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CONSTITUTION
ET
PnSSANCE MILITAIRES
COMPARÉES
DE LA FRANCE ET DE L'ANGLKTEKIE
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Pnrif. — Imprimerie de E. Martinit, rue Mignon, 2.
CONSTITUTION
ET
PUISSANCE MILITAIRES
COMPARÉES
DE LÀ FRANGE ET DE L'ANGLETERRE
L'ARMÉE BRITANNIQUE
SON ORGANISATION, SA COMPOSITION ET SON EFFECTIF,
SA FORGE ET SA FAIBLESSE,
SA DISTRIBUTION ENTRE LA MÉTROPOLE ET LES COLONIES ANGLAISES,
Par Ch. MARTIN,
Ueolciunl-colone], officier de Tordre imp^ial de la Légion dlionoesr
•t dflt ordrei rojaas des SS. Maurice et La«re, de Léopold, dfl SasTcar, etc., etc.
ff Thtts vie corne tothe conclntioo that
Enffland is very badly supplied with troopo for
défensive ebjecl4 ; tlint if PAïaïAMBNT gave ihe
noney, England couid not get the men »
{MUitary $yttem of Great-Britain.)
PARIS
CH. TANERA, ÉDITEUR,
LIBRAIRIE POUR L*ART MILITAIRE, LES SCIENCES ET LES ARTS,
RUE DU SAVOIE, 6.
1863
Droits de tmdaetioo et de reproduction réservés.
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AVERTISSEMENT
L'examen du système militaire de la Grande-Bretagne
comprendra, sous quatre titres différents, autant d*études
ééparées et distinctes:
La première {l'j^rmée érttonnt^tie) est consacrée à
Texamen des forces de terre de TAnglelerré au point
de vue : 1* du commandement et de Tadministration
centrale; 9* de Torganisation et de la composition;
A** de reffectif et de la distribution des troupes entre U
métropole et les colonies.
La seconde {Instruction, service et règlements de l'ar-
mée anglaise) comprend Texamen critique des diffé-
rentes armes et corps administratifs entrant dans la
composition de Tarmée britannique, au point de vue:
1® de leur instruction ; 2" de leur efiîcacité ; S* de leur
service ; et une analyse détaillée de leurs règlements et
de leurs manœuvres.
VI AVERTISSEMENT.
La troisième {Instilutions militaires de la Grande-
Bretagne) a pour objet l'exposé et la discussion des
institutions militaires de la Grande-Bretagne, envisagées
au point de vue: 1" du recrutement; 2* des mœurs et
de la discipline de l'armée ; «V de l'avancement ; &* de
la législation, des peines et des récompenses; 5" de l'ad-
minisl ration, etc.
La quatrième (Système défensif de la Grande^
Bretagne) est consacrée à la géographie militaire de
TAngleterrè et à l'examen de ses conditions défensives,
elle comprend : l' la description topographique du terri-
toire et des côtes du Royaume-Uni au point de vue des
obstacles naturels ou arlificiels, tels que montagnes,
cours d'eau, places fortes, et au point de vue des com-
munications, routes, chemins de fer, canaux, etc.; "i!* le
tableau général des établissements militaires de l'Âugle*'
terre, de l'Ecosse et de l'Irlande,
PRÉFACE
Tempùn nuiUiitiiret mm mntamiir in illis.
Déterminer consciencieusement l'élat des torces mi-
litaires de l'Angleterre ; — comparer leur organisation
avec celle de l'armée française, et chercher d'utiles
enseignements dans le rapprochement des institutions
militaires, si différentes à tant d'égards, des deux
pays : — tel est le but d'une série d'études que
nous avons publiées successivement, depuis deux ans.
Ces études n'étaient pas une œuvre de circonstance.
Encore moins ont-elles été entreprises dans un but
de polémique. Cependant, si Ton considère l'éternel
intérêt des questions qu'elles embrassent, peut-être
ne leur refusera-t-on pas, dans une certaine mesure,
le mérite de l'actualité, cette condition essentielle de
tout livre du momen^— « The book for the rtme,»
comme disent les Anglais.
L'alliance que la France a contractée, depuis bien-
tôt dix ans, avec l'Angleterre, est certainement la
preuve la plus manifeste du changement et du progrès
accomplis dans l'esprit des nations modernes. 11 suffît.
VIII PRÉFACE.
pour le reconnaître, d'un simple coup d'œil sur la
situation, le caractère, et Thistoire passée des deux
peuples.
Lorsqu'on réfléchit aux singuliers accidents géogra-
phiques que présente la surface de la terre ; lorsque»
parcourant la carte, on considère les élévations et les
dépressions qui s'y rencontrent ; lorsqu'on songe à ces
anciens continents transformés en mers profondes, ou
à ces océans immenses aujourd'hui desséchés ; — on
est tenté de se demander ce qui serait arrivé, si, au
milieu des convulsions de notre globe, l 'insignifiant
âétt-oît qui sépât^ là Ptilttce dé TAngleterre s*était
exhaussé dé quelques bl-asses.
Qu'iiuraîl gagné, qu'aurait pei'du le genre humairt
à la disparition de cet étroit bras de mer?
Sans doute, Tun des deUx gt*ands idiomes qui pa-
raissent devoir se partager le taonde n'existerait pas.
et le lecleuf moderne devrait se passer, soit de la litté-
rature fi*ïitlçai$e, soit de la littérature anglaise; —
TistHstocfatid ne uous offrirait plus son type le plus
parfait, ou la démocratie son expression la plus bril-
lante 5 — enflrt, les hommes d'État n'auraient pas à
chercher quel est le meilleur et le phis sain pour les
peuples, de la liberté restreinte avec l'égalité absolue,
ôu de l'inégalité isociale h plu» umustrueuse, avec la
liberté la plus illimitée.
Comme compeusalion, cotnbierl de malheurs eussent
été épargnés, que de dé^stras eussent été évités, que
de traités n'eussent jamais été signés, et par conséquent
violés ! Les huit cents ans de guerres qui ont divisé la
PJEIÉIF'AGE. IX
France et l'Angleterre seraient sans doute rayés de
leur commune histoire ; et, si ces deux reines des so-
ciélés modernes n'avaient pas absiirdement dépensé,
Tune contre l'autre, des torrents d'or et de sang, elles
eussent avancé par leur union, d'autant de siècles
peut-être, les progrès de l'humanité !
Sans l'existence de ce simple fossé jeté entre la
France et l'Angleterre, les philosophes, qui font naître
l'association de la proximité, seraient sans doute fort
empêchés d'expliquer l'éternel antagonisme des deux
peuples. Étrahge influence, cependant, de cette mince
barrière ! Des deux nations, l'une est teutonique et
Tautre celtique ; — l'une est restée catholique, l'autre
est devenue protestante ; — l'une est féodale, l'autre
est classique ; — Tune est aristocratique, l'autre dé-
mocratique; — enfin, l'une est maritime et l'autre
continentale. Chacun des deux peuples, en possession
de ce qui manque à l'autre, a dû suivre sa voie et
tendre au progrès par des moyens diflFérents ; et de
cette différence môme devait naître la constante oppo-
sition qui les a divisés. Doit-on s'étonner si, depuis leà
temps les plus reculés, leur histoire n'a été qu'une lutte
perpétuelle et toujours indécise (1) ?
(i) Voîci la désolante récapitulation des guerres de la France et
de r Angleterre, avec la date de leur origine et Tindicalion de leur
durée : En lloo, guerre de deux ans. — En ilûl, guerre d'un an*
— En 1161, guerre de vingt-cinq ans. — En 1211, guerre de quinze
ans. — En 1224, guerre de dix-neuf ans. — En 1294. guerre de
cinq ans. —En iâ39, guerre de vingt et un ans. — En 1368,
guerre de quarante-deux ans. — En 1442, guerre de quarante-ueulf
X PRÉFACE.
Toujours en guerre, TAugleferre et la France, il est
vrai, ont été incapables de s'entre-détruire, par la rai-
son bien simple que les extrêmes ne peuvent s'absorber
ni s'anéantir; mais, en revanche, que de misères ac-
cumulées pendant ces huit siècles employés par les
deux peuples à se ruiner, à se vouer à la famine et à la
banqueroute! Tandis que Français et Anglais guer-
royaient à outrance ou se coulaient à fond pour la plus
grande gloire des deux nations, quel retard la civilisa-
tion n'a-t-elle pas subi ! Quels dommages les autres
peuples témoins de ces discordes n'ont-ils pas éprouvés !
Pendant huit siècles, l'Angleterre et la France se
sont donc évertuées à tirer parti de leurs embarras
mutuels, et n'ont cessé d'être réciproquement jalouses
de leur prospérité. Cette altitude paraissait la seule
naturelle aux deux nations. Il ne manquait même pas
de gens éclairés, des deux côtés du détroit, pour les-
quels cette situation avait toute la valeur d'une néces-
sité, et qui auraient regardé l'alliance entre les deux
peuples comme une innovation, une expérience hasar-
dée et dangereuse.
ans. — En U9'2, guerre d'un mois. — En 1512, guerre de deux
ans. — En 1521, guerre de six ans. — En 15Zi9, guerre d'un au. —
En 1557, guerre de deux ans. — En 1562, guerre de deux ans. —
En 1627, guerre de deux ans. ■— En 1660, guerre d'un an. ~ En
1689, guerre de dix ans. — En 1702, guerre de onze ans. — En
i7ûû, guerre de quatre ans. — En 1756, guerre de six ans. —
En 1776, guerre de six ans. — En 1793, guerre de neuf ans. —
Enfin, en 1803 et jusqu'en 1815, guerre de douze ans. En somme,
deux cent soixante-cinq années de guerres dans une période de sept
cent trente ans!!!
PRÉFACE. XI
Pour rompre en visière à un préjugé pareil, il fallait
un esprit aussi original que vigoureux, aussi ferme
qu'indépendant. Une alliance franco-anglaise était une
combinaison tellement en dehors du cercle des idées
acceptées, qu'il fallait plus que de l'audace pour oser
s'en faire Tapôtre.
Napoléon I" l'a tenté à deux reprises, mais sans y
parvenir. Quoiqu'on ait eu la mauvaise foi de le
peindre comme ayant constamment voulu la guerre.
Napoléon, dès l'époque où il traitait à Leoben avec
rAutricbe, se prononçait hautement pour la paix avec
l'Angleterre. Depuis, il a prouvé dans deux circon-
stances la sincérité de ses dispositions à cet égard : à
son avènement au Consulat et à l'Empire. « Le monde
est assez grand, écrivait-il vainement, en 1799, à
Georges III, pour que nos deux nations puissent y
vivre sans s'entre-nuire. » Couronné Empereur, il re-
nouvelait presque aussitôt cette tentative infructueuse
en proposant encore, le 2 janvier 1805, au roi d'An-
gleterre, de mettre un terme aux hostilités qui divi-
saient les deux pays. Enfin, parvenu au faite de la
puissance, ce qu'il désirait pour la France, Napoléon V
le disait au général Mack après la capitulation d'Ulm,
et dès le début de cette guerre que l'Angleterre avait
réussi à lui susciter avec l'Autriche : « Je ne veux rien
sur le continent ; ce sont des vaisseaux, des colonies,
du commerce que je veux ; et cela est avantageux aux
autres nations comme à la France (1). »
(I) Voir le 9» Bulletin de la grande armée (Elchîngen, 21 octobre
1805).
il[ PRÉFACE.
Affaibli par l'âge, dominé par des conseillers im-
prudents, Georges lU repoussa à deux reprises les
avances de Napoléon P'. On sait le reste. Les violenbi
efforts que l'Angleterre a faits, au commencement
de ce siècle, lui ont coûté trop cher pour ne pas
servir au moins de leçon à la génération actuelle.
Une dette de 23 milliards est le monument de sa
folie passée, ce devrait être aussi le gage de sa sc^sse
future.
Ces 23 milliards, l'Angleterre les a dépensés pour
renverser la dynastie napoléonienne, et c'est un autre
Napoléon qu'elle voit assis aujourd'hui sur le trône à
jamais illustré par le fondateur de cette dynastie. Bien
plus, par un singulier retour des choses d'ici-bas, les
paroles de paix et d'alliance que Napoléon I" n'avait
pu faire écouter, c'est Napoléon III qui devait encore,
à un demi-siècle de distance, les adresser le premier à
l'Angleterre !
Hâtons-nous de le dire, cette fois, les leçons du passé
n'ont pas été perdues. Au début, l'Angleterre s'est
montrée loyale. Lorsque la volonté nationale a changé
non-seulement la forme du gouvernement, mais en-
core la dynastie des souverains de la France, nos voisins
ont déclaré que la seule conduite compatible avec les
principes du peuple anglais était de respecter le désir
et la volonté du peuple français. Spontanément, sans
hésitation, l'Angleterre a reconnu le prince que la
France avait appelé à r^ner sur elle. Bien que d'au-
tres puissances ne marchassent pas sur ses traces, et
hésitassent à suivre son exemple, l'Angleterre est restée
sourde à leurs instigi^tions, et elle a reconnu franche-^
ment l'Empereur et TEinpire.
U France ne saurait tenir trop compte à ses voisins
de cette loyale conduite ; quant à son souyeraîn, quant
à Napoléon IQ, Vbistoire dira s'il a jamais yarié danq
son langage ou dans ses actes, et s'il n'a pas toujours
exprimé la conviction que c'est non -seulement la meil-
leure politique de la France, maisi en même temps, son
plus vif désir personnel de maintenir une alliance cor*
diale avec l'Angleterre.
Certes, il fallait dominer de bien haut les bi^nes, les
rancunes et les préventions populaires pour tenir un
pareil langage ; un seul bomme était assez fort pour
l'oser. Une nouvelle idée internationale, comme une
nouvelle idée financière, un nouveau principe en ma-
tière de crédit public, de commerce ou d'écbange,
exige de la part d'un bomme d'État une confiance
absolue dans son propre jugement. C'est bien k
Napoléon III que l'on doit, en réc^lité, l'alliance anglo-
française* Sans doute le système politique du gouver-
nement de Juillet avait créé un précédent à cet ég^rd \
«aais combien les conditions de « l'entente cordiale n
étaient différentes de celles qui règlent actuellement les
relations de la France et de l'Angleterre ! Napoléon III
pouvait seul inaugurer la politique d'une alliance in-
time et complète entre les deux pays ; car il est le
premier qui ait su la rendre bonorable, en lui assurant
les conditions d'égalité, de force et de solidité par les-
quelles il se l'est appropriée.
L'union de la France et de l'Angleterre a été, jus-
XïV PftËFAÉE.
qu'ici, tout au bénéflce des véritables intérêts de
l'Europe. Réunies, elles ont pu soutenir et faire pré-
valoir les grands principes internationaux sur lesquels
repose l'avenir des peuples modernes. Elles ont prot^é
le faible contre le fort. En repoussant une coupable
agression, elles ont consolidé l'équilibre européen,
non-seulement en déclarant et en prouvant que le
temps des conquêtes était passé, mais en proclamant
le devoir étroit qui incombe aux grands États de pro-
téger et d'encourager la paix, la liberté et le progrès.
On ue saurait donc le répéter assez, il importe au
genre humain tout entier que la France et l'Angleterre
vivent en bon accord; et tous les hommes éclairés
désirent voir se resserrer de plus en plus l'alliance de
ces deux grands peuples. Pour que cette alliance soit
durable, nous l'avons dit, il faut qu'il n'en coûte rien
à l'honneur des deux parties. Entre elles tout doit être
égal. Or, il faut bien le reconnaître, avec le peuple
anglais, excellent à tant de titres, mais jaloux et om-
brageux à l'excès, il faut tenir compte d'uu orgueil
et d'un égoïsme qui peuvent être des formes de son
patriotisme, mais qui n'en rendent pas moins, fort
souvent, les relations très diflBciles.
Depuis 1852^ dans plusieurs circonstances, ces rela-
tions ont pris un caractère assez alarmant pour inspi-
rer de vives inquiétudes aux plus chauds partisans de
l'alliance. On ne peut pas dire certainement qu'il soit
rien advenu d'assez grave et d'assez persistant, pour
compromettre irrévocablement les bonnes relations
entre les deux pays; mais on ne peut se dissimuler
PRÉFACE. XV
non plus, qu'à plusieurs reprises les liens qui les unis-
sent, au si grand avantage de la civilisation, n'aient
été sur le point de se relâcher.
De ces dissentiments passagers, au réveil des pas-
sions d'un autre âge, plus d'une fois peut-être, sans la
modération et la prudence des gouvernements, la
transition eût été imminente. Or, la continuation des
relations pacifiques entre les deux peuples est d'une
importance trop haute, pour qu'il ne soit pas de leur
intérêt réciproque d'apprécier impartialement les cir-
constances qui ont fait naître un pareil danger. C'est
le meilleur, disons mieux, c'est l'unique moyen d'en
conjurer le retour.
Depuis l'avènement du second empire, et de l'aveu
solennel d'un des orateurs les plus écoutés de l'autre
côté du détroit, « il est impossible de (citer un seul
» acte de la France qui «'ait pas été amical pour l'An-
» gleterre. Je défie, — a dit M. Bright, — je défie les
» six cabinets qui se sont succédé pendant cette pé-
» riode de me démentir. »
L'Angleterre, en ce qui regarde sa conduite vis-à-vis
de la France, peut-elle faire une semblable décla-
ration ? L'Angleterre a-t-elle le droit de se proclamer
sans reproches?
Sans sortir de la sphère des événements purement
militaires, qui rentrent plus spécialement dans notre
cadre, établissons le bilan des deux pays.
Chaque fois que l'Angleterre s'est trouvée aux prises
avec une diflBculté, — et chacun sait si elle en a eu de
sérieuses à traverser depuis 1852, — la France n'a-
XVI t>EÉFACfi.
t-elle pas prouvé qu'elle rompait hautement, franche-
ment, avec les errements du passé, en s'abstenantd'en
profiter? Sans remonter aux jours des Plantageneta
ou des Tudors, les annales contemporaipes ne nous
ofirent-elles pas un parallëlei ou plutôt un contraste
bien éloquent dans la conduite de la France ?
Sans doute on ne peut comparer la révolte des colo-
nies anglaises de l'Amérique du Nord avec Tinsur-
rection indienne. Les deux mouvements diffèrent
essentiellement de caractèras, de causes et de mo-
teui*s. Néanmoins, il y a entre eux cette similitude
que ce sont deux insurrections, et que, dans l'un
comme dans l'autre cas, l'Angleterre s'est trouvée
dans une position des plus critiques. Or, quelle fut
la conduite de la Fraifte lors du premier de ce$ évé?>
nements? Lafayette et Rochambeau furent envoyés
au secours des insurgés américains.
Ce procédé était d'accord avec les maximes du jour,
L*uue des nations cherchait à profiter des embarras de
l'autre, et T Angleterre, bien entendu, n'était pas lopg-
temps en reste avec nous. Elle nous rendait la pareille
au début de la révolution. Tout cela était parfaitement
naturel ; c'était la conséquence de la rivalité séculaire
que nous avons esquissée plus haut : il n'y avait entre
les deux pays d'autre idée que de se faire le plus de
mal possible.
Comme contraste bien significatif avec cet acte de
la France lors de la révolution américaine, quelle a été
son attitude en présence de l'insurrection indienne?
La France a offert le libre passage à travers son terri-
pftÉFACË. xrn
toire aux troupes destinées à reconquérir, au profit de
l'Angleterre, ces magnifiques colonies où flotta jadis
notre pavillon, et dont la perte nous sera toujours une
cause d'amers regrets !
Était-ce le fait de bons alliés?
I^ France d'ailleurs, dans la circonstance capitale
que nous venons de rappeler, n'a pas borné à ce con-
cours passif les bons offices qu'elle a rendus à l'An-
gleterre. Elle l'a aidée d'une façon plus effective
encore. Lorsque nos voisins ont voulu faire la guerre
à la Chine, à la suite d'événements qui compromettaient
leur commerce, pourquoi la France les a-t-elle suivis?
Nous avions sans doute un motif honorable, celui de
venger le sang de nos missionnaires, mais, au même
moment, celui des membres de l'Église annamite cou-
lait aussi à flots. Nous étions libres de choisir notre
jour et notre heure ; nous pouvions faire tout de suite ce
que nous avons fait plus tard en réunissant nos forces
à celles de l'Espagne. Ces forces, nous les avons en-
voyées rejoindre celles des Anglais sous les murs de
Canton, et nous avons ajourné le juste châtiment des
Annannites.
A cette époque, il n'est personne dans le monde
politique ou militaire qui ait hésité à reconnaître que
nous avions aidé puissamment nos alliés, enleurper^-
mettant de concentrer toutes leurs forces dans la ré-
pression d'un soulèvement qui, menaçant de soustraire
l'Inde à leur domination, eût porté, s'il eût réussi, un
coup terrible à leur puissance maritime.
Certes nous sommes loin de prétendre qu'en Chine
b
1«. France n'ait pris conseil que de sa générosité ; en
politique, une abnégation aussi absolue serait une
duperie ; nous ne partageons donc nullement l'opinion
des gens qui ont cru qu'en combattant côte à côte avec
les Anglais, nous avions seulement protégé le déve-
loppement de leur marine et défendu la sécurité de
iQur commerce. Les conditions dans lesquelles notre
pavillon a reparu et continue à se maintenir en Asie,
fieraient une compensation suffisante pour les sacrifices
que nous avons faits, lors même que les résultats ac-
quis, dès à présent, ne seraient pas aussi riches eb
promesses pour l'avenir. Toutefois, les Anglais ne
doivent pas oublier que dans cette expédition entre -
prise en commun, tout le profit mah^riel et immédiat
devait être pour eux. Nous étions libres de nos mouve-
ments et de notre action, alors qu'il en était tout
autrement pour l'Angleterie. 11 y a des intérêts tout-
puissants dont on ne peut ajourner la satisfaction ou la
défense. Pour la Grande-Bretagne, ces intérêts lout-
puissauts sont ceux de ses fabriques de Manchester, et
la vente de Topium, qui peut seule maintenir à flot
les caisses publiques de Tlnde épuisée. Malaise à Tin-
térieur, insurrection dans les provinces extérieures,
tel est l'aiguillon sous lequel l'Angleterre était con-
^trainte de combattre sans trêve ni repos. L'opium et
1q commerce anglais, voilà quel était, pour nos voisins,
le grand objet de la guerre avec la Chine.
Qui oserait afiirmer qu'eu Italie ou au Mexique,
sans parler de bien d'autres circonstances, l'An-
gleterre ait pratiqué l'alliance avec la dignité et le
PRÉFACE. XDL
désintéressement dont nous lui avions donné l'exemple?
Ces PANIQUES tant exploitées, et dont il a été fait si
grand bruit, n*ont-elles pas eu de ténébreux mobiles?
C'est le ministère tory de 1859 qui a été le premier à
les répandre. Pourquoi, alors que toute notre attention
et nos forces étaient tournées du côté de T Autriche,
lord Derby a-t-il laissé accréditer la pensée d'une
guerre possible avec la France? Pourquoi a-t-il fait
de ces craintes chimériques le motif, ou plutôt le pré-
texte d'une augmentation de toutes les forces déterre
et de mer de T Angleterre? N*est-on pas en droit de
penser que ces préparatifs étaient faits dans le but
d'épouser la cause de l'Autriche ou de l'Allemagne, si
l'opportunité s'en présentait ?
En 1859, si TAngleterre avait nourri pour les
Italiens ces sympathies dont elle a affecté de donner,
depuis, tant de bruyants témoignages; témoigna-
ges, disons-le en passant, plus ou moins légaux,
plus ou moins conformes au droit des gens, — ne
devait-elle pas suivre la France lorsque celle-ci a passé
les Alpes pour affranchir l'Italie? Au lieu de cela,
l'Angleterre a déclaré ne vouloir donner pour l'Italie
ni un homme, ni un écu ; puis, plus tard, lorsque
l'Empereur s'est arrêté au milieu de ses victoires,
en donnant la preuve d'une modération sans exemple
peut-être dans l'histoire, l'Angleterre a prétendu
qu'il n'avait pas assez fait! Certes, si ceux de ses
hommes d'État qui ont exprimé cette opinion, qui
ont applaudi depuis aux injures de Garibaldi contre la
France, avaient bien voulu, avant la guerre, exprimer
XX PRÉFACE.
les mêmes sympathies , il est fort k présumer que la
question italienne aurait été résolue par la diplomatie,
et que rAutriche n'aurait pas lancé son ultimatum.
Non-seulement TAnjçleterre nous a laissé tout le
fardeau de la guerre d'Italie, mais son attitude, loin
de nous venir en aide, a plutôt été pour la France un
sujet d'inquiétude.
Est-ce là la conduite d'un allié fidèle?
La France ne s'est cependant pas découragée. Lors
de l'affaire du Trent et des démêlés de l'Angleterre
avec les États-Unis, la France s'est prononcée loyale-
ment, sans hésiter, alors que son abstention seule eût
suffi peut-être pour faire éclater la guerre entre les
Américains et leur ancienne métropole.
Comment l'Angleterre nous en a-t-elle témoigné sa
reconnaissance au Mexique?
Nous ne voulons pas reproduire ici un procès trop
récemment vidé : en accompagnant ou plutôt en pré-
cédant les Espagnols dans leur défection, l'Angleterre,
nous le reconnaissons, avait une excuse. Dès le début,
elle avait montré toutes ses répugnances pour une ex-
pédition dans l'intérieur du Mexique. L'Angleterre n'a
pas de troupes disponibles. Son armée est insuffisante
pour l'occupation et la protection de son immense do-
maine extérieur. La faiblesse du contingent qu'elle
avait envoyé au Mexique ne lui eût pas permis d être
représentée dans cette campagne comme l'aurait exigé
le rang qu'elle occupe. Son orgueil ne pouvait se plier
à cette idée.
Nous souhaitons qu'en cherchant à éviter une ble^
sure à leur amour-propre, nos voisins n'aient pas porté
une atteinte bien plus sérieuse aux sentiments qui sont
l'honneur et le juste orgueil de toutes les armées. Pour
apprécier les faits, et caractériser les actes, la langue
politique peut avoir des nuances et des ressources que
ne connaît pas la langue militaire. Pour quiconque
parle cette dernière, quand plusieurs nations sont
liées par une convention, et poursuivent par la guerre
un but commun, déterminé d'avance, Tunion de leurs
drapeaux constitue en quelque sorte un seul devoir,
une seule discipline. Si Tune d'elles manque à Tinté*
rèt collectif, il y a violation formelle d'un engagement
d'honneur, et quand un pareil fait se produit en face
de Tennemi, quand Tallié abandonné sur le champ de
bataille est à 2000 lieues de tout secours, de tout ren-
fort, quel nom faut-il donner à un pareil abandon ?
Or, en plein parlement, un Anglais s'est levé pour
reprocher à ses concitoyens d'ayoir abandonné leurs
alliés au Mexique. Il sera toujours pénible pour un
grand peuple, que sa conduite puisse prêter à de telles
interprétations, et qu'un de ses propres enfants puisse
lui jeter à la face un pareil reproche, ce reproche
fût-il discutable. L'honneur militaire d'une nation est
comme l'honneur de la femme de César; il ne doit pas
être exposé à un soupçon, — ce soupçon fût-il injuste.
Nous n'insisterons pas davantage sur une question
aussi délicate; mais nou3 ferons cependant une simple
réflexion : c'est que l'orateur dont nous venons de par-
ler, aurait pu ajouter que ces alliés abandonnés par
l'Angleterre étaient ceux-là mêmes qui l'avaient se^
tXn PRÉFACE.
courue àBalaklava et sauvée à Inkermann. Peu impor-
tait le nombre des auxiliaires, peu importait le chiffre
des troupes que les Anglais pouvaient mettre en li-^ne
à côté des nôtres. Quand ils n'auraient eu qu'un capo-
ral et quatre hommes pour porter leur drapeau, nous
laissons aux soldats de Crimée que l'armée anglaise
compte encore dans ses rangs, le soin de décider où
était le poste d'honneur de ces quatre hommes, et si
leur premier devoir n*était pas de payer à Puebla la
dette contractée par leurs camarades le 5 novembre
Que pourrions-nous ajouter? L'Angleterre est évi-
demment la puissance du monde la plus intéressée à
s'opposer à Tagrandissement des États-Unis; or, si
notre politique au Mexique sMnspire, dans une certaine
mesure, de la nécessité d'opposer une digue à l'expan-
sion des États-Unis, on peut se demander pourquoi
TAngleterre s*est retirée de Taction, et pourquoi, en
même temps, elle applaudit si fort à notre persévé-
rance. 11 s'est passé en effet, à propos du Mexique,
quelque chose d'analogue à ce qui se produit aujour-
d'hui au sujet de la Pologne. Par l'organe de lord
Russell, l'Angleterre a déclaré qu'il ne lui apparte-
nait pas d'intervenir dans les atikires intérieures du
Mexique ; d'un autre côté, par l'organe de la presse
en général, et de son plus puissant journal en particu-
lier, l'opinion publique, de l'autre côté du détroit, n'a
cessé de nous applaudir et de nous encourager dans
nptre lutte contre Juarez.
Cette contradiction demande une explication. Nous
PR^AcEi xxik
twfàm qu'il ne faut pas se Faire illusion ; les encoura-
gements du Times pour nous faire rester au Mexique,
tout comme ceux du Morning^Posi pour nous envovef
en Pologne, sont à la fois égoïstes et sincères. Laissonà
la Pologne de côté ; en ce qui regarde le Mexique,
nous ne pouvons interpréter la conduite et les vœux
contradictoires de TAngleterfe que d'une seule façon :
les forces et les préoccupations de la France, détour»-
nées en partie de TEurope et engagées dans une entre^
prise lointaine; de plus un conflit possible avec les
États-Unis; voilà certainement des perspectives qui,
de quelque manière que tournent les événements, sont
envisagées très philosophiquement par nos voisins.
La facilité avec laquelle TÂngleterre a semblé nous
convier à la conquête du Mexique, son indifférence
affectée à l'égard des résultats que la France peut ob-
tenir de cette entreprise, ne sont rien moins que natu-
relles. Il n'entre pas dans les habitudes des Anglais de
provoquer ainsi les puissances étrangères (la France
surtout) à accroître leurs possessions au delà des
mers ; il y a donc très probablement chez nos alliés
une arrière^pensée.
Si cette arrière-pensée existe, il est facile d'en me-
surer la portée. Nos voisins espèrent que la résistance
des Mexicains pourra nous occasionner de grandes
dépenses, et que Tocoupation de ce pays pour notre
propre compte nous causera de grands embarras ; de
sorte que, ayant les mains liées, nous ne pourrions
gêner la politique anglaise, ni à Turin, ni à Constan-
tinople, ni en Egypte, ni à Madagascar et ailleurs.
XXI\ PRÉFACE.
Notre politique au Mexique ne nous Tera rien perdre
de notre prépondérance en Europe. En revanche, nos
alliés reconnaîtront un jour, nous l'espérons bien, que
cette politique a augmenté notre influence dans le
nouveau monde, et qu'en nous procurant des avantages
certains dans le présent, elle nous a assuré, pour
l'avenir, les garanties non moins précieuses que l'An-
gleterre et l'Espagne étaient venues chercher, — mais
qu'elles n'ont pas su attendre et conquérir avec nous.
Du parallèle que nous venons d'établir dans la pra-
tique de l'alliance entre la France et l'Angleterre,
n'est-on pas en droit de conclure que, si la première
a su dominer ses instincts nationaux et rompre défini-
tivement avec les errements du passé, la seconde, au
contraire, est loin d'avoir répudié avec la même fran-
chise les traditions de sa politique extérieure ; — cette
politique égoïste et surannée que les amis, même les
plus dévoués de l'Angleterre, n'ont jamais osé <k ni
juger, ni surtout défendre » (1)?
On ne peut le méconnaître, les Anglais sont un grand
peuple. Individuellement, ils sont droits, probes, amis
du progrès et de l'humanité. On les trouve accessibles
à tous les sentiments élevés, et ils s'enthousiasment
volontiers pour les grandes idées et les grandes choses.
Mais,. dans tout ce qu'ils pensent, dans tout ce qu'ils
font hors de chez euœ, on chercherait en vain le reflet
de ces généreuses qualités ; on y reconnaît au con-
traire, c'est M. de Montalembert qui Ta dit, « on y
(1) Jh Vavenir politique de l'Angteterrê*
PRÉFACE. XXV
» reconoatt ie cruel et implacable égoïsme qui a carac-
» térisé dans Tbistoire tous les peuples conquérants, et
» plus que tout autre^ ce peuple romain dontrAiigle-
» terre reproduit si fidèlement la grandeur, la dureté;
» la liberté traditionnelle, la personnalité superbe^ et
» rindomptable énergie (1). »
C'est en cédant trop Facilement, trop complaisam-
ment, à ces tendances, que TAngleterre pourrait bien
s'exposer à mettre l'alliance française en péril. Sans
doute, pour maintenir cette alliance et conserver des
relations cordiales, les deux peuples ne sont pas obligés
de marcher continuellement bras dessus bras dessous,
la main dans la main, et de se suivre, pas à pas, dans la
voie où il peut plaire à Tun d'eux de s'engager, d'accord
avec son propre intérêt. Il serait déraisonnable de
prétendre que, parce que sur certains points la poli-
tique de la France et celle de l'Angleterre offrent quel-
que divergence ; parce que, de fait, à certains moments,
la politique et l'intérêt des deux pays sur des objets
particuliers seront différents; il serait, disons-nous,
absurde de prétendre qu'on est à la veille d'une rup-
ture, ou que l'un ou l'autre des deux peuples a manqué
à ses devoirs de fidèle allié.
Mais il eu est tout autrement des grandes questions
et des intérêts généraux sur lesquels, en politique pas
plus qu'en morale, il ne peut y avoir doux manières
de voir. Se déjuger dans ce cas, ou se mettre en con-
tradiction avec les déclarations les plus solennelles, avec
(1) Ik l'avenir politique d0 l'Angleierre, -
tm FAÉFACË.
les principes les plus respectés, est aussi iriexeusftblè
che2 les peuples que chez les individus.
Sur ce terrain, la France et l'Angleterre devraient
être toujours d'accord, « parce que leurs intérêts et
leurs devoirs doivent être identiques, sur tous les
points du globe, lorsqu'il s'agit d'humanité et de civi-
lisation, y» (1) S'il faut tout dire, les Anglais ne nous
semblent pas aussi convaincus de cette nécessité, qu*on
peut le désirer, ou l'être en France ; et ce n*est pas
une médiocre cause de dissentiments.
Prenons-en un exemple : Le percement de Tisthme
de Suez est une œuvre à laquelle se sont associés les
capitaux de toute l'Europe. C'est une entreprise uni-
verselle, et, il est impossible de le contester, une œuvre
de civilisation par excellence.
L'Angleterre a opposé tous les obstacles hnaginablek
au percement de l'isthme de Suez, parce que ce projet
«'accorde trop bien avec les principes de liberté mari-
time et d^expansion commerciale qui servent en réalité
de base k l'entreprise de M. Lesseps.
Ce que veut l'Angleterre, c'est la domination absolue
des mers à son proBl; c'est l'infériorité ou l'asservis-
sement de toutes les marines.
Supposons que Ton parvienne à arracher à la com-
pagnie universelle la concession qu'elle possède;
supposons que l'Angleterre devienne maltresse d'ou-
vrir pour son propre compte, cette communication
qu'elle repousse aujourd'hui, bien qu'elle ait eu soin
(i) Napolé(m II! et VAngleîerfe, iS69.
d*en prendre la clef à Tavance, et) s'emparant àt
Périm ; supposons, enfin, qu'elle soit libre d'y assuret
sa domination exclusive, et Ton verra demain cé
canal prétendu impossible, ce canal soi-disant cbi-
tnérique, ce canal attentatoire, dit- on, à la souve-
raineté du sultan, devenir immédiatement pratica-
ble, facile, productif, et s'ouvrir comme par enchan-
tement !
Tout cela, n'est*ce pas encore la vieille politique
anglaise, qui réparait toujours, tant sont puissants les
instincts nationaux et la force des traditions !
Nous rendons cette justice à nos voisins qu'il existe,
en Angleterre aussi bien qu*en France, nombre de
gens comptant parmi les plus éclairés, les plus in^
fluents, les plus industrieux, et qui ont le désir le
plus sincère d'éviter tout sujet de mésintelligence entre
les deux pays. Cependant ne doit-on pas se demander
jusqu'à quel point, de l'autre côté du détroit, ce désir
peut se concilier avec les attaques de certains journaux,
militaires ou autres, avec certaines publications notoi-
rement injurieuses pour la France ou son souverain ;
avec certains discours qui apparaissent de temps à
autre dans le parlement, enfin avec cette espèce dé
tocsin que nos voisins ne cessent de sonner depuis trois
ou quatre ansT
Sans doute, il serait déraisonnable d'attacher trop
d'importanee aux déclamations capricieuses de tel ou
tel journal, ou à la publication de tel ou tel livre ;
cependant n*est-il pas profondément regrettable quê
Yw Abu9e« en Angleterre» ie la liberté dont on joiiil
XXyni PRÉFACE.
quant à la libre expression de la pensée, au point de
dénoncer et d'injurier sans relâche une nation dont
l'Angleterre est l'obligée, et dont elle assure vouloir
rester l'alliée?
Comme le faisait remarquer tout récemment un pu-
bliciste éminent, la principale, sinon Tunique raison
de Tavénement du cabinet actuel en Angleterre, a été
le désir sincère, de la part de nos voisins, de raffermir
Talliance française, compromise, en 1859, par la par-
tialité du cabinet tory pour l'Autriche. Eh bien !
n'est-il pas au moins étrange que la période écoulée
depuis celte époque soit précisément celle où il aura
été fait contre la France les démonstrations les plus
belliqueuses, et les dépenses militaires les plus consi-
dérables ; « où il aura été parlé de la France de la
manière la moins amicale, où il aura été propagé
contre elle le plus de mauvais vouloir » (1) î
Peut-on espérer que depuis quatre ans, la persévé-
rance de ces dispositions ait échappé à l'attention,
ou ait été sans influence sur les esprits? Laissons de
côté la presse et les journaux ; l'odieux pamphlet de
M. Kinglake (2), comme les meetings plus ou nioios
populaires en faveur de Garibaldi, se proclamant l'en-
nemi et rinsulteur de la France : — mais n'a-t-on pas
vu, en plein parlement, tantôt à propos des volon-
(1) Xavier Raymond. Les marines de la France et de l'Angleterre
depuis 1815 (Hachette, 1863).
(2) Grâces à Dieu! M. Kinglake n'est point un soldat. Malgré la
peine bien regrettable et bien inutile que les journaux militaires
4*outre-liancbe se sont donnée pour nier et rapetisser les dernières
PRÉFACE. XXIX
taires, taulôl k roccasion du bill des fortificationj^,
n'a-t-on pas vu le premier ministre déclarer ouverte-
ment que la France était le pays contre lequel on ar-
mait, cx)ntre lequel il fallait se tenir en garde !
Supposons qu'un ministre français eût fait une dé-
clamation semblable, nous le demandons, qu'auraient
dit le cabinet anglais et le parlement? D'un bouta
l'autre de l'Angleterre on aurait certainement crié à
rinsulte. Tous les hommes d'État, de tous les partis,
auraient fait chorus et partagé l'indignation générale.
Nous savons que nos voisins cherchent à justifier ces
discours imprudents, et à expliquer leurs volontaires,
leurs flottes immenses, leurs préparatifs gigantesques,
en affirmant que leur unique objet est de compléter
et d'assurer le système défensif de la Grande Bretagne.
Soit : mais alors, dans le même ordre d'idées, pourquoi
ces plaintes toujours renouvelées, chaque fois que nous
ajoutons un vaisseau à notre flotte? Pourquoi ces dé-
fiances perpétuelles et cette surveillance jalouse, à
l'endroit de notre état militaire ? La France n'a-t-elle
pas, comme l'Angleterre, ses obligations à remplir et
des nécessités impérieuses à satisfaire?
On s'est beaucoup occupé, depuis quelques années,
de la peur que les Anglais affectent d'une descente sur
leurs côtes. C'est une vieille histoire ; depuis le temps
victoires de l*arinée française en Italie, nous sommes certains qu'il
D*y a pas un seul officier dans Tarmée anglaise qui ne tienne en ua
mépris égal au nôtre la présomptueuse ignorance de Fauteur de
V Invasion de la Crimée, et qui ne répudie toute solidarité dans lès
injures qoMi adresse à la France.
de lord Somers, tous les cabinets anglais, à tour de
rôle, ont plus ou moins exploité œs terreurs. Certes,
c'est une grande gloire pour la marine française, de
voir, malgré rinfériorité numérique de ses navires, les
appréhensions sans cesse renaissantes de nos voisins.
Ces craintes, ou plutôt ces paniques, -^ nous pouvons
bien leur donner ce nom devant lequel on ne recule
pas de l'autre côté du détroit, ~ ces paniques, disons-
nous» en présence des procédés de la France, ont paru
cependant assez extraordinaires, pour qu'on se soit
demandé si elles n'étaient pas tout simplement un
prétexte, mis en avant par les Anglais, pour colorer
1 accroissement démesuré de leur moyens d'i^rmùm,
en les déguisant sous le nom de moyens de défense.
En définitive, le spectacle que nous offre l'Angle-
terre, depuis plusieurs années, a un caractère qui
mérite bien de fixer l'attention. Partout, ce ne sont
qu'exercices et préparatifs de guerre, si bien qu'à
l'heure où nous écrivons, la Grande-Bretagne en est
arrivée à ressembler beaucoup plus à l'Angleterre
d'Elisabeth ou de Geoi^es III, qu'à l'Angleterre de
Georges IV et des quinze premières années du règne
de la reine Victoria. A parler franchement, nous ne
sommes guère pusillanimes en France, et nous avon^
appris de nos pères, à ne craindre que la chute du
ciel. Cependant, en voyant nos voisins s'armer ainsi
d'un bout à l'autre de leur territoire, bien des gens,
iur le continent, en sont venus à se demander jusqu*à
quel point leurs dispositions étaient pacifiques.
De fait, nous croyons que ce ne sont ni nos actes, u^
PRltFAGS, n»
nos procédés à Tégard dos Anglais qui eioitont tours
slarmes : Tunique cause de leurs terreurs, c'est qu'ils
nous jugent mieux préparés qu'eux. Us Qe p^UTeQt
s'empêcher d*envier la supériorité dç ootre Qrganisi(«
tion et de nos institutions militaires ) et, sous rinfiuenw
de ce sentiment, ils s'obstinent à nous supposer les
projets les plus invraisemblables, par cette seule raison
qu'ils nous reconnaissent le pouvoir de les exécuter*
Que pourrions-nous pour les désabuser? Malheureu-
lemeot, les alarmistes sont comme les envieux : incu-
rables et insatiables. C'est ainsi que l'Angleterre en est
arrivée a consacrer 30 miluons steruno aux budget^
réunis de sa flotte et de son armée t
Là gît, en réalité, le danger le plus sérieux pour
l'alliance anglo-française. On ne peut se dissimuler le
sentiment d'irritation que cause au peuple anglais
l'aggravation de ses charges. Le gouvernement en est
arrivé à doubler Vincome-tax^ et nos voisins sont ré-
duits à subir, en pleine paix, tous les maux qui font
de la guerre un fléau. Cette irritation bien naturellç
du peuple anglais» son gouvernement a l'habileté de la
déverser sur la France, en la représentant systématique-
ment comme un épouvantail, comme un danger tou^
jours imminent, et dont il faut se garantir à tout prix.
Quelle sera la conséquence probable, pour ne pas
dire nécessaire, d'un pareil système?
S'il n'existe rien de pratique et d'assez puissant pour
convaincre l'Angleterre de la sincérité et de la loyauté
de la France, où cela s'arrétera-t-il ? Cette rivalité
d'armements est un cercle vicieux d'où il faudra' ce-
XXXit PRÉFACE.
pendant bien sortir. Lorsque le peuple anglais se trou^
vem suffisamment armé et préparé au prix de tant
d'efforts, sera-t-il d'humeur à les continuer? Se con-
tenlerat-il de cette attitude défensive qui lui coûte
tant de sacrifices? Si l'Angleterre prétend que ses
défiances actuelles sont excusables, la France, à son
tour, n'a-t-elle pas toute raison de supposer que l'An-
gleterre cherchera, tôt ou tard, à supprimer la cause
de ses craintes et de ses dépenses présentes, en em-
ployant d'une manière active les moyens qu elle aura
accumulés? En douter un instant, serait méconnaître
complètement son caractère et son histoire. Nos voisins
ne font pas d'ailleurs difficulté de l'avouer, si tant est
même qu'ils ne s'en fassent pas gloire : dans toutes
leurs guerres avec la France, ils ont été les premiers à
tirer l'épée, « in nearly ail theslrugglesbelween France
and Englandy xt is England that has first drawn the
sword. »
Si le changement qui s'est accompli dans les an-
ciennes dispositions du peuple français vis-à-vis de
l'Angleterre, n'est pas radicalement complété par un
mouvement analogue et réciproque de l'esprit public
de l'autre côté du détroit, il est évident, pour tout
homme sensé, que la situation aboutira fatalement à
une rupture, et cela, en dépit de toute la prudence et
de toute la sagesse des gouvernements. Il n'est pas plus
dans la nature des individus en particulier, que dans
celle des peuples en général, de se sentir prêts pour
la lutte, et de résister indéfiniment au désir de Tenta-
mer. Le jour arrivera, pour nous servir de l'humoris-
PRÉPAGK. XXXin
tique expression d'un écrivain d'outre-Manche, où les
deux nations auront une telle indigestion de la paix,
qu'elles ne réussiront à s'en guérir qu'au moyen d'une
bonne guerre, « the time must corne when the people of
one or hoih countries toitt be sick of peace a^ a war
priée. » Et que faudra-t-il pour amener l'Angleterre
et la France à commettre ce crime de lèse-humanité,
de lèse^ivilisation ? Presque rien ; un incident sans
valeur, un malentendu facile à arranger, mais qui
viendra une complication sérieuse dans l'état de dé-
fiance et de susceptibilité réciproques où l'on vit.
Une pareille perspective est assez sombre pour qu'on
y réfléchisse. C'est uniquement de nos voisins qu'il
dépend de l'éclaircir. Pour cela, il sufiBt qu'ils se dé-
cident enfin à nous rendre la justice qu'ils rencontrent
chez nous. Il faut qu'ils prennent leur parti de notre
prospérité; qu'ils assistent, sans envie, aux progrès
que nous poursuivons, que nous accomplissons dans la
mesure du rôle et du rang qui nous appartiennent.
Quant à l'influence légitime qui en résulte pour la
France dans les affaires du monde, il faut enfin que
l'Angleterre sache l'admettre de bonne grâce olu
s'y résigner, si cet effort est trop grand pour elle.
En ce qui regarde notre état militaire : soit que les
excitations lui viennent de ses propres gouvernants ,
soit qu'elles aient pour moteurs les alarmistes quand
même qu'il renferme dans son sein, ou même les cer^
veaux brûlés que nous pourrions compter dans le nôtre,
le peuple anglais, s'il pratique loyalement l'alliance,
n'a rien à redonter de notre part. Un de ses orateurs
XXXiV raiFAGE.
le lui a affirmé, et nous ue saurions mieux faire que
de répéter ici les paroles de cet homme éniinent: « Pour
» moi, a dit M. Lindsay, je suis convaincu que nous
*» n'avons rien à craindre de la France, que la France
» n'a aucune intention d'attaquer TAngleterre, et que
» l'Empereur est beaucoup trop éclairé pour ne pas
» comprendre qu'il est de son intérêt et de l'intérêt de
» l'Europe que la France demeure en paix avec rAn*
» gleterre (1). »
Que ce soit seulement un signe du trouble des temps
où nous vivons, ou le prix, presque toujours obligé, de
tout acheminement vei*s des conditions meilleures, il
est de fait que la guerre ou les bruits de guerre sont
sans cesse, depuis quelques années, à Tordre du jour.
Peu de pays peuvent répondre de ne |>as être engagés,
au premier moment, dans une de ces luttes terribles
que toutes les théories des congrès de la paix ne sau-
raient détourner.
Qui eût pensé, après la guerre de Crimée, que le
jour où la France et TÂutriche allaient mesurer leurs
forces sur le Tessin était aussi proche ; — que TEspagne
aurait la guerre avec le Maroc ; — TAngleterre avec
rinde et la Nouvelle-Zélande révoltée» ; — la France et
TAugleterre avec la Chine ; — la France et l'Espagne
avec la Cochinchine; ~ le Piémont avec Naples ; —
les États-Unis du Nord avec les États confédérés du
Sud ; — la Turquie avec le Monténégro ; — la France
avec le Mexique, etc. , etc. ; — sans parler des querelles
(1) Séance de !a Chambre des commupes du 16 avril isaa.
PRÉPAGB* KU?
arrangées ou ajournées entre la Prusse et le l)ane<»
mark, à propos des duchés; entre la France et le
Portugal» & propos des émigrants africains; entre
l'Angleterre et rAmérique, à propos de File Juan ou
du TrerU, etc., etc.; — enfin, sans parler encore de
toutes les questions, de toutes les difficultés pendantes
entre T Autriche et la Hongrie ; entre Rome et l'Italie;
entre la Prusse et le Nationalverein, entre la Russie et
la Pologne !
Il faut bien le reconnaître, toutes les puissances doi*
vent aujourd'hui conserver leurs armes. C'est une obli-
gation regrettable, mais nécessaire, dans un temps
où rhorison est partout incertain ou menaçant, et
quand nul ne peut prédire sur quel point éclatera
Forage.
Quelle que soit l'issue de cette crise, pour ainsi dire
universelle, la première puissance militaire de l'Europe
ne saurait rester spectatrice passive des commotions
qui peuvent en résulter.
A l'époque actuelle, les grandes armées de la France
sont donc justifiées par les nécessités de la situation
européenne ; elles sont des gages d'indépendance pour
elle-même, de sécurité pour ses voisins, et de proteo
tion pour les nations opprimées. La paix est une con-
séquence de la force ; pour conserver la paix, la France
doit rester forte. Si la France militaire de i 859 avait
été la France militaire des régimes précédents, le Pié-
mont serait aujourd'hui une province de rAutriche, et
la Turquie une province russe. La guerre d'Italie et la
guerre de Crimée eussent été impossibles, et à l'heure
XXXYI RRÉFAGB.
qu'il est, les conseils affectueux, les représeotatioDs
amicales que la France peut faire entendre au sujet de
la Pologne, ne pèseraient pas plus, à Saint-Pétersbourg,
que les vaines protestations, \ingt fois renouvelées dans
nos anciennes assemblées, en faveur de cette malheu*
reuse nation (1).
En ce qui regarde sa marine, la France veut encore
aujourd'hui ce que Napoléon V réclamait déjà pour
elle en 1805 : des cx)lonies et des vaisseaux, parce que
les unes et les autres sont paiement indispensables à
Textension de son commerce et de son industrie. Dotée
de 600 lieues de côtes, en possession d'un territoire à
cheval sur les deux mers les plus fréquentées du globe ;
la France a non pas seulement les droits, mais aussi
les devoirs d'une puissance maritime de premier ordre.
En conclure qu'elle a l'ambition de r^ner sur l'océan
et de s'y substituer à l'Angleterre est inadmissible ; la
position exclusivement maritime de nos voisins leur
impose des obligations et leur assure des avantages
qu'il serait puéril de contester.
La France ne prétend donc pas à la domination des
mers, mais elle réclame leur affranchissement , et elle
veut que dans toutes, son pavillon soit libre et respecté.
(1) Voyez la discussion des adresses au roi par la Chambre des
députés : en 1837 (séance du 20 Janvier) ; en 1838 (15 janvier); en
1839 (20 janvier); en 18/iO (16 janvier); en 18/i2 (30 janvier); en
1863 {!i février); en 18/iû (29 janvier) ; en 18/i5 (29 janvier); en 18i6
(7 février); en l8/i7 (12 février); en 1848 (lu février). C'est tou-
jours, ou peu s*en faut, le même texte : « La Chambre, vivement
émue des malheurs de la Pologne, renouvelle ses vœux constants
pour un peuple dont Tantiquc nationalité..., etc., etc., etc.. »
PRÉFACE. ÎXXVII
Elle ne peut, ni elle ne veut entretenir des vaisseaux
aussi nombreux, ou consentir pour sa marine des sa-
crifices aussi grands que l'Angleterre, car la principale
garantie de son indépendance, de sa sécurité et de son
influence repose sur son armée, et non pas, comme
pour nos voisins insulaires, sur des vaisseaux. Mais,
d'un autre côté, aujourd'hui que l'expérience des der-
nières guerres a démontré les avantages et la nécessité
de Faction combinée des flottes et des armées ; aujour-
d'hui qu'il n'est plus de puissance indiscutable, ou de
rôle important possible pour un peuple, sans la réunion
de ces deux éléments de force, la France, pas plus sur
mer que sur terre, ne peut reconnaître à une autre
nation, et surtout à une nation alliée, le droit de lui
marchander les ressources, ou de lui limiter les moyens
indispensables à sa sécurité et à la conservation de son
rang. Le cas échéant, la France veut être prête à se-
courir en tous lieux, et à toute heure, les milliers de
nationaux qu'elle compte répandus sur tous les points
du globe. Cette politique doit être sa gloire comme elle
a été celle de l'Angleterre. Les principes libéraux de la
France, en matière de commerce et d'échange, sont
aujourd'hui suflSsamment attestés ; elle n'ambitionne
aucun monopole, mais elle prétend poursuivre, en
toute liberté, le développement de ses forces intellec-
tuelles et matérielles. Le commerce ne peut vivre sans
protection , et il n'y a point de protection pour lui
sans une marine militaire respectable. La France veut
donc être libre d'augmenter la sienne, et de la faire
concourir à l'extension de son industrie, sans avoir à
XXXYIII PRÉFACB.
compter sans cesse avec les défiances injustes, et les
jalousies égoïstes de ses voisins.
N'est-ce pas à sa marine, à son commerce, à son in-
dustrie, que l'Angleterre doit la richesse qui la distingue
aujourd'hui entre toutes les nations? A quel titre pré-
tendrait-elle refuser aux autres peuples le droit de
glaner à leur tour dans ce champ où elle a recueilli
elle-même de si splendides moissons? Que ces nouvelles
tendances lui soient un aiguillon, sans doute on le com^-
prend; mais n'est-elle pas encore la mieux armée,
entre toutes, pour les luttes pacifiques que ces tendan-
ces accusent? D'ailleurs, le reste du monde doit-il
rester station naire, parce que l'Angleterre est satisfaite
de sa position et de son lot? Aucun changement ne
doit-il avoir lieu, si désirable et avantageux qu'il puisse
être pour les autres nations, sans exciter les jalousies
de l'Angleterre? L'univers doit-il rester immobile,
par cela seul qu'elle est assez heureuse pour ne sentir
le besoin d'aucun changement?
Nous n'ajouterons rien à ces considérations : nous
croyons avoir exposé impartialement les concessions
que devaient se faire mutuellement la France et l'An-
gleterre. Dieu nous garde de vouloir fomenter des
animosités que nous sommes les premiers à blâmer,
et que trop de gens s'efforcent d'entretenir de l'autre
côté du détroit! Mais nous avons pensé qu'il n'y avait
rien à gagner à des réticences hypocrites, ou à feindre
d'ignorer ce que chacun se plaît à reconnaître. Les
avantages de l'union des deux peuples sont tellement
évidents, ils sont si hautement démontrés par l'histoire
PRÉFACE. XXXIX
de ces dix dernières années, quMI est devenu bien sih
perflu d'en faire Tapologie. Mais, en regard de ces
avantages méconnus ou inappréciés, de gaieté de cœur,
par certaines gens, il nous a semblé que le plus grand
service à rendre à la cause deValliance, c'était de mon-
trer à ceux de nos voisins qui travaillent à la saper,
retendue des dangers qu'ils pourraient bien ftiire cou-
rir à leur pays, si leurs efforts étaient jamais couronnés
de succès.
C'est dans ce but que nous nous sommes livré à un
examen approfondi des forces militaires de la Grande-
Bretagne. Dans cette étude, nous n'avons pas cédé
seulement au vaniteux désir de faire ressortir la supé-
riorité de notre organisation sur celle de nos voisins ;
nous avons voulu connaître la portée exacte des sacri-
fices qu'ils s'imposent depuis plusieurs années. La part
faite, dans cette appréciation, aux craintes chimériques
et aux terreurs sans fondement, nous avons dû faire
aussi la part, la grande part de la nécessité.
Que les sacrifices et les dépenses de TAngleterre
soient ou ne soient pas proportionnés à cette nécessité,
c'est une question que nous ne nous chargeons pas de
décider; ceci est un compte à régler entre nos voisins
et leurs gouvernants. Pourvu qu'à notre égard l'atti-
tude du peuple anglais soit amicale; pourvu que ses
dispositions soient bienveillantes, pourvu que sa con-
duite sôit droite et loyale, le reste nous importe peu.
Son gouvernement pourra hérisser de canons les côtes
de l'Angleterre, couvrir son territoire de volontaires.
XL PRÉFACE.
et la mer de vaisseaux, saos que la France eo prenne
le moindre sujet d'inquiétude ou d'ombrage.
Que si Ton nous objecte maintenant, qu'en mettant
ainsi le doigt sur le défaut de Tarmure de nos voisins,
nous avons risqué de blesser leur amour-propre ou leur
orgueil, nous répondrons qu'il est, à notre connais-
sance, quelque chose de bien plus grand que l'orgueil
du peuple anglais, quelque chose de bien supérieur
encore à son amour-propre, — c'est son admirable bon
sens.
C'est à ce bon sens pratique, qui le distingue par
excellence entre toutes les nations, que nous nous
sommes adressé, et qu'on ne doit jamais craindre de
faire appel.
CONSTITUTION
ET
PUISSANCE MILITAIRES
COMPAKÉES
M LA FRANGE ET DE LAN6LETERKE.
INTRODUCTION.
R Nolumus leges Angli^e miilari. m
La Grande-Bretagne tient la première place parmi
les puissances dont il importe le plus en France de
pouvoir apprécier exactement les ressources et le sys-
tème militaires. Les longues guerres qui ont signalé la
rivalité des deux pays dans le passé, Talliance qui les
unit dans le présent, enfin les éventualités que peut
réserver l'avenir, sont autant de motifs qui rendent
cette appréciation ayssi intéressante que nécessaire.
2 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Des travaux consciencieux nous ont initiés depuis
longtemps au mécanisme et à l'organisation des armées
allemandes; des études remarquables ont été publiées
sur celles de la Russie, de T Autriche, de TEspagne, etc.
L'Angleterre seule, depuis bientôt un demi-siècle,
semble avoir échappé aux investigations dont le régime
militaire de presque toutes les puissances européennes
a été l'objet.
Publié au commencement de la Restauration, le
grand ouvrage de M. Ch. Dupin est resté, depuis cette
époque, le seul livre qui ait fait aulorité en France,
malgré les modifications profondes qu'une période de
quarante années a dû nécessairement introduire dans
les moyens d'agression et de résistance dont pouvaient
disposer nos voisins à la chute du premier Empire.
Nou^ ne croyons pas porter atteinte au mérite des tra-
vaux de notre célèbre ingénieur en disant que son
œuvre représente l'armée anglaise telle qu'elle a existé,
mais non telle qu'elle est de nos jours.
En Angleterre et en France, plus que partout
ailleurs, la diffusion des lumières, les progrès de la
science, les conquêtes de T industrie, ont exercé leur
influence. Au point de vue politique et social, comme
au point de vue militaire, les conditions d'existence des
deux nations, en 1860, sont bien loin d'être les mêmes
qu'en 1815.
Admirateur enthousiaste de la constitution anglaise,
passionné pour les institutions politiques qui venaient
d'être importées en France à l'époque de ses voyages
dans la Grande-Bretagne, M. Dupin, par la nature d«
DE LÀ ^FHANGE ET DE L^ANGLETEHlLE. $
ses travaux aotérieurs, par la disposition de son esprit,
était plus disposé que tout autre peut-être à subir sans
réserve l'irrésistible ascendant que ne manque jamais
d exercer sur les étrangers le spectacle grandiose des
établissements industriels et maritimes de la Grande
Bretagne.
Dans la partie de son ouvrage consacrée à Texamen
du système militaire de nos voisins, M. Ch. Dupin a
déployé tout le talent, toute la science qui distinguent
les autres chapitres de son livre et qui le placent parmi
les premiers de nos publicistes; mais il est à regretter
que les préoccupations et Tengouemént politiques aient
fait tort, en plus d'un endroit, à la justesse de ses ap-
préciations. Pourquoi, du reste, hésiterions-nous à le
dire?
M. Ch. Dupin n'était point militaire, au moins dans
la stricte acception du mot. Or, si simples, si élémen-
taires, si accessibles à tous que puissent paraître la
âcience et les doctrines militaires, comme toutes les
autres, elles ont aussi leur philosophie, elles ont leurs
arcanes qui restent fermés pour quiconque n'est pas
complètement initié, leurs mystères, en un mot, qu'un
soldat peut seul pénétrer. L'état militaire a ses senti-
ments, ses exigences, ses aspirations dont le secret
n'appartient qu'aux cœurs battant sous l'uniforme, et
cet élément particulier de puissance ou de faiblesse n'^
pas encore sa colonne marquée dans les statistiques
des savants, ma^-é le profond désarroi qu'il jette sou-
vent dans leurs calculs.
En étendant sans réserve aux institutions militaire^
â CONSTITUTION ET PLiSSANCE MILITAIRES
de la Grande-Bretagne Tadmiration exclusive et louan-
geuse dont il était pénétré pour les hommes et les
choses de ce pays, M. Dupin, dans certains cas, nous
semble avoir fait fausse route. Dans sa recherche ar-
dente « de ces bases équitables sur lesquelles devaient
reposer nos libertés, après avoir été le jouet de l'anar-
chie révolutionnaire et d'un consulat hypocrite, du
despotisme impérial et des réactions féodales... (1), »
l'auteur des Voyages dans la Grande Bretagne s'est
trouvé conduit à préconiser, à propos du système dé-
fensif de nos voisins, des doctrines erronées, de véri-
tables hérésies militaires.
C'est à la pratique persévérante de ces dangereuses
théories que l'Angleterre a dû les rudes épreuves
qu'elle a traversées depuis quelques années. A force
de réduire son armée, afin de réaliser ces économies
qui plaisaient si fort aux électeurs et à M. Dupin ; à
force de l'amoindrir moralement en s'obstinant à la
composer et à la gouverner de la manière la plus
propre à diminuer son importance et la considération
accordée à ceux qui servaient dans ses rangs, l'Angle-
terre a fini par énerver complètement son armée. Un
jour est arrivé où Ton s'est aperçu qu'en s' efforçant de
désarmer le souverain pour obéir à l'esprit d'une con-
stitution ombrageuse et défiante on avait abouti, en
réalité, à désarmer la nation elle-même.
Deux fois, à des intervalles bien rapprochés, l'An-
gleterre, pendant ces dernières années, a reçu de sé-
(I) Vojfage dans la Grande-Bretagne, préface de Tédition de
1820.
DE LA FRANCE ET DE l'aNGLETERRE. 5
vères leçons. Deux fois elle a pu mesurer, dès les pre-
mières secousses d'une guerre sérieuse, toutes les
imperfections de son système de défense. La guerre
des Indes, malgré tout l'héroïsme de Tarmée anglaise
en Asie, a confirmé ce que la campagne de Crimée
avait déjà révélé.
Aujourd'hui, tout le monde est d'accord en Angle-
terre sur la nécessité d'introduire de nombreuses et sé-
rieuses réformes dans l'organisation, dans la législa-
tion, dans les établissements de l'armée; mais tel est le
résultat de la constitution politique et sociale de nos
voisins, que la plupart de ces réformes rencontrent des
difficultés insurmontables.
Le principal de ces obstacles réside dans la manière
même dont l'armée britannique est composée. En
Freinée et chez toutes les grandes puissances du conti-
nent, le système de la conscription militaire est adopté :
aussi rencontre-t-on dans les armées continentales des
hommes appartenant à toutes les classes de la société ;
la classe moyenne particulièrement fournit un grand
nombre de recrues appartenant aux familles les plus
respectables, bien que n'ayant pas les ressources néces-
saires pour payer un remplaçant militaire.
L'armée anglaise se recrute exclusivement par l'en-
rôlement volontaire. La solde de l'homme qui s'en-
gage en Angleterre étant de beaucoup inférieure au
salaire que gagnent les artisans, le temps de ser\ice
étant plus long qu'en France, enfin la discipline et les
éventualités de la vie du soldat anglais étant plus rigou-
reuses et plus pénibles, à cause du service des colo-
6 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
nies, que la carrière du soldat des armées continen-
tales, appelé à servir presque toujours dans la
mère-patrie ; il résulte de toutes ces circonstances que
Farmée anglaise ne reçoit dans ses rangs que le rebut
et l'écume de la population des trois royaumes.
La profession de soldat est tellement déconsidérée,
tellement méprisée en Angleterre, que bien souvent,
lorsque les grandes crises industrielles, qui se renou-
vellent trop fréquemment dans les districts manufao-
turiers, viennent enlever le travail à des milliers d'ou-
vriers et les jeter sans ressources sur le pavé, ils
préfèrent, pour ne pas mourir de faim, se laisser em-
prisonner dans les maisons de travail [work-hausé)
plutôt que d'endosser l'habit rouge qui leur assurerait
la subsistance du soldat.
Si, d'une part, le soldat anglais est le rebut de la
population, d'un autre côté l'oflBcier, dans Tarmée bri-
tannique, appartient exclusivement aux classes élevées
de la société. En d'autres termes, cette armée n'admet
que les extrêmes dans ses rangs. La classe moyenne,
qui compte pour une si grande part dans les armées
continentales, qui fournit même en France la majorité
des officiers, la classe moyenne n'est pas représentée
dans l'armée anglaise .
Dans des conditions pareilles , on comprend quel
abîme doit séparer, chez nos voisins, le soldat de ses
chefs, et combien il est difficile, pour ne pas dire im-
possible, de substituer chez eux au système de la véna-
lité des grades un mode d'avancement reposant sur les
principes adoptés en France. Il est à peine nécessaire
DE LÀ FRANGE ET DE l'aNGLETERBE. 7
d'insister sur les conséquences d'un pareil état de
choses. En réalité, il n'est pas de système militaire au
monde qui soit moins libéral que celui de la libérale
Angleterre. Sous l'empire des lois qui règlent la com-
position de l'armée, la carrière militaire n'est pas une
profession, et nul individu appartenant à la classe
moyenne ne peut, en y entrant, espérer y vivre de son
métier. Quelque soit son zèle, quels que soient ses ta^
lents, l'avenir n'en restera pas moins fermé pour lui ;
il ne pourra jamais faire son chemin. Quant à l'officier
qui a de la fortune et qui entre au service en achetant
sa première commission, les stimulants, c'est-à-dire la
base de tout progrès, ne lui font pas moins défaut
qu'au soldat. Pour conserver sa position, l'officier,
dans l'armée anglaise, n'est tenu qu'à l'accomplisse^
raent le plus routinier de ses devoirs journaliers, soit
dans les quartiers, soit sur le terrain de manœuvres.
C'est de sa bourse et non de son mérite que dépend son
avancement. Si cette bourse est convenablement gar-
nie, il arrivera, avec le temps, à figurer au nombre
des généraux de l'armée. Parvenu à ce point, s'il n'a
pas des amis puissants, s'il ne peut faire agir des in-
fluences parlementaires, sa carrière est virtuellement
terminée; quels que soient ses- talents, il ne doit pas
espérer obtenir un commandement, et son nom est
enterré à tout jamais dans les colonnes de YJrmy-
IÀst{i).
Il n'est pas de progrès ni d'amélioration possibles
(1) Annuaire de l'armée anglaiie.
8 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIBES
dans le système militaire de la Grande-Bretafçiie sans
une réforme radicale dans la manière dont l'armée est
recrutée et commandée. Toute modification qui ne
s'appuiera pas sur cette base sera sans portée et sans
résultat, et un changement aussi capital implique une
sorte de révolution chez nos voisins. L'obstacle le plus
sérieux à cette révolution réside dans rattachement fa-
natique du peuple anglais pour ses vieilles traditions,
dans sa répulsion exagérée pour toutes les mesures qui
tendraient à modifier la constitution politique et l'or-
ganisation sociale du pays.
Les hautes classes, qui considèrent l'armée comme
une sorte d'apanage, qui jusqu'ici ont eu le privilège
d'occuper tous les grades, d'exercer tous les comman-
dements, se résigneront -elles à laisser désaristocratiser
l'armée? La masse de la nation abdiquera-t-elle ses
répugnances pour le système de recrutement qui fait la
force des puissances continentales? Acceptera- t-elle le
régime delà conscription militaire? Il ne faut pas que
le peuple anglais cherche à se le dissimuler plus long-
temps, c'est uniquement sur les concessions obtenues,
sur les conquêtes réalisées à ce double point de vue,
que doit reposer toute amélioration dans l'état militaire
du pays.
Certes, les institutions libres ne sont pas à mépriser,
et l'on ne saurait contester que la conscription mili-
taire, si elle représente une institution du genre le
plus démocratique (puisqu'elle soumet tous les citoyens
à la même obligation), n'en porte pas moins une grave
atteinte à la liberté individuelle en arrachant le jeune
DE LA FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. 9
soldat à la profession et aux occupations de sou choix.
Cependant, tous les peuples du continent, après bien
des essais, s'accordent aujourd'hui à la considérer
comme absolument indispensable au maintien de leur
état militaire. Si, par sa répulsion insurmontable pour
la conscription, l'Angleterre arrive à partager un jour
le sort de Carthage et des républiques italiennes dont
elle représente aujourd'hui la richesse et l'esprit trop
exclusivement mercantile, que deviendront les institu-
tions libres qui la rendent si fière? Dans tous les cas,
rien n'est moins digne d'une grande nation, rien n'est
moins flatteur pour le peuple anglais, rien ne démonti e
d'une manière plus évidente la triste situation de la
Grande-Bretagne, comme puissance militaire, que ces
paniques périodiques, que ces cris d'alarme dont le
bruit retentit au moindre nuage qui vient obscurcir
l'horizon. Il y a là un symptôme trop significatif du
peu de confiance que la nation anglaise accorde k son
armée, et, dans ce sentiment instinctif qui agit si
puissamment sur l'esprit public dans ces circonstances,
les penseurs et les hommes d'État de l'Angleterre
doivent puiser plus d'un sujet de méditation.
iO GOIfSTITUTIOlf ET PUISSANCE MILITAIUS
CHAPITRE PREMIER.
Constitution de l'armée anglaise. — Administration centrale. —
Direction et commandement. — Organisation et attributions do
. Ministère de la guerre et du Horse-Guards.
En France, Tarmée est instituée pour assurer à Tin-
térieur le respect dû aux lois et pour défendre l'inté-
grité du territoire et l'indépendance nationale contre
les ennemis du dehors.
Acceptée ou plutôt tolérée îdans le même but en
Angleterre, Tarmée y est envisagée cependant sous un
tout autre point de vue.
En France, Tidée dominante, en ce qui touche l'ar-
mée, c'est qu'elle représente une des gloires les plus
précieuses de la nation; en Angleterre, c'est qu'elle
constitue simplement l'une des plus lourdes charges du
pays.
Calculateurs avant tout, nos voisins considèrent vo-
lontiers leur budget militaire comme une prime d'as-
surance destinée à les garantir de tout dommage. Dans
cet ordre d'idées, semblables à ces propriétaires tou-
jours disposés à restreindre le chiffre de leur contribu-
tion volontaire, dans la crainte qu'elle ne soit pas en
rapport avec la valeur de leurs biens, ils semblent
beaucoup moins préoccupés des risques qui peuvent
les menacer que désireux de se soustraire aux sacri-
fices qui doivent les conjurer.
Comparativement aux autres puissances de l'Eu-
rope, le rapport qui existe en Angleterre entre l'en-
DE LA FRANGE ET DE L ANGLETERRE. 11
semble de la population et Teffectif de Tannée d'une
part, entre le budget général de l*Ëtat et le budget
particulier de la guerre de l'autre, est généralement
moins élevé que partout ailleurs.
Pendant longtemps, l'Angleterre a pu se contenter
de prendre un soldat sur V28 habitants, et son budget
militaire n a pas dépassé le sixième de son budget gé-
néral. Depuis les épreuves de la Crimée et de l'Inde,
elle se voit obligée de renoncer à un système dont Té-
coiioniie exagérée a contribué pour une grande part
aux imperfections signalées dans son état militaire par
l'expérience de ces dernières guerres.
En 1858 et 1859, comme nous le verrons plus loin,
lorsque nous examinerons en détail les dépenses mili-
taires dans les deux pays, le budget de l'armée, en
France et en Angleterre, s'est presque élevé au même
chiffre.
Si le contraste que l'Angleterre a longtemps offert
aux puissances continentales, par la réduction de ses
dépenses militaires, tend chaque jour à s'effacer da-
vantage, il est un autre côté par lequel elle continue à
se distinguer tout particulièrement de ses voisins: nous
voulons parler de son système de recrutement. Tandis
que, chez toutes les nations européennes, la conscrip*
tion militaire est adoptée, l'Angleterre, encore aujour-
d'hui, s'obstine à recourir exclusivement à l'enrôle-
ment volontaire pour le recrutement de son armée*
Nous apprécierons ailleurs tous les inconvénients, tous
les vices de ce système suranné ; disons, dès à présent,
qu'il est l'obstacle insurmontable à tout progrès et qu'il
12 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
doit rendre fatalement inutiles tous les efforts que tente
depuis quelques années le gouvernement, afin de rele-
ver Tétat militaire de la Grande-Bretagne à la hauteur
que comporte î?on rang parmi les puissances euro-
péennes.
Les gardes-du-corps attachés à la personne du sou-
verain ont formé le premier noyau des troupes régu-
lières en Angleterre. Les gardes à pied et les gentils-
hommes pensionnaires organisés sous le rè^ne de
Richard III et de Henri VIII fui ent les premiers corps
réguHèrement entretenus et soldés. Les emplois dans
ces corps pouvaient se vendre, et le système du Pur-
chase ou de Tachât des grades, qui est encore en vi-
gueur aujourd'hui dans Tarmée anglaise, na pas
d'autre origine.
A une époque où Thabituile était de lever seulement
les troupes en cas de guerre et de les licencier à la fin
de la campagne, la maison militaire du souverain était
trop peu nombreust^ et les frais de son entrelien trop
peu considérables pour causer aucune appréhension.
Plus tard, le droit du souverain, de rassembler et d'en-
tretenir une force militaire permanente, ayant été con-
sacré, Vexercice et Textension de ce droit ne tardèrent
pas à exciter les craintes de la nation. Toutefois, le pré-
cédent établi, ce n'était pas chose facile que de limiter
le pouvoir de la couronne à l'égard d'un privilège aussi
essentiel. Ce fut seulement sous le règne de Guil-
laume III que le Parlement parvint à établir en prin-
cipe que la force militaire serait placée sous son con-
trôle. L'acte qui apporta cette importante restriction à
DE L\ FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 13
Tautorité royale est connu sous le nom de Mutint/"
L'esprit et le principal objet de ce statut sont de
rendre l'existence de Tarmée anglaise complètement
dépendante de la volonté de la nation, dont le parle-
ment est rinterprète. C/est k ce point de vue que le
premier article déclare expressément que toute levée
de troupe sans le consentement du pouvoir législatif
constitue un acte illégal.
Tous les ans, le Mutiny-Àcl est confirmé au mo-
ment de la présentation du budget ; après avoir rappelé
dans son préambule les droits du Pai-lement sur la
force militaire, la loi fixe le chiffre des troupes qui
doivent être entretenues pour Tannée. Ce chiffre ne
peut être dépcassé sans un vote s})é(ial.
La même loi présente le code pénal qui devra être
suivi pour le jugement des délits militaires. Elle fixe
les limites du châtiment que chaque délit peut encou-
rir. Elle étabUt les règles qui devront être suivies pour
le recrutement et rincorporation des nouveaux soldats.
Enfin elle entre dans de nombreux détails touchant la
condition de larmée vis-à-vis de TÉtat, toutes ces
prescriptions ayant pour constant objet d'empêcher
tout empiétement de Télément militaire sur les lois ci-
viles du pays et sur les droits individuels.
Au milieu de ces précautions sans nombre destinées
à restreindre l'influence de la force armée, le^s préro-
(1) Fomblanquc, Treatise on tht administration and organisation
ofthe briUsharmy,
l& GOltSTITUTION ET PUISSANCE IflLItAmEâ
gatives de la couronne demeurent cependant respec-
tées. Le M utiny- A et confère chaque année au Souve-
rain le droit de convoquer les» Cours Martiales i» et de
décréter les « .4 rticles de Guerre. » En fait, cette d isposition
attribue au Souverain \e pouvoir légal d'exercer lecom*
mandement suprême de l'armée en même temps que
la prérogative royale en implique le droit abstrait. Cette
suprématie du pouvoir royal sur Tarmée, telle que la
loi la consacre, est encore corroborée par le serment
que chaque soldat est tenu de prêter et qui lui impose,
pour tout le temps de son service militaire, l'obligation
d'une fidélité absolue à la pei*sonne du souverain.
Le commandement suprême de l'armée appartient
donc à la couronne; mais, comme le Souverain ne peut
se tromper («^Ae Sovereign can do not wrong »), le
Ministre de la guerre devient l'agent intermédiaire et
responsable vis-à-vis du pays pour tout ce qui a trait
aux choses militaires.
Le ministre {the Secretary of State for fVar) est
chargé de l'administration de l'armée. 11 doit veiller au
maintien de Tétat militaire dans les conditions les plus
propres à assurer le bien du service. Il est responsable
du bon et régulier emploi des fonds qui sont votés par
le Parlement. 11 dirige par lui-même ou au moyen de
ses agents tous les services administratifs, tant à l'inté-
rieur qu'à l'extérieur. 11 surveille tous les établisse-
ments qui dépendent de ces sei'vices; enfin, bien que
n'étant pas revêtu d'un grade militaire^ il ne puisse s'im-
miscer en aucune façon dans les détails du commandement
des troupes^ il est cependant responsable vis-^à-vis dM
t>< LA FttANGE ET DE L ANGLEtERÉ. l5
Parlement du bon état de l'armée et de la conduite des
opérations militaires.
A l'époque où M. Charles Dupin visita la Grande-
Bretagne (t), les attributions du Ministre de la guerre
étaient loin d'avoir l'étendue qui leur a été donnée de
nos jours. Jusqu'au commencement de la guerre de
Crimée, le Ministre des colonies {the Secretary of State
for the Colonies) était chargé de l'administration civile
et politique de l'armée. Les différentes branches du
service militaire étaient dirigées par un certain nombre
de départements distincts et indépendants les uns des
autres. Cette organisation rendait l'unité d'action très
difficile ; elle nuisait à la promptitude dans l'expédition
des affaires; enfln elle tendait à égarer la responsabi-
lité, ou plutôt elle la rendait, de fait, impossible.
Ainsi, les attributions du Commandant en chef de
l'armée (the Commander-in Chief of the Forces) étaient
purement militaires et s'étendaient à la cavalerie et à
l'infanterie seulement. Le Maître Général de l'artillerie
[the M aster General of the Ordnance) était à la tête des
armes de l'artillerie et du génie. Le Secrétaire de la
guerre (the Secretary at War) dirigeait les finances ;
enfin le/"ommimna^ qui correspond jusqu'à un cer-
tain point au corps de l'intendance militaire en France,
dépendait de la trésorerie (Treasury).
Les difficultés sans nombre que devait entraîner,
pour la conduite des opérations militaires, l'emploi
d'un système aussi compliqué et aussi décousu se révé-
(i) 1816, 1«17, 1818 et 1819.
16 CONSTITUTION ET PUISSANCE ItILIT AIRES
lèreiit en Crimée avec d'autant plus d'éclat que le
théâtre de la guerre était plus éloigné. L'un des plus
heureux résultats de la guerre d'Orient, pour l'armée
anglaise, fut sans contredit la centralisation des divers
départements sous la direction d'un ministre unique el
responsable. Par suite de cette nouvelle organisation,
le Secrétaire d'État des Colonies cessa d'être chaîné de
l'administrcation civile et politique de l'armée; l'emploi
de Maître Général de l'artillerie fut aboli ; les armes
spéciales passèrent sous là direction d" Commandant
en chef; les bureaux du Secrétaire de la guerre furent
absorbés dans la refonte générale du système; enfin le
Commissariat fut placé sous la direction du Ministre de
la guerre.
Département de la guerre {thc IV ar Department]. —
l^s premiers fonctionnaires du ministère de la guerre,
sous les ordres du Secrétaire d'État de ce département,
sont :
Deux sous-secrétaires d'État.
Un adjoint sous-secrétaire.
Un secrétaire chargé de la correspondance générale.
La direction et la responsabilité des différents ser-
vices appartenant au ministère de la guerre sont par-
tagées entre ces hauts employés.
Dos deux sous-secrétaires d'État, le premier est
chargé de représenter le Département de la guerre à la
Chambre des Communes; il fait, en conséquence, par-
tie du Cabinet et change avec le Ministre. Lorsque le
Ministre est lui-même membre de la Chambre des
• Communes, le premier sous-secrétaire est choisi parmi
DE LA FRANCB ET DE L'ANGLETEaRE. 17
les Pairs, afin que le Département de la guerre soit
toujours représenté dans les deux chambres.
L'emploi du second sous-secrétaire d'État est per-
manent. Afin que les changements politiques ne nuisent
point à la tradition des affaires, ce fonctionnaire n'ac-
compagne pas les ministres dans leur retraite. Ses bu-
reaux sont organisés de façon à centraliser tous les
renseignements nécessaires à la marche du ministère *;
ils peuvent suppléer au besoin le ministre lui-même.
Les appointements des deux sous-secrétaires d'État
de la guerre sont de 2,000 et 1,500 hvres (50,000 fr.
et 37,500 fr.).
L'adjoint sous-secrétaire d'État [the Assistant Under-
Secretary of State) et le secrétaire chargé de la corres-
pondance générale touchent des appointements de
1,500 livres et de 1,000 livres (37,500 fr. et
25,000 fr.).
Le ministère de la guerre se divise en 17 bureaux
ou départements. Chacun de ces bureaiix a pour le
conduire un directeur ou autre employé supérieur res-
ponsable envers l'un des deux sous-secrétaires d'État.
Voici la nomenclature de ces bureaux :
1*' bureau : Correspondance ayant un caractère
politique ou confidentiel. — Nominations, promotions.
— Honneurs. — Décorations. — Emplacement et dis-
tribution des troupes.
2* bureau : Affaires^ correspondance et appointe-
ments relatifs à la Milice, à la Yeomanry (1), aux
(1) Yeomanry, cavalerie volontaire composée des riches habitants
de la campagne et des fermiers.
2
18 GONSTITUTlOTf ET PUISSANCE lOLlTAIBES
corps de \olontaires. — Préparation des rapports parle-
mentaires relatifs à ces objets.
y bureau : Libérations. — Désertions. — Routes.
— Logement. — Application du MuUny-Act. — Enre-
gistrement et classement des archives militaires.
4' bureau : Préparation du budget de Tarmée. —
Vérification et distribution, suivant leur affectation, des
crédits parlementaires.
5*" burea/a : Fortifications et défenses à l'intérieur et
dans les colonies. — Dépenses du génie et du caser-
nement. — Budget de ces services. — Plans et projets.
6*^ bureau : Affaires de toute nature ayant trait à
Tartillerie de campagne ou de place.
T bureau : Direction et distribution du corps niédi*
cal à l'intérieur et à l'extérieur. — Nominations et
promotions dans ce corps. — Service des hôpitaux.
8* bureau: Organisation. — Équipement et paye-
ment des pensionnaires. — Correspondance, œmptes
et affaires relatives à ce sujet.
9* bureau : Service du culte. — Afiaires concernant
les chapelains militaires à l'intérieur et à l'extérieur.
10* bureau : Surveillance des écoles et des biblio-
thèques militaires. — Affaires relatives aux établisse-
ments d'éducation. — Inventions et découvertes scien-
tifiques. — Manufactures militaires.
11* bureau : Magasins militaires. — Examen et véri-
fication des comptes de magasins. — Munitions. —
Armes. — Équipement. — Préparation des rapports
sur ces différents objets. — Habillement et fournitures
régimentaires. — Comptabilité*
DE LA PRANCE ET DE L ANGLETERRE. 19
12* bureau : Offres et propositions pour les fourni-
tures des divers services de Tarmée. — Adjudications,
correspondance relative à cet objet.
IS^ bureau: Commissariat. — Préparation du budget.
— Vérification des comptes et marchés passés par le
conunissariat. — Fournitures et approvisionnements
par le commissariat dans les colonies.
14' bureau : Préparation des comptes pour le Parle-
ment.— Enregistrement des recettes et des dépenses.
— Allocations et gQstion du service des fonds par le
commissariat dans les colonies. — Payements mili-
taires de toute nature, à l'exception de ceux qui con-
cernent les corps de troupe. — Indemnités de route.
— Appointements des employés du ministère de la
guerre. — Comptabilité de Thabillement des régi-
ments. — Vérification d© toutes les créances pour tra-
vaux de construction ou de réparation du service du
génie; pour fournitures de provisions, d'habillement,
de fourrage, de bois, etc. — Lx)cation de bâti-
ments et magasins. — Allocations en remplacement du
logement en nature.
15* bureau : Vérification de la comptabilité des corps
de troupe. — Comptes relatifs aux pensionnaires, au
corps médical , aux caisses d'épargne militaires. —
États de solde régimentaire. — Agents financiers de
l'armée {Army-^gents). — États de solde de Tétat-
major. — Correspondance à ces divers titres.
le* bureau : Affaires judiciaires. — Correspondance
judiciaire sur les matières civijes ou criminelles inté -
ressant le ministère de la guerre.
20 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
!?• bureau : Service topographique. — Reconnais-
saDces, projets, mémoires, cartes et plans.
Chacun des bureaux dont nous venons de résumer
très sommairement les attributions est sous les ordres
d'un chef supérieur dont les appointements varient de
600 à i ,500 livres (1 5,000 fr. à 37,500 fr.), et chaque
bureau se subdivise, en outre, en différentes sections
comportant plus ou moins d'employés.
Le nombre des employés (Clerks) du ministère de la
guerre était de 3(ift en 1859. Ils étaient classés (quant à
leure appointements, qui s'accroissent chaque année
d'une portion de la différence entre le maximum et le
minimum) de la manière suivante :
13 employés de 670 à 800 livres (16,750 fr. k 20,000 fr.].
33 — de 520 k 650 livres (13,000 fr. à 16,500 fr.).
80 — de 315 à 500 livres (7,875 fr. à 12,500 fr.).
218 — de 100 à 300 livres (2,500 fr. à 7,500 fr.).
3/i/i
Des employés auxiliaires sont appelés temporaire-
ment dans les bureaux lorsque l'accumulation du tra-
vail à expédier le rend nécessaire. Pour Tannée 1858,
le nombre de ces auxiliaires était de 132. Leur salaire
était de 2,750 fr.
Le service et la garde des bureaux sont confiés à
Û5 huissiers et messagers dont les gages varient de 90 à
200 livres (2,250 fr. à 5,000 fr.).
La dépense totale du ministère de la guerre, en
comprenant les gages des domestiques et les frais ac-
cessoires, s'élève à 161^000 livres (environ ft millions
de francs) par an.
DE LA FBANGE ET DE L ANGLETERRE. 21
Bureaux ou département du Commandant en chef (Office
oftheCommander-in-Chief). — La direction de TanTiée
anglaise, au point de vue du service purement mili-
taire, est confiée au général commandant en chef.
Nommé directement par la couronne, le Commandant
en chef est responsable envers le Souverain de la disci-
pline et de l'accomplissement des devoirs qui incombent
à l'armée. L'instruction des troupes, la direction, la
capacité, l'emploi des officiers-généraux et inférieurs,
l'économie intérieure et l'organisation tactique de l'ar-
mée, appartiennent à son contrôle.
Le Commandant en chef a la disposition des nomi-
nations ou commissions régimentaires; il présente au
Souverain la liste des officiers proposés pour l'avance-
ment, et d'après laquelle la promotion de ces officiers
doit être insérée au Journal officiel par les soins du
Ministre de la guerre. 11 désigne également les officiers
pour les emplois dans l'état-major ; mais, pour les
grades supérieurs, le Commandant en chef doit se con-
certer avec le Ministre (to oblain the concurrence of ihc
Secretary of State).
La désignation des officiers-généraux pour le com-
mandement en chef des corps expéditionnaires est faite
exclusivement par le Cabinet.
Le Commandant en chef décide toutes les questions
relatives aux permutations, aux retraites, en un mot à
la position des officiers. Il approuve et confirme les ju-
gements rendus par les Cours martiales ; il reçoit les
rapports des officiers-généraux ayant un commande-
ment tant à l'extérieur qu'à l'intérieur; il promulgue
22 GOIffirnTUTION et puissance mUTAIEES
les règlements relatifs à rinstruction, à rannement,
aux manœuvres, à Thabillement, enfin à tous les dé-
tails qui appartiennent à Téconomie intérieure des
Corps de troupes.
Le département du Commandant en chef porte le
nom de Horse-Guaris. Il comprend un certain nombre
de bureaux dirigés par un personnel appartenant à
Tétat-major de Tarmée :
1* Bureau du secrétaire militaire, — Ce bureau,
qui correspond à ce que l'on appelle en France le Ca-
binet du Ministre, est dirigé par le secrétaire militaire
du Horse-Guards (1). 11 se compose de 3 adjoints civils
{civil assistants) et de 2t employés. Il est chargé du
travail relatif aux nominations, promotions, permuta-
tions {eœchanges), retraites, etc.
2"* Bureau de r adjudant- général . — Il comprend
ft officiers d'état-major et 22 employés. Le bureau de
Tadjudant-général a dans ses attributions la discipline,
la promulgation des ordres, les congés et permissions
d'absence, les rapports, l'habillement, etc.
3"* Bureau du quartier-mattre général, -^ Le quar-
tier-maître général {the Quartermaster General) a sous
ses ordres 3 officiers d'état-major et 12 employés. Il a
la direction du mouvement des troupes et des quartiers
militaires. Les routes, les embarquements, les camps
(i) Le secrétaire militaire du Horse-Guards est ordinairement un
officier-général ; il en est de même du quartier-mattre général et de
Tadjudant-général. Les autres bureaux ont à leur tête des officiers
du grade de colonel.
DE Là FRANGB R DB L'AMtETEHRB. 2ft
et les itinéraires, etc., sont également dans ses attribu-
tions.
k"" Bureau du député adjudant^génércU d'artillerie.
— hdDeputy adjutant^eneral of Àrtillery àirige, avec
Taide de deux adjoints, tous les détails du service de
l'arUllerie.
5"" Bureau du député adjudant-général du génie. —
Le Deputy adjutant-general ofEngineers^ secondé par un
adjoint, remplit, pour l'arme du génie, les mêmes
fonctions que son collée du bureau de Tartillerie.
Les officiers employés au Horse-Guards^ soit comme
directeurs, soit comme adjoints, reçoivent un traite-
ment particulier, indépendamment de la solde régimen-
taire, de la demi-solde ou de la solde de disponibilité
{unattached pay)^ à laquelle leur donne droit leur posi-
tion en dehors des bureaux du Horse-Guards. Le total
de ce traitement spécial, pour tous les officiers em-
ployés dans le département du Commandant en chef,
monte annuellement à 15,262 livres (381,550 fr.).
I^s aJ)pointements des employés civils, en y compre-
nant les gages des domestiques et les dépenses acces-
soires ou éventuelles , montent à 17,389 livres
(43û,275fr.).
La dépense totale du Horse-Guards est donc de
816,275 fr. par an.
2Û CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
CHAPITRE II.
Comparaison entre les dépenses de l'administration militaire en
France .et en Angleterre. — Économie du système français. —
Imperfection du système anglais. — Double autorité qui régit
Farmée britannique. —Situation du Commandant en chef. — Si>
tuation du Ministre de la guerre. — Absolument parlant, Tarmée
anglaise n'a pas de chef. — La marche des affaires est subor-
donnée aux bonnes relations entre le Ministre et le Commandant
en chef. — Antagonisme résultant de leur autorité divisée. —
Conséquences de cette situation.— Un ministre de la guerre cttn-
lian, — Caractère distinctif des institutions militaires de la France
et de la Grande Bretagne. — Contraste entre les résultats des deux
systèmes. — Difflcultés que rencontrent les réformes militaires
dans Torganisalion politique et sociale de TAngleterre. — Néces-
sité de la concentration des deux départements du Horse-Guards
. et du War-Office. — Les partisans du Ministre de la guerre. —
Les partisans du Commandant en chef. — Résumé de la question.
Il n'est pas sans intérêt de comparer les dépenses de*
l'administration centrale de la guerre en France et en
Angleterre. Si nous récapitulons, d'une part, ce que
coûtent les établissements du Horse-Guards et du War-
Office chez nos voisins, nous trouvons les chiffres sui-
vants:
Livres. Francs.
Département du Secrétaire d*État mi-
nistre de la guerre; employés, do-
mestiques, et dépenses éventuelles
comprises 161,013:= /ï,025,32ô
Bureaux du Commandant en chef et
traitement des ofQciers d'état -
major employés 15,262 = 381,450
Employés civils, domestiques et dé-
penseséventuellesduHorse-Guards. 17,389 &= /i3A,725
Totaux 193,66A = U,W ,500
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 25
Indépendamment des appointements régimentaires
que touchent les officiers employés dans les bureaux,
l'administration centrale figure donc en Angleterre
pour près de 5 millions sur le budget général de la
guerre.
En France, le Ministre de la guerre est pris parmi
les maréchaux ou les officiers généraux ; il réunit le
commandement effectif de l'armée à ses fonctions mi-
nistérielles. L'armée française étant environ deux fois
plus forte que l'armée anglaise (1), ce n'est pas sans un
étonnement mêlé d'une satisfaction bien légitime que
Ton voit les dépenses de l'administration centrale de la
guerre atteindre à peine, en France, la moitié du chiffre
réclamé pour le même objet en Angleterre. Chez nous,
en effet, cinq cent trente employés (directeurs, chefs,
sous-chefs de bureaux et commis de différentes classes)
suflBsent pour le travail de notre immense établisse-
ment. Les officiers employés dans les bureaux ne tou-
chent pas d'autre traitement que celui affecté à leur
grade dans l'armée. Toutes les dépenses, en y compre-
nant les frais éventuels et le salaire des gens chargés de
la garde et de l'entretien des locaux, n'auront pas dé-
passé 2,268,018 francs pour Tannée 1860.
Il est vrai que l'armée française, malgré son chiffre
supérieur, n'est pas disséminée, comme l'armée an-
glaise, sur tous les points du globe ; mais, en tenant
compte de cette circonstance, il faut remarquer aussi
(1) Le chifTre des troupes de la Reine était, l*année derniëre,«de
229,000 hommes, dont 100,000 environ employés au service de
ilnde.
36 CONSTITUTION ET PUISSAN<^ MIUTAIEES
que la gendannerie, chargée de la police dans toute
rétendue de l'Empire, dépend, en France, du Ministère
de la guerre, tandis qu'en Angleterre le Ministère de la
guerre n'a dans ses attributions aucune force de cette
espèce.
Le manque d'économie qui semble régner en Angle-
terre dans l'administration supérieure militaire n'est
pas, du reste, la seule imperfection qui soit à reprocher
à cette institution. Nous avons dit que la centralisation
d'un certain nombre des anciens départements (1) dans
la main d'un ministre unique et responsable avait été,
pour nos voisins, l'un des plus heureux résultats de la
campagne de Crimée.
11 s'en faut de beaucoup, cependant, que cette cen-
tralisation soit complète. Lorsqu'on passe en revue les
attributions respectives du Horee-Guards et du War-
Office, le premier fait qui frappe tout d'abord c'est la
distinction bizarre établie chez nos voisins entre le Con-
trôle suprémp des affaires militaires et le Commande-
ment de l'armée. Habitués, sous l'empire de nos idées
françaises, à toujours voir ces deux attributions réunies
dans les mains do notre Ministre de la guerre, nous
avons peine à comprendre comment, depuis longtemps,
le Horse-Guards n'est pas devenu une simple direction
du War-Office, ou, plutôt encore, comment le War-
Office n'est pas venu se fondre dans le Horse-Guards.
C*est dans le mécanisme des institutions politiques
de la Grande-Bretagne qu'il faut chercher l'explication
(1) Ordonnance, Commissariat, etc.
DE LA FRATfGB ET DE L AN6LBTER11E. 37
de cette anomalie. Au point de vue de ces institutions,
on se tromperait fort, en effet, si Ton pensait que nos
voisins peuvent, en toute occasion, se contenter de
copier servilement ce qui se pratique sur le continent.
La première condition pour qu'une réforme quelconque
importée de l'étranger puisse être acceptée de l'autre
côté du détroit, c'est qu'elle ne blesse en rien les mœurs
et les traditions du peuple anglais; il faut avant tout
qu'eUe puisse se plier aux nécessités particulières résul-
tant de la forme de son gouvernement. Les prérogatives
de la Couronne, d'une part, les pouvoirs du Parlement,
de l'autre, sont les deux limites infranchissables entre
lesquelles doivent être circonscrites toutes les modifi-
cations, toutes les améliorations nouvelles. Toute me-
sure paraissant porter atteinte, même de la façon in
plus insignifiante, à l'inviolabilité de ces barrières,
quelle que soit, du reste, son utilité, disons même son
urgence, devient en Angleterre la cause d'une émotion
profonde, et rencontre des difficultés insurmontables.
C'est à ce titre, comme nous le verrons plus loin, que
la concentration des pouvoirs militaires dans une seule
main, soit qu elle s'effectue en faveur du Commandant
en chef, soit qu'elle ait lieu au profit du Ministre de la
guerre , est envisagée par bien des gens comme un
changement radical, comme une mesure quasi-révolu-
tionnaire.
Dans l'état actuel de l'administration centrale mili-
taire en Angleterre, les deux vices les plus saillants
sont évidemment le manque d'unité et le défaut de
simplicité résultant précisément de ce manque d'unité.
28 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
En présence de la confusion, qui se traduit jusque dans
les divisions générales que nous avons indiquées au
chapitre P', on ne se demande pas seulement si la i-a-
pidité de mouvement n'est pas interdite à une pareille
machine, mais encore si celle-ci n'est pas exposée à
enrayer à tout instant par la complication et le manque
d'harmonie de ses rouages.
Aux termes de la constitution anglaise, d'un côté, le
Commandant en chef est nommé par le Souverain, et
n'est responsable qu'envers la Couronne; de l'autre,
le Ministre de la guerre est l'homme de la Chambre
des Communes, et les pouvoirs qui lui sont délégués
le rendent entièrement responsable vis-à-vis du Parle-
ment. On comprend toutes les difficultés qui doivent
résulter d'une situation ainsi définie, et il y a long-
temps que l'Empereur Napoléon I" a dit au sujet du
commandement des armées qu'un seul général, même
médiocre, valait mieux que deux très bons. Absolu-
ment parlant, et sous l'autorité divisée qui la r^it,
l'armée anglaise n'a pas de chef. En dépit de toutes 1^
ordonnances, de tous les règlements, de tous les ordres
et de tous les contre-ordres qui vont s'accumulant
sans cesse, et au moyen desquels on tente d'éclairer
cette fausse situation, l'armée anglaise continue à se
mouvoir dans le vague et l'incertitude ; elle est con-
damnée à ignorer éternellement si le commandement
réside de fait au Horse-Guards ou au War-Office.
Que se passe-t-il, en effet, quant aux attributions
de ces deux départements? Prenons l'un des détails qui
intéressent le plus une armée : les promotions, l'avan-
DE LA FRANGE ET DE L ANGLETERRE. 39
cernent. Certes, la désignation au commandement d'une
année active, par exemple, est l'une des questions les
plus importantes qui puisse se présenter. Cette désigna*
tioii sera-t-elle confiée à V Administrateur de Tannée
ou au Commandant de l'armée? Émanera-t-elle du
War-OflBce ou bien du Horse-Guardsî D semblerait,
vu la nature des conditions à remplir, avant tout, par
le commandant d'une expédition, que Tappréciation de
son aptitude, de sa capacité, de ses talents, est tout à
fait du ressort de l'autorité exclusivement militaire.
En France, on n'aurait jamais l'idée de faire appel à
un intendant ou à un comptable militaire pour désigner
le commandant d'un corps de troupes! En Angleterre,
il en est tout autrement. C'est le Ministre de la guerre,
c'est Y Administrateur qui diceiid mission. Suivant la
théorie de MM. Peel et Herbert, le Ministre choisit les
oflSciers généraux auxquels des commandements doi-
vent être confiés, et sa seule obligation vis-à-vis le
Commandant en chef de l'armée est de l'informer de
ses choix (1).
Pour les emplois d'officier supérieur, le Commandant
en chef ne peut faire de propositions qu'avec le con-
cours du Ministre de la guerre {to obtain the concurrence
ofthe Secretary of State) -^ il faut que celui-ci approuve
ses désignations pour qu'elles puissent devenir r^u-
lières et définitives. Le droit d'approuver impliquant
nécessairement la faculté de désapprouver, on com -
(i) La désignation du Commandant de i*expédilion de la Chine a
ôlé faîte dans ces conditions, ainsi qu1l résulte d*explications de-
mandées à la Chambre des Communes.
30 CONSTITUTION ET PUISSANCE HILITAIRBS
prend à quoi peut se trouver réduite l'initiative du
pouvoir purement militaire. Investi d'une autorité et
de droits aussi limités, le Ck)mmandant en chef n'est
que nominalement le Chef de l'armée.
Maintenant, cette autorite suprême et incontestée,
sans laquelle une armée ne peut marcher qu'à l'aven-
ture, est-ce au Ministre de la guerre qu'elle est dé-
volue î Pas davant^e 1 Les pouvoirs de ce fonctionnaire,
dans le système militaire anglais, sont seulement res-
trictifs. Il peut an-êter, entraver l'initiative du Com-
mandant en chef, mais il ne peut y substituer la sienne.
Il ne doit pas s'immiscer dans le détail du commande-
ment des troupes. Il doit agir de concert avec le Com-
mandant en chef, et d'après les avis que celui-ci (res-
ponsable seulement envers la Couronne).,., damnera
lui donner.
n est évident qu'une pareille situation ne doit engen-
drer que comphcation, lenteur et confusion. Pour
qu'une impulsion sérieuse fût imprimée aux aflaires
militaires par le War-Office, il faudrait que cette posi-
tion de conseiller en titre du Commandant en chef fût
réglée, vis-à-vis du Ministre, comme celle de l'Adju-
dant-général, que nous examinerons plus loin, est ré-
glée vis-à-vis du Commandant en chef lui-même. Il
faudrait, en un mot, que le Commandant en chef fût
subordonné au Ministre. Or, les choses sont bien loin
d'être réglées de cette façon. Par son rang élevé, qui
le place le plus souvent sur les marches du trône; par
la nature de ses pouvoirs, qu'il tient constitutionnelle-
ment de la Couronne, et qui, à moins de cas excep-
DE LA FBAlfCE ET DE l' ANGLETERRE. SI
tionneb improbables, ne le rendent responsable qu'en-
vers la Couronne (1) , le Commandant en chef échappe
entièrement à l'action du Ministre, et l'on ne saurait
guère concevoir qu'il puisse en être autrement. Le
Ministre ne peut donc exiger du commandement les
lumières dont il a besoin; il n'a d'autres renseigne-
ments pour s'éclairer que ceux qu'on veut bien lui don-
ner; il peut empêcher une chose ou en entraver une
autre, il n'a l'initiative d'aucune. Bref, pas plus qu'au
Horse-Guards, il ne faut chercher au War-Office le
Chef de l'armée anglaise, car la faculté de défendre
ne peut impliquer l'idée du commandement dans Vac-
oeption militaire du terme, que quand elle est réunie
au droit d'ordonner.
L'armée anglaise, ainsi que nous le disions plus
haut, est donc virtuellement sans chef.
Sans doute, le bon sens pratique de nos voisins ne
leur fait pas défaut pour diminuer autant que possible
les inconvénients du système vicieux que nous venons
d'analyser. Afin d'éviter les conflits, afin de mettre un
terme à des correspondances laborieuses et souvent
d'un carantère peu agréable, le Ministre de la guerre,
le Commandant en chef, TAdjudant-général, le Quar*
tier-^mattre-général (2) et les sous-Secrétaires d'État se
(1) Ces circonstances improbables qui peuvent obliger le Comman-
dant en chef à rendre compte de sa conduite devant le Parlemeni,
si elles sont fort ra^es, ne sont pourtant pas sans exemple. — \.v
duc d'York, prince du sang, comme le Commandant en chef actuel,
à Toccasion des tripotages de sa maîtresse (mistress Clarke) dans des
affaires de nominations et d'avancement, dut résigner son ofûce.
(2) On trouvera plus loin les attributions de ces fonctionnaires*
«^2 ' CONSTITUTION ET PUISSANCE BOLITAIRES
réunissent fréquemment en une sorte de comité où
sont traitées, vivà voce^ les affaires de nature à soule-
ver des difficultés. Toutefois, ce palliatif doit remédier
très imparfaitement à ce qu'ont de mal défini et de
contradictoire les pouvoirs du War-Office et du Horse-
Guards. Rien ne fixe d'une manière précise les affaires
à porter devant cette réunion ; rien ne détermine les
questions dont le Ministre et le Commandant en chef
pourront se réserver exclusivement la solution. Enfin,
autour de la table de ce conseil, il reste toujours en
présence deux autorités, dont Tune est responsable
pour toutes les affaires militaires vis-à-vis du Parle-
ment, dont l'autre, indépendante de fait de la prcr
mière, n'est l'esponsable que vis-à-vis la Couronne,
c'est-à-dire, suivant l'esprit de la constitution anglaise,
n'est en réalité aucunement responsable-
Grâce à la double autorité qui les r^it, la marche
des affaires de la guerre, de l'autre côté du détroit, est
complètement dépendante de la similitude d'opinion
des deux chefs qui les dirigent; elle est subordonnée à
leur courtoisie, aux relations plus ou moins amicales
qui peuvent exister entre eux. L'antagonisme fatal qui
résulte nécessairement de cette autorité divisée peut
sommeiller; il peut, en temps ordinaire, ne produire
que des lenteurs préjudiciables; mais, en cas de conflit
sérieux, il peut aussi se réveiller tout à coup de la façon
la plus dangereuse. Qu'une pareille situation vienne à
se déclarer au moment où l'Angleterre aura une guerre
à soutenir, et l'on peut affirmer à l'avance que les con-
séquences en seront incalculables.
DE LA FRANGE ET DE L* ANGLETERRE. d3
Daiis Pexamen auquel nous nous sommes livré jus-
qu'ici, nous avons fait abstraction des personnes, nous
avons supposé qu'aucune des qualités éminentes récla-
mées dans les hautes positions de Commandant en chef
et de Ministre de la guerre ne faisait défaut aux fonc-
tionnaires en exercice. Il est pourtant un point sur le-
quel nous ne pouvons nous dispenser d'insister : si,
dans les régions supérieures de l'administration de l'ar-
mée anglaise, l'expérience et les talents spéciaux sont
ordinairement le partage de l'élément purement mili-
taire; si le Commandant en chef est à la hauteur de
ses obligations, il peut arriver, au contraire, que le
Ministre n'ait jamais été militaire, qu'il n'ait pas même
commandé une simple compagnie. En France, la dési-
gnation d'un Ministre de la guerre complètement étran-
ger à l'armée, d'un civilian^ comme diraient nos voi-
sins, paraîtrait une énormité. En Angleterre, il en est
autrement. Les fréquents changements de Cabinet, les
exigences des partis qui divisent le Parlement, la né-
cessité de ne pas sortir de certaines combinaisons de
personnes imposées par la politique du moment, dé-
terminent parfois des choix aussi illogiques, et l'on voit
des Ministres de la guerre qui n'ont jamais endossé un
uniforme de leur vie.
On trouverait fort extraordinaire certainement qu'un
militaire fût choisi pour remplacer un évoque ou un
ministre de la justice; cependant, à tout prendre, avec
un sens droit, avec les idées générales que peut avoir
sur la religion et la législation de son pays l'homme qui
a reçu une éducation libérale, un militaire, aidé d'un
3
3& CONSTlTtTMHI ET PUIflSAMCB lOUTÂIKBS
clergé éclairé ou d'une magistrature iatètgre, pourrait
encore ne pas être impossible dans ces positions. Mais»
il est bien permis de le demander» qu^es garanties
peut offirir à la tète d'une armée un ministre qui n'a ja^
mais été militaire? Si gi-and que soit son mérite^ si
juste que soit son esprit» si étendues que soient ses con-
naissances» quelle direction raisonnable pourra-t-il im-
primer à des affaires dont le détail est infini et pour
lesquelles» la plupart du temps» les qualités lea j^us
éminentes ne sauraient tenir lieu de l'expérience pra-
tique.
Telles sont pourtant les étranges conséquenoes du
système politique de la Grande-Bretagne» que teGoin-
mandant en chef de l'armée» fût-il le capitaine le plus
distingué de sou temps» fût-il un Napoléon» un Ikbrlbo*
rough» un Wellington» peut être exposé à voir ses opi*
nions et son influence en matières militaires non-ae«i*
lement combattues» mais absolument annihilées par
un Ministre de la guerre dont tout le mérite aura été
d'appartenir, à point nommé» au parti wigh ou «ii
parti tory«
On objectera sans doute qu'en Angleterre» pas plus
qu'ailleurs» il n'y a obligation de prendre un Myiistre
de la guerre en dehors de l'armée; ou dira qu'a m
manque pas à la Chambre des Communes de généraux
auxquels on peut s'adresser pour rempUr cet ùI&m.
Peut-être est-ce le moment de préswter» dès le début
de cette Étude» certaines considérations générales ipii
noanseulement répondront à ces objections» mais ea-
core sont de nature à Jeter quelque lumière sur les vé-
DE LA PEANCE ET DE L ANGLETERRE. 85
ritables conditions militaires de la Grande-Bretagne;
Nos voisins le reconnaissent eux-mêmes, le peuple
anglais, malgré tout Fhéroïsme qu'il sait déployer au
besoin, n'est pas une nation militaire. Ses aspirations
ne sont pas guerrières. Que le développement de la
prospérité et de la richesse soit la cause ou le résultat
de cette disposition de l'esprit public, il est incontes-
table que; de l'autre côté de la Manche, toute l'acti-
vité, toutes les forces intellectuelles sont dirigées vers le
commerce, l'industrie, les luttes parlementaires, et
peu ou point vers le métier des armes.
Or, M. de Tocqueville Ta dit quelque part : « Quand
Tesprit militaire abandonne une nation, la carrière
des armes cesse d'être honorée, et ceux qui la suivent
arrivent à tomber bientôt au dernier rang des fonction-
naires. » Us sont moins appréciés, moins estimés,
parce que les hommes de talent n'entrent plus dans
l'armée, mais ceux-là seulement qui ne se sentent pas
la force de soutenir la concurrence dans les aub*es car-
rières, •*- c'est-à-dire les hommes médiocres ou sans
valeur. L'armée se trouve dès lors enfermée dans un
cercle fatal qu'elle ne peut plus franchir; elle perd la
conûdération publique, parce que les gens d'élite lui
font défaut, et les intelligences supérieures vont de
plus en plus s'éloignant d'elle à leur tour, parce qu'elles
savent ne pouvoir plus y rencontrer cette même consi-
dération dont elles ont soif.
Dus une situation ainsi définie, une armée cesse
bientôt détre en rapport avec le reste du pays ; — son
niveau s'abaisse au-deasous du niveau intellectuel de la
36 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
uation. Telle est, suivant uous, la condition présente
de l'armée anglaise.
Certes, nous sommes bien loin de prétendre que
cette armée n'ait pas, comme toutes les autres, ses
illustrations dont elle a droit d'être fière. Les Bur-
goyne, les Howard Douglas, les Slrafford, les Comber-
mere, les Campbell et bien d'autres encore que nous
pourrions citer seraient, dans tous les pays du monde,
l'honneur de la profession militaire ; mais ces brillantes
individualités n'altèrent en rien notre proposition. Si
l'aristocratie de naissance et l'aristocratie de fortune
ont leur place marquée à la tête de l'armée britan-
nique, il faut bien reconnaître que l'aristocratie de
talent cherche d'autres débouchés; en outre, par le
fait même de sa constitution, ainsi que nous l'avons
expliqué ailleurs, cette armée ferme complètement ses
rangs à tous les hommes distingués, à toutes les intel-
ligences hors ligne que la classe moyenne pourrait lui
apporter.
De tout cela, il résulte que l'Angleterre ne choisit
d'ordinaire ni ses ministres, ni ses diplomates, ni ses
ambassadeurs parmi ses généraux. Chez nos voisins,
pour être Secrétaire d'État d'un département quel-
conque, il faut avant tout être orateur et homme poli-
tique. Les luttes parlementaires, le soin de défendre
une position sans cesse attaquée, sans cesse battue en
brèche, absorbe le meilleur et le plus clair du temps
d'un Ministre anglais; le reste (s il y en a) est donné
aux affaires de son département. Les militaires qui oc-
cupent un siège à la Chambre haute ou à la Chambre
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 37
des Communes sont loin d'y tenir la place de nos géné-
raux français dans nos assemblées. Beaucoup plus ha-
biles (et ce n'est pas un reproche que nous leur faisons)
à défendre un retranchement qu'à repousser un assaut
parlementaire, les généraux anglais n'apporteraient,
dans ce dernier cas, qu'un concours assez maigre à un
ministère; aussi les voyons-nous figurer fort rarement
dans les Cabinets qui se succèdent, et c'est un civilian
qui se trouve appelé le plus souvent à présider, Dieu
sait comme! aux destinées de l'armée britannique.
Nous avons déjà dit un mot des lenteurs résultant ^n
Angleterre de l'autorité divisée et du système compli-
qué qui gouvernent les affaires militaires. Il est inté-
ressant de comparer à cet égard ce qui se pîisse chez
nos voisins avec ce qui se pratique en Frana\ Lors-
qu'on étudie les institutions militaires de la France, ce
qui frappe l'esprit tout d'abord, c'est la simplicité» et la
perfection de leur mécanisme. I^s règlements sont
clairs, précis, et toujours en harmonie les uns avec les
autres. On sent qu'ils ont été élaborés avec soin, dans le
calme des situations raffermies, en dehors de toute
pression du moment et de toute influence étrangère au
bien du service; aussi offrent-ils des garanties de stabi-
lité qui les mettent à l'abri de ces changements conti-
nuels dont nos voisins nous donnent le triste exemple
et qui sont le plus grand olistacle à toute fondation du-
rable. Cette supériorité incontestable du système fran-
çais tient évidemment à la concentration de l'autorité
militaire dans une seule main, à la centralisation de
Faction dirigeante dans un seul et unic{ue département.
58 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITÀIBBS
Affranchi de ces luttes stériles dans lesquelles le Secré-
taire d'État du War-Office dépense l'activité, les ta-
lents, les ressources qu'il emploierait bien plus utile-
ment à la conduite de ses bureaux, le Ministre, en
France, n'est point obligé de tout subordonner aux
exigences de la politique. Il conserve toute son initia-
tive; il n est pas réduit, comme en Angleterre, à se
traîner sans cesse à la remorque des commissions d'en-
quête. Une amélioration quelconque appelle-t-elle
l'examen? Immédiatement des officiers instruits, expé-
rimentés, sont chargés de l'étudier et de la discuter.
Leur travail se poursuit sans relâche; leur rapport est
fourni sans délai. Le Ministre examine à son tour, ap-
prouve ou rejette sans qu'il y ait de temps perdu.
Chez nos voisins, tout marche avec une lenteur sans
égale. Les obstacles aux améliorations les plus urgentes
semblent naître à chaque pas. Quand l'opinion pu-
blique vient à se prononcer trop vivement sur la né-
cessité d'une réforme, la tactique ordinaire, chez nos
voisins, est de l'apaiser, de lui faire prendre patience
par la nomination d'une commission d'enquête. En
France, ces sortes de commissions servent à étudier les
questions nouvelles, à résoudre les problèmes nou-
veaux. En Angleterre, les commissions d'enquête con-
sacrent ou plutôt perdent leur temps à examiner des
faits que tout le monde connaît, à discuter des ques-
tions déjà cent fois jugées.
Veut-on savoir maintenant comment procèdent ces
commissions? Nous supposons que le Parlement s'est
décidé à désigner ceux de ses membres qui doivent
DB LA FmANCI R DB l'aMUTBII. 80
bâte ptrtie de Tuna d'elles : l'enquAte oommenœ à
marcher; la diacuasion suit son coura; Taffaire est élu-
cidée; le rapport va paraître Soudain, un change-
ment de Ministère a lieu, ou bien le Parlement eat di»*
aotts, et tout se trouve remis en question. Pendant un
certain temps, le pays est en fermentation, à cause des
tiectîona; toutes les affaires sont suspendues. Les se-
mainea s'écoulent, et il faut attendre, pour revenir à
l'enquête, que la Chambre soit reconstituée. Ce mo-
ment arrive enfin ; mais, nouvelle difficulté, plusieurs
des anciens commissaires ont perdu leur siège à la
Chambre. Il est nécessaire d'en nommer de nouveaux,
et il faut attendre qu'ils se soient mis au courant de la
question. Enfin ce nouveau délai a son terme : la com*
mission a repris ses séances; encore une semaine ou
deux, et tout permet d'espérer que son rapport va pa-
rattre L'automne arrive : le Parlement prend ses
vacances, les commissaires s'en vont, qui aux bains de
mer, qui dans leurs terres ou sur le continent, et en*
quête, réforme ou améliorations sont remises à la gr&ce
de Dieu.
Ce qui se passe au Parlement se répète sous une
autre forme dans les bureaux de la guerre. Qu'on s'i*
magine un moment le War^Offlce recevant 350,000 let-
tres dans l'année, près de 1,000 par jour! dont une
bonne partie, grâce à la complication et à la confusion
qui régnant dans les attributions des deux départements,
lui vient précisément de son voisin le Horse-Guards (1).
(1) Pall Mail et Saint-James's Parle, emplacements respectifs du
ko CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
D'enregistrement en minute, de minute en expédition,
d'expédition en approbation, etc., la moindre affiiire
met dix jours avant de recevoir une solution. Bien
heureux encore sont ceux qu'elle concerne lorsque le
bureau qui devait en connaître est bien celui qui en est
saisi tout d'abord !
Souvent, en effet, il arrive que, pour la même
affaire, un bureau accorde, tandis qu'un autre refuse.
Et puis, c'est un employé qui signe aujourd'hui, de-
main c'est un autre, le surlendemain un troisième.
Enfin, pour mettre le comble à toutes ces difficultés,
c'est le War-Office et le Horse-Guards qui, pour cette
même affaire, se trouvent adopter un point de vue
complètement différent.
Si du domaine des considérations générales nous
passons pour un moment dans celui des faits, quelle
confirmation ne trouvons-nous pas de toutes les imper-
fections qui viennent d'être signalées dans l'adminis-
tration militaire de nos voisins! Chacun a pu apprécier
avec quelle rapidité incroyable, avec quel ordre mer-
veilleux la France a su marcher au secours du Piémont.
Prise au dépourvu par le mouvement offensif des Au-
trichiens, encore sur son pied de paix, dans un mo-
ment où tout permettait d'espérer une solution paci-
fique de la question italienne, il ne lui a fallu cependant
que quelques jours pour lancer de l'autre côté des
Alpes une magnifique armée de 200,000 hommes.
War-Offlce et du Hopse-Guards, ne sont pas éloignés Tiin de l'autre
d'une portée de fusil.
DE LA FRANGE ET DE l'aNGLETERHE. Al
Plus récemment, et bien que sur une plus petite
échelle, elle a renouvelé les mêmes prodiges quand il
s'est agi de l'expédition de la Chine. Que Ton compare
maintenant ce qui s'est passé en France dans ces deux
circonstances avec les lenteurs interminables qui signa-
lèrent l'envoi de la première expédition d'outre-Manche
contre Canton ! Les doléances de la presse anglaise à ce
sujet sont encore présentes à tous les esprits; mais ce
qu'on n'a jamais su qu'à Wolwich et dans quelques
autres établissements militaires de la Grande-Bretagne,
ce sont les efforts inouïs, les labeurs surhumains que
cette petite expédition a exigés.
Ënumérer tous les livres bleus (1), toutes les en-
quêtes, tous les mémoires, tous les rapports auxquels
donne lieu, chez nos voisins, l'administration défec-
tueuse des affaires militaires; compter tous les règle-
ments, toutes les ordonnances, tous les ordres, tous les
contre-ordres qui en résultent, serait un travail impos-
sible. Un étranger qui voudrait connaître l'armée an-
glaise en compulsant ce monceau de documents entre-
prendrait une tâche aussi fastidieuse qu'inutile.
L'obscurité, le vague, les contradictions l'arrêteraient à
chaque pas; il arriverait bien vite à cette conclusion,
qui est celle de tous les militaires distingués de l'autre
côté du détroit, c'est que la première réforme à intro-
duire dans l'administration de la guerre, c'est la sup-
pression ou du moins la diminution de cette immense
(1) Les rapports des commissions parlementaires ont une cou-
verlure bleue, ce qui les fait désigner, en Angleterre, sous le nom
de bitte hooks.
AS GÔmTITUTION ET FDiaSANGE MIUTÀIEBS
fabrique d'éoritures inutiles. L'actioo <lirigeaDt6 ne
pourra s'exercer sur Varmée anglaise d'uue manière
effective et logique que le jour où l'on aura balayé
toute la partie exclusivement paperassière de cette ad-
ministration.
Nous avons exposé, sans en rien dissimuler, oooune
aussi sans rien exagérer, les défauts du système mili*
taire de F Angleterre. Nous avons été simplement Téobo
fidèle de tout ce qui se dit et de tout ce qui s'écrit, chez
nos voisins, depuis les grandes épreuves de la Crimée
et de rinde. L'opinion unanime est qu'une pareille
situation met le pays en péril, et qu'elle ne peut se pro-
longer; elle explique ces paniques indescriptibles qui
se déclarent à tout instant en Angleterre, au profond
étonnement du reste de l'Europe. Maintenant, quels
moyens emploiera-t-on pour sortir de cet état transi-
toire? Il serait fort difficile de l'indiquer à l'avance-
Dans la question du commandement suprême de l'ar-
mée, comme dans bien d'autres questions, ainsi que
nous le reconnaîtrons dans le cours de ces Études (1),
les habitudes, les mœurs, le respect des traditions ren*
dent la solution fort difficile. Le mécanisme des insti-
tutions politiques et l'organisation sociale de la nation
anglaise sont en opposition constante avec les réformes
militaires les plus urgentes, et soulèvent à chaque pas
des obstacles qui paraissent insurmontables.
Relativement à l'autorité divisée qui régit actuelle-
ment l'armée anglaise, les réformistes se partagent na-
(1) Nousvoulonsparlerdu recrutement, de rachat des grades» etc.
DI LK FRANGE BT DE L*ANGLETBmB. AS
tureUement en deux camps : d'un c6té, les partisane;
du Commandant en chef et de Tautonté royale; de
l'autre, ceux du Ministre de la guerre et de la Chambre
des Communes. De part et d'autre la lutte est animée,
et les arguments produits sont sérieux.
Au Horse-Guards, on signale hautement la tendance
qui se manifeste à subordonner le Commandant en chef
au Ministre de la guerre, comme un attentat contre
l'autorité royale. Cette tendance, la Chambre desCom-
munes la pourtant consacrée, en quelque sorte, dans
une de ses séances, bien qu'à une majorité insigni-
fiante (1). Les partisans du Commandant en chef voient
pour l'avenir un sérieux danger dans le débat dont le
capitaine Vivian a donné le premier signal. A leur avis,
de pareilles discussions sont des plus périlleuses pour
les institutions constitutionnelles ; elles exposent celles-ci
à être bouleversées tout aussi bien par les empiéte-
ments de la démocratie que par ceux de la Couronne.
Jusqu'ici, dans toutes les luttes qui ont eu lieu sur ce
terrain, on doit reconnaître que la première a grande-
ment pris l'avance sur la seconde. D'années en années
le Souverain s'est vu dépouiller de ses prérogatives les
plus réelles ; il arrivera bientôt en Angleterre, si l'on
n'y prend garde, à être complètement annihilé. Les
.1) La motion d'un membre du Parlement, le capitaine Vivian,
ayant pour objet la nomination d'une commission chargée d'exami*
ner ropporlunité de la concentration de tous les pouvoirs militaires
dans les mains du Ministre de la guerre, a été adoptée k la magorité
d^une voix. — Depuis, le capitaine Vivian n'a pas étô réélu à la
Chambre des Communes.
A& antSTiTOTimi et puissance militaires
envahissements de la Chambre desG)mmunes, au^con-
traire, ont été constants; elle ne se borne plus à son
rôle de pouvoir législatif» elle tend chaque jour davan-
tage à devenir en même temps pouvoir exécutif.
Est-ce en présence d'une pareille situation, lorsque
l'influence de la Chambreni^ Lords comme pouvoir
restrictif {resisting body) \a sans cesse s'aflFaiblissant,
lorsque la Chambre des Communes, sous le coup de la
réforme, peut se trouver reconstituée d'im instant a
Faulre sur des bases nouvelles, et ouverte aux plus
humbles artisans; — est-ce quand l'autorité royale de-
vient chaque jour plus limitée, plus menacée; est-ce
le moment de renverser le dernier boulevard qui la
protège encore, en privant le Souverain ou son délégué
du commandement de l'armée? L'Angleterre est-elle
donc une République, et n'existe-t-il plus ni respect,
ni affection pour la Royauté?
Sous le régime actuel, ajoutent les partisans du Com-
mandant en chef, la surveillance et l'action qui appar-
tiennent à la Chambre des Communes sur les affaires
militaires ne sont-elles pas suffisamment exercées au
moyen du pouvoir dont jouit le Parlement relativement
aux crédits? La Chambre n'a-t-elle pas le droit de dis-
cuter* tous les chapitres du budget? Une fois les fonds
votés, à l'autorité militaire seulement doit appartenir
celui d'en diriger remploi. N'est-il pas préférable de
choisir pour une pareille tâche le pouvoir qui exerce,
en réalité, le commandement direct; celui que sa posi-
tion met à la fois à l'abri des exigences de la politique
et des renversements de Cabinet?
DE LA FRANGE ET DE L* ANGLETERRE. &5
La surveillance, dit-on encore au Horse-Guards,
n'est pas le contrôle absolu, encore moins la direction
suprême. Donner cette dernière au Ministre en ce qui
regarde Tarmée, c'est introduire un changement radi-
cal dans le gouvernement. C'est une question de ce
genre qui décida Charles I" à dissoudre le croupion (1).
H préféra la guerre civile à un sceptre devenu pure-
ment nominal, et chacun sait quels furent les résultats
de cette décision. Les vrais amis de la Royauté doivent
méditer cette leçon du passé. Le présent ne doit pas
compromettre l'avenir, et il ne faut jamais regarder
comme impossible ce qui n'est qu'improbable.
Tant que la Couronne d'Angleterre restera en pos-
session du Commandement effectif de l'armée, le Sou-
verain conservera une autorité réelle et respectée. Ije
jour où cette prérogative lui sera arrachée, son der-
nier prestige tombera avec elle.
A l'objection que, pour la marine, la Couronne a
bien consenti, sans qu'il en soit rien résulté de fâcheux,
à la mesure réclamée aujourd'hui pour l'armée, les
partisans du Horse-Guards répondent avec beaucoup
de justesse, suivant nous, que les deux cas sont fort
différents. Une flotte n'est pas un instrument politique
dont on puisse user pour aider un mouvement popu-
laire ; on sait, au contraire, tout ce que peut l'armée
en pareil cas. D'ailleurs, constitutionnellement, le Sou-
verain peut aujourd'hui encore nommer'un lordGrand-
(1) The Rump Parlement, le Parlement croupion (voir VHîstoire
des révolutions d'Angleterre).
46 GONSTlTUnOlf BT PU18SANGB MILITAIRES
Amiral qui serait, le cas échéaut, pour les forces de
mer, ce que le Commandant en chef est pour les forces
de terre.
Quant aux excellents résultats de la centralisation
militaire à Tétranger, où le Ministre de la guerre est le
seul chef de l'armée^ et que l'on invoque comme un
exemple à suivre, les défenseurs du Commandant en
chef répondent (ce qui est vrai, sans être plus heureux
pour l'armée anglaise) que le système militaire de la
Grande-Bretagne ne peut pas plus ressembler à ceux
des puissances du continent que ses institutions poli-
tiques ne ressemblent elles-mêmes à celles de ces puis-
sances. En France, par exemple, le Ministre de la
guerre est nommé par le Souverain, qui, virtuelle-
ment, n'en conserve pas moins son autorité complète
sur l'armée. Ensuite, en France, le Ministre de la
guerre est toujours un général habile, expérimenté,
qui peut être à la fois l'administrateur et le chef su-
prême de Farmée; tandis qu'en Angleterre lecm/ûm,
que les manœuvres parlementaires amènent parfois
au WarOffice, n'a souvent aucune expérience des de»
voirs du commandement.
Nous n'aurions présenté qu'un côté du débat, dont
Tarmée britannique est l'enjeu, si nous n'examinions
pas, à leur tour, les ai^uments produits en faveur du
War-Office* De ce côté nous pourrons être plus court.
Le plaidoyer est plus serré sans être moins ardent. Les
partisans du Ministre de la guerre se renferment dans
le dilemme suivant, dont on ne peut contester la valeur :
si le Secrétaice d'Ëtat de la guerre est responsable' vis-
DB lA ntAnCB ST M L'At^UKTfiMtfi. &7
à-vis du Purlemeiit «l de la nmtion pour la omduîte des
opérations et la bonne direotioo des affaires militaires^
ce qui est confonde à l'esprit et à la lettre de la coosti-
tutîon » il doit avoir évidemment autorité pleine et en*
tière sur les personnes comme sur les choses de son
d^rtement. DèsTinstantoù Ton admet une autorité
militaire indépendante de celle du Ministre de la
guerre ;<^ dès l'instant où roe aocepte l'existence d'un
chef militaire qui ne sera pas responsible envers lui
pour tous ses actes^ et qui pourra s'aflSranchir, dans
ime mesure (pielconque» de la suboniinatîon générale^
et de la déférence aux mesures émanant de la sphèn*
mifiîsténelle; il Suit absolument exonérer le Ministre
de kt responsabilité que la constitution lui impose.
Que deviendra ta prérogative royale avec un Ministre
de la guerre idief unique et suprême de l'armée? de-
mande-t-oo au Horse-Guards. — Que deviendront les
iiistitutioiis et les libertés constitutionnelles avec uii
Gonmaudant en chef indépendant et un Ministre non
responsable? répond-mi au WarOffice.
he graves autorités» M. Sydney Herbert (1) entre
autres, n'hésitent pas à déclarer que le Commandant
ea chef doit être absolument subordonné au Ministre.
Accepter la bonne entente entre ces deux hauts fonc-
tionnaires pour seule garantie de la marche des affaires
serait par trop imprudent et absurde, si peu que l'on
soqge aux désastreuses conséquences que le désaccoid
(i) M. Herbert est le Seciélaire d*ÊUt sCtseHemeat h la tète du
War-COoeriuniiSO.)
68 CONSTITUTION KT PUISSANCE MILITAIRES
de ces deux hommes pourrait entraîner pour le salut
du pays... Il serait ridicule de compromettre ce salut
par un respect exagéré pour de vieilles traditions, fus-
sent-elles encore mille fois plus anciennes... Les gens
sérieux ne peuvent avoir aucun désir de voir ces tradi-
tions, qui, en réalité, ne comportent rien de bien sub-
stantiel quant aux prérogatives de la Couronne compa-
rées avec l'autorité indispensable du Parlement, con-
server cependant assez d'influence pour entraver des
réformes aussi utiles, aussi urgentes que celles récla*
mées par Tadrainistration militaire de la Grande-Bre-
tagne.
Nous n'ajouterons rien à l'esquisse, nous pourrions
presque dire au tableau que nous venons de présenter
du système militaire de la Grande-Bretagne en ce qui
touche à la délicate question du Commandement de
Tarmée; nous croyons n'avoir omis aucun trait impor-
tant. Nous nous sommes étudié à ne point charger les
couleurs. Nul, dit-on, n'est prophète dans son pays,
mais bien moins encore. le serait, très probablement,
en Angleterre, celui qui chercherait à pressentir, dès
aujourd'hui, la façon dont nos voisins sortiront de
r impasse où ils sont acculés. Pour notre compte, nous
déclinerons tout essai à cet égard. A notre avis, si
grandes que soient les imperfections du r^ime actuel,
et si vaines que soient condamnées k rester toutes les
tentatives de réforme et d'amélioration, aussi long-
temps que cet état persistera, il nous est impossible
d'en prévoir le terme. C'est de la tête à la base que
léditîce doit être remanié: or, les difficultés qui s'op-
DE LA FRANCE ET DE l'aNGLETERRE. &9
posent à cette entreprise sont tellement grandes, elles
touchent à des intérêts si considérables, elles ont leur
si^ dans des parties si vitales de l'organisation poli-
tique et sociale du peuple anglais, que, pour bien long-
temps encore^ l'armée anglaise doit se résigner à les
voir peser de tout leur poids sur ses destinées.
50 CONSTITUTION 8T PUISfiANGB ||ILlTAIB]i6
CHAPITRE III.
Rangs et grades dans Farmée britannique.*^ Les ofScters généraux,
leur cadre, leur position.— Du grade de Général d'armée dan&
Tarmée anglaise. — Lacune dans la hiérarchie française. — Dis-
proportion entre le nombre des officiers-généraux et Peffectif de
l'armée britannique. — Organisation de TËtat-major anglais* —
Elle diffère de celle des États-majors du continent.— École d*ÉUt-
major de Sandhurst. — Tableau des emplois d'État-major dans
Tarmée anglaise. — Du chef d'État-major. — De radjudant-géné-
rai. — Du quartier-mailre général. — Du major de brigade. —
État-major de fonctions et État-major personnel. — Secrétaires
militaires et aidesnle-camp. — État-major des places. — Prévôts-
Maréchaux. — Cadre général de Tétat-major anglais.
La hiérarchie des officiers exerçant le commande-
ment, et chargés de maintenir ia discipline dans l'ar-
mée anglaise, diffère quelque peu de celle des armées
continentales. Les membres qui ia composent peuvent
être classés dans les quatre cat^ories suivantes :
1** Officiers-généraux [gênerai ofjicers)\
2** Officiers d'état-major {staff officers)]
â** Officiers régimentaires {regimental officersy^
4** Sous-officiers {non-commissioned officers).
Officiers-généraux.
Cette classe comprend les généraux, les lieutenants-
généraux et les majors-généraux.
Le rang de brigadier-général, dans certaines circon-
stances, est conféré à des colonels placés à la tête d'une
brigade en campagne, ou exerçant quelque fonction
DB LA FRAlfCB ET DE L ANGLETERRE. 51
d*un ordre supérieur. Ce rang, toutefois, est seulement
local et temporaire.
Le rang le plus élevé dans l'armée britannique est
celui de Feld-Maréchal(Fie/rf-iWarjAa/). A proprement
parler, on ne pQut pas le considérer comme un grade
militaire ; comme en France, c'est plufaM une dignité
éminente conférée aux princes du sang, ou à des o£S-
ciers-généraux qui ont rendu des services exception-
Le grade de major*général correspond au grade de
général de brigade dans l'armée française, et celui de
lieutenant-général à celui de général de division. La
hiérarchie anglaise présente, en outre, un grade injter-
niédiaire, celui de général, entre le commandant de
division et le feld-maréchal. L'absence de ce grade
intermédiaire est une lacune dans la hiérarchie fran-
çaise, et peut-être ne serait-il pas sans avantage d'imi-
ter, sous ce rapport, nos voisins d'outre-Manche. En
effet, il arrive souvent, vu le nombre très restreint des
Maréchaux de France, qu'un corps d'armée doit être
commandé par un général de division. Dans cette posi-
tion, ce général se trouve avoir quelquefois sous ses
ordres des collègues plus anciens, ce qui constitue une
dérogation au principe fondamental sur lequel repose
le droit au commandement à égalité de grade. Cette
anomalie» dont on comprend la nécessité dans certains
cas, disparaîtrait tout naturellement si la hiérarchie
française admettait (ainsi que cela a lieu chez la plu-
part des puissances étrangères) le grade de Général
d'armé^^ intermédiaire entre la dignité de Maréchal de
52 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
France et la position de simple général divisionnaire.
En temps de guerre, les armées anglaises sont donc
commandées par les généraux, les divisions par les
lieutenants-généraux, et les brigades par les majors-
généraux. Les oflBiciers-géuéraux reçoivent à l'intérieur
le commandement des districts militaires (divisions
territoriales), des camps d'instruction, des places fortes
de premier ordre, etc. , etc. Dans ces diverses positions,
ils sont responsables de la discipline des troupes placées
sous leurs ordres, et de l'exécution du service et des
règlements. Us répondent de la sécurité des postes qui
leur sont confiés. Us correspondent directement avec
le Çpmmandant en chef, et doivent se tenir au courant
de tous les détails relatifs à la topographie, aux res-
sources et à l'organisation locale de leurs commande-
ments. Ils inspectent les troupes, et fournissent tous
les six mois des rapports confidentiels sur Taptitude et
la capacité des chefs de corps et des oflBiciers r^imen-
taires, sur l'état de la discipline, sur l'économie inté-
rieure et la condition générale de chaque corps placé
dans la circonscription de leur commandement.
A l'extérieur, mais dans certains cas seulement, les
généraux anglais réunissent à l'autorité militaire le gou-
vernement civil de quelques colonies et autres posses-
sions étrangères. Plus communément, ils n'exercent
pas d'autorité en dehors de leurs attributions mili-
taires, et sont placés, au contraire, sous la juridiction
des gouverneurs civils. Ceux-ci ne peuvent toutefois
s'immiscer dans les détails du service des troupes, et,
en cas de guerre ou d'insurrection, si la loi martiale
DE LA FRANGE ET DE L'ANGLETERRE.
(qui équivaut à une abdication virtuelle du pouvoir
civil) est proclamée, le commandant militaire devient
alors complètement indépendant des autorités civiles
pour la conduite des opérations.
Le cadre des officiers-généraux appartenant à la
Garde, à la Cavalerie et à Tlnfanterie de ligne a été
fixé, par une ordonnance royale (Royal Warrant) du
6 octobre i85&, aux chiffres suivants :
50 généraux.
70 lieutenants-généraux.
114 majors-généraux.
Total.... 234
Le cadre des généraux de TOrdonnance (armes spé-
ciales), par une ordonnance de novembre 185&, a été
également limité dans les proportions suivantes :
ArUUtrie.
Généraux 6
Lieutenants-généraux. • . 10
Majors-généraux 16
En ajoutant le total des généraux anglais apparte-
nant aux armes spéciales à celui des généraux de Tar-
mée de ligne, on arrive au chiffre énorme de 282 gé-
néraux pour une armée qui ne s'élève pas à la moitié
de Tannée française, même en y comprenant les troupes
indigènes de Tlnde.
En France, pour une armée de 500,000 hommes en
moyenne, le nombre des généraux de division en acti-
vité de service est de 80, et celui des généraux de bri-
gade de 160 seulement.
IrgéniMrt.
3
Tolal,
9
5
15
8
34
5A GONSTITimON ET PUISSANCE HtLlTAIUS
Sur les ââ& généraux de Tarmée anglaise, ft2 seule-
ment sont employés en service actif, soit comme com-
mandants des troupes mobilisées, soit comme com-
mandants des districts ou des camps d'instruction dans
le Royaume-Uni, soit enfin au quartier-général de
l'armée ou dans les colonies. L'excédant forme une
réserve dans laquelle on puise pour remplir les emplois
qui deviennent vacants, et pour satisfaire aux éventua-
lités qui peuvent se présenter. Malgré l'apparente ri-
chesse de cette réserve, il est bon d'ajouter que, sur les
23/i généraux de l'armée anglaise, 158 au moins ont
dépassé l'âge de soixante-cinq ans, auquel les généraux
de division français passent dans le cadre de non-acti-
vité.
Le nombre des généraux anglais susceptibles d'être
employés activement est donc infiniment plus limite
que ne paraîtraient l'indiquer les chiffres imposants
que nous venons de présenter. A ce point de vue, il
semble que nos voisins auraient tout avantage à imiter
ce qui a lieu en France, en classant dans des cat^ories
distinctes leurs officiers-généraux, suivant leur grade
et leur aptitude à figurer dans le cadre d'activité oii
dans le cadre de réserve.
Officiers d' État-major.
L'État-major de l'armée britannique présente une
organisation qui ne ressemble en rien à celle adoptée
sur le continent. Dans la plupart des armées euro-
.péennes, l'Êtat-major forme un corps distinct, dont la
hiérarchie est la même que celle des officiers régimen-
Dfi LA FEANGB ST DB L'AKGLBTSRRE. ^5
taires. Tout oflScier qui veut faire partie de ce corps
doit suivre un cours d'études spéciales, et accomplir
un stage d'une durée déterminée dans les différentes
armes, afin d'acquérir la connaissance pratique des
différente services de l'Infanterie, de la Cavalerie et de
l'Artillerie. Il faut que ce stage soit terminé pour que
l'officier prenne rang d'une manière définitive dans le
Corps d'État-major, et pour qu'il puisse occuper, sui-
vant son grade, les différents emplois réservés à ce
corps.
Jusqu'à ces derniers temps, les emplois d'Ëtat^major
étaient conférés en Angleterre à des officiers de troupe,
sans qu'aucune condition particulière leur fût imposée,
et sans que leur régiment cessât de les maintenir sur
ses cadres. Un nouveau règlement semble entrer dans
la voie suivie par les armées du continent, et il est
permis d'en espérer les plus heureux résultats. Con-
formément aux nouvelles prescriptions, la première
division du Collège royal militaire de Sandhurst a été
convertie en École d'État-major. Trente officiers de
l'armée, choisis parmi ceux qui comptent au moins
trois ans de service, sont admis, après un concours
public, à faire partie de cette école. Après deux ans
d'études comprenant les théories les plus élevées des mar
thématiques, de la fortification, de Tartillerie, de l'ad-
ministration , de l'histoire et de la géographie mili-
taires, etc., les candidats qui ont satisfait aux examens
sont proposés pour des emplois d'État-major.Toutefois,
avantd'être définitivement appelés à l'un de ces emplois,
chiique officier est encore obligé de servir pendant six
56 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
mois dans chacune des armes qui lui étaient étran-
gères au moment de son entrée à l'École.
Ce nouveau règlement ne diffère que par quelques
points de détail de celui suivi dans l'armée française.
Il deviendra un grand stimulant pour les officiers stu-
dieux de l'armée anglaise, et il semble répondre aux
besoins actuels d'une manière assez satisfaisante pour
que la formation d'un corps distinct, analogue à ceux
des états-majors continentaux, puisse, sans inconvé-
nient, être considérée comme une simple affaire de
temps.
Constitué tel qu'il l'est aujourd'hui, l'Êtat-major
anglais présente les classes suivantes :
/Chef d'État-major {Ckiefofthe staff i.
\ Adjudant-général {Adjutani-generci^,
1* Élat-major général J Quartier-maitre général {Quartertnasier-
I gênerai.)
\ Major de brigade (Brigade-major),
2* Ëtat-major parlicu- j Secrétaire militaire [MUitary-secretary).
lier ou personnel, j Aide-de-camp {aide-de-camp).
I Commandant de place (7oum commandant).
Major de place (Toton or fori Major).
Adjudant de place (Toivn or fort Àdju-
tant],
La classification que nous venons de donner, nous
avons à peine besoin de le dire, ne représente nulle-
ment des grades, des titr^ hiérarchiques, mais sim-
plement la série des fonctions ou emplois auxquels
peuvent être appelés les officiers de Tétat-major an-
glais. L'organisation française, beaucoup plus simple,
n'admet qu'une seule de ces désignations, celle de chef
d' État-major; dans toutes les autres positions, les offi-
DE LA FRANGE ET DE L'ANGLETERRE. 57
ciers sont désignés par le grade qu'ils occupent dans le
corps.
I L ^ÉTAT-MAiOR GÉNÉRAL.
Chef d'état^majcr.
En France et dans les armées continentales où l'Ëtat-
major forme un corps scientifique et distinct, le Chef
d'état-major a le commandement direct des officiers
qui en font partie, en même temps qu'il est l'intermé-
diaire naturel et nécessaire par lequel s'exerce l'action
du général. En Angleterre,. où l'Ëtat-major est com-
posé d'éléments variés, étrangers les uns aux autres et
provenant de sources différentes, le pouvoir et les at-
tributions du Chef d'état-major dépendent bien plus
des dispositions du Général-commandant que des rè-
glements qui devraient les définir. Toutes les fois que
r Adjudant-général et le Quartier-mattre-général ont
la latitude d'agir indépendamment l'un de l'autre et
indépendamment du Chef d'état-major, la présence de
ce dernier, loin de servir à simplifier et à centraliser,
doit, au contraire, contribuer à compliquer le service
et la responsabilité. Lorsque le Chef d'état-major,
comme son titre même l'implique et ainsi que cela a
fieu actuellement au quartier-général de l'armée in-
dienne^ lorsque le Chef d'état-major est bien l'inter-
médiaire responsable de l'exécution des ordres du Gé-
néral; lorsqu'il a bien la haute main sur les différents
services de l'armée^ il occupe alors le degré le plus
élevé dans l'échelle de la responsabilité militaire, et
58 comTmmoN bt puibbangb MitiTAmiss
comme en France, dans bien des circonstances, il sup-
plée le Général et lui vient en aide pour la surveillance
d'une foule de détails qui absorberaient tous ses
instants.
Adjudant-général.
La position occupée par TAdjudant-général dans
l'armée anglaise n'a point son analc^e en France.
Chez nos voisins, l'ofiScier-général auquel cet emploi
est confié compte de droit dans l'état-major personnel
du Souverain. Il remplit des fonctions aussi impor-
tantes par la considération dont elles sont l'objet que
par l'influence qu'elles exercent sur l'administration et
la condition générale de l'armée.
L' Adjudant-général est l'intermédiaire naturel entre
les officiers-généraux ou commandants et le comman-
dant en chef de l'armée, pour toutes les questions tou-
chant à la discipline des troupes dont la police générale
lui est confiée. Il est chargé de la direction du recrute-
ment, de l'habillement, de l'armement, de l'équipe-
ment et des manœuvres. Il promulgue les ordres du
commandant en chef, ainsi que les ordonnances (toar-
rants) et les règlements. H traite toutes les questions
relatives à l'enrôlement et à la libération des soldats,
ainsi qu'à la désignation pour les emplois d'état-majorr
Il répond aux demandes de permission et de congé ; il
reçoit les rapports confidentiels dont il a été parlé plus
haut, et que les généraux commandant les districts
[circonscriptions militaires] ou les divisions actives sont
tenus de fournir tous les semestres sur la situation des
DB LA FftAKCB ET DE L'ANGLETERBE. 59
corps tenant garnison dans leurs commandements.
Des officiers placés à poste fixe dans les divisions
militaires, tant à l'intérieur du royaume qu'à Texté-
rieur, remplissent auprès des généraux commandant
ces stations des fonctions analogues à celles de l'Âdju-
dant-général vis-à-vis du Commandant en chef de
l'armée anglaise. Ces officiers, au nombre de 36,
forment le cadre suivant :
i Adjudant-général (Adjutant-general),
9 Sous-adjudants-généraux {Deputy-adjutants-ge-
fierai)^
22 Adjudauts-généraux-adjoints {Àssistant-adjutant-
gênerai)^
A Sous-adjudants-généraux-adjoints {Deputy-assis-
tant^jutants-general).
Ces dénominations bizarres, dont la longueur et la
complication s'accordent trop bien, du reste, avecTor-
ganisation confuse de TÊtat-major anglais, ont besoin
d'une explication.
M. Dupin en fait remonter Forigine à l'un des abus
les plus pernicieux introduits avec le temps dans les
services publics de la Grande-Bretagne. « Une foule de
places importantes étant accordées à des hommes dont
la naissance, les liaisons, les intrigues ou Tinfluence
politique suppléaient au talent et à l'activité, ils ont
accepté le salaire et les émoluments de ces emplois dont
ils ont fait remplir les fonctions par un délégué, par un
député. Ensuite on a pris l'habitude de donner le titre
de député (deputy) à toute personne qui sert immédia-
tement sous les ordres d'un chef de service. »
60 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Le cadre des oflBciers employés dans le département
de r Adjudant-général n'est point immuable; il varie
suivant les circonstances et les besoins. Ces officiers,
comme tous ceux employés à un service d'état-major,
continuent, ainsi que nous l'avons dit, à compter dans
leurs r^iments jusqu'au grade de capitaine inclusive-
ment. Indépendamment de leur solde régimentaire, ils
touchent un traitement spécial d'état-major. A partir
du grade d'officier supérieur (major), l'officier qui
veut faire partie de l'état-major doit quitter sa position
régimentaire et permuter {exchange) avec un collègue
en demi-solde {half-pay) ou en solde de non-activité
(tmattached'pay) .
ÇuarUer-maître-général .
Comme rang, le Quartier-maltre-général vient im-
médiatement après r Adjudant-général; il fait partie,
comme celui-ci, de Tétat-major particulier du Souve-
rain. Vis-à-vis du Commandant en chef, il est chaîné
de recevoir tous les rapports et d'assurer la communi-
cation de tous les ordres concernant les questions de
casernement et de campement; il doit prendre toutes
les mesures que nécessitent les mouvements de troupes,
ainsi que leur embarquement et leur débarquement.
L'un des devoirs les plus importants du Quartier-
maltre-général est de connaître d'une manière appro-
fondie, et au point de vue des opérations militaires, la
topographie du territoire. En conséquence, il doit être
en mesure de fournir tous les renseignements dési- .
râbles, non-seulement sur la géographie et l'aspect gé-
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. Gl
néral des différents comtés, mais encore sur leur popu-
lation, sur leurs ressources, sur Tétat des routes, des
gués, des ponts, en un mot sur les facilités que présente
le pays au point de vue des communications et de Tiu-
stallation ou de la sécurité des troupes. Il surveille la
distribution des effets de campement^ la réparation et
la mise en service des casernes; enfin la correspon-
dance relative aux sciences et aux reconnaissances mi-
litaires, aux levés topographiques, aux cartes et plans,
appartient encore au service du Quartier -maître-
général. Le cadre des ofBciers employés dans le dépar-
tement du Quartier-maltre-général se compose de
29 officiers :
1 Quartier-maltre-général {Quarter-^master-gene'
rai),
8 Députés-quartier-mattres-généraux {Depuiy-
quarler-master^^eneral),
12 Àssistants-quartier-mattres-généraux {^mslani-
quarier'master-generat)^
8 Députés-assistants-quartier-mattres-généraux
{DeptjUy'asststant^uarter'ma8terS''general) .
Majors de brigade.
Ces officiers d'état-major, dans les brigades de lar-
mée anglaise, tiennent une place analogue à celles de
TÂdjudant-général dans Tannée, de TÂssistant-àdju-
dant-général dans une division, de F Adjudant dans un
régiment. Ils sont responsables envers le commande-
ment de la discipline générale des troupes auxquelles
ils sont attachés. Ils veillent à ce que les ordres du gé-
62 CONSTITUTION RT PUiaSANGS MIUTAIHSS
néral soient communiqués ; ils tiennent le registre du
service de leur brigade ; ils inspectent les gardes et les
piquets; ils ont la direction générale des exercices et
des évolutions. Il y a ordinairement un major de bri-
gade auprès de chaque Major--général investi d'uo
commandement. On compte 30 majors de brigade
dans Tannée anglaise; ils doivent être choisis parmi
les capitaines des régiments, et ils comptent à reffectit
de leur corps pendant tout le temps de leur serviœ
d'état-major.
S n. — ÉTAT-MAJOR PARTICULIER {Personal staff).
Les officiers attachés à la personne d'un général
comptent dans ce que Ton nomme, en Angleterre,
Tétat-major particulier ou personnel, ainsi nommé
sans doute pour le distinguer de Tétat-major de fonc-
tions dont nous avons donné les divisions. Le secrétaire
militaire {military secreiary) fait partie de Tétat-major
personnel. Il est, en matière de finances, le conseiller
(adviser) du général-commandant, en même temps que
son secrétaire de confiance. Il est Tintermédiaire re-
lier dans toutes les questions relatives aux promotions,
aux retraites (reiirement) [1], aux permutations {ex-
changes) des officiers. En résumé, ses devoirs em-
brassent toutes les affaires qui ne tombent pas dans les
(1) U mot de retraite n'a pas en Angleterre la [même signifloi.
lion qu'en France, comme nous le verrons ailleurs. L'officier qui se
rc(tre du service, vendant la commission qu'il a achetée, ne reçoit
pas, daps les circonstances ordinaires, de pension ou de retraite du
gouvernemenr*
attributiûDB de TAdjudaDlrgénéral ou du Quartier^
Les généraux en possession d'un commandement
important sont pourvus d'un secrétaire ou d'un assis-
tant-secrétaire chargé de leur correspondance.
Anciennement, le^ fonctions de secrétaire militaire
étaient rangées parmi les emplois oivils. Cet office,
d une importance considérable de nos jours, est remjdi
par un officier-général près du Commandant en chef
de Tarmée anglaise.
Près des généraux commandant les districts ou les
divisicms actives, les secrétaires militaires sont ordinai-
rement des capitaines pris dans les régiments, quelque-
fois des officiers supérieurs.
On compte actuellement 6 secrétaires et 10 assis-
taotSHiecrétaires dans les cadres de l'armée britan**
nique.
Tout officier-général anglais exerçant un comman*
dément a droit à un certain nombre d'aides-densamp,
suivant son rang. Le Commandant en chef en a cinq,
un général en a trois; les lieutenants, majors et briga-*
dier&^énéraux en ont un seul
Comme en France» le devoir principal des aides^e-
camp consiste à communiquer les ordres des généraux
auxquels ils sont attachés; -^ en Angleterre, la position
de Taide-de-H^mp vis-à-vis de son général est uw
poste tout à fait de confiance ; il vit avec son chef bien
plutôt comme un membre de sa famille que comme un
subordonné.
Les aides-de-€amp doivent avoir servi au moins deux
6& CONSTITUTION ET PUISSANGB mUTAIRES
ans dans leur riment avant de pouvoir être attachés
à un Qjfficier-général. Ils peuvent être capitaines ou
lieutenants et continuent à compter dans leurs corps. 11
y a actuellement 69 aides-de-camp figurant r^lière-
ment sur l'Annuaire militaire anglais {/érmy list)'^
mais, indépendamment de ce chiflPre, il y a un certain
nombre d'officiers que les généraux ont été autorisés à
attacher à leur personne et qui comptent dans les états-
majors, mais sans en toucher le traitement spécial.
Étal-major des garnisons {Garrison-siaff).
Le Garrtjon-^to/f correspond à notre Ëtat-major des
places. Gomme en France, les officiers qui en font
partie sont attachés d'une manière permanente aux
places et forteresses, et non plus, comme les autres
officiers d'état-major de Tarmée anglaise, détachés
temporairement de leurs régiments.
Les emplois de l'Ëtat-major des places sont donnés
à de vieux officiers méritants ou à des sous-officiers,
comme une récompense de leurs anciens services, et
comme une position honorable au moment où ils quit-
tent l'activité.
On distingue dans l'Ëtat-major des places : l"" les
commandants [Umn commandants), qui, dans leur ju-
ridiction, représentent la première autorité militaire,
même lorsqu'un officier d'un grade supérieur se trouvé
temporairement sur les lieux. On compte 18 comman-
dants de place.
2* Les majors de place [town or fort majors), qui,
vis-à-vis des garnisons sédentaires, ont les mêmes attri-
butions que les majors de brigade relativement aux
DE LA FRANGE ET DE L'ANGLETERRE. dS
troupes mobiles. Ils rassemblent les gardes et inspec-
tent les postes; ils tiennent le registre du service. Les
demandes {applicatims) pour les escortes, les travail-
leurs, les corvées, etc., sont adressées aux majors de
place. On en compte 16.
Les adjudants de place {lown or fort adjutants) sont
employés sous les ordres des commandants de place ou
dans les forts d'une importance médiocre. Ils sortent
tous des sous-officiers [non-commissioned officers).
Il y a 16 adjudants de place, qui, ajoutés aux ma-
jors et aux commandants, donnent un total de A5 offi-
ciers, composant le cadre de TÊtat-major des places
de Tannée anglaise.
Prévôts-maréchaux {Prevost-marshals) .
Dans toutes les armées du continent, il existe un
corps spécial formé d'hommes pris dans toutes les
armes, qui, en temps de guerre, est chargé de la police
des camps, et à l'intérieur de celle des garnisons.
Cette institution vient aussi en aide aux pouvoirs civils
pour le maintien de Tordre et la police générale du
pays. La nature des institutions anglaises proscrit
remploi de tout corps militaire comme moyen d'assu-
rer l'administration de la justice et le respect dû à la
loi. En Irlande, seulement, vu Tétat particulier de
esprits dans cette portion du Royaume-Uni, on a orga-
nisé une troupe de police {irish constabxdary) qui offre
quelque analogie avec la gendarmerie française ; tou-
tefois ce corps est placé complètement en dehors de
Tautorité et du contrôle militaire. Il n'existe donc pas
5
66 CONSTITUTION ET PUISSANCE MlLlTAIEES
de corps organisé pour le maintien de Tordre dans les
armées anglaises eii campagne, et cette lacune ne laisse
pas que d'avoir un effet très préjudiciable sur la dis-
cipline générale des troupes. Quand une armée est mo-
bilisée chez nos voisins, il est d'usage de commissionner
un officier en qualité de maréchal-prévôt , et de lui
adjoindre un certain nombre de sous-officiers et de
soldats pour le service de la police.
Les fonctions de maréchal-prévôt constituent un
emploi d'état-major tout à fait temporaire. Elles sont
remplies habituellement par un officier subalterne pris
dans un régiment, et qui continue à compter à l'effectif
pendant la durée de sa mission.
La récapitulation de tous les officiers de divers grades
employés dans l'armée anglaise à des fonctions d'état-
major fournit le tableau suivant :
Général commandant en chef. 1'
Lieutenaiils-généraux 9
Majors-généraux 32
Colonels 9
Département de Tadjudant-général 36
Département du quartier-maître-gêncral 29
Secrétaires et assistants secrétaires militaires 16
Aides-de-camp 69
Majors de brigade 20
Commandants de place i3
Majors de place 16
Adjudants de place 16
(Quarliersrmaitres de garnison. ) 2
Total 278 (1).
(1) Les chiffres présentés dans le tableau de TËlat-major anglais
sont, comme la plupart des renseignements statistiques que nous
DÉ LA WANCE ET t)E L'ANGLETÉftRÊ. R7
oiïriroBsau lecteur, exlrailsde rAnnuaireofûciel de rarmcebrila-
ûique {Army list by auihority\ L'excellent ouvrage de M. ICdw.
BarringtOD de Fomblanque (Treatise on tke administration and or-
ganisation of the british army) nous a fourni également de précieux
renseignements. Telle est la pauvreté de la littérature militaire de
PMtre côté de la Hanche que, jusqu'à ces dernières années, Tarmée
anglaise ne possédait pas un seul ouvrage présentant, même de la
fa^'OQ Ta plus succincte, le tabK^au de son organisation générale et
de ses principaux établissement?. Inspiré en qiirlque sorte par Pun
des ministres delà guerre les plus distingués qu'ait jamais eus l'An-
gleterre (lord Panmure), et destiné à combler une lacune regretta-
ble, le livre de M. de Fomblanque devait paraître, dans le principe,
sous les auspices du gouvernement. Il n'a pas obtenu cette faveur à
cause de quelques jugements un peu sévères portés par l'auteur sur
certaine^ institutions de Tarmée anglaise. L'esprit de sage critiqué
qai avait dicté ces jugements ne pouvait que rendre plus précieux
encore pour nous l'ouvrage de M. de Fomblanque. Bien que nous
soyons loin de partager toutes les opinions de cet écrivain militaire,
nous n'hésitons pas à le recommander comme le guide le plus sur U
suirre dans Tétude de la constitution militaire de nos voisins, et
nous ne saurions asse2 reconnaître toute la valeur des renseigne-
ments qu'ils nous a fournis.
M. de Fomblanque appartient au corps du Commissariat; il est en
quelque sorte le « Vauchelle » de Tlntendance anglaise Cn. M.
68 CONSTlTUTIOK ET PCISSANCE MtUTAIEES
CHAPITRE IV.
Attributions comparées des fonctionnaires principaux de Tadminis-
tration militaire centrale, en France et en Angleterre. — Person-
nel du ministère français. — Personnel du ministère anglais. —
Agents de Tadministration anglaise qui n*ont point leurs sem-
blables dans Torganisation française : Directeur général du re-
crutement, Chapelain en chef, Directeur général des magasins,
Directeur du déparlement médical. Contrôleur des marchés, Ingé-
nieur en chef pour les canons rayés, etc., etc. — Observations sur
les déparlements civils de Tadministration militaire en Angle-
terre. ^ Hiérarchie et attributions comparées des États-majors
. anglais et français. — De Tâge des généraux anglais. — Consé-
quences de Tabsence d'un cadre de réserve. — Résultats de la
dissémination de Tarroée britannique. — Les généraux anglais
ne sont pas manœuvriers. — Observations sur les attributions du
Quartier-maitre général, au point de vue des embarquements et
des débarquements. — L'Angleterre n'a pas de corps spécial
chargé de la police militaire. — Organisation défectueuse du ser-
vice de la Prévôté dans les armées anglaises.
§1-.
Si nous résumons le parallèle que nous avons établi
dans les chapitres précédents, nous voyons l'impulsion
et la direction imprimées aux affaires de la guerre éma-
nant, en Angleterre comme en France, d une autorité
supérieure dont le personnel des ministères et les états-
majors sont les première agents.
Nous avons constaté les différences profondes qui
existent dans les deux pays quant à la constitution de
cette autorité. — Chez nous, unité, centralisation,
simplicité, au point de vue du Commandement comme
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 69
à celui de T Administration ; — chez nos voisins, attri-
butions mal définies, confusion, antagonisme nécessaire
résultant du partage de l'autorité.
Pour compléter ce parallèle et constater les diflfié-
rences aussi bien que les analogies qui peuvent exister
encore entre notre système militaire et celui d'Outre-
Manche, il nous faut étendre aux agents principaux en
relation directe avec les chefs des deux armées la
comparaison qui n'a embrassé jusqu'ici que ces chefs.
Ces agents ou intermédiain^s du premier degré
composent, avons-nous dit, le pei'sonnel du Horse-
Guards, tles deux Ministères de la guerre et des États-
majors.
En France, indépendamment des bureaux de la
guerre, dont les employés, civils ou militaires, sont
chargés de l'expédition des affaires courantes, il est in-
stitué sous l'autorité du Ministre, et dans chaque
Jurande division de son département, des Comités dits
consultatifs^ à l'examen desquels sont renvoyées toutes
les questions importantes, toutes les affaires exigeant
une étude approfondie.
Les Comités consultatifs sont permanents.
Composées avec un soin tout particulier, ces com-
missions comptent dans leur sein la plupart des illus-
trations de l'armée et les spécialités d'une expérience
éprouvée. En outre, elles se renouvellent partiellement
et à des époques déterminées, de manière à rester
toujours ouvertes aux progrès et aux perfectionnements
par l'adjonction des hommes jeunes et nouveaux.
Cette combinaison logique offre ainsi toutes les garan-
70 C0NSTIT13TJQN ET PUISS4NPÏ ||IL|TA|R£S
ties désirables, no«-seulemeut con|rp l'esprit de routine
dont rexpérience x\g suffit pas toujpijr» h défeqdre la
vieillesse et rancienneb), mais apssi contre Tin^tabilité
fàclieuse qui résulte trop souvent de Taccweil enthou-
siaste et irréfléchi fait aux idées nouvelles.
Chaque corps spécial (1), chaque ^rme (*-î) ft donc
son Comité consultatif chargé d'exaniinor et de discu-
ter toutes les questions qui intéressent ga constitution,
son organisation, son service, son instruction et sa dis-
cipline.
Ce Comité doit donner un avis motivé $ur toutes les
affaires qui sont déférées à son examen par le Ministre.
11 dirige les études des officiers de l'arme et celles des
élèves qui aspirent à en faire partie. 11 rédige et pro-
pose au Ministre de la guerre les règlements sur Tor-
ganisation intérieure, les cours et le régime de TËcole
spéciale destinée à former ces élèves (3). U établit les
programmes d'admission et de sortie pour cette école.
Chaque Comité a encore pour mission de coordon-
ner les règlements spéciaux de son corps oq de son
arme, de manière a les mettre eu harmonie avec ceux
qui interviennent pour les autres armes. De \k résulte,
dans l'ensemble du service, cette similitude d'esprit et
de tendances qui distingue toutes les parties deTarmée
(1) L'État-major, Tlntendance, la Gendarmerie.
(2) L'Infanterie, la Cavalerie, rArtillerie, le Génie.
(3) Outre l'École polytechnique et TÉcole de Saint-C>r, Torgani-
sation militaire de la France comporte trois Écx>Ies d'applicaUon :
pour l'Êlat major, à Paris ; — pour la Cavalerie, à Saumur ; •— pour
rArtillerie et le Génie réunis, ^ Metz.
DB LA FIUNGE ST i>B l'aNOLETBUB. 7t
fraDçatse. et qui contribue si heureusement à former
ce tout admirable dont rhomogénéité parfaite décuple
la puissance.
Plusieurs Commissions, composées dans le même
esprit que les Comités d'arme et ayant le même carac-
tère de permanence, sont encore instituées pour four-r
nir au Ministre de la guerre, en France, tous les ren-
seignements, toutes les lumières nécessaires, soit sur
des questions spéciales et qui intéressent larmée sans
être pourtant d'une nature absolument militaire (1),
soit sur des affaires dont la solution complexe exige
l'intervention simultanée du Ministre de la guerre et
de certains de ses collègues (2).
Nous avons vu qu'en Angleterre ce ne sont ni les
Comités ni les Commissions d'enquôte qui font défaut.
Leur existence, comme leur prodigieuse fécondité,
sont suffisamment attestées par les innombrables rap-
ports (plue books) publiés chaque année. Ce qui manque
aux commissions anglaises (sans parler des inconvér
nients résultant des préoccupations politiques de leurs
membres, toujours choisis dans le Parlement), c'est
cette condition de permanence sans laquelle la tradition
ne peut se fonder. Leur instabilité se reflète dans leurs
œuvres, et il faut avoir passé en revue les continuels
changements qui se sont succédé depuis quelques an-
nées dans l'armée britannique pour avoir une idée du
(1^ Commission supérieure de la dotation de rarmée ; — Conseil
de santé des armées; » Commission d'hygiène tiippiquc.
(*i) Commission consultative de l'Algérie; — Commission mixte
deS travaux publics; — Commission de défense des o6tes.
72 CONSTITUTION ET PUISSANCE HILITiURES
désordre qui règiie aujourd'hui dans ses institutions
les plus importantes.
Cette confusion, suite inévitable du partage de l'au-
torité militaire et administrative entre le Ministre et le
Commandant en chef, se révèle à la simple inspection
du personnel du Horse-Guards et du War-Office. Il
suffit d'un coup d'œil sur Y Army-List, qui présente le
tableau détaillé de ce personnel, pour pressentir toutes
les difficultés, tous les conflits qui peuvent s'élever
entre les deux départements. L'incertitude qui r^ne
dans leurs attributions est telle que certain service, ce-
lui de rinspeclion des fortiflcations par exemple, se
trouve figurer à la fois au titre du Horse-Guards et au
titre du War-Office, à cause, sans doute, de l'embar-
ras où s'est trouvé le rédacteur du document officiel
pour décider celui des deux départements auquel il
convenait de le rattacher.
Nous avons dit que le Secrétaire militaire (miliiary
secretary) [1] tenait à peu près, dans l'organisation du
Horse-Guards, la place occupée en France par le Chef
du cabinet au ministère de la guerre. Si nous pour-
suivons cette espèce d'assimilation, nous voyons que
r^ rfjîirfanN^^n^ra/ représente assez exactement notre
Directeur du personfiel. Toutefois, en France, ce der-
nier est en même temps chargé de tout ce qui a trait
à l'emplacement et au mouvement des troupes, au
service de route, aux gîtes d'étapes, etc., tandis qu'en
Angleterre ces détails rentrent exclusivement dans les
attributions du Quartier-maître général.
(1) Le secrétaire militaire a le grade de lleutenanl-général.
I» LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 73
Nos quatre directeurs de Tlnfanterie, de la Cavale-
rie, de l'Artillerie et du Génie, sont représentés, chez
nos voisins, par quatre inspecteurs-généraux :
V Inspecteur-général du Génie {Inspeçtor-geneial of
Fariificaixom) [1] ;
2* Inspecteur-Général de la Cavalerie {Inspector--
gênerai ofCavalry)]
3* Inspecteur-Général de F Artillerie (Inspectùr--
gênerai of Jrlillery) ;
4" Inspecteur-général de Tlnfanterie {Inspeclar^
gênerai oflnfanlry).
Dans la hiérarchie toujours quelque peu féodale de
larmée anglaise (2), la position de ces fonctionnaires
militaires correspond à celle de nos Colonels-généraux
de l'ancien régime. Us cumulent, d'ailleurs, avec les
fonctions purement administratives des Directeurs de
notre ministère de la guerre, les attributions de nos
Inspecteurs-généraux annuels.
L'Infanterie de la Garde, à cause de son régime par-
ticulier, n'est pas comprise, en Angleterre, dans l'in-
spection de l'arme. Un Major-général {attached io ihe
foot guards) est chargé spécialement de tout ce qui la
concerne.
Le seul employé supérieur du Horse-Guards qui
(1) Des quatre inspecteurs d'arme, un est général, un est lieute-
naDt-général, et les deux autres majors-généraux.
(2) H n*y a pas quatre ans que la charge de Maître-général de
rOrdoniiance (qui correspondait exactement à celle de nos Grands-
maîtres de rartillerie du temps passé) a été abolie dans Tarmée
britannique.
7& GOUSTITUTION ET PUISSAKGB HILITAIRBS
nous reste encore à uientibnner estle Directeur-général
du recrutement (Superiniindent of the recruiting de--
parlement). H* semblerait, au premier abord, que ce
service, considéré en France comme purement admi-
nistratif, devrait appartenir au War-OflBce bien plutôt
qu'au Horse-Guards. 1^ système de Tenrôlement vo-
lontaire, dans lequel ont persévéré jusqu'ici nos voi-
sins, et leur coutume de laisser aui différents corps le
soin de pour\'oir eux-mêmes à leur recrutement, con-
tribuent paiement à ranger cette opération parmi les
détails qui doivent rester soumis au contrôle direct du
Commandant en chef.
Le War-Office présente plus de difficultés que le
Horse-Guards pour Fassimilation de ses chefs de ser-
vice avec ceux de notre Ministère de la guerre. La rai-
son en est facile à comprendre : les procédés employés
pour commander, inspecter et faire mouvoir les
troupes sont, à peu de chose près, les mêmes chez tous
les peuples civilisés; la façon de les administrer peut,
au contraire, différer essentiellement d'un pays à un
autre. Or, nous l'avons déjà annoncé, et nous aurons
occasion de le constater bien souvent à mesure que
nous avancerons davantage dans le cours de cette
étude, rien ne ressemble moins à l'organisation et à
l'administration militaire de la France que l'organisa-
tion et l'administration de l'armée britannique.
L'absence des Ck)mité& permanents et des Commis-
sions consultatives, qui sont en France, pour le Mi-
nistre de la guerre, des auxiliaires si utiles, a obligé
nos voisins à entourer le Secrétaire d'État du War-
PB LA FRANCK ET PE L^NGtETER^. 75
Office d'uq nomt>rp assez considérable de fonctionoaires
spéciaux qui sojit cliargés de l'éclairer, pt qui o'ont
point leurs semblables dans Torgapisation française.
On conçoit combien ces influences individuelles, si
grande que soit T^utorité des personnes dont elles
émanent, sont loin de présenter au ministre anglais
les garanties que trouve notre ministre de la guerre
dans les avjs motivés et dans lopinipp collective de nos
comités.
A l'exception de Y Inspecteur-général des Fortifica-
lions^ dont les attributions présentent une certaine ana-
Ic^ie avec celles de notre Directeur du Génie et de
notre Président du Comité des foi^tificationSy mais dont
la situation est assez mal définie, puisque nous l'avons
déjà vu figurer dans Tétat-major général du Comman-
dant eu chef; — àTexception du Commissaire-général
en chef {Comfnissary-general in chief)^ qui représente
à peu près notre Directeur de l'administration; —
enpn à l'exception du Comptable en chef {accountanl
gênerai) , dont les fonctions se rapprochept de celles de
notre Directeur de la comptabilité générale^ — tous les
autres fonctionnaires supérieurs du Ministère de la
guerre, en Angleterre, à commencer par les deux sous-
secrétaires d'État, ne sauraient trouver leur place dan»
Toi^anisation française.
Ces fonctionnaires sont classés sur YJrmy-Ust dans
Tordre sqivapt :
Le Directeur-général du département médical (Di-
rector-general of the army médical département),
L' Aumônier ou chapelain-général(6'Afl|}/am-g'ewera/),
76 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Le Président du comité particulier de rOrdonnance
{Président of Ordnance sélect committee\
Le Directeur des magasins et de l'habillement (Di-
rector of stores and clothing)^
Le Directeur des marchés {Director ofcontrads),
L'Ingénieur pour les canons rayés {Engineer for
rifled Ordnance).
Le Bureau topographique {Topographical brahch)^
qui répond, mais sur une échelle bien moindre, à
notre Dépôt de la guerre, est sous la direction d'un
colonel du génie. Un sous-directeur [executive ofjicer)
et un adjoint (assistant), l'un major, le second capi-
taine, composent tout le personnel dirigeant d'un ser-
vice qui occupe en France un oflBcier-général, plusieurs
colonels, un grand nombre d'officiers d'état-major de
tous grades, et qui forme l'une des directions impor-
tantes de notre Ministère de la guerre.
Les différentes divisions du War-OflBce. portent le
nom de Départements civils de l'armée {civil départe-
ments ofthe army), dénomination peu exacte et tout au
moins assez bizarre, miiis qui a été adoptée sans doute
afin de les distinguer des bureaux du Horse-Guards.
Au nombre des départements civils de l'armée
figurent encore certains établissements militaires dont
nous parlerons ailleurs en détail, et que nous citons
seulement ici pour mémoire, afin de classer leur per-
sonnel dirigeant à la place qui lui appartient dans la
catégorie des fonctionnaires dépendant du War-Office.
Ces établissements sont : .
La Fonderie royale (Woolwich), sous la direction
DE LA FRANCE ET DE l'aNGLETEARE. 77
d'uD inspecteur en chef {superintendant of royal gun
factories) ;
L'Atelier des voitures (Woolwich), sous la direction
d'un inspecteur en chef {superintendant of royal car-
fiage département) ;
Le Laboratoire royal (Woolwich), qui répond à
notre école de pyrotechnie, sous la direction d'un in-
specteur en chef {superintendant of royal laboratory)'^
La Manufacture royale des armes portatives (Enfield),
sous la direction d'un inspecteur en chef (superinten-^
dant of royal factories of small arms) ;
La Poudrerie royale (Waltham-Abbey), sous la di-
rection d'un inspecteur en chef (superintendant of royal
factory ofgun-powder).
Nous mentionnerons enfln, pour clore la série des
départements civils de l'armée anglaise :
1" L'Office du payeur-général [Paymaster-general);
2" Le Département du juge-avocat -général {Judge-
advocate-general). Ce fonctionnaire est le directeur légal
et le gardien des archives de la justice militaire; il est
dépositaire de tous les dossiers des jugements rendus
par les cours martiales;
3" Le Conseil d'éducation [Council of éducation). Ce
comité, qui a pour président honoraire le Comman-
dant en chef, examine et discute toutes les questions
relatives aux Écoles et à l'enseignement de l'armée.
Ces trois institutions n'ont point en France d'équi-
valent exact; la place qu'elles tiennent dans l'organisa-
tion militaire de nos voisins est à peu près occupée
chez nous par un Fonctionnaire des finances, par le
78 CONSTITUTION ET t»tJlSSANCE MILITAIRES
Bureau de k justîc43 lîiiHtaire au ministère de là
guerre et par les Comités d'armes.
§11.
L'organisation de rÉtat-major général anglais res-
semble beaucoup à la nôtre quant aux fonctions,
droits et attributions des officiers-généraux comman-
dant les districts ou divisions territoriales à Tintérieur,
et les armées ou les colonies à Textérieur; mais elle
en diffère complètement sous les autres rapports.
Ainsi, d'une part, la hiérarchie de rÉtat-major gé-
néral anglais comporte un grade intermédiaire qui
nous manque, entre le Maréchal et le Lieutenant-géné-
ral-, ce qui est un avantage réel ; mais, de Tautre, sa
constitution n'admet pas de cadre de réserve, ce qui
est un grave inconvénient.
Aucune limite d'âge n'entraînant chez nos voisins la
mise à la retraite ou le passage dans la nori-activité,
tous les officiers-généraux, soit disponibles, soit inca-
pables de faire un service actif, figurent sans distinc-
tion sur le mèrne cadre et continuent à y compter jus-
qu'à leur mort. 11 en résulte que, malgré le chiffre
considérable (et même disproportionné, eu égard à
l'effectif de l'armée) du cadre des officiers-généraux en
Angleterre, les vacances sont si rares et l'avancement
tellement retardé que, pour récompenser des services
exceptionnels, le gouvernement se trouve souvent
obligé de faire des promotions excédant le complet ré-
glementaire indiqué au deuxième chapitre.
DC LA F&ANGB BT DS L^ANGLEtEflftE. 79
Dans un livre intitulé JAe defhteeless state ùf En-
gland, sir Francis Head établit un curieux rapproche-
ment entre l'âge des généraux anglais et français. Sui-
vant cet auteur, en 1850, l'âge moyen des Ift généraux
de division et de brigade (y compris le gouverneur ou
général en chef) qui commandaient les troupes fran-
çaises en Afrique était de A3 ans et l/S. A la même
époque, l'Angleterre comptait un général en chef de
81 ans 1/2, et l'âge de ses généraux était de 88 à
68 ans, celui de ses lieutenants*généraux de 75 à 63,
celui de ses majors- généraux de 70 à Gl .
Bien que la campagne de Crimée et la guerre des
Indes aient amené, depuis dix ans, un certain mouve-
ment dans les grades élevés de l'armée anglaise, l'a-
lourdissement que l'âge détermine dans sa tète de co-
lonne existe toujours; ce serait un désavantage sérieux
pour nos voisins dans le cas où ils auraient à com-
battre contre une armée dirigée par un Êtat-major
géaéTal plus jeune, plus alerte et plus apte à supporter
les fatigues de la guerre.
Sans vouloir préjuger en rien du mérite des géné-
raux anglais, on est forcé de reconnaître, en outre,
qu'ils se trouvent placés dans de plus mauvaises con-
ditions que ceux de n'importe quelle puissance quant
aux occasions d'acquérir l'habitude de manier de
grandes masses et quant à l'expérience des grandes
manœuvres de guerre.
Ainsi que le fait obsçrter Tauteur que nous citions
plus haut, l'armée britannique est tellement divisée,
tellement disséminée dans les quatre parties du monde
80 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITÂmtS
par les nécessités de son seiTice, que c'est à peine si
Ton aurait pu, avant la guerre d'Orient, trouver 2 ou
â,000 soldats anglais réunis sur un même point. Pen-
dant quarante ans, les officiers anglais n'ont pas eu
d'autre champ de manœuvres que le terrain de la pa-
rade et des exercices r^imentaires. L'inexpérience de
ces officiers, celle de l'État-major général surtout,
pendant la campagne de Crimée, en ouvrant les yeux
au gouvernement anglais, a déterminé la formation de
plusieurs camps où ses généraux peuvent aujourd'hui
s'exercer, mais malheureusement sur une bien petite
échelle. Le faible effectif de l'armée anglaise ne per-
met pas de réunir un nombre de troupes suffisant pour
que ces camps soient bien profitables. Quelle compa-
raison, en effet, peuvent soutenir les maigres divisions
d' Aldershott, de Shorncliffe et de Dublin avec les corps
d'armée que la France réunit dans ses camps de Châ-
lons, de Satory, de Saint-Omer, de Lyon, etc.?
Ce nest pas avec quelques bataillons ou quelques
brigades réunies à grand' peine dans des camps dont
l'installation ne diffère en rien de celle des troupes en
garnison qu'officiers et soldats peuvent devenir manœu-
vriers; aussi, à l'exemple de sir Francis Head, ne trou-
vons-nous rien de bien surprenant dans l'assertion
suivante qu'il prête à une des plus hautes autorités
militaires de la Grande-Bretagne ( 1) : « Si Ton faisait
entrer 70,000 hommes dans Hyde-Park, je ne connais
pas cinq généraux dans toute l'armée anglaise qui
(1) WeUington, très probablemenu
DE LA FBAKiCE ET DE L ANGLETERRE. 81
soient capables de les en tirer. » (/ don't betieve there
are five gênerai officers in our service who^ if you put
70,000 men inlo Hyde-Park^ could get them outagain.)
Si cet aveu, émanant d'un Anglais (stated by the hig-
hest atUhariêy)^ est sincère, il faut convenir qu'il doit
rendre quelque peu indulgent pour l'impertinente ma-
nière dont les Russes qualifiaient l'Êtat-major général
de Tannée de lions envoyée par l'Angleterre sous les
murs de Sébastopol.
Nous avons vu que nos voisins n'avaient pas de Corps
d'état-major spécial; les fonctions que remplit ce
corps sur le continent sont confiées, en Angleterre, à
des officiers tirés des régiments. Nous avons indiqué,
d'après M. Ch. Dupiu, l'origine des dénominations in-
teiminables sous lesquelles les officiers de l'État-major
anglais sont désignés; aucune raison valable ne peut
être invoquée aujourd'hui pour le maintien de ces dé-
nominations, et il serait évidemment beaucoup plus
simple d'employer, à l'égard de ces officiers, les titres
ordinaires qui établissent leur rang dans l'armée.
Quant aux fonctions elles-mêmes, elles offrent, jusqu'à
lui certain point, le défaut de précision et de clarté re-
proché aux qualifications de ceux qui les exercent.
En France, tout commandement en chef ou supé-
rieur de troupes confié à un officier-général comporte
un Ètat-major. Chacun de ces états-majors a pour
chef immédiat un officier (général ou supérieur, sui-
vant l'importance du commandement) que l'on nomme
Chef d'élatrtnajor^ et qui est assisté par un certain
nombre d'officiers de grades inférieurs au sien, entre
6
82 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
lesquels il répartit les différents travaux, avec chaîne
de présider et de veiller à l'expédition de toutes les
affaires dont le renvoi lui est fait par le Général-com-
mandant. En France, le chef d'état-major n'exerce en
son pmpre nom aucune autorité en dehors de ses bu-
reaux; mais, homme du général, il possède, à leaxlu-
sion de tout autre^ qualité pour signer et transmettre
les ordres que celui-ci ne juge pas à propos de signer
lui-même.
Jusqu'à la dernière guerœ de Russie, les attribu-
tions du chef d'état-major, telles qu'elles sont l'églées
chez nous, se trouvaient partagées, dans l'armée an-
glaise, entre Y Adjudant-général et le Quarlier-maUre-
général. Pendant la campagne de Crimée, aflip de re-
médier à ce défaut de centralisation, qui est toujours le
vice capital de l'organisation militaire chez nos voisins,
il a été créé un emploi de chef d'état-major au quar-
tier^énéral anglais ; mais cette institution ayant dis-
paru à la paix, c'est tout au plus si Ton doit la consi-
dérer comme faisant réellement partie de l'organisation.
Au reste, ainsi que nous l'avons déjà fait observer*
l'État-major en Angleterre, étant composé d'éléments
distincts, puisés à des sources différentes et indépen-
dants les uns des autres, le pouvoir et les devoirs d'un
chef d'état-major ne peuvent avoir la précision et la
netteté qui les caractérisent chez nous; la volonté du
général doit suppléer le silence ou l'insuffisance du rè-
glement pour en fixer les limites.
Nous avons dit que les attributions de l' Adjudant-
général 6t celles du Quartier-mattre-général embns-
DE LA FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. 83
saieol, sans limite ni division bien définies, les devoii's
que remplit chez nous le chef d'état-major. Ce défaut
de précision, surtout eu ce qui regarde la position du
quartier-mattre-général, a eu de sérieux inconvénients
en Crimée. D'une part, cet officier a été conduit par la
direction donnée aux opérations militaires à empiéter
sur les droits de certains chefs de service dont la res-
ponsabilité s'est trouvée engagée; de l'autre, le quar-
tier-mattre-général s'est vu imposer des obligations et
des devoirs complètement en dehors de la sphère de
ses attributions régulières. La presse britannique, à
l'époque des désastres qui ont éprouvé l'armée d'O-
rient, s'est montrée fort sévère pour sir Richard Airey
et pour son département; mais, en réalité, la guerre
était nécessaire pour démontrer tout le décousu du
système anglais, et la plupart des mécomptes que nos
alliés ont rencontrés sur le plateau de Chersonnèse
doivent être attribués à l'imperfection des règlements
bien plutôt qu'à la négligence de ceux qui devaient les
appliquer.
En résumé, il n'y a aucune nécessité à distribuer
entre deux officiel différents les devoirs et la respon-
sabilité qui incombent, dans l'organisation anglaise, à
r Adjudant-général et au Quartier-mattre-général, et
le systèftie français, qui réunit leurs attributions dans
les mains du seul chef d'état-major, a prouvé -toute sa
supériorité pendant la guerre d'Orient.
îl est pourtant un détail du service du Quartier-
maltre-général sur lequel nous croyons utile d'appeler
Taltention. On a pu apprécier, pendant la campagne
8'i CONSTITUTION KT PUISSANCE MILITAIRES
de Crimée, et plus récemment encore pendant la cam-
pagne d'Italie, toute l'importance du rôle que la marine
est appelée à jouer dans les guerres modernes. Aucune
opération sur une échelle respectable ne sera guère
entreprise désormais sans que la marine apporte son
concoure aux armées de terre. Les flottes à vapeur
modifieront sans doute toute^s les anciennes combinai-
sons en offrant un élément de puissance et d'action
tout nouveau pour les opérations militaires dirigées
contre les États présentant une frontière maritime.
La question des embarquements et des débarque-
ments, rinstallation, Toi^anisation et la discipline des
troupes de terre sur les transports, sont des détails
appelés à prendre une grande importance. En Angle-
terre, le Quartier-maître en est chargé, et la position
insulaire de la Grande-Bretagne d'une part, de l'autre
les nécessités du service colonial, ont donné à TÉtat-
major de nos voisins sur cette matière une expérience
d'autant plus complète qu'elle est basée sur une pra-
tique plus fréquente.
Il serait à désirer qu'en France, où tout ce qui a
rapport à Farmée est réglementé avec tant d'ordre et
de soin, ou publiât sur l'embarquement et le débai-
(juement des troupes de terre une instruction analogue
à celle actuellement en vigueur pour leur transport
par les chemins de fer. L'ouvrage du général Gri-
moard, rédigé à l'époque du camp de Boul(^ne sous le
premier Empire, est un modèle que le général sir Ho-
ward Douglas cite comme un livre classique, et que
tout officier d'état-major anglais devrait avoir en sa
DE LA FRANCIi: ET DE L ANGLKT£aRF. f^^}
possession. Convenablement remanié, cet ouvrage
fournirait, eu effet, de précieuses indications pour la
rédaction d'un traité nouveau approprié aux conditions
actuelles des années de terre et de mer (1).
En Angleterre, comme en France, le principe divi-
sionnaire est la base de l'organisation générale et tac-
tique de J'armée.
Chaque division, dans les deux pays, comporte deux
ou trois brigades.
Chaque Mgade est formée de deux ou trois régi-
ments.
Le service d 'État-major étant constitué par division,
il n'existe pas dans Tarmée française d'emploi analogue
à celui occupé dans l'armée anglaise par le major de
brigade. Chez nous, les fonctions de cet officier d'état-
major sont remplies, en ce qui regarde la transmission
des ordres, par l'^ide-de-camp du général de brigade ;
en ce qui touche à la discipline des corps, aux tours
de service, aux gardes, parades, etc. , par les adjudants-
majors des régiinents.
(1) Traité sur le service de V État-major général des armées ^ par
le géDéral Giimoard, 1809.
Le lecteur auquel il a été donné d'assister à Timmense dé-
sordre dans lequel les approvisionnements et le matériel de Tarmée
anglaise ont été expédiés en Crimée, et aux difficultés sans nombre
que radministration française a dû vaincre dans les mêmes circon-
stances, verra, au chapitre VUl du livre que nous citons, les in-
structions détaillées qui avaient été préparées pour rembarquement
de rarmée de Boulogne, et pourra juger de l'ordre et de la régu-
larité que Ton était parvenu k établir dans tous les détails de cette
gigantesque opéraUon. — Nous reviendrons ailleurs sur ce sujet.
86 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Le major de brigade est, en quelque sorte, Tadju^
dant-général ou le chef d'élat-major de la brigade an-
glaise. Lorsque celle-ci opère isolément, par exemple
dans les conditions des brigades mixtes (1 ) employées
dans rinde ou détachées dans les colonies, le major de
brigade constitue un rouage réellement utile. Dans les
circonstances analogues, on détache en France un ou
plusieurs officiers d'état-major auprès du commandant
de la brigade.
Le Secrétaire militaire {military secretary) n'a pas
de position marquée dans Torganisation de l'État-major
français. Chez nous, le premier aide-de-camp est le
secrétaire confidentiel du général, et celui-ci n'ayant h
s'occuper en aucune façon des questions de finances,
qui sont dans les attributions du corps de l'Intendance,
il n'a pas besoin de conseiller remplissant auprès de
lui les devoirs spéciaux qui incombent au secrétaire
militaire placé près des généraux anglais.
Les règlements relatifs aux finances militaires, et
dont l'exécution doit être surveillée et recommandée
par le secrétaire militaire, sont rarement connus des
officiers de l'armée anglaise; il en résulte que, le plus
souvent, on est obligé d'attacher aux armées et aux
corps d'armée des membres du Commissariat (2% qui
(i) On appelle brigade tnixie celle qui comprend de Finfanterie,
de la cavalerie, et quelquefois même de rartillerie. Notre règlement
sur le service en campagne admet Forganisaiion de ces brigades
pour le service d'avant-garde des grandes armées. Elles sont fré-
quemment, pour ne pas dire continuellement, employées en Afrique.
(2) Corps analogue à celui de Tlntendance mUltaire.
m LA FRANCE BT DE L'AlfCLCTERRE. 87
déchargent alors le Secrétaire militaire de la partie ad-
ministrative de son service et lui permettent de s'occu-
per exclusivement de la correspondance.
Il serait infiniment préférable de limiter les devoirs*
du secrétaire militaire aux questions purement mili-
taires et d'instituer, pour la partie administrative, un
fonctionnaire tiré du Commissariat ou de la Trésorerie,
et qui, avec le titre de Secrétaire financier, serait
chargé d'éclairer le commandement dans toutes les
questions entraînant uiie dépense. Malheureusement,
comme nous le verrons ailleure, l'organisation incohé-
rente, mal définie du Commissariat anglais, ne se prête
que très imparfaitement à cette combinaison, malgré
robligation où se trouvent nos voisins d'y recourir le
plus souvent.
L'organisation de l'État-major des places, en An-
gleterre, est la même qu'en France. La seule diffé-
rence, c'est que, chez nous, les officiers qui en font
partie forment un coi^ps à part, tandis (jue, chez nos
voisins, vu leur petit nombre (i), ils sont confondus
dans l'ensemble du cadre de l'État-major.
La constitution anglaise s'opposant à l'enîploi de
toute force militaire pour la police intérieure du
royaume, il n'existe chez nos voisins aucun corps ana-
(1) Le nombre des places fortes, comme nous le verrons ailleurs,
a été, jusqu'ici, très limité en Angleterre. — Grâce à leur position
insulaire, nos voisins ont cru pouvoir négliger complètement leurs
fortifications ; ils ont mis toute le^ir confiance dans leurs flottes.
L'introduction de la vapeur dans les marines militaires du conti-
uent modifiera nécessairement ce système de défense.
88 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
logue à notre gendarmerie. Nous avons vu comment,
en cas de guerre, il était suppléé à cette utile institu-
tion de l'autre côté du détroit.
I^s organisations accidentelles, temporaires, au
moyen desquelles nos voisins cherchent à pourvoir au
service de la police dans leurs armées actives n'at-
teignent que très imparfaitement leur but.
Les devoirs des Prévôts-maréchaux {Provost^mar^
shaîs) et de leurs auxiliaires ne sont pas d'une nature
tellement simple qu'il soit facile de les remplir sans
aucune étude préliminaire, surtout lorsqu'on songe
aux conséquences qui peuvent résulter de l'usage mala-
droit ou abusif des pouvoirs presque illimités qu'il est
nécessaire de leur confier.
Le calme, la modération, unis à un jugement droit,
sont aussi nécessaires que l'intelligence et l'activité
dans l'accomplissement des fonctions de ces agents. Or,
on se tromperait fort si l'on pensait qu'un supplément
de solde insignifiant peut suffire à fissurer la réunion
de ces qualités chez les hommes qui se proposent vo-
lontairement pour un service assez impopulaire de sa
nature.*
L'absence d'un corps de police spécial est une la-
cune évidente dans l'oi^anisation militaire d'Outre-
Manche; il est clair que le gouvernement aurait tout
intérêt à entretenir un cadre permanent qu'il lui serait
loisible de restreindre en temps de paix et qu'il pour-
rait élargir en temps de guerre, suivant les besoins du
service.
Wellington, pendant la guerre de la Péninsule, a
DE LA FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. 89
exprimé plus d'une fois son opinion sur la mauvaise
oiigaDisation du sei*vice de la Prévôté dans les armées
anglaises; c'est pendant cette campagne qu'il écrivait à
I^rd Castlereagh : « Il est impossible de vous exprimer
» toutes les infractions à la discipline, tous les désordres
» qui se commettent dans l'armée. Nous n'avons pas
» moins de quatre prévôts adjoints, indépendamment
» du prévôt-maréchal ; malgré cela, il n'est pas d'où -
» trages dont les soldats ne se rendent coupables à l'é-
» gard d'une population qui les a accueillis comme des
» ainis, et au milieu de laquelle ils n'ont pas eu un in -
» stant à souffrir de la plus petite privation (i). »
Daas un autre endroit de sa correspondance, le duc
s'exprime ainsi : « Je crois véritablement que jamais
» armée au monde n'a commis autant de brigandages
» et de crimes que la nôtre. Et cependant, je n'ai pas
» moins de sept ou huit prévôts^ tandis que les autres ar^
» mées en ont seulement deux d'habitude (2). »
Quelle différence avec le témoignage que l'Italie,
(1) « It is impossible to describe to you the irregularities and ou-
» trages committed by the troops. We hâve a Provost and no less
» tban four assistants, and yet thei*e is not an outrage of any des-
» crlplioD which has not beea committed on a people who hâve
>• uniformly received us as friends by soldiers who never yet for
" one moment suffered the sligbtest want or the smallest priva-
>> tion. » (Dépêche datée d*Abrantès, 17 juin 1809.)
(*2) « 1 really believe that more plunder and outrages has been
D committed by this army than by any other that ever was in the
» field. To this 1 may add that 1 hâve not less seven or cight Pro-
- vosts, other armies having usually two. » (Dépèche datée de Ba-
dajoz, 8 septembre 1809.) '
90 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIBIS
dans des circonstances presque semblables, pourrait
rendre de Tarmée française qui lui a restitué son indé*
pendance !
Cependant on n'a jamais entendu dire qu'il ait fallu
fouetter ou pendre un soldat français pour l'obliger a
respecter les personnes ou les propriétés des Lom-
bards (1).
Sous l'empire de la panique qui, de temps à autre,
agite nos voisins, il est devenu de mode, dans la presse
anglaise, de déblatérer contre la prétendue indiscipline
de nos Zouaves et de nos Turcos. Nous recommandons
aux braves cwkneys de Londres (dont on stimule le
zèle dans ces occasions, tout on allégeant leur bourse)
la lecture des adresses et des adieux de Brescia, de Mi-
lan, dePavie, etc., à ces terribles ogres dont on leur
offre périodiquement Tépouvantail.
La situation que déplorait Wellington ne s'est pas
modifiée. Pendant la guerre de Crimée, TinsufiSsance
des moyens mis à la disposition des généraux anglais
pour assurer la police de leurs troupes n'a été que trop
révélée dans plusieurs circonstances. A l'intérieur, ne
fût-ce que pour anôter le nombre toujours croissant
des déserteurs, l'organisation d'un corps de police per-
manent ne serait pas moiri^ utile qu'en campagne,
Tandis qu'en France, grâce à la bonne direction don-
née au service de notre gendarmerie, la désertion est
(1) Le Prévôt-maréchal, dans Tarmée anglaise, a le droit de fouet-
ter ou de i)endre sur place {on the spot) tout soldat surpris eo fla-
grant délit de violences ou de brigandage.
P£ LA PRANCfi BT DE L ANGLKTKRftB. 91
presque inconnue, cette plaie honteuse pout Tannée
anglaise va sans cesse en se développant, et, à Theure
où nous écrivons, 20 à 30,000 hommes, chaque année,
suivant les documents officiels, abandonnent illégale-
ment leur drapeau chez nos voisins,
92 CONSTITUTION ET PUISSANCE MD^ITAIRES
CHAPITRE. V
Notions générales et communes aux différentes armes sur Inorgani-
sation régimentaire de l'armée anglaise. — Proportion comparée
de l*Infanterie, de la Cavalerie» de l*ÂrtiUerie et du Génie dans
l'armée française et dans Tarmée anglaise. — Ordre de préséance"
des différentes^ armes dans Tarmée britannique. — Corps non
classés dans le tableau des préséances (régiments coloniaux). —
Signes distinctifs des régiments anglais. — Organisation aristo-
cratique et féodale dans le fonds comme dans la forme. — Le co-
lonel anglais; il est le commandant a(2 honores du régiment; ses
anciens privilèges, sa situation actuelle.
La proportion dans laquelle les différentes armes de
rinfanterie, de la Cavalerie, de rArtillerie et du Génie,
entrent dans la composition de Varmée anglaise, n*est
pas la même que celle généralement adoptée sur le
continent.
En France, l'infanterie étant prise pour terme de
rx)mparaison, la cavalerie compte pour un peu moins
du cinquième, l'artillerie pour un peu plus du sixième,
le génie pour un vingt-cinquième environ.
En Angleterre, la proportion de la cavalerie est beau-
coup plus faible, elle ne dépasse pas le huitième de
l'infanterie (1). En revanche, la proportion de l'artil-
lerie est plus grande, elle s'élève à plus du cinquième.
Les troupes du génie entrent dans une ^ale propor-
tion dans la composition des deux armées.
(l) Pendant les guerres du premier Empire, la cavalerie anglaise
égalait en nombre le sixième de rinfanterie.
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 93
L ordre de préséance des différentes armes, tel qu'il
est établi en Angleterre par les règlements {Çueen's
Régulations)^ est le suivant :
1" Les Gardes du corps et les Gardes à cheval {Life
Guards andllarse Guards).
2" L'Artillerie a cheval {Uorse ArUllery).
3* La Cavalerie de ligne {Cavalry ofihe Une).
4* Le Corps royal d'artillerie {Royal Jrlillery).
5' Le Corps royal du génie {Royal Engineers),
6« L'Infanterie de la garde {Fooi Guards).
7' Les Bataillons de vétérans {Vétéran battalions).
8* L'Inlanterie de ligne {Infantry of the Une) dans
l'ordre de numéro de ses régiments, avec cette excep-
tion, cependant, ([ue l'infanterie de Marine {The Royal
Marines) y prend rang immédiatement après le 49" ré-
giment {The Princess Charlotte of W aies' s Régiment j,
et la brigade de Tirailleurs {Rifle Brigade) après le
93' {Highlanders).
M. Dupin, en faisant allusion aux dispositions qui
précèdent, croit devoir faire remarquer que le règle-
ment anglais est contraire aux saines doctrines mili-
taires, parce qu'il place constamment les troupes à che-
val avant les troupes à pied, tandis que l'Infanterie et
l'Artillerie doivent être considérées comme les armes
principales. L'auteur des Voyages dans la Grande-Bre-
lagne commet ici une erreur. Le règlement des pré-
séances ne s'applique qu'aux parades et aux revues ;
il n'est pas constamment obligatoire, et dans toutes les
autres circonstances du service, à plus forte raison en
campagne, l'ordre de bataille des différents corps est
9^1 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
entièrement laissé, en Angleterre comme partout, au
libre arbitre du général.
Indépendamment de l'infanterie de Marine, qui ap-
partient plus spécialement au service de la Flotte, mais
que nous voyons, grâce à l'organisation incohérente
de nos voisins, prenant rang au milieu de Tinfanterie
de ligne (1), il existe un certain nombre de ooi-ps ou
régiments qui ne figurent pas sur le tableau des pré-
séances, quoique faisant partie des forces de terre.
Il est nécessaire de les comprendre dans un cadre
d'ensemble de l'armée anglaise.
En première ligne, vient le Train militaire (MilUary
Train)^ qui marche sur VArtHy-List après le corps des
Ingénieurs.
2® Trois ï^iments des Indes-Occidentales ( fVe$t
India Régiments).
8* Le régiment de tirailleurs de Ceylao (Ceylw
Rifle Régiment),
4* Les tirailleurs à cheval du Cap {Cape mounted
Riflemeh).
5* Les tirailleurs du Canada {Royal Canadtan Rifle
Régiment),
6** Le régiment de Sainte-Hélène {St-Helena Regi^
ment.)
7'» Les compagnies royales de Terre-Neuve (Aoya/
Newfoundland Companies.)
(1) L'Infanterie de Marine, comme nous le verrom ailleurs, ooii-
pose un corps fort important et qui comprend de l^artillerie. L'ef-
fectif des Royal-Marines au moment oti nous écrivons dépasse
1$ 000 homtnes.
DE L\ FRANGE ET DE l/ ANGLETERRE. 95
6' Le corps de 1 artillerie de la Côte-d'Or {Gold
Coùst ariillery Corps.)
9« Volontaires de Malte {Royal Malta Fendble Régi-
ment) .
Les différents corps dont nous venons de donner la
nomenclature, à Texception de Tinfanterie de Marine
et du train militaire, appartiennent spécialement au
service des colonies; ils ne comptent pas dans rarmée
indigène. Toutefois, dans une étude embrassant toutes
les conditions de l'attaque et de la défense de la
Grande-Bretagne; il est nécessaire de pouvoir se for--
mer une idée exacte de ces forces spéciales. Cette con-
naissance permettra de juger le degré de résistance
que pourraient offrir les divers établissements colo-
niaux de l'Angleterre, s'ils venaient à être abandonné»
à eux-mêmes dans le cas d'une guerre avec la France.
D'un autre côté, l'examen de la situation militaire de
œs établissements disséminés sur toute la surface du
globe, mettra à même d'apprécier dans quelle propor-
tion TAngleterre est obligée de distraire des troupes de
l'armée de la métropole, afin d'assurer, en temps ordi-
naire, leur sécurité. Ceci s'applique surtout à l'Empire
des Indes, dont l'armée indigène est encore à réorga-
niser.
Les régiments de chaque arme, en Angleterre
comme en France, sont désignés par des numéros*
Chez nos voisins, indépendamment de son numéro,
chaque corps porte encore le nom de son colonel, ou
bien celui d'une ville, d'une province, etc. La plupart •
ont en outre des écussons, des armoiries, une sorte de
96 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
blason, en un mot, qui caractérise partaitement l'es-
prit féodal et essentiellement aristocratique qui s'est
perpétué dans l'organisation militaire de la Grande-
Bretagne.
Dans l'armée anglaise, le colonel ne sert jamais avec
le régiment dont il n'est que le chef honoraire.
Tous les colonels titulaires des différents corps sont
majors-généraux, lieutenants-généraux, généraux, ou
même feld-maréchaux. Autrefois, les colonels anglais
étaient en quelque sorte propriétaires de leurs régi-
ments. Leur solde, ou plutôt leur revenu, consistait
principalement dans les économies réalisées sur les
fonds alloués par le Gouvernement, pour l'habillement
et l'entretien des hommes. Depuis 1854, ce système,
aussi peu digne pour les colonels, que contraire aux
intérêts du soldat et de l'État, a été enfin aboli (1).
Toutefois, l'organisation, quant au reste, n'a pas été
modifiée. Les colonels sont toujours des chefs ad ho-
nores, ou in parlibus des régiments; ils appartiennent
toujours à l'État-major général de l'armée.
Il arrive même, parfois, que le même personnage
peut cumuler le commandement de deux régiments;
— bien mieux, de deux régiments d'armes diffé-
rentes.
(1) La sotde des généraux cominandants des régiments a dû èlit-
réglée de manière à les dédommager de la perte des proflts [offrec-
konings) qu'ils réalisaient, avant 185/i, sur rhabillcment. Ces pro-
fils devaient être assez beaux, si l'on songe que c'est entre 1000 et
2200 livres (25,000 et 55,000 fr.) que varient leui*» ap|>ointement!»
actuels.
DE LÀ FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 97
Ainsi, le Prince Albert (the Prince Crnsori) est à la
fois colonel des grenadiers de la garde et colonel en
chef de la brigade de tirailleurs.
Le vicomte Gough, ancien commandant en chef de
Tannée des Indes, est à la fois colonel d'un régiment
de cavalerie (les Horse-Guards) et colonel du 60' d'in-
fanterie.
Parmi les personnages marquants en possession de
régiments anglais, nous citerons encore le duc de Cam-
bridge, général en chef de Tarmée et colonel (les fusi-
liers écossais de la garde; le général Simpson, ancien
commandant en chef en Crimée, colonel du 87" ; lord
Clyde (sir Colin Campbell), général en chef de l'armée
des Indes, colonel du 93' highlanders, etc., etc.
96 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIUB
CHAPITRE VI.
g 1er, _ Organisation régimentaire de Tinfanterie anglaise. — In-
fanterie de ligne. -^ Tirailleurs. — Unité tactique et nnlté admi-
nistrative. •*- Le bataillon et le régiment anglais. ^ Tablaan des
leo régiments d infanterie de ligne avec rindication de leurs dé-
nominations particulières et des signes houoriflques ou distinctifs
qui servent à les désigner. — Brigade de tirailleurs. — Uniforme
de rinfanterie. — Ckjuleurs dlstlncllves des régiments. — Régi-
ments royaux.
13.-- Personnel d'un régiment dinfanterie : OMclen de TËtat-
major. — Offlçiers de compagnie. — Sous-officiers de TËtat-na-
jor. — Effectif du bataillon normal en officiers, sous-officiers,
hommes et chevaux. — Du lleuteuant-c^lonel commandant le ré-
giment. — Ou major. ** De Tadijudant. — Du cbinirgien «t des
aides-^irurgiens. — Du payeur. — Du quartier -naltr».
§ 3. — De la compagnie d*infanterie anglaise. ~ Du capitaine, du
lieutenant et de renseigne. — Les sous-officiers sont la cheville
ouvrière de Torganisation régimentaire. — Du sergent-major. —
— Des sergents de drapeau. — Effectif nominal et effectif réel du
régiment anglais. — Des non-valeurs. — De la musique. — Effec-
tif de la brigade d'infanterie ordinaire en officiers, hommes et
. chevaux.
§ i"*
L'infanterie anglaise indigène (1) comprend :
r Cent régiments de ligne (2).
!i' Une brigade de tirailleurs.
(1) On emploie ici le terme d'infanterie indigène par oppositiori
aux régiments et corps coloniaux dont il sera parlé plus loin, bien
que ceux-ci soient aussi composés, en partie au moins, d'Européens.
H en est de même de l'armée indienne.
(2) Dans rinfanterie de ligne, qui fait l'objet de ce chapitre, ne
figurent ni rinfanterie de la Garde [Fool-Guards), ni l'infanterie de
Marine (Raydl-Matines), ni la Milice.
DE LA PRANGE BT DE LATfGLETERRE. 90
Comme en France, le bataillon est l'unité lactique
adoptée pour l'infanterie dam l'armée anglaise. En
principe, oette unité tactique se confond, chez nos voi-
sins, avec l'unité administrative ou le régiment; en
règle générale, leurs corps d'infanterie sont à un seul
bataillon. Cependant, lorsqu'il y a lieu d'augmenter
Teffectif de l'arméCi ils sont obligés de se départir de
ce système, malgré ses avantages incontestables, afin
de ne point aggraver encore les charges du budget par
la création de nouveaux états-majors régimentaires.
Dans Tétat actuel, les régiments portant les vingt-
cinq premiers numéros sur VArmy List sont à deux
bataillons ; les soixante-quinze derniers, sauf le 60* [The
Kmg's Royal Bifle Corps), qui en comporte quatre,
sont à un bataillon.
La brigade de tirailleurs [Brigade of Rifles), comme
le 60% en comprend également quatre.
L'infanterie de ligne anglaise présente donc un total
de cent trente-deux bataillons. Les régiments, avons-
nous dit, portent des noms particuliers sous lesquels
on a l'habitude de les désigner, plus souvent encore,
peut-être, que par leurs numéros; Il est indispensable,
pour pouvoir se rendre compte de l'emplacement et
des mouvements des différents corps de Tarmée an-
^aûe, tels qu'ils sont enregistrés dam les journaux et
même dam k» ordres officiels, de connattre exactement
ces dénominations i Nous allons en donner la série, en
les faisant suivre, à titre de renseignement complé-
mentaire, de rindicattoD des annoiries et devises ptr«
ticulières à chaque régiment;
100 CONSTITITION ET PUISSANCE MILITAIRES
Liste des régiments d'infanterie de ligne de l'armée f/ritannif/ue,
avec indication des emblèmes et mentions honorifiques que
chacun d'eux est autorisé à porter sur son drapeau et ses
équipages (1 ).
Numéros.
1. The Boyal Régiment. —Signes disti fictif s : Le chiffre royal
entouré du collier de Saint-André, et surmonté de la cou-
ronne d* Angleterre ; le sphinx (2).
2. QueenU Royal. — S. d. : L*agneau pascal avec la devise,
Pristinœ virtutis memor ; le chiffre royal et la couronne ;
le sphinx.
3. Xati Kent. The Suffi. — 6\ d. : Le dragon.
û. King'i Own. — S. d. : Le lion d'Angleterre et le chiffre royal.
5. jrorthumherland Tutilien. — S. d, : Saint -Georges et Ic
dragon; la rose et la couronne; le timbre royal avec la
devise, Que fata vacant.
6. Boyal Pirit Warwîokihire. — S. d. : Une antilope, la rose
et la couronne.
7. Boyal Fusilien. — S. d, : La rose entourée de la jarretière
et surmontée de la couronne; le cheval blanc.
8. The King'i Régiment. — S. d. : La couronne et la jarretière;
le cheval blanc et le chiffre royal ; le sphinx avec la devise,
Nec aspera terrent. *
9. The Zatt Vorfolk. — S. d.: La figure symbolique de TAn-
gleterre.
10. Vorth Ziincoln. — &\ d. : Le sphinx.
{\) Indépendamment des signes honorifiques mentionnés dans le
tableau ci-dessus, chaque régiment est autorisé à inscrire sur son
drapeau le nom des campagnes et batailles auxquelles il a assisté.
(2) GerUins signes sont communs à plusieurs régiments, ainsi :
le Sphinx est commun à tous les régiments qui faisaient partie, en
Egypte, de Tarmée d'Abercrombie ; Tinscription Montis insignia
calpe au-dessous d'une tour et d'une clef est commune aux régi-
ments qui ont défendu Gibraltar ; le Tigre royal et le Dragon se
retrouvent sur le drapeau de tous les régiments ({ui ont fait cer-
taines campagnes dans rinde et en Chine; etc., etc.
DE LA FRANCE ET DE i/aNGLETERBE. <01
Niimêrofi.
il. Vorth llevoïk. — S. d. : Néant.
l'i. Sast SulTolk. — -S.c/. ; Une tour et une rlcf, avec IMnscriplion,
Montis insignia calpe,
13. Vint SomeneUhîre , Prince Albert'i Régiment of X.ight
bifantry. — S. d. : Le sphînx, une couronne murale.
iU. Maékm^MMaûùre. — S. d. : Le cheval blanc, le tigre royal,
la devise, Nec aspera terrent,
15. Tork Zati Biding. — S. (/. : Néant.
16. Bedforddiire. — S. d. : Néant.
17. l«îoettenliire. - S. d. : Le tigre royal.
18. Bayai irîih. — S. rf. : Le lîon de Nassau avec Finscriptlon,
Virtutis namurcensis prœmium; le sphinx, le dragon.
19. Tirtt Tork JTorth Bîdîng. — S. d. : Néant.
20. Zast Bevonshîre. -^ S. d. : Le sphtnx.
21. Boyal Vorth Britiih Tusilîert. — S. d. : Le cbardon entouré
du collier de Saint-André, le chiffre royal, la couronne et
la devise, Nemo me impune lacessih
22. Tlie Ghediire. ^S.d.: Néant.
23. Boyal ^MTelob Fnulîeri. — La plume du prince de Galles, la
devise, Ich Dien ; le soleil levant, le dragon rouge, lo
cheval blanc, le sphînx et la devise, Nec aapera terrevL
24. 2« ^nrarwîekihîre. — S. rf. : Le sphinx.
25. Tlie Hing'i own Bordereri.— Le chiffre roval avec la devise,
In veritate religionis confido ; les armes d'Edimbourg avec
la devise, Nisi Dominus frustra; le cheval blanc et la de-
vise, Nec aspera terrent,
26. Cameroniant. — 8. d, : Le sphinx et le dragon.
27. lantduUing. — La tour dlnniskilling et retendant de Saint-
Georges, le cheval Wanc avec la devise, Nen aspera terrent;
le sphinx.
28. Vorth CHoneetterahire. — 5. d. : Le sphinx.
29 'WoroeatcnliBre. — S. d. : Néant.
30. Cambridgediûre. — S. d. : Le sphinx.
31 HoUngdonshire. — S. d. : Néant.
32. Gorawal Ught Infantry. — S. d. : Néant.
33. Tlie Ihike of -Wcilington'i Begîment. — S. d. : Le timbre e t
récusson du dernier duc de Wellington.
36. Oumbcrland. — S. d. : Néant.
iO*2 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIUS
Numéros.
35. Boyal SoMes. — S. d. : Néant.
36. Ber«rordiliife. — S. d. : La devise, Ft'fm,
37. Vorth Httnpdiire. — S. <{. : Néant.
38. Tint 8uffoni0hîr«. — S. d. : Néant.
39. HorMUhîre. — S. d. : La devise, Primus in Indiif une tour
et une clef avec l'inscription, Montit imigmiaotUpê.
40. 2« SomerseUhîre. — S. d, : Le sphinX,
lii, The ^Weioh. — La plumo du prince de Galles» eC la devise,
Gwell angau neu Chwilydd^
[i% Boyal HigUand. «, S. d. : Le chardott entouré du oofdon de
Saint-André et la devise» Nemo meimpum lac$mt.
/i3. KQnmoutlMhire Ught Iiif«ntry. — S. d. : Néant.
/|/i. Zatt Esiez. -* S. J. : Le sphinx.
Ub, VotUnghainshire. -^ S. d. ; Néant.
46. South Bevonthîre. — S. d. : Néant.
47. The lÉUMathûre. — S. d. : Néant.
/t8. jrorthamptonshîre. — S. d. : Néant*
/j|9. The Vrîncett Charlotte of "W^Ud'it or &Mii«dtlliM, —
S. d, : Le dragon.
50. Queen's Own. ~ S. d. : Le sphinx.
51« 2« Torkthire Wett lUdiii( or .the Siiif's «im lîg^ lafn-
try. — S. d. : NéanU
52. Oxfordihiie lôght Infanty. — S. d. : Néant.
53. The Shropdiire. — S. d. : Néant.
54. West Vorfolk. — S. d. : Le sphinx.
55. ^Weitmoreland. — S. d. ; Le dragon.
56. Wett Esiex. — S. d. : Une tour et une clef avec rinaeription,
Montis insignia colpe.
57. Wett Blûldletex. — S. d. : Néant.
58. &aiiaiiddiîre.-- S. d. : Une tour et une clef vrûc rimcriptlon,
Montis imignia calpe,
59. 2« jrottînghamihire. — S. 4- i Néant.
60. The Hiiig't Royal Bille Ooq^.— 5. d. : La ém». Mer et
audax.
61. Soath CHouoetterthire. — S. d. : Le spMnx.
62. The Wiluhîre. — S. d. : Néant.
63. The Wett SoSblk. ^S. d. : Néant
6â. ^ Staffordthîre. -^ S. d, \ Néant.
01 hk FIANGB R DE L AMQLBmRB. iOS
éôTÏ* TorkihiM «orlh HUiaf. ^ S. d. : Le UgM lOjriK
66. Bwikthîie. — S. d. : Néant.
67. looth Bn^dive. — S. d. : Le tigre royal.
68. The Harium lOshi Ialbslf]r. -* S. (i. : Ntellt
69. ImiUi fiiiMwinthîrc. — S. d. : NéanU
70. Tkm SwNV. — S. d. : NéaoU
71. Sgbknid lÂghi Infantry. — S. d. : NéftnU
72. Duke oT AllMBy'i own Blghlandcft. -« S. d. t Le ohiffire dtt
duc et la couronne ducale.
73. (i) S. dL : Néant.
76. BSgUanden. ^ S. d. : Un éléphant.
75. (1) S. d. ; Le tigre royal.
76. (1) S. d. : Un éléphant.
77. smi iBddietfix. ^ S. d. : La plume du prince de Galles^
78 BîghUndert AoMhbe Bnffs. — S, d. : Uq éléphant-
79. Onnercm SIghIaaden. — S. d. : Le sphInx.
8ô. guftf<tfcat< TdwiMr*. -- 5. d. ; Le sphinx.
8i. moyiU lôMoln'f TelniMM. ^ S. d. : Néant,
82. The Vrinoe of ^Vake't Tolimleert. .— S. d. : La plUDie du
prince de Galles.
89. Comly «r 99^m. ^S. d. : Néant.
U. To«h a^ Imm^mBim. -* S. d. : Th$ Unùm Jhêê.
8& Boelu TelimieerB, Uie Xng't I«ght lafimlnr BashMnl. —
S. d. : La devise, Aucto spUndore resurgo.
86. Boyal Ooimty 9owii. — S. d. 9 La harpe et la couronne avec
la devise, Quis êêparMt ; le sphinx.
87. mofàk Xrnh Fmlierf . ^ S. d. ; La plume dtt prince de Galles;
la harpe surmontée d*un aigle tenant une couronne de
lauriers.
88. Ctomuiiigh Baagen. -* 8. d. : La harpe et la couronne avec
l'inscription, Quis separabit,
89. (1) 5. d. : Le sphinx.
M. Twihihîm Tohmtem» X«ski Intotry. *- S. d. : Le sphinx.
9i. Argyishm. ^ S. d. : Néant.
(1) Ne porte pas d'autre nom que son numéro. Sept régiments
seulement, dans toute l'armée anglaise, se trouvent dans ce cas (73,
75, 76, 89, 9A, 96, 98).
lOft CONSTITUTION BT PUISSANCE MTUTAIKKS
NamérM.
92. Highlttiiden. — S. d. : Néant
93. Bighlandm. •- S. d, : Néant.
9/i. (1) S. d. : Néant.
95. The Herbyihire. ~ S. d. : Néant.
96. (1) S. d. : Néant.
97. Earl of mstar'i Begîmcnt. —S. d. : La devise : Quo fas et
gloria ducunt.
98. (1) S. d. : Le dragon.
99. Irfuiadcihire. — S. d. : Néant.
100. Pnnoe of "WAlet'i Boyal Gaïuuiiaii. -^ S, d. : Néant.
Brigade de tirailleurs {Rifle brigade).
' Cette brigade comprend h bataillons, et constitue,
avec le 60* de ligne, la seule véritable infanterie légère
de l'armée britannique. Nous verrons ailleurs que les
autres régiments désignés sous ce titre n'en portent, en
réalité, que le nom.
La brigade de tirailleurs a pour colonel en chef le
prince Albert {the Prince Consort), Son corps d'oflB-
ciers se compose de : 2 colonels commandants , 6 lieu-
tenants-colonels, 8 majors, 48 capitaines, 60 lieute-
nants, ftO enseignes, plus un état-major de payeurs,
quartier-maîtres, adjudants, etc., en rapport avec la
loroe (le la brigade.
Uniforme.
Toute l'infanterie anglaise, k l'exception du 60' et
de la brigade de tirailleurs, porte l'habit rouge. Les
légiments, quant à l'uniforme, ne diffèrent entre eux
que par la couleur des parements et par la forme de
quelques accessoires, tels que plaques de shakos, pom-
pons, etc.
DE LA FRANCE ET DE ï/aNT.LETERRE. 105
19 régiments (n"' 1 , 2, A, 6, 7, 8, 4», 18, 21 , 23,
25, 35, 42, 50, 51, 85, 86, 87, 100) ont les pare-
ments bleus {blue) (1).
31 régiments (n*' 9, 10, 12, 15, 16, 20, 26, 28,
29, 30, 3û, 37, 38, 44, 46, 57, 67, 72, 75, 77, 80,
82, 83, 84, 88, 91, 92, 93, 95, tT), 99) ont les pare-
ments jaunes {yellow).
15 régiments (n^* 11, 19, 24, 39, 45, 49, 54, 55,
63, 66, 68, 69, 73, 79, 94) ont les parements verts
{green).
9 régiments (n"' 17, 32, 41, 43, 47, 59, 65, 74,
98) ont les parements blancs {while) .
4 r^iments (n" 58, 64, 70, 89) ont les parements
noirs [black).
3 régiments (n°* 33, 53, 76) ont les parements
rouges (rcrf).
Enfin il y a encore : 1 régiment (le 5^) vert clair
[bright green)\ 1 (le 36*) vert foncé [grass green);
1 (le 56*) pourpre {purple), et 1 (le 97') bleu de ciel
^sky blue) .
I^ 60* porte rhabit vert et les parements écarlates.
La brigade de tirailleurs, l'habit vert et les pare-
ments noirs.
(I) Les régiments dits royaux portent tous le parement bleu.
Comme on le voit par le tableau ci-dessus, et comme le fait obsener
très justement H. Dupin, cette qualification honorable de « régiment
royal » est beaucoup trop prodiguée dans Farmée angfaise ; aussi est-
elle à peu près sans valeur.
106 CONSTITUTION BT FUIMANCB MILITAIEIS
Lorsque les circonstances obligent à élever reffectii
de l'armée anglaise, il est d'usage d'augmenter le
nombre des bataillons des r^iments existants, au lieu
de former de nouveaux corps. Parfois l'accroissement
réclamé s'obtient en portante i& le nombre des com-
pagnies des bataillons ; de cette manière, l'effectif se
trouve modifié sans qu'il soit nécessaire de toucher à
Tétat-major régimentaire.
Voici, dans les conditions normales, le tableau de la
composition d'un bataillon d'infanterie anglaise :
/ i lteuteDaDt-coloDel(<»eti(0fiafit-colûiie/).
V (3 iD«Jor9 {majoTi).
\ i adjudant (ad;titanO.
Étal-major < i chirurgien {surgeon).
régimentaire J 3 aides-chirurgiens (assistant-turgêons)*
(ofllciers). [ i payeur (fiaymiwlar).
V i quartier-maitre (quartermatUr).
0 offlctors d^état-ms^or (#tajf o/^Se^rt).
^ (12 capitaines {eaptains).
Offlciers l iU lieutenants {lieutenants),
de compagnies. ( 10 enseignes (enW^s).
36 officiers de compagnie (œmpany officers),
OfOcier breveté (1). i i maître d*école (schoolmaster).
(i) Le maître d'école {schoolmaster) est le seul officier breveté
{warrant officer) reconnu dans Tarmée anglaise* Le rang attribué à
cet officier est de création toute récente ; il ne faut pas confondre le
titre qui le confère avec la commission ni avec la promotion ptr
brevet [brevet promotion), distinction honorifique dont nous parie-
rons quand nous traiterons de Tavancement dans Tarmée britan-
nique.
DE LA ntANCB R DE L ANOLISTBRM. 107
1 lergent mijor (êêfjêaru nuMor).
i quartlerlimattre sergent (quarUrma$ter
êêrjeanï).
Petit état-m^gor 1 i sergent payeur {paymaster iêrjeant).
ou état-major ) i secrétaire du bureau d'ordre {orderiy room
des aou&-ofliciers, ] clwk.)
i sergent armurier {armourer serjeant),
1 sergent iuflrmier {ho$pital $êrj$mit),
X 1 tambour ou clairon-major (drum or bugle
major). .
7 sons officiers d*é(atmdJor { staff of non
a mmisMoned offkêrs*
L'ensemble de rétat*major d'un régiment d'infan-
terie anglaise à un bataillon se compose donc de 52 offi-
ciers et sous-officiers .
Le tableau suivant donne la composition du. bataillon
[rang et files) (i).
fWrfraU. Caporaux. Tambour». 5W)kbU.
!• eoflSfMignks acUvcs. . . 45 45 23 810
2 — de dépôt. . 5 5 2 90
Totiinx. ... &0 50 25 MO
Ajoutant a ce chiffre celui de Tétat-major, on trouve
que la force totale d'un régiment d'infanterie anglaise
est de 1»077 officiers, sousrofflciers et soldats (2).
. (1} Daas l*évaluatioD des forces briUnniques, l*expression rang et
fites {ronk and file) sert à désigner tous les militaires qui restent
constamment dans te rang, c'esi-à-dlre les soldats et les caporaux.
(2) n s'agit ici du régiment ordinaire et normal, c'est-à-dire k un
se«l batalHoo. Dans les 26 premiers régiraenls, qui makik% batail-
lais» H y a 3 lieuleosAts-ooèoiiêis et à majors. Le 60* (k A baUiUoas)
a 7 NeulMiaiits-cokMiete et S majors. Les réginanla emptoyéa an ^*
bors ont aussi 2 HeiileBatiii-colonels, ij^e quand Us n'ont qu'utt
bataillon.
108 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Nous verrons plus loin loi^ganisation donnée aux
compagnies de dépôt dont la réunion forme 20 batail-
lons spéciaux.
Les colonels titulaires étant officiers généraux, ne
sont jamais présents à leurs corps, et c'est le lieute-
nant-colonel qui, dans l'armée britannique, est le chet
réel- du régiment; il en a l'autorité executive, mais
sans en avoir les avantages. Il est responsable de la
discipline et de Ve/ficience (1) de son bataillon, en
même temps que de tous les détails qui intéressent son
économie intérieure, son équipement, son organisation.
Le lieutenant-colonel a sous ses oi-dres immédiats
deux majors, également officiers supérieurs (Jield o/ft-
cers), et qui, dans la hiérarchie régimentaire de l'ar-
mée anglaise, forment le chaînon intermédiaire entre
le commandant supérieur du corps et les capitaines des
compagnies.
Quand le régiment se trouve divisé, le commande-
ment de la partie détachée {wing, l'aile) appartient au
major le plus ancien.
L'adjudant, dans le service général et journalier,
représente l'officier commandant; il est chai'gé de la
correspondance régimentaire. Il enregistre et commu-
nique les ordres; il reçoit les comptes rendus, les mé-
moires et rapports. H tient le registre du service ; il
(i) Efficiency^ efficience : ce mot, qui manque à la langue fran-
çaise, et dont nous nous servirons souvent, exprime parfaitement la
condition dans laquelle doit se trouver une personne ou une chose
pour répondre à une nécessité prévue, ou pour remplir efficacement
une mission déterminée.
D£ LA FfiANCE ET DE l' ANGLETERRE. 1U9
exerce une surveillance générale sur la discipline et
l'ensemble des détails; enfin il appuie et fait exécuter
eu toutes circonstances les ordres du lieutenant-colonel.
L'adjudant [adjutani), dans le régiment anglais, est
toujours un officier subalterne (lieutenant ou enseigne).
Il a droit à une solde plus élevée que celle de son grade,
en raison de sa responsabilité et de ses fonctions spé-
ciales.
Le chirurgien et les aides-chirurgiens {surgeon and
assistant surgeons) se partagent la direction de Tinfir-
merie et du service médical régimentaires. Pour tout
ce qui touche à leur aptitude professionnelle, ils dépen-
dent du directeur-général du département médical
{Director-general ofthe médical département) et de Tot-
ficier de santé le plus élevé en grade de la localité où
se trouve leur corps. Pour leui^ devoirs militaires, les
chirui^iens de régiment dépendent du lieutenant-colo-
nel. Ils doivent accompagner leur troupe en toute
circonstance, même au feu, et dans les opérations d'un
siège ils la suivent à la tranchée.
L'aide-chirurgien doit avoir servi cinq ans en cette
qualité avant de pouvoir être nommé chirurgien. De
ce dernier grade il ne peut être promu à un rang supé-
rieur avant dix ans de services. Toutefois, eu cas de
mérite distingué et de services exceptionnels en cam-
pa^e, cette r^le peut être modifiée.
Les officiers de santé détachés dans les régiments
anglais, bien que comptant toujours, comme en France,
à l'état-major du corps médical militaire dans les rangs
duquel leur promotion les fait rentrer, n'eu font pas
110 GOWOTITUTIOlf ET PUISSANCE MILITAIRES
moins partie intégrante de Torganisation régimentaire.
Ils doivent s'identifier autant que possible avec le corps
dont ils font partie ; ils ont d'ailleurs, à cause du petit
nombre des hôpitaux généraux dans la Grande-Bre-
tagne, un service plus important que les oflSciers de
santé régimentaires en France. Cette circonstance
explique d'ailleurs leur chiffre, proportionnellement
beaucoup plus élevé que dans Tarmée française.
Le payeur {paymaster) est chargé de toucher et de
distribuer la solde des officiers et des soldats. Il tient
la comptabilité relative à cet objet. Il est autorisé de
temps à autre à passer des revues du régiment. Finan-
cièrement, il n'est responsable qu'envers le Ministre de
la Guerre, aux bureaux duquel il doit, chaque tri-
mestre, rendre ses comptes.
Les payeurs ou trésoriers, dans l'armée anglaise,
sont quelquefois choisis parmi les officiers subalternes
des régiments. Ces officiers en prenant leurs fonctions
abandonnent tous droits à l'avancement; le plus sou^
vent les payeure sont des civils {eiviUans). La position
des trésoriers est assimilée au grade de capitaine. Leur
solde s'accrott en proportion du nombre de leurs an»
nées de services, et quand ils prennent leur retraite ils
se retirent avec le rang honoraire de major*
Le trésorier régimentaîre est tenu dé fournir un eau*
tionneraent de 2,000 livres sterling (50,000 francs) en
entrant en fonctions^
Le quartier-maitre, dans le r^inlent anglais, est
en quelque sorte l'intendant, l'hommes d'affaires du
commandant du r^iment. Cest envers lui seul qu'il
DE LA nANCB BT DE L'ANGLETERRE. lii
est responsable de l'accomplissement de ses devoirs.
Ceux-ci consistent dans la réception et la distribution
de toutes les denrées et effets distribués à la troupe,
tels que : fourrage, avoine, chauffage, éclairage, etc.,
habillement, équipement, etc. Le quartier-mattre tient
aoM la oompt^ilîté relative à ces divers objets. Il est,
en outra, chargé de la surveillance des casernes et
aotroa bâtiments publics mis à la disposition de son
corps; les fournitures et le mobilier dépendent égale**
ment de son contrôle. Le quartier-mattre doit recevoir
le casernement du garde-quartier {barraek-master)
lorsque son régiment arrive dans une garnison ; il doit
le remettre au même employé au départ. Le quartiers-
maître accompagne encore le garde-quartier dans les
revues mensuelles du casernement que doit passer
oelui-ci ; il assiste à la constatation des dommages et
dégradations résultant du fait de la troupe.
Les troupes anglaises, même en marche, étant lon-
gées presque toujours dans des casernes, et le logement
otiea Tha^tant (bUleting) n*étant pratiqué que fort ra-
remeot, on comprend toute Timportance que doit avoir
le service du quartier-mattre. Cet officier est encore
responsable, aux termes des règlements régimentaires,
de la propreté et de la bonne tenue des quartiers. Il a
à sa disposition, pour ce détail, un caporal et douze
pionniers.
L'miploi de quartiw-mattre est presque invariable»
inent réservé pour les sous-officiers {non tommimotîeîl
^fj^CBny n donne droit, comme ilssimilation^ au rang
de tientenant ou d'enseigne. Au bout d'un certain
112 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
temps de services, le titulaire de cet emploi peut se re
tirer avec le rang de capitaine honoraire.
§UI.
Chaque compagnie d'infanterie anglaise est com-
mandée par un capitaine responsable de la discipline,
deTinstruction pratique, des armes et de rhabillement
de ses hommes.
Comme en France , chaque capitaine d'infanterie
a sous ses ordres deux officiers subalternes qui, bieu
que de grade différent {Lieutenant and ensign)^ rem-
plissent les mêmes fonctions et ont la même respon-
sabilité.
Lorsque nous discuterons Toi^anisation r^imen-
taire de la Grande-Bretagne, nous apprécierons le rôle
que jouent les officiers dans le détail de la vie des
hommes et du service. Disons dès à présent que les
sous-officiers {non commissioned officers) constituent la
véritable cheville ouvrière de tout le système militaire
chez nos voisins. Indépendamment des devoirs qui
leur incombent dans toutes les armées, les sous-officiers
anglais exercent sur le soldat une action d'autant plus
gmnde, d'autant plus décisive, cju'ils restent avec lui
dans un contact de tous les insbmts, taudis que les
officiers, pour des motifs que nous aurons à analyser
ailleurs, non-seulement ne s'occupent pas des intérêts
de leurs hommes et n'interviennent, pour ainsi dire,
jamais dans les circonstances journalières et habituelles
(le leur vie, mais évitent même avec eux tout rappro*
DE LA FBANGB ET DE L ANGLETBaRIs. 11 S
chement qui \\esi pas commandé par une absolue né-
cessité.
Le sergent-major (Serjeanl-major) occupe le pre-
mier rang parmi les sous*officiers anglais; comme
l'adjudant sous-officier en France, il est le chef du
petit Êtat-major. Son rôle a la même importance.
Dans la hiérarchie anglaise, il représente, de fait, une
sorte d'adjudant' non commissionné; ses attributions
sont calquées sui' celles de cet officier, dont il partage
la responsabilité pour tout ce qui regarde le service
intérieur du régiment.
11 y a peu de choses à dire des autres sous-officiers
(le l'armée anglaise. Le service de ces utiles intermé-
diaires est le même dans toutes les armées du monde;
toutefois, comme conséquence de cette distinction des
classes qui caractérise si profondément la nation aussi
bien que l'armée britannique, on a dû en Angleterre,
plus que partout ailleurs, s'efforcer d'améliorer la con-
dition des sous-officiers. Il fallait les dédommager du
peu de chances d'avancement que leur ménage le sys-
tème en vigueur; leur situation n'eût pas été tolérabk
sans cette précaution.
L'institution des sei'gents de drapeau (Colour-set-
jeanU)j qui sont choisis parmi les sous-officiers les plus
méritants et dont le poste, sous les armes, est toujoui*s
autour de l'étendard, mérite de fixer particulièrement
l'attention.
Le ColoHf'Serjeant porte sur son uniforme certains
signes honorifiques (chevrons et sabres cioisés sur les
8
i\h CONSTITUTION ET PUISSANCB MILITAIRES
manches) qui servent à le distinguer. Il a, en outre.
une solde plus forte que celle des autres sous-ofBciers.
Nous avons dit que trois bataillons formaient la bri-
gade d'infanterie anglaise; deux brigades forment une
division.
Bien que la force nominale du bataillon, aux termes
de l'organisation régulière de campagne, soit de
4,077 officiers et soldats et de 74 chevaux (ceux des
bagages compris), il s'en faut de beaucoup que la force
réellement sous les armes atteigne ces chiffres. Une
brigade d'infanterie en service actif compte rarement
plus de 2,500 hommes et 200 chevaux; et Ton se
tromperait encore si l'on pensait que cet effectif, déjà
si réduit, soit celui des hommes véritablement dispo-
nibles pour le cx)mbat. Dans un autre chapitre, nous
verrons combien sont multipliées les causes acciden-
telles qui, en campagne, viennoit augmenter outre
mesure le chiffre des non-valeurs d'une année an-
glaise^ Pour le moment, nous mentionnerons seulement
les causes ordinaires et permanentes de ces non-
valeurs :
1° Sur la force totale du bataillon , un caporal et
1*3 hommes sont choisis comme pionniers pour le ser-
vice du quartier-mattre ;
2"" Chaque officier est autorisé à prendre un soldat
pour son service particulier, et quelques-uns ont
même droit à plusieurs; or, nous n'avons pas compté
moins de /i5 otiiciers dans cbm|ue régiment à un seul
bataillon.
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 115
y Un sergent et 20 hommes, pris sur reflTectif ré-
glementaire, sont enrôlés pour former la musique (ihe
band). Le Gouvernement accorde seulement à ces mu-
siciens la solde ordinaire, et, comme il serait impos-
sible, pour un pareil traitement, de trouver des artistes
convenables, on y pourvoit au moyen de souscriptions
annuelles et de retenues sur les appointements des offi-
ciers. Ce système, autrefois en vigueur dans l'armée
française, est aboli depuis longtemps, et Tarmée bri-
tannique reste probablement la seule armée euro-
péenne aujourd*bui où les officiers soient obligés de
défrayer la musique de leurs régiments.
Les changements qui se succèdent au jour le jour
dans l'armée anglaise, soit sous la pression des événe
ments, soit, plus souvent encore, sous Tempire des pa-
niques indescriptibles dont la Grande-Bretagne nous
donne le spectacle depuis quelque temps, ces change-
ments, disons-nous, modifient sans cesse les effectifs
(au moins sur le papier). Dans un des derniers cha-
pitres de cette Étude spécialement consacré à la statis-
tique militaire de la Grande-Bretagne, nous don-^
nerons la composition numérique de Tarmée telle
qu'elle nous sera fournie par les derniers documents
officiels, ainsi que sa répartition sur les divers points
du globe.
Pour Tannée 1858, Tinfanterie de ligne de l'armée
anglaise présentait un total de 132 bataillons, dont 58
étaient employés dans l'Inde, et 7/i fournissaient le
service de la métropole et des autres colonies*
Ces 132 bataillons (sans compter ceux de la garde)
1 I 6 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
donnaient, pour l'effectif général des forces britan-
niques en infanterie, les chiffres suivants :
6,165 officiers.
11,315 sous-officiers.
139,550 soldats (1).
(l)^Ed. Barrington de Forablanque, Treatise on the organisation
of the british army.
DE LA FRANCK ET DE l/ ANGLETERRE. 117
CHAPITRE VU.
Oi^anisation de la cavalerie anglaise* — Grosse cavalerie et cavalerie
légère. — Tableau des 25 régiments de cavalerie de ligne. — Dra-
goon-Guards. — Liyht Dragoons. — Lancers, — Hussars. — Les
Anglais n*ont pas de cuirassiers. — Les Life-Guarâs et les Horse-
Guards font partie de la cavalerie de réserve. — Uniforme de la
grosse cavalerie. — Uniforme de la cavalerie légère — Unité tac-
tique et unité administrative dans la cavalerie anglaise. — For^
mation de Tescadron de manœuvre. — Ëtat-major d*un régiment
de cavalerie de ligne. ~ Effectif en offlciers, sous-officiers,
bommes et chevaux. — Composition de la compagnie (troop). —
Effectif général de la cavalerie anglaise en officiers, sous-officiers,
hommes et chevaux (année 1858). — Brigades et divisions.
La cavalerie anglaise se compose de â régiments de
la garde et de 25 régiments de ligne.
Ces derniers portent le nom générique de Dragons.
Ils se divisent en grosse cavalerie {Heavy Cavalry ou
Dragoan-^uards) et en cavalerie légère {Lighl-Dra-
goans).
Les régiments de cavalerie ne forment pas, comme
ceux d'infanterie, une série de numéros régulière et
unique. Comme les corps de cette dernière arme, on
les désigne par des noms de princes ou de provinces ;
mais on les distingue surtout, par les devises et les
signes honorifiques qu'ils sont autorisés à porter sur
leurs étendards, en souvenir de circonstances mémo-
rables ou de faits glorieux.
Voici l'ordre, passablement confus, dans lequel le»
régiments de cavalerie se succèdent sur \ Army-Lisi.
118 CONSTITUTION ET FmaSÀNGE MIUTAIRKS
Nous reviendrons ailleurs sur ce que présente de \}eu
rationnel et de bizarre cette nomenclature officielle :
Première série.
i, (Xing'f) Dnigooii-aiiardf. — Signes distinetifs : Le chiffre
royal entouré de la jarreUère.
2. (The Queen't) Bragoon-Ckuurds. — S, d. : Le chiffre royal CD-
touré de la jarretière.
3. (Tlie Prince of Walet't) Dragoon-Ouards. — 5. d. : La plume
du prince de Galles, un soleil levant et un dragon rouge.
4. (Boyal Irish) Bragoon-Ouardt. — S. rf. ; La harpe, la coufonne
et rétoiie de Saint-Patrick, avec la devise : Quts separabit,
|5. (Frinoefi Oharlotte of Walet't) lh>agooii-Ckiard«. — S. d. : La
devise : Vestigia nulla retrorsum.
6. Dragoon-Chiardt (Carabinier •). — S. d. : Néant.
7. (The Vrincett Boyal't) l>ragoon-Chiardf. — S, d. : Néant.
Deuœième série.
1. (Boyal) Dragoont. — Signes distinetifs : Les armes d*Ângle-
terre entourées de la jarretière, un aigle et la devise: Spec-
temur agendo.
2. (Royal Morth Britith) Dragoou. — S. d. : Le chardon 9Qtouré
du collier et de la légende de Saint- André; un aigle.
3. (Kîng'i own zûght) i>ragoonf. — 5. d. : Le chcval blanc en-
touré de la jarretière avec la devise : Nec aspera terrent.
ft. (The Queen'f own Iiîght) Bragoont . — S. d. : Néant.
5. (aoyal Irith Xight) |>ragoont orl«iioert (1). — S. (i. : La harpe
et la couronne avec la devise, Quis separabit.
6. (Xnnitkining) Dragoont. — S. d. : Le chûteau d'Inniskililug.
7. (The King't aoyal IriahUght) Dragoont or Hnttart (2). —
5. d. : Le chiffre royal entouré de la jarrçUère.
8. (The Queen't own X.ight) Dragoont or 9iittart. — S, d. : U
(i) Lancers^ lanciers.
(2) Hussars, hussards.
liarpe et Hi côttreniie avec U deWse : PriBtifiw virtuUs me-
mores»
9. (9vMD*t Boyal Iiîgkt) Dragoont or I«aeen. — S. d, : Le
chîtTire royal et le Jarretière.
or HiMiMfc — 8. (/. : La plume du priftoe de Galles et le
dragon rouge.
11. (Vrinoe Alberi'f own) Huttart. — S. d, : Le SphlUX.
12. (Frinee of Walea'f Royal) I«noen. — 8. et. : U pllline du
prince de (îalleB.unaolefI levant et le dragon rouge; le sphinx.
13. (kôght) Sragooat. ^ S, d* : La devise : Viret in œtemum,
iU. (The Kîog't lifl;ht) Dragooiit. — S, d. : L*aigle de Prusse.
15. (Tkt Kîng't XÂght) Dragooiu or ttoMan. — S, d. : Les armes
d'Angleterre entourées de la jarretièee.
16. (tt»BeB'i) bnoerf. — S. d. : Le chiffre royal entouré de la jar-
retière.
17. (Ktglit) l>ra«ooa» or Irfwocrt. — S. d. : Une tète de mort et
rinscrlptlon : Or aiory (1).
18. (XÂght) SragooM or ttwMWt. ^ S, d. : Néant.
Si nous cherchons à ramener à des termes un peu
plus clairs le tableau qui précède, nous voyons que la
grosse cavalerie se compose de dix régiments :
6 régiments de dragons gardes (n°* 1, 2, 3, U, 5, 7 de la 1'* série).
1 — de carabiniers (n* 6 de la 1" série).
3 — de dragons (n<>' 1, 2» 6 de là 2« série).
10 régiments de ligne de grosse cavalerie.
La cavalerie légère comprend :
4 régiments de dragons légers ou chasseurs (n*"* 3, /i, i:>, iMe la
2« série).
6 — de lanciers (n°» 5, y, 1.2, 16, 17 de la 2« série).
6 — de hussards (n"»" 7, 8, 10, 11, 15, 18 de la 2' série).
15 régiments de ligne de cavale He légOre.
(1) Copistes en tout des pratiques suivies dans les armées eonU
120 CONSTITUTION BT PUISSANCE MIUTÀIASS
Les Anglais n'ont pas de régiments de cuirassiei*s.
].esHorseGuards et les LifeGuards, qui composent les
trois régiments de cavalerie de la garde et comptent
dans la grosse cavalerie, ont eu autrefois la cuirasse ;
mais déjà pendant la campagne de France , la seule
([uils aient faite depuis un demi-siècle, ils avaient
cessé de la porter.
Les dragons-gardes, malgré leur dénomination, ne
font pas partie de la garde, dont nous donnerons, dans
le chapitre suivant, Toi^nisation et la composition.
Pour le service comme pour la solde, ils ne diffèrent
en rien des autres régiments.
La distinction entre la cavaleiûe légère et la grosse
cavalerie consiste plus dans le nom et T uniforme que
dans la taille des hommes et des chevaux.
Les dragons-gardes, le royal-dragons, le 2* dra-
«»ons et les dragons d'Inniskilling, c'est-à-dire toute la
grosse cavalerie, sauf les carabiniers , portent Thabit
rouge.
Les \f* 1, a de la 1" série, et les n^' i et 2 de la
2' série, ont les revers bleus.
Les n"' 3 de la V" série, et C de la 2% ont les revers
jaunes.
Le n" 2 de la T* série, a les revers chamois.
Le n° 5 de la 1'' série, a les rêvera vert-foncé.
Le n" 7 de la V" série, a les rêvera noire.
neiUaies, les Anglais onl imaginé les Lanciers de la mort^ connue
en Franco on avait autrefois, et comme on a encore aujourd'hui en
AllenKi{<ne des Hussards de la mort.
DE L.% FAANCe KT DE LANGLKTËRK. 121
Le i*égiQieDt de carabiniers (ir 6 de la V série
p<>rte rhabit bleu avec les revers blancs.
Les dragon»-légers proprement dits portent tous
l'habit bleu et les revers écarlates.
Parmi les régiments de* lanciers, les n**" 5, 9, 12 (de
la 2' série), ont Thabit bleu et les revers écarlates ; le
n* 16 (2* série) a l'habit rouge et les revers bleus; le
n* 17 (2* série) a Thabit bleu et les revers blancs.
Tous les régiments de hussards portent le dolman
bleu. Le r(^iment du Prince- Albert est bleu et cra-
moisi.
L'unité, dans la cavalerie anglaise, est la compagnie
troop) qui correspond à la division de notre esciidron
français. La réunion de deux troops forme Tescadron
type {squadron), qui a peu d'étendue; il est générale-
ment de trente-six files. (Vest le nombre adopté dans
les planches du règlement de la cavalerie anglaise (1 ) ;
quelquefois, mais rarement, on suppose Tescadron de
quarante-huit files.
L'escadron ainsi constitué est l'escadron ou Tunilé
tactique. Administrativement, la force ordinaire d'un
rt'ginient de cavalerie de ligne est de six compagnies
ou troops de C)8 hommes. Sur le pied de guerre {on
active service), le chiflFre des compagnies est poité à
huit et à dix, formant quatre et cinq escadrons.
Le personnel du régiment de cavalerie ne diffère pas
:ionsiblement de celui du régiment d'infanterie. A Tex-
(1) Ordonnance sur rinslruction et les Mouvements de la eavale-
He anglaise, du 30 janvier 1 s;33.
1*22 CONSTITUTION ET FUISSANGC NttJTAfBI»
ception du titre de eomeUe, cpii reoipUbce cehri d'<ri-
seigncy les dénominations et les attributions sont les
mêmes. A l'état-major, il ftuit ajouter toutefois le
maître d'équitation {Riding-^asêer) et les vétérinaires
[f^eterinary-surgetms). Quelques diflërenoes insigni-
fiantes sont à peine à mentionner dans les grades des
soufW)flBciers.
Le tableau suivant présente la composition et la force
d'un régiment de cavalerie anglaisej
2 lieutenants-colonels.
2 majors.
10 capitaines.
23 subalternes (lieutenants et corneiu»).
i payeur.
1 adjudant.
1 quarlîer-mattre.
1 chirurgien.
i aide-chirurgien.
i vétérinaire.
Ub officiers.
71 sous- officiers.
67/i soldats (rang et files).
790 hommes et 703 chevaux.
Dans les 71 sous-officiers figurent : un chef ou ser-
gent de musique, un armurier sergent, un sergent sel-
lier. Les n^giments de la garde et ceux de la grosse
cavalerie ont, en outre, un timbalier. Les autres em-
plois, tels que : sergent-payeur, sei'gent-major, ser-
gent-quartier-maltre, etc., etc., senties mêmes dans
la cavalerie que dans Tinfanterie.
L'effectif de la compagnie {iroùp) comporte : 1 ca-
M Lk FRAKCE EV M l'aNGLETERHE. i^S
pitaioe et, suivant que le régiment est sur le pied de
paix ou sur le pied de guerre, 1 à 2 lieutenants, i cor-
nette, S à 6 sergents, 1 à 2 trompettes , 5 caporaux,
l maréchal-ferrant, et de 42 à 68 hommes.
Les régiments employés à l'extérieur sont toujours
sur le pied de guerre.
Comme dans l'infanterie, trois régiments, dans la
cavalerie, forment une brigade.
Deux brigades forment une division.
Il arrive quelquefois qu'un régiment de cavalerie est
attaché à une division d'infanterie (1) ; mais, en règle
générale, chaque arme forme ses brigades ot ses divi-
sions indépendantes.
Le tableau suivant présente l'ensemble des forces de
la Grande-Bretagne en cavalerie (année 1858) (2).
OffBciers. Soiis-ofBciors. BuMalt cl (MfMraiix, Chevaine.
Cavalerie de la garde. 99 162 1,053 835
Cavalerie de ligne . . 95/i 1,479 15,5U 13,736
Totaux. . . 1,053 1,6/|l 16,567 1/i,561
(1) C'est surtout aux Indes que la nécessité oblige ik former des
divisions mixtes. Des eirconstances de guerre presque identiques
déterminent chez nous, pour l'Algérie, des formations du même
genre.
(•>) Fomblanque, page 116.
12Û CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
CHAPITRE VIlî.
Organisation de la garde royale anglaise.
§ 1". — Composition de rinfanlerie de la garde. — Colonels des ré-
giments d*infanterie et de cavalerie de la garde. — Du grade su-
périeur des officiers de la garde dans les troupes de ligne. —
Effectif de Pinfanterie de la garde en officiers, sous-officiers el
soldats. — Uniforme.
§ à*. — Organisation el composition de la cavalerie de la garde. —
Effectif en officiers, sous-officiers, hommes et chevaux. — Colo-
nels des régiments de cavalerie de la garde. — Service, privilèges,
. uniforme. — Distinction à établir entre Tinfanterie et la cavalerie
*le la garde anglaise, au point de vue des services de guerre.
§1
En Angleterre, le corps spécialement chargé de
veiller à la sûreté du Souverain se compose exclusive-
ment d'infanterie et de oavalerie. Il ne comprend ni
artillerie , ni génie , parce que ces armes sont elles-
mêmes considérées comme des corps royaux.
L'infanterie de la garde {Foot Guards) forme une
brigade de trois régiments :
1" l^s Grenadier-Gxiards;
2^ Les Coldstream-Guards;
3" Les Scots-fusilier-Guards.
Le premier de ces régiments compte trois bataillons
de huit à dix compagnies ; les 2' et 3' se composent
de deux bataillons seulement.
Le prince Albert, le field-maishal comte de Sti-af-
DE LA FRANGE ET DE L'ANGLETBRaE. 125
foixl ^1 ) et le duc de Cambridge, commandant en chef
des forces anglaises, sont les trois colonels de Tinfan-
terie de la garde.
Comme dans la ligne, le commandement effectif des
régiments est exercé par les lieutenants-colonels, et
chaque bataillon est sous la direction immédiate d*un
major. En Angleterre, les officiers de la garde jouis-
sent dans l'armée de ligne d'un grade supérieur à celui
de leur commission régimentaire. Ainsi l'enseigne,
dans la garde,, est lieutenant dans la ligne , le lieute -
nant est capitaine, etc. Dans le régiment, ce grade su-
périeur n'entratne aucun privilège; mais lorsque les
officiers de la garde se trouvent employés dans les
camps, en garnison, ou en détachement avec d'autres
troupes; ils jouissent alors, quant au service général,
des prérogatives attachées au mng effectif qu'ils occu-
pent dans l'armée.
Ce rang supérieur aaordé aux officiers de la garde
anglaise n'est pas sans exciter quelque jalousie dans le
i-este de l'armée. Cependant, la part active et brillante
que ce corps a toujours prise aux guerres entreprises
par la Grande-Bretagne a contribué , autant que son
admirable discipline, à désarmer l'envie excitée pai* les
privilèges qui lui sont concédés (2). Si la garde avait
borné son rôle à l'honorable, mais très pacifique mis-
(i) La mort du comte de Strafford vient de rendre v;icant le coin-
mandement du Cold$tream*Guard8*
(3) La première de ces observations s^appltque plus particulière-
ment à Tinfanterie de la garde anglaise, car la cavalerie (Life-Guanh
H HarseGuards) n'a pas fait campagne depuis 1^16.
126 GOItSTITUTIOlf ET PUISSAfVGE HlUTAIRES
sion que comporte son institution (I); si eHe n'avait
été employée qu'au service fort agréable, mais fort peu
pénible en même temps de la maison du Souverain, il
y a longtemps que Tarmée anglaise aurait protesté
contre la dérogation à la loi commune dont ce corps
est l'objet ; et nul doute que ces réclamations n'eus-
sent trouvé un écho dans Topinion publique. Une dis-
position nouvelle a surtout contribué, dans ces derniers
temps, à réconcilier l'armée anglaise avec les privi-
lèges de la garde. C'est la mesure adopjée, à l'exemple
de ce qui se pratique en France, d'ouvrir ses rangs, à
titre de récompense, aux officiers de la ligne qui se
distinguent par leurs services.
L'infanterie de la garde forme une brigade de sept
bataillons comprenant : 25& officiers, ItbB sous-offleien>
et 5,600 hommes. Ces chiffres donnent à peu près
la proportion de 5 officiers et 8 sous«offlciers pai*
100 hommes.
Le personnel et l'organisation des bataillons de k
garde sont les mômes que dans la ligne. L'uniforme
est l'habit roùge avec les parements bleus; c^te der-
nière couleur, ainsi que nous l'avons déjà faitobM^
ver, est la marque distinetive de tous les nâgiments
royaux.
Les trois régiments de lagaitle ont fait la campagne
(0 Eu AûglMerre, non-settlemeiU le Souverain ne se net jamais
à la lête des armées actives, mais l'héritier iirésoniplif de UGoa-
i^onne ne peul^ suivant l'esprit de la conatUBti€A« ni remplir les
fonctioas de coitt««odani en chei {Commander in Ckiêf), ni con-
duire une armée contre rennemi^
DE LA FRA1«CE ET DE L ANGLETERBE. i27
lie Criniéd et ont pris pai*t à toutes les attires qui ont
eu lieu pendant le- siège de Sél^astopol.
§11
Comme T infanterie la cavalerie de la garde anglaise
tonne une brigade de trois régiments.
Les deux premiers portent le nom de gardes du
corps (1" et 2* Life-Guards), le troisième celui de
chevau-gardes (Horse-Guards) (1).
Chacun de ces r^iments se divise en huit compa^
gaies (iroops) de ÛO cavaliers. Leur état-major est le
même que celui des régiments de cavalerie de ligne.
L'ensemble de la brigade présente un effectif de
99 officiers, 162 sous-officiers, 1,053 hommes et
825 chevaux.
I.ies trois colonels de la garde k cheval sont actuel-
lement : pour le 1" régiment des Life-Guards : le vi-
comte de Combermere, le seul field-marshal que
compte Tarmée anglaise depuis la mort du comte de
StrafFord (2j; pour le 2' Life-Guards : le général Seaton,
commandant en chef des troupes en Irlande ; pour les
Horse-Guards : le vicomte Gough.
La cavalerie de la garde fournit les escortes de la
(1) Les bâtimenls dn Saint-James servaient autrefois de (-aseinc
aux Horse-Guàrds ; Ils sont occupés aujourd*hni par le quarlier g:é-
néral de Tannée anglaise. De là vient la dénomination assez bizarre
sous laquelle on désigne l'ensemble des bureaux du conimandani
en chef.
^f2) Les autres fleld-maréchaux sont Princes ou Souverains (le roi
des Belges et le prince All>ert}.
128 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Reine dans toutes les circonstances solennelles (ouver-
ture du Parlement, etc.); en dehors de ces occasions,
elle ne fait en quelque sorte pas de service actif. Elle
ne sort plus du royaume.
Ses officiers, comme ceux de la garde à pied, ont
Tavantage d'un rang supérieur dans Tannée; mais ce
privilège est restreint aux officiers supérieurs.
Les Life-Gtiards et les Horse-Guards ont un uni-
forme différent. I^s premiers ont Thabit rouge avec
les parements et les revei*s bleus ; les seconds ont
l'habit bleu avec les revers rouges. Les uns et les au-
tres, comme nous l'avons dit, ne portent plus la cui-
rasse ; quant à Tensemble de la tenue (casque, bottes
fortes, etc.), elle se rapproche beaucoup de la tenue de
nos Cent-Garde3.
DE LK FRANGE ET DE l/ ANGLETERRE. 129
CHAPITRE IX.
Artillerie anglaise. — Son organisation sous Tancien régime du
min'istère de rOrdonnanco. — Indépendance du grand maître.
— Artillerie à pied, artillerie à cheval. -— Composition des batteries
de campagne (field batteries). — Effectif en officiers, hommes,
chevaux et voitures. — Composition de la batterie h cheval (horse
artitlery).— Effectif en ofliciers , hommes et chevaux. — Propor-
tion et effectif de Tartillerie attachée en campagne aux divisions
de cavalerie et dinfanterie. —Composition des anciens bataillons
d'artillerie à pied. — Effectif de rartillerie à pied et à cheval au
moment de la réorganisation de 1859. — Conséquences de la
suppression du ministère de TOrdonnance. — Suppression des
anciennes dénominations de^bataillons, compagnies et troupes.—
Réorganisation de Tartillerie anglaise en brigades et batteries. ^
Répartition des brigades entre la métropole et les colonies.
— Observations relatives au quartier général de Wooiwich. —
Instruction.— Suppression des détachements ou dépôts de batail-
lon [adjudant's defac/iemenO* —Organisation de la brigade de
dépôt.— Service des renforts {reliefs). — Ouvriers. — Musique.
^ Force de rartillerie à cheval employée à Tintérieur et à Tex-
térieur. — Force de rartillerie à pied employée à l'intérieur et k
l*extérieur.— Nombre des batteries de campagne disponibles pour
le service de Tintérieur. — Calibres de rartillerie anglaise. — Ils
sont plus faibles que ceux des autres puissances.— Lord Uardinge
elles batteries de Waterloo. —Comparaison entre la batterie à
cheval et la batterie de campagne de même calibre, au point de
vue des attelages, des canonniers et des conducteurs. — Batteries
de position.— Brigade d*artillerie de côte.— Sa composition. —
Uniforme et drapeau de rartillerie anglaise. — Récapitulation et
comparaison des effectifs de rartillerie anglaise en 1858 et
en 1860.
Notre but, dans cette Étude, est de présenter au
lecteur l'année anglaise telle qu'elle est conslituée de
9
lâO COIVSTITUTION ET PUISSANCE MiLITAlRBS
nos jours. En cherch«int à mettre en relief les nom-
breuses imperfections du système militaire en vigueur
chez nos voisins, nous ne prétendons nullement celer
les rares avantages qu'il peut, à ceilains égards, sem-
bler présenter sur le nMre, et que, de loin en loin, nous
rencontrerons dans notre course. Seulement, k ce
dernier point de vue, comme à celui du bénéfice réel
qui doit résulter, suivant nous, d'une connaissance
plus approfondie des ressources militaires delà Grande-
Bretagne, nous avons considéré connne parfaitement
inutile tout renseignement n'ayant pas une relation
intime avec la situation actuelle. Nous nous sommes
abstenu, en conséquence, de tout retour sur le passé,
même lorsque ce passé ne datait que d'hier. Nous
avons négligé tout détail purement historique sur les
institutions militaires de nos voisins, quel que fût l'in-
térêt de curi<^sité qui pouvait résulter souvent de ces
sortes de revues rétrospectives.
En ce qui regarde les armes de l'artillerie et du génie,
nous croyons devoir nous départir de ce système; et il
en sera ainsi chaque fois que, pour bien sonder la fai-
blesse militaire de nos voisins dans le présent, ou
expliquer les causes de leur puissance dans le passé,
nous aurons à nous rendre un compte exact de la
portée des changements introduits depuis quelques
années dans leur organisation.
Au nombre des modifications militaires les plus
sérieuses et les plus controversées de l'autre ccMé du
détroit, celle qui a déterminé, à la suite de la guerre
de Crimée, TaboUtion de l'ancien département de
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERKE. 131
Y Ordonnance ou des armes spéciales, tient, sans contre-
dit, la première place (1).
Aucune réforme ii a soulevé plus de critiques, et n a
défrayé avec plus de suite et de vivacité la polémique
des journaux militaires anglais. Il est utile de pouvoir
apprécier ce que cette opposition a de fondé à une
époque où lartillerie tend à prendre, chaque jour, un
rôle plus important dans les guerres contemporaines.
Pour pouvoir juger avec connaissance de cause le
débat engagé sur les avantages ou les inconvénients
de l'ancien et du nouveau système, nous commence-
rons par analyser aussi sommairement que possible la
situation de lartillerie et du génie chez nos voisins
avant TaboUtion du régime défunt.
A cette époque , le département de l'Ordonnance
avait à sa tête un grand-maître, qui était en môme
temps colonel-général des armes spéciales.
Pour la direction et l'administration des troupes de
l'artillerie et du génie, il était secondé par un comité
ou conseil supérieur dont la présidence lui appartenait
de droit.
Un certain nombre de bureaux desservis par un
personnel assez important pour faire du département
de l'Ordonnance une sorte de Ministère à part étaient
chargés de l'expédition de toutes les affaires concer-
(1) Le mol Orc/nancc, en anglais, signifie artillerie, canons, etc.,
par extension, on donnait le nom de département de l'Ordonnance
aux bureaux et au personnel chargé non-seulement de l'organisation
et de l*administration du matériel de rartiiierie, mais encore de
tous lesdéiails relatifs aux troupes de celte arme età celle du génie.
182 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
nant le personnel et le matériel des deux armes.
Presque tous les membres du conseil de TOrdon-
nance étaient membres de la Chambre des Communes.
Aussi, absorbés par les préoccupations politiques, ils
donnaient lieu trop souvent, il faut bien le dire, aux
observations que nous avons déjà présentées ailleurs,
c'est-à-dire que. comme beaucoup d'autres fonction-
naires supérieurs militaires, ils abandonnaient à des
employés (députés, assistants, etc.) la direction du ser-
vice, et se bornaient à signer les pièces qui leur étaient
présentées.
Le département de l'Ordonnance avait son budget
spécial et distinct. C'était de tous celui qui donnait lieu
aux observations et aux discussions les plus vives dans
le Parlement.
Si ce n'est dans certains cas prévus, mais fort rares
(quand il s'agissait, par exemple, de nouveaux projets
de fortification), le grand-maître de l'Ordonnance était
parfaitement indépendant du commandant en chef de
l'armée. Là résidait évidemment un des grands vices
de l'organisation.
Sous le régime de l'Ordonnance, les troupes de l'ar-
tillerie formaient un corps unique désigné sous le nom
de régiment [Royal Régiment ofArlitlery). Cette déno-
mination impropre subsiste encore aujourd'hui.
« Ici, comme dans une foule d'autres circonstances,
» dit M. Dupin (I), nous reconnaissons cet esprit de
» routine fondé sur un respect louable pour les an-
(I) Voyages dans la Ctrande- Bretagne, p. 189,
DE L.\ FRANCK tT DE l/ ANGLETERRE. ISS
y> ciennes institutions, mais qui ressemble à l'enfance
» comme Textrème vieillesse, lorsque ce respect s'étend
» jusqu'à la conservation d'un ordre apparent qui con-
» trarie directement la régularité du nouvel état de
» choses. Autrefois toute l'artillerie de la Grande-Bre-
» tagne ne formant qu'un corps de la force d*un régi-
» ment ordinaire, on désignait fort convenablement un
» tel corps sous le nom do régiment d'artillerie. Mais,
» aujourd'hui que la force du personnel de cette arme
» e^t égale à celle de dix régiments d'infanterie et de
» plusieurs régiments de cavalerie réunis , il est ridi-
» cule d'appeler encore régiment un pareil corps. . . »
L'artillerie anglaise, depuis la fin du xvui" siècle,
comportait deux subdivisions distinctes : l'artillerie à
pied et l'artillerie à cheval.
L'artillerie à pied était organisée en bataillons;
chaque bataillon se composait de 8 compagnies.
L'artillerie à cheval comprenait 8 troupes {troops)
ou batteries.
Pour le service de campagne, on attachait habituel-
lement deux batteries d'artillerie à pied aux divisions
d'infanterie, et une batterie d'artillerie à cheval à
chaque brigade de cavalerie.
I>es batteries de campagne ( field batteries ) étaient
composées de 6 pièces, et commandées par un capi-
taine en premier. Cet oflBcier avait sous ses ordres un
capitaine en second, â officiers subalternes, 10 sous-
officiers, et 220 hommes canonnicrs et conducteurs.
L'effectif en chevaux de la batterie de campagne
était de 210.
ISÙ CONSTITUTION ET PUISSANCK MU.ITAIRES
CeschiflFres supposent la batterie de campagne com-
plète, c'est-à-dire comprenant 28 voitures.
Cet équipage était le matériel réglementaire (1 ), mais
il était extrêmement rare que toutes ces voitures
(forge, wagons à médicament», fourragères, etc.) fus-
sent au complet.
En moyenne, l'artillerie attachée à chaque division
d'infanterie pouvait être évaluée à ftSO hommes, offi-
ciers compris, et à 020 chevaux.
La batterie d'artillerie à cheval attachée à une bri-
gade de cavalerie, et sur le pied du complet, compre-
nait 6 bouches à feu, comme la batterie à pied; mais
son personnel était de 259 hommes, officiers compris ;
elle avait 272 chevaux.
Le grade de major (chef d'escadron) n'existait pas
dans la hiérarchie de l'artillerie et du génie.
Comme en France, le grade de capitaine admettait
deux classes. Le grade d'enseigne [Ensùjn, sous-lieu-
tenant) était supprimé. Ces dispositions ont été con-
servées dans la nouvelle organisation.
* Le petit état-major des bataillons d'artillerie pré-
sentait une grande analogie avec celui des corps de
cavalerie. Les sous-officiers y tenaient, quant à leui-s
attributions, la même place que dans les autres corps
de l'armée.
On comptait dans le rang les caporaux {CorporaU),
les artificiers ou canonniers de première classe {Bom-
(1) a Hand book for field service, » Aide mémoire pour le service
de campagne, public par le Comité du corps royal d'artillerie.
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 1 S5
bardiers), les caiionniers de deuxième classe [Gunners]
et les conducteurs [Drivers),
Tous les soldats d'artillerie étaient exercés, depuis
la suppression du train de Tartillerie à pied, au double
service de canonniers et de conducteurs.
Le département du train de campagne consistait en
un chef commissaire, auquel étaient adjoints des
Députés-Commissaires et des Députés- Assistants-Com-
missaires, chargés de la conservation et de la distribu-
tion des approvisionnements de l'Ordonnance en cam-
pagne.
Après avoir varié bien des fois depuis 1815, le chiffre
des bataillons d'artillerie à pied était de 14, et celui
des batteries à cheval de 10, au moment de la réorga-
nisation effectuée en 1859.
Nous ne parlerons que pour mémoire des Invalides
de l'artillerie, dont le nom seul a changé.
Par suite de la suppression des bureaux de l'Ordon-
nance et de l'abolition de la charge de grand-maltre,
Tartillerie et le génie ont été placés exactement sur le
même pied que les autres armes. Leur organisation,
leur administration et leur commandement sont tom-
bés dans les attributions du Commandant en chef de
l'armée et du Ministre de la guerre. Nous aurons à exa-
miner ailleurs si, par suite même de leur constitution
et de leur nature toute spéciale, l'artillerie et le génie
ne sont pas exposés à subir, dans une mesure plus
grande que les autres portions de Tarmée anglaise, tous
les inconvénients qui résultent de l'autorité divisée
placée à la tête de celle-ci.
J36 CONSTITUTION ET PUISSANCE BIILITAIRKS
Jusqu'en 1857 ces inconvénients s'étaient peu fait
sentir. En passant sous le commandement supérieur
du Horse-Guards, et sous le régime administratif du
Ministère de la guerre, l'artillerie anglaise avait con-
servé, du moins quant à l'organisation de détail d(^
troupes de l'arme, toutes les traditions, tous les erre-
ments consacrés par l'ancien système. Le flot des
réformes n'était pas arrivé jusqu'à elle.
Depuis 1857 cette situation s'est modifiée. Plusieurs
mesures émanant du Horse-Guards, et aussi vivement
critiquées que défendues, ont changé complètement
la face de l'antique édifice légué aux directeurs actuels
de l'armée anglaise par le département de l'Ordon-
nance.
Nous aurons à examiner l'esprit et la portée de ces
modifications, qui équivalent à une réoi^anisation
complète.
Pour le moment, nous nous contenterons d'en résu-
mer les principales dispositions.
En 1859, le commandant en chef a décidé que les
anciennes dénominations de bataillons, troupes (troops)
et compagnies cesseraient d'être employées dans l'artil-
lerie anglaise, et seraient remplacées par celles de bri-
godes et batteries. Conformément à cet ordre, l'artil-
lerie à cheval et les 1 k bataillons d'artillerie à pied sont
devenus :
Brigade d'arUUerie à cheval : état-major à Woolwich. -
1" brigade (artillerie de place) : étal-major k WoolwKii.
2" — (artillerie de place) : étal-major à Douvres,
o** — (artillerie de place) : étal-major à Plymoulh.
DE LA FHANCE ET DE l'aXiLETERRE. 1 â7
à* brigade (artillerie de campagne) : état-major à Woohvich.
5* — (artillerie de place) : état-major à Gibraltar,
6* — (artillerie de place) : état-major à Malte,
T — (artillerie de place) : état-major k Qu^>ec.
8« — (artillerie de campagne) : état-major k Portsmouth.
9« _ (artillerie de campagne) : état-major îk Ballincollig.
10* — (artillerie de plac«) : état-major à Guernesey.
11* *- (artillerie de campagne) : état-major au Bengale.
12« — (artillerie de place) : état-major à nie Maurice.
18" — (artillerie de campagne) : état-major à Bombay,
iU* — (artillerie de campagne) : état-major au Bengale.
La réorganisation dont nous venons de donner le
tableau ayant causé une sorte de révolution dans l'ar-
mée anglaise, et soulevé, comme nous Tavons déjà
dit, une opposition très vive, nous croyons utile de
mettre sous les yeux du lecteur le texte même du
préambule et des considérants qui accompagnent le
nouveau règlement émanant du Horse-Guards :
« Horse-^uards, — Les augmentations successives
» de Vartillerie royale ayant déterminé à Woolwich
» Taccumulation d'un état-major régimentaire beau-
» coup trop considérable, le Gouvernement de Sa Ma-
1» jesté, sur la proposition du général commandant en
» chef, a décidé que cet état- major serait distribué
» entre les différentes stations affectées à Tartillerie,
» tant à rintérieur qu'à Textérieur; le quartier-géné*
» rai de Tanne demeurant toutefois, comme par le
» passé, à Woolwich (1).
(1) « The successive augmentations to the royal artillery having
» caused an assemblage at Woolwich of an unwieldy regimental staiï,
v Her Majesty's Government, on the recommendation of bis Royal
138 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
» En arrêtant ces nouvelles dispositions, dont l'effet
» sera d'éloigner de Wooi\Yich l'état-major du plus
» grand nombre des brigades d'artillerie , le comman-
» dant en chef espère qu'il n'existe aucun doute dans
» l'esprit des officiers, des sous-officiers et des soldats
» de cette arme, quant au caractère que doit toujours
» conserver l'établissement de Woohvich. Cette an-
» tique et honorable institution continuera à rester le
» centre principal des connaissances scientifiques et de
» l'instruction pratique de l'artillerie; et le plus vif
» désir du commandant en chef est de contribuer de
» tout son pouvoir à augmenter l'action qu'il a exer-
» cée jusqu'ici sur. le perfectionnement de l'artillerie.
» Quoique le régiment soit formé en brigades, il doit
» être bien entendu que le commandant en chef se
» réserve la faculté d'apporter de temps à autre, dans
» l'assiette actuelle de ces brigades, les modifications
» qu'il croira nécessaires pour le bien du service,
» comme, par exemple, de faire passer le personnel
» d'une batterie de campagne au service de place, et
» réciproquement, ou encore de changer les garnisons
» affectées aux différents états-majors, etc., etc. »
Aux termes des nouvelles ordonnances, l'instruction
des hommes dans l'artillerie doit embrasser, comme
par le passé, l'ensemble du service. En conséquence,
les officiers-commandants veilleront, sous leur respon-
» Highness the gênerai comnianding-in-chief, bas decided that the
» staff shall be distributed to the several stations at home and
» abroad, but the head quaters will remain, as heretofore, at V^Tool-
» wich. »
DE LA FRANCK ET DE L ANGLETERRE. 139
sabilité, à ce que les canonniers soient exercés, autant
que possible, aux devoirs des conducteurs, et les con-
ducteurs aux devoirs des artilleurs.
Le service des renforts (reliefs) ou détachements doit
être fait par tour de brigade constituée, et les disposi-
tions sont prises pour que chaque brigade, avant de
fournir le service à Textérieur, tienne garnison au
moins pendant douze mois à Woolwich.
Avant la nouvelle organisation, chaque bataillon
avait à Woohvich ce que Ion appelait le détachement
de l'adjudant (JdjudanCs détachement) , c'est-à-dire
une sorte de petit dépôt auquel était attaché un quar-
tier-maître avec le cadre de sous-officiers nécessaire
pour le service. Le détachement de l'adjudant, pour
chacun des 1 h bataillons d'artillerie, se composait des
recrues et d'un certain nombre de vieux soldats, soit
retenus à Woolwich pour compléter leur temps de ser-
vice lorsqu'ils rentraient des colonies avant son expi-
ration, soit détachés pour un motif ou un autre de
leurs compagnies. Ces détachements étaient plus ou
moins forts, suivant les circonstances, et tenaient
exactement, dans l'organisation de l'artillerie, la place
que tiennent les bataillons de dépôt dans celle de l'in-
fanterie et de la cavalerie.
C'est surtout au point de vue de l'installation de ces
détachements que la nouvelle réglementation a déter-
miné des changements importants. Les bureaux du
Horse-Guards semblent avoir eu en vue de calquer
l'organisation de l'artillerie, quant à ses dépôts, sur
celle adoplce pour les régiments de ligne. L'avantage
1/iO CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
de cette imitation est peut-être contestable ; dans tous
les cas, les détachements commandés par les adjudants
ont rejoint leurs bataillons, et une sorte de dépôt gé-
néral, portant le nom de brigade de dépôt, les a rem-
placés.
La brigade de dépôt se compose de tous les officiers,
sous-ofiBciers et soldats employés d'une manière per-
manente à Woolwich, et des recrues pour les brigades
fournissant le service dans Tlnde et les colonies. La
brigade de dépôt comprend huit sections ou divisions
de canonniers et conducteurs.
Les ouvriers d'artillerie destinés aux brigades de
l'extérieur, et en apprentissage à Woolvsich, comptent
dans la brigade de dépôt; ceux qui font partie du per-
sonnel de l'arsenal sont placés dans la brigade à cheval
ou dans la brigade d'artillerie de campagne.
La musique de l'artillerie est attachée à la brigade
de dépôt. Tous les ofiBciers de l'arme payent annuelle-
ment deux jours de solde pour son entretien (1).
Il résulte du tableau de répartition que nous avons
donné plus haut que les brigades de l'artillerie anglaise
sont distribuées à peu près également entre la métro-
pole et les possessions extérieures de la Grande-Bre-
tagne.
(1) Si Ton veut bien remarquer que l'artillerie anglaise est dis-
persée non-seulement sur toute la surface de TAnglelerre, mais dans
les quatre parties du monde, on arrive à cette conclusion que la
plupart des officiers doivent se retirer du service sans avoir entendu
une seule fois dans leur vie la musique, pour renlrelien de laquelle
ils ont contribué pendant toute leur carrière.
DB LA FRANGE ET DE L.' ANGLETERRE. l/|l
La brigade d'artillerie à cheval compte actuellement
dix batteries. Uétat-major et trois de ces batteries
tiennent garnison àWoolwich. Des 7 autres batteries,
4 sont dans l'Inde, 2 en Irlande, 1 à Aldershott.
Sur les 6 brigades d'artillerie de campagne (/fc/rf-
artillei^y), S résident en Angleterre et présentent un
total de 24 batteries avec 144 canons; 3 sont em-
ployées dans rinde et comportent 25 batteries et
150 canons.
Sur les 8 brigades d'artillerie de place {Garrison
arlillery), 4 (en comptant celle des lies de la Manche)
sont en Angleterre, et 4 sont réparties entre les diverses
colonies.
Toutes les brigades ne sont pas d'une force égale : il
y en a à 7, à 8, et même dans Tlnde à 9 et à 10 bat-
teries. Ce défaut d'uniformité dans la composition des
brigades doit nécessairement entraîner des difficultés
lorsque deux brigades de force différente doivent se
relever réciproquement, surtout maintenant que le
tour de servico à l'intérieur et à l'extérieur est réglé
par brigade complète, au lieu de Tétre par batterie ou
compagnie, ainsi que cela se pratiquait antérieurement.
Chaque brigade est commandée par un colonel
ayant tous les droits des chefs de corps de la ligne pour
les nominations de sous-officiers, etc., et communi-
quant directement avec l'adjudant-général de l'armée.
Il a 4 lieutenants-colonels sous ses ordres.
L'état-major de chaque batterie se compose, comme
par le passé, de 2 capitaines (r* et 2« classe) et de
3 subalternes (lieutenants).
142 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIHES
Nous avons dit que, sur le pied de guerre, ou au
complet, la batterie anglaise de campagne comportait
5 officiers, 10 sous-officiers, 220 hommes et 28 voi-
tures (pièces et caissons).
Une brigade d'artillerie de campagne de force
moyenne (8 batteries) devrait présenter, d'après c€tte
hase, 2,040 sous-officiers et soldats, 224 voitures et
1,680 chevaux. Il s'en faut de beaucoup que les bri-
gades d'artillerie de campagne stationnées dans la
Grande-Bretagne offrent de pareils effectifs ; c'est tout
au plus si la mieux organisée compte 2,000 hommes,
1,000 chevaux et 150 voitures avec le matériel et les
approyisionnements de ses 54 pièces.
Les calibres de l'artillerie anglaise sont les suivants:
Canons en bronze, de 3, 6, 9 et 1 2 livres ;
Canons enfer, de 18;
Obusiers en bronze, de 4 pouces â/5, 4 pouces 1/2
et 5 pouces 1/2;
Obusiers en fer, de 8 pouces.
Les fusées anglaises sont de 6 livres et de 12 livrer.
Ces chiffres ont trait, bien entendu, à l'artillerie de
campagne. L'artillerie de place admet les calibres les
plus variéç, depuis le 2/j, et le nombre en augmente
tous les jours.
Après avoir servi de modèle à la plupart des puis-
sances européennes, le matériel de l'artillerie anglaise,
grâce à l'état stationnaire dans lequel cette arme est
restée pendant tout le cours de la'longue paix qui a
succédé aux guerres de l'Empire, est peut-être aujour-
d'hui celui qui réclame le plus d'améliorations.
DK LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 14â
Comme cp,libre et portée, rartillerie anglaise est in-
férieure à celle de la majeure partie des puissances du
continent, sinon du monde entier. Elle se compose en
presque totalité de pièces de 6 et de 9.
Pendant la guerre de Crimée, lord Hardingé, prédé-
cesseur du duc de Cambridge, a déclaré que, lors de
sa nomination au poste de commandant en chef de
l'armée anglaise, en 1852, il n'avait trouvé que 40 à
50 batteries de campagne, toutes du temps de la ba-
taille de Waterloo (1).
Grâce à la guerre de Crimée, nos voisins ont enfin
donné toute leur attention à cette partie si défectueuse
de leurs moyens de défense, et il n est pas de pays
peut-être où les recherches et les inventions relatives à
l'artillerie aient été poursuivies depuis avec plus de
persévérance. Nous réservons pour un chapitre spécial
l'examen des ré3ultats obtenus dans cette voie et tous
les détails relatifs aux arsenaux, aux poudrières et à la
description du matériel actuellement en construction
ou en service. Nous nous bornerons à indiquer ici la
composition des diverses batteries quant aux différents
calibres en usage, ainsi que les différences essentielles
qui les distinguent sous le rapport des attelages et du
personnel nécessaire, suivant les différents cas.
Sous la dénomination générale d'artillerie de cam-
pagne, on comprend, eu Angleterre : les batteries à
cheval {horse artillery)^ les batteries de campagne
proprement dites [fieUl-batteries) et les batteries de
(l) Séance du Comiiéde Sébastopol (ii mai i855).
Ihk CONSTITOTIOH ET PUISSANCE MILITAIRES
position {batteries of position), auxquelles il convient
d'ajouter encore les^ batteries dites de réserve, dont le
parc est composé, suivant les circonstances, d'un mé-
lange des trois premières.
La batterie à cheval est composée de quatre pièces
de 6 et de deux obusiers légers. A l'époque de la
guerre de Crimée, Tartillerie à cheval avait reçu du
calibre de 9, dont l'efficacité plus grande avait été bien
constatée près de la ferme d'HoUgoumont, en 1815;
mais, depuis la guerre d'Orient, on lui a rendu ses
pièces de 6.
La batterie de campagne a les mêmes calibres que la
batterie à cheval (6 ou 9), et son matériel en voitures,
caissons, etc., ne présente aucune différence. C'est
par son personnel seulement qu'elle se distingue de la
batterie achevai.
Dans celle-ci, deux des servants sont portés sur
Tavant-train du canon, et les sept autres, qui com-
plètent à neuf le chiffre des hommes nécessaires pour
la manœuvre de chaque pièce, sont montés. Lorsqu'ils
mettent pied à terre pour mettre en batterie et tirer,
leurs montures sont tenues en main par d'autres
hommes qui restent à cheval pour cet objet. On voit
de suite combien doit être étendu le but qu'une batte-
rie à cheval doit offrir aux coups de l'ennemi. Pour le
service d'une pièce de 9 , il ne faut pas moins de
17 hommes et de 19 chevaux répartis de la façon sui-
vante : A conducteurs et 8 chevaux pour la pièce,
2 servants portés sur l'avant-train, 7 hommes et 7 che-
vaux représentant les autres servants et leurs mon-
Dfi LA FRANCE ET DE LANGLETERE. 1A5
tures, & hommes et k chevaux pour les soldats qui.
tiennent en main les chevaux des servants; total,
17 hommes et 19 chevaux.
Dans la batterie de caiçpagne ordinaire, les hommes
qui servent les canons sont à pied ; ils marchent, sac
au dos, autour de leurs pièces. Dans certains cas, ils
peuvent monter sur lavant-train et sur les caissons.
Le service d'une pièce de 9, dans la batterie à pied,
ne réclame que 8 chevaux et 13 hommes (4 conduc-
teurs el 9 artilleurs). L'énorme différence qui existe
entre les dépenses de Tartillerie à cheval et de Tartille-
rie à pied n'a pas besoin de commentaire; elle est la
base de la plupart des objections soulevées contre l'en-
tretien des batteries à cheval.
Les batteries de position de l'artillerie anglaise sont
ordinairement composées de pièces de 12 en bronze,
de pièces de 18 en fer et d'obusiers de 8 pouces.
Leur nom indique suffisamment qu'elles sont em-
ployées dans les opérations défensives ou pour for-
tifier un point faible d'une ligne de bataille. Elles
ne doivent que très rarement se mouvoir devant
l'ennemi.
Indépendamment des bataillons réorganisés au mois
d'avril 1859, le cadre de Tartillerie anglaise compre-
nait encore une compagnie d'invalides dont la compo-
sition et l'effectif avaient subi de nombreuses fluctua-
tions sans arriver jamais à former une troupe d'une
utilité bien réelle. Le 1" novembre 1859, la compa-
gnie des invalides ou vétérans de l'aitillerie a été dis-
soute et refondue dans l'organisation d'un corps nou-
10
146 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
veau qui a pris le nom de brigade d'artillerie de côte
{The coasl brigade of ariillery).
Comme l'indique son nom, cette brigade est répartie
dans les forts, batteries et tours du littoral. Outre le
service qui incombait, sous ce rapport, à la compagnie
d'invalides, la brigade d'artillerie de côte doit concou-
rir à l'instruction des divers régiments d'artillerie de la
milice.
La brigade de côte comprend huit sections, chacune
sous les ordres d'un capitaine. Son état-major com*
porte 1 major (le seul officier de ce grade dans l'artillerie
anglaise), 8 capitaines, 8 lieutenants, 1 sergent-major,
\ quartier-maître-sergent, 5 sergents d'état-major,
2/i sergents, G caporaux et 9 artificiers, auxquels il
faut ajouter le cadre de l'ancienne compagnie d'inva-
lides.
L'uniforme de l'artillerie anglaise (dolman bleu,
revers rouges) ressemble beaucoup à l'uniforme des
hussards; c'est aussi, à très peu près, Tuniformc de
l'artillerie delà garde impériale en France.
Le drapeau de l'artillerie anglaise a pour signes dis-
tinctifs les armes d'Angleterre et un canon; — au-
dessus le mot U bique; — au-dessous la devise : Qxao
fas et gloria ducvnt.
Comme complément des divers renseignements con-
tenus dans ce chapitre, nous donnerons, pour'termi*
ner, l'étal général de toutes les forces de l'artillerie an-
glaise, telles qu'elles sont évaluées dans le dernier
budget :
DÉ LA FftANCK BT D£ i/aNGLETEBRB. Ift?
TABLEAU DE I/ARTILLERIE ANGLAISE [1859-1860] (1).
Corps. Bri;;adet. Baltrrie*. EfTeclib. ToUas«
Artillerie à cheval., i 10 jSL'nî'îffir" *1Sj 2."»
Artillerie à pied.... iU i.2 j ^^"ntttd?."'"*?;^! "'««^
Brig. d*artill.dec(^te. 1 > 613
16 122 2â,365
Pour l'année 1857-1858, d'après M. de Fom-
Manque (2), rartillerie présentait les chiffres suivants :
Cor pi. Ofliciarf. S«ut-offlct«ni. 8oldiil«. Gfa«T««k«
Artillerie ^ cheval 70 1A6 2,lô/i 1,880
Artillerie il pied 811 l,/i95 i9,/i3d /i,374
881 1,6Zii 21,587 6,254
La réorganisation de 1859, comme on peut le voir
en comparant ces deux tableaux, ne s'est pas bornée à
changer les anciennes dénominations de l'artillerie an-
glaise, elle en a aussi augmenté très notablement l'ef-
fectif.
(1) United service magazine.
(2) Treatîse on the organisaUon of the british aruiy.
148 CONSTITUTION ET UISSANGE MIUTAIRES
CHAPITRE X.
Un mot sur le corps du génie anglais pendant les guerres de TEin-
pire. -- Organisation vicieuse de celte arme. — Améliorations
introduites par Wellington. — Elles se perdent et s'effacent pen-
dant la paix de 1815 à i85/i.— Organisation du corps des sa|)eurs
{corps of royal sappers and miners). — L'école de Chatham et le
général Pasley.—Accroissement du corps du génie anglais. — Son
organisation sous le régime de TOrdonnance. — De Tinspecteur
général des fortifications. ~ Mode d*élablissement des plans ou
devis. — Exécution des travaux. — Situation de Parme du génie
au moment de la guerre de Crimée.— Le gouvernement est obligé
de recruter des travailleurs civils pendant le siège de Sébastopol.
— Inaptitude du soldat anglais pour les travaux de campagne et
de siège.— Opinion du général Durgoyne.— Les sapeurs et mi-
neurs à Bomarsund, à Redout-Kaleh et à Sébastopol.— Uur fusion
avec le corps des ingénieurs (Royal Engineers).— Composition de
rétat-major et des trou|)es du génie. — Effectif. — Transfert du
quartier-général du génie à Chatham.— Uniforme et drapeau des
troupes du génie.
Nous avons exposé, à propos de rartillerie anglaise,
les motifs qui nous engageaient à donner un tableau
sommaire de son organisation sous l'ancien régime de
Y Ordonnance, Les mêmes raisons pouvant être invo-
quées à regard du génie, nous allons passer rapide-
ment en revue les diverses phases traversées par ce
corps depuis les guerres de TEmpire.
Il semble qu'à aucune époque les avantages résul-
tant pour une armée de la bonne organisation du génie
militaire n'aient été appréciés, en Angleterre, à leur
véritable valeur.
DE LA FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. 149
En lisant les journaux des sièges entrepris par Tar-
mée anglaise au commencement de ce siècle (1), on
est frappé, à chaque instant, de l'insuffisance du per-
sonnel spécial mis à la disposition des généraux an-
glais, et plus encore peut-être de la pénurie et de la
mauvaise organisation du matériel du génie mi-
litaire.
Pendant presque toute la durée de la guerre de la
Péninsule, les ouvriers-royaux-mililaires {Royal mili-
tary artificen), comme on appelait alors les troupes
du génie, ont été mal commandés, mal disciplinés et
mal armés. On ne pouvait les employer que rarement
en campagne, et comme ils constituaient simple-
ment, la plupart du temps, des bouches de plus à
nourrir, les généraux n'étaient pas fort désireux de
les compter parmi leurs troupes. Cette organisa-
tion défectueuse et ce faux point de vue ont eu sou-
vent des conséquences regrettables pour Tarmée bri-
tannique.
On ne croirait jamais que la reprise d'Olivença
(avril 1841), l'attaque du fort Christoval (mai 1811),
le siège de Badajoz (mai et juin 1811), le siège de
Ciudad-Rodrigo (1812), le second siège de Badajoz
(1) Journaux des sièges entrepris par les Alliés en Espagne, suivis
de deux discours sur rorganisation des armées anglaises, et sur les
moyens de la perfectionner, traduits de ranglais de John-Jones, par
Gosselin (1821).
Mémoire sur les lignes de TorresVedras, du même auteur et du
même traducteur (183'2).
150 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
(mars et avril 1812), l'attaque des ouvrages de Sala-
manque, la prise du Retiro de Madrid, et le siège de
Burgos (1812) ont été entrepris par Tannée anglaise
sans un seul sapeur ou mineur.
A Olivença seulement on employa deux ouvriers
militaires, un charpentier et un maçon. C'est par des
officiers d'infanterie mis à la disposition d'un qombre
d'ingénieurs tout à fait insuffisant que les travaux des
sièges que nous venons de citer furent dirigés. Au lieu
de sapeurs et de mineurs, on organisa un corps de
100 à 200 fantassins, qui, à la lettre, n'avaient jamais
touché une fascine ou un gabion. Ces hommes furent
dressés à la hâte, et chargés de diriger, de jour comme
de nuit, des corvées de leurs camarades montant de
1,000 à 2,000 hommes. Ceux-ci, comme leurs instruc*
teurs, n'avaient pas la moindre idée, au début, de«
travaux de tranchées, de mines, de sapes, etc., aux-
quels ils furent employés (1).
On comprend les conséquences nécessaires d'un
pareil système, et les Anglais eurent plus d'une fois à
les subir. Un fait incontestable, selon le général Bur-
goyne, c'est que le château de Burgos, qui pendant
plus de six semaines résista à tous les efforts de Wel-
lington, n'aurait pas demandé la moitié de ce temps
pour être réduit, si l'armée de si^e avait eu un per-
(1) Ces observations empruntées à Fouvrage de sir Francis Uead
(DefenceUss state of England), s'appliquent aussi bien aux sièges
de Sébastopol et de Delhi qu'aux sièges de la Péninsule*
M LÀ FRANGE ET DE L ANGLETERRE. 151
sonnel suffisant en officiers du génie (1). Générale-
ment, le plus ou le moins de promptitude apporté dans
la réduction d'une place forte a une action correspon-
dante sur la liberté de mouvements qui en résulte pour
l'armée assiégeante. La réussite, en pareil cas, facilite
en outre singulièrement les approvisionnements, et
augmente les ressources de toute nature. Lorsque des
résultats aussi importants dépendent uniquement,
comme ce fut le cas au siège de Bui^os, du sucxës ou
de rinsuccès d'un siège, on ne saurait en calculer trop
soigneusement les dispositions et les conséquences.
Le travail et la direction des mines exige particu-
lièrement des hommes exercés. Pendant la guerre de
Ja Péninsule, les opérations de ce genre étant exécu-
tées par les soldats de la ligne, demandaient beaucoup
plus de temps, et nécessitaient une surveillance de
tous les instants. Ce n'est qu'en se multipliant en
quelque sorte, et au prix de fatigues inouïes, que les
ingénieurs anglais arrivaient à maintenir la direction
convenable donnée aux galeries. Malgré tous leurs
efforts et tout leur dévouement, ils ne parvenaient pas
toujours à prévenir les accidents et les éboulements '
que déterminaient l'inexpérience et la maladresse des
travailleurs.
C'est au duc de Wellington que l'on doit attribuer la
première organisation sérieuse du génie anglais.
Frappé des conséquences résultant de l'insuffisance
(i) Military opinions of gênerai sir John Fox Burgoyne, collected
by WroUesley (Richard.BenUey. London).
152 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
des officiers de ce corps, et mieux à même que per-
sonne de constater l'ignorance et l'inaptitude des ou-
vriers royaux {^oyai military arlificers), il ne cessa de
réclamer une augmentation d'effectif pour les uns, et
une éducation plus complète pour les autres. En atten-
dant l'effet de ses représentations auprès du ministère
anglais, il s'occupa, avec sa ténacité et sa persévérance
habituelles, de suppléer autant que possible à l'insuf-
fisance du personnel et au défaut de matériel qui en-
travaient ses opérations. Il donna des instructions
détaillées pour la formation d'un détachement de cent
mulets destinés à porter les outils de tranchée à la
suite de son armée. Il ordonna de réunir et de classer
dans une sorte de dépôt de siège tout le matériel né-
cessaire dans l'attaque des places. Enfin des arrange-
ments furent pris de manière à pouvoir mettre ce parc
en mouvement sans délai, suivant les circonstances.
Malgré tous ces efforts, l'organisation défectueuse de
l'arme du génie, pendant la guerre d'Espagne, conti-
nua à coûter à nos voisins d'immenses sacrifices d'ar-
gent, sans parler de la vie des hommes. C'est à la suite
du second siège de Badajoz, en 4812, où l'armée
anglaise avait eu près de 5,000 hommes hors de com-
bat, que Wellington écrivait à lord Liverpool (1 ) :
«... Pendant que j'en suis àrartillerie, je demanderai
» à votre seigneurie la permission de lui représenter
(1) « W^hile on the subject of the arlillery, I would bog to suggesl
to your Lordship the expediency of adding to the Kngincers* esta-
blishment a cor|)s of sappers and ininers. It is inconccivable with
what disadvantage we underlake anything likc a siège, for want of
DE LA FRANCE ET DE l'aNGLETERBE. ^53
]» combien il serait essentiel qu'un corps de sapeurs et
» de mineurs fût régulièrement organisé pour être mis
» à la disposition des ingénieurs. On ne saurait imagi-
» ner tout le désavantage que l'absence d'un pareil
» corps entraîne pour nous en cas de siège. Il n'y a
» pas un corps d'armée français qui n'ait un bataillon
» de sapeurs et une compagnie de mineurs. De notre
» côté, pour les travaux du génie, nous sommes forcés
» de nous adresser aux régiments de ligne. Nos hommes
» sont braves et ne manquent pas de bonne volonté,
» mais ils n'ont ni l'aptitude ni l'expérience néces-
» saires. Il en résulte que nous perdons à la fois et
» beaucoup d'hommes et beaucoup de temps précisé-
» ment pendant la période la plus critique de nos
» sièges. »
Grkce aux pressantes instances du duc deWellington^
le corps des sapeurs et mineurs {Corps of royal sappers
and miners) vint enfin remplacer, vers 181:2, les ou-
vriers royaux du génie. A la même époque fut insti-
tuée Técole de Chatham, dont nous aurons à parler
ailleurs, lorsque nous passerons en revue les établisse-
ments d'instruction militaire de la Grande-Bretagne.
Sir Charles Pasley fut mis à la tète de l'école de Cha-
assistance of that description. There is no French corps d'armée
which has not a baUalion of sappers and a companyof miners. But
we are obliged to dépend for assistance of this description upon ihe
régiments ofthe Line;mù although the men are brave and willing,
they want the knowledge and training whicb are necessary. Many
casuaUies among them consequently occur, and much valuable time
is l06t at the most critical period of the siège» (il février 1812).
1511 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
tham, et en dirigea pendant vingt-cinq ans les travaux.
Les théories de cet oificier distingué ont été résumées
dans un livre qui peut être cité comme un modèle de
méthode et de clarté, et qui depuis trente ans n'a
pas cessé de faire autorité dans le corps du génie
anglais (1).
En même temps que le corps des sapeurs et mineurs
était créé, celui des ingénieurs militaires recevait de
son côté un notable accroissement.
En 1819, à Tépoque où M. Dupin visitait la Grande-
Bretagne, Tétat-major du génie était quatre fois plus
considérable qu'en 1792. « On se rendra compte de
» cette augmentation, fait observer très à propos
. » M. Dupin, si Ton réfléchit au grand accroissement
» des possessions britanniques en Europe, en Asie, en
» Afrique et en Amérique. Les Anglais se sont emparés
» successivement de toutes les positions militaires qui
2> pouvaient leur assurer Tempire de la mer. Il a fallu
i> augmenter et tenir sur pied les forteresses qui font
» la sécurité de ces postes impoilants, et par consé-
(4) Rules chiefly deduced from experiment for conducting the
practical opérations of a siège, by lieutenant-general sir Charles
W, Pasley, royal engineers. Conformément au désir du général
Mann, inspecteur général des fortifications, Touvrage du général
Pasley n'avait pas été imprimé. Pendant longtemps, on s'était cou>
tenté de le distribuer autographié aux officiers qui suivaient les
cours de Técole de Chatham, avec prière de ne pas communiquer
ces feuilles. Ces précautions n'ont pas empêché que le livre du
générai Pasley ne fût traduit en français, et deux édiUons en ont
été publiées sous le titre : Règles pour In conduite des opérations
d'un siége^ déduites d'expériences soigneusement faites , par sir
Gh. Pasley, 3 parties in-S"^, avec planches. (Paris, iW.)
DE LA FRANCK ET DE i/aNGLETERRE. 155
» quent accroître de beaucoup le corps du génie mili-r
» taire. »
Jusqu'au jour où le Ministère de l'Ordonnance a été
aboli, le chef de ce département a été le colonel titu-
laire du génie militaire, en môme temps que de l'artil-
lerie; mais c'est l'inspecteur des fortifications qui était
le véritable commandant des officiers et des troupes.
C'est par ce fonctionnaire que passaient tous les ordres
relatifs au personnel et au matéiiel du génie.
L'inspecteur-général des fortifications avait sous ses
ordres un député ou sous-inspecteur, un major de bri-
gade et un adjudant. Le major de brigade remplissait
les fonctions de chef d'état-major des troupes ; il rési-
dait à Woohvich, quartier-général des troupes de
VOrdonnance. L'adjudant, spécialement attaché au
corps des ouvriers militaires, résidait à Chatham.
Nous examinerons, dans un autre chapitre, les mo-
difications introduites dans l'araie du génie par la sup-
pression du Ministère de l'Ordonnance. Pour le mo-
ment, nous constatons seulement que l'un des sujets
de plainte le plus fréquemment invoqué par le corps
du génie comme par cdui de l'artillerie, c'est l'absence
d'une autorité supérieure assez élevée pour représen-
ter et défendre efficacement, dans les bureaux du
Commandant en chef, les intérêts et les droits des deux
corps spéciaux.
Comme en France, les officiers du génie militaire
sont disséminés, en Angleterre, dans les différentes
places du territoire et des colonies. Ils sont chargés de
456 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
préparer les plans et les devis relatifs aux travaux à
exécuter.
A l'intérieur, les mémoires et projets sont soumis à
rinspecteur-général des fortiOcations, qui les corrige
ou les approuve. Lorsqu'il s'agit de travaux impor-
tants, un comité spécial est chargé des études prépa-
ratoires. Dans les colonies, c'est aux gouverneurs terri-
toriaux que les chefs du génie doivent soumettre leurs
plans.
Les projets approuvés, et les devis estimatifs arrê-
tés, les officiers du génie font exécuter les travaux.
Autrefois, tout ce qui avait trait aux dépenses et à la
comptabilité des services du casernement et des forti-
fications se centralisait dans les bureaux de l'Ordon-
nance; aujourd'hui c'est au 5' bureau {ForiificaUon
branch) du War-Office que vont aboutir tous les
comptes du génie. Dans l'établissement de ces comptes,
comme pour tous les détails de leur service, les officiers
du génie anglais sont assistés par un certain nombre
d'employés civils dont nous reparlerons ailleurs, quand
nous nous occuperons des départements administratifs
ou civils de l'armée.
L'impulsion donnée au département du génie, de
1809 à 1 8<6, par le duc de WeUington, s'était considé-
rablement ralentie pendant les quarante années de paix
qui ont suivi les guerres de l'Empire. Au moment de
la campagne de Crimée, bon nombre des améliorations
inaugurées par l'illustre capitaine avaient successive-
ment disparu. Les services du matériel et des transports
étaient complètement désorganisés; il ne restait pas
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 157
trace des équipages de ponts ramenés en Angleterre
avec l'armée d'occupation, et dont Torganisation a
cependant servi de modèle à presque toutes les puis-
sances militaires du continent.
Le faible effectif du génie anglais sous les murs de
Sébastopol ne contribua pas médiocrement à donner à
l'armée britannique le rôle secondaire dont l'amour-
propre national a eu tant à souffrir. Afln de remédier
à l'insuffisance des troupes spéciales mises à la dispo-
sition de ses ingénieurs, le gouvernement anglais en
fut réduit à engager des travailleurs civils pour l'exé-
cution de certains travaux de campagne (1 ). Nous exa-
minerons plus loin la valeur de cet expédient, et les
objections auxquelles donne lieu, en principe, Tadop-
tion d'une mesure que la nécessité pouvait seule jus-
tifier.
Si nombreuses que soient les troupes du génie dans
une armée, elles ne peuvent suffire à tous les travaux
d'uD siège un peu important, et l'infanterie doit for-
cément leur venir en aide. Or, comme nous aurons
occasion de le constater plus loin par de nombreux
exemples, le soldat anglais, qui a certainement tout
autant de bravoure que n'importe quel autre soldat,
éprouve une répugnance insurmontable pour les tra-
vaux du génie, et, sous le feu de l'ennemi, il ne se fait
aucun scrupule de s'esquiver de la tranchée ('2). Nous
(1) Le chemin de fer, les défenses de Dalaklava, etc.
(*i) Britîsh soldiers , who hâve undoubtedly as inuch spirit
as any in the world, should not be ashamed of flinching from work
underfire. (General Burgoyne Military opinions^ page 286).
iSH CONSTITUTION ET t»UISSANGE lIlLlTAmES
reviendrons ailleurs sur cette fâcheuse disposition du
soldat anglais. Pour le moment, nous nous bornons à
la constater, comme aussi la regrettable influence
qu'elle doit nécessairement exercer sur la durée des
travaux exécutés en campagne par nos voisins.
11 n'entre pas dans notre cadre de faire ici l'histo-
rique du génie anglais pendant la guerre d'Orient, bien
que les services rendus par les troupes de cette aïone
aient déterminé la dernière et flatteuse transformation
qui devait servir de couronnement à leur carrière.
M. Conolly, quartier-maître des sapeurs et mineurs,
a publié un livre fort intéressant (1), et qui sauvera
certainement ce corps de Toubli, malgré la dénomina-
tion nouvelle sous laquelle il doit être désigné désor-
mais. Outre le détachement principal employé aux
travaux du siège de Sébastopol, et dont l'elfectif était
de 953 hommes, les sapeurs et mineurs ont encore
fourni, pendant la guerre de Russie, une compagnie
complète à l'escadre de la mer Noire chargée de ré-
duire la ville de Redout-Kaleh. Une autre compagnie,
embarquée sur la flotte de la mer Baltique, a pris part
à l'attaque de Bomarsund, et prêté un concours eflB-
cace au corps anglo-français qui a occupé les îles
d'Aland.
Dans son désir, sans doute, d'exphquer le triste état
et la lenteur des travaux de l'armée anglaise devant
Sébastopol, M. Conolly insiste sur les difficultés de
(I) Hîstory of the royal sappers and mioers, from the formation
of the corps to the date when its désignation was changed t4) that of
Royal Engineers, byT.-W.-J. ConoMy.
DB LA FRANCE ET DE L^AIfGLETEERE. 15^
diverses sortes que le génie eut à surmonter pendant
le siège. Au nombre des circonstances fâcheuses qui
retardèrent ses compatriotes dans raccomplissemeot
de leur tâche, il faut, suivant cet écrivain, placer en
première ligne la bévue [mistake) que commirent les
généraux anglais en cédant à l'armée française la por^
tion des approches la plus facile à remuer, sous le
prétexte que les outils français n'étaient pas assez
solides pour entamer le terrain rocheux qui devait
nous échoir. Un simple coup d'œil sur la carte suffît
pour faire justice de cette assertion. La base d'opéra-
tion des Anglais étant à Balaklava, et celle des Fran-
çais à Kamiesh, il eût été contraire à toutes les r^les
de placer Tarmée anglaise aux attaques de gauche^
c'est-ànlire entre l'armée française et Kamiesh.
Si plusieurs régiments français durent partager
avec nos alliés le sei^vice de leurs propres lignes, les
aider à ouvrir leurs routes et à transporter leurs canons
et leurs vivres (ce qu'ils firent de grand cœur, du
reste) , ce n'est pas, probablement, à cause des diffi^
cultes qu'offrait le terrain attribué à l'armée anglaise ;
chacun sait à quel état elle était réduite après l'hiver.
Les deux armées se devaient une assistance mutuelle,
et, « pour noire part, nous Tavons donnée avec un
entrain et une bonne volonté dont l'exemple est rare
dans l'histoire militaire, même entre combattants d'une
même nation. » Quant à la lenteur de leurs travaux,
les Anglais doivent l'altiibuer à la raison que nous
avons donnée plus haut, c'est-à-dire à la répugnance,
à l'inaptitude de leui-s soldats pour le service des tran-
160 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
chées. Quant aux désastres qui ont semblé, pendant
quelque temps, menacer l'armée anglaise d'une ruine
complète, ils ont tenu à un ensemble de causes dont
l'étude fait précisément l'objet de ce livre.
Une considération qui ne peut que contribuer encore
à augmenter le mérite et la gloire des troupes du génie
anglais, et que nous sommes loin de contester, c'est
qu'elles se trouvèrent privées des vigoureux et intelli-
gents auxiliaires fournis au génie français par notre
infanterie, et qu'elles durent se suflBre, en qudque
sorte, à elles-mêmes.
Les chiffres, du reste, sont plus éloquents que la
meilleure apologie : sur les 9â5 hommes composant
l'effectif des sapeurs et mineurs anglais devant Sébas-
topol, 445, c'est-à-dire la moitié, sont morts sous ses
murs. Un pareil dévouement méritait une récompense,
elle ne s'est pas fait attendre. Le 17 octobre 1856, la
Reine a décidé que les sapeurs et mineurs seraient
désignés à l'avenir sous le nom de corps royal du
génie {Royal engineers)^ et partageraient cette nouvelle
dénomination avec le corps des ingénieurs militaires,
dont ils sont devenus partie intégrante.
L' état-major du génie anglais, tel qu'il est constitué
aujourd'hui, comprend :
8 colonels commandants.
15 colonels.
37 lieutenants-colonels.
60 capitaines en premier.
60 capitaines en second.
tSO offlciers subalternes.
Total..., 360
DE lA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 161
La troupe est organisée en compagnies de 100 à
110 hommes.
L'effectif total de ces compagnies, au nombre de 86,
pour Tannée 1 858-1 859, était de 339 sous-oflSciers et
3,&/i8 soldats.
Autrefois le quartier-général du génie anglais était
à Woolwich. Les recrues, pour cette arme, étaient
dirigées d'abord sur cette place, puis, lorsqu'elles
avaient i^u un degré d'instruction militaire suffisant,
on les envoyait à Chatham, où se trouve l'école pra-
tique des sapeurs et mineurs. Celte division de l'in-
struction entraînait une perte de temps qu'on eût
évitée en décidant que les deux exercices auraient lieu
dans la même place. C'est ce qui a lieu depuis la sup-
pression de rOrrfonnancô. Le quartier-général du génie
a été transféré à Chatham en 1856. Il se compose
d'un major de brigade^ d'un adjudaut et d'un quartier-
mattre.
L'inspecteur-général des fortifications, le sous-in-
specteur et les deux assistants-inspecteurs, qui forment
comme un comité supérieur du génie, ont leurs bu-«
reaux à Whilehall-Gardens (Londres).
L'uniforme des troupes du génie est l'habit rouge
avec les revers en velours bleu.
Le drapeau, comme celui de l'artillerie, a pour
signes distinctifs les armes d'Angleterre avec leurs
supports (le lion et la licorne), et le canon surmonté
de la devise « U bique ^ » au dessous l'inscription :
« Quo fas et gloria ducunt. »
11
162 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
CHAPITRE ÎI.
Organisation des porps coloniaux dans les possessions anglaises. —
Forces militaires locales : l'' Sur la côte occidentale d'Afrique et
aux Antilles; — 2° à Ceyian ; —3° au Cap de Bonne-Espérance;
— û° au Canada ; — 5° U Sainle-Hélène; — 6" à Malle; — 7° à la
Côle-d'Or; 8° à Terre-Neuve; — O*» aux lies Falkland, etc. —
Corps étrangers à la solde de TAngleterre. — Pensionnaires
militaires.
Nous avons passé en revue, dans les chapitres pré-
cédents, les quatre armes principales qui, en Anjçle-
terre comme sur le Continent, forment la base de toute
armée. Dans le tableau général des forces de la Grande-
Bretagne, doivent figurer encore certains corps par-
ticuliers dont l'organisation est une conséquence de la
situation insulaire de nos voisins et de la constitution
toute spéciale de leur puissance.
Ces corps, dits coloniauw (1), sont chargés de con-
courir à la défense des nombreuses coloniesque possède
TAngleterre dans les quatre parties du monde. Ils
figurent sur YArmy list dans Tordre suivant :
(1) En règle générale, les corps coloniaux, à Texception des Fen-
cibles de Malte, sont commandés par des ofGciers anglais. Leur
organisation diffère peu de celle des troupes de ligne. Presque tous
sont employés dans les établissements d'outre- mer au ser\ice des
garnisons et de la police. Aux termes de leur organisaUon, ils ne
sont pas obligés de servir hors des limites de la colonie pour laquelle
ils ont été levés.
DE LA PHANCE ET DE l'aNGLETEKRË» 163
l"* Régiments des indes occidentales. {PFest India
régiments.)
Ces corps sont au nombre de 3, et ne sont distingués
entre eux que par leurs numéros. Leur organisation
est absolument la même que celle des autres régiments
d'infanterie anglaise. Ils sont à un bataillon seulement,
et commandés par un colonel et deux lieutenants-
colonels. Leur état-major ne diffère en rien de celui
des bataillons ordinaires.
Les régiments des Indes Occidentales sont recrutés
parmi les natifs de la Côte-d'Afrique et parmi les habi-
tants dés Antilles. Ils tiennent garnison dans les pos-
sessions anglaises rangées sous ces deux titres.
Leur effectif est de : ISOoflBciers, Îâ9 sous-officiers,
â,000 soldats. —Total, 3,&19 hommes.
Le 1" régiment porte les revers blancs; le 2* les
revers jaunes; le 3* les revers bleus.
2' Brigade de tirailleurs de Ceylan. {Ceylon rifle
brigade.)
. Même avant l'abolition du Gouvernement de la
Compagnie des Indes, Tlle de Ceylan, quoique faisant
partie de l'Empire indien, était gouvernée directement
par la Couronne. Cette lie n'a jamais été comprise
dans le domaine administré parla Cour des Directeurs,
et la force militaire chargée de pourvoir à sa défense a
toujours figuré parmi les troupes de la Reine.
Cette forco locale, recrutée parmi les indigènes, forme
164 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
un régiment commandé par un Ijeutenant-colonel et
deux majors. Son effectif est de : 79 oflSciers, 106 sous-
officiers, 1,600 soldats. — Total, 1,58"^ hommes.
L'uniforme des tirailleurs de Céylan est vert avec
les revers noirs.
Une compagnie d'invalides anglais comprenant :
4 officiers, 6 sous-officiers et 153 hommes, complète
les moyens de défense de cette colonie.
â" TiRAILLEUBS A CHEVAL DU CaP DE BoNNG-EsPÉRANCE.
{Cape mounted riflemen.)
Les tirailleurs du Cap forment le seul corps de
cavalerie faisant partie des régiments coloniaux. Ils sont
recrutés parmi les Hottentots et les Européens. Ils ont
à leur tête deux lieutenants-colonels et deux majors.
Leur état-major diffère peu de celui des rc^iments de
cavalerie de ligne.
Organisés sur un pied à peu près semblable à celui
des spahis de l'armée française, les tirailleurs du Cap
sont chargés d'assurer la sécurité des routes. On les
emploie principalement à repousser les incursions des
indigènes sur le territoire de la colonie anglaise.
Leur effectif comprend : ASofficiers, 76 sous-officiers,
960 soldats.— Total, 1,084 hommes etOOO chevaux.
Ils se remontent très facilement avec les chevaux
du Cap dont la race offre la plupart des qualités qui
distinguent les chevaux de l'Algérie.
L'uniforme des tirailleurs du Cap est vert avec les
parements noirs.
DE LX FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. 165
A» Régiment royal des tirailleurs du Canada.
[Royal canadian rifle regimetit.)
Les tirailleurs canadiens forment un régiment qui a
pour colonel honoraire le lieutenant-général comman-
dant en chef les forces anglaises au Canada.
Le commandement effectif est exercé par un lieute-
nant-colonel assisté de deux majors. L'état-major
régimentaire est le même que dans les corps d'infan-
terie de ligne.
Les tirailleurs canadiens sont recrutés au moyen de
volontaires tirés des régiments anglais.
Leur effectif est de : 39 oflBciers, 67 sous-offlciers,
i ,000 soldats. — Total, 1 ,106.
Uniforme vert avec parements rouges.
5° Régiment de Sainte-Hélène. {Sainl-HelenaregimerU.)
Comme les tirailleurs canadiens, le régiment de
Sainte -Hélène se recrute au moyeu de volontaires pris
dans les différents corps de Tarmée anglaise. Ce régi-
ment ne représente guère qu'un demi-bataillon com-
mandé par un lieutenant-colonel et un major.
Son effectif est de : 21 officiers, 37 sous-officiers,
375 soldats. — Total, i3â hommes.
&* Régiment royal des milices de Malte. {Royal
MaUa Feticible régiment.)
Ce régiment est le seul corps colonial qui ait ses
armoiries particulières ; elles se composent du chiffre
royal et de la Croix de Malte.
166 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRCS
I^s Fencibles maltais se recrutent parmi les indigènes
de rtle.
Ce corps présente, relati\ement aux autres régi-
ments coloniaux, une différence essentielle : tandis que
ces derniers n'admettent que des officiers anglais, le
régiment de Malte, à l'exception du lieutenant-colonel
commandant, est exclusivement recruté d'officiers
indigènes.
Ces officiers n'ont qu'un rang local et ne figurent
pas sur les cadres de l'armée régulière.
Les Fencibles de Malte comprennent : 25 officiers,
49 sous-officiers, 56/i soldats. — Total, 688 hommes.
Ils portent l'uniforme de l'infanterie avec parements
bleus.
7"* ARTILLERIE DE LA Côte-d'Or. {Gold Coost artUlcry
corps.)
Le corps des artilleurs de la Côte-d'Or est commandé
par un major. Son personnel en officiers comporte un
certain nombre de capitaines, de lieutenants et d'en-
seignés (ce dernier grade, ainsi que nous l'avons vu,
lorsque nous avons passé en revue les troupes de l'Or-
donnance, n'existe pas dans Tartillerie régulière).
Les artilleurs de la Côte-d'Or se recrutent parmi les
indigènes du pays.
Leur effectif est de : 17 officiers, 22 §ous-officiers,
812 soldats. — Total, 351 hommes.
DE hk FRANGE ET DE L ANGLETEBRE. 467
8" Vétérans de Terre-Neuve. {Royal Newfoundland
coynpafiies,)
La force locale de Terre-Neuve comprend environ
deux compagnies commandées par un major, et recru-
tées parmi les vétérans de Tarmée anglaise.
Leur effectif est de : 9 officiers, 20 sous-officiers,
200 soldats. — Total, 229 hommes.
9** Iles Falkland.
Ces Iles reçoivent un détachement dont la com-
position est analogue à celle de la force locale de Terre^
Neuve, mais dont l'effectif bctiucoup moins considérable
comprend seulement \ officier, l\ sous-officiers et
32 soldats (i).
Dans la récapitulation que nous venons de faire des
diverses troupes placées à postes fixes dans les colonies
anglaises, et chargées, concurremment avec Tarmée
régulière, d'assurer la sécurité de ces possessions,
nous n'avons pas parlé de Tarmée indienne. Cette
armée, dont le chiffre avant la grande insurrection
de 1857 s'élevait à près de 300,000 hommes, a subi
de profondes modifications depuis l'abolition du gou-
vernement de la Compagnie. Sa réorganisation est
(1) Lfis différents effectifs que nous avons assignés aux corps colo-
niaux varient nécessairement comme ceux des autres corps de
l*armée anglaise. Les chiffres qui flgurent dans le tableau que nous
avons donné de ce^ tor[)s sont ceux de leur orgîinisation normale.
\jes autres renseignements sont extraits de l^Annuaire officie!
{Army list^ by authority).
168 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
encore à l'étude aujourd'hui chez nos voisins. Les
questions qui se rattachent au remaniement et à la
constitution définitive de la force locale destinée à tenir
l'Empire anglo-indien sous le joug sont tellement mul-
tiples, tellement importantes, elles sont pour la puis-
sance britannique d'un intérêt si vital, que nous croyons
nécessaire de faire de leur examen l'objet d'un chapitre
spécial.
Nous avons cru devoir exclure, quant à présent, du
tableau général des forces anglaises, tous les corps qui
ne fournissent pas en ligne des combattants effectifs.
C'est pour ce motif que nous n'avons pas parlé, du
train des convois, malgré l'organisation toute militaire
donnée en Angleterre à ce corps, depuis la guerre de
Crimée, à l'exemple de ce qui a lieu en France pour
la mémo troupe.
Le train militaire [military train) aura sa place
marquée au chapitre des. corps ou services adminis-
tratifs {civil or administrative corps), avec l'intendance
{commissariat) , le personnel médical {médical staff
corps), le personnel des magasins {the military slore),
le personnel des hôpitaux {purveyors), les agents du
casernement {barrack masters), etc.
Si ces divers corps, bien que comportant un effectif
assez élevé, ne peuvent pas être considérés comme
présentantune force réelle et disponible pour le combat,
il est des auxiliaires d'un autre ordre, dont l'organisa-
tion plus ou moins parfaite est appelée à suppléer, dans
des circonstances déterminées, à l'insuflinance de
l'armée régulière. Nous voulons parler des liions
DE L\ FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. 169
étrangères, des pensionnaires, de Tinfanterie de marine,
de ia milice à pied et à cheval, et enfin des corps de
volontaires dont l'institution a pris chez nos voisins,
depuis un an surtout, des développements de nature à
fixer l'attention.
A l'exception des corps étrangers et des pensionnaires
auxquels nous allons consacrer quelques lignes, nous
renverrons à des chapitres distincts l'étude de ces
éléments spéciaux dont il importe de tenir compte
dans l'appréciation des ressources militaires de la
Grande-Bretagne.
L'emploi des troupes étrangères a toujours été d'un
usage fréquent en Angleterre sous les différents gou-
vernements qui se sont succédé jusqu'à nos jours,
non-seulement dans les temps où le pouvoir exécutif
était affranchi de tout contrôle, mais même depuis que
l'entretien de l'armée permanente a été placé sous la'
surveillance directe du Parlement. Sous le règne de la
reine Anne, l'effectif des corps étrangers dépassait
/iO^OOO hommes.
Pendant la guerre de la Péninsule, l'Angleterre eut à
sa solde plusieurs corps étrangers composés princi-
palement de Suisses, d'Allemands, de Grecs, de
Siciliens, etc. En 1813, à la fin des guerres de TEm-
pire, l'effectif de ces corps montait à 30,000 hommes.
Enfin, pendant la guerre de Crimée, le recours aux
mercenaires étrangers devint encore indispensable
pour remplir les vides que la maladie et les décès
avaient déterminés dans l'armée Anglaise, campée sur
le plateau de Chersonèse.
170 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAMES
Les auxiliaires que la Grande-Bretagne prit à sa
solde dans cette dernière circonstance, formèrent plu-
sieurs légions ou contingents dont voici la liste :
1° Le Corps turc, composé de sujets de la Porte,
et en grande partie commandé par des Anglais. Ce
contingent présentait un effectif de 2,0/i5 officiers,
20,290 sous-ofliciers et soldats, et 5,470 chevaux.
2° La Légion allemande, composée d'individus ap-
partenant aux différents Ëtatsde T Allemagne, et com-
mandée par des Anglais et des Allemands. Ce corps
s'éleva ;à 9,300 hommes, dont une partie est restée à
la solde de l'Angleterre, et forme aujourd'hui une
sorte de colonie militaire au cap de Bonne-Espérance.
Cette dernière portion présentait en 1858 un effectif
de 59 officiers (y compris un major-général), 44 ca-
dets, 120 sous-officiers et 2,138 soldats (1 ).
3* La Légion italienne, levée en Sardaigne, et com-
posée de natifs des divers Ëtats italiens. Ce corps était
commandé par des Anglais et des Italiens (ces derniers
l'emportant d'ailleurs de beaucoup) ; son effectif varia
entre 3 et û,000 hommes.
k"" La Légion suisse, dont l'effectif était d^
3,000 hommes.
&" La Légion polonaise, dont le chiffre s'éleva au
plus à 1,500 hommes.
Les événements imprévus qui terminèrent brusque-
ment la guerre d'Orient ne permirent pas à l'Angle-
terre d'employer utilement ses corps étrangers. Toute-
(i) Fomblanque.
DE lA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 171
fois, leur organisation permettait d*en espérer de bons
services, et, dans tous les cas, leur composition était
bien supérieure à celle des régiments anglais, dont les
recrues n'étaient plus, à la fin de la guerre, que de
chétifs jeunes gens (pour ne pas dire des enfants) com*
plétement impropres au service militaire, et absolu-*
ment incapables de supporter les misères et les fatigues
de cette rude guerre.
Dans le cours du xvni* siècle, l'emploi des troupes
étrangères a été d'un usage presque universel, et la
France elle-même a suivi, pendant cette période,
l'exemple des autres nations. Le duc de Choiseul, mi-^
nistre de Louis XY, avait coutume de dire qu'un mer-
cenaire étranger valait autant que trois soldats levés
parmi les nationaux : suivant cet homme d'État, le
mercenaire recruté par le gouvernement français non-
seulement fournissait un soldat à opposer à l'ennemi,
mais il diminuait d'autant la force de ce dernier, dont
ce même mercenaire eût été grossir les rangs si la
France ne lavait retenu sous son propre drapeau ;
enfin, troisième avantage, il permettait de laisser un
homme de plus aux travaux de l'agriculture (1).
Pendant longtemps, nous l'avons dit, le gouvenie-
ment anglais a suivi les errements du duc de Choiseul.
(1) Aujourd'hui, la France ne conserve plus qu'une seule légion
étrangère qui ddt toujours être employée à Textérieur. CeUe orga-
nisation a un but politique ; elle permet de débarrasser k pays des
déserteurs et des étrangers sans aveu. Plusieurs des officiers les
plus distingués de Tarmée française ont commandé successivement
la légion étrangère en Afrique.
172 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Depuis la guerre d'Orient, l'opinion publique semble
s'être prononcée d'une manière formelle, en Angle-
terre, contre l'emploi des troupes étrangères. Que cette
opinion ait pris naissance dans les embarras multipliés
qui signalèrent le licenciement des corps recrutés pour
la campagne de Crimée, ou qu'elle procède d'une
autre source, un fait incontestable, cest l'antipathie
qui s'est révélée parmi le peuple anglais à l'égard de
ces corps. Cette aversion semble tellement profonde
que, pendant la grande crise indienne, malgré les dif-
ficultés sans nombre que le gouvernement a rencon-
trées pour dominer la situation avec le seul secours
des forces régulières et normales, il n'a !pas été fait
appel aux auxiliaires étrangers.
Si Ton considère la situation de l'Empire indien de-
puis l'apaisement de la révolte, et les nécessités qui en
découlent actuellement pour l'armée de la métropole,
il est permis de douter que l'Angleterre, dans le cas
d'une guerre générale ou de quelque durée, soit en
mesure de supporter la lourde charge que les besoins
du recrutement entraîneraient pour la population.
Après les corps étrangers, dont l'effectif aujourd'hui
fort restreint est borné, ainsi que nous l'avons dit, à
la Légion allemande employée au Cap, les Pension-
naires militaires figurent en première ligne au nombre
des auxiliaires sur lesquels l'armée anglaise croit pou-
voir compter pour la défense, tant du territoire que
des colonies.
L'origine des Pensionnaires militaires remonte au
règne de la reine Anne (1703). Ils ont formé, dans le
DB LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 173
principe, quatre divisions, recrutées parmi les soldats
invalides que l'hôpital de Chelsea (1 ) ne pouvait re*
cueillir à cause de l'exiguïté de ses ressources, et aux-
quels un secours journalier était accordé en attendant
que rétablissement pût les recevoir.
La position de ces militaires retraités a été réglée
par de nombreux décrets, et nous les étudierons som-
mairement lorsque nous nous occuperons de l'hôpital
militaire de Chelsea.
Le nombre des Pensionnaires militaires, qui était
de 5,600 en 1744, de 12,000 en 1782, de 17,000
en 1795, de 47,180 en 1815, s'élève aujourd'hui à
63,634. (Fomblanque, Treatise on the organisation of
ihe british army.)
Afin de suppléer autant que possible à l'insuffisance
de ses troupes actives, l'Angleterre a soumis ses Pen-
sionnaires militaires à certaines obligations compa-
tibles avec leur âge et leurs infirmités. Disséminés, ou
plutôt groupés sur différents points de la Grande-Bre-
tagne et des Colonies, ces vétérans ne cessent pas d'être
assujettis aux exercices militaires, et, le cas échéant,
seraient requis de concourir à la défense du pays.
Un état-major de 1 1 3 officiers, dont 72 sont em-
ployés en Angleterre et en Ecosse, 30 en Irlande, et
11 dans les Colonies, est chargé de l'administration et
de la solde des militaires pensionnés. Ces officiers diri-
gent et surveillent leurs exercices et leurs manœuvres
(1) Fondé par Charles \h ThàpiUl de Chelsea est THôtel des
invalides de Tarmée anglaise.
174 COKdtîTUTlOÏÎ Et PlTISSANCË MILITAIRES
périodiques; ils ont, en outre, pour mission de main-
tenir la discipline dans le corps, et d'assurer Texécu-
tion de toutes les mesures destinées à entretenir et à
augmenter la somme des services qu'il peut rendre.
Nous avons à peine besoin de le dire, sur les
68,000 Pensionnaires militaires payés par le budget de
l'Angleterre, 10,000 à peine seraient en état de porter
les armes en cas de guerre.
DE LA FRANCE ET DE L*ANGLETÊailE. l75
CHAPITRE XII.
Troupes et personnel des services administratifs dans Tarmée
anglaise. - § T. Train militaire , organisation et efTectif. —
§11. Personnel du corps de sanlé: infirmiers. —§111. Services
administratifs. - Commissariat ou Intendance militaire ; organi-
sation et composition. — Devoirs financiers et devoirs administra-
tifs des membres du Commissariat. — Services spéciaux dans les
colonies. — Cadre du Commissariat; agents inférieurs subor-
donnés au Commissariat pour Texécution du service des subsis-
tances. — Département médical. — Comptables des hôpitaux. —
Chapelains. — Comptables des magasins militaires (armement,
habillement, équipement, etc. ). — Personnel du service du caser-
nement. — Personnel civil des bureaux du génie.
§ I".
Par analogie avec ce qui existe dans Torganisation
française, nous rangeons sous le titre de « Troupes de
l'Administration » le train militaire [military train) ^i
le personnel des ambulances et hôpitaux de Tannée
anglaise [médical staff corps), bien que cette dénomi-
nation générale ne soit pas encore adoptée par nos
voisins.
Les troupes de l'Administration sont de formation
toute récente dans l'armée britannique. Leur création
remonte seulement à la campagne de Crimée.
Le train militaire anglais fut organisé au début de
la guerre d'Orient, et porta dans le principe le nom de
« Corps des transports par terre {land transport corps) . »
Jusqu'à cette époque^ le Commissariat {the Commissa-
176 CONSTITUTION ET PUISSANCE mLITAIRES
riat Department) avait eu la mission de pourvoir à
toutes les nécessités auxquelles doit satisfaire la troupe
chargée des convois militaires dans les armées conti-
nentales.
Vers le commencement de l'année 1857, le train
militaire reçut, chez nos voisins, une organisation
nouvelle qui l'assimila aux corps de cavalerie.
Aujourd'hui il compte 7 bataillons, et figure sur
VArmy list à la suite de Tartillerie. Il est sous les ordres
d'un colonel commandant (1).
8 lieutenants-colonels et ft majors commandent les
bataillons.
30 capitaines, &0 lieutenants, 12 enseignes et
216 sous-officiers forment les cadres de la troupe.
L'état-major de chaque bataillon comporte un
payeur, un quartier-maître, un chirurgien, un vétéri-
naire et un adjudant.
3 maîtres d'équitation {riding masters) et un instruc-
teur pour récole de tir {instructor ofmusketry) complè-
tent le cadre du train militaire anglais.
L'effectif de la troupe a été très variable depuis la
formation du corps; au moment de la réorganisation,
en 1857, le chiffre des hommes dans le rang {rank
and file) était de 1,500 environ. Aujourd'hui, l'efiectit
général, officiers compris, est de 2,000 hommes» et
celui des chevaux de 1,200.
Gomme en France, le train militaire est institué
(1) Le colonel Mac Murdo, qui commande en chef le train mili*
taire an^^lais, en esl en même temps le premier organisateur.
DE I^ FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 177
pour effectuer tous les convois et transports de l'armée
anglaise, particulièrement ceux qui sont organisés par
le Commissariat pour les approvisionnements. Cette
troupe, sur son pied actuel, ne peut guère être consi-
dérée que comme le noyau du corps définitif que récla-
meraient les besoins de Tarmée en temps de guerre.
Son effectif devrait être augmenté dans une proportion
importante pour pouvoir suffire aux exigences du ser-
vice dans le cas d'une campagne entreprise sur une
arge échelle.
Comme le train militaire, le personnel des auxi-
liaires du seiTice de santé (médical staff corps) est de
date récente. Ce corps a été formé pendant la cam-
pagne de Crimée, afin de combler une des plus regret-
tables lacunes qui aient jamais existé dans le service
des hôpitaux militaires anglais.
Calquée sur le plan des compagnies d'infirmiers mili-
taires qui existent dans l'armée française, l'organisation
des infirmiers anglais était indispensable en campagne.
Elle est appelée, en garnison, et sur le pied de paix, à
venir en aide aux officiers de santé ; mais pour que
cette institution puisse rendre, chez nos voisins, tous
les services qu'on lui demande en France, elle a besoin
d'être perfectionnée. Jusqu'ici le dressage et T instruc-
tion des infirmiers militaires anglais ne semblent pas
avoir obtenu toute l'attention qu'ils méritent. La force
totale du corps ne dépasse guère un millier d'hommes.
11 est dirigé par 2 officiers seulement; 76 sous-offi-
12
478 CONSTITUTION ET PUISSANCE MlLITAmfô
ciers, en 1858, commandaient les différents détache-
ments répartis entre les hôpitaux et les ambulances.
§IIL
L'armée britannique étant considérée au point de
vue de la double direction, ou du double commande-
ment qui résulte des pouvoirs attribués au Comman-
dant en chef et au Ministre de la guerre, on peut con-
sidérer les départements ou services administratifs
[administrative departments) comme remplissant, vis-
à-vis du second de ces hauts fonctionnaires, le rôle que
TÉtat-rnajor général et les officiers d etat-major rem-
plissent vis-à-vis du premier.
Les services administratifs de Tarmée anglaise (au
titre du personnel de Tétat-major de l'armée) com-
prennent :
l"* Le Commissariat [the Commissariat deparcment)'^
2° Le Corps médical (the médical department) ;
3' Les Comptables des hôpitaux {the Purveyors'
departmetU)]
4*" Les Aumôniers militaires [the Chaplains' depart-
ment) .
Au titre des établissements civils, on compte :
5° Le service des magasins {the military store départ-
ment) ;
6° Le service des casernes {the barrack department)]
T Le service auxiliaire du génie {the royal enyineer
department).
Ces différents services, bien que placés sous l'auto-
rité commune du Ministre de la guerre, sont indépeo-
D6 LA FBAMGB ET PB L ANÔLETBMB. M 70
dants les uns des autres. Ils fonctionnent séparément,
et sous la responsabilité particulière et distincte des
chefs qui les dirigent. Chacun d'eux est régi par des
règlements spéciaux, et soumis à une législation parti-
culière. Nous verrons ailleurs quels sont les inconvé-
nients d'un pareil système.
i"" Du Commissariat {the CommissariiU).
Réglementairement parlant, Torganisation des ap-
provisionnements militaires en vivres et fourrages, en
tout lieu et eu toute circonstance, résume le service
des membres du Commissariat anglais. Tout ce qui ne
touche pas à cet objet devrait être r^ardé comme
également étranger au caractère et à Tesprit de l'insti-
tution (1). Nous verrons, lorsque nous entreprendrons
plus loin l'examen critique des services administratifs
de Tarmée britannique, par quelles voies le Commissa-
riat anglais a été conduit à se trouver chargé (soit en
matière de finances, soit en raison des localités) de de-
voirs tellement variés et multipliés que le service des
approvisionnements en est venu à ne plus constituer
qu'un des moindres détails de ses attributions.
Ce qui constitue la différence essentielle entre l'or-r
ganisation du Commissariat anglais et celle de notre
Intendance militaire, c'est que, dans le premier de ces
deux corps, les fonctionnaires ont le double caractère
d'agents financiers et de contrôleurs de toutes les dé-
penses qui concernent l'armée .
(i) Fomblanque.
180* COl^STITUTION ET l»UISSAPÎCE HILtTAmES
Ainsi le Commissariat, responsable avant tout, pour
l'exécution de son service général, envers le Ministre
de la guerre, est subordonné, quant à la discipline et
à l'accomplissement de ses devoirs journaliers et locaux,
aux autorités militaires. Comme agent financier, il a
à répondre au trésor ; en matière de comptabilité, il
correspond avec le bureau de la trésorerie, avec le
directeur de la comptabilité {accountant gênerai) du
Ministre de la guerre, et avec le payeur général
{paymaster gênerai).
A rintérieur, le nombre des membres du Commis-
sariat en service actif est très limité. Leurs devoirs se
réduisent presque exclusivement à surveiller les four-
nitures et la bonne exécution des marchés passés par
le Ministre de la guerre.
Aux armées et dans les possessions extérieures de la
Grande-Bretagne, ces devoirs sont beaucoup plus com-
pliqués, comme on pourra en juger par l'aperçu sui-
vant :
En malière de trésorerie, le Commissariat est chaîné :
V De procurer, soit par la négociation de traites, soit
de toute autre manière, les fonds réclamés par les be-
soins de l'armée. — 2° Il contrôle les dépenses mili-
taires dans la limite des crédits îiccordés; il ordon-
nance et approuve tous les payements réguliers pour le
service de l'armée. — S*" Il a la garde de la caisse du
trésor, qui, prend généralement le nom de caisse mili-
taire {mililani cimt) ; il fournit sur états généraux les
fonds nécessaires aux différents départements de l'ar-
mée; il paye en détail et en espèces les parties pre-
DE LA FRANCE KT DE L* ANGLETERRE. I8Î
nantes de tous les services militaires. — 4* Il fournit
les fonds accordés aux services coloniaux et à la ma-
rine par les règlements en vigueur.
Les devoirs pour lesquels le Commissariat anglais
est responsable envers le Ministre de la guerre sont :
r L'organisation des approvisionnements de Tarmée
en vivres, fourrages, combustibles, etc., etc., soit au
moyeu d'adjudications, de marchés k Tamiable ou de
réquisitions; — la distribution a la troupe des diverses
rations fixées par les tarifs. — 2° La rédaction et l'éta-
blissement, au compte du Ministère de la guerre, des
divei*s contrats ou marchés concernant tous les services
et toutes les fournitures, y compris la location des ter-
rains et bâtiments nécessaires à Tarmée, et les dé-
penses des départements du casernement et du génie.
— 3° L'organisation des transports par terre (lorsqu'il
n'y a point de train militaire), et celle des transports
par eau à l'intérieur, lorsqu'il n'y a point d'agent de
la navigation sur les lieux; la rédaction des conventions
relatives au fret des navires employés pour le service
de l'armée. — 4* Le payement de la solde des corps de
l'artillerie et du génie (1). — 5* L'établissement,
l'examen et la rectification des différents budgets rela-
tifs aux dépeuses de tous les services de Tannée.
(1) L'ai'tiUerie et le génie sont si raromcnt appelés, en Angle-
terre, à former sur un même point des détachements d'une certaine
importance quo, jusqu'ici, Torganisation de ces armes n'a pas com-
porté d'officiers payiuf s ipay-moifters). Une mesure récente a créé
cependant un emploi de payeur en chef, doiU le titulaire réside au
quartier-général à VVoolvicb.
182 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Les membres du Commissariat sont responsables
envers le Ministre de la guerre pour toutes les transac-
tions relatives à des fournitures ou à des dépenses sou-
mises au contrôle de ce ministre. Ils sont responsables
envers le bureau de la trésorerie pour tout ce qui re-
garde le service des fonds proprement dit, et pour leurs
devoirs comme agents financiers. Leur correspondance
avec ces deux départements doit toujours être divisée
et conduite d'après ce principe fondamental.
Indépendamment des devoirs généraux que nous
venons de récapituler, les membres du Commissariat
anglais sont encore chargés, très souvent, de services
tout à fait spéciaux, et qui varient suivant les colonies
où ils sont employés. Ainsi, par exemple, dans les co-
lonies de l'Australie, à Gibraltar, aux Bermudes, les
fournitures, les bâtiments, les magasins, etc., des éta-
blissements de convicts (1), sont placés sous leur sur-
veillance. Au Canada, ils sont chargés de la distribu-
tion des cadeaux périodiques que l'Angleterre fait aux
tribus de l'Amérique du Nord en échange des terri-
toires qu'elles ont cédés à la Couronne. Il en est de
même, dans presque toutes les possessions extérieures,
pour le payement des pensionnaires de Chelsea et des
membres de la magistrature ou du clergé. Enfin, dans
certains cas, le Commissariat est encore chargé de
rencaissement et de la comptabilité des fonds colo-
niaux (2).
(i) Convicts^ transporté.
(2) On remarquera Tanalogie qui existe entre les fonctions du
DE LÀ FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 18d
Ainsi que nous Tavons dit plus haut, à Fintérfeur»
le Commissariat anglais a pour tout service la surveil-
lance des fournisseurs et la direction des approvision-
nements. Les différents bureaux du Ministère de la
guerre, le département du payeur- général, enfin, les
agents de Tarmée [army agents) (1), se partagent les
autres attributions qui lui sont dévolues hors de la
Grande-Bretagne.
Le système des approvisionnements et des fourni-
tures, à l'intérieur, ne ressemble en aucune façon,
comme on le voit, à celui suivi à Textérieur. Il en ré-
sulte que les devoirs du Commissariat, sur le pied de
paix, n'ayant rien de commun avec ceux qu'il doit
remplir en campagne, le passage au pied de guerre
devient toujours le signal d'un grand désordre dans
l'administration militaire.
Les cadres du Commissariat ont frckjuemmeut varié
dans l'armée anglaise depuis l'époque de sa première
organisation, en 1808, par le duc de Wellington.
Commissariat dans les colonies anglaises, et le service dévolu autre-
fois aux payeurs militaires de notre armée de T Algérie, surtout
pendant les premières années de la conquête.
(I) Nous verrons plus loin, lorsque nous examinerons sommaire-
ment radminislraiion militaire de nos voisins au point de vue
financier, ce que sont ces agents de Varmée, et les raisons qui mili-
tent pour leur suppression. Disons seulement, dès à présent, quHIs
coûtent, à eux seuls, près du triple de c^ que coûte le Commissariat
employé dans les possessions extérieures. Le maintien Aecesagents^
et la continuation de leur monopole si onéreux pour riîitat, prouve
mieux que tout ce que Ton pourrait invoquer, ce que peuvent en
Angleterre Finfluence et la richesses de quelques individus.
174 COHWÎWTIOÎÎ KT t^lTISSATlCfi HlLlTAmfô
périodiques; ilâ ont, en outre, pour mission de main-
tenir la discipline dans le corps, et d'assurer l'exécu-
tion de toutes les mesures destinées à entretenir et à
augmenter la somme des services qu'il peut rendre.
Nous avons à peine besoin de le dire, sur les
68,000 Pensionnaires militaires payés par le budget de
l'Angleterre, 10,000 à peine seraient en état de porter
les armes en cas de guerre.
DE LA FRANCE ET DE L*ANGLETÊRHE. l75
CHAPITRE ÎII.
Troupes et personnel des services administratifs dans l*armée
anglaise. - ! 1. Train militaire , organisation et efTectlf. ~
§11. Personnel du corps de santé: infirmiers* — § III. Services
administratifs. — Commissariat ou Intendance militaire ; organi-
sation et composition. — Devoirs financiers et devoirs administra-
tifs des membres du Commissariat. — Services spéciaux dans les
colonies. — Cadre du Commissariat; agents inférieurs subor-
donnés au Commissariat pour l'exécution du service des subsis-
tances. — Département médical. — Comptables des hôpitaux. —
Chapelains. ~ Comptables des magasins militaires (armement,
habillement, équipement, etc.). — Personnel du service du caser-
nement. — Personnel civil des bureaux du génie.
Par analogie avec ce qui existe dans Torganisation
française, nous rangeons sous le titre de « Troupes de
V Administration » le train militaire [military train) ^i
le personnel des ambul£fnces et hôpitaux de Tarmée
anglaise [médical staff corps), bien que cette dénomi-
nation générale ne soit pas encore adoptée par nos
voisins.
Les troupes de l'Administration sont de formation
toute récente dans l'armée britannique. Leur création
remonte seulement à la campagne de Crimée.
Le train militaire anglais fut organisé au début de
la guerre d'Orient, et porta dans le principe le nom de
« Corps des transports par terre {land transport corps) . »
Jusqu'à cette époque, le Commissariat [the Commissa-
186 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
2*" Service de santé (the médical Department)
Cette partie importante de l'organisation d'une ar-
mée se divise en Angleterre, quant au personnel, en
deux sections distinctes. La première comprend le
corps médical militaire ou Tétat-major des officiers de
santé de l'armée ; la seconde est composée des méde-
cins et chirurgiens attachés aux différents corps de
troupes. Nous ne parlerons pas ici des attributions de
ces derniers, dont nous avons donné un aperçu dans
le tableau de l'organisation régimentaire de l'armée
anglaise.
Le corps médical militaire (the officers ofihe médical
staff) est composé de la façon suivante :
5 Inspecteurs-généraux {inspectors gênerai of hospi-
tais), ayant le rang de brigadier-général, et après
^ cinq ans de grade celui de major-général; — la In-
specteurs-généraux adjoints, ayant le rang de lieute-
nant-colonel, et après cinq ans de grade celui de co-
lonel; — 21 Chirurgiens [staff surgeons) de première
classe, ayant le rang de major, et prenant, après
vingt ans de services, le titre de chirurgien-major
{surgeon major )\ — Û8 Chirurgiens de deuxième
classe, ayant, suivant leur ancienneté, rang de lieute-
nant ou de capitaine; — enfin, 101 Aides-chirurgiens.
Cette composition du corps de santé de l'armée an-
glaise offre beaucoup d'analogie avec celle du même
corps dans l'armée française; les dénominations et la
hiérarchie sont presque identiques.
DE LA FRANCK ET DE L ANGLETERRE. 187
Les fonctions des inspecteurs-généraux et des inspec-
teurs adjoints sont, en quelque sorte, purement adnii
nistratives. Les officiers de santé de ces deux classes,
en Angleterre, n'exercent pas, à proprement parler, la
médecine : ils sont chargés de la surveillance du ser-
vice de santé en général et de la direction des hôpi-
aux. Ainsi, un inspecteur de santé ne traite person-
nellement un malade ou un blessé que dans des cas
tout à fait exceptionnels; il n'intervient que fort rare-
ment dans le mode de traitemtînt adopté à l'égard des
malades par l'officier' inférieur chargé du service actif,
et celui-ci conserve toute la liberté comme aussi toute
la responsabilité de ses ordonnances et prescriptions.
D'un autre côté, les hauts fonctionnaires du corps mé-
dical, ayant la surveillance et la direction de tout ce
qui concerne l'administration, la discipline et l'écono-
mie générale des établissements hospitaliers, le méde-
cin chargé de soigner et de guérir se trouve affranchi
de tous les détails qui sont étrangers au traitement de
ses malades.
En réalité, ce sont les titulaires des grades les plus
élevés dans la hiérarchie médicale qui jouent en An-
gleterre, au point de vue administratif, le rôle attribué
en France aux membres de l'Intendance dans l'organi-
sation et la surveillance des hôpitaux. Ceci explique le
grand nombre d'emplois supérieurs que comporte celte
hiérarchie chez nos voisins, eu égard à l'effectif peu
considérable de leur armée et au nombre restreint de
leurs hôpitaux.
Tout candidat qui désire entrer dans le corps médical
188 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
militaire doit adresser sa demande au directeur-général
du service de santé. Celte demande doit être accompa-
gnée d'un certificat constatant son honorabilité {respec-
tability) et d'un diplôme délivré, soit par les Collèges
royaux des chirurgiens de Londres, de Dublin ou d*É-
dimboug, soit par l'Académie de médecine de Glascow,
soit enfin par le Collège de la Trinité de Dublin. Le
candidat est, en outre, soumis à un examen public qui
détermine son admission ou sou rejet. Dans le premier
cas, il est attaché à T hôpital-général de Chatham, où
il accomplit un stage plus ou moins long destiné à
compléter son instruction, en attendant qu'une va-
cance permette de l'admettre dans le cadre du corps
de santé ou de le placer comme aide-chirurgien dans
un régiment.
Toutes ces dispositions offrent une grande ressem-
blance avec celles qui existent dans l'organisation du
corps médical militaire en France.
S*" Comptables des hôpitaux {purveyor's Deparimeni).
Les comptables (purveyor's) des hôpitaux militaires
en Angleterre tiennent la place de nos officiers d'ad-
ministration du même service en France. Seulement,
comme nous l'avons dit plus haut (et nous nous propo-
sons de discuter plus loin les avantages et les inconvé-
nients de ce système), ces pourvoyeurs ou économes
des hôpitaux anglais, au lieu d'être placés sous les
ordres de l'Intendance miUtaire, c'est-à-dire du Com-
missaiiat, sont complètement subordonnés aux officiers
de santé directeurs.
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 189
Cet office de pourvoyeur des hôpitaux fut créé dans
la dernière partie de la guerre de la Péninsule ; mais,
antérieurement à cette époque, les intendants ou gé-
rants d'hôpital (hospital stewards) étaient déjà connus
dans l'armée britannique et remplissaient dans les
principaux hôpitaux militaires des fonctions analogues
à celles des pourvoyeurs actuels.
A la paix de 1815, l'institution des pourvoyeurs fut
abolie, et ce n'est que depuis la dernière guerre avec la
Russie que leur service a été réorganisé. Pendant la
campagne de Crimée, on reconnut qu'il était absolu-
ment indispensable d'affranchir le corps médical des
détails sans nombre qu'entraînaient les fournitures et
la comptabilité des hôpitaux, au grand détriment de
ses devoirs professionnels.
Les pourvoyeurs ou comptables sont chargés d'ap-
provisionner les hôpitaux de toutes les denrées, four-
nitures, objets mobiliers, etc., que réclame le service,
et, à l'exception des médicaments, de distribuer tout
ce qui doit être fourni aux malades. Ils tiennent les
r^istres d'entrée et de sortie des militaires admis dans
les établissements hospitaliers ; ils reçoivent dans des •
magasins ad hoc, leurs armes et leurs effets d'habille-
ment. Ils tiennent la comptabilité et les livres de dé-
pense, dirigent le service des infirmiers et domestiques.
Ils rendent compte périodiquement dé l'état des locaux
et provoquent les réparations nécessaires. Ils rédigent
et reçoivent les testaments des hommes qui meurent
dans leur établissement, et prennent les dispositions
réglementaires pour leur inhumation; enfin, ils ont la
190 CONSTITUTION ET t>UISSANCE MtLlîAtRES
police et la surveillance générale des hôpitaux pour
tout ce qui touche au bon ordre et à la propreté.
Les pourvoyeurs sont autorisés à réclamer du
Commissariat toutes les fournitures que ce départe-
ment peut procurer, et à profiter, pour leur ser\'ic«, de
tous les marchés passés par lui. Dans les circonstances
urgentes, les pourvoyeurs peuvent aussi passer des
marchés particuliers; il leur est également permis de
tirer sur la caisse du Trésor pour les besoins de leur
service, à charge par eux de soumettre leurs comptes
au Ministère de la guerre.
Le cadre des pourvoyeurs comporte les grades sui-
vants :
I pourvoyeur en chef {purveyor in chief), ayant
rang de major; — t pourvoyeur en chef adjoint (rfc-
puty purveyor in chief)^ du rang de capitaine; —
28 pourvoyeurs du grade de lieutenant, et prenant
rang de capitaine après quinze ans de services; —
89 sous-pourvoyeurs (purveyor'* clercks)^ ayant le rang
d'enseigne.
/r Aumôniers (the chaplains Department)
II serait assez difficile de fixer Tépoque à laquelle on
a attaché pour la première fois des chapelains aux
corps de troupes en Angleterre. Sous le règne de la
reine Marie, ils figurent déjà sur les états d'effectif de
l'armée avec une solde de 2 shellings par jour. Sous le
règne d'Elisabeth, leur traitement est réduit à 1 shel-
ling; sous le règne du roi Guillaume, il est porté à 4.
Jusqu'au commencement du xix* siècle, l'emploi de
DE LA PRANOE £t DE i/aNGLETBRIUB. fdl
chapelain pouvait s'acheter, et bien mieux, le titulaire
n'était pas obligé de suivre son régiment en cam-
pagne; il était autorisé à se faire remplacer par un
suppléant auquel il abandonnait uue partie plus ou
moins importante des émoluments attachés à son
oilice. La nomination des chapelains régimentaires
était considérée comme constituant une source de re-
venu si légitime pour les colonels, que, à l'époque où
Ton entreprit de réorganiser le service religieux dans
l'armée anglaise, le gouverneraenl fut obligé de payer
700 livres sterling (17,500 fr.) à tous les chefs de
corps, afin de les indemniser de la perte du revenu
qu'ils tiraient de cette source.
Une paieille situation était fort regrettable, et, dans
l'intérêt même de la religion, malgré la lacune qui
existait au point de vue de l'exercice du culte dans
notre armée française, nous aurions eu bien peu à en-
vier ou à imiter dans l'organisation de l'armée britan-
nique.
En 1796, le service de rAumônerie tut mis sur un
meilleur pied. La paye des chapelains fut élevée à
7 shellings à Tintérieur et à 10 shelliugs dans les colo-
nies. Un chapelain -général fut placé à la tête du corps
des aumôniers militaires.
Pendant la guerre de la Péninsule, le service du
culte fut de nouveau réorganisé. Les chapelains, au
lieu d'être attachés aux régiments, furent appelés à
prendre place dans l'élat-major des brigades. C'est à
peu près ce qui a lieu attuellement en France, où les
aumôniers sont nommés temporairement lorsque les
192 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
troupes forment des corps actifs ou sont réunies dans
des camps de manœuvres.
Pendant longtemps, le gouvernement anglais ne
s'est pas occupé de procurer aux militaires appartenant
aux cultes dissidents les facilités qui étaient données à
ceux de TÉglise anglicane. Les seuls chapelains rétri-
bués par VÉtat appartenaient tous à la religion réfor-
mée. Le nombre considérable dlrlandais, et par con-
séquent de Catholiques romains, qui comptent dans
l'armée britannique a forcé de modifier cet état de
choses.
Pendant la dernière guerre, des chapelains presby-
tériens et catholiques, placés sur le même pied, quant
à la solde et à la position, ont été chargés de donner
aux militaires de leurs communions les soins spirituels
et rinstruction religieuse qui leur avaient manqué jus-
que-là. Aujourd'hui, dans toute l'étendue du Royaume-
Uni comme dans les possessions extérieures, toutes les
mesures sont prises, et aucune dépense n'est épargnée,
pour que les militaires anglais, quelle que soit leur
croyance, puissent concilier lexercice de leurs devoirs
militaires avec celui de leurs devoirs religieux,
M. Fomblanque, en exposant cette situation nou-
velle et en félicitant à juste titre son pays de l'avoir
inaugurée, commet cependant une erreur en affirmant
que la libérale Angleterre soit la seule au monde qui ail
donné l'exemple d'une pareille tolérance : « Même dans
les pays où les dissidents sont exemptés de l'obligatiou
d'assister aux cérémonies religieuses du culte élahli,
prétend M. Fomblanque, aucun soin n'est pris pour
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 193
leur assurer, à leur lit de mort, les se<:ours et les en-
couragements de leurs propres pasteurs. «Cette obser-
vation ne saurait s'appliquer à la France : Catholiques,
Juifs ou Protestants, ont toute latitude non-seulement
de suivre leur religion sous les drapeaux et en état de
santé, mais cette facilité les suit encore dans les hôpi-
taux, dont l'accès est ouvert aux ministres de toutes les
religions reconnues.
Le cadre des chapelains de Tarmée britannique offre
les chiffres suivants :
1 Chapelain -général ;
22 Chapelains brevetés (commisstoned chaplains) ;
<^5 Chapelains adjoints {assistant chaplains).
5' Comptables des magasins {the military store
Department).
Le service des employés de ce département consiste
dans la réception, la conservation et la distribution de
tous les approvisionnements, autres que de bouche^ tels
que : armes, habillements, équipements, effets de
campement, etc.
Antérieurement à la réunion des différents services
administratifs sous la direction du Ministre de la
guerre, le département des magasins militaires (on ne
sait trop pourquoi) était dans les attributions du bureau
de l'Ordonnance. Dans les possessions extérieures, les
comptables des magasins étaient membres d'un comité
formé par les officiers du génie et de Tartillerie, sous
la responsabilité duquel toutes les dépenses du service
des deux armes étaient centralisées et contrôlées. Les
13
19ft CONSTITUTION ET PUISSANCE BIIUTAIRES
comptables des magasins étaient aussi , dans les colo-
nies^ les officiers payeurs de Tartillerie et du génie.
Aujourd'hui, le devoir de ces employés est borné à
la réception et à la distribution de tous les objets qui
ne sont pas de consommation proprement dite. Ils
exercent, en outre, une surveillance générale sur la
comptabilité des employés du casernement {barrack
masters). Ils reçoivent, par l'intermédiaire du Com-
missariat, les fonds nécessaires pour les dépenses acci-
dentelles de leur service et rendent leurs comptes au
Ministère de la guerre.
Il existe une analogie presque complète entre les
officiers d'administration de F habillement et du campe-
ment de notre armée et les comptables des magasins
de l'armée anglaise. Dans l'organisation du service
français, il y a toutefois une diflEérence essentielle, c'est
que la fabrication, la conservation et la distribution
des armes appartiennent exclusivement à l'artillerie.
Les comptables des magasins militaires, en Angle-
terre, sont à la nomination du Ministre de la guerre,
qui signe leurs commissions. Ils n'appartiennent pas à
Tarmée et n'ont qu'une assimilation de convention qui
sert de base pour leurs émoluments.
Le cadre se compose de :
3 Comptables en chef {military prtnctpa/ ^iiorekeepers) ayant
rang de Ueutenant-colonel.
7 Comptablesofdinaires, ayant aussi rang de Ueiitenantroolonei.
21 Gomptid)les adjoints (deputy storekeepers ) ayant rang de
major.
31 à reporter.
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. lOÔ
31 Report.
58 Sous-comptables (assistant storekeepers) ayant rang de ca-
pitaine.
70 Commis de 1'* claise (elerks) ayant rang de lieutenant
88 Commis de S*" classe ( — ) ayant rang d^enseigne*
347 Employés civils dont le salaire figure au budget de l'armée
anglaise pour la somme de 67,000 livres (i,375»00Q franc^,
6» Employés du casernement (the barraeh Department).
Tous les quartiers, casernes, et en général tous les
bâtiofients de l'État affectés à un service militaire, sont
confiés à un employé du casernement {barrackmaiter)^
qui est responsable de leur conservation.
Ces employés doivent passer des revues périodiques
de ces bâtiments, non-seulement afin de provoquer les
réparations qui intéressent leur entretien, njais encore
pour constater les dégradiitions commises par les
troupes qui les occupent, et les évaluer conformément
aux tarifs en vigueur. Lès employés du casernement
sont chargés de poursuivre, de la part des corps, |e
payement des imputations dûment justifiées.
Ils ont le dépôt et la garde de tous les objets mobi-
liers et de toutes les fournitures que renferment les
casernes. Ils sont enfin responsables de la bonne tenue
des locaux qui font partie de leur service et doivent en
assurer la propreté.
Chez nos voisins, les employés supérieurs du caser-
nement, ainsi que nous l'avons déjà fait observer
quand nous avons examiné l'organisation des différents
corps classés à l'État-major de Tarmée britannique,
496 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
sont pris, pour le plus grand nombre, parmi les offi-
ciers en demi-solde ou retirés du service. La seconde
classe, de beaucoup la plus nombreuse, ne comprend
que des sous-officiers.
Voici, quant à leur assimilation, le cadre des em-
ployés du caseniement :
20 Employés de i^^ classe ayant rang de major.
72 — de 2« — — de capitaine.
6 — de 3* — — de lieutenant.
98 Officiers désignés sous la dénomination unique de barrack-
masters.
2 Commis ou secrétaires du caseiiiement (6arracA:c/«rikf)soll9-
ofQciers.
164 Sergents du casernement {barrack serjeants) de l'« classe.
271 — — ( — ideS"^ —
/i37 Sous-offlciers {non commissioned of/icers).
L'organisation du service du casernement, en An-
gleterre, diffère peu de celle du même service en
France. Chez nous, toutefois, c'est le porte-étendard
qui est chargé,* dans chaque corps, des fonctions dévo-
lues, chez nos voisins, au barrack master. Il y a là une
économie dont on appréciera l'importance si Ton veut
bien remarquer que les dépenses du personnel, dans
le système anglais, figurent annuellement au budget
pour la somme de 38,500 livres, c'est-à-dire pour près
d'un million.
Le concierge de nos casernes est représenté très
exactement par le barrack serjeant. Dépositaire des
clefs des chambres et gardien des bâtiments non occu-
pés, ce dernier est aussi responsable de tous les objets
mobilieis.
DE LA FRANCE ET DE l'aNGLETKRRE. 197
En Angleterre, le personnel du casernement a la
charge de tous les bâtiments militaires sans exception.
En France, la garde et la conservation des bâtiments
affectés aux services administratifs sont confiées aux
comptables et aux entrepreneurs de ces services.
T Service et bureaux du génie (the royal engineer
Department).
Le personnel de ce département est composé d'em-
ployés civils attachés au corps du génie pour aider les
officiers dans la partie pratique du service de Tanne,
dans la surveillance des ateliers, dans rétablissement
des comptes, et en général dans tout ce qui constitue
le travail des bureaux.
En France, ce service est militarisé. Il est recruté
parmi les sous-officiers du génie qui se distinguent
par leur zèle, leur bonne conduite et leur instruction.
En Angleterre, où la qualité des hommes fournis par
l'enrôlement volontaire est bien loin de valoir celle des
recrues que nous donne la conscription, il serait fort
difficile, pour ne pas dire impossible, de tirer des rangs
de la troupe un corps analogue à celui de nos gardes
du génie.
Le cadre des employés auxiliaires du génie anglais
est composé de la manière suivante :
1 Directeur {superintendant),
1 Directeur-adjoint {deputy surveyor),
nu Surveillants des travaux {clerks ofworks).
6 Dessinateurs (draughtsmen),
97 Commis (clerks).
66 Employés ou conlre-mailres temporaires {temporary fore-
men ofworks).
198 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
La solde annuelle de ces employés figure au budget
de la guerre pour la somme de 55,000 livres
(1,875,000 fr.).
n n'est pas sans intérêt de connaître la charge im-
posée au gouvernement anglais par Torçanisation et
l'entretien du personnel des divers services que nous
venons de passer en revue. Cette dépense s'élève à
3 1/2 pour 100 environ du prix que coûte l'armée tout
entière. En voici le tableau :
Livres.
Personnel administratif (Commùsariat). 65,000
— médical {Officiers de santé. • . . 67,600
^ des hôpitaux {Comptables) .... 19,800
— religieux {Chapelains) 35,000
— des magasins {Comptables). • • . 67,000
— du casernement {Gardiens des
bâtiments) 38,000
— civil du génie {Commis des bfp-
reotco?, etc.) » 55,000
Total WyliOO = 8,675,000 fr.
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 199
CHAPITRE XIli;
Districts militaires et commandements territoriaux de la Grande-
Bretagne.— Un mot sur l'organisation administrative de TAngle*
terre et sur le r61e de rarmé« chez nos voisins. — Pourquoi la
gendarmerie des puissances continentales n'est-elle représentée
dans Tarmée anglaise par aucune création analogue? ^ Pourquoi
nriande» seule, a-t-elle un corps de police armée? — Possessions
extérieures de la Grande-Bretagne. *- Effectif de Tannée voté par
le Parlement pour Tannée 1860-1861. — Inexactitude des docu-
ments officiels anglais en ce qui touche à la guerre et à la marine.
— Distribution des commandements et répartitions des troupes à
rintérieur de la Grande-Bretagne — Districts de TAngleterre, d#
TËcosse» de Tlrlande. — Camps d'Aldersbott et de Curragh. —Di-
visions actives de Shorncliff et de Dublin. — Organisation mili-
taire des colonies ang1aises.--Gibraltar.— Malte.— Iles Ioniennes.
«* Armée indienne.-* Ceylan. — Chine et Hong-Kong.— Labiian«
^ Australie. — Iodes occidentales. — Amérique du Nord. -*- lle$
Falkland. — Colonie du Cap. — Établissements de la c6te d*Afri-
que. — Maurice. — Sainte-Hélène.
Dans les chapitres qui précèdent, nous etods succes-
sivement passé en revue la composition et l'organisa-
tion des diffiirents corps de Tarmée anglaise. Pour com-
pléter ce tableau général, il nous reste à présenter au
lecteur la distribution de cette armée sur le territoire
de la Grande-Bretagne, et sa répartition entre les nom-
breuses colonies que possèdent nos voisins.
Classée par sa superficie au cinquième rang des
Ëtats de premier oidre, c'est-à-dire après la Russie,
r Autriche, la France et la Prusse; — classée par sa
population au quatrième rang, c'est-à-dire après la
Russie, l'Autriche et la France, TAngleterre, grâce à
200 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
rétendue et à la population de ses possessions exté-
rieures, est, en réalité, forte de 200 millions d'âmes,
et rétendue de son territoire n'est pas inférieure à
15,300,000 kilomètres carrés. — Ainsi l'Angleterre dis-
paraît, et fait place à YEmpire britannique. De nos
jours, cette immense étendue, ces sujets innombrables
sont-ils bien, absolument parlant, pour nos voisins, les
éléments sans conteste d'une puissance effective et
réelle? La multiplicité même de c>es possessions, leur
dissémination sur toute la surface du globe, n'entrat-
nent-elles pas, au contraire, des chaînes bien lourdes,
des nécessités impérieuses, enfin des difficultés si
grandes que la défense de cet empire gigantesque peut,
dans telle circonstance donnée, devenir impossible?
C'est ce que nous examinerons plus tard et à loisir.
L'importance d'une pareille question mérite une étude
particulière, et nous lui consacrerons un chapitre
spécial.
Pour le moment, nous allons nous borner à pré-
senter la nomenclature des diverses parties de l'Empire
britannique, cet exposé étant indispensable comme
cadre des différents groupes entre lesquels se décom-
pose l'effectif militaire de nos voisins.
ANGLETERRE OU ROYAUME UNI.
L'Angleterre, en comprenant l'Ecosse et l'Irlande,
présentait au 4", janvier 1857 une population de
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 20i
28,416,058 âmes, réparties ainsi (t) : Angleterre,
19,30/1,000; Ecosse, â,064,566; Irlande, 6,047,492.
Administrativement, l'Angleterre se divise en 52 com-
tés {caunty ou shire), dont 12 pour le pays de Galles.
A la tète des magistrats et fonctionnaires de chaque
comté maixhe le Lord lieutenant, le seul que nous
ayons à mentionner ici, parce que, au point de vue
militaire, il tient une place importante dans la consti-
tution des forces de la Grande-Bretagne. Le Lord lieu-
tenant, dans chaque comté, est chaîné de la levée et
de l'organisation de la milice, il en nomme les officiers.
Cette troupe, dont on se ferait une idée fort inexacte si
on la comparait à notre garde nationale de France,
constitue, avec la Yeomanry (milice à cheval) et les
volontaireSy un élément particulier de la force militaire
chez nos voisins.
Le maintien de Tordre et la police rentrent, en
Angleterre, dans les attributions du shériffet des juges
de paix. Ces magistrats, tout à fait spéciaux à l'Angle-
terre, représentent Tun des rouages les plus puissants
de son organisation, et ne peuvent exister que dans un
pays où l'ordre social est essentiellement aristocratique,
et où la liberté est assise sur des bases telles, que l'inter-
vention de l'autorité militaire ou de la force armée,
dans les nombreuses circonstances où elle se produit
chez les nations du continent, est, en quelque sorte,
impossible.
Les attributions du juge de paix anglais sont fort
(1) Malte-Brun (édition de 1859, revue et mise au courant de la
science par Lavallce).
202 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
complexes. Elias participent à la fois, au point de vue
de la police générale du royaume, de celles de nos pré-
fets, de nos maires, de nos commissaires de police, etc.
Pour remplir son mandat, quant au maintien de Tordre
à rintérieur du royaume, le juge de paix anglais est
assisté par des officiers de police {constables), qui ont
sous leurs ordres des agents {policemen) essentiellement
municipaux, et dont l'organisation, toute différente de
celle de notre gendarmerie, n'est pas militaire, et ne
relève en rien du Ministère de la guerre (1).
Ces détails nous ont semblé utiles pour bien faire
mesurer la tâche exacte qui incombe à l'armée anglaise.
Sur le continent, l'armée est la force matérielle orga-
(1) Nous aurons Toccasion d'examiner, dans la suite de cette
étude, si Fabsence d*un corps analogue à notre excellente gendar-
merie, ne consUtue pas, dans certaines circonstances, telles que, par
exemple, une émeute grave, la recherche des déserteurs, elc , une
véritable lacune dans Torganisation militaire de nos voisins.
En Angleterre et en Ecosse, où les troubles sont rares, les agents
de police peuvent, sans grand inconvénient, consener ce caractère
exclusivement civil auquel noft voisins sont si fort attachés. En
Irlande* où la résistance dure ioigours, où les émeutes sont fié*
quentes* IMnsufâsance d'un corps de police ainsi constitué devient
plus évidenle. On Ta si bien compris de Taulre coté du détroit, que,
en dehors de l'armée « rig'tar army » comme ta désignent les
Mandais» le gouvernement a insUUté pour rusâge spéelai de la verte
Ertfiy un corps de police particulier (irish rural constabulary) qui,
au nom près, ressemble fort à noire gendarmerie à pied.
Les constables d'Irlande sont soumis à une discipline tout à fait
militaire. Au Heu du petit bâton des policemen de Londres, Us ont
un bel et bon fusil à baïonnette; au lieu de l'habit ou de la longue
capote bourgeoise de ces agents, ils portent un uniforme qui res-
semble beaucoup à celui de la brigade de tirailleurs.
DE LA FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. 208
nisée pour assurer : — à la nation, les moyens de faire
respecter son indépendance et ses intérêts extérieurs;
— à ta société politique et civile, les moyens de main-
tenir les individus dans l'observation de leurs devoirs,
tant envers elle qu'envers leurs semblables. Des deux
termes de cette mission, le premier seulement peut
s'appliquer à l'armée britannique. Si ce n'est dans des
circonstances rares, tout à fait exceptionnelles, la force
armée, chez nos voisins, ne doit jamais intervenir dans
l'exécution des mesures d'ordre et de police intérieure.
Tel est le respect du peuple anglais pour la loi, bonne
ou mauvaise, qui le régit, que jusqu'ici son gouverne-
ment n'a pas eu besoin d'en armer les représentants.
Certes, on ne saurait le nier, un pareil spectacle est
digne d'éloges, et, sans compter la France, il doit être
un objet d'envie pour la plupart des Ëtats européens.
Mais cette situation durera- t-elle toujours? L'Angle-
terre, sous la pression des idées nouvelles, pourra-t-elle
se soustraire indéfiniment aux réformes sociales, aux
modifications politiques et militaires que son aristo-
cratie a su ajourner si longtemps? Il est permis d'en
douter.
Pour le moment, cette aristocratie parvient encore
à détourner l'attention du peuple anglais, en dressant
chaque jour, devant sesyeiix, l'épouvantail des dangers
trop réels qui pourraient lui venir de l'extérieur par
suite de rimperfectionetderinsuffisancede ses moyens -
de défense. L'heure n'est pas loin, peut-être, où John
Bull comprendra que ces dangers, ce sont l'égoïsme et
Timpéritiede ses hautes classes qui ont le plus contribué
20Û CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
à les accumuler (1). N'est-ce pas, en effet, à l'absorption
exclusive par les classes privilégiées, et sans jus-
tification d'aucune condition d'aptitude, d'aucune
preuve de mérite ou de talent, de tous les grades
dans l'armée, de toutes les hautes positions dans les
affaires militaires, que nos voisins doivent leurs
désastres de Grimée et les paniques incessantes qui
leur ont succédé?
Pendant longtemps l'aristocratie a pu donner le
change au peuple anglais ; elle a pu faire diversion à
ses aspirations vers une égalité sociale beaucoup plus
substantielle, quoique tout aussi précieuse, pour le
(1) A ceux qui douteraient du mouvement des esprits dans le sens
que nous indiquons, nous citerons les passages suivants d'un pam-
plilet qui vient de paraître cliez nos voisins, et qui porte le titre
signiflcatif de The army and the peopU :
« Now, if, by uuiversal consent, english aristocrats and pluto-
» crats were not as otlier men; if ttie museaditM of weaith and
» fasliion were inconlestably braver and l^eener witted, livelier in
» action, and readier of resource than the profanum vtUgus: if in
» a word, an offlcer*s aptitude for command were, by some myste-
» rious dispensation of providence, in proportion of his halfhearly
» allowance from pater-familias, there migbt be a iLind of justifica-
» tion for the extraordinary system, which dégrades the office of
» commander in-chief into a broker of commissions. Unluckily,
» nature is dead against belgravian doctrine...»
Dans un autre endroit : « The vultur clings to the carcass, and
» the 0 Caste » which for long has derived advantage from buying,
» selling, and jobbing the commaud of british troops, is not Hkely
» to let 80 good a thing slip through its Angers without a tussel. »
On chercherait en vain, dans une traduction, à rendre Péne^e
et Famertume de ces lignes. Nous reviendrons au livre d*où elles
sont extraites quand nous nous occuperons de la législation sur
l'avancement dans Tarmée anglaise.
DB LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 205
moins, que cette liberté dont elle le leurre, et dont la
jouissance est censée compenser toutes les misères,
toutes les injustices, tous les monopoles! Nous le répé-
tons, l'heure n'est pas loin, peut-être, où les masses se
lasseront, en Angleterre, de l'ombre qu'on leur aban-
donne , et réclameront leur part de ces biens, de ces
droits, de ces places, de ces grades qui ont été jusqu'ici
le partage exclusif des classes privilégiées. Ce jour- là,
l'Angleterre aura grand'peine à éviter les commotions
qui ont agité les autres nations, et son peuple une fois
déchaîné, ce ne sont pas ses policemen et ses constables
qui suffiront à l'arrêter. Le peuple anglais, avec son
bon sens pratique, saura-t-il conserver une juste
mesure dans la poursuite de cette égalité sociale dont
il est déshérité? A l'exemple de tant d'autres nations,
au contraire, dépassera-t-il le but, et, non content de
détruire les barrières qui l'arrêtent dans sa route vers
une condition plus équitable et meilleure, voudra-t-il
renverser aussi celles qui le gardent des précipices et
des abtmes?
Si ce malheur est réservé à l'Angleterre, son année
réoi^anisée, reconstituée sur une base solide, mais en
même temps sincèrement libérale, sera sa seule ancre
de salut. Alors la double mission que cette armée aura
à remplir ne différera plus en rien de celle dévolue aux
armées des Ëlats constitutionnels du continent. Nous
ne chercherons pas à deviner celle des deux alterna-
tives que l'avenir réserve à nos voisins : pour nous, ce
qu'il importait de caractériser c'est, à l'heure présente,
le rôle oisif et incomplet que remplit l'armée anglaise
206 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
à rintérieur; — c'est une situation pouvant expliquer
l'infériorité du nombre des troupes entretenues jus-
qu'ici sur le territoire de la Grande-Bretagne (f).
L'Ecosse est divisée en 33 comtés, subdivisés el
administrés comme ceux de l'Angleterre.
L'Irlande est gouvernée par un Lord-lieutenant ou
vice-Roi. Nominativement, elle forme 4 grandes pro-
vinces : Ijetnsler^ Munster^ Ulster et Connaught, mais
elle se partage réellement en 32 comtés.
Les Hes de Guernesey, Jersey et Aurigny, malgré
leur proximité de l'Angleterre, sont rangées parmi les
possessions britanniques, parce qu'elles ont leur l^s-
lature particulière et ne sont pas représentées au Par-
lement. Ces Iles, comme l'Ecosse et l'Irlande, ont leur
milice paj'ticulière, dont l'organisation, toutefois, pré-
sente quelques différences dont nous parlerons ailleurs.
POSSESSIONS EXTÉRIEURES DE LA GRANDE-BRETAGNE.
Les dépendances de la monarchie britannique pré-
sentent plusieurs modes d'administration : ainsi, les
Iles Ioniennes forment une république sur laquelle
(1) Une autre raison qui motivait encore autrefois l'effectif peu
élevé de l'armée anglaise, c'est i'uUlité insigniflaote qu'on lui prê*
tait à l*endroit de la défense du territoire. C'est la confiance exclu-
sive, absolue, que nos voisins mettaient dans leurs flottes. Aujour-
d'hui, comme nous le montrerons ailleurs, la marine à vapeur a
modifié du tout au tout les conditions sur lesquelles reposaient la
défense et la sécurité de la Grande-Bretagne.
DB LA FRANGE ET DE L'ANGLETERRE. 207
FAngleterre exerce plutôt un droit de souveraineté
qu'un protectorat, bien que cette prétention soit en
opposition avec la lettre des traités.
Le vaste territoire concédé à la Compagnie de la
baie d*Hudson est un État gouverné e( administré par
les délégués de la Compagnie sous le contrôle de la
métropole. Il en était à peu près de môme des vastes
possessions de la Compagnie des Indes, avant que
Tadministration de ces possessions fût passée, à la
suite de la grande insurrection, à la Couronne.
Heligoland, Gibraltar, Malte, le Cap, Sierra-Leone,
la Gambie, Maurice, la Trinité, Sainte-Lucie, la
Guyane, Ceylan sont gouvernés directement par ordon-
nances royales ; toutes les autres colonies ont leurs
législatures particulières.
Lorsque nous examinerons les différentes possessions
extérieures de TÂngleterre au point de vue militaire
et stratégique, et surtout au point de vue des liens
qui les unissent à la mère-patrie, nous entrerons dans
des détails complets sur les conditions de défense de
chaque colonie. Pour le moment, nous nous bornons
à présenter simplement le tableau de ces possessions,
en indiquant leur population, leur territoire et la date
de leur annexion à TËmpire britannique.
208 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
TABLEAU DES POSSESSIONS BRITANNIQUES.
POSSESSIONS.
DATE
de l'ncqaîsilioD.
SUPEBFICIE
en
milles carres
gëographt-
ques.
POPULàTlOH.
Gibraltar
Malte, Gozzo, etc.
Heligoland
Iles Ioniennes . . . .
io En Europe.
1704
iSOG
1814
1814
Total pour TEurope .... 1 ,322
6
219
1»092
16,000
128,360
2,230
240,000
Ceylan
Présidence du Bengale.
EUts du Nord
Présidence de Madras. .
Présidence de Bombay. .
20 En Asie.
. I 1796
ydel632àl860
Total pour l'Asie.
Etats Indigènes ou posses-l
sions médiates 1
Total général pour l'Inde.
1,067
468,018
105,759
132,090
131,545
837,412
627,919
386,590
1,627,850
64,108,369
33,655,193
22,437,297
11,790,042
131,990,901
48,376,247
1,465,322 180,367,148
Hong-Kong.
Aden
Labuan . . . •
Nouvelle Galles du Sud. .
Terre de Yan Diemen . . .
Australie occidentale. . . .
Australie méridionale. • . .
Nouvelle Zélande
LeGapetNaUl.
Sierra Leone . .
Gambie
Côte-d'Or
Maurice
Sainte-Hélène . .
Ascension
IlesSechelles.. .
Fernando-Pd. • ,
1840
En Anstralie.
«787
1803 ,
1829
1836
1839
' En Afri^e.
1806
1797
1632
1661
1814
21,387
1,043,000
Total pour l'Afrique.
6,223
285,280
14
50,000
»
5,760
»
385,000
33
180,820
2
7,000'
2
2,400
4
7,000
»
m \
6,377
923,260 1
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE.
209
POSSESSIOIVS.
DATE
de racqaisitioD.
SUPERFICIE
en
milles carrés
grograpbi-
que*.
En Amériiiiie.
I 1763
1713
Canada
Nouvelle Ecosse
Nouveau Brunswick i
Ile du Prince Edouard ( Dix-septième
Terre-Neuve.
Nouvelle-Bretagne
Ântigoa
Barbades
Dominique
Grenade
Jamaïque. .*
Montserrat
Nevis
Saint-Christophe
Sainte- Lucie
Saint-Vincent. . •
Tabago
Tortola et les Iles Vierges.
ÂnguîUa
Trinité
Bahamas
Guyane
Honduras
Bermudes
FalUand
siècle.
1632
1605
1763
1763
1635
1632
1628
1623
1803
1763
1763
1665
1650
1797
1629
1803
1670
1609
Total pour l'Amérique. . • .
rAgapitulation.
19,302
1,304
883
101
2,690
117,744
6
7
13
6
302
1
3
3
3
6
9
1
4
113
207
4,709
1
POPDLATION.
147,695
1,843,950
193,800
276,120
62,680
101,600
185,000
37,760
135,940
18,650
30,000
388,000
7,800
10,200
23,180
21,460
27,250
13,210
8,600
3,130
60,320
27,520
127,700
11,065
11,100
2,600
3,628,635
lies Britaniques (Angleterre et Irlande). . 28,416,058
Possessions d'Europe 386,590
Possessions d'Asie 1 80,367,148
Possessions d'Australie 1 ,043,000
Possessions d'Afrique 923,260
Possessions d'Amérique 3,628,635
Total général.... 215,034,691
Nous allons examiner quelles sont les forces entre*
tenues par l'Angleterre pour la protection de ce spleii-
dide empire de 215,000,000 d'àmes.
14
310 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
L'effectif voté par le Parlement pour Tannée 1860-
1861 se décompose de la manière suivante (l) :
DÉSIGNATIONS.
HOMMES.
CHEVAUX.
Cavalerie et ArtiUerie à Cheval.
1 Brigade d'artillerie à cheval (10 batteries).
3 Régiments de cavalerie de la garde
t H^imAnta de dracfons-flrapdfiS. ■...••.«.•
S,3SS
1,338
5,331
12,679
1,890
823
3.711
9,020
18 Régiments de cavalerie de ligne (lanciers
f>t hiiRiards^ ..■•■■••...
Totaux
Infanterie et ArtiUerie k^M.
16 Brigades d'artiUerie à pied (à 7^ 8, 9 et
batteries)
21,703
21,531
2,951
1,209
4,730
2,020
1,202
6,300
159,330
5,150
3,419
5,394
15.446
5,792
120
1,162
900
1 Brigade de dépôt (artUlerie)
1 Brigade d^artillerie de côte
1 Goros du irénie* ....«.• .• é***»*
1 Corps du train des équipages (7 bataillons).
Infirmiers militaires ...*.••.......*•.
3 Régiments d'infanterie de la garde
100 Régiments d'infanterie de ligne dont 74 à
1 bataillon, 25 à 2 bataillons et 1 à
4 bataillons
1 Brigade de tirailleurs à 4 bataillons
3 Régiments dits des Indes-Occidentales enrô-
lés spécialement pour faire le service de
garnison dans les Antilles et composés
d*hommes de couleur. •.« •«....
Corps coloniaux recrutés à Ceylan, au Cap,
ttt Canada, à la Côte d'Afrique, etc
Totaux
235,852
24,342
Nota. - Dons cet efTectif ne fieareat pit lei corps iadicènet recmlêi dane
rinde et qui eotit eatretentu et celMe par le budget de TUde.
(1) Aftny êêtifnatês, budget de la guerre pourPanùée 1860-1861.
Eo Angleterre, Fanoée financière commence au l*** ayril et finit au
31 mars de Tannée qui suit.
DB LA FRANGE BT DE l'aNGLETEREB. 911
Les chiffres contenus dans le tableau qui précède,
présentent quelques différences avec ceux que nous
avons donnés lorsque nous avons analysé l'organisation
des différentes armes. Ces derniers, nous avons eu soin
de le ikire remarquer, se rapportaient au budget de
1858. Les augmentations successives votées en 1869
et 1860, portent Teffectif entretenu et soldé pour
«860-1861, à 285,852 hommes et 9fi,a&achevaux«
On se tromperait fort, du reste, si Ton pensait que
cet effectif existe réellement sous les armes. Nous ver-
rons ailleurs, lorsque nous envisagerons tous les ob-
stacles que rencontre le recrutement de Tannée an-
glaise, combien l'effectif «ur le papier, c'est-à-dire voté
par le Parlement, diffère de l'effectif disponible pour
le service (1).
Sur les 235,862 hommes et 2&,8&2 chevaux qui
(i) Le ministère anglais, pour tout ce qui regarde les e(te6i\tA de
la Marine et de la Guerre, ne se fait nullement scrupule de fournit*
au Parlement des renseignements inexacts. Cette façon de procéder
et de grouper les chiffres de manière à les mettre en rapport arec
les exigences du moment, ne souiève Jamais d*obJectlons dans les
Chambres. 11 y a une sorte d'accord tacite pour ne point relerer des
inexactitudes dont on ne saurait faire Justice sans éclairer trop
intimement les étrangers sur des questions qu*il importe de
dissimuler. Comme exemple à Tappui de ces obsenrations, et pour
mettre H même de Juger du degré de confiance qu'il contient sou-
▼ent d'accorder h certains documents, nous citerons ce qui s^eat
passé à propos du mémorandum du général Peel.
L*année dernière, dans un état fort détaillé des forces militaires
disponibles pour la défense du territoire, I*honorable général affir-
mait que, an 1" juin 1SÔ9, et sans compter Tinfanlerie de marine,
les pensionnaires et les recrue.s destinées aux régiments de Tlndè,
212 CONSTITUTION ET PUISSANCE MiLlTMRES
composent Tarmée anglaise pour Tannée courante,
et sont à la disposition du Commandant en chef,
92,&90 hommes et 9,710 chevaux sont employés dans
rinde, et sont entièrement à la charge du budget in-
dien qui les défraye de tout, même du transport, aller
et retour (1).
Pour subvenir aux besoins du service à l'intérieur
et dans toutes les colonies dont nous avons donné le
tableau 9 Tlnde seule exceptée, il reste donc à la chaire
du budget anglais l/i3,â62 hommes et i&,&â2 che-
vaux. Cet effectif, en hommes, semble présenter,
sur Tannée dernière, une augmentation de 20,707,
mais en réalité Taugmentation est de 6,&56 seulement,
parce que le passage de Tarmée de la Compagnie sous
refTeclif, à Fintérieur, était de I09,6!i0 hommes, et en retranchant
la milice enrégimentée {Embodied Miliiia)^ de 86,422.
Ainsi, au dire dugénéral Peel, lacavalerie comptait 11,698 hommes;
rinfanierie de la Garde 6,18/i ; l'infanterie de ligne 50,032 ; Fartil-
lerieà cheval 17/i9; rartillerie à pied 12,669; le corps des ingé-
nieurs 185/i ; le train 1861 : le corps médical 375, et la milice 23,218.
-* Total : 109,6A0 hommes.
Dans un arUcle fort détaillé et très précis, VUniied service ma-
gazine (du mois d*aoûl) a établi, chiffres en matn, i^ que Teffectif
de la cavalerie était seulement de 8,500 hommes (1^,000 en moins) ;
2» que reffectif de Finfanterie, en comprenant les dépôts des régi-
ments employés aux colonies, ne pouvait pasdépasser 32,000 hommes
(18,000 de moins que le chiffre présenté dans le mémorandum du
général Peel !). — En ce qui regarde la mUice, la Revue militaire que
nous citons, sans être aussi explicite, Tévaluait à 16,000, au lieu de
23*000. — L'effectif du mémorandum était donc, en réalité, forcé
de 28,00u hommes, c'est-à-dire de plus d'un quart! !
(1) Voy. plus loin la décomposition de cet effectif des forces euro-
péennes absorbées par l'Inde.
DE LA FRANGE El^ DE L'ANGLETERRE. 2lâ
le commandement direct, et quelques autres augmen-
tations, avaient déjà ajouté 1 ù,251 hommes à leffex^tif
voté pour 1859-1860 et l'avaient porté à 136,906
hommes.
Cette force se décompose de la manière suivante :
Officiers généraux, états-majors, service médical, etc. 1,121
Officiers de cavalerie et artillerie 681
Officiers d'infanterie 5«dô7
Sous-officiers de toutes armes 10,972
Troupe (cavalerie rank and file) 11,529
Troupe (infanterie id. ) 113,702
Total 143,362
La solde et l'entretien de cette armée (y compris les
lA,&â2 chevaux) figure au budget pour 112,491 ,000.
Lorsque nous donnerons le tableau comparatif et
détaillé des budgets militaires de la France et de l'An-
gleterre, nous verrons que pour 347,230 hommes,
c'est-à-dire pour 200,000 hommes de plus que nos
voisins, nous ne payons en Franceque 137,527,673 (1).
§111.
DISTRIBUTION DES COMMANDEMENTS ET RÉPARTITION DBS
TROUPES A l'intérieur DE LA GRANDE-BRETAGNE.
Nous avons vu, quand nous avons analysé l'organi-
sation militaire de nos voisins, que le Souverain était
(1) Dans les chiffres relatifs à la solde et à l'entretien des deux
armées, nous n^avons pas compris les dépenses pour les vivres, le
pain, le chauffage et Féclairage. Voir le montant de ces dépenses au
tableau comparatif des deux budgets.
21 A CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRBS
le chef officiel de rarmée anglaise. Nous avons donné
la composition du Ministère de la guerre d'où émane
Tadministration, et celle du Horse-Guards (quartier
général), d'où procède le commandement des troupes.
Sous le rapport militaire, le Royaume-Uni est par-
tagé en un certain nombre de districts ou divisions,
dont le commandement est conûé à des généraux^ Nous
ne reviendrons pas sur ce qui a été dit sur les attribu-
tions des commandants de districts, et sur les pouvoirs
très restreints qui leur sont donnés.
Indépendamment des divisions actives qui occupent
las camps d'Aldershott et de ShorncliflF et Douvres,
rAngleteire comprend aujourd'hui 8 commandements
territoriaux. L'Ëoosseï qui en comprenait deux autre-
fois, n en forme plus qu'un seul. L'Irlande en présente
cinq (la division active de Dublin et la brigade active
de Curmgb comprises).
GOMJUMDKIIENTS TERRITORIAUX OU DISTRICTS DE L* ANGLETERRE.
!• Districts du Nord {Northern district) comprenant
les comtés de Northumberland, Durham, Westmore-
Und, CumberUtnd, Yojrkshire, Lancashire, Cheshiie,
Dert^kysbire» Nottinghamsbire, Liocola, D^nbigh,
Flintshire, Shropshire, Staffordshire, Warwickshire,
Leicestershire, Rutland, Worcester et Northampton-
shire.
Le district du Nord est commandé par un lieute-
nant-général (1) qui réside à Manchester, Ua assistant
(1) Le lieutenant général J.-L* i^DDefather.
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 915
adjudant-général du grade de colonel, et un assistant
quartier mattre général du grade de lieutenant*oolond
sont attachés à Tétal-major du district. Le comman-
dant a en outre deux aides-de-camp.
L'artillerie du district est sous les ordres d'un co-
lonel remplissant des fonctions analogues à celles de
nos directeurs de Tartillerie en France, et qui réside à
Manchester.
Le senrioa du génie est dirigé par quatre colonels ou
UeutenantsH^lonels qui résident à Manchester, New-
castla, Birmingham et York.
9" District nu Sin>-Effr {SwtfhE^tem) comprenant
lea comtés de Kent» Surrey et Sussex, à l'exception des
troupes de Woolwich, de Chatham, de Sheroeis* et
celles occupant les forts et batteries de la Tamise.
Maid^tone, Aldersbott, Croydon et Cbicbester ne rel^
yenA pas non plus du district du Sud-Ëst, bien que
faisant partie des comtés de Kent, Surrey et Susses
État^mOfjor : 1 lieutenant-général commandant (1);
1 assistant adjudant général (colonel) ; 1 assistant
quartier-maître général; 2 aides-de-camp; i com-
mandant de l'artillerie (colonel) ; 2 chefs du génie
(colonel et lieutenant-^lonel), résidant à Dopvrçs et k
Brighton.
S* District du Sud-Ouest {South-Westem), com-
prenant les comtés de Wilts, Dorset et Hants, l'Ile de
Wight, et les troupes en garnison à Ghichester et à
Littlehampton. Éiat-major : \ major -général com-
(1) Le lieutenaBHléaéral C Mansei.
216 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
mandant du district (1), résidant à Portsmouth; 1 com-
mandant de railillerie (colonel), résidant àPortsmouth;
2 chefs du génie (majors), résidant à Portsmouth et à
Weymouth; 1 assistant adjudant-général (colonel);
1 quartier maître général (lieutenant-colonel); 1 major
de place (lovvn-major).
4* District de l'Ouest [fFesterti), comprenant les
comtés de Devon, Cornwall et Sommerset, à l'excep-
tion de Bristol et de ses dépendances. Éta^majar :
i major^énéral, commandant du district (2), rési-
dant à Devonport ; 1 major de brigade ; 1 major de
place ; 1 commandant de Tartillerie (colonel), résidant
à Devonport ; 2 chefs du génie, résidant à Devonport
et Exeter.
5" Commandement de Chatham. — État-major: 1 ma-
jor-général commandant (â) , à Chatham ; 1 colonel
commandant de Tartillerie àShemess; 1 colonel chef
génie; 1 major de brigade.
6'' Commandement de Woolwich. — État-major:
1 major-général de Tartillerie, commandant le dis-
trict (4); 1 chef du génie (colonel) r^idant, comme le
commandant du district, à Woolwich; 1 major de
brigade; 1 député assistant quartier-mattre général.
T District de Jersey (Iles de la Manche). — État-
major : 1 major-général commandant, et ayant le titre
(1) Le major général sir J.-Y. Scarlett.
(2) Le major (i^énéral Hulchinson.
(3) Le major général Henry Eyre.
(û) Le major jiénéral sir J. Dacres, de rarUllerie.
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 217
de lieutenant-gouverneur (1) ; 1 colonel commandant
Tartillerie; 1 colonel commandant le génie; 1 comman-
dant et adjudant de place {fort major and adjudant).
8* District de Guerneset et Alderney (Hes de la
Manche). — État-major: l major-général comman-
dant, et ayant le titre de lieutenant-gouverneur (2) ;
t colonel commandant T artillerie ; 1 colonel comnian-
dant le génie ; 1 major de place faisant fonctions d'ad-
judant ; 1 commandant de la place d'Âlderaey.
Noca, — Un certain nombre de comtés n'appartien-
nent à aucun des districts que nous venons de nom*
mer, et relèvent directement du quartier-général. Ce
sont : Bedford, Berks, Bristol et ses dépendances, Bue-
kingham, Gloucester, Hereford, Middlessex, Norfolk,
Oxford, Suffolk, le pays de Galles (à l'exception de
Dembigh et Flintshire).
Les troupes stationnées dans ces comtés reçoivent
sans intermédiaire les ordres du commandant en chef.
9** Division d'Aldershott. — Les troupes station-
na à Aldershott forment, avec Tartillerie de Nor-
thampton et la cavalerie de Hounslow, une division
active placée sous le commandement d'un lieutenant-
général (3).
La division d' Aldershott se compose d'une brigade
de cavalerie et de trois brigades d'infanterie comman-
dées par des majors-généraux.
Chaque subdivision a son major de brigade.
(1) Le major général G.-C. Mundy.
(t2) Le major général M.-J. Slade.
(3) Le lieutenant général W. T. KnoUys.
218 CONSTITUTION £T PUISSANCE MUJTAIRBS
Un état-major nombreux est attaché au quartier*
général de la division, et comprend les chefs des diffé-
rents services de Tartillerie, du génie, etc.
10° Division db Douvres et Shornguff. — Ce oona-
mandement comprend les troupes de la division active
statioimée à Douvres et à Shorncliff, et celles de
Brighton et de Canterbury.
Indivision active de Shomcliff a pour chef le com*
mandant supérieur du district du Sud*Est. Elle est
formée de deux brigades d'infanterie, commandées par
des majors«généraux.
DISTRICT MILITAIRE DE L*éCOSSE.
L'Ecosse forme un seul commandement dont le titu*
laire (1) porte le titre do gouvçmew du Château
d'Edimbourg. Ce district comprend l'arrondissement
militaire de Berwick. Son état-major est composé
comme celui des districts de TÀngleterre. Le comman-
dant de rartillerie réside au fort de Leitb.
DISTRICTS MILITAIRES DB L*IRLANDB.
Toutes les troupes stationnées en Irlande sont sous
les ordres d'un commandant en chef {commanding ihe
forces)^ dont le quartier-général est organisé et com-
posé, bien que sur une échelle moindre, d'après les
mêmes principes que les divers départements du Horse-
Guards.
L'Irlande comprend trois commandements territo-
riaux :
(1) Le général lord Seaton.
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 3i9
V DisTRiOT DE Dublin ou du Nord {Dublin or Nor-
thern), auquel appartiennent les comtés suivants : Do^
n^al, Londonderry, Antrim, Tirone, Fennanagh,
Monaghan, Armagh, Down, Sligo, Leitrim, Cavan,
Louth, Mayo, Roscommon, Longford, Westmeath,
Meath, Wicklow et Gahvay.
Ce district est sous les ordres d'un major-général (1) .
Son état-major comporte le personnel ordinaire. Deux
chefs du génie (un colonel et un major) résident à
Dublin et à Belfast.
2* District de Cork ou du Sud-Ouest {Cork or
South' Western)^ comprenant les comtés de Limerick,
Tipperary, Kerry, Waterford, Cork, Clare, Kilkenny
et Wexford. Ètat-major : Un majoi^général (i) com-
mandant supérieur, un commandant de trartillerie
résidant à Cork , deux chefs du génie (lieutenants-
colonels) à Cork et à Limerick, un commandant {de
place (au fort Charles). Le reste du personnel comme
dans les autres districts.
3* District de Curragh ou du Sud-Est (Curragh
or South'Eç^ternjy comprenant les comtés de Kildare,
de Carlow, le King s County {comté du Roi) et le
Queen's County {comté de ta Reine). Ètat-major : Un
major-général commandant supérieur '(S) et le per-
sonnel ordinaire des autres districts.
Au district du nord de Tlrlande se rattache le com-
(1) Le major général Gascoigne.
(2) Le major général Eden.
(3) Le major général H. Sbirley.
220 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
mandement de la division active de Dublin, formée de
deux brigades d'infanterie et d'une brigade de cava-
lerie.
Au district du Sud-Est se rattache le commande-
ment du camp et de la brigade active de Curragh
(infanterie).
§IV.
ORGANISATION MILITAIRE DES COLONIES ANGLAISEE.
Les possessions extérieures de la Grande-Bretagne,
SOUS le rapport militaire, se divisent en un certain
nombre de groupes dont Torganisation et l'administra-
tion ne sont pas soumises à un système uniforme. Dans
certains cas, le gouverneur est en même temps le
commandant effectif des troupes de la colonie; dans
d'autres^ ce gouverneur n'est point militaire, et la
direction des troupes appartient alors à un officier dont
le grade varie suivant l'importance de la colonie.
Cette dernière situation n'est pas quelquefois sans
inconvénients. Des difficultés s'élèvent fréquemment
entre les autorités civiles et militaires, et c'est à l'occa-
sion d'un conflit de ce genre, soulevé par le colonel
Clarke, du 1" régiment des Indes Occidentales, que le
Horse-Guards a fait paraître en 1857 une circulaire
dont nous allons donner l'analyse et qui définit tant
bien que mal les droits des différentes autorités colo-
niales.
«Il est arrivé parfois, dit cette circulaire, que, dans
les colonies où le gouverneur est en même temps in-
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 221
vpsti du titre de commandant en chef, des doutes se
sont manifestés quant à l'étendue des pouvoirs relatifs
du gouverneur et du commandant des troupes. Il doit
être bien entendu que ce titre de commandant en
chef, dont un gouverneur civil peut être revêtu, ne lui
donne aucun pouvoir et aucune autorité directe sur les
troupes de la Reine.
»D'un autre côté, il n'est pas douteux que c'est à ce
même gouverneur qu'il appartient, dans la mesure
des pouvoirs dont il est légalement investi, et pour la
défense de la colonie ou le maintien de Tordre, de
lever tel ou tel corps dont il jugera la réunion oppor-
tune ou nécessaire.
» Les olBciers désignés pour commander ces corps
ne peuvent être choisis et commissionnés au nom de la
Reine que par le gouverneur commandant en chef.
n C'est au moyen des mesures prises par la colonie
eu conséquence d'un acte législatif promulgué ou à
promulguer dans ce but qu'il doit être pourvu à l'ha-
billement, à la solde et à Tentretien des corps ainsi for-
més. Au cas où le trésor de la colonie ne pourrait
pourvoir à ces dépenses, l'officier commandant les
troupes est tenu de déférer aux réquisitions du gouver-
neur en mettant à sa disposition, sur pièces régulières,
telle portion des fonds de la caisse militaire (military
chest) qui peut être jugée nécessaire.
» Si tout ou portion d'une force locale vient à se
réunir aux troupes de la Reine, soit en division, bri-
gade ou détachement, la désignation des officiers char-
gés de commander ces corps mixtes appartient dès lors
222 [constitution et puissance militaires
exclusivement à Tofficier commandant les troupes
Taulières.
» Comme il est indispensable que le gouverneur
d'une colonie soit toujours instruit aussi promptement
que possible des mouvements des troupes et des événe-
ments qui en résultent, le commandant de tout poste
ou détachement doit adresser au gouverneur copie de
tous les rappoiis qui lui parviennent à lui-même.
» Si une expédition militaire vient à être décidée
dans une colonie, le gouverneur a le droit d'exposer
au commandant des troupes la politique adoptée par
le gouvernement de Sa Majesté, et les mesures mili-
taires par lesquelles cette politique doit être poursuivie.
Quant à l'exécution de ces mesures, c'est à l'officier
commandant les troupes qu'elle appartient. »
La circulaire que nous venons de résumer est
instructive, en ce qu'elle donne une idée assez exacte
de la manière dont les colonies anglaises sont gouver-
nées au point de vue militaire. Malgré les détails minu-
tieux dans lesijuels le rédacteur de cette circulaire a
cru nécessaire d'entrer, ou plutôt, à cause même de
ces détails, il est permis plus que jamais de se deman-
der, après sa lecture, si les conflits et les tiraillemeuls
auxquels elle prétend mettre fin ne sont pas impossibles
à éviter.
Nous allons suivre dans le détail des divers comman-
dements coloniaux l'ordre que nous avons adopté dans
le tableau des possessions extérieures de la Grande-
Bretagne.
DB LA FRANCE BT DE L'ANGLETERRE. 323
ORGANISATION MILITAIRE DES POSSESSIONS ANGLAISES KN EUROPE.
1* Commandement de Gibraltar. -^ Poste essentiel-
lement militaire, Gibraltar a pour gouverneur et com-
mandant eu chef un lieutenant-général (1). Son état-
major comporte : 1 secrêtaire militaire > 3 aides-de^
camp, 1 assistant adjudant-général, 1 quartier-malti'e
de la garnison et 1 adjudant de place [town adjutant) ;
3 colonels appartenant au génie et à Tartillerie sont à
la tète de ces deux services.
Les troupes qui gardent cette position forment une
brigade commandée par un major-général. Un aide-
de-camp et un major de brigade sont attachés à la
subdivision des troupes.
Au mois d'août 1860, la garnison de Gibraltar était
ainsi composée : 5 bataillons d'infanterie appartenant
aux 6% 7% 8% 25' et 100'^ régiments; 1 brigade d'ar-
tillerie de place (la 5«) ; détachement du génie.
2** Commandement de Malte. — Position militaire,
comme Gibraltar, bien plutôt que possession coloniale,
rile de Malte a également un lieutenant-général pour
gouverneur et commandant en chef (2). Son état-
major comporte : 2 aides-de-camp, 1 secrétaire mili-
taire, 1 assistant adjudant-général, 1 député quarlier-
mattre général, 1 major de place, 2 colonels directeurs
de rartillerie et du génie.
I^es troupes forment deux brigades commandées
(1) Le Heutenftnt-général sir W. Codrington.
(3) Le UeuleDanl-général sir G. I^e Marchant.
22ft CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
par des majors-généraux. Un aide-de-camp et un major
de brigade sont attachés à chaque subdivision.
'Au mois d'août 1860, la garnison de Malte était
ainsi composée : A bataillons appartenant aux 3*, 15%
22* et 23* régiments d'infanterie; 1 bataillon de tirail-
leurs (4* de rifle brigade ) ; 1 régiment de volontaires
(Jencibles)'^ 1 brigade d'artillerie de place (la 6"):
détachement du génie, etc.
3** Commandement des Iles Ioniennes, comprenant
Corfou,Vido, Paxos, Sainte-Maure, Céphalonie, Zante,
Ithaque, Calamos et Cérigo.
La Grande-Bretagne occupant les Iles Ioniennes à
titre de protectorat plutôt que de propriété efiFective,
le représentant du gouvernement anglais dans ces Iles
non-seulement n'appartient, pas à l'armée, mais il ne
porte même pas le titre de gouverneur ou de comman-
dant en chef comme dans les autres possessions; on
le désigne sous celui de Lord Haut-Commissaire {Lord
High-Commissioner) .
Ce fonctionnaire a deux aides-de-camp militaires.
Les troupes détachées aux Hes Ioniennes forment
une brigade commandée par un major-général. 1 aide-
de-camp, 1 assistant secrétaire militaire, 1 major de
brigade, l député quartier-maître général et 2 colo-
nels, directeurs de l'artillerie et du génie, composent
le personnel de Tétat-major de la station.
Pour l'année courante, la garnison des Iles Ioniennes
comprend : à Corfou, 3 bataillons d'infanterie appar-
tenant aux /r et 9' régiments; à Céphalonie, l batail-
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 225
Ion d'infanterie du 2** régiment; des détachements de
Tartillerie et du génie.
ORGAïaSATIÔN MILITAIRE DES POSSESSIONS ANGLAISES EN ASIE.
l"" Commandement des Indes ordentales. — Nous
avons donné, dans une autre Étude (1) sur Tannée des
Indes, des renseignements qui nous dispensent d'entrer
ici, à l'égard de cette colonie, dans des développements
pour lesquels l'espace nous manque d'ailleurs.
Nous rappellerons seulement que la conséquence de
la grande insurrection de 1857 a été l'abolition du
gouvernement de la Compagnie. Les forces militaires
entretenues par les directeurs ne forment plus, comme
autrefois, une armée à part, et sont passées sous le
commandement de la Couronne. Bien que le dernier
mot de la réorganisation de ces forces ne soit pas
encore dit, ainsi que nous le verrons ailleurs, l'Empire
indien peut être considéré aujourd'hui, au point de
vue militaire, comme étant dans les conditions com-
munes à toutes les colonies anglaises. Comme les autres
possessions, il est gardé par des forces locales aux-
quelles viennent s'ajouter les renforts envoyés par la
mère patrie. La seule diflTérence réside dans l'impor-
tance du chiffre des unes et des autres, et aussi dans
cette circonstance particulière que, renfoiis ou forces
locales sont à la charge du budget de l'Inde, comme à
Tépoque du gouvernement de la Compagnie, et non
à la charge du budget de la métropole.
(1) Puissance militaire des Anglais dans Tlnde.
15
226 CONSTITUTION BT PUISSANCE MILITADUE6
Le gouverneur-géiléral de llnde (1) est en même
temps gouveraeur de la Présidence du Bengale. Son
état-major particulier, comme celui des gouverneurs
de Madras et de Bombay (2), se compose d'un certain
oombre d'officiers remplissant les fonctions d'aides-
de-camp et de secrétaires pour la correspondance mili-
taire,
Le commandant en chef des forces de l'Inde (3)
étend sop autorité sur toutes les troupes des trois
Présidences. Sou état-major particulier comprend :
1 colonel secrétaire militaire, 2 majors aides-de-camp,
1 major^général chef d'état-^major (4).
L'état-major général de la Présidence du Bengale
comprend : k majors-généraux, 1 colonel directeur
du génie, l colonel directeur de l'artillerie, 1 adju-
dant^énéral, 1 député adjudant-général, 1 assistant
adjudant-général, etc.
L'état-major de la Présidence de Madras comprend :
2 lieutenants-généraux, l major-général, 1 lieutenant-
colonel directeur de l'artillerie, 1 député adjudant-
général, 1 député quartier-maître général, etc.
L'étatrmajor de la Présidence de Bombay comprend :
1 lieutenant-général, 2 majors-généraux, 1 colonel
directeur de l'artillerie, 1 lieutenant-cx)lonel directeur
du génie, etc.
(1) Lord Canning.
(2) Sir Trevelyan et lord Elphinslon.
(3) Sir Colin Campbell (lord Glyde).
(Il) Cet emploi, quoique reconnu dans rorganisalion, est le soiil
de ce genre que présente Tarmée anglaise.
W I#A FRAKCB R DB l'aNGLBTIRU. 327
Su)* l'effectif de 335,852 hommes et 2&,â&fi che-
vaux qui figure au budget de la Guerre pour 1860-
1861, nous avons vu que 92,490 hommes et 9,710 che-
vaux étaient employés dans l'Inde.
Cette force se décompose de la manière suivante :
Artillerie à cheval 622 hommes 600 chevaux.
Cayalerie de ligne. 7,StAd — 6,472 ^
Artillerie royale 4,860 — 2,288 —
Infanterie de ligne . 66,282 —
Infirmiers 63 —
Dépôts stationnés en Angleterre. 13,420 — 350 —
Totaux 92,490 hommes 9,710 chevaux.
L*artillerie forme 3 brigades (H* et 14* au Bengale,
et 13« à Bombay), et comprend, de plus, 4des 10 bat-
teries de la brigade à cheval; — total : 3 brigades et
demie sur 15 que comprend l'ensemble de l'arme.
La cavalerie se compose des régiments suivants :
dragons-gardes, 1", 2*, 3% 6% 7'; — cavalerie de
ligne : 6«, 14* dragons légers; — 7" et 8* hussards;
— 12% 17** lanciers; — total : Il régiments sur 28.
L' infanterie détachée dans l'Inde représente 63 batail-
lons, sur les 139 qui forment la totalité de l'infanterie
anglaise. Ces bataillons appartiennent aux régiments
suivants : V\ l\% 5% 6% 7% 8% 13% 18% 19% 20% 23%
24% 27% 28% 31% 33% 34% 35% 37% 38% 42% 48%
46% 48% 51% 52% 53% 54% 56% 57% 60^ (les trois
premiers bataillons), 64% 66% 68% 69% 70% 71% 72%
73% 74% 75% 77% 78% 79% 80% 81% 82% 83% 87%
88% 89% 90% 91% 92% 93% 94% 95% 97% 98% 99*,
228 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIIUBS
— plus les 2* et S" bataillons de la brigade de tirail-
leurs {rifle brigade) (1).
2* Commandement de Ceylan. — 1 gouverneur et
commandant en chef {civilian)\ état-major : 1 major-
général, 1 assistant secrétaire militaire, i aide-de-
camp , 1 député adjudant-général , 1 assistant quar-
tier-maître général, 1 colonel directeur du génie;
l lieutenant-colonel directeur de Tartillerie.
Garnison : 1 régiment d'infanterie européenne,
le 5 % et 1 régiment de tirailleurs indigènes {Cej/km
rifle régiment) ; détachements deTartillerie et du génie.
3° Commandement de la Chine et de Hong-Kong. —
L'établissement de Hong-Kong est administré par un
gouverneur commandant en chef {civilian), assisté
d'un lieutenant-gouverneur du grade de lieutenant-
colonel, et d'un major de place.
Avant la guerre, Hong-Kong n'avait qu'un bataillon
de garnison. Depuis les derniers événements qui se
sont accomplis en Chine, cette place a acquis une
grande importance, et est devenue l'une des bases
d'opération de l'armée alliée.
Le corps d'armée anglais qui opère sur le Peiho, à
l'heure où nous écrivons, est sous les ordres d'un lieu-
tenant-général (2), dont l'état-major particulier com-
prend : 2 aides-de-camp et 1 secrétaire militaire;
1 état-major général de l'armée compte : l lieutenant-
Ci) Effectifs extrait*^ des documents ofHciels pour le mois d'août
isao.
(2) Sir Hope Grant.
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 229
général (1). i major-général, 1 major de brigade,
1 assistant adjudant-général, 1 assistant quartier-
mattre général, 1 député quartier-maître, 2 aides-de-
camp, 1 lieutenant-colonel commandant le génie,
1 colonel commandant Tartillerie, et 1 commissaire .
près le corps d'armée français également du grade de
colonel.
Le corps d'armée anglais formé pour la campagne
actuelle a été tiré presque entièrement de l'armée
indienne. Il comprend, indépendamment des troupes
indigènes, en infanterie, cavalerie, artillerie, les régi-
ments d'infanterie européenne dont les numéros sui-
vent : 1", 3% 44% 67% et le 1" bataiUon du train des
équipages.
4* Établissement de Labuan. — Ce poste est confié
à un gouverneur civil et sa garnison se compose d'un
simple détachement.
organisation militaire de L'AUSTRALIE A,NGLAISE.
Les possessions anglaises de l'Australie sont admi-
nistrées par un gouverneur-général qui réside à Sydney,
chef-lieu des établissements. Le personnel de l'état-
major-général de la colonie est réparti de la manière
suivante :
Melbourne. — i major-général commandant les
troupes ; i aide-de-camp; 1 assistant secrétaire mili-
taire ; i député adjudant-général.
(i) sir MaDsfteld.
fiSO GOHSTITUTION ET PUISSANCE HILITAIRES
Nouvelle Galles du Sud {New South Wales). —
gouYorneur en chef portant le titre de capitaine-gé-
néral (c'est le gouverneur-général de toute l'Australie);
1 aide-de-camp; i major de brigade; 4 capitaine
«commandant l'artillerie. Ces autorités résident à
Sydney.
Victoria. — 1 capitaine^énéral gouverneur; I se-
crétaire militaire.
Australie méridionale [South AuslrcUia). — 1 ca-
pitfiine^énéral gouverneur [civilian) et 1 secrétaire en
résidence à Adélaïde.
Australie occidentale {WeêtemAastralia). — 1 gou-
verneur commandant en chef (civilian) ; 1 comman-
dant des troupes, lieutenant-colonel; 1 capitaine di-
recteur du génie.
QuEEN'fi^ Land. — i capitaine-général gouverneur
(civilian).
Terre de Van Diemen (Tasmania). — 1 capitaine-
général gouverneur (civilian)', 1 aide-de-camp; 1 as-
sistant adjudant-général; 1 colonel directeur du génie.
Ces autorités résident à Hobart-Town.
Nouvelle-Zélande (New Zeakmd). — i gouverneur
commandant en chef; 1 aid^en^amp; 1 colonel com-
mandant les troupes; 1 major de brigade; i dépuié
quartier-maître général ; 1 colonel commandant le gé-
nie, et i lieutenant commandant l'artillerie. Ces auto-
rités résident à Auckland.
Outre les détachements de l'artillerie et du génie, la
force militaire détachée en Australie comprend 2 ba-
taillons du 12' et du 40' de ligne, qui sont en station
DE LA FRANCIS ET DE l' ANGLETERRE. 381
dans laNouvelle-Galles du Sud, et 1 bataillou du 65* ré-
giment, qui tient garnison dans la Nouvelle-Zélande*
ORGA;<(1SATION militaire des INDES OCCIDENTALES ANGLAISES
(WEST INDIES).
Les possessions anglaises en Amérique présentent
les divisions suivantes :
1* Commandement de la Jamaïque. «^ 1 capitaine
général gouverneur ; 1 aide-de-camp secrétaire mili-
taire. Élat-^ajor: 1 major^général lietUmant^gouver-
neur; 1 assistant secrétaire militaire ; 1 député adju^
dant-général ; t adjudant de place ; 1 capitaine direc-
teur de l'artillerie; 1 lieutenant^^lonel directeur du
génie«
La garnison de la Jamaïque se compose de 2 bataiW
Ions des !&* et &1« régiments, et du 2* régiment des
Indes Occidentales.
BahamoB. -^ 1 gouverneur commandant en chef;
1 adjudant de place ; i lieutenant-^colonel chef du
génie. Garnison : 1^' régiment des Indes Occidentales.
Honduras. — i directeur {superinimdant) ; I ad*
judant de place.
Bay Islands,*^ l lieutenant gouverneur (c'est te
superintendant de Honduras).
2® Commandement des Iles sous le Vent {tVindward
lêlandi), des Iles au Vent (Leeward lêlands), de la
Trinité et de la Guyane. Le quartier-général de o6
commandement esta laBarbade. État major: i major*
générai commandant les troupes : 1 aide-de-camp ;
232 CONSTITUTION £T PUISSANCE MILITAIRES
1 secrétaire militaire; 1 député quartier-mattre;
1 major de brigade; 1 colonel chef du génie.
Le personnel d'état-major des diverses stations est
ainsi réparti :
Iles sous le Vent. — Barbade^ chef-lieu militaire et
quartier-général ; Grenade, l lieutenant gouverneur ;
Saint'Fincent ^ 1 lieutenant gouverneur; TabagOy
1 lieutenant gouverneur ; Sainte-Lucie, 1 administra-
teur (Administering ihe Government)^ et 1 adjudant de
Iles au Vent. — Antigua, 1 gouverneur comman-
dant en chef; Saint-Christophe, 1 lieutenant gouver-
neur; Dominique^ i lieutenant gouverneur ; Afont^er-
rat^ 1 président du conseil de Gouvernement {Président
oftheCouncil administering Government) -^ iVet>w, id.;
Isles de la Vierge, trf.; Ik de la Trinité, i gouverneur
commandant en chef, i aide-de-camp, i adjudant de
place.
Guyane anglaise. — 1 gouverneur commandant en
chef; 1 adjudant de place. La garnison de la Barbade
fournit les différents détachements des îles et de la
Guyane anglaise ; elle se compose des 21" et Ji9' ré-
giments d'infanterie de ligne et du â* r^iment des
Indes Occidentales {fFest Indies Régiment).
COMMANDEMENT DE L' AMÉRIQUE DU NORD.
Le gouverneur commandant les possessions anglaises
dans r Amérique du Nord porte en même temps le titre
de capitaine-général et gouverneur en chef, etc.
Ces possessions, que nous étudierons en détail dans
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 3âS
un autre chapitre, à cause de leur importance, com-
prenuent : Le Canada (Montréal, Kingston, Québec,
Toronto, etc.); la Nouvelle-Ecosse (Halifax), le Nouveau
Brunswick (St-Johns et Fredericton); Terre-Neuve et
ses annexes ; l'Ile du Prince Edward ; les Iles Vancou-
ver; la Colombie anglaise; et les Iles Bermudes.
Chacune de ces colonies a son gouverneur particu-
lieur, qui dépend du gouverneur-général du Canada.
Un personnel d'état-major considérable est réparti
entre les diverses stations.
Les troupes de l'Amérique du Nord forment une di-
vision commandée par un lieutenant-général qui a
son quartier-général au Canada, à Montréal. La por-
tion de ces troupes qui occupe la Nouvelle-Ecosse est
sous les ordres d'un major-général.
L'ensemble de ces forces comprend, indépendam-
ment des milices et des troupes locales {Boyal Canadien
rifle régiment y Royal Newfoundland corps, etc.), 4 régi-
ments d'infanterie de ligne : 89% 17% 62% 63% Ces
deux derniers occupent la Nouvelle Ecosse.
Le âO*" tient garnison aux Bermudes.
La septième brigade (artillerie de place) est répartie
entre les différentes stations et a son état-major à
Québec.
Iles FaUcland. — Ces îles, situées sur la côte de TA-
mérique méridionale, forment un petit établissement
distinct des autres colonies. Elles ont un capitaine de la
marine royale pour gouverneur; c'est paiement un
officier du grade de capitaine qui commande les dé-
tachements composant la garnison.
2â/i CONSTITUTION ET PUISSANCE KLITAIRES
ÉTABLISSEMENTS ANGLAIS DÉPENDANT DE L' AFRIQUE.
Ces possessions comprennent :
l*" Le COMMANDEMENT DU CaP DE BONNE-EsPÉE.VNCE
(avec son annexe Natal) administré par un gouverneur
commandant en chef. Les troupes de cette colonie for-
ment une division commandée par un lieutenant-gé-
néral. Le quartier-général est au Cap. Outre les offi-
ciers dont nous avons donné la liste pour les autres
possessions anglaises, Tétat-major^comporte un certain
nombre de commandants de place {tawn commandants),
de majors de place {fort majors), et d'adjudants de
place répartis dans les principales villes de la colonie,
telles que : Cap Town , King's William Town , Port
Elisabeth, Fort Beaufort, Grabam's Town, etc.
La force militaire se compose de cinq régiments d^in-
fanterie de ligne portant les numéros 2, 10, 13, 59
et 85, et d'un régiment de tirailleurs montés {Cape
mounted rifles),
2*" Commandement de la côte occidentale {IFestern
Coastof Africa). — Les comptoirs de Sierra Leone^ de
Gambie et de la Côte^d'Or sont administrés par un
gouverneur portant le titre de capitaine général ; dans
chaque station se trouve un commandant aasisté de
quelques officiers chargés des détachements. A l'ex-
ception de la force locale de la Côte-d'Or, aucun corps
constitué n'occupe, dans ce moment^ les établisseatents
de la côte d'Afrique.
3' Commandement de l'Ile Maurice. — Cette impor-
DB LA FRANGE BT DE L'ANGLETERRE. . 235
tante poflsessioD est du nombre de celles dont nous nous
proposons de faire une étude particulière. Elle est ad-
ministrée par un gouverneur commandant en chef.
Les troupes qui la gardent sont sous les ordres d'un
major-général et forment une brigade composée, pour
Tannée actuelle, de trois bataillons des 5% W et 61' ré*
giments d'infanterie.
La 12^ brigade (artillerie de place) tient aussi gar-
nison à Port-Louis. L'état-major de l'Ile Maurice com-
prend : 2 aides-de-camp , 1 assistant secrétaire mili-
taire, 1 député quartier-maître et 2 colonels directeurs
des services de l'artillerie et du génie.
4* COMBIANDEMENT DE SaINTE-HéLÉNE. -— CcttC pOS-
session, de laquelle relève l'île de r Ascension, est admi-
nistrée par un gouverneur dont Tétat-major est ainsi
composé : 1 aide-de-camp, un adjudant de place,
1 colonel commandant Tartillerie, 1 lieutenant-colonel
chef du génie.
Sainte-Hélène n'a pas dans ce moment, à part ses
détachements, de garnison européenne. Le seul corps
constitué est la force locale organisée sous le nom de
« régiment de Sainte-Hélène. »
Nous aviœs un but en nous livrant à cette minutieuse
étude des diflTérentes positions militaires entre lesquelles
se trouve distribuée l'armée anglaise, et en recherchant
la composition ou la force de leurs garnisons respec-
tives. Nous voulions en déduire le chiffre réel des
troupes qui restent disponibles pour la défense de la
Grande-Bretagne une fois que l'on a défalqué de l'ef-
fectif général de l'armée les innombrables détachements
2-^6 ^ CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
que réclame^la protection des Possessions extérieures.
Nous avons actuellement réuni tous les éléments de
ce calcul ; il ne nous reste plus, avant de les mettre en
œuvre, qu'à expliquer le système suivant lequel sont
établies les relations de la métropole avec les corps dé-
tachés à l'extérieur, au point de vue du recrutement,
de rinstruction, etc. . etc. C'est ce que nous verrons
dans le chapitre suivant en expliquant Torganisation
des dépôts-bataillons.
CHAPITRE XIY.
OrganmatioQ de Tannée anglaise pour le service extérieur. — For-
mation desDépôts. —Depot-Baftoitot».— Instruction des recrues
et des jeunes officiers. — Dépôt de cavalerie de Maidstone. —
Tableau des stations occupées en 1860 par les différents corps
de Tarmée britannique. — Cavalerie et infanterie de la Garde.
— Distribution des régiments d'infanterie de ligne : 1* dans les
places de la Méditerranée; 2^ en Asie; 3* en Afrique; 4* en
Amérique; 5® en Australie. — Effectif de Tinfanterie disponible
pour le service à Fintérieur. — Distribution des troupes du génie,
stations des compagnies à Fintérieur et à l'extérieur. — Répar*-
tition des troupes de l'artillerie entre l'Angleterre et les posses-
sions extérieures. —Tableau général de l'armée britannique pour
Tannée 1860-1861. — Tableau des forces européennes employées
dans l'Inde. — Tableau des forces employées dans les colonies.
— Force disponible pour la défense du territoire de l'Angleterre.
Pour assurer la défense de ses possessions exté-
rieures, et pour faciliter la formation des nombreux
détachements qui doivent y tenir garnison, TÂngleterre
est obligée, administraUvement parlant, de maintenir
son armée sur un pied de guerre en quelque sorte per-
manent.
En d'autres termes, chaque corps est toujours divisé
en deux portions distinctes : Tune organisée de façon
à pouvoir entrer immédiatement en campagne {service-
companies, troops, batteries, etc.); l'autre destinée à
recevoir, à équiper, à instruire les recrues, pour ali-
menter la première, et qui porte le nom de dépôt.
Cette situation est la condition normale de tous les
238 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
corps de Tarmée britannique. Tous, à l'exception de la
cavalerie de la Garde, concourent au service extérieur.
A part quelques différences insignifiantes dans les tours
ou dans les périodes de détachement, et qui résultent
de l'organisation spéciale de chaque arme, le service,
tant à rintérieur qu'à l'extérieur, est réglé dans toutes
les armes conformément au même principe.
Pour le roulement des détachements, pour Tenvoi
des renforts, pour la pratique des relations entre la
portion détachée et la fraction qui réside à l'intérieur,
l'infanterie et la cavalerie trouvent des facilités et une
simplification particulières dans l'établissement d'un
certain nombre de dépôts centraux dont l'institution
est de date encore récente, mais dont les dernières
guerres ont déjà permis d'apprécier tous les avan-
tages.
Ces dépôts principaux, qui comprennent les dépôts
particuliers de plusieurs régiments, et qui sont chargés
d'en centraliser Tadministration, TinstructioD, etc.,
sont au nombre de 23 pour Tinfanterie, et de 2 pour
la cavalerie. Ils sont établis dans des villes dont le caser-
nement offre des ressources suffisantes pour satisfaire
aux besoins des effectifs souvent très variables, et dans
les divers camps qui ont été installés sur plusieurs
points de la Grande-Bretagne à la suite de la guerre
de Crimée (1).
(1) On se ferait une idée très fausse des camps anglais^ nous le
verrons ailleurs, si on les regardait comme l'équivalent de nos
camps de Chdlons, de Saint-Omer, de Satory, etc Les camps
û^AUenhùt, de Shomcliff, de ColchesUr, etc.» sont de vastes éta-
DE LA FRANCE ET DE l'aNOLBTERRE. 230
Aux termes de la circulaire qui r^le reflFectif des
rc^iments d'infanterie pour l'année 1860, tous les
bataillons, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, à l'excep-
tion toutefois de ceux employés dans l'Inde, se divisent
de la manière suivante : — Portion active : 10 com-
pagnies, â officiers supérieurs, lOcapitaines, 12 lieu-
tenants, 8 enseignes, 6 officiers appartenant à l'état-
major régimentaire , 66 sergents , 21 tambours ,
àO caporaux et 760 soldats; — Compagnies de dépôt :
2 capitaines, 2 lieutenants, 2 enseignes, 10 sergents^
4 tambours, 10 caporaux, IftO soldats.
L'état*major des dépôts centraux, ou dépôts-batail-
hns pour l'infanterie, comprend : 1 lieutenant-colonel
commandant, 1 major, 1 adjudant du grade de capi-
taine, 1 officier chargé de l'école de tir {instructar qJ
musketry), 1 payeur, 1 quartier-maître, 1 médecin et
1 aido-médecin.
Les compagnies de dépôt des bataillons qui servent
dans l'Inde ont été réunies, autant que possible, dans
les mêmes localités. Elles forment, à elles seules, 7 des
23 bataillons de dépôt; ce sont : les V\ T et 3% qui
tiennent garnison à Chatham; les 9" et 10' à Col-
chester; le 15' àButtevant (Irlande); le 19*àFermoy
(Irlande).
Les autres bataillons de dépôt sont repartis à peu
près en nombre égal entre l'Angleterre et llrlande ; ils
blissements où la troupe ii*est pas à proprement campée , mais
bien installée dans des bâtiments pareils aux casernes ordinaires,
ou peu s'en faut.
2&0 CONSTITUTION ET PUISSANCE mUTÀIRES
sont généralement placés dans des villes de la côte, ou
à peu de distance des ports d'embarquement.
Ce sont, pour TÀngleterre : le &* à Canterbury; le
5' à Parkhurst (dans l'île de Wight) ; le 6* à Walmer;
le T à Winchester ; le 8* à Pembroke ; le 11' à Ply-
mouth ; le 2f à Chichester ; le 22* à Stirling (Ecosse),
et le 23' à Aberdeen (Ecosse).
Pour rirlânde ;. le 12* à Athlone; le 13* à Birr; le
14* à Belfast; le 15' à Buttevant; le 16* à Temple-
more; le 17* à Limerick; le 19*^ à Fermoy ; le 20* à
Cork.
Les dépôts de cavalerie sont concentrés dans les deux
villes de Maidstone et de Canterbury. L'instruction des
recrues pour cette arme exigeant un personnel et des
chevaux qu'il y aurait tout inconvénient à disséminer,
les régiments de cavalerie employés dans l'Inde sont
les seuls qui soient représentés à Maidstone et à Can-
terbury. Ces deux établissements sont pourvus de
manèges, de carrières, et de tous les accessoires néces-
saires à une école d'équitation. Ils représentent, jusqu'à
un certain point, les divisions de cavalerie de nos écoles
de Saint-Cyr et de Saumur.
Les régiments de cavalerie qui servent à l'intérieur
envoient des détachements à Maidstone pour le dres-
sage des jeunes chevaux, et pour former des instruc-
teurs et des écuyers. La composition de ces détache-
ments, les conditions que doivent remplir les hommes
et les chevaux désignés pour en faire partie, sont
l'objet de recommandations détaillées dans les r^Ie-
ments sur le service de la cavalerie anglaise. Nous
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 241
aurons occasion de les analyser lorsque nous examine-
rons ailleurs les mérites et les défauts de cette arme
chez nos voisins.
L'établissement de Maidstone est dirigé par un colo-
nel, assisté d'un lieutenant-colonel remplissant les
fonctions de commandant eu second. L'état-major, fort
peu nombreux, comprend seulement : 1 maître d'équi-
tation {ridiny master), 1 adjudant, 1 payeur, 1 quar
tier-maître, 1 vétérinaire et 1 médecin.
Le dépôt de.Canterbury comporte : 1 colonel com
mandant, 2 majors, 1 maître d'équitation, 1 instruc-
teur pour le tir, 1 payeur, 1 quartier-maître, i méde-
cin et l vétérinaire.
L'idée qui a présidé à l'établissement des dépôts
centraux, chez nos voisins, est heureuse. Il y a évidem-
ment avantage à n'avoir qu'une organisation pour le
pied de guerre comme pour le pied de paix, et à pou-
voir résumer dans un simple changement d'eflTectif les
mesures que détermine chez nous l'ouverture ou la
cessation des hostilités. Nous reviendrons ailleurs sur
cette question.
Dans l'état actuel, le dernier mot n'est pas dit, chez
nos voisins, sur l'organisation des dépôts-bataillons.
On peut les considérer comme étant en cours d'expé-
rience , et les opinions diffèrent encore quant à la pro-
portion qui doit exister entre eux et la partie active de
Tannée. Quelques-uns voudraient que cette proportion
fût plus élevée, de manière, la nécessité échéant, à se
prêter plus facilement à une augmentation de l'armée
par la formation de nouveaux corps. Somme toute, les
16
242 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
critiques que les dépôts-bataillons ont soulevées, les
inconvénients qui ont été signalés jusqu'ici n'ont rien
de bien sérieux en présence des avantages incontes-
tables de l'organisation. Il suffit pour répondre aux
unes, et pour faire disparaître les autres, d'apporter à
certaines dispositions de détail des améliorations et des
perfectionnements qu'une bonne réglementation suflS-
rait à assurer.
Ainsi, en ce qui regarde les jeunes officiers qui,
dans l'armée britannique, peuvent obtenir leur premier
grade [firsl commission) en l'achetant, ef sans avoir été
soumis préalablement à aucun apprentissage militaire,
il est évident qu'il y a tout avantage, dans l'intérêt de
la discipline, à ne plus donner à leurs régiments le
plaisant spectacle de leurs débuts. Leur éducation mili-
taire sera mieux dirigée dans les dépôts-bataillons que
par les soins du sergent, aux mains duquel ils étaient
remis dès le jour où ils avaient rejoint, et qui, le plus
souvent , ne savait choisir aucun terme raisonnable
entre la servilité de l'inférieur et l'insolence d'un tyran
de circonstance. Pour que les dépôts-bataillons puis-
sent devenir, pour les hommes comme pour les offi-
ciers, une école sérieuse, il faut qu'un soin tout parti-
culier soit apporté, tant dans le choix des v fructeurs
que dans celui de l'état-major chargé de n> diriger.
Peut-être, grâce à l'esprit de favoritisme vi au patro-
nage, qui sont la plaie de l'armée britanniijuc, le choix
en question n'a-t-il pas toujours été suffisamment sur-
veillé. S'il faut en croire certains journaux militaires,
les dépôts-bataillons sont devenus le refuge de plus
m U fRANGS BT DE L'AlfGLETEIUifi. 2&5
d'un jeune ofiBcier supérieur qui avait échoué pour
Tétat-major; si bien que, dans maintes circonstanoes,
ce sont des aveugles qui se sont trouvés chargés d'en
conduire d'autres {Ihat theblind mighi lead the blind).
Les vices d*une pareille situation, si l'on n'y portait
remède, compromettraient évidemment tous les résul-
tats qu'il est permis d'espérer de l'organisation des
dépôts-bataillons, et les chefs de corps seraient les
premiers à demander que l'instruction des jeunes offi-
ciers et des recrues fût remise entre leurs mains
comme par le passé. 11 est facile, heureusement, de
mettre un terme à des imperfections dont il fbut accu-
ser, non pas l'institution elle-même, mais bien les
agents chargés de la faire fonctionner. Les mesures
ordonnées par le Horse-Guards, et particulièrement
celles qui concernent les examens à faire subir aux
officiers des dépôts, doivent suffire, si elles sont pmc-
iuellemêni eœécutées, à assurer à ces écoles le rôle qui
leur appartient. Aux termes du règlement actuelle-
ment en vigueur, toutes les semaines chaque comman-
dant de dépôt doit examiner et interroger les officiers
sous ses ordres. Indépendamment de cette première
épreuve, toutes les semaines, également à un jour fixe,
le plus ancien capitaine du dépôt doit aussi examiner
les jeunes offlcierîî dont l'instruction n'est pa3 com-
plète, et les interroger sur les détails de leur métier,
non pas seulement en ce qui regarde l'exercice pro-
prement dit, mais encore sur toutes les questions qui
touchent à la solde, à l'habillement, à l'équipement
des hommes, aux pouvoirs des cours martiales, au
2ftÙ CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
code pénal militaire, à Vadministration intérieure des
compagnies, etc., etc.
Nous avons terminé Tanalyse de tous les éléments
dont se compose Y armée régulière en Angleterre. Nous
avons successivement passé en revue toutes les posses-
sions extérieures de la Grande-Bretagne, en détaillant
sommairement la garnison attachée à chacune d'elle.
Il nous reste, ainsi que nous l'avons annoncé dans le
chapitre précédent, à résumer l'ensemble des forces
militaires absorbées par le service extérieur, afin d'en
déduire exactement, en le retranchant de Teffectif
général voté par le Parlement, ce qui reste réellement
disponible pour le service et la défense de la mère-
patrie.
Afin de rendre cette récapitulation plus facile à sai-
sir et à embrasser d'un seul coup d'œil, nous la pré-
senterons sous forme de tableaux, et par arme, en
indiquant la position de chaque corps (portion mobi-
lisée et dépôt).
GARNISONS OCCUPÉES PAR LES DIFFÉRENTS CORPS DE
l'armée BRITANNIQUE, AU 1" JANVIER 1861 (1).
Section L — Cavalerie de la Garde.
1'' LifeGuards. . . Régents Park (Londres).
2« — HydePark —
Royal Horse Guards, Windsor.
(1) Les garnisons extérieures sont distinguées par des lettres
italiques. Lorsque deux garnisons sont marquées pour le même
corps, la première est celle de la portion mobilisée, la seconde celle
du dép6L
DE LA FRANCE ET DE l'aNGLETERRE. 2&5
Tous les régiments de cavalerie de la Garde {Home
hold Cavalry) sont stationnés en Angleterre ; leur effec-
tif est de l,8â8 hommes et 825 chevaux.
Section IL Cavalerie de ligne.
i'^DragooD Guards,lfadra«, Ganterbury.
2«
—
Bengal, Ganterbury.
3*
—
Bombay, Ganterbury.
A-
—
Birmingham.
5«
—
Brighton.
6"
—
Bengal, Maidstone.
?•
—
Bengale Ganterbury.
!•'
Draguons. . .
. Dublin (Irlande).
2e
—
Dublin (Irlande).
3«
—
Dundalk (Irlande).
4«
—
Dublin (Irlande).
ô''
—
. .\Idershot.
6«
— '
Bombay, Maidstone.
?•
Hussards . . .
. Bengal, Maidstone.
8«
—
Bombay. Ganterbury.
9»
Lanciers. .
. Aldershot.
10«
Hussards. .
. Norwich.
il»
—
Manchester.
12«
Lanciers. .
. York.
13«
Light Dragoons. Edimbourg.
W
—
Newbridge (Irlande).
i5«
Hussards. .
. Gahir (Irlande),
16»
Lanciers. .
. Hounslow.
17»
—
Madras, Maidstone.
18«
Dragoons.
. Aldershot.
Sur les 28 régiments qui composent la cavalerie an-
glaise (Garde comprise), on en compte 9 détachés aux
Indes (à 805 hommes et 720 chevaux), 6 en Irlande,
13 en Angleterre et Ecosse (à 645 hommes et û20 che-
vaux).
3A6 GONSTItUTtON ET PUISSANCE MlUtAQlES
Section lil.l— - Infanterie de la Garde,
Grenadiers Guards. i«' bataillon, Dublin (Irlande) ; 2% Wellington
Barracks (Londres) ; 3®, Tower (Londres).
Goldstream Guards. 1®' bataillon, St-Georges Barracks (Londres);
2*, Portman-Slreet Barracks (Londres).
Scots Fusiliers Guards* i«' bataillon» Wellington BarradD (Londres) ;
2% Windsor.
L'infanterie de la Garde ne fournit pour le moment,
comme la cavalerie, aucun détachement extérieur.
Elle est concentrée presque tout entière à Londres; un
seul bataillon sur les sept tient garnison en Irlande.
L'effectif de la garde est de 6,800 hommes.
Section IV. -^^ Infanterie de ligne,
!•• régiment, !•' bataillon, Madras, Colchester; 2«, CMne^ Birr
(Irlande).
2« — !•' bataillon, Chine, Walmer ; 2% Malte, Walmer.
3« — 1" bataillon, Chine, Llmerick (Irlande) ; 2«, MaUe,
Limerick (Irlande).
U* — 1« bataillon, Botnhay^ Chatham ; 2«, Corfou, Chi-
cbester.
6« — !•' bataillon, Bengal, Colchester; 2*, tle Maurice,
Pembroke.
6« — !•' bataillon, Behgal, Colchester; 2*, Gibtaltar,
Cork (Irlande).
?• — 1" bataillon, Bengal, Chatham; 2*, Gibtaltar,
Walmer.
8« — !•' bataillon, Gosport, Templemôre (Irlande);
2% Gibraltxir, Templemore (Irlande).
•* -. !«* bataillon, Corfou, Limerick (Irlande); 2*, Cor-
fùu, Limerick (Iriande).
il« ^ fer tataiUon, Aldershot, Preeton ; 2% Cap de Botme^
Espérance, Preston.
li» ^ 1*' bataillon, Portsmouth, Fermoy (Irlande);
2% Portsmouth.
DE LA FBANGE ET DE L*AN6LETERRfe:. 2&7
i2' régiment. 1*' bataillon. Nouvelle Galles du Sud, Walmer;
2% Plymoutb.
'l3« — i" bataillon,' i^efiflfa/, Fermoy (Irlande) ; 2% Le Gap,
Fermoy (Irlande).
ili* _ i» bataillon, La Jamaïque, Fermoy (Irlande);
2«, Nouvelle-Zélande^ Fermoy (Irlande).
15« — 1'' baUillon, Cork (Irlande), Pembroke; 2% Malte,
Pembroke.
16« _ 1» bataillon, Sborncliff, Templemore (Irlande);
2«, Gurragh (Irlande).
£7e _ |er bataillon, Canada, Limerick (Irlande); 2% Li-
merick (Irlande).
18* -. i«r bataillon, Madras, Buttevant (Irlande) ; 2% Sborn-
cliff, Buttevant (friande).
i9« ~ P' bataillon, Bengal, Cbatham; 2% Portsmouth.
2o« * l^i* bataillon, Bengal, Cbatham ; 2% Gurragh (Ir-
lande).
21« — !•• bataillon, La Bardade, Birr (Irlande) ; 2% Shorn-
clifr.
22« ~ 1«' bataillon, Malte, tarkburst; 2», ifa/fe, Park-
hurst.
23« — 1«' bataillon, Bengal, Chatbaro ; 2S A/a/to, Walmer.
^9 — 1er bataillon, Bengal, Cbatham; 2% <fe Maurice,
Gork (Irlande).
25« — 1«' bataillon, Gibraltar, Âthlone (Irlande); 2% Al-
dershot.
26« — (1) Dublin (Irlande), Belfast (Irlande).
27e _ Bengal, Cork (Irlande).
211'' — Bombay, Fermoy (Irlande).
29» — Aldershot, Preston.
30* — Jersey, Parkhurst
31* — Chine, Cbatham.
32« — Preston, Aldershot
(1) Les 25 premiers régiments d'infanterie* seulement, sont à
2 bataillons, le 60*' et la brigade de tirailleurs sont à U bataillons
(voir le chapitre qui traite de V Organisation de l'infanterie an-
glaise).
2fi8 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
33« régiment. Bombay, Fermoy (Irlande),
34* — Bengal, Colchesler.
35« — Bengal, Chalham.
36« — Dublin (Irlande), Alhlone (Irlande).
37» — Bengal, Colchesler.
38* — Bengal, Colchesler.
39« — Bermuda, Templemore (Irlande).
ÛO" — Nouvelle-Zélande, Birr (Irlande).
61** — Aldershot, Preslon.
Û2« — Bengal, Stirling (Ecosse).
Û3« — Madratt, Chalham.
ûû* — Chine, Colchesler.
Û5« — Aldershot, Parkhursl.
/i6« — Bengal, Bultevant (Irlande).
/i7« — Douvres, Athloiie (Irlande).
48« — Bengal, Cork (Irlande).
Û9« — Aldershot, Belfast (Irlande).
50« — Ceylan (Ile) , Parkhurst.
51« — Bengal, Chalham.
52« — iîcn^a/, Chatham.
53« — Plyraouth, Chichester.
54® — 5cnpa/, Colchesler.
ôS*» — Aldershot, Preslon.
56« — Bombay, Colchesler.
57* — Bombay, Cork (Irlande).
58» - Sheffield, Birr (Irlande).
59« — le Cap, Chichester,
; 60« - iT bataillon, Douvres, Winchester ; 2«, CWti«, Win-
chester; 3% Madras, Winchester ; U% Dublin (Ir-
lande), Winchester.
61« -^ Plymouth, Pembroke.
62» ^ Nouvelle-Ecosse, Belfast (ïriande).
63« - ATouve/Zc-^Gowc, Belfast, (Irlande).
64" - Bombay, Canlerbury.
65» ^ Nouvelle-Zélande, Birr arlande).
66« ^ -Varfrew, Colchesler.
67* — Chine, Alhlone (Irlande).
68» — ^««'ï'a^, Fermoy (Irlande).
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 2ft9
69« régiment Madras, Fermoy (Irlande).
70»
—
Bengal, Canlerbury.
71»
—
Bengal, Stirling (Ecosse).
72*
—
Bombay, Aberdeen (Ecosse),
73«
—
Bengaly Chatham.
7A*
—
Madras^ Aberdeen (Ecosse).
75«
—
Bengale Chatham.
76«
—
Waterford (Irlande), Belfast (Irlande).
77»
—
Bengal, Chatham.
78'
—
Edimbourg (Ecosse), Aberdeen (Ecosse).
79*
—
Bengal, Stirling (Ecosse).
80«
—
Bengal, Buttevant (Irlande).
81«
—
Bengal, Chatham.
82»
—
Bengal, Canterbury.
83«
—
Bombay, Chatham.
84*
—
Manchester, Pembroke.
85«
—
Le Cap, Pembroke.
86«
—
Newry, Templemore (Irlande).
87»
—
Chine, Buttevant (Irlande).
88«
—
Bengal, Colchester.
89*
—
Bengal, Fermoy (Irlande).
90*
—
Bengal, Canterbury.
91«
—
Madras, Chatham.
92«
—
Bengal, Perlh (Ecosse).
93»
—
Bengal, Aberdeen (Ecosse).
9Û*
—
Bengal, Chatham.
95«
—
Bombay, Fermoy (Irlande).
96«
—
Dublin (Irlande), Chichester.
97«
—
Bengal, Colchester.
98^
—
Bengal, Canterbury.
99«
—
Chine, Cork (Irlande).
100«
—
Gibraltar, Parkhurst.
Brigade de tirailleurs. 1«^ bataillon, Aldershot, Winchester. 2«, iî«n-
gai, Winchester; 3% Bengal, Winchester;
6*, Malte, Winchester.
1" régiment
des Indes-Occidentales. Iles Bahama.
2«
—
— Jamaïque,
3*
—
— La Barbade.
250 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Tirailleurs de Ceylan Ceylan.
Tirailleurs à cheval du Gap le Cap.
Tirailleurs canadiens Canada.
Régiment de Sainte-Hélène Sainiê-Hélène.
Régiment de Terre-Neuve Terre-New)e.
Volontaires de Malte. Malte.
Compagnies de la Côte-d*Or Cape Coast CasUe.
C'est pour mémoire seulement que nous avons in-
scrit, à la suite des régiments réguliers, les corps colo-
niaux oi^anisés, à titre de force purement locale, dans
certaines possessions de TEmpire britannique. Notre
but étant de déterminer les forces réellement dispo-
nibles et employées, tant à Tintérieur qu'à l'extérieur,
nous devions tenir compte de ces corps» qui ont kmr
rôle dans la défense de TËmpire, bien que, aux termes
de leur organisation, ils ne puissent être employés hors
du territoire de la colonie où ilë ont été levés (1).
A l'aide des éléments fournis par le tableau qui pré-
cède, il est facile de constituer les groupes principaux
entre lesquels VinfarUerie régulière de Tarmée an^aise
est divisée.
(1) Cest, du reste, Toccasion de le remarquer ici, les Angliis,
malgré leur réputation, se sont» k oertains éganls, montrés plus
simplificateurs que nous. Ils font dépendre du Ministère de la gnorre
rorganisatioQ et la direction de toutes les forces ifo Urrê qni ooo^
courent à ta défense intérieure ou extérieure du royaume, à quelque
titre que ce soit C*est à ce point de vue que les corps coloniaux
appartiennent au War Office et au Horse Guards. Llnfenterie de
marine, elle-même, bien que défrayée par le budget de la marine,
a son rang marqué parmi les troupes de terre ; elle marche, en ok
de réunion avec celles-ci, après le /if9« de ligne.
M LA VrANCB Et DÉ L'AmLfitÊRHË. 251
Le chiffre total dés bataillons (Garde eompriae) étant
de 159, on Irottte :
1* Dam les placée et la Méditéftànêe, i5 bataillons
ainsi repartis t Gibraltar, B ; Malte, 7; Côrfou, 8.
2* fin AHe , 66 bataillons ainsi répartis : Prési-
dence du Bengale, S8; Présidence de Bombay, 9;
Présidence de MadrasetCeylan,9; corps expédition-
naire en Chine, 9.
S'' EnAf^iijwê, 6 bataillons ainsi répartis \ Ile Mau-
rice, 2; Cap de Bonne*Ëspéranee, 4.
4" En AiMtùlie, 4 bataillons ainsi répartis : Nou-
velle-Zélande, 3; Nouvelle-Galles du Sud, 1.
fiT En Amér^ue, 6 bataillons ainsi répartis : Canada,
! ; Nouwlle-ÉcosBe, 2; Antilles, 2; Bermudes, 1.
Total général des bataillons pour les possessions ex-
térieures, 96.
Si des 189 bataillons actifs qui forment l'ensemble
de l'infanterie anglaise, on retranche les 96 bataillons
employés dans la Méditerranée ou hors d'Europe, il
reste, pour la défense du Royaume-Uni, nuamnte-tfois
baiaiWms :
1* fin AngkterfB, 90 bataillons, ainsi répartis
Londres, 6; Windsor, 1; Portsmouth, 5 ; Plymouth, à
Shomcliff, 8; Aldershot, 8; Preston, 1; ï)ôuvres, 2
Shéffield, 1 ; Manchester, i ; Gosport, 4.
2"* Dans les tles de la Manche^ i bataillon à Jersey.
d"* En Ecosse, 1 bataillon à Edimbourg.
fl^JBn Irlande, 11 bataillons ainsi répartis : Dublin,
4; Curragh, 2; Limerick» 2; Cork» i; Waterford, 1 ;
Newry, 1. ^
252 CONSTITUTION ET PUISSANCE MlUTAIRES
Indépendamment de ces 43 bataillons de service
(c'est-à-dire à dix compagnies), le Gouveraement, pour
la défense du territoire de l'Angleterre, a encore à sa
disposition tous les dépôts { Depot-Companies) des
132 bataillons qui composent l'infanterie de ligne (1).
L'ensemble de ces dépôts forme un total de 264 com-
pagnies, à raison de deux par bataillon. En général,
elles occupent des garnisons différentes de celles des
compagnies de service, et elles sont groupées de ma-
nière à former les dépôts centraux ou bataillons-dépôu
dont nous avons donné plus haut l'organisation.
A en juger, toutefois, par le tableau des stations de
l'armée anglaise pour la fin de 1860, à moins de con-
sidérations qui nous échappent et qui expliqueraient
les anomalies dont nous avons été frappé, il nous
semble que l'établissement et les mouvements des
troupes à l'intérieur ne sont pas dirigés, chez nos voi-
sins, d'après des règles bien fixes et surtout bien lo-
giques.
Des 43 bataillons actifs qui font le service à Tinté
rieur, 8 sont réunis à leurs compagnies de dépôt; 35 en
sont séparés. Ou la séparation est avantageuse en
principe, au point de vue de l'instruction des jeunes
officiers et des recrues, ou elle est sans utilité pour les
bataillons qui ne sont pas détachés dans les possessions
(1] L*organisaUoD des dépôts régimentaires à deux compagnies
u'est pas invariable; ces dépôts ont été formés, tantôt à deux, tan-
tôt à quatre compagnies; en cela, comme en beaucoup d'autres
choses, la dissémination des troupes a rendu runiforraité impos-
sible.
DE LA FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. 253
extérieures. Dans ce dernier cas, il semble que, pour
ces corps, la concentration de toutes les compagnies
dans la même garnison devrait être la règle générale.
La réunion, ou tout au moins la proximité des deux
fractions d'un même bataillon, présentant évidemment
plus de facilités pour le commandement, pour le ser-
vice, ix)ur les relations entre les compagnies de service
et les compagnies de dépôt, on a peine à comprendre
comment, dans Tassiette et la répartition des troupes,
on place, par exemple, en Irlande, les dépôts de ba-
taillons dont les compagnies de service tiennent garni-
son en Angleterre, tandis que, d'un autre côté, on voit
des bataillons qui servent en Irlande et dont les com-
pagnies de dépôt spnt placées en Angleterre.
Plymouth figure toujours sur les situations comme
garnison du 11* dépôt-bataillon; cependant, si les reur
seignements où nous puisons sont exacts, et nous avons
tout lieu de le croire (1), il n'y avait pas, au mois de
décembre 1860, un seul dépôt dans cette ville, tandis
quePreston en contenait jusqu'à cinq. Si l'état-major
du 11* dépôt-bataillon réside toujours à Plymouth, à
quoi est-il employé?
Les exigences du service peuvent être pour beau-
coup dans ces dérogations à la simplicité et aux conve-
nances qui doivent être recherchées dans la distribu-
tion des troupes; cependant, dans telle circonstance
donnée, elles pourraient bien en gêner l'emploi. En
admettant qu'elles soient sans importance et qu'elles
(l) United Service Magazine (n'» de décembre 1860).
25& CONSTITUTION ST PUISSANCE lfa.ITAIRS3
n'offrent pas lo^inconvéniento que nous supposoiu, et
que Ton a si grand soin d'éviter en France, il est incon-
testable que ces anomalies accusent dans la direction
des mouvements une certaine confusion, une absence
de méthode qui, en multipliant les rouages, ne peut
que contribuer à les compliquer.
L'ensemble des i33 dépôts de T infanterie de ligne
constituant une force assez considérable pour présenter
un effectif qui varie de 18 à 30,000 hommes, nous
allons présenter leur distribution entre les différantes
parties du Royaume-Uni, comme nous l'avons Ux\
pour les bataillons actifs :
i° Dan$ les places de l'Angleterre, soixanta^quinie
dépôts ainsi répartis : Chatham, 18; Ganterbury, &;
Parkhurst, 6; Walmer, 5; Winchester, 8; P«i-
broke, 6; Colchester, lï; Plymouth, I; Chicheater. 4;
Preston, 5 j Aldershot, 3 ; Shomcliff, i ; Portomouth, 3.
2° Dan^ les places de V Jacasse, huit dépôts ainsi ré*
partis : Aberdeen, A; Stirling, 3; Penh, 1.
ô' DoM les garnisons de /'/rtefwte, quaranto-neuf
dépôts ainsi répartis : Âthlone, &; Qirr, 5; Belfast» 5;
Buttevant, 5; Templemore, 5; Limerick, 6; Fer-
moy, Il j Cork, 6; Curragh, 8.
Srctioii V. «* IVonDta eu gMio.
Nous avons vu, lorsque nous avons analysé Toiig^i-
sation militaire des possessions eiLtérieures de la
Grande-Bretagne, combien étaient nombreux les offi-
ciers du génie employés dans ces colonies. U propor-
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 255
tion des troupes de cette arme réclamée par le service
extérieur n'est pas moins considérable.
On se rendra compte de cette nécessité si Ton songe
que, depuis un siècle, les Anglais se sont emparés suc-
cessivement de toutes les positions militaires qui pou«-
vaient leur assurer l'empire de la mer. Pour tenir sur
pied les forteresses qui font la sécurité de ces poste»
importants, on a dû sacrifier jusqu'à un certain point
le service intérieur au service o^térieuri à cause du
personnel restreint dont on pouvait disposer. Aujour*-^
d'bui qu'une somme de 300 millions, demandée parla
Commission de défense, est accordée par le Parlement
pour l'amélioration des places et pour la fortification
des côtes de l'Angleterre, le corps du génie devient
plus insuffisant que jamais en maison des travaux h
exécuter.
Aux termes du mémorandum présenté à la fin de
juillet 1859 sur les elFectifs disponibles à l'intérieur
{home establishment)^ par le général Peel, nous avons
vu que celui du génie était de 185&. Ce cbifire (si
nous en jugeons par ceux du même document que
nous avons discuté) doit être plutôt au-dessus qu'au^
dessous de la réalité.
Si nous le conservons, cependant, comme corres-
pondant encore à.répoque actuelle, nous voyons qu'il
représente un peu moins du tiers de l'effectif total voté
pour te génie par le Parlement (Budget de 1860-1861).
Le tableau suivant, emprunté au iWtWar» Spemtor
pour l'année 1856, peut donner une idée suffisante de
256 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
la distribution de l'arme du génie entre T Angleterre
et ses colonies (1).
A cette époque, sur 16 colonels, 7 étaient employés
à rintérieur, 6 dans les possessions extérieures, â en
congé ;
Sur 48 lieutenants-colonels, 25 étaient employés à
l'intérieur, 15 dans les colonies, et 3 en mission;
Sur 28 capitaines de 1" classe en service extraor-
dinaire [particular service) ^ 17 étaient employés à
l'intérieur, 11 étaient en mission à l'extérieur;
Sur i 5 capitaines de 2« classe du service extraordi-
naire, aucun n'était employé hors de l'Angleterre;
Sur 40 capitaines de T' classe en service ordinaire
{not on particular service), 26 étaient employés à Tinté-
rieur, 14 dans les colonies ;
Enfin, sur 46 capitaines de 2'' classe du service ordi-
naire, 23 étaient à l'intérieur, et 23 dans les posses-
sions extérieures.
Quant aux troupes, les 32 compagnies que compor-
tait le corps étaient distribuées dans les stations sui-
vantes (2) (18 dans les possessions extérieures et Ift à
l'intérieur) : 1" compagnie. Malle; 2% Gibraltar;
3% Shorncliffe; 4% Bengal; 5%Woolwich; 6% Nou-
veUe-Zélande; T, Halifax; 8% Chine; 9% Carfou;
10% Chine; 11% Bombay; 12% Chatham; 13% Dublin;
14% Kelso; 15% kCap; 16% Southampton ; 17% Malte;
18% Chatham; 19% Glascow; 20% Swan-River;
(1) Dans ces désignations, comme dans toutes ceHes du même
genre, on a distingué en lettres italiques les stations extérieures.
(2) The military Spectator, 1" mai 1858.
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 257
21% Bombay; 22% Maurice; 23% Bengal; "01% Gibral-
tar; 25«, le Cap; 26% Bermudes{{les)'y 27% Chatham;
28-, Aldershot; 29*, Portsmouth; 30% Chatham;
31% Chatham; 32% Chatham.
Section VL — Artillerie.
Nous avons vu que Tartillerie anglaise comprenait :
1 brigade d'artillerie à cheval {horse artillei-y), et
lA brigades désignées sous la dénomination générale
d'artillerie à pied {foot artillery), et comprenant des
batteries de place et des batteries de campagne.
Ces brigades sont dispersées, comme le reste de
Tannée britannique, dans les quatre parties du monde.
A r intérieur comme à l'extérieur , chaque brigade a
son état-major placé, autant que possible, au centre
des provinces ou des colonies que ses détachements
doivent desservir ; les stations de ces états-majors sont
indiquées dans le Lableau suivant :
Brigade d'artillerie à cheval : état-major à Woolwich.
1" brigade (artillerie de place) : état-major à Woolwich.
2« — . (artillerie de place) : état-major à Douvres.
3* -• (arUllerie de place) : état-major à Plymouth.
&« . — (artillerie de campagne) : état-major à Woolwich.
5* — (artillerie de place) : état-major à Gibraltar,
6« — (artillerie de place) : état-major à Malte,
?• — (artillerie de place) : état-major à Québec.
8* — (artillerie de campagne) : état-ma^jor à Portsmouth.
9« — (artillerie de campagne) : éut-major à Ballincollig
(Irlande).
10« — (artUlerie de place) : état-major 2i Guemesey (îles de
la Manche).
17
258 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
11« brigade (artillerie de campague) : état-major au Bengale.
12' ^ (artillerie de place) : état-ms^or à rUe Maurice.
18* ^ (artillerie de campagne) : état-major à Bombay.
W — (artillerie de campagne) : état-major au Bengale.
Il résulte du tableau qui précède que, sur les 1 A bat-
teries d'artillerie à pied, 8, en comprenant celle des
lies de la Manche, sont employées à l'extérieur, et 6 à
l'intérieur.
Sur les 6 brigades d'artillerie de campagne [fidd
artillei-y), 2 sont stationnées en Angleterre et 1 en
Irlande ; elles présentent un total de 24 batteries, avec
ibli canons; les â autres sont empFoyées dans llnde,
et comportent 25 batteries et 150 canons.
Sur les 8 brigades d'artillerie de place {garrism
artiUery), ft (celle de Guernesey comprise) sont en
Angleterre et 4 sont réparties entre les diverses colo-
nies.
La brigade d'artillerie à cheval compte 10 batteries.
3 de ces batteries et l'état-major tiennent garnison à
Woolwich ; des 7 autres, 4 sont dans l'Inde, 2 en
Irlande, 1 à Aldershot.
Toutes les brigades n'étant pas de même force,
ainsi que nous l'avons fait observer quand nous avons
étudié Torganisation de l'artillerie anglaise, on ne peut
les prendre pour base d'un calcul destiné à déterminer
la proportion relative de l'effectif employé à l'intérieur
et aux colonies.
Suivant notre calcul, que nous avons tout lieu de
croire exact, parce qu'il est établi sur les états officiels
de Tarme, nous trouvons un total de 30 batteries de
M LA VltANGB BT DE L ANGLETERRB. 259
campagne (artillerie à pied et à cheval réunies) en
Angleterre. En exposant les projets du cabinet Pal-
merston-Russell, quant h, l'emploi des augmentations
de crédit demandées le 14 juillet 1859, M. Sydney
Herbert, ministre de la guerre, annonçait au Parlement,
comme un sujet de félicitations, que Tartillerie active
comptait 180 pièces montées et attelées, chiffre qui
n'avait encore été atteint à aucune époque. C'est, eu
effet, le nombre que notre calcul nous a donné plus
haut (30 batteries à 6 pièces par batterie).
Au reste, ce n'est pas le matériel qui, aujourd'hui,
grâce à l'activité dévorante des arsenaux anglais, doit
faire défaut à nos voisins. Nous sommes moins com-
plètement édifiés, nous Tavouons, quant à l'exactitude
des chiffres en ce qui regarde le personnel et les che-
Taux.
D'après le budget de 1860-1861, l'effectif voté pour
l'artillerie à cheval est de 2,S55 hommes et 1,890 che-
vaux. L'effectif des û batteries dans Tlnde est de
622 hommes et 600 chevaux. En le diminuant de
l'effectif général, il reste l,73â hommes et 1,290 che-
vaux pour la force de Yartillerie à cheval servant en
Angleterre.
D'après le même budget, l'artillerie à pied (en y
comprenant le dépôt de Woolwich et la brigade d'artil-
lerie de côtes) figure pour un effectif de 25,691 hommes
et 5,792 chevaux. L'effectif de l'artillerie soldé par le
budget indien étant de /i,860 hommes et 2,288 che-
vaux, il re$le pour le service de la métropole et des
diverses eohnies 21,000 hommes et ô,500 chevauœ.
260 CONSTITUTIOlf ET PUISSAKGE HIUTAIRBS
Nous avons vu qu'une brigade de campagne à
8 batteries , et sur le pied du complet , nécessitait
2,040 sous-oflBciers et soldats, 1,680 chevaux, et
225 voitures.
Les 8 brigades qui servent dans llnde sont donc loin
d'être au complet, puisqu'elles n'ont que 2,288 che-
vaux au lieu de Ii,0k0. Quant aux 3 brigades de cam-
pagne qui servent à l'intérieur, il leur manque 540 che-
vaux pour être également au complet, en supposant
que les 3,500 chevaux de TefiTectif leur soient exclu-
sivement affectés, ce qu'il faut conclure de la déclara-
tion de M. Sydney Herbert relativement au x 1 80 pièces
attelées.
En ce qui regarde la distribution des 21,000 hommes
de l'artillerie à pied entre la métropole et les colonies
autres que l'Inde, on peut la déduire des calculs sui-
vants :
U y a en Angleterre :
3 brigades de campagne dont Fensemble demande. . . 6,120
1 dépôt d'artillerie porté au budget pour 2,951
1 brigade d*artillerie de côtes pour 1,209
qui donnent un total de. ... • 10,280
Retranchant ces 10,280 hommes des 21 ,000 for-
mant l'effectif total, la différence, 10,720, représen-
tera le personnel des 8 brigades d'artillerie de place,
dont 3 servent en Angleterre, et 5 dans les colonies,
ce qui donne, pour l'effectif moyen de chaque brigade
d'artillerie déplace, 1,840 hommes environ, cest-à-
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 261
dire 3,020 hommes pour les 3 brigades d'artillerie de
place résidant à l'intérieur (Woolwich, Douvres et
Plymouth), et 6,700 pour les 5 stationnées dans les
possessions extérieures (Jersey, Gibraltar, Malte, Qué-
bec, île Maurice).
En résumé, si Ton défalque de l'effectif général voté
pour l'artillerie au budget de 1860-1861 l'artillerie de
campagne employée dans l'Inde, et l'artillerie de place
disséminée dans les autres colonies, il reste pour la
défense de l'Angleterre et de l'Irlande :
CiMfaïa.
3 brig.d*arUIIerie de campagne (lAAptéceA attelées) 6,120 3,500
3 — déplace. 3,020 »
i dépôtd'artillerietrecruesderiodeetdescolonies). 2,951 »
1 brigade d*artillerie de côtes (vétérans, luvalides). 1,209 »
6 batteries d'artillerie à cheval (36 pièces attelées). 1,733 1,290
Total général. . . . 15,033 /ï,790
Ces chiffres ne diffèrent pas sensiblement de ceux
consignés, pour l'année 1860, dans le mémorandum
du général Peel.
Section VIL — États-majors administratifs, train militaire^ com^
missariat^ infirmiers^ régiments des Indes-Occidentales^ corps
coloniaux, etc.
Nous rangeons sous ce titre tous les corps figurant à
l'effectif général de l'armée payée par le budget anglais,
et qui; jusqu'à un certaicr point, ne comptent pas parmi
les combattants. Les régiments organisés dans les pos-
sessions extérieures comme forces locales, et qui ne
peuvent concourir à la défense du territoire de la mé-
tropole, sont aussi dans ce cas.
262 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
Les officiers généraux^ intendance, servicQ médical,
commandants de place, etc., comportent un état-major
de 1,121 officiers, dont la moitié au moins, à cause
de leur âge (ceci s'applique aux généraux), ou à cause
de la nature de leurs fonctions (commissariat, méde-
cins, etc.), ne constitue pas une force eflTective à mettre
en ligne. Ainsi, à déduire :
HomfflM. CbevML
1» Pour la moitié de cet état-ma^or 550 «
^ Commissariat (troupe) 325 •
3» Infirmiers 1,002 »
li^ Train mUitaire (sept bataillons dont 1 de dépôt
à Aldershot, 1 en Chine, et les 5 autres à Wool-
wich, Aldershot, Shorncliff et Curragh) (1). . 2,020 1,162
5» Régiments des Indes^Occidentales 3,410 »
6<> Corps coloniaux 5,304 000
Total 12,710 2,062
Il faut donc défalquer de ce total l'ensemble soldé par
le budget anglais, comme ne constituant pas une force
effective qui puisse entrer en ligne pour la défense du
territoire de la métropole. Rien n'est plus facile que de
déterminer maintenant, avec un degré d'approximation
tout à fait suffisant pour les calculs de ce genre, les res-
(1) Le train militaire, en Angleterre, a une organisation qui res-
semble trop ^ celle des corps de cavalerie. Dans la dernière cam-
pagne, en Chine, on en a fait, dans quelques circonstances, un oorpo
militant ; c'est à tort. Le train est fait pour convoyer ^ iranspitrler,
et non pour combattre. Cette nécessité commence k être mieux ap-
préciée chez nos voisins, et le jour n^est pas loin où le train sera
mis entièrement, comme chez nous, à la disposition du commis-
sariat.
DE LA FRANGB «ï DE L'ANGLETERRE. 263
sources de toute espèce que Tarmée régulière met aux
mainsdugouvernementanglais pour cette défense.Cette
appréciation se déduira tout naturellement du rappro-
chement et de la comparaison des tableaux que nou$
allons présenter au lecteur, et de la discussion faite
plus haut des différents chiffres qu'ils contiennent.
récapitulation générale des forces militaires de
l'Angleterre.
(Tableau n» 1.)
Cavalerie:
Honuset, Ghevan.
1 brigade d'artillerie à cheval 2,355 1,890
3 régiments de cavalerie de la Garde. . . 1,338 825
7 i*égiments de dragons (grosse cavalerie). 5,331 3,711
18 régiments de dragons légers 13,679 9,020
Infanterie :
ià brigades d'artillerie à pied . 21,531 5,792
1 dépôt d'artillerie 2,951 »
1 brigade d'arUllerie de côtes. 1,209 •
Corps dugénie A,7dO 120
Train des équipages *. 2,020 I,ia2
luflrraiers militaires. 1,002 »
Infanterie de la Garde (7 bataillons) . • . 6,300 »
lofaDterie de ligne (132 batailloos) 16A,/i80 »
3 régiments des Indes-Occidentales 3»/il9 n
Corps coloniaux 6,89A 900
Ce qui donne un effectif général de. . 235,852 2/^,342
Sur ces 235,852 hommes et 2kM'2 chevaux, il y a
w service (k l'Inde :
26i
CONSTITUTION ET PUISSANCE MlLITAUlES
( Tableau n*" 2.)
Hommes. Gbevaox.
>rtillerie ii cheval 622 600
Artillerie à pied A,860 2,288
Cavalerie de ligne 7,243 6,A72
Infanterie 66,282 »
Inflrmiers 63 »
Dépôts en Angleterre 13,420 350
Total.
92,490 9,710
Si nous défalquons ces 92,490 hommes et 9,710 che-
vaux de Teffectif général du tableau 1, il reste
l/t3,362 hommes et 14,632 chevaux pour le service
de l'intérieur et des colonies, savoir :
(Tableau n"" 3.)
DESIGNATION OBS CORPS.
ÉUto-miQors (corps médical, etc.)
Artillerie à cheval
Cavalerie de la Garde
Gnvalerio de la ligne
Artillerie à pied
Génie
Train des équipages
Infanterie da la Garde
Inranterie de la ligne. .....
Inflrmiers
Troupes du commissariat ....
Régim. des Indes-Ocddentales.
Corps coloniaux
Toteuz
1121
56
99
526
819
393
123
261
3330
2
>
180
249
7159
il
110
186
884
1601
383
259
439
6029
396
41
239
405
10972
1557
1053
8919
18532
3954
1638
5600
75350
604
284
3000
4740
125231
1121
1723
1338
10329
20952
4730
2020
6300
84709
1002
325
3419
5394
143362
1290
825
6709
3626
120
1162
900
14682
fr.
8.253,000
1.372.073
i. 939,770
9,599,100
17.920.975
S.039.375
1,865.525
5.134.060
55,340,168
659,508
243,256
2.411,300
3,309,190
113,362,375
Si nous récapitulons maintenant les troupes em-
ployées dans les colonies, et dont nous avons donné le
I>B LA FEANGE ET DE l'aNGLETEHRE. 265
détail pour chaque arme, c'est-à-dire : 31 bataillons
d'infanterie, 31 ,000 hommes ; 3 brigades d'artillerie
à pied, 7,000 hommes; 18 compagnies du génie,
2,000 hommes (1), nous trouvons un premier total
de &0,000 hommes, auquel il faut ajouter les non-
valeurs, corps coloniaux, corps non combattants, et
dont nous avons évalué l'ensemble {section 6) à
12,71 0 hommes et 2,062 chevaux ; ce qui nous donne,
pour le total définitif des troupes qui ne peuvent être
employées directement à la défense de TÂngleterre,
52,710 hommes et 2,062 chevaux.
Cette force, retranchée des effectifs du tableau
n"* 3, donne une différence de 90,000 hommes et de
12,000 chevaux de toutes armes, qui représentent la
portion de la garnison de l'Angleterre fournie par
Tannée régulière (2).
Après avoir passé en revue, dans un prochain cha-
pitre, les auxiliaires de diverses sortes qui viennent
s'ajouter à cette armée, nous aurons à examiner jusqu'à
quel point cet ensemble est suflSsant pour assurer la
sécurité de nos voisins.
(1) En 1859, Tensemble des croisons extérieures était, au mois
de juiilel, de A2,5/i6 hommes.
(2) Nous supposons tous les hommes présents sous le drapeau, ce
qui n*est yrai que sur le papier : en tenant compte des déserteurs,
des malades, des hommes employés pour le service des officiers, etc.,
ce D*est plus 90,000, mais 70,000 hommes au plus qu*il faut comp-
ter comme force disponible.
266 CONSTITUTION BT PUISSANCE MILITAIRES
CHAPITRE XV.
Composition de l'armée de seconde ligne en Angleterre ; corps mix»-
liaires et réserves. — Section !'• : Corps des Royal-marines. —
Différences essentielles dans l'organisation des troupes de marine
en France et en Angleterre. Prétentions et griefs des marines
anglais ; — services rendus par les marines pendant les dernières
campagnes; — avantages et nécessité de Taaion combinée des
armées de terre et de mer dans les guerres contemporaines. —
Révolution déterminée dans la tactique navale par Fadoption de
la vapeur comme propulseur; — considérations relatives à la
composition des équipages; — le rôle des matelots appartient
aujourd'hui, pour une grande part, aux chauffeurs et aux méca-
niciens; ^ esprit qui a présidé à Torganisation des troupes de
marine en France ; — le général Paixhans et le général sir H. Don*
glas. ^ Fluctuations de Topinion, en Angleterre, au sujet de la
composition des équipages et de l'emploi des artilleurs des ma-
rines. — Comparaison des systèmes suivis en France et en Angle-
terre. — Cadre, lAiiforme, état-major, garnisons des marines. —
Détails particuliers aux artilleurs de marine, cours suivis par les
officiers et soldats. — Effectif des marines non embarqués et dis*
ponibles pour le service territorial. — Budget des marines an-
glais. — Budget des troupes de marine en France.
Depuis l'établissement des armées permanentes, la
question des réserves a été, dans tous les pays, Tobjet
de sérieuses préoccupations. En effets même chez les
peuples dont Teffectif militaire > en temps de paix,
atteint le chiffre de &00,000 et 500,000 hommes,
Tarmée permanente n a jamais été considérée comme
pouvant satisfaire à toutes les éventualités qui naissent
de la guerre. Dans presque tous les États il existe une
force spéciale, composée de citoyens qui peuvent être
DE Lk FRANGE ET DE L AKGLETBUIB. 267
appelés sous les anodes lorsque la oéoessité l'exige, et
dont rorganisatioD » calculée de manière à être peu -
onéreuse pour le pays, permet cependant de milita-
riser ces auxiliaires aussi promptement que possible.
Composée d'éléments d'une qualité évidemment
inférieure à celle de l'armée permanente, c'est surtout
par le chiffre élevé de son effectif que la réserve doit
constituer une armée de seconde ligne d'une impor-
tance réelle. Il Saut que cet effectif soit suffisant pour
lui permettre d'occuper toutes les places du territoire;
car c'est surtout en relevant l'armée permanente de
tous les services qui lui incombent à l'intérieur, en
temps de paix, que la réserve rend celle-ci complète-
ment disponible pour le service de guerre, et qu'elle
répond ainsi au but de son institution.
Les nations dont les ressources financières sont bor^
nées, comme la Prusse, ou dont l'activité industrielle
et commerciale en employant tous les bras limite for^
cément le chiffre de l'armée permanente, comme en
Angleterre^ sont celles dont les réserves réclament plus
particulièrement l'attention du gouvernement. La
Prusse^ parmi les Ëtats du continent, est celui qui
semble avoir le mieux réussi jusqu'ici dans l'institution
de sa landwehr.
De tous les pays du monde, sans contredit, l'Angle-
terre est celui où le système qui régit les auxiliaires
de l'armée régulière exige la plus grande perfection.
Ce n'est pas seulement à cause de cette activité absor-
bante dont nous venons de parler, mais encore, et sur-
tout, à cause de l'espèce de défiance dont l'armée per-
268 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIBES
manente a toujours été Tobjet de la part de la nation,
et de la parcimoDie jalouse avec laquelle les dépenses
militaires ont été mesurées au gouyernement. Pour
ces deux motifs, Tannée anglaise a été maintenue de
tout temps à un effectif qui semble fort peu en rap-
port avec le rang que la Grande-Bretagne occupe dans
le monde. C'est dans l'organisation de leurs réserves
que nos voisins ont cru trouver le moyen de parer à
toutes les éventualités qui pouvaient les menacer.
Ces réserves ou auxiliaires/ dont nous allons donner
la liste, en leur assignant, dans notre énumération,
le rang qui nous paraît leur appartenir, en raison de
leur efficacité et de leur valeur militaire, se rangent
sous les titres suivants :
1" Section, Troupes de la marine {Royalntnarines).
2* — Infanterie de la milice {Mililia).
y — Cavalerie de la milice {Yeomanry).
4" — Pensionnaires {Pensioner- force).
5* — Réserve proprement dite {Réserve- farce).
6* — Gardes-côtes {Coast-Guards).
T — Bataillons des chantiers {Dockyards^HU-
talùms).
8* — Volontaires {Folunteers).
SECTION I".
TROUPES DE LA MARINE {Corps of Toyal marims).
Le corps des marines, si Ton en juge par les éloges
continuels qui lui sont adressés, soit dans la presse,
DB LA FEANGE ET DE L'ANGLETERRE. 269
soit dans les discussions du Parlement, est peut-être
le plus populaire des services de terre et de mer chez
nos voisins. On remplirait un volume si Ton voulait
réunir tous les panégyriques dont il a été l'objet.
L'opinion des oflSciers anglais est, en effet, unanime
à Tendroit des services rendus par les marines, et, par
suite des nombreux changements qui ont été intro-
duits dans la constitution de la flotte, l'effectif de ce
corps semble plutôt destiné à s'accroître qu'à diminuer,
n est destiné à renforcer les équipages des bâtiments
de haut bord, et à fournir à la flotte les moyens d'o-
pérer des débarquements et de tenter des coups de
main sur les côtes.
Une simple ressemblance de nom ne doit pas faire
prendre le change, et supposer qu'il existe une ana-
logie complète entre les soldats et les artilleurs entre-
tenus par l'amirauté anglaise, et les corps d'infanterie
et d'artillerie soldés en France sur le budget de la
marine.
M. Gucheval-Clarigny, dans son important travail
sur la comparaison des budgets de la guerre et de la
marine, en France et en Angleterre, présente les con-
sidérations suivantes, dont l'intérêt ne saurait échap-
per à nos lecteurs :
a Les marines anglais sont des marins exercés plus
» spécialement au maniement des armes de tir, mais
» qui doivent entrer dans l'équipage des bâtiments à
» batterie, dont ils forment l'élément militaire. Ilscom-
» prennent une division d'artillerie, destinée à fournir
)» des chefs de pièce aux bâtiments de guerre, aux bom-
270 CONSTITUTION ET PUISSANCE MUTàlAtS
» bardes, aux batteries flottantes et aux canonnières à
» vapeur. Les marines sont employés de préférence
X» aux saibrs ou matelots dans les opérations à terre;
» mais ils ne seroent qu'à bord de la flotté, et ne se dis-
» tinguent pas des équipages.
» Tel n'est pas, en France, le rôle de l'infanterie et
» de Tartillerie de marine, qui ne sont pas destinées à
1» être employées à bord des vaisseaux, et n'ont rien de
» commun avec le service de la flotte.
» Ces corps doivent leur origine à la rivalité de Sei-
» gnelay, surintendant de la marine, et de Louvois.
» Seignelay, qui voulait donner un grand développe-
» ment aux établissements maritimes de la France,
» avait besoin de troupes régulières, et, pour n'avoir
D point à en demander à Louvois, il imagina de créer
I» pour son département une petite armée particulière.
» LaRestauration, qui se plaisait à ressusciter toutes
» les institutions de l'ancienne monarchie, se prêta
» volontiers à la réorganisation de l'infanterie et de
» l'artillerie de marine. On fît valoir que le service
» militaire, dans les cx)Ionies, était plus rude qu'à l'in-
» térieur, et qu'il exigeait une certaine acclimatation,
» qu'il ne pouvait être soumis aux mêmes conditions;
» qu'il y aurait par conséquent avantage à faire tenir
» garnison dans les colonies par des corps particu-
» liers. »
On peut juger par les lignes qui précèdent de la
différence qui existe entre les troupes de la marine eu
France et en Ânglelerre. Nos voisins, nous Tavons
déjà dit ailleurs, se sont montrés plus siiupUfîcateors
Dfi LA FRANCE ET DE L'ANGLETERRE. 271
que nous. Ils ont eu le bon esprit de remettre exclusi-
vement à l'administration de la guerre l'organisation
et la direction de toutes les troupes de terre employées,
soit à l'intérieur, soit aux colonies. Ainsi les corps
indigènes eux-mêmes, bien que ne devant pas servir
hors du territoire des colonies où ils ont été levés,
dépendent pareillement du War-Offlce et du Horse-
Guards. Quant aux marines, nous croyons avoir suffi-
samment insisté sur ce point, malgré leur caractère
mixte, il faut les considérer comme appartenant spécia--
kment au service de la flotte, et, si nous les rangeons
parmi les auxiliaires de l'armée de terre, cest seule-
ment au point de vue du concours qu'ils lui apportent
à l'extérieur, en temps de guerre, dans la composition
des corps de débarquement; et à l'intérieur, pour la
garde des arsenaux et établissements maritimes. Nous
apprécierons plus loin, au moyen de chiffres, l'impor-
tance de ce concours, et la nature du rôle que pourrait
remplir, dans le cas où il s'agirait de repousser une
invasion, la portion du corps des marines laissée dis-
ponible par le service de la flotte anglaise. Pour Je mo^
ment, nous nous bornerons à noter que, au double
point de vue sous lequel nous venons de les envisager,
c'est-à-dire dans toutes les circonstances qui dérivent
de la position insulaire de la Grande-Bretagne, et du
genre de guerre qu'elle est appelée à porter à l'exté-
rieur, ou à soutenir sur son propre territoire, les fwa-
Ttnes sont soumis au commandement supérieur des
autorités militaires. Lorsque ces troupes sont mêlées à
celles de l'armée de terre, elles ont leur rang marqué
272 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIEBS
pour les préséances comme, dans l'ordre de bataille,
elles marchent après le li9' régiment de ligne.
L'effectif des marines a-teaucoup varié en Angle-
terre,' toutefois, on peut les considérer comme repré-
sentant, en règle générale, le quart de la force navale
chez nos voisins, bien que, à plusieurs époques, et
particulièrement entre les années 1816 et 1835, cette
proportion ait été beaucoup plus grande.
L'effectif le moins élevé des marines correspond à
l'année 1785, où il fut abaissé jusqu'à ne plus présen-
ter qu'un total de 3,620 hommes, officiers compris.
Deux ans auparavant il était de 25,291, chiffre auquel
il avait été successivement élevé pendant les neuf
années de guerre que l'Angleterre avait traversé©.
L'effectif le plus fort auquel le corps des marines ait
jamais été porté correspond à la période qui s'est
écoulée de 1809 à 181 &; il s'éleva, à cette époque, à
31,400 hommes, pour redescendre, en 1817, à 6,000.
Depuis 1830 il a présenté les fluctuations suivantes:
en 1835, 9,000; en 1858, 15,000; en 1859, 16,986;
enfin, conformément aux conclusions de la commis-
sion parlementaire de 1858, il a été porté à 18,000
pour Tannée 1860-1861, et U sera fixé à 20,000 an
prochain budget.
Les considérations qui ont guidé la commission dont
nous venons de parler méritent d'être étudiées, parce
qu'elles sont de nature à faire apprécier très exacte-
ment la place occupée par le corps des marines dans le
système militaire et naval de nos voisins.
Réunis pour rechercher les moyens les plus efficaces
DB LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 275
d'assurer le service de la flotte, les commissaires de
4858 s'expriment ainsi (1) : « Les marines constituent
x» un corps aussi utile qu'efficient; il n'en est point au
» service de l'État qui lui soit supérieur. Non-seule-
» ment ils sont excellents comme fantassins ou comme
» artilleurs, mais de plus, à bord des vaisseaux, ils
1» sont en état d'exécuter plusieurs des manœuvres de
» pont. »
Cet éloge de la commission de 1858 à l'adresse des
marines donne la véritable mesure de la valeur qu'on
leur reconnaît, et du rang qu'on leur assigne parmi les
troupes de terre , car c'est à ces dernières, bien évi-
demment, que la commission veut les comparer, lors-
qu'elle dit qu'aucun autre corps ne leur est supérieur
{second tonone), et non pas aux matelots, puisqu'elle
spécifie en même temps que les marines ne peuvent
exécuter qu'une certaine partie {many) des manœuvres
d'un vaisseau.
C'est qu'en effet, au point de vue de l'uniforme, de
la discipline et de l' instruction , Tassimilation des marines
aux troupes de terre est complète. Ils sont exercés tout
particulièrement aux manœuvres de l'infanterie légère,
dont ils portent d'ailleurs le nom {light infaniry), et à
celles de l'artillerie de position et de campagne (2).
On peut donc considérer le soldat de marine anglais
(1) « The marines are a usefui and efficient body of men, second
« 10 none in ihe service of ihe state ; they are exceUent troops both
0 as artiUery and infantry, and are at the same time capable of per-
» forming many of the deck diftties on board a ship. »
(3) Ghaqae année, 80,000 francs sont distribués comme récom-
18
27& CONSTITUTION BT PUISSANGB MILITAIEBS
comme représentant un fantassin ou un artilleur ayant
acquis une certaine somme de connaissances nautiques
de nature à permettre de l'utiliser à bord d'un vais*
seau, mais dont la valeur augmente ou diminue en
raison du plus ou moins de perfection de son éducation
militaire.
Les marines ont toujours été et doivent toujours être
subordonnés aux officiers de la flotte; la nature de
leur service le veut ainsi. Toutefois, cette subordina*
tion, bien qu'acceptée, ne laisse pas de produire ow-
tains froissements qui ne sont pas toujours sans incon-
vénients pour le bien du service. Si l'opinion est
unanime quant à l'utilité et aux services des troupes
de la marine, il n'est pas rare de rencontrer des otR-
ciers de la flotte disposés à limiter cette utilité à rem-
ploi des soldats et des sous-officiers, et à avouer plus
ou moins franchement qu'ils se passeraient volontiers
des services de leurs officiers.
 leur tour, les officiers du corps des marines ne
seraient pas éloignés |de prétendre que, avec un petit
nombre de matelots pour manœuvrer les vaisseaux, et
de nombreux soldats pour combattre, la flotte anglaise
n'en irait que mieux. La nécessité de donner le com*
mandement des vaisseaux aux commandants des
troupes (à laquelle on serait nécessairement conduit
par l'adoption d'un pareil système), n'effraye que mé-
diocrement ses partisans. Suivant eux, une pareille
pense enlre les meilleurs tireurs et les meilleurs iioiateurs, indc-
pendamment de la haute paye assur^ à tous ceux qui se disUngueni
par leurs proj;rès.
m LA TmAiiGB ET DE l'akoletkrbb. 275
combinaison serait loin d'être aussi absurde cpie bien
des gens peuvent le croire, et comme preuve à l'appui,
ils rappellent qu'à d'autres époques, et alors que la
navigation était tout aussi périlleuse qu'aujourd'hui,
en même temps que les navires étaient moins stables
et moins faciles à diriger, on a vu plus d'un général
se transformer en amiral, et se montrer aussi ferme
sur son pont qu'en selle. Ces mômes 'personnes citent
avec complaisance le prince Rupert, Monk, Blake, etc.,
qui donnèrent d'éclatants exemples de cette transfor-
mation.
La prétention déclarée du corps des marines, c'est
que la subordination qui leur est imposée ne doit pas
impliquer nécessairement une infériorité qu'ils repous-
sent de toutes leurs forces. Ils se plaignent de ce que
ridée qui prévaut dans la sphère où ils se meuvent,
tend à résumer dans la simple vertu de l'obéissance
toutes les qualités nécessaires aux officiers des troupes
de marine. On semble, suivant eux, regarder comme
un principe admis, que ces officiers ne doivent jamais
occuper de positions de quelque importance, et on en
conclut que des talents pour lesquels l'occasion de se
révéler nesaurait se produire, leur sont, par cela même,
parfaitement inutiles.
Un journal militaire s'est fait, chez nos voisins, l'écho
des plmntes du corps des marines. Suivant cette revue,
maintes circonstances se sont présentées, dans lesquelles
les officiers de ce coi'ps ont eu à jouer le premier rôle,
et, dans ces positions difficiles, il eût été fort regret-
table que leur valeur ne fAt pas au-dessus des (imites
276 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
qu'on prétend lui assigner. Â Tappui de cette assertion,
V United service cite un grand nombre d'exemples em-
pruntés aux dernières guerres, et nous le.s reproduisons
d'autant plus volontiers dans cette étude, qu'ils don-
neront à nos lecteurs une idée plus exacte des services
rendus, chez nos voisins, par les marines.
Ainsi, pendant la guerre de Grimée, à l'attaque de
Kimburn^ nous voyons un ofiBcier des marines com-
mander, dans le corps de débarquement, une brigade
entière composée de deux bataillons de son propre
corps et d'un régiment de ligne. Â Balaklava, les bat-
teries situées sur les hauteurs, et dont le système em-
brassait un vaste espace de terrain, en même temps
qu'elles défendaient une position dont la perte eût
compromis le salut de l'armée alliée, les batteries de
Balaklava, disons-nous, étaient placées sous le com-
mandement d'un officier de l'artillerie des marines. —
AInkermann, une fraction de ce corps fut attachée à
la brigade légère. — Dans les tranchées, les soldats de
marine prirent leur tour de service avec ceux de la
ligne, tandis que les artilleurs partageaient les travaux
des marins de la brigade navale, ou ceux de rartillerie
de ligne attachée au train de siège ; — enfin, la flot-
tille des canonnières, qui rendirent de si utiles services,
tant à Sébastopol qu'à Kimburn, était également com-
mandée par un ofBcier de l'artillerie des marines.
Dans la Baltique, le commandant en second des
troupes débarquées devant Bomarsund appartenait aux
marines; ce fut aussi à Ténergie et à l'habileté de l'of-
ficier de ce corps qui dirigeait les canonnières à Swea-
DE LA FBANGE ET DE l' ANGLETERRE. 277
borg, que l'on dut le succès remporté devant cette
place.
C'est surtout à propos de certains incidents survenus
pendant cette campagne de la Baltique, que les écri-
vains qui se sont constitués les avocats du corps des
marines; ont réclamé plus de justice, et, avant tout,
une définition d'attributions plus exacte, au moins en
ce qui regarde les artilleurs.
En effet, les artilleurs des marines, officiers et sol-
dats, étant disséminés sur les bâtiments de la flotte
anglaise, faute d'une réglementation bien précise dé-
terminant les conditions de leur service, il est arrivé
parfois qu'ils n'ont pas été employés dans les circon-
stances les mieux faites pour utiliser leurs connais
sances spéciales et leur expérience pratique. Comme
le fait observer très justement Y United service, ce n'est
pas au moment où l'adoption d'un nouveau système
de pièces exige, plus que jamais, des canonniers ha-
biles, que les artilleurs de la marine peuvent être
exposés à être mis de côté, dans le seul but de ména-
ger l'amour-propre et les susceptibilités de leurs ca-
marades de la flotte. Il est clair qu'on pouvait en tirer
un meilleur parti en mer, qu'en les distribuant comme
de simples manœuvres sur le pont d'un vaisseau ; et,
en cas de débarquement, il était parfaitement absurde,
par exemple, de les voir mêlés aux rangs d'un bataillon
d'infanterie, tandis que des pièces étaient cSnfiées à
des matelots beaucoup moins capables, relativement
parlant, de les bien servir. Pareil fait s'est cependant
présenté, en 185&, à Taltaque de Bomarsund. Dans le
278 CONSTITUTION ET PUIfiSANGB lOUTAIRBS
principe, le brigadier, commandant en chef, avait dé-
cidé que les artilleurs des marines, appartenant à la
flotte, seraient débarqués avec les canons. Des influences
ayant fait changer cette première disposition, l'ordre
fut donné d'en former un détachement de fuséens qui
n'eut pas même la satisfaction d'être employé en cette
qualité, à cause du manque de chevalets. En dernière
analyse, on ne trouva rien de mieux à faire que de
réunir ces artilleurs à un bataillon d'infanterie dont
ils formèrent la tète de colonne.
Pendant le cours des opérations devant Bomarsund»
une batterie de brèche qui avait été construite par tes
marines, et dont les pièces étaient servies par des ma-
telots, étant venue à manquer de munitions, &0 artil-
leurs furent commandés de corvée pour en transporter
du dépôt de tranchée. Cette mission remplie, on es-
saya d'insinuer que ces artilleurs pourraient relever,
p^âdant quelque temps, les matelots fatigués par plu-
sieurs heures d'un rude service. Cette ouverture fut
déclinée, et les artilleurs restèrent à la batterie, spec-
tateurs inactifs, en attendant qu'on leur donnât des
ordres. Il ne fallut rien moins que l'arrivée du briga-
dier^énéral sur les lieux, pour leur faire obtenir»
comme faveur toute spéciale, de participer à leur tour
au service des pièces. Hâtons-nous de le dire, les cir-
constances que nous venons de rapporter deviennent
de plus*en plus rares, et les instructions nouvdles
tendent à faire disparaître entièrement ce qu'il pouvait
y avoir d'anormal ou de mal défini dans les attribu-
tions respectives des marines et des marins anglais.
DB LA FRANCE BT DE l' ANGLETERRE. 379
Particulièrement en ce qui concerne les artilleurs,
leur organisation récente en division distincte empè-
chera le retour des conflits qui se présentaient autre*
fois. Les modifications adoptées sont de nature à faire
naître l'émulation qui doit régner entre les différents
agents chargés de concourir à un même service ; elles
mettront fin, sans aucun doute, à des rivalités d'autant
plus regrettables que le dégoût et le découragement
en eussent été la conséquence pour le corps habituelle*
ment sacrifié.
Nous avons cru utile d'insister tout particulièrement
sur l'organisation du corps des marines anglais, non«*
seulement à cause de Timportance accordée à cette in-
stitution dans le système militaire de nos voisins, —
importance dont l'exposé de leurs services dans les
dernières campagnes donne une idée suffisante, —
mais surtout à cause du rôle qui leur est attribué dans
le personnel des équipages de la flotte anglaise, et au
point de vue des comparaisons qui peuvent être éta«
blies à cet égard entre le système adopté en France et
celui suivi en Angleterre. Les considérations que nous
allons présenter sont, il est vrai, du ressort de la ma-
rine bien plus que de la guerre, mais, pour les motife
que nous avons exposés plusieurs fois déjà, nous ne
les croyons pas déplacées ici; elles nous semblent, au
contraire, un élément nécessaire de l'étude comparée à
laquelle nous nous livrons.
Nous l'avons fait remarquer dans un des chapitres
qui précèdent, les avantages d'une action combinée, et
par sttito la néceiftité d'une liaison aussi intime que
280 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
possible entre les services de terre et de mer, sont des
points sur lesquels tous les hommes compétents se sont
prononcés d'une manière définitive. A l'avenir, aucune
0]^ération militaire importante semble ne pouvoir être
entreprise sans le concours de la marine.
L'emploi simultané des flottes et des armées, jus-
qu'ici particulier à l'Angleterre et constituant une né-
cessité dérivant naturellement de sa position insulaire,
cette action combinée, disons-nous, tend chaque jour à
se généraliser davantage chez les puissances maritimes.
Autrefois, Tincertitude de la navigation sous voiles ne
permettait pas de faire entrer l'élément naval dans les
combinaisons précises, à jour fixe en quelque sorte,
qui règlent la marche et les mouvements des troupes
déterre.
Pendant la campagne d'Egypte, sous le général
Bonaparte ; en 1803, à l'époque du camp de Boulogne;
en 1830, lors de la concentration^ aux tles Baléares de
la flotte dirigée contre Alger, et enfin dans mille
circonstances que l'on pourrait encore citer, les mé-
comptes dus aux événements de mer obligèrent à
abandonner ou faillirent compromettre l'exécution des
plans les mieux préparés. L'adoption de la vapeur
comme moteur a complètement changé les conditions
anciennes. Les Français et les Anglais en Crimée, en
Italie, en Chine, eh Syrie, comme les Espagnols au
Maroc ou les Piémontais devant Gaëte, ont prouvé sur-
abondamment avec quelle facilité et quelle précision il
est possible de coordonner aujourd'hui les mouvements
des flottes et des armées. Dans cette nouvelle phase
DE LA FRANGE ET DE L ANGLETERRE. 281
des guerres modernes, la supériorité absolue ne peut
plus résider exclusivement, comme autrefois, dans l'un
ou l'autre des éléments sur lesquels s'appuyait la puis-
sance des Ëtats de premier ordre à la fin des guerres
du premier Empire. Une flotte nombreuse sans une ar*
mée respectable, ou des forces de terre considérables
sans vaisseaux pour les transporter et les débarquer à
point nommé, et suivant les exigences du moment, ne
suffisent plus à assurer des résultats complets et défini-
tifs. Au contraire, parmi les puissances de premier
ordre, l'avantage est assuré, suivant nous, au peuple
qui, sans être le premier de tous quant au nombre de
ses vaisseaux et de ses soldats, possédera cependant un
assez grand nombre des premiers pour faire des se-
conds l'emploi le plus efficace, pour pouvoir, à son
heure, en tout temps et en tout lieu, tirer de son ar-
mée le parti le plus utile.
Nous croyons que c'est dans ces termes que la puis-
sance offensive et défensive des nations doit être étu-
diée aujourd'hui. À ce point de vue, bien que notre
cadre, en ce qui regarde l'Angleterre, s'applique plus
particulièrement à son établissement militaire, nous
espérons que le lecteur voudra bien ne pas regarder
comme d'inutiles digressions les excursions que nous
croirons devoir faire dans le domaine de la marine (1 ).
(t) L'importance du concours réciproque que doivent se prêter
désormais les armées de terre et de mer nous semble tellement ca-
pitale, que nous croirions ne donner qu'une idée très imparfaite de
la puissance militaire de nos voisins, si nous omettions de présenter
eu même temps au lecteur, au moins dans une certaine mesure, un
382 CONSTITUTION BT PUIS8ANGB MILITAIRBS
Nous avons dit quMI n'existait qu'une i-eisemblance
de nom entre les troupes de la marine en France et en
Angleterre. Avant la Révolution, on distinguait, à bord
des vaisseaux français, Péquipage proprement dit et la
garnison.
L'équipage comprenait les matelots; quant à la gar-
nison, elle était composée de soldats nommés gardêi
marines, qui n'intervenaient en rien dans la manœuvre
des bâtiments. Ces soldats avaient leurs oflBciers parti-
culiers. Destinés à jouer le rôle principal les jours de
combat, ils étaient exercés à la manœuvre du fusil et
du canon.
Sous l'Empire, des troupes furent embarquées à
bord des navires, et, lors de la campagne d'Egypte,
Bonaparte répartit entre les meilleurs bâtiments de la
flotte les compagnies d'élite des régiments qui avaient
fait avec lui la campagne dltalie.
Lorsque la marine française fut réorganisée après
les guerres de l'Empire, on crut devoir renoncer à ce
système de garnisons navales que nos voisins ont con*
serve. On lit valoir chez nous que les succès obtenus à
Aboukir et à Trafalgar par les Anglais étaient dus
principalement à la supériorité de leurs manœuvres,
supériorité* qui ne pouvait être obtenue qu'au moyen
d'équipages nombreux et de matelots bien exercés. On
aperçu de leora renonroM nsTales. Ce résumé iacdoct« on plat6t ce
tableau atatistique, senrira de complément ^ notre étude. Rédigé en
dehors de tonte discussion technique, il sera cependant aaseï dé-
taillé pour permettre les comparaisons indispensables qui rentrent
dans Fesprit du titre donné à ce tniTaU«
DM Là FRAmU m DE L'AmunTBUUS. S8S
ût grand bruit des inconvénients qu'entraînaient par-
fois les relations difficiles entre les officiers des deux
services^ et dont nous avons parlé plus haut au sujet
des marines. H fut décidé que la conduite et la défense
des bâtiments seraient exclusivement confiées aux
équipages, et que les matelots recevraient une instruo-
tion appropriée à cette double tâche.
L'opinion qui a prévalu lorsque la marine française a
été réoi^nisée pouvait être fondée, bien qu'il soit bon
de faire observer que, même à cette époque, les
hommes les plus compétents étaient déjà divisés sur
cette grave question diB la composition des équipages.
Aujourd'hui, il semble que la solution à lui donner ne
saurait faire l'objet d'un doute. Si la nécessité d'une
grande précision et d'une grande célérité dans les évo-
lutions des vaisseaux est toujours aussi grande, les
manœuvres par lesquelles on les obtient sont complète-
ment modifiées. C'est aux chaufieurs et aux mécani-
ciens qu'appartient aujourd*hui, pour une très grande
part, le vtÀe exclusivement confié jadis aux matelots.
Le. nombre de ceux-€i sur les bâtiments à vq)eur peut
dès lors être considérablement diminué, et, dans un
combat entre deux vaisseaux de force ^ale, l'avantage
doit évidemment appartenir à celui qui présente un
plus grand nombre de combattants exercés au tir du
fusil et du canon. Sous ce rapport, les Anglais, par le
maintien de l'ancien système des garnisons navales et
par l'organisation de leurs marines^ se trouvent dans de
meilleures conditions que les Français. Toutefois, il
dépend de nous de rétablir l'équilibre.
28& CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Nées, comme dous Tavons dit, sous l'aiicieD régime,
de la rivalité de Seignelay et de Louvois, ressuscitées
depuis, avec la mission de défendre nos possessions ex-
térieures, nos troupes de la marine ont continué à re-
fléter l'esprit étroit qui avait présidé à leur formation.
Par leur chiffre, elles sont évidemment au-dessous de
la tâche spéciale qui leur est assignée, car, en ce qui
regarde l'Algérie, c'est-à-dire la plus importante et la
plus considérable de nos colonies, leur rôle a été com-
plètement nul. Pas un fantassin, pas un artilleur de la
marine n'a été employé en Algérie. Cette anomalie eût
suffi pour ouvrir les yeux, si .le département de la
marine n'avait pas continué à suivre les errements de
Seignelay, en visant à tout faire par lui-même et à se
rendre complètement indépendant des autres minis-
tères.
Comme le fait observer très judicieusement M. Cu-
cheval-Clarigny dans le travail que nous avons cité
plus haut, au lieu d'emprunter au ministère de la
guerre les troupes nécessaires pour la défense de nos
établissements coloniaux, et les canons, les poudras,
les projectiles, etc., dont elle a besoin; au lieu d'imiter
la conduite logique de nos voisins, la marine, en
France, « a voulu avoir sa petite armée, sa petite artil-
lerie, ses forges, ses fonderies, ses ateliers, etc. x» ; tout
cela sur une petite échelle, ne fournissant, quant au
personnel (ceci s'applique aux troupes de marine),
qu'un service incomplet; ne produisant, quant au ma-
tériel, qu'à des prix plus élevés et dans des conditions
nécessairement moins avantageuses que les établisse-
m LA FRANCE ET DE L'ANGLETERRE. 285
ments de la guerre organisés sur un pied beaucoup
plus large.
Si Ton s'accorde à reconnaître que, par suite de Tin-
troduction de la vapeur comme moteur, le rôle des
matelots ou de l'élément dirigeant se trouve considéra-
blement amoindri à bord des navires de guerre, tandis
que celui de l'élément exclusivement combattant tend,
au contraire, à devenir chaque jour plus prépondérant,
pourquoi la France ne reviendrait-elle pas à l'ancien
système des garnisons navales, et n'imiterait-elle pas
TAngleterre, en employant son infanterie et son artille-
rie de marine au service exclusif de sa flotte?
Ces troupes, nous l'avons vu, ne suffisent pas à la
tâche qui leur incombe actuellement, et l'armée, déjà
chargée de la défense de l'Algérie, peut tout aussi bien
être employée à celle des autres possessions exté-
rieures. Puisque, dans les guerres à venir, toute com-
binaison stratégique importante semble devoir récla-
mer inipérieusement l'emploi simultané des armées de
terre et de mer, il y aurait tout avantage à adopter un
système de nature à rendre plus fréquentes, plus in-
times, et par conséquent plus faciles, les relations
entre les deux services. L'embarquement et le débar-
quement des troupes, leur installation à bord des na-
vires, leur service, leur discipline, etc., pendant des
traversées d'une certaine durée, sont autant de diffi-
cultés auxquelles des troupes parfaites doivent être
rompues désormais. Nos régiments arriveraient bien
vite à acquérir l'expérience qui leur manque, et, une
fois fondée, la tradition se conserverait, si, pendant la
286 CONSTITUTION BT PUI9AANGB MILITAIBBS
paix, une organisation analogue à celle de nos voisins
les appelait successivement à servir à leur tour dans
nos colonies. Le système suivi à cet ^ard par les An-
glais nous semble de beaucoup préférable au nôtre. En
confiant à l'administration de la guerre Toi^ganisation
et la direction de toutes les forces qui, à un titre quel-
conque, concourent à la défense du territoire national
et colonial, ils ont simplifié, autant que faire se pou-
vait, là où nous semblons avoir compliqué à plaisir.
La création du ministère des colonies avait mis en
relief naguère tout ce qu'il y a d'anormal dans la con*
stitution actuelle de nos troupes de marine. Rien n'in-
diquait, en effet, que ce ministère dût avoir recours à
la Guerre plutôt qu'à la Marine pour obtenir les forces
nécessaires à la défense de nos établissements exté-
rieurs. S'agissait-il, par exemple, de nos possessions
sur la côte septentrionale de l'Afrique, il lui fallait s'a-
dresser à la première; fallait-il pourvoir à la protec-
tion de ceux de la côte occidentede, c'est à la seconde
que Ton devait recourir. Aujourd'hui, le ministèro des
colonies a cessé d'exister; l'ancien état de choses est ea
partie* rétabli : la marine sera-t-elle en mesure, plus
que par le passé, de pourvoir avec ses seules ressources
aux nécessités du service colonial? Ce n'est pas seule-
ment l'occupation de l'Algérie par nos troupes de terre
qui continuera à consacrer l'insufiisance du système,
ne faudra-t-il pas que la marine emprunte encore, et
toujours^ à la guerre les officiers du génie que réclame
le service des fortifications coloniales (1)7 Si nos éta-
(1) Uae mesure réoente a délenDioé roigânlttUoD, dans les œ-
DB hk PRAlfCB BT DB L'AKGLBTBRRB. S87
blisflements se développent, comme il y a lieu de Tem-
pérer, chaque progrès sera le point de départ de nou-
velles demandes, de nouveaux emprunts. A cette petite
armée qu'entretient le ministère de la marine, à cette
armée en miniature qui avait déjà son infanterie, son
artillerie, sa gendarmerie, ses pompiers, etc., et qui
vient de s'augmenter tout récemment de compagnies
du génie, n'at-il pas fallu ajouter, il y a quelques an-
nées, jusqu'à de la cavalerie (i)? Seignelay n'avait pas
été si loin.
Aujourd'hui^ en Angleterre, les juges les plus com-
pétents admettent sans difficulté l'égalité de valeur du
matelot et du soldat pour le combaê. Tout ce que nos
voisins exigent de ce dernier, c'est qu'il ait assez na«
vigué pour avoir le pied marin. Cependant, cette opi-
nion, devenue unanime depuis l'introduction de la va*
peur, n'a pas non plus toujours régné de l'autre côté
du détroit. Il fut un temps où, comme en France, les
Anglais semblèrent disposés à confier la direction et la
lonies, de compam^nies d'ouvriers indigènes qui remplaceront les
détachements du génie militaire. Cette mesure, et les considérants
qui la moUvent, sont parfaitement logiques, mais, ce qui Teût été
davantage, c'est le placement de cette nouvelle institution dans les
attributions de la guerre, à laquelle appartiennent les officiers du
génie qui doivent la diriger, et à laquelle devrait appartenir,
comme en Angleterre, tout ce qui, dans nos colonies, ne représente
qu*un élément fn^rement militaire.
(l) L% développement de nos établissements de la côte d'Afrique
adonné naissanceàla formation de cette cavalerie de marine (étrange
combinaison de mots!), dont les premiers éléments ont été emprun-
lèBk notre armée algérienne» et qui porte le nom fpêhiê 9hé§aMi.
288 CONSTITUTION ET PUISSANCE HILITÀIRBS
défense de leurs vaisseaux à une seule classe d'hommes,
c'est-à-dire exclusivement à des matelots exercés à la
fois aux manœuvres de bord et au maniement des
armes.
L'histoire des diverses combinaisons successivement
adoptées en Angleterre pour la formation des équi-
pages, et celle des variations de l'opinion sur cette
matière, avant d'en arriver au point où nous la trou-
vons aujourd'hui, renferment plus d'un enseignement.
Le lecteur jugera si le résumé que nous allons en don-
ner ne plaide pas puissamment en faveur de l'affecta-
tion exclusive de nos troupes de marine au service de la
flotte et d'un changement radical dans leur constitu-
tion.
On admet trop facilement peut-être que la pénurie et
rinfériorité des canonniers de nos vaisseaux sont des
défauts particuliers à la marine française. Dans tous
les temps, toutes les marines du monde ont eu à lutter
contre les difficultés que présente l'instruction des ca-
nonniers-marins. Ces difficultés, c'est avant tout dans
la dissémination du personnel à bord des vaisseaux, et
des vaisseaux dans toutes les mers, qu'elles résident.
Or, ces nécessités sont communes à toutes les marines;
seulement, il est des puissances maritimes qui ont
réussi plus ou moins bien que les autres à les dominer.
On a dit à juste titre que la désorganisation des garda
marines avait été pour la France une cause permanente
. d'infériorité dans nos combats contre les Anglais, et
l'on a été jusqu'à prétendre que Nelson n'eût jamais
osé tenter la manœuvre qui lui donna la victoire à Tra-
DB LA FEANGB ET DB L AN6LETBRRB. 289
fa]gar sans le mépris légitime que TexpérieDce lui avait
fait coDcevoir pour les canoDoiers français (i).
Cette assertion, il faut bien Tavouer, est pleinement
confirmée par le témoignage de lord Cochrane, prison*
nier, sous l'Empire, à bord d'une de nos escadres (2);
mais on se tromperait fort si l'on pensait que cette su-
périorité de l'artillerie navale des Anglais au commen-
cement du XIX* siècle n'ait pas eu depuis ses périodes
de décadence. Peu s'en fallut, il y a quarante ans,
^ comme nous allons le montrer plus loin, que l'adoption
du système suivi en France n'exposât à son tour la
marine anglaise au jugement sévère que lord Gocbrane
avait infligé à la nôtre.
C'est en 1821 que le général Paixhans publia ses
premières études sur le nouveau système d'artillerie,
qui, combiné avec l'adoption de la vapeur comme mo-
teur, était appelé à révolutionner dans un si bref délai
toutes les conditions anciennes de la tactique navale(6).
La France adopta sans hésiter les vues du général, et
nos voisins comprirent qu'il devenait urgent pour eux
d'imiter notre exemple. Tous les esprits éclairés de
l'autre côté du détroit reconnurent bien vite que la su-
prématie maritime de l'Angleterre ne pouvait plus ré-
fl) Cucheval-Clarigny, page 96.
(2) « Les bâtiments français, dit lord Gocbrane, étaient excellents,
supérieurs aux bâtiments anglais comme construction et même
comme gréement; les équipages valaient beaucoup mieux que leur
réputation; les canonniers étaient détestables au plutôt ils n'exis-
taient pas. »
(3} La nouvelle force maritime^ par le général Paixhans.
19
300 con^mmcfM st nnâSANCB mletaiei»
sider esdusivement dans la'&upëriorité de manœuvre
de ses marins/et que Tartillerie devenait un élément
d'une égale, sinon d'une plus grande importance dans
l'économie générale des vaisseaux de guerre.
C'est qu'en effet, à cette époque^ la tendance à
donner sur les vaisseaux la préférence à l'élément dih*
géant sur l'élément combattant était devenue telle, en
Angleterre comme en France, que toutes les questions
intéressant l'organisation et l'instruction des canonniers
ne tenaient plus qu'une place tout à fait secondaire
dans les préoccupations des autorité navales des deux
pays. Chez nos voisins comme chez nous, succès oo
revers, en fait de marine, étaient uniquetnent expli-
qués par la qualité relative dés matelots de l'un et
l'autre pays.
Un fait bien établi, c'est qu'au moment où lenoiH
veau système de Paixhans fit son apparition, a en règle
» générale, les officiers de la flotte anglaise étsieot
» complètement ignorants des règles les plus simples
» qui gouvernent rartillerie navale, et cette indiffé-
» rence» qui touchait au mépris, semblsût augmenter
» chaque jour plutôt que diminuer « Sans doute^ il pou-
» vait y avoir quelques brillantes exceptions ; mais, en
D fait, rien n'était plus rare que de rencontrer un vais-
x> seau anglais où le service de l'artillerie fût ce que Ton
x> appelle aujourd'hui sur un bon pied (1). »
(i) « It 18 a matter of well-asoertained fact, Uiat prior U> Uiis pe-
» rtod our naval offloere were, as a gênerai rule, strangely defioeol
» in a knowledge of even the simplest rules upon which ail artillery
» practlce is baaod, and tiiat the indifférence, borderîng upon cas-
m LA mANGS n m l'aivglbtbmib. 391
Sir Howard Douglas, pénétré des dangers d'une pa-
reille situation pour sou pays, consacra, pendant de
longues années, tous ses efforts à la changer. Prenant
Gù Angleterre le rôle de Paixhans, il ne cessa de repré-
senter aux autorités l'ui^nce d'avoir à bord des vais-
seaux des officiers et des hommes également expéri-
mentés dans le service des pièces. Seulement, obéissant
aux tendances du moment ou cédant peut-être à de
puissantes influences, il exprima l'opinion que non-
seulement les matelots devaient avoir toute l'instruction
nécessaire pour le service des canons, mais encore que
la marine devait être exclusivement chargée, par sa
propre organisation, de répandre cette instruction
parmi les équipages de la flotte. Allant plus loin, le
général Douglas repoussa absolument le concours de
Tartillerie des troupes de marine, déclarant qu'il re-
gwdait l'intervention de ce corps comme préjudiciable
à l'instruction des officiers de la flotte, par la raison
qu'elle leur enlèverait le meilleur moyen de cultiver et
de perfectionner leurs connaissances en matière d'ar-
tillerie.
C'est en ISftO seulement que le général Douglas ob-
tint rétablissement, àPortsmouth, d'une école d'artil-
lerie pour les matelots. Organisée d'après les principes
recommandés dans le Traité d^ artillerie navale [i),
» tempt, wiUi which the Bubject was regarded had increased rather
» than diminished. There were some brillant exceptions, but a ship
» in what would be now called a good gunnery order » was rareiy
» to be met witb. » (Naval and military JoumaL)
(i) Treatûe on Naval Gvnnery, par le général air Howard Dou-
292 CONSTITUTION ET PUISSANGK mUTAIEBS
cette école fut installée à bord deVEcocdlent. Elle fonc-
tioiinait depuis un an à peine, et le nombre des otSn
ciers et des matelots qui en avaient suivi les cours était
encore nécessairement fort restreint, lorsque Tami-
rauté, dans son enthousiasme pour les résultats obte-
nus, crut devoir déclarer que toute instruction qai
n'émanait pas de ce nouveau foyer devait être regardée
comme plus préjudiciable qu'avantageuse pour le ser-
vice. En conséquence, nos voisins décidèrent le licen-
ciement de leur artillerie de marine, c'est-à-dire du
seul corps de canonniers complètement dressés dont
leur flotte pût disposer à cette époque.
Toutefois, il semble qu^un certain sentiment de dé-
fiance se soit emparé de Tesprit des lords de l'amirauté
au moment de prendre cette désastreuse mesure, car,
en même temps que l'ordre de licenciement dédanit
que le bien du service ne réclamait plus Veanstenœ
d'une troupe d'artillerie de marine distincte^ une clause
particulière portait que deux compagnies de ce corps
seraient cependant conservées et annexées à la division
d'infanterie de marine de Poi-tsmouth.
Nous ne nous arrêterons pas sur les tribulations in-
fligées aux restes de ce malheureux corps, successive-
ment dépouillé de ses privil^es, de son uniforme, et
réuni à l'infanterie, dont il fut obligé de partager le
service. Nous revenons à l'école établie sur YEœceUenL
Tous les efforts furent tentés, tous les moyens forent
glas. Cet ouvrage a été traduit en français, et est adopté comme lifR
classique par presque toutes les marines de l'Europe.
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 293
employés par les autorités navales de TAngleterre, afin
d'encourager et d'étendre TinQuence de cet établisse*
ment. On serait injuste, d'ailleurs, si Ton ne recon-
naissait pas que cette école réalisa, dans la mesure du
possible, toutes les espérances qu'elle avait données.
Elle produisit tout ce qu'elle pouvait raisonnablement
produire; seulement, quelques années s'étaient à peine
écoulées, que l'on reconnaissait l'impossibilité absolue
de donner aux matelots, dont la plus grande partie na-
vigue presque constamment, autre chose qu'une con-
naissance tout à fait superficielle en matière d'artille-
rie (1).
C'est précisément ce qui était arrivé, et ce qui con-
tinue à se passer en France, où l'école établie à bord
du Suffren peut fournir à peine 600 canonuiers tous les
ans. Dans un pareil état de choses, le bon sens pra-
tique de nos voisins ne leur a pas fait défaut. Ils ont
reconnu qu'à moins d'un changement radical dans la
constitution du personnel de leur flotte, le seul remède
était dans un retour décidé vers le passé. C'est alors
qu'est apparue toute la sagesse de la mesure qui avait
empêché le licenciement complet et définitif de l'artil-
lerie des marines.
Les deux compagnies maintenues à l'époque du
licenciement ont servi de noyau pour la réorganisation
du corps, et, depuis cette époque, son effectif, en dépit
de toutes les résistances et de toutes les oppositions,
(i) It was impossible to do more than diffuse a very smaU linow-
ledge of gannery througliout a service whose component parts were
coQStaDtty shifiiDg.
294 CONSTITUTION ET PUISSANGB MILITAIRES
n'a cessé de s'accroître. Au mois de mai 18M, une
troisième compagnie a été formée; — en 1845, deux
autres sont venues s'y ajouter; donnant un total de
725 hommes, officiers compris. On était encore loin du
chiffre actuel ; mais l'impulsion était donnée, et, Tan-
née suivante, on formait encore deux nofUveUes com-
pagnies. Depuis 18&6, les augmentations successives
de l'artillerie des mannes l'avaient portée à 1& compa»
gnies, et en 4855, vers la fin de la guerre de Crimée»
ce corps ne comptait pas moins de 2,618 hommes. En
1859, il a reçu son dernier complément, qui Taéleiréà
3,000 hommes, et, le 1" novembre de la même an-
née, il a été organisé en une division distincte dont le
quartier-général est placé au fort Cumberland (Port»-
mouth).
Ainsi, aujourd'hui, au moment où notre organisa»
tion n'est pas même en mesure de nous fournir un chef
de pièce pour chacun des canons *que nous nous pro-
posons de mettre en ligne, l'Angleterre, indépendam*
ment de tous les canonniers-marins formés à bord de
VEœcellent et du Cambridge, a 8,000 artilleurs par*
faitement exercés, et susceptibles d'être immédiatenmt
employés sur la tlotte, comme on peut en juger par les
témoignages suivants.
Nous avons déjà rappelé, en commençant ce dia>
pitre, le jugement porté par la commission de 18&8
sur le corps des marines anglais en général; lord
Hardwicke n'est pas moins explicite lorsqu'il s'exprime
en ces termes : « Les marines sont un corps extrè-
D memeut utile, et, s'il fallait d'urgence faire prendre
DB LA FRANCE BT DE L'AIfGLBTERRB. 295
» la mer à une frégate de 50 canons, en mettant à
» bord 50 marines, on aurait un bon canonnier par
» pièce, et ces 50 hommes, avec Taide de quelques
» matelots de choix, mettraient la frégate en état de
» soutenir honorablement un combat. »
Un autre témoignage dont l'impartialité ne saurait
être mise en doute, car il émane, en quelque sorte,
d'un adversaire du corps des marines, mérite surtout
de fixer Tattention. Dans son Traité de V artillerie
navale, tout en présentant un système dont l'adoption
deirrait conduire à la suppression des marines, le géné^
rai Howard Douglas ne peut s'empêcher de leur rendre
pleinement justice : « L'artillerie de marine, dit rho<»
» norable générai, se trouve dans d'excellentes condi-
» lions, grâce au zèle, au talent et à la bravoure dont
» elle est douée; ce corps a certainement atteint le but
i> en vue duquel il avait été formé. L'auteur a été
ib témoin de la distinction de ses services, et il rend
» bien volontiers témoignage à son habileté, comme il
9 reconnaît toute la considération dont il est digne. Ce
» corps est bien organisé, complètement instruit et
» convanablemeot commandé. C'est à la fois une
» troupe de fantassins éprouvés, ayant toute la science
» nécessaire pour le service des batteries flottantes, et
» toute l'expérience voulue pour celui de l'artillerie de
» campagne (1). »
(1) The marine ariiUery ha$ beeu raised to a coaditioa of ^reat
exoellenee, ïsj the seal, Uleot, and gallaotry it pooessea; aod baa
oertaioly performed ail tbe service ibat waa coptemplated at i\» for*
mation. The author has wUiMifid ila efOciency oo aarvice, and
296 CONSTITUTION ET PUISSANCE mUTAlEES
Dans tous les projets auxquels a donné naissance la
panique qui, depuis deux ans bientôt, ne cesse d'agi-
ter l'Angleterre, l'augmentation du corps des marines
a constamment été réclamée en première ligne. Sui-
vant lord Stanley, « cette augmentation doit faire
» partie essentielle de tout, plan concernant le service
» de la flotte. Les marines sont un corps admirable,
»> composés d'hommes solides et rompus à la manœuvre
» du canon, qu*on peut embarquer à la mimUe, et qai
» valent autant pour la manœuvre que la plupart des
» marins que Ton pourrait se procurer dans les ports
» en cas d'urgence et sous la pression d'une nécessité
» soudaine (1). »
Nous avons cherché, par ces nombreuses citations,
à donner une idée de Testime toute particulière dont
le corps des marines jouit en Angleterre, et à faire
apprécier la part importante qui lui est faite par les
autorités navales les plus compétentes dans la compo*
bears wilHng testiroony (o ail the talent it bas put forlh« and ail the
distinclioD itdeserves. It Is well constituded, thorougbiy iastructed,
and ably comroanded. It is eilher a corps of good infantry, of
scientiflc bombardiers, or expert field artilleryraen. {Treatise on
Naval G^mnery, par le général S. H. Douglas.)
(i) Sir Charles Napier, malgré ses préférences bien pardonnables
pour réiément exclusivement marin, partage aussi Topinion de lord
Stanley et de lord Hardwîcke au sujet des marines. Le plan, an
moyen duquel l'illuslre amiral prétend mettre FAnglelerrc k même
de doubler, dans un temps très court, sa flotte de la Manche, est
basé, en grande partie, sur un nouveau mode de répartition des
200 marines qui se trouvent à bord de chacun des vaisseaux de cette
flotte, et sur les facilités que présenterait ce corps, en cas de guerre,
pour la formation de nouveaux équipages.
DE LA FRANGE ET DE L ANGLETERRE. 297
sitioD des équipages. Il semble que la Fronce, par une
organisation de ses troupes de marine plus œnforme
aux nécessités de l'époque, peut s'assurer, quand elle
le voudra, tous les avantages que l'Angleterre a su se
ménager.
Nous avons dit que le Suffren, la seule école qui
existe en France pour l'instruction des canonniers-
marins, ne pou\ait'en fournir, au maximum, que
600 par an. On y envoie, en général, des hommes pro-
venant du recrutement. Suivant M. Cucheval-Clarigny,
« si l'on déduit le contingent d'une année, temps né-
» cessaire à l'instruction, et les incomplets inévitables,
» on ne peut porter au delà de 3,000 le nombre de nos
» caniMiniers. Il est très rare, en effet, que les hommes
» du recrutement, leur sept années expirées, consen-
9 tent à se rengager. Or, d'après le projet artrèté en
» 1856, les hO vaisseaux de notre flotte de combat,
p lorsqu'^^lle sera terminée , porteront à eux seuls
» 3,250 canons. Les 152 bâtiments que nous entrete-
9 nous dans ce moment à la mer, et pour lesquels seuls
» des crédits figurent au buc^et, portent plus de
9 1 ,200 canons. »
Si ces données sont exactes, nous nous trou\ons
aujourd'hui, en France, toute proportion gardée, pré-
cisément dans la position où étaient nos voisins, il y a
quelques années, après le malencontreux licenciement
de leur artillerie de marine. La seule différence, c'est
que chez nous cette fâcheuse situation est notre état
normal depuis plus d'un demi-siècle, car elle remonte
298 CONSTITUTION ET PUISSAKCB nUTAIRES
aussi à la désorganisation de no» garde$-mairine$ de
l'ancienne monarchie.
Jusqu'ici ce sont les matelote et non les soldats qui
ont fait défaut en France; puisque, grâce à Dieu, nous
entrons dans une ère nouvelle, où Timportance desuns
et des autres tend à s'égaliser sur le pont des vais-
seaux à vapeur, il faut en profiter pour faire dispa-
raître l'une. des causes les plus réelles de notre infé^
riorité navale. Relevons complètement nos troupes de
marine de leur service des colonies, o'est-à-dire d'une
tâche trop lourde pour elles, et qu'elles sont déjà obli-
gées de partager avec l'armée de terre. Il sera d'autant
plus facile de les affecter eûodusivemmt au service de
la flotte qu'elles y sont déjà, en partie, préparées par
leur organisation {\).
Peut-être s'est-on exagéré, en France, les inconvé*
nients de la coexistence de ces deux éléments distincts :
Yéquipage et la ga/mi$on, qui forment le personne
des vaisseaux anglais. Sans doute, dans ce système.
(1) Aux termes des règlements en vigueur, des détachements de
troupes de marine peuvent être placés, en France, à bord des bAti-
meats de guerre, ainsi que cela se pratique en Angleterre. LorsqoMls
sont embarqués, nos soldats ou artilleurs de marine doivent con-
courir aveci'équipage à toutes les manœuvres basses ; ceux qui s'of-
frent pour les manœuvres de la mâture reçoivent un supplément de
solde. Ce précédent faciliterait évidemment la transformation com-
plète de nos troupes de marine, mais, il ne but pas Toubliar, les
détachements dont il s^agit ici, ne sont pas, cbez nous, de r^le con-
stante, comme en Angleterre, où 200 marines, en moyenne, font
toujours partie de Véquipage d'up vaisseau armé.
M LA riANGS 8T DE l'ANQLBTERBB. 299
rhomogénéité n'est pas parfaite, et nous ayons signalé,
dans le courant de ce chapitre, les résultats regrets-
tables de ces petites jalousies, de ces rivalités ridicules
dont les meilleurs esprits ne savent pas toujours se
défendre. Nos voisins ont pensé, cependant, que le
véritable patriotisme devait faire justice de ces senti-
ments mesquins; ils ont jugé qu'une bonne réglemen**
tation de la position, des droits et du service de cha*
cun était une barrière suffisante à leur opposer. Nous
croyons qu'ils sont dans le vrai. L'extension de la
marine à vapeur, et les modifications nécessaires qui
en résultent dans la tactique navale, ne feraient pas
une loi, aujourd'hui, du système dans lequel les
Anglais ont persévéré pour l'armement de leurs vais*-
seaux, que nous persisterions encore à regarder comme
exagérées les craintes qui nous l'ont fait abandonner.
Sur un champ de bataille, fantassins, artilleurs ou
cavaliers, bien qu'appartenant à des* armes distinctes,
se prêtent un mutuel appui, et mettent de côté toute
rivalité d'uniforme quand il s'agit de l'honneur du
drapeau ; pourquoi, sur le pont d'un vaisseau français,
artilleurs, matelots ou soldats n'oublieraientrils pas
toute jalousie puérile, et ne oombattraient«*ils pas avec
la même union et le même dévouement pour l'honneur
de leur pavillon?
Le meilleur moyen d'obtenir, pour notre flotte d
combat, les canonniers qui nous manquent; le meilleur
moyen d'entretenir sur un pied respectable ces batte-
ries flottantes qui doivent remplacer les batteries de
côte dans la défense des ports et des arsenaux; c'est
300 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIBES
dans la transformation de nos troupes de marioe qu'il
faut les chercher. Puisqu'à Tavenir, de l'avis général,
le soldat suffisamment préparé est appelé à peser dans
la balance autant que le matelot pour le jour du com-
bat, ayons largement, de ces soldats-marins, tout ce
qu'il nous faut pour garnir nos flottes. Si TinscriptioD
maritime ne peut nous les fournir, contentons-nous de
lui demander Télément essentiellement dirigeant de
nos vaisseaux, et empruntons leurs défenseurs au recru-
tement,^ aux provinces de Tintérieur, en soulageant
d'autant nos populations maritimes moins nombreuses
que celles de nos voisins.
Nous terminerons cette étude comparée des troupes
de marine entretenues en France et en Angleterre par
quelques renseignements sur la composition, le recru-
tement, Tuniforme, etc., des marines anglais.
L'infanterie de marine porte, en Angleterre, Thabit
rouge avec les revers bleus. L'artillerie, l'habit bleu
avec les revers rouges. Sur le drapeau du corps est
inscrite la devise : Per mare^ per terram.
Conformément au r^lement du 1 3 novembre 1858,
le nombre des officiers généraux appartenant au royal-
marines est fixé à 10, savoir : 2 généraux, 8 lieute-
nants-généraux, 5 majors-généraux.
Un état-major assez nombreux, semblable, quant à
sa composition et à ses fonctions, à ceux des districts
territoriaux, est dirigé par un député-adjudant-géné-
rai et par un assistant-adjudant-général. Ces deux
officiers doivent être, au moins, du grade de colonel et
de lieutenaut-coloneh
DB LA FRANGE ET DE L'ANGLETERRE. SOI
Deux officiers des royal-marines du grade de colonel
portent le titre d'aides-de-camp de la Reine*
Le système du purchase ou de l'achat des commis-
sions n'étant pas admis pour l'avancement dans les
troupes de marine, les officiers des divers grades ont
droit à une solde de retraite' après trente ans de ser-
vice. Les commandants des divisions doivent se retirer
à soixante ans.
Nous avons dit que l'artillerie du corps formait
actuellement une division distincte dont le quartier-
général occupait le fort Cumberland. Elle est sous
les ordres d'un colonel commandant, assisté de 4 lieu-
tenants-colonels.
L'infanterie est répartie en quatre 'divisions, qui
occupent les garnisons de Chatham, Eortsmouth, Ply-
laouth et Woolwich.
On compte dans l'infanterie li colonels comman-
dants. Il colonels commandants en second, 18 lieute-
nants-colonels {Army4ist de 1860).
Le grade de major, comme dans les troupes de
l'ordonnance (artillerie et génie), n'existe pas dans les
royal-marines.
n n'y a qu'une classe pour les capitaines, et deux
classes pour les lieutenants.
Les aspirants au grade d'officier, dans les marines,
portent le nom de cadets. La division d'artillerie se
recrute en hommes et en officiers choisis, sur leur
demande, dans les divisions de l'infanterie; ces der-
niers doivent passer un examen et suivre des cours
la balance autant que ^ i & t
bat, ayons largement ïg'^f
300 CONSTITUTION ET PUISSANCE^
dans la transformation de nos t^ ^ un (l).
faut les chercher. Puisqu'à| f | lommes
le soldat sufiBsamment pné |: f | orne on
qu'il nous faut pourri | >
maritime ne peut/| fi ^ fusées; ma-
lui demander V^^^ ''®^ de campagne,
nos vaisseaux / ' » comprenant les canons,
tement,-au' ■*' **°* ^ *6rre que sur mer.
d'autant p ^ **^* P'^<^ •'^ l>ord.
que cell' ^ '^^ ^^^"^ ^^^^ ou sans machines,
jy^j, .iites manières de monter et de transporter
der •'«• ,*
^, / Confection, assemblage et préparation (épissures)
, ^cordages; manœuvre des poulies.
8' Cours de pyrotechnie, comprenant la confection
<to9 fusées, des gargousses, des artifices, des feux de
signaux, etc., avec une instruction spéciale sur la con-
fection et les effets de la poudre, etc. . . .
9* Cours pratique d'artillerie, comprenant une
instruction sur la construction et l'emploi des divers
canons, obusiers et mortiers en usage, et sur leseffirts
(1) Le corps des Royal-marines a soo recmtemeni mmenller
dont les dépenses, pour l'année «860, ont été de 717,600 fnna. Les
engagemente sont reçus dans les villes suivantes ; BatK r)^i.,.t^
^erôy. Ea^ier, Hertford, Uuntingdon, Knaresbor<>ugkuZi
Manchester, Norwich, PanUfract. Salisbury, SeverLi. Taul'
WolverhafnJi>Um. qui appartiennent, e» géuim, aux coatéi «*
4 FAANGB ET b» L'AffOLETEUIB. âOS
^ies de projectiles; tir des boulets
%
^K
yx _ "et aperçu, du soin tout particu-
%^ "^^^ "le de marine anglaise est
^ ^ 'otal du corps des ma-
\. otait de 16,986 en 1860.
^6 a demandé qu'il fût porté à
j<^ dernières années/le chiflfre moyen des
^â embarqués a été de 9,000. Nous avons dit
qu'on en comptait 200 dans l'équipage d'un vaisseau
de ligne. La portion du corps qui n'était pas à la mer,
6,000 hommes environ pour tannée 1859-1860, était
employée à la garde des arsenaux et des ports dans
lesquels résident les divisions.
Si l'on tient compte de l'augmentation d'eflTectif à
laquelle le gouvernement anglais semble décidé, on
voit que, pour l'année 1861-1862, l'armée de terre
trouvera dans les marines non embarqués un corps
auxiliaire d'excellentes troupes dont le chiffre s'élèvera
de 11,000 à 12,000 hommes. En cas de guerre,
l'Angleterre 'devant armer un plus grand nombre de
vaisseaux, il est difficile d'évaluer ce qui resterait de
disponible pour le service de terre, la totalité du corps,
très probablement, serait absorbée par le service de la
flotte.
La solde et les différentes fournitures, cou-
chage, etc., du corps des marines, coûtent à l'An-
gleterre 11,772,150 francs; — l'habillement coûte
âO& CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
986,350 francs; — les frais de recrutement, ete.,
717,500 francs; — les primes pour le tir, «SO,000£raDCs.
— Total, 18,506,000 francs (non compris les vivres,
chauffage, casernement, etc.).
•Pour un effectif à peu près égal (12,786 fantassins
et 3,858 artilleurs de marine; —total, i6,6&A), la
France supporte les dépenses suivantes :
Inspection des troupes de marine, 55,41 6 francs; —
solde, 6,220,226francs; -habillement, 801 ,566francs.
— Total, 7,077,206 francs (non compris les vivres,
chauffage, casernement, frais d* hôpitaux).
DE LA FRANGE ET DE L'aNGLETEERB, 305
CHAPITRE XVI.
Composition de f armée de seconde ligne en Angleterre; corps atKci-
licùrt et réserves (Suite). — Section 2 : Milice. Mode de recrutd-
inentdelainilice.— Effectif.— L'enrôlement volontaire et ]e&a{{o<.
— Durée du service. — Régiments en service permanent (em6o-
died); — régiments désincorporés {desimbodied}: — Glioix et no-
mination des officiers; — analogies entre le ballot et la conscrip-
tian des armées continentales ; — le tirage au sort de la milice
peut-il être rétabli? — Comparaison entre les exemptions du ser-
vice militaire en France et en Angleterre ; — inconvénients de
l'enrôlement volontaire; — désertion des miliciens ; — la milice
est mal commandée; — la milice est mal instruite; — la milice
ne rend pas des services en rapport avec les charges qu'elle im-
pose. -- Un mot sur l'organisation actuelle de la réserve dans
Parmée française. — Section 3 : Yeomanry ou milice à cheval :
Sa composition. — Son service. —Ses privilèges ; — les imperfec-
tions de la milice à cheval sont les mêmes que celles de la milice
à pied. — Effectif. — Services que pourrait rendre la yeomanry
en cas d'insurrection ou d'invasion. — Section à : Organisation
des pensionnaires militaires : Conditions de Tenrôlement; —
solde ; — exercices annuels; — dépôts et état-major des pension-
naires. — Effectif. — Dépense annuelle. — Tentative de coloni-
sation au moyen des pensionnaires enrôlés dans la Nouvelle-
Zélande.— Comparaison avec la colonisation militaire de T Algérie.
— Conclusion : Les services rendus parles pensionnaires enrôlés
ne sont pas en proportion avec les sacriflces que leur institution
impose à TËlat ; — chiffre des ressources effectives que la milice,
la yeomanry et les pensionnaires pourraient offrir au gouverne-
ment anglais dans le cas d'un conflit soudain.
SECTION H.
MlLiCB ANGLAISE {Infanterie),
L'aniour tout particulier que professent les Anglais
pour rinstitution de leur milice procède de deux
20
306 GOMSTITOTION ET PUISSANCB MILITAIRES
sources. D'un côté, cette force purement locale est la
seule troupe qui soit, à leurs yeux, véritablement con-
stitutionnelle et nationale; de Tautre, elle a permis
pendant un demi-siècle à nos voisins de réduire leur
armée permanente à sa plus simple expression. Or,
pour tout Anglais, depuis le lord qui siège au Parle-
ment jusqu'au vagabond qui ne sait où abriter sa tète,
Tannée régulière, le standing army^ a toujours été un
objet de défiance, pour ne pas dire d'aversion. Ce sen-
timent est tellement enraciné, en dépit de toutes les
sauvegardes de la constitution, en dépit du respect et
de la soumission avec lesquels le militaire s'est résigné
à rhumble rôle qui lui est attribué dans Poi^anisation
politique et sociale du pays, que l'armée a toujours
été, est et sera toujours, en Angleterre, une sorte d'é-
pouvantail pour la nation et la liberté.
Il n'est pas d'institution qui, dans ces dernières an-
nées, ait été aussi fréquemment discutée que la milice
anglaise. Nous ne nous proposons nullement de passer
en revue tous les projets, tous les rapports auxquels
cette discussion a donné lieu. Encore moins tenterions-
nous de présenter à nos lecteurs l'ensemble des actes
législatifs qui réglementent cette organisation (1). Il
nous suffira, pour permettre d apprécier le rôle que
(1) L'acte du Parlement qui régit eocore aujounThui la milice
anglaise date du règne de George III (â2, Geo, lU, caput 90). Ce
document ne comprend pas moins de 1,900 folios consacrés à la ré-
daction de plu9 de 2Q0 clauses différentes.
On conçoit qu'il est impossible aux lords lieutenants, et aux as-
semblées des comtés qui président à la levée de la. milice, d'être fa-
DB LA FRANCK IT DB L'ANQLBnUE* 307
remplit et la place que tient la milice dans rétabliwe-
ment militaire de l'Angleterre, de résumer les diapoii-
tioDB principales qui {M^ident à la levée, à ringtruc»*
tion et à Tadministration de cette force.
La milice anglaise se recrute de deux façons : par
Tenrôlement volontaire et par le tirage au sort. Ce se*
cond procédé, nommé ballot, est une sorte de conscrip-
tion déguisée, mitigée, qui, depuis bngues années,
est tombée en désuétude.
Si ce n'est dans des circonstances exceptionnelles, la
milice ne doit pas servir hors du territoire du
Royaume-Uni, et, même dans ce cas, les miliciens
employés à l'extérieur doivent se proposer volontaire*
ment pour ce service.
. Les réunions et exercices auxquels la milice est sou*
mise tous les ans, en vertu de l'Acte du Parlement, ne
peuvent durer plus de cinquante-six jours ni moins
de trois jours. Leur période varie ordinairement de
vingt et un à vingt-huit.
La durée du service est de cinq ans. La couronne
n'a pas le droit d'incorporer {embody) les régiments de
la milice, c'est-à-dire de les retenir en permanence
sous les drapeaux, à moins de circonstances graves e
dont la nature est prévue par la loi.
Nous avons expliqué, dans un des chapitres précé-»
deets, la nature complexe des attributions du lord-
mUiarisésavec toutes les disposiUoQs d'une législation aussi formi-
dable. Aussi est-on obligé de leur adjoindre, pour la direction des
opérations, des hommes de \o\ {sollicitors) qui remplissent les fone-
tioB0 de lecrélairet.
308 CONSTITUTION BT PUISSANCE MILITAIEBS
lieutenant. Dans chaque comté, ce haut fonctionnaire
est chargé de lever et d'organiser la milice. Il est censé
présider à ses réunions, à son instruction, à son liera-
ciement. Le lord-lieutenant nomme des députés pour
le seconder dans ces diverses opérations lorsqu'il est
présent, et pour le remplacer lorsqu'il est absent.
C'est aussi le lord-lieutenant qui choisit les ofSeiers
de la milice; mais ces désignations doivent être sou-
mises à l'approbation de la couronne. En cas de refus,
la notification doit être faite dans les quatorze jours
qui suivent la présentation. Passé ce délai, la nomina-
tion devient valable et définitive ; elle est publiée offi-
ciellement.
Comme Faction du lord-lieutenant s'étend sur beau-
coup d'autres branches de l'administration que cdies
qui touchent spécialement à la milice ; comme il est,
en général, le plus riche propriétaire foncier du comté
qu'il administre, on peut dire, dans un certain sens,
que c'est de leur comté que relèvent la milice et ses
officiers. D'un autre côté, comme il en est des nomi-
nations dans la milice, ainsi que de celles de la plupart
des services publics où les autorités supérieures qui
ont la mission de proposer {recommending) pour les
emplois ont aussi latitude de désigner les candidats à
choisir, il en résulte que, de fait, le droit de conférer
les grades {the patronage) est entre les mains du lord-
lieutenant et non du souverain.
Les officiers de la milice, à moins quMls ne soient
Pairs du royaume, doivent satisfaire à certaines obliga-
tions de revenu foncier. Pour un colonel, la loi exige
DE LA FRANCE ET DE l/ ANGLETERRE. 309
25,000 fr.; pour un lieutenant-Golonel, 15,000 fr.;
pour UD capitaine, 5,000 fr., et ainsi des autres.
La loi sanctionne également la nomination de l'hé-
ritier direct d'une fortune dont le revenu représente
un chiffre double de celui fixé ci-dessus pour le grade
conféré.
Enfin, dans les comtés, de deuxième classe ou dans
les villes érigées en comtés, ces dispositions sont en-
core modifiées, et le revenu correspondant à chaque
grade est plus ou moins réduit
Un certain temps de service dans Tannée régulière
ou dans l'armée indienne peut encore dispenser de
toute justification de revenu foncier.
Le but de ces diverses dispositions est évidemment
de faire de la milice une force essentiellement locale et
commandée par des oflBciers que leur fortune rend in-
Get esprit de la loi ressort encore mieux des procé-
dés suivis pour la levée de la milice. La mission de
réunir et d'enrôler les miliciens est confiée, comme
nous l'avons dit, aux lords-Iieuteoants et à leurs délé-
gués, avec l'aide, lorsque le ministre de la guerre le
requiert, de ce que l'on nomme les assemblées géné-
rales ou subdivisionnaires de comté.
Les secrétaires ou greffiers qui doivent assister ces
assemblées sont choisis parmi les avocats exerçant dans
le comté, et sont nommés par les lords-lieutenants ou
par les députés-lieutenants, suivant que l'assemblée
est générale ou subdivisionnaire. Ces greffiers, à cause
de la connaissance plus complète qu'ils ont de la loi,
MO GOHfeTITUTION ET PUISSANCE MIUTÂIRBS
deviennent les véritableB directeurs de toutes les opé-
rations des assemblées, ciroonstance qui contribue eih-
core à rendre plus tranché le caractère tout à fait local
de ht milice.
Habituellement, toutes les affaires traitées sont sui-
vies et surveillées par des employés du ministère de b
guerre parfaitement au courant de la législation rela-
tive à la milice. Ces employés peuvent, d'ailleurs, tou-
jours réclamer l'assistance d'un jurisconsulte de la
couronne [crowii lawofflcer) ou de tout autre oonseiUor
pour les questions qui présentent des difficultés excep-
tionnelles (i).
Nous n'entrerons pas dans tous les détails pratiqus
du recrutement de la milice, soit par Tenrâlement vo-
lontaire, soit par le tirage au sort. De même que les
assemblées de comté présentent une certaine analogie
avec nos conseils de révision, de même aussi, à l'é*
poque où le balloi était encore en vigueur, l'établisse-
ment des listes de tirage avait lieu en Angleterre par
les soins des magistrats municipaux, à peu près de la
môme manière que celui des listes d'appel pour la con-
scription par les maires de nos communes. 11 y avait
encore une grande analogie entre la manière dont les
(1) A répoque où le ballot était en vigueur, ces délégués du mi-
nistre de la guerre tenaient évidemment, dans les assemblées de
oomtés, la place des membres miUtaires siégeant daosaos oonsdisde
révision, et chargés de défendre les intérêts de Tarmée et de FËUt,
comme les membres civils, préfets, conseillers de préfecture, elc,
qui correspondent aux lords lieutenants et à leurs députés, sont
charge da représenter les Intérêt» des in«iviafi| et d«9 ooroshioei.
DC LA FRANCS ET DB l'aKQLRCIRB. SU
aasemblées de comté arrêtaient les états de répartition
du contingent, et la même opération telle qu'elle est
pratiquée chez nous par le préfet en conseil de préfeo-
tare.
Comme chez nous, un médecin visitait aussi les
jeunes gens tombés au sort et éclairait rassemblée
dans le cas d'incapacité physique. Enfin, comme le
fait remarquer M. Dupin, « dans un pays où l'esprit
« d'association s'applique à tous les besoins, à toules les
» circonstances eitraordinaires des affaires et de la
» vie » ^ on n'atait pas manqué d'étendre cette applioih
tien aux remplacements de la milice. Généralement,
les jeunes gens se réunissaient entre eux et formaient
un fonds commun, ou bien les paroisses, pour éviter le
tirage ou pour en diminuer les chances, consentaient à
s'imposer volontairement, de manière à payer dos
remplaçants. Enfin, comme dernier trait de ressem*^
faiance avec ce qui avait lieu en France avant la loi sur
la dotation de l'armée, l'Angleterre, à l'époque où
fiorisêaii le ballot^ avait aussi ses agences ou compa*-
gnîes de romplacement, dont les procédés et l'odieux
trafic étaient uniquement basés sur la démoralisation
des basses classes (1).
En résumé, la législation relative à la milice an^
glaise, au moins en ce qui regarde son recrutement
(1) \A nouvelle législation qui régit rarmée française a fait dis-
paraître les abus, en abolissant le remplacement par les Compagnies,
mais ils subsistent toujours en Angleterre, et nous aurons occasion
âe lês coilsiater quand nous traiterons du recrutement de l'armée
britttiBlqiie.
312 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
par le tirage au sort (mode non pratiqué aujourd'hui,
bien que non aboli), ressemble, à beaucoup d'^rds, à
notre loi française sur la conscription. Il est, toutefois,
une remarque importante à faire ici : chez nos voi*
sins, -non-seulement la loi, mais même les détails les
plus minutieux de son application, sont réglés par acte
du Parlement. 11 en résulte qu'aucune amélioration ne
peut être apportée à institution de' la milice, aucune
réforme réclamée par le cours des années ou nécessi-
tée par le changement des circonstances ne peut être
accomplie sans un acte d'abrogation {repeal) émanant
du Parlement lui-même. Or, nous savons tout ce
qu'une pareille mesure entraîne de commissions, d'en-
quêtes, de rapports, de livres bleus..., et finalement de
temps perdu. Aussi la milice se recrute-t-elle encore
aujourd'hui comme il y a cent ans. Le ministre a bien
le droit de prendre certains arrêtés analogues à ce que
Ton appelle les articles de guerre {articles of loor) ;
mais ces décisions ne doivent pas porter atteinte à
la loi, et encore ne sont-elles exécutoires qu'après
avoir été examinées et approuvées par le Parlement.
A moins de circonstances exceptionnelles, avons-
nous dit, le souverain n'a pas le droit d'incorporer la
milice, c'est-à-dire de la tenir en permanence sous les
drapeaux. Ces cas exceptionnels sont : la guerre avec
une puissance étrangère, l'invasion du territoire ou la
menace imminente d'une agression de ce genre ; la ré-
bellion ou l'insurrection d'une partie du Royaume-
Uni. Dans ces différents cas, le gouvernement ne peut
convoquer la milice sans avoir préablement exposé ses
DE LA FRANGE ET DE L ANGLETERRE. * 313
motifs au Parlement. Si celui-ci ne siège pas, la décla-
ration de ces motifs doit être faite en conseil et leur
publication doit suivre immédiatement II résulte de
ces dispositions que, dans le cas où une puissance
étrangère viendrait à effectuer soudainement un débar-
quement sur les côtes de TÂngleterre, le ministère ne
pourrait pas réunir la milice, et encore moins, la mettre
en campagne, avant d'avoir perdu plusieurs jours à en
informer, soit le Parlement, soit le pays (par une pro-
clamation). Inutile de faire observer que l'un ou l'autre
de ces procédés est également favorable à l'ennemi,
qui non-seulement peut mettre à profit ces délais, mais
encore se trouve informé des dispositions prises pour
le combattre.
Nous avons dit que le recrutement de la milice ne
s'opérait plus que par enrôlement volontaire. Beau^
coup de personnes ont émis l'opinion, dans ces der-
niers temps, qu'il n'y avait plus de salut pour la
Grande-Bretagne, si ce n*est dans une réforme radicale
de la législation qui régit la milice et dans le rétablis-
sement du tirage au sort. Or, ce n'est pas une question
sans intérêt que d'examiner jusqu'à quel point le ballot
peut être remis en vigueur. Outre que ce mode de re-
crutement a toujours été antipathique au peuple an-
glais, certaines dispositions sans impoiiance peut-être
il y a un siècle, et quand la loi fut promulguée, ren-
draient certainement aujourd'hui son application im-
possible : nous voulons parler de ces exemptions mul-
tipliées qui blesseraient et froisseraient d'une façon
intolérable des sentiments d'égalité et de justice dont
bih GomimmoN et puissance militaiiies
le progrès parmi les masses devrait être d'autant moins
méconnu, que ces aspirations nouvelles sont autant de
menaces à l'adresse de Taristocratie et des dasses pri-
vilégiées.
En France, les exemptions du service militaire sont
admises comme en Angleterre, mais avec cette ioh
mense différence que, dans aucun cas, elles ne consti-
tuent un privilège pour tel ou tel individu. Les inté-
rêts collectifs de la famille, de l'État, de l'armée,
représentent les titres divers sous lesquels se classent
chez nous les exemptions; ce sont les seuls pris en
considération. Chez nos voisins, au contraire, si le
baUoê était rétabli, une foule de gens, aux termes de la
loi, seraient affranchis de l'obligation de participer au
tirage, sans qu'aucune raison valable puisse être invo-
quée à l'appui de leur exemption.
Certes, nous comprenons ceux qui, de l'autre oMé
du détroit, demandent le rétablissement du senice
obligatoire dans la milice {campulsary military iernicel
Comme eux, nous pensons qu'une pareille mesure ne
saurait mettre la véritable liberté en péril; comme
eux, nous sommes d'avis que quiconque a rhonneur
et le bonheur à la fois d'appartenir à un grand peuple
ne saurait décliner les obligations d'une nationalité
dont il accepte les bénéfices.
Mais qui donc aurait le droit de tenir un pareil lan-
gage au peuple anglais? EiitM}e le magistrat, le juge, le
procureur, etc., chargés de rendre la justice, et qui,
par la plus révoltante des iniquités, se trouvent admis
au bénéfice d'une exemption d'autant plus inexplicable
M LA FRAltCB 8T DE L'AHGLIStfillâB* M 5
que la présentation d'un remplaçant (toujours facile à
trouver à prix d'argent), étant autorisée par la loi, ce
sont en définitive les moins aisés, sinon les plus
pauvres, qui se trouvent suppoiier la charge dont leur
richesse est exonérée.
Est-ce le pair d'Angleterre, par exemple, qui vien-
dra proclamer que la défense de la patrie est le plus
noble des devoirs, lorsque sa nobleêMê est précisément
ce qui, l^alement-, lui permet de s'en dispenser?
N*est-il pas pitoyable qu'un iord puisse se retrancher
derrière un titre le plus souvent gagné par la valeur
militaire de ses aïeux lorsqu'il s'agit de contribuera la
défense de l'empire qu'ils ont fondé?
Dans la liste interminable des cas d'exemption pré^
vus par la loi sur la milice anglaise, on pourrait signa-
ler encore une foule d'anomalies, toutes plus bizarres
les unes que les autres. Ainsi, on ne comprend guère
pourquoi les procureurs {altomies) et les grefflerti
{artielêdderks) sont plutôt exempts, par exemple, que
les avocats, les avoués ou les médecins. On peut en
dire autant des savants, des membre» résidents des
collèges, et d'une foule d'autres remplissant un rMe
plus ou moins actif dans les universités, et qui jouissent
en Angleterre d'une immunité exclusivement réservée
chez nous au clergé et au corps enseignant.
A défaut du tirage au sort, dont T imparfaite légiala-
tion ne pourrait sans danger, suivant nous» être remise
en vigueur, c'est l'enrôlement volontaire qui sert à re-
cruter la milice anglaise.
Tout homme qui veut s'engager dans ce corps doit
dl6 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
remplir certaines conditions d'âge et de taille qui ODt
souvent varié et que nous discuterons plus loin quand
nous examinerons les propositions de la dernière com-
mission d'enquête sur la milice. Tout enrôlé a droit à
une prime de 6 livres ou 150 fr., et touche un habil-
lement complet. Quant à la prime, si le r^iment est
incorporé {embodied)^ elle est payée de la manière sui-
vante : 5 shellings au moment où l'enrôlé est inscrit
{aUesled)j et 15 autres shellings lorsque son admissicm
est déclarée définitive. Les 5 autres livres sont divisées
en payements trimestriels de 5 shellings pendant la
durée des cinq années de service. A l'expiration de
son engagement, le milicien qui se rengage touche une
seconde prime et un nouvel équipement. Chaque fois
qu'un r^iment est désincorporé {disembodied), le mili-
cien demeure propriétaire de son uniforme, et il lui eo
est délivré un neuf en cas de rappel au service perma-
nent.
Lorsqu'un milicien s'engage dans un régiment désin-
corporé, il reçoit 10 shellings au moment de son ad-
mission, et 1 livre et 1 shelling à chaque réunion an-
nuelle. Pendant ces réunions, qui durent de vingt et
un à vingt-huit jours, et qui sont consacrées aux exer-
cices et manœuvres, chaque milicien, indépendam-
ment de la portion de sa prime, touche la solde de
l'armée régulière. La première année, il lui est déli-
vré, au moment de la période des exercices, un uni-
forme complet et un équipement composé de chemises,
mouchoirs, bottes, ustensiles de propreté, etc., qu'il
est tenu de verser en magasin lorsque les exercices
DE LA FEANCE ET DE L'ANGLETERRE. 317
sont terminés. Il peut, toutefois, moyennant un prix
très modéré, emporter certains de ces effets avec lui
lorsqu'il rentre dans ses foyers.
Nous avons cru opportun d'entrer dans ces détails, à
cause de la ressemblance, plus apparente que réelle,
qui existe entre l'organisation de la milice anglaise
(désincorporée) et celle donnée tout récemment à la
réserve de l'armée française. Chez nous, les jeunes
gens de la réserve sont réunis pendant trois mois la
première année, deux mois la seconde et un mois seu-
lement la troisième. Ces trois stages accomplis, ils. ne
sont plus convoqués jusqu'à leur libération définitive
des obligations du service, à moins que les circonstances
n'obligent à les appeler d'une manière permanente
sous les drapeaux. Comme les miliciens anglais, nos
hommes de la réserve, lorsqu'ils sont réunis pendant
les périodes d'exercices, reçoivent la solde de l'armée
active. Ils sont également pourvus de l'habillement, de
l'équipement, de l'armement et des effets nécessaires à
leurs besoins et à leur instruction.
En dehors de ces quelques points communs, les
deux institutions cessent de présenter la moindre ana-
logie, et les différences radicales que nous allons signa--
1er sont loin d'être à l'avantage de l'organisation de la
milice anglaise. En premier lieu, les hommes de la ré-
serve ne touchent en France aucune prime ni gratifi-
cation, ce qui constitue déjà une lourde charge pour
le trésor anglais. D'un autre côté, ces primes, dont la
nécessité est une conséquence du mode de recrutement
par nos voisins, ouvrent la porte à une foute
3(8 CONSfiTUTlOII ET FinSSANGS MIUTAIRW
d'abus. Ëllei soot la source de fraudes continuelles.
Nombre d'hommeft s'engagent suocessivemeot dans
plusieurs r^iments et désertent après avoir touché la
portion de la prime qui se paye comptant.
On aura une idée du désordre qui règne à cet ^;ard
par les paroles suivantes de lord Hamilton devant la
commission d'enquèle (1) : « Les régiments de Dublin
» semblaient presque au complet sur le papier; mal-
» beureusemeot, les hommes qui les composaient en
» avaient fait le tour et s'étaient engagés successive-
» ment dans les trois régiments, où ils comptaient en
x> même temps. Si bien que ces corps ayant été convo-
» qués avec intention pour le même jour, U plupart
»des hommes n'osèrent se présenter dans aucun, mais
»ils avaient parfaitement touché la prime dans les
» trois. »
Le défaut le plus capital de la milice anglaise, c'est
son manque d'instruction militaire, et l'on ne saurait
vraiment en être étonné lorsqu'on réfléchit aux condi-
tions dans le^uelles elle est commandée et exercée.
Pendant la paix, le grade des officiers est purement
honorifique. Leur régiment n'étant pas incorporé, ils
ne possèdent aucune connaissance de leur métier et
sont sans moyen de l'acquérir. Ces officiers sont de
tout Âge, de toute profession. En réalité, leur unique
(i) « Take Uie Dublin regimenU : Uiey were nearly ail faU; tiie
feUows bad just gone (he round, and enlisted in the Uiree régi-
ments; they were purposely called out on the same day, and the
fellawt did not dare to go to any one et Uieiii, but th«y had gol ail
Uie bounty. »
DE LA FBANCI ET DE l'aNGLETBBKE. 319
but, en acceptant leur emploi, c'est de pouvoir porter
un uniforme à la cour ou dans quelques cérémonîeB
officielles. Si les circonstances viennent à réclamer de
leur part un service effectif, la plupart de cesoflSciers
abandonnent leur poste, mais après l'avoir conservé
trop longtemps, malheureusement. De pareils chefii,
servant sans aucune intention arrêtée d'acquérir ja-
mais la connaissance de leurs devoirs, sont une véri<*
table plaie pour la milice anglaise. La plupart ne
peuvent qu'apporter l'indifférence la plus profonde à
rinstruction et aux progrès des régiments auxquels ils
sont attachés. Si, par aventure, il s'en trouve dans le
nombre quelques-uns plus consciencieux et plu3 xélés,
leur profession ou leur situation dans le monde les
oblige souvent, comme les autres, à s'éloigner de leur
corps, quelquefois précisément au moment où leur
présence serait plus utile et plus nécessaire.
On pourrait sans doute remédier à cet inconvénient
en choisissant les officiers de la milice parmi les offi-
ciers de l'armée en retraite ou en demi-solde {lialf
pay) [i] ; mais le patronage exercé par les lords-lieu-
tenants est un obstacle à cette combinaison. C'est à
peine si l'adjudant, c'est-à-dire la cheville ouvrière de
l'état-major et du régiment de la milice, sort toujours
de l'armée régulière. Le bon plaisir est la seule règle
(I) Nous verrons ailleurs qu'il existe dans l*armée aaglaise un
oômlire eoasidérable d'oflieiers eu demi-eolde dont le traitemeiH
constitue une iouide charge pour ie budget. En IS60, le nombre de
o« oflicien, qui ne rendainDt aucun service, dépassait 9,0«0, et ils
ne ooftuient pas moins de A00,000 liv. ou i9 siillions à l*Éial.
320 GONSTITUTIOK ET PUISSANCE MILITAIRES
qui détermine la plupart des nomioations. On ne sau-
rait croire en France, avec les idées de justice, avec
les habitudes d'impartialité et de déférence pour le bien
du service qui président aux promotions militaires, on
ne saurait croire à quel point le népotisme infecte Tar-
mée britannique.
Les scandaleux exemples de favoritisme et de mé-
pris pour les services rendus et les droits acquis dont
les journaux militaires anglais sont remplis, permet-
traient seuls d'apprécier toute l'étendue du mal qui
mine et ronge l'armée britannique (1).
(1) Dans un pays où règne, comme en Angleterre, la liberté de
tout dire et de tout écrire, le bien comme le mal, sans eboix et sans
mesure, il est possible que parmi les plaintes auxquelles nous (ai-
sons allusion, certaines soient Técho de griefs imaginaires, ou Tex-
pression, fort peu intéressante, d'ambitions illégiUmes et justement
déçues : aussi, ne leur accorderions-nous qu'une confiance très li-
mitée, si nous ne trouvions dans des documents ofOciels, dans des
discussions et des rapports parlementaires, les preuves irrécusables
de ce système odieux dont le régime du purchase est le premier auxi-
liaire dans Tarmée régulière, et contre lequel sont venus échouer tous
les efforts des réformateurs les plus dévoués aux intérêts miliuires
du Royaume-Uni.
Nous disons que les exemples sont nombreux, mais pour ne i)arler
que des abus qui intéressent la milice et la façon déplorable dont
ses officiers sont nommés, nous nous bornerons aux suivants :
Dans un procès qui a fait beaucoup de bruit chez nos voisins, nous
voyons un colonel de la milice, lord W..., déclarer « qu'il ne connaît
pas le premier mot de ses devoirs, » et qu'il s'en remet entièrement,
pour leur accomplissement, aux soins de son lieutenant-colond. Le
même chef de corps reconnaît qu'il n'est jamais H la tète de sou ré-
giment, et que, pendant la période ^e son Incorporation, U n'y a
paru qu'une seule fois. — Interrogé sur le montant des appoin-
tements touchés pour un service aussi fatigant, et des devoirs aussi
DE LA FRANGE ET DE l'aNGLETEBBE. 321
Nous Tenons de voir comment les régiments de la
milice étaient commamiés : est-il nécessaire mainte-
nant d'insister sur l'insuffisance du temps consacré
aui manœuvres pour expliquer leur défaut d'instruc-
tion?
Quels i-ésultats peut-on raisonnablement obtenir
avec vingt-huit jours d'exercices et sous la direction
d'officiers aussi peu expérimentés que ceux dont nous
avons fait le portrait?
Si du moins les r^ments de la milice anglaise, an
lieu de se former sur eux-mêmes, au lieu d'être réunis
activement remplis, lord Yi... répond qo*il ne le connaît pas au
juste, mais qu'il a pu recevoir quelque chose comme 500 livres ou
12,500 francs par an !
Ailleurs, c*est lord P..., qui nomme colonel (et dans un régiment
d*artillerle de milice Incorporée) un jeune homme ayant à peine
quelques mois de service, et qui lui donne ainsi le pas, non-seule-
ment sur les anciens officiers de ce corps, mais encore sur les lieu-
tenants-colonels de l'armée régulière. [Voir le chapitre des pré-
séances.)
Enfin, que dire, surtout, des renseignements suivants mte au Jour
par la commission d'enquête sur Tétat de la milice :
Dans un régiment dont le colonel vient de mourir, il se trouve
(bonne fortune bien rare) deux majors, ayant tous deux servi long-
temps dans Tarmée régulière, et comptant des campagnes. Certes, le
choix du lord lieutenant sera facile; Tun ou l'autre de ces officiers
supérieurs va être appelé à recueillir la succession du défunt? Nulle-
ment : le lord lieutenant, lord L..., trouve beaucoup plus naturel
dénommer... son propre fils, qui n'a jamais servi de sa vie dans
aucun corps, qui est moins ancien que quatre capitaines, ses col-
lègues, et qui, enfin, quelques semaines à peine auparavant, mettait
le pied pour la première fois sur un terrain de manœuvres!
La conséquence d'une pareille nomination fut et devait être la
désorganisation du régiment.
21
.993 COmTlTimONET PUnSANOS MtLITAIBBS
isolément, étaient embrigadés avec les fégiments de
Tarmée régulière, ils pourraient eneore tirer quelque
bén^ce de oe rapprochement momentané.
fin France, pour la période des eiercioea annuels,
les jeunes gens de la réserve, artilleurs, cavaliers ou
fantassins, sont dirigés sur les régimente de leur artne
le plus à proximité de leurs rénideoces respectives*
Bien que le soldat français passe pour le plus facile et
le plus prompt à dresser ; bien que Tarmée active pré*
sente en officiers et sous^officiers instructeurs toutes les
ressOurees désirables, irm mois semblent bien courti
pour la tftche à remplir. Que peuvent faire, nous le
demandons encore, les miliciens anglais en vi$tgi'huii
jours?
Si de ce chiffre nous déduisons trois ou quatre jours
employés à distribuer les effets et les armes à l'arrivée,
et à les réintégrer en magasin au départ; — si nous
défalquons trois ou quatre dimanches , et , en
moyenne, chaque année, autant de jours de pluie pen-
dant lesquels le travail est forcément interrompu, c'est
à peine s'il reste quinze jours francs pour Finstruction.
C'est tout au plus si les officiers et les sous-officiers
connaissent leur place de bataille et si les hommes
doivent savoir porter leur arme quand le moment ar^
rive de renvoyer les uns et les autres dans leurs
foyers (1).
(I) Les panisiins de la milice anglaise ne jnanquent Jamais 4V
quer le souvenir des régiments incorporés pendant la fuem de
Crimée, et qui, réunis à Àldershott, k Celchester, à Gurtigli, elc,
ne le cédaient en rien aux régiments de la ligne. Sans diacoto* J»^
DB U FaANCP 6T DE . l'aNGLKTBERE. i&i
Nous croyons en ayoir assez dit pour permettre k
DOS lecteurs d'apprécier les imperfections sans nombre
de la milice anglaise. Mal commandée, mal instruite^
partant de très mince valeur, tactiquement parlant,
elle impose cependant à l'État des sacriSces hors de
toute proportion avec les services qu'elle peut rendre.
En cas de guerre et de danger pressant, le concours
qu'elle pourrait offrir à l'armée régulière vaudrait tout
au plus, pendant les six premiers mois de son incor*
poration, celui des volontaires, dont nous parlerons
dans le prochain chapitre.
En temps de paix, la milice permet à la noblesse
des comtés {land^d gentry) de jouer au soldat; elle
procure à ses membres une sorte de considération mi^
lilaire très improprement fondée sur la supposition
des services qu'ils rendent à l'État. Tout cela est fort
innocent, et de pareils amusements n'auraient rien de
répréhensible, si, comme ceux des volontaires, ils ne
coûtaient rien à l'État et s'ils n'étaient pas surtout le
prineipal obstacle à tout perfectionnement. Malheu-
reusement pour nos voisins, il n'en est pas ainsi.
Avec un établissement nominal de 120,000 hommes
et un état-major proportionné à ce chiffre, tous les
régiments de milice de l'Angleterre et de l'Irlande, de
l'avis des gens les plus compétents, ne fourniraient
4ii*ii iiiiei point eeiu aMertfon est exucte, ooin ferais observer qtie
cm régtmDU n'éttlsnt arrivés H cette situation saUsraisante que
par lin naintieo prolongé sons lesdrapeaux. Cette objection est donc
MM vrioar conaM réponse aux ImpnUitlons de la mfifoe désfo.
corporée.
92t CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
pas, s'ils étaient incorporés, plusde 60,000 hommes (1 ).
Ces régiments sont au nombre de 160, dont 27 d'ar-
tillerie et le reste d'infanterie. Le nombre de ceux qui
sont incorporés {emhodied) a toujours été en diminuant
depuis quelques années. En 1859, il y en avait encore
37 (dont 13 d artillerie), formant un effectif de 20 à
22,000 hommes. Au commencement de 1861, on ne
compte plus que 6 régiments d'artillerie et & d'infan-
terie en service permanent.
Ces 10 régiments incorporés comportent un effectif
de 5 à 6,000 hommes, qui représentent en réalité tout
ce que la milice'Jpourrait mettre en ligne à l'heure où
nous écrivons. Quant aux 50 ou 55,000 hommes de la
milice désincorporée, qui, théoriquement parlant, sont
censés pouvoir être appelés instantanément sous les
drapeaux, nous savons ce que, dans la pratique, vaut
cette illusion.
Les miliciens désincorporés ne doivent compter que
sur le papier, et, dans un cas pi^essant, ces auxiliaires
seraient d'autant plus dangereux que la confiance
qu'on leur accorderait serait basée sur la supposition
de qualités militaires qu'Us ne peuvent posséder.
(1) Cette énorme différence provient de plusieurs causes : d*abord,
un grand nombre d'hommes, pour toucher la prime, s'engagent
successivement, et comptent k la fois, c^mme nous Tavons dit, dans
plusieurs régiments. Quelques-uns s*enr6lent avec rintentloo bien
arrêtée de re {amais rejoindre; d*autres sont morts ou malades;
d'autres sont partis pour TAustralie ou rAmérique; d'autres ont
changé de comté; beaucoup, enfin, qui se sont enrôlés en qualité
de célibatain«, prouveraient, s'il fallait marcher, qu'ils sont mariés
et qu'ils oi.l des enfants, etc., etc.
DE LA FHANGE BT D£ l'aNGLBTEEEE. S25
Nous avons dit ce que nous pensions de Tinfanterie
de la milice. Les mêmes observations s'appliquent à
rartillerie. Là, plus que partout ailleurs, Torganisa-
tioD devient une véritable plaisanterie (1). A l'époque
des guerres de la République et de l'Empire, la milice
anglaise ne comprenait pas d'artillerie; depuis que
rimportance de cette arme est devenue prépondérante
dans les dernières campagnes; depuis surtout qu'un
grand nombre de forts et de batteries ont été élevés
sur les côtes d'Angleterre, on a jugé nécessaire de mé-
nager des auxiliaires à l'artillerie de ligne, comme on
l'avait fait à l'égard de l'infanterie et de la cavale-
rie (2). L'artillerie de la milice est, du reste, organisée
dans les mêmes conditions que l'infanterie, et, comme
cette arme spéciale réclame plus impérieusement que
toiite autre des officiers instruits et des hommes soi-
gneusement exercés, on peut se faire une juste idée de
ce que vaut celle de la milice.
(1) La plupart de ces corps n*ont.aucun matériel pour exercer les
hommes au service des pièces ; aussi ont-ils recours souvent aux
expédients les plus burlesques. Croirait-on que, dans un certain
régiment, Padjudant avait imaginé de faire monter un vieux tuyau
de pompe sur une espèce de charriot, et.de s*en servir pour donner
la leçon. Si Ton ajoute que ce même adjudant n'avait jamais
servi lui-même dans rartillerie, on aura une idée des canonuiers
qtt'il pouvait former.
Il y a des régiments d'artillerie de la milice dont pa$ un terni
officier D*a appartenu à l'armée de ligne ; pourtant en cas d'invasion,
par exemple, ces mêmes ofQciers pourraient être chargés du com-
mandement d'une batterie, d*un fort, d'un district d'artillerie.
^3) La yeomanry dont nous allons parler dans le chapitre suivant,
peut être considérée comme la réserve de la cavalerie de ligne.
S29 GONSTtTUTldfl ET mJtôS^\NGE MILITAIRES
tl est temps de cotiolure (bien que la matière soit
loin d'être épuisée), et le moment est venu de résumer
notre opinion générale sur la milice anglaise t — Cette
institution a pu mériter, il y a un demi-siècle, Tadmi-
ration enthousiaste de M. Dupin, œmme elle excite
encore aujourd'hui celle de certains théoriciens purs.
Pour nous, cette institution peut être merveilleuse-
ment constitutionnelle et nationale, mais elle est
souverainement anti-militaire..., au moins dans lei
conditions actuelles de son établissement.
A moins d'une réforme radicale, Vinstitution dt ht
milice est devenue un non-sens, et son abolition défini-
tive serait probablement ce que nos voisins pourraient
imaginer de préférable. Avec ce qu'elle leur coûte, ils
pourraient (les calculs ont été faits) entretenir M, 000
hommes qui leur seraient du moins d'une utilité
réelle.
Au reste, abolition ou réforme complète, si l'on en
juge par le travail du comité d'enquête, semblent éga-
lement irréalisables. L'une et l'autre reucontreront
toujours sur leur route l'opposition des communes et
de la chambre des lords, qui comptent dans leur aeio
un grand nombre d'officiers de la milice actuelle.
Le rapport du comité est sans portée; quelques
questions de détail ont seules été abordées. La grande
erreur à détruire était l'utilité prétendue de la milice
comme moyen d'alimenter l'armée ; les commissaires
n'en ont pas suffisamment fait justice. Cependant
pour quiconque veut étudier les conditions d'admission
dans les deux services, il devient évident que, loin de
OE LA riUIICB R DB L AlftUTfQUUS. bVl
s'aider, ils doîvenl 06 faire concurrenoe (1). Si une
obose doit étODner, c'est que tous les hommes ne s'en-
gagent paa dans la milice» et si quelques-uns la quittent
pour passer dans l'année, on ne peut l'attribuer qu'au
désir de toucher la prime nouvelle accordée à tout
milicien qui s'enrôle dans la ligne; peut-être aussi au
désir de courir les aventures et le monde. Si la prime
ou bounlpy comme on Ta demandé et comme on Tan-
nonce, est abolie, il est probable que le passage des
miliciens dans Tannée deviendra beaucoup plus rare.
Les commissaires ont formulé quelques avis insi-
gnifiants sur Tàge, sur la taillé des miliciens; sur la
position des adjudants, des quartiers-mattres, des
médecios» etc.; sur Torganisation de l'état-major per-
manent des régiments et sur les magasins des dé-
pôts, 6t0« Us ont proclamé quelques vérités depuis
longtemps rebattues au sujet de l'insuffisance du temps
oonsaoré aux exercices^ de la désertion, des doubles
enrôlements, etc. Dans tout cela, nous ne trouvons
MCttoe des questions de principe qu'il importait de
traiter. Quant à celles qui pouvaient éveiller les suscep-
tibilités des communes ou porter atteinte aux privilèges
tt au patronage des lords-lieutenants; quant à la
{i) €« ti*eêl pM, du rrate, la mfltee leuleineiit qui gène le recrn-
MSeoi Ù9 Tsmée; au lieu a*avoir un aeul éubliaaemeal pour ali-
nsotsr «es difrérentea arme» ou corps, PAngleterrc a imaginé une
derai-douzaine de services (les gardes, Partillerie, les marines, la
milice, etc.)» qui se font une concurrence incessante, et contribuent
iadirectsmeot à encourager la déaerUon, cette plaie incurable de
Tarmée britannique.
â2R OONSTlTimON Et PUISSANCE MIUTAIBES
nécessité d'un autre choix d'officiers; quant à la ques-
tion de la mise de la milice dans les attnbutioDS du
Horse-Guard3, etc. , les commissaires ne présentent que
de timides propositions.
Quant à la remise en vigueur du tirage au sort, que
beaucoup de gens (à tort suivant nous, eu égard à ses
défauts actuels) regardent comme devant sufiSre à
régénérer la milice, les commissaires n'en disent rien
et n'en pensent, sans doute, pas davantage.
C'est qu'il en est du ballot pour la milice, comme
Ju purchase ou de l'achat des grades pour les officiers,
comme de la conscripiion pour l'armée de ligne, etc. :
la restauration, l'abolition ou l'établissement de ces
diverses institutions, qui intéressent à un si haut degré
la puissance militaire de l'Angleterre, impliquent m
même temps une sorte de révolution sociale dcMit
l'heure n'a pas encore sonné.
Le jour où le peuple anglais aura su conquérir
autant d'égalité qu'il a de liberté, ce jour-là seulement
ces questions pourront être discutées et résolues; et,
qu'on ne s'y trompe pas, cette égalité que nous souhai-
tons à nos voisins et à l'armée britannique ce n'est pas
une égalité absolue et absurde en opposition avec les
vues de la Providence; — non, c'est celle que l'on peut
définir, comme M. de Montalembert a si éloquemment
défini la démocratie qui a droit au concours de tous
les gens honnêtes et éclairés (1) : « Celle qui reconnatt
(1) De l'avenir politique de l'Angleterre; par le comte de IfODtaH
lembert.
DE LA FRANGE ET DE L'ANGLETERRE. 839
» les lois de l'équité et de l'honneur, qui a confiance
» dans la force de la vérité et de la justice, qui ne
» réclame pour assurer leur triomphe que la liberté
» de les faire connaître» qui doit renverser toutes les
» barrières élevées contre le juste avènement de la
» multitude à la jouissance de tous les biens et de tous
» les droits qui doivent lui appartenir ; c'est l'égalité
» devant la loi, devant l'impôt et devant Vennemi; c'e$t
» raccessibilité des plus dignes à tous les emplois^ » et
nous ajoutons à tous les grades.
SECTION UL
TEOHAIfRY ou M1UCE A CHEVAL.
Nous avons peu de chose à dire sur la yeomanry .
autrefois ce corps différait de la milice en ce qu'il était
recruté par l'enrôlement volontaire exclusivement,
tandis que la milice avait recours au tirage au sort.
Aujourd'hui les conditions étant les mêmes, le balbt
étant supprimé ou tombé en désuétude, la yeomanry
peut être considérée comme une sorte de milice à che-
val, qui donne lieu aux mêmes observations que la
milice à pied.
Le yeoman est une espèce de gentilhomme fermier,
ordinairement électeur, et assez aisé pour pouvoir se
monter à ses frais. Il est exempt de payer l'impôt pour
la possession de son cheval. Il ne touche aucune solde,
à moins qu'il ne soit convoqué par Tautorité.
La yeomanry est organisée en escadrons, et forme
50 corps distincts pour l'Angleterre et TËcdbse. La
dtlÔ GOMTITUTtOfI ET PUISSANCE MlLtTAABS
constittition aristocratique de cette force, et les privi-
lèges dont elle jouit, ne se seraient guère accordés avec
le régime de sujétion et d'abaissement imposé à
rirlande. Cette partieJu Royaume-Uni n'a donc pas
de milice à cheval.
L'effectif total de la yeomanry est de 15,000 hotnmes
environ. Son service, en cas de nécessité, Tappelle à
remplir à peu près le rAle de notre gendarmerie. Elle
aide à la répression de la contrebande. En temps de
guerre, elle fournit l'escorte des prisonniers et des
déserteurs.
En temps de paix, elle peut être employée à la
répression des émeutes, et la Ville de Manchester n'ou-
bliera pas les exécutions sanglantes auxquelles la
yeomanry s*est prêtée en 1819.
Les reproches que Ton peut adresser à ce corps sont
ceux qui s'appliquent à toute la milice anglaise : il est
mal commandé, et les hommes» bien que montant cou-
venablement à cheval, sont très imparfaitement instruits
des diverses pratiques qui font un bon cavalier en cam-
pagne. Les yeomen, en général, soignent fort mal
leurs armes, leur équipement et leur habillement. Rs
ne sont pas suffisamment exercés à seller et à paqueter
militairement; leur ignorance ou leur défaut d'habi-
tude, quant à ce détail important du service de la
cavalerie^ serait très préjudiciable en eas de marches
un peu actives. La plupart des chevaux seraient bien
vite indisponibles. C'est, du reste, ce qui arrive pen-
dant l«s périodes d'exercices annuels, qui durent de
DE LA raXlfCt Et t)B L'AftOLfiTBlimiS. 98i
dit k quatorze jôur^ seulement (() s au débuti les esea-
drons sont au complet, mais quelques jours se sont à
peine écoulés que les coups de pied, les blessures, Im
refroidissements (déterminés par la manière inintoUi««
gente dont les manœuvres et les repos sont ménagés}
mettent une foule de chevaux sur la litière.
Nous avons dit que le yeoman se montait à ses frais i
pour rentretien de son habillement et de son équipe^
ment, TËtat ac^^rde 8 livres ou 78 francs par ati et
par cavalier. Lorsque celui^i est convoqué pour un
service commandé par lés autorités^ ou pour les mer^
cîces annuels, ilreçoitSshellings (3 fr. 40 e.) par Jour»
plus une indemnité de 1 sfaelling h pences (1 fr; 60 0.)
pour la nourriture de son cheval.
. Pour acquérir les qualités qui lui manquent^ au
moins dans la mesure de ce qu'il est permis d'attendre
de son organisation imparfaite et du peu de durée de
ses réunions, la yeomanry aurait besoin d'une direc--
tion théorique et pratique qui semble lui fliire égaler
ment défaut.
(i> Pour quiconque • la moindre idée du service de la cavalerie,
rinsufhsaoce du temps consacré aux exercices de la yeomanry n*a
pas besoin de discussion. •»- Sans douts l'hablindeque les imttm
otil du cbeval, doit slmpUSar to làelMi mais rinatruoUoa daa ohe-
vaux 0xig« autant de solo que ctlle des hommes. l\ s*e,n but de beau-
coup qu*un cheval, parfaitement dressé pour marcher et porter son
cavalier isolément, se résigne à manœuvrer en troupe, et à supporter
la pression dtl nng. On comprend» dès lors, les nMiM-etii accidents
et le désordre qui doivent se produire dans les nanosutrii êê la
milice à cheval.
Depuis deuit ans, le budget an((ials n*alloiie aiieuaa fonda pour la
réunion et les manœuvres de la yeomanry.
â32 CONSTITUTION BT PUISSANCE mUTAIEES
Les exercices de cette milice sont soumis à Tinspec
tioD d'oflBciers supérieurs tirés des régiments de cava-
lerie les plus voisins de ses stations^ et conduits, par
suite, de la manière la moins uniforme. En effet, ces
ofiBciers, changés tous les ans, diffèrent le plus sou-
vent entre eux quant à la méthode à suivre, ou sont
trop disposés à adopter des programmes fort conve-
nables peut-être pour la cavalerie de ligne, mais inad-
missibles pour une simple milice. Ce qu'il faudrait,
avant tout, au yeomau, c*est une sorte de manuel com-
prenant une série de mouvements parfaitement clairs,
parfaitement simples, et dont la progression une fois
adoptée serait invariablement suivie (1).
Somme toute, la yeomanry anglaise n'est pas une
institution sans valeur, et nos voisins peuvent en être
fiers sous un certain point de vue. Une pareille orga-
nisation n'était, du reste, praticable que dans un pays
riche, et constitué, socialement parlant, comme Test
l'Angleterre. Malgré toutes leurs imperfections, en cas
d'insurrection ou de guerre à l'intérieur, les cavaliers
yeomen pourraient être très utiles, et rendraient cer-
tainement de grands services si l'on n'avait pas la
maladresse de les employer en ligne comme de la cava-
lerie r^ulière. Leur connaissance parfaite des routes,
des chemins de travei-se, des défilés, des gués, des
(i) Lord R068 a publié une UiéoHe de ceUe espèce, mais, si nous
sommes bieo informé, elle est irop savante el demanderait, pour
être mise en pratique, des terrains de manoeuvre comme on Q*en
rencontre peulrétre pas deux, du nord de VÊawe au sud de l'An-
gleterre.
DE LA FRANGE ET DJE l' ANGLETERRE. S3S
bois, etc., en un mot des obstacles de toute nature que
présente le territoire de leur comtés les rendrait sur-
tout précieux en cas d'invasion. Disséminés sur la c6te,
et organisés de manière à relier entre elles les stations
télégraphiques qui ne sont pas en communication, ils
fourniraient d'excellents auxiliaires pour surveiller les
mouvements d'une flotte ennemie et faciliter les moyens
de gêner un débarquement.
SECTION IV.
ORGANISATION DES PENSIONNAIRES.
Au chapitre XI, nous avons vu que Ton désignait,
dans le principe, sous le nom de pensionnaires {out
CheUea pensianers) les militaires réformés pour leurs
blessures, et que l'exiguïté des ressources ne permet-
tait pas d'admettre à. l'hôtel des invalides de Chelsea.
A l'époque de la fondation de cet établissement, les
soldats blessés étaient les seuls auxquels le gouverne-
ment anglais accordât des secours après leur libération.
Plus tard (1), le droit à une pension fut étendu à tous
les anciens soldats renvoyés du service, et, depuis 1806,
de nombreuses ordonnances ont successivement modi-
fié et réglementé la condition des pensionnaires mili-
taires. Enfin, lors de l'abolition de l'engagement à vie,
il a été décidé que tout militaire aurait droit à une
(i) G*est en 1806 seulement, que le droite la pension de reUnéte
a été acquis aux anciens militaires non blessés. La décision du
Parlement, sur cette question, porte le nom d*acte de VVindham
{Windkam'8 Aet),
pension de retraite aprà» fiqgt et uu ana de aenrîoe
dans rinfimterie, et vinut-qiMti^ ana dans la cayalerie,
Vartilkirie et le génie-
La opMéquence oaturdte de cet diverves meaures «
été d'aeerottre d'année en année le nombre des peo^
fHûnnaires; et m peut Tévalner actu^ment de
L'organisation des pensionnaires est un des hodk
breux palliatifs sur lesquels nos \oisins croient pouvoir
compter afin de suppléer à Vinsuifisance de leur armée
régulière. Aux termes de cette organisation (qui a
soulevé de nombreuses critiques, comme nous le ver-
rons plus loin), tous les scddats ang^s retraités sont
soumis à certaines obligations {dus ou mœns oompa*
tibias avec leurs infirmités et leur flge. Us sont aatraiots
à des eiercices périodiques; en cas d'insurrection oo
d'invasion, ils doivent coneourir à la défense des lois
et du territoire.
Chaque pensionnaire, au moment de son admîssJOD
dans le corps, reçoit 36 fr. (i livre) pour se procurer
ses effets de petit équipensent (nee^Mries) (9). Cette
allocation, que l'on nomase improprement, par ana-
logie avec ce qui a lieu pour les autres corps, la prime
ou gratification {hom^) du pensionnaire enrôlé, est
plutôt une sorte de gage^ en échange duquel ce mili-
(i) Le nombre des peDsionnaires était de 5,600, en ilhh;
Si ta,OSO, on t7St ; do 17,000, OB 170»; do A7»«S0, on ISiS ; - il
iTélovaU, on iS6S, à 6a,0S4 bOfliMt»
(S) U mol iMMoHif lopood I GO ftto mmo nonmoBs, oa FiiMe,
la mane de Unge et cliaussure.
u tk wmhMM n DE t*Aimvrmi. 8ft5
tairo doit aai B«nrioo8 à TËtat pour am anpiée Mtièfe,
Le teriM «pire, il peut être renvoyé, eomme il peut
Mre Gonservé sur les oontrèlei.
Lorsque les pensionnaires enrôlés sont convoqués,
soit pendant la période des exerctoeSf soit pour venir
en aide aui autorités civiles (1)» les sergents reçois
voni uile solde journalière de ft fr. 60 c. (S shelliogs)}
las caporaux touobent & fr, (9 shellings et 6 penoes);
les simples pensionnairss, S fr. 40 e. (S slMllings).
L'habillement doit durer sept ans.
La période des nereices annuels n'a jamais dépassé
douse jours, si même elle a jamais atteint ce o^iffrs
depuis l'organisation.
En résumé, si l'on veut se rendre compte des dé**
penses du corps des pensionnaires, ou voit que l'Ëtat
paye d'ahord, au titre de la prime, autant de milliers
do livres sterling qu'il a de milliers de pensionnaires
Les dépenses réunies de Thabillement et de la solde,
pendant les journées d'exereice, peuvent aussi être
évaluées, annuellement, à i livre par pensionnaîre*
Nous avons dit que 116 officiers, répartis entre
l'Angleterre, l'Irlandç et les colonies, étaient chai^
de oommander et d'admiaistrer les pensionnaires. Ces
ettoiers, divisés en deux classes, touchent un su|qplé>«
ment de solde de 1 et 2 shellings par jour.
Le emrpe entier art sous la surveillance d'un direc-
teur {mUitary MuperùUmdamt) et d'un sous^irecteur
(i) En ess de réMllos.
SS6 GOMSTmmoN et puissance iiilitaiees
{assistant-superintendant), qui, tous les deux, appar-
tiennent au personnel du War-Office (8* bureau).
Les dépôts pour rorgauisatioQ et la solde des pen-
sionnaires sont :
l* Pour r Angleterre et l'Ecosse :' Âberdeen, Ayr,
Bath, Birmingham, Bolton» Brighton, Bristol, Cam-
bridge, Caoterbury, Carlisle, Chatbam, Chesler,
Goventry, Derby, Dundee, Edimbourg, Exeter, Fal-
mouth, Glascow, Gloucester, Halifax, Hull, Invemess,
Ipswich, Jersey, Guernesey, Leeds, Leicester, Lincoln,
Liverpool, Londres, Lynn, Manchester, NewcasUe sur
la Tyne, Northampton, Norwich, Notlingham, Oxford,
Paisley, Perth, Plymouth, Portsmouth; Preston, Shei^
field, Shrewsbury, Southampton, Stirling, Stockport,
Taunton, Thursowick, Trowbridge, Gardiff, Car*
marthen, Wolwerhampton, Worcester, York.
2"" Pour l'Irlande : Armagh, Âthlone, Ballymena,
Belfast, Qirr, Carlow, Cavan, Clonmel, Cork, Dublin,
Ennis, Enniskillen, Galway, Kilkenny, Limerick, Lon-
donderry, Longford, Monaghan, Newry, Omagh, Ros-
common, Sligo, Tralee, Tullamore, Waterford.
d"" Pour les possessions esotérieures : Toronto,
Montréal, Bytown, Ha;milton (Canada); Onehunga
(Nouvelle-Zélande)) ; Perth, Fremantle (Australie occi*
dentale) ; Hobart-Town (Tasmanie ou Terre de Yan-
Diemen).
Nous avons dit que l'institution des pensionaaii»
enrôlés avait soulevé de nombreuses critiques en Ai^le-'
terre. Son premier adversaire fut lord Wellington.
Lors de la discussion du projet d'organisation au Parie-
DB LA FEANCE Kî DB L ANGLETERRE. 337
meDt, en I8A/1, l'illustre duc combattit de toutes ses
forces les couclusions de lord Hardinge, alors comman-
dant en chef de l'armée anglaise, et rédacteur de la
proposition.
Aujourd'hui, après quinze ans d'expérience, il
semble facile de prononcer avec certitude sur un débat
auquel les circonstances actuelles donnent un intérêt
nouveau. Plus qu'à aucune autre époque, en présence
de l'augmentation toujours croissante de leur budget
de la guerre, en présence des diflBcultés que rencontre
le recrutement de leur armée, nos voisins doivent évi*
ter toute chaire inutile, et supprimer les non-valeurs
de leur établissement militaire. Toute dépense au titre
du personnel qui ne se traduit pas en une force bien
effective, et susceptible d'être employée acUvemenl, soit
à riatérieur, soit à l'extérieur, doit être rigoureuse
ment rejetée. Or, ramené à ces termes, quel est le
bilan des dépenses et des services du corps des pen-
sionnaires enrôlés? Depuis I8/1&, ces vétérans ont
coûté à l'Angleterre de 20 à 25 millions (1). Sauf la
part fort mince et fort contestée qu'ils ont prise dans la
répression des troubles de Glascow et d'Irlande, on
peut dire que leurs services, quant à l'intérieur, se
réduisent à zéro. En ce qui regarde les possessions exté-
rieures, les tentatives de colonisation au moyen des
pensionnaires ont donné des résultats tels que l'on
semble bien décidé à ne plus renouveler aucun essai
(1) Pour Tannée 1860-1861, le crédit, qui figure au budget pour
les enrôlés pen^nnalres» est de 60,000 livres ou un million de
francB.
22
888 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
de ce genre. C'est, du moins, ce que Ton peut conclure
au dernier appel fait aux volontaires des différents
corps de Tannée pour l'organisation du détachement
des îles Falkland. Les pensionnaires enrôlés n'ont cou-
couru en aucune façon à la formation de ce détache-
ment.
La colonisation à l'aide d'anciens soldats est une
idée qui a eu ses partisans en Angleterre comme en
France. Aujourd'hui, dans les deux pays, on semble
avoir renoncé à ce système. Toutefois, Texemple de
l'Angleterre est si souvent invoqué en France, lorsqu'il
s'agit de colonisation , qu'il y a certainement intérêt à
rechercher les causes déterminantes du revirement
d'opinion que nous venons de signaler chez nos voisins.
Chacun sait ce qu'il est advenu des villages militaires
fondés en Algérie en 1846. L'historique d'une tenta-
tive semblable, faite à la même époque par les Anglais,
nous semble fournir matière à plus d'un enseignement
utile pour notre colonie africaine.
Cest précisément en 1846, à l'époque où le maré-
chal Bugeaud, gouverneur de l'Algérie, se déclarait le
promoteur le plus ardent de la colonisation militaire,
que le comte Grey, gouverneur de la Nouvelle-Zélande,
proposa au gouvernement anglais l'envoi d'un premier
détachement de pensionnaires dans cet établissement.
Cette proposition souleva, dès le début, une vive oppo-
sition, tant dans la métropole que dans les colonies.
Dans un rapport destiné à mettre en lumière les causes
de diverses sortes qui avaient fait échouer les essais
de colonisation militaire dans l'Amérique du Nord,
M LA niAlICB 8T DE l'aHOLETERU. A39
lord Durham présenta les oonaidérations suirantes»
qui méritent de fixer l'attention : « Il sera toujours
y> difficile de transformer d'anciens soldats en véritables
» colons; mais rien n'est plus aisé que de démililariser
» de bons soldats par des tentatives de ce genre. Il est
x> indubitable que si les pensionnaires pouvaient deve-
x> nir de bons colons, ils formeraient une meilleure
» milice que la population civile des nouveaux établis-
» sements, mais toute la question est dans cette hypo-*
B thèse. »
Suivant lord Durhdm, les militaires ainsi transplan-
tés dans des conditions et dans un pays pour lesquels
ils n'étaient pas préparés, ne devaient y rencontrer
que misères et déceptions. Objet de répulsion et de
mépris pour leurs voisins, ils devaient s'abandonner
bien vite à l'ivrognerie et au découragement. Avant
peu d'années, ceux dont les excès n'auraient pas causé
la mort ne seraient plus que des mendiants et des vaga-
bonds beaucoup moins aptes à défendre les établisse-
ments que les colons miliciens, qui auraient à protéger
leurs familles et des biens acquis à la sueur de leur
front.
Les pensionnaires de la Nouvelle-Zélande semblè-
rent, dans le principe, devoir vérifier en tous points
ces tristes prédictions ; mais, certaines circonstances
accidentelles ayant amené les colons à les employer, il
en résulta un rapprochement et des relations plus cor-
diales entre la population civile et la population mili-
taire. La première ne tarda pas à reconnaître de quelle
utUité pouvah lui être le concours de la seconde, et
S&O CONSTITUTION BT PUISSANCE MILItAmSS
les bénéfices que celle ci réalisa par son travail modi-
fièrent bientôt, de la façon la plus heureuse, ses goûts
at ses habitudes.
Deux délibérations du conseil municipal d'Auckland,
en 1852, et du comité du conseil provincial, en 1857,
sont surtout de nature à caractériser la faveur tou-
jours croissante obtenue dans la colonie par les pen-
sionnaires enrôlés. Dans le premier de ces documents,
les autorités civiles refusent de concourir aux dépenses
de rétablissement des pensionnaires. Elles invoquent
les règles particulières auxquelles ils sont soumis en
conséquence de leur caractère militaire, pour ne pas
les ranger dans la catégorie des émigrants ordinaires.
Enfin elles font valoir Tâge et les habitudes de ces vété-
rans comme un obstacle à leur emploi dans les exploi-
tations et les défrichements.
Dans la délibération de 1 857, au contraire, le comité
du conseil provincial reconnaît hautement tous les
avantages que la colonie a retirés de l'envoi des pen-
sionnaires enrôlés. Il demande que de nouveaux déta-
chements soient dirigés sur la Nouvelle-Zélande; enfin
il propose que des logements leur soient préparés, et
que des concessions de terres leur soient accordées et
garanties.
Il semblerait, en présence de cette dernière déclara-
tion, que la cause de la colonisation miUtaire était
définitivement gagnée. Malheureusement il n'en était
rien, au moins quant au but que s'était proposé le
gouvernement anglais. Une partie de la question était
DB LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 3Ai
bien résolue, il est vrai, mais c'était au complet détri«-
ment du côté militaire de l'institution.
En effet, par l'organisation des pensionnaires-colons,
le gouvernement anglais avait surtout en vue d'alléger
le service de Tannée régulière. En implantant dans les
colonies un élément discipliné, rompu au métier des
armes, il espérait mettre ces établissements en position
de se défendre eux-mêmes ; il comptait affranchir peu
à peu la mère patrie de$ charges de leur protection.
Pour qu'une pareille combinaison eût chance de
réussite, il aurait fallu que les habitudes de soumission
et l'esprit militaire des pensionnaires-colons se conser-
vassent intacts. L'organisation politique et administra-
tive de la Nouvelle-Zélande ne l'a pas permis. C'en
était fait de toute discipline du jour où les habitants
des villages militaires furent appelés à exercer les
droits que leur conférait le système représentatif ou le
self-govemment octroyé aux districts dont Auckland est
te chef-lieu (1). Dès les premières élections, on vit
(1) Les viUages û'Onehunga, Otahuhu, Parmure et Botvick, créés
|Mir les peosionnaires, forment une sorte de chaîne d*avant-postes
aotoar da chef-lieu delà Nouvelle-Zélande. Les conditions, dans les-
quelles ces établissements ont été formés, offrent une certaine ana-
logie avec celles qui étaient imposées aux colons militaires de TAl-
gérie. Chaque pensionnaire, en arrivant à Auckland, était mis en
possession d*une petite maison composée de deux chambres, et en-
tourée d*un jardin d*un arpent. Au bout de sept ans de service ou
de résidence, — de locataire, le pensionnaire devenait propriétaire
de Fimmeuble dont il avait la Jouissance, à la condition, toutefois,
de ne pas accepter d'occupations de nature à le retenir à plus de
dnq milles de son domicile. 11 était tenu, en outre, à assister tous
les dimanches à une sorte de parade militaire devant Téglise de son
Sb!'! COIfSTITUTION ET PUISSANCE MlUTAiaBS
des soldats poser leur candidature en face de celle de
leurs officiers, et un simple pensionnaire figurer sur
une liste au milieu d'une douzaine de ses supérieurs.
 partir de 1852, année où la charte de la NouTelle*
Zélande fut mise en vigueur, on peut dire que rinsti-
tution des colons-pensionnaires était virtuellement
abolie» du moins quant à la partie miliiaire de Torga-*
nisation. Les officiers se trouvaient complètement
désarmés devant des soldats devenus électeurs et indé-
pendants. Toute discipline avait disparu ; les décisions
du War*Office devenaient lettre morte devant Tautô-
rite d'un conseil provincial qui s'arrogeait le droit de
les contrôler. Bref, la colonisation militaire était jugée,
et, quels que fussent ses avantages à d'autres égards,
le gouvernement anglais avait reconnu l'impossibilité
de la faire servir aux projets qu'il avait en vue,
lorsqu'il s'était décidé à adopter la proposition de lord
Grey(l).
village. Enfin, il devait prendre part, tous les ans, à des exercices et
manœuvres dout la durée était fixée k douze jours.
Deux ou trois ans après leur arrivée dans la colonie, la plupart
des pensionnaires avaient cessé de se conformer à ces prescrîpUoas.
Un grand nombre était rayé des contrôles, et ceux qui étaient iiiai»-
tenus, en fait d'tiabitudes militaires, ne semblaient guère oooaenrer
que celle de toucher exactement leur solde. losensiblemeiit, cette
circonstance était devenue la seule qui les obligeât encore à rester
en relation avec les officiers et les sergents de leurs compagnies»
(1) En général, dit Macaulay, lorsque les soldats en vienneot a
's'ériger en assemblée politique, à nommer des délégués, à prendre
des résolutions sur des questions d'Ëtat, ils ont bien vite secoué tout
Joug et brisé tout frein ; ils cessent de former une armée pour oe
plus représenter que la plus détestable et la plus da«gereMe des ca«
DE LA FRANGE ET DE l'aNGLBTBIIIUS» &&S
Mous D'insisteroDS pas davantage sur rinsucoès des
diverses tentatives faites dans les colonies anglaises,
afin d*tUili$er les pensionnaires enrôlés.
A Textérieur GOmme à l'intérieur, cette institution,
depuis sa création, ne semble avoir absolument rendu
aucun service. Peut-être nos voisins auraient-ils tout
avantage à imiter la conduite que nous avons adoptée
à l'égard de nos vétérans. Outre que ce corps a tou-
jours été organisé, en France, dans des proportions
très restreintes, eu égard à l'ensemble de l'armée, son
effectif, loin d'aller en augmentant d'année en année,
ainsi que cela a lieu en Angleterre, a été successive^
ment diminué. Aujourd'hui, des 38 compagnies de
vétérans que l'on comptait en France en 1848, il en
reste seulement 7, qui sont appelées à disparaître, très
probablement, comme leurs devancières (1).
En résumé, il ressort des chiffres donnés plus haut,
que la dépense des pensionnaires enrôlés (primes,
solde de Tétat-major, habillement, solde de la troupe
naiUes. [In gênerai, soldiers who should form themselves into poli-
tical clubs, elect delegates, and pass resolutions on high questions
of State, tvould soon break loose from ail control, tcould cease ta
form an army, and would become the worst and most danyerous of
mobs.)
(1) En 18Û7, le corps des vétérans comprenait : 8 compagnies de
sous-officiers, 10 compagnies de fusîUers, /i compagnies de cavaliers,
13 compagnies de canonniers, 1 compagnie du génie, 2 compagnies
de gendarmerie.
On ne compte plus aujourd'hui, au titre des vétérans, qu'une
compagnie de gendarmerie, une compagnie de sous-officiers, une
compagnie de fusiliers, et /i compagnies de canonniers.
â/tA CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIBES, ETC.
pendant les exercices, etc.) équivaut à peu près à
celle de deux régiments de ligne* La même somme,
affectée à l'entretien des pensionnaires les plus valides
sur un pied permanent, permettrait de former 5 ou
6 bataillons sédentaires ou de garnison, qui rendraient
disponibles autant de milliers d'hommes de la ligne.
En cas d'invasion ou d'insurrection, c'est, en réalité,
le véritable chiffre de l'appoint qui serait apporté à
l'armée anglaise par le corps des pensionnaires enrôlés.
Seulement, dans l'organisation actuelle, ces quelques
milliers d'hommes disséminés dans toute l'étendue du
Royaume-Uni sont bons, tout au plus, pour figurer sur
le papier.
CHAPITRE XYU.
Composition de l'armée de secondé ligne en Angleterre ; corps auxi-
liaires et réserves (suite). — Section 5 : Réserve (army reserve
force). Organisation, composition de cette force; — obligations
imposées anx enrôlés; -~ droits et avantages; — comparaison
arec le système de la réserve française; — organisation nouvelle
donnée en France aux jeunes gens laissés dans leurs foyers; •*
résultats obtenus, — le principe de la réserve anglaise est le
point de départ d*une véritable révolution dans la constitution des
armées; — ce système pourrait-il être adopté en France? — pro-
positions; — delà réduction des dépenses militaires; — motHs
qui empêchent de désarmer; — la France ne peut réduire son
état militaire; — coup d*œil sur ses frontières; — les économies
ne peuvent être réalisées que par les perfectionnements dont Tor-
ganisation de la réserve est susceptible; — évaluation de la dé-
pense d*une réserve de 100,000 hommes organisée d'après le sys-
tème anglais, ~ Section 6 : Organisation des troupes de la
douane anglaise (coast-guards) : Composition, ^ effectif, — ser-
Tice, — prix d*entretien, — force qui pourrait concourir à la dé-
fense territoriale en cas d'invasion. — Section 7 : Bataillons des
chantiers maritimes {dockyard's battalions) : Composition et
effectif de ces corps; — un mot sur la police anglaise; — avan*
tages que présente une gendarmerie solidement organisée.
SECTION V.
RisEEVE ANGLAISE (army reserve force).
L'institution d'une réserve proprement dite, c'est-
à-dire présentant une certaine analogie avec les orga-
nisations militaires de même nom adoptées par les
346 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Ëtats continentaux, est une création toute récente dans
Tarmée anglaise. Chez nos voisins, cette force se com-
pose, sous certaines conditions, de tous les militaires
qui sont libérés du service avant d'avoir accompli le
temps exigé pour l'obtention d'une pension de retraite.
Antérieurement à l'abolition de l'engagement à vie,
le nombre des soldats qui rentraient dans la vie civile,
pouvant encore être utilisés pour la défense du
royaume, était naturellement fort restreint. Jusqu'à la
guerre de Grimée, le soldat anglais, à moins d'une con-
duite incorrigible ou d'infirmités le rendant absolument
impropre au service, ne quittait guère l'armée que
pour entrer dans les pensionnaires ou aux invalides de
Chelsea.
Depuis la nouvelle législation sur les enrôlements,
le nombre des soldats qui se retirent à l'expiration de
leur congé, ou avec une pension simplement tempo-
raire, doit tendre nécessairement à s'acorottre chaque
année (1). Cette considération, au milieu des difficultés
sans nombre du recrutement de l'armée britannique, a
donné naissance à l'organisation de la réserve. OUigé
de recourir à tous les moyens, à tous les systèmes,
pour suppléer à la pénurie des éléments militaires que
présente la population, le gouvernement a espéré, par
cette institution, maintenir les liens qui unissent les
anciens soldats à l'armée et pouvoir s'assurer leur
concours dans le cas d'éventualités pressantes.
(1) Les engagements militaires se contractent aujourd'hui pour
dix années au lieu de vingt, et il n'y a plus d'enrôlements à vie.
DC LA FHAifGB BT DE L'àNGLETERM. 3b7'
L'acte du Parlement (22 et 28 Victoria, chap. 42),
qui autorise l'enrôlement des anciens soldats de l'ar-
mée de ligne et de la compagnie des Indes dans la ré-
serve, stipule que leur effectif ne devra pas dépasser
20,000 hommes.
Les officiers chargés de l'administration et du
commandement des pensionnaires [the staff officers of
pensianers) dans les différents districts de la Grande*
Bretagne sont aussi provisoirement chargés de Torga-*
nisation et de l'enrôlement des hommes de la réserve.
Une circulaire du War-OfBce, en date du 29 dé-
cembre 1859, fixe de la manière suivante les bases de
cette organisation :
l"* Tout homme qui désire s'enrôler dans la réserve
doit avoir terminé le temps de service pour lequel il
s'était engagé dans l'acmée de ligne. S'il a été congédié
avant ce terme, il doit avoir complété au moins cinq
ans de service sous les drapeaux.
^ Il ne doit pas s'être écoulé plus de cinq années
entre la date de sa libération et celle de son admission
dans la réserve.
y n doit avoir sa résidence dans les limites de la
circonscription du district des pensionnaires dans lequel
il contracte son engagement ( 1 ) . ^
k' Il doit être exempt de toute infirmité de nature à
'le rendre impropre à un service actif.
(1) A moins d'autorisation spéciale, cette résidence ne doit même
pas être distante de l'état-major des pensionnaires de plus de
99 milles (AS kUomètres environ)
3&S CONSTITUTION ET PUISSANCE MlUTAiaCS
5"" Il De doit pas avoir été renvoyé de l'année de
ligne pour mauvaise conduite.
Tout ancien soldat admis dans la réserve anglaise a
droit aux allocations suivantes :
l"" Il reçoit chaque année une somme de & livres
(100 fr.), divisée en quatre payements trimestriels.
T Si le gouvernement réclame sa présence sous les
drapeaux, il touche, pendant tout le temps de son ser-
vice actif, la solde et les allocations auxquelles il avait
droit, suivant son grade et les tarifs de Tinfanterie, au
moment où il a été libéré.
y II a droit à une indemnité de 1 penny (5 centimes
et demi) par mille, tant pour se rendre au lieu de la
convocation que pour retourner chez lui.
&* Tous les sept ans, s'il n'est pas convoqué, et plus
souvent en cas de service actif, il a droit à un habille*
ment complet.
5** S'il est blessé ou estropié en service actif, il a
droit à la pension qui lui aurait été accordée suivant
son rang dans l'armée de ligne.
6* S'il n'est pas pensionné comme invalide, il peut
arriver, par sa bonne conduite, à toucher la pension
que les règlements assignent à son grade, en comptant,
pour compléter le temps exigé et à raison de moiUé de
leur nombre effectif, les années passées dans la ré-
serve.
Les obligations auxquelles sont soumis les hommes
de la réserve anglaise sont les suivantes :
l"" Tout ancien soldat qui s'enrôle dans ce corps doit
s engager à servir pendant le temps nécessaire pour
M LA FRANGE ET DB L ANGLETERRE. 3A9
compléter 21 années s'il appartenait à l'infanterie, ou
24 s'il sort de la cavalerie, derartillerie ou du génie.
(Ainsi qu'il a été spécifié plus haut, deux années de
service dans la réserve équivalent seulement à une an-
née dans l'armée active.)
2^ Chaque année, il doit suivre pendant douze jours
les exercices et manœuvres du régiment, du dépôt ou
du détachement de pensionnaires sur lequel iL est
dirigé.
•V II ne doit pas quitter le district dans lequel il est
enrôlé, ni changer sa résidence sans en donner avis.
&• Il doit se présenter une fois tous les trois mois à
Tétat-major des pensionnaires de son district pour tou-
cher son allocation trimestrielle.
5* En cas de guerre, s'il est convoqué pour le ser-
vice actif, il doit se rendre au régiment ou au dépôt
qui lui est désigné, et il doit rester sous les drapeaux
aussi longtemps que sa présence est réclamée.
6* En cas de guerre ou de réunion pour les exer-
cices et manœuvres, il est soumis au code de l'armée
[articles of war) et tenu d'obéir aux autorités mili-
taires.
7° Lorsqu'il a complété le temps de service exigé
pour la pension, il est obligé, jusqu'à l'âge de cin-
quante-cinq ans, de servir dans les pensionnaires enrô-
lés aux conditions et suivant les règles établies pour
les hommes qui appartiennent à ce corps.
8* En cas de non-accomplissement des diverses obli-
gations indiquées ci-dessus, il est exposé à perdre tous
les droits et tous les avantages spécifiés dans le règle-
350 CONSTITUTION ET PUISSANCE ttlUTAIRBS
ment d'organisation, sans préjudice des châtiments qai
peuvent lui être inQigés, le cas échéant, par les cours
martiales.
Les officiers chargés de l'administration des pension-
naires dans les différents districts de la Grande-Bre-
tagne doivent tenir les contrôles des hommes qui s'en-
rôlent dans la réserve (1). En r^ard de cette
immatriculation, qui a Heu sur la présentation du cer-
tificat de libération délivré par le corps auquel appar-
tenait l'enrôlé, doivent figurer tous les renseignements
établissant sa position, tels que : numéro de l'ancien
régiment, temps de service accompli dans l'armée ac-
tive, durée de l'engagement dans la réserve. Age, do-
micile,etc.
Au moyen de ces indications, la plus grande facilité
est obtenue pour la surveillance, les convocations, la
solde, etc., des hommes de la réserve. Pour assurer
l'établissement régulier de leurs droits à la pension de
retraite, l'officier chaîné de la tenue des contrôles doit
y inscrire soigneusement toutes les périodes pendant
lesquelles les hommes sont employés en service actif ou
(1) Voici la formule de renrôlement pour la réserve r
I — do déclare that I was discharged from the — Régiment af —
after a service of - years; that 1 am of tbe âge of — ; aod ttaat, pro-
vided my services shall so loog be required, 1 wlil serve ber Majesty,
ber beirs and successors, in the Reserve force enrolled or to be en^
rolied for service within the onited Kingdom, in virfue of tbe acl
noted in the margin (*22 et 23 Vli^. c. Zi2), for sucb a period as,
reckoned at the rate of two years for one may be required io com-
plète — years'service.
(Signature.)
Declared before. »e« Signature eu Juge de |kiIjl)
DK'LA FRAIIGB ET DE L ANGLETERRE. 55 1
permanent. Lorsque ces périodes se prolongent au delà
de trois mois, elles ne sont plus décomptées, et c'est
de toute justice, sur le pied du service ordinaire fait
dans la réserve, mais bien pour leur durée effective,
comme dans l'armée active.
L'espèce de panique chronique dont nos voisins ..
semblent périodiquement affligés depuis quelques an-
nées, n'est sans doute pas étrangère à la récente orga-
nisation de la réserve anglaise. Cependant, cette insti-
tution ne doit pas être rangée dans la foule de ces
créations bizarres et confuses dont l'ensemble offre ac-
tuellement un véritable chaos, et au moyen desquelles
on a cherché, de l'autre côté du détroit, à suppléer à
rinsuffisance de l'armée régulière.
Si l'antagonisme de ces divers systèmes ne peut
aboutir, suivant nous, qu'à augmenter encore les diffi-
cultés que rencontre le recrutement des troupes de
ligne, il est possible, au contraire, que le principe sur
lequel repose Torganisation de la réserve contienne en
germe toute une révolution dans la constitution des
armées modernes.
Dans les conditions actuelles, il est évident que l'en
tretien d'un état militaire respectable est, pour toute
les puissances en général, la source de charges de jour
en jour plus écrasantes et dont il faudra bien tôt ou
tard se décider à alléger le poids .
Or, le problème à résoudre, celui que Napoléon I"
s'était proposé comme une vue d'avenir, et quand il
pourrait substituer une armée défensive à une armée
conquérante; — le problème que chaque nation doit
553 CONSTITUTION ITT PUISSANCE MILITAIRES
résoudre aujourd'hui, c'est de constituer son année de
manière que , toujours forte , instruite, exercée ,
et surtout toujours disponible en cas de guerre^ elle ne
soit pas, en temps de paix ^ trop onéreuse pour le trésor
public.
L'organisation perfectionnée des réserves peut seule
conduire à la solution de cette grave question.
Depuis la loi de 1832, larmée en France est com-
posée:
lo De l'effectif entretenu sous les drapeaux: 2* des
hommes laissés, — ou envoyés en congé dans leurs
foyere.
Cette seconde portion de l'armée, autrement dit la
réserve, se compose donc elle-même, comme on le
voit, de deux éléments bien distincts.
Chaque fois qu'il y a lieu de réduire l'effectif, des
cmgés illimités sont délivrés dans chaque corps aux
militaires les plus anciens de service effectif sous les
drapeaux, et de préférence à ceux qui le demandent.
Rendus à la vie civile, ces militaires, jusqu'à Texpira-
tion du temps de service fixé par la loi, demeurent à la
disposition du gouvernement. En cas de guerre, ils
doivent, au premier ordre, rejoindre sans délai les ré-
giments sur les contrôles desquels ils continuent à
figurer.
Les jeunes gens désignés par le sort pour faire par-
tie du contingent annuel, et que leur numéro n*a pas
appelés sous les drapeaux, sont laissés dans leurs foyers
et placés dans les mêmes conditions que les soldats en
congé illimité; ils restent également à la disposition du
DB LA FEANCB ET DE l' ANGLETERRE. âSâ
gouvernement jusqu'à l'expiration des sept années
pendant lesqueUes la loi les soumet au service militaire.
On comprendra facilement toute la différence qui a
séparé jusqu'ici les deux catégories d'individus compo-
sant la réserve française. On peut dire que, pendant
longtemps, les jeunes gens non appelés ont représenté
des hommes, mais nullement des soldats effectifs. Toute
la consistance de la réserve ne reposait en réalité que
sur le nombre plus ou moins grand des militaires en
congé illimité. En cas de guerre ou d'augmentation
d'effectif, ces derniers étaient les seuls, en effet, quMl
fût possible de mettre immédiatement en ligne. Quant
aux conscrits qui n'avaient jamais rejoint, leur éducs
tion militaire étant tout entière à faire^ on ne pouvait
compter sur eux en cas d'éventualités pressantes; ils
constituaient seulement une ressource pour une se-
conde campagne.
Cette organisation était essentiellement défectueuse.
Constituée comme nous venons de le dire, la réserve
française pouvait résoudre le côté financier de l'insti-
tution, elle pouvait être économique; mais, par la
force même des choses, elle cessait de présenter les
garanties de solidité qui doivent caractériser une véri-
table réserve, précisément au moment où ces condi-
tions étaient plus impérieusement réclamées par les
circonstances.
Qu'arrivait-il, en effet, le plus souvent?
Lorsqu'une question grave venait à surgir (et com-
bien de ce genre ont agité l'Europe depuis 1815!),
lorsque Thorizon était menaçant, la répugnance chaque
23
356 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAiaES
jour plus profonde des nations modernes pour la guerre
engageait à tenter tous les efforts, à épuiser tous les
moyens pour arriver à une solution pacifique. Pendant
les évolutions de la diplomatie dans ce but, le temps
marchait, et des années s'écoulaient quelquefois au
milieu du malaise, des inquiétudes et des alarmes qui
accompagnent les situations tendues. Pendant ces pé-
riodes difficiles, la France, comme les autres États,
était obligée de supporter toutes les charges d'un pied
de guerre ruineux, mais dont la prudence faisait une
loi. Si elle n'appelait pas sa réserve sous les drapeaux,
encore moins pouvait-elle se hasarder à diminuer l'ef-
fectif de son armée active.
Cette réserve, pendant ces années d'incertitude et
de paix armée, ne recevait donc plus de soldats en
congé illimité. Elle allait s'appauvrissant, s'affaiblis-
sant de jour en jour par l'insuffisance du seul élément
réellement militaire qui fît sa force. Loi*sque la diplo-
matie avait vidé son arsenal, lorsque l#s conférences et
les congrès avaient successivement échoué, si un casus
MU soudain venait à déterminer les hostilités, la
France se trouvait n'avoir pour réserve que des con-
scrits qu'il fallait former à la hâte, et qui de
longtemps étaient incapables d'alimenter Tannée
active.
A une époque où les progrès, où les améliorations se
succèdent sans relâche, l'imperfection du système de
la réserve, démontrée par les guerres de Crimée et
d'Italie, ne pouvait manquer de fixer Tattention. Delà
à une réforme, il ne devait y avoir qu'un pas sous FiiD-
DB hk FRANCB KT DE L ANOUrrOM. 355
pulsion vigoureuse et centralisée qui, en France, fait
mouvoir tout ce qui tient à Tarmée.
Partant de ce principe, que la réserve doit se grossir
de tout l'excédant dont les circonstances permettent de
soulager Y effectif soldée et qu'elle doit aussi, d'un autre
côté, toujours être en mesure d'élever le chiffre de
l'armée active à la hauteur des éventualités, en lui res-
tituant, pour les besoins de la guerre, ce qu'elle en a
reçu pendant les chômages de la paix, deux moyens
également pratiques semblaient se présenter en France
pour donner à cette institution la solidité nécessaire,
tout en conservant l'organisation économique qui lui
permet d'alléger les charges militaires imposées au
pays.
On pouvait développer et assurer cette solidité en ne
laissant aucun des éléments qui composent la réserve
sans un degré suffisant d'instruction et d'éducation
militaires; on pouvait aussi modifier la loi quant au
chiffre des contingents el quant à la durée du temps
effectif à passer sous les drapeaux, de manière à verser
chaque année dans la réserve (en échange des nou-
veaux conscrits admis dans les coi*ps) un nombre d'au*
ciens soldats suffisant pour assurer sa consistance mili-
taire.
En adoptant lé premier de ces deux systèmes, on ne
devait plus attendre, comme par le passé, qu'une guerre
fût déclarée pour commencer le dressage de la portion
des contingents qui est laissée dans ses foyers et qui
forme la majeure partie de la réserve.
En militarisant à l'avance les jeunes gens non appe*
â5G CONSTITUTION ET PUISSANCE tflLITAIRBS
lés, de manière à les mettre à même de pouvoir servir
immédiatement, en cas d^ besoin, au moins k Tiiité-
rieur, on constituait une véritable armée de seconde
ligne à laquelle la défense du territoire et la garde des
places fortes pouvaient être confiées. On rendait l'ar-
mée active entièrement disponible pour Textérieur.
Cette combinaison, fort simple en apparence, une
fois admise, quelle marche devait-on suivre pour la
mettre en pratique?
La non-instruction de la réserve française, qui jus-
qu*ici n^avait eu que des hommes numérotés et non des
Yïomaïd^ disciplinés ; la nécessité reconnue d'alléger les
dépenses, avaient bien fait nattre de nombreuses cri-
tiques et presque autant de propositions; mais auquel
de ces anciens projets fallait-il recourir? Devait-ou,
comme en 183â, supprimer un bataillon par régiment
d'infanterie et employer les cadres rendus disponibles
à la formation de dépôts chargés d^instruire les jeunes
gens? Êtait-il préférable, suivant le projet discuté en
18/i8, de disséminer dans les 3,000 chefs-lieux de can-
* ton que présente la France un personnel d'oflBciers et
sous-officiers instructeurs? Ces deux combinaisons
conduisaient à la dislocation d'une notable portion des
cadres de l'armée active, et ces cadres, c'est précisé-
ment ce qui doit être conservé le plus précieusement.
Leur dissémination à travers toute la France en petits
groupes isolés, livrés à eux-mêmes, c'était leur
prompte démilitariscUion. D'ailleurs, ni l'un ni l'autre
de ces systèmes ne permettait de former des cavaliers,
des artilleurs, etc.; tous deux ne donnaient que des
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 357
fantassins : or, une véritable réserve doit être en ^me-
sure de pourvoir avec la même facilité aux besoins de
toutes les armes qui entrent dans la composition de
l'armée active.
Frappé de ces inconvénients, le gouvernement ac-
tuel (et ce ne sera pas sa moindre gloire) n'a pas craint
de rompre entièrement avec les errements du passé à
l'endroit de la réserve militaire de la France. Une or-
ganisation cantonale et locale peut, en effet, offrir des
ressources pour Tinscription et la réunion éventuelle de
la réserve; mais, appliquée aux troupes de ligne, elle
serait la désorganisation morale et militaire de l'armée.
Le gouvernement n'a pas voulu que T instruction
des jeunes gens laissés dans leurs foyers fût payée d'un
pareil prix. Persuadé que ce n'est pas la dispersion,
mais tout au contraire la réunion, la concentration qui
font les bonnes troupes, il a pris résolument le contre-
pied des anciens projets, c'est-à-dire qu'au lieu d'en-
voyer les instructeurs près de la réserve, il a décidé
qu'on enverrait la réserve près des instructeurs. Les
jeunes gens ont donc été dirigés, suivant l'arme dans
laquelle ils comptaient, sur les différentes garnisons
d'infanterie, de cavalerie ou d'artillerie les plus voi-
sines de leurs résidences. Là du moins ces recrues ont
vécu sous l'influence du respect de tous pour le dra-
peau ; mêlés aux rangs de l'armée, ils ont subi celle
qu'exercent sur chacun cette vie intérieure, ces ma-
nœuvres où un bon régiment se montre à lui-même et
à la population dans tout réclaf de sa mâle beauté.
Les résultats obtenus par cette première expérience
S58 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
dépassent toutes les espérances que Ton a\ait pu con-
cevoir. De cette épreuve, on est désormais en droit de
conclure que non-seulement les jeunes gens de la ré
serve, après leur premier stage de trois mois sous les
drapeaux, sont susceptibles de satisfaire à toutes les
exigences du service à l'intérieur, mais encore que,
en cas de nécessité, le plus grand nombre pourrait en-
trer immédiatement en campagne dans les rangs de
l'armée active.
Des résultats aussi décisif, aussi concluants, ne
laissant aucun doute sur l'adoption définitive du sys-
tème qui les a fournis, nous ne dirons qu'un mot du
second procédé indiqué plus haut pour l'organisation
et l'instruction de la réserve. Et cependant rien peut-
être n'est plus propre à faire comprendre toute la ri-
chesse, toute l'excellence des ressources militaires que
la loi sur le recrutement met à la disposition de la
France; rien n'est plus propre que ce simple exposé à
faire ressortir l'avantage immense qu'elle nous donne
sur nos voisins et à montrer comment, là où ils sont obli-
gés de recourir aux expédients les plus bizarres, les
plus dispendieux et les plus incertains pour maintenir
leur état militaire, nous n'avons, de notre côté, que
l'embarras du choix entre des systèmes aussi fé-
conds et aussi économiques que fecilement praticables.
En efiPet, le contingent annuel étant de 100,000
hommes en temps ordinaire (1) et la durée du service
(1) Lorsque les circonstances Texigent, ce chiffre peut être plus
élevé : 11 était de l/iiO,000 hommes ^ Tépoque de la guerre de Crimée.
DB LA F&ÂNGB ET DE L AN6LETBWBUB. 359
étant de s^pt années, le chiffre total de Tannée fran-
çaise, tant portion active que réserve, représente
700,000 hommes dans les conditions normales (1).
Supposons qu'au Ueu de laisser une portion du con-
tingent dans ses foyers, ainsi que cela a lieu en temps
de paix, le gouvernement appelle la totalité des jeunes
gens sous les drapeaux, et réduise, d'un autre côté, la
durée du temps pendant lequel il les conservera dans
Teffidctif actif et soldé, on pourira encore, par ce sys-
tème, réduire à volonté cet effectif soldé, réaliser
toutes les économies que le calme des situations com-
portera, et cela sans raccourcir en aucune façon Tépée
de la France, sans diminuer en rien la puissance mili*
taire qui fait sa force et sa sécurité.
Si l'efibctif suflBsant, en temps de paix, ne doit pas
dépasser 350,000 hommes, par exemple, les 100,000
hommes du contingent annuel, incorporés en totalité,
resteront de trois à quatre ans sous les drapeaux et
remplaceront chaque année les 100,000 soldats les
plus anciens de service effectif, qui passeront dans la
réserve.
Au bout de sept années, si la paix durait tout au-
tant, l'armée active de 350,000 hommes se trouverait
appuyée d'une réserve de 350,000 autres soldats clas-
sés, instruits, comptant de trois à quatre ans de service
sous les drapeaux, et pouvant, en cas d'urgence, être
raadus très rapidement à l'activité.
(i) Dans ce chiffre de 700,000 hommes figurent naturellement
les non-valeurs de toutes sortes.
360 coNsrrruTioif et puissance miutairss
Dans ce second système, on n'aurait plus à s'occu-
per de l'instruction de la réserve, qui se trouverait ex-
clusivement composée d'anciens soldats. De simples
appels périodiques ou des exercices de quelques jours
suffiraient pour remplacer les stages de trois, deux et
un mois, par lesquels doivent passer les jeunes gens
sous le régime qui vient d'être expérimenté. Si ce der-
nier a obtenu la préférence, bien qu'il n'ait pas lavan-
ti^e de répartir aussi Clément l'impôt des hommes
et le temps nécessaire au service de la patrie, c'est que
la circonstance de Y appel intégral de chaque contingent
annuel sous les drapeaux a pu parattre constituer une
charge plus lourde pour la population.
Quoiqu'il puisse en être, du reste, des avantages
respectifs des deux systèmes, il est évident qu'ils sont
également économiques, également pratiques; il est
évident qu'ils découlent avec une égale facilité de notre
admirable loi sur la conscription; — la conscription,
a le mode de recrutement le plus juste, le plus doux, le
plus avantageux au peuple (1) » ; — la conscription,
que le patriotisme de la population accepte en France
sans murmure, parce que depuis longtemps cette in-
stitution est entrée profondément dans nos mœurs et
dans nos habitudes; parce qu'elle fait appel indistinc-
tement à toutes les classes et à tous les individus de
chaque classe, et parce qu'elle s'accorde avec l'instinct
militaire si généralement répandu, si enraciné chez
(i) Napoléon.
DB LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 361
nous, qu'il lui suffit d'une menace de Tétranger pour
devenir une passion irrésistible.
Nous avons dit plus haut que Toi^anisation récente
de la réserve anglaise contenait peut-être, en germe,
toute une révolution dans la constitution des armées
modernes. Il est temps d'expliquer notre pensée, et les
considérations dans lesquelles nous sommes entrés au
sujet de la réserve française, vont nous y aider.
L'enrôlement volontaire étant le seul mode adopté
pour le recrutement de leur armée, nos voisins n'ont
jamais eu et ne pouvaient avoir de réserves analogues
à celles que le service obligatoire fournit aux nations
continentales.
Cette difficulté, en les affirancbissant tout d'abordde
l'obligation d'étudier les moyens plus ou moins impar-
faits de former d'imparfaits soldats, et en leur inspi-
rant la combinaison exposée au début de ce chapitre,
les a conduits à la solution évidemment la plus ration-
nelle du problème de la réserve.
En effet, si Ton veut bien réfléchir à la tâche qui
incombe à cette institution , -^ si l'on considère qu'en
définitive, dans l'ensemble d'une guerre, et dans les
épreuves suprêmes qui résultent d'une lutte sérieuse et
prolongée de peuple à peuple, la réserve peut être pré-
cisément obligée de jouer le rôle qui appartient aux
corps d'élite sur le champ de bataille et dans chaque
épisode de la lutte; — si Ton considère qu'en cas de
désastre, elle est fatalement appelée à remplacer l'ar-
mée de première ligne devant un ennemi dont le suc -
ces aura décuplé la puissance et l'audace ; on arrive
362 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
nécessairement à cette conclusion, que, loin de le cé-
der à l'armée active en instruction, en expérience, en
solidité, la réserve devrait, au contraire, être supé-
rieure à celle-ci, à ces divers égards; de même que les
corps d'élite tenus en réserve pour porter ou repous-
ser les coups décisifs qui décident d'un combat, rem-
portent ordinairement sur les autres troupes.
En faisant appel aux vétérans disséminés dans la po-
pulation du Royaume-Uni : — en composant exclusi-
vement sa nouvelle réserve d'anciens soldats qui comp*
tent, en moyenne, dix ans de services effectifs sous les
drapeaux et sous tous les climats, au lieu de la former
de jeunes soldats qui n'ont jamais vu le feu, ainsi que
cela se pratique sur le continent, — l'Angleterre, du
premier coup, s'est évidemment rapprochée de la per-
fection autant que le comportait son régime militaire.
Maintenant, cette combinaison dictée à nos voisins
par la nécessité et par l'absence de ces ressources infi-
nies que la conscription met aux mains des gouverne-
ments continentaux, cette combinaison est-elle incom-
patible avec nos institutions T En aucune façon. On
peut même dire hardiment que son essai rencontrerait
en France des facilités, des conditions de réussite qui
n'existent pas en Angleten^e.
Chez nos voisins, en effet, le service militaire étant
facultatif, et la constitution sociale de l'armée britan-
nique n'offrant aucun avenir au simple soldat , les
hommes qui se résignent à cette carrière ingrate ne
peuvent y être poussés que par l'horreur du travail, le
manque d'une industrie suffisante pour les faire vivre.
D« LA FRAlfCE ET DK l' ANGLETERRE. 56S
OU la misère, conséquence obligée de la paresse et de
rinconduite. Une fois enrôlés, ces hommes ont pour
rester au service les raisons qui les ont forcés à y entrer.
Fort peu doivent donc quitter l'armée pour rentrer
dans la vie civile à l'expiration de leur engagement;
aussi, est-ce bien gratuitement, suivant nous, que le
Parlement s'est cru obligé de limiter l'autorisation ac-
cordée au gouvernement pour la formation de sa ré-
serve. Le chiffre de 20,000 hommes, qui représente
cette limite, non-^ulement ne sera jamais atteint, mais
nous serions bien étonnés si la nouvelle organisation
arrivait jamais à réaliser la moitié de cet effectif.
En- France, le service militaire étant obligatoire,
il s'établit, entre l'armée et la population , une sorte
de double courant dont l'effet continu est facile à
comprendre. Chaque année, indépendamment des
jeunes gens qui embrassent la carrière militaire, pous-
sés par une vocation et des goûts que l'avenir Sans
bornes ouvert au simple soldat ne contribue pas peu à
développer, — il entre aussi dans l'armée des milliers de
conscrits, artisans, laboureurs, employés, etc. , apparte-
nant à d'honnêtes familles, mais dont les ressources
sont trop limitées pour payer le prix d'exonération du
service militaire. Leur congé terminé, ceux de ces
jeunes gens auxquels leurs anciennes occupations sont
restées chères, rentrent dans la vie civile et retournent
à leur profession première.
Pendant leur stage dans les rangs de Tarmée, ces
soldats par devoir^ sinon par goiU^ contractent généra-
lement les habitudes d'ordre, d'obéissance, qui distin-
36/i CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIUS
guent les anciens militaires dans racoomplissement de
leurs obligations de citoyens. Séparés de braves et hon-
nêtes camarades auxquels ils étaient unis par la com-
munauté d'origine, dont la fréquentation n'avait rien
qui pût froisser leur dignité, dont ils ont partagé les
dangers, les travaux, ils quittent leur riment comme
une famille à laquelle ils garderont un affectueux sou-
venir, à laquelle ils resteront toujours associés de cœur.
Dans l'atelier des grandes villes, comme dans l'hum-
ble village, ils rapportent, ils conservent, ils propagent
cet amour de la gloire, ces sentiments de patriotisme,
ce culte du drapeau , qui font qu'en France Tannée
est l'idole de la nation (1), au lieu d'être, comme chez
nos voisins, l'objet d'une antipathie, d'une défiance,
d'un mépris, trop souvent l^itimés par la triste com-
position de son recrutement.
Rien n'empêcherait de former en France, contre les
attaques du dehors, une seconde réserve organisée sur
les mêmes bases que la réserve anglaise. Sans faire ap-
pel, comme nos voisins, à tous les anciens militaires
indistinctement, mariés ou non mariés, nous pourrions,
tant sont nombreuses les ressources qui dérivent de la
conscription, former une armée entière, en convoquant
seulement les célibataires de vingt-cinq à trente-cinq
ans retirés du service.
Cette seule catégorie pourrait former 100 bataillons,
(1) Ceux de DOS voisins qui ont assisté au départ de l*Einpereur
pour l*ltalie; ceux qui ont vu revenir notre armée de Magenta et de
Solferinorsont en mesure de décider si les couleurs de ce tableau
sont exagérées.
BB LA FRANCE ET DE L'ANGLETERRE. 365
dont l'effectif, suivant les calculs du général Paixhans,
dépasserait 120,000 hommes. Gomme en Angleterre,
ces anciens soldats resteraient libres chez eux, et con-
tinueraient à exercer leur profession et à vaquer à leurs
affaires ; seulement, connus, désignés, inscrits comme
le sont actuellement les jeunes gens du contingent
laissés dans leurs foyers, ils seraient unis entre eux,
dans chaque département , par un noyau élémentaire
d'organisation, dont le dépôt de recrutement serait le
centre naturel.
Enrôlés pour servir en cas de guerre, et à l'intérieur
seulement, c«s hommes seraien^ soumis pendant la
paix à des réunions, à des appels, à des exercices cal-
culés de façon à gêner le moins possible leurs occupa-
tions, mais suffisants cependant, pour entretenir parmi
eux un esprit militaire , une habitude de discipline,
enfin une pratique des armes dont leur passage récent
dans les rangs de l'armée active donnerait d'ailleurs la
garantie.
En temps de guerre, les 100 bataillons ainsi formés
rendraient entièrement disponible un nombre ^al de
bataillons de l'armée de ligne, en gardant les places
fortes, en occupant les camps fortifiés de la frontière.
Si le danger venait jusqu'à nos portes, si l'étranger
s'aventurait à porter la guerre sur notre territoire, la
portion la plus hardie, la plus active de ces cent mille
vétérans, dont les devoirs de famille ne viendraient pas
arrêter rélan, se formerait en compagnies, en détache-
ments expéditionnaires, et fournirait &0, kO, 50,000
tirailleurs d'élite, qui harcèleraient Tennemi sur tous
. I
366 CONSTITUTION 10* PUISSANCE bulitaires
les points, tandis que l'autre portion escorterait les con-
vois, et, réunie aux troupes de ligne, agirait sur les
flancs et sur les communications de Tenvahisseur.
Une pareille réserve, organisée sur les bases adoptées
par les Anglais, bases assez rationnelles, assez logiques,
on doit le reconnaître, pour pouvoir se plier sans diffi-
culté à l'esprit général de nos institutions militaires; —
une pareille réserve, disons-nous, présenterait comme
solidité et comme économie des avantages incalcu-
lables.
Son essai, si nous en jugeons par le succès qui vient
de couronner l'expérience récente dont la portion du
contingent laissée dans ses foyers a été l'objet, pour-
rait être tenté avec d'autant plus de facilité, que la ma-
jeure partie des dispositions prises pour rinstruction
de ces jeunes gens serait applicable à rorganisation
et aux réunions de nos soldats libérés.
D'abord, le rôle des dépôts de recrutement serait le
même dans les deux cas. L'instruction pourrait être
donnée dans les mêmes conditions, avec cette diffé-
rence qu'une période de quelques jours seulement se-
rait suffisante pour d'anciens soldats déjà complète-
ment dressés au moment de leur libération.
Tout en conservant les principales dispositions de
détail suivies par nos voisins, on pourrait d'ailleurs sim-
plifier considérablement la partie administrative de
rinstitution. Ainsi, nos vétérans trouveraient les armes
et l'équipement nécessaires à leurs exercices annuels
dans les magasins récemment organisés dans les dépôts
d'instruction de la réserve actuelle. Quant à leur ha-
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 367
billement, considérant, d'une part, qu'en cas de guerre
les magasins généraux (dont une haute prévoyance a
doté larmée) peuvent armer et équiper 100,000 hom-
mes en quelques jours; et que, d'un autre côté, pour
leurs exercices, nos vétérans n'auraient besoin que
d'une tenue uniforme, mais des plus simples; nous
voudrions leur voir pour tout habillement : î"" Une
blouse de chasse (de couleur, dimension et modèle dé-
terminés) se serrant autour de la taille avec un cein-
turon de cuir : 2"* un pantalon de toile; â"* une paire de
soulier avec guêtres en cuir; k"" une casquette ou
képi (1),
Sur l'allocation annuelle de 100 fr. (qui pourrait,
du reste, pour la première année de l'enrôlement, être
portée à 120 ou 125 francs), chaque homme devrait
se pourvoir de la tenue que nous venons de décrire.
Pour les réunions annuelles, il devrait en outreêtremuni
d'un havresac contenant ses brosses et effets de pro*
(1) En faisant succéder la réserve des anciens soldats k la réserve
ômjeuneigem dans les dépôts dMnstrucUon, la tenue que nous in*
diquons nous semble suffisante pour la température habituelle de
la saison à Tépoque où les exercices auraient lieu. En cas d'abaisse-
ment peu probable, avec leur tricot sous leur blouse et leurs deux
pantalons mis l'un sur Tautre, nos anciens soldats ne craindraient
pas plus la rigueur du froid, au mois de mai ou de juin, que ne l*ont
fait les jeunes conscrits exercés cette année, et dont un grand
nombre (à cause des difficultés et des retards inévitables dans une
première installation des magasins de dépôt) ont bravement manœu*
vré au mois de février^ avec les vêtements de toile qu*ils avaient ap*
portés et qui constituent, au reste, tout TbabUlement de la plupart
des gens de la campagne.
368 GONSTITUTIOK ET PUISSANCE MILITAIRES
prêté, deux cravates semblables à celles adoptées pour
Tarmée, une chemise et un pantalon de rechange, un
gilet de tricot pouvant être porté sous la blouse. Dans
le cas où cet équipement ne serait pas au complet et
dans un état d'entretien convenable, l'homme de la
réserve subirait une retenue destinée à solder le prix des
effets qui lui seraient délivrés par le magasin du dépdt, et
dont le montant réduirait d'autant le payement trimes-
triel de 25 francs, qu'il suffirait de faire coïncider
avec l'époque de la réunion.
Nous n'entrerons pas dans de plus longs détails au
sujet d'une oi^nisation qui semble réaliser jusqu'ici les
espérances de nos voisins, au moins dans la mesure
permise par la pauvreté de leurs ressources militaires.
Nous avons voulu montrer seulement que, du jour où
chez nous Tinstitution d'une réserve composée d'an-
ciens soldats serait admise en principe, comme elle l'est
de fait en Angleterre, son établissement ne rencontre-
rait aucune difficulté. On ne doit donc pas chercher,
dans ce qui précède, la rédaction d un projet déBnitit,
mais y voir seulement l'exposé d'un avant-projet» d'un
simple thème offert à la discussion.
Depuis longtemps on se préoccupe partout, avec
raison, de la nécessité d'une réduction dans les dépenses
militaires; nombre d'écrits ont été publiés sur cette
grave question. Cependant, jusqu'ici, aucune des com-
binaisons proposées, en vue de ce résultat si désiré,
n'a semblé réunir assez de garanties pour être adoptée.
On a démontré que la guerre de 1792 à 1798 (an-
«nées pour lesquelles on a des documents) avait coûté
DE LA FRAlfCR ET DE l'aNGLETEREE. 360
â2 milliards à l'Europe, tant par l'entretien des armées
que par les destructions accomplies ; on a constaté qu'à
la paix de 1815, il restait à la charge des gouverne-
meuts une dette qui se montait à plus de 35 milliards
en capital ; on a fait le compte de toutes les améliora-
tions que les budgets généraux eussent été à même de
réaliser, si, pendant les quarante années de paix qui
ont suivi 1815, on n'avait entretenu des forces telles,
que les dettes publiques, loin de décroître, ont été tou-
jours en augmentant.
Ces spéculations, pas plus que celles du congrès de la
paiœ, n'ont empêché le retour de la guerre; et, pas
plus en France qu'à l'étranger, elles n'ont amené la
réforme d'un canon ou le renvoi d'un soldat. A l'heure
où nous écrivons, il n'y a pas une [puissance en Eu-
rope, qui, si obérées que soient ses finances, si écra-
santes que soient les charges de son état militaire, ose-
rait prendre l'initiative d'un désarmement.
C'est qu'aujourd'hui, plus qu'à aucune autre épo-
que, peut-être, depuis le commencement du siècle que
nous traversons, l'Europe est agitée par des questions
dont la gravité ne saurait échapper à personne. C'est
que, spectateurs passionnés des événements qui s'ac-
complissent, ou tenus en émoi par l'attente de ceux
qui vont surgir, tous les peuples sentent instinctive-
ment, qu'en dépit des effortspacifiquesdeleursgouver-
neinents, ils peuvent à tout instant être entraînés sur la
pente fatale qui mène à ces grandes guerres qu'aucune
combinaison, aucune concession, ne parviennent à con-
jurer.
24
370 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRBS
Grandes guerres, en effet, que celles dont le champ
de bataille sera l'arène tout etitière des intérêts actuels;
car, de nos jours, que les questions politiques passion-
nent tous les esprits, ce ne sont plus seulement les ar-
mées, ce sont les peuples qui marcheront en personne.
Gomment s'étonnerait-on qu'au milieu des anxiétés
et des périls d'une situation ainsi définie , les nations,
préférant leur salut à leur bourse, s'obstinent à rester
debout, et l'arme au bras?
Cependant, pour la France, cette nécessité des éco-
nomies militaires est rendue plus impérieuse encore
que pour les autres pays, à cause même de la nature
des progrès et des améliorations que poursuit sans re-
làcbQ son gouvernement : l'augmentation du bien-être
des masses, rabaissement du prix des objets de ood-
sommation, en déterminant la suppression de tel impôt,
en affectant telle source de produits, tendent évidem-
ment à diminuer les recettes. D'un autre côté, Taug-
mentation des dépenses (en elles-mêmes très désirable)
qui se rapportent au travail, à l'assistance et à Tédu-
cation intellectuelle et morale des populations, ne peut
être soldée sans nouveaux sacrifices.
Si l'on tient compte des dangers de l'extérieur et des
besoins de Fintérieur, on voit que la question n'est pas,
pour la France, de savoir s'il faut ou s'il ne faut pas
réduire les dépenses militaires, mais elle est de savoir
comment et de combim on peut les réduire, sans faire
descendre la puissance, la dignité, la sûreté nationales
au-dessous du niveau où elles ont besoin d'être main-
tenues.
m LA MANCË BT t>E L ANfiLETSaU. ft7t
Ce n'est pas impunément qu'un peuple prend et
conserve sa place à Tavant-gardede la civilisation, et la
tâche réservée à la France de guider les autres nations
dans toute voie nouvelle. Ta exposée à de longues et
crueUes épreuves. Objet de nombreuses méditations,
cent fois discuté, cent fois revu et corrigé, son état
militaire a été calculé de manière à rendre impossible
le retour de pareilles épreuves. Y toucher pour l'amoin-
drir serait plus qu'une imprudence, ce serait un crime ;
car il suflBit de jeter un coup d'œil sur ses frontières,
pour reconnaître aussitôt que ce n'est pas en rédui-
^nt, mais seulement en modifiant les éléments de sa
puissance militaire , que l'on peut réaliser des éco*
nomies.
Sur les 600 lieues de côtes qui limitent la France de
Nice à Dunkerque, que trouvons-nous, en effet? Sur
TAtlantique, les ports sont larges et commodes, il est
vrai ; mais, en revanche, que seraient les versants de
la mer du Nord et de la Manche, sans cette magnifique
création de Cherboui^, qui date à peine d'hier.
D'ailleurs, l'Angleterre ne nous oppose-telle pas ses
immenses arsenaux de Portsmouth, de Plymouth, de
Chatam, etc., en face de ces rivages mal dotés, dont la
nature des eaux bien plus que les forces que nous pou-
vions déployer, a pendant si longtemps constitué la
seule défense? La côte offre des lies qui devraient servir
d'ouvrages détachés pour couvrir le plus important de
nos golfes, c'est l'Angleterre qui y tient garnison!
Jersey, Guemesey, au beau milieu des eaux françaises,
menacent presque à portée de canon Saint<*Malo et sa
372 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
baie. — Sur laMéditerranée^Toulon suffit tout justeaux
exigences de notre situation, et notre colonie algérieniie
est aussi près de Malte que de la France.
Examinons maintenant nos frontières de terre, et
voyons si, de ce côté, notre position est meilleure.
Sur un parcours de 500 lieues, ces frontières, qui
nous mettent en contact avec sept puissances diffé-
rentes, sont partout d'un accès facile. Avant Taimexion
de Nice et de la Savoie, on pouvait dire que sur tous
les points, sauf vers les Pyrénées, ces limites étaimt
dirigées contre nous. Du côté de la Prusse, des rivières
faciles à passer, des villes fortes, mais qui sont domi-
nées par des positions plus fortes encore, ou que Ton
peut tourner aisément. Du côté de la Belgique, les
vastes plaines arrosées de notre sang et témoins de
notre suprême désastre ! Grâce à la solidarité établie
entre les révolutions de Juillet et deSeptembre, on pou-
vait, il y a quinze ans, considérer la Belgique comme
une sœur d'intérêt et d'avenir, dont Texistence était
attachée à la nôtre. Aujourd'hui, est-il sûr que la Bel-
gique» oublieuse des services rendus, soit encore un
rempart pour nous contre des voisins inquiets et ja-
loux? Cette position d'Anvers que Ton fortifie sans
relâche, ne semble-t-^lle pas bien faite pour ménager
un meilleur sort à une seconde expédition de Wal-
cheren?
Du côté de Test, notre limite, en maint endroit, a
été forcée ; sur bien des points la France ouvre son
sein dégarni à l'invasion, et la plupart des obstacles
que a nature avait élevés pour notre défense, sont
DE LA FRANCE ET DE l'aNGLETERRE. «^75
tombés devant la politique tremblante de TËurope ;
celle-ci ne peut donc s'étonner si la France est obligée
de remplacer par une ceinture vivante, par un front de
bataille permanent, les boulevards que 1815 lui a en-
levés.
La France ne pouvant diminuer son état militaire,
cherchons quelles sont les modifications susceptibles de
procurer les économies qu'on ne doit pas demander
aux réductions.
En premier lieu, on ne peut guère retrancher des
s traitements ; vu la cherté toujours croissante de la vie,
ils sont devenus, depuis longtemps, des minima qui
réclameraient plutôt une augmentation.
On ne peut rien retrancher aux prix du caserne-
ment, de rhabillement, des chevaux, des armes, des
vivres, des fourrages, puisque ce sont pour la plupart
des prix d'adjudication.
On ne peut songer à diminuer la gendarmerie ; au
contraire, son effectif devra être d'autant plus fortifié,
que celui de la portion active de l'armée sera plus
sd)aissé. Dans la cavalerie, l'artillerie, le géiûe, les ré-
ductions du personnel sous les drapeaux seront aussi
très limitées, parce que ces éducations spéciales étant
longues à faire, le pied de paix ne saurait y être abaissé
trop au-dessous de ce qu'il faut pour commencer la
guerre.
Reste l'infanterie, celle de toutes les armes qui se
prête le mieux aux économies; d'abord parce qu'elle
constitue à elle seule plus des deux tiers de l'armée, et
aussi parce que son instruction étant moins compli-
ft7& CONSTITUTION ET PUISSANGB WLITAIRES
quée, il y a moins de danger à diminuer son chiffre
sous les drapeaux, pourvu, toutefois, que cette diaii*
nution corresponde à une augmentation équivalente de
l'effectif dans la réserve. Pas plus pour l'infanterie
que pour les autres armes, il ne faut d'ailleurs s'eza*
gérer ce qui est possible. Ainsi, les réductions de l'ef-
fectif soldé ne sauraient porter sur les cadres; ceux-ci
doivent être précieusement conservés, car, en cas de
guerre soudaine , la solidité des réserves rappelées à
l'activité dépendra surtout de leur bonne composition.
En faisant passer, chaque année, dans les rangs de
l'armée active, le plus grand nombre possible de jeunes
soldats (quitte à les y garder moins longtemps); — en
transformant en une force effective, au moyen des dé-
pôts d'instruction, la portion des contingents laissée
dans ses foyers, on a une armée dont chaque unité
possède une valeur réelle, et dont l'ensemble peut
compter pour le service aussi bien que sur le pa-
pier.
L'homme maintenu ou renvoyé dans ses foyers, re-
présentant actuellement tin soldat, et non plus comme
par le passé, tin simple numéro; lorsque le baromètre
politique est à la paix, on peut, sans crainte de s*afiiû*
blir, le renvoyer dans la réserve , c'est-à-dire rendre à
ses occupations, à son industrie, telle portion de l'année
active dont les circonstances autoriseront à soulage
l'effectif soldé.
Par le mécanisme inverse, est-on à la guerre, ou
l'horizon vient-il seulement à se rembrunir, il suflBtde
quek[ues jours, on pourrait dire de quelques heures.
DS LA FRANGE ET DE L AHGLETERKE* 876
pour reporter l'armée active au chiffre que commande
la situation.
D y a là, évidemment, un progrès immense; en
temps de paix, sans s'exposer à désorganiser son ar*
mée, la France est désormais maîtresse de limiter ses
dépenses, elle n'est plus condamnée à supporter les
chaînes ruineuses de la/Miicp armée.
Examinons maintenant si, pour le temps de gverre,
la situation est également favorable. Nous sommes cer-
tains d'avoir une bonne armée, le sommes-nous de
l'avoir à aussi bon marché que possible?
Dans les conditions actuelles, et pour obéir aux exi-
gences de notre position géographique et politique,
notre état militaire est calculé de manière à fournir
600,000 hommes (1). Toutefois, on se tromperait évi-
demment si l'on supposait qu'en cas de guerre la
France peut mettre en ligne une pareille armée. De
ces 600,000 hommes, il faut défalquer la portion né-
cessaire au service de l'intérieur, à la garde des forte-
resses, des arsenaux, à la réception et au dressage des
recrues, etc. Calculant au plus près , et tenant compte
de l'infanterie seulement (puisque c'est la seule arme
sur laquelle les économies peuvent être réalisées), on
ne doit guère évaluer à moins de 100,000 hommes la
portion qu'il faudra en distraire pour les besoins que
Ton vient d'énumérer.
L'infanterie, représentant les deux tiers environ de
(i) Les contingents étant de 100,000 hommes et la durée du ser
?ice de sept années, l'effectif serait de 700»000 hommes, sans le
pertes et non-valeurs, que nous évaluons à un septième.
376 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
l'effectif total derarmée, compte pour &00,000 hommes
dans les 600,000 de cet effectif ; —si nous déduisons les
100,000 hommes réclamés par le service de l'intérieur,
il nous reste 300,000 fantassins à mettre en ligne de-
vant l'ennemi.
En d'autres termes, nous levons, nous organisoi^,
nous soumettons au service pendant la paix, et nous
soldons en totalité pendant la guerre une force comme A,
qui, en réalité, ne nous donne qu'une force comme S
pour le champ de bataille.
C'est ici que l'institution d'une seconde réserve, éta-
blie sur les bases adaptées en /Angleterre, nous semble-
rait un merveilleux complément de l'organisation ré-
cemment donnée chez nous à la portion des contin-
gents laissée dans ses foyers.
Le résultat de cette organisation a été de rendre
la totalité de notre armée effective ou efficiente (pour
nous servir du terme consacré de Tautre côté du dé-
troit) ; l'institution d*une réserve d'anciens soldats au-
rait pour effet de la rendre en totalité disponible contre
l'ennemi.
Transplanté en France, dans un terrain militaire
bien autrement fécond, le système inauguré par nos
voisins donnerait bien vite les meilleurs fruits ; en for-
tifiant nos moyens défensifs, en garantissant pour la
guerre une ressource solide, il ajouterait encore aux
facilités déjà acquises pour la réduction des effectif
soldés pendant la paix.
Quant à la dépense que coûteraient annuellement
les 100,000 soldats libérés qu'il faudrait enrôler dans
DE LA FRANGE ET DE l'aNGLETERRE. 377
cette seconde réserve, d'après l'hypothèse que nous
avons admise relativement au* chiffre de la garnison de
VEmpire en temps de guerre, elle n'atteindrait pas (les
dispositions de l'organisation anglaise étant adoptées)
le septième ou le huitième du prix d'entretien de
100,000 hommes de l'armée active (1 ).
En ce qui regarde les difficultés ou les facilités que
présenterait le recrutement de cette nouvelle force, si
Ton veut bien considérer que dans la plupart de nos
villages, une rente de 100 francs est une petite fortune ;
que pour un paysan célibataire^ cette somme suffit à
couvrir les dépenses de loyer et d'entretien ; si l'on
veut tenir compte du peu de gène que la brièveté des
réunions apporterait aux travaux des enrôlés, qui,
somme toute, ne pourraient être appelés à servir d'une
manière permanente qu'en temps de guerre, et seule-
ment en France, on ne doit pas douter que l'esprit mi-
litaire qui anime la population en général, et plus par-
ticulièrement les anciens soldats, ne suffise, réuni à
toutes ces considérations, pour remplir très prompte-
ment les rangs de notre deuxième réserve.
(1) 100,000 soldats libérés, enrMés dans les conditions de la ré-
serve ani^aise, coûteraient lo millions, à raison de 100 fr. par an
et par homme. Si l*on ajoute 1 million ou 1,200,000 fr. pour la
solde et les vivres pendant la période des exercices annuels (qui ne
dépasserait pas dix ou douze jours); plus, une somme à peu près
égale pour les dépenses de Thabillement des nouveaux admis, et les
frais de magasinage et d*entretien des armes (frais déjà faits pour
Forganisation des dépôts dinstruction), on arrive à un total de 13
ou ik millions. C'est à peu près le septième de la dépense dVntre-
tien de 100,000 hommes dans Tarmée active.
378 CONSTITUTION ET PUISSANGB IDLITAIKSS
Appuyée par 100,000 vétérans ( dont le Dombre
pourrait d'ailleurs être doublé ou triplé» si la limite
d'âge était portée à quaranteans au lieu de trente-i^inq,
et pour peu que la coudition de célibataire ne fût pas
exigée) ; alimentée par 300,000 jeunes soldats désor-
mais disciplinés et exercés, l'armée française pou.nraît
défier toutes les armées du monde. La France serait
un vaste camp, sans q%ie le service miliUiire cUisorbâlni
les populations, ni les revenus; l'idée de la vie militaire
n'éveillerait plus ni crainte ni regret, car chacun la
quitterait comme une tâche que d'un jour à l'autre il
pourrait reprendre, et les hommes, en passant de la
charrue ou de l'atelier sous les drapeaux, n'oublieraient
pas dans un trop long séjour aux armées le métier qui
les faisait vivre.
Quelle force imposante qu'une pareille armée ! et
cela sans charges trop lourdes pour le pays, sans dé^r
de conquête» sans ambition aveugle, sans aucun de ces
entraînements qui poussent les nations à la guerre, et
les conduisent quelquefois à la ruine, même à travers
la victoire. Car, la guerre, quoique puissent en dire ou
en penser nos voisins , la guerre n'est pas nécessaire à
la France : si beaux, si brillants, si assurés que fussent
ses résultats, ils ne pourraient être plus glorieux que
ceux qu'elle est certaine d'obtenir au milieu de la paix,
par la seule influence de ses exemples et de ses idées.
m hk FRANCK £T DE l'angleterrb; 379
SECTION VL
DOUANIERS (coast-guards).
Toutes les puisssances, pour la perception des droits
d'entrée^ entretiennent sur leurs frontières de terre et
de mer des corps spéciaux dont l'importance varie sui-
vant l'étendue de ces frontières. L'oi^anisation plus ou
moins militaire de cette force lui assigne une place dans
la liste des moyens de défense dont chaque pays peitt
disposer en cas d'ui^ente nécessité.
En France, sous le nom de préposés des doiuines^
nous avons une véritable armée organisée, quant à la
tenue et à Tarmement, sur le modèle de l'infanterie
et de la cavalerie, et dont l'effectif dépasse 23,000 hom-
mes. Pour surveiller l'entrée des rades et des rivièrea,
l'administration des finances entretient en outre une
flottille montée par 2,000 marins environ.
Pendant longtemps, l'Angleterre a entretenu une
force semblable sous le nom d'employés de Vaccise.
L'administration des douanes avait établi le long des
côtes une chaîne de postes d'observations dont l'action
se combinait avec la surveillance exercée par un cer-
tain nombre de petits bâtiments côtiers. Sans avoir
jamais atteint le chiffre des douaniers français, le corps
de l'accise, eu égard à l'activité,* à l'énergie et au choix
de son personnel, présentait une organisation d'une
certaine importance, et qui ne manquait pas des qua^
380 /CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
lilés quasi-militaires que réclainait la nature de son
service (1).
Depuis quelques années, préoccupés par-dessus tout
de Torganisation d'une réserve navale, les Anglais ont
établi un système de surveillance douanière que la na-
ture exclusivement maritime de leurs frontières pou-
vait seule permettre. Il ont imaginé d'employer à la
répression de la contrebande les vaisseaux et les marins
que l'Amirauté entretient pour la défense de la o6te
et la protection de la pèche.
En faisant disparaître un double emploi, ils ont réa-
lisé une économie évidente et fortifié leur personne
maritime, mais c est aux dépens d'une force qui n'était
pas sans intérêt au point de vue de la défense territo-
riale. Le corps de l'accise a été complètement désorgar
nisé, et il ne compte guère aujourd'hui que 1,&00 em-
ployés provenant de l'ancien personnel (2). On n'a
laissé à l'administration des douanes que la perception
des droits, et le nouveau service installé sous le nom
de gardes-côtes [eoast guards),^ à terre aussi bien que
sous voiles, a été placé tout entier dans les attributions
de l'Amirauté. H a pour destination d'assurer la per^
ception du revenu, de surveiller les côtes au triple point
de vue d'empêcher la contrebande, de protéger la pè-
(1) Voir Guy lianneringiWalter Scott).
(2) C*€St uniquement afin de ne |)as grever le trésor d*un trop
grand nombre de pensions, que le gouvernement conserve encore
ces i MO employés, dont le nombre diminue au fur et k mesure des
extinctions, et qui d'ailleurs appartiennent tous à Tancien person-
nel maritime des douanes.
DB LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 581
che, et de venir en aide aux bâtiments du commerce
en danger par suite de gros temps ou d'avaries.
Dans ces conditions, la force employée par le service
de la douane dépendant uniquement de la marine,
nous n'en parlerions pas davantage, sans certaines
considérations que nos lecteurs apprécieront. En prin-
cipe, les gardes-côtes doivent constituer une réserve
essentiellement navale; mais, si nous en jugeons par
les discussions parlementaires auxquelles leur organi-
sation a donné lieu, il s'en faut de beaucoup que la
totalité de leur effectif soit en mesure de servir sur la
flotte. Lord Lyndhurst et l'amiral Martin, contraire-
ment aux affirmations du duc de Somerset, déclarent
que la moitié (oui au plus du personnel est en état de
prendre la mer. Ce personnel, d'une force nominale
de 10,000 hommes, n'en compte, en réalité, que
8,000, ainsi distribués :
Équipagesdes vaisseaax de district (1) ^'^^^Isaqi
Équipages des croiseurs 827; '
Matelots inscrits, mais employés au service de terre. 3,183'
Agents de 1*aocien senrice de la douane 1,400
ToUl 8,004
dont 3,421 seulement servent k la mer.
(I) 9 vaisseaux {bloek shi^) et 2 frégates survettlent la o6t6, qui
est partagée en onze districts; 16 canonnières eit 47 bâtimentslégers
sont, en outre, répartis entre ces différents districts et forment une
véritable flotte, k bord de laquelle la manœuvre et rexercice du ca-
non ont lieu comme sur la flotte de combat. La France ne possède
rien d'analogue.
383 CONSTITUTION ET PUI8SANGB MIUTAIRBS
Quant aux /i,600 hommes employés à terre, soit
parce qu'ils n'ont jamais servi sur un vaisseau de
guerre, soit parce qu'ils ont perdu l'habitude du mé-
tier pendant un trop long service sur la côte, ils seraient
incapables, suivant l'amiral Martin, de faire autre
chose que leur présent métier de sentinelles et de sur-
veillants sur le bord de la mer. La meilleure et la
seule manière de les utiliser serait de les employer au
service des batteries de côte. A ce point de Nue, ces
A96OO hommes peuvent être considérés coaune un
appoint pour l'armée de terre en cas d'inVaskMi du
territoire; — appoint assez médiocre, du reste, quant
à la qualité, si leur valeur, comme soldats, réponde
celle qu'on leur reconnaît comme marins. — Les
10,000 gardes-côtes de l'Angleterre lui coûtent
18,7/i2,77ô francs. La France ne dépense qu'un mil-
lion déplus, 19,829,600 francs, pour^ses2â,âl8 doua*
niers.
SECTION vu.
BATADJLONS DBS CHANHEBSt MARITDIES {dockyard'^HUMiam].
Les ouvriers des chantiers maritimes [dockyardrmen)
présentent en Angleterre, vu leur très grand noml^re,
une ressource spéciale qui pourrait être utilisée au cas
où la guerre viendrait à être portée sur le territoire
de la Grande-Bretagne.
Ces ouvriers sont soumis à une sorte de discipline
militaire, et exercés de temps à autre (ocautonotf jf
driUtd)\ toutefois, leur enrôlement est absolument vo-
lontaire, et, quoique tous soient généralement Tigou-
DE lA FRAMCB ET DE l'aKGLBTERAE. 3SS
reux et bien constitués, ils ne rendraient probablement
que d'assez médiocres services contre des troupes ré-
gulières.
En 1852, on comptait 10 bataillons d'ouvriers de
1,000 hommes chacun; depuis cette époque, l'exten-
sion considérable donnée aux travaux dans tous les
chantiers, dans tous les arsenaux (1), a dû augmenter
considérablement leur personnel. On ne doit pas être
loin de la vérité en l'évaluant, à l'heure qu'il est, de
18 à 20,000 hommes.
L'Angleterre n'a pas, comme la France, de police
armée. Le corps des constables d'Irlande [irish consta-
bulary) est la seule troupe qui ait quelque analogie
avec notre gendarmerie française; mais son effectif
insignifiant ne permet pas de la comparer aux 30,000
vétérans, tant à pied qu'à cheval, qui assurent la sécu-
rité de nos routes, l'arrestation des malfaiteurs, et
rendent en France la désertion impossible. On a fait,
à diverses reprises, la proposition d'armer le personnel
de la nouvelle police des comtés, qui, pour l'Angleterre
et l'Ecosse, représente près de 40,000 hommes, ayant
en général toute l'aptitude physique pour faire de
bons soldats. Ces tentatives ont échoué : le peuple an-
glais, qui ne tolère même pas que les soldats se pro-
mènent armés, supporterait encore moins des police"
men ayant le sabre au côté. Nous verrons ailleurs que
la faiblesse et le caractère essentiellement civil de la
(1) L*arsenal de Woolwich occupe à lui seul 5,000 ouvriers.
38& CONSTITUTION ET PUISSANCE HILITAIEES, ETC.
police anglaise, en s'opposaut à ce qu'elle puisse gêner
OH rien la liberté et la circulation des déserteurs, cdd-
tribuent en réalité au développement d'une plaie qui
menace de désorganiser Tarmée britannique.
CHAPITRE XVni.
Composition de l'armée de seconde ligne en Angleterre; corps
auxiliaires et réserves {smie). — Section 8 : Volontaires ; —
— causes qui ont déterminé cette organisation ; — l'invasion
française; — pourquoi Tlrlande n'a-t-elle pas de volontaires?
— Première circulaire de M. Peel ; — bases de l'organisation
des volontaires. — Nomination des officiers. — Obligations
imi^osées au volontaire; — avantages et droits qui leur sont
assurés; — droits et obligations de Tofficier commandant un
corps de volontaires; — conditions auxquelles est autorisée la
formation d'un corps de volontaires ; — armement des volontai-
res ; — service et instruction des volontaires ; —bataillons admi-
nistratifs ; —mémorandum du comte Grey ; — pouvoirs restreints
de TofOcier commandant un bataillon administratif de volontai-
res ; — service de Tadjudant dabs les bataillons administratifs ;—
responsabilité du commandant d'un corps de volontaires; —cara-
bines et munitions délivrées gratuitement par l'État ; — dépen-
ses imposées îi tout corps de volontaires; —causes qui tendent
à refroidir l'enthousiasme des débuts de l'institution; — canon-
niers volontaires, — leur service, — détails particuliers à leur
organisation ; —uniforme des volontaires (infanterie et artillerie);
— sociétés de volontaires marins pour la manœuvre des chalou-
pes canonnières dans les ports de commerce et sur Içs rades ou-
vertes delà Grande-Bretagne; —opinion et lettre de Garibaldi
sur l'organisation des volontaires anglais.
L'organisation des volontaires anglais date de 1859.
On peut la considérer comme la dernière expression
du mouvement militaire qui s'est produit, chez nos
voisins, depuis la guerre de Crimée. Cependant on se
tromperait, si Ton pensait que cette organisation pro^
25
386 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
cède du même ordre d'idées que les institutions récentes
analysées dans les pages qui précèdent.
De 1855 à 1859, les Anglais se sont bornés à mettre
à profit les rudes leçons que leur armée avait rappor-
tées de son séjour en Orient. Pendant cette période,
un certain sentiment d'envie a bien pu servir d'exci-
tant aux efforts qu'ils ont tentés pour améliorer et
fortifier leur système militaire. Toutefois, cette jalousie,
que la perfection de notre organisation française rendait
%ssez naturelle, n'avait pas encore pris, jusqu'en 1858,
les proportions qui Tont caractérisée depuis. Jusqu'à
cette époque, le souvenir encore récent des services
rendus, avait été assez puissant pour faire accepter à
nos voisins le splendide spectacle de cette armée qui
les avait secourus à Balaklava et sauvés à Inkermann.
A partir de 1858, il semble que les Anglais, égale-
ment pi-éoccupés de la stérilité de leurs eflForts, ou du
succès des nôtres, au point de vue de certains perfec-
tionnements militaires, n'aient pu dominer plus long-
temps les craintes et les défiances que nous avons eu
tant de fois à signaler.
Au commencement de l'année 1850, non-seulement
dans la presse, mais au sein du Parlement, et jusque
dans les Conseils de la Reine, les accusations les plus
violentes et les plus imméritées se firent entendre contre
la France: — Une descente !! 100,000 Français brû-
lant Portsmouth, et Londres envahi par les zouaves et
les turcos, tels furent pourtant, — qui le croirait?
— les épouvantaiU que présentèrent à nos voisins les
publicistes et les hommes d'État hostiles à i'attiaooe
DE LA FRANCE ET DE L^ ANGLETERRE. ft87
franco-anglaise! Tels furent les arguments invoqués
pour amener l'Angleterre à doubler ses dépenses mili-
taires, et à courir aux armes, ni plus ni moins que si
une nouvelle armée de Boulogne eût été toute prête à
débarquer sur ses côtes.
C'est au milieu de l'agitation causée par ces clameurs
incessantes que l'oi^anisation des volontaires anglais a
pris naissance.
Le 12 mai 1859, le gouvernement de la Grande-
Bretagne, cédant à la pression de l'opinion publique, se
décidait à faire revivre l'acte de Georges 111 (ii.Geo.III,
caput. 54) qui autorise tous les citoyens anglais à se
réunir, et à s'armer pour la défense de la patrie en
danger.
Cette décision du ministère, suivant un des écrivains
qui se sont montrés les plus ardents avocats de la
mesure, « cette décision, était de nature à prouver
» plus clairement que tous les discours, que, dans les
» paysrégispar des institutions libérales et basses sur
» des principes populaires, il existe, entre la nation et
» le gouvernement, un sentiment de confîani e réci-
» proque que Ton chercherait en vain, là où le droit
» héréditaire, aussi bien que le suffrage universel, suf-
» fit à conférer un pouvoir absolu au chef de
n l'État (1). » L'insinuation ou Tallusion contenue dans
^ (1) « The décision of her Majesty's ministers relative to the enrol-
» ment of vol uuteers, is one of those incidents which prove far
> more clearly than could possibly be done by words, that libéral
» institutions, based on popular piinciples, creaie in those coun
• tries wtiere tliey exist, a feeling of mutuai confidence and good-
388 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
ces lignes est assez transparente pour que nous la rele
\ions. Peut-être suffirait-il, pour y répondre, de ren-
voyer Técrivain que nous venons de citer aux nom-
breuses circonstances dans lesquelles s'est révélée, avec
tant d'éclat, la communauté de pensées et de sentiments
établie entre la France et le souverain qu'elle s'est
choisi. Â cette observation, nous ajouterons cependant
une simple question : Pourquoi le gouvernement qui
ne s'est pas contenté de reconnaître au peuple anglais
le droit de s'organiser et de s'armer, mais qui, bien
mieux, a poussé la confiance dont nos voisins sont si
fiers, jusqu'à l'inviter lui-même à cette entre-
prise; — pourquoi, disons-nous, le gouvernement
anglais a-t-il exclu l'Irlande {the sister Ireland^ comme
on la nomme de l'autre côté du détroit) de cette
patriotique convocation î
Ne serait-ce pas, parce que l'Irlande est et a toujours
été la sœur de l'Angleterre, un peu, comme en 1848,
les socialistes étaient nos frères et amis? Les questions
d'armement général seront toujours fort délicates, et
nous pensons que tous les peuples font bien d'apporter
une certaine prudence dans lés mesures de ce genre.
A cet égard, le gouvernement anglais, comme tous Ifô
gouvernements du monde, a de fort bonnes raisons
d'en agir ainsi, mais, par contre, la nation anglaise en
aurait fort peu pour réclamer le monopole de cette
confiance générale et réciproque dont nous parlions
» m\\ between the people and their ruiers which we look for in
» vain where hereditary right, or the choice of the people tbemsel-
» ves, bas conferred despotic power upon an individual. » U. S. M.
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 389
plus haut. A tout prendre, nous préférons encore notre
lot à celui de nos voisins, car, en cas d'invasion et
d'agression de la part de l'étranger, il n'est pas une
province en France (toutes l'ont prouvé), qui ne se
levât pour le repousser ; — à en juger par ce qui se
passe à propos de l'armement des volontaires, on ne
semble pas aussi sûr, en Angleterre, du parti que pour-
rait bien prendre la verte Érin dans une éventualité
semblable.
L'organisation des volontaires anglais a donc eu,
pour but parfaitement avoué, d'assurer la défense de
la Grande-Bretagne contre une invasion française.
Nous regrettons que le cadre de notre travail ne nous
permette pas de rechercher quel intérêt pourrait avoir
la France à tenter une aussi difficile entreprise, et, en
admettant le succès, quel avantage il en résulterait
pour elle. Mais, ce qui rentre dans la spécialité de cette
étude, et ce qu'il nous importe de connaître, c'est jus-
qu'à quel point le moyen employé répond au but à
atteindre. Avant d'apprécier et de discuter le degré de
sagacité et de prévoyance déployées par nos voisins
dans l'institution de leurs volontaires, nous devons
commencer par exposer les bases réglementaires de
cette combinaison nouvelle.
C'est au 12 mai 1859 que remontent les premières
instructions publiées par le ministère anglais au sujet
de l'armement des volontaires. Une circulaire de
M. Peel, secrétaire général du War-Office, adressée aux
lords lieutenants, expose en ces termes les règles à
suivre dans l'exécution de cette mesure :
S90 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIBBS
a Le gouvernement de Sa Majesté ayant pris en
» considération Topportunité de la formation de corps
» de tirailleurs volontaires, conformément aux dispo-
D sitions deTacte [\l\ de Georges III, cbap. 5/i, aussi
» bien que celle de l'organisation de corps et com-
X» pagnies d'artillerie dans les villes maritimes où il
» existe des forts et batteries, j'ai Fbonneur de vous
» informer que je suis prêt à recevoir et à esami-
» ner toute proposition qui me sera faite à ce sujet,
» dans la circonscription dont l'administration vous
» est conD(^e, et qui me parviendra par votre inter-
» médiaire. »
Ce préambule est suivi de dispositions qui peuvent
se résumer ainsi :
Chaque corps devra être formé par des oflSciers
revêtus d'une commission spéciale du lord de comté.
Tout homme admis devra prêter serment d'allé-
geance devant un député-lieutenant, un juge de paix
oa un oificier du corps réguHèrement nommé.
Tout volontaire sera tenu de prendre les armes en
cas d'invasion du territoire, ou niôme de simple appa-
rition de rennemi en vue des côtes du Royaume-uni.
Il est tenu de se rendre éi^alement à toute convocation
ayant pour but la répression d'une insurrection déter-
minée par l'une ou l'autre de ces éventiuilités {in case of
rébellion arisiny oui nf either of those emergencies) (1).
Pendant qu'il est sous les armes, le volontaire est
(1) On voit que malgré cette confiance si absolue, dont \\ était
question plus haut, le Gouvernement anglais croit utile de mot
prévoir.
DB LA FRANGE ET DE l'aNGLETEREB. 891
soumis à la loi militaire, il a droit au logement, enfin»
il reçoit la solde de l'armée de ligne.
Les officiers de volontaires, blessés dans un service
commandé, ont droit à la demi-solde ; les sous-officiers
et les simples volontaires sont admis à jouir des béné-
fices de l'institution des invalides de Chelsea. Quant aux
veuves des volontaires tués sous les drapeaux, il leur
est alloué la même pension qu'aux veuves des offîciei^s
de l'armée de ligne.
Tout volontaire admis dans un corps régulièrement
formé, ne peut le quitter quand il est appelé sous les
armes ; en tout antre temps il a le droit de se retirer
en prévenant quatorze jours àTavance.
Tout volontaire qui peut justifier de huit jours de
présence aux exercices et manœuvres, pendant trois
périodes de quatre mois chacune, soit vingt-quatre
jours pour une année entière, est inscrit comme
ayant complété son instruction. Les volontaires de
cette catégorie sont exempts du tirage au sort pour
la milice, et ne peuvent être compris dans aucune
autre levée.
Lagarde et la conservation de toute propriété appar-
tenant à un corps de volontaires sont légalement confiées
à l'officier commandant. C'est également à ce chef
qu'il appartient de recueillir, dans les formes pres-
crites par les règlements, toutes les souscriptions con-
senties, comme aussi, de poursuivre, même par autorité
de justice, le recouvrement des amendes encourues
par les volontaires placés sous ses ordres.
Les conditions à remplir pour que le gouvernement
892 CONSTITUTION ET PUISSANCE HIUTAIRES
propose à Sa Majestéd'autoriser la formation d'un corps
de volontaires sont :
l"" Que le lord lieutenant du comté émette un etîs
favorable à cette formation ;
S"" Que le corps soit oi^anisé conformément aux
prescriptions de la loi ;
&"* Que les citoyens appelés à en faire partie
prennent l'engagement de s'équiper et de s'armer à
leurs frais, et consentent à supporter toutes les dé-
penses résultant de l'organisation, à l'exception, toute-
fois, de celles déterminées par l'appel du corps sous les
armes, et en service actif ;
li"* Que tous les règlements à intervenir, et toutes les
dispositions à prendre dans l'organisation projetée,
soient préalablement soumis à l'autorité militaire.
c( L'uniforme des volontaires, ajoute le secrétaire de
la guerre, dans sa circulaire aux lords lieutenants,
l'Uniforme pourra, sous votre approbation, être laissé
au choix des corps qui s'organiseront; mais en ce qui
regarde les armes, bien qu'elles doivent être achetées
par les volontaires, elles seront fournies sous la sur-
veillance du département de la guerre et suivant les
règles établies dans cette administration, afin d'assurer
une parfaite uniformité de calibre.
x> Je me réserve de fixer le cadre des officiers et des
sous-officiers, et leur contrôle sera tenu dans les
bureauxdu département de la guerre. Afin que je puisse
être à même de déterminer la proportion des uns et des
autres, toute demande d'autorisation pour la formation
d'un corps de volontaires devra préciser le nombre
DE LA FRANCE ET DE L'ANGLETERRE. 393
d'hommes qu'il doit comporter, et en combien de com-
pagnies ils doivent être répartis. »
Le secrétaire de la guerre termine, en recomman-
dant aux lords lieutenants de ne nommer aux grades
et emplois dans les volontaires, que des personnes par-
faitement aptes à remplir leur office, et dont la Reine
puisse ratifier la promotion.
Telles sont les premières bases adoptées pour cette
institution qui, depuis deux ans, a fait tant de bruit de
l'autre côté du détroit.
Les conditions générales de l'organisation une fois
fixées, il s'agissait de déterminer le mode d'instruction
et le genre de service auxquels devaient être soumis
les volontaires. Un programme officiel (ce ne sont
jamais les programmes qui manquent en Angleterre]
ne tarda pas à être publié sur ce double objet.
Considérant, dit ce document, combien il est essen-
tiel que le patriotisme des citoyens armés pour la
défense de ce qu'ils ont de plus cher — le sol delà patrie
— soit bien éclairé sur la nature et le caractère du
service auquel ils se dévouent, le gouvernement juge
opportun de bien établir les conditions dans lesquelles
les volontaires doivent entrer en ligne ; la tâche qui
leur incombe dans ce cas, et les moyens les plus
propres à assurer son accomplissement.
Les volontaires, suivant Toi^ane ministériel, doivent
se diviser en deux classes. Les uns, appelés à agir en
campagne comme tirailleurs ou francs tireurs; les
autres destinés à servir, dans les ports et dans les
894 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRGS
autres villes maritimes, les batteries élevées pour la
défense de la côte.
Or, pour les uns comme pour les autres, une cer-
taine discipline est nécessaire. Sans elle, il n'est point
de général ou d'officier qui voulût mettre la moindre
confiance (c'est toujours le ministre qui parle) dans le
concours des volontaires. D'un autre côté, les règlfô
du service doivent être cependant tellement établies,
que, tout en suffisant à développer et à entretenir cet
esprit de subordination nécessaire, elles n'éloignent ni
ne découragent les gens auxquels leur position ne per-
met pas d'entrer dans la milice ou dans l'armée de
ligne, et qui, pour cette raison même, doivent fournir le
contingent le plus important de l'organisation nouvelle.
A ce dernier point de vue, il est nécessaire que le
système d'instruction et d'exercices adoptés pour les
corps de volontaires, ne comporte rien d'inutilement
ennuyeux , et surtout, aucun détail assez assujettissant
pour obliger ceux qui les composeront à prélever, sur
le temps nécessaire à leurs occupations, des emprunts
assez importants pour les gêner. Dans les deux cas, en
effet, on devra s'attendre à voir s'éloigner des rangs,
d'un côté, ceux qui trouveront un emploi moins fasti-
dieux pour leurs loisirs ; de l'autre, ceux auxquels une
prompte expérience aura révélé le tort que le service
militaire cause à leurs affaires.
On comprend, de reste, où doivent mener de pareils
tempéraments, et l'on pressent de suite l'espèce de
soldats que peuvent représenter les volontaires.
DE LA FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. 395
Partant de ce principe qu'ils n'ont pas besoin d'être
instruits et exercés comme les soldats appelés à com-
battre en ligne, nos voisins, dans les débuts de l'orga-^
nisation, ont considéré, comme absolument perdu, le
temps qui n'était pas exclusivement employé à l'exer-
cice etau maniement de la carabine. Suivant l'opinion
générale en Angleterre, le volontaire ne doit être qu'un
simple auxiliaire pour l'armée et la milice, et la con-
naissance parfaite de son arme est tout ce qu'il lui faut
pour remplir ce rôle.
Nous verrons ailleurs quelles sont les conséquences
d'un pareil système, et nous en appellerons à l'histoire
pour montrer où il peut conduire.
Afin de réduire à sa plus simple expression l'ins-
truction militaire du volontaire, il avait été décidé,
dans le principe, que l'unité d'organisation serait la
compagnie. On avait pensé que des corps de 90 à
100 hommes, au maximum, pouvaient seuls se plier
à la pratique du système, tandis que des effectifs plus
considérables devaient entraîner la nécessité de
manœuvres trop difficiles et trop compliquées. Il est
résulté, de ce point de départ, un nombre infini de
corps différents et sans liaison entre eux. Chaque ville,
chaque bourgade, comme autrefois, en France, à
l'époque où florissait la garde nationale, a voulu avoir
sa compagnie de volontaires ; à tel point que leur
liste ressemble à une sorte de dictionnaire géographique
de la Grande-Bretagne.
Depuis, nos voisins ont reconnu que cette disper-
sion des volontaires était un obstacle invincible au pro-
396 CONSTITUTION ET PUISSiLNGE MILITAIRES
grès de Tinstitution. Ce n'est, en effet, que par la
réunion, la comparaison, Faction simultanée dans la
main d'un même chef, qu'on obtient rinstructiou, la
confiance, la force et tout ce qui fait une bonne troupe.
M. Herbert, s'inspirant des recommandations con-
tenues dans un récent ouvrage du lieutenant général
Macintosh (1), a ordonné, en 1860, la formation de
bataillons administratifs {administrative batlailons) des-
tinés à réunir et à exercer les corps de volontaires aux
manœuvres qu'un bataillon est appelé à exécuter lors-
qu'il est embrigadé, sans cependant diminuer en rien
l'indépendance complète qui caractérise la situation de
ces corps les uns par rapport aux autres.
Voici le texte même du mémorandum adressé aux
commandants de ces bataillons par le comte Grey,
sous-secrétaire d'État, et successeur de M. Peel au
War-Office :
« L'objet de la formation d'un bataillon administra-
» tif, est d'abord de réunir, sous un même chef, les dif-
» férents corps de volontaires appelés à le composer.
» Cette formation a aussi pour but d'assurer l'unifor-
» mité de l'instruction militaire en procurant à ces niê-
» mes corps l'avantage d'être exercés pardes officiers
» de l'armée régulière. Toutefois, il est bien entendu
» que le gouvernement ne prétend nullement s'im-
» miscer dans les détails de leur économie intérieure,
» ou de leurs règlements particuliers. Les corps de volon-
i> taires conservent toute leur indépendance^ et, en
(1) Defence ofLondon^
DE LA FRANGE ET DE L'ANGLETERRE. 397
» temps ordinaire, leur réunion en bataillons, pour les
» manœuvres, ne peut avoir lieu que de leur plein gré.
» Afin de mettre à Tabri de tout empiétement cette
» indépendancedes différents corps réunis en bataillons,
» il est essentiel que chacun d'eux continue à former
» une unité bien distincte, suivant Tesprit de l'acte de
» formation {volunleer acts) . En effet, si la situation
» cessait d'être ainsi définie, aux termes de Tacte de
» Georges III, 44, chap. 54, l'officier supérieur com-
» mandant un bataillon deviendrait de fait Tadminis-
» trateur de tous les corps qui le composent, tandis
» qu'il doit être bien compris, au contraire, que les
» pouvoirs que confère cet acte restent dans toute leur
D intégrité entre les mains de chaque commandant de
» corps distinct. »
Les pouvoirs auxquels il est fait ici allusion ne sont
pas sans importance : ainsi, ils confèrent à l'officier
commandant d'un corps de volontaires, le droit d'ac-
corder des permissions et congés ; — ils l'autorisent à
délivrer aux volontaires dont l'instruction est complète,
les certificats qui les affranchissent du tirage au sort
pour la milice ; — en vertu de ces mêmes pouvoirs,
Tofficier commandant a le droit de renvoyer un volon-
taire pour indiscipline, ou pour toute autre cause suf-
fisante (en dehors du service actif) ; — il peut le con-
damner à la prison pour refus formel d'obéissance ; —
il a le droit de désigner le lieu de réunion des armes et
de l'équipement, ainsi que les gardiens chargés de leur
conservation. Enfin, comme nous l'avons dit plus haut,
l'officier commandant est dépositaire légal de tous les
&98 COKSTlTUTIOfC KT PUISSANCE MlLlTAmfiS
fonds souscrits pour et par le corps qu'il commande.
De môme que les pouvoirs qui viennent d'être énu-
mérés, les règlements relatifs à chaque corps de volon-
taires, et qui ont été soumis à Tapprobalion du lord
lieutenant, restent en vigueur pendant sa réunion à
un bataillon administratif. Pour que ces règlements
puissent être modifiés, la sanction du lord lieutenant
et l'approbation du souverain sont indispensablt^,
comme lorsqu'il s'agit de leur première rédaction.
Ainsi limitée, la position de l'officier supérieur qui
. commande un bataillon de volontaires, présente une
grande analogie avec celle du colonel commandant la
brigade d'artillerie anglaise. Ses fonctions consistent à
surveiller l'instruction des divers corps de son bataillon,
à les inspecter de temps à autre, de manière à s'assurer
que les prescriptions ministérielles sont obsenées en
ce qui regarde l'armement, Thabillement, les marques
distinctives des grades, etc. En outre, à la parade, ou
sur le terrain de manœuvre, il a le droit de prendre le
commandement des troupes, comme aussi celui de
régler les exercices des corps qu'il autoriseàse réunir
pour évoluer ensemble.
L'adjudant, dans les corps de volontaires, est choisi,
le plus souvent, parmi d'anciens officiers de l'armée ou
de la compagnie des Indes. Bien que placé sous les or-
dres de Tollicier supérieur (/îe/c/o^cer) commandant le
bataillon, il doit, avant tout, se conformer aux instruc-
tions émanant du War-Office, et qui lui sont trans-
mises à la fois, par Tinspecleur général des volontaires,
et par son commandant de bataillon. Indépendamment
DB LA t^RANCE ET DE L ANGLETERRE. â9d
des devoirs ordinaires qui incombent à Tadjudant des
régiments de ligne, Tadjudant d'un bataillon de volon-
taires est tenu de visiter les différents corps qui com-
posent son bataillon, aussi souvent quele permet leur
éloignement, et chaque fois que Tordre lui en est donné
par soncommandant.il doit tenir le contrôle nominatif
des hommes de chaque corps, et, tous les mois, enregis-
trer les mutations d'après les situations fournies aux
commandants de ces corps. L'adjudant est encore char-
gé, sous la direction de Tofficier supérieur, de la corres-
pondance relative aux affaires du bataillon, et c'est lui
qui établit tous les rapports demandés par le ministre
de la guerre.
Les commandants des corps de volontaires doivent
correspondre avec le ministre de la guerre et avec
le lord lieutenant de leur comté, par l'intermédiaire
de l'officier supérieur commandant le bataillon dont
ils font pariie. C'est aussi par le même canal que doi-
vent leur être transmis les ordres ou instructions
émanant de ces deux autorités.
Tout commandant d'un corps distinct est respon-
sable des armes et équipement fournis par le gouver-
nement aux volontaires sous ses ordres. Il l'est aussi de
toutes les sommes qui peuvent être dues en raison de
ces fournitures. Quant à la correspondance relative à
cet objet, elle doit, comme toute autre, passer par
l'officier supérieur commandant le bataillon.
Lorsque plusieurs corps distincts sont réunis pour
l'exercice du tir ou pour tout autre objet, l'officier
présent, le plus ancien, exerce le commandement gêné-
&00 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
rai, et devient responsable pour tout ce qui touche au
maintien du bon ordre et de la discipline parmi les
volontaires réunis sous les armes. Cette autorité tem-
poraire ne lui donne, du reste, aucun droit d'interven-
tion dans l'économie particulière de chaque corps.
Les officiers de volontaires régulièrement nommés,
lorsqu'ils sont en uniforme, ont droit, suivant leur
grade, au même salut que les officiers des gardes, de
la ligne et de la milice.
Les postes rendent aux volontaires sous les armes les
honneurs prescrits au paragraphe 24 du règlement
sur le service intérieur {Queen's régulations) {!)•
On peut juger, par ces dernières dispositions, du
soin que met le gouvernement anglais à rehausser, par
tous les moyens, la considération et Timportance des
volontaires.
On pense, en Angleterre, qu'en raison des clôtures
sans nombre qui divisent le pays, et des obstacles qui
arrêtent à chaque pas les mouvements des troupes
régulières, des corps de francs tireurs composés
d'hommes ayant vécu ensemble, confiants dans leurs
camarades, et sûrs de leur arme, ne peuvent manquer
de gêner beaucoup la marche d'une armée ennemie en
agissant sur ses flancs et ses communications.
Le maniement de la carabine, et la pratique du tir,
étant les points essentiels sur lesquels doit porter
l'instruction du volontaire, le gouvernement anglais a
(1) AUgoardsare to be under arms when armed parties approadi
their posts ; — and to parties commanded by commissioned offiœn»
they are to présent ibeir arms, beat a march, officers salaUng.
DB LA FRANCE ET DE l'aNGLETERRE. AOl
encouragé, par tous les moyens possibles, l'établisse-
ment de champs de tir, dans les localités où des corps
se sont formés. Il a autorisé, au prix coûtant, Fachat
de cibles tirées des magasins de l'État, et il a accordé,
dans les mêmes conditions, des livraisons annuelles de
munitions d'exercice et de tir, à raison de 900 car-
touches à balles, 120 cartouches à poudre et 352 cap-
sules par volontaire ayant terminé son instruction.
Chaque nouvel admis a droit, en outre à HO cartou-
ches à balles, 20 cartouches à blanc et 143 capsules.
Pour les préliminaires do Finslruction on ajoute
encore 40 autres capsules (1).
Dans le principe, ainsi que nous Pavons dit plus
haut, chaque volontaire devait s'armer à ses frais.
Outre que cette dépense assez lourde contribuait beau-
coup à arrêter l'élan des enrôlés, il résultait encore de
cette obligation une variété telle, dans le calibre des
carabines et dansle modèle de leurs cheminées, que lés
cartouches et les capsules délivrées par le gouverne-
ment ne pouvaient pas servirle plus souvent.
Afin de donner une impulsion plus grande à l'agita-
tion d'où était sortie l'organisation des volontaires, le
(1) Lorsque nous étudierons inorganisation de PËcole de Hythe
qui tient en Angleterre la place occupée chez nous par l*Ëcole de tir
deVincennes, nous aurons occasion de remarquer la grande ana-
logie qui existe entre les procédés suivis chez nos voisins pour for*
mer de bons tireurs, et le règlement nouveau qui vient d'êlru mis
en vigueur dans nos régiments. Le snapping practice auquel sont
consacrés les kO capsules dont il est parlé ici, correspond à la pé-
riode de rinstruction pendant laquelle on exerce aussi nos recrues
à ajuster, à éteindre des chandelles, avec do simples capsules.
26
AO^ CONSTITUTION ET PUISSANCB MIUTAIfiBS '
gouvernement anglais s est décidé d'abord à accorder
gratuitement 25 pour 100 des armes que réclamait
TefiFectif ; c'était déjà quelque chose, mais ce n'était pas
encore assez ; l'institution se développait lentement, et
' malgré toutes les réclames publiées par les journaux, le
nombre des volontaires n'augmentait pas. Le gouver-
nement dut se décider à faire une nouvelle distribution
qui porta à 50 pour 100 de l'effectif le nombre des
armes gratuitement délivrées. Aujourd'hui, la totalité
des volontaires est année avec des carabines de TÊtat,
ce qui n'a pas laissé que d'occasionner une assez forte
dépense, et par suite un certain mécompte dans les
espérances d'économie qui se basaient sur ce mot
magique de « volontaires » .
Ce n'est pas tout, ce matériel considérable représente
une valeur trop importante, pour que son entretien ne
soit pas l'objet de préoccupations assez désagréables.
Les armes, surtout celles de précision, se d^radent
très vite lorsqu'elles ne sont pas l'objet desoins intelli-
gents; or, l'autorité militaire a bien pu décréter que
les carabines distribuées doivent être entretenues en
bon état, et placées en sûreté {areiobe kept clean and in
a place of security)^ mais, d'une part, la faculté de
garder son arme dans sa maison, si elle est laissée au
volontaire, sera une assez pauvre garantie contre la
rouille; d'un autre côté (bien que nous n'ayons pas à
nous occuper de l'Irlande qui n'a pas été autorisée à
lever des volontaires), est-il bien établi que, même en
Angleterre, les carabines ainsi disséminées soient par-
tout en sûreté? Ces considérations conduisent naturel-
M LA PEANCB Et DE L^ANGLETEllRB. &0à
lement à reconnaître le besoin d'un local où les cara-
bines seront déposées dans l'intervalle des exercices, et
la nécessité d'un armurier chargé de les entretenir.
Si l'on ajoute au prix que coûtera la location de ces
salles d'armes les gages de l'armurier, le prix des
munitions, la réparation des cibles et des buttes, la
location du champ de tir, les appointements de l'ins-
tructeur, et nombre d'autres dépenses accidentelles, on
arrive à cette conclusion que chaque compagnie de
volontaires se trouve obligée de s'imposer (le calcul a
été fait), une contribution qui varie annuellement
de 120 à 160 livres sterling, c'est-à-dire de 3,000 fr.
à 4,000 fr.
Nos voisins sont calculateurs; ce n'est pas la moindre
de leurs qualités; aussi, après avoir fait assez bon mar-
ché des sacrifices que la tenue et l'équipement leur
imposaient, nombre de volontaires, si noussonimes bien
informés, ont senti leur enthousiasme se refroidir en
voyant qu'il fallait encore mettre sans cesse la main à
la poche, ou se résigner à demandei* l'aumône pour
avoir l'honneur de serviç la vieille Angleterre. Nous
verrons plus loin les conséquences de cette situa-
tion.
Puisque nous venons de parler de la tenue des volon-
taires, c'est peut-être ici le moment de décrire leur
uniforme. Au début, cette question était abandonnée
au choix de chaque corps; Tapprobation du lord lieu-
tenant était la seule formalité à remplir. 11 est pro-
bable que cette latitude a conduit, dans certains
comtés^ à d'assez grotesques résultats, car le ministère,
llOk CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
revenant sur sa première décision, a cru devoir nom-
mer une commission spéciale pour déterminer les
modèles à adopter.
Le type ministériel consiste dans une tunique gris
brun, à un rang de boutons, avec un collet de même
couleur, et haut d'un pouce trois quarts. Sur la manche
est brodé un nœud hongrois. Le choix de la couleur du
galon avec lequel cet ornement est confectionné estlaissé
à la discrétion de chaque corps, et sert de marque
distinctive.
Le pantalon, coupé large de hanches jusqu'au cou-
de-pied, est orné sur la couture d'un passe-poil de
même couleur que celui de la tunique.
La coiffure est de la même étoffe que les autres effets
d'habillement; c'est une espèce de képy soutaché avec
le même galon que le pantalon et la tunique.
Le ceinturon, en cuir fauve, porte une cartouchière
pouvant renfermer 30 cartouches, et recevoir les
ustensiles nécessaires pour l'entretien de l'arme. Une
bandoulière qui passe sous le bras droit et sur Tépaule
gauche, aide à soutenir le ceinturon ; elle se boucle sur
la poitrine.
Les guêtres en peau de mouton, d'une couleur
assortie avec celle du ceinturon et de la giberne, sont
coupées de manière à former comme la continuation
du soulier.
Le manteau, du même drap que la tunique, descen-
dant à deux pouces au-dessous du genou, forme une
espèce de double vêtement qui se boutonne jusqu'au
coi. Un capuchon mobile, analogue à celui du caban
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. &05
de nos officiers d'infanterie, lui permet de garantir
la tète.
L'uniforme des volontaires de rartillerie diffère peu
de celui de l'infanterie quant à la coupe ; seulement, il
est en drap bleu ; le galon d'ornement est écarlate, et le
cuir du ceinturon et des guêtres est noir'.
Le but principal do l'organisation des canonniers-
volontaires est de fournir des servants aux batteries
élevées pour la défense des villes maritimes. Au moyen
de ces auxiliaires, on espère rendre l'artillerie royale
et celle de la milice complètement disponibles pour
les autres services.
Les canonniers- volontaires appartiennent à' une
autre catégorie d'individus que les carabiniers ou
tirailleurs. Ils ne sont pas, en cas de guerre, destinés à
un service aussi actif que ceux-ci. On a pensé que des
gens mariés, et auxquels leurs occupations ne per-
mettaient pas de s'absenter du lieu de leurs résidences,
pouvaient être cependant exercés à la manœuvre des
pièces de côte situées dans leur voisinage, sans qu'il
en résultât d'inconvénients sérieux pourtours affaires.
Exposés, eu première ligne, aux dangers que l'orga-
nisation générale doit conjurer, les volontaires de la
côte ont, s'il est possible, un intérêt plus grand encore
que ceux de Tintérieur à donner tout leur concours au
système de défense sur lequel repose la sécurité de
leur famille et de leurs propriétés.
Le principe sur lequel repose l'organisation des tirail-
leurs ou carabiniers volontaires est également admis
dans celle des artilleurs, avec cette différence, cepen-
406 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIBGS
dant, que ceux-ci sont divisés en fractions encore moins
nombreuses. Ainsi, la combinaison plus particulière-
ment recommandée pour ces derniers, est celle de
l'association d'une dizaine ou d'une douzaine, au plus,
d'individus, se connaissant parfaitement entre eux,
habitant les uiis près des autres, et chargés d'une façon
invariable, du service d'un même canon placé en bat-
terie, en quelque sorte à leur porte.
Chaque escouade compte un chef et un instructeur
chargé de diriger la manœuvre. Appelés à servir tou-
jours la même pièce, les canonniers volontaires ne
peuvent manquer de devenir parfaitement au courant
de sa portée, de ses effets, et des directions dans les-
quelles elle doit particulièrement être pointée.
Comme complément du système que nous venons
d'analyser, le gouvernement anglaisa encore recom-
mandé la formation de Sociétés destinées à manœuvrer
les chaloupes canonnières dans les ports de commerce,
à l'embouchure des rivières et sur les rades ouvertes.
Rappelant le nombre considérable de bâtiments, de
chantiers, de magasins, qui se trouvent exposés, sur
ces différents points, aux attaques du premier corsaire
venu, les autorités maritimes supposent que les con-
structeurs et armateurs doivent regarderie développe-
ment de ces associations comme étant du plus haut
intérêt, et qu'ils doivent non-seulement les favoriser
de tous leurs efforts, mais encore mettre à leur dispo
sition les embarcations susceptibles d'être armées en
canonnières dont ils se trouvent possesseurs.
Nous avons exposé^ dans les lignes qui précèdent.
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE, Û07
l'ensemble de ror^anisation des \olontaires anglais;
nous avons vu comment ils étaient recrutés, armés,
habillés et instruits ; il nous reste à apprécier les ser-
vices qu'ils peuvent rendre. Avant d'examiner si la
valeur de l'institution est bien en rapport avec tout le
bruit qui en a été fait chez nos voisins; avant de discu-
ter les opinions contraires qui se sont produites quant
à son efficacité, nous terminerons ce chapitre, en met-
tant sous les yeux de nos lecteurs, l'un des documents
les plus curieux auxquels ait donné lieu la polémique
soulevée en Europe par l'organisation des volontaires
anglais : c'est la lettre suivante de Garibaldi publiée par
un des journaux mihtaires de Londres (1).
« Je vous remercie de la confiance que vous
» voulez bien me témoigner en me demandant mon
» opinion au sujet de l'armement des volontaires
» anglais. Votre comparaison entre la liberté anglaise
» et la liberté italienneest parfaitement juste, et je suis
» complètement de votre avis. Aujourd'hui, et au
» degré de civilisation où le progrès a conduit la société
» moderne, il n'est plus possible qu'une portion de la
» famille humaine reste condammée à la servitude et
» à la dégradation. En ce qui regarde les volontaires,
» j'estime que l'Angleterre a pris le meilleur parti en
» décidant cet armement ; par cette sage mesure, elle
» a rendu son territoire inexpugnable pour une inva-
» sîon étrangère. Plût à* Dieu que mon pays voulût
» suivre cet exemple
(1) V United service Magazine
ft08 CONSTITUTION tT PUISSANCE MILITAIRES
» Il est un fait matériel qui domine tous les prin-
» cipes dans Tart de la guerre ; — c'est la défaite de
» Tennemi — cette vérité passe avant toutes les théo-
» ries. La retraite des troupes les mieux disciplinées
» de r Autriche devant les zouaves moins bien discipli-
» nés, prouve qu'un homme peut être soldat sans être
» emprisonné dans un col et dans un uuifornie
» (wiihout wearing a iight tunic or a tight craval).
» Les bergers de Paul-Émile armés seulement de poi-
» gnards culbutant les Macédoniens, ces terribles
» conquérants de VAsie; les voltigeurs français des
1) armées de la République, et depuis, les bersaglieri
» et les zouaves à San-Martino, à Magenta, à Pales-
» troet à Solferino, ont prouvé que les masses nesuf-
» usaient pas sur les champs de bataille, et que volon-
» taires, zouaves ou bersaglieri n'avaient pas besoin
» d'être dressés à combattre en ordre comme les troupes
y> de ligne. La discipline, sausaucun doute, est la base de
» l'organisation de toute armée ; et sans elle il n'y a pas
» possibilité de faire la guerre; mais quel besoin des
» volontaires qui ont juré de ne pas abandonner le dm-
» peau de leur pays en péril peuvent-ils avoir d'une
» discipline pareille à celle des corps réguliers. Le patrie-
» tisme et l'enthousiasme ne sont pas des sentiments à
» dédaigner, et leur puissance vaut bien la régularité des
» troupes de ligne ; la meilleure preuve, c'est que, dans
» toutes les guerres, les généraux habiles, dans leurs
» harangues, ont toujours fait appel à ces puissants
» auxiliaires. D'un autre côté, n'a-t-on pas vu Napo-
» léon 1", le maître de la moitié de l'Europe, el U chef
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. Û09
D de la meilleure armée qui fût au monde, vaincu par
» le patriotisme des Anglais, de ces boutiquiers
» {shopkeepers) comme on les appelait, et desquels il
» n'avait certes pas grande opinion (1) !
0 Si la Grande-Bretagne organise les 200,000 volon-
» taires qui, en cas de nécessité, serviront de noyau au
» million de patriotes quelle pourra appeler sous les
D armes ; si elle continue à les exercer (ce qui ne saurait
» être difficile pour des Anglais), de manière à les ren-
» dre aussi disciplinés que des troupes régulières {so
» Ihat ihey become as disciplined as regular Iroops) (2),
» on verra alors qui osera envahir l'asile de tous et la
» protectrice de l'univers!
» Je pense que l'extrême régularité recommandée
» dansTétablissement des lignes et dans la manœuvre
(1) Depuis longtemps, il est admis, en Angleterre, que nos zoua-
ves, nos turcos et nos chasseurs à pied sont les trompes du monde
les plus indisciplinées. Peut-être n'élait-il pas inutile de les repré-
senter ainsi, pour leur faire jouer d'une manière plus efûcace le
rôle d'épouvantail auprès des braves cockneys de Londres. Au reste,
on ne doit vraiment plus s'étonner de ce jugement erroné de la par
de nos anciens alliés de Crimée, lorsqu'on voit un homme qui, na-
guère encore, combattait côte à côte avec Tarmée française, profes-
ser la même opinion. Tous les militaires sérieux savent cependant
que tous les régiments passent en France par les mêmes degrés
d'instruction, etsontsoumisà une discipline invariable La vivacité
de nos chasseurs, l'élan de nos zouaves, et la fougue de nos turcos,
ne les empêchent nullement de manœuvrer avec toute la correction,
avec tout l'aplomb et toute la régularité de n'importe quel régi-
ment.
(2) A quoi bon, si cette discipline est si inutile, et doit ajouter
si peu à leur valeur.
410 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
» des masses, est poussée beaucoup trop loin, tandis
» que l'étude dès ordres de bataille à rangs ouverts
» {the open order ofbattlè) est trop négligée. Ce dernier
» genre de manœuvres devient cependant chaque jour
» plus utile sur les champs de bataille, par suite du
» perfectionnement des armes à feu, et à cause des
» nombreux obstacles que la division de la culture
D accumule sur tous les terrains. S'il est un pays au
» monde qui ait servi de théâtre aux hostilités dans le
» passé, et qui semble destiné au même rôle dans le
» présent, c'est bien certainement la malheureuse
» Italie. Or, combien y a-t-il d'endroits en Italie où
» un escadron et un régiment puissent combattre en
» ligne? Très peu à mon avis. Au contraire, tous les
» terrains sont également bons pour les bersaglieri,
» Pour me résumer, je pense que plusieurs lignes de
» tirailleurs, convenablement soutenues par un petit
» nombre de troupes massées, constituent le meilleur
» ordre de combat, en Italie, comme dans beaucoup
» d'autres pays; et mon opinion est que des volontaires
» peuvent se plier à ce genre de tactique tout aussi
» bien que des troupes régulières.
» J'ai lu le remarquable écrit de sir John Burgoyne
» sur les volontaires, et, bien que je ne sache pas assez
]> l'anglais, et que le temps m'ait manqué pour me
» former une opinion bien approfondie sur cet ouvrage,
» il m'a paru l'œuvre d'un soldat intelligent et qui a
» dû assister à plusd'une bataille. Cependant, je ne puis
» partager son avis, quand il dit que 50,000 vétérans
» doivent avoir raison de 100,000 volontaires; au
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 411
» moins, si ces derniers ont le degré de discipline que
» toute troupe doit avoir, et surtout si c'est l'amour de
» la patrie qui a armé leurs bras. Je ne sais pas de
» quelle manière les volontaires anglais sont organisés,
» mais je pense que pour tous les corps de cette espèce,
» rinstructiou qui convient le mieux est celle des ber-
» saglieri. La légèreté de leur uniforme, leur habitude
» du combat à rangs ouverts, qui ne les empêche pas,
» cependant, lorsque l'occasion l'exige, de se former
» en masse ; enfin, l'extrême promptitude de tous leurs
» mouvements, les rend, à mes yeux, les premiers
» soldats du monde. Je voudrais voir l'armée italienne
» composée exclusivement de bersaglieri, et je nedoute
» pas qu'une organisation semblable ne soit parfaite-
» ment réalisable en Angleterre où le soldat est si
x> renommé pour son intrépidité et son sang-froid au
» feu.
» Honoré de la confiance que vous avez mise dans
» mon jugement, je vous ai répondu comme un ami
» à un ami, c^est ce que doivent être tous les Italiens
» pour la généreuse nation anglaise.
» Votre fidèle,
D Garibaldi. »
On ne saurait contester qu'au milieu d'idées erronées
et contradictoires, cette lettre du célèbre partisan ne
renferme plusieurs enseignements utiles; nous nous
proposons d'examiner plus loin dans quelle mesure ces
préceptes sont applicables aux volontaires anglais.
412 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
CHAPITRE XIX.
Composition de V armée de seconde ligne en Angleterre [saiie)» —
Examen critique du système des volontaires; — l'idée de leur for-
mation n'est pas nouvelle ; — les volontaires de 1803. *— Opinioo
de M. Dupin. — Au lieu des 500,000 volontaires sur lesquels on
comptait en 1860, à peine en a-t-on trouvé 150,000. — Chiffre
actuel des dépenses de l'organisation ;— satisfaction de TAugle-
terre, et stupéfaction de l'Europe à propos des volontaires; ~
opinion relative à l'effectif de l'armée ançclaise. —Discussion des
exemples cités par M. Dupin, à l'appui de l'efflcacllé des voloa-
taires.— Opinion du général Burgoynesur les guérillas espagnols.
»R61e des volontaires américains pendant la guerre de Tiiidé-
pendance*— Siège de Québec, bataillesdeBroklyn,deHobkirk,etc.
— Les Américains n'auraient jamais conquis leur liberté sans le
secours des troupes de Rochambeau. ~ Comparaison entre les
guerres d'Amérique de i 775 et de 1861 ; — ce qui se passe aujour-
d'hui aux États-Unis est la condamnation, sans appel, du système
des volontaires. — La bataille de Bull's Run ; — les volonlaires
de la république française. — Opinion de Napoléon, de Jomini,
de Napier,de Wellington, deDumouriez,dei>amarque, etc., etc.,
sur les volontaires et les troupes irrégulières. *- Les Anglais, et
non les guérillas, ont sauvé l'Espagne; ~ sans l'armée Trancaise,
les volontaires belges n'auraientpu secouer le joufc delà Hollande,
— sans les armées régulières de la France et du Piémont, les vo-
lontaires de Garibaldi auraient eu, en 1859, le sort des corps
francs de 1868. — Résumé : au point de vue économique, comme
au point de vue militaire, l'institution des volontaires anglab est
une erreur.
Nous avons exposé, dans le chapitre précédent, les
bases réglementaires de l'organisation des vohniaires
anglais. Nous avons indiqué les nécessités, pi*étendues
ou réelles, auxquelles devait pourvoir cette institutioo.
DE L\ FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. &13
Nous allons examiner actuellement de quelle manière
elle fonctionne, et dans quelle mesure elle peut ga-
rantir ce degré de sécurité que réclament nos voisins.
Disons-le tout d'abord, cette idée d'une force mili-
taire purement éventuelle, et pouvant dispenser le
pays, soit en partie, soit en totalité, de la lourde charge
imposée par l'armée permanente, n'est pas nouvelle
en Angleterre.
En 1803, à l'époque où l'armée française, réunie
sur les côtes de Boulogne, menaçait la Grande-Bre-
tagne d'une invasion, un mouvement analogue à celui
dont nous étudions eu ce moment les résultais, se pro«
duisit de Tautre côté du détroit.
Un mois avant la déclaration de la guerre, le goir-
vernement anglais, indépendamment de ses troupes de
ligne, ûroyait pouvoir compter sur une réserve de près
de 600,000 hommes, ainsi répartis :
UUicê. 83,8â0
Corps de réserve. 3/i,i62
Volontaires. . . . &7/i,627 (officiers, sous-ofSciers et soldats.)
« Lors de cet admirable mouvement, dit M. Dupin,
» la plupart des militaires s'élevèrent avec fureur con-
» tre le système de la milice et des volontaires. Ils af-
» feclaient un souverain mépris pour ces forces natio-
» nales, commandées par des oiBciers dont la plupart
» n'avaient pas fait, en présence de l'ennemi, l'ap-
» prentissage de la guerre. Une armée régulière, une
x> armée permanente, aussi nombreuse que possible, et
» même un peu mieux payée que possible, leur parais*
41 & GONSÎltUTlON ET PUISSANCE MtLlTÀI&E$
» sait la seule garantie de salut de la Grande-Bre-
» tagne. I^s écrits militaires, publiés au temps dont
» nous parlons j sont pleins de ces erreurs, »
Nous discuterons ailleurs cette opinion de l'auteur
des Voyages dans la Grande-Bretagne ^ comme aussi
celles des quelques autres rares avocats du système des
volontaires. Pour le moment, bornons- nous à faire re-
marquer que la force imposante produite par cet ad-
mirable mouvement de 1803, ne figura jamais que
sur le papier. Grâce à un concours de circonstances,
les unes imprévues, les autres habilement amenées
par le cabinet de Saint-J^mes, Torage qui menaçait la
Grande-Bretagne fut détourné. Les volontaires de 180S
étant restés fort paisiblement dans leurs foyers, il est
assez difficile de fixer le nombre des soldats effectifs
qu'ils auraient pu fournir. Si nous en jugeons parce
qui s'est produit en 4859 et 1860, nous pensons qu*il
y aurait eu beaucoup à rabattre des chiffres de M. Du-
pin. L'enthousiasme étant spontané, est parjcela même
fort irrégulier, aussi ne doit -on pas s'étonner si les
résultats qu'il fournit sont aussi variables. Toujours
est-il que, malgré l 'agitation provoquée par la presse,
malgré les appels incessants faits depuis deux ans au
pays, et en dépit des avantages successifs accordés aux
volontaires par le gouvernement (1), nos voisins ont
(i) Dans le principe, comme nous Tavons dit aiUeurs, le voIod-
taire devait pourvoir, sans exception, à tous 1rs frais de son habille-
ment, de son équipement et de son armement Après avoir accordé
un certain nombre de carabines, à raison du quart de refîectif, le
^uvernement anglais s'est vu obligé de pourvoir à Tarmement de
0g LA FEANC6 Et DB L ÀNGLEXlSREB. 415
éprouvé une assez triste déceplion. Au lieu de 500,000
volontaires sur lesquels on croyait pouvoir compter,
comme en 1803, c'est tout au plus s'il en existe, à
rbeure qu'il est, 150,000 régulièrement inscrits sur
les contrôles.
Ceci posé, quant au chiffre qui va servir de base
à nos calculs (1), examinons, militairement parlant,
la valeur réelle qu'il convient de lui assigner. En ad-
mettant que pas un seul de ces volontaires ne manque
à rappel au jour du danger, est-ce à dire que TAnglo-
terre dispose aujourd'hui de 150,000 soldats de plus
qu'il y a trois ans?
Certes, on serait tenté de le croire, et nos voisins
auraient enfin trouvé la panacée qui doit les guérir de
leurs alarmes et de leurs paniques, si nous devions
nous en rapporter à la satisfaction qui s'épanche dans
toutes les feuilles anglaises, ou qui se traduit à si grand
bruit dans les discours prononcés, après boire^ de l'au-
tre côté du détroit.
Écrivains ou orateurs, semblent faire assaut de ly-
risme pour peindre la stupéfaction de TEurope en
présence du spectacle que lui donne la vieille Angle-
terre. S'il faut croire celui-ci, l'organisation des vo-
la totalité. Plus tard, il a été entraîné à fournir les munitions, au-
jourd'hui on demande Féquipement, etc.... bref, lesdépenses occa-
sionnées par les volontaires figurent déjà au budget pour 133,000 liv.
steding, soit trois millions et demi ; — On ne s*arrètera pas en si
beau chemin.
(1)11 n*est pasinutiie de faire remarquer que ce chifTre de 150,000
volontaires est précisément celui proclamé par lord Palmerston, dans
UD récent discours.
416 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
lontaires est, sans contredit, le plus grand événement
des temps modernes/Suivant un autre, cette manifes-
tation du patriotisme indomptable de la race anglo-
saxonne est un fait sans précédent dans rhistoire ;
c'est un exemple qu'aucune autre nation de l'Europe
n'aurait osé donner au monde civilisé. Partout ailleurs,
ajoute un troisième, ce mouvement irrésistible, qui
n'est, pour la Grande-Bretagne, qu'une garantie de
plus donnée au bon ordre, à la paix, à la sécurité, à
la liberté, aurait infailliblement abouti, sur le conti-
nent, à la confusion, à la révolution et à l'anarchie.
Tel est, en résumé, le jugement porté sur les volon-
taires, de l'autre côté du détroit, par l'universalité des
journalistes, par nombre d'hommes politiques, et
même, nous ne devons rien omettre, par quelques mi-
lilaires.
Toutefois, aujourd'hui, comme en 1803, la plupart
de ces derniers sont loin d'accepter les opinions en-
thousiastes que nous venons d'enregistrer. Les géné-
raux Wilson, Stuart, etc., et tant d'autres dont
M. Dupin faisait le procès il y a un demi-siècle, ne
manquent pas de successeurs tout aussi peu disposés à
partager les illusions de leurs adversaires au sujet des
volontaires anglais (1).
L'organisation de cette force ayant pour objet spé-
(1) Sans parler de sir Francis Head ou du général Burgoyne«
nous avons vu un noble lord, en possession d* un commandement
imporlanl chez nos voisins, déclarer nellement que les volonlaîres
étalent «a loose and useless force, ivhich necer could be efficient in
the fieldy and which no gênerai officer woulJ command ».
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETEHRE. 417
cial, pour but parfaitement avoué, de mettre la Grande-
Bretagne à l'abri d'une invasion de la France, il est
intéressant, même en admettant toute l'improbabilité
d'un pareil événement, d'apprécier dans quelle me-
sure ces volontaires sont à la hauteur de leur tâche, et
qui a raison, de leurs avocats ou de leurs détracteurs.
A la guerre, il n'est pas plus sage de mépriser son en-
nemi que de surfaire sa propre force.
La question de l'efficacité des volontaires, et, eu
général, des troupes nationales irrégulières de toute
sorte est complexe : la diversité des jugements portés
sur cette institution par des hommes paiement sé-
rieux, tient évidemment, selon nous, aux points de
vue différents sous lesquels elle a été envisagée; aussi,
il nous semble que pour la bien décider, en ce qui re-
garde nos voisins, il est essentiel avant tout de la bien
préciser.
L'avantage que présentent l'armement et la levée
en masse d'un pays dont le territoire est envahi^ ne sont
pas à démontrer^ L'utilité, la nécessité de ce concours
pour l'armée régulière, dont la faiblesse ou Vinsuf^-
sance aura permis xin pareil désastre sont évidentes.
Ici il n'est pas besoin d'en appeler à l'histoire, le simple
bon sens suffit pour décider la question.
En ce qui regarde l'Angleterre, les termes de la
proposition sont loin d'ôtre aussi simples. Suivant l'o-
pinion des militaires les plus expérimentés, de l'autre
côté du détroit, l'effectif de l'armée permanente, mal-
gré les charges écrasantes qu'il impose à l'État, n'est
pas à la hauteur de la tâche à remplir, tant à l'exté-
27
4f8 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILlTÂtAES
rieur qu'à l'intérieur. D'un autre côté, il semble re-
connu que cet effectif, sous l'empire des institutions
qui régissent Tarmée et le pays, ne peut être porté à
son chiffre nécessaire, sans une réforme radicale que
la nation repousse, et qu'aucun ministère n'oserait
tenter (1).
Dans cet ordre d'idées, il ne faut donc plus voir
seulement, dans les volontaires anglais, de simples
auxiliaires de l'armée régulière pour le cas d'une lutte
suprême ; il devient nécessaire de' les considérer (sui-
vant la pensée qui a présidé à leur organisation), non
pas comme une force éventuelle et accessoire, mais
comme portion intégrante d'un système militaire dont
l'insufiisance est notoire. Il faut les étudier comme le
moyen prétendu le moins dispendieux d'assurer à
l'Angleterre le chiffre des défenseurs qui lui font dé-
faut; il faut les envisager, en un mot, au point de vue
militaire, comme au point de vue économique.
Nous avons dit qu'en 1803, comme de nos jours,
les militaires les plus expérimentés s'étaient montrés
peu favorables à l'institution des volontaires anglais.
Il nous semble facile de prouver que cette opinion est
dictée par des mobiles plus nobles, et surtout plus sé-
rieux que ceux qui lui sont attribués par l'auteur des
Voyages dans la Grande-Bretagne.
Ce qui constitue la force etTefiBcacité d'une troupe,
c'est l'habitude et l'amour du métier militaire, la dis-
cipline et la conflance en soi-même et dans les autres.
(1) Nous voulons parler de la conscription.
DB LA FEÂlfCE BT DE L ANGLETEHUB. &1Q
M. Dupîn veut bien convenir que dans les premiers
temps d'une guerre, les volontaires n'auront ni l'en-
semble, ni le sang-froid, ni la solidité des soldats de
profession. Mais, d'un autre côté, il prétend aussi
qu'une armée régulière, nombreuse et parfaitement
exercée n'est pas toujours une sauve-garde suffisante,
ni une garantie certaine contre le premier choc de la
guerre. H en atteste la prise d'Ulm et la bataille
d'Iéna.
A l'exemple tiré de la bataille d'Iéna, il suffit de
répondre que Tarmée prussienne avait à combattre
contre les premières troupes du monde, dirigées par
les meilleurs généraux de Tépoque, et qu'en définitive,
il faut toujours bien, dans une bataille, qu'il y ait un
côté vainqueur et un côté vaincu. Si l'armée prus-
sienne, malgré sa bonne organisation, n'a pu protéger
un territoire sans frontières naturelles, et qu'une ba-
taille perdue ouvrait fatalement à l'invasion, nous
pensons qu'une armée de volontaires eût été bien
moins à même encore de remplir cette tâche. Quant
à la capitulation d'Ulm, elle ne prouve qu'une chose,
c'est qu'un chef inexpérimenté ou pusillanime peut
toujours être battu, en dépit de la valeur de ses trou-
pes et de la force de ses positions. Sans même aller
aussi loin, ne peut-on pas en dire autant de tout gé-
néral médiocre, ou seulement inférieur en talent à son
adversaire? Les exemples d'Ulm et d'Iéna ne nous
jsemblent donc fournir aucun argument décisif, quant
à la valeur relative des troupes régulières et des vo-
lontaires.
&20 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Chacun étudie Tbistoire à sa façon et pour les be-
soins de sa cause; mais il n'est pas rare, il y a long-
temps qu'on Ta dit, que le même fait fournisse à la fois
des armes pour et contre la même [thèse. M. Dupin
est-il bien sûr d'avoir Tassentiment des Anglais (vo-
ontaires ou non), lorsqu'il résume en ces termes leur
campagne de la Péninsule :
« Les forces espagnoles n'étaient que des volontaires,
» lors du soulèvement de l'Espagne en 1808. Ces
9 gardes nationales, soutenues seulement par AO^OOO
n soldats anglais, ont fait face aux meilleures troupes de
» l'Europe; elles ont fini par en triompher. »
Nous pensons que l'armée anglaise a tenu en Es-
pagne une place quelque peu plus importante que les
paysans et les moines fanatiques auxquels M. Dupin
fait une si belle part. Nous discuterons plus loin la va-
leur des services rendus par ces derniers; mais, ad-
mettant, pour un instant, toute la prépondérance
qu'on leur a souvent attribuée, faudrait-il en conclure
que les volontaires anglais, si grand que soit leur pa-
triotisme, soient aptes à jouer un rôle semblable ?
« Je m'adresse, dit M. Dupin, à tous les généraux
» anglais qui se sont montrés le plus opposés aux to-
» lontaires et à la milice, à sir Robert Wilson, au gé-
» néral Stewart, etc. : je n'ai qu'une question à leur
» faire. Dans Thypothèse où les Français auraient
» passé la Manche pour envahir l'Angleterre, suppo-
» seront-ils que les milices, les volontaires à pied, les
» cavaliers yeomen de la Grande-Bretagne, secondant
» l'armée régulière, destinée par la fortune à nous
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 621
» combattre dans l'Espagne et le Portugal, auraient eu
» moins d'énergie que n'en ont eu des moines et des
» guérillas?... Supposeront-ils que les gardes natio-
» nales d'uu pays libre auraient aidé moins puissam*
» ment leur propre armée de ligne, pour défendre
» une constitution révérée et des institutions chéries,
» que les soldats des Cortès combattant à côté des en-
» seignes étrangères pour rappeler l'ancien régime de
» l'Espagne? Pourc^ioi donc ces généraux, qui jamais
» n'ont douté de la libération de l'Espagne, doutaient-
» ils si fort de la défense de leur patrie, confiée à la
» vaillance des volontaires anglais? Je suis loin de
» soupçonner leur patriotisme et leur loyauté. Mais il
» faut convenir qu'entraînés par leur grand amour
» pour la profession des armes* ils ont erré, lorsqu'ils
» n'ont vu de salut pour leur pays que dans les sol-
» dats, et surtout dans les officiers de la ligne. »
Il est fort probable que si les généraux Wilson et
Stewart, adjurés avec tant de solennité, vivaient en-
core, ils commenceraient par démontrer à M. Dupin
combien est grande son illusion à Tendroit des
prouesses de ces guérillas si vantés. Ils lui prouve-
raient, avec le général Napier, avec le général Bur-
goyne, avec Wellington lui-même, combien la gloire
de ces bandits a été surfaite (1), et combien fut insi-
(1) Un exemple entre mille vient à Tappui de celle asserlion.
Après avoir établi que les guérillas étaient incapables de tenir de-
vant les Français, mais que, pareils aux Turcs dont la décadence
militaire est assez connue, les espagnols se défendaient cependant
avec succès derrière les remparts de leurs villes, le général Bur-
&22 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIHES
gnifiante Tinfluence exercée par leur concours sur
l'issue de la guerre d'Espagne. Mais il est une autre
considération, bien plus importante encore, sur la-
quelle s*appuieraient sans doute tous ces généraux
pour justifier les doutes qu'ils n'ont pas craint d'é-
mettre sur TefScacité des volontaires anglais. Us fe-
raient ressortir toute la différence qui existe entre les
défilés, les sierras de la Péninsule, et les magnifiques
plaines qui s'étendent sur la côte méridionale de l'Ao-
gleterre; — entre l'Espagne de 1808, à moitié dé-
serte, semée de ruines et d'obstacles de tout genre,
sans voies de communication, et la Grande Bretagne,
le pays du monde le plus peuplé, le plus sillonné de
routes, de canaux, de chemins de fer, etc. Ils u*insis-
teraient pas moins, sans doute, sur l'impossibilité d'é-
tablir la moindre comparaison entre cette portion de
la population espagnole , composée de pâtres , de
contrebandiers, de muletiers, de colporteurs, etc.,
dont la sobriété et la résistance à la misère et aux fati-
gues sont proverbiales, et le peuple anglais, dont la vie
industrielle et agricole a porté à un si haut degré la
richesse, mais en développant, en même temps, des
goyne,en parlant du siège deSarragosse (c'est-à-dire du fair d'armes
le plus célèbre des guérillas), s'exprime ainsi :
«... But ihese 1 cannol but conceive are much overraled when we
» consider the trifling means brought by the French against ihem,
• where by superiorlty of discipline and art, they bave reduced
» places containinggarrisons very nearly as sirong, somelimes evoi
» stronger, than the besieging force. There were certaMy not wmek
» less than 30 000 irops in Sarragossa surrendered to 11 000 besie-
DB LA FRANCE ET DE L ANGLETEaRE. &t28
habitudes de bien-être et un besoin de confort parfai-
tement incompatibles avec la rude existence réservée
à des partisans (1).
L'histoire a conservé, il est vrai, le souvenir de
plusieurs circonstances dans lesquelles les troupes ré-
gulières, nombreuses et bien disciplinées, ont été bat-
tues par des corps irré^çuliers, qui ne semblaient pas
capables de tenir un seul instant devant elles. Le plus
souvent, suivant nous, ces défaites ont été le résultat de
ia négligence des corps réguliers ou de l'ignorance de
leurs chefs qui se sont laissé surprendre dans des po-
sitions désavantageuses. C'est ce que nous nous pro-
posons de démontrer, en passant successivement en
revue les faits de guerre le plus souvent invoqués
comme preuve de l'efficacité des volontaires.
(1) Les habitudes dont nous [)arlons sont lellement enracinées et
développées aujourd'hui chez nos voisins, que l'armée régulière elle-
même n'est pas à l'abri de leurs fâcheuses conséquences. On a vu
en Crimée avec quelle rapidité les troupes anglaises se sont fondues
sous l'influence des misères du siège. Une autre imperfection dès
longtemps signalée, c'est la lenteur et l'inaptitude du soldat anglais
pour la marche. Il ne semble pas que nos alliés aient fait de grands
progrès sous ce rapport, au moins, si nous en jugeons par l'étape
dé&astreuse du régiment des gardes, entre Kingston et Guilford, au
mois de juin 1861. Non-seulement ce corps d'élite a semé la route
de traînards et de malades, mais tel est le manque d'exercice ou
d'habitude des régiments anglais^ qu'un malheureux soldat, nommé
Norton, est mort littéralement de fatigue sur le chemin.
Comment, dans un pays où le soldat de profession est aussi mal
doué en ce qui touche à l'une des parties les plus essentielles du ser-
vice militaire, comment, disons-uous, pourrait-on raisonnablement
attendre de simples citoyens devenus soldats par aventure, la rapi-
dité et l'activité qui doivent être les premièresqualités d'un partisan?
il 24 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Nous laisserons décote, dans ce rapide examen, tous
les épisodes empruntés à l'histoire ancienne. Quels
enseignements pourrions-nous tirer des faits et gestes
d*Arminius ou de PaulÉmile dans la question qui nous
occupe ? La différence de tactique des peuples anciens
et des peuples modernes exclut toute comparaison.
Nous ne sommes plus aux temps où les armées com-
battaient corps à corps, et où les nmltitudes avaient
quelquefois gain de cause. Nous négligerons également,
parmi les événements plus récents, tous ceux dont le
théâtre restreint, coupé, montagneux, et particulière-
ment défavorable aux grandes opérations militaires,
ne saurait être comparé aux vastes plaines des comtés
méridionaux de TAngleterre. Si nous prétendons, en
effet, que des troupes régulières sont seules susceptible
de défendre efficacement un vaste territoire où l'en-
nemi sera toujours maître de choisir son terrain, nous
ne prétendons pas nier que des volontaires, des levées
irrégulières et des habitants insurgés, ne puissent se
battre avec succès derrière des remparts que Ton ne
peut tourner, ou dans un pays de chicane. Seulement,
nous le répétons, raffranchissement de la Suisse, le
soulèvement du Tyrol ou des Calabres sont des excep-
tions, comme les campagnes du Caucase, du Caboul
ou de la Kabylie. Les volontaires anglais n'ont pas plus
d'analogie avec les montagnards de ces différents pîiys,
que les riants coteaux ou les plaines de Kent, d*Essex,
de Sussex, etc., n'ont de rapport avec l'Afghanistan et
le Jurjurah. Nous pensons qu'il est admis sans discus-
sion qu'au cas où une puissance continentale se déci-
DR LA FRANCE KT DE L ANGLETERRE. â25
derail à envahir l'Angleterre, ce n'est pas par TÉcosse
ou le pays de Galles qu'elle l'aborderait.
Parmi les grandes guerres auxquelles les volontaires
ont pris part, et dont l'étude est surtout instructive au
point de vue du jugement à porter sur leur emploi,
celle de l'Indépendance américaine tient la première
place. En eifet,les États-Unis nous présentent un peuple
dont le génie et le caractère offrent une grande analo-
gie avec celui de la race anglo-saxonne. Sans parler do
la similitude de ses institutions à certains égards (1),
ses idées et ses tendances militaires sont en tout point
les mêmes que celles du peuple anglais.
Examinons donc quel fut, à la fm du siècle dernier,
le r61e véritable de ces volontaires américains, auxquels
M. Dupin semble attribuer exclusivement l'affranchis-
sement de leur patrie. Un coup d'œil sur les événe-
ments contemporains nous permettra de juger en-
suite si leurs successeurs sont plus habiles à défendre
V Union, que leurs devanciers ne l'ont été à la fonder.
En 1775, au début de la guerre de l'Indépendance,
les troupes américaines offraient un rassemblement
bien plutôt qu'une année. En dépit de tous les efforts
du héros de cette guerre pour introduire Tordre et la
discipline dans ces bandes, il semblait impossible de
remédier aux vices de leur organisation. «Les officiers,
dit Botta (2), manquaient d'instruction, sauf ceux qui
avaient fait les guerres précédentes. Ils n'étaient pas
(1) Aux États-Unis, comme en Angleterre, rétablissement de la
coûsoriplion militaire a été jusqu^ici repoussé.
(2) Charles botta, Hitoire de la guerre de l'Indépendance.
Â26 CONSTITUTION KT PUISSANCE MIUTAIRES
même connus de leurs soldats qui transjçrossaieDt tous
les règlements. L'organisation des corps n'était pas
terminée, et les changements étaient continuels. Les
ordres s'exécutaient mal : chacun voulait commander
et faire à sa guise ; peu daignaient obéir. ^
Les volontaires américains n'étant liés, vis-à-vis du
Congrès, que par des contrats facultatif s et toujours de
courte durée, c^e n'était qu'avec une peine infinie que
l'on parvenait à les retenir lorsque leur engagement
était expiré, quel que fût d'ailleurs le préjudice que
dût apporter aux succès des opérations leur retour
dans leurs foyers. C'est ainsi qu'à Tépoque du blocus
de Boston, Washington vit ses troupes sur le point de
se débander, malgré la situation critique où se trouvait
le pays ; « et vingt fois, dit M. Brialmont (1 ), ce même
embarras se manifesta dans le courant de la guerre ;
c'était le plus grand fléau de l'armée républicaine. »
Ce n'est pas seulement au début de la guerre que
Washington eut à lutter contre les difficultés que nous
venons de signaler ; elles continuèrent à entraver ses
opérations, longtemps encore après que le général
Howe eut remplacé le général Gage à la tête de l'armée
anglaise, <( Chaque jour, dit Botta, il devenait plus
évident que le succès des guerres ne réside pas dans les
élans populaires, mais dans les bonnes armées, la dis-
(1) M. Brialmont, ofÛcierdeTarmée belge, dans un eiceUent petit
ouvrage intitulé : De la gxierre, de Varmée et de la garde civique^ a
fait ressortir tous les inconvénienls et tous les dangers que présen-
tent les volontaires. Ce qui se passe aujourd'hui en Amérique est la
confirmation la plus complète des doctrines de cet écrivain.
DE LA FRAlfCE ET DE L^ANGLBTERRE. &27
cipline et l'obéissance; or, c'est ce qu'était loin d'offrir
le camp des insurgés. »
L'indiscipline des volontaires américains, leur peu
de respect pour les officiers qu'ils avaient élus, ou que
le Congrès avait placés à leur tête, ne pouvaient man -
quer, dans les circonstances critiques, d'amener les
plus tristes résultats. L'attaque de Québec, du 31 dé-
cembre 1775, en est un exemple. Non-seulement
Montgoméry et Morçan, deux officiers d'élite qui diri-
geaient les colonnes d'assaut, ne purent maintenir leurs
soldats, mais il leur fut même impossible de les rallier
de manière à faire une retraite honorable. Malgré le
désavantage d'une surprise de nuit, malgré le mauvais
état de ses défenses, la garnison anglaise fit une sortie,
et elle obligea les Américains à déposer les armes « dans
les maisons mêmes où ils s'étaient blottis pour échap*
per au feu de la place » .
Au combat des Cèdres, à celui des Trois-Rivières,
enfin à la bataille de Brooklyn, nous voyons les volon-
taires américains toujours mal gardés, mal éclairés,
subir coup sur coup autant de défaites. A cette der-
nière affaire, ils perdent en tués, prisonniers ou bles-
sés, huit fois plus de monde que les Anglais. Leurs
soldats, accablés de fatigue et découragés, se retirent
dans la plus grande confusion.
Cet échec, suivant M. Brialmont, fit une vive im-
pression sur les Américains, et commença à leur ouvrir
les yeux. «Jusqu'à ce jour, dit un historien, ils s'étaient
» persuadés que la valeur personnelle supplée entière-
» ment à la discipline ; et dès loi's, ils en étaient venus
&28 GONSTlTUTIOir ET PUISSANCE MILITAIRES
x> au point de ne parler qu'avec dérision de la tactique
» européenne (I). Mais depuis qu'ils avaient fait une si
D fatale expérience de Futilité dont elle est dans les
» batailles rangées, leurs yeux s'étaient ouverts, et ik
» avaient perdu toute conBance en eux-mêmes. Us
» avaient cru d'abord que le courage peut tout sans
» discipline ; ils pensaient maintenant que, sans elle, il
x> ne peut rien. A tout instant, ils craignaient d'être
» surpris ; à chaque pas, de tomber dans une embus-
» cade. Leur découragement acheva de jeter le désor-
» dre parmi eux. Les milices surtout, selon Tusage des
» multitudes armées dans les moments de crise, se
» montraient de jour en jour plus indociles et plus tu-
» multueuses. Non contentes de jouir d'une liberté
» sans bornes dans les camps, elles quittaient leurs
» drapeaux par bandes, et des régiments entiers dé-
» sertaient pour regagner leurs provinces. Cet exemple
» devint funeste aux troupes réglées elles-mêmes: elles
» perdaient de leur subordination, et la désertion les
» affaiblissait journellement (2). Leur terme de service
(1) « n est temps, disail-oD, de faire voir à TÂDgleterre, vieille
» et corrompue, ce que peut rAmérique dans la force et IMnnoceDce
» de sa jeunesse; il est temps de prouver combien nos volontaires
» sont supérieurs en courage et en constance à de vils mercenaires.»
(Charles Botta, Histoire de la guerre de llndàpendance,)
(2) Pendant la campagne des Plémontais contre les Autrichiens
(i8&8*i8â9), le mélange des volontaires et des corps francs avec
Tarmce régulière, produisit sur le Mindo des résultats IdenUqoes.
L'indiscipline de ces corps, et Tinfluence qu'elle avait exercée sur
les troupes de ligne fut une des causes qui déterminèrent la retraite
deTarmée italienne. Œtudessur la campagne de Lombardie^ Paris.
1856.)
DE LA FRANCE ET DE l'aNGLETERBE. A 29
» n'était pas d'un an, et même, dans certains corps,
T» de quelques semaines seulement; l'espérance de re-
» tourner bientôt au milieu de leurs familles et de leurs
» amis agissait tellement sur ces soldats, qu'ils évi-
» taient les dangers. Dans les commencements, te zèle
» et l'enthousiasme l'avaient emporté sur ces afTections
» domestiques; mais présentement elles triomphaient
» d'une ardeur éteinte par la mauvaise fortune. Attérés
» par les coups du sort et peu faits à les supporter,
1» les Américains voyaient partout le présage de leur
» perte. »
Malgré les efforts héroïques de Washington pour
tirer parti des milices et des volontaires, à défaut d'une
armée r^uliëre d'un effectif suffisant, on peut dire
que, jusqu'au moment où arrivèrent les troupes de
Rochambeau et de Lafayette, l'histoire de la guerre de
l'Indépendance se réduit à celle des désastres essuyés
par les Américains.
C'est d'abord, à Kippsbay, la déroute des brigades
Parsons et Fellows par le général Clinton. Les Améri-
cains prennent la fuite sans combattre, malgré tous
les efforts de leurs officiers. Ralliés un instant par
Washington en personne, ils se débandent de nouveau
sousle feu de l'infanterie anglaise, abandonnant artille-
rie, tentes et munitions. A la même époque, les forts de
Lee et de Washington, sans lesquels il n'était pas pos-
sible de se maintenir dans l'île de New- York, tombent
aux mains des Anglais.
Ces revers multipliés mirent un instant en question
l'issue de la guerre de l'Indépendance. Suivant l'opi-
ftSO CONSTITUTION ET PUISSANCE HILlTAlUfiS
nion générale, le moment était arrivé où les colonies
devaient rentrer sous le joug. La dissolution de l'ar-
mée républicaine semblait en effet imminente. Les vo-
lontaires débandés, dispersés, rentraient sur tous les
points dans leure foyers , « et, dit Thistorien de celte
guerre, les troupes réglées, atteintes aussi par le dés-
espoir, se livraient à la désertion la plus eflFrayante. »
Ainsi, au moment même où Washington était obligé
de battre en retraite à New-Brunswick, devant Com-
wallis, les volontaires du Maryland et du New-Jersey
déclaraient leur engagement expiré, et abandonnaient
leurs drapeaux. Plusieurs corps de la Pensylvanie sui-
vaient cet exemple, et Washington était à la veille de
\e trouver sans armée.
Il est vrai que, pour atténuer tant de revers, le
Congrès, décrétait un jour de jeûne, d'humiliation et
de prière, « afin de ramener la victoire du côté de
l'armée américaine » . Malgré tout notre respect pour
cet appel à la Providence (dont les Unionistes sollicitent
encore aujourd'hui l'intervention par les mêmes pro-
cédés et dans des circonstances semblables), nous pen-
sons, avec M. Brialmont, qu'un jour déjeune, prescrit
à des soldats mourant de faim, n'est pas précisément
ce qu'il faut pour relever leur moral et sauver la
république.
La constance de Washington, son patriotisme iné-
branlable, parvinrent seuls à conjurer, en 1776, la
ruine imminente de l'Indépendance; toutefois, les
efforts et le génie de ce grand homme seraient demeu-
rés impuissants, si la nouvelle des négociations entam-
m LA FHANCB ET DE L^ANGLETERIIE. &âi
mées avec l'Espagne et la France, et Tespérance d'une
intervention européenne, n'étaient venues rendre un
peu de courage au petit noyau de troupes régulières
qui n'avait pas déposé les armes.
Convaincu de l'infériorité radicale des volontaires
américains devant les troupes anglaises, Washington
n'eut plus qu'une seule tactique : ménager à tout prix
les tristes débris qui constituaient le dernier rempart
de la liberté, et gagner du temps jusqu'à l'arrivée des
secours de la France.
Successivement retranché dans ses camps de Mid-
dlebrook et de Valley-Forge, il se refusa obstinément à
tout engagement pendant l'été et l'automne de 1777.
Occupé sans relâche à réorganiser, à discipliner sa
petite armée toujours au moment de fondre dans ses
mains, Washington, pendant cette mémorable cam-
pagne d'hiver qui constitue son plus beau titre de
gloire, ne se décida qu'une seule fois à sortir de ses
lignes : ce fut pour prendre position sur les bords du
Brandwine et couvrir Philadelphie. Il faillit payer par
un désastre complet cette dérogation au seul genre de
guerre qui permit de maintenir debout le drapeau du
Congrès. L'armée américaine perdit dans cette affaire
un grand nombre de soldats et une notable portion de
son artillerie, sans pouvoir atteindre le but qu'elle se
proposait. Philadelphie, la capitale de la Confédéra-
tion, tomba aux mains des Anglais. « Si, à ce moment,
dit M. Brialmont, le général Howe eût attaqué Valley^
Forge, cen élait fait de Washington et de la causfi
américaine, »
432 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Tels étaient la situation des affaires etTétat de l'ar-
mée de rindépendance, au moment où arrivèrent les
premiers secours de la France. Nous avons vu cette
armée abandonnée à elle-même, et nous avons pu
apprécier de quel poids ont pesé jusqu'ici les volon-
taires américains dans Taffranchissement de leur pa-
trie. A partir de 1778, une ère nouvelle commence
pour la jeune république. Cédant aux sollicitations de
Washington, le Congrès pose enfln les bases d'une ar-
mée permanente, en décrétant que les engagements
seront reçus pour trois ans ou jusqu'à la fin de la
guerre. C'est avec les corps formés de ces éléments, et
qui reçoivent tous les anciens soldats, que Washington
va entrer désormais en ligne à côté des troupes de
Rocbambeau et de Lafayette. Chacun connaît l'issue de
la lutte engagée dans ces nouvelles conditions ; son
récit sortirait de notre cadre. Cependant nous ne ter-
minerons pas cet aperçu sans suivre encore dans leurs
déroutes les milices irrégulières et les volontaires que
leur patriotisme continua à maintenir, pendant cette
dernière période, sous les drapeaux de Washington.
C'était toujours parmi ces bandes la même indisci-
pline, le même désordre et les mêmes paniques : à
Gowan, le 1" février 1781, nous les voyons fuir au
passage delà Catawba dès la première décharge de l'in-
fanterie anglaise. Au combat de Guilford, le 15 mars,
les volontaires de la Caroline lâchent pied, sans même
attendre l'ennemi et se sauvent honteusement. « Daus
cette affaire, dit Botta, presque tous les blessés appar-
tenaient aux troupes continentales, et les fuyards,
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE, Û33
égarés ou rentrés dans leurs foyers, aux corps de la
milice. »
A la bataille deHobkirk, livrée le 25 avril, ce sont
les volontaires du Maryland qui prennent la fuite à leur
tour en mettant le désordre dans le reste de l'armée.
La déroute fut telle, que le général Greene mit plu-
sieurs jours à réunir les fuyards et à réoi^aniser
Tarmée.
Nous croyons qu'e ces citations multipliées suflSsent
à établir le triste rôle rempli par les volontaires amé-
ricains à la fin du siècle dernier. Si Washington par-
vint à cerner les Anglais dans York-Town, et à faire
déposer les armes au général Comv^allis, c'est, ainsi
que le fait observer très judicieusement le général La-
marque, à l'appui des troupes française de Rocham-
beau et de Lafayette ; c'est aux puissants secours de la
France que ce succès définitif doit être attribué, et
nullement au concours et au patriotisme des volontaires
américains. L'ardeur de ceux-ci ne fit jamais que se
refroidir et décroître aux époques où les difficultés se
montrèrent plus sérieuses, et dans les 20,000 hommes
qui composaient l'armée de Wiishington au moment
de la cessation des hostilités, ils ne figuraient plus que
pour un chiffre insignifiant.
Si nous jetons un coup d'œil sur les événements dont
l'Amérique est aujourd'hui le théâtre, quelle ressem-
blance ne trouvons-nous pas entre le présent et les
souvenirs évoqués dans le passé ! Abrités contre les
entreprises du continent européen par un fossé bien
autrement large encore que l'Angleterre, les Américains
28
&5ft GONSXITUTIOK ET PUISSANCE MtLtTAIftËS
ont complètement négligé les institutions indispensables
sur lesquelles repose la puissance défensive d'une na-
tion. Bien plus, renchérissant encore sur nos voisins
d'outre-Manche, ils ont cru pouvoir réduire impuné-
ment leur état militaire à un chiffre ridicule , et hors
de toute proportion avec les éventualités qui sur-
gissent toujours, tôt ou tard, dans la vie d'un grand
peuple.
Les conséquences d'un pareil système se révèlent au-
jourd'hui avec tous leurs dangers. Pour lutter contre une
insurrection qui menace de démembrer leur républi-
que, les Américains n'ont trouvé que quelques milliers
d'anciens soldats régulièrement organisés. Encore, ces
quinze ou dix-huit mille hommes qui constituaient toute
Tarmée permanente des Ëtats-Unis , étaient-ils dissé-
minés sur la frontière occidentale du territoire, dans
les départements du Pacifique , ou occupés à contenir
les Indiens dans la Floride et le Texas. Comme en 1775,
c'est aux milices, c'est aux volontaires, que le Gouver-
nement de Washington est obligé de recourir pour
faire rentrer les États rebelles dans l'obéissance. Sans
doute, les sécessionnistes ne sont pas mieux organisés;
comme les États du nord, ils n'ont aussi que des volon-
taires à mettre en ligne , mais cette considération ne
rend que plus probable la prolongation d'une lutte
également désastreuse pour les deux partis.
Nul ne peut préjuger, à l'avance, du résultat final
d'un pareil conflit. Entre armées de celte sorte,
toujours prêtes à passer de la confiance extrême au
découragement sans bornes, les combinaisons les plus
DE LA FftANCE ET DE L ANGLETEEBE. &S5
savantes deviennent sans valeur, les chances les mieux
établies reçoivent un démenti, et le hasard ou l'im-
prévu décident seuls du succès.
Jusqu'ici, les volontaires de 1861 se sont montrés,
en tout point, aux Ëtats-Unis, les imitateurs de leurs
devanciers. Les événements viennent confirmer, chaque
jour, les leçons fournies par ces derniers. C'est toujours
le môme désordre, la même confusion, la môme anar-
chie. D'un côté , ^ l'administration , comme il arrive
toujours , lorsqu'il s'agit de créations ou de règlements
qui ne peuvent s'improviser, l'administration fait preuve
de rinexpérience la plus complète, et de l'incurie la
plus étrange dans tous les services de l'armée. Les
conditions d'alimentation, d'équipement, d'armement
et de solde semblent livrées au hasard. 11 en résulte que
les volontaires , qui ont la plupart derrière eux des
femmes et des enfants, ont perdu toute ardeur et toute
confiance. La désertion sévit périodiquement, et, tout
comme en 1775, parmi les plus dévoués, aucun soldat
ne consent à excéder d'une minule le terme de son
engagement. Le rapport du général Mac-Dow^ell sur la
bataille de BulFs-Run, constate que la défaite du parti
fédéral a eu pour cause principale le départ de régi-
ments entiers la veille de l'affaire
Cette bataille de BuU's-Run, la seule importante qui
ait encore été livrée, a tous les caractères des honteux
sauve-qui-peut de la guerre de 1775. On croirait, en li-
sant le rapport du général Mac-Dowell, assister encore à
la bataille de Hobkirk. Il en est de môme de presque tous
les engagements insignifiants de Springfield, de Lewins-
&â6 CONSTITUTION ET PUISSANGB MILITAIRES
ville, de Wilson-Creek, etc., qui Tont suivie. Invariable-
ment, soit que le succès se décide pour les fédéraux, soit
qu'il se déclare pour les confédérés, on voit, au moment
de l'action , la panique s'emparer du parti vaincu et ses
troupes abandonner le champ de bataille sans même
essayer de le disputer. Toute retraite se transforme en
déroute, et il arrive presque constamment, que des
milliers de volontaires manquent à l'appel à la suite
d'une simple escarmouche, où, tant vainqueurs que
vaincus, il n'est pas resté cent hommes sur le terrain.
Enfin, comme dernier trait qui caractérise cette
guerre, et qui justifie ce que nous disions plus haut
sur la difficulté d'en prédire le terme ou le résultai,
après chaque afiaire, le vainqueur semble aussi peu
empressé que possible de profiter de sa victoire , et il
est rare qu'il ne recule pas tout autant que le vaincu.
Est-il besoin de le dire, à ce fait étrange, qui se repro-
duit dans tous les incidents de la lutte entre les unio-
niste et les confédérés, il n'y a qu'une explication : le
manque de confiance des chefs à l'égard des soldats,
et le manque de confiance non moins absolu des soldats
entre eux.
La situation que nous venons de résumer, et sur
laquelle nous avons insisté avec intention, ne pouvait
manquer de provoquer, de l'autre côté du détroit, de
sérieuses réflexions. Il faut bien le reconnaître, le triste
rôle que jouent, aujourd'hui, les volontaires américains
semble la condamnation , sans appel , de ceux dont fl
a été fait si grand bruit chez nos voisins. Les promo-
teurs de cette organisation l'ont bien senti ; aussi ont-
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. A 37
ils cherché à raflFermir la confiance au moyen d'argu-
ments que nous allons examiner et discuter à la fois.
D'abord , a-t-on dit (1) : de la valeur des volontaires
d'un pays, on ne saurait conclure l'efficacité de œux
d'un autre pays, surtout à l'occasion d'une guerre sem-
blable à celle qui se poursuit en Amérique, dans laquelle
il ne faut pas s'attendre à rencontrer l'ardeur et l'élan
que provoque toujours une guerre étrangère.
Cette assertion n'est pas seulement contestable en
principe, elle est de plus tout à fait contraire à l'évi-
dence des faits. L'histoire ne serait pas là, pour
prouver que les haines engendrées par les dissen-
sions civiles ne le cèdent à aucune autre (si elles ne
les dépassent toutes), que les mesures adoptées par
le Congrès , ou recommandées par les feuilles améri-
caines (2), témoigneraient suffisamment du ressenti-
ment et de la passion qui animent les deux partis.
En veut-on des exemples ?
Ici, c'est un journal du Sud qui reproche aux gens
du Nord de hideux attentats contre les femmes ; ailleurs,
ce sont les fédéraux qui accusent les sécessionnistes de
massacrer honteusement les blessés . Nous ne parlons que
pour mémoire de la potence promise aux confédérés par
les unionistes, et dont le gracieux emblème prend place
à côté du timbre-poste sur les lettres de New-York.
(i) United service magazine de septembre J86i.
(i) Cinq journaux de New-York, le Journal of commerce Je Daily-
News^ le DaHy-Book. le Brooklin Eagle^ et le Courier des États-
Unis étaient favorables à la paix; ils ont été contraints par la
pression de Topinion publique et par les menaces de Tautorité, de
suspendre ou de modifier complètement leur publication.
488 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
S'agit-il des dispositions adoptées par le Congrès?
elles offrent toutes un caractère d'exaltation et d'irré-
flexion qui donne la mesure des colères auxquelles obéit
le gouvernement.
Aujourd'hui, c'est un bill qui confisque les biens des
séparatistes ; une autre fois, c'est une proclamation du
président Lincoln qui déclare illégales toutes les rela-
tions commerciales entre les États-Unis et les États du
Sud, et qui annonce que les marchandises provenant
de ces transactions seront saisies.
Que dire de pareilles mesures ? N'est-il pas évident
qu'elles accusent encore plus de fureur que de véri-
table énergie? Il ne suffit plus, on le voit ici, de com-
battre l'ennemi, il faut le mettre hors du droit com-
mun !
On trouve le reflet de ces violences, de cette animo-
sité profonde, dans tous les actes, dansloules les pix>-
clamations des généraux américains. Lors de la capi-
tulation du fort Hatteras, les officiers et soldats de la
garnison sont obligés de stipuler qu'il seront traités,
par le gouvernement fédéral, comme prisonniers de
guerre. Cette clause, dit un journal, n'était pas inutile
à mentionner en présence de l'exaspération qui pousse
les unionistes aux mesures les plus violentes, et eu
raison des premières déclarations de M. Lincoln, qui
tendaient à assimiler les corsaires sécessionnistes à
des pirates.
Dans le Missouri, le major-général Fremont a pro-
clamé la loi martiale. Veut-on savoir comment on
entend l'état de siège en Amérique? « Tous individus
DE LA FRAÏfCE ET DE l' ANGLETERRE. ftS9
» qui seront pris les armes à la main en deçà des li-
» gnes, seront jugés par une cour martiale, et, s'ils
» sont coupables, fusillés. La propriété, en biens ou
» en personnes, de tous individus, dans TËtat du Mis-
» souri, qui prendront les armes contre les États-Unis
» ou qui seront dûment convaincus d'avoir pris part
» active à une campagne avec les ennemis de l'Union,
» sera confisquée. »
Nous croyons en avoir dit assez pour prouver que la
mollesse des volontaires américains, sur le champ de
bataille, ne saurait être attribuée au manque de sti-
mulants.
Celte mollesse, cette inertie, cette absence de con-
cert, qui prolongent indéfiniment une situation déjà
désastreuse pour l'Amérique, résultent-elles, suivant
une autre explication, du défaut de cohésion et d'ho^
mogénéité de la race américaine? Mais, on Ta déjà
fait remarquer, si les deux tiers de cette population se
composent d'étrangers» l'élément anglo-saxon (celui
dont probablement nos voisins d'outre-Manche font le
plus de cas) domine de beaucoup. Pourquoi les Irlan-
dais, par exemple, qui abondent aux Etats-Unis, et
qui fournissent en Angleterre l'un des plus solides
contingents de l'armée de ligne, pourquoi les Irlandais
se montreraient-ils tout aussi mauvais soldats que les
autres volontaires américains, si ce n'est à cause des
Tices du système militaire de leur nouvelle patrie?
Les volontaires américains et les volontaires an-
glais, dit-on encore, doivent être rangés dans deux
catégories différentes, parce que, i^utant les derniers
àkO CONSTITUTION ET PUISSANCE MlUTAIRES
sont habitués à l'obéissance envers les autorités consli-
tuées, au respect envers leurs supérieurs dans les
différentes classes de la hiérarchie sociale, — ce qui
les dispose tout naturellement à la discipline niilitaire,
— autant les premiers, par leur caractère indépen-
dant, par leur nature indomptable, sont impatients de
tout frein et de toute règle. Cette distinction n*a qu'une
valeur relative. Nous pourrions l'admettre s'il était
question, en Amérique ou en Angleterre, de former
avec les volontaires une sorte de garde nationale des-
tinée à maintenir l'ordre et la police à l'intérieur.
^Mais il s'agit ici de toule autre chose, il s'agit de for-
mer des soldats effectifs^ et que l'on prétend pouvoir
opposer, au besoin, à des troupes éprouvées. Or, à ce
point de vue, sans vouloir diminuer en rien le mérite
de ces vertus sociales dont les Anglais sont fiers à
juste titre, nous pensons que pour constituer de solides
guérillas, de rudes et actifs partisans, les défauts du
Yankee, toujours prêt à en appeler à sa carabine ou à
jouer du revolver, sont infiniment préférables.
Enfin, répète- t-on encore de l'autre côté du détroit,
si les volontaires américains n'ont montré jusqu'ici
que làchelé et indiscipline, doit-on nécessairement en
conclure que les volontaires anglais, en cjàs d'invasion
de leur teiritoire, seraient incapables de renouveler ce
que les voltigeurs de la république ont accompli en
France, les guérillas en Espagne, les patriotes braban-
çons en Belgique, les chasseurs de Gaiîbaldi en Ita-
lie, etc., etc.
Ce dernier argument nous ramène à l'examen du
DB LA FRANCE ET DE L'ANGLETERRE. A&l
rôle rempli par les volontaires dans ces diverses cir-
constances.
« C'est une erreur, dit Napoléon, que de croire qu'il
» suffit de quelques mois pour former un bon fantassin.
» C'est une erreur qu'il serait fort dangereux de pro-
» pager; elle nous mènerait à n'avoir plus d'armée.
» On a fait la guerre pendant les quatre premières an-
» nées de la République d'une façon ridicule. Ce ne
» sont pas les volontaires qui ont remporté les succès;
» ce sont 180,000 hommes de vieilles troupes et tous
» les militaires retirés que la révolution a lancés aux
» frontières. Parmi les recrues, les uns ont déserté,
» les autres sont morts Je me garderais bien de
» faire la guerre avec des recrues. »
Lamarque, Jomini, Dumouriez, Napier, sont tout
aussi absolus dans leur appréciation de la conduite des
volontaires français en 1792.
« C'est en vain, dit le général Lamarque, que des
milliers de citoyens se seraient métamorphosés en sol-
dats, s'il ne s'était trouvé dans les débris de la vieille
armée des sous-officiers pour les instruire et quelques
chefs pour les commander » Cela n'empêcha pas
qu'on ne payât bien cher le défaut d'ensemble et d'in-
struction préliminaire. Que de défaites honteuses!
Que de sang inutilement répandu! Que d'immenses
ressources prodiguées sans nécessité ! »
A Tappui de ces assertions venant de si haut,
M. Brialmont rappelle le malheureux général Dillon,
égorgé par ses soldats en essayant de les retenir sur le
champ de bataille : « Comme toujours, on mit la chose
442 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
sur le compte de la trahison : c'est la ressource ordi-
naire des milices qui se débandent. D'abord, ivres
d'enthousiasme, elles ne doutent de rien ; puis, l'en-
nemi parait et tout change : la confusion se met dans
leurs rangs, le feu les disperse, enfin quelques-uns se
mettent à fuir et la déroute devient générale (1). »
« Dix mille hommes, écrit Dumouriez, ont fui de-
vant douze cents hussards prussiens. » Cette panique
d'une division faillit compromettre le sort de Tannée
française tout entière, après le combat de Grandpré.
Aussi, Dumouriez ne ménage-t-il guère, dans ses mé-
moires, ces voltigeurs de la République si appréciés de
Garibaldi (2) : « Le général en chef, dit- il, eut moins
» de mérite à battre les Prussiens qu'à introduire une
» sorte de disciphne et d'amour de l'ordre dans une
» armée composée d'un quart de troupes de ligne, et
9 de trois quarts de bataillons de volontaires Ces
» bataillons manquaient d'officiers. Les supérieurs
» étaient mal choisis et sans autorité. I^es soldats eux-
» mêmes faisaient la police des capitaines, lieutenants
» et sous-officiers, et cette police était sujette aux ca-
» priées d'une troupe qui ne voulait pas reconnaître
» ses supérieurs. Ce n'était que par des complaisances
» coupables qu'un officier conservait son grade ou en
» acquérait un nouveau, y*
L'opinion de Jomini sur les levées en masse de 1 792
n'est pas plus favorable : « Ces trois millions de gardes
» nationales, dit le célèbre écrivain, bonnes pour ap-
(1) De la guerre et de l'armée, par Brialmont.
(2) Voir la lettre qui termine le chapitre préc^
chapitre précédent.
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 443
» puyer des décrets, étaient cependaat peu propres à
» défendre leurs foyers, bien moins encore à alimenter
» l'armée en cas d'expc^dition hors des frontières....
» Ces millions de volontaires n auraient pas garanti la
» France de rinvasion si d'autres circonstances n'y eus-
» serU concouru. »
Enfin, l'illustre auteur de la guerre de la Péninsule
est tout aussi explicite, lorsqu'il déclare que les gardes
bourgeoises ne sauraient suppléer les troupes régu-
lières : «Napoléon, dit le général Napier, qui savait
» bien que la guerre méthodique n'est qu'une applica-
» tion judicieuse delà force, prenait en pitié l'illusion
» de ceux qui regardaient le manque d'une armée ré-
» gulière comme une circonstance favorable, et qui
» tenaient le paysan pour le défenseur le plus sur du
» royaume. .. . Il savait que c'étaient les vétérans à'Xr-
» coleet de Marengo, et non les républicains de Valmy,
» qui fixèrent le destin de la révolution fiancaise. »
Déjà, au début de ce chapitre, nous avons exprimé
notre opinion sur l'importance du rôle prêté aux gué-
rillas pendant la guerre d'Espagne. Cette guerre, nous
le reconnaissons, est celle que l'on invoque le plus
souvent, et peut-être avec le plus d'apparence de rai-
son, lorsqu'il s'agit de plaider la cause des volontaires.
Cependant, malgré toute l'autorité du général Howard
Douglas (1), nous pensons que la seule circonstance
(1) Le général sir Howard Douglas a été, pendant la guerre d'Es-
pagne, Pun des organisateurs des guérillas de la Galice et des Astu-
rles; il n*est pas étonnant que l'honorable écrivain se montre plus
favorable que tout autre, k Tendroit d'un système pour lequel il
likll CONSTITUTION ET PUISSANCE HIUTAIRES
qui ait rendu possible la permanence des partisans
{partidas) espagnols, c est la constitution physique de
la Péninsule qui leur permettait de fuir, et surtout de
trouver partout des refuges. Quant aux guérillas pro-
prement dites, c'est-à-dire présentant le semblant
d'organisation que Ton s'efforce toujours de donner
aux troupes irrégulières, aussitôt, dit le général La-
marque, que les troupes françaises eurent franchi les
Pyrénées, « ces bandes se dissipèrent comme par en-
» chantement » Il ne resta, pour ainsi dire, que des
bandits isolés, battant l'estrade et coupant les routes
pour leur compte personnel. Sans contester les hauts
faits des Sanchez, des Porlier, des Renovallès, des
Mendizabal, que nous retrace le général Douglas, nous
ne pensons pas que ces chefs aient jamais fait plus que
gêner ou inquiéter le vainqueur. Ce n'est pas en dé-
troussant des cantiniers, ou en assassinant des soldats
isolés qu'ils auraient pu arracher aux Français le fruit
de la victoire, si des causes d'un bien autre ordre n'en
avaient décidé ainsi. Ces causes, tout le monde les
connaît aujourd'hui : ce sont, dit encore le général
Lamarque : « La fausse direction donnée aux armées
françaises, l'indiscipline et la jalousie de leurs géné-
raux, leurs propres fautes enfin, qui les ont ramenées
en deçà des Pyrénées. »
L'écrivain le plus compétent, lorsqu'il s'agit des af-
faires d'Ëspague, le général Napier, confirme cette
peut réclamer une sorle de paternité. (Voyez: Navale littoral ard
internai defence of England par le général sir Howard Douglas
baronnet.)
DE LA FRANCK ET DE L' ANGLETERRE. /|/i5
opinion : a Les Espagnols, dit Fauteur des Guerres de
la Péninsule^ ne firent aucun grand ni général effort,
ou du moins ils ne montrèrent dans les combats ni
fermeté ni constance Le paysan devenu soldat
fuyait à la première attaque, jetait ses armes et rega-
gnait son habitation, ou alléché par la licence des
pariidas, il se rangeait sous les bannières d'hommes
qui, pour la plupart, n'étaient que d'anciens voleurs,
aussi redoutables à leurs compatriotes qu'à l'ennemi.
Ces chefs de guérillas auraient été promptement exter-
minés, si les Français, pressés par les bataillons de
lord Wellington, n'avaient pas été obhgés de se tenir
réunis en grande masse. Tel est le secret de la constance
espagnole. Les abondants secours de VAngleten-e et la
valeur des troupes anglo-portugaises soutinrent seuls la
guerre. »
Wellington, dans une lettre au colonel Trant, s'ex-^
prime dans les mêmes termes au sujet des troupes et
des bandes à moitié disciplinées qui composaient l'ar-
mée espagnole (1).
Dans une autre lettre adressée à lord Castlereagh,
après avoir insisté sur ce fait que toute riiistruction de
l'infanterie espagnole se réduisait à savoir défiler une
parade et faire l'exercice du fusil, le général en chef de
l'armée anglaise revient encore sur ce sujet, et dé-
(1) « I was apprehensive that the Spanîards in Alentejo would
» sufTer. There is nothing so folish as to push thèse haif discipUned
» troops forward ; for the ceriain conséquence raust be, either Iheir
n early and precipitate retreat, if the enem^ should advance, or
» thcir certain destruclion. » [Lettre de Wellington du 6 août 1808. )
A4*i CONSTITUTION ET PUISSANCE inUTAIBBS
montre, par des exemples frappants, qu'il ne suffit pas
de porter une arme et un uniforme pour représenter
un soldat, et que toute troupe (volontaires ou autres),
mal disciplinée ou incomplètement instruite, est plutôt
un embarras qu'un auxiliaire pour une armée régu-
lière (1).
Suivant le noble lord, la bataille d*Albuera, qui
coûta si cher aux Anglais, eût été pour eux une vic-
toire complète et sans aucune perle importante, si les
Espagnols avaient su manœuvrer; mais malheureu-
sement, ajoute-t-il, ils en sont incapables {But, infor-
timately, Ihey cannât).
Nous bornerons là ces témoignages des officiers les
plus éminents des armées anglaise et française, bien
que nous puissions les corroborer encore par celui des
généraux espagnols eux-mômes (2). Ces citations nous
semblent suffisantes pour montrer qu'en Espagne, pas
plus qu'en Amérique, les volontaires n'ont été les lîbé-
(1) «The spanish cavalry are in gênerai well clothed, armed,
» and accoutred, and remarkably welI mounted, and iheir horses in
M good condition. Bul 1 bave never heard anybody prétend that in
» any one instance they bave behaved as soldiers oiight to do in
» présence of an enemy This practice of running away, and
» throwing off arms, aœoutrements, and dothing ts fatal to eery-
» ihing... Neariy 2000 (Spaniards) ran off on ihe evening of the
» 27*-h from the battle of Tala\era (not loo yards from the place
» where 1 was standing), wbo were neither altackeil nor threatened
» with an aUack, and wbo were frighrened only by the noise oftheir
» own fire. » {Lettre de Wellington du '25 aoxU 1809, d lordCastie-
réagir)
(2) Voir les lettres du marquis de la Komana et du général Fran-
cisco de Paula Leite.
D6 LA PRANGB Et DE L'ANGLETEftaB* ft&7
rateurs de leur pays. C'est aux troupes, et rien qu'aux
troupes éprouvées de rAogleterre, pour lesquelles ces
partisans ne furent jamais que d'un très médiocre se-
cours, qu'il faut renvoyer la gloire de cet affranchis-
sement.
L'examen des campagnes secondaires de Belgique
en 1830 et de Piémont en 18&9 ne saurait nous appor-
ter des enseignements plus complets que ceux qui nous
sont fournis par les longues et grandes guerres de
l'Amérique, de la République et de la Péninsule ; aussi
n'en dirons-nous qu'un mot. En Belgique comme en
Piémont, il ne fallut pas longtemps pour reconnaître
que la véritable supériorité militaire ne résidait pas
dans les élans populaires, et que le patriotisme deve^r
nait bien vite impuissant lorsqu'il n'était pas soutenu
par des troupes régulières d'un effectif suflBsant et
d'une solidité éprouvée. Sans l'appui de l'armée fran-r
çaise, les volontaires belges, malgré leur incontestable
courage, auraient trouvé dans les plaines de Louvain
et deHasselt le tombeau de leur liberté. Sans cet appui,
surtout ils ne seraient jamais entrés dans Anvers ; car,
si Ton admet que les volontaires peuvent se défendre
derrière des remparts, leurs plus chauds avocats n'en
sont pas encore venus à prétendre qu'ils puissent en-
lever d'assaut des places régulièrement fortifiées.
En ce qui regarde lePiémont, on ne doit pas hésiter
à reconnaître que l'une des causes principales de son
insuccès final contre l'Autriche en 1849, malgré Téclat
Je ses débuts, fut précisément le mélange des volon-
taires qui affluaient de toutes les parties de Tltalie
bkS CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
avec son armée régulière. A peu d'exceptious près,
ces volontaires lâchèrent pied partout, ou ne ren-
dirent aucun service; et l'indiscipline qu'ils semè-
rent dans l'armée piémontaise devint, avec leurs exi-
gences de toute sorte, la cause des plus sérieux em-
barras.
Quant à la campagne de 1 859, et aux préfendus
avantages remportés par Garibaldi, dont on a fait tant
de bruit, on nous permettra de croire que ce coryphée
des volontaires, sans la présence des troupes françaises
et piémontaises, aurait eu exactement le même sort,
avec ses chasseurs des Alpes, que ses prédécesseurs
Manara, Arcioni, AUemandi, Sedabundi, etc., et tuUi
quanti, avec leurs corps francs de 1849(1). L'engoue-
ment et l'exagération peuvent servir une cause poli-
tique, et nous n'y voyons pas grand mal quand la
cause est bonne ; mais l'histoire doit faire la part de ces
enthousiasmes, e1 les saines doctrines militaires ne
doivent pas en souffrir.
Nous croyons que ces doctrines sont méconnues dans
l'organisation des volontaires anglais, du moment où
l'on semble les considérer, de l'autre côté du détroit,
non pas comme un élément purement accessoire et
éventuel de la défense, mais bien comme une force
(i) Parmi les hauts faits de Garibaldi, nous ne parlons pas de son
invasion du royaume dcNaples; la raison en est simple: nous avons
dit que des insurgés et des volontaires ne pouvaient avoir raison
d*une armée régulière, mais c^esl à la condition évidente que Tar-
jnée ne soit pas décidée à faire cause commune avec rinsurrectioo.
— C'est ce qui a eu lieu en Sicile et li Naples.
DE LA FRANGE ET DE L* ANGLETERRE. 449
effective et en quelque sorte permanente, destinée à
suppléer à V insuffisance de Varmée régulière.
L'autorité de l'histoire, nous l'avons démontré,
donne raison à tous les officiers expérimentés, lors-
qu'ils déclarent les volontaires incapables de remplir
un pareil rôle.
Si Tarmée anglaise, ainsi qu'on l'affirme et que nous
Texaminerons dans unprochain chapitre» est réellement
par son effectif, au-dessous de la tâche qui lui incombe
tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, l'organisation des
volontaires n'est pas un palliatif suffisant pour les
institutions caduques qui empêchent d'élever cet effectif
à la hauteur des besoins.
Si, au contraire, l'esprit militaire du peuple anglais,
et les ressources que ses institutions mettent au service
du gouvernement, ne s'opposent pists, d'une manière
absolue, à l'entretien de cet effectif, en retrancher la
plus petite fraction, pour lui substituer n'importe
quelle quantité de volontaires, est aussi bien une
faute au point de vue économique qu'au point de vue
financier.
Nous avons vu combien on était loin du point de
départ , et à quel chiffre s'élevaient déjà les frais de la
nouvelle organisation : si jamais les services des volon-
taires anglais devenaient nécessaires, nos voisins
apprendraient bien vite, comme les Américains, à
quelles effroyables dépenses entraîne l'emploi des
troupes irrégulières.
Pendant hi guerre de l'Iudépendanee, suivant un
historien, les frais de l'armée étaient énormes : «Ih:
29
â50 CONSTITUTION LT PUISSANCE MILITAIRES
ue s'élevaient pas, aunuellement, à moins de 20 mil-
lions de dollars, quoique le chiffre des troupes ne dé*
passât pas 10 à 15,000 hommes. »
Il suffit de lire la déclaration de M. Stevens
président du comité des voies et moyens, pour re-
connaître que, de nos jours, les volontaires améri-
cains sont au moins aussi ruineux que leurs devan-
ciers. «La dépense quotidienne du gouvernement fédé-
ral depuis le commencement de la guerre actuelle,
monte à 1,250,000 dollars, soit plus de six millionset
demi de francs. »
Cela représente un budget annuel de &50 millions
de dollars, ou de près de deuco milliards et demi de
francs. Pour peu que la paix ou la soumission des sé-
cessionnistes, seules éventualités qui puissent amener
une conclusion, se fassent attendre, la situation finan-
cière de TÂmérique, jusqu'ici la plus florissaûte,*de-
viendra la plus obérée de Tunivers. Gomment pour-
rait-il en être autrement, lorsqu'on songe que dans
cette lutte désastreuse, chaque volontaire coûte jusqu'à
cinq fois plus qu'un soldat régulier, et quand on s ac-
corde àreconnattre que la dépense de chaque homme
présent sous les drapeaux revient à 200 livres sterling,
soit A, 800 francs par an!
Nous n'étendrons pas plus loin cette discussion, déjà
trop longue du système des volontaires anglais. 11 y
aurait encore bien des choses à dire sur Tétat d'anar-
chie dans lequel se trouvent certains corps, sur l'es-
prit d'opposition qui s'est révélé dans quelques autres,
sur le droit de veto que, dans certaines localités, le>
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. &51
hoDinies ont prétendu exercer sur la nomination de
leurs officiers, enfin sur l'appui que les idées ultra-
démocratiques pourraient bien rencontrer,* un jour,
dans Tarmement du peuple anglais (1), etc.... Un vo-
lume ne suffirait pas à Texamen de toutes ces ques*
lions.
Ce qui nous importait, c'était d'établir, au point de
vue militaire comme au point de vue économique,
quelle était la valeur d'une institution dont il a été fait
grand bruit, et que Ton a franchement déclarée dirigée
contre la France.
Disons-le donc tout aussi franchement, à notre tour :
les nations militaires du continent ne sont pas aussi
stupéfaites qu'on veut bien le croire en Angleterre, des
merveilleux résultats présentés par les volontaires à
Wibledom et à Brighton. Ces évolutions et ces ma-
nœuvres ne tromperont personne sur leur efficacité.
Les avocats, les industriels, les boutiquiers, etc., de
Londres, ne sont pas les premiers qui aient cherché à
jouer au soldat. Nous avons suivi, dans tous les pays,
(1) « Les levées en niasse, dit Napoléon, furent toujours les pré-
» curseurs et le foyer des désordres civils
» Quant un peuple est à l'état sauvage, il faut, dit le général
B Paixhans, que chacun soit armé, que chacun soit en mesure de
> tuer son ennemi; mais ce qui est une nécessité de Tétat sauvage,
» n'est plus qu'un danger à Télat de société... Tant que le gouver-
» nement et la nation sont d'accord , tout est pour le mieux, mais
> la tribune, mais la presse, mais riraprévoyanccde tous, peut tout
* désunir. H y a alors de sérieux , dangers à conjurer. Plus on aura
» distribué de fusils et de cartouches dans les masses de la popula-
» tion, plus il faudra que FEtat ait de forces à Fintéricur, pour em-
ii pêcher qu'à chaque orage la sédition ne vienne tout renverser. »
Û52 CONSTITUTION ET PUISSANCK MILITAIRES, ETC.
les prouesses de leurs prédécesseurs. Pour noire
compte, éclairés que nous sommes en France par Tex-
périence de notre garde nationale (1), si nous avions,
ce dont Dieu nous garde ! les projets hostiles qui nous
sont prêtés si gratuitement de l'autre côté du détroit,
nous connaissons de reste, et à nos dépens, où est le
défaut de cette armure nouvelle que nos voisins fout
miroiter aux yeux de l'Europe.
(1) A répoque où la ville de Lyon était en étal de siège, le général
Gémeau, qui conimandail la division, demandait, pour contenir la
population : « Dix mille hommes sans la garde nationale , et
trente mille hommes avec la garde nationale. »
CHAPITRE XX.
De l'augmentation progressive et continue de t*armée Anglaise, —
Quelle cause peut-on lui assigner? — Progrès de la puissance
anglaise pendant la première moitié du xix* siècle. —Rôle de Ta-
rlstocratie pendant cette période. — ËfTectif moyen de Tarmée an-
glaise de 1830 à 1850 — Répartition de cet effectif. — Accrois-
sement des dépenses militaires en Angleterre. — Examen détaillé
des budgets militaires de 1857, 1858. 1859, 1860, 1861-1862. •*-
Effectifs militaires correspondants; — leur répartition entre la
métropole, Tlnde et les autres possessions extérieures. — L'An-
gleterre en est arrivée à quadrupler les forces qui étaient jugées
suffisantes, il y a vingt-cinq ans, pour sa défense. — Examen de
la situation intérieure de la Grande-Bretagne. — Conséquences
probables de Tarmement du pays. — I^ vieille Angleterre et la
jeune Angleterre. — Les puînés de l'aristocratie anglaise. —Con-
dition morale et sociale deTarmée britannique; — explication
des mécomptes éprouvés en Crimée. — Influence de cette cam-
pagne sur Tespritde Farmée; — aspirations nouvelles, dangers
nouveaux.
Nous avons passé successivement en revue, dans les
premiers chapitres de cette étude, tous les corps régu-
liers qui entrent dans la composition de Tarmée
anglaise. Nous avons ensuite présenté leur distribution
entre les différentes parties de Tempire britannique.
Enfin, nous venons d'épuiser la liste des forces acces-
soires, ou de seconde ligne, qui, en cas de guerre,
doivent, ou du moins sont censées pouvoir s'ajouter
à Tarmée régulière.
Admettant, maintenant, pour le moment, que cette
armée ne laisse rien à désirer quant à la qualité de
ses éléments ; admettant que son organisation soit par-
454 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
faite, il nous reste à étudier dans quelle mesure son
effectif la place à hauteur de sa tâche.
Dans tous les pays du monde Tarmée a une double
mission : assurer à l'intérieur le maintien de Tordre,
le respect dû aux lois, et défendre le territoire contre
les ennemis du dehors. De ce double devoir, il résulte
que, dans chaque pays, la détermination de reflTectif
militaire est une question qui embrasse toute une
époque. Son chiffre est le résumé historique des cir-
constances du moment. Il s'élève pendant les périodes
d'agitation intérieure; il augmente avec les difficultés
ou les menaces de l'extérieur ; il décroît avec le réta-
blissement du calme au dedans ; il diminue en raison
des garanties de sécurité plus grande que donne le
dehors.
Si l'on en juge par la progression croissante des
effectifs de Tarmée anglaise depuis quelques années,
on doit croire qu'à Fintérieur ou à l'extérieur, sinon
des deux côtés à la fois, la situation de la Grande-
Bretagne a dû subir de profondes modifications. En
thèse générale, l'enseignement qui ressort d'une situa-
tion ainsi dessinée, c'est que le malaise et les souffrances
d'un pays suivent la môme progression que le chiffre
de ses armées ; le plus souvent, sans que son influence
s'en trouve proportionnellement augmentée.
Guidée par une aristocratie pleine de patriotisme et
d'ambition, l'Angleterre, pendant la première moitié
du XIX* siècle, a parcouru une carrière de prospérité
où elle a laissé bien loin derrière elle toutes les autres
nations européennes. Elle en est arrivée à offrir au
DE LA FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. 455
monde l'étrange et magnifique spectacle d'un État
comptant à peine 28 millions d'habitants, et donnant
des lois, longtemps acceptées sans conteste, à 250 mil-
lions d'âmes disséminées sur tous les points du globe.
Attribuer ce merveilleux résultat à la seule supério-
rité du génie anglais serait une erreur. La part faite
au pouvoir colonisant et assimilateur qui le distingue,
la part faite à l'habileté sans égale avec laquelle il sut
établir (au moins pour un temps) la communauté des
intérêts entre la mère patrie et ses nombreuses annexes ;
il faut reconnaître que la position géographique excep-
tionnellement avantageuse de la Grande-Bretagne, et
surtout les circonstances politiques dans lesquelles
s'est trouvée l'Europe, contribuèrent, pour la plus
grande part, au développement inouï de la puissance
de nos voisins.
Un mot d'explication sur les circonstances auxquelles
nous venons défaire allusion est peut-être ici nécessaire.
Dans tous les cas, il fera mieux comprendre la situation
qu'un demi-siècle de progrès et de succès ininter-
rompus semblait garantir à l'Angleterre, et l'amoin-
drissement dont cette situation semble menacée par
les événements et les changements survenus dans ces
derniers temps.
Bien que régie, depuis plusieurs siècles déjà, par un
gouvernement constitutionnel, l'Angleterre, au moment
où éclata la révolution française, n'en était pas moins
le pays de l'Europe où les inégalités sociales étaient les
plus profondes. Les principes de 89 devaient donc ren-
contrer de vives sympathies dans la masse du peuple
456 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
anglais. Malheureusement, les menées de son aristo-
cratie, qui craignait la perte de ses privil^es et de sa
puissance, devinrent un obstacle k lalliance des deux
nations. La Grande-Bretagne, au mépris de ses instiocts
et de ses intérêts naturels, fut jetée dans la croisade des
rois contre la France (1). Elle dépensa 16 milliards à
solder cinq coalitions pour renverser Napoléon.
Il fallait une compensation au peuple anglais, comme
dédommagement de cette amélioration sociale, et de
cette transformation intérieure dont la France lui don-
nait l'exemple, et que lui refusait son oligarchie. Les
conquêtes coloniales qui suivirent les longues guerres
de l'Empire remplirent cet objet. Elles éblouirent la
nation; elles détournèrent son attention du spectacle
de ses misères intimes, pour la fixer tout entière sur
les prodiges qui s'accomplissaient à l'extérieur.
Prodiges est bien le mot !
De quel nom mieux choisi, pourrait-on appeler,
en effet, ces conquêtes fabuleuses entreprises à A et
5000 lieues de l'Angleterre par ces imperceptibles
(l) « L* Angleterre et la France ont tenu dans leurs mains le son
de la terre, celui surtout de la civilisation européenne. Que de mal
nous nous sommes fait ! Que de bien nous pouvions nous faire !»
Qu'aurait de mieux à faire TAngleterre que de donner la main k
ces beaux mouvements de la régénération moderne? Aussi bien
faudra-t-il tôt ou tard qu'elle s'accomplisse. C'est en vain que les
souverains et les vieilles arist^raUes multiplieraient leurs efforts
pour s'y opposer : c'est la roche de Sisyphe qu'ils tiennent élevée
au-dessus de leurs têtes; mais quelques bras se lasseront, et au
premier défaut, toutcroulera
(Napoléon I«', Sainte-Hélène, 20 avril 1816.)
D£ LA FRANCE ET DE L'ANGLETERRE. AS?
armées lancées, sans trêve ni relâche, dans toutes les
directions?
Il fallait l'état d'épuisement de l'Europe; il fallait la
nécessité où se trouvaient toutes les puissances conti-
nentales de réparer leurs désastres et leurs finances,
pour permettre à cette activité dévorante, à cet esprit
d'absorption et d'envahissement continu, de se déve-
lopper sans obstacles*
Grâce à sa position insulaire, l'Angleterre avait
échappé aux épreuves subies par les autres nations. À
Tabri derrière la mouvante ceinture de ses vaisseaux ;
alors que Vienne et Berlin, que Moscou et Paris rece-
vaient les armées étrangères dans leurs murs; elle
voyait sa capitale goûter tous les bienfaits de la paix,
tous les avantages de la sécurité, et son trafic lui rendait
avec usure les milliards employés à solder le prix de sa
suprématie maritime.
Placée comme un vaisseau à l'ancre sur la côte du
continent européen, c'est-à-dire au centre, au cœur du
commerce du monde, l'Angleterre est devenue l'entre-
pôt obligé de tous ses produits. Elle les distribue ensuite
dans tous les pays, après que son industrie en a centu-
plé la valeur, et l'on peut dire qu'aujourd'hui, il n'est
pas un point du globe, où elle n'ait porté son pavillon
et sa langue.
Maltresse de l'Atlantique par sa position sur le flanc
occidental de l'Europe, elle tient la Méditerranée par
les trois rochers de Gibraltar, de Malte et de Corfou ;
l'Amérique du Nord, par ses immenses possessions du
Canada et de la Nouvelle-Bretagne; l'Amérique du Sud,
Û58 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
par les Antilles; l'Afrique par ses colonieij de Guinée,
du cap de Bonne-Espérance eldeTtle Maurice. Dans
l'océan Indien, où elle s'est fait un merveilleux empire
de 150 millions d'Asiatiques. l'Angleterre domine sans
rivale ; il en est de même dans l'Océanie ; enfin, « elle
tient aux abords de tous les continents des postes
avancés qui, selon sa fortune, sont tour à tour des
points d'appui pour la conquête, des centres de refuge
pour la retraite, et toujours des foyers d'entreprises
pour un commerce qui brave tous les périls et ne con-
naît aucun repos » (1).
Nous avons qualifié d'imperceptibles, les armées que
l'Angleterre a mises en ligne pour conquérir cet empire
colossal; pendant longtemps, les effectifs militaires
reconnus suffisants pour en assurer la protection,
auraient pu justifier la même épitbète. De 1830 à
1850, par exemple, alors que toutes les puissances de
premier ordre se voyaient obligées de maintenir sur
pied des armées de S, ft et 500 mille hommes, l'An-
gleterre a pu satisfaire à toutes les exigences de sa
position avec un effectif de 90 à 100,000.
Pendant toute cette période, le chiffre le plus faible,
celui de 1834, fut de 88,950 hommes; le chiffre le plus
élevé, celui de 1837, ne dépassa pas 101,000.
Veut-on savoir comment cette force était répartie ?
Il y avait au service de la Compagnie des Indes, et
payés par cette Compagnie^ de 25 à 35,000 hommes, en
(i) Charles Dupin, Force commerciale de la Grande- Breîagm,
tome I.
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. &59
comprenant les dépôts qui demeuraient en Angleterre.
Les garnisons d'outre-mer (Gibraltar, Malte, Antilles,
Cap, etc.) absorbaient de 85 à 40,000 hommes ; enfin,
rirlande et l'Angleterre réunies n'employaient pas plus
de 25 à 30,000 hommes.
En 1835, il n'y avait en Angleterre que 16,500
hommes, et en Irlande un peu moins de 8,000 ; pas
de milices, pas de volontaires.
La guerre de Crimée devait marquer le terme de ce
système ultra-économique, envié, si à tort, comme
nous le verrons plus tard, par les peuples du conti-
nent. A dater de 185/i, l'augmentation des effectifs et
des dépenses militaires s'en va toujours croissant chez
nos voisins. En quelques années nous allons voir leurs
crédits, non*seulement atteindre, mais même dépasser
le budget militaire de la France.
Pour Tannée budgétaire 1856-1857 (1), les crédits
demandés, en vue de la continuation de la guerre»
avaient été portés au chiffre énorme de 34,998,504 li-
vres (874,962,600 fr.), qui, la paix ayant été conclue,
lurent réduits à 20,249,084 livres (506,227,100 fr.),
et fournirent un effectif de 246,716 hommes.
. On aurait pu penser que la conclusion de la paix, si
elle ne laissait pas sans emploi une notable portion des
crédits, permettrait du moins le retour à un état mili-
taire d'autant plus réduit que les charges récentes
avaient été plus lourdes.
(1) L'année financière, en Angleterre, commence au !•' avril et
finit au 31 mars.
460 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Cependant, malgré le licenciement ou la mise en
demi-solde d'une grande partie du commissariat, du
train et des infirmiers militaires ; malgré rabaissemeut
à 700 hommes de Teffectif des bataillons d'infanterie,
la force totale de l'armée, en 1857, comprenait encore
157,000 hommes, c'est-à-dire 60,000 environ déplus
que pendant la période de 1830 à 1850. I^ dépense
était de 11,235,533 livres.
De ces 157,000 hommes, 32,000 étaient dans les
Indes, et 126,000 à la charge du budget anglais, sa-
voir : 45,000 dans les garnisons d outre-mer et 65,000
en Angleterre, c'est-à-dire près du triple de ce qui
était jugé suffisant, dans la période précitée, pour la
garnison du Royaume-Uni.
Pour l'année 1858, Tinsurrection des Indes néces-
site l'envoi de forces considérables, et J efiectif de
157,000 hommes s'élève en quelques mois à 223,000,
sans toutefois déterminer à la charge de rAngleterre
une dépense proportionneUe, la majeure partie de ce
surcroît étant défrayée par la Compagnie des Indes.
Celle-K^i se trouve avoir ainsi à sa solde 92,000 hom-
mes de troupes anglaises. Les 130,000 hommes res-
tant pour le service intérieur et les possessions d'outre-
mer, présentent une augmentation de A, 000 hommes
sur la force correspondante de Tannée précédente. En
outre, bon nombre de régiments de la milice sont
maintenus sur le pied de guerre, le tout au prix de
11,538,387 livres sterling, soit de 289 millions en
nombres ronds.
Pour Tannée 1859-1860, nous trouvons un effectif
DE L\ FRANGE ET DE L ANGLETERRE. /|61
lolal de 229,557 hommes, ce qui constitue encore une
augmentation de 6,000 hommes environ sur l'anunée
précédente. Au mois de février, le général Peel, mi
nistre de la guerre, déclare que. le service extérieur
assuré, le chiffre des troupes disponibles pour la dé-
fense de l'Angleterre et de Tlrlande, s'élève encx)re (en
comptant les dépôts des régiments dans l'Inde et la mi-
lice) à 105,685 hommes de toutes armes. Au mois
de juillet de la même année (1859), M. Sidney Her-
bert, en présentant le budget rectifié, annonce au Par-
lement, comme un sujet de félicitations, que la garni-
son du Royaume-Uni ne compte pas moins de 65,000
hommes de troupes régulières de toutes armes, les-
quelles, réunies au 21,769 hommes des dépôts et aux
25,000 hommes de la milice, donnent un total général
de 111,000 hommes. Ni les vétérans, ni les soldats de
marine, ni les gardes-côtes ne figurent dans cet ef-
fectif.
A la date de cette communication officielle, les places
de la Méditerranée, momentanément dégarnies l'année
précédente, par suite de la guerre des Indes, ont reçu
les renforts nécessaires pour leur complet, et l'effectif
des troupes détachées dans les possessions d'outre-
mer s'élève u 42,546 hommes.
Le budget de SIC millions (I) et les effectifs de-
mandés au mois de juillet 1859 par le cabinet Pal-
merston-Russell, furent qualifiés de belliqueux par
(l) Le budget présenté était seulement de 289,^/j8,875 fr., mais
il faut y ajouter 27 millions et demi à rembourser par la Compa-
gnie des Indes pour avances» frais de transporCdes troupes, etc.
462 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
M. d'Israëli. Cet orateur les déclara inconciliables avec
les protestations de bon vouloir du gouvernement à
regard de la France. En efTet, l'Angleterre en était
ari'ivée à quadrupler la force militaire qu'elle entrete-
nait en 1835 à Tintérieur ; et nous avons vu que cette
force était précisément la moyenne de son état mili-
taire pendant les vingt-cinq années qui avaient précédé
la guerre de Crimée.
Cependant, \e budget et l'effectif demandés pour
1860-1861, devaient encore laisser bien loin tous ceux
qui les avaient précédés. De 11,500,000 livres sterling
environ, le premier sautait d'emblée à 16,842,275 li-
vres, soit 871,056,875 fr., ce qui œnstituaii une aug-
mentation de 63 millions mr l'année précédente. Quant
à l'effectif de 229,000, il passait à 235,852 hommes,
avec une augmentation de 7,000 hommes environ sur
celui de iS59.
Sur ces 235,852 hommes et 2/i,3/i2 chevaux misa
la disposition du commandant en chef, 92,690 hom-
mes et 9,710 chevaux étaient employés dans l'Inde et
à la charge du budget indien. 11 restait au compte du
trésor anglais, et pour le service intérieur et les colo-
nies, 143,362 hommes et lu, 432 chevaux.
Nous arrivons enfin au budget de 186! -1862, celui
qui a été présenté au mois de février 1861, et qui va
nous donner l'efiTectif dont il s'agira d'établir plus tard
la convenance ou l'insuffisance.
On aurait volontiers pensé, eu Franc-e, que cet ac-
croissement exorbitant, continu, sigualé jusqu'ici dans
les dépenses militaires de l'Angleterre, touchait eniio
DE LÀ FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. A(jd
à son terme. On pouvait croire que le moment était
arrivé, pour nos voisins, de rétrograder sur cette
échelle dangereuse des budgets beUiquetLO), si vivement
attaqués par M. d'Israëli. La conclusion du traité de
commerce, en ajoutant le lien et la communauté des
intérêts aux nombreux motifs de rapprochement et
d'entente qui existaient entre la France et l'Angleterre,
était certes de nature à justifier pleinement cette sup-
position.
c< La courte, et presque dédaigneuse réponse de lord
Palmei^ton aux membres du Parlement qui se sont
hasardés à exprimer cette sorte d'espérance, prouve
mieux que tous les arguments combien nos voisins
songent peu à modifier leur politique et leur état mi-
litaire (1). »
Le chiffre des troupes demandées pour l'intérieur et
les colonies, en 1861-1862, est de l/i6,0/i/i. C'est
donc encore une augmentation insignifiante, si Ton
veut, mais enfin c'est une augmentation de 2,682
hommes sur les l&â,S62 réclamés Tannée dernière
pour le même service.
Il y a bien, il est vrai, d'un autre côté, une diminu*^
tion sur le chiffre total de l'armée anglaise, qui, pour
1860-1861 , était de 228,85& hommes (au budget rec-
(i) (t Scarcely any uiieasiness was enlerlained on that head, and
» Ihecurt if not rather contempluous reply oflonl Palmerstonto
s tbose meinbers of the house of Gommons who addressed him on
n the subjecl of our warlike expcnditure, must haye sufticiently
0 indicated Ihal the << stalu quo » of rcform in our political matters
» was equally to be observed in our military affairs. • ( The army
Mimâtes for 1861-1862.)
A6/i CONSTITUTION ET PUISSANCE BIIUTAIRES
lifié), et qui n'est plus que de 212,773 pour 1861-
1862. Mais, celte diminution résulte uniquemeut de la
réduction des effectifs européens employés dans Tlnde
et payés par le budget indien. Cette dernière force
(nous examinerons ailleurs si la mesure est prudente)
est réduite, pour l'exercice courant, à 66,729 hommes
et 8,262 chevaux.
Quant au budget militaire, il dépasse toujours
14,000,000 de livres sterling, et il semble que, dé-
sormais, ce soit son chiffre définitif et normal chez nos
voisins. La balance entre les budgets 1860-1861 et
1861-1862, se résout, en effet, en une mince éco-
nomie de 185,795 livres en faveur du dernier.
1/1,656,480 livres, d'une part, pour la guerre,
12,000,000 de livres pour la marine, en tout près de
SEPT CENT MILLIONS ! ! ! tel ost douc le bilan des charges
que TAngleterre en est réduite à sMmposer, sans pou-
voir même assurer sa sécurité et sa défense, au moins,
si Ton en juge par les alarmes et les paniques inces-
santes dont elle nous donne le triste spectacle.
Ces alarmes, deniandera-t-on, sont-elles bien sin-
cères? Ces paniques sont-elles fondées? Suivant les
uns, l'agitation de nos voisins d outre-Manche est touv
à fait factice. Tout cet appareil militaire, depuis Tar-
memenl des volontaires jusqu'aux organisations plus
effectives, qui se traduisent en un accroissement con-
tinu du budget de la guerre, tout cela n*a qu'un but :
opérer une diversion dans les esprits. On veut détour-
ner l'attention du peuple anglais du spectacle de ses
misères en exaltant son patriotisme. Un peuple qui s;
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. A65
croit SOUS le coup d'une invasion ne songe guère, ou
songe moins, à T insuffisance de son salaire, à la cherté
des subsistances, aux bills d'ajournement par lesquels
la chambre haute accueille les projets de réforme, Ta-
bolition des droits sur le papier, la suppression des
church rates j etc., etc.
Suivant les autres, au contraire, il y va du salut de
la Grande-Bretagne : quelles que soient les dispositions
des autres puissances à réduire leurs armements^
r Angleterre ne peut les suivre dans cette voie. Elle est
fort reconnaissante à la France de ses assurances de
bon vouloir, mais elle n'en diminuera pas pour cela
d'un seul homme l'efTectif jugé nécessaire à sa défense,
et au maintien de son rang comme puissance de pre-
mier ordre.
En résumé, si nous considérons dans le tableau des
budgets récapitulés plus haut les trois années qui
viennent de s'écouler, nous voyons que, pour cette
courte période seulement, l'Angleterre a augmenté ses
dépenses militaires de 80 millions, soit 25 p. 100, et
que l'effectif de son armée s'est accru de 75,000 hom*
mes, c'est-à-dire de 30 p. 100. L'accroissement de sa
marine et de ses dépenses navales, tant en personnel
qu'en matériel, a suivi la môme progression.
Quelles conséquences faut-il tirer de cet accroisse-
ment formidable? A laquelle des deux opinions citées
plus haut fant-il se ranger?
Que faut-il conclure du budget de 1861-1862, et
de la dédaigneuse réponse [coniemptuous reply) de lord
Palmerslon à la Chambre des communes? Doit-on s'in-
30
466 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
quiéter sérieusement en Europe de ces armements
poursuivisavec tant de persévérance? Est-il bien sûr
que l'Angleterre obéit seulement aux nécessités de sa
conservation et de sa défense ; ou bien ces armements
gigantesques ne révèlent-ils pas des projets agressifs et
une véritable menace à l'adresse de la France dont
ou s'obstine avec tant d'opiniâtreté, de l'autre côté
du détroit, à mettre en doute la droiture, à méconnaître
la loyauté, à suspecter les intentions?
D'une part, le tableau que nous avons présenté de
la richesse et de la puissance de l'Angleterre nous
semble devoir exclure chez nos voisins toute idée de
guerre volontaire. Il suffit de l'examen le plus super-
ficiel pour montrer que la rupture de l'alliance avec
la France ne pourrait que compromettre leurs intérêts
les plus chers. U est incontestable qu'ils auraient beau-
coup à risquer, rien à gagner dans cette rupture.
D'un autre côté, puisqu il est admis que Taugmen-
tation des dépenses militaires est une sorte de thermo^
mètre de la situation intérieure ou extérieure des Etais;
ridée d'intentions hostileset préméditées étant écartée^
c'est dans la situation générale» dans la condition pré-
sente de l'Angleterre^ qu'il faut chercher la réponse
aux questions soulevées par son attitude. Nous n'avons
pas besoin de l'annoncer, lors même que la triste expé-
rience de ces dernières années nous ferait incliner à
considérer l'alliance entre les deux nations comme un
mariage de convenance et d'intérêt, bien plutôt que
d'amour; nous n'en apporterions pas moins, daus
notre examen^ toute la justice, toute l'impartialité qui
DE LA FRANCB ET DE l' ANGLETERRE. &67
sont dues à un peuple allié. Dans les efforts et les sa-
criBces que s'impose l'Angleterre, «nous ferons la part
des mesquines jalousies, des terreurs sans fondement,
et la pari, la grande part de la nécessité. »
Cherchons, pour commencer, à nous rendre compte
de la situalion intérieure chez nos voisins.
Après avoir fait remarquer, dans un chiapitre pré-
cédent (1), que la force armée ne devait jamais inter-
venir, en Angleterre, dans l'exécution des mesures
d'ordre et de police; — ce qui expliquait à la fois le
rôle insignifiant de l'armée à l'intérieur et le chiffre
réduit auquel elle avait été maintenue pendant près
d'un demi-siècle; — après avoir rendu un hommage
mérité au profond respect du peuple anglais pour ses
lois, respect tel, que jusquMci, son gouvernement
n'avait pas eu besoin d'en armer les représentants ;
nous ajoutions : «Cette situation durera-t-elle tou-
jours? L'Angleterre, sous la pression des idées nou-
velles, pourra-t-elle se soustraire indéfiniment aux
réformes sociales, aux modifications politiques et mili-
taires que son aristocratie a su ajourner si long-
temps?... 11 est permis d'en douter. »
« L'heure n'est peut-être pas loin, disions-nous
encore* où les masses se lasseront en Angleterre de
l'ombre qu'on leur abandonne, de cette liberté sans
égalité dont on les leurre et dont la creuse jouissance
est censée compenser toutes les misères, toutes les
injustices, tous les monopoles, sous lesquels se cour-
(l) Chapitre XIU. Organisation de l'armée à rintérieur.
&68 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
bent depuis des siècles les classes basse et moyenne :
— l'heure n'est peut-être pas loin où ces classes se dé-
cideront à réclamer leur part de ces biens, de ces
droits, de ces places, de ces grades, qui ont été jusqu'ici
le partage exclusif de la fortune et de la noblesse. Ce
jour-là, l'Angleterre aura grand 'peine à éviter les com-
motions qui ont agité successivement les autres nations,
et son peuple une fois déchatué, ce ne sont pas ses poli-
cemen et ses constables qui suffiront à l'arrêter.
» Le peuple anglais saura-t-il conserver une juste
mesure dans la poursuite de cette égalité sociale dont
il est déshérité? ou bien, à l'exemple de tant d'autres
nations dépasserat-il le but, et, non content de détruire
les barrières qui l'arrêtent dans sa route vers une con-
dition plus équitable el meilleure, voudra-t-il renverser
aussi celles qui gardent des précipices et des abîmes ?
Nul ne peut le dire. »
L'épreuve que nous pressentions pour nos voisins
serait-elle aujourd'hui plus imminente? Nous n'ose-
rions l'affirmer; cependant, aux mesures que prend, à
certains égards, le gouvernement anglais, il serait
presque permis de le croire.
Si fondés que puissent être, en effet, ainsi que nous
le verrons plus loin, les motifs invoqués de l'autre
côté du détroit à l'appui de l'extension donnée aux
forces militaires , c'est, en définitive^ au milieu d*unc
paix générale avec toutes les autres nations^ que l Angle-
terre s'est décidée à doubler son effectif et ses moyens de
défense. Parmi ces derniers, l'érection de 250 millions
de citadelles et foiteresses serait tout simplemeul
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 669
ridicule (dans un pays oii le service des fortifications
déjà existantes laisserait, à peine quelques milliers
d'hommes pour tenir la campagne), si les éventualités
de l'intérieur, autant et plus peut-être que celles de
l'extérieur, n'avaient été prises en considération dans
cette mesure.
Les optimistes, les panégyristes quand même de tout
ce qui touche à T Angleterre, pourront répéter à satiété
que c'est contre les dangers du dehors, et nullement
contre ceux du dedans qu'il est nécessaire de protéger
la Grande-Bretagne.
En rapprochant les nombreux symptômes dénature
à infirmer cette confiance si absolue du développe-
ment inusité donné, en pleine paix, chez nos voisins,
aux forces militaires, on est conduit à se demander si
le dedans et le dehors ne tiennent pas une place égale
dans les préoccupations du gouvernement anglais.
Nulle parties appréhensions que fait naître la situa-
tion intérieure de la Grande-Bretagne no sont mieux
définies que dans l'Avenir politique de V Angleterre.
Certes, l'auteur de ce livre ne saurait être suspect.
Admirateur plus enthousiaste encore peut-être de nos
voisins que ne le fut, à une autre époque, M. Dupin
lui-même, M. de Montalembert n'hésite cependant pas
à reconnaître l'inquiétude et les craintes qu'inspirent
partout leurs destinées futurcjs : « En Angleterre même,
nous dit-il, la question doit se poser au fond de plus
d'un cœur. »
» Nul ne peut se le dissimuler, il s'est formé de
par le monde une opinion défavorable à la sécurité de
470 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
cette grande nation, à la durée de ses glorieuses insti-
tutions, et même à sa moralité politique. La conCaoce
sans bornes, Tenvie trop légitime, Tadmiralion pas-
sionnée qu'elle inspirait depuis on siècle aux esprits
éclairés, aux âmes généreuses, ont fait place peu à peu
à des sentiments très différents. Pendant que les aDciens
et fidèles partisans de l'Angleterre et de tout ce qu'elle
représente dans le monde en sont encore à la défiance
ou à l'appréhension, ses adversaires, en nombre tou-
jours grossissant, appellent et saluent d'avance la chute
de la vieille Angleterre. »
Nous n'aurions certes pas osé tracer un tableau
aussi menaçant; mais, puisqu'un autre s'en est chargé,
voyons ce que Ton peut invoquer à rencontre de sa
fidélité.
On répète souvent que Tune des choses qui trompent
le plus dans l'appréciation de la situation de laGrande-
Bretagne, « c'est le mal que les Anglais aiment à se
dire les uns aux autres, d'eux-mêmes, de leur pays,
de leurs lois, de leur gouvernement. » On pourra dé«
penser beaucoup de talent, on pourra mettre en avant
les comparaisons les plus ingénieuses pour établir,
— tout en convenant que cet amusement peut tourner fort
mal, — qu'il ne s'agit ici que d'un exercice d'esprit
chez nos voisins. Pour notre compte, nous voyons
quelque chose de plus sérieux qu'une simple récréation
dans la vivacité, dans la colère, dans l'amertume de
certaines plaintes et dans la recrudescence de certaines
appréhensions. Les interprètes des unes et des autres
ne ressemblent nullement «à ces bons jeunes gens »' aux-
DB LÀ FRAIfCB ET DE L'ANGLETERRE. ATI
quels M. de Montalembert compare le peuple anglais.
Nous dirons mieux, la fierté, l'orgueil sans bornes qui
le caractérisent, donnent une autorité toute particu*
lière aux aveux arrachés par la pensée des dangers
dont il se sent menacé. Quand il s'agit de la grandeur,
de la puissance, de la sécurité de leur pays, les Anglais
peuvent bien, dans une certaine mesure, trahir des
craintes dont l'expression doit servir de stimulant à
ceux chargés de les calmer, mais on peut être certain
que sur un pareil chapitre, c'est déjà beaucoup s'ils
disent la moitié de ce qu'ils pensent.
C'est peu connaître, suivant M. de Montalembert,
rhistoire politique de l'Angleterre, que d'attacher de
l'importance à un meeting séditieux ou à quelques
carreaux cassés dans un quartier aristocratique. L'as-
semblage tumultueux de 100,000 individusavec accom^
pagnement de cris, de bannières, de processions dans
les rues de Ijondres, n'inspire aucune appréhension à
l'auteur de V Avenir de V Angleterre; on oublie, nous
dit-il, que tout cela s'est vu depuis longtemps, s'est
toujours vu depuis que l'Angleterre est libre.
a En 1780, aux plus beaux jours du gouvernement
» aristocratique et de la splendeur oratoire du gouver-
» nement anglais, Londres a été au pouvoir d'une
» horde de brigands qui ouvrirent les prisons et brû-
» lèrent les hôtels de plusieurs des principaux person-
» nages du royaume. En 1830, quinze ans après la
» bataille de Waterloo, on alla briser les fenêtres du
» duc de Wellington, qui fît construire à cette occasion
» ces volets, à l'épreuve de l'artillerie populaire, que
472 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
» l'on voit encore à son hôtel. Quelques années plus
» tard, O'Connell réunissait en plein air cent mille
» Irlandais frémissant sous sa main, et disposés, selon
» rimpression générale, à se jeter, sur un signe de lui,
» dans tous les périls de la guerre civile. Et pendant
» tout cela, et avant comme après, des voies éloquentes
» et écoutées dénonçaient les institutions nationales
» comme des leurres, le Parlement comme un mauvais
» lieu, Taristocratie comme une caste d'oppresseurs et
» d'exploiteurs, le peuple anglais comme un ramas de
» dupes et d'esclaves, écrasés d'impôts et d'affronts par
» une oligarchie insatiable. Tout cela s'est dit et répété
» sur tous les tons, à toutes les périodes; tout cela
» peut-être a été cru ; mais tout cela a passé et passera
» comme une pluie d'orage. »
Tout cela, pour nous, est bien l'histoire du passé,
mais rien ne prouve que ce sera encore Thistoire de
a l'avenir». Aujourd'hui, le peuple anglais est armé.
Par une faute peut-être involotaire (1), mais dont l'ha-
bileté de l'aristocratie aurait dû mieux prévoir les con-
séquences {quos vult perdere..., Jupiter dementai!)^
200,000 fusils peuvent remplacer maintenant l'artille-
rie dont se riait Wellington. L'Iron-Duc (2), s'il vivait
encore, ne partagerait probablement pas la sécurité de
(1) C*est rarislocratie qui, cédant aux clameurs de la presse» s*est
laissé arracher Torganisation des volontaires; mais si les radicaux .
n'en ont pas eu Tiniliative, on peut être certain qu'ils ont tout fait
pour la rendre aussi générale que possible.
(2) Surnom donné à lord V^ellington : Iron-Duc, le Duc^e-
Fer.
DE LA FRANCE ET DE l'aNGLETERRE. Û73
M. de Montalembert, à Tendroit de ces orages popu-
laires auxquels, désormais, pourra bien se mêler la
grêle des balles. Ajoutons qu'en Angleterre, les
mœurs, les habitudes delà nation, et surtout la popu-
lation prodigieuse de cei^ins centres, sont autant de
circonstances qui concourent à faciliter les rassemble*
ments les plus formidables.
De bonne foi, que serait-il arrivé en 1780, lorsque
la populace brûlait les hôtels de Taristocratie, ou en
1830, lorsqu'elle se contentait de casser ses carreaux ;
que serait-il arrivé^ si ces hordes , assez nombreuses pour
tenir Londres en leur pouvoir j avaient été armées ? Les
200,000 chartistes de Kennington-Common seraient-
ils tombés aussi aisément sous le ridicule ; auraient-ils
été mis aussi facilement en déroute par les bâtous des
policemenet des spécial constables^ si, comme nos insur-
gés de juillet 1830 ou de février 18/i8, ils avaient eu
des fusils à opposer aux 5 ou 6000 baïonnettes retran-
chées dans les squares de Londres, sous les ordres de
Wellington.
L'armement des volontaires anglais a été dirigé contre
la France ; — la déclaration en a été faite assez ou-
vertement, et assez souvent, pour qu'on ne craigne pas
de le dire; — eh bien! nous ne faisons qu'un vœu,
c'est qu'il n'entraîne pas, pour nos voisins, les tristes
conséquences des mesures de ce genre, sur le continent.
Mais, dira- 1- on, de pareilles craintes ne sont-elles
pas en contradiction avec ce respect que tout le monde
reconnaît aux Anglais pour leurs institutions: en outre,
cet armement de la population dont vous vous effrayez
474 CONSTITUTION ET PUISSANCE mUTAIRES
si Tort, no s'applique pas à la populace et aux gens de
caractère à recruter une insurrection. L'oi^nisatioii
des volontaires ne comporte que des personnes hon-
nêtes, dont l'amour de la légalité et Tborreur des
mesures violentes ne peuvent être l'objet d*un doute.
A cela nous répondrons que tout s'use, et le respect
plus vite encore que le reste, quand l'estime et la con*
sidération sur lesquelles il se basait commencent à être
entamées. L'aristocratie anglaise a pu conserver son
prestige tant qu'elle a suffi aux besoins du pays, tant
que, sous sa direction unique, il n'a cessé de croître en
puissance et en ricbesse. Dans ces conditions, et il
serait injuste de ne pas reconnaître qu'elles ont été
glorieusement remplies , l'aristocratie a pu continuer
victorieusement sa course au milieu des clameurs de
la tribune et de la presse ; malgré les meetings et les
pétitions pour la réforme électorale, elle a pu conti-
nuer sa route, tant que le succès a couronné ses efforts,
<i sans jamais rien sacrifier de ses droits légitimes, sans
se croire une seule fois obligée de céder soit à Tennemi
intérieur, soit à l'ennemi extérieur; et cela en
dépit des famines, des émeutes et des carreaux cassés. »
Tout cela est vrai. Malheureusement pour Taristo-
cratie anglaise, ce qui a cessé de Têtre, c'est son infail-
libilité, c'est la continuité de ses succès, c'est la con-
centration exclusive, dans son sein, de toutes les forces
vives de la nation. M. de Montalembert l'avoue : « le
niveau du talent, de la capacité, de Tinfluence abaissé.»
Les grands hommes dont l'ascendant et l'énei^ie éle-
vèrent si haut la situation de Taristocratie, lui font
DB LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. Û75
défaut aujourd'hui. L'affaiblissement graduel mais
continu de la haute chambre en est une preuve, tout
aussi bien que la tendance chaque jour plus marquée
de la chambre des communes à franchir les limites de
ses attributions, et à absorber en elle tous les pouvoirs.
On chercherait en vain, maintenant, des hommes de
la taille des Pitt, des Fox, des Canning ou des Peel, et
malgré les sen^ces réels qu'il a rendus, malgré son
titre de prince du sang, le commandant en chef n'exerce
plus surl'armée cette autorité absolue, incontestée, qui
fut le privilège de Wellington.
C'est qu'en effet, il faut bien le reconnaître, avec
l'auteur de V devenir de V Angleterre : « l'empire des
anciennes idées s'affaiblit, et il en est de même du
prestige des anciennes institutions. En d'autres termes,
le caractère profondément aristocratique delà liberté et
de la société anglaise tend à s'altérer. Ce prestige est
encore généralement reconnu, mais ce n'est déjà plus
ce que c'était jadis. Un lord est toujours quelque chose
de grand, d'une grandeur même incompréhensible sur
le continent, mais ce ri est déjà plus le lord d'autrefois.
Tout l'ensemble des usages et des notions qui se rat-
tachent à ce nom, à ce titre presque intraduisible, a
subi la même transformation. »
Quant à la prétendue distinction établie au sujet de
l'armement de la population anglaise, et des dangers
qu'il comporte pour la sécurité intérieure de nos voi-
sins, une triste expérience nous a montré qu'elle est
sans valeur. La garde nationale de Paris, pas plus que
les volontaires de Londres, n'ouvrait ses rangs aux
476 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
bandits qui brûlent les hôtels et saccagent les capitales :
cependant c'est à la garde nationale, dans plus d*une
circonstance, que Témeute a emprunté ses premières
armes (!)•
Répétons-le donc encore une fois, les carabines si
libéralement distribuées ouvrent une phase nouvelle
pour le Royaume-Uni, et l'histoire d'hier pourra bien
ne plus être l'histoire de demain. En revanche, c'est
bien Thistoire du présent que nous résume M. de Mon-
talembert, lorsqu'il dit: « Le progrès de ladémocra-
'tie est le fait dominant de la société moderne, mais
c'en est aussi le danger suprême le fait et le dan-
ger existent en Angleterre comme ailleurs. i>
Ce qui le prouve, c'est bien, eu effet, le ton général
de la littérature anglaise ; c'est la faveur dont jouissent,
auprès du public, les écrits qui s'attaquent aux idées
et aux habitudes aristocratiques; c'est l'esprit de déni-
grement à l'endroit des hautes classes; c'est enfin, et
surtout, la perte chaque jour plus sensible du prestige
des anciennes institutions.
Ces symptômes suffisent pour constater le progrès
de l'esprit révolutionnaire chez nos voisins; mais il est
d'autres signes plus redoutables encore, et qui ne
doivent pas être négligés. Somme toute, le courant ré-
(I) Tous les peuples pris en masse se valent. Anglais, Français.
Espagnols, Prussiens, Suédois, elc,ont eu, tour à tour, leurs pé-
riodes de suprématie guerrière. Il serait donc ridicule de prétendre
que les Français, gardes nationaux ou autres, ne soient pas tout
aussi braves que les volontaires anglais. Cependant, qui n'a pas
présentes encore à la mémoire, les devantures de magasins, les
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. Û77
volulionnaire ne s'accuserait qivà l'étal de théorie, et
l'époque où il arrivera à passer du domaine des doc-
trines dans celui de l'action, pourrait être encore bien
éloigné si les chefs qui doivent le diriger faisaient dé-
faut : malheureusement ces chefs sont tout prêts.
Depuis plusieurs années déjà, eu face du parti delà
vieille Angleterre, il s'en est élevé un autre : celui de
la jeune Angleterre. Au drapeau et au nolumus leges
jingliœ mutari des tories égoïstes et entêtés^ les nou-
veaux venus opposent un drapeau dont la devise se
réduit à un seul mot : Réforme; chacun sait tout ce
que ce mot peut renfermer de choses. Certes, bous
sommes loin de vouloir dire que M. Layard, par
exemple, le champion de la réforme administrative,
que M. Bright, le champion de la réforme électorale,
que M. Cobden, le président du congrès de la paix, ou
même M. Carlyle, le partisan déclaré des mesures radi-
cales et du régime delà force, soient disposés en aucune
façon à descendre dans la rue cour eis&iirer le triomphe
de leurs opinions. Mais, ce qu'on ne peut méconnaître,
c'est qu'ils ont un parti puissant derrière eux; or,
dans les rangs de ce parti comme dans toutes les armées
du monde, il y a des soldats indisciplinés, toujours prêts
portes sur lesciuflles, à certaines époques néfastes, se lisaient, ces
honteuses inscriptions destinées à affranchir les marchands et les
propriétaires de la visite des insurgés parisiens :
« Armes livrées ! ! ! » Livrées à qui? si ce n'est à l'émeute, à l'in-
surrection que Ton ne domine pas plus, qu'on ne repousse l'inva-
sion élraogère, avec d'honnêtes citadins, avec de bons pères de
famille dont ce n'est pas ie métier.
inS CONSTITUTION £T PUISSANCE MILITAIRES
à déborder, à dépasser leurs chefs. Eu France, en 1848,
les faiseurs de banquets, les avocats de la réforme ont
vu où conduisaient ces terribles auxiliaires.
Dans tous les cas, ce ne sont pas les chefs qui man*
quent, de l'autre côté du détroit, au parti du meuve-
ment. Si^ par une combinaison habile, raristocratie
ajoute de temps à autre à ses forces et diminue d'au-
tant celles du parti populaire par Tadjonction desnou*
veaux élus qu'elle lui enlève; la jeune Angleterre, de
son côté, se fortifie chaque jour pour la lutte, et l'école
de Manchester, son expression la plus élevée, se recrute
depuis longtemps dans Pélite intellectuelle et morale de
la nation.
Puisque nous venons de dire un mot de cette admis-
sion intéressée des illustrations populaires dans les rangs
de raristocratie , peut-être est-il à propos d'expliquer
que cette mesure, en apparence si libérale, ne constitue,
en définitive, qu'une lourde charge pour le pays, grâce
à la contre-partie qui complète le mécanisme de la
combinaison.
L'aristocratie anglaise ne pouvant conserver sans le
droit d*atnesse les domaines et la richesse nécessaires
à son prestige et à son influence, force lui est a de re-
fouler dans le gros de la nation » tous les cadets, tous
les puinés qu'elle déshérite. Elle se débarrasse ainsi, il
est vrai, des éléments qui la gênent, mais c'est pour en
embarrasser la nation; car celle-ci, à défaut de leurs
familles, se trouve endosser la charge de les pourvoir.
Ces membres superflus que l'aristocratie rejette, peu-
vent être aussi inutiles à leurs concitoyens en général
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 479
qu'à leur caste en particulier. Cependant, le pays est
obligé de les accepter quand môme comme des membres
efficients de la communauté. En compensation des
biens et des titres dont leurs atnés les dépouillent, ce
sont les sièges dans la magistrature, les bénéfices dans
le clergé» les grades dans l'armée, les postes dansl'ad*
ministration ou la diplomatie....; en un mot, les em-
plois de toute sorte, les fonctions de toute espèce, qui
deviennent, sans concours, sans justification d'aptitude
ou de mérite, le privilège presque exclusif des puînés
de la noblesse.
C'est au point de vue de l'établissement des cadets
de son aristocratie, autant au moins que pour les né*
cessités de son commerce, que l'Angleterre occupe ses
innombrables colonies. Parmi ces possessions, il enest
un grand nombre, comme nous le prouverons plus tard,
qui ne sont qu'onéreuses pour la métropole, mais elles
fournissent à l'infini des postes de gouverneur, de com-
missaire, d'administrateur, etc., etc., pour les fils de
tamille. Llnde, sous ce rapport, est une pépinière que
rien ne pourrait remplacer, et dont la perte suffirait
presque à déterminçr une révolution intérieure. Aussi,
veut-on savoir quelle était, aux jours les plus sombres
de la dernière insurrection, la grande préoccupation
de l'aristocratie? Ce n'était pas seulement le sort de
l'armée, la ruine d'un vaste empire; c'était.... le sort
de ses cadets qui allaient se trouver sur le pavé.
Concluons : la réforme , — la réforme en haut
comme en bas; — la réforme dans toutes les parties de
sa constitution politique et sociale; telle est la nécessité
Û80 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
qui se dresse chaque jour plus impérieuse pour T An-
gleterre. La résistance naturelle de Taristocratie, et le
respect invétéré pour les vieilles traditions, si soigueu-
sèment entretenu jusqu'ici par les partisans intéresses
de Tordre de choses acluel, ont pu ajourner les salis-
factions légitimes que réclame le peuple anglais ; mais,
nous Tavons vu, ce fétichisme est battu en brèche avec
une ardeur que la défense ne pourra toujours maîtriser.
En politique, il est des prosjrammes dont la réalisation
est toujours certaine : ce sont ceux qui ont pour base
la justice et la morale. A ce titre, nous livrons à nos
lecteurs celui des réformistes anglais, tel que l'a 4br-
mulé M. Carlyle :
« The thing >vhich is injust, which is not àccoi-ding
to God's law, will you (0, my conservative friends) in a
God's univei-se, try to conserve thaï? It is so old, say
you? Ycs, and the holter hasteoughtyou, of ail others,
to be in to let it grow no older. If but the faintest
wishper in your hearts iutimate to you that it is nol
fair, hasten, for the sake of consei^miism itself, to probe
it rigorously, to cast it forth at once, and for ever, if
guilly. How will you, or can you préserve it, the thing
that is not fair. »»
<' Ce qui est injuste, ce qui est contraire aux lois du
Créateur, doit disparaître de la création; — plus les
abus sont anciens, plus il est urgent de se mettre à
rœuvre sans relard, afin qu'ils ne puissent le devenir
davantage ; — dans T intérêt même des principes con-
servateurs, il faut soumettre à une expérience rigou-
reuse tout ce dont Téquité et rhonnôlelé soulèvent le
DE LA. FEANCE ET DE L ANGLETERRE. 481
moindre doute; — l'épreuve faite, cest un devoir de
renverser sans hésiler^de détruire pour toujours {to cast
fortK to cast for ever !!) tout ce qui sera reconnu con-
traire à la justice. »
Quel sera le rôle de Tannée anglaise dans les éyen-
tualités que fait pressentir une situation ainsi définie ?
On a dit que Tabolition des abus les plus monstrueux
dont il eût été fait justice en Angleterre, tels que :
l'exclusion des catholiques de tous les droits politiques,
le droit électoral des bourgs pourris, l'impôt sur le
pain des pauvres au profit de Tagriculture, des
riches, etc., etc., était due «cala coexistence d'une
France où régnait la liberté religieuse et politique, en
même temps que la plus scrupuleuse égalité devant
la loi.»
La guerre d'Orient, entreprise en commun par la
France et l'Angleterre ; la juxtaposition de leursarmées
sur le plateau de Chersonèse pendant deux années con-
sécutives ; enfin, le spectacle et l'appréciation des con-
ditions si honorables, si équitables, si libérales, assurées
en France à l'officier comme au simple soldat, ont
déterminé dans l'armée anglaise des aspirations , des
sentiments, des besoins jusqu'ici inconnus.
Inféodée depuis des siècles à l'aristocratie, Tarmée,
comme le reste de la nation, réclame aujourd'hui,
chez nos voisins, des modifications et des satisfactions
qu'il serait dangereux- de lui refuser. Un coup d'œil
sur sa condition morale, sur son régime social, per-
mettra d'apprécier l'importance des unes et des autres.
L'émotion causée par les mécomptes éprouvés en
31
âS3 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAUES
Crimée a laissé de longs ressentiments en Angleterre;
l'irritation n'avait pas été moins profonde que la bles-
sure infligée à l'orgueil national. Jusqu'en iSbh, on
avait vécu sur la gloire acquise pendant la guerre d'Es-
pagne ; il était admis en principe, de l'autre côté du
détroit, que l'armée anglaise était la première armée
du monde. Un pareil sujet ne souffrait pas la discus-
sion; et personne, sous l'administration de lord Hill
ou du duc de Wellington, ne se serait aventuré à
émettre le moindre doute sur la parfaite équité et sur
Fhabileté non moins grande du département delà
guerre. De fait, cependant, cette administration avait
manqué de la prévoyance la plus élémentaire. Alors
que tout marchait, que tout progressait autour d'elle,
elle était restée stationnaire, elle s'était opiniâtrement
refusée à tous les perfectionnements, à toutes les amé-
liorations adoptées par les autres années euro-
péennes (1).
Cette incurie coupable devait être chèrement expiée.
Au moment où la guerre tut déclarée, les services
du commissariat, de l'ambulance, des vivres, du cam-
pement, des transports, etc., tout ce qui compose en
un mot l'attirai 1 obligé des armées modernes, ou n'exis-
tait que de nom, ou se trouvait, chez nos alliés, dans
un état pitoyable. A cette époque, les plus habiles ne
voulaient encore croire qu'à une simple démonstration ;
{i) L'armée autrichienne, avec laquelle nous noas sommes ne-
sures en Italie, était bien certainement supérieure comme organi-
sation, administration, etc., à l'armée anglaise deCrîmcc. CeileMri
s'est beaucoup améliorée depuis cette époque.
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. &8â
aussi l'état-major du corps expéditionnaire fut-il
choisi avec la plus grande légèreté et sans le moindre
égard, ainsi que cela avait lieu d'habitude, pour le mé-
rite ou Texpérience des élus (1).
Le peu que Ton parvint à réunir, en personnel et
en matériel administratif, fut empilé sur les vaisseaux
dans un désordre et dans une confusion inexprimables.
Aussi, quelques semaines s'étaient à peine écoulées de-
puis Touverture des hostilités, que l'armée anglaise,
manquant de tout, se fondait, se désorganisait d'heure
en heure, non pas sous le feu de l'ennemi, mais par le
seul effet des souflFrances intolérables et des misères
sans nom auxquelles Pavait vouée Fimpéritie de ses
directeurs.
Pour comble de malheur, là où l'expérience, le
génie inventif et l'habileté féconde des chefs eussent
été nécessaires, afin de créer ce qui faisait défaut, afin
de suppléer autant que possible à ce qui manquait, les
habitudes méthodiques, compassées, routinières, sem-
blaient, avec le courage du soldat, les seules choses qui
eussent surnagé dans ce naufrage. L'absence complète,
chez un grand nombre d'officiers de l'état-major, des
connaissances les plus obligatoires dans leurs fonctions ;
l'inexpérience des officiers de troupe, leur ignorance
(1) Nous avons vu, dans le courant de celle étude, comment se
faisaient les désignations potir les efnptois d'état-major, Tarmce an-
glaise nf. comporlèot pas de corps spécial |)Our ce service. Eh bien !
sur 216 officiers ayant saiisfait aux examens de Técolc de Sandhurst,
depuis 1836, i5 seulement furent désignés pour Télat major de CH-
mée^ les autres emplois furent donnés à la faveur et ù rinlrigue.
48/1 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
des plus simples devoirs du métier, et surtout des dé-
tails les plus essentiels du service de guerre; cdCd,
Téloignement dans lequel les uns et les autres se tenaient
du soldat, de ses besoins, de ses souffrances, contri-
buèrent encore h aggraver l'état déplorable dans le-
quel se trouva Tarmée anglaise pendant Thiver de
1854-1855. Chacun sait le rôle que joua Tarmée fran-
çaise dans ces tristes circonstances, mais nos voisins
semblent aujourd'hui l'avoir si complètement oublié,
qu'on est vraiment excusable de le leur rappeler quel-
que peu.
Nous n'insisterons pas davantage sur les cruelles
épreuves subies par nos alliés pendant la guerre d'O-
rient. Nous renvoyons, pour de plus amples détails, au
rapport de sir John M'Niel et du colonel Tulloch,
nommés tous deux pour diriger une enquête sur la si-
tuation de l'armée expéditionnaire.
Ce que nous avons surtout en vue, c'est de bien éta-
blir ici rétendue de l'irritation qui se produisit à l'oc-
casion de la guerre de Crimée, la nature des sentiments
qu'elle fit naître, et la portée de ceux qui lui ont sur-
vécu dans les rangs de l'armée anglaise.
Sous ce dernier rapport, un livre qui a causé une
profonde sensation chez nos voisins, et dont l'auteur
appartient à ce que nous appellerions volontiers « ta
jeune année » comme MM, Bright et Carlyle ap-
partiennent à « la jeune Angleterre » , un petit livre
intitulé : The army^ the hwse guards and the people^
va nous fournir de précieuses données.
c< Telle lut, dit le colonel W***. à propos des dé-
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 485
sastres de Crimée, l'indomptable énergie qui se mani-
festa dans la classe moyenne, que l'aristocratie en fut
épouvantée. En effet, l'indignation du peuple monta à
un tel point, à mesure que la lumière se faisait à ses
yeux, que le ministère ne put y résister, etc. . . « Tliere
» was such stem enerçy in the middle class then, that
» the aristocracy trembled. Yes, the nation was up;
» thé scales had fallen from its eyes ; it called lord Pal-
» merston to the helm. »
Qu'on ne s'y trompe pas, le livre que nous allons
faire parcourir à nos lecteurs n'a pas été écrit dans le
but de déverser l'éloge ou le blâme sur tel ou tel indi-
vidu ; il ne renferme pas un seul nom propre. Son au-
teur n'a pas écrit non plus sous l'influence d'une mes-
quine personnalité ; il a gardé'l'anonyme (i). — Non !
il le déclare sans détour, son but est plus élevé : « Ce
qu'il a voulu d'abord rechercher, ce sont les raisons de
l'insuccès des armes anglaises; ce qu'il veut prouver
ensuite, c'est que les mécomptes de 1854-1 855 tien-
nent à une seule et unique cause : l'étroite et égoïste
politique, qui restreint exclusivement aux membres de
l'aristocratie anglaise l'accessibilité au commandement
et aux postes les plus importants de l'armée : « I do
» not re-open Crimean chronicles for the purpose of
» drawing attention to individual merit or demerit....
(l)Nous ne pouvons trahir ici cet anonyme; cependant, il nous
est bien permis de le dire, nous connaissons personnellement le co-
lonel W**, et, quel que soit le Jugement porté sur ses opinions, on
ne pourra méconnaître que ce sont les convictious d'un homme
éclairé et d'un officier d'une distinction hors ligne.
686 CONSTITUTION ET PUISSANCE mLITAIRES
» I do so witb the view of remiuding my countrymeD
» tbat the break-down of 185/i-1855 was the resuit of
x tbat narrow policy, which confines to an arisiocralîe
x> few the bigberand more profitable military posts ( t ). »
Prenant Taristocratie anglaise à partie, au point de
vue du rôle qu'elle a joué dans la direction de Tarmée
pendant ces dernières années, le colonel W^ constate
par de nombreux exemples, que wigbs ou tories n'ont
jamais cédé qu'à la -pression des journaux et de Topi*
nion, toutes les fois qu'il s'est agi d'une amélioration
quelconque. Chaque perfectionnement dans l'organisa*
tion de Tarmée, dans rhabillement, dans le logement.
dans l'armement du soldat, etc., etc., a dû être arraché
de haute lutte à l'inertie ou au mauvais vouloir.
Le mot seul de concours pour l'obtention d'un grade
ou d'un emploi, ne suffit-il pas encore aujourd'hui,
s'écrie l'auteur de The army and the people^ pour exci-
ter toute la colère des oligarques !
Que dire, en efiet, de ces applaudissements à lord
Palmerston, dépensant son talent et son esprit à battre
(i) Il n*y a pas longtemps encore que le Times^ dont Tinfluence
et l'aulorité sont si grandes de Tautre c6té du détroit, développaîi
la même ttièse et disait :
« It is a positive injustice to llie army at large, as well as an in-
jury to tlie pul)lic service, whcn preferment is accumulated on tbe
lieadsof a privileged few, instead of being distributed by the test
of merit thronghout tlie raniLS of the profession. Tlie regiroenlal of-
licers hâve been hardly dealt with in thèse matters. From the legi-
timate prizes of his profession, the rc^lmental ofûcer is practically
excluded. Thèse bave hitherto bcen reserved for a sélect class, to
which, whatever may be his déserts, he Ûnds no admission. »
[Times, A février 1S60.}
DE LA FEANGB ET DE l'aNGLETEMIE. 467
en brèche le projet des examens scientifiques, et tour-
nant en dérision, en plein Parlement, toute idée de
justification d'aptitude pour l'admission des officiers
dans l'armée (1)!
Que dire encore de ce honteux abus, auquel, malgré
le dégoût et le découragement qu'il inspire, l'aristo-
cratie continue à donner son appui et sa protection.
Gomment qualifier cet odieux trafic des commissions»
auquel viennent se mêler jusqu'à des industriels, des
tailleurs (2), et qui s'étale effrontément à la face de
l*armée? — Le Purchâse, ce scrofule de l'armée brt*
tannique {ihe military serofula called Purchasé), mal-
gré les généreux efforts de sir de Lacy Evans et de
sir Harry Jones, n'est pas encore aboli.
Étrange chose! c'est en plein xix' siècle, et sous le
frivole prétexte de faire de l'armée une carrière plus
élégante, plus distinguée {gentlemanly profession) ; en
réalité, afin de pouvoir conserver pour les hautes
classes le monopole des grades et des émoluments qui
s'y rattachent ; c'est au xix' siècle que l'armée anglaise
est condamnée à subir éternellement une réglementa-
tion surannée, une l^islation qui date de 1679 !
L'auteur de The army and the people ne voit qu'un
(ij Telle fut la satisfaction d'un certain membre (M. Ed. Ellîce) à
propos de ce bel exploit du premier ministre, que, dans la plénitude
de sou cœur, il ne pouvait contenir sa Joie « en entendant enfin
une parole de bon sens sortir de la bouche du noble lord : « He was
> delighted to hear a word of common sensé from the noble lord at
» Last. »
(2) Consulter la procédure contre Armstrong et C% Marshall,
Bridson, etc.
A88 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITiURES
système à suivre pour mettre un terme aux abus qui
affligent l'armée anglaise, et pour empêcher le retour
des désastres de la campagne de Crimée, on ne sera
pas étonné de trouver son programme tout aussi radi-
cal que celui de M. Garlyle.
c( Si le peuple anglais en a la ferme volonté nous dit
le colonel W^, ces calamités ne se verront plus; ijour
cela, il suflBt qu'il soit bien déterminé à ne plus tolérer
que la richesse et la noblesse constituent des titres de
préférence au détriment du talent sans naissance, du
zèle sans appui, de la capacité sans protection. Le jour
est arrivé où il est nécessaire d'attaquer cette question
face à face. Plus de monopole. Les gros traitements
et les postes importants doivent être et seront la récom-
pence du talent et du courage, non plus le privil^e de
la naissance et d'un sang aristocratique. L'Ëtat peut se
passer de noblesse ; il ne peut pas se passer de gens
habiles. La reine Elisabeth avait compris cette vérité;
Olivier Cromwell en fit la r^le invariable de son gou-
vernement : a IsEngland resolvedthal this shall cease?
» Is she determined that station and great possessions
ï> shall from hencefortb enjoy no advantagesin therace
» for preferment over low-born genius, middle class
» zeal, and unbefriended fitness. The time bas corne,
» when it behoves us to look this matter fixedly in the
» face. No more monopoly. High pay and high office
» ought to be, ay , and shall be, the guerdon of skill and
» valour; not thebirthright of blue blood, and the pre-
» rogative of good interest. The state may dispense Avith
» men of rank, iteanno ^vith men of talent. This truth
DE LA FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. &89
i> Elizabeth acknowledged, thîs truth migbty Oliver
» acted on. »
Qui pourrait contester en effet, à Tbeure où nous
écrivons, que cette classe moyenne traitée, en Angle-
terre, avec tant de dédain et d'injustice, ne réalise des
merveilles, et ne montre en fait d'art, de science ou
de littérature, tous les genres de supériorité ! C'est de
ses rangs que sortent les poètes, les théologiens, les
légistes, les peintres, les architectes, les ingénieurs,
les commerçants, les industriels, tous ceux enfin, dont
le génie et l'esprit entreprenant, ont donné àla Grande-
Bretagne une des premières places parmi les nations.
Cependant, la grande majorité des fils de ces hommes
utiles et souvent illustres, le sang de leur sang, la chair
de leur chair, se trouve exclue de la carrière militaire
par une loi empruntée à l'une des plus honteuses
époques de l'histoire d'Angleterre (1).
Voudrait-on prétendre que les classes inférieures,
quelle que soit leur aptitude à d'autres égards, en sont
encore à faire leurs preuves sous le rapport militaire ?
Le colonel W"** répond à cette objection en rappelant
que, dans les guerres civiles, les officiers des troupes du
Parlement étaient presque tous des fermiers, de petits
propriétaires, de petits marchands; cependant, tous ces
hommes sortis de la basse classe eurent bien vite appris
la guerre en luttant contre les cavaliers; si bien que les
écoliers, passés maîtres, finirent par triompher des
gentilshommes leurs professeurs.
(1) C'est au règne de Charles H que remonte \erég\meûnPurcha$e,
&90 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAimES
Aujourd'hui, dans la garde royale anglaise, où les
officiers grands seigneurs ne s occupent que fort peu de
leur métier, n'est-ce pas aux sous*offîciers que revient
la tâche de faire leur besogne? Le sei*gent-major (1)
commande plus effectivement son bataillon que le chef
titulaire, et les sergents dirigent les compagnies beau-
coup plus que les capitaines. Sans aucun doute, la par-
faite discipline de la garde est due, en grande partie, à
laction intelligente et vigoureuse des sous-oflSciers
children of the masses.
En Grimée, est-ce aux officiers qui ne voyaient leurs
soldats que pour les conduire au feu (bravement, héroï-
quement, nous nous empressons de le dire) mais enfin,
est-ce aux officiers ou aux sous-officiers qu'il faut attri-
buer le reste de discipline qui a empêché la désorga-
nisation complète de l'armée?
Et cependant. Dieu sait quel est l'avenir du sous-
officier anglais ! Lorsque nous étudierons les institutions
militaires de la Grande-Bretagne, nous reviendrons sur
toutes ces questions de Tavancement, du recrutement,
des pensions, etc., et nous verrons qu'il n'est proba-
blement pas d'armée au monde, dont le régime soit
moins libéral, que celui adopté, pour ses défenseurs par
la libérale Angleterre.
Le maintien d'uq pareil régime est-il possible? Une
pareille situation est-elle bien sans dangers ? Est-on sûr
que cette armée, si maltraitée, ne mettra pas un jour
(I) Dans Forganisalion anglaise, le sergent-major représente
notre adjudant sous-ofAder.
DB LA FftANGE ET DE L'ANGLETERRE. &91
ses griefs en commuii avec ceux de la nation» et ne se
lèvera pas pour demander à la fois le redressement
des uns et des autres?
L'auteur de The army and ihe people^ se charge de
répondre à ces questions :
a II y a beaucoup de gens qui, de nos jours, se
» complaisent à répéter : La constitution, de longtemps,
» n'a rien à appréhender de l'armée. »
Qu'en savent^ils? Notre génération est- elle donc
bien plus habile que celle de nos grands-pères? Ceux*
ci, s'appuyant cependant sur l'incompatibilité des ar-
mées permanentes avec les institutions libres, furent
toujours opposés à Textension de Tarmée anglaise.
« Oh! dira-t-on, ces craintes sont aujourd'hui sans
objet; — elles sont vieilles de deux siècles. » Ne so
sontrellespasjustiBées, répondrai-je, sous le r^ne de
George III? Horace Walpole qui avait, indépendam-
ment de sa perspicacité connue, tous les moyens de
connaître le véritable état des esprits et des choses,
Horace Walpole était d'avis que, si la guerre d'Amé-
rique avait eu une heureuse issue, l'armée triom-
phante eût fait courir de grands risques aux Ubertés
anglaises (l).»
Nous avons cherché, par ces extraits, à donner un
(i) Horace Walpole, who besides bia nalural inquisitiveness, had
pcculiar facillties afforded him for ferretting out what was going
on bebiod the political curtain, suspected that, bad tbe american
war terminated triuinphantly for us, English liberlies rnight bave
fared badly at tbe banda of (be flusbed army.
{Thê army and thepeople.)
492 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
aperçu de la condition morale et sociale de l'armée an-
glaise. Nous avons essayé de donner à nos lecteurs une
idée aussi exacte quepossibledu mouvement des esprits
dans ses rangs.
Après avoir résumé les difficultés présentes ou pro-
chaines de la situation intérieure chez nos voisins, il
n'était pas sans intérêt, au cas où Taugmentation de
l'armée signalée au début de ce chapitre ne serait pas
étrangère à ces difficultés, il n'était pas sans intérêt,
disons-nous, de chercher dans quelle mesure le gouver-
nement pouvait compter sur elle.
Il ne faut pas l'oublier, tandis qu'en France on cher-
cherait en vain un seul cas de sédition militaire, flotte
et armée, grâce à leur composition et à leur recrute-
ment, chez nos voisins, ont donné de fréquents
exemples de mutinerie. Tout le monde se rappelle la
révolte des matelots de Portsmouth qui, pendant les
guerres de la République, mit l'Angleterre à deux
doigts de sa perte. Tout récemment encore, il a fallu
désarmer et licencier dansTInde des milliers de soldats,
dont on avait certes grand besoin. Il y a là de graves
enseignements pour quiconque veut se rendre un
compte sérieux de la constitution mîlitaii^ de nos
voisins.
Jadis, on avait peu à s'inquiéter de l'armée; le soldat
anglais était considéré comme une brute, compie un
ivrogne, que l'on traitait en conséquence ; et moins on
en parlait, mieux cela valait. Aujourd'hui, bien des
changements se sont produits, sinon dans sa moralité,
au moins dans l'opinion qu'il a de ses droits :
DE LA FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. /j93
«lu Que, theenglish soldier is no longer an auto-
» maton, a numskull fit only todash bis poor head
» against revetments at inconsiderate word of corn-
a mand. The rifle, the fight en voltigeur, the régi-
» mental Scbool bave already changed, and are still
» furtber chauging him. Beware how you treat bim
» now. Beware how you flog, and brand him now,
y> for the soldier bas grown a tbinking man. Take
» account of that, and begin to set your bouse in
» order. » Aujourd'hui, c'est le colonel W*** qui nous
le déclare, le soldat anglais n'est plus un automate, un
lourdaud, tout simplement mis au monde pour se faire
casser la tète au premier commandement. La carabine,
le combat en tirailleur, Técole régimenlaire, Font déjà
bien changé et le changeront bien autrement encore.
Prenez garde à la façon dont vous le traiterez mainte^
nant ; prenez garde de le trop fouetter, et pensez-y i\
deux fois avant de le marquer (1) ; — car le solijat est
devenu lui-même un homme qui pense (2) . Tenez compte
de tout cela, et commencez à mettre votre maison en
ordre. »
Nous laissons à nos lecteurs le soin de prononcer sur
les garanties de sécurité et d'obéissance que promet un
portrait aussi peu rassurant.
(1) En Angleterre, on marque sur le bras, de la leUre D, avec un
fer rouge, les hommes qui désertent. Pendant longtemps, les méde-
cins militaires anglais ont eu à remplir ce joli oflBce.
(2) Tout comme ou disait autrefois en France : «Une baîonnelte
intelligente. »
CHAPITRK XXI.
Embarras et difficultés de la situation intérieure en Angleterre
(suite): De rirfandc; — Hrlande esl-die satisfaite r — L'Ir-
lande est-elle SGomiae ? — Rôle probable de celle provlaee di
Ro>aume-Uni au cas où TAngleterre serait engagée daas une
guerre extérieure.— Les ressentiments des Irlandais contre TÀn*
gleterre sont toujours aussi ardents qu*au jour de la conquête,
et ils les portent dans tous les pays oti ils émfgrent. ^ f^ famine
en Irlande. -- Exposé sommaire des griefe de Tlrlande- ^ Opi*
nion du générai Burgoynesar les dangers queTIriande entraîne
pour l* Angleterre. '^ L'occupation de Tlrlande est la tâche la
plus lourde de Tarmée anglaise à Fintérieur. '^ Tronbles de
Belfast* — Attitude de rirlande pendant rinsarrectlon de ria^.
— La conspiration du Phénix» •*> i..e8 Irlandais des Élâla^Unis.
'- L^Irlande n*a pas de volontaires. — Résumé.
Contidératùmê générales sur la ConsUtulion du domaine eokmiai
de V Angleterre : U domination extériesre de la Grande-Bretagne
peut-elle être maintenue au degré d'extension qu'elle a atteint?
— La conservation de son intégrité est-elle d'une sage politi-
que? "^ Les dépenses quVelfe nécessite, les dangers qu'elle folt
naitre, sont-ils conclliaUes avee la sécurité de TAngleterre ; sont-^
ils compatibles avec les exigences de sa situation comme puissance
européenne?
Nous avons analysé dans le chapitre précédent les
difficultés intérieiîres de TAngleterre. Nous avons
signalé les dangers qui peuvent en résulter, tôt ou tard,
pour la paix publique, par suite du récent armement
de la population; mfin nous avons laissé entrevoir les
périls inhérents à la constitution imparfaite et suran-
née de Tarmce britannique.
Au nombre des embarras avec lesquels nos voisins
Dl LA FRAHCE KT DE LAlfGLBTERRE. &95
sont obligés de compter au sein même de la métropole,
il en est un dont la gravité sollicite une attention toute
particulière.
Nous voulons parier de Tlriande.
M. de Montalembert lui-même reconnaît <« qu'il faut
bien consacrer quelques lignes à Tlriande en passant» ,
quand on s'occupe de Tavenir politique de TAngleterre.
Si quelque chose doit étonner, c'est plutôt la sobriété
de l'illustre écrivain à l'endroit de ce malheureux pays.
11 est vrai que la triste condition de llriande n'était
pas un sujet facile à aborder , surtout dans une œuvre
consacrée à la glorification de l'Angleterre « et de tout
ce qu'elle représente dans le monde » .
Pour notre compte, moins gênés par notre cadre,
nous serons moins brefs, tout en cherchant à définir,
aussi succinctement que possible, la place qui doit être
faite à l'Irlande dans les préoccupations militaires de
TAngleterre.
L'Irlande est-elle satisfaite du régime qui lui est im«
posé? — L'Iriande est-elle soumise et dévouée? —
h'IrUmde, enfin , au cas où f Angleterre viendrait à
s*engager dans une guerre j présenterai^Ue lee mimes
garanties de sécurité et de tranquillité intérieures que
les autres parties du Roya»ime-'Vni ?
Telles sont les questions que nous nous proposons
d'examiner successivement.
S'il fallait s'en rapporter uniquement aux discours
et aux assurances d'un certain parti, les Irlandais
n'auraient aucun droit de se plaindre de leur sort : il
aurait été fait pour eux^ pour leur prospérité, tout ee
&96 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
qui élait possible. Ceux qui murmureot encore ne for*
nieraient qu'une ingrate minorité.
Cependant si nous cherchons à nous rendre un
compte exact, sinon de la prospérité, au moins de la
prétendue satisfaction de Tlrlande, de nombreux
symptômes viennent infirmer les assurances de la
presse anglaise. Au lieu de ce calme, de cette soumis-
sion qui caractérisent un peuple heureux de son sort,
nous voyons se produire tous les indices d'un mécon-
tentement profond et beaucoup plus général que les
journaux et les écrivains d'outre-Manche ne semblent
disposés à l'admettre.
Il faut bien le reconnaître, c'est en vain que Ton
voudrait fermer l'oreille à ces plaintes aaières» à ces
cris de haine, à ces explosions de ressentiment et de
vengeance que fait entendre le peuple irlandais. Cette
espèce de guerre sociale, sourde et persistante, ces
manifestations de sentiments hostiles qui profitent
de toutes les occasions pour se faire jour, trahissent
évidemment une situation anormale, périlleuse, et dont
nous devons, sommairement au moins, indiquer les
causes et les conséquences.
Dans cette étude, suivant la règle invariable que
nous nous sommes imposée toutes les fois qu'il s'est agi
de questions exigeant de notre part un surcroît de pru-
dence et d'impartialité , c'est à des documents, c'est
à des témoignages exclusivement anglais que nous
aurons recoui's pour nous guider.
A tort ou à raison, les Irlandais sont imbus de cette
idée que> depuis le règne d'Elisabeth, la politique an-
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. /i97
glaise poursuit, par des voies détournées, un but eu
désaccord avec ses constantes professions de libéra-
lisme : la destruction lente, mais progressive de l'élé-
ment irlandais et catholique eu Irlande.
Jusqu'en 1782, on ne saurait le contester, l'histoire
de la pauvre Erin sous la domination anglaise n'est
qu'une longue série de violences, de massacres, de
confiscations, de spoliations de toutes sortes. A cet
égard les historiens protestants eux-mêmes ont pro-
noncé la condamnation de l'Angleterre : « Par leurs
horribles excès les Anglais achetèrent la malédiction
de Dieu et des hommes dans la malheureuse Ir-
lande (1).»
Sous la reine Elisabeth, suivant les termes d'un rap-
port du temps, « il ne restait guère à Sa Majesté à
régner en Irlande que sur des squelettes et des cendres. »
Dès cette époque, la famine, cette calamité qui
semble spéciale à l'Irlande, la famine exerçait ses ra-
vages, et en moins d'un an et demi réduisait les popu-
lations au dernier état de misère. L'Irlande présentait
l'affreux spectacle d'un peuple périssant de faim sur
un sol qui avait produit les plus belles moissons : « On
voyait les habitants sortir des bois, s'aidant de leurs
mains pour marcher, et dévorant des restes d'ani-
maux {dead carrions), heureux s'ils pouvaient en trou-
ver et soudainement une contrée populeuse et
fertile resta vide d'hommes et de bêtes. » Swenser's
siaie of Ireland, p. 65.
i) Leland, liv. U, chap. m.
32
&98 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITÂIEKS
Sous le règne d'Elisabeth oq ne compte pas moins
de soixante révoltes irlandaises.
Plus tard, écrasée sous Cromwell pour sa fidélité à
la cause royale, ravagée, inondée de sang, llrlaiide se
vit encore une fois traitée comme rebelle par Guil-
laume ni. Les dix onzièmes de son sol se trouvèrent
confisqués au profit des protestants. Longtemps elle
gémit sous ces trop fameuses «lois pénales», monu-
ment de barbarie et de honte pour le gouvernement
qui les édicta. Sous cette législation cruelle, le catho-
lique était l'esclave du protestant, et ce code odieux a
r^i rirlande jusqu'en 1782.
Pendant cette sinistre période, l'objet favori de tous
les gouverneurs et du parlement, dit Lelaud (liv. V,
chap. à), « était de déraciner du sol tous les catholiques
et les purs Irlandais (to root out the mère Irish). »
La formule du serment des orangistes portait : « Je
jure d'être fidèle au roi et au gouvernement et d'exter-
miner, autant qu'il sera en mon pouvoir, les catho-
liques de rirlande. x>
Nous n'insisterons pas plus longuement sur la situa-
tion de ce peuple martyr (comme l'a nommé si juste-
ment O'Connell) pour toute la partie de son histoire
antérieure à 1782. Tyrannie politique et commerciale,
oppression systématique et barbare, persécution reli-
gieuse incessante, tel est en résumé le régime que TAn-
gleterre a imposé aux Irlandais pendant des siècles, et
dont le souvenir reste toujours vivant dans leurscœurs.
Sans doute, cette histoire est ancienne; mais l'Ir-
lande qui a souffert, l'Irlande qui soufi're encore.
D£ LA FRANCE ET DE L'ANGLETfiaEE. 409
comnie nous le verrons plus loin, llrlande n'a rien
oublié. Suivant l'expression d'un écrivain militaire an-
glais, ses ressentiments sont toujours aussi vifs qu'au
lendemain de la funeste bataille, tombeau de son in-
dépendance : « It is nearly two centuries since the
» battle of the Boyne, and the mère mention of it
9 excites in the Irish breast ail the old feud. »
Partout où l'émigration les conduit, les Irlandais,
suivant l'expression de sir James Alexander, transpor-
tent avec eux leurs vieilles inimitiés : «The Irish, most
» quarrelsome of races, carry their religions, as well
» as political animosities across the Atlantic, and the
9 cities of the West are, at times, made a field of battle
» in the interest of Popery or of Orangism (l). »
Lorsque du passé on en vient à l'examen de la si-
tuation contemporaine, on est tenté de se demander si
la politique de l'Angleterre à Tégard de l'Irlande n'est
pas toujours la même. La forme a pu changer, mais,
à entendre les nombreux griefs articulés parles Irlan-
dais, le fond est toujours le même.
De nos jours, comme du temps d'Elisabeth, on
meurt encore de faim en Irlande- Depuis 1800, date
de son union définitive avec l'Angleterre, la famine
(1) Poêâagei in ih$ life of a Boldier, par sir James klexMûêr.
La remarque de Thonorable écrivain s'applique ici aux colons irlan*
dais du Canada. Nous aurons occasion de revenir ailleurs sur les
sentiments de cette partie de la population de notre ancienne colo-
nie. Les aspirations et les tendances des habitants d'origine fran-
çaise, si laous en croyons le colonel Alexander, ne mérileut pas
moins de fixer ratteûtion.
500 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
continue à être l'état permanent de Tlrlande. Anté-
rieurement à la cruelle disette de 1 8/i6-l851 , elle a
subi les famines de 1817, 1823, 1832, 1837.
Sous rinfluence de ces misères continues, la popula-
tion, par le fait de Témigration et du typhus, est des-
cendue de 8 millions à 5 millions et demi.
Cependant, la plupart des économistes s'accordent à
reconnaître que Tlrlande pourrait nourrir 25 millions
d'habitants !
D'après le Parliamentary Gazetleer of Ireland, ou-
vrage considéré comme une autorité officielle : « L'Ir-
lande ne produit actuellement que la moitié, quelques-
uns disent même le cinquième de ce que le sol esl
.capable de donner. »
Cependant il est constaté que, pendant les années
18/i6, 18&7, 18^8, où manqua, en Irlande, la seule
nourriture du pauvre, — les pommes de terre, —
l'Irlande a exporté annuellement, en AngleteiTe,
pour une valeur de 15 millions de livres (275 millions
de francs) de produits de son sol. Il est constaté que,
pendant ces mêmes années, elle aurait pu nourrir le
double de sa population ! ! !
Certes, l'étude approfondie des causes d'une pareille
anomalie serait aussi curieuse qu^intéressante ; malheu-
reusement elle nous entraînerait trop loin, et nous de-
vons nous restreindre à l'exposé strictement nécessaii^
pour expliquer les dispositions de l'Irlande à l'égard de
1 Angleterre.
Si la famine, « ce monstre des âges de barbarie »,
peut encore, en plein xix* siècle, désoler une province
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 501
appartenant à l'un des premiers empires du monde,
ou, tout au moins, à celui dont les prétentions sont les
plus hautes, quant à sa civilisation, quant à la perfec-»
tion de ses institutions , cela tient par-dessus tout à la
législation féodale et cruelle qui r^le en Irlande les
rapports du paysan et du propriétaire. Là, en effet,- de
par la loi, le paysan est encore une sorte de propriété
du seigneur. L expression de tenant at will, tenancier
à merci, à la volonté, à la discrétion du propriétaire,
explique assez comment celui-ci peut chasser ses fer-
miers locataires sans avoir de compte à rendre à per-
sonne, sans indemnité pour le malheureux qui aura
mis dans sa ferme non-seulement son travail, mais
tout son avoir, tout l'avenir de sa famille. Quelle que
soit la régularité avec laquelle il aura payé ses fer-
mages, quels que soient Tindustrie et le soin qu'il aura
déployés dans son exploitation, rien ne protège le cul-
tivateur contre Y éviction. Une simple signification de
congé {notice to quil) suffit pour le dépouiller, pour le
réduire, ainsi que sa famille, à demander asile au
work house (maison des pauvres), — ou à émigrer s'il
en trouve les moyens.
Quant au fermier assez heureux pour échapper
au process-server et au driver^ sa position n'est guère
meilleure. Pressuré par les usuriers, par les intermé-
diaires {fniddlemen)y à qui les récoltes sont vendues à
l'avance, c'est miracle s'il ne meurt pas de faim sur la
terre qu'il a* fécondée. La raison en est bien simple :
rirlande n'a ni argent, ni industrie; elle est donc
obligée de payer en nature sa rente à l'Angleterre.
502 coffSTiTunoN et puissance militaires
L'Irlande n'a pas d'argent, parce que les neuf
dixièmes des propriétaires du sol irlandais (confisqué
presque en totalité à l'époque de la conquête) sont
absents {absentées), et résident en Angleterre. C'est
à peine si un quart des revenus est dépensé en Ir-
lande.
Elle n'a pas d'industrie, parce que, de 1699 à 1782,
toutes les lois ont été faites pour empêcher rétablisse-
ment de manufactures pouvant faire concurrence aux
produits similaires de TAngleterre. Pendant cet inter-
valle de près d'un siècle, l'Irlande a été tellement
distancée par sa jalouse maîtresse, qu'il lui serait im-
possible de lutter aujourd'hui contre l'industrie bri-
tannique,
L'Angleterre est àonc forcémeni le marché de
rirlande. L'Angleterre ne donne rien et reçoit tout ;
l'Irlande donne tout et ne reçoit rien.
Telles sont les désastreuses conséquences de Vabsen-
téisme, du monopole industriel, et de la loi d'expulsion
discrétionnaire que subit l'Irlande; aussi a-t-on pu
dire que, dans ce malheureux pays, « la loi vient en
aide à la famine, comme la famine vient en aide à la
loi. »
Aux sujets de plainte que nous venons d'éniimérer,
il faudrait en ajouter bien d'autres qui contribuent à
surexciter encore l'irritation toujours croissante des
Irlandais : « L'entretien forcé d'une riche église oflB-
cielle àla charge d'un pays où les neuf dixièmes de la
population repoussent les doctrines de celte même
église ; un système d'éducation établi par l'État, ten-
oc LA FRAlfCE ET DB l'aKGLETEERB. SOS
dant à détruire peu à peu chez le peuple irlandais la
foi catholique et à effacer tout sentiment de la natio-
nalité irlandaise; une administration défectueuse de
l'assistance publique» ayant pour effet d'accroître les
misères morales du pauvre, sans pourvoir suffisam-
ment à son dénûment physique ; enfin la justice, en
bien des cas, partialement rendue. »
Toutes ces causes de malaise et de ressentiment ne
sont un secret pour personne en Europe; elles ex-
pliquent l'inflexible persistance avec laquelle les Irlan-
dais réclament le rappel de l'Union, c'est-à-dire l'abro-
gation de l'acte qui a détruit leur indépendance. Sans
être plus partisan que de raison du droit des nationa-
lités, et, tout en concédant ses hmites, sans vouloir
prétendre que l'Irlande, dans les conditions géogra-
phiques où elle est placée, puisse se séparer de l'Angle-
terre et vivre d'une vie qui lui soit propre, on peut se
demander pourquoi les Irlandais n'auraient pas les
mômes titres à l'intérêt du monde civilisé, que les Po-
lonais, les Lombards, les Romains, les Siciliens ou les
Napolitains, auxquels ni l'appui, ni les sympathies de
TÂngleterre ne font défaut.
Si l'Angleterre blâme TAutriche de ne pas rendre
aux Hongrois leurs institutions nationales, TAutriche
n'est-elle pas en droit de demander pourquoi l'Angle-
terre ne restitue pas aux Irlandais leur indépendance
et leur parlement?
£n effet, l'Irlande a des droits tout aussi fondés que
ceux de la Hongrie à revendiquer ses anciennes insti-
tutions. En 1782, l'Angleterre reconnut solennellement
50& CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
que le parlement irlandais avait seul qualité pour im-
poser des lois à Tlrlande. En 1800, cet acte fut dé-
chiré sans que Tlrlande eût jamais autorisé qui que ce
fût à livrer ou à vendre son indépendance. L'union
législative ne fut pas seulement une illégalité flagrante,
elle fut la ruine définitive de l'Irlande à qui il avait
suffi de quelques années de liberté locale, de quelques
heures d'autonomie, pour réaliser des progrfe im-
menses (1).
Pitt n'était-il pas obligé de reconnattre lui-même
cette renaissance de Tlrlande, lorsqu'on proposant
l'Union des deux pays il disait : « Si l'Irlande est deve-
nue si prospère sous son parlement, nous pouvons cal-
culer que cette prospérité sera triplée sous une l^s-
lature britannique. »
Chacun peut apprécier de quelle façon les prévisions
de Pitt se sont réalisées.
«L't/mon, c'est l'Irlande gouvernée par des étran-
gers à son préjudice et à leur unique profit; c'est Tir-
lande forcée d'exporter ce qu'elle devrait consommer,
et d'importer ce qu'elle devrait fabriquer; c'est-à-dire
condamnée aux famines périodiques et à la misère
perpétuelle.
» Le rappel de VUnion, c'est un gouvernement irlan-
dais en Irlande ; c'est à Dublin, non-seulement une
(1) Dans un discours' prononcé en 1798, le comle de Clare, Tord-
chancelier d'Irlande depuis 1789, portait ce témoignage : « 11 n'y a
pas sur la surface du globe de nation qui, pendant la même pé-
riode, ait fait en agriculture et enJndustrie des progrès aussi
rapides que l'Irlande. »
DE LA FRANGB ET DE LÀNGLETERRE. 505
cour, mais une chambre des lords et une chambre
des communes, c'est-à-dire la résidence des proprié-
taires du sol, par conséquent une société riche qui
ramènerait le luxe et la prospérité; c'est l'Irlande dé-
veloppant toutes ses ressources, se créant des industries
nationales, s'ouvrant un vaste commerce et nourris-
sant ses enfants ; c'est, en un mot, une nation qui
retrouve avec la liberté les conditions nécessaires et
naturelles de son existence (1). »
Quelque légitimes que soient ces prétentions, la
raison d'État sera toujours invoquée en Angleterre
comme un obstacle invincible aux satisfactions que
réclame l'Irlande. À cet égard. Irlandais ou Anglais ne
se font pas d'illusions; aussi, d'un côté comme de
l'autre, on se tient prêt pour les éventualités que peut
ménager l'avenir.
Nul n'a mieux défini que le général Burgoyne cette
situation si périlleuse pour l'Angleterre; voici, du
reste, textuellement ce que dit l'honorable général
dans son étude intitulée : The possible tesults of a
war with France (Résultats probables d'une guerre
avec la France) :
c< A maxim bas been thorougbly inculcated into the
» minds of thegreat bulk of the people there, that « Ire-
» land's hope» as it iscalled, and lime for energelic
» proceedings is ta be found in England's difficuUies ;
» and such an extrême subversion of ail existing order
» of governement is sought for as could never be con-
(1) La question irlandaise, Paris, 1SG0.
506 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIBBS
» ceded by statesmen of even the most libéral political
» principles; the arrière-pensée of the îrish peoplecaD
» never be met, and it will require very many years
» before it can be so far moderated by the most concî-
» liatory measures as to obtain a thorough amalgama-
is tion of feelings of identical interests with those of
» Great-Britain. »
Toutes les espérances de l'Irlande, suivant le général
Burgoyne, résident donc dans les embarras qui pour-
ront assaillir TÂngleterre. C'est en vue de ces difficul-
tés que les Irlandais réservent et préparent leurs efforts
les plus énergiques. D'un autre côté, la réalisation du
programme gravé dans le cœur de tout Irlandais en-
traînerait un tel bouleversement de l'ordre de choses
actuel, qu'il n'est pas un homme d'Ëtat anglais, même
parmi les plus libéraux, disposé à lui prêter son con-
cours.
En admettant que les mesures de conciliation recom-
mandées par le général Bui^ope soient adoptées, et
il y a lieu d'en douter, bien des années doivent s'écouler
avant que l'union des deux races et la fusion de leurs
intérêts soient accomplies. Aussi l'honorable général
ne se le dissimule pas : l'occupation de l'Irlande est pour
longtemps encore, pour plus d'un siècle peut- être, la
tâche la plus lourde qui incombe à l'armée de la mé-
tropole (1).
(1) With regard to the number of troops for Ireland, no course of
events or of circurostances can preclude for the next fifty or bundred
years, the necessity for the présence of a large force in that countnr
at such a period. (The possible resuUsofawar with France.)
DE LA FRANCE ET DE L'ANGLETERRE. 507
Nous avons pénétré assez avant dans Texamen des
griefs du peuple irlandais, pour pouvoir répondre avec
connaissance de cause aux deux premières questions
que nous avons posées au début de ce chapitre. L'Ir-
lande n'est pas satisfaite de son sort; — l'Irlande n'est
ni résignée, ni soumise, ni dévouée.
Si de l'étude des causes de cette désaffection on passe
à celle de ses effets, on est effrayé parfois des révéla-
tions que les journaux anglais eux-mêmes ne peuvent
se dispenser de faire.
A propos des troubles de Belfast, qui vinrent pro-
tester si malencontreusement, en 1857, contre cet
apaisement prétendu des luttes politiques et religieuses
dont la presse anglaise se complaisait à proclamer
l'extinction, le Times s'exprimait ainsi : « Les troubles
prennent chaque jour un caractère plus sérieux, et il
est évident qu'il faudra une grande énergie pour re-
primer cette tendance au désordre social que Ton a
laissé se développer.
« Dans certains quartiers de Belfast, c'est une véri-
table terreur; des centaines d'individus ne se couchent
pas avant trois ou quatre heures du matin, craignant
d'être attaqués dans leurs maisons. Hier, entre onze
heures et minuit, au moment où la police s'était rétirée
pour prendre un peu de repos, on a appris qu'une
bataille terrible était engagée entre les catholiques et
les protestants à Sandy-Row. »
Un journal irlandais, le Freeman*s Journal, à l'occa-
sion de ces mômes désordres, donne les détails sui-
508 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
vants, qui caraclérisent trop fldèlement l'attitude res-
pective des catholiques et des oraogistes : « Quoique
l'état de siège (la loi martiale) n'ait pas été proclainé,
on ne voit dans toutes les rues de Belfast que des dé-
tachements de constables. Les catholiques romains
sont bien décidés, s'ils sont attaqués, à montrer ce
qu'ils peuvent faire. Le club des fusils (catholique)
tient séance ; les loges orangistes s'assemblent de leur
côté. Des forces imposantes de police sont interposées
entre les deux quartiers ennemis. Malgré toutes ces
précautions, la nuit il se commet des violences sans
nombre, et l'on entend sans cesse des détonations
d'armes à feu. »
Pendant rinsurrection indienne, de vives sympathies
se manifestèrent hautement en Irlande en faveur des
Hindous. Le Morning Post nous l'apprend en ces
termes : «Il paraît que des placards incendiaires, dans
lesquels étaient exprimés des vœux en faveur des Ci-
payes, ont été affichés sur les murs dans toute V étendue
des comtés de Kilkenny et de Waterford. »
La magistrature locale proposa une récompense de
100 livres (2,500 fr.) à celui qui dénoncerait les cou-
pables. Personne ne se présenta pour toucher celte ré-
compense.
Ainsi, tandis que le monde^entier frémissait aux ré-
cils des atrocités commises parles Cipayes; tandis que
la France et les autres nations européennes souscri-
vaient à Tenvi pour venir en aide à leurs victimes, les
Irlandais osaient seuls applaudir à ces cruautés ; ils re-
DE LA FRANCK ET DE L'ANGLETERRE. 509
fusaient leur obole à ces misères inouïes, tant le désir
de la vengeance étouffait en eux toute pitié pour des
\ictimes britanniques.
La presse anglaise s'indigna; les journaux irlandais,
la Nation de Dublin entre autres, répondirent en rap-
pelant les souffrances, les humiliations, les persécu-
tions que la race irlandaise avait eu elle-même à en-
durer de la part de ses conquérants. Plus las journaux
anglais criaient vengeance contre les Cipayes, plus les
journaux irlandais mettaient d'acharnement dans leurs
représailles historiques contre ceux qu'ils appelaient
insolemment « les Ctpayes saax>nsi>, les oppresseurs
de l'Irlande.
Faut-il parler maintenant de cette mystérieuse affaire
du Phcmiœ^ qui, il y a quelques années à peine, met-
tait l'Angleterre en si grand émoi. C'était précisément
au moment où l'on croyait passé, pour l'Irlande, le
temps de ces ténébreuses associations qui ont porté des
noms si étranges et si divers. On se félicitait des amé-
liorations réalisées ; on s'applaudissait des prétendues
modifications opérées dans l'opinion publique ; on se
flattait d'avoir définitivement éteint en Irlande tout
ferment de résistance, tout germe de révolte. Tout à
coup, on découvrait une vaste conspiration ayant des
ramifications dans plusieurs comtés, et organisée dans
le but de renverser la domination anglaise, avec le
concours des milices des États-Unis formées d'émigrés
irlandais. Ceux-ci devaient débarquer en armes et eu
uniforme sur le rivage de leur ancienne patrie, sous le
prétexte de lui faire une visite amicale et de lui donner
510 CONSTITUTION ET PUIfiSANGB MILITAIBBS
une marque de leur constant attachement. La 000^11*
ration fut éventée; le gouvernement anglais dédara
qu'il s'opposerait à la visite des milices américaîoes, et
cette affaire, dont on ne connut jamais bien exacte-
ment la portée, se termina par la condamnation d'un
certain nombre d'individus convaincus d'avoir fait
partie de la Société du Phœnix.
Puisque nous venons de parler des Irlandais émigrés
en Amérique, peut-être est-ce ici Toccasion de mon-
trer, par quelques exemples, l'exactitude de la remar-
que que nous avons faite à propos des Iriandais da
Canada.
Nous avons dit que, partout où leur triste EooodeXe^
conduisait, les Irlandais emportaient avec eux leur
haine inextinguible pour tout ce qui tient à l'Angle-
terre. Ce sentiment implacable ne manqua pas de se
manifester, à l'occasion du voyage que le prince de
Galles (sous le nom de baron de Henfrew) fit en Amé*
rique^ il y a bientôt deux ans.
Au moment du passage du prince à New-York, une
revue générale de la milice fut ordonnée, en son Ikmh
neur, par le major-général Sandford. Le 69* régiment,
commandé par le colonel Corcoran, et composé ex-
clusivement d'Irlandais, se mit en rébellion ouverte,
et refusa de paraître à cette revue. Les soldats déda*
rèrent qu'ils ne voulaient à aucun prix, en rendant cet
honneur à Théritier de la couronne d'Angleterre, don^
ner lieu à leurs concitoyens de prendre le change sur
leurs véritables sentiments, ni permettre à la presse
anglaise de les dénaturer. Le colonel Corcoran, qui avait
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 511
approuvé cette manifestation, fut traduit devant un
conseil de guerre, mais pour la forme seulement, car
le gouvernement américain savait bien qu'il serait
aussitôt réélu que destitué. Le peu de convenance et
de courtoisie que les autorités américaines apportèrent
au règlement de cette affaire assez peu connue en
Europe, n'est pas le moindre des griefs dont l'Angle-
terre garde rancune aux États du Nord.
A côté de cette démonstration plus puérile que
sérieuse, il faut enregistrer d'autres symptômes, d'au-
tres déclarations d'une nature beaucoup plus grave,
et qui, à notre avis, auraient dû donner grandement
à réfléchir à l'Angleterre, au cas où l'affaire du
Trmt n'aurait pas reçu la solution pacifique que cha-
cun sait.
A tort ou à raison, les Irlandais considèrent les
Américains comme devant être tôt ou tard leurs ven-
geurs. Leur sympathie pour la nation qui a donné et
qui continue à garder un asile toujours ouvert aux
clamés de la pauvre Irlande, ne néglige aucune occa-
sion de se manifester aux dépens de l'Angleterre. Bien
longtemps avant que l'affaire du Phoônix vint éveiller
Tattention, un député irlandais, en plein Parlement,
déclarait que la prétendue fidélité de ses compatriotes
à la couronne d'Angletere était un mensonge officieli
et que si, sur une côte irlandaise, un vaisseau anglais
et un vaisseau américain en venaient aux prises, ce ne
serait pas au premier que les témoins du combat, sur
le rivage, souhaiteraient la victoire. Le journal la Na^
lion, rappelant ces paroles du député irlandais, ajou-
512 CONSTITUTION ET PUISSANCE MlUTAIRES
lait : « Ce qui était vrai en 185â l'est encore aujour-
d'hui. »
I^ dernier conflit américain est venu tout récem-
ment corroborer cette assertion : au moment où la
guerre semblait inévitable, Smith O'Brien et les autres
exilés politiques déclaraient hautement que les États
du Nord pouvaient compter sur 200,000 Irlandais pour
envahir le Canada. En faisant la part de Texagératiou
probable de c« chiffre, il n'en reste pas moins hors de
doute qu'en cas d'invasion de la colonie anglaise, tout
ce que la milice canadienne compte d'Irlandais ouvri-
rait les bras aux envahisseurs et passerait à l'ennemi.
Quoiqu'on veuille le paraître en Angleterre, ou ne
se trompe nullement sur les véritables dispositions des
Irlandais. Il est convenu de l'autre côté du détroit qu'on
doit les déclarer sans fondement et sans importance ; il
est même de mode de les nier; en attendant, on prend
des précautions qui annoncent que l'on est parfaite-
ment Qxé sur les dangers qu'elles peuvent faire courir.
Nous avons vu que l'Irlande n'avait pas été autorisée à
armer des volontaires. Lorsque l'État est intervenu
pour diriger et régler ce mouvement populaire, il a
été accordé des carabines aux corps des comtés anglais
et écossais ; l'Irlande a été exclue de cette faveur. Les
journaux qui soutiennent que la domination anglaise
y est détestée n'ont pas manqué d'interpréter cette
exclusion à défiance. Cette manière d'agir du gouver-
nement britannique a été regardée comme la preuve
qu'il n'osait lui-même compter sur la fidélité irlan-
daise.
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 51 S
L'Angleterre, par cette conduite prudente, a pu
écarter le danger matériel et immédiat ; mais le dan-
ger moral qu'elle a en quelque sorte proclamé elle-
même dans cette circonstance ne perd rien de sa force.
Si les armes et les munitions sont les seules choses
qui fassent défaut aux Irlandais pour élever leur mau-
vais vouloir à la hauteur d'une insurrection en règle,
l'Angleterre, qui admet en Italie le principe des natio-
nalités et l'autorité du suffrage populaire, l'Angle-
terre, en applaudissant à l'insurrection de la Sicile, et
en souscrivant pour Garibaldi ; — T AngleUîrre, il faut
l'avouer, a donné dans ces derniers teaips un exemple
qui pourrait bien être retourné contre elle.
Kn définitive, n'élait-elle pas en paix avec les sou-
verains italiens dont elle a réclamé l'expulsion? Ses
relations avec eux étaient-elles officiellement rompues?
En ce qui regarde Naples, les hostilités étaient-elles
ouvertes ou seulement dénoncées?
Le recrutement de la légion anglaise des colonels
Peard et Dowling par Garibaldi en pleine rue de Lon-
dres, appartient à un droit des gens tout nouveau, et
dont l'Angleterre , qui n'a pas craint d'en poser les
bases, pourrait bien un jour pour elle-même recon-
naître les inconvénients (1).
(1) Le triste sort de cette légion (qui devait faire oublier, par ses
exploits, les services que la France a rendus à la cause italienne à
Magenta, ù Solferino) est aujourd'hui bien connu; un publiciste
anglais résume ainsi son histoire : « It is to be hoped thaï ils short
and ingloriouscareer may hâve convinced the English, as it has the
italian people, thaï the best support this country (England) can
give to the cause of llaiy, consils in..., ilssympalhy. »
33
514 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Certes nous ne doutons fias que les juriseoilsultes
royaux appelés à donner leur avis dans laffaîre
du Trent, s'ils étaient consultés, ne déclarassent
que <c the legality of thus enlisting Englishmen lo
flght the battles of other countries is vert questio-
NABLE. »
Cependant, après le précédent qu'elle a établi, TAn-
leterre aurait-elle le droit de se plaindre, si un beau
jour une puissance, sans autre raison légitime qu'une
profonde horreur pour la politique intérieure du gou-
vernement britannique (2), s'avisait de lâcher sur
rirlande un Michel, un Smith O'Brien ou un O'Meagher
quelconque? De quel droit se plaindrait-elle, si cette
puissance venait à fournir de l'argent, des armes et
même des hommes à ce condottieri, pour le mettre à
même de jouer en Irlande le rôle que Garibaldi a joué
en Sicile?
Nous croyons avoir suflftsamment éclairé la dernière
question qui nous restait à résoudre relativement à
rirlande : non-seulement par sa répugnance invincible
pour la domination anglaise et son perpétuel esprit de
révolte, cette portion du Royaume-Uni est en loat
temps une plaie ouverte pour la Grande-Bretagne;
mais on peut affirmer qu'en cas de guerre extérieure
l'Irlande serait pour cette puissance une menace el un
danger permanents.
Le parallèle que nous avons poursuivi jusqu'ici ao
(1) tn réalité, quel autre grief l'Angleterre pouvait-elle iofoquer,
si ce n^estsa désapprobation pour \at politique intérieure du gower-
nemenl napolitain f
bË U Wu«efe Et bE L'ANGLÈTÊllàfe. 815
paitlt de vue militaire entre la France et l'Angleterre,
resterait incotnplet di nous omettions de constater que
la première de ces deux puissances n'a à lutter cotitre
aucun embarras analogue à l'Irlande^ et si nous de
faisions pas ressortir tout l'avantage qui en résulterait
pour elle dur la seconde en cas de guerre.
Nous rappelions ailleurs les sentiments peu fraternels
exprimés en Irlande à l'égard de l'Angleterre pendsim
la guerre des Indes , et les manifestations auxquelles
avait donné lieu l'affaire du Trent; noufe ne croyons
pas nous avancer beaucoup, en affirmant qiie les Irlan-
dais convieraient avec grand plaisir les Français à
partager le rôle que nous leur avons vu assigner aux
Américains. Nos lecteurs seraient étonnés si nous leur
faisions connaître ce que des journaux de Dublin ont
osé imprimer pendant et depuis la gi^erre d'Italie.
Nous pourrions mettre sous leurs yeux les preuves de
l'incroyable enthousiasme excité, au moins dans quel*
ques parties de Tlrlande, par le glorieux retentis^e-^
ment qu'ont obtenu certains noms de l'armée françaito;
Noufe préférons nous abstenir, et n'attribuer qu'à l'ori*
gine irlandaise de ces noms, des manifestations sur lë^
quelles nous ne voulons pas nous étendre davantage.
Ce qui nous importe avant tout, c'est qu'on ne ie
méprenne pas sur le but que nous nous proposons dans
cette étude. Elle est exclusivement militaire ; son seul
objet, toute autre considération mise de côté, c'est
d'apprécier aussi exactement que possible la situation
et les conditions offensives et défensives de l'Angleterre^
A ce dernier titre Flrlande tenait une place tro^^
51f> CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES .
importante pour n'être pas comprise en première ligne
dans l'examen auquel nous soumettons plus loin toutes
les colonies, tous les groupes principaux de Tempire
britannique. Dans un travail de ce genre, tout ce qui
est source de force ou de faiblesse doit être aussi scru-
puleusement enregistré qu'impartialement apprécié.
On pourra juger si nous sommes resté fidèle à ce pro-
gramme, par les lignes suivantes que nousempruntons
à un écrivain militaire d'outre-Manche, et que nous
donnons ici comme le résumé des considérations dans
lesquelles nous sommes entré relativement à l'Irlande:
a Ireland — most assuredly, if we are ever invaded
7» as our preeminently weak point, will not be over-
)^ looked
x> Ireland does not possessaiiy of our boasted volun-
»teers, which are declared, on authority, to hâve
» rendered Ëngland invulnérable, and in ail quarters
» but the Black Nortb, a French invading force would
h hâve ail the sympathies of the population ; so
» that, if not successfuUy encountered by a regular
» garrison, the island would soon fall before their
» arms(l). »
Nous en avons fini avec le bilan des embarras inté-
rieurs de TÂngleterre. Pour toute autre puissance,
(1) « Llrlande, en cas d*invasion, comme notre point faible par-
dessus tous les autres {preeminently weak), serait certainement
Tobjet d'une tentative de Tennemi....
» L'Irlande ne possède aucun de ces volontaires dont nous sommes
si fiers, et qui sont réputés, sur la foi du gouvernement, avoir rendu
TAngleterro invincible. Dans tous les districts de llrlande, le Black
DE LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 517
l'examen auquel nous nous sommes livré suffirait à
donner la mesure des difficultés de nature à gêner sa
liberté d'action à l'extérieur , et celle des avantages
qu'une nation rivale ou ennemie pourrait en tirer.
Dans les États compactes, homogènes, la situation de
la métropole domine tout. Celle des possessions exté-
rieures ou des colonies n'a qu'une importance relative
et souvent secondaire ; c'est le cas de la plupart des
puissances européennes. Il en est tout autrement pour
l'Angleterre. Dans un chapitre précédent, en passant
en revue ses conquêtes et ses annexions successives,
nous avons montré comment, puissance secondaire par
son étendue propre et par le chiffre de ses nationaux,
l'Angleterre, grâce à ses colonies innombrables, dis-
paraissait en quelque sorte pour faire place à V Empire
britannique.
Pour prononcer avec certitude sur la solidité ou les
causes d'ébranlement de ce vaste édiQce , il faut en
visiter soigneusement toutes les parties; — pour ap-
précier sainement la force de résistance et les sym-
ptômes de faiblesse ou de dissolution du Royaume-Uni,
il faut sortir de son territoire, il faut faire le tour du
monde.
La domination extérieure de la Grande-Bi-etagne
North peut-être excepté» une invasion française aurait toutes les
sympathies de la population^ si bien» qu'à moins d'une bataUle déci-
sive, gagnée dès le début, par les troupes régulières chargées de la
défendre, IMle serait bientôt tout entière au pouvoir de l'ennemi.
Military System ofGreat Britain. — U« S. »
1116 CONSTITUTIOIV ET PUISSANGB MIUTAIRES
peut^elle être maintenue au degré d'extension, presque
sans limite, qu'elle a atteint de nos jours? — I^ con-
sarvation de son intégrité, si Ton tient œmpte des
changements survenus au point de vue militaire et
pavai, est-elle d*une sage politique? — Les frais que
nécessite la protection de cet immense domaine colo-
nial, les dangers qu'il peut faire naître, sont- ils ooni*
patibles avec la sécurité de l'Angleterre, sont-ils
eoociliables avec les exigences de sa position comme
puissance européenne?
Telles sont les graves questions que nous voulons
examiner.
Si Ton parcourt sur la carte l'ensemble des posses-
sions extérieures de l'Angleterre, on est obligé de re-
connaître qu'à aucune époque de l'histoire pareil
empire n'a existé.
Dans l'antiquité, tes vastes royaumes de Xercès et
de Darius; les conquêtes accumulées d'Alexandre le
Grand ; Tamalgame plus prodigieux encore de peuples
et de provinces qu'au temps de sa plus grande prospé-
rité Rome avait réuni sous ses lois; — au moyen ftge :
l'empire de Charlemagne ; — dans les temps modernes:
les nombreuses possessions héritées ou couquises par
Charles-Quint; — enfin dans le siècle actuel : l'impo-
sante dynastie fondée par Napoléon, avec son cortège
de royaumes vassaux et de provinces dépendantes
tous ces Empires immenses, tous ces États grandioses
étaient assis sur un domaine compacte, conceq^ré^
homogène, si on les QORipare k Ym&mh\9%e incphéraot.
DB LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 519
dispersé, éparpillé, désuni, de territoires, de pro-
vinces, de mers, d'îles, de forteresses et que Ton nomme
l'Pmpire britannique.
Que ces colonies sans nombre aient aidé au déve-
loppement de la puissance anglaise, non-seulement il
serait puéril de le contester, mais on peut même affir-
mer que Taccroissement de Tinfluence britannique dans
les affaires du monde a suivi, pendant plusieurs siècles,
la même progression que son empire colonial. D'un
autre côté, cette concession faite , il faut reconnaîtra
que les circonstances exceptionnellement favorables,
au milieu desquelles l'Angleterre a pu poursuivre sa
marche ascendante, semblent, chaque jour, se modi-
fier de plus en plus.
Les peuples, comme les individus, doivent mesurer
leurs entreprises à leurs forces. De fait, la plupart ont
une tendance marquée à les outre-passer, et l'Angle-
terre plu^ que tous les autres, grâce à son esprit dç
convoitise aussi prompt à s'éveiller qu'ardent à sç
satisfaire.. Depuis un demi-siècle, les États-Unis nous
oflFrent un spectacle du mêjne genre; et les symptômes
djB dislocation et de démembrement qu'ils accuseq^
aujourd'hui n'est pas un mince enseignement. Sanspré-
tendre que l'Angleterre en soit au môme point, si l'on
réfléchit à l'avantage évident que les États-Unis avaient
sur elle, quant à la cohésion de leurs diverses annexes;
il est permis de se demander dans quelle mesure l'Em-
pire britannique est bien sauvegardé contre le sort qui
paeqace les États-Unis. U est intéressant do rechercher
sî le principe de sa force dans le passé ne tend pas h
520 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
devenir, dans les conditions nouvelles, une véritable
cause d'affaiblissement .
Longtemps déjà, avant les insurrections du Ca-
nada, du Cap et de l'Inde, l'opinion avait cessé,
en Angleterre, d'être unanime à l'égard des avan-
tages résultant de l'extension démesurée donnée aux
colonies.
Adam Smith, le premier, avait signalé les inconvé-
nients résultant pour la mère patrie de l'absorption
toujours croissante de son capital, par des établisse-
ments dont le développement n'avait cependant d'espoir
que dans cet auxiliaire. Les emprunts faits par l'exté-
rieur à la population de la métropole causaient moins
d'inquiétude, l'Angleterre ayant cru trouver dans Té-
migration la solution de la question irlandaise ; cepen-
dant il y avait là aussi un danger pour l'avenir, et, sous
ce dernier rapport, la menace s'est même déjà réalisée.
L'Angleterre, qui s'applaudissait de voir disparaître
le trop-plein de la turbulente Irlande, s'alarme au-
jourd'hui d'une désertion en masse qui ne laisse plus
de bras pour la culture (1). En outre, la portion du
Royaume-Uni, jadis la plus fertile à exploiter par le
sergent recruteur, a vu disparaître cette foule de
pauvres hères, toujoui*s disposés à accepter la prime et
à endosser l'uniforme. Le recrutement de l'armée, déjà
plus diflBcile depuis la séparation du Hanovre, devient
(1) «... Plusieurs évèques ont cru devoir user de leur autorité
morale pour détourner leurs ouailles de suivre désormais le courant
de l'émigration. » — De Montalembert, Avenir politique de (* Angle-
terre,
DB LA FRANGE ET DE l'aNGLETERRE. 521
presque impossible par suite de i'épuisement de l'Ir-
lande.
Aujourd'hui, à rencontre des gens qui continuent à
faire dépendre exclusivement la gloire, la richesse et
Ift puissance de TAnglelerre, de l'intégrité de son em-
pire colonial ; à côté des gens qui soutiennent toujours
qu'eu abandonner la moindre partie serait abdiquer le
rang qu'elle occupe dans le monde ; il en est d'autres
qui se préoccupent sérieusement des lourdes charges
auxquelles les possessions extérieures condamnent la
métropole (1). Ces derniers insistent sans relâche sur
la difficulté, sur l'impossibilité de défendre dans son
ensemble un système, dont les différentes parties sont
tellement décousues, tellement éparpillées, qu'aucune
ne peut venir en aide à l'autre. Dans leur pensée, le
maintien des communications entre l'Angleterre et ses
nombreuses annexes dépend absolument d'une supré-
(2) Pendant longtemps, l'Angleterre a été citée en France pour la
perfection et Téconomie de son régime colonial. Par contre, il était
de mode dans nos anciennes assemblées, de protestera toute occasion
contre les dépenses de cet établissement algérien auquel nousdevons
la conservation de nos tradiUons militaires, et qui a permis à la
France de reprendre son rang parmi les naUons. il n'est pas sans
intérêt d*être fixé sur la prétendue insignifiance des charges suppor-
tées par nos voisins au titre de leur établissement colonial. Un
membre du parlement, M. A. Mill, en évalue le total à plus de
100 millions (û millions de livres) ! Sur ce chiffre 37 millions envi-
viron sont affectés aux postes exclusivement militaires, tels que
GibralUr, Malte, Corfou, etc., et les 60 millions restants sont distri-
bués entre vingt-huit colonies dont la plupart, telles que : les An-
tUles, le Canada, le Gap, etc., ne rapportent pas un sou!
350,000 livres ou 8,750|000 fr., c'esl-à-dire moins de la dixième
523 CONSTITUTION GT PUISSANCE MlLITAmSS
matie navale que, dans les (M)nditions nouvelles, il n'est
plus donné à aucune nation d'exercer en même temps,
à la même heure , sur tous les poiqts d^ globe à la
fois.
Les partisans de la réduction, du resserrement [çon-
tractedness) des colonies anglaises, p*optpa;$ de ppine h
fixer Tattention sur les embarras et les dangers dans
lesquels une guerre avec une puissance maritime quel-
conque pourrait jeter TApgleterre; — aujourd'hui que
la vapeur permet d'organiser, avec une certitqde pres-
que mathématique, pes expéditions à grande vitessç
qui trompent toute surveillance et déjouent toute pre-
paution.
Sous l'influeqce de ces craintes et sur la proposi-
tion de M. A. Mill, un comité a été désigné pour re-
chercher les modifications commandées, dans le r^ime
colonial, par le nouvel ordre de choses.
Si l'on en juge par les opinions nettement formulées,
dans le Parlement, fi propos de la discussion dg sys-
tème de défense qii'il convieudiait d'adopter, le$inen)-
bres du comité sont loin d'être rassurés. Ce qui le
p^T\ie de ce quVlles coûtent ! voilà tout ce que i^piiorleot les coli»-
dIiss an^^laises. pans ce c|]iffre, Victoria, Ceylao, la fin'ouv^Ue-Calie^
^u Sud, figurent à elles seules pour 240,000 livres. Sj|d$ doute 1^
facilités données au commerce anglais, et le développegienl prodi-
gieux d^ son trafic, grâce à ces comptoirs mulUpliés, oiil fourni»
jusquMci, de larges compensations: mais supposons que la mer ne
spit plus libre, admettons que ce commerce soit entnivé, qpie lâ|
matières premières, le coton par exemple viennent àmaqqqer àTio-
dustrie anglaise^ on reste effrayé, à bon droit, du (|ésordre, 4e b
0$^) de |a ruine qui (nenacerajenf TAn^le^rre.
PM LA FRAlfCB pr PB L ANGLETERE?. 523
prouve, c'est Tinsistance avec laquelle plusieurs pra-
teurs ont réclamé T indépendance, — ou, poijr parler
plus exactement, — Tabandon de certaines possessions
k teurs propres ressources. Au fond, cette émancipa-
tion ne serait qu'un moyen honorabltj de coiivriv le re-
trait des garnisons chargées de les protéger, garnisons
dont l'insuffisance et Tinefficacilé frappent tous les
yeu^, eu présence des éventualités qui pourraient
attpjpdrp l'Angleterre.
Sujyaqt M, À. Mill, les colonies doivent organiser
(Jes forces locales et se suffire à eljes-mômes ; il serait
absurde [préposerons) que l'Angleterre s'obstinât plus
longtemps à entretenir des poignées de soldats (a few
fragments of troops) dans tous ses établissements, ainsi
qu'elle Ta fait jusqu'ici.
En réalité, ces détachements ne défendent et ne pror
t^ent riep ; ils ne peuvent que ménager un facile
triomphe à l'ennemi qui viendrait à les assaillir, même
avec des forces insigniBantes ; — en revanche, ils
épuisent et^^neryent l'armée anglaise. En cas de dan-
ger, faible et disséminée partout, celle-ci n'est en état
de faire face nulle part.
La tâche du comité de « Défense coloniale » ne se-
pait pas déjà fort ardue en elle-même, que nous luj
prédirions encore le triste sort de toutes ces commis-
sions dont nous parlions au début de cette étude, et
{auxquelles donne naissance, chez nos vpisins, Taqto-
rité multiple et divisée qui régit toutes les affaires mi*?
litaires (1).
(i) En 1859, le général Peel, à rinstigatîon de M. Hawes, a déjà
6^4. CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIBES
IjC résultat inévitable des investigations auxquelles
doit se livrer la commission (autant que Ton en peut
juger par Fesprit qui semble animer ses membres;
sera de relâcher, un peu plus encore, les liens déjà fort
détendus qui unissent l'Angleterre à certaines de ses
colonies. A ce dernier égard, comme les renseignements
et les conclusions de la commission ne seront très
probablement pas publiés, nous chercherons, dans le
prochain chapitre, à suppléer à son silence, en don-
nant à nos lecteurs un aperçu de la situation intérieure,
sinon de chaque colonie, au moins de chacun des
groupes principaux qui constituent le domaine exté-
rieur de la Grande-Bretagne.
En dehors des considérations purement stratégiques
et militaires (que nous réservons pour une autre étude),
l'appréciation des relations de ces établissements avec
la métropole, leurs aspirations, leurs intérêts spé-
ciaux, leurs embarras particuliers , enfin et surtout la
nature exacte de leurs dispositions et de leurs senti-
ments pour la mère patrie, seraient, — dans telles
circonstances données, — d'un intérêt sur lequel il
n'est pas besoin d'insister.
présenté une motion dont la conséquence a été la nomiinatioo d'un
comité de trois membres fournis |>ar le ministère de la guerre, la
trésorerie et roflQce colonial» afin d'examiner la situation des éta-
blissements extérieurs au point de vue miliuire et financier. De
cette commission, au lieu d*un travail d'ensemble indiquant les
idées pratiques que réclame la situation» il est soilî trois rapports
distincts et diamétralement opposés dans leurs conclusions, qui, cela
va sans dire, n'ont abouti à rien.
GHAPITAE XXII.
Politique de l' Angleterre à Végard de ses colonies ; — des liens divers
qui unissent la Grande-Bretagne à ses annexes; — les institutions
libérales octroyées par TAngleterre à ses colonies sont, pour certai-
nes d'entre elles, une source d'embarras. — Dispositions des îles
Ioniennes à Tégard de TAngleterre ; — état des esprils à Malte,
antipathies religieuses; — comment elles se manifestent. — Un
mot sur la neutralité des détroits; — Gibraltar et le conflit ma^
rocain. — Difûcultés avec TEspagne ; — conséquences de la poli-
tique ombrageuse imposée à TAngleterre par la nécessité desau*-
vegarder ses postes militaires ; — nulle part des flottes ou des
années ne peuvent être mises en mouvement sans exciter les
alarmes de nos voisins. — Situation de la Gambie, de Sierra
Leone et de la C6te-d'0r. — Le gouverneur de la Gambie obligé
de solliciter les secours de la colonie française du SénégaL —
Lagos. — Le Gap et Natal. — Les Gaffres. — Gettiwaio et les
Zulu-Gaffres. — La population française de Tile Maurice. —
La France et FAngieterre à Madagascar. — Le traité de Bali. —
L*Inde anglaise. Les Gypayes et les Sicks. — Les Anglais et les
Russes à Khiva, à Herat, et sur TAmour. — Progrès constants de
la Russie dans l'Asie centrale. — La mer Gaspieune et TAfgha-
nistan. — L*Amour et la Chine. — Résumé de la situation de
FAngleterre, de la Russie et de la France en Asie.
La situation de l'empire britannique, à l'époque ac-
tuelle, ne saurait être mieux comparée qu'à celle de
Rome au temps d'Agricola. Peut-être même les pro-
vinces romaines, moins dispersées, moins disséminées
que les possessions anglaises, étaient-elles encore unies
par des liens plus solides. De nos jours, ce n'est qu'à
Taide de sa suprématie maritime que l'Angleterre peut
assurer ses communications avec ses différentes colo-
5^6 GOKSTlTUTIÔlf ET PUISSANCE MlLltAtftËS
nies ; leur sécurité dépend absolument de la domina-
tion qu'elle a exercée jusqu'ici sur toutes les mers. A
ce point de vue, et au cas où la Grande-Bretagne vien-
drait à entrer en lutte avec Tune quelconque des puî»*
fiances maritimes de premier ordre (sinon avec toutes
à Ik fois, ce qui pourrait arriver), il est permis de se
demander quel serait le sort de son domaine colonial.
Aujourd'hui, en effet, la vapeur a déjà modifié de
lond en comble et tend à modifier plus encore, si c'est
possible, toutes les anciennes combinaisons de la tac-
tique navale. Aujourd'hui, il n'est plus une marine an
monde qui, à tout instant et sur toutes les mers à la
fois, puisse prétendre à une supériorité incontestable.
Il en résulte pour toutes les puissances maritimes,
Mns exception^ l'impossibilité d'assurer exclusivement
par lairs flotte^ la protection de leurs possessions
d'outre -mer. Désormais, en temps de guerre, toute
colonie, indépendamment de l'appui que pourront lui
prêter les vaisseaux de la métropole, devra être en
ttiesurrî de suffire par elle même à toutes les nécessifés
de sa défense. Avant tout, sa sécurité dépendra des
conditions plus ou moins satisfaisantes de sa situation
inférieure, et deS ressources militaires plus ou moins
àburtdanles qui auront été mises à sa disposition. Les
difficultés de la défense seront évidemment en raison
de la parcimonie, soit volontaire, soit forcée, qui
aura présidé à la distribution de la garnison et des
tooyens matériels. En cas d'interruption des communi-
cations avec la métropole, il ne faut pas se dissimuler
Ooû plus que les difiBcultés croîtront encore avec les
bÉ La faaï^cë et bE L*ATOWtÈlî*É. 8S7
etflbfii^ftis intérieurs, atec les résistances lobales; avec
les dispositions à la révolte qui pourront se manifester i
C'est à c& dernier point de vue que nous allons exa-
miner la situation des eolonies anglaises. Ailleurs,
nous recherchons quelle est la valeur stratégique de
chaque poste, et quelle somme de résistance il petit
Opposer aux attaques du dehors. Pour le moment, nous
voulons nous rendre compte seulement de la nature
des liens et des relations qui unissent la Grande-Bre-
tagne avec ses nombreuses annexes. Nous voulons ap-
précier autant que possible le degré d'obéissance et
de sympathie que rencontre la domination anglaise
dans chacun de ses établissements. Nous voulons re-
chercher enfin quelle pourrait être l'importance de
ces résistances locales avec lesquelles, en temps de
guerre, nos voisins auraient à compter; et apprécier
le plus ou moins de facilités qu'une puissance ennemie
rencontrerait, le cas échéant, pour les appuyer on les
faire naître.
En général, il faut le reconnaître, la part faite à cet
esprit envahisseur qui caractérise les Anglais, leur
politique actuelle à l'égard de leurs colonies esl libé-
rale et ne prête que fort peu au blâme. Les fautes qui
ont signalé cette politique à d'autres époques oht été
ai souvent rappelées, les crimes qui l'ont déshonorée
du temps de Clive ou d'Hastings, ont été si cruelle-
ment stigmatisés que Ton n'a plus à craindre leur re-
tour. Eclairée par la révolte de ses coloniesde l'Amérique
du Nord, l'Angleterre, c'est une justice à lui rendre,
a toujours poursuivi depuis un système de larges con-
528 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAniES
cessions vis-à-vis des établissements que le sort des
armes a fait tomber entre ses mains.
Malheureusement il est un axiome en politique
comme en histoire : c'est que la haine du joug étran-
ger ne s'éteint jamais chez les races conquises. Au fond
de leur cœur couve toujours l'espoir de chasser TeiH
vahisseur. Si douce, si juste que soit la domination de
celui-ci, elle ne saurait éteindre ce sentiment. L'Ir-
lande, sans parler de tous les autres exemples que nous
pourrions citer, nous en fournit la preuve.
En dépit du libéralisme qu'elle a déployé à l'égard
de ses colonies, TAngleterre a donc eu de tout temps à
lutter contre des difficultés qui se sont traduites de
façons diverses, suivant le degré de civilisation plus
ou moins avancée de ses établissements; — suivant la
date plus ou moins récente de leur annexion à Tem-
pire britannique; — et aussi, pour ceux qui avaient
été fondés jadis par d'autres puissances européennes,
suivant le degré d'attachement plus ou moins vif que
ses nouveaux sujets ont conservé pour leur ancienne
patrie (1).
Dans l'étude qui va suivre nous ferons pour chaque
(1) l\ De faut pas oublier que l'Angleterre a dépouillé successive-
ment, depuis un siècle, presque toutes les puissances européennes
de leurs meilleures colonies. Les Hollandais, les Danois, les Portu-
gais, les Français, les Espagnols, tous les États maritimes en un
mot, ont été plus ou moins victimes de cette insatiable convoitise.
Quant aux établissements qui ont pu lui échapper, chacun sait tout
ce qu'elle a dépensé d'intrigues pour les ruiner. Pour arriver à ce
but, il n'est pas de menées que son incurable égoîsme n'ait em-
ployées.
DE LA FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. 529
coloDÎe la part de ces diverses circonstances. Dès à pré-
sent, ce qu'il est permis d'établir d'une façon générale,,
c'est que la situation parfois précaire de Tàutorité an-
glaise dans certaines possessions n^ dépeind pas seule-
noent des errements d'une politique plus ou moins
habilel Le manque de solîdfitè du pouvoir, le défaut
d'apaisement des esprits tiennent à des causes qu'au-
cune réforme administrative, qu'aucune amélioration
dans le régime colonial ne sauraient conjurer. Bien
mieux, il nous serait facile de démontrer que ces liber-
tés, que ces institutions constitutionnelles et représen-
tatives accordées par nos voisins à certaines de leurs
possessions sont devenues, entre Içs mains des colons,
autant d'armes dangereuses qu'ils ont retournées contre
la métropole.
C'est ainsi que la constitution octroyée aux îles lo-
uiennes, grâce à l'initiative de lord Seaton, devient la
source de difficultés chaque jour plus sérieuses. L'ex-
périence a rpontré toute la vanité des illusions aux-
quelles op a cédé, en appliquant à cette jeune répu-
blique un rédme qui ne saurait convenir qu'aux
peuples arrivés a la maturité. On pensait que les insti-
tutions auxquelles l'Angleterre doit sa prospérité pou-
vaient fleurir indistinctement dans tous les terrains et
porter partout les mêmes fruits. A l'heure qu'il est, ce
libéralisme maladroit menace d'enlever à nos voisins
Tun des pluS beaux fleurons de leur couronne mari-
time. Jusqu'ici, les Ioniens né se sont servis de leur
parlement que pour protester avec autant d'opiniâtreté
que de violence contre le protectorat de la Grande-
34
530 CONSTITUTION ET PUISSANCE MlLITAmES
Bretagne, et pour réclamer avec une pei^vérance que
rien ne semble devoir lasser leur réunion au royaume
de Grèce (1).
A Malte, l'institution du jury a été accordée : cette
faveur est exploitée par les habitants comme un moyeu
de satisfaire leur antipathie religieuse et nationale
contre la domination anglaise. Comme aux îles Io-
niennes, on voit les juges se faire les interprètes de ces
sentiments, en montrant la partialité la plus révoltante
ou rindulgence la plus regrettable dans toutes les
causes auxquelles on peut donner une couleur poli -
tique, et que l'organisation de la justice oblige à porter
devant leur tribunal. Naguère encore, en plein jour,
au milieu de Taccomplissement de ses devoirs, uu
fonctionnaire anglais était assassiné de sang-froid par
un Maltais. Les autorités ont eu le déboire de voir le
coupable, arrêté et convaincu de son crime, être con-
damné à un simple emprisonnement ('2). Depuis, des
soldats du 28" (North-Gloucestershire) ont été assassi -
nés par des indigènes. Une récompense de 100 livres
(2500 fr.) a été promise à celui qui dénoncerait les
(1) Les événements de Nauplieont déterminé une sorte de recru-
descence dans Tinsubordination des îlesloniennes. Tout récemment,
le lord haut- commissaire Sir II. Slorks a dû répondre à une nourrie
motion des députés ioniens en faveur de la réunion des Sept lies à bi
Grèce, on déclarant que toute délibération sur un pareil sujet serait
considérée comme séditieuse; et que TAngleterre ne consentirait
jamais k laisser mettre en question l'autorité qui lui appartient sur
les Sept Iles.
(2) Le fonctionnaire assassiné par Guiseppe Meli, était le direc-
teur du port de Malte.
DE LA FRANCE ET DE L* ANGLETERRE. 5âl
jipeurlriers. Personne ne s*est présenté pour la toucher.
Un Maltais a été cependant arrêté et traduit en juge-
ment, mais, malgré les charges accablantes qui s'éle-
vaient contre lui, il a été acquitté par le jury (1).
De pareils symptômes ne sont rien moins que ras-
surants. Us accusent de la part des Mallais de profonds
ressentiments que la garnison anglaise se préoccupe
d'ailleurs très peu d'aggraver, en froissant fort maladroi-
tement les susceptibilités catholiques, si ardentes et si
faciles à éveiller chez les races du midi (2). Dans telle
circonstance donnée, des dispositions semblables se-
raient un véritable danger. Nous en trouvons la preuve
dans les émeutes des 9 et 1 0 février qui, à la séance du
27 mars 1 862, de la chambre des communes, ont motivé
les interpellations de M. Griffith. M. Fortescue a pu
répondre que cette tentative de rébellion n'avait rien
de sérieux ; il n'en reste pas moins démontré par tout
ce que nous venons de voir que la domination britan-
nique est loin de trouver un appui dans les sympathies
de la population maltaise.
(1) Dans un article intitulé: Maltese protection for the british
soldiers, un journal militaire anglais raconte avec beaucoup d'amer-
tume, Tâcquittement de Spiridione, Tassassin présumé des soldats
du 28* de ligne.
(2) Tantôt les postes anglais refusent de rendre au Saint-Sacre-
ment les honneurs militaires; tantôt ils refusent de fournir la garde
de révèque;— récemment un capitaine de l'armée anglaise M. S***,
a été Tobjet d'une enquête pour un refus formel d'obéissance dans
une circonstance de ce genre. Prolestants la plupart, les militaires
anglais affichent un profond mépris pour les pratiques religieuses
et le culte extérieur de la population maltaise, the bigotted Malta,
comme ils rappellent
5â2 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIEES
Nous ne dirons qu'un mot de Gibraltar. L'occupa-
tion de ce point du territoire espagnol par l'Angleterre
est une honte qu'un peuple remonté au niveau qui lui
appartient ne peut aci^epter éternellement. D'ailleurs,
les doctrines qui semblent prévaloir aujourd'hui quant
aux droits des neutres, sont un premier pas vers l'abo-
lition de la féodalité des mers par la neutralité des
détroits. Heligoland, Malte, Corfou, Aden, Perim,
Gibraltar, dont T Angleterre s'est abusivement emparée
et où elle s'est fortifiée, sont autant de violations, en
droit et en fait, du principe de la liberté des mers.
La reconnaissance de ce principe par toutes les puis-
sances maritimes sera plus efficace que tous les canons
du monde pour faire tomber ces forteresses. L'Angle-
terre pourra résister au mouvement général, mais sa
résistance égoïste , ciomme tout ce qui est en contra-
diction avec la justice et le droit, a son terme marqué
d'avance (1).
(1) Rien ne saurait mieux confirmer ces prévisions, que la solution
du dernier conflit entre les Ëtats-Unls et l'Angleterre. En réalité,
malgré leur , victoire dans l'affaire du Trent nos voisins nous
semblent avoir joué à qui perd gagne. Certes, Tincident soulevé par
le capitaine du San Jacinto était assez discutable, pour que le droit
des belligérants eût trouvé autant de partisans et d'avocats que le
droit des neutres. En fait, c'est Tinterprétaiion favorableaux neutres
qui l'a emportée, grâce a l* Angleterre! L'intérêt de la Grande-
Bretagne, comme première puissance navale, est, et a toujours été,
de défendre les droits des belligérants. C'est pour protéger les abus
du droit de visite, et pour combattre les privilèges des neutres, que
l'Angleterre a fait ia guerre aux États-Unis, il y a un demi-siède.
N'est-ce pas sa propre puissance, n'est-ce pas sa faculté d'action»
qu'elle vient de limiter elle-même, en consacrant, dans une circon-
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 533
AU reste, si Gibraltar est un des plus solides appuis
de la souveraineté que la Grande-Bretagne prétend
conserver sur les mers, Gibraltar, comme tous les
autres postes dont nous venons de parler, est aussi une
source de difficultés et d'inquiétudes perpétuelles. Tout
récemment encore, la guerre entreprise par TEspagne
contre le Maroc en a révélé l'étendue.
Afin de conserver aux positions qu'elle occupe toute
leur importance militaire et navale, l'Angleterre est
obligée de surveiller d*un,œil jaloux ce qui se passe
dans leur sphère d'action. Tels sont les embarras ^ui
résultent de cetle politique ombrageuse et de ce con-
tact difficile avec' presque toutes les puissances, qu'à
chaque instant il peut en sortir une demi-douzaine de
guerres fort respectables. D'un autre côté, les temps
sont bien changés, et la hauteur que l'Angleterre ap-
portait jadis dans le règlement de ces conflits ne serait
plus de mise aujourd'hui. C'est ainsi que nous avons
vu l'Espagne, fort peu soucieuse de l'attitude prise
par nos voisins a l'occasion des affaires du Maroc,
poursuivre sans hésiter la réparation qui lui était due.
stance solennelle, où toutes les puissances maritimes ont été en
quelque sorte entendues, cette importante et décisive restriction aux
droits des belligérants?
En vérité, ^en sacrifiant ainsi, de gaieté de coeur, cette occasion de
eréer un magnifique précédent en faveur de leurs plus vieilles et
plus chères prétenUons, nos voisins, comme dirait un Irlandais,
ont gained a loss (gagné une perte).
L'extradition de MM. Mason et Sliddell a été, pour TAngleterre,
une condamnation éclatante, prononcée par elle-même, sur elle-
même.
581 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
Pour Tempêcher de fonder sur la côte du Maroc une
sorte d'Algérie espajçnole, l'Angleterre n'a eu d'autre
ressource que de payer elle-môme les frais de la der-
nière guerre. En souscrivant l'emprunt fort aventuré
qui doit libérer le Maroc, nos voisins ont sauv^ardé
pour le moment les approvisionnements de Gibral-
tar (1) ; mais il ne faut pas qu'ils s'y trompent, l'ELs-
pagne poursuit avec persévérance la réorganisation de
sa marine. Son armée connaît déjà le chemin de Té-
touan, et le cas échéant celui de Tanger serait encore
plus court pour sa flotte. L'Angleterre doit s'y résigner,
cet agrandissement dût-il menacer directement ses
intérêts en compromettant la sûreté de Gibraltar et en
affectant sa domination sur l'entrée delà Méditerranée,
le jour où les désordres dont le Maroc est le théâtre
viendraient à rendre utile l'occupation de la côte méri-
dionale du détroit, l'Espagne a montré qu'elle avait
tout à la fois et les moyens et la résolution nécessaires
pour l'efiFectuer.
Si les positions militaires et maritimes qu'occupe
l'Angleterre ont aidé incontestablement jusqu'ici à
l'exercice de sa suprématie navale, cet avantage tend
chaque jour à être plus chèrement acheté. Aujour-
d'hui, le système des sociétés modernes est tellement
compliqué que nulle part des armées ou des flottes ne
peuvent être mises en mouvement sans exciter les
alarmes de nos voisins. Bien plus, on peut dire qu'il
(i) L'Espagne ne vend rien à la garnison de Gibralur; c*est du
Maroc que ceUe-ci est obligée de tirer ses bœufs et presque toutes
ses denrées de première nécessité.
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 535
n'est pas de combinaison louchant aux conditions ma-
ritimes des autres peuples qui ne devienne forcément
pour TAngleterre l'objet d'une surveillance et de pré-
cautions ruineuses. Nos voisins voudraient garder Cor-
fou et ne plus subir la charge des autres îles Ioniennes
qui ne sont qu'onéreuses sans compensation. Ils ne
peuvent se débarrasser de ces dernières, parce que ce
serait abandonner Céphalonie. Or, Céphalonie qui n'a
aucune valeur dans leurs mains, pourrait en acquérir
une aussi grande que menaçante pour Corfou dans
celles d'une autre puissance. Nous venons de voir
leurs inquiétudes à l'endroit de Gibraltar. Sans sortir
de la Méditerranée : ici, ce sera un simple dépAt de
charbon accordé aux Russes dans le petit port df^ Vil-
lafranca, qui les mettra en émoi: ailleurs, c'est le
percement de l'isthme de Suez qui va leur apparaître
comme une menace à l'adresse de leurs possessions in-
diennes ; et la France sera obligée de répondre à l'oc-
cupation de Perim par la prise de possession d'Adolée.
Bref, un volume ne suffirait pas à exposer toutes les
craintes, toutes les inquiétudes, tous les embarras qui
dérivent pour l'Angleterre de la seule protection de ses
postes militaires. Nous allons voir que les difficultés
ne sont pas moindres en ce qui regarde ses colonies
proprement dites.
L'Angleteri;e possède sur la côte occidentale de
rAfrique la Gambie, Sierra-Leone et la Côte-d'Or.
L'origine de ces deux derniers établissements remonte
à l'époque où la France fut remise en possession de
ses anciens comptoirs. Il n'entrait pas dans les habi-
536 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
tudes de nos voisins de laisser nos essais sans contrôle,
et au besoin sans çoiitre-poids. Ils ont donc ceotralisé,
sur la frontière mêtne de nos possessions, dans réta-
blissement qu'ils possédaient à rerpbouchure delà
Gambie, toute leur organisation administrative sur ses
cotes. Nous n'entrerons pas dans le détail des démêlés
qui s'élevèrent, à celte occasion, entre la France et
l'Angleterre. Il nous suffira de dire que nos voisins
n'avaient d'autre but que de nous faire obstacle, en
opposant à nos factoreries leurs comptoirs éphémères
de Wedab, d'Appollonie et de Winnebach. Aussitôt
que l'attention de la France parut se détourner du
Sénégal poiv se porter sur la Guyane, l'Angleterre
s'empressa d'abandonner les établissements que nous
venons de nommer, et lembouchure de la Gambie fut
le seul point où son pavillon fut maintenu. Grâce à
cette précaution, plus tard, soiis le gouvernement de
Juillet, lorsque la France revint à ses premiers projets
sur le Sénégal, l'Angleterre eut la faculté d'entraver à
loisir le commerce de notre comptoir d'Albreda. Le
conflit qui résulta de ces tracasseries se termina comme
se terminaient alors tous les différents entre la France
et l'Angleterrç, c'est-à-dire par une satisfaction com-
plète donnée aux exigences de cette dernière : Albreda
devint un port anglais.
Sous radministration intelligente du capitaine (de-
puis amiral) Willauraez, et plus lard sous celle du co-
lonel Faidberbe , la colonie du Sén^al est arrivée ,
pendant ces dernières années, à un développement et
à une prospérité que nulle entrave ne saurait arrêter
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 5«^7
désormais. En revanche^ il s^en faut que la situation
des établissements anglais sur la côte d'Afrique soit
brillante.
Enhardies jpar la faiblesse des garnisons deBathurst
et de Freetown, les tribus de la Gambie et de Sierra-
Leone font, depuis quelque temps, de fréquentes in-
cursions sur le territoire de nos voisins, et l'avantage
ne reste pas toujours à c^ux-ci dans les rencontres qui
en résultent. A deux reprises, le gouverneur de la
Gambie a dû solliciter l'appui des troupes françaises
du Sénégal.
Au mois de juillet 1855, le colonel O'Connor, à la
tête de toutes les forces disponibles de Batburst, était
obligé de battre en retraite devant les habitants de
Sabbajee, après avoir perdu plus de la moitié de son
monde. A la suite de cette affaire, ce qui restait de la
garnison anglaise s'est vu bloqué dans ses cantonne-
ments, et n'a été dégagé que par l'arrivée du capitaine
de Villeneuve envoyé en toute hâte par le gouverneur
du Sénégal. .
Depuis, la ville de Sabbajee a été détruite par les
Anglais, assistés d'un détachement français d'infante-
rie de marine; mais cette exécution n'a pas suffi pour
mettre un terme aux agressions des tribus musul-
manes dont Bathufst est entouré. Tout récemment
encore, un chef de la rivière de Gambie, le roi de
Baddibao, a repris les errements des anciens jours en
pillant les négociants anglais, et ses alliés des royaumes
mandingues de Combo, de Barra et de Jocardo^ ont
imité son exemple. Le gouvernement anglais a dû
538 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
laisser pendant longtemps ces insultes impunies. L'ex-
pédition de Sabbajee, oii l'on n'avait à combattre
qu'une tribu, avait été une lourde tâche pour les forces
de Bathurst ; une guerre avec l'État de Baddibao, qui
possède une armée permanente et une nombreuse ca-
valerie, offrait des difficultés bien plus grandes.
Le successeur du gouverneur O'Connor, le colonel
d'Arey, s'est trouvé dans un embarras d'autant plus
grand, qu'au point de vue du prestige du drapeau an-
glais, il était nécessaire d'entreprendre cette nouvelle
campagne sans l'aide des Français. Les indigènes, en
effet, déclaraient bien haut que, sans Tassistance des
troupes du Sénégal, ils auraient bon marché de la
garnison de Bathurst.
Nous ne pouvons faire ici l'historique détaillé de la
guerre de Baddibao ; disons seulement que les résultats
obtenus par les Anglais dans le courant de 1861 n'ont
pas été moins chèrement achetés que ceux de la cam-
pagne de 1859. Grâce aux renforts envoyés dans la
Gambie, la colonne expéditionnaire se composait de
détachements des 1 " et "2' régiments des Indes occiden-
tales, de 600 volontaires, et de l'artillerie de la colo-
nie ; elle comprenait, en outre, un détachement du
train, fort de 260 honmies, et une batterie de mon-
tagne servie par des artilleurs français. Malgré tout leur
désir de ne point réclamer l'assistance de la France,
nos voisins avaient été forcés de s'adresser au gouver-
neur de Gurée, pour en obtenir le prêt des bêtes de
somme nécessaires à leurs transports. Cette demande
avait été immédiatement accordée, et le capitaine La-
DB LA FRANGE ET DE L ANGLETERRE. 539
monière, à la tête d'une section d'artillerie, compre-
nant deux obusiers, avait amené ce petit convoi à
Bathurst (1).
La campagne de 1861, dans la Gambie, s'est ter-
minée par la destruction de la capitale de Baddibao,
et par le payement d'une faible indemnité arrachée, à
grand'peine, au souverain de cet État. Cette conclu-
sion n'a tranché définitivement aucune des questions
qui divisent les Anglais et leurs voisins indigènes. I^es
germes de mécontentement qui continuent à se déve-
lopper dans le Combo et le Baccow amèneront néces-
sairement de nouvelles hostilités, et le gouvernement
de Bathurst ne peut garder d'illusion, quant à la per-
sévérance avec laquelle les tribus qui l'environnent
semblent décidées à poursuivre l'expulsion des Euro-
péens.
A Sierra-Leone et sur la Côte-d'Or, l'occupation
anglaise rencontre les mêmes difficultés que dans la
Gambie. L'insuffisance des ressources dont peuvent
disposer les gouverneurs de Freetown et de Cap-Coast-
Caslle, leur défend, le plus souvent, de punir les actes
(1) L*bistorieD de la guerre de Baddibao ne. peut dissimuler sa
mauvaise humeur, de l'obligation où ses compatriotes se sont trou-
vés de recourir aux Français. «Le prêt des bêles de transport
envoyées par h gouverneur de Corée a été, suivant lui, un embar^
ras» dans les circonstances où Ton se trouvait, à cause de Tescorte
qui les acx^ompagnait. » Cependant cette mauvaise humeurne Tem-
pêche pas de rendre justice à nos arUlleurs: « Yet the Loan was
embarassing, however Captain Lamonière and his little battery
were the admiration of the expédition, sa hiyhly trained toere th^
mules, and so effective was the officer. » (U. S. M.)
540 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILlTAlHÉS
d'hostilités auxquels est exposé le pavillon britatinique.
De temps à autre seulement, c'est-à-dire lorsque la
présence des vaisseaux qui conduisent les renforts au
Cap ou aux Indes', permet un déploiement de forces
assez respectables, les garnisons de la côte d'Afrique
essayent de châtier les indigènes, sans cependant y
réussir toujours. En Î859, une expédition des plus
pénibles a été dirigée par le gouverneur de Sierra-
Leone contre la tribu de Losoos ; cinquante-quatre
bateaux chargés de soldats, et appuyés par les embar-
cations des vaisseaux le Fésuve, h Trident et le Spit/ire,
ont remonté la rivière, et ont attac^ué la ville de Kam-
bia qui^a été saccagée. Les habitants de cette ville
étaient venus. incendjer les établissements delà vallée
qui forme le territoire de Sierra'-Leone, jusque sous le
canon du chef-lieu de la colonie.
SurlaCôte-d'Or, les Anglais ont obtenu tout récem-
ment la position de Lagos, au moyen de laquelle ils
espèrent, sans doute, surveiller nos établissements
du Grand-Bassam et d'Âssiuie. La position est bien
choisie, mais la manière dont elle a été obtenue
pourrait bien donner lieu, plus tard, à des difficultés.
Le capitaine Bedirîgfield^ proBtant de la découverte
d'un complot, plus ou moins authentique, dirigé contre
sa vie, a obligé, au mois d'août i86i, le souverain de
qui dépendait Lagos, à en sigiier^Tabandôn à l'Angle-
terre. Cette cession n'a été rien moins que volontaire ;
deux vaisseaux anglais ont braqué leurs canons sur la
ville, et ont débarqué un corps d'infanterie de marine,
à la tète duquel le capitaine Bedingfîeld a marché sur
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 5&1
la résidence royale. Eu présence d'un ambassadeur
accompagné d'une semblable escorte, le pauvre sou-
verain n'a eu d'autre alternative que de signer le traité.
Ce serait peu connaître les Africains que de croire qu'ils
ne chercheront pas à prendre leur revanche.
La colonie du cap de Bonne-Espérance est pour les
Anglais, ce que l'Algérie a été pour la France, pendant
les vingt premières années qui ont suivi la conquête
d'Alger. Quoique l'Angleterre ait trouvé au Cap une
colonie toute fondée par les Hollandais, et bien que
son occupation remonte à une époque deux fois plus
reculée que celle de nos possessions algériennes, elle
se trouve encore aujourd'hui en hostilité constante
avec les populations indigènes. Les campagnes qui se
sont succédé, presque chaque année, sont loin d'avoir
déterj;niné la pacification du pays. Sans parler des
guerres de 1851, 1852, 1853, contre les Hottentols
rebelles, auxquels s'étaient réunis les Tambookis et les
Caffres-Gaika, il suffit, pour apprécier les dangers qui
peuvent menacer la colonie du Cap, de jeter un coup
d'œil sur l'état des forces jugées nécessaires à sa pro-
tection en 1857. Pendant cette dernière année, l'An-
gleterre n'a pu éviter une insurrection que tout mon-
trait imminente, qu'en concentrant jusqu'à 11000
hommes à la fois tant au Cap qu'à Natal. Sans compter
le g^nie, l'artillerie et les corps auxiUaires et colo-
niaux, il ne fallut pas moins de dix régiments d'infan-
terie (2% 6% 12% lâ% kb\ 7â% 80% 85% 89% 95')
pour protéger les colons, et faire respecter les fron-
tières. .. .
542 CONSTITUTION ET PUISSANCE *ilILltAtËES
Celle fâcheuse situation est dueàrabandon du svs-
tème employé autrefois par Ips Hollandais pour tenir
les Caffres en échec, et à la maladresse que ron a
commise en laissant se former, sur des frontièies éten-
dues outre mesure, de puissantes confédérations qu'il
faut surveiller, et que Birmingham et Manchester ne
laissent manquer ni d'armes, ni de munitions.
Comme en Algérie, à une certaine époque, on s'est
laissé entraîner au Cap, d'expéditions en expéditions, à
occuper un territoire tellement étendu, que la police
en devient impossible. Sa constitution physique, les
montagnes et les forêts qui le couvrent, enlèvent à la
tactique européenne ses plus précieux avantages; de
plus, elles offrent autant de facilités pour l'attaque
que de difficultés pour la défense.
On commençait à espérer, en Angleterre, que la
sécurité avait fait quelques progrès tant au Cap qu'à
Natal. Fort gênés pour satisfaire aux exigences de
leurs autres colonies, nos voisins, en 1861, avaient cru
pouvoir réduire la garnison du Cap a 5000 hommes (1 ).
On a appris tout récemment que les Zulu-Caffres se
remuaient de nouveau, et peu s'en est fallu que Natal
ne soit tombé en leur pouvoir. Les Zulu-Caffres habi*
tent un pays fort insalubre pour les Européens au nord
de cet établissement. Jusqu'ici leur roi Panda, parti-
san des Anglais, avait réprimé les incursions de ses
(i) Ea 12557, avec ua effectif dépassaot 10 030 hommes, toute la
coloQÎe du Cap avait dû prendre les armes (sauf liOQ Sommes du
S9' laissés au chef-lieu), pour se porter à la froaiière, et tenir les
Caffres eu échec à Galeka et Slambie.
De la FRANCE ET DE L^ ANGLETERRE. 5/iâ
gens sur le territoire de la colonie. Malheureusement
ce vieux chef, affaibli par Tâge, a été obligé d'aban-
donner le pouvoir à ses enfants. Le caractère turbu-
lent de ceux-ci maintient le pays dans une anarchie
complète, et le plus entreprenant d'entre eux, Cetti--
waio, est l'ennemi déclaré des Européens.
Cettiwaio, après avoir tué un de ses frères, et en
avoir obligé un autre, ainsi que sa mère, à demander
asile au gouverneur de Natal, a déclaré la guerre à
deux autres fils du vieux Panda, les a battus, et forcés
de chercher un refuge chez les Boërs. Tous ces événe-
ments, dont la frontière de rétablissement européen se
trouvait le théâtre, causant autant de désordre que
d'agitation, legouverneur de Natal, pour y mettre fin,
a engagé Panda à abdiquer définitivement en faveur de
Cettiwaïo. Cette mesure a été une grosso faute, et l'on
n'a pas tardé à reconnaître le danger auquel on avait
exposé la colonie, en ne profitant pas de l'occasion de
démembrer la puissante tribu des Zulu-Caffres, au
lieu delà donner tout entière à un chef hostile et en-
treprenant.
Le 16 mai 1861, Cettiwaïo a été proclamé roi, et
un fonctionnaire anglais, M. Sheepstone, qui avait été
convié à cette cérémonie, a pu se convaincre qu'il suf-
fisait d*un signe du nouveau monarque, pour mettre
en mouvement 15 ou 20000 hommes en armes. Le
premier acte de Cettiwaïo a été d'exiger la promesse
de la remise de son frère réfugié à Natal , promesse
que l'envoyé anglais n'était guère en mesure de refu-
ser. Depuis, M. Scott, le gouverneur de Natal, n'ayant
5&& CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIBES
pas rempli cet engagement, Cettiwaïo a convoqué
non-seulement les 35 ou 40000 hommes qui forment
en quelque sorte son armée permanente, mais encore
toute la population màlé ftn état de porter les armes.
L'attaque de la colonie anglaise était résolue, et Ton
peut dire qu'elle n'a dû son salut qu'à la fidélité du
vieux Panda. Celui-ci, en faisant prévenir M. Scott,
lui a donné le temps de se préparer, et dé renforcer la
garnison de Natal avec des détachements tirés du Cap.
Cettiwaïo n'était plus qu'à quelques lîeues de la fron-
tière anglaise, lorsqu'il a appris ([ue sa marche était
éventée. Ne pouvant plus compter surprendre les Eu-
ropéens, il s'est retiré en dévastant et en pillant la
frontière ; mais il est évident que ses projets ne sont
qu'ajournés : il attendra pour les reprendre la pre-
mière occasion favorable.
Il nous reste, pour épuiser la liste des possessions
anglaises en Afrique, à dire un mot de Ttle Maurice.
Bien que suppoitant très patiemment la domination
britannique, cette île sœur, comme on la nomme à la
Réunion, est restée française de cœur. On ne l'ignore
pas en Angleterre ; aussi, lorsqu'il s'est agi de réduire
les crédits accordés pour les fortifications coloniales,
un membre du Parlement a demandé qu'il fût fait
exception à l'égard de l'tle Maurice, en raison du dan-
ger qui pourrait résulter des sympathies bien connues
de sa population pour la France. Nous nous bornerons
à ajouter que les créoles de l'ancienne tle de France
sont restés fidèles à la langue de leur mère patrie, et
Tune des mesures qui les a le plus froissés est la déci-
«È LÀ Ma*cê Et DE l'ât^gLétêrUb. Ôâ8
éibri Wcfente tenue de Londres qui prescrit t'usagé de
là langue anglaise devant les tribunaux.
Efl parlant de Tlle Maurice, nous sommes atn6Mé ft
parlet- de Madagascar. Chacun sait les efifbrtà infruo-
ttieux tetîlés, àdiflërenles époques, par la France pour
s'établir sur ce magnifique territoire, que Colbert dé*-
tarait du nom de France orientale. Si la perte de nos
eolonies indiennes, et réloignèment de la mère patrie,
A une époque où la vapeur ne diminuait pas encore Itè
distances, ont été cause, en partie, de notre insueoèv à
Madagascar ; — si le malheur des temps, en nous eii^
ievarit l'Ile Maurice (c'est-à-dire le seul poh offrant
({Uelque sûreté entre le cap de Bonne-Espérance et la
côte d'Asie), nous a réduits à une position d'infériorité
vîs-à-vis de l'Angleterre, dans ces mers où, du teriips
desDupleix, des Laboui^donnais, des Suffreii, notrepd-
▼illort tenait la première place, les circonstance* sohl
bien changées aujourd'hui. L'abaissement des bar*
flères séculaires qui fermaient la Chine et le Japon aul
Européens, en ouvrant de nouveaux débouchés à oôs
ptoduits dans la mer des Indes, doit donner à notre
marine de commerce un développement de nature à
rendre plus précieux que jamais nos établissements de
la côte orientale d'Afrique. D'un autre côté, en même
tempàque notre établissement en Cochinchrne noui
adsiet au partage du monopole absolu que le coidt
mefôe anglais s'était arrogé en Asie, le percement de
l'isthme de Suez est appelé à exercer une influenoe
don moins grande que la vapeur sur l'union plus in^
time, sur les rapports chaque jour pluii fréquents H
S5
5&6 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
nos autres colonies avec la métropole. Nous ayons dit
qu'à l'exception de Port-Louis (lie Maurice ou de
France), il n'existait guère de station navale offrant
une sécurité complète entre le cap de Bonue-Espé-
rance et la côte d'Asie. C'est sur la côte de Madagas-
car, qui forme le canal de Mozambique, que les vais-
seaux doivent chercher un refuge. Irréparable jusqu'ici
pour notre marine et notre commerce, la perte de l'Ile
Maurice peut trouver de lai^ compensations dans la
reprise des anciens projets de la France à l'endroit de
Madagascar ; la position d& cette belle tle à l'entrée de
l'océan Indien, et près de la côte africaine, ses belles
rades, sa grandeur, l'abondance de ses produits, sont
autant de motifs qui nous y convient.
La jalousie de l'Angleterre ne nous fera pas défaut
dans la réalisation des projets dont Madagascar pourra
être l'objet. Nous devons nous y attendre ; cette ja-
lousie s'est même déjà révélée à l'occasion du traité de
Bali. Ce traité, il est bon de le rappeler, avait été con-
clu avec les rois de Lambougou et de Boueni, à la suite
de Tafiaire du brick français la Marie- Angélique. Le
capitaine Fleuriot de Langle, commandantdela corvette
la Cordelière, avait reçu l'ordre de châtier les habi-
tants de la côte nord-ouest de Madagascar qui avaient
pris part au pillage de la Marie-- Angélique. Le résultat
de cette expédition fut la déchéance de la reine Out-
singou, dont les sujets figuraient en première ligne
parmi les auteurs de l'attentat commis contre le navire
français. En outre, un traité a été conclu avec les rois
Tsiahouan et Angarezza sur les bases suivantes :
DE LA FRANGE ET DE L* ANGLETERRE. 5&7
Le roi Tsiahauan reconnaU les anciens droits de la
France sur la partie de Madagascar qu'il occupe (la
baie de Bali) ; il assure aux bâtiments français la fa-
culté de trafiquer sur toutes les côtes soumises à son
pouT^oir. Il permet aux Français de s'établir et de com-
mercer dans toute retendue de ses États ; leur accorde
le droit de remonter les cours d'eau, de créer des éta^
blissementSy d'utiliser les matériaux de toute sorte, de
faire des cultures sur des terrains qui deviendront plus
lard leur propriété, après la mise en rapport, etc., etc.
Justement préoccupé de. la transformation morale
de ces peuples barbares, le représentant de la France
a stipulé en outre le libre exercice de la religion chré-
tienne pour ses compatriotes, le rétablissement de la
mission chrétienne, l'ouverture d'églises, d'écoles et
de maisons d'éducation.
Les appréhensions que ce traité a fait nattre eu An-
gleterre n'ont pas été dissimulées par les journaux
qui ont parlé de l'expédition de la Cordelière. L'un
d'eux a été jusqu'à prétendre que Ttle Maurice, en
1814, avait été cédée à l'Angleterre avec ses dépen-
dances dont Madagascar faisait partie. Nous ne discu-
terons pas cette thèse renouvelée de celle mise en avant
dans une autre circonstance à propos de l'Ile de Perim«
La France, heureusement, pour défendre ses droits,
dispose de moyens plus efficaces que l'iman de Mascate.
Au reste, la possession de Tinting, abandonné seule-
ment en 1831 ; la conquête de Tamatave sur les Ho vas,
en 1829, bien que rendue presque aussitôt aux Beta-
nimines, prouvent suffisamment qu'en 1815 la France
54% GONSntUTlON ET PUISSANCE UrUTAHUfS
n'a en aucune façon aliédé ses droits sur MadagaBcar,
pas plus qu'elle n'a renoncé à des projets qu'elle de
meure libre de reprendre, à son jour et à son heure,
dans Tintérét de sa marine et de son commerce, conitae
dans rintérèt général de la civilisation.
Au moment où la mort de la vieille reine RanaTt-
bna semble présager un ordre de chose nouveau ; au
moment on son successeur parait désireux de tirer
Madagascar de son antique barbarie, la situation res-
pective des Anglais et des Français sur la cdte orien-
tale de l'Afrique mérite une attention toute partiou-
Hère.
Si de r Afrique nous passons en Asie, nous nous
trouvons en présence du colossal empire fondé par la
compagnie des Indes* Depuis l'insurrection de t8&7,
le gouvernement de cette compagnie a été aboli; l'ad-
ministration de ses possessions est passée sous rautorité
directe de la Couronne. Comme le disent eux-mêmes
les Anglais, llnde est le défaut de leur cuirasse, « ibe
loide ehink in armour » . Si nous eu croyons l'un des
hommes les plus compétents pour prononcer un pareil
jugement (sir John Lawrence, dont Thabileté et Fei-
périence ont contribué, pour une si grande part, à ht
répression de la dernière insurrection), avant cioq a»
rinde sera perdue pour l'Angleterre (1).
. Lorsqu'on SDuge à l'admirable énergie aveclaqu^
l'Angleterre a replacé sous le joug ses sujets révoHés,
(1) Sir John Lawrence ts reported io hâve prophecied that îndùt
Ufill be lost to the brilish crown in five fêars. (V. S. ■•)
DE LÀ FRANCE ET DE L\\N6LFrERBE. 5&{l
on est tenté de prendre une pareille déclaration pour
l'opinion d'un alarmiste. En y regardant de plus près,
on arrive bien vite, sinon à la partager complètement,
du moins à comprendre très facilement les graves ap-
préhensions qui Tout dictée.
Quelle est, en effet, après un siècle de possession la
situation des Anglais dans rindeîDe '25000 hommes
qui suffisaient autrefois pour maintenir les Hindous
dans l'obéissance, Tarmée européenne a dû être portée
à 100000 hommes pendant l'insurrection. Aujour-^
d'hui, on estime que 80000 seront toujours indispen*
sables à la sécurité de la colonie (1). Il y a un siècle,
aiveà Plassey; il y a un demi-siècle, Wellington à
Âssye culbutaient avec trois ou quatre mille soldais
anglais les armées les plus nombreuses que les indi^
gènes eussent jamais mises sur pied. De nos jours, si
legéqeral en chef de l'armée indienne est élevé, comme
ses devanciers, à la pairie, c'est pour avoir ramené
de Lucknow, sans se laisser entamer, vingt mille soldats
européem, obligés de battre en retraite devant oes
«èmes Hindous, jadis si méprisés. Un pareil contraste
serait aasez éloquent pour dispenser de tout commen-
toire sht les changements qui se sont produits daps
Après un «ècle de possession > l'expérience l'a
proiivé, l'Angleterre est donc seulement campée dai^
Vlnde au milieu d'une race hostile qu'elle doit déses-
(l) La Commission chargée d'arrêler les bases de la réorganisa-
ion de Karmée indienne demande 80 000 soldats européens ainsi
répartis: Beflgate, 50000; — Madras, lôOêO; — Bombay, 450O0.
550 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIHES
pérer de s'attacher, puisque, après l'avoir délivrée de
la tyrannie de ses anciens maîtres , elle en a été aussi
mal payée. Elle a rétabli sa puissance dans ses posses-
sions asiatiques, mais elle ne peut la maintenir qu'au
moyen d'une inflexible sévérité. Aux yeux des Indiens,
comme de tous les orientaux, les concessions ne sont
que de la faiblesse, et, comme le disait encore rhomme
éminent que nous citions plus haut, compter sur les
améliorations et les progrès réalisés pour éteindre les
instincts de révolte qui fermentent aujourd'hui chez
les indigènes, ce serait méconnaître leur nature. L'ex-
périence n'a que trop prouvé leur ingratitude, et le
mot de « reconnaissance » n'a pas même d'équivalent
dans leur langue : «noward synonymous to ^grati-
tude » is lobe found in ihe urdu langucige. »
Il faut donc que l'Angleterre se résigne à dominer
dans l'Inde par la crainte et la terreur, ou bien qu'elle
se retire. Un r^ime de fer ou un abandon plus on
moins prochain, telle est aujourd'hui sa seule alter-
native. Malheureusement, le déploiement de forces
qu'exige un pareil système équivaut presque à l'impos-
sibilité de son application. Aujourd'hui que Tlnde est
rentrée matériellement dans le devoir (bien que son
état moral ait plutôt empiré), on doit se demander
où les Anglais trouveront les hommes nécessaires pour
recruter les 80000 soldats que réclame sa conserva-
tion. L'enrôlement volontaire pouvait suffire autrefois
à procurer 25 ou 30000 hommes. Aujourd'hui que
l'espoir du pillage pour le soldat, aujourd'hui queTes-
poir des honneurs et des grades pour les officiers ne
DE LA FEAIVCC ET DE L AlfGLETKRRE. 551
trouveront plus à se satisfaire, par suite de la pacifica*
lion du pays, Tenrôleraent volontaire ne peut que ré-
véler une fois de plus son impuissance.
n est d'ailleurs un autre danger dont il faut tenir
compte. Les 80000 soldats anglais que la commission
parlementaire a déclarés nécessaires, sont indépendants
de l'armée native que Ton est obligé de conserver. Si
la population indienne était désarmée, ces 80 000 sol*
dats anglais seraient une garantie suffisante contre la
rébellion ; malheureusement, pour la police de leur im-
mense territoire^ pour la sécurité des routes, pour
assurer la tranquillité et la levée des impôts, les An-
glais sont forcés d'avoir recours à ces mêmes Indiens
sur la Gdélité desquels ils ne peuvent plus compter. Il
a fallu qu'une nouvelle armée indigène remplaçât celle
des Cipayes. Or, l'histoire de ces derniers l'a prouvé
dans maintes circonstances et tout récemment de la
façon la plus cruelle : la mutinerie des troupes four-
nies par les populations hindoues est bien autrement à
redouter que la rébellion des populations elles-mêmes.
L'insurrection de 1857, nous l'avons démontré ail-
leurs, a été avant tout une insurrection militaire;
pour peu qu'on cherche à se rendre compte de la
composition actuelle de l'armée indigène, on verra que
les successeurs des anciens Cipayes sont loin de pré-
senter les mêmes garanties que leurs devanciers.
A l'exception des musulmans qui ne comptaient que
pour un faible nombre dans leurs régiments, les Gi-^
payes, quelles que fussent d'ailleurs leur hypocrisie et la
férocité de leurs secrets instincts, étaient d'un carac^
SStf. GON&TtTUTION BT PUISSANCE MILITAmCS
tore soumis et discipliné. Il en est tout autrement des
Sicks et des Punjaubies auxquels les Anglais ont fait
appel pour cornbattnj l'insurrection de 1857.
Les Sicks, grâce à leur antipathie pour les autres
races de l'Inde , grâce surtout à leur amour pour le
pillage, ont servi volontiers d'auxiliaires à nos voisins ;
mais ce peuple belliqueux, que les Anglais ont eu tant
de peine à réduire, apprécie parfaitement sa force
aujourd'hui. Son esprit guerrier le rend, il est vrai»
bien supérieur aux Cipayes, mais ses habitudes iurfau*.
lentes ^t indisciplinées le rendent aussi infinioient plus
dangereux.
A l'époque où Von avait besoin des Sicks et ée^
QoArkhas, on a exalté outra mesure leur valeur. C'était
pQutôtre d'une bonne politique pour le momept, mais
fl en est résulté qu'on a singulièrement affaibli par oes
Mogfis le prestige des Européens. Les Sieks ont pu
jugeiT des embarras de leurs maîtres, et ils oomprenueut
(|ue sans leur secours c'en était fait de la domiuatiun
9,P|[lai$^. L'influence que ces idées exercent aujourd'hui
sMr ce^ sf^uvages alliés n'est rien moins que rassurante.
P{$ig)ière ils di^ieiU hautement que c'était à eu^i muti
gu^ l'on (levait la délivrance deLucknow ; maû^tenaut
^ n^ se cachent pas davantage pour déclarer que \n
répfe^ion de la révolte est leur oetivre, et que, s'il*
avaient co^nu aussi bien la faiblei^^' de Wurs alliw, %y
\/f(^ ^ reconquérir Tlnde au prptit des Auglais^ ils
l'auraient gardçe pour eux-mémesi.
En présence de$ dangers que révèle la fi^^té «m%-
p^ d'aui^liaires^ à la fois 9t\m danger^^u^ et aiKsi
IIB LA FmAKGB ET J)E L AHQLETEUIE. 55S.
néoessaires ; en présence des diflBcultés que rencontra
l'Angleterre pour le recrutement de ses forces eurohr.
péennes, — difficultés qui se décupleraient epcore s)
elle venait à être en guerre avec une puissance mari*
time quelconque ; on est moins tenté de traiter de p^St
simiste Topiqion que nous rapportions plus haut sur la
c^uréa po^ible de la domination anglaisa dans l'Inde.
Nqi)S sommes loin d'avoir épuisé la série des embar*^
ra4 intérieurs d^ lempire anglo-indien, et surtoqt
d'avoir dpnnéà leur exposé le développement que comi)
ipfinderait j'iptérèt qui s'y rattache. Mais nous avom
hâte de passer à une question non moins important^ :
pellç (}e ses (}aqgers extérieurs. Depuis quelques iin-
s^ sfirtûut, ces dangers semblent acquérir uue gra-;
vite de plus en plus menaçante.
Pendant longtemps, les Anglais ont pu dominer en
A^ic en q)ftUres absolus. Après avoir dépouillé 1^ Por-
tugais et les Hollandais de leurs colonies, ils ayaiept
trqqvé, il est vrai, pendant la seconde moitiô du
xvm* siècle, d^ rivaux à leur titille dans lesFraoçai^^
la boDteuse ff^iblesse de Louis XY et de ses ministres
devait affranchir l Angleterre du seul coutrç-poi^^ ça?
f^\i\e de balancer son influence on Asie. Jusqu'en
\^kOf TAugleterf-e avait donc poursuivi sans entraxes
et sans oontrôle ses envahissemenis continus. L'I^ur^
iyp.(Vpoch|iit cependant où, au nord comme à l'ouest ^
ses immense possessions, elle allait se trouver ^ fae^
de la Russie.
Dès le règne de Pierre le Grand, les expéditions de
Çiçbexyichj sur Khiva^ et de Beveni sur Bokbar^,^ $.^r
55A CONSTITUTION BT PUISSANCE MIUTAIRES
raient pu faire pressentir les dangers qui menacent
aujourd'hui la frontière de TAfghanistan. Enivrés par
leurs succès, les Anglais n'accordèrent d'abord que
fort peu d'attention à ces tentatives incessannïient re-
nouvelées par la Russie. L'exemple d'Alexandre le
Grand et celui bien plus récent de Nadir-Schah (1739)
taient cependant de nature à leur ouvrir les yeux.
Au reste, il faut le dire, toute l'ambition de Pierre le
Grand et de ses successeurs, en établissant la Russie
sur la mer Caspienne, sembla se borner dans le prin-
cipe à détourner à son profit une insignifiante partie
du commerce de l'Inde occidentale.
C'est à l'époque des premiers développements du
royaume de Lahore qu'il faut remonter pour rencon-
trer les premières tentatives d'intervention sérieuse,
de la part des Russes, dans les affaires de l'Asie. Atti-
rés dans ces contrées, comme jadis, en Europe, les
Rarbares l'avaient été par le beau ciel de l'Italie, les
Russes, abandonnant la mer à leurs rivaux, se frayaient
depuis quelques années une route pénible, mais sûre.
Chacun de leurs progrès dans l'Asie centrale avait été
acheté par une lutte énei-gique avec la nature, les
éléments et les hommes. Peu à peu ils bâtissaient des
villes, installaient des colonies et amenaient l'Europe
là où rien n'existait encore. Souvent forcés dé reculer,
ils revenaient toujours, par une série d*efforts lents
mais habiles, au point qu ils voulaient atteindre (i).
(l) Comme le disait énergiquement ud écrivain d'oulre-Manche,
partout, dans toutes les directions, les Anglais trouvaient les Roaseï
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 555
La conquête des Anglais dans Tlnde avait ressem-
blé à la flamme dévorante d'un incendie qui vole en
tout sens et embrase Fhorizon du feu d'un même
éclair. Confiants dans l'avenir et dans leur force, les
Russes descendaient lentement vers Tlnde, comme
une vaste mer qui ronge peu à peu ses rivages et dont
les progrès sont inaperçus mais irrésistibles. Il eût fallu
être aveugle pour ne pas comprendre enfin tout ce que
ces efforts renfermaient de menaces. Tout en affectant
à cet égard une indifférence dédaigneuse, les Anglais,
à partir de 18A0, commencèrent à ne négliger aucune
occasion de lutter sourdement contre la Russie. La
seconde expédition dirigée par le général Perowski
contre le khanat de Khiva, et dont les préparatifs dé-
terminèrent l'Angleterre à envahir l'Afghanistan, fut
la circonstance décisive qui amena les deux peuples
rivaux à lever le masque. Depuis la lutte n'a cessé
chaque jour de se dessiner davantage.
Pendant quatorze ans, les Russes s'étaient patiem-
ment préparés à cette campagne. Ils avaient ménagé
des prétextes pour leur agression, reconnu les routes
qu'ils devaient suivre, et rassemblé des chameaux.
Mais la nature fut là encore la plus forte: en un mois,
hommes et chameaux périrent sous la neige, et les
tristes débris de l'armée moscovite furent sauvés par la
pitié des pâtres qu'ils voulaient asservir. Telle était
l'inquiétude des Anglais, néanmoins, que, pour ôter
sur leur route : « Creepping on and on^ tripping up Turkey^ wres-
tling toith Persia , treading on the Skirts of China^ manœuvring
with Japwi. »
55€( CONSTITUTION ET P01B«A«CB MILITAIBBS
aux {lusses le prétexte d'une nouvelle invasion, le capi-
taine Abbott, alors en mission à Khiva, fut chargé
d'oifrir la médiation de l'Angleterre pour négocier la
paix entre les puissances belligérantes. Le khan de
Kbiva, grâce à cette intervention, accorda à reaiper-
reHi' vaincu toutes ses demandes, mènoe celle d'une
spnime considérable pour les frais de la gueri^. ComiiHi
ce prince se refusait à approuver cette dernière el
jpij^rre cqncession, ce fut encore TAngleterre qui Vj
aiqenaf en lui fournissant, sous forme de prèl, la
^Qime exigée par la Ru^ie. Le Khan de Kbivt
pYtait pas le seul, du reste, auprès duquel F Aqglelene
(lût user de ce singulier modo d*interveiitioq. Tout
récemit^eui, pour mettre un terme aux afipiéheoaiew
qite leur causait ro<x)upatiou de Tétouftn et du littoral
africain, nous avons vu qos voisins fournir à Tempe-
l'eur du Maroc 1^ fonds nécessaires pour désintéreaser
l'Espagne.
De semblables précautions peuvent ajourner b dan-
fgfg, et retarder le moment de la lutte, mais eUe doit
éclater ((kt ou tard en Asie, d'autant plus violente qm
1^ p^Hpl^ rivaux s'y seront pluslougueiaent préparés.
A e^tégard, les Anglais ne conservent plus d'îUusioBft:
% The déJQf may y^ be dUiant, bui « iim^ wUl tm^
^f^^tk&ùwoHuropea^^pQwefs ^ Asia, ikfiwnik mni
tl^soyi\^y mil hâve lo figh^ for ihe «feminalîcm {%). i>
Chacun fixe un œil ardent sur Sokhara,reatrq)èldB
commerce de toute la haute Asie, terre neutre encore
(i; United service Magazine,
Mt LA rtlAKCB ET bE L*ANGLkTEfeSE. SSf
aujourd'hui, province indépendante, rtiaisqui, pour les
Russes, n'est qu'à centlieues deKhiva oii Ils revieridront
tôt ou tard. Celui des deux peuples qili occupera le t)t*e-
mier ce point important, ce centre magnétique qui les
attire également Tun et l'autre, y puisera une supério-
rité au moins momentanée. Les Anglais Tavaient toin-
prisdèsl889,et c'est ce qui leur a fait dépasseMindus,
Téritable limite de leurs possessions, limitegéographique
et tnilltaireà la fois. C'est pour multiplier lés barrières
entre la Russie et THindoustan, p^iUr éloigtier^, auidnt
que possible, le théâtre de la lutte, qu'ils ont eiitrdprls
la guerre de l'Afghanistan, et occupé les villes dé
Caboul et de Candahar, cos places que ThistOrieti
d'Akbar, Aboul Fazel, signalait dès 1602 comme les
seuls boulevards de Tempife mogoi (1). C'est poiiHa
même raison que le gouvernement de Calcutta aVaJt
autorisé plusieurs officiers anglais, qui voyageaient âis
côté d'Hérat, à se jeter dans cette place, et à aider à sa
défense contre les Perses et les officiers russes (|nî
étaient avec euî. Enfin, c'est encore le même rtitrtif
qui a eugtagé les Anglais à relever las fortifications de
celte place, et à faire continuer, par le major Todd
Td^iiVresl bîefn commencée pa^ le lieutenant EIdred
Potinger.
Depuis bien des années déjà, pour défendre la fron-
tière occidentale de ses possessions indiennes, l'Angle-
terre en est réduite, tour à tour, à protéger l'indé-
pendftDce d'Hérat contre les attaques de la Perse, et
(1) Loub Herman, Histoire de VInde.
558 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIBCS
rintégrité de la Perse contre les empiétemrats de la
Russie. On ne connaîtra jamais ce qu'elle a dépenséd'w
et de peine à ce jeu difficile (1). Cependant, malgré
toute sa vigilance, elle n'a pu imposer, jusqu'ici, qu'une
barrière impuissante aux progrès de sa rivale. En 1856,
elle a dû déclarer la guerre à la Perse pour protéger
Hérat.lA prise deBushire et de Mohammerah n'a été,
en définitive, qu'un coup d'épée dans l'eau. Les con*
cessions que TAngleterre a obtenues par le traité que
Feruck Khan est venu signer à Paris n'ont pas modi-
fié la situation. Ce qu'il eût fallu à l'Angleterre, à la
place des insignifiants comptoirs de Kharack et de
Bushire, c'est un avant-poste sur la mer Caspienne;
sur la mer Caspienne où la Russie domine à l'heure
qu'il est, où elle entretient une flotte de navires à
vapeurs, où elle bâtit et arme chaque jour de nou-
velles forteresses (2).
Aujourd'hui que la Russie en a fini avecScbamyl;
aujourd'hui qu'elle est maîtresse des défilés de Bayazîd,
avant qu'une armée anglaise ait le temps d'arriver de
rinde pour s'y opposer, une armée russe peut être
maîtresse de Téhéran.
Aussi longtemps que T Angleterre a pu prendre les
(1) L*Ângleterre a subventionné successivement la Perse pendant
sa guerre coutre la Russie, et le chef d*Hérat« Kamram, pendant
ses démêlés avec la Perse. Ce dernier a touché des sommes fabu-
leuses, de la Compagnie des Indes.
(2) La Russie a dix-sept vapeurs sur la Caspienne qui serrent ^
approvisionner ses forts; ÂralsL le dernier construit a 42 pièces
en batterie, et une garnison de 2000 hommes.
DE LA FRANCE ET DE l' ANGLETERRE. 559
instruments de sa domination, au sein même de llnde,
et en opposant les unes aux autres les différentes races
qui la peuplent, Tlnde a enrichi la nation anglaise, et
ses revenus ont suffi à couvrir les dépenses de son occu-
pation. Depuis que cette occupation exige une armée
quatre fois plus considérable que par le passé ; depuis
que la progression des dépenses semble le disputer à la
diminution des revenus, chacun comprend que l'Inde
ne peut plus être pour TAngleterre ce qu'elle a été
autrefois.
Comme compensation à Tlnde qui lui échappe, ou
dont Fétat d'épuisement et de ruine menace de ne plus
l'enrichir de longtemps, l'Angleterre avait compté sur
la Chine. Où aurait-elle pu trouver, en effet, un plus
magnifique débouché, pour son commerce, que ce
splendide empire de 300 millions d'âmes? Malheureu-
sement, sur ce nouveau terrain, elle devait encore ren-
contrer la Russie.
Longtemps les progrès de la Russie dans l'Asie cen-
trale ont été entourés d'un mystère qu'il était bien dif-
ficile de percer. Aujourd'hui, la lumière s'est fait jour.
Dès à présent, on pourrait écrire un volume, et certes
des plus intéressants, sur l'histoire des tentatives et des
progrès de la Russie, tant pour se mettre en contact
avec la Chine, que pour s'ouvrir une communication
avec l'océan Pacifique (1).
(1) Ce liyre est déjà fait, en partie au moins ; voir Touvrage inti-
tulé: Oriental and western Siberiaj A narrative ofsevenyears expio^
rations and adverUures in Siberia^ Mongolia, the Kirghiz steppes^
Chinese Tariary and part of central Asia^ pari. W. AtLinson.
feéO ccwrstiîttiON Et t>utssANdE kuTiiikÉS •
Bornons-flous à constate^ que ces efforts |)ersété^
Mnts ont été couronnés d'un plein succès. Entreprise
eh 1643, alors que la Russie ne possédait encore
qu un petit affluent de l'Amour : TÀrgun, celte tâche
ârdiié, poursuivie pendant deux siècles à traders dft
altertlalives de succès et de revei-s, cette lâche gigan-
tesque est accomplie aujourd'hui. De concesâionâ eu
ëoricessions, depuis Tannée 1 7-28, où ils enroyaient leur
pt^emier ambassadeur k Pékin, les Russes ont fltti pftir
obtenir la possession complète de la vallée de rArhoiiK
Bien Sertie par les événements (2), mieux senie
encore par les hommes, grâce aux Poyarkof, aux Sle^
pahdf, aux Tchernigousky, aux Putiatine, aux Moiira-
tief, la Russie peut se demander, à l'heure cJu'H est, si
la Chine né doit pas être pour elle, ce que l'Inde à été
pour l'AngteteiTe : « ff'hat India hasbeen to Bngland,
China inay bècome to Rvssid. »
Le seul cours d'eau important qui né se jette pas
dahsTocéan Arctique, F Awiour est la grande artère de
TAsie centrale. Ce fleuve est la clef du pays, et le
peuple qui- possède sa vallée, est en quelque aorte
toattre de la Chine, car il commande le désert de Gobi,
]à seule défense véritable de Tempire du côté du noni;
NàV^bte dans la plus grande partie de son eourSi
TAdiour présenter en outre une communication adoti-
(2) La Russie a été bien servie, même par ses revers : son poste
(f Âlbacin ayant été pris par les Chinois, ses habitants (arts prison-
rtîersont été transportés d Péltin ; ils y ont formé une pèffrc colonie
ÉtiseUn même de Tempire, et leurs descendants ont beauooapcontri-
bué an progrès de l'iofloence russe en Chine*.
DE LA PRANCë et DE L'ANGLETERRE. 561
rable avec l'océan Pacifique, et depuis qu'ils en ont la
libre navigation, les Russes Tont déjà sillonné de leurs
bateaux à vapeur.
Une conquête aussi avantageuse ne pouvait man-
quer d'exciter les craintes jalouses des Anglais. Pen-
dant la guerre de Crimée» leurs vaisseaux ont bom-
bardé Petropawlousky, la forteresse que les Russes ont
établie à Tembouchure de T Amour. Us ont reconnu Tun
des théâtres de leurs luttes futures. Pour ne pas être
pris au dépourvu, ils devront se hâter d'y revenir. En
attendant, si la devise « Trop tard, — toujours trop
tard » semble adoptée, depuis quelques années, par
nos voisins, dans toutes leurs entreprises, en revanche,
les Russes ne perdent pas leur temps. Rien ne saurait
mieux caractériser la position qu'ils ont su prendre en
Chine, que le simple fait de la présence de leur am-
bassadeur, du général Ignatieff, paisiblement installé à
Pékin, au moment où larmée anglo-française était
obligée d'en enfoncer les portes à coups de canons.
Puisque nous venons de parler de la France, en ter-
minant cet aperçu de la situation respective des Anglais
et des Russes en Asie, constatons-le avec une satisfac-
tion bien légitime : grâce à la politique habile qui a su
associer notre drapeau à tout ce qui s'est accompli
d'important dans cette partie du monde; grâce au
développement donné à notre marine ; grâce enfin, au
point d'appui solide que nous offre, dès à présent,
notre établissement en Cochinchine, notre flotte et
notre armée peuvent figurer avec honneur dans ces
mers où, depuis^un demi-siècle, nos vaisseaux étaient
36
62 CbNSTlTtJTIbh ET PUISSANCE lUliTÂlkES
réduits au plus humble des rôles, et où notre paviUoii
n'abritait plus que les tristes débris des tnagntfiques
possessions acquises jadis à la France par le génie des
Dupleix, des Labôurdonnals fet des Suffi-en.
Quelle que soit donc la lournure que prendront les
événements, quelle que soit l'issue des luttes qui se pré-
parent, suivant que le lui commanderont sa dignité et
ses intérêts, la France est en mesure d'assister aux uns,
ou de prendre part aux autres, dans les conditions
que comporte le rang qu'elle a su reconquérir dans le
ûlonde.
GbiPlTRB XXm ET DERNIBR.
SUwUi&ndeê possessions anglaises en Àfnérique. ^liiûé& occidenta-
les ou West Indies ; —VéiaihWssemeni de Belise et les indigèuesdu
Yucatan.— La Guyane anglaise.— Les Antilles. — Les Américains
fei les Anglais en présence dans TAmérique centrale. — Posses-
Mons de rAmériquê du Nord. — Nouvelle-Calédonie. - lie de
Tancouver. — Démêlés des Anglais et des Américains dans TOré-
gon. — Le Canada. — Dispositions de la population française. —
uifficultés intérieures et extérieures. — Insurrection de Papineau.
— Incendie du Parlement. — Rivalité des t^^rançais et des Anglais
au Canada. — Politique de l'Angleterre visrà-vis des Ëiats-Unis.
— Affaire du Trent, ses conséquences. — Les Anglais auraient
désiré la guerre. — Conduite probable des Américains lorsque
la guerre civile sera terminée. — Dangers qui menacent TAmé-
Hque anglaise. — Ëchecs maritimes éprouvés par les Anglais
dans la guerre de 1812 contre les États-Unis. -- L'Australie. -*
Guerre de la Nouvelle-Zélande.
CONCLUSION.
1^ colonies anglaises ne sont qu'imparfaitement protégées. —
EfTeclif des troupes consacrées à leur défense. — Situation de
l'armée anglaise au i" avril 1862. — L'armée delà inétropole.
— Conséquences de l'adoption des navires k vapeur. — L'Angle-
terre n'est plus une île. — Chiffre des troupes qu'elle pourrait
hiettréen ligné en cas d'invasion. —Opinion de Wellington, Bur-
goynp, Douglas, F. Head, Haclntosh^Napier, bowles, Ëlliot,ftc.,
sur rinsttfflsance de ses moyens de défense; — L'alliance fhm-^
çaise est indispensable à l'Angleterre.
Nous avons vu, au Chapitre xm, que les possessions
anglaises» en Amérique, se groupaient sous deux titres
distincts : le domaine maritime {ff^est Indies), et les
provinces continentales {Norêh America).
56& CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIEES
Nous ne dirons qu'un mot du domaine maritime.
Depuis Tabolition de l'esclavage, les différentes lies qui
le composent sont devenues pour TÂngleterre une
charge sans compensations, et une source d'embarras
perpétuels. Onéreuses en temps de paix, ces lies se-
raient très difficiles à protéger en temps de guerre. A
Texception de la Jamaïque, de la Barbade, d'Ântigoa
et des Bermudes, toutes les autres (i), soit par l'insuf-
fisance de leurs garnisons, soit à cause du mauvais
état de leurs défenses, seraient incapables de résister
à Tattaque d'une simple frégate.
La même observation peut s'appliquer aux établis-
sements de Belise [Honduras), et de Demerara {Brilish
Guyana), que l'Angleterre possède encore sur la côte
du golfe du Mexique. Indépendamment de leur fai-
blesse, qui les exposerait aux insultes du premier croi-
seur ennemi, ces deux postes, en temps de guerre, et
pour peu que les communications fussent coupées,
auraient aussi à lutter contre des difficultés locales qui
pourraient compliquer singulièrement leur situation.
Grâce à l'anarchie qui désole le Mexique, les indi-
gènes de la presqu'île du Yucatan vivent dans un état
de révolte ouverte contre les autorités de Merida (2).
Depuis nombre d'années, les Anglais ont à souffrir de
leurs incursions. Jusqu'ici, ces Indiens semblent se
soucier aussi peu des menaces que de l'intervention des
(i) Les Lucayes, Bay Island, Grenade, SaiDl-ViDcent, Tobago,
Saint-Christophe, la Dominique, la Trinité, Nevis, Monsemt, les
Iles de la Vierge, etc., etc.
(2) Merida, chef-lieu de la province mexicaine du Yucatan.
DE LA FEANCE ET DE L ANGLETERRE. 565
gouverneurs de Belise. Il y a quelques années, malgré
la présence d'un envoyé anglais, un chef indigène,
nommé King-Puc, a fait égorger et torturer sous ses
yeux tous les prisonniers espagnols qui étaient tombés
entre ses mains, à la suite du sac d'une petite ville
mexicaine nommée Bacalar.
Depuis, ces mêmes Indiens ont massacré un corps
de 3,000 hommes envoyé contre eux, sous les ordres
du général mexicain Jeraldo Castille, par les autorités
de Merida. A la suite de ce désastre, les malheureux
Espagnols du Yucatan sont venus se réfugier sur le
territoire de la colonie anglaise, où, avec la permission
du gouverneur de Belise, ils ont fondé la ville de Co-
rosal. Depuis cette époque, et à cause de cette protec-
tion, l'établissement anglais de Honduras est devenu
le but d'agressions continuelles de la part des Indiens.
Au mois de mai 1860, King-Puc a franchi la fron-
tière avec ses gens, et est venu enlever des colons sous
les yeux de la garnison anglaise chargée de protéger
Corosal. Toutes les réclamations, toutes les démarches
du gouverneur de Belise, à l'occasion de cette viola-
tion du territoire anglais, ont été méprisées par les
Indiens; bien plus, deux oflBciers envoyés près de leur
chef ont couru les plus grands dangers, et ont eu
grand'peine à sauver leur vie.
A la suite d'une nouvelle incursion tentée le lA avril
1861 par les gens de King-Puc, M, Price, gouverneur
de Honduras, a proclamé la loi martiale et armé les
Européens. II a demandé en môme temps des renforts
à la Barbade^ mais, en dépit de quelques compagnies
^ CONSTITUTION ET f»UISSANCE fOLITAIf^fS
qui lui ont été envoyées, il devient pbaque jour ^w
évident qu^ les Indiens sont aussi éclairés si^f la fa^^:
blesse des moyens de défense de Belise, que ^isposé^ j|
en profiter.
Dans son examen du meilleur système d'occupatîpq
des Indes occidentales, le comité de défense des colo-
nies a émis Topinioq que toutes les troupes disponibles
devaient être concentrées à la Barbade et à la Jamaïque.
Ce comité a été d'avis, en outre, que les trois régi-
ments coloniaux {fVest Indies régiments) devaient suf-
fire à la protection des possessions du golfe du Mexi-
que, et que la flotte, en cas de guerre extérieure, serai^
bien plus efficace, pour leur défense, que tous les petits
détacbements disséminés dans les diflTérentes lies.
La mesure qui tendrait au rappel de ces détacbe-
ments ne pourrait, sans danger, être appliquée à l'éta-
blissement de Belise. L'action de la marine ne pour-
rait évidemment s'exercer sur les Indiens qui habiteo(
le centre de la presqulle du Yucatan ; or, ce sont pré-
cisément ces derniers qui menacent la colonie, ce sont
les tribus de Santa-Cruz qui ont envahi à plusieurs
reprises le territoire anglais, et commis les outrages^
jusqu'ici impunis, dont nous avons parlé.
Nous avons exposé sommairement les difficultés avec
lesquelles les Anglais sont aux prises à Honduras. Nous
devons encore signaler, au moins pour mémoire, celles
que leur a suscitées, dans ces mêmes régions, leur ma-
nie d'intervention et de protectoraL II y a vingt ans,
en 1842, TAngleterre a failli se brouiller avec le Brésil,
grâce à l'appui que le gouverneur de la Guyane a donné
DE LA FRANGE ET ^E (.'aNG^T^H^. ^Q7
aux Indiens Macusi (1). f\w$ fécpmmeut, je protqçtq-
rat intéressé qu'elle sl prétqqdu exercer ft l'endroit dç
Mosquito n'a pas eippêché Gveytown 4*êtve bopibardé,
mais, en revanche, peu s'ep est fallu que la guerre
n'eii soit résultée avec les États-Unis.
Sans donner plus d'importance qu'il pe convient aux
difficultés que nous venons de résumer, nous avons cr^
utile de les rappeler comme une preuve de plus des
embarras sans nombre, des dangers incessants «aux-
quels, à toute heure, çt sur tous les points du globe,
r Angleterre se trouve exposée par l'immensité et I4
dissépiination de son çlomaine extérieur.
Nous avons dit que, parmi les nombreuses colonies
qui, à une ^utre époque, ont assuré à l'Angleterre la
domination de la mer des Antilles, trois oq quatre seu-
lement avaient aujourd'hui une véritable importance
milit^iire. Op se demandera sans doute pourquoi l'An-
gleterre ne borne pas sop occupjition à la Jamaïque, à
la Barbade, etc. , et pourquoi elle ne laisse pas les États-
Unis prendre à leur remorque toutes ces ties, toutes
ces colonies simplement onéreuses poqr la métro-
pole? Les considérations qui s'opposent à cet abandon
sont du même ordre que celles déjà présentées à propos
de Corfou et des îles Ioniennes. Insignifiantes, relative-
(i) Les lodiens Macusi habitent un district situé dans les envi-
rons 4u fort San-Joaquim sur le rio Branco. Ce district, sur lequel
TAngleterre a prétendu étendre son protectorat, est situé, non pas
sur la frontière, mais bien sur le territoire brésilien. Jusqu'en
iSA2, la Tille de Perara, ûes Indiens Macusi, et le lac Àmucee, sur
les bords duquel elle est située, avaienl toujours été considérés
comme appartenant au Brésil,
568 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
ment parlant, pour l'Angleterre, certaines des Antilles, j
entre les mains d'une autre puissance, pourraient ac-
quérir une importance assez grande pour balancer i
celle des stations militaires qui assurent sa prépondé- j
rance dans ces parages. C'est la sécurité, c'est l'inté-
grité de ces dernières qui commande la conservation
de toutes les autres , si coûteuses et embarrassantes
qu'elles soient.
A Belise, le danger qui menace l'Angleterre ne vient
pas seulement des Indiens du Yuc^tan. Le temps oiî
les expéditions de Walker, et où les conflits du Nicara-
gua et de Costa-Rica tenaient le Nouveau-Monde en
émoi, n'est pas encore bien loin de nous. On n'a pas
oublié les tentatives que les États-Unis ont faites pour
prendre pied dans l'Amérique centrale. La possession
de l'isthme de Panama, qui les rendrait maîtres du
passage le plus court entre l'Atlantique et le Pacifique,
a été de tout temps l'objet de leurs plus ardents désirs,
aussi voient-ils d'un œil jaloux et envieux l'influence
croissante de leurs rivaux à Mosquito. Ils sentent que
le plus grand obstacle à la réalisation de leurs projets
est bien plutôt à Honduras qu'à Mexico ; de leur côté,
nos voisins ne se font pas illusion sur les tendances
qui les menacent. En résumé, on peut dire que les
Anglais et les Américains sont en présence et en riva-
lité dans l'Amérique centrale, tout comme dans l'Amé-
rique du Nord où nous allons les suivre.
Les possessions anglaises dans l'Amérique du Nord
s'étendent depuis le cap Sable dans la Nouvelle-Ecosse,
jusqu'à la frontière russe dans les riions arctiques.
DE LA FRANGE ET DE L' ANGLETERRE. 569
Elles embrassent le continent tout entier dans sa lar-
geur entre T Atlantique et le Pacifique, enfin elles re-
présentent une superficie plus grande que celle de VEu--
rope. Nous ne dirons qu'un mot de celles de ces
colonies qui ne sont pas en contact immédiat avec les
États-Unis d'Amérique. A l'exception de Terre-Neuve,
où le droit de pêche avait soulevé, entre l'Angleterre
et la France, des difficultés réglées aujourd'hui; à
l'exception du cap Breton, ancienne colonie française
dont les habitants ont conservé la langue et les mœurs
de leur mère patrie; les autres possessions anglaises,
telles que : la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunsv^rick,
le Labrador, les lies du Prince-Edouard et d'Anti-
costi, etc., etc., sont autant d'annexés où l'activité
britannique peut se déployer sans entraves et sans se
heurter aux embarras d'un dangereux voisinage. Si la
même observation peut s'appliquer encore aux im-
menses territoires exploités par la compagnie delà baie
d'Hudson, il en est tout autrement des possessions
situées sur l'Atlantique et le Pacifique, et qui touchent
aux États-Unis.
Les territoires anglais sur le Pacifique sont compris
sous la dénomination générale de Nouvelle-Calédonie.
Us embrassent : la Colombie anglaise, la Nouvelle-
Géorgie, le Nouvel-Hanovre, le Nouveau-Norfolk, les
Iles de la Reine-Charlotte, et celles de Quadra et Van-
couver. De ce côté, l'Angleterre touche aux Etats-
Unis par la Californie et l'Orégon. Nous ne rappellerons
pas toutes les difficultés auxquelles a donné lieu la dé-
limitation de la frontière anglaise du côté de FOrégon.
^70 CONSTITVTIO;^ ÇT fU^SSA^lÇÇ ^^ITAPI^
S^r terre comme sur mer, Ift rivante c^çs 4%^^^ ^
des An^érjc^^ns se rév^e à çhaqyç, ifvstan| dftps c$s
parages i^x df» inçiç|ç.pts qyi, hm (ïç? fois ^^jft, (m-
raient amené la guerrç eqtre les deu}^ peuplea^ san§ \^
p?iliçnce exemplaire^ et pour tout dire obligéex que les
Anglais on^ toiypqrs apportée dans le règlement ç^q cef
différents. Aucun incident, peut-^t^e, n'a caieu^ fait
ressortir cçtte lo^ganipiité ; aucune des po^t>reps(5
qijerelles que nos voisins ont eu à vider, depuis 4iî îifls,
n'^ mieux démontré \^ étrangement profond s^ne^M
dans leur attitude à l'yard des autres natio^s^ que \h[-
ftiirede l'île Vancouver. On a pM juger daps cette cireoR-
stance, malgré le ton menaçant de ^ presse t)ritanftjaue,
de rimmense distance qui sépare aujourd'hui» dans ^
p(*atique anglaise, le f^it de la parole et ^e](éc^tiçH^ de
^a inenace. Le conflit bispano-maroçaip, comme le
démêlé de Ttle SanJuan^ comme les corre§{|ondaiice$
échangées entre, le très hautain géqé^al Pearney çt le
trop courtois gouverneur Djouglas, èi, propos ^e c^^
dernière araire, prouvant surabondamment^ U fa^t
bien le reconnaître, que l'Angleterre ne se $en^ plu^egi
pieitire, aujourd'hui, de se brpuiller avec personne.
A regard dps 4iûériç9.ins, il est vrai, nos voisips ont
cherché naguère ^ preu(^re leur revanche d^çis VaQaire
du San-JacintljLO. Cette revanche est-elle bien sérieuse
et bien complète? Nous avons dit ailleurs ce qui nou$
portait à en douter ; nous reviendrons sui^ cette i\\ke^
^ion en parlant du Canada.
Du côté de VAtlantique, le Canada sert dfi frqi^tière
aux ()ta^ 4ft ^^^d de la grande république américaine.
pB LA FRANGE ET DE L* ANGLETERRE. 51\
Pisons^le tout ^e suite, ^e toutes les possessions an-
glaises dans le Nouveau-Monde, il n'en est aucune,
à rheure qu'il est, dont la situation nous semble pl^s
périlleuse et plus menacée.
Tout le monde connaît aujourd'hui la ricliesse e^
la prospérité toujours croissante du Canada; çhacuq
sait ce que valent poqr l'Angleterre « ces misérable^
plaines dp neige, » dont la perte, U y a ur sjècle, inspi-.
rait tant de dédain et si peu de regrets aux tristes cpurr
tisans de Louis XV. Nous po^vons apprécier inain^çe
nant. ^ha,\t naguère le comte Jaubert, en visit£^pt, ^
l'Exposition française les splendides produits ^qvoyés
par le Canada, nous pouvons apprécier maiptens^^t
tout ce qu'il y eut de frivole, de honteqx et ^q coq-
pable dans l'abandon de cette magnifique colopie (1).
plus vfiste que les États-Unis, si on le considère dfinç
(I) Le Canada a été découvert en 1536 par Jacques Cartier, qui y
Il froîs voyages successifs. Ce navigateur partant de Québec, où il
avaH passé Thiver, fit la première reconnaissance des rives du
Sain^-Laurent jusqu'à la hauteur de Montréal. Diverses compagnies
se formèrent en France pour la colonisation du Canada, mais elles
obtinrent peu de succès. A la fin, en 1608, Québec fut fondé par
M. de Champlain, gouverneur de la colonie, le même qui a donné
çpn nom ^ \un <^ lacs les plus connus du Canada, ttontréal fui
fondé en I6/11, et (dis en état de résister aux Iroquois. Kn l^^d,
à l'époquç oti Çolbert commença à mettre en œuvre ses projets
dç colonisation, la population européenne du Canada était de
2,099 âmes seu^e^eul, mais elle ne tarda pas à augmenter.
L'administration du coo^^e d(e Frontenac fut conduite avec activité
et énergie durant la guerre qui précéda le traité de Çyswic^; el le
siècle suivant, à la fin de la régence du duc d'Orléans, la Nouvelle-
France, comme on appelait le Canada, présentait une populaUon de
25,000 âmes En 1759, la victoire de Wolfe sur le marquis de MoAl-
572 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
son ensemble avec les autres possessions anglaises qui
l'environnent, — le Canada représente, sans contredit,
l'un des plus beaux joyaux de la couronne d'Angleterre-
Vouloir expliquer les convoitises qu'il excite chez ses
voisins immédiats, les regrets qu'il a laissés chez ses
anciens maîtres, elles séductions qu'il exercerait sur
les uns et les autres, dans telles circonstances que
l'avenir peut faire naître, serait une tâche parfaitement
inutile. En revanche, ce qu'il est intéressant de recher-
cher, ce sont les facilités plus ou moins grandes que
la situation intérieure ou extérieure peut oflFrîr à la
satisfaction de ces convoitises ; ce sont les conditi<^ns et
les circonstances particulières de nature à servir de
stimulants aux tentations dont nous venons de parler.
La population du bas Canada, depuis le golfe Saint-
Laurent jusqu'au coteau du lac, au-dessus de Montréal,
est d'origine française. Aux termes de la prise de pos-
session, l'Angleterre a garanti à ses nouveaux sujets
le libre exercice de leur religion, et elle s'est engagée à
les laisser se gouverner par leurs propres lois. Bien
que la révolte des États-Unis ait fait comprendre à nos
calm fit passer le Canada sous le sceptre de FAngleterre. Les deox
généraux en chef perdirent la vie dans cette affaire.
Deux ans auparavant, le 27 juin 1757, Clive avait fondé, par la
victoire de Plassey, la suprématie anglaise dans Tlnde. 11 y âdonc
un siècle que les deux groupes principaux du domaine extérieur de
l'Angleterre, ^ Tlnde et TAmérique du Nord, t- sont soumis à ses
lois. Nous avons vu ailleurs les signes de caducité que révélait la
puissance anglaise en Asie; sans y attacher d'autre importance, on
peut faire remarquer que cette puissance est centenaire en Amérique
comme dans riiide.
DB LA FRANCE iiT D£ L'ANGIJSTBaRB. 573
voisins la nécessité d'une administration équitable et
conciliante, bien qu'ils aient cherché à ménager les
susceptibilités de la population française; la marche du
temps a nécessité, dans Tancien régime du bas Canada,
des modifications qui, à plusieurs reprises, ont soulevé
de vives résistances. Souvent ces résistances se sont tra-
duites en révoltes ouvertes contre l'autorité de la métro-
pole. Il ne pouvait guère en être autrement, de la part
d*une population composée en grande partie de Fran-
çais et d'Irlandais, dont les sympathies pour l'élément
anglais de la colonie n'ont jamais été très vives (1).
Quoi qu'il en soit, T impossibilité, pour le gouverne*
ment, de maintenir toujours la balance parfaitement
égale entre ses sujets français et ses sujets anglais,
entre les colons catholiques et les colons protestants,
est une cause permanente de danger pour le Canada.
Dans maintes circonstances, on a vu les deux partis
mettre tour à tour en péril la sécurité de la colonie ; et
les excès réciproques qu'ils ont à se reprocher ont laissé
dans les esprits de profonds ressentiments. Ce serait
une illusion de compter aujourd'hui sur l'entier apaise*
ment des esprits; et, en ce qui regarde particulière-
ment la population française, nos voisins eux-mêmes
ne cherchent pas à se le dissimuler.
En 1857-1838, la paix publique, comme chacun
sait, a été gravement compromise par l'insurrection des
(1) The Canadians are rather given to rioling. Perhaps, this is
natural in a popuIalioD largely composed of French and Irish, wilh
a stroDg infusion of pugnacions brilish. — Passages in the life of a
êoldier. U, S. M.
^1h côNSttttîtib!* fcr tùisSAîccË htLrtAiftte
CabaUlëns français, à U lête desquels s'ëtait mis t^api-
ïtëaw. hé ^ftys était à peiûe remis de cette secousse,
lorsque la popUlatioU anglaise ^'est agitée à son tout*,
et il voulii expérimenter de son côté ce qu'elle pourrait
arrfechbr de coticessiohs par l'émeute et là révolte.
C'était sous Tadministhatiob de lord Elgin, le grand
pàèiftcatetiV boHime l'appelait O'Connell. Envoyé par
te gouvernement de là métropole, avec là mission
etpce^se de mettre uiî terme àUi dissensions qui affli-
^ëaiétit le Canada, lord Elgit) s'est eflbt*céde désarmer
la population fhtnçaise en lui accordant une part plus
grande dans les affaires de la colonie, et en augmentant,
ULM trbp de mesure peut-être, les privilèges dont elle
était en possession. Peut-être aussi, car il faut tout
dife, les gouverueurs qui l'avaient précédé avaient -ils
suivi, ^ni plus de prudence, le système diamétralement
opposé. Toujours est-il que lé nouveau Régime itiau-
guré par lotxl Elgin mit le pays en ébuUition, et Tut
comme le signal d'un véritable appel aux armes pour
les Anglais du Caiiada. A l'occasion d'un bill relatif
aux indemnités qui devaient être payées aux Français
pour les pertes éprouvées pendant les troubles t)récé-
deuts, lo^d El^iU fut accueilli àcoupde|)iel*ti^ coUime
il se rendait à l'assemblée législative. Une fols déchaî-
née et le gouverneur eU fuite, la populace anglaise ne
mit plus de bornes à ses excès. Le Parlement fut eilvahi,
et un Canadien anglais, nommé Bradshaw, s'emparant
Ses insignes du président, en prononça* la dissolution,
lusque-là le mouvement populaire ne représentait
qu'une véritable mascarade, mais après la dispersion
U LÀ l^ftANCfe fet bE t'AtteLfeffekfeé. 875
des toembres du Pariemeht, k conlédie ne ta^da pas à
tournier àla tragédie. On s'aperçut bientôt que le jJalaiS
était etî feu, et peu s'en fallut Que plusieurs ^eprésen-
tatits ne perdissent la viia dans cet inbendie.
Après <* bel exploit, les insurgés s'emparèrent dii
siège du gouvernement, et pendant deux jours la ville
fut en leur pouvoir. Durant ces heures de désordre et
d'anarchie, les personnes et les propriétés du parti
catholique furent l'objet d'outrages sans nombre. La
tnaison du premier ministre (4) fut saiccagée et incen-
diée, comme l'avait été le Parlement. Il fallut toute
Téttergie du général d'Urban pour arrêter les progrès
d'une révolte que le concours des Français et des Irlan-
dais lui permit seul de dominer.
Les faits que nous venons de rapporter suffisent à
démontrer combien, sur le terrain de la politique, les
àttiuiosités de l*ace divisent la population cb,nadienhe.
D'un autre côté, les antipathies religieuses détërmineht
parfois, surtout chez les Irlandais, des explosions hon
moins redoutables. On a vu un simple moine vagabond,
Ife fatùeux Gavazzi, soulever de véritables tempêtes au
Canada par ses déclamations antipapistes. Porté eii
triomphe à Québec par les protestants, après avoir
échappé à grand'peine, grâce à leur aide, aUx maifas
des catholiques, Gavazzi a été cause d'une émeute des
plus sanglantes à Montréal. Les troupes de la garnison
ont dû faire usage de leurs armes pour rétablir l'ordre,
et flO personnes ont été liiées ou blessées dans cette
déplorable circonstance.
(1) M. Lafoutaine, the prime minister.
576 CONSTITUTION KT PUISSANCE MlUTAlBliS
Nous n'insisteroDs pas plus longuement sur les périls
qui peuvent nattre d'une situation ainsi définie. Au
reste, répétons-le, les Anglais ne se font aucune illu-
sion sur la fragilité des liens qui rattachent le Canada,
— (ou du moins, la partie la plus importante da
Canada) à la métropole (i), et sur le d^ré de sympa-
thie que leur gouvernement y rencontre. Cet aveu se
fait jour dans toutes les publications anglaises dont
cette importante colonie est le sujet,
«Nous pouvons souhaiter, disait tout récemment
l'auteur d'un projet sur La défense du Canada; —
nous pouvons souhaiter que les choses soient autrement,
mais, en réalité, tout prouve que le désir des Canadiens
de continuer à appartenir à l'Angleterre est infiniment
moins vif que celui que nous éprouvons de les con-
server (2). »
Plus loin, le même écrivain s'exprime encore ainsi
au sujet des dispositions de la population :
« Jusqu'ici le Canada s'est insurgé contre l'Angle-
terre sans avoir, à proprement parler, de sérieux
griefs contre son gouvernement; s'il se montre calme
aujourd'hui, tout porte a penser que c'est uniquement
(1) Le bas Canada ou le Canada français comprend remboucbare
du Saint-Laurent; le commandement de cette grande artère fluviale
entraîne forcément celui de tout le pays qu'il arrose; du jour où ce
oommandement viendrait à lui échapper, TAngleterre pourrait con-
sidérer le Canada cx)mme perdu.
(2) « We may yi'ish to thinck it is not so, but ail the foct of
the case go to prove it, that our msh to keep the Canadians ïs far
stronger and more active tfaan their wish to be relained. • The de-
fenceof Canada.
DB LA FRANCE ET DE L^ANGLBTERRG. 577
faule d'une occasion pour s'en débarrasser, et surtout
d'en trouver un meilleur (t). »
Tels sont donc , de l'avis d'un écrivain anglais, les
véritables sentiments des Canadiens français, c'est-à-
dire d'une population qui comprend, à elle seule, les
quatre cinquièmes des habitants du Canada inférieur :
soit plus d'un million d'âmes ("2).
Nous ne pouvions, au point de vue de Téventualité
d'une guerre entre la France et l'Angleterre, — éven -
tualité peu probable grâce à Dieu ! et dont la sagesse
des gouvernements, il faut l'espérer, sauvera les deux
nations, autant dans leur intérêt réciproque, que dans
l'intérêt général do la civilisation ; — nous ne pouvions,
disons-nous, au point de vue militaire, et au cas d'une
rupture entre la France et l'Angleterre, ne pas entrer
dans quelques détails sur une situation de nature à ai-
der à un aussi haut degré l'action que la première de
ces puissances pourrait être amenée à exercer en Amé-
rique.
En résumé, depuis l'insurrection française de 1837,
il n'y a jamais eu de rapprochement sincère entre les
deux races qui occupent le Canada, et, depuis quelques
(1) «Canada has turned upon us before now under no very grie-
vous amount of provocations, and Ihere is some fair ground for
thlnking that if she is satisfied at last, it is only because there is
no change just now that she could possibly make, which would be
for the belter. »
(2) D'après ie dernier recensement de 1861, la population du Ca-
nada est de 2,566,755 âmes, et se divise de la façon suivante : Fran-
çais, 1,037,777; Anglais, 880,607; Irlandais émigrés. 'ii!il,/i23;
Américains, 64>3<.)9; Allemands, 23,855.
37
578 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIEES
années surtout, ii semble que Tantique et inébranlable
affection des colons français pour leur ancienne patrie,
se soit réveillée plus vive que jamais. C'est encore à
un auteur anglais , ainsi que nous le faisons toujours
lorsqu'il s'agit de ces questions délicates , c'est à une
étude intitulée : « Military po$iUon of Canada, n que
nous empruntons les lignes suivantes (1) :
« Les Français du Canada peuvent crier : Vive la
)> Reine! du bout des lèvres ; mais, au fond de leurs
» cœuis, c'est le cri de : Vive TEmpereur! qui résoDoe.
x> Au ton de la presse française dans la colonie, à h
» façon dont elle s'exprime en parlant de Napoléon ni,
» on serait tenté de croire que le Canada est rentré
» sous les lois de la France. Cette presse est certaine-
» ment beaucoup plus hostile et beaucoup plus violente
n à regard de TAngleterre que ne l'est la presse fran-
» çaise elle-même
» Les Français du Canada le déclarent très haut : si
» une armée française venait jamais à débarquer sur
» leur territoire, il ne faudrait pas compter sur eux
x> pour la combattre, etc., etc. »
(1) « Al ihis moment, if we may judge frora the Eogiisb fn-
> formaiions, Iheir lips may say : « God save the Queea », but Uieir
» hearls respond ; « Vive TEmpt-reur ». In fact, we are lold thaï ihe
9 Ficnch press in Canada write and formally speak of Napoléon lU,
» exaclly as if ihe province were aiready under his ruie. The looe of
» that press is just as hostile lo England, and infinitely more per-
» sisteot in ils séditions virulence than ihe papersof France itseif.
«TheFrench Canadians theniselves déclare, thaï if a French army
9 was 10 land iu Canada, they would not tighl against them
{Military positipn of Canada, 1860.)
DS LA rRANGB £t Dfi L*ANGLETBftR£. 579
11 nous reste à envisager la situation du Canada, et,
en général, de toutes les possessions anglaises de l'Ame-
rique du Nord, au point de vue de leur voisinage avec
les États-Unis et des dispositions de cette république à
regard de l'Angleterre. De ce côté, bien plus encore
qu'en ce qui regarde l'état intérieur de ces colonies,
rhorizou est chargé d'orages.
Depuis un demi-siècle, la rivalité des Anglais et des
Américains, n'a cessé de se dessiner chaque jour da-
vantage, soit dans les questions qui se sont agitées
t^ntre les deux peuples, soit sur les divers points du
globe où ils se sont trouvés en contact. Pendant cette
longue période, sous le prétexte spécieux de leur com-
munauté d'origine, les Anglais ont toujours affiecté de
traiter leurs cousins comme des enfants terribles à
regard desquels il fallait se montrer indulgent. Nous
avons déjà dit la rare patience avec laquelle ils avaient
supporté leur arrogance à propos du droit de visite et
leurs prétentions souvent extravagantes dans les diffé-
rentes affaires de VOrégon, de Greytown, de l'île de
Vancouver, etc., etc. Tout le secret de cette longani-
mité était dans la question si palpitante aujourd'hui
du « coton » . Tributaire de l'Amérique pour ce pro-
uuit indispensable à son industrie, l'Angleterre sentait
qu'une guerre, ou même la simple interruption de ses
relations commerciales avec les États-Unis, serait la
plus rude des épreuves pour sa fabrication. Cette con-
sidération, trop puissante pour ne pas imposer silence
à ses ressentiments, n'était nullement de nature à les
rendre moins profonds.
580 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
A part donc le trouble sérieux résultant, pour ses
districts manufacturiers, de la guerre civile et du
blocus des ports des États du Sud, la sécession,
c'est-à-dire le partage et Taffaiblissement de TUnion
américaine, ne pouvait être accueillie qu'avec satis-
faction en Angleterre. Fort peu soucieuse de se met-
tre en contradiction flagrante avec ses principes le
plus hautement proclamés , la patrie des Wilber-
force, des Brougham, etc., ne s est pas donné la peine
de dissimuler ses sympathies pour la cause des esclava*
gistes. L'animosité des Ëtats du Nord s'en est accrue
d'autant.
Lorsque l'affaire du San-Jacinto s'est présentée,
l'Angleterre a cru saisir enfin l'occasion si longtemps
attendue, de régler tous ses comptes avec les États-
Unis. Les circonstances ne pouvaient être meilleures.
Affaiblie par ses dissensions intestines, la grande répu-
blique n'était plus capable d'accepter, ou tout au moins
de supporter le poids d'une guerre extérieure. C'était
bien le moment, pour l'Angleterre, de liquider tous ses
anciens griefs; à aucune époque elle ne pouvait espérer
le faire à aussi bon marché. Malheureusement pour les
rancunes britanniques, les Américains se sont rendu
un compte trop exact de leur situation. Malgré la joie
frénétique qu'avait causée à New-York la capture des
commissaires du Sud ^ malgré les difficultés que l'on
devait rencontrer pour amener l'opinion publique à
renoncer à ce triomphe, le gouvernement des Etats du
Nord s'est décidé, sans hésitation , à les restituer. En
DE LA FRANCE ET DE L*AN6LETERBE. 581
cela les Américains ont prouvé qu'ils avaient conservé
une bonne dose de ce bon sens pratique qui a toujours
distingué leurs adversaires.
En souscrivant aux demandes de TAngleterre, non-
seulement les Américains ont conjuré un grand dan-
ger, mais ils n'ont fait qu'appliquer les doctrines qu'ils
ont constamment professées, et ils en ont assuré le
triomphe.
En effet, quel avait été le point de départ de la
guerre de 1812?
A cette époque, les Américains se trouvaient exacte-
ment, vis-à-vis de l'Angleterre, dans la situation inverse
de celle où les a placés l'affaire du Treni, Leurs protes-
tations, relativement au droit des belligérants, étaient
identiquement les mômes que celles soulevées en An-
gleterre, par la conduite du capitaine commandant le
San-Jacinio. Pour s'en convaincre, il suffit de se re-
porter au préambule du message adressé aux deux
chambres du Congrès américain, le 1" juin 1812, par
le président Madison. C'est cet acte qui a servi de base
à la déclaration de guerre.
« Les croiseurs anglais, est-il dit dans ce message,
sont dans l'habitude constante de violer le pavillon
américain sur les hautes mers, propriété commune de
toutes les nations. Ces croiseurs saisissent et retiennent
les personnes naviguant à l'abri de ce pavillon, non pas
en conséquence d'un privilège fondé sur le droit des
gens, et reconnu à tout belligérant contre ses ennemis,
mais bien sous le prétexte inadmissible d'une sorte de
583 CONSTITUTION ET PUISSAlfCB HIUrrAIBBS
droit national ou municipal exercé à l'égard des sujets
anglais (1). »
Dans la solution donnée à l'affaire du Treni, la sa-
tisfaction d'aniour-propre a été pour l'Angleterre; le
triomphe véritable est, de toutes les manières, pour les
Etats-Unis et pour la liberté des mers. On ne s'y esl
pas trompé chez nos voisins. Au début du oonflil, od
pouvait croire que l'Angleterre ne désirait pas la
guerre ; cependant, si étrange que puisse paraître une
semblable assertion appliquée à une nation civilisée, U
solution qui a enlevé tout prétexte aux hostilités a été
une véritable déception. Au lieu de cette joie immense
à laquelle on devait s'attendre de l'autre côté du dé-
troit , le sentiment qui a dominé a été le regret de voir
l'occasion perdue de faire payer aux Etats-Unis leurs
outrages passés. Ce regret n'était pas de nature à
adoucir la blessure infligée à ror^rneil national des
Américains, et il s'est manifesté de trop de façons pour
qu'on puisse douter des sentiments de haine et des
désirs de vengeance qu'il a allumés dans leur coeur.
L'animosité est tellement profonde aujourd'hui entre
les deux peuples qu'il semble bien difficile quelle ne
les conduise pas à une guerre. Les dissensions inté-
rieures apaisées, la paix nous semble (Vantant plus pro*
(1) «BriUsh cruisers hâve been in conllnued praclîce of vtolatinf
the americao Sag on tbe great htghway of nations, and of seizing
and carrying off persons sailing under it; not in tbe exercise of a
belligerent righl, founded on ihe law of nations, againslan enemy,
but of a municipal prérogative ovor british subjtTts..., etc. » {Mes-
sage du président Madison au Congrès de 1812.)
DB LÀ PfiANGE ET DE l' ANGLETERRE. 581)
blématique entre les Anglais et les Américains, que
ceux-ci auront pour appuyer leur rancune, une armée
nombreuse, aguerrie, telle qu'ils n'en ont jamais eue,
et à laquelle il faudra donner une occupation d'une
façon ou d'une autre. Que les Etats du Nord et du Sud
se réunissent de nouveau, ou qu'ils forment deux con-
fédérations distinctes, la conclusion nécessaire nous
semble toujours la même. Dans le premier cas, la
guerre avec l'Angleterre pour cimenter l'union; dans
le second, la guerre avec T Angleterre pour obtenir,
du côté du nord, des compensations aux pertes éprou-
vées dans le sud.
Quelle doit donc être, en réalité, à l'heure qu'il est,
la préoccupation générale à l'endroit de la guerre
d'Amérique? Est-ce l'issue du conflit qui semble se des
«iner chaque jour davantage en faveur des abolitio-
nistes? Nullement; mais chacun se demande évidem
ment quel sera l'état intérieur des États-Unis une fois
cette guerre terminée. Les nations dont les intérêts
commerciaux sont mêlés à ceux de cette république,
r Angleterre surtout, qui touche à ses frontières par
l'une de ses plus importantes colonies, doivent attendre
avec anxiété ce que va devenir ce million de volontaires
déshabitués du travail et des occupations d'une vie
régulière. L'invasion du Canada, comme effluve aux
passions, aux véhémences de cette multitude armée,
ou des désordres intérieurs dont on ne saurait prédire
l'étendue ni le terme, tel est le bilan de la guerre
civile américaine.
Entre ces deux alternatives le choix ne saurait être
58&. CONSTITUTION ET PUISSANCE MlUTAIEBS
douteux. L'annexion du Canada devra paraître d'au-
tant plus séduisante, que ses vastes territoires encore
vides de colons, se prêtent merveilleusement à rétablis-
sement de cette foule de gens sans feu ni lieu, dont
regorgent aujourd'hui les États-Unis. Cette annexioo
offrira le double avantage de récompenser ces bandes
voyageuses dont le Congrès a réclamé les services, et
de débarrasser de leur présence le territoire de la ré-
publique.
Dans quelles conditions se trouve TÂngleterre pour
faire face à une pareille éventualité? Il y a un demi-
siècle, la conquête du Canada a pu être une entreprise
trop lourde pour l'Union ; mais la guerre qui se poursuit
aujourd'hui prouve assez que ses forces sont centu-
plées. À l'aide des chemins de fer qui se dirigent vers
le nord, les mouvements, les concentrations de troupes,
qui exigeaient des semaines et des mois en 1812, ne
demanderont plus que des heures aujourd'hui.
Si les Américains choisissent bien leur moment, ils
peuvent éviler les engagements maritimes (1), et se
(1) n est évident que la marine américaine n*est pas en état de
luUer contre les flottes anglaises. Toutefois, les courses aventu-
reuses du Nashville ont montré récemment que les marins des
Ëlats-Unis avaient encore aujourd'hui toute Taudace qui di.stiogua
leurs père^dans la guerre de 1812. Les affaires du Merrimac et du
Moniior prouvent que, dans des engagements de vaisseau à vaisseau,
ce ne sont point des adversaires à dédaigner. En 181*^, tous les com-
bats de ce genre, à part celui des frégates le Shannon (anglaise) et
la Chesapeake (américaine), se tern^inëront sans eaxeption à J'avau*
tage des Américains. Voici la liste de ces duels maritimes, dont Ter-
gueil britannique n'eut pas moins à souffrir que la marine anglaise,
mais dont le retentissement fut étouffé par le bruit de la chute du
DE LA FRANGE ET DE L ANGLETERRE. 585
rendre maîtres du Canada, avant que les renforts de
la métropole aient le temps d'arriver. Le mois de no-
premier empire français : combat du vaisseau américain le Prési-
dent, de Uà. contre le Belvéder, frégate anglaise de 36 ; le Belvéder
rentre désemparé à Halifax; — combat de l'£«5ex (américain)»
de2à, contre V Alerte (anglais), de 16; au bout d'un quart d'heure
V Alerte coulait avec 7 pieds d'eau dans sa cale ; — combat de la
frégate anglaise la Guerrière avec la frégate américaine de même
force /a Constitution; la première amène son pavillon après uo
combats! acharné, et tellement désemparée que les Américains sont
obligés de la faire sauter : le capitaine Hull de la Constitution reçoit
50,000 dollars pour cette victoire; — combat du brick anglais le
Frolic, de 18, et du brick américain le Wasp, de 16; le brick anglais
est pris à l'abordage, n'ayant plus sur pied de tout son équipageque
l'homme au gouvernail et deux officiers dangereusement blessés;
— combat de la frégate américaine United States, de Zi/i, contre la
frégate ur\gh\se Macedonia, de 38 ; cette dernière amène son pavile
Ion après deux heures de lutte; — combat de la frt^ate américaine
Constitution contre la frégate anglaise le Java, de 38 ; cette dernière
est prise à la suite d'un combat tellement acharné que les Améri-
cains sont obligés de l'abandonner et de l'incendier en pleine mer,
après avoir recueilli l'équipage; — combat des bricks le Boxer
(anglais), de l/i, et de V Entreprise (américain), de même force; les
deux capitaines sont tués dans cette afTaire qui se termine par la
prise du Boxer.
En revanche, malgré son résultat final à l'avantage des Améri-
cains, la guerre sur terre, en 1812, fut peu glorieuse pour les États-
Unis. Dans le nord, leur campagne ne fut pas brillante, à l'excep-
tion des affaires du fort Erié et de Chippewa. Au centre et dans le
sud, ils se montrèrent également inférieurs aux Anglais, si ce n'est,
toutefois, à la Nouvelle-Orléans où ces derniers furent complète-
ment battus. Nous l'avons déjà dit, il ne faudrait pas juger d'une
campagne future par les résultats de la guerre de 1812. A cette
époque, les Américains n'avait*nt pour ainsi dire pas d*armée,
tandis que les troupes anglaises, qui venaient de faire les campagnes
de la Péninsule, étaient excellentes.
586 CONSTITUTION BT PUIBSAMOK MILITAmiS
vembre, pendant lequel les glaces ferment le Sainte-
Laurent, Fera nécessairement choisi par les Ëtats-Unît
pour Touverlure des hostilités ; et celle date devient
désormais pour les Anglais une épée de Damoclès à
laquelle ils ne peuvent se soustraire. Que pourraient
faire les dix ou douze mille hommes qui défendent
actuellement le Canada, contre une invasion de cent
mille Américains? Or, cette toute petite armée de
douze mille hommes, ce n'est qu'aux dépens desforcM
déjà insuffisantes pour la protection de la métropole
que nos voisins ont pu la constituer.
Comment ne tremblerait-on pas en Angleterre, lors.
qu'on songe à ce qui aurait pu arriver si, un arrange-
ment intervenant entre le Nord et le Sud, les Améri-
cains avaient accepté la guerre comme solution de Taf-
faire du Trenl? Au 1 " janvier 1861 , toute la garnison
du Canada, «n troupes régulières, se réduisait » un
seul bataillon du 17" de ligne, et à quelques détache-
ments d'artillerie et du génie. Quel aurait été le sort
de cette magnifique possession si les Américains
s'étaient seulement contentés de la faire envahir par
les 60,000 Irlandais qui comptent dans Tarmée des
États du Nord?
Nous avons dit que la garnison actuelle du Canada
était de 12000 hommes environ (1). C'est 40,000
(i) n y a, à rheure ^u'il est, 15 bataiUons dont 2 do train dans
rAmérique anglaise, sans compter rartiUerieet le génie. Celte foroe
est ainsi répartie au Canada : 1° grenadiersguards«scolfi fusil giiards,
16% i^' bis, 17% !?• 6w, 30% 67% 60« (/i« baUilkin), 63% rifle
brigade (i*' bataillon); 2* à la NouveMe - Éc06se : 6:l«; 3<* avx
Bermudes : 39*.
Dl LÀ VRANCB ET DE l' ANGLETERRE. 5S7
hommes qu'il faudrait y tenir en tout temps si Ton
voulait être prêt pour les éventualités qui peuvent 8ur-«
gir d'un moment à l'autre.
En résumé, il faut céder à Tévidence : le Canada,
dans les circonstances actuelles, est devenu une Inde
américaine dont la protection menace d'exiger lea
mêmes sacrifices que Tlnde asiatique. Nous n'avona
pas parlé des milices du Canada. On sait l'opinion que
nous avons de ce genre de troupes ; cependant nos
voisins en sont arrivés aujourd'hui à reconnaître que la
défense de l'Amérique anglaise ne peut plus reposer
que sur la population de cette colonie. Il est vrai que,
tout en convenant des sympathies de cette population
pour la France, les Anglais affectent de la croire dis-
posée à repousser toute fusion avec les États-Unis. Ceci
est plus possible que certain. Il ne manque pasdegens,
même en Angleterre, qui se demandent jusqu'à quel
point on pourrait compter sur une défense bien éner-
gique de la part d'une population dont tous les inté-
rêts matériels réclament le maintien de la paix avec
ses voisins (1).
Il ne nous reste plus, pour terminer notre dernière
étape à travers les possessions extérieures de l'Angle-
terre, qu'à dire un mot de l'Australie. Sauf notre éta-^
(1) «Canada can ooly be hdd wîth the help of the populaUon,
» which is not, Indeed, very united, as the French are$ighing for
9 their old rulers; but ail would rise against a Yankee invasion...,.
» Men moreover, will nol fight very strenuousiy or with much
» obslinacy for a mère sentiment, when ail the material interest are
» na the side of peace and quietness. » (TKedefenceof Canada.)
588 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
blissemeiit de la Nouvelle-Calédonie, on peut dire que
celte cinquième partie du monde appartient exdusi-
vement à nos voisins. Longtemps encore, TAustralie
pourra servir de théâtre à ces aptitudes, à ces facultés
exceptionnelles qui distinguent la race anglo-saxonDC
parmi les peuples colonisateurs. Un jour viendra ce-
pendant où son œuvre sera accomplie. Lorsque la civi-
lisation aura pénétré l'Australie en tout sens^ lorsque
avec la rapidité d'allures, avec l'énergie et l'activité
qui sont le partage des jeunes nations, la population
australienne aura pris dans le monde une place en rap-
port avec celle que son territoire tient sur la carte,
l'Australie, comme à une autre époque les États-Unis,
se séparera forcément de l'Angleterre. Malgré la pros-
périté toujours croissante, presque fabuleuse, des co-
lonies australes, le jour où elles pourront marchersans
lisières est encore éloigné ; mais lorsqu'il arrivera, il
est évident que la Tasmanie et la Nouvelle-Zélande sui-
vront le sort de l'Australie. En ce qui regarde particu-
lièrement cette dernière colonie, l'Angleterre ne nous
semble pas avoir à lutter contre de bien grandes diffi-
cultés locales. Son occupation est déjà solidement assise
sur toute la côte du continent australien. Pour repous-
ser les agressions des indigènes, et pour la police du
pays, il suffirait que les villes consentissent à lever et à
solder les troupes indispensables. C'est à quoi, il faut
bien le dire, elles se sont refusées jusqu'ici. La légis-
lature australienne prétend ne pouvoir se passer de
troupes de ligne de la mère patrie. Interrogé à ce sujet,
Queensland a signalé les dangers qu'offrirait le carac-
DB LA FËANCfi ET DE L*AN6LETERBE. 589
tëre turbulent et indiscipliDé de sa population si on
l'employait à un service militaire régulier et perma-
nent. Cependant, à Queensland même, la nécessité
d'une force de ce genre devrait être acceptée avec
d'autant plus de résignation que, naguère encorn, les
journaux anglais (1 ) enregistraient le massacre de dix-
huit colons européens par les aborigènes de cette
partie de T Australie.
Si certains établissements de l'Australie proprement
dite ne jouissent encore que d'une sécurité relative,
on peut dire que la Nouvelle-Zélande n'en offre abso-
lument aucune. Lord Palmerston invoquait dernière-
ment la guerre dont ce pays est le théâtre, comme l'une
des causes importantes de Taugmention des dépenses
militaires. C'est qu'en eflfet, dans ces deux îles, qui
seraient à peine connues en France, sans la tentative
infructueuse que nous avons faite pour nous y établir
il y a vingt ans, tentative qui a échoué, grâce à l'inces-
sante rivalité des Anglais, ceux-ci sont obligés d'en-
tretenir, à rheure qu'il est, une armée de sept mille
hommes (2).
Découverte par Tasman en 1642, la Nouvelle-
(i) MorningChronicle de janvier 1862.
(2) On a souvent reproché au gouvernement de Juillet ia faiblesse
qu'il a montrée, en n'obligeant pas l'Angleterre à respecter le con-
trat passé entre le capitaine Langlois et les chefs de la presqu'île
de Banks. En réalité, lorsque VAube (navire de l'Etat dont on avait
cbangé le nom officiel pour celte expédiUon) se présenta devant le
port d'Akoroa, l'Angleterre était fondée à réclamer le droit de prio-
rité qu'elle a fait valoir. Par le traité de Watangay, conclu par le
capitiiiue Hobson au nom de TAngletcrre, les chefs indigènes signa-
600 CONSTITUTION ET PUISSANCE MlUTAlHES
Zélande n'avait été, jusqu'en 1825, l'objet d'aucun
eftsai de colonisation. Quelques missionnaires Anglais,
Venus de Sydney, l'avaient seuls visitée. En 1820, une
compagnie, dont Lord Durban était le chef, tenta de
s'établir dans l'île la plus au nord. C'est de cette époque
que datent tous les différents qui ont amené la guerre
entre les New-Zélandais et nos voisins. Aux termes
d'une convention conclue par l'intermédiaire des mis-
sionnaires, treize chefs indépendants réunis en confé-
dération, avaient été reconnus propriétaires, sous le
protectorat de T Angleterre, de toutes les terres culti-
vables. Plus tard, lorsqu'on voulut coloniser, il fallut
ioheter ces terres aux indigènes. On comprend que
dans un pays oii la propriété est constituée d'une ma-
nière aussi imparfaite, etoii elle change sans c^ssede
mains par suite de^s guerres que se font entre elles les
tribus, de pareilles transactions devaient être une
source de querelles continuelles. C'est cequi est en effet
arrivé depuis le traité de Watangay, par lequel nos
voisins avaient cru s'assurer la paisible souverdineté de
la Nouvelle-Zélande.
Si ce n'est pendant l'administration de lord Grey,
dont nous avons indiqué, dans un chapitre précédent,
les tentatives de colonisation à l'aide des pension-
Uires avaient reconnu la souveraineié de la reine sur les deax Iles
de la Nouvelle-Zélande, sous la condition d'une protection garantie
à leurs possessions.
n y eut surtout dans cette affaire autant d'activité et d*babileté
du côté des agents anglais que de lenteur et de maladreiM do o6té
des agents frauçals.
Dfi LA FRANCE ET DE L^AICGLEtËRftË. 59i
naires, les Maoris n'ont jamais cessé d'être en rébellion
ou en guerre ouverte avec les Anglais. D'un caractère
belliqueux et tenace, bien munis d'armes anglaises,
instruits par des déserteurs européens, les indigènes de
la Nouvelle-Zélande sont loin d'être des adversaires
méprisables. Dans plusieurs circonstances, ils ont fait
éprouver des perles sensibles à nos voisins, notamment
sous l'administration du gouverneur Fitz-roy. A Kora-
reka le colonel Hulme a été battu par un chef indigène
nommé Hone Heke, et les détachements du 99"^ et du
58*^ ont été fort maltraités. Plus tard, malgré les ren-
forts et l'artillerie amenés d'Australie par le colonel
Despard, la colonne anglaise a perdu la moitié de son
monde, sans pouvoir déloger les Zélandais de leurs
positions.
Le gouverneur M. Fifz-roy ayant été remplacé sur
ces entrefaites par le capitaine Grey, une colonne de
1 600 hommes, la plus forte que les Anglais eussent
encore mise en ligne, a été dirigée contre la position
{pah) (1) fortifiée de Ruapekapeka dans laquelle Hone
Heke s'était retiré après la défaite des colonels Hulme
et Despard. Les Maoris ne comptaient que 500 hommes.
Telle était cependant la perte du prestige des armes
anglaises, que Hone Heke et Kawiti, les deux chefs qui
dirigeaient les Zélandais, n'ont pas craint d'affronter
des forces triples des leurs et soutenues par six pièces
d'artillerie.
(1) Pah, on nomme ainsi des enceintes palissadées derrière les-
quelles se retranclieni les Zélandais, et d'une force telle, que le
canon peut k peine les renverser.
59â GONSTITOTION ET PUISSANCE MlUTAlEES
Dans la dernière campagne, Taudace des Maoris, [oio
de diminuer, semble avoir élé en augmentant. La tac-
tique du major-général Pratt n'a pas eu plus de succès
que celle de ses devanciers. La nature du pays, ses
montagnes inaccessibles, ses forêts impénétrables dé-
jouent tous les calculs. On a vu une bande de Zélandais
tenir eu échec i ,300 Européens et six vaisseaux de
guerre. Le général Pratt a été réduit à battre en retraite,
à Waitara, devant une poignée de Maoris.
Pour en finir avec une rébellion aussi tenace, les
Anglais en 1801-1862 ont été obligés de lui opposer
une véritable armée. Il n'a pas fallu moins de six régi-
ments d'infanterie (12% 14% 40% 57% 65% 70'), sans
compter les détachements d'artillerie et de marine, —
7,000 hommes en tout; — pour dominer la résistance
des Zélandais. Pour le moment ils sont tranquilles, et
semblent attendre que nos voisins fassent les premières
ouvertures. Le traité du gouverneur colonel Browne
n'a réglé, en effet, d'une façon bien nette, aucune des
questions en litige^ En résumé, l'opinion qui prévaut
en Angleterre, c'est qu'après avoir dépensé beaucoup
de sang et d'argent dans la Nouvelle-Zélande, malgré
l'heureuse situation et les richesses naturelles de cette
colonie, la civilisation et la tranquillité n'y semblent
pas plus avancées qu'il y a vingt-cinq ans (1).
Dans la première partie de cette Etude, nous avons
examiné successivement l'organisation et la composi-
(1) « New Zeland has not only cost a great deal of money but also
much blood, and il Is doubtful wheiher we are mudi nearer a dvi-
DE LA FRANCE ET DE l'aNGLETEREE. 593
tion de Tannée anglaise, en tant que cadres el effectifs.
Nous avons présenté ensuite au lecteur la distribution
de cette armée entre les différentes parties de Tempire
britannique.
Enfin nous venons d'envisager cet empire dans son
ensemble et dans ses différentes parties, afin de nous
rendre compte des difficultés de leur protection et des
dangers qui peuvent les menacer.
Nous connaissons maintenant la tâche qui incombe
à Tarmée anglaise, comme nous connaissons la force
de cette armée. Il nous reste à établir jusqu'à quel
point l'une est à la hauteur de Tautre.
Ce sera la conclusion de celte première Étude.
CONCLUSION.
Si nous traduisons en chiffres les différentes considé-
rations dans lesquelles nous sommes entré relativement
aux possessions extérieures de l'Angleterre, nous arri-
vons aux conclusions suivantes: V Au lieu des 80,000
hommes, minimum des troupes européennes reconnu
nécessaire par la Commission d*enquête pour assurer
la sécurité de rinde, il n'y a en Asie que 66,000 hommes
lised and quiet setUement there than we were 25 years ago.»(U. S. M.)
«The Maoris were quiet evidcnUy awaiting the government to
naake the firsl overtures. »
On peut consulter relaUvement à la Nouvelle-Zélande et aux
régions qui avoisinent notre intéressant établissement de la Nou-
velle-Calédonie, Touvrage intitulé: Story of New Zealand, by
D' Ârtbur S. Thomson.
38
694 CONSTITUTION ET PUtSSANGB mUTAIUBS
environ. — 3^ Le Canada n'a qu'une garnison de 1 2,000
hommes, au lieu de /iO,000 qui seraient nécessaires
pour parer aux éventualités dont cette colonie est me-
nacée du côté des États-Unis. — 3" Le Cap n'a que
5,000 hommes, c'est-à-dire à peine la moitié de ce qui
serait indispensable au cas d'une nouvelle levée de bou*
cliers de la part des Caffres. — 4*^ Les colonies de la
côte d'Afrique sont dans une situation phis que précaire
par suite de l'insuflBsance de leur garnison. — 5* 1^5
Indes occidentales (Honduras, Antilles, Guyane, etc.)
serraient exposées aux insultes du premier croiseur
venu en cas de guerre avec les États-Unis. — 6* Le
corps d'armée réuni dans la Nouvelle-Zélande n'a pu
être formé qu'aux dépens de la majeure pailie des
garnisons de l'Australie ; à l'heure qu'il est, celle-ci est
entièrement abandonnée à elle-même. — ?• Enfin, il
n'est pas jusqu'aux postes militaires de la Méditerra-
née dont les garnisons n'aient été réduites à un chiffre
bien inférieur à celui que commanderait la prudence
dans l'état actuel de l'Europe, et surtout dans la prévi-
sion des événements qui peuvent surgir d'un instant à
l'autre au Maroc, en Italie, en Syrie, dans le Monténé-
gro, en Grèce, en Turquie, etc., etc.
Examinons maintenant quelle portion de son armée
l'Angleterre consacre à cette imparfaite protection de
ses possessions extérieures.
Par suite de l'abolition du gouvernement de la Com*
pagnie des Indes, les troupes européennes au service
de celle Compagnie ont été versées récemment dans
l'armée de la Reine. Il résulte de ceU^ augmentation
DB LA FRANGE ET DE l' ANGLETERRE. 596
que l'armée anglaise, pour 186-2, comprend : 4 bri-
gades d'artillerie à cheval ; — 10 brigades d'artillerie
de campagne ou de place ; — 3 régiments de cavalerie
et 9 régiments d'infanterie de plus qu'en 1861 . (Voir
au chapitre Xl\ la situation de l'armée anglaise pour
1861.)
Ces nouveaux corps continuent à faire partie de
l'armée indienne. Ils ont pris rang sur TArray-List à la
suite des autres corps de leur arme.
Sur les 5 brigades d'artillerie à cheval que com-
prend actuellement Tarmée anglaise, les k dernières,
plus 4 batteries de la première, sont dans l'Inde. — Sur
les 25 brigades d'artillerie de campagne et de place,
19 sont employées dans l'Inde ou dans les colonies.
Nous avons vu qu'on devait évaluer de 15 à 16,000
hommes l'effectif de Tartillerie tenant garnison dans la
métropole. Si de cet effectif on défalque les trois bri-
gades d'artillerie de place, le dépôt des recrues pour
les brigades servant à l'extérieur, la brigade d'artillerie
de côtes, etc., etc. ; si l'on tient compte des nombreux
renforts envoyés récemment au Canada (1 ), en évaluant
à 10,000 hommes et à 100 pièces attelées l'artillerie
de bataille que nos voisins pourraient mettre en ligne,
(i) La U^ brigade d'artillerie de campagne (field-<irtUUry)^ doQ
le quartier généial esta Woolwich, a dû détacher deux de ses bat-
teries, la 3* et la A*", à la Nouvel le-Zélaude el au Canada. La bat-
terie de canons Ârmsirong (7 officiers, 256 hommes), embarquée
le 43 décembre 1861 à Liverpool pour TAmérique du Nord, est
également à défalquer de Tartillerie de la métropole.
l>a 13*" brigade, dont l*état-major est aussi à Woolwich et qui
revient de Bombay, a encore plusieurs de ses batteries à Textérieur.
596 CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
on reste plutôt au-dessus qu'au-dessous de la réalité.
Eu ce qui regarde la cavalerie, sur les M r^ments,
Garde comprise, de rarmée anglaise, on en conapte 1 1
dans rinde et 20 à Tintérieur. En évaluant à 500 che-
vaux disponibles l'effectif de ces deniiers, on a un
total de 10,000 sabres.
L'infanterie anglaise comprend aujourd'hui : 3 r^-
ments de la Garde, donnant 7 bataillons; — 109 régi-
ments de ligne, dont 1 à quatre bataillons et 25 à deux
bataillons; — enfin, la brigade de tirailleurs à quatre
bataillons. Total : cent quarante-huit bataillons (1).
Sur ces US bataillons, 107 sont employés dans
rinde ou dans les autres colonies. Il reste donc qua-
rante et un bataillons pour la garnison de la métropole.
A cette force, il conviendrait d'ajouter, il est vrai, les
dépôts de tous les régiments qui servent à l'extérieur,
mais il ne faut pas perdre de vue que ces dépôts se
composent presque exclusivement des hommes ma-
lingres ou usés {worn out), renvoyés en Angleterre
comme ne pouvant plus servir, et des recrues dont le
dressage n'est pas terminé et qui ne peuvent encore
entrer en ligne.
Ce n'est pas tout : dans l'armée anglaise, comme
dans toutes les armées du monde, il faut tenir compte
des non-valeurs qui rendent Tefiectif de bataille si dif-
férent de l'effectif sur le papier. Il faut faire une part
d'autant plus large à l'hôpital que tous les officiers
de l'armée anglaise, sans exception, se plaignent au-
(1) Les 25 premiers numéros des régiments dlnfanterie comptent
2 baUiUons, et Ie60« en comprend ii.
DE LA FBANCE ET DE l' ANGLETERRE. 597
jourd'bui de la qualité des hommes fournis par l'enrô-
lement volontaire. Depuis les pertes énormes que l'ar-
mée britannique a éprouvées tant en Crimée que pen-
dant rinsurrection indienne, le nombre des jeunes
soldats au-dessous de vingt ans s'est accru outre mesure
dans ses rangs. Tous les militaires expérimentés savent
ce que valent des soldats de cet âge. D'un autre côté,
la misère, la famine, la débauche, Tivrognerie, sont
devenues les véritables recruteurs de l'armée britanni-
que; tout homme assez fort, assez bien constitué pour
gagner sa vie, ne peut songer à s'enrôler, lorsqull sait
que la carrière militaire ne lui offre aucun avenir.
Il ne peut d'ailleurs être séduit par les avantages
pécuniaires du métier de soldat, puisque d'une part
la solde et la position de ce dernier ont à peine varié
depuis vingt-cinq ans, tandis que les salaires de l'ou-
vrier ont doublé et même triplé pendant la même
période.
Physiquement et moralement, le niveau de l'armée
anglaise a donc baissé considérablement depuis quel-
ques années. Les anciens soldats qui sont tombés eu
Crimée, en Perse, dans l'Inde, en Chine, etc. ; ceux
qui sont rentrés dans leurs foyers par suite de l'adoption
du service limité, sont remplacés aujourd'hui, pour
une grande partie, par de tout jeunes gens dont
la constitution n'est pas faite, ou par des vauriens
que l'inconduite et la paresse ont faits soldats. Les
premiers encombrent les hôpitaux, les autres déser-
tent. On se refuserait à le croire, si des documents
officiels ne venaient l'attester : pendant Tannée 1858,
598 CONSTITUTION ET PUISSANGB WLITAIRES
rarmée anglaise a compté jusqu'à vingt mille déêer-
leurs (1 ).
Pour peu que l'on tienne compte de ces difFérentes
considérations, on ne sera pas étonné, si les généraux
anglais les plus compétents évaluent à peine à
30,U00 hommes le chiffre de l'infanterie que rarmée
britannique pourrait mettre en ligne à rintérieur.
C'est à très peu près, en eiTet, ce que les Al bataillons
qui tiennent garnison dans le Royaume-Uni fourni-
raient de combattants effectifs.
En résumé: 10,000 hommes d'artillerie, 1C,000
nommes 'de cavalerie, 30,000 hommes d'infanterie
ajoutés aux quelques milliers de combattants que four-
niraient le génie, les marines, etc., donnent uo total
général de 60,000 hommes.
C'est précisément l'effectif que présentait l'armée de
la métropole, à Tépoque où le duc i!e Wellington écri-
vait au général Burgoyne cette lettre célèbre qui fut
comme le premier coup de tocsin sonné chez nos voi-
sins (i). Depuis cette époque (18*9), l'armée britanni-
que, il est vrai, a été considérablement augmentée :
malheureusement, si imparfaitement assurée que soit
encore la protection des colonies, c'est le service exté-
rieur qui se trouve absorber la tf)talité des accrois-
sements successifs que nous avons enregistrés au cha-
pitre XX.
A l'intérieur, la situation est la même qu'en 18&9.
(1) Voyez aux Blue Books le Rapport de la commission d'enquête^
du 29 mars 1859.
(2) Voyez la situaiion de Farmée anglaise pour Tannée 18^9, à
m LA t^ANGE ET 1)E l' ANGLETERRE. 599
Les opinions qui se sont produites à cette époque et
depuis, chez nos \oisins, conservent donc toute leur
valeur, en ce qui r^arde la défense du territoire an-
glais. Nous allons résumer les plus importantes.
Tout le monde est d'accord aujourd'hui, de l'autre
côté du détroit, pour reconnaître que la marine à va-
peur a bouleversé de fond en comble les anciennes
conditions défensives de T Angleterre. « S team has
annihilated Urne and space^ » la vapeur a annihilé le
temps et l'espace; — « Steam has bridged the chan-
YielyT» la vapeur a jeté un pont sur le détroit; — « îVe
no longer live in an island in a military sensé, » mili-
tairement parlant, nous ne vivons plus dans une lie.
— Tels sont les aveux qui échappent à tous les mili-
taires, à tous les marins anglais.
« lies remparts de bois ne sauveront plus l'Angle-
terre, s'écrie l'amiral Napier, depuis l'invention des
bateaux à vapeur et depuis la construction de cette
belle rade de Cherbourg, l'œil qui surveille, et le bras
qui doit frapper l'ancienne rivale de la France. »
Suivant le duc de Wellington : « Avec la niarine à
vapeur, il n'est pas un point des côtes du Royaume-Uni
abordable pour un vaisseau, qui ne soit exposé aujour-
d'hui, par tous les temps et par toutes les marées,
aux attaques de l'ennemi (1). »
la page S97 de Touvrage de sir Francis Head : The defenceless siate
ofGreat Britain.
(I) « This discovery immediately exposed ail parts of the coasLs
of tbese islaods, which a vessel could approach al ail, to be approa-
ched at allitimes of tide, and in ail seasons, by vessels so propelled,
600 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIHES
« La puissance de la vapeur, suivant sir Fran-
cis Head, a rasé la meilleure des fortifications du
Royaume-Uni; elle a comblé ce que Napoléon appe-
lait, ■ en grinçant des dents », sur les hauteurs d'Àm-
bleleuse, « le fossé de l'Angleterre (l). »
« L'adoption de la vapeur comme propulseur,
suivant le général Howard Douglas, a nécessairement
modifié et pour ainsi dire bouleversé toutes les ancien-
nes règles de la tactique navale ; ... cet agent doit éga-
liser la lutte, autrefois impossible, des marines secon*
daires contre \e% marines de premier ordre (2). b
Suivant le général Burgoyne : « Malgré la con-
fiance que tout marin anglais conserve dans la puissance
et l'efficacité de la flotte anglaise, il n'est pas un offi-
cier qui ne soit obligé d'arriver à cette triste conclusion,
qu'à moins d'un changement radical dans la manière
dont les affaires sont conduites en Angleterre, il serait
possible à la France de commencer la guerre avec une
supériorité navale décidée, — supériorité qu'elle pour-
rait conserver, sinon pendant des années, au moins
by aU quarters. > {Lettre du duc de Wellington au général Bur-
goyne, 9 janvier 1867.)
(\) «The power of steam, however, bas, no doubt, sofar leveHed
the Works of our fortress, that it bas couverted what Napoléon, as
on tbe heights of Ambleteuse he gnashed bis leetb at it, caUed « The
Ditscb of England » to an esplanade » {The defenceless statê of
Great Britctin, by sir Francis Head.)
(2) « Tbe introduction of steam, as a propeUing power for
sbips of war, will necessarily modify— and, loa great extent, over-
lurn, — tbe exisling taclics of war on tbe Océan. » {Tract on the
naval, the littoral, and the internai defence of England^ by général
sir Howard Douglas.)
DB LA FBANGE ET DE l'aNGLETEREE. 601
pendant des mois, soit dans la Manche, soit sur tout
autre point du globe (1). »
Nous pourrions ajouter aux opinions que nous
venons d'enregistrer, celles des amiraux Bowles et
EUiotl, celle plus explicite encore d'un amiral membre
de la chambre des lords, auteur d'une étude remar-
quable sur le sujet qui nous occupe ('2). Bornons-nous
à constater que tous les hommes spéciaux en Angle-
terre ( de même que sur le continent : MM. Lamarche,
Paixhans, Labrousse, Lagravière, etc., elc.) sont una-
nimes à reconnaître que :
l"" La vapeur a rendu moins nécessaires ces vais-
seaux à voile et ces marins dont l'Angleterre était une
ruche si féconde; 2*" la vapeur a rendu moins utiles
Texpérience et les habitudes navales qui faisaient la
supériorité des marins anglais; â"" la vapeur menace
l'Angleterre de mettre la marine à la portée de tout
gra^d peuple qui aura des soldats aguerris et des
finances prospères; k'' la vapeur a rendu impossible la
domination des mers; et ce que l'Angleterre a perdu
par l'introduction de cet agent, la France et les autres
nations continentales Font gagné.
Nous terminerons cet aperçu parles conclusions de la
commission d'enquête, nommée en Angleterre, à l'effet
d'examiner l'état de défense du Royaume-Uni. Dans
(1) Unless an essentially différent course is in due time
adopted and pursued, the French will enter upon a war with a
decided naval superiority », etc. (The military opinions, of gê-
nerai sir John Burgoyne.)
(2) Dur naval position and policy, by Naval Peer.
. 603 GONsrmrnoif et puissahcb nuTAiRBi
sou rapport, publié le 7 février i860, cette commis-
sioD reconnaît que la vapeur et d'autres causes ont
tourné au détriment de l'Angleterre, que la difficulté
i empêcher un débarquement est désormais très réelle,
enfin qu'il y a lieu d'examiner les moyens de défense
contre un ennemi débarqué (i). »
On ne pouvait déclarer d'une manière plus catégo-
rique et plus officielle, que le territoire de la Grande-
Bretagne avait cessé d'être invulnérable.
Les moyens de défense que la commission d*enquète
a passés en revue sont : la flotte, les fortifications, l'ar-
mée permanente et les volontaires.
En ce qui regarde la flotte anglaise, nous rappelle-
rons que l'opinion unanime des marins sur la possibi-
lité de son insuffisance dans la Manche, en cas de
conflit avec une puissance maritime de premier ordre,
se fonde sur la considération que , étant dispersée sur
le globe entier, cette marine est inférieure, en Europe,
aux marines Française et russe, beaucoup plus oonoen-
trées et presque entièrement disponibles. Ni la France
ni la Russie n'ont à garder, à beaucoup près, un
domaine colonial aussi étendu que celui de l'Angle-
terre (-2).
Relativement aux fortifications, nous nous bome-
(1) Cette commission était composée des généraux Jones, Caméron
et Abbott, du vice-amiral Elliott, du colonel Leufroy, du capittioe
de vaisseau Cooper Key, du major Drummond et de M. Fergnssoo.
(2) « It is indisputable that the English fleet cannot be scaltered
over the whole aqueous surface of the globe, and be in the britîsli
channel at tbesame time. » {Defencelets skOe of Great Briktin.,
DB LA FRANGB ET DE L* ANGLETERRE. . 603
rons à faire remarquer que les conclusions de la com-
mission de défense, et la demande d'un crédit de près
de 300 millions pour l'érection de nouveaux forts, ont
soulevé en Angleterre de violentes critiques.
Il ne suffit pas, en effet, de construire des citadelles,
il faut avoir l'effectif nécessaire pour les défendre. Une
forteresse dont la garnison est insuffisante devient un
danger, puisque l'ennemi a toute facilité de s'en em-
parer et de s'en faire un point d'appui.
Avec Teffeclif actuel qui est, comme nous l'avons
déjà fait remarcjuer, celui dont le duc de Wellington
déplorait si amèrement la faiblesse en 1 849, nos voi-
sins seraient hors d'état d'occuper les places fortes déjà
construites. En construire de nouvelles est donc uti
non -sens (l).
Nous ne répéterons pas, à l'égard des milices, dea
volontaires, et autres prétendus auxiliaires de l'armée
régulière, ce que nous avons dit ailleurs :
« On croira que je suis fou, disait Wellington, de
vouloir compter, pour la défense de l'Angleterre, sur
une force pareille à la milice; ~ cela doit être, je le
confesse (2). » Le vieux guerrier ajoutait qu'il n'avait
de confiance que dans l'armée régulière, malheureu-
(1) «The whole force employed at home in Great Britain and
Ireland would net afford a sufficient nuniber of men for tbemere
occupaUon and defence of Ihe works conslruclecl for Ihe defence of
the dockyards and naval arsenals. > {Lettre de Wellington au général
Burgoj/ne.)
{% «1 shaU be deemed foolhardy in enpging for the defence of
the empire with such a force of miiilial It may be so ! 1 confess it! »
(Wellington au Parlement*)
60A CONSTITUTION ET PUISSANCE MILITAIRES
sèment, sachant bien qu'il ne pouvait obtenir l'augroen-
tatiou de celle-ci, il était obligé de se rejeter sur la
milice... « / Know Ihat i shall not hâve thèse; i may
hâve the olhers. »
Le général Burgoyne n'est pas moins franc dans
l'expression de son opinion sur les volontaires : o Des
centaines de mille de citoyens anglais, Tussent-ils ani-
més des plus fiers sentiments nationaux, se disperse-
raient devant le dixième de leur nombi^e de soldats
français, comme la paille se disperse au souffle du
vent (1). »
Nous arrivons à l'armée de ligue, c'est-à-dire à Télé-
meni de la défense anglaise, dont l'appréciation rentre
plus particulièrement dans notre cadre. De ce côté, la
situation de nos voisins est-elle plus rassurante? Les
60,000 hommes dont nous avons donné la composi-
tion , et qui représentent la garnison du Royaume-Uoi,
peuvent-ils sufffire à leur tâche?
« Avec un effectif aussi faible, disait le duc de Wel-
Ungton, il n'y a pour l'Angleterre ni salut, ni même
chance de défense, si ce n'est dans la flotte ! » dans
la flotte dont l'infaillibilité a cessé d'être un article de
foi, même pour ses plus fervents admirateurs!
« Dans la situation où nous nous trouvons, écrit en-
core le duc au général Buigoyne (c'est-à-dire avec une
(1) tt As to the hundreds of thousands of valiant Brilons, who
would spring up for the defence of their country, according to the
proud popular feeliog, they would fly likechaff before the wiod in
présence of tenth part of (heir number of French soldiers. > (Géné-
ral Burgoyne, Military condition of Greal Britain.)
DE LA FRANCE ET DE L ANGLETERRE. 605
année intérieure de 00,000 hommes), — en n'accor-
dant à nos ports et à nos arsenaux que la moitié des
garnisons que réclamerait leur sécurité , c'est à peine
s'il nous resterait 5,000 hommes de toutes armes pour
livrer bataille; et encore faudrait-il renoncer à relever
aucun poste, même celui qui garde le palais et la per-
sonne de la Reine. »
Le duc de Wellington estimait qu'en cas de guerre,
l'Irlande exigerait, à. elle seule, une garnison de
30,000 hommes; et que les îles de la Manche, Ply-
mouth, Cork, Portsmoulh, Douvres, Pembroke, Sher-
ness, Chatham et la Tamise en demanderaient plus du
double. — C'est ce qui le faisait s'écrier que l'armée,
tant en Irlande qu'en Angleterre , n^était pas même
suffisante pour occuper les places. « Si la flotte venait
à nous faire défaut, ajoutait-il, dans les circonstances
où nous sommes, je ne répondrais pas de la sûreté de
l'Angleterre pendant huit jours, après que la guerre
aurait été déclarée : We are not safe for a week a fier
ihe déclaration of War ! »
Le général Burgoyne, après avoir examiné toutes les
chances favorables que rencontrerait un débarquement
sur la côte d'Angleterre, se prononce d'une façon tout
aussi formelle que le duc de Wellington sur les résul-
tats d'une pareille entreprise : « Il est plus que pro-
bable qu'elle réussirait, et que Londres lui-même
tomberait au pouvoir de Tennemi en moins de dix
jours, — il is more than probable fhat such an attempt
would be successful^ and that London itself might be in
the hands ofthe enemy in less than ten day$. »
606 COl^StltUtlON ET l>UlSSANCE MîLlTAmfô
En supposant, en effet, que nos voisins prissent le
parti d'abandonner aux volontaires, aux pensionnaires,
à la yeomanry, à la police, etc., la garde de leurs ai^se-
naux, en supposant que la garnison d(î llrlande fût
rappelée en Angleterre {By stripping Ireland and every
part of Great Britain to the utmost), de Tavis du géné-
ral Burgoyne et de sir Francis Head (1 ), tout ce que
l'Angleterre pourrait faire, serait de réunir un seul
corps de 50,000 ou 60,000 hommes. Il suffirait d'une
seule bataille perdue pour livrer tout le territoire à
l'invasion.
Il n'est pas un général anglais qui ne partage, au
fond du cœur, les convictions que nous venons d'enre-
gistrer. Il n est pas un militaire expérimenté qui n'ait
reconnu, sous une forme ou sous une autre, que la
défense de l'Angleterre était inconciliable avec la fai-
blesse de son effectif militaire actuel.
Dans son traité sur la Défense inlérieuré et mari-
time de la Grande Bretagne, le général S. Howard-Dou-
glas préconise la formation de corps d'armée manœu-
vrant de façon à pouvoir se concentrer avec facilité,
suivant les mouvements de l'ennemi. Cette combinaison
suppose remploi d'une armée de 1 00,000 hommes. C'est
le chiffre dont l'armée actuelle devrait être augmentée
de l'avis du général Burgoyne et de sii-F. Head . Dans une
Étude relative à la Défense de Londres, le lieutenant-
général Mac Intosh admet comme point de départ de
(l) Burgoyne, Military condition of Great Britain^ p. 27. — Sir
F. Head, Defenceless state of Great Britain, p. 302.
t)t lA FRANCE Et PE L AffGLETBEftfi. 007
ses calculs, que l'Angleterre a 1 80,000 hommes en
ligne.
L'honorable général n'en insiste pas moins sur les
difficultés que Ton rencontrerait encore pour opposer^
à point nommé, un simple corps de 30,000 hommes à
la marche de l'ennemi ; il s'appuie sur l'incertitude oii
Ton serait de sa véritable direction et de son point de
débarquement, en dépit des avantages que fournis-
sent aujourd'hui le télégraphe électrique et les chemins
de fer.
Nous n'ajouterons rien aux considérations que nous
venons de présenter. Suivant nous, si Ton songe aux
intérêts qui sont en jeu pour FAngleterre, si l'on ré-
fléchit aux consé({uences que pourrait entraîner l'oc-
cupation, même momentanée, de son territoire par
une armée ennemie , il nous semble qu'en estimant
* à 200,000 hommes l'armée permanente nécessaire à
sa défense, on reste encore au-dessous de la vérité.
Si les généraux qui ont traité ces graves questions;
si la commission chargée de les discuter; si le gouver-
nement dont la responsabilité est si intéressée à leur
solution exacte, n'ont pas osé admettre le chiffre que
nous venons d'écrire, c'est que généraux, commis-
sion, gouvernement savent qu'il est impossible de l'at-
teindre avec l'enrôlement volontaire (1). L'établisse-
(1) Tout le monde est d'accord, en Angleterre, sur la difficulté,
ou pour mieux dire, l'impossibUité où Ton serait d'augmenter seu-
lement l'armée de /iCOOO hommes, même dans les circonstances les
plus pressantes: «Sucha body of recruils would require many
» months, give rise to a vast amount of crime and debauchery, cost
608 CONSTITUTION HT PUISSANCB MlLITAmSS
ment de la conscription serait le seul moyen d'y
parvenir, mais le peuple anglais ne peut s'y résoudre.
L'adoption d*un pareil système équivaudrait, si nous
en croyons les écrivains d'outre-Manche, à une révo-
lution.
Quoi qu'il en soit, une pareille situation n'a pas be-
soin de commentaires; elle explique surabondamment
les craintes el les terreurs qui s'emparent du peuple
anglais, chaque fois que nous ajoutons un vaisseau à
notre flotte, chaque fois qu'un incident quelconque
vient dresser devant eux l'épouvantail d'une guerre
avec la France.
Pendant longtemps, sur le continent, on a pu con-
sidérer les paniques de P Angleterre comme des énigmes
dont le gouvernement avait seul le mot. On riait de ces
manifestations alarmistes, on les traduisait en carica-
tures ou en chansons. Elles n'avaient d'autre but, pen-
sait-on, que d'enlever un budget trop lourd, ou de
détourner l'attention de la réforme. Aujourd'hui, cha-
cun sait à quoi s'en tenir. On comprend que les ap-
préhensions instinctives du peuple anglais sont tout
aussi fondées que les appréhensions raisonnées de ses
» an enormous sum of money, and gîve a great proporUon of boys,
» who, without some years of care and good feeding, would ooly
» fill our hospitals, and die like Aies, as was seeii both îii the Cri-
n mea and India. » (Military system of Great Britain.)
On n*obliendrait au prix de beaucoup de peine, de temps et d*ar-
gent, et en mettant en œuvre toutes les amorces de la débauche,
que de malheureux garçons qui rempliraient les hôpitaux ou mour-
raient comme des mouches (/lus), ainsi qu'on Ta déjà vu en Crimée
et dans rinde.
ra LA MaNCE et bE L^ANaLETERate. 609
géfiéraul. Les unes et les autres ont leur source, non
pa& dans les dispositions hostiles de telle ou telle pui*î
sance, mais bien dans un sentiment profond de la dé-
cadence militaire de la Grande-Bretagne.
Eu ce qui regarde plus particulièrement la France,
maigre tout le bénéflce qu'ils retirent de son alliance,
nos voisins tie peuvent considérer sans envie l'admi-
rable Organisation de sa puissance militaire. Ils ne
peuvent nous pardonner la facilité avec laquelle, sans
presser en rien le fonctionnement de nos institutions,
nous pouvons, à toute heure, mettre en mouvement
une demî-dou^aine de ces corps d'armée, dont un seul
pèse autant que leur armée tout entière.
La France a beau signer des traités qui semblent
dictés par le génie ttièttie de la paix, elle a beau multi-
plier les assurances et les promesses d'amitié, elle a
beau joindre ses armes à celles de l'Angleterre dans
des expéditions lointaines, et donner pouf gage à
Ttiniori de» intérêts l'union des drapeaux, le sentimenl
de son incurable faiblesse est pour le peuple anglais
une préoccupation incessante. L'idée que sa sécurité
repose sur notre loyauté et notre bon vouloir, et non
sur des moyens à la hauteur des dangers que notre
hostilité lui ferait courir, l'irrite et l'obsède. Il ne peut
dormir tranquille en songeant qu'il suffit d'un geste
pour mettre en mouvement un demi-million de soldats
français. La connaissance intime qu'il a de notre ar-
mée pouf l'avoir vue à l'œuvre, augmente encore, s'il
est possible, cette obsession et cette défiance. De là ces
levées de volontaires, de là cet empressement à encou-
30
610 CONSTITUTION ET PUISSANCE MIUTAIRES
rager les inventions homicides, de là enfin ce soin pas-
sionné à augmenter sa flotte ; mais de là aussi cette
augmentation toujours croissante des impôts et des
taxes que supporte la nation anglaise.
Écrasé sous l'énorme poids d'un budget militaire et
naval qui atteint près de 800 millions, sans même as-
surer sa sécurité , le peuple anglais semble revenir,
par instants, à ces vieilles rancunes, à ces préjugés
surannés dont la guerre de Crimée avait fait justice.
Tandis qu'en France chacun se montre de plus en
plus convaincu de l'utilité de l'alliance anglaise, tan-
dis que chacun se pénètre mieux, chaque jour, des
avantages commerciaux qui en dérivent, et se montre
plus disposé à entretenir les relations pacifiques de
nature à la cimenter, en Angleterre, on reste souvent
insensible à c^s avantages comme à ces amicales dis-
positions, et, plus souvent encore, on a le tort de prê-
ter à la France des projets ou des intentions qu'elle
n'a pas, par la seule raison que, si elle les avait, il lui
serait facile de les réaliser.
Il ne faut pas se le dissimuler, ces dispositions om-
brageuses et maladives ont plus d'une fois alarmé, en
France, les partisans sincères de l'alliance anglaise.
Nous avons voulu les rassurer.
Nous avons voulu leur montrer que si l'alliance est
utile pour la France, elle est nécessaire pour TAngle-
terre.
D'autres, avant nous, se sont évertués à faire le ta-
bleau des bienfaits dont une rupture entraînerait la
peile. Ils ont eu raison.
DE LA FRANGE ET DE l'aNGLETERBE. 611
De notre côté, nous avons pensé que rien n'était plus
propre à maintenir Talliance et les dispositions à l'al-
liance, que l'exposé sincère, non-seulement des avan-
tages que compromettrait une rupture, mais aussi des
dangers auxquels elle exposerait.
Nos voisins sont un peuple trop pratique, pour ne
pas se rendre compte des uns aussi bien que des autres.
La puissance d'une armée ne réside pas seulement
dans la quanlité, mais aussi dans la qualité des troupes
qui la composent. Dans cette Étude, nous n'avons en-
visagé Tarmée anglaise qu'au point de vue de Teffectif
ou de la quantité. Dans un prochain travail, nous pas-
serons en revue les institutions militaires desquelles
dépend le plus ou moins de perfection de ses éléments.
FIN.
TABLE DES MATIÈRES
■• ■'••P«!
ÀTertissemeiit ▼
Prèbce vn
Introduction 1
GI1APITK£ PREMIER.
CONSTITUTION ET iUMilNISTRATlON GBNTRALB M L*A]U1ÉB
AMGLAIS&
Direction et commandement; — Organisation et attributions du minis-
tère de la guerre et du HonO'Gwurds iO
CHAPITRE IL
DÉPENSES COMPARÉES DE L*ÀD1IIN1STRAT10N MILITAIRE CENTRALE,
EN FRANCE ET EN ANGLETERRE.
Économie du système français ; — Double autorité qui régit l'armée
britannique; — Inconvénients de ce système; — L'armée anglaise
n'a pas de chef; — Situation et antagonisme du ministère et du
Horse-guards ; — Caractère distinctif des institutions militaires delà
France et de la Grande-Bretagne ; — Contraste ; — Difficultés que
rencontrent les réformes militaire^ dans la constitution politique et,
sociale de l'Angleterre 2à
CHAPITRE ni
RANGS ET GRADES DANS L'ARMÉB BRITAMIIIQVB*
Étai-m^ior général ; — Du grade de général d'armée ; — Lacune danf
la hiérarchie française ; — Disproportion entre le nombre des géné-
raux et l'effectif de l'armée anglaise; — Or|;9nisation de l'étal-
in9|or anglais, en quoi elle diffère de celle des états-majors du conti-
nent; — Tableau des emplois d'état*m«gor dans l'armée anglaise;
Du chef d'état-major; — De l'adjudant général ; — Du quartier*
médire général ^ ^ Du m^jor de brigade ; — Ëtat-major de fonctions
et état-ifugor personnel ; — Secrét^res militaires ; — Êtat-majof
des places ; — Prévôts-maréchaux 60
40
61 & TABLE DES MATIÈRES.
CHAPITRE IV.
ATTRIBUTIONS COMPARÉES DES FONCTIONNAIRES PRINCIPAUX M
L* ADMINISTRATION MILITAIRE CENTRALE EN FRANCE ET E?(
ANGLETERRE.
Agents de l'administration anglaise qui n'ont pas leurs semblables dans
l'organisation française ; — De l'âge des généraux anglais ; —
Conséquence de l'absence d'un cadre de réserTe; — Résultat de la
dissémination de l'armée britannique, les généraux anglais ne sont
pas manœuvriers ; — Remarque sur les attributions du quartier-
maître au point de vue des embarquements et des débarquemenls ;
— L'Angleterre n'a pas de corps de police militaire ; — Organisa-
tion défectueuse de la prévété dans les armées anglaises ; ^ Opinioo
de Wellington W
CHAPITRE V.
NOTIONS GÉNÉRALES ET COMMUNES AUX DIFFÉRENTES ARMES SCR
L'ORGANISATION RÉGIMENTAIRE DE L* ARMÉE ANGLAISE.
Proportion comparée des différentes armes dans l'armée anglaise et
dans l'armée française ; — « Préséances ; — Caractère aristocratiqne
et féodal de l'armée britannique ; — Le colonel dans la hiérarchie
anglaise n'est que le commandant ctd honores du régiment ; — Ses
anciens privilèges ; — Sa situation actuelle 92
CHAPITRE VI.
ORGANISATION DE L*INFANTERIE ANGLAISE.
Infanterie de ligne ; — Tirailleurs ; ^ Le bataillon anglais est à la lob
unité tactique et unité administrative ; — Personnel d'un régiment
d'infanterie anglaise ; — Êtat-major ; — Officiers de compagnie ;— >
Sous-offlciers ; — Du lieutenant-colonel commandant le régiment;
— Du major ; — De Tadjudant ; — Des chirurgiens ; — Du payeur
et du quartier-maître; — De la compagnie d'inûinlerie anglaise:
du capitaine, du lieutenant et de l'enseigne ; — Les sous-officiers
sont la cheville ouvrière de l'organisation anglaise; — Du sergent-
major ; — Des sergents de drapeau ; ^- Des non-valeurs ; — Effectif
nominal et effectif réel du régiment et de la brigade d'infanterie
dans l'armée anglaise ; --* Tableau et uniforme des régimenls
d'infanterie anglaise 98
TABLE DES MATIÈRES. 615
CHAPITRE VII.
ORGANISATION DE LA CAYALERIE ANGLAISE.
Grosse cavalerie et cavalerie légère ; — Dragons-gardes; — Dragons
légers ; — Lanciers ; — Hussards ; — Les Anglais n'ont pas de cui-
rassiers; Les Life-Guards et les Horse-Guards font partie de la
cavalerie de réserve ;~ Unité tactique et unité administrative dans la
cavalerie anglaise ; — Tableau et uniforme des régiments de cavale-
rie anglaise ; — Formation de l'escadron de manœuvre ; — Ëtat-
major d'un régiment de cavalerie anglaise ; Effectif en officiers,
sous-officiers, hommes et chevaux ; — Composition de la compagnie
de cavalerie {troop) ; — Brigades et divisions de cavalerie 117
CHAPITRE Vm.
ORGANISATION DE LA GARDE ROYALE ANGLAISE.
Composition de Tinfiinterie de la garde anglaise ; — Du grade de colo-
nel dans la garde ; — Du grade supérieur des officiers de la garde
anglaise dans l'armée de ligne'; — Effectif de l'infanterie de la garde
en officiers, sous-officiers et soldats ; — Uniforme; — Organisation
et composition de la cavalerie de la garde anglaise ; — Effectif en
officiers, sous-offlciers, hommes et chevaux; — Service, privilèges,
uniforme ; — Distinction à établir entre l'infanterie et la cavalerie
de la garde anglaise au point de vue des services de guerre 124
CHAPITRE IX.
ORGANISATION DE L' ARTILLERIE ANGLAISE.
Un mot sur l'ancien ministère de V Ordonnance; — Artillerie à pied ;
— Artillerie à cheval ; •— Composition des batteries de campagne ;
— Effectif en officiers, hommes, chevaux et voitures ; — Proportion
et effectif de l'artillerie attachée, en campagne, aux divisions
anglaises ; — Réorganisation de l'artillerie en 1859 ; — Le quartier
général de Woolwich; — Organisation de la brigade dedépét; —
Calibres de l'artillerie anglaise ; -^ Lord Hardinge et les batteries
de Waterloo ; — Comparaison entre la batterie anglaise de cam-
pagne et la batterie anglaise d'artillerie à cheval, au point de vue des
attelages, des conducteurs et des canonniers ; — De la brigade
d'artillerie de côte 29 1
61 6 TABLE Dl^ BIAtlÉRÈS.
CHAPITRE X.
ORGANISATION DU CORPS DU GÉNIE ANGLAIS.
Organisaiion vicieuse de cette arme ; — Amélioration introduite par
Wellînf^ton ; — L'École de Chatham et le général Pasiey ; — De
l'inspecteur général des fortiiicatiohs ; — Mode d'établissement des
plans et devis ; — Exécution des travaux ; — Situation du génie
anglais à Tépoque de la guerre de Crimée ; — Le gouvernement est
obligé de recruter des travailleurs civils pendant le siège de Sébas-
topol ; — Inap{iiude du soldat anglais pour les travaux du génie ; —
Opinion du général Burgoyne ; Composition de Fétat-nugor et des
troupes du génie; — Effectif; — Quartier général de Chatham.. . iiS
CHAPITRE XI.
OReAMISAllOll Vm OOIIPS COLONIAUX EMPLOYÉS DANS USft
POSSESSIONS ANGLAIflEa
Forces milit«ires locales : 1° Sur la côte occidentale d'Afrique et aux
Antilles ; — 2<* à Ceylan ; — 3° au cap de Bonne-Espérance ; —
fto an Canada) -- S» à Sainte-Hélène; — a» à Malte; — 7« à la
Gdte-d'Or ; — S» à Terre-Neuve ; - 9° aux lies Falkland ; — Corps
étrangers k la solde de l'Angleterre ; — Pensionnaires militaires. . i6î
CHAPITRE UI.
ORGÀhlISAflÙN DU PERSONNEL Et 1SÈS *ttitfVPkS VÊB SBKVfOIft
AbfltNtSTRATTFS DAN» VmMÈE ANGLAISE.
Train MiRaire ; *^ Orfaaiaalion et effectif; ^ Perwonel éa cerpa de
sadté;— Inirmieff; ^ CwMBiaiarfat <m trtiiidtowoe militaira ; ^
Service financier et larvice adamialralif du conuniaflariat anglak;
— Éêtikés spéeiaax dma les odioniea ; -«• Afeals tubordomiéa ao
contolasariat pMfVeséaMCiiÉ des aervieaa; —Département aaédi-
cal ; -- Coaiptablas dei bdpftaas ; --- GhapeMiiM ; -- Coaaptables des
magattai miKtaifes ; — Fenonnal du ternœ en caaemameat; —
Personnel civil des bureaux du génie 175
TABLE Des MATlÉaËS. 617
CIlAPlTRt: XIII.
DISTHICTS militaires et COilllA?f»EllËNTS TEKRITORIAUIL
DE LA GRANDE-BRETAGNE.
Un mot sur l'organisation politique et administrative de l'Angleterre,
et sur le rôle de l'armée à Tinlérieur ; — L'Angleterre n'a pas de
gendarmerie ; l'Irlande seule a un corps de police armée ; — Tableau
des possessions extérieures de la Grande-Bretagne ; — Distribution
des commandements et répartition des troupes dans le Royaume-
Uni ; — Districts militaires de TAngleterre, de l'Ecosse et de Tir-
lande ; — Camps d*Aldersbott et de Kildare ; — DivittODa actives de
SborncUir et de Dublin; — Organisation militaire des colflAi«s
anglaises : Gibraltar ; — Malte ; — Les lies Ioniennes ; ^ L'Inde ;
— Ce|lan ; — Chine et Hong-Kong ; — Labuan ; — Australie ; —
Indes occidentales ; — Amérique du Mord ; — -Iles FaUcand ; — Ber-
roudes ; ^ Colonie du Cap ; — Établissements de la côte d'Afrique ;
— Maurice ; — Sainte-Hélène 199
CHAPITRE XIV.
ORGANISATION DE l' ARMÉE ANGLAISE POUR LE SERVICE EXTÉRIEUR .
Formation des dépôts; — Depol-Battalions ; — Instruction des recrues
et des jeunes officiers ; — École de cavalerie de Maidstone ; —
TaUeau des stations occupées par les différents corps de l'armée
britannique tant à l'intérieur qu'à l'extérieur; — Tableau général de
l'armée britannique ; — Tableau des forces employées à l'extérieur ;
Récapitulation des Torces restant disponibles pour la défense de
la métropole 237
CHAPITRE XV.
COMPOSITION ET ORGANISATION DE L* ARMÉE DE SECONDE LIGNE
EN ANGLETERRE : CORPS AUXILIAIRES ET RÉSERVES.
Infanterie de marine anglaise ; — DMërences essentteUee dans l'orga-
nisation des troupes de la marine en France et en Angleterre; —
Avantages et nécessité de l'emploi combiné des troupes de terre et
de mer dans les guerres contemporaines ; — Considérations rela-
tives à la garnism des vaisseaux ; — U général Paizhans et le
40*
618 TABLE DES MATIÈRES.
général Douglas ; — Fluctuation de l'opinion en Angleterre, au sujet
de la composition des équipages et de Tartillerie des vaisseaux ; —
Cadre, état-miuor, uniforme, effectif di» l'infanterie de marioe
anglaise ; — Effectif des soldats de marine non embarqués et dispo-
nibles pour le service de la métropole ; — Budgets comparés des
troupes de la marine en France et en Angleterre 266
CHAPITRE XVI.
COMPOSITION KT ORGANISATION DE L'aRMÉI:: DE SECONDE UGNB
EN ANGLETERRE. {SuiU.)
Delà milice anglaise; — Recrutement; — Effectif; — Régiments
incorporés ou en service actif; — Régiments désincorporés
(desembodied) ; — Nomination des officiers ; — Analogie entre lo
ballot et la conscription des armées continentales ; — Comparaisoo
entre lés exemptions du service militaire en France et en Angle-
terre ; — Le service forcé dans la milice est tombé en désuétude ea
Angleterre ; — Inconvénients de l'enrôlement volontaire ; — De la
désertion dans l'armée anglaise ; — La milice anglaise est mal
commandée, mal instruite, et ne rend pas des services en rapport
avec ce. qu'elle coûte ; — Yeomanry, ou milice à cheval ; — Sa
composition ; — Son service ; — Ses privilèges ; — Ses défauts ; —
Organisation des pensionnaires militaires ; — Conditions de l'enrd-
lement; — Solde ; — Exercices annuels ; — Effectif; — Tentatives
de colonisation dans la Nouvelle-Zélande au moyen des pensionnaires
enrôlés ; — Comparaison avec la colonisation militaire de t'Algé*
rie; — Chiffre des ressources effectives que la milice, la yeomanry
et les pensionnaires pourraient offrir au gouvernement anglais dans
le cas d'une guerre soudaine 305
CIIAPITIIE XVIÏ.
COMPOSITION DE L'ARMÉE DE SECONDE LIGNE EN ANGLETERRE :
CORPS AUXILIAIRES ET RÉSERVES. [Suite,)
Organisation de la réserve anglaise (army resetve force); — Obligations
imposées aux enrôlés ; — Droits et avantages ; -~ Comparaison avec
la nouvelle organisation de la réserve française ; — Le système
anglais pourrait-il être adopté en France ? — De la réduction des
dépenses militaires ; — État militaire de la France : — Considéra-
TABLE DES MATIÉEES. 619
tiens iur lesquelles il est basé ; — Évaluation de la dépense d'une
réserve de 100 000 anciens soldats organisés d'après le système
anglais ; — Organisation des troupes de la douane anglaise {Coatt-
guards)\ —Composition; — Effectif; — Service; — Prix d'en-
tretien ; — Force qui pourrait contribuer à la défense du territoire
anglais en cas d'invasion; — Organisation des bataillons des
chantiers maritimes (Dockyard*s baUalhns) ; — Composition et
effectif de ces corps ; — Un mot sur les corps de la police civile en
Angleterre 345
CHAMTRK XVIII.
COMPOSITION DE L'ARMÉE DE SECONDE LIGNE EN ANGLETERRE :
CORPS AUXILIAIRES ET RÉSERVES. {Suite.)
Des volontaires anglais ; — Causes qui ont déterminé cette organisa-
lion ; — L'invasion française ; — Pourquoi l'Irlande n'a-t-elle pas
de volontaires ; — Obligations imposées aux volontaires anglais ;
Droits et avantages ; — Instruction ; — Armement ; — Service ;
Uniforme ; — Effectif ; — Causes qui tendent à refroidir l'en-
thousiasme des débuts de l'institution ; — Sociétés de volontaires
marins pour la manœuvre des chaloupes canonnières dans les ports
de commerce et les rades ouvertes de l'Angleterre ; — Exemple à
imiter en France ; — Opinion et lettre de Garibaldi sur l'organisa-
tion des volontaires anglais 385
CHAPITRE XIX.
COMPOSITION DE L' ARMÉE DE SECONDE LIGNE EN ANGLETERRE. (Suite.)
Examen critique de l'institution des volontaires anglais ; — L'idée
n'est pas nouvelle ; — Les volontaires anglais de 1803 ; — Opinion
de M. Dupin ;' Satisfaction de l'Angleterre et stupéfaction prétendue
de l'Europe à propos des volontaires ; — Discussion des exemples
cités à propos de l'efficacité de^ volontaires ; — Opinion du géné-
ral Burgoyne ; — Opinion de Napoléon, de Jomini, de Napier, de
Wellington, de Dumouriez, de Lamarque, etc.; — Ce sont les Anglais
et non les guérillas qui ont sauvé l'Espagne ; — Les volontaires
américains et la guerre actuelle en Amérique ; — Les volontaires
belges ; — Les volontaires italiens ; — Au point de vue économique,
comme au point de vue militaire, l'institution des volontaires anglais
est une erreur hi%
620 TABLE DES MATlÈaKS.
CHAPliRË XX.
DE L'AtGNENTATlOIS PBOGRi^SSIVE ET CONTIffUK DE L'ARMÉE
ANGLAISE.
Quelle c«use faut-il lui assigner ? — Progrès de la puissance anglaise
pendant la première moitié du xix« siècle.; — Rdle de l'aristooralie
anglaise pendant cette période ; — Effectif moyen de Tarroée britan-
nique de 1830 à 1850; -^ Répartition de cet effectif; — Accroi»-
sèment des dépenses militaires en Angleterre; — Examen détaillé
des budgets militaires de 1857, 1858, 1859, 1860. 1861,1862; —
Effectife militaires correspondants ; — L'Angleterre en est arrivée à
quadrupler les forces qui suffisaient autrefois à sa défense; —
Situation intérieure de la Grande-Bretagne ; — La jeune et la
vieille Angleterre ; — Les puînés de l'aristocratie anglaise ; —
Condition morale et sociale de Tarmée britannique; — Explication
des mécomptes éprouvés en Crimée; — Influence de cette cam-
pagne sur Tesprit de l'armée anglaise ; — Aspirations nouvelles ; —
Besoins et dangers nouveaux 453
CHAPITRE XX!.
EMBARRAS ET DIFFICULTÉS DE LA SITUATION INTÉRIEURE
EN ANGLETERRE. (Sutt«.)
De l'Irlande ; — L'Irlande est-elle satisfaite et soumise? — Rdle pro-
bable de cette province du Royaume-Uni, au cas où l'Angleterre
serait engagée dans une guerre extérieure ; »- Les ressentiments
des Irlandais contre l'Angleterre sont aussi ardents qu'au jour de la
conquête, et ils les portent dans tous les pays où ilsémîgrent; —
La famine en Irlande ; — Opinion du général Burgoyne sur les dan-
gers que l'Irlande entraîne pour l'Angleterre ; » L'occupation de
l'Irlande est la tâche la plus lourde de l'armée anglaise à l'intérieur ;
— Les Irlandais des États-Unis ; — Pourquoi l'institution des volon-
taires n'a-t-elle pas été appliquée à l'Irlande? 495
TABLB me MATIÉR18. 621
CHAPITRE XXIU
CONSlDÉllATIOlfS GÉNéRAtÈS SUR LA COnSTlTtmON bl3 l>OltAmE
mXTÉKKTJR DEL* ANGLETERRE; DIFFrCULTÉS DE SON OCCÙPATIOlf
ET DE SA PROTECTION.
La domination extérieure de la Grande-Bretagne, au point de vue des
néceMitét mOMlres^ peut -(Aie ètf« inaiftteftuè an degré d'ettefièion
qu'elle a atteint ? <— La eomervMion de ion tnté^Htê est-elle d'une
sage politiqvê? — Les dépenses qiiê cette tfccnpation nécessite, leé
dangers qu'elle Ait naître, sont-ils eoneiliables atec la èéeutité de
rAnglet«rreT — Politique de l'Angleterre i l'égard dé ses colonies ;
— Dia^oaHions des lies Ioniennes ) «- &tat des esprits k Malte,
antipalliies religieuses ; — Gibraltar et le conflit marocain ; — Di^
Acuités tnrtc l'Espagne ; —•* Situation et troubles de la Gambie, de
Sierra-Leefua, de la Gôte-d'Of ; — LeOap, Natal et la guerre àei
Gaffirea ; -^ La population franfaise de l'fle Maurice ; -^ La France
ei l'Angleterre à Madagascar : — L'Tnde anglaise, les Gipayes et les
Sicks ; — Les Anglais et les Russes à Hérat, à Khiva et sur l'Amour ;
— Progrès constants de la Russie dans l'Asie centrale ; — La mer
Caspienne et rAfgtMhiisiaR ; — Situation de l'Angleterre, de la
Russie et de la France en Asie 525
CHAPITRE XXin.
CONSIDÉRATIONS SUR LA CONSTITUTION DU DOMAINE EXTÉRIEUR
DE LA ÔRANDE-BRETAGNE ; DIFFKHJLTÊS DE SON OCCUPAtlÔl^ ET
DE SA PROtECtiON. (Suite.)
Situation des Indes occidentales anglaises ; — L'établissement de
Bélise et les indigènes du Yucatan : — La Guyane anglaise ; — Les
Antilles ; — Les Américains et les Anglais en présence dans l'Amé-
rique centrale ; — Possessions de l'Amérique du Nord ; — Nouyelle-
Calédonie ; — lie de Vancouver ; — Démêlés des Américains et des
Anglais dans l'Oregon ; — Le Canada ; — Dispositions de la popula-
tion française ; — DifRcultés intérieures et extérieures ; — Rivalité
de la population anglaise et française au Canada ; — Insurrection
de Papineau ; — Incendie du Parlement ; — Politique de l'Angle-
terre vis-à-vis des États-Unis ; — Affaire du Trent, ses consé-
quences ; — Les Aaglats auraient désiré la guerre ; — Conduite
6:23 TABLE DES MATIÈRES.
probable des Américains lorscpie la (guerre civile sera terminée ; -^
Ëchecs maritimes éprouvés par les Anf^lais dans la guerre de 1812
contre les États-Unis ; — OUBcultés en Australie ; — Guerre de la
Pïouvelle-Zélande 563
CONCLUSION.
L'armée anglaise n'est pas assex nombreuse pour la protection descolo-
nies ; *' Effectir des troupes consacrées à leur défense ; — Effectif
et distribution de Tannée anglaise en 1862 ; — Troupes que l'An-
gleterre pourrait mettre en ligne en cas d'invasion ; — Leur lai-
blesse ; — Conséquences de l'adoption de la vapeur comme propul-
seur ; — L'Angleterre n'est plus une tle ; — - Opinion de Wellington,
3urgoyne, Douglas, F. Head, Mac-Intosh, Bovirles, Ilapier,
Elliott, etc., sur l'insuffisance des moyens de défense de l'Angle-
terre ; — L'alliance anglaise est utile et avantageuse pour la
France ; l'alliance française est nécessaire , indispensable à l'An-
gleterre 59S
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.
ERRATA :
Page Al 7, ligne 18 : L'avantage ; Um9z Les avantages
— 472, ligne 6 : Des voies ; Usez Des voix.
Paris. — laprinMirie de R* MARimiT hm Mignon* S.
us VK»VTF. A I.A MKUi; l.tHKAIRIE
IMISSANCF ^IIIITAIRI
*l dti ^u\*-*tt ^iut-i^è «Ia ï*Mt*l.
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