  aussi  promptement  que  possible. 

Composée  d'éléments  d'une  qualité  évidemment 
inférieure  à  celle  de  l'armée  permanente,  c'est  surtout 
par  le  chiffre  élevé  de  son  effectif  que  la  réserve  doit 
constituer  une  armée  de  seconde  ligne  d'une  impor- 
tance réelle.  Il  Saut  que  cet  effectif  soit  suffisant  pour 
lui  permettre  d'occuper  toutes  les  places  du  territoire; 
car  c'est  surtout  en  relevant  l'armée  permanente  de 
tous  les  services  qui  lui  incombent  à  l'intérieur,  en 
temps  de  paix,  que  la  réserve  rend  celle-ci  complète- 
ment  disponible  pour  le  service  de  guerre,  et  qu'elle 
répond  ainsi  au  but  de  son  institution. 

Les  nations  dont  les  ressources  financières  sont  bor^ 
nées,  comme  la  Prusse,  ou  dont  l'activité  industrielle 
et  commerciale  en  employant  tous  les  bras  limite  for^ 
cément  le  chiffre  de  l'armée  permanente,  comme  en 
Angleterre^  sont  celles  dont  les  réserves  réclament  plus 
particulièrement  l'attention  du  gouvernement.  La 
Prusse^  parmi  les  Ëtats  du  continent,  est  celui  qui 
semble  avoir  le  mieux  réussi  jusqu'ici  dans  l'institution 
de  sa  landwehr. 

De  tous  les  pays  du  monde,  sans  contredit,  l'Angle- 
terre est  celui  où  le  système  qui  régit  les  auxiliaires 
de  l'armée  régulière  exige  la  plus  grande  perfection. 
Ce  n'est  pas  seulement  à  cause  de  cette  activité  absor- 
bante dont  nous  venons  de  parler,  mais  encore,  et  sur- 
tout, à  cause  de  l'espèce  de  défiance  dont  l'armée  per- 


268  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIBES 

manente  a  toujours  été  Tobjet  de  la  part  de  la  nation, 
et  de  la  parcimoDie  jalouse  avec  laquelle  les  dépenses 
militaires  ont  été  mesurées  au  gouyernement.  Pour 
ces  deux  motifs,  Tannée  anglaise  a  été  maintenue  de 
tout  temps  à  un  effectif  qui  semble  fort  peu  en  rap- 
port avec  le  rang  que  la  Grande-Bretagne  occupe  dans 
le  monde.  C'est  dans  l'organisation  de  leurs  réserves 
que  nos  voisins  ont  cru  trouver  le  moyen  de  parer  à 
toutes  les  éventualités  qui  pouvaient  les  menacer. 

Ces  réserves  ou  auxiliaires/ dont  nous  allons  donner 
la  liste,  en  leur  assignant,  dans  notre  énumération, 
le  rang  qui  nous  paraît  leur  appartenir,  en  raison  de 
leur  efficacité  et  de  leur  valeur  militaire,  se  rangent 
sous  les  titres  suivants  : 

1"  Section,  Troupes  de  la  marine  {Royalntnarines). 

2*      —      Infanterie  de  la  milice  {Mililia). 

y      —      Cavalerie  de  la  milice  {Yeomanry). 

4"      —      Pensionnaires  {Pensioner- force). 

5*      —      Réserve  proprement  dite  {Réserve- farce). 

6*      —      Gardes-côtes  {Coast-Guards). 

T      —      Bataillons  des  chantiers  {Dockyards^HU- 

talùms). 
8*      —      Volontaires  {Folunteers). 

SECTION  I". 
TROUPES  DE  LA  MARINE  {Corps  of  Toyal  marims). 

Le  corps  des  marines,  si  Ton  en  juge  par  les  éloges 
continuels  qui  lui  sont  adressés,  soit  dans  la  presse, 


DB  LA   FEANGE    ET  DE  L'ANGLETERRE.  269 

soit  dans  les  discussions  du  Parlement,  est  peut-être 
le  plus  populaire  des  services  de  terre  et  de  mer  chez 
nos  voisins.  On  remplirait  un  volume  si  Ton  voulait 
réunir  tous  les  panégyriques  dont  il  a  été  l'objet. 

L'opinion  des  oflSciers  anglais  est,  en  effet,  unanime 
à  Tendroit  des  services  rendus  par  les  marines,  et,  par 
suite  des  nombreux  changements  qui  ont  été  intro- 
duits dans  la  constitution  de  la  flotte,  l'effectif  de  ce 
corps  semble  plutôt  destiné  à  s'accroître  qu'à  diminuer, 
n  est  destiné  à  renforcer  les  équipages  des  bâtiments 
de  haut  bord,  et  à  fournir  à  la  flotte  les  moyens  d'o- 
pérer des  débarquements  et  de  tenter  des  coups  de 
main  sur  les  côtes. 

Une  simple  ressemblance  de  nom  ne  doit  pas  faire 
prendre  le  change,  et  supposer  qu'il  existe  une  ana- 
logie complète  entre  les  soldats  et  les  artilleurs  entre- 
tenus par  l'amirauté  anglaise,  et  les  corps  d'infanterie 
et  d'artillerie  soldés  en  France  sur  le  budget  de  la 
marine. 

M.  Gucheval-Clarigny,  dans  son  important  travail 
sur  la  comparaison  des  budgets  de  la  guerre  et  de  la 
marine,  en  France  et  en  Angleterre,  présente  les  con- 
sidérations suivantes,  dont  l'intérêt  ne  saurait  échap- 
per à  nos  lecteurs  : 

a  Les  marines  anglais  sont  des  marins  exercés  plus 
»  spécialement  au  maniement  des  armes  de  tir,  mais 
»  qui  doivent  entrer  dans  l'équipage  des  bâtiments  à 
»  batterie,  dont  ils  forment  l'élément  militaire.  Ilscom- 
»  prennent  une  division  d'artillerie,  destinée  à  fournir 
)»  des  chefs  de  pièce  aux  bâtiments  de  guerre,  aux  bom- 


270  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MUTàlAtS 

»  bardes,  aux  batteries  flottantes  et  aux  canonnières  à 
»  vapeur.  Les  marines  sont  employés  de  préférence 
X»  aux  saibrs  ou  matelots  dans  les  opérations  à  terre; 
»  mais  ils  ne  seroent  qu'à  bord  de  la  flotté,  et  ne  se  dis- 
»  tinguent  pas  des  équipages. 

»  Tel  n'est  pas,  en  France,  le  rôle  de  l'infanterie  et 
»  de  Tartillerie  de  marine,  qui  ne  sont  pas  destinées  à 
1»  être  employées  à  bord  des  vaisseaux,  et  n'ont  rien  de 
»  commun  avec  le  service  de  la  flotte. 

»  Ces  corps  doivent  leur  origine  à  la  rivalité  de  Sei- 
»  gnelay,  surintendant  de  la  marine,  et  de  Louvois. 
»  Seignelay,  qui  voulait  donner  un  grand  développe- 
»  ment  aux  établissements  maritimes  de  la  France, 
»  avait  besoin  de  troupes  régulières,  et,  pour  n'avoir 
D  point  à  en  demander  à  Louvois,  il  imagina  de  créer 
I»  pour  son  département  une  petite  armée  particulière. 

»  LaRestauration,  qui  se  plaisait  à  ressusciter  toutes 
»  les  institutions  de  l'ancienne  monarchie,  se  prêta 
»  volontiers  à  la  réorganisation  de  l'infanterie  et  de 
»  l'artillerie  de  marine.  On  fît  valoir  que  le  service 
»  militaire,  dans  les  cx)Ionies,  était  plus  rude  qu'à  l'in- 
»  térieur,  et  qu'il  exigeait  une  certaine  acclimatation, 
»  qu'il  ne  pouvait  être  soumis  aux  mêmes  conditions; 
»  qu'il  y  aurait  par  conséquent  avantage  à  faire  tenir 
»  garnison  dans  les  colonies  par  des  corps  particu- 
»  liers.  » 

On  peut  juger  par  les  lignes  qui  précèdent  de  la 
différence  qui  existe  entre  les  troupes  de  la  marine  eu 
France  et  en  Ânglelerre.  Nos  voisins,  nous  Tavons 
déjà  dit  ailleurs,  se  sont  montrés  plus  siiupUfîcateors 


Dfi  LA  FRANCE    ET  DE  L'ANGLETERRE.  271 

que  nous.  Ils  ont  eu  le  bon  esprit  de  remettre  exclusi- 
vement à  l'administration  de  la  guerre  l'organisation 
et  la  direction  de  toutes  les  troupes  de  terre  employées, 
soit  à  l'intérieur,  soit  aux  colonies.  Ainsi  les  corps 
indigènes  eux-mêmes,  bien  que  ne  devant  pas  servir 
hors  du  territoire  des  colonies  où  ils  ont  été  levés, 
dépendent  pareillement  du  War-Offlce  et  du  Horse- 
Guards.  Quant  aux  marines,  nous  croyons  avoir  suffi- 
samment insisté  sur  ce  point,  malgré  leur  caractère 
mixte,  il  faut  les  considérer  comme  appartenant  spécia-- 
kment  au  service  de  la  flotte,  et,  si  nous  les  rangeons 
parmi  les  auxiliaires  de  l'armée  de  terre,  cest  seule- 
ment au  point  de  vue  du  concours  qu'ils  lui  apportent 
à  l'extérieur,  en  temps  de  guerre,  dans  la  composition 
des  corps  de  débarquement;  et  à  l'intérieur,  pour  la 
garde  des  arsenaux  et  établissements  maritimes.  Nous 
apprécierons  plus  loin,  au  moyen  de  chiffres,  l'impor- 
tance de  ce  concours,  et  la  nature  du  rôle  que  pourrait 
remplir,  dans  le  cas  où  il  s'agirait  de  repousser  une 
invasion,  la  portion  du  corps  des  marines  laissée  dis- 
ponible par  le  service  de  la  flotte  anglaise.  Pour  Je  mo^ 
ment,  nous  nous  bornerons  à  noter  que,  au  double 
point  de  vue  sous  lequel  nous  venons  de  les  envisager, 
c'est-à-dire  dans  toutes  les  circonstances  qui  dérivent 
de  la  position  insulaire  de  la  Grande-Bretagne,  et  du 
genre  de  guerre  qu'elle  est  appelée  à  porter  à  l'exté- 
rieur, ou  à  soutenir  sur  son  propre  territoire,  les  fwa- 
Ttnes  sont  soumis  au  commandement  supérieur  des 
autorités  militaires.  Lorsque  ces  troupes  sont  mêlées  à 
celles  de  l'armée  de  terre,  elles  ont  leur  rang  marqué 


272  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MIUTAIEBS 

pour  les  préséances  comme,  dans  l'ordre  de  bataille, 
elles  marchent  après  le  li9'  régiment  de  ligne. 

L'effectif  des  marines  a-teaucoup  varié  en  Angle- 
terre,' toutefois,  on  peut  les  considérer  comme  repré- 
sentant, en  règle  générale,  le  quart  de  la  force  navale 
chez  nos  voisins,  bien  que,  à  plusieurs  époques,  et 
particulièrement  entre  les  années  1816  et  1835,  cette 
proportion  ait  été  beaucoup  plus  grande. 

L'effectif  le  moins  élevé  des  marines  correspond  à 
l'année  1785,  où  il  fut  abaissé  jusqu'à  ne  plus  présen- 
ter qu'un  total  de  3,620  hommes,  officiers  compris. 
Deux  ans  auparavant  il  était  de  25,291,  chiffre  auquel 
il  avait  été  successivement  élevé  pendant  les  neuf 
années  de  guerre  que  l'Angleterre  avait  traversé©. 
L'effectif  le  plus  fort  auquel  le  corps  des  marines  ait 
jamais  été  porté  correspond  à  la  période  qui  s'est 
écoulée  de  1809  à  181  &;  il  s'éleva,  à  cette  époque,  à 
31,400  hommes,  pour  redescendre,  en  1817,  à  6,000. 

Depuis  1830  il  a  présenté  les  fluctuations  suivantes: 
en  1835,  9,000;  en  1858, 15,000;  en  1859,  16,986; 
enfin,  conformément  aux  conclusions  de  la  commis- 
sion parlementaire  de  1858,  il  a  été  porté  à  18,000 
pour  Tannée  1860-1861,  et  U  sera  fixé  à  20,000  an 
prochain  budget. 

Les  considérations  qui  ont  guidé  la  commission  dont 
nous  venons  de  parler  méritent  d'être  étudiées,  parce 
qu'elles  sont  de  nature  à  faire  apprécier  très  exacte- 
ment la  place  occupée  par  le  corps  des  marines  dans  le 
système  militaire  et  naval  de  nos  voisins. 

Réunis  pour  rechercher  les  moyens  les  plus  efficaces 


DB  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     275 

d'assurer  le  service  de  la  flotte,  les  commissaires  de 
4858  s'expriment  ainsi  (1)  :  «  Les  marines  constituent 
x»  un  corps  aussi  utile  qu'efficient;  il  n'en  est  point  au 
»  service  de  l'État  qui  lui  soit  supérieur.  Non-seule- 
»  ment  ils  sont  excellents  comme  fantassins  ou  comme 
»  artilleurs,  mais  de  plus,  à  bord  des  vaisseaux,  ils 
1»  sont  en  état  d'exécuter  plusieurs  des  manœuvres  de 
»  pont.  » 

Cet  éloge  de  la  commission  de  1858  à  l'adresse  des 
marines  donne  la  véritable  mesure  de  la  valeur  qu'on 
leur  reconnaît,  et  du  rang  qu'on  leur  assigne  parmi  les 
troupes  de  terre ,  car  c'est  à  ces  dernières,  bien  évi- 
demment, que  la  commission  veut  les  comparer,  lors- 
qu'elle dit  qu'aucun  autre  corps  ne  leur  est  supérieur 
{second  tonone),  et  non  pas  aux  matelots,  puisqu'elle 
spécifie  en  même  temps  que  les  marines  ne  peuvent 
exécuter  qu'une  certaine  partie  {many)  des  manœuvres 
d'un  vaisseau. 

C'est  qu'en  effet,  au  point  de  vue  de  l'uniforme,  de 
la  discipline  et  de  l' instruction ,  Tassimilation  des  marines 
aux  troupes  de  terre  est  complète.  Ils  sont  exercés  tout 
particulièrement  aux  manœuvres  de  l'infanterie  légère, 
dont  ils  portent  d'ailleurs  le  nom  {light  infaniry),  et  à 
celles  de  l'artillerie  de  position  et  de  campagne  (2). 
On  peut  donc  considérer  le  soldat  de  marine  anglais 

(1)  «  The  marines  are  a  usefui  and  efficient  body  of  men,  second 
«  10  none  in  ihe  service  of  ihe  state  ;  they  are  exceUent  troops  both 
0  as  artiUery  and  infantry,  and  are  at  the  same  time  capable  of  per- 
»  forming  many  of  the  deck  diftties  on  board  a  ship.  » 

(3)  Ghaqae  année,  80,000  francs  sont  distribués  comme  récom- 

18 


27&  CONSTITUTION  BT  PUISSANGB  MILITAIEBS 

comme  représentant  un  fantassin  ou  un  artilleur  ayant 
acquis  une  certaine  somme  de  connaissances  nautiques 
de  nature  à  permettre  de  l'utiliser  à  bord  d'un  vais* 
seau,  mais  dont  la  valeur  augmente  ou  diminue  en 
raison  du  plus  ou  moins  de  perfection  de  son  éducation 
militaire. 

Les  marines  ont  toujours  été  et  doivent  toujours  être 
subordonnés  aux  officiers  de  la  flotte;  la  nature  de 
leur  service  le  veut  ainsi.  Toutefois,  cette  subordina* 
tion,  bien  qu'acceptée,  ne  laisse  pas  de  produire  ow- 
tains  froissements  qui  ne  sont  pas  toujours  sans  incon- 
vénients pour  le  bien  du  service.  Si  l'opinion  est 
unanime  quant  à  l'utilité  et  aux  services  des  troupes 
de  la  marine,  il  n'est  pas  rare  de  rencontrer  des  otR- 
ciers  de  la  flotte  disposés  à  limiter  cette  utilité  à  rem- 
ploi des  soldats  et  des  sous-officiers,  et  à  avouer  plus 
ou  moins  franchement  qu'ils  se  passeraient  volontiers 
des  services  de  leurs  officiers. 

  leur  tour,  les  officiers  du  corps  des  marines  ne 
seraient  pas  éloignés  |de  prétendre  que,  avec  un  petit 
nombre  de  matelots  pour  manœuvrer  les  vaisseaux,  et 
de  nombreux  soldats  pour  combattre,  la  flotte  anglaise 
n'en  irait  que  mieux.  La  nécessité  de  donner  le  com* 
mandement  des  vaisseaux  aux  commandants  des 
troupes  (à  laquelle  on  serait  nécessairement  conduit 
par  l'adoption  d'un  pareil  système),  n'effraye  que  mé- 
diocrement ses  partisans.  Suivant  eux,  une  pareille 

pense  enlre  les  meilleurs  tireurs  et  les  meilleurs  iioiateurs,  indc- 
pendamment  de  la  haute  paye  assur^  à  tous  ceux  qui  se  disUngueni 
par  leurs  proj;rès. 


m  LA  TmAiiGB  ET  DE  l'akoletkrbb.        275 

combinaison  serait  loin  d'être  aussi  absurde  cpie  bien 
des  gens  peuvent  le  croire,  et  comme  preuve  à  l'appui, 
ils  rappellent  qu'à  d'autres  époques,  et  alors  que  la 
navigation  était  tout  aussi  périlleuse  qu'aujourd'hui, 
en  même  temps  que  les  navires  étaient  moins  stables 
et  moins  faciles  à  diriger,  on  a  vu  plus  d'un  général 
se  transformer  en  amiral,  et  se  montrer  aussi  ferme 
sur  son  pont  qu'en  selle.  Ces  mômes 'personnes  citent 
avec  complaisance  le  prince  Rupert,  Monk,  Blake,  etc., 
qui  donnèrent  d'éclatants  exemples  de  cette  transfor- 
mation. 

La  prétention  déclarée  du  corps  des  marines,  c'est 
que  la  subordination  qui  leur  est  imposée  ne  doit  pas 
impliquer  nécessairement  une  infériorité  qu'ils  repous- 
sent de  toutes  leurs  forces.  Ils  se  plaignent  de  ce  que 
ridée  qui  prévaut  dans  la  sphère  où  ils  se  meuvent, 
tend  à  résumer  dans  la  simple  vertu  de  l'obéissance 
toutes  les  qualités  nécessaires  aux  officiers  des  troupes 
de  marine.  On  semble,  suivant  eux,  regarder  comme 
un  principe  admis,  que  ces  officiers  ne  doivent  jamais 
occuper  de  positions  de  quelque  importance,  et  on  en 
conclut  que  des  talents  pour  lesquels  l'occasion  de  se 
révéler  nesaurait  se  produire,  leur  sont,  par  cela  même, 
parfaitement  inutiles. 

Un  journal  militaire  s'est  fait,  chez  nos  voisins,  l'écho 
des  plmntes  du  corps  des  marines.  Suivant  cette  revue, 
maintes  circonstances  se  sont  présentées,  dans  lesquelles 
les  officiers  de  ce  coi'ps  ont  eu  à  jouer  le  premier  rôle, 
et,  dans  ces  positions  difficiles,  il  eût  été  fort  regret- 
table que  leur  valeur  ne  fAt  pas  au-dessus  des  (imites 


276  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MIUTAIRES 

qu'on  prétend  lui  assigner.  Â  Tappui  de  cette  assertion, 
V  United  service  cite  un  grand  nombre  d'exemples  em- 
pruntés aux  dernières  guerres,  et  nous  le.s  reproduisons 
d'autant  plus  volontiers  dans  cette  étude,  qu'ils  don- 
neront à  nos  lecteurs  une  idée  plus  exacte  des  services 
rendus,  chez  nos  voisins,  par  les  marines. 

Ainsi,  pendant  la  guerre  de  Grimée,  à  l'attaque  de 
Kimburn^  nous  voyons  un  ofiBcier  des  marines  com- 
mander, dans  le  corps  de  débarquement,  une  brigade 
entière  composée  de  deux  bataillons  de  son  propre 
corps  et  d'un  régiment  de  ligne.  Â  Balaklava,  les  bat- 
teries situées  sur  les  hauteurs,  et  dont  le  système  em- 
brassait un  vaste  espace  de  terrain,  en  même  temps 
qu'elles  défendaient  une  position  dont  la  perte  eût 
compromis  le  salut  de  l'armée  alliée,  les  batteries  de 
Balaklava,  disons-nous,  étaient  placées  sous  le  com- 
mandement d'un  officier  de  l'artillerie  des  marines.  — 
AInkermann,  une  fraction  de  ce  corps  fut  attachée  à 
la  brigade  légère. — Dans  les  tranchées,  les  soldats  de 
marine  prirent  leur  tour  de  service  avec  ceux  de  la 
ligne,  tandis  que  les  artilleurs  partageaient  les  travaux 
des  marins  de  la  brigade  navale,  ou  ceux  de  rartillerie 
de  ligne  attachée  au  train  de  siège  ;  —  enfin,  la  flot- 
tille des  canonnières,  qui  rendirent  de  si  utiles  services, 
tant  à  Sébastopol  qu'à  Kimburn,  était  également  com- 
mandée par  un  ofBcier  de  l'artillerie  des  marines. 

Dans  la  Baltique,  le  commandant  en  second  des 
troupes  débarquées  devant  Bomarsund  appartenait  aux 
marines;  ce  fut  aussi  à  Ténergie  et  à  l'habileté  de  l'of- 
ficier de  ce  corps  qui  dirigeait  les  canonnières  à  Swea- 


DE  LA  FBANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     277 

borg,  que  l'on  dut  le  succès  remporté  devant  cette 
place. 

C'est  surtout  à  propos  de  certains  incidents  survenus 
pendant  cette  campagne  de  la  Baltique,  que  les  écri- 
vains qui  se  sont  constitués  les  avocats  du  corps  des 
marines;  ont  réclamé  plus  de  justice,  et,  avant  tout, 
une  définition  d'attributions  plus  exacte,  au  moins  en 
ce  qui  regarde  les  artilleurs. 

En  effet,  les  artilleurs  des  marines,  officiers  et  sol- 
dats, étant  disséminés  sur  les  bâtiments  de  la  flotte 
anglaise,  faute  d'une  réglementation  bien  précise  dé- 
terminant les  conditions  de  leur  service,  il  est  arrivé 
parfois  qu'ils  n'ont  pas  été  employés  dans  les  circon- 
stances les  mieux  faites  pour  utiliser  leurs  connais 
sances  spéciales  et  leur  expérience  pratique.  Comme 
le  fait  observer  très  justement  Y  United  service,  ce  n'est 
pas  au  moment  où  l'adoption  d'un  nouveau  système 
de  pièces  exige,  plus  que  jamais,  des  canonniers  ha- 
biles, que  les  artilleurs  de  la  marine  peuvent  être 
exposés  à  être  mis  de  côté,  dans  le  seul  but  de  ména- 
ger l'amour-propre  et  les  susceptibilités  de  leurs  ca- 
marades de  la  flotte.  Il  est  clair  qu'on  pouvait  en  tirer 
un  meilleur  parti  en  mer,  qu'en  les  distribuant  comme 
de  simples  manœuvres  sur  le  pont  d'un  vaisseau  ;  et, 
en  cas  de  débarquement,  il  était  parfaitement  absurde, 
par  exemple,  de  les  voir  mêlés  aux  rangs  d'un  bataillon 
d'infanterie,  tandis  que  des  pièces  étaient  cSnfiées  à 
des  matelots  beaucoup  moins  capables,  relativement 
parlant,  de  les  bien  servir.  Pareil  fait  s'est  cependant 
présenté,  en  185&,  à  Taltaque  de  Bomarsund.  Dans  le 


278  CONSTITUTION  ET  PUIfiSANGB  lOUTAIRBS 

principe,  le  brigadier,  commandant  en  chef,  avait  dé- 
cidé que  les  artilleurs  des  marines,  appartenant  à  la 
flotte,  seraient  débarqués  avec  les  canons.  Des  influences 
ayant  fait  changer  cette  première  disposition,  l'ordre 
fut  donné  d'en  former  un  détachement  de  fuséens  qui 
n'eut  pas  même  la  satisfaction  d'être  employé  en  cette 
qualité,  à  cause  du  manque  de  chevalets.  En  dernière 
analyse,  on  ne  trouva  rien  de  mieux  à  faire  que  de 
réunir  ces  artilleurs  à  un  bataillon  d'infanterie  dont 
ils  formèrent  la  tète  de  colonne. 

Pendant  le  cours  des  opérations  devant  Bomarsund» 
une  batterie  de  brèche  qui  avait  été  construite  par  tes 
marines,  et  dont  les  pièces  étaient  servies  par  des  ma- 
telots, étant  venue  à  manquer  de  munitions,  &0  artil- 
leurs furent  commandés  de  corvée  pour  en  transporter 
du  dépôt  de  tranchée.  Cette  mission  remplie,  on  es- 
saya d'insinuer  que  ces  artilleurs  pourraient  relever, 
p^âdant  quelque  temps,  les  matelots  fatigués  par  plu- 
sieurs heures  d'un  rude  service.  Cette  ouverture  fut 
déclinée,  et  les  artilleurs  restèrent  à  la  batterie,  spec- 
tateurs inactifs,  en  attendant  qu'on  leur  donnât  des 
ordres.  Il  ne  fallut  rien  moins  que  l'arrivée  du  briga- 
dier^énéral  sur  les  lieux,  pour  leur  faire  obtenir» 
comme  faveur  toute  spéciale,  de  participer  à  leur  tour 
au  service  des  pièces.  Hâtons-nous  de  le  dire,  les  cir- 
constances que  nous  venons  de  rapporter  deviennent 
de  plus*en  plus  rares,  et  les  instructions  nouvdles 
tendent  à  faire  disparaître  entièrement  ce  qu'il  pouvait 
y  avoir  d'anormal  ou  de  mal  défini  dans  les  attribu- 
tions respectives  des  marines  et  des  marins  anglais. 


DB  LA  FRANCE  BT  DE  l' ANGLETERRE.     379 

Particulièrement  en  ce  qui  concerne  les  artilleurs, 
leur  organisation  récente  en  division  distincte  empè- 
chera  le  retour  des  conflits  qui  se  présentaient  autre* 
fois.  Les  modifications  adoptées  sont  de  nature  à  faire 
naître  l'émulation  qui  doit  régner  entre  les  différents 
agents  chargés  de  concourir  à  un  même  service  ;  elles 
mettront  fin,  sans  aucun  doute,  à  des  rivalités  d'autant 
plus  regrettables  que  le  dégoût  et  le  découragement 
en  eussent  été  la  conséquence  pour  le  corps  habituelle* 
ment  sacrifié. 

Nous  avons  cru  utile  d'insister  tout  particulièrement 
sur  l'organisation  du  corps  des  marines  anglais,  non«* 
seulement  à  cause  de  Timportance  accordée  à  cette  in- 
stitution dans  le  système  militaire  de  nos  voisins,  — 
importance  dont  l'exposé  de  leurs  services  dans  les 
dernières  campagnes  donne  une  idée  suffisante,  — 
mais  surtout  à  cause  du  rôle  qui  leur  est  attribué  dans 
le  personnel  des  équipages  de  la  flotte  anglaise,  et  au 
point  de  vue  des  comparaisons  qui  peuvent  être  éta« 
blies  à  cet  égard  entre  le  système  adopté  en  France  et 
celui  suivi  en  Angleterre.  Les  considérations  que  nous 
allons  présenter  sont,  il  est  vrai,  du  ressort  de  la  ma- 
rine bien  plus  que  de  la  guerre,  mais,  pour  les  motife 
que  nous  avons  exposés  plusieurs  fois  déjà,  nous  ne 
les  croyons  pas  déplacées  ici;  elles  nous  semblent,  au 
contraire,  un  élément  nécessaire  de  l'étude  comparée  à 
laquelle  nous  nous  livrons. 

Nous  l'avons  fait  remarquer  dans  un  des  chapitres 
qui  précèdent,  les  avantages  d'une  action  combinée,  et 
par  sttito  la  néceiftité  d'une  liaison  aussi  intime  que 


280  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MIUTAIRES 

possible  entre  les  services  de  terre  et  de  mer,  sont  des 
points  sur  lesquels  tous  les  hommes  compétents  se  sont 
prononcés  d'une  manière  définitive.  A  l'avenir,  aucune 
0]^ération  militaire  importante  semble  ne  pouvoir  être 
entreprise  sans  le  concours  de  la  marine. 

L'emploi  simultané  des  flottes  et  des  armées,  jus- 
qu'ici particulier  à  l'Angleterre  et  constituant  une  né- 
cessité dérivant  naturellement  de  sa  position  insulaire, 
cette  action  combinée,  disons-nous,  tend  chaque  jour  à 
se  généraliser  davantage  chez  les  puissances  maritimes. 
Autrefois,  Tincertitude  de  la  navigation  sous  voiles  ne 
permettait  pas  de  faire  entrer  l'élément  naval  dans  les 
combinaisons  précises,  à  jour  fixe  en  quelque  sorte, 
qui  règlent  la  marche  et  les  mouvements  des  troupes 
déterre. 

Pendant  la  campagne  d'Egypte,  sous  le  général 
Bonaparte  ;  en  1803,  à  l'époque  du  camp  de  Boulogne; 
en  1830,  lors  de  la  concentration^ aux  tles  Baléares  de 
la  flotte  dirigée  contre  Alger,  et  enfin  dans  mille 
circonstances  que  l'on  pourrait  encore  citer,  les  mé- 
comptes dus  aux  événements  de  mer  obligèrent  à 
abandonner  ou  faillirent  compromettre  l'exécution  des 
plans  les  mieux  préparés.  L'adoption  de  la  vapeur 
comme  moteur  a  complètement  changé  les  conditions 
anciennes.  Les  Français  et  les  Anglais  en  Crimée,  en 
Italie,  en  Chine,  eh  Syrie,  comme  les  Espagnols  au 
Maroc  ou  les  Piémontais  devant  Gaëte,  ont  prouvé  sur- 
abondamment avec  quelle  facilité  et  quelle  précision  il 
est  possible  de  coordonner  aujourd'hui  les  mouvements 
des  flottes  et  des  armées.  Dans  cette  nouvelle  phase 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     281 

des  guerres  modernes,  la  supériorité  absolue  ne  peut 
plus  résider  exclusivement,  comme  autrefois,  dans  l'un 
ou  l'autre  des  éléments  sur  lesquels  s'appuyait  la  puis- 
sance des  Ëtats  de  premier  ordre  à  la  fin  des  guerres 
du  premier  Empire.  Une  flotte  nombreuse  sans  une  ar* 
mée  respectable,  ou  des  forces  de  terre  considérables 
sans  vaisseaux  pour  les  transporter  et  les  débarquer  à 
point  nommé,  et  suivant  les  exigences  du  moment,  ne 
suffisent  plus  à  assurer  des  résultats  complets  et  défini- 
tifs. Au  contraire,  parmi  les  puissances  de  premier 
ordre,  l'avantage  est  assuré,  suivant  nous,  au  peuple 
qui,  sans  être  le  premier  de  tous  quant  au  nombre  de 
ses  vaisseaux  et  de  ses  soldats,  possédera  cependant  un 
assez  grand  nombre  des  premiers  pour  faire  des  se- 
conds l'emploi  le  plus  efficace,  pour  pouvoir,  à  son 
heure,  en  tout  temps  et  en  tout  lieu,  tirer  de  son  ar- 
mée le  parti  le  plus  utile. 

Nous  croyons  que  c'est  dans  ces  termes  que  la  puis- 
sance offensive  et  défensive  des  nations  doit  être  étu- 
diée aujourd'hui.  À  ce  point  de  vue,  bien  que  notre 
cadre,  en  ce  qui  regarde  l'Angleterre,  s'applique  plus 
particulièrement  à  son  établissement  militaire,  nous 
espérons  que  le  lecteur  voudra  bien  ne  pas  regarder 
comme  d'inutiles  digressions  les  excursions  que  nous 
croirons  devoir  faire  dans  le  domaine  de  la  marine  (1  ). 

(t)  L'importance  du  concours  réciproque  que  doivent  se  prêter 
désormais  les  armées  de  terre  et  de  mer  nous  semble  tellement  ca- 
pitale, que  nous  croirions  ne  donner  qu'une  idée  très  imparfaite  de 
la  puissance  militaire  de  nos  voisins,  si  nous  omettions  de  présenter 
eu  même  temps  au  lecteur,  au  moins  dans  une  certaine  mesure,  un 


382  CONSTITUTION  BT  PUIS8ANGB  MILITAIRBS 

Nous  avons  dit  quMI  n'existait  qu'une  i-eisemblance 
de  nom  entre  les  troupes  de  la  marine  en  France  et  en 
Angleterre.  Avant  la  Révolution,  on  distinguait,  à  bord 
des  vaisseaux  français,  Péquipage  proprement  dit  et  la 
garnison. 

L'équipage  comprenait  les  matelots;  quant  à  la  gar- 
nison, elle  était  composée  de  soldats  nommés  gardêi 
marines,  qui  n'intervenaient  en  rien  dans  la  manœuvre 
des  bâtiments.  Ces  soldats  avaient  leurs  oflBciers  parti- 
culiers. Destinés  à  jouer  le  rôle  principal  les  jours  de 
combat,  ils  étaient  exercés  à  la  manœuvre  du  fusil  et 
du  canon. 

Sous  l'Empire,  des  troupes  furent  embarquées  à 
bord  des  navires,  et,  lors  de  la  campagne  d'Egypte, 
Bonaparte  répartit  entre  les  meilleurs  bâtiments  de  la 
flotte  les  compagnies  d'élite  des  régiments  qui  avaient 
fait  avec  lui  la  campagne  dltalie. 

Lorsque  la  marine  française  fut  réorganisée  après 
les  guerres  de  l'Empire,  on  crut  devoir  renoncer  à  ce 
système  de  garnisons  navales  que  nos  voisins  ont  con* 
serve.  On  lit  valoir  chez  nous  que  les  succès  obtenus  à 
Aboukir  et  à  Trafalgar  par  les  Anglais  étaient  dus 
principalement  à  la  supériorité  de  leurs  manœuvres, 
supériorité*  qui  ne  pouvait  être  obtenue  qu'au  moyen 
d'équipages  nombreux  et  de  matelots  bien  exercés.  On 

aperçu  de  leora  renonroM  nsTales.  Ce  résumé  iacdoct«  on  plat6t  ce 
tableau  atatistique,  senrira  de  complément  ^  notre  étude.  Rédigé  en 
dehors  de  tonte  discussion  technique,  il  sera  cependant  aaseï  dé- 
taillé pour  permettre  les  comparaisons  indispensables  qui  rentrent 
dans  Fesprit  du  titre  donné  à  ce  tniTaU« 


DM  Là  FRAmU  m  DE  L'AmunTBUUS.  S8S 

ût  grand  bruit  des  inconvénients  qu'entraînaient  par- 
fois les  relations  difficiles  entre  les  officiers  des  deux 
services^  et  dont  nous  avons  parlé  plus  haut  au  sujet 
des  marines.  H  fut  décidé  que  la  conduite  et  la  défense 
des  bâtiments  seraient  exclusivement  confiées  aux 
équipages,  et  que  les  matelots  recevraient  une  instruo- 
tion  appropriée  à  cette  double  tâche. 

L'opinion  qui  a  prévalu  lorsque  la  marine  française  a 
été  réoi^nisée  pouvait  être  fondée,  bien  qu'il  soit  bon 
de  faire  observer  que,  même  à  cette  époque,  les 
hommes  les  plus  compétents  étaient  déjà  divisés  sur 
cette  grave  question  diB  la  composition  des  équipages. 
Aujourd'hui,  il  semble  que  la  solution  à  lui  donner  ne 
saurait  faire  l'objet  d'un  doute.  Si  la  nécessité  d'une 
grande  précision  et  d'une  grande  célérité  dans  les  évo- 
lutions des  vaisseaux  est  toujours  aussi  grande,  les 
manœuvres  par  lesquelles  on  les  obtient  sont  complète- 
ment modifiées.  C'est  aux  chaufieurs  et  aux  mécani- 
ciens qu'appartient  aujourd*hui,  pour  une  très  grande 
part,  le  vtÀe  exclusivement  confié  jadis  aux  matelots. 
Le.  nombre  de  ceux-€i  sur  les  bâtiments  à  vq)eur  peut 
dès  lors  être  considérablement  diminué,  et,  dans  un 
combat  entre  deux  vaisseaux  de  force  ^ale,  l'avantage 
doit  évidemment  appartenir  à  celui  qui  présente  un 
plus  grand  nombre  de  combattants  exercés  au  tir  du 
fusil  et  du  canon.  Sous  ce  rapport,  les  Anglais,  par  le 
maintien  de  l'ancien  système  des  garnisons  navales  et 
par  l'organisation  de  leurs  marines^  se  trouvent  dans  de 
meilleures  conditions  que  les  Français.  Toutefois,  il 
dépend  de  nous  de  rétablir  l'équilibre. 


28&  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

Nées,  comme  dous  Tavons  dit,  sous  l'aiicieD  régime, 
de  la  rivalité  de  Seignelay  et  de  Louvois,  ressuscitées 
depuis,  avec  la  mission  de  défendre  nos  possessions  ex- 
térieures, nos  troupes  de  la  marine  ont  continué  à  re- 
fléter l'esprit  étroit  qui  avait  présidé  à  leur  formation. 
Par  leur  chiffre,  elles  sont  évidemment  au-dessous  de 
la  tâche  spéciale  qui  leur  est  assignée,  car,  en  ce  qui 
regarde  l'Algérie,  c'est-à-dire  la  plus  importante  et  la 
plus  considérable  de  nos  colonies,  leur  rôle  a  été  com- 
plètement nul.  Pas  un  fantassin,  pas  un  artilleur  de  la 
marine  n'a  été  employé  en  Algérie.  Cette  anomalie  eût 
suffi  pour  ouvrir  les  yeux,  si  .le  département  de  la 
marine  n'avait  pas  continué  à  suivre  les  errements  de 
Seignelay,  en  visant  à  tout  faire  par  lui-même  et  à  se 
rendre  complètement  indépendant  des  autres  minis- 
tères. 

Comme  le  fait  observer  très  judicieusement  M.  Cu- 
cheval-Clarigny  dans  le  travail  que  nous  avons  cité 
plus  haut,  au  lieu  d'emprunter  au  ministère  de  la 
guerre  les  troupes  nécessaires  pour  la  défense  de  nos 
établissements  coloniaux,  et  les  canons,  les  poudras, 
les  projectiles,  etc.,  dont  elle  a  besoin;  au  lieu  d'imiter 
la  conduite  logique  de  nos  voisins,  la  marine,  en 
France,  «  a  voulu  avoir  sa  petite  armée,  sa  petite  artil- 
lerie, ses  forges,  ses  fonderies,  ses  ateliers,  etc.  x»  ;  tout 
cela  sur  une  petite  échelle,  ne  fournissant,  quant  au 
personnel  (ceci  s'applique  aux  troupes  de  marine), 
qu'un  service  incomplet;  ne  produisant,  quant  au  ma- 
tériel, qu'à  des  prix  plus  élevés  et  dans  des  conditions 
nécessairement  moins  avantageuses  que  les  établisse- 


m  LA  FRANCE  ET  DE  L'ANGLETERRE.  285 

ments  de  la  guerre  organisés  sur  un  pied  beaucoup 
plus  large. 

Si  Ton  s'accorde  à  reconnaître  que,  par  suite  de  Tin- 
troduction  de  la  vapeur  comme  moteur,  le  rôle  des 
matelots  ou  de  l'élément  dirigeant  se  trouve  considéra- 
blement amoindri  à  bord  des  navires  de  guerre,  tandis 
que  celui  de  l'élément  exclusivement  combattant  tend, 
au  contraire,  à  devenir  chaque  jour  plus  prépondérant, 
pourquoi  la  France  ne  reviendrait-elle  pas  à  l'ancien 
système  des  garnisons  navales,  et  n'imiterait-elle  pas 
TAngleterre,  en  employant  son  infanterie  et  son  artille- 
rie de  marine  au  service  exclusif  de  sa  flotte? 

Ces  troupes,  nous  l'avons  vu,  ne  suffisent  pas  à  la 
tâche  qui  leur  incombe  actuellement,  et  l'armée,  déjà 
chargée  de  la  défense  de  l'Algérie,  peut  tout  aussi  bien 
être  employée  à  celle  des  autres  possessions  exté- 
rieures. Puisque,  dans  les  guerres  à  venir,  toute  com- 
binaison stratégique  importante  semble  devoir  récla- 
mer inipérieusement  l'emploi  simultané  des  armées  de 
terre  et  de  mer,  il  y  aurait  tout  avantage  à  adopter  un 
système  de  nature  à  rendre  plus  fréquentes,  plus  in- 
times, et  par  conséquent  plus  faciles,  les  relations 
entre  les  deux  services.  L'embarquement  et  le  débar- 
quement des  troupes,  leur  installation  à  bord  des  na- 
vires, leur  service,  leur  discipline,  etc.,  pendant  des 
traversées  d'une  certaine  durée,  sont  autant  de  diffi- 
cultés auxquelles  des  troupes  parfaites  doivent  être 
rompues  désormais.  Nos  régiments  arriveraient  bien 
vite  à  acquérir  l'expérience  qui  leur  manque,  et,  une 
fois  fondée,  la  tradition  se  conserverait,  si,  pendant  la 


286  CONSTITUTION  BT  PUI9AANGB  MILITAIBBS 

paix,  une  organisation  analogue  à  celle  de  nos  voisins 
les  appelait  successivement  à  servir  à  leur  tour  dans 
nos  colonies.  Le  système  suivi  à  cet  ^ard  par  les  An- 
glais nous  semble  de  beaucoup  préférable  au  nôtre.  En 
confiant  à  l'administration  de  la  guerre  Toi^ganisation 
et  la  direction  de  toutes  les  forces  qui,  à  un  titre  quel- 
conque, concourent  à  la  défense  du  territoire  national 
et  colonial,  ils  ont  simplifié,  autant  que  faire  se  pou- 
vait, là  où  nous  semblons  avoir  compliqué  à  plaisir. 

La  création  du  ministère  des  colonies  avait  mis  en 
relief  naguère  tout  ce  qu'il  y  a  d'anormal  dans  la  con* 
stitution  actuelle  de  nos  troupes  de  marine.  Rien  n'in- 
diquait, en  effet,  que  ce  ministère  dût  avoir  recours  à 
la  Guerre  plutôt  qu'à  la  Marine  pour  obtenir  les  forces 
nécessaires  à  la  défense  de  nos  établissements  exté- 
rieurs. S'agissait-il,  par  exemple,  de  nos  possessions 
sur  la  côte  septentrionale  de  l'Afrique,  il  lui  fallait  s'a- 
dresser à  la  première;  fallait-il  pourvoir  à  la  protec- 
tion de  ceux  de  la  côte  occidentede,  c'est  à  la  seconde 
que  Ton  devait  recourir.  Aujourd'hui,  le  ministèro  des 
colonies  a  cessé  d'exister;  l'ancien  état  de  choses  est  ea 
partie*  rétabli  :  la  marine  sera-t-elle  en  mesure,  plus 
que  par  le  passé,  de  pourvoir  avec  ses  seules  ressources 
aux  nécessités  du  service  colonial?  Ce  n'est  pas  seule- 
ment l'occupation  de  l'Algérie  par  nos  troupes  de  terre 
qui  continuera  à  consacrer  l'insufiisance  du  système, 
ne  faudra-t-il  pas  que  la  marine  emprunte  encore,  et 
toujours^  à  la  guerre  les  officiers  du  génie  que  réclame 
le  service  des  fortifications  coloniales  (1)7  Si  nos  éta- 
(1)  Uae  mesure  réoente  a  délenDioé  roigânlttUoD,  dans  les  œ- 


DB  hk  PRAlfCB   BT  DB  L'AKGLBTBRRB.  S87 

blisflements  se  développent,  comme  il  y  a  lieu  de  Tem- 
pérer, chaque  progrès  sera  le  point  de  départ  de  nou- 
velles  demandes,  de  nouveaux  emprunts.  A  cette  petite 
armée  qu'entretient  le  ministère  de  la  marine,  à  cette 
armée  en  miniature  qui  avait  déjà  son  infanterie,  son 
artillerie,  sa  gendarmerie,  ses  pompiers,  etc.,  et  qui 
vient  de  s'augmenter  tout  récemment  de  compagnies 
du  génie,  n'at-il  pas  fallu  ajouter,  il  y  a  quelques  an- 
nées, jusqu'à  de  la  cavalerie  (i)?  Seignelay  n'avait  pas 
été  si  loin. 

Aujourd'hui^  en  Angleterre,  les  juges  les  plus  com- 
pétents admettent  sans  difficulté  l'égalité  de  valeur  du 
matelot  et  du  soldat  pour  le  combaê.  Tout  ce  que  nos 
voisins  exigent  de  ce  dernier,  c'est  qu'il  ait  assez  na« 
vigué  pour  avoir  le  pied  marin.  Cependant,  cette  opi- 
nion, devenue  unanime  depuis  l'introduction  de  la  va* 
peur,  n'a  pas  non  plus  toujours  régné  de  l'autre  côté 
du  détroit.  Il  fut  un  temps  où,  comme  en  France,  les 
Anglais  semblèrent  disposés  à  confier  la  direction  et  la 


lonies,  de  compam^nies  d'ouvriers  indigènes  qui  remplaceront  les 
détachements  du  génie  militaire.  Cette  mesure,  et  les  considérants 
qui  la  moUvent,  sont  parfaitement  logiques,  mais,  ce  qui  Teût  été 
davantage,  c'est  le  placement  de  cette  nouvelle  institution  dans  les 
attributions  de  la  guerre,  à  laquelle  appartiennent  les  officiers  du 
génie  qui  doivent  la  diriger,  et  à  laquelle  devrait  appartenir, 
comme  en  Angleterre,  tout  ce  qui,  dans  nos  colonies,  ne  représente 
qu*un  élément  fn^rement  militaire. 

(l)  L%  développement  de  nos  établissements  de  la  côte  d'Afrique 
adonné  naissanceàla  formation  de  cette  cavalerie  de  marine  (étrange 
combinaison  de  mots!),  dont  les  premiers  éléments  ont  été  emprun- 
lèBk  notre  armée  algérienne»  et  qui  porte  le  nom  fpêhiê  9hé§aMi. 


288  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  HILITÀIRBS 

défense  de  leurs  vaisseaux  à  une  seule  classe  d'hommes, 
c'est-à-dire  exclusivement  à  des  matelots  exercés  à  la 
fois  aux  manœuvres  de  bord  et  au  maniement  des 
armes. 

L'histoire  des  diverses  combinaisons  successivement 
adoptées  en  Angleterre  pour  la  formation  des  équi- 
pages, et  celle  des  variations  de  l'opinion  sur  cette 
matière,  avant  d'en  arriver  au  point  où  nous  la  trou- 
vons aujourd'hui,  renferment  plus  d'un  enseignement. 
Le  lecteur  jugera  si  le  résumé  que  nous  allons  en  don- 
ner ne  plaide  pas  puissamment  en  faveur  de  l'affecta- 
tion exclusive  de  nos  troupes  de  marine  au  service  de  la 
flotte  et  d'un  changement  radical  dans  leur  constitu- 
tion. 

On  admet  trop  facilement  peut-être  que  la  pénurie  et 
rinfériorité  des  canonniers  de  nos  vaisseaux  sont  des 
défauts  particuliers  à  la  marine  française.  Dans  tous 
les  temps,  toutes  les  marines  du  monde  ont  eu  à  lutter 
contre  les  difficultés  que  présente  l'instruction  des  ca- 
nonniers-marins.  Ces  difficultés,  c'est  avant  tout  dans 
la  dissémination  du  personnel  à  bord  des  vaisseaux,  et 
des  vaisseaux  dans  toutes  les  mers,  qu'elles  résident. 
Or,  ces  nécessités  sont  communes  à  toutes  les  marines; 
seulement,  il  est  des  puissances  maritimes  qui  ont 
réussi  plus  ou  moins  bien  que  les  autres  à  les  dominer. 
On  a  dit  à  juste  titre  que  la  désorganisation  des  garda 
marines  avait  été  pour  la  France  une  cause  permanente 
.  d'infériorité  dans  nos  combats  contre  les  Anglais,  et 
l'on  a  été  jusqu'à  prétendre  que  Nelson  n'eût  jamais 
osé  tenter  la  manœuvre  qui  lui  donna  la  victoire  à  Tra- 


DB  LA  FEANGB  ET  DB  L  AN6LETBRRB.     289 

fa]gar  sans  le  mépris  légitime  que  TexpérieDce  lui  avait 
fait  coDcevoir  pour  les  canoDoiers  français  (i). 

Cette  assertion,  il  faut  bien  Tavouer,  est  pleinement 
confirmée  par  le  témoignage  de  lord  Cochrane,  prison* 
nier,  sous  l'Empire,  à  bord  d'une  de  nos  escadres  (2); 
mais  on  se  tromperait  fort  si  l'on  pensait  que  cette  su- 
périorité de  l'artillerie  navale  des  Anglais  au  commen- 
cement du  XIX*  siècle  n'ait  pas  eu  depuis  ses  périodes 
de  décadence.  Peu  s'en  fallut,  il  y  a  quarante  ans, 
^  comme  nous  allons  le  montrer  plus  loin,  que  l'adoption 
du  système  suivi  en  France  n'exposât  à  son  tour  la 
marine  anglaise  au  jugement  sévère  que  lord  Gocbrane 
avait  infligé  à  la  nôtre. 

C'est  en  1821  que  le  général  Paixhans  publia  ses 
premières  études  sur  le  nouveau  système  d'artillerie, 
qui,  combiné  avec  l'adoption  de  la  vapeur  comme  mo- 
teur, était  appelé  à  révolutionner  dans  un  si  bref  délai 
toutes  les  conditions  anciennes  de  la  tactique  navale(6). 
La  France  adopta  sans  hésiter  les  vues  du  général,  et 
nos  voisins  comprirent  qu'il  devenait  urgent  pour  eux 
d'imiter  notre  exemple.  Tous  les  esprits  éclairés  de 
l'autre  côté  du  détroit  reconnurent  bien  vite  que  la  su- 
prématie maritime  de  l'Angleterre  ne  pouvait  plus  ré- 


fl)  Cucheval-Clarigny,  page  96. 

(2)  «  Les  bâtiments  français,  dit  lord  Gocbrane,  étaient  excellents, 
supérieurs  aux  bâtiments  anglais  comme  construction  et  même 
comme  gréement;  les  équipages  valaient  beaucoup  mieux  que  leur 
réputation;  les canonniers  étaient  détestables  au  plutôt  ils  n'exis- 
taient pas.  » 

(3}  La  nouvelle  force  maritime^  par  le  général  Paixhans. 

19 


300      con^mmcfM  st  nnâSANCB  mletaiei» 
sider  esdusivement  dans  la'&upëriorité  de  manœuvre 
de  ses  marins/et  que  Tartillerie  devenait  un  élément 
d'une  égale,  sinon  d'une  plus  grande  importance  dans 
l'économie  générale  des  vaisseaux  de  guerre. 

C'est  qu'en  effet,  à  cette  époque^  la  tendance  à 
donner  sur  les  vaisseaux  la  préférence  à  l'élément  dih* 
géant  sur  l'élément  combattant  était  devenue  telle,  en 
Angleterre  comme  en  France,  que  toutes  les  questions 
intéressant  l'organisation  et  l'instruction  des  canonniers 
ne  tenaient  plus  qu'une  place  tout  à  fait  secondaire 
dans  les  préoccupations  des  autorité  navales  des  deux 
pays.  Chez  nos  voisins  comme  chez  nous,  succès  oo 
revers,  en  fait  de  marine,  étaient  uniquetnent  expli- 
qués par  la  qualité  relative  dés  matelots  de  l'un  et 
l'autre  pays. 

Un  fait  bien  établi,  c'est  qu'au  moment  où  lenoiH 
veau  système  de  Paixhans  fit  son  apparition,  a  en  règle 
»  générale,  les  officiers  de  la  flotte  anglaise  étsieot 
»  complètement  ignorants  des  règles  les  plus  simples 
»  qui  gouvernent  rartillerie  navale,  et  cette  indiffé- 
»  rence»  qui  touchait  au  mépris,  semblsût  augmenter 
»  chaque  jour  plutôt  que  diminuer  «  Sans  doute^  il  pou- 
»  vait  y  avoir  quelques  brillantes  exceptions  ;  mais,  en 
D  fait,  rien  n'était  plus  rare  que  de  rencontrer  un  vais- 
x>  seau  anglais  où  le  service  de  l'artillerie  fût  ce  que  Ton 
x>  appelle  aujourd'hui  sur  un  bon  pied  (1).  » 

(i)  «  It  18  a  matter  of  well-asoertained  fact,  Uiat  prior  U>  Uiis  pe- 
»  rtod  our  naval  offloere  were,  as  a  gênerai  rule,  strangely  defioeol 
»  in  a  knowledge  of  even  the  simplest  rules  upon  which  ail  artillery 
»  practlce  is  baaod,  and  tiiat  the  indifférence,  borderîng  upon  cas- 


m  LA  mANGS  n  m  l'aivglbtbmib.        391 

Sir  Howard  Douglas,  pénétré  des  dangers  d'une  pa- 
reille situation  pour  sou  pays,  consacra,  pendant  de 
longues  années,  tous  ses  efforts  à  la  changer.  Prenant 
Gù  Angleterre  le  rôle  de  Paixhans,  il  ne  cessa  de  repré- 
senter aux  autorités  l'ui^nce  d'avoir  à  bord  des  vais- 
seaux des  officiers  et  des  hommes  également  expéri- 
mentés dans  le  service  des  pièces.  Seulement,  obéissant 
aux  tendances  du  moment  ou  cédant  peut-être  à  de 
puissantes  influences,  il  exprima  l'opinion  que  non- 
seulement  les  matelots  devaient  avoir  toute  l'instruction 
nécessaire  pour  le  service  des  canons,  mais  encore  que 
la  marine  devait  être  exclusivement  chargée,  par  sa 
propre  organisation,  de  répandre  cette  instruction 
parmi  les  équipages  de  la  flotte.  Allant  plus  loin,  le 
général  Douglas  repoussa  absolument  le  concours  de 
Tartillerie  des  troupes  de  marine,  déclarant  qu'il  re- 
gwdait  l'intervention  de  ce  corps  comme  préjudiciable 
à  l'instruction  des  officiers  de  la  flotte,  par  la  raison 
qu'elle  leur  enlèverait  le  meilleur  moyen  de  cultiver  et 
de  perfectionner  leurs  connaissances  en  matière  d'ar- 
tillerie. 

C'est  en  ISftO  seulement  que  le  général  Douglas  ob- 
tint rétablissement,  àPortsmouth,  d'une  école  d'artil- 
lerie pour  les  matelots.  Organisée  d'après  les  principes 
recommandés  dans  le  Traité  d^ artillerie  navale  [i), 

»  tempt,  wiUi  which  the  Bubject  was  regarded  had  increased  rather 
»  than  diminished.  There  were  some  brillant  exceptions,  but  a  ship 
»  in  what  would  be  now  called  a  good  gunnery  order  »  was  rareiy 
»  to  be  met  witb.  »  (Naval  and  military  JoumaL) 
(i)  Treatûe  on  Naval  Gvnnery,  par  le  général  air  Howard  Dou- 


292  CONSTITUTION  ET  PUISSANGK  mUTAIEBS 

cette  école  fut  installée  à  bord  deVEcocdlent.  Elle  fonc- 
tioiinait  depuis  un  an  à  peine,  et  le  nombre  des  otSn 
ciers  et  des  matelots  qui  en  avaient  suivi  les  cours  était 
encore  nécessairement  fort  restreint,  lorsque  Tami- 
rauté,  dans  son  enthousiasme  pour  les  résultats  obte- 
nus, crut  devoir  déclarer  que  toute  instruction  qai 
n'émanait  pas  de  ce  nouveau  foyer  devait  être  regardée 
comme  plus  préjudiciable  qu'avantageuse  pour  le  ser- 
vice. En  conséquence,  nos  voisins  décidèrent  le  licen- 
ciement de  leur  artillerie  de  marine,  c'est-à-dire  du 
seul  corps  de  canonniers  complètement  dressés  dont 
leur  flotte  pût  disposer  à  cette  époque. 

Toutefois,  il  semble  qu^un  certain  sentiment  de  dé- 
fiance se  soit  emparé  de  Tesprit  des  lords  de  l'amirauté 
au  moment  de  prendre  cette  désastreuse  mesure,  car, 
en  même  temps  que  l'ordre  de  licenciement  dédanit 
que  le  bien  du  service  ne  réclamait  plus  Veanstenœ 
d'une  troupe  d'artillerie  de  marine  distincte^  une  clause 
particulière  portait  que  deux  compagnies  de  ce  corps 
seraient  cependant  conservées  et  annexées  à  la  division 
d'infanterie  de  marine  de  Poi-tsmouth. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  sur  les  tribulations  in- 
fligées aux  restes  de  ce  malheureux  corps,  successive- 
ment dépouillé  de  ses  privil^es,  de  son  uniforme,  et 
réuni  à  l'infanterie,  dont  il  fut  obligé  de  partager  le 
service.  Nous  revenons  à  l'école  établie  sur  YEœceUenL 

Tous  les  efforts  furent  tentés,  tous  les  moyens  forent 


glas.  Cet  ouvrage  a  été  traduit  en  français,  et  est  adopté  comme  lifR 
classique  par  presque  toutes  les  marines  de  l'Europe. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     293 

employés  par  les  autorités  navales  de  TAngleterre,  afin 
d'encourager  et  d'étendre  TinQuence  de  cet  établisse* 
ment.  On  serait  injuste,  d'ailleurs,  si  Ton  ne  recon- 
naissait pas  que  cette  école  réalisa,  dans  la  mesure  du 
possible,  toutes  les  espérances  qu'elle  avait  données. 
Elle  produisit  tout  ce  qu'elle  pouvait  raisonnablement 
produire;  seulement,  quelques  années  s'étaient  à  peine 
écoulées,  que  l'on  reconnaissait  l'impossibilité  absolue 
de  donner  aux  matelots,  dont  la  plus  grande  partie  na- 
vigue presque  constamment,  autre  chose  qu'une  con- 
naissance tout  à  fait  superficielle  en  matière  d'artille- 
rie (1). 

C'est  précisément  ce  qui  était  arrivé,  et  ce  qui  con- 
tinue à  se  passer  en  France,  où  l'école  établie  à  bord 
du  Suffren  peut  fournir  à  peine  600  canonuiers  tous  les 
ans.  Dans  un  pareil  état  de  choses,  le  bon  sens  pra- 
tique de  nos  voisins  ne  leur  a  pas  fait  défaut.  Ils  ont 
reconnu  qu'à  moins  d'un  changement  radical  dans  la 
constitution  du  personnel  de  leur  flotte,  le  seul  remède 
était  dans  un  retour  décidé  vers  le  passé.  C'est  alors 
qu'est  apparue  toute  la  sagesse  de  la  mesure  qui  avait 
empêché  le  licenciement  complet  et  définitif  de  l'artil- 
lerie des  marines. 

Les  deux  compagnies  maintenues  à  l'époque  du 
licenciement  ont  servi  de  noyau  pour  la  réorganisation 
du  corps,  et,  depuis  cette  époque,  son  effectif,  en  dépit 
de  toutes  les  résistances  et  de  toutes  les  oppositions, 

(i)  It  was  impossible  to  do  more  than  diffuse  a  very  smaU  linow- 
ledge  of  gannery  througliout  a  service  whose  component  parts  were 
coQStaDtty  shifiiDg. 


294  CONSTITUTION  ET  PUISSANGB  MILITAIRES 

n'a  cessé  de  s'accroître.  Au  mois  de  mai  18M,  une 
troisième  compagnie  a  été  formée;  —  en  1845,  deux 
autres  sont  venues  s'y  ajouter;  donnant  un  total  de 
725  hommes,  officiers  compris.  On  était  encore  loin  du 
chiffre  actuel  ;  mais  l'impulsion  était  donnée,  et,  Tan- 
née suivante,  on  formait  encore  deux  nofUveUes  com- 
pagnies. Depuis  18&6,  les  augmentations  successives 
de  l'artillerie  des  mannes  l'avaient  portée  à  1&  compa» 
gnies,  et  en  4855,  vers  la  fin  de  la  guerre  de  Crimée» 
ce  corps  ne  comptait  pas  moins  de  2,618  hommes.  En 
1859,  il  a  reçu  son  dernier  complément,  qui  Taéleiréà 
3,000  hommes,  et,  le  1"  novembre  de  la  même  an- 
née, il  a  été  organisé  en  une  division  distincte  dont  le 
quartier-général  est  placé  au  fort  Cumberland  (Port»- 
mouth). 

Ainsi,  aujourd'hui,  au  moment  où  notre  organisa» 
tion  n'est  pas  même  en  mesure  de  nous  fournir  un  chef 
de  pièce  pour  chacun  des  canons  *que  nous  nous  pro- 
posons de  mettre  en  ligne,  l'Angleterre,  indépendam* 
ment  de  tous  les  canonniers-marins  formés  à  bord  de 
VEœcellent  et  du  Cambridge,  a  8,000  artilleurs  par* 
faitement  exercés,  et  susceptibles  d'être  immédiatenmt 
employés  sur  la  tlotte,  comme  on  peut  en  juger  par  les 
témoignages  suivants. 

Nous  avons  déjà  rappelé,  en  commençant  ce  dia> 
pitre,  le  jugement  porté  par  la  commission  de  18&8 
sur  le  corps  des  marines  anglais  en  général;  lord 
Hardwicke  n'est  pas  moins  explicite  lorsqu'il  s'exprime 
en  ces  termes  :  «  Les  marines  sont  un  corps  extrè- 
D  memeut  utile,  et,  s'il  fallait  d'urgence  faire  prendre 


DB  LA  FRANCE   BT   DE   L'AIfGLBTERRB.  295 

»  la  mer  à  une  frégate  de  50  canons,  en  mettant  à 
»  bord  50  marines,  on  aurait  un  bon  canonnier  par 
»  pièce,  et  ces  50  hommes,  avec  Taide  de  quelques 
»  matelots  de  choix,  mettraient  la  frégate  en  état  de 
»  soutenir  honorablement  un  combat.  » 

Un  autre  témoignage  dont  l'impartialité  ne  saurait 
être  mise  en  doute,  car  il  émane,  en  quelque  sorte, 
d'un  adversaire  du  corps  des  marines,  mérite  surtout 
de  fixer  Tattention.  Dans  son  Traité  de  V artillerie 
navale,  tout  en  présentant  un  système  dont  l'adoption 
deirrait  conduire  à  la  suppression  des  marines,  le  géné^ 
rai  Howard  Douglas  ne  peut  s'empêcher  de  leur  rendre 
pleinement  justice  :  «  L'artillerie  de  marine,  dit  rho<» 
»  norable  générai,  se  trouve  dans  d'excellentes  condi- 
»  lions,  grâce  au  zèle,  au  talent  et  à  la  bravoure  dont 
»  elle  est  douée;  ce  corps  a  certainement  atteint  le  but 
i>  en  vue  duquel  il  avait  été  formé.  L'auteur  a  été 
ib  témoin  de  la  distinction  de  ses  services,  et  il  rend 
»  bien  volontiers  témoignage  à  son  habileté,  comme  il 
9  reconnaît  toute  la  considération  dont  il  est  digne.  Ce 
»  corps  est  bien  organisé,  complètement  instruit  et 
»  convanablemeot  commandé.  C'est  à  la  fois  une 
»  troupe  de  fantassins  éprouvés,  ayant  toute  la  science 
»  nécessaire  pour  le  service  des  batteries  flottantes,  et 
»  toute  l'expérience  voulue  pour  celui  de  l'artillerie  de 
»  campagne  (1).  » 

(1)  The  marine  ariiUery  ha$  beeu  raised  to  a  coaditioa  of  ^reat 
exoellenee,  ïsj  the  seal,  Uleot,  and  gallaotry  it  pooessea;  aod  baa 
oertaioly  performed  ail  tbe  service  ibat  waa  coptemplated  at  i\»  for* 
mation.  The  author  has  wUiMifid  ila  efOciency  oo  aarvice,  and 


296  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  mUTAlEES 

Dans  tous  les  projets  auxquels  a  donné  naissance  la 
panique  qui,  depuis  deux  ans  bientôt,  ne  cesse  d'agi- 
ter l'Angleterre,  l'augmentation  du  corps  des  marines 
a  constamment  été  réclamée  en  première  ligne.  Sui- 
vant lord  Stanley,  «  cette  augmentation  doit  faire 
»  partie  essentielle  de  tout,  plan  concernant  le  service 
»  de  la  flotte.  Les  marines  sont  un  corps  admirable, 
»>  composés  d'hommes  solides  et  rompus  à  la  manœuvre 
»  du  canon,  qu*on  peut  embarquer  à  la  mimUe,  et  qai 
»  valent  autant  pour  la  manœuvre  que  la  plupart  des 
»  marins  que  Ton  pourrait  se  procurer  dans  les  ports 
»  en  cas  d'urgence  et  sous  la  pression  d'une  nécessité 
»  soudaine  (1).  » 

Nous  avons  cherché,  par  ces  nombreuses  citations, 
à  donner  une  idée  de  Testime  toute  particulière  dont 
le  corps  des  marines  jouit  en  Angleterre,  et  à  faire 
apprécier  la  part  importante  qui  lui  est  faite  par  les 
autorités  navales  les  plus  compétentes  dans  la  compo* 

bears  wilHng  testiroony  (o  ail  the  talent  it  bas  put  forlh«  and  ail  the 
distinclioD  itdeserves.  It  Is  well  constituded,  thorougbiy  iastructed, 
and  ably  comroanded.  It  is  eilher  a  corps  of  good  infantry,  of 
scientiflc  bombardiers,  or  expert  field  artilleryraen.  {Treatise  on 
Naval  G^mnery,  par  le  général  S.  H.  Douglas.) 

(i)  Sir  Charles  Napier,  malgré  ses  préférences  bien  pardonnables 
pour  réiément  exclusivement  marin,  partage  aussi  Topinion  de  lord 
Stanley  et  de  lord  Hardwîcke  au  sujet  des  marines.  Le  plan,  an 
moyen  duquel  l'illuslre  amiral  prétend  mettre  FAnglelerrc  k  même 
de  doubler,  dans  un  temps  très  court,  sa  flotte  de  la  Manche,  est 
basé,  en  grande  partie,  sur  un  nouveau  mode  de  répartition  des 
200  marines  qui  se  trouvent  à  bord  de  chacun  des  vaisseaux  de  cette 
flotte,  et  sur  les  facilités  que  présenterait  ce  corps,  en  cas  de  guerre, 
pour  la  formation  de  nouveaux  équipages. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     297 

sitioD  des  équipages.  Il  semble  que  la  Fronce,  par  une 
organisation  de  ses  troupes  de  marine  plus  œnforme 
aux  nécessités  de  l'époque,  peut  s'assurer,  quand  elle 
le  voudra,  tous  les  avantages  que  l'Angleterre  a  su  se 
ménager. 

Nous  avons  dit  que  le  Suffren,  la  seule  école  qui 
existe  en  France  pour  l'instruction  des  canonniers- 
marins,  ne  pou\ait'en  fournir,  au  maximum,  que 
600  par  an.  On  y  envoie,  en  général,  des  hommes  pro- 
venant du  recrutement.  Suivant  M.  Cucheval-Clarigny, 
«  si  l'on  déduit  le  contingent  d'une  année,  temps  né- 
»  cessaire  à  l'instruction,  et  les  incomplets  inévitables, 
»  on  ne  peut  porter  au  delà  de  3,000  le  nombre  de  nos 
»  caniMiniers.  Il  est  très  rare,  en  effet,  que  les  hommes 
»  du  recrutement,  leur  sept  années  expirées,  consen- 
9  tent  à  se  rengager.  Or,  d'après  le  projet  artrèté  en 
»  1856,  les  hO  vaisseaux  de  notre  flotte  de  combat, 
p  lorsqu'^^lle  sera  terminée ,  porteront  à  eux  seuls 
»  3,250  canons.  Les  152  bâtiments  que  nous  entrete- 
9  nous  dans  ce  moment  à  la  mer,  et  pour  lesquels  seuls 
»  des  crédits  figurent  au  buc^et,  portent  plus  de 
9  1 ,200  canons.  » 

Si  ces  données  sont  exactes,  nous  nous  trou\ons 
aujourd'hui,  en  France,  toute  proportion  gardée,  pré- 
cisément dans  la  position  où  étaient  nos  voisins,  il  y  a 
quelques  années,  après  le  malencontreux  licenciement 
de  leur  artillerie  de  marine.  La  seule  différence,  c'est 
que  chez  nous  cette  fâcheuse  situation  est  notre  état 
normal  depuis  plus  d'un  demi-siècle,  car  elle  remonte 


298  CONSTITUTION   ET  PUISSAKCB  nUTAIRES 

aussi  à  la  désorganisation  de  no»  garde$-mairine$  de 
l'ancienne  monarchie. 

Jusqu'ici  ce  sont  les  matelote  et  non  les  soldats  qui 
ont  fait  défaut  en  France;  puisque,  grâce  à  Dieu,  nous 
entrons  dans  une  ère  nouvelle,  où  Timportance  desuns 
et  des  autres  tend  à  s'égaliser  sur  le  pont  des  vais- 
seaux à  vapeur,  il  faut  en  profiter  pour  faire  dispa- 
raître l'une. des  causes  les  plus  réelles  de  notre  infé^ 
riorité  navale.  Relevons  complètement  nos  troupes  de 
marine  de  leur  service  des  colonies,  o'est-à-dire  d'une 
tâche  trop  lourde  pour  elles,  et  qu'elles  sont  déjà  obli- 
gées de  partager  avec  l'armée  de  terre.  Il  sera  d'autant 
plus  facile  de  les  affecter  eûodusivemmt  au  service  de 
la  flotte  qu'elles  y  sont  déjà,  en  partie,  préparées  par 
leur  organisation  {\). 

Peut-être  s'est-on  exagéré,  en  France,  les  inconvé* 
nients  de  la  coexistence  de  ces  deux  éléments  distincts  : 
Yéquipage  et  la  ga/mi$on,  qui  forment  le  personne 
des  vaisseaux  anglais.  Sans  doute,  dans  ce  système. 


(1)  Aux  termes  des  règlements  en  vigueur,  des  détachements  de 
troupes  de  marine  peuvent  être  placés,  en  France,  à  bord  des  bAti- 
meats  de  guerre,  ainsi  que  cela  se  pratique  en  Angleterre.  LorsqoMls 
sont  embarqués,  nos  soldats  ou  artilleurs  de  marine  doivent  con- 
courir aveci'équipage  à  toutes  les  manœuvres  basses  ;  ceux  qui  s'of- 
frent pour  les  manœuvres  de  la  mâture  reçoivent  un  supplément  de 
solde.  Ce  précédent  faciliterait  évidemment  la  transformation  com- 
plète de  nos  troupes  de  marine,  mais,  il  ne  but  pas  Toubliar,  les 
détachements  dont  il  s^agit  ici,  ne  sont  pas,  cbez  nous,  de  r^le  con- 
stante, comme  en  Angleterre,  où  200  marines,  en  moyenne,  font 
toujours  partie  de  Véquipage  d'up  vaisseau  armé. 


M  LA  riANGS  8T  DE  l'ANQLBTERBB.  299 

rhomogénéité  n'est  pas  parfaite,  et  nous  ayons  signalé, 
dans  le  courant  de  ce  chapitre,  les  résultats  regrets- 
tables  de  ces  petites  jalousies,  de  ces  rivalités  ridicules 
dont  les  meilleurs  esprits  ne  savent  pas  toujours  se 
défendre.  Nos  voisins  ont  pensé,  cependant,  que  le 
véritable  patriotisme  devait  faire  justice  de  ces  senti- 
ments mesquins;  ils  ont  jugé  qu'une  bonne  réglemen** 
tation  de  la  position,  des  droits  et  du  service  de  cha* 
cun  était  une  barrière  suffisante  à  leur  opposer.  Nous 
croyons  qu'ils  sont  dans  le  vrai.  L'extension  de  la 
marine  à  vapeur,  et  les  modifications  nécessaires  qui 
en  résultent  dans  la  tactique  navale,  ne  feraient  pas 
une  loi,  aujourd'hui,  du  système  dans  lequel  les 
Anglais  ont  persévéré  pour  l'armement  de  leurs  vais*- 
seaux,  que  nous  persisterions  encore  à  regarder  comme 
exagérées  les  craintes  qui  nous  l'ont  fait  abandonner. 
Sur  un  champ  de  bataille,  fantassins,  artilleurs  ou 
cavaliers,  bien  qu'appartenant  à  des*  armes  distinctes, 
se  prêtent  un  mutuel  appui,  et  mettent  de  côté  toute 
rivalité  d'uniforme  quand  il  s'agit  de  l'honneur  du 
drapeau  ;  pourquoi,  sur  le  pont  d'un  vaisseau  français, 
artilleurs,  matelots  ou  soldats  n'oublieraientrils  pas 
toute  jalousie  puérile,  et  ne  oombattraient«*ils  pas  avec 
la  même  union  et  le  même  dévouement  pour  l'honneur 
de  leur  pavillon? 

Le  meilleur  moyen  d'obtenir,  pour  notre  flotte  d 
combat,  les  canonniers  qui  nous  manquent;  le  meilleur 
moyen  d'entretenir  sur  un  pied  respectable  ces  batte- 
ries flottantes  qui  doivent  remplacer  les  batteries  de 
côte  dans  la  défense  des  ports  et  des  arsenaux;  c'est 


300         CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MIUTAIBES 

dans  la  transformation  de  nos  troupes  de  marioe  qu'il 
faut  les  chercher.  Puisqu'à  Tavenir,  de  l'avis  général, 
le  soldat  suffisamment  préparé  est  appelé  à  peser  dans 
la  balance  autant  que  le  matelot  pour  le  jour  du  com- 
bat, ayons  largement,  de  ces  soldats-marins,  tout  ce 
qu'il  nous  faut  pour  garnir  nos  flottes.  Si  TinscriptioD 
maritime  ne  peut  nous  les  fournir,  contentons-nous  de 
lui  demander  Télément  essentiellement  dirigeant  de 
nos  vaisseaux,  et  empruntons  leurs  défenseurs  au  recru- 
tement,^ aux  provinces  de  Tintérieur,  en  soulageant 
d'autant  nos  populations  maritimes  moins  nombreuses 
que  celles  de  nos  voisins. 

Nous  terminerons  cette  étude  comparée  des  troupes 
de  marine  entretenues  en  France  et  en  Angleterre  par 
quelques  renseignements  sur  la  composition,  le  recru- 
tement, Tuniforme,  etc.,  des  marines  anglais. 

L'infanterie  de  marine  porte,  en  Angleterre,  Thabit 
rouge  avec  les  revers  bleus.  L'artillerie,  l'habit  bleu 
avec  les  revers  rouges.  Sur  le  drapeau  du  corps  est 
inscrite  la  devise  :  Per  mare^  per  terram. 

Conformément  au  r^lement  du  1 3  novembre  1858, 
le  nombre  des  officiers  généraux  appartenant  au  royal- 
marines  est  fixé  à  10,  savoir  :  2  généraux,  8  lieute- 
nants-généraux, 5  majors-généraux. 

Un  état-major  assez  nombreux,  semblable,  quant  à 
sa  composition  et  à  ses  fonctions,  à  ceux  des  districts 
territoriaux,  est  dirigé  par  un  député-adjudant-géné- 
rai  et  par  un  assistant-adjudant-général.  Ces  deux 
officiers  doivent  être,  au  moins,  du  grade  de  colonel  et 
de  lieutenaut-coloneh 


DB  LA  FRANGE  ET  DE  L'ANGLETERRE.  SOI 

Deux  officiers  des  royal-marines  du  grade  de  colonel 
portent  le  titre  d'aides-de-camp  de  la  Reine* 

Le  système  du  purchase  ou  de  l'achat  des  commis- 
sions n'étant  pas  admis  pour  l'avancement  dans  les 
troupes  de  marine,  les  officiers  des  divers  grades  ont 
droit  à  une  solde  de  retraite' après  trente  ans  de  ser- 
vice. Les  commandants  des  divisions  doivent  se  retirer 
à  soixante  ans. 

Nous  avons  dit  que  l'artillerie  du  corps  formait 
actuellement  une  division  distincte  dont  le  quartier- 
général  occupait  le  fort  Cumberland.  Elle  est  sous 
les  ordres  d'un  colonel  commandant,  assisté  de  4  lieu- 
tenants-colonels. 

L'infanterie  est  répartie  en  quatre  'divisions,  qui 
occupent  les  garnisons  de  Chatham,  Eortsmouth,  Ply- 
laouth  et  Woolwich. 

On  compte  dans  l'infanterie  li  colonels  comman- 
dants. Il  colonels  commandants  en  second,  18  lieute- 
nants-colonels {Army4ist  de  1860). 

Le  grade  de  major,  comme  dans  les  troupes  de 
l'ordonnance  (artillerie  et  génie),  n'existe  pas  dans  les 
royal-marines. 

n  n'y  a  qu'une  classe  pour  les  capitaines,  et  deux 
classes  pour  les  lieutenants. 

Les  aspirants  au  grade  d'officier,  dans  les  marines, 
portent  le  nom  de  cadets.  La  division  d'artillerie  se 
recrute  en  hommes  et  en  officiers  choisis,  sur  leur 
demande,  dans  les  divisions  de  l'infanterie;  ces  der- 
niers doivent  passer  un  examen  et  suivre  des  cours 


la  balance  autant  que  ^  i  &  t 
bat,  ayons  largement  ïg'^f 


300         CONSTITUTION  ET  PUISSANCE^ 

dans  la  transformation  de  nos  t^  ^  un  (l). 

faut  les  chercher.  Puisqu'à|  f  |  lommes 

le  soldat  sufiBsamment  pné  |:  f  |  orne  on 

qu'il  nous  faut  pourri  |      > 
maritime  ne  peut/|  fi  ^  fusées;  ma- 

lui  demander  V^^^  ''®^  de  campagne, 

nos  vaisseaux  /  '  »  comprenant  les  canons, 

tement,-au'  ■*'  **°*  ^  *6rre  que  sur  mer. 

d'autant  p  ^  **^*  P'^<^  •'^  l>ord. 

que  cell'  ^  '^^  ^^^"^  ^^^^  ou  sans  machines, 

jy^j,       .iites  manières  de  monter  et  de  transporter 

der    •'«•    ,* 

^,  /  Confection,  assemblage  et  préparation  (épissures) 

,  ^cordages;  manœuvre  des  poulies. 

8'  Cours  de  pyrotechnie,  comprenant  la  confection 
<to9  fusées,  des  gargousses,  des  artifices,  des  feux  de 
signaux,  etc.,  avec  une  instruction  spéciale  sur  la  con- 
fection et  les  effets  de  la  poudre,  etc. . . . 

9*  Cours  pratique  d'artillerie,  comprenant  une 
instruction  sur  la  construction  et  l'emploi  des  divers 
canons,  obusiers  et  mortiers  en  usage,  et  sur  leseffirts 

(1)  Le  corps  des  Royal-marines  a  soo  recmtemeni  mmenller 
dont  les  dépenses,  pour  l'année  «860,  ont  été  de  717,600  fnna.  Les 
engagemente  sont  reçus  dans  les  villes  suivantes  ;  BatK  r)^i.,.t^ 
^erôy.  Ea^ier,  Hertford,  Uuntingdon,  Knaresbor<>ugkuZi 
Manchester,  Norwich,  PanUfract.  Salisbury,  SeverLi.  Taul' 
WolverhafnJi>Um.  qui  appartiennent,  e»  géuim,  aux  coatéi  «* 


4  FAANGB  ET  b»  L'AffOLETEUIB.  âOS 

^ies  de  projectiles;  tir  des  boulets 


% 


^K 


yx       _  "et  aperçu,  du  soin  tout  particu- 

%^  "^^^  "le  de  marine  anglaise  est 

^  ^  'otal  du  corps  des  ma- 

\.  otait  de  16,986  en  1860. 

^6  a  demandé  qu'il  fût  porté  à 

j<^  dernières  années/le  chiflfre  moyen  des 
^â  embarqués  a  été  de  9,000.  Nous  avons  dit 
qu'on  en  comptait  200  dans  l'équipage  d'un  vaisseau 
de  ligne.  La  portion  du  corps  qui  n'était  pas  à  la  mer, 
6,000  hommes  environ  pour  tannée  1859-1860,  était 
employée  à  la  garde  des  arsenaux  et  des  ports  dans 
lesquels  résident  les  divisions. 

Si  l'on  tient  compte  de  l'augmentation  d'eflTectif  à 
laquelle  le  gouvernement  anglais  semble  décidé,  on 
voit  que,  pour  l'année  1861-1862,  l'armée  de  terre 
trouvera  dans  les  marines  non  embarqués  un  corps 
auxiliaire  d'excellentes  troupes  dont  le  chiffre  s'élèvera 
de  11,000  à  12,000  hommes.  En  cas  de  guerre, 
l'Angleterre  'devant  armer  un  plus  grand  nombre  de 
vaisseaux,  il  est  difficile  d'évaluer  ce  qui  resterait  de 
disponible  pour  le  service  de  terre,  la  totalité  du  corps, 
très  probablement,  serait  absorbée  par  le  service  de  la 
flotte. 

La  solde  et  les  différentes  fournitures,  cou- 
chage, etc.,  du  corps  des  marines,  coûtent  à  l'An- 
gleterre 11,772,150  francs;  —  l'habillement  coûte 


âO&        CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

986,350  francs;  —  les  frais  de  recrutement,   ete., 
717,500  francs; — les  primes  pour  le  tir,  «SO,000£raDCs. 

—  Total,  18,506,000  francs  (non  compris  les  vivres, 
chauffage,  casernement,  etc.). 

•Pour  un  effectif  à  peu  près  égal  (12,786  fantassins 
et  3,858  artilleurs  de  marine;  —total,  i6,6&A),  la 
France  supporte  les  dépenses  suivantes  : 

Inspection  des  troupes  de  marine,  55,41 6  francs;  — 
solde,  6,220,226francs;  -habillement,  801 ,566francs. 

—  Total,  7,077,206  francs  (non  compris  les  vivres, 
chauffage,  casernement,  frais  d* hôpitaux). 


DE  LA  FRANGE   ET  DE  L'aNGLETEERB,  305 


CHAPITRE  XVI. 

Composition  de  f armée  de  seconde  ligne  en  Angleterre;  corps atKci- 
licùrt  et  réserves  (Suite).  —  Section  2  :  Milice.  Mode  de  recrutd- 
inentdelainilice.— Effectif.— L'enrôlement  volontaire  et ]e&a{{o<. 

—  Durée  du  service.  —  Régiments  en  service  permanent  (em6o- 
died);  —  régiments  désincorporés  {desimbodied}:  —  Glioix  et  no- 
mination des  officiers;  —  analogies  entre  le  ballot  et  la  conscrip- 
tian  des  armées  continentales  ;  —  le  tirage  au  sort  de  la  milice 
peut-il  être  rétabli?  —  Comparaison  entre  les  exemptions  du  ser- 
vice militaire  en  France  et  en  Angleterre  ;  —  inconvénients  de 
l'enrôlement  volontaire;  —  désertion  des  miliciens  ;  —  la  milice 
est  mal  commandée;  —  la  milice  est  mal  instruite;  —  la  milice 
ne  rend  pas  des  services  en  rapport  avec  les  charges  qu'elle  im- 
pose. --  Un  mot  sur  l'organisation  actuelle  de  la  réserve  dans 
Parmée  française.  —  Section  3  :  Yeomanry  ou  milice  à  cheval  : 
Sa  composition.  —  Son  service.  —Ses  privilèges  ;  —  les  imperfec- 
tions de  la  milice  à  cheval  sont  les  mêmes  que  celles  de  la  milice 
à  pied.  —  Effectif.  —  Services  que  pourrait  rendre  la  yeomanry 
en  cas  d'insurrection  ou  d'invasion.  —  Section  à  :  Organisation 
des  pensionnaires  militaires  :  Conditions  de  Tenrôlement;  — 
solde  ;  —  exercices  annuels;  —  dépôts  et  état-major  des  pension- 
naires. —  Effectif.  —  Dépense  annuelle.  —  Tentative  de  coloni- 
sation au  moyen  des  pensionnaires  enrôlés  dans  la  Nouvelle- 
Zélande.— Comparaison  avec  la  colonisation  militaire  de  T  Algérie. 

—  Conclusion  :  Les  services  rendus  parles  pensionnaires  enrôlés 
ne  sont  pas  en  proportion  avec  les  sacriflces  que  leur  institution 
impose  à  TËlat  ;  —  chiffre  des  ressources  effectives  que  la  milice, 
la  yeomanry  et  les  pensionnaires  pourraient  offrir  au  gouverne- 
ment anglais  dans  le  cas  d'un  conflit  soudain. 

SECTION  H. 
MlLiCB  ANGLAISE  {Infanterie), 

L'aniour  tout  particulier  que  professent  les  Anglais 
pour    rinstitution  de  leur  milice  procède  de  deux 

20 


306  GOMSTITOTION  ET  PUISSANCB  MILITAIRES 

sources.  D'un  côté,  cette  force  purement  locale  est  la 
seule  troupe  qui  soit,  à  leurs  yeux,  véritablement  con- 
stitutionnelle et  nationale;  de  Tautre,  elle  a  permis 
pendant  un  demi-siècle  à  nos  voisins  de  réduire  leur 
armée  permanente  à  sa  plus  simple  expression.  Or, 
pour  tout  Anglais,  depuis  le  lord  qui  siège  au  Parle- 
ment jusqu'au  vagabond  qui  ne  sait  où  abriter  sa  tète, 
Tannée  régulière,  le  standing  army^  a  toujours  été  un 
objet  de  défiance,  pour  ne  pas  dire  d'aversion.  Ce  sen- 
timent est  tellement  enraciné,  en  dépit  de  toutes  les 
sauvegardes  de  la  constitution,  en  dépit  du  respect  et 
de  la  soumission  avec  lesquels  le  militaire  s'est  résigné 
à  rhumble  rôle  qui  lui  est  attribué  dans  Poi^anisation 
politique  et  sociale  du  pays,  que  l'armée  a  toujours 
été,  est  et  sera  toujours,  en  Angleterre,  une  sorte  d'é- 
pouvantail  pour  la  nation  et  la  liberté. 

Il  n'est  pas  d'institution  qui,  dans  ces  dernières  an- 
nées, ait  été  aussi  fréquemment  discutée  que  la  milice 
anglaise.  Nous  ne  nous  proposons  nullement  de  passer 
en  revue  tous  les  projets,  tous  les  rapports  auxquels 
cette  discussion  a  donné  lieu.  Encore  moins  tenterions- 
nous  de  présenter  à  nos  lecteurs  l'ensemble  des  actes 
législatifs  qui  réglementent  cette  organisation  (1).  Il 
nous  suffira,  pour  permettre  d  apprécier  le  rôle  que 


(1)  L'acte  du  Parlement  qui  régit  eocore  aujounThui  la  milice 
anglaise  date  du  règne  de  George  III  (â2,  Geo,  lU,  caput  90).  Ce 
document  ne  comprend  pas  moins  de  1,900  folios  consacrés  à  la  ré- 
daction de  plu9  de  2Q0  clauses  différentes. 

On  conçoit  qu'il  est  impossible  aux  lords  lieutenants,  et  aux  as- 
semblées des  comtés  qui  président  à  la  levée  de  la. milice,  d'être  fa- 


DB  LA  FRANCK   IT  DB  L'ANQLBnUE*  307 

remplit  et  la  place  que  tient  la  milice  dans  rétabliwe- 
ment  militaire  de  l'Angleterre,  de  résumer  les  diapoii- 
tioDB  principales  qui  {M^ident  à  la  levée,  à  ringtruc»* 
tion  et  à  Tadministration  de  cette  force. 

La  milice  anglaise  se  recrute  de  deux  façons  :  par 
Tenrôlement  volontaire  et  par  le  tirage  au  sort.  Ce  se* 
cond  procédé,  nommé  ballot,  est  une  sorte  de  conscrip- 
tion déguisée,  mitigée,  qui,  depuis  bngues  années, 
est  tombée  en  désuétude. 

Si  ce  n'est  dans  des  circonstances  exceptionnelles,  la 
milice  ne  doit  pas  servir  hors  du  territoire  du 
Royaume-Uni,  et,  même  dans  ce  cas,  les  miliciens 
employés  à  l'extérieur  doivent  se  proposer  volontaire* 
ment  pour  ce  service. 

.  Les  réunions  et  exercices  auxquels  la  milice  est  sou* 
mise  tous  les  ans,  en  vertu  de  l'Acte  du  Parlement,  ne 
peuvent  durer  plus  de  cinquante-six  jours  ni  moins 
de  trois  jours.  Leur  période  varie  ordinairement  de 
vingt  et  un  à  vingt-huit. 

La  durée  du  service  est  de  cinq  ans.  La  couronne 
n'a  pas  le  droit  d'incorporer  {embody)  les  régiments  de 
la  milice,  c'est-à-dire  de  les  retenir  en  permanence 
sous  les  drapeaux,  à  moins  de  circonstances  graves  e 
dont  la  nature  est  prévue  par  la  loi. 

Nous  avons  expliqué,  dans  un  des  chapitres  précé-» 
deets,  la  nature  complexe  des  attributions  du  lord- 

mUiarisésavec  toutes  les  disposiUoQs  d'une  législation  aussi  formi- 
dable. Aussi  est-on  obligé  de  leur  adjoindre,  pour  la  direction  des 
opérations,  des  hommes  de  \o\  {sollicitors)  qui  remplissent  les  fone- 
tioB0  de  lecrélairet. 


308  CONSTITUTION  BT  PUISSANCE  MILITAIEBS 

lieutenant.  Dans  chaque  comté,  ce  haut  fonctionnaire 
est  chargé  de  lever  et  d'organiser  la  milice.  Il  est  censé 
présider  à  ses  réunions,  à  son  instruction,  à  son  liera- 
ciement.  Le  lord-lieutenant  nomme  des  députés  pour 
le  seconder  dans  ces  diverses  opérations  lorsqu'il  est 
présent,  et  pour  le  remplacer  lorsqu'il  est  absent. 

C'est  aussi  le  lord-lieutenant  qui  choisit  les  ofSeiers 
de  la  milice;  mais  ces  désignations  doivent  être  sou- 
mises à  l'approbation  de  la  couronne.  En  cas  de  refus, 
la  notification  doit  être  faite  dans  les  quatorze  jours 
qui  suivent  la  présentation.  Passé  ce  délai,  la  nomina- 
tion devient  valable  et  définitive  ;  elle  est  publiée  offi- 
ciellement. 

Comme  Faction  du  lord-lieutenant  s'étend  sur  beau- 
coup d'autres  branches  de  l'administration  que  cdies 
qui  touchent  spécialement  à  la  milice  ;  comme  il  est, 
en  général,  le  plus  riche  propriétaire  foncier  du  comté 
qu'il  administre,  on  peut  dire,  dans  un  certain  sens, 
que  c'est  de  leur  comté  que  relèvent  la  milice  et  ses 
officiers.  D'un  autre  côté,  comme  il  en  est  des  nomi- 
nations dans  la  milice,  ainsi  que  de  celles  de  la  plupart 
des  services  publics  où  les  autorités  supérieures  qui 
ont  la  mission  de  proposer  {recommending)  pour  les 
emplois  ont  aussi  latitude  de  désigner  les  candidats  à 
choisir,  il  en  résulte  que,  de  fait,  le  droit  de  conférer 
les  grades  {the  patronage)  est  entre  les  mains  du  lord- 
lieutenant  et  non  du  souverain. 

Les  officiers  de  la  milice,  à  moins  quMls  ne  soient 
Pairs  du  royaume,  doivent  satisfaire  à  certaines  obliga- 
tions de  revenu  foncier.  Pour  un  colonel,  la  loi  exige 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l/ ANGLETERRE.     309 

25,000  fr.;  pour  un  lieutenant-Golonel,  15,000  fr.; 
pour  UD  capitaine,  5,000  fr.,  et  ainsi  des  autres. 

La  loi  sanctionne  également  la  nomination  de  l'hé- 
ritier direct  d'une  fortune  dont  le  revenu  représente 
un  chiffre  double  de  celui  fixé  ci-dessus  pour  le  grade 
conféré. 

Enfin,  dans  les  comtés,  de  deuxième  classe  ou  dans 
les  villes  érigées  en  comtés,  ces  dispositions  sont  en- 
core modifiées,  et  le  revenu  correspondant  à  chaque 
grade  est  plus  ou  moins  réduit 

Un  certain  temps  de  service  dans  Tannée  régulière 
ou  dans  l'armée  indienne  peut  encore  dispenser  de 
toute  justification  de  revenu  foncier. 

Le  but  de  ces  diverses  dispositions  est  évidemment 
de  faire  de  la  milice  une  force  essentiellement  locale  et 
commandée  par  des  oflBciers  que  leur  fortune  rend  in- 


Get  esprit  de  la  loi  ressort  encore  mieux  des  procé- 
dés suivis  pour  la  levée  de  la  milice.  La  mission  de 
réunir  et  d'enrôler  les  miliciens  est  confiée,  comme 
nous  l'avons  dit,  aux  lords-Iieuteoants  et  à  leurs  délé- 
gués, avec  l'aide,  lorsque  le  ministre  de  la  guerre  le 
requiert,  de  ce  que  l'on  nomme  les  assemblées  géné- 
rales ou  subdivisionnaires  de  comté. 

Les  secrétaires  ou  greffiers  qui  doivent  assister  ces 
assemblées  sont  choisis  parmi  les  avocats  exerçant  dans 
le  comté,  et  sont  nommés  par  les  lords-lieutenants  ou 
par  les  députés-lieutenants,  suivant  que  l'assemblée 
est  générale  ou  subdivisionnaire.  Ces  greffiers,  à  cause 
de  la  connaissance  plus  complète  qu'ils  ont  de  la  loi, 


MO  GOHfeTITUTION   ET   PUISSANCE  MIUTÂIRBS 

deviennent  les  véritableB  directeurs  de  toutes  les  opé- 
rations des  assemblées,  ciroonstance  qui  contribue  eih- 
core  à  rendre  plus  tranché  le  caractère  tout  à  fait  local 
de  ht  milice. 

Habituellement,  toutes  les  affaires  traitées  sont  sui- 
vies et  surveillées  par  des  employés  du  ministère  de  b 
guerre  parfaitement  au  courant  de  la  législation  rela- 
tive à  la  milice.  Ces  employés  peuvent,  d'ailleurs,  tou- 
jours réclamer  l'assistance  d'un  jurisconsulte  de  la 
couronne  [crowii  lawofflcer)  ou  de  tout  autre  oonseiUor 
pour  les  questions  qui  présentent  des  difficultés  excep- 
tionnelles (i). 

Nous  n'entrerons  pas  dans  tous  les  détails  pratiqus 
du  recrutement  de  la  milice,  soit  par  Tenrâlement  vo- 
lontaire, soit  par  le  tirage  au  sort.  De  même  que  les 
assemblées  de  comté  présentent  une  certaine  analogie 
avec  nos  conseils  de  révision,  de  même  aussi,  à  l'é* 
poque  où  le  balloi  était  encore  en  vigueur,  l'établisse- 
ment des  listes  de  tirage  avait  lieu  en  Angleterre  par 
les  soins  des  magistrats  municipaux,  à  peu  près  de  la 
môme  manière  que  celui  des  listes  d'appel  pour  la  con- 
scription par  les  maires  de  nos  communes.  11  y  avait 
encore  une  grande  analogie  entre  la  manière  dont  les 

(1)  A  répoque  où  le  ballot  était  en  vigueur,  ces  délégués  du  mi- 
nistre de  la  guerre  tenaient  évidemment,  dans  les  assemblées  de 
oomtés,  la  place  des  membres  miUtaires  siégeant  daosaos  oonsdisde 
révision,  et  chargés  de  défendre  les  intérêts  de  Tarmée  et  de  FËUt, 
comme  les  membres  civils,  préfets,  conseillers  de  préfecture,  elc, 
qui  correspondent  aux  lords  lieutenants  et  à  leurs  députés,  sont 
charge  da  représenter  les  Intérêt»  des  in«iviafi|  et  d«9  ooroshioei. 


DC  LA  FRANCS   ET  DB  l'aKQLRCIRB.  SU 

aasemblées  de  comté  arrêtaient  les  états  de  répartition 
du  contingent,  et  la  même  opération  telle  qu'elle  est 
pratiquée  chez  nous  par  le  préfet  en  conseil  de  préfeo- 
tare. 

Comme  chez  nous,  un  médecin  visitait  aussi  les 
jeunes  gens  tombés  au  sort  et  éclairait  rassemblée 
dans  le  cas  d'incapacité  physique.  Enfin,  comme  le 
fait  remarquer  M.  Dupin,  «  dans  un  pays  où  l'esprit 
«  d'association  s'applique  à  tous  les  besoins,  à  toules  les 
»  circonstances  eitraordinaires  des  affaires  et  de  la 
»  vie  »  ^  on  n'atait  pas  manqué  d'étendre  cette  applioih 
tien  aux  remplacements  de  la  milice.  Généralement, 
les  jeunes  gens  se  réunissaient  entre  eux  et  formaient 
un  fonds  commun,  ou  bien  les  paroisses,  pour  éviter  le 
tirage  ou  pour  en  diminuer  les  chances,  consentaient  à 
s'imposer  volontairement,  de  manière  à  payer  dos 
remplaçants.  Enfin,  comme  dernier  trait  de  ressem*^ 
faiance  avec  ce  qui  avait  lieu  en  France  avant  la  loi  sur 
la  dotation  de  l'armée,  l'Angleterre,  à  l'époque  où 
fiorisêaii  le  ballot^  avait  aussi  ses  agences  ou  compa*- 
gnîes  de  romplacement,  dont  les  procédés  et  l'odieux 
trafic  étaient  uniquement  basés  sur  la  démoralisation 
des  basses  classes  (1). 

En  résumé,  la  législation  relative  à  la  milice  an^ 
glaise,  au  moins  en  ce  qui  regarde  son  recrutement 

(1)  \A  nouvelle  législation  qui  régit  rarmée  française  a  fait  dis- 
paraître les  abus,  en  abolissant  le  remplacement  par  les  Compagnies, 
mais  ils  subsistent  toujours  en  Angleterre,  et  nous  aurons  occasion 
âe  lês  coilsiater  quand  nous  traiterons  du  recrutement  de  l'armée 
britttiBlqiie. 


312  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

par  le  tirage  au  sort  (mode  non  pratiqué  aujourd'hui, 
bien  que  non  aboli),  ressemble,  à  beaucoup  d'^rds,  à 
notre  loi  française  sur  la  conscription.  Il  est,  toutefois, 
une  remarque  importante  à  faire  ici  :  chez  nos  voi* 
sins,  -non-seulement  la  loi,  mais  même  les  détails  les 
plus  minutieux  de  son  application,  sont  réglés  par  acte 
du  Parlement.  11  en  résulte  qu'aucune  amélioration  ne 
peut  être  apportée  à  institution  de'  la  milice,  aucune 
réforme  réclamée  par  le  cours  des  années  ou  nécessi- 
tée par  le  changement  des  circonstances  ne  peut  être 
accomplie  sans  un  acte  d'abrogation  {repeal)  émanant 
du  Parlement  lui-même.  Or,  nous  savons  tout  ce 
qu'une  pareille  mesure  entraîne  de  commissions,  d'en- 
quêtes, de  rapports,  de  livres  bleus...,  et  finalement  de 
temps  perdu.  Aussi  la  milice  se  recrute-t-elle  encore 
aujourd'hui  comme  il  y  a  cent  ans.  Le  ministre  a  bien 
le  droit  de  prendre  certains  arrêtés  analogues  à  ce  que 
Ton  appelle  les  articles  de  guerre  {articles  of  loor)  ; 
mais  ces  décisions  ne  doivent  pas  porter  atteinte  à 
la  loi,  et  encore  ne  sont-elles  exécutoires  qu'après 
avoir  été  examinées  et  approuvées  par  le  Parlement. 
A  moins  de  circonstances  exceptionnelles,  avons- 
nous  dit,  le  souverain  n'a  pas  le  droit  d'incorporer  la 
milice,  c'est-à-dire  de  la  tenir  en  permanence  sous  les 
drapeaux.  Ces  cas  exceptionnels  sont  :  la  guerre  avec 
une  puissance  étrangère,  l'invasion  du  territoire  ou  la 
menace  imminente  d'une  agression  de  ce  genre  ;  la  ré- 
bellion ou  l'insurrection  d'une  partie  du  Royaume- 
Uni.  Dans  ces  différents  cas,  le  gouvernement  ne  peut 
convoquer  la  milice  sans  avoir  préablement  exposé  ses 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  L  ANGLETERRE.  *    313 

motifs  au  Parlement.  Si  celui-ci  ne  siège  pas,  la  décla- 
ration de  ces  motifs  doit  être  faite  en  conseil  et  leur 
publication  doit  suivre  immédiatement  II  résulte  de 
ces  dispositions  que,  dans  le  cas  où  une  puissance 
étrangère  viendrait  à  effectuer  soudainement  un  débar- 
quement sur  les  côtes  de  TÂngleterre,  le  ministère  ne 
pourrait  pas  réunir  la  milice,  et  encore  moins,  la  mettre 
en  campagne,  avant  d'avoir  perdu  plusieurs  jours  à  en 
informer,  soit  le  Parlement,  soit  le  pays  (par  une  pro- 
clamation). Inutile  de  faire  observer  que  l'un  ou  l'autre 
de  ces  procédés  est  également  favorable  à  l'ennemi, 
qui  non-seulement  peut  mettre  à  profit  ces  délais,  mais 
encore  se  trouve  informé  des  dispositions  prises  pour 
le  combattre. 

Nous  avons  dit  que  le  recrutement  de  la  milice  ne 
s'opérait  plus  que  par  enrôlement  volontaire.  Beau^ 
coup  de  personnes  ont  émis  l'opinion,  dans  ces  der- 
niers temps,  qu'il  n'y  avait  plus  de  salut  pour  la 
Grande-Bretagne,  si  ce  n*est  dans  une  réforme  radicale 
de  la  législation  qui  régit  la  milice  et  dans  le  rétablis- 
sement du  tirage  au  sort.  Or,  ce  n'est  pas  une  question 
sans  intérêt  que  d'examiner  jusqu'à  quel  point  le  ballot 
peut  être  remis  en  vigueur.  Outre  que  ce  mode  de  re- 
crutement a  toujours  été  antipathique  au  peuple  an- 
glais, certaines  dispositions  sans  impoiiance  peut-être 
il  y  a  un  siècle,  et  quand  la  loi  fut  promulguée,  ren- 
draient certainement  aujourd'hui  son  application  im- 
possible :  nous  voulons  parler  de  ces  exemptions  mul- 
tipliées qui  blesseraient  et  froisseraient  d'une  façon 
intolérable  des  sentiments  d'égalité  et  de  justice  dont 


bih       GomimmoN  et  puissance  militaiiies 

le  progrès  parmi  les  masses  devrait  être  d'autant  moins 
méconnu,  que  ces  aspirations  nouvelles  sont  autant  de 
menaces  à  l'adresse  de  Taristocratie  et  des  dasses  pri- 
vilégiées. 

En  France,  les  exemptions  du  service  militaire  sont 
admises  comme  en  Angleterre,  mais  avec  cette  ioh 
mense  différence  que,  dans  aucun  cas,  elles  ne  consti- 
tuent un  privilège  pour  tel  ou  tel  individu.  Les  inté- 
rêts collectifs  de  la  famille,  de  l'État,  de  l'armée, 
représentent  les  titres  divers  sous  lesquels  se  classent 
chez  nous  les  exemptions;  ce  sont  les  seuls  pris  en 
considération.  Chez  nos  voisins,  au  contraire,  si  le 
baUoê  était  rétabli,  une  foule  de  gens,  aux  termes  de  la 
loi,  seraient  affranchis  de  l'obligation  de  participer  au 
tirage,  sans  qu'aucune  raison  valable  puisse  être  invo- 
quée à  l'appui  de  leur  exemption. 

Certes,  nous  comprenons  ceux  qui,  de  l'autre  oMé 
du  détroit,  demandent  le  rétablissement  du  senice 
obligatoire  dans  la  milice  {campulsary  military  iernicel 
Comme  eux,  nous  pensons  qu'une  pareille  mesure  ne 
saurait  mettre  la  véritable  liberté  en  péril;  comme 
eux,  nous  sommes  d'avis  que  quiconque  a  rhonneur 
et  le  bonheur  à  la  fois  d'appartenir  à  un  grand  peuple 
ne  saurait  décliner  les  obligations  d'une  nationalité 
dont  il  accepte  les  bénéfices. 

Mais  qui  donc  aurait  le  droit  de  tenir  un  pareil  lan- 
gage au  peuple  anglais?  EiitM}e  le  magistrat,  le  juge,  le 
procureur,  etc.,  chargés  de  rendre  la  justice,  et  qui, 
par  la  plus  révoltante  des  iniquités,  se  trouvent  admis 
au  bénéfice  d'une  exemption  d'autant  plus  inexplicable 


M  LA  FRAltCB  8T   DE  L'AHGLIStfillâB*  M  5 

que  la  présentation  d'un  remplaçant  (toujours  facile  à 
trouver  à  prix  d'argent),  étant  autorisée  par  la  loi,  ce 
sont  en  définitive  les  moins  aisés,  sinon  les  plus 
pauvres,  qui  se  trouvent  suppoiier  la  charge  dont  leur 
richesse  est  exonérée. 

Est-ce  le  pair  d'Angleterre,  par  exemple,  qui  vien- 
dra proclamer  que  la  défense  de  la  patrie  est  le  plus 
noble  des  devoirs,  lorsque  sa  nobleêMê  est  précisément 
ce  qui,  l^alement-,  lui  permet  de  s'en  dispenser? 
N*est-il  pas  pitoyable  qu'un  iord  puisse  se  retrancher 
derrière  un  titre  le  plus  souvent  gagné  par  la  valeur 
militaire  de  ses  aïeux  lorsqu'il  s'agit  de  contribuera  la 
défense  de  l'empire  qu'ils  ont  fondé? 

Dans  la  liste  interminable  des  cas  d'exemption  pré^ 
vus  par  la  loi  sur  la  milice  anglaise,  on  pourrait  signa- 
ler encore  une  foule  d'anomalies,  toutes  plus  bizarres 
les  unes  que  les  autres.  Ainsi,  on  ne  comprend  guère 
pourquoi  les  procureurs  {altomies)  et  les  grefflerti 
{artielêdderks)  sont  plutôt  exempts,  par  exemple,  que 
les  avocats,  les  avoués  ou  les  médecins.  On  peut  en 
dire  autant  des  savants,  des  membre»  résidents  des 
collèges,  et  d'une  foule  d'autres  remplissant  un  rMe 
plus  ou  moins  actif  dans  les  universités,  et  qui  jouissent 
en  Angleterre  d'une  immunité  exclusivement  réservée 
chez  nous  au  clergé  et  au  corps  enseignant. 

A  défaut  du  tirage  au  sort,  dont  T  imparfaite  légiala- 
tion  ne  pourrait  sans  danger,  suivant  nous»  être  remise 
en  vigueur,  c'est  l'enrôlement  volontaire  qui  sert  à  re- 
cruter la  milice  anglaise. 

Tout  homme  qui  veut  s'engager  dans  ce  corps  doit 


dl6         CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MIUTAIRES 

remplir  certaines  conditions  d'âge  et  de  taille  qui  ODt 
souvent  varié  et  que  nous  discuterons  plus  loin  quand 
nous  examinerons  les  propositions  de  la  dernière  com- 
mission d'enquête  sur  la  milice.  Tout  enrôlé  a  droit  à 
une  prime  de  6  livres  ou  150  fr.,  et  touche  un  habil- 
lement complet.  Quant  à  la  prime,  si  le  r^iment  est 
incorporé  {embodied)^  elle  est  payée  de  la  manière  sui- 
vante :  5  shellings  au  moment  où  l'enrôlé  est  inscrit 
{aUesled)j  et  15  autres  shellings  lorsque  son  admissicm 
est  déclarée  définitive.  Les  5  autres  livres  sont  divisées 
en  payements  trimestriels  de  5  shellings  pendant  la 
durée  des  cinq  années  de  service.  A  l'expiration  de 
son  engagement,  le  milicien  qui  se  rengage  touche  une 
seconde  prime  et  un  nouvel  équipement.  Chaque  fois 
qu'un  r^iment  est  désincorporé  {disembodied),  le  mili- 
cien demeure  propriétaire  de  son  uniforme,  et  il  lui  eo 
est  délivré  un  neuf  en  cas  de  rappel  au  service  perma- 
nent. 

Lorsqu'un  milicien  s'engage  dans  un  régiment  désin- 
corporé, il  reçoit  10  shellings  au  moment  de  son  ad- 
mission, et  1  livre  et  1  shelling  à  chaque  réunion  an- 
nuelle. Pendant  ces  réunions,  qui  durent  de  vingt  et 
un  à  vingt-huit  jours,  et  qui  sont  consacrées  aux  exer- 
cices et  manœuvres,  chaque  milicien,  indépendam- 
ment de  la  portion  de  sa  prime,  touche  la  solde  de 
l'armée  régulière.  La  première  année,  il  lui  est  déli- 
vré, au  moment  de  la  période  des  exercices,  un  uni- 
forme complet  et  un  équipement  composé  de  chemises, 
mouchoirs,  bottes,  ustensiles  de  propreté,  etc.,  qu'il 
est  tenu  de  verser  en  magasin  lorsque  les  exercices 


DE  LA  FEANCE    ET  DE  L'ANGLETERRE.  317 

sont  terminés.  Il  peut,  toutefois,  moyennant  un  prix 
très  modéré,  emporter  certains  de  ces  effets  avec  lui 
lorsqu'il  rentre  dans  ses  foyers. 

Nous  avons  cru  opportun  d'entrer  dans  ces  détails,  à 
cause  de  la  ressemblance,  plus  apparente  que  réelle, 
qui  existe  entre  l'organisation  de  la  milice  anglaise 
(désincorporée)  et  celle  donnée  tout  récemment  à  la 
réserve  de  l'armée  française.  Chez  nous,  les  jeunes 
gens  de  la  réserve  sont  réunis  pendant  trois  mois  la 
première  année,  deux  mois  la  seconde  et  un  mois  seu- 
lement la  troisième.  Ces  trois  stages  accomplis,  ils. ne 
sont  plus  convoqués  jusqu'à  leur  libération  définitive 
des  obligations  du  service,  à  moins  que  les  circonstances 
n'obligent  à  les  appeler  d'une  manière  permanente 
sous  les  drapeaux.  Comme  les  miliciens  anglais,  nos 
hommes  de  la  réserve,  lorsqu'ils  sont  réunis  pendant 
les  périodes  d'exercices,  reçoivent  la  solde  de  l'armée 
active.  Ils  sont  également  pourvus  de  l'habillement,  de 
l'équipement,  de  l'armement  et  des  effets  nécessaires  à 
leurs  besoins  et  à  leur  instruction. 

En  dehors  de  ces  quelques  points  communs,  les 
deux  institutions  cessent  de  présenter  la  moindre  ana- 
logie, et  les  différences  radicales  que  nous  allons  signa-- 
1er  sont  loin  d'être  à  l'avantage  de  l'organisation  de  la 
milice  anglaise.  En  premier  lieu,  les  hommes  de  la  ré- 
serve ne  touchent  en  France  aucune  prime  ni  gratifi- 
cation, ce  qui  constitue  déjà  une  lourde  charge  pour 
le  trésor  anglais.  D'un  autre  côté,  ces  primes,  dont  la 
nécessité  est  une  conséquence  du  mode  de  recrutement 
par  nos  voisins,  ouvrent  la  porte  à  une  foute 


3(8         CONSfiTUTlOII  ET  FinSSANGS  MIUTAIRW 

d'abus.  Ëllei  soot  la  source  de  fraudes  continuelles. 
Nombre  d'hommeft  s'engagent  suocessivemeot  dans 
plusieurs  r^iments  et  désertent  après  avoir  touché  la 
portion  de  la  prime  qui  se  paye  comptant. 

On  aura  une  idée  du  désordre  qui  règne  à  cet  ^;ard 
par  les  paroles  suivantes  de  lord  Hamilton  devant  la 
commission  d'enquèle  (1)  :  «  Les  régiments  de  Dublin 
»  semblaient  presque  au  complet  sur  le  papier;  mal- 
»  beureusemeot,  les  hommes  qui  les  composaient  en 
»  avaient  fait  le  tour  et  s'étaient  engagés  successive- 
»  ment  dans  les  trois  régiments,  où  ils  comptaient  en 
x>  même  temps.  Si  bien  que  ces  corps  ayant  été  convo- 
»  qués  avec  intention  pour  le  même  jour,  U  plupart 
»des  hommes  n'osèrent  se  présenter  dans  aucun,  mais 
»ils  avaient  parfaitement  touché  la  prime  dans  les 
»  trois.  » 

Le  défaut  le  plus  capital  de  la  milice  anglaise,  c'est 
son  manque  d'instruction  militaire,  et  l'on  ne  saurait 
vraiment  en  être  étonné  lorsqu'on  réfléchit  aux  condi- 
tions dans  le^uelles  elle  est  commandée  et  exercée. 

Pendant  la  paix,  le  grade  des  officiers  est  purement 
honorifique.  Leur  régiment  n'étant  pas  incorporé,  ils 
ne  possèdent  aucune  connaissance  de  leur  métier  et 
sont  sans  moyen  de  l'acquérir.  Ces  officiers  sont  de 
tout  Âge,  de  toute  profession.  En  réalité,  leur  unique 

(i)  «  Take  Uie  Dublin  regimenU  :  Uiey  were  nearly  ail  faU;  tiie 
feUows  bad  just  gone  (he  round,  and  enlisted  in  the  Uiree  régi- 
ments; they  were  purposely  called  out  on  the  same  day,  and  the 
fellawt  did  not  dare  to  go  to  any  one  et  Uieiii,  but  th«y  had  gol  ail 
Uie  bounty.  » 


DE   LA   FBANCI    ET  DE   l'aNGLETBBKE.  319 

but,  en  acceptant  leur  emploi,  c'est  de  pouvoir  porter 
un  uniforme  à  la  cour  ou  dans  quelques  cérémonîeB 
officielles.  Si  les  circonstances  viennent  à  réclamer  de 
leur  part  un  service  effectif,  la  plupart  de  cesoflSciers 
abandonnent  leur  poste,  mais  après  l'avoir  conservé 
trop  longtemps,  malheureusement.  De  pareils  chefii, 
servant  sans  aucune  intention  arrêtée  d'acquérir  ja- 
mais la  connaissance  de  leurs  devoirs,  sont  une  véri<* 
table  plaie  pour  la  milice  anglaise.  La  plupart  ne 
peuvent  qu'apporter  l'indifférence  la  plus  profonde  à 
rinstruction  et  aux  progrès  des  régiments  auxquels  ils 
sont  attachés.  Si,  par  aventure,  il  s'en  trouve  dans  le 
nombre  quelques-uns  plus  consciencieux  et  plu3  xélés, 
leur  profession  ou  leur  situation  dans  le  monde  les 
oblige  souvent,  comme  les  autres,  à  s'éloigner  de  leur 
corps,  quelquefois  précisément  au  moment  où  leur 
présence  serait  plus  utile  et  plus  nécessaire. 

On  pourrait  sans  doute  remédier  à  cet  inconvénient 
en  choisissant  les  officiers  de  la  milice  parmi  les  offi- 
ciers de  l'armée  en  retraite  ou  en  demi-solde  {lialf 
pay)  [i]  ;  mais  le  patronage  exercé  par  les  lords-lieu- 
tenants est  un  obstacle  à  cette  combinaison.  C'est  à 
peine  si  l'adjudant,  c'est-à-dire  la  cheville  ouvrière  de 
l'état-major  et  du  régiment  de  la  milice,  sort  toujours 
de  l'armée  régulière.  Le  bon  plaisir  est  la  seule  règle 

(I)  Nous  verrons  ailleurs  qu'il  existe  dans  l*armée  aaglaise  un 
oômlire  eoasidérable  d'oflieiers  eu  demi-eolde  dont  le  traitemeiH 
constitue  une  iouide  charge  pour  ie  budget.  En  IS60,  le  nombre  de 
o«  oflicien,  qui  ne  rendainDt  aucun  service,  dépassait  9,0«0,  et  ils 
ne  ooftuient  pas  moins  de  A00,000  liv.  ou  i9  siillions  à  l*Éial. 


320  GONSTITUTIOK  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

qui  détermine  la  plupart  des  nomioations.  On  ne  sau- 
rait croire  en  France,  avec  les  idées  de  justice,  avec 
les  habitudes  d'impartialité  et  de  déférence  pour  le  bien 
du  service  qui  président  aux  promotions  militaires,  on 
ne  saurait  croire  à  quel  point  le  népotisme  infecte  Tar- 
mée  britannique. 

Les  scandaleux  exemples  de  favoritisme  et  de  mé- 
pris pour  les  services  rendus  et  les  droits  acquis  dont 
les  journaux  militaires  anglais  sont  remplis,  permet- 
traient seuls  d'apprécier  toute  l'étendue  du  mal  qui 
mine  et  ronge  l'armée  britannique  (1). 

(1)  Dans  un  pays  où  règne,  comme  en  Angleterre,  la  liberté  de 
tout  dire  et  de  tout  écrire,  le  bien  comme  le  mal,  sans  eboix  et  sans 
mesure,  il  est  possible  que  parmi  les  plaintes  auxquelles  nous  (ai- 
sons  allusion,  certaines  soient  Técho  de  griefs  imaginaires,  ou  Tex- 
pression,  fort  peu  intéressante,  d'ambitions  illégiUmes  et  justement 
déçues  :  aussi,  ne  leur  accorderions-nous  qu'une  confiance  très  li- 
mitée, si  nous  ne  trouvions  dans  des  documents  ofOciels,  dans  des 
discussions  et  des  rapports  parlementaires,  les  preuves  irrécusables 
de  ce  système  odieux  dont  le  régime  du  purchase  est  le  premier  auxi- 
liaire dans  Tarmée  régulière,  et  contre  lequel  sont  venus  échouer  tous 
les  efforts  des  réformateurs  les  plus  dévoués  aux  intérêts  miliuires 
du  Royaume-Uni. 

Nous  disons  que  les  exemples  sont  nombreux,  mais  pour  ne  i)arler 
que  des  abus  qui  intéressent  la  milice  et  la  façon  déplorable  dont 
ses  officiers  sont  nommés,  nous  nous  bornerons  aux  suivants  : 

Dans  un  procès  qui  a  fait  beaucoup  de  bruit  chez  nos  voisins,  nous 
voyons  un  colonel  de  la  milice,  lord  W...,  déclarer  «  qu'il  ne  connaît 
pas  le  premier  mot  de  ses  devoirs,  »  et  qu'il  s'en  remet  entièrement, 
pour  leur  accomplissement,  aux  soins  de  son  lieutenant-colond.  Le 
même  chef  de  corps  reconnaît  qu'il  n'est  jamais  H  la  tète  de  sou  ré- 
giment, et  que,  pendant  la  période  ^e  son  Incorporation,  U  n'y  a 
paru  qu'une  seule  fois.  —  Interrogé  sur  le  montant  des  appoin- 
tements touchés  pour  un  service  aussi  fatigant,  et  des  devoirs  aussi 


DE  LA  FRANGE    ET  DE  l'aNGLETEBBE.  321 

Nous  Tenons  de  voir  comment  les  régiments  de  la 
milice  étaient  commamiés  :  est-il  nécessaire  mainte- 
nant d'insister  sur  l'insuffisance  du  temps  consacré 
aui  manœuvres  pour  expliquer  leur  défaut  d'instruc- 
tion? 

Quels  i-ésultats  peut-on  raisonnablement  obtenir 
avec  vingt-huit  jours  d'exercices  et  sous  la  direction 
d'officiers  aussi  peu  expérimentés  que  ceux  dont  nous 
avons  fait  le  portrait? 

Si  du  moins  les  r^ments  de  la  milice  anglaise,  an 
lieu  de  se  former  sur  eux-mêmes,  au  lieu  d'être  réunis 

activement  remplis,  lord  Yi...  répond  qo*il  ne  le  connaît  pas  au 
juste,  mais  qu'il  a  pu  recevoir  quelque  chose  comme  500  livres  ou 
12,500  francs  par  an  ! 

Ailleurs,  c*est  lord  P...,  qui  nomme  colonel  (et  dans  un  régiment 
d*artillerle  de  milice  Incorporée)  un  jeune  homme  ayant  à  peine 
quelques  mois  de  service,  et  qui  lui  donne  ainsi  le  pas,  non-seule- 
ment sur  les  anciens  officiers  de  ce  corps,  mais  encore  sur  les  lieu- 
tenants-colonels de  l'armée  régulière.  [Voir  le  chapitre  des  pré- 
séances.) 

Enfin,  que  dire,  surtout,  des  renseignements  suivants  mte  au  Jour 
par  la  commission  d'enquête  sur  Tétat  de  la  milice  : 

Dans  un  régiment  dont  le  colonel  vient  de  mourir,  il  se  trouve 
(bonne  fortune  bien  rare)  deux  majors,  ayant  tous  deux  servi  long- 
temps  dans  Tarmée  régulière,  et  comptant  des  campagnes.  Certes,  le 
choix  du  lord  lieutenant  sera  facile;  Tun  ou  l'autre  de  ces  officiers 
supérieurs  va  être  appelé  à  recueillir  la  succession  du  défunt?  Nulle- 
ment :  le  lord  lieutenant,  lord  L...,  trouve  beaucoup  plus  naturel 
dénommer...  son  propre  fils,  qui  n'a  jamais  servi  de  sa  vie  dans 
aucun  corps,  qui  est  moins  ancien  que  quatre  capitaines,  ses  col- 
lègues, et  qui,  enfin,  quelques  semaines  à  peine  auparavant,  mettait 
le  pied  pour  la  première  fois  sur  un  terrain  de  manœuvres! 

La  conséquence  d'une  pareille  nomination  fut  et  devait  être  la 
désorganisation  du  régiment. 

21 


.993  COmTlTimONET  PUnSANOS  MtLITAIBBS 

isolément,  étaient  embrigadés  avec  les  fégiments  de 
Tarmée  régulière,  ils  pourraient  eneore  tirer  quelque 
bén^ce  de  oe  rapprochement  momentané. 

fin  France,  pour  la  période  des  eiercioea  annuels, 
les  jeunes  gens  de  la  réserve,  artilleurs,  cavaliers  ou 
fantassins,  sont  dirigés  sur  les  régimente  de  leur  artne 
le  plus  à  proximité  de  leurs  rénideoces  respectives* 
Bien  que  le  soldat  français  passe  pour  le  plus  facile  et 
le  plus  prompt  à  dresser  ;  bien  que  Tarmée  active  pré* 
sente  en  officiers  et  sous^officiers  instructeurs  toutes  les 
ressOurees  désirables,  irm  mois  semblent  bien  courti 
pour  la  tftche  à  remplir.  Que  peuvent  faire,  nous  le 
demandons  encore,  les  miliciens  anglais  en  vi$tgi'huii 
jours? 

Si  de  ce  chiffre  nous  déduisons  trois  ou  quatre  jours 
employés  à  distribuer  les  effets  et  les  armes  à  l'arrivée, 
et  à  les  réintégrer  en  magasin  au  départ;  —  si  nous 
défalquons  trois  ou  quatre  dimanches ,  et ,  en 
moyenne,  chaque  année,  autant  de  jours  de  pluie  pen- 
dant lesquels  le  travail  est  forcément  interrompu,  c'est 
à  peine  s'il  reste  quinze  jours  francs  pour  Finstruction. 
C'est  tout  au  plus  si  les  officiers  et  les  sous-officiers 
connaissent  leur  place  de  bataille  et  si  les  hommes 
doivent  savoir  porter  leur  arme  quand  le  moment  ar^ 
rive  de  renvoyer  les  uns  et  les  autres  dans  leurs 
foyers  (1). 


(I)  Les  panisiins  de  la  milice  anglaise  ne  jnanquent  Jamais  4V 
quer  le  souvenir  des  régiments  incorporés  pendant  la  fuem  de 
Crimée,  et  qui,  réunis  à  Àldershott,  k  Celchester,  à  Gurtigli,  elc, 
ne  le  cédaient  en  rien  aux  régiments  de  la  ligne.  Sans  diacoto*  J»^ 


DB  U   FaANCP  6T  DE .  l'aNGLKTBERE.  i&i 

Nous  croyons  en  ayoir  assez  dit  pour  permettre  k 
DOS  lecteurs  d'apprécier  les  imperfections  sans  nombre 
de  la  milice  anglaise.  Mal  commandée,  mal  instruite^ 
partant  de  très  mince  valeur,  tactiquement  parlant, 
elle  impose  cependant  à  l'État  des  sacriSces  hors  de 
toute  proportion  avec  les  services  qu'elle  peut  rendre. 
En  cas  de  guerre  et  de  danger  pressant,  le  concours 
qu'elle  pourrait  offrir  à  l'armée  régulière  vaudrait  tout 
au  plus,  pendant  les  six  premiers  mois  de  son  incor* 
poration,  celui  des  volontaires,  dont  nous  parlerons 
dans  le  prochain  chapitre. 

En  temps  de  paix,  la  milice  permet  à  la  noblesse 
des  comtés  {land^d  gentry)  de  jouer  au  soldat;  elle 
procure  à  ses  membres  une  sorte  de  considération  mi^ 
lilaire  très  improprement  fondée  sur  la  supposition 
des  services  qu'ils  rendent  à  l'État.  Tout  cela  est  fort 
innocent,  et  de  pareils  amusements  n'auraient  rien  de 
répréhensible,  si,  comme  ceux  des  volontaires,  ils  ne 
coûtaient  rien  à  l'État  et  s'ils  n'étaient  pas  surtout  le 
prineipal  obstacle  à  tout  perfectionnement.  Malheu- 
reusement pour  nos  voisins,  il  n'en  est  pas  ainsi. 

Avec  un  établissement  nominal  de  120,000  hommes 
et  un  état-major  proportionné  à  ce  chiffre,  tous  les 
régiments  de  milice  de  l'Angleterre  et  de  l'Irlande,  de 
l'avis  des  gens  les  plus  compétents,  ne  fourniraient 

4ii*ii  iiiiei  point  eeiu  aMertfon  est  exucte,  ooin  ferais  observer  qtie 
cm  régtmDU  n'éttlsnt  arrivés  H  cette  situation  saUsraisante  que 
par  lin  naintieo  prolongé  sons  lesdrapeaux.  Cette  objection  est  donc 
MM  vrioar  conaM  réponse  aux  ImpnUitlons  de  la  mfifoe  désfo. 
corporée. 


92t  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

pas,  s'ils  étaient  incorporés,  plusde  60,000  hommes  (1  ). 

Ces  régiments  sont  au  nombre  de  160,  dont  27  d'ar- 
tillerie et  le  reste  d'infanterie.  Le  nombre  de  ceux  qui 
sont  incorporés  {emhodied)  a  toujours  été  en  diminuant 
depuis  quelques  années.  En  1859,  il  y  en  avait  encore 
37  (dont  13  d  artillerie),  formant  un  effectif  de  20  à 
22,000  hommes.  Au  commencement  de  1861,  on  ne 
compte  plus  que  6  régiments  d'artillerie  et  &  d'infan- 
terie en  service  permanent. 

Ces  10  régiments  incorporés  comportent  un  effectif 
de  5  à  6,000  hommes,  qui  représentent  en  réalité  tout 
ce  que  la  milice'Jpourrait  mettre  en  ligne  à  l'heure  où 
nous  écrivons.  Quant  aux  50  ou  55,000  hommes  de  la 
milice  désincorporée,  qui,  théoriquement  parlant,  sont 
censés  pouvoir  être  appelés  instantanément  sous  les 
drapeaux,  nous  savons  ce  que,  dans  la  pratique,  vaut 
cette  illusion. 

Les  miliciens  désincorporés  ne  doivent  compter  que 
sur  le  papier,  et,  dans  un  cas  pi^essant,  ces  auxiliaires 
seraient  d'autant  plus  dangereux  que  la  confiance 
qu'on  leur  accorderait  serait  basée  sur  la  supposition 
de  qualités  militaires  qu'Us  ne  peuvent  posséder. 

(1)  Cette  énorme  différence  provient  de  plusieurs  causes  :  d*abord, 
un  grand  nombre  d'hommes,  pour  toucher  la  prime,  s'engagent 
successivement,  et  comptent  k  la  fois,  c^mme  nous  Tavons  dit,  dans 
plusieurs  régiments.  Quelques-uns  s*enr6lent  avec  rintentloo  bien 
arrêtée  de  re  {amais  rejoindre;  d*autres  sont  morts  ou  malades; 
d'autres  sont  partis  pour  TAustralie  ou  rAmérique;  d'autres  ont 
changé  de  comté;  beaucoup,  enfin,  qui  se  sont  enrôlés  en  qualité 
de  célibatain«,  prouveraient,  s'il  fallait  marcher,  qu'ils  sont  mariés 
et  qu'ils  oi.l  des  enfants,  etc.,  etc. 


DE  LA  FHANGE  BT  D£  l'aNGLBTEEEE.  S25 

Nous  avons  dit  ce  que  nous  pensions  de  Tinfanterie 
de  la  milice.  Les  mêmes  observations  s'appliquent  à 
rartillerie.  Là,  plus  que  partout  ailleurs,  Torganisa- 
tioD  devient  une  véritable  plaisanterie  (1).  A  l'époque 
des  guerres  de  la  République  et  de  l'Empire,  la  milice 
anglaise  ne  comprenait  pas  d'artillerie;  depuis  que 
rimportance  de  cette  arme  est  devenue  prépondérante 
dans  les  dernières  campagnes;  depuis  surtout  qu'un 
grand  nombre  de  forts  et  de  batteries  ont  été  élevés 
sur  les  côtes  d'Angleterre,  on  a  jugé  nécessaire  de  mé- 
nager des  auxiliaires  à  l'artillerie  de  ligne,  comme  on 
l'avait  fait  à  l'égard  de  l'infanterie  et  de  la  cavale- 
rie (2).  L'artillerie  de  la  milice  est,  du  reste,  organisée 
dans  les  mêmes  conditions  que  l'infanterie,  et,  comme 
cette  arme  spéciale  réclame  plus  impérieusement  que 
toiite  autre  des  officiers  instruits  et  des  hommes  soi- 
gneusement exercés,  on  peut  se  faire  une  juste  idée  de 
ce  que  vaut  celle  de  la  milice. 

(1)  La  plupart  de  ces  corps  n*ont.aucun  matériel  pour  exercer  les 
hommes  au  service  des  pièces  ;  aussi  ont-ils  recours  souvent  aux 
expédients  les  plus  burlesques.  Croirait-on  que,  dans  un  certain 
régiment,  Padjudant  avait  imaginé  de  faire  monter  un  vieux  tuyau 
de  pompe  sur  une  espèce  de  charriot,  et.de  s*en  servir  pour  donner 
la  leçon.  Si  Ton  ajoute  que  ce  même  adjudant  n'avait  jamais 
servi  lui-même  dans  rartillerie,  on  aura  une  idée  des  canonuiers 
qtt'il  pouvait  former. 

Il  y  a  des  régiments  d'artillerie  de  la  milice  dont  pa$  un  terni 
officier  D*a  appartenu  à  l'armée  de  ligne  ;  pourtant  en  cas  d'invasion, 
par  exemple,  ces  mêmes  ofQciers  pourraient  être  chargés  du  com- 
mandement d'une  batterie,  d*un  fort,  d'un  district  d'artillerie. 

^3)  La  yeomanry  dont  nous  allons  parler  dans  le  chapitre  suivant, 
peut  être  considérée  comme  la  réserve  de  la  cavalerie  de  ligne. 


S29         GONSTtTUTldfl  ET  mJtôS^\NGE  MILITAIRES 

tl  est  temps  de  cotiolure  (bien  que  la  matière  soit 
loin  d'être  épuisée),  et  le  moment  est  venu  de  résumer 
notre  opinion  générale  sur  la  milice  anglaise  t  — Cette 
institution  a  pu  mériter,  il  y  a  un  demi-siècle,  Tadmi- 
ration  enthousiaste  de  M.  Dupin,  œmme  elle  excite 
encore  aujourd'hui  celle  de  certains  théoriciens  purs. 
Pour  nous,  cette  institution  peut  être  merveilleuse- 
ment constitutionnelle  et  nationale,  mais  elle  est 
souverainement  anti-militaire...,  au  moins  dans  lei 
conditions  actuelles  de  son  établissement. 

A  moins  d'une  réforme  radicale,  Vinstitution  dt  ht 
milice  est  devenue  un  non-sens,  et  son  abolition  défini- 
tive serait  probablement  ce  que  nos  voisins  pourraient 
imaginer  de  préférable.  Avec  ce  qu'elle  leur  coûte,  ils 
pourraient  (les  calculs  ont  été  faits)  entretenir  M, 000 
hommes  qui  leur  seraient  du  moins  d'une  utilité 
réelle. 

Au  reste,  abolition  ou  réforme  complète,  si  l'on  en 
juge  par  le  travail  du  comité  d'enquête,  semblent  éga- 
lement irréalisables.  L'une  et  l'autre  reucontreront 
toujours  sur  leur  route  l'opposition  des  communes  et 
de  la  chambre  des  lords,  qui  comptent  dans  leur  aeio 
un  grand  nombre  d'officiers  de  la  milice  actuelle. 

Le  rapport  du  comité  est  sans  portée;  quelques 
questions  de  détail  ont  seules  été  abordées.  La  grande 
erreur  à  détruire  était  l'utilité  prétendue  de  la  milice 
comme  moyen  d'alimenter  l'armée  ;  les  commissaires 
n'en  ont  pas  suffisamment  fait  justice.  Cependant 
pour  quiconque  veut  étudier  les  conditions  d'admission 
dans  les  deux  services,  il  devient  évident  que,  loin  de 


OE  LA  riUIICB  R  DB  L  AlftUTfQUUS.  bVl 

s'aider,  ils  doîvenl  06  faire  concurrenoe  (1).  Si  une 
obose  doit  étODner,  c'est  que  tous  les  hommes  ne  s'en- 
gagent paa  dans  la  milice»  et  si  quelques-uns  la  quittent 
pour  passer  dans  l'année,  on  ne  peut  l'attribuer  qu'au 
désir  de  toucher  la  prime  nouvelle  accordée  à  tout 
milicien  qui  s'enrôle  dans  la  ligne;  peut-être  aussi  au 
désir  de  courir  les  aventures  et  le  monde.  Si  la  prime 
ou  bounlpy  comme  on  Ta  demandé  et  comme  on  Tan- 
nonce,  est  abolie,  il  est  probable  que  le  passage  des 
miliciens  dans  Tannée  deviendra  beaucoup  plus  rare. 
Les  commissaires  ont  formulé  quelques  avis  insi- 
gnifiants sur  Tàge,  sur  la  taillé  des  miliciens;  sur  la 
position  des  adjudants,  des  quartiers-mattres,  des 
médecios»  etc.;  sur  Torganisation  de  l'état-major  per- 
manent des  régiments  et  sur  les  magasins  des  dé- 
pôts, 6t0«  Us  ont  proclamé  quelques  vérités  depuis 
longtemps  rebattues  au  sujet  de  l'insuffisance  du  temps 
oonsaoré  aux  exercices^  de  la  désertion,  des  doubles 
enrôlements,  etc.  Dans  tout  cela,  nous  ne  trouvons 
MCttoe  des  questions  de  principe  qu'il  importait  de 
traiter.  Quant  à  celles  qui  pouvaient  éveiller  les  suscep- 
tibilités des  communes  ou  porter  atteinte  aux  privilèges 
tt  au  patronage  des  lords-lieutenants;  quant  à  la 


{i)  €«  ti*eêl  pM,  du  rrate,  la  mfltee  leuleineiit  qui  gène  le  recrn- 
MSeoi  Ù9  Tsmée;  au  lieu  a*avoir  un  aeul  éubliaaemeal  pour  ali- 
nsotsr  «es  difrérentea  arme»  ou  corps,  PAngleterrc  a  imaginé  une 
derai-douzaine  de  services  (les  gardes,  Partillerie,  les  marines,  la 
milice,  etc.)»  qui  se  font  une  concurrence  incessante,  et  contribuent 
iadirectsmeot  à  encourager  la  déaerUon,  cette  plaie  incurable  de 
Tarmée  britannique. 


â2R  OONSTlTimON  Et  PUISSANCE  MIUTAIBES 

nécessité  d'un  autre  choix  d'officiers;  quant  à  la  ques- 
tion de  la  mise  de  la  milice  dans  les  attnbutioDS  du 
Horse-Guard3,  etc. ,  les  commissaires  ne  présentent  que 
de  timides  propositions. 

Quant  à  la  remise  en  vigueur  du  tirage  au  sort,  que 
beaucoup  de  gens  (à  tort  suivant  nous,  eu  égard  à  ses 
défauts  actuels)  regardent  comme  devant  sufiSre  à 
régénérer  la  milice,  les  commissaires  n'en  disent  rien 
et  n'en  pensent,  sans  doute,  pas  davantage. 

C'est  qu'il  en  est  du  ballot  pour  la  milice,  comme 
Ju  purchase  ou  de  l'achat  des  grades  pour  les  officiers, 
comme  de  la  conscripiion  pour  l'armée  de  ligne,  etc.  : 
la  restauration,  l'abolition  ou  l'établissement  de  ces 
diverses  institutions,  qui  intéressent  à  un  si  haut  degré 
la  puissance  militaire  de  l'Angleterre,  impliquent  m 
même  temps  une  sorte  de  révolution  sociale  dcMit 
l'heure  n'a  pas  encore  sonné. 

Le  jour  où  le  peuple  anglais  aura  su  conquérir 
autant  d'égalité  qu'il  a  de  liberté,  ce  jour-là  seulement 
ces  questions  pourront  être  discutées  et  résolues;  et, 
qu'on  ne  s'y  trompe  pas,  cette  égalité  que  nous  souhai- 
tons à  nos  voisins  et  à  l'armée  britannique  ce  n'est  pas 
une  égalité  absolue  et  absurde  en  opposition  avec  les 
vues  de  la  Providence;  —  non,  c'est  celle  que  l'on  peut 
définir,  comme  M.  de  Montalembert  a  si  éloquemment 
défini  la  démocratie  qui  a  droit  au  concours  de  tous 
les  gens  honnêtes  et  éclairés  (1)  :  «  Celle  qui  reconnatt 


(1)  De  l'avenir  politique  de  l'Angleterre;  par  le  comte  de  IfODtaH 
lembert. 


DE  LA  FRANGE   ET  DE  L'ANGLETERRE.  839 

»  les  lois  de  l'équité  et  de  l'honneur,  qui  a  confiance 
»  dans  la  force  de  la  vérité  et  de  la  justice,  qui  ne 
»  réclame  pour  assurer  leur  triomphe  que  la  liberté 
»  de  les  faire  connaître»  qui  doit  renverser  toutes  les 
»  barrières  élevées  contre  le  juste  avènement  de  la 
»  multitude  à  la  jouissance  de  tous  les  biens  et  de  tous 
»  les  droits  qui  doivent  lui  appartenir  ;  c'est  l'égalité 
»  devant  la  loi,  devant  l'impôt  et  devant  Vennemi;  c'e$t 
»  raccessibilité  des  plus  dignes  à  tous  les  emplois^  »  et 
nous  ajoutons  à  tous  les  grades. 

SECTION  UL 

TEOHAIfRY  ou  M1UCE  A  CHEVAL. 

Nous  avons  peu  de  chose  à  dire  sur  la  yeomanry . 
autrefois  ce  corps  différait  de  la  milice  en  ce  qu'il  était 
recruté  par  l'enrôlement  volontaire  exclusivement, 
tandis  que  la  milice  avait  recours  au  tirage  au  sort. 
Aujourd'hui  les  conditions  étant  les  mêmes,  le  balbt 
étant  supprimé  ou  tombé  en  désuétude,  la  yeomanry 
peut  être  considérée  comme  une  sorte  de  milice  à  che- 
val, qui  donne  lieu  aux  mêmes  observations  que  la 
milice  à  pied. 

Le  yeoman  est  une  espèce  de  gentilhomme  fermier, 
ordinairement  électeur,  et  assez  aisé  pour  pouvoir  se 
monter  à  ses  frais.  Il  est  exempt  de  payer  l'impôt  pour 
la  possession  de  son  cheval.  Il  ne  touche  aucune  solde, 
à  moins  qu'il  ne  soit  convoqué  par  Tautorité. 

La  yeomanry  est  organisée  en  escadrons,  et  forme 
50  corps  distincts  pour  l'Angleterre  et  TËcdbse.  La 


dtlÔ  GOMTITUTtOfI  ET  PUISSANCE  MlLtTAABS 

constittition  aristocratique  de  cette  force,  et  les  privi- 
lèges dont  elle  jouit,  ne  se  seraient  guère  accordés  avec 
le  régime  de  sujétion  et  d'abaissement  imposé  à 
rirlande.  Cette  partieJu  Royaume-Uni  n'a  donc  pas 
de  milice  à  cheval. 

L'effectif  total  de  la  yeomanry  est  de  15,000  hotnmes 
environ.  Son  service,  en  cas  de  nécessité,  Tappelle  à 
remplir  à  peu  près  le  rAle  de  notre  gendarmerie.  Elle 
aide  à  la  répression  de  la  contrebande.  En  temps  de 
guerre,  elle  fournit  l'escorte  des  prisonniers  et  des 
déserteurs. 

En  temps  de  paix,  elle  peut  être  employée  à  la 
répression  des  émeutes,  et  la  Ville  de  Manchester  n'ou- 
bliera pas  les  exécutions  sanglantes  auxquelles  la 
yeomanry  s*est  prêtée  en  1819. 

Les  reproches  que  Ton  peut  adresser  à  ce  corps  sont 
ceux  qui  s'appliquent  à  toute  la  milice  anglaise  :  il  est 
mal  commandé,  et  les  hommes»  bien  que  montant  cou- 
venablement  à  cheval,  sont  très  imparfaitement  instruits 
des  diverses  pratiques  qui  font  un  bon  cavalier  en  cam- 
pagne. Les  yeomen,  en  général,  soignent  fort  mal 
leurs  armes,  leur  équipement  et  leur  habillement.  Rs 
ne  sont  pas  suffisamment  exercés  à  seller  et  à  paqueter 
militairement;  leur  ignorance  ou  leur  défaut  d'habi- 
tude,  quant  à  ce  détail  important  du  service  de  la 
cavalerie^  serait  très  préjudiciable  en  eas  de  marches 
un  peu  actives.  La  plupart  des  chevaux  seraient  bien 
vite  indisponibles.  C'est,  du  reste,  ce  qui  arrive  pen- 
dant l«s  périodes  d'exercices  annuels,  qui  durent  de 


DE  LA  raXlfCt    Et  t)B  L'AftOLfiTBlimiS.  98i 

dit  k  quatorze  jôur^  seulement  (()  s  au  débuti  les  esea- 
drons  sont  au  complet,  mais  quelques  jours  se  sont  à 
peine  écoulés  que  les  coups  de  pied,  les  blessures,  Im 
refroidissements  (déterminés  par  la  manière  inintoUi«« 
gente  dont  les  manœuvres  et  les  repos  sont  ménagés} 
mettent  une  foule  de  chevaux  sur  la  litière. 

Nous  avons  dit  que  le  yeoman  se  montait  à  ses  frais  i 
pour  rentretien  de  son  habillement  et  de  son  équipe^ 
ment,  TËtat  ac^^rde  8  livres  ou  78  francs  par  ati  et 
par  cavalier.  Lorsque  celui^i  est  convoqué  pour  un 
service  commandé  par  lés  autorités^  ou  pour  les  mer^ 
cîces  annuels,  ilreçoitSshellings  (3  fr.  40  e.)  par  Jour» 
plus  une  indemnité  de  1  sfaelling  h  pences  (1  fr;  60  0.) 
pour  la  nourriture  de  son  cheval. 
.  Pour  acquérir  les  qualités  qui  lui  manquent^  au 
moins  dans  la  mesure  de  ce  qu'il  est  permis  d'attendre 
de  son  organisation  imparfaite  et  du  peu  de  durée  de 
ses  réunions,  la  yeomanry  aurait  besoin  d'une  direc-- 
tion  théorique  et  pratique  qui  semble  lui  fliire  égaler 
ment  défaut. 

(i>  Pour  quiconque  •  la  moindre  idée  du  service  de  la  cavalerie, 
rinsufhsaoce  du  temps  consacré  aux  exercices  de  la  yeomanry  n*a 
pas  besoin  de  discussion.  •»-  Sans  douts  l'hablindeque  les  imttm 
otil  du  cbeval,  doit  slmpUSar  to  làelMi  mais  rinatruoUoa  daa  ohe- 
vaux  0xig«  autant  de  solo  que  ctlle  des  hommes.  l\  s*e,n  but  de  beau- 
coup qu*un  cheval,  parfaitement  dressé  pour  marcher  et  porter  son 
cavalier  isolément,  se  résigne  à  manœuvrer  en  troupe,  et  à  supporter 
la  pression  dtl  nng.  On  comprend»  dès  lors,  les  nMiM-etii  accidents 
et  le  désordre  qui  doivent  se  produire  dans  les  nanosutrii  êê  la 
milice  à  cheval. 

Depuis  deuit  ans,  le  budget  an((ials  n*alloiie  aiieuaa  fonda  pour  la 
réunion  et  les  manœuvres  de  la  yeomanry. 


â32         CONSTITUTION  BT  PUISSANCE  mUTAIEES 

Les  exercices  de  cette  milice  sont  soumis  à  Tinspec 
tioD  d'oflBciers  supérieurs  tirés  des  régiments  de  cava- 
lerie les  plus  voisins  de  ses  stations^  et  conduits,  par 
suite,  de  la  manière  la  moins  uniforme.  En  effet,  ces 
ofiBciers,  changés  tous  les  ans,  diffèrent  le  plus  sou- 
vent entre  eux  quant  à  la  méthode  à  suivre,  ou  sont 
trop  disposés  à  adopter  des  programmes  fort  conve- 
nables peut-être  pour  la  cavalerie  de  ligne,  mais  inad- 
missibles pour  une  simple  milice.  Ce  qu'il  faudrait, 
avant  tout,  au  yeomau,  c*est  une  sorte  de  manuel  com- 
prenant une  série  de  mouvements  parfaitement  clairs, 
parfaitement  simples,  et  dont  la  progression  une  fois 
adoptée  serait  invariablement  suivie  (1). 

Somme  toute,  la  yeomanry  anglaise  n'est  pas  une 
institution  sans  valeur,  et  nos  voisins  peuvent  en  être 
fiers  sous  un  certain  point  de  vue.  Une  pareille  orga- 
nisation n'était,  du  reste,  praticable  que  dans  un  pays 
riche,  et  constitué,  socialement  parlant,  comme  Test 
l'Angleterre.  Malgré  toutes  leurs  imperfections,  en  cas 
d'insurrection  ou  de  guerre  à  l'intérieur,  les  cavaliers 
yeomen  pourraient  être  très  utiles,  et  rendraient  cer- 
tainement de  grands  services  si  l'on  n'avait  pas  la 
maladresse  de  les  employer  en  ligne  comme  de  la  cava- 
lerie r^ulière.  Leur  connaissance  parfaite  des  routes, 
des  chemins  de  travei-se,  des  défilés,  des  gués,  des 

(i)  Lord  R068  a  publié  une  UiéoHe  de  ceUe  espèce,  mais,  si  nous 
sommes  bieo  informé,  elle  est  irop  savante  el  demanderait,  pour 
être  mise  en  pratique,  des  terrains  de  manoeuvre  comme  on  Q*en 
rencontre  peulrétre  pas  deux,  du  nord  de  VÊawe  au  sud  de  l'An- 
gleterre. 


DE  LA  FRANGE  ET  DJE  l' ANGLETERRE.     S3S 

bois,  etc.,  en  un  mot  des  obstacles  de  toute  nature  que 
présente  le  territoire  de  leur  comtés  les  rendrait  sur- 
tout précieux  en  cas  d'invasion.  Disséminés  sur  la  c6te, 
et  organisés  de  manière  à  relier  entre  elles  les  stations 
télégraphiques  qui  ne  sont  pas  en  communication,  ils 
fourniraient  d'excellents  auxiliaires  pour  surveiller  les 
mouvements  d'une  flotte  ennemie  et  faciliter  les  moyens 
de  gêner  un  débarquement. 

SECTION  IV. 

ORGANISATION  DES  PENSIONNAIRES. 

Au  chapitre  XI,  nous  avons  vu  que  Ton  désignait, 
dans  le  principe,  sous  le  nom  de  pensionnaires  {out 
CheUea  pensianers)  les  militaires  réformés  pour  leurs 
blessures,  et  que  l'exiguïté  des  ressources  ne  permet- 
tait pas  d'admettre  à. l'hôtel  des  invalides  de  Chelsea. 
A  l'époque  de  la  fondation  de  cet  établissement,  les 
soldats  blessés  étaient  les  seuls  auxquels  le  gouverne- 
ment anglais  accordât  des  secours  après  leur  libération. 
Plus  tard  (1),  le  droit  à  une  pension  fut  étendu  à  tous 
les  anciens  soldats  renvoyés  du  service,  et,  depuis  1806, 
de  nombreuses  ordonnances  ont  successivement  modi- 
fié et  réglementé  la  condition  des  pensionnaires  mili- 
taires. Enfin,  lors  de  l'abolition  de  l'engagement  à  vie, 
il  a  été  décidé  que  tout  militaire  aurait  droit  à  une 

(i)  G*est  en  1806  seulement,  que  le  droite  la  pension  de  reUnéte 
a  été  acquis  aux  anciens  militaires  non  blessés.  La  décision  du 
Parlement,  sur  cette  question,  porte  le  nom  d*acte  de  VVindham 
{Windkam'8  Aet), 


pension  de  retraite  aprà»  fiqgt  et  uu  ana  de  aenrîoe 
dans  rinfimterie,  et  vinut-qiMti^  ana  dans  la  cayalerie, 
Vartilkirie  et  le  génie- 

La  opMéquence  oaturdte  de  cet  diverves  meaures  « 
été  d'aeerottre  d'année  en  année  le  nombre  des  peo^ 
fHûnnaires;  et  m  peut  Tévalner   actu^ment  de 

L'organisation  des  pensionnaires  est  un  des  hodk 
breux  palliatifs  sur  lesquels  nos  \oisins  croient  pouvoir 
compter  afin  de  suppléer  à  Vinsuifisance  de  leur  armée 
régulière.  Aux  termes  de  cette  organisation  (qui  a 
soulevé  de  nombreuses  critiques,  comme  nous  le  ver- 
rons plus  loin),  tous  les  scddats  ang^s  retraités  sont 
soumis  à  certaines  obligations  {dus  ou  mœns  oompa* 
tibias  avec  leurs  infirmités  et  leur  flge.  Us  sont  aatraiots 
à  des  eiercices  périodiques;  en  cas  d'insurrection  oo 
d'invasion,  ils  doivent  coneourir  à  la  défense  des  lois 
et  du  territoire. 

Chaque  pensionnaire,  au  moment  de  son  admîssJOD 
dans  le  corps,  reçoit  36  fr.  (i  livre)  pour  se  procurer 
ses  effets  de  petit  équipensent  (nee^Mries)  (9).  Cette 
allocation,  que  l'on  nomase  improprement,  par  ana- 
logie avec  ce  qui  a  lieu  pour  les  autres  corps,  la  prime 
ou  gratification  {hom^)  du  pensionnaire  enrôlé,  est 
plutôt  une  sorte  de  gage^  en  échange  duquel  ce  mili- 

(i)  Le  nombre  des  peDsionnaires  était  de  5,600,  en  ilhh; 
Si  ta,OSO,  on  t7St  ;  do  17,000,  OB  170»;  do  A7»«S0,  on  ISiS ;  -  il 
iTélovaU,  on  iS6S,  à  6a,0S4  bOfliMt» 

(S)  U  mol  iMMoHif  lopood  I  GO  ftto  mmo  nonmoBs,  oa  FiiMe, 
la  mane  de  Unge  et  cliaussure. 


u  tk  wmhMM  n  DE  t*Aimvrmi.        8ft5 

tairo  doit  aai  B«nrioo8  à  TËtat  pour  am  anpiée  Mtièfe, 
Le  teriM  «pire,  il  peut  être  renvoyé,  eomme  il  peut 
Mre  Gonservé  sur  les  oontrèlei. 

Lorsque  les  pensionnaires  enrôlés  sont  convoqués, 
soit  pendant  la  période  des  exerctoeSf  soit  pour  venir 
en  aide  aui  autorités  civiles  (1)»  les  sergents  reçois 
voni  uile  solde  journalière  de  ft  fr.  60  c.  (S  shelliogs)} 
las  caporaux  touobent  &  fr,  (9  shellings  et  6  penoes); 
les  simples  pensionnairss,  S  fr.  40  e.  (S  slMllings). 

L'habillement  doit  durer  sept  ans. 

La  période  des  nereices  annuels  n'a  jamais  dépassé 
douse  jours,  si  même  elle  a  jamais  atteint  ce  o^iffrs 
depuis  l'organisation. 

En  résumé,  si  l'on  veut  se  rendre  compte  des  dé** 
penses  du  corps  des  pensionnaires,  ou  voit  que  l'Ëtat 
paye  d'ahord,  au  titre  de  la  prime,  autant  de  milliers 
do  livres  sterling  qu'il  a  de  milliers  de  pensionnaires 

Les  dépenses  réunies  de  Thabillement  et  de  la  solde, 
pendant  les  journées  d'exereice,  peuvent  aussi  être 
évaluées,  annuellement,  à  i  livre  par  pensionnaîre* 

Nous  avons  dit  que  116  officiers,  répartis  entre 
l'Angleterre,  l'Irlandç  et  les  colonies,  étaient  chai^ 
de  oommander  et  d'admiaistrer  les  pensionnaires.  Ces 
ettoiers,  divisés  en  deux  classes,  touchent  un  su|qplé>« 
ment  de  solde  de  1  et  2  shellings  par  jour. 

Le  emrpe  entier  art  sous  la  surveillance  d'un  direc- 
teur {mUitary  MuperùUmdamt)  et  d'un  sous^irecteur 

(i)  En  ess  de  réMllos. 


SS6      GOMSTmmoN  et  puissance  iiilitaiees 
{assistant-superintendant),  qui,  tous  les  deux,  appar- 
tiennent  au  personnel  du  War-Office  (8*  bureau). 

Les  dépôts  pour  rorgauisatioQ  et  la  solde  des  pen- 
sionnaires sont  : 

l*  Pour  r Angleterre  et  l'Ecosse  :'  Âberdeen,  Ayr, 
Bath,  Birmingham,  Bolton»  Brighton,  Bristol,  Cam- 
bridge, Caoterbury,  Carlisle,  Chatbam,  Chesler, 
Goventry,  Derby,  Dundee,  Edimbourg,  Exeter,  Fal- 
mouth,  Glascow,  Gloucester,  Halifax,  Hull,  Invemess, 
Ipswich,  Jersey,  Guernesey,  Leeds,  Leicester,  Lincoln, 
Liverpool,  Londres,  Lynn,  Manchester,  NewcasUe  sur 
la  Tyne,  Northampton,  Norwich,  Notlingham,  Oxford, 
Paisley,  Perth,  Plymouth,  Portsmouth;  Preston,  Shei^ 
field,  Shrewsbury,  Southampton,  Stirling,  Stockport, 
Taunton,  Thursowick,  Trowbridge,  Gardiff,  Car* 
marthen,  Wolwerhampton,  Worcester,  York. 

2""  Pour  l'Irlande  :  Armagh,  Âthlone,  Ballymena, 
Belfast,  Qirr,  Carlow,  Cavan,  Clonmel,  Cork,  Dublin, 
Ennis,  Enniskillen,  Galway,  Kilkenny,  Limerick,  Lon- 
donderry,  Longford,  Monaghan,  Newry,  Omagh,  Ros- 
common,  Sligo,  Tralee,  Tullamore,  Waterford. 

d""  Pour  les  possessions  esotérieures  :  Toronto, 
Montréal,  Bytown,  Ha;milton  (Canada);  Onehunga 
(Nouvelle-Zélande))  ;  Perth,  Fremantle  (Australie  occi* 
dentale)  ;  Hobart-Town  (Tasmanie  ou  Terre  de  Yan- 
Diemen). 

Nous  avons  dit  que  l'institution  des  pensionaaii» 
enrôlés  avait  soulevé  de  nombreuses  critiques  en  Ai^le-' 
terre.  Son  premier  adversaire  fut  lord  Wellington. 
Lors  de  la  discussion  du  projet  d'organisation  au  Parie- 


DB  LA  FEANCE  Kî   DB  L  ANGLETERRE.     337 

meDt,  en  I8A/1,  l'illustre  duc  combattit  de  toutes  ses 
forces  les  couclusions  de  lord  Hardinge,  alors  comman- 
dant en  chef  de  l'armée  anglaise,  et  rédacteur  de  la 
proposition. 

Aujourd'hui,  après  quinze  ans  d'expérience,  il 
semble  facile  de  prononcer  avec  certitude  sur  un  débat 
auquel  les  circonstances  actuelles  donnent  un  intérêt 
nouveau.  Plus  qu'à  aucune  autre  époque,  en  présence 
de  l'augmentation  toujours  croissante  de  leur  budget 
de  la  guerre,  en  présence  des  diflBcultés  que  rencontre 
le  recrutement  de  leur  armée,  nos  voisins  doivent  évi* 
ter  toute  chaire  inutile,  et  supprimer  les  non-valeurs 
de  leur  établissement  militaire.  Toute  dépense  au  titre 
du  personnel  qui  ne  se  traduit  pas  en  une  force  bien 
effective,  et  susceptible  d'être  employée  acUvemenl,  soit 
à  riatérieur,  soit  à  l'extérieur,  doit  être  rigoureuse 
ment  rejetée.  Or,  ramené  à  ces  termes,  quel  est  le 
bilan  des  dépenses  et  des  services  du  corps  des  pen- 
sionnaires enrôlés?  Depuis  I8/1&,  ces  vétérans  ont 
coûté  à  l'Angleterre  de  20  à  25  millions  (1).  Sauf  la 
part  fort  mince  et  fort  contestée  qu'ils  ont  prise  dans  la 
répression  des  troubles  de  Glascow  et  d'Irlande,  on 
peut  dire  que  leurs  services,  quant  à  l'intérieur,  se 
réduisent  à  zéro.  En  ce  qui  regarde  les  possessions  exté- 
rieures, les  tentatives  de  colonisation  au  moyen  des 
pensionnaires  ont  donné  des  résultats  tels  que  l'on 
semble  bien  décidé  à  ne  plus  renouveler  aucun  essai 

(1)  Pour  Tannée  1860-1861,  le  crédit,  qui  figure  au  budget  pour 
les  enrôlés  pen^nnalres»  est  de  60,000  livres  ou  un  million  de 
francB. 

22 


888  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

de  ce  genre.  C'est,  du  moins,  ce  que  Ton  peut  conclure 
au  dernier  appel  fait  aux  volontaires  des  différents 
corps  de  Tannée  pour  l'organisation  du  détachement 
des  îles  Falkland.  Les  pensionnaires  enrôlés  n'ont  cou- 
couru  en  aucune  façon  à  la  formation  de  ce  détache- 
ment. 

La  colonisation  à  l'aide  d'anciens  soldats  est  une 
idée  qui  a  eu  ses  partisans  en  Angleterre  comme  en 
France.  Aujourd'hui,  dans  les  deux  pays,  on  semble 
avoir  renoncé  à  ce  système.  Toutefois,  Texemple  de 
l'Angleterre  est  si  souvent  invoqué  en  France,  lorsqu'il 
s'agit  de  colonisation ,  qu'il  y  a  certainement  intérêt  à 
rechercher  les  causes  déterminantes  du  revirement 
d'opinion  que  nous  venons  de  signaler  chez  nos  voisins. 
Chacun  sait  ce  qu'il  est  advenu  des  villages  militaires 
fondés  en  Algérie  en  1846.  L'historique  d'une  tenta- 
tive semblable,  faite  à  la  même  époque  par  les  Anglais, 
nous  semble  fournir  matière  à  plus  d'un  enseignement 
utile  pour  notre  colonie  africaine. 

Cest  précisément  en  1846,  à  l'époque  où  le  maré- 
chal Bugeaud,  gouverneur  de  l'Algérie,  se  déclarait  le 
promoteur  le  plus  ardent  de  la  colonisation  militaire, 
que  le  comte  Grey,  gouverneur  de  la  Nouvelle-Zélande, 
proposa  au  gouvernement  anglais  l'envoi  d'un  premier 
détachement  de  pensionnaires  dans  cet  établissement. 
Cette  proposition  souleva,  dès  le  début,  une  vive  oppo- 
sition, tant  dans  la  métropole  que  dans  les  colonies. 
Dans  un  rapport  destiné  à  mettre  en  lumière  les  causes 
de  diverses  sortes  qui  avaient  fait  échouer  les  essais 
de  colonisation  militaire  dans  l'Amérique  du  Nord, 


M  LA  niAlICB   8T   DE  l'aHOLETERU.  A39 

lord  Durham  présenta  les  oonaidérations  suirantes» 
qui  méritent  de  fixer  l'attention  :  «  Il  sera  toujours 
y>  difficile  de  transformer  d'anciens  soldats  en  véritables 
»  colons;  mais  rien  n'est  plus  aisé  que  de  démililariser 
»  de  bons  soldats  par  des  tentatives  de  ce  genre.  Il  est 
x>  indubitable  que  si  les  pensionnaires  pouvaient  deve- 
x>  nir  de  bons  colons,  ils  formeraient  une  meilleure 
»  milice  que  la  population  civile  des  nouveaux  établis- 
»  sements,  mais  toute  la  question  est  dans  cette  hypo-* 
B  thèse.  » 

Suivant  lord  Durhdm,  les  militaires  ainsi  transplan- 
tés dans  des  conditions  et  dans  un  pays  pour  lesquels 
ils  n'étaient  pas  préparés,  ne  devaient  y  rencontrer 
que  misères  et  déceptions.  Objet  de  répulsion  et  de 
mépris  pour  leurs  voisins,  ils  devaient  s'abandonner 
bien  vite  à  l'ivrognerie  et  au  découragement.  Avant 
peu  d'années,  ceux  dont  les  excès  n'auraient  pas  causé 
la  mort  ne  seraient  plus  que  des  mendiants  et  des  vaga- 
bonds beaucoup  moins  aptes  à  défendre  les  établisse- 
ments que  les  colons  miliciens,  qui  auraient  à  protéger 
leurs  familles  et  des  biens  acquis  à  la  sueur  de  leur 
front. 

Les  pensionnaires  de  la  Nouvelle-Zélande  semblè- 
rent, dans  le  principe,  devoir  vérifier  en  tous  points 
ces  tristes  prédictions  ;  mais,  certaines  circonstances 
accidentelles  ayant  amené  les  colons  à  les  employer,  il 
en  résulta  un  rapprochement  et  des  relations  plus  cor- 
diales entre  la  population  civile  et  la  population  mili- 
taire. La  première  ne  tarda  pas  à  reconnaître  de  quelle 
utUité  pouvah  lui  être  le  concours  de  la  seconde,  et 


S&O  CONSTITUTION  BT  PUISSANCE  MILItAmSS 

les  bénéfices  que  celle  ci  réalisa  par  son  travail  modi- 
fièrent bientôt,  de  la  façon  la  plus  heureuse,  ses  goûts 
at  ses  habitudes. 

Deux  délibérations  du  conseil  municipal  d'Auckland, 
en  1852,  et  du  comité  du  conseil  provincial,  en  1857, 
sont  surtout  de  nature  à  caractériser  la  faveur  tou- 
jours croissante  obtenue  dans  la  colonie  par  les  pen- 
sionnaires enrôlés.  Dans  le  premier  de  ces  documents, 
les  autorités  civiles  refusent  de  concourir  aux  dépenses 
de  rétablissement  des  pensionnaires.  Elles  invoquent 
les  règles  particulières  auxquelles  ils  sont  soumis  en 
conséquence  de  leur  caractère  militaire,  pour  ne  pas 
les  ranger  dans  la  catégorie  des  émigrants  ordinaires. 
Enfin  elles  font  valoir  Tâge  et  les  habitudes  de  ces  vété- 
rans comme  un  obstacle  à  leur  emploi  dans  les  exploi- 
tations et  les  défrichements. 

Dans  la  délibération  de  1 857,  au  contraire,  le  comité 
du  conseil  provincial  reconnaît  hautement  tous  les 
avantages  que  la  colonie  a  retirés  de  l'envoi  des  pen- 
sionnaires enrôlés.  Il  demande  que  de  nouveaux  déta- 
chements soient  dirigés  sur  la  Nouvelle-Zélande;  enfin 
il  propose  que  des  logements  leur  soient  préparés,  et 
que  des  concessions  de  terres  leur  soient  accordées  et 
garanties. 

Il  semblerait,  en  présence  de  cette  dernière  déclara- 
tion, que  la  cause  de  la  colonisation  miUtaire  était 
définitivement  gagnée.  Malheureusement  il  n'en  était 
rien,  au  moins  quant  au  but  que  s'était  proposé  le 
gouvernement  anglais.  Une  partie  de  la  question  était 


DB  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     3Ai 

bien  résolue,  il  est  vrai,  mais  c'était  au  complet  détri«- 
ment  du  côté  militaire  de  l'institution. 

En  effet,  par  l'organisation  des  pensionnaires-colons, 
le  gouvernement  anglais  avait  surtout  en  vue  d'alléger 
le  service  de  Tannée  régulière.  En  implantant  dans  les 
colonies  un  élément  discipliné,  rompu  au  métier  des 
armes,  il  espérait  mettre  ces  établissements  en  position 
de  se  défendre  eux-mêmes  ;  il  comptait  affranchir  peu 
à  peu  la  mère  patrie  de$  charges  de  leur  protection. 

Pour  qu'une  pareille  combinaison  eût  chance  de 
réussite,  il  aurait  fallu  que  les  habitudes  de  soumission 
et  l'esprit  militaire  des  pensionnaires-colons  se  conser- 
vassent intacts.  L'organisation  politique  et  administra- 
tive de  la  Nouvelle-Zélande  ne  l'a  pas  permis.  C'en 
était  fait  de  toute  discipline  du  jour  où  les  habitants 
des  villages  militaires  furent  appelés  à  exercer  les 
droits  que  leur  conférait  le  système  représentatif  ou  le 
self-govemment  octroyé  aux  districts  dont  Auckland  est 
te  chef-lieu  (1).  Dès  les  premières  élections,  on  vit 

(1)  Les  viUages  û'Onehunga,  Otahuhu,  Parmure  et  Botvick,  créés 
|Mir  les  peosionnaires,  forment  une  sorte  de  chaîne  d*avant-postes 
aotoar  da  chef-lieu  delà  Nouvelle-Zélande.  Les  conditions,  dans  les- 
quelles ces  établissements  ont  été  formés,  offrent  une  certaine  ana- 
logie avec  celles  qui  étaient  imposées  aux  colons  militaires  de  TAl- 
gérie.  Chaque  pensionnaire,  en  arrivant  à  Auckland,  était  mis  en 
possession  d*une  petite  maison  composée  de  deux  chambres,  et  en- 
tourée d*un  jardin  d*un  arpent.  Au  bout  de  sept  ans  de  service  ou 
de  résidence,  —  de  locataire,  le  pensionnaire  devenait  propriétaire 
de  Fimmeuble  dont  il  avait  la  Jouissance,  à  la  condition,  toutefois, 
de  ne  pas  accepter  d'occupations  de  nature  à  le  retenir  à  plus  de 
dnq  milles  de  son  domicile.  11  était  tenu,  en  outre,  à  assister  tous 
les  dimanches  à  une  sorte  de  parade  militaire  devant  Téglise  de  son 


Sb!'!         COIfSTITUTION   ET  PUISSANCE  MlUTAiaBS 

des  soldats  poser  leur  candidature  en  face  de  celle  de 
leurs  officiers,  et  un  simple  pensionnaire  figurer  sur 
une  liste  au  milieu  d'une  douzaine  de  ses  supérieurs. 
  partir  de  1852,  année  où  la  charte  de  la  NouTelle* 
Zélande  fut  mise  en  vigueur,  on  peut  dire  que  rinsti- 
tution  des  colons-pensionnaires  était   virtuellement 
abolie»  du  moins  quant  à  la  partie  miliiaire  de  Torga-* 
nisation.   Les  officiers  se  trouvaient  complètement 
désarmés  devant  des  soldats  devenus  électeurs  et  indé- 
pendants. Toute  discipline  avait  disparu  ;  les  décisions 
du  War*Office  devenaient  lettre  morte  devant  Tautô- 
rite  d'un  conseil  provincial  qui  s'arrogeait  le  droit  de 
les  contrôler.  Bref,  la  colonisation  militaire  était  jugée, 
et,  quels  que  fussent  ses  avantages  à  d'autres  égards, 
le  gouvernement  anglais  avait  reconnu  l'impossibilité 
de  la  faire  servir  aux  projets  qu'il  avait  en  vue, 
lorsqu'il  s'était  décidé  à  adopter  la  proposition  de  lord 
Grey(l). 

village.  Enfin,  il  devait  prendre  part,  tous  les  ans,  à  des  exercices  et 
manœuvres  dout  la  durée  était  fixée  k  douze  jours. 

Deux  ou  trois  ans  après  leur  arrivée  dans  la  colonie,  la  plupart 
des  pensionnaires  avaient  cessé  de  se  conformer  à  ces  prescrîpUoas. 
Un  grand  nombre  était  rayé  des  contrôles,  et  ceux  qui  étaient  iiiai»- 
tenus,  en  fait  d'tiabitudes  militaires,  ne  semblaient  guère  oooaenrer 
que  celle  de  toucher  exactement  leur  solde.  losensiblemeiit,  cette 
circonstance  était  devenue  la  seule  qui  les  obligeât  encore  à  rester 
en  relation  avec  les  officiers  et  les  sergents  de  leurs  compagnies» 

(1)  En  général,  dit  Macaulay,  lorsque  les  soldats  en  vienneot  a 
's'ériger  en  assemblée  politique,  à  nommer  des  délégués,  à  prendre 
des  résolutions  sur  des  questions  d'Ëtat,  ils  ont  bien  vite  secoué  tout 
Joug  et  brisé  tout  frein  ;  ils  cessent  de  former  une  armée  pour  oe 
plus  représenter  que  la  plus  détestable  et  la  plus  da«gereMe  des  ca« 


DE   LA    FRANGE   ET   DE  l'aNGLBTBIIIUS»  &&S 

Mous  D'insisteroDS  pas  davantage  sur  rinsucoès  des 
diverses  tentatives  faites  dans  les  colonies  anglaises, 
afin  d*tUili$er  les  pensionnaires  enrôlés. 

A  Textérieur  GOmme  à  l'intérieur,  cette  institution, 
depuis  sa  création,  ne  semble  avoir  absolument  rendu 
aucun  service.  Peut-être  nos  voisins  auraient-ils  tout 
avantage  à  imiter  la  conduite  que  nous  avons  adoptée 
à  l'égard  de  nos  vétérans.  Outre  que  ce  corps  a  tou- 
jours été  organisé,  en  France,  dans  des  proportions 
très  restreintes,  eu  égard  à  l'ensemble  de  l'armée,  son 
effectif,  loin  d'aller  en  augmentant  d'année  en  année, 
ainsi  que  cela  a  lieu  en  Angleterre,  a  été  successive^ 
ment  diminué.  Aujourd'hui,  des  38  compagnies  de 
vétérans  que  l'on  comptait  en  France  en  1848,  il  en 
reste  seulement  7,  qui  sont  appelées  à  disparaître,  très 
probablement,  comme  leurs  devancières  (1). 

En  résumé,  il  ressort  des  chiffres  donnés  plus  haut, 
que  la  dépense  des  pensionnaires  enrôlés  (primes, 
solde  de  Tétat-major,  habillement,  solde  de  la  troupe 


naiUes.  [In  gênerai,  soldiers  who  should  form  themselves  into  poli- 
tical  clubs,  elect  delegates,  and  pass  resolutions  on  high  questions 
of  State,  tvould  soon  break  loose  from  ail  control,  tcould  cease  ta 
form  an  army,  and  would  become  the  worst  and  most  danyerous  of 
mobs.) 

(1)  En  18Û7,  le  corps  des  vétérans  comprenait  :  8  compagnies  de 
sous-officiers,  10  compagnies  de  fusîUers,  /i  compagnies  de  cavaliers, 
13  compagnies  de  canonniers,  1  compagnie  du  génie,  2  compagnies 
de  gendarmerie. 

On  ne  compte  plus  aujourd'hui,  au  titre  des  vétérans,  qu'une 
compagnie  de  gendarmerie,  une  compagnie  de  sous-officiers,  une 
compagnie  de  fusiliers,  et  /i  compagnies  de  canonniers. 


â/tA      CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MIUTAIBES,    ETC. 

pendant  les  exercices,  etc.)  équivaut  à  peu  près  à 
celle  de  deux  régiments  de  ligne*  La  même  somme, 
affectée  à  l'entretien  des  pensionnaires  les  plus  valides 
sur  un  pied  permanent,  permettrait  de  former  5  ou 
6  bataillons  sédentaires  ou  de  garnison,  qui  rendraient 
disponibles  autant  de  milliers  d'hommes  de  la  ligne. 
En  cas  d'invasion  ou  d'insurrection,  c'est,  en  réalité, 
le  véritable  chiffre  de  l'appoint  qui  serait  apporté  à 
l'armée  anglaise  par  le  corps  des  pensionnaires  enrôlés. 
Seulement,  dans  l'organisation  actuelle,  ces  quelques 
milliers  d'hommes  disséminés  dans  toute  l'étendue  du 
Royaume-Uni  sont  bons,  tout  au  plus,  pour  figurer  sur 
le  papier. 


CHAPITRE  XYU. 


Composition  de  l'armée  de  secondé  ligne  en  Angleterre  ;  corps  auxi- 
liaires et  réserves  (suite).  —  Section  5  :  Réserve  (army  reserve 
force).  Organisation,  composition  de  cette  force;  —  obligations 
imposées  anx  enrôlés;  -~  droits  et  avantages;  —  comparaison 
arec  le  système  de  la  réserve  française;  —  organisation  nouvelle 
donnée  en  France  aux  jeunes  gens  laissés  dans  leurs  foyers;  •* 
résultats  obtenus,  —  le  principe  de  la  réserve  anglaise  est  le 
point  de  départ  d*une  véritable  révolution  dans  la  constitution  des 
armées;  —  ce  système  pourrait-il  être  adopté  en  France?  —  pro- 
positions; —  delà  réduction  des  dépenses  militaires;  —  motHs 
qui  empêchent  de  désarmer;  —  la  France  ne  peut  réduire  son 
état  militaire;  —  coup  d*œil  sur  ses  frontières;  —  les  économies 
ne  peuvent  être  réalisées  que  par  les  perfectionnements  dont  Tor- 
ganisation  de  la  réserve  est  susceptible;  —  évaluation  de  la  dé- 
pense d*une  réserve  de  100,000  hommes  organisée  d'après  le  sys- 
tème anglais,  ~  Section  6  :  Organisation  des  troupes  de  la 
douane  anglaise  (coast-guards)  :  Composition,  ^  effectif,  —  ser- 
Tice,  —  prix  d*entretien,  —  force  qui  pourrait  concourir  à  la  dé- 
fense territoriale  en  cas  d'invasion.  —  Section  7  :  Bataillons  des 
chantiers  maritimes  {dockyard's  battalions)  :  Composition  et 
effectif  de  ces  corps;  —  un  mot  sur  la  police  anglaise;  —  avan* 
tages  que  présente  une  gendarmerie  solidement  organisée. 

SECTION  V. 
RisEEVE  ANGLAISE  (army  reserve  force). 

L'institution  d'une  réserve  proprement  dite,  c'est- 
à-dire  présentant  une  certaine  analogie  avec  les  orga- 
nisations militaires  de  même  nom  adoptées  par  les 


346  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

Ëtats  continentaux,  est  une  création  toute  récente  dans 
Tarmée  anglaise.  Chez  nos  voisins,  cette  force  se  com- 
pose, sous  certaines  conditions,  de  tous  les  militaires 
qui  sont  libérés  du  service  avant  d'avoir  accompli  le 
temps  exigé  pour  l'obtention  d'une  pension  de  retraite. 

Antérieurement  à  l'abolition  de  l'engagement  à  vie, 
le  nombre  des  soldats  qui  rentraient  dans  la  vie  civile, 
pouvant  encore  être  utilisés  pour  la  défense  du 
royaume,  était  naturellement  fort  restreint.  Jusqu'à  la 
guerre  de  Grimée,  le  soldat  anglais,  à  moins  d'une  con- 
duite incorrigible  ou  d'infirmités  le  rendant  absolument 
impropre  au  service,  ne  quittait  guère  l'armée  que 
pour  entrer  dans  les  pensionnaires  ou  aux  invalides  de 
Chelsea. 

Depuis  la  nouvelle  législation  sur  les  enrôlements, 
le  nombre  des  soldats  qui  se  retirent  à  l'expiration  de 
leur  congé,  ou  avec  une  pension  simplement  tempo- 
raire, doit  tendre  nécessairement  à  s'acorottre  chaque 
année  (1).  Cette  considération,  au  milieu  des  difficultés 
sans  nombre  du  recrutement  de  l'armée  britannique,  a 
donné  naissance  à  l'organisation  de  la  réserve.  OUigé 
de  recourir  à  tous  les  moyens,  à  tous  les  systèmes, 
pour  suppléer  à  la  pénurie  des  éléments  militaires  que 
présente  la  population,  le  gouvernement  a  espéré,  par 
cette  institution,  maintenir  les  liens  qui  unissent  les 
anciens  soldats  à  l'armée  et  pouvoir  s'assurer  leur 
concours  dans  le  cas  d'éventualités  pressantes. 


(1)  Les  engagements  militaires  se  contractent  aujourd'hui  pour 
dix  années  au  lieu  de  vingt,  et  il  n'y  a  plus  d'enrôlements  à  vie. 


DC  LA   FHAifGB   BT  DE   L'àNGLETERM.  3b7' 

L'acte  du  Parlement  (22  et  28  Victoria,  chap.  42), 
qui  autorise  l'enrôlement  des  anciens  soldats  de  l'ar- 
mée de  ligne  et  de  la  compagnie  des  Indes  dans  la  ré- 
serve, stipule  que  leur  effectif  ne  devra  pas  dépasser 
20,000  hommes. 

Les  officiers  chargés  de  l'administration  et  du 
commandement  des  pensionnaires  [the  staff  officers  of 
pensianers)  dans  les  différents  districts  de  la  Grande* 
Bretagne  sont  aussi  provisoirement  chargés  de  Torga-* 
nisation  et  de  l'enrôlement  des  hommes  de  la  réserve. 

Une  circulaire  du  War-OfBce,  en  date  du  29  dé- 
cembre 1859,  fixe  de  la  manière  suivante  les  bases  de 
cette  organisation  : 

l"*  Tout  homme  qui  désire  s'enrôler  dans  la  réserve 
doit  avoir  terminé  le  temps  de  service  pour  lequel  il 
s'était  engagé  dans  l'acmée  de  ligne.  S'il  a  été  congédié 
avant  ce  terme,  il  doit  avoir  complété  au  moins  cinq 
ans  de  service  sous  les  drapeaux. 

^  Il  ne  doit  pas  s'être  écoulé  plus  de  cinq  années 
entre  la  date  de  sa  libération  et  celle  de  son  admission 
dans  la  réserve. 

y  n  doit  avoir  sa  résidence  dans  les  limites  de  la 
circonscription  du  district  des  pensionnaires  dans  lequel 
il  contracte  son  engagement  (  1  ) .  ^ 

k'  Il  doit  être  exempt  de  toute  infirmité  de  nature  à 
'le  rendre  impropre  à  un  service  actif. 


(1)  A  moins  d'autorisation  spéciale,  cette  résidence  ne  doit  même 
pas  être  distante  de  l'état-major  des  pensionnaires  de  plus  de 
99  milles  (AS  kUomètres  environ) 


3&S  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MlUTAiaCS 

5""  Il  De  doit  pas  avoir  été  renvoyé  de  l'année  de 
ligne  pour  mauvaise  conduite. 

Tout  ancien  soldat  admis  dans  la  réserve  anglaise  a 
droit  aux  allocations  suivantes  : 

l""  Il  reçoit  chaque  année  une  somme  de  &  livres 
(100  fr.),  divisée  en  quatre  payements  trimestriels. 

T  Si  le  gouvernement  réclame  sa  présence  sous  les 
drapeaux,  il  touche,  pendant  tout  le  temps  de  son  ser- 
vice actif,  la  solde  et  les  allocations  auxquelles  il  avait 
droit,  suivant  son  grade  et  les  tarifs  de  Tinfanterie,  au 
moment  où  il  a  été  libéré. 

y  II  a  droit  à  une  indemnité  de  1  penny  (5  centimes 
et  demi)  par  mille,  tant  pour  se  rendre  au  lieu  de  la 
convocation  que  pour  retourner  chez  lui. 

&*  Tous  les  sept  ans,  s'il  n'est  pas  convoqué,  et  plus 
souvent  en  cas  de  service  actif,  il  a  droit  à  un  habille* 
ment  complet. 

5**  S'il  est  blessé  ou  estropié  en  service  actif,  il  a 
droit  à  la  pension  qui  lui  aurait  été  accordée  suivant 
son  rang  dans  l'armée  de  ligne. 

6*  S'il  n'est  pas  pensionné  comme  invalide,  il  peut 
arriver,  par  sa  bonne  conduite,  à  toucher  la  pension 
que  les  règlements  assignent  à  son  grade,  en  comptant, 
pour  compléter  le  temps  exigé  et  à  raison  de  moiUé  de 
leur  nombre  effectif,  les  années  passées  dans  la  ré- 
serve. 

Les  obligations  auxquelles  sont  soumis  les  hommes 
de  la  réserve  anglaise  sont  les  suivantes  : 

l""  Tout  ancien  soldat  qui  s'enrôle  dans  ce  corps  doit 
s  engager  à  servir  pendant  le  temps  nécessaire  pour 


M  LA  FRANGE  ET  DB  L  ANGLETERRE.     3A9 

compléter  21  années  s'il  appartenait  à  l'infanterie,  ou 
24  s'il  sort  de  la  cavalerie,  derartillerie  ou  du  génie. 
(Ainsi  qu'il  a  été  spécifié  plus  haut,  deux  années  de 
service  dans  la  réserve  équivalent  seulement  à  une  an- 
née dans  l'armée  active.) 

2^  Chaque  année,  il  doit  suivre  pendant  douze  jours 
les  exercices  et  manœuvres  du  régiment,  du  dépôt  ou 
du  détachement  de  pensionnaires  sur  lequel  iL  est 
dirigé. 

•V  II  ne  doit  pas  quitter  le  district  dans  lequel  il  est 
enrôlé,  ni  changer  sa  résidence  sans  en  donner  avis. 

&•  Il  doit  se  présenter  une  fois  tous  les  trois  mois  à 
Tétat-major  des  pensionnaires  de  son  district  pour  tou- 
cher son  allocation  trimestrielle. 

5*  En  cas  de  guerre,  s'il  est  convoqué  pour  le  ser- 
vice actif,  il  doit  se  rendre  au  régiment  ou  au  dépôt 
qui  lui  est  désigné,  et  il  doit  rester  sous  les  drapeaux 
aussi  longtemps  que  sa  présence  est  réclamée. 

6*  En  cas  de  guerre  ou  de  réunion  pour  les  exer- 
cices et  manœuvres,  il  est  soumis  au  code  de  l'armée 
[articles  of  war)  et  tenu  d'obéir  aux  autorités  mili- 
taires. 

7°  Lorsqu'il  a  complété  le  temps  de  service  exigé 
pour  la  pension,  il  est  obligé,  jusqu'à  l'âge  de  cin- 
quante-cinq ans,  de  servir  dans  les  pensionnaires  enrô- 
lés aux  conditions  et  suivant  les  règles  établies  pour 
les  hommes  qui  appartiennent  à  ce  corps. 

8*  En  cas  de  non-accomplissement  des  diverses  obli- 
gations indiquées  ci-dessus,  il  est  exposé  à  perdre  tous 
les  droits  et  tous  les  avantages  spécifiés  dans  le  règle- 


350  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  ttlUTAIRBS 

ment  d'organisation,  sans  préjudice  des  châtiments  qai 
peuvent  lui  être  inQigés,  le  cas  échéant,  par  les  cours 
martiales. 

Les  officiers  chargés  de  l'administration  des  pension- 
naires dans  les  différents  districts  de  la  Grande-Bre- 
tagne doivent  tenir  les  contrôles  des  hommes  qui  s'en- 
rôlent dans  la  réserve  (1).  En  r^ard  de  cette 
immatriculation,  qui  a  Heu  sur  la  présentation  du  cer- 
tificat de  libération  délivré  par  le  corps  auquel  appar- 
tenait l'enrôlé,  doivent  figurer  tous  les  renseignements 
établissant  sa  position,  tels  que  :  numéro  de  l'ancien 
régiment,  temps  de  service  accompli  dans  l'armée  ac- 
tive, durée  de  l'engagement  dans  la  réserve.  Age,  do- 
micile,etc. 

Au  moyen  de  ces  indications,  la  plus  grande  facilité 
est  obtenue  pour  la  surveillance,  les  convocations,  la 
solde,  etc.,  des  hommes  de  la  réserve.  Pour  assurer 
l'établissement  régulier  de  leurs  droits  à  la  pension  de 
retraite,  l'officier  chaîné  de  la  tenue  des  contrôles  doit 
y  inscrire  soigneusement  toutes  les  périodes  pendant 
lesquelles  les  hommes  sont  employés  en  service  actif  ou 

(1)  Voici  la  formule  de  renrôlement  pour  la  réserve  r 
I  —  do  déclare  that  I  was  discharged  from  the  —  Régiment  af  — 
after  a  service  of  -  years;  that  1  am  of  tbe  âge  of  — ;  aod  ttaat,  pro- 
vided  my  services  shall  so  loog  be  required,  1  wlil  serve  ber  Majesty, 
ber  beirs  and  successors,  in  the  Reserve  force  enrolled  or  to  be  en^ 
rolied  for  service  within  the  onited  Kingdom,  in  virfue  of  tbe  acl 
noted  in  the  margin  (*22  et  23  Vli^.  c.  Zi2),  for  sucb  a  period  as, 
reckoned  at  the  rate  of  two  years  for  one  may  be  required  io  com- 
plète —  years'service. 

(Signature.) 
Declared  before.  »e«  Signature  eu  Juge  de  |kiIjl) 


DK'LA  FRAIIGB   ET  DE   L  ANGLETERRE.  55 1 

permanent.  Lorsque  ces  périodes  se  prolongent  au  delà 
de  trois  mois,  elles  ne  sont  plus  décomptées,  et  c'est 
de  toute  justice,  sur  le  pied  du  service  ordinaire  fait 
dans  la  réserve,  mais  bien  pour  leur  durée  effective, 
comme  dans  l'armée  active. 

L'espèce  de  panique  chronique  dont  nos  voisins  .. 
semblent  périodiquement  affligés  depuis  quelques  an- 
nées, n'est  sans  doute  pas  étrangère  à  la  récente  orga- 
nisation de  la  réserve  anglaise.  Cependant,  cette  insti- 
tution ne  doit  pas  être  rangée  dans  la  foule  de  ces 
créations  bizarres  et  confuses  dont  l'ensemble  offre  ac- 
tuellement un  véritable  chaos,  et  au  moyen  desquelles 
on  a  cherché,  de  l'autre  côté  du  détroit,  à  suppléer  à 
rinsuffisance  de  l'armée  régulière. 

Si  l'antagonisme  de  ces  divers  systèmes  ne  peut 
aboutir,  suivant  nous,  qu'à  augmenter  encore  les  diffi- 
cultés que  rencontre  le  recrutement  des  troupes  de 
ligne,  il  est  possible,  au  contraire,  que  le  principe  sur 
lequel  repose  Torganisation  de  la  réserve  contienne  en 
germe  toute  une  révolution  dans  la  constitution  des 
armées  modernes. 

Dans  les  conditions  actuelles,  il  est  évident  que  l'en 
tretien  d'un  état  militaire  respectable  est,  pour  toute 
les  puissances  en  général,  la  source  de  charges  de  jour 
en  jour  plus  écrasantes  et  dont  il  faudra  bien  tôt  ou 
tard  se  décider  à  alléger  le  poids . 

Or,  le  problème  à  résoudre,  celui  que  Napoléon  I" 
s'était  proposé  comme  une  vue  d'avenir,  et  quand  il 
pourrait  substituer  une  armée  défensive  à  une  armée 
conquérante; —  le  problème  que  chaque  nation  doit 


553  CONSTITUTION  ITT  PUISSANCE  MILITAIRES 

résoudre  aujourd'hui,  c'est  de  constituer  son  année  de 
manière  que ,  toujours  forte  ,  instruite,  exercée  , 
et  surtout  toujours  disponible  en  cas  de  guerre^  elle  ne 
soit  pas,  en  temps  de  paix ^  trop  onéreuse  pour  le  trésor 
public. 

L'organisation  perfectionnée  des  réserves  peut  seule 
conduire  à  la  solution  de  cette  grave  question. 

Depuis  la  loi  de  1832,  larmée  en  France  est  com- 
posée: 

lo  De  l'effectif  entretenu  sous  les  drapeaux:  2*  des 
hommes  laissés,  —  ou  envoyés  en  congé  dans  leurs 
foyere. 

Cette  seconde  portion  de  l'armée,  autrement  dit  la 
réserve,  se  compose  donc  elle-même,  comme  on  le 
voit,  de  deux  éléments  bien  distincts. 

Chaque  fois  qu'il  y  a  lieu  de  réduire  l'effectif,  des 
cmgés  illimités  sont  délivrés  dans  chaque  corps  aux 
militaires  les  plus  anciens  de  service  effectif  sous  les 
drapeaux,  et  de  préférence  à  ceux  qui  le  demandent. 
Rendus  à  la  vie  civile,  ces  militaires,  jusqu'à  Texpira- 
tion  du  temps  de  service  fixé  par  la  loi,  demeurent  à  la 
disposition  du  gouvernement.  En  cas  de  guerre,  ils 
doivent,  au  premier  ordre,  rejoindre  sans  délai  les  ré- 
giments sur  les  contrôles  desquels  ils  continuent  à 
figurer. 

Les  jeunes  gens  désignés  par  le  sort  pour  faire  par- 
tie du  contingent  annuel,  et  que  leur  numéro  n*a  pas 
appelés  sous  les  drapeaux,  sont  laissés  dans  leurs  foyers 
et  placés  dans  les  mêmes  conditions  que  les  soldats  en 
congé  illimité;  ils  restent  également  à  la  disposition  du 


DB  LA  FEANCB  ET  DE  l' ANGLETERRE.     âSâ 

gouvernement  jusqu'à  l'expiration  des  sept  années 
pendant  lesqueUes  la  loi  les  soumet  au  service  militaire. 

On  comprendra  facilement  toute  la  différence  qui  a 
séparé  jusqu'ici  les  deux  catégories  d'individus  compo- 
sant la  réserve  française.  On  peut  dire  que,  pendant 
longtemps,  les  jeunes  gens  non  appelés  ont  représenté 
des  hommes,  mais  nullement  des  soldats  effectifs.  Toute 
la  consistance  de  la  réserve  ne  reposait  en  réalité  que 
sur  le  nombre  plus  ou  moins  grand  des  militaires  en 
congé  illimité.  En  cas  de  guerre  ou  d'augmentation 
d'effectif,  ces  derniers  étaient  les  seuls,  en  effet,  quMl 
fût  possible  de  mettre  immédiatement  en  ligne.  Quant 
aux  conscrits  qui  n'avaient  jamais  rejoint,  leur  éducs 
tion  militaire  étant  tout  entière  à  faire^  on  ne  pouvait 
compter  sur  eux  en  cas  d'éventualités  pressantes;  ils 
constituaient  seulement  une  ressource  pour  une  se- 
conde campagne. 

Cette  organisation  était  essentiellement  défectueuse. 
Constituée  comme  nous  venons  de  le  dire,  la  réserve 
française  pouvait  résoudre  le  côté  financier  de  l'insti- 
tution, elle  pouvait  être  économique;  mais,  par  la 
force  même  des  choses,  elle  cessait  de  présenter  les 
garanties  de  solidité  qui  doivent  caractériser  une  véri- 
table réserve,  précisément  au  moment  où  ces  condi- 
tions étaient  plus  impérieusement  réclamées  par  les 
circonstances. 

Qu'arrivait-il,  en  effet,  le  plus  souvent? 

Lorsqu'une  question  grave  venait  à  surgir  (et  com- 
bien de  ce  genre  ont  agité  l'Europe  depuis  1815!), 
lorsque  Thorizon  était  menaçant,  la  répugnance  chaque 

23 


356  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAiaES 

jour  plus  profonde  des  nations  modernes  pour  la  guerre 
engageait  à  tenter  tous  les  efforts,  à  épuiser  tous  les 
moyens  pour  arriver  à  une  solution  pacifique.  Pendant 
les  évolutions  de  la  diplomatie  dans  ce  but,  le  temps 
marchait,  et  des  années  s'écoulaient  quelquefois  au 
milieu  du  malaise,  des  inquiétudes  et  des  alarmes  qui 
accompagnent  les  situations  tendues.  Pendant  ces  pé- 
riodes difficiles,  la  France,  comme  les  autres  États, 
était  obligée  de  supporter  toutes  les  charges  d'un  pied 
de  guerre  ruineux,  mais  dont  la  prudence  faisait  une 
loi.  Si  elle  n'appelait  pas  sa  réserve  sous  les  drapeaux, 
encore  moins  pouvait-elle  se  hasarder  à  diminuer  l'ef- 
fectif de  son  armée  active. 

Cette  réserve,  pendant  ces  années  d'incertitude  et 
de  paix  armée,  ne  recevait  donc  plus  de  soldats  en 
congé  illimité.  Elle  allait  s'appauvrissant,  s'affaiblis- 
sant  de  jour  en  jour  par  l'insuffisance  du  seul  élément 
réellement  militaire  qui  fît  sa  force.  Loi*sque  la  diplo- 
matie avait  vidé  son  arsenal,  lorsque  l#s  conférences  et 
les  congrès  avaient  successivement  échoué,  si  un  casus 
MU  soudain  venait  à  déterminer  les  hostilités,  la 
France  se  trouvait  n'avoir  pour  réserve  que  des  con- 
scrits qu'il  fallait  former  à  la  hâte,  et  qui  de 
longtemps  étaient  incapables  d'alimenter  Tannée 
active. 

A  une  époque  où  les  progrès,  où  les  améliorations  se 
succèdent  sans  relâche,  l'imperfection  du  système  de 
la  réserve,  démontrée  par  les  guerres  de  Crimée  et 
d'Italie,  ne  pouvait  manquer  de  fixer  Tattention.  Delà 
à  une  réforme,  il  ne  devait  y  avoir  qu'un  pas  sous  FiiD- 


DB  hk  FRANCB  KT  DE  L  ANOUrrOM.  355 

pulsion  vigoureuse  et  centralisée  qui,  en  France,  fait 
mouvoir  tout  ce  qui  tient  à  Tarmée. 

Partant  de  ce  principe,  que  la  réserve  doit  se  grossir 
de  tout  l'excédant  dont  les  circonstances  permettent  de 
soulager  Y  effectif  soldée  et  qu'elle  doit  aussi,  d'un  autre 
côté,  toujours  être  en  mesure  d'élever  le  chiffre  de 
l'armée  active  à  la  hauteur  des  éventualités,  en  lui  res- 
tituant, pour  les  besoins  de  la  guerre,  ce  qu'elle  en  a 
reçu  pendant  les  chômages  de  la  paix,  deux  moyens 
également  pratiques  semblaient  se  présenter  en  France 
pour  donner  à  cette  institution  la  solidité  nécessaire, 
tout  en  conservant  l'organisation  économique  qui  lui 
permet  d'alléger  les  charges  militaires  imposées  au 
pays. 

On  pouvait  développer  et  assurer  cette  solidité  en  ne 
laissant  aucun  des  éléments  qui  composent  la  réserve 
sans  un  degré  suffisant  d'instruction  et  d'éducation 
militaires;  on  pouvait  aussi  modifier  la  loi  quant  au 
chiffre  des  contingents  el  quant  à  la  durée  du  temps 
effectif  à  passer  sous  les  drapeaux,  de  manière  à  verser 
chaque  année  dans  la  réserve  (en  échange  des  nou- 
veaux conscrits  admis  dans  les  coi*ps)  un  nombre  d'au* 
ciens  soldats  suffisant  pour  assurer  sa  consistance  mili- 
taire. 

En  adoptant  lé  premier  de  ces  deux  systèmes,  on  ne 
devait  plus  attendre,  comme  par  le  passé,  qu'une  guerre 
fût  déclarée  pour  commencer  le  dressage  de  la  portion 
des  contingents  qui  est  laissée  dans  ses  foyers  et  qui 
forme  la  majeure  partie  de  la  réserve. 

En  militarisant  à  l'avance  les  jeunes  gens  non  appe* 


â5G  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  tflLITAIRBS 

lés,  de  manière  à  les  mettre  à  même  de  pouvoir  servir 
immédiatement,  en  cas  d^  besoin,  au  moins  k  Tiiité- 
rieur,  on  constituait  une  véritable  armée  de  seconde 
ligne  à  laquelle  la  défense  du  territoire  et  la  garde  des 
places  fortes  pouvaient  être  confiées.  On  rendait  l'ar- 
mée active  entièrement  disponible  pour  Textérieur. 

Cette  combinaison,  fort  simple  en  apparence,  une 
fois  admise,  quelle  marche  devait-on  suivre  pour  la 
mettre  en  pratique? 

La  non-instruction  de  la  réserve  française,  qui  jus- 
qu*ici  n^avait  eu  que  des  hommes  numérotés  et  non  des 
Yïomaïd^  disciplinés  ;  la  nécessité  reconnue  d'alléger  les 
dépenses,  avaient  bien  fait  nattre  de  nombreuses  cri- 
tiques et  presque  autant  de  propositions;  mais  auquel 
de  ces  anciens  projets  fallait-il  recourir?  Devait-ou, 
comme  en  183â,  supprimer  un  bataillon  par  régiment 
d'infanterie  et  employer  les  cadres  rendus  disponibles 
à  la  formation  de  dépôts  chargés  d^instruire  les  jeunes 
gens?  Êtait-il  préférable,  suivant  le  projet  discuté  en 
18/i8,  de  disséminer  dans  les  3,000  chefs-lieux  de  can- 
*  ton  que  présente  la  France  un  personnel  d'oflBciers  et 
sous-officiers  instructeurs?  Ces  deux  combinaisons 
conduisaient  à  la  dislocation  d'une  notable  portion  des 
cadres  de  l'armée  active,  et  ces  cadres,  c'est  précisé- 
ment ce  qui  doit  être  conservé  le  plus  précieusement. 
Leur  dissémination  à  travers  toute  la  France  en  petits 
groupes  isolés,  livrés  à  eux-mêmes,  c'était  leur 
prompte  démilitariscUion.  D'ailleurs,  ni  l'un  ni  l'autre 
de  ces  systèmes  ne  permettait  de  former  des  cavaliers, 
des  artilleurs,  etc.;  tous  deux  ne  donnaient  que  des 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     357 

fantassins  :  or,  une  véritable  réserve  doit  être  en  ^me- 
sure  de  pourvoir  avec  la  même  facilité  aux  besoins  de 
toutes  les  armes  qui  entrent  dans  la  composition  de 
l'armée  active. 

Frappé  de  ces  inconvénients,  le  gouvernement  ac- 
tuel (et  ce  ne  sera  pas  sa  moindre  gloire)  n'a  pas  craint 
de  rompre  entièrement  avec  les  errements  du  passé  à 
l'endroit  de  la  réserve  militaire  de  la  France.  Une  or- 
ganisation cantonale  et  locale  peut,  en  effet,  offrir  des 
ressources  pour  Tinscription  et  la  réunion  éventuelle  de 
la  réserve;  mais,  appliquée  aux  troupes  de  ligne,  elle 
serait  la  désorganisation  morale  et  militaire  de  l'armée. 

Le  gouvernement  n'a  pas  voulu  que  T  instruction 
des  jeunes  gens  laissés  dans  leurs  foyers  fût  payée  d'un 
pareil  prix.  Persuadé  que  ce  n'est  pas  la  dispersion, 
mais  tout  au  contraire  la  réunion,  la  concentration  qui 
font  les  bonnes  troupes,  il  a  pris  résolument  le  contre- 
pied  des  anciens  projets,  c'est-à-dire  qu'au  lieu  d'en- 
voyer les  instructeurs  près  de  la  réserve,  il  a  décidé 
qu'on  enverrait  la  réserve  près  des  instructeurs.  Les 
jeunes  gens  ont  donc  été  dirigés,  suivant  l'arme  dans 
laquelle  ils  comptaient,  sur  les  différentes  garnisons 
d'infanterie,  de  cavalerie  ou  d'artillerie  les  plus  voi- 
sines de  leurs  résidences.  Là  du  moins  ces  recrues  ont 
vécu  sous  l'influence  du  respect  de  tous  pour  le  dra- 
peau ;  mêlés  aux  rangs  de  l'armée,  ils  ont  subi  celle 
qu'exercent  sur  chacun  cette  vie  intérieure,  ces  ma- 
nœuvres où  un  bon  régiment  se  montre  à  lui-même  et 
à  la  population  dans  tout  réclaf  de  sa  mâle  beauté. 

Les  résultats  obtenus  par  cette  première  expérience 


S58  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MIUTAIRES 

dépassent  toutes  les  espérances  que  Ton  a\ait  pu  con- 
cevoir. De  cette  épreuve,  on  est  désormais  en  droit  de 
conclure  que  non-seulement  les  jeunes  gens  de  la  ré 
serve,  après  leur  premier  stage  de  trois  mois  sous  les 
drapeaux,  sont  susceptibles  de  satisfaire  à  toutes  les 
exigences  du  service  à  l'intérieur,  mais  encore  que, 
en  cas  de  nécessité,  le  plus  grand  nombre  pourrait  en- 
trer immédiatement  en  campagne  dans  les  rangs  de 
l'armée  active. 

Des  résultats  aussi  décisif,  aussi  concluants,  ne 
laissant  aucun  doute  sur  l'adoption  définitive  du  sys- 
tème qui  les  a  fournis,  nous  ne  dirons  qu'un  mot  du 
second  procédé  indiqué  plus  haut  pour  l'organisation 
et  l'instruction  de  la  réserve.  Et  cependant  rien  peut- 
être  n'est  plus  propre  à  faire  comprendre  toute  la  ri- 
chesse, toute  l'excellence  des  ressources  militaires  que 
la  loi  sur  le  recrutement  met  à  la  disposition  de  la 
France;  rien  n'est  plus  propre  que  ce  simple  exposé  à 
faire  ressortir  l'avantage  immense  qu'elle  nous  donne 
sur  nos  voisins  et  à  montrer  comment,  là  où  ils  sont  obli- 
gés de  recourir  aux  expédients  les  plus  bizarres,  les 
plus  dispendieux  et  les  plus  incertains  pour  maintenir 
leur  état  militaire,  nous  n'avons,  de  notre  côté,  que 
l'embarras  du  choix  entre  des  systèmes  aussi  fé- 
conds et  aussi  économiques  que  fecilement  praticables. 

En  efiPet,  le  contingent  annuel  étant  de  100,000 
hommes  en  temps  ordinaire  (1)  et  la  durée  du  service 


(1)  Lorsque  les  circonstances  Texigent,  ce  chiffre  peut  être  plus 
élevé  :  11  était  de  l/iiO,000  hommes  ^  Tépoque  de  la  guerre  de  Crimée. 


DB   LA   F&ÂNGB  ET  DE  L  AN6LETBWBUB.  359 

étant  de  s^pt  années,  le  chiffre  total  de  Tannée  fran- 
çaise, tant  portion  active  que  réserve,  représente 
700,000  hommes  dans  les  conditions  normales  (1). 

Supposons  qu'au  Ueu  de  laisser  une  portion  du  con- 
tingent dans  ses  foyers,  ainsi  que  cela  a  lieu  en  temps 
de  paix,  le  gouvernement  appelle  la  totalité  des  jeunes 
gens  sous  les  drapeaux,  et  réduise,  d'un  autre  côté,  la 
durée  du  temps  pendant  lequel  il  les  conservera  dans 
Teffidctif  actif  et  soldé,  on  pourira  encore,  par  ce  sys- 
tème, réduire  à  volonté  cet  effectif  soldé,  réaliser 
toutes  les  économies  que  le  calme  des  situations  com- 
portera, et  cela  sans  raccourcir  en  aucune  façon  Tépée 
de  la  France,  sans  diminuer  en  rien  la  puissance  mili* 
taire  qui  fait  sa  force  et  sa  sécurité. 

Si  l'efibctif  suflBsant,  en  temps  de  paix,  ne  doit  pas 
dépasser  350,000  hommes,  par  exemple,  les  100,000 
hommes  du  contingent  annuel,  incorporés  en  totalité, 
resteront  de  trois  à  quatre  ans  sous  les  drapeaux  et 
remplaceront  chaque  année  les  100,000  soldats  les 
plus  anciens  de  service  effectif,  qui  passeront  dans  la 
réserve. 

Au  bout  de  sept  années,  si  la  paix  durait  tout  au- 
tant, l'armée  active  de  350,000  hommes  se  trouverait 
appuyée  d'une  réserve  de  350,000  autres  soldats  clas- 
sés, instruits,  comptant  de  trois  à  quatre  ans  de  service 
sous  les  drapeaux,  et  pouvant,  en  cas  d'urgence,  être 
raadus  très  rapidement  à  l'activité. 


(i)  Dans  ce  chiffre  de  700,000  hommes  figurent  naturellement 
les  non-valeurs  de  toutes  sortes. 


360       coNsrrruTioif  et  puissance  miutairss 

Dans  ce  second  système,  on  n'aurait  plus  à  s'occu- 
per de  l'instruction  de  la  réserve,  qui  se  trouverait  ex- 
clusivement composée  d'anciens  soldats.  De  simples 
appels  périodiques  ou  des  exercices  de  quelques  jours 
suffiraient  pour  remplacer  les  stages  de  trois,  deux  et 
un  mois,  par  lesquels  doivent  passer  les  jeunes  gens 
sous  le  régime  qui  vient  d'être  expérimenté.  Si  ce  der- 
nier a  obtenu  la  préférence,  bien  qu'il  n'ait  pas  lavan- 
ti^e  de  répartir  aussi  Clément  l'impôt  des  hommes 
et  le  temps  nécessaire  au  service  de  la  patrie,  c'est  que 
la  circonstance  de  Y  appel  intégral  de  chaque  contingent 
annuel  sous  les  drapeaux  a  pu  parattre  constituer  une 
charge  plus  lourde  pour  la  population. 

Quoiqu'il  puisse  en  être,  du  reste,  des  avantages 
respectifs  des  deux  systèmes,  il  est  évident  qu'ils  sont 
également  économiques,  également  pratiques;  il  est 
évident  qu'ils  découlent  avec  une  égale  facilité  de  notre 
admirable  loi  sur  la  conscription;  —  la  conscription, 
a  le  mode  de  recrutement  le  plus  juste,  le  plus  doux,  le 
plus  avantageux  au  peuple  (1)  »  ;  —  la  conscription, 
que  le  patriotisme  de  la  population  accepte  en  France 
sans  murmure,  parce  que  depuis  longtemps  cette  in- 
stitution est  entrée  profondément  dans  nos  mœurs  et 
dans  nos  habitudes;  parce  qu'elle  fait  appel  indistinc- 
tement à  toutes  les  classes  et  à  tous  les  individus  de 
chaque  classe,  et  parce  qu'elle  s'accorde  avec  l'instinct 
militaire  si  généralement  répandu,  si  enraciné  chez 


(i)  Napoléon. 


DB   LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     361 

nous,  qu'il  lui  suffit  d'une  menace  de  Tétranger  pour 
devenir  une  passion  irrésistible. 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  Toi^anisation  récente 
de  la  réserve  anglaise  contenait  peut-être,  en  germe, 
toute  une  révolution  dans  la  constitution  des  armées 
modernes.  Il  est  temps  d'expliquer  notre  pensée,  et  les 
considérations  dans  lesquelles  nous  sommes  entrés  au 
sujet  de  la  réserve  française,  vont  nous  y  aider. 

L'enrôlement  volontaire  étant  le  seul  mode  adopté 
pour  le  recrutement  de  leur  armée,  nos  voisins  n'ont 
jamais  eu  et  ne  pouvaient  avoir  de  réserves  analogues 
à  celles  que  le  service  obligatoire  fournit  aux  nations 
continentales. 

Cette  difficulté,  en  les  affirancbissant  tout  d'abordde 
l'obligation  d'étudier  les  moyens  plus  ou  moins  impar- 
faits de  former  d'imparfaits  soldats,  et  en  leur  inspi- 
rant la  combinaison  exposée  au  début  de  ce  chapitre, 
les  a  conduits  à  la  solution  évidemment  la  plus  ration- 
nelle du  problème  de  la  réserve. 

En  effet,  si  Ton  veut  bien  réfléchir  à  la  tâche  qui 
incombe  à  cette  institution ,  -^  si  l'on  considère  qu'en 
définitive,  dans  l'ensemble  d'une  guerre,  et  dans  les 
épreuves  suprêmes  qui  résultent  d'une  lutte  sérieuse  et 
prolongée  de  peuple  à  peuple,  la  réserve  peut  être  pré- 
cisément obligée  de  jouer  le  rôle  qui  appartient  aux 
corps  d'élite  sur  le  champ  de  bataille  et  dans  chaque 
épisode  de  la  lutte;  —  si  Ton  considère  qu'en  cas  de 
désastre,  elle  est  fatalement  appelée  à  remplacer  l'ar- 
mée de  première  ligne  devant  un  ennemi  dont  le  suc  - 
ces  aura  décuplé  la  puissance  et  l'audace  ;  on  arrive 


362  CONSTITUTION  ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

nécessairement  à  cette  conclusion,  que,  loin  de  le  cé- 
der à  l'armée  active  en  instruction,  en  expérience,  en 
solidité,  la  réserve  devrait,  au  contraire,  être  supé- 
rieure à  celle-ci,  à  ces  divers  égards;  de  même  que  les 
corps  d'élite  tenus  en  réserve  pour  porter  ou  repous- 
ser les  coups  décisifs  qui  décident  d'un  combat,  rem- 
portent ordinairement  sur  les  autres  troupes. 

En  faisant  appel  aux  vétérans  disséminés  dans  la  po- 
pulation du  Royaume-Uni  :  —  en  composant  exclusi- 
vement sa  nouvelle  réserve  d'anciens  soldats  qui  comp* 
tent,  en  moyenne,  dix  ans  de  services  effectifs  sous  les 
drapeaux  et  sous  tous  les  climats,  au  lieu  de  la  former 
de  jeunes  soldats  qui  n'ont  jamais  vu  le  feu,  ainsi  que 
cela  se  pratique  sur  le  continent,  —  l'Angleterre,  du 
premier  coup,  s'est  évidemment  rapprochée  de  la  per- 
fection autant  que  le  comportait  son  régime  militaire. 

Maintenant,  cette  combinaison  dictée  à  nos  voisins 
par  la  nécessité  et  par  l'absence  de  ces  ressources  infi- 
nies que  la  conscription  met  aux  mains  des  gouverne- 
ments continentaux,  cette  combinaison  est-elle  incom- 
patible avec  nos  institutions  T  En  aucune  façon.  On 
peut  même  dire  hardiment  que  son  essai  rencontrerait 
en  France  des  facilités,  des  conditions  de  réussite  qui 
n'existent  pas  en  Angleten^e. 

Chez  nos  voisins,  en  effet,  le  service  militaire  étant 
facultatif,  et  la  constitution  sociale  de  l'armée  britan- 
nique n'offrant  aucun  avenir  au  simple  soldat ,  les 
hommes  qui  se  résignent  à  cette  carrière  ingrate  ne 
peuvent  y  être  poussés  que  par  l'horreur  du  travail,  le 
manque  d'une  industrie  suffisante  pour  les  faire  vivre. 


D«  LA  FRAlfCE  ET  DK  l' ANGLETERRE.  56S 

OU  la  misère,  conséquence  obligée  de  la  paresse  et  de 
rinconduite.  Une  fois  enrôlés,  ces  hommes  ont  pour 
rester  au  service  les  raisons  qui  les  ont  forcés  à  y  entrer. 
Fort  peu  doivent  donc  quitter  l'armée  pour  rentrer 
dans  la  vie  civile  à  l'expiration  de  leur  engagement; 
aussi,  est-ce  bien  gratuitement,  suivant  nous,  que  le 
Parlement  s'est  cru  obligé  de  limiter  l'autorisation  ac- 
cordée au  gouvernement  pour  la  formation  de  sa  ré- 
serve. Le  chiffre  de  20,000  hommes,  qui  représente 
cette  limite,  non-^ulement  ne  sera  jamais  atteint,  mais 
nous  serions  bien  étonnés  si  la  nouvelle  organisation 
arrivait  jamais  à  réaliser  la  moitié  de  cet  effectif. 

En- France,  le  service  militaire  étant  obligatoire, 
il  s'établit,  entre  l'armée  et  la  population ,  une  sorte 
de  double  courant  dont  l'effet  continu  est  facile  à 
comprendre.  Chaque  année,  indépendamment  des 
jeunes  gens  qui  embrassent  la  carrière  militaire,  pous- 
sés par  une  vocation  et  des  goûts  que  l'avenir  Sans 
bornes  ouvert  au  simple  soldat  ne  contribue  pas  peu  à 
développer, — il  entre  aussi  dans  l'armée  des  milliers  de 
conscrits,  artisans,  laboureurs,  employés,  etc. ,  apparte- 
nant à  d'honnêtes  familles,  mais  dont  les  ressources 
sont  trop  limitées  pour  payer  le  prix  d'exonération  du 
service  militaire.  Leur  congé  terminé,  ceux  de  ces 
jeunes  gens  auxquels  leurs  anciennes  occupations  sont 
restées  chères,  rentrent  dans  la  vie  civile  et  retournent 
à  leur  profession  première. 

Pendant  leur  stage  dans  les  rangs  de  Tarmée,  ces 
soldats  par  devoir^  sinon  par  goiU^  contractent  généra- 
lement les  habitudes  d'ordre,  d'obéissance,  qui  distin- 


36/i  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MIUTAIUS 

guent  les  anciens  militaires  dans  racoomplissement  de 
leurs  obligations  de  citoyens.  Séparés  de  braves  et  hon- 
nêtes camarades  auxquels  ils  étaient  unis  par  la  com- 
munauté d'origine,  dont  la  fréquentation  n'avait  rien 
qui  pût  froisser  leur  dignité,  dont  ils  ont  partagé  les 
dangers,  les  travaux,  ils  quittent  leur  riment  comme 
une  famille  à  laquelle  ils  garderont  un  affectueux  sou- 
venir, à  laquelle  ils  resteront  toujours  associés  de  cœur. 
Dans  l'atelier  des  grandes  villes,  comme  dans  l'hum- 
ble village,  ils  rapportent,  ils  conservent,  ils  propagent 
cet  amour  de  la  gloire,  ces  sentiments  de  patriotisme, 
ce  culte  du  drapeau ,  qui  font  qu'en  France  Tannée 
est  l'idole  de  la  nation  (1),  au  lieu  d'être,  comme  chez 
nos  voisins,  l'objet  d'une  antipathie,  d'une  défiance, 
d'un  mépris,  trop  souvent  l^itimés  par  la  triste  com- 
position de  son  recrutement. 

Rien  n'empêcherait  de  former  en  France,  contre  les 
attaques  du  dehors,  une  seconde  réserve  organisée  sur 
les  mêmes  bases  que  la  réserve  anglaise.  Sans  faire  ap- 
pel, comme  nos  voisins,  à  tous  les  anciens  militaires 
indistinctement,  mariés  ou  non  mariés,  nous  pourrions, 
tant  sont  nombreuses  les  ressources  qui  dérivent  de  la 
conscription,  former  une  armée  entière,  en  convoquant 
seulement  les  célibataires  de  vingt-cinq  à  trente-cinq 
ans  retirés  du  service. 
Cette  seule  catégorie  pourrait  former  100  bataillons, 

(1)  Ceux  de  DOS  voisins  qui  ont  assisté  au  départ  de  l*Einpereur 
pour  l*ltalie;  ceux  qui  ont  vu  revenir  notre  armée  de  Magenta  et  de 
Solferinorsont  en  mesure  de  décider  si  les  couleurs  de  ce  tableau 
sont  exagérées. 


BB  LA  FRANCE   ET  DE  L'ANGLETERRE.  365 

dont  l'effectif,  suivant  les  calculs  du  général  Paixhans, 
dépasserait  120,000  hommes.  Gomme  en  Angleterre, 
ces  anciens  soldats  resteraient  libres  chez  eux,  et  con- 
tinueraient à  exercer  leur  profession  et  à  vaquer  à  leurs 
affaires  ;  seulement,  connus,  désignés,  inscrits  comme 
le  sont  actuellement  les  jeunes  gens  du  contingent 
laissés  dans  leurs  foyers,  ils  seraient  unis  entre  eux, 
dans  chaque  département ,  par  un  noyau  élémentaire 
d'organisation,  dont  le  dépôt  de  recrutement  serait  le 
centre  naturel. 

Enrôlés  pour  servir  en  cas  de  guerre,  et  à  l'intérieur 
seulement,  c«s  hommes  seraien^  soumis  pendant  la 
paix  à  des  réunions,  à  des  appels,  à  des  exercices  cal- 
culés de  façon  à  gêner  le  moins  possible  leurs  occupa- 
tions, mais  suffisants  cependant,  pour  entretenir  parmi 
eux  un  esprit  militaire ,  une  habitude  de  discipline, 
enfin  une  pratique  des  armes  dont  leur  passage  récent 
dans  les  rangs  de  l'armée  active  donnerait  d'ailleurs  la 
garantie. 

En  temps  de  guerre,  les  100  bataillons  ainsi  formés 
rendraient  entièrement  disponible  un  nombre  ^al  de 
bataillons  de  l'armée  de  ligne,  en  gardant  les  places 
fortes,  en  occupant  les  camps  fortifiés  de  la  frontière. 

Si  le  danger  venait  jusqu'à  nos  portes,  si  l'étranger 
s'aventurait  à  porter  la  guerre  sur  notre  territoire,  la 
portion  la  plus  hardie,  la  plus  active  de  ces  cent  mille 
vétérans,  dont  les  devoirs  de  famille  ne  viendraient  pas 
arrêter  rélan,  se  formerait  en  compagnies,  en  détache- 
ments expéditionnaires,  et  fournirait  &0,  kO,  50,000 
tirailleurs  d'élite,  qui  harcèleraient  Tennemi  sur  tous 


. I 


366         CONSTITUTION  10*  PUISSANCE  bulitaires 

les  points,  tandis  que  l'autre  portion  escorterait  les  con- 
vois, et,  réunie  aux  troupes  de  ligne,  agirait  sur  les 
flancs  et  sur  les  communications  de  Tenvahisseur. 

Une  pareille  réserve,  organisée  sur  les  bases  adoptées 
par  les  Anglais,  bases  assez  rationnelles,  assez  logiques, 
on  doit  le  reconnaître,  pour  pouvoir  se  plier  sans  diffi- 
culté à  l'esprit  général  de  nos  institutions  militaires;  — 
une  pareille  réserve,  disons-nous,  présenterait  comme 
solidité  et  comme  économie  des  avantages  incalcu- 
lables. 

Son  essai,  si  nous  en  jugeons  par  le  succès  qui  vient 
de  couronner  l'expérience  récente  dont  la  portion  du 
contingent  laissée  dans  ses  foyers  a  été  l'objet,  pour- 
rait être  tenté  avec  d'autant  plus  de  facilité,  que  la  ma- 
jeure partie  des  dispositions  prises  pour  rinstruction 
de  ces  jeunes  gens  serait  applicable  à  rorganisation 
et  aux  réunions  de  nos  soldats  libérés. 

D'abord,  le  rôle  des  dépôts  de  recrutement  serait  le 
même  dans  les  deux  cas.  L'instruction  pourrait  être 
donnée  dans  les  mêmes  conditions,  avec  cette  diffé- 
rence qu'une  période  de  quelques  jours  seulement  se- 
rait suffisante  pour  d'anciens  soldats  déjà  complète- 
ment dressés  au  moment  de  leur  libération. 

Tout  en  conservant  les  principales  dispositions  de 
détail  suivies  par  nos  voisins,  on  pourrait  d'ailleurs  sim- 
plifier considérablement  la  partie  administrative  de 
rinstitution.  Ainsi,  nos  vétérans  trouveraient  les  armes 
et  l'équipement  nécessaires  à  leurs  exercices  annuels 
dans  les  magasins  récemment  organisés  dans  les  dépôts 
d'instruction  de  la  réserve  actuelle.  Quant  à  leur  ha- 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     367 

billement,  considérant,  d'une  part,  qu'en  cas  de  guerre 
les  magasins  généraux  (dont  une  haute  prévoyance  a 
doté  larmée)  peuvent  armer  et  équiper  100,000  hom- 
mes en  quelques  jours;  et  que,  d'un  autre  côté,  pour 
leurs  exercices,  nos  vétérans  n'auraient  besoin  que 
d'une  tenue  uniforme,  mais  des  plus  simples;  nous 
voudrions  leur  voir  pour  tout  habillement  :  î""  Une 
blouse  de  chasse  (de  couleur,  dimension  et  modèle  dé- 
terminés) se  serrant  autour  de  la  taille  avec  un  cein- 
turon de  cuir  :  2"*  un  pantalon  de  toile;  â"*  une  paire  de 
soulier  avec  guêtres  en  cuir;  k""  une  casquette  ou 
képi  (1), 

Sur  l'allocation  annuelle  de  100  fr.  (qui  pourrait, 
du  reste,  pour  la  première  année  de  l'enrôlement,  être 
portée  à  120  ou  125  francs),  chaque  homme  devrait 
se  pourvoir  de  la  tenue  que  nous  venons  de  décrire. 
Pour  les  réunions  annuelles,  il  devrait  en  outreêtremuni 
d'un  havresac  contenant  ses  brosses  et  effets  de  pro* 


(1)  En  faisant  succéder  la  réserve  des  anciens  soldats  k  la  réserve 
ômjeuneigem  dans  les  dépôts  dMnstrucUon,  la  tenue  que  nous  in* 
diquons  nous  semble  suffisante  pour  la  température  habituelle  de 
la  saison  à  Tépoque  où  les  exercices  auraient  lieu.  En  cas  d'abaisse- 
ment peu  probable,  avec  leur  tricot  sous  leur  blouse  et  leurs  deux 
pantalons  mis  l'un  sur  Tautre,  nos  anciens  soldats  ne  craindraient 
pas  plus  la  rigueur  du  froid,  au  mois  de  mai  ou  de  juin,  que  ne  l*ont 
fait  les  jeunes  conscrits  exercés  cette  année,  et  dont  un  grand 
nombre  (à  cause  des  difficultés  et  des  retards  inévitables  dans  une 
première  installation  des  magasins  de  dépôt)  ont  bravement  manœu* 
vré  au  mois  de  février^  avec  les  vêtements  de  toile  qu*ils  avaient  ap* 
portés  et  qui  constituent,  au  reste,  tout  TbabUlement  de  la  plupart 
des  gens  de  la  campagne. 


368  GONSTITUTIOK  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

prêté,  deux  cravates  semblables  à  celles  adoptées  pour 
Tarmée,  une  chemise  et  un  pantalon  de  rechange,  un 
gilet  de  tricot  pouvant  être  porté  sous  la  blouse.  Dans 
le  cas  où  cet  équipement  ne  serait  pas  au  complet  et 
dans  un  état  d'entretien  convenable,  l'homme  de  la 
réserve  subirait  une  retenue  destinée  à  solder  le  prix  des 
effets  qui  lui  seraient  délivrés  par  le  magasin  du  dépdt,  et 
dont  le  montant  réduirait  d'autant  le  payement  trimes- 
triel de  25  francs,  qu'il  suffirait  de  faire  coïncider 
avec  l'époque  de  la  réunion. 

Nous  n'entrerons  pas  dans  de  plus  longs  détails  au 
sujet  d'une  oi^nisation  qui  semble  réaliser  jusqu'ici  les 
espérances  de  nos  voisins,  au  moins  dans  la  mesure 
permise  par  la  pauvreté  de  leurs  ressources  militaires. 
Nous  avons  voulu  montrer  seulement  que,  du  jour  où 
chez  nous  Tinstitution  d'une  réserve  composée  d'an- 
ciens soldats  serait  admise  en  principe,  comme  elle  l'est 
de  fait  en  Angleterre,  son  établissement  ne  rencontre- 
rait aucune  difficulté.  On  ne  doit  donc  pas  chercher, 
dans  ce  qui  précède,  la  rédaction  d  un  projet  déBnitit, 
mais  y  voir  seulement  l'exposé  d'un  avant-projet»  d'un 
simple  thème  offert  à  la  discussion. 

Depuis  longtemps  on  se  préoccupe  partout,  avec 
raison,  de  la  nécessité  d'une  réduction  dans  les  dépenses 
militaires;  nombre  d'écrits  ont  été  publiés  sur  cette 
grave  question.  Cependant,  jusqu'ici,  aucune  des  com- 
binaisons proposées,  en  vue  de  ce  résultat  si  désiré, 
n'a  semblé  réunir  assez  de  garanties  pour  être  adoptée. 

On  a  démontré  que  la  guerre  de  1792  à  1798  (an- 
«nées  pour  lesquelles  on  a  des  documents)  avait  coûté 


DE  LA   FRAlfCR   ET   DE  l'aNGLETEREE.  360 

â2  milliards  à  l'Europe,  tant  par  l'entretien  des  armées 
que  par  les  destructions  accomplies  ;  on  a  constaté  qu'à 
la  paix  de  1815,  il  restait  à  la  charge  des  gouverne- 
meuts  une  dette  qui  se  montait  à  plus  de  35  milliards 
en  capital  ;  on  a  fait  le  compte  de  toutes  les  améliora- 
tions que  les  budgets  généraux  eussent  été  à  même  de 
réaliser,  si,  pendant  les  quarante  années  de  paix  qui 
ont  suivi  1815,  on  n'avait  entretenu  des  forces  telles, 
que  les  dettes  publiques,  loin  de  décroître,  ont  été  tou- 
jours en  augmentant. 

Ces  spéculations,  pas  plus  que  celles  du  congrès  de  la 
paiœ,  n'ont  empêché  le  retour  de  la  guerre;  et,  pas 
plus  en  France  qu'à  l'étranger,  elles  n'ont  amené  la 
réforme  d'un  canon  ou  le  renvoi  d'un  soldat.  A  l'heure 
où  nous  écrivons,  il  n'y  a  pas  une  [puissance  en  Eu- 
rope, qui,  si  obérées  que  soient  ses  finances,  si  écra- 
santes que  soient  les  charges  de  son  état  militaire,  ose- 
rait prendre  l'initiative  d'un  désarmement. 

C'est  qu'aujourd'hui,  plus  qu'à  aucune  autre  épo- 
que, peut-être,  depuis  le  commencement  du  siècle  que 
nous  traversons,  l'Europe  est  agitée  par  des  questions 
dont  la  gravité  ne  saurait  échapper  à  personne.  C'est 
que,  spectateurs  passionnés  des  événements  qui  s'ac- 
complissent, ou  tenus  en  émoi  par  l'attente  de  ceux 
qui  vont  surgir,  tous  les  peuples  sentent  instinctive- 
ment, qu'en  dépit  des  effortspacifiquesdeleursgouver- 
neinents,  ils  peuvent  à  tout  instant  être  entraînés  sur  la 
pente  fatale  qui  mène  à  ces  grandes  guerres  qu'aucune 
combinaison,  aucune  concession,  ne  parviennent  à  con- 
jurer. 

24 


370         CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRBS 

Grandes  guerres,  en  effet,  que  celles  dont  le  champ 
de  bataille  sera  l'arène  tout  etitière  des  intérêts  actuels; 
car,  de  nos  jours,  que  les  questions  politiques  passion- 
nent tous  les  esprits,  ce  ne  sont  plus  seulement  les  ar- 
mées, ce  sont  les  peuples  qui  marcheront  en  personne. 

Gomment  s'étonnerait-on  qu'au  milieu  des  anxiétés 
et  des  périls  d'une  situation  ainsi  définie ,  les  nations, 
préférant  leur  salut  à  leur  bourse,  s'obstinent  à  rester 
debout,  et  l'arme  au  bras? 

Cependant,  pour  la  France,  cette  nécessité  des  éco- 
nomies militaires  est  rendue  plus  impérieuse  encore 
que  pour  les  autres  pays,  à  cause  même  de  la  nature 
des  progrès  et  des  améliorations  que  poursuit  sans  re- 
làcbQ  son  gouvernement  :  l'augmentation  du  bien-être 
des  masses,  rabaissement  du  prix  des  objets  de  ood- 
sommation,  en  déterminant  la  suppression  de  tel  impôt, 
en  affectant  telle  source  de  produits,  tendent  évidem- 
ment à  diminuer  les  recettes.  D'un  autre  côté,  Taug- 
mentation  des  dépenses  (en  elles-mêmes  très  désirable) 
qui  se  rapportent  au  travail,  à  l'assistance  et  à  Tédu- 
cation  intellectuelle  et  morale  des  populations,  ne  peut 
être  soldée  sans  nouveaux  sacrifices. 

Si  l'on  tient  compte  des  dangers  de  l'extérieur  et  des 
besoins  de  Fintérieur,  on  voit  que  la  question  n'est  pas, 
pour  la  France,  de  savoir  s'il  faut  ou  s'il  ne  faut  pas 
réduire  les  dépenses  militaires,  mais  elle  est  de  savoir 
comment  et  de  combim  on  peut  les  réduire,  sans  faire 
descendre  la  puissance,  la  dignité,  la  sûreté  nationales 
au-dessous  du  niveau  où  elles  ont  besoin  d'être  main- 
tenues. 


m  LA  MANCË  BT  t>E  L  ANfiLETSaU.  ft7t 

Ce  n'est  pas  impunément  qu'un  peuple  prend  et 
conserve  sa  place  à  Tavant-gardede  la  civilisation,  et  la 
tâche  réservée  à  la  France  de  guider  les  autres  nations 
dans  toute  voie  nouvelle.  Ta  exposée  à  de  longues  et 
crueUes  épreuves.  Objet  de  nombreuses  méditations, 
cent  fois  discuté,  cent  fois  revu  et  corrigé,  son  état 
militaire  a  été  calculé  de  manière  à  rendre  impossible 
le  retour  de  pareilles  épreuves.  Y  toucher  pour  l'amoin- 
drir serait  plus  qu'une  imprudence,  ce  serait  un  crime  ; 
car  il  suflBit  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  ses  frontières, 
pour  reconnaître  aussitôt  que  ce  n'est  pas  en  rédui- 
^nt,  mais  seulement  en  modifiant  les  éléments  de  sa 
puissance  militaire ,  que  l'on  peut  réaliser  des  éco* 
nomies. 

Sur  les  600  lieues  de  côtes  qui  limitent  la  France  de 
Nice  à  Dunkerque,  que  trouvons-nous,  en  effet?  Sur 
TAtlantique,  les  ports  sont  larges  et  commodes,  il  est 
vrai  ;  mais,  en  revanche,  que  seraient  les  versants  de 
la  mer  du  Nord  et  de  la  Manche,  sans  cette  magnifique 
création  de  Cherboui^,  qui  date  à  peine  d'hier. 

D'ailleurs,  l'Angleterre  ne  nous  oppose-telle  pas  ses 
immenses  arsenaux  de  Portsmouth,  de  Plymouth,  de 
Chatam,  etc.,  en  face  de  ces  rivages  mal  dotés,  dont  la 
nature  des  eaux  bien  plus  que  les  forces  que  nous  pou- 
vions déployer,  a  pendant  si  longtemps  constitué  la 
seule  défense?  La  côte  offre  des  lies  qui  devraient  servir 
d'ouvrages  détachés  pour  couvrir  le  plus  important  de 
nos  golfes,  c'est  l'Angleterre  qui  y  tient  garnison! 
Jersey,  Guemesey,  au  beau  milieu  des  eaux  françaises, 
menacent  presque  à  portée  de  canon  Saint<*Malo  et  sa 


372  CONSTITUTION  ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

baie. — Sur  laMéditerranée^Toulon  suffit  tout  justeaux 
exigences  de  notre  situation,  et  notre  colonie  algérieniie 
est  aussi  près  de  Malte  que  de  la  France. 

Examinons  maintenant  nos  frontières  de  terre,  et 
voyons  si,  de  ce  côté,  notre  position  est  meilleure. 

Sur  un  parcours  de  500  lieues,  ces  frontières,  qui 
nous  mettent  en  contact  avec  sept  puissances  diffé- 
rentes, sont  partout  d'un  accès  facile.  Avant  Taimexion 
de  Nice  et  de  la  Savoie,  on  pouvait  dire  que  sur  tous 
les  points,  sauf  vers  les  Pyrénées,  ces  limites  étaimt 
dirigées  contre  nous.  Du  côté  de  la  Prusse,  des  rivières 
faciles  à  passer,  des  villes  fortes,  mais  qui  sont  domi- 
nées par  des  positions  plus  fortes  encore,  ou  que  Ton 
peut  tourner  aisément.  Du  côté  de  la  Belgique,  les 
vastes  plaines  arrosées  de  notre  sang  et  témoins  de 
notre  suprême  désastre  !  Grâce  à  la  solidarité  établie 
entre  les  révolutions  de  Juillet  et  deSeptembre,  on  pou- 
vait, il  y  a  quinze  ans,  considérer  la  Belgique  comme 
une  sœur  d'intérêt  et  d'avenir,  dont  Texistence  était 
attachée  à  la  nôtre.  Aujourd'hui,  est-il  sûr  que  la  Bel- 
gique» oublieuse  des  services  rendus,  soit  encore  un 
rempart  pour  nous  contre  des  voisins  inquiets  et  ja- 
loux? Cette  position  d'Anvers  que  Ton  fortifie  sans 
relâche,  ne  semble-t-^lle  pas  bien  faite  pour  ménager 
un  meilleur  sort  à  une  seconde  expédition  de  Wal- 
cheren? 

Du  côté  de  Test,  notre  limite,  en  maint  endroit,  a 
été  forcée  ;  sur  bien  des  points  la  France  ouvre  son 
sein  dégarni  à  l'invasion,  et  la  plupart  des  obstacles 
que  a  nature  avait  élevés  pour  notre  défense,  sont 


DE  LA  FRANCE  ET   DE   l'aNGLETERRE.  «^75 

tombés  devant  la  politique  tremblante  de  TËurope  ; 
celle-ci  ne  peut  donc  s'étonner  si  la  France  est  obligée 
de  remplacer  par  une  ceinture  vivante,  par  un  front  de 
bataille  permanent,  les  boulevards  que  1815  lui  a  en- 
levés. 

La  France  ne  pouvant  diminuer  son  état  militaire, 
cherchons  quelles  sont  les  modifications  susceptibles  de 
procurer  les  économies  qu'on  ne  doit  pas  demander 
aux  réductions. 

En  premier  lieu,  on  ne  peut  guère  retrancher  des 
s  traitements  ;  vu  la  cherté  toujours  croissante  de  la  vie, 
ils  sont  devenus,  depuis  longtemps,  des  minima  qui 
réclameraient  plutôt  une  augmentation. 

On  ne  peut  rien  retrancher  aux  prix  du  caserne- 
ment, de  rhabillement,  des  chevaux,  des  armes,  des 
vivres,  des  fourrages,  puisque  ce  sont  pour  la  plupart 
des  prix  d'adjudication. 

On  ne  peut  songer  à  diminuer  la  gendarmerie  ;  au 
contraire,  son  effectif  devra  être  d'autant  plus  fortifié, 
que  celui  de  la  portion  active  de  l'armée  sera  plus 
sd)aissé.  Dans  la  cavalerie,  l'artillerie,  le  géiûe,  les  ré- 
ductions du  personnel  sous  les  drapeaux  seront  aussi 
très  limitées,  parce  que  ces  éducations  spéciales  étant 
longues  à  faire,  le  pied  de  paix  ne  saurait  y  être  abaissé 
trop  au-dessous  de  ce  qu'il  faut  pour  commencer  la 
guerre. 

Reste  l'infanterie,  celle  de  toutes  les  armes  qui  se 
prête  le  mieux  aux  économies;  d'abord  parce  qu'elle 
constitue  à  elle  seule  plus  des  deux  tiers  de  l'armée,  et 
aussi  parce  que  son  instruction  étant  moins  compli- 


ft7&         CONSTITUTION  ET  PUISSANGB  WLITAIRES 

quée,  il  y  a  moins  de  danger  à  diminuer  son  chiffre 
sous  les  drapeaux,  pourvu,  toutefois,  que  cette  diaii* 
nution  corresponde  à  une  augmentation  équivalente  de 
l'effectif  dans  la  réserve.  Pas  plus  pour  l'infanterie 
que  pour  les  autres  armes,  il  ne  faut  d'ailleurs  s'eza* 
gérer  ce  qui  est  possible.  Ainsi,  les  réductions  de  l'ef- 
fectif soldé  ne  sauraient  porter  sur  les  cadres;  ceux-ci 
doivent  être  précieusement  conservés,  car,  en  cas  de 
guerre  soudaine ,  la  solidité  des  réserves  rappelées  à 
l'activité  dépendra  surtout  de  leur  bonne  composition. 

En  faisant  passer,  chaque  année,  dans  les  rangs  de 
l'armée  active,  le  plus  grand  nombre  possible  de  jeunes 
soldats  (quitte  à  les  y  garder  moins  longtemps);  —  en 
transformant  en  une  force  effective,  au  moyen  des  dé- 
pôts d'instruction,  la  portion  des  contingents  laissée 
dans  ses  foyers,  on  a  une  armée  dont  chaque  unité 
possède  une  valeur  réelle,  et  dont  l'ensemble  peut 
compter  pour  le  service  aussi  bien  que  sur  le  pa- 
pier. 

L'homme  maintenu  ou  renvoyé  dans  ses  foyers,  re- 
présentant actuellement  tin  soldat,  et  non  plus  comme 
par  le  passé,  tin  simple  numéro;  lorsque  le  baromètre 
politique  est  à  la  paix,  on  peut,  sans  crainte  de  s*afiiû* 
blir,  le  renvoyer  dans  la  réserve ,  c'est-à-dire  rendre  à 
ses  occupations,  à  son  industrie,  telle  portion  de  l'année 
active  dont  les  circonstances  autoriseront  à  soulage 
l'effectif  soldé. 

Par  le  mécanisme  inverse,  est-on  à  la  guerre,  ou 
l'horizon  vient-il  seulement  à  se  rembrunir,  il  suflBtde 
quek[ues  jours,  on  pourrait  dire  de  quelques  heures. 


DS  LA  FRANGE  ET  DE  L  AHGLETERKE*     876 

pour  reporter  l'armée  active  au  chiffre  que  commande 
la  situation. 

D  y  a  là,  évidemment,  un  progrès  immense;  en 
temps  de  paix,  sans  s'exposer  à  désorganiser  son  ar* 
mée,  la  France  est  désormais  maîtresse  de  limiter  ses 
dépenses,  elle  n'est  plus  condamnée  à  supporter  les 
chaînes  ruineuses  de  la/Miicp  armée. 

Examinons  maintenant  si,  pour  le  temps  de  gverre, 
la  situation  est  également  favorable.  Nous  sommes  cer- 
tains d'avoir  une  bonne  armée,  le  sommes-nous  de 
l'avoir  à  aussi  bon  marché  que  possible? 

Dans  les  conditions  actuelles,  et  pour  obéir  aux  exi- 
gences de  notre  position  géographique  et  politique, 
notre  état  militaire  est  calculé  de  manière  à  fournir 
600,000  hommes  (1).  Toutefois,  on  se  tromperait  évi- 
demment si  l'on  supposait  qu'en  cas  de  guerre  la 
France  peut  mettre  en  ligne  une  pareille  armée.  De 
ces  600,000  hommes,  il  faut  défalquer  la  portion  né- 
cessaire au  service  de  l'intérieur,  à  la  garde  des  forte- 
resses, des  arsenaux,  à  la  réception  et  au  dressage  des 
recrues,  etc.  Calculant  au  plus  près ,  et  tenant  compte 
de  l'infanterie  seulement  (puisque  c'est  la  seule  arme 
sur  laquelle  les  économies  peuvent  être  réalisées),  on 
ne  doit  guère  évaluer  à  moins  de  100,000  hommes  la 
portion  qu'il  faudra  en  distraire  pour  les  besoins  que 
Ton  vient  d'énumérer. 

L'infanterie,  représentant  les  deux  tiers  environ  de 

(i)  Les  contingents  étant  de  100,000  hommes  et  la  durée  du  ser 
?ice  de  sept  années,  l'effectif  serait  de  700»000  hommes,  sans  le 
pertes  et  non-valeurs,  que  nous  évaluons  à  un  septième. 


376  CONSTITUTION  ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

l'effectif  total  derarmée,  compte  pour  &00,000  hommes 
dans  les  600,000  de  cet  effectif  ;  —si  nous  déduisons  les 
100,000  hommes  réclamés  par  le  service  de  l'intérieur, 
il  nous  reste  300,000  fantassins  à  mettre  en  ligne  de- 
vant l'ennemi. 

En  d'autres  termes,  nous  levons,  nous  organisoi^, 
nous  soumettons  au  service  pendant  la  paix,  et  nous 
soldons  en  totalité  pendant  la  guerre  une  force  comme  A, 
qui,  en  réalité,  ne  nous  donne  qu'une  force  comme  S 
pour  le  champ  de  bataille. 

C'est  ici  que  l'institution  d'une  seconde  réserve,  éta- 
blie  sur  les  bases  adaptées  en  /Angleterre,  nous  semble- 
rait un  merveilleux  complément  de  l'organisation  ré- 
cemment donnée  chez  nous  à  la  portion  des  contin- 
gents laissée  dans  ses  foyers. 

Le  résultat  de  cette  organisation  a  été  de  rendre 
la  totalité  de  notre  armée  effective  ou  efficiente  (pour 
nous  servir  du  terme  consacré  de  Tautre  côté  du  dé- 
troit) ;  l'institution  d*une  réserve  d'anciens  soldats  au- 
rait pour  effet  de  la  rendre  en  totalité  disponible  contre 
l'ennemi. 

Transplanté  en  France,  dans  un  terrain  militaire 
bien  autrement  fécond,  le  système  inauguré  par  nos 
voisins  donnerait  bien  vite  les  meilleurs  fruits  ;  en  for- 
tifiant nos  moyens  défensifs,  en  garantissant  pour  la 
guerre  une  ressource  solide,  il  ajouterait  encore  aux 
facilités  déjà  acquises  pour  la  réduction  des  effectif 
soldés  pendant  la  paix. 

Quant  à  la  dépense  que  coûteraient  annuellement 
les  100,000  soldats  libérés  qu'il  faudrait  enrôler  dans 


DE  LA  FRANGE  ET   DE  l'aNGLETERRE.  377 

cette  seconde  réserve,  d'après  l'hypothèse  que  nous 
avons  admise  relativement  au*  chiffre  de  la  garnison  de 
VEmpire  en  temps  de  guerre,  elle  n'atteindrait  pas  (les 
dispositions  de  l'organisation  anglaise  étant  adoptées) 
le  septième  ou  le  huitième  du  prix  d'entretien  de 
100,000  hommes  de  l'armée  active  (1  ). 

En  ce  qui  regarde  les  difficultés  ou  les  facilités  que 
présenterait  le  recrutement  de  cette  nouvelle  force,  si 
Ton  veut  bien  considérer  que  dans  la  plupart  de  nos 
villages,  une  rente  de  100  francs  est  une  petite  fortune  ; 
que  pour  un  paysan  célibataire^  cette  somme  suffit  à 
couvrir  les  dépenses  de  loyer  et  d'entretien  ;  si  l'on 
veut  tenir  compte  du  peu  de  gène  que  la  brièveté  des 
réunions  apporterait  aux  travaux  des  enrôlés,  qui, 
somme  toute,  ne  pourraient  être  appelés  à  servir  d'une 

manière  permanente  qu'en  temps  de  guerre,  et  seule- 
ment en  France,  on  ne  doit  pas  douter  que  l'esprit  mi- 
litaire qui  anime  la  population  en  général,  et  plus  par- 
ticulièrement les  anciens  soldats,  ne  suffise,  réuni  à 
toutes  ces  considérations,  pour  remplir  très  prompte- 
ment  les  rangs  de  notre  deuxième  réserve. 


(1)  100,000  soldats  libérés,  enrMés  dans  les  conditions  de  la  ré- 
serve ani^aise,  coûteraient  lo  millions,  à  raison  de  100  fr.  par  an 
et  par  homme.  Si  l*on  ajoute  1  million  ou  1,200,000  fr.  pour  la 
solde  et  les  vivres  pendant  la  période  des  exercices  annuels  (qui  ne 
dépasserait  pas  dix  ou  douze  jours);  plus,  une  somme  à  peu  près 
égale  pour  les  dépenses  de  Thabillement  des  nouveaux  admis,  et  les 
frais  de  magasinage  et  d*entretien  des  armes  (frais  déjà  faits  pour 
Forganisation  des  dépôts  dinstruction),  on  arrive  à  un  total  de  13 
ou  ik  millions.  C'est  à  peu  près  le  septième  de  la  dépense  dVntre- 
tien  de  100,000  hommes  dans  Tarmée  active. 


378  CONSTITUTION  ET  PUISSANGB  IDLITAIKSS 

Appuyée  par  100,000  vétérans  (  dont  le  Dombre 
pourrait  d'ailleurs  être  doublé  ou  triplé»  si  la  limite 
d'âge  était  portée  à  quaranteans  au  lieu  de  trente-i^inq, 
et  pour  peu  que  la  coudition  de  célibataire  ne  fût  pas 
exigée)  ;  alimentée  par  300,000  jeunes  soldats  désor- 
mais disciplinés  et  exercés,  l'armée  française  pou.nraît 
défier  toutes  les  armées  du  monde.  La  France  serait 
un  vaste  camp,  sans  q%ie  le  service  miliUiire  cUisorbâlni 
les  populations,  ni  les  revenus;  l'idée  de  la  vie  militaire 
n'éveillerait  plus  ni  crainte  ni  regret,  car  chacun  la 
quitterait  comme  une  tâche  que  d'un  jour  à  l'autre  il 
pourrait  reprendre,  et  les  hommes,  en  passant  de  la 
charrue  ou  de  l'atelier  sous  les  drapeaux,  n'oublieraient 
pas  dans  un  trop  long  séjour  aux  armées  le  métier  qui 
les  faisait  vivre. 

Quelle  force  imposante  qu'une  pareille  armée  !  et 
cela  sans  charges  trop  lourdes  pour  le  pays,  sans  dé^r 
de  conquête»  sans  ambition  aveugle,  sans  aucun  de  ces 
entraînements  qui  poussent  les  nations  à  la  guerre,  et 
les  conduisent  quelquefois  à  la  ruine,  même  à  travers 
la  victoire.  Car,  la  guerre,  quoique  puissent  en  dire  ou 
en  penser  nos  voisins ,  la  guerre  n'est  pas  nécessaire  à 
la  France  :  si  beaux,  si  brillants,  si  assurés  que  fussent 
ses  résultats,  ils  ne  pourraient  être  plus  glorieux  que 
ceux  qu'elle  est  certaine  d'obtenir  au  milieu  de  la  paix, 
par  la  seule  influence  de  ses  exemples  et  de  ses  idées. 


m  hk  FRANCK  £T  DE  l'angleterrb;        379 

SECTION  VL 
DOUANIERS  (coast-guards). 

Toutes  les  puisssances,  pour  la  perception  des  droits 
d'entrée^  entretiennent  sur  leurs  frontières  de  terre  et 
de  mer  des  corps  spéciaux  dont  l'importance  varie  sui- 
vant l'étendue  de  ces  frontières.  L'oi^anisation  plus  ou 
moins  militaire  de  cette  force  lui  assigne  une  place  dans 
la  liste  des  moyens  de  défense  dont  chaque  pays  peitt 
disposer  en  cas  d'ui^ente  nécessité. 

En  France,  sous  le  nom  de  préposés  des  doiuines^ 
nous  avons  une  véritable  armée  organisée,  quant  à  la 
tenue  et  à  Tarmement,  sur  le  modèle  de  l'infanterie 
et  de  la  cavalerie,  et  dont  l'effectif  dépasse  23,000  hom- 
mes. Pour  surveiller  l'entrée  des  rades  et  des  rivièrea, 
l'administration  des  finances  entretient  en  outre  une 
flottille  montée  par  2,000  marins  environ. 

Pendant  longtemps,  l'Angleterre  a  entretenu  une 
force  semblable  sous  le  nom  d'employés  de  Vaccise. 
L'administration  des  douanes  avait  établi  le  long  des 
côtes  une  chaîne  de  postes  d'observations  dont  l'action 
se  combinait  avec  la  surveillance  exercée  par  un  cer- 
tain nombre  de  petits  bâtiments  côtiers.  Sans  avoir 
jamais  atteint  le  chiffre  des  douaniers  français,  le  corps 
de  l'accise,  eu  égard  à  l'activité,*  à  l'énergie  et  au  choix 
de  son  personnel,  présentait  une  organisation  d'une 
certaine  importance,  et  qui  ne  manquait  pas  des  qua^ 


380  /CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

lilés  quasi-militaires  que  réclainait  la  nature  de  son 
service  (1). 

Depuis  quelques  années,  préoccupés  par-dessus  tout 
de  Torganisation  d'une  réserve  navale,  les  Anglais  ont 
établi  un  système  de  surveillance  douanière  que  la  na- 
ture exclusivement  maritime  de  leurs  frontières  pou- 
vait seule  permettre.  Il  ont  imaginé  d'employer  à  la 
répression  de  la  contrebande  les  vaisseaux  et  les  marins 
que  l'Amirauté  entretient  pour  la  défense  de  la  o6te 
et  la  protection  de  la  pèche. 

En  faisant  disparaître  un  double  emploi,  ils  ont  réa- 
lisé une  économie  évidente  et  fortifié  leur  personne 
maritime,  mais  c  est  aux  dépens  d'une  force  qui  n'était 
pas  sans  intérêt  au  point  de  vue  de  la  défense  territo- 
riale. Le  corps  de  l'accise  a  été  complètement  désorgar 
nisé,  et  il  ne  compte  guère  aujourd'hui  que  1,&00  em- 
ployés provenant  de  l'ancien  personnel  (2).  On  n'a 
laissé  à  l'administration  des  douanes  que  la  perception 
des  droits,  et  le  nouveau  service  installé  sous  le  nom 
de  gardes-côtes  [eoast  guards),^  à  terre  aussi  bien  que 
sous  voiles,  a  été  placé  tout  entier  dans  les  attributions 
de  l'Amirauté.  H  a  pour  destination  d'assurer  la  per^ 
ception  du  revenu,  de  surveiller  les  côtes  au  triple  point 
de  vue  d'empêcher  la  contrebande,  de  protéger  la  pè- 


(1)  Voir  Guy  lianneringiWalter  Scott). 

(2)  C*€St  uniquement  afin  de  ne  |)as  grever  le  trésor  d*un  trop 
grand  nombre  de  pensions,  que  le  gouvernement  conserve  encore 
ces  i  MO  employés,  dont  le  nombre  diminue  au  fur  et  k  mesure  des 
extinctions,  et  qui  d'ailleurs  appartiennent  tous  à  Tancien  person- 
nel maritime  des  douanes. 


DB  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     581 

che,  et  de  venir  en  aide  aux  bâtiments  du  commerce 
en  danger  par  suite  de  gros  temps  ou  d'avaries. 

Dans  ces  conditions,  la  force  employée  par  le  service 
de  la  douane  dépendant  uniquement  de  la  marine, 
nous  n'en  parlerions  pas  davantage,  sans  certaines 
considérations  que  nos  lecteurs  apprécieront.  En  prin- 
cipe, les  gardes-côtes  doivent  constituer  une  réserve 
essentiellement  navale;  mais,  si  nous  en  jugeons  par 
les  discussions  parlementaires  auxquelles  leur  organi- 
sation a  donné  lieu,  il  s'en  faut  de  beaucoup  que  la 
totalité  de  leur  effectif  soit  en  mesure  de  servir  sur  la 
flotte.  Lord  Lyndhurst  et  l'amiral  Martin,  contraire- 
ment aux  affirmations  du  duc  de  Somerset,  déclarent 
que  la  moitié  (oui  au  plus  du  personnel  est  en  état  de 
prendre  la  mer.  Ce  personnel,  d'une  force  nominale 
de  10,000  hommes,  n'en  compte,  en  réalité,  que 
8,000,  ainsi  distribués  : 

Équipagesdes  vaisseaax  de  district  (1) ^'^^^Isaqi 

Équipages  des  croiseurs 827;   ' 

Matelots  inscrits,  mais  employés  au  service  de  terre.  3,183' 

Agents  de  1*aocien  senrice  de  la  douane 1,400 

ToUl 8,004 

dont  3,421  seulement  servent  k  la  mer. 


(I)  9  vaisseaux  {bloek  shi^)  et  2  frégates  survettlent  la  o6t6,  qui 
est  partagée  en  onze  districts;  16  canonnières  eit  47  bâtimentslégers 
sont,  en  outre,  répartis  entre  ces  différents  districts  et  forment  une 
véritable  flotte,  k  bord  de  laquelle  la  manœuvre  et  rexercice  du  ca- 
non ont  lieu  comme  sur  la  flotte  de  combat.  La  France  ne  possède 
rien  d'analogue. 


383  CONSTITUTION   ET  PUI8SANGB  MIUTAIRBS 

Quant  aux  /i,600  hommes  employés  à  terre,  soit 
parce  qu'ils  n'ont  jamais  servi  sur  un  vaisseau  de 
guerre,  soit  parce  qu'ils  ont  perdu  l'habitude  du  mé- 
tier pendant  un  trop  long  service  sur  la  côte,  ils  seraient 
incapables,  suivant  l'amiral  Martin,  de  faire  autre 
chose  que  leur  présent  métier  de  sentinelles  et  de  sur- 
veillants sur  le  bord  de  la  mer.  La  meilleure  et  la 
seule  manière  de  les  utiliser  serait  de  les  employer  au 
service  des  batteries  de  côte.  A  ce  point  de  Nue,  ces 
A96OO  hommes  peuvent  être  considérés  coaune  un 
appoint  pour  l'armée  de  terre  en  cas  d'inVaskMi  du 
territoire;  —  appoint  assez  médiocre,  du  reste,  quant 
à  la  qualité,  si  leur  valeur,  comme  soldats,  réponde 
celle  qu'on  leur  reconnaît  comme  marins.  —  Les 
10,000  gardes-côtes  de  l'Angleterre  lui  coûtent 
18,7/i2,77ô  francs.  La  France  ne  dépense  qu'un  mil- 
lion déplus,  19,829,600  francs,  pour^ses2â,âl8  doua* 
niers. 

SECTION  vu. 

BATADJLONS  DBS  CHANHEBSt  MARITDIES  {dockyard'^HUMiam]. 

Les  ouvriers  des  chantiers  maritimes  [dockyardrmen) 
présentent  en  Angleterre,  vu  leur  très  grand  noml^re, 
une  ressource  spéciale  qui  pourrait  être  utilisée  au  cas 
où  la  guerre  viendrait  à  être  portée  sur  le  territoire 
de  la  Grande-Bretagne. 

Ces  ouvriers  sont  soumis  à  une  sorte  de  discipline 
militaire,  et  exercés  de  temps  à  autre  (ocautonotf jf 
driUtd)\  toutefois,  leur  enrôlement  est  absolument  vo- 
lontaire, et,  quoique  tous  soient  généralement  Tigou- 


DE  lA  FRAMCB  ET  DE  l'aKGLBTERAE.  3SS 

reux  et  bien  constitués,  ils  ne  rendraient  probablement 
que  d'assez  médiocres  services  contre  des  troupes  ré- 
gulières. 

En  1852,  on  comptait  10  bataillons  d'ouvriers  de 
1,000  hommes  chacun;  depuis  cette  époque,  l'exten- 
sion considérable  donnée  aux  travaux  dans  tous  les 
chantiers,  dans  tous  les  arsenaux  (1),  a  dû  augmenter 
considérablement  leur  personnel.  On  ne  doit  pas  être 
loin  de  la  vérité  en  l'évaluant,  à  l'heure  qu'il  est,  de 
18  à  20,000  hommes. 

L'Angleterre  n'a  pas,  comme  la  France,  de  police 
armée.  Le  corps  des  constables  d'Irlande  [irish  consta- 
bulary)  est  la  seule  troupe  qui  ait  quelque  analogie 
avec  notre  gendarmerie  française;  mais  son  effectif 
insignifiant  ne  permet  pas  de  la  comparer  aux  30,000 
vétérans,  tant  à  pied  qu'à  cheval,  qui  assurent  la  sécu- 
rité de  nos  routes,  l'arrestation  des  malfaiteurs,  et 
rendent  en  France  la  désertion  impossible.  On  a  fait, 
à  diverses  reprises,  la  proposition  d'armer  le  personnel 
de  la  nouvelle  police  des  comtés,  qui,  pour  l'Angleterre 
et  l'Ecosse,  représente  près  de  40,000  hommes,  ayant 
en  général  toute  l'aptitude  physique  pour  faire  de 
bons  soldats.  Ces  tentatives  ont  échoué  :  le  peuple  an- 
glais, qui  ne  tolère  même  pas  que  les  soldats  se  pro- 
mènent armés,  supporterait  encore  moins  des  police" 
men  ayant  le  sabre  au  côté.  Nous  verrons  ailleurs  que 
la  faiblesse  et  le  caractère  essentiellement  civil  de  la 

(1)  L*arsenal  de  Woolwich  occupe  à  lui  seul  5,000  ouvriers. 


38&      CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  HILITAIEES,    ETC. 

police  anglaise,  en  s'opposaut  à  ce  qu'elle  puisse  gêner 
OH  rien  la  liberté  et  la  circulation  des  déserteurs,  cdd- 
tribuent  en  réalité  au  développement  d'une  plaie  qui 
menace  de  désorganiser  Tarmée  britannique. 


CHAPITRE  XVni. 


Composition  de  l'armée  de  seconde  ligne  en  Angleterre;  corps 
auxiliaires  et  réserves  {smie).  —  Section  8  :  Volontaires  ; — 

—  causes  qui  ont  déterminé  cette  organisation  ;  —  l'invasion 
française;  —  pourquoi  Tlrlande  n'a-t-elle  pas  de  volontaires? 

—  Première  circulaire  de  M.  Peel  ;  —  bases  de  l'organisation 
des  volontaires.  —  Nomination  des  officiers.  —  Obligations 
imi^osées  au  volontaire;  —  avantages  et  droits  qui  leur  sont 
assurés;  —  droits  et  obligations  de  Tofficier  commandant  un 
corps  de  volontaires;  —  conditions  auxquelles  est  autorisée  la 
formation  d'un  corps  de  volontaires  ;  —  armement  des  volontai- 
res ;  —  service  et  instruction  des  volontaires  ;  —bataillons admi- 
nistratifs ;  —mémorandum  du  comte Grey  ;  —  pouvoirs  restreints 
de  TofOcier  commandant  un  bataillon  administratif  de  volontai- 
res ;  —  service  de  Tadjudant  dabs  les  bataillons  administratifs  ;— 
responsabilité  du  commandant  d'un  corps  de  volontaires;  —cara- 
bines et  munitions  délivrées  gratuitement  par  l'État  ;  —  dépen- 
ses imposées  îi  tout  corps  de  volontaires;  —causes  qui  tendent 
à  refroidir  l'enthousiasme  des  débuts  de  l'institution;  —  canon- 
niers  volontaires,  —  leur  service,  —  détails  particuliers  à  leur 
organisation  ;  —uniforme  des  volontaires  (infanterie et  artillerie); 

—  sociétés  de  volontaires  marins  pour  la  manœuvre  des  chalou- 
pes canonnières  dans  les  ports  de  commerce  et  sur  Içs  rades  ou- 
vertes delà  Grande-Bretagne;  —opinion  et  lettre  de  Garibaldi 
sur  l'organisation  des  volontaires  anglais. 


L'organisation  des  volontaires  anglais  date  de  1859. 
On  peut  la  considérer  comme  la  dernière  expression 
du  mouvement  militaire  qui  s'est  produit,  chez  nos 
voisins,  depuis  la  guerre  de  Crimée.  Cependant  on  se 
tromperait,  si  Ton  pensait  que  cette  organisation  pro^ 

25 


386  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

cède  du  même  ordre  d'idées  que  les  institutions  récentes 
analysées  dans  les  pages  qui  précèdent. 

De  1855 à  1859,  les  Anglais  se  sont  bornés  à  mettre 
à  profit  les  rudes  leçons  que  leur  armée  avait  rappor- 
tées de  son  séjour  en  Orient.  Pendant  cette  période, 
un  certain  sentiment  d'envie  a  bien  pu  servir  d'exci- 
tant aux  efforts  qu'ils  ont  tentés  pour  améliorer  et 
fortifier  leur  système  militaire.  Toutefois,  cette  jalousie, 
que  la  perfection  de  notre  organisation  française  rendait 
%ssez  naturelle,  n'avait  pas  encore  pris,  jusqu'en  1858, 
les  proportions  qui  Tont  caractérisée  depuis.  Jusqu'à 
cette  époque,  le  souvenir  encore  récent  des  services 
rendus,  avait  été  assez  puissant  pour  faire  accepter  à 
nos  voisins  le  splendide  spectacle  de  cette  armée  qui 
les  avait  secourus  à  Balaklava  et  sauvés  à  Inkermann. 

A  partir  de  1858,  il  semble  que  les  Anglais,  égale- 
ment pi-éoccupés  de  la  stérilité  de  leurs  eflForts,  ou  du 
succès  des  nôtres,  au  point  de  vue  de  certains  perfec- 
tionnements militaires,  n'aient  pu  dominer  plus  long- 
temps les  craintes  et  les  défiances  que  nous  avons  eu 
tant  de  fois  à  signaler. 

Au  commencement  de  l'année  1850,  non-seulement 
dans  la  presse,  mais  au  sein  du  Parlement,  et  jusque 
dans  les  Conseils  de  la  Reine,  les  accusations  les  plus 
violentes  et  les  plus  imméritées  se  firent  entendre  contre 
la  France:  —  Une  descente  !!  100,000  Français  brû- 
lant Portsmouth,  et  Londres  envahi  par  les  zouaves  et 
les  turcos,  tels  furent  pourtant, — qui  le  croirait? 
—  les  épouvantaiU  que  présentèrent  à  nos  voisins  les 
publicistes  et  les  hommes  d'État  hostiles  à  i'attiaooe 


DE   LA  FRANCE  ET    DE   L^ ANGLETERRE.  ft87 

franco-anglaise!  Tels  furent  les  arguments  invoqués 
pour  amener  l'Angleterre  à  doubler  ses  dépenses  mili- 
taires, et  à  courir  aux  armes,  ni  plus  ni  moins  que  si 
une  nouvelle  armée  de  Boulogne  eût  été  toute  prête  à 
débarquer  sur  ses  côtes. 

C'est  au  milieu  de  l'agitation  causée  par  ces  clameurs 
incessantes  que  l'oi^anisation  des  volontaires  anglais  a 
pris  naissance. 

Le  12  mai  1859,  le  gouvernement  de  la  Grande- 
Bretagne,  cédant  à  la  pression  de  l'opinion  publique,  se 
décidait  à  faire  revivre  l'acte  de  Georges  111  (ii.Geo.III, 
caput.  54)  qui  autorise  tous  les  citoyens  anglais  à  se 
réunir,  et  à  s'armer  pour  la  défense  de  la  patrie  en 
danger. 

Cette  décision  du  ministère,  suivant  un  des  écrivains 
qui  se  sont  montrés  les  plus  ardents  avocats  de  la 
mesure,  «  cette  décision,  était  de  nature  à  prouver 
»  plus  clairement  que  tous  les  discours,  que,  dans  les 
»  paysrégispar  des  institutions  libérales  et  basses  sur 
»  des  principes  populaires,  il  existe,  entre  la  nation  et 
»  le  gouvernement,  un  sentiment  de  confîani  e  réci- 
»  proque  que  Ton  chercherait  en  vain,  là  où  le  droit 
»  héréditaire,  aussi  bien  que  le  suffrage  universel,  suf- 
»  fit  à  conférer  un  pouvoir  absolu  au  chef  de 
n  l'État  (1).  »  L'insinuation  ou  Tallusion  contenue  dans 

^  (1)  «  The  décision  of  her  Majesty's  ministers  relative  to  the  enrol- 
»  ment  of  vol uuteers,  is  one  of  those  incidents  which  prove  far 
>  more  clearly  than  could  possibly  be  done  by  words,  that  libéral 
»  institutions,  based  on  popular  piinciples,  creaie  in  those coun 
•  tries  wtiere  tliey  exist,  a  feeling  of  mutuai  confidence  and  good- 


388  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

ces  lignes  est  assez  transparente  pour  que  nous  la  rele 
\ions.  Peut-être  suffirait-il,  pour  y  répondre,  de  ren- 
voyer Técrivain  que  nous  venons  de  citer  aux  nom- 
breuses circonstances  dans  lesquelles  s'est  révélée,  avec 
tant  d'éclat,  la  communauté  de  pensées  et  de  sentiments 
établie  entre  la  France  et  le  souverain  qu'elle  s'est 
choisi.  Â  cette  observation,  nous  ajouterons  cependant 
une  simple  question  :  Pourquoi  le  gouvernement  qui 
ne  s'est  pas  contenté  de  reconnaître  au  peuple  anglais 
le  droit  de  s'organiser  et  de  s'armer,  mais  qui,  bien 
mieux,  a  poussé  la  confiance  dont  nos  voisins  sont  si 
fiers,  jusqu'à  l'inviter  lui-même  à  cette  entre- 
prise; —  pourquoi,  disons-nous,  le  gouvernement 
anglais  a-t-il  exclu  l'Irlande  {the  sister  Ireland^  comme 
on  la  nomme  de  l'autre  côté  du  détroit)  de  cette 
patriotique  convocation  î 

Ne  serait-ce  pas,  parce  que  l'Irlande  est  et  a  toujours 
été  la  sœur  de  l'Angleterre,  un  peu,  comme  en  1848, 
les  socialistes  étaient  nos  frères  et  amis?  Les  questions 
d'armement  général  seront  toujours  fort  délicates,  et 
nous  pensons  que  tous  les  peuples  font  bien  d'apporter 
une  certaine  prudence  dans  lés  mesures  de  ce  genre. 
A  cet  égard,  le  gouvernement  anglais,  comme  tous  Ifô 
gouvernements  du  monde,  a  de  fort  bonnes  raisons 
d'en  agir  ainsi,  mais,  par  contre,  la  nation  anglaise  en 
aurait  fort  peu  pour  réclamer  le  monopole  de  cette 
confiance  générale  et  réciproque  dont  nous  parlions 

»  m\\  between  the  people  and  their  ruiers  which  we  look  for  in 
»  vain  where  hereditary  right,  or  the  choice  of  the  people  tbemsel- 
»  ves,  bas  conferred  despotic  power  upon  an  individual.  »  U.  S.  M. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     389 

plus  haut.  A  tout  prendre,  nous  préférons  encore  notre 
lot  à  celui  de  nos  voisins,  car,  en  cas  d'invasion  et 
d'agression  de  la  part  de  l'étranger,  il  n'est  pas  une 
province  en  France  (toutes  l'ont  prouvé),  qui  ne  se 
levât  pour  le  repousser  ;  —  à  en  juger  par  ce  qui  se 
passe  à  propos  de  l'armement  des  volontaires,  on  ne 
semble  pas  aussi  sûr,  en  Angleterre,  du  parti  que  pour- 
rait bien  prendre  la  verte  Érin  dans  une  éventualité 
semblable. 

L'organisation  des  volontaires  anglais  a  donc  eu, 
pour  but  parfaitement  avoué,  d'assurer  la  défense  de 
la  Grande-Bretagne  contre  une  invasion  française. 
Nous  regrettons  que  le  cadre  de  notre  travail  ne  nous 
permette  pas  de  rechercher  quel  intérêt  pourrait  avoir 
la  France  à  tenter  une  aussi  difficile  entreprise,  et,  en 
admettant  le  succès,  quel  avantage  il  en  résulterait 
pour  elle.  Mais,  ce  qui  rentre  dans  la  spécialité  de  cette 
étude,  et  ce  qu'il  nous  importe  de  connaître,  c'est  jus- 
qu'à quel  point  le  moyen  employé  répond  au  but  à 
atteindre.  Avant  d'apprécier  et  de  discuter  le  degré  de 
sagacité  et  de  prévoyance  déployées  par  nos  voisins 
dans  l'institution  de  leurs  volontaires,  nous  devons 
commencer  par  exposer  les  bases  réglementaires  de 
cette  combinaison  nouvelle. 

C'est  au  12  mai  1859  que  remontent  les  premières 
instructions  publiées  par  le  ministère  anglais  au  sujet 
de  l'armement  des  volontaires.  Une  circulaire  de 
M.  Peel,  secrétaire  général  du  War-Office,  adressée  aux 
lords  lieutenants,  expose  en  ces  termes  les  règles  à 
suivre  dans  l'exécution  de  cette  mesure  : 


S90  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIBBS 

a  Le  gouvernement  de  Sa  Majesté  ayant  pris  en 
»  considération  Topportunité  de  la  formation  de  corps 
»  de  tirailleurs  volontaires,  conformément  aux  dispo- 
D  sitions  deTacte  [\l\  de  Georges  III,  cbap.  5/i,  aussi 
»  bien  que  celle  de  l'organisation  de  corps  et  com- 
X»  pagnies  d'artillerie  dans  les  villes  maritimes  où  il 
»  existe  des  forts  et  batteries,  j'ai  Fbonneur  de  vous 
»  informer  que  je  suis  prêt  à  recevoir  et  à  esami- 
»  ner  toute  proposition  qui  me  sera  faite  à  ce  sujet, 
»  dans  la  circonscription  dont  l'administration  vous 
»  est  conD(^e,  et  qui  me  parviendra  par  votre  inter- 
»  médiaire.  » 

Ce  préambule  est  suivi  de  dispositions  qui  peuvent 
se  résumer  ainsi  : 

Chaque  corps  devra  être  formé  par  des  oflSciers 
revêtus  d'une  commission  spéciale  du  lord  de  comté. 

Tout  homme  admis  devra  prêter  serment  d'allé- 
geance devant  un  député-lieutenant,  un  juge  de  paix 
oa  un  oificier  du  corps  réguHèrement  nommé. 

Tout  volontaire  sera  tenu  de  prendre  les  armes  en 
cas  d'invasion  du  territoire,  ou  niôme  de  simple  appa- 
rition de  rennemi  en  vue  des  côtes  du  Royaume-uni. 
Il  est  tenu  de  se  rendre  éi^alement  à  toute  convocation 
ayant  pour  but  la  répression  d'une  insurrection  déter- 
minée  par  l'une  ou  l'autre  de  ces  éventiuilités  {in  case  of 
rébellion  arisiny  oui  nf  either  of  those  emergencies)  (1). 

Pendant  qu'il  est  sous  les  armes,  le  volontaire  est 

(1)  On  voit  que  malgré  cette  confiance  si  absolue,  dont  \\  était 
question  plus  haut,  le  Gouvernement  anglais  croit  utile  de  mot 
prévoir. 


DB  LA  FRANGE  ET  DE  l'aNGLETEREB.  891 

soumis  à  la  loi  militaire,  il  a  droit  au  logement,  enfin» 
il  reçoit  la  solde  de  l'armée  de  ligne. 

Les  officiers  de  volontaires,  blessés  dans  un  service 
commandé,  ont  droit  à  la  demi-solde  ;  les  sous-officiers 
et  les  simples  volontaires  sont  admis  à  jouir  des  béné- 
fices de  l'institution  des  invalides  de  Chelsea.  Quant  aux 
veuves  des  volontaires  tués  sous  les  drapeaux,  il  leur 
est  alloué  la  même  pension  qu'aux  veuves  des  offîciei^s 
de  l'armée  de  ligne. 

Tout  volontaire  admis  dans  un  corps  régulièrement 
formé,  ne  peut  le  quitter  quand  il  est  appelé  sous  les 
armes  ;  en  tout  antre  temps  il  a  le  droit  de  se  retirer 
en  prévenant  quatorze  jours  àTavance. 

Tout  volontaire  qui  peut  justifier  de  huit  jours  de 
présence  aux  exercices  et  manœuvres,  pendant  trois 
périodes  de  quatre  mois  chacune,  soit  vingt-quatre 
jours  pour  une  année  entière,  est  inscrit  comme 
ayant  complété  son  instruction.  Les  volontaires  de 
cette  catégorie  sont  exempts  du  tirage  au  sort  pour 
la  milice,  et  ne  peuvent  être  compris  dans  aucune 
autre  levée. 

Lagarde  et  la  conservation  de  toute  propriété  appar- 
tenant à  un  corps  de  volontaires  sont  légalement  confiées 
à  l'officier  commandant.  C'est  également  à  ce  chef 
qu'il  appartient  de  recueillir,  dans  les  formes  pres- 
crites par  les  règlements,  toutes  les  souscriptions  con- 
senties, comme  aussi,  de  poursuivre,  même  par  autorité 
de  justice,  le  recouvrement  des  amendes  encourues 
par  les  volontaires  placés  sous  ses  ordres. 

Les  conditions  à  remplir  pour  que  le  gouvernement 


892  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  HIUTAIRES 

propose  à  Sa  Majestéd'autoriser  la  formation  d'un  corps 
de  volontaires  sont  : 

l""  Que  le  lord  lieutenant  du  comté  émette  un  etîs 
favorable  à  cette  formation  ; 

S""  Que  le  corps  soit  oi^anisé  conformément  aux 
prescriptions  de  la  loi  ; 

&"*  Que  les  citoyens  appelés  à  en  faire  partie 
prennent  l'engagement  de  s'équiper  et  de  s'armer  à 
leurs  frais,  et  consentent  à  supporter  toutes  les  dé- 
penses résultant  de  l'organisation,  à  l'exception,  toute- 
fois, de  celles  déterminées  par  l'appel  du  corps  sous  les 
armes,  et  en  service  actif  ; 

li"*  Que  tous  les  règlements  à  intervenir,  et  toutes  les 
dispositions  à  prendre  dans  l'organisation  projetée, 
soient  préalablement  soumis  à  l'autorité  militaire. 

c(  L'uniforme  des  volontaires,  ajoute  le  secrétaire  de 
la  guerre,  dans  sa  circulaire  aux  lords  lieutenants, 
l'Uniforme  pourra,  sous  votre  approbation,  être  laissé 
au  choix  des  corps  qui  s'organiseront;  mais  en  ce  qui 

regarde  les  armes,  bien  qu'elles  doivent  être  achetées 
par  les  volontaires,  elles  seront  fournies  sous  la  sur- 
veillance du  département  de  la  guerre  et  suivant  les 
règles  établies  dans  cette  administration,  afin  d'assurer 
une  parfaite  uniformité  de  calibre. 

x>  Je  me  réserve  de  fixer  le  cadre  des  officiers  et  des 
sous-officiers,  et  leur  contrôle  sera  tenu  dans  les 
bureauxdu  département  de  la  guerre.  Afin  que  je  puisse 
être  à  même  de  déterminer  la  proportion  des  uns  et  des 
autres,  toute  demande  d'autorisation  pour  la  formation 
d'un  corps  de  volontaires  devra  préciser  le  nombre 


DE  LA   FRANCE   ET   DE   L'ANGLETERRE.  393 

d'hommes  qu'il  doit  comporter,  et  en  combien  de  com- 
pagnies ils  doivent  être  répartis.  » 

Le  secrétaire  de  la  guerre  termine,  en  recomman- 
dant aux  lords  lieutenants  de  ne  nommer  aux  grades 
et  emplois  dans  les  volontaires,  que  des  personnes  par- 
faitement aptes  à  remplir  leur  office,  et  dont  la  Reine 
puisse  ratifier  la  promotion. 

Telles  sont  les  premières  bases  adoptées  pour  cette 
institution  qui,  depuis  deux  ans,  a  fait  tant  de  bruit  de 
l'autre  côté  du  détroit. 

Les  conditions  générales  de  l'organisation  une  fois 
fixées,  il  s'agissait  de  déterminer  le  mode  d'instruction 
et  le  genre  de  service  auxquels  devaient  être  soumis 
les  volontaires.  Un  programme  officiel  (ce  ne  sont 
jamais  les  programmes  qui  manquent  en  Angleterre] 
ne  tarda  pas  à  être  publié  sur  ce  double  objet. 

Considérant,  dit  ce  document,  combien  il  est  essen- 
tiel que  le  patriotisme  des  citoyens  armés  pour  la 
défense  de  ce  qu'ils  ont  de  plus  cher — le  sol  delà  patrie 
—  soit  bien  éclairé  sur  la  nature  et  le  caractère  du 
service  auquel  ils  se  dévouent,  le  gouvernement  juge 
opportun  de  bien  établir  les  conditions  dans  lesquelles 
les  volontaires  doivent  entrer  en  ligne  ;  la  tâche  qui 
leur  incombe  dans  ce  cas,  et  les  moyens  les  plus 
propres  à  assurer  son  accomplissement. 

Les  volontaires,  suivant  Toi^ane  ministériel,  doivent 
se  diviser  en  deux  classes.  Les  uns,  appelés  à  agir  en 
campagne  comme  tirailleurs  ou  francs  tireurs;  les 
autres  destinés  à  servir,  dans  les  ports  et  dans  les 


894  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRGS 

autres  villes  maritimes,  les  batteries  élevées  pour  la 
défense  de  la  côte. 

Or,  pour  les  uns  comme  pour  les  autres,  une  cer- 
taine discipline  est  nécessaire.  Sans  elle,  il  n'est  point 
de  général  ou  d'officier  qui  voulût  mettre  la  moindre 
confiance  (c'est  toujours  le  ministre  qui  parle)  dans  le 
concours  des  volontaires.  D'un  autre  côté,  les  règlfô 
du  service  doivent  être  cependant  tellement  établies, 
que,  tout  en  suffisant  à  développer  et  à  entretenir  cet 
esprit  de  subordination  nécessaire,  elles  n'éloignent  ni 
ne  découragent  les  gens  auxquels  leur  position  ne  per- 
met pas  d'entrer  dans  la  milice  ou  dans  l'armée  de 
ligne,  et  qui,  pour  cette  raison  même,  doivent  fournir  le 
contingent  le  plus  important  de  l'organisation  nouvelle. 

A  ce  dernier  point  de  vue,  il  est  nécessaire  que  le 
système  d'instruction  et  d'exercices  adoptés  pour  les 
corps  de  volontaires,  ne  comporte  rien  d'inutilement 
ennuyeux ,  et  surtout,  aucun  détail  assez  assujettissant 
pour  obliger  ceux  qui  les  composeront  à  prélever,  sur 
le  temps  nécessaire  à  leurs  occupations,  des  emprunts 
assez  importants  pour  les  gêner.  Dans  les  deux  cas,  en 
effet,  on  devra  s'attendre  à  voir  s'éloigner  des  rangs, 
d'un  côté,  ceux  qui  trouveront  un  emploi  moins  fasti- 
dieux pour  leurs  loisirs  ;  de  l'autre,  ceux  auxquels  une 
prompte  expérience  aura  révélé  le  tort  que  le  service 
militaire  cause  à  leurs  affaires. 

On  comprend,  de  reste,  où  doivent  mener  de  pareils 
tempéraments,  et  l'on  pressent  de  suite  l'espèce  de 
soldats  que  peuvent  représenter  les  volontaires. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     395 

Partant  de  ce  principe  qu'ils  n'ont  pas  besoin  d'être 
instruits  et  exercés  comme  les  soldats  appelés  à  com- 
battre en  ligne,  nos  voisins,  dans  les  débuts  de  l'orga-^ 
nisation,  ont  considéré,  comme  absolument  perdu,  le 
temps  qui  n'était  pas  exclusivement  employé  à  l'exer- 
cice etau  maniement  de  la  carabine.  Suivant  l'opinion 
générale  en  Angleterre,  le  volontaire  ne  doit  être  qu'un 
simple  auxiliaire  pour  l'armée  et  la  milice,  et  la  con- 
naissance parfaite  de  son  arme  est  tout  ce  qu'il  lui  faut 
pour  remplir  ce  rôle. 

Nous  verrons  ailleurs  quelles  sont  les  conséquences 
d'un  pareil  système,  et  nous  en  appellerons  à  l'histoire 
pour  montrer  où  il  peut  conduire. 

Afin  de  réduire  à  sa  plus  simple  expression  l'ins- 
truction militaire  du  volontaire,  il  avait  été  décidé, 
dans  le  principe,  que  l'unité  d'organisation  serait  la 
compagnie.  On  avait  pensé  que  des  corps  de  90  à 
100  hommes,  au  maximum,  pouvaient  seuls  se  plier 
à  la  pratique  du  système,  tandis  que  des  effectifs  plus 
considérables  devaient  entraîner  la  nécessité  de 
manœuvres  trop  difficiles  et  trop  compliquées.  Il  est 
résulté,  de  ce  point  de  départ,  un  nombre  infini  de 
corps  différents  et  sans  liaison  entre  eux.  Chaque  ville, 
chaque  bourgade,  comme  autrefois,  en  France,  à 
l'époque  où  florissait  la  garde  nationale,  a  voulu  avoir 
sa  compagnie  de  volontaires  ;  à  tel  point  que  leur 
liste  ressemble  à  une  sorte  de  dictionnaire  géographique 
de  la  Grande-Bretagne. 

Depuis,  nos  voisins  ont  reconnu  que  cette  disper- 
sion des  volontaires  était  un  obstacle  invincible  au  pro- 


396  CONSTITUTION   ET   PUISSiLNGE  MILITAIRES 

grès  de  Tinstitution.  Ce  n'est,  en  effet,  que  par  la 
réunion,  la  comparaison,  Faction  simultanée  dans  la 
main  d'un  même  chef,  qu'on  obtient  rinstructiou,  la 
confiance,  la  force  et  tout  ce  qui  fait  une  bonne  troupe. 

M.  Herbert,  s'inspirant  des  recommandations  con- 
tenues dans  un  récent  ouvrage  du  lieutenant  général 
Macintosh  (1),  a  ordonné,  en  1860,  la  formation  de 
bataillons  administratifs  {administrative  batlailons)  des- 
tinés à  réunir  et  à  exercer  les  corps  de  volontaires  aux 
manœuvres  qu'un  bataillon  est  appelé  à  exécuter  lors- 
qu'il est  embrigadé,  sans  cependant  diminuer  en  rien 
l'indépendance  complète  qui  caractérise  la  situation  de 
ces  corps  les  uns  par  rapport  aux  autres. 

Voici  le  texte  même  du  mémorandum  adressé  aux 
commandants  de  ces  bataillons  par  le  comte  Grey, 
sous-secrétaire  d'État,  et  successeur  de  M.  Peel  au 
War-Office  : 

«  L'objet  de  la  formation  d'un  bataillon  administra- 
»  tif,  est  d'abord  de  réunir,  sous  un  même  chef,  les  dif- 
»  férents  corps  de  volontaires  appelés  à  le  composer. 
»  Cette  formation  a  aussi  pour  but  d'assurer  l'unifor- 
»  mité  de  l'instruction  militaire  en  procurant  à  ces  niê- 
»  mes  corps  l'avantage  d'être  exercés  pardes  officiers 
»  de  l'armée  régulière.  Toutefois,  il  est  bien  entendu 
»  que  le  gouvernement  ne  prétend  nullement  s'im- 
»  miscer  dans  les  détails  de  leur  économie  intérieure, 
»  ou  de  leurs  règlements  particuliers.  Les  corps  de  volon- 
i>  taires  conservent  toute  leur  indépendance^  et,   en 

(1)  Defence  ofLondon^ 


DE   LA   FRANGE   ET   DE  L'ANGLETERRE.  397 

»  temps  ordinaire,  leur  réunion  en  bataillons,  pour  les 
»  manœuvres,  ne  peut  avoir  lieu  que  de  leur  plein  gré. 

»  Afin  de  mettre  à  Tabri  de  tout  empiétement  cette 
»  indépendancedes  différents  corps  réunis  en  bataillons, 
»  il  est  essentiel  que  chacun  d'eux  continue  à  former 
»  une  unité  bien  distincte,  suivant  Tesprit  de  l'acte  de 
»  formation  {volunleer  acts) .  En  effet,  si  la  situation 
»  cessait  d'être  ainsi  définie,  aux  termes  de  Tacte  de 
»  Georges  III,  44,  chap.  54,  l'officier  supérieur  com- 
»  mandant  un  bataillon  deviendrait  de  fait  Tadminis- 
»  trateur  de  tous  les  corps  qui  le  composent,  tandis 
»  qu'il  doit  être  bien  compris,  au  contraire,  que  les 
»  pouvoirs  que  confère  cet  acte  restent  dans  toute  leur 
D  intégrité  entre  les  mains  de  chaque  commandant  de 
»  corps  distinct.  » 

Les  pouvoirs  auxquels  il  est  fait  ici  allusion  ne  sont 
pas  sans  importance  :  ainsi,  ils  confèrent  à  l'officier 
commandant  d'un  corps  de  volontaires,  le  droit  d'ac- 
corder des  permissions  et  congés  ;  —  ils  l'autorisent  à 
délivrer  aux  volontaires  dont  l'instruction  est  complète, 
les  certificats  qui  les  affranchissent  du  tirage  au  sort 
pour  la  milice  ;  —  en  vertu  de  ces  mêmes  pouvoirs, 
Tofficier  commandant  a  le  droit  de  renvoyer  un  volon- 
taire pour  indiscipline,  ou  pour  toute  autre  cause  suf- 
fisante (en  dehors  du  service  actif)  ;  —  il  peut  le  con- 
damner à  la  prison  pour  refus  formel  d'obéissance  ;  — 
il  a  le  droit  de  désigner  le  lieu  de  réunion  des  armes  et 
de  l'équipement,  ainsi  que  les  gardiens  chargés  de  leur 
conservation.  Enfin,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut, 
l'officier  commandant  est  dépositaire  légal  de  tous  les 


&98  COKSTlTUTIOfC  KT  PUISSANCE  MlLlTAmfiS 

fonds  souscrits  pour  et  par  le  corps  qu'il  commande. 

De  môme  que  les  pouvoirs  qui  viennent  d'être  énu- 
mérés,  les  règlements  relatifs  à  chaque  corps  de  volon- 
taires, et  qui  ont  été  soumis  à  Tapprobalion  du  lord 
lieutenant,  restent  en  vigueur  pendant  sa  réunion  à 
un  bataillon  administratif.  Pour  que  ces  règlements 
puissent  être  modifiés,  la  sanction  du  lord  lieutenant 
et  l'approbation  du  souverain  sont  indispensablt^, 
comme  lorsqu'il  s'agit  de  leur  première  rédaction. 

Ainsi  limitée,  la  position  de  l'officier  supérieur  qui 
.  commande  un  bataillon  de  volontaires,  présente  une 
grande  analogie  avec  celle  du  colonel  commandant  la 
brigade  d'artillerie  anglaise.  Ses  fonctions  consistent  à 
surveiller  l'instruction  des  divers  corps  de  son  bataillon, 
à  les  inspecter  de  temps  à  autre,  de  manière  à  s'assurer 
que  les  prescriptions  ministérielles  sont  obsenées  en 
ce  qui  regarde  l'armement,  Thabillement,  les  marques 
distinctives  des  grades,  etc.  En  outre,  à  la  parade,  ou 
sur  le  terrain  de  manœuvre,  il  a  le  droit  de  prendre  le 
commandement  des  troupes,  comme  aussi  celui  de 
régler  les  exercices  des  corps  qu'il  autoriseàse  réunir 
pour  évoluer  ensemble. 

L'adjudant,  dans  les  corps  de  volontaires,  est  choisi, 
le  plus  souvent,  parmi  d'anciens  officiers  de  l'armée  ou 
de  la  compagnie  des  Indes.  Bien  que  placé  sous  les  or- 
dres de  Tollicier  supérieur  (/îe/c/o^cer)  commandant  le 
bataillon,  il  doit,  avant  tout,  se  conformer  aux  instruc- 
tions émanant  du  War-Office,  et  qui  lui  sont  trans- 
mises à  la  fois,  par  Tinspecleur  général  des  volontaires, 
et  par  son  commandant  de  bataillon.  Indépendamment 


DB  LA  t^RANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.  â9d 

des  devoirs  ordinaires  qui  incombent  à  Tadjudant  des 
régiments  de  ligne,  Tadjudant  d'un  bataillon  de  volon- 
taires est  tenu  de  visiter  les  différents  corps  qui  com- 
posent son  bataillon,  aussi  souvent  quele  permet  leur 
éloignement,  et  chaque  fois  que  Tordre  lui  en  est  donné 
par  soncommandant.il  doit  tenir  le  contrôle  nominatif 
des  hommes  de  chaque  corps,  et,  tous  les  mois,  enregis- 
trer les  mutations  d'après  les  situations  fournies  aux 
commandants  de  ces  corps.  L'adjudant  est  encore  char- 
gé, sous  la  direction  de  Tofficier  supérieur,  de  la  corres- 
pondance relative  aux  affaires  du  bataillon,  et  c'est  lui 
qui  établit  tous  les  rapports  demandés  par  le  ministre 
de  la  guerre. 

Les  commandants  des  corps  de  volontaires  doivent 
correspondre  avec  le  ministre  de  la  guerre  et  avec 
le  lord  lieutenant  de  leur  comté,  par  l'intermédiaire 
de  l'officier  supérieur  commandant  le  bataillon  dont 
ils  font  pariie.  C'est  aussi  par  le  même  canal  que  doi- 
vent leur  être  transmis  les  ordres  ou  instructions 
émanant  de  ces  deux  autorités. 

Tout  commandant  d'un  corps  distinct  est  respon- 
sable des  armes  et  équipement  fournis  par  le  gouver- 
nement aux  volontaires  sous  ses  ordres.  Il  l'est  aussi  de 
toutes  les  sommes  qui  peuvent  être  dues  en  raison  de 
ces  fournitures.  Quant  à  la  correspondance  relative  à 
cet  objet,  elle  doit,  comme  toute  autre,  passer  par 
l'officier  supérieur  commandant  le  bataillon. 

Lorsque  plusieurs  corps  distincts  sont  réunis  pour 
l'exercice  du  tir  ou  pour  tout  autre  objet,  l'officier 
présent,  le  plus  ancien,  exerce  le  commandement  gêné- 


&00  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MIUTAIRES 

rai,  et  devient  responsable  pour  tout  ce  qui  touche  au 
maintien  du  bon  ordre  et  de  la  discipline  parmi  les 
volontaires  réunis  sous  les  armes.  Cette  autorité  tem- 
poraire ne  lui  donne,  du  reste,  aucun  droit  d'interven- 
tion dans  l'économie  particulière  de  chaque  corps. 

Les  officiers  de  volontaires  régulièrement  nommés, 
lorsqu'ils  sont  en  uniforme,  ont  droit,  suivant  leur 
grade,  au  même  salut  que  les  officiers  des  gardes,  de 
la  ligne  et  de  la  milice. 

Les  postes  rendent  aux  volontaires  sous  les  armes  les 
honneurs  prescrits  au  paragraphe  24  du  règlement 
sur  le  service  intérieur  {Queen's  régulations)  {!)• 

On  peut  juger,  par  ces  dernières  dispositions,  du 
soin  que  met  le  gouvernement  anglais  à  rehausser,  par 
tous  les  moyens,  la  considération  et  Timportance  des 
volontaires. 

On  pense,  en  Angleterre,  qu'en  raison  des  clôtures 
sans  nombre  qui  divisent  le  pays,  et  des  obstacles  qui 
arrêtent  à  chaque  pas  les  mouvements  des  troupes 
régulières,  des  corps  de  francs  tireurs  composés 
d'hommes  ayant  vécu  ensemble,  confiants  dans  leurs 
camarades,  et  sûrs  de  leur  arme,  ne  peuvent  manquer 
de  gêner  beaucoup  la  marche  d'une  armée  ennemie  en 
agissant  sur  ses  flancs  et  ses  communications. 

Le  maniement  de  la  carabine,  et  la  pratique  du  tir, 
étant  les  points  essentiels  sur  lesquels  doit  porter 
l'instruction  du  volontaire,  le  gouvernement  anglais  a 

(1)  AUgoardsare  to  be  under  arms  when  armed  parties  approadi 
their  posts  ;  —  and  to  parties  commanded  by  commissioned  offiœn» 
they  are  to  présent  ibeir  arms,  beat  a  march,  officers  salaUng. 


DB  LA   FRANCE   ET   DE   l'aNGLETERRE.  AOl 

encouragé,  par  tous  les  moyens  possibles,  l'établisse- 
ment de  champs  de  tir,  dans  les  localités  où  des  corps 
se  sont  formés.  Il  a  autorisé,  au  prix  coûtant,  Fachat 
de  cibles  tirées  des  magasins  de  l'État,  et  il  a  accordé, 
dans  les  mêmes  conditions,  des  livraisons  annuelles  de 
munitions  d'exercice  et  de  tir,  à  raison  de  900  car- 
touches à  balles,  120  cartouches  à  poudre  et  352  cap- 
sules par  volontaire  ayant  terminé  son  instruction. 
Chaque  nouvel  admis  a  droit,  en  outre  à  HO  cartou- 
ches à  balles,  20  cartouches  à  blanc  et  143  capsules. 
Pour  les  préliminaires  do  Finslruction  on  ajoute 
encore  40  autres  capsules  (1). 

Dans  le  principe,  ainsi  que  nous  Pavons  dit  plus 
haut,  chaque  volontaire  devait  s'armer  à  ses  frais. 
Outre  que  cette  dépense  assez  lourde  contribuait  beau- 
coup à  arrêter  l'élan  des  enrôlés,  il  résultait  encore  de 
cette  obligation  une  variété  telle,  dans  le  calibre  des 
carabines  et  dansle  modèle  de  leurs  cheminées,  que  lés 
cartouches  et  les  capsules  délivrées  par  le  gouverne- 
ment ne  pouvaient  pas  servirle  plus  souvent. 

Afin  de  donner  une  impulsion  plus  grande  à  l'agita- 
tion d'où  était  sortie  l'organisation  des  volontaires,  le 

(1)  Lorsque  nous  étudierons  inorganisation  de  PËcole  de  Hythe 
qui  tient  en  Angleterre  la  place  occupée  chez  nous  par  l*Ëcole  de  tir 
deVincennes,  nous  aurons  occasion  de  remarquer  la  grande  ana- 
logie qui  existe  entre  les  procédés  suivis  chez  nos  voisins  pour  for* 
mer  de  bons  tireurs,  et  le  règlement  nouveau  qui  vient  d'êlru  mis 
en  vigueur  dans  nos  régiments.  Le  snapping  practice  auquel  sont 
consacrés  les  kO  capsules  dont  il  est  parlé  ici,  correspond  à  la  pé- 
riode de  rinstruction  pendant  laquelle  on  exerce  aussi  nos  recrues 
à  ajuster,  à  éteindre  des  chandelles,  avec  do  simples  capsules. 

26 


AO^  CONSTITUTION  ET  PUISSANCB  MIUTAIfiBS  ' 

gouvernement  anglais  s  est  décidé  d'abord  à  accorder 
gratuitement  25  pour  100  des  armes  que  réclamait 
TefiFectif  ;  c'était  déjà  quelque  chose,  mais  ce  n'était  pas 
encore  assez  ;  l'institution  se  développait  lentement,  et 
'  malgré  toutes  les  réclames  publiées  par  les  journaux,  le 
nombre  des  volontaires  n'augmentait  pas.  Le  gouver- 
nement dut  se  décider  à  faire  une  nouvelle  distribution 
qui  porta  à  50  pour  100  de  l'effectif  le  nombre  des 
armes  gratuitement  délivrées.  Aujourd'hui,  la  totalité 
des  volontaires  est  année  avec  des  carabines  de  TÊtat, 
ce  qui  n'a  pas  laissé  que  d'occasionner  une  assez  forte 
dépense,  et  par  suite  un  certain  mécompte  dans  les 
espérances  d'économie  qui  se  basaient  sur  ce  mot 
magique  de  «  volontaires  » . 

Ce  n'est  pas  tout,  ce  matériel  considérable  représente 
une  valeur  trop  importante,  pour  que  son  entretien  ne 
soit  pas  l'objet  de  préoccupations  assez  désagréables. 
Les  armes,  surtout  celles  de  précision,  se  d^radent 
très  vite  lorsqu'elles  ne  sont  pas  l'objet  desoins  intelli- 
gents; or,  l'autorité  militaire  a  bien  pu  décréter  que 
les  carabines  distribuées  doivent  être  entretenues  en 
bon  état,  et  placées  en  sûreté  {areiobe  kept  clean  and  in 
a  place  of  security)^  mais,  d'une  part,  la  faculté  de 
garder  son  arme  dans  sa  maison,  si  elle  est  laissée  au 
volontaire,  sera  une  assez  pauvre  garantie  contre  la 
rouille;  d'un  autre  côté  (bien  que  nous  n'ayons  pas  à 
nous  occuper  de  l'Irlande  qui  n'a  pas  été  autorisée  à 
lever  des  volontaires),  est-il  bien  établi  que,  même  en 
Angleterre,  les  carabines  ainsi  disséminées  soient  par- 
tout en  sûreté?  Ces  considérations  conduisent  naturel- 


M  LA  PEANCB  Et  DE  L^ANGLETEllRB.  &0à 

lement  à  reconnaître  le  besoin  d'un  local  où  les  cara- 
bines seront  déposées  dans  l'intervalle  des  exercices,  et 
la  nécessité  d'un  armurier  chargé  de  les  entretenir. 

Si  l'on  ajoute  au  prix  que  coûtera  la  location  de  ces 
salles  d'armes  les  gages  de  l'armurier,  le  prix  des 
munitions,  la  réparation  des  cibles  et  des  buttes,  la 
location  du  champ  de  tir,  les  appointements  de  l'ins- 
tructeur, et  nombre  d'autres  dépenses  accidentelles,  on 
arrive  à  cette  conclusion  que  chaque  compagnie  de 
volontaires  se  trouve  obligée  de  s'imposer  (le  calcul  a 
été  fait),  une  contribution  qui  varie  annuellement 
de  120  à  160  livres  sterling,  c'est-à-dire  de  3,000  fr. 
à  4,000  fr. 

Nos  voisins  sont  calculateurs;  ce  n'est  pas  la  moindre 
de  leurs  qualités;  aussi,  après  avoir  fait  assez  bon  mar- 
ché des  sacrifices  que  la  tenue  et  l'équipement  leur 
imposaient,  nombre  de  volontaires,  si  noussonimes  bien 
informés,  ont  senti  leur  enthousiasme  se  refroidir  en 
voyant  qu'il  fallait  encore  mettre  sans  cesse  la  main  à 
la  poche,  ou  se  résigner  à  demandei*  l'aumône  pour 
avoir  l'honneur  de  serviç  la  vieille  Angleterre.  Nous 
verrons  plus  loin  les  conséquences  de  cette  situa- 
tion. 

Puisque  nous  venons  de  parler  de  la  tenue  des  volon- 
taires, c'est  peut-être  ici  le  moment  de  décrire  leur 
uniforme.  Au  début,  cette  question  était  abandonnée 
au  choix  de  chaque  corps;  Tapprobation  du  lord  lieu- 
tenant était  la  seule  formalité  à  remplir.  11  est  pro- 
bable que  cette  latitude  a  conduit,  dans  certains 
comtés^  à  d'assez  grotesques  résultats,  car  le  ministère, 


llOk  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

revenant  sur  sa  première  décision,  a  cru  devoir  nom- 
mer une  commission  spéciale  pour  déterminer  les 
modèles  à  adopter. 

Le  type  ministériel  consiste  dans  une  tunique  gris 
brun,  à  un  rang  de  boutons,  avec  un  collet  de  même 
couleur,  et  haut  d'un  pouce  trois  quarts.  Sur  la  manche 
est  brodé  un  nœud  hongrois.  Le  choix  de  la  couleur  du 
galon  avec  lequel  cet  ornement  est  confectionné  estlaissé 
à  la  discrétion  de  chaque  corps,  et  sert  de  marque 
distinctive. 

Le  pantalon,  coupé  large  de  hanches  jusqu'au  cou- 
de-pied, est  orné  sur  la  couture  d'un  passe-poil  de 
même  couleur  que  celui  de  la  tunique. 

La  coiffure  est  de  la  même  étoffe  que  les  autres  effets 
d'habillement;  c'est  une  espèce  de  képy  soutaché  avec 
le  même  galon  que  le  pantalon  et  la  tunique. 

Le  ceinturon,  en  cuir  fauve,  porte  une  cartouchière 
pouvant  renfermer  30  cartouches,  et  recevoir  les 
ustensiles  nécessaires  pour  l'entretien  de  l'arme.  Une 
bandoulière  qui  passe  sous  le  bras  droit  et  sur  Tépaule 
gauche,  aide  à  soutenir  le  ceinturon  ;  elle  se  boucle  sur 
la  poitrine. 

Les  guêtres  en  peau  de  mouton,  d'une  couleur 
assortie  avec  celle  du  ceinturon  et  de  la  giberne,  sont 
coupées  de  manière  à  former  comme  la  continuation 
du  soulier. 

Le  manteau,  du  même  drap  que  la  tunique,  descen- 
dant à  deux  pouces  au-dessous  du  genou,  forme  une 
espèce  de  double  vêtement  qui  se  boutonne  jusqu'au 
coi.  Un  capuchon  mobile,  analogue  à  celui  du  caban 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     &05 

de  nos  officiers  d'infanterie,  lui  permet  de  garantir 
la  tète. 

L'uniforme  des  volontaires  de  rartillerie  diffère  peu 
de  celui  de  l'infanterie  quant  à  la  coupe  ;  seulement,  il 
est  en  drap  bleu  ;  le  galon  d'ornement  est  écarlate,  et  le 
cuir  du  ceinturon  et  des  guêtres  est  noir'. 

Le  but  principal  do  l'organisation  des  canonniers- 
volontaires  est  de  fournir  des  servants  aux  batteries 
élevées  pour  la  défense  des  villes  maritimes.  Au  moyen 
de  ces  auxiliaires,  on  espère  rendre  l'artillerie  royale 
et  celle  de  la  milice  complètement  disponibles  pour 
les  autres  services. 

Les  canonniers- volontaires  appartiennent  à' une 
autre  catégorie  d'individus  que  les  carabiniers  ou 
tirailleurs.  Ils  ne  sont  pas,  en  cas  de  guerre,  destinés  à 
un  service  aussi  actif  que  ceux-ci.  On  a  pensé  que  des 
gens  mariés,  et  auxquels  leurs  occupations  ne  per- 
mettaient pas  de  s'absenter  du  lieu  de  leurs  résidences, 
pouvaient  être  cependant  exercés  à  la  manœuvre  des 
pièces  de  côte  situées  dans  leur  voisinage,  sans  qu'il 
en  résultât  d'inconvénients  sérieux  pourtours  affaires. 

Exposés,  eu  première  ligne,  aux  dangers  que  l'orga- 
nisation générale  doit  conjurer,  les  volontaires  de  la 
côte  ont,  s'il  est  possible,  un  intérêt  plus  grand  encore 
que  ceux  de  Tintérieur  à  donner  tout  leur  concours  au 
système  de  défense  sur  lequel  repose  la  sécurité  de 
leur  famille  et  de  leurs  propriétés. 

Le  principe  sur  lequel  repose  l'organisation  des  tirail- 
leurs ou  carabiniers  volontaires  est  également  admis 
dans  celle  des  artilleurs,  avec  cette  différence,  cepen- 


406  CONSTITUTION  ET   PUISSANCE  MIUTAIBGS 

dant,  que  ceux-ci  sont  divisés  en  fractions  encore  moins 
nombreuses.  Ainsi,  la  combinaison  plus  particulière- 
ment recommandée  pour  ces  derniers,  est  celle  de 
l'association  d'une  dizaine  ou  d'une  douzaine,  au  plus, 
d'individus,  se  connaissant  parfaitement  entre  eux, 
habitant  les  uiis  près  des  autres,  et  chargés  d'une  façon 
invariable,  du  service  d'un  même  canon  placé  en  bat- 
terie, en  quelque  sorte  à  leur  porte. 

Chaque  escouade  compte  un  chef  et  un  instructeur 
chargé  de  diriger  la  manœuvre.  Appelés  à  servir  tou- 
jours la  même  pièce,  les  canonniers  volontaires  ne 
peuvent  manquer  de  devenir  parfaitement  au  courant 
de  sa  portée,  de  ses  effets,  et  des  directions  dans  les- 
quelles elle  doit  particulièrement  être  pointée. 

Comme  complément  du  système  que  nous  venons 
d'analyser,  le  gouvernement  anglaisa  encore  recom- 
mandé la  formation  de  Sociétés  destinées  à  manœuvrer 
les  chaloupes  canonnières  dans  les  ports  de  commerce, 
à  l'embouchure  des  rivières  et  sur  les  rades  ouvertes. 
Rappelant  le  nombre  considérable  de  bâtiments,  de 
chantiers,  de  magasins,  qui  se  trouvent  exposés,  sur 
ces  différents  points,  aux  attaques  du  premier  corsaire 
venu,  les  autorités  maritimes  supposent  que  les  con- 
structeurs et  armateurs  doivent  regarderie  développe- 
ment de  ces  associations  comme  étant  du  plus  haut 
intérêt,  et  qu'ils  doivent  non-seulement  les  favoriser 
de  tous  leurs  efforts,  mais  encore  mettre  à  leur  dispo 
sition  les  embarcations  susceptibles  d'être  armées  en 
canonnières  dont  ils  se  trouvent  possesseurs. 

Nous  avons  exposé^  dans  les  lignes  qui  précèdent. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE,     Û07 

l'ensemble  de  ror^anisation  des  \olontaires  anglais; 
nous  avons  vu  comment  ils  étaient  recrutés,  armés, 
habillés  et  instruits  ;  il  nous  reste  à  apprécier  les  ser- 
vices qu'ils  peuvent  rendre.  Avant  d'examiner  si  la 
valeur  de  l'institution  est  bien  en  rapport  avec  tout  le 
bruit  qui  en  a  été  fait  chez  nos  voisins;  avant  de  discu- 
ter les  opinions  contraires  qui  se  sont  produites  quant 
à  son  efficacité,  nous  terminerons  ce  chapitre,  en  met- 
tant sous  les  yeux  de  nos  lecteurs,  l'un  des  documents 
les  plus  curieux  auxquels  ait  donné  lieu  la  polémique 
soulevée  en  Europe  par  l'organisation  des  volontaires 
anglais  :  c'est  la  lettre  suivante  de  Garibaldi  publiée  par 
un  des  journaux  mihtaires  de  Londres  (1). 

« Je  vous  remercie  de  la  confiance  que  vous 

»  voulez  bien  me  témoigner  en  me  demandant  mon 
»  opinion  au  sujet  de  l'armement  des  volontaires 
»  anglais.  Votre  comparaison  entre  la  liberté  anglaise 
»  et  la  liberté  italienneest  parfaitement  juste,  et  je  suis 
»  complètement  de  votre  avis.  Aujourd'hui,  et  au 
»  degré  de  civilisation  où  le  progrès  a  conduit  la  société 
»  moderne,  il  n'est  plus  possible  qu'une  portion  de  la 
»  famille  humaine  reste  condammée  à  la  servitude  et 
»  à  la  dégradation.  En  ce  qui  regarde  les  volontaires, 
»  j'estime  que  l'Angleterre  a  pris  le  meilleur  parti  en 
»  décidant  cet  armement  ;  par  cette  sage  mesure,  elle 
»  a  rendu  son  territoire  inexpugnable  pour  une  inva- 
»  sîon  étrangère.  Plût  à*  Dieu  que  mon  pays  voulût 
»  suivre  cet  exemple 

(1)  V  United  service  Magazine 


ft08  CONSTITUTION   tT   PUISSANCE  MILITAIRES 

»  Il  est  un  fait  matériel  qui  domine  tous  les  prin- 
»  cipes  dans  Tart  de  la  guerre  ;  —  c'est  la  défaite  de 
»  Tennemi  —  cette  vérité  passe  avant  toutes  les  théo- 
»  ries.  La  retraite  des  troupes  les  mieux  disciplinées 
»  de  r  Autriche  devant  les  zouaves  moins  bien  discipli- 
»  nés,  prouve  qu'un  homme  peut  être  soldat  sans  être 
»  emprisonné  dans  un  col  et  dans  un  uuifornie 
»  (wiihout  wearing  a  iight  tunic  or  a  tight  craval). 
»  Les  bergers  de  Paul-Émile  armés  seulement  de  poi- 
»  gnards  culbutant  les  Macédoniens,  ces  terribles 
»  conquérants  de  VAsie;  les  voltigeurs  français  des 
1)  armées  de  la  République,  et  depuis,  les  bersaglieri 
»  et  les  zouaves  à  San-Martino,  à  Magenta,  à  Pales- 
»  troet  à  Solferino,  ont  prouvé  que  les  masses  nesuf- 
»  usaient  pas  sur  les  champs  de  bataille,  et  que  volon- 
»  taires,  zouaves  ou  bersaglieri  n'avaient  pas  besoin 
»  d'être  dressés  à  combattre  en  ordre  comme  les  troupes 
y>  de  ligne.  La  discipline,  sausaucun  doute,  est  la  base  de 
»  l'organisation  de  toute  armée  ;  et  sans  elle  il  n'y  a  pas 
»  possibilité  de  faire  la  guerre;  mais  quel  besoin  des 
»  volontaires  qui  ont  juré  de  ne  pas  abandonner  le  dm- 
»  peau  de  leur  pays  en  péril  peuvent-ils  avoir  d'une 
»  discipline  pareille  à  celle  des  corps  réguliers.  Le  patrie- 
»  tisme  et  l'enthousiasme  ne  sont  pas  des  sentiments  à 
»  dédaigner,  et  leur  puissance  vaut  bien  la  régularité  des 
»  troupes  de  ligne  ;  la  meilleure  preuve,  c'est  que,  dans 
»  toutes  les  guerres,  les  généraux  habiles,  dans  leurs 
»  harangues,  ont  toujours  fait  appel  à  ces  puissants 
»  auxiliaires.  D'un  autre  côté,  n'a-t-on  pas  vu  Napo- 
»  léon  1",  le  maître  de  la  moitié  de  l'Europe,  el  U  chef 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     Û09 

D  de  la  meilleure  armée  qui  fût  au  monde,  vaincu  par 
»  le  patriotisme  des  Anglais,  de  ces  boutiquiers 
»  {shopkeepers)  comme  on  les  appelait,  et  desquels  il 
»  n'avait  certes  pas  grande  opinion  (1)  ! 

0  Si  la  Grande-Bretagne  organise  les  200,000  volon- 
»  taires  qui,  en  cas  de  nécessité,  serviront  de  noyau  au 
»  million  de  patriotes  quelle  pourra  appeler  sous  les 
D  armes  ;  si  elle  continue  à  les  exercer  (ce  qui  ne  saurait 
»  être  difficile  pour  des  Anglais),  de  manière  à  les  ren- 
»  dre  aussi  disciplinés  que  des  troupes  régulières  {so 
»  Ihat  ihey  become  as  disciplined  as  regular  Iroops)  (2), 
»  on  verra  alors  qui  osera  envahir  l'asile  de  tous  et  la 
»  protectrice  de  l'univers! 

»  Je  pense  que  l'extrême  régularité  recommandée 
»  dansTétablissement  des  lignes  et  dans  la  manœuvre 


(1)  Depuis  longtemps,  il  est  admis,  en  Angleterre,  que  nos  zoua- 
ves, nos  turcos  et  nos  chasseurs  à  pied  sont  les  trompes  du  monde 
les  plus  indisciplinées.  Peut-être  n'élait-il  pas  inutile  de  les  repré- 
senter ainsi,  pour  leur  faire  jouer  d'une  manière  plus  efûcace  le 
rôle  d'épouvantail  auprès  des  braves  cockneys  de  Londres.  Au  reste, 
on  ne  doit  vraiment  plus  s'étonner  de  ce  jugement  erroné  de  la  par 
de  nos  anciens  alliés  de  Crimée,  lorsqu'on  voit  un  homme  qui,  na- 
guère encore,  combattait  côte  à  côte  avec  Tarmée  française,  profes- 
ser la  même  opinion.  Tous  les  militaires  sérieux  savent  cependant 
que  tous  les  régiments  passent  en  France  par  les  mêmes  degrés 
d'instruction,  etsontsoumisà  une  discipline  invariable  La  vivacité 
de  nos  chasseurs,  l'élan  de  nos  zouaves,  et  la  fougue  de  nos  turcos, 
ne  les  empêchent  nullement  de  manœuvrer  avec  toute  la  correction, 
avec  tout  l'aplomb  et  toute  la  régularité  de  n'importe  quel  régi- 
ment. 

(2)  A  quoi  bon,  si  cette  discipline  est  si  inutile,  et  doit  ajouter 
si  peu  à  leur  valeur. 


410  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

»  des  masses,  est  poussée  beaucoup  trop  loin,  tandis 
»  que  l'étude  dès  ordres  de  bataille  à  rangs  ouverts 
»  {the  open  order  ofbattlè)  est  trop  négligée.  Ce  dernier 
»  genre  de  manœuvres  devient  cependant  chaque  jour 
»  plus  utile  sur  les  champs  de  bataille,  par  suite  du 
»  perfectionnement  des  armes  à  feu,  et  à  cause  des 
»  nombreux  obstacles  que  la  division  de  la  culture 
D  accumule  sur  tous  les  terrains.  S'il  est  un  pays  au 
»  monde  qui  ait  servi  de  théâtre  aux  hostilités  dans  le 
»  passé,  et  qui  semble  destiné  au  même  rôle  dans  le 
»  présent,  c'est  bien  certainement  la  malheureuse 
»  Italie.  Or,  combien  y  a-t-il  d'endroits  en  Italie  où 
»  un  escadron  et  un  régiment  puissent  combattre  en 
»  ligne?  Très  peu  à  mon  avis.  Au  contraire,  tous  les 
»  terrains  sont  également  bons  pour  les  bersaglieri, 

»  Pour  me  résumer,  je  pense  que  plusieurs  lignes  de 
»  tirailleurs,  convenablement  soutenues  par  un  petit 
»  nombre  de  troupes  massées,  constituent  le  meilleur 
»  ordre  de  combat,  en  Italie,  comme  dans  beaucoup 
»  d'autres  pays;  et  mon  opinion  est  que  des  volontaires 
»  peuvent  se  plier  à  ce  genre  de  tactique  tout  aussi 
»  bien  que  des  troupes  régulières. 

»  J'ai  lu  le  remarquable  écrit  de  sir  John  Burgoyne 
»  sur  les  volontaires,  et,  bien  que  je  ne  sache  pas  assez 
]>  l'anglais,  et  que  le  temps  m'ait  manqué  pour  me 
»  former  une  opinion  bien  approfondie  sur  cet  ouvrage, 
»  il  m'a  paru  l'œuvre  d'un  soldat  intelligent  et  qui  a 
»  dû  assister  à  plusd'une  bataille.  Cependant,  je  ne  puis 
»  partager  son  avis,  quand  il  dit  que  50,000  vétérans 
»  doivent  avoir  raison  de  100,000  volontaires;  au 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     411 

»  moins,  si  ces  derniers  ont  le  degré  de  discipline  que 
»  toute  troupe  doit  avoir,  et  surtout  si  c'est  l'amour  de 
»  la  patrie  qui  a  armé  leurs  bras.  Je  ne  sais  pas  de 
»  quelle  manière  les  volontaires  anglais  sont  organisés, 
»  mais  je  pense  que  pour  tous  les  corps  de  cette  espèce, 
»  rinstructiou  qui  convient  le  mieux  est  celle  des  ber- 
»  saglieri.  La  légèreté  de  leur  uniforme,  leur  habitude 
»  du  combat  à  rangs  ouverts,  qui  ne  les  empêche  pas, 
»  cependant,  lorsque  l'occasion  l'exige,  de  se  former 
»  en  masse  ;  enfin,  l'extrême  promptitude  de  tous  leurs 
»  mouvements,  les  rend,  à  mes  yeux,  les  premiers 
»  soldats  du  monde.  Je  voudrais  voir  l'armée  italienne 
»  composée  exclusivement  de  bersaglieri,  et  je  nedoute 
»  pas  qu'une  organisation  semblable  ne  soit  parfaite- 
»  ment  réalisable  en  Angleterre  où  le  soldat  est  si 
x>  renommé  pour  son  intrépidité  et  son  sang-froid  au 
»  feu. 

»  Honoré  de  la  confiance  que  vous  avez  mise  dans 
»  mon  jugement,  je  vous  ai  répondu  comme  un  ami 
»  à  un  ami,  c^est  ce  que  doivent  être  tous  les  Italiens 
»  pour  la  généreuse  nation  anglaise. 

»  Votre  fidèle, 

D  Garibaldi.  » 

On  ne  saurait  contester  qu'au  milieu  d'idées  erronées 
et  contradictoires,  cette  lettre  du  célèbre  partisan  ne 
renferme  plusieurs  enseignements  utiles;  nous  nous 
proposons  d'examiner  plus  loin  dans  quelle  mesure  ces 
préceptes  sont  applicables  aux  volontaires  anglais. 


412  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MIUTAIRES 


CHAPITRE  XIX. 

Composition  de  V armée  de  seconde  ligne  en  Angleterre  [saiie)»  — 
Examen  critique  du  système  des  volontaires;  —  l'idée  de  leur  for- 
mation n'est  pas  nouvelle  ;  —  les  volontaires  de  1803.  *— Opinioo 
de  M.  Dupin.  —  Au  lieu  des  500,000  volontaires  sur  lesquels  on 
comptait  en  1860,  à  peine  en  a-t-on  trouvé  150,000. —  Chiffre 
actuel  des  dépenses  de  l'organisation  ;— satisfaction  de  TAugle- 
terre,  et  stupéfaction  de  l'Europe  à  propos  des  volontaires;  ~ 
opinion  relative  à  l'effectif  de  l'armée  ançclaise.  —Discussion  des 
exemples  cités  par  M.  Dupin,  à  l'appui  de  l'efflcacllé  des  voloa- 
taires.—  Opinion  du  général  Burgoynesur  les  guérillas  espagnols. 
»R61e  des  volontaires  américains  pendant  la  guerre  de  Tiiidé- 
pendance*—  Siège  de  Québec,  bataillesdeBroklyn,deHobkirk,etc. 

—  Les  Américains  n'auraient  jamais  conquis  leur  liberté  sans  le 
secours  des  troupes  de  Rochambeau.  ~  Comparaison  entre  les 
guerres  d'Amérique  de  i  775  et  de  1861  ;  —  ce  qui  se  passe  aujour- 
d'hui aux  États-Unis  est  la  condamnation,  sans  appel,  du  système 
des  volontaires.  —  La  bataille  de  Bull's  Run  ;  —  les  volonlaires 
de  la  république  française.  —  Opinion  de  Napoléon,  de  Jomini, 
de  Napier,de  Wellington,  deDumouriez,dei>amarque,  etc.,  etc., 
sur  les  volontaires  et  les  troupes  irrégulières.  *-  Les  Anglais,  et 
non  les  guérillas,  ont  sauvé  l'Espagne;  ~  sans  l'armée  Trancaise, 
les  volontaires  belges  n'auraientpu  secouer  le  joufc  delà  Hollande, 

—  sans  les  armées  régulières  de  la  France  et  du  Piémont,  les  vo- 
lontaires de  Garibaldi  auraient  eu,  en  1859,  le  sort  des  corps 
francs  de  1868.  —  Résumé  :  au  point  de  vue  économique,  comme 
au  point  de  vue  militaire,  l'institution  des  volontaires  anglab  est 
une  erreur. 

Nous  avons  exposé,  dans  le  chapitre  précédent,  les 
bases  réglementaires  de  l'organisation  des  vohniaires 
anglais.  Nous  avons  indiqué  les  nécessités,  pi*étendues 
ou  réelles,  auxquelles  devait  pourvoir  cette  institutioo. 


DE  L\  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     &13 

Nous  allons  examiner  actuellement  de  quelle  manière 
elle  fonctionne,  et  dans  quelle  mesure  elle  peut  ga- 
rantir ce  degré  de  sécurité  que  réclament  nos  voisins. 

Disons-le  tout  d'abord,  cette  idée  d'une  force  mili- 
taire purement  éventuelle,  et  pouvant  dispenser  le 
pays,  soit  en  partie,  soit  en  totalité,  de  la  lourde  charge 
imposée  par  l'armée  permanente,  n'est  pas  nouvelle 
en  Angleterre. 

En  1803,  à  l'époque  où  l'armée  française,  réunie 
sur  les  côtes  de  Boulogne,  menaçait  la  Grande-Bre- 
tagne d'une  invasion,  un  mouvement  analogue  à  celui 
dont  nous  étudions  eu  ce  moment  les  résultais,  se  pro« 
duisit  de  Tautre  côté  du  détroit. 

Un  mois  avant  la  déclaration  de  la  guerre,  le  goir- 
vernement  anglais,  indépendamment  de  ses  troupes  de 
ligne,  ûroyait  pouvoir  compter  sur  une  réserve  de  près 
de  600,000  hommes,  ainsi  répartis  : 

UUicê. 83,8â0 

Corps  de  réserve.    3/i,i62 

Volontaires.  .  .  .  &7/i,627  (officiers,  sous-ofSciers  et  soldats.) 

«  Lors  de  cet  admirable  mouvement,  dit  M.  Dupin, 
»  la  plupart  des  militaires  s'élevèrent  avec  fureur  con- 
»  tre  le  système  de  la  milice  et  des  volontaires.  Ils  af- 
»  feclaient  un  souverain  mépris  pour  ces  forces  natio- 
»  nales,  commandées  par  des  oiBciers  dont  la  plupart 
»  n'avaient  pas  fait,  en  présence  de  l'ennemi,  l'ap- 
»  prentissage  de  la  guerre.  Une  armée  régulière,  une 
x>  armée  permanente,  aussi  nombreuse  que  possible,  et 
»  même  un  peu  mieux  payée  que  possible,  leur  parais* 


41  &         GONSÎltUTlON  ET  PUISSANCE  MtLlTÀI&E$ 

»  sait  la  seule  garantie  de  salut  de  la  Grande-Bre- 
»  tagne.  I^s  écrits  militaires,  publiés  au  temps  dont 
»  nous  parlons j  sont  pleins  de  ces  erreurs,  » 

Nous  discuterons  ailleurs  cette  opinion  de  l'auteur 
des  Voyages  dans  la  Grande-Bretagne ^  comme  aussi 
celles  des  quelques  autres  rares  avocats  du  système  des 
volontaires.  Pour  le  moment,  bornons- nous  à  faire  re- 
marquer que  la  force  imposante  produite  par  cet  ad- 
mirable mouvement  de  1803,  ne  figura  jamais  que 
sur  le  papier.  Grâce  à  un  concours  de  circonstances, 
les  unes  imprévues,  les  autres  habilement  amenées 
par  le  cabinet  de  Saint-J^mes,  Torage  qui  menaçait  la 
Grande-Bretagne  fut  détourné.  Les  volontaires  de  180S 
étant  restés  fort  paisiblement  dans  leurs  foyers,  il  est 
assez  difficile  de  fixer  le  nombre  des  soldats  effectifs 
qu'ils  auraient  pu  fournir.  Si  nous  en  jugeons  parce 
qui  s'est  produit  en  4859  et  1860,  nous  pensons  qu*il 
y  aurait  eu  beaucoup  à  rabattre  des  chiffres  de  M.  Du- 
pin.  L'enthousiasme  étant  spontané,  est  parjcela  même 
fort  irrégulier,  aussi  ne  doit -on  pas  s'étonner  si  les 
résultats  qu'il  fournit  sont  aussi  variables.  Toujours 
est-il  que,  malgré  l 'agitation  provoquée  par  la  presse, 
malgré  les  appels  incessants  faits  depuis  deux  ans  au 
pays,  et  en  dépit  des  avantages  successifs  accordés  aux 
volontaires  par  le  gouvernement  (1),  nos  voisins  ont 

(i)  Dans  le  principe,  comme  nous  Tavons  dit  aiUeurs,  le  voIod- 
taire  devait  pourvoir,  sans  exception,  à  tous  1rs  frais  de  son  habille- 
ment, de  son  équipement  et  de  son  armement  Après  avoir  accordé 
un  certain  nombre  de  carabines,  à  raison  du  quart  de  refîectif,  le 
^uvernement  anglais  s'est  vu  obligé  de  pourvoir  à  Tarmement  de 


0g  LA  FEANC6  Et  DB  L  ÀNGLEXlSREB.  415 

éprouvé  une  assez  triste  déceplion.  Au  lieu  de  500,000 
volontaires  sur  lesquels  on  croyait  pouvoir  compter, 
comme  en  1803,  c'est  tout  au  plus  s'il  en  existe,  à 
rbeure  qu'il  est,  150,000  régulièrement  inscrits  sur 
les  contrôles. 

Ceci  posé,  quant  au  chiffre  qui  va  servir  de  base 
à  nos  calculs  (1),  examinons,  militairement  parlant, 
la  valeur  réelle  qu'il  convient  de  lui  assigner.  En  ad- 
mettant que  pas  un  seul  de  ces  volontaires  ne  manque 
à  rappel  au  jour  du  danger,  est-ce  à  dire  que  TAnglo- 
terre  dispose  aujourd'hui  de  150,000  soldats  de  plus 
qu'il  y  a  trois  ans? 

Certes,  on  serait  tenté  de  le  croire,  et  nos  voisins 
auraient  enfin  trouvé  la  panacée  qui  doit  les  guérir  de 
leurs  alarmes  et  de  leurs  paniques,  si  nous  devions 
nous  en  rapporter  à  la  satisfaction  qui  s'épanche  dans 
toutes  les  feuilles  anglaises,  ou  qui  se  traduit  à  si  grand 
bruit  dans  les  discours  prononcés,  après  boire^  de  l'au- 
tre côté  du  détroit. 

Écrivains  ou  orateurs,  semblent  faire  assaut  de  ly- 
risme pour  peindre  la  stupéfaction  de  TEurope  en 
présence  du  spectacle  que  lui  donne  la  vieille  Angle- 
terre. S'il  faut  croire  celui-ci,  l'organisation  des  vo- 
la totalité.  Plus  tard,  il  a  été  entraîné  à  fournir  les  munitions,  au- 
jourd'hui on  demande  Féquipement,  etc....  bref,  lesdépenses  occa- 
sionnées par  les  volontaires  figurent  déjà  au  budget  pour  133,000  liv. 
steding,  soit  trois  millions  et  demi  ;  —  On  ne  s*arrètera  pas  en  si 
beau  chemin. 

(1)11  n*est  pasinutiie  de  faire  remarquer  que  ce  chifTre  de  150,000 
volontaires  est  précisément  celui  proclamé  par  lord  Palmerston,  dans 
UD  récent  discours. 


416  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MIUTAIRES 

lontaires  est,  sans  contredit,  le  plus  grand  événement 
des  temps  modernes/Suivant  un  autre,  cette  manifes- 
tation du  patriotisme  indomptable  de  la  race  anglo- 
saxonne  est  un  fait  sans  précédent  dans  rhistoire  ; 
c'est  un  exemple  qu'aucune  autre  nation  de  l'Europe 
n'aurait  osé  donner  au  monde  civilisé.  Partout  ailleurs, 
ajoute  un  troisième,  ce  mouvement  irrésistible,  qui 
n'est,  pour  la  Grande-Bretagne,  qu'une  garantie  de 
plus  donnée  au  bon  ordre,  à  la  paix,  à  la  sécurité,  à 
la  liberté,  aurait  infailliblement  abouti,  sur  le  conti- 
nent, à  la  confusion,  à  la  révolution  et  à  l'anarchie. 

Tel  est,  en  résumé,  le  jugement  porté  sur  les  volon- 
taires, de  l'autre  côté  du  détroit,  par  l'universalité  des 
journalistes,  par  nombre  d'hommes  politiques,  et 
même,  nous  ne  devons  rien  omettre,  par  quelques  mi- 
lilaires. 

Toutefois,  aujourd'hui,  comme  en  1803,  la  plupart 
de  ces  derniers  sont  loin  d'accepter  les  opinions  en- 
thousiastes que  nous  venons  d'enregistrer.  Les  géné- 
raux Wilson,  Stuart,  etc.,  et  tant  d'autres  dont 
M.  Dupin  faisait  le  procès  il  y  a  un  demi-siècle,  ne 
manquent  pas  de  successeurs  tout  aussi  peu  disposés  à 
partager  les  illusions  de  leurs  adversaires  au  sujet  des 
volontaires  anglais  (1). 

L'organisation  de  cette  force  ayant  pour  objet  spé- 

(1)  Sans  parler  de  sir  Francis  Head  ou  du  général  Burgoyne« 
nous  avons  vu  un  noble  lord,  en  possession  d*  un  commandement 
imporlanl  chez  nos  voisins,  déclarer  nellement  que  les  volonlaîres 
étalent  «a  loose  and  useless  force,  ivhich  necer  could  be  efficient  in 
the  fieldy  and  which  no  gênerai  officer  woulJ  command  ». 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETEHRE.     417 

cial,  pour  but  parfaitement  avoué,  de  mettre  la  Grande- 
Bretagne  à  l'abri  d'une  invasion  de  la  France,  il  est 
intéressant,  même  en  admettant  toute  l'improbabilité 
d'un  pareil  événement,  d'apprécier  dans  quelle  me- 
sure ces  volontaires  sont  à  la  hauteur  de  leur  tâche,  et 
qui  a  raison,  de  leurs  avocats  ou  de  leurs  détracteurs. 
A  la  guerre,  il  n'est  pas  plus  sage  de  mépriser  son  en- 
nemi que  de  surfaire  sa  propre  force. 

La  question  de  l'efficacité  des  volontaires,  et,  eu 
général,  des  troupes  nationales  irrégulières  de  toute 
sorte  est  complexe  :  la  diversité  des  jugements  portés 
sur  cette  institution  par  des  hommes  paiement  sé- 
rieux, tient  évidemment,  selon  nous,  aux  points  de 
vue  différents  sous  lesquels  elle  a  été  envisagée;  aussi, 
il  nous  semble  que  pour  la  bien  décider,  en  ce  qui  re- 
garde nos  voisins,  il  est  essentiel  avant  tout  de  la  bien 
préciser. 

L'avantage  que  présentent  l'armement  et  la  levée 
en  masse  d'un  pays  dont  le  territoire  est  envahi^  ne  sont 
pas  à  démontrer^  L'utilité,  la  nécessité  de  ce  concours 
pour  l'armée  régulière,  dont  la  faiblesse  ou  Vinsuf^- 
sance  aura  permis  xin  pareil  désastre  sont  évidentes. 
Ici  il  n'est  pas  besoin  d'en  appeler  à  l'histoire,  le  simple 
bon  sens  suffit  pour  décider  la  question. 

En  ce  qui  regarde  l'Angleterre,  les  termes  de  la 
proposition  sont  loin  d'ôtre  aussi  simples.  Suivant  l'o- 
pinion des  militaires  les  plus  expérimentés,  de  l'autre 
côté  du  détroit,  l'effectif  de  l'armée  permanente,  mal- 
gré les  charges  écrasantes  qu'il  impose  à  l'État,  n'est 
pas  à  la  hauteur  de  la  tâche  à  remplir,  tant  à  l'exté- 

27 


4f8         CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILlTÂtAES 

rieur  qu'à  l'intérieur.  D'un  autre  côté,  il  semble  re- 
connu que  cet  effectif,  sous  l'empire  des  institutions 
qui  régissent  Tarmée  et  le  pays,  ne  peut  être  porté  à 
son  chiffre  nécessaire,  sans  une  réforme  radicale  que 
la  nation  repousse,  et  qu'aucun  ministère  n'oserait 
tenter  (1). 

Dans  cet  ordre  d'idées,  il  ne  faut  donc  plus  voir 
seulement,  dans  les  volontaires  anglais,  de  simples 
auxiliaires  de  l'armée  régulière  pour  le  cas  d'une  lutte 
suprême  ;  il  devient  nécessaire  de'  les  considérer  (sui- 
vant la  pensée  qui  a  présidé  à  leur  organisation),  non 
pas  comme  une  force  éventuelle  et  accessoire,  mais 
comme  portion  intégrante  d'un  système  militaire  dont 
l'insufiisance  est  notoire.  Il  faut  les  étudier  comme  le 
moyen  prétendu  le  moins  dispendieux  d'assurer  à 
l'Angleterre  le  chiffre  des  défenseurs  qui  lui  font  dé- 
faut; il  faut  les  envisager,  en  un  mot,  au  point  de  vue 
militaire,  comme  au  point  de  vue  économique. 

Nous  avons  dit  qu'en  1803,  comme  de  nos  jours, 
les  militaires  les  plus  expérimentés  s'étaient  montrés 
peu  favorables  à  l'institution  des  volontaires  anglais. 
Il  nous  semble  facile  de  prouver  que  cette  opinion  est 
dictée  par  des  mobiles  plus  nobles,  et  surtout  plus  sé- 
rieux que  ceux  qui  lui  sont  attribués  par  l'auteur  des 
Voyages  dans  la  Grande-Bretagne. 

Ce  qui  constitue  la  force  etTefiBcacité  d'une  troupe, 
c'est  l'habitude  et  l'amour  du  métier  militaire,  la  dis- 
cipline et  la  conflance  en  soi-même  et  dans  les  autres. 

(1)  Nous  voulons  parler  de  la  conscription. 


DB  LA  FEÂlfCE  BT   DE  L  ANGLETEHUB.  &1Q 

M.  Dupîn  veut  bien  convenir  que  dans  les  premiers 
temps  d'une  guerre,  les  volontaires  n'auront  ni  l'en- 
semble, ni  le  sang-froid,  ni  la  solidité  des  soldats  de 
profession.  Mais,  d'un  autre  côté,  il  prétend  aussi 
qu'une  armée  régulière,  nombreuse  et  parfaitement 
exercée  n'est  pas  toujours  une  sauve-garde  suffisante, 
ni  une  garantie  certaine  contre  le  premier  choc  de  la 
guerre.  H  en  atteste  la  prise  d'Ulm  et  la  bataille 
d'Iéna. 

A  l'exemple  tiré  de  la  bataille  d'Iéna,  il  suffit  de 
répondre  que  Tarmée  prussienne  avait  à  combattre 
contre  les  premières  troupes  du  monde,  dirigées  par 
les  meilleurs  généraux  de  Tépoque,  et  qu'en  définitive, 
il  faut  toujours  bien,  dans  une  bataille,  qu'il  y  ait  un 
côté  vainqueur  et  un  côté  vaincu.  Si  l'armée  prus- 
sienne, malgré  sa  bonne  organisation,  n'a  pu  protéger 
un  territoire  sans  frontières  naturelles,  et  qu'une  ba- 
taille perdue  ouvrait  fatalement  à  l'invasion,  nous 
pensons  qu'une  armée  de  volontaires  eût  été  bien 
moins  à  même  encore  de  remplir  cette  tâche.  Quant 
à  la  capitulation  d'Ulm,  elle  ne  prouve  qu'une  chose, 
c'est  qu'un  chef  inexpérimenté  ou  pusillanime  peut 
toujours  être  battu,  en  dépit  de  la  valeur  de  ses  trou- 
pes et  de  la  force  de  ses  positions.  Sans  même  aller 
aussi  loin,  ne  peut-on  pas  en  dire  autant  de  tout  gé- 
néral médiocre,  ou  seulement  inférieur  en  talent  à  son 
adversaire?  Les  exemples  d'Ulm  et  d'Iéna  ne  nous 
jsemblent  donc  fournir  aucun  argument  décisif,  quant 
à  la  valeur  relative  des  troupes  régulières  et  des  vo- 
lontaires. 


&20  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

Chacun  étudie  Tbistoire  à  sa  façon  et  pour  les  be- 
soins de  sa  cause;  mais  il  n'est  pas  rare,  il  y  a  long- 
temps  qu'on  Ta  dit,  que  le  même  fait  fournisse  à  la  fois 
des  armes  pour  et  contre  la  même  [thèse.  M.  Dupin 
est-il  bien  sûr  d'avoir  Tassentiment  des  Anglais  (vo- 
ontaires  ou  non),  lorsqu'il  résume  en  ces  termes  leur 
campagne  de  la  Péninsule  : 

«  Les  forces  espagnoles  n'étaient  que  des  volontaires, 
»  lors  du  soulèvement  de  l'Espagne  en  1808.  Ces 
9  gardes  nationales,  soutenues  seulement  par  AO^OOO 
n  soldats  anglais,  ont  fait  face  aux  meilleures  troupes  de 
»  l'Europe;  elles  ont  fini  par  en  triompher.  » 

Nous  pensons  que  l'armée  anglaise  a  tenu  en  Es- 
pagne une  place  quelque  peu  plus  importante  que  les 
paysans  et  les  moines  fanatiques  auxquels  M.  Dupin 
fait  une  si  belle  part.  Nous  discuterons  plus  loin  la  va- 
leur des  services  rendus  par  ces  derniers;  mais,  ad- 
mettant, pour  un  instant,  toute  la  prépondérance 
qu'on  leur  a  souvent  attribuée,  faudrait-il  en  conclure 
que  les  volontaires  anglais,  si  grand  que  soit  leur  pa- 
triotisme, soient  aptes  à  jouer  un  rôle  semblable  ? 

«  Je  m'adresse,  dit  M.  Dupin,  à  tous  les  généraux 
»  anglais  qui  se  sont  montrés  le  plus  opposés  aux  to- 
»  lontaires  et  à  la  milice,  à  sir  Robert  Wilson,  au  gé- 
»  néral  Stewart,  etc.  :  je  n'ai  qu'une  question  à  leur 
»  faire.  Dans  Thypothèse  où  les  Français  auraient 
»  passé  la  Manche  pour  envahir  l'Angleterre,  suppo- 
»  seront-ils  que  les  milices,  les  volontaires  à  pied,  les 
»  cavaliers  yeomen  de  la  Grande-Bretagne,  secondant 
»  l'armée  régulière,  destinée  par  la  fortune  à  nous 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     621 

»  combattre  dans  l'Espagne  et  le  Portugal,  auraient  eu 
»  moins  d'énergie  que  n'en  ont  eu  des  moines  et  des 
»  guérillas?...  Supposeront-ils  que  les  gardes  natio- 
»  nales  d'uu  pays  libre  auraient  aidé  moins  puissam* 
»  ment  leur  propre  armée  de  ligne,  pour  défendre 
»  une  constitution  révérée  et  des  institutions  chéries, 
»  que  les  soldats  des  Cortès  combattant  à  côté  des  en- 
»  seignes  étrangères  pour  rappeler  l'ancien  régime  de 
»  l'Espagne?  Pourc^ioi  donc  ces  généraux,  qui  jamais 
»  n'ont  douté  de  la  libération  de  l'Espagne,  doutaient- 
»  ils  si  fort  de  la  défense  de  leur  patrie,  confiée  à  la 
»  vaillance  des  volontaires  anglais?  Je  suis  loin  de 
»  soupçonner  leur  patriotisme  et  leur  loyauté.  Mais  il 
»  faut  convenir  qu'entraînés  par  leur  grand  amour 
»  pour  la  profession  des  armes*  ils  ont  erré,  lorsqu'ils 
»  n'ont  vu  de  salut  pour  leur  pays  que  dans  les  sol- 
»  dats,  et  surtout  dans  les  officiers  de  la  ligne.  » 

Il  est  fort  probable  que  si  les  généraux  Wilson  et 
Stewart,  adjurés  avec  tant  de  solennité,  vivaient  en- 
core, ils  commenceraient  par  démontrer  à  M.  Dupin 
combien  est  grande  son  illusion  à  Tendroit  des 
prouesses  de  ces  guérillas  si  vantés.  Ils  lui  prouve- 
raient, avec  le  général  Napier,  avec  le  général  Bur- 
goyne,  avec  Wellington  lui-même,  combien  la  gloire 
de  ces  bandits  a  été  surfaite  (1),  et  combien  fut  insi- 

(1)  Un  exemple  entre  mille  vient  à  Tappui  de  celle  asserlion. 
Après  avoir  établi  que  les  guérillas  étaient  incapables  de  tenir  de- 
vant les  Français,  mais  que,  pareils  aux  Turcs  dont  la  décadence 
militaire  est  assez  connue,  les  espagnols  se  défendaient  cependant 
avec  succès  derrière  les  remparts  de  leurs  villes,  le  général  Bur- 


&22  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MIUTAIHES 

gnifiante  Tinfluence  exercée  par  leur  concours  sur 
l'issue  de  la  guerre  d'Espagne.  Mais  il  est  une  autre 
considération,  bien  plus  importante  encore,  sur  la- 
quelle s*appuieraient  sans  doute  tous  ces  généraux 
pour  justifier  les  doutes  qu'ils  n'ont  pas  craint  d'é- 
mettre sur  TefScacité  des  volontaires  anglais.  Us  fe- 
raient ressortir  toute  la  différence  qui  existe  entre  les 
défilés,  les  sierras  de  la  Péninsule,  et  les  magnifiques 
plaines  qui  s'étendent  sur  la  côte  méridionale  de  l'Ao- 
gleterre;  — entre  l'Espagne  de  1808,  à  moitié  dé- 
serte, semée  de  ruines  et  d'obstacles  de  tout  genre, 
sans  voies  de  communication,  et  la  Grande  Bretagne, 
le  pays  du  monde  le  plus  peuplé,  le  plus  sillonné  de 
routes,  de  canaux,  de  chemins  de  fer,  etc.  Ils  u*insis- 
teraient  pas  moins,  sans  doute,  sur  l'impossibilité  d'é- 
tablir la  moindre  comparaison  entre  cette  portion  de 
la  population  espagnole ,  composée  de  pâtres ,  de 
contrebandiers,  de  muletiers,  de  colporteurs,  etc., 
dont  la  sobriété  et  la  résistance  à  la  misère  et  aux  fati- 
gues sont  proverbiales,  et  le  peuple  anglais,  dont  la  vie 
industrielle  et  agricole  a  porté  à  un  si  haut  degré  la 
richesse,  mais  en  développant,  en  même  temps,  des 

goyne,en  parlant  du  siège  deSarragosse  (c'est-à-dire  du  fair  d'armes 
le  plus  célèbre  des  guérillas),  s'exprime  ainsi  : 

«...  But  ihese  1  cannol  but  conceive  are  much  overraled  when  we 
»  consider  the  trifling  means  brought  by  the  French  against  ihem, 
•  where  by  superiorlty  of  discipline  and  art,  they  bave  reduced 
»  places  containinggarrisons  very  nearly  as  sirong,  somelimes  evoi 
»  stronger,  than  the  besieging  force.  There  were  certaMy  not  wmek 
»  less  than  30  000  irops  in  Sarragossa  surrendered  to  11  000  besie- 


DB  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETEaRE.     &t28 

habitudes  de  bien-être  et  un  besoin  de  confort  parfai- 
tement incompatibles  avec  la  rude  existence  réservée 
à  des  partisans  (1). 

L'histoire  a  conservé,  il  est  vrai,  le  souvenir  de 
plusieurs  circonstances  dans  lesquelles  les  troupes  ré- 
gulières, nombreuses  et  bien  disciplinées,  ont  été  bat- 
tues par  des  corps  irré^çuliers,  qui  ne  semblaient  pas 
capables  de  tenir  un  seul  instant  devant  elles.  Le  plus 
souvent,  suivant  nous,  ces  défaites  ont  été  le  résultat  de 
ia  négligence  des  corps  réguliers  ou  de  l'ignorance  de 
leurs  chefs  qui  se  sont  laissé  surprendre  dans  des  po- 
sitions désavantageuses.  C'est  ce  que  nous  nous  pro- 
posons de  démontrer,  en  passant  successivement  en 
revue  les  faits  de  guerre  le  plus  souvent  invoqués 
comme  preuve  de  l'efficacité  des  volontaires. 

(1)  Les  habitudes  dont  nous  [)arlons  sont  lellement  enracinées  et 
développées  aujourd'hui  chez  nos  voisins,  que  l'armée  régulière  elle- 
même  n'est  pas  à  l'abri  de  leurs  fâcheuses  conséquences.  On  a  vu 
en  Crimée  avec  quelle  rapidité  les  troupes  anglaises  se  sont  fondues 
sous  l'influence  des  misères  du  siège.  Une  autre  imperfection  dès 
longtemps  signalée,  c'est  la  lenteur  et  l'inaptitude  du  soldat  anglais 
pour  la  marche.  Il  ne  semble  pas  que  nos  alliés  aient  fait  de  grands 
progrès  sous  ce  rapport,  au  moins,  si  nous  en  jugeons  par  l'étape 
dé&astreuse  du  régiment  des  gardes,  entre  Kingston  et  Guilford,  au 
mois  de  juin  1861.  Non-seulement  ce  corps  d'élite  a  semé  la  route 
de  traînards  et  de  malades,  mais  tel  est  le  manque  d'exercice  ou 
d'habitude  des  régiments  anglais^  qu'un  malheureux  soldat,  nommé 
Norton,  est  mort  littéralement  de  fatigue  sur  le  chemin. 

Comment,  dans  un  pays  où  le  soldat  de  profession  est  aussi  mal 
doué  en  ce  qui  touche  à  l'une  des  parties  les  plus  essentielles  du  ser- 
vice militaire,  comment,  disons-uous,  pourrait-on  raisonnablement 
attendre  de  simples  citoyens  devenus  soldats  par  aventure,  la  rapi- 
dité et  l'activité  qui  doivent  être  les  premièresqualités  d'un  partisan? 


il  24  CONSTITUTION  ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

Nous  laisserons  décote,  dans  ce  rapide  examen,  tous 
les  épisodes  empruntés  à  l'histoire  ancienne.  Quels 
enseignements  pourrions-nous  tirer  des  faits  et  gestes 
d*Arminius  ou  de  PaulÉmile  dans  la  question  qui  nous 
occupe  ?  La  différence  de  tactique  des  peuples  anciens 
et  des  peuples  modernes  exclut  toute  comparaison. 
Nous  ne  sommes  plus  aux  temps  où  les  armées  com- 
battaient corps  à  corps,  et  où  les  nmltitudes  avaient 
quelquefois  gain  de  cause.  Nous  négligerons  également, 
parmi  les  événements  plus  récents,  tous  ceux  dont  le 
théâtre  restreint,  coupé,  montagneux,  et  particulière- 
ment défavorable  aux  grandes  opérations  militaires, 
ne  saurait  être  comparé  aux  vastes  plaines  des  comtés 
méridionaux  de  TAngleterre.  Si  nous  prétendons,  en 
effet,  que  des  troupes  régulières  sont  seules  susceptible 
de  défendre  efficacement  un  vaste  territoire  où  l'en- 
nemi sera  toujours  maître  de  choisir  son  terrain,  nous 
ne  prétendons  pas  nier  que  des  volontaires,  des  levées 
irrégulières  et  des  habitants  insurgés,  ne  puissent  se 
battre  avec  succès  derrière  des  remparts  que  Ton  ne 
peut  tourner,  ou  dans  un  pays  de  chicane.  Seulement, 
nous  le  répétons,  raffranchissement  de  la  Suisse,  le 
soulèvement  du  Tyrol  ou  des  Calabres  sont  des  excep- 
tions, comme  les  campagnes  du  Caucase,  du  Caboul 
ou  de  la  Kabylie.  Les  volontaires  anglais  n'ont  pas  plus 
d'analogie  avec  les  montagnards  de  ces  différents  pîiys, 
que  les  riants  coteaux  ou  les  plaines  de  Kent,  d*Essex, 
de  Sussex,  etc.,  n'ont  de  rapport  avec  l'Afghanistan  et 
le  Jurjurah.  Nous  pensons  qu'il  est  admis  sans  discus- 
sion qu'au  cas  où  une  puissance  continentale  se  déci- 


DR  LA  FRANCE  KT  DE  L  ANGLETERRE.     â25 

derail  à  envahir  l'Angleterre,  ce  n'est  pas  par  TÉcosse 
ou  le  pays  de  Galles  qu'elle  l'aborderait. 

Parmi  les  grandes  guerres  auxquelles  les  volontaires 
ont  pris  part,  et  dont  l'étude  est  surtout  instructive  au 
point  de  vue  du  jugement  à  porter  sur  leur  emploi, 
celle  de  l'Indépendance  américaine  tient  la  première 
place.  En  eifet,les  États-Unis  nous  présentent  un  peuple 
dont  le  génie  et  le  caractère  offrent  une  grande  analo- 
gie avec  celui  de  la  race  anglo-saxonne.  Sans  parler  do 
la  similitude  de  ses  institutions  à  certains  égards  (1), 
ses  idées  et  ses  tendances  militaires  sont  en  tout  point 
les  mêmes  que  celles  du  peuple  anglais. 

Examinons  donc  quel  fut,  à  la  fm  du  siècle  dernier, 
le  r61e  véritable  de  ces  volontaires  américains,  auxquels 
M.  Dupin  semble  attribuer  exclusivement  l'affranchis- 
sement de  leur  patrie.  Un  coup  d'œil  sur  les  événe- 
ments contemporains  nous  permettra  de  juger  en- 
suite si  leurs  successeurs  sont  plus  habiles  à  défendre 
V Union,  que  leurs  devanciers  ne  l'ont  été  à  la  fonder. 

En  1775,  au  début  de  la  guerre  de  l'Indépendance, 
les  troupes  américaines  offraient  un  rassemblement 
bien  plutôt  qu'une  année.  En  dépit  de  tous  les  efforts 
du  héros  de  cette  guerre  pour  introduire  Tordre  et  la 
discipline  dans  ces  bandes,  il  semblait  impossible  de 
remédier  aux  vices  de  leur  organisation.  «Les  officiers, 
dit  Botta  (2),  manquaient  d'instruction,  sauf  ceux  qui 
avaient  fait  les  guerres  précédentes.  Ils  n'étaient  pas 

(1)  Aux  États-Unis,  comme  en  Angleterre,  rétablissement  de  la 
coûsoriplion  militaire  a  été  jusqu^ici  repoussé. 

(2)  Charles  botta,  Hitoire  de  la  guerre  de  l'Indépendance. 


Â26  CONSTITUTION  KT  PUISSANCE  MIUTAIRES 

même  connus  de  leurs  soldats  qui  transjçrossaieDt  tous 
les  règlements.  L'organisation  des  corps  n'était  pas 
terminée,  et  les  changements  étaient  continuels.  Les 
ordres  s'exécutaient  mal  :  chacun  voulait  commander 
et  faire  à  sa  guise  ;  peu  daignaient  obéir.  ^ 

Les  volontaires  américains  n'étant  liés,  vis-à-vis  du 
Congrès,  que  par  des  contrats  facultatif  s  et  toujours  de 
courte  durée,  c^e  n'était  qu'avec  une  peine  infinie  que 
l'on  parvenait  à  les  retenir  lorsque  leur  engagement 
était  expiré,  quel  que  fût  d'ailleurs  le  préjudice  que 
dût  apporter  aux  succès  des  opérations  leur  retour 
dans  leurs  foyers.  C'est  ainsi  qu'à  Tépoque  du  blocus 
de  Boston,  Washington  vit  ses  troupes  sur  le  point  de 
se  débander,  malgré  la  situation  critique  où  se  trouvait 
le  pays  ;  «  et  vingt  fois,  dit  M.  Brialmont  (1  ),  ce  même 
embarras  se  manifesta  dans  le  courant  de  la  guerre  ; 
c'était  le  plus  grand  fléau  de  l'armée  républicaine.  » 

Ce  n'est  pas  seulement  au  début  de  la  guerre  que 
Washington  eut  à  lutter  contre  les  difficultés  que  nous 
venons  de  signaler  ;  elles  continuèrent  à  entraver  ses 
opérations,  longtemps  encore  après  que  le  général 
Howe  eut  remplacé  le  général  Gage  à  la  tête  de  l'armée 
anglaise,  <(  Chaque  jour,  dit  Botta,  il  devenait  plus 
évident  que  le  succès  des  guerres  ne  réside  pas  dans  les 
élans  populaires,  mais  dans  les  bonnes  armées,  la  dis- 

(1)  M.  Brialmont,  ofÛcierdeTarmée  belge,  dans  un  eiceUent  petit 
ouvrage  intitulé  :  De  la  gxierre,  de  Varmée  et  de  la  garde  civique^  a 
fait  ressortir  tous  les  inconvénienls  et  tous  les  dangers  que  présen- 
tent les  volontaires.  Ce  qui  se  passe  aujourd'hui  en  Amérique  est  la 
confirmation  la  plus  complète  des  doctrines  de  cet  écrivain. 


DE  LA   FRAlfCE  ET   DE  L^ANGLBTERRE.  &27 

cipline  et  l'obéissance;  or,  c'est  ce  qu'était  loin  d'offrir 
le  camp  des  insurgés.  » 

L'indiscipline  des  volontaires  américains,  leur  peu 
de  respect  pour  les  officiers  qu'ils  avaient  élus,  ou  que 
le  Congrès  avait  placés  à  leur  tête,  ne  pouvaient  man  - 
quer,  dans  les  circonstances  critiques,  d'amener  les 
plus  tristes  résultats.  L'attaque  de  Québec,  du  31  dé- 
cembre 1775,  en  est  un  exemple.  Non-seulement 
Montgoméry  et  Morçan,  deux  officiers  d'élite  qui  diri- 
geaient les  colonnes  d'assaut,  ne  purent  maintenir  leurs 
soldats,  mais  il  leur  fut  même  impossible  de  les  rallier 
de  manière  à  faire  une  retraite  honorable.  Malgré  le 
désavantage  d'une  surprise  de  nuit,  malgré  le  mauvais 
état  de  ses  défenses,  la  garnison  anglaise  fit  une  sortie, 
et  elle  obligea  les  Américains  à  déposer  les  armes  «  dans 
les  maisons  mêmes  où  ils  s'étaient  blottis  pour  échap* 
per  au  feu  de  la  place  » . 

Au  combat  des  Cèdres,  à  celui  des  Trois-Rivières, 
enfin  à  la  bataille  de  Brooklyn,  nous  voyons  les  volon- 
taires américains  toujours  mal  gardés,  mal  éclairés, 
subir  coup  sur  coup  autant  de  défaites.  A  cette  der- 
nière affaire,  ils  perdent  en  tués,  prisonniers  ou  bles- 
sés, huit  fois  plus  de  monde  que  les  Anglais.  Leurs 
soldats,  accablés  de  fatigue  et  découragés,  se  retirent 
dans  la  plus  grande  confusion. 

Cet  échec,  suivant  M.  Brialmont,  fit  une  vive  im- 
pression sur  les  Américains,  et  commença  à  leur  ouvrir 
les  yeux.  «Jusqu'à  ce  jour,  dit  un  historien,  ils  s'étaient 
»  persuadés  que  la  valeur  personnelle  supplée  entière- 
»  ment  à  la  discipline  ;  et  dès  loi's,  ils  en  étaient  venus 


&28  GONSTlTUTIOir  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

x>  au  point  de  ne  parler  qu'avec  dérision  de  la  tactique 
»  européenne  (I).  Mais  depuis  qu'ils  avaient  fait  une  si 
D  fatale  expérience  de  Futilité  dont  elle  est  dans  les 
»  batailles  rangées,  leurs  yeux  s'étaient  ouverts,  et  ik 
»  avaient  perdu  toute  conBance  en  eux-mêmes.  Us 
»  avaient  cru  d'abord  que  le  courage  peut  tout  sans 
»  discipline  ;  ils  pensaient  maintenant  que,  sans  elle,  il 
x>  ne  peut  rien.  A  tout  instant,  ils  craignaient  d'être 
»  surpris  ;  à  chaque  pas,  de  tomber  dans  une  embus- 
»  cade.  Leur  découragement  acheva  de  jeter  le  désor- 
»  dre  parmi  eux.  Les  milices  surtout,  selon  Tusage  des 
»  multitudes  armées  dans  les  moments  de  crise,  se 
»  montraient  de  jour  en  jour  plus  indociles  et  plus  tu- 
»  multueuses.  Non  contentes  de  jouir  d'une  liberté 
»  sans  bornes  dans  les  camps,  elles  quittaient  leurs 
»  drapeaux  par  bandes,  et  des  régiments  entiers  dé- 
»  sertaient  pour  regagner  leurs  provinces.  Cet  exemple 
»  devint  funeste  aux  troupes  réglées  elles-mêmes:  elles 
»  perdaient  de  leur  subordination,  et  la  désertion  les 
»  affaiblissait  journellement  (2).  Leur  terme  de  service 

(1)  «  n  est  temps,  disail-oD,  de  faire  voir  à  TÂDgleterre,  vieille 
»  et  corrompue,  ce  que  peut  rAmérique  dans  la  force  et  IMnnoceDce 
»  de  sa  jeunesse;  il  est  temps  de  prouver  combien  nos  volontaires 
»  sont  supérieurs  en  courage  et  en  constance  à  de  vils  mercenaires.» 
(Charles  Botta,  Histoire  de  la  guerre  de  llndàpendance,) 

(2)  Pendant  la  campagne  des  Plémontais  contre  les  Autrichiens 
(i8&8*i8â9),  le  mélange  des  volontaires  et  des  corps  francs  avec 
Tarmce  régulière,  produisit  sur  le  Mindo  des  résultats  IdenUqoes. 
L'indiscipline  de  ces  corps,  et  Tinfluence  qu'elle  avait  exercée  sur 
les  troupes  de  ligne  fut  une  des  causes  qui  déterminèrent  la  retraite 
deTarmée  italienne.  Œtudessur  la  campagne  de  Lombardie^  Paris. 
1856.) 


DE  LA   FRANCE  ET  DE  l'aNGLETERBE.  A  29 

»  n'était  pas  d'un  an,  et  même,  dans  certains  corps, 
T»  de  quelques  semaines  seulement;  l'espérance  de  re- 
»  tourner  bientôt  au  milieu  de  leurs  familles  et  de  leurs 
»  amis  agissait  tellement  sur  ces  soldats,  qu'ils  évi- 
»  taient  les  dangers.  Dans  les  commencements,  te  zèle 
»  et  l'enthousiasme  l'avaient  emporté  sur  ces  afTections 
»  domestiques;  mais  présentement  elles  triomphaient 
»  d'une  ardeur  éteinte  par  la  mauvaise  fortune.  Attérés 
»  par  les  coups  du  sort  et  peu  faits  à  les  supporter, 
1»  les  Américains  voyaient  partout  le  présage  de  leur 
»  perte.  » 

Malgré  les  efforts  héroïques  de  Washington  pour 
tirer  parti  des  milices  et  des  volontaires,  à  défaut  d'une 
armée  r^uliëre  d'un  effectif  suffisant,  on  peut  dire 
que,  jusqu'au  moment  où  arrivèrent  les  troupes  de 
Rochambeau  et  de  Lafayette,  l'histoire  de  la  guerre  de 
l'Indépendance  se  réduit  à  celle  des  désastres  essuyés 
par  les  Américains. 

C'est  d'abord,  à  Kippsbay,  la  déroute  des  brigades 
Parsons  et  Fellows  par  le  général  Clinton.  Les  Améri- 
cains prennent  la  fuite  sans  combattre,  malgré  tous 
les  efforts  de  leurs  officiers.  Ralliés  un  instant  par 
Washington  en  personne,  ils  se  débandent  de  nouveau 
sousle  feu  de  l'infanterie  anglaise,  abandonnant  artille- 
rie, tentes  et  munitions.  A  la  même  époque,  les  forts  de 
Lee  et  de  Washington,  sans  lesquels  il  n'était  pas  pos- 
sible de  se  maintenir  dans  l'île  de  New- York,  tombent 
aux  mains  des  Anglais. 

Ces  revers  multipliés  mirent  un  instant  en  question 
l'issue  de  la  guerre  de  l'Indépendance.  Suivant  l'opi- 


ftSO  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  HILlTAlUfiS 

nion  générale,  le  moment  était  arrivé  où  les  colonies 
devaient  rentrer  sous  le  joug.  La  dissolution  de  l'ar- 
mée républicaine  semblait  en  effet  imminente.  Les  vo- 
lontaires débandés,  dispersés,  rentraient  sur  tous  les 
points  dans  leure  foyers  ,  «  et,  dit  Thistorien  de  celte 
guerre,  les  troupes  réglées,  atteintes  aussi  par  le  dés- 
espoir, se  livraient  à  la  désertion  la  plus  eflFrayante.  » 

Ainsi,  au  moment  même  où  Washington  était  obligé 
de  battre  en  retraite  à  New-Brunswick,  devant  Com- 
wallis,  les  volontaires  du  Maryland  et  du  New-Jersey 
déclaraient  leur  engagement  expiré,  et  abandonnaient 
leurs  drapeaux.  Plusieurs  corps  de  la  Pensylvanie  sui- 
vaient cet  exemple,  et  Washington  était  à  la  veille  de 
\e  trouver  sans  armée. 

Il  est  vrai  que,  pour  atténuer  tant  de  revers,  le 
Congrès,  décrétait  un  jour  de  jeûne,  d'humiliation  et 
de  prière,  «  afin  de  ramener  la  victoire  du  côté  de 
l'armée  américaine  » .  Malgré  tout  notre  respect  pour 
cet  appel  à  la  Providence  (dont  les  Unionistes  sollicitent 
encore  aujourd'hui  l'intervention  par  les  mêmes  pro- 
cédés et  dans  des  circonstances  semblables),  nous  pen- 
sons, avec  M.  Brialmont,  qu'un  jour  déjeune,  prescrit 
à  des  soldats  mourant  de  faim,  n'est  pas  précisément 
ce  qu'il  faut  pour  relever  leur  moral  et  sauver  la 
république. 

La  constance  de  Washington,  son  patriotisme  iné- 
branlable, parvinrent  seuls  à  conjurer,  en  1776,  la 
ruine  imminente  de  l'Indépendance;  toutefois,  les 
efforts  et  le  génie  de  ce  grand  homme  seraient  demeu- 
rés impuissants,  si  la  nouvelle  des  négociations  entam- 


m  LA   FHANCB   ET   DE  L^ANGLETERIIE.  &âi 

mées  avec  l'Espagne  et  la  France,  et  Tespérance  d'une 
intervention  européenne,  n'étaient  venues  rendre  un 
peu  de  courage  au  petit  noyau  de  troupes  régulières 
qui  n'avait  pas  déposé  les  armes. 

Convaincu  de  l'infériorité  radicale  des  volontaires 
américains  devant  les  troupes  anglaises,  Washington 
n'eut  plus  qu'une  seule  tactique  :  ménager  à  tout  prix 
les  tristes  débris  qui  constituaient  le  dernier  rempart 
de  la  liberté,  et  gagner  du  temps  jusqu'à  l'arrivée  des 
secours  de  la  France. 

Successivement  retranché  dans  ses  camps  de  Mid- 
dlebrook  et  de  Valley-Forge,  il  se  refusa  obstinément  à 
tout  engagement  pendant  l'été  et  l'automne  de  1777. 
Occupé  sans  relâche  à  réorganiser,  à  discipliner  sa 
petite  armée  toujours  au  moment  de  fondre  dans  ses 
mains,  Washington,  pendant  cette  mémorable  cam- 
pagne d'hiver  qui  constitue  son  plus  beau  titre  de 
gloire,  ne  se  décida  qu'une  seule  fois  à  sortir  de  ses 
lignes  :  ce  fut  pour  prendre  position  sur  les  bords  du 
Brandwine  et  couvrir  Philadelphie.  Il  faillit  payer  par 
un  désastre  complet  cette  dérogation  au  seul  genre  de 
guerre  qui  permit  de  maintenir  debout  le  drapeau  du 
Congrès.  L'armée  américaine  perdit  dans  cette  affaire 
un  grand  nombre  de  soldats  et  une  notable  portion  de 
son  artillerie,  sans  pouvoir  atteindre  le  but  qu'elle  se 
proposait.  Philadelphie,  la  capitale  de  la  Confédéra- 
tion, tomba  aux  mains  des  Anglais.  «  Si,  à  ce  moment, 
dit  M.  Brialmont,  le  général  Howe  eût  attaqué  Valley^ 
Forge,  cen  élait  fait  de  Washington  et  de  la  causfi 
américaine,  » 


432  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

Tels  étaient  la  situation  des  affaires  etTétat  de  l'ar- 
mée de  rindépendance,  au  moment  où  arrivèrent  les 
premiers  secours  de  la  France.  Nous  avons  vu  cette 
armée  abandonnée  à  elle-même,  et  nous  avons  pu 
apprécier  de  quel  poids  ont  pesé  jusqu'ici  les  volon- 
taires américains  dans  Taffranchissement  de  leur  pa- 
trie. A  partir  de  1778,  une  ère  nouvelle  commence 
pour  la  jeune  république.  Cédant  aux  sollicitations  de 
Washington,  le  Congrès  pose  enfln  les  bases  d'une  ar- 
mée permanente,  en  décrétant  que  les  engagements 
seront  reçus  pour  trois  ans  ou  jusqu'à  la  fin  de  la 
guerre.  C'est  avec  les  corps  formés  de  ces  éléments,  et 
qui  reçoivent  tous  les  anciens  soldats,  que  Washington 
va  entrer  désormais  en  ligne  à  côté  des  troupes  de 
Rocbambeau  et  de  Lafayette.  Chacun  connaît  l'issue  de 
la  lutte  engagée  dans  ces  nouvelles  conditions  ;  son 
récit  sortirait  de  notre  cadre.  Cependant  nous  ne  ter- 
minerons pas  cet  aperçu  sans  suivre  encore  dans  leurs 
déroutes  les  milices  irrégulières  et  les  volontaires  que 
leur  patriotisme  continua  à  maintenir,  pendant  cette 
dernière  période,  sous  les  drapeaux  de  Washington. 

C'était  toujours  parmi  ces  bandes  la  même  indisci- 
pline, le  même  désordre  et  les  mêmes  paniques  :  à 
Gowan,  le  1"  février  1781,  nous  les  voyons  fuir  au 
passage  delà  Catawba  dès  la  première  décharge  de  l'in- 
fanterie anglaise.  Au  combat  de  Guilford,  le  15  mars, 
les  volontaires  de  la  Caroline  lâchent  pied,  sans  même 
attendre  l'ennemi  et  se  sauvent  honteusement.  «  Daus 
cette  affaire,  dit  Botta,  presque  tous  les  blessés  appar- 
tenaient aux  troupes  continentales,  et  les  fuyards, 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE,     Û33 

égarés  ou  rentrés  dans  leurs  foyers,  aux  corps  de  la 
milice.  » 

A  la  bataille  deHobkirk,  livrée  le  25  avril,  ce  sont 
les  volontaires  du  Maryland  qui  prennent  la  fuite  à  leur 
tour  en  mettant  le  désordre  dans  le  reste  de  l'armée. 
La  déroute  fut  telle,  que  le  général  Greene  mit  plu- 
sieurs jours  à  réunir  les  fuyards  et  à  réoi^aniser 
Tarmée. 

Nous  croyons  qu'e  ces  citations  multipliées  suflSsent 
à  établir  le  triste  rôle  rempli  par  les  volontaires  amé- 
ricains à  la  fin  du  siècle  dernier.  Si  Washington  par- 
vint à  cerner  les  Anglais  dans  York-Town,  et  à  faire 
déposer  les  armes  au  général  Comv^allis,  c'est,  ainsi 
que  le  fait  observer  très  judicieusement  le  général  La- 
marque,  à  l'appui  des  troupes  française  de  Rocham- 
beau  et  de  Lafayette  ;  c'est  aux  puissants  secours  de  la 
France  que  ce  succès  définitif  doit  être  attribué,  et 
nullement  au  concours  et  au  patriotisme  des  volontaires 
américains.  L'ardeur  de  ceux-ci  ne  fit  jamais  que  se 
refroidir  et  décroître  aux  époques  où  les  difficultés  se 
montrèrent  plus  sérieuses,  et  dans  les  20,000  hommes 
qui  composaient  l'armée  de  Wiishington  au  moment 
de  la  cessation  des  hostilités,  ils  ne  figuraient  plus  que 
pour  un  chiffre  insignifiant. 

Si  nous  jetons  un  coup  d'œil  sur  les  événements  dont 
l'Amérique  est  aujourd'hui  le  théâtre,  quelle  ressem- 
blance ne  trouvons-nous  pas  entre  le  présent  et  les 
souvenirs  évoqués  dans  le  passé  !  Abrités  contre  les 
entreprises  du  continent  européen  par  un  fossé  bien 
autrement  large  encore  que  l'Angleterre, les  Américains 

28 


&5ft  GONSXITUTIOK  ET  PUISSANCE  MtLtTAIftËS 

ont  complètement  négligé  les  institutions  indispensables 
sur  lesquelles  repose  la  puissance  défensive  d'une  na- 
tion. Bien  plus,  renchérissant  encore  sur  nos  voisins 
d'outre-Manche,  ils  ont  cru  pouvoir  réduire  impuné- 
ment leur  état  militaire  à  un  chiffre  ridicule ,  et  hors 
de  toute  proportion  avec  les  éventualités  qui  sur- 
gissent toujours,  tôt  ou  tard,  dans  la  vie  d'un  grand 
peuple. 

Les  conséquences  d'un  pareil  système  se  révèlent  au- 
jourd'hui avec  tous  leurs  dangers.  Pour  lutter  contre  une 
insurrection  qui  menace  de  démembrer  leur  républi- 
que, les  Américains  n'ont  trouvé  que  quelques  milliers 
d'anciens  soldats  régulièrement  organisés.  Encore,  ces 
quinze  ou  dix-huit  mille  hommes  qui  constituaient  toute 
Tarmée  permanente  des  Ëtats-Unis ,  étaient-ils  dissé- 
minés sur  la  frontière  occidentale  du  territoire,  dans 
les  départements  du  Pacifique ,  ou  occupés  à  contenir 
les  Indiens  dans  la  Floride  et  le  Texas.  Comme  en  1775, 
c'est  aux  milices,  c'est  aux  volontaires,  que  le  Gouver- 
nement de  Washington  est  obligé  de  recourir  pour 
faire  rentrer  les  États  rebelles  dans  l'obéissance.  Sans 
doute,  les  sécessionnistes  ne  sont  pas  mieux  organisés; 
comme  les  États  du  nord,  ils  n'ont  aussi  que  des  volon- 
taires à  mettre  en  ligne ,  mais  cette  considération  ne 
rend  que  plus  probable  la  prolongation  d'une  lutte 
également  désastreuse  pour  les  deux  partis. 

Nul  ne  peut  préjuger,  à  l'avance,  du  résultat  final 
d'un  pareil  conflit.  Entre  armées  de  celte  sorte, 
toujours  prêtes  à  passer  de  la  confiance  extrême  au 
découragement  sans  bornes,  les  combinaisons  les  plus 


DE  LA   FftANCE  ET  DE   L  ANGLETEEBE.  &S5 

savantes  deviennent  sans  valeur,  les  chances  les  mieux 
établies  reçoivent  un  démenti,  et  le  hasard  ou  l'im- 
prévu décident  seuls  du  succès. 

Jusqu'ici,  les  volontaires  de  1861  se  sont  montrés, 
en  tout  point,  aux  Ëtats-Unis,  les  imitateurs  de  leurs 
devanciers.  Les  événements  viennent  confirmer,  chaque 
jour,  les  leçons  fournies  par  ces  derniers.  C'est  toujours 
le  môme  désordre,  la  même  confusion,  la  môme  anar- 
chie. D'un  côté ,  ^  l'administration ,  comme  il  arrive 
toujours ,  lorsqu'il  s'agit  de  créations  ou  de  règlements 
qui  ne  peuvent  s'improviser,  l'administration  fait  preuve 
de  rinexpérience  la  plus  complète,  et  de  l'incurie  la 
plus  étrange  dans  tous  les  services  de  l'armée.  Les 
conditions  d'alimentation,  d'équipement,  d'armement 
et  de  solde  semblent  livrées  au  hasard.  11  en  résulte  que 
les  volontaires ,  qui  ont  la  plupart  derrière  eux  des 
femmes  et  des  enfants,  ont  perdu  toute  ardeur  et  toute 
confiance.  La  désertion  sévit  périodiquement,  et,  tout 
comme  en  1775,  parmi  les  plus  dévoués,  aucun  soldat 
ne  consent  à  excéder  d'une  minule  le  terme  de  son 
engagement.  Le  rapport  du  général  Mac-Dow^ell  sur  la 
bataille  de  BulFs-Run,  constate  que  la  défaite  du  parti 
fédéral  a  eu  pour  cause  principale  le  départ  de  régi- 
ments entiers  la  veille  de  l'affaire 

Cette  bataille  de  BuU's-Run,  la  seule  importante  qui 
ait  encore  été  livrée,  a  tous  les  caractères  des  honteux 
sauve-qui-peut  de  la  guerre  de  1775.  On  croirait,  en  li- 
sant le  rapport  du  général  Mac-Dowell,  assister  encore  à 
la  bataille  de  Hobkirk.  Il  en  est  de  môme  de  presque  tous 
les  engagements  insignifiants  de  Springfield,  de  Lewins- 


&â6  CONSTITUTION   ET  PUISSANGB  MILITAIRES 

ville,  de  Wilson-Creek,  etc.,  qui  Tont  suivie.  Invariable- 
ment, soit  que  le  succès  se  décide  pour  les  fédéraux,  soit 
qu'il  se  déclare  pour  les  confédérés,  on  voit,  au  moment 
de  l'action ,  la  panique  s'emparer  du  parti  vaincu  et  ses 
troupes  abandonner  le  champ  de  bataille  sans  même 
essayer  de  le  disputer.  Toute  retraite  se  transforme  en 
déroute,  et  il  arrive  presque  constamment,  que  des 
milliers  de  volontaires  manquent  à  l'appel  à  la  suite 
d'une  simple  escarmouche,  où,  tant  vainqueurs  que 
vaincus,  il  n'est  pas  resté  cent  hommes  sur  le  terrain. 
Enfin,  comme  dernier  trait  qui  caractérise  cette 
guerre,  et  qui  justifie  ce  que  nous  disions  plus  haut 
sur  la  difficulté  d'en  prédire  le  terme  ou  le  résultai, 
après  chaque  afiaire,  le  vainqueur  semble  aussi  peu 
empressé  que  possible  de  profiter  de  sa  victoire ,  et  il 
est  rare  qu'il  ne  recule  pas  tout  autant  que  le  vaincu. 
Est-il  besoin  de  le  dire,  à  ce  fait  étrange,  qui  se  repro- 
duit dans  tous  les  incidents  de  la  lutte  entre  les  unio- 
niste et  les  confédérés,  il  n'y  a  qu'une  explication  :  le 
manque  de  confiance  des  chefs  à  l'égard  des  soldats, 
et  le  manque  de  confiance  non  moins  absolu  des  soldats 
entre  eux. 

La  situation  que  nous  venons  de  résumer,  et  sur 
laquelle  nous  avons  insisté  avec  intention,  ne  pouvait 
manquer  de  provoquer,  de  l'autre  côté  du  détroit,  de 
sérieuses  réflexions.  Il  faut  bien  le  reconnaître,  le  triste 
rôle  que  jouent,  aujourd'hui,  les  volontaires  américains 
semble  la  condamnation ,  sans  appel ,  de  ceux  dont  fl 
a  été  fait  si  grand  bruit  chez  nos  voisins.  Les  promo- 
teurs de  cette  organisation  l'ont  bien  senti  ;  aussi  ont- 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     A 37 

ils  cherché  à  raflFermir  la  confiance  au  moyen  d'argu- 
ments que  nous  allons  examiner  et  discuter  à  la  fois. 

D'abord ,  a-t-on  dit  (1)  :  de  la  valeur  des  volontaires 
d'un  pays,  on  ne  saurait  conclure  l'efficacité  de  œux 
d'un  autre  pays,  surtout  à  l'occasion  d'une  guerre  sem- 
blable à  celle  qui  se  poursuit  en  Amérique,  dans  laquelle 
il  ne  faut  pas  s'attendre  à  rencontrer  l'ardeur  et  l'élan 
que  provoque  toujours  une  guerre  étrangère. 

Cette  assertion  n'est  pas  seulement  contestable  en 
principe,  elle  est  de  plus  tout  à  fait  contraire  à  l'évi- 
dence des  faits.  L'histoire  ne  serait  pas  là,  pour 
prouver  que  les  haines  engendrées  par  les  dissen- 
sions civiles  ne  le  cèdent  à  aucune  autre  (si  elles  ne 
les  dépassent  toutes),  que  les  mesures  adoptées  par 
le  Congrès ,  ou  recommandées  par  les  feuilles  améri- 
caines (2),  témoigneraient  suffisamment  du  ressenti- 
ment et  de  la  passion  qui  animent  les  deux  partis. 

En  veut-on  des  exemples  ? 

Ici,  c'est  un  journal  du  Sud  qui  reproche  aux  gens 
du  Nord  de  hideux  attentats  contre  les  femmes  ;  ailleurs, 
ce  sont  les  fédéraux  qui  accusent  les  sécessionnistes  de 
massacrer  honteusement  les  blessés .  Nous  ne  parlons  que 
pour  mémoire  de  la  potence  promise  aux  confédérés  par 
les  unionistes,  et  dont  le  gracieux  emblème  prend  place 
à  côté  du  timbre-poste  sur  les  lettres  de  New-York. 

(i)  United  service  magazine  de  septembre  J86i. 

(i)  Cinq  journaux  de  New-York,  le  Journal  of  commerce  Je  Daily- 
News^  le  DaHy-Book.  le  Brooklin  Eagle^  et  le  Courier  des  États- 
Unis  étaient  favorables  à  la  paix;  ils  ont  été  contraints  par  la 
pression  de  Topinion  publique  et  par  les  menaces  de  Tautorité,  de 
suspendre  ou  de  modifier  complètement  leur  publication. 


488  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

S'agit-il  des  dispositions  adoptées  par  le  Congrès? 
elles  offrent  toutes  un  caractère  d'exaltation  et  d'irré- 
flexion qui  donne  la  mesure  des  colères  auxquelles  obéit 
le  gouvernement. 

Aujourd'hui,  c'est  un  bill  qui  confisque  les  biens  des 
séparatistes  ;  une  autre  fois,  c'est  une  proclamation  du 
président  Lincoln  qui  déclare  illégales  toutes  les  rela- 
tions commerciales  entre  les  États-Unis  et  les  États  du 
Sud,  et  qui  annonce  que  les  marchandises  provenant 
de  ces  transactions  seront  saisies. 

Que  dire  de  pareilles  mesures  ?  N'est-il  pas  évident 
qu'elles  accusent  encore  plus  de  fureur  que  de  véri- 
table énergie?  Il  ne  suffit  plus,  on  le  voit  ici,  de  com- 
battre l'ennemi,  il  faut  le  mettre  hors  du  droit  com- 
mun ! 

On  trouve  le  reflet  de  ces  violences,  de  cette  animo- 
sité  profonde,  dans  tous  les  actes,  dansloules  les  pix>- 
clamations  des  généraux  américains.  Lors  de  la  capi- 
tulation du  fort  Hatteras,  les  officiers  et  soldats  de  la 
garnison  sont  obligés  de  stipuler  qu'il  seront  traités, 
par  le  gouvernement  fédéral,  comme  prisonniers  de 
guerre.  Cette  clause,  dit  un  journal,  n'était  pas  inutile 
à  mentionner  en  présence  de  l'exaspération  qui  pousse 
les  unionistes  aux  mesures  les  plus  violentes,  et  eu 
raison  des  premières  déclarations  de  M.  Lincoln,  qui 
tendaient  à  assimiler  les  corsaires  sécessionnistes  à 
des  pirates. 

Dans  le  Missouri,  le  major-général  Fremont  a  pro- 
clamé la  loi  martiale.  Veut-on  savoir  comment  on 
entend  l'état  de  siège  en  Amérique?  «  Tous  individus 


DE   LA   FRAÏfCE  ET   DE   l' ANGLETERRE.  ftS9 

»  qui  seront  pris  les  armes  à  la  main  en  deçà  des  li- 
»  gnes,  seront  jugés  par  une  cour  martiale,  et,  s'ils 
»  sont  coupables,  fusillés.  La  propriété,  en  biens  ou 
»  en  personnes,  de  tous  individus,  dans  TËtat  du  Mis- 
»  souri,  qui  prendront  les  armes  contre  les  États-Unis 
»  ou  qui  seront  dûment  convaincus  d'avoir  pris  part 
»  active  à  une  campagne  avec  les  ennemis  de  l'Union, 
»  sera  confisquée.  » 

Nous  croyons  en  avoir  dit  assez  pour  prouver  que  la 
mollesse  des  volontaires  américains,  sur  le  champ  de 
bataille,  ne  saurait  être  attribuée  au  manque  de  sti- 
mulants. 

Celte  mollesse,  cette  inertie,  cette  absence  de  con- 
cert, qui  prolongent  indéfiniment  une  situation  déjà 
désastreuse  pour  l'Amérique,  résultent-elles,  suivant 
une  autre  explication,  du  défaut  de  cohésion  et  d'ho^ 
mogénéité  de  la  race  américaine?  Mais,  on  Ta  déjà 
fait  remarquer,  si  les  deux  tiers  de  cette  population  se 
composent  d'étrangers»  l'élément  anglo-saxon  (celui 
dont  probablement  nos  voisins  d'outre-Manche  font  le 
plus  de  cas)  domine  de  beaucoup.  Pourquoi  les  Irlan- 
dais, par  exemple,  qui  abondent  aux  Etats-Unis,  et 
qui  fournissent  en  Angleterre  l'un  des  plus  solides 
contingents  de  l'armée  de  ligne,  pourquoi  les  Irlandais 
se  montreraient-ils  tout  aussi  mauvais  soldats  que  les 
autres  volontaires  américains,  si  ce  n'est  à  cause  des 
Tices  du  système  militaire  de  leur  nouvelle  patrie? 

Les  volontaires  américains  et  les  volontaires  an- 
glais, dit-on  encore,  doivent  être  rangés  dans  deux 
catégories  différentes,  parce  que,  i^utant  les  derniers 


àkO  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MlUTAIRES 

sont  habitués  à  l'obéissance  envers  les  autorités  consli- 
tuées,  au  respect  envers  leurs  supérieurs  dans  les 
différentes  classes  de  la  hiérarchie  sociale,  —  ce  qui 
les  dispose  tout  naturellement  à  la  discipline  niilitaire, 
—  autant  les  premiers,  par  leur  caractère  indépen- 
dant, par  leur  nature  indomptable,  sont  impatients  de 
tout  frein  et  de  toute  règle.  Cette  distinction  n*a qu'une 
valeur  relative.  Nous  pourrions  l'admettre  s'il  était 
question,  en  Amérique  ou  en  Angleterre,  de  former 
avec  les  volontaires  une  sorte  de  garde  nationale  des- 
tinée à  maintenir  l'ordre  et  la  police  à  l'intérieur. 
^Mais  il  s'agit  ici  de  toule  autre  chose,  il  s'agit  de  for- 
mer des  soldats  effectifs^  et  que  l'on  prétend  pouvoir 
opposer,  au  besoin,  à  des  troupes  éprouvées.  Or,  à  ce 
point  de  vue,  sans  vouloir  diminuer  en  rien  le  mérite 
de  ces  vertus  sociales  dont  les  Anglais  sont  fiers  à 
juste  titre,  nous  pensons  que  pour  constituer  de  solides 
guérillas,  de  rudes  et  actifs  partisans,  les  défauts  du 
Yankee,  toujours  prêt  à  en  appeler  à  sa  carabine  ou  à 
jouer  du  revolver,  sont  infiniment  préférables. 

Enfin,  répète- t-on  encore  de  l'autre  côté  du  détroit, 
si  les  volontaires  américains  n'ont  montré  jusqu'ici 
que  làchelé  et  indiscipline,  doit-on  nécessairement  en 
conclure  que  les  volontaires  anglais,  en  cjàs  d'invasion 
de  leur  teiritoire,  seraient  incapables  de  renouveler  ce 
que  les  voltigeurs  de  la  république  ont  accompli  en 
France,  les  guérillas  en  Espagne,  les  patriotes  braban- 
çons en  Belgique,  les  chasseurs  de  Gaiîbaldi  en  Ita- 
lie, etc.,  etc. 

Ce  dernier  argument  nous  ramène  à  l'examen  du 


DB   LA   FRANCE   ET   DE   L'ANGLETERRE.  A&l 

rôle  rempli  par  les  volontaires  dans  ces  diverses  cir- 
constances. 

«  C'est  une  erreur,  dit  Napoléon,  que  de  croire  qu'il 
»  suffit  de  quelques  mois  pour  former  un  bon  fantassin. 
»  C'est  une  erreur  qu'il  serait  fort  dangereux  de  pro- 
»  pager;  elle  nous  mènerait  à  n'avoir  plus  d'armée. 
»  On  a  fait  la  guerre  pendant  les  quatre  premières  an- 
»  nées  de  la  République  d'une  façon  ridicule.  Ce  ne 
»  sont  pas  les  volontaires  qui  ont  remporté  les  succès; 
»  ce  sont  180,000  hommes  de  vieilles  troupes  et  tous 
»  les  militaires  retirés  que  la  révolution  a  lancés  aux 
»  frontières.  Parmi  les  recrues,  les  uns  ont  déserté, 

»  les  autres  sont  morts Je  me  garderais  bien  de 

»  faire  la  guerre  avec  des  recrues.  » 

Lamarque,  Jomini,  Dumouriez,  Napier,  sont  tout 
aussi  absolus  dans  leur  appréciation  de  la  conduite  des 
volontaires  français  en  1792. 

«  C'est  en  vain,  dit  le  général  Lamarque,  que  des 
milliers  de  citoyens  se  seraient  métamorphosés  en  sol- 
dats, s'il  ne  s'était  trouvé  dans  les  débris  de  la  vieille 
armée  des  sous-officiers  pour  les  instruire  et  quelques 

chefs  pour  les  commander »  Cela  n'empêcha  pas 

qu'on  ne  payât  bien  cher  le  défaut  d'ensemble  et  d'in- 
struction préliminaire.  Que  de  défaites  honteuses! 
Que  de  sang  inutilement  répandu!  Que  d'immenses 
ressources  prodiguées  sans  nécessité  !  » 

A  Tappui  de  ces  assertions  venant  de  si  haut, 
M.  Brialmont  rappelle  le  malheureux  général  Dillon, 
égorgé  par  ses  soldats  en  essayant  de  les  retenir  sur  le 
champ  de  bataille  :  «  Comme  toujours,  on  mit  la  chose 


442  CONSTITUTION  ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

sur  le  compte  de  la  trahison  :  c'est  la  ressource  ordi- 
naire des  milices  qui  se  débandent.  D'abord,  ivres 
d'enthousiasme,  elles  ne  doutent  de  rien  ;  puis,  l'en- 
nemi parait  et  tout  change  :  la  confusion  se  met  dans 
leurs  rangs,  le  feu  les  disperse,  enfin  quelques-uns  se 
mettent  à  fuir  et  la  déroute  devient  générale  (1).  » 

«  Dix  mille  hommes,  écrit  Dumouriez,  ont  fui  de- 
vant douze  cents  hussards  prussiens.  »  Cette  panique 
d'une  division  faillit  compromettre  le  sort  de  Tannée 
française  tout  entière,  après  le  combat  de  Grandpré. 
Aussi,  Dumouriez  ne  ménage-t-il  guère,  dans  ses  mé- 
moires, ces  voltigeurs  de  la  République  si  appréciés  de 
Garibaldi  (2)  :  «  Le  général  en  chef,  dit- il,  eut  moins 
»  de  mérite  à  battre  les  Prussiens  qu'à  introduire  une 
»  sorte  de  disciphne  et  d'amour  de  l'ordre  dans  une 
»  armée  composée  d'un  quart  de  troupes  de  ligne,  et 

9  de  trois  quarts  de  bataillons  de  volontaires Ces 

»  bataillons  manquaient  d'officiers.  Les  supérieurs 
»  étaient  mal  choisis  et  sans  autorité.  I^es  soldats  eux- 
»  mêmes  faisaient  la  police  des  capitaines,  lieutenants 
»  et  sous-officiers,  et  cette  police  était  sujette  aux  ca- 
»  priées  d'une  troupe  qui  ne  voulait  pas  reconnaître 
»  ses  supérieurs.  Ce  n'était  que  par  des  complaisances 
»  coupables  qu'un  officier  conservait  son  grade  ou  en 
»  acquérait  un  nouveau,  y* 

L'opinion  de  Jomini  sur  les  levées  en  masse  de  1 792 
n'est  pas  plus  favorable  :  «  Ces  trois  millions  de  gardes 
»  nationales,  dit  le  célèbre  écrivain,  bonnes  pour  ap- 


(1)  De  la  guerre  et  de  l'armée,  par  Brialmont. 

(2)  Voir  la  lettre  qui  termine  le  chapitre  préc^ 


chapitre  précédent. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     443 

»  puyer  des  décrets,  étaient  cependaat  peu  propres  à 
»  défendre  leurs  foyers,  bien  moins  encore  à  alimenter 
»  l'armée  en  cas  d'expc^dition  hors  des  frontières.... 
»  Ces  millions  de  volontaires  n  auraient  pas  garanti  la 
»  France  de  rinvasion  si  d'autres  circonstances  n'y  eus- 
»  serU  concouru.  » 

Enfin,  l'illustre  auteur  de  la  guerre  de  la  Péninsule 
est  tout  aussi  explicite,  lorsqu'il  déclare  que  les  gardes 
bourgeoises  ne  sauraient  suppléer  les  troupes  régu- 
lières :  «Napoléon,  dit  le  général  Napier,  qui  savait 
»  bien  que  la  guerre  méthodique  n'est  qu'une  applica- 
»  tion  judicieuse  delà  force,  prenait  en  pitié  l'illusion 
»  de  ceux  qui  regardaient  le  manque  d'une  armée  ré- 
»  gulière  comme  une  circonstance  favorable,  et  qui 
»  tenaient  le  paysan  pour  le  défenseur  le  plus  sur  du 
»  royaume. .. .  Il  savait  que  c'étaient  les  vétérans  à'Xr- 
»  coleet  de  Marengo,  et  non  les  républicains  de  Valmy, 
»  qui  fixèrent  le  destin  de  la  révolution  fiancaise.  » 

Déjà,  au  début  de  ce  chapitre,  nous  avons  exprimé 
notre  opinion  sur  l'importance  du  rôle  prêté  aux  gué- 
rillas pendant  la  guerre  d'Espagne.  Cette  guerre,  nous 
le  reconnaissons,  est  celle  que  l'on  invoque  le  plus 
souvent,  et  peut-être  avec  le  plus  d'apparence  de  rai- 
son, lorsqu'il  s'agit  de  plaider  la  cause  des  volontaires. 
Cependant,  malgré  toute  l'autorité  du  général  Howard 
Douglas  (1),  nous  pensons  que  la  seule  circonstance 

(1)  Le  général  sir  Howard  Douglas  a  été,  pendant  la  guerre  d'Es- 
pagne, Pun  des  organisateurs  des  guérillas  de  la  Galice  et  des  Astu- 
rles;  il  n*est  pas  étonnant  que  l'honorable  écrivain  se  montre  plus 
favorable  que  tout  autre,  k  Tendroit  d'un  système  pour  lequel  il 


likll  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  HIUTAIRES 

qui  ait  rendu  possible  la  permanence  des  partisans 
{partidas)  espagnols,  c  est  la  constitution  physique  de 
la  Péninsule  qui  leur  permettait  de  fuir,  et  surtout  de 
trouver  partout  des  refuges.  Quant  aux  guérillas  pro- 
prement dites,  c'est-à-dire  présentant  le  semblant 
d'organisation  que  Ton  s'efforce  toujours  de  donner 
aux  troupes  irrégulières,  aussitôt,  dit  le  général  La- 
marque,  que  les  troupes  françaises  eurent  franchi  les 
Pyrénées,  «  ces  bandes  se  dissipèrent  comme  par  en- 
»  chantement  »  Il  ne  resta,  pour  ainsi  dire,  que  des 
bandits  isolés,  battant  l'estrade  et  coupant  les  routes 
pour  leur  compte  personnel.  Sans  contester  les  hauts 
faits  des  Sanchez,  des  Porlier,  des  Renovallès,  des 
Mendizabal,  que  nous  retrace  le  général  Douglas,  nous 
ne  pensons  pas  que  ces  chefs  aient  jamais  fait  plus  que 
gêner  ou  inquiéter  le  vainqueur.  Ce  n'est  pas  en  dé- 
troussant des  cantiniers,  ou  en  assassinant  des  soldats 
isolés  qu'ils  auraient  pu  arracher  aux  Français  le  fruit 
de  la  victoire,  si  des  causes  d'un  bien  autre  ordre  n'en 
avaient  décidé  ainsi.  Ces  causes,  tout  le  monde  les 
connaît  aujourd'hui  :  ce  sont,  dit  encore  le  général 
Lamarque  :  «  La  fausse  direction  donnée  aux  armées 
françaises,  l'indiscipline  et  la  jalousie  de  leurs  géné- 
raux, leurs  propres  fautes  enfin,  qui  les  ont  ramenées 
en  deçà  des  Pyrénées.  » 

L'écrivain  le  plus  compétent,  lorsqu'il  s'agit  des  af- 
faires d'Ëspague,  le  général  Napier,  confirme  cette 

peut  réclamer  une  sorle  de  paternité.  (Voyez:  Navale  littoral  ard 
internai  defence  of  England  par  le  général  sir  Howard  Douglas 
baronnet.) 


DE  LA  FRANCK   ET  DE  L' ANGLETERRE.  /|/i5 

opinion  :  a  Les  Espagnols,  dit  Fauteur  des  Guerres  de 
la  Péninsule^  ne  firent  aucun  grand  ni  général  effort, 
ou  du  moins  ils  ne  montrèrent  dans  les  combats  ni 

fermeté  ni  constance Le  paysan  devenu  soldat 

fuyait  à  la  première  attaque,  jetait  ses  armes  et  rega- 
gnait son  habitation,  ou  alléché  par  la  licence  des 
pariidas,  il  se  rangeait  sous  les  bannières  d'hommes 
qui,  pour  la  plupart,  n'étaient  que  d'anciens  voleurs, 
aussi  redoutables  à  leurs  compatriotes  qu'à  l'ennemi. 
Ces  chefs  de  guérillas  auraient  été  promptement  exter- 
minés, si  les  Français,  pressés  par  les  bataillons  de 
lord  Wellington,  n'avaient  pas  été  obhgés  de  se  tenir 
réunis  en  grande  masse.  Tel  est  le  secret  de  la  constance 
espagnole.  Les  abondants  secours  de  VAngleten-e  et  la 
valeur  des  troupes  anglo-portugaises  soutinrent  seuls  la 
guerre.  » 

Wellington,  dans  une  lettre  au  colonel  Trant,  s'ex-^ 
prime  dans  les  mêmes  termes  au  sujet  des  troupes  et 
des  bandes  à  moitié  disciplinées  qui  composaient  l'ar- 
mée espagnole  (1). 

Dans  une  autre  lettre  adressée  à  lord  Castlereagh, 
après  avoir  insisté  sur  ce  fait  que  toute  riiistruction  de 
l'infanterie  espagnole  se  réduisait  à  savoir  défiler  une 
parade  et  faire  l'exercice  du  fusil,  le  général  en  chef  de 
l'armée  anglaise  revient  encore  sur  ce  sujet,  et  dé- 


(1)  «  I  was  apprehensive  that  the  Spanîards  in  Alentejo  would 
»  sufTer.  There  is  nothing  so  folish  as  to  push  thèse  haif  discipUned 
»  troops  forward  ;  for  the  ceriain  conséquence  raust  be,  either  Iheir 
n  early  and  precipitate  retreat,  if  the  enem^  should  advance,  or 
»  thcir  certain  destruclion.  »  [Lettre  de  Wellington  du  6  août  1808.  ) 


A4*i  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  inUTAIBBS 

montre,  par  des  exemples  frappants,  qu'il  ne  suffit  pas 
de  porter  une  arme  et  un  uniforme  pour  représenter 
un  soldat,  et  que  toute  troupe  (volontaires  ou  autres), 
mal  disciplinée  ou  incomplètement  instruite,  est  plutôt 
un  embarras  qu'un  auxiliaire  pour  une  armée  régu- 
lière (1). 

Suivant  le  noble  lord,  la  bataille  d*Albuera,  qui 
coûta  si  cher  aux  Anglais,  eût  été  pour  eux  une  vic- 
toire complète  et  sans  aucune  perle  importante,  si  les 
Espagnols  avaient  su  manœuvrer;  mais  malheureu- 
sement, ajoute-t-il,  ils  en  sont  incapables  {But,  infor- 
timately,  Ihey  cannât). 

Nous  bornerons  là  ces  témoignages  des  officiers  les 
plus  éminents  des  armées  anglaise  et  française,  bien 
que  nous  puissions  les  corroborer  encore  par  celui  des 
généraux  espagnols  eux-mômes  (2).  Ces  citations  nous 
semblent  suffisantes  pour  montrer  qu'en  Espagne,  pas 
plus  qu'en  Amérique,  les  volontaires  n'ont  été  les  lîbé- 

(1)  «The  spanish  cavalry  are  in  gênerai  well  clothed,  armed, 
»  and  accoutred,  and  remarkably  welI  mounted,  and  iheir  horses  in 
M  good  condition.  Bul  1  bave  never  heard  anybody  prétend  that  in 
»  any  one  instance  they  bave  behaved  as  soldiers  oiight  to  do  in 

»  présence  of  an  enemy This  practice  of  running  away,  and 

»  throwing  off  arms,  aœoutrements,  and  dothing  ts  fatal  to  eery- 
»  ihing...  Neariy  2000  (Spaniards)  ran  off  on  ihe  evening  of  the 
»  27*-h  from  the  battle  of  Tala\era  (not  loo  yards  from  the  place 
»  where  1  was  standing),  wbo  were  neither  altackeil  nor  threatened 
»  with  an  aUack,  and  wbo  were  frighrened  only  by  the  noise  oftheir 
»  own  fire.  »  {Lettre  de  Wellington  du  '25  aoxU  1809,  d  lordCastie- 
réagir) 

(2)  Voir  les  lettres  du  marquis  de  la  Komana  et  du  général  Fran- 
cisco de  Paula  Leite. 


D6  LA   PRANGB  Et  DE   L'ANGLETEftaB*  ft&7 

rateurs  de  leur  pays.  C'est  aux  troupes,  et  rien  qu'aux 
troupes  éprouvées  de  rAogleterre,  pour  lesquelles  ces 
partisans  ne  furent  jamais  que  d'un  très  médiocre  se- 
cours, qu'il  faut  renvoyer  la  gloire  de  cet  affranchis- 
sement. 

L'examen  des  campagnes  secondaires  de  Belgique 
en  1830  et  de  Piémont  en  18&9  ne  saurait  nous  appor- 
ter des  enseignements  plus  complets  que  ceux  qui  nous 
sont  fournis  par  les  longues  et  grandes  guerres  de 
l'Amérique,  de  la  République  et  de  la  Péninsule  ;  aussi 
n'en  dirons-nous  qu'un  mot.  En  Belgique  comme  en 
Piémont,  il  ne  fallut  pas  longtemps  pour  reconnaître 
que  la  véritable  supériorité  militaire  ne  résidait  pas 
dans  les  élans  populaires,  et  que  le  patriotisme  deve^r 
nait  bien  vite  impuissant  lorsqu'il  n'était  pas  soutenu 
par  des  troupes  régulières  d'un  effectif  suflBsant  et 
d'une  solidité  éprouvée.  Sans  l'appui  de  l'armée  fran-r 
çaise,  les  volontaires  belges,  malgré  leur  incontestable 
courage,  auraient  trouvé  dans  les  plaines  de  Louvain 
et  deHasselt  le  tombeau  de  leur  liberté.  Sans  cet  appui, 
surtout  ils  ne  seraient  jamais  entrés  dans  Anvers  ;  car, 
si  Ton  admet  que  les  volontaires  peuvent  se  défendre 
derrière  des  remparts,  leurs  plus  chauds  avocats  n'en 
sont  pas  encore  venus  à  prétendre  qu'ils  puissent  en- 
lever d'assaut  des  places  régulièrement  fortifiées. 

En  ce  qui  regarde  lePiémont,  on  ne  doit  pas  hésiter 
à  reconnaître  que  l'une  des  causes  principales  de  son 
insuccès  final  contre  l'Autriche  en  1849,  malgré  Téclat 
Je  ses  débuts,  fut  précisément  le  mélange  des  volon- 
taires qui  affluaient  de  toutes  les  parties  de  Tltalie 


bkS  CONSTITUTION    ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

avec  son  armée  régulière.  A  peu  d'exceptious  près, 
ces  volontaires  lâchèrent  pied  partout,  ou  ne  ren- 
dirent aucun  service;  et  l'indiscipline  qu'ils  semè- 
rent dans  l'armée  piémontaise  devint,  avec  leurs  exi- 
gences de  toute  sorte,  la  cause  des  plus  sérieux  em- 
barras. 

Quant  à  la  campagne  de  1 859,  et  aux  préfendus 
avantages  remportés  par  Garibaldi,  dont  on  a  fait  tant 
de  bruit,  on  nous  permettra  de  croire  que  ce  coryphée 
des  volontaires,  sans  la  présence  des  troupes  françaises 
et  piémontaises,  aurait  eu  exactement  le  même  sort, 
avec  ses  chasseurs  des  Alpes,  que  ses  prédécesseurs 
Manara,  Arcioni,  AUemandi,  Sedabundi,  etc.,  et  tuUi 
quanti,  avec  leurs  corps  francs  de  1849(1).  L'engoue- 
ment et  l'exagération  peuvent  servir  une  cause  poli- 
tique, et  nous  n'y  voyons  pas  grand  mal  quand  la 
cause  est  bonne  ;  mais  l'histoire  doit  faire  la  part  de  ces 
enthousiasmes,  e1  les  saines  doctrines  militaires  ne 
doivent  pas  en  souffrir. 

Nous  croyons  que  ces  doctrines  sont  méconnues  dans 
l'organisation  des  volontaires  anglais,  du  moment  où 
l'on  semble  les  considérer,  de  l'autre  côté  du  détroit, 
non  pas  comme  un  élément  purement  accessoire  et 
éventuel  de  la  défense,  mais  bien  comme  une  force 


(i)  Parmi  les  hauts  faits  de  Garibaldi,  nous  ne  parlons  pas  de  son 
invasion  du  royaume dcNaples;  la  raison  en  est  simple:  nous  avons 
dit  que  des  insurgés  et  des  volontaires  ne  pouvaient  avoir  raison 
d*une  armée  régulière,  mais  c^esl  à  la  condition  évidente  que  Tar- 
jnée  ne  soit  pas  décidée  à  faire  cause  commune  avec  rinsurrectioo. 
—  C'est  ce  qui  a  eu  lieu  en  Sicile  et  li  Naples. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     449 

effective  et  en  quelque  sorte  permanente,  destinée  à 
suppléer  à  V insuffisance  de  Varmée  régulière. 

L'autorité  de  l'histoire,  nous  l'avons  démontré, 
donne  raison  à  tous  les  officiers  expérimentés,  lors- 
qu'ils déclarent  les  volontaires  incapables  de  remplir 
un  pareil  rôle. 

Si  Tarmée  anglaise,  ainsi  qu'on  l'affirme  et  que  nous 
Texaminerons  dans  unprochain  chapitre»  est  réellement 
par  son  effectif,  au-dessous  de  la  tâche  qui  lui  incombe 
tant  à  l'intérieur  qu'à  l'extérieur,  l'organisation  des 
volontaires  n'est  pas  un  palliatif  suffisant  pour  les 
institutions  caduques  qui  empêchent  d'élever  cet  effectif 
à  la  hauteur  des  besoins. 

Si,  au  contraire,  l'esprit  militaire  du  peuple  anglais, 
et  les  ressources  que  ses  institutions  mettent  au  service 
du  gouvernement,  ne  s'opposent  pists,  d'une  manière 
absolue,  à  l'entretien  de  cet  effectif,  en  retrancher  la 
plus  petite  fraction,  pour  lui  substituer  n'importe 
quelle  quantité  de  volontaires,  est  aussi  bien  une 
faute  au  point  de  vue  économique  qu'au  point  de  vue 
financier. 

Nous  avons  vu  combien  on  était  loin  du  point  de 
départ ,  et  à  quel  chiffre  s'élevaient  déjà  les  frais  de  la 
nouvelle  organisation  :  si  jamais  les  services  des  volon- 
taires anglais  devenaient  nécessaires,  nos  voisins 
apprendraient  bien  vite,  comme  les  Américains,  à 
quelles  effroyables  dépenses  entraîne  l'emploi  des 
troupes  irrégulières. 
Pendant  hi  guerre  de  l'Iudépendanee,  suivant  un 

historien,  les  frais  de  l'armée  étaient  énormes  :  «Ih: 

29 


â50  CONSTITUTION    LT   PUISSANCE   MILITAIRES 

ue  s'élevaient  pas,  aunuellement,  à  moins  de  20  mil- 
lions de  dollars,  quoique  le  chiffre  des  troupes  ne  dé* 
passât  pas  10  à  15,000  hommes.  » 

Il  suffit  de  lire  la  déclaration  de  M.  Stevens 
président  du  comité  des  voies  et  moyens,  pour  re- 
connaître que,  de  nos  jours,  les  volontaires  améri- 
cains sont  au  moins  aussi  ruineux  que  leurs  devan- 
ciers. «La  dépense  quotidienne  du  gouvernement  fédé- 
ral depuis  le  commencement  de  la  guerre  actuelle, 
monte  à  1,250,000 dollars,  soit  plus  de  six  millionset 
demi  de  francs.  » 

Cela  représente  un  budget  annuel  de  &50  millions 
de  dollars,  ou  de  près  de  deuco  milliards  et  demi  de 
francs.  Pour  peu  que  la  paix  ou  la  soumission  des  sé- 
cessionnistes, seules  éventualités  qui  puissent  amener 
une  conclusion,  se  fassent  attendre,  la  situation  finan- 
cière de  TÂmérique,  jusqu'ici  la  plus  florissaûte,*de- 
viendra  la  plus  obérée  de  Tunivers.  Gomment  pour- 
rait-il en  être  autrement,  lorsqu'on  songe  que  dans 
cette  lutte  désastreuse,  chaque  volontaire  coûte  jusqu'à 
cinq  fois  plus  qu'un  soldat  régulier,  et  quand  on  s  ac- 
corde àreconnattre  que  la  dépense  de  chaque  homme 
présent  sous  les  drapeaux  revient  à  200  livres  sterling, 
soit  A, 800  francs  par  an! 

Nous  n'étendrons  pas  plus  loin  cette  discussion,  déjà 
trop  longue  du  système  des  volontaires  anglais.  11  y 
aurait  encore  bien  des  choses  à  dire  sur  Tétat  d'anar- 
chie dans  lequel  se  trouvent  certains  corps,  sur  l'es- 
prit d'opposition  qui  s'est  révélé  dans  quelques  autres, 
sur  le  droit  de  veto  que,  dans  certaines  localités,  le> 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     &51 

hoDinies  ont  prétendu  exercer  sur  la  nomination  de 
leurs  officiers,  enfin  sur  l'appui  que  les  idées  ultra- 
démocratiques pourraient  bien  rencontrer,*  un  jour, 
dans  Tarmement  du  peuple  anglais  (1),  etc....  Un  vo- 
lume ne  suffirait  pas  à  Texamen  de  toutes  ces  ques* 
lions. 

Ce  qui  nous  importait,  c'était  d'établir,  au  point  de 
vue  militaire  comme  au  point  de  vue  économique, 
quelle  était  la  valeur  d'une  institution  dont  il  a  été  fait 
grand  bruit,  et  que  Ton  a  franchement  déclarée  dirigée 
contre  la  France. 

Disons-le  donc  tout  aussi  franchement,  à  notre  tour  : 
les  nations  militaires  du  continent  ne  sont  pas  aussi 
stupéfaites  qu'on  veut  bien  le  croire  en  Angleterre,  des 
merveilleux  résultats  présentés  par  les  volontaires  à 
Wibledom  et  à  Brighton.  Ces  évolutions  et  ces  ma- 
nœuvres ne  tromperont  personne  sur  leur  efficacité. 
Les  avocats,  les  industriels,  les  boutiquiers,  etc.,  de 
Londres,  ne  sont  pas  les  premiers  qui  aient  cherché  à 
jouer  au  soldat.  Nous  avons  suivi,  dans  tous  les  pays, 

(1)  «  Les  levées  en  niasse,  dit  Napoléon,  furent  toujours  les  pré- 
»  curseurs  et  le  foyer  des  désordres  civils 

»  Quant  un  peuple  est  à  l'état  sauvage,  il  faut,  dit  le  général 
B  Paixhans,  que  chacun  soit  armé,  que  chacun  soit  en  mesure  de 

>  tuer  son  ennemi;  mais  ce  qui  est  une  nécessité  de  Tétat  sauvage, 
»  n'est  plus  qu'un  danger  à  Télat  de  société...  Tant  que  le  gouver- 
»  nement  et  la  nation  sont  d'accord ,  tout  est  pour  le  mieux,  mais 

>  la  tribune,  mais  la  presse,  mais  riraprévoyanccde  tous,  peut  tout 
*  désunir.  H  y  a  alors  de  sérieux , dangers  à  conjurer.  Plus  on  aura 
»  distribué  de  fusils  et  de  cartouches  dans  les  masses  de  la  popula- 
»  tion,  plus  il  faudra  que  FEtat  ait  de  forces  à  Fintéricur,  pour  em- 
ii  pêcher  qu'à  chaque  orage  la  sédition  ne  vienne  tout  renverser.  » 


Û52      CONSTITUTION    ET   PUISSANCK   MILITAIRES,  ETC. 

les  prouesses  de  leurs  prédécesseurs.  Pour  noire 
compte,  éclairés  que  nous  sommes  en  France  par  Tex- 
périence  de  notre  garde  nationale  (1),  si  nous  avions, 
ce  dont  Dieu  nous  garde  !  les  projets  hostiles  qui  nous 
sont  prêtés  si  gratuitement  de  l'autre  côté  du  détroit, 
nous  connaissons  de  reste,  et  à  nos  dépens,  où  est  le 
défaut  de  cette  armure  nouvelle  que  nos  voisins  fout 
miroiter  aux  yeux  de  l'Europe. 

(1)  A  répoque  où  la  ville  de  Lyon  était  en  étal  de  siège,  le  général 
Gémeau,  qui  conimandail  la  division,  demandait,  pour  contenir  la 
population  :  «  Dix  mille  hommes  sans  la  garde  nationale ,  et 
trente  mille  hommes  avec  la  garde  nationale.  » 


CHAPITRE  XX. 

De  l'augmentation  progressive  et  continue  de  t*armée  Anglaise,  — 
Quelle  cause  peut-on  lui  assigner?  —  Progrès  de  la  puissance 
anglaise  pendant  la  première  moitié  du  xix*  siècle.  —Rôle  de  Ta- 
rlstocratie  pendant  cette  période.  —  ËfTectif  moyen  de  Tarmée  an- 
glaise de  1830  à  1850 —  Répartition  de  cet  effectif.  —  Accrois- 
sement des  dépenses  militaires  en  Angleterre.  —  Examen  détaillé 
des  budgets  militaires  de  1857,  1858.  1859, 1860,  1861-1862.  •*- 
Effectifs  militaires  correspondants;  —  leur  répartition  entre  la 
métropole,  Tlnde  et  les  autres  possessions  extérieures.  —  L'An- 
gleterre en  est  arrivée  à  quadrupler  les  forces  qui  étaient  jugées 
suffisantes,  il  y  a  vingt-cinq  ans,  pour  sa  défense.  —  Examen  de 
la  situation  intérieure  de  la  Grande-Bretagne.  —  Conséquences 
probables  de  Tarmement  du  pays.  —  I^  vieille  Angleterre  et  la 
jeune  Angleterre.  —  Les  puînés  de  l'aristocratie  anglaise.  —Con- 
dition morale  et  sociale  deTarmée  britannique;  —  explication 
des  mécomptes  éprouvés  en  Crimée.  —  Influence  de  cette  cam- 
pagne sur  Tespritde  Farmée;  —  aspirations  nouvelles,  dangers 
nouveaux. 

Nous  avons  passé  successivement  en  revue,  dans  les 
premiers  chapitres  de  cette  étude,  tous  les  corps  régu- 
liers qui  entrent  dans  la  composition  de  Tarmée 
anglaise.  Nous  avons  ensuite  présenté  leur  distribution 
entre  les  différentes  parties  de  Tempire  britannique. 
Enfin,  nous  venons  d'épuiser  la  liste  des  forces  acces- 
soires, ou  de  seconde  ligne,  qui,  en  cas  de  guerre, 
doivent,  ou  du  moins  sont  censées  pouvoir  s'ajouter 
à  Tarmée  régulière. 

Admettant,  maintenant,  pour  le  moment,  que  cette 
armée  ne  laisse  rien  à  désirer  quant  à  la  qualité  de 
ses  éléments  ;  admettant  que  son  organisation  soit  par- 


454  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

faite,  il  nous  reste  à  étudier  dans  quelle  mesure  son 
effectif  la  place  à  hauteur  de  sa  tâche. 

Dans  tous  les  pays  du  monde  Tarmée  a  une  double 
mission  :  assurer  à  l'intérieur  le  maintien  de  Tordre, 
le  respect  dû  aux  lois,  et  défendre  le  territoire  contre 
les  ennemis  du  dehors.  De  ce  double  devoir,  il  résulte 
que,  dans  chaque  pays,  la  détermination  de  reflTectif 
militaire  est  une  question  qui  embrasse  toute  une 
époque.  Son  chiffre  est  le  résumé  historique  des  cir- 
constances du  moment.  Il  s'élève  pendant  les  périodes 
d'agitation  intérieure;  il  augmente  avec  les  difficultés 
ou  les  menaces  de  l'extérieur  ;  il  décroît  avec  le  réta- 
blissement du  calme  au  dedans  ;  il  diminue  en  raison 
des  garanties  de  sécurité  plus  grande  que  donne  le 
dehors. 

Si  l'on  en  juge  par  la  progression  croissante  des 
effectifs  de  Tarmée  anglaise  depuis  quelques  années, 
on  doit  croire  qu'à  Fintérieur  ou  à  l'extérieur,  sinon 
des  deux  côtés  à  la  fois,  la  situation  de  la  Grande- 
Bretagne  a  dû  subir  de  profondes  modifications.  En 
thèse  générale,  l'enseignement  qui  ressort  d'une  situa- 
tion ainsi  dessinée,  c'est  que  le  malaise  et  les  souffrances 
d'un  pays  suivent  la  môme  progression  que  le  chiffre 
de  ses  armées  ;  le  plus  souvent,  sans  que  son  influence 
s'en  trouve  proportionnellement  augmentée. 

Guidée  par  une  aristocratie  pleine  de  patriotisme  et 
d'ambition,  l'Angleterre,  pendant  la  première  moitié 
du  XIX*  siècle,  a  parcouru  une  carrière  de  prospérité 
où  elle  a  laissé  bien  loin  derrière  elle  toutes  les  autres 
nations  européennes.  Elle  en  est  arrivée  à  offrir  au 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     455 

monde  l'étrange  et  magnifique  spectacle  d'un  État 
comptant  à  peine  28  millions  d'habitants,  et  donnant 
des  lois,  longtemps  acceptées  sans  conteste,  à  250  mil- 
lions d'âmes  disséminées  sur  tous  les  points  du  globe. 

Attribuer  ce  merveilleux  résultat  à  la  seule  supério- 
rité du  génie  anglais  serait  une  erreur.  La  part  faite 
au  pouvoir  colonisant  et  assimilateur  qui  le  distingue, 
la  part  faite  à  l'habileté  sans  égale  avec  laquelle  il  sut 
établir  (au  moins  pour  un  temps)  la  communauté  des 
intérêts  entre  la  mère  patrie  et  ses  nombreuses  annexes  ; 
il  faut  reconnaître  que  la  position  géographique  excep- 
tionnellement avantageuse  de  la  Grande-Bretagne,  et 
surtout  les  circonstances  politiques  dans  lesquelles 
s'est  trouvée  l'Europe,  contribuèrent,  pour  la  plus 
grande  part,  au  développement  inouï  de  la  puissance 
de  nos  voisins. 

Un  mot  d'explication  sur  les  circonstances  auxquelles 
nous  venons  défaire  allusion  est  peut-être  ici  nécessaire. 
Dans  tous  les  cas,  il  fera  mieux  comprendre  la  situation 
qu'un  demi-siècle  de  progrès  et  de  succès  ininter- 
rompus semblait  garantir  à  l'Angleterre,  et  l'amoin- 
drissement dont  cette  situation  semble  menacée  par 
les  événements  et  les  changements  survenus  dans  ces 
derniers  temps. 

Bien  que  régie,  depuis  plusieurs  siècles  déjà,  par  un 
gouvernement  constitutionnel,  l'Angleterre,  au  moment 
où  éclata  la  révolution  française,  n'en  était  pas  moins 
le  pays  de  l'Europe  où  les  inégalités  sociales  étaient  les 
plus  profondes.  Les  principes  de  89  devaient  donc  ren- 
contrer de  vives  sympathies  dans  la  masse  du  peuple 


456  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

anglais.  Malheureusement,  les  menées  de  son  aristo- 
cratie, qui  craignait  la  perte  de  ses  privil^es  et  de  sa 
puissance,  devinrent  un  obstacle  k lalliance des  deux 
nations.  La  Grande-Bretagne,  au  mépris  de  ses  instiocts 
et  de  ses  intérêts  naturels,  fut  jetée  dans  la  croisade  des 
rois  contre  la  France  (1).  Elle  dépensa  16  milliards  à 
solder  cinq  coalitions  pour  renverser  Napoléon. 

Il  fallait  une  compensation  au  peuple  anglais,  comme 
dédommagement  de  cette  amélioration  sociale,  et  de 
cette  transformation  intérieure  dont  la  France  lui  don- 
nait l'exemple,  et  que  lui  refusait  son  oligarchie.  Les 
conquêtes  coloniales  qui  suivirent  les  longues  guerres 
de  l'Empire  remplirent  cet  objet.  Elles  éblouirent  la 
nation;  elles  détournèrent  son  attention  du  spectacle 
de  ses  misères  intimes,  pour  la  fixer  tout  entière  sur 
les  prodiges  qui  s'accomplissaient  à  l'extérieur. 

Prodiges  est  bien  le  mot  ! 

De  quel  nom  mieux  choisi,  pourrait-on  appeler, 
en  effet,  ces  conquêtes  fabuleuses  entreprises  à  A  et 
5000  lieues  de  l'Angleterre  par  ces  imperceptibles 


(l)  «  L* Angleterre  et  la  France  ont  tenu  dans  leurs  mains  le  son 
de  la  terre,  celui  surtout  de  la  civilisation  européenne.  Que  de  mal 
nous  nous  sommes  fait  !  Que  de  bien  nous  pouvions  nous  faire  !» 

Qu'aurait  de  mieux  à  faire  TAngleterre  que  de  donner  la  main  k 
ces  beaux  mouvements  de  la  régénération  moderne?  Aussi  bien 
faudra-t-il  tôt  ou  tard  qu'elle  s'accomplisse.  C'est  en  vain  que  les 
souverains  et  les  vieilles  arist^raUes  multiplieraient  leurs  efforts 
pour  s'y  opposer  :  c'est  la  roche  de  Sisyphe  qu'ils  tiennent  élevée 
au-dessus  de  leurs  têtes;  mais  quelques  bras  se  lasseront,  et  au 

premier  défaut,  toutcroulera 

(Napoléon  I«',  Sainte-Hélène,  20  avril  1816.) 


D£   LA   FRANCE   ET   DE   L'ANGLETERRE.  AS? 

armées  lancées,  sans  trêve  ni  relâche,  dans  toutes  les 
directions? 

Il  fallait  l'état  d'épuisement  de  l'Europe;  il  fallait  la 
nécessité  où  se  trouvaient  toutes  les  puissances  conti- 
nentales de  réparer  leurs  désastres  et  leurs  finances, 
pour  permettre  à  cette  activité  dévorante,  à  cet  esprit 
d'absorption  et  d'envahissement  continu,  de  se  déve- 
lopper sans  obstacles* 

Grâce  à  sa  position  insulaire,  l'Angleterre  avait 
échappé  aux  épreuves  subies  par  les  autres  nations.  À 
Tabri  derrière  la  mouvante  ceinture  de  ses  vaisseaux  ; 
alors  que  Vienne  et  Berlin,  que  Moscou  et  Paris  rece- 
vaient les  armées  étrangères  dans  leurs  murs;  elle 
voyait  sa  capitale  goûter  tous  les  bienfaits  de  la  paix, 
tous  les  avantages  de  la  sécurité,  et  son  trafic  lui  rendait 
avec  usure  les  milliards  employés  à  solder  le  prix  de  sa 
suprématie  maritime. 

Placée  comme  un  vaisseau  à  l'ancre  sur  la  côte  du 
continent  européen,  c'est-à-dire  au  centre,  au  cœur  du 
commerce  du  monde,  l'Angleterre  est  devenue  l'entre- 
pôt obligé  de  tous  ses  produits.  Elle  les  distribue  ensuite 
dans  tous  les  pays,  après  que  son  industrie  en  a  centu- 
plé la  valeur,  et  l'on  peut  dire  qu'aujourd'hui,  il  n'est 
pas  un  point  du  globe,  où  elle  n'ait  porté  son  pavillon 
et  sa  langue. 

Maltresse  de  l'Atlantique  par  sa  position  sur  le  flanc 
occidental  de  l'Europe,  elle  tient  la  Méditerranée  par 
les  trois  rochers  de  Gibraltar,  de  Malte  et  de  Corfou  ; 
l'Amérique  du  Nord,  par  ses  immenses  possessions  du 
Canada  et  de  la  Nouvelle-Bretagne;  l'Amérique  du  Sud, 


Û58  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

par  les  Antilles;  l'Afrique  par  ses  colonieij  de  Guinée, 
du  cap  de  Bonne-Espérance  eldeTtle  Maurice.  Dans 
l'océan  Indien,  où  elle  s'est  fait  un  merveilleux  empire 
de  150  millions  d'Asiatiques.  l'Angleterre  domine  sans 
rivale  ;  il  en  est  de  même  dans  l'Océanie  ;  enfin,  «  elle 
tient  aux  abords  de  tous  les  continents  des  postes 
avancés  qui,  selon  sa  fortune,  sont  tour  à  tour  des 
points  d'appui  pour  la  conquête,  des  centres  de  refuge 
pour  la  retraite,  et  toujours  des  foyers  d'entreprises 
pour  un  commerce  qui  brave  tous  les  périls  et  ne  con- 
naît aucun  repos  »  (1). 

Nous  avons  qualifié  d'imperceptibles,  les  armées  que 
l'Angleterre  a  mises  en  ligne  pour  conquérir  cet  empire 
colossal;  pendant  longtemps,  les  effectifs  militaires 
reconnus  suffisants  pour  en  assurer  la  protection, 
auraient  pu  justifier  la  même  épitbète.  De  1830  à 
1850,  par  exemple,  alors  que  toutes  les  puissances  de 
premier  ordre  se  voyaient  obligées  de  maintenir  sur 
pied  des  armées  de  S,  ft  et  500  mille  hommes,  l'An- 
gleterre a  pu  satisfaire  à  toutes  les  exigences  de  sa 
position  avec  un  effectif  de  90  à  100,000. 

Pendant  toute  cette  période,  le  chiffre  le  plus  faible, 
celui  de  1834,  fut  de  88,950  hommes;  le  chiffre  le  plus 
élevé,  celui  de  1837,  ne  dépassa  pas  101,000. 

Veut-on  savoir  comment  cette  force  était  répartie  ? 
Il  y  avait  au  service  de  la  Compagnie  des  Indes,  et 
payés  par  cette  Compagnie^  de  25  à  35,000  hommes,  en 


(i)  Charles  Dupin,  Force  commerciale  de  la  Grande- Breîagm, 
tome  I. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     &59 

comprenant  les  dépôts  qui  demeuraient  en  Angleterre. 
Les  garnisons  d'outre-mer  (Gibraltar,  Malte,  Antilles, 
Cap,  etc.)  absorbaient  de  85  à  40,000  hommes  ;  enfin, 
rirlande  et  l'Angleterre  réunies  n'employaient  pas  plus 
de  25  à  30,000  hommes. 

En  1835,  il  n'y  avait  en  Angleterre  que  16,500 
hommes,  et  en  Irlande  un  peu  moins  de  8,000  ;  pas 
de  milices,  pas  de  volontaires. 

La  guerre  de  Crimée  devait  marquer  le  terme  de  ce 
système  ultra-économique,  envié,  si  à  tort,  comme 
nous  le  verrons  plus  tard,  par  les  peuples  du  conti- 
nent. A  dater  de  185/i,  l'augmentation  des  effectifs  et 
des  dépenses  militaires  s'en  va  toujours  croissant  chez 
nos  voisins.  En  quelques  années  nous  allons  voir  leurs 
crédits,  non*seulement  atteindre,  mais  même  dépasser 
le  budget  militaire  de  la  France. 

Pour  Tannée  budgétaire  1856-1857  (1),  les  crédits 
demandés,  en  vue  de  la  continuation  de  la  guerre» 
avaient  été  portés  au  chiffre  énorme  de  34,998,504  li- 
vres (874,962,600  fr.),  qui,  la  paix  ayant  été  conclue, 
lurent  réduits  à  20,249,084  livres  (506,227,100  fr.), 
et  fournirent  un  effectif  de  246,716  hommes. 

.  On  aurait  pu  penser  que  la  conclusion  de  la  paix,  si 
elle  ne  laissait  pas  sans  emploi  une  notable  portion  des 
crédits,  permettrait  du  moins  le  retour  à  un  état  mili- 
taire d'autant  plus  réduit  que  les  charges  récentes 
avaient  été  plus  lourdes. 


(1)  L'année  financière,  en  Angleterre,  commence  au  !•'  avril  et 
finit  au  31  mars. 


460         CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

Cependant,  malgré  le  licenciement  ou  la  mise  en 
demi-solde  d'une  grande  partie  du  commissariat,  du 
train  et  des  infirmiers  militaires  ;  malgré  rabaissemeut 
à  700  hommes  de  Teffectif  des  bataillons  d'infanterie, 
la  force  totale  de  l'armée,  en  1857,  comprenait  encore 
157,000 hommes,  c'est-à-dire 60,000  environ  déplus 
que  pendant  la  période  de  1830  à  1850.  I^  dépense 
était  de  11,235,533  livres. 

De  ces  157,000  hommes,  32,000  étaient  dans  les 
Indes,  et  126,000  à  la  charge  du  budget  anglais,  sa- 
voir :  45,000  dans  les  garnisons  d  outre-mer  et  65,000 
en  Angleterre,  c'est-à-dire  près  du  triple  de  ce  qui 
était  jugé  suffisant,  dans  la  période  précitée,  pour  la 
garnison  du  Royaume-Uni. 

Pour  l'année  1858,  Tinsurrection  des  Indes  néces- 
site l'envoi  de  forces  considérables,  et  J  efiectif  de 
157,000  hommes  s'élève  en  quelques  mois  à  223,000, 
sans  toutefois  déterminer  à  la  charge  de  rAngleterre 
une  dépense  proportionneUe,  la  majeure  partie  de  ce 
surcroît  étant  défrayée  par  la  Compagnie  des  Indes. 
Celle-K^i  se  trouve  avoir  ainsi  à  sa  solde  92,000  hom- 
mes de  troupes  anglaises.  Les  130,000  hommes  res- 
tant pour  le  service  intérieur  et  les  possessions  d'outre- 
mer, présentent  une  augmentation  de  A, 000  hommes 
sur  la  force  correspondante  de  Tannée  précédente.  En 
outre,  bon  nombre  de  régiments  de  la  milice  sont 
maintenus  sur  le  pied  de  guerre,  le  tout  au  prix  de 
11,538,387  livres  sterling,  soit  de  289  millions  en 
nombres  ronds. 
Pour  Tannée  1859-1860,  nous  trouvons  un  effectif 


DE  L\  FRANGE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     /|61 

lolal  de  229,557  hommes,  ce  qui  constitue  encore  une 
augmentation  de  6,000  hommes  environ  sur  l'anunée 
précédente.  Au  mois  de  février,  le  général  Peel,  mi 
nistre  de  la  guerre,  déclare  que.  le  service  extérieur 
assuré,  le  chiffre  des  troupes  disponibles  pour  la  dé- 
fense de  l'Angleterre  et  de  Tlrlande,  s'élève  encx)re  (en 
comptant  les  dépôts  des  régiments  dans  l'Inde  et  la  mi- 
lice) à  105,685  hommes  de  toutes  armes.  Au  mois 
de  juillet  de  la  même  année  (1859),  M.  Sidney  Her- 
bert, en  présentant  le  budget  rectifié,  annonce  au  Par- 
lement, comme  un  sujet  de  félicitations,  que  la  garni- 
son du  Royaume-Uni  ne  compte  pas  moins  de  65,000 
hommes  de  troupes  régulières  de  toutes  armes,  les- 
quelles, réunies  au  21,769  hommes  des  dépôts  et  aux 
25,000  hommes  de  la  milice,  donnent  un  total  général 
de  111,000  hommes.  Ni  les  vétérans,  ni  les  soldats  de 
marine,  ni  les  gardes-côtes  ne  figurent  dans  cet  ef- 
fectif. 

A  la  date  de  cette  communication  officielle,  les  places 
de  la  Méditerranée,  momentanément  dégarnies  l'année 
précédente,  par  suite  de  la  guerre  des  Indes,  ont  reçu 
les  renforts  nécessaires  pour  leur  complet,  et  l'effectif 
des  troupes  détachées  dans  les  possessions  d'outre- 
mer s'élève  u  42,546  hommes. 

Le  budget  de  SIC  millions  (I)  et  les  effectifs  de- 
mandés au  mois  de  juillet  1859  par  le  cabinet  Pal- 
merston-Russell,  furent  qualifiés  de  belliqueux  par 

(l)  Le  budget  présenté  était  seulement  de  289,^/j8,875  fr.,  mais 
il  faut  y  ajouter  27  millions  et  demi  à  rembourser  par  la  Compa- 
gnie des  Indes  pour  avances»  frais  de  transporCdes  troupes,  etc. 


462  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

M.  d'Israëli.  Cet  orateur  les  déclara  inconciliables  avec 
les  protestations  de  bon  vouloir  du  gouvernement  à 
regard  de  la  France.  En  efTet,  l'Angleterre  en  était 
ari'ivée  à  quadrupler  la  force  militaire  qu'elle  entrete- 
nait en  1835  à  Tintérieur  ;  et  nous  avons  vu  que  cette 
force  était  précisément  la  moyenne  de  son  état  mili- 
taire pendant  les  vingt-cinq  années  qui  avaient  précédé 
la  guerre  de  Crimée. 

Cependant,  \e  budget  et  l'effectif  demandés  pour 
1860-1861,  devaient  encore  laisser  bien  loin  tous  ceux 
qui  les  avaient  précédés.  De  11,500,000  livres  sterling 
environ,  le  premier  sautait  d'emblée  à  16,842,275  li- 
vres, soit  871,056,875  fr.,  ce  qui  œnstituaii  une  aug- 
mentation de  63  millions  mr  l'année  précédente.  Quant 
à  l'effectif  de  229,000,  il  passait  à  235,852  hommes, 
avec  une  augmentation  de  7,000  hommes  environ  sur 
celui  de  iS59. 

Sur  ces 235,852 hommes  et  2/i,3/i2  chevaux  misa 
la  disposition  du  commandant  en  chef,  92,690  hom- 
mes et  9,710  chevaux  étaient  employés  dans  l'Inde  et 
à  la  charge  du  budget  indien.  11  restait  au  compte  du 
trésor  anglais,  et  pour  le  service  intérieur  et  les  colo- 
nies, 143,362  hommes  et  lu, 432  chevaux. 

Nous  arrivons  enfin  au  budget  de  186! -1862,  celui 
qui  a  été  présenté  au  mois  de  février  1861,  et  qui  va 
nous  donner  l'efiTectif  dont  il  s'agira  d'établir  plus  tard 
la  convenance  ou  l'insuffisance. 

On  aurait  volontiers  pensé,  eu  Franc-e,  que  cet  ac- 
croissement exorbitant,  continu,  sigualé  jusqu'ici  dans 
les  dépenses  militaires  de  l'Angleterre,  touchait  eniio 


DE  LÀ   FRANGE   ET   DE   l' ANGLETERRE.  A(jd 

à  son  terme.  On  pouvait  croire  que  le  moment  était 
arrivé,  pour  nos  voisins,  de  rétrograder  sur  cette 
échelle  dangereuse  des  budgets  beUiquetLO),  si  vivement 
attaqués  par  M.  d'Israëli.  La  conclusion  du  traité  de 
commerce,  en  ajoutant  le  lien  et  la  communauté  des 
intérêts  aux  nombreux  motifs  de  rapprochement  et 
d'entente  qui  existaient  entre  la  France  et  l'Angleterre, 
était  certes  de  nature  à  justifier  pleinement  cette  sup- 
position. 

c<  La  courte,  et  presque  dédaigneuse  réponse  de  lord 
Palmei^ton  aux  membres  du  Parlement  qui  se  sont 
hasardés  à  exprimer  cette  sorte  d'espérance,  prouve 
mieux  que  tous  les  arguments  combien  nos  voisins 
songent  peu  à  modifier  leur  politique  et  leur  état  mi- 
litaire (1).  » 

Le  chiffre  des  troupes  demandées  pour  l'intérieur  et 
les  colonies,  en  1861-1862,  est  de  l/i6,0/i/i.  C'est 
donc  encore  une  augmentation  insignifiante,  si  Ton 
veut,  mais  enfin  c'est  une  augmentation  de  2,682 
hommes  sur  les  l&â,S62  réclamés  Tannée  dernière 
pour  le  même  service. 

Il  y  a  bien,  il  est  vrai,  d'un  autre  côté,  une  diminu*^ 
tion  sur  le  chiffre  total  de  l'armée  anglaise,  qui,  pour 
1860-1861 ,  était  de  228,85&  hommes  (au  budget  rec- 

(i)  (t  Scarcely  any  uiieasiness  was  enlerlained  on  that  head,  and 
»  Ihecurt  if  not  rather  contempluous  reply  oflonl  Palmerstonto 
s  tbose  meinbers  of  the  house  of  Gommons  who  addressed  him  on 
n  the  subjecl  of  our  warlike  expcnditure,  must  haye  sufticiently 
0  indicated  Ihal  the  <<  stalu  quo  »  of  rcform  in  our  political  matters 
»  was  equally  to  be  observed  in  our  military  affairs.  •  (  The  army 
Mimâtes  for  1861-1862.) 


A6/i  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  BIIUTAIRES 

lifié),  et  qui  n'est  plus  que  de  212,773  pour  1861- 
1862.  Mais,  celte  diminution  résulte  uniquemeut  de  la 
réduction  des  effectifs  européens  employés  dans  Tlnde 
et  payés  par  le  budget  indien.  Cette  dernière  force 
(nous  examinerons  ailleurs  si  la  mesure  est  prudente) 
est  réduite,  pour  l'exercice  courant,  à  66,729  hommes 
et  8,262  chevaux. 

Quant  au  budget  militaire,  il  dépasse  toujours 
14,000,000  de  livres  sterling,  et  il  semble  que,  dé- 
sormais, ce  soit  son  chiffre  définitif  et  normal  chez  nos 
voisins.  La  balance  entre  les  budgets  1860-1861  et 
1861-1862,  se  résout,  en  effet,  en  une  mince  éco- 
nomie de  185,795  livres  en  faveur  du  dernier. 

1/1,656,480  livres,  d'une  part,  pour  la  guerre, 
12,000,000  de  livres  pour  la  marine,  en  tout  près  de 
SEPT  CENT  MILLIONS  !  !  !  tel  ost  douc  le  bilan  des  charges 
que  TAngleterre  en  est  réduite  à  sMmposer,  sans  pou- 
voir même  assurer  sa  sécurité  et  sa  défense,  au  moins, 
si  Ton  en  juge  par  les  alarmes  et  les  paniques  inces- 
santes dont  elle  nous  donne  le  triste  spectacle. 

Ces  alarmes,  deniandera-t-on,  sont-elles  bien  sin- 
cères? Ces  paniques  sont-elles  fondées?  Suivant  les 
uns,  l'agitation  de  nos  voisins  d  outre-Manche  est  touv 
à  fait  factice.  Tout  cet  appareil  militaire,  depuis  Tar- 
memenl  des  volontaires  jusqu'aux  organisations  plus 
effectives,  qui  se  traduisent  en  un  accroissement  con- 
tinu du  budget  de  la  guerre,  tout  cela  n*a  qu'un  but  : 
opérer  une  diversion  dans  les  esprits.  On  veut  détour- 
ner l'attention  du  peuple  anglais  du  spectacle  de  ses 
misères  en  exaltant  son  patriotisme.  Un  peuple  qui  s; 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     A65 

croit  SOUS  le  coup  d'une  invasion  ne  songe  guère,  ou 
songe  moins,  à  T insuffisance  de  son  salaire,  à  la  cherté 
des  subsistances,  aux  bills  d'ajournement  par  lesquels 
la  chambre  haute  accueille  les  projets  de  réforme,  Ta- 
bolition  des  droits  sur  le  papier,  la  suppression  des 
church  rates j  etc.,  etc. 

Suivant  les  autres,  au  contraire,  il  y  va  du  salut  de 
la  Grande-Bretagne  :  quelles  que  soient  les  dispositions 
des  autres  puissances  à  réduire  leurs  armements^ 
r  Angleterre  ne  peut  les  suivre  dans  cette  voie.  Elle  est 
fort  reconnaissante  à  la  France  de  ses  assurances  de 
bon  vouloir,  mais  elle  n'en  diminuera  pas  pour  cela 
d'un  seul  homme  l'efTectif  jugé  nécessaire  à  sa  défense, 
et  au  maintien  de  son  rang  comme  puissance  de  pre- 
mier ordre. 

En  résumé,  si  nous  considérons  dans  le  tableau  des 
budgets  récapitulés  plus  haut  les  trois  années  qui 
viennent  de  s'écouler,  nous  voyons  que,  pour  cette 
courte  période  seulement,  l'Angleterre  a  augmenté  ses 
dépenses  militaires  de  80  millions,  soit  25  p.  100,  et 
que  l'effectif  de  son  armée  s'est  accru  de  75,000  hom* 
mes,  c'est-à-dire  de  30  p.  100.  L'accroissement  de  sa 
marine  et  de  ses  dépenses  navales,  tant  en  personnel 
qu'en  matériel,  a  suivi  la  môme  progression. 

Quelles  conséquences  faut-il  tirer  de  cet  accroisse- 
ment formidable?  A  laquelle  des  deux  opinions  citées 
plus  haut  fant-il  se  ranger? 

Que  faut-il  conclure  du  budget  de  1861-1862,  et 
de  la  dédaigneuse  réponse  [coniemptuous  reply)  de  lord 
Palmerslon  à  la  Chambre  des  communes?  Doit-on s'in- 

30 


466  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

quiéter  sérieusement  en  Europe  de  ces  armements 
poursuivisavec  tant  de  persévérance?  Est-il  bien  sûr 
que  l'Angleterre  obéit  seulement  aux  nécessités  de  sa 
conservation  et  de  sa  défense  ;  ou  bien  ces  armements 
gigantesques  ne  révèlent-ils  pas  des  projets  agressifs  et 
une  véritable  menace  à  l'adresse  de  la  France  dont 
ou  s'obstine  avec  tant  d'opiniâtreté,  de  l'autre  côté 
du  détroit,  à  mettre  en  doute  la  droiture,  à  méconnaître 
la  loyauté,  à  suspecter  les  intentions? 

D'une  part,  le  tableau  que  nous  avons  présenté  de 
la  richesse  et  de  la  puissance  de  l'Angleterre  nous 
semble  devoir  exclure  chez  nos  voisins  toute  idée  de 
guerre  volontaire.  Il  suffit  de  l'examen  le  plus  super- 
ficiel pour  montrer  que  la  rupture  de  l'alliance  avec 
la  France  ne  pourrait  que  compromettre  leurs  intérêts 
les  plus  chers.  U  est  incontestable  qu'ils  auraient  beau- 
coup à  risquer,  rien  à  gagner  dans  cette  rupture. 

D'un  autre  côté,  puisqu  il  est  admis  que  Taugmen- 
tation  des  dépenses  militaires  est  une  sorte  de  thermo^ 
mètre  de  la  situation  intérieure  ou  extérieure  des  Etais; 
ridée  d'intentions  hostileset  préméditées  étant  écartée^ 
c'est  dans  la  situation  générale»  dans  la  condition  pré- 
sente de  l'Angleterre^  qu'il  faut  chercher  la  réponse 
aux  questions  soulevées  par  son  attitude.  Nous  n'avons 
pas  besoin  de  l'annoncer,  lors  même  que  la  triste  expé- 
rience de  ces  dernières  années  nous  ferait  incliner  à 
considérer  l'alliance  entre  les  deux  nations  comme  un 
mariage  de  convenance  et  d'intérêt,  bien  plutôt  que 
d'amour;  nous  n'en  apporterions  pas  moins,  daus 
notre  examen^  toute  la  justice,  toute  l'impartialité  qui 


DE  LA  FRANCB  ET  DE  l' ANGLETERRE.     &67 

sont  dues  à  un  peuple  allié.  Dans  les  efforts  et  les  sa- 
criBces  que  s'impose  l'Angleterre,  «nous  ferons  la  part 
des  mesquines  jalousies,  des  terreurs  sans  fondement, 
et  la  pari,  la  grande  part  de  la  nécessité.  » 

Cherchons,  pour  commencer,  à  nous  rendre  compte 
de  la  situalion  intérieure  chez  nos  voisins. 

Après  avoir  fait  remarquer,  dans  un  chiapitre  pré- 
cédent (1),  que  la  force  armée  ne  devait  jamais  inter- 
venir, en  Angleterre,  dans  l'exécution  des  mesures 
d'ordre  et  de  police;  —  ce  qui  expliquait  à  la  fois  le 
rôle  insignifiant  de  l'armée  à  l'intérieur  et  le  chiffre 
réduit  auquel  elle  avait  été  maintenue  pendant  près 
d'un  demi-siècle;  —  après  avoir  rendu  un  hommage 
mérité  au  profond  respect  du  peuple  anglais  pour  ses 
lois,  respect  tel,  que  jusquMci,  son  gouvernement 
n'avait  pas  eu  besoin  d'en  armer  les  représentants  ; 
nous  ajoutions  :  «Cette  situation  durera-t-elle  tou- 
jours? L'Angleterre,  sous  la  pression  des  idées  nou- 
velles, pourra-t-elle  se  soustraire  indéfiniment  aux 
réformes  sociales,  aux  modifications  politiques  et  mili- 
taires que  son  aristocratie  a  su  ajourner  si  long- 
temps?...  11  est  permis  d'en  douter.  » 

« L'heure  n'est  peut-être  pas  loin,  disions-nous 

encore*  où  les  masses  se  lasseront  en  Angleterre  de 
l'ombre  qu'on  leur  abandonne,  de  cette  liberté  sans 
égalité  dont  on  les  leurre  et  dont  la  creuse  jouissance 
est  censée  compenser  toutes  les  misères,  toutes  les 
injustices,  tous  les  monopoles,  sous  lesquels  se  cour- 

(l)  Chapitre  XIU.  Organisation  de  l'armée  à  rintérieur. 


&68  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

bent  depuis  des  siècles  les  classes  basse  et  moyenne  : 
—  l'heure  n'est  peut-être  pas  loin  où  ces  classes  se  dé- 
cideront à  réclamer  leur  part  de  ces  biens,  de  ces 
droits,  de  ces  places,  de  ces  grades,  qui  ont  été  jusqu'ici 
le  partage  exclusif  de  la  fortune  et  de  la  noblesse.  Ce 
jour-là,  l'Angleterre  aura  grand 'peine  à  éviter  les  com- 
motions qui  ont  agité  successivement  les  autres  nations, 
et  son  peuple  une  fois  déchatué,  ce  ne  sont  pas  ses  poli- 
cemen  et  ses  constables  qui  suffiront  à  l'arrêter. 

»  Le  peuple  anglais  saura-t-il  conserver  une  juste 
mesure  dans  la  poursuite  de  cette  égalité  sociale  dont 
il  est  déshérité?  ou  bien,  à  l'exemple  de  tant  d'autres 
nations  dépasserat-il  le  but,  et,  non  content  de  détruire 
les  barrières  qui  l'arrêtent  dans  sa  route  vers  une  con- 
dition plus  équitable  el  meilleure, voudra-t-il  renverser 
aussi  celles  qui  gardent  des  précipices  et  des  abîmes  ? 
Nul  ne  peut  le  dire.  » 

L'épreuve  que  nous  pressentions  pour  nos  voisins 
serait-elle  aujourd'hui  plus  imminente?  Nous  n'ose- 
rions l'affirmer;  cependant,  aux  mesures  que  prend,  à 
certains  égards,  le  gouvernement  anglais,  il  serait 
presque  permis  de  le  croire. 

Si  fondés  que  puissent  être,  en  effet,  ainsi  que  nous 
le  verrons  plus  loin,  les  motifs  invoqués  de  l'autre 
côté  du  détroit  à  l'appui  de  l'extension  donnée  aux 
forces  militaires ,  c'est,  en  définitive^  au  milieu  d*unc 
paix  générale  avec  toutes  les  autres  nations^  que  l  Angle- 
terre s'est  décidée  à  doubler  son  effectif  et  ses  moyens  de 
défense.  Parmi  ces  derniers,  l'érection  de  250  millions 
de  citadelles  et  foiteresses  serait  tout  simplemeul 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     669 

ridicule  (dans  un  pays  oii  le  service  des  fortifications 
déjà  existantes  laisserait, à  peine  quelques  milliers 
d'hommes  pour  tenir  la  campagne),  si  les  éventualités 
de  l'intérieur,  autant  et  plus  peut-être  que  celles  de 
l'extérieur,  n'avaient  été  prises  en  considération  dans 
cette  mesure. 

Les  optimistes,  les  panégyristes  quand  même  de  tout 
ce  qui  touche  à  T  Angleterre,  pourront  répéter  à  satiété 
que  c'est  contre  les  dangers  du  dehors,  et  nullement 
contre  ceux  du  dedans  qu'il  est  nécessaire  de  protéger 
la  Grande-Bretagne. 

En  rapprochant  les  nombreux  symptômes  dénature 
à  infirmer  cette  confiance  si  absolue  du  développe- 
ment inusité  donné,  en  pleine  paix,  chez  nos  voisins, 
aux  forces  militaires,  on  est  conduit  à  se  demander  si 
le  dedans  et  le  dehors  ne  tiennent  pas  une  place  égale 
dans  les  préoccupations  du  gouvernement  anglais. 

Nulle  parties  appréhensions  que  fait  naître  la  situa- 
tion intérieure  de  la  Grande-Bretagne  no  sont  mieux 
définies  que  dans  l'Avenir  politique  de  V Angleterre. 
Certes,  l'auteur  de  ce  livre  ne  saurait  être  suspect. 
Admirateur  plus  enthousiaste  encore  peut-être  de  nos 
voisins  que  ne  le  fut,  à  une  autre  époque,  M.  Dupin 
lui-même,  M.  de  Montalembert  n'hésite  cependant  pas 
à  reconnaître  l'inquiétude  et  les  craintes  qu'inspirent 
partout  leurs  destinées  futurcjs  :  «  En  Angleterre  même, 
nous  dit-il,  la  question  doit  se  poser  au  fond  de  plus 
d'un  cœur.  » 

» Nul  ne  peut  se  le  dissimuler,  il  s'est  formé  de 

par  le  monde  une  opinion  défavorable  à  la  sécurité  de 


470  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

cette  grande  nation,  à  la  durée  de  ses  glorieuses  insti- 
tutions, et  même  à  sa  moralité  politique.  La  conCaoce 
sans  bornes,  Tenvie  trop  légitime,  Tadmiralion  pas- 
sionnée qu'elle  inspirait  depuis  on  siècle  aux  esprits 
éclairés,  aux  âmes  généreuses,  ont  fait  place  peu  à  peu 
à  des  sentiments  très  différents.  Pendant  que  les  aDciens 
et  fidèles  partisans  de  l'Angleterre  et  de  tout  ce  qu'elle 
représente  dans  le  monde  en  sont  encore  à  la  défiance 
ou  à  l'appréhension,  ses  adversaires,  en  nombre  tou- 
jours grossissant,  appellent  et  saluent  d'avance  la  chute 
de  la  vieille  Angleterre.  » 

Nous  n'aurions  certes  pas  osé  tracer  un  tableau 
aussi  menaçant;  mais, puisqu'un  autre  s'en  est  chargé, 
voyons  ce  que  Ton  peut  invoquer  à  rencontre  de  sa 
fidélité. 

On  répète  souvent  que  Tune  des  choses  qui  trompent 
le  plus  dans  l'appréciation  de  la  situation  de  laGrande- 
Bretagne,  «  c'est  le  mal  que  les  Anglais  aiment  à  se 
dire  les  uns  aux  autres,  d'eux-mêmes,  de  leur  pays, 
de  leurs  lois,  de  leur  gouvernement.  »  On  pourra  dé« 
penser  beaucoup  de  talent,  on  pourra  mettre  en  avant 
les  comparaisons  les  plus  ingénieuses  pour  établir, 
—  tout  en  convenant  que  cet  amusement  peut  tourner  fort 
mal,  —  qu'il  ne  s'agit  ici  que  d'un  exercice  d'esprit 
chez  nos  voisins.  Pour  notre  compte,  nous  voyons 
quelque  chose  de  plus  sérieux  qu'une  simple  récréation 
dans  la  vivacité,  dans  la  colère,  dans  l'amertume  de 
certaines  plaintes  et  dans  la  recrudescence  de  certaines 
appréhensions.  Les  interprètes  des  unes  et  des  autres 
ne  ressemblent  nullement  «à  ces  bons  jeunes  gens  »'  aux- 


DB  LÀ  FRAIfCB  ET  DE  L'ANGLETERRE.  ATI 

quels  M.  de  Montalembert  compare  le  peuple  anglais. 
Nous  dirons  mieux,  la  fierté,  l'orgueil  sans  bornes  qui 
le  caractérisent,  donnent  une  autorité  toute  particu* 
lière  aux  aveux  arrachés  par  la  pensée  des  dangers 
dont  il  se  sent  menacé.  Quand  il  s'agit  de  la  grandeur, 
de  la  puissance,  de  la  sécurité  de  leur  pays,  les  Anglais 
peuvent  bien,  dans  une  certaine  mesure,  trahir  des 
craintes  dont  l'expression  doit  servir  de  stimulant  à 
ceux  chargés  de  les  calmer,  mais  on  peut  être  certain 
que  sur  un  pareil  chapitre,  c'est  déjà  beaucoup  s'ils 
disent  la  moitié  de  ce  qu'ils  pensent. 

C'est  peu  connaître,  suivant  M.  de  Montalembert, 
rhistoire  politique  de  l'Angleterre,  que  d'attacher  de 
l'importance  à  un  meeting  séditieux  ou  à  quelques 
carreaux  cassés  dans  un  quartier  aristocratique.  L'as- 
semblage tumultueux  de  100,000  individusavec  accom^ 
pagnement  de  cris,  de  bannières,  de  processions  dans 
les  rues  de  Ijondres,  n'inspire  aucune  appréhension  à 
l'auteur  de  V Avenir  de  V Angleterre;  on  oublie,  nous 
dit-il,  que  tout  cela  s'est  vu  depuis  longtemps,  s'est 
toujours  vu  depuis  que  l'Angleterre  est  libre. 

a  En  1780,  aux  plus  beaux  jours  du  gouvernement 
»  aristocratique  et  de  la  splendeur  oratoire  du  gouver- 
»  nement  anglais,  Londres  a  été  au  pouvoir  d'une 
»  horde  de  brigands  qui  ouvrirent  les  prisons  et  brû- 
»  lèrent  les  hôtels  de  plusieurs  des  principaux  person- 
»  nages  du  royaume.  En  1830,  quinze  ans  après  la 
»  bataille  de  Waterloo,  on  alla  briser  les  fenêtres  du 
»  duc  de  Wellington,  qui  fît  construire  à  cette  occasion 
»  ces  volets,  à  l'épreuve  de  l'artillerie  populaire,  que 


472  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

»  l'on  voit  encore  à  son  hôtel.  Quelques  années  plus 
»  tard,  O'Connell  réunissait  en  plein  air  cent  mille 
»  Irlandais  frémissant  sous  sa  main,  et  disposés,  selon 
»  rimpression  générale,  à  se  jeter,  sur  un  signe  de  lui, 
»  dans  tous  les  périls  de  la  guerre  civile.  Et  pendant 
»  tout  cela,  et  avant  comme  après,  des  voies  éloquentes 
»  et  écoutées  dénonçaient  les  institutions  nationales 
»  comme  des  leurres,  le  Parlement  comme  un  mauvais 
»  lieu,  Taristocratie  comme  une  caste  d'oppresseurs  et 
»  d'exploiteurs,  le  peuple  anglais  comme  un  ramas  de 
»  dupes  et  d'esclaves,  écrasés  d'impôts  et  d'affronts  par 
»  une  oligarchie  insatiable.  Tout  cela  s'est  dit  et  répété 
»  sur  tous  les  tons,  à  toutes  les  périodes;  tout  cela 
»  peut-être  a  été  cru  ;  mais  tout  cela  a  passé  et  passera 
»  comme  une  pluie  d'orage.  » 

Tout  cela,  pour  nous,  est  bien  l'histoire  du  passé, 
mais  rien  ne  prouve  que  ce  sera  encore  Thistoire  de 
a  l'avenir».  Aujourd'hui,  le  peuple  anglais  est  armé. 
Par  une  faute  peut-être  involotaire  (1),  mais  dont  l'ha- 
bileté de  l'aristocratie  aurait  dû  mieux  prévoir  les  con- 
séquences {quos  vult  perdere...,  Jupiter  dementai!)^ 
200,000  fusils  peuvent  remplacer  maintenant  l'artille- 
rie dont  se  riait  Wellington.  L'Iron-Duc  (2),  s'il  vivait 
encore,  ne  partagerait  probablement  pas  la  sécurité  de 

(1)  C*est  rarislocratie  qui,  cédant  aux  clameurs  de  la  presse»  s*est 
laissé  arracher  Torganisation  des  volontaires;  mais  si  les  radicaux . 
n'en  ont  pas  eu  Tiniliative,  on  peut  être  certain  qu'ils  ont  tout  fait 
pour  la  rendre  aussi  générale  que  possible. 

(2)  Surnom  donné  à  lord  V^ellington  :  Iron-Duc,  le  Duc^e- 
Fer. 


DE   LA   FRANCE   ET   DE  l'aNGLETERRE.  Û73 

M.  de  Montalembert,  à  Tendroit  de  ces  orages  popu- 
laires auxquels,  désormais,  pourra  bien  se  mêler  la 

grêle des  balles.  Ajoutons  qu'en  Angleterre,  les 

mœurs,  les  habitudes  delà  nation,  et  surtout  la  popu- 
lation prodigieuse  de  cei^ins  centres,  sont  autant  de 
circonstances  qui  concourent  à  faciliter  les  rassemble* 
ments  les  plus  formidables. 

De  bonne  foi,  que  serait-il  arrivé  en  1780,  lorsque 
la  populace  brûlait  les  hôtels  de  Taristocratie,  ou  en 
1830,  lorsqu'elle  se  contentait  de  casser  ses  carreaux  ; 
que  serait-il  arrivé^  si  ces  hordes ,  assez  nombreuses  pour 
tenir  Londres  en  leur  pouvoir  j  avaient  été  armées  ?  Les 
200,000  chartistes  de  Kennington-Common  seraient- 
ils  tombés  aussi  aisément  sous  le  ridicule  ;  auraient-ils 
été  mis  aussi  facilement  en  déroute  par  les  bâtous  des 
policemenet  des  spécial  constables^  si,  comme  nos  insur- 
gés de  juillet  1830  ou  de  février  18/i8,  ils  avaient  eu 
des  fusils  à  opposer  aux  5  ou  6000  baïonnettes  retran- 
chées dans  les  squares  de  Londres,  sous  les  ordres  de 
Wellington. 

L'armement  des  volontaires  anglais  a  été  dirigé  contre 
la  France  ;  —  la  déclaration  en  a  été  faite  assez  ou- 
vertement, et  assez  souvent,  pour  qu'on  ne  craigne  pas 
de  le  dire;  —  eh  bien!  nous  ne  faisons  qu'un  vœu, 
c'est  qu'il  n'entraîne  pas,  pour  nos  voisins,  les  tristes 
conséquences  des  mesures  de  ce  genre,  sur  le  continent. 

Mais,  dira- 1- on,  de  pareilles  craintes  ne  sont-elles 
pas  en  contradiction  avec  ce  respect  que  tout  le  monde 
reconnaît  aux  Anglais  pour  leurs  institutions:  en  outre, 
cet  armement  de  la  population  dont  vous  vous  effrayez 


474  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  mUTAIRES 

si  Tort,  no  s'applique  pas  à  la  populace  et  aux  gens  de 
caractère  à  recruter  une  insurrection.  L'oi^nisatioii 
des  volontaires  ne  comporte  que  des  personnes  hon- 
nêtes, dont  l'amour  de  la  légalité  et  Tborreur  des 
mesures  violentes  ne  peuvent  être  l'objet  d*un  doute. 

A  cela  nous  répondrons  que  tout  s'use,  et  le  respect 
plus  vite  encore  que  le  reste,  quand  l'estime  et  la  con* 
sidération  sur  lesquelles  il  se  basait  commencent  à  être 
entamées.  L'aristocratie  anglaise  a  pu  conserver  son 
prestige  tant  qu'elle  a  suffi  aux  besoins  du  pays,  tant 
que,  sous  sa  direction  unique,  il  n'a  cessé  de  croître  en 
puissance  et  en  ricbesse.  Dans  ces  conditions,  et  il 
serait  injuste  de  ne  pas  reconnaître  qu'elles  ont  été 
glorieusement  remplies ,  l'aristocratie  a  pu  continuer 
victorieusement  sa  course  au  milieu  des  clameurs  de 
la  tribune  et  de  la  presse  ;  malgré  les  meetings  et  les 
pétitions  pour  la  réforme  électorale,  elle  a  pu  conti- 
nuer sa  route,  tant  que  le  succès  a  couronné  ses  efforts, 
<i  sans  jamais  rien  sacrifier  de  ses  droits  légitimes,  sans 
se  croire  une  seule  fois  obligée  de  céder  soit  à  Tennemi 

intérieur,  soit  à  l'ennemi  extérieur; et  cela  en 

dépit  des  famines,  des  émeutes  et  des  carreaux  cassés.  » 

Tout  cela  est  vrai.  Malheureusement  pour  Taristo- 
cratie  anglaise,  ce  qui  a  cessé  de  Têtre,  c'est  son  infail- 
libilité,  c'est  la  continuité  de  ses  succès,  c'est  la  con- 
centration exclusive,  dans  son  sein,  de  toutes  les  forces 
vives  de  la  nation.  M.  de  Montalembert  l'avoue  :  «  le 
niveau  du  talent,  de  la  capacité,  de  Tinfluence  abaissé.» 
Les  grands  hommes  dont  l'ascendant  et  l'énei^ie  éle- 
vèrent si  haut  la  situation  de  Taristocratie,  lui  font 


DB  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     Û75 

défaut  aujourd'hui.  L'affaiblissement  graduel  mais 
continu  de  la  haute  chambre  en  est  une  preuve,  tout 
aussi  bien  que  la  tendance  chaque  jour  plus  marquée 
de  la  chambre  des  communes  à  franchir  les  limites  de 
ses  attributions,  et  à  absorber  en  elle  tous  les  pouvoirs. 
On  chercherait  en  vain,  maintenant,  des  hommes  de 
la  taille  des  Pitt,  des  Fox,  des  Canning  ou  des  Peel,  et 
malgré  les  sen^ces  réels  qu'il  a  rendus,  malgré  son 
titre  de  prince  du  sang,  le  commandant  en  chef  n'exerce 
plus  surl'armée  cette  autorité  absolue,  incontestée,  qui 
fut  le  privilège  de  Wellington. 

C'est  qu'en  effet,  il  faut  bien  le  reconnaître,  avec 
l'auteur  de  V devenir  de  V Angleterre  :  «  l'empire  des 
anciennes  idées  s'affaiblit,  et  il  en  est  de  même  du 
prestige  des  anciennes  institutions.  En  d'autres  termes, 
le  caractère  profondément  aristocratique  delà  liberté  et 
de  la  société  anglaise  tend  à  s'altérer.  Ce  prestige  est 
encore  généralement  reconnu,  mais  ce  n'est  déjà  plus 
ce  que  c'était  jadis.  Un  lord  est  toujours  quelque  chose 
de  grand,  d'une  grandeur  même  incompréhensible  sur 
le  continent,  mais  ce  ri  est  déjà  plus  le  lord  d'autrefois. 
Tout  l'ensemble  des  usages  et  des  notions  qui  se  rat- 
tachent à  ce  nom,  à  ce  titre  presque  intraduisible,  a 
subi  la  même  transformation.  » 

Quant  à  la  prétendue  distinction  établie  au  sujet  de 
l'armement  de  la  population  anglaise,  et  des  dangers 
qu'il  comporte  pour  la  sécurité  intérieure  de  nos  voi- 
sins, une  triste  expérience  nous  a  montré  qu'elle  est 
sans  valeur.  La  garde  nationale  de  Paris,  pas  plus  que 
les  volontaires  de  Londres,  n'ouvrait  ses  rangs  aux 


476  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

bandits  qui  brûlent  les  hôtels  et  saccagent  les  capitales  : 
cependant  c'est  à  la  garde  nationale,  dans  plus  d*une 
circonstance,  que  Témeute  a  emprunté  ses  premières 
armes  (!)• 

Répétons-le  donc  encore  une  fois,  les  carabines  si 
libéralement  distribuées  ouvrent  une  phase  nouvelle 
pour  le  Royaume-Uni,  et  l'histoire  d'hier  pourra  bien 
ne  plus  être  l'histoire  de  demain.  En  revanche,  c'est 
bien  Thistoire  du  présent  que  nous  résume  M.  de  Mon- 
talembert,  lorsqu'il  dit:  «  Le  progrès  de  ladémocra- 
'tie  est  le  fait  dominant  de  la  société  moderne,  mais 
c'en  est  aussi  le  danger  suprême le  fait  et  le  dan- 
ger existent  en  Angleterre  comme  ailleurs.  i> 

Ce  qui  le  prouve,  c'est  bien,  eu  effet,  le  ton  général 
de  la  littérature  anglaise  ;  c'est  la  faveur  dont  jouissent, 
auprès  du  public,  les  écrits  qui  s'attaquent  aux  idées 
et  aux  habitudes  aristocratiques;  c'est  l'esprit  de  déni- 
grement à  l'endroit  des  hautes  classes;  c'est  enfin,  et 
surtout,  la  perte  chaque  jour  plus  sensible  du  prestige 
des  anciennes  institutions. 

Ces  symptômes  suffisent  pour  constater  le  progrès 
de  l'esprit  révolutionnaire  chez  nos  voisins;  mais  il  est 
d'autres  signes  plus  redoutables  encore,  et  qui  ne 
doivent  pas  être  négligés.  Somme  toute,  le  courant  ré- 


(I)  Tous  les  peuples  pris  en  masse  se  valent.  Anglais,  Français. 
Espagnols,  Prussiens,  Suédois,  elc,ont  eu,  tour  à  tour,  leurs  pé- 
riodes de  suprématie  guerrière.  Il  serait  donc  ridicule  de  prétendre 
que  les  Français,  gardes  nationaux  ou  autres,  ne  soient  pas  tout 
aussi  braves  que  les  volontaires  anglais.  Cependant,  qui  n'a  pas 
présentes  encore  à  la  mémoire,  les  devantures  de  magasins,  les 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     Û77 

volulionnaire  ne  s'accuserait  qivà  l'étal  de  théorie,  et 
l'époque  où  il  arrivera  à  passer  du  domaine  des  doc- 
trines dans  celui  de  l'action,  pourrait  être  encore  bien 
éloigné  si  les  chefs  qui  doivent  le  diriger  faisaient  dé- 
faut :  malheureusement  ces  chefs  sont  tout  prêts. 

Depuis  plusieurs  années  déjà,  eu  face  du  parti  delà 
vieille  Angleterre,  il  s'en  est  élevé  un  autre  :  celui  de 
la  jeune  Angleterre.  Au  drapeau  et  au  nolumus  leges 
jingliœ  mutari  des  tories  égoïstes  et  entêtés^  les  nou- 
veaux venus  opposent  un  drapeau  dont  la  devise  se 
réduit  à  un  seul  mot  :  Réforme;  chacun  sait  tout  ce 
que  ce  mot  peut  renfermer  de  choses.  Certes,  bous 
sommes  loin  de  vouloir  dire  que  M.  Layard,  par 
exemple,  le  champion  de  la  réforme  administrative, 
que  M.  Bright,  le  champion  de  la  réforme  électorale, 
que  M.  Cobden,  le  président  du  congrès  de  la  paix,  ou 
même  M.  Carlyle,  le  partisan  déclaré  des  mesures  radi- 
cales et  du  régime  delà  force,  soient  disposés  en  aucune 
façon  à  descendre  dans  la  rue  cour  eis&iirer  le  triomphe 
de  leurs  opinions.  Mais,  ce  qu'on  ne  peut  méconnaître, 
c'est  qu'ils  ont  un  parti  puissant  derrière  eux;  or, 
dans  les  rangs  de  ce  parti  comme  dans  toutes  les  armées 
du  monde,  il  y  a  des  soldats  indisciplinés,  toujours  prêts 


portes  sur  lesciuflles,  à  certaines  époques  néfastes,  se  lisaient,  ces 
honteuses  inscriptions  destinées  à  affranchir  les  marchands  et  les 
propriétaires  de  la  visite  des  insurgés  parisiens  : 

«  Armes  livrées  !  !  !  »  Livrées  à  qui? si  ce  n'est  à  l'émeute,  à  l'in- 
surrection que  Ton  ne  domine  pas  plus,  qu'on  ne  repousse  l'inva- 
sion élraogère,  avec  d'honnêtes  citadins,  avec  de  bons  pères  de 
famille  dont  ce  n'est  pas  ie  métier. 


inS  CONSTITUTION   £T  PUISSANCE  MILITAIRES 

à  déborder,  à  dépasser  leurs  chefs.  Eu  France,  en  1848, 
les  faiseurs  de  banquets,  les  avocats  de  la  réforme  ont 
vu  où  conduisaient  ces  terribles  auxiliaires. 

Dans  tous  les  cas,  ce  ne  sont  pas  les  chefs  qui  man* 
quent,  de  l'autre  côté  du  détroit,  au  parti  du  meuve- 
ment.  Si^  par  une  combinaison  habile,  raristocratie 
ajoute  de  temps  à  autre  à  ses  forces  et  diminue  d'au- 
tant celles  du  parti  populaire  par  Tadjonction  desnou* 
veaux  élus  qu'elle  lui  enlève;  la  jeune  Angleterre,  de 
son  côté,  se  fortifie  chaque  jour  pour  la  lutte,  et  l'école 
de  Manchester,  son  expression  la  plus  élevée,  se  recrute 
depuis  longtemps  dans  Pélite  intellectuelle  et  morale  de 
la  nation. 

Puisque  nous  venons  de  dire  un  mot  de  cette  admis- 
sion intéressée  des  illustrations  populaires  dans  les  rangs 
de  raristocratie ,  peut-être  est-il  à  propos  d'expliquer 
que  cette  mesure,  en  apparence  si  libérale,  ne  constitue, 
en  définitive,  qu'une  lourde  charge  pour  le  pays,  grâce 
à  la  contre-partie  qui  complète  le  mécanisme  de  la 
combinaison. 

L'aristocratie  anglaise  ne  pouvant  conserver  sans  le 
droit  d*atnesse  les  domaines  et  la  richesse  nécessaires 
à  son  prestige  et  à  son  influence,  force  lui  est  a  de  re- 
fouler dans  le  gros  de  la  nation  »  tous  les  cadets,  tous 
les  puinés  qu'elle  déshérite.  Elle  se  débarrasse  ainsi,  il 
est  vrai,  des  éléments  qui  la  gênent,  mais  c'est  pour  en 
embarrasser  la  nation;  car  celle-ci,  à  défaut  de  leurs 
familles,  se  trouve  endosser  la  charge  de  les  pourvoir. 
Ces  membres  superflus  que  l'aristocratie  rejette,  peu- 
vent être  aussi  inutiles  à  leurs  concitoyens  en  général 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     479 

qu'à  leur  caste  en  particulier.  Cependant,  le  pays  est 
obligé  de  les  accepter  quand  môme  comme  des  membres 
efficients  de  la  communauté.  En  compensation  des 
biens  et  des  titres  dont  leurs  atnés  les  dépouillent,  ce 
sont  les  sièges  dans  la  magistrature,  les  bénéfices  dans 
le  clergé»  les  grades  dans  l'armée,  les  postes  dansl'ad* 
ministration  ou  la  diplomatie....;  en  un  mot,  les  em- 
plois de  toute  sorte,  les  fonctions  de  toute  espèce,  qui 
deviennent,  sans  concours,  sans  justification  d'aptitude 
ou  de  mérite,  le  privilège  presque  exclusif  des  puînés 
de  la  noblesse. 

C'est  au  point  de  vue  de  l'établissement  des  cadets 
de  son  aristocratie,  autant  au  moins  que  pour  les  né* 
cessités  de  son  commerce,  que  l'Angleterre  occupe  ses 
innombrables  colonies.  Parmi  ces  possessions,  il  enest 
un  grand  nombre,  comme  nous  le  prouverons  plus  tard, 
qui  ne  sont  qu'onéreuses  pour  la  métropole,  mais  elles 
fournissent  à  l'infini  des  postes  de  gouverneur,  de  com- 
missaire, d'administrateur,  etc.,  etc.,  pour  les  fils  de 
tamille.  Llnde,  sous  ce  rapport,  est  une  pépinière  que 
rien  ne  pourrait  remplacer,  et  dont  la  perte  suffirait 
presque  à  déterminçr  une  révolution  intérieure.  Aussi, 
veut-on  savoir  quelle  était,  aux  jours  les  plus  sombres 
de  la  dernière  insurrection,  la  grande  préoccupation 
de  l'aristocratie?  Ce  n'était  pas  seulement  le  sort  de 
l'armée,  la  ruine  d'un  vaste  empire;  c'était....  le  sort 
de  ses  cadets  qui  allaient  se  trouver  sur  le  pavé. 

Concluons  :  la  réforme ,  —  la  réforme  en  haut 
comme  en  bas;  —  la  réforme  dans  toutes  les  parties  de 
sa  constitution  politique  et  sociale;  telle  est  la  nécessité 


Û80  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

qui  se  dresse  chaque  jour  plus  impérieuse  pour  T  An- 
gleterre. La  résistance  naturelle  de  Taristocratie,  et  le 
respect  invétéré  pour  les  vieilles  traditions,  si  soigueu- 
sèment  entretenu  jusqu'ici  par  les  partisans  intéresses 
de  Tordre  de  choses  acluel,  ont  pu  ajourner  les  salis- 
factions  légitimes  que  réclame  le  peuple  anglais  ;  mais, 
nous  Tavons  vu,  ce  fétichisme  est  battu  en  brèche  avec 
une  ardeur  que  la  défense  ne  pourra  toujours  maîtriser. 
En  politique,  il  est  des  prosjrammes  dont  la  réalisation 
est  toujours  certaine  :  ce  sont  ceux  qui  ont  pour  base 
la  justice  et  la  morale.  A  ce  titre,  nous  livrons  à  nos 
lecteurs  celui  des  réformistes  anglais,  tel  que  l'a  4br- 
mulé  M.  Carlyle  : 

«  The  thing  >vhich  is  injust,  which  is  not  àccoi-ding 
to  God's  law,  will  you  (0,  my  conservative  friends)  in  a 
God's  univei-se,  try  to  conserve  thaï?  It  is  so  old,  say 
you?  Ycs,  and  the  holter  hasteoughtyou,  of  ail  others, 
to  be  in  to  let  it  grow  no  older.  If  but  the  faintest 
wishper  in  your  hearts  iutimate  to  you  that  it  is  nol 
fair,  hasten,  for  the  sake  of  consei^miism  itself,  to  probe 
it  rigorously,  to  cast  it  forth  at  once,  and  for  ever,  if 
guilly.  How  will  you,  or  can  you  préserve  it,  the  thing 
that  is  not  fair.  »» 

<'  Ce  qui  est  injuste,  ce  qui  est  contraire  aux  lois  du 
Créateur,  doit  disparaître  de  la  création;  —  plus  les 
abus  sont  anciens,  plus  il  est  urgent  de  se  mettre  à 
rœuvre  sans  relard,  afin  qu'ils  ne  puissent  le  devenir 
davantage  ;  —  dans  T intérêt  même  des  principes  con- 
servateurs, il  faut  soumettre  à  une  expérience  rigou- 
reuse tout  ce  dont  Téquité  et  rhonnôlelé  soulèvent  le 


DE  LA.  FEANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     481 

moindre  doute;  —  l'épreuve  faite,  cest  un  devoir  de 
renverser  sans  hésiler^de  détruire  pour  toujours  {to  cast 
fortK  to  cast  for  ever  !!)  tout  ce  qui  sera  reconnu  con- 
traire à  la  justice.  » 

Quel  sera  le  rôle  de  Tannée  anglaise  dans  les  éyen- 
tualités  que  fait  pressentir  une  situation  ainsi  définie  ? 

On  a  dit  que  Tabolition  des  abus  les  plus  monstrueux 
dont  il  eût  été  fait  justice  en  Angleterre,  tels  que  : 
l'exclusion  des  catholiques  de  tous  les  droits  politiques, 
le  droit  électoral  des  bourgs  pourris,  l'impôt  sur  le 
pain  des  pauvres  au  profit  de  Tagriculture,  des 
riches,  etc.,  etc.,  était  due  «cala  coexistence  d'une 
France  où  régnait  la  liberté  religieuse  et  politique,  en 
même  temps  que  la  plus  scrupuleuse  égalité  devant 
la  loi.» 

La  guerre  d'Orient,  entreprise  en  commun  par  la 
France  et  l'Angleterre  ;  la  juxtaposition  de  leursarmées 
sur  le  plateau  de  Chersonèse  pendant  deux  années  con- 
sécutives ;  enfin,  le  spectacle  et  l'appréciation  des  con- 
ditions si  honorables,  si  équitables,  si  libérales,  assurées 
en  France  à  l'officier  comme  au  simple  soldat,  ont 
déterminé  dans  l'armée  anglaise  des  aspirations ,  des 
sentiments,  des  besoins  jusqu'ici  inconnus. 

Inféodée  depuis  des  siècles  à  l'aristocratie,  Tarmée, 
comme  le  reste  de  la  nation,  réclame  aujourd'hui, 
chez  nos  voisins,  des  modifications  et  des  satisfactions 
qu'il  serait  dangereux- de  lui  refuser.  Un  coup  d'œil 
sur  sa  condition  morale,  sur  son  régime  social,  per- 
mettra d'apprécier  l'importance  des  unes  et  des  autres. 

L'émotion  causée  par  les  mécomptes  éprouvés  en 

31 


âS3  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MIUTAUES 

Crimée  a  laissé  de  longs  ressentiments  en  Angleterre; 
l'irritation  n'avait  pas  été  moins  profonde  que  la  bles- 
sure infligée  à  l'orgueil  national.  Jusqu'en  iSbh,  on 
avait  vécu  sur  la  gloire  acquise  pendant  la  guerre  d'Es- 
pagne ;  il  était  admis  en  principe,  de  l'autre  côté  du 
détroit,  que  l'armée  anglaise  était  la  première  armée 
du  monde.  Un  pareil  sujet  ne  souffrait  pas  la  discus- 
sion; et  personne,  sous  l'administration  de  lord  Hill 
ou  du  duc  de  Wellington,  ne  se  serait  aventuré  à 
émettre  le  moindre  doute  sur  la  parfaite  équité  et  sur 
Fhabileté  non  moins  grande  du  département  delà 
guerre.  De  fait,  cependant,  cette  administration  avait 
manqué  de  la  prévoyance  la  plus  élémentaire.  Alors 
que  tout  marchait,  que  tout  progressait  autour  d'elle, 
elle  était  restée  stationnaire,  elle  s'était  opiniâtrement 
refusée  à  tous  les  perfectionnements,  à  toutes  les  amé- 
liorations adoptées  par  les  autres  années  euro- 
péennes (1). 

Cette  incurie  coupable  devait  être  chèrement  expiée. 

Au  moment  où  la  guerre  tut  déclarée,  les  services 
du  commissariat,  de  l'ambulance,  des  vivres,  du  cam- 
pement, des  transports,  etc.,  tout  ce  qui  compose  en 
un  mot  l'attirai  1  obligé  des  armées  modernes,  ou  n'exis- 
tait  que  de  nom,  ou  se  trouvait,  chez  nos  alliés,  dans 
un  état  pitoyable.  A  cette  époque,  les  plus  habiles  ne 
voulaient  encore  croire  qu'à  une  simple  démonstration  ; 

{i)  L'armée  autrichienne,  avec  laquelle  nous  noas  sommes  ne- 
sures  en  Italie,  était  bien  certainement  supérieure  comme  organi- 
sation, administration,  etc.,  à  l'armée  anglaise  deCrîmcc.  CeileMri 
s'est  beaucoup  améliorée  depuis  cette  époque. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     &8â 

aussi  l'état-major  du  corps  expéditionnaire  fut-il 
choisi  avec  la  plus  grande  légèreté  et  sans  le  moindre 
égard,  ainsi  que  cela  avait  lieu  d'habitude,  pour  le  mé- 
rite ou  Texpérience  des  élus  (1). 

Le  peu  que  Ton  parvint  à  réunir,  en  personnel  et 
en  matériel  administratif,  fut  empilé  sur  les  vaisseaux 
dans  un  désordre  et  dans  une  confusion  inexprimables. 
Aussi,  quelques  semaines  s'étaient  à  peine  écoulées  de- 
puis Touverture  des  hostilités,  que  l'armée  anglaise, 
manquant  de  tout,  se  fondait,  se  désorganisait  d'heure 
en  heure,  non  pas  sous  le  feu  de  l'ennemi,  mais  par  le 
seul  effet  des  souflFrances  intolérables  et  des  misères 
sans  nom  auxquelles  Pavait  vouée  Fimpéritie  de  ses 
directeurs. 

Pour  comble  de  malheur,  là  où  l'expérience,  le 
génie  inventif  et  l'habileté  féconde  des  chefs  eussent 
été  nécessaires,  afin  de  créer  ce  qui  faisait  défaut,  afin 
de  suppléer  autant  que  possible  à  ce  qui  manquait,  les 
habitudes  méthodiques,  compassées,  routinières,  sem- 
blaient, avec  le  courage  du  soldat,  les  seules  choses  qui 
eussent  surnagé  dans  ce  naufrage.  L'absence  complète, 
chez  un  grand  nombre  d'officiers  de  l'état-major,  des 
connaissances  les  plus  obligatoires  dans  leurs  fonctions  ; 
l'inexpérience  des  officiers  de  troupe,  leur  ignorance 

(1)  Nous  avons  vu,  dans  le  courant  de  celle  étude,  comment  se 
faisaient  les  désignations  potir  les  efnptois  d'état-major,  Tarmce  an- 
glaise nf.  comporlèot  pas  de  corps  spécial  |)Our  ce  service.  Eh  bien  ! 
sur  216  officiers  ayant  saiisfait  aux  examens  de  Técolc  de  Sandhurst, 
depuis  1836,  i5  seulement  furent  désignés  pour  Télat  major  de  CH- 
mée^  les  autres  emplois  furent  donnés  à  la  faveur  et  ù  rinlrigue. 


48/1  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

des  plus  simples  devoirs  du  métier,  et  surtout  des  dé- 
tails les  plus  essentiels  du  service  de  guerre;  cdCd, 
Téloignement  dans  lequel  les  uns  et  les  autres  se  tenaient 
du  soldat,  de  ses  besoins,  de  ses  souffrances,  contri- 
buèrent encore  h  aggraver  l'état  déplorable  dans  le- 
quel se  trouva  Tarmée  anglaise  pendant  Thiver  de 
1854-1855.  Chacun  sait  le  rôle  que  joua  Tarmée  fran- 
çaise dans  ces  tristes  circonstances,  mais  nos  voisins 
semblent  aujourd'hui  l'avoir  si  complètement  oublié, 
qu'on  est  vraiment  excusable  de  le  leur  rappeler  quel- 
que peu. 

Nous  n'insisterons  pas  davantage  sur  les  cruelles 
épreuves  subies  par  nos  alliés  pendant  la  guerre  d'O- 
rient. Nous  renvoyons,  pour  de  plus  amples  détails,  au 
rapport  de  sir  John  M'Niel  et  du  colonel  Tulloch, 
nommés  tous  deux  pour  diriger  une  enquête  sur  la  si- 
tuation de  l'armée  expéditionnaire. 

Ce  que  nous  avons  surtout  en  vue,  c'est  de  bien  éta- 
blir ici  rétendue  de  l'irritation  qui  se  produisit  à  l'oc- 
casion de  la  guerre  de  Crimée,  la  nature  des  sentiments 
qu'elle  fit  naître,  et  la  portée  de  ceux  qui  lui  ont  sur- 
vécu dans  les  rangs  de  l'armée  anglaise. 

Sous  ce  dernier  rapport,  un  livre  qui  a  causé  une 
profonde  sensation  chez  nos  voisins,  et  dont  l'auteur 
appartient  à  ce  que  nous  appellerions  volontiers  «  ta 
jeune  année »  comme  MM,  Bright  et  Carlyle  ap- 
partiennent à  «  la  jeune  Angleterre  » ,  un  petit  livre 
intitulé  :  The  army^  the  hwse  guards  and  the  people^ 
va  nous  fournir  de  précieuses  données. 

c<  Telle  lut,  dit  le  colonel  W***.  à  propos  des  dé- 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     485 

sastres  de  Crimée,  l'indomptable  énergie  qui  se  mani- 
festa dans  la  classe  moyenne,  que  l'aristocratie  en  fut 
épouvantée.  En  effet,  l'indignation  du  peuple  monta  à 
un  tel  point,  à  mesure  que  la  lumière  se  faisait  à  ses 
yeux,  que  le  ministère  ne  put  y  résister,  etc. . .  «  Tliere 
»  was  such  stem  enerçy  in  the  middle  class  then,  that 
»  the  aristocracy  trembled.  Yes,  the  nation  was  up; 
»  thé  scales  had  fallen  from  its  eyes  ;  it  called  lord  Pal- 
»  merston  to  the  helm.  » 

Qu'on  ne  s'y  trompe  pas,  le  livre  que  nous  allons 
faire  parcourir  à  nos  lecteurs  n'a  pas  été  écrit  dans  le 
but  de  déverser  l'éloge  ou  le  blâme  sur  tel  ou  tel  indi- 
vidu ;  il  ne  renferme  pas  un  seul  nom  propre.  Son  au- 
teur n'a  pas  écrit  non  plus  sous  l'influence  d'une  mes- 
quine personnalité  ;  il  a  gardé'l'anonyme  (i).  —  Non  ! 
il  le  déclare  sans  détour,  son  but  est  plus  élevé  :  «  Ce 
qu'il  a  voulu  d'abord  rechercher,  ce  sont  les  raisons  de 
l'insuccès  des  armes  anglaises;  ce  qu'il  veut  prouver 
ensuite,  c'est  que  les  mécomptes  de  1854-1 855  tien- 
nent à  une  seule  et  unique  cause  :  l'étroite  et  égoïste 
politique,  qui  restreint  exclusivement  aux  membres  de 
l'aristocratie  anglaise  l'accessibilité  au  commandement 
et  aux  postes  les  plus  importants  de  l'armée  :  «  I  do 
»  not  re-open  Crimean  chronicles  for  the  purpose  of 
»  drawing  attention  to  individual  merit  or  demerit.... 

(l)Nous  ne  pouvons  trahir  ici  cet  anonyme;  cependant,  il  nous 
est  bien  permis  de  le  dire,  nous  connaissons  personnellement  le  co- 
lonel W**,  et,  quel  que  soit  le  Jugement  porté  sur  ses  opinions,  on 
ne  pourra  méconnaître  que  ce  sont  les  convictious  d'un  homme 
éclairé  et  d'un  officier  d'une  distinction  hors  ligne. 


686  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  mLITAIRES 

»  I  do  so  witb  the  view  of  remiuding  my  countrymeD 
»  tbat  the  break-down  of  185/i-1855  was  the  resuit  of 
x  tbat  narrow  policy,  which  confines  to  an  arisiocralîe 
x>  few  the  bigberand  more  profitable  military  posts  (  t  ).  » 

Prenant  Taristocratie  anglaise  à  partie,  au  point  de 
vue  du  rôle  qu'elle  a  joué  dans  la  direction  de  Tarmée 
pendant  ces  dernières  années,  le  colonel  W^  constate 
par  de  nombreux  exemples,  que  wigbs  ou  tories  n'ont 
jamais  cédé  qu'à  la -pression  des  journaux  et  de  Topi* 
nion,  toutes  les  fois  qu'il  s'est  agi  d'une  amélioration 
quelconque.  Chaque  perfectionnement  dans  l'organisa* 
tion  de  Tarmée,  dans  rhabillement,  dans  le  logement. 
dans  l'armement  du  soldat,  etc.,  etc.,  a  dû  être  arraché 
de  haute  lutte  à  l'inertie  ou  au  mauvais  vouloir. 

Le  mot  seul  de  concours  pour  l'obtention  d'un  grade 
ou  d'un  emploi,  ne  suffit-il  pas  encore  aujourd'hui, 
s'écrie  l'auteur  de  The  army  and  the  people^  pour  exci- 
ter toute  la  colère  des  oligarques  ! 

Que  dire,  en  efiet,  de  ces  applaudissements  à  lord 
Palmerston,  dépensant  son  talent  et  son  esprit  à  battre 

(i)  Il  n*y  a  pas  longtemps  encore  que  le  Times^  dont  Tinfluence 
et  l'aulorité  sont  si  grandes  de  Tautre  c6té  du  détroit,  développaîi 
la  même  ttièse  et  disait  : 

«  It  is  a  positive  injustice  to  llie  army  at  large,  as  well  as  an  in- 
jury  to  tlie  pul)lic  service,  whcn  preferment  is  accumulated  on  tbe 
lieadsof  a  privileged  few,  instead  of  being  distributed  by  the  test 
of  merit  thronghout  tlie  raniLS  of  the  profession.  Tlie  regiroenlal  of- 
licers  hâve  been  hardly  dealt  with  in  thèse  matters.  From  the  legi- 
timate  prizes  of  his  profession,  the  rc^lmental  ofûcer  is  practically 
excluded.  Thèse  bave  hitherto  bcen  reserved  for  a  sélect  class,  to 
which,  whatever  may  be  his  déserts,  he  Ûnds  no  admission.  » 

[Times,  A  février  1S60.} 


DE  LA  FEANGB  ET  DE  l'aNGLETEMIE.  467 

en  brèche  le  projet  des  examens  scientifiques,  et  tour- 
nant en  dérision,  en  plein  Parlement,  toute  idée  de 
justification  d'aptitude  pour  l'admission  des  officiers 
dans  l'armée  (1)! 

Que  dire  encore  de  ce  honteux  abus,  auquel,  malgré 
le  dégoût  et  le  découragement  qu'il  inspire,  l'aristo- 
cratie continue  à  donner  son  appui  et  sa  protection. 
Gomment  qualifier  cet  odieux  trafic  des  commissions» 
auquel  viennent  se  mêler  jusqu'à  des  industriels,  des 
tailleurs  (2),  et  qui  s'étale  effrontément  à  la  face  de 
l*armée?  —  Le  Purchâse,  ce  scrofule  de  l'armée  brt* 
tannique  {ihe  military  serofula  called  Purchasé),  mal- 
gré les  généreux  efforts  de  sir  de  Lacy  Evans  et  de 
sir  Harry  Jones,  n'est  pas  encore  aboli. 

Étrange  chose!  c'est  en  plein  xix'  siècle,  et  sous  le 
frivole  prétexte  de  faire  de  l'armée  une  carrière  plus 
élégante,  plus  distinguée  {gentlemanly  profession)  ;  en 
réalité,  afin  de  pouvoir  conserver  pour  les  hautes 
classes  le  monopole  des  grades  et  des  émoluments  qui 
s'y  rattachent  ;  c'est  au  xix'  siècle  que  l'armée  anglaise 
est  condamnée  à  subir  éternellement  une  réglementa- 
tion surannée,  une  l^islation  qui  date  de  1679  ! 

L'auteur  de  The  army  and  the  people  ne  voit  qu'un 

(ij  Telle  fut  la  satisfaction  d'un  certain  membre  (M.  Ed.  Ellîce)  à 
propos  de  ce  bel  exploit  du  premier  ministre,  que,  dans  la  plénitude 
de  sou  cœur,  il  ne  pouvait  contenir  sa  Joie  «  en  entendant  enfin 
une  parole  de  bon  sens  sortir  de  la  bouche  du  noble  lord  :  «  He  was 
>  delighted  to  hear  a  word  of  common  sensé  from  the  noble  lord  at 
»  Last.  » 

(2)  Consulter  la  procédure  contre  Armstrong  et  C%  Marshall, 
Bridson,  etc. 


A88  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITiURES 

système  à  suivre  pour  mettre  un  terme  aux  abus  qui 
affligent  l'armée  anglaise,  et  pour  empêcher  le  retour 
des  désastres  de  la  campagne  de  Crimée,  on  ne  sera 
pas  étonné  de  trouver  son  programme  tout  aussi  radi- 
cal que  celui  de  M.  Garlyle. 

c(  Si  le  peuple  anglais  en  a  la  ferme  volonté  nous  dit 
le  colonel  W^,  ces  calamités  ne  se  verront  plus;  ijour 
cela,  il  suflBt  qu'il  soit  bien  déterminé  à  ne  plus  tolérer 
que  la  richesse  et  la  noblesse  constituent  des  titres  de 
préférence  au  détriment  du  talent  sans  naissance,  du 
zèle  sans  appui,  de  la  capacité  sans  protection.  Le  jour 
est  arrivé  où  il  est  nécessaire  d'attaquer  cette  question 
face  à  face.  Plus  de  monopole.  Les  gros  traitements 
et  les  postes  importants  doivent  être  et  seront  la  récom- 
pence  du  talent  et  du  courage,  non  plus  le  privil^e  de 
la  naissance  et  d'un  sang  aristocratique.  L'Ëtat  peut  se 
passer  de  noblesse  ;  il  ne  peut  pas  se  passer  de  gens 
habiles.  La  reine  Elisabeth  avait  compris  cette  vérité; 
Olivier  Cromwell  en  fit  la  r^le  invariable  de  son  gou- 
vernement :  a  IsEngland  resolvedthal  this  shall  cease? 
»  Is  she  determined  that  station  and  great  possessions 
ï>  shall  from  hencefortb  enjoy  no  advantagesin  therace 
»  for  preferment  over  low-born  genius,  middle  class 
»  zeal,  and  unbefriended  fitness.  The  time  bas  corne, 
»  when  it  behoves  us  to  look  this  matter  fixedly  in  the 
»  face.  No  more  monopoly.  High  pay  and  high  office 
»  ought  to  be,  ay ,  and  shall  be,  the  guerdon  of  skill  and 
»  valour;  not  thebirthright  of  blue  blood,  and  the  pre- 
»  rogative  of good  interest.  The  state  may  dispense  Avith 
»  men  of  rank,  iteanno  ^vith  men  of  talent.  This  truth 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     &89 

i>  Elizabeth  acknowledged,  thîs  truth  migbty  Oliver 
»  acted  on.  » 

Qui  pourrait  contester  en  effet,  à  Tbeure  où  nous 
écrivons,  que  cette  classe  moyenne  traitée,  en  Angle- 
terre, avec  tant  de  dédain  et  d'injustice,  ne  réalise  des 
merveilles,  et  ne  montre  en  fait  d'art,  de  science  ou 
de  littérature,  tous  les  genres  de  supériorité  !  C'est  de 
ses  rangs  que  sortent  les  poètes,  les  théologiens,  les 
légistes,  les  peintres,  les  architectes,  les  ingénieurs, 
les  commerçants,  les  industriels,  tous  ceux  enfin,  dont 
le  génie  et  l'esprit  entreprenant,  ont  donné  àla  Grande- 
Bretagne  une  des  premières  places  parmi  les  nations. 
Cependant,  la  grande  majorité  des  fils  de  ces  hommes 
utiles  et  souvent  illustres,  le  sang  de  leur  sang,  la  chair 
de  leur  chair,  se  trouve  exclue  de  la  carrière  militaire 
par  une  loi  empruntée  à  l'une  des  plus  honteuses 
époques  de  l'histoire  d'Angleterre  (1). 

Voudrait-on  prétendre  que  les  classes  inférieures, 
quelle  que  soit  leur  aptitude  à  d'autres  égards,  en  sont 
encore  à  faire  leurs  preuves  sous  le  rapport  militaire  ? 
Le  colonel  W"**  répond  à  cette  objection  en  rappelant 
que,  dans  les  guerres  civiles,  les  officiers  des  troupes  du 
Parlement  étaient  presque  tous  des  fermiers,  de  petits 
propriétaires,  de  petits  marchands;  cependant,  tous  ces 
hommes  sortis  de  la  basse  classe  eurent  bien  vite  appris 
la  guerre  en  luttant  contre  les  cavaliers;  si  bien  que  les 
écoliers,  passés  maîtres,  finirent  par  triompher  des 
gentilshommes  leurs  professeurs. 

(1)  C'est  au  règne  de  Charles  H  que  remonte  \erég\meûnPurcha$e, 


&90  CONSTITUTION  ET   PUISSANCE  MILITAimES 

Aujourd'hui,  dans  la  garde  royale  anglaise,  où  les 
officiers  grands  seigneurs  ne  s  occupent  que  fort  peu  de 
leur  métier,  n'est-ce  pas  aux  sous*offîciers  que  revient 
la  tâche  de  faire  leur  besogne?  Le  sei*gent-major  (1) 
commande  plus  effectivement  son  bataillon  que  le  chef 
titulaire,  et  les  sergents  dirigent  les  compagnies  beau- 
coup plus  que  les  capitaines.  Sans  aucun  doute,  la  par- 
faite discipline  de  la  garde  est  due,  en  grande  partie,  à 
laction  intelligente  et  vigoureuse  des  sous-oflSciers 
children  of  the  masses. 

En  Grimée,  est-ce  aux  officiers  qui  ne  voyaient  leurs 
soldats  que  pour  les  conduire  au  feu  (bravement,  héroï- 
quement, nous  nous  empressons  de  le  dire)  mais  enfin, 
est-ce  aux  officiers  ou  aux  sous-officiers  qu'il  faut  attri- 
buer le  reste  de  discipline  qui  a  empêché  la  désorga- 
nisation complète  de  l'armée? 

Et  cependant.  Dieu  sait  quel  est  l'avenir  du  sous- 
officier  anglais  !  Lorsque  nous  étudierons  les  institutions 
militaires  de  la  Grande-Bretagne,  nous  reviendrons  sur 
toutes  ces  questions  de  Tavancement,  du  recrutement, 
des  pensions,  etc.,  et  nous  verrons  qu'il  n'est  proba- 
blement pas  d'armée  au  monde,  dont  le  régime  soit 
moins  libéral,  que  celui  adopté,  pour  ses  défenseurs  par 
la  libérale  Angleterre. 

Le  maintien  d'uq  pareil  régime  est-il  possible?  Une 
pareille  situation  est-elle  bien  sans  dangers  ?  Est-on  sûr 
que  cette  armée,  si  maltraitée,  ne  mettra  pas  un  jour 


(I)  Dans  Forganisalion  anglaise,   le  sergent-major  représente 
notre  adjudant  sous-ofAder. 


DB  LA  FftANGE  ET  DE  L'ANGLETERRE.  &91 

ses  griefs  en  commuii  avec  ceux  de  la  nation»  et  ne  se 
lèvera  pas  pour  demander  à  la  fois  le  redressement 
des  uns  et  des  autres? 

L'auteur  de  The  army  and  ihe  people^  se  charge  de 
répondre  à  ces  questions  : 

a  II  y  a  beaucoup  de  gens  qui,  de  nos  jours,  se 
»  complaisent  à  répéter  :  La  constitution,  de  longtemps, 
»  n'a  rien  à  appréhender  de  l'armée.  » 

Qu'en  savent^ils?  Notre  génération  est- elle  donc 
bien  plus  habile  que  celle  de  nos  grands-pères?  Ceux* 
ci,  s'appuyant  cependant  sur  l'incompatibilité  des  ar- 
mées permanentes  avec  les  institutions  libres,  furent 
toujours  opposés  à  Textension  de  Tarmée  anglaise. 
«  Oh!  dira-t-on,  ces  craintes  sont  aujourd'hui  sans 
objet;  — elles  sont  vieilles  de  deux  siècles.  »  Ne  so 
sontrellespasjustiBées,  répondrai-je,  sous  le  r^ne  de 
George  III?  Horace  Walpole  qui  avait,  indépendam- 
ment de  sa  perspicacité  connue,  tous  les  moyens  de 
connaître  le  véritable  état  des  esprits  et  des  choses, 
Horace  Walpole  était  d'avis  que,  si  la  guerre  d'Amé- 
rique avait  eu  une  heureuse  issue,  l'armée  triom- 
phante eût  fait  courir  de  grands  risques  aux  Ubertés 
anglaises  (l).» 

Nous  avons  cherché,  par  ces  extraits,  à  donner  un 


(i)  Horace  Walpole,  who  besides  bia  nalural  inquisitiveness,  had 
pcculiar  facillties  afforded  him  for  ferretting  out  what  was  going 
on  bebiod  the  political  curtain,  suspected  that,  bad  tbe  american 
war  terminated  triuinphantly  for  us,  English  liberlies  rnight  bave 
fared  badly  at  tbe  banda  of  (be  flusbed  army. 

{Thê  army  and  thepeople.) 


492  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

aperçu  de  la  condition  morale  et  sociale  de  l'armée  an- 
glaise. Nous  avons  essayé  de  donner  à  nos  lecteurs  une 
idée  aussi  exacte  quepossibledu  mouvement  des  esprits 
dans  ses  rangs. 

Après  avoir  résumé  les  difficultés  présentes  ou  pro- 
chaines de  la  situation  intérieure  chez  nos  voisins,  il 
n'était  pas  sans  intérêt,  au  cas  où  Taugmentation  de 
l'armée  signalée  au  début  de  ce  chapitre  ne  serait  pas 
étrangère  à  ces  difficultés,  il  n'était  pas  sans  intérêt, 
disons-nous,  de  chercher  dans  quelle  mesure  le  gouver- 
nement pouvait  compter  sur  elle. 

Il  ne  faut  pas  l'oublier,  tandis  qu'en  France  on  cher- 
cherait en  vain  un  seul  cas  de  sédition  militaire,  flotte 
et  armée,  grâce  à  leur  composition  et  à  leur  recrute- 
ment, chez  nos  voisins,  ont  donné  de  fréquents 
exemples  de  mutinerie.  Tout  le  monde  se  rappelle  la 
révolte  des  matelots  de  Portsmouth  qui,  pendant  les 
guerres  de  la  République,  mit  l'Angleterre  à  deux 
doigts  de  sa  perte.  Tout  récemment  encore,  il  a  fallu 
désarmer  et  licencier  dansTInde  des  milliers  de  soldats, 
dont  on  avait  certes  grand  besoin.  Il  y  a  là  de  graves 
enseignements  pour  quiconque  veut  se  rendre  un 
compte  sérieux  de  la  constitution  mîlitaii^  de  nos 
voisins. 

Jadis,  on  avait  peu  à  s'inquiéter  de  l'armée;  le  soldat 
anglais  était  considéré  comme  une  brute,  compie  un 
ivrogne,  que  l'on  traitait  en  conséquence  ;  et  moins  on 
en  parlait,  mieux  cela  valait.  Aujourd'hui,  bien  des 
changements  se  sont  produits,  sinon  dans  sa  moralité, 
au  moins  dans  l'opinion  qu'il  a  de  ses  droits  : 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     /j93 

«lu  Que,  theenglish  soldier  is  no  longer  an  auto- 
»  maton,  a  numskull  fit  only  todash  bis  poor  head 
»  against  revetments  at  inconsiderate  word  of  corn- 
a  mand.  The  rifle,  the  fight  en  voltigeur,  the  régi- 
»  mental  Scbool  bave  already  changed,  and  are  still 
»  furtber  chauging  him.  Beware  how  you  treat  bim 
»  now.  Beware  how  you  flog,  and  brand  him  now, 
y>  for  the  soldier  bas  grown  a  tbinking  man.  Take 
»  account  of  that,  and  begin  to  set  your  bouse  in 
»  order.  »  Aujourd'hui,  c'est  le  colonel  W***  qui  nous 
le  déclare,  le  soldat  anglais  n'est  plus  un  automate,  un 
lourdaud,  tout  simplement  mis  au  monde  pour  se  faire 
casser  la  tète  au  premier  commandement.  La  carabine, 
le  combat  en  tirailleur,  Técole  régimenlaire,  Font  déjà 
bien  changé  et  le  changeront  bien  autrement  encore. 
Prenez  garde  à  la  façon  dont  vous  le  traiterez  mainte^ 
nant  ;  prenez  garde  de  le  trop  fouetter,  et  pensez-y  i\ 
deux  fois  avant  de  le  marquer  (1)  ;  — car  le  solijat  est 
devenu  lui-même  un  homme  qui  pense  (2) .  Tenez  compte 
de  tout  cela,  et  commencez  à  mettre  votre  maison  en 
ordre.  » 

Nous  laissons  à  nos  lecteurs  le  soin  de  prononcer  sur 
les  garanties  de  sécurité  et  d'obéissance  que  promet  un 
portrait  aussi  peu  rassurant. 

(1)  En  Angleterre,  on  marque  sur  le  bras,  de  la  leUre  D,  avec  un 
fer  rouge,  les  hommes  qui  désertent.  Pendant  longtemps,  les  méde- 
cins militaires  anglais  ont  eu  à  remplir  ce  joli  oflBce. 

(2)  Tout  comme  ou  disait  autrefois  en  France  :  «Une  baîonnelte 
intelligente.  » 


CHAPITRK  XXI. 

Embarras  et  difficultés  de  la  situation  intérieure  en  Angleterre 
(suite):  De  rirfandc;  —  Hrlande  esl-die  satisfaite  r  —  L'Ir- 
lande est-elle  SGomiae  ?  —  Rôle  probable  de  celle  provlaee  di 
Ro>aume-Uni  au  cas  où  TAngleterre  serait  engagée  daas  une 
guerre  extérieure.— Les  ressentiments  des  Irlandais  contre  TÀn* 
gleterre  sont  toujours  aussi  ardents  qu*au  jour  de  la  conquête, 
et  ils  les  portent  dans  tous  les  pays  oti  ils  émfgrent.  ^  f^  famine 
en  Irlande.  --  Exposé  sommaire  des  griefe  de  Tlrlande-  ^  Opi* 
nion  du  générai  Burgoynesar  les  dangers  queTIriande  entraîne 
pour  l* Angleterre.  '^  L'occupation  de  Tlrlande  est  la  tâche  la 
plus  lourde  de  Tarmée  anglaise  à  Fintérieur.  '^  Tronbles  de 
Belfast*  —  Attitude  de  rirlande  pendant  rinsarrectlon  de  ria^. 

—  La  conspiration  du  Phénix»  •*>  i..e8  Irlandais  des  Élâla^Unis. 
'-  L^Irlande  n*a  pas  de  volontaires.  —  Résumé. 

Contidératùmê  générales  sur  la  ConsUtulion  du  domaine  eokmiai 
de  V Angleterre  :  U  domination  extériesre  de  la  Grande-Bretagne 
peut-elle  être  maintenue  au  degré  d'extension  qu'elle  a  atteint? 

—  La  conservation  de  son  intégrité  est-elle  d'une  sage  politi- 
que? "^  Les  dépenses  quVelfe  nécessite,  les  dangers  qu'elle  folt 
naitre,  sont-ils  conclliaUes  avee  la  sécurité  de  TAngleterre  ;  sont-^ 
ils  compatibles  avec  les  exigences  de  sa  situation  comme  puissance 
européenne? 

Nous  avons  analysé  dans  le  chapitre  précédent  les 
difficultés  intérieiîres  de  TAngleterre.  Nous  avons 
signalé  les  dangers  qui  peuvent  en  résulter,  tôt  ou  tard, 
pour  la  paix  publique,  par  suite  du  récent  armement 
de  la  population;  mfin  nous  avons  laissé  entrevoir  les 
périls  inhérents  à  la  constitution  imparfaite  et  suran- 
née de  Tarmce  britannique. 

Au  nombre  des  embarras  avec  lesquels  nos  voisins 


Dl  LA   FRAHCE  KT  DE  LAlfGLBTERRE.  &95 

sont  obligés  de  compter  au  sein  même  de  la  métropole, 
il  en  est  un  dont  la  gravité  sollicite  une  attention  toute 
particulière. 

Nous  voulons  parier  de  Tlriande. 

M.  de  Montalembert  lui-même  reconnaît  <«  qu'il  faut 
bien  consacrer  quelques  lignes  à  Tlriande  en  passant» , 
quand  on  s'occupe  de  Tavenir  politique  de  TAngleterre. 
Si  quelque  chose  doit  étonner,  c'est  plutôt  la  sobriété 
de  l'illustre  écrivain  à  l'endroit  de  ce  malheureux  pays. 
11  est  vrai  que  la  triste  condition  de  llriande  n'était 
pas  un  sujet  facile  à  aborder ,  surtout  dans  une  œuvre 
consacrée  à  la  glorification  de  l'Angleterre  «  et  de  tout 
ce  qu'elle  représente  dans  le  monde  » . 

Pour  notre  compte,  moins  gênés  par  notre  cadre, 
nous  serons  moins  brefs,  tout  en  cherchant  à  définir, 
aussi  succinctement  que  possible,  la  place  qui  doit  être 
faite  à  l'Irlande  dans  les  préoccupations  militaires  de 
TAngleterre. 

L'Irlande  est-elle  satisfaite  du  régime  qui  lui  est  im« 
posé?  —  L'Iriande  est-elle  soumise  et  dévouée?  — 
h'IrUmde,  enfin ,  au  cas  où  f  Angleterre  viendrait  à 
s*engager  dans  une  guerre j  présenterai^Ue  lee  mimes 
garanties  de  sécurité  et  de  tranquillité  intérieures  que 
les  autres  parties  du  Roya»ime-'Vni  ? 

Telles  sont  les  questions  que  nous  nous  proposons 
d'examiner  successivement. 

S'il  fallait  s'en  rapporter  uniquement  aux  discours 
et  aux  assurances  d'un  certain  parti,  les  Irlandais 
n'auraient  aucun  droit  de  se  plaindre  de  leur  sort  :  il 
aurait  été  fait  pour  eux^  pour  leur  prospérité,  tout  ee 


&96  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

qui  élait  possible.  Ceux  qui  murmureot  encore  ne  for* 
nieraient  qu'une  ingrate  minorité. 

Cependant  si  nous  cherchons  à  nous  rendre  un 
compte  exact,  sinon  de  la  prospérité,  au  moins  de  la 
prétendue  satisfaction  de  Tlrlande,  de  nombreux 
symptômes  viennent  infirmer  les  assurances  de  la 
presse  anglaise.  Au  lieu  de  ce  calme,  de  cette  soumis- 
sion qui  caractérisent  un  peuple  heureux  de  son  sort, 
nous  voyons  se  produire  tous  les  indices  d'un  mécon- 
tentement profond  et  beaucoup  plus  général  que  les 
journaux  et  les  écrivains  d'outre-Manche  ne  semblent 
disposés  à  l'admettre. 

Il  faut  bien  le  reconnaître,  c'est  en  vain  que  Ton 
voudrait  fermer  l'oreille  à  ces  plaintes  aaières»  à  ces 
cris  de  haine,  à  ces  explosions  de  ressentiment  et  de 
vengeance  que  fait  entendre  le  peuple  irlandais.  Cette 
espèce  de  guerre  sociale,  sourde  et  persistante,  ces 
manifestations  de  sentiments  hostiles  qui  profitent 
de  toutes  les  occasions  pour  se  faire  jour,  trahissent 
évidemment  une  situation  anormale,  périlleuse,  et  dont 
nous  devons,  sommairement  au  moins,  indiquer  les 
causes  et  les  conséquences. 

Dans  cette  étude,  suivant  la  règle  invariable  que 
nous  nous  sommes  imposée  toutes  les  fois  qu'il  s'est  agi 
de  questions  exigeant  de  notre  part  un  surcroît  de  pru- 
dence et  d'impartialité ,  c'est  à  des  documents,  c'est 
à  des  témoignages  exclusivement  anglais  que  nous 
aurons  recoui's  pour  nous  guider. 

A  tort  ou  à  raison,  les  Irlandais  sont  imbus  de  cette 
idée  que>  depuis  le  règne  d'Elisabeth,  la  politique  an- 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     /i97 

glaise  poursuit,  par  des  voies  détournées,  un  but  eu 
désaccord  avec  ses  constantes  professions  de  libéra- 
lisme :  la  destruction  lente,  mais  progressive  de  l'élé- 
ment irlandais  et  catholique  eu  Irlande. 

Jusqu'en  1782,  on  ne  saurait  le  contester,  l'histoire 
de  la  pauvre  Erin  sous  la  domination  anglaise  n'est 
qu'une  longue  série  de  violences,  de  massacres,  de 
confiscations,  de  spoliations  de  toutes  sortes.  A  cet 
égard  les  historiens  protestants  eux-mêmes  ont  pro- 
noncé la  condamnation  de  l'Angleterre  :  «  Par  leurs 
horribles  excès  les  Anglais  achetèrent  la  malédiction 
de  Dieu  et  des  hommes  dans  la  malheureuse  Ir- 
lande  (1).» 

Sous  la  reine  Elisabeth,  suivant  les  termes  d'un  rap- 
port du  temps,  «  il  ne  restait  guère  à  Sa  Majesté  à 
régner  en  Irlande  que  sur  des  squelettes  et  des  cendres.  » 

Dès  cette  époque,  la  famine,  cette  calamité  qui 
semble  spéciale  à  l'Irlande,  la  famine  exerçait  ses  ra- 
vages, et  en  moins  d'un  an  et  demi  réduisait  les  popu- 
lations au  dernier  état  de  misère.  L'Irlande  présentait 
l'affreux  spectacle  d'un  peuple  périssant  de  faim  sur 
un  sol  qui  avait  produit  les  plus  belles  moissons  :  «  On 
voyait  les  habitants  sortir  des  bois,  s'aidant  de  leurs 
mains  pour  marcher,  et  dévorant  des  restes  d'ani- 
maux {dead  carrions),  heureux  s'ils  pouvaient  en  trou- 
ver   et  soudainement  une  contrée  populeuse  et 

fertile  resta  vide  d'hommes  et  de  bêtes.  »  Swenser's 
siaie  of  Ireland,  p.  65. 

i)  Leland,  liv.  U,  chap.  m. 

32 


&98  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITÂIEKS 

Sous  le  règne  d'Elisabeth  oq  ne  compte  pas  moins 
de  soixante  révoltes  irlandaises. 

Plus  tard,  écrasée  sous  Cromwell  pour  sa  fidélité  à 
la  cause  royale,  ravagée,  inondée  de  sang,  llrlaiide  se 
vit  encore  une  fois  traitée  comme  rebelle  par  Guil- 
laume ni.  Les  dix  onzièmes  de  son  sol  se  trouvèrent 
confisqués  au  profit  des  protestants.  Longtemps  elle 
gémit  sous  ces  trop  fameuses  «lois  pénales»,  monu- 
ment de  barbarie  et  de  honte  pour  le  gouvernement 
qui  les  édicta.  Sous  cette  législation  cruelle,  le  catho- 
lique était  l'esclave  du  protestant,  et  ce  code  odieux  a 
r^i  rirlande  jusqu'en  1782. 

Pendant  cette  sinistre  période,  l'objet  favori  de  tous 
les  gouverneurs  et  du  parlement,  dit  Lelaud  (liv.  V, 
chap.  à),  «  était  de  déraciner  du  sol  tous  les  catholiques 
et  les  purs  Irlandais  (to  root  out  the  mère  Irish).  » 

La  formule  du  serment  des  orangistes  portait  :  «  Je 
jure  d'être  fidèle  au  roi  et  au  gouvernement  et  d'exter- 
miner, autant  qu'il  sera  en  mon  pouvoir,  les  catho- 
liques de  rirlande.  x> 

Nous  n'insisterons  pas  plus  longuement  sur  la  situa- 
tion de  ce  peuple  martyr  (comme  l'a  nommé  si  juste- 
ment O'Connell)  pour  toute  la  partie  de  son  histoire 
antérieure  à  1782.  Tyrannie  politique  et  commerciale, 
oppression  systématique  et  barbare,  persécution  reli- 
gieuse incessante,  tel  est  en  résumé  le  régime  que  TAn- 
gleterre  a  imposé  aux  Irlandais  pendant  des  siècles,  et 
dont  le  souvenir  reste  toujours  vivant  dans  leurscœurs. 

Sans  doute,  cette  histoire  est  ancienne;  mais  l'Ir- 
lande qui  a  souffert,  l'Irlande  qui  soufi're  encore. 


D£   LA  FRANCE   ET   DE   L'ANGLETfiaEE.  409 

comnie  nous  le  verrons  plus  loin,  llrlande  n'a  rien 
oublié.  Suivant  l'expression  d'un  écrivain  militaire  an- 
glais, ses  ressentiments  sont  toujours  aussi  vifs  qu'au 
lendemain  de  la  funeste  bataille,  tombeau  de  son  in- 
dépendance :  «  It  is  nearly  two  centuries  since  the 
»  battle  of  the  Boyne,  and  the  mère  mention  of  it 
9  excites  in  the  Irish  breast  ail  the  old  feud.  » 

Partout  où  l'émigration  les  conduit,  les  Irlandais, 
suivant  l'expression  de  sir  James  Alexander,  transpor- 
tent avec  eux  leurs  vieilles  inimitiés  :  «The  Irish,  most 
»  quarrelsome  of  races,  carry  their  religions,  as  well 
»  as  political  animosities  across  the  Atlantic,  and  the 
9  cities  of  the  West  are,  at  times,  made  a  field  of  battle 
»  in  the  interest  of  Popery  or  of  Orangism  (l).  » 

Lorsque  du  passé  on  en  vient  à  l'examen  de  la  si- 
tuation contemporaine,  on  est  tenté  de  se  demander  si 
la  politique  de  l'Angleterre  à  Tégard  de  l'Irlande  n'est 
pas  toujours  la  même.  La  forme  a  pu  changer,  mais, 
à  entendre  les  nombreux  griefs  articulés  parles  Irlan- 
dais, le  fond  est  toujours  le  même. 

De  nos  jours,  comme  du  temps  d'Elisabeth,  on 
meurt  encore  de  faim  en  Irlande-  Depuis  1800,  date 
de  son  union  définitive  avec  l'Angleterre,  la  famine 


(1)  Poêâagei  in  ih$  life  of  a  Boldier,  par  sir  James  klexMûêr. 
La  remarque  de  Thonorable  écrivain  s'applique  ici  aux  colons  irlan* 
dais  du  Canada.  Nous  aurons  occasion  de  revenir  ailleurs  sur  les 
sentiments  de  cette  partie  de  la  population  de  notre  ancienne  colo- 
nie. Les  aspirations  et  les  tendances  des  habitants  d'origine  fran- 
çaise, si  laous  en  croyons  le  colonel  Alexander,  ne  mérileut  pas 
moins  de  fixer  ratteûtion. 


500  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

continue  à  être  l'état  permanent  de  Tlrlande.  Anté- 
rieurement à  la  cruelle  disette  de  1 8/i6-l851 ,  elle  a 
subi  les  famines  de  1817,  1823, 1832, 1837. 

Sous  rinfluence  de  ces  misères  continues,  la  popula- 
tion, par  le  fait  de  Témigration  et  du  typhus,  est  des- 
cendue de  8  millions  à  5  millions  et  demi. 

Cependant,  la  plupart  des  économistes  s'accordent  à 
reconnaître  que  Tlrlande  pourrait  nourrir  25  millions 
d'habitants  ! 

D'après  le  Parliamentary  Gazetleer  of  Ireland,  ou- 
vrage considéré  comme  une  autorité  officielle  :  «  L'Ir- 
lande ne  produit  actuellement  que  la  moitié,  quelques- 
uns  disent  même  le  cinquième  de  ce  que  le  sol  esl 
.capable  de  donner.  » 

Cependant  il  est  constaté  que,  pendant  les  années 
18/i6, 18&7,  18^8,  où  manqua,  en  Irlande,  la  seule 
nourriture  du  pauvre,  —  les  pommes  de  terre,  — 
l'Irlande  a  exporté  annuellement,  en  AngleteiTe, 
pour  une  valeur  de  15  millions  de  livres  (275  millions 
de  francs)  de  produits  de  son  sol.  Il  est  constaté  que, 
pendant  ces  mêmes  années,  elle  aurait  pu  nourrir  le 
double  de  sa  population  !  !  ! 

Certes,  l'étude  approfondie  des  causes  d'une  pareille 
anomalie  serait  aussi  curieuse  qu^intéressante  ;  malheu- 
reusement elle  nous  entraînerait  trop  loin,  et  nous  de- 
vons nous  restreindre  à  l'exposé  strictement  nécessaii^ 
pour  expliquer  les  dispositions  de  l'Irlande  à  l'égard  de 
1  Angleterre. 

Si  la  famine,  «  ce  monstre  des  âges  de  barbarie  », 
peut  encore,  en  plein  xix*  siècle,  désoler  une  province 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     501 

appartenant  à  l'un  des  premiers  empires  du  monde, 
ou,  tout  au  moins,  à  celui  dont  les  prétentions  sont  les 
plus  hautes,  quant  à  sa  civilisation,  quant  à  la  perfec-» 
tion  de  ses  institutions ,  cela  tient  par-dessus  tout  à  la 
législation  féodale  et  cruelle  qui  r^le  en  Irlande  les 
rapports  du  paysan  et  du  propriétaire.  Là,  en  effet,- de 
par  la  loi,  le  paysan  est  encore  une  sorte  de  propriété 
du  seigneur.  L  expression  de  tenant  at  will,  tenancier 
à  merci,  à  la  volonté,  à  la  discrétion  du  propriétaire, 
explique  assez  comment  celui-ci  peut  chasser  ses  fer- 
miers locataires  sans  avoir  de  compte  à  rendre  à  per- 
sonne, sans  indemnité  pour  le  malheureux  qui  aura 
mis  dans  sa  ferme  non-seulement  son  travail,  mais 
tout  son  avoir,  tout  l'avenir  de  sa  famille.  Quelle  que 
soit  la  régularité  avec  laquelle  il  aura  payé  ses  fer- 
mages, quels  que  soient  Tindustrie  et  le  soin  qu'il  aura 
déployés  dans  son  exploitation,  rien  ne  protège  le  cul- 
tivateur contre  Y  éviction.  Une  simple  signification  de 
congé  {notice  to  quil)  suffit  pour  le  dépouiller,  pour  le 
réduire,  ainsi  que  sa  famille,  à  demander  asile  au 
work  house  (maison  des  pauvres),  —  ou  à  émigrer  s'il 
en  trouve  les  moyens. 

Quant  au  fermier  assez  heureux  pour  échapper 
au  process-server  et  au  driver^  sa  position  n'est  guère 
meilleure.  Pressuré  par  les  usuriers,  par  les  intermé- 
diaires {fniddlemen)y  à  qui  les  récoltes  sont  vendues  à 
l'avance,  c'est  miracle  s'il  ne  meurt  pas  de  faim  sur  la 
terre  qu'il  a*  fécondée.  La  raison  en  est  bien  simple  : 
rirlande  n'a  ni  argent,  ni  industrie;  elle  est  donc 
obligée  de  payer  en  nature  sa  rente  à  l'Angleterre. 


502       coffSTiTunoN  et  puissance  militaires 

L'Irlande  n'a  pas  d'argent,  parce  que  les  neuf 
dixièmes  des  propriétaires  du  sol  irlandais  (confisqué 
presque  en  totalité  à  l'époque  de  la  conquête)  sont 
absents  {absentées),  et  résident  en  Angleterre.  C'est 
à  peine  si  un  quart  des  revenus  est  dépensé  en  Ir- 
lande. 

Elle  n'a  pas  d'industrie,  parce  que,  de  1699  à  1782, 
toutes  les  lois  ont  été  faites  pour  empêcher  rétablisse- 
ment de  manufactures  pouvant  faire  concurrence  aux 
produits  similaires  de  TAngleterre.  Pendant  cet  inter- 
valle de  près  d'un  siècle,  l'Irlande  a  été  tellement 
distancée  par  sa  jalouse  maîtresse,  qu'il  lui  serait  im- 
possible de  lutter  aujourd'hui  contre  l'industrie  bri- 
tannique, 

L'Angleterre  est  àonc  forcémeni  le  marché  de 
rirlande.  L'Angleterre  ne  donne  rien  et  reçoit  tout  ; 
l'Irlande  donne  tout  et  ne  reçoit  rien. 

Telles  sont  les  désastreuses  conséquences  de  Vabsen- 
téisme,  du  monopole  industriel,  et  de  la  loi  d'expulsion 
discrétionnaire  que  subit  l'Irlande;  aussi  a-t-on  pu 
dire  que,  dans  ce  malheureux  pays,  «  la  loi  vient  en 
aide  à  la  famine,  comme  la  famine  vient  en  aide  à  la 
loi.  » 

Aux  sujets  de  plainte  que  nous  venons  d'éniimérer, 
il  faudrait  en  ajouter  bien  d'autres  qui  contribuent  à 
surexciter  encore  l'irritation  toujours  croissante  des 
Irlandais  :  «  L'entretien  forcé  d'une  riche  église  oflB- 
cielle  àla  charge  d'un  pays  où  les  neuf  dixièmes  de  la 
population  repoussent  les  doctrines  de  celte  même 
église  ;  un  système  d'éducation  établi  par  l'État,  ten- 


oc  LA  FRAlfCE  ET  DB  l'aKGLETEERB.  SOS 

dant  à  détruire  peu  à  peu  chez  le  peuple  irlandais  la 
foi  catholique  et  à  effacer  tout  sentiment  de  la  natio- 
nalité irlandaise;  une  administration  défectueuse  de 
l'assistance  publique»  ayant  pour  effet  d'accroître  les 
misères  morales  du  pauvre,  sans  pourvoir  suffisam- 
ment à  son  dénûment  physique  ;  enfin  la  justice,  en 
bien  des  cas,  partialement  rendue.  » 

Toutes  ces  causes  de  malaise  et  de  ressentiment  ne 
sont  un  secret  pour  personne  en  Europe;  elles  ex- 
pliquent l'inflexible  persistance  avec  laquelle  les  Irlan- 
dais réclament  le  rappel  de  l'Union,  c'est-à-dire  l'abro- 
gation de  l'acte  qui  a  détruit  leur  indépendance.  Sans 
être  plus  partisan  que  de  raison  du  droit  des  nationa- 
lités, et,  tout  en  concédant  ses  hmites,  sans  vouloir 
prétendre  que  l'Irlande,  dans  les  conditions  géogra- 
phiques où  elle  est  placée,  puisse  se  séparer  de  l'Angle- 
terre et  vivre  d'une  vie  qui  lui  soit  propre,  on  peut  se 
demander  pourquoi  les  Irlandais  n'auraient  pas  les 
mômes  titres  à  l'intérêt  du  monde  civilisé,  que  les  Po- 
lonais, les  Lombards,  les  Romains,  les  Siciliens  ou  les 
Napolitains,  auxquels  ni  l'appui,  ni  les  sympathies  de 
TÂngleterre  ne  font  défaut. 

Si  l'Angleterre  blâme  TAutriche  de  ne  pas  rendre 
aux  Hongrois  leurs  institutions  nationales,  TAutriche 
n'est-elle  pas  en  droit  de  demander  pourquoi  l'Angle- 
terre ne  restitue  pas  aux  Irlandais  leur  indépendance 
et  leur  parlement? 

£n  effet,  l'Irlande  a  des  droits  tout  aussi  fondés  que 
ceux  de  la  Hongrie  à  revendiquer  ses  anciennes  insti- 
tutions. En  1782,  l'Angleterre  reconnut  solennellement 


50&  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

que  le  parlement  irlandais  avait  seul  qualité  pour  im- 
poser des  lois  à  Tlrlande.  En  1800,  cet  acte  fut  dé- 
chiré sans  que  Tlrlande  eût  jamais  autorisé  qui  que  ce 
fût  à  livrer  ou  à  vendre  son  indépendance.  L'union 
législative  ne  fut  pas  seulement  une  illégalité  flagrante, 
elle  fut  la  ruine  définitive  de  l'Irlande  à  qui  il  avait 
suffi  de  quelques  années  de  liberté  locale,  de  quelques 
heures  d'autonomie,  pour  réaliser  des  progrfe  im- 
menses (1). 

Pitt  n'était-il  pas  obligé  de  reconnattre  lui-même 
cette  renaissance  de  Tlrlande,  lorsqu'on  proposant 
l'Union  des  deux  pays  il  disait  :  «  Si  l'Irlande  est  deve- 
nue si  prospère  sous  son  parlement,  nous  pouvons  cal- 
culer que  cette  prospérité  sera  triplée  sous  une  l^s- 
lature  britannique.  » 

Chacun  peut  apprécier  de  quelle  façon  les  prévisions 
de  Pitt  se  sont  réalisées. 

«L't/mon,  c'est  l'Irlande  gouvernée  par  des  étran- 
gers à  son  préjudice  et  à  leur  unique  profit;  c'est  Tir- 
lande  forcée  d'exporter  ce  qu'elle  devrait  consommer, 
et  d'importer  ce  qu'elle  devrait  fabriquer;  c'est-à-dire 
condamnée  aux  famines  périodiques  et  à  la  misère 
perpétuelle. 

»  Le  rappel  de  VUnion,  c'est  un  gouvernement  irlan- 
dais en  Irlande  ;  c'est  à  Dublin,  non-seulement  une 

(1)  Dans  un  discours' prononcé  en  1798,  le  comle  de  Clare,  Tord- 
chancelier  d'Irlande  depuis  1789,  portait  ce  témoignage  :  «  11  n'y  a 
pas  sur  la  surface  du  globe  de  nation  qui,  pendant  la  même  pé- 
riode, ait  fait  en  agriculture  et  enJndustrie  des  progrès  aussi 
rapides  que  l'Irlande.  » 


DE  LA   FRANGB   ET   DE   LÀNGLETERRE.  505 

cour,  mais  une  chambre  des  lords  et  une  chambre 
des  communes,  c'est-à-dire  la  résidence  des  proprié- 
taires du  sol,  par  conséquent  une  société  riche  qui 
ramènerait  le  luxe  et  la  prospérité;  c'est  l'Irlande  dé- 
veloppant toutes  ses  ressources,  se  créant  des  industries 
nationales,  s'ouvrant  un  vaste  commerce  et  nourris- 
sant ses  enfants  ;  c'est,  en  un  mot,  une  nation  qui 
retrouve  avec  la  liberté  les  conditions  nécessaires  et 
naturelles  de  son  existence  (1).  » 

Quelque  légitimes  que  soient  ces  prétentions,  la 
raison  d'État  sera  toujours  invoquée  en  Angleterre 
comme  un  obstacle  invincible  aux  satisfactions  que 
réclame  l'Irlande.  À  cet  égard.  Irlandais  ou  Anglais  ne 
se  font  pas  d'illusions;  aussi,  d'un  côté  comme  de 
l'autre,  on  se  tient  prêt  pour  les  éventualités  que  peut 
ménager  l'avenir. 

Nul  n'a  mieux  défini  que  le  général  Burgoyne  cette 
situation  si  périlleuse  pour  l'Angleterre;  voici,  du 
reste,  textuellement  ce  que  dit  l'honorable  général 
dans  son  étude  intitulée  :  The  possible  tesults  of  a 
war  with  France  (Résultats  probables  d'une  guerre 
avec  la  France)  : 

c<  A  maxim  bas  been  thorougbly  inculcated  into  the 
»  minds  of  thegreat  bulk  of  the  people  there,  that  «  Ire- 
»  land's  hope»  as  it  iscalled,  and  lime  for  energelic 
»  proceedings  is  ta  be  found  in  England's  difficuUies  ; 
»  and  such  an  extrême  subversion  of  ail  existing  order 
»  of  governement  is  sought  for  as  could  never  be  con- 

(1)  La  question  irlandaise,  Paris,  1SG0. 


506         CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIBBS 

»  ceded  by  statesmen  of  even  the  most  libéral  political 
»  principles;  the  arrière-pensée  of  the  îrish  peoplecaD 
»  never  be  met,  and  it  will  require  very  many  years 
»  before  it  can  be  so  far  moderated  by  the  most  concî- 
»  liatory  measures  as  to  obtain  a  thorough  amalgama- 
is tion  of  feelings  of  identical  interests  with  those  of 
»  Great-Britain.  » 

Toutes  les  espérances  de  l'Irlande,  suivant  le  général 
Burgoyne,  résident  donc  dans  les  embarras  qui  pour- 
ront assaillir  TÂngleterre.  C'est  en  vue  de  ces  difficul- 
tés que  les  Irlandais  réservent  et  préparent  leurs  efforts 
les  plus  énergiques.  D'un  autre  côté,  la  réalisation  du 
programme  gravé  dans  le  cœur  de  tout  Irlandais  en- 
traînerait un  tel  bouleversement  de  l'ordre  de  choses 
actuel,  qu'il  n'est  pas  un  homme  d'Ëtat  anglais,  même 
parmi  les  plus  libéraux,  disposé  à  lui  prêter  son  con- 
cours. 

En  admettant  que  les  mesures  de  conciliation  recom- 
mandées par  le  général  Bui^ope  soient  adoptées,  et 
il  y  a  lieu  d'en  douter,  bien  des  années  doivent  s'écouler 
avant  que  l'union  des  deux  races  et  la  fusion  de  leurs 
intérêts  soient  accomplies.  Aussi  l'honorable  général 
ne  se  le  dissimule  pas  :  l'occupation  de  l'Irlande  est  pour 
longtemps  encore,  pour  plus  d'un  siècle  peut-  être,  la 
tâche  la  plus  lourde  qui  incombe  à  l'armée  de  la  mé- 
tropole (1). 

(1)  With  regard  to  the  number  of  troops  for  Ireland,  no  course  of 
events  or  of  circurostances  can  preclude  for  the  next  fifty  or  bundred 
years,  the  necessity  for  the  présence  of  a  large  force  in  that  countnr 
at  such  a  period.  (The  possible  resuUsofawar  with  France.) 


DE  LA  FRANCE   ET  DE  L'ANGLETERRE.  507 

Nous  avons  pénétré  assez  avant  dans  Texamen  des 
griefs  du  peuple  irlandais,  pour  pouvoir  répondre  avec 
connaissance  de  cause  aux  deux  premières  questions 
que  nous  avons  posées  au  début  de  ce  chapitre.  L'Ir- 
lande n'est  pas  satisfaite  de  son  sort;  —  l'Irlande  n'est 
ni  résignée,  ni  soumise,  ni  dévouée. 

Si  de  l'étude  des  causes  de  cette  désaffection  on  passe 
à  celle  de  ses  effets,  on  est  effrayé  parfois  des  révéla- 
tions que  les  journaux  anglais  eux-mêmes  ne  peuvent 
se  dispenser  de  faire. 

A  propos  des  troubles  de  Belfast,  qui  vinrent  pro- 
tester si  malencontreusement,  en  1857,  contre  cet 
apaisement  prétendu  des  luttes  politiques  et  religieuses 
dont  la  presse  anglaise  se  complaisait  à  proclamer 
l'extinction,  le  Times  s'exprimait  ainsi  :  «  Les  troubles 
prennent  chaque  jour  un  caractère  plus  sérieux,  et  il 
est  évident  qu'il  faudra  une  grande  énergie  pour  re- 
primer cette  tendance  au  désordre  social  que  Ton  a 
laissé  se  développer. 

«  Dans  certains  quartiers  de  Belfast,  c'est  une  véri- 
table terreur;  des  centaines  d'individus  ne  se  couchent 
pas  avant  trois  ou  quatre  heures  du  matin,  craignant 
d'être  attaqués  dans  leurs  maisons.  Hier,  entre  onze 
heures  et  minuit,  au  moment  où  la  police  s'était  rétirée 
pour  prendre  un  peu  de  repos,  on  a  appris  qu'une 
bataille  terrible  était  engagée  entre  les  catholiques  et 
les  protestants  à  Sandy-Row.  » 

Un  journal  irlandais,  le  Freeman*s  Journal,  à  l'occa- 
sion de  ces  mômes  désordres,  donne  les  détails  sui- 


508  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

vants,  qui  caraclérisent  trop  fldèlement  l'attitude  res- 
pective des  catholiques  et  des  oraogistes  :  «  Quoique 
l'état  de  siège  (la  loi  martiale)  n'ait  pas  été  proclainé, 
on  ne  voit  dans  toutes  les  rues  de  Belfast  que  des  dé- 
tachements de  constables.  Les  catholiques  romains 
sont  bien  décidés,  s'ils  sont  attaqués,  à  montrer  ce 
qu'ils  peuvent  faire.  Le  club  des  fusils  (catholique) 
tient  séance  ;  les  loges  orangistes  s'assemblent  de  leur 
côté.  Des  forces  imposantes  de  police  sont  interposées 
entre  les  deux  quartiers  ennemis.  Malgré  toutes  ces 
précautions,  la  nuit  il  se  commet  des  violences  sans 
nombre,  et  l'on  entend  sans  cesse  des  détonations 
d'armes  à  feu.  » 

Pendant  rinsurrection  indienne,  de  vives  sympathies 
se  manifestèrent  hautement  en  Irlande  en  faveur  des 
Hindous.  Le  Morning  Post  nous  l'apprend  en  ces 
termes  :  «Il  paraît  que  des  placards  incendiaires,  dans 
lesquels  étaient  exprimés  des  vœux  en  faveur  des  Ci- 
payes,  ont  été  affichés  sur  les  murs  dans  toute  V étendue 
des  comtés  de  Kilkenny  et  de  Waterford.  » 

La  magistrature  locale  proposa  une  récompense  de 
100  livres  (2,500  fr.)  à  celui  qui  dénoncerait  les  cou- 
pables. Personne  ne  se  présenta  pour  toucher  celte  ré- 
compense. 

Ainsi,  tandis  que  le  monde^entier  frémissait  aux  ré- 
cils des  atrocités  commises  parles  Cipayes;  tandis  que 
la  France  et  les  autres  nations  européennes  souscri- 
vaient à  Tenvi  pour  venir  en  aide  à  leurs  victimes,  les 
Irlandais  osaient  seuls  applaudir  à  ces  cruautés  ;  ils  re- 


DE  LA  FRANCK   ET  DE   L'ANGLETERRE.  509 

fusaient  leur  obole  à  ces  misères  inouïes,  tant  le  désir 
de  la  vengeance  étouffait  en  eux  toute  pitié  pour  des 
\ictimes  britanniques. 

La  presse  anglaise  s'indigna;  les  journaux  irlandais, 
la  Nation  de  Dublin  entre  autres,  répondirent  en  rap- 
pelant les  souffrances,  les  humiliations,  les  persécu- 
tions que  la  race  irlandaise  avait  eu  elle-même  à  en- 
durer de  la  part  de  ses  conquérants.  Plus  las  journaux 
anglais  criaient  vengeance  contre  les  Cipayes,  plus  les 
journaux  irlandais  mettaient  d'acharnement  dans  leurs 
représailles  historiques  contre  ceux  qu'ils  appelaient 
insolemment  «  les  Ctpayes  saax>nsi>,  les  oppresseurs 
de  l'Irlande. 

Faut-il  parler  maintenant  de  cette  mystérieuse  affaire 
du  Phcmiœ^  qui,  il  y  a  quelques  années  à  peine,  met- 
tait l'Angleterre  en  si  grand  émoi.  C'était  précisément 
au  moment  où  l'on  croyait  passé,  pour  l'Irlande,  le 
temps  de  ces  ténébreuses  associations  qui  ont  porté  des 
noms  si  étranges  et  si  divers.  On  se  félicitait  des  amé- 
liorations réalisées  ;  on  s'applaudissait  des  prétendues 
modifications  opérées  dans  l'opinion  publique  ;  on  se 
flattait  d'avoir  définitivement  éteint  en  Irlande  tout 
ferment  de  résistance,  tout  germe  de  révolte.  Tout  à 
coup,  on  découvrait  une  vaste  conspiration  ayant  des 
ramifications  dans  plusieurs  comtés,  et  organisée  dans 
le  but  de  renverser  la  domination  anglaise,  avec  le 
concours  des  milices  des  États-Unis  formées  d'émigrés 
irlandais.  Ceux-ci  devaient  débarquer  en  armes  et  eu 
uniforme  sur  le  rivage  de  leur  ancienne  patrie,  sous  le 
prétexte  de  lui  faire  une  visite  amicale  et  de  lui  donner 


510  CONSTITUTION   ET  PUIfiSANGB  MILITAIBBS 

une  marque  de  leur  constant  attachement.  La  000^11* 
ration  fut  éventée;  le  gouvernement  anglais  dédara 
qu'il  s'opposerait  à  la  visite  des  milices  américaîoes,  et 
cette  affaire,  dont  on  ne  connut  jamais  bien  exacte- 
ment la  portée,  se  termina  par  la  condamnation  d'un 
certain  nombre  d'individus  convaincus  d'avoir  fait 
partie  de  la  Société  du  Phœnix. 

Puisque  nous  venons  de  parler  des  Irlandais  émigrés 
en  Amérique,  peut-être  est-ce  ici  Toccasion  de  mon- 
trer, par  quelques  exemples,  l'exactitude  de  la  remar- 
que que  nous  avons  faite  à  propos  des  Iriandais  da 
Canada. 

Nous  avons  dit  que,  partout  où  leur  triste  EooodeXe^ 
conduisait,  les  Irlandais  emportaient  avec  eux  leur 
haine  inextinguible  pour  tout  ce  qui  tient  à  l'Angle- 
terre. Ce  sentiment  implacable  ne  manqua  pas  de  se 
manifester,  à  l'occasion  du  voyage  que  le  prince  de 
Galles  (sous  le  nom  de  baron  de  Henfrew)  fit  en  Amé* 
rique^  il  y  a  bientôt  deux  ans. 

Au  moment  du  passage  du  prince  à  New-York,  une 
revue  générale  de  la  milice  fut  ordonnée,  en  son  Ikmh 
neur,  par  le  major-général  Sandford.  Le  69*  régiment, 
commandé  par  le  colonel  Corcoran,  et  composé  ex- 
clusivement d'Irlandais,  se  mit  en  rébellion  ouverte, 
et  refusa  de  paraître  à  cette  revue.  Les  soldats  déda* 
rèrent  qu'ils  ne  voulaient  à  aucun  prix,  en  rendant  cet 
honneur  à  Théritier  de  la  couronne  d'Angleterre,  don^ 
ner  lieu  à  leurs  concitoyens  de  prendre  le  change  sur 
leurs  véritables  sentiments,  ni  permettre  à  la  presse 
anglaise  de  les  dénaturer.  Le  colonel  Corcoran,  qui  avait 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     511 

approuvé  cette  manifestation,  fut  traduit  devant  un 
conseil  de  guerre,  mais  pour  la  forme  seulement,  car 
le  gouvernement  américain  savait  bien  qu'il  serait 
aussitôt  réélu  que  destitué.  Le  peu  de  convenance  et 
de  courtoisie  que  les  autorités  américaines  apportèrent 
au  règlement  de  cette  affaire  assez  peu  connue  en 
Europe,  n'est  pas  le  moindre  des  griefs  dont  l'Angle- 
terre  garde  rancune  aux  États  du  Nord. 

A  côté  de  cette  démonstration  plus  puérile  que 
sérieuse,  il  faut  enregistrer  d'autres  symptômes,  d'au- 
tres déclarations  d'une  nature  beaucoup  plus  grave, 
et  qui,  à  notre  avis,  auraient  dû  donner  grandement 
à  réfléchir  à  l'Angleterre,  au  cas  où  l'affaire  du 
Trmt  n'aurait  pas  reçu  la  solution  pacifique  que  cha- 
cun sait. 

A  tort  ou  à  raison,  les  Irlandais  considèrent  les 
Américains  comme  devant  être  tôt  ou  tard  leurs  ven- 
geurs. Leur  sympathie  pour  la  nation  qui  a  donné  et 
qui  continue  à  garder  un  asile  toujours  ouvert  aux 
clamés  de  la  pauvre  Irlande,  ne  néglige  aucune  occa- 
sion de  se  manifester  aux  dépens  de  l'Angleterre.  Bien 
longtemps  avant  que  l'affaire  du  Phoônix  vint  éveiller 
Tattention,  un  député  irlandais,  en  plein  Parlement, 
déclarait  que  la  prétendue  fidélité  de  ses  compatriotes 
à  la  couronne  d'Angletere  était  un  mensonge  officieli 
et  que  si,  sur  une  côte  irlandaise,  un  vaisseau  anglais 
et  un  vaisseau  américain  en  venaient  aux  prises,  ce  ne 
serait  pas  au  premier  que  les  témoins  du  combat,  sur 
le  rivage,  souhaiteraient  la  victoire.  Le  journal  la  Na^ 
lion,  rappelant  ces  paroles  du  député  irlandais,  ajou- 


512  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MlUTAIRES 

lait  :  «  Ce  qui  était  vrai  en  185â  l'est  encore  aujour- 
d'hui. » 

I^  dernier  conflit  américain  est  venu  tout  récem- 
ment corroborer  cette  assertion  :  au  moment  où  la 
guerre  semblait  inévitable,  Smith  O'Brien  et  les  autres 
exilés  politiques  déclaraient  hautement  que  les  États 
du  Nord  pouvaient  compter  sur  200,000 Irlandais  pour 
envahir  le  Canada.  En  faisant  la  part  de  Texagératiou 
probable  de  c«  chiffre,  il  n'en  reste  pas  moins  hors  de 
doute  qu'en  cas  d'invasion  de  la  colonie  anglaise,  tout 
ce  que  la  milice  canadienne  compte  d'Irlandais  ouvri- 
rait les  bras  aux  envahisseurs  et  passerait  à  l'ennemi. 

Quoiqu'on  veuille  le  paraître  en  Angleterre,  ou  ne 
se  trompe  nullement  sur  les  véritables  dispositions  des 
Irlandais.  Il  est  convenu  de  l'autre  côté  du  détroit  qu'on 
doit  les  déclarer  sans  fondement  et  sans  importance  ;  il 
est  même  de  mode  de  les  nier;  en  attendant,  on  prend 
des  précautions  qui  annoncent  que  l'on  est  parfaite- 
ment Qxé  sur  les  dangers  qu'elles  peuvent  faire  courir. 
Nous  avons  vu  que  l'Irlande  n'avait  pas  été  autorisée  à 
armer  des  volontaires.  Lorsque  l'État  est  intervenu 
pour  diriger  et  régler  ce  mouvement  populaire,  il  a 
été  accordé  des  carabines  aux  corps  des  comtés  anglais 
et  écossais  ;  l'Irlande  a  été  exclue  de  cette  faveur.  Les 
journaux  qui  soutiennent  que  la  domination  anglaise 
y  est  détestée  n'ont  pas  manqué  d'interpréter  cette 
exclusion  à  défiance.  Cette  manière  d'agir  du  gouver- 
nement britannique  a  été  regardée  comme  la  preuve 
qu'il  n'osait  lui-même  compter  sur  la  fidélité  irlan- 
daise. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     51 S 

L'Angleterre,  par  cette  conduite  prudente,  a  pu 
écarter  le  danger  matériel  et  immédiat  ;  mais  le  dan- 
ger moral  qu'elle  a  en  quelque  sorte  proclamé  elle- 
même  dans  cette  circonstance  ne  perd  rien  de  sa  force. 

Si  les  armes  et  les  munitions  sont  les  seules  choses 
qui  fassent  défaut  aux  Irlandais  pour  élever  leur  mau- 
vais vouloir  à  la  hauteur  d'une  insurrection  en  règle, 
l'Angleterre,  qui  admet  en  Italie  le  principe  des  natio- 
nalités et  l'autorité  du  suffrage  populaire,  l'Angle- 
terre, en  applaudissant  à  l'insurrection  de  la  Sicile,  et 
en  souscrivant  pour  Garibaldi  ;  —  T  AngleUîrre,  il  faut 
l'avouer,  a  donné  dans  ces  derniers  teaips  un  exemple 
qui  pourrait  bien  être  retourné  contre  elle. 

Kn  définitive,  n'élait-elle  pas  en  paix  avec  les  sou- 
verains italiens  dont  elle  a  réclamé  l'expulsion?  Ses 
relations  avec  eux  étaient-elles  officiellement  rompues? 
En  ce  qui  regarde  Naples,  les  hostilités  étaient-elles 
ouvertes  ou  seulement  dénoncées? 

Le  recrutement  de  la  légion  anglaise  des  colonels 
Peard  et  Dowling  par  Garibaldi  en  pleine  rue  de  Lon- 
dres, appartient  à  un  droit  des  gens  tout  nouveau,  et 
dont  l'Angleterre ,  qui  n'a  pas  craint  d'en  poser  les 
bases,  pourrait  bien  un  jour  pour  elle-même  recon- 
naître les  inconvénients  (1). 

(1)  Le  triste  sort  de  cette  légion  (qui  devait  faire  oublier,  par  ses 
exploits,  les  services  que  la  France  a  rendus  à  la  cause  italienne  à 
Magenta,  ù  Solferino)  est  aujourd'hui  bien  connu;  un  publiciste 
anglais  résume  ainsi  son  histoire  :  «  It  is  to  be  hoped  thaï  ils  short 
and  ingloriouscareer  may  hâve  convinced  the  English,  as  it  has  the 
italian  people,  thaï  the  best  support  this  country  (England)  can 
give  to  the  cause  of  llaiy,  consils  in...,  ilssympalhy.  » 

33 


514  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

Certes  nous  ne  doutons  fias  que  les  juriseoilsultes 
royaux  appelés  à  donner  leur  avis  dans  laffaîre 
du  Trent,  s'ils  étaient  consultés,  ne  déclarassent 
que  <c  the  legality  of  thus  enlisting  Englishmen  lo 
flght  the  battles  of  other  countries  is  vert  questio- 

NABLE.  » 

Cependant,  après  le  précédent  qu'elle  a  établi,  TAn- 
leterre  aurait-elle  le  droit  de  se  plaindre,  si  un  beau 
jour  une  puissance,  sans  autre  raison  légitime  qu'une 
profonde  horreur  pour  la  politique  intérieure  du  gou- 
vernement britannique  (2),  s'avisait  de  lâcher  sur 
rirlande  un  Michel,  un  Smith  O'Brien  ou  un  O'Meagher 
quelconque?  De  quel  droit  se  plaindrait-elle,  si  cette 
puissance  venait  à  fournir  de  l'argent,  des  armes  et 
même  des  hommes  à  ce  condottieri,  pour  le  mettre  à 
même  de  jouer  en  Irlande  le  rôle  que  Garibaldi  a  joué 
en  Sicile? 

Nous  croyons  avoir  suflftsamment  éclairé  la  dernière 
question  qui  nous  restait  à  résoudre  relativement  à 
rirlande  :  non-seulement  par  sa  répugnance  invincible 
pour  la  domination  anglaise  et  son  perpétuel  esprit  de 
révolte,  cette  portion  du  Royaume-Uni  est  en  loat 
temps  une  plaie  ouverte  pour  la  Grande-Bretagne; 
mais  on  peut  affirmer  qu'en  cas  de  guerre  extérieure 
l'Irlande  serait  pour  cette  puissance  une  menace  el  un 
danger  permanents. 

Le  parallèle  que  nous  avons  poursuivi  jusqu'ici  ao 

(1)  tn  réalité,  quel  autre  grief  l'Angleterre  pouvait-elle  iofoquer, 
si  ce  n^estsa  désapprobation  pour  \at  politique  intérieure  du  gower- 
nemenl  napolitain  f 


bË  U  Wu«efe  Et  bE  L'ANGLÈTÊllàfe.  815 

paitlt  de  vue  militaire  entre  la  France  et  l'Angleterre, 
resterait  incotnplet  di  nous  omettions  de  constater  que 
la  première  de  ces  deux  puissances  n'a  à  lutter  cotitre 
aucun  embarras  analogue  à  l'Irlande^  et  si  nous  de 
faisions  pas  ressortir  tout  l'avantage  qui  en  résulterait 
pour  elle  dur  la  seconde  en  cas  de  guerre. 

Nous  rappelions  ailleurs  les  sentiments  peu  fraternels 
exprimés  en  Irlande  à  l'égard  de  l'Angleterre  pendsim 
la  guerre  des  Indes ,  et  les  manifestations  auxquelles 
avait  donné  lieu  l'affaire  du  Trent;  noufe  ne  croyons 
pas  nous  avancer  beaucoup,  en  affirmant  qiie  les  Irlan- 
dais convieraient  avec  grand  plaisir  les  Français  à 
partager  le  rôle  que  nous  leur  avons  vu  assigner  aux 
Américains.  Nos  lecteurs  seraient  étonnés  si  nous  leur 
faisions  connaître  ce  que  des  journaux  de  Dublin  ont 
osé  imprimer  pendant  et  depuis  la  gi^erre  d'Italie. 
Nous  pourrions  mettre  sous  leurs  yeux  les  preuves  de 
l'incroyable  enthousiasme  excité,  au  moins  dans  quel* 
ques  parties  de  Tlrlande,  par  le  glorieux  retentis^e-^ 
ment  qu'ont  obtenu  certains  noms  de  l'armée  françaito; 
Noufe  préférons  nous  abstenir,  et  n'attribuer  qu'à  l'ori* 
gine  irlandaise  de  ces  noms,  des  manifestations  sur  lë^ 
quelles  nous  ne  voulons  pas  nous  étendre  davantage. 
Ce  qui  nous  importe  avant  tout,  c'est  qu'on  ne  ie 
méprenne  pas  sur  le  but  que  nous  nous  proposons  dans 
cette  étude.  Elle  est  exclusivement  militaire  ;  son  seul 
objet,  toute  autre  considération  mise  de  côté,  c'est 
d'apprécier  aussi  exactement  que  possible  la  situation 
et  les  conditions  offensives  et  défensives  de  l'Angleterre^ 

A  ce  dernier  titre  Flrlande  tenait  une  place  tro^^ 


51f>         CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES    . 

importante  pour  n'être  pas  comprise  en  première  ligne 
dans  l'examen  auquel  nous  soumettons  plus  loin  toutes 
les  colonies,  tous  les  groupes  principaux  de  Tempire 
britannique.  Dans  un  travail  de  ce  genre,  tout  ce  qui 
est  source  de  force  ou  de  faiblesse  doit  être  aussi  scru- 
puleusement enregistré  qu'impartialement  apprécié. 
On  pourra  juger  si  nous  sommes  resté  fidèle  à  ce  pro- 
gramme, par  les  lignes  suivantes  que  nousempruntons 
à  un  écrivain  militaire  d'outre-Manche,  et  que  nous 
donnons  ici  comme  le  résumé  des  considérations  dans 
lesquelles  nous  sommes  entré  relativement  à  l'Irlande: 

a  Ireland  —  most  assuredly,  if  we  are  ever  invaded 
7»  as  our  preeminently  weak  point,  will  not  be  over- 

)^  looked 

x>  Ireland  does  not  possessaiiy  of  our  boasted  volun- 
»teers,  which  are  declared,  on  authority,  to  hâve 
»  rendered  Ëngland  invulnérable,  and  in  ail  quarters 
»  but  the  Black  Nortb,  a  French  invading  force  would 
h  hâve  ail  the  sympathies  of  the  population  ;  so 
»  that,  if  not  successfuUy  encountered  by  a  regular 
»  garrison,  the  island  would  soon  fall  before  their 
»  arms(l).  » 

Nous  en  avons  fini  avec  le  bilan  des  embarras  inté- 
rieurs de  TÂngleterre.  Pour  toute  autre  puissance, 

(1)  «  Llrlande,  en  cas  d*invasion,  comme  notre  point  faible  par- 
dessus  tous  les  autres  {preeminently  weak),  serait  certainement 
Tobjet  d'une  tentative  de  Tennemi.... 

»  L'Irlande  ne  possède  aucun  de  ces  volontaires  dont  nous  sommes 
si  fiers,  et  qui  sont  réputés,  sur  la  foi  du  gouvernement,  avoir  rendu 
TAngleterro  invincible.  Dans  tous  les  districts  de  llrlande,  le  Black 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     517 

l'examen  auquel  nous  nous  sommes  livré  suffirait  à 
donner  la  mesure  des  difficultés  de  nature  à  gêner  sa 
liberté  d'action  à  l'extérieur ,  et  celle  des  avantages 
qu'une  nation  rivale  ou  ennemie  pourrait  en  tirer. 
Dans  les  États  compactes,  homogènes,  la  situation  de 
la  métropole  domine  tout.  Celle  des  possessions  exté- 
rieures ou  des  colonies  n'a  qu'une  importance  relative 
et  souvent  secondaire  ;  c'est  le  cas  de  la  plupart  des 
puissances  européennes.  Il  en  est  tout  autrement  pour 
l'Angleterre.  Dans  un  chapitre  précédent,  en  passant 
en  revue  ses  conquêtes  et  ses  annexions  successives, 
nous  avons  montré  comment,  puissance  secondaire  par 
son  étendue  propre  et  par  le  chiffre  de  ses  nationaux, 
l'Angleterre,  grâce  à  ses  colonies  innombrables,  dis- 
paraissait en  quelque  sorte  pour  faire  place  à  V Empire 
britannique. 

Pour  prononcer  avec  certitude  sur  la  solidité  ou  les 
causes  d'ébranlement  de  ce  vaste  édiQce ,  il  faut  en 
visiter  soigneusement  toutes  les  parties;  —  pour  ap- 
précier sainement  la  force  de  résistance  et  les  sym- 
ptômes de  faiblesse  ou  de  dissolution  du  Royaume-Uni, 
il  faut  sortir  de  son  territoire,  il  faut  faire  le  tour  du 
monde. 

La  domination  extérieure  de  la  Grande-Bi-etagne 

North  peut-être  excepté»  une  invasion  française  aurait  toutes  les 
sympathies  de  la  population^  si  bien»  qu'à  moins  d'une  bataUle  déci- 
sive, gagnée  dès  le  début,  par  les  troupes  régulières  chargées  de  la 
défendre,  IMle  serait  bientôt  tout  entière  au  pouvoir  de  l'ennemi. 
Military  System  ofGreat  Britain.  —  U«  S.  » 


1116  CONSTITUTIOIV   ET  PUISSANGB  MIUTAIRES 

peut^elle  être  maintenue  au  degré  d'extension,  presque 
sans  limite,  qu'elle  a  atteint  de  nos  jours?  —  I^  con- 
sarvation  de  son  intégrité,  si  Ton  tient  œmpte  des 
changements  survenus  au  point  de  vue  militaire  et 
pavai,  est-elle  d*une  sage  politique?  —  Les  frais  que 
nécessite  la  protection  de  cet  immense  domaine  colo- 
nial,  les  dangers  qu'il  peut  faire  naître,  sont- ils  ooni* 
patibles  avec  la  sécurité  de  l'Angleterre,  sont-ils 
eoociliables  avec  les  exigences  de  sa  position  comme 
puissance  européenne? 

Telles  sont  les  graves  questions  que  nous  voulons 
examiner. 

Si  Ton  parcourt  sur  la  carte  l'ensemble  des  posses- 
sions extérieures  de  l'Angleterre,  on  est  obligé  de  re- 
connaître qu'à  aucune  époque  de  l'histoire  pareil 
empire  n'a  existé. 

Dans  l'antiquité,  tes  vastes  royaumes  de  Xercès  et 
de  Darius;  les  conquêtes  accumulées  d'Alexandre  le 
Grand  ;  Tamalgame  plus  prodigieux  encore  de  peuples 
et  de  provinces  qu'au  temps  de  sa  plus  grande  prospé- 
rité Rome  avait  réuni  sous  ses  lois;  —  au  moyen  ftge  : 
l'empire  de  Charlemagne  ;  —  dans  les  temps  modernes: 
les  nombreuses  possessions  héritées  ou  couquises  par 
Charles-Quint;  —  enfin  dans  le  siècle  actuel  :  l'impo- 
sante dynastie  fondée  par  Napoléon,  avec  son  cortège 

de  royaumes  vassaux  et  de  provinces  dépendantes 

tous  ces  Empires  immenses,  tous  ces  États  grandioses 
étaient  assis  sur  un  domaine  compacte,  conceq^ré^ 
homogène,  si  on  les  QORipare  k  Ym&mh\9%e  incphéraot. 


DB  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     519 

dispersé,  éparpillé,  désuni,  de  territoires,  de  pro- 
vinces, de  mers,  d'îles,  de  forteresses  et  que  Ton  nomme 
l'Pmpire  britannique. 

Que  ces  colonies  sans  nombre  aient  aidé  au  déve- 
loppement de  la  puissance  anglaise,  non-seulement  il 
serait  puéril  de  le  contester,  mais  on  peut  même  affir- 
mer que  Taccroissement  de  Tinfluence  britannique  dans 
les  affaires  du  monde  a  suivi,  pendant  plusieurs  siècles, 
la  même  progression  que  son  empire  colonial.  D'un 
autre  côté,  cette  concession  faite ,  il  faut  reconnaîtra 
que  les  circonstances  exceptionnellement  favorables, 
au  milieu  desquelles  l'Angleterre  a  pu  poursuivre  sa 
marche  ascendante,  semblent,  chaque  jour,  se  modi- 
fier de  plus  en  plus. 

Les  peuples,  comme  les  individus,  doivent  mesurer 
leurs  entreprises  à  leurs  forces.  De  fait,  la  plupart  ont 
une  tendance  marquée  à  les  outre-passer,  et  l'Angle- 
terre plu^  que  tous  les  autres,  grâce  à  son  esprit  dç 
convoitise  aussi  prompt  à  s'éveiller  qu'ardent  à  sç 
satisfaire..  Depuis  un  demi-siècle,  les  États-Unis  nous 
oflFrent  un  spectacle  du  mêjne  genre;  et  les  symptômes 
djB  dislocation  et  de  démembrement  qu'ils  accuseq^ 
aujourd'hui  n'est  pas  un  mince  enseignement.  Sanspré- 
tendre  que  l'Angleterre  en  soit  au  môme  point,  si  l'on 
réfléchit  à  l'avantage  évident  que  les  États-Unis  avaient 
sur  elle,  quant  à  la  cohésion  de  leurs  diverses  annexes; 
il  est  permis  de  se  demander  dans  quelle  mesure  l'Em- 
pire britannique  est  bien  sauvegardé  contre  le  sort  qui 
paeqace  les  États-Unis.  U  est  intéressant  do  rechercher 
sî  le  principe  de  sa  force  dans  le  passé  ne  tend  pas  h 


520  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

devenir,  dans  les  conditions  nouvelles,  une  véritable 
cause  d'affaiblissement . 

Longtemps  déjà,  avant  les  insurrections  du  Ca- 
nada,  du  Cap  et  de  l'Inde,  l'opinion  avait  cessé, 
en  Angleterre,  d'être  unanime  à  l'égard  des  avan- 
tages résultant  de  l'extension  démesurée  donnée  aux 
colonies. 

Adam  Smith,  le  premier,  avait  signalé  les  inconvé- 
nients résultant  pour  la  mère  patrie  de  l'absorption 
toujours  croissante  de  son  capital,  par  des  établisse- 
ments dont  le  développement  n'avait  cependant  d'espoir 
que  dans  cet  auxiliaire.  Les  emprunts  faits  par  l'exté- 
rieur à  la  population  de  la  métropole  causaient  moins 
d'inquiétude,  l'Angleterre  ayant  cru  trouver  dans  Té- 
migration  la  solution  de  la  question  irlandaise  ;  cepen- 
dant il  y  avait  là  aussi  un  danger  pour  l'avenir,  et,  sous 
ce  dernier  rapport,  la  menace  s'est  même  déjà  réalisée. 
L'Angleterre,  qui  s'applaudissait  de  voir  disparaître 
le  trop-plein  de  la  turbulente  Irlande,  s'alarme  au- 
jourd'hui d'une  désertion  en  masse  qui  ne  laisse  plus 
de  bras  pour  la  culture  (1).  En  outre,  la  portion  du 
Royaume-Uni,  jadis  la  plus  fertile  à  exploiter  par  le 
sergent  recruteur,  a  vu  disparaître  cette  foule  de 
pauvres  hères,  toujoui*s  disposés  à  accepter  la  prime  et 
à  endosser  l'uniforme.  Le  recrutement  de  l'armée,  déjà 
plus  diflBcile  depuis  la  séparation  du  Hanovre,  devient 

(1)  «...  Plusieurs  évèques  ont  cru  devoir  user  de  leur  autorité 
morale  pour  détourner  leurs  ouailles  de  suivre  désormais  le  courant 
de  l'émigration.  »  —  De  Montalembert,  Avenir  politique  de  (* Angle- 
terre, 


DB   LA   FRANGE   ET   DE   l'aNGLETERRE.  521 

presque  impossible  par  suite  de  i'épuisement  de  l'Ir- 
lande. 

Aujourd'hui,  à  rencontre  des  gens  qui  continuent  à 
faire  dépendre  exclusivement  la  gloire,  la  richesse  et 
Ift  puissance  de  TAnglelerre,  de  l'intégrité  de  son  em- 
pire colonial  ;  à  côté  des  gens  qui  soutiennent  toujours 
qu'eu  abandonner  la  moindre  partie  serait  abdiquer  le 
rang  qu'elle  occupe  dans  le  monde  ;  il  en  est  d'autres 
qui  se  préoccupent  sérieusement  des  lourdes  charges 
auxquelles  les  possessions  extérieures  condamnent  la 
métropole  (1).  Ces  derniers  insistent  sans  relâche  sur 
la  difficulté,  sur  l'impossibilité  de  défendre  dans  son 
ensemble  un  système,  dont  les  différentes  parties  sont 
tellement  décousues,  tellement  éparpillées,  qu'aucune 
ne  peut  venir  en  aide  à  l'autre.  Dans  leur  pensée,  le 
maintien  des  communications  entre  l'Angleterre  et  ses 
nombreuses  annexes  dépend  absolument  d'une  supré- 

(2)  Pendant  longtemps,  l'Angleterre  a  été  citée  en  France  pour  la 
perfection  et  Téconomie  de  son  régime  colonial.  Par  contre,  il  était 
de  mode  dans  nos  anciennes  assemblées,  de  protestera  toute  occasion 
contre  les  dépenses  de  cet  établissement  algérien  auquel  nousdevons 
la  conservation  de  nos  tradiUons  militaires,  et  qui  a  permis  à  la 
France  de  reprendre  son  rang  parmi  les  naUons.  il  n'est  pas  sans 
intérêt  d*être  fixé  sur  la  prétendue  insignifiance  des  charges  suppor- 
tées par  nos  voisins  au  titre  de  leur  établissement  colonial.  Un 
membre  du  parlement,  M.  A.  Mill,  en  évalue  le  total  à  plus  de 
100  millions  (û  millions  de  livres)  !  Sur  ce  chiffre  37  millions  envi- 
viron  sont  affectés  aux  postes  exclusivement  militaires,  tels  que 
GibralUr,  Malte,  Corfou,  etc.,  et  les  60  millions  restants  sont  distri- 
bués entre  vingt-huit  colonies  dont  la  plupart,  telles  que  :  les  An- 
tUles,  le  Canada,  le  Gap,  etc.,  ne  rapportent  pas  un  sou! 

350,000  livres  ou  8,750|000  fr.,  c'esl-à-dire  moins  de  la  dixième 


523  CONSTITUTION  GT  PUISSANCE  MlLITAmSS 

matie  navale  que,  dans  les  (M)nditions  nouvelles,  il  n'est 
plus  donné  à  aucune  nation  d'exercer  en  même  temps, 
à  la  même  heure ,  sur  tous  les  poiqts  d^  globe  à  la 
fois. 

Les  partisans  de  la  réduction,  du  resserrement  [çon- 
tractedness)  des  colonies  anglaises,  p*optpa;$  de  ppine  h 
fixer  Tattention  sur  les  embarras  et  les  dangers  dans 
lesquels  une  guerre  avec  une  puissance  maritime  quel- 
conque pourrait  jeter  TApgleterre;  — aujourd'hui  que 
la  vapeur  permet  d'organiser,  avec  une  certitqde  pres- 
que mathématique,  pes  expéditions  à  grande  vitessç 
qui  trompent  toute  surveillance  et  déjouent  toute  pre- 
paution. 

Sous  l'influeqce  de  ces  craintes  et  sur  la  proposi- 
tion de  M.  A.  Mill,  un  comité  a  été  désigné  pour  re- 
chercher les  modifications  commandées,  dans  le  r^ime 
colonial,  par  le  nouvel  ordre  de  choses. 

Si  l'on  en  juge  par  les  opinions  nettement  formulées, 
dans  le  Parlement,  fi  propos  de  la  discussion  dg  sys- 
tème de  défense  qii'il  convieudiait  d'adopter,  le$inen)- 
bres  du  comité  sont  loin  d'être  rassurés.  Ce  qui  le 


p^T\ie  de  ce  quVlles  coûtent  !  voilà  tout  ce  que  i^piiorleot  les  coli»- 
dIiss  an^^laises.  pans  ce  c|]iffre,  Victoria,  Ceylao,  la  fin'ouv^Ue-Calie^ 
^u  Sud,  figurent  à  elles  seules  pour  240,000  livres.  Sj|d$  doute  1^ 
facilités  données  au  commerce  anglais,  et  le  développegienl  prodi- 
gieux d^  son  trafic,  grâce  à  ces  comptoirs  mulUpliés,  oiil  fourni» 
jusquMci,  de  larges  compensations:  mais  supposons  que  la  mer  ne 
spit  plus  libre,  admettons  que  ce  commerce  soit  entnivé,  qpie  lâ| 
matières  premières, le  coton  par  exemple  viennent  àmaqqqer  àTio- 
dustrie  anglaise^  on  reste  effrayé,  à  bon  droit,  du  (|ésordre,  4e  b 
0$^)  de  |a  ruine  qui  (nenacerajenf  TAn^le^rre. 


PM  LA  FRAlfCB  pr  PB  L  ANGLETERE?.  523 

prouve,  c'est  Tinsistance  avec  laquelle  plusieurs  pra- 
teurs  ont  réclamé  T indépendance,  —  ou,  poijr  parler 
plus  exactement,  —  Tabandon  de  certaines  possessions 
k  teurs  propres  ressources.  Au  fond,  cette  émancipa- 
tion ne  serait  qu'un  moyen  honorabltj  de  coiivriv  le  re- 
trait des  garnisons  chargées  de  les  protéger,  garnisons 
dont  l'insuffisance  et  Tinefficacilé  frappent  tous  les 
yeu^,  eu  présence  des  éventualités  qui  pourraient 
attpjpdrp  l'Angleterre. 

Sujyaqt  M,  À.  Mill,  les  colonies  doivent  organiser 
(Jes  forces  locales  et  se  suffire  à  eljes-mômes  ;  il  serait 
absurde  [préposerons)  que  l'Angleterre  s'obstinât  plus 
longtemps  à  entretenir  des  poignées  de  soldats  (a  few 
fragments  of  troops)  dans  tous  ses  établissements,  ainsi 
qu'elle  Ta  fait  jusqu'ici. 

En  réalité,  ces  détachements  ne  défendent  et  ne  pror 
t^ent  riep  ;  ils  ne  peuvent  que  ménager  un  facile 
triomphe  à  l'ennemi  qui  viendrait  à  les  assaillir,  même 
avec  des  forces  insigniBantes ;  —  en  revanche,  ils 
épuisent  et^^neryent  l'armée  anglaise.  En  cas  de  dan- 
ger, faible  et  disséminée  partout,  celle-ci  n'est  en  état 
de  faire  face  nulle  part. 

La  tâche  du  comité  de  «  Défense  coloniale  »  ne  se- 
pait  pas  déjà  fort  ardue  en  elle-même,  que  nous  luj 
prédirions  encore  le  triste  sort  de  toutes  ces  commis- 
sions dont  nous  parlions  au  début  de  cette  étude,  et 
{auxquelles  donne  naissance,  chez  nos  vpisins,  Taqto- 
rité  multiple  et  divisée  qui  régit  toutes  les  affaires  mi*? 
litaires  (1). 

(i)  En  1859,  le  général  Peel,  à  rinstigatîon  de  M.  Hawes,  a  déjà 


6^4.  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIBES 

IjC  résultat  inévitable  des  investigations  auxquelles 
doit  se  livrer  la  commission  (autant  que  Ton  en  peut 
juger  par  Fesprit  qui  semble  animer  ses  membres; 
sera  de  relâcher,  un  peu  plus  encore,  les  liens  déjà  fort 
détendus  qui  unissent  l'Angleterre  à  certaines  de  ses 
colonies.  A  ce  dernier  égard,  comme  les  renseignements 
et  les  conclusions  de  la  commission  ne  seront  très 
probablement  pas  publiés,  nous  chercherons,  dans  le 
prochain  chapitre,  à  suppléer  à  son  silence,  en  don- 
nant à  nos  lecteurs  un  aperçu  de  la  situation  intérieure, 
sinon  de  chaque  colonie,  au  moins  de  chacun  des 
groupes  principaux  qui  constituent  le  domaine  exté- 
rieur de  la  Grande-Bretagne. 

En  dehors  des  considérations  purement  stratégiques 
et  militaires  (que  nous  réservons  pour  une  autre  étude), 
l'appréciation  des  relations  de  ces  établissements  avec 
la  métropole,  leurs  aspirations,  leurs  intérêts  spé- 
ciaux, leurs  embarras  particuliers ,  enfin  et  surtout  la 
nature  exacte  de  leurs  dispositions  et  de  leurs  senti- 
ments pour  la  mère  patrie,  seraient,  —  dans  telles 
circonstances  données,  —  d'un  intérêt  sur  lequel  il 
n'est  pas  besoin  d'insister. 

présenté  une  motion  dont  la  conséquence  a  été  la  nomiinatioo  d'un 
comité  de  trois  membres  fournis  |>ar  le  ministère  de  la  guerre,  la 
trésorerie  et  roflQce  colonial»  afin  d'examiner  la  situation  des  éta- 
blissements extérieurs  au  point  de  vue  miliuire  et  financier.  De 
cette  commission,  au  lieu  d*un  travail  d'ensemble  indiquant  les 
idées  pratiques  que  réclame  la  situation»  il  est  soilî  trois  rapports 
distincts  et  diamétralement  opposés  dans  leurs  conclusions,  qui,  cela 
va  sans  dire,  n'ont  abouti  à  rien. 


GHAPITAE  XXII. 

Politique  de  l' Angleterre  à  Végard  de  ses  colonies  ;  —  des  liens  divers 
qui  unissent  la  Grande-Bretagne  à  ses  annexes;  —  les  institutions 
libérales  octroyées  par  TAngleterre  à  ses  colonies  sont,  pour  certai- 
nes d'entre  elles,  une  source  d'embarras.  —  Dispositions  des  îles 
Ioniennes  à  Tégard  de  TAngleterre  ;  —  état  des  esprils  à  Malte, 
antipathies  religieuses;  —  comment  elles  se  manifestent.  —  Un 
mot  sur  la  neutralité  des  détroits;  —  Gibraltar  et  le  conflit  ma^ 
rocain.  —  Difûcultés  avec  TEspagne  ;  —  conséquences  de  la  poli- 
tique ombrageuse  imposée  à  TAngleterre  par  la  nécessité  desau*- 
vegarder  ses  postes  militaires  ;  —  nulle  part  des  flottes  ou  des 
années  ne  peuvent  être  mises  en  mouvement  sans  exciter  les 
alarmes  de  nos  voisins.  —  Situation  de  la  Gambie,  de  Sierra 
Leone  et  de  la  C6te-d'0r.  —  Le  gouverneur  de  la  Gambie  obligé 
de  solliciter  les  secours  de  la  colonie  française  du  SénégaL  — 
Lagos.  —  Le  Gap  et  Natal.  —  Les  Gaffres.  —  Gettiwaio  et  les 
Zulu-Gaffres.  —  La  population  française  de  Tile  Maurice.  — 
La  France  et  FAngieterre  à  Madagascar.  —  Le  traité  de  Bali.  — 
L*Inde  anglaise.  Les  Gypayes  et  les  Sicks.  —  Les  Anglais  et  les 
Russes  à  Khiva,  à  Herat,  et  sur  TAmour.  —  Progrès  constants  de 
la  Russie  dans  l'Asie  centrale.  —  La  mer  Gaspieune  et  TAfgha- 
nistan.  —  L*Amour  et  la  Chine.  —  Résumé  de  la  situation  de 
FAngleterre,  de  la  Russie  et  de  la  France  en  Asie. 

La  situation  de  l'empire  britannique,  à  l'époque  ac- 
tuelle, ne  saurait  être  mieux  comparée  qu'à  celle  de 
Rome  au  temps  d'Agricola.  Peut-être  même  les  pro- 
vinces romaines,  moins  dispersées,  moins  disséminées 
que  les  possessions  anglaises,  étaient-elles  encore  unies 
par  des  liens  plus  solides.  De  nos  jours,  ce  n'est  qu'à 
Taide  de  sa  suprématie  maritime  que  l'Angleterre  peut 
assurer  ses  communications  avec  ses  différentes  colo- 


5^6  GOKSTlTUTIÔlf   ET   PUISSANCE  MlLltAtftËS 

nies  ;  leur  sécurité  dépend  absolument  de  la  domina- 
tion qu'elle  a  exercée  jusqu'ici  sur  toutes  les  mers.  A 
ce  point  de  vue,  et  au  cas  où  la  Grande-Bretagne  vien- 
drait à  entrer  en  lutte  avec  Tune  quelconque  des  puî»* 
fiances  maritimes  de  premier  ordre  (sinon  avec  toutes 
à  Ik  fois,  ce  qui  pourrait  arriver),  il  est  permis  de  se 
demander  quel  serait  le  sort  de  son  domaine  colonial. 
Aujourd'hui,  en  effet,  la  vapeur  a  déjà  modifié  de 
lond  en  comble  et  tend  à  modifier  plus  encore,  si  c'est 
possible,  toutes  les  anciennes  combinaisons  de  la  tac- 
tique navale.  Aujourd'hui,  il  n'est  plus  une  marine  an 
monde  qui,  à  tout  instant  et  sur  toutes  les  mers  à  la 
fois,  puisse  prétendre  à  une  supériorité  incontestable. 
Il  en  résulte  pour  toutes  les  puissances  maritimes, 
Mns  exception^  l'impossibilité  d'assurer  exclusivement 
par  lairs  flotte^  la  protection  de  leurs  possessions 
d'outre -mer.  Désormais,  en  temps  de  guerre,  toute 
colonie,  indépendamment  de  l'appui  que  pourront  lui 
prêter  les  vaisseaux  de  la  métropole,  devra  être  en 
ttiesurrî  de  suffire  par  elle  même  à  toutes  les  nécessifés 
de  sa  défense.  Avant  tout,  sa  sécurité  dépendra  des 
conditions  plus  ou  moins  satisfaisantes  de  sa  situation 
inférieure,  et  deS  ressources  militaires  plus  ou  moins 
àburtdanles  qui  auront  été  mises  à  sa  disposition.  Les 
difficultés  de  la  défense  seront  évidemment  en  raison 
de  la  parcimonie,  soit  volontaire,  soit  forcée,   qui 
aura  présidé  à  la  distribution  de  la  garnison  et  des 
tooyens  matériels.  En  cas  d'interruption  des  communi- 
cations avec  la  métropole,  il  ne  faut  pas  se  dissimuler 
Ooû  plus  que  les  difiBcultés  croîtront  encore  avec  les 


bÉ  La  faaï^cë  et  bE  L*ATOWtÈlî*É.        8S7 

etflbfii^ftis  intérieurs,  atec  les  résistances  lobales;  avec 
les  dispositions  à  la  révolte  qui  pourront  se  manifester i 

C'est  à  c&  dernier  point  de  vue  que  nous  allons  exa- 
miner la  situation  des  eolonies  anglaises.  Ailleurs, 
nous  recherchons  quelle  est  la  valeur  stratégique  de 
chaque  poste,  et  quelle  somme  de  résistance  il  petit 
Opposer  aux  attaques  du  dehors.  Pour  le  moment,  nous 
voulons  nous  rendre  compte  seulement  de  la  nature 
des  liens  et  des  relations  qui  unissent  la  Grande-Bre- 
tagne avec  ses  nombreuses  annexes.  Nous  voulons  ap- 
précier autant  que  possible  le  degré  d'obéissance  et 
de  sympathie  que  rencontre  la  domination  anglaise 
dans  chacun  de  ses  établissements.  Nous  voulons  re- 
chercher enfin  quelle  pourrait  être  l'importance  de 
ces  résistances  locales  avec  lesquelles,  en  temps  de 
guerre,  nos  voisins  auraient  à  compter;  et  apprécier 
le  plus  ou  moins  de  facilités  qu'une  puissance  ennemie 
rencontrerait,  le  cas  échéant,  pour  les  appuyer  on  les 
faire  naître. 

En  général,  il  faut  le  reconnaître,  la  part  faite  à  cet 
esprit  envahisseur  qui  caractérise  les  Anglais,  leur 
politique  actuelle  à  l'égard  de  leurs  colonies  esl  libé- 
rale et  ne  prête  que  fort  peu  au  blâme.  Les  fautes  qui 
ont  signalé  cette  politique  à  d'autres  époques  oht  été 
ai  souvent  rappelées,  les  crimes  qui  l'ont  déshonorée 
du  temps  de  Clive  ou  d'Hastings,  ont  été  si  cruelle- 
ment stigmatisés  que  Ton  n'a  plus  à  craindre  leur  re- 
tour. Eclairée  par  la  révolte  de  ses  coloniesde  l'Amérique 
du  Nord,  l'Angleterre,  c'est  une  justice  à  lui  rendre, 
a  toujours  poursuivi  depuis  un  système  de  larges  con- 


528         CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAniES 

cessions  vis-à-vis  des  établissements  que  le  sort  des 
armes  a  fait  tomber  entre  ses  mains. 

Malheureusement  il  est  un  axiome  en  politique 
comme  en  histoire  :  c'est  que  la  haine  du  joug  étran- 
ger ne  s'éteint  jamais  chez  les  races  conquises.  Au  fond 
de  leur  cœur  couve  toujours  l'espoir  de  chasser  TeiH 
vahisseur.  Si  douce,  si  juste  que  soit  la  domination  de 
celui-ci,  elle  ne  saurait  éteindre  ce  sentiment.  L'Ir- 
lande, sans  parler  de  tous  les  autres  exemples  que  nous 
pourrions  citer,  nous  en  fournit  la  preuve. 

En  dépit  du  libéralisme  qu'elle  a  déployé  à  l'égard 
de  ses  colonies,  TAngleterre  a  donc  eu  de  tout  temps  à 
lutter  contre  des  difficultés  qui  se  sont  traduites  de 
façons  diverses,  suivant  le  degré  de  civilisation  plus 
ou  moins  avancée  de  ses  établissements;  —  suivant  la 
date  plus  ou  moins  récente  de  leur  annexion  à  Tem- 
pire  britannique;  —  et  aussi,  pour  ceux  qui  avaient 
été  fondés  jadis  par  d'autres  puissances  européennes, 
suivant  le  degré  d'attachement  plus  ou  moins  vif  que 
ses  nouveaux  sujets  ont  conservé  pour  leur  ancienne 
patrie  (1). 

Dans  l'étude  qui  va  suivre  nous  ferons  pour  chaque 

(1)  l\  De  faut  pas  oublier  que  l'Angleterre  a  dépouillé  successive- 
ment, depuis  un  siècle,  presque  toutes  les  puissances  européennes 
de  leurs  meilleures  colonies.  Les  Hollandais,  les  Danois,  les  Portu- 
gais, les  Français,  les  Espagnols,  tous  les  États  maritimes  en  un 
mot,  ont  été  plus  ou  moins  victimes  de  cette  insatiable  convoitise. 
Quant  aux  établissements  qui  ont  pu  lui  échapper,  chacun  sait  tout 
ce  qu'elle  a  dépensé  d'intrigues  pour  les  ruiner.  Pour  arriver  à  ce 
but,  il  n'est  pas  de  menées  que  son  incurable  égoîsme  n'ait  em- 
ployées. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     529 

coloDÎe  la  part  de  ces  diverses  circonstances.  Dès  à  pré- 
sent, ce  qu'il  est  permis  d'établir  d'une  façon  générale,, 
c'est  que  la  situation  parfois  précaire  de  Tàutorité  an- 
glaise dans  certaines  possessions  n^  dépeind  pas  seule- 
noent  des  errements  d'une  politique  plus  ou  moins 
habilel  Le  manque  de  solîdfitè  du  pouvoir,  le  défaut 
d'apaisement  des  esprits  tiennent  à  des  causes  qu'au- 
cune réforme  administrative,  qu'aucune  amélioration 
dans  le  régime  colonial  ne  sauraient  conjurer.  Bien 
mieux,  il  nous  serait  facile  de  démontrer  que  ces  liber- 
tés, que  ces  institutions  constitutionnelles  et  représen- 
tatives accordées  par  nos  voisins  à  certaines  de  leurs 
possessions  sont  devenues,  entre  Içs  mains  des  colons, 
autant  d'armes  dangereuses  qu'ils  ont  retournées  contre 
la  métropole. 

C'est  ainsi  que  la  constitution  octroyée  aux  îles  lo- 
uiennes,  grâce  à  l'initiative  de  lord  Seaton,  devient  la 
source  de  difficultés  chaque  jour  plus  sérieuses.  L'ex- 
périence a  rpontré  toute  la  vanité  des  illusions  aux- 
quelles op  a  cédé,  en  appliquant  à  cette  jeune  répu- 
blique un  rédme  qui  ne  saurait  convenir  qu'aux 
peuples  arrivés  a  la  maturité.  On  pensait  que  les  insti- 
tutions auxquelles  l'Angleterre  doit  sa  prospérité  pou- 
vaient fleurir  indistinctement  dans  tous  les  terrains  et 
porter  partout  les  mêmes  fruits.  A  l'heure  qu'il  est,  ce 
libéralisme  maladroit  menace  d'enlever  à  nos  voisins 
Tun  des  pluS  beaux  fleurons  de  leur  couronne  mari- 
time. Jusqu'ici,  les  Ioniens  né  se  sont  servis  de  leur 
parlement  que  pour  protester  avec  autant  d'opiniâtreté 
que  de  violence  contre  le  protectorat  de  la  Grande- 

34 


530  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MlLITAmES 

Bretagne,  et  pour  réclamer  avec  une  pei^vérance  que 
rien  ne  semble  devoir  lasser  leur  réunion  au  royaume 
de  Grèce  (1). 

A  Malte,  l'institution  du  jury  a  été  accordée  :  cette 
faveur  est  exploitée  par  les  habitants  comme  un  moyeu 
de  satisfaire  leur  antipathie  religieuse  et  nationale 
contre  la  domination  anglaise.  Comme  aux  îles  Io- 
niennes, on  voit  les  juges  se  faire  les  interprètes  de  ces 
sentiments,  en  montrant  la  partialité  la  plus  révoltante 
ou  rindulgence  la  plus  regrettable  dans  toutes  les 
causes  auxquelles  on  peut  donner  une  couleur  poli  - 
tique,  et  que  l'organisation  de  la  justice  oblige  à  porter 
devant  leur  tribunal.  Naguère  encore,  en  plein  jour, 
au  milieu  de  Taccomplissement  de  ses  devoirs,  uu 
fonctionnaire  anglais  était  assassiné  de  sang-froid  par 
un  Maltais.  Les  autorités  ont  eu  le  déboire  de  voir  le 
coupable,  arrêté  et  convaincu  de  son  crime,  être  con- 
damné à  un  simple  emprisonnement  ('2).  Depuis,  des 
soldats  du  28"  (North-Gloucestershire)  ont  été  assassi  - 
nés  par  des  indigènes.  Une  récompense  de  100  livres 
(2500  fr.)  a  été  promise  à  celui  qui  dénoncerait  les 

(1)  Les  événements  de  Nauplieont  déterminé  une  sorte  de  recru- 
descence dans  Tinsubordination  des  îlesloniennes.  Tout  récemment, 
le  lord  haut- commissaire  Sir  II.  Slorks  a  dû  répondre  à  une  nourrie 
motion  des  députés  ioniens  en  faveur  de  la  réunion  des  Sept  lies  à  bi 
Grèce,  on  déclarant  que  toute  délibération  sur  un  pareil  sujet  serait 
considérée  comme  séditieuse;  et  que  TAngleterre  ne  consentirait 
jamais  k  laisser  mettre  en  question  l'autorité  qui  lui  appartient  sur 
les  Sept  Iles. 

(2)  Le  fonctionnaire  assassiné  par  Guiseppe  Meli,  était  le  direc- 
teur du  port  de  Malte. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     5âl 

jipeurlriers.  Personne  ne  s*est  présenté  pour  la  toucher. 
Un  Maltais  a  été  cependant  arrêté  et  traduit  en  juge- 
ment, mais,  malgré  les  charges  accablantes  qui  s'éle- 
vaient contre  lui,  il  a  été  acquitté  par  le  jury  (1). 

De  pareils  symptômes  ne  sont  rien  moins  que  ras- 
surants. Us  accusent  de  la  part  des  Mallais  de  profonds 
ressentiments  que  la  garnison  anglaise  se  préoccupe 
d'ailleurs  très  peu  d'aggraver,  en  froissant  fort  maladroi- 
tement les  susceptibilités  catholiques,  si  ardentes  et  si 
faciles  à  éveiller  chez  les  races  du  midi  (2).  Dans  telle 
circonstance  donnée,  des  dispositions  semblables  se- 
raient un  véritable  danger.  Nous  en  trouvons  la  preuve 
dans  les  émeutes  des  9  et  1 0  février  qui,  à  la  séance  du 
27  mars  1 862,  de  la  chambre  des  communes,  ont  motivé 
les  interpellations  de  M.  Griffith.  M.  Fortescue  a  pu 
répondre  que  cette  tentative  de  rébellion  n'avait  rien 
de  sérieux  ;  il  n'en  reste  pas  moins  démontré  par  tout 
ce  que  nous  venons  de  voir  que  la  domination  britan- 
nique est  loin  de  trouver  un  appui  dans  les  sympathies 
de  la  population  maltaise. 

(1)  Dans  un  article  intitulé:  Maltese  protection  for  the  british 
soldiers,  un  journal  militaire  anglais  raconte  avec  beaucoup  d'amer- 
tume, Tâcquittement  de  Spiridione,  Tassassin  présumé  des  soldats 
du  28*  de  ligne. 

(2)  Tantôt  les  postes  anglais  refusent  de  rendre  au  Saint-Sacre- 
ment les  honneurs  militaires;  tantôt  ils  refusent  de  fournir  la  garde 
de  révèque;—  récemment  un  capitaine  de  l'armée  anglaise  M.  S***, 
a  été  Tobjet  d'une  enquête  pour  un  refus  formel  d'obéissance  dans 
une  circonstance  de  ce  genre.  Prolestants  la  plupart,  les  militaires 
anglais  affichent  un  profond  mépris  pour  les  pratiques  religieuses 
et  le  culte  extérieur  de  la  population  maltaise,  the  bigotted  Malta, 
comme  ils  rappellent 


5â2  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MIUTAIEES 

Nous  ne  dirons  qu'un  mot  de  Gibraltar.  L'occupa- 
tion de  ce  point  du  territoire  espagnol  par  l'Angleterre 
est  une  honte  qu'un  peuple  remonté  au  niveau  qui  lui 
appartient  ne  peut  aci^epter  éternellement.  D'ailleurs, 
les  doctrines  qui  semblent  prévaloir  aujourd'hui  quant 
aux  droits  des  neutres,  sont  un  premier  pas  vers  l'abo- 
lition de  la  féodalité  des  mers  par  la  neutralité  des 
détroits.  Heligoland,  Malte,  Corfou,  Aden,  Perim, 
Gibraltar,  dont  T  Angleterre  s'est  abusivement  emparée 
et  où  elle  s'est  fortifiée,  sont  autant  de  violations,  en 
droit  et  en  fait,  du  principe  de  la  liberté  des  mers. 
La  reconnaissance  de  ce  principe  par  toutes  les  puis- 
sances maritimes  sera  plus  efficace  que  tous  les  canons 
du  monde  pour  faire  tomber  ces  forteresses.  L'Angle- 
terre pourra  résister  au  mouvement  général,  mais  sa 
résistance  égoïste ,  ciomme  tout  ce  qui  est  en  contra- 
diction avec  la  justice  et  le  droit,  a  son  terme  marqué 
d'avance  (1). 

(1)  Rien  ne  saurait  mieux  confirmer  ces  prévisions,  que  la  solution 
du  dernier  conflit  entre  les  Ëtats-Unls  et  l'Angleterre.  En  réalité, 
malgré  leur , victoire  dans  l'affaire  du  Trent  nos  voisins  nous 
semblent  avoir  joué  à  qui  perd  gagne.  Certes,  Tincident  soulevé  par 
le  capitaine  du  San  Jacinto  était  assez  discutable,  pour  que  le  droit 
des  belligérants  eût  trouvé  autant  de  partisans  et  d'avocats  que  le 
droit  des  neutres.  En  fait,  c'est  Tinterprétaiion  favorableaux  neutres 
qui  l'a  emportée,  grâce  a  l* Angleterre!  L'intérêt  de  la  Grande- 
Bretagne,  comme  première  puissance  navale,  est,  et  a  toujours  été, 
de  défendre  les  droits  des  belligérants.  C'est  pour  protéger  les  abus 
du  droit  de  visite,  et  pour  combattre  les  privilèges  des  neutres,  que 
l'Angleterre  a  fait  ia  guerre  aux  États-Unis,  il  y  a  un  demi-siède. 
N'est-ce  pas  sa  propre  puissance,  n'est-ce  pas  sa  faculté  d'action» 
qu'elle  vient  de  limiter  elle-même,  en  consacrant,  dans  une  circon- 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.      533 

AU  reste,  si  Gibraltar  est  un  des  plus  solides  appuis 
de  la  souveraineté  que  la  Grande-Bretagne  prétend 
conserver  sur  les  mers,  Gibraltar,  comme  tous  les 
autres  postes  dont  nous  venons  de  parler,  est  aussi  une 
source  de  difficultés  et  d'inquiétudes  perpétuelles.  Tout 
récemment  encore,  la  guerre  entreprise  par  TEspagne 
contre  le  Maroc  en  a  révélé  l'étendue. 

Afin  de  conserver  aux  positions  qu'elle  occupe  toute 
leur  importance  militaire  et  navale,  l'Angleterre  est 
obligée  de  surveiller  d*un,œil  jaloux  ce  qui  se  passe 
dans  leur  sphère  d'action.  Tels  sont  les  embarras  ^ui 
résultent  de  cetle  politique  ombrageuse  et  de  ce  con- 
tact difficile  avec'  presque  toutes  les  puissances,  qu'à 
chaque  instant  il  peut  en  sortir  une  demi-douzaine  de 
guerres  fort  respectables.  D'un  autre  côté,  les  temps 
sont  bien  changés,  et  la  hauteur  que  l'Angleterre  ap- 
portait jadis  dans  le  règlement  de  ces  conflits  ne  serait 
plus  de  mise  aujourd'hui.  C'est  ainsi  que  nous  avons 
vu  l'Espagne,  fort  peu  soucieuse  de  l'attitude  prise 
par  nos  voisins  a  l'occasion  des  affaires  du  Maroc, 
poursuivre  sans  hésiter  la  réparation  qui  lui  était  due. 


stance  solennelle,  où  toutes  les  puissances  maritimes  ont  été  en 
quelque  sorte  entendues,  cette  importante  et  décisive  restriction  aux 
droits  des  belligérants? 

En  vérité,  ^en  sacrifiant  ainsi,  de  gaieté  de  coeur,  cette  occasion  de 
eréer  un  magnifique  précédent  en  faveur  de  leurs  plus  vieilles  et 
plus  chères  prétenUons,  nos  voisins,  comme  dirait  un  Irlandais, 
ont  gained  a  loss  (gagné  une  perte). 

L'extradition  de  MM.  Mason  et  Sliddell  a  été,  pour  TAngleterre, 
une  condamnation  éclatante,  prononcée  par  elle-même,  sur  elle- 
même. 


581  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

Pour  Tempêcher  de  fonder  sur  la  côte  du  Maroc  une 
sorte  d'Algérie  espajçnole,  l'Angleterre  n'a  eu  d'autre 
ressource  que  de  payer  elle-môme  les  frais  de  la  der- 
nière guerre.  En  souscrivant  l'emprunt  fort  aventuré 
qui  doit  libérer  le  Maroc,  nos  voisins  ont  sauv^ardé 
pour  le  moment  les  approvisionnements  de  Gibral- 
tar (1)  ;  mais  il  ne  faut  pas  qu'ils  s'y  trompent,  l'ELs- 
pagne  poursuit  avec  persévérance  la  réorganisation  de 
sa  marine.  Son  armée  connaît  déjà  le  chemin  de  Té- 
touan,  et  le  cas  échéant  celui  de  Tanger  serait  encore 
plus  court  pour  sa  flotte.  L'Angleterre  doit  s'y  résigner, 
cet  agrandissement  dût-il  menacer  directement  ses 
intérêts  en  compromettant  la  sûreté  de  Gibraltar  et  en 
affectant  sa  domination  sur  l'entrée  delà  Méditerranée, 
le  jour  où  les  désordres  dont  le  Maroc  est  le  théâtre 
viendraient  à  rendre  utile  l'occupation  de  la  côte  méri- 
dionale du  détroit,  l'Espagne  a  montré  qu'elle  avait 
tout  à  la  fois  et  les  moyens  et  la  résolution  nécessaires 
pour  l'efiFectuer. 

Si  les  positions  militaires  et  maritimes  qu'occupe 
l'Angleterre  ont  aidé  incontestablement  jusqu'ici  à 
l'exercice  de  sa  suprématie  navale,  cet  avantage  tend 
chaque  jour  à  être  plus  chèrement  acheté.  Aujour- 
d'hui, le  système  des  sociétés  modernes  est  tellement 
compliqué  que  nulle  part  des  armées  ou  des  flottes  ne 
peuvent  être  mises  en  mouvement  sans  exciter  les 
alarmes  de  nos  voisins.  Bien  plus,  on  peut  dire  qu'il 

(i)  L'Espagne  ne  vend  rien  à  la  garnison  de  Gibralur;  c*est  du 
Maroc  que  ceUe-ci  est  obligée  de  tirer  ses  bœufs  et  presque  toutes 
ses  denrées  de  première  nécessité. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.      535 

n'est  pas  de  combinaison  louchant  aux  conditions  ma- 
ritimes des  autres  peuples  qui  ne  devienne  forcément 
pour  TAngleterre  l'objet  d'une  surveillance  et  de  pré- 
cautions ruineuses.  Nos  voisins  voudraient  garder  Cor- 
fou  et  ne  plus  subir  la  charge  des  autres  îles  Ioniennes 
qui  ne  sont  qu'onéreuses  sans  compensation.  Ils  ne 
peuvent  se  débarrasser  de  ces  dernières,  parce  que  ce 
serait  abandonner  Céphalonie.  Or,  Céphalonie  qui  n'a 
aucune  valeur  dans  leurs  mains,  pourrait  en  acquérir 
une  aussi  grande  que  menaçante  pour  Corfou  dans 
celles  d'une  autre  puissance.  Nous  venons  de  voir 
leurs  inquiétudes  à  l'endroit  de  Gibraltar.  Sans  sortir 
de  la  Méditerranée  :  ici,  ce  sera  un  simple  dépAt  de 
charbon  accordé  aux  Russes  dans  le  petit  port  df^  Vil- 
lafranca,  qui  les  mettra  en  émoi:  ailleurs,  c'est  le 
percement  de  l'isthme  de  Suez  qui  va  leur  apparaître 
comme  une  menace  à  l'adresse  de  leurs  possessions  in- 
diennes ;  et  la  France  sera  obligée  de  répondre  à  l'oc- 
cupation de  Perim  par  la  prise  de  possession  d'Adolée. 
Bref,  un  volume  ne  suffirait  pas  à  exposer  toutes  les 
craintes,  toutes  les  inquiétudes,  tous  les  embarras  qui 
dérivent  pour  l'Angleterre  de  la  seule  protection  de  ses 
postes  militaires.  Nous  allons  voir  que  les  difficultés 
ne  sont  pas  moindres  en  ce  qui  regarde  ses  colonies 
proprement  dites. 

L'Angleteri;e  possède  sur  la  côte  occidentale  de 
rAfrique  la  Gambie,  Sierra-Leone  et  la  Côte-d'Or. 
L'origine  de  ces  deux  derniers  établissements  remonte 
à  l'époque  où  la  France  fut  remise  en  possession  de 
ses  anciens  comptoirs.  Il  n'entrait  pas  dans  les  habi- 


536  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

tudes  de  nos  voisins  de  laisser  nos  essais  sans  contrôle, 
et  au  besoin  sans  çoiitre-poids.  Ils  ont  donc  ceotralisé, 
sur  la  frontière  mêtne  de  nos  possessions,  dans  réta- 
blissement qu'ils  possédaient  à  rerpbouchure  delà 
Gambie,  toute  leur  organisation  administrative  sur  ses 
cotes.  Nous  n'entrerons  pas  dans  le  détail  des  démêlés 
qui  s'élevèrent,  à  celte  occasion,  entre  la  France  et 
l'Angleterre.  Il  nous  suffira  de  dire  que  nos  voisins 
n'avaient  d'autre  but  que  de  nous  faire  obstacle,  en 
opposant  à  nos  factoreries  leurs  comptoirs  éphémères 
de  Wedab,  d'Appollonie  et  de  Winnebach.  Aussitôt 
que  l'attention  de  la  France  parut  se  détourner  du 
Sénégal  poiv  se  porter  sur  la  Guyane,  l'Angleterre 
s'empressa  d'abandonner  les  établissements  que  nous 
venons  de  nommer,  et  lembouchure  de  la  Gambie  fut 
le  seul  point  où  son  pavillon  fut  maintenu.  Grâce  à 
cette  précaution,  plus  tard,  soiis  le  gouvernement  de 
Juillet,  lorsque  la  France  revint  à  ses  premiers  projets 
sur  le  Sénégal,  l'Angleterre  eut  la  faculté  d'entraver  à 
loisir  le  commerce  de  notre  comptoir  d'Albreda.  Le 
conflit  qui  résulta  de  ces  tracasseries  se  termina  comme 
se  terminaient  alors  tous  les  différents  entre  la  France 
et  l'Angleterrç,  c'est-à-dire  par  une  satisfaction  com- 
plète donnée  aux  exigences  de  cette  dernière  :  Albreda 
devint  un  port  anglais. 

Sous  radministration  intelligente  du  capitaine  (de- 
puis amiral)  Willauraez,  et  plus  lard  sous  celle  du  co- 
lonel Faidberbe ,  la  colonie  du  Sén^al  est  arrivée , 
pendant  ces  dernières  années,  à  un  développement  et 
à  une  prospérité  que  nulle  entrave  ne  saurait  arrêter 


DE   LA    FRANCE   ET   DE   L  ANGLETERRE.  5«^7 

désormais.  En  revanche^  il  s^en  faut  que  la  situation 
des  établissements  anglais  sur  la  côte  d'Afrique  soit 
brillante. 

Enhardies  jpar  la  faiblesse  des  garnisons  deBathurst 
et  de  Freetown,  les  tribus  de  la  Gambie  et  de  Sierra- 
Leone  font,  depuis  quelque  temps,  de  fréquentes  in- 
cursions sur  le  territoire  de  nos  voisins,  et  l'avantage 
ne  reste  pas  toujours  à  c^ux-ci  dans  les  rencontres  qui 
en  résultent.  A  deux  reprises,  le  gouverneur  de  la 
Gambie  a  dû  solliciter  l'appui  des  troupes  françaises 
du  Sénégal. 

Au  mois  de  juillet  1855,  le  colonel  O'Connor,  à  la 
tête  de  toutes  les  forces  disponibles  de  Batburst,  était 
obligé  de  battre  en  retraite  devant  les  habitants  de 
Sabbajee,  après  avoir  perdu  plus  de  la  moitié  de  son 
monde.  A  la  suite  de  cette  affaire,  ce  qui  restait  de  la 
garnison  anglaise  s'est  vu  bloqué  dans  ses  cantonne- 
ments, et  n'a  été  dégagé  que  par  l'arrivée  du  capitaine 
de  Villeneuve  envoyé  en  toute  hâte  par  le  gouverneur 
du  Sénégal.   . 

Depuis,  la  ville  de  Sabbajee  a  été  détruite  par  les 
Anglais,  assistés  d'un  détachement  français  d'infante- 
rie de  marine;  mais  cette  exécution  n'a  pas  suffi  pour 
mettre  un  terme  aux  agressions  des  tribus  musul- 
manes dont  Bathufst  est  entouré.  Tout  récemment 
encore,  un  chef  de  la  rivière  de  Gambie,  le  roi  de 
Baddibao,  a  repris  les  errements  des  anciens  jours  en 
pillant  les  négociants  anglais,  et  ses  alliés  des  royaumes 
mandingues  de  Combo,  de  Barra  et  de  Jocardo^  ont 
imité  son  exemple.  Le  gouvernement  anglais  a  dû 


538  CONSTITUTION    ET   PUISSANCE   MILITAIRES 

laisser  pendant  longtemps  ces  insultes  impunies.  L'ex- 
pédition de  Sabbajee,  oii  l'on  n'avait  à  combattre 
qu'une  tribu,  avait  été  une  lourde  tâche  pour  les  forces 
de  Bathurst  ;  une  guerre  avec  l'État  de  Baddibao,  qui 
possède  une  armée  permanente  et  une  nombreuse  ca- 
valerie, offrait  des  difficultés  bien  plus  grandes. 

Le  successeur  du  gouverneur  O'Connor,  le  colonel 
d'Arey,  s'est  trouvé  dans  un  embarras  d'autant  plus 
grand,  qu'au  point  de  vue  du  prestige  du  drapeau  an- 
glais, il  était  nécessaire  d'entreprendre  cette  nouvelle 
campagne  sans  l'aide  des  Français.  Les  indigènes,  en 
effet,  déclaraient  bien  haut  que,  sans  Tassistance  des 
troupes  du  Sénégal,  ils  auraient  bon  marché  de  la 
garnison  de  Bathurst. 

Nous  ne  pouvons  faire  ici  l'historique  détaillé  de  la 
guerre  de  Baddibao  ;  disons  seulement  que  les  résultats 
obtenus  par  les  Anglais  dans  le  courant  de  1861  n'ont 
pas  été  moins  chèrement  achetés  que  ceux  de  la  cam- 
pagne de  1859.  Grâce  aux  renforts  envoyés  dans  la 
Gambie,  la  colonne  expéditionnaire  se  composait  de 
détachements  des  1  "  et  "2'  régiments  des  Indes  occiden- 
tales, de  600  volontaires,  et  de  l'artillerie  de  la  colo- 
nie ;  elle  comprenait,  en  outre,  un  détachement  du 
train,  fort  de  260  honmies,  et  une  batterie  de  mon- 
tagne  servie  par  des  artilleurs  français.  Malgré  tout  leur 
désir  de  ne  point  réclamer  l'assistance  de  la  France, 
nos  voisins  avaient  été  forcés  de  s'adresser  au  gouver- 
neur de  Gurée,  pour  en  obtenir  le  prêt  des  bêtes  de 
somme  nécessaires  à  leurs  transports.  Cette  demande 
avait  été  immédiatement  accordée,  et  le  capitaine  La- 


DB  LA  FRANGE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     539 

monière,  à  la  tête  d'une  section  d'artillerie,  compre- 
nant deux  obusiers,  avait  amené  ce  petit  convoi  à 
Bathurst  (1). 

La  campagne  de  1861,  dans  la  Gambie,  s'est  ter- 
minée par  la  destruction  de  la  capitale  de  Baddibao, 
et  par  le  payement  d'une  faible  indemnité  arrachée,  à 
grand'peine,  au  souverain  de  cet  État.  Cette  conclu- 
sion n'a  tranché  définitivement  aucune  des  questions 
qui  divisent  les  Anglais  et  leurs  voisins  indigènes.  I^es 
germes  de  mécontentement  qui  continuent  à  se  déve- 
lopper dans  le  Combo  et  le  Baccow  amèneront  néces- 
sairement de  nouvelles  hostilités,  et  le  gouvernement 
de  Bathurst  ne  peut  garder  d'illusion,  quant  à  la  per- 
sévérance avec  laquelle  les  tribus  qui  l'environnent 
semblent  décidées  à  poursuivre  l'expulsion  des  Euro- 
péens. 

A  Sierra-Leone  et  sur  la  Côte-d'Or,  l'occupation 
anglaise  rencontre  les  mêmes  difficultés  que  dans  la 
Gambie.  L'insuffisance  des  ressources  dont  peuvent 
disposer  les  gouverneurs  de  Freetown  et  de  Cap-Coast- 
Caslle,  leur  défend,  le  plus  souvent,  de  punir  les  actes 

(1)  L*bistorieD  de  la  guerre  de  Baddibao  ne.  peut  dissimuler  sa 
mauvaise  humeur,  de  l'obligation  où  ses  compatriotes  se  sont  trou- 
vés de  recourir  aux  Français.  «Le  prêt  des  bêles  de  transport 
envoyées  par  h  gouverneur  de  Corée  a  été,  suivant  lui,  un  embar^ 
ras»  dans  les  circonstances  où  Ton  se  trouvait,  à  cause  de  Tescorte 
qui  les  acx^ompagnait.  »  Cependant  cette  mauvaise  humeurne  Tem- 
pêche  pas  de  rendre  justice  à  nos  arUlleurs:  «  Yet  the  Loan  was 
embarassing,  however  Captain  Lamonière  and  his  little  battery 
were  the  admiration  of  the  expédition,  sa  hiyhly  trained  toere  th^ 
mules,  and  so  effective  was  the  officer.  »  (U.  S.  M.) 


540  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILlTAlHÉS 

d'hostilités  auxquels  est  exposé  le  pavillon  britatinique. 
De  temps  à  autre  seulement,  c'est-à-dire  lorsque  la 
présence  des  vaisseaux  qui  conduisent  les  renforts  au 
Cap  ou  aux  Indes',  permet  un  déploiement  de  forces 
assez  respectables,  les  garnisons  de  la  côte  d'Afrique 
essayent  de  châtier  les  indigènes,  sans  cependant  y 
réussir  toujours.  En  Î859,  une  expédition  des  plus 
pénibles  a  été  dirigée  par  le  gouverneur  de  Sierra- 
Leone  contre  la  tribu  de  Losoos  ;  cinquante-quatre 
bateaux  chargés  de  soldats,  et  appuyés  par  les  embar- 
cations des  vaisseaux  le  Fésuve,  h  Trident  et  le  Spit/ire, 
ont  remonté  la  rivière,  et  ont  attac^ué  la  ville  de  Kam- 
bia  qui^a  été  saccagée.  Les  habitants  de  cette  ville 
étaient  venus. incendjer  les  établissements  delà  vallée 
qui  forme  le  territoire  de  Sierra'-Leone,  jusque  sous  le 
canon  du  chef-lieu  de  la  colonie. 

SurlaCôte-d'Or,  les  Anglais  ont  obtenu  tout  récem- 
ment la  position  de  Lagos,  au  moyen  de  laquelle  ils 
espèrent,  sans  doute,  surveiller  nos  établissements 
du  Grand-Bassam  et  d'Âssiuie.  La  position  est  bien 
choisie,  mais  la  manière  dont  elle  a  été  obtenue 
pourrait  bien  donner  lieu,  plus  tard,  à  des  difficultés. 
Le  capitaine  Bedirîgfield^  proBtant  de  la  découverte 
d'un  complot,  plus  ou  moins  authentique,  dirigé  contre 
sa  vie,  a  obligé,  au  mois  d'août  i86i,  le  souverain  de 
qui  dépendait  Lagos,  à  en  sigiier^Tabandôn  à  l'Angle- 
terre. Cette  cession  n'a  été  rien  moins  que  volontaire  ; 
deux  vaisseaux  anglais  ont  braqué  leurs  canons  sur  la 
ville,  et  ont  débarqué  un  corps  d'infanterie  de  marine, 
à  la  tète  duquel  le  capitaine  Bedingfîeld  a  marché  sur 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     5&1 

la  résidence  royale.  Eu  présence  d'un  ambassadeur 
accompagné  d'une  semblable  escorte,  le  pauvre  sou- 
verain n'a  eu  d'autre  alternative  que  de  signer  le  traité. 
Ce  serait  peu  connaître  les  Africains  que  de  croire  qu'ils 
ne  chercheront  pas  à  prendre  leur  revanche. 

La  colonie  du  cap  de  Bonne-Espérance  est  pour  les 
Anglais,  ce  que  l'Algérie  a  été  pour  la  France,  pendant 
les  vingt  premières  années  qui  ont  suivi  la  conquête 
d'Alger.  Quoique  l'Angleterre  ait  trouvé  au  Cap  une 
colonie  toute  fondée  par  les  Hollandais,  et  bien  que 
son  occupation  remonte  à  une  époque  deux  fois  plus 
reculée  que  celle  de  nos  possessions  algériennes,  elle 
se  trouve  encore  aujourd'hui  en  hostilité  constante 
avec  les  populations  indigènes.  Les  campagnes  qui  se 
sont  succédé,  presque  chaque  année,  sont  loin  d'avoir 
déterj;niné  la  pacification  du  pays.  Sans  parler  des 
guerres  de  1851,  1852,  1853,  contre  les  Hottentols 
rebelles,  auxquels  s'étaient  réunis  les  Tambookis  et  les 
Caffres-Gaika,  il  suffit,  pour  apprécier  les  dangers  qui 
peuvent  menacer  la  colonie  du  Cap,  de  jeter  un  coup 
d'œil  sur  l'état  des  forces  jugées  nécessaires  à  sa  pro- 
tection en  1857.  Pendant  cette  dernière  année,  l'An- 
gleterre n'a  pu  éviter  une  insurrection  que  tout  mon- 
trait imminente,  qu'en  concentrant  jusqu'à  11000 
hommes  à  la  fois  tant  au  Cap  qu'à  Natal.  Sans  compter 
le  g^nie,  l'artillerie  et  les  corps  auxiUaires  et  colo- 
niaux, il  ne  fallut  pas  moins  de  dix  régiments  d'infan- 
terie (2%  6%  12%  lâ%  kb\  7â%  80%  85%  89%  95') 
pour  protéger  les  colons,  et  faire  respecter  les  fron- 
tières. ..    . 


542  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  *ilILltAtËES 

Celle  fâcheuse  situation  est  dueàrabandon  du  svs- 
tème  employé  autrefois  par  Ips  Hollandais  pour  tenir 
les  Caffres  en  échec,  et  à  la  maladresse  que  ron  a 
commise  en  laissant  se  former,  sur  des  frontièies  éten- 
dues outre  mesure,  de  puissantes  confédérations  qu'il 
faut  surveiller,  et  que  Birmingham  et  Manchester  ne 
laissent  manquer  ni  d'armes,  ni  de  munitions. 

Comme  en  Algérie,  à  une  certaine  époque,  on  s'est 
laissé  entraîner  au  Cap,  d'expéditions  en  expéditions,  à 
occuper  un  territoire  tellement  étendu,  que  la  police 
en  devient  impossible.  Sa  constitution  physique,  les 
montagnes  et  les  forêts  qui  le  couvrent,  enlèvent  à  la 
tactique  européenne  ses  plus  précieux  avantages;  de 
plus,  elles  offrent  autant  de  facilités  pour  l'attaque 
que  de  difficultés  pour  la  défense. 

On  commençait  à  espérer,  en  Angleterre,  que  la 
sécurité  avait  fait  quelques  progrès  tant  au  Cap  qu'à 
Natal.  Fort  gênés  pour  satisfaire  aux  exigences  de 
leurs  autres  colonies,  nos  voisins,  en  1861,  avaient  cru 
pouvoir  réduire  la  garnison  du  Cap  a  5000  hommes  (1  ). 
On  a  appris  tout  récemment  que  les  Zulu-Caffres  se 
remuaient  de  nouveau,  et  peu  s'en  est  fallu  que  Natal 
ne  soit  tombé  en  leur  pouvoir.  Les  Zulu-Caffres  habi* 
tent  un  pays  fort  insalubre  pour  les  Européens  au  nord 
de  cet  établissement.  Jusqu'ici  leur  roi  Panda,  parti- 
san des  Anglais,  avait  réprimé  les  incursions  de  ses 

(i)  Ea  12557,  avec  ua  effectif  dépassaot  10  030  hommes,  toute  la 
coloQÎe  du  Cap  avait  dû  prendre  les  armes  (sauf  liOQ  Sommes  du 
S9'  laissés  au  chef-lieu),  pour  se  porter  à  la  froaiière,  et  tenir  les 
Caffres  eu  échec  à  Galeka  et  Slambie. 


De   la   FRANCE    ET   DE   L^ ANGLETERRE.  5/iâ 

gens  sur  le  territoire  de  la  colonie.  Malheureusement 
ce  vieux  chef,  affaibli  par  Tâge,  a  été  obligé  d'aban- 
donner le  pouvoir  à  ses  enfants.  Le  caractère  turbu- 
lent de  ceux-ci  maintient  le  pays  dans  une  anarchie 
complète,  et  le  plus  entreprenant  d'entre  eux,  Cetti-- 
waio,  est  l'ennemi  déclaré  des  Européens. 

Cettiwaio,  après  avoir  tué  un  de  ses  frères,  et  en 
avoir  obligé  un  autre,  ainsi  que  sa  mère,  à  demander 
asile  au  gouverneur  de  Natal,  a  déclaré  la  guerre  à 
deux  autres  fils  du  vieux  Panda,  les  a  battus,  et  forcés 
de  chercher  un  refuge  chez  les  Boërs.  Tous  ces  événe- 
ments, dont  la  frontière  de  rétablissement  européen  se 
trouvait  le  théâtre,  causant  autant  de  désordre  que 
d'agitation,  legouverneur  de  Natal,  pour  y  mettre  fin, 
a  engagé  Panda  à  abdiquer  définitivement  en  faveur  de 
Cettiwaïo.  Cette  mesure  a  été  une  grosso  faute,  et  l'on 
n'a  pas  tardé  à  reconnaître  le  danger  auquel  on  avait 
exposé  la  colonie,  en  ne  profitant  pas  de  l'occasion  de 
démembrer  la  puissante  tribu  des  Zulu-Caffres,  au 
lieu  delà  donner  tout  entière  à  un  chef  hostile  et  en- 
treprenant. 

Le  16  mai  1861,  Cettiwaïo  a  été  proclamé  roi,  et 
un  fonctionnaire  anglais,  M.  Sheepstone,  qui  avait  été 
convié  à  cette  cérémonie,  a  pu  se  convaincre  qu'il  suf- 
fisait d*un  signe  du  nouveau  monarque,  pour  mettre 
en  mouvement  15  ou  20000  hommes  en  armes.  Le 
premier  acte  de  Cettiwaïo  a  été  d'exiger  la  promesse 
de  la  remise  de  son  frère  réfugié  à  Natal ,  promesse 
que  l'envoyé  anglais  n'était  guère  en  mesure  de  refu- 
ser. Depuis,  M.  Scott,  le  gouverneur  de  Natal,  n'ayant 


5&&         CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MIUTAIBES 

pas  rempli  cet  engagement,  Cettiwaïo  a  convoqué 
non-seulement  les  35  ou  40000  hommes  qui  forment 
en  quelque  sorte  son  armée  permanente,  mais  encore 
toute  la  population  màlé  ftn  état  de  porter  les  armes. 

L'attaque  de  la  colonie  anglaise  était  résolue,  et  Ton 
peut  dire  qu'elle  n'a  dû  son  salut  qu'à  la  fidélité  du 
vieux  Panda.  Celui-ci,  en  faisant  prévenir  M.  Scott, 
lui  a  donné  le  temps  de  se  préparer,  et  dé  renforcer  la 
garnison  de  Natal  avec  des  détachements  tirés  du  Cap. 
Cettiwaïo  n'était  plus  qu'à  quelques  lîeues  de  la  fron- 
tière anglaise,  lorsqu'il  a  appris  ([ue  sa  marche  était 
éventée.  Ne  pouvant  plus  compter  surprendre  les  Eu- 
ropéens, il  s'est  retiré  en  dévastant  et  en  pillant  la 
frontière  ;  mais  il  est  évident  que  ses  projets  ne  sont 
qu'ajournés  :  il  attendra  pour  les  reprendre  la  pre- 
mière occasion  favorable. 

Il  nous  reste,  pour  épuiser  la  liste  des  possessions 
anglaises  en  Afrique,  à  dire  un  mot  de  Ttle  Maurice. 
Bien  que  suppoitant  très  patiemment  la  domination 
britannique,  cette  île  sœur,  comme  on  la  nomme  à  la 
Réunion,  est  restée  française  de  cœur.  On  ne  l'ignore 
pas  en  Angleterre  ;  aussi,  lorsqu'il  s'est  agi  de  réduire 
les  crédits  accordés  pour  les  fortifications  coloniales, 
un  membre  du  Parlement  a  demandé  qu'il  fût  fait 
exception  à  l'égard  de  l'tle  Maurice,  en  raison  du  dan- 
ger qui  pourrait  résulter  des  sympathies  bien  connues 
de  sa  population  pour  la  France.  Nous  nous  bornerons 
à  ajouter  que  les  créoles  de  l'ancienne  tle  de  France 
sont  restés  fidèles  à  la  langue  de  leur  mère  patrie,  et 
Tune  des  mesures  qui  les  a  le  plus  froissés  est  la  déci- 


«È  LÀ  Ma*cê  Et  DE  l'ât^gLétêrUb.         Ôâ8 

éibri  Wcfente  tenue  de  Londres  qui  prescrit  t'usagé  de 
là  langue  anglaise  devant  les  tribunaux. 

Efl  parlant  de  Tlle  Maurice,  nous  sommes  atn6Mé  ft 
parlet-  de  Madagascar.  Chacun  sait  les  efifbrtà  infruo- 
ttieux  tetîlés,  àdiflërenles  époques,  par  la  France  pour 
s'établir  sur  ce  magnifique  territoire,  que  Colbert  dé*- 
tarait  du  nom  de  France  orientale.  Si  la  perte  de  nos 
eolonies  indiennes,  et  réloignèment  de  la  mère  patrie, 
A  une  époque  où  la  vapeur  ne  diminuait  pas  encore  Itè 
distances,  ont  été  cause,  en  partie,  de  notre  insueoèv  à 
Madagascar  ;  —  si  le  malheur  des  temps,  en  nous  eii^ 
ievarit  l'Ile  Maurice  (c'est-à-dire  le  seul  poh  offrant 
({Uelque  sûreté  entre  le  cap  de  Bonne-Espérance  et  la 
côte  d'Asie),  nous  a  réduits  à  une  position  d'infériorité 
vîs-à-vis  de  l'Angleterre,  dans  ces  mers  où,  du  teriips 
desDupleix,  des  Laboui^donnais,  des  Suffreii,  notrepd- 
▼illort  tenait  la  première  place,  les  circonstance*  sohl 
bien  changées  aujourd'hui.  L'abaissement  des  bar* 
flères  séculaires  qui  fermaient  la  Chine  et  le  Japon  aul 
Européens,  en  ouvrant  de  nouveaux  débouchés  à  oôs 
ptoduits  dans  la  mer  des  Indes,  doit  donner  à  notre 
marine  de  commerce  un  développement  de  nature  à 
rendre  plus  précieux  que  jamais  nos  établissements  de 
la  côte  orientale  d'Afrique.  D'un  autre  côté,  en  même 
tempàque  notre  établissement  en  Cochinchrne  noui 
adsiet  au  partage  du  monopole  absolu  que  le  coidt 
mefôe  anglais  s'était  arrogé  en  Asie,  le  percement  de 
l'isthme  de  Suez  est  appelé  à  exercer  une  influenoe 
don  moins  grande  que  la  vapeur  sur  l'union  plus  in^ 
time,  sur  les  rapports  chaque  jour  pluii  fréquents  H 

S5 


5&6  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MIUTAIRES 

nos  autres  colonies  avec  la  métropole.  Nous  ayons  dit 
qu'à  l'exception  de  Port-Louis  (lie  Maurice  ou  de 
France),  il  n'existait  guère  de  station  navale  offrant 
une  sécurité  complète  entre  le  cap  de  Bonue-Espé- 
rance  et  la  côte  d'Asie.  C'est  sur  la  côte  de  Madagas- 
car, qui  forme  le  canal  de  Mozambique,  que  les  vais- 
seaux doivent  chercher  un  refuge.  Irréparable  jusqu'ici 
pour  notre  marine  et  notre  commerce,  la  perte  de  l'Ile 
Maurice  peut  trouver  de  lai^  compensations  dans  la 
reprise  des  anciens  projets  de  la  France  à  l'endroit  de 
Madagascar  ;  la  position  d&  cette  belle  tle  à  l'entrée  de 
l'océan  Indien,  et  près  de  la  côte  africaine,  ses  belles 
rades,  sa  grandeur,  l'abondance  de  ses  produits,  sont 
autant  de  motifs  qui  nous  y  convient. 

La  jalousie  de  l'Angleterre  ne  nous  fera  pas  défaut 
dans  la  réalisation  des  projets  dont  Madagascar  pourra 
être  l'objet.  Nous  devons  nous  y  attendre  ;  cette  ja- 
lousie s'est  même  déjà  révélée  à  l'occasion  du  traité  de 
Bali.  Ce  traité,  il  est  bon  de  le  rappeler,  avait  été  con- 
clu avec  les  rois  de  Lambougou  et  de  Boueni,  à  la  suite 
de  Tafiaire  du  brick  français  la  Marie- Angélique.  Le 
capitaine  Fleuriot  de  Langle,  commandantdela  corvette 
la  Cordelière,  avait  reçu  l'ordre  de  châtier  les  habi- 
tants de  la  côte  nord-ouest  de  Madagascar  qui  avaient 
pris  part  au  pillage  de  la  Marie-- Angélique.  Le  résultat 
de  cette  expédition  fut  la  déchéance  de  la  reine  Out- 
singou,  dont  les  sujets  figuraient  en  première  ligne 
parmi  les  auteurs  de  l'attentat  commis  contre  le  navire 
français.  En  outre,  un  traité  a  été  conclu  avec  les  rois 
Tsiahouan  et  Angarezza  sur  les  bases  suivantes  : 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     5&7 

Le  roi  Tsiahauan  reconnaU  les  anciens  droits  de  la 
France  sur  la  partie  de  Madagascar  qu'il  occupe  (la 
baie  de  Bali)  ;  il  assure  aux  bâtiments  français  la  fa- 
culté de  trafiquer  sur  toutes  les  côtes  soumises  à  son 
pouT^oir.  Il  permet  aux  Français  de  s'établir  et  de  com- 
mercer dans  toute  retendue  de  ses  États  ;  leur  accorde 
le  droit  de  remonter  les  cours  d'eau,  de  créer  des  éta^ 
blissementSy  d'utiliser  les  matériaux  de  toute  sorte,  de 
faire  des  cultures  sur  des  terrains  qui  deviendront  plus 
lard  leur  propriété,  après  la  mise  en  rapport,  etc.,  etc. 

Justement  préoccupé  de.  la  transformation  morale 
de  ces  peuples  barbares,  le  représentant  de  la  France 
a  stipulé  en  outre  le  libre  exercice  de  la  religion  chré- 
tienne pour  ses  compatriotes,  le  rétablissement  de  la 
mission  chrétienne,  l'ouverture  d'églises,  d'écoles  et 
de  maisons  d'éducation. 

Les  appréhensions  que  ce  traité  a  fait  nattre  eu  An- 
gleterre n'ont  pas  été  dissimulées  par  les  journaux 
qui  ont  parlé  de  l'expédition  de  la  Cordelière.  L'un 
d'eux  a  été  jusqu'à  prétendre  que  Ttle  Maurice,  en 
1814,  avait  été  cédée  à  l'Angleterre  avec  ses  dépen- 
dances dont  Madagascar  faisait  partie.  Nous  ne  discu- 
terons pas  cette  thèse  renouvelée  de  celle  mise  en  avant 
dans  une  autre  circonstance  à  propos  de  l'Ile  de  Perim« 
La  France,  heureusement,  pour  défendre  ses  droits, 
dispose  de  moyens  plus  efficaces  que  l'iman  de  Mascate. 
Au  reste,  la  possession  de  Tinting,  abandonné  seule- 
ment en  1831  ;  la  conquête  de  Tamatave  sur  les  Ho  vas, 
en  1829,  bien  que  rendue  presque  aussitôt  aux  Beta- 
nimines,  prouvent  suffisamment  qu'en  1815  la  France 


54%  GONSntUTlON  ET  PUISSANCE  UrUTAHUfS 

n'a  en  aucune  façon  aliédé  ses  droits  sur  MadagaBcar, 
pas  plus  qu'elle  n'a  renoncé  à  des  projets  qu'elle  de 
meure  libre  de  reprendre,  à  son  jour  et  à  son  heure, 
dans  Tintérét  de  sa  marine  et  de  son  commerce,  conitae 
dans  rintérèt  général  de  la  civilisation. 

Au  moment  où  la  mort  de  la  vieille  reine  RanaTt- 
bna  semble  présager  un  ordre  de  chose  nouveau  ;  au 
moment  on  son  successeur  parait  désireux  de  tirer 
Madagascar  de  son  antique  barbarie,  la  situation  res- 
pective des  Anglais  et  des  Français  sur  la  cdte  orien- 
tale de  l'Afrique  mérite  une  attention  toute  partiou- 
Hère. 

Si  de  r Afrique  nous  passons  en  Asie,  nous  nous 
trouvons  en  présence  du  colossal  empire  fondé  par  la 
compagnie  des  Indes*  Depuis  l'insurrection  de  t8&7, 
le  gouvernement  de  cette  compagnie  a  été  aboli;  l'ad- 
ministration de  ses  possessions  est  passée  sous  rautorité 
directe  de  la  Couronne.  Comme  le  disent  eux-mêmes 
les  Anglais,  llnde  est  le  défaut  de  leur  cuirasse,  «  ibe 
loide  ehink  in  armour  » .  Si  nous  eu  croyons  l'un  des 
hommes  les  plus  compétents  pour  prononcer  un  pareil 
jugement  (sir  John  Lawrence,  dont  Thabileté  et  Fei- 
périence  ont  contribué,  pour  une  si  grande  part,  à  ht 
répression  de  la  dernière  insurrection),  avant  cioq  a» 
rinde  sera  perdue  pour  l'Angleterre  (1). 
.  Lorsqu'on  SDuge  à  l'admirable  énergie  aveclaqu^ 
l'Angleterre  a  replacé  sous  le  joug  ses  sujets  révoHés, 


(1)  Sir  John  Lawrence  ts  reported  io  hâve  prophecied  that  îndùt 
Ufill  be  lost  to  the  brilish  crown  in  five  fêars.  (V.  S.  ■•) 


DE   LÀ   FRANCE   ET    DE   L\\N6LFrERBE.  5&{l 

on  est  tenté  de  prendre  une  pareille  déclaration  pour 
l'opinion  d'un  alarmiste.  En  y  regardant  de  plus  près, 
on  arrive  bien  vite,  sinon  à  la  partager  complètement, 
du  moins  à  comprendre  très  facilement  les  graves  ap- 
préhensions qui  Tout  dictée. 

Quelle  est,  en  effet,  après  un  siècle  de  possession  la 
situation  des  Anglais  dans  rindeîDe  '25000  hommes 
qui  suffisaient  autrefois  pour  maintenir  les  Hindous 
dans  l'obéissance,  Tarmée  européenne  a  dû  être  portée 
à  100000  hommes  pendant  l'insurrection.  Aujour-^ 
d'hui,  on  estime  que  80000  seront  toujours  indispen* 
sables  à  la  sécurité  de  la  colonie  (1).  Il  y  a  un  siècle, 
aiveà  Plassey;  il  y  a  un  demi-siècle,  Wellington  à 
Âssye  culbutaient  avec  trois  ou  quatre  mille  soldais 
anglais  les  armées  les  plus  nombreuses  que  les  indi^ 
gènes  eussent  jamais  mises  sur  pied.  De  nos  jours,  si 
legéqeral  en  chef  de  l'armée  indienne  est  élevé,  comme 
ses  devanciers,  à  la  pairie,  c'est  pour  avoir  ramené 
de  Lucknow,  sans  se  laisser  entamer,  vingt  mille  soldats 
européem,  obligés  de  battre  en  retraite  devant  oes 
«èmes  Hindous,  jadis  si  méprisés.  Un  pareil  contraste 
serait  aasez  éloquent  pour  dispenser  de  tout  commen- 
toire  sht  les  changements  qui  se  sont  produits  daps 

Après  un  «ècle  de  possession  >  l'expérience  l'a 
proiivé,  l'Angleterre  est  donc  seulement  campée  dai^ 
Vlnde  au  milieu  d'une  race  hostile  qu'elle  doit  déses- 

(l)  La  Commission  chargée  d'arrêler  les  bases  de  la  réorganisa- 
ion  de  Karmée  indienne  demande  80  000  soldats  européens  ainsi 
répartis:  Beflgate,  50000;  —  Madras,  lôOêO;  —  Bombay,  450O0. 


550  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIHES 

pérer  de  s'attacher,  puisque,  après  l'avoir  délivrée  de 
la  tyrannie  de  ses  anciens  maîtres ,  elle  en  a  été  aussi 
mal  payée.  Elle  a  rétabli  sa  puissance  dans  ses  posses- 
sions asiatiques,  mais  elle  ne  peut  la  maintenir  qu'au 
moyen  d'une  inflexible  sévérité.  Aux  yeux  des  Indiens, 
comme  de  tous  les  orientaux,  les  concessions  ne  sont 
que  de  la  faiblesse,  et,  comme  le  disait  encore  rhomme 
éminent  que  nous  citions  plus  haut,  compter  sur  les 
améliorations  et  les  progrès  réalisés  pour  éteindre  les 
instincts  de  révolte  qui  fermentent  aujourd'hui  chez 
les  indigènes,  ce  serait  méconnaître  leur  nature.  L'ex- 
périence n'a  que  trop  prouvé  leur  ingratitude,  et  le 
mot  de  «  reconnaissance  »  n'a  pas  même  d'équivalent 
dans  leur  langue  :  «noward  synonymous  to  ^grati- 
tude »  is  lobe  found  in  ihe  urdu  langucige.  » 

Il  faut  donc  que  l'Angleterre  se  résigne  à  dominer 
dans  l'Inde  par  la  crainte  et  la  terreur,  ou  bien  qu'elle 
se  retire.  Un  r^ime  de  fer  ou  un  abandon  plus  on 
moins  prochain,  telle  est  aujourd'hui  sa  seule  alter- 
native. Malheureusement,  le  déploiement  de  forces 
qu'exige  un  pareil  système  équivaut  presque  à  l'impos- 
sibilité de  son  application.  Aujourd'hui  que  Tlnde  est 
rentrée  matériellement  dans  le  devoir  (bien  que  son 
état  moral  ait  plutôt  empiré),  on  doit  se  demander 
où  les  Anglais  trouveront  les  hommes  nécessaires  pour 
recruter  les  80000  soldats  que  réclame  sa  conserva- 
tion. L'enrôlement  volontaire  pouvait  suffire  autrefois 
à  procurer  25  ou  30000  hommes.  Aujourd'hui  que 
l'espoir  du  pillage  pour  le  soldat,  aujourd'hui  queTes- 
poir  des  honneurs  et  des  grades  pour  les  officiers  ne 


DE  LA   FEAIVCC   ET   DE   L  AlfGLETKRRE.  551 

trouveront  plus  à  se  satisfaire,  par  suite  de  la  pacifica* 
lion  du  pays,  Tenrôleraent  volontaire  ne  peut  que  ré- 
véler une  fois  de  plus  son  impuissance. 

n  est  d'ailleurs  un  autre  danger  dont  il  faut  tenir 
compte.  Les  80000  soldats  anglais  que  la  commission 
parlementaire  a  déclarés  nécessaires,  sont  indépendants 
de  l'armée  native  que  Ton  est  obligé  de  conserver.  Si 
la  population  indienne  était  désarmée,  ces  80  000  sol* 
dats  anglais  seraient  une  garantie  suffisante  contre  la 
rébellion  ;  malheureusement,  pour  la  police  de  leur  im- 
mense territoire^  pour  la  sécurité  des  routes,  pour 
assurer  la  tranquillité  et  la  levée  des  impôts,  les  An- 
glais sont  forcés  d'avoir  recours  à  ces  mêmes  Indiens 
sur  la  Gdélité  desquels  ils  ne  peuvent  plus  compter.  Il 
a  fallu  qu'une  nouvelle  armée  indigène  remplaçât  celle 
des  Cipayes.  Or,  l'histoire  de  ces  derniers  l'a  prouvé 
dans  maintes  circonstances  et  tout  récemment  de  la 
façon  la  plus  cruelle  :  la  mutinerie  des  troupes  four- 
nies par  les  populations  hindoues  est  bien  autrement  à 
redouter  que  la  rébellion  des  populations  elles-mêmes. 
L'insurrection  de  1857,  nous  l'avons  démontré  ail- 
leurs, a  été  avant  tout  une  insurrection  militaire; 
pour  peu  qu'on  cherche  à  se  rendre  compte  de  la 
composition  actuelle  de  l'armée  indigène,  on  verra  que 
les  successeurs  des  anciens  Cipayes  sont  loin  de  pré- 
senter les  mêmes  garanties  que  leurs  devanciers. 

A  l'exception  des  musulmans  qui  ne  comptaient  que 
pour  un  faible  nombre  dans  leurs  régiments,  les  Gi-^ 
payes,  quelles  que  fussent  d'ailleurs  leur  hypocrisie  et  la 
férocité  de  leurs  secrets  instincts,  étaient  d'un  carac^ 


SStf.  GON&TtTUTION    BT    PUISSANCE  MILITAmCS 

tore  soumis  et  discipliné.  Il  en  est  tout  autrement  des 
Sicks  et  des  Punjaubies  auxquels  les  Anglais  ont  fait 
appel  pour  cornbattnj  l'insurrection  de  1857. 

Les  Sicks,  grâce  à  leur  antipathie  pour  les  autres 
races  de  l'Inde ,  grâce  surtout  à  leur  amour  pour  le 
pillage,  ont  servi  volontiers  d'auxiliaires  à  nos  voisins  ; 
mais  ce  peuple  belliqueux,  que  les  Anglais  ont  eu  tant 
de  peine  à  réduire,  apprécie  parfaitement  sa  force 
aujourd'hui.  Son  esprit  guerrier  le  rend,  il  est  vrai» 
bien  supérieur  aux  Cipayes,  mais  ses  habitudes  iurfau*. 
lentes  ^t  indisciplinées  le  rendent  aussi  infinioient  plus 
dangereux. 

A  l'époque  où  Von  avait  besoin  des  Sicks  et  ée^ 
QoArkhas,  on  a  exalté  outra  mesure  leur  valeur.  C'était 
pQutôtre  d'une  bonne  politique  pour  le  momept,  mais 
fl  en  est  résulté  qu'on  a  singulièrement  affaibli  par  oes 
Mogfis  le  prestige  des  Européens.  Les  Sieks  ont  pu 
jugeiT  des  embarras  de  leurs  maîtres,  et  ils  oomprenueut 
(|ue  sans  leur  secours  c'en  était  fait  de  la  domiuatiun 
9,P|[lai$^.  L'influence  que  ces  idées  exercent  aujourd'hui 
sMr  ce^  sf^uvages  alliés  n'est  rien  moins  que  rassurante. 
P{$ig)ière  ils  di^ieiU  hautement  que  c'était  à  eu^i  muti 
gu^  l'on  (levait  la  délivrance  deLucknow  ;  maû^tenaut 
^  n^  se  cachent  pas  davantage  pour  déclarer  que  \n 
répfe^ion  de  la  révolte  est  leur  oetivre,  et  que,  s'il* 
avaient  co^nu  aussi  bien  la  faiblei^^'  de  Wurs  alliw,  %y 
\/f(^  ^  reconquérir  Tlnde  au  prptit  des  Auglais^  ils 
l'auraient  gardçe  pour  eux-mémesi. 

En  présence  de$  dangers  que  révèle  la  fi^^té  «m%- 
p^  d'aui^liaires^  à  la  fois  9t\m  danger^^u^  et  aiKsi 


IIB  LA  FmAKGB  ET  J)E  L  AHQLETEUIE.  55S. 

néoessaires  ;  en  présence  des  diflBcultés  que  rencontra 
l'Angleterre  pour  le  recrutement  de  ses  forces  eurohr. 
péennes,  —  difficultés  qui  se  décupleraient  epcore  s) 
elle  venait  à  être  en  guerre  avec  une  puissance  mari* 
time  quelconque  ;  on  est  moins  tenté  de  traiter  de  p^St 
simiste  Topiqion  que  nous  rapportions  plus  haut  sur  la 
c^uréa  po^ible  de  la  domination  anglaisa  dans  l'Inde. 

Nqi)S  sommes  loin  d'avoir  épuisé  la  série  des  embar*^ 
ra4  intérieurs  d^  lempire  anglo-indien,  et  surtoqt 
d'avoir  dpnnéà  leur  exposé  le  développement  que  comi) 
ipfinderait  j'iptérèt  qui  s'y  rattache.  Mais  nous  avom 
hâte  de  passer  à  une  question  non  moins  important^  : 
pellç  (}e  ses  (}aqgers  extérieurs.  Depuis  quelques  iin- 
s^  sfirtûut,  ces  dangers  semblent  acquérir  uue  gra-; 
vite  de  plus  en  plus  menaçante. 

Pendant  longtemps,  les  Anglais  ont  pu  dominer  en 
A^ic  en  q)ftUres  absolus.  Après  avoir  dépouillé  1^  Por- 
tugais et  les  Hollandais  de  leurs  colonies,  ils  ayaiept 
trqqvé,  il  est  vrai,  pendant  la  seconde  moitiô  du 
xvm*  siècle,  d^  rivaux  à  leur  titille  dans  lesFraoçai^^ 
la  boDteuse  ff^iblesse  de  Louis  XY  et  de  ses  ministres 
devait  affranchir  l Angleterre  du  seul  coutrç-poi^^  ça? 
f^\i\e  de  balancer  son  influence  on  Asie.  Jusqu'en 
\^kOf  TAugleterf-e  avait  donc  poursuivi  sans  entraxes 
et  sans  oontrôle  ses  envahissemenis  continus.  L'I^ur^ 
iyp.(Vpoch|iit  cependant  où,  au  nord  comme  à  l'ouest  ^ 
ses  immense  possessions,  elle  allait  se  trouver  ^  fae^ 
de  la  Russie. 

Dès  le  règne  de  Pierre  le  Grand,  les  expéditions  de 
Çiçbexyichj  sur  Khiva^  et  de  Beveni  sur  Bokbar^,^  $.^r 


55A  CONSTITUTION   BT   PUISSANCE  MIUTAIRES 

raient  pu  faire  pressentir  les  dangers  qui  menacent 
aujourd'hui  la  frontière  de  TAfghanistan.  Enivrés  par 
leurs  succès,  les  Anglais  n'accordèrent  d'abord  que 
fort  peu  d'attention  à  ces  tentatives  incessannïient  re- 
nouvelées par  la  Russie.  L'exemple  d'Alexandre  le 
Grand  et  celui  bien  plus  récent  de  Nadir-Schah  (1739) 
taient  cependant  de  nature  à  leur  ouvrir  les  yeux. 
Au  reste,  il  faut  le  dire,  toute  l'ambition  de  Pierre  le 
Grand  et  de  ses  successeurs,  en  établissant  la  Russie 
sur  la  mer  Caspienne,  sembla  se  borner  dans  le  prin- 
cipe à  détourner  à  son  profit  une  insignifiante  partie 
du  commerce  de  l'Inde  occidentale. 

C'est  à  l'époque  des  premiers  développements  du 
royaume  de  Lahore  qu'il  faut  remonter  pour  rencon- 
trer les  premières  tentatives  d'intervention  sérieuse, 
de  la  part  des  Russes,  dans  les  affaires  de  l'Asie.  Atti- 
rés dans  ces  contrées,  comme  jadis,  en  Europe,  les 
Rarbares  l'avaient  été  par  le  beau  ciel  de  l'Italie,  les 
Russes,  abandonnant  la  mer  à  leurs  rivaux,  se  frayaient 
depuis  quelques  années  une  route  pénible,  mais  sûre. 
Chacun  de  leurs  progrès  dans  l'Asie  centrale  avait  été 
acheté  par  une  lutte  énei-gique  avec  la  nature,  les 
éléments  et  les  hommes.  Peu  à  peu  ils  bâtissaient  des 
villes,  installaient  des  colonies  et  amenaient  l'Europe 
là  où  rien  n'existait  encore.  Souvent  forcés  dé  reculer, 
ils  revenaient  toujours,  par  une  série  d*efforts  lents 
mais  habiles,  au  point  qu  ils  voulaient  atteindre  (i). 


(l)  Comme  le  disait  énergiquement  ud  écrivain  d'oulre-Manche, 
partout,  dans  toutes  les  directions,  les  Anglais  trouvaient  les  Roaseï 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.      555 

La  conquête  des  Anglais  dans  Tlnde  avait  ressem- 
blé à  la  flamme  dévorante  d'un  incendie  qui  vole  en 
tout  sens  et  embrase  Fhorizon  du  feu  d'un  même 
éclair.  Confiants  dans  l'avenir  et  dans  leur  force,  les 
Russes  descendaient  lentement  vers  Tlnde,  comme 
une  vaste  mer  qui  ronge  peu  à  peu  ses  rivages  et  dont 
les  progrès  sont  inaperçus  mais  irrésistibles.  Il  eût  fallu 
être  aveugle  pour  ne  pas  comprendre  enfin  tout  ce  que 
ces  efforts  renfermaient  de  menaces.  Tout  en  affectant 
à  cet  égard  une  indifférence  dédaigneuse,  les  Anglais, 
à  partir  de  18A0,  commencèrent  à  ne  négliger  aucune 
occasion  de  lutter  sourdement  contre  la  Russie.  La 
seconde  expédition  dirigée  par  le  général  Perowski 
contre  le  khanat  de  Khiva,  et  dont  les  préparatifs  dé- 
terminèrent l'Angleterre  à  envahir  l'Afghanistan,  fut 
la  circonstance  décisive  qui  amena  les  deux  peuples 
rivaux  à  lever  le  masque.  Depuis  la  lutte  n'a  cessé 
chaque  jour  de  se  dessiner  davantage. 

Pendant  quatorze  ans,  les  Russes  s'étaient  patiem- 
ment préparés  à  cette  campagne.  Ils  avaient  ménagé 
des  prétextes  pour  leur  agression,  reconnu  les  routes 
qu'ils  devaient  suivre,  et  rassemblé  des  chameaux. 
Mais  la  nature  fut  là  encore  la  plus  forte:  en  un  mois, 
hommes  et  chameaux  périrent  sous  la  neige,  et  les 
tristes  débris  de  l'armée  moscovite  furent  sauvés  par  la 
pitié  des  pâtres  qu'ils  voulaient  asservir.  Telle  était 
l'inquiétude  des  Anglais,  néanmoins,  que,  pour  ôter 

sur  leur  route  :  «  Creepping  on  and  on^  tripping  up  Turkey^  wres- 
tling  toith  Persia ,  treading  on  the  Skirts  of  China^  manœuvring 
with  Japwi.  » 


55€(  CONSTITUTION   ET  P01B«A«CB  MILITAIBBS 

aux  {lusses  le  prétexte  d'une  nouvelle  invasion,  le  capi- 
taine Abbott,  alors  en  mission  à  Khiva,  fut  chargé 
d'oifrir  la  médiation  de  l'Angleterre  pour  négocier  la 
paix  entre  les  puissances  belligérantes.  Le  khan  de 
Kbiva,  grâce  à  cette  intervention,  accorda  à  reaiper- 
reHi'  vaincu  toutes  ses  demandes,  mènoe  celle  d'une 
spnime  considérable  pour  les  frais  de  la  gueri^.  ComiiHi 
ce  prince  se  refusait  à  approuver  cette  dernière  el 
jpij^rre  cqncession,  ce  fut  encore  TAngleterre  qui  Vj 
aiqenaf  en  lui  fournissant,  sous  forme  de  prèl,  la 
^Qime  exigée  par  la  Ru^ie.  Le  Khan  de  Kbivt 
pYtait  pas  le  seul,  du  reste,  auprès  duquel  F  Aqglelene 
(lût  user  de  ce  singulier  modo  d*interveiitioq.  Tout 
récemit^eui,  pour  mettre  un  terme  aux  afipiéheoaiew 
qite  leur  causait  ro<x)upatiou  de  Tétouftn  et  du  littoral 
africain,  nous  avons  vu  qos  voisins  fournir  à  Tempe- 
l'eur  du  Maroc  1^  fonds  nécessaires  pour  désintéreaser 
l'Espagne. 

De  semblables  précautions  peuvent  ajourner  b  dan- 
fgfg,  et  retarder  le  moment  de  la  lutte,  mais  eUe  doit 
éclater  ((kt  ou  tard  en  Asie,  d'autant  plus  violente  qm 
1^  p^Hpl^  rivaux  s'y  seront  pluslougueiaent  préparés. 
A  e^tégard,  les  Anglais  ne  conservent  plus  d'îUusioBft: 
%  The  déJQf  may  y^  be  dUiant,  bui  «  iim^  wUl  tm^ 
^f^^tk&ùwoHuropea^^pQwefs  ^  Asia,  ikfiwnik  mni 
tl^soyi\^y  mil  hâve  lo  figh^  for  ihe  «feminalîcm  {%).  i> 

Chacun  fixe  un  œil  ardent  sur  Sokhara,reatrq)èldB 
commerce  de  toute  la  haute  Asie,  terre  neutre  encore 

(i;  United  service  Magazine, 


Mt   LA   rtlAKCB   ET   bE  L*ANGLkTEfeSE.  SSf 

aujourd'hui,  province  indépendante,  rtiaisqui,  pour  les 
Russes,  n'est  qu'à  centlieues  deKhiva  oii  Ils  revieridront 
tôt  ou  tard.  Celui  des  deux  peuples  qili  occupera  le  t)t*e- 
mier  ce  point  important,  ce  centre  magnétique  qui  les 
attire  également  Tun  et  l'autre,  y  puisera  une  supério- 
rité au  moins  momentanée.  Les  Anglais  Tavaient  toin- 
prisdèsl889,et  c'est  ce  qui  leur  a  fait  dépasseMindus, 
Téritable  limite  de  leurs  possessions,  limitegéographique 
et  tnilltaireà  la  fois.  C'est  pour  multiplier  lés  barrières 
entre  la  Russie  et  THindoustan,  p^iUr  éloigtier^,  auidnt 
que  possible,  le  théâtre  de  la  lutte,  qu'ils  ont  eiitrdprls 
la  guerre  de  l'Afghanistan,  et  occupé  les  villes  dé 
Caboul  et  de  Candahar,  cos  places  que  ThistOrieti 
d'Akbar,  Aboul  Fazel,  signalait  dès  1602  comme  les 
seuls  boulevards  de  Tempife  mogoi  (1).  C'est  poiiHa 
même  raison  que  le  gouvernement  de  Calcutta  aVaJt 
autorisé  plusieurs  officiers  anglais,  qui  voyageaient  âis 
côté  d'Hérat,  à  se  jeter  dans  cette  place,  et  à  aider  à  sa 
défense  contre  les  Perses  et  les  officiers  russes  (|nî 
étaient  avec  euî.  Enfin,  c'est  encore  le  même  rtitrtif 
qui  a  eugtagé  les  Anglais  à  relever  las  fortifications  de 
celte  place,  et  à  faire  continuer,  par  le  major  Todd 
Td^iiVresl  bîefn  commencée  pa^  le  lieutenant  EIdred 
Potinger. 

Depuis  bien  des  années  déjà,  pour  défendre  la  fron- 
tière occidentale  de  ses  possessions  indiennes,  l'Angle- 
terre en  est  réduite,  tour  à  tour,  à  protéger  l'indé- 
pendftDce  d'Hérat  contre  les  attaques  de  la  Perse,  et 

(1)  Loub  Herman,  Histoire  de  VInde. 


558  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIBCS 

rintégrité  de  la  Perse  contre  les  empiétemrats  de  la 
Russie.  On  ne  connaîtra  jamais  ce  qu'elle  a  dépenséd'w 
et  de  peine  à  ce  jeu  difficile  (1).  Cependant,  malgré 
toute  sa  vigilance,  elle  n'a  pu  imposer,  jusqu'ici,  qu'une 
barrière  impuissante  aux  progrès  de  sa  rivale.  En  1856, 
elle  a  dû  déclarer  la  guerre  à  la  Perse  pour  protéger 
Hérat.lA  prise  deBushire  et  de  Mohammerah  n'a  été, 
en  définitive,  qu'un  coup  d'épée  dans  l'eau.  Les  con* 
cessions  que  TAngleterre  a  obtenues  par  le  traité  que 
Feruck  Khan  est  venu  signer  à  Paris  n'ont  pas  modi- 
fié la  situation.  Ce  qu'il  eût  fallu  à  l'Angleterre,  à  la 
place  des  insignifiants  comptoirs  de  Kharack  et  de 
Bushire,  c'est  un  avant-poste  sur  la  mer  Caspienne; 
sur  la  mer  Caspienne  où  la  Russie  domine  à  l'heure 
qu'il  est,  où  elle  entretient  une  flotte  de  navires  à 
vapeurs,  où  elle  bâtit  et  arme  chaque  jour  de  nou- 
velles forteresses  (2). 

Aujourd'hui  que  la  Russie  en  a  fini  avecScbamyl; 
aujourd'hui  qu'elle  est  maîtresse  des  défilés  de  Bayazîd, 
avant  qu'une  armée  anglaise  ait  le  temps  d'arriver  de 
rinde  pour  s'y  opposer,  une  armée  russe  peut  être 
maîtresse  de  Téhéran. 

Aussi  longtemps  que  T  Angleterre  a  pu  prendre  les 

(1)  L*Ângleterre  a  subventionné  successivement  la  Perse  pendant 
sa  guerre  coutre  la  Russie,  et  le  chef  d*Hérat«  Kamram,  pendant 
ses  démêlés  avec  la  Perse.  Ce  dernier  a  touché  des  sommes  fabu- 
leuses, de  la  Compagnie  des  Indes. 

(2)  La  Russie  a  dix-sept  vapeurs  sur  la  Caspienne  qui  serrent  ^ 
approvisionner  ses  forts;  ÂralsL  le  dernier  construit  a  42  pièces 
en  batterie,  et  une  garnison  de  2000  hommes. 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     559 

instruments  de  sa  domination,  au  sein  même  de  llnde, 
et  en  opposant  les  unes  aux  autres  les  différentes  races 
qui  la  peuplent,  Tlnde  a  enrichi  la  nation  anglaise,  et 
ses  revenus  ont  suffi  à  couvrir  les  dépenses  de  son  occu- 
pation. Depuis  que  cette  occupation  exige  une  armée 
quatre  fois  plus  considérable  que  par  le  passé  ;  depuis 
que  la  progression  des  dépenses  semble  le  disputer  à  la 
diminution  des  revenus,  chacun  comprend  que  l'Inde 
ne  peut  plus  être  pour  TAngleterre  ce  qu'elle  a  été 
autrefois. 

Comme  compensation  à  Tlnde  qui  lui  échappe,  ou 
dont  Fétat  d'épuisement  et  de  ruine  menace  de  ne  plus 
l'enrichir  de  longtemps,  l'Angleterre  avait  compté  sur 
la  Chine.  Où  aurait-elle  pu  trouver,  en  effet,  un  plus 
magnifique  débouché,  pour  son  commerce,  que  ce 
splendide  empire  de  300  millions  d'âmes?  Malheureu- 
sement, sur  ce  nouveau  terrain,  elle  devait  encore  ren- 
contrer la  Russie. 

Longtemps  les  progrès  de  la  Russie  dans  l'Asie  cen- 
trale ont  été  entourés  d'un  mystère  qu'il  était  bien  dif- 
ficile de  percer.  Aujourd'hui,  la  lumière  s'est  fait  jour. 
Dès  à  présent,  on  pourrait  écrire  un  volume,  et  certes 
des  plus  intéressants,  sur  l'histoire  des  tentatives  et  des 
progrès  de  la  Russie,  tant  pour  se  mettre  en  contact 
avec  la  Chine,  que  pour  s'ouvrir  une  communication 
avec  l'océan  Pacifique  (1). 

(1)  Ce  liyre  est  déjà  fait,  en  partie  au  moins  ;  voir  Touvrage  inti- 
tulé: Oriental  and  western  Siberiaj  A  narrative  ofsevenyears  expio^ 
rations  and  adverUures  in  Siberia^  Mongolia,  the  Kirghiz  steppes^ 
Chinese  Tariary  and  part  of  central  Asia^  pari.  W.  AtLinson. 


feéO       ccwrstiîttiON  Et  t>utssANdE  kuTiiikÉS     • 

Bornons-flous  à  constate^  que  ces  efforts  |)ersété^ 
Mnts  ont  été  couronnés  d'un  plein  succès.  Entreprise 
eh  1643,  alors  que  la  Russie  ne  possédait  encore 
qu  un  petit  affluent  de  l'Amour  :  TÀrgun,  celte  tâche 
ârdiié,  poursuivie  pendant  deux  siècles  à  traders  dft 
altertlalives  de  succès  et  de  revei-s,  cette  lâche  gigan- 
tesque est  accomplie  aujourd'hui.  De  concesâionâ  eu 
ëoricessions,  depuis  Tannée  1 7-28,  où  ils  enroyaient  leur 
pt^emier  ambassadeur  k  Pékin,  les  Russes  ont  fltti  pftir 
obtenir  la  possession  complète  de  la  vallée  de  rArhoiiK 
Bien  Sertie  par  les  événements  (2),  mieux  senie 
encore  par  les  hommes,  grâce  aux  Poyarkof,  aux  Sle^ 
pahdf,  aux  Tchernigousky,  aux  Putiatine,  aux  Moiira- 
tief,  la  Russie  peut  se  demander,  à  l'heure  cJu'H  est,  si 
la  Chine  né  doit  pas  être  pour  elle,  ce  que  l'Inde  à  été 
pour  l'AngteteiTe  :  «  ff'hat  India  hasbeen  to  Bngland, 
China  inay  bècome  to  Rvssid.  » 

Le  seul  cours  d'eau  important  qui  né  se  jette  pas 
dahsTocéan  Arctique,  F Awiour  est  la  grande  artère  de 
TAsie  centrale.  Ce  fleuve  est  la  clef  du  pays,  et  le 
peuple  qui- possède  sa  vallée,  est  en  quelque  aorte 
toattre  de  la  Chine,  car  il  commande  le  désert  de  Gobi, 
]à  seule  défense  véritable  de  Tempire  du  côté  du  noni; 
NàV^bte  dans  la  plus  grande  partie  de  son  eourSi 
TAdiour  présenter  en  outre  une  communication  adoti- 

(2)  La  Russie  a  été  bien  servie,  même  par  ses  revers  :  son  poste 
(f  Âlbacin  ayant  été  pris  par  les  Chinois,  ses  habitants  (arts  prison- 
rtîersont  été  transportés  d  Péltin  ;  ils  y  ont  formé  une  pèffrc  colonie 
ÉtiseUn  même  de  Tempire,  et  leurs  descendants  ont  beauooapcontri- 
bué  an  progrès  de  l'iofloence  russe  en  Chine*. 


DE  LA   PRANCë   et   DE   L'ANGLETERRE.  561 

rable  avec  l'océan  Pacifique,  et  depuis  qu'ils  en  ont  la 
libre  navigation,  les  Russes  Tont  déjà  sillonné  de  leurs 
bateaux  à  vapeur. 

Une  conquête  aussi  avantageuse  ne  pouvait  man- 
quer d'exciter  les  craintes  jalouses  des  Anglais.  Pen- 
dant la  guerre  de  Crimée»  leurs  vaisseaux  ont  bom- 
bardé Petropawlousky,  la  forteresse  que  les  Russes  ont 
établie  à  Tembouchure  de  T  Amour.  Us  ont  reconnu  Tun 
des  théâtres  de  leurs  luttes  futures.  Pour  ne  pas  être 
pris  au  dépourvu,  ils  devront  se  hâter  d'y  revenir.  En 
attendant,  si  la  devise  «  Trop  tard,  —  toujours  trop 
tard  »  semble  adoptée,  depuis  quelques  années,  par 
nos  voisins,  dans  toutes  leurs  entreprises,  en  revanche, 
les  Russes  ne  perdent  pas  leur  temps.  Rien  ne  saurait 
mieux  caractériser  la  position  qu'ils  ont  su  prendre  en 
Chine,  que  le  simple  fait  de  la  présence  de  leur  am- 
bassadeur, du  général  Ignatieff,  paisiblement  installé  à 
Pékin,  au  moment  où  larmée  anglo-française  était 
obligée  d'en  enfoncer  les  portes  à  coups  de  canons. 

Puisque  nous  venons  de  parler  de  la  France,  en  ter- 
minant cet  aperçu  de  la  situation  respective  des  Anglais 
et  des  Russes  en  Asie,  constatons-le  avec  une  satisfac- 
tion bien  légitime  :  grâce  à  la  politique  habile  qui  a  su 
associer  notre  drapeau  à  tout  ce  qui  s'est  accompli 
d'important  dans  cette  partie  du  monde;  grâce  au 
développement  donné  à  notre  marine  ;  grâce  enfin,  au 
point  d'appui  solide  que  nous  offre,  dès  à  présent, 
notre  établissement  en  Cochinchine,  notre  flotte  et 
notre  armée  peuvent  figurer  avec  honneur  dans  ces 
mers  où,  depuis^un  demi-siècle,  nos  vaisseaux  étaient 

36 


62  CbNSTlTtJTIbh   ET  PUISSANCE  lUliTÂlkES 

réduits  au  plus  humble  des  rôles,  et  où  notre  paviUoii 
n'abritait  plus  que  les  tristes  débris  des  tnagntfiques 
possessions  acquises  jadis  à  la  France  par  le  génie  des 
Dupleix,  des  Labôurdonnals  fet  des  Suffi-en. 

Quelle  que  soit  donc  la  lournure  que  prendront  les 
événements,  quelle  que  soit  l'issue  des  luttes  qui  se  pré- 
parent, suivant  que  le  lui  commanderont  sa  dignité  et 
ses  intérêts,  la  France  est  en  mesure  d'assister  aux  uns, 
ou  de  prendre  part  aux  autres,  dans  les  conditions 
que  comporte  le  rang  qu'elle  a  su  reconquérir  dans  le 
ûlonde. 


GbiPlTRB  XXm  ET  DERNIBR. 

SUwUi&ndeê  possessions  anglaises  en  Àfnérique.  ^liiûé&  occidenta- 
les ou  West  Indies  ; —VéiaihWssemeni  de  Belise  et  les  indigèuesdu 
Yucatan.—  La  Guyane  anglaise.— Les  Antilles.  —  Les  Américains 
fei  les  Anglais  en  présence  dans  TAmérique  centrale.  —  Posses- 
Mons  de  rAmériquê  du  Nord.  —  Nouvelle-Calédonie.  -  lie  de 
Tancouver.  —  Démêlés  des  Anglais  et  des  Américains  dans  TOré- 
gon.  —  Le  Canada.  —  Dispositions  de  la  population  française.  — 
uifficultés  intérieures  et  extérieures.  —  Insurrection  de  Papineau. 

—  Incendie  du  Parlement.  —  Rivalité  des  t^^rançais  et  des  Anglais 
au  Canada.  —  Politique  de  l'Angleterre  visrà-vis  des  Ëiats-Unis. 

—  Affaire  du  Trent,  ses  conséquences.  —  Les  Anglais  auraient 
désiré  la  guerre.  —  Conduite  probable  des  Américains  lorsque 
la  guerre  civile  sera  terminée.  —  Dangers  qui  menacent  TAmé- 
Hque  anglaise.  —  Ëchecs  maritimes  éprouvés  par  les  Anglais 
dans  la  guerre  de  1812  contre  les  États-Unis.  --  L'Australie.  -* 
Guerre  de  la  Nouvelle-Zélande. 

CONCLUSION. 

1^  colonies  anglaises  ne  sont  qu'imparfaitement  protégées.  — 
EfTeclif  des  troupes  consacrées  à  leur  défense.  —  Situation  de 
l'armée  anglaise  au  i"  avril  1862.  —  L'armée  delà  inétropole. 

—  Conséquences  de  l'adoption  des  navires  k  vapeur.  —  L'Angle- 
terre n'est  plus  une  île.  —  Chiffre  des  troupes  qu'elle  pourrait 
hiettréen  ligné  en  cas  d'invasion.  —Opinion  de  Wellington,  Bur- 
goynp,  Douglas,  F.  Head,  Haclntosh^Napier,  bowles,  Ëlliot,ftc., 
sur  rinsttfflsance  de  ses  moyens  de  défense;  —  L'alliance  fhm-^ 
çaise  est  indispensable  à  l'Angleterre. 

Nous  avons  vu,  au  Chapitre  xm,  que  les  possessions 
anglaises»  en  Amérique,  se  groupaient  sous  deux  titres 
distincts  :  le  domaine  maritime  {ff^est  Indies),  et  les 
provinces  continentales  {Norêh  America). 


56&  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIEES 

Nous  ne  dirons  qu'un  mot  du  domaine  maritime. 
Depuis  Tabolition  de  l'esclavage,  les  différentes  lies  qui 
le  composent  sont  devenues  pour  TÂngleterre  une 
charge  sans  compensations,  et  une  source  d'embarras 
perpétuels.  Onéreuses  en  temps  de  paix,  ces  lies  se- 
raient très  difficiles  à  protéger  en  temps  de  guerre.  A 
Texception  de  la  Jamaïque,  de  la  Barbade,  d'Ântigoa 
et  des  Bermudes,  toutes  les  autres  (i),  soit  par  l'insuf- 
fisance de  leurs  garnisons,  soit  à  cause  du  mauvais 
état  de  leurs  défenses,  seraient  incapables  de  résister 
à  Tattaque  d'une  simple  frégate. 

La  même  observation  peut  s'appliquer  aux  établis- 
sements de  Belise  [Honduras),  et  de  Demerara  {Brilish 
Guyana),  que  l'Angleterre  possède  encore  sur  la  côte 
du  golfe  du  Mexique.  Indépendamment  de  leur  fai- 
blesse, qui  les  exposerait  aux  insultes  du  premier  croi- 
seur ennemi,  ces  deux  postes,  en  temps  de  guerre,  et 
pour  peu  que  les  communications  fussent  coupées, 
auraient  aussi  à  lutter  contre  des  difficultés  locales  qui 
pourraient  compliquer  singulièrement  leur  situation. 

Grâce  à  l'anarchie  qui  désole  le  Mexique,  les  indi- 
gènes de  la  presqu'île  du  Yucatan  vivent  dans  un  état 
de  révolte  ouverte  contre  les  autorités  de  Merida  (2). 
Depuis  nombre  d'années,  les  Anglais  ont  à  souffrir  de 
leurs  incursions.  Jusqu'ici,  ces  Indiens  semblent  se 
soucier  aussi  peu  des  menaces  que  de  l'intervention  des 

(i)  Les  Lucayes,  Bay  Island,  Grenade,  SaiDl-ViDcent,  Tobago, 
Saint-Christophe,  la  Dominique,  la  Trinité,  Nevis,  Monsemt,  les 
Iles  de  la  Vierge,  etc.,  etc. 

(2)  Merida,  chef-lieu  de  la  province  mexicaine  du  Yucatan. 


DE  LA  FEANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     565 

gouverneurs  de  Belise.  Il  y  a  quelques  années,  malgré 
la  présence  d'un  envoyé  anglais,  un  chef  indigène, 
nommé  King-Puc,  a  fait  égorger  et  torturer  sous  ses 
yeux  tous  les  prisonniers  espagnols  qui  étaient  tombés 
entre  ses  mains,  à  la  suite  du  sac  d'une  petite  ville 
mexicaine  nommée  Bacalar. 

Depuis,  ces  mêmes  Indiens  ont  massacré  un  corps 
de  3,000  hommes  envoyé  contre  eux,  sous  les  ordres 
du  général  mexicain  Jeraldo  Castille,  par  les  autorités 
de  Merida.  A  la  suite  de  ce  désastre,  les  malheureux 
Espagnols  du  Yucatan  sont  venus  se  réfugier  sur  le 
territoire  de  la  colonie  anglaise,  où,  avec  la  permission 
du  gouverneur  de  Belise,  ils  ont  fondé  la  ville  de  Co- 
rosal.  Depuis  cette  époque,  et  à  cause  de  cette  protec- 
tion, l'établissement  anglais  de  Honduras  est  devenu 
le  but  d'agressions  continuelles  de  la  part  des  Indiens. 
Au  mois  de  mai  1860,  King-Puc  a  franchi  la  fron- 
tière avec  ses  gens,  et  est  venu  enlever  des  colons  sous 
les  yeux  de  la  garnison  anglaise  chargée  de  protéger 
Corosal.  Toutes  les  réclamations,  toutes  les  démarches 
du  gouverneur  de  Belise,  à  l'occasion  de  cette  viola- 
tion du  territoire  anglais,  ont  été  méprisées  par  les 
Indiens;  bien  plus,  deux  oflBciers  envoyés  près  de  leur 
chef  ont  couru  les  plus  grands  dangers,  et  ont  eu 
grand'peine  à  sauver  leur  vie. 

A  la  suite  d'une  nouvelle  incursion  tentée  le  lA  avril 
1861  par  les  gens  de  King-Puc,  M,  Price,  gouverneur 
de  Honduras,  a  proclamé  la  loi  martiale  et  armé  les 
Européens.  II  a  demandé  en  môme  temps  des  renforts 
à  la  Barbade^  mais,  en  dépit  de  quelques  compagnies 


^  CONSTITUTION  ET  f»UISSANCE  fOLITAIf^fS 

qui  lui  ont  été  envoyées,  il  devient  pbaque  jour  ^w 
évident  qu^  les  Indiens  sont  aussi  éclairés  si^f  la  fa^^: 
blesse  des  moyens  de  défense  de  Belise,  que  ^isposé^  j| 
en  profiter. 

Dans  son  examen  du  meilleur  système  d'occupatîpq 
des  Indes  occidentales,  le  comité  de  défense  des  colo- 
nies a  émis  Topinioq  que  toutes  les  troupes  disponibles 
devaient  être  concentrées  à  la  Barbade  et  à  la  Jamaïque. 
Ce  comité  a  été  d'avis,  en  outre,  que  les  trois  régi- 
ments coloniaux  {fVest  Indies  régiments)  devaient  suf- 
fire à  la  protection  des  possessions  du  golfe  du  Mexi- 
que, et  que  la  flotte,  en  cas  de  guerre  extérieure,  serai^ 
bien  plus  efficace,  pour  leur  défense,  que  tous  les  petits 
détacbements  disséminés  dans  les  diflTérentes  lies. 

La  mesure  qui  tendrait  au  rappel  de  ces  détacbe- 
ments ne  pourrait,  sans  danger,  être  appliquée  à  l'éta- 
blissement de  Belise.  L'action  de  la  marine  ne  pour- 
rait évidemment  s'exercer  sur  les  Indiens  qui  habiteo( 
le  centre  de  la  presqulle  du  Yucatan  ;  or,  ce  sont  pré- 
cisément ces  derniers  qui  menacent  la  colonie,  ce  sont 
les  tribus  de  Santa-Cruz  qui  ont  envahi  à  plusieurs 
reprises  le  territoire  anglais,  et  commis  les  outrages^ 
jusqu'ici  impunis,  dont  nous  avons  parlé. 

Nous  avons  exposé  sommairement  les  difficultés  avec 
lesquelles  les  Anglais  sont  aux  prises  à  Honduras.  Nous 
devons  encore  signaler,  au  moins  pour  mémoire,  celles 
que  leur  a  suscitées,  dans  ces  mêmes  régions,  leur  ma- 
nie d'intervention  et  de  protectoraL  II  y  a  vingt  ans, 
en  1842,  TAngleterre  a  failli  se  brouiller  avec  le  Brésil, 
grâce  à  l'appui  que  le  gouverneur  de  la  Guyane  a  donné 


DE  LA   FRANGE  ET   ^E   (.'aNG^T^H^.  ^Q7 

aux  Indiens  Macusi  (1).  f\w$  fécpmmeut,  je  protqçtq- 
rat  intéressé  qu'elle  sl  prétqqdu  exercer  ft  l'endroit  dç 
Mosquito  n'a  pas  eippêché  Gveytown  4*êtve  bopibardé, 
mais,  en  revanche,  peu  s'ep  est  fallu  que  la  guerre 
n'eii  soit  résultée  avec  les  États-Unis. 

Sans  donner  plus  d'importance  qu'il  pe  convient  aux 
difficultés  que  nous  venons  de  résumer,  nous  avons  cr^ 
utile  de  les  rappeler  comme  une  preuve  de  plus  des 
embarras  sans  nombre,  des  dangers  incessants  «aux- 
quels, à  toute  heure,  çt  sur  tous  les  points  du  globe, 
r Angleterre  se  trouve  exposée  par  l'immensité  et  I4 
dissépiination  de  son  çlomaine  extérieur. 

Nous  avons  dit  que,  parmi  les  nombreuses  colonies 
qui,  à  une  ^utre  époque,  ont  assuré  à  l'Angleterre  la 
domination  de  la  mer  des  Antilles,  trois  oq  quatre  seu- 
lement avaient  aujourd'hui  une  véritable  importance 
milit^iire.  Op  se  demandera  sans  doute  pourquoi  l'An- 
gleterre ne  borne  pas  sop  occupjition  à  la  Jamaïque,  à 
la  Barbade,  etc. ,  et  pourquoi  elle  ne  laisse  pas  les  États- 
Unis  prendre  à  leur  remorque  toutes  ces  ties,  toutes 
ces  colonies  simplement  onéreuses  poqr  la  métro- 
pole? Les  considérations  qui  s'opposent  à  cet  abandon 
sont  du  même  ordre  que  celles  déjà  présentées  à  propos 
de  Corfou  et  des  îles  Ioniennes.  Insignifiantes,  relative- 

(i)  Les  lodiens  Macusi  habitent  un  district  situé  dans  les  envi- 
rons 4u  fort  San-Joaquim  sur  le  rio  Branco.  Ce  district,  sur  lequel 
TAngleterre  a  prétendu  étendre  son  protectorat,  est  situé,  non  pas 
sur  la  frontière,  mais  bien  sur  le  territoire  brésilien.  Jusqu'en 
iSA2,  la  Tille  de  Perara,  ûes  Indiens  Macusi,  et  le  lac  Àmucee,  sur 
les  bords  duquel  elle  est  située,  avaienl  toujours  été  considérés 
comme  appartenant  au  Brésil, 


568  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

ment  parlant,  pour  l'Angleterre,  certaines  des  Antilles,         j 
entre  les  mains  d'une  autre  puissance,  pourraient  ac- 
quérir une  importance  assez  grande  pour  balancer         i 
celle  des  stations  militaires  qui  assurent  sa  prépondé-  j 

rance  dans  ces  parages.  C'est  la  sécurité,  c'est  l'inté- 
grité de  ces  dernières  qui  commande  la  conservation 
de  toutes  les  autres ,  si  coûteuses  et  embarrassantes 
qu'elles  soient. 

A  Belise,  le  danger  qui  menace  l'Angleterre  ne  vient 
pas  seulement  des  Indiens  du  Yuc^tan.  Le  temps  oiî 
les  expéditions  de  Walker,  et  où  les  conflits  du  Nicara- 
gua et  de  Costa-Rica  tenaient  le  Nouveau-Monde  en 
émoi,  n'est  pas  encore  bien  loin  de  nous.  On  n'a  pas 
oublié  les  tentatives  que  les  États-Unis  ont  faites  pour 
prendre  pied  dans  l'Amérique  centrale.  La  possession 
de  l'isthme  de  Panama,  qui  les  rendrait  maîtres  du 
passage  le  plus  court  entre  l'Atlantique  et  le  Pacifique, 
a  été  de  tout  temps  l'objet  de  leurs  plus  ardents  désirs, 
aussi  voient-ils  d'un  œil  jaloux  et  envieux  l'influence 
croissante  de  leurs  rivaux  à  Mosquito.  Ils  sentent  que 
le  plus  grand  obstacle  à  la  réalisation  de  leurs  projets 
est  bien  plutôt  à  Honduras  qu'à  Mexico  ;  de  leur  côté, 
nos  voisins  ne  se  font  pas  illusion  sur  les  tendances 
qui  les  menacent.  En  résumé,  on  peut  dire  que  les 
Anglais  et  les  Américains  sont  en  présence  et  en  riva- 
lité dans  l'Amérique  centrale,  tout  comme  dans  l'Amé- 
rique du  Nord  où  nous  allons  les  suivre. 

Les  possessions  anglaises  dans  l'Amérique  du  Nord 
s'étendent  depuis  le  cap  Sable  dans  la  Nouvelle-Ecosse, 
jusqu'à  la  frontière  russe  dans  les  riions  arctiques. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  L' ANGLETERRE.     569 

Elles  embrassent  le  continent  tout  entier  dans  sa  lar- 
geur entre  T  Atlantique  et  le  Pacifique,  enfin  elles  re- 
présentent  une  superficie  plus  grande  que  celle  de  VEu-- 
rope.  Nous  ne  dirons  qu'un  mot  de  celles  de  ces 
colonies  qui  ne  sont  pas  en  contact  immédiat  avec  les 
États-Unis  d'Amérique.  A  l'exception  de  Terre-Neuve, 
où  le  droit  de  pêche  avait  soulevé,  entre  l'Angleterre 
et  la  France,  des  difficultés  réglées  aujourd'hui;  à 
l'exception  du  cap  Breton,  ancienne  colonie  française 
dont  les  habitants  ont  conservé  la  langue  et  les  mœurs 
de  leur  mère  patrie;  les  autres  possessions  anglaises, 
telles  que  :  la  Nouvelle-Ecosse,  le  Nouveau-Brunsv^rick, 
le  Labrador,  les  lies  du  Prince-Edouard  et  d'Anti- 
costi,  etc.,  etc.,  sont  autant  d'annexés  où  l'activité 
britannique  peut  se  déployer  sans  entraves  et  sans  se 
heurter  aux  embarras  d'un  dangereux  voisinage.  Si  la 
même  observation  peut  s'appliquer  encore  aux  im- 
menses territoires  exploités  par  la  compagnie  delà  baie 
d'Hudson,  il  en  est  tout  autrement  des  possessions 
situées  sur  l'Atlantique  et  le  Pacifique,  et  qui  touchent 
aux  États-Unis. 

Les  territoires  anglais  sur  le  Pacifique  sont  compris 
sous  la  dénomination  générale  de  Nouvelle-Calédonie. 
Us  embrassent  :  la  Colombie  anglaise,  la  Nouvelle- 
Géorgie,  le  Nouvel-Hanovre,  le  Nouveau-Norfolk,  les 
Iles  de  la  Reine-Charlotte,  et  celles  de  Quadra  et  Van- 
couver. De  ce  côté,  l'Angleterre  touche  aux  Etats- 
Unis  par  la  Californie  et  l'Orégon.  Nous  ne  rappellerons 
pas  toutes  les  difficultés  auxquelles  a  donné  lieu  la  dé- 
limitation de  la  frontière  anglaise  du  côté  de  FOrégon. 


^70         CONSTITVTIO;^  ÇT  fU^SSA^lÇÇ  ^^ITAPI^ 

S^r  terre  comme  sur  mer,  Ift  rivante  c^çs  4%^^^  ^ 
des  An^érjc^^ns  se  rév^e  à  çhaqyç,  ifvstan|  dftps  c$s 
parages  i^x  df»  inçiç|ç.pts  qyi,  hm  (ïç?  fois  ^^jft,  (m- 
raient  amené  la  guerrç  eqtre  les  deu}^  peuplea^  san§  \^ 
p?iliçnce  exemplaire^  et  pour  tout  dire  obligéex  que  les 
Anglais  on^  toiypqrs  apportée  dans  le  règlement  ç^q  cef 
différents.  Aucun  incident,  peut-^t^e,  n'a  caieu^  fait 
ressortir  cçtte  lo^ganipiité  ;  aucune  des  po^t>reps(5 
qijerelles  que  nos  voisins  ont  eu  à  vider,  depuis  4iî  îifls, 
n'^  mieux  démontré  \^  étrangement  profond  s^ne^M 
dans  leur  attitude  à  l'yard  des  autres  natio^s^  que  \h[- 
ftiirede  l'île  Vancouver.  On  a  pM  juger  daps  cette  cireoR- 
stance,  malgré  le  ton  menaçant  de  ^  presse  t)ritanftjaue, 
de  rimmense  distance  qui  sépare  aujourd'hui»  dans  ^ 
p(*atique  anglaise,  le  f^it  de  la  parole  et  ^e](éc^tiçH^  de 
^a  inenace.  Le  conflit  bispano-maroçaip,  comme  le 
démêlé  de  Ttle  SanJuan^  comme  les  corre§{|ondaiice$ 
échangées  entre,  le  très  hautain  géqé^al  Pearney  çt  le 
trop  courtois  gouverneur  Djouglas,  èi,  propos  ^e  c^^ 
dernière  araire,  prouvant  surabondamment^  U  fa^t 
bien  le  reconnaître,  que  l'Angleterre  ne  se  $en^  plu^egi 
pieitire,  aujourd'hui,  de  se  brpuiller  avec  personne. 
A  regard  dps  4iûériç9.ins,  il  est  vrai,  nos  voisips  ont 
cherché  naguère  ^  preu(^re  leur  revanche  d^çis  VaQaire 
du  San-JacintljLO.  Cette  revanche  est-elle  bien  sérieuse 
et  bien  complète?  Nous  avons  dit  ailleurs  ce  qui  nou$ 
portait  à  en  douter  ;  nous  reviendrons  sui^  cette  i\\ke^ 
^ion  en  parlant  du  Canada. 

Du  côté  de  VAtlantique,  le  Canada  sert  dfi  frqi^tière 
aux  ()ta^  4ft  ^^^d  de  la  grande  république  américaine. 


pB  LA  FRANGE  ET  DE  L* ANGLETERRE.     51\ 

Pisons^le  tout  ^e  suite,  ^e  toutes  les  possessions  an- 
glaises dans  le  Nouveau-Monde,  il  n'en  est  aucune, 
à  rheure  qu'il  est,  dont  la  situation  nous  semble  pl^s 
périlleuse  et  plus  menacée. 

Tout  le  monde  connaît  aujourd'hui  la  ricliesse  e^ 
la  prospérité  toujours  croissante  du  Canada;  çhacuq 
sait  ce  que  valent  poqr  l'Angleterre  «  ces  misérable^ 
plaines  dp  neige,  »  dont  la  perte,  U  y  a  ur  sjècle,  inspi-. 
rait  tant  de  dédain  et  si  peu  de  regrets  aux  tristes  cpurr 
tisans  de  Louis  XV.  Nous  po^vons  apprécier  inain^çe 
nant.  ^ha,\t  naguère  le  comte  Jaubert,  en  visit£^pt,  ^ 
l'Exposition  française  les  splendides  produits  ^qvoyés 
par  le  Canada,  nous  pouvons  apprécier  maiptens^^t 
tout  ce  qu'il  y  eut  de  frivole,  de  honteqx  et  ^q  coq- 
pable  dans  l'abandon  de  cette  magnifique  colopie  (1). 

plus  vfiste  que  les  États-Unis,  si  on  le  considère  dfinç 

(I)  Le  Canada  a  été  découvert  en  1536  par  Jacques  Cartier,  qui  y 
Il  froîs  voyages  successifs.  Ce  navigateur  partant  de  Québec,  où  il 
avaH  passé  Thiver,  fit  la  première  reconnaissance  des  rives  du 
Sain^-Laurent  jusqu'à  la  hauteur  de  Montréal.  Diverses  compagnies 
se  formèrent  en  France  pour  la  colonisation  du  Canada,  mais  elles 
obtinrent  peu  de  succès.  A  la  fin,  en  1608,  Québec  fut  fondé  par 
M.  de  Champlain,  gouverneur  de  la  colonie,  le  même  qui  a  donné 
çpn  nom  ^  \un  <^  lacs  les  plus  connus  du  Canada,  ttontréal  fui 
fondé  en  I6/11,  et  (dis  en  état  de  résister  aux  Iroquois.  Kn  l^^d, 
à  l'époquç  oti  Çolbert  commença  à  mettre  en  œuvre  ses  projets 
dç  colonisation,  la  population  européenne  du  Canada  était  de 
2,099  âmes  seu^e^eul,  mais  elle  ne  tarda  pas  à  augmenter. 
L'administration  du  coo^^e  d(e  Frontenac  fut  conduite  avec  activité 
et  énergie  durant  la  guerre  qui  précéda  le  traité  de  Çyswic^;  el  le 
siècle  suivant,  à  la  fin  de  la  régence  du  duc  d'Orléans,  la  Nouvelle- 
France,  comme  on  appelait  le  Canada,  présentait  une  populaUon  de 
25,000  âmes  En  1759,  la  victoire  de  Wolfe  sur  le  marquis  de  MoAl- 


572  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

son  ensemble  avec  les  autres  possessions  anglaises  qui 
l'environnent,  — le  Canada  représente,  sans  contredit, 
l'un  des  plus  beaux  joyaux  de  la  couronne  d'Angleterre- 
Vouloir  expliquer  les  convoitises  qu'il  excite  chez  ses 
voisins  immédiats,  les  regrets  qu'il  a  laissés  chez  ses 
anciens  maîtres,  elles  séductions  qu'il  exercerait  sur 
les  uns  et  les  autres,  dans   telles  circonstances  que 
l'avenir  peut  faire  naître,  serait  une  tâche  parfaitement 
inutile.  En  revanche,  ce  qu'il  est  intéressant  de  recher- 
cher, ce  sont  les  facilités  plus  ou  moins  grandes  que 
la  situation  intérieure  ou  extérieure  peut  oflFrîr  à  la 
satisfaction  de  ces  convoitises  ;  ce  sont  les  conditi<^ns  et 
les  circonstances  particulières  de  nature  à  servir  de 
stimulants  aux  tentations  dont  nous  venons  de  parler. 
La  population  du  bas  Canada,  depuis  le  golfe  Saint- 
Laurent  jusqu'au  coteau  du  lac,  au-dessus  de  Montréal, 
est  d'origine  française.  Aux  termes  de  la  prise  de  pos- 
session, l'Angleterre  a  garanti  à  ses  nouveaux  sujets 
le  libre  exercice  de  leur  religion,  et  elle  s'est  engagée  à 
les  laisser  se  gouverner  par  leurs  propres  lois.  Bien 
que  la  révolte  des  États-Unis  ait  fait  comprendre  à  nos 

calm  fit  passer  le  Canada  sous  le  sceptre  de  FAngleterre.  Les  deox 
généraux  en  chef  perdirent  la  vie  dans  cette  affaire. 

Deux  ans  auparavant,  le  27  juin  1757,  Clive  avait  fondé,  par  la 
victoire  de  Plassey,  la  suprématie  anglaise  dans  Tlnde.  11  y  âdonc 
un  siècle  que  les  deux  groupes  principaux  du  domaine  extérieur  de 
l'Angleterre,  ^  Tlnde  et  TAmérique  du  Nord,  t-  sont  soumis  à  ses 
lois.  Nous  avons  vu  ailleurs  les  signes  de  caducité  que  révélait  la 
puissance  anglaise  en  Asie;  sans  y  attacher  d'autre  importance,  on 
peut  faire  remarquer  que  cette  puissance  est  centenaire  en  Amérique 
comme  dans  riiide. 


DB   LA   FRANCE   iiT   D£   L'ANGIJSTBaRB.  573 

voisins  la  nécessité  d'une  administration  équitable  et 
conciliante,  bien  qu'ils  aient  cherché  à  ménager  les 
susceptibilités  de  la  population  française;  la  marche  du 
temps  a  nécessité,  dans  Tancien  régime  du  bas  Canada, 
des  modifications  qui,  à  plusieurs  reprises,  ont  soulevé 
de  vives  résistances.  Souvent  ces  résistances  se  sont  tra- 
duites en  révoltes  ouvertes  contre  l'autorité  de  la  métro- 
pole. Il  ne  pouvait  guère  en  être  autrement,  de  la  part 
d*une  population  composée  en  grande  partie  de  Fran- 
çais et  d'Irlandais,  dont  les  sympathies  pour  l'élément 
anglais  de  la  colonie  n'ont  jamais  été  très  vives  (1). 

Quoi  qu'il  en  soit,  T impossibilité,  pour  le  gouverne* 
ment,  de  maintenir  toujours  la  balance  parfaitement 
égale  entre  ses  sujets  français  et  ses  sujets  anglais, 
entre  les  colons  catholiques  et  les  colons  protestants, 
est  une  cause  permanente  de  danger  pour  le  Canada. 
Dans  maintes  circonstances,  on  a  vu  les  deux  partis 
mettre  tour  à  tour  en  péril  la  sécurité  de  la  colonie  ;  et 
les  excès  réciproques  qu'ils  ont  à  se  reprocher  ont  laissé 
dans  les  esprits  de  profonds  ressentiments.  Ce  serait 
une  illusion  de  compter  aujourd'hui  sur  l'entier  apaise* 
ment  des  esprits;  et,  en  ce  qui  regarde  particulière- 
ment la  population  française,  nos  voisins  eux-mêmes 
ne  cherchent  pas  à  se  le  dissimuler. 

En  1857-1838,  la  paix  publique,  comme  chacun 
sait,  a  été  gravement  compromise  par  l'insurrection  des 

(1)  The  Canadians  are  rather  given  to  rioling.  Perhaps,  this  is 
natural  in  a  popuIalioD  largely  composed  of  French  and  Irish,  wilh 
a  stroDg  infusion  of  pugnacions  brilish.  —  Passages  in  the  life  of  a 
êoldier.  U,  S.  M. 


^1h  côNSttttîtib!*  fcr  tùisSAîccË  htLrtAiftte 
CabaUlëns  français,  à  U  lête  desquels  s'ëtait  mis  t^api- 
ïtëaw.  hé  ^ftys  était  à  peiûe  remis  de  cette  secousse, 
lorsque  la  popUlatioU  anglaise  ^'est  agitée  à  son  tout*, 
et  il  voulii  expérimenter  de  son  côté  ce  qu'elle  pourrait 
arrfechbr  de  coticessiohs  par  l'émeute  et  là  révolte. 

C'était  sous  Tadministhatiob  de  lord  Elgin,  le  grand 
pàèiftcatetiV  boHime  l'appelait  O'Connell.  Envoyé  par 
te  gouvernement  de  là  métropole,  avec  là  mission 
etpce^se  de  mettre  uiî  terme  àUi  dissensions  qui  affli- 
^ëaiétit  le  Canada,  lord  Elgit)  s'est  eflbt*céde  désarmer 
la  population  fhtnçaise  en  lui  accordant  une  part  plus 
grande  dans  les  affaires  de  la  colonie,  et  en  augmentant, 
ULM  trbp  de  mesure  peut-être,  les  privilèges  dont  elle 
était  en  possession.  Peut-être  aussi,  car  il  faut  tout 
dife,  les  gouverueurs  qui  l'avaient  précédé  avaient -ils 
suivi,  ^ni  plus  de  prudence,  le  système  diamétralement 
opposé.  Toujours  est-il  que  lé  nouveau  Régime  itiau- 
guré  par  lotxl  Elgin  mit  le  pays  en  ébuUition,  et  Tut 
comme  le  signal  d'un  véritable  appel  aux  armes  pour 
les  Anglais  du  Caiiada.  A  l'occasion  d'un  bill  relatif 
aux  indemnités  qui  devaient  être  payées  aux  Français 
pour  les  pertes  éprouvées  pendant  les  troubles  t)récé- 
deuts,  lo^d  El^iU  fut  accueilli  àcoupde|)iel*ti^  coUime 
il  se  rendait  à  l'assemblée  législative.  Une  fols  déchaî- 
née et  le  gouverneur  eU  fuite,  la  populace  anglaise  ne 
mit  plus  de  bornes  à  ses  excès.  Le  Parlement  fut  eilvahi, 
et  un  Canadien  anglais,  nommé  Bradshaw,  s'emparant 
Ses  insignes  du  président,  en  prononça*  la  dissolution, 
lusque-là  le  mouvement  populaire  ne  représentait 
qu'une  véritable  mascarade,  mais  après  la  dispersion 


U  LÀ  l^ftANCfe  fet  bE  t'AtteLfeffekfeé.  875 
des  toembres  du  Pariemeht,  k  conlédie  ne  ta^da  pas  à 
tournier  àla  tragédie.  On  s'aperçut  bientôt  que  le  jJalaiS 
était  etî  feu,  et  peu  s'en  fallut  Que  plusieurs  ^eprésen- 
tatits  ne  perdissent  la  viia  dans  cet  inbendie. 

Après  <*  bel  exploit,  les  insurgés  s'emparèrent  dii 
siège  du  gouvernement,  et  pendant  deux  jours  la  ville 
fut  en  leur  pouvoir.  Durant  ces  heures  de  désordre  et 
d'anarchie,  les  personnes  et  les  propriétés  du  parti 
catholique  furent  l'objet  d'outrages  sans  nombre.  La 
tnaison  du  premier  ministre  (4)  fut  saiccagée  et  incen- 
diée, comme  l'avait  été  le  Parlement.  Il  fallut  toute 
Téttergie  du  général  d'Urban  pour  arrêter  les  progrès 
d'une  révolte  que  le  concours  des  Français  et  des  Irlan- 
dais lui  permit  seul  de  dominer. 

Les  faits  que  nous  venons  de  rapporter  suffisent  à 
démontrer  combien,  sur  le  terrain  de  la  politique,  les 
àttiuiosités  de  l*ace  divisent  la  population  cb,nadienhe. 
D'un  autre  côté,  les  antipathies  religieuses  détërmineht 
parfois,  surtout  chez  les  Irlandais,  des  explosions  hon 
moins  redoutables.  On  a  vu  un  simple  moine  vagabond, 
Ife  fatùeux  Gavazzi,  soulever  de  véritables  tempêtes  au 
Canada  par  ses  déclamations  antipapistes.  Porté  eii 
triomphe  à  Québec  par  les  protestants,  après  avoir 
échappé  à  grand'peine,  grâce  à  leur  aide,  aUx  maifas 
des  catholiques,  Gavazzi  a  été  cause  d'une  émeute  des 
plus  sanglantes  à  Montréal.  Les  troupes  de  la  garnison 
ont  dû  faire  usage  de  leurs  armes  pour  rétablir  l'ordre, 
et  flO  personnes  ont  été  liiées  ou  blessées  dans  cette 
déplorable  circonstance. 

(1)  M.  Lafoutaine,  the  prime  minister. 


576  CONSTITUTION  KT  PUISSANCE  MlUTAlBliS 

Nous  n'insisteroDs  pas  plus  longuement  sur  les  périls 
qui  peuvent  nattre  d'une  situation  ainsi  définie.  Au 
reste,  répétons-le,  les  Anglais  ne  se  font  aucune  illu- 
sion sur  la  fragilité  des  liens  qui  rattachent  le  Canada, 
—  (ou  du  moins,  la  partie  la  plus  importante  da 
Canada)  à  la  métropole  (i),  et  sur  le  d^ré  de  sympa- 
thie que  leur  gouvernement  y  rencontre.  Cet  aveu  se 
fait  jour  dans  toutes  les  publications  anglaises  dont 
cette  importante  colonie  est  le  sujet, 

«Nous  pouvons  souhaiter,  disait  tout  récemment 
l'auteur  d'un  projet  sur  La  défense  du  Canada;  — 
nous  pouvons  souhaiter  que  les  choses  soient  autrement, 
mais,  en  réalité,  tout  prouve  que  le  désir  des  Canadiens 
de  continuer  à  appartenir  à  l'Angleterre  est  infiniment 
moins  vif  que  celui  que  nous  éprouvons  de  les  con- 
server (2).  » 

Plus  loin,  le  même  écrivain  s'exprime  encore  ainsi 
au  sujet  des  dispositions  de  la  population  : 

«  Jusqu'ici  le  Canada  s'est  insurgé  contre  l'Angle- 
terre sans  avoir,  à  proprement  parler,  de  sérieux 
griefs  contre  son  gouvernement;  s'il  se  montre  calme 
aujourd'hui,  tout  porte  a  penser  que  c'est  uniquement 

(1)  Le  bas  Canada  ou  le  Canada  français  comprend  remboucbare 
du  Saint-Laurent;  le  commandement  de  cette  grande  artère  fluviale 
entraîne  forcément  celui  de  tout  le  pays  qu'il  arrose;  du  jour  où  ce 
oommandement  viendrait  à  lui  échapper,  TAngleterre  pourrait  con- 
sidérer le  Canada  cx)mme  perdu. 

(2)  « We  may  yi'ish  to  thinck  it  is  not  so,  but  ail  the  foct  of 

the  case  go  to  prove  it,  that  our  msh  to  keep  the  Canadians  ïs  far 
stronger  and  more  active  tfaan  their  wish  to  be  relained.  •  The  de- 
fenceof  Canada. 


DB  LA  FRANCE  ET  DE  L^ANGLBTERRG.  577 

faule  d'une  occasion  pour  s'en  débarrasser,  et  surtout 
d'en  trouver  un  meilleur  (t).  » 

Tels  sont  donc ,  de  l'avis  d'un  écrivain  anglais,  les 
véritables  sentiments  des  Canadiens  français,  c'est-à- 
dire  d'une  population  qui  comprend,  à  elle  seule,  les 
quatre  cinquièmes  des  habitants  du  Canada  inférieur  : 
soit  plus  d'un  million  d'âmes  ("2). 

Nous  ne  pouvions,  au  point  de  vue  de  Téventualité 
d'une  guerre  entre  la  France  et  l'Angleterre,  —  éven  - 
tualité  peu  probable  grâce  à  Dieu  !  et  dont  la  sagesse 
des  gouvernements,  il  faut  l'espérer,  sauvera  les  deux 
nations,  autant  dans  leur  intérêt  réciproque,  que  dans 
l'intérêt  général  do  la  civilisation  ;  —  nous  ne  pouvions, 
disons-nous,  au  point  de  vue  militaire,  et  au  cas  d'une 
rupture  entre  la  France  et  l'Angleterre,  ne  pas  entrer 
dans  quelques  détails  sur  une  situation  de  nature  à  ai- 
der à  un  aussi  haut  degré  l'action  que  la  première  de 
ces  puissances  pourrait  être  amenée  à  exercer  en  Amé- 
rique. 

En  résumé,  depuis  l'insurrection  française  de  1837, 
il  n'y  a  jamais  eu  de  rapprochement  sincère  entre  les 
deux  races  qui  occupent  le  Canada,  et,  depuis  quelques 

(1)  «Canada  has  turned  upon  us  before  now under  no  very  grie- 
vous  amount  of  provocations,  and  Ihere  is  some  fair  ground  for 
thlnking  that  if  she  is  satisfied  at  last,  it  is  only  because  there  is 
no  change  just  now  that  she  could  possibly  make,  which  would  be 
for  the  belter.  » 

(2)  D'après  ie  dernier  recensement  de  1861,  la  population  du  Ca- 
nada est  de  2,566,755  âmes,  et  se  divise  de  la  façon  suivante  :  Fran- 
çais, 1,037,777;  Anglais,  880,607;  Irlandais  émigrés.  'ii!il,/i23; 
Américains,  64>3<.)9;  Allemands,  23,855. 

37 


578         CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIEES 

années  surtout,  ii  semble  que  Tantique  et  inébranlable 
affection  des  colons  français  pour  leur  ancienne  patrie, 
se  soit  réveillée  plus  vive  que  jamais.  C'est  encore  à 
un  auteur  anglais ,  ainsi  que  nous  le  faisons  toujours 
lorsqu'il  s'agit  de  ces  questions  délicates ,  c'est  à  une 
étude  intitulée  :  «  Military  po$iUon  of  Canada,  n  que 
nous  empruntons  les  lignes  suivantes  (1)  : 

«  Les  Français  du  Canada  peuvent  crier  :  Vive  la 
)>  Reine!  du  bout  des  lèvres  ;  mais,  au  fond  de  leurs 
»  cœuis,  c'est  le  cri  de  :  Vive  TEmpereur!  qui  résoDoe. 
x>  Au  ton  de  la  presse  française  dans  la  colonie,  à  h 
»  façon  dont  elle  s'exprime  en  parlant  de  Napoléon  ni, 
»  on  serait  tenté  de  croire  que  le  Canada  est  rentré 
»  sous  les  lois  de  la  France.  Cette  presse  est  certaine- 
»  ment  beaucoup  plus  hostile  et  beaucoup  plus  violente 
n  à  regard  de  TAngleterre  que  ne  l'est  la  presse  fran- 
»  çaise  elle-même 

»  Les  Français  du  Canada  le  déclarent  très  haut  :  si 
»  une  armée  française  venait  jamais  à  débarquer  sur 
»  leur  territoire,  il  ne  faudrait  pas  compter  sur  eux 
x>  pour  la  combattre,  etc.,  etc.  » 

(1)  « Al  ihis  moment,  if  we  may  judge  frora  the  Eogiisb  fn- 

>  formaiions,  Iheir  lips  may  say  :  «  God  save  the  Queea  »,  but  Uieir 
»  hearls  respond  ;  «  Vive  TEmpt-reur  ».  In  fact,  we  are  lold  thaï  ihe 
9  Ficnch  press  in  Canada  write  and  formally  speak  of  Napoléon  lU, 
»  exaclly  as  if  ihe  province  were  aiready  under  his  ruie.  The  looe  of 
»  that  press  is  just  as  hostile  lo  England,  and  infinitely  more  per- 
»  sisteot  in  ils  séditions  virulence  than  ihe  papersof  France  itseif. 

«TheFrench  Canadians  theniselves  déclare,  thaï  if  a  French  army 

9  was  10  land  iu  Canada,  they  would  not  tighl  against  them 

{Military  positipn  of  Canada,  1860.) 


DS  LA  rRANGB  £t   Dfi  L*ANGLETBftR£.  579 

11  nous  reste  à  envisager  la  situation  du  Canada,  et, 
en  général,  de  toutes  les  possessions  anglaises  de  l'Ame- 
rique  du  Nord,  au  point  de  vue  de  leur  voisinage  avec 
les  États-Unis  et  des  dispositions  de  cette  république  à 
regard  de  l'Angleterre.  De  ce  côté,  bien  plus  encore 
qu'en  ce  qui  regarde  l'état  intérieur  de  ces  colonies, 
rhorizou  est  chargé  d'orages. 

Depuis  un  demi-siècle,  la  rivalité  des  Anglais  et  des 
Américains,  n'a  cessé  de  se  dessiner  chaque  jour  da- 
vantage, soit  dans  les  questions  qui  se  sont  agitées 
t^ntre  les  deux  peuples,  soit  sur  les  divers  points  du 
globe  où  ils  se  sont  trouvés  en  contact.  Pendant  cette 
longue  période,  sous  le  prétexte  spécieux  de  leur  com- 
munauté d'origine,  les  Anglais  ont  toujours  affiecté  de 
traiter  leurs  cousins  comme  des  enfants  terribles  à 
regard  desquels  il  fallait  se  montrer  indulgent.  Nous 
avons  déjà  dit  la  rare  patience  avec  laquelle  ils  avaient 
supporté  leur  arrogance  à  propos  du  droit  de  visite  et 
leurs  prétentions  souvent  extravagantes  dans  les  diffé- 
rentes  affaires  de  VOrégon,  de  Greytown,  de  l'île  de 
Vancouver,  etc.,  etc.  Tout  le  secret  de  cette  longani- 
mité était  dans  la  question  si  palpitante  aujourd'hui 
du  «  coton  » .  Tributaire  de  l'Amérique  pour  ce  pro- 
uuit  indispensable  à  son  industrie,  l'Angleterre  sentait 
qu'une  guerre,  ou  même  la  simple  interruption  de  ses 
relations  commerciales  avec  les  États-Unis,  serait  la 
plus  rude  des  épreuves  pour  sa  fabrication.  Cette  con- 
sidération, trop  puissante  pour  ne  pas  imposer  silence 
à  ses  ressentiments,  n'était  nullement  de  nature  à  les 
rendre  moins  profonds. 


580  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

A  part  donc  le  trouble  sérieux  résultant,  pour  ses 
districts  manufacturiers,  de  la  guerre  civile  et  du 
blocus  des  ports  des  États  du  Sud,  la  sécession, 
c'est-à-dire  le  partage  et  Taffaiblissement  de  TUnion 
américaine,  ne  pouvait  être  accueillie  qu'avec  satis- 
faction en  Angleterre.  Fort  peu  soucieuse  de  se  met- 
tre en  contradiction  flagrante  avec  ses  principes  le 
plus  hautement  proclamés ,  la  patrie  des  Wilber- 
force,  des  Brougham,  etc.,  ne  s  est  pas  donné  la  peine 
de  dissimuler  ses  sympathies  pour  la  cause  des  esclava* 
gistes.  L'animosité  des  Ëtats  du  Nord  s'en  est  accrue 
d'autant. 

Lorsque  l'affaire  du  San-Jacinto  s'est  présentée, 
l'Angleterre  a  cru  saisir  enfin  l'occasion  si  longtemps 
attendue,  de  régler  tous  ses  comptes  avec  les  États- 
Unis.  Les  circonstances  ne  pouvaient  être  meilleures. 
Affaiblie  par  ses  dissensions  intestines,  la  grande  répu- 
blique n'était  plus  capable  d'accepter,  ou  tout  au  moins 
de  supporter  le  poids  d'une  guerre  extérieure.  C'était 
bien  le  moment,  pour  l'Angleterre,  de  liquider  tous  ses 
anciens  griefs;  à  aucune  époque  elle  ne  pouvait  espérer 
le  faire  à  aussi  bon  marché.  Malheureusement  pour  les 
rancunes  britanniques,  les  Américains  se  sont  rendu 
un  compte  trop  exact  de  leur  situation.  Malgré  la  joie 
frénétique  qu'avait  causée  à  New-York  la  capture  des 
commissaires  du  Sud  ^  malgré  les  difficultés  que  l'on 
devait  rencontrer  pour  amener  l'opinion  publique  à 
renoncer  à  ce  triomphe,  le  gouvernement  des  Etats  du 
Nord  s'est  décidé,  sans  hésitation ,  à  les  restituer.  En 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L*AN6LETERBE.  581 

cela  les  Américains  ont  prouvé  qu'ils  avaient  conservé 
une  bonne  dose  de  ce  bon  sens  pratique  qui  a  toujours 
distingué  leurs  adversaires. 

En  souscrivant  aux  demandes  de  TAngleterre,  non- 
seulement  les  Américains  ont  conjuré  un  grand  dan- 
ger, mais  ils  n'ont  fait  qu'appliquer  les  doctrines  qu'ils 
ont  constamment  professées,  et  ils  en  ont  assuré  le 
triomphe. 

En  effet,  quel  avait  été  le  point  de  départ  de  la 
guerre  de  1812? 

A  cette  époque,  les  Américains  se  trouvaient  exacte- 
ment, vis-à-vis  de  l'Angleterre,  dans  la  situation  inverse 
de  celle  où  les  a  placés  l'affaire  du  Treni,  Leurs  protes- 
tations, relativement  au  droit  des  belligérants,  étaient 
identiquement  les  mômes  que  celles  soulevées  en  An- 
gleterre, par  la  conduite  du  capitaine  commandant  le 
San-Jacinio.  Pour  s'en  convaincre,  il  suffit  de  se  re- 
porter au  préambule  du  message  adressé  aux  deux 
chambres  du  Congrès  américain,  le  1"  juin  1812,  par 
le  président  Madison.  C'est  cet  acte  qui  a  servi  de  base 
à  la  déclaration  de  guerre. 

«  Les  croiseurs  anglais,  est-il  dit  dans  ce  message, 
sont  dans  l'habitude  constante  de  violer  le  pavillon 
américain  sur  les  hautes  mers,  propriété  commune  de 
toutes  les  nations.  Ces  croiseurs  saisissent  et  retiennent 
les  personnes  naviguant  à  l'abri  de  ce  pavillon,  non  pas 
en  conséquence  d'un  privilège  fondé  sur  le  droit  des 
gens,  et  reconnu  à  tout  belligérant  contre  ses  ennemis, 
mais  bien  sous  le  prétexte  inadmissible  d'une  sorte  de 


583  CONSTITUTION   ET  PUISSAlfCB  HIUrrAIBBS 

droit  national  ou  municipal  exercé  à  l'égard  des  sujets 
anglais  (1).  » 

Dans  la  solution  donnée  à  l'affaire  du  Treni,  la  sa- 
tisfaction d'aniour-propre  a  été  pour  l'Angleterre;  le 
triomphe  véritable  est,  de  toutes  les  manières,  pour  les 
Etats-Unis  et  pour  la  liberté  des  mers.  On  ne  s'y  esl 
pas  trompé  chez  nos  voisins.  Au  début  du  oonflil,  od 
pouvait  croire  que  l'Angleterre  ne  désirait  pas  la 
guerre  ;  cependant,  si  étrange  que  puisse  paraître  une 
semblable  assertion  appliquée  à  une  nation  civilisée,  U 
solution  qui  a  enlevé  tout  prétexte  aux  hostilités  a  été 
une  véritable  déception.  Au  lieu  de  cette  joie  immense 
à  laquelle  on  devait  s'attendre  de  l'autre  côté  du  dé- 
troit ,  le  sentiment  qui  a  dominé  a  été  le  regret  de  voir 
l'occasion  perdue  de  faire  payer  aux  Etats-Unis  leurs 
outrages  passés.  Ce  regret  n'était  pas  de  nature  à 
adoucir  la  blessure  infligée  à  ror^rneil  national  des 
Américains,  et  il  s'est  manifesté  de  trop  de  façons  pour 
qu'on  puisse  douter  des  sentiments  de  haine  et  des 
désirs  de  vengeance  qu'il  a  allumés  dans  leur  coeur. 

L'animosité  est  tellement  profonde  aujourd'hui  entre 
les  deux  peuples  qu'il  semble  bien  difficile  quelle  ne 
les  conduise  pas  à  une  guerre.  Les  dissensions  inté- 
rieures apaisées,  la  paix  nous  semble  (Vantant  plus  pro* 


(1)  «BriUsh  cruisers  hâve  been  in  conllnued  praclîce  of  vtolatinf 
the  americao  Sag  on  tbe  great  htghway  of  nations,  and  of  seizing 
and  carrying  off  persons  sailing  under  it;  not  in  tbe  exercise  of  a 
belligerent  righl,  founded  on  ihe  law  of  nations,  againslan  enemy, 
but  of  a  municipal  prérogative  ovor  british  subjtTts...,  etc.  »  {Mes- 
sage du  président  Madison  au  Congrès  de  1812.) 


DB   LÀ   PfiANGE   ET   DE   l' ANGLETERRE.  581) 

blématique  entre  les  Anglais  et  les  Américains,  que 
ceux-ci  auront  pour  appuyer  leur  rancune,  une  armée 
nombreuse,  aguerrie,  telle  qu'ils  n'en  ont  jamais  eue, 
et  à  laquelle  il  faudra  donner  une  occupation  d'une 
façon  ou  d'une  autre.  Que  les  Etats  du  Nord  et  du  Sud 
se  réunissent  de  nouveau,  ou  qu'ils  forment  deux  con- 
fédérations distinctes,  la  conclusion  nécessaire  nous 
semble  toujours  la  même.  Dans  le  premier  cas,  la 
guerre  avec  l'Angleterre  pour  cimenter  l'union;  dans 
le  second,  la  guerre  avec  T Angleterre  pour  obtenir, 
du  côté  du  nord,  des  compensations  aux  pertes  éprou- 
vées dans  le  sud. 

Quelle  doit  donc  être,  en  réalité,  à  l'heure  qu'il  est, 
la  préoccupation  générale  à  l'endroit  de  la  guerre 
d'Amérique?  Est-ce  l'issue  du  conflit  qui  semble  se  des 
«iner  chaque  jour  davantage  en  faveur  des  abolitio- 
nistes?  Nullement;  mais  chacun  se  demande  évidem 
ment  quel  sera  l'état  intérieur  des  États-Unis  une  fois 
cette  guerre  terminée.  Les  nations  dont  les  intérêts 
commerciaux  sont  mêlés  à  ceux  de  cette  république, 
r Angleterre  surtout,  qui  touche  à  ses  frontières  par 
l'une  de  ses  plus  importantes  colonies,  doivent  attendre 
avec  anxiété  ce  que  va  devenir  ce  million  de  volontaires 
déshabitués  du  travail  et  des  occupations  d'une  vie 
régulière.  L'invasion  du  Canada,  comme  effluve  aux 
passions,  aux  véhémences  de  cette  multitude  armée, 
ou  des  désordres  intérieurs  dont  on  ne  saurait  prédire 
l'étendue  ni  le  terme,  tel  est  le  bilan  de  la  guerre 
civile  américaine. 

Entre  ces  deux  alternatives  le  choix  ne  saurait  être 


58&.  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MlUTAIEBS 

douteux.  L'annexion  du  Canada  devra  paraître  d'au- 
tant plus  séduisante,  que  ses  vastes  territoires  encore 
vides  de  colons,  se  prêtent  merveilleusement  à  rétablis- 
sement de  cette  foule  de  gens  sans  feu  ni  lieu,  dont 
regorgent  aujourd'hui  les  États-Unis.  Cette  annexioo 
offrira  le  double  avantage  de  récompenser  ces  bandes 
voyageuses  dont  le  Congrès  a  réclamé  les  services,  et 
de  débarrasser  de  leur  présence  le  territoire  de  la  ré- 
publique. 

Dans  quelles  conditions  se  trouve  TÂngleterre  pour 
faire  face  à  une  pareille  éventualité?  Il  y  a  un  demi- 
siècle,  la  conquête  du  Canada  a  pu  être  une  entreprise 
trop  lourde  pour  l'Union  ;  mais  la  guerre  qui  se  poursuit 
aujourd'hui  prouve  assez  que  ses  forces  sont  centu- 
plées. À  l'aide  des  chemins  de  fer  qui  se  dirigent  vers 
le  nord,  les  mouvements,  les  concentrations  de  troupes, 
qui  exigeaient  des  semaines  et  des  mois  en  1812,  ne 
demanderont  plus  que  des  heures  aujourd'hui. 

Si  les  Américains  choisissent  bien  leur  moment,  ils 
peuvent  éviler  les  engagements  maritimes  (1),  et  se 

(1)  n  est  évident  que  la  marine  américaine  n*est  pas  en  état  de 
luUer  contre  les  flottes  anglaises.  Toutefois,  les  courses  aventu- 
reuses du  Nashville  ont  montré  récemment  que  les  marins  des 
Ëlats-Unis  avaient  encore  aujourd'hui  toute  Taudace  qui  di.stiogua 
leurs  père^dans  la  guerre  de  1812.  Les  affaires  du  Merrimac  et  du 
Moniior  prouvent  que,  dans  des  engagements  de  vaisseau  à  vaisseau, 
ce  ne  sont  point  des  adversaires  à  dédaigner.  En  181*^,  tous  les  com- 
bats de  ce  genre,  à  part  celui  des  frégates  le  Shannon  (anglaise)  et 
la  Chesapeake  (américaine),  se  tern^inëront  sans  eaxeption  à  J'avau* 
tage  des  Américains.  Voici  la  liste  de  ces  duels  maritimes,  dont  Ter- 
gueil  britannique  n'eut  pas  moins  à  souffrir  que  la  marine  anglaise, 
mais  dont  le  retentissement  fut  étouffé  par  le  bruit  de  la  chute  du 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     585 

rendre  maîtres  du  Canada,  avant  que  les  renforts  de 
la  métropole  aient  le  temps  d'arriver.  Le  mois  de  no- 


premier  empire  français  :  combat  du  vaisseau  américain  le  Prési- 
dent, de  Uà.  contre  le  Belvéder,  frégate  anglaise  de  36  ;  le  Belvéder 
rentre  désemparé  à  Halifax;  —  combat  de  l'£«5ex  (américain)» 
de2à,  contre  V Alerte  (anglais),  de  16;  au  bout  d'un  quart  d'heure 
V Alerte  coulait  avec  7  pieds  d'eau  dans  sa  cale  ;  —  combat  de  la 
frégate  anglaise  la  Guerrière  avec  la  frégate  américaine  de  même 
force /a  Constitution;  la  première  amène  son  pavillon  après  uo 
combats!  acharné,  et  tellement  désemparée  que  les  Américains  sont 
obligés  de  la  faire  sauter  :  le  capitaine  Hull  de  la  Constitution  reçoit 
50,000  dollars  pour  cette  victoire;  —  combat  du  brick  anglais  le 
Frolic,  de  18,  et  du  brick  américain  le  Wasp,  de  16;  le  brick  anglais 
est  pris  à  l'abordage,  n'ayant  plus  sur  pied  de  tout  son  équipageque 
l'homme  au  gouvernail  et  deux  officiers  dangereusement  blessés; 
—  combat  de  la  frégate  américaine  United  States,  de  Zi/i,  contre  la 
frégate  ur\gh\se  Macedonia,  de  38  ;  cette  dernière  amène  son  pavile 
Ion  après  deux  heures  de  lutte;  —  combat  de  la  frt^ate  américaine 
Constitution  contre  la  frégate  anglaise  le  Java,  de  38  ;  cette  dernière 
est  prise  à  la  suite  d'un  combat  tellement  acharné  que  les  Améri- 
cains sont  obligés  de  l'abandonner  et  de  l'incendier  en  pleine  mer, 
après  avoir  recueilli  l'équipage;  —  combat  des  bricks  le  Boxer 
(anglais),  de  l/i,  et  de  V Entreprise  (américain),  de  même  force;  les 
deux  capitaines  sont  tués  dans  cette  afTaire  qui  se  termine  par  la 
prise  du  Boxer. 

En  revanche,  malgré  son  résultat  final  à  l'avantage  des  Améri- 
cains, la  guerre  sur  terre,  en  1812,  fut  peu  glorieuse  pour  les  États- 
Unis.  Dans  le  nord,  leur  campagne  ne  fut  pas  brillante,  à  l'excep- 
tion des  affaires  du  fort  Erié  et  de  Chippewa.  Au  centre  et  dans  le 
sud,  ils  se  montrèrent  également  inférieurs  aux  Anglais,  si  ce  n'est, 
toutefois,  à  la  Nouvelle-Orléans  où  ces  derniers  furent  complète- 
ment battus.  Nous  l'avons  déjà  dit,  il  ne  faudrait  pas  juger  d'une 
campagne  future  par  les  résultats  de  la  guerre  de  1812.  A  cette 
époque,  les  Américains  n'avait*nt  pour  ainsi  dire  pas  d*armée, 
tandis  que  les  troupes  anglaises,  qui  venaient  de  faire  les  campagnes 
de  la  Péninsule,  étaient  excellentes. 


586         CONSTITUTION   BT  PUIBSAMOK  MILITAmiS 

vembre,  pendant  lequel  les  glaces  ferment  le  Sainte- 
Laurent,  Fera  nécessairement  choisi  par  les  Ëtats-Unît 
pour  Touverlure  des  hostilités  ;  et  celle  date  devient 
désormais  pour  les  Anglais  une  épée  de  Damoclès  à 
laquelle  ils  ne  peuvent  se  soustraire.  Que  pourraient 
faire  les  dix  ou  douze  mille  hommes  qui  défendent 
actuellement  le  Canada,  contre  une  invasion  de  cent 
mille  Américains?  Or,  cette  toute  petite  armée  de 
douze  mille  hommes,  ce  n'est  qu'aux  dépens  desforcM 
déjà  insuffisantes  pour  la  protection  de  la  métropole 
que  nos  voisins  ont  pu  la  constituer. 

Comment  ne  tremblerait-on  pas  en  Angleterre,  lors. 
qu'on  songe  à  ce  qui  aurait  pu  arriver  si,  un  arrange- 
ment intervenant  entre  le  Nord  et  le  Sud,  les  Améri- 
cains avaient  accepté  la  guerre  comme  solution  de  Taf- 
faire  du  Trenl?  Au  1  "  janvier  1861 ,  toute  la  garnison 
du  Canada,  «n  troupes  régulières,  se  réduisait  »  un 
seul  bataillon  du  17"  de  ligne,  et  à  quelques  détache- 
ments d'artillerie  et  du  génie.  Quel  aurait  été  le  sort 
de  cette  magnifique  possession  si  les  Américains 
s'étaient  seulement  contentés  de  la  faire  envahir  par 
les  60,000  Irlandais  qui  comptent  dans  Tarmée  des 
États  du  Nord? 

Nous  avons  dit  que  la  garnison  actuelle  du  Canada 
était   de  12000  hommes  environ  (1).  C'est  40,000 

(i)  n  y  a,  à  rheure  ^u'il  est,  15  bataiUons  dont  2  do  train  dans 
rAmérique  anglaise,  sans  compter  rartiUerieet  le  génie.  Celte  foroe 
est  ainsi  répartie  au  Canada  :  1°  grenadiersguards«scolfi  fusil  giiards, 
16%  i^'  bis,  17%  !?•  6w,  30%  67%  60«  (/i«  baUilkin),  63%  rifle 
brigade  (i*'  bataillon);  2*  à  la  NouveMe - Éc06se :  6:l«;  3<*  avx 
Bermudes  :  39*. 


Dl  LÀ  VRANCB  ET  DE  l' ANGLETERRE.     5S7 

hommes  qu'il  faudrait  y  tenir  en  tout  temps  si  Ton 
voulait  être  prêt  pour  les  éventualités  qui  peuvent  8ur-« 
gir  d'un  moment  à  l'autre. 

En  résumé,  il  faut  céder  à  Tévidence  :  le  Canada, 
dans  les  circonstances  actuelles,  est  devenu  une  Inde 
américaine  dont  la  protection  menace  d'exiger  lea 
mêmes  sacrifices  que  Tlnde  asiatique.  Nous  n'avona 
pas  parlé  des  milices  du  Canada.  On  sait  l'opinion  que 
nous  avons  de  ce  genre  de  troupes  ;  cependant  nos 
voisins  en  sont  arrivés  aujourd'hui  à  reconnaître  que  la 
défense  de  l'Amérique  anglaise  ne  peut  plus  reposer 
que  sur  la  population  de  cette  colonie.  Il  est  vrai  que, 
tout  en  convenant  des  sympathies  de  cette  population 
pour  la  France,  les  Anglais  affectent  de  la  croire  dis- 
posée à  repousser  toute  fusion  avec  les  États-Unis.  Ceci 
est  plus  possible  que  certain.  Il  ne  manque  pasdegens, 
même  en  Angleterre,  qui  se  demandent  jusqu'à  quel 
point  on  pourrait  compter  sur  une  défense  bien  éner- 
gique de  la  part  d'une  population  dont  tous  les  inté- 
rêts matériels  réclament  le  maintien  de  la  paix  avec 
ses  voisins  (1). 

Il  ne  nous  reste  plus,  pour  terminer  notre  dernière 
étape  à  travers  les  possessions  extérieures  de  l'Angle- 
terre, qu'à  dire  un  mot  de  l'Australie.  Sauf  notre  éta-^ 

(1)  «Canada  can  ooly  be  hdd  wîth  the  help  of  the  populaUon, 
»  which  is  not,  Indeed,  very  united,  as  the  French  are$ighing  for 
9  their  old  rulers;  but  ail  would  rise  against  a  Yankee  invasion...,. 

»  Men  moreover,  will  nol  fight  very  strenuousiy  or  with  much 
»  obslinacy  for  a  mère  sentiment,  when  ail  the  material  interest  are 
»  na  the  side  of  peace  and  quietness.  »  (TKedefenceof  Canada.) 


588  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

blissemeiit  de  la  Nouvelle-Calédonie,  on  peut  dire  que 
celte  cinquième  partie  du  monde  appartient  exdusi- 
vement  à  nos  voisins.  Longtemps  encore,  TAustralie 
pourra  servir  de  théâtre  à  ces  aptitudes,  à  ces  facultés 
exceptionnelles  qui  distinguent  la  race  anglo-saxonDC 
parmi  les  peuples  colonisateurs.  Un  jour  viendra  ce- 
pendant où  son  œuvre  sera  accomplie.  Lorsque  la  civi- 
lisation aura  pénétré  l'Australie  en  tout  sens^  lorsque 
avec  la  rapidité  d'allures,  avec  l'énergie  et  l'activité 
qui  sont  le  partage  des  jeunes  nations,  la  population 
australienne  aura  pris  dans  le  monde  une  place  en  rap- 
port avec  celle  que  son  territoire  tient  sur  la  carte, 
l'Australie,  comme  à  une  autre  époque  les  États-Unis, 
se  séparera  forcément  de  l'Angleterre.  Malgré  la  pros- 
périté toujours  croissante,  presque  fabuleuse,  des  co- 
lonies australes,  le  jour  où  elles  pourront  marchersans 
lisières  est  encore  éloigné  ;  mais  lorsqu'il  arrivera,  il 
est  évident  que  la  Tasmanie  et  la  Nouvelle-Zélande  sui- 
vront le  sort  de  l'Australie.  En  ce  qui  regarde  particu- 
lièrement cette  dernière  colonie,  l'Angleterre  ne  nous 
semble  pas  avoir  à  lutter  contre  de  bien  grandes  diffi- 
cultés locales.  Son  occupation  est  déjà  solidement  assise 
sur  toute  la  côte  du  continent  australien.  Pour  repous- 
ser les  agressions  des  indigènes,  et  pour  la  police  du 
pays,  il  suffirait  que  les  villes  consentissent  à  lever  et  à 
solder  les  troupes  indispensables.  C'est  à  quoi,  il  faut 
bien  le  dire,  elles  se  sont  refusées  jusqu'ici.  La  légis- 
lature australienne  prétend  ne  pouvoir  se  passer  de 
troupes  de  ligne  de  la  mère  patrie.  Interrogé  à  ce  sujet, 
Queensland  a  signalé  les  dangers  qu'offrirait  le  carac- 


DB  LA  FËANCfi  ET  DE  L*AN6LETERBE.  589 

tëre  turbulent  et  indiscipliDé  de  sa  population  si  on 
l'employait  à  un  service  militaire  régulier  et  perma- 
nent. Cependant,  à  Queensland  même,  la  nécessité 
d'une  force  de  ce  genre  devrait  être  acceptée  avec 
d'autant  plus  de  résignation  que,  naguère  encorn,  les 
journaux  anglais  (1  )  enregistraient  le  massacre  de  dix- 
huit  colons  européens  par  les  aborigènes  de  cette 
partie  de  T Australie. 

Si  certains  établissements  de  l'Australie  proprement 
dite  ne  jouissent  encore  que  d'une  sécurité  relative, 
on  peut  dire  que  la  Nouvelle-Zélande  n'en  offre  abso- 
lument aucune.  Lord  Palmerston  invoquait  dernière- 
ment la  guerre  dont  ce  pays  est  le  théâtre,  comme  l'une 
des  causes  importantes  de  Taugmention  des  dépenses 
militaires.  C'est  qu'en  eflfet,  dans  ces  deux  îles,  qui 
seraient  à  peine  connues  en  France,  sans  la  tentative 
infructueuse  que  nous  avons  faite  pour  nous  y  établir 
il  y  a  vingt  ans,  tentative  qui  a  échoué,  grâce  à  l'inces- 
sante rivalité  des  Anglais,  ceux-ci  sont  obligés  d'en- 
tretenir, à  rheure  qu'il  est,  une  armée  de  sept  mille 
hommes  (2). 

Découverte  par  Tasman  en  1642,  la  Nouvelle- 

(i)  MorningChronicle  de  janvier  1862. 

(2)  On  a  souvent  reproché  au  gouvernement  de  Juillet  ia  faiblesse 
qu'il  a  montrée,  en  n'obligeant  pas  l'Angleterre  à  respecter  le  con- 
trat passé  entre  le  capitaine  Langlois  et  les  chefs  de  la  presqu'île 
de  Banks.  En  réalité,  lorsque  VAube  (navire  de  l'Etat  dont  on  avait 
cbangé  le  nom  officiel  pour  celte  expédiUon)  se  présenta  devant  le 
port  d'Akoroa,  l'Angleterre  était  fondée  à  réclamer  le  droit  de  prio- 
rité qu'elle  a  fait  valoir.  Par  le  traité  de  Watangay,  conclu  par  le 
capitiiiue  Hobson  au  nom  de  TAngletcrre,  les  chefs  indigènes  signa- 


600         CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MlUTAlHES 

Zélande  n'avait  été,  jusqu'en  1825,  l'objet  d'aucun 
eftsai  de  colonisation.  Quelques  missionnaires  Anglais, 
Venus  de  Sydney,  l'avaient  seuls  visitée.  En  1820,  une 
compagnie,  dont  Lord  Durban  était  le  chef,  tenta  de 
s'établir  dans  l'île  la  plus  au  nord.  C'est  de  cette  époque 
que  datent  tous  les  différents  qui  ont  amené  la  guerre 
entre  les  New-Zélandais  et  nos  voisins.  Aux  termes 
d'une  convention  conclue  par  l'intermédiaire  des  mis- 
sionnaires, treize  chefs  indépendants  réunis  en  confé- 
dération, avaient  été  reconnus  propriétaires,  sous  le 
protectorat  de  T Angleterre,  de  toutes  les  terres  culti- 
vables. Plus  tard,  lorsqu'on  voulut  coloniser,  il  fallut 
ioheter  ces  terres  aux  indigènes.  On  comprend  que 
dans  un  pays  oii  la  propriété  est  constituée  d'une  ma- 
nière aussi  imparfaite,  etoii  elle  change  sans  c^ssede 
mains  par  suite  de^s  guerres  que  se  font  entre  elles  les 
tribus,  de  pareilles  transactions  devaient  être  une 
source  de  querelles  continuelles.  C'est cequi  est  en  effet 
arrivé  depuis  le  traité  de  Watangay,  par  lequel  nos 
voisins  avaient  cru  s'assurer  la  paisible  souverdineté  de 
la  Nouvelle-Zélande. 

Si  ce  n'est  pendant  l'administration  de  lord  Grey, 
dont  nous  avons  indiqué,  dans  un  chapitre  précédent, 
les  tentatives  de  colonisation  à  l'aide  des  pension- 

Uires  avaient  reconnu  la  souveraineié  de  la  reine  sur  les  deax  Iles 
de  la  Nouvelle-Zélande,  sous  la  condition  d'une  protection  garantie 
à  leurs  possessions. 

n  y  eut  surtout  dans  cette  affaire  autant  d'activité  et  d*babileté 
du  côté  des  agents  anglais  que  de  lenteur  et  de  maladreiM  do  o6té 
des  agents  frauçals. 


Dfi   LA   FRANCE    ET   DE   L^AICGLEtËRftË.  59i 

naires,  les  Maoris  n'ont  jamais  cessé  d'être  en  rébellion 
ou  en  guerre  ouverte  avec  les  Anglais.  D'un  caractère 
belliqueux  et  tenace,  bien  munis  d'armes  anglaises, 
instruits  par  des  déserteurs  européens,  les  indigènes  de 
la  Nouvelle-Zélande  sont  loin  d'être  des  adversaires 
méprisables.  Dans  plusieurs  circonstances,  ils  ont  fait 
éprouver  des  perles  sensibles  à  nos  voisins,  notamment 
sous  l'administration  du  gouverneur  Fitz-roy.  A  Kora- 
reka  le  colonel  Hulme  a  été  battu  par  un  chef  indigène 
nommé  Hone  Heke,  et  les  détachements  du  99"^  et  du 
58*^  ont  été  fort  maltraités.  Plus  tard,  malgré  les  ren- 
forts et  l'artillerie  amenés  d'Australie  par  le  colonel 
Despard,  la  colonne  anglaise  a  perdu  la  moitié  de  son 
monde,  sans  pouvoir  déloger  les  Zélandais  de  leurs 
positions. 

Le  gouverneur  M.  Fifz-roy  ayant  été  remplacé  sur 
ces  entrefaites  par  le  capitaine  Grey,  une  colonne  de 
1 600  hommes,  la  plus  forte  que  les  Anglais  eussent 
encore  mise  en  ligne,  a  été  dirigée  contre  la  position 
{pah)  (1)  fortifiée  de  Ruapekapeka  dans  laquelle  Hone 
Heke  s'était  retiré  après  la  défaite  des  colonels  Hulme 
et  Despard.  Les  Maoris  ne  comptaient  que  500  hommes. 
Telle  était  cependant  la  perte  du  prestige  des  armes 
anglaises,  que  Hone  Heke  et  Kawiti,  les  deux  chefs  qui 
dirigeaient  les  Zélandais,  n'ont  pas  craint  d'affronter 
des  forces  triples  des  leurs  et  soutenues  par  six  pièces 
d'artillerie. 

(1)  Pah,  on  nomme  ainsi  des  enceintes  palissadées  derrière  les- 
quelles se  retranclieni  les  Zélandais,  et  d'une  force  telle,  que  le 
canon  peut  k  peine  les  renverser. 


59â         GONSTITOTION  ET  PUISSANCE  MlUTAlEES 

Dans  la  dernière  campagne,  Taudace  des  Maoris,  [oio 
de  diminuer,  semble  avoir  élé  en  augmentant.  La  tac- 
tique du  major-général  Pratt  n'a  pas  eu  plus  de  succès 
que  celle  de  ses  devanciers.  La  nature  du  pays,  ses 
montagnes  inaccessibles,  ses  forêts  impénétrables  dé- 
jouent tous  les  calculs.  On  a  vu  une  bande  de  Zélandais 
tenir  eu  échec  i  ,300  Européens  et  six  vaisseaux  de 
guerre.  Le  général  Pratt  a  été  réduit  à  battre  en  retraite, 
à  Waitara,  devant  une  poignée  de  Maoris. 

Pour  en  finir  avec  une  rébellion  aussi  tenace,  les 
Anglais  en  1801-1862  ont  été  obligés  de  lui  opposer 
une  véritable  armée.  Il  n'a  pas  fallu  moins  de  six  régi- 
ments d'infanterie  (12%  14%  40%  57%  65%  70'),  sans 
compter  les  détachements  d'artillerie  et  de  marine,  — 
7,000  hommes  en  tout;  —  pour  dominer  la  résistance 
des  Zélandais.  Pour  le  moment  ils  sont  tranquilles,  et 
semblent  attendre  que  nos  voisins  fassent  les  premières 
ouvertures.  Le  traité  du  gouverneur  colonel  Browne 
n'a  réglé,  en  effet,  d'une  façon  bien  nette,  aucune  des 
questions  en  litige^  En  résumé,  l'opinion  qui  prévaut 
en  Angleterre,  c'est  qu'après  avoir  dépensé  beaucoup 
de  sang  et  d'argent  dans  la  Nouvelle-Zélande,  malgré 
l'heureuse  situation  et  les  richesses  naturelles  de  cette 
colonie,  la  civilisation  et  la  tranquillité  n'y  semblent 
pas  plus  avancées  qu'il  y  a  vingt-cinq  ans  (1). 

Dans  la  première  partie  de  cette  Etude,  nous  avons 
examiné  successivement  l'organisation  et  la  composi- 


(1)  «  New  Zeland  has  not  only  cost  a  great  deal  of  money  but  also 
much  blood,  and  il  Is  doubtful  wheiher  we  are  mudi  nearer  a  dvi- 


DE  LA   FRANCE  ET  DE  l'aNGLETEREE.  593 

tion  de  Tannée  anglaise,  en  tant  que  cadres  el  effectifs. 

Nous  avons  présenté  ensuite  au  lecteur  la  distribution 
de  cette  armée  entre  les  différentes  parties  de  Tempire 
britannique. 

Enfin  nous  venons  d'envisager  cet  empire  dans  son 
ensemble  et  dans  ses  différentes  parties,  afin  de  nous 
rendre  compte  des  difficultés  de  leur  protection  et  des 
dangers  qui  peuvent  les  menacer. 

Nous  connaissons  maintenant  la  tâche  qui  incombe 
à  Tarmée  anglaise,  comme  nous  connaissons  la  force 
de  cette  armée.  Il  nous  reste  à  établir  jusqu'à  quel 
point  l'une  est  à  la  hauteur  de  Tautre. 

Ce  sera  la  conclusion  de  celte  première  Étude. 

CONCLUSION. 

Si  nous  traduisons  en  chiffres  les  différentes  considé- 
rations dans  lesquelles  nous  sommes  entré  relativement 
aux  possessions  extérieures  de  l'Angleterre,  nous  arri- 
vons aux  conclusions  suivantes:  V  Au  lieu  des  80,000 
hommes,  minimum  des  troupes  européennes  reconnu 
nécessaire  par  la  Commission  d*enquête  pour  assurer 
la  sécurité  de rinde,  il  n'y  a  en  Asie  que  66,000  hommes 

lised and  quiet  setUement  there  than  we  were  25 years ago.»(U.  S.  M.) 
«The  Maoris  were  quiet  evidcnUy  awaiting  the  government  to 
naake  the  firsl  overtures.  » 

On  peut  consulter  relaUvement  à  la  Nouvelle-Zélande  et  aux 
régions  qui  avoisinent  notre  intéressant  établissement  de  la  Nou- 
velle-Calédonie, Touvrage  intitulé:  Story  of  New  Zealand,  by 
D'  Ârtbur  S.  Thomson. 

38 


694  CONSTITUTION  ET  PUtSSANGB  mUTAIUBS 

environ.  —  3^ Le  Canada  n'a  qu'une  garnison  de  1 2,000 
hommes,  au  lieu  de  /iO,000  qui  seraient  nécessaires 
pour  parer  aux  éventualités  dont  cette  colonie  est  me- 
nacée du  côté  des  États-Unis.  —  3"  Le  Cap  n'a  que 
5,000  hommes,  c'est-à-dire  à  peine  la  moitié  de  ce  qui 
serait  indispensable  au  cas  d'une  nouvelle  levée  de  bou* 
cliers  de  la  part  des  Caffres.  —  4*^  Les  colonies  de  la 
côte  d'Afrique  sont  dans  une  situation  phis  que  précaire 
par  suite  de  l'insuflBsance  de  leur  garnison.  —  5*  1^5 
Indes  occidentales  (Honduras,  Antilles,  Guyane,  etc.) 
serraient  exposées  aux  insultes  du  premier  croiseur 
venu  en  cas  de  guerre  avec  les  États-Unis.  —  6*  Le 
corps  d'armée  réuni  dans  la  Nouvelle-Zélande  n'a  pu 
être  formé  qu'aux  dépens  de  la  majeure  pailie  des 
garnisons  de  l'Australie  ;  à  l'heure  qu'il  est,  celle-ci  est 
entièrement  abandonnée  à  elle-même.  —  ?•  Enfin,  il 
n'est  pas  jusqu'aux  postes  militaires  de  la  Méditerra- 
née dont  les  garnisons  n'aient  été  réduites  à  un  chiffre 
bien  inférieur  à  celui  que  commanderait  la  prudence 
dans  l'état  actuel  de  l'Europe,  et  surtout  dans  la  prévi- 
sion des  événements  qui  peuvent  surgir  d'un  instant  à 
l'autre  au  Maroc,  en  Italie,  en  Syrie,  dans  le  Monténé- 
gro, en  Grèce,  en  Turquie,  etc.,  etc. 

Examinons  maintenant  quelle  portion  de  son  armée 
l'Angleterre  consacre  à  cette  imparfaite  protection  de 
ses  possessions  extérieures. 

Par  suite  de  l'abolition  du  gouvernement  de  la  Com* 
pagnie  des  Indes,  les  troupes  européennes  au  service 
de  celle  Compagnie  ont  été  versées  récemment  dans 
l'armée  de  la  Reine.  Il  résulte  de  ceU^  augmentation 


DB  LA  FRANGE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     596 

que  l'armée  anglaise,  pour  186-2,  comprend  :  4  bri- 
gades d'artillerie  à  cheval  ;  —  10  brigades  d'artillerie 
de  campagne  ou  de  place  ;  —  3  régiments  de  cavalerie 
et  9  régiments  d'infanterie  de  plus  qu'en  1861 .  (Voir 
au  chapitre  Xl\  la  situation  de  l'armée  anglaise  pour 
1861.) 

Ces  nouveaux  corps  continuent  à  faire  partie  de 
l'armée  indienne.  Ils  ont  pris  rang  sur  TArray-List  à  la 
suite  des  autres  corps  de  leur  arme. 

Sur  les  5  brigades  d'artillerie  à  cheval  que  com- 
prend actuellement  Tarmée  anglaise,  les  k  dernières, 
plus  4  batteries  de  la  première,  sont  dans  l'Inde.  —  Sur 
les  25  brigades  d'artillerie  de  campagne  et  de  place, 
19  sont  employées  dans  l'Inde  ou  dans  les  colonies. 

Nous  avons  vu  qu'on  devait  évaluer  de  15  à  16,000 
hommes  l'effectif  de  Tartillerie  tenant  garnison  dans  la 
métropole.  Si  de  cet  effectif  on  défalque  les  trois  bri- 
gades d'artillerie  de  place,  le  dépôt  des  recrues  pour 
les  brigades  servant  à  l'extérieur,  la  brigade  d'artillerie 
de  côtes,  etc.,  etc.  ;  si  l'on  tient  compte  des  nombreux 
renforts  envoyés  récemment  au  Canada  (1  ),  en  évaluant 
à  10,000  hommes  et  à  100  pièces  attelées  l'artillerie 
de  bataille  que  nos  voisins  pourraient  mettre  en  ligne, 

(i)  La  U^  brigade  d'artillerie  de  campagne  (field-<irtUUry)^  doQ 
le  quartier  généial  esta  Woolwich,  a  dû  détacher  deux  de  ses  bat- 
teries, la  3*  et  la  A*",  à  la  Nouvel le-Zélaude  el  au  Canada.  La  bat- 
terie de  canons  Ârmsirong  (7  officiers,  256  hommes),  embarquée 
le  43  décembre  1861  à  Liverpool  pour  TAmérique  du  Nord,  est 
également  à  défalquer  de  Tartillerie  de  la  métropole. 

l>a  13*"  brigade,  dont  l*état-major  est  aussi  à  Woolwich  et  qui 
revient  de  Bombay,  a  encore  plusieurs  de  ses  batteries  à  Textérieur. 


596  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MILITAIRES 

on  reste  plutôt  au-dessus  qu'au-dessous  de  la  réalité. 

Eu  ce  qui  regarde  la  cavalerie,  sur  les  M  r^ments, 
Garde  comprise,  de  rarmée  anglaise,  on  en  conapte  1 1 
dans  rinde  et  20  à  Tintérieur.  En  évaluant  à  500  che- 
vaux  disponibles  l'effectif  de  ces  deniiers,  on  a  un 
total  de  10,000  sabres. 

L'infanterie  anglaise  comprend  aujourd'hui  :  3  r^- 
ments  de  la  Garde,  donnant  7  bataillons;  —  109  régi- 
ments de  ligne,  dont  1  à  quatre  bataillons  et  25  à  deux 
bataillons;  —  enfin,  la  brigade  de  tirailleurs  à  quatre 
bataillons.  Total  :  cent  quarante-huit  bataillons  (1). 

Sur  ces  US  bataillons,  107  sont  employés  dans 
rinde  ou  dans  les  autres  colonies.  Il  reste  donc  qua- 
rante et  un  bataillons  pour  la  garnison  de  la  métropole. 
A  cette  force,  il  conviendrait  d'ajouter,  il  est  vrai,  les 
dépôts  de  tous  les  régiments  qui  servent  à  l'extérieur, 
mais  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  ces  dépôts  se 
composent  presque  exclusivement  des  hommes  ma- 
lingres ou  usés  {worn  out),  renvoyés  en  Angleterre 
comme  ne  pouvant  plus  servir,  et  des  recrues  dont  le 
dressage  n'est  pas  terminé  et  qui  ne  peuvent  encore 
entrer  en  ligne. 

Ce  n'est  pas  tout  :  dans  l'armée  anglaise,  comme 
dans  toutes  les  armées  du  monde,  il  faut  tenir  compte 
des  non-valeurs  qui  rendent  Tefiectif  de  bataille  si  dif- 
férent de  l'effectif  sur  le  papier.  Il  faut  faire  une  part 
d'autant  plus  large  à  l'hôpital  que  tous  les  officiers 
de  l'armée  anglaise,  sans  exception,  se  plaignent  au- 

(1)  Les  25  premiers  numéros  des  régiments  dlnfanterie  comptent 
2  baUiUons,  et  Ie60«  en  comprend  ii. 


DE  LA  FBANCE  ET  DE  l' ANGLETERRE.     597 

jourd'bui  de  la  qualité  des  hommes  fournis  par  l'enrô- 
lement volontaire.  Depuis  les  pertes  énormes  que  l'ar- 
mée britannique  a  éprouvées  tant  en  Crimée  que  pen- 
dant rinsurrection  indienne,  le  nombre  des  jeunes 
soldats  au-dessous  de  vingt  ans  s'est  accru  outre  mesure 
dans  ses  rangs.  Tous  les  militaires  expérimentés  savent 
ce  que  valent  des  soldats  de  cet  âge.  D'un  autre  côté, 
la  misère,  la  famine,  la  débauche,  Tivrognerie,  sont 
devenues  les  véritables  recruteurs  de  l'armée  britanni- 
que; tout  homme  assez  fort,  assez  bien  constitué  pour 
gagner  sa  vie,  ne  peut  songer  à  s'enrôler,  lorsqull  sait 
que  la  carrière  militaire  ne  lui  offre  aucun  avenir. 
Il  ne  peut  d'ailleurs  être  séduit  par  les  avantages 
pécuniaires  du  métier  de  soldat,  puisque  d'une  part 
la  solde  et  la  position  de  ce  dernier  ont  à  peine  varié 
depuis  vingt-cinq  ans,  tandis  que  les  salaires  de  l'ou- 
vrier ont  doublé  et  même  triplé  pendant  la  même 
période. 

Physiquement  et  moralement,  le  niveau  de  l'armée 
anglaise  a  donc  baissé  considérablement  depuis  quel- 
ques années.  Les  anciens  soldats  qui  sont  tombés  eu 
Crimée,  en  Perse,  dans  l'Inde,  en  Chine,  etc.  ;  ceux 
qui  sont  rentrés  dans  leurs  foyers  par  suite  de  l'adoption 
du  service  limité,  sont  remplacés  aujourd'hui,  pour 
une  grande  partie,  par  de  tout  jeunes  gens  dont 
la  constitution  n'est  pas  faite,  ou  par  des  vauriens 
que  l'inconduite  et  la  paresse  ont  faits  soldats.  Les 
premiers  encombrent  les  hôpitaux,  les  autres  déser- 
tent. On  se  refuserait  à  le  croire,  si  des  documents 
officiels  ne  venaient  l'attester  :  pendant  Tannée  1858, 


598  CONSTITUTION   ET  PUISSANGB  WLITAIRES 

rarmée  anglaise  a  compté  jusqu'à  vingt  mille  déêer- 
leurs  (1  ). 

Pour  peu  que  l'on  tienne  compte  de  ces  difFérentes 
considérations,  on  ne  sera  pas  étonné,  si  les  généraux 
anglais  les  plus  compétents  évaluent  à  peine  à 
30,U00  hommes  le  chiffre  de  l'infanterie  que  rarmée 
britannique  pourrait  mettre  en  ligne  à  rintérieur. 
C'est  à  très  peu  près,  en  eiTet,  ce  que  les  Al  bataillons 
qui  tiennent  garnison  dans  le  Royaume-Uni  fourni- 
raient de  combattants  effectifs. 

En  résumé:  10,000  hommes  d'artillerie,  1C,000 
nommes 'de  cavalerie,  30,000  hommes  d'infanterie 
ajoutés  aux  quelques  milliers  de  combattants  que  four- 
niraient le  génie,  les  marines,  etc.,  donnent  uo  total 
général  de  60,000  hommes. 

C'est  précisément  l'effectif  que  présentait  l'armée  de 
la  métropole,  à  Tépoque  où  le  duc  i!e  Wellington  écri- 
vait au  général  Burgoyne  cette  lettre  célèbre  qui  fut 
comme  le  premier  coup  de  tocsin  sonné  chez  nos  voi- 
sins (i).  Depuis  cette  époque  (18*9),  l'armée  britanni- 
que, il  est  vrai,  a  été  considérablement  augmentée  : 
malheureusement,  si  imparfaitement  assurée  que  soit 
encore  la  protection  des  colonies,  c'est  le  service  exté- 
rieur qui  se  trouve  absorber  la  tf)talité  des  accrois- 
sements successifs  que  nous  avons  enregistrés  au  cha- 
pitre XX. 

A  l'intérieur,  la  situation  est  la  même  qu'en  18&9. 

(1)  Voyez  aux  Blue  Books  le  Rapport  de  la  commission  d'enquête^ 
du  29  mars  1859. 

(2)  Voyez  la  situaiion  de  Farmée  anglaise  pour  Tannée  18^9,  à 


m  LA   t^ANGE  ET   1)E   l' ANGLETERRE.  599 

Les  opinions  qui  se  sont  produites  à  cette  époque  et 
depuis,  chez  nos  \oisins,  conservent  donc  toute  leur 
valeur,  en  ce  qui  r^arde  la  défense  du  territoire  an- 
glais. Nous  allons  résumer  les  plus  importantes. 

Tout  le  monde  est  d'accord  aujourd'hui,  de  l'autre 
côté  du  détroit,  pour  reconnaître  que  la  marine  à  va- 
peur a  bouleversé  de  fond  en  comble  les  anciennes 
conditions  défensives  de  T  Angleterre.  «  S  team  has 
annihilated  Urne  and  space^  »  la  vapeur  a  annihilé  le 
temps  et  l'espace;  —  «  Steam  has  bridged  the  chan- 
YielyT»  la  vapeur  a  jeté  un  pont  sur  le  détroit;  —  «  îVe 
no  longer  live  in  an  island  in  a  military  sensé,  »  mili- 
tairement parlant,  nous  ne  vivons  plus  dans  une  lie. 
—  Tels  sont  les  aveux  qui  échappent  à  tous  les  mili- 
taires, à  tous  les  marins  anglais. 

«  lies  remparts  de  bois  ne  sauveront  plus  l'Angle- 
terre, s'écrie  l'amiral  Napier,  depuis  l'invention  des 
bateaux  à  vapeur  et  depuis  la  construction  de  cette 
belle  rade  de  Cherbourg,  l'œil  qui  surveille,  et  le  bras 
qui  doit  frapper  l'ancienne  rivale  de  la  France.  » 

Suivant  le  duc  de  Wellington  :  «  Avec  la  niarine  à 
vapeur,  il  n'est  pas  un  point  des  côtes  du  Royaume-Uni 
abordable  pour  un  vaisseau,  qui  ne  soit  exposé  aujour- 
d'hui, par  tous  les  temps  et  par  toutes  les  marées, 
aux  attaques  de  l'ennemi  (1).  » 

la  page  S97  de  Touvrage  de  sir  Francis  Head  :  The  defenceless  siate 
ofGreat  Britain. 

(I)  «  This  discovery  immediately  exposed  ail  parts  of  the  coasLs 
of  tbese  islaods,  which  a  vessel  could  approach  al  ail,  to  be  approa- 
ched  at  allitimes  of  tide,  and  in  ail  seasons,  by  vessels  so  propelled, 


600  CONSTITUTION  ET  PUISSANCE  MIUTAIHES 

«  La  puissance  de  la  vapeur,  suivant  sir  Fran- 
cis Head,  a  rasé  la  meilleure  des  fortifications  du 
Royaume-Uni;  elle  a  comblé  ce  que  Napoléon  appe- 
lait, ■  en  grinçant  des  dents  »,  sur  les  hauteurs  d'Àm- 
bleleuse,  «  le  fossé  de  l'Angleterre  (l).  » 

«  L'adoption  de  la  vapeur  comme  propulseur, 
suivant  le  général  Howard  Douglas,  a  nécessairement 
modifié  et  pour  ainsi  dire  bouleversé  toutes  les  ancien- 
nes règles  de  la  tactique  navale  ; ...  cet  agent  doit  éga- 
liser la  lutte,  autrefois  impossible,  des  marines  secon* 
daires  contre  \e%  marines  de  premier  ordre  (2).  b 

Suivant  le  général  Burgoyne  :  «  Malgré  la  con- 
fiance que  tout  marin  anglais  conserve  dans  la  puissance 
et  l'efficacité  de  la  flotte  anglaise,  il  n'est  pas  un  offi- 
cier qui  ne  soit  obligé  d'arriver  à  cette  triste  conclusion, 
qu'à  moins  d'un  changement  radical  dans  la  manière 
dont  les  affaires  sont  conduites  en  Angleterre,  il  serait 
possible  à  la  France  de  commencer  la  guerre  avec  une 
supériorité  navale  décidée, —  supériorité  qu'elle  pour- 
rait conserver,  sinon  pendant  des  années,  au  moins 

by  aU  quarters.  >  {Lettre  du  duc  de  Wellington  au  général  Bur- 
goyne,  9  janvier  1867.) 

(\)  «The  power  of steam,  however,  bas,  no  doubt,  sofar  leveHed 
the  Works  of  our  fortress,  that  it  bas  couverted  what  Napoléon,  as 
on  tbe  heights  of  Ambleteuse  he  gnashed  bis  leetb  at  it,  caUed  «  The 

Ditscb  of  England  »  to  an  esplanade »  {The  defenceless  statê  of 

Great  Britctin,  by  sir  Francis  Head.) 

(2)  « Tbe  introduction  of  steam,  as  a  propeUing  power  for 

sbips  of  war,  will  necessarily  modify—  and,  loa  great  extent,  over- 
lurn,  —  tbe  exisling  taclics  of  war  on  tbe  Océan.  »  {Tract  on  the 
naval,  the  littoral,  and  the  internai  defence  of  England^  by  général 
sir  Howard  Douglas.) 


DB  LA   FBANGE  ET   DE   l'aNGLETEREE.  601 

pendant  des  mois,  soit  dans  la  Manche,  soit  sur  tout 
autre  point  du  globe  (1).  » 

Nous  pourrions  ajouter  aux  opinions  que  nous 
venons  d'enregistrer,  celles  des  amiraux  Bowles  et 
EUiotl,  celle  plus  explicite  encore  d'un  amiral  membre 
de  la  chambre  des  lords,  auteur  d'une  étude  remar- 
quable sur  le  sujet  qui  nous  occupe  ('2).  Bornons-nous 
à  constater  que  tous  les  hommes  spéciaux  en  Angle- 
terre (  de  même  que  sur  le  continent  :  MM.  Lamarche, 
Paixhans,  Labrousse,  Lagravière,  etc.,  elc.)  sont  una- 
nimes à  reconnaître  que  : 

l""  La  vapeur  a  rendu  moins  nécessaires  ces  vais- 
seaux à  voile  et  ces  marins  dont  l'Angleterre  était  une 
ruche  si  féconde;  2*"  la  vapeur  a  rendu  moins  utiles 
Texpérience  et  les  habitudes  navales  qui  faisaient  la 
supériorité  des  marins  anglais;  â""  la  vapeur  menace 
l'Angleterre  de  mettre  la  marine  à  la  portée  de  tout 
gra^d  peuple  qui  aura  des  soldats  aguerris  et  des 
finances  prospères;  k''  la  vapeur  a  rendu  impossible  la 
domination  des  mers;  et  ce  que  l'Angleterre  a  perdu 
par  l'introduction  de  cet  agent,  la  France  et  les  autres 
nations  continentales  Font  gagné. 

Nous  terminerons  cet  aperçu  parles  conclusions  de  la 
commission  d'enquête,  nommée  en  Angleterre,  à  l'effet 
d'examiner  l'état  de  défense  du  Royaume-Uni.  Dans 

(1)  Unless  an  essentially  différent  course  is  in  due  time 

adopted  and  pursued,  the  French  will  enter  upon  a  war  with  a 
decided  naval  superiority »,  etc.  (The  military  opinions,  of  gê- 
nerai sir  John  Burgoyne.) 

(2)  Dur  naval  position  and  policy,  by  Naval  Peer. 


.  603       GONsrmrnoif  et  puissahcb  nuTAiRBi 

sou  rapport,  publié  le  7  février  i860,  cette  commis- 
sioD  reconnaît  que  la  vapeur  et  d'autres  causes  ont 
tourné  au  détriment  de  l'Angleterre,  que  la  difficulté 
i empêcher  un  débarquement  est  désormais  très  réelle, 
enfin  qu'il  y  a  lieu  d'examiner  les  moyens  de  défense 
contre  un  ennemi  débarqué  (i).  » 

On  ne  pouvait  déclarer  d'une  manière  plus  catégo- 
rique et  plus  officielle,  que  le  territoire  de  la  Grande- 
Bretagne  avait  cessé  d'être  invulnérable. 

Les  moyens  de  défense  que  la  commission  d*enquète 
a  passés  en  revue  sont  :  la  flotte,  les  fortifications,  l'ar- 
mée permanente  et  les  volontaires. 

En  ce  qui  regarde  la  flotte  anglaise,  nous  rappelle- 
rons que  l'opinion  unanime  des  marins  sur  la  possibi- 
lité de  son  insuffisance  dans  la  Manche,  en  cas  de 
conflit  avec  une  puissance  maritime  de  premier  ordre, 
se  fonde  sur  la  considération  que ,  étant  dispersée  sur 
le  globe  entier,  cette  marine  est  inférieure,  en  Europe, 
aux  marines  Française  et  russe,  beaucoup  plus  oonoen- 
trées  et  presque  entièrement  disponibles.  Ni  la  France 
ni  la  Russie  n'ont  à  garder,  à  beaucoup  près,  un 
domaine  colonial  aussi  étendu  que  celui  de  l'Angle- 
terre (-2). 

Relativement  aux  fortifications,  nous  nous  bome- 


(1)  Cette  commission  était  composée  des  généraux  Jones,  Caméron 
et  Abbott,  du  vice-amiral  Elliott,  du  colonel  Leufroy,  du  capittioe 
de  vaisseau  Cooper  Key,  du  major  Drummond  et  de  M.  Fergnssoo. 

(2)  «  It  is  indisputable  that  the  English  fleet  cannot  be  scaltered 
over  the  whole  aqueous  surface  of  the  globe,  and  be  in  the  britîsli 
channel  at  tbesame  time.  »  {Defencelets  skOe  of  Great  Briktin., 


DB  LA  FRANGB  ET  DE  L* ANGLETERRE.  .    603 

rons  à  faire  remarquer  que  les  conclusions  de  la  com- 
mission de  défense,  et  la  demande  d'un  crédit  de  près 
de  300  millions  pour  l'érection  de  nouveaux  forts,  ont 
soulevé  en  Angleterre  de  violentes  critiques. 

Il  ne  suffit  pas,  en  effet,  de  construire  des  citadelles, 
il  faut  avoir  l'effectif  nécessaire  pour  les  défendre.  Une 
forteresse  dont  la  garnison  est  insuffisante  devient  un 
danger,  puisque  l'ennemi  a  toute  facilité  de  s'en  em- 
parer et  de  s'en  faire  un  point  d'appui. 

Avec  Teffeclif  actuel  qui  est,  comme  nous  l'avons 
déjà  fait  remarcjuer,  celui  dont  le  duc  de  Wellington 
déplorait  si  amèrement  la  faiblesse  en  1 849,  nos  voi- 
sins seraient  hors  d'état  d'occuper  les  places  fortes  déjà 
construites.  En  construire  de  nouvelles  est  donc  uti 
non -sens  (l). 

Nous  ne  répéterons  pas,  à  l'égard  des  milices,  dea 
volontaires,  et  autres  prétendus  auxiliaires  de  l'armée 
régulière,  ce  que  nous  avons  dit  ailleurs  : 

«  On  croira  que  je  suis  fou,  disait  Wellington,  de 
vouloir  compter,  pour  la  défense  de  l'Angleterre,  sur 
une  force  pareille  à  la  milice;  ~  cela  doit  être,  je  le 
confesse  (2).  »  Le  vieux  guerrier  ajoutait  qu'il  n'avait 
de  confiance  que  dans  l'armée  régulière,  malheureu- 

(1)  «The  whole  force  employed  at  home  in  Great  Britain  and 
Ireland  would  net  afford  a  sufficient  nuniber  of  men  for  tbemere 
occupaUon  and  defence  of  Ihe  works  conslruclecl  for  Ihe  defence  of 
the  dockyards  and  naval  arsenals.  >  {Lettre  de  Wellington  au  général 
Burgoj/ne.) 

{%  «1  shaU  be  deemed  foolhardy  in  enpging  for  the  defence  of 
the  empire  with  such  a  force  of  miiilial  It  may  be  so  !  1  confess  it!  » 
(Wellington  au  Parlement*) 


60A  CONSTITUTION   ET   PUISSANCE  MILITAIRES 

sèment,  sachant  bien  qu'il  ne  pouvait  obtenir  l'augroen- 
tatiou  de  celle-ci,  il  était  obligé  de  se  rejeter  sur  la 
milice...  «  /  Know  Ihat  i  shall  not  hâve  thèse;  i  may 
hâve  the  olhers.  » 

Le  général  Burgoyne  n'est  pas  moins  franc  dans 
l'expression  de  son  opinion  sur  les  volontaires  :  o  Des 
centaines  de  mille  de  citoyens  anglais,  Tussent-ils  ani- 
més des  plus  fiers  sentiments  nationaux,  se  disperse- 
raient devant  le  dixième  de  leur  nombi^e  de  soldats 
français,  comme  la  paille  se  disperse  au  souffle  du 
vent  (1).  » 

Nous  arrivons  à  l'armée  de  ligue,  c'est-à-dire  à  Télé- 
meni  de  la  défense  anglaise,  dont  l'appréciation  rentre 
plus  particulièrement  dans  notre  cadre.  De  ce  côté,  la 
situation  de  nos  voisins  est-elle  plus  rassurante?  Les 
60,000  hommes  dont  nous  avons  donné  la  composi- 
tion ,  et  qui  représentent  la  garnison  du  Royaume-Uoi, 
peuvent-ils  sufffire  à  leur  tâche? 

«  Avec  un  effectif  aussi  faible,  disait  le  duc  de  Wel- 
Ungton,  il  n'y  a  pour  l'Angleterre  ni  salut,  ni  même 
chance  de  défense,  si  ce  n'est  dans  la  flotte  !  »  dans 
la  flotte  dont  l'infaillibilité  a  cessé  d'être  un  article  de 
foi,  même  pour  ses  plus  fervents  admirateurs! 

«  Dans  la  situation  où  nous  nous  trouvons,  écrit  en- 
core le  duc  au  général  Buigoyne  (c'est-à-dire  avec  une 

(1)  tt  As  to  the  hundreds  of  thousands  of  valiant  Brilons,  who 
would  spring  up  for  the  defence  of  their  country,  according  to  the 
proud  popular  feeliog,  they  would  fly  likechaff  before  the  wiod  in 
présence  of  tenth  part  of  (heir  number  of  French  soldiers.  >  (Géné- 
ral Burgoyne,  Military  condition  of  Greal  Britain.) 


DE  LA  FRANCE  ET  DE  L  ANGLETERRE.     605 

année  intérieure  de  00,000  hommes),  —  en  n'accor- 
dant à  nos  ports  et  à  nos  arsenaux  que  la  moitié  des 
garnisons  que  réclamerait  leur  sécurité ,  c'est  à  peine 
s'il  nous  resterait  5,000  hommes  de  toutes  armes  pour 
livrer  bataille;  et  encore  faudrait-il  renoncer  à  relever 
aucun  poste,  même  celui  qui  garde  le  palais  et  la  per- 
sonne de  la  Reine.  » 

Le  duc  de  Wellington  estimait  qu'en  cas  de  guerre, 
l'Irlande  exigerait,  à.  elle  seule,  une  garnison  de 
30,000  hommes;  et  que  les  îles  de  la  Manche,  Ply- 
mouth,  Cork,  Portsmoulh,  Douvres,  Pembroke,  Sher- 
ness,  Chatham  et  la  Tamise  en  demanderaient  plus  du 
double.  —  C'est  ce  qui  le  faisait  s'écrier  que  l'armée, 
tant  en  Irlande  qu'en  Angleterre ,  n^était  pas  même 
suffisante  pour  occuper  les  places.  «  Si  la  flotte  venait 
à  nous  faire  défaut,  ajoutait-il,  dans  les  circonstances 
où  nous  sommes,  je  ne  répondrais  pas  de  la  sûreté  de 
l'Angleterre  pendant  huit  jours,  après  que  la  guerre 
aurait  été  déclarée  :  We  are  not  safe  for  a  week  a  fier 
ihe  déclaration  of  War  !  » 

Le  général  Burgoyne,  après  avoir  examiné  toutes  les 
chances  favorables  que  rencontrerait  un  débarquement 
sur  la  côte  d'Angleterre,  se  prononce  d'une  façon  tout 
aussi  formelle  que  le  duc  de  Wellington  sur  les  résul- 
tats d'une  pareille  entreprise  :  «  Il  est  plus  que  pro- 
bable qu'elle  réussirait,  et  que  Londres  lui-même 
tomberait  au  pouvoir  de  Tennemi  en  moins  de  dix 
jours,  —  il  is  more  than  probable  fhat  such  an  attempt 
would  be  successful^  and  that  London  itself  might  be  in 
the  hands  ofthe  enemy  in  less  than  ten  day$.  » 


606  COl^StltUtlON  ET  l>UlSSANCE  MîLlTAmfô 

En  supposant,  en  effet,  que  nos  voisins  prissent  le 
parti  d'abandonner  aux  volontaires,  aux  pensionnaires, 
à  la  yeomanry,  à  la  police,  etc.,  la  garde  de  leurs  ai^se- 
naux,  en  supposant  que  la  garnison  d(î  llrlande  fût 
rappelée  en  Angleterre  {By  stripping  Ireland  and  every 
part  of  Great  Britain  to  the  utmost),  de  Tavis  du  géné- 
ral Burgoyne  et  de  sir  Francis  Head  (1  ),  tout  ce  que 
l'Angleterre  pourrait  faire,  serait  de  réunir  un  seul 
corps  de  50,000  ou  60,000  hommes.  Il  suffirait  d'une 
seule  bataille  perdue  pour  livrer  tout  le  territoire  à 
l'invasion. 

Il  n'est  pas  un  général  anglais  qui  ne  partage,  au 
fond  du  cœur,  les  convictions  que  nous  venons  d'enre- 
gistrer. Il  n  est  pas  un  militaire  expérimenté  qui  n'ait 
reconnu,  sous  une  forme  ou  sous  une  autre,  que  la 
défense  de  l'Angleterre  était  inconciliable  avec  la  fai- 
blesse de  son  effectif  militaire  actuel. 

Dans  son  traité  sur  la  Défense  inlérieuré  et  mari- 
time de  la  Grande  Bretagne,  le  général  S.  Howard-Dou- 
glas préconise  la  formation  de  corps  d'armée  manœu- 
vrant de  façon  à  pouvoir  se  concentrer  avec  facilité, 
suivant  les  mouvements  de  l'ennemi.  Cette  combinaison 
suppose  remploi  d'une  armée  de  1 00,000  hommes. C'est 
le  chiffre  dont  l'armée  actuelle  devrait  être  augmentée 
de  l'avis  du  général  Burgoyne  et  de  sii-F.  Head .  Dans  une 
Étude  relative  à  la  Défense  de  Londres,  le  lieutenant- 
général  Mac  Intosh  admet  comme  point  de  départ  de 


(l)  Burgoyne,  Military  condition  of  Great  Britain^  p.  27.  —  Sir 
F.  Head,  Defenceless  state  of  Great  Britain,  p.  302. 


t)t   lA   FRANCE   Et   PE   L  AffGLETBEftfi.  007 

ses  calculs,  que  l'Angleterre  a  1 80,000  hommes  en 
ligne. 

L'honorable  général  n'en  insiste  pas  moins  sur  les 
difficultés  que  Ton  rencontrerait  encore  pour  opposer^ 
à  point  nommé,  un  simple  corps  de  30,000  hommes  à 
la  marche  de  l'ennemi  ;  il  s'appuie  sur  l'incertitude  oii 
Ton  serait  de  sa  véritable  direction  et  de  son  point  de 
débarquement,  en  dépit  des  avantages  que  fournis- 
sent aujourd'hui  le  télégraphe  électrique  et  les  chemins 
de  fer. 

Nous  n'ajouterons  rien  aux  considérations  que  nous 
venons  de  présenter.  Suivant  nous,  si  Ton  songe  aux 
intérêts  qui  sont  en  jeu  pour  FAngleterre,  si  l'on  ré- 
fléchit aux  consé({uences  que  pourrait  entraîner  l'oc- 
cupation, même  momentanée,  de  son  territoire  par 
une  armée  ennemie ,  il  nous  semble  qu'en  estimant 
*  à  200,000  hommes  l'armée  permanente  nécessaire  à 
sa  défense,  on  reste  encore  au-dessous  de  la  vérité. 

Si  les  généraux  qui  ont  traité  ces  graves  questions; 
si  la  commission  chargée  de  les  discuter;  si  le  gouver- 
nement dont  la  responsabilité  est  si  intéressée  à  leur 
solution  exacte,  n'ont  pas  osé  admettre  le  chiffre  que 
nous  venons  d'écrire,  c'est  que  généraux,  commis- 
sion, gouvernement  savent  qu'il  est  impossible  de  l'at- 
teindre avec  l'enrôlement  volontaire  (1).  L'établisse- 

(1)  Tout  le  monde  est  d'accord,  en  Angleterre,  sur  la  difficulté, 
ou  pour  mieux  dire,  l'impossibUité  où  Ton  serait  d'augmenter  seu- 
lement l'armée  de  /iCOOO  hommes,  même  dans  les  circonstances  les 
plus  pressantes:  «Sucha  body  of  recruils  would  require  many 
»  months,  give  rise  to  a  vast  amount  of  crime  and  debauchery,  cost 


608  CONSTITUTION  HT  PUISSANCB  MlLITAmSS 

ment  de  la  conscription  serait  le  seul  moyen  d'y 
parvenir,  mais  le  peuple  anglais  ne  peut  s'y  résoudre. 
L'adoption  d*un  pareil  système  équivaudrait,  si  nous 
en  croyons  les  écrivains  d'outre-Manche,  à  une  révo- 
lution. 

Quoi  qu'il  en  soit,  une  pareille  situation  n'a  pas  be- 
soin de  commentaires;  elle  explique  surabondamment 
les  craintes  el  les  terreurs  qui  s'emparent  du  peuple 
anglais,  chaque  fois  que  nous  ajoutons  un  vaisseau  à 
notre  flotte,  chaque  fois  qu'un  incident  quelconque 
vient  dresser  devant  eux  l'épouvantail  d'une  guerre 
avec  la  France. 

Pendant  longtemps,  sur  le  continent,  on  a  pu  con- 
sidérer les  paniques  de  P  Angleterre  comme  des  énigmes 
dont  le  gouvernement  avait  seul  le  mot.  On  riait  de  ces 
manifestations  alarmistes,  on  les  traduisait  en  carica- 
tures ou  en  chansons.  Elles  n'avaient  d'autre  but,  pen- 
sait-on, que  d'enlever  un  budget  trop  lourd,  ou  de 
détourner  l'attention  de  la  réforme.  Aujourd'hui,  cha- 
cun sait  à  quoi  s'en  tenir.  On  comprend  que  les  ap- 
préhensions instinctives  du  peuple  anglais  sont  tout 
aussi  fondées  que  les  appréhensions  raisonnées  de  ses 

»  an  enormous  sum  of  money,  and  gîve  a  great  proporUon  of  boys, 
»  who,  without  some  years  of  care  and  good  feeding,  would  ooly 
»  fill  our  hospitals,  and  die  like  Aies,  as  was  seeii  both  îii  the  Cri- 
n  mea  and  India.  »  (Military  system  of  Great  Britain.) 

On  n*obliendrait  au  prix  de  beaucoup  de  peine,  de  temps  et  d*ar- 
gent,  et  en  mettant  en  œuvre  toutes  les  amorces  de  la  débauche, 
que  de  malheureux  garçons  qui  rempliraient  les  hôpitaux  ou  mour- 
raient comme  des  mouches  (/lus),  ainsi  qu'on  Ta  déjà  vu  en  Crimée 
et  dans  rinde. 


ra  LA  MaNCE  et  bE  L^ANaLETERate.  609 

géfiéraul.  Les  unes  et  les  autres  ont  leur  source,  non 
pa&  dans  les  dispositions  hostiles  de  telle  ou  telle  pui*î 
sance,  mais  bien  dans  un  sentiment  profond  de  la  dé- 
cadence militaire  de  la  Grande-Bretagne. 

Eu  ce  qui  regarde  plus  particulièrement  la  France, 
maigre  tout  le  bénéflce  qu'ils  retirent  de  son  alliance, 
nos  voisins  tie  peuvent  considérer  sans  envie  l'admi- 
rable Organisation  de  sa  puissance  militaire.  Ils  ne 
peuvent  nous  pardonner  la  facilité  avec  laquelle,  sans 
presser  en  rien  le  fonctionnement  de  nos  institutions, 
nous  pouvons,  à  toute  heure,  mettre  en  mouvement 
une  demî-dou^aine  de  ces  corps  d'armée,  dont  un  seul 
pèse  autant  que  leur  armée  tout  entière. 

La  France  a  beau  signer  des  traités  qui  semblent 
dictés  par  le  génie  ttièttie  de  la  paix,  elle  a  beau  multi- 
plier les  assurances  et  les  promesses  d'amitié,  elle  a 
beau  joindre  ses  armes  à  celles  de  l'Angleterre  dans 
des  expéditions  lointaines,  et  donner  pouf  gage  à 
Ttiniori  de»  intérêts  l'union  des  drapeaux,  le  sentimenl 
de  son  incurable  faiblesse  est  pour  le  peuple  anglais 
une  préoccupation  incessante.  L'idée  que  sa  sécurité 
repose  sur  notre  loyauté  et  notre  bon  vouloir,  et  non 
sur  des  moyens  à  la  hauteur  des  dangers  que  notre 
hostilité  lui  ferait  courir,  l'irrite  et  l'obsède.  Il  ne  peut 
dormir  tranquille  en  songeant  qu'il  suffit  d'un  geste 
pour  mettre  en  mouvement  un  demi-million  de  soldats 
français.  La  connaissance  intime  qu'il  a  de  notre  ar- 
mée pouf  l'avoir  vue  à  l'œuvre,  augmente  encore,  s'il 
est  possible,  cette  obsession  et  cette  défiance.  De  là  ces 
levées  de  volontaires,  de  là  cet  empressement  à  encou- 

30 


610  CONSTITUTION   ET  PUISSANCE  MIUTAIRES 

rager  les  inventions  homicides,  de  là  enfin  ce  soin  pas- 
sionné à  augmenter  sa  flotte  ;  mais  de  là  aussi  cette 
augmentation  toujours  croissante  des  impôts  et  des 
taxes  que  supporte  la  nation  anglaise. 

Écrasé  sous  l'énorme  poids  d'un  budget  militaire  et 
naval  qui  atteint  près  de  800  millions,  sans  même  as- 
surer sa  sécurité ,  le  peuple  anglais  semble  revenir, 
par  instants,  à  ces  vieilles  rancunes,  à  ces  préjugés 
surannés  dont  la  guerre  de  Crimée  avait  fait  justice. 

Tandis  qu'en  France  chacun  se  montre  de  plus  en 
plus  convaincu  de  l'utilité  de  l'alliance  anglaise,  tan- 
dis que  chacun  se  pénètre  mieux,  chaque  jour,  des 
avantages  commerciaux  qui  en  dérivent,  et  se  montre 
plus  disposé  à  entretenir  les  relations  pacifiques  de 
nature  à  la  cimenter,  en  Angleterre,  on  reste  souvent 
insensible  à  c^s  avantages  comme  à  ces  amicales  dis- 
positions, et,  plus  souvent  encore,  on  a  le  tort  de  prê- 
ter à  la  France  des  projets  ou  des  intentions  qu'elle 
n'a  pas,  par  la  seule  raison  que,  si  elle  les  avait,  il  lui 
serait  facile  de  les  réaliser. 

Il  ne  faut  pas  se  le  dissimuler,  ces  dispositions  om- 
brageuses et  maladives  ont  plus  d'une  fois  alarmé,  en 
France,  les  partisans  sincères  de  l'alliance  anglaise. 

Nous  avons  voulu  les  rassurer. 

Nous  avons  voulu  leur  montrer  que  si  l'alliance  est 
utile  pour  la  France,  elle  est  nécessaire  pour  TAngle- 
terre. 

D'autres,  avant  nous,  se  sont  évertués  à  faire  le  ta- 
bleau des  bienfaits  dont  une  rupture  entraînerait  la 
peile.  Ils  ont  eu  raison. 


DE  LA  FRANGE  ET  DE  l'aNGLETERBE.  611 

De  notre  côté,  nous  avons  pensé  que  rien  n'était  plus 
propre  à  maintenir  Talliance  et  les  dispositions  à  l'al- 
liance, que  l'exposé  sincère,  non-seulement  des  avan- 
tages que  compromettrait  une  rupture,  mais  aussi  des 
dangers  auxquels  elle  exposerait. 

Nos  voisins  sont  un  peuple  trop  pratique,  pour  ne 
pas  se  rendre  compte  des  uns  aussi  bien  que  des  autres. 

La  puissance  d'une  armée  ne  réside  pas  seulement 
dans  la  quanlité,  mais  aussi  dans  la  qualité  des  troupes 
qui  la  composent.  Dans  cette  Étude,  nous  n'avons  en- 
visagé Tarmée  anglaise  qu'au  point  de  vue  de  Teffectif 
ou  de  la  quantité.  Dans  un  prochain  travail,  nous  pas- 
serons en  revue  les  institutions  militaires  desquelles 
dépend  le  plus  ou  moins  de  perfection  de  ses  éléments. 


FIN. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


■•        ■'••P«! 


ÀTertissemeiit ▼ 

Prèbce vn 

Introduction 1 

GI1APITK£  PREMIER. 

CONSTITUTION  ET  iUMilNISTRATlON  GBNTRALB  M  L*A]U1ÉB 
AMGLAIS& 

Direction  et  commandement;  —  Organisation  et  attributions  du  minis- 
tère de  la  guerre  et  du  HonO'Gwurds iO 

CHAPITRE  IL 

DÉPENSES  COMPARÉES  DE  L*ÀD1IIN1STRAT10N  MILITAIRE  CENTRALE, 
EN  FRANCE  ET  EN  ANGLETERRE. 

Économie  du  système  français  ;  —  Double  autorité  qui  régit  l'armée 
britannique;  —  Inconvénients  de  ce  système;  —  L'armée  anglaise 
n'a  pas  de  chef;  —  Situation  et  antagonisme  du  ministère  et  du 
Horse-guards  ;  —  Caractère  distinctif  des  institutions  militaires  delà 
France  et  de  la  Grande-Bretagne  ;  —  Contraste  ;  —  Difficultés  que 
rencontrent  les  réformes  militaire^  dans  la  constitution  politique  et, 
sociale  de  l'Angleterre 2à 

CHAPITRE  ni 

RANGS  ET  GRADES  DANS  L'ARMÉB  BRITAMIIIQVB* 

Étai-m^ior  général  ;  —  Du  grade  de  général  d'armée  ;  —  Lacune  danf 
la  hiérarchie  française  ;  —  Disproportion  entre  le  nombre  des  géné- 
raux et  l'effectif  de  l'armée  anglaise;  — Or|;9nisation  de  l'étal- 
in9|or  anglais,  en  quoi  elle  diffère  de  celle  des  états-majors  du  conti- 
nent; —  Tableau  des  emplois  d'état*m«gor  dans  l'armée  anglaise; 
Du  chef  d'état-major;  —  De  l'adjudant  général  ;  —  Du  quartier* 
médire  général  ^  ^  Du  m^jor  de  brigade  ;  —  Ëtat-major  de  fonctions 
et  état-ifugor  personnel  ;  —  Secrét^res  militaires  ;  —  Êtat-majof 
des  places  ;  —  Prévôts-maréchaux 60 

40 


61  &  TABLE   DES    MATIÈRES. 

CHAPITRE  IV. 

ATTRIBUTIONS  COMPARÉES  DES  FONCTIONNAIRES  PRINCIPAUX  M 
L* ADMINISTRATION  MILITAIRE  CENTRALE  EN  FRANCE  ET  E?( 
ANGLETERRE. 

Agents  de  l'administration  anglaise  qui  n'ont  pas  leurs  semblables  dans 
l'organisation  française  ;  —  De  l'âge  des  généraux  anglais  ;  — 
Conséquence  de  l'absence  d'un  cadre  de  réserTe;  —  Résultat  de  la 
dissémination  de  l'armée  britannique,  les  généraux  anglais  ne  sont 
pas  manœuvriers  ;  —  Remarque  sur  les  attributions  du  quartier- 
maître  au  point  de  vue  des  embarquements  et  des  débarquemenls  ; 

—  L'Angleterre  n'a  pas  de  corps  de  police  militaire  ;  —  Organisa- 
tion défectueuse  de  la  prévété  dans  les  armées  anglaises  ;  ^  Opinioo 

de  Wellington W 

CHAPITRE  V. 

NOTIONS  GÉNÉRALES  ET  COMMUNES    AUX  DIFFÉRENTES  ARMES  SCR 
L'ORGANISATION  RÉGIMENTAIRE  DE  L* ARMÉE  ANGLAISE. 

Proportion  comparée  des  différentes  armes  dans  l'armée  anglaise  et 
dans  l'armée  française  ;  — «  Préséances  ;  —  Caractère  aristocratiqne 
et  féodal  de  l'armée  britannique  ;  —  Le  colonel  dans  la  hiérarchie 
anglaise  n'est  que  le  commandant  ctd  honores  du  régiment  ;  —  Ses 
anciens  privilèges  ;  —  Sa  situation  actuelle 92 

CHAPITRE  VI. 

ORGANISATION  DE  L*INFANTERIE  ANGLAISE. 

Infanterie  de  ligne  ;  —  Tirailleurs  ;  ^  Le  bataillon  anglais  est  à  la  lob 

unité  tactique  et  unité  administrative  ;  —  Personnel  d'un  régiment 

d'infanterie  anglaise  ;  —  Êtat-major  ;  —  Officiers  de  compagnie  ;— > 

Sous-offlciers  ;  —  Du  lieutenant-colonel  commandant  le  régiment; 

—  Du  major  ;  —  De  Tadjudant  ;  —  Des  chirurgiens  ;  —  Du  payeur 
et  du  quartier-maître;  — De  la  compagnie  d'inûinlerie  anglaise: 
du  capitaine,  du  lieutenant  et  de  l'enseigne  ;  —  Les  sous-officiers 
sont  la  cheville  ouvrière  de  l'organisation  anglaise;  —  Du  sergent- 
major  ;  —  Des  sergents  de  drapeau  ;  ^-  Des  non-valeurs  ;  —  Effectif 
nominal  et  effectif  réel  du  régiment  et  de  la  brigade  d'infanterie 
dans  l'armée  anglaise  ;  --*  Tableau  et  uniforme  des  régimenls 
d'infanterie  anglaise 98 


TABLE  DES  MATIÈRES.  615 

CHAPITRE  VII. 

ORGANISATION  DE  LA  CAYALERIE  ANGLAISE. 

Grosse  cavalerie  et  cavalerie  légère  ;  —  Dragons-gardes;  —  Dragons 
légers  ;  —  Lanciers  ;  —  Hussards  ;  — Les  Anglais  n'ont  pas  de  cui- 
rassiers; Les  Life-Guards  et  les  Horse-Guards  font  partie  de  la 
cavalerie  de  réserve  ;~ Unité  tactique  et  unité  administrative  dans  la 
cavalerie  anglaise  ;  —  Tableau  et  uniforme  des  régiments  de  cavale- 
rie anglaise  ;  —  Formation  de  l'escadron  de  manœuvre  ;  —  Ëtat- 
major  d'un  régiment  de  cavalerie  anglaise  ;  Effectif  en  officiers, 
sous-officiers,  hommes  et  chevaux  ;  —  Composition  de  la  compagnie 
de  cavalerie  {troop)  ;  —  Brigades  et  divisions  de  cavalerie 117 

CHAPITRE  Vm. 
ORGANISATION  DE  LA  GARDE  ROYALE  ANGLAISE. 
Composition  de  Tinfiinterie  de  la  garde  anglaise  ;  —  Du  grade  de  colo- 
nel dans  la  garde  ;  —  Du  grade  supérieur  des  officiers  de  la  garde 
anglaise  dans  l'armée  de  ligne';  —  Effectif  de  l'infanterie  de  la  garde 
en  officiers,  sous-officiers  et  soldats  ;  —  Uniforme;  —  Organisation 
et  composition  de  la  cavalerie  de  la  garde  anglaise  ;  —  Effectif  en 
officiers, sous-offlciers, hommes  et  chevaux;  —  Service,  privilèges, 
uniforme  ;  —  Distinction  à  établir  entre  l'infanterie  et  la  cavalerie 
de  la  garde  anglaise  au  point  de  vue  des  services  de  guerre 124 

CHAPITRE  IX. 

ORGANISATION  DE  L' ARTILLERIE  ANGLAISE. 

Un  mot  sur  l'ancien  ministère  de  V Ordonnance;  —  Artillerie  à  pied  ; 

—  Artillerie  à  cheval  ;  •—  Composition  des  batteries  de  campagne  ; 

—  Effectif  en  officiers,  hommes,  chevaux  et  voitures  ;  —  Proportion 
et  effectif  de  l'artillerie  attachée,  en  campagne,  aux  divisions 
anglaises  ;  —  Réorganisation  de  l'artillerie  en  1859  ;  —  Le  quartier 
général  de  Woolwich;  —  Organisation  de  la  brigade  dedépét;  — 
Calibres  de  l'artillerie  anglaise  ;  -^  Lord  Hardinge  et  les  batteries 
de  Waterloo  ;  —  Comparaison  entre  la  batterie  anglaise  de  cam- 
pagne et  la  batterie  anglaise  d'artillerie  à  cheval,  au  point  de  vue  des 
attelages,  des  conducteurs  et  des  canonniers  ;  —  De  la  brigade 
d'artillerie  de  côte 29 1 


61 6  TABLE  Dl^  BIAtlÉRÈS. 

CHAPITRE  X. 
ORGANISATION  DU  CORPS  DU  GÉNIE  ANGLAIS. 

Organisaiion  vicieuse  de  cette  arme  ;  —  Amélioration  introduite  par 
Wellînf^ton  ;  —  L'École  de  Chatham  et  le  général  Pasiey  ;  —  De 
l'inspecteur  général  des  fortiiicatiohs  ;  —  Mode  d'établissement  des 
plans  et  devis  ;  —  Exécution  des  travaux  ;  —  Situation  du  génie 
anglais  à  Tépoque  de  la  guerre  de  Crimée  ;  —  Le  gouvernement  est 
obligé  de  recruter  des  travailleurs  civils  pendant  le  siège  de  Sébas- 
topol  ;  —  Inap{iiude  du  soldat  anglais  pour  les  travaux  du  génie  ;  — 
Opinion  du  général  Burgoyne  ;  Composition  de  Fétat-nugor  et  des 
troupes  du  génie;  —  Effectif;  —  Quartier  général  de  Chatham.. .  iiS 

CHAPITRE  XI. 

OReAMISAllOll  Vm  OOIIPS  COLONIAUX  EMPLOYÉS  DANS  USft 
POSSESSIONS  ANGLAIflEa 

Forces  milit«ires  locales  :  1°  Sur  la  côte  occidentale  d'Afrique  et  aux 
Antilles  ;  —  2<*  à  Ceylan  ;  —  3°  au  cap  de  Bonne-Espérance  ;  — 
fto  an  Canada)  --  S»  à  Sainte-Hélène;  —  a»  à  Malte;  —  7«  à  la 
Gdte-d'Or  ;  —  S»  à  Terre-Neuve  ;  -  9°  aux  lies  Falkland  ;  —  Corps 
étrangers  k  la  solde  de  l'Angleterre  ;  —  Pensionnaires  militaires. .  i6î 

CHAPITRE  UI. 

ORGÀhlISAflÙN  DU  PERSONNEL  Et  1SÈS  *ttitfVPkS  VÊB  SBKVfOIft 
AbfltNtSTRATTFS  DAN»  VmMÈE  ANGLAISE. 

Train  MiRaire  ;  *^  Orfaaiaalion  et  effectif;  ^  Perwonel  éa  cerpa  de 
sadté;— Inirmieff;  ^  CwMBiaiarfat  <m  trtiiidtowoe  militaira  ;  ^ 
Service  financier  et  larvice  adamialralif  du  conuniaflariat  anglak; 
—  Éêtikés  spéeiaax  dma  les  odioniea  ;  -«•  Afeals  tubordomiéa  ao 
contolasariat pMfVeséaMCiiÉ  des  aervieaa;  —Département  aaédi- 
cal  ; -- Coaiptablas  dei  bdpftaas  ; --- GhapeMiiM  ; -- Coaaptables  des 
magattai  miKtaifes  ;  —  Fenonnal  du  ternœ  en  caaemameat;  — 
Personnel  civil  des  bureaux  du  génie 175 


TABLE   Des   MATlÉaËS.  617 

CIlAPlTRt:  XIII. 

DISTHICTS  militaires  et  COilllA?f»EllËNTS  TEKRITORIAUIL 
DE  LA  GRANDE-BRETAGNE. 

Un  mot  sur  l'organisation  politique  et  administrative  de  l'Angleterre, 
et  sur  le  rôle  de  l'armée  à  Tinlérieur  ;  —  L'Angleterre  n'a  pas  de 
gendarmerie  ;  l'Irlande  seule  a  un  corps  de  police  armée  ;  —  Tableau 
des  possessions  extérieures  de  la  Grande-Bretagne  ;  —  Distribution 
des  commandements  et  répartition  des  troupes  dans  le  Royaume- 
Uni  ;  —  Districts  militaires  de  TAngleterre,  de  l'Ecosse  et  de  Tir- 
lande  ;  —  Camps  d*Aldersbott  et  de  Kildare  ;  —  DivittODa  actives  de 
SborncUir  et  de  Dublin;  —  Organisation  militaire  des  colflAi«s 
anglaises  :  Gibraltar  ;  —  Malte  ;  —  Les  lies  Ioniennes  ;  ^  L'Inde  ; 

—  Ce|lan  ;  —  Chine  et  Hong-Kong  ;  —  Labuan  ;  —  Australie  ;  — 
Indes  occidentales  ;  —  Amérique  du  Mord  ;  — -Iles  FaUcand  ;  —  Ber- 
roudes  ;  ^  Colonie  du  Cap  ;  —  Établissements  de  la  côte  d'Afrique  ; 

—  Maurice  ;  —  Sainte-Hélène 199 

CHAPITRE  XIV. 

ORGANISATION  DE  l' ARMÉE  ANGLAISE  POUR  LE  SERVICE  EXTÉRIEUR . 

Formation  des  dépôts;  —  Depol-Battalions  ;  —  Instruction  des  recrues 
et  des  jeunes  officiers  ;  —  École  de  cavalerie  de  Maidstone  ;  — 
TaUeau  des  stations  occupées  par  les  différents  corps  de  l'armée 
britannique  tant  à  l'intérieur  qu'à  l'extérieur;  —  Tableau  général  de 
l'armée  britannique  ;  —  Tableau  des  forces  employées  à  l'extérieur  ; 

Récapitulation  des  Torces  restant  disponibles  pour  la  défense  de 

la  métropole 237 

CHAPITRE  XV. 

COMPOSITION  ET  ORGANISATION   DE   L* ARMÉE  DE  SECONDE  LIGNE 
EN  ANGLETERRE  :  CORPS  AUXILIAIRES  ET  RÉSERVES. 

Infanterie  de  marine  anglaise  ;  —  DMërences  essentteUee  dans  l'orga- 
nisation des  troupes  de  la  marine  en  France  et  en  Angleterre;  — 
Avantages  et  nécessité  de  l'emploi  combiné  des  troupes  de  terre  et 
de  mer  dans  les  guerres  contemporaines  ;  —  Considérations  rela- 
tives à  la  garnism  des  vaisseaux  ;  —  U  général  Paizhans  et  le 

40* 


618  TABLE    DES   MATIÈRES. 

général  Douglas  ;  —  Fluctuation  de  l'opinion  en  Angleterre,  au  sujet 
de  la  composition  des  équipages  et  de  Tartillerie  des  vaisseaux  ;  — 
Cadre,  état-miuor,  uniforme,  effectif  di»  l'infanterie  de  marioe 
anglaise  ;  —  Effectif  des  soldats  de  marine  non  embarqués  et  dispo- 
nibles pour  le  service  de  la  métropole  ;  —  Budgets  comparés  des 
troupes  de  la  marine  en  France  et  en  Angleterre 266 

CHAPITRE  XVI. 

COMPOSITION  KT  ORGANISATION  DE  L'aRMÉI::  DE  SECONDE  UGNB 
EN  ANGLETERRE.  {SuiU.) 
Delà  milice  anglaise;  —  Recrutement;  —  Effectif;  —  Régiments 
incorporés  ou  en  service  actif;  —  Régiments  désincorporés 
(desembodied)  ;  —  Nomination  des  officiers  ;  —  Analogie  entre  lo 
ballot  et  la  conscription  des  armées  continentales  ;  —  Comparaisoo 
entre  lés  exemptions  du  service  militaire  en  France  et  en  Angle- 
terre ;  —  Le  service  forcé  dans  la  milice  est  tombé  en  désuétude  ea 
Angleterre  ;  —  Inconvénients  de  l'enrôlement  volontaire  ;  —  De  la 
désertion  dans  l'armée  anglaise  ;  —  La  milice  anglaise  est  mal 
commandée,  mal  instruite,  et  ne  rend  pas  des  services  en  rapport 
avec  ce.  qu'elle  coûte  ;  —  Yeomanry,  ou  milice  à  cheval  ;  —  Sa 
composition  ;  —  Son  service  ;  —  Ses  privilèges  ;  —  Ses  défauts  ;  — 
Organisation  des  pensionnaires  militaires  ;  —  Conditions  de  l'enrd- 
lement;  —  Solde  ;  —  Exercices  annuels  ;  —  Effectif;  —  Tentatives 
de  colonisation  dans  la  Nouvelle-Zélande  au  moyen  des  pensionnaires 
enrôlés  ;  —  Comparaison  avec  la  colonisation  militaire  de  t'Algé* 
rie;  —  Chiffre  des  ressources  effectives  que  la  milice,  la  yeomanry 
et  les  pensionnaires  pourraient  offrir  au  gouvernement  anglais  dans 
le  cas  d'une  guerre  soudaine 305 

CIIAPITIIE  XVIÏ. 

COMPOSITION  DE  L'ARMÉE  DE  SECONDE  LIGNE  EN  ANGLETERRE  : 
CORPS  AUXILIAIRES  ET  RÉSERVES.    [Suite,) 

Organisation  de  la  réserve  anglaise  (army  resetve  force); — Obligations 
imposées  aux  enrôlés  ;  —  Droits  et  avantages  ;  -~  Comparaison  avec 
la  nouvelle  organisation  de  la  réserve  française  ;  —  Le  système 
anglais  pourrait-il  être  adopté  en  France  ?  —  De  la  réduction  des 
dépenses  militaires  ;  —  État  militaire  de  la  France  :  —  Considéra- 


TABLE   DES   MATIÉEES.  619 

tiens  iur  lesquelles  il  est  basé  ;  —  Évaluation  de  la  dépense  d'une 
réserve  de  100  000  anciens  soldats  organisés  d'après  le  système 
anglais  ;  —  Organisation  des  troupes  de  la  douane  anglaise  {Coatt- 
guards)\  —Composition;  —  Effectif;  —  Service;  —  Prix  d'en- 
tretien ;  —  Force  qui  pourrait  contribuer  à  la  défense  du  territoire 
anglais  en  cas  d'invasion;  —  Organisation  des  bataillons  des 
chantiers  maritimes  (Dockyard*s  baUalhns)  ;  —  Composition  et 
effectif  de  ces  corps  ;  —  Un  mot  sur  les  corps  de  la  police  civile  en 
Angleterre 345 

CHAMTRK  XVIII. 

COMPOSITION  DE  L'ARMÉE  DE  SECONDE  LIGNE  EN  ANGLETERRE  : 
CORPS  AUXILIAIRES  ET  RÉSERVES.   {Suite.) 
Des  volontaires  anglais  ;  —  Causes  qui  ont  déterminé  cette  organisa- 
lion  ;  —  L'invasion  française  ;  —  Pourquoi  l'Irlande  n'a-t-elle  pas 
de   volontaires  ;  —  Obligations  imposées  aux  volontaires  anglais  ; 

Droits  et  avantages  ;  —  Instruction  ;  —  Armement  ;  —  Service  ; 

Uniforme  ;  —  Effectif  ;  —  Causes  qui  tendent  à  refroidir  l'en- 
thousiasme des  débuts  de  l'institution  ;  —  Sociétés  de  volontaires 
marins  pour  la  manœuvre  des  chaloupes  canonnières  dans  les  ports 
de  commerce  et  les  rades  ouvertes  de  l'Angleterre  ;  —  Exemple  à 
imiter  en  France  ;  —  Opinion  et  lettre  de  Garibaldi  sur  l'organisa- 
tion des  volontaires  anglais 385 

CHAPITRE  XIX. 
COMPOSITION  DE  L' ARMÉE  DE  SECONDE  LIGNE  EN  ANGLETERRE.  (Suite.) 
Examen  critique  de  l'institution  des  volontaires  anglais  ;  —  L'idée 
n'est  pas  nouvelle  ;  —  Les  volontaires  anglais  de  1803  ;  —  Opinion 
de  M.  Dupin  ;' Satisfaction  de  l'Angleterre  et  stupéfaction  prétendue 
de  l'Europe  à  propos  des  volontaires  ;  —  Discussion  des  exemples 
cités  à  propos  de  l'efficacité  de^  volontaires  ;  —  Opinion  du  géné- 
ral Burgoyne  ;  —  Opinion  de  Napoléon,  de  Jomini,  de  Napier,  de 
Wellington,  de  Dumouriez,  de  Lamarque,  etc.;  —  Ce  sont  les  Anglais 
et  non  les  guérillas  qui  ont  sauvé  l'Espagne  ;  —  Les  volontaires 
américains  et  la  guerre  actuelle  en  Amérique  ;  —  Les  volontaires 
belges  ;  —  Les  volontaires  italiens  ;  —  Au  point  de  vue  économique, 
comme  au  point  de  vue  militaire,  l'institution  des  volontaires  anglais 
est  une  erreur hi% 


620  TABLE    DES   MATlÈaKS. 


CHAPliRË  XX. 

DE  L'AtGNENTATlOIS   PBOGRi^SSIVE  ET  CONTIffUK  DE  L'ARMÉE 
ANGLAISE. 

Quelle  c«use  faut-il  lui  assigner  ?  —  Progrès  de  la  puissance  anglaise 
pendant  la  première  moitié  du  xix«  siècle.;  —  Rdle  de  l'aristooralie 
anglaise  pendant  cette  période  ;  —  Effectif  moyen  de  Tarroée  britan- 
nique de  1830  à  1850;  -^  Répartition  de  cet  effectif;  —  Accroi»- 
sèment  des  dépenses  militaires  en  Angleterre;  —  Examen  détaillé 
des  budgets  militaires  de  1857, 1858, 1859, 1860. 1861,1862;  — 
Effectife  militaires  correspondants  ;  —  L'Angleterre  en  est  arrivée  à 
quadrupler  les  forces  qui  suffisaient  autrefois  à  sa  défense;  — 
Situation  intérieure  de  la  Grande-Bretagne  ;  —  La  jeune  et  la 
vieille  Angleterre  ;  —  Les  puînés  de  l'aristocratie  anglaise  ;  — 
Condition  morale  et  sociale  de  Tarmée  britannique;  —  Explication 
des  mécomptes  éprouvés  en  Crimée;  —  Influence  de  cette  cam- 
pagne sur  Tesprit  de  l'armée  anglaise  ;  —  Aspirations  nouvelles  ;  — 
Besoins  et  dangers  nouveaux 453 


CHAPITRE  XX!. 

EMBARRAS  ET  DIFFICULTÉS  DE  LA   SITUATION  INTÉRIEURE 
EN  ANGLETERRE.    (Sutt«.) 

De  l'Irlande  ;  —  L'Irlande  est-elle  satisfaite  et  soumise?  —  Rdle  pro- 
bable de  cette  province  du  Royaume-Uni,  au  cas  où  l'Angleterre 
serait  engagée  dans  une  guerre  extérieure  ;  »-  Les  ressentiments 
des  Irlandais  contre  l'Angleterre  sont  aussi  ardents  qu'au  jour  de  la 
conquête,  et  ils  les  portent  dans  tous  les  pays  où  ilsémîgrent;  — 
La  famine  en  Irlande  ;  —  Opinion  du  général  Burgoyne  sur  les  dan- 
gers que  l'Irlande  entraîne  pour  l'Angleterre  ;  »  L'occupation  de 
l'Irlande  est  la  tâche  la  plus  lourde  de  l'armée  anglaise  à  l'intérieur  ; 
—  Les  Irlandais  des  États-Unis  ;  —  Pourquoi  l'institution  des  volon- 
taires n'a-t-elle  pas  été  appliquée  à  l'Irlande? 495 


TABLB  me  MATIÉR18.  621 

CHAPITRE  XXIU 

CONSlDÉllATIOlfS  GÉNéRAtÈS  SUR  LA  COnSTlTtmON  bl3  l>OltAmE 
mXTÉKKTJR  DEL* ANGLETERRE;  DIFFrCULTÉS  DE  SON  OCCÙPATIOlf 
ET  DE   SA    PROTECTION. 

La  domination  extérieure  de  la  Grande-Bretagne,  au  point  de  vue  des 
néceMitét  mOMlres^  peut -(Aie  ètf«  inaiftteftuè  an  degré  d'ettefièion 
qu'elle  a  atteint  ?  <—  La  eomervMion  de  ion  tnté^Htê  est-elle  d'une 
sage  politiqvê?  —  Les  dépenses  qiiê  cette  tfccnpation  nécessite,  leé 
dangers  qu'elle  Ait  naître,  sont-ils  eoneiliables  atec  la  èéeutité  de 
rAnglet«rreT  —  Politique  de  l'Angleterre  i  l'égard  dé  ses  colonies  ; 

—  Dia^oaHions  des  lies  Ioniennes  )  «-  &tat  des  esprits  k  Malte, 
antipalliies  religieuses  ;  —  Gibraltar  et  le  conflit  marocain  ;  —  Di^ 
Acuités  tnrtc  l'Espagne  ;  —•*  Situation  et  troubles  de  la  Gambie,  de 
Sierra-Leefua,  de  la  Gôte-d'Of  ;  —  LeOap,  Natal  et  la  guerre  àei 
Gaffirea  ;  -^  La  population  franfaise  de  l'fle  Maurice  ;  -^  La  France 
ei  l'Angleterre  à  Madagascar  :  —  L'Tnde  anglaise,  les  Gipayes  et  les 
Sicks  ;  —  Les  Anglais  et  les  Russes  à  Hérat,  à  Khiva  et  sur  l'Amour  ; 

—  Progrès  constants  de  la  Russie  dans  l'Asie  centrale  ;  —  La  mer 
Caspienne  et  rAfgtMhiisiaR  ;  —  Situation  de  l'Angleterre,  de  la 
Russie  et  de  la  France  en  Asie 525 

CHAPITRE  XXin. 

CONSIDÉRATIONS  SUR    LA    CONSTITUTION   DU     DOMAINE    EXTÉRIEUR 
DE  LA  ÔRANDE-BRETAGNE  ;  DIFFKHJLTÊS  DE  SON  OCCUPAtlÔl^  ET 

DE  SA  PROtECtiON.  (Suite.) 

Situation  des  Indes  occidentales  anglaises  ;  —  L'établissement  de 
Bélise  et  les  indigènes  du  Yucatan  :  —  La  Guyane  anglaise  ;  —  Les 
Antilles  ;  —  Les  Américains  et  les  Anglais  en  présence  dans  l'Amé- 
rique centrale  ;  —  Possessions  de  l'Amérique  du  Nord  ;  —  Nouyelle- 
Calédonie  ;  —  lie  de  Vancouver  ;  —  Démêlés  des  Américains  et  des 
Anglais  dans  l'Oregon  ;  —  Le  Canada  ;  —  Dispositions  de  la  popula- 
tion française  ;  —  DifRcultés  intérieures  et  extérieures  ;  —  Rivalité 
de  la  population  anglaise  et  française  au  Canada  ;  —  Insurrection 
de  Papineau  ;  —  Incendie  du  Parlement  ;  —  Politique  de  l'Angle- 
terre vis-à-vis  des  États-Unis  ;  —  Affaire  du  Trent,  ses  consé- 
quences ;  —  Les  Aaglats  auraient  désiré  la  guerre  ;  —   Conduite 


6:23  TABLE  DES   MATIÈRES. 

probable  des  Américains  lorscpie  la  (guerre  civile  sera  terminée  ;  -^ 
Ëchecs  maritimes  éprouvés  par  les  Anf^lais  dans  la  guerre  de  1812 
contre  les  États-Unis  ;  —  OUBcultés  en  Australie  ;  —  Guerre  de  la 
Pïouvelle-Zélande 563 

CONCLUSION. 

L'armée  anglaise  n'est  pas  assex  nombreuse  pour  la  protection  descolo- 
nies ;  *'  Effectir  des  troupes  consacrées  à  leur  défense  ;  —  Effectif 
et  distribution  de  Tannée  anglaise  en  1862  ;  —  Troupes  que  l'An- 
gleterre pourrait  mettre  en  ligne  en  cas  d'invasion  ;  —  Leur  lai- 
blesse  ;  —  Conséquences  de  l'adoption  de  la  vapeur  comme  propul- 
seur ;  —  L'Angleterre  n'est  plus  une  tle  ;  — -  Opinion  de  Wellington, 
3urgoyne,  Douglas,  F.  Head,  Mac-Intosh,  Bovirles,  Ilapier, 
Elliott,  etc.,  sur  l'insuffisance  des  moyens  de  défense  de  l'Angle- 
terre ;  —  L'alliance  anglaise  est  utile  et  avantageuse  pour  la 
France  ;  l'alliance  française  est  nécessaire ,  indispensable  à  l'An- 
gleterre   59S 


FIN  DE  LA  TABLE  DES  MATIÈRES. 


ERRATA  : 

Page  Al  7,  ligne  18  :  L'avantage ;  Um9z  Les  avantages 

—  472,  ligne    6  :  Des  voies ;  Usez  Des  voix. 


Paris.  —  laprinMirie  de  R*  MARimiT  hm  Mignon*  S. 


us  VK»VTF.  A  I.A  MKUi;  l.tHKAIRIE 

IMISSANCF    ^IIIITAIRI 


*l  dti  ^u\*-*tt  ^iut-i^è  «Ia  ï*Mt*l. 


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